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JOURNAL
D UN VOYAGE EN ITALI�,
Uabbc 3. (�numc,
Vicaire g�n�ral du diocese de Nevers, chevalier de l�ordre de Slt;-Sylveslre, membre de 1�Acad�mie de la Religion Calholique de Rome,nbsp;auteur du Cat�chisme de Pers�v�rance, etc., etc.
-ocr page 8- -ocr page 9-La derni�re des sept collines, l�Aventin, nous reslait a voir. De bonne heure nous partimes avec l�intenlion d��ludier cetle montagnenbsp;non moins c�l�bre que les aulres, inais nous reslames en chemin. Unnbsp;monde de souvenirs, de ruines, de temples, de monuments chr�tiensnbsp;et pa�ens, se rencontre sur la route et arr�te le voyageur, Quand, arriv� au pied du Capitole, par la rue d�Ara-Coeli, on tourne h droite,nbsp;le quarlier della Ripa se pr�sente, et il faut y rester. Situ� au midinbsp;de la ville, sur les Lords du Tibre, ce quartier occupe l�ancienne r�-gion de VAventin, et en parlie celle de la Piscina puhlica, de lanbsp;Porta capena, du Forum magnum, et du Grand Cirque.
Saluons, en passant, la maison de Sainte-Galle et l��glise de la Mis�ricorde, double monument de la charit� romaine, sur lequelnbsp;nous reviendrons. Voici maintenant le V�labre, dont le norn rappellenbsp;d�abord un douloureux souvenir : c�esl sur les Lords de ce lac fangeuxnbsp;que la vieille Rome d�posait chaque nuit des monceaux d�enfantsnbsp;nouveau-n�s (t). Dans l�origine le V�labre �tait un marais form� parnbsp;le Tibre, qu�on traversait sur de petites barques pour communiquernbsp;avec EAveniin (4). Peu a peu les eaux, refoul�es par Tarquin l�Ancien,nbsp;firent place h des constructions solides. Dans leur lit dess�ch� s��l�-v�rent successivement le march� aux boeufs, Forum boarium, le
(1) Vojez la-dessus notre Hist, de la Soci�i� domestique, 1.1, ch. xi.
(4) Varr., lib. tv, 11 ; A veliendis retibus velabrum dictum, quod velis transiretur. Acron., Scholiast. - Herat., Poetic.
T. U. nbsp;nbsp;nbsp;,
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march� aux poissons, Forum piscarium, qui vit les neveux d�grad�s de Cincinnatus acheter un surmulet dix-neuf mille francs; Ie quartiernbsp;d�Argil�te, Vicus argiletus, o� Cic�ron poss�dait de norabreuses boutiques, qu�il louait ch�rement aux libraires, aux perruquiers et autresnbsp;artisans, log�s dans celle partie basse de la ville (i).
