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JOURNAL
D UN VOYAGE EN ITALIË,
Uabbc 3. (©numc,
Vicaire général du diocese de Nevers, chevalier de l’ordre de Slt;-Sylveslre, membre de 1’Académie de la Religion Calholique de Rome,nbsp;auteur du Catéchisme de Persévérance, etc., etc.
-ocr page 8- -ocr page 9-La dernière des sept collines, l’Aventin, nous reslait a voir. De bonne heure nous partimes avec l’intenlion d’éludier cetle montagnenbsp;non moins célèbre que les aulres, inais nous reslames en chemin. Unnbsp;monde de souvenirs, de ruines, de temples, de monuments chrétiensnbsp;et païens, se rencontre sur la route et arrête le voyageur, Quand, arrivé au pied du Capitole, par la rue d’Ara-Coeli, on tourne h droite,nbsp;le quarlier della Ripa se présente, et il faut y rester. Situé au midinbsp;de la ville, sur les Lords du Tibre, ce quartier occupe l’ancienne ré-gion de VAventin, et en parlie celle de la Piscina puhlica, de lanbsp;Porta capena, du Forum magnum, et du Grand Cirque.
Saluons, en passant, la maison de Sainte-Galle et l’église de la Miséricorde, double monument de la charité romaine, sur lequelnbsp;nous reviendrons. Voici maintenant le Vélabre, dont le norn rappellenbsp;d’abord un douloureux souvenir : c’esl sur les Lords de ce lac fangeuxnbsp;que la vieille Rome déposait chaque nuit des monceaux d’enfantsnbsp;nouveau-nés (t). Dans l’origine le Vélabre était un marais formé parnbsp;le Tibre, qu’on traversait sur de petites barques pour communiquernbsp;avec EAveniin (4). Peu a peu les eaux, refoulées par Tarquin l’Ancien,nbsp;firent place h des constructions solides. Dans leur lit desséché s’élè-vèrent successivement le marché aux boeufs, Forum boarium, le
(1) Vojez la-dessus notre Hist, de la Sociéié domestique, 1.1, ch. xi.
(4) Varr., lib. tv, 11 ; A veliendis retibus velabrum dictum, quod velis transiretur. Acron., Scholiast. - Herat., Poetic.
T. U. nbsp;nbsp;nbsp;,
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marché aux poissons, Forum piscarium, qui vit les neveux dégradés de Cincinnatus acheter un surmulet dix-neuf mille francs; Ie quartiernbsp;d’Argilète, Vicus argiletus, oü Cicéron possédait de norabreuses boutiques, qu’il louait chèrement aux libraires, aux perruquiers et autresnbsp;artisans, logés dans celle partie basse de la ville (i).
A l’entrée du Vélabre est la petite église de Saint-Georges, qui remonte au vi° siècle. Restaurée par les papes SS. Léon II et Zacharie, elle possède, dans un superbe reliquaire, la tête du glorieux martyrnbsp;dont elle porte Ie nom. Soldat dès l’enfance, saint Georges parvint anbsp;un grade supérieur dans les armées de Dioclétien qui Ie somma vaine-ment d’adorer les idoles : la couronne du martyre fut Ie prix de sonnbsp;invincible résistance. Le saint est représenlé a cheval, terrassant unnbsp;dragon; éloquent symbole qui nous dit a tous ; « Enfants des martyrs,nbsp;voire devoir est d’attaquer le serpent infernal et votre gloire de lenbsp;terrasser. Comme il fut avec vos pères Dieu est avec vous; ne craigneznbsp;rien : Gcorgi, noli timere, ecce ego tecurn sum (2). »
A l’église Saint-Georges s’appuie un petit arc triomphal, en mar-bre, élevé en l’bonneur de Septime Sévêre par les banquiers, les né-gociants et les marchands de boeufs du Forum boarium. La même place portalt encore le nom de Forum tauri, a cause d’un taureaunbsp;d’or placé vers le milieu (s). C’est un mince détail dont je ne parleraisnbsp;pas, s’il ne rappelait un glorieux souvenir consigné dans les annalesnbsp;sanglanles de la primitive Église. Filles d’un père et d’une mère martyrs, sainte Bibiane et sa soeur, sainle Démétrie, lavèrent aussi leursnbsp;robes virginales dans le sang de FAgneau. Démétrie mourut au piednbsp;du tribunal du préteur. Bibiane, expirée sous les coups, fut abandon-née aux cliiens dans le Forum tauri; mais ces animaux, moins cruelsnbsp;que les hommes, respeclèrent le corps sacré de la vierge martyre.nbsp;Recueillies par les chrétiens, les dépouilles mortelles des deux soeursnbsp;furent enterrées prés du palais Licinien, demeure de saint Flavian,nbsp;préfet de Rome et chef de leur illustre familie (4). Du reste, on com-prend sans peine qu’ici, comme dans tous les autres quartiers denbsp;Rome, le sang de nos vierges et de nos martyrs était nécessaire pournbsp;purifier une terre souillée par tant d’infanticides et de superstitionsnbsp;cruelles. Vous rappelez-vous qu’avant d’entrer en campagne les Remains enterraient tout vivants un homme et une femme du pays au-
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Mart., Epig., lib. i, 5; id., lib. n. —Cic., Episl. ad Attic., lib. i, 15.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Mazz., t. VI, p. 278.
(3) nbsp;nbsp;nbsp;A Foro boario, ubi aureum tauri simulacrum conspicimus. Tacit. Annal., lib. xn.
(4) nbsp;nbsp;nbsp;Mazz., t. VI, p. 178 et suiv.
-ocr page 11-ARC DE JANUS. nbsp;nbsp;nbsp;'
quel ils avaient déclaré la guerre? eh bien! e’est encore dans le Forum boarium que s’accomplissait Fhorrible sacrifice (i).
Non loin de Saint-Georges subsisle un autre monument de la superstition romaine ; e’est Fare de Janus quadrifrons, ainsi appelé paree qu’il a quatre faces. Bien que dépouillé des statues de bronze et desnbsp;bas-reliefs dout il était orné, eet édifice est néanmoins une preuve denbsp;la magnificence déployée par le peuple-roi, même dans ses ouvragesnbsp;de second ordre. II est tout en marbre, d’une bonne arch'iteclure etnbsp;d une solide construction. Suivant Publius Victor, on avait coutumenbsp;d élever des arcs semblables dans les carrefours et dans les forum. Ilsnbsp;servaient, aux marchands, de comptoirs, de bureaux, d’abri centre lenbsp;soleil et la pluie, d’autels pour certaines idoles, saus avoir pour celanbsp;rien de commun avec le temple de Janus.
En avangant de quelques pas, on arrive devant la plus ancienne merveille de Rome ; le Grand Égout de Tarquin. La solidité de celnbsp;ouvrage tient vraiment du prodige : il y a quinze siècles passés quenbsp;Pline s’en étonnait; que dirait-il aujourd’hui, s’il voyait la Cloacanbsp;maxima toujours inexpugnable? Ni les constructions colossales qu’ellenbsp;a supportées, ni le choc des eaux qui s’y précipilent des aulres égouts,nbsp;OU qui refluent violemment du Tibre, ni les tremblements de terre, ninbsp;la chute des anciens édifices, rien n’a pu Fébranler, et tarnen ohnixanbsp;firmitus resistü (2). Debout devant Fembouchure, nous pümes nousnbsp;faire une idéé de sa construction. Le fond est pavé de larges dallesnbsp;parfaitement cimentées; les parois et la voute se composent de grosnbsp;bloes de tuf lithoïde, liés de distance en distance par des assisesnbsp;de travertin, toujours jointes ensemble sans chaux ni ciment. L’arc anbsp;douze pieds de largeur et autant de hauteur; en sorte qu’un chariotnbsp;chargé de foin peut y passer, suivant Fexpression de Pline dont il estnbsp;facile de reconnaitre Fexactitude (3). La longueur totale du Grandnbsp;Égout était de 2,500 pieds.
Pourquoi ces proportions démesurées? 11 n’est pas difficile de le comprendre; on voit que par sa position la Cloaca maxima étaitnbsp;destinée a recevoir les eaux de la plupart des égouts particuliers. Or,nbsp;Fabondance des fontaines qui arrivaient a Rome, Femplaceraent de lanbsp;ville sur sept collines séparées par des vallens, la grande quantité
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Boario vero in Foro Graecum Graecamque defossos, aut aliarum gentium, cum qui-bus res esset, et nostra setas vidit, cujus sacri precationem, etc. Pim., Ub. xxvu, c. ii.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Lib. xxxvi, c. IS.
(5) Amplitudinem cavis eam fuisse proditur, ut vehem foeni longe onustam transmit-teret. ld., id.
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d’itamondices, conséquence inévitable d’une immense population, ren-daient nécessaires des égonts vastes et mnltipliés. Rome Ie comprit tellement qu’elle attache une partie de sa gloire a Tétablissement et anbsp;1’entretien de ces ouvrages. Nous voyons que ses plus illustres person-nages ne dédaignèrent pas de s’en occuper. Les censeurs Caton etnbsp;Valérius Flaccus dépensèrent des sommes énormes pour en faire pra-tiquer dans la région de FAventin et dans les autres qui en man-quaient (i). Agrippa, gendre d’Auguste, s’est immortalisé en faisantnbsp;curer les anciens égouts auxquels il en ajonta de nouveaux a ses pro-pres frais (2). Sa gloire fut légitime; car tons ces ouvrages étaientnbsp;dignes de la majesté de Fempire.
« Grace a ses égouts, larges, profonds, nombreux, dans lesquels roulent en bouillonnant de véritables fleuves, Rome, s’écrie Dionnbsp;Cassius, est comme une ville batie dans les airs, et qui peut offrir Ienbsp;spectacle d’une navigation souterraine (3). » « La magnificence de cesnbsp;constructions souterraines est telle, continue Cassiodore, qu’elle jettenbsp;dans la stupeur et éclipse tont ce que les autres villes peuvent offrirnbsp;de plus merveilleux. La vous verriez, sous les flancs entr’ouverts desnbsp;montagnes, des fleuves, capables de porter des navires, se jeter avecnbsp;impétuosité dans de larges étangs (4). » « Trois choses me révèlentnbsp;toute la magnificence de Rome, disait Denys d’Halicarnasse, les Aque-ducs, les Voies et les Égouts. Je juge de Fimportance des derniers,nbsp;non-seulement par leur ulilité; mais encore par la grandeur desnbsp;sommes qu’ils ont coutées. On peut s’en faire une idéé, d’après Ienbsp;témoignage de C. Aquilius, qui nous apprend que Ie curage completnbsp;des égouts coüta aux censeurs plus de douze millions (5). Comme jenbsp;Fai dit, la plupart des égouts particuliers aboutissaient au forum ro-main, oü commengait la Cloaca maxima, et versaient leurs eaux fangeuses dans ce Duodenum de la grande cité.
Cette circonstance rappelle un singulier souvenir, qui vint fort a
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Tit.-Liv., Decad., 4, lib. xi.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Plin., lib. XXXVI, IS.
(3) nbsp;nbsp;nbsp;Praeterea cloacas operum omnium dictu maximum suflbssis montibus atque urbenbsp;pensili, subterque navigata a M. Agrippa in aidilitate sua per meatus corrivati septemnbsp;amnes, cursuque praicipili torrentium raodo rapere atque auferre omnia coacti. Dio.,nbsp;lib. xl; Plin., lib. xxxvi, c. tS.
(4) nbsp;nbsp;nbsp;Quai tantum visentibus conferunt stu porem ut aliarumcivitatum possint miraculanbsp;superare. Videas illic- fluvios quasi montibus concavis clausos per ingentia stagna de-currere. Videas structis navibus per aquas rapidas cum minima sollicitudine navigari...nbsp;Hinc Romm singularis quantum in te sit potest colligi magnitudo. Lib. m, Ep. 30.
(5) nbsp;nbsp;nbsp;Hist,, lib. UI.
-ocr page 13-ÉTYMOLOGIE U’CN MOT PORT CONNU. nbsp;nbsp;nbsp;9
propos nous égayer un instant. « Vous sortez du collége, dis-je a mes jeunes amis; vous savez Ie latin, Ie grec, la physique, I’algèbre, l’his-toire universelle, dites-moi done quel personnage célèbre a pris nais-sance au lieu oü nous sommes? — S’il nous en souvient, il ne nousnbsp;en souvient guère. — Vous m’étoniiez! et votre manuel du baccalau-réat? — II n’en dit mot. — C’est une faute; car il s’agit d’un personnage fort connu de nos jours. — Vraiment? — Comme j’ai l’honneurnbsp;de vous Ie dire. — Son nom? — Vous Ie saurez; mais avant son nom,nbsp;sa vie. Ici done, au bord du grand égout de Tarquin, est né, il y anbsp;plus de deux mille ans, un personnage qui vit encore, qui parle toutesnbsp;les langues, qui porte tous les costumes, qui habite simultanémentnbsp;Londres, Paris, Saint-Pétersbourg, Constantinople et Pékin; qu’onnbsp;rencontre sur tous les chemins du monde, comme l’ancien Juif-errant; faisant des niches a tout Ie genre humain, et portant d’ordinaire des haillons en lambeaux el des souliers percés, bien que certains voyageurs afïirment Favoir vu couvert d’habits galonnés, a che-val et en calèche. — Voila du nouveau? — Non, c’est de Fancien;nbsp;devinez? — OEdipe y perdrait son grec. — ï! ne faul que du latin, etnbsp;quand on est bachelier.... — Dame! on n’est pas sorcier. — Quoi qu’ilnbsp;en puisse êlre, voici Ie fait en question : pour un motif ou pour unnbsp;autre, Ie petit peuple de Rome, les gamins, les filous, les ouvriers sausnbsp;travail, se tenaient volontiers ii la junction des égouts dans Ie Forum,nbsp;les bras croisés, jasant, riant, lanjant des pasquinades et des brocardsnbsp;aux vieux rentiers et aux jeunes fashionables, aux matrones et aux sé-nateurs. De bi, leur vint Ie nom de canaille, dont notre langue a hériténbsp;et que la plupart de ceux qui en sonl dignes se jettent a la figure sansnbsp;en connailre Fétymologie (i). »
L’aspect de la Cloaca maxima et des autres égouts rappelle une pensee plus sérieuse. Tous ces üeuves souterrains, sur lesqu els Rome paienne «tait bAtie, vérifientlittéralement la prediction de saint Jean; lorsque,nbsp;parlant de la grande prostituée, il la montre assise sur des eaux nom-breuses, d’une main buvant une coupe plsine du sang des martyrs, el
(i) Canalicolffi, fbrenses, homines pauperes dicli, quocl circa canales fori qonsisterent. — Festus. V. Canali.
gt; In medio propter canalem, ibi ostentatores meri,
Conüdenles, garrulique el malevoli.
Plant., Curctdio, seen, i, act. iv.
Qui jurabat caviilator quidam, et canalicola, et nimis ridicularius luit. A. Geil., lil), tv, c. 2.
-ocr page 14-iO nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
de l’autre présentant a tous les peuples Ie vin de sa corruption (i). C’est ainsi que les monuments remains ont Ie privilége de rendre unnbsp;témoignage également incontestable h I’esactitude de l’histoire profanenbsp;et de l’histoire sacrée.
Voulez-vous maintenant voir une autre construction presque aussi ancienne que Ie Grand Égout? Tournez a droite et vous serez devantnbsp;la petite église de Sainte-Marie-Egyptienne. Elle présente un parallé-logramme environné de colonnes, ayant quelque rapport avec la mai-son carrée de Nimes. Quelle fut, dans l’origine, la destination de eetnbsp;édifice, dont la forme et l’architecture annoncent les temps voisins denbsp;Romulus? Ij’opinion la plus suivie dit que c’est Ie temple de la Fortune virile. II aurait élé bati par Servius Tullius, sixième roi de Rome,nbsp;en reconnaissance de ce qu’étant né esclave, la fortune l’avait élevé anbsp;la dignité royale (2). S’il en est ainsi, que Servius Tullius se console ;nbsp;en dédiant son temple a sainte Marie d’Égypte, Rome chrétienne n’ennbsp;¦a point changé la destination; elle n’a fait que I’ennoblir. Dans Tillus-tre pénitente de I’Orient, elle consacre le passage miraculeux d’unenbsp;servitude plus profonde a une dignité plus haute. Les reliques de lanbsp;sainte reposent sous le maitre autel, et sent I’objet d’une grande véné-ratlon. Depuis longtemps cette église est desservie par les Arméniensnbsp;qui, dans les jours de fête, déploient aux yeux de leurs frères d’Occi-dent la majesté des anciens rites et la magnificence des costumes denbsp;I’Eglise oriëntale. Une inscription, placée a gauche, rappelle en termesnbsp;touchants qu’un bon marchand arraénien, étant venu se fixer h Rome,nbsp;avail fait une fortune considérable qu’il distribua tout entière auxnbsp;pauvres. Heureux le voyageur catholique dans la Ville éternelle! il nenbsp;peut entrer dans une église, visiter une ruine profane, mettre le piednbsp;dans la rue, sans rencontrer un objet, un souvenir qui réveille en luinbsp;les plus grandes et les plus douces pensées de la foi.
29 DÉCEMBRE.
Theatre de Marcellus. — Forum oUtorium. — Portique d’Oetavie. — Saint-Arge-i’n-Pescheria. — Inscriptions remarquables. — Cirque Flaminien. — Couvent de Saint-Ambroise della Massima. — Grand Cirque. — Dimension. — Descriptions des jeux. — Sainte-Marie-in-Cosmedin.
Nous étions loin d’en avoir fini avec la ville basse, et malgré notre désir de monter sur I’Aventin, il nous fallut encore rester dans la
(1) Meretricis magns qua3 sedet super aquas multas, etc.
(3) Nardini, p. 579.
-ocr page 15-TUliilTRE DE MARCELLUS. nbsp;nbsp;nbsp;1 ^
plaine. Le Quartier Saint-Ange, qui s’emmêle avec celui de la Ripa, ne nous permit pas de franchir ses limites. 11 occupe en partie lesnbsp;anciennes régions de la Via lata et du cirque Flaminien. Le roi denbsp;ce quartier est le ihéalre de Marcellus, dont les restes grandioses at-teslent les meilleurs temps de Tarchitecture romaine. Bati par Auguste, poiiréterniserla mémoire de son jeune neveu, ilpouvait contenirnbsp;environ trente mille speclateurs. Éirange vicissitude des choses hu-maines! ses portiques, jadis élincelants de marbres polis, sous les-quels venait se reposer la mollesse romaine, sont aujourd’hui noircisnbsp;par la fumée et divisés en comparliments obscurs, dans lesquels denbsp;laborieux forgerons gagnent leur pain du jour a la sueur de leurnbsp;visage.
Entre le théalre de Marcellus, le Tibre et I’antique porte Flumen-tane, c’est-^-dire dans I’espace qui separe aujourd’hui le pont di Quattro Capi, le palais Jovelli, et Sainte-Marie-t/i-Porlico, se irouvaitnbsp;le Forum olitorium, marche aux légumes (i). II est fameux par sanbsp;colonne lactaire au pied de laquelle on déposait nuilamment, comraenbsp;sur les bords duVélabre, des milliers de pelites créaluresliumaines(2).nbsp;Franchissant d’un pas rapide ce lieu de triste mémoire,nousarrivaraesnbsp;au portique d’Octavie. Élevé a la soeur d’Auguste avee les dépouillesnbsp;des Üalmates (s), ce monument a été conservé, du moins en partie,nbsp;par la religion, dans l’église de Sainte-Marie-i»-PorItco. Aux mömesnbsp;lieux se trouve I’antique église de SahU-Xnge-in-Pescheria, balie ennbsp;mémoire de la célèbre apparition de saint Michel sur le moot Gargan,nbsp;dans le royaume de Naples. Le pape Boniface II la consacra au glo-rieux archange, le 129 septembre de Fan 439. Sous le mailre autel re-posent les reliques des illustres martyrs de Tibur, sainte Symphorosenbsp;et ses sept fils. L’ancienne inscription qui indique les restes vénéra-ble.s des héros chrétiens conserves a Sainl-Ange, présente une par-¦licularité fortremarquable. Elle commence ainsi: Nomina sanctorum,nbsp;quorum beneficia hie requiescunt. « Noms des saints dont les bienfaitsnbsp;reposent ici. »
Le mot hienfait, employé au lieu de corps, pour désigner les reliques des saints, voilii certes une des figures les plus hardies de la rhé-torique de la foi. Pour Finventer, lui donner cours et la faire graver sur un grand nombre de pierres monumenlales (a), on conviendra
(i) Varr., lib. iv. — Tenull., Apol., 1.quot;. (a) Feslus, v. Lactaria.
(5) Dio., lib. xux.
(4) Mazzob, lib. vii, p. 228.
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LES TROIS ROME.
sans peine qu’il a fallu l’expérience la plus douce et la plus constante. Or, j’aime i» penser que Ie -voyageur sera heureux de connailre \esbien-faits qui reposent ii Saint-.^nge-m-Pescforja. En voici la liste, jenbsp;transcris la vénérable inscription : « des SS. Pierre, Paul, André,nbsp;Jacques, Jean, Thomas, Jacques, Philippe, Barthélemy, Simon, Thad-dée, Jean-Baptiste, Sylvestre, Étienne, Lin, Laurent, Césaire, Nican-dre, Gelse, Euplius, Pierre, Marcellin, Valentin, Donat, Nicolas, Pan-crace, Anastase, Judas, Théodore, Georges, Cristophe, Alexandre,nbsp;Erasme, Télius, Ahacire, Jean, Domésius, Procope, Pantaléon, Nicaise,nbsp;Cosme, Damien, Antoine, Léonce, Euprépius, Antipe, Anne, Élisaheth,nbsp;Euphémie, Sophie, Thccle, Pétronille, Théodole, Théopiste, Aurea,nbsp;Athanasie, Theucriste, Eudoxie. »
J’ai voulu citer en entier ce glorieux catalogue, oü sont réunis tous les états et toutes les conditions; afin de présenter, une fois pournbsp;toutes, une remarque dont Ie sujet se retrouve dans chaque églisenbsp;principale de Rome. Offrir des modèles et des bienfaiteurs ii toutes lesnbsp;positions de la vie; se montrer vraiment catholique par la sainteté,nbsp;comme par la foi, en un mot, faire de chacun de ses temples une miniature du ciel; telle est, a n’en pas douter, la pensée intime qui anbsp;dirigé 1’Église romaine lorsqu’elle a peuplé de saints et de martyrs,nbsp;de toutes les hiérarchies, de tout dge, de tout sexe et de toute condition, ses nombreux sanctuaires. Connaissez-vous un dessein plus noble,nbsp;une intention plus maternelle?
Saint-Ange-m-PescAm'd, dont les habitants s’illustrèrent par de glorieuses victoires, touche a un lieu célèbre par des combats d’unnbsp;autre genre : ici commengait Ie cirque Flaminien. Ce nouveau thé4trenbsp;des joies bruyantes et cruelles de Tancienne Rome couvrait Tespacenbsp;occupé maintenant par Ia place Margana, Ie palais Mallei, et la ruenbsp;des Bouliques obscures : l’église Sainte-Catherine-des-Cordiers ennbsp;piarque amp; peu pres Ie centre. B4ti par Flaminius, qui périt a la ba-taille de Trasimène, il devint fameux par les jeux qu’on y donnait ennbsp;l’honneur des dieux infernaux (i).
Tous les abords inspiraient la frayeur. La plupart des démons, adorés des Remains sous des noms divers, Jupiter Stator, Neptune,nbsp;Vulcain, Junon, Diane, Castor, Mars, Hercule, présidaient aux combats et leurs temples formaient comme une enceinte continue autournbsp;du cirque (2). L’extrémité, qui répond au couvent Specchi Tor de’,
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Festis, Ludi taurii.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Victor, in Reg., ix; Tit.-Liv., Decad., iii, Ub. xvm; ld., Decad. tv, lib. x; Vitr.nbsp;lib. IV, c. vit; Macrob., Satur. lib. ui, c. iv.
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SAINT-AMBROISE DELLA MASSLMA.
était bornée par Ie temple de Bellone, déesse de la guerre, devant le-quel s'élevait la fameuse colonne Bellique. Descendu du temple de Jupiter capitolin oü la guerre se décidait, Ie consul, chargé de la sou-tenir, montait sur la colonne Bellique et décochait une flèehe ensan-glantée centre Ie peuple ennemi (i). Parti du temple de Bellone, Ienbsp;général revenu de son expédition s’y présentait de nouveau a l’au-dience du sénat, qui lui décernait ou lui refusait les honneurs dunbsp;triomphe (ss).
Après toules ces images de sang, on est heureux de rencontrer un souvenir plein de charmes et d’innocence. L’église et Ie monastère denbsp;Saint-Ambroise della Massima, qui s’élèvent sur la droite, remplacentnbsp;la maison paternelle de l’illustre archevêque de Milan. C’est li», qu’a-près avoir re§u Ie voile des mains du pape saint Libère, vécut dans lanbsp;compagnie d’autres vierges chrétiennes, sainte Marcelline, la dignenbsp;soeur, Paimable institutriee de ses deux frères Ambroise etSatyre (s).nbsp;Revenus en arrière, nous passames devant Ie Ghetto, ou quartier desnbsp;Juifs, dont je parlerai plus tard, et nous gagnümes la vallée qui séparenbsp;Ie Palatin de 1’Aventin. Mais comment la franchir au pas de course?nbsp;trop de souvenirs retardent la marche du voyageur et commandentnbsp;son attention.
Cette longue vallée, aujourd’hui toute couverte de ronces, de vignes, de ruines a fleur de terre, accidentée, tourmentée, excavée, informe,nbsp;méconnaissable, était autrefois Ie grand Cirque ; Ie grand Cirque! lanbsp;merveille de Rome par son étendue, l’amour et la passion des Remainsnbsp;qui ne demandaient, pour être heureux, que du pain et les joies dunbsp;Cirque!
Fondé par les premiers rois de Rome, il grandit avec la cité. Telle était sou étendue sous les empereurs, qu’il occupait trois stades etnbsp;demie de longueur sur quatre arpents de largeur, et pouvait contenirnbsp;trois cent mille spectateurs assis (4). Placés sur Ie versant du montnbsp;Aventin, nous nous figurions eet immense parallélogramme de 2,187nbsp;pieds de long sur 960 de large, terminé en demi-cercle (s). De cbaque
(0 Ante (ffidem Bellonte) erat colurana index belli inferendi. Yict., in Red., ix. Cum-que bajc dixisset, hastam cruentam juxta Bellonte templum in porticumcontorsit. Dio.,
lib. VI, .
(2) Tit.-l.iv., Decad. 1, lib. ix, etc., etc.
(5) Bar., Not. ad Martyr., 17 Julii.
(4) ......Duas tantum res anxius optat, panetn et eircenses. —.......Eisque templum,
et habitaculum, et conclo, et spes omnis. Circus est maximus. Am. Marcell., lib. xxviii.
(5) nbsp;nbsp;nbsp;Tarquinius primus in Circo maxime inter Palatinum et Aventinum montes sitonbsp;primo circumquaque operta tecto fecit sedilia. Nam antea siantes spectare solebant
1.
-ocr page 18-44 LES TROIS ROME.
cóté régnaient deux rangs de portiques élevés l’un sur l’autre, déco-rés de colonnes et couronnés par une large terrasse. Des tavernes, des lieux de débauche, des passages qui conduisaient dans l’intérieur dunbsp;théfttre occupaient les portiques inférieurs. Comme il dort entassénbsp;dans les bouges de Paris et de Londres, Ie petit peuple dorraait sousnbsp;leurs arcades, oü, pendant les jeux, les spectateurs trouvaient un abrinbsp;contre la chaleur et la pluie. Six tours carrées (i), dominant les ter-rasses, étaient réparties dans Ie pourtour de l’édifice, et servaient denbsp;loges aux personnages distingués. Des gradins en pierre, placés ennbsp;amphitheatre, régnaient sur trois cótés du monument, et Ie quatrième,nbsp;coupé en ligne droite, était occupé par les Carceres, d’oü s’élangaientnbsp;les chevaux et les chars. Au-dessus des Carceres brillait Ie pavilion denbsp;l’empereur. Une forte grille séparait de l’arène les trois cótés, garnisnbsp;de gradins; h la base de la grille circulait un Euripe, canal large, etnbsp;profond de dix pieds, alimenté par des eaux vives, et servant a inon-der la lice pour les naumachies (2).
Le Cirque était divisé dans presque toute salongueurpar VÉpine (5), espèce de muraille haute de six pieds et large de douze. Sur cette mu-raille, oü conduisaient des degrés ménagés aux deux bouts, s’élevaientnbsp;l’autel du dieu Consus (4), deux petits temples du Soleil, les statues,nbsp;en bronze doré, d’Hercule, de Cybèle, de Cérès, de Bacchus, de Séjó,nbsp;déesse des moissons, et de plusieurs autres divinités. Du centre denbsp;VÉpine s’élangait, a cent vingt pieds de hauteur, l’obélisque d’Augustenbsp;portant au sommet une flamme dorée, image du soleil auquel il était dé-dié (5). Cet obélisque est aujourd’hui sur la place du Peuple. Auxnbsp;deux extrémités de VÉpine on voyait les trois Barnes (e) de pierre ounbsp;de bois doré, autour desquelles devaient tourner les chars dont la carrière se trouvait tracée, de chaque cóté de VÉpine, par des colonnesnbsp;en forme de cyprès et surmontées de dauphins (v).
Tel était le grand Cirque, dont les imposantes constructions, enno-blies par la teinte safranée qui, sous ce beau ciel de Rome, annonce une antiquité vénérable, se détachaient vivement sur une arène jon-
furcis tabulata sustinentibus. Dion. Haly., lib. iii; Plin., lib. xxxvi, c. 15; id., Panegyr. Trajan.; Vict., in Reg., xi.
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Mcenianx.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Varr., lib. iv, p. 48.
(3) nbsp;nbsp;nbsp;Spina.
(4) nbsp;nbsp;nbsp;Tertull., De Speet., vin; Pint., Roinul., 20.
(s) Dion., XLix, p. 478.
(6) nbsp;nbsp;nbsp;Meta:.
(7) nbsp;nbsp;nbsp;Metasque imitata cupressus. Ovid., Metam. x.
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LE GRAND CIRQUE.
chée de vermilion, couleur de sang, et de chrysocale, vert cotnme un Irais gazon (i).
Pour animer Ie tableau, représentons-nous, sur les gradins de ce colossal monument, trois cent mille speclaleurs! Puis, aux croisées, aux galeries, au sommet des plates-formes des palais qui s’élèvent en am-phithéfttre sur les flancs des trois collines environnantes, Ie Palatin,
Ie Coelius et l’Aventin, un nombre peut-étre égal de spectateurs (2). Peignons-nous ces spectateurs tous en habit de fête, tous couronnésnbsp;de fleurs; cette foule immense, émaillée de femmes brillanies de parure : tantót se levant comine un seul homme pour saluer Ie person-nage aimé du peuple qui entre dans Ie Cirque; tantót éclatant en cris,nbsp;en murmures, en sarcasmes, en trépignements, a la vue de 1 hommenbsp;qui a perdu la faveur populaire; puis, passant de ces mouvements sinbsp;passionnés et si tumultueux qu’on les prendrait pour les agitations etnbsp;les mugissements de la mer en courroux (3), a un repos complet, ó unnbsp;silence profond, commandé par Ie cortége religieux qui descend desnbsp;hauteurs du Capitole.
Voyez, en effet, sortir de la demeure redoutée du grand Jupiter la longue et solennelle procession qui se rend au Cirque en traversant Ienbsp;Forum romain (4). En téte s’avance un char superbe, monté par Ienbsp;président des jeux ; c’esl Auguste, c’esl Néron, c’est Caligula, c’est telnbsp;autre personnage, édile, préteur ou préfet, portant Ie costume rougenbsp;des triomphateurs. Ene troupe de jeunes gardens de quatorze a quinzenbsp;ans, les uns a cheval, les autres a pied, ouvrent la marche. Ils précédent les cochers (s) conduisant les Biges, les Quadriges, les Séjuges,nbsp;chars a deux, a quatre, a six chevaux, qui doivent figurer dans lesnbsp;courses.
Aprèsles cochers viennent, dans un état presque complet de nudité, les athletes destinés a combattre dans les grands et les petits jeux. Ilsnbsp;sonl suivis de trois choeurs de danseurs : Ie premier composé d’hom-mes fails, Ie second de jeunes gardens, Ie troisième d’enfanls. Unenbsp;tunique d’écavlate serrée avec un ceinturen de cuivre, une épée aunbsp;cóté, une petite lance a la main, un casque d’airain ombragé de panaches et orné d’aigrelles, compose leur armure el leur costume, lisnbsp;exécutent des danses guerrières que dirigent, en les accompagnant,
(1) Suet., in Calig., 18; Plin., lib. xxxin, c. 5. Isidor. Uisp., Elijrn., lil), xix, c- 17. (ï) Dio., lib. i.vu, p. (iüö.
{3) ïerlull., De Speet., xvi.
(4) nbsp;nbsp;nbsp;Dion. Italy., 1. vu, c. 13.
(5) nbsp;nbsp;nbsp;Aurigarii.
-ocr page 20-16 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
des joueurs de flutes courtes, de harpes d’ivoire et de luths. Aux mu-siciens succèdent des troupes de Satyres, hideux personnages couverts de peaux de boucs, serrées avec des ceintures, et cachant leur tête sous des crinières hérissées. Parmi eux on aper^oit des Silènes,nbsp;autres espèces de monstres vêtus de tuniques a long poll et de man-teaux de toutes sortes de fleurs. Tous ensemble c.ontrefont, d’une ina-nière grotesque, les danses les plus sérieuses, et provoquent, parnbsp;mille contorsions, Ie rire des spectateurs (i).
Derrière les Satyres et les Silènes s’avancent une nouvelle troupe de musiciens et une foule de ministres subalternes du culte, portantnbsp;dans leurs mains des cassolettes d’or et d’argent, oü fume l’encensnbsp;dont ils embaument les airs sur leur passage. Les statues des dieux,nbsp;momentanément enlevées de leurs temples, et accompagnées des différents colléges sacerdotaux, ferment la marche. Toutes ces statues ennbsp;ivoire ou en ricbe métal, décorées de couronnes d’or et enrichies denbsp;pierres précieuses, sont placées, les unes sur des cbars brillantsnbsp;d’ivoire ou d’argent (a), tirés par des chevaux superbes; les autresnbsp;dans des litières fermées (5). Des patriciens les escortent; et dejeunesnbsp;enfants, ayant encore leur père et leur mère, tiennent la bride desnbsp;chevaux [i).
Le cortege entre dans Ie Cirque et en fait Ie tour au milieu du re-cueillement universe!, interrompu seulement par les acclamations que poussent les dilférentes classes de citoyens, lorsque la divinité protec-trice de leur profession passe devant eux. Le tour du Cirque achevé,nbsp;on place les statues des dieux dans l’édicule qui les attend non loinnbsp;des Carceres; on les couche sur des coussins (s); les sacrificateurs im-molent des victimes, l’empereur fait des libations; Rome et l’Olympe,nbsp;Jupiter et César, sont au Cirque; les jeux vont commencer.
Déja les chars sont sortis des Carceres; les quatre couleurs, le vert, le bleu, le blanc et le rouge, brillent sur les tuniques des cochers (e);nbsp;les coursiers impatients sont a peine retenus par la chaine qui fermenbsp;l’entrée de la carrière; la foule avide tient l’oeil fixé sur les chars; denbsp;téméraires paris s’engagent parmi les spectateurs; enfin, de la tentenbsp;impériale un linge blanc (7) est jeté dans le Cirque : la trompette
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Dion. Italy., vii, 13.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Tcnsae.
(3) nbsp;nbsp;nbsp;Armamaxffi.
(4) nbsp;nbsp;nbsp;Cic., De Arusp. resp. 11.
(5) nbsp;nbsp;nbsp;Piilvinaria.
(6) nbsp;nbsp;nbsp;Prasinus, venetus, albus, purpureus. Baleng., De Circis, cap. XLVin, De Coloribus.
(7) nbsp;nbsp;nbsp;Mappa.
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sonne, la chaine tombe, tous les chars s’élancent H la fois. Leurs roues enflammées touchent a peine l’arène, les hornes sont évitées, tous re-viennent intacts au point de départ; Ie people est mécontent. Unenbsp;seconde, une iroisième évolulion recommence; un agitateur habilenbsp;détourne brusquement son char sur celui de son adversaire, pousse sanbsp;roue centre la sienne, brise son essieu et fait tomber les chevaux surnbsp;l’arène; Ie peuple applaudit. Un char lancé h fond de train, heurtenbsp;centre la borne, il \ole en éclats, lecocher est tué; Ie peuple bat desnbsp;mains : ü chaque mort, les applaudissements redoublent.
Cependant la lutte se soutient entre les quatre couleurs; chaque faction excite ses cochers, lui donne des conseils, lui adresse des re-proches; les spectateuvs se lèvent, agitent leurs mains, secouent leursnbsp;tuniques, trépignent sur leurs siéges (i); se lancent mutuellement desnbsp;sarcasmes, des injures, des coups; Ie combat n’est plus dans 1 arène,nbsp;il est sur les degrés du Cirque, la mêlée devient quelquefois horrible :nbsp;en un seul jour trente-cinq mille cadavres (a)!!!
II connaissait done bien les spectacles de la yieille Rome, Ie grand apologisle qui les peignit en trois mots : fureur, cruauté, impudi-cité (5). II aurait pu ajouter : folie, prodigalité, idolatrie.
Pour ce peuple qui n’a pas de nom dans la langue chrétienne, les cochers devenaient des personnages, des héros, des demi-dieux. Lesnbsp;poètes chantaient leurs victoires; les empereurs, les magistrals, Ienbsp;peuple entier leur décernait des couronnes, leur élevait des statuesnbsp;d'or et de bronze, les comblait de richesses et d’honneurs, et Ie mar-bre des tombeaux redisait leur gloire aux générations futures (a). Lesnbsp;chevaux eux-mêmes partageaient ces honneurs insensés. Pour eux il ynbsp;avait des couronnes, des statues, des crèches d’or, les gloires du con-sulat ; affaiblis par Ia vieillesse, ils étaient, comme les vétérans de l’ar-mée, nourris aux frais du trésor public; morts, une sépulture honorable les attendait au Vatican (s).
Au Cirque comme a ramphithéètre, il fallait, pour attirer les spec-tateurs, varier les plaisirs. Des chasses vraiment fabuleuses par Ie nombre et la variété des animaux; des combats de gladiateurs; desnbsp;combats d’hommes et de bêtes, la lutte, Ie pugilat, des naumachies
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Varr., Ub. n, De Re rustica. Voyez Balenger, De Circis, p. —C’est dans eetnbsp;ouvrage spécial que se trouvent en grande parüe les détails qui précédent et qui suivent.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Procop., De bell. Persic., lib. i; Buleng., p. 129 et suiv.
(ö) Yoluptates circi iurenlis, cavea; saevientis, scenas lascivientis. Torlull., De Pudi-cHia.
(4) nbsp;nbsp;nbsp;Martial., De Stat., lib. v, c. 26; Buleng, p. 146.
(5) nbsp;nbsp;nbsp;ld., 148.
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sur une mer de vin (i), devaient tour ii tour réveiller les sensations de ce peuple blasé. Peut-on voir Ie lieu qui fait naitre tous ces souvenirsnbsp;sans se rappeler Androclès et ce lion d’Afrique moins féroce que lesnbsp;Remains? C’est Ia dans Ie grand Cirque, suivant Aulugelle, que Ienbsp;pauvre esclave, exposé aux bêtes, fut reconnu et épargné par Ie noblenbsp;animal auquel il avail arraché une épine, lorsque, fugitif, il cberchaitnbsp;au désert un refuge centre la cruaulé de son maitre.
II ne sulHt pas d’avoir prodigué l’or, l’argent, Ie sang du monde en-tier pour divertir Ie peuple-roi; il fallait encore Ie combler de riches-ses, afin de Ie remercier en quelque sorte d’avoir daigné prendre part a ces fêtes ruineuses ; des loteries terminaient les jeux du cirque. Onnbsp;vit tour i tour Néron, ïitus, Domiiien, Adrien, et les autres einpe-reurs, jeter a pleines mains, dans l’arène, des dés en bois, que lesnbsp;hommes, puis les femmes, venaienl recueillir et s’arracher. Chaquenbsp;dé portait une inscription indiquant un objet qui était remis au sortienbsp;de l’enceinte. Suétone va nous dire quelle en était la nature et la va-leur : « Pendant les jeux qui durèrent plusieurs jours, Néron fit quo-tidiennement distribuer jusqu’a mille billets de loterie, avec lesquelsnbsp;on gagnait toute espèce de choses ; des oiseaux, des vivres, du blé,nbsp;des vêtements, de l’or, de l’argent, des perles, des diamants, des tableaux, des esclaves, des chevaux, des bêtes féroces apprivoisées, desnbsp;navires, des maisons, des terres (2). » II en fut de même de ses suc-cesseurs (3). Par compensation. Ton envoyait les vieux esclaves mou-i’ir de faim dans Pile du Tibre!
Si les jeux du Cirque élaient dignes de la société pa’ienne, ils ne 1’é-taient pas moins des dieux qu’elle adorait. Croirait-on que les spectacles étaient des fêtes religieuses, les fêtes du ciel et de la terre, les fêtes de l’univers païen? Et cependant il en est ainsi. « Le caractèrenbsp;religieux s’y montre partout; il ne faut qu’ouvrir les yeux pour 1’ynbsp;reconnailre. II éclate, et dans les dispositions de 1’édifice, ihéalre denbsp;ceite pieuse solennité, et dans les exercices qui la composent. Regar-dez VEpine, vous la voyez couverte de monuments religieux; les Car-ceres, dont le nombre duodécimal vous rappelle les douze signes dunbsp;zodiaque. Les Dauphins et les Oves de bois (4), dont sont surmon-tées les colonnes qui tracent la carrièré, ont rapport au culte de Neptune OU Consus; et a celui des dieux des coureurs et des lulteurs,
(!) Fortur in Euripis vino plenis navales circenses exhibuisse. Lamprid., in Ilelioyab.
(2) Sparsa et populo missalia omnium rerum, etc. Suet., in Ker., c. xi.
(ö) Buleog., Dc Venat. circi., p. 110 et suiv.
(4) Colonnes en forme d’ceufs ou dc cyprcs.
-ocr page 23-SAINTE-MARIE-IN-COSMEDIN.
Castor el Pollux, tous deux nés d’un oeuf. Les cochers, habillés de qualre couleurs dilïérentes, représenlent les quatre saisons de 1’année.
Ils partent des douze Carceres, comine l’année passe par les douze signes du zodiaque, et les vingt-quatre courses qu’ils accomplissentnbsp;sont les \ingt-quatre heures du jour el de la nuit. Plusieurs autres détails n’ont pas un rapport moins sacré avec les mystères de la nature.nbsp;Les Biges, attelés d’un cheval blanc et d’un noir, rappellent la coursenbsp;xariée de la lune qui s’accomplit tanlöt de jour taniöt de nuit; lesnbsp;Quadriges sont une imitation de la course de Pboebus; les cbevauxnbsp;de main sur lesquels les ministres du Cirque vont annoncer les courses, figurent Lucifer qui annonce Ie jour. Pluton préside aux Triges,nbsp;et Jupiter aux Séjuges (i). »
Ainsi, dans les jeux du Cirque l’idolétrie coulait i pleins bords. Faut-il s’étonner si les Pères de l’Église ont tant de fois tonné centrenbsp;ces divertissements? Après avoir duré sans interruption pendant desnbsp;jours et des nuits, la fête finissait comme elle avail commencé. Long-temps après que Ie soleil avail quitté l’horizon, des milliers de torcbesnbsp;venaient éclairer la foule immense qui sorlail péniblement des porli-ques, et précéder la procession sacrée qui reportait dans les templesnbsp;les statues des dieux dont la présence avail sanctifié les spectacles (2).
Quand, debout sur les lieux mêmes qui en furenl Ie ibéamp;tre, on a repassé dans son esprit ces troiscoupables folies, un grand ennui saisitnbsp;Ie coeur; l’ème fatiguée cbercbe un asile solitaire oü elle puisse épan-cber sans contrainle les sentiments qui l’oppressent. Quel bonbeurnbsp;pour nous d’apercevoir, dans Ie voisinage, un sanctuaire de la saintenbsp;Vierge! Nous y entrümes : c’était Sainte-Marie-w-Cosmerfzn. Dédiéenbsp;a la douce Reine du monde, cette église vénérable s’élève non loin dunbsp;grand Cirque, comme pour rassurer Ie voyageur effrayé de ses souvenirs, en lui rappelant que l’bumanité vit sous une autre loi: elle passenbsp;pour la seconde église de Rome consacrée a la Mère de Dieu. On lanbsp;croit batie par les premiers chrétiens sur les ruines du temple de lanbsp;Pudicitia patricia, dans lequel les seules femmes nobles et non re-mariées avaient Ie droit de pénétrer. Suivant la tradition, saint Augustin y enseigna la rbélorique avant d’aller a Milan, et les catboli-ques d’Orient, poursuivis par les iconoclastes, étant venus s’y réfu-gier, lui donnèrent Ie nom d'École des Grecs. liien qu’elle ait éténbsp;restaurée en 772 par Ie pape Adrien 1“, et en 858 par Ie pape Nico-
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Cassiod. Variar., iii, 51; Rome au siècle d’Auguste, 1.11,252.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Xiphil, in Sever., p. 406.
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las Pquot;', cette Basilique compte parmi celles qui conservent Ie mieux les formes primitives.
Toutefois son plus précieux ornement estl’image de Ia sainte Vierge, qui fut apporlée de l’Orient, afin de la soustraire aux outrages denbsp;Fcmpereur iconoclaste, Léon l’Isaurien. Au jugement des connaisseurs,nbsp;cetteimage,chef-d’ceuvredelapeinturebyzantine,est si belle queRomenbsp;elle-raême n’en a point qui Légale. Elle est placée derrière Ie maitrenbsp;autel, et porte la fameuse inscription grecque ; ©Eoróxos- atfrafUtog:nbsp;« Mère de Dieu toujours vierge. » Sous Ie cbceur est une crypte primitive dans laquelle on descend par deux escaliers. L’antique inscriptionnbsp;avertit qu’on y conserve Ie corps de sainte Cyrille, fille de l’empereurnbsp;Dèce. Beatce Cyrillce virg. et M. jilicB Decii. Les hagiograpbes pensent néanmoins que l’illustre martyre était seulement une alfranchienbsp;de l’impératrice, femme du persécuteur. Quoi qu’il en soit, tous lesnbsp;pèlerins s’empressent de baiser la pierre sur laquelle Tinnocente vic-time fut immolée : elle peut avoir trois pieds de longueur sur deuxnbsp;de largeur, et quatre pouces d’épaisseur. Deux cents martyrs de lontnbsp;flge, de tout sexe et de tout pays, forment l’auguste cortége de lanbsp;sainte Vierge a Sainte-Marie-in-Cosmedin (i). Nous les remercièmesnbsp;avec effusion d’avoir, par leur sang, délivré Ie monde des atrocitésnbsp;païennes, et nous renlrames pour analyser les impressions et les souvenirs de cette importante journée.
50 DÉCEMBRE.
Mont Aventin. — Souvenirs païens. — Souvenirs chrétiens. — Église de Sainte-Prisque. — De Sainte-Sabine. — Histoirc.—Mosaïque. — Saint Dominique, son oranger.—nbsp;Église de Saint-Alexis. — Histoire. — Prieuré de Malte. — Vue de Rome. — Le Mordenbsp;Testaccio. — Ordre bizarre d’ïiéUogabale.
Traversant de nouveau, sans regarder ni a droite, ni a gauche dans la crainte de nous arrêter encore, une partie des régions visitées lesnbsp;jours précédents, nous arrivftmes de bonne heure au pied de 1’Aventin.nbsp;Par une rue étroite, ardue, sans pavé, nous gravimes, du cóté du Ti-bre, les flancs escarpés de la colline : les souvenirs surgissaient denbsp;toutes parts. A gaucbe nous laissions 1’antre de Cacus, le fameux ounbsp;le fabuleux brigand qui fut tué par Hercule, dont il avait volé lesnbsp;bffiufs (si); devant nous se présentait remplacement des Thermes de
(0 Constanzi, t. n, p. 44; Miizzol. t. vi, p. 136.
(a) Virgil., lib. via.
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ÉGLISE DE SAINTE-PRISQÜE.
Dèce et d'Héliogabale, tristement célèbres par les noms et les faits qu’ils rappellent (i); de la maison de Vitelius, qui excita la fureur desnbsp;Romains (2); du temple infame de la Boune Déesse (s); de Minerve,nbsp;oü s’assemblaient les coraédiens el les póètes (4); de la Liberté, aveenbsp;son Tabularium contenant Ie code pénal des vestales inlidèles (s). Anbsp;eette page défigurée de Thistoire profane succédèrent bientót les litres mienx conservés de nos gloires cbrétiennes. Ici habiièrenl saintenbsp;Marcelfe ei sainte Sylvie, ces deux illustres matrones, dont la première lienl une place si glorieuse dans les écrits de saint Jérème. (e),nbsp;et la seconde dans la vie de saint Grégoire Ie Grand, digne Ills d unenbsp;telle mère.
Jusqu’ici nous avicns vécu de souvenirs; enfin la réalité commenga.
L église de Sainte-Prisque nous ouvrit ses portes et ses trésors d an-tiquités. Voisine du temple de Diane et de la Fontaine des Faunes, elle s’élève fi la place même occupée par la maison de Tillustre mar-lyre. Saint Pierre y re^ut fréquemment l’hospitalitè, grdce è deuxnbsp;néophytes, juifs de nation, Aquila et Priscille, attachés peut-être a'lanbsp;familie consulaire de sainte Prisque. Cette jeune vierge était ftgée denbsp;treize ans lorsqu’elle fut baptisée par l’apótre lui-même dans la de-meure paternelle. Dénoncée Ji reropereur Claude, on la conduisit aunbsp;temple d’ApoIlon, pour sacrifier aux idoles. Sur son refus, Ie juge Ianbsp;fit cruellement flageller, puis jeter dans une étroite prison. Amenéenbsp;une seconde fois devant Ie tribunal, elle montra la même fermeté; ennbsp;sorte que Ie lyran transporté de fureur ordonna de lui verser sur lanbsp;tête de l’huile bouillante et de la précipiter dans un noir cachot, d’otinbsp;elle ne fut tirée que pour être exposée aux bêtes; mais Ie lion qui de-vait la dévorer se jela respectueusement ses pieds. Ge spectacle nenbsp;put toucher les bourreaux, qui soumirent la jeune vierge aux tortures du chevalet, du feu et de la faim; Jusqu’è ce qu’enfin, honteuxnbsp;*d’ètre vaincus par une enfant, ils l’entrainèrent sur la voie d’Ostie, oünbsp;ils lui trancbèrenl la tête, a trois mille de Rome (7). Sainte Prisquenbsp;est regardée comme la protomarlyre de l’Occident (s). Ainsi, Ie pre-
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Cassiod., in CronL; Lampi’id., in Ileliogab.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Tacit., Hist., lib. m.
(3) nbsp;nbsp;nbsp;Ovid., Fast., lib. v.
(4) nbsp;nbsp;nbsp;Festas, in Scribas.
(5) nbsp;nbsp;nbsp;Tit.-Liv., Decad. v, lib, v; Festas, lib. v,
(6) nbsp;nbsp;nbsp;Epist. 54 ad Desider.
(7) nbsp;nbsp;nbsp;Caron, Annot. ad Martyr.; Martinelli, Primo Trojeo della Croce, c. xviii.nbsp;(s) Mazz., t. VI, p. 269.
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mier sang régénérateur qui coula sur la vieille Rome, fut un sang remain, un sang illuslre, un sang virginal!
Dans la crypte, on garde précieusement Ie vase avec lequel saint Pierre administrait Ie baplême. Restaurée par les papes Adrien P',nbsp;en 772, et Callixte 111, en 145o, l’église conserve une antique inscription qui rappelle sommaireinent les faits que je viens de rapporter (i).
Un sang, non moins illustre, purifia Ie lieu longtemps souillé par Ie temple de Junon Itegina. Ce sang fut celui de sainte Sabiilè, mar-tyrisée dans la maison de ses parents. Confiée aux soins d’une gouvernante cbrélienne, Sabine re^ut Ie baplême, fit un riche mariage,nbsp;et fut enfin arrêtée comme chrctienne. Par ordre d’Adrien, Elpidiusnbsp;alia l’interroger : « iN’est-ce pas vous, lui dit il, qui êtes Sabine, il-histre par voire naissance et par votre mariage (2)? »— « Oui,c’est moi,nbsp;mais je rends grace a Jésus-Christ qui, par Ie moyen de sa servanlenbsp;Séraphie, m’a délivrée de. la servitude du démon. » Le juge n’en de-manda pas davantage; et après divers tourmenls, illit irancher la lêienbsp;a la noble accusée. Ses frères dans la foi, qui s’étaient empressés d’é-lever un oratoire sur sa tombe dans le Pagus Yindicianus, n’avaientnbsp;garde d’oublier le théêtre même de son Iriomphe. En 42o, un ver-tueux prêtre, nommé Pierre, Illyrien d’origine, y batit une église.nbsp;L’inscription suivante rappelle la mémoire du charitable fondateur :nbsp;« Riche pour les pauvres, pauvre pour lui, qui, méprisant les biensnbsp;de la vie présente, mérita d’espérer la vie future. Pavperibvs locvples,nbsp;sibi pavpcr, qvi hona vitce prcesmtis fcgiens, mervit sperare fvtvram.»nbsp;Y a-t-il une inscription païenne qui vaille celle-la? Mais que dire denbsp;celte autre, placée dans la même église pour le pieux cardinal Valen-tini? Vt mariens viveret vixit vt moritvrvs. « Afin de vivre en mou-rant, il vécut comme devant mourir. » Toule la philosophic de la vienbsp;humaine est renfermée dans ces courtes paroles.
L’église de Sainte-Sabine, si pleine de souvenirs, fut consacrée par saint Sixte III, et déclarée stationnale pour le mercredi des Cendres
(lt;) Montis Aventini nviiic 1'acta est gloria major Unius vcri relligione Dei :
Pratcipue ob Priscte, quod cernis, nobile Templum,
Quüd priscum merilo par sibi nomen habct.
Nam Petrus id coluit, populos dum s.Tpe doceret,
Dum l'acerel magno sacraque sape Deo : nbsp;nbsp;nbsp;/
Dum quos Faunorum (bnlis deceperat error,
Ilic melius sacra puriticarct aqua.
Voycz Fogginio, p. 28Ö.
(2) Tu-ne CS illa Sabina et genere el malrimonio nobilissinia?
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par saint Grégoire Ie Grand. L’illustre pontife y prêcha plusieurs fois ce jQur-li», et les papes conservèvent longterops Vusage de \enir anbsp;Sainte-Sabine recevoir les cendres de la pénitence.
Les murs latéraux, la disposition des points d’intersection, annon-cent que l’église fut ornée de nombreuses mosaïques. 11 en reste seu-lement deux beaux vestiges, dont Ie premier couronne l’abside. Quinze médaillons font Ie tour'de l’arc; Ie plus élevé représente Noli’e-Sei-gneur; les autres contiennent des figures incertaines, auxqnelles onnbsp;trouve une légère ressemblance avec les images des empereurs dansnbsp;les médailles. De chaque cóté est une ville, que l’archéologie chré-tienne reconnail pour Jérusalem et Betblèem, les deux termes opposésnbsp;de la vie mortelle de Notre-Seigneur; trois lampes sont suspendues anbsp;leurs voütes, emblême de la lumière qui a jailli de la crèche, berceaunbsp;de l’Enfant-Dieu, et de la croix, son lit de mort. Dans Ie ciel, au-dessus de la tête de Notre-Seigneur, volligent neuf colombes, gracieuxnbsp;symbole de l’innocence et de la douceur du Dieu fait homme.
Au bas de l’église est 1’autre vestige, non moins intéressant que Ie premier. Les quatre Lvangélistes avec leurs attributs, forment la partienbsp;supérieure du tableau. Sur les cótés, on voit a droite saint Pierre, anbsp;gauche saint Paul, tons deux prêchant l’Évangile. Au-dessus de la têlenbsp;de saint Pierre s’échappe, du sein de la nue, la main a moilié fermée,nbsp;symbole de la puissance divine, dont l’Apótre est Ie dépositaire. In-férieurement è saint Pierre parait une femme tenant un livre è la main;nbsp;sous ses pieds on lit les paroles suivantes qui expUquent la figure ;nbsp;Ecclesia ex Circvmcisione : l’église de la Circoncision. Au-dessousnbsp;de saint Paul est une figure semblable avec ces mots, également clairs :nbsp;Ecclesia ex Genlibvs : l’église des Genlils. Onclion, simplicilé, grandeur, tels sont les caraclères de ces anciennes peintures. Vraiment,nbsp;nos pferes étaient mieux inspirés que les artistes modernes, qui, tropnbsp;Jouvent, inscrivent sur les murailles de nos temples, avec un pinceaunbsp;païen et un coeur mondain, des vérités dont ils n’ont ni l’intelligence,nbsp;ni Ie sentiment (i).
Dans la crypte, placée sous Pautel, reposent les corps de sainle Sabine et de sainle Séraphie, vierge et martyre, sa gouvernante. A gauche, en entrant, on voit, fixée dans Ie mur, la pierre qui couvraitnbsp;Ie tombeau des saintes martyres et sur laquelle saint Dominique availnbsp;coutume de faire oraison. Comment Ie glorieux fondateur des Domi-nicains avait-il cboisi ce lieu de prières? La raison en est bien simple :
(i) Voyez Ciampini, 1.1, p. 186 el suiv.
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Ie pape Honorius III possédait un palais contigu a Sainte-Sabine, dont il fit présent a saint Dominique, et Ie palais pontifical devint la de-meure du religieux et une des plus illustres maisons de son ordre.
Sur la facade brille Ie nom des hötes immortels qui Tont habité ; saint Dominique, saint Raymond de Pennafort, saint Thomas d’Aquin,nbsp;saint Hyacinthe, la lumière de la Pologne, saint Pie V. Jugez de quellenbsp;frayeur religieuse on est saisi en franchissant le seuil de cette demeurenbsp;tant de fois vénérable, en parcourant ces mêmes lienx que tant denbsp;saints et d’hommes de génie ont parcourus! II nous fut permis d’en-trer dans la chambre de saint Dominique, dont la forme n’a pasnbsp;changé; elle peut avoir dix pieds de longueur sur six de largeur. Au-jourd’hui c’est une chapelle richement décorée par les rois d’Espa-gne. Une légèrè distance la sépare de la modeste cellule habilée parnbsp;saint Pie V, le pontife de glorieuse memoire, le vainqueur de Lépante.nbsp;Sous la conduite d’un religieux plein de cette douce affabilité qui ca-racterise tous les Dominicains que j’ai rencontrés, nous traversamesnbsp;les vastes cloitres pour nous rendre au jardin. La se trouve un Granger, planlé de la main de saint Dominique; il est entouré d’une immense caisse en pierre qui rappelle les plutei des anciens; cet arbre,nbsp;six fois séculaire, porte encore des oranges. On voulut bien en cueillirnbsp;sous nos yeux, et nous en donner comme souvenirs de piété. Nous lesnbsp;resumes avec reconnaissance et, je le dirai tout haut, nous les avonsnbsp;rapportees comme des reliques bien autrement précieuses que lesnbsp;feuilles des arbustes virgiliens, ou les morceaux de marbre et de mo-sa’ique enlevés aux monuments profanes, dont la plupart des voyageursnbsp;éclairés ne manquent pas de faire une ample collection.
Lorsqu’en sortant de Sainte-Sabine on tourne ii droite, quelques instants suffisent pour arriver au couvent des Hiéronymites, ou senbsp;trouve la belle eglise de Saint-Alexis. Le premier objet d’une justenbsp;admiration est le tabernacle du maitre autel, en pierres précieuses,nbsp;don vraiment royal de Charles IV, roi d’Espagne. Mais ici les mer-veilles de Part et la magnificence des princes sont éclipsées par l’éclatnbsp;de rhumilité chrélienne. Antique palais d’Euphémien, sénateur ro-raain et père de saint Alexis, 1’église que nous visitions rappelle l’hé-roïsme d’une vertu plus difficile peut-être que le martyre. Voyez anbsp;droite, dans I’enceinte sacrée, ce puits étroit et profond; c’est le mêmenbsp;ou le fils du sénateur puisait I’eau dont il s’abreuvait. Au has denbsp;1’église, derrière une superbe grille, voyez cet escalier; c’est le mêmenbsp;•sous lequel Alexis, revenu d’un long et mystérieux pèlerinage, vécutnbsp;dix-sept ans, pauvre et iuconnu dans la maison paternelle. Cet escalier
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lUSTOlRE.
est en bois, composé de dix marches et reconvert d’une gaze qui Ie protégé contre la poussière, sans empécher de Ie voir distinctement ()).
Une magnifique statue de marbre blanc représente Ie saint couché, tenant d’une main un crucifix et de l’autre un papier. Le sculpteurnbsp;a voulu immortaliser la circonstance miraculeuse qui accompagna lanbsp;mort du grand serviteur de Dieu. Voici le fait;
Depuis dix-sept ans, le fils d’Euphémien et d’Aglaé vivait obscur et caché comme un pauvre ordinaire, sous l escalier de la maison pa-ternelle : la fin de son héroïque carrière arriva. Le Dieu des ftmesnbsp;humbles voulut faire éclater la vertu de son serviteur et glorifier so-lennellement devant les hommes celui qui, pour plaire a Dieu, availnbsp;si longtemps et si fidèlement évité leurs regards. Alexis meurt, aus-silót une voix mystérieuse retentit dans plusieurs églises de Rome, quinbsp;dit : QucBrüe hominem Dei, ut oret pro Roma: « Cherches l hommenbsp;de Dieu, afin qu’il priepour Rome. » La ville s’émeut; on s agite, onnbsp;s’inlerroge, on se met en prières, pour demander a Dieu oü est lenbsp;Saint ou’il faut chercher. La même voix se fait entendre : « Chercheznbsp;Vhomme de Dieu, afin qu’il prie pour Rome; » puis elle ajoute : Innbsp;domo Euphemiani quairite : « Cherchez dans la maison d’Euphémien. »
Le peuple s’y porte en foule; on trouvc le saint pauvre, mort sous un escalier, un crucifix dans une main, un papier fermé dans 1’aulre.nbsp;Vainement on veut lui öter ce papier dans lequel on présume qu’il anbsp;écrit son histoire. Le souverain Pontife, l’empereur, le sénat, sontnbsp;bientót informés du prodige; ils accourent sur le mont Aventin ; lenbsp;père d’Alexis fait partie du cortége. Arrivé prés du mort, le vicairenbsp;de Jésus-Christ lui ordonne, au nom de Dieu, de remeitre le papiernbsp;qu’il tient ii la main : la main s’ouvre et laisse tomber l’écrit dansnbsp;celle du pape. Lecture en est faile en présence de l’empereur, du sé-•nat, de tout le peuple, du père, de la mere, de l’épouse de saintnbsp;Alexis. Qu’on Juge de l’impression qu’elle dut produire sur ces der-niers témoins, en leur apprenant que ce pauvre, caché depuis dix-septnbsp;ans sous l’escalier de leur palais, était Alexis, leur fils, leur époux!
Rome entière fondit en larmes de douleur, de joie, el, s’il était permis de le dire, d’admiration. Par respect pour le serviteur de Dieu,
(i) Sous Vescalier même on lil 1’inscriplion suivante : « Sub gradii islo in paterna » domo B. Alexius, Ronianorum nobilissimus, non ut filius, scd tanquam pauper advenanbsp;igt; receptus, asperam egenamque vitam duxit annis xvu; ibique purissimam animamnbsp;» Creatori suo feliciter reddidit anno ccccxiv, Innoccntio PP. I, et ilonorio et Theodo-» sio II Imperatoribus. »
-ocr page 30-26 LES TROIS ROME.
TempereurHonorius et Ie papeInnocent I^voulurent portereux-mêmes Ie saint dans l’église de Saint-Boniface, qui, jointe au palais d’Euphé-mien, est devenue l’église de Saint-Alexis (i). Son corps repose sousnbsp;Ie maitre autel, dans une chftsse magnifique, avec celui de saint Boniface, martyr. Non loin de la se voit I’image miraculeuse de la saintenbsp;Vierge, qui manifesta aux habitants d’Edesse le mérite du bienheureuxnbsp;pèlerin, et qui lui conseilla de retourner a Rome et 4’y vivre inconnunbsp;dans la maison paternelle (2).
L’héroïsme chrétien que nous venions d’admirer et dans le courage d’une jeune vierge, et dans l’humilité d’un noble jeune homme, brillenbsp;encore, sur le mont Aventin, dans une de ses expressions les plus sublimes : prés de Saint-Alexis est le grand-prieuré des Chevaliers denbsp;Malte. Leur église, dédiée a la sainte Vierge, s’élève sur les ruines dunbsp;temple de la déesse Fauna (5); c’est, comme on sait, un des titresnbsp;nombreux que les païens donnaient a Cybèle. Faire honorer Marie aunbsp;même lieu oü se célébraient les mystères de la Bonne Déesse ; vrai-ment Rome est admirable de tact et d’intelligence. Sainte-Marie-Aventina forme Ie milieu du prieuré, situé dans une position magnifique. Quand vous serez devant la porte 'principale qui donne surnbsp;l’esplanade plantée d’arbres verts, n’oubliez pas de regarder par lenbsp;trou de la serrure : votre vue ira se reposer une demi-lieue de la,nbsp;précisément sur le dóme de Saint-Pierre.
Du belvédère, büti au fond du jardin, sur le bord escarpé de la col-line, le coup d’mil est vraiment pittoresque. Au pied de l’Aventin passe le Tibre, coulant péniblement ses eaux jaunatres vers le portnbsp;des Domains; sur la rive opposée se montre le grand hospice de Saint-Michel; puis le Trastevere; puis le Janicule a l’horlzon et Rome surnbsp;la droite. A gauche, vers le sud-est, entre l’ancienne porte Trigeminanbsp;et la porte d’Ostie, l’oeil de la mémoire découvre le vaste port Nava-lia. Emporium, creusé par les Romains et entouré de superbes porti-ques, oü venaient aborder les vaisseaux chargés d’apporter ü Rome lesnbsp;productions et les dépouilles du monde. Aux mêmes lieux il aper^oitnbsp;encore l’arsenal de la marine et les greniers publics (4), ainsi que lenbsp;Forum pistorium, établi peut-être depuis que Domitien eut formé unnbsp;collége de boulangers (5). plus loin s’élève, isolé au milieu de la vaste
(i) Voycz les Bollandistes, 17 juillet. (a) Mazzol., c. vi, p. 270.
(5) Nardini, p. 598.
(4) nbsp;nbsp;nbsp;Tite-Live, Decad. v, lib. v.
(5) nbsp;nbsp;nbsp;Sext. Aurel., in Trajan.
-ocr page 31-FIN DE L ANNEE. nbsp;nbsp;nbsp;^
plaine, Ie mont Testaccio. Singulière montagne! teute formée de dé-combres el de pots cassés, qui n’a pas moins de 163 pieds de hauteur sur 4,503 de circonférence. On s’accorde a dire que les terreaux enle-vés par les anciens Remains, lorsqu’ils construisirent Ie grand cirquenbsp;et les autres monuments de leur ville, ferment les couches inférieuresnbsp;de celte colline artificielle; les amphores cassées constituent la parlienbsp;supérieure. Celte explication, d’ailleurs constatée par Ie fait, n’a riennbsp;qui répugne. On sail que les Remains faisaient un usage continuel, etnbsp;par conséquent une large consommalion, de vases de lerre cuite, pournbsp;mellre les eaux, les vins, les huiles, les autres liquides et même lesnbsp;cendres des morts. Portés au même lieu pendant des siècles, ces fragments sont devenus Ie mont Testaccio.
A la base on a creusé de vastes caves d’une grande fraicheur, dans lesquelles on conserve encore l’approvisionnement des vins pour lanbsp;consommalion de la ville •. Ie Testaccio est la Uipée de Rome.
Lorsque vous regarderez cetle montagne de pots casses, si vous daignez vous souvenir qu’un jour Héliogabale, voulant connaitre lanbsp;grandeur de Rome, ordonna a ses esclaves de ramasser toutes les arai-gnées de la ville, et qu’il en obtint dix mille pesant (i), vous aureznbsp;deux indications assez bizarres, ou de la maladresse et de la malpro-preté, OU de la prodigieuse multitude de la population romaine.
51 DÉCEMBRE.
Fin do t’année. — Impressions. — Te Deum au Gesü.
C’élait Ie dernier jour de l’année. Graves partout, les pensées qu’inspire ce temps qui fuil et qui nous emporte en fuyant; cettenbsp;qjinée qui va tomber dans 1’abime de l’élernilé, comme la goutle d’eaunbsp;dans les profondeurs de 1’Océan; cette scène du monde si capricieusenbsp;et si mobile, avec laquelle nous changeons nous-mêmes; ce mondenbsp;enfin qui croule aulour de nous ; toutes ces pensées deviennent anbsp;Rome plus graves et plus solennelles. Pourrail-il en être autrement?nbsp;D’une part, les objets qui vous environnent, c’est-è-dire l’iinage partout présente a vos yeux de la gloire humaine la plus grande, de lanbsp;puissance la plus colossale qu’on ait jamais vue, défigurée, évanouie,
(i) Servis imperasse ut omnes araneas colligerent in urbe; atque cos collegisse ad decem inilUa pondo, el subjecisse, vel hinc inlelligendum quam magna Roma esset. —nbsp;Lamprid. in Heliogab.
-ocr page 32-28 LES TROIS ROME.
oachée dans la nuit silencieuse d’un immense tombeau ; d’autre part, les monuments chrétiens qu’on rencontre a chaque pas, debout surnbsp;les débris mutilés des théatres et des forum, ou sur Ie sommet élancénbsp;des sept collines; l’aspecl de cette Église de Jésus-Christ, qui seule,nbsp;parmi toutes les catastrophes et toutes les révolutions des empires,nbsp;demeure immuable; Ie rendez-vous au même lieu, Ie dernier jour denbsp;l’année, de deux inondes, l’un jadis redoutable géant, vainqueur desnbsp;nations et aujourd’hui cadavre pourri dans la tombe; l’autre jadisnbsp;petit troupeau poursuivi jusqu’aux entrailles de la terre, et aujourd’hui roi assis sur Ie char de triomphe : cette double vue du néant denbsp;rhomme et de la grandeur de Dieu pénètre TSme d’une frayeur reli-gieuse, et, malgré qu’on en ait, on en vient a se dire a soi-même : Etnbsp;toi aussi tu passes! pèlerin d’un jour, demain qui se souviendra denbsp;loi? Veux-tu vivre après la tombe? immortalise ton esprit, immortalise ton coeur, immortalise ta vie, identifie-toi a ce qui ne passe point.nbsp;Que chaque année, enlevée a ton existence terreslre, aille s’ajouter anbsp;ton existence future; hate-loi, aussi bien celle qui commence seranbsp;peut-être la dernière.
Conduit par ces pensées, les seules, ce me semble, qui s’harmoni-sent bien avec Rome a la fin de l’année, nous nous rendimes au Gesü. Suivant l’usage, Ie souverain Pontife y vient lui-même Ie dernier journbsp;de l’année, vers Ie soir, pour y donner une bénédiction et chanter unnbsp;Te Deum solennel. Répandre une dernière fois la rosée féconde de lanbsp;grüce sur Ie monde catholique, faire monter vers celui de qui descendnbsp;tout don parfait un dernier hymne de reconnaissance, parfumer denbsp;l’encens de la prière l’année qui va paraitre devant Dieu; tel est Ienbsp;but sublime de cette cérémonie.
Pour voir arriver Ie Saint-Père, une foule immense encombrait la place du Gesü et toutes les rues adjacentes. Ce ne fut pas sans peine quenbsp;nous parvinmes a nous faire jour et a nous loger. Enfin, deux dragonsnbsp;arrivèrent au galop, et tout Ie peuple de se découvrir et de répéter :nbsp;Eccolo, eccolo! Ie voila! Ie voila! En efret,bientót parut Ia garde noble,nbsp;en grand costume, puis la voilure pontificale attelée de sixchevauxnoirsnbsp;conduits par deux postillons en livrée rouge. Le Saint-Père portalt lanbsp;soutane blanche, le rochet, le camail, l’étole et le chapeau rouge. IInbsp;nous fut possible de le suivre dans l’église et d’assister au Te Deum;nbsp;mais pressés par la foule, nous ne pümes jouir qu’imparfaitement denbsp;la belle illumination. En sor^nt, le souverain Pontife fut salué par unnbsp;cri que nul monarque au monde n’entendit jamais: Santo Padre,nbsp;la benedizione; Saint-Père, votre bénédiction! répétait, ^ la vue de
-ocr page 33-le premier jocb re r an.
son père et de son roi, le peuple romain, veritable enfant g'^V gouvernement peut-être trop doux.
1quot; nbsp;nbsp;nbsp;1842.
• • nbsp;nbsp;nbsp;' coini-Pierre.—Dimension. — Beautés ar
te premier jour de Tan a Rome. - VisUe a f , ^s d’ordres. - Le baldaquin.
Usuque8.-La chaire de Saint-Pierre. - Les lou nbsp;nbsp;nbsp;_^nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;_
La coupole.—Saint-Pierrc, image du ciel. — n Baguette du pénitencier.
Ce jour-la je véeus un pen a Rome et beaucoup en France. Le sou-renip de nos amis, souvenir si doux quand on est pres, si ainer quand on est loin, nous saisit dès le réveil; que font-ils? que disent-ils? Ah!nbsp;ils pensent a nous, parlent de nous,, ils nous envoient leurs voeux; etnbsp;nous aussi nous avions pour eux des souhaits dans le coeur et sur lesnbsp;lèvres. Déposés au saint autel, dans le sein du Père commun de lanbsp;grande familie calholique, ils furent confiés aux anges du ciel, et lesnbsp;plaines del’Italie ne furent pas assez larges, et les Alpes ne furent pasnbsp;assez hautes pour les empêcher de parvenir a leur adresse.
Après nos amis de France vinrent nos amis d’ltalie. J’aime a le dire, i Rome il règne je ne sais quelle sympathie qui vous donne bien-tót des amis et presque des frères. Plus promptement et plus coraplé-lement qu’ailleurs, les distinctions de pays, les oppositions, ou même,nbsp;si vous le voulez, les répugnances nationales, disparaissent peur fairenbsp;place a un seul litre, celui de catholique. A Rome, chacun se regardenbsp;comme cbez soi ; el vraiment c’est avec raison. Rome n’est-elle pas lanbsp;¦ville du Père commun, le centre de la catholicité, le berceau et le trónenbsp;de la foi qui, d’un pöle è l’autre, unit tous les esprits et tons lesnbsp;coeurs dans la même pensée et dans le même amour? Esl-ce que lesnbsp;gloires de Rome ne sont pas mes gloires? est-ce que ses fêles ne sontnbsp;pas mes fêles? esl-ce que sa doctrine n’est pas ma doctrine? Voilé cenbsp;que peut se dire le calholique francais, anglais, africain, asiatique,nbsp;n’importe sa patrie; et voilé ce qu’il sent très-bien et ce qu’il se ditnbsp;instinctivement du moins, lorsqu’il est a Rome. Done, nous resumesnbsp;la visite el les voeux d’un certain nombre d’amis élrangers et romains.nbsp;Cette marque d’affection, dont le principe était certainement la com-munauté de pensées dans la foi, produit une impression que le tempsnbsp;ne saurait effacer.
Dans la rue on entendait circuler de toutes paris le Buon capo d’anno, mot consacré par l’usage pour souhaiter la bonne année. Ce
T. II. nbsp;nbsp;nbsp;2
-ocr page 34-50 nbsp;nbsp;nbsp;les TROIS ROME.
mot ne \a pas seul; il nous fut aisé de voir qu’a Rome, comme i Paris, Ie premier jour de Fan, Ie genre humain se divise mathémati-quement en deux classes : Tune qui donne et Fautre qui refoit desnbsp;étrennes ; et, si j’ai bonne mémoire, partout la dernière est de beau-coup la plus nombreuse, sans être la moins contente.
Laissant a son bonheur cette intéressante portion de Fhumanité, nous mimes nos instants profit et nous nous rendimes è Saint-Pierre.nbsp;N’était-il pas convenable de commencer Fannée par une xisite au roinbsp;de la cité? D’ailleurs Ie bon père V...., pénitencier de France, nousnbsp;avait donné rendez-vous a son domicile, ce qui veut dire a son confes-sionnal, adossé au transept de la grande basilique. En passant prés denbsp;Fobélisque de Néron, Fexcellent ami qui nous accompagnait se décou-vrit respectueusement et récita une prière. « Vous saluez, lui dis-je,nbsp;un des plus glorieux trophées du christianisme!—Je fais plus encore, je salue la vraie croix, dont un morceau couronne Ie monolithe,nbsp;et je récite Ie Pater et VAve auquel Sixte V a attaché une indulgencenbsp;de dix ans et de dix quarantaines. » Nous imitftmes son exemple, etnbsp;nous arrivames a Saint-Pierre dont Fhistoire et Farchitecture devaientnbsp;principalement nous occuper. Avant d’entrer sous Ie vestibule, onnbsp;nous dit : « Voyez ces colonnes qui soutiennent la grande loge; sinbsp;vous en coupiez une tranche vous aurlez une table é recevoir douzenbsp;personnes. » Comme tous les voyageurs, nous répondimes par un si-gne d’incrédulité; mais bientót il fallut baisser Ie ton, et convenir quenbsp;les douze convives seraient fort a Faise. Tel est Ie bonheur ou Ie malheur de Saint-Pierre ; tout y est colossal, et rien n’y parait grand.nbsp;D’une part, Farchitecture grecque avec ses pleins cintres et ses lignesnbsp;coupées, qui abaissent constamment Ie rayon visuel; d’autre part,nbsp;Fharmonie des proportions qui, faisant de toutes les parties du monument un tout parfaitement homogene, n’en met aucune en relief,nbsp;passent pour être les causes principales de Fillusion.
Avant de franchir Ie seuil, nous voulümes nous rendre comple des transformations que Féglise avait subies avant de devenir, par sa grandeur et sa magnificence, Ie premier temple du monde.
Tout d’abord se présente un rapprochement qui n’est pas sans in-térêt. Entre les différents quartiers de Rome, Ie Vatican fut particu-lièrement souillé par les superstitions et les infamies païennes. Le temple de la Bonne Déesse, celui d’Apollon, le palais de Néron, lanbsp;présence d’horribles serpents(i), justifient en Fexpliquant le mot d’tm-
(i) Faciunt his fiflem in Italia appellatas Bok (id est serpentes) in tantam amplitudi-nem exeuntes, ut D. Claudio principe, occis» in Vaticano solidus in alvo spectatus sit inl'ans. — Plin., lib. vin, c.
-ocr page 35-VISITE A. SAIM-PIERRE.
fdme, par lequel Tacite désigne cetterégion transtibérine (i). Profon-deur des conseils élernels'. c’est ce même lieu que la Providence a cboisi pour remplacement du temple Ie plus auguste de l’univers, surnbsp;Ie même sol oii 1’antique serpent régnait en maitre; oü Néron crutnbsp;ctoufler l’Église au berceau, devait resplendir aux yeux des peuplesnbsp;élonnés Ie temple du Pêcheur galiléen, monument immortel de lanbsp;double victoire remporlée sur l’enfer et sur Ie monde ; au pied de lanbsp;même montagne oü les païens abuses venaient cbercber les oracles dunbsp;mensonge, il fallait que Ie monde chrétien vint recevoir avec un res-peclueux amour les infaillibles oracles de la vérité. De la, Ie nom denbsp;Vatican donné a cette colline (2).
Cependant, les martyrs immolés par Néron furent déposés dans les grottes creusées par leurs frères au voisinage du cirque et des jardinsnbsp;impériaux. Victime, a son tour, du cruel empereur, FApótre vint reposer au milieu de ses enfants, et commencer la grande cité des martyrs. Sur ces grottes, tombe, asile et berceau des premiers cbrétiens,
Ie pape saint Anaclet, successeur de saint Pierre, érigea un modeste oratoire (s); et comment dire les larmes et les prières répandues ennbsp;ce lieu vénérable pendant les orages trois fois séculaires qui battirentnbsp;l’Église naissante? A l’aurore de la paix, Constantin s’empressa denbsp;changer l’oratoire primitif en un temple digne du lieu qu’il devaitnbsp;consacrer. Le jour fixé pour commencer les travaux, 1’empereur senbsp;rendit au Vatican, et déposant le diadème et la pourpre, il voulut lui-même ouvrir les fondations et en extraire douze paniers de terre ennbsp;l’honneur des douze Apótres, N’était-il pas juste que les mains desnbsp;Césars, employées jadis amp; bamp;tir les temples des idöles, fussent sancli-fiées en travaillant aux temples du vrai Dieu (4)? Le corps de saintnbsp;Pierre, relevé de sa tombe, fut placé dans une chêsse d’argent, ren-fermée dans une autre de bronze doré et enricbie d’une croix d’or dunbsp;poids de luO livres.
Constantin et sainte Hélène réunirent leurs libéralités pour embel-lir le nouveau temple. Void la liste abrégée de leurs présents : les douze Apótres, en argent, pesant chacun 300 livres; trois calices d’or,
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Poslremo ue salulis quidem curê infarnibus Vaücani locis niagna pars retendit,nbsp;undo crebra; in vulgus niorlcs. —Tacit., Mist. lib. u.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Vaticanum, a Vaücuüo. Severan. a S. Scverano de septern urbis eccles., etc.—nbsp;Ciampini, Veter, monim., 1.111, p. 50 et suiv.
(5) Hic ïncmoviam B. Belri conslruxit et composuit, dum presbyter faclus fuisset a B. Petra. —Anast., in Anaclet.
[i) Restitutionem Capitolii aggressus ruderibus purgandis nianus primus admovit, ac suo collo quaidam extuUt. Suet. in Yespas., c. viii.
-ocr page 36-32 nbsp;nbsp;nbsp;les TROIS ROME.
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ornés de 43 pierres précieuses, pesant chacun 12 livres; vingt calices d’argent, chacun de 10 livres; deux burettes d’or, du poids de 10 livres ; une patène, de For Ie plus pur, avec un tabernacle en forme denbsp;tour, surmonté de la colombe, orné de 215 perles, pesant 30 livres;nbsp;cinq patènes d’argent, chacune de 15 livres; une couronne d’or, de-vant Ie tombeau, avec un candélabre orné de 50 dauphins, du poidsnbsp;de 35 livres; au milieu de 1’église, 32 candélabres d’argent, ornés denbsp;dauphins, pesant chacun 10 livres; 1’autel, en or et en argent ciselé,nbsp;orné de 210 pierres précieuses et pesant 350 livres; une cassolettenbsp;pour les parfums, de For Ie plus pur, enrichie de 51 perles et pesantnbsp;15 livres; de plus, des revenus considérables pour Fentretien de Fé-glise et la magnificence des cérémonies (i).
Ce temple auguste fut consacré, par Ie pape saint Sylvestre, Ie 18 novemhre de Fan 324. Après bien des restaurations, des agrandis-sements, el même une reconstruction compléte, il est devenu, par Ienbsp;zèle des Souverains Pontifes, ce qu’il est aujourd’hui, la merveille dunbsp;monde. Le frontispice repose sur huit colonnes et quatre pilastres co-rinthiens, séparés par cinq portes. II est couronné par un attique surmonté d’unc galerie d’oü s’élèvent treize statues colossales représentant Notre-Seigneur et les douze Apótres : de chaque cóté sont deuxnbsp;magnifiques horloges. Les cinq portes du frontispice, placées en facenbsp;des cinq portes de Féglise, conduisent dans un superbe vestibule toutnbsp;brillant de marbres et de dorures. En face de la porte du milieunbsp;est la célèbre mosaïque appelée la Navicella. Dans eet ouvrage dunbsp;xin® siècle on voit saint Pierre conduisant sa barque agitée par lesnbsp;vents. Le vrai motif pour lequel ce tableau se trouve dans le vestibulenbsp;n’est pas connu de tous les voyageurs. Des ebrétiens ignorants conser-vèrent pendant plusieurs générations Fusage païen de regarder le so-leil levant et de Fhonorer avant d’entrer dans la Basilique. Afin denbsp;leur offrir un sujet digne de leurs hommages, la mosa’ique fut placéenbsp;au lieu oü elle est encore; chaque jour, pendant trente années, le savant cardinal Baronius ne manqua jamais de la vénérer en entrantnbsp;dans Saint-Pierre, et de réciter cette prière : Seigneur, sauvez-moinbsp;des flots du péché, comme vous avez sauvé Pierre des flots de la mer :nbsp;Domine, ut èrexisti Petrum a fluctibus, ita eripe me a peccatorumnbsp;undis. Imité par les collègues du pieux cardinal, son exemple est encore suivi par les pèlerins qui le connaissent.
Aux deux extrémités du vestibule, FÉglise a placé le souvenir des
(i) Anast. in Sylvestr.
-ocr page 37-. nbsp;nbsp;nbsp;BEAUTÉS AUTISÏIQUES.
deux plus grands événements poliliques de son hisloire. Constantin et Charlemagne, présents dans leurs superbes statues équestres, rappel-lent ; la premier, la victoire du chrislianisme sur Ie monde païen; Ienbsp;second, 1’établissement social de son régne sur Ie monde moderne. Lanbsp;grande porte en bronze, hommage d’Eugène IV, est ornée de bas-re-liefs représentant Ie martyre de saint Pierre, Ie couronnement de l’em-pereur Sigismond, ainsi que les principaux événements du conciledenbsp;Florence et la réunion si désirée des Grecs avec les Latins. Au-dessusnbsp;de cette porte on admire Ie bas-relief du Bemin qui montre Notre-Iseigneur confiant li saint Pierre Ie soin de ses brebis.
Entré dans la Basilique, Ie voyageur cberche en vain les colossales proportions dont il a entendu parler : hauteur, largeur, longueur,nbsp;tout lui parait ordinaire; et pourtant Saint-Pierre surpasse en magnificence et en grandeur les plus vastes et les plus splendides églises denbsp;l’Orienl et de POccident : Sainte-Sophie de Constantinople, la catbé-drale de Milan et Saint-Paul de Londres. La cathêdrale de Milan n’anbsp;que P18 pieds de long sur 312 de large; et Saint-Paul de Londres,nbsp;499 pieds de longueur sur 231 de largeur; tandis qu’^ partir de lanbsp;porte d’entrée,jusqu’au chevet, Saint-Pierre compte 575 pieds de longnbsp;et 419 de large dans Ie transept. La nef du milieu a 82 pieds de largeur sur 142 de hauteur, y compris la voute. Les deux nefs laléralesnbsp;ont chacune 20 pieds de largeur. Ces différentes mesures sont gravéesnbsp;sur Ie pavé de Saint-Pierre. Tout en marbre ou en porphyre, ce pavénbsp;ressemble un brillant parterre émaillé de fleurs et découpé en rosaces, en losanges, en comparliments d’une gracieuse variété et d’unenbsp;grande richesse de dessin.
Les bénitiers augmentent d’abord Pillusion; mais bienlöt ils la dis-sipent : s’en approcher est Ie premier moyen de connaitre la grandeur (1^ Saint-Pierre. On nous avail dit : « Les anges qui les souliennontnbsp;ont six pieds; » et nous avions répondu : « Exagération de voyageursnbsp;enthousiastes. » Eh bien, on avail'raison et nous avions tort. Nousnbsp;mesurftmes ces anges qui, au premier coup d’oeil, ressemblent a denbsp;jeunes enfants; et qui sont bien en réalité des colosses de six pieds. Ilsnbsp;sont en marbre blanc, et soutiennent deux coquilles de marbre jaune,nbsp;placées vis-a-vis Tune de l’autre, au-devant des deux premiers enlrenbsp;pilastres. Je voulus offrir de Teau bénite li l’excellent ami qui nousnbsp;accompagnait; mais il refusa de la recevoir. « Pour gagner 1’indul-gence, me dit-il, en prenant de Peau bénite dans les basiliques romai-nes, il faut la prendre soi-même; ainsi Pont voulu les Souverainsnbsp;Pontifes, afin que chaque fidéle accomplit par lui-même un acte denbsp;religion. »
-ocr page 38-LES TROIS ROME.
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Quand on vient a Saint-Pierre pour en admirer les merveilles, Ie plus grand embarras est de savoir par oü commencer. Des monumentsnbsp;de tout genre, des chefs-d’oeuvre de peinture et de sculpture se dis-putent Fattention. Si on attaque Fauguste Basilique par Ie cöté droit,nbsp;vous avez d’abord la chapelle de la Pitié, oü Ie ciseau de Michel-Angenbsp;se révèle dans Fimmortelle statue de la sainte Vierge tenant son filsnbsp;mort sur ses genoux. La colonne entourée de fer, qui s’élève prés denbsp;Fautel, est, suivant la tradition, une des douze colonnes du temple denbsp;Jérusalem, que Constantin fit placer autour de la Confession de Saint-Pierre. L’antique inscription qui Faccompagne célèbre les nombreuxnbsp;miracles accordés a la foi des pèlerins en face de ce monument sanc-tifié par la présence et peut-être par Fattouchement del’Homme-Dieu.nbsp;En montant se présente la chapelle de saint Sébastien, remarquablenbsp;par les deux tombeaux du pape Innocent XII et de la comtesse Ma-thilde de Mantoue. Plus loin, la raagnifique cbapelle du Saint-Sacre-ment offre è votre admiration ses tombeaux de Sixte IV et de Gré-goire XIII, son riche tabernacle et sa communion de saint Jéróme ennbsp;mosaïque. C’est ici que, Ie jeudi-saint, Ie Souverain Pontife, dépouillénbsp;des ornements de sa dignité, lave les pieds des douze apótres. Vientnbsp;ensuite la chapelle de la sainte Vierge, construite sur les dessins denbsp;Michel-Ange, avec son autel tout brill.ant d’albatre, d’améthystes etnbsp;d’autres pierres précieuses : Benoit XIV y repose au milieu de Ianbsp;Science et de la Charité. Admirez encore Fautel de la Nacelle, dontnbsp;Ie tableau en mosaïque représente la barque de Pierre prés de submer-ger, et Ie Sauveur venant calmer les Hots; puis Ie magnifique mauso-lée de Clément XIII, immortel ouvrage de Canova. Les deux lions cou-chés sur les deux grands socles sont les deux plus beaux lions modernesnbsp;qu’on connaisse. II est ü regretter que, dans les autres figures, Ie célèbre artiste ait trop sacrifié Fesprit è la forme. La derniére chapellenbsp;a droite est dédiée a sainte Pétronille, et Ie tableau qui représente lanbsp;sainte au moment de son exhumation passe pour la plus belle mosaïque de Saint-Pierre.
Au chevet de Féglise apparait ü une grande hauteur la Chaire de-saint Pierre. Quelle jouissance pour un catholique, pour un prêtre, de reposer ses regards sur ce vénérable monument! Voila done cettenbsp;Chaire mille fois plus respectable que les chaises curules des séna-teurs remains et que tous les trónes des rois et des empereurs; cettenbsp;Chaire sur laquelle Pierre s’assit tant de fois dans les souterrains dunbsp;Vatican; de laquelle il ordonna les premiers pretres et consacra les premiers pontifes; de laquelle il prêchait et administrait les sacrements
-ocr page 39-CHAIBE DE SAINT-PIERKE.
h ces ehers néophytes, dont la robe, blanchie la veille dans les eaux du baptême, devait Ie lendemain s’empourprer dans Ie sang du martyre.nbsp;Longtemps conservée prés du corps de FApólre dans la catacombe va-licane, elle fut Ie premier tróne sur lequel ses successeurs venaientnbsp;s’asseoir après leur election. Enfin, Alexandre \'II la fit placer dans Ienbsp;magnifique monument qu’on yoit aujourd’hui et qui ne couta pasnbsp;inoins de cent mille ecus remains (i). Un autel majestueux en marbrenbsp;rare et une chaire en bronze doré dans laquelle est conservée k chairenbsp;en bois dont se servil l’Apótre, lelies sont les deux parties qui compo-sent ce bel ouvrage. La partie supérieure est soutenue par quatrenbsp;figures colossales en bronze, qui représentent les quatre grands docnbsp;leurs de l’Église, deux de l’Orient et deux de l’Occident. Comme acnbsp;compagnement s’élèvent de chaque c6lé les superbes tombeaux denbsp;Paul III et d’Urbain VUL C’est au-dessous de celte chaire deux foisnbsp;monumentale que Ie Saint-Père est assis lorsqu’il pontifie.
En descendant 1’église par Ie cöté gauche, on arrive ii 1’autel des saints apotres Simon et Jude, décoré de deux grosses colonnes denbsp;granit noir égyptien, au milieu desquelles brille un tableau en mo-saïque représentant saint Pierre guérissant Ie boiteux. Arrêlons-nousnbsp;devant la chapelle de saint Léon Ie Grand, pour admirer ces deux colonnes de granit rouge et Ie magnifique bas-relief d’Algardi, représentant Ie Poiitife qui fait reculer Attila. Voici maintenant Ie tombeaunbsp;d’Alexandre VII, dernier ouvrage du Bemin. L’autel est remarquablenbsp;par ses quatre colonnes, dont deux d’albütre et deux de granit noir.nbsp;PieVlI, d’immortelle mémoire, assis entre la Force et la Sagesse, repose dans la chapelle Clémentine, sous un mausolée dü au ciseau denbsp;Thorwaldsen et a la générosité du fidéle cardinal Gonsalvi. A ces monuments succède la magnifique chapelle du chapilre de Sainl-Pierre.nbsp;Eermée par une grille de fer ornée de bronze doré, elle présente, sur-tout pendant les offices, nn superbe coup d’ceil. Au-dessus de la portenbsp;voisine est déposé provisoirement Ie corps du dernier pape régnant;nbsp;comme ^ Saint-Denis, Ie mort ne descend dans la tombe qu’au décèsnbsp;de son successeur. Parmi les chefs-d’oeuvre consacrés a la gloire immortelle des Saints el des Ponlifes, brillent de royales inforlunes :nbsp;les monuments des Stuarts, ouvrage de Canova, ornent la chapelle denbsp;la Présentation. La chapelle des Fonts baptismaux termine cette cou-ronne de sanciuaires plus splendides les uns que les autres. Tout cenbsp;que peuvenl les arts pour réveiller la foi sur la grandeur du sacrement
;i) Constanzi, t. ii, p. 19.
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qui, du fils de Ia poussière, fait un enfant de Dieu et un frère des anges, brille dans ce lieu sacré. Les peintures de la coupole sent d’unenbsp;exécution parfaite; une urne de porphyre en ferme de nacelle, denbsp;douze pieds de longueur sur six de largeur, contient l’eau baptismale.nbsp;Cette urne, trouvée dans Ie Forum, servit autrefois de couvercle aunbsp;sarcophage de l’empereur Othon II, mort a Rome en 974. Elle est au-jourd’hui fermée par une espèce de pyramide en bronze doré, ornéenbsp;d’arabesques et rehaussée par quatre anges de bronze.
Revenus è notre point de départ, nous commen^firaes un nouveau voyage par Ia grande nef. A droite et è gauche on est dominé par lesnbsp;statues colossales de tous les fondateurs d’ordres religieux. Ces puis-sants génies, envoyés de siècle en siècle au secours de l’Église, cesnbsp;illustres généraux dont les phalanges défendirent avec tant de gloirenbsp;la vérité, Ia vertu, la civilisation, forment une longue galerie et commenbsp;une double chaine qui, se prolongeant jusqu’au rond-point de l’é-glise, va se rattacher k la Chaire de saint Pierre, centre unique denbsp;l’unité et foyer toujours ardent de la lumière et de la charité catho-lique. En s’abaissant, les regards rencontrent la statue de saiöt Pierrenbsp;assis sur son tröne; j’en ai déjii parlé, mais je tiens a en parler encorenbsp;paree qu’elle rappelle un noble souvenir. Quoi qu’en dise certainnbsp;Voyage en Italië, c’est Ie bronze de la statue de Jupiter'Capltolinnbsp;qui a fourni la matlère pour cette statue de saint Pierre, monumentnbsp;de la reconnaissance de saint Léon Ie Grand. L’illustre Pontife la fitnbsp;fondre en l’honneur du glorieux Apótre qui, plus puissant pour pro-téger Rome chrétienne, que Jupiter ne l’avait été pour défendre Romenbsp;païenne, venait de sauver la ville des fureurs d’Attila (i). Pénétré de cenbsp;grand souvenir, il vous en coütera peu d’imiter les pèlerins calholi-ques et de baiser Ie pied de cette statue et de la toucher du front;nbsp;double usage qui traduit bien les deux dispositions de tout enfant denbsp;l’Église : l’amour et la soumission. Le cceur même s’attendrit, lors-qu’en accomplissant ce pieux devoir on se souvient que chaque jour,nbsp;pendant trente ans, Ie père de l’hlstoire ecclésiastique, l’immortelnbsp;Raronius, toucha de son noble front le pied de cette statue et le cou-vrit de ses baisers. En même temps s’échappait de sa grande öme cenbsp;mot d’une simplicité enfantine : Pax et obedientia; credo Unam,nbsp;Sanctam et Apostolicam Romanam Ecclesiam; « Paioc et obéis-sance;je crots l’Église Une, Sainte, Apostolique et Romaine. »
(i) Voyez Torrigio, de Cryptis vaticanis, p. 126. ld. Sacri Trofei Romani, p. 149. Fr. Maria Phoebeus, de Identitate cathedra; D. Petri Dissert., p. 38. Id. Ciamp., Monim. veter.,nbsp;t. III, p. 57. ld. CoDStanz, t. ii, p. 17.
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Plus on avance vers la Confession de Saint-Pierre, plus le respect augmente. Pour I’accroitre encore, un décret de la Congrégation desnbsp;Rites, du 10 octobre 1594, ordonne a tous ceux qui en approchent denbsp;mettre le genou en terre sans excepter personne, ni I’empereur, ni lenbsp;pape lui-même; et une sentence d’excommunication menace le clercnbsp;de service qui oserait nettoyer on parer Vautel papal sans être revêtunbsp;de la cotta. Get autel, on le Souverain Pontife seul a le droit de célé-brer la messe, s’élève snr sept gradins en marbre blanc; il est isolé etnbsp;tourné, suivant I’usage ordinaire, vers I’Orient. Quatre colonnes torsesnbsp;en bronze doré soutiennent le baldaquin. Fondues, en 1653, par ordrenbsp;d Urbain VIII, ces colonnes n’ont pas moins de Irente-quatre pieds denbsp;hauteur. Elies sont faites avec le bronze des portes du Panthéon, etnbsp;reinplies, nous fut-il assuró, d’osseinents de martyrs. Aux angles denbsp;I’entablement brillent quatre anges debout, tournés aux quatre pointsnbsp;du ciel. De leurs pieds portent quatre consoles renversées qui, ii leurnbsp;point de jonction, supportent un globe doré surmonlé d’une croix.nbsp;Tout cela parait d’une moyenne élévation; et le plus haul palais denbsp;Rome, le palais Farnese, n’alteint pas la hauteur de ce magnifiquenbsp;monument. Du sol occupé par la statue de Pie VI (i), a la cime de lanbsp;croix, il roesure plus de quatre-vingt-six pieds.
La Confession de Saint-Pierre me semble resumer complélement I’histoire de PÉglise militante. Fondée par les Apótres, soutenue jiarnbsp;les martyrs, s’élevant sur les débris du paganisme vaincu, appelant lesnbsp;élus de Dieu dispersés aux quatre x’ents, dominant le monde par lanbsp;croix et porlant sa tête auguste jusqu’aux portes du ciel ; telle senbsp;montre PÉglise pendant son pèlerinage. Mais ce n’est ici que Ia première panic de son existence, ou plutöl la moitié d’elle-même. Commenbsp;son divin fondaleur, Pauguste société règne au ciel et sur la terre ; unnbsp;temple vraiment catholique doit la représenter dans ce double état. Etnbsp;voiPa qu’en balissanl Saint-Pierre de Rome, le génie de Michel-Angenbsp;est traversé par une de ces illuminations soudaines qui enfantent lesnbsp;chefs-d’oBuvre. ïrop longtemps esclave de Part païen, Pimmorte.1 ou-vrier relève noblement sa tête et, tout ii coup inspire par la foi, il lanccnbsp;dans les airs la sublime coupole. Dans eette création, la plus bardienbsp;qu’on connaisse. Part chrélien aura Pespace nécessaire pour dévelop-per dans toute sa magnificence Pidée de PÉglise catholique. Sur cesnbsp;vastes parois de cent trente pieds de diamètre et de trois cents d’élé-vation, la mosaïque, peinture immortelle, représentera sous les plus
(i) C’cst un des beaux ouvrages de Canova.
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LES TROIS ROME.
brillantes couleurs l’Église triomphante, avec ses glorieuses hiérar-chies : les saints; puis la Reine des saints et des anges; puis l’auguste Trinité; puis Tinfini: puis la croix dominant réternité et l’immensité,nbsp;comme elle domine Ie temps et l’espace.
Toutefois ce n’est pas seulement en peinture que l’Église du ciel est présente a Saint-Pierre de Rome : elle y vit dans les innombrables re-liques de ses saints et de ses martyrs.
Étrangers qui auriez Ie malheur de porter a l’auguste Basilique un coeur llétri par Ie doute impie; et vous pèlerins d’une science incom-plète OU d’une curiosité vaine, il ne vous reste maintenant qu’a sortirnbsp;du temple. Comme un brillant panorama, toutes les beautés exté-rieures du superbe édilice out passé devant vos yeux; vous les aveznbsp;admirées avec plus ou moins d’intelligence, critiquées avec plus ounbsp;moins de bonne foi : tout est fini. La beauté intérieure de la maisonnbsp;de Dieu vous est cachée; Ie sens poétique du monument vous échappe :nbsp;car Ie monde surnaturel qui Fhabite est nul pour vous. Au catholiquenbsp;est réservée I’intelligence de ces choses; seul, 11 a des yeux pour lesnbsp;voir et un coeur pour les sentir. Si done Saint-Pierre de Rome est Ienbsp;reflet du ciel par ses magnificences, il en est l’image par les saints quinbsp;l’habitent. Tous les ordres de bienheureux y sont représenlés. Celui-lanbsp;même qui est au-dessus de toutes les hiérarchies s’y fait adorer dansnbsp;les trophées de sa victoife. Sous les yeux de cette nuée de témoins,nbsp;une frayeur religieuse vous saisit; et ce n’est pas sans éprouver desnbsp;sentiments Inconnus, qu’a l’exemple de tant de millions de pèlerinsnbsp;nous parcourumes ce Paradis de la terre. Ici, pas un habitant de lanbsp;Jérusalem céleste qui ne vous rappelle sa présence par un vivant souvenir.
jÉsus-CiiRisT, LE Roi Dü CIEL : voici une partie notable de sa croix, Ie fer de la lance qui lui perga Ie cóté, Ie linge sur lequel est empreintenbsp;sa face adorable (i).
Marie, la Reine du ciel : voici une portion du voile sacré qui fut a son usage.
Saint Jean-Baptiste, Ie plus grand des enfants des hommes; saintë Anne, saint Joseph : voici une partie de leurs cendres ou de leursnbsp;vêtements.
Les Apótres et les Évangélistes : voici les corps glorieux de saint Pierre, de saint Paul, de saint Simon, de saint Jude; les reliques denbsp;saint André, de saint Jaeques-le-Majeur, de saint Barthélemy et denbsp;saint Luc.
(i) Voir la note a la fin du volume.
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Les PoNTiFEs ; void les corps de irenle-cinq papcs, saints ou martyrs : Lin, Clet, Anaclet, Evariste, Sixie I, Télesphore, Hygin, Pie 1, Éleulhère, Victor, Fabius, Jean I, Jean II, Léon I, Gélase II, Symma-que, Hormisdas, Agapet, Gregoire I, Boniface IV, Dieudonné, Eugène I, Vitalien, Agalhon, Léon II, Serge I, Grégoire II, Grégoire III,nbsp;Zacharie, Paul I, Léon III, Léon IV, iNicolas 1, Léon IX, Félix IV.
Les Évêoues et les Doctecrs ; voici les corps ou les reliques des saints ; Chrysostóme, Basile, Grégoire de ISazianze, Polycarpe, Lambert, Martin, Hilaire, Grégoire le Thaumaturge, Charles Borromée,nbsp;Jéróme, Thomas d’Aquin.
Les Prêtres, les Diacres et les Religieux : voici saint Thomas de Villeneuve, saint Francois d’Assise, saint Antoine de Padoue, saintnbsp;Pierre d’Alcantara, saint Bernardin de Sienne, saint Philippe de Néri,nbsp;saint Étienne, saint Laurent, saint Vincent, saint Paul, ermite, saintnbsp;Antoine, abbé.
Les Martyrs de tout ftge, de tout sexe et de toute condition ; voici, outre ceux que nous venons de nommer, saint Procés et saint Marti-nien, geöliers de saint Pierre; saint Anastase, saint Théodore, saintnbsp;Nicée, saint Achillée, les quarante martyrs, saint Gorgon, saint Ti-burce, sainte Pélronille, sainte Bibiane, sainte Théodora, sainte Agathe,nbsp;sainte Colombo, sainte Susanne, sainte Balbine, sainte Ruffine, saintenbsp;Catherine, sainte Pudeniienne, sainte Marguerite et une multitudenbsp;d’autres venus du milieu de la grande tribulation, après avoir lavenbsp;leurs robes dans le sang de I’Agneau.
Tels sont les habitants de Saint-Pierre de Rome; tels les témoins qui vous y regardent, les freres qui vous y regoivent, les amis quinbsp;vous y consolent, les modèles qui vous y montrent leurs palmes etnbsp;leurs couronnes. Connaissez-vous une assemblée plus aiiguste, un lieunbsp;plus saint, une image plus parfaite du ciel sur la terre? Encore unenbsp;fois, malheur au voyageur qui a des yeux et qui ne voit pas ces choses,nbsp;un esprit et qui ne les comprend pas, un cmur et qui ne les sent pas!
Pour nous, absorbés par la vue des beautés extérieures et intérieu-res du premier temple du monde, nous avions depuis longtemps oublié le hut secondaire de notre visite. Enfin, un regard jelé a gauche de la Confession de Saint-Pierre nous rappela 1’excellent pénitenciernbsp;de France. De nombreux confessionnaux placés dans cette partie denbsp;1’église, et portant pour inscription ; lingua hispanica, lingua an-glicana, lingua grmca, annoncent la présence des pénitenciers. Lesnbsp;mots lingua gallica écrits sur la frise d’un large confessionnal, nousnbsp;indiquèrenl la demeure du P. V.... De la demi-porte de ce confession-
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nal s’élance une baguette d’environ six pieds de longueur qui intrigua fort mes jeunes amis.
Qu’est-ce en effet qu’un pénitencier? Pourquoi est-il armé d’une longue baguette? Pourquoi en frappe-t-il sur la tête des passants quinbsp;Ie demandent? Voila des questions et des usages que la plupart ne senbsp;donnent guère la peine d’approfondir : je parlerai bientót de la Péni-tencerie; il suffira de savoir, pour Ie moment, qu’on trouve è Saint-Pierre des prêtres des différentes nations catholiques pour entendrenbsp;les confessions des pèlerins. Investis de pouvoirs spéciaux, ils exercentnbsp;sous la juridiction du grand pénitencier un ministère doublementnbsp;utile. Absoudre les pénitents, et secourir, diriger, piloter leurs com-patriotes pendant leur séjour a Rome, telle est leur vie. Comme on estnbsp;sur de les trouver è Saint-Pierre, leur confessionnal devient en quel-que sorte leur domicile; ils y donnent leurs audiences, regoivent vosnbsp;lettres de recommandation, prennent note de vos demandes, sollicitentnbsp;pour vous des présentations au saint Père ou des billets d’entrée aux
cérémonies du Vatican. Le bon P. V.....en particulier s’acquitte de ces
différents devoirs avec une obligeance telle qu’il a étéjusteraentnommé la Providence des Frangais.
« Mon père, lui dit Henri, que signifient cette longue baguette que vous avez devant vous et le coup que vous en donnez sur la tête denbsp;ceux qui le demandent? — C’est le signe de Paffranchissement spiri-tuel. Quarante jours d’indulgence sont attachés eet acte d’humilité,nbsp;lorsqu’on Paccomplit dans les dispositions convenables. » Que pensernbsp;maintenant des touristes qui racontent sans sourciller qu’a Rome onnbsp;remet les péchés avec un coup de baguette? de tant de voyageurs qui,nbsp;contents de ne pas blamer eet usage, rougissent de Padmirer tout hautnbsp;et dédaignent tout bas de s’y conformer? Ils ne savent done pas, quenbsp;chez les Remains, Paffranchissement avait lieu en donnant un coup denbsp;verge sur Ia tête de Pesclave : Rome chrétienne a conservé cette cou-tume. « Par un coup de verge, dit-elle, les maitres du monde faisaientnbsp;tomber les fers de leurs esclaves; eh bien, moi, plus puissante que lesnbsp;maitres du monde, j’affranchis les ames en me servant du même signe. » II n’y a que les cérémonies pour perpétuer avec cette simpli-cité sublime les usages de la plus haute antiquité (i).
(i) Nous avions rappelé ce souvenir lorsque nous en avons irouvé la confirmation et le développement dans la note suivaute du comle de Maistre: Délai de la just. div. not. iii,nbsp;p. 92, éd. in-8o, Lyon.
« II y avait a Rome troismanières d’affrancbir un esclave, le Ceiis, le Testament fet la Baguette. Pour ne pariet' que de la dernière, le préteur, appuyant sur la tête de l’es-
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GOUVEllNEMENT ECCLÉSIASTIQBE.
2 JANVIER.
„ nbsp;nbsp;nbsp;.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;,nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;,.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;— CongrógaUvws romaines, leur '’uE
Organisation du gouvernement «“'f nbsp;nbsp;nbsp;- Le Sainl-Officc.-L’fnde*.-
leur origine, leur consUwüou.-La nbsp;nbsp;nbsp;^ éveques. - De la residence des evê-
La Congregation du coucUe. -öe V nbsp;nbsp;nbsp;^nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;^ Jdes réguliers. - Be l’imaumile
ques. - Bes evéques et réguliers. — Be la u ' ^„^^„ation des rites. — Bes indul-ccclésiastique. - Congregation consistoriale. nbsp;nbsp;nbsp;“ .nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;^ exlraordinaires. — Bap-
gences et des saintes reliques. — Bes affaires cccle 1 lême d’une faiailLe juWe, son hislolïc.
Hier, è. Toccasion de notre visite ^ Saint-Pictre, j avais nommé la PénileTtcerie; et aujourd’ïiui, ii l’occasion de la pénitencerie, je \aisnbsp;m'occuper des Congrégations romaines. Or, ce que Voltaire disait denbsp;la Ligue on peut Ie dire de l’organisalion du gouvernement spirituelnbsp;de Rome ;
Beaucoup en ont parlé, mais bien peu Vont connu.
Centre du monde catholique, Rome vit dès les premiers sièeles ar-river de l’Orient et de POccident toutes les grandes affaires qui intéressent la défense et la propagation de l’Évangile. Elle habile encore les catacombes, et déja l’Église de Corinthe vient, comme une fille ènbsp;sa mère, lui faire part de ses douleurs et la prier d’apaiser Ie schismenbsp;qui la désole; plus tard, c’est l’Église d’Orient qui la conjure de dé-cider la grande question de la célébralion de la Paque. Voici mainte-nant l'Église d’Afrique qui lui soumet l’irritante affaire du baptêmenbsp;des hérétiques; enfin c’est Ie monde entier qui s’empresse de lui sou-mettre ses diificultés, de lui confier ses douleurs, et de lui apporler
clave une baguette qu'on nommait en latin vindicla, c’est-a-dire adjudicatrice, lui disait; Jfe declare eet homme libre comme les Romains sont libres. Dico eum liberum esse morenbsp;Quiritum. Puis se tournanl du cöté du licteur, il lui disait; Prends cette baguette et fatsnbsp;ton devoir, suivant ce que je t’ai dit: Secundum tuum censum, siculi dixi: Ecce tibi vin-dicta. Le licteur, ayant requ la vindicte de la main du préteur, en donnait un coup surnbsp;la tête de 1’esclave; puis il lui frappait de la main la joue et le dos, après quoi un secrétaire inscrivait le nom de 1’affranchi dans le regislre des citoyens. Ces formes étaientnbsp;ctablies pour faire entendre aux yeux quo eet homme, sujet naguère aux chaümentsnbsp;ignominieux de l’esclavagc, en était affranchi pour toujours. La puissance publique ienbsp;frappait pour annoncer qu’il nc serait plus frappé. On comprend du resle que ces actes
n’élaient que de pure forme, 1'esclave était a peine touché.....L’esprit de cette forma-
lilé, qui n’cst pas douteux, n’a rien que de Irès-moüvé et do très-raisonnable : il est encore rappelé de nos jours par le grand pénilencier (et menie par tons les péniteii-ciers) de Rome, qui touche de la vindicte chrctiennele penitent absous, pour lui declarer qu’il a cessé d’etre esclave (venumdatus sttb peccato, Rom. vu, 14), et que son nomnbsp;vieut d’etre inscrit par le souverain spirituel au nombre des hommes libres; car \e justenbsp;seu.1 est libre, comme le Portique 1’a dit avant l’Évangile. »
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tous les problèmes qui intéressent sa \ie morale, quelquefois même sa vie politique et civile. « De toutes parts, disait Ie pape Innocent Pquot;', onnbsp;vient demander a Loire a la source apostolique (i); » — « d’innom-brables consultations nous sont adressées, » ajoutait saint Léon (2).
« Votre Église est la mère de toutes les Églises, écrivait au pape Jean l’empereur Justinien, et nous ne permettons pas que vous ignorieznbsp;rien de ce qui intéresse les autres Églises (5). » Tons les siècles ontnbsp;suivi Ie même exemple et Rome ne faillit jamais a sa mission.
Mais comment a-t-elle pu suffire a cette sollicitude universelle et régler tant d’affaires différentes avec une sagesse irréprochable? Sonnbsp;premier soin, et je dirai sa régie invariable, fut d’ajouter a 1’assistancenbsp;surnaturelle qui lui est promise toutes les lumières que peuvent don-ner Ie savoir et l’expérience. Loin de repousser Ie génie, Rome l’ap-pelle; ici plus qu’ailleurs la science et la vertu conduisent infaillible-ment aux emplois importants et aux grandes dignités : c’est un faitnbsp;glorieux dont l’histoire des papes et des cardinaux offre de nombreuxnbsp;exemples. De plus, Rome a divisé les affaires en grandes catégories etnbsp;établi autant de cours différents pour en connaitre. Or, toutes ces affaires se rapportent a un double objet; propager et maintenir l’Évan-gile. De la l’origine, Ie nombre, Ie caractère et les attributions desnbsp;Congregations romaines (4).
1“ Dans l’ordre logique, la première qui se présente est la Congré-gation de la Propagande. Logé prés du lieu oü elle tient ses séances, j’avais un double intérêt é commencer par elle mon pèlerinage. Insti-tuée en 1622 par Ie Souverain Pontife Grégoire XV, cette Congrégationnbsp;se compose d’un cardinal qui a Ie titre de préfet, de plusieurs autresnbsp;cardinaux et de protonotaires apostoliques, interprètes des languesnbsp;étrangères. Elle a pour but, comme son nom l’indique, de répandrenbsp;la foi dans Ie monde entier. En conséquence, Ie soin de toutes les affaires concernant les missions, l’intendanee sur tous les séminaires etnbsp;colléges destines amp; fournir des missionnaires, ferment ses attributions.nbsp;Les lundis elle tient une réunion devant Ie Saint-Père; ses autres séances, qui reviennent fréquemment, ont lieu au collége de la Propagande,
(1) Per omnes provincias de apostolico fonte petentibus responsa, etc., Epist. 50.
(3) nbsp;nbsp;nbsp;Apostolicam sedem innumeris relalionibus esse consultam. Epist. 10.
(5) Nee enitn patimur, quidquatn quod ad ecclesiarutn slatum pertinet, quanquain manifestum et indubilatum sit quod raovetur, ut non etiam vestr® innotescat Sancti-tali, quae caput est omnium sanctarum ecclesiarum. Dig. lib. viii, c. de Sum. Trinit.
(4) nbsp;nbsp;nbsp;Pour esquisser Ie tableau de cette magnifique administration, je rappellerai qu’ilnbsp;exisle a Rome treize congregations oü aboutissent toutes les affaires de lacatholicitc!nbsp;trois principaux tribunaux ecclésiastiques, et un principal tribunal civil.
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sur la place d’Espagne. Ce superbe établissement s appelle Ie Collége Vrbain de la Propagande, du nom du pape Urbain YIII qui Ie o» anbsp;en 1627. II est destiné aus jeunes gens des nations étrangères, et sur-lout des nations orientates, qui se disposent al état ecclésiastique.nbsp;ordre d’Alexandre \'«, tons les élèves de la Propagande s’obligent parnbsp;serinent i n’embrasser aucun ordre régulier sans la permission dunbsp;Saint-Siége, -i entrer dans les ordres sacrés sur l’axis de la Congréga-tion, et a prêcber PÉvangile dans leur pays. Ces jeunes gens, envoyesnbsp;la plupart par les missionnaires, ne dépensent rien ni pour leur voyage,nbsp;ni pour leur entretien, ni pour leur éducation, ni peur eur retour .nbsp;la ctiarité aposlolique se charge de tous les frais. CeUe an quot;nbsp;au nombre de quatre-vingts. Leur costume se compose u c apeaunbsp;remain et d’une soutane noire avec boutons et ceinture rou^e. ousnbsp;les jours, ou ü peu prés, ils sortent en promenade afin viter mnbsp;fluence maligne du Sirocco; et pendant les vacances ils vont jouir enbsp;la Vilkgiatura dans quelqne campagne aux environs de Rome.L etudenbsp;des sciences sacrées et profanes, enseignées par des maitres habiles,nbsp;occupe tous leurs moments ; nne vaste bibliotbèque et un riche museenbsp;sont a leur disposition. Le collége de la Propagande possède aussi unenbsp;imprimerie composée de toutes sortes de caractères élrangers, pournbsp;éditer les missels, bibles, catéchismes el autres livres a l’usage desnbsp;peoples nouvellement convertis. Ses nombreux apparlements servenlnbsp;d’hólellerie aux nouveaux chrétiens et aux pauvres évêques qui se ren-denl ii Rome. Depuis sa fondation la Propagande a été une pépinièrenbsp;de missionnaires zélés, de vicaires apostoliques, d évêques, d archevê-ques et de martyrs (i).
2° Congrégation ou tribunal du Suint-Office. II ne sufiit pas de planter la foi, il faut veiller a la conservation de eet arbre divin, en lenbsp;^réservant du ver rongeur de Phérésie et de l’impiété. Or, dans lenbsp;moyen ftge, il s’éleva une foule de seclaires qui, sous le masque de lanbsp;vérité et de la vertu, corrompaient la saine doctrine et se livraient dansnbsp;le silence aux exces du libertinage le plus révoltant. Non-seulemenl lanbsp;foi, mais la civilisation de l’Europe étail menacée; c’est alors que dansnbsp;son immense sollicitude, le grand pape Innocent 111 établit VInquisition ou ie Saint-Office. Nous sommes dispense d’en dire du bien, depuis que tous les hérétiques, tous les impies, sans exception, en ontnbsp;dit tant de mal. Sous les papes Grégoire IX, Innocent IV et Clément VIII,nbsp;les Dominicains, les Franciscains et les Minimes remplirent successi-
(i) Constanzi, 1.1, p. 109.
-ocr page 48-44 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS HOME.
veraent les fonctions d’inquisiteurs. En dS4S, Paul 111 (i) établit a Rome Ie Tribunal suprème du Saint-Office, dont il confia la directionnbsp;a six cardinaux. Ce nombre fut porté a buit par Pie IV et b douze parnbsp;Sixte V, en sorte qu’aujourd’hui ceite Congrégation se compose dunbsp;Souveraiu Pontife, président; de douze cardinaux avec Ie titre d’inquisiteurs généraux; d’un secrétaire, d’un assesseur, d’un commis-saire et d’uïi grand nombre de consulteurs. Elle s’assemble trois foisnbsp;la semaine : Ie lundi et Ie mercredi au couvent des Dominicains pournbsp;préparer les questions, et Ie jeudi devant Ie Saint-Père, pour les dé-cider. La qualrté.des membres qui ferment ce tribunal manifeste lanbsp;grandeur de son autorité dans les causes qui intéressent la pureté denbsp;la foi. Sa juridiction s’étend sur toute espèce de personnes ecclésias-tiques ou laïques, villes, communautés ou royaumes, et il n’est pas denbsp;privilége personnel ou local qui puisse en exempter : autant son pou-voir est illimité, autant sont grandes l’équité et la miséricorde quinbsp;président il ses jugements. Sous Ie nom de qualificateurs, des théolo-giens vieillis dans l’étude donnent aux propositions mauvaises, conte-nues dans les livres dénoncés, les notes ou les qualifications qui leurnbsp;conviennent. Leur rapport fait et vérifié, on procédé aux débats, malsnbsp;a huis dos, afin de sauver l’honneur du coupable, s’il est présent; lui-même peut présenter sa défense ou recourir au ministère d’un avocatnbsp;h son choix. Par un privilége unique, s’il avoue sa faute, il est absous;nbsp;nulle pelne extérieure ne lui est infligée, tout se borne a quelquesnbsp;oeuvres satisfactolres. Si l’obstination du coupable force Ie tribunalnbsp;de sévir, les peines extérieures qu’il impose sont loin d’être propor-lionnées é Ia grandeur du délit: telle est cette inquisition tant calom-niée dont on a voalu faire un épouvantail. Quand vous serez è Romenbsp;ne manquez pas d’aller visiter ces prisons qu’on dit si redoutables;nbsp;cherchez ces cachots obscurs, ces affreux,Instruments de supplice, cesnbsp;juges sanguinaires dont Ie nom vous a fait pallr; et après avoir ri denbsp;votre frayeur, vous reconnaltrez la justesse de ce mot attribué è je nenbsp;sals plus quel magistrat: « Si on m’accusait d’avoir pris les tours denbsp;Notre-Dame, je commencerais par me sauver; car il n’y a pas d’ab-surdité qu’on ne persuade a force de la répéter. »
3“ Congrégation de VIndex. L’erreur a comme la vérité un double organe ; la voix et la presse. Si la parole vivante a plus d’effet. Ia parole écrite exerce par sa durce et par sa propagation une influencenbsp;plus étendue : ne pas Ia surveiller, serait de la part de l’Église une
(i) Constit. Licet, etc.
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prévarication. A.ussi du moment oü Timprimerie fut devenue 1 auxi-liaire actif, incessant de la pensée humaine, Rome s’occnpa de la di-riger et d’en réprimer les écarts. Re concile de Trente (i) chargea quelques prélats de dresser un catalogue des livres suspects ou perni-cieux (index puvgatorius). N’ayant pu examiner eet index, Ie Concilenbsp;Ie renvoya Pie IV qui l’approuva, ainsi que les régies établies parnbsp;les prélats examinateurs Saint Pie V et Clément VIII, modifiant unnbsp;peu 1’ouvrage de leurs prédécesseurs, constituèrent la Congrégationnbsp;lelie qu’elle est aujourd’hui. Elle se compose de dix cardinaux dontnbsp;1 tin a Ie litre de préfet; du maitre du sacré palais qui est assistantnbsp;perpétuel; d’un secrétaire qui est toujours un dominicain, un grannbsp;noinbre de consulteurs et de quelques rapporteurs. Sou but est exanbsp;miner les livres et de signaler ceux qui doivent être probibés, e enbsp;fendre, sous peine d’excommunication, de retenir et de lire les ounbsp;vrages contraires a la religion et aux bonnes moeurs; de tracer auxnbsp;évêques, aux inquisiteurs locaux et aux imprimeurs les régies qu ilsnbsp;doivent suivre dans la lecture, la révision, la publication et la venlenbsp;des livres. Lorsque la Congrégation se réunit, elle examine les ouvragesnbsp;qui lui sont dénoncés, n’importe Ie pays oii ils ont élé publiés; lesnbsp;votes recueillis, elle présente la sentence it 1’approbation du Saint-Père, puis on -publie Vindex, c’est-a-dire, la liste des ouvrages con-damnés avec Ia defense de les lire. Combien de fois n’ai-je pas vu surnbsp;les murs de Rome la condamnation de certains livres dont Paris pro-clame Ie mérite et encourage la propagation ii grand renfort d’affichesnbsp;et de réclames! Or j’avoue qu’a mes yeux il n’est ni article du journal, ni vogue littéraire, ni croix d’honneur, ni dignilé qui puisse laver
la bonte, d’un avUeur attaché au pilori, dans jla capitale du monde Chrétien (2).
*(i) Sess. xviu.
{2) Les décrets de la Congrégation del’Index sont ainsi congus:
Deere tum.
Die N. N. 18
Sacra Congregatie Eminentissimorum ac Reverendissimorum sanct» Romanai Ecclesia Cardinalium a Sanotissimo Domino nostiio N. Papa N. sanctaque Sede apostolica Indici librorum prav® doctrinal, corumdemque proscription!, expurgationi, ac permis-sioni m universa Christiana Republica prsepositorum et delegatorum, habitain palalionbsp;Yaucano, damnavit et damnat, proscripsit proscribitque, vel alias damnala alque pro-
senpta in Indicem librorum probibitornm telérri mandavit et mandat opera qua; se-quuntur.
Ici Ie litre des ouvrages et Ie nom des auteurs.
A. la fm;
Itaque nemo cujuscumque gradus et conditionis praxlicta opera damnata atquepro-
-ocr page 50-46 LES TROIS ROME.
4® Cougrégation du Concile. L’intégrité de la foi et la pureté des moeurs protégées par Flndex et Ie Saint-Oflice, il fallait veiller a la vienbsp;extérieure de l’Église. D’une part, Ia beauté de la fille du Roi ne doitnbsp;pas être seulement dans son ame, elle doit briller encore sur ses vê-temenls sans tache, ornés de diverses couleurs; d’airtre part, l’Églisenbsp;doit être comme une armée rangée en bataille qui agit avec ensemblenbsp;et que rien ne peut entamer. Or, la discipline est ce lien mystérieuxnbsp;qui la rend une et forte. Au saint Concile de Trente revient surtoutnbsp;la gloire d’avoir, dans les temps modernes, réparé et affermi ce liennbsp;eonservateur.Mais les instincts rebelles, quiviventau coeur de Thommenbsp;déchu, ne pouvaient manquer de recourir a la ruse et a la chicanenbsp;pour éluder des lois qui les gênent : les pères de 1’auguste assembleenbsp;l’avaient prévu. Ils s’adressèrent done au Pontife suprème, pour Ienbsp;supplier de prévenir ou de rendre vaines ces nouvelles attaques. Pie IVnbsp;répondit a leurs voeux en établissant une Congrégation chargée d’in-terpréter les décrets du Concile (i), de veiller a leur exécution et denbsp;soumettre au pape les doutes qui pourraient survenir. Les Souverainsnbsp;Pontifes saint Pie V et Sixte V étendirent les droits de cette Congrégation. En conséquence, il lui appartient d’interpréter tout ce quinbsp;regarde la réforme et la discipline élablies par Ie concile de Trente;nbsp;de revoir les decrets des synodes, d’examiner Ie compte rendu quenbsp;les évêques doivent envoyer a Rome après la visite de leur diocèse; denbsp;dispenser les bénéliciers de la résidence pour cause de santé ounbsp;d’étude, etc. A raison de la multitude et de la gravité de ses affaires,nbsp;la Congrégation se compose de vingt-quatre cardinaux, dont 1’un a Ienbsp;litre de préfet; d’un secrétaire et vice secrétaire; d’un substitut avecnbsp;des expéditionnaires et de douze prélats y compris Ie secrétaire desnbsp;lettres latines. Ce dernier est chargé de transmeltre aux évêques lanbsp;solution des difficultés qu’ils ont soumises a la Congrégation.
scripta, quocumque loco, et quocumque idiomale, aut in poslerum edere, aut edita legere, vel relinere audeat, scd locorum ordinariis aut hfereticae pravitatis inquisitori-bus ea tradcre teneatur sub pcenis in Indice librorum velitorum indictis.
Quibus Saxctissimo Domixo kostuo N. Pap.e N. per me inl'rascriptum secretariuzn re-latis, Sanctitas sca decretura probavit, et promulgari praïcepit. In quorum fidcm, etc.
Datum Roma; die N. N.
Signature du cardinal, préfet de la Congregation.'
Et du secrétaire.
Puls;
Die N. supradictum decretum affixum et publicatum fuit ad S. Mari® supra Miner-vam, ad Basilicffi Principis Apostolorum, Palatii S. Officii, Curia; Innocentianae valvas, et in aliis consuetis Urbis locis per me N. apost. curs.
(i) Constit. Aliis nos, etc.
-ocr page 51-4.7
CONGREGATIONS ROMAINES.
S“ Congrégation de 1’Examen des évêques. Le maintien de la discipline et les succes d’une armée dépendent presque toujours des ge-néraux qui la commandent ; or, les évêques soul les généraux de 1’armée militante. De la, le soin religieux apporlé par l’Église ro-maine pour faire de bons cboix. Les grands papes Grégoire XIV etnbsp;Benoit XIV s’occupèrent particulièrement de eet objet fondamental ¦.nbsp;Clément VIII établit une congrégation spéciale pour examiner les can-didats aux évêchés d’Italie. L’éloignement des lieux ne lui permit pasnbsp;d aslreindre a cette mesure salutaire les évêques des nation» étrannbsp;gères. La Congrégation se divise en deux commissions . 1 une pour lanbsp;théologie, l’autre pour le droit canon. La première est composée enbsp;cinq cardinaux examinateurs et d’un grand nombre de religieux c oisisnbsp;par le Souverain Ponlife. La seconde compte neuf cardinaux examinanbsp;teurs et plusieurs prélats. Un prélat secrétaire tient note des réponsesnbsp;et dresse le procès-verbal de la séance. La Congrégation s’assemblenbsp;devant le pape qui est assis sur son trOne environné des cardinauxnbsp;examinateurs ; le Candida^ reste è genoux sur un carreau. II répondnbsp;en latin aux questions et aux objections qui lui sont adressées. L’examen fini, les cardinaux donnent leur opinion par ce mot est idoneus;nbsp;ensuite le Consistoire s’assemble et le pape préconise le candidat quinbsp;peut alors recevoir la consécration épiscopale. On aime a se rappelernbsp;qu’après son examen, saint Francois de Sales mérita d’entendre de lanbsp;bouctie même du Souverain Pontife eet éloge si flatteur : Allez, monnbsp;fils, et buvez de l’eau de votre citerne.
Puisque j’ai uommé le Consistoire, il n’est pas inutile de fixer le sens de ce mot. Le Consistoire est le conseil du Saint-Père, sacrumnbsp;Pontificis consilium, et le principal tribunal de Rome. II est publicnbsp;ou secret. Le pape préside en personne, revêtu de ses habits ponti-ficaux ; les assistants sont les membres du collége et autres grandsnbsp;dignitaires. Les assemblees ont lieu régulièrement une fois la semaine,nbsp;le lundi ou le jeudi; il a aussi des séances extraordinaires. Pendantnbsp;que le Consistoire est réuni, toutes les autres Congrégations doiventnbsp;vaquer. Toutes les affaires de l’Église peuvent être du ressort dunbsp;Consistoire, mais il ne s’occupe que des plus importantes. Quand unenbsp;bulle ou une constitution ont élé délibérées dans ce conseil, il en estnbsp;fait mention; si, au contraire, le pape a prononcé seul, la bulle ou lanbsp;constitution portent le nom de proprio motu.
6® Congrégation de la Residence des écèques. Si tons les évêques ne peuvent être examinés h Rome, tous doivent posséder les vertus denbsp;leur charge et en accomplir les obligations. Or, le premier devoir
-ocr page 52-48 nbsp;nbsp;nbsp;LES TUOIS ROME.
d’un berger est de veiller sur ses brebis; mais pour cela il faut qu’il réside au milieu de sou troupeau. Ije droit naturel, Ie droit divin, Ienbsp;droit ecclésiastique lui défendent de s’absenter sans cause grave;nbsp;attendu que Ie loup ravisseur qui róde autour de la bergerie ne s’ab-sente jamais. Pour lever les scrupules des évéques et pour les mettrenbsp;è l’abri des sollicitations du monde, Ie Pasteur des pasteurs a sage-meat établi une Congrégation chargée de décider si les motifs d’ab-sence sont legitimes. Née du concile de Trente, cette Congrégationnbsp;se compose de plusieurs cardinaux dont Fun a Ie titre de préfet, etnbsp;d’un secrétaire : elle n’a pas de jour fixe pour ses reunions.
7“ Congrégation des Évéques et Réguliers. L’examen donne de bons évéques, la résidence les rend utiles ^ leur diocèse; mais denbsp;graves, de nombreuses difiicultés peuvent entraver leur gouvernement. Parfois il arrive que les prêtres, les cbapitres, les réguliers quinbsp;travaillent sous leurs ordres se croient blessés dans leur droit ; il fal-lait un recours aux faibles, un frein aux forts, une régie é tous. Etnbsp;voilit qu’une Congrégation romaine, indépendante, désintéressée, anbsp;pour mission de décider les différends. Établie par Sixte V (i), elle senbsp;compose de vingt-quatre cardinaux, dont Fun a Ie titre de préfet;nbsp;d’un secretaire; d’un vice-secrétaire; d’un substitut et d’un grandnbsp;nombre d’employés. Le prélat qui fait les fonctions de secrétaire oc-cupe ce qu’on appelle a Rome une place cardinalice, c’est-é-direnbsp;qu’en sortant de charge il est revêtu de la pourpre. Cette Congrégation s’assemble tous les jeudis. Trancber les difiicultés qui survien-nent sur la juridiction des évéques, décider les questions relatives auXnbsp;nouvelles fondations de monastères, au passage d’un ordre dans unnbsp;autre, ii la sortie momentanée du couvent, it Faliénation des biens ec-clésiastiques ; tel est le vaste champ de sa juridiction.
8“ Congrégation de la Discipline des Réguliers. Par leur éducation forte et sévère, par leur affranchissement de tous les liens terrestres etnbsp;par leurs voeux solennels, les ordres religieux sont le corps d’élite denbsp;FÉglise militante; mais plus leur action est décisive, plus il importenbsp;de la régler. Si done la congrégation précédente s’occupe spéciale-ment du clergé séculier, celle-ci a pour objet de sa sollicitude la conduite de la milice régulière. Ministère central de tous les ordres religieux, elle entretient avec eux une correspondance qui s’étend anbsp;toutes les parties du monde. Afin que ses avis et ses décisions soientnbsp;donnés en connaissance de cause, elle possède dans ses archives les
(i) Constit. 74.
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CONGRÉG.WIOKS BOMMNËS.
constitutions et les statuts de toutes les religions avec leur statistique la plus détaillée. Cette congregation doit son origine au pape Innocent XII (i). Les membres qui la composent sont au nombre de dix :nbsp;un cardinal préfet et neuf autres cardinaux, secondés par un prelatnbsp;secrétaire, un substitut et plusieurs employés. Les érections de convents, de noviciats, les prolésseurs et les directeurs de ces maisons,nbsp;la vie commune, 1’observation des vceux, des régies et des constitutions, les personnes régulières, etc., composent son département.
9'gt; Congrégation de l’Immunité eccUsiastiqw- Que servirait é l’E-glise d’avoir de bons généraux et une armee parfaitement discipbnée, si elle-même ne pouvait agir? Société parfaite, investie par son ivinnbsp;1’ondateur de tous les pouvoirs nécessaires pour maintemr son existence et accoinplir sa mission dans tout l’univers, 1 Èglise ne peutnbsp;sans crime être entravée dans s'on action par aucune puissance hu-maine; mais, ii raison des passions des hommes, ce droit divin ne pro-duil pas toujours un fait analogue. H n’est que trop vrai, les rois, lesnbsp;nations, les grands du nionde cherchent h restreindre Ie pouvoir denbsp;TÉglise, a en gêner l’exercice, a usurper sur ses droits et a transformer ses ministres en fonctionnaires de la puissance temporelle. G’estnbsp;au moment oü ces tendances anti-chrétiennes allaient devenir plusnbsp;générales et plus impérieuses que Ie pape Urbain \111 éiablit la Congrégation de rinimunité, destinée a être Ie boulevard de 1’indépen-dance ecclésiastique. Elle se compose de douze cardinaux, dont l’un anbsp;Ie litre de préfet, d’un grand nombre de prélals; d’un secrétaire;nbsp;d’un vice-secrétaire et de plusieurs greffiers.
Rien de plus délicat que la nature de ses attributions. Assurer la* libre action de I’Eglise dans toutes les parties du monde; s’opposernbsp;aux taxes, aux impöts que les magistrals et -les communautés séculiè-res veulent frapper injustemenl sur les personnes et les lieux ecclé-siasliques; punir la violation des droits et immunités de LÉglise,nbsp;quels que soient les coupables : telles sont les dilEciles affaires quenbsp;cetie congrégation doil manier tous les jours et qu’elle decide avecnbsp;une autorité souveraine. A Rome, oü 1’anciemie discipline s’est main-tenue, elle s’occupe encore de sauvegarder les coupables, en faisantnbsp;respecter les asiles sacrés. Chezles Juifs ily avail, comme on sait, desnbsp;villes de refuge; il en était de même chez les païens ; leurs templesnbsp;étaienl des asiles inviolables (2). Par cette institution Ie législateur
(i) Bulle Dehitum pastoralis officii, etc., 1-t aoüt 1793. (s) Voyez Am.MaTcellin.etc.
-ocr page 54-ÖO nbsp;nbsp;nbsp;LES TaOIS ROME.
avail voulu soustraire Ie coupable aux coups irréfléchis d’une première colère, tout en apprenant aux hommes que la vengeance doit expirer sur Ie seuil de la maison de Dieu. Fidéle aux enseignementsnbsp;de la sagesse antique, Rome conserve Ie droit d’asile; mais seulementnbsp;pour certains crimes ou délits. Elle Irouve ainsi Ie moyen de protégernbsp;efficacement la morale, sans priver la société des réparations legitimesnbsp;qui lui sont dues. Or decider, suivant les constitutions apostoliques,nbsp;si dans tel cas un coupable a Ie droit d’asile, voilii de nos jours encore Ie devoir de la Congrégation de l’Immunité.
10“ Congrégation Consistoriale. Pour préparer les graves et nom-breuses affaires qui doivent être soumises au conseil du Saint-Père, quoi de plus convenable que d’établir un tribunal d’instructionnbsp;chargé d’examiner d’avance toutes les pieces du procés? Quel moyennbsp;plus propre a donner aux décisions pontificales ce caractère de matu-rité et de haute sagesse qui doivent les distinguer et qui les distin-guent en effet? ïelle est la mission de la Congrégation qui nous oc-cupe. Elle discute spécialement les affaires qui ont rapport a l’érection,nbsp;a l’union des évéchés, aux aliénations, aux coadjuteurs des évêques etnbsp;aux suffragants. Établie par Sixte V, elle se compose comme les au-tres de plusieurs membres du sacré Collége et d’un prélat secrétaire;nbsp;mais ce qui la distingue et ce qui prouve tout Ie soin du Saint-Siégenbsp;è s’entourer de lumières, c’est la présence des secrétaires nationaux :nbsp;la France, l’Espagne, l’Autriche, toutes les nations caiholiques y sontnbsp;représentées.
11quot; Congrégation des Rites. Grace aux Congregations dont nous venons de parler, la splière dans laquelle 1’Église doit exercer son action extérieure est libre. Mais Ie sacerdoce est investi d’un doublenbsp;pouvoir ; s’il agit sur Ie corps moral de Jésus-Christ qui est la société cbrétienne; il agit encore sur son corps naturel, présent dans lanbsp;divine Eucharistie. Quels doivent être l’ordre, la majesté, l’unité, lanbsp;sainteté des prières et des cérémonies pour rendre Ie culte sacré dignenbsp;du Dieu auquel il se rapporte? Voila ce que décide en premier lieu lanbsp;Congrégation des Rites. Rechercher quels sont les serviteurs de Diennbsp;qui ont droit aux hommages de leurs frères; constater la vérité denbsp;leurs miracles, établir l’héroïsme de leurs vertus, et pour cela se livrei'nbsp;aux investigations les plus minulieuses et les plus longues, faire denbsp;toute la procédure un rapport au Vicaire de Jésus-Christ chargé denbsp;prononcer : telle est sa seconde et noble tftche. Juridiction souverainenbsp;de tout ce qui a rapport ü la liturgie et au culte e.xtérieur, elle fut éia-blie par Sixte V. Outre les douze cardinaux qui la composent, elle
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CONGREGATIONS ROMAINES.
compte un prélat secrétaire; un autre prelat qui a le litre de promo-leur de la foi; un assesseur ou \ice-promoleur de la foi, el un grand nombre de consulleurs, parini lesquels sent toujours le maitre du sa-cré palais, les mailres des cérémonies ponlificales, un hymnograpbe,nbsp;un notaire, un chancelier avec ses greffiers. Dans les causes de béatifi-cation et de canonisation elle s’adjoint des avocats, des médecins, desnbsp;physiciens, des interprètes pour les differentes langues qui tons s’o-Ijligent, sur la foi du serment, parler suivant leur conscience. Pournbsp;quiconque s’esl donué la peine d’étudier les régies de ce tribunal etnbsp;les sages lenteurs de ses procédures, il est bien démontré qu’il n’existenbsp;SOUS le ciel aucun jury dont les décisions méritent, m nie lutnaine
ment parlant, un pared degré de confiance.
12® Gongrégation des Indulgences et des saintes Religues. utant 1’Église se montre zélée pour la beauté du culte qui est dti ^
Epoux, autant elle déploie de vigilance pour empêcber les fraudes et les abus qui pourraient en lernir l’éclat. baire connaitre aux è esnbsp;quelles sont les graces particulieres attacbées aux prieres et aux actesnbsp;de piété; leur nominee avec certitude quelles sont les reliques de leursnbsp;frères morts pour la foi et auxquelles ils doivent leurs hommages;nbsp;éviter ainsi les excès d’un zèle peu éclairé, ou l’indifférence coupablenbsp;de. l’impiété; en un mot, eclairer la devotion el régler la piété euversnbsp;les martyrs ; tel est le but qu’elle s’est proposé en établissanl la Con-grégalion des Indulgences et des saintes Reliques. Comme toutes lesnbsp;autres institutions catboliques, celle-ci plonge ses racinesjusque dansnbsp;les profondeurs de Tantiquité. Le germe qui la lit naitre fut déposénbsp;dans le berceau même de FÉglise, et il grandil avec elle. Toutefoisnbsp;l’existence réguliere de cette Gongrégation ne. se montre qu’au moyennbsp;age, sous le pontifieat d’Innoeent III. Sa forme permanente, ses attributions el ses régies acluelles sont l’ouvrage du pape Glément IX.nbsp;Dans sa constitution trente-sixième (i), donnée Fan 1669, il Fétablitnbsp;sur les bases suivantes : six cardinaux dont Fun avec le litre de pré-fet, un prélat secrétaire et un grand nombre de consulteurs; voilèinbsp;pour le personnel. Quant aux attributions, il faut ajouter aux précé-dentes celles d’accorder les aulels privilégiés el d’oblenir du Souve-rain Pontife F établissement de nouvelles indulgences.
15® Gongrégation des Affaires ecclésiastiques extraordinair es. A mesure que les antiques liens qui unissaient a FÉglise les nationsnbsp;chrétiennes vont en s’alïaiblissant, des difiicultés d’une nature loute
(i) In ipsis ponliiicalus nostri primordüs, etc.
-ocr page 56-S2 LES TROIS ROME.
nouvelle viennent entraver la marehe de l’Église. Chaque année, pour ainsi dire, des révolutions éclatent ehez les différents peuples; et sem-blables a des ouragans elles balaient les institutions catholiques, bri-sent les lois disciplinaires, jettent aux mains des spoliateurs avides Ienbsp;patrimoine de l’Église et des pauvres. Cependant Ie calme semble re-naitre; pour un motif ou pour un autre, les gouvernements nouveauxnbsp;veulent redonner une forme a cette chrétienté bouleversée ; il faut en-tamer des négociations avec Rome, et des concordats sont proposés.nbsp;Dans ces graves circonstances, on congoit sans peine que Ie Saint-Siége s’entoure de toutes les lumières possibles. Sans doute les Con-grégations dont j’ai parlé jusqu’ici suffisent pour offrir au Saint-Pèrenbsp;tous les conseils desirables. Mals soit a cause de Timmense quantiténbsp;d’affaires qui les surchargent, soit par un effet de cette prudencenbsp;consommée qui distingue Ie Saint-Siége, Rome possède pour les casnbsp;extraordinaires une Congrégation formée d’hommes éminents, habitués de longue main au maniement des affaires : c’est la Congrégationnbsp;dont il s’agit. Elle doit son origine a Timmortel Pie VII, qui miracu-leusement reudu a son peuple, l’établit en 1814. Elle se compose denbsp;buit cardinaux, d’un secrétaire, de cinq consulteurs et des employésnbsp;ordinaires.
lei nous fumes obligés de suspendre nos investigations; car nos courses et nos études ecclésiastiques ne devaient pas nous empêchernbsp;de nous rendre ce jour-la même a VAra-Cceli. Une grande Funzione,nbsp;comme on dit ii Rome, devait y avoir lieu ; il s’agissait du baptêmenbsp;solennel de toute une familie israélite, dont voici en peu de mots l’in-téressante histoire. Cette familie très-opulente habitait Ancóne. Treizenbsp;ans s’étaient écoulés depuis qu’une jeune israélite de cette ville avaitnbsp;été placée dans une pension catholique. Ses parents avaient exigénbsp;qu’on ne lui parlat jamais de religion; la condition avait été acceptéenbsp;et fidèlement remplie; si bien que la fille d’Israël avait grandi dansnbsp;toute l’opposition antichrétienne qui caractérise sa nation. Elle venaitnbsp;d’atteindre sa vingtième année environ, lorsque, Ie jour de la Fête-Dieu, la curiosité l’emportant, elle se mit a une fenêtre pour voirnbsp;passer la procession. A la vue du Saint-Sacrement, élevé entre lesnbsp;mains du prêtre, elle tombe évanouie et se relève catholique. Prières,nbsp;oppositions, larraes, menaces même de la part de ses parents, rien nenbsp;put ébranler sa résolution.
Parent de cette jeune néophyte, Ie chef de notre familie juive avait été témoin de l’événement. Depuis cette époque il se sentait pressénbsp;de chercher la vérité hors du judaïsme. Après de nombreux combats.
-ocr page 57-BAPTÊME d’uNE FAMILLE JUIVE. 53
il devint calholique dans son cceur; et conséquent avec lui-même, il plaga une pieuse gouvernante auprès de ses enfants. On leur parlaitnbsp;de la religion chrétienne, on les conduisait h nos cérémonies, on leurnbsp;donnait des madones : ces pauvres enfants ne rêvaient que Ie catho-licisme. La mère seule se montrait d’une opinitoeté désolante. Cepen-dant deux de ses petites filles, surtout, ne cessaient de prier pournbsp;elle. Après plusieurs années, leurs prières et leurs caresses furentnbsp;couronnées de succès : la mère consentit a prendre connaissance de lanbsp;religion. Esprit élevé, caractère ferme, cceur droit, cette dame recon-Dut bientót la vérité, et avec une foi admirable elle demanda elle-ffiême Ie sacrement de ia régénération.
Cette heureuse familie, composée du père, de la mère et de trois petites filles, allait done faire son abjuration, recevoir Ie baptême, lanbsp;penitence, la confirmation, la communion; et Ie père et la mère, Ienbsp;sacrement de mariage. Quelle fête! Vous jugez si une pareille cérémonie avait attiré la foule. Suivant la coutume italienne, les murs denbsp;l’église élaient tendus en damas rouge et les antiques piliers revêtusnbsp;jusqu’aux chapiteaux d’une étoffe de la même couleur. Au milieu de lanbsp;nef, en face du tröne pontifical, s’élevait un autel provisoire, avec desnbsp;fonts baptismaux et tout ce qui est nécessaire ii l’administration desnbsp;sacrements. Le cardinal Franzoni, préfet de la Propagande, faisait lanbsp;cérémonie.
Selon l’usage de la primitive Ëglise, le chef de la familie, homme d’environ quarante-cinq ans, portait le vêtement blanc des catéchu-mènes; sa femme et ses filles, aussi vêtues de blanc, étaient couvertesnbsp;d’un voile qui descendait jusqu’è terre. Toutes les fois qu’elles durentnbsp;le relever pour les différentes cérémonies, les spectateurs remarquè-rent la joie calme et douce qui rayonnait sur le front de ces heureusesnbsp;firebis d’Israël : beau sujet pour le pinceau d’un grand peintre. Nenbsp;Pouvant fixer sur la toile eet intéressant spectacle, nous nous conten-tèmes de bénir avec effusion le Dieu qui dans sa bonté a voulu fairenbsp;de tous les hommes un seul peuple de frères.
Le soir nous eümes un autre motif d’actions de graces; le bon P. Grassi, supérieur de la Propagande, nous envoya des billets pournbsp;assisier a la Fête des langues j’en parlerai en son lieu,
Toji. n.
-ocr page 58-M LES TROIS ROME.
3 JANVIER.
La pénilcncerie. — La Dalerie. — La Chancellerie romaine. — La Rote. — Les Encycli-ques. — Les Bref's. — Les Rulles. — Les Légats a Latere. — Les Nonces. — Les Légats-nés. — Les Réiégats. — Les Cardinaux protecteurs. — Visite a la familie juive.— Conservatoire des Neophytes.
De bonne heure, une occasion se présenta de voir de plus prés Ia familie israélite, au baptême de laquelle nous avions assisté Ia veille;nbsp;mais ce plaisir fut réservé pour Ie soir. En attendant, nous reprimesnbsp;nos études et nos courses ecclésiastiques restées inachevées. Après lesnbsp;Congrégations romaines, les tribunaux devaient nous occuper; carnbsp;ils eomplètent celte magnilique hiërarchie de pouvoirs qui fait dunbsp;gouvernement romain un modèle d’autant plus intéressant i étudiernbsp;qu’il est moins connu.
La Pénitencerie. La beauté incommunicable de l’Église catholi-que c’est l’unité ; unite dans la croyance, unité dans la discipline, harmonie entre tous les membres de ce grand corps; voila, nous l’a-vons vu, a quoi contribuent puissammenl les Congrégations romaines.nbsp;Ramener loutes les haules questions de morale au jugement de l’au-torité suprème et tracer des régies sures pour diriger les ames, tel estnbsp;encore Ie moyen de maintenir l’unité dans l’exercice du ministère Ienbsp;plus saint et Ie plus compliqué. Rome atteint ce but salutaire par sesnbsp;tribunaux. L’absolution de certains cas réservés. Ia délivrance des censures et des irrégularités, la commutation des voeux et des serments,nbsp;la dispense des empêchements occultes de mariage, la réhabilitationnbsp;inème de ce contrat, fondement de la familie, de l’État et de l’Église,nbsp;la solution de toutes les difficultés morales pour lesquelles Ie mondenbsp;catholique s’adresse au Saint-Siége, forment les attributions de la Pénitencerie. Ce tribunal est done la juridiction souveraine de la puissance des clefs, c’est la commission que Ie Vicaire de Jésus-Christ in-veslit de son droit de lier et de délier. Les éléments de cette cournbsp;suprème apparaissent depuis l’origine des siècles chrétiens (i). Aprèsnbsp;des modifications successives, la Pénitencerie regnt enfin, sous Benoit XIV, une forme et des régies invariables (2). Elle s’assemble unenbsp;fois par semaine, sous la présidence d’un cardinal qui prend Ie litrenbsp;de grand pénitencier; au-dessous de lui sont: Ie régent qui est ordi-
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Constanzi, 1.1, p. 46, n. SI.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Constit. Pastor bonus, etc.
-ocr page 59-LA DÉWTENCERIE. nbsp;nbsp;nbsp;5S
nairement un prélat, auditeur de Rote; Ie théologien qui est un père de la compagnie de Jésus; Ie dataire, Ie canoniste, Ie correcteur, Ienbsp;garde des sceaux, les trois secrétaires ou procureurs et les expédition-Oaires. Deux choses sont a remarquer au sujet de la Pénitencerie : sesnbsp;actes sont entièrement gratuits et ses pouvoirs d’absoudre au for intérieur OU d’accorder des dispenses ne cessent pas même pendant lanbsp;vacance du Saint-Siége. Ainsi les catholiques du monde entier peuventnbsp;toujours, et sans rien payer, obtenir de l’Église leur mère, les déci-sions nécessaires pour tranquilliser leur conscience. Y a-t-il au mondenbsp;Un autre royaume, une autre république dont les membres jouissent,nbsp;dans l’ordre civil, d’un semblable avantage?
Le chef de ce tribunal remplit des devoirs d’une haute importance : il est utile de les connaitre pour comprendre certaines coutu-ines de Piome chrétienne. Le grand pénitencier se rend le dimanche des Piameaux a i’église de Saint-Jean-de-Latran; le Mercredi-Saint, ünbsp;Sainte-Marie-Majeure; le Jeudi et le Vendredi-Saint a Saint-Pierrenbsp;pour entendre les confessions des fidèles, sur un siége élevé et décou-vert. Dans eet usage Pgt;ome conserve un précieux vestige de l’anciennenbsp;discipline. On sait que dans la primitive Église, Févèque ou le prètrenbsp;qui entendait les confessions s’asseyait sur un siége élevé, découvert,nbsp;et bien que Paccusation fut secrète, tout se passait en présence denbsp;Passemblée des fidèles (i). Édifier ses frères, s’humilier soi-même, ré-parer la mauvaise édification dont on avait pu se rendre coupable,nbsp;désarmer ainsi la justice divine, telles étaient les raisons de eet usagenbsp;¦vénérable qui subsiste encore è Naples, du moins pour les hommes.nbsp;A.U grand pénitencier est réservé le droit de chanter -la messe le mer-uredi des Cendres dans la chapelle Sixtine et de donner les cendresnbsp;3u Saint-Père. C’est lui qui assiste le Souverain Pontife dans ses der-Uters moments; enfin sous ses ordres sont placés les pénitenciers desnbsp;I^asiliques patriarcales de Rome et de Lorelte (a).
2“ La Daterie. S’il est digne de la bonté maternelle et de la sainteté *^6 1’Ëglise de donner gratuitement a ses enfants les dispenses desnbsp;6mpêchements occultes de mariage, ainsi que la solution de leursnbsp;doutes et Pabsolution de leurs fautes; il convient è sa divine sagessenbsp;de prévenir la suspension trop fréquente de ses lois. « Vos intérétsnbsp;particuliers, dit-elle aux chrétiens, vous portent a demander la dispense de mes saintes régies; je pourrais ne pas tenir compte de vosnbsp;désirs et vous obliger a courber votre front sous le niveau d’une lé-
(gt;) Tertull., de Pcenit.
(2) Ferraris, t. vi,art. Major poenitent.
-ocr page 60-56 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS HOME.
gislation qui est faile pour tous. Néanmoins je veux bien user d’in-dulgence; mais comme vous n’êtes pas de meilleure condition que vos frères, il est équitable que vous compensiez par une bonne oeuvrenbsp;la faveur que je vous accorde. Votre aumóne tournera au profit denbsp;tous; en sorte que si d’une part vous failes une brèche a ma discipline; d’autre part, vous la réparez en contribuant au bien généralnbsp;de la république chrétienne. « Telle est dans sa plus simple expression la pensée de l’Église, lorsqu’il s’agit des dispenses en général etnbsp;des dispenses de mariage en particulier.
Ör, Ie tribunal de Rome chargé d’accorder ces faveurs, c’est la Da-terie. Revêtue pour Ie for extérieur d’un pouvoir semblable è celui de Ia Pénitencerie pour Ie for intérieur, la Daterie est appelée par lesnbsp;docteurs catholiques, YOrgane du Pape (i). Son origine est fort an-cienne; on la trouve déja au temps d’Honorius III. Sous Innocent VIIInbsp;elle habitait un palais au Vatican; depuis Paul V, elle est au Quirinal.nbsp;Les collations d’évêchés, de bénéfices, de canonicats, les dispensesnbsp;d’age, etc., ferment ses attributions. Le président de Ia Daterie a Ienbsp;titre de prodataire. Ce nom indique tout amp; la fois quTl est dans sanbsp;charge comme le vicaire du pape, et qu’il donne la date précise des faveurs accordées par le Souverain Pontife. II jouit d’une juridictionnbsp;très-étendue, et dans les affaires de sa compétence il prononce sansnbsp;appel. Lorsque les grèces qui sont du ressort de la Daterie ont été ob-lenues et signées du Saint-Père, elles passent a la Ghancellerie qui ennbsp;expédie les bulles.
La Ghancellerie est en quelque sorte le ministère des affaires étran-gères de PÉglise et le secrétariat général de Sa Sainteté. Son institution remonte au moins au xii® siècle, sous le pontificat de Lucius III, nommé en H82. Depuis plusieurs siècles elle suit une marche invariable dans ses rapports avec le monde catholique, et sa constitution (2) porte le nom de Régies de la Chancellerie. Elle est présidéenbsp;par un cardinal qui prend le litre de Viee-Chancelier de la saintenbsp;Eglise romaine. L’étymologie de ce nom qui indique une espèce d’in-fériorité, vient, suivant les uns, de ce que le pape est le chancelier denbsp;Dieu; suivant les autres, de ce que la dignité de Chancelier fut pos-sédée par des prélats, qui, a raison de la supériorité des cardinaux,nbsp;ne prirent que le titre de Vice-Chancelier : titre conservé par les cardinaux appelés plus tard ii la même function (5). Quoi qu’il en soit,
(t) Corrad., in Praxi Beneflc., Ub. 11, c. 11, n. 9.
(2) Elle est attrlbuée au pape Jean XXII. Voyez Constanz., 1.1, p. 55.
(s) Yoyez Ciampini, De S. R. Ecclesia: Vice-Qmcellario.
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les graces expédiées de la Chancellerie sont envoyées en forme de huiles, écrites sur parchemin et portent Ie fameux cachet de plomb, ainsi que la quotité d’une somnie h payer.
3“ La Rote. Voici la chambre d’appel et la cour de cassation de Rome. On l’appelle Rota, qui veut dire roue, paree que la salie oü senbsp;réunit Ie tribunal est circulaire, en sorte que les juges assis formentnbsp;un rond. L’origine de ce tribunal, qui se perd dans la nuit des temps,nbsp;montre toute la sollicitude de l’Église romaine pour les intéréts géné-raux de la chrétienté. Autrefois les Souverains Pontifes confiaient xo-lontiers a leurs chapelains Ie réglement d’un grand nombre d’affairesnbsp;qui leur étaient soumises. 11 en résulta, vers Ie xv® siècle, un tribunalnbsp;composé de douze prélats chargés de prononcer en appel sur les procés déja discutés devant les autres tribunaux. Aux jours de l’unité denbsp;l’Europe dans la foi, Rome était pour une foule de questions, même*nbsp;civiles, l’autorité suprème des nations; de lè vient que la Rote se compose de juges pris des différents pays. Autrefois toutes les puissancesnbsp;chrétiennes y avaient des représentants de leurs choix. Aujourd’huinbsp;la France, PAutriche, l’Espagne et la Toscane ont seules conserve Ienbsp;droit de nommer des auditeurs de Rote. L’Espagiie en nomme deuxnbsp;qui, réunis a ceux des autres puissances, aux quatre Remains et auxnbsp;trois des Légations de Bologne, Ferrare et Forli, forment Ie nombrenbsp;de douze juges dont se compose ce tribunal. II n’y a point de président, seulement Ie plus ancien auditeur prend Ie nom de doyen : c’estnbsp;une place cardinalice. Aujourd’hui la Rote n’est plus que la premièrenbsp;cour de justice desÉtatspontificaux (i). Néanmoins Ia presence d’un auditeur national estun avantage et une garantie pour ses compatriotes,nbsp;industrials ou propriétaires dans les États Remains, qui peuvent avoirnbsp;des procés a soutenir devant ce tribunal. Ajoutez que par Ie rang qu’ilsnbsp;occupent dans la prélature, par la stabilité de leur charge, par lesnbsp;prérogatives dont ils jouissent, les auditeurs de Rote peuvent rendre
(lt;) II exisle encore a Rome plusieurs autres Congregations ct trilmnaux d’une grande importance; mais comme leurs attributions n’ont point rapport aux affaires géneralesnbsp;de l’Église, je me contenterai de les nommer: La Congregation de la Révérende fabriqiicnbsp;de Saint-Pierre, celle des Êtitdes de l’Êtat, celle du Ceremonial du Saint-Siége, etc.,nbsp;celle du bon Gouvernement. Dire que cette dernière Congregation est chargée d’écouternbsp;toutes les plaintes du peuple centre les agents du gouvernement, et de dégrever lesnbsp;contribuables des inipóts qui sont au-dessus de leur position, c’est monteer avec quellenbsp;sollicitude Ie Saint-Père veille au bien-être de son peuple. Cette institution est un pro-grès que nos gouvernements constitutionnels adopteront quand il plaira au libéralismenbsp;d’étre liberal. La Congregation de la Consulta est instituée pour régler les allaires dunbsp;Saint-Siége, dont elle Ibrme la chambre législative et Ie conscil d’État. Tous los prélatsnbsp;lt;iui out été légals ou nonces aposloliques y assistent.
58 LES TROIS ROME.
d’importants services sous un autre point de vue. Pour Ie dire en passant, la France vient de supprimer son auditeur de Rote : cela ne lui fait pas lionneur.
Les Congregations et les tribunaux qui constituent l’organisation merveilleuse de l’Église romaine, attirent sans cesse Ie monde catho-lique vers Ie centre de l’autorité et de ia foi. A son tour Rome réagitnbsp;sur toutes les parties de la chrétienté et fait sentir jusqu’aux extré-mités du monde son action salutaire. Par quels moyens s’opère cenbsp;mouvement de retour? Tous ces moyens se réduisent a un seul, la parole. A la difference des autres capitales qui agissent sur les provincesnbsp;par la prépondérance de la richesse ou de la force; a la difference denbsp;Rome païenne qui opprimait les nations par la puissance du glaive ;nbsp;comme Dieu lui-mème dont elle est Forgane, Rome chrétienne gou-verne Ie monde par la parole. Si la doctrine est définie, si les mceursnbsp;sont réglées, si la discipline est maintenue ou modifiée, si les évèquesnbsp;sont institués, si les limites des diocèses sont tracées, c’est a la parolenbsp;du Saint-Siége qu’il faut en rapporter la gloire. Or, cette parole vi-vifiante, Rome la fixe dans ses écrits, ou la personnifie dans sesnbsp;envoy és.
Les écrits émanés du Saint-Siége s’appellent Encycliques, Brefs ou Bulles. Ici quelques explications deviennent nécessaires; d’une part,nbsp;Ie voyageiir consciencieux n’est pas d’humeur se payer de mots in-compris; d’autre part, FÉglise romaine étant notre mère, il nous sié-rait mal d’ignorer ses usages et les premiers éléments de sa langue.nbsp;Ne faut-il pas, aujourd’hui surtout, que nous soyons en état, je ne disnbsp;pas de les justifier, ils n’ont pas besoin d’apologie, mais de les expli-quer dans leur véritable sens?
Les Encycliques, c’est-a-dire universelles, sont des lettres pontifi-cales qui s’adressent au monde enlier.Elles règlent un point de dogme, de morale, de discipline ou traitent des questions qui intéressent toutenbsp;la catholicité. Le souverain Pontife y parle ex Cathedra, comme doc-teur de FÉglise universelle, afin que tout le monde Fentende et senbsp;conduise d’après sa parole. Rien de plus solennel que leur formule;nbsp;le cbef des pasleurs s’adresse i» tous les pasteurs de Fimmense bercailnbsp;de Jésus-Christ; aux Patriarches, aux Primats, aux Archevêques,nbsp;aux Évèques; il leur intime ses ordres, leur communique ses déci-sions, leur fait part de ses joies et de ses douleurs et leur trace la lignenbsp;de conduite qu’ils doivent tenir.
Les Brefs. Si la lettre pontificale, tout en traitant des clioses impor-tantes, est courte et succincte; ou si elle est longue mais relative ii une
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question secondaire, c’est un Bref, Breve (i). Le Bref s’écrit sur du parchemin blanc et mince, en caractères latins avec ponctuation ré-gulière. II est fermé avec de la cire rouge fixée par un petit cordonnbsp;de chanvre et portant l’empreinte de VAnneau du Pêcheur. Cettenbsp;manièi'e de cacheter les lettres est un vestige de l’antiquité profane :nbsp;les missives des Romains, les paquets confiés aux Tabellaires, n’étaientnbsp;pas autrement fermés (2). L’Anneau du Pêcheur est le cachet pontifical. Certains monuments semblent établir que saint Pierre lui-mêmenbsp;niarquait ses lettres de ce signe professionnel. Quoi qu’il en soit,nbsp;1’usage en remonte a la plus haute anliquité (5). Son nom lui vient denbsp;ce gü’il représente saint Pierre sur sa barque dans Tesercice de lanbsp;pêclie. Soigneusement gardé par un prélat domestique du saint Père,nbsp;il est, a la mort du pape, remis solennellement en présence du sacrénbsp;Collége, au cardinal camerlingue qui le brise avec un marteau.
Les Bulks. Quand il s’agit d’affaires d’une haute importance et que la majesté pontificale se déploie en expressions plus relevées et plusnbsp;étendues, les lettres apostoliques prennent le nom de Bulks. Dansnbsp;l’antiquité, ce mot désignait le bouton ou la petite boule d’or, espècenbsp;d’ornement circulaire que les jeunes Romains portaient sur leur poi-trine (4). Transformé en cachet, rorneinent lui-même servit a scellernbsp;les lettres, surtout les lettres des grands personnages, les lettres-pa-tentes et les edits des souverains. Ainsi la fameuse constitution denbsp;Charles IV qui régie les droits des empereurs d’Allemagne et des élec-teurs est appelée Bulle d’or, paree qu’elle fut scellée avec une bulle ounbsp;cachet d’or (s). Comme le Bref, la Bulle est écrite en latin; mais surnbsp;Un parchemin plus épais, plus rude et moins blanc, sans points ni vir-gules, et en caractères ronds, c’est-a-dire, gothiques ou gaulois, pournbsp;ï'appeler le temps oü le Saint-Siége résidait h Avignon. Afin d’êtrenbsp;éxécutoire, une Bulle doit être fulminée; mais elle ne peut être ful-uiinée avant d’être scellée. Or, elle est scellée avec un cachet de plomb,nbsp;qui pend de l’extrémité par un lacet de soie, si la Bulle est gracieuse;nbsp;chanvre, si elle est de justice ou contentieuse. Le cachet de plomb
(‘) Ferraris, 1.1, verb. Breve.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Cic. Catil. III, S. — Pro Flacco, 161. — Plularch. de la Curiosüé, 2Ö.
(3) nbsp;nbsp;nbsp;Petra, 1.1, ad Constit. apostol., § 2. Promm., n. 1, iii. Cancelueei, Vso del anellonbsp;Piscatorio, etc., p. 9.
(4) nbsp;nbsp;nbsp;Ferraris, loc. cit.
(5) nbsp;nbsp;nbsp;Ferraris, verb. Bull. aur. — Petra, loc. cit., Dufresne, Glossar. verb. Bulla; Bullanbsp;enim proprie erat imperaloris sigillum, quod apponi consueverat in liUeris ardua con-tinentibus : et quia sigillum erat aureuni dicebantur hujusmodi imperiales littera; Bidlmnbsp;aurew. Sieque bullare idem est ac sigillare, et littera; bullatas, sigillatK significantur.nbsp;Ferraris, ubi supra.
-ocr page 64-60 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
•i double face porte d’un cóté l’efiigie de saint Pierre et de saint Paul, de l’autre celle du pape régnant. Comme l’anneau du pêcheur, Ie cachet de plomb est sóigneusement conservé par un prélat qu’on appellenbsp;Ie Président du Plomb. A la mort du saint Père, ce sceau est présenténbsp;è tous les membres du sacré Collége, puis mis en pièces sous leursnbsp;yeux par Ie cardinal camerlingue (i).
Dans eet usage de rompre immédiatement après sa mort les deux cachets du Pontife défunt, il faut voir une preuve de plus du zèlenbsp;constant apporté par l’Église pour prévenir loute supercherie et toutenbsp;supposition de Brefs, de Bulles ou d’actes apestoliques.
Entre les Brefs et les Bulles, il existe encore d’autres differences qu’il est bon de connaitre. Ainsi Ie Bref se date du jour de laNativiténbsp;de Notre-Seigneur; la Bulle, du jour de Flncarnalion. Le Bref portenbsp;en tête le nom du pape ; Gregorius PP. XVI; la Bulle n’a pas de titre,nbsp;elle commence h la ligne, par ces mots : Gregorius episcopus, servusnbsp;SERVORUM Dei. La Bulle indique en finissant l’année du pontificat; lenbsp;Bref se termine par cette formule : Donné d Rome, d Saint-Pierrenbsp;ou d Sainte-Marie-Majeure (suivant que le saint Père habite le Vaticannbsp;ou le Quirinal) sous l’anneau du pêcheur, etc., et il est signé du cardinal secrétaire des Brefs. Malgré ces dilférences, les Brefs et les Bullesnbsp;ont, chacun sur son objet, la même autorité (2).
A ces usages doublement vénérables et paree qu’ils sont ceux de l’Église et paree qu’ils rappellent le souvenir d’un monde qui n’estnbsp;plus, s’en joint un autre non moins respectable quand on en connaitnbsp;l’origine et la nature. Les Bulles portent l’indication d’une soramenbsp;qui se paie h la Daterie ou au secretariat des Brefs, pour l’expéditionnbsp;des lettres apostoliques. C’est ce qu’on appelle h Rome la Tassa, lanbsp;taxe. Or, on entend souvent répéter de vive voix et par écrit, que lesnbsp;causes ecclésiastiques font couler d Rome des fleuves d’or étranger,nbsp;dont la cour pontificale abuse pour entretenir son luxe et sa mollesse.nbsp;Voila quelques-unes des calomnies que des hommes soi-disant catho-liques ne craignent pas de jeter au front de leur mère. Quand on entend ces propos injurieux, tout ce qu’on peut faire c’est de dire avecnbsp;un grand sentiment de pitié : Mon Dieu, pardonnez-leur, car üs nenbsp;savent ce qu’ils font! « Rome dépense annuellement pour les églisesnbsp;étrangères la moitié plus qu’elle n’en revolt; et tout l’argent prove-
(1) nbsp;nbsp;nbsp;On sail que le cardinal camerlingue est le chef de la chambre apostolique, et quenbsp;la chambre apostolique administre les revenus du Saint-Siége.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Brevia apostolica rite confecta, tanlam vim habent in illis materiis in quibus con-liciuntur, quantum habent Bull® in c.-cteris materiis. Ferraris, verb. Bulla.
-ocr page 65-LES LÉGATS A LATERE. 61
nant des causes ecclésiastiques est employé en bonnes oeuvres : » telle est, ni plus ni moins, l’exacte vérité (i). Ainsi, en retour et non pournbsp;prix des faveurs qu’elle leur accorde, Rome, la mère de toutes lesnbsp;églises, regoit de quelques-unes de ses filles abondamment pourvuesnbsp;des biens de la terre, des sommes plus ou moins considérables dontnbsp;elle gratifie ses autres filles pauvres el persécutées, en y ajoutant toutnbsp;ee qu’elle peut de ses ressources. De cette manière l’abondance desnbsp;unes supplée a l’indigence des autres, et les liens de la charité catho-lique établis par Ie Sauveur lui-même, sont toujours maintenus; voilanbsp;sa conduite. Or, quoi qu’on en dise, il n’y a pour la qualifier qu’unenbsp;expression dans Ie langage humain : c’est une conduite admirable etnbsp;digne de Rome (2).
Nous venions d’étudier avec bonheur Ie dernier moyen par lequel Ie Saint-Siége agit sur Ie monde, mais nous n’étions pas satisfaits. Pournbsp;compléter nos connaissances, il fallait encore nous former une idéénbsp;exacte des ambassadeurs qui portent aux nations la parole romaine.
Comme prince temporel, Ie saint Père enlretient avec les puissances des relations diplomatiques. Dans ce qui regarde les intéréts des Étatsnbsp;Remains, les négociations suivent la marche commune des relationsnbsp;des peuples entre eux, et sont traitées dans Ie langage vulgaire de lanbsp;diplomatie. Comme chef de l’Église, Ie souverain Pontife se fait aussinbsp;représenter auprès des nations calholiques. Dans ces nouveaux rapports, toute la marche des choses change, jusqu’au vocabulaire ; c’estnbsp;un concordat au lieu d’un traité; c’est un légal au lieu d’un nonce;nbsp;c’est une bulle, un bref au lieu d’une lettre. Les ambassadeurs spiri-tuels OU, pour rappeler l’expression du vénérable cardinal Pacca, lesnbsp;bras du Saint-Siége, sont les légats et les nonces. On distingue les Lé-gats a latere, les Légats envoyés, les Légats nés, les Délégats.
Le pouvoir d’envoyer ses représentants dans toutes les parties du monde calholique est l’apanage exclusif de l’Église de Rome. Elle l’anbsp;exercé dès le commencement du Christianisme. On les voit tour a tour
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Voyez 1’opuscule officiel inülulé : Del denaro slraniero che viene in IXoma, e chenbsp;ae va per cause ecclesiastiche, par Msr Marchetti, arch, d Ancyre. \ oyez aussi Constanzi,nbsp;Instiluzioni di Piëta, etc., 1.1, p. 6-57.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Aux dépenses que Rome fait annuellement en faveur des pauvres églises d’Irlandc,nbsp;d’AUemagne, du Nord, de l’Orient et de l’Occident, il laut joindre l’intérêt des sommesnbsp;empruntées en différents temps par les papes pour les besoins gcnéraux de la chré-tienté. Les intéréts de ces emprunts se montent a 400,000 ecus; en y joignant les dépenses de la Propagande et de ses colléges, on a 555,000 écus. Ainsi, d’un cóté Romenbsp;pergoit des pays étrangers 500,000 écus; de 1’autre, elle dépense pour les pays étran-gers 555,000 écus. Elle est done grevée par an de 235,000 écus romains, ou de 1,265,000 fr.nbsp;' Voila, conclut 1’auteur, ce qu’elle gagne a eet échange. » Me’’ Marchetti, supra.
-ocr page 66-62 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
présider les conciles et soutenir les intéréts de la religion au prés des rois et des empereurs de l’Orient el de l’Occident. Les cardinauxnbsp;envoyés en mission quittent leur place ordinaire a cóté du souverainnbsp;Pontife; de la vient qu’on les appelle Légats d latere (i). lis sont or-dinaires ou extraordinaires. Les premiers sont les cardinaux qui président aux légations italiennes ; Bologne, Ferrare, Forli. Les seconds,nbsp;investis de pouvoirs très-étendus, sont envoyés dans les grandes cir-constances oü il s’agit des plus graves intéréts de la chrétienté. Ainsinbsp;un légat d latere vint en France pour y rétablir l’Église bouleverséenbsp;par la revolution.
Les Légats envoyés, ou nonces apostoliques (2), sont des prélats envoyés par Ie souverain Pontife auprès des princes chrétiens pournbsp;défendre les intéréts de FÉglise et représenter Ie Saint-Siége. On distingue les nonces de premier ordre, tels que ceux d’Allemagne, denbsp;France, d’Espagne et de Portugal; ils sont ordinairement élevés aunbsp;cardinalat au sorlir de leur légalion. Les nonces de second ordre quinbsp;ne jouissent pas du méme privilége, sont ceux de Pologne, de Naples, de Venise, de Florence, de Bruxelles, de Cologne et de Lucerne.
Les Légats nés sont des évéques au siége desquels est attaché, par Ie souverain Pontife, Ie droit de légation, en sorte qu’ils deviennentnbsp;légats par Ie seul fait de leur élection. De ce nombre sont les arche-véques de Reims, de Salzbourg, de Prague, de Tolède et autrefois denbsp;Canlorbéry. Tous les légats d latere, les nonces ou les légats nés jouissent dans leur province de la juridiction ordinaire.
Les Délégats sont des envoyés du Saint-Siége, chargés seulement de conduire une affaire particulière ou certaines affaires déterminées,nbsp;sans aucune juridiction étrangère (3). L’histoire des légats apostoliques, des services qu’ils ont rendus aux nations et a FÉglise, la grandeur de caractère, la prudence, Fesprit de conciliation qu’ils ont dé-ployé dans les circonstances les plus difficiles, ferment une des plusnbsp;belles pages de nos annales chrétiennes. On peut s’en convaincre ennbsp;lisant les ouvrages du vénérable cardinal Pacca, dont Ie nom se trouvenbsp;mêlé è toutes les grandes affaires de l’Église en Allemagne, en France,nbsp;en Portugal, pendant Ie demi-siècle qui vient de s’écouler.
Les relations du Saint-Siége avec Ie monde catholique ne sont pas entretenues seulement par 1’envoi des légats et des nonces, des bulles
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Dicuntur a latere quia cardinales ad latus summ! Pontificis assistant, et sic dumnbsp;mittuntur, quasi a latere extrahi videntur. Ferraris, verb. Legalus.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Legati missi, seu nuntii apostolici.
(3) nbsp;nbsp;nbsp;Voyez Devoti, Jus Canonicum, 1.1, p. 198-9. Ferraris, t. v, p. 38-39.
-ocr page 67-LES CAKDINAUX PROTECTEURS. 65
et des brefs; Ie Père commun a voulu donner a chaque nation un pro-tecteur et un avocat pris dans son propre conseil. C’est une garantie que jamais souverain n’offrit aux peuples avec lesquels il est en rapport. On appelle done Cardinal Protecteur de telle nation, un mem-bre du sacré Collége qui se fait en quelque sorte Francais, Espa-gnol, etc., suivantqu’il est protecteur de la France, de l’Espagne, etc.,nbsp;dans Ie conseil privé du Pape. Comme les cardinaux sont libres d’ac-cepter ce protectorat et qu’ils ne Ie choisisssent que d’après leursnbsp;propres sympathies, ils Font toujours exercé avec tant de conscience,nbsp;qu’on ne connait pas d’exemple d’un protecteur qui ait agi centre lesnbsp;intéréts de FÉtat placé sous son patronage. Le cardinal protecteur nenbsp;s’occupe guère des affaires spirituelles des peuples qui ont des minis-tres résidents a Rome; mais il est comme Fambassadeur et le conseilnbsp;des nations qui sont sans représentants auprès du saint Père. Lanbsp;Prance, FAutriche, FEspagne, les Deux-Siciles, le Portugal, la Polo-gne, la Sardaigne, FAngleterre, FÉcosse, Flrlande, Raguse, FIllyrie,nbsp;la Grèce, FArménie, Lucques, la Savoie et les Maronites ont chacunnbsp;Un cardinal protecteur.
Tel est le rapide tableau du gouvernement pontifical. La haute sagesse de FÉglise en forme le trait saillant, et le vicaire de Jésus-Christ s’y montre aux yeux de Fobservateur impartial bien moinsnbsp;comme un roi que comme un père dont la sollicitude s’étend sur lenbsp;monde entier : mais il ne faut pas défendre par des paroles celui quinbsp;marche a Fabri de ses oeuvres.
Nos études et nos courses n’avaient pu nous faire oublier la visite a la familie juive. L’heure avancée nous obligea de marcher au pas denbsp;course, et nous fumes bientót au forum de Nerva, pres duquel senbsp;trouve le Conservatoire des néophytes (i). II faut savoir que dans sanbsp;charité maternelle, Rome a fondé une maison pour recevoir les infi-fièles qui désirent embrasser FÉvangile. Les catéchumènes y sont en-Iretenus gratuitement, au moins pendant quarante jours. Un tbéolo-gien distingué qui entend et qui parle leur langue, est chargé de lesnbsp;instruire. Afin de rappeler les usages de la primitive Église, lebaptêmenbsp;leur est solennellement administré le Samedi-Saint ou Ia veille de lanbsp;Rentecóte, dans Féglise de Saint-Jean-de-Latran. Suivant les circon-stances on choisit aussi d’autres époques et d’autres églises pour cettenbsp;belle cérémonie. Après le baptême les néophytes restent encore quelque temps au Conservatoire afin d’affermir leur foi naissante. Les en-
(i) Voyez Constanzi, 1.1, p. 113-H9.
-ocr page 68-61 nbsp;nbsp;nbsp;I.ES TROIS ROME.
fants pauvres y regoivent niême une education convenable (i). Cet asile du silence et de la paix nous fut ouvert sans difliculté. En entrantnbsp;nous trouvames tout d’abord nos petites chrétiennes de la veille,nbsp;rayonnantes de bonbeur et gambadant de toutes leurs forces dans lanbsp;première cour. A la vue d’un prétre elles suspendirent leurs jeux innocents, e^t vinrent, suivant I’usage d’ltalie, me baiser la main. Le pèrenbsp;parut a son tour; des larmes d’attendrissement mouillèrent ses yeuxnbsp;lorsqu’il nous paria desajoie et de celle de toutesa familie. Enfin lanbsp;mere elle-même nous disait avec une grande naïveté ; « C’est moi quinbsp;ai élé la plus méchante, je me suis fait attendee longtemps : enfin jenbsp;suis chrétienne. » Puis attirant sur ses genoux une de ses plus jeunesnbsp;filles : « Voilé, dit-elle, celle qui m’a convertie; chère enfant, tu asnbsp;donné la vie a ta mère. » Et des larmes d’une tendresse surnaturellenbsp;coulaienl de ses yeux, et la mère et l’enfant se confondirent dans denbsp;mutuelles étreintes. Ce spectacle renouvela toutes les impressions quenbsp;nous avions éprouvées la veille. Après une longue et intéressante conversation nous nous retirames, laissant a son bonbeur cette familienbsp;bénie; heureux nous-mêmes de ce q’ue nous avions vu, de ce que nousnbsp;avions entendu et souhaitant a tous nos amis une pareille journée.
4 JANVIER.
Viscina. puUica.—Thermes de Caracalla. — Slatues. — Excursion aérienne. — Souvenir de Caracalla. —Vallée de la nymplie Égérie. — Église des Saints Nérée et Achillée.nbsp;— Origine de son nom de Fasciola. — Les sept Salles. — Les mules de SixteV.—nbsp;Forum de Nerva. — Temple de Pallas. — Boucherie des martyrs.
Avant d’attaquer un nouveau quartier, il nous parut convenable de régler nos comptes avec ceux que nous avions déjé explorés. Quelquesnbsp;omissions furent reconnues, et nous partimes pour les réparer. Au-dela du mont Aventin, dans l’ancienne région de la Piscine publique,nbsp;sont les Thermes de Caracalla; ils eurent notre première visite. La cé-lèbre piscine qui donnait le nom é cette partie de Rome, n’était autrenbsp;chose qu’un lac artificiel, oü la jeunesse venait s’exercer é la natation.nbsp;Suivant les auteurs anciens, ce lac était alimenté par l’eau appienne,nbsp;la première qui fut amenée é Rome. II parait avoir disparu depuisnbsp;que les Thermes de Caracalla l’eurent rendu inutile. En effet, non-seulement la jeunesse, mais tout le peuple de Rome trouvait dans ce
(t) Sur la place Saint-Jacques, a Scossa cavalli, les hérétiques irouvent un asile sem blable, oü rien ne leur manque, pendant tout le temps de leur instruction.
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superbe édifice de quoi satisfaire son gout pour Ie bain et les exercices nautiques. Représentez-vous un palais carré de 4200 pieds d’enceintenbsp;et d’une hauteur proportionnée, tout revêtu des marbres les plusnbsp;rares, et orné de colonnes et de statues de bronze et de marbre, chefs-d’oeuvre de la sculpture antique. Vos pieds foulent un pavé en mo-saïque; vosyeu.x admirent i la voute des peintures exquises; a droitenbsp;et a gauche, seize cents chambres de bains avec autant de siéges denbsp;marbre poli; puis des salles immenses pour les jeux publics (i). Dansnbsp;ce nombre n’étaient pas comprises les pièces inseparables des Thermesnbsp;remains : YApodyterium, oü l’on quittait ses habits; Ie Frigidarium,nbsp;oü Ton prenait Ie bain froid; Ie Tepidarium, oü Ton prenait Ie bainnbsp;tiède; Ie Calidarium, oü l’on prenait Ie bain chaud; \e Sudatorium,nbsp;oü l’on excitait la transpiration par la vapeur; Y Unctuarium, oü l’onnbsp;se parfumait au sortir du bain (2); les lieux de débauche, les bibliotbè-ques, etc. Nous remarquames encore que les bains donnaient sur Ienbsp;grand Cirque : il en est toujours ainsi dans la vieille Rome; Ie sang etnbsp;la volupté y sont inseparables.
Moins vastes que ceux de Dioclétien, les Thermes de Caracalla comptaient cependant parmi les merveilles de l’ancienne Rome. Deuxnbsp;choses en faisaient la gloire, la grande salie et les statues qui l’embel-lissaient. Par la hardiesse et la légèreté de sa construction, cette salienbsp;était Ie désespoir des architectes et des mécaniciens, dont les uns sou-tenaient qu’il était impossible d’en faire une pareille et dont les au-tres niaient qu’elle füt de la main des hommes (5). Autant qu’on peutnbsp;Ie calculer par les ruines qui en restent, elle avait 690 pieds de longueur sur 450 de largeur. Les statues de marbre et de bronze étaientnbsp;tine autre merveille des Thermes Antonins. C’est de la que furentnbsp;iransportés au musée de Naples ces chefs-d’oeuvre dont un seul suffi-rait pour illustrer une ville, et même un royaume. II suflit de nommernbsp;les statues d’Hercule, de Flore, du Gladiateur, et Ie fameux groupenbsp;de Dircé. On voit Dircé attachée aux cornes d’un taureau furieux parnbsp;ses deux frères Zétus el Amphion; plus loin, Antiope leur mère, et Ienbsp;berger auquel elle remet ses deux enfants. Toutes ces figures sont denbsp;grandeur colossale et forment Ie groupe Ie plus considérable que Partnbsp;antique nous ait légué.
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Habebant in usum lavantiura sellas mille sexcentas e polito marmore factas. Olym-piodor., in Ant. Caracall. — M. Bluet, jeune architecte pensionnaire de Tacadémie denbsp;France a Rome, vient de faire Ie plan de ce magnilique édillce.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Voyez Bracci, de Thermis Veterum.
(5) Sparilian, in Caracall.
-ocr page 70-66 nbsp;nbsp;nbsp;les TROIS ROME.
Malgré les representations de l’ami qui nous accompagnait, nous voulümes monter sur la voute de la grande salie. Cette voute, ou, pournbsp;parler plus exactement, cette langue de voute qui compte a peine quel-ques pouces d’épaisseur, se trouve appuyée par deux contreforts; maisnbsp;elle est crevassée en plusieurs endroits, en sorte que notre excursionnbsp;aérienne pouvait n’être pas saus danger. Néanmöins nous arrivamesnbsp;heureusement, et nous pümes promener nos regards sur la vallée dunbsp;grand Cirque et sur toute la campagne romaine. Croirait-on que lanbsp;partie supérieure de cette voute plate était en mosaïque? Nous en dé-tachAmes avec peine quelques morceaux qui nous restent comme desnbsp;souvenirs de la prodigalité romaine. Cependant il s’agissait, pour des-cendre, de traverser dans toute son étendue l’étroit espace sur lequelnbsp;nous étions suspendus. En mesurant la hauteur effrayante qui nousnbsp;séparait du sol, j’avoue qu’une espèce de frisson me courut de la têtenbsp;aux pieds. Toutefois, après quelques moments d’liésitation, je franchisnbsp;d’un pas rapide Ie périlleux passage; heureux d’en être revenu, je menbsp;promis bien de ne pas y retourner.
Le souvenir de Caracalla, qui nous avait vivement frappés dans l’en-ceinte du camp Prétorien, ne cessa de nous poursuivre en parcourant ces ruines immenses. De chaque pierre, de chaque mosaïque, de cha-que tron^on de colonne semble sortir la voix lugubre qui effrayaitnbsp;jusqu’au milieu de ses joies bruyantes l’empereur fratricide ; Boisnbsp;ton frère : Bibe fratrem.
Non loin des ïhermes de Caracalla, s’ouvre la vallée d’Egérie, si connue dans l’hisloire de Numa. A la groUe mystérieuse succède unnbsp;monument chrétien digne de 1’attention du voyageur : c’est l’églisenbsp;des saints Nérée et Achillée. Le christianisme, entré avec saint Paulnbsp;dans le palais des Césars, s’y était maintenu avec avantage malgrénbsp;les persécutions : quelques membres des families impériales Pavaientnbsp;embrassé; dans ce nombre on compte Flavia Domitilla, nièce du Consul Flavius Clemens, cousin de Domitien. Baplisée par saint Pierre,nbsp;elle eut a son service deux frères, Nérée et Achillée, régénérés commenbsp;elle par le prince des apötres et qui persuadèrent a la jeune princessenbsp;de consacrer sa virginité au Seigneur. Reconnus pour êlre chrétiens,nbsp;ils furent relégués dans File Pontia et martyrisés a Terracine; leursnbsp;corps, enlevés par les fidèles, reposèrent longtemps dans la catacombenbsp;de Prétextat, sur la voie Ardealine ; plus tard ils furent placés dansnbsp;1 antique églisequi porte encore leur nom. Batie par le pape Jean F%nbsp;dans un terrain appartenant k sainte Lucine, cette basilique fut réédi-fiée par saint Léon III. L’illustre cardinal Baronius en étant devenu
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titulaire, prit un soin particulier de la conserver; c’est lui qui, en 1S97, y fit rapporter les corps des saints martyrs, avcc celui de sainte Flavienbsp;Domitille, que Grégoire IX avail placés dans l’église de Saint-Adrien.
Avant d’être dédiée aux saints Nérée et Achiilée, la basilique s’ap-pelait Fasciola, ce qui veut dire petü-lange, nom qu’elle conserve encore aujourd’hui. Si vous recherchez l’originede cette dénominationnbsp;singulière, la tradition romaine vous répond : « Saint Pierre passantnbsp;en eet endroit de la voie Appienne, un des linges mis par les chréliensnbsp;sur les plaies dont les ceps avaient couvert ses pieds, se détacha; etnbsp;Un édicule vint marquer Ie lieu oü Ie fait s’était accompli (i). » Deuxnbsp;fois respectable par son antiquité et par les noms qui l’appuient, lanbsp;tradition dont je parle tirerait au besoin sa certitude de la circon-stance même dont elle témoigne. Qui ne sait que Ie soin Ie plus at-tentif a conserver les moindres faits de la vie des Apótres rentre par-faitement dans Ie génie de la piété primitive? Ie doute n’est pas permisnbsp;quand on connait la vénération profonde, la tendresse filiale, je diraisnbsp;Ie saint enthousiasme des chrétiens de Rome pour saint Pierre et saintnbsp;Paul. Tons les monuments attestent qu’ils les suivirent pas amp; pas, indiquant d’abord par des oratoires, par des chapelles, et plus tard im-mortalisant par des églises magnifiques tous les lieux dépositaires denbsp;quelque souvenir aposlolique.
L’église des saints Nérée et Achiilée offre une riche moisson i I’ar-tiste et è l’archéologue. Le baldaquin est soutenu par quatre belles colonnes de marbre africain; les deux ambons, bien conservés, pré-sentent des détails d’un grand intérét. Dans le choeur, au rond-pointnbsp;fie I’ahside, s’élève la chaire pontificale sur laquelle saint Grégoire lenbsp;Grand prononga la vingt-huitième de ses homélies, dont une parlienbsp;est gravée sur le dossier de cette chaire. Mais le monument le plusnbsp;important est la belle mosa'ique de I’abside; elle date de I’an 796, etnbsp;ceprésente la Transfiguration. Au sommet de Pare on voit Notre-Sei-gneur avec Moïse et Élie; plus has les trois Apótres saisis de frayeur,nbsp;courbés vers la terre et se voilant la face de leurs manteaux. A gauchenbsp;®pparait la sainte Vierge recevant la visite de Tange; a droite, Marienbsp;tenant TEnfant Jésus debout sur son sein; prés de lè est un ange auxnbsp;ailes étendues, dans Tattitude de Tadmiration. Depuis plus de millenbsp;ans, la divinité du Fils et la divine maternité de la Mère brillent dansnbsp;cette immortelle peinture. Voila done contre les novateurs de tous lesnbsp;temps et Tantiquité de la foi et Timmuable raison des siècles (2).
(0 Mazzol., 1. VI, p. 2ol.
(2) Voyez.sur Téglise des saints Ncrée, etc., le savant et curieux ouvrage de Tabbé
-ocr page 72-68 nbsp;nbsp;nbsp;les TROIS ROME.
Rentrant en ville par la Voie des Triomphes, nous pénétramp;mes, au delamp; du Colisée, dans une -vigne qui communique aux sept Salles, settenbsp;Sale OU sette Camere. On appelle de ce nom sept magnifiques réservoirs qui fournissaient des eaux d’abord aux jardins de Néron, puisnbsp;aux thermes de Titus. D’autres les regardent comme des ruines dunbsp;Nymphceum de Marc-Aurèle (j). Quoi qu’il en soit, les sept Salles mé-ritent d’êlre vues, paree qu’elles donnent une haute idee de la magnificence romaine. Les chambres et les vastes corridors qui les avoisinentnbsp;firent partie de la maison d’or de Néron. On sait que cette maisonnbsp;gigantesque fut d’abord appelée domus transitoria, paree que Ie peu-ple en traversait les portiques pour aller du Coelius a l’Esquilin. Cettenbsp;circonstance nous semble expliquer, d’une part, la présence des médaillons impériaux peints au sommet de la voute, et représentantnbsp;l’empereur surmonté d’une aigle aux ailes étendues; d’autre part, lanbsp;singulière inscription que je vais transcrire en latin, car
Le latin dans les mots brave l’honnêteté;
Mals le lecteur francais vent être respecté :
Done, sur les murs de ces superbes couloirs on lit :
Duodecim deos et Dianam,
Et Jovem optimum maximum Habeat iratos,
Quisquis bic minxerit aut cacarit.
Les anciens mettaient la propreté de leurs monuments sous la protection des dieux, nous la mettons sous la garde de la police. Au-des-sous de l’inscription s’allongent deux grands serpents tournés l’un centre l’autre et séparés par un faisceau de verges. Le serpent chez lesnbsp;anciens ëtait un signe de respect et le faisceau de verges indique lanbsp;punition du délinquent.
Comme nous quittions les sept Salles pour nous rendre au Forum de Nerva, nous aper^umes un meunier qui conduisait cinq mules char-gées de sacs de farine. « Voila, nous dit-on, les cinq mules de Sixte V.nbsp;— C’est è leurs dents que vous les connaissez? répondimes-nous surnbsp;le ton de la plaisanterie. — Non, je parle sérieuseraent, voici le fait :nbsp;Comme la plupart des grands hommes, Sixte V avait une manie, ilnbsp;comptait tout par cinq. II défendit aux meuniers d’entrer a Rome avecnbsp;plus de cinq mules et avec moins de cinq : sa défense a toujours été
D. Barthelemy Piazza : Santuario Romano delle stazioni, staz., 25; et, Roma ckrUtiana ad diem 12 Maii; voyez aussi Ciampini, Monim., veter. t. ii, p. 123.
(t) Amm. Marcell., lib. xv.
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maintenue. II laissa en mourant cinq millions de scudi au trésor, et cinq mille mesures de blé dans les greniers publics; il construisit cinqnbsp;fontaines monumentales, il éleva cinq obélisques, il prit le nom denbsp;cinq; il disait qu’il ne régnerait que cinq ans, et sa prédiction s’estnbsp;vérifiée: élu en 1585, il mourut en 1590. » Depuis cette explication,nbsp;nous ne renconlrames jamais les meuniers avec leurs cinq mules, ninbsp;plus ni moins, sans penser au grand pape, et sans applaudir a la con-stance avec laquelle le people de Rome demeure fidéle i la mémoirenbsp;d’un Pontife qui fut son idole.
Cependant nous voyions s’élever devant nous les restes grandioses du Forum de Nona. Dans la partie qui demeure intacte est l’églisenbsp;de Saint-Basile et le monastère des Jeunes Filles nouvellement conver-ties a la foi. L’empereur Alexandre Severe avait enrlchi ce forum d’unnbsp;grand nombre de statues colossales représentant les Césars, et de superbes colonnes d’airain sur lesquelles éiaient gravés les faits éclatantsnbsp;de l’bistoire i’omaine (i). Ce prince, connu par son intégrité, y donnanbsp;un grand exemple de justice. Vetronius Turinus, un de ses courtisans,nbsp;s’était laissé corrompre par des présents magnifiques, et avait promisnbsp;en retour les faveurs de César : Alexandre le condamna a mourir dansnbsp;la fumée. On le conduisit au forum, et pendant qu’une épaisse fuméenbsp;étouffait le coupable un héraut sonnait de la trompette endisant: Ainsinbsp;est puni par la fumée celui qui a vendu de la fumée (2).
A quelques pas du Forum se voient les restes du temple de Pallas que la tradition fait remonter h Nerva (s). 11 olfre encore d’excellentesnbsp;sculptures avec des colonnes cannelées d’ordre corinthien. Au sommetnbsp;s élève une statue de Pallas en demi-figure; la déesse est debout, lenbsp;lt;^asque en tête et le bouclier a la main gauche; la droite, qui portait
lance, est brisée. Par elle-même cette ruine païenne n’offre qu’un l^aible intérêt; mais les sanglants souvenirs qui s’y rattachent remuentnbsp;'iveraent Fame du chrétien. Au pied de cette idole, devant la portenbsp;de ce temple, furent immolés de nombreux martyrs. De lii vient k lanbsp;petite église voisine le nom de Sainte-Agathe des Tisscrands, d lanbsp;boucherie des Martyrs, ad macellum Marlyrum (ij.Un puiis profond,nbsp;renfermé dans l’intérieur du temple, regut les corps et le sang de nosnbsp;pères. Plusieurs même semblent y avoir été jetés tout vivants; car on
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Statuas colosseas, vel pedestres, nudas, vel equestres divis imperatoribus cumnbsp;titulis, et columnis aereis qua; gestorura ordinem continorent. — Lamprid., in Sever.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Fumo punitur, qui vendidit 1'umum. ld.
(3) nbsp;nbsp;nbsp;Sext. Aurel., in Nerva.
(a) Voyez les actes des saints Gordien, Crescent, Corneille, etc.
-ocr page 74-70 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
a trouvé dans Ie puits, sur Ie corps même d’un martyr, une de ces pierres qu’on suspendait au cou des chrétiens. Celle-ci est ronde, noirenbsp;et peut peser cent livres environ. On l’a placée sous une grille a l’ori-fice du puits oü, depuis bien des siècles, de nombreuses générationsnbsp;l’environnent de leurs respects et la couvrent de leurs baisers.
5 JANVIER.
Ancienne region de la Via Lata. — ïombeau de Publicius Bibulus. — Basilique des SS. Apótres. — Maison de Martial. — Temple du Soleil. — ÉgUse de Saint-Marcel. —nbsp;Palais Doria. —ÉgUse de Sainte-Marie-ói-Fia Lata. — Prison de Saint-Paul. — Palaisnbsp;de Venise. — ÉgUse de Saint-Marc. •
Notre beau soleil d’Italie avait reparu : Rome revenait a la vie. Les porteurs de vin promenaient dans les rues leurs mulcts chargés denbsp;jiaschi en verre blanc surmontés d’un bouchon de papier; les mar-chands d’oranges faisaient retentir les places de leurs cris aigus;nbsp;riiumble passioniste présentait sa tirelire aux passants, et Ie frèrenbsp;capucin, conduisant par la bride Fane héréditaire, portait au couventnbsp;les provisions de la journée, lorsque nous partimes pour nous rendrenbsp;sur Ie nouveau thédlre de nos investigations : elles recommencèrentnbsp;au point oü nous les avions laissées la veille. L’ancienne Via Latanbsp;qui s’étendait du Forum de Trajan et de la racine du Capitole, jus-qu’a la fontaine Trevi et.i Féglise des Saints-Apótres; telle était lanbsp;région qui devait nous occuper. Prés de la rue Macel de Corvi, senbsp;présente un ancien monument de la vieille Rome ; c’est Ie tombeaunbsp;de Caius Publicius Bibulus, don du peuple romain; Finscription intéresse par son ancienne orthographe :
C. POBLICIO. L. F. BIBULO. AID. PL. HONORIS VIRTVTISQVE. CAVIA. SENATVS CONSVLTOnbsp;POPVLIQVE JVSSV. LOCO. MONVMENTI. QVOnbsp;IPSE. POSTERESQVE. EJVS. INFERRENTVBnbsp;PVELICE. DATVS. EST.
Le monument lui-même soutenu par quatre colonnes surmontées d’un entablement avec des sculptures, est d’une bonne conservation.nbsp;En remontant a droite, on trouvait jadis le portique de Constantin, et,nbsp;suivant les archéologues, le Forum suarium ou marché aux cochons,nbsp;environné de superbes galeries. Quoi qu’il en soit de ces édifices dontnbsp;il ne reste que le souvenir, on convient que leur emplacement répond,
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® peu de chose prés, a l’église des Saints-Ap6tres, y compris la place et les jardins qui I’accompagnent.
Cette église est une des huit basiliques Constantiniennes (i). A •iroite, sous Ie vestibule, on voit une aigle romaine parl'aitement con-servée. Comme tant d’autres monuments, I’embleme de la puissancenbsp;'nipériale redit a tous ceux qui entrent ou qui sortent, Ie triomphenbsp;iiïimortel remporté sur les Césars par les douze pêcheurs évangéliques.nbsp;Sur Ie seuil du temple un noble souvenir attend Ie pèlerin : c’est icinbsp;•lue saint Grégoire Ie Grand prononQa deux de ses éloquentes homé-bes. En avangant il apertjoit a droile une fresque symbolique dans la-•lUelle l’Enfant Jésus est debout sur Ie giron de sa mère. On sait déjanbsp;‘lue cette attitude exprime la foi de l’Église a la divinité du Sauveurnbsp;a la maternité divine ; la peinture dont nous parlons est fort an-cienne. A gauche s’élève Ie tombeau en marbre du pape Clément XIV,nbsp;®uvre remarquable de la jeunesse de Canova.
Les apótres saint Philippe et saint Jacques-Ie-Mineur reposent sous Ie mailre autel. Toujours fidéle a la pensée catholique, Rome a prisnbsp;soin de former autour d’eux une brillante couronne de saints et denbsp;martyrs. La grille placée en avant du sanctuaire ferme un caveau dansnbsp;lequel quinze martyrs, retirés des catacombes d’Apronius, sur la vdienbsp;Latine, re^oivent les hommages les plus empressés des pèlerins. Sousnbsp;1 autel de saint Antoine, on conserve les corps de sainte Eugénie et denbsp;sainte Claudia, sa mère. 11 serait long de citer en détail tons les glo-fteux témoins de notre foi, dont la présence fait de l’église des Saints-A^pótres, un des plus vénérables sanctuaires de Rome. Pas une desnbsp;6élestes hierarchies qui n’y soit dignement représentée; il suflit denbsp;Dommer saint Laurent, saint Vincent, saint Grégoire Ie Grand, saintnbsp;Crégoire Vil, saint Charles Borromée, saint Bernardin de Sienne, saintnbsp;b'ran^.ois d’Assise, saint Antoine de Padoue, sainte Agatbe, saintenbsp;braxède, sainte Marguerite de Cortone. Convenez qu’il serait bien ma-lade Ie cceur qui ne trouverait pas ici un ami autrefois éprouvé parnbsp;mêmes douleurs et aujourd’hui capable de les adoucir {%). Cettenbsp;église est Ie siége de la Confrérie des Saints-Apótres, qui fut érigéenbsp;®ous Ie pontificat de Clément VUL II en sera question plus tard; jenbsp;dirai en passant qu’elle est une des oeuvres les plus dignes de la ville,nbsp;tnère et maitresse non-seuleraent de la foi, mais encore de la charité.
Quand du palais de I’ambassade de France, contigu a l’église des Saints-Apótres, on se dirige vers Ie Corso, en passant prés de la fon-
{') Ciampini parait être d’un avis différent. Mon. veter., t. ni, p. 157.
(*) Voyez Mazzol., t. vi, p. 141 et suiv.
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laine Trevi, on rencontre plusieurs souvenirs païens d’un médiocre intérêt. Ici était la maison du poète Martial; il nous apprend lui-mêmenbsp;qu’elle était située prés de I’eau Martia, dans la rue du Poirier, etnbsp;qu’11 fallait monter trois grands escaliers pour arriver ii ses apparte-ments (i). Plus loin s’élevait Ie temple dédié au Soleil par Aurélien,nbsp;et dans lequel Fempereur victorieux de FOrient plaga de magnifiquesnbsp;dépouilles. « C’étaient, dit un historiën, des robes couvertes de pier-reries, des dragons persiques, des tiares et des étofles de pourprenbsp;d’une telle beauté que Ie monde remain n’en vit jamais de pareil-les (2). » A cette description Ie même auteur ajoute immédiatement unnbsp;détail qui ne semble pas domier une haute opinion du respect desnbsp;païens pour les temples de leurs dieux. Sous les portiques du templenbsp;du Soleil on vendait les vins du fisc, c’est-a-dire les vins qui revenaientnbsp;Fempereur, soit par les contributions, soit par les péages (3).
'Ces souvenirs, qui n’avaient pu retarder notre course, nous permi-rent d’arriver promptement a Saint-Marcel. L’église du glorieux Pontife est située dans Ie Corso, la principale rue de Rome. Pour lanbsp;visiter avec un profond respect, il faut se rappeler une des bellesnbsp;pages de notre histoire primitive. Les chrétiens étaient dans Ie deuil ;nbsp;Ie pape saint Marcel venait d’être saisi et livré au tyran. Pour humi-lier les fidèles, Maxence condamna Ie Souverain Pontife ii garder desnbsp;bêtes renfermées dans un enclos. Depuis neuf mois il était occupé önbsp;eet abject ministère, lorsque ses prêtres trouvèrent moyen de Fenlever.nbsp;Sainte Lucine Ie cacha dans sa maison, située il la place même oünbsp;s’élève aujourd’hui Féglise de Saint-Marcel (4). Les brebis s’y réunis-saient autour du pasteur pour re.cevoir la parole de vie et Ie vin quinbsp;enivrait les martyrs. Cette demeure était devenue trop sainte pour
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Sicca domus queritur nullo se rore foveri,
Cum mihi vicino Martia Ibnte sonet.
Epigram., lib. ix, Epigr. 19.
Non est quod puerum, Luperce, vexes,
Longura est si velit ad pirum venire.
Et scalis habito tribus, sed altis, etc.
Epigram., 1.1, Epigr. penult.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Romaj Soli lemplum posuit majore honorifleentia conservatum, quod Orientis victor hostili pra;da ditavit ornavitque... Tune illse vestes, quas in templo Solis videmus,nbsp;conserls genimis, tune persici dracones, et tiarai, tuno genus purpur3e,.quod postea neenbsp;ulla gens detulit, nee Romanus orbis vidit. —Vopisc. in Aiirelian.
(3) nbsp;nbsp;nbsp;Idem.
(4) nbsp;nbsp;nbsp;II s’agit ici de sainte Eucine la Jeune, qu’il ne faut pas confondre avec saintenbsp;Lucine qui donna la sepulture a saint Paul, etc.
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servir encore a des usages profanes ; Lucine en fit don au vicaire de Jésus-Christ, qui la changea en eglise. Maxence ayant appris ce qui senbsp;Passait fit de nouveau arrêter le Pontife; puis, ajoutant Pimpiété a lanbsp;cruaulé, il ordonna qu’on changeftt Téglise en écurie et qu’on la rem-Plit d’animaux, dont le saint pape fut condamné a prendre soin. Etnbsp;1’on vit le vénérable vieillard transformé'en palfrenier ou en bestiaire,nbsp;garder dans une église les chevaux, les boeufs et les cochons, jusqu’anbsp;ce que la mauvaise odeur et les privations de tout genre vinssent mettle fin il sa douloureuse existence. Enterré avec honneur dans la catacombe de sainte Priscille, sur la voie Solaria, il fut plus tard rapporténbsp;au lieu de sa mort (i); et placé sous le maitre autel de l’église quinbsp;Porte son nom, il regoit aujourd’hui les hommages du monde catho-fique sur le théatre méme de ses humiliations. Glorieuse vicissitudenbsp;fiont Rome présente a chaque pas de touchants examples! A cóté dunbsp;Pontife martyr repose saint Phocas, humble jardinier, qui, lui aussi,nbsp;signa la foi de son sang. Un grand nombre d’autres martyrs enrichis-sent de' leurs reliques sacrées la pieuse église de Saint-Marcel : je nenbsp;nomme que sainte Félicité, 1’héroïne de Carthage, dont le corps senbsp;conserve, en grande partie, sous I’autel de saint Paul.
Trois autres objets attirent la piété des fidèles. Le premier est une image miraculeuse de la sainte Vierge, couronnée par le chapitre dunbsp;Vatican (2). Lorsqu’une grAce surnaturelle a été obtenue par I’interces-sion de la divine Mère, c’est I’usage a Rome et en Italic de couronnernbsp;1’image devant laquelle on I’a sollicitée. Un cercle d’argent, d’or ou denbsp;pierres précieuses entoure la tête de Marie, et appelle la devotion ennbsp;Perpétuant le temoignage de la reconnaissance. Si le premier aspectnbsp;Cette couronne placée au centre d’un tableau, semble étrange aunbsp;Voyageur qui en ignore la raison, il devient pour le chrétien éclairénbsp;uu motif toujours nouveau de confiance filiale envers celle qui est toutnbsp;® la fois notre mère et notre soeur. Le second objet est le tombeau dunbsp;Cardinal Gonsalvi. Ge mausolee, qui rappelle 1’aimable, le pieux, I’ha-l*‘le négociateur, le ministre nécessaire de Pie VII, se trouve dans lanbsp;chapelle du Crucifix, ou I’illustre diplomate a voulu reposer auprès denbsp;son frère chéri. Le troisième est le Crucifix miraculeux devant lequelnbsp;11 est rare de ne pas trouver des fidèles en prières. Le 22 mai denbsp;1 an 1519, l’église s’écroula. Dans cet amas de ruines, le Crucifix seulnbsp;fut trouvé intact a sa place ordinaire et la lampe qui 1’éclairait tou-
(gt;) Voyez Baron. Annal., t. m, an. 509, n. v.
(2) C’est done 1’auioriié publique et compelente qui constate le miracle et decide du
couronnement.
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jours allumée. üne confrérie de Liiques, appelée du Très-Saint-Cru-cilix, rappelle encore aujourd’hui Ie souvenir consolant du fait que je viens de rapporter.
A cóté de l’église est Ie palais Doria, un des plus grands de Rome. 11 renferme une belle et nombreuse collection de tableaux ; Albertnbsp;Durer, Léonard de Vinei, Claude Lorrain, Murillo, Michel-Ange, ontnbsp;écrit quelques pages de ce livre immortel. .
En sortant, nous n’eümes que la rue a traverser, pour nous trouver ii Sainte-Marie-fw-Ffa Lata. J’avoue qu’une vive émotion me saisit ennbsp;mettant Ie pied sur ce nouveau théatre de notre pieuse curiosité; etnbsp;comment aurais-je pu m’en défendre? Je foulais la terre que Ie grandnbsp;Apótre lui-même avait foulée! J’allaisdescendre sous des voütes qui re-tentirent de sa voix! J’allais visiter un lieu qui avait vu Paul, Ie fiernbsp;prisonnierdeJésus-Christ; Luc,son inséparablecompagnon; Onésime,nbsp;Onésiphore, de Lycaonie, les députés de Philippes, et bien d’autresnbsp;encore dont les noms vénérables brillenl d’un si doux éclat dans lesnbsp;annales de la primitive Église. Au-dessus de la porte d’un escaliernbsp;souterrain, on lit ces paroles qui vous font tressaillir : Cum venisse-mus Romam, permissum est Paulo manere sibimet cum custodientenbsp;se milite (i) : « Lorsque nous fumes venus a Rome, il fut permis i» Paulnbsp;de demeurer libre avec Ie soldat qui Ie gardait (2). » La porte s’ouvritnbsp;et nous descendimes dans Ia prison. C’est bien ici, sous ces voütesnbsp;sombres, noircies par Ie temps, et formées comme toutes les substructions romaines de gros quartiers de travertin, que Ie grand Apótrenbsp;fut déposé en arrivant d’Asie, lors de son premier voyage a Rome.nbsp;C’est ici qu’il séjourna attaché par une chaine au bras d’un soldat,nbsp;pendant deux années entières. Trois jours après son arrivée, Paul,nbsp;dont Ie zèle ne connaissait ni retard ni danger, convoqua dans sa prison les principaux d’entre les Juifs. « Frères, leur dit-il, c’est pournbsp;l’espérance d’Israël que je suis chargé de cette chaine; » et il leurnbsp;prouva que Ie Sauveur Jésus était bien Ie Messie attendu de leursnbsp;pères et annoncé par les Prophètes. Ni l’éloquence surhumaine, ni lesnbsp;fers éloquents du prisonnier ne purent convaincre ces hommes a lanbsp;nuque roide, et Paul leur dit; « Eh bien, sachez que la nouvelle quenbsp;vous repoussez sera envoyée aux nations; et ils se retirérent se disputant entre eux. »
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Act. xxviu, 16.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;On sait que chez les Remains il y avait deux series de prisons : la prison publi-que et la libera cuslodia, ou maison particulière dans laquelle Ie prisonnier était gardénbsp;a vue.
PRISON DE SAINT-PAÜL. nbsp;nbsp;nbsp;75
Cependant FApötre parut devant Néron, une demi-justice lui fut rendue; c’est-a-dire qu’on lui laissasongardien, sa chaine et sa prison,nbsp;roais il lui fut permis de prêcher : Paul profita largement de cette li-Ijerté. Sa prison ne désemplissait pas; il annonjait avec assurance Ienbsp;Seigneur Jésus et les vérités du règne de Dieu. Le collége des pon-tifes, le sénat, le prétoire, le palais même en retentirent (i). Non-seu-lement il parlait, il s’occupait encore des besoins de toutes les églises,nbsp;il écrivait aux fidèles et a ses disciples, lei Epapbrodite, évêque desnbsp;l'hilippiens, vint lui apporter, au noin de ses ebers neophytes, unenbsp;soinme d’argent; ici, Onésime, le pauvre esclave qui s’était enfui, ve-nait le prier de lui obtenir sa grace; et Paul lui donnait cette lettrenbsp;si touchante, oü il conjure par ses chaines Philémon, le maitre d’Oné-sinae, de le recevoir comme son propre Ills. Ici, il écrivait aux Phi-lippiens pour les remercier de leur charité; aux Éphésiens en leurnbsp;envoyant le Tabellaire Tychicus, qu’il chargeait de leur donner ennbsp;détail de ses nouvelles; sa seconde épitre a son cher Timothée, dansnbsp;laquelle il pronongait cette parole si digne de sa grande Sme : « Jenbsp;suis en prison, mais Ia parole de Dieu n’est pas enchainée. » Puis avecnbsp;une parfaite liberté d’esprit, le prisonnier de Néron descendait dansnbsp;le'détail de toutes les affaires de l’Église et priait son disciple de luinbsp;envoyer sou manteau et ses papiers (2).
Ici, saint Luc écrivait sous les yeux de Paul les Actes des Apótres; saint Pierre, on n’en saurait douter, vint lui rendre de fréquentes visites, et Dieu sait quelles paroles furent échangées, quels projets furentnbsp;congus dans cette prison! Heureuses muraillesl parlez done et dites-TOoi ce que vous avez entendu. Mais non, e’est a la foi de le comprendre
au coeur de le sentir. Nous ne vimes qu’un modeste autel, et dans '’n angle prés du soupirail, une colonne de granit, entourée d’unenbsp;®haine antique scellée é sa base. Avec cette chaine, é cette même co-^®nne, la tradition allirme qu’avant sa conversion Martial le geóliernbsp;aitachait Paul, son captif, et ses autres prisonniers. Une main ingé-fiieuse y a gravé ces mots ,de Paul lui-même : Sed verhum Dei nonnbsp;ulligatum- A I’autre extrémité de la prison est une source donlnbsp;^ ®au limpide reste toujours au même niveau. L’Apötre la fit miracu-leiisement jaillir pour baptiser Martial et d’autres catéchumènes (3).nbsp;Est-il étonnant qu’un lieu si vénérable n’ait pas cessé d’être entourénbsp;la pieuse sollicitude des fidèles?
(lt;) Baron., an. 59, n. 7.
(*) Baron., an. 59, n. 10,11 et suiv.
(») Constanzi, t. ii, p. 49; Mazzol., t. V), p. 515.
-ocr page 80-76 LES IROIS ROME.
Aussi voyons-nous qu’une des plus anciennes diaconies de Rome y 1'ut établie; celte date nous reporte aux premiers successeurs de saintnbsp;Pierre. Pendant que 1’autorité des Pontifes consacrail cette illustrenbsp;prison, Ie zèle des chrétiens se plaisait a l’embellir. L’église supérieurenbsp;devint un sanctuaire dont la richesse extraordinaire attestera long-temps la reconnaissance de nos aïeux. Une légion de martyrs, dominéénbsp;par une image miraculeuse de la sainte Vierge, garde encore aujour-d’hui ce lieu d’apostolique mémoire. Dans ce nouveau ciel oü sont re-présentés tons les üges et toutes les conditions, brille surtout Ie cou-rageux diacre saint Agapet, dont Ie corps repose sous Ie maitre autel(i).
Lorsqu’on continue de suivre Ie Corso, on passe, en débouchant sur la place de Venise, devant Ie palais Rinuccini, naguère propriété de lanbsp;mère de Napoléon. Plus loin est Ie magnifique palais de Venise, antique propriété de la fameuse république. Rati en 1468 sous Paul II,nbsp;il sert aujourd’hui d’babitation a l’ambassadeur d’Autriche. L’an-cienne église de Saint-Marc est attenante au palais. 11 faut remonternbsp;jusqu’au iv^siècle pour en trouver l’origine.Le pape saint Marc la biltitnbsp;en 336 et la dédia a saint Marc évangéliste. Elle fut renouvelée parnbsp;Adrien P*', puis restaurée par Grégoire IV, en 833. Le maitre autelnbsp;d’une grande magnificence conserve les corps du pape saint Marc etnbsp;des illustres princes persans, Abdon et Sennen, martyrisés dans l’am-phithédtre. Les peintures de Ia voute sont du Tintoret et le saint Marcnbsp;du Pérugin.
Nos courses en zigzag nous avaient ramenés a notre point de depart; la place Macel de Corvi et la montée de Marforio nous avaient déjünbsp;vus; nous les traversames rapidement pour aller nous reposer de nosnbsp;fatigues et compter nos richesses.
L’ÉpiphanieJa Rome. — Jlesse laline, grecque, arménienne, maronite. — Agapes a la Propagande. — Fetes des Langues. — Impressions.
Le voyageur qui a le bonheur d’être a Rome le jour de I’Epiphanle, voit de ses yeux le grand miracle du christianisme, la diver site denbsp;tous les peuples dans Vunité de la foi. II se trouve au centre de cenbsp;foyer lumineux dont les rayons se prolongent sans altération jusqu’auxnbsp;frontières du globe, et dont la circonférence embrasse 1’univers. C’est
(0 Voyez toute l’histoire de Sainte-Marie-in-Fia Lata, écrite par le savant Martinelli'
-ocr page 81-l'ÉPIPBANIE a ROME. nbsp;nbsp;nbsp;77
la, sans contredit, un beau, un doux spectacle. Pour en jouir il faut aller a la Propaganda : sa chapelle devient le panorama du catholi-cisme. Ce jour-li les prétres des différents rites de I’Orient et de l’Oc-cident, qui se trouvent a Rome, viennent, suivant l’usage, offrir l’au-guste sacrifice dans le cénacle d’oü partent incessamment les apótresnbsp;de toutes les nations. J’y vins moi-même, heureux et confus d’être acteur dans la vaste scène qui se déployait aux regards des hommes etnbsp;des anges. Ma messe finie, nous devinmes spectateurs è notre tour.
De la sacristie sort un prêtre grec; comme aux jours anciens, il Porte une ample chasuble ronde : tout son corps, la tête exceptée, estnbsp;enveloppé dans ce large manteau de soie, finement rehaussé de dessinsnbsp;d’or et de pourpre. Toutes les fois qu’il veut se servir de ses mains,nbsp;il relève sa chasuble par-devant et la tient gracieusement roulée surnbsp;les bras : la liberté de ses mouvements ne parait nullement gênée. Sanbsp;prière est une espèce de mélopée ou de récitatif cadencé; ses cérémonies sont très-variées et sa messe dure au moins trois quarts d’heure.nbsp;Mais au fond se trouve toujours la grande, l’indivisible unité catho-lique : même matière du sacrifice, même victime, mêmes paroles sa-cramentelles. A l’autel voisin était un prêtre melchite. La richesse etnbsp;l’ampleur de ses ornements, la douceur de sa prononciation, le nombrenbsp;des cérémonies sacrées, la grace avec laquelle il les accomplissait ;nbsp;tout cela formait un ensemble plein d’harmonie qui disposait le coeurnbsp;aux plus doux sentiments de la piété.
L’Arménien, grave, austère, parait a son tour. Sa tête est ornée d’une espèce de tiare surmontée de la croix; sa chasuble a grands ramagesnbsp;d’or, ressemble a nos chapes. La majestueuse simplicité des cérémonies dont il accompagne l’auguste sacrifice, sa belle tête a caractèrenbsp;nniental, sa longue barbe noire lui donnent un air de grandeur et denbsp;^ignité qui commande le respect. En le voyant a l’autel, je me figu-*'3is saint Basile pontifiant devant l’empereur Valens, et faisant trembler, par la seule majesté de son maintien, le monarque hérétique.
Un évêque maronile vlnt ajouter un rite nouveau è tous ces rites de 1’Orient. II portalt it la main une petite croix semblable a la croixnbsp;pastorale de nos évêques; il la tint jusqu’au moment de la consécrationnbsp;tourné vers le peuple, il s’en servit plusieurs fois pour le bénir. IInbsp;eonserva sa mitre ou plutót sa cidaris, presque jusqu’^ l’élévation. Lenbsp;diacre et Ie sous-diacre portaient de longues et larges tuniques vertes,nbsp;lerminées par une bordure de velours violet broché d’or. Sur leursnbsp;épaules brillait une espèce de camail en velours violet avec des rayonsnbsp;*1 Of. Comme celui de toutes les nations soumises a un long esclavage,
T. II. nbsp;nbsp;nbsp;4
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Ie chant des Orientaux est triste et monotone. J’ai oublié de dire que tous les léviles étaient revêlus de longues tuniques roses, rouges ounbsp;vertes avec des croix d’or sur les épaules, sur les bras et sur lapoitrine.
Toutes ces langues, tous ces rites et toutes ces formes qui, malgré leurs différences viennent se confondre dans la même unité, caracté-risent divinement FÉglise catholique. C’est bien ce jour-la que je vis,nbsp;dans réclatde la parureprophétique, Timmortelleépouse de FHomme-Dieu, i laquelle son époux a doiiné, comme signe distinctif, un vête-ment broché d’or et une robe de diverses couleurs (i).
L’ollice achevé, un des directeurs du collége vint m’inviter trés-poliment déjeuner ainsi que mes jeunes compagnons. Nos excuses ne furent point agréées et il faliut céder a Fusage. Autour d’une vastenbsp;table vous nous auriez vus, prétres de toutes les parties du monde quinbsp;venions de consommer la même victime sur Ie même autel, romprenbsp;ensemble Ie même pain et offrir Ie spectacle de celte grande fraterniténbsp;que Ie Christianisme seul a pu réaliser sur la terre. Occidentaux etnbsp;Levantins, Grecs,Arméniens, Cophtes,Maronites,frèresqui ne s’étaientnbsp;jamais vus et qui probablement ne devaient plus se revoir, tous man-geaient Ie même pain, parlaientla même langue, éprouvaient les mêmesnbsp;sentiments. Placés au milieu d’une société dévorée par Fégoïsme, nosnbsp;pères des premiers siècles traduisaient dans leurs fraternelles agapesnbsp;Funité d’amour dont ils trouvaient Ie gage dans la chair et Ie sang d’unnbsp;Dieu, devenus leur aliment; ainsi, sur Ie déclin du monde, Rome veutnbsp;qu’au jour solennel de FÉpiphanie tous les prêtres qui ont célébré lanbsp;messe amp; la Propagande, s’asseoient amp; la même table. Voilii bien cettenbsp;Église catholique toujours la même dans son esprit et dans son dogme;nbsp;voila bien cette Rome toujours fidéle au culte des nobles souvenirs.
Pour compléter Ie spectacle de Funité vivante du catholicisme, aux agapes succède la Fête des langues ; cette solennité eut lieu Ie 10 janvier. Rien sous Ie ciel de plus pittoresque et de plus imposant. A Fex-Irémité d’une vaste salie, richement décorée, s’élevait une estrade aunbsp;milieu de laquelle apparaissait, sur un piëdestal couvert en veloursnbsp;cramoisi, Ie buste du Saint-Père, centre auguste de Funité. L’estradenbsp;et la salie entière étaient garnies de siéges; lii pour les élèves de lanbsp;Propagande, ici pour les spectateurs. Les cardinaux prirent place dansnbsp;Fenceinte réservée et la fête commenga.
Un jeune américain de Philadelphie, faisant les fonctions de président, ouvrit la séance par un discours latin rendu avec une grêce par
ti) Astilit Itegina a dextris luis in vestitu deaurato, circumdata varietate. Ps. lU.
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faite. Le souvenir du jour amp; jamais memorable oü Ie Soleil de justice s’était levé sur le monde, l’unité de la foi retrouvée è la crèche par lesnbsp;laages de l’Orient, la diffusion de la bienfaisante lumière du catholi-cisme jusque dans les sombres forèts du nouveau monde, et d’autresnbsp;Dobles pensées, inspirèrent dignement le jeune orateur. Son discoursnbsp;Q’était qu’une préface, et comme le thème qui allait ‘être développénbsp;successivement par les enfants de tous les peuples : il le fut trente-öeuf fois de suite, en trente-neuf langues différentes. Nous entendi-ffies tour ik tour l’bébreu, le syriaque, le samarilain, le chaldéen,nbsp;l’arabe, le turc, Tarménien, le persan, le sabéen, le grec, le péguan,nbsp;le tamoul, le kurde, le géorgien, l’irlandais, l’écossais, l’illyrien, lenbsp;bulgare, le polonais, Fallemand, 1’anglais, le hollandais, l’indien, l’es-pagnol, le portugais, le francais, Falbanais, le cophte, Féthiopien etnbsp;du chinois de toutes les espèces. Chaque partie du globe avait la sesnbsp;représentants et ses organes, proclamant, chacun dans son idiome, lanbsp;grande unité calholique. C’était vraiment comme au jour de la Pen-tecóte a Jérusalem, oü se irouvaient des hommes de toutes les nationsnbsp;qui sont sous le del, proclamant en leurs langues la grandeur denbsp;Dieu. Spectacle unique, saisissant et que Rome seule peut donner.
Or, rien n’était plus élrange, plus curieux que d’entendre tous ces sons divers, de voir toutes ces physionomies si différentes. L’Arabenbsp;parle en cadence; le persan en aspirant ses syllabes; le Péguan, ik lanbsp;figure bronzée, chante plutèt qu’il ne parle son idiome d’une grandenbsp;douceur; le Turc aux cheveux d’ébène, rend des sons gutturaux; lenbsp;öoir Éthiopien fait entendre sa langue douce et forte; è cóté de luinbsp;Se montre un gentil petit Écossais, au teint de rose, martelant avecnbsp;grfice son apre dialecte : tous avaient commandé un religieux silence.nbsp;Mals quafld parurent les Chinois du Chan-si et du Hu-quan Falten-Ron redoubla. Ils apportèrent en tribut une églogue qui fut accueillienbsp;par de vives acclamations. Ce fut bien autre chose quand les trois in-*^erlocuteurs, se rapprochant, se mirent ik chanter en choeur ; des bat-temenls de main partirent de tous les rangs el se renouvelèrent plu-sieurs fois. L’orateur enfantin qui leur succéda ne fut pas moinsnbsp;^Pplaudi, c’était un jeune Chinois de Canton. Une flüte douce, unenbsp;Riandoline, un petit fifre, tout ce que vous voudrez, pourvu que celanbsp;lt;ihante doucement, et vous aurez la langue cliinoise de Canton dansnbsp;la bouche d’un enfant. Comme bouquet un remerciment fut adressé iknbsp;1 assemblée en fort bon italien par trois jeunes élèves d’environ douzenbsp;Fun Indien, Fautre Turc et letroislème Albanais.
Chaque assistant éprouve dans cette fête calholique un plaisir pro-
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portionné è ses connaissances linguistiques. Le seul homme dans l’univers capable de le goüter dans toute sa plénitude en était privé :nbsp;l’étonnant cardinal Mezzoffanti trompa tons les yens avides de le con-tcmpler. Ayanl demandé de ses nouvelles, on me répondit par la gra-cieuse formule italienne : èpoco bene; « II est indisposé. »
Mais quei que soit son degré d’instruction, il n’est pas un specta-teur sérieux en qui la Fête des Langues ne produise de vives impressions et ne laisse de prolbnds souvenirs. Comme elle compléte bien 1’Épiphanie au point de vue catholique! Dans l’auguste sacrifice,nbsp;offert sur le même au tel par des prêtres de toutes les nations ainsi quenbsp;dans le repas fraternel qui Fa suivi, brille 1’unité d’amour rétablienbsp;par FÉvangile; ici reparait avec non moins d’éclat Funité de croyancenbsp;malgré la diversité des langues : double solennité qui vous montre lenbsp;catholicisme réparateur de la chute primitive, ramenant toutes cho-ses a Funité du temps pour préparer celle de Féternité. Et puis comment voir sans attendrissement ces jeunes élèves de la Propagande?nbsp;Comment les oublier jamais? Nobles enfants des quatre parties dunbsp;monde, venus de cinq ii six mille lieues de leur berceau, pour se préparer a Fapostolat et au martyre. Oui, me disais-je, parmi ces jeunesnbsp;gens si bons, si distingués, si parfaitement intéressants, il en est plu-sieurs, un grand nombre peut-être, qui dans peu d’années aurontnbsp;expire au milieu des tortures; et je gravais soigneusement leurs nomsnbsp;dans ma mémoire, et je regardais avidement leurs traits dans la penséenbsp;qu’un jour en lisant les Annales de la Propagation de la Foi, jenbsp;pourrais ajouter : lt;c Ce missionnaire qui vient de signer FÉvangile denbsp;son sang, je Fai vu, je Fai entendu. Or, il y a bonheur, gloire et profitnbsp;a rencontrer, même une seule fois, sur le chemin de la vie, un saint,nbsp;un martyr.
7 JANYIER.
Le Quirinal.—Temple du dieu Fidius. — Temple de Quirinus. — Place du Quirinal. — Palais. — Détails sur le Conclave. — Souvenirs. — Enlevement de Pie VII.
Le Quirinal ancien et moderne occupa notre journée. Situé dans Fantique région A'Alta Semita, il offre quelques ruines et beaucoupnbsp;de souvenirs. Les bains de Paulus, situés h la base de la montagne,nbsp;occupaient, du moins en partie, la rue appelée aujourd’hui par corruption Via Magnanapoli. On croit que Fespèce de théétre trouvénbsp;sous le monastère de Sainte-Catherine de Sienne, faisait partie de ces
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Ihermes fameux. Quoi qu’il en soit, le jardin Aldobrandini, placé dans Ic voisinage, s’étend sur le plateau de I’ancienne colline Mutia-fe, célèbre par le temple du dieu de la bonne foi, Dius Fidius. Unnbsp;fragment de marbre represente les éléments de la bonne foi, tels qu’ilsnbsp;étaient compris par les anciens. A droite on voit un homme dans lanbsp;plénitude de la force, avec I’habit de paix, et ce mot : Honor. A gau-cbe est line figure de femme dans le même costume et couronnée denbsp;laurier, avec ce mot : Veritas. Ces deux personnages se donnent lanbsp;*tiain. Entre eux parait un gracieux enfant, au regard pudique, dontnbsp;la tête est entourée de ces paroles ; divs fidivs. Sur un autre débris,nbsp;au lieu des paroles précédentes on lit : Amor, et plus haut ; Fidei si-*nulacrum. Le temple de Fidius était découvert, afin que les dieux denbsp;1’Olympe fussent spectateurs des rites qui s’y accomplissaient. Ainsi,nbsp;aux yeux des Remains, I’lionneur, la vérité, I’affection dans le coeurnbsp;des contractants et le Ciel pour témoin, telles étaient les garanties denbsp;la foi jurée : il était, ce me semble, difiicile de mieux choisir. C’estnbsp;dans le temple de Fidius que le patriotisme romain conservait, avecnbsp;ün noble orgueil, la quenouille et le fuseau de ïanaquille, femme denbsp;Tarquin l’Ancien (i).
Non loin de la et prés de Saint-André-des-Jésuites, s’élevait le temple de Quirinus : on sait que Quirinus n’était autre que Romulus.nbsp;Ge prince étant mort, le peuple soupgonna les sénateurs de l’avoirnbsp;assassiné; une guerre civile devenait imminente, lorsque Julius Pro-culus vint affirmer avec serment que Romulus, environné d’une gloirenbsp;surhumaine, lui était apparu sur la colline appelée depuis le Quiri-^lt;^1, et qu’il l’avait chargé d’annoncer aux Remains un empire éter-*^al. En conséquence, Romulus fut placé parmi les dieux, sous le nomnbsp;de Quirinus, et adoré dans un temple bati sur la montagne. Get édi-fice reQut du dictateur Papirius le premier cadran solaire qu’on ait vunbsp;^ Rome. La Fortune puhüque, le Salut et je ne sais combien d’autresnbsp;dieux masculins et féminins avaient leurs sanctuaires dans les envi-*quot;008. Au même lieu étaient aussi les thermes de Constantin, magnifi-*lue construction, dont le plus bel ornement, peut-être, étaient lesnbsp;deux chevaux en marbre blanc qu’on voit aujourd hui devant le palaisnbsp;du Quirinal.
Ce palais commencé par Paul III, continué par Grégolre XIII, par Sixte V et Clément VIII, fut achevé par Paul V, de la familie Bor-§Rèse. Les Souverains Pontifes l’habitent pendant l’été, paree qu’il
b) Plin., 1. viii, c. 48.
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est dans un quartier plus salubre que Ie Vatican. Vers Ie mois d’octo-bre Ie Saint-Père quitte celte nouvelle demeure et va passer les mois de la malaria amp; Gastel-Gandolfo, situé a quatre lieues de Rome, surnbsp;les hauteurs d’Albano. Au Quirinal comme au Vatican, les beaux-artsnbsp;se sont donné rendez-vous. La cour d’honneur, la salie royale, la cha-pelle Pauline restaurée par ordre de Pie VII, témoignent du gout exquis des peintres et des sculpteurs et de la magnificence des Pon-tifes. Jusqu’a ces derniers temps les conclaves s’élaient presquenbsp;toujours assemblés au Vatican; ils se tiennent maintenant au Quirinal (i).
Cette circonstance oblige Ie voyageur chrétien è faire une étude particulière d’un palais oü Ie monde catholique refoit son chef, et lanbsp;glorieuse chaine des Pontifes Ie nouvel anneau qui doit la prolonger anbsp;travers les siècles. Mais, pour devenir intéressante, cette étude exigenbsp;quelques détails sur l’élection du pape.
Lors done que ie Saint-Père est expiré, Ie cardinal camerlingue, en habit violet, se présente a la porte de sa chambre, qu’il frappe troisnbsp;fois avec un marteau d’or, appelant a chaque fois Ie pape a haute voixnbsp;par ses noms de baptéme, de familie et de pape. Après une légèrenbsp;pause, il dit en présence des Clercs de la chambre et des Notairesnbsp;apostoliques qui prennent acte de cette cérémonie : II est done mort.nbsp;On apporte au même cardinal Panneau du pêcheur, et il Ie casse avecnbsp;Ie même marteau en présence du sacré Collége, les morceaux en ap-partiennent au maitre des cérémonies. Après avoir pris possession dunbsp;Vatican, il envoie des gardes pour se saisir du chateau Saint-Ange etnbsp;des portes de la ville. Lorsqu’il a pourvu è la süreté de Rome il sortnbsp;du palais en carrosse, précédé du capitaine des gardes du pape, et en-vironné des hallebardiers suisses qui accompagnent ordinairement Sanbsp;Sainteté. Au départ du cortége on sonne la grosse cloche du Capitole,nbsp;qui annonce la mort du Souverain Pontife; au même instant les clo-cles de toutes les églises remplissent la ville de leurs sons funèbres.nbsp;Pendant que les fidèles sont en prières, Ie magistral remain rassemblenbsp;la milice du Capitole el l’envoie, sous la conduite des Présidenls Lé-gionnaires, tirer de prison les coupables retenus pour des délits denbsp;peu de gravité. De son cóté, Ie sacré Collége députe des courriers ex-traordinaires a tous les cardinaux absents de Rome, pour les inviter anbsp;se rendre au conclave.
(i) Notizie istoriche delle stagioni, etc., da Francesco Cancellieri, p. 69. — Caaremo-niale continens ritus electionis romani Pontificis, etc., cui prajfiguntur constitutiones pontificise et conciliorum decreta ad earn rem pertinenlia. In-4o, Romse,
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Cependant Ie corps du Saint-Père demeure exposé durant neuf jours dans la basilique vaticane, a la vue de tout Ie peuple qui vientnbsp;en foule lui baiser les pieds. Le neuvième jour on prononce l’oraisonnbsp;funèbre et on dépose le pape défunt dans un tombeau provisoire. Lenbsp;lendemain, les cardinaux s’assemblent a Saint-Pierre, et le cardinalnbsp;doyen y dit la messe du Saint-Esprit, pour l’élection du nouveaunbsp;Pontife. Dans la journée le sacré Collége se réunit dans l’église denbsp;Saint-Sylvestre au Quirinal, d’oü il part, au chant du Fem Creator,nbsp;pour se rendre processionnellement au conclave. L’immense c6té dunbsp;Quirinal, qui longe la Yia Pia, est divisé dans toute sa longueur ennbsp;cellules fermées par de simples cloisons en planches. Ghaque celluienbsp;se compose de différentes petites pièces et cabinets, et chaque cardinal a la sienne pour lui et ses conclavistes. La chambre du cardinalnbsp;sulEt a peine pour contenir un lit, cinq ou six chaises et une table :nbsp;la pièce qui suit est destinée pour un conclaviste. Au-dessus de cellenbsp;du cardinal est une chambre pour un second conclaviste, avec deuxnbsp;pièces è cóté, dont Pune sert de chapelle et I'autre de salie it manger.nbsp;Toutes les cellules sent tendues de serge verte en dehors et en dedans,nbsp;excepté celles des cardinaux créés par le pape défunt, qui sont ta-.nbsp;pissées de serge violette en dehors, et en dedans d’une serge de lainenbsp;de même couleur ; chaque cardinal fait meltre ses armes sur la porienbsp;de son logement.
Lorsque les cardinaux sont arrivés au conclave, on leur donne lecture des huiles concernaut Féloction du pape, el tous jurent de les observer. Le maitre des cérémonies leur représente qu’ils ne doiventnbsp;pas s’enferraer au conclave, s’ils n’ont pas I’intention d’y rester jus-Qu’a la fin, comme les bulles le prescrivent. Le gouverneur du conclave et le marechal de la Sainte-Église commencent alors h placernbsp;Icurs soldats dans les lieux ou ils le jugent nécessaire pour la sureténbsp;tic l’élection. Les princes de l’Église entrés dans leurs cellules, onnbsp;tnure les portes du palais ainsi que les fenétres it I’exception d’unnbsp;Panneau; ce qui ne laisse pénétrer dans le conclave qu’un demi-jour,nbsp;favorable au recueillement. On pratique une communication avec lenbsp;dehors par des tours, a peu prés semblables it ceux des couvents denbsp;feligieuses. Ces tours ont deux serrures. Tune intérieure, I’autre extérieure; il en est de même de la seule porie qui ne soit pas murée etnbsp;fiui ne doit s’ouvrir que pour la sortie des cardinaux ou de leurs conclavistes, tombés malades dans le conclave. Les clefs de la serrure exterieure des tours sont confides au prélat gouverneur du conclave;nbsp;Celles de la serrure intérieure restent entre les mains du maitre des
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cérémonies. Le prince Savelli garde les clefs extérieures de la porte principale. C’est un privilége accordé par les papes èi sa familie quinbsp;est d’une noblesse fort ancienne. Pendant toute la durée du conclavenbsp;il restenuit et jour a la garde de cette porte, a la tête d’un nombreuxnbsp;détachement de troupes. Le cardinal camerlingue tient les clefs in-térieures de cette même porte; aussi bien que celles d’un petit gui-chet que l’on ouvre seulement pour les audiences données par les car-dinaux chefs d’ordre, aux ambassadeurs des puissances catholiques.
Vers le soir, le cardinal doyen et le cardinal camerlingue font la visite pour voir si tout est dans l’ordre. II ne reste dans le conclave outre les cardinaux et leurs conclavistes que les quatremaitres des cérémonies, le secrétaire du sacré Collége, quelques religieux pour ser-vir de confesseurs, deux médecins, un chirurgien, un apothicairenbsp;avec deux gargons, deux barbiers et deux aides, un maitre magon, unnbsp;maitre charpentier, et environ trente valets appelés facchini, pournbsp;faire le plus rude service. A 1’heure du repas, les officiers des cardinaux vont prendre dans les cuisines les mets destinés a leurs maitres.nbsp;En arrivant au tour, ils nomment leur cardinal a haute voix, aCn quenbsp;le conclaviste qui attend dans l’intérieur fasse prendre les plats parnbsp;des valets chargés de les porter dans la celluie du cardinal. Lorsqu’onnbsp;a passé tout ce qui compose le repas, un censeur en robe violette, tenant une masse d’argent a la main, ferme a l’extérieur la fenêtre desnbsp;tours, et le prélat assistant y applique le scellé avec ses armes. Lenbsp;maitre des cérémonies fait la méme chose a l’intérieur. Les prélats quinbsp;assistent aux tours sont députés du sacré Collége. Ce poste d’honneurnbsp;et de confiance est occupé par des Évêques, des Auditeurs de Rote,nbsp;des Clercs de la chambre et des Conservateurs remains. Quand onnbsp;veut parler i un cardinal ou a toute autre personne renfermée dans lenbsp;conclave, on doit se présenter aux heures fixées; la conversation nenbsp;peut avoir lieu qu’en présence des gardes du conclave, ii haute voix,nbsp;et en italien ou en latin afin que tout le monde l’entende. Telles sontnbsp;en général les précautions prises pour empêcher toute communicationnbsp;avec Textérieur, et procurer la liberté du conclave en le dégageant denbsp;toute sollicitation étrangère.
Aux mesures de la prudence humaine se joignent les moyens d’un ordre supérieur. Par ordre du cardinal vicaire tous les prêtres disentnbsp;a la messe, et cela pendant toute la vacance du Saint-Siége, la collectenbsp;pro eligendo summo Ponlifice. Conformément a la Constitution denbsp;Grégoire X, le Saint-Sacrement est exposé dans un grand nombrenbsp;d’églises, comme pour les Quarante heures. Pendant que les diverses
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confréries de Rome viennent Ie visiter Ie matin et Taprès-midi, en chantant les litanies et récitant les prières indiquées pour la circon-stance, Ie clergé séculier et les religieux mendiants se rendent chaquenbsp;jour en procession de l’église des Saints-Apótres au palais du Quintal, pour obtenir un heureux choix. A l’intérieur, Ie sacré Collége nenbsp;cesse d’invoquer les lumières d’en haut. Le lendemain de l’cntrée aunbsp;conclave, le cardinal doyen dit une messe basse du Saint-Esprit, h la-quelle communient tous ses collègues qu’il exhorte a travailler sérieu-sement a l’élection. Aussitót la grande affaire commence, et chaquenbsp;jour, soir et matin, les cardinaux s’assemblent a la chapelle duscrutin.nbsp;La convocation de l’assemblée se fait de cette manière : a six heuresnbsp;du matin et a deux heures après midi, un des maitres des cérémoniesnbsp;parcourt tout le conclave pour avertir les cardinaux, en sonnant unenbsp;clochette et en disant: Ad capellam, Domini; d la chapelle. Eminences. Tous les soirs, sur les neuf heures, le même maitre des cérémonies annonce avec sa clochette la retraite, en disant ces mots : Ad cel-lam, Domini; d la celluie, Eminences.
Le scruiin se fait avec une grande solennité. Au milieu de la chapelle Pauline est une longue table, portant deux calices destines a re-cevoir les billets. Sur la même table est la formule du serment que chaque cardinal prononce avant de déposer soa vote; en voici la teneur (i) : (c Je prends a témoin Jésus-Christ Notre-Seigneur qui doitnbsp;me juger, que j’élis celui que je crois, selon Dieu, devoir être élu, etnbsp;que je ferai la même chose ii Vaccessit. » On a recours a Yaccessü,nbsp;lorsque le scrutin ne donne i aucun candidat les deux tiers des suffrages, qui est le nombre requis pour être élu. Dans ce cas, les cardinaux peuvent voter pour celui qui a réuni le plus de voix ; ils accè-dent ainsi h leurs collègues, et de la vient le nom donné a cette formenbsp;d etection. Disons en passant que eet usage remonte a l’anciennenbsp;Lome. Le sénateur, qui était de l’avis d’un autre, se levait de sa placenbsp;s’approcbait de lui; ou, s’il ne voulait pas la quitter, il disait toutnbsp;Laut; Accedo ad idem; je vote comme un tel.
Pour entretenir la bonne harmonie entre les nations et le Souverain Pontife, l’Église veut bien accorder aux grandes puissances catholi-ques le droit d’exclure le cardinal qui ne leur est pas agréable. (2).nbsp;L Autriche, la France et l’Espagne jouissent de ce droit de veto. Maisnbsp;d faut observer que chaque couronne ne peut donner Fexclusion qu’a
_ (1) « Testor Christum Dominum qui me judicaturus est, eligere quem secundum Deum Judico eligere debere,et quod idem in accessu prasstabo. »
(2) II en est qui prétendent que c’est un droit usurpé, on ne salt quand, ni par qui.
86 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
un seul. Pour neutraliser, dans certains cas, cette influence qui pour-rait éloigner injustement du pontifical les membres les plus vénéra-bles du sacré Collége, Ie conclave fait usage de toute son habileté. S’a-perQoit-il que telle ou lelie puissance veut faire donner 1’esclusion a quelqu’un? il ne manque pas de proposer un autre candidat qu’onnbsp;sait n’être pas agréable a cette couronne : ce dernier est presque tou-jours exclu. Après avoir fait prendre Ie change a la puissance intéres-sée, Ie conclave revient au premier candidat, qui ne peut plus êtrenbsp;exclu par cette puissance; car elle a épuisé son droit.
Nous avons dit, ailleurs, que, suivant la bulle de Sixte V, les deux tiers des suffrages sont nécessaires pour l’élection. Lorsque les scruta-teurs ont reconnu qu’un membre du sacré Collége a réuni cette ma-jorité, un d’entre eux, élevant fortement la voix, proclame Ie nom dunbsp;cardinal, en disant: Cardinalis N.; Ie cardinal N. Ce nom est è peinenbsp;prononcé que Ie dernier cardinal-diacre sonne la clochette; a ce signalnbsp;Ie maitre des cérémonies et Ie secrétaire du sacré Collége entrent dansnbsp;la cliapelle; puis les trois cardinaux chefs d’ordre s’avancent devant Ienbsp;cardinal élu, et Ie cardinal doyen lui dit : (c Acceptez-vous l’électionnbsp;qui vient d’être faite canoniquement de vous pour Ie souverain pontifical (i) ? » Aussitót Ie consentement obtenu, tous les petits baldaquinsnbsp;placés sur les siéges occupés par les cardinaux s’abattent; celui dunbsp;nouveau pape reste seul. Les cardinaux qui sont a la droite et a lanbsp;gauche du nouvel élu, s’éloignent de lui, et quittent leur place par unnbsp;sentiment de respect; c’est un premier hommage qu’ils rendent è lanbsp;supériorité qu’il vient d’acquérir sur eux, et comme une déclarationnbsp;tacite qu’ils cessent d’être ses égaux.
Alors Ie cardinal doyen Ie prie de faire connaitre Ie nom qu’il veut prendre. Jusqu’en 1009, les papes conservaient leur nom de baptême;nbsp;mais Ie pape nommé cette année-li s’appelait Pierre; il ne voulut pasnbsp;porter Ie nom sacré donné par N.-S. au saint Apótre, et il prit celuinbsp;de Sergius IV. Depuis, les papes ont toujours pris un nouveau nomnbsp;en montant sur Ie saint Siége. Cette formalité remplie, Ie premiernbsp;maitre des cérémonies dresse un acte authentique de l’élection; aprèsnbsp;quoi les deux premiers cardinaux-diacres conduisent Ie nouveau papenbsp;derrière Ie maitre autel oü les maitres des cérémonies Ie revêtent desnbsp;ornements de sa dignité. La soutane de moiré blanche, la ceinture anbsp;glands d’or, Ie rochet de fin lin, Ie camail de satin rouge bordé d’her-mine, 1 etole brodée d’or, les bas blancs, les mules de velours rouge,
(i) Acceptasne electionem de te canonice factam in summum pontificem?
DÉTAILS SUB LE CONCLAVE. nbsp;nbsp;nbsp;87
ornées de la croix d’or, composent riiabillement du nouveau Pontife. On Ie porte dans son fauteuil placé sur Ie marcliepied de l’autel. Lesnbsp;cardinaux, en commenfant par Ie doyen, viennent lui baiser Ie pied,nbsp;puis la main, et Ie Saint-Père leur donne Ie baiser de paix au visage.nbsp;Le cardinal camerlingue passe au doigt du pape Fanneau du pêclieur,nbsp;que Sa Sainteté confie ensuite au maitre des cérémonies chargé d’ynbsp;faire graver Ie nom du nouveau successeur de saint Pierre. C’est alorsnbsp;que le premier cardinal-diacre, précédé du premier maitre des cérémonies et de la musique papale qui chante Fantienne : Ecce Sacerdosnbsp;Magnus; void le Grand Pontife, se rend ii Ia loge qui donne sur Ianbsp;place du Quirinal, pour averlir le peuple assemblé de Félection dunbsp;pape. A la vue du cardinal, un long frémissement parcourt la foulenbsp;immense, puis un silence religieux s’établit, et d’une voix forte Ienbsp;prince de FÉglise prononce lentement ces paroles solennelles : « Jenbsp;¦vous annonce une grande joie; nous avons pour pape FEminentissimenbsp;et Révérendissime N. N. du titre de S. N. cardinal de la sainte Églisenbsp;romaine, N. qui a pris le nom de N. (i). » A ces mots de transports denbsp;joie éclatent de toutes parts; les tambours battent aux champs, lesnbsp;clairons éclatent; la grande coulevrine du chateau Saint-Ange retentit,nbsp;et le bruit de toule Fartillerie de Rome se mêle au son des cloches denbsp;ses trois cents églises. Suivant un ancien usage le peuple rompt lesnbsp;clótures du conclave et prend tout ce qu’il trouve; aussi les cardinauxnbsp;ont-ils soin de mettre a couvert ce qu’ils veulenl sauver. Cependantnbsp;le Saint-Père, revêtu des ornements. pontificaux, et porté sur Fautelnbsp;de la chapelle Pauline, oü il revolt de nouveau les hommages du sacrénbsp;Collége, en présence de tout le peuple et après le chant du Te Deum,nbsp;il bénit Fassemblée. Le soir toute la ville est illuminée et le Saint-Père fait distribuer aux pauvres une grande quantité de pain, de vinnbsp;et d’argent.
Lorsque le jour du Couronnement est venu, on porte le Souverain Pontife dans la basilique de Saint-Pierre, au milieu de la pompe lanbsp;plus solennelle. Pendant que le cortége descend Fescalier royal, lesnbsp;ehantres de la chapelle exécutent YEcce Sacerdos Magnus. Sa Sain-*•010 est regue sous le portique par le chapitre de Saint-Pierre, quinbsp;ehante la sublime antienne : Tu es Petrus; le Saint-Père descend denbsp;l3 Sedia devant Fautel du Saint-Sacrement, et va s’asseoir sur Fautelnbsp;qui est devant la chaire de saint Pierre. Pendant qu’il y regoit Fhom-
(i) Annuntio vobis gaudium magnum : habemus papam, Eminentissimum ac Reve-rendissimum Dominum N. N. tituli S. N. Sanctae romaaa: Ecclesise cardinalem N... qui nomen imposuit N...
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LES TROIS ROME.
image des cardinaux, on chante Ie Te Deum; et Ie nouveau Pontife béuit pour la première fois Ie peuple Immense qui reroplit la vastenbsp;Basilique.
Le couronnement a lieu d’ordinaire Ie dimanche qui suit l’élection; il se fait ii Saint-Pierre. Depuis saint Sylvestre, a qui Constantin lanbsp;donna, les papes ont toujours porté la couronne, symbole de la royauténbsp;et du pouvoir conféré a saint Pierre sur toute l’Église par J.-C. Unenbsp;seconde couronne fut ajoutée è la première, sinon par Nicolas II, ennbsp;1038, du moins par Bonifacè VIII, en 1294, et au plus tard par Clément V, en 1303 ; Benoit XII, en 1534, Urbain V, en 1362, ou, selonnbsp;d’autres, Boniface IX, en 1389, prirent la troisième (i).
Arrivé a son tróne le Saint-Père entonne Tierce, pendant laquelle Sa Sainteté se revêt des habits pontilicaux. Les cardinaux, les prélatsnbsp;et les évêques prennent leurs ornements blanes et leur mitre, et onnbsp;fait la procession autour du choeur. Pendant la marche, un maitre desnbsp;cérémonies porte a la main un long baton argenté, a Pextrémité du-quel sont liées des étoupes de soie. Parvenu a la chapelle des SS. Proces et Martinien, il se retoUrne, fait une génuflexion devant le Pontife,nbsp;un clerc de la chapelle allume ces étoupes, et le maitre des cérémoniesnbsp;se relève en chantant: Pater Sancte, sic transit gloria mundi; Saint-Père, ainsi passe la gloire du monde!
Au retour de la procession la messe commence. Le Gloria in ex-celsis terminé, un grand mouvement se remarque dans le choeur : le premier cardinal-diacre, accompagné des auditeurs de Rote et des avo-cats consistoriaux, descend au tombeau des apótres Pierre et Paul,nbsp;sous 1’autel de la Confession; et de la chapelle souterraine s’élève lenbsp;cri trois fois répété ; Christ, exaucez-nous. Le choeur : A Notre Seigneur N. choisi de Dieu pour Souverain Pontife et Pape universel,nbsp;la vie (2). Ce sont les litanies du couronnement dont l’origine se perd
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Voir pour tous les détails qui précédent et qui suivent; Riganti, De regul. Cancell.;nbsp;Rocca, Thesaur. antiquit.; Cancellieri, Notizie dei diversi sUi in cui sono stati tenuti inbsp;conclavi nella citta di Rorna; Coeremoniale continens ritus electionis S. Pontif Romse,nbsp;in-4»; Chapelles Papales, par G. Mozoni, etc.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Exaudi, Christel ie choeur : Domino Nostro N. a Deo decreto Summo Pontifici etnbsp;universal! Pap» vita!
Exaudi, Christe 1 Le choeur: Domino Nostro N. a Deo decreto Summo Pontifici et universal! Pap» vita!
Exaudi, Christel te ctenrDomino Nostro N. aDeo decreto Summo Pontifici et universal! Pap» vita!
Salvator mundi! ie chmur ; Tu ilium adjuva!
Salvator mundi! ie clmur : Tu ilium adjuva!
Salvator mundi! ie choeur ; Tu ilium adjuva!
DÉTAILS SDR LE CON'CLAVE. nbsp;nbsp;nbsp;89
dans la nuit des siècles. Je ne sais s’il existe quelque chose de plus solennel que cetteprière qui, s’élevant de la tombe apostolique, traversenbsp;la sublime coupole et monte directement au ciel.
Après la messe, Ie Saint-Père reQoit les insignes de la double dignilé de pontife et de roi qui l’élève au-dessus de toules les puissances visibles. Le cardinal-diacre lui met Ie Pallium en disant : « Recevez Ienbsp;Pallium, insigne de la plénitude du pouvoir pontifical, pourl’honneurnbsp;du Dieu tout-puissant, de la très-glorieuse Vierge Marie sa mère, etnbsp;des bienheureux apótres Pierre et Paul, et de la sainte Église ro-Hiaine (i). » Le Saint-Père monte ensuite sur la grande loge du Vatican, et le premier cardinal-diacre, a qui est réservé l’honneur ,'de lenbsp;couronner, lui met sur la tête la Tiare, emblème de la puissance royale,nbsp;en disant ; « Recevez la Tiare, ornée d’une triple couronne, et sacheznbsp;que vous êtes le père des princes et des rois, le modérateur du monde,nbsp;le vicaire sur lerre de Notre-Seigneur Jésus-Cdirist, a qui soit honneurnbsp;et gloire aux siècles des siècles. Ainsi soit-il (a). »
Le Saint-Père bénitle peuple, puisle doyen du sacré Collége, au nom de tous les cardinaux, vient lui faire le compliment Ad multas annos,nbsp;lui souhaitant de longues années de pontifical. A ce moment fortuné,nbsp;Rome est dans l’allégresse : rartillerie du chateau Saint-Ange, toutenbsp;l’infanterie et la cavalerie rangées en bataille sur la place Saint-Pierre,
Sancta Maria! Le clmur : Tu ilium adjuva!
Sancta Maria! Le chaeur : Tu ilium adjuva!
Sancte Michael! Le choeur : Tu ilium adjuva!
Sancle Gabriel! Le chaeur : Tu ilium adjuva!
Sancte Raphael! Le chwur : Tu ilium adjuva!
Sancte Joannes Baptista! Le chaeur : Tu ilium adjuva!
Sancte Petre! Le choeur : Tu ilium adjuva!
Sancte Paule! Le choeur : Tu ilium adjuva!
Sancte Andrea! Le choeur : Tu ilium adjuva!
Sancte Stephane! Le choeur : Tu ilium adjuva!
Sancte Leo! Le choeur : Tu ilium adjuva!
Sancte Gregori! Le choeur : Tu ilium adjuva!
Sancle Benedicte! Le choeur : Tu ilium adjuva!
Sancte Basili! Le chwur : Tu ilium adjuva!
Sancte Saba! Le chwur : Tu ilium adjuva!
Sancta Agnes! Le chwur ; Tu ilium adjuva!
Sancta Catcilia! Le chwur : Ta ilium adjuva!
Sancta Lucia! Le chwur : Tu ilium adjuva!
(lt;) Accipe Pallium, signum plenitudinis ponlificalis oflicii, ad honorem omnipotenlis Pei et gloriosissimae Virginis Mari® ejus matris, et beatorum apostolorum Petri et Pauli,
sancta: Romana: Ecclesia:.
(a) Accipe Tiaram tribus coronis ornatam, et scias te esse patrem principum et regum, rectorum orbis, in terra vicarium Salvatoris nostri Jesu Christi, cui est honor et glorianbsp;tu ssecula sseculorum. Amen.
90 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
font une décharge générale; Ie soir, la ville enlière est illuminée.
Roi, Ie Souverain Pontife a re§u la couronne royale dans la basili-quevaticane; Evêqiie, illui reste ii prendre possession de son évêché. G’est amp; Saint-Jean-de-Latran qu’a lieu l’auguste cérémonie du j30sse.sso.nbsp;Cette église lient Ie premier rang entre toutes les églises catholiques;nbsp;elle est la cathédrale du monde, car elle est la cathédrale de Rome :nbsp;voila pourquoi l’évêque du monde, l’évêque de Rome s’y rend aprèsnbsp;son couronnement. Afin d’attirer les bénédictions du Ciel sur cetlenbsp;démarche solennelle, Ie Saint-Père fait distribuer la veille d’abon-dantes aumónes, fait des fondaiions pieuses, et donne aux arts de pré-cieux encouragements. Le sacré Collége, les prélats, les chefs d’ordre,nbsp;toutes les autorités romaines se rendent au palais habilé par le Pape.nbsp;A l’heure indiquée le brillant cortége se met en marche et traverse lanbsp;ville en passant par le Capilole, oü un are de triomphe attend le Pon-life-Roi. Les clefs de la forteresse lui sont présentées par le sénateur,nbsp;tenant un sceptre d’ivoire a la main. On franchit le Forum, on passenbsp;sous l’arc de Titus et par le Colisée; en sorle que le successeur denbsp;Pierre le Galiléen traverse, en triomphateur, lous ces lieux célèbresnbsp;par la cruauté des tyrans et par le carnage des martyrs. Depuis l’arcnbsp;de Titus jusqu’au Colisée, les Juifs font tapisser le chemin et le bor-dent ii droite et a gauche d’écriteaux sur lesquels on lil des sentencesnbsp;en hébreu et en latin, appliquées au nouveau pape. Le grand rabbin,nbsp;a la tête de ses confrères, présente a Sa Saintelé une bible hébraïque.nbsp;Le Saint-Père la regoit et leur dit : « C’est en vain que vous attendeznbsp;le Messie que ce livre divin promet, il y a plus de dix-huit sièclesnbsp;qu’il est venu; ne résisiez pas plus longtemps a l’évidence. » Et ilnbsp;prie le Seigneur d’óter le bandeau fatal qui leur dérobe la lumière.
Arrivé sous le portique de Saint-Jean-de-Latran, le Souverain Pontife est complimenté par le cardinal-archiprêtre, au nom du chapitre. Les clefs de la basilique. Tune en or, et l’autre en argent, lui sontnbsp;présentées dans un bassin en vermeil rempli de fleurs. C’est alors quenbsp;la musique chante ces paroles du prophéte : lt;t II a élevé de terre l’in-digent, afin de le placer parmi les princes de son people. » Toute lanbsp;basilique est tapissée de tentures rouges frangées d’or, avec des inscriptions relatives è la cérémonie. Après l’hommage du sacré Collége et le chant du Te Deum, le Saint-Père assis sur son tróne regoitnbsp;du premier cardinal-diacre des médailles frappées a l’occasion de sanbsp;prise de possession. Chaque cardinal en regoit deux dans sa mitre.nbsp;Tune d’or, l’autre d’argent, et baise en même temps la main du Saint-Père. Le cortége se remet en marche et se rend sur la galerie du por-
ENLEVEMENT DE PIE VII. nbsp;nbsp;nbsp;91
tique, d’oii le Souverain Pontife donne la bénédiction solennelle; puis on jette sur toute la foule de nombreuses poignées de petites piècesnbsp;•i’argent, frappées exprès aux armes du pape, en disant ces paroles :
a distribué et donné aux pauvres; dispcrsit, dedit pauperibus.
Telles sont les principales cérémonies qui précédent, qui accompa-gnent et qui suivent l’élection du vicaire de Jésus-Christ. On est heu-reux de visiter, au milieu de ce cortége d’imposants souvenirs, le palais OÜ s’accomplit le grand événement; mais si le Quirinal vous redit la gloire de la papauté, il vous rappelle aussi ses douleurs. Pouvions-ÖOUS oublier, nous voyageurs francais, ce qui se passa dans ce palaisnbsp;célèbre la nuit du 5 au 6 juillet 1809? Le général Radet, envoyé deTos-cane pour enlever le vénérable Pie Vll, avail cerné le palais. Desnbsp;échelles, appliquées aux murs du jardin, et ^ Tare qui joint le Quirinalnbsp;^ la rue voisine, avaient permis aux satellites de s’introduire dans lanbsp;demeure du Pontife : nulle résistance n’est opposée a leur entreprisenbsp;sacrilége. Radet, é la tête de ses sbires, se trouve li trois heures dunbsp;niatin sur le seuil de la chambre occupée par le Saint-Père. Quelquesnbsp;instants après, le vicaire de Jésus-Christ, accompagné de son fidélenbsp;ministre, le vénérable cardinal Pacca, est enfermé dans une voiture etnbsp;conduit è marches forcées jusqu’a Florence. On sortit par la porte dunbsp;People. « Bienlót, dit le cardinal Pacca, le Saint-Père me demanda sinbsp;j’avais emporte quelque argent. » — « Je lui dis : Votre Sainteté anbsp;vu que j’ai été arrêté dans son appartement, et il ne m’a pas été permis de retourner dans le mien. » Alors nous tirömes nos bourses; etnbsp;malgré I’affliction et la douleur oii nous étions plongés de nous voirnbsp;arrachés de Rome el séparés de son bon people, nous ne pumes nousnbsp;•'mpêcher de rire, quand nous trouvames dans la bourse du pape unnbsp;Papetto (vingt baïoques, environ vingt-deux sous de France), et dansnbsp;la mienne trois grossi (quinze baïoques, un peu plus de seize sous).nbsp;Nous n’avions ni provisions, ni habits, ni linge pour changer. Le papenbsp;fit voir le papetto au général Radet en lui disant : « De toute notrenbsp;Principauté, voila done ce qui nous reste (i)! » Fidéle k conserver tousnbsp;^6s monuments de son histoire, Rome a laissé subsister les traces denbsp;^a violence exercée au Quirinal contre l’immortel Pontife. Les fenêtresnbsp;t^assées par des mains fran^aises sont encore la pour rappeler l’attentatnbsp;sacrilege et la maniére dont il fut commis. Qui de nous peut les voirnbsp;®ans baisser les yeux?
Le Quirinal renferme un sanctuaire oü Fon ne pénètre pas sans être
(0 Mémoires du card. Pacca.
-ocr page 96-92 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
saisi d’un profond respect, c’est la Custode. On donne ce nom aux magnifiques salles dans lesquelles Rome conserve les reliques des martyrs. Tons les héros du Christianisme y sont représentés : c’est commenbsp;Ie quartier général du courage et de la gloire. La sont apportés lesnbsp;corps des martyrs qu’on extrait des catacombes (i); de la partent pournbsp;toutes les églises du monde chrélien, les reliques sacrées qui vont té-moigner de la foi primitive et réchauffer la piété des peoples vieillis ;nbsp;mais je donnerai la-dessus de nouveaux détails en parlant des catacombes. Avant de quitter Ie Quirinal nous jetames un dernier regardnbsp;sur la place qui lui sert d’avenue. Cette place est irrégulière, maisnbsp;noblement terminée par Ie palais pontifical, les remises et Ie palais denbsp;la ConsuUe. Un autre ornement de la place de Monte Cavallo, c’estnbsp;l’obélisque du tombeau d’Auguste. Semblable è celui de Sainte-Marie-Majeure, il s’élance du milieu d’une fontaine entre les deux statuesnbsp;colossales de Castor et de Pollux tenant leurs chevaux. De son cóté, lanbsp;fontaine élève ii une grande hauteur ses eaux abondantes qui retom-bent gracieusement dens un superbe bassin de granil oriental, trouvénbsp;dans Ie Forum, vis-i-vis de la prison Mamertine. L’ensemble du monument ne laisserait rien a désirer, si les demi-dieux n’étaient dans unnbsp;état de nudité qui fait peine. Les derniers rayons du soleil, qui do-raient la grande fagade du Quirinal, nous avertirent qu’il était tempsnbsp;de mettre fin a nos études. Franchissant done avec rapidité la placenbsp;de Trevi, nous rentrèmes par la Propagande a notre gite de Ia rue desnbsp;due Macelli.
8 JANVIER.
Fontaines de Rome.—Aqueducs des anciens Remains.—Puissance do la Ville élernelle.
De bonne heure nous descendimes vers Ie quartier de la Colonne, nouvel objet de nos investigations; mais sur Ie ebemin nous rencon-trdmes la fontaine Trevi: impossible de passer sans faire halte. Rome,nbsp;célèbre par tant de monuments, se distingue surtout par ses fontaines.nbsp;On peut dire que sous ce nouveau rapport elle n’a pas de rivale. Lanbsp;fontaine de Moïse, la fontaine Pauline, celles de la place Navone etnbsp;de la place de Trevi, surpassent tout ce qu’on peut admirer en cenbsp;genre, non-seulement par la richesse de leurs ornements, mais encorenbsp;par 1’abondance de leurs eaux. Ailleurs, qu’avez-vous ? des filets d’eau
(i) Du moins en partie; on en depose d’autres a 1'Apollinairc.
93
FONTAINES DE ROME.
OU des sources plus ou moins abondantes, qui, cachant dans les en-Irailles de la terre le chemin qu’elles parcourent, déposent humble-Uient leurs eaux silencieuses dans de prosa'iques réservoirs de bois ou de pierre. Ici quelle difïérence! vous voyez de véritables rivières quinbsp;¦'^iennent de dix et de quinze lieues sur des arcs de triomphe apporternbsp;leur tribut au peuple-roi. Leurs eaux tombent en cascade dans denbsp;wastes bassins de marbre et de granit, environnés d’un peuple de sta-lues; ou bien elles s’écbappent en bouillonnant des fentes des rochersnbsp;disposés avec un art qui égale la nature. A cette magnificence on re-connait, en patrie du moins, l’héritage des anciens maitres du monde.nbsp;Home pa'ienne imprimait h tous ses ouvrages un cachet de grandeurnbsp;qui révèle a chaque pas la puissante reine de la force. Nous I’avionsnbsp;admirée dans ses égouts, il fallut recommencer è I’aspect des fontaines.nbsp;Hebout, les bras croisés, sur le bord du gracieux bassin de marbrenbsp;lilanc de la place de Trévi, que l’eau virginale remplit de ses flotsnbsp;orgentés, nous repassames dans notre mémoire ce nouveau chapitre denbsp;la magnificence roinaine.
Jusqu’a Fan 442, les Remains se contentèrent de l’eau du Tibre, des puils et de quelques fontaines jaillissantes. A cette époque, le cen-seur Appius Claudius, surnommé FAveugle, entreprit d’amener hnbsp;Rome une source située a trois lieues de distance, sur la voie Prénes-line. II eut la gloire de réussir et de donner son nom au premier aque-duc que la ville posséda (i). Tour a tour cachée dans les flancs desnbsp;uiontagnes ou suspendue dans les airs sur de magnifiques arcades,nbsp;eeite rivière venait se décharger prés de la porte Capena, et coulaitnbsp;jusqu’au Cbamp de Mars (2). La vue de cette merveille, d’ailleurs sinbsp;otile a Fassainissement de lacité et si favorable au luxe toujours crois-®ont des Romains, excita une noble émulation. Les censeurs, les édlles,nbsp;Hs préteurs eux-mêmes voulurent doter la ville de quelque monument
semblable.
C'Anio vefus fut amené a Rome par les censeurs Curius Dentatus
Lucius Papirius Cursor, Fan 481. Les soldats de Pyrrhus, faits pri-sonniers, et les richesses de ce prince construisirent ce superbe aque-duc. Commengant bien au dela de Tivoli, il venait rejoindre Faqueduc de Claude, prés de la porte Capena. Sa longueur totale était de seizenbsp;lieues et demie, dont les cinq sixièmes en conduits souterrains et lenbsp;^'este en substructions élevées au-dessus du sol (3).
(0 Per Appium Claudium censorem via facta et aqua inducta est, qua! Ipsius nomine Puncupalur. Cassiod.; Frontin, De Aqumduct., 5; Tit.-Liv., ix, 29.
(-) Frontin., id.; Nardini, p. 446.
(5) Frontin., 5.
-ocr page 98-94 LES TROIS ROME.
L’eau Tepula, qui avail sa source è onze milles de Rome, sur la voie Latine, arrivait dans un aquedue construit par les censeurs Caius Ser-vilius Cepio et Lucius Cassius Longinus, l’an 628 (r).
L’eau Martia, la plus fraiche des eaux romaines, fut amenée par Ie préteur Quintus Martius (2). Sortant des montagnes de la Sabine, ellenbsp;traversait Ie pays des Marses et Ie lac Ficin, et arrivait h Rome dansnbsp;un aquedue dont la longueur totale était de vingt-lroie lieues troisnbsp;quarts (3). La partie souterraine était de vingt lieues et demie; cellenbsp;sur terre, de trois lieues et quart, dont la nioitié environ en arcadesnbsp;gigantesques.
L’eau Julia, amenée a Rome par Agrippa, sous Ie consulat d’Au-guste, l’an 721, prenait sa source dans les montagnes de Tuscalum, prés de la voie Latine, ii douze milles de Rome (4). Elle entrait en villenbsp;du cóté de la Porte-Majeure et venait arroser Ie Quirinal.
L’eau Vierge, la plus légère et la plus saine de toutes, fut encore conduite a Rome par Agrippa, Fan 53S. Elle dut son nom a une jeunenbsp;fille qui la trouva, sur la voie de Préneste, ii six lieues de Rome.nbsp;L’aqueduc avail cinq lieues en canaux souterrains, Ie resle en substructions et en arcades (s). II entrait a Rome du cóté de la voie No-mentane, cótoyait la base du mont Pincius, et se déchargeait au-des-sus des jardins de Salluste, non loin du lieu oü se trouve aujourd’huinbsp;la Trinité-des-Monts. Ici la source virginale se divise en deux branches : l’une qui s’étend vers la rue appelée pour cela de Condotti etnbsp;la naumachie de Domitien; 1’autre vers la fontaine de Trevi qu’ellenbsp;alimente. De nombreux canaux donnaient de l’eau en abondance auxnbsp;plaines du Champ de Mars, ainsi qu’a la septième et a la neuvièmenbsp;Région. Perdue a la suite des guerres, celte source, laiit aimée desnbsp;Remains, fut rendue a leurs désirs par les papes. Grégoire XIII la dis-tribua dans tous les quarliers de la ville oü Ie niveau permettait de lanbsp;faire arriver. Grace a I’inlelligent et généreux Pontife, elle coula bien-lót ó grands Hots sur la place du Peuple, sur la place Calonne, sur lanbsp;place de la Rotonde et sur Ia place Navone. Les statues, les obélisques,nbsp;les vasques de bronze et de granit, les plus beaux ouvrages de Partnbsp;fiirent prodigués pour orner ces superbes fontaines.
L’eau Alseatina fut un présent d’Auguste lui-même. Elle prenait
(0 Fronlin., S.
(a) Clart.ssinia aquariim omnium in toto orbe trigoris, salubrilatisque palma prmconio urbis Martia est inter reliqua Deüm munera urbi tributa. — Plin., lib. xxxi, c. 5.
(s) Plin., id., id.; Fronlin, id.
(4) Dio, lib. XI.VI11.
(s) Plin., lib. XXXI, c. 3; Front., 5.
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sa source dans Ie lac du rnême nom, situé a huit lieues de Rome, sur ia voie Claudia (i). Elle ne servait guère que pour les naumachies etnbsp;pour Ie quartier Transteverin, dans les cas de nécessité. Cette eau portalt Ie nom A'Augusta qu’elle partageait avec iine autre source très-abondante que Ie même empereur joignit par un superbe aqueduc hnbsp;1’eau Martia. C’était pour suppleer ü cette dernière dans les tempsnbsp;de sécheresse (2). Les successeurs d’Octave marcbèrent sur la trace denbsp;ee prince, et ie surpassèrent même en magnificence et en libéraliténbsp;pour amener a Rome de nouvelles sources. Bientót on compta qua-torze aqueducs dans lesquels un hommeacheval pouvait voyager com-tiiodément (3).
Le plus remarquable de tous par la grandeur et la hardiesse de ses proportions était l’aquedue de Claude, dont les ruines prodigieusesnbsp;traversent la campagne romaine. Que dis-je les ruines? Taqueduclui-ttiême subsiste; et aujourd’hui encore il conduit a Rome une bonnenbsp;Partie de l’eau qui abreuve et einbellil la cite. Commence par Caligulanbsp;et acbevé par Claude, il amenait I’eau de Subiaco, a quarante millesnbsp;deRome. Sa hauteurest telle qu’il domine les sept collines, et qu’autre-fois, se dechargeant sur le sommet de I’Aventin, il laissait tomber sesnbsp;eaux en magnifiques cascades dans la vallée du grand Cirque Q). Plinenbsp;I’Ancien nous étonne quand il dit qu’un semblable ouvrage ne coutanbsp;que sept millions et demi; mais il faut savoir que la main-d’oeuvrenbsp;u’etait pas payée. Prisonniers de guerre, esclaves infortunés, dites-nousnbsp;combien vous futes de milliers pour achever ce travail de géants!
h'Anio novus, ruisseau limpide qui sortait des montagnes de la Sa-itine, du cóté de Subiaco, a quarante-deux milles de Rome, faisait son ontrée dans la ville par I’aqueduc de Claude (5). Le ruisseau d'Her-^ule parcourait ^ peu prés la même distance et suivait le même che-tttin. Après avoir contemplé avec stupeur ces ouvrages que le monde
(gt;) Frontin., 5.
(5) Roma; aqu.T;duclus dccem et qualuor numero sunt cocto ex latere per priscos hotlines ffidificati, et lalitudine et simul profundilatc, ut mquUans vir aliquis ipso cum cquo per eos superne evadereliberiusqueat. —Procop. de Bell, Gothic.^ 1, iv.—-Victornbsp;compte 20.
U) Vicit antecedentes aquarum ductus novissiraum impendium opcris inchoati a p- Ca;sare et peracti a Claudio : quippe a qu.adrogesimo lapide ad earn cxcelsitalem utnbsp;omnes urbis montes levarentur, influxere Curtius et Ca;ruleusionics. — Plin., xxxvr,nbsp;to—Claudiam per lantam lastigii niolem sic ad Aventini caput esse pcrductam; utnbsp;rum ibi ex alto lapsa ceciderit, cacumen illud excelsum, quasi imam vallem irrigarenbsp;''ideatur. — Cassiod.
(3) Front 5.
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entier ne serait plus capable d’exécuter (i), nous nous transportómes h l’occident de la ville, vers Ie Vatican et Ie Janicule. Li nous atten-daient de nouvelles preuves et de cette force rotnaine si habile a latternbsp;contre la nature, et de cette vaste exploitation de rhomme par i’hoinmenbsp;sous Ie paganisme.
La superbe fontaine Pauline, assez forte pour faire tourner des mou-lins en tombant de l’aqueduc, révèle la main de Trajan. Ce fut vers l’an 112 de notre ère qu’après de glorieuses luttes contre les resistances de la nature, Ie vainqueur de Décébale fit couler les sources abon-dantes d’Oriolo e| de Bassano (2) au-dessus du Vatican : la distancenbsp;parcourue est énorme. Au pape Paul V, digne émule des Césars par sanbsp;magnificence, est due la reslauration de Taqueduc et la nouvelle distribution de Peau trajane, si utile au Borgo et même a Rome. Par lesnbsp;soins du même Pontife, l’aqueduc traverse aujourd’hui Ie Tibre etnbsp;vient alimenter un grand nombre de fontaines dans l’intérieur de lanbsp;ville ; la plus remarquable est celle de la place Farnèse. C’est unnbsp;prince de l’Église, Ie cardinal Odoard Farnèse, qui fit construire cettenbsp;superbe fontaine, a laquelle il donna pour recipient Ie vaste bassin denbsp;granit numidique, trouvé dans les thermes de Caracalla. Paul V tiranbsp;un autre parti de Peau trajane. Sous son intelligente direction elle vintnbsp;arroser les jardins du Vatican, et s’élever en gerbes immenses sur lanbsp;place de Saint-Pierre, dans les deux magnifiques fontaines que toutnbsp;Ie monde admire. Celle du septentrion fut construite par ses ordres,nbsp;sur les dessins du chevalier Maderna. Elle devint Ie modèle de la seconde qui est au midi et dont la gloire appartient a Clément X. Lenbsp;prévoyant Pontife la fit élever pour la commodité des pèlerins qui al-laient afiluer a Rome pendant Pannée sainte de 1673. Enfin sousnbsp;Alexandre VU, Peau trajane servit de moteur au balancier de Phótelnbsp;des monnaies: nouvel usage que rappelle Pinscription suivante gravéenbsp;sur la portè de Pédifice :
ALEXANDER VU. PONT. MAX.
MONETARIAM OFFICINAM IN QUA NOVO ARTIFICIOnbsp;PRiEClPITlS AQU.E IMPULSU VERSATIS ROTISnbsp;MAGNO TEMPORIS OPER/EQUE COMPENDIOnbsp;NüMMI AFFABRE CELERITERQUE SIGNENTURnbsp;PUBLIC.E DTILITATI CONSTRUXITnbsp;ANNO SAL. MDCLXXV.
(!) Ad qua; opera patranda nunc lotus orbis infirmus videatur. — Lander Albertus, Descript. Hal.
(s) Forum Claudii et Bassi.
AQÜEDÜCS DES ANCIENS DOMAINS. nbsp;nbsp;nbsp;97
Nous avions étudié une des plus grandes merveilles de la cité des Gésars et de la cité des Pontifes. En calculant la largeur totale desnbsp;aqueducs qui venaient rafraichir Rome, embellir ses édifices et vi-vifiernbsp;ses places et ses amphithéatres, on trouve une distance d’environ centnbsp;Irente lieues! D’autres calculs établissent que toutes les eaux réuniesnbsp;formaient une rivière de la force de la Seine (i). Que dire de la soliditénbsp;aqueducs et des dilEcultés vaincues pour les construire? Pendantnbsp;des siècles ces iits artificiels ont porté des masses d’un poids énorme;nbsp;ds ont résisté aux intempéries de Pair, aux ravages du temps, auxnbsp;Coups des Barbares, a l’affaissement du sol et a tou|les accidents quinbsp;tttenacent des constructions de ce genre. Aujourd’hui encore leursnbsp;Testes grandioses ne semblent braver les üges et survivre a Rome elle-®tême que pour perpéluer la gloire de la Ville éternelle, en porlanlnbsp;Jusqu’aux dernières générations l’imposant témoignage de son incomparable puissance. La construction des aqueducs n’atteste ni moins denbsp;génie, ni moins de pouvoir. Des montagnes percées, des vallées com-Itlées, les entrailles de la terre creusées souvent a trente pieds de pro-fondeur, des canaux suspendus dans les airs, portant sur de longuesnbsp;files d’arcades une rivière, quelquefois deux ou trois. Tune au-dessusnbsp;de l’autre, è une hauteur prodigieuse ; prés de ces gigantesques ou-vrages que sont nos tunnels et nos petits canaux?
Toutefois, ce n’est la qu’une partie des merveilles que présentent les eaux romaines. Lorsque debout sur ces ruines, auprès de ces fon-faines sauvées par la main des Pontifes, on pénètre plus avant dans Ienbsp;système intérieur des aqueducs, l’étonnement redouble. Arrivées auxnbsp;Portes de la ville, ces rivières tombaient les unes dans de vastes piscines oü elles déposaient leur limon, les autres dans des chSteaux-‘^’eau (castella et dividicula) d’oü elles se divisaient pour prendrenbsp;^ifférentes directions. Dans les dividicula étaient de larges vases denbsp;liTonze, en forme d’entonnoirs; fixes sur de vastes tuyaux en plomb,nbsp;ils recevaient la quantité d’eau destinée amp; chaque région, a chaquenbsp;Tiaumachie, etc. Des 'puils établis de distance en distance donnaientnbsp;^ eau aux maisons, aux jardins, aux euripes, aux abreuvoirs, auxnbsp;'lilas des faubourgs (2). Ces chüteaux-d eau étaient au nombre denbsp;plus de deux cents. Qu’on se figure done ces deux cents castella, ornés
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Rondelet a fait eet aulre calcul Aiir Frontin .-la masse d’eau amenée
ducs était équivalente a une rivière large de trente pieds, profonde de six, el dont la ^Uesse serail de Ircnte pouces par seconde.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Kumina per urbem et cloacas videri fluere, atque domum prope modum haDerenbsp;fistulas et canales quibus aquam inducal. — Strab.
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des statues des divinités protectrices des eaux; les innombrables luyaux de plomb qui couraient sous les rues et qui formaient commenbsp;les'veines et les arlères de ce corps gigantesque; les abreuvoirs et lesnbsp;fontaines jaillissantes au nonibre de plusieurs mille; tous ces fleuvesnbsp;qui coulaient suspendus a travers Timmense cité, et on n’aura pas denbsp;peine a s’écrier avec Pline, que nulle merveille dans Funivers ri’étaitnbsp;plus digne de Fadmiration des hommes (i).
Tel est, en effet, Ie premier sentiment qu’on éprouve au souvenir de tant de puissance et de génie. 11 en est un second dont il est impossible de se défendre, quand on songe aux provinces désolées, auxnbsp;esclaves enchainés dont les mains et les richesses b^tirent ces somp-tueux aqueducs qui auraient dü porter des fleuves de larmes avant denbsp;conduire les eaux nécessaires a la mollesse des maitres du monde. Lanbsp;fontaine de Trevi nous avait ouvert un si grand horizon qu’il nousnbsp;fallut renoncer a Ie dépasser ce jour-la. Toutefois la vue des aqueducsnbsp;et des fontaines ne put nous faire oublier nos amis de France : avantnbsp;de rentrer, nous allames demander nos lettres. Mais a peine touchions-nous aux galeries de Fhótel des postes qu’un fatal écriteau vint frap-per nos regards de la manière du monde la plus désagréable. I cor-rieri di Toscana e di Bologna non sono giunti; ce qui veut dire :nbsp;Messieurs les Francais, vous n’aurez pas de lettres aujourd’hui.
9 JANVIER.
Colonne Antonine. — La Legion Fulminante. — Bas-relief. — Édit de Marc-Aurèle. — Restauralion de la Colonne par Sixtc V. — Monte-Citorio. — La Fontaine. — Le Gnomon.—Le Champ de Mars.— Les Sepia et ia Villa publica. —Les Jardins, lesnbsp;Thermes et le lac d’Agrippa.
Avant neuf heures nous entrions dans le quartier de la Colonne, fl doit son nom a la colonne Antonine qui s’élève sur la place principale.nbsp;Situé vers le centre de la ville, il occupe une partie des anciennes regions de VAlta Semita et de la Via Lala. La place Colonne est unenbsp;des plus régulières de Rome. Deux monuments Fembellissent : une
(t) Si quis diligentius a:stimaverit aqiiarum abundantiam in publico, in balneis, pis-cinis, domibus, euripis, horiis, suburbanis villis, spalioque advenienüum cxtruclos arcus, monies perfossos, convalles atquatas, patebitur nihil magis mirandum 1'uisse totonbsp;orbelerrarum. —Plin.,lib. xxxvi, tS. —Magniludinis Romani imperii id pra;cipuuninbsp;esse indicium. — Front., S.
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superbe fontaine et la colonne d’Antoniu. Cette colonne, si fameuse dans l’histoire, fut élevée par Ie sénat è l’empereur Marc-Aurèle-An-tonin, pour les yictoires qu’il avail remportées sur les Marcomans, lesnbsp;Quades et autres peuples de FAllemagne. Elle est en marbre blanc etnbsp;présente onze pieds et demi de diamètre sur cent quarante-huit etnbsp;demi de hauteur. Les bas-reliefs qui l’entourent de la base au sommetnbsp;représentent les exploits de l’empereur. Quel bonheur pour nous d’ynbsp;''oir sculptépar des mains païennes un fait contemporain, si glorieusnbsp;pour Ie Christianisme naissant! je veux parler du miracle de la légionnbsp;l^ulrainante. C’était l’an 176, l’empereur était au coeur de FAllemagnenbsp;®vec son armee. Trompés par les Quades, les Remains s’engagent dananbsp;une vallée profonde, cernée de tous cótés par de hautes montagnes.nbsp;Les Barbares apparaissent tout ^ coup au sommet des hauteurs :nbsp;1’armée romaine ne peut ni avancer ni reculer, et va subir une seconde fois Fhumilialion des Fourches Caudines. La demoralisation senbsp;uaet dans les rangs; les forces physiques manquent aux legions : unenbsp;soif épouvantable tourmente les Romains privés d’eau depuis cinqnbsp;jours. Dans cette extrémité, Ie commandant des cohortes prétoriennesnbsp;vient trouver Marc-Aurèle : lt;c César, lui dit-il, la légion mélitine, quinbsp;fait partie du corps d’armée, est composée de chrétiens, auxquels riennbsp;n’est impossible. — Faites-la mettre en prières, lui répond Fempe-reur. » Animés de la foi victorieuse du centenier de FÉvangile, tousnbsp;ces vieux soldats, venus d’Orient, tombent ii genoux et conjurent Ienbsp;vrai Dieu de glorifier son nom. Leur prière est ii peine achevée quenbsp;Ic ciel se couvre d’épais nuages; la foudre éclatc avec un brult épou-''antable, répété mille fois par Fécho des montagnes. Accompagnéenbsp;lt;l’une grêle horrible, elle tombe, elle retombe encore sur les Barbaresnbsp;90’elle brüle, qu’elle épouvante et met en désordre; tandis qu’unenbsp;Pluie bienfaisante rafraichit les Romains. « De telle sorte, dit un au-fcur païen, qu’on voyait en même temps et dans Ie même lieu, Ie feunbsp;Feau descendre du ciel, les uns rafraichis et les autres brulés; carnbsp;feu n’atteignait pas les Romains et Feau brülait les Barbares commenbsp;*106 huile enflammée. Inondés qu’ils étaient, ils demandaient de Feaunbsp;^ grands cris, et se faisaient de larges blessures pour éteindre Fin-cendie qui les consumait. Dans leur désespoir ils se jetèrent au mi-^*cu des Romains, oü Feau seulement était rafraichissante; Fempereurnbsp;Cö eut pitié. En mémoire de ce fait, Farmée proclama Marc-Aurèlenbsp;coipereur pour Ia septième fois; et Ie prince voulut que la légion mé-Ltine s’appelit désormais la Légion Fulminante. II ne s’en tint pasnbsp;ayant fait part au sénat de Févéneraent miraculeux, il publia un
100 LES TROIS ROME.
édit pour faire cesser Ia persécution contre les chrétiens (i). »
Cet édit, que nous avons encore, commence par cette formule qui donne une idéé de la pompeuse emphase déployée dans leurs lettresnbsp;officielles par les maitres du monde : « L’empereur, César, Marc-Aurèle-Antonin Auguste, parthique, germanique, sarmatique, souve-rain pontife, tribun vingt-huit fois, empereur sept fois, consul troisnbsp;fois, père de Ia patrie, proconsul, au sénat et au peuple remain (2). »nbsp;Après la mort de Marc-Aurèle, lorsque Ie sénat lui eut décerné les honneurs divins, on éleva Si sa mémoire la superbe colonne qui nous oc-cupe en ce moment. Soit que Ie sénat ne voulut pas rendre hommagenbsp;au Dieu des chrétiens de la délivrance de Farmée, soit qu’il ne voulütnbsp;pas contredire l’opinion du peuple qui l’attribuait a Jupiter pluvieux,nbsp;on fit graver l’événement sur la colonne; mais on figura Jupiter don-nant la pluie aux Remains et lan^ant la foudre sur les Barbares. Beaunbsp;trophée de Terreur, vraiment! Le sénat complaisant n’est plus, Ienbsp;peuple aveuglé n’est plus; la colonne reste, le bas-relief reste aussinbsp;avec Tédit de Marc-Aurèle qui rend hommage ii la vérité.
Nous cherchames avec empressement ce bas-relief important. A la partie supérieure on voit i a^iiev fluvieux; le dieu est en demi-figure,nbsp;avec une harbe de Neptune, les bras élendus, avec deux ailes dé-ployées : a droite et a gauche la foudre sillonne Tespace. Les deux ar-mées sont au-dessous. Tune en désordre, Tautre s’avangant Tarme aunbsp;poing. Et vous croyez que le voyageur chrétien n’est pas heureux denbsp;trouver les preuves de sa foi gravées par les persécuteurs eux-mêmesnbsp;sur un monument d’une pareille date et d’une pareille importance!nbsp;Honneur au génie de Sixte V a qui rien de grand n’était étranger! C’estnbsp;ce pape d’immortelle mémoire qui fit relever la colonne Antonine. Lanbsp;statue de Marc-Aurèle qui la couronnait, ainsi que les tables denbsp;marbre oü les inscriptions antiques étaient gravées, ont disparu. Anbsp;la place brille Ia statue en bronze doré de Tapótre saint Paul, cetnbsp;autre vainqueur des Barbares. Une inscription chrétienne, gravée parnbsp;ordre du Pontife, annonce la restauration de la superbe colonne.
SIXTVS. V. PONT. MAX. COLVMNAM HANCnbsp;AB OMNI IMPIET.VTEnbsp;EXPVRGAT.AM
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Dio., in Mare. Aurel.; Xiphil., id.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Imp. C^sAii. M. Aviielivs. Antoninvs. Avgvstvs. Parthicvs. Gebmanicvs. Sarmaticïs.nbsp;Pontifex, maximvs. trievnitia;. potestatis. xxvui. Imp. vu. cos. m. Pateb. Patri®. Pbocos.nbsp;S. P. Q.U. S. D.
-ocr page 105-lt;c Sixte V, Souverain Pontife, dédia cette colonne, purifiée de toute impiété, a l’apötre saint Paul dont il fit placer au sommet la statue ennbsp;hronze doré, l’an i 589, de son pontificat Ie quatrième. »
Glorieux et fier de sa purification, Ie monument chante sa reconnaissance et sa nouvelle destinée :
a Je suis maintenant triomphale et sacrée, portant Ie diciple vrai-naent pieux du Christ, qui par la prédication de la croix triompha des Romains et des Barbares. » Ainsi, Pimmortelle colonne sauvée par Ienbsp;Christianisme proclame un double triompbe : celui de Marc-Aurèlenbsp;sur les Barbares du Nord et celui de Paul, par la croix, sur les Ro-niains et sur les Barbares du monde entier. Nous la saluftmes avecnbsp;transport, et laissant è gauche l’hótel des postes, monument de Gré-goire XVI, nous fumes en quelques instants sur la place de Monte-^itorio.
Ce petit monticule parait formé des débris de 1’amphithéètre deSta-tilius Taurus. L’opulent Romain Ie construisit sous Ie quatrième con-sulat de Gésar et en fit la dédicace avec Ie sang des gladiateurs. Brvilé fians Ie grand incendie de Néron, eet édifice est resté enseveli sous sesnbsp;Propres ruines (i). La s’élève aujourd’hui la Curia Innocentiana. Cenbsp;superbe palais, oü Pon rend la justice et oü l’on tire la loterie, doitnbsp;®on nom au pape Innocent XII qui l’acheta de la familie Ludovisi.
(i) Dio-, lib. SI et 43-63; Piranesi, Iconographie, etc. Nardin., p. 317.
T. II. nbsp;nbsp;nbsp;5
j02 nbsp;nbsp;nbsp;I-ES TROIS ROME.
Après l’avoir augmenté et erabelll, Ie Souverain Pontife Ie destina aux tribunaux et en assigna Ie loyer a l’hospice de Saint-Michel. La géné-rosité du Pontife est rappelée dans Finscription gravée sur la majes-tueuse fontaine qui coule devant la grande facade ;
INNOC. XII. P. 0. M.
IIAC IN iEDE PLVRiV COMPLEXO OBNAMENTVM \RBISnbsp;TRIBVNALIA IN VNVM COLLECTAnbsp;CENSVM IIOSPITIIS PAVPERVMnbsp;DE MAGNiriCENTIAnbsp;JVSTITIA ET MISERICORDIAnbsp;OPTIME MERITO.
Le grand bassin qui re^oit Peau de la fontaine fut trouvé dans les ruines du Forum de Trajan : il est en granit oriental et a seize piedsnbsp;de diamètre. La place qui est devant le palais présente deux autresnbsp;ornements dignes de Fattention des archéolognes. Le premier est lenbsp;piëdestal de la colonne Antonine. Découvert sous Clément XI, il futnbsp;tiré du milieu des ruines et placé oü il est aujourd’hui par Benoit XIV.nbsp;On y voit en bas-relief Fapothéose d’Antonin, avec les symboles etnbsp;les rites obligés; toutes ces sculptures sont du meilleur goüt et s’expli-quent par Finscription qui les accompagne :
WVO. ANTONINO. AVG. PIO.
ANTONINVS. AVGVSTVS.
ET VERVS. AVGVSTVS. FILII.
Le second ornement est Fobélisque égyptien. L’opinion la plus ac-créditée parmi les savants voit dans ce monolithe le célèbre gnomon, OU aiguille de Fhorloge solaire du Champ de Mars. Cette horloge fa-meuse occupait le cóté du Champ de Mars oü se trouve aujourd’huinbsp;Féglise de Saint-Laurent-m-LMci«a. Restauré et érigé par Benoit XlVnbsp;sur la place de Monle-Citorio, Fobélisque excite trois sentiments dansnbsp;Fame du voyageur ; la compassion pour les meurtrissures et les fractures nombreuses qu’il a subies pendant sa longue sépulture; la reconnaissance pour la patience et le génie employés a le replacer surnbsp;sa base; enfin une pitié profonde pour le monde esclave de Rome,nbsp;forcé de venir au sein de la Ville éternelle attester, par ses plus pré-
-ocr page 107-LE CHAMP HE MARS. nbsp;nbsp;nbsp;105
cieux monuments, sa servitude et sa honte. L’inscription antique fait naitre ce dernier sentiment.
IMP, C.ESAR. DIVI. F. AVGVSTVS.
PONTIFEX MAXIMVS. IMP.
XII. COS. XI. TRIB. POT.
XIV. .«GYPTO. IN. POTESTATËM POPVLI
ROMANI REDACT.
SOLI. DONVM. DEDIT.
« L’empereur César, fils du divin César, Auguste, souverain pontife, empereur douze fois, consul onze fois, tribun quatorze fois, ayantnbsp;soumis l’Égypte a la puissance du peuple romain, a offert cet hom-•oage au soleil. »
et
Nous avions mis le pied sur le Champ de Mars, si souvent nommé dans I’histoire romaine. Ici quelle moisson de souvenirs! Consacré aunbsp;dieu Mars après I’expulsion des rois, ce champ fameux comprenaitnbsp;I’espace renfermé entre le Tibre et le Capitole d’un cöté, le Quirinalnbsp;et le Pincius de I’autre. Une partie étail réservée a la course des che-vaux et aux exercices de la jeunesse romaine : le reste se couvrit peunbsp;a peu de monuments célèbres. Quelques ruines et la place qu’ils occu-pèrent, voila ce qui reste de la plupart. Nous visitémes dans tons lesnbsp;Sens cette vaste plaine oii la sixième partie de Rome moderne est assise,nbsp;ÖOUS arrêtant sur chaque emplacement, devant chaque débris des anciens édifices. Non loin de Monte-Citorio brillaient les Septa Julia.nbsp;^’étaient de magnifiques portiqucs en marbre, de quatre mille cinqnbsp;Cent trente-trois pieds de long, supportés par des centaines de colonnes,nbsp;servant aux assemblees du peuple pour l’élection de ses grands
^'Sgistrats (i). En avan^ant, on trouve la place de la Villa Publica, S^ond et somptueux bétiraent a double étage, en portiques, brillantnbsp;'^’or et d’azur, enrichi de peintures, de bois précieux et de marbresnbsp;*''^res. Destinée a loger les ambassadeurs des nations ennemies (2), cettenbsp;''ilia devint tristement fameuse pendant les guerres civiles : Sylla ynbsp;It égorger quatre légions fidèles it Marius et qui s’étaient rendues surnbsp;® promesse d’avoir la vie sauve (a). Inévitable destinée du voyageurnbsp;ans Romel partout il doit se résigner h poser le pied dans le sang etnbsp;Ics ruines.
b) PUn., lib. XVI, 10. b) bit.-Liv., Decad., iv, c. 3.nbsp;b) Valer. Max., lib. ix, c. 2.