A l�entr�e du V�labre est la petite �glise de Saint-Georges, qui remonte au vi� si�cle. Restaur�e par les papes SS. L�on II et Zacharie, elle poss�de, dans un superbe reliquaire, la t�te du glorieux martyrnbsp;dont elle porte Ie nom. Soldat d�s l�enfance, saint Georges parvint anbsp;un grade sup�rieur dans les arm�es de Diocl�tien qui Ie somma vaine-ment d�adorer les idoles : la couronne du martyre fut Ie prix de sonnbsp;invincible r�sistance. Le saint est repr�senl� a cheval, terrassant unnbsp;dragon; �loquent symbole qui nous dit a tous ; � Enfants des martyrs,nbsp;voire devoir est d�attaquer le serpent infernal et votre gloire de lenbsp;terrasser. Comme il fut avec vos p�res Dieu est avec vous; ne craigneznbsp;rien : Gcorgi, noli timere, ecce ego tecurn sum (2). �
A l��glise Saint-Georges s�appuie un petit arc triomphal, en mar-bre, �lev� en l�bonneur de Septime S�v�re par les banquiers, les n�-gociants et les marchands de boeufs du Forum boarium. La m�me place portalt encore le nom de Forum tauri, a cause d�un taureaunbsp;d�or plac� vers le milieu (s). C�est un mince d�tail dont je ne parleraisnbsp;pas, s�il ne rappelait un glorieux souvenir consign� dans les annalesnbsp;sanglanles de la primitive �glise. Filles d�un p�re et d�une m�re martyrs, sainte Bibiane et sa soeur, sainle D�m�trie, lav�rent aussi leursnbsp;robes virginales dans le sang de FAgneau. D�m�trie mourut au piednbsp;du tribunal du pr�teur. Bibiane, expir�e sous les coups, fut abandon-n�e aux cliiens dans le Forum tauri; mais ces animaux, moins cruelsnbsp;que les hommes, respecl�rent le corps sacr� de la vierge martyre.nbsp;Recueillies par les chr�tiens, les d�pouilles mortelles des deux soeursnbsp;furent enterr�es pr�s du palais Licinien, demeure de saint Flavian,nbsp;pr�fet de Rome et chef de leur illustre familie (4). Du reste, on com-prend sans peine qu�ici, comme dans tous les autres quartiers denbsp;Rome, le sang de nos vierges et de nos martyrs �tait n�cessaire pournbsp;purifier une terre souill�e par tant d�infanticides et de superstitionsnbsp;cruelles. Vous rappelez-vous qu�avant d�entrer en campagne les Remains enterraient tout vivants un homme et une femme du pays au-
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Mart., Epig., lib. i, 5; id., lib. n. �Cic., Episl. ad Attic., lib. i, 15.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Mazz., t. VI, p. 278.
(3) nbsp;nbsp;nbsp;A Foro boario, ubi aureum tauri simulacrum conspicimus. Tacit. Annal., lib. xn.
(4) nbsp;nbsp;nbsp;Mazz., t. VI, p. 178 et suiv.
-ocr page 11-ARC DE JANUS. nbsp;nbsp;nbsp;'
quel ils avaient d�clar� la guerre? eh bien! e�est encore dans le Forum boarium que s�accomplissait Fhorrible sacrifice (i).
Non loin de Saint-Georges subsisle un autre monument de la superstition romaine ; e�est Fare de Janus quadrifrons, ainsi appel� paree qu�il a quatre faces. Bien que d�pouill� des statues de bronze et desnbsp;bas-reliefs dout il �tait orn�, eet �difice est n�anmoins une preuve denbsp;la magnificence d�ploy�e par le peuple-roi, m�me dans ses ouvragesnbsp;de second ordre. II est tout en marbre, d�une bonne arch'iteclure etnbsp;d une solide construction. Suivant Publius Victor, on avait coutumenbsp;d �lever des arcs semblables dans les carrefours et dans les forum. Ilsnbsp;servaient, aux marchands, de comptoirs, de bureaux, d�abri centre lenbsp;soleil et la pluie, d�autels pour certaines idoles, saus avoir pour celanbsp;rien de commun avec le temple de Janus.
En avangant de quelques pas, on arrive devant la plus ancienne merveille de Rome ; le Grand �gout de Tarquin. La solidit� de celnbsp;ouvrage tient vraiment du prodige : il y a quinze si�cles pass�s quenbsp;Pline s�en �tonnait; que dirait-il aujourd�hui, s�il voyait la Cloacanbsp;maxima toujours inexpugnable? Ni les constructions colossales qu�ellenbsp;a support�es, ni le choc des eaux qui s�y pr�cipilent des aulres �gouts,nbsp;OU qui refluent violemment du Tibre, ni les tremblements de terre, ninbsp;la chute des anciens �difices, rien n�a pu F�branler, et tarnen ohnixanbsp;firmitus resist� (2). Debout devant Fembouchure, nous p�mes nousnbsp;faire une id�� de sa construction. Le fond est pav� de larges dallesnbsp;parfaitement ciment�es; les parois et la voute se composent de grosnbsp;bloes de tuf litho�de, li�s de distance en distance par des assisesnbsp;de travertin, toujours jointes ensemble sans chaux ni ciment. L�arc anbsp;douze pieds de largeur et autant de hauteur; en sorte qu�un chariotnbsp;charg� de foin peut y passer, suivant Fexpression de Pline dont il estnbsp;facile de reconnaitre Fexactitude (3). La longueur totale du Grandnbsp;�gout �tait de 2,500 pieds.