104 LES TROIS ROME.
Vers Ie centre de la plaine était Ie qiiartier désigné sous Ie nom de Champ d’Agrippa. Ministre et gendre d’Auguste, Fopulent Romainnbsp;avait embelli ces lieux de plusieurs monuments dignes de sa magnificence. La étaient ses jardins, son lac, ses thermes et enfin l’immortelnbsp;Panthéon. Tout ce que Ie luxe oriental, aidé de la richesse romaine,nbsp;avait pu inventer de plus rare, de plus flatteur pour les sens, se trou-vait réuni dans les jardins et dans les thermes ; Ie lac devint fameuxnbsp;par les folies de Néron. Ce prince, dont l’orgueil et la volupté semhlentnbsp;avoir troublé la raison, aimait Si faire ses soupers sur Peau. Une tablenbsp;somptueuse couverte de vaisselle d’or et des mets les plus excentriques,nbsp;réunissait Ie Ills d’Agrippine et tout ce qu’il y avait a Rome de dé-bauchés. Au bruit des symphonies et a la lueur des flambeaux onnbsp;voyait la galère qui portait et les convives et Ie souper impérial, re-morquée par d’autres galères resplendissantes d’or et d’ivoire, se pro-mener lentement jusqu’au milieu de la nuit sur ce lac bordé d’arbresnbsp;verts (i). Quels temps! quelles moeursl quel monde!
Enfin, nous arrivames devant Ie Panthéon, aujourd’hui la Rotonde. Ce n’est plus un souvenir que nous avons a évoquer, ce n’est plus unenbsp;ruine a interroger et h. reconstruire : nous sommes en face d’un monument entier, Ie mieux conservé sans contredit de l’ancienne Rome. IInbsp;était trop tard pour l’éludier ii notre aise; nous remimes la partie aunbsp;lendemain.
10 JANVIER.
Le Panthéon, son histoire. — Uichesses.—Purification. — Miracle. — La Minerve.— — Tombe du B. Angelico de Fiesole. — Chambre de sainte Catherine de Sienne.—¦nbsp;Place Navone. — Fontaines. — Marché. — Jeux. — Sainte-Agnès.
Temps incertain, mais nouvelle ardeur pour I’étude : avant neuf heures nous étions au Panthéon. Tout le monde sait que ce templenbsp;superbe fut bati par le gendre d’Auguste, durant son troisième con-sulat, c’est-a-dire l’an de Rome 527, vingt-six ans avant la naissancenbsp;de Notre-Seigneur Jésus-Christ. L’inscription gravée sur Ia frise determine cette époque :
M. AGRIPPA. L. F. COS. TERTIVM. FECIT.
Le Panthéon se divise en deux parties ; la Rotonde proprement dite et le Portique. La première fut élevée par Agrippa pour servir de Ca'
(t) Tacit., Annal. xv; Suet. in Ner,, c. xxvii.
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lidarium i ses thermes, et, lorsque plus tard il voulut en faire un temple, il y ajouta Ie Portique. Auguste devait être, dans la penséenbsp;d’Agrippa, Ie dien tutélaire de la Rotonde; mais Ie prince refusa eetnbsp;honneur et permit seulement que sa statue fut mise sous Ie péristyle.nbsp;Elle était dans une niche a droite de la porte d’entrée, celle d’Agrippanbsp;occupait une pareille niche a gauche. Le temple fut dédié a Jupiternbsp;vengeur, Jovi ultori; mais bientót l’Olympe entier vint prendre placenbsp;dans le nouveau sanctuaire qui fut appelé Panthéon, soit paree qu’onnbsp;y adorait tous les dieux ensemble, soit, comme le pretend Dion Cassius, paree qu’il avail la forme du ciel (i). Ce qui n’est pas douteux,nbsp;c’est que nul autre temple n’égalait Ia grandeur et la richesse de ce superbe édifice. Au lieu de descendre comme aujourd’hui, on montaitnbsp;cinq marches pour y entrer. Sous le péristyle s’ouvrait Ia porte dontnbsp;le double battant, de bronze doré, demeurait ouvert a tout le monde.nbsp;Comme ceux du temple, les murs du péristyle étaient revêtus des marbres les plus précieux, ornés de bas-reliefs, etlesoldalléen planisphèresnbsp;de marbreet de porphyre de plus de septpiedsde diamètre.LePortiquenbsp;a cent trois pieds de long sur soixante-et-un de large. II est formé denbsp;seize colonnes toutes d’un seul bloc de granit oriental. Elles ont qua-torze pieds de circonférence et trente-huit de hauteur sans compreudrenbsp;les bases et les chapiteaux. Ces derniers, de marbre blanc, passentnbsp;pour les plus beaux que l’anliquité nous ait légués. Le comble entiernbsp;du péristyle se composait de poutres et de solives creuses, en bronze.nbsp;En dessous, elles étaient revêtues de grandes tables de même métal,nbsp;courbées en voute et enrichies d’une quantité d’ornements d’argentnbsp;sur un fond d’or; en dessus, elles étaient couvertes de tuiles en bronzenbsp;doré; une sculpture du plus puissant elfet, dont les figures rapportéesnbsp;étaient en bronze, remplissait le tympan du fronton.
Cette riche proie avail échappé aux Barbares; mais l’empereur Constant II, étant venu a Rome en 665, fit enlever la précieuse couverture 'tvec une parlie de la charpente également en bronze doré : son intention était d’en orner Constantinople. Malheureusement la flotte char-gée de ces dépouilles fut pillée par les Sarrasins, et les ornements dunbsp;banthéon allèrent périr a Alexandria (2). Plus noble fut la pensée d’Ur-bain VIII. Afin d’utiliser a la gloire du vrai Dieu ce qui restait dunbsp;bronze jadis consacré aux idoles, ce Pontife le fit jeter dans lo moulenbsp;Oierveilleux d’oii sortirent les colonnes torses du baldaquin de Saint-f'ierre. Le même pape construisit encore les deux clochers qui couron-
(*) bib. LIU.
(s) Fabriz, Descriz. di Roma, c. 2.
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lient aujourd’hui Ie péristyle. Quelques auteurs croient que la grande porte de bronze est la même qui fut placée par Agrippa; mais ce n’estnbsp;qu’une opinion. Quoi qu’il en soit, on aura une idee du bronze employé au Panthéon, quand on saura que les clous seulement pesaientnbsp;neuf mille trois cent soixante-quatorze livres, et que la totalilé de cenbsp;précieux métal s’élevait è quatre cent cinquante mille deux cent trentenbsp;livres. On voit ici comme partout que les Remains taillaient en pleinnbsp;drap.
Après avoir étudié Ie Porlique, nous entrames dans Ie temple méme. II est circulaire et présente un diamètre de cent trente-deux pieds ; lanbsp;hauteur de Pédifice depuis la base jusqu’au sommet est égale au diamètre, et l’épaisseur du mur est de dix-neuf pieds. La coupole de Saint-Pierre n’a que deux pieds de diamètre de moins que celle du Panthéon;nbsp;mais elle est a trois cents pieds au-dessus du sol. De la ce mot des Domains : Michel-Ange a bdti dans les airs ce qu’Agrippa construisitnbsp;sur la terre. La Rotonde présenlait a Pintérieur six grandes niches,nbsp;pratiquées dans Pépaisseur du mur, trois circulaires et trois affectantlanbsp;forme d’un parailélogramme. Chaque niche formait un édicule ou petitnbsp;temple contenant la statue en bronze, en argent, en or ou en ivoire,nbsp;d’un dieu ou d’une déesse. Jupiter occupait la niche du milieu, qui,nbsp;plus grande que les autres, pouvait se comparer a un hémicycle. Denbsp;nombreuses statues ornaient toutes les parois du temple. La plus riche,nbsp;sinon la plus remarquable, était celle de Vénus, a laquelle on voyaitnbsp;suspenduela moitié de la grande perle qui figura au souper de Cléo-patre : ce bijou était estiméplus d’un million cinq cent mille francs (i).
Deux colonnes en marbre jaune, cannelées, hautes de plus de vingt-sept pieds et ornées de chapiteaux d’airain de Syracuse, d’un travail admirable, séparaient chaque édicule de la partie circulaire du temple.nbsp;Toutes ensemble supportaient un entablement de marbre blanc quinbsp;régnait autour de Pédifice et que rehaussait une frise de porphyre.nbsp;Un attique de marbre, percé de quatorze fenêtres entre lesquellesnbsp;étaient des cariatides de bronze, surmontait eet entablement. 11 sup-portait lui-même la voute, au centre de laquelle existait une ouverturenbsp;de vingt-sept pieds de diamètre par oü Pon apercevait Ie ciel. Get oeilnbsp;de la voute était garni d’un eerde de bronze doré, et d’une armaturenbsp;portant des crampons auxquels s’attacbait un voile de pourpre pournbsp;intercepter les rayons du soleil. Plus de cent cinquante rosaces d’airain doré brillaient dans la coupole et décoraient cinq rangs de cais-
(i) Owerboke, del Panteon.
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sons dorés, doiil les plus grands avaient prés de douze pieds de diamètre.
Ce qu’elle était il y a dix-huit siècles, la Rotonde l’est encore au-jourd’hui; l’ornementation et la destination seules ont changé : mêine pérystile, même forme, mêmes murailles, même coupole; l’ceil de lanbsp;voute est resté ce qu’il était, et Ie regard chrétien s’élève au ciel parnbsp;Ie même chemin que suivit Ie regard païen. Maïs quelle différence dansnbsp;la pensee, dans la prière et dans l’espérance! Aueun voile ne fermenbsp;Couverture; et Ie soleil brille et la pluie tombe librement dans la Rotonde : on y entend quelquefois la messe en parapluie. tglise sainte,nbsp;fidéle gardienne du passé, vous avez bien fait de laisser les choses ennbsp;eet état: si la coupole ouverte présente un cachet païen, Ie sens estnbsp;chrétien, très-chrétien; et ce sens est a vous. Cependant l’eau s’écoulenbsp;par une ouverture grillée, pratiquée au point central du pavé, vers la-quelle s’incline doucement tout Ie sol de l’édifice.
En face de la porte d’enlrée, h Fendroit même occupé par Fédicule de Jupiter, s’élève Ie maitre autel. Les sept autres édicules sonl de-venus des chapelles secondaires. Dans la troisième, é gauche en entrant, est la belle statue de Ia sainte Vierge appelée la Madonna delnbsp;Sasso, dont Ie soubassement forme Ie tombeau de Raphael. Découvertnbsp;en 1833, Ie 14 septembre, Ie corps du grand peintre fut replacédansnbsp;Ie même endroit, Ie soir du 18 octobre, avec toute la pom,pe et les cérémonies nécessaires. Pour entrer dans Ie Panthéon il faudrait, commenbsp;Moïse devant Ie buisson ardent, óter sa chaussure. Dans ce même lieunbsp;profané par toutes les divinités païennes, reposent aujourd’hui les re-liques d’innombrables martyrs : toutes les parties du Panthéon sontnbsp;pleines de ces ossements sacrés. L’an du Seigneur 608, Ie pape Boniface IV, voulant purifier ce temple, descendit aux catacombes et retiranbsp;de leur demeure souterraine une légion de héros chrétiens : vingt-fiuit voitures, magniüquement ornées, transportèrent, aux acclamations de Rome entière, les nouveaux triomphateurs dans Ie sanctuairenbsp;du paganisme vaincu. Le Panthéon, dédié a la Reine des auges et desnbsp;hommes, prit le nom de Sainte-Marie-aux-Martyrs. Deux sièclesnbsp;après, en 830, Grégoire IV le consacra en Fhonneur de tous les saints.nbsp;Par Fordre du Pontife, le jour de cette consécration devint une fête denbsp;Précepte, que FÉglise catholique célèbre encore chaque année le premier novembre.
A la Rotonde le voyageur se trouve au milieu des miracles. D’abord Ie Panthéon devenu Ie temple de Marie lui atteste Finexplicable vic-'oire du Christianisme sur Fidolêtrie; puis les voütes dn temple luinbsp;cedisent le triomphe de Marie sur le Judaïsme obstiné. Comme le
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Dieu d’Israël a^vait consacré Ie temple de Salomon par l’apparition de sa gloire; l’auguste Vierge voulut prendre possession de sa nouvellenbsp;demeure par un éclatant prodige. L’enthousiasme des chrétiens,nbsp;en voyant leur mère Marie assise au Panthéon, provoqua les railleries et les blasphèmes des juifs habitants de Rome. Elles parvin-rent aux oreilles d’un noble Remain, aveugle de naissance; mais fortnbsp;instruil des vérités de la foi. L’occasion se présente bientöt de con-fondre les obstinés enfants d’ïsraël; la dispute s’échauffe, et dans unnbsp;mouvement d’inspiration l’aveugle s’écrie : Puisque les raisons lesnbsp;plus clairesne peuvent vous convaincre, vous rendrez-vous a la vériténbsp;si je recouvre la vue par l’intercession de Marie avant que la fête denbsp;la Purification soit passée? La proposition est acceptée avec un sourirenbsp;d’incrédulité qui disait; Notre promesse ne nous oblige a rien, lanbsp;condition ne sera pas remplie. Cependant Ie bruit de l’engagement senbsp;répand dans la ville. Au jour de la fête, un immense concours denbsp;chrétiens et de juifs se presse au Panthéon; l’attente de ce qui doitnbsp;arriver tient la multitude en suspens. Parvenu a grand’peine dansnbsp;l’enceinte sacrée, l’aveugle entonne VAntienne qu’il a lui-même com-posée en l’honneur de Marie ; Salut, vierge Marie, eest vous seulenbsp;qui avez vaincu toutes les heresies dans l’univers (i). II chante encore et déja ses yeux sont ouverts a la lumière : mille témoins, amisnbsp;et ennemis, constatent Ie miracle. La stupeur et la joie s’emparent denbsp;I’assemblée; cinq cents juifs se rendent a 1’évidence; Ie pape lui-mêmenbsp;les baptise de sa main et inaugure ainsi Ie nouveau sanctuaire de lanbsp;Mère des miséricordes. En mémoire du fait, l’Église a placé dans sanbsp;liturgie Ie chant du pieux aveugle qu’elle redit encore de nos jours (2).
Nous Ie répétames avec elle et nousquittames Ie Panthéon pour nous rendre it La Minerve. Sur la place de ce nom, située au centre de Rome,nbsp;se trouve le célèbre couvent des Dominicains avec leur belle biblio-thèque et leur grande église batie sur les ruines d’un temple dédié anbsp;Minerve. Line tombe illustre appelle en ce lieu l’artiste et le chrétien;nbsp;ici repose le bienheureux Angelico de Fiesole. La double auréole denbsp;la sainteté et du génie entoure le front immortel du fils de saint Dominique. Peintre vraiment catholique, le bienheureux Angelico mou-rut en 1455. Derrière l’autel de la sacristie est un petit oratoire d’oünbsp;s’exbale je ne sais quel parfum d’innocence et de charité; c’est lanbsp;chambre de sainte Catherine de Sienne. Heureux habitant de la ville
(lt;) Gaude, virgo Maria, cuuclas haereses sola inlcremisti in universo mundo. (2) Baron., an. 850.
PLACE NAVONE. nbsp;nbsp;nbsp;iOd
Éternelle, qui avez tant de lieux ou la dévotion semble naitre de tout ce qui vous envii’onne!
Au milieu de la place s’élève l’obélisque égyptien consacré jadis ii Neith, qui était la Minerve des Grecs et des Romains. Ce monolithenbsp;fut trouvé en 1665, dans les jardins du couvent, prés d’un templenbsp;d’Isis. Deux ans plus tard, Alexandre VII Ie fit ériger au lieu qu’il oc-t'upe encore aujourd’hui ; l’inscription fait allusion a Félephant quinbsp;^ui sert de piëdestal:
Sapientis ^Egypli insculptas obelisco figuras,
Ab elephanto belluarum fortissima gestari Quisquis bic vides, documenlum intelUgenbsp;Robusta; mentis esse solidam sapienliam suslinere.
Quittant la région deMa Pigna, nous entrames dans Ie Parione. Au tïentre de ce nouveau quartier est la place Navone; elle succède aunbsp;cirque d’Alexandre Sévère, dont elle conserve la forme ellyptique.nbsp;Trois belles fontaines lui servent d’ornements : celle du milieu passenbsp;pour Ie chef-d’oeuvre du Bemin. L’ensemble représente les quatrenbsp;grands lleuves des quatre parties du monde ; Ie Danube, Ie Gange, Ienbsp;Nil et la Plata. Ces statues colossales sont assises aux quatre coinsnbsp;d’un rocher brut, dont Ie sommet est couronné par un obélisque. Lenbsp;cocher, percé des quatre cótés, jette quatre ruisseaux et présente unenbsp;''ue de caverne. Du milieu sortent un lion et un cheval qui viennentnbsp;s’abreuver. L’obélisque, auquel le rocber sert de piëdestal, est un mo-ïtoliihe égyptien trouvé dans le cirque de Romulus.
Tous les mercredis, la place Navone présente le coup d’oeil le plus '’arié et te plus piltoresque. Elle se couvre de petites boutiques ennbsp;plein vent, dans lesquelles on offre aux amateurs toute espèce d’objetsnbsp;quincaillerie, de bric-é-brac et surtout d’anliquités trop souventnbsp;*öodernes. C’est a un Francais, le cardinal de Rohan, ambassadeur i»nbsp;^onie, qu’on est redevable de ce curieux marché. La mênie place sertnbsp;^'^ssi ii 1’amusement du peuple romain. Tous les samedis du moisnbsp;*1 aoüt, vers le soir, on ferme les pertes d eau, en sorte que le lende-•^ain la place devient un lac. Les beaux équipages viennent s’y pro-*'icner, les chevaux ont de Peau jusqu’au poitrail, le peuple circulenbsp;•tutour de la place dans des galeries improvisées, pendant que plusieursnbsp;*^°cps de musique exéeutent de joyeuses symphonies. Rome n’est nul-Icnient ennemie des plaisirs innocents; je crois même qu’il n’est au-cune ville dans le monde oü les divertissements de ce genre soient
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plus communs et plus accessibles a la multitude. Cette observation, qui se représentera plus tard, me semble très-significative.
Quand vous avez admiré les chefs-d’oeuvre modernes et repassé dans votre esprit les souvenirs païens du cirque de Sévère, Ie Christianismenbsp;vous apparait et vous montre ici Ie théatre d’un de ses plus éclatantsnbsp;iriomphes. Quelle est cette magnifique église qui s’élcve en face de lanbsp;grande fontaine, sur la partie latérale de la place? Le premier enfantnbsp;répondra : C’est l’église de Sainte-Agnès, la bien-aimée des Remains.nbsp;Oui, dans ce mème lieu ou règne la jeune vierge qu’immortalise unenbsp;double victoire, était, sous le paganisme, le lupanar du cirque. Or,nbsp;un jour, le fils du préfet Sempronius demande la main de la viergenbsp;chrétienne. Agnès répond qu’elle est fiancee a un époux divin : sonnbsp;refus est compris. Sempronius prend les intéréts de son fils et fait ar-rêter la noble enfant. Suivant le style des tyrans, promesses, menaces,nbsp;tout est mis en oeuvre pour ébranler sa résolution. Vains efforts!nbsp;Agnès résiste de toute la puissance de sa candeur et de sa foi. Sempronius la fait dépouiller de ses vêtements et jeter dans le lupanarnbsp;pour être abandonnée aux insultes des libertins. « Et vous faites ainsi,nbsp;s’écriait Terlullien, notre plus bel éloge, puisque le plus grand sup-plice que vous puissiez inventer contre nos filles et centre nos soeursnbsp;est d’exposer a vos outrages leur pudique vertu; » mais le Dieu desnbsp;vierges prit soin de sa jeune épouse : miraculeusement protégée contrenbsp;les attaques des libertins, Agnès victorieuse expira au milieu des tour-ments. Cela se passait sous l’empire de Dioclétien, Agnès étant égéenbsp;de treize ans.
Avec quel religieux respect le voyageur moderne pénètre dans ce lieu souterrain, théatre d’une victoire dont il bénéficie encore aprèsnbsp;quinze siècles! A la lueur d’une torche, il lit au détour de I’escaliernbsp;l’inscription qui rappelle Ia protection miraculeuse dont le Seigneurnbsp;couvrit sa fidéle servante, et bientót il foule le pavé en mosaïque touché par les pieds de la sainte : il est dans son cachot. La jeune héroïnenbsp;y fut jetée par une ouverture pratiquée a la voute, semblable è cellonbsp;de la prison Mamertine. Ce cachot très-étroit peut avoir douze piedsnbsp;de profondeur. 11 était entièrement privé de lumière; aujourd’hui unnbsp;larmier y laisse pénétrer quelques rayons d’une lueur incertaine. Lenbsp;lupanar voisin dans lequel Agnès fut conduite, se compose de deiixnbsp;pièces voütées en belles pierres; chaque pièce porte douze pieds denbsp;hauteur sur autant de largeur et vingt pieds de longueur. ïel est lenbsp;glorieux théatre oü Ie Christianisme, personnifié dans une jeune fifionbsp;de treize ans, triompha des deux plus redoutables puissances du pag»'
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nisme, la volupté et Ia cruaulë. A Ia vue de ces lieux si éloquents, Ie coeur s’émeut, la foi grandit et l’on se rappelle avec admiration cenbsp;fait trop peu remarqué de notre histoire primitive : dans les redou-tables combats qui furent livrés a nos pères, on vit quelquefois lesnbsp;hommes palir et renier la foi; mais on ne cite pas une jeune vierge quinbsp;ait tremblé ou du moins qui soit morte dans Fapostasie. Tant est vraienbsp;cette parole que Dieu se plait h choisir ce qu’il y a de plus faible pournbsp;confondre ce qu’il y a de plus fort!
11 JANVIER.
Patais Braschi. — Anecdote. — Place de Pasquin. — Chiesa nuova. — Souvenirs de saint Philippe de Néri. — Le jeune Spazzara.— Campodi-Fiore.— Théètre, portiqucs, curienbsp;de Pompée. — Mort de César. — Palais Spada. — Statue de Pompée. — Saint Jérómenbsp;de la Cliarilé. — Naumachie de César. — Combat naval.
Dès le matin nous nous retrouvions sur la place Navone. Après l’a-voir parcourue dans toute sa longueur nous tournames a droite et nous fumes devant Ie palais Braschi. Cette superbe habitation rappelle la glorieuse mémoire de Fimmortel Pie VI; le grand escaliernbsp;passe pour un chef-d’oeuvre. En gravissant les larges marches denbsp;marbre poli, nous pensions au ponlife qui les avait tant de fois mon-tées; nous le suivimes ensuite de son palais dans les prisons du Directoire et jusqu’h la citadelle de Valence, devenue son tombeau. Puissenbsp;la justice divine pardonner h la France les attentats sacrileges commisnbsp;contre Point du Seigneur! A ces souvenirs solennels, un de nos amisnbsp;joignit une curieuse anecdote relative au même Pontife. En 178.1,nbsp;Pie VI se rendit a Vienne pour conférer avec 1’empereur des affairesnbsp;‘la 1’Église. Chemin faisant, son compagnon de voyage lui dit : « Sa-vez-vous, Très-Saint-Père, que les populations protestantes regardentnbsp;ancore le pape comme 1’antechrist et qu’elles croient, en consequence,nbsp;que votre Sainteté a un pied de bouc? » Cette étrange révélation di-^ertit d’abord l’excellent Pontife. Puis, prenant en pitié Terreur denbsp;pauvres gens, il dit : « Nous leur montrerons le contraire. » Arrivé a Worms, il voulut après le diner se promener a pied sur unenbsp;‘las places de la ville : Pie VI passait pour le plus bel hómme de sonnbsp;siècle. La foule ébahie le regarde; sa taille élevée, sa noble démarche, sa belle figure oü se peint la bonté du père et la majesté du Pon-^*fa, ses manières si simples et si distinguées, tout en lui attire etnbsp;subjugue; mais les pieds.....ils sont Tobjet d’une avide curiosité. Or,
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Ie pape a les pieds comme tout Ie monde! oui, comme tout Ie monde : vu, connu, démontré. Le pape n’est done pas Tantechrist, comme Ienbsp;disent les livres de Luther, comme le prêchent les ministres, commenbsp;nous le croyions hier encore; on nous trompe, on se moque denbsp;nous : telles furent les réllexions qui circulèrent dans la foule, et lesnbsp;pieds du Pontife préparèrent ces nombreuses conversions que la vuenbsp;de nos prêtres francais devait achever quelques années plus tard.
A deux pas du palais Braschi est la place proverbiale de Pasquin. Pasquin était un tailleur qui se plaisait a railler tous ceux qui pas-saient devant sa boutique. Après sa mort on trouva une anciennenbsp;statue fort endommagée dont personne ne put dire le nom. Le peuplenbsp;la baptisa du nom de Pasquin, et chaque nuit elle regoit les lazzis etnbsp;les quolibets des satiriques de Rome, qu’elle répète toute la journée.nbsp;Le lendemain on trouve la réponse aux pasquinades, affiebée sur lanbsp;statue de Marforio, voisine du Capitole. Dès l’aurore la foule curieusenbsp;se presse autour des deux statues parlantes, qui parfois disent de sé-vères, mais bonnes vérités.
Continuant dans la direction de la place de Pasquin, on arrive en quelques minutes a l’église de Ssimte-Marie-in-Navicella, autrementnbsp;Chiesa nuova. Cette superbe église, qui doit sa fondation h saintnbsp;Grégoire le Grand, fut rebatie en 157,'! par les soins de saint Phi-lippe-de-Néri. L’or, le marbre et les riches peintures y brillent denbsp;toutes parts, surtout dans la chapelle de Saint-Philippe, oü repose lenbsp;corps vénécable de l’apótre de Rome. Fondateur de la congrégationnbsp;de rOratoire, Philippe-de-Néri fut tout a la fois le grand confesseurnbsp;de Rome, bami des jeunes gens, le père des pauvres, le protecteurnbsp;des ouvriers et le raodèle des prêtres. A tant de titres il mérita la reconnaissance filiale des Remains, et parmi eux nul autre nom n’estnbsp;plus populaire. Un père de l’Oratoire nous conduisit d’abord dans lanbsp;chambre du saint. Suivant la très-louable coutume d’Italie, cettenbsp;chambre vénérable est conservée lelie qu’elle était durant la vie dunbsp;serviteur de Dieu, avec les mêmes meubles qui furent a son usage. Lanbsp;nous vimes son confessionnal en mauvais bois de sapin vermoulu, etnbsp;dont le siége est garni d’un petit coussin doublé de cuir. A l’instarnbsp;des autres confessionnaux d’Italie, les grilles secomposent d’une simplenbsp;feuille de tóle percée de petits trous ronds comme une écumoire. Quenbsp;de sages conseils, que de consolantes paroles, que d’exhortations con-vertissantes ont passé par lè I Grilles tant de fois vénérables, que nenbsp;pouvez-vous parler? Dans une petite armoire on garde la chaufferettenbsp;du saint confesseur, elle est couverte d’un bois grossier; plus loin
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e est son pauvrelit, et enfin Ie modeste pulpito duquel il parlait.
Cette pièce unique composait tous les appartements de celui qui refusa tant de lois les palais, les richesses et les dignilés humaines.nbsp;La il donnait ses audiences spirituelles et recevait ses nombreux visiteurs. Toujours aimable, toujours plein de l’esprit de Dieu, il avaitnbsp;Ie talent de renvoyer contents et meilleurs ceux qui l’approchaient.nbsp;Un jour, entre autres, Ie jeune Frangois Spazzara, glorieux rejetonnbsp;d’une noble familie, vint trouver Ie père Philippe afin de causer fa-inilièrement avec lui. « Vous vous livrez maintenant a l’étude dunbsp;droit? lui dit Ie saint. — Oui, père Philippe, et avec beaucoup d’ar-deur. — Que vous êtes heureux! parlez-moi un peu de vos projets,nbsp;continua Ie saint en lui faisant des caresses extraordinaires. —J’es-père être bientót rcQU docteur. — Que vous êtes heüreux! —Jenbsp;compte devenir avocat consistorial, puis entrer dans la prélature. —nbsp;Que vous êtes heureux! » Puis Ie saint se mit è détailler toutes lesnbsp;grandeurs que Ie monde pouvait lui olTrir et dont l’idée avait passénbsp;par la tête du jeune homme. Après chaque gloire, chaque avantage, ilnbsp;répétait : Que vous êtes heureux! Francois prenait tout cela au sé-rieux, lorsque Ie saint Ie pressant tendrement sur son coeur, lui ditnbsp;tout bas a 1’oreille : Et après! Ces deux mots restèrent si profondé-ment gravés dans Fame du jeune homme, que, de retour chez lui, il nenbsp;pouvait s’empêcher de se les redire. A la suite de chacun de ses rêvesnbsp;de fortune revenaient ces deux mots inexorables : « Et après! etnbsp;après il me faudra mourir.... tout quitter.... être jugé.... ahsous ounbsp;condamné.... Vanité de tout ce qui passe, s’écria-t-il un jour; puis,nbsp;tournant toutes ses pensées vers celui qui ne passe pas, il entra dansnbsp;Ia congrégation de FOratoire oü il vécut et mourut saintement (Q.
Et après! Ces deux paroles mystérieuses semblent retentir encore ^ 1’oreille du voyageur dans cette chambre ou elles furent si elBcace-®16nt prononcées, et Ie préparent a entrer dans la petite chapelle dunbsp;®aint. Elle est contigue a la pièce que nous venions de visiter; icinbsp;rien n’est changé ; même porie, même crucifix en bois, mème tableaunbsp;'^6 la sainte Vierge tenant Fenfant Jésus, même autel; en un mot,nbsp;®ême ameublement a Fusage du saint prêtre et tant de fois témoinnbsp;•Ia ses prières, de ses larmes et de ses divines extases. On ne peut,nbsp;sans éprouver un profond saisissement, fouler ce sol vénérable et ap-Pliquer ses lèvres au lableau miraculeux placé sur Fautel. Descendusnbsp;^ Ia sacristie de Féglise, nous vimes un assez grand nombre de lettres
Vie de saint Phil., 1. ni, p. 257.
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autographes du saint, une bonne partie de ses vêtements, Ie reliquaire qu’il re^ut de saint Charles Borromée après l’avoir guéri, Ie crucifixnbsp;qu’il portait sur sa poitrine et un morceau de pain laissé par lui anbsp;son dernier souper, la veiile de sa mort. Que tous ces objets ou seu-lement quelques-uns aient appartenu è Cicéron, a César, amp; n’importenbsp;quel païen d’un certain renom, et il n’est pas un touriste qui ne vou-lüt les voir, qui ne füt très-heureux et très-fier de les avoir vus. Soit:nbsp;pourquoi done trouveriez-vous étrange, ridicule peut-ètre l’enthou-siasme et la sainte joie du chrétien a la vue des restes vénérables denbsp;nos grands hommes? Nos saints valent bien vos héros! La visite denbsp;rOratoire se termina par une dernière station dans la magnifiquenbsp;chapelle oü repose saint Philippe. Puisse rillustre confesseur de Romenbsp;obtenir a tous ses frères dans Ie sacerdoce l’esprit de sagesse, de douceur et de zèle dont il fut doué pour la direction des ames!
De la Chiesa nuova, notre course pril sa direction vers Ie Campo-di-Fiore. C’était entrer en plein paganisme. Le champ de Flore donné au peuple remain par Acca Laurentia, fameuse courtisane dont Ma-crobe rapporte l’histoire (i), rappelle et les prodigalités du luxe, etnbsp;les plaisirs insensés de la vieille Rome, et la mort tragique du premier des Césars. Des bosquets de platanes, reliés par de superbesnbsp;portiques, peuplés de statues d’hommes et d’animaux, rafraichis parnbsp;des fontaines jaillissantes; puis des basiliques et enfin des theatres ;nbsp;tels étaicnt les principaux ornements de ce lieu de délices. Entre tousnbsp;ces edifices brillait le théamp;tre de Pompée dont on voit encore quel-ques vestiges au palais Orsini. Le vainqueur de Mithridate fut le premier qui batit Rome un théatre permanent; jusque la les thé.ltresnbsp;étaient démolis après les jeux. Afin de faire respecter son ouvrage,nbsp;Pompée y joignit un temple dédié a Vénus victorieuse : Veneri vic-trici. Brülé plusieurs fois, du moins en partie, il fut tour a tour res-tauré par Tibère, Caligula, Néron (2). Ce dernier eut un jour la fan-taisie de montrer a Tirldate, roi d’Arménie, la richesse et la splendeurnbsp;du peuple remain. En vingt-quatre heures il fit dorer les voütes, lesnbsp;corniches, les pilastres, en un mot, toutes les parties du théatre quinbsp;ne l’étaient pas. Qu’on juge de Fébahissement du prince étranger ennbsp;entrant dans eet édifice d’or, oü trente mille spectateurs étaient assisnbsp;et dont Fimmense pourtour étincelait aüx rayons de plusieurs milquot;nbsp;liers de flambeaux (5)!
(1) Saturn., lib. i, c. tO.
(a) Tacite, Annul., lib. vi; Suet., in Tiber.; id., in Calig.; Plin., lib. xxxin.
(3) Plin., id.; Dio., lib. lxiu.
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Pompée ayant obtenu, par une glorieuse exception, les honneurs du trionaphe, lorsqu’il n’était encore que simple chevalier remain, fitnbsp;hdtir, prés de son theatre, un temple it la Fortune équestre. Vint en-suite la construction de son célèbre portique et de sa Curia si fameusenbsp;par la mort de César. Le portique se composait de superbes arcadesnbsp;soutenues par cent colonnes du plus beau inarbre. Suivant les érudits,nbsp;il servait tout d la fois de promenoir aux gens oisifs, de retraite auxnbsp;spectateurs lorsque la pluie les forfait a quitter le theatre, et enfin denbsp;chemin pour aller a la Curia. Non moins somptueux que les autres,nbsp;ce dernier édifice, qui occupait I’espace compris entre le palais Orsininbsp;et l’église de Sami-kadvé-della-Valle, était destiné aux assemblées dunbsp;sénat. Le jour des ides de mars, l’an 45 avant l’ère chrétienne, lesnbsp;pères consents s’y réunissaient. Malgré de funestes pronostics, César,nbsp;dont la puissance est it son apogée, y parait £i son tour. Le maitre dunbsp;monde se trouve, sans le savoir, au milieu de ses assassins. Brutus etnbsp;Cassius, tous deux préteurs, s’approchent comme pour lui parler; ennbsp;raême temps les conjurés, l’enveloppant de tous cötés, le percent denbsp;coups de poignards. Les sénateurs, étrangers au complot, sont telle-ment saisis d’étonnement et d’horreur qu’ils n’ont la force ni de prendre la fuite, ni de secourir César, ni même de proférer une parole. Lenbsp;dictateur se défend seul avec beaucoup de courage; mals apercevantnbsp;Brutus, qu’il avait toujours chéri comme un fils, au nombre des conjurés, il s’écrie : « Et toi aussi, Brutus! » A ces mots il se couvre lenbsp;fisage avec sa robe, et, percé de vingt-trois coups, il va tomber aunbsp;pied de la statue de Pompée.
Nous étions sur le lieu même oii le tragique événement s’était accompli. Pour en voir un témoin encore subsistant, il suflit d’entrer
palais Spada oü se trouve la fameuse statue dont je viens de parler. Elle est de marbre blanc, d’un excellent travail et de proportions hé-coïques. Pompée est représenté dans l’attitude du commandement, unnbsp;^^ras étendu; mais le nu antique empêche de le fixer (t). Étrangesnbsp;vicissitudes des choses humaines! Deux rivaux se disputent le sceptrenbsp;flu monde : Pompée vaincu par César tombe sous les coups des Bar-tiares, et César poignardé par les siens vient expirer aux pieds de lanbsp;statue de son rival. L’un et l’autre s’étaient joués trop souvent de lanbsp;vie de leurs semblables : la justice de Dieu devait avoir son tour.
Quant a César en particulier, nous nous trouvions ii quelques pas seulement du lieu oü il donna un jour le spectacle de la plus froide
(0 Quelques-uns rcyoqucm en doutc l’identité de cette statue.
ril 6 nbsp;nbsp;nbsp;LES TBOIS ROME.
cruauté. Avant de Ie visiter nous entrames, pour reposer notre ètne, dans la petite église de Saint-Jéróme-de-la-Charité. Batie sur remplacement de la maison de sainte Paule, elle rappelle et cette illustrenbsp;fille des Scipion, et saint Jéróme lui-même qui vint y loger pendantnbsp;son séjour a Rome, en 382. Longtemps elle fut un pèlerinage obligénbsp;pour les artistes, paree qu’elle possédait la Communion de saint Jéróme, Ie chef-d’oeuvre du Dominiquin : aujourd’hui elle n’en a qu’unenbsp;copie, l’original est au Vatican. Néanmoins elle peut encore ofïrir anbsp;l’étude et mérae a l’admiration la nappe de communion de la premièrenbsp;chapelle laterale. Cette nappe, unique en son genre, est de marbrenbsp;rouge veiné de blanc; on dirait un tulle, ou une broderie è l’aiguille,nbsp;tant elle est finement découpée. Aux extrémités sont agenouillés deuxnbsp;jolis anges adorateurs, eo marbre blanc, qui la soutiennent délicate-ment et la laissent retomber en gracieux festons. Indépendamment denbsp;ce curieux travail, les grands souvenirs que cette église rappelle suf-firont toujours pour attirer Ie voyageur chrétien.
Continuant a circuler dans Ie Campo-di-Fiore, dont on aimeè étu-dier tous les contours, nous arrivames, en faisant une pointe, a l’an-cien champ Caudeta. C’est dans la partie basse de ce terrain, voisin du Champ de Mars et du Tibre, que César fit creuser sa Nauma-chie (j). Après la conquête de l’Espagne et des Gaules, Ie dictateurnbsp;voulut y donner un spectacle digne de lui et du peuple remain. Dansnbsp;l’immense bassin alimcnté par les eaux du fleuve, on vit un jour en-trer cent navires, birèmes, trirèmes et quadrirèmcs. Partagés en deuxnbsp;flottes, ils occupaient les deux extrémités du lac et avaient devant euxnbsp;un vaste champ de bataille : un cöté portait Ie nom d’armée de Tyr,nbsp;l’autre celui d’armée d’Égypte (2); dix-neuf mille hommes montaientnbsp;ces batiments. Suivant Tacite, ces combaltants étaient tous des malfai-teurs (5). Vraiment oü Rome avait-elle été chercher dix-neuf millenbsp;malfaiteurs? Ah! l’histoire ne nous Fa que trop appris; les esclaves,nbsp;les gladiateurs, les prisonniers de guerre : tels étaient les malfaiteursnbsp;que Rome forfait h s’égorger pour son plaisir.
Dans la crainte que les naumachaires, enhardis par leur nombre et sachant d’ailleurs Ie sort qui les attendait, ne voulussent se révol-
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Suivant Feslus, Ie champ Caudeta se trouvait au.dela du Tibre : Caudeta ager, innbsp;quo f'rutices existunt in modum caudarum equinarum. — Caudeta appellatur agernbsp;trans ïiberim, quod in eo virgulta nascuntur ad caudarum equinarum simililudineni-V. Caud.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Suet., Coes., 59.
(3) nbsp;nbsp;nbsp;Annal., lib. xu, 36.
COMBAT NAVAL. 117
ler, on avail horde le bassin de troupes prêtes h les repousser le fer a la main. Enfin César arrive, on le reconnait de loin i la couronne denbsp;lauriers qui ne quitte plus son front dépouillé, a I’habit triomphalnbsp;qu’il a le privilége de porter dans tons les jeux publics, a I’ensemblenbsp;de sa mise ou règnent la recherche la plus élégante et la mollesse lanbsp;plus efféminée (i). Entouré d’un cortége de jeunes olEciers et précédénbsp;de licteurs parés de lauriers, il s’avance vers le fauteuil d’or qui luinbsp;ast préparé, lorsqu’il entend ses soldats murmurer hautement conlrenbsp;lui. La magnificence déployée dans les fêtes précédentes et renouveléenbsp;dans celle-ci cause leur mécontenlement. « A quoi bon toutes ces dé-Penses, disent-ils, n’aurait-il pas mieux fait de nous partager eetnbsp;argent? » Le dictateur efféminé jette un regard foudroyant sur lesnbsp;téméraires qui semblent le braver; puis, s’élangant au milieu d’euxnbsp;avec toute l’impétuosité de la colère, il en saisit un de sa propre mainnbsp;at le livre au supplice. Ce trait de vigueur, je dirais de despotismenbsp;töusulman, rétablit l’ordre, et César retourne avec une lenteur affectéenbsp;prendre place sur l’espèce de tróne qui lui est réservé (2).
Les deux flottes défilent alors devant lui. César, ceux qui vont mourir te saluent, crient, suivant l’usage, les naumachaires en passant aux pieds du dictateur. Bien que prononcés il y a dix-neuf siècles,nbsp;ces mots, que semblait répéter encore le lieu oü nous étions, jetaientnbsp;Un frisson jusqu’aux profondeurs de l’éme. Cependant les navires senbsp;rangent, einquante d’un cóté, cinquante de l’autre. Le signal estnbsp;donné, les combattants poussent un cri unanirae, les manoeuvres com-^'lencent, les rames se lèvent et retombent en cadence; Pair retentit.lesnbsp;'aisseaux s’ébranlent et le combat s’engage d’abord de loin. Lespierres,nbsp;lu plomb, les brandons, garnis d’étoupes enflammées, frottés d’huile,nbsp;d® bitume et de soufre; les flèches, les javelots volent de toutes parts,nbsp;^®Ucés par des machines guerrières ou par le bras nerveux des combat-^^^'ts, et remplissent Pair de longues trainees de llamme et de fumée.
En peu d’instants Pespace disparait sous les nefs écumantes; les '^^Ux flottes se joignent avec un choc violent qui fait frémir et reculernbsp;ondes. Les redoutables éperons d’airain dont chaque proue estnbsp;®rmée s’enfoncent dans les flancs des navires et en ressortenl pour s’ynbsp;*'®plonger encore. Bientot les galères s’affaissent, quelques infortunésnbsp;^^saient de se sauver en nageant; mais ils sont repoussés dans les flotsnbsp;P3r les impitoyables gardes du rivage. La flotte égyptienne conduite
jO Suet., Cces., 43; Dio., ]ib. xliii. '¦) Uio., lib. xuii.
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avec moins d’habileté que la Hotte tyrienne est acculée aux berges de Ia Naumachie. Ainsi bloquée, elle cherche a rétablir I’égalité du combat en tentant l’abordage. Le massacre devient horrible, des torrentsnbsp;de sang inondent les ponts, les eaux en sont rougies, les navires dispa-raissent engloutis dans les flots, a peine quelques-uns surnagent encore montés par les débris mutilés de dix-neuf mille hommes! César,nbsp;qui pendant le spectacle n’a cessé de lire des lettres (i), se léve tout anbsp;coup, et, d’un air aussi distrait qu’indifférent, ordonne de faire grücenbsp;a ceux qui restent (a).
Le peuple, qui avail accueilli le diotateur par des applaudissements universels, s’éloigna en murwmrant, paree que, disait-il, dans tons lesnbsp;jeux publics César affectait de s’occuper d’autre chose que du spectacle. Mieux qu’un livre, ce dernier trait peint la vieille Rome : il estnbsp;digne de Tacite (s).
Quelques coins du Champ de Flore et du Champ de Mars nous res-faient è visiter, mais il était trop tard pour entreprendre une nouvelle excursion. Rentrés a cinq heures, nous rédigions les notes de la jour-née, lorsque la bonne Maddalena frappe i ma porte et me dit : Ecconbsp;un signore che vuol parlargli. Je passe dans la piéce voisine et je re-connais M. N... « Vous me voyez hien tard, dit-il, mais je n’ai punbsp;venir plus tót. Ce matin j’ai demandé votre audience au Saint-Père etnbsp;ce soir même j’ai re^u la réponse, c’est pour demain a neuf heures etnbsp;demie. —Moi, demain, voir le Saint-Père! » Je ne pus dire autrenbsp;chose, et il me passa une espèce de frémissement des pieds a la tête. IInbsp;fut convenu que le lendemain, ó neuf heures, je serais en voiture surnbsp;la place Colonne. M. N... partit, et je m’empressai d’écrire les gróeesnbsp;que je voulais demander.
12 JANVIER.
Audience papale. — Impressions. — Accueil du Saint-Père. — Royauté pontificale.-' Cabinet particulier du pape. — Portrait de sa Sainteté Grégoire XVI. — Cérémonienbsp;du baisemeut des pieds.
Le temps est hien pour quelque chose dans nos fêtes; un soleil brü' lant, une température modérée, un ciel sans nuage invitent a la joie etnbsp;complètent les douces impressions d’un coeur content. Aussi je rendis
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Suet., Atig., iö.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Tacit., AnnaL, xii, S6.
(3) nbsp;nbsp;nbsp;ld., id.; Rome au siècle d’Auguste, t. iv, p. 9ö.
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grüces a Dieu, lorsqu’arrivé sur la place Colonne je vis Ie soleil briiler tons ses feux sous un ciel d’azur dont pas une vapeur ne ternissaitnbsp;1’éclat : entre Ie riant spectacle de la nature et les dispositions de monnbsp;^TOe, il y avait harmonie. A neuf heures précises la voiture roulait versnbsp;Ie Vatican. J’étais en grand costume de prêtre francais; d’une mainnbsp;je relenais mon large manteau de cérémonie, de Fautre je portais lanbsp;lioite conteiiant mes chapelets et mes faveurs. Arrivés au pont Saint-Ange Ie coeur me battait déja bien fort : « En vérité, dis-je a M. N...,nbsp;Je ne sais quelle contenance je vais avoir devant Ie Saint-Père, je suisnbsp;lellement ému que je réponds d’avance de faire quelque belle gauche-fie. « On me'rassura; mais il était un peu tard; Féquipage s’arrêlaitnbsp;pied de Fescalier royal. Nous montames doucement ces superbesnbsp;•Marches que tant de inilliers de princes de 1’Église et de princes desnbsp;peoples, tant d’évêques, tant de missionnaires pèlerins du monde etnbsp;des siècles, avaient montées! Comme eux j’allais me prosterner auxnbsp;Pieds du Pontife immortel. Encore un peu, et j’allais voir Ie représentant visible de la Divinité, j’allais entendre sa voix, étre béni de sanbsp;lïiain, moi, obscur agneau de son immense bergerie! D’oü me vient
tant de bonheur......? Que ne puis-je Ie partager avec tous mes amis
de France.....? Get hommage de respect et d’amour filial je vais Ie
rendre au successeur de Pierre Ie Galiléen, dans ce même palais bUti Sur celui de Néron, aux mêmes lieux oü les chrétiens servirent de flam-fieaux vivants pour les jeux de César, oü Ie premier des papes fut cru-t^tfié, oü Pie VI, qui suivant les prédictions de Fimpiélé devait étre Ienbsp;dernier, fut saisi et enlevé comme un malfaiteur. Eh bien! oui, Églisenbsp;•^atholique, divine enclume forgée par Ie Christ, vous avez usé tousnbsp;les marteaux; les Nérons anciens et les Nérons modernes ont passé, etnbsp;^e pape demeure!
fiéja nous étions dans la première antichambre. Par ses peintures
fresque et ses pilastres de marbre, cette immense pièce annonce que Ie séjour de la papauté est aussi Ie palais des arts. La se tenaient quel-'1'tes plantons de la garde suisse, avec trois sediarii au costume com-Plétement rouge. Devant nous s’ouvrirent successivement une seconde,nbsp;’tQe troisième, une quatrième pièce, semblables ü la'première et pournbsp;Ie personnel et pour la décoration. Toutefois, en avan^ant, Ie décornbsp;’levient de plus en plus magnifique. Des parois ornées de tentures ennbsp;danias rouge, de tableaux choisis, de christs en ivoire d’une dimen-®ion surprenante; des voütes brillantes de peintures et de dorure; desnbsp;Perquets couverts de riches tapis ; tel est Fensemble de chaque salon.
öans Favant-dernier nous trouvömes les prélats domestiques du
-ocr page 124-120 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
Saint-Père, en costume violet; un garde-noble en grande tenue mon-tait la garde a la porte qui communique a I’antichambre suivante : bientöt un camérier vient prendre ma provision de chapelets, qu’ilnbsp;dépose sur un plateau pour les présenter a la bénédiction pontificale.nbsp;A peine a-t-il disparu, qu’une petite sonnelte se fait entendre : Ie moment de mon audience est arrivé. Je traverse la dernière antichambrenbsp;occupée par Ie majordome et par quelques prélats ; me voila sur Ienbsp;seuil du cabinet particulier du Saint-Père. Une porto battante s’ouvrenbsp;et je commence les trois génuflexions d’usage. La première n’est pasnbsp;achevée que Ie Saint-Père se léve de son fauteuil et, m’appelant parnbsp;mon nom, m’ouvre ses bras.... Je me prosterne de nouveau pournbsp;baiser la mule, mais l’excellent pape me relève et, par une faveur quinbsp;me rend confus, il me donne sa main è embrasser. Je déposai sur sanbsp;table un exemplaire de quelques-uns de mes péchés liUéraires. « Jenbsp;les connais déja, me dit Ie Pape. » Puis il ouvrit Ie premier volumenbsp;du Catéchisme et lut a haute voix la première et la seconde page, ennbsp;disant : Si, si, questo è vero, questo è ben vero.
Avec une bonté toute paternelle il daigna me remercier de ce que j’avais écrit, encouragea mes efforts pour l’avenir, remit Ie volume surnbsp;sa table; et me prenant par la main, il se mit a causer avec moi comme
un père avec son enfant......tant il y avait de simplicité, de familiarité,
d’aimable abandon dans ses bienveillantes paroles. La conversation se prolongea longtemps; avec un tact exquis, sa Sainteté eut soin de lanbsp;faire rouler sur tont ce qui pouvait m’intéresser et comme prêtre etnbsp;comme Francais. C’est bien ma faute si j’étais troublé; pourtant celtenbsp;faute, je la commettais tout en me la reprochant; je ne tardai pas b ennbsp;être puni. A Pune des questions du Saint-Père, je répondis : Ouigt;nbsp;Monsieur!i'en devins rouge craraoisi; l’auguste vieillard sourit dou-cement; puis, me serrant la main avec plus d’affection, il me demandanbsp;combien de temps je resterais a Rome : « Trcs-Saint-Père, je comptenbsp;y rester jusqu’a Pbques. — Bien, vous viendrez me revoir, n’est-cenbsp;pas? » Ce nouveau témoignage de bonté mit Ie comble ii ma reconnaissance et m’enhardit a demander mes grbces. Dans la salie d’attente onnbsp;m’avait dit de ne pas solliciter certaines indulgences, paree que je nenbsp;les obtiendrais pas; mais, voyant Ie Saint-Père si bon, je hasardai ntanbsp;demande. Avec un sourire qui semblait dire : Vous ne vous gênez pasinbsp;Ie Pape fit un signe de tête et m’exauga. Quant a la liste des autresnbsp;grbces pour moi et pour mes amis, il la prit dans ses mains, la lu*-tout entière et dit : Oui, oui, tout cela : Si, si, tutto questo; et lanbsp;signa de sa main.
-ocr page 125-ACCUEIL DU SAINT-PÈRE. nbsp;nbsp;nbsp;'J21
L’audience s’était prolongée au dela du temps ordinaire; un camé-rier ouyrit la porie, Ie vicaire de Jésus-Christ me bénit de nouveau, et 3près avoir pris mes mains dans les siennes, m’engageant a revenir,
se dirigea vers son fauteuil et je sortis. Tel est en abrégé I’accueil 'lue je rcQus de Grégoire XVI: beaucoup d’autres peuvent en dire au-lant. Le récit de tant de faveurs imméritées, devait rester enseveli dansnbsp;ttn silence éternel; ainsi le demandait l’amour-propre; mais amp; notrenbsp;époque de dénigrement et d’indépendance, il est pour le pèlerin denbsp;Home un devoir impérieux, c’est de faire connaitre la royauté pontificale dans son double caractère de majesté divine et de bonté pater-nelle. La vue seule du Vatican, ces salons grandioses oü brille le luxenbsp;fies beaux-arts, ces gardes qui les occupent, ces officiers empresses,nbsp;tout annonce au voyageur la majesté des rois, et, malgré qu’il en ait,nbsp;Un sentiment de crainle s’empare de son ame. Si, parvenu au fond dunbsp;palais, on se trouvait en présence d’un monarque assis sur un tröne,nbsp;environné de magnificence; si on ne recueillait de sa bouche que quel-fiues rares paroles dictées par l’étiquette et réglées par la politique, onnbsp;festerait sous l’unique impression du respect et de la crainte; en sor-tanl on pourrait être fier, mais on ne serail pas satisfait: le coeur n’au-rait point eu sa part. Telle est pourtant Taudience des rois du siècle;nbsp;tel le sentiment dominaleur qu’elle inspire. Ne vous en étonnez pas,nbsp;ils sont maitres, ils ne sont pas pères; ils le savent et vous le saveznbsp;comme eux.
Bien différent est le roi du Vatican. A Timpression de crainte et de respect produite par l’appareil imposant de la majesté souveraine, senbsp;uiêle, en sa présence, le délicieux sentiment de la confiance et de Ta-Oaour. Tous ces magnifiques salons aboutissent a une modeste piècenbsp;Ou se trouve non point un monarque dans le sens dégénéré du mot;nbsp;utais un père qui vous accueille avec empressement, qui vous regoitnbsp;fians ses bras, qui vous caresse comme un fils chéri; qui s’abaissenbsp;jusqu’a vous pour vous élever jusqu’è lui; qui s’identifie avec vousnbsp;ufin de mettre son cceur a Tunisson du vótre; qui vous parle commenbsp;® il vous avail toujours connu, et dont les lèvres ne s ouvrent que pournbsp;rous sourire et les mains pour vous bénir. Dans ce double caractèrenbsp;fie force et de douceur, d’autorité et d’amour, de majesté et de sim-Plicité, le type divin du pouvoir se róvèle; un sentiment inconnu,nbsp;öiélange indéfinissable de respect, de confiance, d’amour et de dévoue-roent, domine tous les autres: Timpression est délicieuse; car Tesprit,nbsp;lo cceur, toutes les facultés sont satisfaites. Ainsi, père et roi, et roinbsp;paree qu’il est père, voila Grégoire XVI, voilé le pape. Telle est lanbsp;royauté du Vatican, telle fut celle du Calvaire.
m LES TKOIS HOME.
Le cabinet dans lequel je re(;us mon audience est une pièce oblon-gue, assez étroite et simplement ineublée; sur un des cólés était une table a écrire. Des papiers, quelques livres, un modeste encrier et unnbsp;beau crucifix en ivoire avec une slaluelle de la sainte Vierge, en fai-saient tout rornement. Sur une estrade d’environ six pouces de hauteur s’élevait un simple fauteuil de bureau, il n’y a pas d’autre siége.nbsp;Le Saint-Père portait une soutane de molleton blanc, sans ceinture,nbsp;suivant l’usage d’Italie : des bas blancs, une calotte blanche, avec unenbsp;pélerine de la même couleur, longue comme la moitié d’un camailnbsp;ordinaire, complétaient sa toilette. Le%mules seulement étaient rougesnbsp;et ornées d’une croix d’or. Grégoire XVI est d’une stature élevée, sesnbsp;cheveux sont blancs comme la neige. II a le teint frais, plutót pale quenbsp;coloré, la voix douce et forte, les yeux grands et noirs, ornés de largesnbsp;sourcils bien arqués. Sa démarche est ferme et sa taille droite malgrénbsp;le poids de soixante-seize ans. Ses facultés morales ont conservé toutenbsp;leur rigueur : sa mémoire surtout est étonnante. Ajoutcz a tous cesnbsp;avantages, la dignité et la simplicité des manières avec je ne sais quelnbsp;air de spirituelle bonhomie, et vous aurez le portrait non flatté de l’au-guste et venerable vieillard.
Parmi les cérémonies usitées dans les audiences papales, il en est une dont il n’est pas inutile d’expliquer l’origine, d’autant qu’elle ex-primeasamanière la nature de la royauté chrétienne qui vient de nousnbsp;occuper : je veux parler de la génuflexion et du baiscment des pieds.nbsp;Les peuples anciens témoignaient leur respect pour la majesté souve-raine, soit en Iléchissant le genou, soit en se prosternant le front dansnbsp;la poussière. De la ces expressions si fréquentes dans les auteurs contemporains : genuflexus ante eum, provolutus ad pedes. Encore au-jourd’hui les Orientaux s’inclinent jusqu’a terre lorsqu’ils paraissentnbsp;devant leurs maitres. Get usage, le Christianisme l’a conservé, et lenbsp;catholique rend avec amour et dignité au vicaire de Jésus-Christ,nbsp;rhommage que la crainte ou la flatterie arrachait aux peuples courbésnbsp;sous Ie joug du despotisme. Mais les premiers Souverains Pontifes, nenbsp;voulant pas qu’on piit croire qu’ils Fexigeaient pour leur personne,nbsp;placèrent la croix sur leur chaussurc, afin que le fidéle en se prosternant devant eux, baisAt ce signe adorable. Dans l’église de Saint-Mart*«-des-Monts, nous vimes la croix sur une pantoufle du papenbsp;saint Martin 1quot;, martyrise vers le milieu du viP siècle. Le même signenbsp;se trouve dans le portrait en mosaïque d’Honorius Iquot;, a Sainte-Agnès-hors-des-Murs et dans celui de saint Corneille, également en mosaïque,nbsp;dans l’église de Samle-Marie-in-Trastevere. A ce premier signe d’hu-
-ocr page 127-VISITE Aü P. MAUTONE. nbsp;nbsp;nbsp;123
les Souverains Pontifes ont ajouté, depuis saint Grégoire Ie ^rand, Ie tltre de Serviteur des serviteurs de Dieu : Servus servorumnbsp;t^ei. L’Évangile, programme, devise de la royauté chrétienne, ces troisnbsp;*Dots gravés au cceur des monarques seraient la garantie de leur trónenbsp;Ia félicité de leurs peuples. S’il n’en est pas ainsi, qu’on se gardenbsp;*^6 I’imputer ^ l’Église romaine, qui dans ses moindres usages et dansnbsp;plus solennels enseignements se révèle comme la plus grande écolenbsp;•Ia respect et comme la plus grande école de dévouement; double de-'oir quijrenferme la solution de tous les problèmes sociaux.
13 JANVIER.
au P. Maulone. —Details sur saint Alphonse, sur sa canonisation. — Leltre du Saint. — Sa Théologie est-elle une Théologie locale, nouvelle, dangereuse, de contre-Sande? —Piquante conversation du bon Père. — Visite a Saint-Louis-des-Frangais.
Depuis longtemps une visite a laquelle je tenais beaucoup m’avait ®té promise. Vers dix heures, un excellent ami vint me prendre et menbsp;®onduisit chez les religieux du Très-Saint-Rédempteur: Ie père Josephnbsp;Mautone, supérieur de la maison, était l’objet de ma vive curiosité. Cenbsp;vénérable vieillard a re^u l’habit religieux des mains de saint Alphonsenbsp;de Liguori, avec lequel il a vécu quatre ans. Nous Ie trouvames dansnbsp;petite celluie, occupé è mettre en ordre quelques opuscules inéditsnbsp;'ll! Frangois de Sales de Tltalie. Aux questions que je lui adressai surnbsp;vie intime du saint évêque, il me répondit: « Malgré ses souffrancesnbsp;®ontinuelles, notre père était on ne peut ni plus gai, ni plus aimable.nbsp;Cendant la récréation il ne manquait pas de jouer du piano ou du cla-'®cin pour divertir la communauté; il était l’ame de la conversation.nbsp;^ Partir du jour oü il fut nommé évêque, il ne voulut plus toucher anbsp;instruments. — Mon père, lui disaient ses enfants, pourquoi nenbsp;ihuez-vous plus? — Ma che, ma che direbbe la povera gente? Que di-Ie pauvre peuple? II ne manquerait pas de dire; Pendant quenbsp;'“oüs sommes dans la misère et Ie travail. Monseigneur s’amuse. » Pournbsp;^''iter cette espèce de scandale, il ne reprit son clavecin qu’après avoirnbsp;*^ouné sa démission.
Digne enfant de saint Alphonse, Ie père Joseph est lui-même un ^^ès-aimable vieillard. Une longue causerie s’engagea sur la théologienbsp;Morale du saint évêque et sur les contradictions qu’elle avait rencon-^^des. « A,h! me dit-il, ces contradictions ne datent pas d’aujourd’hui,nbsp;I sais quelque chose. Postulateur de la cause dans Ie procés de la
iM LES TROIS ROME.
canonisation de notre père, j’ai eu de rudes combats a soutenir. Un jour, entre aulres, Ie promoteur de la foi, que nous appelons \ulgai-rement l’avocat du diable, crut m’avoir pris dans ses filets en m’ob-jectant que saint Alphonse avait manqué de prudence, puisqu’il availnbsp;soutenu Ie probabilisme, contrairement i l’opinion d’un grand nombrenbsp;de théologiens. Et cela est si vrai, ajoutait-il.qu’on assure qu’Alphonsenbsp;de Liguori s’est lui-même rétracté avant de mourir. »
A ces mots, Ie bon vieillard, ótant sa barrette, me disait d’un air malin : « Je Ie laissai aller sans l’interrompre; on me croyait presquenbsp;battu. Quand il eut fini, je liis ma réponse a l’objection d’imprudence;nbsp;elle fut trouvée victorieuse par Ia sacrée Congregation, et Ie promoteurnbsp;lui-même abandonna ce chef d’accusation; mais restait la prétenduenbsp;rétractation du saint: c’est la que j’attendais l’avocat du diable. Je tirenbsp;de mon dossier la lettre que voici, écrite par Ie saint lui-même peunbsp;de temps avant de paraitre devant Dieu. » üuvrant alors Ie tiroir denbsp;sa table il me lut cette lettre ; elle est tellement décisive qu’on menbsp;pardonnera de la rapporter.
« Le père Patuzzi m’insinue bien des fois dans son livre que je dols me retractor; mais il laisse entendre que j’aimerais mieux exposer Ienbsp;salut de mon ame que d’y consentir. Je le remercie de la bonne opinion qu’il a de moi. Ainsi j’ai quitté le monde, je me suis privé de manbsp;liberté en entrant dans ma congrégation, oü l’on fait voeu de parfaitenbsp;pauvreté et de persévérance; en un mot, je me suis condamné è vivrenbsp;en missionnaire dans une étroite celluie, et pourquoi? pour mourirnbsp;en réprouvé, et cela paree que je ne veux pas me rendre a la vérité etnbsp;rétracter mon opinion. Mais quelle folie serail la mienne! d’autantnbsp;qu’il n’y aurait pour moi aucun déshonneur a me rétracter, mais glolrenbsp;devant le monde entier. En me rétractant je dirais que jusqu’ici j’ainbsp;été dans la bonne foi, mais qu’étant homme sujet a Terreur, je menbsp;suis empressé de me rendre a la lumière lorsqu’il a plu au Seigneurnbsp;de m’éclairer. Je suis certain que tous, même mes partisans, me re-garderaient comme un homme de conscience et ne me refuseraient pasnbsp;leurs éloges. Quant aux antiprobabilistes, de quelles louanges ne menbsp;combleraient-ils pas en me voyant passer dans leur camp? Au contraire, en restant dans mon opinion, je passe auprès du père Patuzzinbsp;et de ses adhérents pour un cerveau fêlé, un relaché, un obstiné, etnbsp;qui mieux est, pour un homme ridicule et de mauvaise foi.
)) Mon grand age et mes infirmités m’avertissent que je paraitrai bientót devant Dieu; mais je me console en pensant que ma sentencenbsp;éternelle sera rendue non par le père Patuzzi, mais par Jésus-Christ
-ocr page 129-DÉTAILS sun SAINT ALPHONSE. nbsp;nbsp;nbsp;125
qui voit Ie fond des coeurs. II est vrai, je crains Ie jugement h cause de roes péchés; maïs nullement a cause de l’opinion que je soutiens, carnbsp;fille me parait tellement certaine que l’Église seule pourrait me la fairenbsp;abandonneren la condamnant. Danscecas je soumettrais monjugementnbsp;a son infaillible autorité, mais j’obéirais sans savoir pourquoi. Ed innbsp;tal caso io sot to porrö il mio giudizio alia di lei autorité infallibile,nbsp;e dirö che mi bisogna ubbidire, benechè sia mi ignoto il perchè. »
Ailleurs Ie saint s’exprime ainsi : lt;t Votre paternilé saura que j’eus dès Ie principe pour maitres et pour directeurs dans les études ecclé-siastiques des partisans du rigorisme; que Ie premier auteur placénbsp;cntre mes mains, fut Ginetti, chef des probabiliorisles, et que pendantnbsp;longtemps je fus l’ardent défenseur du probabiliorisme. Plus tard,nbsp;examinant les raisons de l’opinion contraire, j’ai change de sentiment.nbsp;Pendant l’espace de trente ans environ que je me suis occupé de cettenbsp;lt;lnestion, j’ai lu d’innombrables auteurs partisans de l’une et de l’au-^fe opinion : et pendant tout ce temps-li je n’ai jamais cessé de de-roander a Dieu de me faire connaitre Ie système que je devais embras-ser afin d’éviter Terreur. Enfin j’ai fixé mon opinion, appuyé non surnbsp;roon discernement personnel, mais sur Tenseignement des théologiensnbsp;et, avant tous, du prince de la théologie, saint Thomas, I’oracle denbsp;toutes les écoles et Ie docteur de TÉglise.
» Je me suis appliqué souvent a bien examiner ma conscience. Je SUIS certain de n’avoir écrit ni par passion, ni par enthousiasme... Jenbsp;lermine. Depuis plusieurs mois je suis atteint d’une maladie qui nenbsp;roe laisse aucun repos et qui vraisemblablement me conduira bientótnbsp;•^iros la tombe. Or, on dit communément qu’autre est Ie langage qu’onnbsp;Gent pendant la vie et autre celui qu’on tient a Tarticle de la mort;
a Theure de la mort on éprouve des remords qu’on ne sent point °ti pour mieux dire qu’on ne veut point sentir pendant la vie. Eh bien,nbsp;1® n’ai aucun remords d’avoir soutenu mon système touebant Ie pro-^abilisme; que dis-je? mon plus grand remords serait de tenir Ie sys-^èroe contraire dans l’instruction des autres, bien qu’appuyé sur l’opi-G'on de certains auteurs modernes. Dans Tenseignement j’ai suivi Ienbsp;eonseil de saint Chrysostome : Circa vitam tuam esto acerhus, circanbsp;^lienam benignus. »
* A la lecture de ces lettres, ajoutait Ie père Joseph, vous auriez vu ^e promoteur de la foi ouvrir de grands yeux; il resta muet et la sacréenbsp;Congrégation déclara qu’Alphonse avait pratiqué la prudence dans unnbsp;héroïque; et remarquez qu’il s’agit ici de la prudence de Té-^rivain qui doit Ie diriger dans ses enseignements. La bulle fut rédigée
T. II. nbsp;nbsp;nbsp;6
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et portée a Fapprobation du Saint-Père. Le cardinal rapporteur trem-blait en la lisant, tant les expressions de la Congrégation étaient fortes et explicites, sur les ouvrages el la saine doctrine d’Alphonse. Lors-qu’il fut arrivé au passage qui contenait ce jugement, le Saint-Pèrenbsp;rinterroinpit en s’écriant : Bravo, tutto questo è vero. Jugez de manbsp;consolation en apprenant cetle parole sortie de l’oracle de la vérité!nbsp;je dis è mon tour : Petrus locutus est, causa finila est: Pierre a parlé,nbsp;ia cause est finie.
— Pas pour tout le monde, lui dis-je, — Ah, ooi, je sais, reprit-il vivement, qu’il y a quelques mauvais Francais, Francesacci, qui résistent encore. Mais ils ne sont pas méchants, non sono cattivi, dit-ilnbsp;en portant l’index a son front, sono pazzi, si, si, pazzi, e percM :nbsp;oui, oui, fous el voici pourquoi. » Alors il se mil a me développernbsp;avec bcaucoup de logique et de lucidité les conséquences du gallica-nisme et du rigorisme. « Je connais ces messieurs, continua le spiri-tuel vieillard; théologie locale, théologie nouvelle, théologie dange-reuse, théologie de contrebande, voila ce qu’ils disent de la morale denbsp;saint Alphonse. »
Puis ótant de nouveau sa barrette, il s’inclinait de mon cóté et re-prenait avec une douce ironie ; « Théologie locale! ma per Baccho; très-locale, en effet, puisqu’elle est adoptée dans tous les lieux dunbsp;monde, en Italië, en Allemagne, en Pologne, en Bosnië, en Servie, auxnbsp;Indes, en Amérique et méme en France. Voila les signatures de septnbsp;de vos évêques qui, d’accord avec soixante-cinq de leurs collègues,nbsp;prient le Saint-Père de mettre Alphonse au nombre des docteurs denbsp;l’Église. Theologie locale! mais quand elle ne serait pas pour toutenbsp;la catholicitè, vos Francais devraient encore la regarder comme faitenbsp;pour leur pays. A qui, je vous prie, sa Sainleté a-t-elle répondu solen-nellement qu’on pouvait, tuta conscientia, suivre en tout les opinionsnbsp;de saint Alphonse? Est-ce a un évêque italien, allemand, espagnol?nbsp;Non, c’est a un cardinal franpis qui, apparemment, ne le consultaitnbsp;pas pour 1’Italie, l’Allemagne ou l’Espagne; mais pour la France, maisnbsp;pour son diocèse; et la preuve, c’est que la pieuse Éminence s’estnbsp;empressée d’envoyer è ses prêtres la réponse du vicaire de Jésus-Christ, en les exhortant h suivre une morale approuvée par la mèrenbsp;et la maitresse de toutes les Églises. Et quand cette consultation a-t-ellenbsp;été faite? II n’y a ni cent ans, ni cinquante ans, ni vingt-cinq ans; ily *nbsp;neuf ans. La morale de saint Alphonse est done bonne pour la Francenbsp;actuelle (i). Théologie locale! mais si elle est bonne pour une partie
(i) Reponse du Saint-Siége a son Éminence le cardinal de Rohan, archevêque de Be-sanqon., 51 janvier 1833.
PIQUAKTE CONVERSATION I)U BON PÈRE. nbsp;nbsp;nbsp;127
de la catholicité, -perchè, di grazia, ne serait-elle pas bonne pour les oiitres? Depuis quand la morale a-t-elle cessé d être une? Qui a jamais osé dire que la régie des mceurs pouvait varier suivant les degrésnbsp;de longitude? Ce qui est juste, honnête, licite, en Italië, en Allemagne,nbsp;en Espagne, peut-il être injuste et illicite en France? 11 ne s’agit pasnbsp;dans la morale de saint Alphonse, de certaines applications de détailnbsp;^ni peuvent varier suivant les lieux et les personnes, tout en admet-Isni conime vrai Ie principe d’oü elles découlent; il s agil du fondement même de toute sa théologie, savoir, si une loi douteuse oblige ounbsp;n’oblige pas. Or, la solution de ce problème ne peut varier suivantnbsp;^es pays et les personnes; elle doit être nécessairement la même par-^out. Eh bien, 1’Église a trouvé irrépréhensible sa solution donnée anbsp;problème par saint Alphonse; done dans tons les pays on peut.nbsp;Pour ne pas dire on doit, suivre la morale qui en découle. Ecco innbsp;^reue yer la iheologia locale : voila en pen de mots pour la théologienbsp;locale!
— Benone, padre, benone; très-bien, père, três-bien, lui dis-je; o’est une théologie nouvelle ; on ne peut Ie nier. Théologie nouvelle! reprit-il; aA Francesacci, qui vi prendo, ah! gallicans, je vousnbsp;prends ici. Ne vous en déplaise, sur ce point les novateurs ne sont pasnbsp;eeux qu’on croitl Quelle est, je vous prie, la date de vos theologiesnbsp;favorites? Combien en citez-vous qui soient les ainées de celle que jenbsp;défends? J’en connais de vos theologies qui n’ont pas cinquante ans,nbsp;quot;lui n’ont pas vingt-cinq ans, il y en a même une qui n est pas tout ènbsp;fait née. Vous en avez, dites-vous, qui sont anciennes. Oui, elles datentnbsp;du la seconde moitié du xvii® siècle. Mais saint Thomas, saint Bona-''Uöture, saint Antonin, saint Raymond-de-Pennafort, les six cent cin-^'^ante-six princes et grands seigneurs du monde théologique, dontnbsp;fes oracles composent la morale de saint Alphonse, ne sont pas d’hier.nbsp;ffs régnaient avant vos théologiens, et, Dieu aidant, ils régneront en-'öre après les nouveaux venus. Ah 1 vous dites que vous les entendeznbsp;’^ieux que nous : ma per Baccho! avez-vous jamais réfléchi sur cenbsp;si frappant? D’un cóté, je vois en morale toutes les Églises dunbsp;*^onde, Rome b leur tête, marchaiit dans la même voie et adoptantnbsp;®^its contestation la morale de saint Alphonse; de l’autre, quelquesnbsp;'ranigais qui la repoussent. Les unes et les autres disent avoir cesnbsp;§Vands saints pour maltres et pour docteurs, de quel cóté est la vraienbsp;fmerprétation? Qui a changé? Ab initio non fuit sic. Lette divisionnbsp;^ ® pas toujours existé; avant 1641, la France était a l’unisson des au-fves Églises. Lisez vos conférences ecclésiastiques, vos rituels, vos
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tliéologies antérieures amp; cette époque; elles vous offriront Ia preuve de ce magnifique accord. Pourquoi, quand et comment a-t-il cessé? de-mandez-le au jansénisme. Le clergé de France, tout en restant catho-lique, ne fut pas assez sur ses gardes centre les sévères nouveautés denbsp;la secte. Une nouvelle pratique remplaga l’ancienne, excepté toutefoisnbsp;dans certaines communautés religieuses qui conservèrent jusqu’a lanbsp;révolution fran^aise les anciennes traditions. Voilü en peu de motsnbsp;pour la théologie nouvelle. »
Le bon père, que j’écoutais avec Fintérêt le plus vif, s’arrêta un instant et m’offrit un portrait original de saint Alphonse, ainsi qu’un carré de papier, sur lequel étaient des notes écrites de sa main, puisnbsp;un morceau du drap sur lequel le saint évêqiie avait expiré. Je regusnbsp;ces objets avec une respectueuse reconnaissance; puis, après quelquesnbsp;détails sur la pauvreté d’Alphonse, je poussai de nouveau son habilenbsp;défenseur en ajoutant ; « Convenez cependant, mon père, que cettenbsp;théologie est dangereuse, et qu’on en abuse.
— Théologie dangereuse! Gcsü mio .'je vais vous traduire cette modeste prétention de vos Francais : « Moi, soussigné, supérieur, pro-fesseur, directeur de séminaire, cure, vicaire francais, sachant, en droitmieuxquele papesi unethéologieest bonne oumauvaise; connais-sant, en fait, mieux que lui la morale qu’il convient d’enseigner ennbsp;France, je déclare dangereuse la théologie de Liguori, approuvéeparlenbsp;pape, et mauvaise en France quoique bonne pour l’Italie, pour l’Al-lemagne, pour l’Espagne et le reste du monde; en foi de quoi je déclare que ma conscience ne me permet ni de suivre, ni d’enseigner 1®nbsp;susdite morale et que Rome aurait heaucoup mieux fait de mettrenbsp;Liguori ii Tindex que de l’inscrire au catalogue des saints. » Voilagt;nbsp;voila, me dit, en souriant, l’excellent vieillard, la modestie de vos doe-teurs. Or, ajouta-t-il, qui que vous soyez, supérieur, directeur, prO'nbsp;fesseur de séminaire, malgré le respect que vous m’inspirez, malgr^nbsp;ma vénération pour la Sorbonne, votre concile permanent des Gaulesgt;nbsp;je vous déclare, a mon tour, que jene connais qu’un homme au mond®nbsp;a qui il ait été dit : Tu es Pierre, et sur cette pierre je bdtirai tnoti'nbsp;Eglise; confirme tes frères; pais mes agneaux, pais mes brebis.nbsp;qu’il condamne je le condamne, ce qu’il approuve je l’approuve.nbsp;vez-vous en dire autant? On en abuse, ajouta-t-il encore; mais onnbsp;abuse aussi de l’Évangile : est-il mauvais pour cela? »
Et il mefixait dans le blanc des yeux, scrutant ma pensée; comw® je le voyais en si beau chemin je lui dis pour le lancer jusqu’au term® •nbsp;« II n’est pas moins vrai que c’est une théologie de contrebande qni
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s introduit furtivement dans les séminaires et dans les dioceses, au grand déplaisir des professeurs et des évéques. — Théologie de con-trebande! ma che vergogna! Le Saint-Père est-il on n’est-il pas Ienbsp;rhef de l’Église universelle? Son royaume spirituel, son droit de régirnbsp;d’enseigner s’étend-il ou ne s’étend-il pas sur tons les royaumes,nbsp;'Bême sur la bienheureuse Église gallicane? A-t-il ou n’a-t-il pas lenbsp;‘iroit d’approuver, de blamer les prédicateurs et les théologiens, denbsp;faire enseigner ou decondamner les doctrines? de leur donner ou denbsp;ieur refuser des visa et des passeports pour tout l’univers? Si vousnbsp;*fites oui, et il faut bien que vous en passiez par lii sous peine denbsp;Cesser d’être catholique, pourriez-vous me nommer qui a le droit denbsp;*féclarer marchandise de contrebande une théologie approuvée et re-Commandée par le vicaire de Jésus-Christ? Qui a le droit d’établir desnbsp;douanes sur les frontières de tel ou tel empire pour peser, verifier,nbsp;eontróler, contre-marquer, arrêter, confisquer les doctrines qu’il en-''oie? Eb bien, la morale de saint Alphonse vient de Rome, son passe-Port est signé BenoU, Clément, Léon, Pie, Grégoire; done elle n’estnbsp;pas une marchandise de contrebande; done elle est en régie, donenbsp;fibre passage, fibre circulation; done aux autorités compétentes de luinbsp;prêter secours et assistance en cas de besoin. »
A ces mots, le révérend père se découvre encore et me dit en incli-Oant profondément la tête : « Combien vos Francais en ont-ils qui pré-sentent les mêmes certificats? » Je ne pus m’empêcher de sourire en ''oyant la verve du bon vieillard. Le sel de sa conversation me la fitnbsp;fcllement goüter que je n’ai pas eu de peine a la rapporter tout en-fière. Puisse-t-elle servir a fixer les esprits sur une question de la plusnbsp;fiaute importance!
En rentrantje yhilai Saint-Louis-des-Frangais; c’est la plus belle église nationale qu’il y ait a Rome. Outre la magnifique facade de travertin, on y admire deux superbes fresques du Dominiquin; les pein-fares de la voute par le cbevalier d’Arpin; le tombeau du cardinal denbsp;*^crnis et surtout un petit tableau de la sainte Vierge, placé dans lanbsp;Sacristie : eet ouvrage de toute beauté est attribué au Corrége. Batienbsp;1589 sur les dessins de Jacques de la Porte, 1 église est dédiée a lanbsp;aainte Vierge, h saint Louis, roi de France, et a saint Denis VAréopa-Sfle, apótre des Gaules. Ainsi, n’en déplaise é nos critiques de réac-Rome et nos aïeux ont toujours cru que la Gaule celtique tientnbsp;^a foi de l’illustre disciple de saint Paul. Vraiment, lorsqu’on a lu lesnbsp;aavantes Dissertations du père Mamachi, on s’étonne que la Francenbsp;’Moderne ait pu répudier une si noble origine. Jusqu’au commence-
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LES TROIS ROME.
ment du xvii° siècle, on ne mettait pas sérieusement en doute, même pami nous, la mission de saint Denis. Le Martyrologe gallican, pu-blié par le savant Du Saussaye, et l’église de Saint-Louis-des-Fran^aisnbsp;è Rome, en sont un double monument: ne se Irouvera-t-il pas aujour-d’hui un critique digne de ce nom, pour reviser ce procés?
il JANVIER.
L’abbé Palotta. — Le Padre Bernardo. — Le Père Ventura. — Predication italienne.
Avec la permission du Saint-Père, Ms'' de B.... protonotaire aposto-lique, célébrait dans sa chapelle privée, la fête patronale de saint Louis : il me pria d’y dire la messe. Je fus d’aulanl plus reconnaissantnbsp;de cette aimable invitation qu’elle devait me procurer 1’avantage denbsp;voir un des saints de Rome, le révérend père Bernardo, religieux mi-nime. Lui et l’abbé Palotta sont hautement accusés de faire des miracles. Le fait est qu’ils jouissent è Rome de cette vénération religieusenbsp;qui s’attacbe a la sainteté, comme Fombre au corps; et tout porte inbsp;croire qu’ici la voix du peuple est la voix de Dieu. L’abbé Palotta estnbsp;un prêtre seculier, napolitain d’origine, ami et compagnon du véné-rable chanoine del Buffalo, fondateur de la Congregation du précieuxnbsp;Sang; il a hérité de son esprit et de son zèle. Sa vie se passe en toutesnbsp;sortes de bonnes oeuvres. Je vais citer en particulier ïApostolat ca-tholique, vaste conception du génie de la foi, dans laquelle viennent senbsp;concentrer toutes les pensees particulières, toutes les oeuvres isoléesnbsp;tendant è la gloire de Dieu et au bien spirituel des hommes. C’estnbsp;pour faire connaitre cette oeuvre, en la représentant avec son carac-tère d’universalité, que pendant Foctave de FÉpiphanie on prêche dansnbsp;toutes les langues a Saint-André-deWa-FaWe, et qu’on y célèbre Ianbsp;messe dans tous les rites. L’abbé Palotta est continuellement appelénbsp;auprès des malades; s’il y a une mission difficile elle semble être denbsp;son ressort, tant est grande la confiance qu’inspirent ses vertus!nbsp;porte toujours sur lui une image de la sainte Vierge, placée dans unnbsp;grand reliquaire, et au lieu du bonjour ou de Vau revoir mondain, dnbsp;offre Marie k votre vénération. Get homme extraordinaire est petit denbsp;taille, mince et un peu vouté. Ses cheveux déja grisonnants, son teintnbsp;pale, ses grands yeux bleus comme le ciel de Rome, son regard douxnbsp;et pénétrant, sa figure ovale, d’une grande pureté, Faménité de sesnbsp;manières, Fair de mélancolie et de candeur répandu sur toute sa pef'
LE P.VDUE BERSAEDO.
Sonne, mais surtout sa foi qui ne doute de rien, vous inspirent je ne sais quel sentiment de confiance filiale et de respect religieux dont onnbsp;Oe peut se défendre. L’abbé Palolta parle peu, et son maintien tou-jours composé donne l’idée d’un veritable mystique dans le bon sensnbsp;ce mot.
Autre est le padre Bernardo, car la grace se modifie suivant les oaractères et les tempéraments. Calabrois de naissance, soldat avantnbsp;*l’être religieux, le père Bernard a des allures plus décidées que l’abbénbsp;Palotta. Sa taille est haute, sa démarche vive et saccadee, sa physio-Oomie mobile, des cheveux noirs comme jais, un teint brun, des yeuxnbsp;Ooirs et petits, brillant comme des flambeaux dans leurs orbites pro-fondes, des lèvros pincées, des pommettes saillantes caractérisent ennbsp;lui Ie type méridional. Aimable, gai, simple, un peu négligé, il attirenbsp;a lui par la rondeur de ses manières, la spirituelle vivacité de sa parole, et eet inexplicable cachet de sainteté empreint sur toute sa per-sonne, dont il ne se doute même pas. Quand il sort tont Ie mondenbsp;1’arrête dans les rues pour lui baiser la main et se recommander a sesnbsp;prières. Cela lui arrive tons les jours; car du matin au soir et du soirnbsp;au matin il est appelé auprès des malades, des allligés ct des pécheurs.nbsp;Toutes les classes se Ie disputent, et il se donne tout a tous. Mais sanbsp;santé ne peut y sufiire, et, quoique jeune encore, il est déja courbé,nbsp;bien moins sous Ie poids de ses quarante-cinq ans que par les austé-rités et les fatigues. Pour le ménager ses supérieurs l’envoyèrent, il ynbsp;a quelque temps, en Calabre. A peine Ie peuple de Rome eut-il apprisnbsp;Ie départ du saint, qu’il se porta en foule au couvent des minimes etnbsp;réclama avec larmes son consolateur et son ami. Sa prière parvint jus-^u’au Souverain Pontife qui rappela Ie père Bernard, et longteraps Ienbsp;peuple fit la garde pendant la nuit autour du monastère pour empé-eher qu’on ne Ie lui enlevat une seconde fois.
Nous eümes Ie bonheur d’assister a sa messe, célébrée dans la cha-Pelle de Monseigneur de B..., il la dit corame un saint qu’il est, avec l'eaucoup de recueillement et de simplicité. II ne resta que vingt mi-*iutesè Pantel et ne fut long qu’a POffertoire, au Meinenlo, a ia Con-séeration et a la Communion. Tout le reste, il Pexpédia lestement; onnbsp;'oyait qu’il traitait avec Notre-Seigneur en ami. II cut la bonté denbsp;Oous donner a chacun un souvenir et de nous parler de la France,nbsp;*iont il connait bien la situation morale. La réputation d’homme denbsp;^ieu dont jouit Ie padre Bernardo est tellement réelle que dans lesnbsp;*^ffaires difliciles Ie Souverain Pontife a souvent recours a ses lumières.
On Ie voit, Rome est un grand reliquaire oü se trouvent non-seule-
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ment des saints morts, mais encore, des saints \ivants ; il doit, ce me semble, en étre ainsi. Est-ce que la note de sainteté ne doit pas êtrenbsp;permanente et sensible dans l’Église, comme celle de catholicité?nbsp;N’est-ce pas au cceur même de Ia céleste épouse de l’Homme-Dieu,nbsp;que ce caraclère doit briller d’un éclat plus constant et plus vif? Or,nbsp;c’est par la permanence du miracle que la sainteté de l’Église devientnbsp;surtout incontestable. Eb bien, les saints morts dont lesreliques rem-plissent les catacombes de Rome, ou reposent sous les autels, commenbsp;Ie corps du bienheureux Crispino et du bienheureux Leonard de Port-Maurice, prouvent qu’elle élait sainte aux siècles passés, et les saintsnbsp;vivants montrent qu’elle n a pas cessé de l’être.
J’ai dit que l’abbé Palotta dirigeait 1’Apostolat catholique ; nous nous rendimes a Saint-André-rfeHa-FaMe, pour contempler cettenbsp;grande muvre en action. Pendant la journée plusieurs sermons avaientnbsp;eu lieu en dilïérentes langues; celui du soir fut prêché par Ie célèbrenbsp;père Ventura, dont un immense concours environnait la chaire. A peinenbsp;si la vaste église avec les chapelles latérales sulEsaient ii la multitude.nbsp;Le père parut sur Ie palco, espèce d’estrade élevée de six pieds au-dessus de l’auditoire; assez large pour y placer une table et un fauteuil et assez longue pour que le prédicateur puisse se promener. Dunbsp;reste, elle n’est entourée ni de grilles, ni de balustrades; seulementnbsp;des draperies plus ou moins riches la recouvrent entièrement et re-tombent jusqu’è terre. Le prédicateur n’avait d’autre vètement quenbsp;son costume de théatin. Après l’exorde, le grand orateur se mit ennbsp;mouvement et s’en allant de droite amp; gauche, puis de gauche i droite,nbsp;il distribuait la parole sainte a toutes les parties de la nombreuse assistance. Grace a cette liberté, il y avait dans son action et dans sonnbsp;geste un naturel et une dignité que rendront toujours impossibles lesnbsp;espèces de torineaux dans lesquelles Tart moderne emprisonne le prédicateur cisalpin.
Je n’ai pas vu de recueillement plus parfait. II est vrai que le sujet en lui-même inspirait, a Rome surtout, un intérêt puissant; Marie,nbsp;reine des Apótres, tel fut le thème de l’orateur. Je ne sais lequel onnbsp;devait le plus admirer ou de la noble simplicité, ou de la prodigieusenbsp;érudition avec laquelle le sujet fut traité. En homme supérieur, le pèrenbsp;Ventura parlant a un audiloire composé en parlie de gens du peuple,nbsp;sut par la clarté tout évangélique de son élocution se mettre au niveaunbsp;des plus simples esprits; en méme temps que sa science profondenbsp;forqait l’assentiment de la raison la plus élevée. II nous montra quenbsp;Marie méritait son titre glorieux, non-seulement paree qu’elle fut la
LE PÈRE VENTURA. nbsp;nbsp;nbsp;lÖÖ
roère du Roi des Apótres, mais encore paree qu’elle avail été Ie premier apètre de son Fils. A la crèche elle Ie fit connaitre aux Mages; au (‘énacle elle présidait a la diffusion de FÉglise après avoir présidé è sanbsp;Daissance dans la grotte de Bethléem. C’esl elle qui révéla aux Apótresnbsp;les rayslères de la sainte Enfance; elle qui oblint a saint Pierre Ienbsp;pardon, aux autres Apótres la fidélité et a saint Étienne Ie courage dunbsp;martyre; elle qui mit fin a la controverse entre saint Pierre et saintnbsp;Paul. A elle Pierre Mtit une église en Palestine, Paul en Espagne,nbsp;Thomas dans I’lnde, André en Acha'ie. En entendant chacune de cesnbsp;propositions, la plupart si nouvelles pour moi, je me disais intérieu-rement : Comment le. père va-t-il la prouver ? Mais voila, chose eton-Dante! qu’è la suite de chaque assertion venait en preuve un ou plu-ateurs textes des Pères de FÉglise. Ce sermon produisitune impressionnbsp;profonde et donna une haute idéé de Féloquence et de la science dunbsp;prédicateur. Vers la fin Ie père s’arrêta, tout Fauditoire se mit ó ge-öoux et Fon récita a haute voix trois Ave, Maria, afin que la grócenbsp;'Int, comme une rosée bienfaisante, féconder la semence sacrée dépo-sée dans les ames :.cela me parut touchant et parfaitement logique.nbsp;Pendant ce moment de repos les membres d’une confrérie lirent lanbsp;quête. Couverts de grands sacs de bure noire qui les cachaient entière-mentsans excepter la figure, ils parcouraient toutes les nefs de Féglise.nbsp;Afin de ne pas déranger Fassistance en pénétrant dans les rangs, ilsnbsp;étaient munis de longues baguettes a Fextrémité desquelles un sac étaitnbsp;suspendu; ils Ie faisaient arriver devant chaque auditeur qui pouvait,nbsp;sans se gêner, y déposer son offrande : un brillant salut couronna di-gnement Ie sermon.
Je dois dire que la prédication italienne diffère notablement de la tgt;ótre. A Rome, en particulier, les sujets de morale ont la préférence,nbsp;fn n’y supporte. pas nos sermons philosophiques. Un sujet pratiquenbsp;®Pproprié aux besoins de Fauditoire, les témoignages de FÉcriture,nbsp;*^68 Pères, des conciles, avec quelque trait d’histoire, voila pour Ienbsp;fond. Quant a la forme elle est simple, Ie style moins étudié que cheznbsp;®ous, Ie pathétique beaucoup plus fréquent, surtout Ie dialogue avecnbsp;f ouditeur, ou Ie colloque avec Ie crucifix invariablement attaché a lanbsp;‘^haire, quand Ie prédicateur ne Ie tient pas a la main. Aux sujets denbsp;*bürale se joint Fherméneutique ou explication historique, dogmatiquenbsp;®t morale de FÉcriture sainte : j’en parlerai plus tard.
6.
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LES TBOIS ROME.
15 JANVIER.
Église de Bélisaire. — Sainte-Marie-m-Foraica. — Bücher imperial. — Description.— Funérailles d’Auguste, sou mausolée. —Détails sur la chemise d’amiante.
La partie du Champ de Mars qui avoisine Ie mausolée d’Auguste nous restait a explorer. Au lieu de nous y rendre par la place d’Espa-gne, nous primes la direction de la fontaine de Trevi, et regagnant lanbsp;Rotonde, nous arrivames par le centre de Rome sur le nouveau thédtrenbsp;de nos investigations. La raison de ce détour était le désir de visiternbsp;la petite église de Sainte-Marie-m-Form'ca, batie prés de la fontainenbsp;de Trevi; son nom lui vient des arcs fornices qui supportaient I’anciennbsp;aqueduc de I’eau virginale. Les ornements qui la décorent n’ont riennbsp;de remarquable; mais son origine excite vivement la curiosite dunbsp;voyageur. Bélisaire obéissant aveuglément aux ordres sacrileges denbsp;l’impératrice avail osé déposer le pape Pélage. Mais I’illustre guerriernbsp;ne fut pas longtemps sans reconnaitre sa faute. II s’en humilia, etnbsp;pour perpétuer la mémoire de son repentir, il fit élever cette églisenbsp;que nous étions venus visiter. Sur la parlie extérieure de la muraillenbsp;latérale on voit une table de marbre dont I’inscription rappelle ce faitnbsp;tout ensemble humiliant et glorieux. Voici cette inscription assez gros-sièrement sculptée :
Hanc vir patricius Vilisarius urbis amicus Ob culpao veniam condidit Ecclesiam.
Hanc iccirco pedem qui sacram ponis in atdem,
Ut miseretur eum sa!pe precaro Deum ;
Janua adest templi Domino def'ensa potenti.
« Le patricien Bélisaire, ami de Rome, a bati cette église en répa-ration de sa faute. C’est pourquoi vous qui entrez dans ce sanctuaire priez souvent Dieu qu’il ait pitié de lui; voici la porte du temple dé-fendue par un maitre puissant. » Eutré dans Péglise monumentalegt;nbsp;le pèlerin prie volontiers pour Bélisaire, et il regrette vivement ce*nbsp;ages de foi oü la faiblesse humaine savait racheter ses fautes par unenbsp;éclatante expiation.
Parvenus dans la rue della Scrofa, voisine de l’église de Saint-Augustin, nous étions au lieu même oü s’élevait jadis le bustum ini' périal: ici venait finir la gloire des maitres du monde. Avant mêmenbsp;d’attendre les ravages de la tombe leur corps était réduit en cendres.
-ocr page 139-BUCHER iSIPÉRUL. nbsp;nbsp;nbsp;doj
Elevé d’abord pour bruler le corps d’Augusle, le bucher devint permanent et servit a consumer ses successeurs. Que de graves pensées surgissent de ce lieu tant de fois témoin de la vanité des grandeurs lesnbsp;plus étonnantes que rhomme puisse alteindre! Le monument fatal quinbsp;servit a réduire en poudre tant de Césars divinisés a péri comme eux,nbsp;11 n’en reste que Femplacement et le souvenir; mais I’histoire a lanbsp;main il est possible de le reconstruire el de l’éludier.
Qu’on se représente un temple quadrangulaire formé d’une énorme pile de bois, dont I’interieur est rempli de matières combustibles etnbsp;1’extérieur recouvert de tentures brochées d’or et décoré de peintures
de statues. Ce temple se compose de quatre étages a jour, se retrai-tant I’un sur I’autre, de manière que le second est plus petit que le premier, le troisième que le second el ainsi de suite. Quand Augustenbsp;fut mort on I’exposa pendant sept jours dans le vestibule du palatium.nbsp;Sue un lit vaste et élevé, orné d’or, d’ivoire el de housses de pourprenbsp;brodées d’or, on voyait une statue de cire a la ressemblance de I’em-pereur. Hélas! le maltre du monde n’était plus qu’un cadavre, et pournbsp;le dérober a la vue une place avail élé réservée dans la partie inférieure du lit, pour.y renfermer le véritable corps. Auguste était re-présenté couché, revêtu de l’habit triompbal et ayant toute la pdleurnbsp;d’un malade (i). Auprès du lit se tenait un jeune et bel esclave, qui,nbsp;avec un éventail en plume de paon, chassait les mouches de dessus lenbsp;¦visage du prince, comme pour proléger sou sommeil. Autour du litnbsp;Ou voyait siéger, pendant la plus grande partie du jour, ,a gauche, toutnbsp;le sénat en habits de deuil; a droite, les matrones dislinguées par lesnbsp;dignités de leurs maris ou de leurs parents. Elles ne portaient ninbsp;parures d’or, ni colliers; toutes étaient vêtues de simples robes blan-ehes, et dans l’atlitude d’une profonde trlstesse. Pendant les septnbsp;jours, les médecins se présentèrent quotidiennement, comme s’ilsnbsp;^isitaient un malade et disaient chaque fois : II va plus mal (2).
Le jour des obsèques, les consuls désignés se rendirent a la maison Palatine, pour faire la levée du lit funéraire, que quarante soldalsnbsp;Prétoriens prirent a l’épaule. En avant du lit on reraarquail une statuenbsp;de la Yictoire, que, par une flalterie assez délicate, le sénat avail voulunbsp;^aire paraitre dans celte pompe funèbre, comme si cette déesse étaitnbsp;de la familie des Césars. Elle était accompagnée de deux statues d’Au-guste, l’une d’or, sur un brancard, destinée a recevoir les honneursnbsp;divins, et l’autre, sur un char triompbal. Venaient ensuite les bustes,
(*) Herodian., iv, Ant., p. 87.
(-) Herodian., iv, Ant., p. 87.
-ocr page 140-dö6 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
non-soulemeiit de tous les aïeux de la familie impériale, Jules César excepté, a cause de sa divinité; mais encore ceux de tons les Remains,nbsp;qui, depuis Romulus, s’étaient illustrés par leurs belles actions. Parminbsp;les bustes et les statues paraissaient aussi des tableaux oü l’on voyaitnbsp;les titres de toutes les lois rendues et les noms de toutes les nationsnbsp;vaincues par Auguste (i).
Des essaims de jeunes gardens et de jeunes filles accompagnaient la pompe funèbre, en chantant des poèmes en l’honneur du défunt. Lenbsp;sénat, les chevaliers, les soldats prétoriens et une foule immense denbsp;citoyens fermaient la marche. Tous étaient en habits de deuil el avaientnbsp;quitté les anneaux d’or pour en prendre de fer (-2). Arrivé au Forum,nbsp;le cortége s’arrêta. II y eut deux oraisons funèbres. Tune prononcéenbsp;par Tibère, l’autre par le jeune Drusus. Les sénateurs, comme ilsnbsp;I’avaient eux-mêmes décrété, vinrent a leur tour prendre le lit a l’é-paule pour Ie porter au bücher : on le pla^a sur le second étage dunbsp;temple improvisé dont les pontifes et les prêtres firent processionnel-lement le tour. Le cortége les suivit, et chacun y jeta, en passant, desnbsp;parfums, des plantes odorantes, des aromates de tous genres, desnbsp;armes d’honneur, revues jadis par les soldats, pour leurs belles actionsnbsp;a la guerre (5). Tibère et la familie impériale vinrent donner le derniernbsp;baiser è la statue d’Auguste; ils se placèrent ensuite sur un tribunalnbsp;et on distribua des torches aux centurions qui enflammèrent le bucher.nbsp;Au même instant on lacha du petit temple supérieur un aigle qui,nbsp;s’élevant rapidement au-dessus des tourbillons de flamme et de fumée,nbsp;prit son vol vers le ciel, comme pour y porter Fame de l’illustre mort.nbsp;Livie et les priiicipaux chevaliers, en simples tuniques, sans ceinturenbsp;et picds nus, demeurèrent cinq jours auprès du bücher, recueillirentnbsp;les cendres de l’empereur et les renfermèrent dans son mausolée (a).
Ce superbe monument, construit par Auguste lui-même, se compo-sait d’une grosse tour ronde très-haute, a trois étages concentriques, dont le second était d’un diamètre beaucoup moindre que le premier,nbsp;et le troisième moindre encore que le second. La retraite laissée parnbsp;chaque étage était remplie de terre et planlée dans son pourtour d’ar-bres qui, ne dépouillant jamais leur verdure, faisaient un agréablenbsp;cont raste a vee les murs de Tédifice bati tout en marbre blanc. Unenbsp;statue en bronze de l’empereur formait l’amortissement du dernier
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Tacit., An7ial., i, 8.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;8uct., Aug., too.
(.¦i) Dio., I. VI, p. 68Ö.
(4) Homo au siècle d’Auguste, lettre lxx, p. 10.
MAÜSOLÉE d’AUGUSTE. 137
étage. Dans la partie inférieure du raausolée étaient des loculi, pour les cendres du prince, de ses parents et de ses amis (i). Derrière ré-gnait un bois sacré avec des promenades ouvertes au peuple; puis unenbsp;place environnée d’une double enceinte, Tune de marbre, l’antre denbsp;fcr, précédée de deux obélisques de soixante pieds de haut et d’un seulnbsp;Woc de granit oriental : tel était Ie mausolée d’Auguste.
Dece monument qui portait jusqu’au del Ie magnifique témoignage de noire néant, il ne reste aujourd’hüi qu’une grande ruine. Quand Ienbsp;''quot;oyageur, entrédans la rue des Pontifes, arrive prés du palais Corea, ilnbsp;Se trouve en face de gros murs pantelants et délabrés, ouvrage réticu-laire en tuf litboïde, c’est Ie soubassement du superbe tombeau : plusnbsp;de marbre, plus d’inscriptions, plus de statues, plus d’obélisques,nbsp;tout a disparu. Le diamètre actuel des ruines du soubassement est denbsp;deux cent vingt pieds remains anciens. En y regardant de prés, onnbsp;distingue encore dans le pourtour les vestiges de treize chambres sé-pulcrales; la quatorzième servait d’entrée a la grande salie rondenbsp;placée sous Vagger, dont le diamètre était de cent trente pieds.
Comme celles de tons les Césars, les cendres d’Auguste ont été je-tées au vent, mais enfin elles reposèrent en ce lieu. Par quel moyen avait-on pu les distinguer des cendres du bois qui servit amp; consumernbsp;le cadavre impérial? C’est une question qui ne manque pas d’intérêt,nbsp;mais la réponse demande quelques détails. Le résulta dont je parlenbsp;était dü a l’emploi de la cbemise d’amiante, dans laquelle on enve-loppait les corps destinés au bücher. Chacun salt que l’amlante estnbsp;lm minéral filagineux, de couleur grise ou plombée, dont on fait unnbsp;tissu qui résiste parfaitement é l’action du feu. L’amiante se trouvenbsp;surtout en Corse, en Cbypre, dans Pinde, dans les Pyrénées et mêmenbsp;dans les Alpes. Quant a Ia manière de le mettre en oeuvre, on prendnbsp;la pierre et on la jette dans de Peau chaude, elle y demeure plus ounbsp;moins de temps selon la température du bain. Ensuite on la broie,nbsp;on la pétrit avec les mains pour en faire sortir une espèce de terrenbsp;lilancb^tre semblable a la chaux. Cette terre foime le lien qui réunitnbsp;les filaments de Pamiante. Lorsque 1 eau dans laqnelle s accomplitnbsp;ceite opération est devenue blanche, épaisse, on la remplace par unenbsp;autre, en continuant la manipulation jusqu’a ce que le minéral soit
(i) Quorum omnium(sepulcrorum) prseclarissimum est Mausoleum, agger ad omnem ®epra sublimen albi lapidis fornicem congestus et ad verticem usque semper virentibusnbsp;arboribus coopertus. In f'astigio statua August! Caesaris : sub aggere loculi ejus et co-Snatorum ac familiarium. A tergo lucus magnus ambulationes habens admirabiles. —nbsp;Strab., V, p. 211.
-ocr page 142-138 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
entièreinent dégagé des substances étrangères. L’amiante réduit en filaments est exposé sur une claie pour séeher.
On prend ensuite deux cardes ou peignes semblables h ceux qui servent pour carder la laine et on peigne doucement Tamiante. Quandnbsp;les cardes sont pleines, on les applique Tune centre l’autre et on lesnbsp;fixe sur une table ; c’est la quenouille. Avec un petit crochet fait ennbsp;forme de fuseau on tire les filaments, on en réunit plusieurs, on faitnbsp;tourner Ie fuseau et on obtient un fil. Pendant cette operation, l’ou-vrier a soin de tremper dans l’huile l’index et Ie pouce; paree que,nbsp;d’une part, Ie fil d’amiante coupe et écorche, et d’autre part, quenbsp;l’huile adoucit Ie filament et Ie rend plus facile i filer. Quand Ie filnbsp;est obtenu, on suit, dans Ie tissage, les procédés employés pour Ienbsp;chanvre et Ie liii. La longueur du travail, et surtout la rareté du linnbsp;vivant, donnent une idee de la richesse des Remains, qui employaientnbsp;les tissus d’amiante non-seulement comme chemises funéraires, raaisnbsp;encore comme linge de table (i). Pour lessiver ce linge d’une nouvellenbsp;espèce il sulfit de Ie jeter au feu; il en sort purifié de toute tache etnbsp;rendu ii son premier éclat. Mais les tissus d’amiante sont naturelle-ment secs, en sorte que te simple frottement suflit pour les érailler;nbsp;on les conserve en les imbibant d’huile, et lorsqu’on veut en fairenbsp;usage on les passe au feu. C’est ainsi que la même chemise funérairenbsp;pouvait servir longtemps dans la même familie (2).
Auguste fut done enveloppé, pour être réduit en cendres, dans ce linceul incombustible; puis déposé dans un loculus du mausolée im-périal. Marcellus, son neven, et Germanicus, l’idole du peuple, vin-rent bientót l’y rejoindre (a). Ils furent suivis d’Octavie, sceur d’Au-guste, de Drusus et des autres membres de la familie régnante, anbsp;l’exceptlon des deux Julie, fille et nièce d’Auguste, qui en furent ex-clues par ordre d’Auguste lui-même. Le dernier empereur qui vint ynbsp;prendre place fut Nerva, l’an 98. Mais, comme nous l’avons remar-qué, ni le prestige de ces grands noms, ni les grilles de bronze, ni lesnbsp;murailles de marbre n’ont pu proléger le monument impérial, quinbsp;n’est plus aujourd’hui qu’une ruine informe; tandis qu’aux mèmes
(t) Inventum jam est quod ignibiis non absumeretur; vivum (linum) id vocant, af' dentesque in focis conviviorum ex eo vidimus mappas, sordibus exustis, splendescenle*nbsp;igni magis quam possent aquis. Regum inde f'unebres tiinicoe, corporis f'avillam ab re-liquo separanti'unere... Nascitur in desertis.... assuoscitque vivere ardendo, rarum i”'nbsp;ventu, difficile textu propter brevitatem.... Ergo huic lino principatus in toto orbo. —nbsp;Plin., lib. XIX. c. 1.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Voyez Ciamp., Mon. Vet., t. ni, p. 220.
(3) nbsp;nbsp;nbsp;Tacit., Annal; m.
-ocr page 143-PLACE Dü PEUPLE. nbsp;nbsp;nbsp;1Ö9
lieux Pierre et Paul règnent glorieux dans leurs sepulcres devenus des temples : au christianisme seul, le privilége de donner rimmortalité,nbsp;roême ii la tombe.
16 JxVNYIER.
-Nauraachie de Domilien.
Pkce du Peuple. — Obélisque. —Sainte-Marie-du-Peuple.
— Triuilé-des-Monts.
Non loin du mausolée d’Auguste est la Place du Peuple. Nous y •lescendimes de bonne beure, afin de reprendre notre course au pointnbsp;OU nous l’avions laissée hier. Des promenades, plantées d’arbres verts,nbsp;ontouraient le tombeau des Césars, et eet élysée romain était parseménbsp;de monuments funèbres apparlenant. Ia plupart, aux affranebis de lanbsp;familie impériale. Outre les témoignages de l’bistoire, nous avons, ennbsp;faveur de ce fait, un grand nombre d’inscriptions tumulaires trouvéesnbsp;sur place. Je ne rapporterai que la suivante :
D. M.
VLPIO. MARTIALI. AVGVSTI LIBERTO. A. MARMOP.IBUS.
« Aux dieux Mftnes. A Ulpius Martialis, affranchi d’Auguste, con-servateur des marbres. »
En changeant de destination, la place du Peuple n’a rien perdu de sa beauté. Elle est vaste, circulaire et entourée de statues et d’édificesnbsp;superbes. Au centre s’élève l’obélisque d’Auguste avec une magnifi-que fontaine, dont les eaux retombent dans une vasque de granit. Lanbsp;circonférence est percée par les trois grandes rues du Babouino, dunbsp;Corso et de Bipetta, qui prolongent le rayon visuel jusqu’au centrenbsp;de Rome, tandis que les belles églises qui forment l’enceinte, reposentnbsp;1’oeil ravi de tant de magnificence et d’harmonie. Sur ia gauche senbsp;dessinent les gazons etages du Pificius^ coupes par des sentiers ennbsp;spirale; et è droite les arbres verts qui masquent le Tibre. La Portenbsp;Plaminienne, avec sesbas-reliefs, compléte le panorama. Cette placean-oonce dignement Ia ville de Rome auxvoyageursqui arrivent de Francenbsp;OU d’Allemagne par la route de Toscane. Aussi, de toute antiquité, lesnbsp;oiupereurs, les papes, les cardinaux et les princes souverains l’ont-ilsnbsp;ohoisie pour faire leur entrée publique dans la Ville éternelle. Vitel-lius la suivit précédé de ses legions victorieuses, pour venir ensuitenbsp;expirer misérablement au pied du Capitole; et Pie VII, d’immortelle
'J40 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
iTiémoire, revenant de Texil, passait par la, accompagné des bénédic-tions et des larmes d’un peuple dont il était Ie modèle et Ie père.
Nous nous approchimes de l’obélisque pour mieux l’étudier; il a soixante-quatorze pieds de bauteur, non compris Ie piëdestal sur le-quel il repose, ni la croix magnifique dont il est couronné. Après lanbsp;victoire d’Actium et la conquête d’Égypte, Auguste fit transporter anbsp;Rome ce superbe monolilhe, Ie plaga dans Ie Circus maximus et Ienbsp;dédia au Soleil. En 1589, Sixte V Ie relira des décombres du Cirque,nbsp;Ie fit ériger sur la place du Peuple et Ie consacra amp; la croix, véritablenbsp;soleil du monde. L’obélisque lui-même raconte son histoire et chantenbsp;sa nouxelle destinée. Sur Ie premier cóté on lit;
IMP. C^SAR. DIV. F.
AVGVSTVS.
PONTIFEX. MAXIMVS IMP. XII. COS. XI. TRIR. POT. XIV.
^GïPTO IN POTESTATEM
POPVLI ROMANI REDACTA SOLI DONVM DEDIT.
« L’empereur César, fils du divin César, Auguste, souverain pontife, empereur douze fois, consul onze fois, tribun quatorze fois, ayant soumis l’Égypte è l’empire du peuple remain, a offert ce don au Soleil. »
Sur Ie second cöté :
SEXTVS. V. PONT. MAX.
OBELISCVM HVNC A. CAES. AVG. SOLInbsp;IN CIRCO MAXISIO RITVnbsp;DICATVM IMPIOnbsp;MISERANDA RVINAnbsp;FRACTVM ORRVTVMQVEnbsp;ERVI TRANSFERRInbsp;FORM^ SV.E REDDInbsp;CRVCIQ. INVTCTISS.
ÜEDICARI JVSSIT.
A. M. D. LXXXIX. PONT. IV.
« Sixte V, Souverain Pontife, a fait déterrer, transporter, restaurer et dédier a la croix victorieuse eet obélisque sacrilégement consacré,nbsp;par Auguste, au Soleil, dans Ie grand Cirque, puis misérablement
OBÉLISQUE. nbsp;nbsp;nbsp;14!
brisé et enseveli sous les ruines. L’an 1589, de son pontifical Ie qua-trièrae. »
Faisant allusion ^ l’église voisine de Sainte-Marie-du-Peuple, J’o-bélisque ajoute ;
ANTE SACRAM ILUVS jEDEMnbsp;AVGVSTIORnbsp;L^ITIORQVE SVRGOnbsp;CVJVS EX VTEROnbsp;VIRGINALInbsp;AVG. IMPERANTEnbsp;SOL JVSTITIjEnbsp;EXORTVS EST.
« Plus saint et plus joyeux, je m’élève devant Ie sanctuaire de celle lt;ïu sein virginal de qui, sous Perapire d’Auguste, sorlit Ie Soleil denbsp;justice. »
Pénétrés de cette poésie deux fois sublime et par Ie sujet et par la forme, nous voulumes honorer dans son temple la célesle Vierge, sinbsp;bien chantée par Ie monolithe égyplien. Et ces chants et nos hommages, Marie semhle les mériter surtout en ce lieu; car il est beau denbsp;Voir Ie type auguste de la pureté et de la miséricorde régner sur lesnbsp;ruines du tombeau de Néron. « Quand il fut mort, dit Suétone, sesnbsp;öourrices Eglogue et Alexandria, avec Acté, l’ensevelirent dans Ie tombeau de la familie Domilia, que 1’on voit du Champ de Mars, sur lanbsp;rolline des Jardins (i). » En ce lieu, souillé par les cendres impuresnbsp;'fu parricide couronné, crut, dans la suite des temps, un noyer d’unenbsp;grandeur étonnante. L’arbre touffu devint la retraite d’une nuée denbsp;rorbeaux qui désolaient cette partie de Rome. On eut recours è Marie;nbsp;®lle apparut au pape Pascal II, lui dit que ces corbeaux étaient desnbsp;^sprits de ténèbres, ordonna de couper l’arbre funeste {albero mal-^ato), de jeter au vent les cendres infames, et de bfttir en ce lieu unnbsp;temple en son honneur. L’ordre fut littéralement accompli. En 4231,
pape Grégoire IX, environné de tout Ie peuple et du sacré Collége, ®Pporta, en grande pompe, ii Sainte-Marie-du-Peuple, l’image mira-ruleuse de la sainte Vierge, vénérée jusqu’alors a Saint-Jean-de-La-^ran. De ces deux fails, Ie premier est consigné dans les annales de
(lt;) Reliquias .Egloge el Alexandria nutrices cum Acte concubina gentili Domiliorum ^oaumento condiderunt, quod prospicilur e campo Martio imposilum colli Ilortorum.
A'er. vers. fin.
142 LES TROIS ROME.
l’histoire (i); Ie second est grave sur les deux bas-reliefs en stuc doré, qui sont a gauche et a droite de l’autel. Trois siècles plus tard, ennbsp;4578, on vit Ie pape Grégoire XIIÏ y venir en procession avec tout Ienbsp;clergé, les pieds nus, pour demander par Fentremise de Marie, Féloi-gnenient de la peste dont Rome était menacée; et la peste disparut.nbsp;Ges titres et bien d’autres justifient en Fexpliquant la vénéralion dunbsp;peuple remain pour la Madonna del Popolo. Est-il besoin d’ajouternbsp;que la Reine du ciel est ici, comme dans les autres sanctuaires denbsp;Rome, environnée d’une cour nombreuse de saints et de martyrs?nbsp;Qu’il suffise de nommer saint Pierre, saint Paul, saint André, saintnbsp;Étienne, saint Laurent, saint Hippolyte, saint Tiburce, saint Innocent,nbsp;de la légion Thébaine; sainte RulBne, sainte Seconda, sainteAgnès etnbsp;sainte Faustine, dont le corps repose sous Fautel de la Conception,nbsp;dans la chapelle Cibo.
Cótoyant la base du mont Pincius, nous arrivAmes i la place d’Es-pagne ornée de la belle fontaine appelée Barcaccia. C’est lii, suivant les archéologues, qu’élait la fameuse Naumachie de Domilien (2). Lesnbsp;maitres du monde païen n’en faisaient pas d’autres : ils pillaientnbsp;FOrient et 1’Occident pour balir ^ Rome deux cboses, des thermes etnbsp;des théatres; et il faut le dire, pour peindre la société dont ils étaientnbsp;la personnification, leur popularilé, leur sceptre même étaient a ceprix.nbsp;Au-dessus de la place d’Espagne se développe le superbe escalier quinbsp;conduit a la Trinilé-de’-Monti et a FAcadémie de France; ici, nousnbsp;étions tout a fait chez nous. La belle eglise de la Trinité avec les bii-timents qui Fenvironnent appartient a notre patrie. Nos dames dunbsp;Sacré-Co’ur y donnent aux jeunes Roniaines Féducation si distinguéenbsp;et si chrétienne que tout le monde connait. Après avoir salué Fobé-lisque de Salluste, élevé devant Féglise par la magnificence de Pie VI,nbsp;nous entrames pour voir la célèbre Descente de croix, de Daniel denbsp;Volterre. Citqe par le Poussin comme un des trois premiers tableauxnbsp;de Rome, elle prouve encore, roalgré de facheuses dégradations, quenbsp;le Poussin Favait parfaitement classée. On admire surtout le groupenbsp;de la sainte Vierge et des saintes femmes, la figure de Notre-Seigneurnbsp;qui tombe véritablement come corpo morto cade, et cet homme montenbsp;sur une échelle, si plein de verve et si merveilleuseraent dessiné.
La colline que nous parcourions, ainsi que le couvent des Carmelites et des Capucins, étaient occupés jadis par les jardins de Lucullus, devenus plus tard la possession de Messaline! Faut-il s’étonner que.
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Voyez Mazzolari, Landucci, Alborici.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Suet., in Dom., c. iv.
TEMPLE D ANTONIN. 143
pour sanctifier le ihéittre d’une volupté sans honte et d’une opulence deux fois scandaleuse, la Providence ait etablit au même lieu et lesnbsp;anges de la purete et les modèles vivants de la pauvrete volontaire, jenbsp;Veux dire les vierges du Carmel et les enfants de Saint-Frangois? Con-traste toucliant, que le chrétien ne peut voir sans I’admirer et le bénir.
17 JANVIER.
Temple d’Antonin. — Pont et Chateau Saint-Ange. — Anecdote sur une bande de brigands.— Sainte-Marie-m-rrasponlina. — Colonnes de Saint-Pierre et de Saint-Paul.
— Coupole de Saint-Pierre. — Palla. — Cimeticre dos Pclerins.
Monseigneur de B.... nous avail obtenu la permission de monter k la coupole de Saint-Pierre : lui-même devait nous accompagner. Lenbsp;temps était ce qu’il doit être quand on veut jouir du magnifique panorama de Rome et de ses environs, considéré du point culminant de lanbsp;Ville éternelle. Toutefois, au lieu de prendre la ligne droite, nousnbsp;descendimes au centre de la ville, afin de visiter un monument quenbsp;nous avions vu bien des fois sans l’étudier. Sur la place di Pielra senbsp;trouvent les restes imposants d’un ancien édifice. Onze colonnes très-majestueuses en marbre blanc, cannelées et d’ordre corinthien, sontnbsp;encore debout, et soutiennent un magnifique entablement de marbre.nbsp;Les trois premières semblent appartenir a un portique, puisque l’ar-ehitrave qui les unit parait en saillie des deux cótés; les buit autresnbsp;soutenaient la voute d’un temple ou d’une basilique : sur leurs cbapi-teaux s’appuie une large voussure qui laisse entrevoir la grandeur denbsp;1’édifice. Quel était ce monument ? Les uns prétendent que c’était lenbsp;portique et le temple de Neptune, bati par Agrippa en mémoire desnbsp;bataillesnavales gagnées par Auguste; mais l’opinion la plus communenbsp;y voit un temple d’Antonin. Quoi qu’il en soit, les Souverains Pon-tifes ont pris soin de conserver cetle ruine, en faisant élever des mursnbsp;fiui appuient les colonnes et la voute. II en est résulté un batimentnbsp;Taste et régulier, dans lequel Innocent XII a établi la douane denbsp;terre. C’est lè qu’en arrivant a Rome vous irez faire votre premièrenbsp;station.
Nous arrivAmes vers neuf beures au pont Saint-Ange, autrefois pont Ëlien. Sur les piles sont placés a droite et a gauche des anges denbsp;grandeur héro’ique, dont chacun ticnt A la main un des instruments denbsp;la Passion. Le piëdestal de cbaque statue porte en guise d’inseriptionnbsp;un.verset de l’Évangile, analogue a l’instrument de supplice qui servit
144 LES TROIS ROME.
k consommer Ie déicide. Cette composition un pen prétentieuse est de rinévitable chevalier Bemin. En têle du pont est Ie chateau Sainl-Ange, magnifique mausolée d’Adrien. Ce prince Ie fit construire avecnbsp;un luxe et une solidité capahles d’éclipser Ie tombeau d’Auguste et denbsp;braver les siècles (i). Le mèle forme une masse ronde dont Ie diamètrenbsp;actuel est de cent quatre-vingt-huit pieds. Tont l’extérieur était autrefois revètu de dalles de marbre de Paros, et la plate-forme ornéenbsp;de statues d’hommes, de chevaux et de chars. On y voit aujourd’huinbsp;un petit oratoire dédié a saint Michel et surmonté de la statue denbsp;l’Archange remettant son glaive dans le fourreau, tel qu’il apparut anbsp;saint Grégoire le Grand, lors de la terrible peste de Rome. La tournbsp;était protegee, comme elle Pest encore, par une enceinte quadrangu-laire, et le massif des murs est tel qu’il laisse a peine, dans l’intérieurnbsp;de la rotonde, la place sufEsante pour un petit escalier. Dans ce videnbsp;étroite était l’urne nontenant les cendres impériales. Dès le tempsnbsp;d’Honorius le móle d’Adrien devint une citadelle. II a conservé cettenbsp;destination tout en devenant aussi une prison d’État, et même unenbsp;prison criminelle. Lorsque nous le visitómes on y comptait plusieursnbsp;centaines de formats. Parmi les chambres supérieures on nous montranbsp;cellequ’avaitrécemraentoccupéeleneveu de Napoléon; comme lesau-tres prisonniers, il avait gravé son nom sur la muraille : Louis-Josephnbsp;Napoléon, chef d’escadron, octobre 4836. Singulière destlnée de cettenbsp;familie! Nés sur les marches du tróne, tous ses membres vivent aujourd’hui dans l’exil ou dans les fers.
Parmi les prisonniers du chftteau Saint-Ange, il en était un qui naguère excitait vivement la curiosité des voyageurs. C’était Bernar-done, dernier survivant de cette bande de Malandrini, si fameux ennbsp;Italië au commencement de notre siècle (2). Son histoire mérite d’êtrenbsp;connue et je vais la rapporter telle que je l’ai apprise, a Rome, d’unnbsp;Francais, témoin oculaire des événements. Une bande de brigands, véri-tables types du genre si souvent décrit par les voyageurs, s’était éta-blie dans les montagnes qui séparent le royaume de Naples des Étatsnbsp;pontificaux. Composée d’environ trente individus, déterminés etarmésnbsp;jusqu’aux dents, elle formait, sous la conduite d’un chef absolu, unenbsp;troupe parfaitement disciplinée. Elle était d’autant plus redoutablenbsp;qu’elle connaissait jusqu’au dernier tous les sentiers, tous les ravins
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Sepultus est in ripa fluminis juxta pontem ^lium; illic sepulcrum condilum; jaainbsp;enim August! monumentum replelum erat, nee quisquam amplius iu eo sepeliebatur.nbsp;— Dio. in Adrian.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Bornardone avait cté transiëré a Civila-Vecchia.
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et toutes les cavernes de ces forêts presque inaccessibles. Vainement on avail envoyé a sa poursuite des escouades de carabiniers et mêmenbsp;des troupes de ligne ; elle échappait a lous les efforts, et la terreurnbsp;qu’elle inspirait au pays allait toiijours croissanle.
Pour avoir des vivres elle frappait des contributions sur les fernies et les villages. « Tel jour, a telle heure, faisail dire Ie chef aux habitants, vous déposerez en tel endroit, tant de pain, de vin,d’argent,etc.,nbsp;sinon, Ie feu sera mis a vos maisons. De plus, si vous osez toucher anbsp;nos femmes et a nos enfants, ou les prendre pour otages, attendez-vous a de sanglantes représailles. » C’était Ie syslème des trabucairesnbsp;espagnols. Les paysans effrayés fournissaienl docilement a leurs enne-mis les moyens de continuer leurs ravages. On ne savait ni quand, ninbsp;comment ee fléati finirait, lorsqu’un curé du voisinage, vieillard véné-rable, qui avail la douleur de compter parmi les brigands plusieursnbsp;de ses paroissiens, résolut de faire une tentative. Animé par l’exemplenbsp;de saint Jean, courant malgré son grand age a la recherche d’unnbsp;jeune larron, Ie bon pasteur se décide a pénétrer, au risque de sa vie,nbsp;jusqu’au repaire des malfaiteurs. II se recommande a Dieu, prend sonnbsp;baton et son bréviaire, et s’achemine, sur Ie soir, vers la redoutablenbsp;montagne. Avec des fatigues incroyables il arrive au plus profond denbsp;la forêt sur Ie bord d’un ravin escarpé. k Qui vive, lui crie une voixnbsp;terrible partie du bord opposé? — Mes enfants, crie Ie prêtre, je nenbsp;viens pas pour vous faire du mal. Je veux votre bien; laissez-moi ap-procher; je suis Ie curé de N., je suis seul et sans armes. Vous deveznbsp;me connaitre; il en est plusieurs parmi vous que j’ai baptisé, que j’ainbsp;tenus sur mes genoux. »
Un des brigands se détache, pendant qu’un autre, la carabine a la main, lient Ie prêtre a distance. La nouvelle est portée au quartiernbsp;général; les uns veulent qu’on laisse venir Ie prêtre, les autres s’ynbsp;opposent. Le chef tranche la question et envoie dire au vieillard qu’ilnbsp;peut venir; mais qu’il restera en otage, jusqu’a ce qu’il soit bien certain que sa démarche ne couvre aucun piége, et qu’il paiera de sa têlenbsp;Ic moindre mal fait a la troupe. Le prêtre accepte avec bonheur ;nbsp;escorté de deux brigands, il arrive au quartier général. C’était unenbsp;cspèce de clairière basse, étroite, environnée d’un double rempartnbsp;d’arbres touffus et de rochers caverneux. Les brigands étaient assisnbsp;^mtour d’un large foyer presque éteint. Leurs figures basanées, leursnbsp;longues barbes, leurs regards farouches, leurs poignards, leurs terri-files carabines, le désordre d’un bivouac mêlé a tout eet accoutrementnbsp;du brigand des Abruzzes, était de nature a faire trembler Thomme le
146 LES TROIS ROME.
plus intrépide. A ce spectacle, Ie bon prêtre se met a pleurer. o Que voulez-vous? qu’éles-vous venu faire ici? lui demande Ie chef. —Mesnbsp;enfants, leur dit Ie vieillard, je suis votre père! et j’ai voulu \ous voirnbsp;pour vous dire combien je suis allligé! Quelle vie est la vótre! dansnbsp;quel état est votre ame!... Pendant que vos pères et mères, vos amis,nbsp;toute rilalie, et même Ie monde eniier s’empressent de profiler denbsp;l’annéesainte en faisant pénitence, vous, vous multipliez vos péchés!...nbsp;Mes enfants, y songez-vous? serez-vous les seuls qui refuserez Ie pardon qui est olferl a tous? N’êtes-vous pas las du crime? Croyez-moi,nbsp;mes chers enfants, il est temps de vous arrêler ; je suis venu vousnbsp;chercher pour vous ramener au bercail. »
Aux paroles paternelles du bon vieillard, les brigands, étonnés, se regardent. Le chef rompt enfin Ie silence et dit : « Si on veut nousnbsp;faire grace, nous quilterons la vie que nous menons; mais nous sa-vons ce qui nous revient; ainsi, mourir pour mourir, nous aimonsnbsp;mieux mourir ici que sur la polence. — Je ne puis rien vous promet-tre, répond le prêtre; personne ne m’a envoyé; mais, si on vous per-mettait de rentrer dans la sociétc, vivriez-vous en bons chrétiens? —nbsp;On ne nous l’accordera pas! — J’irai trouver le Saint-Père; je de-manderai grace pour vous, et je reviendrai : mes enfants, je vous ennbsp;conjure, failes vos réflexions; pensez a votre ame. » On bande lesnbsp;yeux du prêtre, et deux malandrini le reconduisent au pied des mon-tagnes. Sans perdre un instant, le bon vieillard se rend i» Rome. Lenbsp;Pape est informé de ce qui se passe : la Commission de justice s’as-semble; et il est décidé que le prêtre retournera auprès des voleurs,nbsp;qu’il leur prometlra la vie sauve, mais qu’ils devront, pour le reste,nbsp;s’en rapporter a la clémence du Saint-Père.
Le vieillard se remet en marche, retourne auprès des brigands et leur fait part de la décision du Souverain Pontife. II les conjure de nenbsp;pas manquer cette occasion unique de rentrer dans le bon chemin.nbsp;« Après tout, mes chers enfants, leur dit-il, ne vaut-il pas mieux êtrenbsp;condamnés ici-bas a quelques années de prison, que d’êlre précipités,nbsp;pour toute l’éternité, dans les feux de l’enfer? » Puissance admirablenbsp;de la foi sur ces ftmes abandonnées! les brigands sont vaincus. « Jenbsp;veux moi-même vous accompagner, leur dit le bon pasteur.» 1] se metnbsp;en marche, et Rome voit un jour ce vénérable prêtre entrer dans sesnbsp;murs, traverser ses rues, suivi de trente brigands, hier encore la terreur de rilalie, et aujourd’hui doux comme des agneaux. On se rendnbsp;directement au chateau Saint-Ange : les malandrini sont jugés et condamnés a la prison, les uns a temps, les autres a perpétuité. Cela se
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Passait en 1823, l’année du grand Jubilé. Cet événement, connudeRome ®ntière,confirraadenouveaurobservationquej’avaiseu occasion de fairenbsp;soit a Gênes, soit a Florence, savoir; que Ie moyen age, avec son doublenbsp;caractère de foi vigoureuse et de passions redoutables règne encorenbsp;dans les populations italiennes. Oh ! oui, rendez-nous la foi, et ne dé-sespérons de rien : avec elle, les pierres mcmes deviennent des enfantsnbsp;d’Abraham (i).
A une faible distance du cbAteau Saint-Ange, on trouve Ia belle ^glise de Sainte-Marie-m-JVaspomfma : nous y entrames pour visiternbsp;deux monuments du martyre de saint Pierre et de saint Paul. A gau-ohe, dans les chapelles latérales, sont deux colonnes en marbre blancnbsp;'einé de rouge, hautes d’environ cinq pieds. I.es glorieux Apótres ynbsp;furent attachés pour subir la flagellation qui, suivant les lois romai-Oes, précédait Ie supplice des esclaves et des étrangers. On croit avecnbsp;fondement que ces deux colonnes étaient dans Ie Comitium, dont nousnbsp;avons parlé en décrivant Ie Forum romain. Sur la première on lit :nbsp;flcec est columna ad quam ligatus fuil S. Petrus, flagellatus et ver-beratus, Nerone imperante : « C’est ici la colonne a laquelle saintnbsp;f^ierre fut attaché, flagellé et frappé par l’ordre de Néron. » La secondenbsp;porte la même inscription, avec Ie seul changement du nom de I’A-pótre ; Ilcec est columna ad quam ligatus (uit S. Paulus, flagellatusnbsp;et verberatus, Nerone imperante. C’était la quatrième fois au moinsnbsp;que Ie grand Apótre souflrait, malgré sa qualité de citoyen romain, Ienbsp;^upplice de la flagellation (2); tant il est vrai qu’a l’égard des chrétiensnbsp;Oft s’est toujours permis de se meltre au-dessus des lois. Après avoirnbsp;f*aisé avec amour ces monuments vénérables de noire foi, nous nousnbsp;dirigeames vers Ie Vatican.
II faut monter aux galeries de la coupole pour avoir une faible Idéé du gigantesque fnonument appelé Saint-Pierre de Rome. Ainsi, lesnbsp;quatorze statues deNotre-Seigneur,de saint Jean-Baptiste et des douzenbsp;Apótres, qui décorent la grande facade de Féglise, paraissent a peine,nbsp;''¦^es de la place, atteindre la grandeur naturelle : vous approchez, etnbsp;'ous trouvez qu’elles ont dik-sept pieds de hauteur!.Les combles de
grande nef sont en plale-forme, el l’on croit rêver en y voyant des *'^uisons, une fontaine, des voitures, et je ne sais combien d’autresnbsp;^hosesdont on ne sedoute pas. Dans ces demeuresaériennes vivent unenbsp;Portie des Pietrini, c’est-a-dire des ouvriers de tout genre employés
h) tïn fait a pcu prés semblable est rapporlé dans la Vie du cardinal Baronius, lib. iii, p. 134.
(2) ïcr virgis cssus sum. 11 Cor. xi, 25.
-ocr page 152-'148 LES TROIS ROME.
a la conservation du monument : leur nombre dépasse trois cent cin-quante. Par une rampe magnifique on arrived la première galerie de la coupole, placée immédiatement au-dessus des lettres: Tu es Petrus, etc.nbsp;Lepourtour intérieur de cette galerie a deux cents pas, et les lettres, quinbsp;de la nef paraissent avoir six pouces de hauteur, ont en réalité cinqnbsp;pieds et demi. Parvenu a la seconde galerie, on peut admirer a sonnbsp;aise les magnifiques mosaïques dont la richesse et l’éclat donnent unenbsp;idéé des splendeurs de l’Église triomphante, représentée sur toutesnbsp;les parois de la coupole. L’Église militante apparait a son tour, lors-que, plongeant les regards jusqu’au baldaquin de Saint-Pierre, on senbsp;rappelle que ces colonnes, faitesavec Ie bronze du Panthéon d’Agrippa,nbsp;sont remplies d’ossements de martyrs. Base et couronnement de rim-mortel édifice, l’oeil a tout embrassé ; l’impression est compléte. Denbsp;la encore on aperQoit, non loin de la tombe apostolique, l'autel desnbsp;saints Procés et Martinien, geóliers de saint Pierre et de saint Paul anbsp;la prison Mamertine; el Pon comprend 1’esprit d’une religion quinbsp;rcunit dans Ie même temple, associé aux mêmes honneurs et les bour-reaux et les victimes! C’est qu’en effet, aux yeux de Dieu, Ie sangnbsp;versé pour la foi efface toutes les distinctions en effa^ant tous les péchés.
Continuant é monter, on arrive enfin au passage qui communique de la lanterne dans l’intérieur de la boule ; Hic opus, hic labor. De-vant vous est suspendue verlicalement une étroite et longue échellenbsp;en fer, placée au centre d’un tube qu’on pourrait prendre, s’il étaitnbsp;plus large, pour la trachée-artère d’une baleine : Jonas n’eut pas be-soin d’óler ses habits pour pénélrer dans sa prison vivante; moinsnbsp;favorisés sont les visiteurs de la Palla. Quiconque dépasse un certainnbsp;diamètre doit faire divorce avec son manteau, son paletot et même sonnbsp;habit; heureux si l’épiderme, trop fortement pressé, ne laisse aper-cevoir, après la difficile ascension, aucune solution de continuité : ccnbsp;spectacle tragi-comique nous fut offert. Un de nos compagnons de pC'nbsp;lerinage, gentlemen au large abdomen, se dépouille de ses vêtementsgt;nbsp;relienl son souffle, s’efface Ie plus possible, et croyant avoir atteiotnbsp;Ie calibre obligé, il tente Ie passage. Insuffisantes mesures! pris au beaunbsp;milieu de sa course aérienne, il ne peut ni avancer ni reculer. Chacunnbsp;se met en devoir de Ie dégager; les uns Ie poussent par les pieds, Ic®nbsp;autres Ie tirent par les bras; et n’était l’honneur de pouvoir direj«nbsp;suis monté dans la boule, j’affirme qu’il aurait voulu être é cent lieuesnbsp;de ce qu’il appelait, aux éclats de rire universels, une horrible souri-ciére. II faut convenir qu’un pareil honneur est bien quelque cbose,nbsp;puisqu’on voit inscrils sur des plaques de marbre Ie nom des person-
COUPOLE DE SAINT-PIERRE. nbsp;nbsp;nbsp;149
•lages illustres qui sont entrés dans la boule: nous y arrivames brave-ffient. Calculant Fespace que nous occupions, nous trouvames que la boule peut la rigueur loger trente personnes; or, comme nous n’é-tions que neuf, on comprendra que nous y étions fort a Faise. Je menbsp;dressai sur la pointe des pieds, et c.’est a peine si avec Findex étendu,nbsp;je parvins a toucher la partie supérieure de cette chambre de cuivrenbsp;doré. Quand il se voit la-haut, a quatre cent vingt-quatre pieds dansnbsp;les airs; quand il songe qu’au-dessus de sa têle est la croix, et qu’unnbsp;Diorceau de Farbre sacré du Calvaire domine tout ce monument, pro-clamant et la victoire du chrislianisme et la profonde miséricorde dunbsp;Dieu Sauveur,le voyageur chrétienentonne involontairement Ie Glorianbsp;in excelsis, puis Ie Credo. Après Belhléem, la Palla de Saint-Pierrenbsp;de Rome est peut-être Ie lieu du monde oü ce double chant produitnbsp;une plusvive, une plus saisissante impression.
Le panorama vraiment magnifique dont nous jouissions nous offrait un autre dédommagement. Parmi les points curieux du vaste tableau,nbsp;nos regards se fixèrent avec avidité sur le cimetière des Pèlerins ; ilnbsp;se trouve a gauche de Saint-Pierre, non loin du Saint-Office. Quandnbsp;on saura de quelle terre il est formé et quelle en est la destination,.onnbsp;comprendra combien notre curiosite était legitime. Après sa trahison,nbsp;Judas, bourrelé de remords, rapporte aux prêtres les trente deniers,nbsp;prix sacrilége du sang innocent. Le Sanhedrin décide qu’on en achè-tera le champ d’un potier pour la sepulture des pèlerins : In sepul-turam peregrinorum. Eh hien, oui, Juifs déicides, vous serez pro-phètes! L’impératrice sainte Hélène, visitant les saints lieux, litnbsp;transporter a Rome la terre de I'Haceldama; et, pour verifier jusqu’iinbsp;la fin des siècles la parole prophétique, FÉglise a fait de cette terrenbsp;tin cimetière réservé aux pèlerins, in sepulturam peregrinorum (i).
(4) Fraudulenler principes sacerdotum cogitaverant et decreverant illius pecuni® siimmam in vilissim.'e et abjectissima; rei usum expendere, in sepulturam scilicet mili-tum aliorumque pauperum et ignobilium gentilium; ut hac ratione Christi memoriamnbsp;ad necem empti, et suam ipsorum impietatem emplione sepullura; sepelirenl. Sed aliternbsp;hei Pruvidenlia lactum; ager quippe ille emptus aeternum moniimenlum i'actus estnbsp;®celeris ipsorum. — Novarin. in Matth., c. xxvii.
Nam cumjus.su imperatricis Helena:, de hoc agro, quantum terra; plures navescapere Poterant, Romam evectum, ac juxta monlem Vaticanum in eum locum exoneratumnbsp;quern incola: Campum Sanctum vocitant, licet cceluni mutarit, eamdem tarnen re-linere vim quotidiana experientia docet. Romanos enim respuens, sola peregrinorumnbsp;Corpora ad sepulturam admittit: quorum ctiam hie omnem carnis substanliam intranbsp;’'iginii quatuor horas prorsus consumit, ossibus tantum residuis.—XAnchom. Descript.nbsp;•Aerosol., p. 175, n. 216. Vide etiam Brochardum, Nicephorum, Bredembachium, Salig-öiacum, etc. — Satpius Romasvidi et visi Campum Sanctum, acita serem habere ah ipsonbsp;TOM. 11.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;7
150 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
18 JANVIER.
Le Trastévère. — Pont Fabricius. — Ile du Tibrc. — Pont Cestius. — Souvenirs païens.
— Monuments chrétiens. — Martyre de sainte Cécile. — Église de Sainte-Cécile, son
tombeau. — Sa chambre de bains. — Mosaïques de Pabside et du chceur. — Reliques.
Vase du portique. — Saint-Fran?ois-a-iiipa. — Chambre de Saint-Frangois. — Cloitre
du couvent.
Kous avions étudié tous les quartiers de Rome environnés par le Tibre; il nous restait a visiter la région qui se trouve au delè du fleuve,nbsp;et qui pour celte raison s’appelle le Trastévère. Nous y arrivdmes parnbsp;le pont di Quatro-Capi, autrefois pont Fabricius. Bati en bois dèsnbsp;les premiers temps de la république, il fut construit en pierre parnbsp;Fabricius, Curateur des voies, quelques temps après la conjurationnbsp;de Catilina. L’inscription placée sur Fare ne laisse aucun doute a eetnbsp;egard :
L. FACRICIVS C.-F. CVR. VIAR. FACIVNDVM COERAVIT. IDEMQtlE PROB.AVITnbsp;Q. LEPIDVS. M.-F. M. LOLLIVS. M.-F. COS.
S. C. PROBAYERVNT.
On l’appelle vulgairenient de Quattro-Capi, des Quatre-Têtes, a cause d’une statue de Janus Quadrifrons qui se voit i l’entrée de lanbsp;place. Ce pont conduit a File du Tibre, si célèbre dans Fhlstoire denbsp;Rome païenne et de Rome chrétienne. Lit s’élevaient le temple de Jupiter Licaonien et le temple plus fameus d’Esculape. Rome, désoléenbsp;par la peste, envoya des ambassadeurs en Épire, conformément ausnbsp;oracles sibyllins, avec ordre d’apporter le dieu d’Épidaure.Un serpentnbsp;monstrueus fut amené a Rome et placé dans File du Tibre, oü il eutnbsp;son temple, ses prêtres et ses autels (i). Les malades venaient en foulenbsp;lui demander la santé; et les Remains, pour ne pas se donner la peinenbsp;de soigner leurs esclaves vieux ou infirmes, les envoyaient au prétendunbsp;Dieu afin qu’il les guérit. C’était un moyen commode de s’en débar-rasser (2). Dans File du Tibre on rencontre une de ces belles harmoniesnbsp;que Rome présente a chaque pas au voyageur attentif. Et d’abord, aUnbsp;méme lieu oü Fantique serpent se faisait adorer par les maitres dn
loei parocho ejusque asseclis et Romanis caeleris audivi. — Cornel, a Rapid, in xxv» Matth., p. 618, n. 8.
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Epitomat. Livii, lib. n; Plin., xsix, c. iv.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Suet., in Claud, c. xxv.
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monde, règne aujourd’hui dans son glorieus tombeau un des douze pêcheurs galiléens qui renversèrent ridolamp;trie; la s’élève la belle églisenbsp;de Saint-Barthélemy-en-rile. Ensuite, autour des restes sacrés denbsp;l’Apótre, dans les édifices ruinés qui logèrent les prêtres d’Esculape,nbsp;s’étend l’hospice des frères de Saint-Jean-de-Dieu, si aimés des ma-lades et des pauvres de Rome. Non loin du temple de Jupiter étaientnbsp;1’édicule de Faune, puis la statue de Simon Ie Magicien mis au nombrenbsp;des dieux de l’empire (i). Sous Tibère, File du Tibre, lémoin de l’ago-nie des esclaves abandonnés, Ie devint encore des angoisses des per-sonnes de distinction que déjii Ie caprice et la cruauté du farouchenbsp;César condamuaient a la mort: c’est la qu’elles attendaient pendantnbsp;Un mois entier l’exécution de leur sentence (2). Aux païens succédèrentnbsp;nos pères dans la foi, et une foule de martyrs purificreut de leur sangnbsp;cette terre tant de fois souillée. L’ancien pont Cestius joint l’IIe dunbsp;Tibre au Trastévère. Faubourg Saint-Marceau, rueMouffetard de Rome,nbsp;Ie Trastévère ne fut longtemps habité que par Ie bas peuple et parnbsp;les Juifs (3). Auguste y bilit une caserne pour les soldats de marinenbsp;appartenant a la flotte de Ravenne; ceux qui faisaient partiede la flottenbsp;de Mysène avaient leur logement dans la troisième region, prés dunbsp;mont Cselius. Lè se trouvaient les prés de Mulius Scévola donnés ennbsp;récompense par Ie peuple romain; les champs de L.Quinctius, et enfinnbsp;les quatre arpents de Cincinnatus (i). Quelle parlie du Trastévère oc-cupaient ces lieux historiques? on ne Ie sait. L’opinion la plus commune place les premiers dans Ie voisinage de Sainte-Cécile el de Saint-Fran^ois-d-Jlipa. Le quartier transtéverin renferme encore d’autresnbsp;souvenirs donl je parlerai dans 1’ordre suivant lequel ils se présen-leront.
Parmi les monuments cbrétiens qui appellent le voyageur au delè du Tibre, il faul placer d’abord l’église de Sainte-Cécile (s). Sous lenbsp;règne d’Alexandre-Sévère vivait une jeune chrétienne nommée Cécile,nbsp;plus dislinguée par son angélique vertu que par la noblesse de sonnbsp;origine et 1’éclat de sa beauté. Valérien, officier de l’empereur, nénbsp;dans le paganisme, demande sa main. Inspirée par la grace, Cécile ac-oepte la proposition, convertit son fiancé, et Fun et Fautre promet-^ont au Seigneur une continence perpétuelle. Tiburce, frère de Valé-
(1) Euseb., Ilist. Eccl. lib. ii, c. xn; Just., Apol. 1-(s) Sidon., lib. i, epist. 7.
(5) Phil., De Legat. ad Caium; Bar. Annul., 1.1.
{¦*) Cincinnato aranti quatuor sua jugera, etc. — Plin., lib. xviii, c. m.
(5) Santa Maria Nova.
-ocr page 156-152 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
rien, cède aussi aux douces exhortations de sa belle-sceur et re^oit Ie baptême. Le bruit de cette double victoire se répand, et les néophytesnbsp;sont arrêlés. Le centurion Maxime, qui les conduit au supplice, est sinbsp;touché de leurs discours et de leur courage, qu’il se convertit lui-mêine; et, condamné sur-le-champ, il mêle son sang au sang de sesnbsp;prisonniers.
Restait la jeune héroïne, principal instrument de leur triomphe. Ordre est donné de la rechercher; les persécuteurs se rendent au delanbsp;du Tibre, dans la niaison de Cécile qui est saisie et dévouée a la mort.nbsp;Par égard pour sa haute naissance on employa, pour la faire expirer,nbsp;un genre de supplice connu des Remains, lorsqu’il s’agissait des femmes, et surtout des femmes de qualité. On l’enferma dans le Sudatorium de ses bains. Cette pièce, qu’on trouve dans tous les thermes, etnbsp;dont on voit encore Ie modèle h Pompéi, était hermétiquement ferméenbsp;et se chauffait au moyen d’un calorifère. On éleva tellement le foyernbsp;que Ia Sainte devait être étouffée en quelques hcures; il n’en fut rien,nbsp;et au bout de trois jours elle sortit pleine de vie de son brülant tom-beau. C’est alors que le juge ordonna de lui trancher la tête; lebour-reau lui porta trois coups qui, soit par raffinement de cruauté de lanbsp;part du tyran, soit par l’effet d’un miracle, la laissèrent survivre pendant trois jours. L’héroïque martyre en profita pour continuer sa mission. Un grand nombre de païens se convertirent et regurent, dans lanbsp;maison même de Cécile, la grSce du baptême des mains du pape saintnbsp;Urbain. Avant d’e.xpirer la Sainte pria le Pontife de changer sa maisonnbsp;en église : son désir fut accompli. Consacrée par le pape saint Urbain,nbsp;et restaurée par saint Grégoire le Grand, cette église, déja si vénérable,nbsp;le devinl bien plus encore sous le règne de saint Pascal.
Les corps des saints martyrs avaient été ensevelis dans les catacom-bes de Prétextat, mais on ignorait la place de leurs tombes. Cécile la fit connaitre au Vicaire de Jésus-Christ, qui, après de longues recherches, parvint a la découvrir. Le loculus de sainte Cécile contenait lenbsp;corps de l’illustre martyre, enveloppé de vêtements brochés d’or etnbsp;trempés de son sang; aux pieds étaient des linges roulés et égalementnbsp;imbibés de sang. Les corps de saint Valérien, Tiburce, Maxime et desnbsp;papes saint Urbain et saint Lucien, furent également retrouvés parnbsp;l’heureux Pontife. Aux jours de ses triomphes, Rome païenne ne tres-saillit jamais d’une joie égale h celle de Rome chrétienne, lorsque lesnbsp;glorieuxvainqueurs de 1’idolatrie entrèrent dans ses murs. Tous furentnbsp;déposés dans I’église de Sainte-Cécile, que saint Pascal fit rebatir en-tièrement, afin de la rendre plus digne du dépöt sacré qu’elle devaitnbsp;renfermer.
-ocr page 157-ÉGLISE ET TOMBEAü DE SAINTE-CÉCILE. d53
Riches de ces notions réclamées par l’esprit et surtout par Ie coeur du voyageur chrétien, nous mimes Ie pied dans l’église tant de foisnbsp;monumentale. Au bas des marches du choeur ouvre la crypte vénérablenbsp;oii repose Ie corps de sainte Cécile. II est dans une chüsse de cyprèsnbsp;renfermée dans une autre d’argent de la valeur de 4,292 écus d’or :nbsp;hommage du pape Urbain VIII, miraculeusement guéri par l’interces-sion de la sainte mariyre. La belle statue en marbre blanc, d’Éiiennenbsp;Maderne, représenle la Sainte couchée sur Ie cóté, comme elle futnbsp;trouvée, lorsqu’au xvC siècle Ie eardinal Sfondrat ouvrit son tombeau.nbsp;Ce prince de l’Église, titulaire de Sainte-Cécile, enrichit la confessionnbsp;de rillustre martyre de quatre-vingt-dix lampes d’argent qui brulentnbsp;nuit et jour, et son église d’une grande quantité de reliques insignesnbsp;dont nous parlerons bienlót.
Nos prières faites au tombeau de l’héroïne de la Foi, nous voulümes voir Ie lieu de son triomphe. 11 est en face de la sacristie et peut avoirnbsp;dix-huit pieds de longueur sur six de largeur. Dans Ie fond, les mêmesnbsp;murailles, les mêmes dimensions, Ie mêine pavé en mosaïque, foulénbsp;par les pieds nus de la sainte et de ses bourreaux. Afin que rien nenbsp;manque a la vénération du pèlerin dans l’immortel Sudatorium, unenbsp;grille en fer marque la place occupée par Ie foyer et par la chaudièrenbsp;d’oü se dégageait la vapeur homicide. S’ils étaient dans la chambrenbsp;oü Socrate hut la ciguë, nos touristes ne tariraient pas en racontantnbsp;lenrs impressions; et l’on voudrait que Ie chrétien fut muet et insensible dans des lieux consacrés par la mort bien plus héroïque de sesnbsp;pères, de ses frères, de ses sceurs dans la foi! Mais ces impressions,nbsp;la plume ne peut les rendre; c’est au coeur de les sentir.