Pourquoi ces proportions d�mesur�es? 11 n�est pas difficile de le comprendre; on voit que par sa position la Cloaca maxima �taitnbsp;destin�e a recevoir les eaux de la plupart des �gouts particuliers. Or,nbsp;Fabondance des fontaines qui arrivaient a Rome, Femplaceraent de lanbsp;ville sur sept collines s�par�es par des vallens, la grande quantit�
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Boario vero in Foro Graecum Graecamque defossos, aut aliarum gentium, cum qui-bus res esset, et nostra setas vidit, cujus sacri precationem, etc. Pim., Ub. xxvu, c. ii.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Lib. xxxvi, c. IS.
(5) Amplitudinem cavis eam fuisse proditur, ut vehem foeni longe onustam transmit-teret. ld., id.
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-ocr page 12-8 LES TROIS nUME.
d�itamondices, cons�quence in�vitable d�une immense population, ren-daient n�cessaires des �gonts vastes et mnltipli�s. Rome Ie comprit tellement qu�elle attache une partie de sa gloire a T�tablissement et anbsp;1�entretien de ces ouvrages. Nous voyons que ses plus illustres person-nages ne d�daign�rent pas de s�en occuper. Les censeurs Caton etnbsp;Val�rius Flaccus d�pens�rent des sommes �normes pour en faire pra-tiquer dans la r�gion de FAventin et dans les autres qui en man-quaient (i). Agrippa, gendre d�Auguste, s�est immortalis� en faisantnbsp;curer les anciens �gouts auxquels il en ajonta de nouveaux a ses pro-pres frais (2). Sa gloire fut l�gitime; car tons ces ouvrages �taientnbsp;dignes de la majest� de Fempire.
� Grace a ses �gouts, larges, profonds, nombreux, dans lesquels roulent en bouillonnant de v�ritables fleuves, Rome, s��crie Dionnbsp;Cassius, est comme une ville batie dans les airs, et qui peut offrir Ienbsp;spectacle d�une navigation souterraine (3). � � La magnificence de cesnbsp;constructions souterraines est telle, continue Cassiodore, qu�elle jettenbsp;dans la stupeur et �clipse tont ce que les autres villes peuvent offrirnbsp;de plus merveilleux. La vous verriez, sous les flancs entr�ouverts desnbsp;montagnes, des fleuves, capables de porter des navires, se jeter avecnbsp;imp�tuosit� dans de larges �tangs (4). � � Trois choses me r�v�lentnbsp;toute la magnificence de Rome, disait Denys d�Halicarnasse, les Aque-ducs, les Voies et les �gouts. Je juge de Fimportance des derniers,nbsp;non-seulement par leur ulilit�; mais encore par la grandeur desnbsp;sommes qu�ils ont cout�es. On peut s�en faire une id��, d�apr�s Ienbsp;t�moignage de C. Aquilius, qui nous apprend que Ie curage completnbsp;des �gouts co�ta aux censeurs plus de douze millions (5). Comme jenbsp;Fai dit, la plupart des �gouts particuliers aboutissaient au forum ro-main, o� commengait la Cloaca maxima, et versaient leurs eaux fangeuses dans ce Duodenum de la grande cit�.
Cette circonstance rappelle un singulier souvenir, qui vint fort a
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Tit.-Liv., Decad., 4, lib. xi.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Plin., lib. XXXVI, IS.