Telle est, en partie, la gloire intérieure de l’église de Sainte-Cécile; sa gloire extérieure brille dans les peintures qui la décorent. Sur Ienbsp;portique on voit d’une part la Sainte révélant Ie lieu de sa sépulturenbsp;au pape Pascal, et de 1’autre la translation de ses reliques dans Ienbsp;sanctuaire qui lui est consacré. Ce monument de Part est d’un grandnbsp;intérêt; mais il a beaucoup souffert, et il est è désirer qu’on Ie trans-porte dans un lieu oü il cesse d’être exposé aux injures du temps, sansnbsp;fiuoi il n’en restera bienlót plus rien.
Une superbe mosa’ique orne Pare absidal et Ie choeur de Péglise. Au centre de Pare apparait la Reine des vierges assise sur un tröne étin-celant de pierreries. Sur Ie giron de sa divine Mere, Penfant Jésus estnbsp;debout, Ie visage tourné vers Ie spectateur. A droite et a gauche dunbsp;'röne de Marie se tiennent deux anges debout, aux ailes étendues. Plusnbsp;loin viennent, de chaque cóté, cinq vierges couronnées, vêtues de dra-
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peries flottantes, apportant sur leurs mains, couvertes d’un voile pendant, des espèces de pains ronds, symboie du travail et de la charité. Kntre chaque vierge s’élève un palmier, dont, les rameaus sont 1’at-tribut de la victoire. Pouvait-il être mieux placé que dans un dessinnbsp;consacré a la gloire d’une vierge martyre? Aux extrémités de l’arc senbsp;dessinent deux villes, ornées de lampes suspendues aux portes, Bethléemnbsp;et Jérusalem, d’oü sortirent la vie, Ie salut, la lumière du genre hu-main; el d’oii, dans un certain sens, doivent sorlir lous les hommesnbsp;pour arriver au tróne de Dieu dans la patrie céleste.
Au-dessous de l’arc, sur Ie champ des pilastres, vous voyez de chaque cóté douze personnages vêtus de grandes draperies et dont chacun élève une couronne vers Ie tróne de la Reine des anges et des hommes.nbsp;Les douze Patriarches et les douze Apótres représentent ici dans toutenbsp;la durée de son existence l’Église catholique, qui se reconnait hum-blement redevable de ses victoires et de son immortalité a celle quinbsp;règue dans les cieux : telles sont les mystérleuses et magniliques pein-tures de Pare triomphal. Le chosur n’est pas moins riche. Au point Ienbsp;plus élevé de la coquille, ó la junction de deux superbes guirlandes formant encadrement, brille le monogramme du pape saint Pascal P|Li,nbsp;Du haut du ciel apparait la main mystérieuse, emblème de la divinité,nbsp;déposant unc couronne de diamant sur la tete de Notre-Seigneur quinbsp;est debout. Le Sauveur tienl de la main gauche un livre roulé, et denbsp;la droite il bénit ó la manière des Grecs; c’est-ó-dire que le pouce etnbsp;le doigl annulaire sont réunis, tandis que les autres doigts sont étendus. On sail que les Latins bénissent en étendant le pouce, l’index etnbsp;le doigt du milieu, les deux autres étant courbés. Par Tune et l’aulrenbsp;manière l’Église d’Orient et l’Église d’Occident proclaraent le mystèrenbsp;de la sainte Trinité. Tel n’est pas le seul mérite de la particularité quenbsp;nous signalons; elle prouve encore que les mosaïques de Sainte-Cécilenbsp;sont l’ouvrage d’un artiste grec, et qu’elles sont bien de 1’époque re-culée ó laquelle on les rapporte.
A la droite du Sauveur on voit saint Paul, dont la main droite pend naturellement, tandis que la gauche, appuyée sur la poitrine, tient unnbsp;livre, symboie de la doctrine. Le grand Apötre est suivi d’une jeunenbsp;vierge porlant le costume des impératrices, avec des colliers de diamant autour du cou, tandis que le nimbe circulaire orne sa tète enri-chie d’une couronne de peries. Cette vierge est sainte Agathe, cotitu-laire de Ia basilique. A sa droite vient le pape saint Pascal portant Ienbsp;modèle de l’église, et la tête environnée du nimbe carré, signe distinctifnbsp;du personnage vivant. Derrière lui un palmier développe ses rameaux
VASE DU PORTIQUE. nbsp;nbsp;nbsp;loO
Kiajestueux, parmi lesquels on voit un ph6nix, emblème de la resurrection. A la gauche de Notre-Seigneur parait saint Pierre tenant les rlefs, et accompagne de saint Valérien et de sainte Cécile, portant I’unnbsp;et I’autre entre leurs mains la couronne achetée au prix de leur sang.nbsp;IjB centre de la bordure inférieure présente I’Agneau de Dieu, ayantnbsp;sur la tête le monogramme de Notre-Seigneur; de chaque cóté sixnbsp;agneaux venant ii lui, et sorlant de deux cités semblables pour le mo-dèle et pour la signification ii celles dont nous avons déja parlé (i).
L’ensemble harmonieux de la composition, la naïveté, l’énergie, ou, pour mieux dire, la transparence des emblèmes, la magnificence desnbsp;décorations et l’éclat des couleurs, font de cette mosaïque un des plusnbsp;fieaux monuments de notre antiqiiité religieuse. Quelle difïérence entrenbsp;cette manière simple, aisée, sublime des artistes cbrétiens et celle denbsp;ÖOS artisans modernes! D’ofi vient que ces derniers n’ont pas mêmenbsp;assez de gout pour aller chercher leurs modèles religieux dans nosnbsp;siècles de foi? Comme la plupart des églises de Rome, Sainte-Cécilenbsp;cst non-seulement un musée et une galerie, mais encore un reliquaire.nbsp;Nommer les saints et les martyrs dont les restes vénérables, recueillisnbsp;par le cardinal Sfondrat, cnrichissent la sainte basilique, serait beau-coup trop long. II sufiit de savoir que tous les ordres de bienheureuxnbsp;ont ici leurs représentants, comme pour féliciter I’illustre vierge denbsp;son glorieux triomphe, retremper la foi du pèlerin, ranimer son courage et souvent le faire rougir de sa pusillanimite.
En sortant de l’églisé il faut examiner, dans I’ancien atrium, un de Ces grands vases de marbre, appelés canthdri, qui servaient de fon-taine pour I’ablution des fidèles. Celui de Sainte-Cécile est d’une j^nnenbsp;conservation et rappelle, par l’usage auquel il était destiné, la reli-8gt;euse frayeur et l’innocence sans souillure que nos pères s’efforfaientnbsp;*i’apporter dans le temple saint.
Singuliere destinée des lieux oü nous sommes! Antiques témoins flu courage de Mulius Scévola, ils furent le prix deson dévouement (i) ;nbsp;^evenus sous le christianisme le théfttre d’un dévouement plus noble,nbsp;'Is sont consacrés i en perpétuer le souvenir. L’héroïsme de la virgi-quot;'té et du martyre, et Théroïsme peut-être aussi grand de la pauvreté
de l’humiliation volontaire, y regoivent les hommages qu’ils mé-'''tent. A Clélie et a Mutius Scévola succödent sainte Cécile et saint
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Ciamp., Vet. Mon., t. n, c. xxvi.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Ici étaient, comme on sail, les prés dont la République fit présent a Mutius Scé-^ola pour prix de son courage. On croit que c’est a 1’endroit même oü se trouvc le
onte rotto, qu’eut lieu l’acte héroïque du célèbre Romaiu.
156 nbsp;nbsp;nbsp;LES TKOIS ROME.
Francois d’Assise dont les vertus, iuspirées par Ia foi, ont conquis ii leur gloire cette partie du Trastévère. Une légère distance nous sépa-rait du couvent et de l’église de San Francesco-a-Ripa. Au fond denbsp;cette humble demeure est un petit sanctiiaire d’oü s’exhale je ne saisnbsp;quel parfum de saintelé qui pénètre et qui embaume l’üme et les sens :nbsp;J’ai nommé la chambre de saint Frangois d’Assise. Quels que soientnbsp;ton pays, ta croyance et ton nom, pèlerin, óte icita cbaussure; tu entresnbsp;dans la demeure d’un héros, d’un saint, sublime instrument de la Providence dans Foeuvre de la civilisation. ïes pieds foulent Ie mème sol,nbsp;tes yeux voient les mêmes parois, Ie même plafond; tes mains touchentnbsp;la même porte de bois, la même pierre qui lui servit d’oreiller; en unnbsp;mot, tu CS environné de tous les objets témoins des prières, des soupirs,nbsp;des austérités, des extases du séraphique patriarche : spectacle deuxnbsp;fois éloquent qui te révèle Ie secret de devenir un grand homme, ennbsp;l’apprenant que Dieu choisit toujours pour opérer des choses merveil-leuses les petits et les humbles.
Dans cette chambre xénérable, transformée en cbapelle, reposent vingt-huit corps saints avec une quantité de reliques précieuses, quenbsp;des panneaux tournants offrirent a nos regards et ii notre piété. Unnbsp;des religieux qui nous accompagnaient tira ensuite un rideau placénbsp;derrière l’autel, et nous vimes Ie veritable portrait de saint Francoisnbsp;d’Assise; on Ie croit contemporain de l’illustre fondateur. Les cloitresnbsp;du couvent représentant dans des fresques nombreuses, les papes, lesnbsp;cardinaux, les hommes illustres, les saints et les martyrs de 1’ordre.nbsp;C’est pour les bons pères une galerie de familie dont la vue, j’en suisnbsp;certain, a fait germer plus d’une vertu et encouragé plus d’un sacrifice. Le monde en profite, et l’ingrat qu’il est, trop souvent il oublienbsp;la religion qui les inspire.
19 JANVIER. ^
Sainte-Marie-m-Tra5feti^re. — Tdberna meritoria, — Rescrit d’Alexandre Sévère. — Miracle de la fontaine d’hiiile. — Preuves. — Première église de Rome dédice èt lanbsp;sainte Yierge, — Vue de la fontaine. — Inscriptions. — Mosaïques. — Tombeaux.—nbsp;Reliques de Martyrs. — Les Transtévérins, — Saint-Pierre-m-Tf/o/jfor/o.
Le Tibre nous revit sur ses bords. Laissant ii gauche Sainte-Cécile et Saint-Frangois, que nous avions vus, et Saint-Michel que nous ver-rons plus tard, nous arrivames promptement a Sainte-Marie-w-2’ras-teverc. Cette église offre une riche moisson a l’antiquaire et surtoutnbsp;au Chrétien. Au lieu même oü elle s’élève, on voyait jadis la Taberna
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SAINTE -MARIE-IN-TR ASTE VERB.
i:')l
meritoria, espèce d’hópital des soldats invalides et de magasin public, oü ron déposait les marchandises (i). Soit a raison du prodige dontnbsp;je vais parler, soit pour toute autre cause, l’entrepót fut abandonné.nbsp;Les chrétiens, qui attachaient une grande importance a posséder eetnbsp;emplacement, Ie prirent è bail et y construisirent un oratoire; maisnbsp;les cabaretiers du voisinage trouvèrent bon de les inquiéter et de lesnbsp;chasser. L’affaire fut portée au tribunal de l’empereur Alexandre, quinbsp;donna Ie rescrit suivant : « II vaut mieux que Dieu soit honoré, n’im-porte comment, dans la Taberna meritoria, que de la livrer aux cabaretiers (2). » Maitres de ce lieu tant désiré, les chrétiens s’empres-sèrent d’y bamp;tir une église, qui fut consacrée, en 224, par Ie papenbsp;saint Calixte, et dédiée ii la Vierge-Mère : elle est la première quenbsp;Rome vit élever en Fhonneur de la Reine du ciel (3).
D’oü venait aux fidèles eet ardent désir de posséder la Taberna meritoria, et de la consacrer par un monument religieux? L’histoire profane et l’histoire sacrée répondent d’un commun accord ; Sousnbsp;Ie règne d’Auguste, alors que Dieu tenait Ie monde en suspens par desnbsp;prodiges multipliés; que l’Occident retenlissait des oracles de la si-bylle de Cumes, popularisés par Virgile; et que l’Orient tenait ses regards tournés vers la Judée, d’oü les anciennes traditions annongaientnbsp;la prochaine sortie du dominateur de l’univers ; dans ce moment solennel, Rome vit tout a coup jaillir au lieu occupé par la Taberna meritoria, une fontaine d’huile qui coula pendant un jour entier avecnbsp;tant d’abondance qu’elle deseendait jusqu’au Tibre (a). Les païens en-registrèrent ce fait parmi les événements extraordinaires qui signa-laient Ie règne d’Auguste, mais ils n’en comprirent pas mieux Ie sensnbsp;que celui des antiques traditions (s). Ce sens consolateur ne fut pasnbsp;ignoré des chrétiens. Dans cette fontaine d'huile miraculeusementnbsp;sortie du sein de la terre, au milieu du quartier de Rome habité parnbsp;les fils d’Abraham, en un lieu de commerce oü ils devaient étre ennbsp;grand nombre ainsi que les païens, ils voyaient avec raison et l’éter-
li) Taberna; meritoria;, qus \ulgo diversoria vel fullonica appellantur. Cod. Lex. Si ususfructus, § 16.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Rescripsit melius esse ut quomodocumque illic Deus colatur, quam popinariis de-datur. — Lamprid. in Alex.
(3) nbsp;nbsp;nbsp;Illic nobilem ecclesiam erexerunt sanctissima; Virginis Dei genitricis partui, olimnbsp;co prodigio prmsignato, religiosissime consecrandam. — Bar. ann. 224, n. v.
(4) nbsp;nbsp;nbsp;Anno tertio Romae e taberna meritoria trans Tiberim oleum e terra erupit, fluxit-que toto die sine intermissione. — Euseb. in Chron. Ainsi parlent Dion Cassius, Tironnbsp;f rosper, Idace, Orose, Eutrope, Anastase, Raban Maure, etc., etc.
(5) nbsp;nbsp;nbsp;Plin., Hist., lib. 11, c. xxxi; Dio. Hist, rom., lib. xivii.
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nelle miséricorde de Dieu qui n’a jamais laissé son Fils sans témoi-gnage, et l’annonce parfaitement symbolique de la naissancedu Christ, arrivée pen de temps après. « En effet, ajoute Orose, christ vent direnbsp;oint; etcette huile miraculeuse annongait l’oint par excellence, Ie Filsnbsp;de Dieu qui allait naitre sous Ie règne d’Auguste, et les chrétiens,nbsp;uncti, qui devaient Ie perpétuer dans l’empire. Cette huile sort de lanbsp;Taberna meritoria, rendez-vous commun des juifs et des païens, etnbsp;figure de l’Église, composée des gentils et des enfants d’Israël (i). »
Tel est Ie fait miraculeux qui, atlesté d’abord par Ie double témoi-gnage de l’histoire profane et de 1’histoire sacrée; puis, vingt fois soumis l’examen de la critique la plus sévère, a traversé dix-huitnbsp;siècles sans rien perdre de son authenticité. Aujourd’hui encore 11 ex-plique, en la juslifiant, l’ardeur autrement inexplicable des premiersnbsp;chrétiens a posséder Ie lieu même oii il s’était accompli (2).
Avec sa sollicitude ordinaire, Rome a veillé sur ce lieu vénérable. Quoique restaurée plusieurs fois, 1’église, balie par saint Calixte, conserve toujours dans son enceinte et protégé de ses murs sacrés la placenbsp;d’oü sortit la fontaine miraculeuse. Le voyageur ne peut manquer denbsp;la retrouver; car des inscriptions nombreuses, des ornements de mar-bre et de bronze, et surtout la piété des pèlerins, l’indiquent a tousnbsp;les regards. Nous la vimes; et le moment oü il nous fut donné de lanbsp;contempler reste dans notre mémoire comme une des joies du pèle-rinage.
Quand vous êtes è la naissance des marches de porphyre qui mentent au sanctuaire, vous voyez sur la droite, dans le pavé, une ouverture circulaire garnie d’une grille, et dont Forificc revêtu de marbre
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Quo signo, quid evidentius quam in diobus Cffisaris toto orbe regnantis futuranbsp;Christi nativitas declarata est? Christus enim unctus interprelatur. Itaque cum eo tempore, quo Caïsari perpetua tribunitia potestas decreta est, Ronia: ions olei per totumnbsp;diem defluxit; sub principatu Ca;saris, romanoque imperio per totum diem, id est, pernbsp;omne Romani tempus imperii, Christum, et ex eo christianos, id est unctum et ex eonbsp;unclos, de meritoria Taberna, hoe est de hospilali largaque ecclesia afiluenter atquenbsp;incessahiliter processuros, etc. — Oros., Hist., lih. vi, c. xx.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Les principaux auteurs qui ont examine co fait sont: Pietro Moretti, flistoria hujusnbsp;prodigii elucid. et defen. Roma; 1767. — Panvinius, De s'eptem urbis Ecclesiis, p. 81. —nbsp;Donat., Roma vetus, etc., lih. iii, c. xxi. — Piazza, Gerarchia cardinalizia, p. 164. — Denbsp;Berardesca, In coUectione miraculorum, quee in Christi nativitate visas unt. Neapoli ISöö-
— nbsp;nbsp;nbsp;Trombelli, Vita B. Virg., i. u, p. 317, 325. — Mazzolari, Dasiliche sacre, t. vi, p. 297.
— nbsp;nbsp;nbsp;Constanzi, Istituz., etc., t. u, p. 40. — Cancellieri, A’otte di natale, p. 121. — Baron.,nbsp;Apparatus ad Ann. eccl., p. 7; ij. amt. 221.—Benoit XIV, De Festo Natal. Domini.nbsp;Le savant Pontite s’exprime en ces termes: « Nulla de veritale miraculi duhitatio, etc.»
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blanc peut avoir deux pieds de diamètre. Au-dessus on lit : Fons olei, fontaine de I’huile.
A droite ;
nine oleum fluxit, cum Christus Yirgine luxit.
« D’ici coula une fontaine d’huile, lorsque le Christ naquil de la Vierge. »
A gauche :
Nascitur hinc oleum, Deus ut de Virgine : utroque Oleo sacrala est Roma terrarum caput.
« D’ici I’huile sort quand Dieu nait de la Vierge : par cette double onclion, Rome est sacrée reine du monde. »
La voix miraculeuse qui s’élève du sein de la terre est montée jus-qu’aux voütes de la basilique, d’oü elle redescend en flots de poésie. La mosaïque du sanctuaire renvoie ces accents ;
Jam puerum, jam summe Pater, post tempora natum,
Accipimus genilum, tibi quem nos esse coaïvum
Credimus, hinc olei scaturire liquamina Tibrim.
« Enfin, Père tout-puissant, enfin, nous le possédons, eet enfant né dans la plénitude des temps, et que nous croyons éternel comme vous;nbsp;c’est pour l’annoncer qu’une fontaine d’huile découla de ce lieu jus-qu’au Tibre. »
La facade extérieure répond; c’est la basilique elle-même qui, se personnifiant tout a coup, chante son bonheur et sa gloire :
Dum tenet emeritus miles, sum magna Taberna;
Sed dum Virgo tenet me, major iiuncupor et sum:
Tunc oleum fluo, significans magnam pietatem
Clirisli nascenlis, nunc trado petentibus ipsam.
« Occupée par le soldat émérite, je suis le grand hospice; occupee par Marie, je m’appelle plus grande ct je la suis : alors je répands denbsp;I’huile, emblème de la grande miséricorde du Christ naissant, et main-tenant je la donne a ceux qui la demandent. »
Ce n’est pas assez; ou qu’ils se tournent, il faut que 1 ceil voie et que I’oreille entende le lemoignage du miracle. Au-dessus du magni-. fique entablement de la chapelle Aldobrandini, voisine du maitrenbsp;autel, brille cette inscription.
In hac prima Matris asde,
Taberna olim meritoria,
Olei fons e solo erumpens Christi ortum protendit.
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LES TROIS ROME.
« Dans ce premier temple de Marie, autrefois la Taherna meritoria, une fonlaine d’huile sortie du sein de la terre annonce l’avénementnbsp;du Christ. »
Absorbé par ce grand souvenir, Ie voyageur peut a peine s’occuper des localités matérielles de l’antique église. Les précieuses mosaïquesnbsp;de la facade extérieure datent du xii® siècle, et représentent la saintenbsp;Vierge, 1’enfant Jésus et les dix vierges de rÉvangile. Dans celles dunbsp;choeur également d’une grande beauté, figure Ie pape Innocent II,nbsp;restaurateur de I’église en 1139. Titulaire de cette basilique, Ie cardinal Altemps l’enrichit du tableau de VAssomption. On regarde cettenbsp;fresque du Dominiquin comme une des premières de Rome pour Ienbsp;coloris et la perspective. Les magnifiques colonnes de granit qui sou-tiennent l’édifice proviennent des thermes d’Ampélide ou de Pris-cilliane (i) : dépouilles opinies du paganisme voluplueux, elles sontnbsp;bien placées dans un temple dédié a la Reine des vierges. Le plafondnbsp;resplendit de dorures, tandis que le pavé, en porphyre, en vert antique et autres marbres rares, se, dessine comme un riche parterre.nbsp;Parmi les tombeaux, nous remarquftmes prés de la sacristie celui dunbsp;cardinal d’AIen^on, frère de Philippe le Bel, monument curieux denbsp;Parchitecture, de la sculpture et de la peinture du xiv® siècle. Nonnbsp;moins Intéressante pour Parchéologue est la pierre sépulcrale du savant et pieux Bottari, préfet de la Vaticane, et si justement célèbrenbsp;par ses travaux sur les catacomhes.
Prés de Pautel on conserve la pierre avec laquelle le pape Calixte fut précipité dans le puits oü il consomma son glorieux martyre : ellenbsp;peut peser environ cent livres, y compris Ia chaine. Le saint Pontifenbsp;repose lui-même sous Pautel avec ses illustres successeurs Jules etnbsp;Corneille, martyrs comme lui, et les saints Calépode et Quirinus, lenbsp;premier prêtre, le second évêque, et tous les deux martyrs. Dans lesnbsp;différentes parties de Péglise habite une légion de saints pris dansnbsp;toutes les hiérarchies. Les douze Apótres y sont présents dans unenbsp;partie de leurs restes sacrés; saint Étienne, saint Laurent, saint As-tère, saint Sixte, saint Ignace et une foule d’autres y représententnbsp;Pordre des martyrs; saint Chrysostome, saint Jéröme, saint Henri,nbsp;saint Séverin, saint Francois de Paule et saint Philippe de Néri, celuinbsp;des pontifeset des prctres; enfin sainte Marguerite, sainte Agnès, saintenbsp;Rufine, sainte Pudentienne, sainte Aurélie, sainte Balbine, sainte Justine forment un choeur de vierges autour de leur auguste Reine.
(i) Sard., item, antic., p. 414.
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De Sainte-Marie nous nous dirigeftmes vers Saint-Pierre-w-Mow-torio. Pour y arriver, il fallut suivre la Longara, immense rue qui traverse tout Ie Transtévérin, et nous pümes voir Ie type bien carac-térisé des habitants de ce qaartier. Les Trasteverini se croient lesnbsp;descendants des anciens Remains, et leur prétention ne parait pasnbsp;sans quelque fondement. Fiers, hardis, ils conservent des traces denbsp;l’énergie et de la hauteur de leurs ancêtres. On raconte qu’un Suissenbsp;de la garde pontificale écartait un de ces hommes curieux de voir denbsp;trop prés Ie Saint-Père. Le Transtévérin, reculant, aposlropha ainsinbsp;Ie hallebardier : Barbara, son di sangue romano anche trojano! Onnbsp;trouve dans leur langage un mélange d’imagination et de souvenirsnbsp;de l’antiquité qui semble un héritage de familie : nulle part les nomsnbsp;des héros et des lieux célèbres de 1’ancienne Rome ne sont aussi po-pulaires. Les simples femmes répètent les mots de Via Appia et denbsp;Via Flaminia en vous indiquant votre chemin; et Castiglione cite lenbsp;trait d’un Transtévérin qui, allant chez le podesta déclarer le vol denbsp;son ène, terminait sa plainte et l’éloge de eet Ane en disant que lors-qu’il avait son büt, il semblait véritablement un Cicéron : Che quandonbsp;aveva il suo basta addosso, parea propriamente un TulUo. Du reste,nbsp;les Transtévérins sont d’un dévouement ardent pour la personne dunbsp;Saint-Père : au moment du danger il faudrait leur passer sur le corpsnbsp;avant d’arriver jusqu’a lui.
Nous étions arrivés au pied du monticule oü saint Pierre rendit témoignage a son divin Maitre. Une voie en zig-zag, ornée de stationsnbsp;du chemin de la croix, gravit le flanc ardu de la colline, et avertit lenbsp;pèlerin qu’il touche è une terre sanctifiée. Suivant l’opinion la mieuxnbsp;fondée, le Montorio faisait partie non du Janicule, mais du Vatican.nbsp;C’est ainsi qu’on justitie l’expression des anciens auteurs qui placentnbsp;sur le mont Vatican le crucifiement de saint Pierre (i). Irrité de lanbsp;mort de Simon le Magicien et des conquêtes nombreuses que le pê-cheur de Galilée faisait au sein méme de Ia cour impériale, Néron lenbsp;fit saisir et jeter dans la prison Mamertine (2). L’Apötre n’en sortitnbsp;que pour être lié è la colonne que nous avions vue a Sainle-Marie-Traspontina, et cruellement llagellé, puis condarané au supplice denbsp;la croix. L’instrument fatal fut dressé non loin du palais impérial, surnbsp;une crête élevée d’oü il pouvait être apergu de loin : Néron était biennbsp;capable d’avoir choisi ce lieu, afin de pouvoir, du haut de ses balcons,
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Baron., Annal., 1.1, an. G6, in nol. ad martyr. Rom. 20 juin.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Maxim. Taurinens., Serm. v, in Natal. S. App.;S. Ambr., Serm. eScontr. Auxent.;nbsp;Laciant., De mortib. persecut.
-ocr page 166-iQlt;2 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
se repailre du supplice du Pasteur suprème, comme il avait voulu jouir des angoisses des simples brebis en les faisant servir de torchesnbsp;dans ses jardins. Quoi qu’il en soit, PApêtre trouva que c’était tropnbsp;d’honneur pour lui d’être crucifié comme son divin Maitre, et il voulutnbsp;être attaché ii la croix la téte en bas (i).
Les premiers chrétiens, si fidèles i marquer par des monuments durables tous les pas des Apöires, ne pouvaient manquer de gardernbsp;soigneusement la mémoire du lieu consacré par la mort de saint Pierre,nbsp;et de l’entourer de leur vénération. Le sanctuaire qu’ils élevèrent surnbsp;Ie Montorio est devenu avec les siècles la belle église que nous allonsnbsp;bientót admirer. Arrivés sur Ia plate-forme, d’oü I’oeil découvre lesnbsp;sept royales collines et Rome tout entière, nous fumes re^us avec em-pressement par les religieux qui veillent sur le vénérable monticule.nbsp;Singulière destinée! c’est aux pauvres enfants de Saint-Fran^ois, a cesnbsp;hommes regardés par les yeux profanes comme la balayure du monde,nbsp;que Dieu a confié, en Orient et en Occident, la garde des lieux ^nbsp;jamais célèbres oü coula le sang de son Fils et celui de son vicaire :nbsp;glorieuse mission, digne récompense de 1’humilité. Les bons Pèresnbsp;nous introduisirent dans le convent, et de lil dans l’église. A droite, ennbsp;entrant, il faut étudier avec soin la chapelle Borgherini, peinte parnbsp;Sébastien del Piombo sur les dessins vigoureux de Michel-Ange. Ellenbsp;est le résultat de la ligue de ce dernier avec Sébastien, son élève fa-vori, contre Raphael, qui avait été placé au-dessus de. Michel-Angenbsp;pour r invention et le coloris. De eet te lutte de géants sortit la Transfiguration, qui mit aux mains du jeune Sanzio le sceptre de I’art. Anbsp;l’église succède le petit temple du Bramante. Ce sanctuaire intime, ennbsp;forme de coupole et magnifiquement orné par les offrandes de Philippe II, roi d’Espagne, marque le lieu même oti saint Pierre subit lenbsp;marlyre. Au centre du pavé en marbre précieux est l’ouverture sphé-roïde qui servit de piédestal è la croix. Se prosterner, prier, bénir,nbsp;aimer, voilii ce que Pon fait spontanément; car il faudrait être moinsnbsp;qu’un homme pour ne pas se sentir profondément impressionné, aunbsp;souvenir du dévouement héroïque dont ce lieu fut témoin.
(I) Origen. apud Euseb., Uist. eccL, lib. lu, c. i; S. Hieron., !n Catalog.; Prudent.. Peristeplian., hym. 12; S. Ambr., In Psal. 118.
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20 JANVIER.
Une Execution.
Hier sur Ie soir j’étais allé, suivant ma coutume, a Eéglise de Saint-André delle-Fratte, située a quarante pas de notre demeure; et j’avais récilé rofiice devant la grille de la première chapelle a gauche en en-tfant, dédiée è Tarchange saint Michel. II était loin de ma pensée quenbsp;Hieu allait choisir Ie lendemain cette modeste chapelle d’une modestenbsp;^glise, pour y faire éclater sa gloire par un prodige dont on ne trouvenbsp;guère qu’un exemple dans les annales de l’histoire; mais il ne fautnbsp;pas anticiper. En sortant, j’apergus im groupe nomhreux réuni autournbsp;de 1’angle de la Propagande; je m’approchai pour voir ce qui attiraitnbsp;la foule, et lui imposait Ie morne silence que je ne coraprenais pas. Anbsp;six pieds de hauteur était appendu a la muraille un large écriteau ennbsp;t*ois, portant écrit en grosses lettres noires ce qui snit: « Indulgencenbsp;plénière pour tons les fidèles qui s’étant confessés communieront de-main dans (lei venait Ie nom de plusieurs églises), et prieront pournbsp;ceux qui sont condamnés a mort. » De semblables écriteaux étaientnbsp;placés i tous les carrefours et au coin des principales rues; je comprisnbsp;qu’une exécution devait avoir lieu Ie lendemain.
Tandis qu’ii Paris, les crieurs publics, spéculant sur la curiosité de la foule, proclament dans les rues les exécutions è mort, et serablentnbsp;convier Ie peuple a un spectacle; ici on les notifie en appelant tous lesnbsp;fidèles a la prière. Cette manière d’annoncer Ie fatal événement Indi-que sous quel point de vue Rome envisage Ie supplice du coupable.nbsp;Hans la victime de la justice humaine, elle voit avant tout une ftme hnbsp;sauver, et dans Ie spectacle de sa mort une réparation envers la sociéténbsp;at une leQon de haute morale; pour atteindre ce triple, but elle metnbsp;tout en ceuvre. A partlr du jour de la condamnation, le criminel dektent I’objet des soins les plus charitahles; rien n’est omis pour le disposer au terrible passage du temps è l’éternité. En disant ce que nousnbsp;ximes j’écris Phistoire invariable de ce qui se fait en pareille circon-stance. Dès le soir, les Confrères de la Misericorde, Confortatori, ounbsp;de Saint-Jean décapité, s’assemblèrent en grand nombre. Cette institution touchante, fondée sous Innocent VIII en 1488, assiste les condamnés è mort avec une charité vraiment chrétienne. Les membresnbsp;de Cette société doivent être Florentins, ou du moins de families ori-giuaires de Toscane, en mémoire des fondateurs de l’oeuvre. Quelques-
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LES TROIS ROME.
uns se rendirent i Ia prison et se mirent en prières. Vers minuit un des guichetiers entra comnie ^ l’ordinaire dans Ie cachot pour voir sinbsp;tout était en ordre; puis en fermant la porte il jeta un billet dans Ianbsp;triste demeure ; Ie condamné sait, par tradition, ce que cela signifie-On Ie laisse seul pendant quelques moments, attendu que d’ordinairenbsp;1 impression produite par la terrible annonce ne lui permet d’entendrenbsp;ni Ia voix de l’amitié ni celle de la foi. Quand ceux qui devaient mourirnbsp;Ie lendemain furent calmés, les Confortatori entrèrent dans Ie cachot;nbsp;un prélat et un évêque, membres de la confrérie, furent chargés denbsp;donner les premières consolations. Prières, douces paroles, marquesnbsp;de la plus affectueuse tendresse, voila ce qui avait lieu dans la prison,nbsp;et ce qui continua sans interruption aucune jusqu’au moment suprème; au dehors, voici ce dont nous fumes témoins.
A minuit, lorsque Ia funeste nouvelle parvenait aux deux condamnés, Ie Saint-Sacrement fut exposé dans l’église de la Confrérie-de-la-Mise-ricorde, et les membres des différentes associations de piété, si noni-breuses amp; Rome, entourèrent Fautel du Dieu condamné lui-même a lanbsp;mort pour Ie salut du monde. Vers la pointe du jour on exposa Ie divinnbsp;Sauveur la vénération des fidèles dans plusieurs églises, et notam-ment ii Saint-Nicolas-in-Arcione. Le peuple s’y porlait en foule, lesnbsp;iribunaux de la pénilence étaienl environnés, et on voyait a la tablenbsp;sainte de nombreux chrétiens priant pour le salut de leurs malheureuxnbsp;frères. Le Saint-Père lui-même faisait une longue adoration devant lenbsp;Saint-Sacrement exposé dans sa chapelle domeslique.
Vers buit heures et demie, le lugubre cortége se mit en marche. A la suite d’un piquet de dragons, au milieu d’une foule inquiète, parfoisnbsp;bruyante et parfois silencieuse, s’avangait une longue procession denbsp;religieux et de confrères de la Miséricorde, couverts de sacs noirs, unenbsp;torche a la main et psalmodiant sur un ton grave les litanies des ago-nisants. Venait ensuite la fatale charrette entourée de carabiniers etnbsp;suivie du boia. Les deux condamnés étaient assis sur la même banquette, accompagnés de trois prêtres : un de chaque cölé des patients,nbsp;le troisième en face, tenant devant leurs yeux une image de la saintenbsp;Vierge. Du sein de la foule qui encombre les rues, qui est sur les place»nbsp;et aux fenêtres, savez-vous quel cri s’échappe? Un seul: Sono conver-titi? Sont-ils convertis? se sont-ils confessés? Pour l’un des condamnésnbsp;les prétres assistants répondaient affirmativement, par un signe denbsp;tête souvent répété. Alors vous auriez entendu tout ce peuple, si im-pressionnable et si expansif, adresser mille bénédietions au coupable,nbsp;et lui dire : « Mon fils, mon frère, mon enfant, sois béni; prends cou-
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*‘3ge; je ferai dire une messe pour toi; je voue pour toi une neuxaine, 'ine communion, une aumóne : nous ne t’oublierons pas : nous auronsnbsp;soin de ta femme, de ta mère, de ta soeur, de tes enfants. »
L’autre condamné, coupable de parricide, était resté sourd aux solli-citations de la miséricorde; et au signe du prêtre qui disait : Non è convertito, cette même foule éclatail en reproches, en menaces, ennbsp;'Maledictions : « Birbone! lu vas done mourir comme un Turc? encorenbsp;Mn peu et tu seras au tribunal de Dieu! Va, malheureux, tu seras damnénbsp;Pour l’éternité. » On rendrait difficilement l’impression produile parnbsp;^a voix de tout un peuple, pronongant d’avance la sentence éternelle denbsp;^énédiction ou de malediction qui allait être rendue quelques minutesnbsp;Mprès sur les condamnés, au tribunal du souverain Juge. Cependantnbsp;la cortége approchait du lieu de Fexécution; les prêtres redoublaientnbsp;^’instances auprès de Tobsliné : on ralentissait la raarclie a dessein.nbsp;Enfin on arrive k quelques pas de l’échafaud dressé non loin de l’églisenbsp;de Saint-Jean décapité. Les deux condamnés descendent dans la Con-fortatoria, chapelle provisoire établie vis-ii-vis de l’église. On entendnbsp;Une dernière fois la confession du coupable repentant, on lui donnenbsp;la sainte communion; et après vingt minutes accordées pour Tactionnbsp;de graces, il monte a Téchafaud. Lit, suivant Tusage de Rome, il senbsp;met a genoux; c’est dans cette attitude religieuse qu’ü regoit Ie coupnbsp;de la mort.
Restés auprès de son compagnon, les Confortatori, auxquels s’étaient joints par charilé des prêtres et des religieux connus par leur sainteté,nbsp;^puisaient toutes les ressources du zèle pour toucher cette ame en-durcie. Déja Theure de Fexécution était passée; Ie bourreau attendaitnbsp;Sa victime. Mais par un trait de cette longanimité qui la caractérise,nbsp;la loi pontificale autorise a différer Finstant fatal jusqu’a ce que Ienbsp;Mialheureux soit rentré en lui-même. Le soir seulement, s’il reste insensible, la justice a son cours. Le criminel dont nous parlons conti-Muait de repousser avec une espèce de fureur les charitables conseilsnbsp;'IM’on lui donuait; il refusait surtout d’ouvrir ses lèvres a la prière.nbsp;Enfin, un des prêtres qui venait de descendre de 1 échafaud, lui dit:nbsp;® Mon fils, puisque vous ne voulez pas prier pour vous, priez du moinsnbsp;pour votre compagnon qui est maintenant dans léternité; » et onnbsp;eommence le De profundis! II desserra enfin lés dents, récita la prièrenbsp;et se met a fondre en larmes. « C’est assez, s’écria-t-il, je ne veux pasnbsp;Miourir comme un Turc; je veux me confesser. » 11 le fit en elfet avecnbsp;Ijeaucoup de larmes, regut les sacrements et monta b'ientót a Fécha-Utud, environné des bénédictions et des promesses de tout Ie peuple.
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LES TROIS ROME.
Devenu doux comme un agneau il detnanda: Quc. faut-il faire?—Vous mettre a geaoux; et il s’y mit. — Mettez li votre tête, et il la mit, etnbsp;regut Ie coup fatal après avoir prononcé trois fois les saints noms denbsp;Jésus et de Marie. Ou avait recommandé au premier, qu’on voyait sinbsp;bien disposé, de prier pour son malheureux compagnon; il l’avait faitnbsp;sans doute, et qui sait ce que vaut devant Dien la prière mêlée aunbsp;sang du coupable qui se repent et qui meurt pour expier ses crimes?nbsp;Le criminel avait lutté pendant plus de trois heures; aussitót après sonnbsp;exéeution la cloche de Saint-Nicolas-iw-Jlmone avertit les fidèles res-lés en adoration, que tout était consommé : il était deux heures aprèsnbsp;midi. On donna la bénédiclion et on remit le Saint-Sacrement d.ans lenbsp;tabernacle.
Dès le matin de nombreux confrères avaient parcouru la foule demandant Taumène, afin de faire célébrer des messes pour les ames des condamnés, qui le lenderaain et les buit jours suivants eurent un très-beau service. Quant è leurs corps, les Confortatori les avaient reli-gieusement emportés dans l’église de la Confrérie, oü ils les enterrentnbsp;après avoir psalmodié Tollice des défunts. Sur le frontispice de cettenbsp;église, on lit pour toute inscription : Per la misericordia ; « A la mi-séricorde, » et puis le patron du lieu est aussi un supplicié : c’est saintnbsp;Jean-Baptiste dont la tête sculptée en pierre au-dessous de l’iuscrip'nbsp;tion forme le seul ornement de la facade.
J’ose maintenant le demander : Rome peut-elle mieux faire pour assurer le salut du coupable, monlrer de quel pris une ème est a sesnbsp;yeux, et faire de I’echafaud un spectacle vraiment moral? Ajouteznbsp;qu’on diffère le plus possible le jour des exéculions, afin qu’ayant lieunbsp;peu de temps avant les plaisirs du, carnaval et du mois d’octobre, ellesnbsp;servant de contre-poids a des joies trop souvent dangereuses. Deuxnbsp;particularités sur le bourreau finiront ce triste sujet. Chez les anciensnbsp;Remains, l’exécuteur ne pouvait entrer en ville : il en est encore denbsp;même aujourd’hui. Malheur au boia, dont la demeure solitaire estnbsp;reléguée au dela du Tibre, s’il osait franchir le pont Saint-Angegt;nbsp;excepté dans le cas oü l’on a besoin de son ministère : le peuple lanbsp;mettrait en pièces. Ensuite il ne re^oit que trois centimes par execution, et cela afin que l’appat du gain ne l’expose point h péeher ennbsp;désirant 1’accomplissement de son triste devoir. Ce dernier trait révèle,nbsp;n’en doutez pas, une connaissanee tristement approfondie du coeurnbsp;humain.
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MESSE DANS LA PRISON DE SAINTE-AGSÈS.
21 JANVIER.
Messe dans la prison de Sainte-Agnès. —Bénédiction des Agncaux a Sainte-Agnès-'«)rs-*s-mMrs.-DétaiIs sur Ie Pa/fem.-Description de 1'Eglise.- Eglise dc Sainte-Constanco. —Prières du soir. — Visite au cardinal Pacca.
Pouvoir chaque jour célébrer la fête des martyrs sur Ie th^fttre öiême de leur victoire, au milieu des plus touchants monuments denbsp;leur courage; lel est l’heureux privilége des fidèles de Rome. Hier,nbsp;J nvais eu la consolation d’offrir l’augusle sacrifice dans les catacom-^es de Saint-Sébastien, au lieu oü fut déposé par sainte Lucine Ie corpsnbsp;*le l’illustre général. Aulour de 1’autel souterrain, éclairé par sixnbsp;Hambeaux, étaient pieusement agenouillés des hommes et des femmesnbsp;peuple, quelques jeunes enfants, uneprincesseet un ecclésiaslique :nbsp;11 semble que toutes les classes de la société s’étaient donné rendezvous pour retracer l’image du christianisme primitif.
Aujourd’hui ce spectacle devait se renouveler : on célébrait la fête de Sainte-Agnès. De bon matin nous étions h la place Navone, pros-ternés avec de nombreux fidèles sur Ie pavé de marbre de la magni-fique église. Pendant qu’ou chantait dans Ie temple supérieur lesnbsp;louanges de la jeune héroïne, il nous fut permis de descendre dans lanbsp;Crypte oüla vierge de treize ans avait remporté son glorieux triomphe.nbsp;Paire couler Ie sang divin au même lieu oü coula Ie sang des martyrs,nbsp;ct présenter ce double sacrifice au Père des miséricordes, quelle consolation pour Ie prêlre! Quel gage de salut pour Ie monde! Quellesnbsp;'Dliines jouissances pour Ie voyageur! Si pen qu’il soit chrétien il senbsp;®6nt pénétré de religion, et, comnie malgré lui, la prière lui vient surnbsp;les lèvres. Au souvenir saisissant des miracles qu’il fallut pour vaincrenbsp;lei, dans ce cachot souterrain, comme au grand jour de I’amphi-'-héatre, la société païenne dont l’infamie égalait la cruauté; è la vuenbsp;ces murs antiques, de ces voutes sombres, de ce pavé en mosaïque,nbsp;^éiuoins dix-sept fois séculaires de la victoire gagnée par la faiblessenbsp;*ur la force, par la victime sur Ie bourreau, toutes les puissances denbsp;1 üme sont profondément émues; et vous félicitez la jeune héroïne,nbsp;Votre soBur, vous l’invoquez avez une fraternelle confiance; et vousnbsp;®ortez de la trois fois heureux de ce que vous avez vu, de ce que vousnbsp;^vez senti et de ce que vous espérez.
Ces fortunes moments passèrent vite : Ie temps nous pressait. II s’a-gissait de nous rendre dans la basilique de Sainte-Agnès-üors-des-
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murs, oü devait avoir lieu l’intéressante bénédiction des agneaux. Sortis de Rome par la porte Pie, nous suivimes pendant une heure lanbsp;voie Nomentane, et nous arrivames a l’église : la foule se pressait sousnbsp;l’antique parvis; néanmoins il nous fut possible de pénélrer dans Ienbsp;sanctuaire, et de nous placer a Tangle de Tautel, afin de voir de présnbsp;la cérémonie. Après la messe, chantée en musique, Ie clergé sortit pro-cessionnellementde la sacristie et rentra dans lesancluaire. La marchenbsp;était ouverte par des clercs portant des flambeaux, Tencensoir et Ienbsp;bénitier; venaient ensuite deux ecclésiastiques en grands manteauxnbsp;noirs, tenant chacun sur les bras un superbe coussin de damas rougenbsp;orné de franges d’or, sur lequel élaitmollement couchéun petit agneaunbsp;blanc comme la neige, la tête couronnée de roses et tout Ie corps par-seraé de rosettes en ruban rouge. Ces deux agneaux avec les coussinsnbsp;furent placés sur Tautel, Tun du c6té de Tévangile, Tautre du cóté denbsp;Tépitre. Tous les chanoines réguliers du Saint-Sauveur qui desser-vent Téglise vinrenC prendre place dans Ie choeur. L’abbé, la mitre ennbsp;tête et revêtu de la chape, monta amp; Tautel avec Ie diacre et Ie sous-diacre, pendant que la musique, placée dans les galeries supérieures,nbsp;exécutait ün morceau analogue a la circonstance.
Bientót Ie célébrant pronon^a une magnifique prière tout parfumée de cette délicieuse poésie dont Ie type inconnu du monde ne se trouvenbsp;que dans Ie Pontifical romain. Elle commence par une hymne ennbsp;Thonneur de sainte Agnès, modèle de pureté et d’innocence, de forcenbsp;et de douceur; puis, rappelant que Tusage de donner des ornementsnbsp;particuliers aux ministres sacrés est conforme a Tantique traditionnbsp;dont Torigine remonte au Sinaï, elle déroule Ie splendide Tableau desnbsp;siècles chrétiens. Après la prière Ie célébrant jeta de Teau sainte surnbsp;les deux agneaux, et les parfuma de Todeur de Tencens : c’est ainsinbsp;qu’il les bénit. Si la beauté de la prière et Ie souvenir de Tagneaudivinnbsp;offert sur Tautel de la creix, ne m’avaient entièrement occupé, jenbsp;n’aurais pu m’empêcber d’admirer la tranquillité parfaite et Ie silencenbsp;de ces petits agneaux, dont les pieds étaient liés en faisceau avec desnbsp;faveurs rouges, et qui se regardaient Tun Tautre en paraissant fortnbsp;étonnés de se trouver en pared lieu. Après la bénédiction, Ie cortégenbsp;retourna amp; la sacristie, et les deux agneaux furent remis a un maitrenbsp;de cérémonies de la basilique de Saint-Jean-de-Latran. Accompagnénbsp;de deux serviteurs de Téglise, il les porta aux pieds du Saint-Père quinbsp;les bénit lui-même. Le camerlingue des sous-diacres apostoliquesnbsp;transporte ensuite ces jeunes agneaux dans un convent de religieuses,nbsp;désigné par le Souverain Pontife pour en prendre soin. Quand Ie
DÉTAILS SUR LE PALLIUM. nbsp;nbsp;nbsp;169
temps est venu, on tond les deux agneaux, et de leur laine on fait les pallium. A Paques, un des agneaux est servi sur la table du Pape;
il est d’usage dans toutes les families romaines de manger ce jour-14 un agneau, en méraoire du véritable Agneau immolé pour Ienbsp;salut du monde : Rome est unique pour conserver les pieuses cou-tumes et les touchants souvenirs.
Si, au sortir de la cérémonie de Sainte-Agnès, vous rencontrez des hommes du monde, soyez sur que les pourquoi vont vous assaillir.nbsp;Pourquoi cette bénédiclion de deux agneaux? pourquoi les cérémoniesnbsp;qui l’accompagnenl? pourquoi ce pallium? pourquoi ceci? pourquoinbsp;cela? Quelques mots de réponse deviennent nécessaires. Dans 1 an-cienne loi, Ie Rational et Ie Superhuméral distinguaient Ie souverainnbsp;Pontife des autres prêtres. L’Église a voulu que les premiers pasteursnbsp;du divin bercail eussent aussi des ornemenls qui les fissent reconnaitre:nbsp;leur concilier Ie respect des prétres et des fidèles, tout en leur rappe-lant a eux-mêmes l’origine, Ie caractère, Ie but de leur autorité; tellenbsp;a été son intention en les revétant du pallium. Successeurs de 1’Agneaunbsp;de Dieu, ilsdoivent perpétuer sa puissance et retracer sa douceur; voifiinbsp;pourquoi l’insigne de leur haute dignité sera fait avec Ia laine d’unnbsp;agneau bénit.Leur emploi est une charge, et ils doivent, comme Ie bonnbsp;Pasteur, porter les ouailles errantes ou malades; voila pourquoi ilsnbsp;porterontlepallium surleurs épaules. C’est paria force et par l’amournbsp;du Dieu crucifié qu’ils peuvent accomplir leur terrible mission; voililnbsp;pourquoi Ie paMwm sera orné de six croix. L’origine de leur puissancenbsp;vient de Pierre, et par Pierre du Fils de Dieu même; voila pourquoi,nbsp;la veille de Ia fête des glorieux Apótres, on place tous les pallium surnbsp;leur tombeau; retirés Ie lendemain avec un grand respect, on les confienbsp;aux chanoines sacristains qui les déposent dans Ie trésor des reliques,nbsp;en attendant qu’ils soient envoyés (i). L’usage du pallium remontenbsp;pour Ie Saint-Père au berceau de l’Église; la faveur de Ie porter nenbsp;date, pour les métropolitains et les patriarches, que du iv*’ siècle. Dansnbsp;la suite, Ie Saint-Siége étendit eet honneur aux archevêques et mêmenbsp;a certains évêques des différentes parties du monde (2).
(1) La tradition du pallium se 1'ait en des termes qui ne laissent aucun doute sur l’ex-idication qui precede ; Ad honorem Dei omnipotentis, et beat® Maria; Yirginis, ac bea-lorum apostolorum Petri et Pauli, et Domini nostri N. Papa; N., et sancia; Romana; EcclesiïB, nee non N. Ecclesim tibi commissa;, tradimus tibi pallium de corpore B. Petrinbsp;sumptum, plenitudinem videlicet Pontificalis officii, ut utaris eo intra ecclesiam tuamnbsp;certis diebus, qui exprimuntur in privilegiis ei ab Apostolica Sede concessis.
(a) Ciampini, il/onim. Veter., t. m, p. 50; Devoti,iMS can., 1.1, p. 14; Constanxi, Isti-etc., p. 17; Durandus, Rational., c. xvn, n. 3; Card. Bona, lib. i, c. 24, etc., etc.
170 LES TP.OIS ROME.
Quand la foule fut écoulée, nous visitómes l’église de Sainte-Agnès. Cette basilique vénérable est bitie sur la place même oü Ton trouvanbsp;Ie corps de la jeune héroïne. Elle dolt son origine a Constantin qui lanbsp;fit élever a la prière de sa fille Constance, miraculeusement guérie parnbsp;1 intercession de la glorieuse martyre (i). Les mosaïques du choeurnbsp;sont un hommage du pape Honorius I. Paul V refit Ie tabernacle, ornanbsp;l’autel de pierres précieuses et y déposa Ie corps de sainte Agnès avecnbsp;celui de sainte Émérentienne, sceur de lait de la jeune martyre, et la-pidée par les païens au moment oü elle priait sur Ie tombeau de sonnbsp;amie. Des inscriptions rappellent que saint Grégoire Ie Grand pro-nonga dans cette basilique deux homélies au jour anniversaire de lanbsp;naissance, e’cst-ii-dire du martyre de la glorieuse titulaire.
Suivant sa noble coutume, Constantin enrichit Ie nouveau temple d’ornements et de vases sacrés, dignes de Ia magnificence impériale.nbsp;On cite entre autres un calice d’or fin du poids de dix livres; tinenbsp;patène du même métal pesaht vingt livres; un vase pour les ablutions,nbsp;d’or Ie plus pur, enrichi de trente dauphins et pesanl quinze livres',nbsp;enfin une lampe d’or a douze hees du poids de quinze livres (2). Si lesnbsp;Barbares ont emporté ces riches dépouilles, ils ont du raoins laissé lesnbsp;marbres précieux qui attestent encore la libéralité du prince et desnbsp;premiers pontifes. L’église, qui conserve la forme des anciennes basi-liques romaines, a trois nefs soutenues par quatorze colonnes antiques, dont quatre de jaspe ou de porta sanla, les autres d’albAtre,nbsp;excepté les deux dernières, pres de la porto, qui sont de marbre denbsp;Numidie. On est étonné de voir l’ordre ionique,le corinthien et Ie composite briller dans les chapiteaux; mais cette confusion des différentsnbsp;ordres prouve, d’une part, que ces colonnes ont appartenu a différentsnbsp;édifices pa’iens, mis è contribution pour élever Ie temple de l’illustrenbsp;martyre, et, d’autre part, que Ie maitre du monde voulait être promp-tement obéi (5).
Au-dessus des nefs latérales règne une double galerie en forme de portique, appuyée sur des colonnes dont la magnificence ne Ie cèdenbsp;point aux premières : on y remarque Ie même mélange des ordres d’ar-chitecture. Histoire compléte de Tart, Ie baldaquin du maitre autel estnbsp;soutenu par quatre colonnes du plus beau porphyre. La sculpturenbsp;moderne y brille dans la statue de la Sainte en albêtre oriental; l’an-tiquité païenne donne la forme du monument avec ses colonnes de
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Anast., In B. Sylvestr.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Anast., In B. Sylvestr.
(3) nbsp;nbsp;nbsp;Baron. Ann. 524, n. 103.
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j^spe et de porphyre; la primiiive Eglise est représentée par un can-tlélabre de la plus grande richesse, et enfin le moyen Age déploie sa lïiagnificenre et son génie, tout amp; la fois simple et sublime, dans lanbsp;tnosaïque du choeur.
La superbe guirlande de fleurs et de fruits qui l’ontoure se coupe a •a partie supérieure de l’arc, pour faire place a une croix radieuse.nbsp;Lans le champ, directement au-dessous de la croix, on A'oit soriir desnbsp;tiuages la main divine tenant une couronne. Plus bas apparait saintenbsp;•'^gnès dans l’attitude du triomphe, c’esl-a-dire debout, la tête cou-ï'onnée d’éineraudes et environnée du nimbe circulaire; le cou orné denbsp;Colliers de perles, et le corps couvert du laticlave enricbi de pierre-cies, suivant l’usage des empereurs et des impératrices d’Orient. Cenbsp;costume byzantin dans une mosaïque romaine est une preuve de plusnbsp;fiu’a cette époque, c’est-a-dire au vu® siècle, on faisait venir les mo-saïstes de Constantinople. Peu familiarisés avee nos costumes occiden-*aux, ils liabillaient leurs figures a la mode de leur pays. La Saintenbsp;tient l’Évangile centre son cmur; sous ses pieds on voit le glaive quinbsp;lui trancha la téte, et de cliaque c6té s’élancent deux gerbes de Hammes, symbole de son désir ardent pour les supplices. II était dilTicilenbsp;de résumer plus parfaitement l’épopée de la jeune héroïne. A sa droitenbsp;est le pape Honorius I, portant le modèle de 1’église; et a sa gauche,nbsp;lepape Symmaque, restaurateur de la vénérable basilique.Nous Favonsnbsp;déja remarqué, dans Fensemble de son ornementation, Sainte-Agnèsnbsp;est comme une encyclopédie de Part. Or, ce rendez-vous des deuxnbsp;mondes, Fun vaincu et Fautre vainqueur, contribuant chacun a sa ma-mère a orner le temple d’un enfant, cette longue suite de siècles quinbsp;'lennent en passant déposer leur hommage a ses pieds, forment unenbsp;de ces délicieuses harmonies que Rome a le privilége d’offrir au ca-*^holique, seul capable de les coraprendre.
Non loin de Sainte-Agnès s’élève parmi les ruines une superbe rotonde qui contient de grandes richesses archéologiques : c’est Féglise de Sainte-Constance. BAtie, a ce que Fon croit, par Constantin pour lenbsp;Laptéme de son auguste fille, elle servit ensuite de baptistère a la ba-silique de Sainte-Agnès. Vingt-quatre colonnes de marbre africain for-Rtant un double portique soutiennent Fédifice. Irois grandes niches,nbsp;^oculamenta, sont taillées dans les parois; deux sont a jour et donnentnbsp;passage a Fextérieur. La troisième renferme une superbe tombe denbsp;porphyre, transportée du móle d’Adrien pour recevoir les restes pré-cieux de la jeune princesse. Le tombeau est orné de mosaïques représentant une scène de vendanges, sujet assez fréquent dans Fornementa-
-ocr page 176-4 72 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
lion des catacombes. Aux voütes des deux autres renfoncemenls se trouvent des sujets plus évidemment chréliens. Dans Tune, INotre-Seigneur apparait debout; de la main droite il bénit, de la gauche ilnbsp;tientunebanderole sur laquelle on lil: Dominuspacemdat. A gauchenbsp;est saint Philippe, incliné devant Ie divin Maitre et recevant l’exlré-inité inférieure de la banderole; saint Thomas se montre ü la droitenbsp;dans Pattitude du respect et de l’admiration; quatre brebis occupentnbsp;la base du tableau, avec deux petites maisons, tuguriola, environnéesnbsp;de palmiers. On a vu dans ces figures, et tous les fidèles a qui Notre-Seigneur donne sa paix, et les demeures multiples de la maison denbsp;Dieu, et enfin la Judée, théatre primitif de cette scène évangélique (i).
Dans l’autre voussure, Ie Fils de Dieu est assis sur Ie globe; maitre absolu de toutes choses, il a Ie droit de promettre la paix et il la donnenbsp;a un de ses disciples qu’il embrasse ; cette seconde mosaïque semblenbsp;ainsi Ie complément de la première. On remarque, a droite et a gauchenbsp;du Seigneur, une grande quantité de palmiers, pour rappeler Ie paysnbsp;oü Ie divin Rédempteur accomplit sa vie mortelle. Que Ie palmier soitnbsp;Femblème de la Judée, c’est un fait élabli par les médailles de Vespa-sien et de Titus, dans lesquellcs on voit une femme assise, pleurantnbsp;sous un palmier, avec ces mots : Judcea capta. Jusque dans la partienbsp;décorative, les artistes chrétiens ont su conserver les grandes vérités denbsp;notre histoire.
Quant a la coupole, peinte a fresque et en mosaïque, elle offre sur les cótés des feuilles de vignes, des raisins, toute une scène de vendan-ges, et au sommet une femme en demi-ligure. Malheureusement cettenbsp;partie de Fedifice a beaucoup trop souffert, pour qu’il soit possiblenbsp;d’en donner une explication pleinement satisfaisante (2). Devenue lanbsp;tombe de sainte Constance après avoir été son berceau, la rotonde pos-sède un autel fort curieux, oü repose Ie corps vénérable de la fille denbsp;Constantin, avec ceux des saintes Attique et Artémie, nobles émules denbsp;l’auguste princesse.
II était déja tard lorsque nous sortimes pour jeter un coup d’oeil sur la vaste enceinte de ruines que l’on dit étre Thippodrome de Constantin. Des murs pantelants et écbauchés, d’oü pendent de longues touffesnbsp;de lianes et de lierre sauvage; des soubasscments ii moitié couverts denbsp;terres et de débris; des vignes plantées aux lieux oü couraient lesnbsp;chars, voilii ce qui reste du somptueux monument ; ici on peut direnbsp;avec vérité que les ruines möme ont péri. Depuis Ie matin, j’avais vécu
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Joan., c. XIV.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Voyez Aringhi., Rom. subt., lib. vi, c. 43.
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au milieu des martyrs, Ie soir je devais voir un confesseur de celte Uiême foi, dont Ie privilege est d’étre persécutée jusqu’è la fin desnbsp;lemps. L’excellent abl)é de L... devait me présenter au doyen du sacrénbsp;Collége, Ie venerable cardinal Pacca. En traversant certaines rues fai-blement éclairées, nous fumes témoins d un de ces pieux usages qu’onnbsp;ue trouve qu’è Rome. L’impression qu’ils produisent est d’autant plusnbsp;lt;louce qu’ils sont plus naïfs, et d’autant plus vive qu’ils sont plusnbsp;étrangers a nos moeurs fran^aises. A quelques pas devant nous étaitnbsp;T^ne madone très-bien illuminée; de chaque cóté dn la rue, des hom-des femmes et des enfants, sur les porles des maisons, récitaientnbsp;^n se répondant les prières du soir, qu’ils terminèrent par les litaniesnbsp;de la sainte Vierge, chantées en choeur. Vous passez, personne ne senbsp;dérange, la recitation, Ie chant conlinuent jusqu’S ce qu’on ait achevénbsp;^'Ave, Maria : salutation angélique, par laquelle on désigne è Romenbsp;la chute du jour.
Le cardinal Pacca est un aimable vieillard de quatre-vingt-neuf ans; ses cheveux blancs comme la neige, la finesse de son regard, la délicatesse de ses traits, la douceur de sa parole, 1’aménité de ses manières.nbsp;Pair d’alfabilité et de cordialité répandu sur toute sa personne, com-mandent le respect et l’affection. Ajoutez qu’il aime beaucoup lanbsp;France. « Les Franpais, me disait-il, sont naturellement bons; lis valent mieux que leurs principes, lis ressemblent a l’enfant de l’Évan-gile, qui dit a son père : Je ne veux pas aller ii la vigne, et pourtantnbsp;il y va; tandis que les Allemands imitent l’autre enfant qui dit: J’ynbsp;vais, et il n’y va pas. » A ce jugement dont il est difficile de contesternbsp;la justesse, succéda l’éloge de nos dames fran^aises. L’auguste princenbsp;de l’Église ne savait comment exalter leur charité et leur dévouement.nbsp;® Si la France doit être sauvée, disait-il, elle le sera par les femmes;nbsp;alles sont dignes de cette mission. »
22 JANVIER.
Conversion de M. Raüsbonne. - Récit de M. de Bussières.
Hier matin, comme nous prenions h la büte la cioccolata, pour nous rendre a Sainte-Agnès-Aors-des-^enica vint nousnbsp;annoncer, dans la joie de son coeur, la grande nouvelle qui circulaitnbsp;dans Rome ; un ebreo è convertito! nn jnH s est convert! bier, oui,nbsp;bier, b notre église de S^iint-AndTé-delle-FraUe! Gesü mio! che helnbsp;miracolo! Nous n’eumes pas le loisir d’en entendre davantage. Le
T. II. nbsp;nbsp;nbsp;*
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soir, on paria de celte conversion chez Ie cardinal Pacca; enfin, au-jourd’hul 22, j’ai eu tons les détails du grand événement. Dans Ie salon
de madame la comtesse K......arriva M. Ie baron de Bussières, qui
nous raconla, en petit comité, ce qu’il a publié depuis. Je vais Ie laisser parler lui-même. « Je rapporte, nous dit-il, un fait incontestable; je dis ce que j’ai vu de mes yeux, ce qu’une foule de témoins hono-rables peuvent alRrmer, ce que Strasbourg ne pourra croire, ce quenbsp;Rome entière admire : un homme jouissant de tout son bon sens, denbsp;toute la plénitude de ses facultés, est entré dans une église, juif ob-stiné, et, par un de ces coups de la grftce qui terrassa Saul sur Ie che-min de Damas, il en est sorti, dix minutes après, catbolique de coeurnbsp;et de volonté. Alphonse Ratisbonne appartient ü une familie de Strasbourg, distinguée par sa position et par l’estime de tous. II venaitnbsp;d’arriver h Naples, afin de poursuivre jusqu’en Orient un voyage denbsp;santé et de plaisir. Destiné ii une position brillante, il se promettait denbsp;consacrer tous ses efforts a la régénération de ses coreligionnaires; ilnbsp;rapportait a ce but toutes ses pensées et toutes ses espérances; car ilnbsp;s’indignait de tout ce qui pouvait rappeler la malédiction qui pèse surnbsp;les descendants de Jacob.
» Cependant Ie moment de partir pour l’Orient était venu; Ratisbonne sortit done un matin pour aller, sans plus de délal, fixer sa place sur Ie bateau k vapeur qui devait Ie conduire a Palerme. Chemin fai-sant, il songe qu’il n’a pas vu Rome; et qu’une fois de retour, il estnbsp;peu probable qu’il puisse revenir én Italië. Absorbé par ces réllexionsnbsp;il entre dans un bureau, mais c’est celui des diligences : il y retientnbsp;une place, et trois jours après il est amp; Rome; mais il n’y fera qu’unnbsp;bien court séjour. Le voila done visitant les ruines, les galeries, lesnbsp;églises; entassant, en vrai touriste, les courses, les impressions et lesnbsp;souvenirs confus. II a liAte d’en finir avec cette ville qu’il est venu voir,nbsp;moins encore par curiosité que par une sorte d’entrainement qu’ilnbsp;s’explique mal.
» La veille de son départ, il se présenta pour faire une visite d’adieu è mon frère. Gustave, mon frère, est protestant très-zélé de la secte desnbsp;Piétistes; il avait quelquefois essayé d’attirer a lui le jeune israélite :nbsp;les causeries se terminaient ordinairement par deux mots, qui rendaientnbsp;assez bien la situation morale des deux interlocuteurs : protestant en~nbsp;ragé! disait l’un; ƒM^ƒc^lcroMtó.^répondait^autre. Ratisbonnenetrouvanbsp;point mon frère qui était parti pour la chasse; la Providence permitnbsp;qu’il s’adressét a un domestique italien qui, le comprenant mal, l’ln-troduisit dans mon salon. Jusqu’a ce moment nous ne nous étions ren-
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contrés qu’une seule fois chez mon frère; et, noalgré mes avances, je avais obtenu de Ratisbonne que la froide politesse d’un homme biennbsp;élevé. Cependant je Ie refus de mon mieux; je lui parlai de ses courses; il me raconta ce qu’il avait vu, et ses impressions.
» II m’est arrivé, ajouta-l-il, une chose extraordinaire; en visitant J’église d’Ara-Coeli, au Capitole, je me suis senti saisi d’une émotionnbsp;Pfofonde, que je ne pouvais m’expliquer. » II parait qu’au moment oünbsp;Hatisbonne me faisait cette confidence, mes regards, étincelants denbsp;Joie, semblaient lui dire : Tu seras des nótres; car il se hata d’alBr-Dier, avec une intention bien marquee, que cetie impression avait éténbsp;Purement religieuse et nullement chrétienne. « D’ailleurs, conti-®ua-t-il, en descendant du Capitole, un bien triste spectacle vint ral-luiner toute ma haine centre Ie catholicisme; je traversai Ie Ghetto,nbsp;tit, tout en voyant la misère et la dégradation des Juifs, je me disaisnbsp;qu’après tout, il valait mieux être du cölé des opprimés, que de celuinbsp;des oppresseurs. » Notre causerie tendait a la discussion : j’essayais,nbsp;dans mon entrainement, de lui faire partager mes convictions catho-liques, et lui, souriant de mes efforts, me répondait, avec une bien-veillante pitié pour mes superstitions, quil était né juif, et qu’ilnbsp;mourrait juif.
3) Alors il me vint l’idée la plus extraordinaire, une idéé du ciel, car les sages de la terre l’auraient traitée de folie :
« Puisque vous êtes un esprit si fort et si sur de vous-même, pro-mettez-moi de porter sur vous ce que je vais vous donner.
» — Voyons, de quoi s’agit-il?
» — Simplement de cette médaille.
» Et je lui montrai une médaille miraculeuse de la Vierge. II se re-jeta vivement en arrière avec un mélange d’indignation et de surprise.
« Mais, ajoutai-je, d’après votre manière de voir, cela doit vous étre parfaiteraent indifférent; et c’est me faire, ii moi, un très-grandnbsp;plaisir.
« — Oh! qu’è cela ne tienne, s’écria-t-il alors en éclatant de rire; je veux au moins vous prouver qu’on fait tort aux Juifs en les accusant d’obstination et d’un insurmontable entêtement. D’ailleurs vousnbsp;oie fournissez li un fort joli chapitre pour mes notes et impressionsnbsp;de voyage. » Et il continuait des plaisanteries qui me navraient Ienbsp;coeur, car pour moi c’étaient des blasphèmes.
» Cependant je lui avais passé au cou un ruban auquel mes petites filles, pendant notre débat, avaient attaché la médaille bénite. 11 menbsp;restait quelque chose de plus difficile è obtenir. Je voulais qu’il récitót
-ocr page 180-'176 nbsp;nbsp;nbsp;les TROIS ROME.
la pieuse invocation de saint Bernard Memorare... Pour Ie coup il n y tint plus; il me refusa positivement avec un ton qui semblait dire ;nbsp;Get homme est en vérité par trop impertinent. Mais une force inté-rieure me pressait moi-mème, et je luttais centre ses refus réitérésnbsp;avec une sorte d’acharnement, je lui tendais la prière, Ie suppliant denbsp;1 emporter avec lui et d’être assez bon pour la copier, paree que jenbsp;n’en avais pas d’autre exemplaire.
» Alors avec un mouvement d’humeur et d’ironie, comme pour échapper a mes importunités : « Soit, je l’écrirai; vous aurez Bianbsp;copie, et je garderai la vótre; » et il se retira en murmurant tout bas:nbsp;« Voila un original bien indiscret. Je voudrais bien savoir ce qu’il di-rait, si je Ie tourmentais ainsi, pour lui faire réciter une de mes priè-res juives. »
M. de Bussières nous raconta eusuite tous les efforts qu’il avail faits pour retenir a Rome son jeune juif, décidé è partir Ie lendemain; etnbsp;la communication qu’il avail faite il M. de La Ferronays, des difficul-tés que présentait cette conversion. M. de La Ferronays promit denbsp;prior, et dans la nuit du 17 il mourut presque subitement, laissant auxnbsp;amis qu’il avail édifiés pendant ses dernières années, comme ii la familie qui Ie pleurait, l’exemple de ses vertus, et la consolation d’espé-rer que Dieu iie l’avait appelé a lui que paree qu’il était mür pournbsp;Ie ciel.
« Cependant, continua M. de Bussières, Ratisbonne n’avait pas fait un seul pas vers la vérité; sa volonté était restée la méme, son espritnbsp;toujours Tailleur, ses pensées toujouvs attachées aux choses de la terre;nbsp;telle était sa situation morale Ie jeudi 20 janvier. Vers midi il entra aunbsp;café de la place d’Espagne pour y lire les journaux; il y trouva monnbsp;beau-frère, Edmond Humann, s’entretint avec lui des nouvelles dunbsp;jour avec un abandon et une légèreté qui excluaient l’idée de toutenbsp;préoccupation grave. En sortant du café, vers midi el demi, il rencontra M. Ie baron de Lotzbeck, son ami de pension; il s’entretint gai-ment avec lui des choses les plus futiles; il causa de bal, de plaisirs,nbsp;de la fête brillante donnée par Ie prince T... Assurément si quelqu’i'Unbsp;lui eüt dit dans ce moment ; Avant deux heures vous serez cathoh'nbsp;que, il l’aurait cru fou.
» II était une heure; je devais prendre quelques arrangements ^ l’église de Saint-André-deWe-Fratte, pour la funèbre cérémonie dunbsp;lendemain. Je rencontrai Ratisbonne qui descendait la Via CondoUhnbsp;je l’engageai a venir avec moi. Nous entrömes ü l’église. Apercevantnbsp;les préparatifs du service, il me demanda pour qui ils étaient destines:
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Pour un ami que je viens de perdre, M. de La Ferronays, que j siinais extrêmement. » Alors il se mit a se promener dans Ia nef; sounbsp;regard, froid et indifférent, semblait dire : Cette église est bien laide.
Ie laissai du cóté de l’épitre, ii c6té d’une petite enceinte disposce pour recevoir le cercueil, et j’entrai dans l’intérieur du couvcnt. Jenbsp;ti’avais que quelques mots ii dire a un des religieux, je voulais fairenbsp;Préparer une tribune pour la familie du défunt; mon absence dura ènbsp;Paine dix ou douze minutes.
® En rentrant dans l’église, je n’apergois pas d abord Ratisbonne; puis je le découvre bientöt agcnouillé devant la chapelle de saintnbsp;iWichel, placee a gauche en entrant. Je m’approche, je le pousse troisnbsp;nu quatre fois avant qu’il s’apergoive de ma présence. Enfin il tournenbsp;rers moi un visage baigné de larmes, joint les mains, et me dit avecnbsp;nne expression impossible ii rendre : « Oh! comme ce monsieur a priénbsp;pour moi! »
» J’etais moi-même stupéfait d’étonnement; je sentais ce qu’on éprouve en présence d’un miracle. Je relève Ratisbonne, je le guide,nbsp;je le portc, pour ainsi dire, hors de l’église; je lui demande ce qu’il a,nbsp;oü il veut aller. « Conduisez-raoi oü vous voudrez, s’écrie-t-il; aprèsnbsp;ce que j’ai vu, j’obéis. » Je le presse de s’expliquer, il ne le peut pas;nbsp;son émotion est trop forte. II tire de son sein la médaille miraculeusenbsp;qu il couvre de baisers et de larmes. Je le ramcne chez lui, et malgrénbsp;mes instances réitérées je ne puis obtenir de lui que des exclamationsnbsp;entrecoupées de sanglots. « Ah! que je suis heureuxl que Dieu estnbsp;fion! quelle plénitude de grüces et de bonheur! que ceux qui ne saventnbsp;pas sont a plaindre! » Puis il fond en larmes en pensant aux héréti-ffues et aux raécréants. Enfin ii me demande s’il n’est pas fou... k Maisnbsp;non! s’écrie-t-il, je suis dans mon bon sens; mon Dieu! mon Dieu! jenbsp;ne suis pas fou, tout le monde sait bien que ne suis pas fou. »
“ Lorsque cette délirante émotion commence ii se calmer, Ratis-^onne, avec un visage radieux, je dirais presque transfiguré, me serre dans ses bras, m’embrasse, me demande de le mener chez un confes-®eur, veut savoir quand il pourra recevoir le baptême, sans lequel ilnbsp;oo saurait plus vivre, soupire après le bonheur des martyrs, dont il anbsp;''n les tourments sur les murs de Saint-Étienne-le-Rond. 11 me déclarenbsp;ffu’il ne s’expliquera qu’après en avoir obtenu la permission d’unnbsp;prélre, « Car ce que j’ai a dire, ajoute-t-il, je ne dois, je ne puis lenbsp;dire qu’a genoux. » Je le conduis aussitót au Gesü, prés du père denbsp;^fillefort qui 1’engage é s’expliquer.
» Alors Ratisbonne tire sa médaille, l’embrasse, nous la montre, et
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s’écrie : Je l’ai vuc! je l'ai vueü! et son emotion Ie domine encore; mais bientót plus calme, il put s’exprimer. Voici ses propres paroles :
« J’étais depuis un instant dans l’église, lorsque tout d’un coup je me suis senti saisi d’un trouble inexprimable. J’ai levé les yeux, toutnbsp;l’édifice avait disparu è mes regards; une seule chapelle avait pournbsp;ainsi dire concentre toute Ia lumière, 'et au milieu de ce rayonnementnbsp;a paru debout, sur l’autel, grande, brillante, pleine de majesté et denbsp;douceur, la Vierge Marie, telle qu’elle est sur ma médaille : une forcenbsp;irrésistible m’a poussé vers elle. La Vierge m’a fait signe de la mainnbsp;de m’agenouiller, elle a semblé me dire : « C’est bienl » elle ne m’anbsp;point parlé, mais j’ai tout compris. »
Tel est Ie récit de M. de Bussières, il fut accompagné de beaucoup d’autres détails que je ne rapporle pas, paree qu’ils ont été consignésnbsp;dans Topuscule inlitulé : L’Enfant de Marie. Toutefois nous revien-drons èi M. Ratisbonne; une cérémonie solennelle montrera è tous lesnbsp;regards Ie nouveau Saul, terrassé dans la grande Rome, et devenu, denbsp;persécuteur, un vase d’élection destiné k faire connailre Ie nom dunbsp;Seigneur, non pas aux Gentils, mais aux Juifs ses frères. Abime desnbsp;conseils de Dieu 1 ce jeune homme, au coeur ardent, rêve la régénéra-tion de ses coreligionnaires, mais il veut les régénérer i sa manière :nbsp;eh bien! sa mission lui restera, mais il l’accomplira dans un sens plusnbsp;élevé qu’il ne connait pas. Le voilé catholique, Ie voilé membre d’unenbsp;société d’apótres; et qui sait s’il n’est pas c.boisi pour accélérer lenbsp;mouvement qui, suivant les prophéties, doit pousser dans le bercailnbsp;du Sauveur les restes d’Israel et annoncer la fin des temps? Regardeznbsp;é l’horizon, peut-être y verrez-vous poindre déjé plus d’un signenbsp;avant-coureur de eet avenir tout é la fois consolant et terrible. Ado-rons, prions, tenons-nous prèts.
23 JANVIER.
Église de Saint-André-delle-Fratte. — Souvenir du cardinal Consalvi. — Réflcxions sur les arts it Rome. — Conversation de Canova avec Napoleon. — Visite des palais et desnbsp;galeries paniculières. — Palais Barberini. — Palais Borgbèse.
Tout plein du récit de la veille, j’allai de bonne heure célébrer le Saint Sacrifice dans l’église de Saint-André-delle-Eratte, sur ^ ^uinbsp;mêing de la chapelle oü s’était accompli le miracle. Je me disais . enbsp;n’est ni un juif allemand, ni un juif anglais, mais un juif francais qui
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a été converti. Comment ne pas voir dans cette circonslance les des-seins éternels de Dien sur Ie peuple missionnaire?
Après la messe nous étudiames de nouveau cette église, désormais glorieusement historique, et j’appris une particulariié qui n’est pasnbsp;sans quelque intérêt. L’illustre cardinal Consalvi, Fami et Ie ministrenbsp;de Pie VII, s’était trouvé mêlé a toutes les grandes affaires qui avaientnbsp;fempli Ie règne orageux de Fimmortel Ponlife. En témoignage de leurnbsp;haute estime, les différents souverains de FEurope avaient offert iinbsp;1 habile diplomate une riche collection de tabatières précieuses. Lanbsp;plus splendide était celle du concordat de 1801) qui coüta o0,000 fr.nbsp;he pieux cardinal ordonna, par son testament, qu on les vendit etnbsp;'lu’on employiit une partie du produit èi terminer les facades de plu-sieurs églises de Rome; de ce nombre fut Saint-Aniré-delle-Fratte.nbsp;L’autre moilié de la somme fut consacrée ii élever dans Féglise denbsp;Saint-Pierre Ie mausolée de Pie VII, son bienfaiteur. Desservie par desnbsp;Minimes, Féglise de Saint-André possède une riche chapelle dédiée anbsp;saint Francois de Paule. On y voit deux anges du Bemin, et plus basnbsp;la mort de sainte Anne, sculpture très-remarquable de Pacetti. Lesnbsp;principaux monuments funèbres sont ceux du savant danois Zoega, etnbsp;du gracieux sculpteur prussien Rodolphe Schadow : « Tombeaux dunbsp;nord qui prouvent Findicible altrait de Rome et de FItalie pour tousnbsp;les amis des arts et de Fantiquité. »
Non-seulement les cardinaux et les papes, mais encore les commu-nautés religieuses et les simples particuliers semblent rivaliser de zèle pour faire de la ville éternelle la galerie, Ie musée, Ie salon de FEurope et du monde. Cet amour enthousiaste de tous les chefs-d’oeuvrenbsp;par lesquels se révèle Ie génie de Fhomme, est la gloire exclusive denbsp;Rome chrétienne ; et, après Ie culte ardent de la foi, un des plus beauxnbsp;fleurons de sa couronne. Déjii les palais pontificaux nous avaient mon-fré leurs incomparables richesses; nous voulümes, i Fexemple de tousnbsp;les voyageurs, visiter celles qui embellissent les habitations particu-lières, et nous commenQamp;mes une excursion purement arlistique.
Rans Finstinct dont je viens de parler, il est facile de voir la pensée lt;le la Providence. D’un cóté Dieu a voulu que la maitresse de la foi futnbsp;aussi la mère des arts, afin de fermer la bouche a ceux qui oseraientnbsp;1 accuser d’être Fennemie des lumières; d’un autre cóté, il est certainnbsp;queleschefs-d’ceuvrede peintureet de sculpture semblent mieux placés
Rome que dans nulle autre ville. Un juge que personne ne sera lenté de récuser, Canova, exprimait ainsi cette vérité trop méconnue. Napoléon Favai tappeléi Paris pour faire Ie portrait de 1’impératrice Marie-
-ocr page 184-180 nbsp;nbsp;nbsp;les TROIS ROME.
Louise. « Je suis venu pour satisfaire Sa Majesté, afin de pouvoir re-tourner è Rome et reprendre mes travaux. — Mais, dit I’empereur, Paris est a présent Ia capitale; il faut que vous demeuriez ici, et vousnbsp;ferez bien. — Vous ötes maitre de ma vie, Sire; mais s’il plait il’em-pereur qu’elle soit employée ii son service, il faut qu’il m’accorde denbsp;retourner è Rome, quand j’aurai lerminé les travaux pour lesquels jenbsp;suis venu. On m’a parlé de faire Ie portrait de Timpératrice, je la re-présenterai sous les traits de la Concorde. »
L’empereur sourit avec bienveillance et répliqua : « Ici est Ie centre, ici sont tous les chefs-d’muvre antiques. II ne manque que I’Her-cule Farnèse qui est h Naples : je me Ie suis réservé. — Que Votre Majesté, reprit Ganova, laisse au moins quelque chose è Tltalie : lesnbsp;monuments antiques forment collection et chaine avec une infinitenbsp;d’autres qui ne se peuvent transporter ni de Rome, ni de Naples.nbsp;D’ailleurs Ie people romain a un droit sacré sur les monuments dé-couverts dans les entrailles des fondalions de Rome; c’est un produitnbsp;intrinsèquement uni au sol, tellenient que ni les families nobles, ni Ienbsp;pape Pie VII lui-même, ne peuvent vendre, ni envoyer au dehors eetnbsp;heritage du peuple-roi, cette récompense donnée par lavictoire ii leursnbsp;antiques pères. —Monsieur, je vous prie, comment est Pair de Rome?nbsp;était-il mauvais ou malsain dans les temps anciens? — Je me souviensnbsp;d avoir lu dans Tacite, a propos de l’arrivée de Vitellius, que beau-coup de soldats tombèrent malades pour avoir dormi a Pair sur Ienbsp;Vatican (i); mais Rome a d’autres douleurs, continua Pillustre artiste,nbsp;cette capitale est désolée depuis Pabsence du Pape. — Seraez du colon,nbsp;reprit Pempereur, nous ferons Rome capitale de PItalie, et nous ynbsp;joindrons Naples : qu’en dites-vous? Serez-vous content? — Les artsnbsp;pourraient ramener la prospérité; la religion favorise les arts. Cheznbsp;les Égyptiens, chez les Grecs et les Remains, Sire, la religion seule anbsp;soutenu les arts. Les travaux des Remains portent Ie sceau de la religion. Cette salutaire influence sur les arts les a encore sauvés, en par-tie, des ravages des barbares. Toutes les religions sont les bienfaitricesnbsp;des arts; celle qui est plus particulièrement et plus magnifiquementnbsp;leur protectrice et leur mère, c’est Ia vraie religion, notre religionnbsp;catholique romaine. Les protestants, Sire, se contentent d’une simplenbsp;chapelle et d’une croix, et ne donnent pas occasion de fabriquer denbsp;beaux objets d’art. Les édifices qu’ils possèdent ont été faits par les
(i) Ne salutis quidem cura; infamibus Yaticani locis tnagna pars telendit, undo cre-briE in vulgus mortes. Hist., Ub. u 97.
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3Utres. » L’empereur s’adressant i Marie-Louise, et I’interpellant, s’écria : « II a raison ; les protestants n’ont rien de beau (i). »
Partis de la Propagande, nous arrivames en quelques minutes ü la place Barberini. Elle occupe, en partie, 1 emplacement du cirque denbsp;Plore, fameus par I’abomination des fêtes qu on y célébrait la nuit auxnbsp;flambeaux, en I’bonneur de la courtisane divinisée. Au milieu s’élèvenbsp;UDe belle fontaine, formée de quatre daupbins qui soutiennent unenbsp;grande coquille ouverte, d’ou sort un triton qui jette de Feau è unenbsp;grande hauteur. La place doit son nom au palais Barberini, situé surnbsp;1 Un des cötés. Au bas du grand escalier Fattention se fixe sur unnbsp;Irès-beau lion antique, enchassé dans Ie mur du second paliier. Onnbsp;passe de la au salon, dont la voute a été peinte a fresque par Pierre denbsp;Gortone; eet ouvrage passe pour Ie chef-d’oeuvre de ce maitre peunbsp;estimé de nos jours. Dans la salie des portraits, vous avez cinq ou-vrages du Titien; puis Ie Christ et la Madeleine, du Tintoret, avec unnbsp;gracieus petit tableau de la sainte Vierge et de FEnfant Jésus, d’An-dré del Sarto. Nous y trouvAmes aussi une des nombreuses et si re-marquables compositions de Gérard des Nuils, Ie peintre du clair-obscur. VArrestation de Notre-Seigneur au jardin des Olives faitnbsp;illusion par la vérité merveilleuse du jeu de la lumière : on dirait Ienbsp;diorama en plein jour. Plus loin est Adam et Ève, du Dominiquin :nbsp;Dieu, porté par un groupe d’anges, reproche a Adam sa faute; celui-cinbsp;tremblant et confus, montre sa femme qui se rejette a son tour sur Ienbsp;serpent. Entre beaucoup d’autres tableaux on est surtout frappé de lanbsp;pathétique tête de la malheureuse Béatrix Cenci, chef-d’oeuvre dunbsp;Guide. L’histoire rapporte que Ie peintre la fit de mémoirc, aprèsnbsp;avoir vu la jeune héroïne monter a Féchafaud, au moment oü elle di-sait au bourreau ces paroles si fortes et si chrétiennes : « Tu liesnbsp;rnon corps pour Ie supplice, et tu délies mon dme pour l’immorta-lité. Tu leghi il corpo al supplicio, e sciogli l’anima all’ immorta-lild. » Ces ouvrages et d’autres encore d’un grand mérite, tels que Ienbsp;liédale et F/care, du Guerchin, Ie Saint-André-Corsini, du Guide,nbsp;donnent au palais Barberini une place distinguée parmi les galeriesnbsp;parliculières de Rome.
Repassant prés de la villa Médicis, autrefois la douce prison de Ga-filée, et aujourd’hui Facadémie de France, nous nous rendimes au palais Borghèse. La vertu, la charité, la foi vive, habilent ce séjournbsp;fine remplisscnt de leurs chefs-d’oeuvre les maitres de la sculpture
(0 Fie de Pie Vit, par M. Artaud, t. ii, c. 22.
-ocr page 186-'182 nbsp;nbsp;nbsp;les TROIS ROME.
antique et de Ia peinture moderne. Les longues et brillantes fagades des bfttiments, la cour tnagnilique qui les sépare, tout annonce unenbsp;demeure vraiment princière. Cette cour, de forme quadrangulaire, estnbsp;entourée de portiques soulenus par quatre-vingt-seize colonnes denbsp;granit, doriques au rez-de-chaussée, et corinthiennes a l’étage supérieur : tel est l’aspect général du Cimbalo Borghese.
La galerie du palais, la mieux tenue de Rome, compte dix-sept cents tableaux originaux. Ne pouvant nommer tant de chefs-d’oeuvre, nousnbsp;cilerons seulement, dans la première chambre, la Sainte-Vierge avecnbsp;l’Enfant Jésus, de Sasso Ferrato; la Sainte-Trinité, de Léonard Bas-sano; dans la seconde chambre, une Madeleine, d’Augustin Carrache:nbsp;Ia Sainte-Vierge et VEnfant Jésus, du Titien; la Chasse de Diane,nbsp;chef-d’oeuvre du Dominiquin, éternelleraent copié; dans la troisième,nbsp;saint Antoine de Padoue prêchant les poissons, qui semblent atten-tifs et profondément touchés; ce tableau est de Paul Véronèze; saintnbsp;Jean-Baptiste au desert, du même. La quatrième chambre présentenbsp;a l’admiration saint Jean-Baptiste, copié de Raphael par Jules Ro-main; la Descente de croix, de Raphael; la fameuse Sibylle de Cumes,nbsp;du Dominiquin, et la Visitation, de Rubens; la cinquième, hSama-ritaine, de Garofalo el Ie Retour de l’Enfant prodigue, première ma-nière du Guerchin; la sixième, des peintures païennes et profanes, quinbsp;sont loin de spiritualiser la pensée; la septième, des glacés ornées denbsp;peintures de Giro Feri; la huitième, quatre tableaux en mosaïque,nbsp;dont l’un représente Ie pape Paul V, de la familie Borghese; la neu-vième, Ie délicieux Retour de VEnfant prodigue, du Titien; la Descente de croix, de Pérugin; un.César Borgia, merveilleuse peinturenbsp;de Raphael; la dixième, une Sainte-Vierge, de Pérugin; une Madeleine, d’André del Sarto; la onzième, la Sainte-Famille, de Jules Ro-main, etc.; cn tout onze salons remplis de chefs-d’oeuvre. Toutefois,nbsp;dans cette galerie comme dans les autres, Ie chrétien fait ses réserves;nbsp;et en lui faisant baisser les yeux, Ie nu des figures 1’oblige h regretternbsp;vivement 1’invasion du sensualisme dans Part, depnis l’époque de lanbsp;renaissance.
Parmi les antiquités, on distingue les statues colossales de Julia Pia. de Sabine et de Cérès, et la superbe urne de porphyre placée au milieu de la seconde chambre. On s’étonne que les princes Borghèsenbsp;aient pu former une semblable collection ; ontre leur fortune séculaire,nbsp;il leur a fallu eet amour ardent des arts que notre siècle d’agiotagenbsp;aura peine a comprendre, mais qui caractérise glorieuseraent lesnbsp;Remains.
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24 JANVIER.
Palais Ruspoli. — Escalier. — Palais Chigi. — Galerie. — Bibliothèque. _ Palais Rospi-gliosi. —furore, du Guide. — Buste de Scipion l’Africain. —Église de SainUgnace. quot;Tombeau de saint Louis de Gonzague. Église de Gesü. Tombeau de Saint-Ignace. — Thermes de Néron. — Palais Madame. — Église de Saint-Eustache.
Uescendus au Corso, nous visitames la belle église de Saint-Charles des Milanais, admirant sans réserve Ie tableau du maitre autel. Surnbsp;cette toile, la plus grande qu’ait animée son iromortel pinceau, Le-liPun a peint saint Charles présenté par la sainle Vierge a Notre-Sei-^öeur. En passant jetez un coup d’teil sur Ie palais lluspoli. L esca-ber, formé de 115 marches toutes d’un seul bloc de marbre blanc,nbsp;rivalise avec celui du palais Braschi, et tous deux tiennent Ie premiernbsp;rang parmi les ouvrages de ce genre : au rez-de-chaussée est Ie plusnbsp;beau café de Rome. Sur la piazza Colonna donne Ie palais Chigi :nbsp;nous y fumes en quelques instants. CoiAmencée d’après les dessins denbsp;Jacques de la Porie, continuée par Charles Maderne, cette superbenbsp;demeure fut achevée par Félix Della Greca; elle est encore occupéenbsp;par la familie Chigi, qui a donné ó Féglise Ie pape Alexandre VII. Lenbsp;premier étage présente des statues antiques dont on pourrait vanternbsp;Ie mérite si elles étaient plus décentes. Viennent ensuite de nombreu-ses peintures, parmi lesquelles on distingue la Sainte-Cécile, dunbsp;Guide; la Flagellation, du Guerchin; Notre-Seigneur chassant lesnbsp;'oendeurs du Temple, de Bassano; VAnge Gardien, de Pierre de Cor-lone, et une demi-figure de Saint-Pierre, qu’on croit du Domini-^uin. Dans les appartements du prince nous vimes plusieurs dessinsnbsp;nriginaux de Jules Remain, du Bemin, d’André Sacchi, conservés sousnbsp;''erre. A cólé est la bibliothèque oü se trouve le curieux manuscrit dunbsp;prophéte Daniel selon les Septante.
Quittant la place Colonne, après avoir salué de nouveau le grand Apótre qui la domine, nous gagnames rapidement le Monte-Cavallo. Anbsp;gauche de la Consulte, au fond d’une grande cour, le palais Rospi-SHosi développe ses belles facades. II rappelle trois cardinaux célè-bres ; le cardinal Scipion Borghèse qui le commenga d’après les dessins de Flaminio Ponzio; le cardinal Bentivoglio qui en fit I’acquisi-bon, et enfin le cardinal Mazarin, qui l’ayant acheté sous Louis XIIInbsp;le fit terminer par Charles Maderne. Partagé aujourd’hui entre la noblenbsp;lamille Rospigliosi et le prince Pallavicini, il rivalise avec les autresnbsp;par sa magnificence et par les chefs-d’oeuvre qu’il renferme. Dans
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Ie pavilion amp; gauche, brille sur la voute du salon la fameuse Aurore, du Guide, Ie plus célèbre ouvrage de ce grand maitre. La déesse estnbsp;rcprésentée semant des lleurs, suivie de Phosphore tenant une torche;nbsp;puis du Soleil sous la figure d’Apollon assis sur un char, trainé parnbsp;quatre coursiers de front, et environné de sept Nymphes qui dansentnbsp;autour du Père de la lumière. Le méme salon possède une statue antique de Diane et un cheval de bronze; mais le plus remarquablenbsp;morceau d’antiquité, c’est le buste de Scipion l’Africain. II se trouvenbsp;dans une pièce voisine, avec deux grands tableaux, Pun du Domini-quin, représentant Adam et Ève dans le paradis terrestre, et l’autrenbsp;de Louis Carrache, qui représente Samson faisant écrouler le templenbsp;des Philistins. Les gloires du musée sont un superbe vase de vert antique, un candélabre, différentes statues, et dix-huit fresques trouvésnbsp;dans les thermes de Constantin.
Du Monte-Cavallo, notre course artistique se dirigea vers le palais Madama. Comme nous ne tenions nullement a suivre la ligne droite,nbsp;nous trouvamp;mes bon de faire une courbe a gauche et de visiter en passant les églises de Saint-Ignace et du Gesü. C’est en 1626 que le cardinal Ludovisi, neveu de Grégoire XV, commen^a cette grande et bellenbsp;église dont le Dominiquin avait fait deux dessins différents ; de la réu-nion de l’un et de l’autre, le père Grassi, jésuite, forma celui qui anbsp;été suivi. L’église est une croix latine; le portail, en travertin, com-posé d’un double rang de colonnes corinthienne et composite, faitnbsp;honneur au ciseau de l’Algardi. Quant aux peintures de la voute, dunbsp;choeur et du premier autel ii droite, elles sont du père Pozzi, jésuite.nbsp;En général, on trouve quelque chose de lourd et de raauvais goütnbsp;dans Pornementation. Quoi qu’il en soit, les autels du transept sontnbsp;remarquables par leurs marbres précieux et par leurs colonnes torses,nbsp;plaquées en vert antique. Dans la chapelle il droite, appartenant h Ianbsp;familie Lancelotti, estun bas-relief de Legros, représentant saint Louisnbsp;de Gonzague, dont Pexécution ne laisse rien ii désirer. Sous Pautelnbsp;brille une chdsse revêtue de lapis-lazuli, dans laquelle repose le corpsnbsp;virginal du jeune Saint. Ce fut un vrai bonheur pour nous de nousnbsp;prosterner devant ce glorieux tombeau, d’oü semble s’exhaler je. nenbsp;sais quel parlum d’innocence et de sainteté qui réjouit délicieusementnbsp;le coeur du voyageur. Angélique jeune homme, fleur immortelle de lanbsp;Compagnie de Jésus et sa plus belle apologie, gloire de PÉglise ca-tholique, seule capable de produire de pareils miracles; modèle de lanbsp;jeunesse chrétienne, aimable Louis de Gonzague, obtenez, pour la jeu-nesse de ma patrie, 1'esprit sacré qui vous anima!
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Prés de la porie latérale, on s’arrête devant Ie magnifique tombeau de Grégoire XV, ouvrage aussi de Legros : il est touchant de voir re-Poser dans Téglise de Saint-Ignace, Ie Ponlife qui Ie canonisa. Lenbsp;(Collége romain touche a Féglise; mals nous ne voulümes pas y en-Irer dans la crainte de le voir en touristes : il sera 1 objet d’une visitenbsp;particulière. Disons seulement en passant que ce bütiment immensenbsp;Put élevé en 1582 par Grégoire XIII, sur les dessins de Barthcleminbsp;Attimonato.
Entre Saint-Ignace et le Gesü il y a si peu de distance et tant de i’apports, que Ton ne peut visiter 1’un sans entrer dans 1 autre. Unenbsp;des plus riches églises de Rome, le Gesü, a été, comme édilice, 1 objet de nombreuses critiques et de grandcs louanges : videant periti.nbsp;Vignole en donna le plan. Jacques de la Porte, son élève, l’exécuta ennbsp;y ajoutant la coupole et la facade, ornée de deux rangs de pilastresnbsp;d’ordre corinlhien et composite. Tout le contour de l’église est décorénbsp;de pilastres composites, de stucs dorés, de sculptures en marbre etnbsp;de belles peintures; mais la partie la plus riche, comme la plus re-marquable, est la chapelle de Saint-Ignace, construite sur les dessinsnbsp;du père Pozzi. Elle est ü gauche dans le transept. L’oeil se fixe d’a-bord sur le retable formé de quatre colonnes surmontées de lapis-lazuli et rayées de bronze doré, avec bases et chapiteaux du mèmenbsp;métal; les piédestaux des colonnes, la corniclie et l’entablement sontnbsp;de vert antique. Du milieu de la frise se détache un groupe de marbrenbsp;blanc représentant la sainte Trinilé; outre les figures, on admire lenbsp;globe, de lapis-lazuli, que tient le Père éternel : c’est le plus gros quinbsp;existe. Le tableau de Saint-Ignace, qui est du 'père Pozzi, s’harmonisenbsp;Doblement avec la statue du Saint, en argent massif, et de grandeurnbsp;naturelle. Le corps de Tillustre fondateur repose sous l’autel, dansnbsp;nne superbe chftsse de bronze doré, ornée de pierres précieuses, denbsp;ïtas-reliefs de bronze doré et de marbre représentant diverses actionsnbsp;du Saint. De chaque cóté de l’autel sont deux groupes de marbre,nbsp;Tne les uns trouvent admirables et les autres trop maniérés. L un re-présente la embrassée par différentes nations barbares; l’autre,nbsp;la Religion terrassant l’hérésie. Deux de nos compatriotes, Jean Teu-don el Legros, sont les auteurs de ces ouvrages. A Baccicio appartien-nent les peintures de la voute de la chapelle : on les regarde commenbsp;nne de ses meilleures compositions.
A la vue de cette chapelle si riche et si fréquentée, consacrée a un Saint dont le nom est depuis plusieurs siècles un signe de contradiction parmi les peuples, on est frappé de la miraculeuse puissance du
486 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
catholicisme qui, malgré les calomnies et les persecutions, sail assurer une gloire immortelle a ses nobles enfaiits. Puis au souvenir de lanbsp;prière de saint Ignace sollicitant, pour sa Compagnie, des croix con-tinuelles, on ne peut s’empêcher d’admirer la foi de ce grand Saint,nbsp;et de croire qu’il est bien pour quelque chose dans les tribulationsnbsp;incessantes qui composent la vie de ses disciples. A. cóté du maitrenbsp;autel repose l’un des glorieux Ills d’Ignace, Ie cardinal Bellarmin. Onnbsp;sait qu’il fallut un ordre formel du Saint-Père pour lui faire accepternbsp;la pourpre; et que Ie peuple de Rome ne l’appelait pas autrement quenbsp;Ie saint Cardinal. Sou tombeau, reinarquable par ses ornements denbsp;marbre, est dii au ciseau du Bemin. A l’église du Gesü est attenantenbsp;la maison professe de la Compagnie, résidence du général et des prin-cipaux supérieurs. L’affabilité, la piété, jointes a l’élévalion de Gesprit et ^ la variété des connaissances humaines, caractérisent Ie révé-rend père Rotbaan, général actuel.
II fallut nous rappeler la nature exclusivement artistique de nos investigations, pour ne pas succomber a la tentation de visiter TUniver-sité romaine, prés de laquelle nous passitmes avant d’arriver au pal-lazo Madama. La, place Saint-Eustache est environnée de trois monuments dignes de l’attention de l’archéologue, de l’artiste et dunbsp;Chrétien : je veux parler des Thermes de Néron, du palais Madame etnbsp;de l’église de Saint-Eustache. Prés des magnifiques Thermes d’A-grippa, oü il faisait ses voluptueux soupers a la lueur des flambeauxnbsp;et au bruit des symphonies, Néron conslruisit un édifice du mêmenbsp;genre, avec un luxe et un ralünement de sybaritisme qui faisait direnbsp;i Martial : On ne connail rien de plus mauvais que Néron et riennbsp;de meilleur que ses Thermes {i).
Pour suivre les progrès du siècle, Alexandre Sévère enchérit sur Néron. Non content d’agrandir les Thermes de son prédécesseur, il lesnbsp;éclaira pendant la nuit d’une multitude de flambeaux, afin que Ienbsp;peuple ne fut point obligé d’interrompre Ie cours de ses inqualifia-bles plaisirs. Dés lors, les Thermes prirent Ie nom du bienfaisantnbsp;empereur {%). Des colonnes, des marbres précieux altestent encore lanbsp;richesse et la grandeur de eet établissement, dont Ie nom se conserve
(gt;)
.......Quid Nerone pejus?
Quid Thermis melius neronianis?
Epigr., lib. vii, epigr. 33
(2) Addidit et oleum luminibus Thermarum, cum anlea non ante auroram patcrent, el ante soils occasum clauderentur.
Lamprid., In Alexand.
-ocr page 191-ÉGLISE DE SAINT-EUSTACHE. 187
dans celui de la petite église voisine de Saint-Sauveur-iw-JTjemts. Sur ces ruines Iristement monumentales s’élève aujourd’hui Ie palais Madame, qui doit son origine et son notn ^ Catherine de Médicis devenuenbsp;reine de France. Acheté par Benoit XIV, ilsert aujourd’hui derésidencenbsp;au gouverneur de Rome ; I’architecture, louée par les uns, critiquéenbsp;par les autres, ne manque ni de grandeur ni d’élégance : elle est denbsp;Paul Marucelli.
A quelques pas du palais et de l’üniversité, se trouvel’antique église de Saint-Eustache. Restaurée une première fois en 1196 par Ie papenbsp;Célestin III, elle l’a été de nouveau dans Ie dernier siècle sous la direction de l’architecte Antoine Canevari. Pourtant, il faut Ie dire, ce n’estnbsp;ni l’architecture, ni les peintures d’un mérite plus ou moins contesté,nbsp;ni la grandeur des proportions, qui peuvent expliquer la sollicitudenbsp;maternelle avec laquelle Rome conserve ce modeste édifice. Le voyageurnbsp;¦veut-il connaitre le secret de tant de soins empressés? ün regard sousnbsp;1’autel lui expliquera le mystère. Lè repose dans une urne antique,nbsp;merveille de ciselure, toute une familie de héros ; Eustache, généralnbsp;des armées d’Adrien, Théopista son épouse et leurs deux fils Théopistenbsp;et Agapet (i). Leurs noms sont connus de tous les chrétiens, car ilsnbsp;brillent d’un éclat particulier au milieu de tant de noms illustres dansnbsp;la grande armee des martyrs.
Commandant de la cavalerie roraaine ausiége de Jérusalera, Eustache se fit remarquer, par sa brillante valeur, de Trajan alors chef de lanbsp;dixième legion. Élevé plus tard au grade de général par son ancien compagnon d’armes devenu empereur, il combattait encore sous Adrien.nbsp;Vainqueur des ennemis de l’empire, il raroène a Rome son armeenbsp;Womphante et Adrien vent qu’il rende de solennelles actions de gracesnbsp;dieiix du Capitole. Eustache proteste qu’il ne doit de reconnaissance qu’au véritable Dieu des armées; et il refuse d’accomplir la vo-lonté du prince. Outre de cette résistance, Adrien invente un nouveaunbsp;supplice capahle.de venger sa majesté offensée et de frapper de terreurnbsp;les téméraires qui seraient tentés de méconnaitre ses ordres. Dans unnbsp;taureau de bronze chauffé jusqu’au rouge, il fait enfermer le bravenbsp;général, sa femme et ses enfants. L’odeur de ce sacrifice monlejusqu’aunbsp;ciel, et pendant que le Roi des martyrs couronne ses soldats, l’Églisenbsp;entoure de sa vénération leurs noms deux fois immortels. Avant denbsp;donner sa vie pour son Dieu, Eustache avait distribué ses richessesnbsp;aux pauvres ses frères (i). C’est dans sa maison que les chrétiens se
(I) M.1ZZ01., t. VI, p. ÖOi.
(*) Baron., Jnn., an. 103, n. 4; et an. 120, n. 4; et JVoI. ad Martyrol., 20 sept. n. B.
188 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
réunissaient pour célébrer leurs fraternelles agapes. En mémoire de ce fait, l’église qui lui est consacrée servil longlemps au méme usage. Unnbsp;ancien Rituel conlient encore la prière que Fasseinblée récitait en faveur du Chrétien généreux qui fournissait a ces repas, dont Ie but émi-nemment social était de montrer l’égalilé évaugclique de tous lesnbsp;hommes ; on ne manque pas d’y rappeler Ie nom et l’exemple de saintnbsp;Eustache (i). Comprend-on maintenant pourquoi Rome garde commenbsp;la prunelle de son ceil la petite église dans laquelle nous sommes? Goni-prend-on pourquoi elle est une des stations obligées du pèlerin catho-lique dans la Ville éternelle? Combien d’autres devraient aussi, pournbsp;Ie bonheur du monde, y venir méditer!
25 JANVIER.
Sainte-Marie-(!e-la-Paix.—Souvenir de Sixte V. — Sibylles de Raphael.—Palais Vidoni.
— nbsp;nbsp;nbsp;Pastes sacrés de Verrius Flaccus. — Palais Mallei. — Bustes des empereurs.—nbsp;Peinlures du Dominiquin. — Palais Corsini. — Ecce Homo, du Guercliin. — Peinluresnbsp;de Paul Veronese, du TiUen, etc. — Farnesine. — Église de Saint-André-deiia-Fu/ie.
— nbsp;nbsp;nbsp;Peinlures de la coupole par Ie Dominiquin.
Jour de la Conversion de saint Paul. Après avoir prié avec Rome, sur la tombe du grand Apótre, pour la conversion des Sauls trop nom-breux qui persécutent encore Jésus de Nazareth, nous reprimes notrenbsp;pèlerinage de la veille : décidément nous étions devenus touristes.nbsp;En cette qualité, nous travcrsanies rapidement Ie centre de la villenbsp;pour nous rendre de Ia Propagande ii Sainle-Marie-de-la-Paix. Sur Ienbsp;seuil de cette église, un grand souvenir vous attend. Au xvF siècle, Ienbsp;protestantisme avait parcouru 1’Allemagne la torche d’une main et Ienbsp;glaive de l’autre, en préchant la souveraineté individuelle; et desnbsp;guerres atroces avaient bouleversé l’Europe et jeté la division entre lesnbsp;princes chrétiens. Rétablir la paix, tel fut Ie but constant des grandsnbsp;papes qui occupèrent alors Ie siége de saint Pierre.
Quand Ie succès eut enfin couronné leurs efforts. Pie IV fit bUtir, en action de graces, une superbe église qu’il dédia è Notre-Dame-de-la-Paix ; Raphael Pimmortalisa par un chef-d’oeuvre de son pinceau.nbsp;Au-dessus de Pare de la première chapelle a gauche, depuis la cor-niche de I’église jusqu’au bas, brille comme une éloile dans Ie firmament, sa belle peinlure a fresque, représentant les sibylles de Cumes,
(i) Da, Domine, famulo luo N. sperata suffragia obtincre,ul quipauperes tuos in wa sancta Ecclesia recrcavit, sanctorum simul omnium et beati martyris Eustachii cl so-ciorumejus merealur consortia cujus nunc est exempla secutus; Per Christum, elc.
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de Perse, de Phrygie et de Tivoli. Heureuseraent que la critique piiri-taine, la critique de reaction janséniste, ne s’étaient pas encore fait sentir; nous aurions un chef-d’oeuvre de moins. Le maitre autel, exé-cuté d’après les dessins de Charles Marata, n’est point éclipsé par lanbsp;helle page de Raphael. Ses quatre colonnes de vert antique, ses sculptures, ses peintures en font un précieux ohjet d’art: il en est de mêmenbsp;de la coupole, de forme octogone d’un excellent goüt. Après avoirnbsp;salué en passant Sainte-Marie-rfe-r.4me, on entre au palais Vidoni.
Raphael lui-même en donna le plan. Au bas du grand escalier vous attend l’empereur Marc-Aurèle; noble concierge, dont la statue antique semble annoncer le monument qui attire dans ce palais le voya-geur archéologue : ici se conservent les Pastes sacrés, rédigés parnbsp;Verrius Flaccus. Trouvés ii Palestrine dans le siècle dernier, ces précieux fragments contiennent le calendrier remain pour les mois denbsp;janvier, mars, avril et décembre. Le cardinal Stapponi les avait dé-couverts, un autre prince de 1’Église, le cardinal Vidoni, les fit net-toyer, et chargea le professeur d’archéoiogie, Nibby, de suppléer lesnbsp;parties qui manquaient. Ainsi restaurés, les Pastes ont été publiés auxnbsp;frais du cardinal, en caractères rouges et noirs, pour distinguer cenbsp;qui est antique de ce qui est moderne. Verrius Flaccus, qui les rédi-gea, était un affranchi célèbre par son talent pour l’enseignement : ilnbsp;lenait une école très-fréquentée. Auguste le choisit pour précepteurnbsp;de ses petits-fils, et le fit venir dans la maison palatine avec toute sonnbsp;ccole, i» la condition seulement qu’il ne prendrait plus de nouveauxnbsp;disciples (i). Quant au calendrier, il révèle éloquemment 1’état desnbsp;•Hffiurs romaines; on y voit que les jeux publics occupaient plus desnbsp;^cux tiers de Pannée! A dix-huit siècles de distance, la même penséenbsp;®aiérialiste s’est reproduite dans noire calendrier républicain, commenbsp;peur établir que Phomme sans 1’Évangile est toujours le même. Anbsp;^ Église catholique seule il était réservé de spiritualiser chaque jour
l’année, en le dédiant è un saint.
Après avoir passé devant Sainte-Lucie, dans la rue des Botteghe oscure, on se trouve au palais Mattel. La régularité des proportions,
beauté de l’architecture, la richesse des galeries lui assignent une place distinguée parrai les demeures princières de la Ville éternelle.
a cour et le vestibule sont ornés de bas-reliefs, de bustes et de statues antiques. Sur les repos du grand escalier on voit deux sieges de Oiarbre trouvés au Mont-Coelius, prés de Péglise d,es Saints-Jean et
17.
(0 Suet., de Illust. Grammat.
-ocr page 194-190 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
Paul; une chasse en relief de l’empereur Commode, les statues de Pallas, de Jupiter et de l’Abondance. Sur Ie perron qui communiquenbsp;au premier étage est Ie buste antique d’Alexandre Ie Grand; en vousnbsp;penchant sur Ie balcon, tous apercevez, incrustés dans les murs de lanbsp;cour, la chasse de Méléagre et les bustes d’Antonin, d’Adrien, denbsp;Marc-Aurèle, de Sévère, de Vérus et de Commode. Au premier salonnbsp;figurent deux portraits peints par David et Vandyck, et Ie Saint-Bo-naventure du Tintoret; dans une autre piece divisée en trois compar-timents on voit une première voute peinte a fresque, et une seconde ennbsp;clair-obscur par Ie Dominiquin : ces ouvrages du meilleur goüt sontnbsp;dignes du peintre de Saint-Jéróme.
Traversant Ie Tibre par Ie Ponl-Sixte, nous arrivames au palais Cor-sint, oeuvre capitale de Farchitecte Fuga. Ici se trouvent des trésors d’art et de littérature; mais ici, comme ailleurs, on deplore Ie sensualisme païen qui déshonore la renaissance et qui vous fait baisser lesnbsp;yeux. Dans la galerie que précédent deux antichambres ornées de bas-reliefs antiques, on s’arrête d’abord devant Ie sublime Ecce Homo,nbsp;du Guercbin; puis Fadmiration est tour a tour sollicitée par la Pré-sentation au temple, de Paul Véroncse, et par le Lever du soleil, denbsp;Berghem. Viennent ensuite les Portraits de Jules 11, de Raphael; denbsp;Philippe n, du Titien ; le Lapin, d’Alber Durer; la Vie du soldat ennbsp;douze tableaux, de Callot; VAnnonciation, de Micbel-Ange; FFJero-diade, du Guide; deux Cardinaux, du Dominiquin; une Vierge, denbsp;Murillo; une Chasse aux tigres, de Rubens; le Crucifiement de Saint-Pierre, du Guide, et bien d’autres ouvrages oü rien ue manque, sinonnbsp;Finspiration vraiment chrétienne et le chaste reflet de la beauté sur-naturelle.
La bibliothèque est riche surtout en manuscrits et en éditions do XV® siècle; la collection des estampes tient le premier rang pour lenbsp;nombre et le cboix. Une villa délicieuse touche au palais, et s’étendnbsp;sur la pente rapide du Janicule ; du Casino, placé au sommet, la vuenbsp;de Rome est compléte. C’est ici que Vasari se plaga pour tracer sonnbsp;plan de la ville, et ii semhle que Martial dessinait le même point denbsp;vue, lorsqu’il chantait: liinc septem dominos videre montes, et totantnbsp;licet astimare Romam.
En face du palais Corsini est la Farnésine. BStie par le fameux Augustin Chigi, banquier de Léon X, cette cassine dépose et de lanbsp;somptuosité du maitre et de son gout pour les arts. Les voutes desnbsp;salons sont ornées de peintures fort peu édifiantes de Raphael et denbsp;ses élèves.
-ocr page 195-PALAIS FARNÈSE. 191
Rentrés en ville, nous voulunies visiter en amateurs ia belle église de Samt-Xndvé-della-Valle, que nous avinns déja plusieurs fois fré-quentée comme chrétiens. Elle s’élève sur les ruines de la scène dunbsp;thé4tre de Ponipée, et attire l’attention, soit par sa majestueuse fagadenbsp;de travertin ornée de deux rangs de colonnes d’ordre corinthien etnbsp;composite, et enrichie de statues d’un grand prix; soit par sa cou-pole, une des plus élevées et des plus larges qu’il y ait a Rome. Lesnbsp;peintures qui la décorent passent pour un des meilleurs ouvrages denbsp;Lanfranc. Les quatre évangélistes qu’on voit aux pendantifs de la cou-pole, et les peintures de la voute du chffiur représentant divers traitsnbsp;de la vie de saint André, sont des ouvrages classiques du Dominiqum.nbsp;Parmi les chapelles latérales, on remarque surtout la première ii droitenbsp;en entrant, toute revêtue de marbres rares et ornée de statues, de buitnbsp;colonnes de vert antique, et d’un bas-relief placé sur 1’autel, sculpténbsp;par Antoine Raggi.
Ce que nous avons vu h Saint-André-della-Valk, è Sainte-Marie-de-la-Paix, se retrouve avec quelques varianles dans la plupart des autres églises de Rome. Partout les arts ont cherché un abri protecteur ènbsp;l’ombre des sanctuaires du catholicisme : la reconnaissance et l’in-stinct même de la conservation leur en faisaient un devoir. On sait,nbsp;hélas! ce qu’ils sont devenus et ce qu’ils ont fait, lorsque, oubliantnbsp;leur origine et leur mission, ils ont quitté l’asile paternel et cbercbénbsp;fortune ailleurs : en peignant l’bistoire de l’Enfant prodigue, ils ontnbsp;écrit leur propre histolre.
26 JANVIER.
l*sl.iis Farnèse. — Fontaines. ^—Portique. — Sculptures, Peintures. — Trioraphe des I^ouiains.—Descriplion du triomphe de Titus. — Itinéraire des iriomphaieurs.—nbsp;Fin du Triomphe. —Reflexions.
Rome avait célébré hier la Conversion de saint Paul. Le souvenir du sublime prisonnier de Jésus-Christ parcourant la ville de Néron, en-uhatné par le bras au prétorien chargé de le garder, nous donna l’idéenbsp;de reconnaitre et de suivre la marche des triomphateurs conduisantnbsp;uu Capitole des peuples d’esclaves attachés ii leur char; voir ce qu’étaitnbsp;e monde au moment oii les prédicateurs de FÉvangile se laissaientnbsp;ch.arger de fers pour briser les siens, nous offrait ce jour-lii un intérêtnbsp;Particulier. Ajoutez que nous finissions 1’étude de Rome païenne;nbsp;Pouvions-nous mieux la terminer qu’en décrivant un spectacle oü elle
-ocr page 196-19^ nbsp;nbsp;nbsp;LES TBOIS ROME.
se résumé tout entière? Chemin faisant nous payames au palais Far-nèse notre dernière dette artistique.
Avec sa place disposée pour lui, et ornée de deux abondantes fon-taines dont les cuves de granit égyptien, trouvées aux Thermes de Caracalla, sont les plus larges que l’on connaisse (i); avec ses rues la-térales et régulières, Ie palais Farnèse est ie plus beau palais de Rome.nbsp;Tous les connaisseurs l’admirent comme Ie veritable type de l’archi-tecture romaine, différente par son gout pur et fier de la rudesse flo-rentine et de l’architecture d’apparat des palais de Naples et de Gênes.nbsp;Commencé par Paul III de la maison Farnèse, encore cardinal, il futnbsp;achevé par son neveu Ie cardinal Alexandre. Trois architectes du premier ordre travaillèrent a ce chef-d’oeuvre : Antoine San Gallo en fitnbsp;Ie plan et éleva les facades extérieures; Ie premier étage de la cour estnbsp;de Vignole, et Michel-Ange vint couronner l’édifice de son majestueuxnbsp;entablement. Le travertin de la cour provient de pierres tombées dunbsp;Colisée, qui ne fut point déraoli par Paul III, comme on Fa injuste-ment prétendu, pour bdtir le palais; puisque ce Pontife se montranbsp;toujours très-zélé pour la conservation des anciens monuments. Nenbsp;sait-on pas qu’un de ses premiers actes fut de créer le savant Latinusnbsp;Juvenal Mannetto commissaire général des antiquités de Rome, avecnbsp;des pouvoirs très-étendus? Depuis les ouvrages des Remains il n’anbsp;rlen été construit de plus parfait que cette cour; elle peut même riva-liser, pour la majesté de ses proportions et 1’excellence du travail,nbsp;avec les premiers monuments du peuple-roi. Le palais appartient au-jourd’hui a la maison royale de Naples, devenue hérilière de tous lesnbsp;biens de la familie Farnèse.
Du portique tourné vers la place, on entre dans un magnifique vestibule orné de douze colonnes de granit égyptien. Li se trouve le grand sarcophage de marbre de Cécilia Métella, femme de Crassus,nbsp;dont nous verrons le mausolée sur la voie Appienne. L’Hercule Farnèse, le gróupe de Dircé et les autres chefs-d’oeuvre de statuaire antique dont ce palais était rempli, ont été transportés a Naples. Ünnbsp;vaste escalier de marbre conduit a la galerie peinte par Annibal Car-rache, aidé d’Augustin son frère et de plusieurs de ses élèves. Lesnbsp;fresques, dont les voules sont ornées, passent aux yeux des artistesnbsp;mondains pour avoir beaucoup de mérite; elles représentent dans lenbsp;goüt de la renaissance les divinités etlesfaits de la Mythologie païenne.nbsp;C’est dire assez que le peintre chrétien se gardera de les louer sausnbsp;faire de larges et trop justes réserves.
(1) Elles ont seize piods de diamètre et six pieds de profondeur.
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Du palais Farnèse nous nous dirigeames vers Ie Pont-Saint-Ange et Ie quartier du Vatican. Au dela du móle d’Adrien, entre Ie Monte-Mario, Ie Vatican et la ville s’étendait Ie territoire du Triomphe,nbsp;Territorium triomphale, dont Ie centre est occupé de nosjours par l’é-glise de Sainte-Marie-TrasponZiwa, et par File de maisons qui Fenvi-ronne. Cette plaine, si fameuse dans Fhistoire de Forgueil de la vieillenbsp;Rome et des humiliations du genre humain, était destinée aux apprêtsnbsp;de la pompe triomphale. Lors done qu’un général avait raraené auxnbsp;portes de la ville ses légions victorieuses, Ie sénat s’assemblait pournbsp;délibérer s’il méritait les honneurs du triomphe. Afin d’eii être jugénbsp;digne, il fallait avoir pris des villes d’assaut, gagné des batailles ran-gées, fait un certain nombre de prispnniers, agrandi Ie territoire denbsp;de la république, n’avoir point essuyé de défaite dans la même campagne, avoir tiré tout Ie parti possible de la victoire et tué au moinsnbsp;cinq mille ennemis (i).
Le prétendent devait annoncer ses victoires au sénat par une lettre enveloppée de lauriers; lui-même venait. plaider sa cause devant lesnbsp;Pères Conscrits, si, au moment de son retour, la question n’était pasnbsp;encore décidée. Pour Fentendre et délibérer, les sénateurs se rendaientnbsp;dans un temple hors de la ville, paree qu’aucun candidat ne pouvaitnbsp;entrer dans Rome, ni franchir Fenceinte du Pomoarium, sans perdrenbsp;aussilüt tous ses droits au triomphe : tant la fiére cité se montrait ja-louse de son indépendance (2). Si la demande était accueillie, on s’em-pressait de faire les dispositions du spectacle le plus tristement magni-fiqne dont Foeil humain ait jamais été frappé.
Afin d’y assister nous ouvrimes Fhistorien Josèphe que nous avions ^ la main. Témoin oculaire, il raconte en ces termes le triomphe denbsp;iRus, trainant a son char la Judée captive. De rendre Fimpressionnbsp;produite par celte lecture sur les lieux mémes ou les épouvantahlesnbsp;‘^btdiments annoncés par les prophètes au peuple déicide étaient venus
consommer,je ne veux pas Fentreprendre. Quiconque veut Féprou-'er dans sa plénitude doit aller a Rome et faire ce que nous fimes. Au ï'este, en lisant la description du triomphe de Titus, on peut juger denbsp;^ous les autres ; c’étaient le même ordre, les mêmes cérémonies, lanbsp;^ênie foule, la même ivresse, d’une part; les mêmes larmes de Fautre,nbsp;la même fin, Fesclavage dela mort.
« Longtemps avant Faurore la ville enlière était en mouvement: les *¦008 étaient sillonnées en tous sens par des masses de peuple qui
(O \aler. Max., ii, 8.1.
Suet.,Ca;s.,18.
quot;194 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
criaient : lo triumphe! lo triumphe! öès la pointe du jour toutes les légions, sans armes, vêlues de tuniques de soie et couronnées de laurier,nbsp;s’approchèrent en bel ordre des portes de la \ille : un splendide banquet leur fut donné par Vespasien et Titus, suivant la coulurae desnbsp;triomphateurs. Les deux princes eux-mêmes, après avoir présidé Ienbsp;sénat dans Ie portique d’Octavie et regu les félicitations de tout Ienbsp;monde, se rendirent a la porte triompbale; lii, ils y prirent leur repas,nbsp;offrirent un sacrifice aux dieux et revêtirent les ornements du triom-pbe ; Ie cortége se mit en marcbe. On y voyait régner ce bon goüt quinbsp;salt faire valoir les choses par leur simple disposition et qui prévientnbsp;la fatigue et l’ennui par l’ordre établi au milieu de la profusion.
» En tête parut une quantité prodigieuse d’ouvrages exquis en or, en argent et en ivoire, avec des étoffes et des vêlements de pourpre,nbsp;rehaussés de diverses couleurs a la raanière des Babyloniens.
» Venaient ensuite les pierres précieuses en nombre incalculable; les unes enchissées dans des cercles d’or formaient de brillantes cou-ronnes; les autres, disposées avec art sur de riches étoffes, charmaientnbsp;la vue par leur éclat et leur variété ; elles semblaient passer devantnbsp;les yeux, non comme une représentation théatrale, mais comme lesnbsp;flots d’un fleuve abondant. Tous ces objets étaient portés par des lé-gionnaires vêtus de tuniques de pourpre brochées d’or.
» Au trolsième rang paraissaient les statues des dieux, en or, en argent, en bronze et en ivoire : on les comptait par centaines, et toutesnbsp;étaient d’un travail exquis et d’une merveilleuse grandeur.
» Après les dieux s’avangait toute une armée d’animaux de diffé-rentes espèces, dont les uns, tels que les élépbants et les dromadaires, étaient couverts de magnifiques ornements.
» A leur suite marchait tristement l’immense multitude des pri-sonniers, l’oeil morne, la tóte baissée, et dérobant aux spectateurs sous des vêtements d’emprunt les fers qui attachaient leurs mains.
» Bientót tous les regards se portèrent avec admiration sur les si-mulacres des villes conquises. Telles étaient leurs dimensions qu’oD pouvait craindre de voir fléchir sous Ie poids les nombreux soldats quinbsp;les soutenaient sur leurs épaules. Toutes les faces, encadrées d’or ounbsp;d’ivoire et couvertes de riches étoffes, étaient ornées de peintures quinbsp;représentaient au vif les batailles, les ravages des champs, Ie renver-sement des murailles, l’incendie des édifices et surtöut l’horrlble sacnbsp;de Jerusalem avec toutes les phases atroces de cette guerre d’extermination.
» Suivaient les dépouilles opimes dont Ie nombre et la richesse ne
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DESCRIPTION DO TRIOMPHE DE TITUS.
Peuvent s’estimer. Au premier rang on voyait vingt-cinq statues d’ai-rain représentant Abraham, Sara et les rois de la familie de David; venaient ensuite les objets sacrés pris dans le temple de Jérusalem,nbsp;portés sur de riches brancards par des légionnaires couronnés de laurier magnifiquement vêtus. C’étaient entre autres la table des Painsnbsp;de Proposition, en or massif et pesant plusieiirs talents, les trompettesnbsp;du Jubilé, les voiles du temple, et le chandelier d’or auxsept branches.nbsp;Portée sur un magnilique brancard, la loi des Juifs, qui était la der-nière dans l’ordre des dépouilles, fermait le cortége.
» Immédiatement après marchait, enchainé et vêtu d’une robe noire, •le principal chef des Juifs pendant le siége de Jérusalem : c’était Si-ruon, fils de Gioras. II était destiné au supplice après avoir, suivantnbsp;1’usage, orné le triomphe des vainqueurs.
» Les statues de la Victoire, en ivoire et en or, précédaient les deux chars dorés des triomphateurs. Le premier était monté par Vespasien,nbsp;le second par Titus. Pour les Remains, fidèles a donner un caractèrenbsp;religieux a leurs fêtes, le vainqueur au jour du triomphe représentaitnbsp;Jupiter ; il était le Dieu de la terre. En conséquence, il portait la tu-nique du roi de FOlympe, et se teignait le corps en vermilion, pareenbsp;que c’était avec cette couleur qu’on enluminait la figure de Jupiternbsp;Capitolin; I’attelage même du char, presque toujours composé denbsp;quatre chevaux blancs, était un attelage sacré réservé au maitre desnbsp;dieux, et dont nul ne pouvait se servir qu’en vertu d’un décret dunbsp;sénat (i). » Titus était sur son char, debout, la figure et les bras en-luminésde vermilion, vêtu d’une tunique de pourprebrodée de palmesnbsp;d’or; les bras ornés de bracelets militaires, et la tête ceinte d’une cou-Fonne de laurier. D’une main il tenait une palme également de laurier;nbsp;et, de I’autre, un sceptre en ivoire surmonté d’une aigle. En un mot,nbsp;11 avait un costume semhlable a celui de Jupiter très-bon ettrès-grand,nbsp;ct qui, conservé dans le Capitole, servait depuis des siècles a parernbsp;tous les triomphateurs que Rome avait vus lui apporter le tribut de leurnbsp;gloire : car aucun citoyen ne possédait un pared costume en pro-priété (2). Son char d’ivoire et de bronze doré rehaussé de pierreries,nbsp;était entièrement rond, ouvert par derrière, et tiré par quatre magni-fiques chevaux blancs, attelés de front et portant une branche de laurier sur le cóté de la tête. Des citoyens couronnés d’olivier, vêtus denbsp;foges blanches, marchaient è pied prés des chevaux qu’ils condui
te
(•) Tit.-Liv., X, 7; Plin., liv. v, 23; Plutarch., in Cumill., t4. — Nous avons coinplété
récit de Josèphe par divers délails emprunlés aux auteurs païens.
(2) Jul. Capitol. in Gordian., 4.
'196 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
saient avec des rênes dorées. Derrière Ie triomphaleur, sur l’escalier du char, était 1’esclave chargé de lui redire : « César, souviens-toi quenbsp;tu es homme : » Cwsar, hominem te esse memento. A cóté de Titusnbsp;marchait Domitien son frère, magniüquement vètu et monté sur unnbsp;cheval d’une ravissante beauté (i).
L’armée suivait Ie char, et faisait retentir les airs des chants de vic-toire mêlés de quelques traits satyriques contre son général. Des mil-liers de spectateurs avides encombraient les rues, les places, les por-tiques, les forum, tous les lieux par oü la pompe devait passer, et mêlaient leurs bruyantes acclamations a celles des soldats.
Nous suivimes l’itinéraire du cortége depuis Ie Territorium Trium-phale jusqu’au Capitole. II entra dans la ville par la porte Triomphale, située sur les hords du Tibre, au lieu méme occupé de nos jours parnbsp;VHópital du Saint-Esprit. Après avoir franchi Ie pont, il atteignit lanbsp;pointe du Champ de Flore, oü se trouve l’église de Saint-Ange-fw-Piscina. De lè, décrivant une légere courbe, il gagna Ie Yélabre, traversa Ie Forum Boarium, longea Ie Grand Cirque, tourna sur la gauchenbsp;par les Curias veteres, entre Ie Coelius et Ie Palatin, descendit la voienbsp;Sacrée, et arriva sur Ie Forum Remain qu’il parcourut dans toute sanbsp;longueur; puis, prenant ü gauche Ie Clivus Capitolinus, il monta aunbsp;Capitole oü se termina la marche.
Au moment oü Ie char quitta Ie Forum pour gravir la redoutable montagne, tout Ie cortége s’arrêta : il se fit un grand silence, et tousnbsp;les yeux se fixèrent sur Simon. Les licteurs Ie firent sortir des rangsnbsp;et l’entrainèrent vers la droile du Forum, oü il fut battu de verges;nbsp;puis, tout couvert de sang, on Ie précipita dans l’horrible prison Ma-mertine, oü la mort l’attendait. Quand il eut cessé de vivre, les Con-fecteurs lui passèrent une corde au cou, trainèrent son cadavre surnbsp;les degrés des Gémonies et Ie jetèrent dans Ie Tibre.
Pendant l’exéculion, Titus s’avan^ait lentement vers Ie temple de Jupiter. Comme il était presque nuit, des esclaves amenèrent quarantenbsp;éléphants chargés de candélabres, et Ie cortége acheva sa marche a lanbsp;lueur de mille flambeaux. Arrivé sur la plate-forme, Ie triomphateurnbsp;descendit de son char, et, suivant l’antique usage, il monta a genou-vnbsp;les degrés du temple (2). 11 entra dans Ie superbe édifice, dont lesnbsp;portes étaient parées des armes des vaincus, et attendit qu’on vint luinbsp;annoncer que Simon et les autres captifs avaient cessé de vivre. Bien-
(0 Josephe, de Bello Jud., lib. vu, c. 17,18,19,20; Crsvius, Thesaur. Anl. Rom., t. ixgt; p. 1561.
(2) Dio., lib. XLiii, p. 254; Suet., in Cces., 57.
FIN DU TBIOMPHE. nbsp;nbsp;nbsp;197
tót parut un licteur qui prononQa Ie mot fatal, usité en pareille cir-constance : Actum est: C’est fini. » A ce mot toute l’assemblée fit retentir Ie temple de ses applaudissements, et ïitus pénétra dans Ienbsp;sanctuaire de Jupiter, oü il fit ó haute voix la prière suivante ; « Ju-» piter très-bon et très-grand, Junon, reine des immortels, et vousnbsp;» tous, dieux et déesses, habitants et gardiens de ce temple, je vousnbsp;» rends graces, avec la joie la plus vive, de ce que vous avez bien voulunbsp;» permettre qu’aujourd’hui, qu’a cette heure, la république romainenbsp;» se trouvót conservée et sa prospérité augmentée par mes mains;
» daignez, je vous en supplie, continuer ó lui demeurer propices, a » la protéger, a veiller a sa conservation (i). »
Alors il s’approcha de la statue de Jupiter, sur les genoux de la-quelle il déposa une branche de laurier, puis ótant sa couronne il la dédia au dieu avec quelque partie du butin. Les sacrificateurs amenè-rent les victimes; Titus immola lui-même un boeuf, les prêtres ache-vèrent les sacrifices, et la journée se termina par Ie splendide banquetnbsp;que les triomphateurs offrirent, suivant l’usage, au sénat et a leursnbsp;amis, dans Ie Capitole, sous les portiques mêmes du temple.
De son cóté Ie peuple se retira dans les maisons pour se livrer a toute l’ivresse de la joie; car les jours de triomphe Rome entière étaitnbsp;en fête, et il n’y avait personne qui n’eüt un festin préparé cbez lui (2).nbsp;C’était Ie triomphateur ou plutót c’étaient les nations vaincues et dé-pouillées qui en faisaient les frais. Josèphe ne nous a pas dit quellesnbsp;furent les largesses de Titus. Pour suppléer ó son silence, nous allonsnbsp;faire connailre les présents que César fit au peuple après un de sesnbsp;triomphes : on jugera des Remains. A chaque fantassin des vété-rans, 409 francs: ó chaque cavalier, 4,910 francs. Beaucoup re^urentnbsp;aussi des terres, les autres soldats furent gratifies dans la même proportion. II n’oublia pas non plus Ie peuple : chaque citoyen eut 86 litres de blé, 10 livres d’huile, 61 francs d’argent, puis 100 autres,nbsp;comme intérêt de cette largesse promise depuis longtemps. Enfin Césarnbsp;paya une année de loyer a tous les citoyens dont la location ne dépas-sait pas 400 francs a Rome, et 100 pour ITtalie. II fit une distributionnbsp;de chair crue, prolongea pendant plusieurs jours Ie repas qu’un triora-phateur offre ordinairement au peuple, et y traita toute la ville et sesnbsp;environs d’une seule fois, en vingt-deux mille tables, servies avec unenbsp;lelie magnificence, qu’on y prodigua Ie vin de Falerne par amphores
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Blond. Flav., Rom. Triumph., x, p. 216.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Josèphe, id., id., c. 18.
T. II.
198 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
et Ie vin de Chio par tonneaux (i). Malgré toutes ces largesses, il ntit encore dans les trésors de l’empire plus de cent vingt-deux millions (2).
En presence de ces fails prodigieux, debout sur les lieux mênies qui en furent Ie ihéatre, je laisse a penser ce que peut, ce que doit éprou-ver Ie voyageur. Homme, votre coeur se serre en suivant pas a pas lesnbsp;longs circuits de cette voie douloureuse, humide de sang et de larmes,nbsp;par oü passèrent tour a tour les peuples de FOrient et de FOccident,nbsp;mutilés, dépouillés et encliainés au char triomphal de Forgueil et denbsp;la cruauté romaincs; chrétien, vous chercfiez une église pour allernbsp;exprimer toute votre reconnaissance au Dieu libérateur dont la croixnbsp;brisa Ie sceptre de fer qui pesait sur Ie monde : homme et chrétien,nbsp;au souvenir de ce que nous étions, de ce que nous serions encore, onnbsp;ne trouve point de parole pour qualifier ceux qui dans leur délirenbsp;impie osent outrager le christianisme auquel nous devons tout ce quenbsp;nous sommes.
27 J.\NVIER.
Consistoire public au Valican. -
¦ Cinq cardinaux do plus. -Anecdote.
- Tradition du chapeau. —
Une autre fete triomphale nous appelait au Vatican. Hier, nous avions vu la vieille Rome exaltant jusqu’au paroxisme Forgueil de sesnbsp;triompbateurs; aujourd’hui il nous était donné de voir la Rome chré-tienne enseigner a ses princes Fabnégation et Fhumilité Ia plus complete. Au Capitole, un esclave était obligé de répéter au vainqueur :nbsp;« Souviens-toi que tu es homme. » Au Vatican, le vicaire de Jésus-Christ disait aux princes nouvellement élus : Souvenez-vous que vousnbsp;devez vous dévoucr pour les hommes vos frères, jusqu’d l’ejfusionnbsp;du sang inclusivement. Cinq cardinaux, créés quelques jours aupara-vant par Grégoire XVI, recevaient aujourd’hui le chapeau rouge, signenbsp;mystérieux de leur dignité. Voici quelques détails sur cette augustenbsp;cérémonie, si différente par son esprit des pompes de la veille.
Le salon ducal du Vatican était magnifiquement orné; dans le fond s’élevait le tróne sur lequel le Saint-Père était assis, ayant è droite et
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Suet., in Cces.; Dio,, xun, 234; Appian., de Bello civ., liv. u, p. 803; Patercul., 11,nbsp;36; Tit.-Liv., ut, 29; Varr. R. R. m, 2; Plutarch., in Lueull, 76; in Cces., 71; Plin.,nbsp;lib. XIV, 13.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Patercul., n, 56; Appian., de Bell. civ., 802.
199
CONSISTOIRE PUBLIC AU VATICAN.
i gauche Ie sacré Collége; a l’entrée de la salie se tenaient les nouveaux élus : nous assistions ^ un consistoire public. Un des Protonotairesnbsp;apostoliques lut quelques pièces relatives ii la béatiflcation d’un saint,nbsp;dont j’ai oublié Ie nom. La lecture achevée, les récipiendaires vincentnbsp;tour i tour se prosterner aux pieds du Souverain Ponlife, qui les em-brassa et leur posa sur la têle Ie cbapeau cardinalice, en pronongantnbsp;cette remarquable formule : « Recevez ce chapeau rouge, signe de lanbsp;dignité du cardinalat, et qui vous oblige a vous dévouer pour Ie biennbsp;de FÉglise et des fidèles jusqu’a reffusion du sang inclusivement (i). »nbsp;Le Saint-Père ne fit que poser Ie chapeau sur la tête de chaque cardinal, et il le remit au Maitre des cérémonies ; le soir on devait le porternbsp;solennellement aux nöuveaux princes de FÉglise.
Avant de parler de cette brillante féte, je dois ajouter que, dans un consistoire secret, le Saint-Père ferme la louche aux cardinaux qu’ilnbsp;vient de créer; cela signifie qu’ils n’ont pas encore voix délibérativenbsp;dans les assemblées du sacré Collége; plus tard, il leur ouvre lanbsp;louche; c’est-ii-dire qu’après avoir consulté les anciens cardinaux, ilnbsp;déclare les nouveaux élus habiles è voter avec leurs collogues (2). No-viciat et profession, enseignement ulile a tous, voilé ce qu’il faut voirnbsp;dans cette double cérémonie. Toutefois la promotion n’est completenbsp;que par la tradition de Fanneau et la désignation du titre. Le cardinal absent de Rome doit jurer, en recevant la barrette, de se rendrenbsp;dans le délai d’un an ad limina apostolorum, sous peine de perdrenbsp;sa dignité (3).
Les cinq cardinaux élus étaient leurs Éminences: Acton, Vanicelli, Corsi, Schwarzemberg, nevcu du généralissime des troupes autri-chiennes en 1814, et Me^ Massimo. Ce dernier appartient a la familienbsp;des princes Massimo, une des plus illustres de Rome et qui prétendnbsp;descendre de Falius Maximus. On nous racontait é ce propos Fanec-dote suivante. Lorsque Fempereur d’Autriche vint a Milan, il y a quelques années, prendre la couronne de fer, le Saint-Père envoya unenbsp;députation pour le complimenter. Le prince Massimo, aujourd’hui
(0 Ad laudem omnipoienlis Dei, el sanctae sedes Apostolicae ornanientum, accipe Ga-terum rubrum, insigne singularis dignitatis Cardinalalus, per quod designatur, quod usque ad morlem et sanguinis effusionem inclusive pro exaltalione sancta; iidei, pace,nbsp;ct quiete populi chrisliani, augmento et statu sacrosancta3 romanos Ecclesias te intrepi-i^um exhibere debeas, in nomine Patris, etc.
(a) Aperinius vobis os, tam in collationibus, quam in consiliis, atque in eleclione summi Pontificis, et in omnibus actibus, turn in consistorio quam extra, qui ad cardi-uales spectant, et quos solili sunt exercere, in nomine, etc.
(!) Constit. de Sixte V. Postquam, etc.
-ocr page 204-200 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
cardinal, en faisait partie. On avail parlé a l’Empereur de la préten-lion de cette familie : « Je suis curieux, dit Ie prince, de voir un descendant des anciens Romains. » A l’audience, il s’adressa a Mequot;' Massimo et lui dit : « Votre familie prétend remonter jusqu’a Fabius Maximus; cette généalogie est-elle bien cerlaine? — Tout ce que jenbsp;peux dire a Votre Majesté, répondit l’ambassadeur, c’est qu’on Ie croitnbsp;è Rome depuis deux mille ans. »
Pendant que Ie sacré Collége se rendit a la chapelle Sixtine pour chanter Ie Te Deum en action de graces, nous quittames Ie Vatican.nbsp;La physionomie de la ville annongait l’approche d’une féte. Dans tousnbsp;les pays, a la naissance des princes, arbitres futurs des destinées desnbsp;peoples, il se fait de grandes réjouissances. Ici, les cardinaux sont lesnbsp;princes du sang, et ce soir il en naissait cinq! A ïAve Maria vousnbsp;auriez vu les édifices illuminés, des orchestres nombreux devant lesnbsp;palais des nouveaux princes, un peuple immense dans les rues et surnbsp;les places, de brillants équipages sillonnant la foule et conduisant lesnbsp;ambassadeurs, les princes, tout ce que Rome comptait d’étrangers denbsp;distinction, a la demeure des cardinaux, auxquels on allait olfrir desnbsp;félicitations et des hommages. Grüce a Msquot; de B... nous fumes de lanbsp;fête, et nous visitiimes successivement les cinq élus du sacré Collége
Rien de plus brillant que I’iHumination de leurs palais. Les dessins les plus variés et les plus gracieux charmaient la vue et faisaient croirtnbsp;i quelqu’une de ces féeries du moyen age. Un escalier vraiment royal,nbsp;couvert de riches tapis, éclairé par une double ligne de cierges denbsp;quatre pieds de hauteur, et d’une grosseur proportionnée, conduisaitnbsp;au Piano nobile, ou premier étage du palais. Entre deux hales de la-quais et de suisses en grande livrée rouge, bariolée de blanc et denbsp;bleu, tenant i la main des cierges gigantesques, on arrivait au seuilnbsp;des salons. Le cardinal ne porte, ce jour-la, d’autre insigne de sa nouvelle dignité que la calotte rouge. Le reste du costume se composenbsp;d’un habit noir ^ la frangaise, d’un petit manteau de soie de Ia mêmenbsp;couleur et de la même longueur que l’habit; d’une culotte courte etnbsp;de bas noirs. II est la sur la porte de son appartement, debout, le chapeau il la main : vous arrivez, il vous salue, vous adresse quelquesnbsp;mots; vous passez plus loin, et vous prenez part ii la conversationnbsp;générale; pour lui, il reste a son poste : ainsi le veut l’usage qui luinbsp;défend également de s’asseoir pendant toute la soirée. Au salon dunbsp;cardinal succède la salie du tróne; c’esl une pièce richement décorée,nbsp;oft se trouve de rigueur le portrait du Saint-Père. Au bas du portraitnbsp;et tourné vers le mur est un grand fauteuil exclusivement réservé aunbsp;Souverain Pontife.
-ocr page 205-SECONDE PARTIE DU TRIOMPHE. 201
Cependant on attendait avec impatience Ie chapeau qui devait être apporté en grande pompe. Vers les sept heures une voiture du papenbsp;sortit du Vatican; elle conduisait les deux prélats domestiques chargésnbsp;de remettre l’insigne du cardinalat. Ils entrèrent, poriant Ie chapeaunbsp;sur un plat d’argent, et l’ayant déposé sur une table derrière laquellenbsp;était Ie cardinal, un des Prélats lui fit une allocution pleine d’a-pro-pos. Le nouvel élu répondit, et relt;;ut, après Ie départ des gracieuxnbsp;messagers, les félicitations de toutes les personnes présentes, auxquellesnbsp;on ofFrit des glacés, qui nous semblèrent de saison, bien qu’on fut aunbsp;coeur de l’hiver. Remarquable par le bon gofit et la noble simpliciténbsp;avec laquelle elle fut conduite, cette fête, comme la plupart des solen-nités romaines, a le privilége d’élever l’amp;me aux plus hautes pensées.nbsp;Voir tout ce que le monde a de plus puissant et de plus riche, rendrenbsp;hommage aux princes de cette Église jadis cachée dans les Catacombesnbsp;de cette même Rome, et persécutée par les grands et les Césars de cenbsp;lemps-la : quel étrange spectacle! Entre les trioraphes du Capitole etnbsp;les élections du Vatican, il y a un abime, et eet abime n’a pu êtrenbsp;comblé que par le plus grand des miracles.
28 JANVIER.
Seconde parlie du triofhphe— Marché aux csclaves. — Condilion de l’esclavc. ~ Emplois. — Traitement. — Esclaves fugilils. — Punition.
Avant-hier nous avions lu la première page de l’histoire des triom-phes : nous avions vu les nations dépouillées et enchainées marcher au Capitole; leurs richesses enfouies dans les vastes trésors de la reinenbsp;du monde ou jetées en pature è son peuple de sybarites; nous avionsnbsp;assisté è la mort ignominieuse de Simon, fils de Gioras, qui avait,nbsp;comme ia plupart des rois et des généraux vaincus, payé de sa têtesanbsp;courageuse opposition a la domination romaine. Mais qu’est devenunbsp;tout ce peuple de prisonniers destinés comme lui a orner le triomphenbsp;de Titus? Immobiles au pied du Capitole, ils attendaient dans la stu-peur l’arrêt des Césars. II aura été doux sans contredit, car Titus estnbsp;appelé les délices du genre humain. Afin d’en juger par nous-mêmes,nbsp;nous nous rendimes de bonne heure au Forum romain; et, ouvrantnbsp;les auteurs du temps, nous vimes ce qui se passait le lendemain desnbsp;triomphes : c’est la seconde page de leur histoire, ou plutot le hideuxnbsp;revers de la brillante médaille.
Et d’abord, que devenaient les prisonniers de marque? Ceux qu’on
202 LES TROIS HOME.
n’immolait ni ii Jupiter Capitolin, ni aux manes des vainqueurs, étaient gardés en prison, non a Rome, mais dans quelque ville fortenbsp;de l’intérieur (i). Quant a ceux que leur rang moins distingué, leurnbsp;influence personnelle ou leur extréme jeunesse ne pouvaient rendrenbsp;redoutables, on leur accordait quelquefois la liberté (2). Plus souventnbsp;on leur donnait pour prison Rome, oü, confondus dans la foule desnbsp;citoyens, ils devaient seuls pourvoir a leurs besoins (5). Voyons main-tenant quel était Ie sort des prisonniers vulgaires, c’est-a-dire des populations entières, amenées comme un vil butin.
Afin d’apprécier Ie respect du paganisme pour Thumanité, nous vouliimes les suivre dans les différentes phases de leur existence, de-puis Ie jour de leur arrivée au pied du Capitole, jusqu’au moment denbsp;leur mort. Les uns étaient destinés a Famphithéatre et devaient ré-jouir Ie peuple-roi par Ie spectacle de leurs douleurs. Les autresnbsp;étaient destinés a Fesclavage et vendus a 1’encan; et Ie produit de lanbsp;vente allait enrichir Ie trésor de Fempire {i).
Vers Ie centre du Forum, non loin de la Grécostasis dont quel-ques ruines sont encore debout, s’élevait Ie temple de Castor et de Pollux (s); c’est la que se tenait Ie grand marché aux esclaves. Les ina-quignons y revendaient en détail la chair humaine qu’ils avaientnbsp;achetée en gros de la république (e). Ici furent vendus nos pères, nosnbsp;mères, nos frères et nos sceurs; car ni Fége ni Ie sexe n’étaient épar-gnés : la victoire s’était faite la pourvoyeuse générale de la servitude [1). Le lendemain du triomphe, on voyait sur toute la longueurnbsp;de la fagade du temple et des portiques voisius des échafauds dressés,nbsp;et sur ces échafauds des hommes, des femmes, des jeunes gardens,nbsp;des jeunes filles et des enfants (s). Tous, dans un état a peu présnbsp;complet de nudité, avaient un petit écriteau pendu au cou; quelques-uns portaient sur Ia téte un bonnet de laine blanche, d’autres unenbsp;couronne de feuillage. Le plus grand nombre avaient les pieds nus etnbsp;frottés de craie ou de gypse (9).
(f) Tit.-Liv., XLV, 42; Polyb., xvi, S.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Appian., de Bell. Mithrid., p. 418.
(3) nbsp;nbsp;nbsp;Plutarch., P. Eniil, 59.
(4) nbsp;nbsp;nbsp;Tacit, Hist., Ill, 54; Tit.-Liv., vi, 4; Plutarch., il. Cato, 43; Tit-Liv., c. v, 33;nbsp;Valer. Max., xi, 5,1.
(3) Sencc., He Consol, sapient. 13.
(6) nbsp;nbsp;nbsp;Tit.-Liv., 11,17; Cic., ad Attic., iv, 6; id. Ualijcarn., iv,6; id. de Bello Gall., vn,S9.
(7) nbsp;nbsp;nbsp;Cais., de Bell. Gall., m, 16; Plutarch., M. Cato, 43.
(8) nbsp;nbsp;nbsp;Plin., XXXV, 18, etc., etc.
(9) nbsp;nbsp;nbsp;Senec., Ep. 43; Aul. Geil., iv, 2; id. vn, 4; Tit.-Liv., xxiv, 16; Aul. Geil.,id.; Plin.,nbsp;xxxY, 17; Juv., vm, 1, v, ui.
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Un homme d’une figure ignoble, amp; l’air brutal et grossier se pro-menait devant chaque éeliafaud, et, s’adressant a la foule avee une vo-lubilité et une assurance imperturbable, criait : « Rien ne me prcsse de vendre, citoyens; je ne suis pas riche, il est vrai, mais je ne doisnbsp;rien a personne. Un autre ne vous les laisserait pas a ce prix, et moi-même je ne les donnerais pas a d’autres qu’a vous, illustres Romains.nbsp;Voyez-moi cela, continuait-il en désignant un jeune gar§on; examineznbsp;comme il est beau, bien fait de la têle aux pieds. Je vous garantis sanbsp;frugalité, sa probité, sa docilité; il obéit au moindre signe ; c’est unenbsp;argile dont on fait tout ce qu’on veut. II sait un peu de grec et vousnbsp;chantera même è table, quoiqu’il n’ait pas de musique. » Puis luinbsp;frappant sur les joues ; « Entendez-vous, disait-il, comme cela ré-sonne! quelle chair ferme! la maladie n’aura jamais prise la-dessus.nbsp;Citoyens, je Ie donnerai pour buit mille sesterces; c’est vraiment pournbsp;rien (i). »
Passant ensuite è un jeune enfant : « Aliens, toi, lui disait-il, fais voir ta gentillesse aux maitres du monde; et Ie pauvre enfant de sauter, de tournee, de gambader sur les planches, de faire mille agace-ries pour tenter la foule qui Ie regardait. » Est-il leste! est-il joli!nbsp;est-il mignon! ajoutait Phomme. Mais, citoyens, entrez dans ma taverne, vous verrez mieux que tout cela. Ce n’est ici que mon étalage;nbsp;tout ce que j’ai de plus rare, de plus beau, de plus délicat, de plusnbsp;admirable, est sur mes échafauds intérieurs; veuillez entrer citoyens,nbsp;veuillez entrer (2)! »
Cet ignoble commencement n’était pour l’esclave que Ie prélude des ignominies et des cruautés plus grandes qui l’attendaient. Vendunbsp;et payé, il devenait corps et ame la propriété de son maitre ; nulle loi,nbsp;nul article de loi pour proléger sa vie, sa vertu. Seconde espèce hu-maine, moins vil que nul, chose et non plus ötre intelligent, incapablenbsp;de toute propriété, sans patrie, saus familie, sans aucunt différencenbsp;légale entre lui et la béte, il vit, il meurt au gré du despote qui luinbsp;tient Ie pied sur la gorge, et qui en fait Ie jouet de tous ses caprices (3). Être méprisé auquel, pour ne point profaner sa parole, sonnbsp;maitre souvent ne parle que par signes, ou au besoin par écrit ou parnbsp;des coups. Vrai gibier de fouet et de prison, dont la loi compte la vie
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Borat., Epist. ii, 2, vers. 2; Digest., xxi, tit. i, leg. tO, 2; Pers. Sat. v, 77.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Stat. Sylv., n, 1, V, 72; Mart., ix, 60; Senec., Ep. 47.
(5) Servi per Ibrtunamin omnia obnoxii, quasi secundum hominum genus sunl. Flor., lil, 20; Digest., leg. 111 de capile minutis; Caius, Inslit. 1, 52; Juv. Satyr., vi, vers. 219.nbsp;— Caput enim servile nullum jus habet, caret nomine, censu, tribu. Paul, lib. in, denbsp;Cap. diminut.
204 LES TROIS ROME.
pour si peu de chose, que dans une enquête judiciaire, accuse ou même témoin, on ne l’interroge que sur Ie chevalet, et. que, sur la ré-quisition d’un plaideur, son inaitre l’envoie sans dilliculté au tortu-reur, se faisanl seulemejit donner caution pour Ie déchet qui pourranbsp;résulter de la torture (i). Et sur ce maitre qui tient sa vie entre sesnbsp;mains, qui peut Ie briser comme un verre, l’esclave doit veiller commenbsp;sur la prunelle de ses yeux. Malheur a lui, si son maitre vient a êtrenbsp;tué par un de ses esclaves : la loi veut que tous les autres, présentsnbsp;dans la maison, innocents ou coupables, soient livrés au supplice, a lanbsp;mort (2). Tel est Ie joug de fer qui Técrase et qui pèsera sur lui jus-qu’au dernier soupir...
En attendant, il sera condamné.ii tous les offices les plus pénibles et les plus bas. Pour mieux juger de sa condition, suivons-le dans lanbsp;maison de son maitre : plus de cent vingt emplois l’attendent, lui etnbsp;ses compagnons d’infortune; nommons-en quelques-uns. Le seuil denbsp;la porte est franchi, nous sommes sous le vestibule; a droite et anbsp;gauche voici deux niches : dans Tune est un chien, dans l’autre estnbsp;Tesclave Janitor. 11 est enchainé, et si la maison change de maitre,nbsp;on le vendra avec la maison, comme s’il tenait invinciblement a la mu-raille oü sa chaine est scellée et faisait partie intégrante de la construction (3). A quelques pas se montrent les balayeurs (mediastini,nbsp;scopatores); les uns sont debout sur des tréteaux; les autres sont ac-croupis par terre; tous, le balai, la brosse, le chiffon de pourpre, l’é-ponge a la main, font briller comme des glacés les colonnes de marbrenbsp;du portique et la mosaïque de l’atrium (4). A Tangle de Tatrium estnbsp;Vatriensis, esclave chargé de garder les armoires (armaria) oü sontnbsp;renfermés les registres de la maison et les images des ancêtres (5).nbsp;Descendons aux cuisines. Dans ces pièces importantes des maisonsnbsp;romaines, se tient une multitude d’esclaves dont Tunique soin estnbsp;d’invenler et d’apprêter des mets capables de réveiller le goüt blasénbsp;des Apicius. Le cuisinier (coquus) prépare les viandes, et a force denbsp;patience parvient a servir un porc entier, bouilli d’un cóté et roti denbsp;Tautre; le patissier (pistor dulciarius) fait les sucreries mêlées denbsp;tous les aromes de TArabie et de Tlnde : dans la crainte que la sueurnbsp;ne tombe dans la paté, on Toblige k se voiler la tête pendant qu’il
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Senec., Ep. 47; Tacit., Ann. xiii, 23; Paul, Sentent., v, 16, § 3.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Cic., ad Famil., iv, 12; Digest., ad S. C. Sillanianum, leg. xiii.
(5) Suet., de Clar. Rhetor., 4; Appian., de Bell. civ., iv, 971.
(4) Vitruv., lib. va, c. 4; Borat., lib. ii, Sat. vm.
(s) Yarr., lib. vu, de u h.
205
EMPLOIS DE L ESCLAVE.
pétrit (i). Le lactaire (lactarius) lui donne la crème et Ie lait; Ie pla-centaire (placentarius) lui donne les instruments dont il a besoin; le pomaire (pomarius) fournit les pommes, et le focarius entretient lenbsp;four a la chaleur convenable; le cellérier (cellarius) garde les boissonsnbsp;préparées dans roffice; le permarius préserve des mouches et de lanbsp;poussière Fhuile, le garura, le miel, et en général tout ce qui doltnbsp;bientöt paraitre sur la table; mals malheur aux infortunés si un seulnbsp;plat manque de saveur ou de parfum! Un goüt exercé doit présidernbsp;au choix des aliments : le dégustateur (obsonator) est chargé de cettenbsp;périlleuse opération.
Le repas est préparé; voici venir les invitateurs (imitatores, voca-tores) qui récitent le nom des convives, tandis que les infertores ap-portent les plats rangés avec symétrie sur les tables par les dresseurs (structores). Les convives s’étendent mollement sur les lits, jonchésnbsp;de duvet et de roses effeuillées, préparés par les lectlcaires (lecticarii,nbsp;lectisterniatores). L’écuyer tranchant (scissor, carptor), découpe lesnbsp;viandes que les distributeurs (distributoresjpoilent sur des plats d’or,nbsp;et le pain dans des corbeilles d’argent. Mais dans le passage de lanbsp;cuisine au triclinium, le parfum des mets a pu s’évaporer; le prw-gustator est la pour s’assurer s’ils peuvent être présentés avec con-fiance. Entre les tables circulent les échansons (pocillatores) qui pré-sentent i boire aux convives le vin de Falerne, mêlé d’aromates, dansnbsp;des coupes d or enrichies de pierres précieuses. A leur suite marchentnbsp;les vicaires qui présenten!, dans des burettes d’or et d’argent, denbsp;1’eau tiède et de l’eau froide (calidcB gelidwque ministri). Prés des litsnbsp;se tiennent de jeunes esclaves vêtus avec élégance, la tête ornée d’unnbsp;gracieux turban, les jambes et les bras nus-. Chacun a sa fonction;nbsp;l’un, placé a la tête, tient une branche de myrte et chasse les mouches;nbsp;les autres, courbés aux pieds des buveurs ivres, essuient les ignoblesnbsp;traces de leur intempérance (mensarum detersores) (2).
Dix, quinze, vingt-deux services se sont succédé, et malgré l’heure avancée qu’indique soigneusement le nomenclator en dépit du som-nieil qui l’accable, le service de l’esclave n’est pas fini. Longtempsnbsp;encore il attendra le repos et le pain nécessaires a sa vie : peu importenbsp;qu’il meure, pourvu que son maitre se réjouisse. La salie brille denbsp;mille flambeaux apportés par les infertores; des symphonies se fontnbsp;entendre : voici des troupes de jeunes esclaves qui viennent exécuternbsp;des danses lascives et chanter au son des instruments, et la gloire de
(!) Apul., lib. X iltoam. Athenaeus, lib. xii.
(2) Martial, Epig., lib. m, 4; Sanec., de tra, c. 25.
-ocr page 210-206 nbsp;nbsp;nbsp;lES TROIS ROME.
leurs bons maitres, et les nobles passions dont leur coeur est possédé, citharoedi, symphoniaci, choraules (i). Mais la volupté est toujoursnbsp;suivie d’une inseparable compagne. Aux danses lubriques et auxnbsp;chants obscènes succède un spectacle tragique : des gladiateurs sontnbsp;introduits, la plupart esclaves infortunés, coupables d’avoir voulu senbsp;soustraire par la fuile a la barbaric de. leurs maitres. Sous les yeux denbsp;ces spectateurs ivres de vins et de débauches, les glaives brillent,nbsp;s’entre-choquent, Ie sang humain coule a flots, et Ie rüle des mourantsnbsp;se mêle aux frénétiques applaudissements des convives (a).
Du triclinium passez aux bains, dans les chambres des maitres, dans les jardins, dans les étables, dans toutes les parties de la maisonnbsp;de la ville et de la campagne, n’oubliez aucun des emplois domesti-ques si bas et si vils qu’ils soient, inventez-en de nouveaux, d’incon-nus, d’inouïs, et soyez sur de trouver chez ces maitres riches, hautains et Yoluptueux ii l’excès, un esclave attaché ii les remplir (3).nbsp;Pour savoir jusqu’ou l’orgueil païen faisait descendre l’esclave qui,nbsp;après tout, était un homme et avait une ame immortelle, lisez, entrenbsp;mille, l’épitaphe suivante que nous vimes nous-mêmes sur un marbrenbsp;antique :
OSSA
AVBELIAE LIVIAE AÜG.
SER. A CÜR. CATELLAE.
lt;c Ossements d’Aurélie, esclave de Livie, femme d’Auguste, chargée du soin de sa petite chienne. » Dans l’exercice de tous ces emplois sinbsp;vils, si assujettissants, si dégoutants même, malheur au pauvre esclavenbsp;coupable de la plus legére négligence, de l’apparence même d’unenbsp;négligence ou d’une distraction; que dis-je? coupable d’un soupir,nbsp;d’un éternument, d’un soufflé pendant les symphonies qui accom-pagnent les orgies nocturnes de ses maitres (i). L’orgueilleuxRemain,nbsp;la superbe matrone qui, dans les circonstances ordinaires, ne daigne
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Capitol., in Gallian.; Sidonius., lib. ix, ep-13.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Tacit., Annal. lib. i.
(3) nbsp;nbsp;nbsp;Plinc traduit ce fait avec une grande énergie : « Neus ne marchons plus avec nosnbsp;pieds, nous no \o\ons plus avec nos yeux, et ce n’est plus notre ménaoire qui relieotnbsp;Ie nom de nos amis, nous vivous par les soins de nos esclaves. » Alienis pedibus am-bulamus, alienis oculis agnoscimus, aliena meminisse salutamus, aliena vivimus opera.nbsp;Lib. XXIX, c. 1.
(4) nbsp;nbsp;nbsp;At inlélicibus servis movere labra ne in hoe quidem ut loquantur licet, virga murmur omne compescitur, et nee fortuita quidem verberibus excepta sunt: tussis, ster-nutamenta, singultus; magno inalo ulla voee intcrpellatum silentium luitur; nocte totanbsp;jejuni mntique perstant. — Senec., Epist. xlvii.
-ocr page 211-ESCLAVES FUGITIFS. nbsp;nbsp;nbsp;207
point lui adresser la parole, mais lui intiine ses ordros en faisant cla-quer ses doigts, lui parle, en cas de maladresse, a coups de verges, de laniêres ou de baton. On lui fait griller sur la tête la fève malnbsp;cuite; Ie vieux Gaton lui déchire Ie dos a coups de fouet, paree qu’ilnbsp;est trop lent; Auguste Ie crucifie pour avoir tué une caillc favorite;nbsp;pour un vase cassé, Pollion Ie jelte vivant a ses murènes : et il n’a pasnbsp;même Ie droit de se plaindre. Ainsi passera sa tristc existence; puis,nbsp;quand il sera vieux ou infirme, on Ie vendra a un inaitre plus pauvrenbsp;et par suite plus dur. C’était Ie conseil et la pratique du vertueux Gaton : « Sois bon ménager, dit-il, vends ton esclave et ton cheval quandnbsp;» ils sont vieux (i); » ou, ce qui est plus commode et non moins barbare, on l’enverra dans l’ile du Tibre, abandonné a la grace d’Escu-lape. Si on veut bien Ie laisser vieillir dans la maison, il sera renferménbsp;dans son élroite celluie, cella, jusqu’au jour oü quatre de ses compagnons de servitude, eboisis parmi les plus mépriscs, viendront em-porter son cadavre dans quelque coin mal famé des Esquilies (2).
A-t-il voulu se soustraire par la fuite au joug intolérable qui pèse sur lui? Aussitöt un cricur public donne son signalement par toute lanbsp;ville : « II y a peu d’instants qu’un esclave s’est sauvé dans les ther-mes : il a environ seize ans, il a les cheveux friscs, il est frais et biennbsp;fait, il s’appelle Gyton ; celui qui Ie rendra ou Ie découvrira aura millenbsp;écus de recompense (s). » Retombé au pouvoir de son maitre, il subiranbsp;d’abord une sanglante flagellation; puis, avec un fer rouge on luinbsp;marquera sur Ie front les deux lettres o et F, initiates grecque et latinenbsp;du mot fugüivaire (fugitivarius); ou bien on lui fixera aulour du counbsp;un collier de fer porlant ces mots ; Tene me quia fugi, et revoca menbsp;domino meo N. « Arrêtez-moi paree que je me suis sauvé, et rendez-» moi il mon maitre N. » De ces colliers de la servitude, monumentnbsp;horrible de la barbarie païenne, plusieurs sont parvenus jusqu’a nous,nbsp;Dour l’instruction des siècles modernes. Nous en vimes trois dans unnbsp;musée de Rome. Pourtant ces stigmates et ces colliers de fer sont encore une faveur; ordinairement la dent des lions de Pamphithéatre ounbsp;la lance des gladiateurs punit l’infortuné fugitif (4).
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Plutarch., in Cat., c. v.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Horat., liv. 1, Sat. viii.
.........angusüs ejecta cadavera cellis
Cünservus vili portanda locabat in area.
(s) Petr.
(4) Aul. Geil., lib. v, c. 14. Voir sur les esclaves Ie Traité de Pignorius, De Servis et de eorum apud veteres ministcriis, in-4“. Augusta; Yindeüc. an. 1614.
-ocr page 212-208 nbsp;nbsp;nbsp;LES TBOIS ROME.
Tel était Ie sort de la plus grande partie du genre humain, la veille du jour oü Ie christianisme parut; tel Ie résumé de la législation, desnbsp;conquêtes et des pompes triomphales de la vieille Rome; tel est aussinbsp;Ie dernier trait par lequel nous terminons son histoire.
29 JANVIER.
Rome purement chrélienne. — Caractère de la charité romaino. — Carte routière de la douleur. — Charité romaine pour Ie nouveau-né et Torphelin. — Tour de Thópital dunbsp;Saint-Espril. — Description de ccthöpital.
Re triomphe, c’est-a-dire les pompes du Capitole et Ie marché du Forum nous avaient donné Ie dernier mot de la société païenne. Romenbsp;antique! superbe reine de la force, nous te connaissions enfin dansnbsp;ton esprit et dans tes oeuvres. II était temps de chercher un spectaclenbsp;plus doux, en étudiant aussi dans son esprit et dans ses ceuvres Romenbsp;chrétienne, la mère des peuples et la reine de la charité.
Voici un nouveau voyage que nul touriste n’a fait et dont nul guide ne trace l’itinéraire; pourtant il est plein de charmes et d’intérêt. Denbsp;cette omission plus ou moins voltairienne, qu’est-il résulté ? Reine desnbsp;arts, Rome est admirée de tous; mère des pauvres et modèle des nations, Rome est calomniée; ses oeuvres, plus belles que ses monuments,nbsp;ont été méconnues; et l’esprit divin qui leur donna Texistence, a pe-nenbsp;entrevu par quelques-uns, est l’objet des sarcasmes du grand nombre.nbsp;Paree qu’elle ne participe point a la vie factice ni a l’activité fébrilenbsp;des peuples industriels, on la dit morte. II n’en est rien; la Rome denbsp;Grégoire XVI est toujours et dans un sens mille fois plus noble que lanbsp;Rome d’Auguste, la mère des hommes et la nourricière des nations ;nbsp;Alma parens virüm.... magna frugum. La charité est Ia vie des citésnbsp;et des peuples; eh bien, la charité coule A pleins bords dans les veinesnbsp;de Rome chrétienne; elle est son instinct, et, pour ainsi parler, sonnbsp;essence propre. Qu’il en doive être ainsi, l’homme habitué a réfléchirnbsp;ne s’en étonne pas. Centre de la foi, la ville des Pontifes doit être Ienbsp;foyer de l’amour ; Ia logique Ie dit avant que les faits ne l’établissent.nbsp;Toutefois, hommes, qui que vous soyez, si j’ai une prière a vous faire,nbsp;c’est de ne pas vous laisser imposer eet axiome d priori. Consenteznbsp;seulement è voyager avec nous, et l’axiome reviendra, sous forme denbsp;conséquence, prendre dans votre esprit la place qu’il mérite.
Partis de bonne heure de la Propagande, nous nous dirigeames vers Ie cMteau Saint-Ange, passant par la place du Peuple et Ie mausolée
SOME PUREMENT CHRÉTIENNE. nbsp;nbsp;nbsp;209
d'Auguste : cela veut dire que nous avions pris le chemin des écoliers. Pour mettre a profit notre longue promenade, nous recueillimes lesnbsp;traits épars qui, réunis, forment le caractère saillant de la chariténbsp;romaine dont nous allions étudier les oeuvres.
Gatholique, tel est le signe distinctif de la foi dont les lumières descendent incessamment des royales collines ; catholique, tel est aussinbsp;le cachet dominant de la charité romaine, fille et mère de la foi.
Catholique, paree qu’elle n’exclut personne. Ses étahlissements sont le fruit de ses propres épargnes et des dons offerts par les nations for-mées a son école. Sublime conspiration de la charité! aux jours de lanbsp;foi, les monarchies et les républiques de I’Europe chrétienne se sontnbsp;associées a leur mère, pour fonder dans le centre de la catholicité desnbsp;asiles toujours ouverts è l’étranger, quels que soient ses besoins, sonnbsp;pays et son nom. Rarement on trouve dans les hospices des nationsnbsp;européennes, mème les plus civilisées, des personnes étrangères k cesnbsp;nations. A Rome, il n’est pas un hópital, pas une maison de secoursnbsp;qui ne nourrisse des citoyens d’autres pays. En parcourant les nomsnbsp;des fondateurs ou bienfaiieurs de ces pieux étahlissements, on voitnbsp;que tous les rangs y ont concouru; et les vieilles archives mentionnentnbsp;ensemble des papes, des cardinaux, des prélats, des rois, des princes,nbsp;des femmes, des hommes privés et obscurs, et surtout des saints.
Catholique, paree qu’elle est plus abundante que partout ailleurs. Dans sa longue sollicitude, Rome a amassé pour les pauvres un patri-nioine qui ne se trouve que la. Bien que les bouleversements poli-Cques l’aient considérablement diminué, il s’élève encore a plus denbsp;quot;64,000 écus remains de rente (4,425,600). « Dans la ville la plusnbsp;charitable de l’Europe, h Paris, les étahlissements de bienfaisancenbsp;jouissent d’un revenu de 5,000,000 de francs, et la ville y ajoutenbsp;0.500,000 francs; ce qui fait 10,500,000 fr. A Rome, les rentesnbsp;qu’ils per^oivent de leurs biens sont de 1,900,000 fr. et du trésornbsp;2,200,000 francs; en lout 4,100,000 francs. II faut observer qu’ünbsp;l^aris, outre les créations de la charité légale, il existe des sociétésnbsp;Philanihropiques dont les aumónes n’entrenl pas dans le compte quenbsp;je viens de faire. II faut observer encore que la population de Paris estnbsp;de cinq fois celle de Rome; done, en atlribuant aux sociétés parlicu-lières une contribution de 1,500,000 francs par an, è Rome on donnenbsp;presque le double qu’a Paris, bien que les cités septentrionales aientnbsp;plus de besoins è satisfaire que celles du midi (i). »
(•) M. Morichini, Instit. de Bienf. de Rome, p. 23-
-ocr page 214-210 nbsp;nbsp;nbsp;les TROIS ROME.
Calliolique, paree qu’elle a, dans Fétablissement de ses oeuvres, Ia priorité sur les autres pays. Je n’cn citcrai que trois exemples dansnbsp;ce moment : l’hópital Saint-Roch, l’hospice des Convalescents et lanbsp;prison pénitentiaire de Sainl-Michel. L’hópital de Saint-Roch est unenbsp;maison d’accouchement, ouverte gratuitement ó toutes les femmes,nbsp;qui peuvent y ensevelir dans Ie plus mystérieux silence Ie secret denbsp;leur faule, en même temps qu’elles y trouvenl tous les soins qu’exigenbsp;leur état. 11 a été formé en 1770, longtemps avec celui de Vienne, quinbsp;a précédé tous les autres. En France, nous élions encore a faire lanbsp;théorie de ce que Rome pratiquait depuis plus de quatre-vingts ans (i).nbsp;L’hospice des Convalescents fut fondé, en 1S48, par saint Philippe denbsp;Néri. II est antérieur de plus de deux siècles a tous les autres du mêmenbsp;genre, puisque l’hospice de la Samaritaine, dont se vantent si fort lesnbsp;Anglais, ne date que de 1791 (2). La prison pénitentiaire de Saint-Michel, tel est Ie troisième exemple que j’aime a citer ici.
Lorsqu’a la fin du siècle dernier les États-Unis offrirent ó l’Europe émerveillée leurs nombreux pénitenciers, nul ne douta de I’originenbsp;américaine de cette institution venue d’outre-mer. Le protestantismenbsp;s’en fit gloire, et personne ne lui disputa son facile triomphe; maisnbsp;enfin la vérité s’est fait jour. Nos puhlicistes, envoyés dans toutes lesnbsp;parties de I’Europe et de l’Ainérique pour étudier le régime penitentiaire, sont enfin arrivés a Rome. M. Cerfheer, chargé, en 1839, parnbsp;le ministre de l’intérieur d’inspecter les prisons de la Péninsule, s’ex-prime ainsi dans son rapport : « Je n’hésite pas a croire que la ré-forrae pénitentiaire est partie de l’Italie, du centre même de cettenbsp;contrée, de Rome, oü un pape. Clément XI, fit construire, en 1703,nbsp;sur les dessins de Charles Fontana, une vaste maison de correctionnbsp;pour les jeunes détenus... Le système correctionnel est chrétien, il estnbsp;catholique; il a pris naissance avec les monastères, un pape Fa hap-lisé au moment mi il le fit entrer dans le monde. L’Amérique ne Fanbsp;pas trouvé, FAmérique ne Fa pas perfectionné; elle Fa emprunté ónbsp;Gand, qui Favait pris ó Milan et a Rome. Oui, c’cst de Rome qu’estnbsp;parti le mouvement qui se manifeste aujourd’hui dans les deux mon-des; e’est Rome qui a créé la première maison cellulaire, qui a appfi'nbsp;qué simultanément Fisolement absolu et Fisolement miiigé; c’est unnbsp;pape qui de sa main a écrit les premiers réglemenls d’une maison denbsp;correction.... J’attache une importance d’autant plus grande a resti-tuer au pontife romain. Clément XI, Fhonneur de la première idéé de
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Voir M. de Górando, de la Bienf. ptilUq., t. iv, p. 53S.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;ïournon, Êtud. statist., 1.11, p. 118.
-ocr page 215-CARACTÈRE DE LA CIURITÉ ROMAINE. 211
la réforme pénitenliaire, que j’y trouve une raison puissante pour gagner a la cause de cette réforme les nombreux seclateurs de la religion: j’y puise encore cette pensée que la réforme devant être conséquente i son origine, pour être salutaire, elle doit être essentiellementnbsp;chrétienne (i). »
Catholique, paree qu’elle est humble. Rome observe a la lettre Ie commandement du Sauveur : Quand vous faites Faumone, que votrenbsp;main gauche ne sache pas ce que fait votre main droite. Rome n’anbsp;point de journaux qui publienl ses bonnes oeuvres; et les voyageursnbsp;si diserts pour blamer la mère et la maitresse des églises, n’ont pas ditnbsp;une parole qui fasse soupgonner Ie irésor de charité qu’elle renfermenbsp;dans son sein. Nous nous croyons ^ la tête du véritable progrès; nosnbsp;idéés, nos plans, nos moindres essais pour l’amélioration des classesnbsp;souffrantes, nous les publions comme des découvertes. Rome se tait etnbsp;se contente de montrer chez elle la réalisation quelquefois séculaire desnbsp;pensées qui chez nous sont encore a l’état d’étude ou de projet et quinbsp;u’ont re^u qu’un faible commencement d’exécution.
Catholique, paree qu’elle embrasse toutes les misères humaines. Or, la misère est un indestructible réseau qui enveloppe les fils d’Adamnbsp;depuis Ie berceau jusqu’a la tombe et au dela. Pour être catholique,nbsp;la charité doit done être aussi étendue que la vie, aussi variée que lanbsp;douleur. II faut encore que tous ses remèdes préparés avec intelligence,nbsp;administrés avec amour, soient tellement disposés qu’ils forment unnbsp;système complet, sans défaut et sans lacune. Eh hien, a Rome, et ^nbsp;Rome seule, entre toutes les cités, la gloire d’avoir réalisé ce merveil-leux système. Soyons-en fiers, nous autres enfants de cette mère im-ntortelle; si l’arbre se connait a ses fruits, quelle preuve plus douce etnbsp;plus forte de la vérité d’une doctrine qui se traduit par de pareillesnbsp;«euvres ?
Nos réflexions nous avalent conduits jusqu’au pont Saint-Ange. II ^tait temps de nous assurer par nous-mêmes que ce beau système denbsp;•ïfiarité n’était pas un rêve, mais une réalité vivante et palpable. Afinnbsp;de Ie suivre dans toutes ses ramifications, un lil conducteur nous étaitnbsp;uécessaire. Le raisonnement suivant nous Ie mit a la main : troisnbsp;espèces de misères, relatives a la triple vie, composent 1’inséparablenbsp;cortége de 1’homme dans la vallée des larmes : les miamp;cres physiques,nbsp;c est la pauvreté, la maladie, la mort; les misères intellectuelles, c’estnbsp;^ ignorance et Terreur; les misères morales, ce sont les passions et
*^**^*^ catholique : M. Cerfbeer est israélite. —Inst. de Bienf. trad. par M. de
-ocr page 216-212 LES TROIS ROME.
leurs effets. Munis de cette carte routière de la douleur, nous com-inengames a suivre rhomme dans la voie lamentable qu’il parcourt depuis Ie berceau jusqu’a la tombe.
II nait, et quelquefois un arrêt de mort l’attend au seuil de la vie. La charité romaine est accourue, et s’interposant entre la mère homicide et la jeune victime, elle a trouvé Ie secret de sauver l’honneur denbsp;Tune et de préserver les jours de l’autre. Nous voici prés de la portenbsp;Triomphale : sur ces lieux funestes oü Rome païenne faisait passernbsp;l’humanité enchainée au char de ses iriomphateurs, s’élève l’hópitalnbsp;du Saint-Esprit ; c’est Ie plus ancien, et, avec ceux de Naples et denbsp;Milan, Ie plus beau de tous les palais batis aux malheureux. L’an dunbsp;Seigneur 1198, Innocent III occupait la chaire de saint Pierre. Gommenbsp;il se promenait un jour sur les bords du Tibre, on vint lui dire qu’unnbsp;pêcheur en retirant ses filets avail ramené au lieu de poissons troisnbsp;petits enfants morts. L’excellent pape en fut tellement touché qu’il fitnbsp;sur-le-champ établir prés de l’hospice du Saint-Esprit un tour mobile, doublé d’un matelas, oü l’on put a toute heure du jour et de lanbsp;nuit déposer les enfants abandonnés. Défense fut faite sous des peinesnbsp;sévères, non-seulemenl de s’enquérir du nom du déposant, mais encore de Ie suivre de l’oeil lorsqu’il s’éloignerait. Accueillis par la charité, qui a des mains pour recevoir et qui ne doit pas avoir d’yeuxnbsp;pour regarder, ces enfants élaient nourris et élevés dans l’hópital dunbsp;Saint-Esprit: tel fut Ie premier asile permanent et régulier, ouvert ennbsp;Europe aux jeunes victimes de la mort. A Paris, la première maisonnbsp;d’enfants trouvés fut celle de saint Vincent de Paul, en 1678; Londresnbsp;n’en possède une que depuis Ie siècle dernier.
L’oeuvre d’Innocent III s’est perpétuée a travers les siècles, et, grace a la charité romaine, elle continue d’être en état prospère. Parvenusnbsp;ü l’üge de travailler, les jeunes gargons sont envoyés a Viterbe dans unnbsp;asile appartenant au Saint-Esprit; la, ils apprennent un métier. A dix-sept ans, si personne ne les adopte, on leur donne une somme d’ar-gent représentant leurs dépenses ü l’hospice pendant une année. Getnbsp;argent leur sert ü se procurer les outils et les choses nécessaires anbsp;l’exercice de leur profession; pouvant alors se sulïire ü eux-mêmes onnbsp;les congédie (i). Les filles sont également 1’objet d’une sollicitude anbsp;laquelle rien n’échappe. Rendues a l’hospice, elles forment un grandnbsp;conservatoire d’environ six cents personnes. Sous la direction denbsp;pieuses maitresses, elles sont formées è une verlu solide et instruites
(i) Conslanzi, etc., p. 66.
-ocr page 217-CHARITE ROMAINE POUR EE NOÜVEAO-NE. 213
dans tons les ouvrages propres de leur sexe. Toute la lingerie de rimmense hópital leur est confiée. Les unes font des langes pour lesnbsp;enfants trouvés, les autres plissent les rochets ou surplis ou brodentnbsp;en or et en soie. Un triple avenir leur est ouvert; la residence perpé-tuelle h l’hospice, Ie mariage et l’état religieux. Dans Ie premier cas,nbsp;leur existence est assurée. Dans Ie second, l’hópital leur fait une dotnbsp;de 340 francs. Mais voyez la prévoyance maternelle de la charité ro-inaine! Cette dot doit être hypothéquée par Ie mari sur une propriéténbsp;libre, afin que la fille de la Providence ne puisse jamais en être frus-trée. Enfin, si elle entre en religion, 1’hospice pourvoit encore it sesnbsp;besoins. Ce n’est pas tout; Léon XII, de glorieuse mémoire, a voulunbsp;que les jeunes orphelines adoptées eussent droit a une dot payable parnbsp;l’hópital, si elles venaient a se marier ou b faire profession dans unnbsp;couvent.
Tandis que nous bénissions cette intelligente sollicitude. Pair content, Ie teint vermeil de tout ce peuple d’enfants, les superbes corps de batiments qu’il habite, tout révélait b nos regards les soins mater-nels et les magnificences royales de la charité. Cependant nous n’avionsnbsp;vu qu’une faible partie du grand hópital. Bienlót d’immenses sallesnbsp;s’ouvrirent devant nous; supérieurement pavées, hautes, bien aérées,nbsp;elles sont la plupart ornées de peintures consolantes qui rappellent lesnbsp;guérisons opérées par Ie Sauveur. Plusieurs rangs de lits règnent denbsp;chaque cóté : toutes ensemble, elles en comptent seize cent seize.nbsp;Chaque salie porte Ie nom du saint qui la protégé ou du pontife quinbsp;1 a fondée ou embellie; la mémoire de Pie VU remplit ces lieux. Lenbsp;sentiment de ses propres douleurs ne fit point oublier au prisonniernbsp;de Fontainebleau les souffrances des pauvres malades. Par ses ordresnbsp;en a fait de notables améliorations aux batiments; on a reconstruit desnbsp;bains, substitué dans les salles les poêles aux réchauds, ajouté une très-belle salie d’opérations, vaste, bien éclairée, aérée, abondamment pour-'ne d’eaux, de tables de marbre, telle en un mot, dit M®' Morichini,nbsp;qu’au jugement des élrangers même, avares de louanges pour tout cenbsp;fiui nous concerne, nul établissement en Europe n en possède une sinbsp;compléte (j).
Les salles sont chauffées en hiver avec des tuyaux qui partent de chaudières placées au centre; sur celles-ci de grands vases de cuivrenbsp;étamé contiennent des décoctions pectorales que Pon donne ii boirenbsp;aux malades quand ils en demandent. Quatre fois par joiir on appro-
(•! Instit. de Bienf., etc., p. 36.
-ocr page 218-214 LES TH01S KOJIE.
prie rhópital : tousles mois on blanohit les pavés; Ie linge serenou-velle quand les circonstances l’exigent, sans limites fisées. Dès qu’un malelas est gülé ou s’il y meurt quelqu’un, on Ie change a l’instant.nbsp;Au printemps, lorsque Ie nombre des malades est plus restreint, onnbsp;lave les lits, on vernisse les banquettes, on blanchit les murs. Afin denbsp;conserver la pureté de Fair, on établit des courants et Fon désinfec-tionne les salles avec des acides. Sous Ie pavé des salles, dans toutenbsp;leur longueur, un volume considerable d’eau coule dans un canal denbsp;pierre placé en pente, qui regoit toutes les immondices et les emportenbsp;rapidement dans Ie Tibre par deux embouchures. ïant de soins sontnbsp;apporlés h la proprelé de Fhöpital que les plus difiiciles doivent êtrenbsp;satisfaits (i).
Les lits se composent de supports en fer, de planches vernissées, d’une paillasse, d’un matelas, d’un chevet, d’un oreiller, de draps,nbsp;d’une couverture piquée pour Félé, de deux autres couvertures denbsp;laines pour Fhiver. De deux en deux lits sont des tables de marbre,nbsp;scellées dans les murailles, qui servent a poser les eboses nécessairesnbsp;aux malades, et des lieux d’aisances; enlre chaque lit vous voyez denbsp;petites tablettes qui, au moyen de coulisses mobiles portant des signesnbsp;couvenus, indiquent a merveille Fétat et Ie traitement du malade :nbsp;dans Ie haut on met les signes qui marquent la nourriture qu’il doitnbsp;prendre; au bas, tous les autres; par exeinple, s’il doit recevoir Ienbsp;saint vialique, s’il a déja eu FExtrême-Onclion, etc.
On distribue la nourriture de sept a neuf heures du matin, et de deux et demie iicinq heures et demie du soir, selon les saisons. Par unenbsp;de ces attentions dólicates dont la charité chrétienne est seule capable, trois fois la semaine on touche de Forgue pendant Ie repas desnbsp;malades. Le dinianche olFre bien un autre spectacle : vous verrieznbsp;arriver par toutes les rues qui du Trastevere ou du centre de la villenbsp;aboutissent au Saint-Esprit, de nombreuses confréries qui viennentnbsp;prodiguer aux malades leurs charilables services : celui-ci apporte desnbsp;confitures, un aulre fait les lits, un troisième coupe la barbe, doniienbsp;des boissons, etc. De tous ces soins qu’est-il rcsulté? Le chiffre aü'nbsp;nuel de la mortalité est de 9, 10 sur 100; raortalité bien faible dan®nbsp;un si vaste hópilal, et qui fait it elle seule Ie plus bel éloge de Féta-blissement (2).
(i) Instit, de^Bicnf., p. ö9. — Pour compléter mes notes et mes souvenirs, en parlant de la charilc romaine, j’ai souvent recours aux ouvrages de Mer Morichini et de 1’abbonbsp;Conslanzi; le premier a élé traduit par M. do Bazelaire, qui i’a enriclii d’une retnarnbsp;quable inlroduclion; 1’aulre n’cxistc qu’en italien.
(3) Instit. de Bienf., 46.
-ocr page 219-DESCRIPTIOJi DE L UOPITAL DU SAINT-ESPRIT. 215
Voila pour Ie corps; mais l’^me! Fame trop souvent négligée dans les hospices des autres nations, Rome en connait Ie prix, et Fentourenbsp;de soins admirables. Douze aumóniers habitent Fhöpital; nuit et journbsp;au service des malades, ils célèbrent la messe tous les matins dans lesnbsp;dilFérentes salles, administrent les Sacrements, assistent les mourants.nbsp;De plus, afin de procurer aux malades toules les facilités de satisfairenbsp;a leur devoir, chaque ordre religieux résidant a Rome doit, suivantnbsp;les prescriptions de Clément IX, envoyer, une fois par mois, deux denbsp;ses membres pour entendre les confessions : leur séjour doit étre denbsp;cinq heures au moins. Plusieurs fois par jour un prêtre traverse lesnbsp;salles, et, s’arrêtant au milieu de chacune, il suggcre a haute voix unenbsp;bonne pensée, une sainte maxime capable de consoler les malades ounbsp;de les porter au regret de leurs fautes. Comme on retjoit au Samt-Esprit toutes sorles de personnes sans distinction de religion, beau-coup de prêtres, tant séculiers que réguliers, y viennent volontaire-lüent soit pour ramener a la foi calholique celles qui malheureusementnbsp;ne la professent pas, soit pour confesser, instruire, consoler les malades, De pieux laïques y viennent aussi, surtout Ie dimanche, exercernbsp;les différentes oeuvres de la miséricorde spiriluelle (i). En parcourantnbsp;ces vastes salles, on croit voir sur chaque porte, auprcs de chaquenbsp;couche douloureuse, saint Camille de Lellis, eet illustre habitué denbsp;Fhópital du Saint-Esprit, qui pendant plusieurs années passa les nuilsnbsp;ct les jours au chevet des mourants. Je ne dirai rien autre chose de luinbsp;CQ ce moment : nous Ie retrouverons plus tard.
Si Ie malade succombe, on Ie laisse pendant deux heures dans son PPopre lit; puis on Ie transporte dans la chambremortuaire,oü il restenbsp;vingt-quatre heures. Un cordon attaché a sa main répond h une son-^oile placée dans la chambre, oü se tient nuit et jour un surveillant.nbsp;Si Ie malade n’avait été frappé que de léthargie, on en serail averti aunbsp;caoindre mouvement qu’il ferait en reprenant ses sens. Chaque soir,nbsp;^prèsF^ue, Maria, une pieuse association de laïques se réunit au lieunbsp;ofi sont déposés les morts; iis les placentsur un char couvert, et, tenantnbsp;des torches a la main, les conduisent au cimetière du Janicule. Riennbsp;ö est plus touchantquelecortége de ces charitables frères, qui viennentnbsp;quelquefois des quartiers les plus éloignés de la cité, malgré les pluiesnbsp;Ou Ie froid de Fhiver. Lorsqu’il n’y a pas de morts a ensevelir, ce quinbsp;arrive souvent, ils vont de même au cimetière réciter des prières surnbsp;lestombeaux.Si Ie malade guérit, nous verrons plus tard ce qu’il devient.
(lt;) Constanzi, p. amp;i-6S.
-ocr page 220-:216 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
Pour entretenir l’esprit de charité qui produit les merveilleux effets que nous venons de voir, on s’occupe avec soin du nombreux personnelnbsp;attaehé al’hópital. Aux approches des principales fêtes, toutela familienbsp;(numerosissima famiglia), réunie dans la chapelle, y revolt des instructions pour se disposer ^ la fréquentation des sacrements, Ie journbsp;de la solennité. Pendant Ie carême, tous font une retraite préparatoire è la communion pascale (i). Rome, qu’on accuse dene rien faire,nbsp;voil^ pourtant ce que vous faites; ce que vous faites depuis des siècles,nbsp;sans ostentation et sans brult! Tel est Ie respect que vous professeznbsp;pour les membres souffrants de Jésus-Christ; telle la charité mater-nelle dont vous environnez leur lit de douleur. Parmi toutes les cilésnbsp;du monde chrétlen, en est-il beaucoup, en est-il une seule qui puissenbsp;se flatter de surpasser ou d’égaler sa mère?
30 JANVIER.
Charité romaine pour Ie nouveau-né et 1’orphelin. — Höpital Saint-Roch-in-iJi'petta. — Sainte-Marie-m-— Les enfants du Lettré.
La beauté du ciel, les impressions de la veille, les commentaires du soir surnotre visite au Saint-Esprit, tout nous invitait a continuer notrenbsp;voyage sur les pas de la charité romaine. Hier nous étions restés aunbsp;seuil de la vie, prés du berceau de l’enfant arraché par elle aux horreurs d’une mort prématurée. Ce n’est que par exception, et pour nenbsp;pas y revenir, que nous avions visité 1’hopital du Saint-Esprit, ce vastenbsp;caravansérail de toutes les infirmités humaines. Aujourd’hui nous re-primes notre pèlerinage au point oü nous l’avions laissé. Sauver l’en-fant et couvrlr l’honneur de sa coupable mère, tel est, avions-nousnbsp;dit, Ie premier bienfait de la charité romaine. Comment l’enfant estnbsp;sauvé, nous Ie savons; il nous reste è voir par quel moyen la réputa-tion de la femme est protégée.
Dans ses Theories de bienfaisance puhllque, M. de Gérando écri' vait ; « La maison d’accouchement sera située dans un lieu écarté; l6®nbsp;personnes qui y seront admises seront libres de ne déclarer ni leu^nbsp;nom ni leur domicile; Ie registre des déclarations sera tenu secretnbsp;dans tous les cas; les employés et les serviteurs de l’établissement senbsp;feront un devoir de respecter ce secret; les étrangers ne seront pointnbsp;admis dans les salles (2)... » Ces précautions délicates que la philan-
(lt;) Constanzi, 63.
(a) T. IV, p. 375.
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thropie rêvait parmi nous pour sauver l’honneur des families, et sur-tout pour éviter 1’infanticide, Rome les a prises depuis longtemps. Nous les trouvames, adoucies encore par la charité, dans VHospicenbsp;de Saint-Roch. En suivantla rive du Tibre appelée Ripetta, nousar-rivèmes bientól è ce nouveau monument de la charité. Dans les annéesnbsp;du jubilé, Rome voit toujours naitre quelque belle oeuvre de piété.nbsp;En 1500, la confrérie de Saint-Roch dédia une église a son saint pro-tecteur et un hópital de cinquante lits pour toutes sortes de pauvresnbsp;malades. En 1770, un Bref de Clément XIV ordonna qu’il recevraitnbsp;seulement les femmes enceintes, comme cela se fait aujourd’hui.
Nul local ne pouvait mieux convenir a une pareille destination. La porte de sortie ne donne pas sur la voie publique, mais dans un vestibule qui adeux issues, dont une sur une petite place inhabitée, oü abou-tissent plusieurs rues désertes. Toutes les femmes prés d’accouchernbsp;u’ont qu’a se présenter a la prieuïe pour être regues et entretenuesnbsp;aux frais de l’hospice pendant leur grossesse et huit jours encore aprèsnbsp;leur délivrance. On ne leur demande ni leur nom, ni leur condition,nbsp;ni aucun renseignement capable de les trahir. La charité romaine vanbsp;plus loin; elle les autorise a se voiler Ie visage, pour n’être recon-nues de personne. Si Tune d’elles vient a mourir, son nom n’est pasnbsp;inscrit sur les registres; on ne les distingue les unes des autres quenbsp;par des numéros d’ordre. Les femmes qui ne pourraient laisser aper-cevoir leur état sans trahir leur coupable faiblesse sont admises longtemps avant leurs couches : on sauve ainsi l’honneur des families etnbsp;1’on évite les infanticides. Comme si tant de précautions ne suffisaientnbsp;pas, l’höpital est exempt de toute juridiction criminelle et ecclésias-^ique; l’entrée en est défendue non-seulement aux hommes, mais auxnbsp;femmes mêmes, parentes ou autres, quel que soit leur rang. Le mé-*fecin, le chirurgien, l’aumónier, les matrones et les femmes de servicenbsp;y ont seuls accès. Ainsi les depositate qui l’habitent sont süres denbsp;ö’être point toürmentées et de ne recevoir aucune visite indiscrètenbsp;pendant le séjour qu’elles y font.
A peine nés, les enfants sont portés avec grand soin amp; l’hospice du Saint-Esprit; les mères qui sont dans l’intention de les reprendre,nbsp;leur laissent un signe quelconque pour les reconnaitre. Cette précau-tion est nécessaire, paree que, en cas de naissance illégitime ou d’ex-trême pauvreté, on ne pourrait confier les enfants ii leurs mères res-pectives; et plutót que de faire des questions aux femmes en couchesnbsp;ot de rompre le beau secret, ame de eet établissement, on a adopténbsp;une régie générale, utile aux femmes qui ne pourraient sans honte re-
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tenir prés d’elles leurs enlants, tout en laissant aus autres la facilité de les reprendre a leur sortie de Saint-Roch.
L’hópital se compose d’une vaste salie et d’autres plus petites ré-cemment bdties. L’une d’elles est destinée aux accouchements et aux opérations. Le nombre des lits est de vingt et peut s’accroitre au be-soin; chaque lit a ses rideaux et un paravent qui le sépare des autres.
La ville qui aurait pris toutes ces précautions pour sauver l’hon-neur de la femme coupable, croirait saus doute avoir accompli toute justice. Rome en juge autrement; tant de soins délicats ne lui sem-blent que la moitié de sa tóche ; prévenir le retour du mal, en gué-rissant le coeur qui en est le principe, tel est le grand objet de sanbsp;charité. Et voili que toutes ces Madeleines sont doucement soumisesnbsp;a un réglement de vie, calculé de manière a les faire revenir de leursnbsp;erreurs. Chaque jour elles assistent au saint sacrifice de la Messe, re-foivent les instructions de la prieure et de l’aumónier, font différentsnbsp;exercices de piété, se purifient dans le sacrement de pénitence; et, sinbsp;leur état le permet, se fortifient en buvant le sang divin qui fait ger-mer la virginlté ou éteint la fièvre brülante des passions.
Croirait-on qu’il est des hommes qu’un pareil refuge a scandalises? Les philanthropes matérialistes l’ont vivement blamé comme coupablenbsp;è leurs yeux d’exciter aux manages imprudents, d’arrêter l’effet denbsp;la contrainte morale et de seconder l’accroissement démesuré de lanbsp;population, etc. Nous nous contenterons de leur répondre avec unnbsp;économiste chrétien : « La charité ne peut jamais sacrifier amp; des éven-tualités éloignées le soulagement d’une nécessilé immédiate et urgente, telle que la conservation d’une mère et de son nouveau-né.nbsp;Un excès de population est sans doute un grand malheur pour la so-ciété; mais le refus de secours dans une circonstance semblable, seraitnbsp;une grave infraction aux lois de la religion et de la charité chrétieU'nbsp;nes : entre ces deux extrêmes, il n’est pas permis d’hésiter. La loinbsp;d’humanité est au-dessus de la loi économique (i). »
Nous venions de voir comment la charité romaine sauve la vie de l’enfant nouveau-né et protégé l’honneur de sa mère : c’était la pre-mière station de notre pèlerinage ; la seconde fut encore auprès d’unnbsp;berceau. L’enfant abandonné n’est pas seul malheureux. Combieönbsp;d’autres qui, orphelins dès le bas-dge, ou nés de parents pauvres, res-tent sans appui, sans pain, sans abri dès leur entrée dans la vie! Roto®nbsp;les adopte tous; et dans cette adoption la mère des peuples montre
(i) M. (le Villeneuve Bargem. du Paupér., l. lu, p. 34.
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une tendresse et une intelligence mille fois plus intéressante a con-naitre que tons ses monuments antiques ou ses chefs-d’ceuvre mo-dernes. Les orphelins sont divisés en plusieurs categories, suivanl leur aptitude. Les uns s’appliqueront aux sciences, les autres cultive-ront les arts, ceux-la apprendront des métiers. Plus d’une fois l’élin-celle du génie brilla sous les haillons de la misère. Si done son jeunenbsp;pupille annonce d’heureuses dispositions a l’étude, Rome 1’envoie anbsp;1’hospice de Sainte-Marie-iw-.df/inVo ; nous nousy rendimes avec lui.nbsp;Get asile pour les orphelins fut établi, en 1540, sur les instances denbsp;Saint Ignace de Loyola. En 1591, Ie charitable cardinal Salviati en re-nouvela les bailments et fonda un collége appelé de son nom. II availnbsp;Femarqué que, parmi les pauvres enfants deslinés aux arts et métiers,nbsp;il y en avail que la nature avail doués de talents et d’aptitude auxnbsp;Iravaux littéraires; il voulut done que de leur refuge ils passassent aunbsp;Collége, pourvu qu’ils fussent ègés de douze ans, et eussent vécu pendant trois ans au moins dans leur premier asile. Le pape Léon XII ennbsp;a conlié la direction aux pères Sommasques, il ne pouvait la remettrenbsp;ü des mains plus habiles. Les conditions voulues pour étre admis,nbsp;sont d’élre Remain, privé au moins de sou père, agé de plus de septnbsp;ans et de moins de dix ans. A dix-huit ans accomplis, les élèves sor-tent du collége ; on en compte aujourd’hui cinquante. On est charménbsp;de voir tous ces visages frais et vermeils se dessiner sur la soutanenbsp;blanche, uniforme obligé de la maison, et de remarquer la gaité vivenbsp;qui règne parmi ces enfants condamnés a ne connaitre que la douleur.nbsp;Vous trouvez en entrant une belle pièce ornée des inscriptions et desnbsp;portraits des bienfaiteurs. Dans cette même salie, il est permis, unenbsp;fois la semaine, aux mères de venir voir leurs fils, afin de conservernbsp;les liens de l’amour filial et maternel.
11 semblera peut-ètre i quelques personnes que le but oü tendent oes orphelins est Irop élevé, leur éducation et leur traitement tropnbsp;®oignés, pour des jeunes gens que l’on présume être pauvres; mais ilnbsp;faut considérer que, dans une vaste cité telle que Rome, des enfantsnbsp;'iennent souvent h perdre leur père, qui, avec les travaux honorablesnbsp;quelque profession, soutenait convenablement sa familie. Ges pau-Fres enfants, élevés dans des habitudes délicates et déja livrés aux études, trouvent dès lors dans la maison de Sainte-Marie un asile en har-®onie avec leur destination. Comme les positions sodales sontnbsp;différentes, il est digne d’une intelligente charité d’offrir au malheurnbsp;des abris différents et des moyens variés d’existence (i). Demain nous
(') Morich., p. 101.
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220 LES TROIS ROME.
continuerons ^ suivre Rome dans l’accomplissement de celte tüche maternelle.
51 JANVIER.
Baptême de M. Ratisbonne. — Continuation de la visite de Rome chrétienne. — Charité romaine pour Vorphelin. — Hospice apostolique de Saint-Michel. — Son origine.—nbsp;Ses quatre families. — Son organisation.
Avanl de reprendre notre itinéraire, nous assistames a une cérémonie, je dirais volontiers a un événement dont Ie souvenir ne s’effacera jamais de notre mémoire : M. Ratisbonne devait aujourd’hui recevoirnbsp;Ie baptême. Dix jours seulement s’étaient écoulés depuis sa conversion, mais Ie miraculeux néophyte «rat# tout coinpris, et I’iHustrenbsp;cardinal Mezzoffanli, chargé de Texamen des catéchumènes, ne pou-vait qu’admirer l’abondance de lumières que Ie Dieu des miséricordesnbsp;avail tout k coup répandues dans cette ame privilégiée. A huit heures,nbsp;nous étions au Gesü. Déji l’église était remplie d’une foule pieusenbsp;avide de contempler Ie jeune Israélite, que Marie avail conduit de sanbsp;main pleine de graces jusqu’au pied de la croix : Ia société frangaisenbsp;oecupait Ie premier rang, et une piété sympathique dominait toutenbsp;rassemblée. M. Ratisbonne, accompagné du père de Villefort et denbsp;M. de Bussières son parrain, se tenait au bas de l’église : suivant l’an-tique usage, il portait Ie vêlement blanc des catéchumènes.
Bientót Ie cardinal Patrizi, vicaire de sa Sainteté, revêtu de ses or-nements poniificaux, descendit de la chapelle de Saint-Ignace et vint commencer en face du néopbyte les prières et les cérémonies d’usage ;nbsp;nous Ie suivimes. Les exorcismes et les onctions mystérieuses qui préparen! riiorame a l’initialion chrétienne étaient accomplis. Tout anbsp;coup une épreuve inattendue est demandée au jeune Israélite. Na-guère encore il avail, comme Saul, blasphémé Ie nom de Jésus denbsp;Nazareth et sa doctrine; il était juste qu’il expiöt cette faute par unnbsp;acte public de repentir et d’humilité ; « Baisez la terre, 5» lui dit 1®nbsp;cardinal; et aussitót sans trouble, comme sans hésitation, il baise Ianbsp;terre! prouvant k cette foule qui Ie contemple, qu’il est vraimenlnbsp;Chrétien, puisque sa jeunesse a déja deviné que l’humilité est la seulenbsp;porte qui conduise a la vérité et au salut. Éloquente legon pour nousnbsp;tous qui oublions trop souvent que Jésus, notre maitre, était doux elnbsp;humble de coeur (i).
(i) L’Enfant de Marie, par M. de Bussières, p. 59.
221
BAPTÊME DE M. RATISBONNE.
Plus de doutes; l’esprit du Sauveur est avec Ie néophyte, el Ie cardinal ramène comme en triomphe, a la chapelle de Saint-Ignace, cetle brebis chérie qu’il vient d’arracber a Satan. Comment vous dire tousnbsp;les sentiments divers qui agitaient alors l’assemblée? Quel spectacle!nbsp;M. de Bussières, protestant converti, conduisant un juif au giron denbsp;l’Église catholiquel et quel juif! un jeune France de 28 ans, dansnbsp;toute la plénitude desa force, de sa raison et de son indépendance; hiernbsp;encore impie, frondeur, blaspliémateur, et aujourd’hui doux commenbsp;un agneau, se laissant faire tout ce qu’on veut! Son visage remarqua-ble par un heureux mélange de fermeté et de douceur, sa longue barbenbsp;noire, sa démarche, son costume, tout en lui reportait la pensée aunbsp;temps de la primitive Église ; on eüt dit un de ces chrétiens des ca-tacombes qui espéraient Ie martyre (i). Voila ce que nous vimes. Quenbsp;tous nos jeunes compatriotes n’ont-ils pu jouir du méme spectacle!nbsp;Quand Ie Pontife demanda au catéchumène : « Quel est votre nom?nbsp;— Marie, » répondit-il avec un élan de reconnaissance et d’amour quinbsp;nous fit tressaillir. La réception du baptéme et de la Confirmation futnbsp;suivie d’une chaleureuse improvisation de M. 1 abbé Dupanloup, etnbsp;Ie saint Sacrifice commen^a. Au moment solennel de la communion,nbsp;M. Ratisbonne se trouva tellement anéanti qu’il fallul Ie soutenir pournbsp;approcher de la table sainte^ Ce n’est qu’avec Ie secours de M. de Bussières qu’il put se relever après avoir re^u Ie pain des anges. Un torrent de larmes inondait son visage; il succombait sous Ie poids de l’é-moiion.
Avec quel enthousiasme toute l’assemblée chanta Ie Te Deum, que les anges redirent au ciel dans d’ineffables transports; car il est écrit:nbsp;® Qu’il y a plus de joie dans la sainte Jérusalem pour la conversionnbsp;d’un seul pécheur que pour la persévérance de quatre-vingt-dix-neufnbsp;justes. » Heureux du bonheur de l’Église, heureux du honheur denbsp;notre nouveau frère, nous reprimes la visite de Rome chrétienne.
Si l’orphelin montre du goüt et de l’aptitude pour les arts libéraux, Ie grand hospice de Saint-Michel lui présente tous les moyens de four-nir une noble carrière. ïraversantrapidement la ville et Ie Tibre, nousnbsp;arrivèmes de bonne heure a Ripa grande, oü se trouve Ie nouveaunbsp;théfttre de la charité romaine. Avant d’y entrer, il est agréable d’ennbsp;connaitre l’origine. On verra que les oeuvres de Dieu ont presquenbsp;toujours de hien faibles commencements : Ie zèle souvent désolé peutnbsp;trouver dans cette remarque un encouragement et une consolation.
(1) VEnfant de Marie, par M. de Bussières, p. 10. T. il.
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Au seizième siède vivait è Rome un pieux chrétien, nommé Jean-Léonard Ceruso. Touché de compassion pour les pauvres enfants abandonnés que Ie rigoureux hiver de 1581 avail rendus fort nom-breux, il les recueillit dans une chéüve maison de la rue des Ban-quiers, prés du palais Chigi. Cel homme avail autrefois enseigné lanbsp;grammaire, el comme 11 pronongail souvenl quelques paroles latines,nbsp;on l’avail nommé par plaisanterie Ie Lettré, nom qui ful donné i sesnbsp;enfants et qu’ils portent encore. II employait ses élèves è nettoyer lesnbsp;rues, moyennant une petite rétribution des marchands. Lui-même al-lait par la ville avec un habit bleu venant h mi-jarabe, un gros chape-let au cou, tête et pieds nus, avec un mainlien si modeste que saintnbsp;Camille de Lellis Ie nommait Ie Prédicateur muet. Après sa mort, sonnbsp;petit établissement fut incorporé è l’hospice deSaint-Michel. Cenou-vel asile dut son origine è Thomas Odelcaschi, neveu du pape Innocent XI. Allant un jour a Sainte-Galle oü son parent Marc Antonionbsp;logeait les pauvres pendant la nuit, il s’aper^ut qu’on y admellaitnbsp;souvent des jeunes gens, fugitifs pour la plupart de la maison pater-nelle, et dont personne ne prenait soin. II pensa que ces enfantsnbsp;étaient mal placés dans des dortoirs communs, et les réunit dans unenbsp;maison de la place Margana, oü il les occupa aux gros travaux de lanbsp;laine. Ils étaient alors une trentaine, et bientót ils arrivèrent au nom-bre de soixante. Odelcaschi s’attacha tellement ü ces pauvres enfants qu’il leur acheta en 1686, sur la grande rive du Tibre, un beaunbsp;terrain sur lequel il fit élever un hospice.
Grace au zèle intelligent et toujours soutenu des souverains Pontifes auxquels la propriété de l’hospice fut cédée en 1691, Saint-Michel estnbsp;parvenu ü ce degré de grandeur et de prospérité qu’on admire aujour-d’hui. La longeur de l’édifice est de 334 mètres, la largeur de 80 mètres,nbsp;Ie pourtour de 830 mètres, c’est-a-dire plus d’un demi-mille. La plusnbsp;grande hauteur est de 23 mètres; enfin, remplacement a 26,720 mètres.nbsp;Au dire des étrangers, nul établissement en Europe ne peut êlre com-paré a Saint-Michel pour la commodité et la magnificence.
Conduits par deux excellents prêtres habitués a venir exercer leur charitable zèle sur ce grand théütre, nous Ie visitümes dans toutes sesnbsp;parties. Pour ne pas y revenir, j’en donnerai la description compléte,nbsp;comme je Tai faite pour Ie Sainl-Esprit. L’hospice de Saint-Michelnbsp;embrasse quatre grandes families entièreraent séparées, celles des vieil-lards de l’un et de l’autre sexe, celles des jeunes gardens et des jeunesnbsp;filles. Les vieillards doivent être remains ou domiciliés è Rome depuisnbsp;cinq ans; on ne re^oit point ceux qui auraient des maladies incurables
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OU contagieuses. Ils se divisent en deux classes : la première se compose de ceux qui, ayant encore une santé sulBsante, sont employés aux tra-vaux de la cuisine, de la dépense, du réfectoire; ils sont portiers, sur-veillants ou gardiens et travaillent dans les ateliers des jeunes gens;nbsp;les autres, d’un age plus avancé et d’une santé chancelante, sont dispensés de tout ouvrage. Les premiers occupent un grand dortoir ditnbsp;de Saint-Sixte; les seconds une salie nommée rinlirmerie-basse, d’oünbsp;sans monter un seul degré ils vont au réfectoire et a Féglise. Un prieur,nbsp;prêtre, dirige cette communauté, aujourd’hui composée de 120 indi-vidus, dont 100 entretenus gratuitement, 20 au moyen d’une légèrenbsp;rétribution. II est permis aux vieillards de sortir a certaines heures,nbsp;et ceux que leur santé empêcherait de Ie faire, ont un corridor intérieur couvert oü ils peuvent se promener.
Les vieilles femmes sont au nombre de quatre-vingt-dix, et en y joignant trente jeunes lilies de service, on a une communauté de centnbsp;vingt personnes. Leur occupation est de faire des bas, de coudre lesnbsp;vêtements neufs et de raccommoder les anciens. Les jeunes filles an-nexées a cette communauté comme filles de service, soignent la lingerie des vieillards, des femmes et des jeunes gens; elles servent la salienbsp;des invalides, rinfirmei’ie, Ie réfectoire commun et la cuisine des ma-lades. La communauté est présidée par une prieure, choisie parmi lesnbsp;habitantes mémes de 1’hospice, et renouvelée tous les trois ans. Lenbsp;prêtre, prieur du Conservatoire, Test aussi de cette communauté (i).
Nous avions parcouru avec un vif intérêt le grand corps de bêtiment qui sert d’asile aux premières families de Sainl-Michel ; l’ordre, lanbsp;propreté. Fair heureux de ces pauvres vieillards faisaient Féloge de lanbsp;discipline établie par iVU'’ Tosti. Mais Fobjet principal de notre visite,nbsp;o’étaient les jeunes orphelins; nous avions hüie de visiter leur de-tneure. Un grand souvenir, un nom béni vous revient dès que vousnbsp;meitez le pied sur le seuil de eet asile ; Innocent XII apparait ici en-'ironné de Fauréole immortelle de la chhrité. L’excellent Pontife,nbsp;dont les libéralités contribuèrent si puissamment a la magnificence denbsp;1 hospice apostolique, aimait tant ces jeunes orphelins qu’il leurnbsp;donnait le doux nom de fils, et qu’il vint les visiter au moins soixante-quatre fois. En mémoire de cette affectueuse bonté, les élèves célèbrentnbsp;chaque année pour Fême du Pontife un service solennel au jour anni-versaire de sa mort, et redisent ses louanges. L’hospice compte. deuxnbsp;cents jeunes gens divisés en six chambrées, qui prennent le nom de
(0 Horichini, p. 109; Constanzi, p. 104,103.
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LES TROIS HOME.
leurs saints protecteurs : Saint-Michel, Saint-Frangois-Xavier, Saint-Philippe, Saint-Pierre et Saint-Paul, Saint-Charles, Saint-Innocent. Chaque chambrée a un préfet, clerc ou prêtre, et deux sous-préfets,nbsp;nommés décurions, choisis parmi les élèves les plus sages et les plusnbsp;raisonnables. Un prêtre recteur surveille la discipline intérieure de lanbsp;communauté. Le vétement intérieur et de travail est de drap en biver,nbsp;et en été d’un tissu de lil et de coton nommé regatino : quand ils sor-tent, ils ont une soutane de drap noir. Pour entretenir les affectionsnbsp;de familie, il est permis aux élèves d’aller quelquefois diner cbez leursnbsp;parents.
Dans l’asile des vieillards règne le calme; la causerie, un travail tranquille et les exercices religieux remplissent la journée. Ici, au contraire, c’est l’activité et le mouvement, fervet opus. Dans les superbesnbsp;salles destinées au travail, vous voyez tous les jeunes orpbelins appli-qués a l’étude des arts mécaniques ou des arts libéraux. On traversenbsp;successivement des ateliers d’imprimeurs, relieurs, tailleurs, cordon-niers, cbapeliers, lainiers, teinluriers, selliers, ébénistes, serruriers etnbsp;quincailliers. Pour les beaux-arts, nous vimes la fabrique des tapis ennbsp;figures OU ornements, la seule de toute l’Italie; la gravure sur bois,nbsp;Fornementation, la peinture, la sculpture, la gravure sur cuivre, ca-mées et médailles. D’excellents maitres dirigent les travaux, et rien nenbsp;manque au perfectionnement de chacun de ces arts. Non-seulementnbsp;Fenseignement ordinaire des écoles, mais des legons de chimie, denbsp;mécanique, de géométrie appliquée; la niusique et les sciences litté-raires font partie de cette libérale éducation. Comme nous Favons vu,nbsp;les beaux-arts en sont Fobjet principal, et Saint-Micbel compte dansnbsp;la société bon nombre d’artistes que leur talent et leur conduite ontnbsp;distingués : il nous sulBra de citer nos deux meilleurs graveurs,nbsp;MM. Mercurii et Calamata, dont les oeuvres, envoyées par eux a leurnbsp;maison nourricière, ornenl un des salons de Fbospice oü ils furent éle-vés (i). En résumé, Saint-Michel est une veritable école polytechnique,nbsp;un vrai conservatoire d’arts et métiers, ouvert par le génie des papeSnbsp;un siècle avant qu’en possédassent les nations les plus éclairées denbsp;FEurope (2).
Que dire du contentement qui règne dans cette maison et de la pS' ternelle discipline qui en est la source? Le voyageur est délicleuse-ment ému a la vue de ces enfants maniant avec grace le ciseau ou lenbsp;burin, se levant a son approche, et laissanl briber sur leurs physio-
(0 M. de Bazelaire, Préf., p. ixx.
(i) llorich., p. 'Ui.
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HOSPICE APOSTOLIQUE DE SAINT-HICHEL.
noraies ouvertes la timide raodeslie du jeune artiste jointe a la \ivacit6 italienne. II est vrai que tout contribue a leur faire retrouver a Saint-Michel la familie qu’ils ont perdue. Des fêtes innocentes \iennent denbsp;temps en temps couper la monotonie de leur existence laborieuse.nbsp;Chaque année l’école de musique vocale divertit la maison pendant Ienbsp;carnaval, en donnant des representations dramatiques, auxquellesnbsp;même les privilégiés du dehors sont admis.
La quatrième familie de l’hospice apostolique n’est pas moins intéressante. Deux cent quarante jeunes lilies, placées dans neuf vastes pièces OU dortoirs, s’exercent assidüment aux travaux propres de leurnbsp;sexe. Chaque salie est sous la surveillance d’une des anciennes. Lanbsp;prieure et la sous-prieure sont choisies tous les trois ans parmi lesnbsp;plus avancées et les plus sages. Le silence régnait quand nous entra-mes; tous les yeux étaient fixés sur l’ouvrage. Aux paroles du prêtrenbsp;qui nous accompagnait, les têtes se relevèrent; et sur tous ces frontsnbsp;épanouis vous auriez vu hriller la gaité d’enfants innocentes et rieuses,nbsp;sans remords et sans préoccupation. Tout ce qui peut former des per-sonnes vraiment chrétiennes et de bonnes femmes de ménage, entrenbsp;dans le plan de leur éducation. Outre la religion qu’on leur enseignenbsp;surtout en la faisant aimer et pratiquer, on leur donne des lemons denbsp;lecture, d’écriture, d’arithmétique, de musique même et d’ouvrages anbsp;l’aiguille; ce qui facilite leur entrée dans les monastères et sert a em-bellir les cérémonies de la chapelle particulière du conservatoire. Lenbsp;soin de la cuisine et du blanchissage de. la communautc les préparenbsp;utilement aux travaux du ménage. Elles fabriquent en outre tous lesnbsp;ornements d’uniforme des troupes pontiiicales, et on leur abandonne,nbsp;comme encouragement, la moitié du bénélice. Quelques-unes travail-lent la soie, la toile, les rubans, soit pour Tusage de Thospice, soitnbsp;pour des négociants. Libres de rosier toujours dans l’asile qui lesnbsp;nourrit, on ne les congédie que pour les marier ou les faire religieuses.nbsp;C’archiconfrérie de l’Annonciation donne par an cent écus rornainsnbsp;qui leur servent de dot.
Quant aux secours spirituals, ils sont réguliers et abundants. L’hospice forme paroisse : les quatre families entendent la messe le matin, récitent le rosaire et accomplissent d’autres exercices de piété. Le curénbsp;et le vicaire sont aidés dans l’audilion des confessions par deux prêtresnbsp;pour les jeunes gens, deux pour les jeunes lilies, un pour les vieillards,nbsp;et d autres encore qu’y appelle spontanément le zèle du salut desnbsp;^les. Les dimanches, les gargons et les lilies récitent l’olïice; lesnbsp;¦vieillards ont le saint exercice de la bonne mort, et dans le courant de
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1’année toute la maison faitune retraite spirituelle suivant la méthode de saint Ignace.
ler FÉYRIER.
Visite au cardinal Mai. — Origine de Ia fable de la papesse Jeanne. — Charité romaine pour 1’orphelin (suilc). — Hospice de Sainte-Marie-des-Angcs. — Ilospice du Tala-Giovanni.
La nuit était venue nous surprendre a Saint-Michel; mais nous ne quitldmes l’intéressant hospice qu’en nous promettant d’y revenir : ilnbsp;nous restait a visiter la prison pénitentiaire. Aujourd’hui I’ordre lo-gique de nos études nous appelait sur un point opposé de Rome, lanbsp;place de Termini. Avant le départ, je fus présenté a Fun des membresnbsp;les plus illustres du sacré Collége, le cardinal Angelo Mai. Savant dunbsp;premier ordre, le cardinal Mai s'est placé hors ligne par ses travauxnbsp;sur les manuscrits de la Vaticane. Les ouvrages inédits, chretiens etnbsp;profanes, qu’il a déchiffrés et publiés, ferment déja dix volumes grandnbsp;in-4® de plus de mille pages (i). II sufflt d’ouvrir cette collection pournbsp;être stupéfait, en voyant combien il a fallu de patience, d’érudition etnbsp;de science de tout genre pour exécuter un pared travail. Si on admirenbsp;le courage du cardinal, on bénit le pontife généreux qui a fait impri-mer Fouvrage aux frais de la Chambre apostolique; c’est pour lesnbsp;souvérains un exemple d’autant plus noble que le Saint-Père n’est pasnbsp;riche. Après une assez longue conversation dans laquelle il se montranbsp;plein d’affabilité, Fillustre cardinal me fit visiter lui-même sa biblio-Ihèque, une des plus riches et des mieux composées sans contredit denbsp;toutes les bibliothèques particulières de FEurope.
Je mis la main sur un volume de la Nova collectio : « Ah! me dit son Éminence, vous tenez les Questions de Photius d AmpMloque,nbsp;c’est un des plus curieux ouvrages que j’aie retrouvé. » Puis, prenantnbsp;lui-méme le volume, il me fit lire différents passages oü le schisma-tique Photius parle en termes très-honorables des Pontifes remains etnbsp;de la suprématie de leur pouvoir : C’est le bienheureux Damase quinbsp;confirme le deuxième Concile general dont les décrets sont suivis parnbsp;l’univers entier; c’est Agathon qui, quoique non présent de corps aunbsp;sixième Concile, Vassemhla pourtant, et en fut l’ornement par sonnbsp;esprit, sa doctrine et son zèle. Photius parle ensuite longuement etnbsp;avec beaucoup d’éloges de Jean VIII, ^ qui il donne par trois fois
(i) Scriptorum veterum nova Colleclio e Yaticanis codicibus edita. Typis Valicanis, t82.'gt;-1852.
FABLE DE LA PAPESSE JEANNE. 227
l’épithète de viril. « Ce n’est pas sans motif, me dit le docte cardinal, que Photius se sert par trois fois de cette expression. Évidemment ilnbsp;fait allusion, en la réfutant, ii I’accusalion d’esprit faible, que dès lorsnbsp;on portalt conlre ce pape, paree qu’il avait souffert qu’on replagiit surnbsp;le siége de Constantinople Photius, si opposé au Saint-Siége et frappénbsp;auparavant de tant d’analhèmes. C’est de la sans nul doute qu’est néenbsp;la fable de la papesse Jeanne, dont l’origine, objet de tant d’opinionsnbsp;absurd es, me parail avoir été indiquée avec précision par Baronius (i),nbsp;lorsqu’il dit que ce pape a été appelé une femme paree que, vu la tropnbsp;grande facilité de son esprit, il ne sut montrer aucune constance sa-cerdotale. De telle sorte qu’on l’appelait non point pape, comme sesnbsp;courageux prédécesseurs, mais papesse, pour lui reprocher de n avoirnbsp;pas même résisté a Photius. » Après m’avoir fait promettre une seconde visite, l’aimable cardinal me permit d’aller rejoindre mes compagnons de voyage. En peu d’instants nous fumes sur la place denbsp;Termini.
Sainte-Marie-fw-^g'iLfro et Saint-Michel nous avaient montré la cha-rité roraaine. formant les pauvres orphelins aux travaux de Pintelli-gence ou aux arts libéraux; nous allions la voir préparant une partie de sa jeune familie il l’exercice des métiers et des arts mécaniques.nbsp;Nous franchimes le seuil usé des ïhermes de Dioclétien. Dans cesnbsp;vastes constructions jadis consacrées aux plaisirs de la vieille Rome,nbsp;la Rome chrétienne a placé l’aimable asile de Sainte-Marie-des-Anges.nbsp;Comme a Saint-Michel, on Irouve ici quatre families. Les bons frèresnbsp;de la Doctrine chrétienne, dont l’intelligence et le zèle sont ^ Rome cenbsp;qu’ils sont en France, dirigent la communauté des hommes et desnbsp;jeunes gens. Les jeunes orphelins auxquels leur ftge ne permet pointnbsp;encore d’entreprendre l’apprentissage d’un métier ont une école denbsp;catéchisme, de lecture et d’écriture; les autres regoivent égalementnbsp;des lemons après leurs travaux. Sans nuire aux occupations manuelles,nbsp;une école de musique instrumentale forme, parmi les élèves, unenbsp;troupe militaire qui s’exerce chaque jour pendant quelques heures etnbsp;qui a déjè donné des preuves publiques de son habileté. On apprendnbsp;dans l’hospice les métiers de cordonnier, tailleur, imprimeur, teintu-rier, serrurier, chapelier, menuisier et ébéniste. De ces ateliers sortentnbsp;ces chaises si légères et si faciles a manier, connues sous le nom denbsp;chaises de Chiavari. Une grande partie des jeunes gens est employéenbsp;a la confection de la chaussure et des vêtements militaires; générale-
(1) An. 879, n. 5.
-ocr page 232-228 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
ment les ateliers et les travaux sont affermés a des entrepreneurs, ce qui est la méthode la plus avantageuse, quand les contrats sont régu-lièrement stipulés et passés entre gens honnêtes. L’imprimerie seulenbsp;n’est point mise en adjudication; elle publie ordinairement de petitsnbsp;ouvrages de dévotion qu’elle livre h bas prix ou donne gratuitement.nbsp;Le salaire se répartit en trois parts : un tiers reste a la maison, unnbsp;tiers revient a l’ouvrier, un autre tiers est mis en commun et divisénbsp;par la suite. Ces petites economies forment Ie pécule du jeune ouvrier,nbsp;et l’aident, quand il sort, è s’établir convenablement.
La Congrégation des Filles du Refuge, transportée a Rome depuis dix ans par la vertueuse princesse Thérèse Doria Pamphili, préside lanbsp;communauté des femmes. Les jeunes orphelines travaillent Ie coton, Ienbsp;fil et Ie lin; empaillent les chaises fabriquées par les hommes, et sontnbsp;employées au blanchissage de la maison et a la tenue du linge. Ici,nbsp;corame dans lous les asiles de Rome, elles demeurent a l’hospice tantnbsp;qu’elles ne se marient pas, ne se font pas religieuses ou ne se mettentnbsp;point en service dans des maisons particulières.
Quatre chapelains prennent soin du spirituel des quatre families; et des prêtres du dehors viennent souvent, surtout dans les infirmeries, distribuer par charité les secours de la religion. Chaque matinnbsp;on assiste i Ia messe, Ie soir on récile Ie rosaire, tout Ie monde doitnbsp;se confesser une fois par mois, et re^oit l’inslruction du catéchisme,nbsp;base d’une bonne éducation (i).
Dans les grands élablissements que nous venions de visiter les en-fants sont a demeure; il en est un autre oü Pon suit un système différent : c’est l’bospice si connu a Rome sous Ie nom de Tata-Gio-vanni. Nous voulumes aussi connaitre cette nouvelle invention de la charité romaine, et chemin faisant, on nous raconta l’histoire du fon-dateur. Dans Ie siècle dernier vivait a Rome un pauvre magon, nomménbsp;Giovanni Borgi. Tons les jours de fête il s’en allait a l’hópital dunbsp;Saint-Esprit pour servir les malades. N’ayant rien a leur donner, ilnbsp;retournait leur lit, leur faisait la barbe et leur rendait tous les servicesnbsp;qu’on peut attendee d’un serviteur dévoué. Or, il lui arrivait souventnbsp;de rencontrer paries rues de jeunes enfants a peine vétus et chaussés,nbsp;exposés a grandir dans Ie vice et l’oisiveté : il en trouva d’autres anbsp;l’hópital que la mort avait rendus orphelins. Le sort de tous ces pau-vres enfants toucha vivement le coeur du charitable ouvrier. II com-menga par inviter ceux qui étaient malades a venir le voir dans sa
(i) Morich., p. 128.
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maison, lorsqu’ils seraient guéris. Au moyen de quelques aumönes, il les recueillit chez lui, les habilla, et les envoya en apprentissage cheznbsp;les fabricants de la ville, afin de leur procurer par Ie travail desnbsp;moyens d’existence : lui-inême leur enseignait Ie catéchisme et les fai-sait approcher des Sacreinents.
De généreux bienfaiteurs ne tardèrent pas ^ Ie seconder de leurs conseils et de leurs bourses. Je citerai entre autres l’illustre cardinalnbsp;di Pietro, Ie bras droit de Pie YII pendant les terribles épreuves denbsp;Fontainebleau. II loua pour Giovanni et ses petits protégés un grandnbsp;appartement dans la via Giulia, et lui assigna trenle écus par mois :nbsp;ce qui permit d’élever a quarante Ie nombre des orpbelins. Borgi lesnbsp;appelait ses enfants et ceux-ci réciproquement lui donnaient Ie titrenbsp;filial de papa. De la est venu b Pinstltution Ie nom de Tata-Gio-vanni (papa Jean). Pie VII, dont Ie cceur élait si généreux, fut Ie principal protecteur de Borgi. Non content de lui acheter la maison dansnbsp;laquelle il était en loyer, il Ie traitait très-amicalement ainsi que lesnbsp;orpbelins, auxquels il donna souvent de sa propre main de l’argentnbsp;dans la sacristie de Saint-Pierre.
Bien que Jean fut illettré, il sentait la nécessité de rinstruclion et fit enseigner i ses enfants la lecture, 1’écrilure, rarilhmétique : on ynbsp;ajoute aujourd’hui des principes d’ornemenlation, de dessin linéairenbsp;et de géométrie, connaissances fort importantes pour de jeunes artisans; mais par-dessus tout on s’attache a former leurs coeurs par l’en-seignement de la religion et par de solides pratiques de piété.
Nous fumes bienlót en état de vérifier par nous-mêmes ce qu’on venait de nous dire. Avant midi nous étions a Sainte-Anne-des-Me-nuisiers, oü se trouve l’hospice de Tata-Giovanni. En void la disposition et les réglements : six chambres sont occupées par les enfants,nbsp;elles portent les noms significatifs de Saint-Joseph, de Sainl-Pbilippe,nbsp;de Saint-Pierre, de Saint-Paul, de Saint-Stanislas, des Saints Camillenbsp;et Louis. Comme tout est simple dans eet institut, les jeunes gens eux-öièmes, choisis parmi les plus sages et les plus figés, président lesnbsp;chambres; mieux inslruits que les autres, ils enseignent i leurs cama-cades les premiers éléments de la science. De bons prêtres ou de ver-lueux laïques y viennent souvent Ie soir distribuer Pauinone de l’in-struction religieuse et scientifique. Le soin de la discipline inlérieurenbsp;est confié a deux ecclésiastiques. Les enfants se lèvent de bonne heure,nbsp;et dès rage le plus tendre ils vont apprendre un métier dans les ateliers de la ville. Un pieux laïque procure le placement de ces élèvcs,nbsp;et tout le jour il est en course pour s’assurer de leurs progres et de
Ï230 LES TROIS ROME.
leur conduite. Cette méthode permet amp; l’établissement de marcher avec pcu de ressources et donne aux jeunes gens la facilité de choisir l’étatnbsp;qui leur plait d’après leurs forces et leurs dispositions, si hien qu’en-tre cent vingt élèves vous voyez trente métiers différents. A vingt ansnbsp;on les congédie, paree qu’ils sont alors en état de se tirer d’affaire; etnbsp;la conduite honorable qu’ils tiennent presque tous dans Ie mondenbsp;prouve combien de semblables institutions influent sur la moralenbsp;publique (i).
2 FÉVRIER.
Fcte de la Chandeleur. — Cierge bénit. — Charilé romaine pour rorpheline. — Sainte-Calherine-des-Cordiers. — Los quatre Saints couronnés. —Les mendianles. — La Züccoleuo. — Conservatoire de la Vierge-des-Douleurs. — Conservatoires Borromée,nbsp;de Sainte-Euphémie, de la Divine-Providence.
Dès 1’aurore on entendait par intervalfes Ie canon du chüteau Saint-Ange; sur tous les édifices publics, comme sur les nombreux palais particuliers, flottait Ie drapeau pontifical; de brillants équipages sil-lonnaient les rues, les troupes sortaient en grand uniforme, et bientótnbsp;Ie beau soleil de Rome éclaira de tous ses feux ce raouvant tableau.nbsp;C’était aujourd’hui la Chandeleur, époque anniversaire de 1’élévationnbsp;de Grégoire XVI au souverain pontificat. II y eut grande réception aunbsp;Vatican et distribution d’aumónes é tous les pauvres; Ia religion elle-même vint consacrer par ses pompes augustes ce jour si cher a tousnbsp;les catholiques; nos coeurs battaient è l’unisson avec ceux des Romains,nbsp;et nous partimes pour Saint-Pierre. Vraiment Ie jour était a souhait;nbsp;car on ne saurait imaginer quelle teinte délicieuse répand sur la cournbsp;pontificale cette lumière du soleil d’Italie, dont les rayons si vifs et sinbsp;purs font étinceler les riches ornements des cardinaux et 5es prélats,nbsp;ainsi que les dorures et les draperies, en même tennis qu’ils animentnbsp;d’une vie nouvelle les peintures ravissantes du premier temple dunbsp;monde.
Notre plaisir était doublé par la pensée de recevoir un cierge bénit de la main même du Saint-Père. Grace a nos billets, il nous fut permisnbsp;de prendre place dans les tribunes réservées, oü se pressait un grandnbsp;nombre de riches uniforraes de toute nation. En face de nous étaientnbsp;don Miguel avec la reine douairière de Sardaigne, et un peu plus loin,nbsp;Ie prince royal de Prusse; car è Rome les protestants sont avides de
(0 Conslanzi, p. 107.
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nos cérémonies. Plusieurs vinrent avec nous baiser la crois qui brille sur la mule du Pape, Fantechrist selon eux, et selon nous Ie vénérablenbsp;vicaire de Jésus-Chrisl; recevoir Ie cierge de sa main et fléchir Ienbsp;genou devant sa personne sacrée. Combien d’actes d’idolètrie! II fautnbsp;que nos frères séparés tiennent bien peu ii Fenseignement de leursnbsp;minislres, pour se permettre ces démonstrations étranges dans de pa-reilles solennités. Pour nous, c’est avec un sentiment profond de reconnaissance et de joie que nous resumes Ie cierge pontifical. Précieuxnbsp;souvenir de Rome et du Pape, nous te conservons avec soin. Puisses-tunbsp;sur notre lit de mort briller entre nos mains défaillantes, comme Ienbsp;symbole fidéle d’une vie éclairée par la foi et couronnée par la charité!
En sortant de Saint-Pierre, nous reprimes notre visite de Rome charitable. Déja nous connaissions les soins maternels dont la cité desnbsp;Pontifes environne Forphelin. Au-dessous de Forphelin il est un êtrenbsp;plus faible encore, plus nul en quelque sorte, et par cela même plusnbsp;digne des soins maternels de la charité : c’est Forpheline. Qui diranbsp;tout ce que Rome fait pour elle? iNulle ville dans Ie monde ne manifeste aulant de prévoyante sollicitude et de persévérante générosilé ennbsp;faveur de ces enfants que leur faiblesse naturelle expose a mille dangers, et dont Fexistencc obscure est néanmoins une cause puissantenbsp;de salut ou de ruine pour les moeurs publiques. Comme Ie mineurnbsp;suit dans les entrailles de la terre Ie filon tortueux de la mine qu’ilnbsp;exploite; nous voulümes aussi, malgré les zigzags inévitables, suivrenbsp;la charité romaine dans toute cette partie de son empire. Outre lesnbsp;grands hospices de Saint-Michel et de Sainte-Marie-des-Anges, unnbsp;grand nombre d’autres asiles sont ouverts a Forpheline : nous frap-pames a toutes les portes.
Voici d’abord Sainte-Catherine-des-Cordiers. Deux saints qu’on rencontre souvent a Rome lorsqu’il s’agit d’cEuvres de charité, saintnbsp;Philippe de Néri et saint Ignace, donnèrent naissance a cette maison.nbsp;Elle se compose de religieuses Augustines, d’orphelines et de jeunesnbsp;filles nobles. Ces dernières, confiées aux religieuses pour leur éduca-tion, paient une pension alimentaire. Les orphelines élevées gratuite-ment sont appelées filles de FInstitut; pour être admise, il sufifit a lanbsp;jeune enfant d’être pauvre et orpheline. Les filles de FInstitut et lesnbsp;pensionnaires ont Ie même genre de vie, et leur trailemenl est meilleurnbsp;que celui des autres eonservatoires, paree que Fon y re^oit surtoul desnbsp;jeunes filles nées de families pauvres, mals distinguées. Si elles se ma-rient, leur dot est de 50 éeus remains; si elles se font religieuses dansnbsp;Ie monastère, elles ont Ie privilége de ne rien ajouter a la dot que leur
-ocr page 236-232 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
fait la maison elle-même; si elles y viennent du dehors, elles doivent apporter une dot de 400 écus : toutes s’occupent ^ divers ouvrages denbsp;femme commandés par Fétablissement ou par des élrangers. Dans Ienbsp;premier cas, elles ne sont pas payées; dans Ie second, Ie gain tout en-tier leur apparlient. Les travaux les plus fatigants sont a la charge desnbsp;soeurs converses; les autres sont conCés aux jeunes filles elles-mêmes,nbsp;afin de les habltuer aux soins domestiques. On admire ici la belle fon-dation du cardinal de Saint-Onuphre, qui a laissé au conservatoire unenbsp;rente pour l’entretien de deux jeunes filles nobles et en danger de senbsp;perdre. Par un pieux usage, les élèves récitent chaque jour les Psau-mes de la Pénitence pour les bienfaiteurs (i).
Franchissant une partie de la ville, nous vinmes au mont Caelius, oü nous attendait un autre monument de la charité romaine en faveurnbsp;des orphelines. En 1560, Ie pape Paul IV ouvrit eet asile; il porte Ienbsp;nom des Quatre-Saints-Couronnés dont la colline rappelle Ie glo-rieux triomphe. Les filles de Saint-Augustin s’y dévouent a la mêmenbsp;oeuvre que les soeurs de Sainte-Catherlne. Les orphelines qu’ellesnbsp;élèvent gratuitement sont ordiuairement au nombre de douze. Sousnbsp;leur direction, les jeunes personnes re^oivent une education solide-ment chrétienne, et s’occupent de la confection des linges d’église,nbsp;ainsi que des soins de la cuisine, de la dépense et de l’infirmerie, pournbsp;se preparer a être de bonnes femmes de ménage. Elles sont fibres denbsp;se consacrer amp; Dieu dans la maison même, qui ne se recrute que denbsp;ses propres élèves. Quand elles veulent se marier, l’archiconfrérie denbsp;Sainte-Marie-in-Aquiro leur fournit une dot.
Nous étions prés du Colysée, et dans quelques instants nous fumes au conservatoire des Mendiantes. L’année jubilaire de 1630 vit naitrenbsp;ce nouveau refuge de l’innocence. Sous la protection de la verlueusenbsp;duchesse de Latera, une dame pieuse et dévouée se mit ii recueillir lesnbsp;pauvres jeunes filles qui erraient abandonnées dans la ville, et k lesnbsp;entretenir au moyen des aumones, plus abondantes encore a Romenbsp;pendant les jubilés que dans tout autre temps. Le père Caravita, jésuitenbsp;de grande réputation, vint au secours de l’oeuvre naissante et accrutnbsp;le conservatoire jusqu’au nombre de cent personnes. Dans le principenbsp;ces pauvres filles s’en allaient dans les rues chanter des cantiques spi-rituels et recueillir des aumónes : de la le nom de Mendiantes qu’ellesnbsp;portent encore. Le nouveau conservatoire devint célèbre par la fabrication des tissus de laine; et il conserva sa réputation jusqu’aux trou-
(i) Constanzi, p. 119.
-ocr page 237-LES MENDIANTES. 233
bles politiques du siècle dernier. Aujourd’hui les orphelines ne tra-vaillent plus la laine, paree que, dit-on, leur santé s’en trouvait mal. Néanmoins, comme Ie conservatoire a toujours Ie privilege de fournirnbsp;des draps au gouvernement, il les fait fabriquer a ses risques et pé-rils. La communauté compte aujourd’hui-quatre-vingt-dis personnesnbsp;occupées des travaux de leur sexe et surtout d’ouvrages en colon.
Le cardinal Prodataire est supérieur de la maison. II admet les orphelines qu’il juge dignes de cette faveur, et, selon la coutume ro-maine, on les garde jusqu’a leur mariage ou è leur entrée en religion.nbsp;Le produit que les jeunes filles tirent de leurs occupations leur ap-partient, k la charge de se pourvoir de vêtements, excepté de celuinbsp;d’uniforme qui leur est donné par l’établissement. II se compose d’unnbsp;corsage de couleur cendrée, et de deux voiles dontl’un couvre la téte,nbsp;l’autre retombe sur les épaules (i). Les jours de dimanche et de fête,nbsp;lorsque les dilférents conservatoires avec leurs longues files d’enfants,nbsp;au costume gracieux et modeste, se rendent pieusement en pèlerinagenbsp;aux basiliques, Rome présente un spectacle attendrissant. La chariténbsp;semble montrer avec un orgueil tout maternel ses nombreuses enfantsnbsp;è ses amis et a ses ennemis, et, malgré son désir de critiquer, lenbsp;voyageur ne peut qu’applaudir. Le conservatoire des Mendiantes,nbsp;établi dans un beau palais, passe pour le plus vaste de tous ceux denbsp;Rome. Nous y trouvèmes des salles superbes ornées de riches peintu-res, etun grand jardin plantéd’arbres, qui offre beaucoup d’agrément.
Pour perpétuer les vicloires de ses généraux, Rome ancienne avait érigé des temples, des obélisques, des arcs de triomphe sur toutes sesnbsp;collines; conduite par un autre esprit, Rome chrétienne a placé auxnbsp;mêmes lieux les monuments de ses paisibles conquêtes. Le mont Es-quilin nous appelait pour nous montrer un de ces sanctuaires, oü lanbsp;religion et la charité travaillent de concert a la réhabilitation de lanbsp;nature humaine. Avant de gravir la célèbre colline, nous visitames lenbsp;conservatoire des Sandales (Zoccoletto). Tel est le nom vulgaire qu’anbsp;valu aux orphelines des saints Clément et Crescent la forme primitivenbsp;de leur chaussure. Soixante personnes habitent ce conservatoire, quinbsp;remonte a plus d’un siècle. L’aumónier du Saint-Père en est le supérieur; ony regoit les orphelines de 7 è H ans. La jeune fille en entrantnbsp;doitêtremunie de tousles obj ets nécessaires a une femme. La confrérienbsp;de l’Annonciation et le chapitre du Vatican accordent des dots è cellesnbsp;qui se marient ou qui se font religieuses. Les élèves se fournissent
(i) Conslanzi, p, 126.
-ocr page 238-2Ö4 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
elles-mêmes des vétements sur Ie produit de leurs ouvrages. Elles se partagent les travaux de la couture, du blanchissage, du racoommo-dage, de la cuisine, etc. Durant Ie jour on admel dans les ateliers desnbsp;jeunes lilies du dehors pour leur enseigner la couture et les ouvragesnbsp;de leur sexe. Les bitiinents nous parurent Irès-beaux et tenus avecnbsp;beaucoup de propreté.
Quand vous serez au mont Esquilin, prés des Philippines, on vous montrera une modeste maison appclée Ie Conservatoire de la Vierge-des-Douleurs. Si vous en demandez Fhistoire, on vous dira : Un jour,nbsp;Ie prince Baldassare Odelcaschi rencontra dans la rue deux pauvresnbsp;petites filles abandonnées qui lui demandèrent 1’aumóne en pleurant.nbsp;Saisi de pitié é leur triste aspect, il résolut de les enlever aux périlsnbsp;auxquels ces malheureuses étaient exposées sur la voie publique, et lesnbsp;conduisit dans son palais oü il les fit nourrir et élever. Plus tard, sonnbsp;fils don Charles, qui depuis a quitté la pourpre pour revêtir Ie simplenbsp;habit de jésuite, réunit ces pauvres filles a d’autres que la charité avaitnbsp;recueillies, et les pla§a dans une maison sur Ie mont Esquilin. Lenbsp;jour de Saint-Louis 1816, il installa la maitresse et ses élèves et songeanbsp;dés lors a faire un établissement d’utilité plus générale. Réfléchissant,nbsp;d’une part, que Rome, si riche en monastères et en conservatoires,nbsp;offre très-peu de lieux oü, moyennant une faible pension, des femmesnbsp;puissent vivre ensemble; considérant, d’autre part, que, suivant unenbsp;régie trés-prudente, les conservatoires ne rcQoivent que des enfantsnbsp;au-dessous de douze ans : il voulut que son établissement aocueillit,nbsp;pour la modique rétribution de quatre ou cinq écus par mois, lesnbsp;jeunes filles au delé de douze ans, ni assez pauvres pour obtenir unenbsp;place gratuite dans les conservatoires, ni assez riches pour payer unenbsp;plus forte pension.
Get établissement comblait done une lacune; aussi dans peu d’années il est devenu florissant. Il a de plus I’avantage de ne point conservernbsp;de personnes ügées : toutes les élèves se marient, se font religieusesnbsp;ou rentrent dans leurs families (i).
A deux pas de la, nous visitümes le conservatoire Borromée. Ici on trouve amp; peu prés les mêmes usages, les mêmes travaux que dans lesnbsp;autres asiles : la dot y couronne l’éducation et assure l’avenir de lanbsp;jeuneorpheline. Montant jusqu’a Sainte-Marie-Majeure, nous saluümesnbsp;Ia divine Mère sous la protection de laquelle sont placés la plupart desnbsp;conservatoires de jeunes filles, et nous arrivftmes è la rue des Quatre-
(i) Moricli., p. 133,136.
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VISITE AU CARDINAL MEZZOFANTl.
Fontaines. Le refuge des Trinitaires et de Sainte-Euphémie nous rap-pela des noms bien chers aux catholiques. Léonard Ceruso, que nous avons vu recueillir les enfants vagabonds, le cardinal Baronius, lenbsp;cardinal vicaire Rusticucci furent les fondateurs et bienfaileurs denbsp;ce conservatoire, qui conlient environ quarante élèves. Le zèle, l’inno-cence et la charité habitent eet asile, dont les batiments trop exigusnbsp;ne devraient peut-être contenir que la moitié moins de monde.
Des Quatre-Fontaines nous dirigeames notre course vers la Propa-gande, et de la, descendant la longue rue du Babouino, nous arrivimes au conservatoire de la Divine-Providence ; sur la rive du Tibre ap-pelée Ripetta, s’élève ce nouvel asile de la faiblesse et de l’innocence.'nbsp;De vastes batiments et des ressources considérables permettent de re-cevoir cent pensionnaires nées de families pauvres mais honnêtes.nbsp;Pendant prés d’un siècle, l’établissement fabriqua avec un grandnbsp;succès des gants et autres ouvrages en peau. Les manufactures de Naples lui ont faitdans ces derniers temps une concurrenceinsoutenable.nbsp;Aujourd’hui les élèves se livrent è lous les ouvrages de leur sexe, etnbsp;Ie produit de leur travail leur appartient tout entier. Comme auxnbsp;Zoccolante, on adraet en apprentissage quelques pauvres jeunes fillesnbsp;étrangères a l’établissement. L’église sert d’oratoire domestique oünbsp;les jeunes filles vont souvent accomplir leurs devoirs religieux. Dansnbsp;les promenades, vous les voyez, suivant l’ancien usage de la maison,nbsp;divisées par bandes de cinq, vêtues d’une robe noire, d’un schall, d’unnbsp;chapeau et d’un voile de la mêrae couleur : elles ne sortent jamais lesnbsp;jours de fête. Une dot de 100 écus leur est donnée en cas de mariagenbsp;OU d’entrée au couvent.
5 FEVRIER.
Visite au cardinal Mczzofanti. — Anecdotes. — Charité romaine pour 1’orpheline (suite). — Conservatoire pie. — Sainte-Marie-du-Refuge. —Dots. — Archiconfrérie de l'An-nonciation. — Chapelle papale a la Minerve.
La journée commen^,a par une visite au cardinal Mezzofanti. Souvent j’avais rencontré 1’illustre philologue è la Propagande, oü 11 venaitnbsp;passer la soirée. Bon, aÖable, modeste, il se mêlait parmi les élèves,nbsp;et parlait tour ii tour l’arabe, le turc, l’arménien, le chinois et vingtnbsp;autres langues avec une facilité qui tient du prodige. Lorsque j’entrainbsp;chez lui, je le trouvai étudiant le has-hretoui et je ne doute pas qu’ilnbsp;ne puisse bientöt en remontrer aux habitants de Vannes et de Pléca-
256 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
deuc : son Éminence me confirma deux fails importants. Le premier, Yunite fondamenlale de toutes les langues. Cette unité se reconnaitnbsp;surtout aux parlies du discours qui sonl les mêmes ou a peu prés dansnbsp;lous les idiomes. Le second, la trinité des dialectes dans la languenbsp;primitive : trinité qui correspond aux trois races de l’espèce humaine.nbsp;Pour le cardinal il est démontré qu’il n’y a que trois races sortiesnbsp;d’une souche commune, comme il n’y a que trois langues ou dialectesnbsp;priucipaux d’une langue primitive ; la langue et la race japhétique ;nbsp;la langue et la race sémétique; la langue et la race de Chain. Ainsi l’u-nité d’espèce humaine et la trinité de races, élahlies par tous les monuments de l’histoire, setrouvent encore appuyées de 1’autorité du phi-lologue le plus extraordinaire qu’on ait jamais connu.
Le témoignage du cardinal est d’autantplus imposant que sa science linguistique ne se borne pas a une connaissance superhcielle. Parminbsp;les idiomes qu’il possède, il n’en est pas un dont il ne connaisse lesnbsp;termes vulgaires, les dictons, les adages et toute cette difficile nomenclature qui constitue la partie populaire d’une langue. Un jour il de-mandait ü un de nos amis de quelle province de France il élait? — Denbsp;la Bourgogne.—Ah! Vous avez deux patois bourguignons; lequelnbsp;parlez-vous? — Je connais le patois de la Basse-Bourgogne. — Et Ienbsp;cardinal se met a lui parler le. bas-bourguignon avec une facilité quinbsp;aurait rendu jaloux tous les vignerons de Nuits ou de Beaune. Onnbsp;connait aussi l’anecdote rapportée par lord Byron. Le célèbre poète,nbsp;qui savait plusieurs langues, se croyait un phónix, et arrivé a Bolognenbsp;oü résidait encore l’abbé Mezzofanti, il voulut le voir, afin de Ie mettrenbsp;è l’épreuve. II le tate sur les langues étrangères en enfin sur l’anglaisnbsp;en lui citant les jurons qu’il a entendus de Ia bouche des bateliers,nbsp;des porlefaix, des postillons, des muletiers, etc. Quand il a fini : —nbsp;Est-ce tout, lui demande le modeste abbé? — A moins d’en inventer,nbsp;il n’y en a pas d’autres. —Vous êtes dans 1’erreur, milord ; et il luinbsp;révèle mille gentülesses inconnues au riche dictionnaire de John Buil.nbsp;Au dèmeurant, voici de quellé manière lord Byron lui-même racontenbsp;le fait; « Je ne me rappelle pas un seul des littérateurs étrangers quenbsp;j’eusse souhaité revoir, e.xcepté peul-étre Mezzofanti, qui est un pro-dige de langage, Briarée des parties du discours, polyglotte ambulant,nbsp;qui aurait dü vivre au temps de la tour de Babel, comme interprètenbsp;universel; véritable merveille, et sans prétention encore! Je l’ai taténbsp;sur toutes les langues desquelles je savais seulement un juron ou adjuration des dieux centre postillons, sauvages, forbans, bateliers, matelots, pilotes, gondoliers, muletiers, conducteurs de chameaux, vetiu-
COJiSERVATOIKE PIE. nbsp;nbsp;nbsp;237
rini, maitres de poste, chevaux de poste, maisons de poste, toute chose de poste! et pardieu! il m’a confondu dans mon propre idiome (i). »
En sortant, je m’aperfus ou plulót je me rappelai qne nous étions en plein carnaval. La place du Peuple était couverte d’équipages entrant au Corso pour lancer et recevoir des confetti. II faut savoir quenbsp;Ie carnaval jette Ie peupleroinain dansl’ivresse du bonheur. Croirait-onnbsp;que, pour obtenir mon baïoque, un pauvre me souhaita, entre millenbsp;autres choses, un bon carnaval: padrone, buon carnovale? Comment trouvez-vous cela? En France, faire un pareil soubait a un prêlrenbsp;connu pour tel, comme je l’étais de mon Romain, ne serait-ce pas unenbsp;moquerie et presque une injure? A Rome il n’en est pas ainsi: autresnbsp;lieux, autres moeurs; je diral plus lard un mot de tout cela.
En suivant notre itinéraire, nous avions fait Ie tour de Rome. Partis de rhópilal du Saint-Esprit, nous nous retrouvions devant ce. premiernbsp;asile oü la charité attend Fhomme qui entre dans la vie. Au dela dunbsp;Vatican, Ie Janicule nous appelait pour nous montrer ses merveilles.nbsp;Passant prés de Saint-Pierre-w-ilfow^on'o, nous arrivAmes vers Ie soirnbsp;au conservatoire Pie. Deu^Poniifes, saint Pie V et Pie VI, d’immor-lelle mémoire, furent les pères et les bienfaiteurs de cette maison :nbsp;pouvait-elle prendre un nom plus glorieux? Situé dans un lieu charmant, 1’établissement eut autrefois une róputation méritée pour sanbsp;fabrique de toiles, de nappes et de nappages damasquinés; les boule-versements du dernier siècle ont détruit cette industrie. Les jeunesnbsp;orphelines n’ont plus aujourd’hui que les travaux a l’aiguille, procurésnbsp;en général par les élèves elles-mêmes; il faut y ajouter la lingerie et Ienbsp;blanchissage du collége de la Propagande. Vous les reconnaissez ii leurnbsp;costume composé d’une robe couleur café, d’une guimpe blanche surnbsp;les épaules, et d’un voile sur la lête. Comme dans les autres asiles, ilnbsp;leur est permis de voir leurs parents, mais jamais d’aller diner cheznbsp;eux. Le cardinal camerlingue est protecteur né de l’institut; de lui dé-pendent les admissions. On ne congédie personne : mais la mort, lenbsp;mariage et le cloitre font souvent des vides. La prieure et les maitresses sont choisies parmi les anciennes pensionnaires; ce qui donnenbsp;a la maison Pair, le ton et l’esprit d’une véritable familie.
Sur la méme colline est le coaservaloire deSainte-Marie-du-Refuge. II remonte a 1703, et doit son origine au pieux oratorien Alexandrenbsp;llussi, le père des pauvres et l’ami des papes Clément XI et Benoit XIII.nbsp;Etabli sur des bases plus larges que les autres asiles, ce conservatoire
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revolt les jeunes filles de treize a vingt-six ans, orphelines et privées de soutien. L’usage général d’admeltre les élèves plus jeunes est cer-tainement très-louable; mais il est fort utile aussi qu’il y ait un lieunbsp;comme celui que nous visitons en ce moment, pour sauver de tous pé-rils les femmes un peu plus iigées. On y compte environ cinquanlenbsp;pensionnaires élevées dans la piété, dans Ie travail et dans l’habiludenbsp;des occupations domestiques. Elles achètent elles-mêmes leur uniformenbsp;noir sur Ie salaire de leurs travaux en lingerie, broderie et ornementsnbsp;sacrés.
Le soleil était sur son déclin lorsque nous descendimes du Janicule. La journée avail été bonne : nous avions fait une riche moisson, et unnbsp;échange continuel d’observalions occupa le long trajet que nous avionsnbsp;è parcourir jusqu’è la rue des Macelli. Sur tous les points de la citénbsp;nous avions vu la charité romaine postée pour saisir et cacher dansnbsp;son sein maternel et la jeune fille délaissée et l’innocente orpheline.nbsp;Intelligente dans sa tendresse, elle proportionne l’éducation a la position future de ses pupilles; point de lu.xe d’instruclion, point de délicatesse dans les habitudes, point de recherches dans les vêtements;nbsp;l’éducation est èi la letlre l’apprentissage de la vie. Mais ce qui nousnbsp;avail surtout frappés, c’est le soin d’assurer l’avenir de la jeune orpheline. Rome ne fait pas les choses a moitié; tandis qu’ailleurs l’a-doption n’est que lemporaire, ici elle est perpétuelle. Si cela lui con-vient, la jeune fille peut vivre et mourir dans l’asile qui accueillit sonnbsp;enfance. Si ses gouts l’appellent ailleurs, on ne lui laisse franchir Ienbsp;seuil du conservatoire qu’au moment oü son sort est assuré, soit parnbsp;le mariage, soit par la profession religieuse. Ainsi sont prévenus denbsp;terribles dangers préparés ^ la jeune fille pauvre, partout oü cettenbsp;sage conduite est inconnue : qu’arrive-t-il en effet le plus souventnbsp;parmi nous? Vers l’ége de seize a dix-huit ans on congédie de l’hos-pice l’enfant orpheline ou abandonnée. Seule, sans appui, sans expé-rience, elle entre comme domestique dans la première maison qui lmnbsp;ouvre la porte. Bientót elle sera perdue; elle deviendra un scandalenbsp;public, et rougira peut-être ses mains homicides dans le sang de TiB'nbsp;nocence ou remetlra des enfants a la charge de la charité puhliqu^»nbsp;en attendant qu’elle aille elle-même peupler les prisons ou mourir anbsp;l’hospice. Ainsi, sous le rapport moral et même sous le rapport éco-nomique, l’adoption perpétuelle est incontestablement préférable.
Enfin, ce qui est digne de toute Eattenlion des économistes vraiment dignes de ce nom, c’est la dot si généreusement accordée dans tousnbsp;les conservatoires ü la jeune fiancée ou a la future religieuse. II y a
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ce me semble, tout h la fois une profonde connaissance du coeur hu-main, une volonté bien arrêlée d’assurer le plein succès de la première éducation et une puissante garantie pour les bonnes moeurs : c’est icinbsp;le caractère propre de la charilé romaine. Nulle part elle ne se montrenbsp;plus généreuse que dans la création des dots pour les jeunes filles pau-vres qui veulent se marier ou entrer en religion. Aussi serait-il impossible de faire un dénombrement exact de toutes les dols qui senbsp;distribuent chaque année dans cette Rome si maternelle, si clair-voyante et pourlant si peu connue. Outre celles que des families richesnbsp;ont constiluées, il faudrait compter les dons matrimoniaux des mo-nastères, des chapitres, des congrégations, des nombreuses confréries : il sufBt de dire que presque toutes les oeuvres de religion et denbsp;charilé ont ü satisfaire è des legs pieux fails dans ce but. II n’est pasnbsp;jusqu’a la loterie qui ne doive fournir des secours dotaux.
A chaque tirage de Rome, elle doit donner SOO dols de 30 écus a autant de jeunes Romaines indigentes dont les noms se trouvent acco-lés aux cinq cents numéros sortants. Les lirages qui se font dans lesnbsp;aulres villes sont soumis a Ia même obligation. En outre, le sénateurnbsp;de Rome distribue chaque mois trois dots a trois lilles des membresnbsp;de la milice urbaine. Pie VII en a créé plusieurs pour les lilles et pe-tites filles des malheureux naufragés perdus sur les cótes de l’Adria-tique. En un mot, Rome distribue chaque année douze cents dots, etnbsp;comme le nombre des mariages est de mille quatre cents, presquenbsp;toutes les filles peuvent en profiler : 32,000 écus sont consacrés h cettenbsp;oeuvre (i).
Le bienfait s’étend non-seulement aux jeunes filles élevées dans les conservatoires, mais encore celles qui habitcnt au sein de leur familie. Ici se manifeste avec un éclat nouveau le cóté moral de Ia dotation. La célèbre confrérie de YAnnonciation, qui distribue chaquenbsp;année quatre cents dots, exige, pour admettre la jeune fille a ses largesses, qu’elle soit pauvre, de bonne reputation, romaine, née de lé-gitime mariage, et qu’elle n’habite point avec des personnes suspec-tes. Les orphelines sont préférées a toutes les autres, et si elles sontnbsp;étrangères, on les considère par ce seul fait de leur abandon, commenbsp;romaines. Afin d’obliger les parents ii veiller efficacement sur leursnbsp;filles en les éloignant de toute profession suspecte, la confrérie exclutnbsp;celles qui vivent dans les hótels, vont travailler aux vendanges, auxnbsp;coupes de bois, aux moissons, les aubergistes, cabaretières, blanchis- 1
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seuses et grainelières. Dès l’age de quinze ans, celles qui ne sont dans aucun cas d’exelusion peuvent déposer entre les mains de Tarchicon-frérie leurs certificats. Les visiteurs, choisis parmi les hommes lesnbsp;plus murs et les plus probes de la société, vont s’assurer dans lanbsp;maison même de leur pauvreté et de leur conduite. Après trois ans denbsp;surveillance et d’épreuve, elles obtiennent leur dot. Cette espèce denbsp;patronage, qui s’exerce pendant les trois années les plus périlleuses denbsp;la vie sur les jeunes lilies qui sollicitent des dots et qui sont fort nom-breuses dans la ville, doit influer très-avantageusement sur Ia moralenbsp;publique.
Le jour de l’Annonciation, on délivre Ie diplóme dotal, et je dois dire qu’on est heureux d’être amp; Rome ce jour-la. Dans la matinée, lenbsp;Saint-Père se rend è l’église de la Minerve; il y tient chapelle papale,nbsp;c’est-a-dire qu’il assiste, environné du sacré Collége, a la messe quinbsp;est célébrée par un des cardinaux. La vaste église est pleine de monde;nbsp;aux places d’honneur sont.toutes les jeunes lilies vêtues jde blanc.nbsp;Après la messe, le Saint-Père admet au baisement des pieds quelques-nnes de ces heureuses enfants. Elles représentent celles de leurs com-pagnes qui, comme elles, se destinent a Ia vie religieuse. Le mêmenbsp;jour, elles font toutes ensemble une procession solennelle; puis ellesnbsp;se séparent, les unes pour entrer dans le monde, les autres pour senbsp;retirer h l’ombre du cloitre : bien des larmes coulent des yeux desnbsp;enfants, des parents et des spectateurs. Toutefois, s’il y a separation,nbsp;il n’y a pas isolement. Ces deux jeunes generations, reunies uii instantnbsp;sur le chemin de la vie, continueront de se prêter un mutuel appui ;nbsp;Tune priera sur la montagne pendant que l’autre combattra dans lanbsp;plaine, jusqu’au jour solennel oü réunies de nouveau devant le Diennbsp;de l’éternité, elles recevront la même cöuronne obtenue dans des combats différents.
4 FÉVRIER.
CUariic romaine pour les malades. — Ilópital de Saint-Sauveur, — de Saint-Jacques, — de Saint-Gallican.
Les jours précédenls nous avions suivi la charité romaine au seuil de la vie. Ce qu’elle fait pour sauver de la mort l’enfant nouveau-né,nbsp;OU protéger l’orphelin contre la cruelle misère, et l’orpheline contrenbsp;Ia misère et la séduction, nous est connu. Reprenant aujourd’huinbsp;notre itinéraire, nous arrivèmes bientót b une nouvelle station. A
CHAKITÉ ROMAI.NE POLR LES MALADES. 241
peine Thomme est-il entré dans son pèlerinage que la douleur physique, la maladie sous toiites les formes, Tattend et Ie saisit, comme Ie cruel vautour saisit sa proie pour la déchirer et la faire expirernbsp;loute vive. Afin de Ie soustraire a ses funestes atteintes en lui rendantnbsp;Ia santé, Rome lui a préparé dix-neuf hópitaux oü l’attendent des secuurs de tout genre. Deux sont destinés spécialement aux maladiesnbsp;médicales : Ie Saint-Esprit pour les hommes, Saint-Sauveur pournbsp;les femmes. Ici encore se manifeste Ie caractère vraiment catholiquenbsp;de la charité romaine.
Vous êtes tout a coup saisi par la fièvre si commune en Italië vers la fin de l’été; vous étes étranger, vous êtes pauvre, n’importe, pré-sentez-vous a l’hópital du Saint-Esprit. Qui qite vous soyez, quels quenbsp;soient votre age, votre patrie, votre condition, votre religion, la portenbsp;s’ouvrira sur-le-champ devant vous. On ne vous demandera ni passe-port, ni certificat, ni profession de foi, ni recommandation aucune;nbsp;vous êtes malade, ce titre vous tient lieu de tont : la charité vous revolt les yeux fermés et les bras ouverls. II y a mieux; si seulementnbsp;vous vous croyez malade, sans en avoir la certitude, frappez encore;nbsp;vous serez accueilli avec empressement. Dans la crainte de vous com-muniquer la maladie que vous n’avez peut-être pas, on vous placeranbsp;dans une salie particuliere d’observation. Le médecin vous visitera,nbsp;des soins assidus vous seront prodigués, jusqu’a ce que, le doute senbsp;changeant en certitude, vous deviez entrer définitivement it Thospicenbsp;OU que vous puissiez retourner avec confiance a vos affaires.
Comme nous avions déja visité Fhópital du Saint-Esprit, nous nous rendimes directement a Saint-Sauveur. Traversant pour la vingtièmenbsp;fois et le Capitole, et le Forum, et le Colisée, nous arrivêmes a Fhê-pital, situé non loin de ces lieux si trislement célèbres par les cruautésnbsp;de Fancienne Rome. II est, comme nous Favons dit, exclusivementnbsp;destiné aux femmes : on les y admet, selon la généreuse coutume denbsp;la charité romaine, sans distinction d’age, de condition, de patrie etnbsp;de religion, dès qu'elles sont atteintes de maladies médicales, aigucsnbsp;OU chroniques. L’établissement compte quatre grandes salles, qui peu-vent recevoir ensemble 578 malades. Une exquise propreté fait 1’or-nement de ce vaste hópital. J’avoue que nous fumes charmés de re-trouver ici cette qualité suréminente et si utile de nos hópitauxnbsp;francais. Parmi les moyens employés pour 1 obtenir, on remarque lesnbsp;petits trous faits sous les lits, dans la partie inférieure des murs. Cenbsp;moyen, inusité, je crois, ailleurs, est très-utile pour la salubrité et lenbsp;renouvellement de Fair, ainsi que les conduits murés dans le pavé desnbsp;falies pour en éloigner teute cause d’humidité.
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Dans la grande salie, comme è Gönes, et en général dans les hópi-taux d’Italie, de nombreuses inscriptions rappellent les noms des bienfaiteurs. Au premier rang, il faut compter la pieuse princessenbsp;Thérèse Doria Pamphili. L’hópital de Saint-Sauveur lui doit son plusnbsp;bel ornement: les Soeurs hospitalières. Formées sur Ie modèle de nosnbsp;Filles de Saint-Vincent-de-Paul, elles se dévouent au soin des mala-dcs; font les quatre voeux simples de pauvrelé, de chasteté, d’obéis-sance et d’hospitalité : Notre Saint-Père Ie Pape Grégoire XVI a con-firmé leur institut. Outre les soins maternels des religieuses, lesnbsp;malades de Saint-Sauveur regoivent, comme ceux du Saint-Esprit etnbsp;des autres hópitaux de Rome, les services charitables des associationsnbsp;pieuses. Aiix jours marqués, les nobles femmes qui en font partienbsp;viennenl payer leur tribut de zcle et d’affectueux dévouement. Septnbsp;prêtres habilent l’établissement : 1’un, comme prieur, est cbargé denbsp;la discipline; les autres assistent les mourants. Le zèle amène souventnbsp;il leur secours d’autres ouvricrs évangéliques du clergé séculier et régulier, qui viennent procurer aux infirmes l’abondance des consolations spirituelles : un grand exemple les encourage. Nous lumes avecnbsp;bonheur, dans la Salle-Neuve, une inscription qui mérite bien d’êtrenbsp;conservée. Elle rappelle que le pape Clément XI, étant venu visiternbsp;1’bópital, trouva un malade a l’agonie et ne le quilta plus, lui prodi-guant les soins et les exhortations religieuses, jusqu’ii ce qu’il le sentitnbsp;expirer dans ses bras. Comme au Saint-Esprit, une pieuse confrérienbsp;accompagne cbaritablement de ses prières les morts que Pon trans-porte de l’hópital au campo santo.
Le Saint-Esprit et Saint-Sauveur, tels sont les deux asiles préparés aux maladies ordinaires. Si le pauvre fils d’Adam est alteint d’unenbsp;maladie qui demande des opérations douloureuses et un traitementnbsp;spécial, la charité lui montre le chemin de Saint-Jacques, de Saint-GalHcan et de Sainte-Marie-de-la-Consolation. l^ous primes le mêmenbsp;chemin et nous allames visiter ces nouveaux theatres oü la charité dispute a la maladie ses trop nombreuses victimes. La place Trajane, lanbsp;place Colonne, l’ancien quartier du Champ de Mars, furent rapide-ment franchis et nous arrivtlmes non loin du mausolée d’Auguste ; icinbsp;se trouve l’hópital Saint-Jacques, destiné a la haute chirurgie. On ynbsp;re^/Oit les malades des deux sexes, sans distinction de religion et denbsp;pays, qui ont des plaies, des ulcères, des humeurs, des syphilis, etc.nbsp;Pour étre admis, il sulEt d’etre pauvre et atteint d’une maladie incurable : Saint-Jacques peut contenir trois cent soixante-seize lits- Lesnbsp;soins médicaux sont administrés par deux médecins et deux chirurgiens
HÓPITAL DE SAINT-JACQDES. 243
en chef, deux substituts, deux assistants et quinze élèves attachés a l’hópital. Suivant Fusage, autrefois général en Europe, tous ces hommesnbsp;de Fart portent un costume particulier. Le surtout rouge, couleur ordinaire des chirurgiens, est pour les étudiants; le blanc pour les mé-decins.
Pour faire accepter au malade ces remèdes quelquefois bien amers, pour le consoler, pour remuer sa couche douloureuse, et Fentourernbsp;d’attentions délicates, nous trouvèmes des religieuses hospitalières,nbsp;auxquelles viennent se joindre souvent les dames romaines de la plusnbsp;haute distinction. Une commission indépendante, composée d’un prélat, d’un ecclésiastique et d’un laïque, dirige Fhópital; un prieur sur-veille la discipline ; voila pour le matériel. Quatre chapelains admi-nistrent les secours spirituels aux malades, visités en outre par denbsp;charitables prêtres et de pieux laïques. De leur cöté, les dames quinbsp;viennent servir et consoler les femmes infirmes, s’efforcent de les ra-mener è une vie chrétienne : elles réussissent souvent. Terminons cenbsp;qui regarde les soins spirituels, par cette touchante parole d’unnbsp;historiën : « Heureux, dit-il, les pauvres qui finissent leurs jours itnbsp;Saint-Jacques; d’abondantes prières leur sont assurées après leurnbsp;mort (i). »
A la tête de ses bienfaiteurs, Fhópital vous montre deux cardinaux et un pape dont les noms bénis vivront ii jamais dans le coeur desnbsp;pauvres. En 1338, le cardinal Jacques Colonna s’apergut que les malades couverts d’ulcères et de plaies étaient, ó cause de la laideur etnbsp;de la longueur de leurs maux, rejetés des hospices. Touché de pitié,nbsp;tl ordonna, dans son testament, qu’un asile leur fut ouvert ; on élevanbsp;done Saint-Jacques surnommé in Augusta, a raison du voisinage dunbsp;mausolée d’Auguste. Digne émule de Fillustre fondateur, le cardinalnbsp;Salviati, qui vécut au xvn“ siècle, embellit Fhópital et le dola de reve-nus considérables. Enfin, Fexcellent Pie VII y joignit Fécole de cliniquenbsp;chirurgicale pour les hommes et les femmes. Si vous ajoutez une bonnenbsp;pharmacie, avec laboratoire et jardin, une bibliothèque a Fusage desnbsp;étudiants, un vaste amphilhéatre, une chambre d opérations et denbsp;bains, vous aurez une idéé de eet important hópital (2).
Faisant un pas de plus dans le chemin de la douleur et de la cha-rité, nous gagnames le Transtévère pour visiter Fhospice de Saint-Gallican. Dans combien de lieux le pauvre malade qui ne peut être re^u nulle part, paree qu’il est atteint d’une maladie conlagieuse ou
(0 Constanzi, 1.1, p. 75.
(2) Morich., p. 55.
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LES IROIS ROME.
qui demande un traitement spécial, se voit tristement abandonné! A Rome il ne connait pas cette dure condition; voici un asile créé toutnbsp;exprès pour lui. Saint-Gallican rappelle deux souvenirs que nous re-cueillimes avee bonheur. Au moyen ftge, un lépreux francais était venunbsp;se réfugier au dela de la Porte Angelica. La curiosité et la compassionnbsp;lui attiraient de nombreuses visites. II reeueillit assez d’aumónes pournbsp;établir lui-méme une petite maladrerie, oü ses infortunés compagnonsnbsp;pouvaient trouver des soiiis et un abri : l’bospice prit Ie nom de La-zare, Ie lépreux de l’Evangile. Cependant la lèpre ayant peu è peunbsp;disparu, tandis que la gale et la teigne devenaient plus communes, onnbsp;commen^a d’y soigner ces maladies. L’éloignemenl de l’hópital étaitnbsp;un inconvénient; on Ie fit disparaitre en transportant les malades aunbsp;Saint-Esprit. Ils y restèrent jusqu’en 1724, que Ie Pape Benoit XIIInbsp;leur fit batir au Transtévère un hospice spécial, l’un des plus beauxnbsp;de FEurope. Comme tous les Pontifes remains, Benoit XIII, jaloux denbsp;conserver de nobles souvenirs, dédia Fhópital sous 1’invocation denbsp;saint Gallican, personnage consulaire du iv® siècle, qui Ie premiernbsp;avait ouvert a Ostie un asile pour les voyageurs et les infirmes. L’édi-fice terminé, on y mit toutes les maladies cutanées.
Nous fumes regus par un deschapelainsqui eut Fobligeance de nous Ie faire voir dans Ie plus grand détail. Saint-Gallican se compose denbsp;deux grandes salles placées sur la mème ligne. Tune pour les hommes,nbsp;longue de trois cent soixante palmes, Fautre pour les femmes, longuenbsp;de deux cent quarante; elles sont séparées par une église quadrangu-laire, dont un c6té a une porte sur la rue; les trois autres sont termi-nés par des autels. De larges fenêtres bien percées, Fune vis-è-vis denbsp;Fautre, éclairent et rafraichissent les salles; a l’extérieur règne unnbsp;balcon d’oü Fon peut facilenient ouvrir et fermer les croisées sansnbsp;déranger les malades. La salie des hommes peut eontenir cent vingtnbsp;Hts; celle des femmes quatre-vingt-buit. Des salles tenues avec unenbsp;exquise propreté, nous passames dans Ie bel amphithéétre dont Léon XÜnbsp;enrichit Fétablissement. Des préparations anatomiques, six cuves denbsp;bains en marbre, une riche pharmacie avec un laboratoire et unenbsp;chambre d’opérations, assurent aux médecins les ressources, et auXnbsp;malades tous les soins qu’ils peuvent réclamer.
Dans sa prévoyante sollicitude, Benoit XIII a réglé les conditions d’admission. Les malades qui ont a la fois la gale ou la teigne, on lanbsp;lèpre avec la fièvre, sont admis sur-le-champ quels que soient leurnbsp;nom, leur pays, leur religion; ceux qui ont des maladies cutanées sansnbsp;fièvre, vont se faire soigner tous les jours, s’ils demeurent è Rome;
HOSPICE DE SAINTE-MARIE-DE-LA-CONSOLATION. 245
s’ils viennent du dehors, ils sont re^us avec un ordre des supérieurs : lü ne se borne pas la charité romaine. On a remarqué que la teignenbsp;nait principalement de la raalpropreté de la tête, et se irouve commu-nément chez les enfants de la classe pauvre. Quoiqu’ils n’aient pasnbsp;toujours la fièvre, on les admet pourtant a I’hospice jusqu’a leur gué-rison : ils y forment une maison a part. Tous les matins ils assistentnbsp;è la messe avec les autres malades; on pause ensuite leurs maux et onnbsp;les conduit è l’école. Ils ont un réfectoire général, et pour dortoir lanbsp;magnifique salie de Benoit XIV. Pendant le jour, ils peuvent se pro-mener dans les cours intérieures, et mème sortir tous ensemble. Lesnbsp;jeunes füles vivent de même dans leur quartier. Un conseil de troisnbsp;membres gouverne l’höpital; un prieur ecclésiastique dirige la partienbsp;des hommes; les femmes sont conliées a des Soeurs hospitalières quinbsp;ont leur noviciat dans la maison. Deux chapelains et deux confesseursnbsp;sont chargés des soins spirituels : pour ceux du corps, vous avez unnbsp;médecin en chef, un assistant interne, un chirurgien qui fait les coursnbsp;d’anatomie et deux substituts.
S FÉVRIER.
Charité romaine pour les malades qui ont besoin de prompts secours. — Hospice de Sainte-Marie-de-la-Consolation, — ües BenfratelU,— pour les malades chroiüques;nbsp;— pour ceux qui n’ont besoin que de remèdes ou de soins domestiques, les visitesnbsp;et l’aumönerie_apostolique.
Chaque peuple a ses défauts particuliers, le Remain comrae les autres. La deplorable habitude de se battre au couteau semble naturelle au peuple italien, comme aux autres nations méridionales. J’ai vu unnbsp;Francais et un Romain se quereller pour quelques pièces de monnaie.nbsp;Dans son impatience, notre compalriote disait: « Je te paierai a coupsnbsp;de béton. » Le Romain, péle de colère, lui répondit froidement : « Etnbsp;moi avec le couteau : Ed io con coUello. » Les gamins, dans la rue,nbsp;recourent a cette arme, k propos de tout et é propos de rien. Prévenirnbsp;par tous les moyens de semblables exces, et, s’il ne peut, les empêcher,nbsp;en guérir les tristes suites; tel est le devoir d’un bon gouvernement:nbsp;Rome Rentend ainsi. Nous dirons plus tard ce qu’elle fait pour dé-truire 1 abus que nous signalens; l’ordre de nos courses veut que nousnbsp;parlions aujourd’hui du remède qu’elle lui prépare.
Quand vous descendez au Vélabre, on vous montre, non loin de la Roche Tarpéienne, un hópital oü brille l’ordre, la propreté et l’élé-gance. Si vous en demandez le nom, il vous sera répondu : C’est l’hó-TOM. n.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;11
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pital de Sainte-Marie-de-la-Consolation; et vous bénirez Ie génie ca-tholique seul capable de donner aux asiles de la douleur des noms si gracieux et si doux. Toutefois l’auguste Vierge ne fait point oubliepnbsp;l’héroïne qui jadis consacra ces lieux par Fexercice de la plus admirable charité. « C’est ici, vous dira l’bomme du peuple, qu’une noblenbsp;matrone, fille de Symmaque, patrice et sénateur romain, avait coutumenbsp;de donner manger ii douze pauvre : elle s’appelle sainte Galle. Ser-vante des pauvres, elle consacra sa fortune a ses maitres : sa maisonnbsp;fut leur maison ; restaurée, agrandie par les pontifes, elle est devenuenbsp;avec Ie temps Fhopital que vous voyez. »
II est destiné au traitement des blessures, fractures, contusions et de tous les maux qui exigent les prompts secours de la chirurgie. Par-tagé en deux salles parallèles, larges, propres et parfaitement aérées,nbsp;Fune pour les hommes et Fautre pour les femmes, il peut contenirnbsp;cent cinquante-six lils. Rarement ils sont tous occupés, si ce n’est peut-étre au carnaval et en octobre, quand Ie peuple s’abandonne sans re-tenue a ses joies toujours folies et trop souvent sanglantes. Chaquenbsp;jour il se présente des blesses, que Fon soigne gratuitement; aprèsnbsp;quoi on les renvoie chez eux ou bien on leur donne un lit, s’il est nécessaire. Dix hommes de Fart, tant chirurgiens que médecins et étu-diants, demeurent amp; Fhópital, afin que Fapplication des remèdes nenbsp;souiïre aucun retard.
Mais, suivant sa louable coutume, la charité romaine s’occupe sur-tout de la santé de F4me; et combien d’armes homicides elle a fait tomber des mains des malheureux qui n’attendaient peut-être que lanbsp;guérison de leurs blessures pour assouvir leur vengeance! Trois prêtresnbsp;sont la, nuit et jour, pour assisler les malades; puis, vous voyez arrivernbsp;de pieuses confréries qui viennent les visiter, les instruire, les réjouirnbsp;par quelques douceurs. La mort a-t-elle frappé une victirae? De bonsnbsp;frères enlreront li la nuit tombante dans la chapelle funèbre, enseve-liront Ie corps et Ie porteront en priant h sa dernlère demeure (i).
Une légere distance nous séparait de File du Tibre; lè nous appelait une nouvelle oeuvre non moins belle que les précédentes : c’est Fhd-pital tenu par les frères de Saint-Jean-de-Dieu, connus vulgairementnbsp;sous Ie nom des Benfratelli. Fondé en 1381, eet établissement se compose de deux salles élevées, bien claires et bien aérées, qui peuventnbsp;contenir ensemble soixante-quatorze lits. On y soigne les hommes seuls,nbsp;attaints de maladies aiguës et médicales. C’est lii que sont transportés
(i) Constanzi, 1.1, p. 73.
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les pauvres prêtres qui ne peuvent recevoir amp; domicile les secours nécessaires. Excepté Ie médecin en chef, qui fait la Yisite de Thèpital deux fois par jour, tous les infirmiers sont des religieux qui, alterna-tivement, veillenl les malades et les assistent avec une charité extréme.nbsp;Le supérieur lui-même recherche avec empressement les services lesnbsp;plus bas et donne l’exemple a tous. Par une perfection, inconnue mêmenbsp;de nos ordres francais d’ailleurs si dévoués, ces religieux, outre lesnbsp;voBux solennels de chasteté, de pauvreté et d’obéissance, font celui denbsp;soigner les malades. Presque tous sont laïques; quelques-uns seule-ment regoivent le sacerdoce, afin de s’appliquer a la guérison des ftmes.nbsp;Prères des pauvres malades, ils partagent leur nourriture : la mêmenbsp;cuisine sert aux uns et aux autres. Afin que les malades boivent Peaunbsp;la plus pure, on va chaque jour chercher celle de la fontaine Trevi,nbsp;appelée virginale et déja reconnue la meilleure du temps des Remains.nbsp;Je ne dois pas oublier que la France entretient, é l’hópital des Benfra-telli, deux lits pour de pauvres Francais : la dépense est d’un francnbsp;treize centimes par jour.
Que la douleur, prompte comme le vautour, attaque le fils d’Adam avec la rapidité de l’éclair, Rome ne sera pas prise au dépourvu :nbsp;Sainte-Marie-de-la-Consolation en est la preuve. Que la maladie, sem-blahle au serpent du désert, enlace l’homme de ses nombreux replis,nbsp;et ne le conduise au trépas qu’après de longues et cruelles étreintes,nbsp;Rome trouvera encore les moyens de lui arracher ou du moins denbsp;consoler ses victimes; Bien que la plupart des hópitaux resolvent lesnbsp;maladies chroniques, néanmoins le manque d’un lieu spécial pour lesnbsp;soigner, a fait naitre l’heureuse idéé d’établir a Rome des Soeurs de lanbsp;Charité. L’ordre se compose de femmes veuves, mariées ou filles, denbsp;condition honnête, et au-dessus de quarante ans. Les paroisses oü ellesnbsp;sont établies agissent séparément, mais en cas de besoin, elles se sou-tiennent les unes les autres par des préts réciproques de personnes etnbsp;d’argent. Le curé est le premier supérieur, et a le titre de directeur;nbsp;la prieure est la première entre toutes les religieuses. Dès qu’il y anbsp;dans une paroisse un malade chronique, par exemple, un apoplectiquenbsp;OU tout autre, le curé en avertit les Soeurs, qui vont le visiter deuxnbsp;fois par semaine, lui donnent une demi-livre de viande par jour, paientnbsp;le médecin, les remèdes et le chirurgien, fournissent le lit et les lingesnbsp;nécessaires, enfin ne le quittent qu’après la mort ou la guérison. Onnbsp;ne saurait dire avec quelle ardente charité ces bonnes Soeurs assistentnbsp;les infirmes, les servant jour et nuit, s’il le faut. Que diraient les Fa-bius et les Scipions, si, reparaissant dans Rome, ils voyaient leurs
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épouses et leurs filles devenues les servantes de ces pauvres que leur orgueil daignait è peine regarder, et que trop souvent leur cruauténbsp;envoyait mourir de faim dans l’ile du Tibre? Douteraient-ils de lanbsp;bonté, et par conséquent de la divinité de la religion, qui a produitnbsp;un pareil changement dans les moeurs de l’univers?
Les ressources de la société se composent de contributions men-suelles OU annuelles. Chaque paroisse a sa caisse spéciale; mais elle vient dans l’occasion au secours des autres. Plaise aDieu que les angesnbsp;de la charité deviennent assez nombreux, pour se répandre dans lesnbsp;cinquante-quatre paroisses de Rome (i)!
II est une autre maladie souvent chronique et trop souvent incurable, dont Ie traitement exige des soins particuliers : je veux parler de la démence. De toutes les capitales, Rome est celle oü la folie fait Ienbsp;moins de victimes; j’en ai indiqué la cause. ïoutefois, sur ce pointnbsp;comme sur les autres elle s’est montrée généreusement prévoyante, etnbsp;nous voulümes voir son oeuvre. Arrivés a la Longara, nous entrSmesnbsp;dans l’hópital de Sainte-Marie-de-la-Pitié, des pauvres fous. Voilanbsp;encore un de ces noms qui révèle éloquemment Ie coeur lUaternel denbsp;Rome chrétienne. L’hospice date de fS48, et je ne counais pas de villenbsp;en Europe qui en ait eu avant cette époque. Celui de Rome fut fondénbsp;par trois Espagnols, Fernando Ruiz, Diego et Angelo Druno. II sem-ble, par conséquent, qu’on peut en faire honneur a saint Jean-de-Dieu, espagnol lui-même, et dont la charité envers les aliénés avaitnbsp;d’abord attiré la compassion de ses compatriotes sur cette classe d’in-fortunés. Quoi qu’il en soit, Ie cardinal Quera, espagnol, fut Ie premier protecteur de l’hospice de Rome, et saint Charles Rorromée Ienbsp;magnifique bienfaiteur. Les batiments se composent de deux coursnbsp;quadrangulaires, autour desquelles, dans les étages supérieurs, ïontnbsp;les dortoirs, et au rez-de-chaussée les réfectoires, la cuisine, les bainsnbsp;et Ia chapelle.
On admet gratuitement les pauvres de Rome; ceux qui appartien-nent aux autres communes y sont entretenus par elles, moyennant une pension annuelle de cent écus. La nourriture est très-bonne et Ie traitement très-doux : la camisole et les lits de force sont les seuls moyensnbsp;opposés è la violence des furieux. Sainte-Marie-de-la-Pitié compte environ 370 aliénés; comme dans Ie reste de l’Europe, les femmes y sontnbsp;dans une proportion inférieure a celle des hommes. Cette observation,nbsp;jointe amp; beaucoup d’autres, établit que l’excès des passions, les ambi-
(i) Morich., p. 83.
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tions trompees et surtout Taffaiblissement de la foi, sont les causes principales de l’augmentation générale de la folie. Sur cent cas de dé-mence, quatre-vingts sont dus au déréglement des passions. Moins ilnbsp;y a de foi chez un peuple, plus il y a de fous; telle est la formulenbsp;qui résumé toutes les recherches de la science ; avis aux gouverne-ments, aux families, aux individus.
Nous avons vu ce que la charité fait pour Ie malade admis dans les hópitaux. Mais combien d’infortunés pour qui l’éloignement de leurnbsp;familie, l’absence de leur demeure, si chétive qu’elle soit, devient unnbsp;tourment insupportable! combien d’autres encore qui, environnés denbsp;soins attentifs, n’ont besoin que de médicaments! Bonne et tendrenbsp;comme une mère, Rome respecteles affections du pauvre; les remèdesnbsp;nécessaires lui seront envoyés dans sa maison, et il aura la consolationnbsp;de guérir ou de mourir au milieu des siens. Cette attention délicate,nbsp;de la charité romaine, se personnifie dans l’excellent pontife Innocent XII. C’est lui qui, Ie premier, donna i l’Aumónerie apostoliquenbsp;son existence actuelle. Admirable institution! qui étend ses bienfaitsnbsp;sur la cité tont entière, partagée en onze sections nommées visites.
Chaque visite embrasse deux, trois, quatre ou cinq paroisses. Onze ecclésiastiques, vénérables par leurs vertus et par leur charité, président les visites et se nomment visiteurs. Chacune d’elles a son médecinnbsp;et son chirurgien; de plus, un médecin-inspecteur vient souvent con-tróler les actes de ses collègues et la quallté des remèdes. Trois chi-rurgiens lithotomistes et dix pharmaciens complètent Ie personnel etnbsp;les dépendances de Tceuvre. Quand un malade réclame les soins denbsp;l’Aumónerie, il en fait prévenir son curé, qui envoie un billet d’avis ünbsp;la pharmacie. Le médecin y passe tons les matins; trouve Ie billetnbsp;avec 1 adresse du malade, et va le visiter. Si la maladie a un caractèrenbsp;trop grave pour être soignée a domicile, ou si I’infirme manque denbsp;l’entourage nécessaire, on le porte, aux frais de l’Aumónerie, dans unnbsp;hospice. Qrdinairement on soigne ainsi, chez elles, les pcrsonnes quinbsp;appartiennent a des families distinguées, mais pauvres, quirougiraientnbsp;d’être confondues avec le peuple, dans la salie publique d’un hópital;nbsp;c’est un nouveau trait de délicatesse de la charité romaine. Le suivantnbsp;prouve sa générosité : quelques chateaux et petites villes des environsnbsp;de Rome ont leurs hópitaux particuliers; si, dans les lieux oü ilsnbsp;manquent, ainsi que les secours nécessaires, il se trouve un malade,nbsp;l’Aumónerie le fait transporter aux hospices de Rome : la Daterienbsp;apostolique consacre, è cette bonne oeuvre, environ sept mille écusnbsp;par an.
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6 FEVllIER.
Travaux publics.—
Cliarité romaine pour Ie convalescent, — pour Ie pauvre guéri. — 1 Secours particuliers. — Aumönerie apostolique.
Pendant les trois premiers siècles, on put suivre la religion chré-tienne è la trace de son sang et la distinguer ainsi des sectes étran-gères. Aiijourd’hui on peut encore la reconnaitre au caractère incommunicable de ses oeuvres. Depuis hult jours nous la suivions dans la grande Rome, ii la trace de ses bienfaits, et notre course n’était pasnbsp;linie. Les soins maternels, dont la charité entoure l’bomme au berceaunbsp;et sur son lit de douleur, nous étaient connus; mais si Ie pauvre ma-lade revient a la santé, sera-t-il jelé dans la rue et abandonné ii lui-même aussitót que ses forces, imparfaitement rétablies, lui permet-tront de regagner sa demeure? II en est ainsi chez la plupart desnbsp;nations civilisées; Rome tient une autre conduite. II est vrai, Ie maladenbsp;est en convalescence; mais il est encore faible, il ne peut encorenbsp;gagner son pain du jour et un travail trop prompt peut amener denbsp;facheuses recbutes ; Ie temps, une nourriture saine et abundante, unnbsp;air pur, peuvent seuls lui rendre sa vigueur primitive.
« Et vollil, dit M. de Tournon, que la cbarité romaine qui, d’une main si libérale, crée des établissements oü les malades trouvent desnbsp;secours, compléte son reuvre par une fondation que doivent enviernbsp;toutes nos grandes villes. Sur les bords du Tibre s’élève un vaste etnbsp;beau batiment destiné aux convalescents, c’est-è-dlre a ceux qui, dansnbsp;les hópitaux, ont attelnt Ie moment oü les remèdes sont inutiles, etnbsp;pour qui un air pur, une nourriture saine, l’absence des travaux etnbsp;des soucis domestiques, sont les nniques soins. Le convalescent, regunbsp;dans la maison della Santissima Trinitd de’ Pellegrini, loin des imagesnbsp;funèbres qui, dans les hópitaux, assiégeaient son lit, ouvre son coeur inbsp;l’espérance et ü Ia joie, et peu après Ia société le retrouve dans un étatnbsp;de santé affermi et prêt ó lui être utile (i). »
C’est un saint qui, le pi’emler, eut la pensée de eet établissement. Touché de compassion, en voyant sortir des hópitaux des hommes ónbsp;peine relevés de maladle, exténués, languissants, privés encore desnbsp;forces nécessaires au travail, saint Philippe de Néri se mit ó les re-cueillir dans la maison que lui donna généreusement la noble dame
(i) Études statistiques, t. ii, p. 118.
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Héléna Orsini, aux Thermos d’Agrippine. II les gardait jusqu’è ce qu’ils eussent repris leurs forces et qu’ils fussent capables de travail;nbsp;cela se passait en 1551. La libéralité des Souverains Pontifes agranditnbsp;lellement la maison primitive, qu’elle est devenue Ie magnifique hospice des pèlerins et des convalescents. Lors done qu’un malade doitnbsp;être congédié de l’hópital, volei venir un carrosse qui s’arrête sur Ienbsp;seuil; Ie malade y monte, et comme un grand personnage on conduitnbsp;eet enfant de la charité dans une superbe demeure. Tous les hópitauxnbsp;de Rome ont une volture semblable, destinée au même usage. Ces ma-lades sont regus avec empressement par les confrères, et on les gardenbsp;tant qu’ils ne sont pas entièrement rétablis. Leur nourriture consiste,nbsp;Ie matin, en un bouillon et une once et demie de pain; au diner, unnbsp;potage, dix onces de pain, six de viande, une feuiïlette de vin et desnbsp;fruits; au souper, un potage, trois onces de viande, six de pain, unenbsp;salade, une demi-feuillette de vin.
Un médecin visite chaque jour I’etablissement : si Ie convalescent éprouve une rechute, on Ie transporte de nouveau è Phèpital, ou biennbsp;on Ie conserve amp; l’hospice quand il n’est pas en état de supporter Ienbsp;trajet. Le nombre moyen des convalescents est d’environ soixante-dix (i). Je ne donnerai point ici la description de l’hópital; je la réserve pour le jour oü nous viendrons faire notre visite aux pèlerins.
Voila done le malade parfaitement guéri; il peut, avec confiance, rentrer dans sa familie. Mais pour vivre, il lui faut du travail, et quinbsp;sait s’il en trouvera? La charité n’a pas voulu lui laisser cette cruellenbsp;inquiétude. Intelligente, autant que généreuse, Rome a compris, etnbsp;peut-être la première, que l’aumóne la plus utile au pauvre valide, estnbsp;celle du travail. De cette maxime, si chère aux économistes modernes,nbsp;voyez quelle magnifique application dans la cite des Pontifes 1 En faitnbsp;de travaux publics, Rome rtirétienne rivalise avec les capitales denbsp;1’Europe, ou plutót elle les surpasse toutes. Les papes ont entreprisnbsp;des ouvrages séculaires, non-seulement pour répandre sur leur ville lanbsp;gloire et la splendeur; mais aussi pour offrir aux pauvres inoccupésnbsp;un moyen de profit et de soulagement. Tel fut, en particulier, le butnbsp;de Sixte V, d’Innocent XII, de Pie VI, de Pie VII, dans leurs immortelles entreprises. Quoique pauvre, Grégoire XVI consacre, h eet objet,nbsp;une somme annuelle de 55,293 écus (2).
Les ouvriers sont ordinalrement au nombre de six cents; on leur donne, par jour, douze baïoques et un pain. Afin d’empêcher l’incon-
(») Morich., p. 80.
(2) Morich., 17 et 174.
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cluite OU la parosse, on congédie celui qui manque trois fois de suite. L’adininistration se compose de deux inspecteurs, de huil surveillants,nbsp;de trente-deux caporaux, de quelques greffiers et gardiens, qui, tous,nbsp;excepté les inspecteurs, sont pris parmi les ouvriers eux-mêmes. Pendant notre séjour i» Rome, les pauvres étaient occupés aux fouilles dunbsp;Forum; les vieillards désherbaient la Voie sacrée ou curaient les fossésnbsp;du Palatin; d’autres étaient employés 5 la batisse de Saint-Paul-hors-des-Murs, et une soixantaine environ aux forges de Tivoli. II est bonnbsp;de remarquer que tous les,travaux publics de conservation, de déblaie-ment et de constructions romaines, profitent b l’Europe entière :nbsp;chaque année, des milliers de savants et d’artistes viennent les étu-dier; et si une chose étonne, c’est qu’un petit nombre seulement son-gent a bénir la main, deux fois bienfaisante, qui accomplit ces utilesnbsp;ouvrages.
Malgré sa bonne volonté, il se peut que l’ouvrier ne puisse par son labeur subvenir aux besoins de sa familie. La charité romaine vientnbsp;alors a son aide, et résout de la manière la plus libérale Ie redoutablenbsp;problème des sociétés modernes : l’pbondance des uns supplée dansnbsp;de justes limites h 1’indigence des autres. II serail Irop long de. nom-mer en détail toutes les oeuvres charitables qui ont pour objet les secuurs k domicile. Je dirai seulement qu’i la personne du Souverainnbsp;Pontife est attaché un prélat chargé de distribuer les aumónes du pèrenbsp;commun. L’institution d’un aumónier secret, elemosiniere secreto, dunbsp;Pape remonte au septième siècle, sous Ie pontiflcat de Conon. L’exem-ple du Saint-Père fut imité par les rois et les princes chrétiens; maisnbsp;Rome a Ia gloire de l’initiative. L’aumónier apostolique habite Ie Vatican, oü se trouvent son secrétariat, ses archives et ses comptes.nbsp;Membre intime de la familie pontificale, il accompagne toujours Ienbsp;Saint-Père, soit dans les stations solennelles de la ville, soit dans lesnbsp;voyages hors de Rome; car il est Ie canal obligé de ses innombrablesnbsp;aumónes.
Cinq cents écus par mois sont distribués par l’aumónier en dons manuels, selon la volonté du pape, et Ie plus souvent sur un rescrit dunbsp;Saint-Père lui-mêrae. Je ne parle pas ici des secours donnés pournbsp;Téducation des enfants. Dans les jours plus prospères, il accordaitnbsp;aussi de nombreuses pensions mensuelles. Ces pensions se faisaient,nbsp;de préférence, aux pauvres honteux, aux institutions de charité et auxnbsp;monastères. Le deux février, jour anniversaire du couronnement denbsp;Grégoire XVI, nous vimes dans Ia grande cour du Belvédère, au Vatican, Msquot;' l’aumónier entouré d’une foule de pauvre : ce spectacle nous
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rappelait Saint-Laurent et la.maison de sainte Cyriaque. Les hommes étaient d’un c6té, les femmes de I’aulre; chaque pauvre recevait unnbsp;demi-paul, ce qui s’appelle Faumóne del grosso : la première annéenbsp;du pontificat on donne un paul entier par tête. Naguère, une aumöne,nbsp;dite del testone ou des trois pauls, était accordée les jours de Pftquesnbsp;et de Noel; paternelle attention des vicaires de Jésus-Christ, qui vou-laient faire passer gaiment au peuple ces saints jours de fête! I’abais-sement des revenus pontificaux en a fait cesser l’usage. II en est unnbsp;autre qui subsiste encore, et qui a Ie même principe. Trois fois Tan,nbsp;a Pamp;ques, a Noël, et Ie jour du couronnement du pape, Taumóniernbsp;donne un paul a tous les détenus de la prison Innocentienne, auxnbsp;jeunes gens de la maison de correction, aux femmes du Pénitencier denbsp;Saint-Michel, et aux prisonniers pour dettes du Capitole.
Citons encore un usage séculaire et bien touchant que Ie malheur des temps a fait supprimer, du moins en partie. A l’imitation denbsp;Notre-Seigneur qui avait nourri et servi è table ses douze Apótres, lesnbsp;papes, depuis saint Grégoire Ie Grand, faisaient chaque jour dinernbsp;douze pauvres dans leur palais et les servaient de leurs propres mains,nbsp;lorsqu’ils n’étaient pas empêchés : Léon XII a donné bien des fois cenbsp;touchant exemple. Aujourd’hui la table est supprimée; raais on donnenbsp;chaque jour h douze paut'res une somme équivalente afin qu’ils puis-sent la partager avec leurs families (i).
7 FEVRIER.
Anecdote— Autres charités pour Ie pauvre ; visites a domicile. — Commission des
subsides. — Prêt d’argent au pauvre. — Soin de ses petites économies__Loterie. —
Defense de ses intéréts temporels..— Confrérie de Saint-Yves.
En reprenant notre visite de Rome charitable, nous descendimes au Corso. De vieux livres étalés devant Ie modeste magasin d’un bouqui-niste attirèrent un instant notre curiosité ; je mis la main sur unnbsp;Macrobe. Quelle bonne fortune! et je m’empressai de chercher Ienbsp;fameux mot attribué a l’empereur Auguste, sur Ie massacre des Innocents. Ce mot est d’une grande importance, puisqu’il constate, par Ienbsp;lémoignage de l’histoire profane, un fait chrétien d’une haute valeur.nbsp;Done, è la page 159, livre second des Saturnales, je lus : « Auguste,nbsp;ayant appris que parmi les enfants au-dessous de deux ans mis a mortnbsp;dans la Syrië par ordre d’Hérode, roi des Juifs, ce prince avait fait
(1) Constanzi, 1.1, p. 21 et 27; Morich., p. 177.
-ocr page 258-2o-4 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
mourir son propre fils, il s’écria: I! vaut mieux être Ie porc d’Hérode que son fils (i). » Voil^ qui est clair.
A Rome,*conime ailleurs, les pauvres qui tendent la main dans la rue ne sont pas toujours les plus i plaindre. En outre, donner unenbsp;pièce de monnaie suffit rarement pour soulager Ie malheureux; carnbsp;rhomme ne vit pas seulement de pain. Mais que Ie riche s’abaisse versnbsp;Ie pauvre, entre dans son chétif galetas, s’identifie avec sa position,nbsp;lui laisse, avec Ie pain materiel, de bonnes et douces paroles qui re-lèvent son courage, telle est la véritable aumóne, celle qui caractérisenbsp;essentiellement la charité catholique. Rome Fa compris, et la Commission des subsides s’acquitte de tous ces devoirs avec intelligence etnbsp;activité. Établie sous les derniers pontifes, elle se compose d’un cardinal président et de quinze membres nommés par Ie Saint-Père.nbsp;Leurs functions durent six années seulement, paree qu’on a pensénbsp;qu’au bout de ce temps leur zèle pourrait se ralentir. La ville est di-visée en douze regions; chaque region se subdivise en paroisses, et unnbsp;nombre correspondant de congrégations régionnaires ou paroissialesnbsp;répartit les aumónes : les membres ,de ces dernières demeurent troisnbsp;ans en charge.
La commission se réunit une fois par mois chez Ie cardinal président; une fois par mois aussi se réunissent les congrégations paroissiales dans lesquelles on discute les demandes des pauvres de la pa-roisse. Deux Députés vont les visiter dans leurs maisons, vérilient leurs assertions, constatent leurs besoins et proposent la nature, Ie montantnbsp;et la durée du secours nécessaire; la commission supérieure fait en-suite Fallocation demandée. Les visiteurs s’occupent aussi avec soinnbsp;de rechercher Fétat moral des pauvres; s’enquièrent de leur conduite,nbsp;des causes de leur misère et des moyens d’y porter remède. I.es secours accordés se composent ordinairement de vêtements, de fourni-tures de lits, de linge et d’outils de différents métiers. Tous ces objetsnbsp;sont fabriqués dans l’hospice des Thermes, marqués d’un signe particulier, et ne peuvent être vendus sous peine de dix jours de prison.nbsp;La charitable commission répand annuellement 172,145 écus, fournisnbsp;par la cbambre apostolique (2).
En lisant ces détails, il est bien difficile de ne pas reconnaitre Ie
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Cum audisset Augustus inter pueros quos in Syria Herodes rex Judaeorum inlr.quot;»nbsp;bimatum jussit inlerfici, fdium quoque ejus occisum, ait: Melius est Herodis porcumnbsp;csso quam iilium. — Dans son llistoriafamilice sacrm, Sandini pretend qu’il s’agit d’Antipater, mis a mort par son père i la suite d’une conjuration; mais les raisons dt^cetnbsp;auteur me paraissent faciles a réfuter.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Morich., p. 181.
-ocr page 259-PRÊT d’argent poor le paovre. nbsp;nbsp;nbsp;2S5
type essentiel de notre admirable Société de Saint-Vincent-de-Paul. Sur ce point comme sur les autres, Rome a done encore la gloire denbsp;I’iniliative.
Sans être réduit a la mendicité, le pauvre ouvrier a souvent besoin d’argent, soit pour commencer quelque petite entreprise, soit pournbsp;acheter les matières qu’il met en oeuvre, ovi mêrae les outils qu’il em-ploie. Ici encore, la charité romaine s’est présentée la première au-devant de cette nécessité : les États pontilicaux ont vu naitre lesnbsp;Monts-de-Piété, dont la gloire revient tout entière au père Barnabé denbsp;Terni. C’était au commencement du quinzième siècle; le bon religieux,nbsp;prêchant a Pérouse, ne pouvait retenir ses larmes en voyant les énor-mes intéréts extorqués aux pauvres par les usuriers, et surlout par lesnbsp;Juifs (i). On ne prêtait pas ii moins de 80 ou 70 pour cent. Son zèlenbsp;ne lui laissa de repos qu’après avoir engage quelques riches charita-bles a former une caisse de prêts pour les nécessileux, moyennanl unnbsp;léger intérêt destiné au paiement des employés. La chose réussit mer-veilleusement, et cette caisse se nomma Mont-de-Piété. Aussi, concertnbsp;unanime de bénédictions de la part du pauvre peuple; explosion formidable d’injures, d’accusalions, de réclamations, de calomnies de lanbsp;part des agioteurs. Heureusement que les petits et les faibles avaientnbsp;alors un appui dans la papauté. Les Souverains Pontifes imposèrentnbsp;silence aux détracteurs, approuvèrent Finstitution, et frappèrent denbsp;censures quiconque en parlerait mal. Au nombre de ces bienfaiteursnbsp;du peuple, citons, entr’autres, Paul II, Sixte IV, Innocent VIII, Jules IInbsp;et Léon X. En lisant les sages et paternelles prescriptions de ces pontifes, on ne peut douler qu’il y ait dans Fhistoire une page qui fassenbsp;plus d’honneur a la charité romaine (2).
Un Mont-de-Piété ne tarda pas 0 étre établi dans Rome, et les car-dinaux, protecteurs de Fordre des Frères-Mineurs, Ie furent aussi de leur oeuvre. Entre ces princes de FÉglise on doit nommer, par reconnaissance, saint Charles Borromée qui fit de persévérants efforts pournbsp;la prospérité de Finstitution. Clément VIII, voyant le nombre croissant des dépóts, acheta, pour les recevoir, trois grands palais, dont lanbsp;réunion forme aujourd’hui le local du Mont-de-Piété; nous le visi-lames avec admiration. La chapelle, destinée aux exercices religieux
(1) Montes Pietalis... ut ad ipsa tanquam ad montem confidenter refugere possint in-digentes, et ea in promptu sint ad mutuandum sub pignoris caulione ipsisindigenlibus, et pccurrendum usuris, quas pro sua indigenlia usurariis praiserlim Judajis solvere co-gebantur. Ferraris, t. v.
(a) Voyez entre autres Ferraris Bibliotheca, etc., etc., Montes Pietatis.
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de la confrérie, resplendit de marbres rares et de sculptures pré-cieuses : tout l’édifice est fraichement restauré. Nous apprimes que Ie Saint-Père, Grégoire XVI, venait de donner au Saint-Mont une preuvenbsp;de sympathie et de lui laisser un souvenir de sa générosité envers lesnbsp;pauvres, en ordonnant, a ses frais, la restitution gratuite de beaucoupnbsp;de gages. Dans les temps les plus prospères de l’oeuvre, les gages senbsp;conservaient dix-huit mois gratuitement, jusqu’i» concurrence denbsp;30 ecus. Depuis les secousses politiques, Ie gage d’un an se re^oit etnbsp;se renouvelle seul gratuitement, quand Ie prêt n’excède pas 13 écus.
Deux choses distinguent Ie Mont-de-Piété de Rome ; la première est l’établissement d’une salie particulière oü Pon regoit uniquement Por,nbsp;Pargent, les bijoux d’une valeur plus forte que quatre écus. La faciliténbsp;offerte aux déposants et Ia réserve dont on use è leur égard, spéciale-ment dans cette garde, oü viennent souvent, poussées par Ie besoin,nbsp;des personnes fort honnêtes, est un nouvel exemple de délicatesse denbsp;Ia charitéromaine. La seconde, c’est Pétablissement de monts supplé-inentaires dans les différents quartiers de la ville. Ils sont destinés, parnbsp;Ie Mont-de-Piété lui-même, ü recevoir provisoirement les gages jusqu’ünbsp;la valeur de quatre écus, afin que les pauvres puissent trouver un secuurs instantané a toutes les heures, et surtout les jours de fête quandnbsp;Pétablissement principal est fermé.
Si Ie Mont-de-Piété offre au pauvre Ie moyen de se soustraire aux ravages de Pusure, il lui fournit, avec trop de facilité peut-être, desnbsp;fonds qu’il peut perdre en débauches et en folies. Pour compenser lesnbsp;vices de cette institution, ou plutót pour la compléter, on a établi ènbsp;Rome une Caisse d’épargne. Ainsi, Ie pauvre. Partisan, Phonnête ou-vrier, trouvent dans la prévoyante cité la précieuse ressource de senbsp;procurer de Pargent pour leurs besoins, et Ie moyen assuré de con-server utilement Ie fruit de leurs économies.
Néanmoins, Ie peuple est toujours un enfant; malgré Pactive solli-citude avec laquelle on veille sur ses intéréts, la tentation du jeu peut Pentrainer dans des pertes ruineuses et Ie compromettre lui et sa familie. On sait combien la loterie, surtout, a d’attrait pour les pauvres.nbsp;Autorisée a Rome par Innocent XIII, Ia loterie fut abolie par Benoit XIII; son successeur, Benoit XIV, voyant son peuple, passionnénbsp;pour ce jeu de hasard, courir dans tous les États limitrophes oü ilnbsp;exislait et déplacer ainsi les capitaux, en revint a Ie tolérer. Mais ilnbsp;obligea Ie fisc ü donner aux gagnants un surcroit de 80 pour 100, etnbsp;a reverser sur les pauvres tous les profits du jeu, déductlon faite desnbsp;dépenses qu’il entraine. Ainsi, la loterie de Rome répand 30,000 écus
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par an, en aumónes manuelles; 15,000 en autres aumónes, et 5,500 écus en dot a de pauvres jeunes filles, comme nous l’avons dit plusnbsp;haut. Telle est Fhabile combinaison en vertu de laquelle la loterie denbsp;Rome guérit d’une main les blessures qu’elle peut faire de 1’autre.nbsp;Connaissez-Yous un moyen plus ingénieux de tirer Ie bien d’un malnbsp;nécessaire?
Protégé contre ses propres passions, il ne reste plus qu’è mettre Ie pauvre a couvert de l’injustice d’autrui. Si Ie ricbe a un procés, ou ilnbsp;se défend lui-même, ou il trouve facilement des avocats; mais Ie petitnbsp;et Ie faible, trop peu éclairé pour plaider sa cause, ou trop pauvrenbsp;pour trouver une voix qui veuille lui prêter son appui, se voit exposénbsp;sans défense i une ruine compléte : Rome est venue a son aide. Désnbsp;Ie commencement du xvi® siècle, il se forma une société de gens denbsp;robe, avocats ou prélats des tribunaux et même de la Rote. Elle s’as-semble cbaque dimancbe dans l’égllse de Saint-Cbarles oü elle a sonnbsp;oratoire particulier. Aprés avoir accompli ses exercices pieux, elle senbsp;retire dans une salie voisine pour examiner les causes civiles dans les-quelles les pauvres se trouvent engagés ; Ie droit reconnu, elle prendnbsp;gratuitement leur défense. L’Arcbiconfrérie de Saint-Yves n’exceptenbsp;aucun pauvre de son patronage, quel que soit son pays : nouvellenbsp;preuve que la cbarité romaine a toujours aspiré a être catbolique.
La Confrérie se compose d’un cardinal protecteur, d’un prélat mem-bre de la magistrature de Rome, nommé préfet, et d’associés tous bommes de loi. Le pauvre qui réclame son appui, adresse directementnbsp;sa supplique au cardinal protecteur, qui l’envoie a quelqu’un des lé-gistes de la société. Celui-ci examine les certificats d’indigence et lesnbsp;allégations présentées comme preuve de son droit par le demandeur;nbsp;puis quand ces deux conditions de justice et de misère se trouventnbsp;réunies, la Confrérie se charge de la cause, et l’un des frères présentenbsp;la défense. Or, le pauvre est éloquemment soutenu; car la Confrérienbsp;a toujours vu parmi ses membres de célébres personnages; aujour-d’hui encore elle est fiére d’avoir compté dans ses rangs l’illustre Benoit XIV, quand il n’était encore que l’avocat Lambertini. De leurnbsp;cóté, les Souverains Pontifes n’ont cessé d’encourager cette associationnbsp;éminemmentchrétienne. Benoit XIII lui accorda le privilége de pouvoirnbsp;faire décorer de la prélature romaine Phomme de loi qu’il lui plaitnbsp;de choisir.
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8 FEVRIER.
Carnaval. — Charité romaine pour Ie pauvre sans abri. — Visite a Sainte-Galle et a Saint-Louis.
II était prés de midi lorsque nous sorlimes pour continuer notre itinéraire; mais Ie carnaval était dans Ia rue, et force nous fut denbsp;battre en retraite. Or, les plus graves historiens de l’antiquité ont dé-crit les joies du peuple-roi, et nous devons les en remercier; car lesnbsp;plaisirs des peuples ont aussi leur enseignement. Telle sera monnbsp;excuse, si je parle du carnaval dans Ia Rome moderne.
Dignes héritiers des fils de Romulus, les Romains d’aujourd’hui sont encore fous de spectacle; Ie carnaval en particulier semble leurnbsp;tourner la tête. A cette fête burlesque, ils mettent une importancenbsp;parfaitement comique, et leur enthousiasme se traduit par un pro-verbe fort connu. Pour marquer les grandes époques de l’année, ilsnbsp;disent : II santo Natale, la Pasqua,e il santissimo carnevale. A l’ap-proche du carnaval la loterie ne peut suffire aux demandes de billets;nbsp;Ie Mont-de-Piété regorge d’objets souvent de première nécessité, quenbsp;les pauvres y déposent en gage de l’argent dont ils ont besoin; lesnbsp;cours publics sont fermés; les magasins du Corso ne vendent plus,nbsp;ils se transforment en tribunes et en galeries pour les spectateurs :nbsp;toute la ville est en fête.
L’ouverlure du carnaval est annoncée par la grosse cloche du Ca-pitole qui ne sonne que pour cette circonstance et pour la mort du Pape! C’est è midi précis qu’elle se fait entendre. Alors Ie sénateur denbsp;Rome, en grand manteau de soie brodé d’or, accompagné de gardesnbsp;et de pages richement vêtus, descend la célèbre colline, dans une voi-ture étincelante de glacés et de dorures; il parcourt Ie Corso d’unenbsp;extrémité ^ l’autre. Sa présence avertit Ie bon peuple qu’il peut com-mencer. A peine la voiture sénatoriale a-t-elle quitté la rue, qu’unnbsp;coup de canon donne Ie signal de la fête. En un clin d’ceil Ie Corsonbsp;se remplit de deux files continues d’équipages qui circulent lentement,nbsp;et dont Ie double mouvement d’aller el de retour forme une chainenbsp;mobile de la place du Peuple è la place de Venise. Jusqu’aux derniersnbsp;étages, les croisées et les balcons, richement tendus d’étolFes rouges,nbsp;sontgarnis de spectateurs qui lancent a l’envi des confetti snv les équipages. Les confetti sont des espcces de bonbons en farine, de la gros-seur d’un pois ou d’une petite noisette, et qui se cassent en tombant.
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II pleut aussi des fleurs et de petits morceaux de chocolat de la même grosseur que les confetti. Princes ou princesses, personne n’est épar-gné. Pour se garantir de la grêle dont ils sont assailHs, les prome-neurs se couvrent Ie visage d’un masque en lil de fer; mais rien nenbsp;protégé leurs habits, qui sont, après quelques minutes, blancs commenbsp;ceux des meuniers. De leur cóté, les équipages se munissent de grandsnbsp;paniers remplis des innocents projectiles, et ripostent de leur mieux.
Au milieu des voitures circulent, gambadent, dansent, chantent, im-provisent, des myriades de masques de toutes les formes et de toutes les couleurs. Sur les deux trottoirs se presse une foule compacte, quinbsp;dévore des yeux Ie comique spectacle, qui se passionne, qui frémit,nbsp;qui éclate en bravos et en éclats de rire, et qui semble ivre de joie.nbsp;Placés nous-mêmes au balcon isolé d’un Iroisième étage, nous nenbsp;pümes maitriser notre hilarité, a la vue de certaines scènes d’une bi-zarrerie achevée. La première de ces singularités, ou excentricités,nbsp;comme parle certain orateur politique, était un improvisateur en costume de troubadour. Placé en jockey derrière une calèche découverte,nbsp;il chantait ses vers en s’animant avec un tambour de basque. Les lazzinbsp;étaient si comiques, si mordants, que toute la foule assemblée autournbsp;de la voiture riait a étouffer; Ie rire se communiquait aux balcons, etnbsp;devenait tout a fait homérique.
Parut ensuite un docteur en médecine, vêtu comme Sangrado, la tête couverte d’un chapeau noir, k la Robinson, d’un mètre de hauteur; Ie corps enveloppé d’une large robe noire retenue par une cein-ture, et Ie nez orné d’une paire de lunettes dont chaque verre avait lanbsp;largeur d’une assiette. A cóté du docteur marchaient ses aides et sesnbsp;domestiques. Les premiers, chargés du grimoire, faisaient faire placenbsp;k leur maitre; les seconds tenaient élevé au-dessus de leur tête certainnbsp;instrument qui par ses dimensions colossales ressemblait beaucoupnbsp;moins a ses pareils qu’ó une cheminée de bateau a vapeur. Des huéesnbsp;et des quolibets, d’ailleurs fort innocents, signalaient sur toute lanbsp;route Ie passage du disciple d’Hippocrate. Des manifestations d’unnbsp;autre ordre accueillaient un gracieux personnage, qui s’en allait ennbsp;zigzag, s’arrêtant devant les plus larges balcons : c’est ce qu’on appe-lait dans la foule Ie jardinier du pape. Armé d’un serpent de bóls quinbsp;s’allongeait et se repliait a volonté, ce masque portalt jusqu’aux seconds étages des bouquets de violettes et de roses printanières. Pournbsp;récompense il recevait sur la figure quelques bonnes poignées de confetti : cruauté!
Au nombre de ces acteurs en plein vent, figuraient plusieurs élèves
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de I’Academie de France : ils représentaient une scène de brigands. Voici venir un masque aux proportions herculéennes, la carabine surnbsp;l’épaule; il conduit par la bride un superbe cheval, sur lequel senbsp;trouve couché en travers et fortement attaché un noble voyageur, lanbsp;tête enveloppée d’un linge ensanglanté. Autour du cheval marchentnbsp;buit brigands armés de carabines et de poignards. Derrière, viennentnbsp;deux chevaux de bat portant les riches dépouilles du voyageur, quenbsp;la troupe infernale est censée conduire dans son repaire, au fond denbsp;la forêt. De temps en temps vous auriez vu la malheureuse victimenbsp;faisant mine de vouloir se débarrasser de ses liens; puis toutes lesnbsp;carabines se dirigeant contre elle, et tous les poignards se levant surnbsp;sa poitrine. Telle était la vérité de cette scène, que, si les acteursnbsp;n’eussent été de nos compatriotes, on les aurait pris pour des vétéransnbsp;du métier.
Au reste, pour voir Ie carnaval, et pour en rire de grand coeur, je n’élais pas en mauvaise compagnie. A ma gauche était un professeurnbsp;d’histoireecclésiastique, prêtre fort respectable sous tous les rapports;nbsp;è ma droite, un évêque! oui, un év'êque; et quel évêque! pour parlernbsp;en style de M. Jules Janin, un évêque de l’Océanie, un apótre. Pendant que ce peuple de grands enfants folêlrait dans la rue, nous par-lions de missions, de sauvages, de propagation de la foi. Notre conversation continuait depuis longtemps, lorsqu’un coup de canon se fitnbsp;entendre ; il avertissait les équipages de se tenir prêts è sortie dunbsp;Corso; et toutes les voitures s’arrètèrent. Quelques minutes après, unnbsp;second coup de canon donna Ie signal de la sortie : en un clin d’oeilnbsp;Ia rue fut dégagée : les trottoirs seuls restèrent encombrés de piétons.nbsp;Deux piquets de dragons parcoururent au galop Ie Corso dans toutenbsp;sa longueur, afin de balayer l’espace pour la course des chevaux.
Sur Ia place du Peuple on tient sept chevaux sauvages (barheri). Ces animaux, parfaitement ornés de rubans, sont couverts de feuillesnbsp;de papier et demolettes en fer, dont Ie frólement et la piqüre les épou-vantent et les excitent, en sorte qu’ils volent plulót qu’ils ne courent.nbsp;En quelques minutes ils ont traversé Rome, sans qu’onles voie jamaisnbsp;se détourner de leur route ni è droite ni è gauche : Ie premier arrivénbsp;remporte Ie prix. La course linie, un nouveau coup de canon annoncenbsp;Ia fin des divertissements pour ce jour-lè. Chacun centre chez soi; tousnbsp;les masques tombent, Ie déguisement seul peut se conserver. Et vousnbsp;voyez tout ce peuple, docile comme un enfant, se soumettre exacte-ment è cette sage prescription : Ie lendemain la fête recommence etnbsp;se passe comme la veille. Avant Ie signal, pas un masque dans les
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rues; aprèsl’^uejl/arm^pas un masque sur les visages. A la vue de cette soumission, ainsi que de l’ordre et de la décence qui régnaient dansnbsp;la fête, neus ne pümes nous erapêcher de dire : Si c’était h Paris, aunbsp;lieu de quelques dragons, il faudrait des régiments entiers pour con-tenir la foule et prévenir Ie désordre : il y aurait probablement desnbsp;résistances, des querelles, du sang répandu; ici, rien de tout cela :nbsp;tant il est vrai que nous ne savons plus nous amuser!
Le dernier jour, a la course des chevaux succède Ie jeu des Jlfocco-letti : c’est le bouquet du carnaval. Les moccoletti sont de petites bougies que chacun tient a la main ; on en compte des myriades, si bien que depuis le pavé de la rue jusqu’aux derniers étages, le Corso senbsp;trouve illumine comme par enchantement. Or, c’est a qui éteindra lenbsp;moccolo de son voisin. Tout sert pour cela : des bouquets de fleursnbsp;OU des poignées de confetti, le chapeau et le mouchoir de poche.nbsp;Celui-ci le soullle sans fagonau nez du porteur; celui-1^ grimpe derrière les voitures, et d’un seul coup éteint les moccoli de tout l’équi-page; pendant qu’il fait cette niche, un autre lui rend la pareille; onnbsp;en voit qui, armés de longues ferluches, vont faire des razzia auxnbsp;balcons, et chaque succès est salué par de bruyants éclats de rire, etnbsp;par le mot railleur adressé è celui dont le flambeau est éteint; Senzanbsp;moccolo, senza moccolo!! Or, tont ce peuple s’agitant en sens divers,nbsp;ces cris de joie, ces rires prolongés, ces milliers de flambeaux éteints,nbsp;puis rallumés, puis éteints de nouveau pour se rallumer encore, ferment bien le spectacle le plus animé et le plus curieux qu’on puissenbsp;imaginer. De plaisante qu’elle est considérée sur un seul point, cettenbsp;scène devient tout è coup magnifique, lorsque, porlant au loin sesnbsp;regards, le spectateur voit se dérouler devant lui cette immense illumination, dont les mouvements donnent au Corso l’air d’un fleuve denbsp;feu agité par les vagues. Vers une demi-heure de la nuit, un derniernbsp;coup de canon annonce la fin, et tous les moccoletti s’éteignent. Telnbsp;est le carnaval de Rome, dont je ne peux rien dire, sinon qu’il est par-faitement beau et parfaitement fou.
Néanmoins, au cóté frivole de ces divertissements la religion a su joindre un caractère de gravité qu on ne retrouve qu a Rome. Ainsinbsp;les vendredis, les dimanches et les fêtes qui se rencontrent pendant lenbsp;carnaval sont cbómés, c’est-ii-dire, qu’il n’y a ni masques, ni jeux, ninbsp;courses. Si pour cette raison le carnaval nepeut durer dix jours pleins,nbsp;I’excédant du prix de course, qui est, je crois, de mille piastres, estnbsp;donné en aumónes è de pauvres communautés. Le Saint-Père aussinbsp;fait son carnaval: chaque matin il vient en ville, se montre è son peu-
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ple, et visite quelques maisons religieuses, oü il laisse des bénédictions et des bienfaits. A certain jour, il invite les cardinaux et quelquesnbsp;personnes choisies i une loterie tirée en faveur des pauvres dans sesnbsp;appartements. On voit que Rome n’a rien négligé pour rendre Ie moinsnbsp;nuisible qu’il se peut des divertissements dont il serail sans doutenbsp;périlleux de vouloir abolir l’usage. J’ajouterai que Ie matin, en arrivantnbsp;è Saint-Pierre, nous avions vu une longue procession qui montait lesnbsp;degrés du vestibule. Elle se composait d’une corporation dont lesnbsp;membres, vêtus de longs sacs rouges, étaient précédés d’une croix denbsp;quinze pieds de hauteur et d’une grosseur proporiionnée. Cette croixnbsp;de carton, couleur écorce de bois, ronde, noueuse, ressemble tout anbsp;fait il deux arbres joints ii la h4te pour former un instrument de sup-plice : on ne peut la voir sans éprouver une impression de terreur,nbsp;tant elle est propre ^ frapper les sens. Cette procession venait assisternbsp;il la bénédiction du Saint-Sacrement et aux Quarante-Heures, qui ontnbsp;lieu pour servir de contre-poids aux dangers du carnaval. C’est Ienbsp;Saint-Père lui-même qui vint exposer Ie Saint-Sacrement. Semblablenbsp;a Job qui offrait des sacrifices au Seigneur après les innocents festinsnbsp;oü ses enfants s’étaient réunis, afin d’expier les fautes dont ils auraientnbsp;pu s’y rendre coupables; 1’Église, inquiète de la conduite de ses enfants durant ces jours de dissipation et de plaisir, olFre a Dieu unenbsp;victime d’expiation, et ordonne des prières plus longues et plus so-lennelles. Je ne sals, mais c’est la, ce me semble, une belle harmonie.
Après les moccoletti, au lieu de reprendre Ie chemin de notre hótel, nous nous dirigeèmes vers un double asile préparé par Ia charité ro-maine au pauvre sans abri. Lorsqu’a la nuit tombante vous parcoureznbsp;certaines rues de Paris ou de Londres, vous voyez déboucher de toutesnbsp;parts un peuple d’hommes, de femmes et d’enfants en baillons; puisnbsp;tout è coup ils disparaissent dans des caves malsaines, dans des bougesnbsp;immondes. Une litière les attend; c’est la que pour quelques pence ounbsp;quelques sous ils couchent pêle-mêle, jusqu’a ce que Ie jour rappellenbsp;dans les rues ces troupeaux d’êtres dégradés dont Ie seul aspect de-vrait faire rougir les deux Capitales qui se proclament les reines denbsp;la civilisation. Que Rome présente un spectacle bien différent!
Arrivés au delii du Vélabre, prés du portique d’Octavie, nous en-tendimes Ie pas d’un grand nombre d’hommes et d’enfants qui reten-tissaient sur Ie pavé de la rue et du carrefour ; c’étaient des pauvres. Oü allaient-ils? Ils allaient comme nous a l’hosplce de Sainte-Galle.nbsp;Que je vous dise 1’histoire de cette touchante création. Au milieu dunbsp;dix-septième siècle, Ie charitable prêtre, Marc-Antoine Odelcaschi,
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ouvrit è Sainte-Galle un refuge de nuit pour tous les pauvres saus asile, spécialemenl en hiver. On voyait ce saint homme, allant lui-inême les chercher dans les rues et les carrefours, les faire monternbsp;dans son carrosse et les conduire a son hospice (i). II parvint h en re-cueillir jusqu’a cinq ou six cents, dont il réparait les haillons décou-sus, raccommodait les chaussures, et auxquels ü donnait un Ut, dunbsp;feu et une soupe qu’il leur offrait de ses propres mains; mais sonnbsp;principal but était de les instruire dans les chosesde la foi. InnocentX,nbsp;don Livio et don Baldassare Odelcaschi, tous membres de J’illustre familie si connue è Rome par sa généreuse charité, assurèrent la perpé-tuité de cette oeuvre.
Aujourd’hui, les pauvres trouvent done è Sainte-Galle un abri pour leur sommeil, et un lit composé de supports, de tablettes, d’une paillasse, de draps et de couvertures. En été, on les y re^oit jusqu’ii huitnbsp;heures du soir, en hiver jusqu’a huit heures et demie. On comptenbsp;224 lits distribués en cinq dortoirs : trois sont comrauns; un autrenbsp;sert aux maladies de la peau; un cinquième est destiné aux ecclésias-tiques : ce dernier est de onze lits. Le refuge est ouvert tant que Ienbsp;pauvre en a besoin.
Nous entrames avec ces membres souffrants du Sauveur, ou plutót avec nos maitres, suivant l’évangélique expression de saint Jean l’Au-mónier. Plusieurs ecclésiastiques étaient la qui les recevaient avec unenbsp;grande cordialité. On leur fit prendre place, puis on commenga a leurnbsp;rompre le pain de la charité spirituelle. Un jour, c’est le catéchisme;nbsp;un autre jour, le chapelet; le samedi, un trait d’histoire relatif é lanbsp;sainte Vierge : on les confesse quand il y a lieu. Ces différents exerci-ces, accorapagnés quelquefois de chants, se prolongent fort avant dansnbsp;la nuit. Chaque année on leur donne une petite retraite, et le 5 octo-bre, jour de la féte de sainte Galle, on tire au sort une liste de douzenbsp;pauvres auxquels on sert un bon diner.
Cette maternelle charité qui accueille les hommes h Sainte-Galle, nous la retrouvames a Saint-Louis, s exer^ant a 1 égard des femmes.nbsp;Ce nouvel hospice, voisin du premier, fut fondé au commencement dunbsp;dernier siècle par le vénérable père Gallazi de Florence. II se composenbsp;de deux dortoirs, d’une chapelle, d’une salie de récréation et d’unnbsp;jardin. Les revenus actuels ne permettent pas d’avoir plus de trentenbsp;lits; mais le local en contiendrait le double. Les pauvres femmes, qui
(i) Egli medesimo si andava cercando per le vie è per le piazze di Roma, è ritrovan-done li conduceva in corarzza in quest’ ospizio. — Const., 209.
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vers YAngelus du soir se présentent, sont admises tant qu’il y a place. On exclut seulemenl les malades, les femmes enceintes, celles affectéesnbsp;de maux cutanés, puisqu’elles ont des refuges spéciaux. Des personnesnbsp;charitables les resolvent et les instruisent. Après l’instruction et lanbsp;prière, on les envoie dans leurs lits composés de paillasses, de drapsnbsp;et de couvertures. Le matin, ^ peine levées, elles sortent et vont anbsp;leurs travaux. Une fois par mois elles entendent toutes la messe etnbsp;communient dans l’hospice. Ce jour-la on leur donne un demi-paul parnbsp;tête {2S cent.) en compensation de ce qu’elles auraient pu gagner pendant ce temps (i). A la vue de tant de soins, de tant de respects pournbsp;le pauvre, jadis si profondément méprisé de la société païenne, et au-jourd’hui si mal compris dans nos sociétés matérialistes, les yeux dunbsp;voyageur se mouillent de douces larmes, el sa mémoire lui rappellenbsp;l’oracle du Prophéte dont il fait avec bonheur I’application é cettenbsp;Église romaine, sa mère et le modèle des peoples : C’est a vous quenbsp;le pauvre a été confié, et vous serez l’appui de l’orphelin. Si onnbsp;éprouve un regret, c’est de penser qu’au dela des Alpes, dans le beaunbsp;royaume de France, on ne trouve Hen de semblable.
9 FÉVRIER.
Le jour des Cendres. — Chapelle papale. — Charité romaine pour les vieillards, — pour les veuves.—Asile Barberini pour les mourants. — Ministres des inlirmes, — pour lesnbsp;morts. —- Archiconfrérie de la Mort, — du Suffrage. — L’Ave Maria des morts.
Nous nous étions endormis dans le carnaval, nous nous réveillèraes dans le Carême. A minuit, les cloches de la ville sainte se mirentnbsp;toutes en branie et annoncèrent solennellement l’ouverture de ^ grandenbsp;quarantaine. Je ne sais quelle impression produit cette immense son-nerie, é une heure si inaccoutumée. De graves et saintes pensées vousnbsp;assiégent, et Thomme même le plus irréfléchi doit avoir peine a s’ennbsp;défendre. Au premier son des cloches, bals, spectacles, soirées, toutnbsp;Unit, et Unit jusqu’a Péques, du moins les spectacles et les bals. Lenbsp;jeune catholique a remplacé les joies folies et les pensées mondaines.nbsp;Le peuple remain qui avail pris le carnaval au sérieux, prend aussi lenbsp;Carême sur le même ton. Dés le matin du mercredi des Cendres, ilnbsp;remplit les églises, et regoit sur son front la marque solennelle de lanbsp;pénitence. Tout est calrne dans la cité, hier encore si bruyante: Rome
(i) Constanzi, p. 209; Morich., p. 134.
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a repris sa physionomie de grave et chaste matrone; on dirait que Ie carnaval est passé depuis un an.
Nous allames nous-même chercher les cendres a la chapelle Sixtine: et il nous fut donné de les recevoir de la main du Souverain Pontife.nbsp;Si partout la lugubre cérémonie est imposante, nulle part sous Ie cielnbsp;elle ne Test autant qu’è Saint-Pierre. Le sacré Collége, les générauxnbsp;d’ordre, les ambassadeurs, les prélats remains, les évêques étrangers,nbsp;vieillards a cheveux blancs ou jeunes hommes, l’élite des nations, gar-nissaient l’enceinle réservée de la superbe chapelle : leSaint-Père étaitnbsp;sur son tróne. Tout a coup il en descend, et je vous laisse amp; pensernbsp;quel sentiment doit avoir de lui-même le voyageur obscur, lorsqu ilnbsp;voit le cardinal, grand pénitencier, s’avancer au-devant du vicaire denbsp;Jésus-Christ et lui dire, en mettant des cendres sur la tête la plus au-guste de l’univers : Souviens-toi, homme, que tu es poussière, et quenbsp;tu retourneras en poussière [i)! J’avoue qu’après un pared exemplenbsp;il en coüte peu de s’humilier. Aussi le Souverain Pontife fut a peinenbsp;remonté sur son tróne, que toute l’assemblée vint avec un profond re-cueillement se prosterner a ses pieds, et recevoir de sa main sacrée lenbsp;signe de la pénitence.
Au sortir de la cérémonie, un de nos amis de Rome voulut bien dirlger notre course aux hospices qui nous restaient a visiter. Cheminnbsp;faisant, la conversation tomba sur le respect pour l’autorité, respectnbsp;éminemment social, dont nous venions d’avoir un exemple dans lanbsp;manière dont le Saint-Père revolt les cendres. « Ces traditions salu-taires, ajouta notre guide, se conservenl encore dans nos families; gé-néralement l’autorité paternelle est bien respectée. Entre les parentsnbsp;et les enfants ne règne pas cette familiarité, voisine de l’égalité; pointnbsp;de tutoiement des enfants aux parents, ni des pères aux inères; l’en-fant n’embrasse son pore ni le matin ni le soir : il se contente de luinbsp;baiser la main. » Aussi, quand les Remains voient la manière dont nosnbsp;Frangais en usent avec leurs enfants, ils disent tout étonnés : È unnbsp;dar troppo confidenza ai figli: N’auraient-ils pas raison?
Cependant nous arrivions au but de notre voyage. Avant de toucher a sa dernière heure, alors que ses forces, épuisées par Page, ne luinbsp;permettent plus de se sufiire ^ lui-même, le pauvre trouve, grice h Ianbsp;charité romaine, un abri pour sa vieillesse; comme il trouva un berceau pour son enfance,unsecours pour ses misères et des remèdes pournbsp;ses maladies. Nous l’avons vu a Saint-Michel, a Sainte-Marie-des-Anges,
(i) Toutefois, en signe de sa dignité suprème, le Saint-Père ne se met point a genoux pour recevoir les Cendres, il resle debout.
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coulant tranquillement ses vieux jours, entouré de tous les soins du corps et de Fème : il semble que dans cette longue chaine de bienfaits,nbsp;il ne manque pas un anneau. Pourtant l’oeil maternel de Rome entre-voit une solution de continuité, un besoin auquel je ne sacbe pas quenbsp;les autres pays fassent attention. Trop souvent des femmes du peuple,nbsp;épouses laborieuses d’honnêtes ouvriers, deviennent veuves avant PSge.nbsp;Secondées de leurs maris, elles pourvoyaient li leurs besoins; seulesnbsp;elles ne Ie peuvent plus : si elles restent au milieu du monde, combiennbsp;de dangers les attendent! Mais comment les en tirer? trop jeunes encore, elles ne peuvent être placées dans les hospices des vieillards.nbsp;Quel moyen de préserver leur vertu et d’assurer leur existence? Cenbsp;grave problème, si intéressant pour les mmurs publiques, Rome l’anbsp;résolu. Dans son sein existent de pieuses maisons qui accueillent gra-tuitement les pauvres veuves, et leur ménagent un asile, sans toutefoisnbsp;leur donner la nourriture, ni Ie vèlement. Elles y vivent en commu-nauté, avec la liberté de sortir, de travailler comme il leur plait et denbsp;s’occuper comme elles Ie veulent. Nous visitames d’abord la maisonnbsp;dece genre, fondéepar Ie charitable médecin Joseph Ghislieri, a Torre-del-Grillo; elle sert d’habitation è six pauvres veuves. De Ia nous diri-geant vers Ie forum de Trajan, nous vimes l’asile ouvert par les princesnbsp;Ruspoli, dans lequel chaque veuve occupe une chambre séparée. Vintnbsp;ensuite Ie Boschetto, qui sert de demeure ^ dix pauvres veuves; puisnbsp;l’asile paroissial de Saint-Laurent-m-iwcma, dont l’excellent curénbsp;nous fit Ie plus gracieux accueil; enfin Ie Refuge des princes Barberini, h Santa-Maria-in-via : c’est Ie meilleur de Rome, puisquenbsp;chaque veuve a pour elle seule deux chambres et une cuisine (i).
Enfin la grande catastrophe s’annonce : précédée de la maladie, la mort si cruelle pour tous, si désolante pour Ie pauvre, vient cherchernbsp;ses victimes. Mais a Rome la charité la devance; elle est assise auprèsnbsp;de la couche douloureuse. Son enfant mourra, il Ie faut bien; mais ilnbsp;mourra dans les bras de samère, entouré de ses caresses et de ses soins.nbsp;Je ne parlerai pas ici des soins matériels; gr^ce au christianisme, ilsnbsp;sont généralement les mêmes chez toules les nations civilisées. Quantnbsp;aux soins spirituels, décisifs, dans ces moments suprêmes, commentnbsp;dire la tendre sollicitude avec laquelle Rome les prodigue? Pour n’êtrenbsp;pas long, j’omets et les pieuses confréries des agonisants, et celles quinbsp;fréquentent les höpitaux, et les oeuvres particulières, qui ont pournbsp;objet d’obtenir aux malades la grSce d’une sainte mort: je me bornenbsp;è signaler l’institution de Saint-Camille-de-Lellis.
(i) Constanzi, 130; Morich. 137.
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A peine pouvez-vous descendre dans un quartier de Rome sans ren-contrer un religieux au maintien grave et modeste. Sur sa longue soutane noire, recouverte d’un manteau de même couleur, se dessinent deux grandes croix rouges; elles sont placées Tune sur Ie coeur, l’autrenbsp;sur l’épaule. Ce religieux, vénéré de tous, est un enfant de Saint-Ca-mille-de-Lellis, autrement un ministre des infirmes. A toutes le.snbsp;heures de la nuit et du jour, lui et ses confrères sont aux ordres desnbsp;raalades. La charité les attache a leur lit; et tous les soins corporelsnbsp;et les secours spirituels que Ie zèle et Ie dévouement peuvent inspirer,nbsp;ils les prodiguent aux malades, riches ou pauvres, étrangers ou natio-naux. Que la maladie soit contagieuse, il n’importe; soldats intrépides,nbsp;ils affronteront Ie danger et ne quitteront jamais Ie poste d’honneurnbsp;qui leur est confié. Par un de ces traits assez communs au moyen age,nbsp;mais fort rares aujourd’hui, les ministres des infirmes ajoutent auxnbsp;voeux ordinaires celui de ne jamais quitter les pestiférés. J’aurainbsp;occasion de parler plus tard de leur maison et de leur saint fon-dateur.
Enfin Ie pauvre meurt; mais il n’est point abandonné. Voici venir je ne sais combien de pieux confrères qui se disputent l’honneur denbsp;lui rendre les derniers devoirs, de laver, d’ensevelir son corps, et denbsp;Ie porter sur leurs épaules au campo santo. Mais il meurt dans lesnbsp;champs, au milieu de cette Campagne romaine si redoutable, et parnbsp;sa solitude et par Ie mal aria qu’on y respire: ne craignez pas; commenbsp;Tohie a Ninive, la charité bravera tous les dangers. II faut savoir qu’finbsp;1'époque des moissons, de nombreux ouvriers descendent de la Sabinenbsp;et viennent olFrir leurs bras aux propriétaires des parlies cultivées denbsp;la Campagne romaine : dès que la ehaleur se développe, de grandsnbsp;maux les accablent.
a Leurs poumons, habitués h Pair subtil des montagnes, sont mal a l’aise dans l’atmosphère pesante de la plaine. Leur corps, dont Ienbsp;soleil a ouvert les pores, se refroidit brusquement par Ie contact im-médiat d’une fraiche rosée et de la terre qui leur sert de coucbe. Lanbsp;fièvre en saisit chaque jour quelques-uns, que Ie Caporale, presquenbsp;aussi a plaindre qu’eux, transporte dans sa tente, en mettant a cóténbsp;d’eux un peu d’eau acidulée. Le soir toutes les victimes de la journéenbsp;sont conduites en charrette è l’hópital le plus voisin, distant quelque-fois de dix è douze lieues. La noble et pieuse familie Doria Pamphilinbsp;a donné le bon, mais unique exemple d’établir dans chacune de sesnbsp;fermes, une voiture commode pour remplir ce charitable devoir; maisnbsp;trop souvent on arrive au lieu oü se trouvent les secours, lorsqu’ils
-ocr page 272-268 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
sont devenus inutiles. Quelquefois dans Ie paroxisme de la fièvre, ces pauvres gens s’éloignent de leur troupe; et il n’est pas rare que lanbsp;mort les frappe loin de leurs amis.
» Ces Iristes événements sont assez fréquents pour que des hommes pieux aient formé une confrérie qui parcourt les campagnes pour ynbsp;recueillir et pour transporter les malades a l’hópital, et pour ensevelirnbsp;les corps de ceux qui meurent ignorés. Ainsi dans ces campagnes ro-maines dont jadis les palais et les jardins avaient chassé la charrue,nbsp;Thomme peut mourir seul, et son cadavre serait livré aux oiseaux denbsp;proie, si Ie Christianisme n’avait rerapli quelques ceeurs d’une sublimenbsp;charité. Maïs je dois me hater de dire que l’on ne saurait accuser en-lièrement les hommes de ces malheurs, résultant en grande partiedenbsp;la nature des choses qui, nécessitant une immense réunion d’ouvriersnbsp;dans des lieux mal sains, mal fourni d'habitation et situés loin desnbsp;villes, rend très-dilEcile de donner des soins h huit ou neuf centsnbsp;moissonneurs qu’emploient quelques fermiers. Cependant il est reconnunbsp;que Ie mal peut être diminué et Ie sort de ces ouvriers amélioré parnbsp;quelques précautions que Ie gouvernement pontifical et l’administra-tion fran^aise ont également recommandées (i). »
Désireux de connaitrc la pieuse confrérie qui, s’en allant chercher au loin dans les campagnes des malades a soulager ou des morts ii ensevelir, donne au monde un si magnifique exemple de charité, nousnbsp;nous rendimes a la Via Giulia, oü est son église. La nous apprimesnbsp;que l’associalion remonte a l’an to51. Elle est irès-nombreuse et senbsp;compose de personnes d’une condition honnête, souvent même élevée.nbsp;Parmi ses membres les plus zélés fut saint Charles Borromée, neveunbsp;du pape alors régnant. Le costume consiste en un long sac de toilenbsp;blanche. Comme nous étions a l’église, on venait d’apprendre la nouvelle d’un accident arrivé dans la campagne. Prévenus sur-le-champ,nbsp;quelques frères arrivèrent en toute hdte; ils se couvrirent de leur sacnbsp;et se mirent en route. Ils en agissent ainsi par tous les temps et dansnbsp;toutes les saisons, et vont chercher le corps jusqu’é vingt ou trentenbsp;milles de Rome. Ils ont droit de le faire enterrer dans le cimetièrenbsp;qu’ils jugent convenable : terme moyen, la confrérie recueille annuel-lement treize morts dans la campagne, k la distance de neuf è dix-seplnbsp;milles.
Dans l’intérieur de Rome les confrères accompagnent ces convois funèbres, comme le font aussi plusieurs autres associations. Revêtus denbsp;leur sac ils sortent deux a deux, précédés d’un étendard long et étroit,
(i) M. de Tournon, Êlud. stat, sur Rome, 1.1, p. 283.
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la face couverte d’un capuchon è deux trous laissant voir les yeux; ils se dirigent ainsi vers la maison désignée, portent Ie mort è I’égiise,nbsp;en récitant des psaumes et tenant des torches ii la main. Les confrériesnbsp;de Rome accompagnent de cette manière, h leur sépulture, non-seu-lement leurs membres, mais encore les étrangers.
Voila done Ie pauvre regu ^ son entrée dans la vie, nourri, abrité, secouru dans ses besoins et dans ses maladies, assislé h l’heure de Ianbsp;mort, déposé avec respect dans la terre sainte d’oü il doit se relevernbsp;un jour; telle est pour Ie dernier des fils d’Adam la vénération pro-fonde et constante de la Rome chrétienne. Comparée a celle de la Romenbsp;impériale, cette conduite forme un contraste lellement inexplicable,nbsp;qu’il faudrait être bien aveugle pour n’y pas voir sous une de ses facesnbsp;les plus divines, l’éclatant miracle qui ebangea les coutumes et lesnbsp;idéés du genre humain. L’admiration et la reconnaissance qu’il excitenbsp;deviennent plus vives encore, quand on songe que la charité romaine,nbsp;franchissant Ie seuil de la tombe, s’en va soulager l’enfant de sa ten-dresse jusqu’ausein de Féternité. Que n’ai-je une plume assez éloquentenbsp;pour peindre dignement l’amour maternel de Rome pour les trépas-sés. O vous! qui aimez les pieux souvenirs des siècles de foi et les tou-chants usages de nos pères, venez dans la Ville sainte; et quand ilnbsp;vous sera donné de la contempler, de grace, ayez des yeux pour y voirnbsp;autre chose que des palais, des tableaux, des statues, des obélisques,nbsp;des théütres et des naumaebies : sachez voir Rome dans Rome.
Tendre Rachel, l’Église mère et maitresse des autres églises est sans cesse en mouvement pour communiquer sa sollicitude en faveur de sesnbsp;enfants qui ne sont plus. Quelle consolation pour elle de voir les succèsnbsp;couronner ses efforts! Nous voulümes en être les beureux témoins.nbsp;Dans une des belles églises de la Via Giulia est établie, depuis troisnbsp;siècles, l’archiconfrérie du Suffrage : immense association riche d’in-dulgences, qui étend ses filiations dans les parties les plus reculéesnbsp;du monde catholique. De lè découle incessamment un fleuve de prières,nbsp;d’aumónes, de bonnes oeuvres, de messes, qui s’en va porter Ie rafrai-chissement et la paix aux ames retenues dans les feux expiateurs. Vousnbsp;n’avez pas oublié cette autre confrérie, si imposante par Ie nombre,nbsp;si admirable par la ferveur de ses membres, qui, chaque soir, accourtnbsp;è l’hópital du Saint-Esprit; puis, quand la nuit est venue, gravissantnbsp;pieusement la crête escarpée du Janicule, s’en va prier sur les tom-beaux. Joignez-y vingt autres associations que vous pouvez voir chaquenbsp;soir dans les différents hospices, dans les oratoires nocturnes, récitantnbsp;les offices saints pour les ames du purgatoire. Enlln, quand Fautomne
li
T. II.
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LES TROIS ROME.
ramène la fête solennelle des Morts, transportez-vous ^ la Vm Giulia, aux cimetières du Janicule, de Saint-Sauveur, de la Consolation et denbsp;Sainte-Marie-iw-Trasieüere. TJne foule immense et recueillie remplitnbsp;ces demeures ou, pour mieux parler, ces vastes dortoirs des morts.nbsp;Afin d’émouvoir sa piété, on fait succéder aux prières, des représen-tations de scènes tirées de l’Écriture. Les personnages ont la tête, lesnbsp;mains et les pieds en cire, choses que l’on travaille très-habillementnbsp;è Rome; leur vêtement est approprié h. la circonstance, et on les voitnbsp;dans Ie moment Ie plus important de l’action ; Ie fidéle y trouve unnbsp;motif de tendre compassion et l’artiste lui-mêrae un sujet d’étude. Lanbsp;fête des Morts continue avec la même pompe el Ie même empresse-menV pendant toute Foctave (i).
Mais il ne suffit pas a FÉglise de faire prier une fois chaque année pour desdmesqui souflrent continuellement, et voilé qu’un autre usagenbsp;vient chaque jour redire aux vivants Ie souvenir de leurs frères défuntsnbsp;et solliciter leur piété. Done, en 1480, naquit en Italië un saint quinbsp;devait être la gloire de son siècle et de FÉglise : il se nommait Gaetanonbsp;ai Tiena. La tendresse de son coeur eut surtout pour objet les émesnbsp;du Purgatoire. Venu a Rome, il établit un pieux usage que vous ynbsp;trouvez encore : c’est ce qu’on appelle VAve Maria des morts (2).nbsp;Après que la nuit descendue des sept collines, a enveloppé la ville denbsp;ses sombres voiles, les cloches font entendre un tintement lugubre.nbsp;Elles averlissent les chrétiens de songer une dernière fois, avant denbsp;prendre leur repos, a eeux de leurs frères qui n’auront pour lit quenbsp;des flammes brülantes; et les bons fidèles s’empressent de réciter Ienbsp;De profundis, ou la petite prière indiquée pour chaque jour de lanbsp;semaine dans un livret parfaitement populaire (s). Voilé quelques-unesnbsp;des pieuses pratiques élablies dans la Ville sainte en faveur des émesnbsp;souffrantes. On avouera sans peine que la vue de ces touchants usagesnbsp;fait plus de bien au cceur que Faspect des monuments superbes etnbsp;même des fêtes magnifiques dont Rome a Ie glorieux privilége. Du moinsnbsp;ils demontrent au voyageur Ie plus indifférent que la maitresse de lanbsp;foi est aussi la mère de la charité, et que depuis Ie seuil de la vie jus-qu’au delé du tombeau, Ie pauvre n’échappe pas un instant é son intelligente charité. Or, au siècle ou nous vivons, une pareille connais-sance est bien quelque chose.
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Constanzi, t. i, p. 72,222,251.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Raccolta di Indulgenze, p. 486. Roma, 1841.
(5) II Purgatorio aperio alia piela de’ vivenli.
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10 FÉVRIER.
lies Sacconi. — Aumónes particulières. — Réflexions sur Ia charité romaine.
Le temps était froid, Ie ciel brumeux, et Ie pavé couvert de boue. Je note toutes ces circonstances paree qu’elles relèvent è mes yeuxnbsp;l’oeuvre admirable dont je vais parler. Comme nous passions au som-met du Capitole, prés de la prison des débiteurs, nous vimes é quel-ques pas deux hommes marchant silencieusement devant nous, denbsp;chaque cöié de la rue. Ils étaient nu-pieds, le corps entièrement couvert d’unlong sac de toile blanche, terminé par un masque de la mêmenbsp;étoffe et percé de deux trous ^ la hauteur des yeux, en sorte qu’ilnbsp;était impossible de voir leur visage. L’un et l’autre tenaient une boursenbsp;amp; Ia main et se présentaient sur le seuil de chaque porte oü ils s’ar-rêtaient, sans dire un seul mot; la porte s’ouvrait; une pièce de mon-naie tombait dans leur bourse; et, leur reconnaissance exprimée parnbsp;un profond salut, ils allaient se présenter a la porte voisine. « Quelsnbsp;sont ces hommes? que font-iJs? » telles furent les questions que nousnbsp;adressftmes tout d’une voix a l’excellent ami qui nous accompagnait.nbsp;« Ces hommes, nous dit-il, sont des Sacconi: ils doivent leur nom aunbsp;grand sac qui les enveloppe. Vous saurez qu’il existe ici une association pieuse, composée de l’élite de la noblesse, du clergé séculier etnbsp;des cardinaux; elle a pour but le soulagement des pauvres et surtoutnbsp;des prisonniers pour dettes. Chaque mois ses membres parcourent lesnbsp;rues en demandant I’aumóne. Au jour fixé, en été comme en hiver,nbsp;n’importe le froid ou la pluie, ils vont, comme vous voyez, pieds nus,nbsp;quêter de porte en porte dans tons les quartiers de Rome. Vous voyeznbsp;encore que tout le monde les accueille; le peuple a pour eux unenbsp;grande vénération, et les riches s’exposeraient, en les refusant, a écon-duire un de leurs parents ou de leurs amis : ces deux Sacconi quinbsp;nous précédent sont peut-être deux cardinaux, ou deux princes remains. D
Voilé, si je ne me trompe, une charité de bon aloi. Qu’on ne dise plus, comme certains touristes, que pour les Remains tout est spectacle et momerie; qu’amis du confortable ils ne connaissent pas lanbsp;charité qui exige du dévouement et le sacrifice du moi. Certes, l’os-tentation ne se trouve pas, elle ne peut pas s’y trouver, Ici, ces hommes ne sauraient être connus de personne, pas même de leurs amis;nbsp;ils ne disent pas un mot, et nul ne peut voir les traits de leur visage.
-ocr page 276-272 nbsp;nbsp;nbsp;LES thois home.
Quel avantage vraiment pour la vanilé et Ie bien-être de ces grands seigneurs, de parcourir ainsi, enveloppés dans unmauvais sac de toile,nbsp;les pieds nus, par un temps d’hiver, pendant une grande partie de lanbsp;journée, demandant l’aumöne, les rues les plus obscures de la cité?nbsp;Les détracteurs systématiques de tout ce qui est inspiré par la religion, auraient-ils Ie courage d’en faire autant? Vaniteux comme tousnbsp;les ills d’Adam, qu’ils essaient done de conquérir la popularité è cenbsp;prix-lè! Quand nous les aurons vus a l’oeuvre, nous pourrons pensernbsp;que des motifs humains peuvent inspirer un pareil dévouement; jus-que la on nous permettra de croire que l’Évangile seul est capablenbsp;d’obtenir, et d’obtenir constamment, depuis plusieurs siècles, un sacrifice doublement coüteux a la nature.
Le spectacle si moral que nous avions sous les yeux, nous conduisit è parler des aumónes particulières qui se font a Rome. Cette page de-vait compléter notre histoire de la charité corporelle dans la ville denbsp;Saint-Pierre. En France, nous bénissons Henri IV pour avoir désirénbsp;que tous ses sujets eussent une poule a manger le dimanche; a Romenbsp;les secours sont si abondants que chaque pauvre peul tous les joursnbsp;faire un excellent repas. Et d’abord, deux belles institutions prennentnbsp;un soin spécial des infortunés qui, nés dans I’aisance et élevés dansnbsp;les habitudes du monde, sentent peser plus lourdement sur eux lenbsp;poids de la misère. Grace a ÏArchiconfrérie des Saints-Apótres etnbsp;de la Divine Pitiê, des secours, souvent considérables, viennent inat-tendus et même inconnus, trouver dans leur fiére indigence des veuves honnêtes et de malheureux pères de familie : la première remontenbsp;a Fan 1564. Elle fut fondée par quelques pieux chrétiens qui pre-naient un soin particulier de la chapelle du Saint-Sacrement, dansnbsp;l’église des Saints-Apótres. Se trouvant assoeiés, par cette pratique denbsp;piété, ils voulurent joindre aux actes de dévotion les oeuvres d’unenbsp;active charité; toujours et partout c’est ainsi que le christianismenbsp;procédé. Ils se consacrèrent done au soulagement des pauvres, et spé-cialement des pauvres honteux. Tous issus de nobles et riches families,nbsp;les membres actuels sont au nombre de quatorze, un par quartier, etnbsp;chacun d’eux distribue par an trois cents francs en aumónes.
La Congrégation de la Divine Pitié doit son origme au vénérable prêtre Giovani Stanchi de Castel-Nuovo. En 1679, ce saint homnaenbsp;réunit quelques personnes choisies dans le clergé et parmi les laïques,nbsp;pour recueillir des aumónes destinées aux families honteuses, dont lanbsp;misère contraste avec leur aisance passée. Grace a la généreuse protection des Souverains Pontifes Innocent XI, Clément XII, Benoit XIIL
-ocr page 277-ADMÖNES PARTICÜLIÈRES. 273
la congregation s’est toujours maintenue dans un état prospère. II nous fut très-agréable de la connaitre, paree qu’elle offre une preuvenbsp;de plus de la priorité de Rome et de son intelligence en fait de bonnesnbsp;oeuvres. Ses membres sonl au nombre de trente a quarante, et doiventnbsp;avoir vingt-cinq ans accomplis : ils sont prêtres ou séculiers.
« Leur méthode, dit Ms' Morichini, dans la distribution des secours est, je crois, la meilleure que l’on puisse suivre; et Rome peut senbsp;vanter d’avoir mis en pratique, il y a cent cinquante ans, ces maximes de la cbarité publique et privée, dont Ie baron de Gérando a ré-cemment développé la théorie dans son Visiteur du pauvre. Chaquenbsp;quartier de la ville a son député, assisté de deux autres membres visiteurs. Aucune aumóne n’est accordée avant qu’un visiteur ait, de sesnbsp;propres yeux, constaté la misère et Ie besoin. Les secours se donnentnbsp;plutót en nature qu’en argent; plutót a un petit nombre de person-nes qui s’en trouvent vraiment soulagées, qu’è de nombreuses familiesnbsp;pour qui ils ne seraient qu’une goutte d’eau. Des couchers, des vête-ments, Ie rachat des gages du Mont-de-Piété, Ie paiement des loyers,nbsp;des bons de pains, sont les aumönes les plus ordinaires. D après sesnbsp;statuts, I’oeuvre doit assister spécialement les infirmes, les jeunes fillesnbsp;en péril, les veuves, les femmes délaissées par leurs maris, les pri-sonniers, les pénitents, les jeunes gens privés d’einploi et les voya-geurs.
ï Trois fois par an chaque visiteur a une somme a distribuer dans son quartier. Chacune de ces distributions peut monter a 700 écus,nbsp;ce qui forme dans l’année 2,100 écus, bien que la Congrégation pos-sède un revenu double au moins, mais grevé de legs et de services re-ligieux. Une distribution de pain se fait a la fête de Sainte-Anne, etnbsp;des secours particuliers assez considérables se donnent encore d’ur-gence dans Ie cours de Fannée, lorsqu’on a connaissance de la position critique de quelque honorable familie. Dans ce cas les aumönesnbsp;sont portées aux nécessiteux par les députés désignés ö l’avance sousnbsp;Ie titre de députés des cas secrets, qui ne rendent point compte denbsp;1’argent k eux confié, afin que jamais Ie nom des malheureux qu’ilsnbsp;ont secourus ne paraisse sur les registres de la socitété (i). »
J’ajouterais de longues pages ^ celles qui précédent, si je voulais parler de toutes les autres aumönes, bonnes oeuvres, institutions denbsp;cbarité qui font la gloire et la vie de Rome chrétienne; je me conten-terai de quelques réflexions propres è caractériser ce magnifique sys-
(t) P. 188.
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LES TROIS ROME.
tème de philanthropie, si peu connu en Europe et si peu en harmonie avec les principes de nos économistes modernes.
Et d’abord tont part ii Rome de l’inspiration religieuse : ce qui, chez d’autres peoples, se fait par Ie sentiment naturel de devoir etnbsp;d’humanité, prend ici la vie dans des motifs de foi. En tête de toutesnbsp;les institutions charitables, vous trouvez Ie nom d’un saint, d’un prê-tre pieux, d’un chrétien fervent, qui en congut l’idée; toutes conser-vent Ie cachet de leur origine, soit dans leur nom de confréries, soitnbsp;dans leur organisation en quelque sorte ecclésiastique. La bannièrenbsp;d’un saint leur sert de ralliement comme sa vie de modèle; une cha-pelle particuliere est ordinairement affectée a leurs réunions, et leursnbsp;régleraents ont un cachet tout catholique. Dans l’exercice extérieur denbsp;leurs bonnes oeuvres, les confrères se cachent généralement sous unnbsp;habit fort laid en lui-même, mais favorable è l’liumilité : Ie sac denbsp;penitent qui les couvre ne laisse voir que les yeux, et des hommes dunbsp;monde, de hauts dignitaires, voilent souvent, sous ce froc grossier,nbsp;leur généreux concours au soulggement de la misère. Pour nous au-tres, Francais du xix° siècle, c’est l’apparition d’un temps qui n’estnbsp;plus, un souvenir des siècles de foi, une vision du moyen :lge (i).
Cette origine de la charité romaine explique trois autres caractères qui la distinguent. Le premier c’est la priorité. Les institutions charitables de Rome sont les ainées de toutes les oeuvres de bienfaisancenbsp;répandues en Occident: elles leur ont servi de modèle, et bien des an-nées et même des siècles avant que les économistes eussent entreprisnbsp;de tracer les lois de la charité, la foi les avait révélées aux papes ;nbsp;c’est une conséquence de la mission civilisatrice qui leur a été confiée.
Le second, c’est la surabondance des secours : nous avons vu qu’en-tre les villes de l’Europe, Rome est la plus charitable. Aux sources mêmes de la foi, aux tombeaux de ses innombrables martyrs, ellenbsp;puise incessamment l’esprit de sacrifice qui déborde comme la liqueur précieuse d’un vase trop plein, en mille creations de chariténbsp;spirituelle et corporelle.
Le troisième, c’est la distribution des aumönes, moins régulière qu’on ne la désirerait. L’üme embrasée de la charité. Fame qui senbsp;donne elle-mêrae, s’astreint peu aux froids calculs de la prudence hu-maine : elle voit la douleur avant tout, sans s’inquiéter suffisammentnbsp;de modérer son zèle. Toujours est-il que des êtres souffrants sont sou-lagés et que la grande obligation de l’homme envers son frère estnbsp;accomplie (i).
(1) nbsp;nbsp;nbsp;De Bazel., pref., p. xxxiii.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;De Bazel., préf., p. xx.
-ocr page 279-RÉFLEXIONS SUR LA CIIARITÉ ROMAINE.
De 14 encore la présence des mendiants dans les mes de Rome. Si Ia philanthropie inspirait la bienfaisance romaine, elle aurait enferménbsp;les pauvres afin d’óter eet objet importun a la vue du voyageur; carnbsp;la philanthropie n’est pas mère. II en est autrement de la charité ; ellenbsp;exhorte Ie pauvre au travail, elle lui en fournit les moyens, et s’il nenbsp;peut travailler, elle l’engage a recevoir les secours a domicile plutótnbsp;que de les arracher aux passants; mais il lui en coute d’aller plus loin,nbsp;et d’user de rigueur centre un être deux fois sacré pour elle. C’estnbsp;ainsi que Léon XII, en organisant la commission des subsides, permitnbsp;aux pauvres reconnus vraiment digues de sècours, de choisir entre lesnbsp;aumónes a domicile et les chances de la mendicité. Ceux qui prirentnbsp;ce dernier parti furent enregistrés, et on leur délivra une plaque ennbsp;cuivre portant ces mots gravés : Questuante in Roma N.... Eux seulsnbsp;avaient Ie droit de mendier; mais au bout de quelque temps on toléranbsp;I’intrusion de nouveaux venus, non-soumis aux formalités préalables,nbsp;et Ton se vit derechef envahi par une foule étrangère peut-être auxnbsp;vrais besoins (i).
Les choses en étaient 14 lorsque nous étions 4 Rome. Et vraiment quand on a vu de prés les difiicultés et les embarras de tout genrenbsp;créés par la politique générale de l’Europe au gouvernement pontifical, quand on connait son caractère essentiellement paternel, onnbsp;congoit très-bien cette espèce de laisser aller sur une mesure de police, dont l’utilité absolue n’est peut-être pas aussi évidente qu’onnbsp;pourrait Ie croire. Non, il n’est pas encore claireraent démontré quenbsp;Ie système des dépóts de mendicité soit beaucoup plus moral, beau-coup plus humain, beaucoup moins coüteux que la mendicité elle-même. Le système de dépót entraine sous un nom ou sous un autre lanbsp;taxe des pauvres; il transforme en délit ce qui n’est souvent qu’unnbsp;malheur; il privé le pauvre de la liberté, l’arrache 4 sa familie et l’ex-pose aux inconvénients du contact souvent très-dangereux de nom-hreux compagnons corrompus et corrupteurs. La vue de nos dépotsnbsp;de France ou des Work-houses d’Angleterre fait 4 eet égard de biennbsp;tristes révélations.
D’ailleurs, en adraettant la supériorité du système moderne, il res-terait, avant de condamner Rome, 4 savoir s il lui est possible de l’éta-filir. Engloutir des milliers de pauvres dans des prisons, humides et obscures, avec la nourriture strictement nécessaire au soutien de leurnbsp;chétive existence, il n’est vraiment pas difficile d’abolir ainsi la men-
(•) De Bazel., préf., p. civ.
-ocr page 280-276 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
dicilé; il suffit pour cela d’avoir dans la poitrine un coeur anglais. Mais en Italië appliquer un pareil système! plus facilenient on ravi-rait la vie a riiomme que la vue de son beau ciel et les rayons du soleil.nbsp;D’ailleurs.la liberté individuelley est encore trop respectéeetl’égoïsmenbsp;trop inconnu, pour que les heureux du siècle se croient permis d’ache-ter leurs jouissances au prix des douleurs de leurs frères (i).
Enfin il ne faut pas croire, comme Ie racontent certains voyageurs, que Rome soit Ie foyer de la mendicité. « Grftce è ses nombreusesnbsp;maisons de travail, elle est loin, dit un économiste célèbre, de nourrirnbsp;autant de pauvres oisifs que beaucoup de villes renommées par leurnbsp;opulence et par leur bonne police. On n’y compte gnère plus de men-diants que dans les principales villes de France (a). » Deux choses mul-tiplient les pauvres a I’ceil: la première, c’est que Rome les laisse dansnbsp;la rue tandis que Paris les met en prison; la seconde, c’est qu’ils sontnbsp;habituellement concentrés dans un seul quartier, celui qu’habitent ounbsp;que traversent continuellement les étrangers, au Corso, de la placenbsp;d’Espagne a la place de Venise. Partout ailleurs nous avons rencontrénbsp;peu de mendiants. Et puls, Ie plus souvent ces pauvres viennent desnbsp;pays voisins, des duchés de l’Italie septentrionale, de la Lombardie,nbsp;du royaume de Naples et même de Paris : plus d’un Francais y a re-connu ce cul-de-jatte que tout Ie monde a vu naguère trainé sur lesnbsp;boulevards dans son grotesque équipage. On pourrait en délivrernbsp;Rome, k peu prés comme Ésope proposait de boire la mer, si Ponnbsp;voulait arréter d’abord tous les fleuves qui s’y rendent (2).
« Telles sont dans leur enchainement et dans leur esprit les institutions charitables de Rome, dont Ie but est Ie soulagement de la misère physique. Pour les bien apprécier, il faut y distinguer deux éléments :nbsp;l’élémentcatholique et I’élémentitalien, c’est-a-dire les choses en elles-mêmes, el ces choses traduites en faits par des hommes; la même distinction dolt être faite pour les institutions de tout autre pays. Ennbsp;quot;principe, on peut dire que tout est bon, souvent même admirable etnbsp;sublime dans les institutions romaines, paree que 1’idée est fille dunbsp;génie catholique; mais en application, Ie génie italien se trahit et tropnbsp;souvent défigure par son laisser aller les oeuvres les plus belles. C’estnbsp;ainsi que les institutions fran^aises, allemandes, espagnoles, portentnbsp;1’empreinte des défauts du caractère national, qui les rendent souventnbsp;imparfaites dans Ie fond aussi bien que dans la forme. Ici elles ne tou-
(1) nbsp;nbsp;nbsp;De Bazel., pref., p. cv.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;M. de Villeneuve, du Pauper., t. 11, p. 583.
(ö) De Bazel., pr(il'., p. cm.
-ocr page 281-ROTONDE DE SAINT-JEAN. 277
chent qu’a la forme, en sorte que si toutes les lois et tons les régle-ments s’y exécutaient, Rome serait un type idéal de gouvernement (i). Pourrions-nous dire la même chose de la France? » Cette remarque,nbsp;dont nous avons eu vingt fois l’occasion de vérifier la justesse, s’appli-que en général k tous les autres aspects de la ville des Pontifes.
H FÉVRIER.
Rotonde de Saint-Jean devant la Porte-Latine. — Colombaire de Pomponius Hylas, — de la familie Volusia. — Tombeau des Scipions. — Chemin de la Croix au Colisée.
Connaissant les oeuvres de charité corporelle que Rome chrétienne a échelonnées sur tous les chemins de la vie, depuis Ie berceau jusqu’anbsp;la tombe, nous avions achevé la première partie de notre itinéraire.nbsp;Avant d’étudier la charité intellectuelle et morale, nous fimes unenbsp;halte longtemps désirée.
La chapelle de Saint-Jean-devant-la-Porte-Latine fut 1’objet de notre pèlerinage. Visiter Ie lieu consacré par Ie martyre de 1 Apótre mêmenbsp;de la Charité, c’était, sans nous écarter de notre itinéraire, réparernbsp;heureusement une lacune.
Le voyageur qui vient du Colisée par la voie des Triomphes se trouve bientót sur la voie Appienne. Cette dernière, si célèbre dans Fhistoirenbsp;de l’ancienne Rome, est aujourd’hui bordée d’un large trottoir forménbsp;de beaux fragments de marbres antiques. Après l’avoir suivie jusqu’anbsp;la hauteur des Thermes de Caracalla, nous tournames a gauche et nousnbsp;mimes les pieds sur la voie Latine, qui conduit h la porte du mêmenbsp;nom : cette porte a été fermée par les Francais pendant l’occupationnbsp;impériale. Or, en foulant eet antique chemin, comment ne pas se souvenir du disciple bien-aimé, qui lui-même le parcourut en allant aunbsp;supplice? Sans respect pour ce vénérable vieillard, Domitien Favaitnbsp;fait amener a Rome, enchainé comme un malfaiteur. Conduit a quel-ques pas de la Porte-Latine, il fut, suivant la coutume romaine, battunbsp;de verges, rasé par ignominie, puis jeté dans une chaudière d’huilenbsp;bouillante. 11 en sortit sain et sauf, comme les jeunes Hébi^eux de lanbsp;fournaise de Babylone; mais ce fut pour être relégué dans File denbsp;Patbmos, jusqu’h ce que Nerva eüt aboli les sanglants décrets de sonnbsp;barbare prédécesseur.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;•,nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;'
Sur le lieu même du martyre, un de nos compalriotes, nommé 1
De Bazel., préf. p. xxm.
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LES TROIS ROME.
Adam, auditeur de Rote dans Ie seizième siècle, fit élever une petite chapelle en forme de rotonde, dans laquelle sont conserves les instruments du martyre. A l’intérieur on lit l’inscription suivanle ;
Martyrii palmam tulit hic athieta Joannes, Principii verbum cernere qui meruit.nbsp;Verberat hic fuste proconsul, i'oicipc tondel,nbsp;Quem fervens oleum laedere non valuit.nbsp;Condilur hic oleum, dolium, cruor atque capillinbsp;Qum consecravit inclyta Roma übi.
Cette visite nous procura un double plaisir. D’abord, il nous fut donné de prier Ie disciple bien-aimé du Sauveur, au lieu même oü ilnbsp;avail donné ü son tendre Maitre une preuve si éclatante de son amour.nbsp;Or, c’est lè une délicieuse jouissance; car au tombeau des martyrs onnbsp;prie mieux, et quelque chose vous dit qu’on est exaucé plus facilementnbsp;qu’ailleurs. Ensuite je voyais dans cette chapelle un monument denbsp;juste reconnaissance, et j’en étais fier. A nous autres Séquanais, la lu-mière évangélique est venue de saint Jean : saint Irénée, son disciple,nbsp;nous envoya Ferréol et Fergeux, nos premiers missionnaires.
L’ame pleine de ces bonnes et douces pensées, nous entrames dans un jardin, éloigné seulement de quelques pas : c’était pour visiter unnbsp;monument d’un tout autre genre. Sur la porte d’un escalier tournantnbsp;qui descend dans un profond souterrain, on lit : Columbarium liber-torum domus Augustce. Nous étions dans le sépulcre des affranchis denbsp;la maison d’Auguste. Arrivés it la chambre mortuaire, area, qui formenbsp;un quadrilatère, nous reconnumes, è la lueur de nos torches, unenbsp;grande quantité de petites niches, semblables a des nids de colombes,nbsp;columbarium, pratiquées dans les quatre parois; ces petites niches,nbsp;terminées en plein ceintre, arcuatw, peuvent avoir un pied et demi denbsp;hauteur sur une largeur égale. A la base sont deux trous pratiquésnbsp;dans l’intérleur du mur, dont chacun contient un vase de terre cuite,nbsp;olla, renfermant des cendres et des débris d’ossements calcinés, sui-vant la coutume des Remains. Un simple couvercle en terre cuite,nbsp;operculum, ferme le Vhse ou urne funéraire. La niche elle-même senbsp;trouve fermée par une tablette en pierre ou en marbre, sur laquellenbsp;on lit les noms et les qualités du mort, tituli. Sur Tune de ces tabletjes, placée devant une niche non encore ouverte, sont les deux inscriptions suivantes : la première appartient h Tune de ces nombreusesnbsp;esclaves èmployées h la toilette des matrones romaines, d’Octavie parnbsp;conséquent; la seconde est celle de l’argentier ou de l’esclave préposénbsp;è la garde de l’argenterie de la même princesse. Toutes les deux pour-
I
-ocr page 283-COLOMBAIRE DE LA FAMILLE VOLUSIA. nbsp;nbsp;nbsp;279
raient servir de texte h ud long commentaire, car elles révèlent des usages intimes de la vie romaine et certaines conditions de l’escla-vage (i).
PESVS-E OCTAVIO nbsp;nbsp;nbsp;PniLETVS OCTAVI.E
C.ESARIS AVGVSTl F. nbsp;nbsp;nbsp;C^SARIS AVGVSTI F.
ORSATRICI nbsp;nbsp;nbsp;ARGENTORATO. FECIT
VIX. ANN. XVni. nbsp;nbsp;nbsp;CONTVBERNALI SV^
CARISSIM.E ET SIBI.
A la voute du colombaire sont suspendues deux lampes en bronze è sis OU sept becs. Elles étaient, dit-on, garnies de mèches en amianle,nbsp;afin de brüler toujours. Du reste la forme de ces lampes est encorenbsp;fort commune a Rome; c’est une preuve entre mille de la ténacité desnbsp;habitudes populaires. Sur les murailles on voit quelques peinturesnbsp;assez bien conservées, représentant des génies. Tout ce spectacle denbsp;mort, oü nulle pensée d’immortalité ne vient consoler votre ame, anbsp;quelque chose qui glace et qui fait mal. La visite au monument denbsp;l’apótre saint Jean nous rendail cette impression plus vive; mais ellenbsp;Ie devint bien davantage, lorsqu’après avoir traversé une petite vigne,nbsp;nous arrivimes au Colombaire de la familie Volusia, particulièrementnbsp;célèbre sous Néron.
L’aspect grandiose du monument annonce qu’ici reposent des grandeurs humaines anéanlies. Ce colombaire peut avoir quarante pieds de hauteur, et forme un parallélogramme d’environ trente pieds denbsp;long sur vingt de large. La voute en pendentif repose sur un largenbsp;pilier placé au milieu. Par suite des attérissemenls, la partie supérieure du colombaire ne dépasse que d’environ trois pieds Ie niveaunbsp;du sol. Nous descendimes dans Ie souterrain, oü nous pümes compternbsp;environ quinze cents niches. La, bien des noms connus dans Thistoirenbsp;s’offrent aux yeux et aux méditations du voyageur. Dans Ie massif dunbsp;pilier central est une niche plus grande que les autres, contenantnbsp;une belle urne en marbre blanc, qui porie ces mots pour inscription :
NE TANGITO o MORTALISnbsp;REVEREREnbsp;MANES DeOS.
tO Voyez Pignorius, De Servis.
-ocr page 284-280 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
Les archéologues prétendent qu’elle contient les cendres d’un prêtre des idoles. Toujours est-il que les Païens eux-mêmes plagaient les cendres des morts sous la garde des dieux : Ie respect des tombeaux estnbsp;une loi de l’humanité, et une legon utile aux vivants. On ne put la lirenbsp;gravée il y a dix-huit siècles sur une urne païenne, par une mainnbsp;païenne, sans faire plus d’une réflexion a l’adresse de nos contemporains. J’oubliais de dire que Ie colombaire n’a élé découvert que de-puis quelques années; cette circonstance explique la parfaite conservation du monument, et la fraicheur des peintures qui Ie décorent.
Toutes les vignes environnantes sont de véritables mines de Colom-baires. Elles doivent ce privilége au voisinage de la voie Appienne, rendez-vous général des tombeaux dans l’ancienne Rome. Ainsi il suffitnbsp;de creuser pour trouver des pierres monumentales, des bas-reliefs,nbsp;des lampes, des ustensiles, des débris de parures et beaucoup d’autresnbsp;objets intéressants. Nous vimes entr’autres un magnifique sarcophagenbsp;en marbre, d’un travail exquis et d’une conservation parfaite, sur le-quel est représentée une bataille des Remains centre les Gaulois : onnbsp;reconnait nos aïeux au torques ou collier entrelacé, passé auteur denbsp;leur cou.
Comme nous étions en train de visiter les morts, nous nous diri-geames vers la voie Appienne, et en quelques instants nous fumes au lombeau des Scipions. Ce célèbre monument fut découvert en 1780.nbsp;II avait deux étages; Ie premier est creusé dans Ie tuf lithoïde; il nenbsp;reste presque plus rien du second, orné de demi-colonnes de marbres,nbsp;et de niches destinées aux statues des membres de la familie. Armésnbsp;de torches, nous descendimes a l’étage inférieur, par un chemin tor-tueux nouvellement creusé. Le premier torabeau que nous rencontra-mes est celui de Publius-Cornélius Scipion, flamen dialis (grand-prêtre de Jupiter); I’inscription en fait foi. Nous remarqu4mes encorenbsp;ceux du vainqueur de l’Espagne et de Lucius-Cornélius Scipion, filsnbsp;de Scipion l’Asiatique et petit-fils de l’Africain. Tous les sarcophagesnbsp;étaient placés dans le tuf; maïs ils ne ressemblent en rien it nos loculinbsp;des catacombes, bien que la race Cornelia ait conservé jusqu’è Syllanbsp;l’usage exceptionnel de ne pas brüler ses morts. Des tombeaux ennbsp;ruines! voilii done, illustre familie, mère de tant de grands hommesnbsp;qui pendant plusieurs siècles remplirent la terre du bruit de ton nom,nbsp;voilé tout ce qui reste de toi! Vanité de toute gloire que le chris-lianisme n’a pas immortalisée en la consacrant.
Ren trés dans la voie des triomphes, un nouveau constraste nousatten-dait au Colisée. Un grand nombre d’élégants équipages stationnaient
-ocr page 285-CHEMIN DE LA CROIX AU COLISÉE. 281
autour des vastes portiques : ils avaient amené un peuple de nobles pèlerins. C’était Ie vendredi; il était environ trois heures : on faisait Ienbsp;Chemin de la Croix. Le Chemin de la Croix au Colisée! concevez-vousnbsp;quelque chose de plus solennel, de plus salsissant! Oui li, au milieunbsp;de cette arène tant de fois ensanglantée, est une grande croix, deboutnbsp;sur son piëdestal de pierre; autour de ce podium contre lequel furentnbsp;écrasées tant de malheureuses victimes de la barbarie romaine, sontnbsp;les stations du Chemin de la Croix : la croix partout, la croix seulenbsp;debout au Colisée! Puis, sur cette terre détrempée i une si grandenbsp;profondeiT du sang des martyrs, une foule pieuse, sans distinction denbsp;rang et de sexe, agenouillée, recueillie, s’avan^ant doucement en ré-pandant des larmes et des prières, ii la suite d’une grande croix denbsp;bois, portee par un pauvre religieux de Saint-Frangois, les pieds nusnbsp;et le corps couvert d’une bure grossière. Les vastes gradins qu’ébran-lèrent tant de fois les rugissements des lions, les gémissements desnbsp;mourants, les cris forcenés et les battements de mains d’un peuplenbsp;entier altéré de sang, retentissent de ces douces et fraternelles paroles,nbsp;répétées en commun par des hommes de toutes les nations : Notrenbsp;Père qui étes aux deux; la prière de l’amour, a la place des vocifé-rations de la haine, le christianisme triomphant au lieu même oü lenbsp;paganisme avait voulu le noyer dans le sang de ses martyrs : oh! vrai-ment, c’est lè un contraste, un spectacle, au prix duquel le voyage denbsp;Rome ne sera jamais acheté trop cher.
12 FÉVRIER.
3Iiscre intellectuelle.—Charité romaine i l’égard des ignorants.—Écoles régionnaires.
— nbsp;nbsp;nbsp;Leur discipline.' Leur nombre. — Écoles graluites. — Saint Joseph de Calasanzi
— nbsp;nbsp;nbsp;origine de son oeuvre. — Ses développements. — Autres écoles gratuites pour les
jeunes gar^ons. — Les Doctrinaires. — Les Frères des écoles chrétiennes.
Le temps était superbe et nous engageait i sortir. Nous en profi-tftmes pour reprendre notre visite de Rome charitable. Au-dessus des misères physiques, la maladie, la pauvreté et la mort, sont les misèresnbsp;de rintelligence et du coeur. L’ignorance et Terreur, les passions etnbsp;leurs tristes effets; tels sont les maux qui tourmentent Thomme dansnbsp;la plus noble partie de liii-même : le moment était venu de recher-cher ce que Rome fait pour les prévenir et les réparer. L’ignorance senbsp;dissipe par Tinstruction. Or, quelles que soient sa fortune et sa condition, le jeune Romain trouve, au seuil de la vie, des sources abon-
-ocr page 286-282 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
dantes oü il peut puiser la vérité; nous voulümes nous-mêmes en visiter quelques-unes.
Saus sortir du quartier, nous vimes, devant une maison de bonne apparence, une enseigne en bois peint et portant de gros caractères;nbsp;elle indiquait que la était une école régionnaire. Les écoles région-naires sont ainsi appelées de ce qu’autrefois il en existait une dansnbsp;chaque quartier ou région. L’absence compléte de documents ne per-met pas d’en déterminer l’origine : plusieurs historiens les rattachentnbsp;aux anciennes écoles instituées par Ie sénat remain. Quoi qu’il en soit,nbsp;les écoles régionnaires, bien que destinées aux enfants du peuple,nbsp;n’ont jamais été entièrement gratuites : aujourd’hui encore elles ne Ienbsp;sont pas. Le maitre re^oit de chaque élève une rétribution mensuellenbsp;qui varie de quatre k dix pauls (2 a 5 fr.). On y enseigne la doctrinenbsp;chrétienne, la lecture, l’écriture, les éléments des langues italienne etnbsp;frangaise, l’arithmétique, les principes de la géographie, et de l’his-toire tant sacrée que profane. Le maitre doit en outre avoir un livrenbsp;de civilité qui instruise des bonnes manières, et le faire lire une foisnbsp;par semaine. On admet les enfants dés l’ège de cinq ans accomplis,nbsp;pourvu qu’ils n’aient aucune maladie malpropre ou contagieuse. Lesnbsp;classes durent trois heures le matin et trois heures le soir; elles com-mencent et se terminent par la prière, et dés le matin les enfants vontnbsp;k la messe dans quelque église voisine.
Depuis vingt-cinq ans, le nombre des écoles régionnaires s’est nota-blement accru : on en compte aujourd’hui cinquante-cinq dans Rome, et s’il n’existait dans le réglement un arliele qui exige entre les écolesnbsp;une distance de cent Cannes architectoniques, le nombre en serait cer-tainement plus considérable (i). Toutes sont placées, dans la ville,nbsp;sous la dépendance du cardinal vivaire, et partout ailleurs sous celle desnbsp;évêques. Une commission, composée d’ecclésiastiques distingués, sur-veille directement les écoles et les visite fréquemment. Elle examinenbsp;les candidats et les approuve comme instituteurs, en leur donnant unnbsp;brevet qui se renouvelle tous les ans. Elle distribue les prix aux élèvesnbsp;et se réunit une fois par semaine pour discuter les affaires relatives knbsp;l’instruction primaire. A cette même commission est confié le choixnbsp;des livres et tout ce qui regarde les écoles, sous le rapport littérairenbsp;et disciplinaire (2).
Jusqu’au milieu du siècle dernier, les fonctions d’instituteur étaient remplies par les étrangers, les Remains les trouvant au-dessous de
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Constanzi, 1.1, p. 158-160.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Mwicü., p. 217.
-ocr page 287-ÉCOLES RÉGIONNAIRES. 283
leur dignité. Ne dirait-on pas qu'ils ont tons lu Virgile, et que leur röle soit toujours de commander aux nations ? Aujourd’hui, ils ne dé-daignent plus de se consacrer a ces functions, paree qu’en effet ellesnbsp;sont nobles, très-charitables et dignes de respect; d’ailleurs, la solli-citude pontificale assure l’avenir de ceux qui s’y dévouent. Une contribution mensuelle de trois pauls versés pour eux dans une caisse denbsp;prévoyance, que Ie trésor public alimente de dix autres écus, forme unnbsp;fonds de retraite et de subvention pour les infirmes et pour ceuxnbsp;qu’un accident force it suspendre leurs lemons. En outre, deux maitresnbsp;suppléants, payés par l’État, font Yinterim des professeurs éloignésnbsp;de leurs classes par une maladie.
Des écoles régionnaires pour les petites filles existent aussi dans tous les quartiers de Rome. Elles sont tenues par des maitresses soumises aux réglements dont nous venons de parler. Ces écoles sont éga-lement très-nombreuses. Les unes et les autres ont conservé leur ca-ractère municipal, c’est-èi-dire qu’elles ne sont pas entièrementnbsp;gratuites. Enfin la religion ouvrit aux pauvres des écoles publiques,nbsp;sans exiger aucune rétribution : ici encore Rome a donné Ie premiernbsp;exemple de cette charité supérieure; il date du pontificat de Clément VIII, vers la fin du xvi® siècle.
En IS92 arrivait amp; Rome Joseph Calasanz. Né dans Ie royaume d’A-ragon, il joignait a la science des docteurs l’humilité des saints et Ie noble enthousiasme pour Ie bien dont son compatriote, Ignace denbsp;Loyola, donnait de si heureux exemples. Sa science profonde Ie fitnbsp;nommer théologal, par Ie cardinal Marc-Antoine Calonne; mais l’éclatnbsp;de ses brillantes fonctions était pour lui un motif de rechercher, avecnbsp;plus d’ardeur, les ceuvres obscures. II entra dans l’archiconfrérie desnbsp;Saints-Apètres, qui distribue des aumónes aux indigents. Dans l’exer-cice de cette charité, il s’apergut que Tignorance était la mère fé-conde du vice et de la misère. Son coenr était brisé en voyant unenbsp;foule de petits gardens, abandonnés dans les rues par l’insoucieusenbsp;complicité de leurs parents, passer les jours entiers dans Ie vagabondage, sous prétexte de mendier leur pain. L’enseignement du caté-chisme, renouvelé seulement tous les dimanches dans les paroisses, nenbsp;pouvait fructifier pendant toute la semaine; d ailleurs, Rome n’avaitnbsp;è cette époque d’autres maitres que les instituteurs régionnaires, très-faiblement rétribués par Ie sénat. Joseph les pria d’accueillir, dansnbsp;leurs écoles, ces pauvres petits malheureux; mais ils refusèrent denbsp;s’en charger, si l’on n’augmentait leur salaire. Ce tendre ami des en-fants frappa successivement è toutes les portes; partout il fut écon-duit, sous des prétextes plus ou moins plausibles.
-ocr page 288-284 LES TROIS ROME.
Voyant tous ses efforts inutiles, il résolut d’entreprendre lui-même la réalisation de ses voeux. Au mois de novembre 1597, il fonda la première école publique gratuite, è Sainte-Dorothée-m-Jrasie«ere; ilnbsp;choisit ce quartier, comme étant celui de Rome oü Ie besoin d’in-struction se faisait Ie plus vivement sentir. Le digne curé de la pa-roisse, Antonio Brendoni, mit a sa disposition deux salles, el s’associanbsp;lui-même è sa généreuse eutreprise. Peu après deux autres bonsnbsp;prêtres s’adjoignirent aux fondateurs, et l’école compta bientót quel-ques centaines d’élèves. L’instruction des pauvres, étant par-dessusnbsp;tout une oeuvre de piété, saint Joseph donna a son institution le nomnbsp;A’Écoles pieuses. il se mit done a enseigner aux enfants le catéchisme,nbsp;la lecture, l’écriture, l’arithmétique; a I’enseignement, le saint fonda-teur ajoutait la fourniture des livres et de tous les autres menus ob-jets, que la pauvreté de ces chers enfants ne leur eut pas permis de senbsp;proeurer.
Bientót les écoles pieuses passèrent au palais Vestri, prés de l’église de Sainl-A.üdré-della-VaUe. La prit naissance une société de prêtresnbsp;instituteurs, et saint Joseph regut le litre de préfet des écoles pieuses.nbsp;11 donna h. sa congrégation le nom touchant des Pauvres de la Mèrenbsp;de Dieu des écoles pieuses. La pauvreté, Marie, l’enfance, ces troisnbsp;mots allaient droit a Tóme et attiraient des bénédictions et des secoursnbsp;abondants aux hommes dévoués qui les adoptaient pour devise. Ajou-tez que, par un trait de charité bien digne d’un saint, Joseph admel-tait les enfants juifs eux-mêmes, et souvent on l’entendit tonner, dansnbsp;ses predications, contre Fusage de la populace romaine qui poursui-vait de ses insultes ces pauvres petits malheureux, ii cause de leurnbsp;religion. Clément VIII approuva la nouvelle congrégation, qui devintnbsp;un ordre régulier avec les trois voeux ordinaires, et de plus la consé-cration è l’enseignement.
Le saint s’appliquait surtout k élever les enfants sous 1’empire d’une sage discipline; les religleux (Scolopii) observent encore la mêmenbsp;méthode, lis regoivent gratuitement les enfants de toute condition, dèsnbsp;Fóge de sept ans, et leur donnent trois heures de legon le matin et au-lant le soir. Les élèves vont è la messe tous les jours, disent leursnbsp;prières au commencement et h la fin des classes; ils se réunissent,nbsp;même le dimanche, dans leurs salles, pour se livrer è divers exercicesnbsp;religieux, entre autres, pour réciter le petit office de la sainte Vierge.nbsp;Chaque année, aux environs de PAques, on donne amp; tous ces enfantsnbsp;les exercices de la retraite (i). Combien de fois nous avons vu, en pas-
(i) Constanzi, 1.1, p. 145-6.
-ocr page 289-LES FRÈRES DES ÉCOLES CHRÉTIENNES. 285
sant devanl Saint-Panlaléon, è la fin des classes, les bons religieus, fldèles è l’exemple de leur père, acconapagnant les écoliers jusque cheznbsp;leurs parents! Pour cela, les enfants sortenl en rang, et se dirigentnbsp;deux li deux vers les différents quartiers de Rome; la file diminuenbsp;petit a petit, i mesure qu’ils arrivent a leurs habitations respectives.nbsp;Ainsi Ton évite, et Ie tapage, et Ie désordre, et les accidents qui nenbsp;manqueraient pas d’arriver parmi cette multitude d’enfants abandon-nés k eux-mêmes. A l’enseignement élémentaire, les écoles de Saint-Pantaléon joignent l’instruction supérieure, et même les éléments denbsp;la grammaire latine.
Que la France soit fiére, elle Ie peut a bon droit, de ses écoles chré-liennes. Mais, fille respectueuse, qu’elle cède encore ici Ie pas é sa naère. Rome a sur elle, comme sur toutes les autres églises, Ie glorieuxnbsp;avantage d’avoir ouvert la première des écoles gratuites pour les enfants du peuple. C’est un saint prêtre qui, luttant avec courage contrenbsp;tous les obstacles, a laissé au monde ce bel exemple, el la religionnbsp;peut dire que l’enseignement des pauvres lui appartient, et par droitnbsp;de naissance, et par droit de conquéte. Double injustice de vouloir Ienbsp;lui óter; mais aussi double chdtiment et double malheur : je désirenbsp;n’être pas prophéte.
Sur les pas de saint Joseph de Calasanz on vit accourir de saints prêtres, de vertueux laïques, Jaloux de partager, et les pénibles tra-vaux, et les recompenses éternelles du généreux ami de l’enfance.nbsp;En 1727, Benoit XIII donna aux pères doctrinaires, enfants du véné-rable César de Bus, l’antique église de Sainle-Marie-m-Monticelli.nbsp;Vingt-cinq ans plus tót, en 1702, M. de la Salie était venu, dans la per-sonne de ses religieux, travailler h la même vigne. Les bons frères ou-vrirent leur première école prés de la place Barberini; la seconde k lanbsp;Trinité-des-Monts qu’ils habitent encore aujourd’hui. En 1795, Pie YInbsp;leur en donna une autre, prés de Saint-Sauveur-tw-iaMro; enfinnbsp;Léon XII leur fournit un quatrième établissement prés de la Madonenbsp;des Monts, sous Ie titre de Saint-Antoine-de-Padoue. La crainte seulenbsp;d’être trop long me fait passer sous silence d’autres ressources gra-tuiternent offertes aux enfants du peuple, pour dissiper leur ignorance, première misère spirituelle des fils d’Adam. II faudrait d’ail-leurs revenir sur Ia plupart des institutions déja visitées, oü 1’enfantnbsp;et Ie pauvre regoivent, et Ie pain du corps, et Ie pain de Fame.
-ocr page 290-286 LES TROIS ROME.
15 FEVRIER.
Visite aux écoles de pelites filles. — Fondation de la B. Angèle de Mérici. — Écoles pon-
tificales. — Écoles des pieuses maitresses. — Autres établissements. — Remarques.—
Résumé.
Bien que ce fut Ie dimanche et la veille de notre depart peur Naples, nous trouvAmes Ie loisir de visiter de nouvelles écoles. Nous sa-vions ce que Rome fait en faveur des gargons pauvres, il nous restait è. voir quels soins sa maternelle sollicitude prodigue aux petites filles.nbsp;Les nombreux conservatoires déja mentionnés sembleraient nous dispenser de nouveaux détails; toutes les ressources de la cbarité la plusnbsp;ingénieuse s’y trouvent comme épuisées : il n’en est rien pourtant.nbsp;De Rome les écoles de Saint-Joseph se répandirent bientót dans toutenbsp;ritalie; mais elles ne s’occupaient que des petits gargons : restaientnbsp;les jeunes filles. Plus faibles encore, et par la même exposées h plusnbsp;de dangers, elles devaient attirer 1’attention particulière de l’Église etnbsp;devenir l’objet de son active sollicitude ; ici encore les faits sont d’ac-cord avec la logique.
Longtemps avant saint Joseph de Calasanz, était né è Dezenzano, sur Ie lac de Garde, la bienheureuse Angèle de Mérici. Cette saintenbsp;vierge, dont la mémoire est en vénération particulière a Rome, vint ynbsp;fonder, en 1537, une institution destinée è Finstruclion gratuite desnbsp;petites filles pauvres. Seulement, on réserva l’enseignement de l’écri-ture è celles des élèves qui se proposaient d’einbrasser la vie monas-tique : on n’apprenait aux autres que Ie catéchisme, la lecture et Ienbsp;travail des mains; c’était un premier pas. Dans Ie siècle suivant,nbsp;en 1655, s’ouvrit è Rome la première école gratuite pour les fillesnbsp;pauvres, sur Ie plan des écoles pieuses de Saint-Joseph : on la dut è lanbsp;générosité du pape Alexandre VII. Consolé par Ie succès qu’elle ob-tint, l’intelligent Pontife en établit de semblables dans tous les quarters de Rome. L’aumónerie apostolique se chargea, comme elle senbsp;charge encore, de tous les frais. De 1^ Ie nom si bien mérité di Écolesnbsp;pontificales (Scuole pontificie) qu’elles portent encore. Nous en visi-tames plusieurs, et vraiment je ne sais ce que nos inspecteurs univer-sitaires pourraient leur reprocher. II est vrai, pourtant, qu’on n’ynbsp;enseigne ni la mythologie, ni l’astronomie, ni autres utiles sciencesnbsp;du même genre; tout se borne A l’enseignement de la religion,nbsp;lecture, it l’écriture, au calcul et aux ouvrages des mains (i).
(i) Constanzi, 1.1, p. 27, 29 et tö6.
-ocr page 291-VISITE Atrx ÉCOLES DE PETITES FILLES. 287
Ce que nous avions vu dans les écoles pontificales, nous Ie retrou-vamp;mes chez les Maitresses-pieuses-Ouvrières (Maestre pie Operarie). Né è Monteliascone, eet ordre vint s’établir a Rome, sous Ie pontificatnbsp;de Clément XII; raumónerie apostolique fournit i ses besoins. Lanbsp;grande école, et, pour ainsi dire, la maison-mère est a Sainte-Agathe-ai-Monti; c’est Ia que réside la supérieure générale. Elle est élue tousnbsp;les trois ans, et dirige toute la communauté avec son conseil composénbsp;de trois assistantes. C’est de la qu’on envoie les maitresses nécessairesnbsp;aux difTérentes écoles de la ville et même des villes voisines. Elles resolvent gratuitement toutes les petites lilies pauvres, Agées de cinqnbsp;ans, qui habitent dans Ie quartier : les classes durent six lieures parnbsp;jour, et les objets de l’enseignement sont les mêmes que dans les au-tres écoles. Nous remarquftmes Ie soin touchant avec lequel on formenbsp;lesjeunes coeursa la pratique de la religion. Ainsi, outre uncatéchismenbsp;fort clair, on leur emseigne les dispositions nécessaires aux sacrementsnbsp;de Pénitence et d’Eucharistie; la pratique des vertus chrétiennes; lanbsp;dévotion a la sainte Vierge et ^ l’Ange Gardien; Ia modestie dans Ienbsp;maintien, surtout dans les rues et a Féglise. Je ne m’étonne pas denbsp;I’approbation donnée par les papes a cette utile congrégation (i). Ellenbsp;compte ii Rome sept écoles qui regoivent mille jeunes filles.
A cóté de ces pieux établissements, fleurissent les écoles paroissiales établies dans presque toutes les paroisses de Rome, et qui ont Ie mêmenbsp;but. Yiennent encore celles des Dames du Sacré-Cosur, amp; la Trinité-des-Monts et ii Sainte-Rufine-m-Trasietiere; de Saint-Pascal; desnbsp;religieuses du Divin-Amour; des maitresses pieuses au Gesü, dontnbsp;les unes donnent l’enseignement élémentaire aux enfants pauvres,nbsp;tandis que les autres élèvent les jeunes filles des classes supérieures.
A la vue de ces nombreux établissements, deux remarques se pré-sentèrent h notre esprit : d’abord, la date des premiers. C’est au commencement du xvP siècle, a l’époque oü Ie protestantisme venait jeter ^ la face de l’Église romaine Ie reproche d’obscurantisme, que Romenbsp;ouvrait gratuitement au peuple les premières écoles publiques denbsp;1’Europe! Elle ne craignait done pas la lumière; elle ne craignait pasnbsp;surtout, comme l’en accusaient les chefs de la Reformation, que sesnbsp;enfants apprissent a lire, même la Rible, puisque c’est en Italië quenbsp;parut la première traduction de l’Écriture en langue vulgaire. En-suite, Rome qui donna Ie mouvement, ü y a trois siècles, a continuénbsp;de marcher; et je ne sais s’il est aucune capitale qui puisse rivaliser
(0 Voyez Ia bulle: Experientia rerum omnium magistra, de Clément XII. 8 sept. 1760.
-ocr page 292-288 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
avec elledans Ia voieduprogrès.Pourunepopulation de 170,000 Ames, Rome compte aujourd’hui 574 écoles primaires, dirigées par 484 mai-tres et peuplées de plus 14,000 enfants! Pour un million d’habitants.nbsp;Paris ne comptait, au 1®’’ juillet 1844, que 24,137 élèves dans lesnbsp;écoles populaires. Outre les écoles régionnaires, parvenues au nombrenbsp;de 5S, plusieurs salles d’asile ont été fondées; de nouvelles écoles pa-roissiales ont été ouvertes; cinq ou six autres institutions, ayant Ienbsp;même but, ont été érigées. Dans ce nombre ne sont pas comprises lesnbsp;écoles primaires, appelées Ahusives, paree qu’elles se sont forméesnbsp;sans autorisation, et qui comptent au moins 20 institutcurs et 300 élèves (i). Tels sont, en abrégé, les moyens que Rome emploie pour dis-siper l’ignorance dans les classes inférieures de la société : c’est ainsinbsp;que la mère des églises répond encore aujourd’hui a ceux qui osentnbsp;l’accuser d’étre stationnaire, rétrogade et ennemie des lumières. L’A-pollinaire, l’Université, Ie Collége remain nous apprendront plus tardnbsp;ce qu’elle fait pour l’instruction des classes élevées.
Mais il ne suffit pas de dissiper I’ignorance; pour entretenir l’amp;me humaine dans son état normal, il faut encore la préserver de 1’erreur,nbsp;et surtout de Ferrebr en matière de religion, la plus funeste de tou-tes. L’esprit Ie plus éclairé peut être atteint de ce cboléra-morbus,nbsp;dont semble imprégné l’atmosphère de l’Europe actuelle, et qui tuenbsp;Ie coeur après avoir altéré la virginité de Pintelligence. Afin de l’éloi-gner de ses frontières il n’est pas de mesure que Rome ne prescrive.nbsp;Ses douanes visitent avec un soin rigoureux tous les ouvrages venusnbsp;du dehors; la congrégation de l’Index veille nuit et jour pour en ar-rêter la propagation et pour les signaler, en les flétrissant, a la frayeurnbsp;publique. A Rome, nul ouvrage ne peut être publié sans avoir été soumis a rexamen des maitres de la doctrine: gravures, morceaux denbsp;musique, pièces de thédtre, tout est surveillé. De peur que les spectacles, mêmes permis, ne nuisent aux pensées graves qui doivent former Ie fond de l’intelligence chrétienne, les représentations cessentnbsp;aux époques et aux jours consacrés au recueillement et a la prière;nbsp;tels que l’Avent, Ie Garême, Ie vendredi de ebaque semaine et Ie di-manche.
(i) Morich., p. 217.
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DÉPART POUR NAPLES.
U FÉVRIER.
Depart pour Naples. — Albano. — Souvenirs de saint Bonaventure. — La Palazzola. — Ruines d’Albe-la-Longue. — Monte Cavo. — Lac d’Albano. — Les Nymphées. —nbsp;L’émissaire. — Castel-Gandoll'o. — Tombeaux prétendus d’Ascagne et des Curiaces.nbsp;— Horace et Saint-Paul. — Aricia. — Genzano. — Lac Némi. — Civita Lavinia.
A sept heures du matin, par un froid assez piquant, nous quittions Ie palais Conti dans une large voiture it huit places : toutes étaientnbsp;occupées par nos amis. C’élait une caravane fran^aise, c’est-i-direnbsp;joyeuse et légère qui partait pour Naples. Nous sortimes de Rome parnbsp;l’ancienne porte Coelimontana, aujourd’hui de Saint-Jean, et bientötnbsp;nous trottèmes sur la voie Appienne. Cette voie, royale entre toutesnbsp;les autres (regina viarum) (i), s’étendait, comme je l’ai déja dit, denbsp;Rome jusqu’ii Brindes, et chaque pierre semble avoir une bouchenbsp;pour rappeler quelque grand souvenir. Après les maitres du mondenbsp;matériel, les Césars el leurs légions triomphantes, on y voit passer lesnbsp;rois du monde moral, Pierre et Paul, vainqueurs des Césars et denbsp;leurs armées; puis les chrétiens de Rome, allant au-devanl de l’Apó-Ire débarqué k Pouzzole : enfin ces vieilles dalles semblent encorenbsp;marquées de taches de sang qui redisent Ie peuple de martyrs dontnbsp;elles contemplèrent les combats et les triomphes. Tous ces grandsnbsp;souvenirs, sacrés et profanes, empruntent je ne sais quelle majesté denbsp;la solitude et des ruines qui vous environnent. Ici, la campagne ro-maine se montre, peut-être plus qu’ailleurs, solitaire, accidentée, re-muée, excavée et couverte d’antiques débris. Comme complément dunbsp;tableau, 1’immense aqueduc de Claude sillonne la vaste plaine, élevantnbsp;jusqu’aux nues ces gigantesques arceaux sur lesquels passent les eauxnbsp;du Latium, apportées en tribut a la Ville éternelle.
Vers dix heures nous arrivions k Albano. C’est une petite ville de cinq mille Ames, bade it l’extrémité du désert, non loin des ruinesnbsp;d'Albe-la-Longue. Après une modeste collation è l’hotel de la Ville denbsp;Paris, nousnousrendimes a l’église principale, appeléeSafjite-Mane-de-la-Rotonde. Le portail est orné de beaux ornements de marbre,nbsp;sculptés en feuilles d’acanthe, pris de quelque ancien édifice. L’inté-rieur olfre peu de richesses artistiques; pourtant le voyageur chré-lien doit une visite è ia cathédrale d’Albano. Elle rappelle un nomnbsp;dont le doux et glorieux souvenir ne saurait être oublié.
(i) Stat. Sylv. II, V. ta; Mart., ix, 104.
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Au xiii® siècle vivaient è rUniversité de Paris, dont ils forment l’im-mortelle auréole, deux illustres amis, que leurs vertus ont places sur les autels du monde catholique, et que leur génie a mis au premiernbsp;rang des docteurs. La merveilleuse penetration de son esprit valut anbsp;1’un Ie titre de docteur angélique; celui de docteur séraphique futnbsp;acquis è l’autre par la ravissante onction de ses écrits. Enfants spiri-tuels de deux pères également illustres, Dominique et Francois, ilsnbsp;continuèrent avec gloire a soutenir FÉgllse de Dieu, au secours denbsp;laquelle eux, et leurs pères, et leurs frères étaient envoyés. Tous lesnbsp;deux puisèrent leur doctrine dans Ie même livre : Ie Crucifix. Et parnbsp;un rare bonheur pour Ie voyageur chrélien, leur souvenir marqué denbsp;distance en distance Ia route qui conduit de Rome i Naples par Ter-racine. Ai-je besoin de les nommer? Saint Bonavenlure et saint Thomas d’Aquin ne sont-ils pas connus de tous?
Le premier, humble enfant de saint Frangois, marié comme son père è une glorieuse princesse qu’on appelle la pauvreté évangélique,nbsp;cherchait vainement è cacher sous le froc de bure, l’éclat qui jaillis-sail de son génie et de sa verfu. L’oeil pénétrant du vicaire de Jésus-Ghrist découvre enfoui le trésor, et par un ordre suprème il fait sortirnbsp;la lumièrede dessous le boisseau. Caché, è Paris, Bonaventure regoitnbsp;en même temps et Ie chapeau de cardinal, et sa nomination è. l’évê-ché suburbicaire d’Albano et l’ordre d’accepter : il part pour ITtalie.nbsp;Grégoire X vient a sa rencontre et lui donne lui-même I’onction épis-copale. On connait la vie du nouveau prince de FÉglise, et sa mortnbsp;non moins belle que sa vie. Tombé malade au milieu du Concile gé-néral de Lyon, oü il avait plus qu’un autre contribué è l’union denbsp;rOrient et de l’Occident, il eut encore la force d’assister i l’abjura-lion du grand chancelier de Constantinople, sa noble conquête; et onnbsp;peut dire de lui ce qu’on a dit de Turenne, qu’il mourut ensevelinbsp;dans son triomphe. Or les églises et les rues d’Albano nous rappe-laient un mot consolant du grand évêque. Parmi les religieux de sonnbsp;ordre il en était un nommé Egidius, qui avait une profonde vénéra-tion pour l’illustre et saint docteur. Un jour Egidius, avec une siro-plicité d’enfant, tournait autour du saint, désirant lui adresser unenbsp;question, mais ne sachant trop comment formuler sa demande : tantnbsp;on est sot quand on veut avoir de l’esprit! Enfin, recueillant toutesnbsp;les ressources de son génie : « Mon frère Bonaventure, lui dit-il, Dieunbsp;vous a fait de grandes graces h vous autres savants; mais nous, pau-vres ignorants, que ferons-nous pour nous sauver? » Le saint répon-dit; ff Quand Notre-Seigneur n’aurait donné aux hommes que son
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SOÜVEXIRS DE SAINT BONAyENTURE.
amour, cela suffirait. — Un ignorant peut-il aimer Dieu autant qu’un savant? — Une vieille femme peut aimer Dieu autant et plus qu’unnbsp;docteur en théologie. » A ces mots Egidius, transporté de bonheur,nbsp;court dans Ie jardin, situé du cöté de Rome, et se mettant sur la porte,nbsp;il se met a crier ; a Hommes simples et ignorants, pauvres et chétivesnbsp;bonnes femmes, vous pouvez aimer Dieu autant que frère Bonaven-ture (i); » et il tomba dans une délicieuse extase qui dura trois heures.
Ces souvenirs du moyen ftge nous accompagnaient pendant que nous gravissions Ie flanc rocailleux des montagnes du Latium, au piednbsp;desquelles est située la moderne Albano. Nous arrivames bientót a lanbsp;Palazzola, humble couvent de Franciscains, bMi sur les ruines mêmesnbsp;d’Albe-la-Longue. Celte ville importante, tant de fois nommée dansnbsp;les premiers temps de la république romaine, fut fondée, dit-on, parnbsp;Ascagne, fils d’Énée, et détruite par Tullus Hostilius. Prés du couvent on voit encore un ancien tombeau creusé dans Ie roe, avec lesnbsp;faisceaux consulaires et la chaise curule. De la nous poussames aunbsp;dela de Rocca di Papa, jusqu’é la cime du Monte Cavo. C’est ici,nbsp;dans une espèce de plate-forme en fer a cheval, que Romulus inauguranbsp;la religion des peoples aborigènes; ici que son successeur, Tarquinnbsp;l’Ancien, batit Ie fameux temple de Jupiter Latialis, divinité cruellenbsp;qui voulait du sang humain a l’ouverture des jeux établis en son hon-neur. Pour honorer et la mémoire de leurs aïeux et Ie berceau de leurnbsp;religion, les Remains venaient sur cette montagne célébrer les Fériesnbsp;latines; les triomphateurs eux-mêmes étaient obligés de s’y rendre,nbsp;quelques jours après leurs triomphes, afin d’y offrir un sacrificenbsp;d’actions de grftce; et enfin les consuls devaient y prendre possessionnbsp;de leur dignité. A tant de bruit et de mouvement a suecédé Ie silencenbsp;éternel de la solitude.
Revenant sur nos pas, nous visitflmes Ie lac d’Albano ou di Castello. II se trouve auprès du village de Castel-Gandolfo, é la cime d’unenbsp;montagne, et occupe Ie cratère éteint d’un volcan. Entouré de cbênesnbsp;verts et d’oliviers sauvages, il est profondément encaissé et forme unnbsp;ovale dont Ie pourtour peut avoir deux lieues et demie ; sa profon-deur est de 480 pieds. En descendant jusqu’au bord, nous vimesnbsp;deux Nymphées, c’est-a-dire difïérentes salles creusées dans la lave etnbsp;servant aux voluptueux Remains a prendre Ie frais. Celle que les pay-sans nomment Grotta di Bergantino, construction réticulaire, cou-verte d’une vigoureusevégétation, offreun aspect singulièrement pit-
(O Acta SS., 25 avril.
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toresque; mais Ia merveille du lac est Ie canal, ou émissaire, qui en décharge les eaux dans la campagne romaine. En volei l’origine : Lesnbsp;Remains étaient occupés au siége de Véies, lorsque les eaux du lacnbsp;montèrent d’une manière effrayante et menacèrent tout Ie pays d’unenbsp;inondation générale. On envoya des députés a Delphes pour consultornbsp;1 oracle d’Apollon. 11 répondit que les Remains ne seraient maitresnbsp;de Véies, qu’après avoir ouvert un écoulement aux eaux du lac. Aussi-tót une partie de l’armée se mit è l’oeuvre; l’autre continua de gardernbsp;la place. On perga la montagne, et on fit un canal d’un mille de longueur sur quatre pieds de largeur et six de hauteur. A la vue de cenbsp;tunnel encore hien conservé, quoiqu’il date de 2240 ans, comment nenbsp;pas admirer Ie puissant génie du peuple-roi, et l’habileté de Camillenbsp;qui, trompant l’impatience de son armée, sut l’occuper a un travailnbsp;de longue haleine en attendant Ie moment favorable pour emporter Ianbsp;ville e.nnemie?
Enfin nous arrivamés amp; Castel-Gandolfo, humble village oü Ie Sou-verain Pontife vient passer quelques mois a la fin de l’été. L’extérieur du palais en est fort simple, mais Ie point de vue est magnifique; denbsp;la plate-forme on embrasse toute la campagne romaine, desert de ruines, au milieu duquel la Ville éternelle, avec ses dómes dorés, sesnbsp;obélisques et ses palais, apparait comme une majestueuse oasis de monuments. L’église de Castel-Gandolfo est une croix grecque, de l’ar-chitecture du Rernin. Sur Ie maitre autel nous vimes un beau tableaunbsp;qu'on dit de Pierre de Cortone; Pautel h gauche a une Assomptionnbsp;de Carle Marratte.
En descendant la colline, pour regagner Albano, Ie voyageur salue Ie prétendu tombeau d’Ascagne. Ce monument antique, auquel Ienbsp;manque d’inscription ne permet d’assigner ni une date, ni un nom,nbsp;se compose d’une tour colossale, terminée -en cóne. Les revêtementsnbsp;de marbre et les autres ornements qui Ie décoraient ont disparu : ilnbsp;est triste comme la mort. II en faut dire autant d’une autre ruinenbsp;située au dela d’Albano, et qui porte, on ne salt pourquoi, Ie nom denbsp;Tombeau des Curiaces.
L’heure du départ étant arrivée, nous reprimes nos places dans la berline, et je m’empressai de consulter deux guides dont j’avais eunbsp;soin de me faire accompagner ; l’un étalt k ma droite, l’autre ^ manbsp;gauche, dans les poches de la voiture. Vous tous qui ferez la mêm®nbsp;route, je vous en prie, ne les oubliez pas : Ie premier c’est Horace, Ienbsp;second, les Actes des Apótres. Oui, ce chemin que vous suivez, Horacenbsp;et saint Paul Ie suivirent, il y a dix-huit cents ans ; leurs souvenirs y
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»¦
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I
sont marqués. Or, je ne connais rien de plus intéressant et de plus agréable que de marcher sur cette même voie Appienne avec deux pè-lerins si célèbres et si différents. De plus, je xais vous dire a quellenbsp;occasion Horace faisait ce voyage; quant a saint Paul, vous saureznbsp;bientót pourquoi on le rencontre sur une route illustrée par tons lesnbsp;conquérants du monde. L’an de Rome 713, Mécène, Cocceius et Ca-piton furent envoyés par le sénat jusqu’ii Brindes, afin de réconciliernbsp;avec Octave, Antoine qui assiégeait alors cette ville. Horace, leur ami,nbsp;fut du voyage. Parti de Rome avec le rhéteur Héliodore, il vint re-joindre les diplomates ^ Terracine. En sortant d’Albano, la routenbsp;traverse un pays montagneux, planté d’oliviers et d’arbres verts etnbsp;passablement cultivé. A deux milles au dela, on gravit une crète surnbsp;laquelle est assise, comme un nid d’aigle au sommet d’un rocher, lanbsp;moderne Aricia. Ce gracieux petit village occupe la place de la for-teresse de I’antique Aricia, dont il conserve le nom. On dit qu’Aricienbsp;fut fondée deux cents ans avant la guérre de Troie par Archiloque denbsp;Sicile. Quoi qu’il en soit, cette ville fut la patrie d’Atia, mère de I’em-pereur Auguste. Son territoire produisait d’excellents oignons quinbsp;ont mérité d’être chantés par plusieurs poètes et maudit par Horacenbsp;qui faisait profession de détester cordialement tous les rejetons denbsp;cette familie légumineuse, jusqu’au cinquième degré et au delè. Lesnbsp;ruines a peine reconnaissables de la cité se voient au-(tessous du village, il l’endroit appelé le Jardin du milieu, VOrto di Mezzo. Commenbsp;nous approchions, j’ouvris mon Horace, qui parle ainsi d’Aricie :
Egressum magna me excepit Aricia Roma
Uospitio modico (i).
Les paroles du poète voyageursevérifient encore; Aricie est toujours une bicoque, et ses auberges nous parurent de fort médiocre appa-rence; je n’en peux pas dire autre chose; car plus heureux qu’Horace,nbsp;ou plus pressés, nous passames sans leur laisser voir la couleur de nosnbsp;baïoques ; nous ne mimes pied è terre que pour visiter l’église et lenbsp;sévère palais Chigi. Ces deux ouvrages du Bernin présentent un ensemble bien entendu, mais semblent pécher par les détails : la cou-pole seulement parait irreprochable.
Horace et Héliodore qu’il accompagnait, couchèrent ii Aricie. En 'rais flaneurs, ces messieurs voyageaient i petites journées, et proba-i)lement aux frais de l’État: n’étant pas dans les mêmes conditions.
(i) Lib. 1, satyr. v.
T. II,
13
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nous poussèmes jusqu’a Vellétri. Avant d’y arriver on visile Genzano (l’ancienne Gentiana), joli bourg situé prés du lac Némi. Ce lac lui-même doit é sa forme, aux rosiers qui l’entourent et a la limpidité denbsp;ses eaux, Ie gracieux nom de Miroir de Diane, Speculum Dianw. Nonnbsp;loin de la route, il nous fut encore permis de voir la Civüd Lanivianbsp;(Lanuvium), patrie d’Antonin Ie Pieux, et de.ce Milon, meurtrier denbsp;Claudius, si connu des rhétoriciens. Cinq heures sonnaient, nous en-trèmes è Yellétri, patrie de l’empereur Auguste.
IS FÉVRIER.
Vellétri. — Cisterna. — Souvenir de saint Paul. — Les Marais pontins. — Ardée, Annum, Sezze. — Linea Pia. — Forappio. — Souvenir de saint Paul. — Fossa Nuova.— Souvenir de saint Thomas. — Terracine. — Temple de Jupiter Anxurus el de Minerve.nbsp;—Chateau de Théodoric. — Cathédrale. —-Hópital et Palais de la Residence.
Hier matin, nous avions déjeuné ii VHótel de la Ville de Paris : la susdite enseigne était en bon francais, et, ne l’oubliez pas, c’était anbsp;Albano; Ie soir, notre phaéton nous introduisit rapidement en faisantnbsp;claquer son fouet, au grand Hótel de Russie : c’était ^ Vellétri, villenbsp;importante des anciens Volsques (Velitrce), et cette seconde enseignenbsp;était aussi en bon francais. Remarquez-vous l’influence des grandesnbsp;nations, et de la France en particulier? jusqu’aux plus minces détails,nbsp;tout annonce 1’ascendant de la langue et par conséquent de la penséenbsp;franpise sur les populations italiennes. 11 y a IA, ce me semble, pournbsp;notre patrie un grand enseignement et une grave responsabilité. Lanbsp;première personne que j’aper^us A l’entrée de Vellétri, fut un pauvrenbsp;père capucin, vieillard a barbe blanche, les pieds nus et la besace surnbsp;1’épaule. Ce roi de la pauvreté me parut admirablement placé dans lanbsp;patrie du maitre du monde : nulle part, peut-être, Ie représentantnbsp;sublime de la puissance spirituelle ne pocte avec plus de grace Ienbsp;sceptre échappé aux empereurs de la force.Nousapprimes de sa bouchenbsp;que l’Église comptait aujourd’hui 18,000 de ses semblables, vivantsnbsp;miracles des ages de la foi, divisés en quarante provinces, et répandusnbsp;sur toutes les plages de l’ancien et du nouveau monde, même en France!
Vellétri, qui fait partie de l’évêché d’Ostie, compte dix a douze mille ümes. Du plateau qui lui sert d’emplacement, on jouit d’unenbsp;vue magnifique. Quand, au coucher du soleil, Ie voyageur porte sesnbsp;regards vers l’Orient, il voit A ses pieds de profonds ravins qui se re-lient par une vaste plaine aux montagnes de la Sabine, dont Ie sommet
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couvert de neige se confond avec Ia brume du soir, et forme une es-pèce de voile qui, aux derniers rayons du crépuscule, prend une teinte amarante du plus bel effet. Les principaux monuments de Vellétrinbsp;sont la colonne du pape Urbain YIII sur la place du Marché, les fon-laines publiques d’une bonne construction, et Ie palais Lancelotti avecnbsp;son bel escalier de marbre. L’église de Sainte-Marie-deW’ Orlo ren-ferme quelques bons tableaux. En nous promenant dans les environsnbsp;nous vimes Ie lieu oü fut trouvée la Pallas Velüerna^ Tune des bellesnbsp;statues du Musée de Paris; puis des ruines informes de monumentsnbsp;anciens, qui joncbaient Ie sol, et rappelaient de grands noms et denbsp;tristes souvenirs. C’est peut-être en mémoire d’Auguste, dont Vellétrinbsp;fut Ie berceau, que Tibère, Nerva, Caligula, Othon, lirent de cettenbsp;ville leur séjour favori, et l’enrichirent de superbes villas.
Cependant, tout n’est pas rose dans les voyages; au lieu de dormir 4 Phótel de Russie, nous avions bivouaqué et cela pour cause. Mais ilnbsp;y a compensation it tout, même è une mauvaise nuit. Dès les premièresnbsp;clartés de l’aurore nous descendimes sur la place, et il nous fut possible de jouir d’un magnifiquè lever du soleil. Merci aux grabats denbsp;Phótel de Russie, sans eux nous aurions perdu ce superbe spectacle.nbsp;Nous quittames Vellétri, laissant h gauche, du cóté de la Sabine, lanbsp;petite ville de Cori, Pancienne Cora, célèbre par ses temples d’Her-cule et de Castor et de Pollux : Parea du premier est occupée par Ienbsp;baptistère de Péglise. Vers neuf heures, nous passames la rivièrenbsp;d’Astura, et bientót nous entrames dans Cisterna. Un accident fortnbsp;heureusement arrivé ó notre attelage, nous permit de nous arrêter unenbsp;heure. Je vais vous expliquer pourquoi je parle ainsi d’un fait quinbsp;contrariait passablement notre digne voiturin. Nous avions avec nous,nbsp;comme je 1 ai dit, les Actes des Apótres qui nous apprennent Ie passage de saint Paul sur la voie Appienne. Or, vous savez, peut-êtrenbsp;même ne savez-vous pas que les chrétiens de Rome, informés de Ianbsp;venue tant désirée du grand Apötre, vinrent ó sa rencontre, commenbsp;des enfants vont au-devant de leur père, absent depuis longtemps.Sansnbsp;doute, aün de n’éveiller aucune défiance, ils se partagèrent en deuxnbsp;bandes : les uns s’arrêtèrent ad tres Tahernas, aux trois Hótelleries;nbsp;les autres poussèrent jusqu’au Forum dAppius (i). Or, les tres Ta-bernas d’autrefois sont, suivant la constante tradition, Ie Cisternanbsp;d’aujourd’hui (2).
tl) Fratres occurrerunt nobis usque ad Apü forum ac tres Tabernas. Act. xxvm, 13.
(2) Erat Appii forum (ut colligitur ex Plinio, lib. xiv, c. 6) in agro Setino, in via Appia •ocus positus; tres Taberna; vero contra Antium. Unde et Cicero (Ad Ailicum, epist. xix.
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Nous nous élangtimes de la voiture, et en un instant nous fümes amp; l’église. Prosterné sur les dalles du modeste sanctuaire, chacun de nousnbsp;se disait : « Tu es peut-êlre è genoux a la même place oü saint Paulnbsp;et les chréliens de Rome se rencontrèrent, s’embrassèrent, seréjouirentnbsp;et prièrent ensemble! » Quand on a Ie bonheur d’être en corps et ennbsp;ame sur des lieux d’oü sortent de pareils souvenirs, on eonviendranbsp;qu’il sulBt, pour éprouver d’inelïables impressions, de laisser aller sonnbsp;coeur a la foi. Cistcrna est un petit village, silué sur une hauteur, aunbsp;bord de la voie Appienne. Nous la reprimes, et bienlót apparut a nosnbsp;regards avides Torre de’ tre Ponti, simple relai de poste, d’oü Ponnbsp;commence a découvrir les fameux Marais pontins : avant de les traverser, il est agréable d’en connaitre l’histoire.
Les Marais pontins forment une vaste plaine de trois lieues de lar-geur sur buit lieues de longueur. Ils occupent l’espace compris entre Ie pays des anciens Rutules et des Volsques; c’est-a-dire entre Ai'dée,nbsp;Anlium, Terracine, d’une part; les monts Lepini et la mer Tyrrhé-nicnne, de l’autre.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;•
Pour restituer a la culture les Marais pontins, il fallait vaincre des obstacles de tous genres : un sol presque sans pente et sans solidité,nbsp;une masse d’eau pluviale descendant sans cesse des montagnes de lanbsp;Sabine et du Latium, quatre rivières et plusieurs torrents qui convergent vers ces marais, et dont les eaux, ne trouvant pas une déclivenbsp;suffisante, séjournent dans les terres, les pénètrent et les corrompent.nbsp;Ces rivières sont la Pedicata, l’Amazeno, la Cavata, la Cavatella, l’Uf-fente, la Ninfa et la Tepia (i). Longtemps avant la fondation de Rome,nbsp;les Volsques et les Rutules étaient parvenus, a 1’aide de travaux dontnbsp;Ie secret nous échappe, a dessécher ces marais au point d’y construirenbsp;vingt-trois villes, parmi lesquelles on comptait Pometia, Longula, Vo-lusca, Mugilla, etc., dont la première opposa une longue résistance hnbsp;Tarquin l’Ancien (2). Négligées après la conquête, les terres pontinesnbsp;retombèrent dans leur état primitif. Les assainir de nouveau était une
Hb. 2): Emersimus commode ex Anlio in Appiam ad tres Tabernas. Distans erat ab Urbe forum Appü quinquaginta et unum niilüa pasSuum. Tres Tabernae vero posiUEnbsp;erant ad trigesimum tertium lapidem. Sic enim Antoninus Appi® \i:e numcrat millia-ria, nimirum ab Urbe ad Ariciam sexdecim millia passuum, ab Aricia ad tres Tabernasnbsp;decom et septem, unde vero ad Appü forum deccm et octo. De foro Appü nulla suntnbsp;vestigia, vel si quaj exstant, palude pontina facta sunt inaccessa. Tres vero Tabernasnbsp;illam esse ferunt, quac hodie vulgo dicitur, corrupte vocabulo, Cisterna. — Baron., an.nbsp;SO, n. lJ.b.
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Et non pas, conime dit M. Bouillet, Ie Liris ou Garigliano qui coule a plus de dixnbsp;lieues de la. C’est ainsi que 1’üniversité fait la géographie, même de TEurope.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;PUne, Bist. nat.
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entreprise digne des Romains : l’an de Rome M2, Ie censeur Appius Claudius les fit traverser par la superbe route qui porte sou nom;nbsp;cent cinquante ans plus tard, ie consul Cornelius Célhégus fut Ie premier qui entreprit de grands travaux d’assainissement (i) ; Jules Césarnbsp;et Auguste les poussèrent jusqu’oü ils purent aller (2); enfin, Trajannbsp;vint embellir par des routes, des édifices et des ponts superbes cesnbsp;lieux regardés longtemps comme inaccessibles (3).
Jaloux d’avoir dans les environs de Rome des habitations et des propriétés dignes de leur opulence, les maitres du monde semèrentnbsp;cette plaine de villas immenses, de forum, de pares, de jardins. Lesnbsp;nations vaincues payaient ces constructions et un peuple d’esclavesnbsp;cultivait avec soin ces lieux enchanteurs. Cependant l’empire romainnbsp;s’écroule sous les coups des barbares. Les villes sont saccagées, lesnbsp;palais brülés, les villas abandonnées : et les fiers descendants de Romulus, chassés comme un vil troupeau par les terribles guerriersnbsp;d’Alarlc et de Totila, prennent Ie chemin de l’exil : a cette époquenbsp;finit la gloire des Marais pontins. Les rivières qui, bien dirigées, fer-tilisaient en l’embellissant la vaste campagne, et dont les eaux réuniesnbsp;formaient un canal navigable, inondèrent de nouveau la plaine et lanbsp;transformèrent en un vaste marais. Des tentatives de desséchementnbsp;furent faites par Ie patrice Décius, sous Théodoric, roi des Goths (r);nbsp;mais l’honneur du succès était réservé a d’autres. La religion qui anbsp;réparé tant de désastres, sauvé tant de ruines, défricbé tant de landes,nbsp;devait encore rendre a l’agriculture cette fertile campagne. Les papesnbsp;Roniface VIII, Martin V, Sixte V, assainirent la partie supérieure desnbsp;marais et firent écouler les eaux dans la mer, par un canal qu’on ap-pelle encore Ie Fiume Sisto. L’immortel Pie VI eut la gloire d’ache-ver 1 oeuvre de ses prédécesseurs. C’est lui qui, par des travaux habi-lement dirigés et patiemment suivis, parvint h dessóchor les Maraisnbsp;pontins dans quatre cinquièmes de leur surface, è y faire croitrè denbsp;belles moissons et paitre de nombreux troupeaux. 11 dégagea la voienbsp;Appienne, et ordonna de la continuer en ligne droite dans toute lanbsp;longueur des marais : et cette superbe route (Linea Pia) est la plus
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Pontin.-E paludos a Cornelio Cclhego consule, cui ea provincia evenerat, siccalae,nbsp;3gerque ex iis lactus. — Epitom. Livii, 26.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Suet. c. 4ö.—.....Sterilisque diu paUis aptaque remis
Vicinas urbes alit, etc. — Ilorat. Art. poet.
(5) Perpontinas paludes viam saxo stravit,exstruxitque juxla \iasoedificia, pontesque raagnificentissinios fecit. —Dio., lib. 68.
(4) Cassiod., lib. 11 Var., episl. 31,32.
-ocr page 302-298 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
longue ligne sans deviation qui existe. Honneur encore a Grégoire XVI qui, malgré son modique revenu, continue et qui, Dieu aidant, avan-cera beaucoup la noble tècbe du ponlife martyre.
Au sortir de Torre de’ tre Ponti, on laisse a gauche les ruines d’Ar-dée, capitale des Rutules, célèbre par Ie siége qu’elle soutint centre Tarquin Ie Superbe, et pendant lequel arriva l’aventure de Lucrèce.nbsp;Sur la droite, vous avez Nettuno, Tautique Antium, capitale desnbsp;Volsques, asile de Coriolan exilé, patrie de Caligula et de Néron : c’estnbsp;dans les ruines de cette ville que fut trouvé, il y a deux siècles, l’A-pollon du Belvédère. A l’entrée des Marais se dessine sur une hauteur la petite ville de Sezze (Suessia Pometia), avec son convent denbsp;Franciscains, destiné è secourir les pauvres habitants de ces lieux oünbsp;les maladies scrofuleuses sont très-communes. Enfin nous enMmesnbsp;sur la Linea Pia, route superbe, comme je viens de Ie dire, ou plu-tót gracieuse allee de jardin, bordée d’arbres, et d’un canal coulant inbsp;pleins bords, et traversant les Marais ponlins dans toute leur étendue.nbsp;A droite et a gauche, nous voyions s’élever des compagnies d’oies sau-vages; des troupeaux de bullies erraient au loin dans ces vastes ma-récages qu’embellissent, de distance en distance, de larges portionsnbsp;de terrain cultivées et couvertes de verdure. Du cóté de la mer, nousnbsp;avions en perspective Ie cap de Circé, fameux dans la Fable par lanbsp;métamorphose des compagnons d’Ulysse, ainsi que la petite ville denbsp;Saint-Félix qui s’élève a une grande hauteur au-dessus du niveau de lanbsp;mer : tel est Ie spectacle dont on jouit jusqu’k Forappio.
Situé au milieu des Marais pontins, Forappio ne se compose que de trois maisons; et pourtant ce lieu nous offrait un vif intérêt! Ici lesnbsp;traditions sacrée et profane se donnent rendez-vous : Horace et saintnbsp;Paul vous apparaissent. Prenant les Actes des Apótres, je lus ; « Lesnbsp;frères nous vinrent au-devant jusqu’au Forum d’Appius. Paul lesnbsp;ayant vus, rendit graces è Dieu et prit confiance (i). » C’est done ici,nbsp;pour la première fois, que Ie grand Apótre eut la consolation si long-temps désirée de voir ces chrétiens de Rome dont la foi était déjè renommee par lout 1’univers. C’est ici que ces chrétiens, pour qui lesnbsp;travaux, Ie génie, Ie courage, les chaines de l’illustreprisonnierétaientnbsp;un objet d’adrairalion, contemplèrent, pour la première fois, ses traitsnbsp;vénérés et chéris. Quelles effusions d’amour et de bonheur de part etnbsp;d’autre! Quelles larmes! quels entretiens! Et j’étais li au même lieunbsp;OU cette scène s’était accomplie; je foulais Ie même sol, je voyais les
(i) Fratres occurrerunt nobis usque ad Appü forum ac tres Tabernas. Quos cum vi-disset Paulus gralias agens Deo, suscepit fiduciam. — Cap. xxvm, 15.
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mêmes montagnes témoins de ce spectacle. O mon Dieu, que la foi vive fait éprouver au chrétien de douces émotions! Jules César avaitnbsp;passé la; Auguste avail passé la; Trajan, Nerva, Cicéron, Horace, Vir-gile, Mécène, Appius avaient passé lè; mais tous ces héros, tous- cesnbsp;grands hommes de la terre disparaissaient ii mes yeux devant monnbsp;héros, mon grand homme, Ie vainqueur des Césars, des poètes, desnbsp;orateurs et des philosophes, Paul, Ie prisonnier du Christ (i).
Trois maisons modernes marquent Ie lieu occupé jadis par Ie Forum d’Appius. Or, s’il faut en juger par les autres, ce Forum n’était rien moins qu’une place superbe dont la statue d’Appius, fondateurnbsp;de la voie Appienne, faisait Pornement, et selon toute apparence ilnbsp;faisait partie de quelque villa magnifique. Les débris de colonnes, lesnbsp;frises de marbre qui couvrent Ie sol environnant sembleraient don-ner crédit a cette opinion; j’eus Ie regret de ne trouver sur un bloenbsp;de granit, qu’une inscription effacée, excepté Ie nom de Nerva qu’onnbsp;lit très-bien : j’en fls sauter un morceau que je conserve en mémoirenbsp;de saint Paul.
Après avoir satisfait au besoin de notre cceur, il fallut songer a apaiser notre faim. Or, il n’y avail ni provisions ni même de feu dansnbsp;Ia Locanda. Fort heureusement que c’était l’beure oü Ie marchandnbsp;de poissons remontait de la mer Tyrrhénienne, apportant sur unenbsp;mule, je ne sais quelle menue pêche, aux rares habitants des Marais.nbsp;Avec beaucoup d’instance il nous fut possible d’oblenir, pour collation, six petits poissons a partager entre buit. Nous primes place a unenbsp;table flanquée de deux bancs de chêne et couverte aux trois quartsnbsp;d’une nappe d’une malpropreté impossible a décrire; Ie reste du service était amp; l’avenant. A cette première disgrazia, s’en joignait unenbsp;autre plus grande et beaucoup plus ancienne, attendu qu’elle availnbsp;déjè Ie privilége de condamner Horace k la diète, il y a deux mille ans.nbsp;Le poète était a table avec nous, nous l’interrogeamp;mes, et voici ce qu’ilnbsp;nous dit de sa couchée au Forum d’Appius ;
........Inde Forum Appi,
Differtum naulis, cauponibus atque malignis.
(lt;) Quand Baronius écrivait, le grand desséchement des Marais ponlins n’était pas opéré; il pouvait done dire qu'il ne restait plus de vestige du Forum d’Appius; les auteurs de la même époque ont pu se diviser sur remplacement de ce célèbre Forum;nbsp;teais aujourd’hui les doutes ne semblent plus possibles. Le nom très-reconnaissable dunbsp;beu, sa position dans les Marais pontins, auprès du grand canal dont parle Horace, sanbsp;distance indiquée par l’itinéraire de l’empereur Antonin, sont des témoignages d’unenbsp;valeur incontestable, et, je crois, è peu pres incontestés de nos jours.
-ocr page 304-300 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
Hic ego propter aquam, quod erat deterrima, ventri Indico helium, coenantcs haud animo a;quo
Exspectans comités.......
Hor. Satyr. lib. v, sat. 3.
L’eau du Forappio était si mauvaise lorsque nous y passamp;mes, Ie 15 février 1842, que nous aurions été obligés comme Horace de dé-clarer Ia guerre a notre estomac, sans un charitable avertissement denbsp;notre hóte. Quoique descendant peut-être en ligne droite de ces ma-lins hóteliers dont parle Ie poète, il eut la conscience de nous prévenirnbsp;de n’en pas boire : un pen de vin pur d’une qualité passable arrosanbsp;nos petits poissons. Quant aux bateliers criards qui empêchèrent Horace de dormir, il n’en exis,te plus de trace : ce lieu si animé, oü ve-naient mouiller les nombreux bateaux qui remontaient de la mernbsp;Tyrrhénienne, est aujourd’hui silencieux et désert. Toutefois Ie canal,nbsp;appelé Naviglio Grande, formé par la reunion des rivières et par lesnbsp;saignées des marais, ce canal sur lequel Horace s’embarqua pour Ter-racine, coule encore au même lieu, rouvert et restauré par les Souve-rains Pontifes.
En sortant de Forappio, on reprend la Linea Pia, toujours belle et gracieuse. Les montagnes qui forment un demi-cercle autour des Marais pontins vont en s’abaissant a mesure qu’elles se rapprochent denbsp;la mer, oü elles plongent leurs pieds et leurs flancs ii moitié dénudés.nbsp;A gauche on laisse Fossa Nuova, célèbre monastère oü saint Thomasnbsp;d’Aquin, se rendant au Concile de Lyon, tomba malade et inourut.nbsp;En face du voyageur se montre Terracine, la vieille Anxur, enferméenbsp;dans la circonférence de l’arc et coquettement étagée sur ses rochersnbsp;blanchatres. La physionomie est encore la même qu’au temps d’Horace.nbsp;J’ouvris en effet Ie poète de Tivoli qui ne se doutait guère qu’un journbsp;il servirait de cicérone ü un chanoine francais, et il me dit:
Millia tum pransi tria repimus, atque subimus Impositum saxis late candentibus Anxur.
Hor. Satyr. lib. v, sat. 3.
La veille il avait couché au Forum d’Appius et s’était plaint du bruit des cousins et des grenouilles qui avaient troublé son sommeil.nbsp;Nous n’eümes pas occasion de faire connaissance avec cette aimablenbsp;société; et comme Horace n’en dit plus rien, nous sommes autorisés ènbsp;croire qu’il ne la rencontra pas a Terracine. En revanche, il y retrouvanbsp;ses illustres compagnons de voyage, et Ie loisir de frotter avec un col-lyre noir ses yeux chassieux.
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Hie oculis ego nigra meis collyria lippus Illinere........
Plus heureuse qu’Horace, notre petite caravane avail bon pied et bon ceil; si elle n’eut pas I’avantage derencontrer ii Terracine Mécène,nbsp;Fonteius et Capiton, nous y trouvames Fexcellent abbé Rafaello Ma-riotti, ebanoine de la eollégiale, jeune ecclésiastique fort distingue, quinbsp;nous fit avec une bonne grace parfaite les bonneurs de sa ville natale.nbsp;Avec lui nous visitames les ruines eruellement défigurées du templenbsp;de Jupiter Anxurus, puis I’area en belle mosaïque du temple de Mi-nerve. A la déesse de la Sagesse ont succcdé dans ee lieu les excellentsnbsp;Pères doctrinaires, fondés par le B. César de Bus. De lii, gravissantnbsp;la pente escarpée de la Blancbe-Montagne, nous arrivAmes aux ruinesnbsp;bien conservées du chateau de Tbéodoric. Maitre de Terracine, le roinbsp;des Goths fit batir cette citadelle pour maintenir la ville qui finit parnbsp;lui échapper, comme elle avail échappé aux Volsques ses fondateursnbsp;et aux Romains ses seconds maitres.
De la hauteur ou nous étions, le regard embrasse les Marais pontins et une grande élendue de la naer Tyrrhénienne. Au milieu des flotsnbsp;semble se balancer, comme une oasis de verdure. Pile Ponzia dont lanbsp;vue nous fit tressaillir. C’est la que le farouche Domitien avail relésuénbsp;sa douce parente, sainte Flavie Domitille, qu’il fit ensuite bruler a Terracine avec plusieurs autres martyrs. Après avoir salué et les hérosnbsp;de la foi et le theatre de leur glorieux combat, nous descendimes a lanbsp;cathédrale. Elle est balie sur les ruines du temple d’Apollon. Conjoin-tement avec le chanoine Mariotti, M. le curé voulut bien nous en expli-quêr l’origine el les divers monuments.
Terracine regut de l’apótre saint Pierre le don de la foi et son premier évêque, saint Épaphrodite, un des soixante-douze disciples de Notre-Seigneur. Rest certain que le pécheur deGalilée, pendant viugt-clnq ans de séjour a Rome, ne négligea rien pour propager I’Evangile;nbsp;qu’il fonda des églises et établit des évêques. D’un cóté, tout porte anbsp;croire, méme ii défaut d’autres preuves, que la plupart des villes d’I-talie furent visilées et évangélisées par saint Pierre en personne, ounbsp;par ses disciples; d’un aütre cóté, Terracine, appuyée sur une tradition constante, afiirme que la chaine de ses ponlifes commence a saintnbsp;Épaphrodite. Je ne vois guère ce qu’on peut opposer h cette légitimenbsp;prétention (i).
Au rond-point du choeur on conserve une chaire pontificale, que la
(i) Voyez Ugelli, Italia sacra, t. t, p. 1278.
-ocr page 306-502 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
inême tradition assure avoir été occupée par saint Pierre. Elle est en niarbre blanc, et d’une forme qui rappelle parfaitement les siégesnbsp;épiscopaux conservés dans les catacombes. A cóté du maiire autelnbsp;s’élève un baldaquin supporté par les colonnes même de I’ancien autelnbsp;d’ApoIlon. Sous ce monument reposent les corps de toute une familienbsp;de martyrs, couronnés a Terracine même. Éleuthère, cbef de la familie; Silvain son fils, évêque de Terracine; sainte Silvie sa roère, etnbsp;sainte Rufine sa soeur; tels sont les noms sacrés de ces glorieux témoinsnbsp;de notre foi. Les colonnes de granit qui supportent la nef et la mosaï-que du pavé, enlevées au temple d’Apollon, sont d’autres monumentsnbsp;de la victoire du christianisme. Quant ii la catbédrale elle-même, ellenbsp;a vu s’accomplir deux fails mémorables. C’est ici que Ie pape saintnbsp;Victor III se démit du souverain pontifical en 1086, et que Ie papenbsp;Urbain II fut élu en 1088. Nous aimions amp; nous rappeler que Urbain II,nbsp;l’ami de saint Grégoire VII et une des gloires du moyen êge, était unnbsp;de nos compatriotes. Né h Chatillon-sur-Marne et religieux de Clunynbsp;avant d’être élevé sur la chaire de saint Pierre, il fut l’auteur de lanbsp;première croisade prêchée solennellement au concile de Clermontnbsp;en 1095. Une inscription gravée sur Ie marbre du sanctuaire proclaraenbsp;la gloire différente des deux pontifes :
S. VICTOR m A SUMMO PONTIFICATU SE DEMISIT 1086 B. UBBANUS II ELECTÜS 1088.
Le grand exemple d’abnégation et d’humilité chrétienne donné par Victor n’a pas été perdu ; l’heureuse église de Terracine le relronvenbsp;aujourd’hui dans Ms’’ Sillani, son premier pasteur. Get évêque, dignenbsp;des temps apostoliques, jouit d’un très-modique revenu dont il ne réserve pour lui que le strict nécessaire : sa maison se compose d’un seulnbsp;domestique. Austère comme un anachorète, il jeune presque continuellement et ne prend pour sa collation qu’une demi-pagnotta avecnbsp;un peu d’huile. Plein de zèle, non-seulement pour le salut de son trou-peau, mais encore pour le bien de 1’Église tout entière, il a réglé quenbsp;chaque année, pendant le Carême, tous les prédicateurs de son diocèsenbsp;feraient deux instructions en faveur de l’oeuvre frangaise et catholiquenbsp;de la Propagation de la Foi.
Sous le vestibule de la catbédrale, on nous fit remarquer un grand vase antique, en basalte, et ayant la forme d’une urne sépulcrale. Sanbsp;longueur est d’environ quatre pieds, sur une hauteur proportionnée.nbsp;Païen d’origine et consacré, suivant la tradition, au culte d’Apollon,
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ce vase fut bien des fois rempli du sang des martyrs. A la paix de l’É-glise, il re§ut l’eau sainte dont les chrétiens se lavaient les mains et Ie visage, avant d’entrer dans Ie temple : les inscriptions suivantes per-pétuent ce double souvenir :
vAso IN cüi da’ gentili
FORONO TORMENTATI E SCANNATI MOLTI CRISTIANInbsp;INNANZI l’idOLO Dl APOLLO (l).
POI COLLOGATO Da’ FIDELI IN OOESTO ATRIOnbsp;AD ÜSO Dl FONTE PER LAVARSInbsp;E MANI E VOLTO PRIMA d’iNTRARE IN CUIESA (2).
En descendant de la colline, nous jetames un dernier regard sur Terracine et sur son ancien port dont il ne reste que quelques modil-lons avec des anneaux de fer, destinés amp; l’amarrage des navires. L’hö-pital et Ie palais de la résidence nous rappelèrent Ie souvenir de Pie VI.nbsp;Ces deux édifices sont dus a rexcellent Pontife qui venait souvent anbsp;Terracine, pour surveiller lui-même et activer les immortels travauxnbsp;qu’il avait entrepris dans les Marais pontins.
16 FEVRIER.
Guardiole. — Souvenir de Tibère. — Souvenir d’Esménard. — Fondi. — Chambre de
saint Thomas. — Le corsaire Frédéric Barberousse. — Itri. — Tombeau .de Cicéron.
— nbsp;nbsp;nbsp;Mola di Gaeta— Villa dl Cicéron. — Souvenirs de Gaeta. — Minlurne. — ie Liris.
— nbsp;nbsp;nbsp;La Campanie.
Avant six heures, nous avions quitté Terracine. Le temps était superbe et nous permettait de jouir du nouveau paysage qui se dérou-lait it nos regards. La route actuelle court sur l’ancien tracé de la voie Appienne, dans le fond d’une étroite vallée, bordée it droite par lanbsp;mer, et i gauche par les montagnes boisées du Latium. Environ tousnbsp;ïes quarts de lieue, on rencontre sur le bord du chemin de pélitèsnbsp;Biaisons en pierre avec une porte doublée de tóle et deux croiséês gar-Dies de barreaux de fer. En regard est une guérite. en magonnérie, d'óii'nbsp;nous voyions sortir une tête humaine coiffée d’un bonnet de police!
Intrigués de ce spectacle qui se renouvelait depuis l’entrée des Mal'
(*) S. Paulino, epist. xii ad Sever.
(s) Contal. Hist. Terrac.
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rais pontins, et qui devait continuer jusqu.’au dela de Minturne, sur les confins de la Campanie, nous en demandilmes la cause a notre voi-turin. « Ces maisons, nous dit-il, s’appellent Guardiole; elles sont lanbsp;demeure des gardes éclielonnés sur la route, pour protéger les voya-geurs. » L’explication n’était pas très-rassurante. Si on ajoute que Ienbsp;pays semble formé tout expres pour servir de forteresse aux brigands,nbsp;on conviendra que la précaution des gouvernements de Rome et denbsp;Naples est loin d’être inutile et qu’il faut un certain courage pournbsp;s’enfoncer dans ces gorges redoutables. Pour rérilier la réponse dunbsp;conducteur, nous entriimes nous-mêmes dans une de ces Guardioles :nbsp;nous y trouvames, en efl'et, deux carabiniers assis. sur uu lit de camp.nbsp;Au-dessus de leur tête élait un ratelier garni de sabres, de pistolets etnbsp;de plusieurs carabines. — Pourquoi êtes-vous ici, mes braves? — Nousnbsp;sommes ici pour donner la chasse a la Cattiva gente che talvolta per-corre queste montagne; mais il est rare que nous ayons a travailler.nbsp;Depuis la capitulation de Garbaroni, on n’entend presque plus parlernbsp;d’arrestations. » Et ils disaient vrai; ear, aujourd’hui, les vols a mainnbsp;armee ne sont pas plus fréquents en Italië que sur les routes de France :nbsp;depuis six ans, les statistiques n’en ont constaté que cinq. Au reste Ienbsp;brigandage italien dont on a tant parlé, doit son origine, ou, si onnbsp;aime mieux, son développement, non pas a une disposition particulièrenbsp;aux habitants de la Péninsule, mais aux guerres d’invasion qui, anbsp;toutes les époques, ravagèrent ce beau pays.
Trop faibles pour lutter corps a corps avec leurs ennemis, et notam-ment avec les armées frangaises, les Italiens comme les Espagnols eu-rent recours a la guerre de partisans. Après la conquête, plusieurs bandes armées refusèrent de se dissoudre, et finirent, pour avoir denbsp;quoi subsister, par attaquer les voyageurs. On les trouvait surtoutnbsp;dans la Calabre, dans les Apennins et dans les montagnes du Latium,nbsp;sur les confins des États Pontificaux et Napolitains. Elles choisissaientnbsp;de préférence cette dernière retraite, paree que l’extradition n’ayantnbsp;pas lieu, elles se mettaient facilement en süreté en passant d’un terri-loire il l’autre; telle est la raison de l’établissement des Guardioles surnbsp;les frontières des deux royaumes. Aujourd’hui que l’extradition estnbsp;convenue, Ie brigandage a presque entièrement disparu.
Nous venions de quitter nps lrraves carabiniers, lorsque nous arri-vames ii Torre de' Confmi. i^’est un poste de douane renforcé d’un (létacheraent de troupes de,ligne. La vue d’un nouvel uniforme, d’unnbsp;nouveau drapeau, la demande^des passeports, en un mot toutes lesnbsp;formalités déjè connues, nous avertirent que nous entrions dans un
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nouvel État •. c’était Ie royaume de Naples. Cependant rien n’annonce encore la terre promise de l’Italie, Ie paradis de l’Europe. La routenbsp;continue d’être la même, courant invariablenient dans une petite valléenbsp;resserrée d’un cóté par la mer, et de l’autre par une chalne de mon-tagnes presque toutes volcaniques. Un peu en deca de Fondi on voitnbsp;sur la gauche la grotte fameuse dans laquelle Séjan sauva la vie a Ti-Lère. Ce prince, accompagné de son favori, se rendait en Campanie.nbsp;Arrivé prés de Fondi, il s’arrêta dans un lieu appelé Ia villa de la Caverns, oü un banquetvvaimenl romain lui fut donné ainsi qu’a Séjan etnbsp;aplusieurs autres personnes, dans une grotte creusée par la nature. Aunbsp;milieu du repas, des pierres se détachent tout a coup de Ia voute, obstruent la porte et tuent plusieurs esclaves; la frayeur s’empare de tousnbsp;les convives qui cherchent leur salut dans une fuite précipitée. Séjan,nbsp;appuyé sur sa tête, sur ses mains et sur ses genoux, couvre l’empereurnbsp;et Ie préserve de la chute dés pierres et du choc des fuyards. C’estnbsp;dans cette position que Ie Irouvèrent les gardes accourus au secoursnbsp;de leur maitre. Une confiance illimitée de la part de Tibère fut Ie prixnbsp;de ce dévouement (i). A quoi tiennent les grandes fortunes!
Les environs de Fondi semblent funestes au voyageur. Non loin de la grotte de Tibère, on trouve la descente oü Esménard périt miséra-blement. Exilé en Italië, par ordre de Napoléon, pour une satire centrenbsp;l’ambassadeur russe, Ie chantre de la Navigation partait de Naplesnbsp;pour revenir en I^rance^lorsque, sur la route de Fondi, il fut entrainénbsp;par des chevaux fougueux, tomba de voiture et se cassa la tête contrenbsp;un rocher : c’élait Ie 25 juin 18H. On regrette qu’une simple croix,nbsp;a défaut d’autre monument, ne rappelle pas au voyageur francais Ienbsp;lieu oü périt notre jeune et brillant poète.
A dix heures nous entrions daas la petite ville de Fondi; si tant est qu’on doive donner ee nom a un amas de maisons informes, jetéesnbsp;sans régularité sur Ie flanc d’une crêle aride, et habitées par une population miserable qui ne semble avoir de voix que pour deraander lanbsp;bottiglia. Tel est Ie nom que prend, dans Ie royaume de Naples, lanbsp;buona mancia ou Ie bicchiere de 1’ouest et du nord de ITtalie. ünnbsp;attroupement considérable d’hommes, de femmes, d enfants dégué-nillés se forma en un elin d’oeil autour de la voiture, arrêlée sur lanbsp;place pour subir les investigations de la douane. Le chef du poste, ünbsp;1’air empesé, drapé dans son manteau vert, ridiculement fier de sa petite autorité, chamaillant ses subalternes, nous rappela, trait pour
(i! Tacit. AnnaL Ub. iv, n. 9.
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trait, eet Aufidius Luscus, préteur de Fondi, avec sa robe prétexte et son laticlave, dont se moquèrent si agréablement Horace et ses illustresnbsp;compagnons :nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;‘
Fuudos Aulidio Lusco prailore libeuter Linquimus, insani ridentes prsemia scrib®,
Praetextam, et latum clavum, prunajque batillum.
Profitant de notre halte forcée, j’allai visiter, au couvent des Domi-nicains, situé du cóté de Ia mer, la chambre de saint Thomas. Qui s’en doute aujourd’hui? La, dans une bicoque sans nom, entre les mursnbsp;noirs d’une petite cellule d’environ douze pieds de longueur sur cinqnbsp;de largeur, rayonna l’astre brillant qui éclaira Ie moyen amp;ge et quinbsp;éclaire encore de sa vive et pure lumière la théologie catholique? C’estnbsp;ainsi que les ordres religieux faisaient murir, dans Ie silence et l’ob-scurité d’une longue retraite, les puissants talents qui devaient un journbsp;étonner Ie monde et Ie diriger ; l’usage de la serre chaude employée denbsp;nos jours a l’égard de l’espèce humaine, n’étail connu des anciens quenbsp;pour les melons et les petits'pois. Dans Ie jardin du couvent, on mon-tre encore un oranger planté. Ia tête en bas, par Ia main du grandnbsp;docteur. La pauvre ville de Fondi conserve Ie souvenir d’un autrenbsp;événement dont les traces lamentables se voient sur sa physionomie,nbsp;comme les coups de la mer sur Ie vaisseau dérnSté. Au xvi® siècle, Ienbsp;fameux corsaire Barberousse débarqua lout h coup, pendant la nuit,nbsp;sur la plage voisine, et tenta d’enlever Julie de Gonzague, veuve denbsp;Vespasien Calonne, comtesse de Fondi. L’entreprise échoua, et Ie corsaire, pour SC venger, mit la ville amp; feu et è sang, et emmena une par-tie des habitants en esclavage; depuis cette époque Fondi ne s’est jamais relevée de ses ruines. La seule gloire qui lui reste, ce sont lesnbsp;Monfs CcECubi, coteaux voisins qui produisaient déja, il y a deux millenbsp;ans, les vins généreux si recherchés par les maitres du monde (i).
Comme Horace nous quittames Fondi avec plaisir, pour nous diriger par la même route que Ie poète vers Itri, 1’ Urbs Mamurrarum des anciens. II parait que la noble ambassade n’arriva dans cette villenbsp;qu’è la fraicheur du soir, puisqu’elle y coucha; tandis que nous ynbsp;fimes notre entrée sous les feux d’un soleil brülant. Du reste, Itrinbsp;n’est plus qu’un pauvre village, oü tout annonce que Ie voyageurnbsp;chercherait en vain la maison de Murena et la cuisine de Capiton.
In Mamurrarum lassi deinde urbe manemus,
Muraena praebeute domum, Gapiloue culinam.
(•)
Csecuba fundanis generosa coquuntur amyclis.
Makt.
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TOMBEAU DE CICÉRON.
Toutefois il nous eüt été agréable d’y séjourner si, comme Horace, nous avions pu nous prometlre Ie plaisir de rencontrer, Ie lendemain,nbsp;Plotlus, Varius et Virgile, les ümes les plus candides que la terre aientnbsp;jamais portées : Animm quales neque candidiores terra tulit. En sor-tant d’Itri on ne tarde pas èi découvrir, i travers les oliviers sauvagesnbsp;dont la route est bordée, une vaste étendue de la mer Tyrrhénienne;nbsp;c’est Ie golfe de Gaëte : Mola n’est plus qu’a quelques milles. Avantnbsp;d’entrer dans cette petite ville délicieusement située, Ie voyageur s’ar-rête devant un ancien monument qui passe pour Ie tombeau de Cicé-ron (i). Quoique sur ce point tons les archéologues ne soient pasnbsp;d’accord, il est pourtant certain que l’illustre orateur fut assassinénbsp;dans ces lieux par les sicaires d’Antoine et enterré par ses affranchis,nbsp;auxquels on attribue l’érection du mausolée dont nous saluftmes lesnbsp;grandes ruines. Comme les monuments funèbres de l’ancienne Rome,nbsp;il s’élève en forme de tour ronde, a la hauteur de trcnte ou quarantenbsp;pieds. Le couronnement a disparu, les marbres et les sculptures ontnbsp;été enlevés, et des plantes parasites cachent aujourd’hui la nudité denbsp;ce tombeau, comme il cacha lui-même le néant de Thomme dont lenbsp;nom a rempll l’univers.
II était un peu plus de midi lorsque par un temps magnifique nous entrames a Mola-di-Gaeta. Le vaste panorama qui se déroule tout anbsp;coup est d’autant plus saisissant qu’il est moins attendu, et qu’il con-traste mieux avec l’étroit horizon de la vallée solitaire an fond de la-quelle le voyageur, venant de Rome, a marché si longtemps. Devantnbsp;nous, la mer, dont la surface étincelait comme un immense miroirnbsp;frappé des rayons du soleil; a droite, Gaeta, avec ses tours élancées,nbsp;qui paraissait dans le lointain comme une citadelle bade au milieu desnbsp;Hots; è gauche, les monts volcaniques qui se prolongent jusqu’auxnbsp;ruines de Minturne; Mola plantée sur le rivage comme un belvédèrenbsp;pour embrasser cette grande scène : ce spectacle enchanteur nous fitnbsp;comprendre que nous arrivions dans le paradis de I’Europe. Entrés anbsp;1’hótel par une allée bordée de lauriers roses et de myrtes blancs ennbsp;pleine fleur, nous fimes collation dans une salie ouvrant sur la mer.nbsp;Quant il sa position, elle est comme le rendez-vous des beautés de lanbsp;nature et des grands souvenirs de I’histoire. Au-dessous de cette salienbsp;0Ü nous, chrétiens voyageurs, prenions notre repas de pénitence, Ci-céron, l’austère Cicéron, nageait dans les dcllces, se baignait dans desnbsp;cuves pavées en mosaïque et jouait dans les jardins embaumés par
(•) L’auteur des Antichila Cicerotiiane, etc., le place au pied du mout Acerbara, vis-a-vis la tour, a droite de la voie Appienne.
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l’oranger et Ie citronnier : nous étions sur 1’eraplacement de Formia, et de Formianum, villa du grand oraleur.
INous en visilames avec un certain intérêt les vestiges défigurés; car la vanité humaine, la folie de l’être d’un jour qui passe son éphémèrenbsp;existence ii batir des palais pour ne laisser que des ruines, remplitnbsp;l’ame chrélienne de graves et salulaires pensées. Dans les Thermes jenbsp;lus l’inscription suivante placée au-dessus d’une fonlaine d’eau doucenbsp;qui sort du roe è deux pas de la mer :
NÏMPH^E ARTACE.E EIRE, LAVA, TACË.
Suivant les poètes, c’est ici, prés de la fontaine Artachia, qu’Ulysse rencontra la fille d’Antiphates, roi des Leslrigons, qui allait y puiser.
Mola offre encore quelques restes d’un théètre, d’un amphitheatre, d’un temple de Neptune, des villas de Scaurus et d’Adrien. Aux souvenirs de Laesius et de Scipion, grands hommes qui, sur ces rivages,nbsp;jouaient aux ricochetscomme des enfants,s’ajoute celui du papeGélasenbsp;et de l’illustre cardinal Cajetan, a qui Gaëte se glorilie d’avoir donnénbsp;Ie jour. Fixant nos regards sur cette ville, que Ie temps ne nous permitnbsp;pas de visiter, nous pümes apercevoir Ie Corvo, sur lequel s’élève lanbsp;fameuse tour de Roland. Elle n’est autre chose que Ie tombeau denbsp;Lucius Munatius Plancus, disciple de Cicéron, et qui fut, si je ne menbsp;trompe, Ie fondateur de Lyon. Dans la cathédrale de Gaëte se conservenbsp;l’étendard offert par saint Pie V a don Juan d’Autriche, généralissimenbsp;des troupes chrétiennes a la journée de Lépante.
Quand on a quitté Mola, dont la pauvreté contraste péniblemcnt avec la richesse du sol, on cótoie, pendant plusieurs milles, cette bellenbsp;portion de la mer Tyrrhénienne appelée Ie golfe de Gacte. De riantesnbsp;pensées, de gracieux souvenirs accompagnentlevoyageur jusqu’a Tra-jetto; mais la vue de ce petit village donne soudain des impressionsnbsp;hien différenles : Trajetto remplace Minturne! G’est dans les maré-cages voisins de cette ville que fut obligé de se cacher Marius, Ie vain-queur des Cimbres. Découverl par les émissaires de Sylla, il fut jeténbsp;dans les prisons de la ville d’oü il s’échappa pour se sauver en Afri-que. Salut é la cité fameuse dont il ne roste plus d’autre vestige qu’unnbsp;long et bel aqueduc! Salut é Marius, dont la grande ombre semblenbsp;attendee Ie voyageur et lui dire : « Va dire aux ambitieux que tu asnbsp;vu Marius caché dans les marais de Minturne! »
Quant é moi, il me restera de Minturne un autre souvenir. Sur ses
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ruines je perdis.... ma tabalière. Tous ceux qui sont dignes d’appré-cier l’avantage d’avoir une tabalière en voyage, s’associeront a ma juste douleur. Une tabalière est une boite de Pandore dans laquellenbsp;on trouve toujours l’espérance, paree qu’on y trouve Ie secret de ré-veiller l’esprit et de lui faire deviner les expédients les plus propres amp;nbsp;vous tirer d’embarras; la tabalière est un délassement aussi utilenbsp;qu’agréable; la tabalière est un lien social qui vous met soudain ennbsp;rapport d’intiinité avec Phomme que vous n’avez jamais vu : et j’avaisnbsp;perdu la mienne! Adieu, tabalière nivernaise, précieux souvenir de lanbsp;France! Graces te soient rendues des longs services que tu me prodi-guas! puisses-lu tomber entre les mains d’un amateur, qui sache tenbsp;trailer avec les égards dus a uneétrangère malheureuse! Adieu, Min-turne; longtemps encore, en sacrifiant è une douce et salutaire habitude, je me souviendrai de toi. Dans tes marais solitaires, Mariusnbsp;pleura ses infortunes, et moi sur tes ruines je pleurai ma tabalière.
Pour sécher mes larmes, qui cependant, je vous prie de Ie croire, ne furent ni bien amères, ni très-abondantes, il ne fallut rien moinsnbsp;que la vue de la belle Campanie : nous arrivions aux bords du Liris,nbsp;aujourd’hui Ie Garigliano. On Ie traverse sur un beau pont en lil denbsp;fer, Ie seul, avec celui de Pavie, que possède la Péninsule italique.
Les eaux du fleuve, refoulées par la mer, ferment des marais qui offrent une position militaire formidable. Gonzalve de Cordoue l’avaitnbsp;parfaitement compris, lorsqu’il s’y retrancha avec. un faible corpsnbsp;d’armée pour attendee les Francais. Accuse de témérité par ses propres olBciers, il leur répondit héroïquement: « J’aime mieux trouvernbsp;mon tombeau en gagnant un pied de terre sur l’ennemi, que rallongernbsp;ma vie de cent années cn reculant de quelques pas. » L’événementnbsp;justilia cette résolution. Nos bouillants corapatriotes furent battusnbsp;complétement : c’était en 1503. Or, il élait presque nuit, lorsquenbsp;nous parcourions ces lieux funestes. Cette circonstance ajoutait unnbsp;triste a-propos au rédt de Brantóme, avec qui chacun de nous pouvaitnbsp;répéter ; « Hélas! j’ai veu ces lieux-la derniers, et mesmes Ie Garillan,nbsp;et c’estait sur Ie tard, il soleil couchant, que les ombres et les mamp;nesnbsp;commencent a paroistre comme fantosme, plus tost qu’aux autresnbsp;heures du jour, oü il me semblait que ces ames généreuses de nosnbsp;braves Frangois lè morts, s’eslevaient sur la terre el me parlaient etnbsp;quasi me respondaient sur mes plaintes que je leur faisois de leurnbsp;combat et de leur mort (i). »
(0 Vie de Gonzalve de Cordoue.
-ocr page 314-310 nbsp;nbsp;nbsp;lES TROIS HOME.
En traversant lo Garigliano, on fait ses adieux au Latium; car de l’autre cóté du fleuve, on met Ie pied sur la Campanie ou terre de Labour. Ce nom lui vient, et de l’admirable fertilité du sol, et de l’intel-ligente culture qui en décuple les produits et la beauté. Dans la plaine,nbsp;la vigne se marie constamment è l’olivier, et ombrage une terre cou-verte de riches moissons. Les coteaux sont couverts d’une végétationnbsp;non moins vigoureuse, et nous entendimes prés de nous la muse d’Ho-race qui cbantait les vins du mont Massico, veteris pocula Massici,nbsp;dont les crètes verdoyantes s’élevaient é notre gauche. Bientót elle senbsp;tut, disparaissant avec Ie poèle dans l’orabre de la nuit qui nous enveloppe nous-mêmes. Le froid devint très-vif, et Ie ciel étincelant d’étoi-les nous permettait de voir les deux chaines de montagnes enlre les-quelles nous dumes voyager longtemps. La frayeur s’empara de lanbsp;caravane; mais hélas! non moins heureux qu’au passage des Apen-nins, nous ne pumes voir ni la figure ni l’ombre même d’un lazzarone,nbsp;d’un birbante ou d’un malandrino. Adieu les poétiques épisodes; versnbsp;dix heures du soir, nous arrivions sains et saufs au petit village denbsp;Santa-Agata, oü nous passames la nuit.
n FEVRIER.
Souvenir d’Annibal.—Capouc.—Amphitheatre.— Mosaïques.— Cathédrale.— Souvenir de Bellarmin. — Aversa. — Établissement d’aliénés. — Naples. — Les Lazzaroni.
Admirer et bénir, voila tout ce qu’on peut faire lorsque, par un beau lever de soleil, on traverse les campagnes si gracieusement acci-dentées qui s’étendent depuis Sainte-Agathe a Capoue. Rien de plusnbsp;séduisant, que l’aspect des plaines de la Campanie. La vous trouveznbsp;des champs en culture; plus loin, de longues files de peupliers enlacésnbsp;de vignes grimpantes jusqu’au faite de leurs vertes pyramides, etnbsp;s’élanQant de l’un k l’autre en festons chargés de grappes; puis, desnbsp;champs de roses cultivées et même de roses sauvages, plus odorantesnbsp;que les roses doraestiques; car il semble, dit Pline, que cette terre en-chanteresse ne veut produire que des choses agréables (i), des plainesnbsp;de myrtes, et, pour compléter la séduction et anlmer ces bosquets,nbsp;quantité de beaux pigeons roucoulent sous leurs ombrages. Tel quenbsp;Varron le décrivait, le sol de la Campanie est encore si léger, qu’on ynbsp;laboure avec des énes (s). Cette province toutefois a un inconvénient,
(i) Lib. xvin, 11.
(a) R. de re Rust., i, 10.
-ocr page 315-SOUVENIR D ANNIBAL. 3H
qu’Horace avail remarqué avant nous, et dont nous ne tardftmes pas a sentir la désagréable présence : quand il fait du vent, on est abiménbsp;dans des tourbillons de poussière,
......Trahentia pulveris atri
Quantum non Aquilo Campanis excitat agris.
Lib. II, Sat. vni.
Peu il peu Pceil s’habitue au ravissant spectacle, les impressions per-dent de leur vivacité, et de grands souvenirs viennent procurer a l’ème des jouissances d’un autre ordre : dans ces lieux tout parle d’Annibal.nbsp;La conduite si diversement jugée du grand Capitaine devint Ie sujetnbsp;d’une longue et intéressante causerie; chacun prit part ii la conversation, qui pour, qui contre Ie général carthaginois. II aurait dü marcher sur Rome aussitót après la bataille de Cannes, et altaquer la villenbsp;alors que la terreur était dans toutes les ames; tel était Ie langage denbsp;ses adversaires qui condamnaient hautenient son séjour ii Capoue. —nbsp;Sans doute, répondaient ses défenseurs, Annibal eut tort de laissernbsp;son armée s’amollir aux délices de Capoue; il aurait du 1 occuper anbsp;des travaux, ii des marches et a des contre-marches, afin de la tenirnbsp;en haleine. Quant è marcher sur Rome aussitót après la défaite desnbsp;consuls, Ie pouvait-il avec prudence? Depuis son entree en Ralie Annibal avail perdu beaucoup de monde; il n’avait point de machinesnbsp;de guerre; il ignorait encore Ie refus de secours et Ie mauvais vouloirnbsp;de son aveugle patrie; les Remains n’étaient pas découragés. Attaquernbsp;Rome, c’était s’exposer è un échec qui compromettait sa réputatlonnbsp;et lui faisait perdre en un jour Ie fruit de ses vlctoires. Quoi qu’il ennbsp;soit, on conclut en disant : La sagesse humaine est toujours courtenbsp;par quelque endroit, et Rome, la ville providentielle, ne devait pasnbsp;encore périr; elle devait au contraire aller en grandissant jusqu’a cenbsp;qu’elle eüt préparé Ie règne du Messie, Ie Roi immortel des siècles etnbsp;des empires. Comme Ie fruit mangé sur l’arbre a une saveur plus exquise, cette discussion tirait des lieux mêmes un charme et un intérêtnbsp;particulier.
R en résulta qu’elle nous conduisit, è notre insu, jusqu’aux bords du Vollurne, fleuve boueux qui baigne les murs de Capoue. Dix heu-res sonnaient lorsque nous enlrames dans la cité fatale au vainqueurnbsp;*^6 Cannes; je me trompe, l’ancienne Capoue est è irois milles denbsp;^3 nouvelle. Une voiture de place de la familie du Corricolo napo-lilain nous y transporta en quelques instants. Mais hélas! au lieunbsp;d une cité brillante, nous trouvames un pauvre village appelé Santa-
-ocr page 316-312 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
Maria-Maggiore. Les ruines dont ie sol est comblé témoignent des invasions des Barbares et de Tinhumanité romaine. Oubliant les services que Capoue lui avait rendus après Thumiliation des Fourches-Caudines, Rome traita avec une cruaulé inouïe celte république cou-pable d’avoir repu Annibal; Ie peuple, réduit a l’esclavage, fut vendunbsp;è l’encan, et les sénateurs, batlus de verges, furent décapités. RebStienbsp;par Jules-César, Capoue se vit tour a tour occupée, saccagée, brüléenbsp;par les Vandales, les Ostrogoths et les Sarrasins; et depuis l’an 840,nbsp;l’émule de Rome par Ie luxe et la richesse, la mère de Féloquence,nbsp;comme l’appelle Gicéron, n’est plus qu’une ombre, ua spectre assisnbsp;sur un tombeau.
De toutes ses ruines, les mieux conservées sont celles de l’amphi-théètre. Nous les visitömes avec une curiosité d’aulant plus vive, qu’il existe au-dessous de l’arène des charnbres et des couloirs spacieuxnbsp;dont la destination n’est pas bien connue. Bütie avec une solidité inbsp;toute épreuve, Famphithéatre de Capoue a sur son grand diamètrenbsp;2S2 pieds; sur son petit, 155. Sa circonférence extérieure est denbsp;396 pieds, et Fépaisseur-des murs et des magonneries, de 132. L’arène est portee par des voutes destinées, sulvant les uns, au servicenbsp;des hommes employés aux jeux. Voir, comme quelques autres, dansnbsp;ces constructions souterraines des Lupanaria ou des Thermes, c’estnbsp;soutenir une opinion qui ne parait pas sans fondement. Personne quinbsp;ne sache que ces lieux étaient inséparables des amphitheatres. Or, lesnbsp;Carapaniens voluptueux et sanguinaires qui, non contents d’avoirnbsp;pour leur service une école nombreuse de gladiateurs, firent les premiers usage du velarium, pouvaient-ils oublier ce complément obligénbsp;des jouissances de tous les peuples anciens? Quoi qu’il en soit, k lanbsp;vue de ce colossal monument on se demande quelles étaient les riches-ses de Capoue et sa soif excessive de jeux et de plaisirs, pour y sacri-fier une si grande part de ses facultés? En attendant que la sciencenbsp;moderne ait résolu ce problème offert h ses méditations dans presquenbsp;toutes les villes païennes, Faspect de ces edifices tant de fois souillésnbsp;de sang et d’iniquités, offre un monument éternel de la justice divine.nbsp;Ici comme ailleurs elle apparait détruisant les cités coupables et Cendant aux Campaniens, comme aux autres peuples, suivant leurs oeuvres. A Capoue nous retrouvümes Horace et ses nobles compagnonsnbsp;que nous avions laissés a Itri. Mécène jouait au ballon, Horace et Vir-gile dormaient:
Hinc muli Capuse clitellas tempore ponuut.
Lusum it Maecenas, dormitum ego Virgiliusque :
Namque pita lippis inimicum et ludero crudis.
-ocr page 317-CATHÉDRALE. 513
Nous regreUftmes d’autant plus de ne pouvoir aller souper avec eux dans la magnifique villa de Cocceius :
nine nos Cocceii recipit plenissima villa.
que, rentrés dans la nouvelle ville, nous n’eumes pour déjeuner que deux énormes plats de broccoli, espèce de choufleurs particulière anbsp;ritalie et accomodés a Fhuile : tout le monde les trouva détestables,nbsp;et chacun de s’extasier sur les délices de Capoue. Par compensation,nbsp;il nous fut donné de converser en francais avec des officiers suissesnbsp;au service de Naples : ils étaient ici en qualité d’instrucleurs ü l’écolenbsp;d’arlillerie. Sur leur indication, nous nous rendimes amp; la cathédrale,nbsp;oü de beaux souvenirs attendent l’artiste et le chrétien. En tête desnbsp;monuments se place la Madonne en mosaïque, un des plus beaux ou-vrages de l’époque bysanline ; elle date du neuvième siècle. Au centre de Pare apparait le sainte Vierge portant la couronne de perles,nbsp;la tunique et le manteau émaillés de pierres précieuses, suivant l’u-sage des impéralrices d’Orient. La figure est d’une grande beauté, lanbsp;pose très-gracieuse. Les pieds de la céleste Reine reposent sur le Sup-pedaneum, réservé aux personnages de distinction; l’Enfant Jésus estnbsp;assis sur le giron de sa mère, tenant de la main gauche une grandenbsp;croix. Au bas de cette première figure on lit mp ©ï, abréviation desnbsp;mots grecs mhthp ©EOY, Mater Dei, Mère de Dieu. A droite de lanbsp;sainte Merge sont, debout, saint Pierre et saint Étienne, le premiernbsp;portam les clefs divines dont il fait hommage è Marie, et le second,nbsp;vétu de la dalmatique et tenant le livre des Évangiles, symbole desesnbsp;fonclious; è droite, et dans la même attitude, saint Paul élevant lanbsp;main vers Marie, et sainte Agatbe, couverte d’un manteau étincelantnbsp;de pierres précieuses et portant de la main gauche une couronne denbsp;perles, symbole de la virginité. Au sommet de Pare apparait le Saint-Esprit, en forme de colombe, la tête entourée d’un diadème triangulaire, emblème bysantin de la sainte Trinité. Sur la corde du grandnbsp;are on lit cette inscription qui fixe la date du monument:
CONDIDIT HANG AVLAM CANDVLFVS,
ET OTO BEAVIT
MOENIA BES, MOREM VITREÜH, DEBIT VGO DECOREM.
Le mot beavit, rendit bienheureux, pour dire consacra, est certai-nement une des plus riches expressions de la langue chrétienne (i).
(i) Ciampini, Mon, Veter., t. ii, p. tOT.
-ocr page 318-514 LES TROIS ROME.
Après avoir admiré celle belle page de Tart chrétien, enlrons a la cathédrale, et saloons les gloires de cetle antique église. Arrivé ii Ca-pooe, Ie chef des pêcheurs galiléens, qui parcourait Ie monde en se-niant des évêques, consacra son compagnon de voyage, saint Prisque,nbsp;un des soixante-douze disciples, et l’établit pasteur de cette chrétienténbsp;naissante (i). Toutes les colonnes du temple, enlevées è FamphithéA-tre, sont des monuments de la victoire du christianisme. Dans lanbsp;crypte, on admire Ie Christ mort, ouvrage du Bemin suivant les uns,nbsp;et selon les autres de Vaccaro son disciple. En remontant a l’église,nbsp;lisez la belle inscription qui rappelle Ie nom et les vertos du eélèbrenbsp;Cardinal Bellarmin, archevêque de Capoue. C’est lè un de ces hommesnbsp;que l’Église peut montrer avec orgueil a ses ennemis comme*è sesnbsp;amis. Clément VIII ne fut que l’organe de I’opinion publique lors-qu’en Ie désignant pour la pourpre romalne, il fit de lui cetéloge, unique peut-être dans l’histoire ; « Nous Ie choisissons paree qu’il n’anbsp;pas son pared en science dans Ie monde catholique (2). » Malgré tantnbsp;de mérite, 1’humble religieux refusa les suprêmes honneurs qui luinbsp;étaient siglorieusementofferts. La crainte d’offenser Dieu, et la menacenbsp;de l’excommunication purent seuls triompher de sa résistance.
Qu’on juge de l’émotion du voyageur chrétien, lorsqu’il voit a la cathédrale de Capoue la place oü Ie Bossuet du seizième siècle s’as-seyait chaque dimanche au milieu des pauvres et des petits enfants dunbsp;people pour leur faire Ie catéchisme! Faut-il s’étonner si Ie nom denbsp;Bellarmin continue d’être en bénédiction, et si on conserve avec unnbsp;soin religieux, dans la sacristie de l’église, un grand nombre d’orne-ments qui furent è l’usage du saint cardinal? Une autre gloire de Capoue sont ses martyrs. Saluons avec les siècles.les héros dont Ie sangnbsp;purifia l’antique cité fameuse entre toutes par les crimes qui la souil-lèrent. A leur tête marche saint Prisque, son premier évêque, mis anbsp;mort sur la via Aquaria, par ordre de Néron; vient ensuite son illus-tre successeur, saint Rufus, patricien par sa naissance, chrétien par Ienbsp;baptême, évêque par l’onction épiscopale qu’il regut de saint Apollinaire, disciple de saint Pierre et martyr par la grace de Néron : surnbsp;ses traces void venir le jeune Antonin, avec Ariste son compagnon,nbsp;Quinetus, Arcontius, Donat, Rosius, Héraclius, et beaucoup d’autres
(i) Ant. (’.araccioli, de Sacris. Eccl. Neap. 3Ion. p. 70. — Selvaggio, Antiquit. Christ. Instit. t. I, p. 53.
(s) Hunc eligimus, quia non habet parem in Ecclesia Dei quoad doctrinam. — Vit-Card. Dellar., lib. u, c. 5.
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AVEBSA.
qui forment la glorieuse légion dont les saints Rufus et Carpophore, martyrisés sous Dioclétien, composent l’arrière-garde.
Après avoir rendu nos hommages aux fondateurs et aux conserva-leurs de la cité chrétienne, nous partimes de Capoue par une chaleur affreuse. La route était couverte d’une forte couche de poussière,nbsp;constamment agitée par fes nombreux équipages que nous rencon-trions; cette poussière d’une blancheur et d’une finesse extréme futnbsp;pour nous un véritable supplice. Au reste, rien de plus bizarre que lesnbsp;attelages du pays. Tantót c’est une charrette è deux roues, garnie denbsp;quelques planches en guise de bancs et trainée par un bceuf et unnbsp;bullle; tantót c’est un chariot ordinaire conduit par un cheval et unnbsp;ane, quelquefois par un bceuf et un cheval, d’autres fois par un boeufnbsp;OU par un buffle seul. Nulle part, je crois, on ne peut voir une tellenbsp;variété, pour ne pas dire une pareille bigarrure. Cependant la jolienbsp;petite ville d’Aversa vint appeler notre attention sur d’autres objets.nbsp;Tout ce que Ie temps nous permit de voir, c’est Ie bel établissementnbsp;d’aliénés, longtemps confié aux soins intelligents du pieux abbé Lin-guiti. Le premier, en Europe, avec les Frères de Saint-Jean-de-Dieu,nbsp;il a eu le mérite de délivrer ces infortunés des liens dont ils étaientnbsp;garrottés, et de les soumettre a un traitement plus doux et plus salu-taire. La situation de l’hospice est heureuse; des bosquets, des cours,nbsp;des jardins, des plantations, de vastes salles ornées de peinture et denbsp;sculpture; un musée, une bibliothèque, un billard, donnent h eet asilenbsp;de l’infortune tout le confortable d’une somptueuse villa. On y vou-drait un peu plus d’ordre et de propreté, qui, soit dit en passant, nenbsp;paraissent pas être les vertus cardinales des Italiens.
Avant quatre heures notre berline stationnait aux portes de Naples. La visite très-sévère de nos bagages, la remise de nos passeports, lanbsp;délivrance du permis de séjour, nous y retinrent longtemps. Au voya-geur qui arrive par terre, la troisième capitale de l’Europe ne se présente pas d’abord sous un aspect favorable. L’oeil rencontre des mai-sons plus OU moins élégantes, mais rien qui annonce la superbenbsp;Parthénope. Plus heureux est le passager qui aborde par mer; pournbsp;lui Naples se montre dans tout l’éclat de sa magnificence. Cependantnbsp;nous vimes sur la gauche un vaste batiment dont l’aspect cause unenbsp;l*ien douce émotion au voyageur chrétien ; c’est VAlhergo reale deinbsp;poveri : palais royal des pauvres. Dans ces quatre mots est tout en-lière la révolution morale opérée par l’Évangile. Nous nous inclinómesnbsp;fievant la bienfaisante révolution et devant le superbe édifice, auquelnbsp;bous promlmes une visite détaillée.
1
-ocr page 320-316 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
En attendant nous recevions nous-mêmes, sans nous en apercevoir, une visite qui ne tarda pas amp; fixer notre attention ; un balaillon denbsp;lazzaroni escortait la voiture. A répanouissement de leur visage il étaitnbsp;facile de deviner Ie plaisir que leur faisait gouter Tespérance de servirnbsp;bientót les nobles forestieri. Puisque Ie lazzarone est la première cu-riosité napolitaine qui se présente, commen^ons par la décrire. Sansnbsp;doute il est moins poétique, moins pittoresque, en un mot moins intéressant qu’autrefois : ses anciennes habitudes sont notablement mo-difiées. II ne campe plus dans la rue; Ie panier d’osier ou la dalle dunbsp;carrefour ne forme plus son lit; il n’est plus complétement élrangernbsp;a la civilisation au milieu de laquelle il est lancé; il a renoncé a sanbsp;nudité sauvage. En élé, il porte un calegon de toile; conime celle denbsp;ses premiers aïeux sa tête est coiffée du bonnet phrygien, mals il nenbsp;connait que par exception l’usage des bas el des chaussures. En hiver,nbsp;il se couvre d’un gilet de laine a larges manches et a capuchon; enfinnbsp;il est devenu locataire et même paroissien. Malgré ses changements,nbsp;il conserve des allures qui en font un type a part. Gai, insouciant,nbsp;vivant au jour Ie jour, sans jamais songer au lendemain; jouissant dé-licieusement de son beau ciel, raisonnant beaux-arts, improvisant desnbsp;poésies, 11 trouve dans ce laisser-aller Ie bonheur ou une illusion quinbsp;lui ressemble.
Maitre passé en pantomime, il exprime quand il veut, par Ie jeu varié de sa physionomie, Ie mouvement de la tête et la mobilité de sanbsp;main, tout ce qu’il sent, tout ce qu’il désire; maïs ce langage muetnbsp;ne lui convient qu’avec ses pareils, et dans certaines circonstances oünbsp;Ie mystère est un devoir. Partout ailleurs il est Ie plus criard desnbsp;mortels (i) ; il crie au lieu de chanter, il crie au lieu de parler; et Ienbsp;jour commence h peine qu’il vous assourdit de ses vociférations inces-santes. Pas moyen de vous y soustraire; car il est partout, sur Ie port,nbsp;dans les rues, sur les places, devant les monuments, mais surtout de-vant les stations des voitures publiques ; il foisonne au Toledo. Ennbsp;avez-vous besoin? il est la. Vous est-il inutile? il est encore lè. Tou-jours prêt è vous faire accepter ses services, il trouve sans peine Ienbsp;moyen de se rendre nécessaire. Voulez-vous aller a une église? il ennbsp;connait lechemin. A un musée? il vous servira de cicérone. Deman-dez-vous une barque? tous les bateliers sont ses amis. Prenez-vousnbsp;une voiture? il vous ouvre la portière, baisse, relève Ie marchepied»nbsp;et monte en jockey. Pendant Ie voyage, il rit, il chante, il vous égaie
(i) Napolitani maestri in schiamazzare Aifieri. Son. cxliii.
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LES LAZZAROSI.
et de temps en temps vous dit a roreille : Eccellenza, una bottiglia. A la fin de la course il saute a bas de la voiture, vous présente un petitnbsp;tapis pour poser Ie pied, brosse votre chaussure, vos habits, recoil vosnbsp;tornesi, youamp; salue d’un air respectueux et malin; puis, cire le sabotnbsp;du cheval, lui peigne sa criniere, en attendant une nouvelle pratique.
Le lazzarone est de tous les ftges et de toutes les tailles. Dans notre excursion a la grotte du Chien, c’est-5-dire pendant une heure et demie,nbsp;nous fumes, malgré nos observations, nos protestations, nos menacesnbsp;réitérées, impitoyablement suivis par un petit lazzaro, dans le costume que je viens de décrire. II ne cessa de nous donner des indications et des renseignements dont nous n’avions que faire. A toutesnbsp;nos injonctions de se relirer et de nous laisser en paix, il répondaitnbsp;en souriant: Eccellenza si, Eccellenza si; et n’en continuait pas moins.nbsp;Enfin, dans un mouvement de vivacHé, nous lui dimes : « Va-t’en,nbsp;mauvais petit lazzarone. — Eccellenza no; non, Excellence, je ne suisnbsp;pas un lazzarone; je vous demande une bouteille, tandis que les laz-zaroni prennent les mouchoirs du monde, ruhano li fazzoletti dellanbsp;gente. » II fallut céder i son importunité; nous lui donnames quelquesnbsp;grains pour acheter du maccaroni. « Merci, Excellences; » puis ilnbsp;nous quitta sautant de joie, et, dans la réalité, plus heureux que le roinbsp;de Naples qui pourtant ne passe pas pour le monarque le moins heureux du monde civilisé. J’ajouterai a la louange des lazzaroni, que lanbsp;foi est très-vive dans leur coeur, et qu’ils sont moins mauvais que leurnbsp;réputation ; je reviendrai la-dessus.
l-i
Nous arrivames done h l’hótel, environnés d’un nombreux cortège. Vingt lazzaroni se précipitèrent h la fois sur nos bagages : c’était ii quinbsp;aurait I’honneur de nous servir. En un din d’oeil, roues, banquettes,nbsp;intérieur, impériale, toutes les parties de la voiture furent envahies.nbsp;Spectateur attentif, notre vetturino, vieux Remain qui connaissait sonnbsp;monde, se tenait debout, le fouet a la main, et tout haut, è la barbenbsp;de nos empressés serviteurs : « Signori, hadate : Messieurs, preneznbsp;garde, veillez sur vos effets. » U parait que la vérité n’offense pas lesnbsp;lazzaroni, ou que notre conducteur les calomniait, car ils accomplirentnbsp;Gn riant leur tache sous le feu de ces insultantes recommandations:nbsp;rien ne fut perdu.
TOM. II.
-ocr page 322-518 LES TROIS ROME.
18 FEYRIER.
Vue générale de Jlaples. — Rencontre d’un régiment de la garde royale. — Cathédrale. — Tombeau de Charles d’Anjou. — Colonnes antiques. — Baptistère. — Basilique denbsp;Sainte-ResUtute. — Hisloire de cetle sainte.
Voyez Naples, et puis mourez. Notre première pensée fut de véri-fier, par nous-mèmes, ce proverbe italien, en nous promettant, toute-fois, de ne pas mourir. On convient que Ie panorama de Naples est Ie plus magnifique de l’Europe; il serait Ie plus beau du monde, si celuinbsp;de Constantinople ne lui était, dit-on, supérieur. Pour en jouir, nousnbsp;montames au fort Saint-Elme'. Du haut de cette citadelle, dont lesnbsp;fondements sont creusés dans Ie roe vif, on domine la ville entière etnbsp;ses environs. A gauche se déroule Ie vaste faubourg delle Vergini, avecnbsp;ses palais blanchis, aux toits en plate-forme et aux larges balcons, couverts de vases de fleurs et d’arbustes. Plus loin, c’est Ie grand hèpitalnbsp;des Pauvres, Ospedale dei Poveri, tenu par nos soeurs grises, d’ori-gine francomtoise; la porte de Capoue, puis Caserte, avec son chateaunbsp;royal et ses délicieux jardins; au dela les vastes plaines de la Campa-nie, éraaillées de maisons élégantes, dont la blancheur tranche vive-ment sur la verdure de la prairie et Ie feuillage touffu des oliviers etnbsp;des orangers; enfin, ii l’horizon, les Apennins dont les cimes échan-crées étaient alors couvertes de neiges. Devant nous, s’épanouissaitnbsp;aux rayons du soleil, Ie ceeur de la brillante cité. Ses dómes dorés, sesnbsp;palais, ses monuments, sa belle rue de Tolède pavée en larges dallesnbsp;volcaniques, bordée de superbes edifices, d’élégants magasins, et sil-lonnée par une foule d’équipages et de piétons; son Largo del Castello,nbsp;la plus vaste place de Naples, avec sa fontaine Medina, une des plusnbsp;belles du monde après celles de Rome, formaient un tableau dont lanbsp;magnificenca était rehaussée par la verte campagne qui lui sert denbsp;bordure et qui s’élève en pente douce, jusqu’au pied du Vésuve. Lenbsp;Vésuve lui-même avec son cóne noirci, d’oü s’échappe incessammentnbsp;une large colonne de fumée, mêle a ce riant spectacle quelque chosenbsp;de sévère, et, en jetant dans l’ème je ne sais quelle terreur involon-taire, compléte admirahlement les impressions du spectateur.
A droite, la scène est plus magnifique encore. La ville descend en amphithé^tre et arrive au superbe quai de Chiaja, habité par la première société de Naples. A l’ouest, se dessine la montagne escarpée
-ocr page 323-que traverse la fameuse grotte de Pausilippe, et qui, plongeant dans la mer, ferme la cité d’une insurmontable barrière. Adossée au flancnbsp;intérieur de la montagne, brille la belle et dévote église della Madonnanbsp;di piè di Grotta; puis vient la Villa Reale qui étale ses graces incom-parables sur Ie bord de la mer. Sa position, ses fontaines, ses vasesnbsp;de marbre et de bronze, ses allées d’acacias, ses bosquets de myrles etnbsp;d’orangers, son temple circulaire de marbre blanc, sa vue admirable,nbsp;en font peut-être la plus délicieuse des promenades publiques. A l’ex-trémité s’élève, sur une pointe de rocber, la masse imposante du Chd-teau de l’OEuf, qui forme une ile et communique avec la terre parnbsp;une jetée de deux cents metres de longueur. Villa de Lucullus, prisonnbsp;d’Augustule, Ie dernier empereur Remain, monument d’orgueil etnbsp;d’humiliations, Ie chateau de l’OEuf commande Ie golfe de Naples etnbsp;Ie divise en deux parties. Plus loin est la Tour del Carmine, redou-table donjon qui domine Phémicycle méridional du port, et rappellenbsp;l’insurrection de Mazaniello, dont il est destiné ii prévenir Ie retour.nbsp;Par delè ces édifices, vous voyez briber autour du golfe au bleu d’azur,nbsp;Portici, avec sa maison royale; Resina, d’oü l’on monte au Vésuve,nbsp;et dans Ie lointain Castellamare, appuyé aux montagnes, suivi denbsp;Sorrento et de la trop célèbre Capri. Les regards, continuant h tournee vers la droite, viennent enfin^se reposer sur Ie cap Misène, d’oünbsp;Pline rAncien, commandant de la flolte romaine, s’embarqua pour sanbsp;fatale exploration du Vésuve.
Ce grand spectacle n’est cependant que la miniature du panorama napolitain. A mesure qu’on s’élève, l’horizon s’agrandit, et lorsqu’on arrive au couvent des Caraaldules, on jouit d’une des plus belles vuesqu’ilnbsp;soit donné h l’oeil humain de contempler. Les deux golfes de Naplesnbsp;et de Pouzzoles dans toute leur étendue, les coteaux délicieux de Baïa,nbsp;Ie plateau accidenté de Cumes, les cratêres éteints de la Solfatarre etnbsp;de l’Astrumi, Ie lac d’Agnano, la mer immense, d’un cóté; et de 1’autre,nbsp;les vastes plaines de la Campanie coupées de gracieux monticules etnbsp;couvertes de la végétation la plus vigoureuse et la plus Variée, competent en Ie développant Ie point de vue du fort Saint-Elme. Ajouteznbsp;è tout cela un ciel d’une magnificence peut-être unique au monde;nbsp;puis si vous êtes artiste, saisissez vos pinceaux, et bientót vous lesnbsp;briserez de désespoir.
Tel est, dans ses traits saillants, Ie panorama de Naples, contemplé du fort Saint-Elme et des Camaldules. O mon Dieu! Quelle sera lanbsp;patrie de Thomme votre enfant, si son exil est si beau!
320 LES TROIS ROME.
mieux exercée ne saurait donner qu’une description imparfaite, nous descendimes pour visiter en détail les principaux points du vaste tableau : la cathédrale eut les prémices. Comme nous quittions Ie Largonbsp;dei Studj, un fait ancien, mais nouveau pour nous, vint émouvoir pro-fondément notre coeur : Ie premier régiment de la garde traversait lanbsp;place de la Trinité et se dirigeait vers l’église du Gesü Nuovo. Oünbsp;vont, silencieux et recueillis, tous ces vieux soldats en demi-tenue, colonel et état-major en tête? Ils vont, oreilles fran§alses du xix® siècle,nbsp;écoutez bien, ils vont aux exercices de la retraite préparatoire 4 lanbsp;communion pascale. Nous les suivimes, et nous pümes voir toutes cesnbsp;vieilles Moustaches se mettre a genoux devant Ie Dieu des armées, dé-poser leurs sabres et leurs casques, puis se grouper autour des con-fessionnaux el attendee, dans la prière, Ie moment du discours et denbsp;Ia confession. La retraite dure dix jours, et plusieurs fois il nous futnbsp;donné de jouir d’un spectacle si honorable pour ceux qui Ie donnentnbsp;et si consolant pour Ie chrétien qui Ie contemple. O France, autrefoisnbsp;si ebrétienne et toujours si brave! quand retrouveras-tu Tintelligence?nbsp;quand reliras-tu avec impartialité ta brillante histoire? Ce jour-lè,nbsp;nation guerrière entre toutes les autres, tu comprendras la nécessiténbsp;pour toi de l’alliance obligée de l’esprit chrétien et de l’esprit militaire; depuis que tu l’as rompue, tu as eu des soldats, quand tu l’aurasnbsp;renouée tu auras des héros!
A la cathédrale nous attendait l’excellent chanoine JDe’ BiancM. Ami intime de Fillustre chanoine de Jorio et son disciple intelligent,nbsp;M. De’ Bianchi voulut bien nous servir de guide. Irrégulière dans sanbsp;forme, moitié gothique et moitié grecque dans son architecture,nbsp;l’église de Saint-Janvier présente un vaste champ d etudes a l’artistenbsp;et au chrétien. Voici d’abord deux antiques colonnes de porphyre quinbsp;en ornent l’entrée. Au-dessus de la grande porte intérieure sont lesnbsp;superbes tombeaux de Charles d’Anjou, de Charles Martel et de Clé-mence, sa femme, élevés en leur honneur par Ie comte Olivarès, vice-roi de Naples. Le baptistère, formé d’un vase antique en basalte égyp-tien, repose sur un piédestal de porphyre, orné des attribute denbsp;Bacchus. Cent dix colonnes de granit égyptien, restes de l’anciennbsp;temple d’Apollon et de Neptune, soutiennent les voütes de rédifice, etnbsp;sont un nouveau trophée de la victoire évangélique. Vers le milieu denbsp;la cathédrale, s’ouvre la basilique de Sainte-Restitute, qui compose lanbsp;partie gauche du transept : la chapelle de Saint-Janvier forme lanbsp;droite. Sainte-Restitute est l’ancienne cathédrale; on la croit de fon-dation Constantinienne. Une inscription en mosaïque, gravée sur l’au-
-ocr page 325-BASILIQCE DE SAINTE-RESTITÜDE. nbsp;nbsp;nbsp;321
tel, en fait honneur a sainte Hélène, lorsqu’au retour de Ia Palestine elle passa par Naples en se rendant è Rome (i).
Quoi qu’il en soit, on convient que les vingt-deux colonnes de la basilique proviennent d’un temple de Diane. 11 en est de même desnbsp;griffes OU consoles qui soutiennent Ie maitre autel, sous lequel reposenbsp;Ie corps de sainte Restitute. Ges objets dans Ie style grec sont d’un travail exquis.
On croit que l’oratoire particulier de saint Asprénus et de sainte Candide forme Ia chapelle du Saint-Sacrement placée ii droite de l’au-tel : je parlerai bientót de ces deux illustres personnages. A gauchenbsp;du même autel on trouve la chapelle de saint Jeaxi-in-Fonte; elle estnbsp;ornée de mosaïques et de peintures d’un grand intérêt pour qui veutnbsp;étudier l’histoire de Part. Une des mosaïques représenle la saintenbsp;Vierge vêtue a la grecque. C’est la madone del principio, ainsi nom-mée paree qu’elle fut la première honorée a Naples. Le costume by-zantin, qui montre la filiation de l’art, se rencontre souvent dans lesnbsp;églises de Rome. A droite de la madone est l’antique portrait de saintnbsp;Janvier, regardé comme le vrai portrait du saint pendant des siècles.nbsp;Un sarcophage païen devenu le tombeau du cardinal Piscicelli, plu-sieurs mausolées parmi lesquels nous distinguames celui du savant etnbsp;pieux chanoine Mazzocchi forment les principals richesses artistiquesnbsp;de Sainte-Restitute.
Mais qui était cette sainte? D’oü vient la magnificence de son sane-
•{2) Void cotte inscription :
Lux immensa Deus postquam descendit ad ima Annis trecentis compleiis atque paractis,
Nobilis hoe templum sancta conslruxit Helena.
Hic bene quanta dalur venia vix quisque loquetur,
Sylvestro grato papa donante beaio,
Annis datur clerus jam instaurator Partbenopensis Mille trecentis undenis, bisque retensis.
Une autre inscription, conservée au collége des Jésuites, prouve Ie passage de sainte Hélène a Naples :
PIISlMiE AC CLEMENTISSIM.E domino nostra AVGVSTiEnbsp;HELENA MATKlnbsp;DOMINI NOSTISI VICTORISnbsp;SEMPER AVGVSTI CONSTANTINI, ET AVIJEnbsp;DOMINORVM NOSTRORVMnbsp;C^SARVM BEATORVMnbsp;YXOUI DIVl CONSTANTINInbsp;ORDO NEAPOLITANVSnbsp;ET POPYLYS.
-ocr page 326-522 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
tuaire et la vénération profonde dont elle-même est environnée?Quand un pays a vu des prodiges d’infamie comme ceux qui souillèrent lesnbsp;rivages de I’anlique Parthénope, il faut qu’il périsse ou qu’il soit pu-rifié : or, pour Ie purifier il faut du sang. Puis afin de retremper lesnbsp;coeurs amollis de ses habitants, afin de relever leurs ames dégradéesnbsp;par d’incroyables débauches, il faut des prodiges non moins incroya-bles de courage et de chasteté. Celte loi, d’oü dépend l’équilibre dunbsp;monde moral, la raison la devine avant que l’histoire en montre l’ap-plication. Done, Pouzzoles, Nole, Gapoue, furent arrosées de sangnbsp;Chrétien; et si Naples, sans doute moins coupable, n’eut pas de martyrs, elle vit des prodiges régénérateurs. Vers Ie milieu du troisièmenbsp;siècle, sous l’empire de Valérien, Proculus étant gouverneur de l’Afri-que, il y avait a Carthage une jeune vierge nommée Restitute. Con-vaincue d’être chrétienne, elle est araenée devant Ie juge qui la livrenbsp;a d’effroyables tortures. Vains efforts! rhéroïne demeure inébranlablenbsp;dans sa foi. Tout a coup Ie visage du tyran bribe d’une joie féroce ;nbsp;il a trouvé un supplice digne de sa haine, et digne aussi de sa victime.nbsp;II ordonne a ses licteurs de saisir la jeune vierge, et de la jeter piedsnbsp;et mains lies dans une barque remplie de poix et d’étoupes, auxquellesnbsp;il fait mettre Ie feu, afin de Ia faire bruler en pleine mer. L’ordre estnbsp;exécuté; mais les flammes commencent par consumer les bourreaux,nbsp;tandis que les vents poussent au large la brülante nacelle. Pressé surnbsp;Ie rivage, tout Ie peuple la contemple, attendant Ie sort de la victimenbsp;qui bientót léve les yeux au ciel et expire doucement é la vue desnbsp;spectateurs. Cependant les bots, messagers fidèles du Dieu qui les en-chaine, les calme ou les agite, Iransportèrent la barque du martyrenbsp;aux rivages dTschia. Avertis par leurs frères d’Afrique, les chréliensnbsp;de Naples vinrent chercher avec un profond respect Ie corps de lanbsp;jeune vierge; et pour mieux glorifier la chaste héroïne que Ie Cielnbsp;leur avait envoyée comme patronne et comme modèle, ils lui batirentnbsp;un sanctuaire avec les débris des temples impurs, oü s’étaient dégra-dés leurs voluptueux ancêtres (i).
(i) Voyez BaroniuSj Martyrolog. Horn. 17 mai, notes B et C; Annales, t. v, ann. lii, n. 7. — Je n’ai fait que trauscrire les paroles du grand historiën.
-ocr page 327-i
SECOKDE VISITE A LA CATHÉDEALE.
19 FEYRIER.
Seconde visite a Ia cathédrale. — Chapelle du séminaire. — De Minutolo. — Crypte. — Tombeau du roi André. — Chapelle de Saint-Janvier. — Trésor. — Sacristie. — Batonnbsp;de saint Pierre. — Église des Chartreux. — Mot d’un pape.
Quand vous serez a Naples, couchez-vous de bonne heure, vous vous en trouverez bien : eet oracle est plus sur que celui de Calchas.
If
A quatre beures du matin, il n’est plus possible de dormir. Les grelots des 4nes et des mulets des jardiniers, les clochettes des vacbesnbsp;et des cbèvres qu’on conduit par troupes dans les rues et qu’on traitnbsp;devant les maisons pour donner du lait cbaud aux ménagères; les crisnbsp;des p4tr,es et des marchands d’oranges, rendent tout sommeil impossible. Du reste, Ie ciel de Naples est si admirablement beau, qu’onnbsp;pardonne volontiers aux tapageurs qui vous procurent Ie plaisir de Ienbsp;voir au lever de l’aurore. Après avoir joui de ce ravissant spectacle,nbsp;nous reprimes la visite interrompue de la cathédrale. Le choeur, quinbsp;forme un parallélogramme, présente, d’un c6té, la chapelle du Semi-naire; de l’autre, celle de Minutolo. Les chanoines de Naples compo-sent entre eux une association de missionnaires appelée di Propaganda. Ils s’en vont, sur l’avis du cardinal-archevêque, donner desnbsp;retraites dans les paroisses du diocèse ; on sait que saint Alphonse denbsp;Liguori en fut un des membres les plus distingués : or la chapellenbsp;del Seminaria sert ii leur réunion. Sur la porte brille la belle As-somplion du Pérugin. La chapelle Minutolo est curieuse sous le rapport de Part. Nous remarquèmes entr’autres divers sujets de la Passion, de Mare de Stefani, le père de la peinture napolitaine, mortnbsp;en 1590. Dans la crypte ou soccorpo, placée au dessus du maitre autelnbsp;de la cathédrale, repose le corps de saint Janvier. Cette chapelle, toutenbsp;revêtue de marbre blanc, est soutenue par des colonnes qu’on dit pro-venir d’un temple d’ApolIon. Parmi les ornements on admire la statuenbsp;en marbre du cardinal Oliviero Carafa, qu on croit de Michel-Ange :nbsp;les arabesques et les autres peintures décoratives sont d’une rarenbsp;beauté.
Avant de nous rendre ii la chapelle de Saint-Janvier, nous vimes prés de la porte de la sacristie le petit tombeau du roi André de Hon-grie, mis è mort du consentenient de Jeanne de Naples son épouse, etnbsp;nous lümes cette humiliante épitaphe :
Andrew neap. Joanna uxoris dolo et laqüeo necato.
324 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
Vis-a-vis la basilique de Sainte-Restitute est la chapelle de Saint-Janvier. Si la magnificence des peintures, la beauté des marbres, l’éclat des dorures, la richesse des offrandes consacrées par une longuenbsp;suite de générations it Tornement d’un sanctuaire, prouvent et la puis-sante bonté du saint qui regoit de si éclatants hommages, et la piéténbsp;fidele du peuple qui les rend; certes, la chapelle de Saint-Janviernbsp;donne la plus haute idéé du pouvoir de l’illustre martyr et de la reli-gieuse reconnaissance des Napolitains.
La riche chapelle del Tesoro di San Gennaro est .un magnifique ex-voto consacré par la rille de Naples i son protecteur, après la pestenbsp;de 1526; maïs qui ne fut commencé qu’en 1608 et achevé en 1678 (i).nbsp;Quarante-deux colonnes en brocatelle soutiennent Ie brillanl sanctuaire; Ie pavé est en raarbre choisi; les fresques de la voute, des angles et des lunettes sont des chefs-d’oeuvre du Dorainiquin; saint Janvier, sortant de la fournaise, est de l’Espagnolet; la Possédée, délivréenbsp;par Ie saint évêque, est l’un des meilleurs ouvrages de Stanzoni, sur-nommé Ie Guide de Naples. Derrière l’autel, digne de la magnificencenbsp;qui l’entoure, se conserVent la tête et Ie sang de saint Janvier. Chaquenbsp;année, au mois de mai et au mois de décembre, ces re.liques précieusesnbsp;sont exposées solennellement a la vénération des fidèles : Ie concoursnbsp;est immense. Le sang se liquéfie, s’agite et bouillonne dans la fiole quinbsp;Ie contient lorsqu’on l’approche de la tête du saint martyr. Voilé lenbsp;fait qui se répète périodiquement depuis je ne sais comblen de slècles,nbsp;et en présence de je ne sais cetnbien de milliers de personnes de toutenbsp;condition et de tont pays (a).
Si vous n’y croyez pas, allez y voir. La liquéfaction miraculeuse est tenement certaine, que le clergé de Naples s’empresse de faire placernbsp;les étrangers de manière é la voir de leurs yeux, et k bien s’assurernbsp;qu’il n’y a ni illusion, ni supercherie (s). A.près avoir vénéré le sang et
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Indicazione del piü rimarcabile in Napoli, etc.; Dal canonico de Jorio, p. 19.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Baronius parlant de 1’épouvantable eruption du Vcsuve de l’an 471, arrêlée mira-culeusement par i’intercession de saint Janvier, ajoute : « Insigne ac perenne miracu-lum sanguinis ejusdem sancli Januarii, qui cura ampulla vitrea concretus conlineatur,nbsp;liquescere tarnen et fluere, perinde ac si recens esset effusus, saepe conspicitur, nonnbsp;ejusmodi est, ut unius vel allerius hominis lesümonio comprobelur; sed ita manlfes-tum, ut ipse martyris sanguis assidua miraculorum operatione, vocibus quibusdam velutnbsp;Abel sanguis damans, per universum orbem christianum intonet.
A'ot. ad Martyrol. 19 sept.
(5) 11 sangue si espone dalle nove della mattina, alia qual ora debbono condurvisi coloro che amano accertarsi della sua miracolosa liquetazione; ed in tal circostanza sinbsp;da la preferenza agli esteri, ad oggetto deliminare le iucoerenze degli errori divulgatinbsp;dalla incredulita. — ld., p. 20.
-ocr page 329-Ie chef du martyr, qu’on eut l’obligeance de nous montrer, nous pas-sames i la sacristie du Trésor. Outre dix-neuf statues de bronze, Ie bazar de la foi en contient quarante et une d’argent, bustes ou figuresnbsp;entières. Que dire des vases d’or, des croix garnies de diamants? ilnbsp;sulüt de nommer un collier tout en perles fines, un devant d’aulelnbsp;tout en argent ciselé, et une mitre enrlchie de 3694 pierres précieu-ses, diamants, émeraudes, rubis, etc. Tels sont les téraoignages de lanbsp;piété séculaire des particuliers et des rols de Naples envers saintnbsp;Janvier.
ri'i
Toujours dirigés par notre excellent guide, nous visitames les insignes reliques conservées a la sacristie de la cathédrale : celle qui intéresse Ie plus vivement est Ie büton de saint Pierre. La traditionnbsp;constante de l’église de Naples, confirmée par les monuments de l’his-toire, enseigne que Ie pêcheur galiléen, se rendant è Rome, débarquanbsp;sur les cótps de l’Adriatique, traversa la Campanie et arriva par Nolenbsp;è Naples, Pan 46 de Jésus-Christ (i). Regu dans cette dernière villenbsp;par une dame nommée Candide, l’Apótre la convertit et la baptisa.nbsp;Quelques jours après, Asprénus, mari de Candide, tomba dangereu-sement malade. Saint Pierre fut prié de venir Ie voir; mais au lieunbsp;d’y aller il fit porter son baton a Asprénus, en lui disant de venir lui-même Ie trouver. Asprénus prit Ie. baton, seleva, fut guéri, et devintnbsp;Ie premier évêque de Naples. Quand on réfléchit, disions-nous h Rome,nbsp;au'souvenir d’un fait analogue, qu'ala naissance de l’Église, les plusnbsp;étonnants miracles étaient nécessaires; quand on entend Nolre-Sei-gneur annoncer a ses Apötres qu’ils feraient des prodiges plus grandsnbsp;que les siens; quand on lit dans Ie texte sacré qu’une parole de saintnbsp;Pierre sufEsait pour rappeler les morts h la vie; que 1’ombre seule denbsp;son corps ou Ie contact de ses vêtements rendait sur-le-champ Ia santénbsp;aux malades : y a-l-il lieu de s’étonner qu’un objet, tant de fois touché par les mains de l’Apótre, ait joui de la même vertu ? Ce batonnbsp;qui, de nos jours encore, a été l’instrument de plusieurs miracles, peutnbsp;avoir trois pieds et demi de longueur. II est droit, rond, d’un bois quinbsp;ressemble a l’olivier, et orné a la partie supérieure d’une pomme, ou,nbsp;pour mieux dire, d’un chapiteau en os. On Ie conserve dans un étuinbsp;d’argent percé de distance en distance d’ouvertures garnies de cristal,nbsp;qui permettent de Ie voir. Avec quelle crainte respectueuse, quel inex-primable bonheur Ie pèlerin catholique prend en ses mains, et couvre
(i) Voir Ie savant Mazzocchi; Ughelii, Hist. Italice sacrce; Carracdoli, De sacris EccL ^eap, 3Ionim. p. 70,106,108 et suiv.; et les innombrabies écrivains de Reritm NeapoU-tanarum, cilés en parüe par Struvius, Biblioth. selec. l. ii, p. 1403.
14.
-ocr page 330-326 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
de ses baisers ce venerable témoin des fatigues et de Ia miraculeuse puissance du grand pèlerin de l’Évangile!
Nous rentrions dans la cathédrale, comme Ie cbapitre arrivait a TolBce. Ce corps vénérable se compose de trente chanoines mitrés, denbsp;V’ingt-deux semainiers et de dix-huit quarantistes. Quand tous sontnbsp;rangés dans leurs stalles Ie coup d’oeil est vraiment imposant. Pour-quoi faut-il que nous ne trouvions plus de pareil spectacle qu’a l’é-tranger? Depuis qu’elle a violemment supprimé ces grands corps quinbsp;étaient rornement de la religion, la France est-elle devenue plus respectable, plus morale et plus riche? Pour terminer notre journée, ilnbsp;nous restait i voir l’église de Saint-Martin-dés-Chartreux. Si l’Italienbsp;est Ie temple des arts, on peut dire que l’église de Saint-Martin denbsp;Naples en est Ie sanctuaire. Située'sous les murailles du fort Saint-Elme, c’est-a-dire dans une position admirable, cette église est la pro-priété séculaire des enfants de Saint-Bruno. Les bons cénobites ontnbsp;consacré tous leurs revenus h Fembellir. Les marbres les plus rares,nbsp;découpés avec un gout parfait, en forment Ie brillant pavé; Lanfranc,nbsp;Stanzoni, l’Espagnolet ont enrichi les voütes et les chapelles des chefs-d’oeuvre de leur pinceau. La Communion des Apótres, par ce dernier,nbsp;offre un saint Pierre en raccourci d’un effet extraordinaire. Aux piliersnbsp;d’une chapelle on voit deux pierres de touche, taillées en forme d’ar-tichaud, d’un travail exquis et d’un prix inestimable. Plus loin est unnbsp;autel en pierres fines, dont la valeur numérique dépasse deux centnbsp;mille francs; ici c’est un tabernacle en écaille transparente; ailleursnbsp;des autels enrichis de lapis-lazzuli, d’améthistes, d’agates, etc.
Le Trésor n’est pas moins resplendissant que l’église. On y admire Ia Descente de Croix, Ie chef-d’oeuvre de l’Espagnolet, et I’un des tableaux les plus pathétiques de la renaissance. De l’église nous passil-mes dans le couvent, dont les superbes cloitres, ouverts sur le golfenbsp;de Naples, sont supportés par des colonnes de marbre blanc du plusnbsp;beau grain. Les arts, les sciences et les pauvres, telles furent dans tousnbsp;les pays et è toutes les époques les trois parties prenantes dans lenbsp;budget des ordres religieux. Quand voudra-t-on s’en souvenir? « Aunbsp;milieu de toutes ces richesses, nous disait le vénérable supérieur, nousnbsp;avons il peine, du pain k manger. Les revolutions nous ont privés denbsp;nos biens et nous sommes rappelés h la pauvreté de nos premiersnbsp;pères; Dieu soit béni! » Le bon religieux nous disait cela sans senbsp;plaindre et avec cette douce résignation qui caractérise l’héroïsme denbsp;la vertu. Que dis-je? il nous fit l’éloge de la France, pour laquelle ilnbsp;témoignait une vive sympathie. Cette charité, vraiment évangélique,
-ocr page 331-kt’
SAINT-PIERRE-AD-ARAM. nbsp;nbsp;nbsp;527
pour une nation dont lui et ses frères avaient eu tant amp; souffrir, me rappela Ie mot d’un grand pape ; « Sont-ils heureux ces Francais! ilsnbsp;font des soitises toute la journée, et Dieu les efface pendant la nuit. »
20 FÉVRIER.
if
ÉglUe de Saint-Pierre-ad-ytrom, — de la Piélé-di-Sangri, — de Saint-Paul-Majeur,— de Saint-Gaélan de Tiene, — de Saint-André-d’Avcllino. — Chambre de ce dernier—nbsp;Saint-Dominique-Majeur.— Tableaux.—Tombes royales.— Souvenirs de saint Thomas. — VInconoraia. — Fresques de Giotto. — Église du Monte-Olivelo. — Souvenirsnbsp;du Tasse, — de sainte Marie de/ Carmine. — Souvenir du malheureux Conradin.—nbsp;Le Gesü Nuovo. — Chambre de saint Jeronimo.—^Excursion au lac d’Agnano.—¦nbsp;Grottedu Cbien.—Villa de Pollion. — Tombeau de Virgile.—Sainte-Marie-dc/-Parto.nbsp;— Tombeau de Sannazar. — Sainte-Marie-a-piè-di-Grotto.
C’était le dimanche; il était dans I’ordre de continuer notre étude des monuments chréliens. Vers six heures du matin, je traversais a lanbsp;hdte les vieux quartiers de Naples. Des rues mal-propres, torlueuses,nbsp;resserrees entre de hautes et noires constructions, me rappelaient notrenbsp;faubourg Saint-Marceau. Ayant pour guide et pour clerc un jeunenbsp;Napolitain, né d’un père francais, j’allais dire la messe it Textrémiténbsp;de la ville, dans une église oubliée des voyageurs et qu’on appellenbsp;Saint-Pierre-ad-^4ram. Ce vénérable édifice, dont la forme irrégulière,nbsp;insolite, annonce la haute antiquilé, marque aux générations le lieunbsp;précis qu’habita saint Pierre pendant son séjour a Naples. Sur lanbsp;gauche prés de la porte d’entrée, une petite chapelle occupe la placenbsp;méme ou, suivant la tradition, l’Apótre offrit les saints Mystères. Dans-I’autel, plusieurs fois restauré, on conserve religieusement la t.ablenbsp;même qui servait a I’auguste sacrifice. J’eus le bonheur de monter.anbsp;cet autel, et de faire descendre I’adorable Victime sur cette mémenbsp;table, OÜ, dix-huit siècles auparavant, elle était venue s’immoler entrenbsp;les mains de saint Pierre. La messe linie, un des prêtres auxquelsnbsp;j’étais adressé, me fit examiner avec lui les différentes parties de lanbsp;pieuse chapelle. Deux anciennes inscriptions me paraissent dignesnbsp;d’être rapportées : « Siste, fidelis, et priusquam templum ingredia~nbsp;^is, Petrum sacrificantem venerare. Hie enim primo, mox Romcenbsp;filias per Evangelium genuit, paneque illo suavissimo cibavit: Ar-rête, Chrétien, et avant d’entrer dans le temple, honore Pierre, offrantnbsp;I’auguste Victime. C’est ici d’abord, et ensuite a Rome, qu’il engendranbsp;des enfants a l’Évangile et qu’il les nourrit du pain délicieux. »
-ocr page 332-328 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
L’autre, dans Ie style antique, est ainsi congue :
QÜOD. PRIMA. IN LATIO. CHRISTO. .PIA. COLLA. SDBEGl. PARTHENOPE. H.EC. PETRI. PR^STITIT. ARA. FIDEM.
lt;c Que moi, Parthénope, ai Ia première en Latium courbé la téte sous Ie joug du Christ, eet autel de Saint-Pierre en est la preuve. a
Ces inscriptions ne sont pas, sans doute, contemporaines des Ap6-tres, mais on ne peut leur refuser une haute antiquité; et cela sufiit pour montrer la perpétuité de la tradition.
De la ehapelle nous passftmes è l’oratoire souterrain de sainte Can-dide. En même temps que ces vieilles substructions, ces dalles noir-cies, cette forme antique, reportent la pensée aux jours de la primitive église, Ie souvenir des saintes prières, des larmes pieuses, des souf-frances et des vertu§ dont ces lieux furent les heureux témoins, pro-duit sur Ie coeur une impression de piété que la parole ne peut rendre.
Avant neuf heures, j’étais réuni è notre petite caravane. En nous rendant è Saint-Paul-Mo/mr, nous jetames un coup d’oeil sur les troisnbsp;statues, jadis si vantées et aujourd’hui si décriées, de l’église della-Pietd-di-Sangri. Ces trois statues de marbre blanc sont enveloppéesnbsp;dans des voiles de marbre qui témoignent d’une grande difiiculténbsp;vaincue. La Pudeur n’a pas du tout Pair pudique; Notre-Seigneurnbsp;enveloppé d’un linceul transparent, semble avoir plus de mérite; enfin, Ie Vice détrompé, sous la figure d’un homme qui cherche ü senbsp;débarrasser d’un grand filet qui l’enveloppe, offre d’incontestablesnbsp;beautés de détail: les mailles du filet en marbre, par exemple, sontnbsp;rendues au naturel.
Saint-Paul-Majeur appartient aux Théatins. En avant de la porte principale sont deux colonnes qui faisaient partie du temple de Castornbsp;et de Pollux, büti au même lieu par Julien de Tarse, affranchi de Ti-bère. La Conversion de saint Pierre et la Chute de Simon Ie Magi-cien, qui ornent la sacristie, passent pour les chefs-d’oeuvre du fécondnbsp;Solimène. Mais les vraies richesses de Saint-Paul-Majeur sont les corpsnbsp;sacrés de saint Gaétan de Tiene et de saint André d’Avellino. Ces deuxnbsp;saints furent Ia gloire de leur ordre, les modèles des prêtres et les bien-faiteurs de leur patrie. Saint Gaétan mourut Ie 7 aout 1547, et saintnbsp;André, Ie 10 novembre 1608 : Ie même convent qui avait été témoinnbsp;de leurs vertus et de leur mort, garde leurs restes précieux. Après lesnbsp;avoir vénérés, nous pénétrames dans Ie cloitre. On y voit les vestigesnbsp;du théïitre sur lequel Néron faisait l’essai de ses talents dramatiques.
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CHAMBRE DE SAINT-ANDRÉ-d’aVELLISO.
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avant de se produire sur la scène de Ia grande Rome. De ce monument de la folie impériale, il ne reste que des ruines déligurées. La religionnbsp;qui semble en avoir confié la garde ii ses enfants pour l’instructlon desnbsp;siècles, leur a légué un autre monument, sur lequel les bons religieusnbsp;veillent avec une piété toute filiale : je veux parler de la chambre denbsp;saint André d’Avellino. Telle était Fheureuse celluie au jour de la mortnbsp;du saint, telle nous la vimes : rien n’y a élé changé. Les pauvres meu-bles qui furent a son usage, ses livres, son écritoire, sa petite chaisenbsp;de bois, quelques écrits de sa main, en un mot, tout ce qui composenbsp;la fortune ordinaire des grands serviteurs de Dieu, est 1^ qui parie, quinbsp;prêche, qui émeut et qui remplit l’ame de je ne sais quel parfum denbsp;piété, dont la douce impression se fait longtemps sentir.
Doublement heureux, et de ce que nous avions vu, et de ce que nous allions voir, nous passames a Saint-Dominique-il/ayewr. Quand on entrenbsp;dans cette église, on est en plein moyen age. Malgré les changementsnbsp;qu’elle a subis depuis environ six siècles, elle porte encore le cachetnbsp;grandiose de Tart gothique, et le génie puissant et sévère de saintnbsp;Dominique semble se réfléchir ici comme dans tons les autres bamp;ti-ments de son ordre. Parmi les objets d’art on remarque le Crucifie-ment et la Resurrection, précieuses fresques d’Angelo Franco, lenbsp;Giotto napolitain; le Cénotaphe du cardinal Spinelli; le Tombeau denbsp;Jeanne d’Aquin, morte en 1300, et celui de la princesse de Feveloto,nbsp;Dona Vincenza d’Aquino, la dernière de ce nom, morte en 1599; lenbsp;Portrait contemporain de saint Dominique, regardé comme véritable,nbsp;et le monument de Galeas Pandone, une des merveilles de Fart dues ènbsp;Jean de Nole.
Avant d entrer dans la chapelle du grand Crucifix que nous réser-vions pour la fin, nous visitèmes la sacristie qui est a elle seule un des plus remarquables monuments de Naples. Les fresques du plafond, sesnbsp;armoires en racine, ses stucs dorés, son pavé en marbres précieux, dis-paraissent devant les douze tombeaux des princes de la maison d’Aragon. Cette nécropole royale renferme toute une dynastie, éternelle-ment regrettée des Napolitains, dont elle fit le bonheur et la gloire.nbsp;Les tombes, placées en Fair sur une estrade circulaire, sent recouvertesnbsp;de velours cramoisi et surmontées d’une petite figure de la mort peintenbsp;en clair-obscur avec cette inscription : Sceptra ligonibus cequat.
Enfin nous allions voir la merveille de Saint-Dominique-Majeur. La grande chapelle du Crucifix nous fut ouverte, et un des religieuxnbsp;s’approchant du maitre autel découvrit le Crucifix miraculeux, objetnbsp;d’une vénération six fois séculaire. Par ordre du pape Urbain IV, saint
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Thomas avail composé Ie magnifique office du Saint-Sacrement, oü la théologie la plus exacte se réunit a la piété la plus tendre et a la poésienbsp;la plus élevée. Souvent l’amg'élfij'Me auteur étaitvenu chercherdes inspirations au pied de ce Crucifix ; Ie travail terminé, il vint offrir ses re-merciraents au Dieu de qui descend tout don parfait. Animant tout inbsp;coup son image, Ie divin Maitre daigne faire entendre ces paroles ii saintnbsp;Thomas : Bene scripsisti de me, Thoma; quam mercedem recipies?nbsp;« Vous avez bien écrit de moi, Thomas; quelle récompense deman-dez-vous? » — « Pas d’autre que vous, Seigneur : » Non aliam nisinbsp;te Domine, répondit Ie saint qui s’était senti soulever de terre. Lenbsp;Crucifix, noirci par le lemps, peut avoir un mètre et demi de hauteur,nbsp;et de la bouche de Jésus-Christ on voit sortir les paroles qui précédent,nbsp;et qui furent peintes aussitót après le miracle.
Thomas, donf Jes écrits recevaient l’approbation du Ciel et les ap-plaudissements de la terre entière, habitait comme le dernier de ses frères une humble cellule. Cette chambre oü il composa l’office dunbsp;Saint-Sacrement, oü ü vécut pendant les quinze mois qu’il enseignanbsp;la théologie a Naples, a été transformée en chapelle, sans perdre sanbsp;forme primitive. Elle est petite, faiblement éclairée, et divisée par unenbsp;cloison a laquelle est suspendue la cloche qui appelait les écoliers dunbsp;Docteur angélique. Au-dessus est la classe même oü il donnait ses lemons ; on y voit encore un debris de sa chaire. Cette salie est oblonguenbsp;et regoit le jour par trois croisées. Le traitement du puissant profes-seur, était par mois de six ducats ou vingt-cinq francs de notrenbsp;mtinnaie (i)!
Parmi les autres églises de Naples, l’artiste chrétien verra avec in-térêt YIncoronata, Sainte-Lucie, et celles que je nommerai plus loin. La première est riche des peintures de Giotto : le Mariage de la reinenbsp;Jeanne, et les sept Sacreinents, sont dignes du peintre catholique etnbsp;montrent ce que Part aurait pu devenir sans Pinfluence païenne de lanbsp;renaissance. La seconde intéresse par son antiquité. Sainte-Claire,nbsp;surmontée d’un beau clocher gothique, est la plus élégante des églisesnbsp;de Naples; elle sert de sépulture a la familie régnante, et conservenbsp;une belle Vierge de Giotto. Dans Pancien convent de la fameuse con-grégation de Monte-Oliveto, on se souvient du Tasse, qui, pauvre etnbsp;souffrant, y trouva un asile. Le poète paya la bienveillante hospitaliténbsp;dont il était Pobjet par son poème inachevé : Origine della congrega-zione di Monte-Oliveto. L’église très-bien conservée est un véritable
(i) L’ordre de Charles d’Anjou, qui fixe celte sommo, se conserve encore dans les archives de Naples: il est de 1272.
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musée de sculpture. Le ciseau de Jean de Nola s’est surpassé dans les quatre Evangélistes, qui décorent la chapelle de Liguori.
Sainte-Marie-cleZ-Camme;, une des plus populaires églises de Naples, est ingrate pour l’artiste, maïs riche pour le chrétien et pour le savant. Au premier, elle présente le Crucifix rairaculeux, qui, pendantnbsp;le siége de Naples, en 1459, baissa la tête afin d’esquiver un bouletnbsp;de canon. Chaque année, le lendernain de Noël, on Toffre amp; la véné-ration publique, et loute la ville, les magistrals en tête, viennent ho-norer ce signe de salut et de protection. Honneur au peuple de Naples!nbsp;les coeurs reconnaissants sont rarement de mauvais cffiurs. Au savant,nbsp;cette église rappelle une des plus tragiques catastrophes de l’histoire.nbsp;C’était le 29 octohre 1268, Charles d’Anjou régnait a Naples. Par sonnbsp;ordre un échafaud se dressait sur la place du Marché qui est devantnbsp;l’église. Bientót on y vit monter deux jeunes princes, Conradin denbsp;Souabe et Frédéric son cousin : le premier n’avait que dix-sept ans.nbsp;Venu en Italië pour réclamer ses droits au tróne de Naples, il est trahinbsp;par le seigneur d’Astura qui le livre a Charles d’Anjou. L’impératricenbsp;Marguerite n’a pas pliitót appris le malheur de son fils, l’unique hé-ritier de l’illustre maison de Souabe, qu’elle accourt du fond de l’Al-lemagne pour racheter sa vie. Elle arrive trop tard; les jeunes princesnbsp;avaient péri par la main du bourreau, et l’infortuné Conradin n’avaitnbsp;fait entendre que ce cri : « O ma mère! quelle douleur vous causeranbsp;ygt; la nouvelle qu’on va vous porter de moi (i)! » A cette nouvelle, l’im-pératrice consacra le prix inutile de la ran§on a l’église et au monas-tère del Carmine, oü sa statue la représente la bourse a la main. Derrière le maitre autel, nous pümes lire a la lueur d’une lampe unenbsp;inscription qui marque le lieu oü furent déposés les corps des deuxnbsp;jeunes princes. Étrange vicissitude! C’est sur cette même place dunbsp;Marché, théütre du regicide, qu’éclata deux siècles plus tard la revolution populaire dirigée par Mazaniello.
Un spectacle plus consolant nous attendait au Gesü Nuovo. Dans Ia maison des jésuites contigue a cette église, est la chambre immor-talisée par les vertus du père de Jeronimo. Ce saint religieux quenbsp;Rome vient de placer sur les autels du monde catholique, habita pendant quarante ans cette petite et obscure celluie. Son corps reposenbsp;dans l’église sous un magnifique autel, oü nous pümes le vénérer. On
(i) L’histoire ajoule que ce prince malheureux jeta son gant du ham de Léchataud, pour marque de 1’invesliture qu’il donnait a celui de ses parents qui voudrait le venger.nbsp;Un cavalier ayant eu la hardiesse de le prendre, le porta |i Jacques I, rol d’Aragón, quinbsp;lava dans des torrents de sang napolltain le meurtro du jeune prince.
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se rappelle que l’homme de Dieu tenant un jour sur ses genoux saint Alphonse de Liguori, encore enfant, disait a la mère de ce petit ange :nbsp;« Je serai au Ciel avant lui, mais nous serons canonisés Ie naême jour.»nbsp;L’événement a prouvé que Ie saint fut prophéte.
II nous restait assez de temps pour faire une excursion au lac d’Agnano. Dix minutes après avoir traversé la grotte de Pausilippe, onnbsp;laisse é gauche la route de Pouzzoles, et dans une heure de marchenbsp;forcée on arrive au lac Solitaire. Ce qui attire les voyageurs, ce n’est ninbsp;Ie lac lui-même, ni sa ceinture de montagnes giboyeuses, pare réservénbsp;des chasses royales; c’est tout simplement sa caverne sulfureuse ap-pelée la Grotte du Chien. Du sol que Ie voyageur foule sous ses pieds,nbsp;comme des montagnes volcaniques qui bornent son étroit horizon, senbsp;dégagent différents gaz donl ia haute température annonce Ie voi-sinage du feu souterrain. De Ia célèbre Grotte s’exhale une telle quan-tité d’acide carbonique, qu’il serait impossible d’y vivre longtemps.nbsp;« Excellences, nous dit Ie paysan qui exploite la curiosité des voyageurs, faites-moi la gp^ce de vous baisser, de porter votre main versnbsp;la terre, et de la reporter promptement jusqu’a la hauteur de votrenbsp;visage. » Nous accordames cette grace au bon hohime. Après deux ounbsp;trois mouvements de main qui nous fir.ent monter au nez une brülantenbsp;vapeur, il nous fallut sortie bien vite, nous nous sentions asphyxiés.
Moins heureux fut Ie pauvre démonstrateur qui nous succéda; Ie paysan amena Ie malheureux chien destiné é constater l’abondance etnbsp;la force meurtrière du gaz carbonique. 11 Ie prit, l’introduisit forcé-ment dans la grotte, l’y lient couché; et une minute après vous eussieznbsp;vu Ie pauvre animal en proie a des convulsions affreuses, écumant, etnbsp;respirant è peine. Alors son maitre Ie jette hors de la grotte; Pair purnbsp;entre dans ses poumons, il est sauvé. Mais, hélas! les voyageurs se sui-vent, les expériences se renouvellcnt, et la vie du pauvre chien senbsp;passe en évanouissements perpétuels. Pendant que nous plaignions Ienbsp;sort de l’intéressant animal, Ie paysan allumait une torche résineusenbsp;qu’il introduisit dans la grotte. Tant qu’elle fut élev^e au-dessus de lanbsp;couche atmosphérique saturée de carbone, elle continua de bruler :nbsp;è peine y fut-elle plongée, qu’elle s’éteignit instantanément, commenbsp;un flambeau qu’on jetterait dans une rivière ; la même expérience senbsp;renouvela six fois. Prés de la Grotte du Chien sont des cavernes sulfureuses, dont la température s’élève jusqu’^ 4o degrés, et tellementnbsp;imprégnées de soufre qu’un morceau de bois frotté centre leurs pa-rois prend feu comme une allumette chimique. Les personnesatteintesnbsp;de rhumatisme, y viennent chercher des bains de vapeur qu’on ditnbsp;très-eflicaces.
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Quelques jours avant les éruptions du Vésuve, toutes les grottes sulfureuses s’agitent, fument et deviennent briilantes, le lac bouil-lonne : c’est un signe avant-coureur du redoutable phénomène. Grandnbsp;et magnifique dans le ciel de Naples, terrible dans les foyers incandes-cents cachés sous le sol, Dieu se montre ici plein de sollicitude pournbsp;cette ville insouciante et légère qui danse, qui cbante et qui dort surnbsp;cette croute de terre qui la sépare d’insondables étangs de feu.
De retour ii Pausilippe, nous graviines le llanc escarpé de la mon-tagne afin de visiter les ruines fameuses dont elle est couverte. Sur ce gracieux promontoire se trouvent les citernes et les réservoirs denbsp;I’immense villa de Vedius Pollion. C’est li que se gardaient les vieillesnbsp;murènes, nourries de la chair des esclaves condamnés amp; mort pournbsp;leur mauvais service. « Un jour, dit Sénèque, Auguste soupait cheznbsp;Pollion : un esclave de ce dernier casse un verre de cristal; Vediusnbsp;fait aussitót saisir le maladroit; et comme s’il avait commis le plusnbsp;énorme des crimes, il le condamne a être jeté vivant amp; de grosses murènes qu’il nourrissalt dans une piscine, molns pour satisfaire sa gour-mandise que pour assouvir sa cruaute. L’esclave s’échappe et vientnbsp;tomber aux pieds de César demandant non qu’on lui fit grace de lanbsp;vie, il connaissait trop bien son maitre, mals a périr d’une autre ma-nlère, et ii n’être pas mangé par ces polssons cruels. L’empereur s’a-baisse jusqu’è implorer la pitié de Pollion, qui demeure inexorable.nbsp;Alors, cédant a un noble mouvement d’indignation, Auguste accordenbsp;la gr^ce pleine et entière du coupable, fait briser tous les vases denbsp;cristal, ordonne de combler I’infame piscine, dans laquelle ce Védius,nbsp;de race d’affranchi, se donnait le spectacle d’un Remain dépécé et dé-voré en un instant par ces especes de serpents aquatlques (i). »
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Voilé tout ce que le maitre du monde crut pouvoir faire en faveur de l’humanité outragée. Néanmoins tel qu’il est, ce trait honore lenbsp;premier des Césars. Pourquoi faut-il que, quelques pages plus loin,nbsp;l’histolre ajoute : « Un jour, Auguste fit crucifier un de ses esclavesnbsp;pour avoir fait rótir et mangé une caille qui, dans les combats de cesnbsp;petits animaux, baltait loutes les aulres et s’était jusqu’alors montréenbsp;invincible (2). »
Immédiatement au-dessus de l’entrée de Pausilippe, du cóté de Naples, est le petit Columbaire, regardé comrae le tombeau de Virgile.nbsp;Une grotte élevée de quelques mètres au-dessus du sol, nue, dégradée,nbsp;couverte de ronces; voilé ce qu’est aujourd’hui la tombe du prince
(lt;) Senec. deIra, iii, 40; Dio. iiv, p. 614; Plin. ix, 27; Senec. de Clementia, i, 18.
(2) Plutarc., Apophthegm. Rom., 10.
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des poètes. C’est è peine si on peut lire, sur une des parois, l’épitaphe que Virgile lui-même s’étaitcomposée, en manifestant la volonté d’êtrenbsp;enterré è Naples :
Mantua me genuit; Calabri rapuere; tenet nunc Parthenope : cecini pascua, rura, duces.
Le laurier, planlé par Pétrarque, et renouvelé par Casimir de Lavigne, a séché; comme souvenir, je fus réduit h prendre une feuille de mü-rier sauvage. Ajoutons qu’un anglais s’est fait inhumer prés du tom-beau virgilien ; on dirait qu’au privilége du spleen le nomade enfantnbsp;d’Albion veut joindre le monopole de toutes les excentricités. Descen-dus de la montagne, nous visitames Notre-Dame-del-Parfo, fondée parnbsp;Sannazar, eet autre poète, moitié chrétien, moitié païen dans ses ou-vrages, se montre tel encore dans son monument funèbre beaucoupnbsp;trop vanté. Nous terminames notre longue journée en offrant nosnbsp;adieux du soir a la gardienne des voyageurs, dans la pieuse église denbsp;Sainte-Marie-(X-P«è-d* Grotta. Nous y trouvèmes une grande affluencenbsp;de fidèles de tout ège et de toute condition qui, pieusement agenouillésnbsp;devant l’image miraculeuse de l’auguste Vierge, chantaient en choeurnbsp;ses gloires divines et ses bontés malernelles.
21 FÉVRIER.
Grotte de Pausilippe. — Pouzzoles. — Souvenir de saint Paul. — Calhédrale. — Souve-ner de saint Janvier, — Piëdestal du lomps de Tibère. — Temple de Sérapis. — Voie Campanienne. — Le'lac Lucrin.—Anecdote. — Le lac Averne et la grotte de lanbsp;Sibyile. — Baïa. — Cumes. —Bauli. — Le cap Mysène. — Piscine admirable. •—Lesnbsp;Champs Élysées. — Le Maccaroni. — Souvenirs et impressions.
Presqu’a l’égal de Rome, Naples est la terre classique de l’antiquité païenne. Vers les derniers temps de la république, la séduisante Par-thénope et ses rivages enchantés étaient devenus le rendez-vous géné-sal, le Baden de la haute société romaine : pas une familie célèbre quinbsp;n’eut sa villa sur les bords ravissants du golfe de Baïa. Voila pourquoinbsp;Virgile, en homme de génie, en poète qui veut devenir populaire,nbsp;plaga dans ces lieux le théiïtre des plus brillants épisodes de sonnbsp;poème national. Pour faire une connaissance intime avec ce mondenbsp;d’Auguste, de Tibère, de Caligula et d’Adrien, 11 faut visiter succes-sivement Pouzzoles, Pompei et le musée Bourbon. A Pouzzoles onnbsp;trouve des ruines éloquentes et une molsson de souvenirs; Pompeinbsp;montre au voyageur non plus seulement des ruines, mais une villenbsp;bien conservée, avec ses temples, ses basiliques, ses forum, ses rues.
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POUZZOLES.
ses maisons, une ville antique h laquelle il ne manque, pour être une ville moderne, que du mouvement, des habitants, et I’ameublementnbsp;ordinaire. Le musée Bourbon compléte Pouzzoles et Pompei. Dans cenbsp;vaste dépót vous trouvez les meubles, les ustensiles, les vases, les inscriptions, les peintures, les statues, que dirai-je? tous les objets capa-bles d’initier un homme du dix-neuvième siècle aux plus intimes secrets de la vie domestique, civile et religieuse d’un monde ensevelinbsp;depuis deux mille ans.
L’ordre logique de ces études également intéressantes pour l’anti-quaire et le chrétien, nous appelait a Pouzzoles. Un temps magnifique, un ciel sans nuage, une atmosphère d’une transparence inconnue par-tout ailleurs, nous avions ii souhait tout ce qu’il faut pour jouir dunbsp;riche spectacle que nous allions contempler. Franchissant rapidementnbsp;la villa Reale, oü se promène en calèches découvertes toute la fashionnbsp;napolitaine, nous arrivames a la grotte de Pausilippe. Cette galerienbsp;souterraine perce la montagne, dont la masse imposante interceptenbsp;toute communication autrement que par mer, entre Naples et la campagne : elle s’appelle Pausilippe, c’est-è-dire repos. Qui ouvrit cenbsp;libre passage? on I’ignore. Déja Sénèque le décrit, et tout porte anbsp;croire qu’il est bien antérieur è ce philosophe (i). Quoiqu’il en soit,nbsp;ce chemin souterrain, creusé dans le tuf litoïde, a 960 pas de longueur, 30 pieds de largeur et SO de hauteur. II est éclairé, de distance en distance, par des réverbères et par deux larges soupirauxnbsp;praliqués aux extrémités : deux heures après l’avoir franchi, on arrivenbsp;a Pouzzoles.
Cette petite ville, jadis célèbre par son commerce, est bien déchue de sa splendeur; mais ce qui n’a pas changé, c’est sa délicieuse position. Debout sur le quai, le visage tourné vers Ie golfe, au bleu d’azur,nbsp;le spectateur contemple au sud, Capri, tristement célèbre par les infamies de Tibère; au couchant, le cap Mysène, qui domine de toutenbsp;sa hauteur le superbe bassin; Bauli et sa Piscine admirable, è laquellenbsp;se relient les coteaux semi-circulaires, oü la voluptueuse Baïa étageaitnbsp;ses villas et ses temples; h l’ouest, le plateau de Cumes, fameux parnbsp;la résidence de la Sybille; le lac Lucrin, oü les Remains parquaientnbsp;les huitres vertes dont ils étaient si friands; le Monte-Nuovo, monticule volcanique, formé en 1538, après un tremblement de terre quinbsp;ÊDgloutit Ia petite ville de Tripergole; le mont Falerne, connu par
(0 Nihil illo carcere longius, nihil illis faucibus obscurius. Epist. 57. — Strabon at-tribue la percée de Pausilippe a l'architecle Coccéius, contemporain d’Auguste. Lib. v,259.
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ses vins mielleux, que chanta si souvent la muse d’Horace; la villa ruinée de Cicéron, dans laquelle Adrien, mort è Baïa, fut d’abord en-seveli; au nord, les montagnes verdoyantes de la Solfatarre, l’anciennbsp;forum de Vulcain, couronnées par les ruines du vaste amphithéatre oünbsp;Ie sang des gladiateurs coula en l’honneur d’Auguste, et par la superbe voie Campanienne, bordée de tombeaux qul s’étendent a plusnbsp;de deux milles.
Jouir de ce ravissant spectacle, nourrir notre öme des souvenirs classiques donl celte terre abonde, c’était la sans doute un motif denbsp;notre excursion; mais il n’était pas Ie seul : un intérêt plus grandnbsp;nous appelait en ces lieux, comme il doit y appeler tout voyageurnbsp;Chrétien. Me transportant par la pensee ik dix-huit siècles, j’animaisnbsp;tous ces bords enchanteurs; je les repeuplais de leurs palais, de leursnbsp;Thermes, de leurs temples, de leurs villas, étincelantes de pourpre, denbsp;peinture, de bronze, de marbre et d’or. A ces balcons de jaspe et denbsp;porphyre, sur ces délicieuses terrasses décorées de myrtes blancs etnbsp;de laurlers roses, je voyais se proraener les maitres et les maitressesnbsp;du monde : Marius, Pompée, Lucullus, Cicéron, Hortensius, César,nbsp;Auguste, Néron, Adrien; que sais-je? Tous ces géants de la puissance,nbsp;de la fortune et de la gloire avaient la une demeure de volupté (i). Jenbsp;voyais done toute cette éblouissante société, contemplant, Ie troisièmenbsp;jour de mai de l’an S9 après Jésus-Christ, cette mer de Baïa transparente comme un cristal de roche et unie comme une glace de Venise;nbsp;jouissant de ce soleil et de ce ciel unique : lorsque tout è coup appa-rait, doublant Ie cap Mysène, un navire qui porie sur sa poupe lanbsp;grande image de Castor et de Pollux et qui, poussé par un bon ventnbsp;du midi, cingle rapidement vers Pouzzoles. Ses voiles de perroquetnbsp;sont déployées : c’est un navire d’Alexandrie, on Ie reconnait ^ ce si-gne d’honneur. Et toutes les villas s’animent, et tout Ie peuple est surnbsp;Ie port pour Ie voir arriver (2).
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Horat., ej). 1, v. 83;— Ep., 51. Plutarch., in Mario, 60.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Quod Paulus Alexandrina navi dicatur adveclus, hic opportune in medium addu-cenda sunt qum scribit Seneca, epist. 77, ad LuciUum, de navibus Alexandrinis eufflnbsp;Puteolos appellunt, quam prae cajteris illa; nobililata; essent, et a concurrente ad portuinnbsp;populo spectarentur avidius; ha:c enim ait: Gralus illarum Campanim aspcctus est, etnbsp;omnis in pilis Puteolorum turba consistit; et ex ipso genere velorum Alexandrinasnbsp;{quamvis in magna turba navium) intelligit. Solis enim licet supparum intendere, quodnbsp;in allo omnes habent naves; nulla enim res mquè adjuvat cursum quam summa parsnbsp;veli, illinc maxime navis urgetur. Itaque quoties ventus increbuit, majorque est quatnnbsp;expedit, antenna submiuiiur : minus habet virium flatus ex humili. Cum intraverenbsp;Capreas et promontorium, et quo, alia procelloso speculatur vertice Pallas, aslevxnbsp;velo jubentur esse conteutm ; supparum Alexandrinarum insigne est. —Voyez Bar.,nbsp;an. 39,1.1, p. 424, n. B.
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Romains et Romaines, regardez-le Lien. A son bord est un homme que plusieurs d’entre vous connaissent : c’est Julius, centurion de lanbsp;cohorte Augusta. Sous sa garde se trouve un prisonnier fameux qu’ilnbsp;amène de Césarée, et que vous ne connaissez pas. Si vous interrogeznbsp;Julius, il vous dira que c’est un juif qui vient pour se faire juger dansnbsp;la grande Rome; car il a récusé Porcius Festus, gouverneur de Syrie,nbsp;et évoqué sa cause au tribunal même de César. Voilé ce que vous ré-pondra Julius, qui ne connait guère mieux que vous son illustre prisonnier. Mais moi qui le connais, je vous dirai ce que tous vos descendants savent aujourd’hui: « Plus puissant que vos gouverneurs etnbsp;vos proconsuls, plus puissant que vous-mêmes, superbes maitres dunbsp;monde, ce prisonnier apporte dans les plis de son pauvre manteau,nbsp;non la paix ou la guerre a une nation barbare, mais la guerre anbsp;I’empire, guerre a I’univers, guerre a mort, qui fera trembler lanbsp;grande Rome sur ses redoutables collines, jusqu’é ce qu’elle enseve-lisse sous des ruines sanglantes et les cités et les hommes, et les dieuxnbsp;et Jupiter au sommet du Capitole, et César dans son palais d’or; etnbsp;cette guerre dont il sera le héros, dont vous serez les témoins et lesnbsp;victimes, changera la face de la terre et placera le nom du prisonniernbsp;au-dessus de vos noms, et ses chaines au-dessus de vos sceptres, et sesnbsp;ossements au milieu de Rome elle-même, dans des temples plus bril-lants que votre Panthéon. Voulez-vous maintenanl connaitre le nomnbsp;du captif de Julius? il s’appelle Paul. »
Mais les vieux Romains ne savaient rien de tout cela; et ils virent passer, sans soup^onner ce qu’il portait, Pimmortel navire, qui tra-versa, au milieu d’une multitude d’embarcations brillantes d’or et denbsp;pourpre, le golfe de Baïa, et vint jeter I’ancre a Pouzzoles. Quant aunbsp;voyageur Chrétien, qui connait toutes ces choses, je vous laisse é penser avec quels yeux, avec quel cceur il contemple ce golfe, ce quai,nbsp;théétre d’un débarquement si mémorable dans les annales du monde!nbsp;avec quel bonheur il parcourt les rues sinueuses de cette petite villenbsp;de Pouzzoles, oii les frères retinrent sept jours le grand captif et sesnbsp;Compagnons (i)! Les larmes lui viennent aux yeux lorsque prenantnbsp;1’Évangile il lit toute cette histoire dans les Actes des Apótres : « Ilnbsp;fut décidé que Paul serait remis avec les autres prisonniers au centurion appelé Julius, de la cohorte Augusta... Nous nous embarquaraesnbsp;sur un navire d’Alexandrie, qui avail pour enseigne Castor et Pollux.nbsp;En cótoyant nous arrivémes a Rhegium; et un jour après, poussés
(0 La chrétienté de Pouzzoles avail été fondée par saint Pierre quinze ans aupa-ravant.
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par un vent du midi, nous vinmes amp; Pouzzoles, oü nous trouvamp;mes les frères qui nous retinrent chez eux pendant sept jours (d). »
En mémoire du débarquement de saint Paul, la ville de Pouzzoles fait chaque année une procession solennelle sur Ie quai (2). [Honneurnbsp;éternel aux cités qui savent perpétuer par de semblables témoignagesnbsp;Ie souvenir des grands événements de leur histoire (3)!
(d) Actes des Apólres, c. xxvii et xxviii.
(2) La procession a lieu Ie 30 du mois de mai. En fixant ce jour, la tradition estd’ac-cord avec l’histoire sacrée qui fixe Ie départ de Malte au priutemps. Voyez Cornel, a Lapide, in Act. Apost., c. xxvn, v. 9.
(5) Puisque Ie sujet m’y conduit et que je me trouve en des lieux oü tout parle du grand Apótre, je ne puis résister au plaisir de faire connaitre la conduite des habitantsnbsp;de Roggio, qui la veille même avait en Ie bonheur de voir saint Paul. Le navire Alexandria venait de jeter 1’ancre sur leur plage. A la vue de 1’enseigne de Castor et de Pollux,nbsp;toute la ville accourt pour rendre hommage a ses divinités chéries. Paul, qui ne perdnbsp;aucune occasion d’annoncer l’Évangile, se met amp; parler; mais les idolatres n’ont pasnbsp;Pair de le comprendre; ils vont se retirer : on est au moment de lever 1’ancre. Paulnbsp;supplie le peuple de rester et de 1’écouter pendant les quelques instants qu’une petitenbsp;chandclle mettra a se consumer. On accepte; Paul allume une petite chandelle et lanbsp;place sur la borne ou colonne de granit a laquelle on amarre les navires. Bientót lanbsp;chandelle est brülce; mais voila que la colonne prend feu et sert de flambeau. Frappésnbsp;de ce miracle, comme les habitants de Malte 1’avaient été de 1’impuissance de la vipère etnbsp;de la guérison de Publius, les Régiens proclament Paul un homme divin et demandentnbsp;a embrasser sa doctrine. Pauj en baptise quelques-uns de sa main et leur laisse pournbsp;évêque Etienne de Nicée, l’un de ses compagnons: Reggio est convertie. En reconnaissance de son bonheur, ellc batit une église sur le bord de la mer, au lieu même dunbsp;miracle qu’atteste encore le troncon del’antique colonne placée sur 1’autel. Depuisdix-huit siècles ces excellents chréliens continuent de témoigner de leur vive gratitude et denbsp;leur piété filiale envers l’Apótre; 1’hymne suivante, connue de tont le peuple, se chantenbsp;encore pour célébrerle glorieux événement:
HYMNÜS
In columnam Rheginam S. Pauli apostoli.
Ave, columna nobilis.
Electro et auro ditior,
Illaque Mosis ignea Columna fortunatior.
Quod ore Paulus prasdical.
Te lülgurante comprobat; nbsp;nbsp;nbsp;.
Te conflagrante Rhegium Christi fidem compleclitur.
Te palma tangens languida Sensit medelam ccelicam :
Ilaustusque pulvis illico iEgris salutem contulit.
Ergo columna Rhegia,
Hebros ut Israclica In terrte optima transtulit,
Tu nos in astra ducito.
-ocr page 343-SOUVET^m DE SAINT JANVIER. nbsp;nbsp;nbsp;339
Après avoir joui longuement de ces beaux souvenirs et de Tadmi-rable vue du golfe, nous visitómes Pouzzoles. La cathédrale, balie, sur la bauteur, est dédiée a saint Proculus, compagnon de saint Janvier.
La parole divine semée a Pouzzoles par les princes des Apótres n’a-vait pas tardé a porter des fruits abundants : bientót mürs pour Ie ciel, ces fruits furent cueillis par la main des persécuteurs. L’an denbsp;Rome 301, sous l’empire de Dioclétien, Constantin étant consul pournbsp;la cinquième fois, et Maximien Hercule pour la sixième, Timothée,nbsp;gouverneur de la Campanie, résidant a Nole, fit amener a son tribunal Janvier, évêque de. Bénévent, aqui il ordonna de sacrifier aux dieuxnbsp;de l’empire. Janvier refusant, Ie gouverneur Ie fit jeter dans une four-naise ardente, d’oü Ie martyr sortit sain et sauf. Timothée Ie fit fla-geller cruellement;. puis, chargé de chaines, il l’obligea de marchernbsp;devant sa voiture jusqu’a Pouzzoles. Enfermé dans une étroite prison,nbsp;Ie saint en fut tiré avec d’autres chrétiens qu’on y retenait depuisnbsp;longtemps, et tous ensemble comparurent devant Timothée; c’étaientnbsp;Janvier, Proculus et Sosie : Ie premier, diacre de l’église de Pouzzoles,nbsp;Ie second de Messine, enfin Eulychès et au tres simples fidèles. Con-damnés aux bêtes, ils furent conduits è Pamphithéatre de la Solfa-tarre, oü, après avoir été exposés aux lions qui les respectèrent, Timothée leur fit trancher la tête (i). La mort des martyrs fut leurnbsp;triomphe ; d’abord Proculus et Janvier reposèrent honorablement inbsp;Pouzzoles, jusqu’ii ce que Ie corps du dernier fiit Iransporté h Naples,nbsp;aux acclamations du peuple entier; ensuite Ie paganisme vaincu futnbsp;forcé de céder ses temples aux vainqueurs. La cathédrale de Pouzzoles n’est autre que Ie temple consacré a Jupiter, puis è Auguste parnbsp;Ie chevalier remain Calpurnius ; les colonnes et les chapiteaux sent
Summo Patri sit gioria, nbsp;nbsp;nbsp;,
Natoque Patris unico,
Et Paraclete numini Cunctis in revum ssculis. Amen.
V. Paulus apostolus devenit Rhegium, alleluia.
R. Et seminavit verbum Dei, alleluia.
ORATIO.
Deus, qui ad Pauli apostoli pratdicalioneffl, lapidasa columna divinitus ignescenle, ödei lumine Rheginos populos illustrasti; da, quaisumus, ut quemEvangelii praconemnbsp;*iabuimus in terris, intercessorem babere mereamur in ccelis. Per Dominum, etc. (’).
(•) Bar., An. 501, n. ii et suiv.
(’) Marafiotti, in Chronic. Calabrice, lib. i, e. 20; Giovan. Angel. Spacuuolo de Rebus lib. iv,c.l.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;®
-ocr page 344-540 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
les mêmes. C’est dans ce glorieux sanctuaire que nous \énéramp;mes Ie corps de saint Proculus et la pierre miraculeuse sur laquelle saintnbsp;Janvier fut égorgé.
Au milieu de la place qui précède l’église est un piëdestal de marbre blanc, orné de qualorze figures qui représentent les villes de l’Asienbsp;Mineurerenversées parun tremblement de terre et rebaties par Tibère.nbsp;L’histoire, d’accord avec la tradition, attribue la destruction de cesnbsp;quatorze cités, au tremblement de terre qui eut lieu ii la mort de Notre-Seigneur. Ainsi, Ie monument de Pouzzoles est un témoin palpable denbsp;la vérité du récit évangélique (i). Le guide distingué qui nous accom-pagnait nous paria avec une profonde vénération de Ms'. N.., évêquenbsp;actuel de Pouzzoles. Ce pontife, digne des temps apostoliques, parlagenbsp;son modique revenu en trois parts égales: la première pour la cathé-drale, la seconde pour les pauvres, et la troisième pour lui.
Au bas de la ville, sont les magnifiques débrls du temple de Sérapis, bAti par Adrien. Le toit, dont il reste quelques parties, était en marbrenbsp;blanc. Depuis le tremblement de terre de 1518, qui fit refluer les eauxnbsp;du lac Lucrin, le pavé et les piédestaux des colonnes sont inondés. Ennbsp;y comprenant lesporliques et les quarante-deux chambres des prêtres,nbsp;le temple a 44 mètres de longueur et 38 de largeur. Ce monumentnbsp;d’un culte étranger, qui fut le dernier a tenir téte au christianisme,nbsp;offre la preuve mille fois répétée de l’alliance impure contractée parnbsp;Rome païenne avec toutes les divinités que ses triomphateurs ame-naient enchainées amp; leur char. Comme toujours, un amphithéfttre ac-compagnait le sanctuaire des impurs mystères. Quoique bien dégradé,nbsp;Pamphithéatre de Pouzzoles n’a pas tout è fait perdu son anciennenbsp;forme ; il pouvait contenir quarante mille spectateurs, qui,après s’êtrenbsp;souvent enivrés du sang des gladiateurs, burent avec délices celui desnbsp;martyrs. Par debt Famphithéatre, prés de Saint-Vito, on voit les ruinesnbsp;gigantesques des nombreux mausolées qui bordaient la voie Campa-nienne. Dépouillés d’inscriptions, ces tombeaux conservent encore desnbsp;bas-reliefs et des fresques dont 1’artiste peut enrichir son album. Lanbsp;plupart ont trait 5 des sujets mylhologiques (2).
Le quai présente les restes imposants du Mole, restauré par Adrien et Antonin le Pieux. Mais ce qui épouvante 1’imagination, sont lesnbsp;vestiges du pont de Caligula. Ils se composent de trelze arches, ap-puyées sur d’énormes piles dont la dernière plonge è soixante palmes
(i) Phlégoti, affranchi d’Adrien, cité par Origène; Eusèb., Chronic, an Chrisli 55; Plin., lib. 11, c. 84; Sueton., in Tiber., c. 48.
(1) Antichita di Pozzuoli, in-fol.
-ocr page 345-VOIE CAMPANIENNE. nbsp;nbsp;nbsp;^nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;341
au-dessous de la mer. Pourquoi ces constructions gigantesques? Sué-tone va nous l’apprendre. « Caligula, dit-il, voulant célébrer des vic-toires imaginaires centre les Parthes et les Daces, donna Ie spectacle extravagant d’un triomphe amp; la manière de l’insensé Xerxès. Dans cenbsp;but.il ordonna de construire un pont qui, partant de la partie du golfenbsp;oü est assis Pouzzoles, devait aller jusqu’a Baïa, situé sur la rive op-posée. Mais il fut impossible de batir dans la mer sur un espace denbsp;2818 toises. Pour lever eet obstacle, 1’empereur fit réunir de tous lesnbsp;ports d’Italie un grand nombre de navires qui, placés sur une doublenbsp;ligne, formèrent une sorte de pont. Sur cette longue file de vaisseauxnbsp;on éleva une chaussée de terre et de ma^onnerie, suivant Ie modèle denbsp;la voie Appienne, avec des parapets aux deux cótés et des hótelleriesnbsp;d’espace en espace, oü Pon avait eu soin d’amener même de Peaunbsp;douce, qui sortait par des fontaines jaillissantes. Le triomphe duranbsp;deux jours, et la cessation compléte des transports maritimes occa-sionna une famine générale qui se fit sentir a Rome plus vivementnbsp;qu’ailleurs (i). »
Pendant que nous étions é considérer ces monuments de la folie impériale, une forte barque nous arrivait, montée par six rameurs et par un cicérone. Nous y primes place en récitant, amp; Pexemple des voyageursnbsp;chrétiens, VAve maris Stella en Phonneur de Marie, et un Pater ennbsp;Phonneur de saint Paul qui nous avait précédés sur ce golfe. Tandisnbsp;que les rames, frappant a coups égaux les flots azurés, poussaient dou-cement notre embarcation vers Monte-Nuovo, il nous vint en penséenbsp;de lire dans Suétone la description du triomphe de Caligula. Quoi denbsp;plus utile que d’étudier les moeurs publiques d’une société dont on vanbsp;visiter les poétiques monuments et le brillant séjour?
lt;t Lorsque tout fut prét, continue le grave historiën, Caïus se revêtit de la cuirasse d’Alexandre, qu’il avait enlevée au tombeau de ce con-quérant, mit par-dessus une casaque militaire, toute de soie, rehausséenbsp;d’or et éblouissante de pierreries; puis, Pépée au cöté, le bouclier ènbsp;la main et la couronne civique sur la tête, il sacrifia d’abord é Neptune, dont il allait braver la puissance; et a l’Envie, dont il craignaitnbsp;les malignes influences, ^ cause de la grandeur de l’exploit par lequelnbsp;il allait se signaler. Ensuite il entre a cheval sur le pont, et suivi denbsp;Dombreuses troupes d’infanterie et de cavalerie, armées comme pournbsp;Un jour de bataille, il court bride abattue jusqu’a Pouzzoles, en attitude de combattant; il y passe la nuit pour se reposer de ses grandes
(i) In Caligiil.
T. II. nbsp;nbsp;nbsp;15
-ocr page 346-342 nbsp;nbsp;nbsp;.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
fatigues. Le lendemain, en habit de triomphateur, il monte sur un char attelé de chevaux fameux par de nombreuses victoires dans lesnbsp;courses du Cirque. II repasse ainsi le pont, faisant porter devant luinbsp;de prétendues dépouilles, et précédé de Darius, fils d’Artabane roi desnbsp;Parthes, que son pèr© avail donné en otage aux Domains. Après lenbsp;triomphateurvenait sur des chars toute sa cour vêtue magnifiquement,nbsp;suivie des soldats a pied comme dans les véritables triomphes. Du haulnbsp;d’une estrade placée au milieu du pont, l’empereur harangua sesnbsp;troupes et les complimenta d’un si beau fait d’armes, et leur distribuanbsp;de Dargent.
» La fête fut terminée par un repas général. Caïus sur le pont, les officiers et les soldats dans des barques, se mirent è table et burent lenbsp;reste du jour et toute la nuit, qui fut aussi claire que le plus beaunbsp;jour; car le pont et toutes les cótes de la mer, en forme de croissant,nbsp;furent tellement illuminés, qu’on ne s’aper^ut pas de l’absence dunbsp;soleil : Caligula s’était piqué de changer la nuit en jour, comme ilnbsp;avait fait d’un bras de mer un chemin praticable pour les gens de pied.
» Après le rejtas, Caïus, échauffé par le vin, se procura un divertissement digne de lui. II se mit a jeter ses courtisans dans Ia mer et a faire couler un grand nombre de barques pleines de soldats et denbsp;peuple. Beaucoup furent noyés; la plupart néanmoins se sauvèrent,nbsp;paree que Ia mer fut parfaitement calme. Caïus y trouva un nouveaunbsp;sujet d’orgueil; il supposa que Neptune avait eu peur de lui et n’avaitnbsp;osé troubler ses plaisirs (i). »
La lecture finissait, lorsque le cicérone nous avertit de regarder le Monte-Nuovo. Après nous avoir raconté la formation de cette mon-tagne et l’engloutissement de Tripergole, il ajoutait: «Tont cela est arrivé a cette ville, paree qu’on y commettait beaucoup de péchés. » Lenbsp;terrible bouleversement dura trois jours, et combla une partie du lacnbsp;Lucrin, dont il refoula les eaux vers Pouzzoles. Horace ne pouvaitnbsp;manquer de faire mention de ce lac fameux dans l’histoire de la sen-sualité romaine, par les huitres vertes dont il était le réservoir :
Non me Lucrina juverinl conchylia (2).
Agrippa sépara le lac Lucrin de la pleine mer par une digue longue d’environ ISOO mètres et assez large pour un cbar de grande voie.nbsp;Cette digue est presque entièrement ruinée; mais le canal qui unis-
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Suet., in Calig. c. xxxii; Dio., lib. xuii.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Epod., Od. n.
-ocr page 347-ANECDOTE. nbsp;nbsp;nbsp;343
sail le lac au golfe subsiste encore. L’aspect de ces lieux nous rappela l’intéressante histoire qu’on lit dans Aulu-Gelle : « Un jour, une foulenbsp;immense se pressait sur les bords du lac Lucrin, occupee ^ regardernbsp;un grand poisson mort, échoué sur le rivage. Ce poisson était un dauphin qui, entré dans le lac, congut la plus vive amitié pour Fenfantnbsp;d’un homme du peuple. Get enfant allait souvent de Baïa è Pouzzolesnbsp;pour se rendre aux écoles publiques. S’arrêtant d’ordinaire è Fheurenbsp;de. midi sur les bords du lac, il avait accoutumé le dauphin è y venir,nbsp;en Fappelant Simon, et en lui jetant quelques morceaux de pain.nbsp;L’animal accourait, fut-il caché au fond des eaux, et après avoir rejunbsp;sa portion accoutumée, présentait son dos en cachant ses pointesnbsp;comme dans un fourreau ; Fécolier montait dessus, et il le portait ènbsp;Pouzzoles i travers la mer, et le ramenait de même. Ce jeu duraitnbsp;depuis plusieurs années, lorsque Fenfant mourut de maladie. Le dauphin continua de. venir au rendez-vous; mais ne trouvant plus celuinbsp;qu’il cherchait, il avait Fair chagrin. C’est son corps que la foulenbsp;considérait: et on ne doute pas que le pauvre animal ne soit mort denbsp;chagrin de la perte de son jeune ami. Tout le monde venait admirernbsp;celle victime d’une amitié si rare et si singulière, et il ful décidé qu’onnbsp;I’inhumerait a cóté de Fenfant qu’elle aima avec tant de Constance (i).»
Suivant un petit chemin creux, ouvert entre deux vignes, on arrive en quelques minutes sur les bords du lac Averne qui communiquaitnbsp;jadis avec le lac Lucrin : ici cominencent les souvenirs de notre Mythologie classique. Toutefois, il faut convenir ou que ces lieux ont biennbsp;changé, ou que. la muse de Virgile les avait singulièrement embellis.nbsp;h'Horrible Averne est bien encore entouré d’une ceinture de monta-gnes; mais elles ne sont plus couvertes de ces épaisses forêts, dont lesnbsp;arbres touffus répandaient sur ces eaux mortes une nuit élernelle; cesnbsp;montagnes, aujourd’hui nues et arides, ajoutent Fimage de la désola-tion è la solitude de ces lieux. Vinfernal Styx est une source d’eaunbsp;potable, située prés de la, sur le bord de la mer. Les eaux thermalesnbsp;que Fon trouve prés de Cumes, étaient le Périphtégéton, autre fleuvenbsp;des Enfers. h'avare Achéron, sous le nom peu poétique de Fusaro,nbsp;sert il rouir le chanvre, et fournit d’excellenles huitres. Les Champsnbsp;Êlysées situés prés de Bauli, sont un bon vignoble. Néanmoins cesnbsp;lieux ont été si exactement décrits, que, son Virgile a la main, le voya-geur peut encore les reconnaitre.
G’est ainsi que nous retrouvames, sur les bords de FAverne, les
(i) A. Geil., VII, 8; Plin., ix, 8; Solin., 17.
-ocr page 348-544 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
ruines du temple d’Apollon. A quelques pas de la, sur la gauche, est 1’entrée de la grotte de la Sibylle de Cumes. Le gardien de l’antre infernal Toulut bien nous l’ouvrir, moyennant quelques carlins, et a lanbsp;lueur de grosses torches résineuses, il nous fut permis de juger cettenbsp;galerie souterraine. On reconnait bienlót une voute assez semblable anbsp;celle de Pausilippe. Ce chemin ténébreux passe sous le mont Misènenbsp;et conduit jusqu’i Cumes; mais la plus grande partie est aujourd’huinbsp;comblée (i).
L’entrée est une caverne naturelle qui servait de vestibule i la grotte de la Sibylle de Cumes, qui parait en avoir eu plusieurs pour rendrenbsp;ses oracles : c’est par la que la prétresse d’Apollon est supposée avoirnbsp;conduit Énée aux enfers. ïelle Virgile décrit cette caverne, telle onnbsp;peut encore la reconnaitre : Noire, horrible, b l’ouverture large etnbsp;beante, aux avenues pierreuses, creusée dans le flanc de la montagne,nbsp;a deux pas du lac Averne :
Spelunca alta fuit, vastoque immanis hiatu,
Scpupea, tuta lacu nigro nemorumque tenebris.
Ainsi on ne pouvait aller recevoir les oracles de la Sibylle qu’en tra-versant de longues galeries souterraines: cette condition disposait i la terreur religieuse et convenait bien aux mystères ténébreux du pèrenbsp;du mensonge. .Après avoir fait environ deux cents pas sous une voutenbsp;spacieuse, le guide s’arrêta èi l’entrée d’une ouverture basse et très-ótroite en disant: Excellences, voici le chemin qui conduit aux enfersnbsp;ou plutót aux bains de la Sibylle, au lieu même oü elle rendait ses oracles. » Nous étions cinq voyageurs, et en nous retournant, nous aper-cümes cinq lazzaroni de haute stature, au teint cuivré, amp; la barbe noire,nbsp;qui se présentent pour nous servir de monture; car le sentier qui con-
(i) La diöiculté est de savoir quel en était l’usage. Suivant le géographe Strabon, Agrippa, gendre d’Auguste, aurait fait praliquer cette longue galerie afin de relief lenbsp;lac Averne a la ville de Cumes {*). II aurait ainsi ouvert un chemin plus commode, plusnbsp;court et toujours f'rais, aux nombreux visiteurs qui passaient incessamment d’un lieunbsp;a 1’autre pendant la saison des bains. D’un autre cólé, Virgile, qui tout en restant poètenbsp;est aussi géographe, parle de la caverne par laquelle la Sibylle conduisit Énée aux enfers ; il la place au lieu même oü commence le chemin d’Agrippa. La tradition constante du pays soutenue par les plus savants archéologues est d’accord avec Virgile. Onnbsp;peut, ce me semble, concilier facilement ces deux opinions : il sulfu d’admettre que lanbsp;galerie souterraine, jusqu'ü la grotte de la Sibylle, est une caverne naturelle, bien an-tcrieure par conséquent au gendre d’Auguste qui n’a fait que la prolonger. L’inspectionnbsp;des lieux suffit pour donner un fondement solide a ce sentiment.
(’) Strab., lib. v, p. 2ö7.
-ocr page 349-LA GROTTE DE LA SIBYLLE.
(luit aux bains de la Sibylle est inondé de deux pieds d’eau. A la vue de ces m41es figures auxquelles la lueur des torches donnait quelquenbsp;chose de blafard, nous échangeftmes, mes amis et moi, un coup d’oeilnbsp;qui voulait dire : Faut-il accepter? S’ils allaient nous dépouiller, nousnbsp;égorger? qui Ie saurait? Malgré noire secrète terreur, nous nous déci-dames bravement, et nous voila tous i grimper sur Ie dos incliné denbsp;nos parlantes montures.
Je tenais fortement Ie cou et je crois la barbe de la mienne; en échange, elle me serrait fortement les jambes et ne cessait de répéter : « Excellence, ne laissez pas déborder vos genoux, vous vous écor-cheriez aux parois : baissez la tête, ou vous allez vous heurter contrenbsp;la voute. » De cette manière qui peut paraitre pittoresque, et mêmenbsp;poétique, mais qui a coup sur n’esl pas commode, nous avancionsnbsp;lentement dans les sinuosités de Ia voute infernale. Bientót mon chevalnbsp;fut dans l’eau jusqu’aux genoux; les pieds de mon excellence y trem-pèrent aussi et mes yeux se fermèrent, fatigués qu’ils étaient par lanbsp;fumée de la torche résineuse qui me brülait a six pouces de la figure.nbsp;Le voyage commengait h me paraitre long, lorsque mon Atlas, tour-nant brusquement a droite, fit un large saut et me déposa sur un bancnbsp;de pierre : « Excellence, me dit-il d’un air satisfait, nous voila auxnbsp;bains de la Sibylle. » En attendant le reste de la caravane, je me frottainbsp;les yeux et je reconnus que nous étions dans une caverne si noire, sinbsp;profonde, que tous les antres des brigands des Apennins ou de la Ca-labre ne sauraient en approcher. Mes aventureux compagnons arri-vaient a la file, riant, criant, haletant et légèrement effrayés : la grottenbsp;présentait alors un spectacle digne d’un habile pinceau. Les vieillesnbsp;parois noircies par la fumée, les figures basanées des lazzaroni, nosnbsp;visages altérés, l’eau sale qui couvrait le sol, toute cette scène, faible-ment éclairée par la lumière vacillante des torches, offrait le sujet d’unnbsp;tableau presque infernal.
La caverne, ou, comme on dit, la salie de bains, a deux ouvertures; celle par laquelle on entre; et l’aulre, actuellement fermée, qui com-muniquait avec un des nombreux souterrains dont la grotte Sibyllinenbsp;était environnée ;
Quö lali ducunt aditus centum, ostia centum.
Sa dimension est d’environ vingt-cinq pieds de longueur sur douze de largeur. Avec le renfoncement qui est amp; l’extrémité elle formenbsp;comme un double sanctuaire, « Voilé, nous disait le guide, les restes
-ocr page 350-Siü nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
des irois cuves en pierre oü la prophétesse avail soin de se purifier avant de rendre ses oracles; ici, au milieu, est Ie piëdestal d’oü ellenbsp;parlait. » Chose bien remarquable! les mêmes explications que nousnbsp;venions d’entendre de la bouche de notre cicérone, les guides les don-naient déja il y a dix-sept cents ans. Je ne sais si je me trompe, maisnbsp;il me semble que dans la grotte de la Sibylle de Cumes, visitée et dé-crite par saint Justin martyr, il est difficile de ne pas reconnaitre cellenbsp;oü nous étions (i). Le grand apologiste, venant de l’Asie ii Rome, vou-lut entrer dans cette grotte célèbre, et il en parle en ces termes ;nbsp;» Étant ü Cumes, nous vimes un lieu dans lequel se trouve un sanc-tuaire creusé dans le méme rocher; c’est une chose vraiment merveil-leuse et digne d’admiration. C’était la que la Sibylle rendait ses oracles, nous disaient ceux qui les avaient re^us de leurs pères et qui lesnbsp;gardent comme un patrimoine. Dans le sanctuaire ils nous montrèrentnbsp;trois cuves taillées dans le même roe, qu’on remplissait d’eau, et dansnbsp;lesquelles elle se baignait. Ayant repris ses vêtements, elle se retiraitnbsp;dans la partie intime du sanctuaire, pratiqué comme tout le reste dansnbsp;le même rocher, et lè, s’asseyant au milieu sur un siége élevé, ellenbsp;rendait ses oracles (2). »
Mais pourquoi le grave philosophe, l’illustre champion de la foi avait-il voulu voir de ses yeux cette caverne ténébreuse? Pourquoinbsp;nous-mêmes la décrire avec tant de détails, et y rester si longtemps?nbsp;c’est que la grotte de la Sibylle de Cumes, qui n’apprend rien a l’ar-chéologue, offre un puissant intérêt au voyageur chrétien. Elle lui rap-pelle ces vierges-prophètes que la divine Providence avait, suivant Ianbsp;pensée des Pères de l’Église, suscitées au milieu de la gentilité pournbsp;entretenir la salutaire croyance du Rédempteur futur. Dcbout, sur Ienbsp;siége de la prophétesse, je me mis a répéter cel oracle fameux mis ennbsp;vers par Virgile : « Voici un nouvel ordre de choses qui commence;nbsp;voici la Vierge qui revient; voici F antique êge d’or; un enfant, des-
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Quel(]ues-uns placent la gvoUe de la Sibylle dans une excavation plus voisine denbsp;Cumes : je n’ai pas la pretention de juger le débat: Yideant doctiores.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Hanc (Sibyllam) Babylone ortam dicunt, Berosi Chaldaica; historia; scriptorisnbsp;tiliam; et cum in Campania; oras delata nescio quo paclo fuisset, ibi oracula edidissenbsp;in urbe quse Cumte dicitur, Baiis, ubi sunt Therma; Campanae, sex lapidibus distans.nbsp;Vidimus, cum in hao urbe essemus, locum quemdam, ubi sacellum maximum ex unonbsp;saxo excisum conspeximus, rem sane praeclarissimam et omni admiratione dignam :nbsp;ibi sua illam oracula edidisse narrabant, qui bate a majoribus, ut patriae suae propria,nbsp;aoceporant. In medio autem sacello monstrabant nobis tria receptacula ex eodem ex-cisa saxo, quibus aqua repletis lavare earn dicebant, et cum veslem resumpsisset innbsp;intimam sacelli aedem secedere, ex eodem saxo excisam, ac in medio mdis sedentemnbsp;cxcelso solio, sic vaticinari. — S. Just, martyr, ad Groecos Cohortalio, c. xxxvii.
-ocr page 351-BAÏA. nbsp;nbsp;nbsp;5-47
cendu des cieux, met fin a nos crimes et ramène sur la terre la justice et la paix (i). » Et nous bénimes Ie Dieu de bonté qui ne s’est jamaisnbsp;laissé sans témoignage et qui, dans ce lieu même, avail fait sortie denbsp;la bouche de la vierge païenne, comme autrefois de la bouche de Balaam, une magnifique prophétie; et nous répétions, avec saint Justin :nbsp;« O Grecs, si vous préférez la vérité a vos fables, croyez-en done a lanbsp;plus ancienne de vos Sibylles dont Ie livre, répandu par tout l’univers,nbsp;vous annonce manifestement et la nullité de vos dieux, et la venue denbsp;notre Sauveur Jésus-Christ (2). »
Sortis de la grotte, nous payames joyeusement nos montures. En recevant son salaire, mon porteur me dit : « Père, n’oubliez pas votrenbsp;cheval dans vos prières. » — Mais, lui répondis-je en souriant, monnbsp;cheval m’a porté dans Ie chemin des enfers! — Eh bien, priez pournbsp;moi, Père, et Ie cheval et Ie cavalier iront en paradis! » II fallutnousnbsp;séparer; nos chevaux reslèrent la pour olfrir leurs services aux amateurs, et nous, prenant Ie sentier du. lac Lucrin, nous regagnamesnbsp;notre embarcation. Le rivage de Baïa, auquel nous allions aborder, futnbsp;jadis célébré par Horace comme le plus délicieux de l’univers :
Nullus in orbe sinus Baiis praïlucet amoenis.
Que dirait le poète s’il voyait celte cóte déserte, inculte, insalubre et couverte de ruines? Sur la droite on distingue les vestiges desnbsp;Bains de Néron : ces grottes bouillantes sont éneore des étuves d’unnbsp;elfet extraordinaire. Suivant son usage, le guide s’y plongea et en sortitnbsp;un instant après tout en feu et ruisselant de sueur. Voici, a la suite lesnbsp;unes des autres, les ruines de villas somptueuses, dont le nom mêmenbsp;a péri; les ruines d’un temple de Venus Genitrix, bien placé dans cesnbsp;lieux; les ruines d’un temple de Mercure, digne compagnon de lanbsp;déesse; les ruines d’un temple de Diane Ducifère; ruines éloquentes,nbsp;habitées par quelques pauvres pêcheurs dont les enfants déguenillésnbsp;xiennent vous vendre, sur des assiettes en terre rouge, des morceauxnbsp;de marbre précieux, derniers restes des temples, des palais et de ther-mes des maitres du monde! On dirait, amp; la vue de cette désolation,nbsp;qu’Isa’ie prophétisait contre Baïa, lorsqu il disait a la superbe Tyr :
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Eglog. IV. — Ces vers de Virgile ainsi que l’oracle de Ia Sibylle furent lus solen-nellement au concile de Nicée. — Eusèb., Vit. Constant.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Veslram igitur salutem, o Graici, si lalso de diis, qui nulli suilt, commento polio-rem ducilis, credite, ut jam dixi, SybiUte anliquissima; et velustissinia;, cujus libri pernbsp;totum orbem servantur, quteque ex patenti quodam afllatu dees qui dicuntur, nullosnbsp;esse per oracula nos docet, ac de futuro Salvatoris nostri Jesu Chrisli adventu, ac denbsp;rebus omnibus quas gesturus erat clare el aperte prainuntiat. hl., c. xxxviii.
-ocr page 352-348 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
(( Un joup 'viendra oü les riches vaisseaux des nations n’aborderont
plus è ton port.....Tu ne seras toi-même qu’un misérable village, ba-
bité par quelques pauvres pêcheurs qui laveront leurs filets sur ta plage déserte (i). »
Comme Baïa, Cumes bAtie sur la colline n’offre aux voyageurs que d’informes et nombreux débris d’antiquités grecques et roraaines. Maisnbsp;elle lui rappelle Ie premier établissement fondé par les Grecs sur lesnbsp;cótes d’Italie; la fameuse Sibylle; Tarquin Ie Superbe, qui vint ynbsp;mourir après son expulsion, et Pétrone qui s’y fit ouvrir les veines. Anbsp;une lieue de Cumes, Torre di Patria, l’ancienne Linterne montre Ienbsp;tombeau découronné de Scipion l’Africain.
Revenus au rivage, nous doublftmes Ie promontoire sur lequel s’élève Ie chateau de Baïa. Construit par Ie vice-roi de Naples, Pierre de To-lède, il est favorableraent placé pour la défense du golfe dont il coupenbsp;Ia monotonie. Plus loin Ie petit village de Bauli, l’ancienne Baccola,nbsp;se dessine au milieu du vaste panorama de ruines qui couvre toute lanbsp;cöte. La somptueuse villa de Marius n’est représentée que par quelquesnbsp;arcades brisées; fii pêcherie d’Hortensius, connue par ses murènes,nbsp;n’offre plus que deux substructions qui s’avancent dans la mer. Ellenbsp;est suivie d’un monument circulaire, amp; demi ruiné, que Ie guide nousnbsp;signala comme Ie tombeau d’Agrippine, mère de Néron. Nous entr4-mes dans ce monument, dont l’origine et la destination me paraissentnbsp;douteuses; d’ailleurs la fumée des torches a formé sur les parois unenbsp;telle couche de suie que la lecture des inscriptions est amp; peu prés impossible. Quoi qu’il en soit du tombeau, Ie port de Bauli ressemblenbsp;beaucoup è celui dont Tacite fait la description dans son récit de lanbsp;mort d’Agrippine.
Comme nous allions quitter Ia barque pour monter au cap Misène, nos rameurs nous deraandèrent pour Bonne-Main un plat de Macaroni. (f Excellences, nous dirent-ils, vous ne regretterez pas vos tor-nesi; voir manger Ie macaroni a la napolitaine est une chose curieuse,nbsp;digne de nobles étrangers. » II est de fait que les voyageurs de Naplesnbsp;ne manquent pas de se rendre vers Ie soir i la porte de Massa pournbsp;jouir d’une representation de cette scène nationale; en jouir sur mernbsp;nous parut encore plus piquant, et nous consentimes. En attendant,nbsp;nous gravimes Ie flanc escarpé du cap Misène et nous arriv;\mes h lanbsp;Piscina mirabile. Ce monument, Ie seul bien conservé de toute lanbsp;cóte, est digne du nom qu’il porte et des Remains qui l’ont construit.
(i) Isaïe, c. XXII, t et suiv.
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PISCINE ADMIRABLE.
C’est un réservoir qui fournissait de I’eau douce a la flotte stationnée au cap Misène. II forme un parallélogramrae et repose sur quaranle-huit pilastres disposés en quatre files d’arcs quadruples d’une hauteurnbsp;extraordinaire : sa longueur est de 216 pieds. La voute est percée denbsp;treize ouvertures par lesquelles on présurae que se puisait l’eau. Deuxnbsp;escaliers conduisent jusqu’au bas; et Ie voyageur peut voir de prés,nbsp;et la beauté de Lédifiee et la solidilé que lui donne la forte couche denbsp;stalactite déposée sur toutes les parties. II a fallu des sommes énormesnbsp;pour construire cette piscine, et de plus énormes pour y amener l’eaunbsp;de plusieurs milles, malgré des obstacles immenses.
Mais on conQoit que les Remains n’aient reculé, ni devant les diffi-cultés, ni devant les dépenses : la piscine était nécessaire ii leur flotte, et leur flotte était nécessaire ii la sureté de l’emplre. Trois gran-des stations maritimes, reliées par des points intermédiaires, for-malent un vaste système de défense. La première, établie a Fréjus,nbsp;Forum Julii, protégeait l’Italie du cóté des Gaules : Auguste la formanbsp;primitivement des vaisseaux pris a la balaille d’Actium (i). La secondenbsp;était a Ravenne : dominant les cótes de l’Adriatique, elle opposait unenbsp;barrière aux incursions dés Barbares du Nord. La troisième, fixée anbsp;Misène, devait, en se ralliant è celle de Fréjus, entretenlr la sureté desnbsp;mers depuis Ie détroit de Messine jusqu’aux Colonnes d’Hercule. Cesnbsp;trois flottes furent établies par Auguste a qui Ton doit Fachèvementnbsp;du port de Misène commencé par César. Ce port magnifique, comblénbsp;en partie, porte Ie nom deMare-Morto qui lui convient aujourd’hui.
Si la vue de la Piscine donne une haute idéé de la magnificence ro-maine, les ruines peu éloignées des Cento camerelle en donnent une au moins égale de leur barbarie. Les Cento camerelle sont un béti-ment ainsi appelé è cause du grand nombre de pieces obscures et denbsp;longs corridors, également privés de lumière, qu’il conlient. Un voyageur francais, qui l’avait visité quatre ans avant nous. Fa bien décrit:nbsp;je Ie laisserai parler. « Après avoir bien examiné eet édifice, il est difficile de lui assignee une autre destination que celle d’une prison, etnbsp;alors on est saisi de tristesse en voyant avec quelle barbarie, quel ou-bli de tous sentiments d’humanité, les prisonniers devaient y êtrenbsp;traités. Quatre longs cachots surtout, de deux mètres de largeur et senbsp;coupant è angles droits, sont affreux. L inspection des lieux fait croirenbsp;que les détenus y étalent assis sur Ie sol, rangés cóte a cóte, et proba-filement enchainés, comme les esclaves africains dans l’entre-pont d’uu
(i) Suet., Aug., 49.
15.
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vaisseau négrier. Au point de jonclion de ces cachots, une petite cham-bre permettait de voir tout ce qui s’y passait, en supposant néan-nioins qu’ils fussent éclairés par des lampes; c’était un essai du sys-tèrae panoptique adopté dans plusieurs prisons modernes. En avant de cette construction, deux rangs d’arcades semblent aroir été desti-nés au logement des soldats de garde et aux geóliers. Get horrible monument confirme une remarque déj^ faite plusieurs fois par diversnbsp;écrivains; c’est que les anciens, dans leurs perfectionnements sociaux,nbsp;n’accordaient d’attention qu’aux besoins des populations considéréesnbsp;en masse, et que les intéréts et les souffrances des individualités lesnbsp;touchaient peu. C’est Ie Christianisme qui, ayant proclamé que tousnbsp;les hommes sont frères, a seul rendu son importance a chaque mem-bre de la familie (i). »
Les fameux Champs Elysées s’étendent du Mare-Morto jusqu’au lac Fusaro, I’ancien Achéron, placé de I’autre colé de la plaine. Cesnbsp;lieux si beaux sous la plume de Virgile, ces jardins délicieux, arrosésnbsp;de belles fontaines, plantés d’arbustes toujours verts et ornés de superbes tombeaux, ne sont plus qu’un vignoble assez mal cultivé. Nousnbsp;ne voulümes pas quitter Misène, sans visiter les ruines de la maisonnbsp;de Lucullus, célèbre par la mort de Tlbère. Lè 13 mars de Tan 55 denbsp;Notre-Seigneur, Tibère, après avoir assisté aux jeux donnés par les soldats de sa garde, se trouva pris d’une violente douleur de cóté : ilnbsp;entre dans l’ancienne villa de Lucullus. On lui apporte les actes dunbsp;sénat; il s’irrite et médite de nouvelles cruautés. Macron, préfet dunbsp;prétoire, ordonne qu’on jette sur Ie vieil empereur des coussins et desnbsp;matelassous lesquels il Ie fait étouffer [i). Ainsi mourut Tibère, dansnbsp;sa soixante-dix-huitième année, en face de cette ile de Capri qu’il anbsp;rendue tristement immortelle par dix années de cruautés et de dé-bauches également incroyables.
Pendant notre excursion, les matelots avaient fait cuire leur macaroni et Tavaient porté sur la barque. Nous y fumes a peine montés, qu’ils hissèrent la voile, et, nous laissant aller doucement a la brisenbsp;du soir, ils se mirent ii absorber, comme il était convenu, en noirenbsp;présence, le mets favori du Napolitain. Pour avoir une idéé de cetienbsp;scène gaslronomique, il faut se représenter ces bateleurs de carre-fours, qui, au grand ébahissement de la foule, engloutissent avec unenbsp;dextérité merveilleuse des aunes de ruban ou des épées nues. Avec lanbsp;même facilité, nos matelots firent couler dans les profondeurs de leur
(0 M. Fulchiron, Environs de Naples, 1838, p. 290. (a) Tacit., vi, 50; Suet., Tib., 72, 73; Dion., lib. ivm.
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gosier les interminables varmi de p4te huilée, qui, da vase ou ils élaient enroulés, montaient dans la bouche des parties prenantes,nbsp;passant par leurs mains élevées au-dessus de la tête en guise de poulie.nbsp;L’operation, impossible ^ tout autre, fut accomplie en un clin d’oeil.nbsp;« Excellences, nous dirent-ils alors d’un air satisfait, n’est-ce pas quenbsp;vous ne regretterez jamais vos tornesi? Soyez bénis, nobles seigneurs; » et ils se mirent a chanter.
Pendant qu’ils répétaient leurs joyeux refrains, nous jetdmes un dernier regard sur les coteaux de Ba'ia, comme pour fixer, dans notrenbsp;esprit, avec I’image de ces lieux célèbres, les nombreux souvenirs qu’ilsnbsp;rappellent. La cóte semblait nous jeter ces trois mots : Luxe effréné!nbsp;volupté! cruauté!
L’antique Baïa, assise au milieu de bosquets de myrtes et de lau-riers, devint bientót insuffisante pour tous ceux qui voulaient y avoir des maisons, ou simplement y louer des logements. II s’éleva donenbsp;une seconde ville aussi considerable que la première, toute composéenbsp;de villas d’une magnificence royale. Contiguës les unes aux autres,nbsp;elles dominaient sur Ie lac Lucrin, plusieurs même s’avan^aient jus-que dans ses ondes. Pas une qui ne coütat des sommes énormes; cellenbsp;de Marius, passée a Cornélie, mère des Gracques, fut vendue ^ Lucul-lus 460,87 francs (i).
Dès les premiers jours du printemps arrivait la foule. Une contpée, qui renfermait tant d’eaux salutaires, n’était, sans doute, peuplée quenbsp;de goulteux, de paralytiques, de blessés, de gens a mines tristes etnbsp;pales; en un mot, de malades de tout genre. Peut-être en fut-il ainsinbsp;dans Ie principe; mais, vers la fin de la république et sous l’empire.nbsp;Pon y rencontrait beaucoup plus de gens bien portants que de malades; et ces belles campagnes étaient un séjour de plaisir bien plus quenbsp;de douleur (2).
Caligula y venait pour donner au monde Ie spectacle de ses rïii-neuses extravagances; Néron s’y rendait accompagné de mille vóitifi»es et de deux mille mules ferrées d’argent; Poppée Ie suivait entourèenbsp;de cinq cents anesses, dont Ie lait composait Ie bain de la courlisaöe,nbsp;afin de rendre sa peau plus blanche et plus douce (5). Tous les grandsnbsp;de l’empire marchaient sur les traces de leur maitre, et variaient leursnbsp;plaisirs suivant leurs caprices. Les uns faisaient creuser des piscinesnbsp;semblables h des palais; leur bonheur était d’y nourrir, èi,grands
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Plutarch., ire Mario, c. 60.
V,,; 1»)
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Strab., V, p. 235; Dion., xlvih, p. 442.nbsp;(5) Plin., 1. XI, 41.
332 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
frais, les poissons les plus rares. Hortensius aurait plulót consent! tirer de son écurie des mules d’attelage pour vous les donner, qu’unnbsp;seul vieux barbeau de sa piscine. La santé de ses poissons lui étaitnbsp;plus chère que celle de ses esclaves; lorsque les premiers étaient ma-lades, il s’inquiétait bien plus qu’ils n’eussent point d’eau trop froide,nbsp;que d’en voir boire aux derniers (i). Crassus, qui passait pour unnbsp;homme grave; Crassus, homme censorial, prit Ie deuil pour une mu-rène morte chez lui, et la pleura comme il eüt pleuré sa fille (2). Cettenbsp;dégradation était déja générale au temps de Cicéron. lt;c Nos grands,nbsp;écrit Ie célèbre orateur, se montrent aussi contents que s’ils étaientnbsp;transportés au ciel, quand ils ont dans leurs piscines de vieux bar-beaux qui viennent manger a la main, et ils ne se soucient nullementnbsp;des affaires de l’État (3). » Antonia, bru de ïibère, mettait des pendants d’oreilles è ses murènes qu’elle aimait avec passion ( ). »
Mais, en général,la société qui se réunissait a Baïa selivraitii une vie plus que voluptueuse. La réputation de ce lieu était si bien établie qu’ilnbsp;sufïisait d’en respirer l’air pour perdre tout sentiment de pudeur etnbsp;de vertu (s). « II ïaut fuir Baïa, disait Sénèque, c’esl Ie cloaque de tousnbsp;les vices, diversorium vitiorum; la débauche en fait son théatre, nullenbsp;part elle ne se montre plus entreprenante et ne se met plus a l’aise,nbsp;comme si la licence était, en ces lieux, une dette indispensable (s). »nbsp;On se tenait renfermé pendant,1a chaleur du jour; mais Ie soir tontnbsp;Ie monde sortait. Alors l’Averne et Ie Lucrin se remplissaient de bai-gneurs et de baigneuses qui joignaient au plaisir du bain celui de lanbsp;natation, et sillonnaient a la nage la surface transparente et docile denbsp;ces belles eaux (7). Au milieu de cette foule d’hommes et de femmesnbsp;que l’on aurait pris pour les tritons et les néréides de ces lacs, glis-saient des milliers de petites barques de toutes formes et de toutesnbsp;couleurs. Les promenades se prolongeaient fort tard; on soupait surnbsp;l’eau, on parfumait Ie lac de roses elfeuillées, qui dérobaient presquenbsp;ses ondes k la vue. Des orchestres placés sur les bords du lac, ounbsp;échelonnés sur Ie liane circulaire des montagnes, accompagnaient denbsp;leurs concerts ces promenades et ces repas; et pendant toute la nuit
(1) nbsp;nbsp;nbsp;VaiTon.,R. R, m, 17.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Macrob., Saturn., n, 11.
(ó) Ad. Attic., II, 1.
(4) Plin., IX, Sö.
(s) Cicer., pro Cmlio, 20; Marl. 1,63.
(6) nbsp;nbsp;nbsp;Epist. 51.
(7) nbsp;nbsp;nbsp;Propert., 1,11; v, 11.
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on n’entendait que des symphonies et des chansons lubriques, répé-tées par les échos d’alentour (i).
Je me trompe : aux chants de la volupté la cruauté mélait sa voix lugubre. G’est la, sur ces Lords enchantés, que Ie sang humain cou-lait en l’honneur d’Auguste, que Macron étouffait Tibère, que Caligulanbsp;jetait ses courtisans dans les flots et que Néron ordonnait Ie meurtrenbsp;de sa mère.
Luxe, volupté, cruauté! tels furent les derniers mots par lesquels Pouzzoles et Baïa résumèrent, en descendant dans les ombres de lanbsp;nuit, réblouissanle société qui jadis habita leurs rivages.
22 FÉVRIER.
Pompéi. — Histoire et ruine de Ia ville. — Aspect général. — Impressions. — Examen des edifices religieux, civils et privés. —Reflexions.
« A Pompéi, l’antiquité n’est plus cette antiquité vague, reculée, incertaine, cette antiquité des ruines mutilées de Pouzzoles, de Baïa etnbsp;des autres pays, moins encore cette antiquité des livres, des commen-taleurs, des archéologues; c’est l’antiquité réelle, vivante, en personne,nbsp;si on peut Ie dire ; on la suit, on la voit, on la touche. » Avant d’arrivernbsp;dans cette ville, unique au monde, il nous parut convenable d’en con-naitre l’histoire. Pompéi, située au pied du Vésuve, sur Ie fleuve Sarno,nbsp;était uhe des villes les plus importantes de la Campanie. Sa positionnbsp;en faisait Ie centre commercial d’Herculanum, de Stabia et de Nuceria;nbsp;elle comptait environ vingt-cinq mille habitants. Fondée par lesÉtrus-ques OU les Grecs, elle fut convectie en colonie romaine par Sylla, et de-vint, comme tous les environs de Naples, un séjour de délices pour lanbsp;haute société de l’empire. Cicéron, qui avait des villas partout, enavaitnbsp;une h Pompéi dont il égale les agréments è ceux de Tusculum: Tuscu-lum et Pompeianum valde me delectant. L’an 63 de l’ère chrétienne,nbsp;un tremblement de terre causa de grands dommages ii Pompéi; maisnbsp;les traces en avaient presqu’entièrement disparu, lorsque la terriblenbsp;éruption du Vésuve de Fan 79 anéantit cette malheureuse ville, ainsinbsp;qu’Herculanum et Stabia : Herculanum était, dit-on, une ville de qua-rante mille dmes; la population de Stabia est Incertaine. Pour assister,nbsp;en quelque fafon,!» l’épouvantable catastrophe dont nous allions, aprèsnbsp;dix-sept cents ans, reconnoitre les effets, la pensée nous vint d’en lire
(i) Senec., Epist. 51, etc., etc.
-ocr page 358-334 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
ladescription dansDionCassius et dansPline Ie Jeune,témoin oculaire.
Voici leurs paroles : « Le premier novembre de la première année du règne de Titus, i une heure après midi, on apergut, du cóté dunbsp;Vcsuve, un grand nuage d’une forme singulière, et qui, semblable anbsp;un pin, s’élevait d’abord è une hauteur eonsidérable, et formait commenbsp;un trone d’oü s’échappaient plusieurs branches. Ce nuage était tanlótnbsp;blanc, tanlót sale, et parsemé de taches. Cependant tout devenait ef-frayant dans la nature; la terre trerablait, la cime des montagnes on-doyait, des bruits souterrains semblables au tonnerre se mêlaient a denbsp;longs mugissements qui faisaient retentir les cótes de la mer, le solnbsp;devenait brülant, le golfe de Naples bouillonnait, le ciel était en feu :nbsp;il semblait que tous les éléments déchainés se faisaient une. guerrenbsp;dont les hommes allaient être les victimes. Tout ó coup le feu souterrain, cause de cette effrayante commotion, vainquit les obstacles et lenbsp;Vésuve langa dans les airs des pierres d’une grosseur prodigieuse, quinbsp;roulaient du haut de la montagne. Des colonnes de flammes sortirentnbsp;du cratère et furent bientót suivies d’une fumée si épaisse, qu’elle ob-scurcit le soleil et changea le jour en une nuit affreuse. Alors l’épou-vante fut a son comble : chacun croyait toucher a sa dernière heure.nbsp;On s’imaginait voir dans ces hoi’ribles ténèbres des géants et des fan-lómes armés les uns centre les autres : il semblait que le monde allaitnbsp;rentrer dans le chaos oü il entrainait les dieux eux-mêmes. Les unsnbsp;quittaient leurs maisons agitées et prêtes a se renverser sur eux, pournbsp;chercher leur salut dans les rues et dans les campagnes; les autresnbsp;fuyaient des campagnes dans les villes et dans les maisons : ceux quinbsp;étaient en mer s’efforgaient de gagner la terre, et de la terre on cou-rait vers la mer. »
Cependant arrivent d’immeuses nuées de cendres qui remplissent 1’air, la terre et la mer. Elles furent portées jusqu’ó Rome en asseznbsp;grande quantité pour y obscurcir le jour. La surprise fut égale a lanbsp;terreur, paree que la cause de eet étrange phénoraène n’était encorenbsp;connue que dans la Campanie. « lei, ajoute Pline, elles tombaient ennbsp;pluie si abondante et si rapide, qu’étant a Misène, éloigné de cinqnbsp;lieues du Vésuve, et obligé de m’asseoir avec ma mère ó cóté du che-min de peur que la foule qui fuyait en tumulte ne nous écrasüt dansnbsp;l’obscurité, il fallait nous lever incessamment pour secouer la cendrenbsp;qui, sans cette précaution, nous aurait couverts et même étouffés (i). »
Tandis que ces nuées de cendres brulantes ensevelissaient sous une
(i) Lib. VI, Ep. XVI et xx ad Tacit.
-ocr page 359-HISTOIRE ET ruïne DE POMPÉI. 555
couche de douze pieds d’épaisseur Pompéi et Stabia, des torrents de laves voniis par Ie cratère et mêlés de cendre, de graviers et d’eaunbsp;bouillante coulaient dans les rues d’Herculanum, pénétraient dans lesnbsp;caves, s’élevaient dans les appartements, puis, en se refroidissant, for-raaient une masse compacte qui ne permit plus de distinguer ni forum,nbsp;ni édifices, ni ville. Ce qui ajoulait a l’horreur de cette scène, c’étaitnbsp;Teffrayante obscurité qui régnait partout. « La nuit, continue Ie mêmenbsp;témoin, était, non pas ce qu’est la nuit la plus obscure en pleine campagne, lorsqu’on ne voit ni lune ni étoiles, mais ce qu’elle est dansnbsp;une chambre bien fermée après qu’on a éteint toutes les lumières (i), »nbsp;De temps en temps ces ténèbres effroyables, qui durèrent trois jours,nbsp;étaient illuminées par intervalle, non par l’éclat du jour, mais par lanbsp;lueur des flammes qui s’élangaient du cratère. Puis revenait la nuit,nbsp;revenait la pluie de cendres plus épaisse et plus abondante. Enfin Ienbsp;jour se montra, chacun fit usage de ses yeux et porta ses regardsnbsp;sur les objets environnants. Tout était changé, bouleversé; la mer availnbsp;perdu ses limites, et la terre couverte de monceaus de cendres, commenbsp;elle Pest quelquefois par la neige dans les jours d’hiver, présentait Ienbsp;plus désolant spectacle (2).
11 résulte de ce récil que la catastrophe s’accomplit assez lentement pour permettre aux habitants de fuir; de li Ie petit nombre de sque-lettes trouvés dans les fouilles.
Quoi qu’il en soit, Ie souvenir des malheureuses villes resta dans la mémoire des habitants du pays, bien que la plaine uniforme dontnbsp;elles étaient couvertes ait fait oublier leur véritable situation. C’est anbsp;tort, par exemple, que les guides et les cicérone supposent Pompéi re-trouvée seulement au dernier siècle. « Et d’abord, Pamphithétitre,nbsp;situé hors de la ville, au milieu des champs cuUivés, élève, tout dé-gradé qu’il est, son second rang d’arcades de six è sept mètres au-dessus du plateau, et eri s’inclinant et en rasant de Poeil la surface denbsp;la terre, on voit qu’un mètre environ du premier rang a du toujoursnbsp;apparaitre. De plus, la partie supérieure et Pentablement n’ont éténbsp;détruits que successivement et par Pinjure du temps. Ainsi, depuis lanbsp;catastrophe de Pompéi, cet amphithéatre, existant si prés de Naples,nbsp;dans un pays si people, n’a pu échapper aux regards; c’était un signenbsp;toujours subsistant et lémoignant que Pantique cité devait être ense-xelie dans le voisinage. De plus, une ancienne inscription semble in-diquer que Pempereur Alexandre Sévère fit creuser les cendres de
1 (1) Lib. VI, XVI et XX ad Tacif.
(2) Plin., id., id.; in Dio. Tito.
356 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
Pompéi et que ces recherches lui procurèrent des statues, des colonnes et des marbres précieux. Au commencement du xvi® siècle, eette ville,nbsp;comme gisement et ruines encore debout, élait aussi bien connuenbsp;qu’aujourd’hui.
Yoici ce qu’en dit Sannazar ; « Cette ville, qui se présente a nos yeux, appelée Pompéi et célèbre autrefois, fut engloutie par un trem-blement de terre, Ie sol ayant, comme je Ie pense, manqué sous sesnbsp;pieds ; genre de mort étrange et horrible pour une nation, que de
disparaitre en un instant du nombre des vivants.....En parlant ainsi,
nous étions déja bien prés de la cilé qui était Ie sujet de nos réflexions, car on en pouvait distinguer les terres, les maisons, les thédtres etnbsp;les temples presqu’intacts. En 1572 Ie comte de Sarno, faisant creusernbsp;un canal souterrain pour porter de Peau a la Torre, traversa et fouillanbsp;en diagonale la place de la ville; il y découvrit encore des maisons,nbsp;des rues, des temples et d’autres monuments. » Un siècle après, Ma-crini, dans son ouvrage de Vesuvio, dit qu’il conjecturait que remplacement nommé Civitd devait être Pompéi; et il ajoute que ce n’estnbsp;pas seulement Ie nom de Civita qui Ie porte h Ie croire, mais encorenbsp;paree qu’il y a reconnu lui-méme des constructions entières,des ruinesnbsp;de grandes murailles et des portiques en partie hors de terre. II estnbsp;done évident que cette ville ne fut jamais oubliée depuis sa catastrophe,nbsp;et que la tradition et des monuments encore apparents en conservaientnbsp;Ie souvenir; mais Ie moment ou Pon devait s’en occuper sérieusementnbsp;n’était pas arrivé. Enfin, en 1748, des paysans, en ouvrant un fossé,nbsp;découvrirent encore des habitations, des statues et des objets servantnbsp;è Pusage de la vie. Dès lors Pompéi attira Pattention de tous les savants de PEurope, et renlra dans sa gloire (t). »
Herculanum Pavait précédée de quelques années seulement. En 1715, Ie prince d’Elbeuf, Emmanuel de Lorraine, faisant batir une maisonnbsp;de plaisance a Portici, découvrit, sans s’y attendee, une grande quan-tité de marbres, h soixante pieds au-dessous du sol. Le roi de Naples,nbsp;devenu propriétaire de la maison du prince d’Elbeuf, continua lesnbsp;fouilles, et ce fut en 1736 qu’on reconnut Pexislence d’une ville en-lière ; c’était Herculanum. Quant h Stabia, on s’est h peu prés bornénbsp;è en retrouver Pemplacement.
Le déblai de Pompéi fut poussé avec activité par le roi Murat: huit cents ouvriers y travaillaient sans relftche. Aujourd’hui on en comptenbsp;è peine quarante; au train ou vont les fouilles, il faut encore altendre
(i) M. Fulcfairon, Environs de Naples, p. 336.
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environ cinq cents ans pour jouir de I’aspect entier de la ville; car les remparts, decouverts de 1812 k 1814, montrent que le quart denbsp;Pompéi peine est découvert.
De bonne heure nous arrivames en voiture ii une des portes de la cité silencieuse. Un vétéran, la carabine sur I’epaule, et un cicérone,nbsp;le chapeau i la main, s’avancèrent pour nous recevoir. Suivant notrenbsp;habitude, nous vouliimes avoir une idee générale de la ville, avant denbsp;I’exarainer en détail, et nous fimes le tour des remparts. Pompéi, situéenbsp;au sud-est du Vésuve, dans une plaine légèrement accidentée, décritnbsp;un ovale, renflé vers le milieu, et s’étendant du nord-ouest au sud-est:nbsp;sa circonférence est d’environ neuf kilomètres. La partie de la villenbsp;encore ensevelie est couverte de vignes et d’arbres è fruits, plantésnbsp;dans une terre meuble ou plulót dans une cendre grisatre d’une pro-digieuse activité. C’est la, sur les coteaux plus rapprochés du Vésuvenbsp;qu’on récolte le lacryma Christi.
Les remparts de Pompéi portent tous les caractères de la plus haute antiquité.Ils ferment une enceinte continue, saus aucun angle saillant:nbsp;cette disposition dans le système militaire des anciens favorisait la dé-fense de la ville. Les bastions se composent en général d’un plain-piednbsp;et de deux murs; on y monte par des degrés assez larges pour per-mettre a plusieurs soldats de passer de front. Une partie du niurnbsp;d’enceinte a été minée soit par le tremblement de terre de l’an 63, soitnbsp;par Sylla lorsqu’il s’empara de la ville l’an 666 de Rome. Les remparts sont flanqués de onze tours, a trois étages avec une porte secrètenbsp;pour favoriser les sorties. Pompéi a cinq portes; celle d’Herculanumnbsp;est précédée et snlvie de trois autres disposées de manière a pouvoirnbsp;prolonger la défense, suppose que l’ennemi eüt forcé la première entrée. C’est sur la partie extérieure du rempart latéral è cette portenbsp;qu’on plagait les affiches; c’est-a-dire qu’on y écrivait avec un pin-ceau, en caractères rouges ou noirs, ce qu’on voulait faire savoir aunbsp;public. Lors de la découverte on y lisait encore les restes d’un^affiche,nbsp;par laquelle on annongait deux combats de Gladiateurs de Rufus etnbsp;une chasse dans l’amphithéamp;tre avec velarium.
Les édifices de Pompéi tant publics que particuliers sont d’une construction noble, élégante, sans avoir la pureté de l’architecturenbsp;grecque. Les maisons, en général, ont deux étages, mals les apparte-nients sont petits. On retrouve a peu prés partout la même forme etnbsp;Ia même distribution : il n’y a de différence notable que dans la grandeur et les détails de luxe, proportlonnés a la fortune des proprlétai-ces : presque toutes les facades sont peintes en rouge. Jusqu’ici vingt-
-ocr page 362-358 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
deux rues ont été découvertes; celles qui avoisinent Ie Forum et les théatres soul larges et régulières, les aulres sont généralement étroitesnbsp;et tortueuses. Toutes sont pavées en larges dalles du Vésuve et bor-dées de trottoirs de chaque c6té. De distance en distance on voit desnbsp;hornes servant è consolider les trottoirs ou ii monter a cheval. La plupart des rues, établies en chaussée, sont assez larges pour que deuxnbsp;chars puissent passer de front : il faut seulement remarquer que lesnbsp;chars anciens n’ont que quatre pieds de voie. Sous les trottoirs on re-marque des vides par lesquels les eaux pluviales coulaient dans lesnbsp;égouts et s’en allaient a la mer, dont les Hots baignaient les murs denbsp;la ville.
Dans presque tous les carrefours on trouve des fontaihes d’une bonne architecture qui recevaient leurs eaux des longs aqueducs éta-blis entre la ville et les montagnes. Elles sont généralement ornées denbsp;bas-reliefs représentant des têtesde dieux, d’animaux, a qui sans doulenbsp;elles étaient dédiées ou dont elles portaient Ie nom. Comme dans nosnbsp;villes actuelles, des hornes en granit entouraient les fontaines et lesnbsp;protégeaient contre les roues des voltures. Aux carrefours on voit encore des peintures ou des autels consacrés aux dieux tutélaires desnbsp;rues, appelés Lares compUales. Dans les différentes parties du petitnbsp;sanctuaire, des fresques représentent les sacrifices offerts a ces divini-tés : on voit presque partout un ou deux serpents qui engloutissentnbsp;les mets consacrés. Le bas peuple surtout avait une dévotion particu-lière pour ces sortes de divinités auxquelles on le voit présenter surnbsp;un plat des fruits, des fleurs, des legumes, etc.
Après ce coup'd’oeil général, nous descendimes dans l’intérieur de la ville. Comment rendre l’impression qu’on éprouve en parcourantnbsp;ces rues solitaires oü les chars, qui les traversèrent il y a bientót deuxnbsp;mille ans, ont laissé la profonde empreinte de leurs roues; ces temples, avec leurs colonnes et leurs autels, mais veufs de leurs prêtres etnbsp;de leurs dieux; ces thédtres, avec leurs coins, leurs gradins, leurnbsp;scène, leur avant-scène et leurs portiques, mais sans acteurs ni spec-tateurs; ces fontaines bien conservées et qui ne coulent plus; ces ba-siliques et ces forums, bruyants rendez-vous des oisifs et des hommesnbsp;d’affaires, oü l’on ne rencontre que quelques lézards qui fuient k l’as-pect des vivants? Voici les Thermes avec leurs salles du bain froid,nbsp;du bain chaud, du bain tiède, ainsi que les niches oü l’on plagait lesnbsp;strigiles et les pots de parfums; mais oü sont les baigneurs volup-tueux qui en faisaient usage? Voici les boutiques avec les poids et lesnbsp;balances, mais oü sont les marchands et les acheteurs? Voici l’auberge
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d’Albinus; mais point de voyageurs dans les appartements; point de mule attachée aux anneaux de fer devant la porte de l’étable.
Enfin voici les maisons des particuliers; passez sans crainte devant la loge du chien, ce fidéle animal n’y est plus; entrez dans la cuisine,nbsp;voyez les rechauds et les ustensiles, mais plus de feu, plus de mets,nbsp;plus de cuisinier; pénétrez dans l’Exèdre ou salie de reception, par-courez Ie jardin et les chambres i coucher, personne qui les occupe;nbsp;et pourtant, telle est la conservation de toutes ces choses, telle est lanbsp;fraicheur des peintures décoratives, tel l’éclat des mosaïques et desnbsp;pavés de marbre précieux, qu’on croit entrer dans une maison bütienbsp;la veille. On est tenté de s’asseoir en attendant Ie retour des maitres;nbsp;et il y a dix-sept siècles que ces maitres sont absents.... ils ne revien-dront plus.... partout solitude profonde, silence solennel qu’interrom-pent a peine Ie colloque fugitif du cicérone et de Fétranger venu denbsp;loin pour visiter cette nécropole; ou Ie pas du vétéran, ruine ambulante qui veille sur les remparts; ou la piocbe du fossoyeur qui dé-terre lentement quelques coins de la cité ensevelie toute vive, et biennbsp;mieux conservée sous sa couverture de cendres que la momie égyp-tienne dans son triple rang de bandelettes parfumées.
Les édifices que nous visitames en particulier sont lessuivants :
Le Panthéon ou temple d'Auguste. Ce superbe édifice en forme de rotonde, servait de trésor public et de salie de banquet; il est supporténbsp;par douze colonnes et entouré de onze chambres destinées aux prê-ires ou aux principaux habitants lorsqu’il y avail des festins publics.nbsp;Les fresques. qui décorent Fintérieur sont d’une pureté de dessin etnbsp;d’une fraicheur surprenante; mais la plupart représentent des sujetsnbsp;lubriques ou des scènes de table ; au dela de Fenceinte est le Triclinium des prêtres.
Le temple de Vénus, un des plus considérables de la ville, est situé sur la gauche du Forum. Ses dépendances sont ornées de peintures,nbsp;et les inscriptions qui en couvrent quelques parlies rappellent les riches présents offerts b la déesse, ainsi que la restauration du collégenbsp;des prêtres consacrés au culte de Fimpure divinité.
Le temple de Jupiter s’élève non loin de celui de Vénus, a Fextré-mité du Forum. II forme un vaste carré long, auquel on arrive par plusieurs marches ; la facade, tournée vers le Forum, produit un très-heau coup d’oeil.
Le temple de Mercure fait pendant a celui de Vénus, mais il est heaucoup plus petit. Le temple de la Fortune, a quelques pas du Forum, fut trouvé incrusté de marbres précieux et chargé d’ornements.
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On y monte par huit degrés; dans Ie sanctuaire étaient deux statues : Tune de femme, et l’autre qu’on dit de Cicéron, paree que les inscriptions semblaient rappeler Ie célèbre Orateur.
Le temple d'Hercule ou de Neptune, situé dans Ie Forum triangulaire, présente un vaste parallélogramme. A l’entrée sont deux autels pourl’immolationet le sacrifice des victimes: ces autels carrés, lourds,nbsp;massifs, élevés d’un metre environ, présentent encore les conduitsnbsp;par oü tombait le sang des victimes.
Le tempte d'Isis, ayant aussi deux autels a l’entrée, est beaucoup plus petit que le précédent; il forme une sorte de vaste niche, it la-quelle on arrive par de nombreux degrés; au fond est un autel creuxnbsp;sur lequel était la statue de Ia divinité, et servant de cachette aux prê-tres qui rendaient des oracles par la bouche de l’idole. L’inscriptionnbsp;suivante, gravée sur la porte, rappelle le tremblemenl de terre denbsp;Fan 63 et la restauration deTédifice aux frais de N. Popidius Celsinus,nbsp;que les Décurions reconnaissants admirent gratuitement dans leursnbsp;corps ;
N. POPIDIVS. N. F. CELSINVS AEDEM. ISIDIS. TERRA!. MOTV. CONLAPSAMnbsp;A. FVNDAMENTO. P. S. RESTITVIT. HViNC. DECVRIONES. OBnbsp;LIBERALITATEM
CVM ESSET. ANNORVM. SEXS. ORDINI. SVO. GRATIS.
ADLEGERVNT.
Des temples nous passftmes aux édifices publics : le premier dans lequel nous entrftmes, c’est la Caserne. Quel fut notre étonnement denbsp;lire sur les colonnes et sur les murs des noms, des mots, des dessinsnbsp;plus OU moins bizarres, gravés avec la pointe d’un sabre ou d’un ja-velot par les soldats, dans l’oisiveté du corps de garde! La cuisine estnbsp;assez remarquable, paree qu’on y trouve des foyers bien conservés.nbsp;(c IIs ont, dit M. Mazois, la forme de ce qu’on appelle, en termes eu-linaires, une paillasse, c’est-^-dire d’une espèce d’dtre relevé, et ilsnbsp;s’étendent Ie long d’une grande pièce, de manière ii permettre de fairenbsp;la cuisine pour un grand nombre de personnes. »
Prés de la caserne s’élève YOdéon et le Grand-Thédtre, l’un et l’autre très-bien conservés. Dans le premier, au bas du Proscenium,nbsp;on lit, sur le pavé, l’inscription suivante en lettres de bronze ;
M. OeVLATIVS M. F. VERVS. II. VIR. PRO. LVDIS.
Tandis qu’elle rappelle le nom du magistral préposé aux specta-
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des, une autre inscription, gravée sur Ie marbre, dit que Ie théatre fut construit par les Décemvirs Quintius et Porcius, avec Ie consente-ment des Décurions.
C. OVINCTIVS. C. F. VALG.
M. PORCIVS. M. F.
DVO. \TR. DEC. DECR.
TIIEATRVM. TECTVM.
FAC. LOCAR. EIDEMQVE. PROD.
Des billets d’entrée montrent que Ie prix des places n’excédait pas quelques sous de notre monnaie. Void la teneur d’un de ces billetsnbsp;pour rOdéon ou Théatre comique :
CAV. II.
CVN. III.
GRAD. VIII.
CASINAI. PLAVT.
Ce qui veul dire : deuxième travée, troisième coin, huitième gra-din pour la representation de Casina, comédie de Plaute. »
Le Grand-Théamp;tre est un bel edifice auquel il ne manque que les statues de bronze dont il étaitdécoré : le stuc qui revêt les parois semble fait d’hier. Une inscription, gravée sur le cóté qui regardele templedenbsp;Neptune, apprend que ce théatre est dü a la libéralilé des deux Marcus Holconius, Rufus et Geler, qui le firent élever pour 1’emhellisse-ment de la Colonie.
M. M. HOLCOM. RVFVS. ET. CELER.
CRYPTAM. TRIBVNAL. THEATR. S. P.
AD DECVS. COLONIE.
On nous fit remarquer que les premières places étaient occupées par les Décurions, les Augustales, ou prêtresd’Auguste, et les citoyensnbsp;qui avaient le privilége du Bisellium : on sail que le Bisellium étaitnbsp;une espèce de banc couvert de coussins ornés de franges, et sur lequelnbsp;on s’asseyait seul au Forum et dans les spectacles publics, quoi qu’ilnbsp;y eüt place pour deux. Les secondes places étaient pour les militairesnbsp;et les divers corps; les troisièmes et dernières pour le peuple et lesnbsp;femmes. Cette explication mit en colère un de nos compagnons, vrainbsp;chevalier francais, et, qui mieux est, parisien de manière et d’origine;nbsp;il se récria vivement contre Pirapolitesse des Pékins de Panelen monde.
-ocr page 366-362 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
C’est en vain que nous voulümes Ie calmer, en lui rappelant que les femmes chez les païens élaient esclaves, el traitées comme telles : il nenbsp;s’en fachait que mieux; si bien que pour dissiper sa colère chevale-resque, nous ne trouvömes d’autre expédient que de lui faire partagernbsp;une bouteille de lacryma Christi. « Voici, nous disait Thomme quinbsp;nous l’apporta, du vin antico e moderno. » II faisait allusion a Fori-gine de ce vin excellent, produit par les vignes dont reste encore cou-verte la plus grande partie de la malheureuse Pompéi.
Quelques instants après nous étions aux Thermes. Ils sont assez bien conservés : on y distingue toutes les parties connues de ces sortesnbsp;d’établissements, oü tout respire la mollesse et Ie sybaritisme. Par unnbsp;excès de précaution, ceux de Pompéi sont batis dans une partie de lanbsp;ville qui est è Fabri du vent du nord, et Fon est bien surpris d’ynbsp;retrouver notre syslème moderne des calorifères. On voil que la va-peur, habilement ménagée, pénétrait entre Ie stuc et la muraille, et senbsp;répandait dans un espace vide qui règne tout autour du calidarium etnbsp;du tepidarium. Au reste, les dimensions étroites de eet établissementnbsp;font présumer qu’il n’est pas Ie seul du même genre dans cette citénbsp;voluptueuse : les fouilles, on peut Fassurer, viendrontun jour cbangernbsp;cette conjecture en certitude. Prés du Forum est la Basilique; c’é-tait tout ensemble la bourse, Ie rendez-vous des négociants et Ie tribunal des juges. Ce grand édifice, en forme de quadrilatère, a troisnbsp;nefs; celle du milieu est é ciel ouvert; les deux autres sont couvertes,nbsp;et forment chacune deux portiques superposés : du portique supérieurnbsp;on pouvait voir ce qui se passait, et dans la grande nef et dans Ie tribunal. Dans Ie fond du monument s’élève, a six pieds au-dessus dunbsp;sol, Ie tribunal oü siégeaient les magistrals. Perpendiculairement au-dessous de leur banc est un cachot oü nous trouvAmes encore plusreursnbsp;anneaux de fer sc.ellés dans Ie mur et auxquels étaient fixées leschainesnbsp;des prisonniers. Ils étaient, dit-on, interrogés par des ouvertures gar-nies de barreaux de fer et pratiquées dans Ie pavé de Fabside. Cettenbsp;forme odieuse de jugement ne devait s’employer que pour les étran-gers et les esclaves, car les citoyens remains avaient droit a la publi-cité. Les prisons publiques sont prés du temple de Jupiter. Des portesnbsp;très-étroites garnies de barreaux de fer, des cabanons oü Ie jour nenbsp;pénétrait point, témoignent de la douceur du système pénitentiairenbsp;usité dans Ie paganisme.
Nous descendimes ü VAmphithédtre par une large voie dont les dalles usées prouvent encore combien était fréquenté ce lieu de carnage et de débauche : il pouvait contenir vingt mille spectateurs. La
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EXAMEN DES ÉDIFICES RELIGIEDX ET CIVILS.
Cavea, ou l’ensemble des degrés; se divise en trois parties : la première, Prima cavea, au-dessus du podium, était réservée aux décem-virs, décurions, magistrals, prêtres et prêtresses. La seconde. Media cavea, composée de douze gradins, était occupée par les personnes denbsp;distinction, les militaires, etc. La troisième. Summa cavea, était pournbsp;Ie peuple et les femmes. On compte cent ouvertures par lesquelles lanbsp;foule pouvait entrer et sortir. Ainsi, en supposant que deux personnesnbsp;sortissent a la fois par les quatre-vingts grandes portes, et une seulenbsp;par les vingt autres, et donnant a chacune une seconde pour franchirnbsp;Ie seuil, on trouve que les vingt mille spectateurs pouvaient être dehors en deux minutes et demie. Voila pourtant k quoi Ie paganismenbsp;employait son génie et ses richesses. Le monument de la Prêtressenbsp;Eumachia et le Lavoir fixèrent un instant noire attention que ré-clama bientót VÉcole publique. Prés de la partie oriëntale du Forumnbsp;est une belle pièce sur les murs de laquelle on lit : Varna discenti-bus : Varna aux écoliers. C’est l’enseigne du maitre, dont Ia chairenbsp;en pierre, placée dans un angle, rassemble, si on veut, h celle de nosnbsp;régents de collége. Un de nos compagnons s’y assit gravement, et pa-rodiant le professeur Varna, il nous fit une legon de rhétorique. Lenbsp;sujet fut la première phrase de Ia fameuse Catilinaire : Quousquenbsp;tandem abutere, Catilina, patientia nostra? L’illustre professeurnbsp;nous fit sentir toule la beauté du quousque, du tandem et du patientia; puis il interrogea, développa, gesticulant, frappant sur la chairenbsp;et rappelant a l’ordre ses écoliers, vrais égrillards qui riaient auxnbsp;éclats, et k qui le moderne Varna finit par donner de nombreuxnbsp;sums, dont la conscience d’aucun est encore chargée.
De l’école nous passftmes au Four public. Ce bfttiment, qui ouvre sur la grande rue, a toutes les dépendances nécessaires d’un four etnbsp;d’un moulin. On y trouve même une écurie pour les bêtes de sommenbsp;qui apportaient le grain et pour celles qui tournaient la meule. Dansnbsp;une vaste pièce sont quatre moulins en pierre, dans lesquels on re-marque deux parties bien distinctes ; Tune immobile, 1’autre mobile.nbsp;La première consiste en une base sur laquelle est fixé un cóne solide ;nbsp;la seconde se compose d’une pierre superposée è la première, et quinbsp;étranglée vers le milieu s’évase en haut et en bas et forme un doublenbsp;cóne. L’évasement supérieur sert a recevoir le grain; et l’évasementnbsp;inférieur couvre le cóne solide sur lequel il s’adapte. En tournant lanbsp;pierre supérieure autour de la pierre inférieure, le grain tombé entrenbsp;deux se concassait, se moulait. La farine se répandait autour de lanbsp;partie inférieure du cóne solide, d’oü elle était re§ue dans un rebord
-ocr page 368-564 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
circulaire en ferme de gorge profonde, fixé a la base. A la pierre supérieure sent adaptés des anses ou anneaux de fer dans lesquels pas-sait la traverse, tournée par les bêtes de somme ou par les esclaves.
Prés des moulins est un grand four, entièrement semblable aux nótres. Sur une des murailles du Pistrinum, oü l’on manipulait lanbsp;pAte, est peint un sacrifice a la déesse Fornax. Au-dessus se déroulentnbsp;les deux serpents qui jouent un róle si fréquent parmi les divinités denbsp;Pompéi. Plus loin sent deux oiseaux, les ailes étendues, Ie bec ouvert,nbsp;se précipitant sur deux grosses mouches, dont Ie contact pourraitnbsp;soullier la pète : de grosses amphores, trouvées dans ce four de ville,nbsp;contenaient du pain et de la farine.
Du four nous allAmes a VAuberge. En avant est un portique, dont Ie fond est occupé par plusieurs boutiques, couvertes de peinturesnbsp;grossières représentant les comestibles ordinaires. Au milieu du portique se trouve une fontaine avec un abreuvoir, et vers l’extrémité unnbsp;certain nombre de réchauds pour cuire les aliments. Des boutiques,nbsp;on monte par un escalier en bois au premier étage, derrière lequelnbsp;s’élève une terrasse a plusieurs degrés d’oü Pon jouissait de la vue denbsp;la mer, des Apennins et du Vésuve. Dans l’écurie on a découvert Ienbsp;squeletted’un öne avec son mors de bronze, les débris d’une charrette,nbsp;les rayons et les bandes des roues. Le portique extérieur contenaitnbsp;cinq squelettes humains, entourés d’une grande quantité de monnaiesnbsp;d’argent et de bronze, de Irois anneaux d’or, de pendants d’oreillesnbsp;d’or en forme de balances.
Les boutiques sont très-nombreuses è Pompéi, et révèlent une ville de commerce et de mouvement. La plupart se ressemblent pour lanbsp;forme de l’édifice et la distribution des parties : c’est partout une ounbsp;deux pièces sans aucune dépendance, avec un banc tantöt simple etnbsp;uni, tantót percé de trous ronds dans lesquels on voit des jarres denbsp;différentes grandeurs destinées è recevoir les huiles, les vins, etc. Gesnbsp;bancs en pierre ont souvent des réchauds qui servaient é chauffer lesnbsp;boissons au degré voulu par les amateurs. II parait constant que lesnbsp;anciens en général, et les Pompéiens en particulier, buvaient rareraentnbsp;froid (i). Ces dernières boutiques bien plus nombreuses que les autresnbsp;s’appelaient Thermopolia. Chose digne de remarque! les boutiquesnbsp;actuelles des environs de Naples sont exactement calquées sur cellesnbsp;de Pompéi: c’est un nouveau fait qui montre combien sont lenaces lesnbsp;habitudes populaires. L’Atelier des marbriers nous en fournit unenbsp;nouvelle preuve. Dans ce local, découvert en 1798, on trouva un
(i) Yoycz Bottari, Pitlure e Sculture sacre, t. ii, 170.
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grand nombre de figures et de statuettes plus ou moins avaneées, une horloge solaire, un bloc de marbre è moitié scié et la scie è cóté, desnbsp;équerres, des compas, de la poix grecque qui avait bouilli dans unenbsp;casserole, etc. Enfin, ce qui confirrae l’observation énoncée plus haut,nbsp;un oeuf en marbre blanc de grosseur ordinaire. Placé dans Ie nid oünbsp;Pon voulait que la poule vint pondre, eet oeuf de marbre résistait auxnbsp;coups de bec et ótait a la poule la tentation de becqueter les siens etnbsp;de les casser. Bonnes ménagères de Pompéi, consolez-vous; l’excel-lente recette dont vous faisiez usage il y a dix-huit cents ans, se pratique encore aujourd’hui dans les campagnes environnantes.
Enfin les maisons particulières re^urent notre dernière visite. Je me contente de citer celle des Danseuses ainsi nommée a cause des fres-ques qui la décorenl; celle du Cave Canem ou du Poète dramatique,nbsp;dont l’entrée en mosaïque représente un chien a Paltache, dans unenbsp;attitude mena^ante, ayant prés de lui ces paroles : Cave canem,« garenbsp;au chien; » ce qui a valu ^ la maison Ie nom qu’elle porie : celle dunbsp;Fauné, avec sa magnifique mosaïque représentant une bataille d’A-lexandre contre les Perses ; celle de Pansa, demeure consulaire, re-marquable par sa bonne distribution et Phabile mélange de l’utile etnbsp;de l’agréable : enfin la plus belle de toutes, celle de Diomède. Ellenbsp;doit son nom é Marcus Arrius Diomède dont Ie tombeau fut trouvénbsp;dans Ie voisinage, mais en réalité Ie propriétaire est inconnu. Quoinbsp;qu’il en soit du propriétaire, la maison, située a l’entrée de la ville,nbsp;a trois étages, avec un jardin carré, au milieu duquel est un beau réservoir. La cave, en forme de cloitre, règne tout autour du jardin etnbsp;se termine par une porte qui ouvrait sur la mer. C’est la, prés decettenbsp;porte fatale, qu’a été irouvée, une bourse pleine d’or ii la main, lanbsp;femme de Diomède, avec seize autres personnes surprises par l’érup-tion. Dans la cave nous vimes encore de longues rangées d’amphoresnbsp;é moitié pleines d’huile et de vin h l’état solide.
On a tant de fois décrit les différentes maisons de Pompéi, que pour éviler les redites je me contenterai d’en parler en général, afin qu’onnbsp;puisse mème de loin s’en former une juste idee. ïoutes les maisons denbsp;Pompéi seressemblent. Les principales divisions consacrées par l’usagenbsp;se répètent dans chacune d’elles, il n’y a guère d’autre différence quenbsp;les décorations et les pièces accessoires plus ou moins utiles que Ienbsp;luxe ajoute au nécessaire. Chaque maison est divisée en deux partiesnbsp;distinctes : la première renferme toutes les pièces d’un usage public,nbsp;et la seconde est destinée au logement des maitres et aux dépendancesnbsp;du service.
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006 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
La partie publique se compose des pièces suivantes ;
1° Le Protyrum. Du seuil de la raaison, sur lequel on lit souvent : Have, « salut, » vous entrez dans un petit porche ou corridor, c’estnbsp;le protyrum. II est ordinairement décoré de peintures ou d’un pavénbsp;en mosaïque.
2“ Le Vestibule ou atrium. Le corridor vous conduit dans l’atrium, espace libre en forme de carré long, au centre duquel est un bassin denbsp;marbre, desliné a recevoir les eaux pluviales; autour de l’atriumnbsp;règnent dififérentes pièces pour loger les étrangers ou pour recevoirnbsp;les visiteurs, en attendant le moment de la reception.
3quot; Au fond de l’atrium est le TaUinum, grande salie oü le maitre de la maison donnait audience a ceux qui venaient traiter avec iuinbsp;d’affaires publiques ou commerciales.
4“ A gauche du tablinum est le Lararium, petit sanctuaire des dicux du foyer. On y voit ordinairement des peintures représentantnbsp;les sacrifices offerts aux dieux lares; rarement un autel, mais souventnbsp;une console sur laquelle on pla^ait les offrandes ou une lampe allumée.
5“ A droite du tablinum, une, quelquefois deux pièces appelées alcB, ailes; espèces de cabinets particuliers ou de travail.
6° Enfin èi droite et a gauche deux passages appelés gorges ou fauces, par ou Ton entre dans la partie privée de l’habitation. Prés de lè se trouve la loge du portier chargé de garder les appartements intérieurs. Telle est la partie publique des habitations.
Dans la partie privée on rencontre :
1“ Le Péristyle; c’est une galerie soutenue par des colonnes et formant un carré long, autour d’un jardin ou d’un Xistus, c’est-a-dire d’un parterre planté de fleurs et d’arbustes. Au centre du jardin senbsp;trouve ordinairement une grande vasque dans laquelle jouaient de pe-lits poissons et dont l’eau s’élevait en jets gracieux et variés.
2quot; VExèdre; sur les cótés du péristyle ouvre \'exèdre, on salon dans lequel le maitre recevait la visite de ses amis.
3“ Le Triclinium ou salie a manger, dont les parois sont couvertes de peintures représentant les sujets des plus variés : scènes de ven-danges, scènes mythologiques, grotesques caricatures, etc.
4quot; L’OiïcMS, grande salie oü les femmes se réunissaient pour tra-vailler.
5® Les chambres a coucher, ornées de peintures, de statues et de mosa'iques.
6® Les cabinets de toilette.
7“ Le Sacrarium, espèee de chapelle domestique, avec des niches pour les statues des divinités protectrices de la familie.
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EXAMEN DES ÉDIFICES KELIGIEÜX ET CIVILS.
8“ Les bains, la cuisine, Ie grenier, la cave pour l’huile et pour Ie vin, ainsi que les autres dépendances nécessaires d’une maison, étaientnbsp;isolés des appartements et placés sur la partie extérieure du péristyle.
En général, toutes les pièces de l’habitation privée sont très-petites. Au premier coup d’teil on s’étonne que, sous un climat brulant, lesnbsp;anciens aient pu demeurer dans de semblables appartements; mais ilnbsp;faut savoir qu’ils passaient la plus grande partie de leur temps sousnbsp;de vastes portiques, aux ihéatres, au forum et dans les autres édificesnbsp;publics : la vie de familie était a peu prés nulle. C’est qu’en effet lanbsp;femme est l’ame du foyer domeslique. Or, amp; Pompéi comme dans Ienbsp;reste du monde païen, la femme était une puissance inconnue, que Ienbsp;Christianisme seul a révélée, une esclave dont l’Évangile seul a brisénbsp;les fers.
Celte distribution symétrique et ce plan uniforme des malsons don-nent lieu a plusieurs observations que je résumerai tout a l’hèure. En attendant je finis par oü finissent toutes les choses humaines, les citésnbsp;aussi bien que les bommes : les tombeaux. A Pompéi, comme dans lesnbsp;autres villes païennes, ils sont placés sur les bords des grandes voies.nbsp;L’idée de reléguer les morts dans des cbamps isolés, éloignés de la vuenbsp;des vivants, n’était venue ^ aucun peuple : il fallait la philosophie dunbsp;dernier siècle, qui ne doutait de rien, paree qu’elle ne se doutait denbsp;rien, pour inventer une anomalie non moins contraire aux habitudesnbsp;générales des nations qu’aux sentiments de la nature et aux principesnbsp;de la religion.
En sortant de la porte d’Herculanum, on voit d’abord la guérlte de la sentinelle. Le soldat qui était de faction, au moment de la catastrophe, resta fidele è son poste; mais sa fidélité lui couta la vie ; on l’anbsp;trouvé mort, la lance au poing. Prés de la guérite est le banc circulaire oü les vieux troupiers de ce temps-li devisaient sur les passants,nbsp;racontaient leurs exploits, jouaient aux dés; et fumaient leur cigare,nbsp;ajoutait un de nos compagnons. A quinze pas, on voit Phéraicycle, onnbsp;le lieu de la sépulture donnée par les Décurions a Mammia, prêtressenbsp;publique, comme le dit Finscription gravée sur le grand are :
MAMMIE. P. E. SACERDOTI PVBLIC.E.
LOevS SEPVLTVR. DATVS DECVRIONVM. DECRETO.
Autour de remplacement sépulcral de Mammia règne une banquette demi-circulaire, prés de laquelle une pierre tombale présente cettenbsp;aulre inscription ;
-ocr page 372-7)68 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
M. PORC. M. F.
EX. DEC. DECRETO.
IN FRONTEM. P. .XXV.
IN AGRO. P. XXV.
Ce qui veut dire : « Marcus Porcius a regu, des Décurions, un lieu de sepulture de vingt-cinq pieds de largeur sur vingt-cinq pieds de long-gueur. » Ces inscriptions prouvent d’abord qu’un des plus beauxnbsp;témoignages de reconnaissance et d’estime pour un citoyen, c’était denbsp;lui donner un lieu de sepulture au nom de la ville. Elies prouventnbsp;aussi, de la part des païens, la crainte que leurs cendres fussent con-fondues avec celles des étrangers : des milliers d’inscriptions établis-sent l’universalité de ce sentiment, dont je donnerai la raison en par-lant des catacombes. Parmi beaucoup d’autres inscriptions, je menbsp;contente de citer celle du superbe mausolée de Nevoleja Tyché et denbsp;C. Munatius Faustus ;
NAEVOLEIA. I. LIB. TYCUE SIBI ET C. MVNATIO. FAUSTO, AVG. EX PAGANO.
CVl. DECVRIONIS. CONSENSV. POPVLI.
BISELLIVM. OB MERITA. EJVS DECREVERVNT HOC MONVMENTVM. NA5VOLEIA. TYCHE. LIBERTIS. SUISnbsp;UBERTABVSQ. ET. C. MVNATl. FAVSTI VIVA FECIT (l).
Après avoir parcouru la voie des Tombeaux, nous jetames, avant de remonter en voiture, un dernier .regard sur Pompéi. Adieu, cité pro-videntielle; bien différente de tant d’autres villes tombées, sans laissernbsp;de vestiges, sous les coups des barbares, tu fus réservée pour l’instrue-tion des races futures : l’épouvantable catastrophe qui t’a mise dansnbsp;la tombe t’y conserve vivante, ensevelie sous une couche de cendres.nbsp;Monument ancien et nouveau, tu montres non plus seulement dans lesnbsp;livres, dans des souvenirs et dans des ruines, mais dans une réaliténbsp;palpable, Ie paganisme lel qu’il était, voluptueux, cruel, égoïste. G’estnbsp;h peine si Ie quart de ton enceinte est découvert; et déja nous avions
(i) C’est-a-dire : Nevoleja Tyché, première affranchie, a elle-même et a C. Munalius Faustus, du faubourg d’Auguste (1), auquel les décurions avec Ie consentement dunbsp;peuple out accordé, a raison de ses mérites, 1’honneur du Bisellium, a fait ce monument. Nevoleja Tyché 1’a fait de son vivant pour ses alfranchis et pour ses affrancbies,nbsp;et pour C. Munatius Faustus.
C’était Ie nom d’un faubourg de Pompéi.
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RÉFLEXIONS.
compté neuf temples, deux théitres, un amphithéatre, des thermes, deux forum, une basilique, une easerne; pas un hópital!! Partout dansnbsp;tes temples, dans tes carrefours, dans tes rues, dans tes maisons desnbsp;idoles monstrueuses et des peintures obscènes, vivants témoins de l’in-famie de ton culte et de l’abomination de tes moeurs; puls dans Ie luxenbsp;et dans la distribution même de tes habitations, Ie sensualisme abject,nbsp;l’égoïsme et l’absence de la vie de familie. Adieu, Pompéi, page denbsp;Peffrayante histoire du monde païen, lu en apprends plus sur la dé-gradation de Thumanité que tous les livres des sages. Grace a toi, Ienbsp;miracle qui régénéra l’univers resplendit a mes yeux d’un éelat plusnbsp;vif que Ie beau soleil qui brille sur ta tombe entr’ouverte.....
Pourtant, au milieu de cette Babylone, il est a croire que Dieu comptait quelques élus : un signe sacré trouvé dans la maison denbsp;Pansa, semble prouver qu’il y avait des cbrétiens a Pompéi. Nous sa-vons d’ailleurs que saint Pierre avait passé a Naples en 44; que saintnbsp;Paul trouva des frères a Pouzzoles en 59. Est-il croyable que vingt ansnbsp;après Ie passage de saint Paul, et trente-cinq après celui de saintnbsp;Pierre, une ville aussi importante que Pompéi, et ii peine éloignée denbsp;quelques lieues, ne possédat aucun disciple de PÉvangile?
23 FÉYRIER.
Les Studj, OU Musée Bourbon. — Vie rcligieuse. — Vie publique. — Vie privée .nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;des anciens.
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En 1756, Ie célèbre abbé Barthélemy écrivait de Rome : « Je monte bien souvent au Capitole. La première fois que j’y entrai je sentis Ienbsp;coup de l’électricité, et je ne saurais vous décrire I’impression que menbsp;firent tant de richesses rassemblées. Ce n’est plus un cabinet, c’est Ienbsp;séjour des dieux de l’ancienne Rome, c’est Ie lycée des philosophes,nbsp;c’est un sénat composé de rois de l’Orient, que vous dirai-je? Un peu-ple de statues habite Ie Capitole : c’est Ie grand livre des antiquaires. »nbsp;Si Ie Capitole est Ie grand livre des antiquaires, Ie musée de Naplesnbsp;peut être appelé Ie second volume de ce grand livre; et je ne crainsnbsp;pas d’ajouter que ce second volume est bien plus intéressant que Ienbsp;premier. La vous avez la représentation, ici la réalité. Aux statues desnbsp;dieux, des rois et des grands bommes qui font du Capitole un olympe,nbsp;un sénat, un lycée, Ie musée de Naples ajoute tous les objets qui ser-vaient è la vie religieuse, publique et privée des anciens, et jusqu’auxnbsp;aliments mêmes dont ils se nourrissaient. L’impression que nous
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éprouvAmes en Ie visitant fut d’autant plus vive que la vue des Studj coraplétait la visite de Pompéi et les souvenirs de Baïa.
Or, Ie musée de Naples, véritable bazar d’HercuIanum et de Pompéi, est tellement riche que, vu la multitude innombrable d’objets de tontnbsp;genre qu’il ofïre a la curiosité du voyageur (i), il est ii peu prés impossible de Ie visiter avec fruit, si on ne Ie visite avec ordre.
Hier nous avions étudié Pompéi sous Ie rapport religieux, civil et domestique; il était naturel de suivre Ie méme plan dans l’examen dunbsp;Musée. Ainsi nous rapportames tous les objets a trois grandes catégo-ries : la vie religieuse, la vie publique et la vie privée des anciens.
I. Vie religieuse. Les temples de Pompéi sont, il est vrai, très-bien conservés, mais ils sont veufs de leurs dieux, de leurs prêtres et denbsp;leur mobilier. Entrez au musée Bourbon : voici l’Olympe avec sesnbsp;habitants; replacez-les par l’imagination dans les niches que vous aveznbsp;vues la veille, et Ie temple est animé, Ie spectacle est complet. Jupiter,nbsp;Mercure, Ganymède, Bacchus, Flore, Junon, Pallas, Vénus, Ibis, Séra-pis, Apollon, les dieux publics el domestiques, toutes les divinitésnbsp;sont la, en bronze, en marbre, dans toutes les dimensions, avec leursnbsp;attributs divers, et cette beauté de forme que savait donner i ses ceu-vres Ie ciseau créateur des Grecs. Après les dieux viennent les instruments de leur culte. Voici des autels de toutes formes; regardez celuinbsp;qui est i votre*droite, il vous montre encore quelques restes d’une vic-time. A cóté sont deux Lectisternium, Hts sacrés ou larges consolesnbsp;sur lesquels on plagait les vases sacrés et les images des dieux; unnbsp;superbe réchaud avec son trépied pour l’usage des parfums et desnbsp;libations; les couteaux des victimaires, les vases pour recevoir Ie sang;nbsp;Ie petit autel des aruspices avec les instruments pour fouiller et examiner les entrailles des viclimes; les palettes pour recueillir les cen-dres; les candélabres ^ trois, è quatre, amp; cinq branches; les patèresnbsp;pour les libations; les fifres, les trompettes, tous les instruments denbsp;musique sacrée.
Afin d’animer tous ces objets, passons dans Ia galerie des fresques. Voyez les prêtres et les assistants, accomplissant une grande cérémonie dans l’intérieur d’un temple. Tout parait en mouvement, et pournbsp;peu qu’on soit familier avec les usages anciens, on suit dans tous sesnbsp;détails l’ordre du sacrifice et de la fête; on croit entendre l’harmonie
(i) Lorsque nous Ie parcourümes, Ie musée Bourbon contenait 1684 objels d’antiqui-tés égj'ptiennes; 110 grands bronzes; 1830 statues, bustes, bas-reliefs en marbre; 6093 objets en terre cuite; 1300 lampes; 2197 objets en verre; 14,000 objets pelitsnbsp;bronzes; 2600 vases grecs et ctrusques; 2000 peintures; 1700 papyrus, etc., etc.
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des trompettes et des cors, Ie son brisé du fifre, et Ton voit les poses mystérieuses du prötre, dansant a la lête de Torchestre qui Ie suit.nbsp;Enfin la fumée, la flamme, les ibis et Ie bel ordre de la foule recueillienbsp;vous transporteront au milieu du temple et vous croirez faire vous-même partie du cortege.
Nous venions d’assister a une cérémonie solennelle dans un temple public; il fallait voir Ie culte domeslique s’accomplissant dans Ie secret de chaque familie. Les Lararium et les Sacrarium, visités lanbsp;veille, étaient présents a notre imagination : aujourd’hui rien de plusnbsp;facile que de les contempler tels qu’ils étaient il y a dix-huit siècles anbsp;certaines heures du matin et du soir, alors que toute la familie s’ynbsp;réunissait. Les petits autels des dieux Lares, incrustés d’argent; lesnbsp;dieux mêmes en bronze, en marbre, délicatement travaillés; les ré-chauds élégants, les vases, les coupes, la cendre même, et les restesnbsp;des ofifrandes existant encore sur les autels dans Ie même état oü ils fu-rent saisis par l’éruption du Vésuve : toutes ces choses que vous voyeznbsp;de vos yeux, que vous touchez de vos mains, vous rendent présent auxnbsp;cérémonies du culte domeslique.
Si on ajoute è cela les emblèmes religieux, les amulettes, placés sur la porte des maisons pour les préserver des influences des mauvaisnbsp;génies, les cippes des carrefours, des forum, des fontaines, en un molnbsp;cette foule d’objets religieux disposés a chaque pas dans les maisonsnbsp;et dans les rues, on se trouve en plein paganisme; et l’on voit Ie pau-vre idoMtre tantót la coupe de libations a la main, taiitót la patèrenbsp;chargée de fleurs, de fruits, de gateaux, incessamment prosterné de-vant des dieux tour è tour cruels, hideux, ridicules et presque tou-jours infömes.
II. Vie publique. — Aux forum et aux basiliques il ne manquait hier que des promeneurs, des juges et des négociants; aux théêtres,nbsp;des acteurs et des spectateurs; a ramphithéêtre, des gladiateurs; auxnbsp;thermes, des baigneurs; aux lavoirs, des blanchisseuses; aux boutiques, des marchands : aujourd’hui nous allons voir ces différentsnbsp;personnages avec leur costume ordinaire ou de circonstance ; lousnbsp;habitent Ie musée Bourbon. Ce qui frappa d abord nös regards futnbsp;ce peuple de statues, vives images des hommes et des femmes quinbsp;avaient parcouru comme nous les rues de Pompéi, qui avaient remplinbsp;cette ville du bruit de leur nom, ou que leur naissance, leur dignité,nbsp;leur importance historique avail admis au droit de cité.
Les uns sont a cheval, les autres a pied, tous dans Ie costume du temps, accomplissant quelque devoir public ou se livrant aux occupa-
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tions ordinaires de la vie. Mareus-Nonius-Balbus Junior, et Marcus-Nonius-Ealbus, Senior, président aux représentations théatrales d’Her-culanuni. Périandre, Lyeurge, Cicéron, Publicola, Démosthène, Euri-pide, Sophocle, Hérodote, écrivent, parlent, commandent. Voiei dans Ie forum des Pompéiens qui se restaurent en buvant les liquides alorsnbsp;en usage; d’autres sont occupés a lire les affiches etè regarderdeuxnbsp;belles statues équestres. En voiei un qui essaie de nouvelles sandales,nbsp;qui achète. des vases neufs et, par économie, de vieux ustensiles; ce-lui-la mange des croquets, celui-ci de la viande. Voilé un marchandnbsp;d'habits-galons qui porte tout son magasin sur son dos : devant lui,nbsp;la pratique qui marchande. A deux pas, des pelits gargons et des pe-tites lilies vont gaiment a l’école, et un jeune artiste copie une statuenbsp;équestre qui surplombe sur son piëdestal. Tournez a gauche, et vousnbsp;êtes heureusement témoin d’une bonne action. Des dames font 1’au-móne a un pauvre aveugle conduit par un chien. Qui sait? celles-lanbsp;peut-être étaient chrétiennes. D’autres femmes accourent au-devantnbsp;de la foule poui^ vendre et acheter; tandis que les voisines, suivantnbsp;l’antique usage, bavardent avec les commères du quartier.
¦ Entrons znaintenant au théatre. Les chaises curules, les bisellium, les contre-marques mêmes que ces hommes prenaient pour s’asseoir,nbsp;ily a dix-huit siècles, sur ces mêmes degrés que nous avions occupésnbsp;la veille, sont Ié, exposés a vos regards, parmi les petits bronzes. Lesnbsp;restes des machines employées pour tendre Ie voile du théétre de Pompéi se trouvent encore é leur place. Quant au voile lui-même qui nenbsp;pouvait résister é Paction du temps, il est conservé dans la fresque représentant Ie Siparium, ou voile tout entier, de manière é étonnernbsp;les plus grands connaisseurs en fait d’antiquités et de beaux arts.
Désirez-vous connaitre les différentes professions et manier les armes offensives et défensives, les outils, les instruments, les écritoi-res, les poids et les balances de ces hommes morts depuis tant denbsp;siècles, si différents de nous par les moeurs, par Ie langage, par la religion, et croyons-nous peut-être, par les usages ordinaires de la vie?nbsp;il suffit d’ouvrir les yeux et d’étendre la main. Quel étail Puniformenbsp;des nomhreuses troupes de gladlateurs qui vendaient leur vie pournbsp;amuser Ie peuple? quelle était Par mure de ces soldats remains quinbsp;firent la conquête du monde? regardez, louchez ; leurs lances, leursnbsp;épées, leurs poignards, leurs boucliers, leurs casques, leurs éperons,nbsp;les brides des chevaux sont la, ainsi que les chaines qu’on mettait auxnbsp;pieds des légionnaires indisciplinés. A. celle que vous voyez suspenduenbsp;sous des faisceaux d’armes, étaient attachés cinq soldats dont lesnbsp;squelettes ont été retrouvés dans la prison militaire.
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Messieurs les membres de nos académies et de nos instituts, savants du dix-neuvième siècle, èies-vous curieux de connaitre vos prédéces-seurs, et de les voir a l’oeuvre dans leur cabinet? Entrez; en voici unnbsp;qui compose, il tient d’une main son stylet, de l’autre la tablette en-duite de cire : son front est soucieux; il est en travail de quelque noble pensée. Son voisin parcourt un papyrus; des femmes savantesnbsp;sont la dans la même attitude : plumes, encrier, encre, papier de dif-férentes espèces, et sur ce papier des phrases et des ratures; tout estnbsp;la sous vos yeux, et vous pouvez, avec la permission du cicerone, Ienbsp;prendre dans vos mains. Demandez-vous quelque chose de plus?nbsp;Hélas! j’ai a vous montrer, sur ce même papier, les teignes imperti-nentes qui attentèrent aux oeuvres du génie; mais, en punition de leurnbsp;crime, elles sont carbonisées comme Ie papier même. Peut-être seriez-vous flattés de voir une bibliothèque du siècle d’Auguste? En voicinbsp;les rayons et les montants avec des incrustations en bois, en argent,nbsp;en bronze, que vous pouvez recommander aux ébénistes de Paris.
Adieu a la science; salut au commerce. Voulez-vous acheter des lampes, et surtout des lampes a deux becs? Voici 1’enseigne du mar-chand : c’est une tête de boeuf portant une lampe a deux becs et d'unenbsp;proportion démesurée, comme Ie gant, Ie chapeau, la botte rouge quinbsp;servent d’enseigne a nos gantiers, a nos chapeliers, a nos bottlers dunbsp;dix-neuvième siècle. On trouve, dans Ie magasin, des lampes, desnbsp;candélabres en terre et en bronze de toutes les formes, de toutes lesnbsp;grandeurs, vernis et non vernis. Vous faut-il des lampes h pied, desnbsp;lampes sans pied, des lampes ornées de bas-reliefs? II y a de quoinbsp;choisir; en voici une qui conserve encore sa mèche. Deux choses vousnbsp;étonneront : c’est la perfection du travail et Ia ressemblance que lesnbsp;flambeaux d’autrefois ont avec les nótres. Avez-vous besoin de lanternes? il est difliclle d’en trouver de plus élégantes et de plus solides quenbsp;celles de Pompéi. Les unes ont pour manche un joli tigre; les autresnbsp;ont des parols en talc, espèce de pierre transparente, ou en corne, afinnbsp;d’éteindre un peu la lumière et de résister au choc.
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Cherchez-vous de l’huile ou du vin vieux? entrez dans un Thermo-polium. Les amphores, les jarres en sont pleines; et si vous craignez que Ie marchand vous trompe, vérifiez ses poids, ses mesures, ses balances ; tout est la. Le setier et Ie triangle, pour constater Ie niveaunbsp;des liquides, ressemblenl parfaitement ^ ceux dont les Napolitainsnbsp;font encore usage. Voici le pied romain, il est en os, ainsi que d’autresnbsp;mesures. La plupart des poids sont en pierre ou én plomb; ces der-niers portent écrit d’un cóté : Eme, achète; et de l’autre, Habebis,
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tu auras. Ce qui rappelle assez bien l’enseigne de nos perruquiers francais : Demain on rase icipour rien; ou celle de quelques détail-lants napolitains : Aujourd’hui on ne fait pas crédit; eest demain.
Mais vous êtes malade, au lieu de boisson et de nourriture il vous faut des remèdes : la pharmacie est ouverte. Une jolie petite caissenbsp;pleine de drogues vous présente des pütes préparées en forme de cy-lindre pour faire des pilules, et des pilules mêmes loutes failes. Unenbsp;opéralion est peut-être indispensable; il faut vous arracher une dent,nbsp;OU vous couper un bras; voici Ie chirurgien. Sa trousse, Irès-volumi-neuse, est étalée ^ vos regards, et les onguents, dont il faudra composer Ie premier appareil, sont renfermés dans d’élégantes boites denbsp;poche, conjointement avec de petits instruments de chirurgie. Si votrenbsp;cheval a besoin d’une saignée, l’artiste vétérinaire est la avec ses lan-cettes; il peut même vous olFrir de la charpie très-bien conservée. Lanbsp;collection des instruments de chirurgie, trouvés a Pompéi, fait encorenbsp;l’admiration des hommes de Tart: variété, richesse, élégance; elle nenbsp;laisse rien a désirer.
11 y a longtemps que nous voyageons, notre linge a besoin d’être lavé; mais nous voulons qu’il soit lavé a l’antique, comme on lavaitnbsp;celui d’Auguste, de Titus, de Nonius ou de Munatius Faustus. Déj^nbsp;nous avons vu Ie lavoir public, sa grande chaudière, ses différenlesnbsp;pièces pour reoevoir, conserver, battre ou sécher Ie linge. Si cela nenbsp;suflit pas, une belle fresque, contemporaine de l’opération, nous lanbsp;fait connaitre dans ses plus grands détails. Elle montre que lesnbsp;hommes, les femmes et même les enfants travaillaient égaleraent anbsp;l’oeuvre essentielle de l’économie domestique. Les uns reticent Ie lingenbsp;de la chaudière et Ie mettent sous presse pour exprimer l’eau qu’ilnbsp;contient; h cóté d’eux est leur lampe avec la burette d’huile, afin denbsp;pouvoir prolonger leur travail pendant la nuit; les autres portent lesnbsp;tissus aux laveuses qui les passent dans des vases de métal. Voici desnbsp;jeunes geus qui pressent les draps dans des conques; quelques-uns denbsp;leurs camarades les étendent, et d’autres portent Ie banc de lessivenbsp;semblable a celui que nous connaissons. Pendant qu’ils cherchentnbsp;noise ^ des femmes occupées au même travail, la maitresse blan-chisseuse donne un morceau de linge a une petite fille bien sage, quinbsp;Ie regoit en écoutant avec attention les recommandations de sa supérieure.
Quitlons un instant la ville dont nous connaissons les habitants et les arts; une promenade a la campagne nous sera d’autant plusnbsp;agréable que nous pouvons la faire sans sortie du Musée. Les beaux
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fruits de la Campanie n’ont pas changédepuis la destruction de Pompéi, on peut en juger et par ceux qui sont peints et par ceux qui sont con-servés. La manière d’arroser est la mfime. Voyez ce jardinier qui conduit son Sne chargé d’amphores et couvert du simple liarnais que vousnbsp;pouvez reconnaitre chaque matin sur la place du Mercato. Le jour ounbsp;Ton tue le pore est une fête pour la familie de la campagne, il.en étaitnbsp;de même au temps d’Auguste. Les régies de I’agricuUure n’ont pasnbsp;plus varié que les principes de Féconomie domestique. Les Pompéiensnbsp;d’autrefois labouraient comme les Campaniens d’aujourd’hui. Voicinbsp;leurs instruments aratoires, leurs pioches, leurs hoyaux, leurs selles,nbsp;leurs pics, leurs crocs, leurs fourches, leurs rateaux, et jusqu’au ra-cloir pour nettoyer la charrue.
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Les bergers sont inséparables des cullivateui’s. Cette fresque de dix-huit siècles vous montre, dans leurs costumes et dans leurs habitudes, les pasteurs de ce beau pays de Naples. Ils suivent leur trou-peau qui bondit dans la plaine verdoyante; deux petits pölres traientnbsp;une chèvre, dont leur camarade revolt le lait dans un vase; d’autresnbsp;pressent le lait et en font la ricotta, encore si recherchee des Napoli-tains et même des Remains : ils la déposent dans un panier; et voici,nbsp;dans le musée, les restes de ces antiques paniers, soigneusement con-servés parmi les objels précieux. Pendant 1’opération, un autre bergernbsp;joue du chalumeau, et si cet instrument, fait d’un simple roseau,nbsp;n’a pu résister au temps, voici la cornemuse, montée en bronze et gar-nie d’os: I’outre, qui était en peau, a été consumée; mais vous pouveznbsp;toucher la jolie chainette en bronze qui suspendait I’instrument cham-pêlre au cou du berger. Vous serail-il agréable d’entendre la clochettenbsp;ou le grelot suspendu au cou des cbèvres, des brebis, des bceufs ounbsp;des vaches du siècle de Titus? lirez ce petit cordon qui pend é I’ar-moire; prêtez I’oreille, et vous entendrez un son rauque ou argentin,nbsp;entièrement semblable a celui qui, chaque matin, vous réveille, alorsnbsp;que les bergers conduisent leurs vaches et leurs cbèvres dans les ruesnbsp;de Naples.
Ce spectacle nous oblige a faire réparation d’honneur au chanlre des Églogues. Nous avions cru que les bergers de Virgile étaient desnbsp;êtres imaginaires, dont le poète avait créé le type, les habitudes, lesnbsp;moeurs, les plaisirs et le langage : il n en est rien ou presque rien.nbsp;Géographe lorsqu’il décrit la grotte de la Sibylle et le lac Averne, Virgile est historiën lorsqu’il chante la vie pastorale.
III. Vie privée. — Qu’étaient dans l’intérieur du foyer domestique ces hommes que nous avons vus dans les temples, dans les villes et
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dans les campagnes? Quelles étaient leurs habitudes, leurs meubles, leurs ustensiles, les objets de luxe ou de nécessité dont ils se servaient?nbsp;II est facile de satisfaire notre curiosilé. Et d’abord, nous pouvonsnbsp;prendre part aux jeux des enfants. En voici des troupes qui s’amusent;nbsp;suivant l’usage, l’un rit, l’autre pleure; celui-Ia boude, celui-ci jouenbsp;tranquiyement pendant que son voisin caresse un petit chat. Petitsnbsp;gargons et petites filles jouent aux osselets, et ces osselets ne sont pasnbsp;ici en peinture, mais en réalité : il vous est loisible de les prendre etnbsp;de jouer comme ceux qui s’en servaient il y a dix-huit siècles. II en estnbsp;de même des joyeux sabots, et des vénérables toupies qui firent tantnbsp;courir les petits Pompéiens, et qui ont conservé Ie privilége d’en fairenbsp;courir bien d’autres. Vous avez vu trotter dans les allées du Luxembourg la voiture aux chèvres qui fait, chaque jour, Ie bonheur de plu-sieurs centaines de inioches parisiens : les mioches de Pompéi lanbsp;connaissaient aussi. Les chèvres sont mortes; mais la voiture existe :nbsp;regardez, elle est en bronze, è quatre roues, et d’un travail très-soigné.
Mais s’il y a temps de récréation, il y a aussi, móme pour les enfants, temps de labeur ; voyons-les a 1’oeuvre. Avez-vous besoin de sandales? demandez-en a ce jeune cordonnier qui travaille Ie neznbsp;baissé sur son ouvrage. Vous faut-il une caisse? l’apprenti menuisiernbsp;vous en fait une : ainsi des autres objets et des autres métiers. Ce n’estnbsp;pas tout; les enfants de tous les pays ont un penchant bien connu ènbsp;imiter tout ce qu’ils voient faire; souvent même ils ont un attrait particulier pour représenter les cérémonies de la religion. Chose bien re-marquable! les enfants de Pompéi avaient Ie même goüt : tant il estnbsp;vrai que Thomme est naturellement religieux. En voici trois qui sontnbsp;tout occupés a offrir une libation autour d’uu monument; d’autresnbsp;célèbrent un sacrifice; et vous pouvez toucher de vos mains les petitsnbsp;couteaux et les petites patères, les petits vases et tous les autres objetsnbsp;destinés è l’immolation de la victime supposée.
Des enfants passons aux grandes personnes: je ne parle pas des caricatures déja connues des anciens, elles couvrent les fresques des dif-férentes pièces; examinons seulement les meubles et les ustensiles de ménage. A la cave sont de nombreuses rangées d’amphores, grisAtres,nbsp;longues, au cou étroit, simples ou avec deux anses; la plupart en terrenbsp;cuite non vernies : celles-la contiennent l’huile, celles-ci Ie vin et lesnbsp;autres liqueurs. Dans ce vase percé de petits trous et appelé Glira-rium, on conserve Ie loir vivant; on Fengraisse et on Ie mange quandnbsp;on veut. Cet autre vase plein contient du blé, de Forge, des fèves;
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VIE PRIVÉE.
vous pouvez en prendre et même en semer. Voici les mortiers avee leurs pilons, les écuelles avec leurs couvercles, les moutardiers, lesnbsp;verres de table avec cette engageante inscription : Bibe, amice, denbsp;meo : « Bois, ami, de ce que je contiens. » Parmi ces verres, il en estnbsp;de polis et de diverses couleurs; d’autres ont une anse et beaucoup ennbsp;ont deux. Les petites tasses bleues que vous voyez n’ont pas encorenbsp;servi : elles allaient partir au moment de l’éruption; car elles furentnbsp;trouvées soigneusement emballées les unes dans les autres, entouréesnbsp;chacune d’une légère couche de paille, suivant la méthode encorenbsp;suivie par nos marcbands de verres et de faience.
Dans notre siècle des lumières on a pris je ne sais combien de brevets d’invention pour des fourneaux économiques : il est piquant de voir l’antiquité de cette découverte moderne. Voici un fourneau exac-tement semblable a ceux que nous cönnaissons, dans lequel on faisaitnbsp;cuire, bouillir, rótir plusieurs cboses è la fois; seulement il est ennbsp;bronze, tandis que les nötres sont en fonte : progrès! A droite et hnbsp;gaucbe brillent les marmites et les casseroles, la plupart argentées anbsp;rintérieur; les moules pour la patisserie, les passoires, les cuvettes, etnbsp;même les pincettes pour prendre Ie feu. Voulez-vous savoir a qui ap-partenait Ie beau vase placé sur cette console? l’inscription vous ditnbsp;qu’il fut la propriété de M™'= Camelia Schelidoni -.Camelice Schelidoni.nbsp;J’ai Ie regret de ne pouvoir rien vous apprendre de plus sur cettenbsp;dame pompéienne, dont Ie bon goüt est d’ailleurs incontestable. Lanbsp;grande bouilloire qui est a cóté du vase mérite une attention particu-lière. Le robinet placé sur Ie flanc, bien au-dessus du fond, donne lanbsp;facilité d’avoir tantót de l’eau bouillante, tantót une décoction denbsp;fleurs ou de plantes déposées dans la partie de la bouilloire inférieurenbsp;au robinet. Regardez encore ce réchaud; il est quadrangulaire,lepour-tour représente les murailles d’une ville avec leurs tours et leurs cré-neaux : toute cette enceinte est creiise, et contient l’eau qui, une foisnbsp;en ébullition, sort a volonté par un robinet placé sur le cóté. Lesnbsp;tours ont un couvercle, qui s’ouvre lorsqu’on a besoin de la vapeur denbsp;l’eau bouillante, pour tempérer Fair trop raréfié par le feu.
De la cuisine il est naturel d entrer dans le Triclinium, ou salie è manger. La table est mise et couverte de solxante-douze pièces d’ar-genterie; les assiettes, les soupières, le plateau, les cuillers et les four-chettes sont a peu prés semblables ó ceux dont nous faisons usage;nbsp;seulement les fourchettes ont la queue toute droite, et les verres, d’unenbsp;grande dimension, sont garnis de deux anses : ce qui semblerait prou-ver que les anciens buvaient de fortes rasades et buvaient h deux
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mains. Mais les aliments? Voici de la farine; du levain enveloppé dans la serviette, dont la marque est encore visible; du pain avec Ie nomnbsp;du boulanger ; Eris. q. Cram. Re. Ser.; des galettes et des croquets;nbsp;du froment, de l’orge, du millet, du riz, du son, des glands, du ché-nevis, des fèves, des lentilles, des carroubes, des amandes, des chdtai-gnes, des noix, des oignons, des daltes, des figues, de l’huile dans unnbsp;bocal, qui se liquéfie encore a la chaleur, de la viande dans une casserole d’argent, enfin des mufs frais..... de deux mille ans. Tous ces
objets, d’un usage journalier, sont ld, tels qu’ils furent trouvés, la plupart dans les mêmes vaisseaux de terre, de bronze ou d’argent, oünbsp;les avaient déposés, il y a tant de siècles, les malheureux habitantsnbsp;d’Herculanum et de Pompéi.
Quant aux objets de luxe, Ie nombre en est immense; ils égalent, s’ils ne surpassent, par la richesse de la matière et la beauté du travail, ce que nous avons de plus parfait. La vanité est ancienne dans Ienbsp;monde férainin; et les dames de Pompéi paraissent y avoir sacrifiénbsp;largement. Brasselets d’or, en forme de serpents, pour Ie haut du brasnbsp;et pour Ie poignet; colliers également en or avec des pierres précieu-ses; camées d’une valeur inestimable; ornements de tout genre : telsnbsp;sont les brillants téraoignages de cette infirmité tant de fois séculaire.nbsp;Dans ce riche magasin de nouveautés, nous trouvdmes d’élégantesnbsp;vlsiteuses qui s’extasiaient, qui s’exclamaient d’admiration et qui, dé-vorées du désir d’avoir des brasselets ou des colliers a la Pompéienne,nbsp;demandaient : « Combien coüterait ceci? que c’est beau! quel travailnbsp;exquis! »
Laissant a leur jouissance ces dignes liiles de leurs aïeules, nous voulümes, avant de quitter Ie Musée, parcourir Ie eerde entler de lanbsp;vie humaine : il nous restait a voir la mort et les cérémonies qui 1’ac-compagnaient. Voici Ie funèbre cortége, avec les pleureuses obligéesnbsp;et les images des ancêtres; dies sont suivies du Silicernium et denbsp;l’urne qui contient les cendres du défunt. Les bas-reliefs du mausoléenbsp;redisent les actions du mort; plus loin est Ie Triclinium funéraire,nbsp;dans lequel une foule de Pompéiens, coucbés sur des lits, participentnbsp;au repas consacré amp; la mémoire de ceux qu’ils ont perdus. Pour quenbsp;ce spectacle ne soit pas une simple représentation, voyez ces morts de
dix-huit siècles.....Momies a moitié découvertes, ils sont couchés dans
leur tombe, et ces squeleltes, noirs comme du charbon, conservent encore une partie de leurs cheveux.
Commencé dans les ruines de Baïa, continué dans les édifices de Pompéi, complété dans les galeries du musée Bourbon, notre voyage
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LE VÉSDVE.
au milieu de l’antiquité païenne était fini; quelle impression nous en reste-t-il? A Ia vue de ces maisons, de ces meubles, de ces usages,nbsp;semblables aux nótres, bien qu’ögés de deux mille ans, on se dit : IInbsp;n’y arien de nouveau sous Ie soleil; ce qui est, est ce qui fut et ce quinbsp;sera. Enfermé dans un eerde dont il ne lui est pas donné de franchirnbsp;les limites, Fhomme avance et recule tour amp; tour. Ce qu’il savait hier,nbsp;il l’oublie aujourd’hui; demain il Ie retrouve et, croyant Favoip in-venté, il cbante son progrès. En fait d’arts, de constructions et denbsp;luxe, les anciens sont encore nos rivaux et très-souvent nos maitres.nbsp;Pour les égaler, deux choses nous manquent: la richesse et l’escla-vage. Mais sous Ie voile brillant d’une civilisation matérielle, élevéenbsp;Jusqu’aux dernières limites, I’mil aperQoit une société dévorée d’é-goïsme, usée de débauches, et hideuse de crimes dont Ie souvenirnbsp;seul fait palir. Les preuves palpables de cette incroyable dégradationnbsp;sont la, et semblent avoir été conservées non-seulement pour justifiernbsp;les auteurs païens et les Pères de TÉglise, qui tracèrent Ie tableau desnbsp;mceurs romaines; mais encore pour apprendre au voyageur épou-vanté, qu’ils n’ont pas tout dit, qu’ils n’ont pu tout dire. En présencenbsp;de ces irrécusables témoins, Ie ebrétien bénit dans toute Teffusion denbsp;son cffiur Ie Dieu dont l’infinie miséricorde a renouvelé la face de lanbsp;terre, et il ajoute, en adorant sa redoutable justice : Si les arts, la Religion, les spectacles, les habitudes générales sont l’expression d’unenbsp;époque, d’un peuple et d’une ville, Herculanum et Pompéi méritaientnbsp;l’horrible chatiment qui les anéantit.
24 FEVRIER.
IjC Vésuve. — Réstna. — L’Ermilage. — Souvenir de Sparlacus et de Pline. — Arrivée au sommet du Yésuve. — Descente au cratère.— Fertilité des terrains volcaniques.nbsp;— Herculanum. — Porüci. — Le Corricolo.
Pour compléter l’utile lecon que donnent Herculanum et Pompéi, il nous restait a visiter le Vésuve, redoutable agent de la justice denbsp;Dieu, qui détruisit a cause de leurs iniquités, et qui conserve pournbsp;1’instruction des races futures, les cités coupables. Partis de bonnenbsp;heure par le chemin de fer de Caslellamare, nous fumes en vingt minutes it Résina, petit village d’oü Ton monte au Vésuve : on s’adresse,nbsp;pour avoir des guides, aux frères Salvatori. Cette familie, dont lenbsp;nom seul inspire la confiance, jouit de père en fils du privilége d’ac-compagner les voyageurs dans la visite de la terrible montagne; elle
380 LES TEOIS ROME.
Ie partage avec sept autres families, a qui on fait apprendre gratuite-ment la langue frangaise. Les conditions arrötées, nous primes un frugal déjeuner, pendant lequel on prépara les anes et les mulets quinbsp;devaient nous servir de monture; chacun de nous acheta Ie baton denbsp;rigueur et la caravane partit. En tête marchait Ie guide; au centre et
l’arrière-garde un groupe de quinze ou vingt lazzaroni de différente taille. Les uns conduisaient nos montures par la bride, les autres lesnbsp;tenaient par la queue et venaient pour les garder au pied du Vésuve;nbsp;ceux-lii portaient des paniers d’oranges et quelques bouteilles de la-crima Christi. Adorateurs du farniente, plusieurs nous suivaient sansnbsp;autre function connue que d’amuser nos Excellences par leurs pantomimes et leurs joyeux propos; mais, dans la réalité, ils essayaient denbsp;nous prouver i chaque instant par des indications artistiques, histo-riques, minéralogiques, la grande utilité de leur présence, etl’obliga-tion sacrée de reconnaitre leurs importants services par quelquesnbsp;tornesi.
A une demi-lieu'e de Résina, on quitte la belle végétation, les plants de vignes et d’oliviers, les blanches villas avec leurs enclos d’oran-gers. La pente devient plus rapide; et un chemin rocailleux, difficile,nbsp;serpentant parmi d’énormes couches de lave, conduit dans une solitude affreuse. Lii commence une nature triste et morte, i laquelle lanbsp;vue de petits coins de terrains échappés a la destruction ajoute plusnbsp;de tristesse encore. Bientöt on arrive aux couches de laves noires, cal-cinées, vitrifiées, qui couvrent la base du Vésuve dont Ie cóne noiramp;-tre, semblable a la cheminée d’une immense machine ii vapeur, s’é-iance i treize cents pieds au-dessus du niveau de la mer. Cependant,nbsp;au milieu de ce desert, on Irouve une oasis; c’est l’Ermitage, appelénbsp;aussi l’hókl des Trois Ormeaux. L’Ermitage est une petite maisonnbsp;dans laquelle réside un prêtre avec plusieurs carabiniers. Le pèrenbsp;Thomas, auquel nous étions adressés par un de ses amis, était malheu-reusement absent, et les honneurs du lieu nous furent faits par unnbsp;doraestique intelligent, quoique un peu bavard. Du haut de la ter-rasse, le coup d’ceil est ravissant, c’est le panorama napolitain vu dunbsp;point opposé aux Camaldules.
Toutefois, deux souvenirs tragiques viennent assombrir le tableau. Vers l’an de Rome 680, un esclave, né dans la Thrace, était enferménbsp;è Capoue, avec trois ou quatre mille malheureux destinés comme luinbsp;aux jeux sanglants de l’amphithéatre. Une nuit il force sa prison, ga-gne la campagne et se voit bientót a la tête d’une petite troupe d’es-claves fugitifs : de montagne en montagne, il arrive sur le versant du
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Vésuve. Plein d’audace et de courage, doué d’une force d’Amé que les mauvais traitements de la servitude out doublée, Spartacus adresse anbsp;ses compagnons les énergiques paroles que l’histoire a recueillies etnbsp;que semblent encore répéter les échos du volcan : « Rebuts dunbsp;monde, sans nom, saus patrie, sans familie; condamnés a récréer nosnbsp;maitres par des spectacles barbares ou a nourrir leur mollesse aunbsp;prix de nos sueurs; traités par eux comme de vils animaux, Ie fouetnbsp;sanglant, Ie fer rouge, la croix, sont Ie prix de nos services : voila cenbsp;que nous sommes. 11 dépend de nous de cbanger notre sort; nousnbsp;avons la force, Ie nombre, Ie droit; sachons combattre, et la destinéenbsp;sera pour nous. » A ces mots Spartacus étend les mains vers Ie ciel etnbsp;vers la mer; ses compagnons l’élèvent sur leurs boucliers, et buitnbsp;jours après quarante mille esclaves, rangés en bataille, battent les pré-teurs et les consuls, et font trembler la grande Rome : mais l’heurenbsp;de la liberté n’avait pas encore sonné pour Ie monde. Cinq ans aprèsnbsp;Spartacus défait par Crassus venait mourir presque au même lieu oünbsp;il avait levé l’étendard de l’émancipation.
Quand du haut de la même terrasse on porte les regards du cóté de Stabia, on croit apercevoir, a travers une pluie de cendres, Ie fatalnbsp;linceul sur lequel Pline l’ancien, suffoqué par la fumée du volcan, senbsp;fit étendre, après avoir demandé deux verres d’eau fraiche. On croitnbsp;sentir encore l’odeur de soufre qui annongait la colonne d’air embra-sée, puis on croit voir la flamme qui suivait; et bientot on distinguenbsp;Ie corps inanimé du grand naturaliste, mort en ces lieux par amournbsp;de la science, comme Spartacus par amour de la liberté.
Bien que peu rassurant, ce dernier souvenir ne nous empècha pas de continuer notre périlleuse ascension. II est vrai que Ie ciel étaitnbsp;calme et Ie Vésuve parfaitement inoffensif. Si nous n’avions rien ènbsp;craindre du volcan, il parait que nous devions redouter les sgrazatori.nbsp;En quittant l’Ermitage, notre petite troupe fut escortée par deux ca-rabiniers de süreté. Sa Majesté Napolitaine les entrelient dans ce postenbsp;isolé, pour accompagner les voyageurs, qu’on pourrait, du reste,nbsp;dépouiller et même assassiner au pied du Vésuve sans qu’une oreillenbsp;humaine entendit leurs cris de détresse. Par un étroit sentier on descend dans un ravin profond qui protégé 1 Ermitage centre les eruptions du volcan; puis on s’élève sur d’énormes couches de lave, et onnbsp;arrive en peu de temps a la base de la montagne. Sur la gauche s’élève un cóne appelé Cóne de Gautrey, du nom d’un Francais qui s’ynbsp;précipita volontairement et dont Ie Vésuve vomit Ie cadavre deux joursnbsp;après. Lk il faut mettre pied è terre; les bêtes de somme ne peuvent
-ocr page 386-382 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS R05IE.
aller plus loin : c’est aux voyageurs, armés d’un bamp;lon, a gravir Ie flanc ardu de la raontagne. Parvenus a une certaine hauteur, nousnbsp;nous assimes pour respirer et jouir d’un spectacle qui n’était pas sausnbsp;intérêt.
Quoique je l’aie souvent désiré, je n’ai jamais vu Ie grand désert du Sahara, ni la caravane asiatique ou africaine bivouaquant au milieunbsp;des sables brülants; ni l’Arabe vagabond caracolant dans ces vastesnbsp;solitudes pour détrousser Ie voyageur égaré. A défaut de la réalité,nbsp;j’avais sous les yeux une représentation assez frappante. Au pied de lanbsp;montagne stationnaient, attachées par Ie licou a des pieux fixés ennbsp;terre, quarante montures, ünes, chevaux ou mulets. Trente lazzaroni,nbsp;vive image des nègres, domestiques obligés de la caravane oriëntale,nbsp;gardaient nos bêtes de somme, et quelques-uns de nos bagages. Auteur de nous une solitude non moins compléte que celle du désert;nbsp;è défaut d’une plaine de sable, nous avions sous les pieds une plainenbsp;de cendres et de laves. Les Bédouins même ne manquaient pas; car ilnbsp;est d’usage que, parmi les officieux valets dont vous êtes accompagné,nbsp;il se trouve toujours quelques filous. Enfin, si la caravane du désertnbsp;est protégée par des soldats a la longue carabine passée en bandou-lière, nous avions Ie même avantage.
Pendant que je rêvais a ma vision africaine, les retardataires rejoi-gnirent Ie corps d’armée, et on continua d’escalader la difficile montagne ; Ie Vésuve présentait alors un phénomène remarquable. Comme ces vieillards dont parlent souvent les moralistes, qui, malgré leursnbsp;cheveux blancs, portent dans leur poitrine un coeur oü bouillonnentnbsp;les passions; Fantique volcan cachait ses entrailles de feu sous unenbsp;surface couverte d’une neige glacée : avant midi nous étions au termenbsp;de notre ascension. Le sommet du ’Fésuve forme un plateau circulairenbsp;d’un quart de lieue de diamètre.
De 1’épaisse couche de cendres chaudes sur laquelle vous marchez, s’échappent de distance en distance des fumorole ou soupiraux brülants, dans lesquels il est impossible de tenir la main. Qa et la quelques laves blanchütres, semblables a des ossements répandus parminbsp;les cendres d’un bücher funéraire, de nombreux accidents de terrainnbsp;avec des parties saillantes, couleur de tuile, d’oü sort incessammentnbsp;un air enflammé; partout l’image de la destruction et de la mort ; telnbsp;est le spectacle qui frappe d’abord les regards du voyageur. Nousnbsp;fimes le tour du plateau sans nous arrêter, paree que les pieds nousnbsp;brülaient, pendant que l’odeur du soufre nous prenait è la gorge etnbsp;que la fumée du cratère nous faisait pleurer les yeux. Parvenus au
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il
point du Vésuve qui regarde Pompéi, nous nous arrêtftmes devant un soupirai], semblable h Ia gueule d’une fournaise pleine de verre ennbsp;fusion; il nous pril fantaisie d’y plonger nos batons, et chaque foisnbsp;nous les retirions tout en feu. Des lettres, des papiers, des cartes denbsp;visites présentées a Torifice, brulaient instantanément entre nos mains.nbsp;Voyez pourtant la témérité humaine! La croüte brülante qui réson-nait sous nos pas nous séparait i peine de quelques pieds d’un abimenbsp;de feu. Que fallait-il pour entr’ouvrir notre frêle plancher et nousnbsp;engloutir? une légère secousse de tremblement de terre, un peu d’airnbsp;comprimé; et nous n’y pensions pas!
Au centre du plateau s’ouvre Ie cralère; c’est un gouffre taillé en forme d’entonnoir, qui peut avoir deux cents pieds de profondeur surnbsp;autant de largeur. Les parois abruptes, couvertes de cendres, de sou-fre et de cinabre, olfrent un aspect qui fatigue la vue et porte la terreur dans l’éme. La visite au Vésuve ne serail pas compléte si on nenbsp;descendait au fond du cratère. Le guide consulté opposa d’abordnbsp;quelques difBcultés è nos désirs; cependant il nous assura que, lenbsp;temps étant calme, nous n’avions rien ^ cralndre, et sur ses pas nousnbsp;commenQames l’aventureuse excursion. Appuyés sur nos longs bêtons,nbsp;nous descendimes en zigzag par le flanc méridional du gouffre brü-lant, et après dix minutes d’une marche pénible nous fumes a quelques pas de la cheminée. Au centre de l’abime est une large ouverture de laquelle s’élève nuit et jour une vaste colonne de fuméenbsp;blancMtre, saturée de chlore et de soufre. Dans le sein de la terre onnbsp;entend comme le bruit intermittent d’im énorme soufflet de forge, ounbsp;Ie jeu parfaitement isochrone d’une pompe è double piston. A chaquenbsp;coup de piston, la fumée s’élance par bouffées é quinze ou vingt piedsnbsp;d’élévation. Les matières ignées vomies par le cratère se refroidissentnbsp;au contact de l’atmosphère et retombent sur les bords; puis en s’ac-cumulant elles ferment autour de l’orifice un cóne élevé de plusieursnbsp;mètres, auquel on donne le nom de cheminée.
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Depuis quelque temps nous considérions, avec une curiosité mêlée de terreur, ce soupirail de l’enfer, lorsqu’un coup de vent rabat surnbsp;nous la colonne de fumée. Un de nos compagnons se Irouve suffoqué;nbsp;il tombe, ses membres se roidissent, ses yeux s’injeclent de sang. Ianbsp;respiration est on ne peut plus pénible. On se héte de le relever, denbsp;l’éloigner, de le hisser sur le flanc du cratère; bientót il recouvre sesnbsp;sens : mais la crainte d’un nouvel accident nous oblige ü quitternbsp;promptement la place. Au reste, nous avions vu tout ce qu’on peutnbsp;voir. Pénétrés d’un double sentiment de reconnaissance et de frayeur.
-ocr page 388-584 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
nous regagnömes Ie plateau, et, nous laissant glisser sur une croüte de lave recouverte d’un pied de cendres, nous arrivSmes au bas du Yé-suve sans accident pour nos personnes, mais avec un irréparable dom-mage pour nos chaussures. Brulées et déchirées, elles n’auraient punbsp;nous conduire déceuiment jusqu’i Naples si nous avions du faire lanbsp;route a pled. Heureusement nos fidèles montures nous attendaient anbsp;la base de la montagne; avec elles nous repassames h FErmitage, oünbsp;restèrent nos carabiniers, et deux heures plus tard nous étions nous-mêmes de retour k Résina.
Malgré la juste frayeur qu’inspire Ie Vésuve, malgré les ravages qu’il fait depuis tant de siècles, on ne peut s’empêcher en Ie visitant,nbsp;de rendre hommage amp; ses bienfaits. La cendre, dont il inonde les co-teaux et les plaines du voisinage, est tellement fertile, que la population s’élève jusqu’a cinq mille ames par lieue carrée, dans Ie rayonnbsp;qu’elle arrose. Outre la vue, qui est ravissante, toute espèce de culture y réusslt, et toute sorle d’arbres y croissent. Les blés rendentnbsp;buit et dix pour un, et, suivant la coutume des Romains, la terre estnbsp;labourée sans retard pour recevoir des semences d’une autre espèce.nbsp;Les arbres portent la vigne et donnent des fruits; on en cueille en-suite les feuilles en automne, pour nourrir les bestiaux pendant Fhi-ver : entre les rangs d’ormeaux croissent des melons que 1’on vendnbsp;avant de semer Ie blé. Après la récolte du blé, on retourne Ie chaumenbsp;5 la bêche pour y semer des fèves ou du trèlle a fleurs pourprées.nbsp;Pendant six mois les enfants viennent chaque matin en couper avecnbsp;une faucille une charge pour nourrir les vaclies. Au printemps onnbsp;plante Ie maïs sur Ie chaume du trèfle ou des fèves; on fume alorsnbsp;les terres, et cette récolte, qui nourrit Ia familie, est un jour de fêtenbsp;dans les campagnes. Elle est a peine linie qu’on retourne la terrenbsp;pour y semer du blé, et, après Ie blé, des légumes de différentesnbsp;espèces.
Ainsi les terres produisent en abondance du vin et des fruits, des grains et des légumes pour Fhomme; des feuilles et de Fherbe pournbsp;les bestiaux. Malgré cela Ie métayer est pauvre en général, surtout lorsnbsp;d’une mauvaise récolte. La misère est partout la compagne assidue denbsp;la fécondité du sol, paree qu’elle attire et augmente tellement la population que Ie sol, subdivisé è 1’infini, cesse bientöt de pouvoir entre-lenir, è lui seul, les bras qu’il a trop multipliés. k Pour en juger, ilnbsp;suffit de savoir que ces terres volcaniques nourrissent une familie denbsp;cinq personnes avec Ie tiers du produit de cinq arpents : on ne peutnbsp;guère trouver qu’aux Indes l’exemple d’une telle richesse et d’une si
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grande population (i). » Tant de productions n’épuisent pas la fécon-dité du sol. Aux légumes, aux pastèques, aux meilleures oranges de l’Europe avec celles de Portugal, les cendres du Vésuve ajoutent Ienbsp;lacrima Christi, excellent vin, dont Ie nom un peu triste a inspiré cesnbsp;jolis vers au poète italien Chiabrera :
Chi fu de’ contadini il si indiscreto.
Ch’a sbigotlir la gente Diede nome dolente
Al vin, che sovra gil allri il cuor fa lieto?
Lacrima dunque appellerassi un riso,
Parto di nobilissima vendemmia?
On ne peut quitter Résina sans visiter Herculanum, ensevelie sous la lave it soixante pieds de profondeur. A la lue.ur des torches nousnbsp;parcourümes les parties déjit déblayées; Ie premier monument qu’onnbsp;rencontre, c’est Ie thédtre qui passe pour Ie mieux conservé que nousnbsp;ayons. Mais Dion Cassius parait s’être trompé, lorsqu’il avance que lesnbsp;habitants furent surpris par l’éruption au milieu d’une pièce de co-médie ; Ie petit nombre de squelettes, trouvés au theatre, semblenbsp;témoigner du contraire. Quoi qu’il en soit, les proportions de l’édi-fice, l’alignement des rues, Ie nombre des papyrus, montrent qu’Her-culanum était une grande et belle ville; comme les fresques et lesnbsp;autres objets de luxe et de religion établissent malheureusement qu’ellenbsp;mérita Ie sort de Pompéi, dont elle partageait les iniquités. Prés d’Her-culanum brille la résidence royale de Portici dont la cour d’honneurnbsp;est traversée par la grande route de Salerne et des deux Calabres : nenbsp;pas déranger la voie publique et sacrifier son repos h. la facilité desnbsp;communications, c’est lii un sentiment paternel qui honorera toujoursnbsp;Ie roi Charles III. L’élégance des portiques, la beauté des peinturesnbsp;méritent l’attention du voyageur. Après avoir jeté un coup d’oeil surnbsp;ces richesses, vrais trésors partout oü elles seraient moins communes,nbsp;nous entrames a Naples, non sans admirer les nombreux corricolo quinbsp;sillonnaient la route aux larges dalles.
Le corricolo est la voiture napolitaine par excellence. Habitants de la ville et de la campagne, lazzaroni et bourgeois, militaires et artisans,nbsp;hommes et femmes, semblent y monter avec un égal bonlieur. Pour lanbsp;forme, il ressemble é nos coucous des environs de Paris'; mais ce quinbsp;ne ressemble é rien, c’est la manière dont s’y placent les voyageursnbsp;au nombre de dix, de douze et même de quatorze. Ils sont partout,
(i) Lullin de Chüleauvieux, Lettres sur l’Italie, p. 250.
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386 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
dedans, devant, derrière, dessus et dessous; debout, assis, couchés, accroupis; riant, chantant, jasant et surtout gesticulant avec ce talentnbsp;mimique si vif et si varié, qui permet aux Napolitains d’entretenir lanbsp;conversation sans prononcer une seule parole et sans être compris desnbsp;étrangers. Quand Ie corricolo, orné de cette société au costume pitto-resque, passe rapidenient devant vous, on ne sait si on voit des ombresnbsp;chinoises ou une voiture de masques.
25 FÉYRIER.
L’Albergo des pauvres. — Charles III. — Benoit XIV. — Le padre Rocco. — Charité na-polilaine pour les enfants abandonnés. — Ponti-Rossi. — Saint-Janvier-des-Pauvres. — Catacombcs. — Collége clünois. — Gesü Vecchio. — Corps de saint Chrysante etnbsp;de sainte Darie.—La Vestale martyre.—Piété napolitaine.—Mceurs publiques.—nbsp;Anecdote.
Nous en avions fini avec le monde païen, antique habitant de Par-Ihénope et de ses bords enchantés : ses monuments de tout genre nous étaient connus et nous l’avions surpris dans les impurs secrets de sanbsp;vie religieuse, publique et privée. Le terrible volcan dont Dieu s’étaitnbsp;servi pour exercer sa juste vengeance avait re^u notre visite : il nousnbsp;restait è étudier le peuple nouveau, fils et successeur du peuple quinbsp;n’est plus. Naples, devenue chrétienne, manifeste sa foi par ses monuments, ses institutions, ses lois et ses moeurs. Ne parlons pas de sesnbsp;trois cents églises; passons A ses établissements de charité.
h'Albergo reale de Poveri fut le premier objet de notre euriosité. Pour nous y rendre nous suivimes la grande rue de Tolède; les Studjnbsp;se trouvaient a deux pas; nous y entrAmes pour voir la bibliothèque.nbsp;Elle possède un assez grand nombre d’éditions princeps, et environnbsp;trois mille manuscrits fort anciens. Le plus précieux de tous est le cé-lèbre autograpbe de saint Thomas d’Aquin, contenant Texposition dunbsp;Traité de saint Denis l’Aréopagite De coelesli Hierarchia. Autrefois onnbsp;le conservait religieusement au couvent de Saint-Dominique; on l’ynbsp;transporte encore chaque année, pour 1’exposer A la vénération desnbsp;fidèles le jour de la fête du saint dooteur.
Non loin des Studj, incomparable musée d’antiquités païennes. Naples montre avec un juste orgueil son Albergo des pauvres, l’un des trois plus grands hospices de TEurope. Un roi, un pape, un saint, tra-vaillèrent de concert A la fondation de ce magnifique hótel de la misère : le roi, c’est Charles III; le pape, Benoit XIV; et Ie serviteur denbsp;Dieu, Ie Padre Rocco, si célèbre A Naples par son éloquence et par sa
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charité. Soulager les infirmités corporelles et spirituelles des pauvres, telle est la pensée qui animait les trois fondateurs. L’inscription gravéenbsp;en lettres d’or sur la facade principale de l’édifice :
EEGIUM TOTIOS REGNI PAUPERUM HOSPITIUM.
résumé la pensée créatrice que la charte du jeune roi développe tout entière.
a Le zèle, dit l’excellent monarque, qui nous anime pour assurer la félicité de ce royaume, ne nous permet plus de regarder d’un ceil indifférent tous les désordres produits par la grande quantité de pauvresnbsp;qui encombrent cette ville populeuse. Bien que parmi tous ces indi-gents, il y ait des vieillards, des estropiés, des aveugles, incapables denbsp;travailler, ce qui nous touche d’une profonde pitié, il y en a pourtant,nbsp;et c’est le plus grand nombre, qui vivent dans le vagabondage; cesnbsp;hommes-la sont robustes et tenaces amp; professer l’état de mendiant, pournbsp;mener de propos délibéré une vie oisive et libertine. II y a aussi desnbsp;orphelins et des enfanls abandonnés, qui s’habituant a mendier sansnbsp;aucune éducation chrétienne, sans apprendre aucun état, deviennentnbsp;non-seulement des êlres inutiles, mais encore des scélérats nuisibles knbsp;la société. En conséquence, par une juste commisération pour les premiers, et par la charge qui nous est imposée de réformer les autres,nbsp;nous avons résolu de fonder dans cette capitale un hötel général desnbsp;pauvres de tout sexe, de tout Age, et d’y introduire les arts les plusnbsp;utiles et les plus nécessaires, afin qu’une telle oeuvre soit agréable auxnbsp;yeux de Dieu, et devienne un bienfait pour la ville et le royaume (i). »
Mais pour élever le colossal édifice, entrepris par l’architecte Ferdinand Fuga, il fallait des sommes immenses, et le royaume était épuisé. Le jeune roi ne perdit point courage; il commenga par offrir géné-
(!) Lo zelo che si nudre dall’ animo nostro per Ia maggiore feliciui de questo reame, non ci permette di piii riguardare con occhio indifferente tutti i disordini che derivanonbsp;da’ poveri, i quaii inondano questa popolatissinia citta. Sebbene vari fra cosloro siennbsp;vecchi, storpi, ceichi, inabili allaf alica, della miseria de quali altamenle è commossanbsp;la piëta nostra, pure gli attri, e fanno la maggior porte, son uomini vagabond! e robusti,nbsp;fermi tutti nel professare la mendicita per menar di proposito una vita oziosa e liber-tina : son l'anciulli orf'ani e derelitti, i quali avezzandosi al mestiere del limosinare,nbsp;senza cristiana educazione, e senza apprendere arte alcuna,riescono col tempo non solonbsp;inutili, ma 1'acinorosi e perniciosissimi allo stato. Quindi per giusta commiserazionenbsp;de’ primi, e per dovuta provvidenza ed emenda degli attri, abbiamo deliberate di fon-dare in questa capitale un generale albergo de’ poveri d'ogni sesso ed eta, e quivi in-trodurre le arti piü utili e necessarie, allinche tale opera sia grata agli occhi di Dio, enbsp;di benefizio alia citta ed al regno.
-ocr page 392-388 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS SOME.
reusement les ressources dont il pouvait disposer : puis il en créa de nouvelles sans aggraver les impóts. Cerlaines corporations du royaumenbsp;étaient soumises a une contribution annuelle dont jusqu’a lui les vice-rois avaient seuls profité. Lorsque les députés de la ville de Naples, lesnbsp;chefs des corporations et les supérieurs des convents vinrent déposernbsp;leurs ofïrandes au pied du tróne, Ie roi leur dit : « Mes bons'sujets,nbsp;vous savez que je fais construire un grand asile pour les pauvres dunbsp;royaume; j’ai besoin pour cela de votre aide, et j’éprouve un véritablenbsp;plaisir a changer la destination de tous ces présents, en les faisantnbsp;servir d’abord a l’achèvement et ensuite la dotation de YAlbergonbsp;des pauvres. »
Benoit XIV, informé des généreuses intentions du jeune prince, consentit volontiers a supprimcr onze convents d’Augustins réformés,nbsp;dont il consacra Ie revenu a la construction et a l’entretien du royalnbsp;palais de la charité. Dans Ie même temps Ie roi Charles rencontra unnbsp;homme qui lui fut d’un grand secours pour I’accomplissement de sonnbsp;oeuvre : c’était Ie fameux Padre Rocco, dominieain, missionnaire dunbsp;peuple. Saint Bernard par l’éloquence, saint Vincent de Paul par lanbsp;charité, la Padre Rocco était tout-puissant sur Ie peuple napolitain.nbsp;Vrai tribun chrétien, il savait, par son accent inspiré, subjuguer Ienbsp;coeur et la pensée de ses nombreux auditeurs, et chacun, sans se l’a-vouer, lui accordait un pouvoir providentiel; il s’en servit pour seconder les charitables desseins du monarque. Quand on lui demandaitnbsp;comment faire pour trouver toujours l’argent nécessaire a l’achève-ment d’un edifice qui engloutissait des trésors, il répondait en sou-riant : « Faites toujours, Dargent ne manquera pas, je vous en don-nerai : Fate, fate, il danaro non mancherd, ed io velo porterö. »
Sa confiance ne fut pas vaine; et en 1764, Ie magnifique asile s’ou-vrit a tous les genres de misères. Nous y trouvamp;mes environ trois mille enfants des deux sexes dont les catégories et les travaux rappellentnbsp;l’hospice apostolique de Saint-Michel. On y voit différents métiersnbsp;pour les tissus de coton, pour les soieries, pour la broderie et la passementerie ; il y a une école de musique, de dessin, de calcul, une fon-derie de caractères, une imprimerie, un atelier de lithographic et unenbsp;institution pour les sourds-muets. Une fabrique de corail emploienbsp;plus de trois cents jeunes filles; les autres s’occupent aux travaux denbsp;l’aiguille, a tlsser, a filer, etc. Ainsi il y a du travail, et du travailnbsp;Ubre, pour les adultes de tous les ages, des écoles pour tous les artsnbsp;et pour tous les métiers, de Finstruction pour toutes les capacités.nbsp;Nous visitftmes, avec une vive satisfaction, ce peuple entier de mal-
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heureux dont le paganisme ne daignait pas s’occuper, dont la philan-thropie aggrave souvent les douleurs, et que la seule charite catholique environne de soins assidus et couvre de son aile maternelle.
Pendant le cours de cetle visite d’intérêssants détails nous furent donnés sur la charité napolitaine; il nous est doux de les faire con-naitre. Dans chaque commune du royaume de Naples, Padminlstrationnbsp;municipale recueille, sans s’informer de leur origine, lous les enfantsnbsp;qui lui sont présentés, et les met en nourrice chez des parliculiers :nbsp;le chef-lieu de chaque province possède un hospice spécial pour lesnbsp;enfants trouvés. Un petit halcon couvert, Ringhiera, fait rolBce denbsp;tour, et l’enfant déposé est recueilli immédiatement, au son d’une clo-chette qui avertit la surveillante. On rcgoit, dans ces hospices, tousnbsp;les enfants sans difficulté. II est très-rare que les enfants legitimesnbsp;soient exposés; mais d’un autre cólé il y a peu d’enfants naturels quinbsp;ne soient portés dans ces asiles. L'Annunziata, fondé en 1515, regoitnbsp;les enfants trouvés de Naples et des environs. Les gargons, è l’ftge denbsp;sept ans, sont envoyés ii VAlbergo de Poveri, oü ils sont élevés avecnbsp;les orphelins. Les lilies sont également revues dans Penceinte qui leurnbsp;est réservée, et suivant l’excellente coutume de l’ltalie, elles y hahitentnbsp;jusqu’a leur mort, a moins qu’elles ne se marient; dans ce cas, ellesnbsp;resolvent une dot convenable. Du reste, il est rare qu’elles ne trouventnbsp;pas è s’étahlir; car c’est un usage dans le peuple d’aller, par dévo-tion, chercher une épouse au milieu d’elles.
En nous rendaiit a Saint-Janvier-des-Pauvres, nous visitames les Ponti-Rossi, magnifiques débris de l’aqueduc bftti par Auguste pournbsp;conduire, è trente-cinq milles de Naples, les eaux du fleuve Sebeto,nbsp;destinées a Ia Hotte de Misène. L’hospice de Saint-Janvier comptenbsp;quatre cents pauvres hommes ou femmes, soignés, dirigés, consolésnbsp;par nos soeurs grises, d’origine francomtoise. J’aime a Ie répéter : nosnbsp;religieuses sont destinées a faire bénir le nom de la France jusqu’auxnbsp;extrémités du monde, et a nous concilier l’estime et I’affeetion nécessaires a notre mission providentielle.
Prés de Saint-Janvier est l’ouverture des cataeombes dont nous par-courümes les vastes galeries. La hauteur des voütes, la largeur et la régularité des rues, le nombre et lasolidité des colonnes, tout annoncenbsp;un travail exécuté a loisir et avec toutes les ressources de Tart. Ce faitnbsp;seul témoigne d’une origine pa’ienne ; la tradition invariable sur cenbsp;point. Test aussi sur l’usage que nos pères firent de ces cataeombes.nbsp;Bien que Naples n’ait été le théêtre d’aucune persécution, cependantnbsp;les chrétiens de cette ville, en voyant le sang de leurs frères couler non
TOM. II. nbsp;nbsp;nbsp;17
-ocr page 394-390 nbsp;nbsp;nbsp;les TEOIS ROME.
loin de leurs murailles, durent souvent cacher leurs mystères aux regards des pa'iens; ces souterrains devinrent leur asile. On y trouve encore des fonts baptismaux, une chapelle, une chaire pontificale, té-moins authentiques du passage des premiers fidèles.
L’esprit du christianisme, qui respire dans les catacombes, se ma-' feste avec éclat dans la fondation du Collége Chinois, unique en Europe. Vers la fin du xvii® siècle, le P. Mattliieu Ripa, missionnairenbsp;napolitain, s’embarqua pour la Chine. Peintre habile, il sut mériternbsp;les bonnes graces de I’erapereur, et brulant de zèle pour le salut de cenbsp;vaste pays, il voulut perpétuer le bien qu’il avail commencé. De retournbsp;dans sa patrie, en 1726, il fonda un collége destiné a I’instruction desnbsp;jeunes Chinois. L’établisseraent fut doté par de pieux chrétiens et parnbsp;la Propagande de Rome. Les élèves y sont envoyés de la Chine parnbsp;les missionnaires è l’ftge de treize ou quatorze ans; ils repartent lors-que leur education est finie, et prêchent l’Évangile a leurs compa-triotes. Nous vimes les portraits d’un assez grand nombre avec desnbsp;inscriptions indiquant leurs noms, l’année de leur naissance, de leurnbsp;arrivée amp; Naples, de leur départ pour la Chine et de leur mort, quandnbsp;elle est connue; enfin le genre de martyre que plusieurs ont subi.nbsp;Dien que peu nombreux, le Collége chinois a rendu d’importants services è la religion, aux sciences et aux arts.
Nous le quittèmes en saluant les futurs martyrs qu’il cachait h l’ombre de ses cloitres, et nous allames rendre nos hommages a deuxnbsp;martyrs des premiers temps, que la cité napolitaine environne d’unenbsp;vénération profonde et d’une confiance toute filiale: je veux parler desnbsp;saints Crysante et Darie dont les corps reposent ^us le grand autelnbsp;de l’église populaire du Gesü Vecchio. Gardien de ce sanctuaire vé-nérable, un saint prêtre, don Placido, rappellé, par son dévouementnbsp;et par ses hautes vertus, les plus beaux exemples des temps primitifs.nbsp;Levé è deux heures du matin, il célèbre les saints mystères ^ troisnbsp;heures, et une foule de peuple y assiste. La messe est suivie de la mé-ditation ou d’une instruction familière. Le bon prêtre ne descend denbsp;la chaire que pour entrer au confessionnal, oü il demeure une partienbsp;de la journée; des audiences de charité occupent, avec la prière, lenbsp;reste de son temps. Grêce h son obligeance, la chêsse des martyrs nousnbsp;fut ouverte, et nous pumes vénérer a notre aise ces pieuses reliques,nbsp;dont la vue rappelle vivement un des plus beaux triomphes de l’É-vangile.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;*
Chrysante, fils d’un sénateur romain, était né en Égypte. Jeune encore, il accompagna son père dans la grande Rome, oü sa haute in-
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telligence fut bientót appréciée. Convaincu de la vanité des idoles, il cherchait, par tous les moyens, i connaitre la vérité, afin de délivrernbsp;son amp;me des doutes qui la désolaient. Un vieillard lui est indiquénbsp;comme un sage; Chrysanle s’adresse k lui. Le vieillard, qui était chré-tien, n’a pas de peine a dessiller les yeux du jeune néophyte. La vériténbsp;connue est a l’instant même embrassée avec ardeur : Chrysante de-vient apótre. Son père s’étonne, s’irrite, et jure de faire revenir sonnbsp;fils de ce qu’il appelle ses superstitions et ses erreurs. Caresses, priè-res, menaces, tout est mis en oeuvre; mais tout reste inutile. Cédantnbsp;alors aux instigations de ses proches, le père de Chrysante enfermenbsp;son fils dans son palais, et tend è sa vertu le piége le plus dangereux.nbsp;Les personnes araenées pour le séduire n’ayant pu l’ébranler, on faitnbsp;choix d’une Vestale, également fameuse par ses attraits, par ses con-naissances et par le charme de son élocution. Prêtresse d’une idole,nbsp;dont le culte était regardé comme la sauvegarde de l’empire, Darienbsp;déploie tous ses artifices pour corrorapre le jeune chrétien et l’ame-ner comme une conquête ii l’autel des dieux; mais elle devient elle-même la conquête de la grace. Chrysante et Darie, se voyant unis parnbsp;les liens de la foi, de l’espérance et de la charité, s’unissent alors parnbsp;les liens sacrés d’un mariage virginal. Cette résolution met Chrysantenbsp;en liberté, et lui donne, ainsi qu’é sa chaste épouse, le moyen de continuer a prêcher Jésus-Christ. De nombreuses conversions dans lesnbsp;hauts rangs de la société deviennent le fruit de leur apostolat; unenbsp;des plus remarquables fut celle du tribun Claudius, avec sa femme,nbsp;ses deux fils, ses domestiques et soixante-dix soldats.
Des plaintes sont portées au préfet Célérinus qui fait arrêter les jeunes époux. Chrysante est enfermé dans la prison Mamertine, etnbsp;Darie exposée dans un lieu de débauches. Le Seigneur veille sur euxnbsp;comme il veilla sur tant d’autres; et ils sortent intacts et purs. Pournbsp;en finir, l’empereur irrité les condamne è être enterrés tout vivants.nbsp;II est vraisemblable que eet affreux supplice fut choisi afin de fairenbsp;subir k Darie le genre de mort réservé aux Vestales infidèles (i). Celtenbsp;conjecture devient d’autant plus probable qu on fit expirer les saintsnbsp;martyrs prés de la porte Solaria, lieu désigné pour le supplice desnbsp;Vestales {2). Un frisson de terreur vous parcourt tous les membres, etnbsp;des larmes de compassion coulent de vos yeux, lorsqu’en présence de
(1) nbsp;nbsp;nbsp;tJna cum Chrysante in foveam altam demissa, occluso aditu, instar Vestalium de-linquenlium, extra portam Salariam, eo mode ambo mort coguntur. — Bar. an. 284,nbsp;N. VII, A.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;D. Halycar., ii, 17; Plutarch., in Numa, 18.
-ocr page 396-392 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
ces corps vénérables, vous vous rappelez les efifroyables tortures qui leur méritèrent la glorieuse immortalité.
La Veslale, jugée et condamnée par Ie collége des pontifes, était battue de verges, puis couverte d’ornements mortuaires. En eet étatnbsp;on la faisait monter dans une lectique, réservée pour ces horribles cérémonies, et enveloppée extérieurement de coussins serrés avec desnbsp;courroies, afin de donner a cette bière des vivants toute la surditénbsp;d’un tombeau. Les cris du désespoir expiraient centre ces parois, etnbsp;les juges et les bourreaux n’avaient a redouter ni de se sentir émusnbsp;malgré eux, ni de voir exciter parmi les assistants une émotion quinbsp;auraitpuarracher leurs victimes, L’affreux convoi traversait Ie Forum,nbsp;Ie Comitium, et se dirigeait lentement par la voie Solaria vers Ienbsp;Champ-Scélérat, lieu du supplice. La consternation régnait dans lanbsp;ville; les boutiques, les tavernes, les basiliques étaient fermées, et Ienbsp;silence de la foule n’était interrompu que par les sanglots des parentsnbsp;et des amis de la condamnée (i).
Au milieu du Champ-Scélérat se trouvait creusé un caveau souterrain, dans lequel on descendait a l’aide d’une échelle. Un petit lit était dressé sous la voute, et, auprès de cette couche de la mort, lui-sait une lampe sépulcrale, non loin de laquelle était déposé un peunbsp;d’huile, un peu de pain et d’eau, un peu de lait, provisions d’un journbsp;pour une malheureuse condamnée éternellement i» cette prison tumu-laire (2). Cependant les licteurs dénouaient les fermetures de la lectique déposée devant Ie caveau; Ie Flamen dialis conduisait la victimenbsp;sur l’échelle, puis se retirait aussitót en laissant l’infortunée entre lesnbsp;mains du bourreau. Celui-ci lui offrait la main pour l’aider k des-cendre; elle était peine arrivée au fond de sa tombe que Ie bourreaunbsp;se hatait de retirer l’échelle, et des esclaves, aussi impassibles que lanbsp;mort, remplissaient l’entrée du caveau jusqu’au niveau du sol, égali-sant Ie terrain, paree qu’il ne fallait pas que la Vestale coupablenbsp;laissat de trace de sa présence, ni parmi les vivants ni parmi lesnbsp;morts (3).
Mais les chrétiens, témoins intrépides du martyre de leur frère et de leur soeur, n’oublièrent pas leur glorieux tombeau. Ils s’y réunis-saient au jour anniversaire de leur mort (i), et quand la paix fut don-née è l’Église, Ie pape saint Damase rendit tl la lumière du soleil Chry-
(t) Plutarch., in Ifuma, 18.
(3) nbsp;nbsp;nbsp;ld., id. — Et Queest. rom. 96.
{4) En parlant des catacombes, je rapporterai ce qui se passa dans une de ces synaxes.
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santé et Darie, et c’est une grande joie pour Ie fidéle des derniers lemps d’associer ses humbles hommages a ceux que Ie monde catholi-que olfre solennellement, depuis seize siècles, aux héros des flges pri-mitifs (i).
Piiisque je suis a parler des monuments et des objets de la piété napolitaine, voici quelques détails qui compléteront ce que j’ai déjanbsp;dit sur eet intéressant sujet. La piété prend Ie caractère des nations comme des individus; plus froide, plus réservée en France, ellenbsp;est plus vive, plus expansive et plus naïve en Italië. Je voyais au Gesünbsp;Vecchio une femme du peuple, tour è tour agenouillée et assise, par-lant tout haut la sainte Yierge dont l’image miraculeuse couronne Ienbsp;maitre autel. Les yeux constamment fixés sur Marie, elle l’appelait :nbsp;Mamma, mamma; luiracontaitavec une simplicité d’enfant ses peinesnbsp;domestiques, ses désirs, ses espérances, ses craintes, puis elle pleurait,nbsp;puis elle lui envoyait des baisers; puis elle la saluait avec amour, etnbsp;finissait, pour recommencer encore, en ajoutant; Je vous ai tout dit;nbsp;faites maintenant, je m’en vais, je compte sur vous, vous m’entendeznbsp;bien? addio, mamma, mamma, addio. Enfin elle sortit en lui envoyantnbsp;un dernier baiser. Ce que faisait cette pauvre femme, vingt autres Ienbsp;faisaient en même temps; personne ne s’en occupait, tant cette ma-nière de prier est naturelle au peuple de Naples.
Dans la classe élevée la piété, et surtout la confiance filiale envers Marie, conserve Ie même caractère de foi vive et de naïveté touchante.nbsp;Un des magistrats les plus distingués de Naples a composé pour sa familienbsp;un ouvrage fort estimé, dans lequel il parle ainsi i la sainte Vierge :nbsp;« Vous trouvez peut-être, ma mère, que vous m’avez déja donné beau-coup, je ne Ie nie pas; mais vous me devez encore plus que vous nenbsp;m’avez donné. Permettez-moi de régler aujourd’hui mes comptes avecnbsp;vous. Toutes les législations du monde, d’accord avec la nature elle-même, donnent aux enfants un droit sacré sur tous les biens de leurnbsp;mère, surtout lorsque ces biens n’ont été accordés a la mère qu’ennbsp;considération de ses enfants. Ce principe pose, voyez combien vousnbsp;êtes riche! Vos richesses ne sont pas des trésors, mais des mines iné-puisables. Vous êtes la reine du ciel et de la terre, la dispensatrice denbsp;la grace, la puissance qui se fait obéir de Dieu même. Or, songeznbsp;bien, je vous prie, que tous ces biens ne vous ont pas été donnés pournbsp;vous seule, mais pour vos enfants, mais pour moi Ie dernier de tous.
(i) Nos saints martyrs furent mis a mort sous Numérius l’an 284, et leurs actes écrits par les deux frères Armenius et Yerinus. Voyez Tratlcnimento storico su te gloriosenbsp;gesla de’ santi conjugi Crisanto e Daria vv. e mm. — Naples, 1851.
17.
-ocr page 398-594 nbsp;nbsp;nbsp;LES TllOIS ROME.
Est-ce que vous seriez ce que vous ètes sans moi, sans les pécheurs comme moi? N’est-ce pas pour nous racheler que Ie Fils de Dieu s’estnbsp;fait homme et qu’il \ous a choisie pour sa mère? Vous voyez done quenbsp;tout ce que vous avez, m’apparlient. Or, ce que vous ni’avez donnénbsp;n’est rien en comparaison de ce que vous possédez; vous me redeveznbsp;done, et vous me redevez beaucoup! qu’avez-vous a répondre?... »
Et ailleurs : « Écoutez-moi, ma Mère, il faut que vous m’accordiez ce que je vous demande. Si vous me Ie refusiez que dirait-on de vous?nbsp;Ou que vous n’avez pas pu m’exaucer, ou que vous ne l’avez pasnbsp;voulu. Que vous ne Favez pas pu, personne ne Ie croira, on vous con-nait irop bien; que vous ne l’avez pas voulu, j’avoue que j'aimeraisnbsp;mieux entendre dire que vous ne Favez pas pu. Quoi! ma Mère, lanbsp;Mère de grèce, de miséricorde et de clémence, ne pas vouloir exaucernbsp;uu de ses enfants! mais que deviendrait votre réputation? Pensez-y;nbsp;et sortez de lè si vous pouvez (i). »
La foi, mère de cette piété filiale, se manifeste de plusieurs ma-nières. Je me contenterai d’en citer Fexemple suivant, qui m’est par-ticulièrement connu. ün chanoine francais, et un de ses collègues de Naples, se promenant è la campagne, entrent dans un jardin pour ynbsp;manger des figues fraiclies. Après la mangiata, ils demandent a lanbsp;maitresse de 1’eau pour se laver les doigts et un linge pour s’essuyer.nbsp;Avant qu’on ait apporté Ie linge, Ie chanoine francais prend Ie premier essuie-main qu’il rencontre : « Non, non, Père, lui dit Fexcellentenbsp;femme, il n’est pas digne d’essuyer des doigts qui, chaque jour, tou-chent Ie corps de Jésus-Christ. » Puis elle court a son armoire et ennbsp;lire Ie raouchoir de batiste Ie plus blanc et Ie plus fin qu’elle peutnbsp;trouver, et Ie présente au prêtre.
Au reste, la foi des Napolitains est proverbiale en Italië. Un de nos amis prenait congé du Saint-Père Grégoire XVI; « Puisque vous alleznbsp;a Naples, lui dit Sa Sainteté, apportez-moi un peu de la bonne foi na-politaine : Apportate mi un poco di fide napoUtana. » II faut direnbsp;que les prêtres zólés, dont Naples s’honore, se donnent une peine in-finie pour entretenir cette pieuse disposition. Le soir ils ouvrent lesnbsp;oratorj pour le peuple. II y a instructions, confessions, prières jusqu’anbsp;onze heures et minuit : nul n’échappe è leur charité. Croira-t-on ennbsp;France que j’ai vu les galériens, traversant les rues de Naples et allant,nbsp;comme des séminaristes, aux exercices de la retraite qu’on leur donnenbsp;chaque année pour les préparer aux Pèques? Le gouvernement lui-
(1) Maria, stel[a del mare. Dal sig. de Conciliis, Giudice alia G. C. G. di Kapoli, In-18.
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MOEURS PlIBLIQUES.
même, qui, dans certains cas, prend un air de despotisme religieux, seconde ici Ie zèle du clergé. Une loi met a la charge de toutes lesnbsp;communes la dépense nécessaire pour avoir un prédicateur pendant Ienbsp;Carême. Ces honoraires, dont la loi fixe Ie maximum, ne peuvent dé-passer 60, 40 ou 30 ducats, suivant l’importance de la localité. Cettenbsp;loi a été portée, bien moins pour remédier è Tindifférence des habitants, que pour mettre une borne amp; leur générosité.
Les autorités municipales ne s’occupent done pas seulement de l’em-bellissement et du bou état de leur commune, elles consacrent encore une partie du revenu public au bien moral de leurs administrés : voilinbsp;certes une institution populaire et vraiment catholique. Malgré toutnbsp;cela il y a du mal a Naples; mais il y a des remords : les deux élémentsnbsp;sont en lutte. Avec une foi très-robuste, nos hommes du moyen Sge senbsp;laissaient emporter de temps en temps a de graves désordres, puis, lanbsp;religion reprenant son empire, ils rentraient en eux-mêmes, se frap-paient la poitrine, réparaient leurs iniquités et mouraieut en pénitentsnbsp;et en saints. Tel est, a quelques différences prés, l’état actuel des populations napolitaines. Les poignards que Ton trouve suspendus de-vant les autels de la sainte Vierge sont une preuve de ce fait, et unnbsp;hommage amp; la puissance de la religion. En tout pays, Ie boiteux guérinbsp;laisse ses béquilles a l’autel de son protecteur; c’est un monument denbsp;la bonté de l’un et de la reconnaissance de l’autre. A Naples, l’assassin,nbsp;Ie vindicatif, ce malade moral, que Marie a guéri et désarmé, vientnbsp;déposer l’arme homicide devant l’image de sa libératrice. A ce spectacle on gémit sans doute sur la perversité humaine, mais aussi onnbsp;admire et on bénit la puissance de la religion, sans laquelle un de cesnbsp;poignards aurait peut-6tre été pour nous.
La foi agit encore d une manière bien consolante sur les moeurs pu-bliques. Quatre grands symptómes annoncent la décadence des nations, et prouvent l’excès de rimmoralilé de Tesprit et du eoeur : j’ai nomménbsp;Tinfanticide, la folie par suite des passions, l’impiélé finale et Ie suicide. Or, a Naples l’infanticide est Irès-rare. L’exposition même n’estnbsp;que d’un sur sept, tandis qu’ii Paris elle est de plus d’un tiers, et qu’anbsp;Londres elle s’élève k prés de la moitié des naissances. Malgré l’ardeurnbsp;du climat. Naples compte sept fois moins de fous que Paris, et dix ounbsp;douze fois de moins que Londres. Sur quatre cent mille habitants.nbsp;Naples ne voit annuellement que vingt-cinq è trente-cinq suicides,nbsp;tandis que Paris en donne, terme moyen, un et demi par jour. II sem-ble dés lors que nous avons assez mauvaise grêce k reprocher aux Na-politains leurs désordres moraux. Je ne veux pas les nier; seulement
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les chiffres qui précédent montrent tout ce qu’il y a d’exagération dans les récits de certains voyageurs.
Comme nous relournions é l’hótel, une femme du peuple pria notre guide, qu’elle connaissait, d’entrer dans sa maison; il aecepta et nousnbsp;Ie suivimes. Nous fumes bientöt entourés de plusieurs jeunes enfantsnbsp;qui, me reconnaissant pour prêtre, vinrent me baiser les mains. Nousnbsp;demandames a cette femme si tous ces enfants lui appartenaient.nbsp;« Oui, nous dit-elle, seulement il y en a deux qui sont figli della Madonna. » II n’est pas rare a Naples de yoir les plus pauvres gens senbsp;charger, par dévotion, d’un ou même de deux enfants trouvés, ou denbsp;les adopter a la place de ceux qu’ils ont perdus. C’est ce qu’avait faitnbsp;la vertueuse femme, et ces enfants, elle les désignait sous Ie nom tou-chant, consacré par l’usage napolitain, d'enfants de la Sainte-Vierge.
Le témoignage unanime des siècles, la parole solennelle des Souverains Pontiles et les hommages non interrompus du monde catholique établissent aux yeux de tontnbsp;homme sensp la certitude de ces monuments vénérables (i). L’authenticité reconnue,nbsp;laissez-moi rapporter sur le voile sacré une très-ancienne tradition (2). Le bruit desnbsp;miracles de Notre-Seigneur était parvenu aux oreilles de Tibère. L’empereur étantnbsp;tombé malade désira de voir ce personnage extraordinaire qui vivait dans la Judée. Sinbsp;c’est un Dieu, disait-il, il peut me secourir; si c’est un homme il peut m’aider de sesnbsp;conseils. II appela done un de ses officiers nommé Volusien, etle fit partir pour la Palestine avec ordre de lui amener Jésus. L’officier s’embarqua sur-le-champ; mais con-trarié par la mer il perdit beaucoup de temps et n’arriva dans la Judée qu’après lanbsp;mort de Notre-Seigneur. Ne pouvant plus accomplir sa mission, il voulut du moins reporter a l’empereur quelque souvenir du Nazaréen. II apprit qu’une femme qui habi-tait la ville de Tyr avait été guérie par Jésus et qu’elle conservait son portrait. Volusiennbsp;l’envoya chercher et l'obligea de le suivre avec le portrait qu’elle possédait. De retour anbsp;Rome, Volusien conduisit cette femme a Tibère. En la voyant, l’empereur lui demandanbsp;s’il était vrai qu’elle eüt été guérie par Jésus. II en est ainsi, répondit cette femme; etnbsp;en même temps elle présenta l’image du Sauveur a Tibère qui fut guéri sur-le-champ.nbsp;Pénétré de reconnaissance, l’empereur se rendit au sénat, et proposa de mettre Jésusnbsp;au nombre des dieux. Les sénateurs s’y refusèrent; alors ce prince qui jusque la s’étaitnbsp;montré doux et humain, se laissa emporter a sa colère et fit mourir un grand nombrenbsp;de sénateurs et d’illustres Remains. Quant a la femme de Tyr, elle resta è Rome etnbsp;donna l’image du Sauveur au pape saint Clément qui la conserva précieusement et lanbsp;transmit a ses successeurs (5).
II y a plusieurs remarques a faire sur cette tradition : I» Elle dit que Tibère connut
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Benedict, xiv. de Festis Domini, etc.; de Feria vi in Parasceve, p. 193 et suiv.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Fogginio, de Romano, etc., p. 38 et suiv.
(3) nbsp;nbsp;nbsp;Voyez Fogginio,p. 'al et suiv. — Nous possédons une dissertation excellente surnbsp;la vérité de celté tradition et l’aulhenticité de cette image, dans Zinelli, Bibliolh. Eccl.,nbsp;t. III, p. 263, édit. de Venise, 1840, in-8“.
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les miracles du Sauveur. Ce fait nous est attesté d’ailleurs par Tertullien et saint Justin qui disent, dans leurs apologies, que les actes de Notre-Seigneur écrils par Pilate étaientnbsp;conserves a Rome dans les archives du senat; on sait de plus que les gouverneurs denbsp;provincesenvoyaient a I’empereur le récitde tout ce qui se passait d’extraordinairedansnbsp;leur gouvernement: la même chose se fait encore aujourd’hui en France et partout.nbsp;2» File ne contient aucune particularité qui répugne a la raison, ou qui contredise desnbsp;fails connus. 3° Elle affirme que Tibère, irrité du refus que le senat avait fait d’admettrenbsp;Jésus-Christ au nombre des dieux, se vengea de ce corps en faisant mourir plusieursnbsp;de ses membres. Ce détail n’a rien de contraire a 1’histoire; loin de la,ildonnela raisonnbsp;d’un fail rapporté par Tacite, par Suetone, savoir la vengeance exercee par Tibèrenbsp;centre le senat. Quoi qu’il en soit de cette tradition, toujours est-il certain que le voilenbsp;sacré est honoré au Vatican depuis la plus haute antiquité. Déja au huitième siècle unenbsp;fête solennelle était étabiie en son honneur.
On ne manque pas de dire qu’on honorait autrefois dans plusieurs villes le voile sacré; comme certains critiques de nos jours ne craignent pas d'avancer qu’on vénèrenbsp;dans plusieurs lieux le corps du même martyr. Puisque je suis amené sur ce terrain ilnbsp;faut répondre brièvement a ces prétendues difficultés : 1“ Peu importe ce qui se passenbsp;dans les aulres églises; il sullit de savoir que le voile sacré, conservé a Rome, réunitnbsp;au premier chef les trois preuves d’authenticité : 1’antiquité du témoignage, la prioritênbsp;du culte et le jugement de I’autorile compétente; 2» que l’existence simultanée de plusieurs voiles OU mouchoirs sanclifiés par l’attouchement du Sauveur n’a rien d’impos-sible, je dirai même qu’elle est très-vraisemblable pour qui eonnait un peu 1’histoirenbsp;des premiers chréliens; 3» que plusieurs ont pu être appelés voile sacré, paree qu’ilsnbsp;conlenaient quelque morceau du veritable. C’est ainsi qu’on a souvent détaché desnbsp;clous de la Passion plusieurs parcelles qui ont été enchdssées dans des clous profanes,nbsp;de même que nous enchdssons des parcelles de la vraie croix dans d'autres croix denbsp;diverses matières. Or, dans le-langage chrélien, ces seconds clous sont appelés sacrés;nbsp;et bien qu’ils n’aient percé ni les pieds ni les mains du Sauveur, ils n’en sónt pas moinsnbsp;l’objet d’une juste veneration. Il y aurait bien d’autres réponses a donner; mais ellesnbsp;dépasseraient les limites d’une simple note.
Quant au même martyr qu’on dit honoré en plusieurs lieux a la fois, je réponds 1» que le fait est faux, s’il s’agit du corps entier, et nos détracteurs sont mis au défi de lenbsp;prouver; 2“ le fait est vrai, s’il s’agit d’une partie du corps. Ces expressions : Tellenbsp;église possède, honoré le corps, le bras, la tête de tel saint, de tel martyr, ne signifientnbsp;pas que cette église possède réellement le corps, la tête, le bras entier du saint ou dunbsp;martyr. Pour l’ordinaire, elles indiquent seulement qu’elle en possède une partie. Ennbsp;usage dès les premiers siècles, ces manières dc parler, oii l’on prend la partie pour lenbsp;tout, sont pleines d’un sens profond : elles montreni que la vertu du saint est tout en-tière dans la moindre partie de ses reliques (i). J’aurai occasion de revenir Ih-dessus,nbsp;en parlant des catacombes.
-ocr page 402- -ocr page 403-CONTENÜES DANS LE TOME DEUXIÈME.
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28 Décembre 1811. LeVélabre. Saint-Georges. Souvenirs de Sainte-Bibiane. Are de Janus quadriforme. Le grand égout de Tarquin, cloaca maxima. Les égouts de Rome en général. Etymologie d’unnbsp;mot fort connu. Sainte-Marie-Egyptienne ou l’Eglise des Armé-niens.
— nbsp;nbsp;nbsp;Theatre de Marcellus. Forum oUlorium. Portique d’Octavie.nbsp;Saint-Ange-in-Pescheria. Inscriptions remarquables. Cirque Fla-minien. Convent de Saint-Ambroise della Massima. Grand Cirque.nbsp;Dimension. Descriptions des jeux. Sainte-Marie-m-Cosmedfw.
50 — Mont Aventin. Souvenirs païens. Souvenirs chrétiens. Eglise de Sainte-Prisque. De Sainte-Sabine. Histoire. Mosaïque. Saint Dominique, son oranger. Eglise de Saint-Alexis. Histoire. Prieuré denbsp;Malte. Vue de Rome. Le Monte Texlaccio. Ordre bizarre d’Hélio-gabale.
— nbsp;nbsp;nbsp;Fin de Tannée. Impressions. Te Deum au Gesü.
J.ANVIER 1842. Le premier jour de 1’an a Rome. Visite a Saint-Pierre. Dimension. Beautés artistiques. La chaire de Saint-Pierre. Les fon-dateurs d’ordres. De baldaquin. La Coupole. Saint-Pierre, imagenbsp;du ciel. Les reliques. Visite au Père V— Baguette du pénitencier.
2 — Organisation du gouvernement ecclésiastique. Congrégations romaines, leur but, leur origine, leur constitution. La Propagande.
Le Saint-Oföce. VIndex. La Congregation du concile. De 1’examen des évêques. De la residence des évêques. Des évêques et réguliers.
De la discipline des réguliers. De Timmunité ecclésiastique. Con-grégation consistoriale. Congrégation des rites. Des indulgences et des‘ saintes reliques. Des affaires ecclésiastiques extraordinaires.nbsp;Baptême d’une familie juive, son histoire.
5 — La Pénitencerie. La Daterie. La Chancellerie romaine. La Rote.
Les Encycliques. Les brefs. Les Bulles. Les Légats a Latere. Les Nonces. Les Légats-nés. Les Délégats. Les Cardinaux protecteurs.nbsp;Visite a la familie juive. Conservatoire des Néophytes.
4 — Piscina publica. Thermes de Caracalla. Statues. Excursion aérienne. Souvenir de Caracalla. Vallée de la nymphe Egérie.nbsp;Eglise des saints Nérée et Achillée. Origine de son nom de Fasciola. Les sept Salles. Les mules Sixte V. Forum de Nerva. Temple de Pallas. Boucherie des martyrs.
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5 Janvier. Ancienne region de la Yia Lala. Tombeau de Publicius Bibulus. Basilique des SS. Apótres. Maison de Martial. Templenbsp;du Soleil. Eglise de Saint-Marcel. Palais Doria. Eglise de Sainte-Marie-iw-Fid Lala. Prison de Saint-Paul. Palais de Venise. Eglisenbsp;de Saint-Marc.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;7Ü
— nbsp;nbsp;nbsp;L’Epiphanie a Rome. Messe latine, grecque, arménienne, ma-ronite. Agapes a la Propagande. Fêtes des Langues. Impressions. 76nbsp;—• Le Quirinal. Temple du dieu Fidius. Temple de Qiiirinus. Place
du Quirinal. Palais. Détails sur le Conclave. Souvenirs. Enlève-raent de Pie Vil. nbsp;nbsp;nbsp;80
8 — Fontaines de Rome. Aqueducs des anciens Remains. Puissance de la Ville éternelle.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;92
— nbsp;nbsp;nbsp;Colonne Antonine. La Lógion Fulminante. Bas-relief. Edit denbsp;Marc-Aurèle. Restauration de la Colonne par Sixte V. Monte-Cito-rio. La Fontaine. Le Gnomon. Le Champ de Mars. Les Septa et lanbsp;Villa publica. Les Jardins, les Thermes et le Lac d’Agrippa. 98
— nbsp;nbsp;nbsp;Le Panthéon, son histoire. Richesses. Purification. Miracle. La
Minerve. Tombe du R. Angelico de Fiesole. Chambre de sainte Catherine de Sienne. Place Navone. Fontaines. Marché. Jeux.nbsp;Sainte-Agnès. ,nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;104
H — Palais Brasclii. Anecdote. Place de Pasquin. Chiesa nuova. Souvenirs de saint Philippe de Néri. Le jeune Spazzara. Campo-di-Fiore. Theatre, portiques, curie de Pompée. Mort de César. Palais Spada. Statue de Pompée. Saint-Jéröme de la Charité. Naumachienbsp;de César. Combat naval.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;111
12 — Audience papale. Impressions. Accueil du Saint-Père. Royauté pontificale. Cabinet particulier du Pape. Portrait de sa Sainteténbsp;Grégoire XVI. Cérémonie du baisement des pieds.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;118
15 — Visite au P. Mautone. Détails sur saint Alphonse, sur sa canonisation. Lettre du Saint. Sa Théologie est-elle une Théologie locale,nbsp;nouvelle, dangereuse, de contrebande? Piquante conversation dunbsp;bon Père. Visite a Saint-Louis-des-Franeais.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;123
15 nbsp;nbsp;nbsp;— Eglise de Bélisaire. Sainte-Marie-tn-Fornico. Bücher impérial.
17 nbsp;nbsp;nbsp;— Temple d’Antonin. Pont et chateau Saint-Ange. Anecdote sur
une bande de brigands. SAmle-Mane-in-Traspontina. Colonne de Saint-Pierre et de Saint-Paul. Coupole de Saiut-Pierre. Palla. Ci-metière des Pèlerins.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;145
18 nbsp;nbsp;nbsp;— Le Trastevere. Pont Fabricius. Ile du Tibre. Pont Cestius. Souvenirs païens. Monuments chrétiens. Martyre de sainte Cécile.nbsp;Eglise de Sainte-Cécile. Son Tombeau. Sa chambre des bains. Mo-saïques de 1’abside et du choeur. Reliques. Vase du portique. Saint-Franeois-d-Riptt. Chambre de Saiiit-Francois. Cloitre du convent. 150
19 nbsp;nbsp;nbsp;— Sainte-Marie-w-Traslt;mre. Taberna merüoria. Rescritd’Alexan-
dre Sévère. Miracle de la fontaine d’huile. Preuves. Première église de Rome dédiée a la sainte Vierge. Vue de la fontaine. Inscriptions.nbsp;Mosaïques. Tombeaux. Reliques de Martyrs. Les Transtévérins.nbsp;Saint-Pierre-iw-l/owtono.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;156
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401
Pages.
165
20 nbsp;nbsp;nbsp;Janvier. Une execution.
167
175
21 nbsp;nbsp;nbsp;— Messe dans la prison de Sainte-Agnès. Benediction des Agneauxnbsp;a Sainte-Agnès-Aors-des-mttrs. Détails sur Ie Pallium. Descriptionnbsp;de l’Eglise. Eglise de Sainte-Constance. Prières du soir. Visite aunbsp;cardinal Pacca.
22 nbsp;nbsp;nbsp;— Conversion de M. Ratisbonne. Récit de M. de Bussières.
25 — Eglise de Saint-A.ndré-delle-Fralle. Souvenir du cardinal Con-
178
salvi. Reflexions sur les arts a Rome. Conversation de Canova avec Napoléon. Visite des palais et des galeries particulières. Palaisnbsp;Barberini. Palais Borghèse.
24 nbsp;nbsp;nbsp;— Palais Ruspoli. Escalier. Palais Chigi. Galerie. Bibliothèque.
Palais Rospigliosi. Aurore, du Guide. Buste de Scipion l’Africain. Eglise de Saint-Ignace. ïombeau de Saint-Louis de Gonzague.nbsp;Eglise du Gesü. Tombeau de Saint-Ignace. Thermes de Néron. Palais Madame. Eglise de Saint-Eustaclie.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;185
25 nbsp;nbsp;nbsp;— Sainte-Marie-de-la-Paix. Souvenir de Sixte V. Sibylles de Raphael. Palais Vidoni. Pastes sacrés de Verrius Flaccus. Palais Mattel. Bustes des empereurs. Peintures du Dominiquin. Palais Cor-sini. Ecce Homo, du Guerchin. Peintures de Paul Veronese, dunbsp;Titien, etc. Farnesine. Eglise de Saint-Aairé-della-Yalle. Peintures
de la coupole par Ie Dominiquin. nbsp;nbsp;nbsp;188
26 nbsp;nbsp;nbsp;— Palais Farnèse. Fontaines. Portique. Sculptures. Peintures.
Triomphe des Remains. Description du triomphe de Titus. Itiné-raire des triomphateurs. Fin du Triomphe. Réflexions. nbsp;nbsp;nbsp;191
27 nbsp;nbsp;nbsp;— Consistoire public au Vatican. Cinq cardinaux de plus. Tradition du chapeau. Anecdote. Retour au Forum. Seconde page dunbsp;triomphe. Marché aux esclaves. Sort des esclaves chez les Remains. 198
28 nbsp;nbsp;nbsp;— Seconde partie du triomphe. Marché aux esclaves. Condition de
l’esclave. Emplois. Traitement. Esclaves fugitifs. Punition. nbsp;nbsp;nbsp;201
29 nbsp;nbsp;nbsp;— Rome purement chrétienne. Caractère de la charité roraaine.
Carte routière de la douleur. Charité romaine pour Ie nouveau-né et l’orphelin. Tour de l’hópital du Saint-Esprit. Description de eetnbsp;hópital.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;208
30 nbsp;nbsp;nbsp;— Charité romaine pour Ie nouveau-né et l’orphelin. Hópital Saint-^OCh-in-Ripetta. Sainte-Marie-iri-Aq«iro. Les enfants du Lettré. 216nbsp;— Baptême de M. Ratisbonne. Continuation de la visite de Romenbsp;chrétienne. Charité romaine pour l’orphelin. Hospice apostolique
de Saint-Michel. Son origine. Ses quatre families. Son organisation. 220 1® Février. Visite au eardinal Mal. Origine de la fable de la papessenbsp;Jeanne. Charité romaine pour l’orphelin (suite). Hospice de Saintc-Marie-des-Anges. Hospice du Tata-Giovanni.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;226
2 nbsp;nbsp;nbsp;— Fête de la Chandeleur. Cierge bénit. Charité romaine pour l’or-pheline. Sainte-Catherine-des-Cordiers. Les quatre Saints couron-nés. Les mendiantes. La Zoccoletto. Conservatoire de la Vlerge-des-Douleurs. Conservatoires Borromée, de Sainte-Euphémie, de
la Divine-Providence. nbsp;nbsp;nbsp;230
3 nbsp;nbsp;nbsp;— Visite au cardinal Mezzofanti. Anecdotes. Charité romaine pournbsp;1’orpheline (suite). Conservatoire Pie. Sainte-Marie-du-Refugé. Dots.nbsp;Archiconfrérie de l’Annonciation. Chapelle papale de la Minerve. 233
4 nbsp;nbsp;nbsp;— Charité romaine pour les malades. Hópital de Saint-Sauveur,
de Saint-Jacques, de Saint-Gallican. nbsp;nbsp;nbsp;240
.3 — Charité romaine pour les malades qui ont besoin de prompts
T. II. nbsp;nbsp;nbsp;18
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TABLE DES MATIÊBES.
Pages.
secours. Hospice de Sainte-Marie-de-la-Consolation, des Benfra-telli, pour les malades chroniques, pour ceux qui n’ont besoin que de remèdes ou de soins domestiques, les visites et l’Aumónerienbsp;apostolique.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;245
6 nbsp;nbsp;nbsp;Févkier. Charitéromainepourle convalescent, pour Ie pauvreguéri.nbsp;Travaux publics. Secours particuliers. Aumónerie apostolique. 250
7 nbsp;nbsp;nbsp;— Anecdote. Autres charités pour Ie pauvre. Visites a domicile.
8 nbsp;nbsp;nbsp;— Carnaval. Charité romaine pour Ie pauvre sans abri. Visite a
Sainte-Galle et a Saint-Louis. nbsp;nbsp;nbsp;258
9 nbsp;nbsp;nbsp;— Le jour des Cendres. Chapelle papale. Charité romaine pournbsp;les vieillards, pour les veuves. Asile Barberini pour les mourants.nbsp;Ministres des infirmes, pour les morts. Archiconfrérie de la mort,
du suffrage. VAm-Maria des morts. nbsp;nbsp;nbsp;264
40 — Les Sacconi. Aumónes particulières. Réflexions sur la charité romaine.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;271
42 — Misère intellectuelle. Charité romaine a l’égard des ignorants. Ecoles régionnaires, leur discipline, leur nombre. Ecoles gratuiles.nbsp;Saint-Joseph de Calasanz, origine de son oeuvre, ses développe-ments. Autres écoles gratuites pour les jeunes garpons. Les Doctrinaires, les Frères des Ecoles chréiiennes.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;281
13 nbsp;nbsp;nbsp;— Visite aux écoles de petites filles. Fondation de la B. Angèle de
Mérici. Ecoles pontificales. Ecoles des pieuses maitresses. Autres établissements. Remarques. Résumé.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;286
14 nbsp;nbsp;nbsp;— Départ pour Naples. Albano. Souvenirs de saint Bonaventure.
La Paiazzola. Ruines d’Albe-la-Longue. Monte Cavo. Lac d’Albano.
Les Nymphées. L’émissaire. Castel-Gondolpho. Tombeaux préten-dus d’Ascagne et des Curiaces. Horace et saint Paul. Aricia. Gen-zano. Lac Némi. Civita Lavinia. nbsp;nbsp;nbsp;289
15 nbsp;nbsp;nbsp;— Vellétri. Cisterna. Souvenir de saint Paul. Les Marais ponlins.
Ardée, Antium, Sezze. Linea Pia. Forappio. Souvenir de saint Paul. Fossa Nuova. Souvenir de saint Thomas. Terracine. Temple denbsp;Jupiter Anxurus et de Minerve. Chateau de Théodoric. Cathédrale.nbsp;Hópital et Palais de lanbsp;nbsp;nbsp;nbsp;Résidence.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;294
16 nbsp;nbsp;nbsp;•— Guardiole. Souvenir de Tibère. Souvenir d’Esménard. Fondi.nbsp;Chambre de saint Thomas. Le corsaire Frédéric Barherousse. Itre.nbsp;Tombeau de Cicéron. Mola di Gaeta. Villa di Cicéron. Souvenirs
de Gaeta. Minturne. Le Liris. La Campanie. nbsp;nbsp;nbsp;303
17 nbsp;nbsp;nbsp;— Souvenir d’Annibal. Capoue. Ampliithéatre. Mosaïques. Cathé
18 nbsp;nbsp;nbsp;— Vue générale de Naples. Rencontre d’un régiment de la garde
19 nbsp;nbsp;nbsp;— Seconde visite a la Cathédrale. Chapelle du séminaire. De Mi-nulolo. Crypte. Tombeau du roi André. Chapelle de Saint-Janvier.
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403
Pages.
Trésor. Sacristie. Baton de saint Pierre. Eglise des Cliartreux. Mot d’un pape.
20 nbsp;nbsp;nbsp;Février. Eglises de Saint-Pierre-ad- Aram, de la Piété-di-Sangri, denbsp;Sairit-Paul-Majeur, de Saint-Gaétan de Tiene, de Saint-André-d’Avellino. Chambre de ce dernier. Saint-Doniinique-Majeur. Tableaux. Tombes royales. Souvenir de saint Thomas, h'Incoronata.nbsp;Fresques de Giotto. Eglise du Monte-Oliveto, Souvenirs du Tasse,nbsp;de Sainte-Marie del Carmine. Souvenir du malheureux Conradin.
Le Gesü-Nuovo. Cbambre de saint Jerouimo. Excursion au lac d’Agnano. Grotte du Chien. Villa de Pollion. Tombeau de Virgile.nbsp;Sainte-Marie-deJ-Porto. Tombeau de Sannazar. Sainte-Marie-a-piè-di-GroUa.
21 nbsp;nbsp;nbsp;— Grotte de Pausilippe. Pouzzoles. Souvenir de saint Paul. Cathé-drale. Souvenir de saint Janvier. Piëdestal du temps de Tibère.nbsp;Temple de Sérapis. Voie Campanienne. Le lac Lucrin. Anecdote.
Le lac Averne et la grotte de la Sibylle. Baïa. Cumes. Bauli. Le cap Mysène. Piscine admirable. Les Champs Elysées. Le Macaroni.nbsp;Souvenirs et impressions.
22 nbsp;nbsp;nbsp;— Pompéi. Histoire et ruine de la ville. Aspect général. Impres
sions. Examen des edifices religieux, civils et privés. Reflexions. 3S3 — Les Stud], OU Musée Bourbon. Vie religieuse. Vie publique. Vienbsp;privée des anciens.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;569
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327
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— Le Vésuve. Résina. L’Ermitage. Souvenir de Spartacus et de Pline. Arrivée au sommet du Vésuve. Descente au cratère. Ferti-
lité des terrains volcaniques. Herculanum. Portici. Le Corricolo. 579 — L’Albergo des Pauvres. Charles III. Benoit XIV. Le Padre Rocco.nbsp;Charité napolitaine pour les enfants abandonnés. Ponti-Rossi.nbsp;Saint-Janvier-des-Pauvres. Catacombes. Collége chinois. Gesü-Vecchio. Corps de saint Cbrysante et de sainte Darie. La Vestalenbsp;martyre. Piété napolitaine. Moeurs publiques. Anecdote.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;386
FIN DE LA T.ABLE DO TOME DEÜXIÈME.
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