(3) nbsp;nbsp;nbsp;Praeterea cloacas operum omnium dictu maximum suflbssis montibus atque urbenbsp;pensili, subterque navigata a M. Agrippa in aidilitate sua per meatus corrivati septemnbsp;amnes, cursuque praicipili torrentium raodo rapere atque auferre omnia coacti. Dio.,nbsp;lib. xl; Plin., lib. xxxvi, c. tS.
(4) nbsp;nbsp;nbsp;Quai tantum visentibus conferunt stu porem ut aliarumcivitatum possint miraculanbsp;superare. Videas illic- fluvios quasi montibus concavis clausos per ingentia stagna de-currere. Videas structis navibus per aquas rapidas cum minima sollicitudine navigari...nbsp;Hinc Romm singularis quantum in te sit potest colligi magnitudo. Lib. m, Ep. 30.
(5) nbsp;nbsp;nbsp;Hist,, lib. UI.
-ocr page 13-�TYMOLOGIE U�CN MOT PORT CONNU. nbsp;nbsp;nbsp;9
propos nous �gayer un instant. � Vous sortez du coll�ge, dis-je a mes jeunes amis; vous savez Ie latin, Ie grec, la physique, I�alg�bre, l�his-toire universelle, dites-moi done quel personnage c�l�bre a pris nais-sance au lieu o� nous sommes? � S�il nous en souvient, il ne nousnbsp;en souvient gu�re. � Vous m��toniiez! et votre manuel du baccalau-r�at? � II n�en dit mot. � C�est une faute; car il s�agit d�un personnage fort connu de nos jours. � Vraiment? � Comme j�ai l�honneurnbsp;de vous Ie dire. � Son nom? � Vous Ie saurez; mais avant son nom,nbsp;sa vie. Ici done, au bord du grand �gout de Tarquin, est n�, il y anbsp;plus de deux mille ans, un personnage qui vit encore, qui parle toutesnbsp;les langues, qui porte tous les costumes, qui habite simultan�mentnbsp;Londres, Paris, Saint-P�tersbourg, Constantinople et P�kin; qu�onnbsp;rencontre sur tous les chemins du monde, comme l�ancien Juif-errant; faisant des niches a tout Ie genre humain, et portant d�ordinaire des haillons en lambeaux el des souliers perc�s, bien que certains voyageurs af�irment Favoir vu couvert d�habits galonn�s, a che-val et en cal�che. � Voila du nouveau? � Non, c�est de Fancien;nbsp;devinez? � OEdipe y perdrait son grec. � �! ne faul que du latin, etnbsp;quand on est bachelier.... � Dame! on n�est pas sorcier. � Quoi qu�ilnbsp;en puisse �lre, voici Ie fait en question : pour un motif ou pour unnbsp;autre, Ie petit peuple de Rome, les gamins, les filous, les ouvriers sausnbsp;travail, se tenaient volontiers ii la junction des �gouts dans Ie Forum,nbsp;les bras crois�s, jasant, riant, lanjant des pasquinades et des brocardsnbsp;aux vieux rentiers et aux jeunes fashionables, aux matrones et aux s�-nateurs. De bi, leur vint Ie nom de canaille, dont notre langue a h�rit�nbsp;et que la plupart de ceux qui en sonl dignes se jettent a la figure sansnbsp;en connailre F�tymologie (i). �
L�aspect de la Cloaca maxima et des autres �gouts rappelle une pensee plus s�rieuse. Tous ces �euves souterrains, sur lesqu els Rome paienne �tait bAtie, v�rifientlitt�ralement la prediction de saint Jean; lorsque,nbsp;parlant de la grande prostitu�e, il la montre assise sur des eaux nom-breuses, d�une main buvant une coupe plsine du sang des martyrs, el
(i) Canalicolffi, fbrenses, homines pauperes dicli, quocl circa canales fori qonsisterent. � Festus. V. Canali.
gt; In medio propter canalem, ibi ostentatores meri,
Con�denles, garrulique el malevoli.
Plant., Curctdio, seen, i, act. iv.
Qui jurabat caviilator quidam, et canalicola, et nimis ridicularius luit. A. Geil., lil), tv, c. 2.
-ocr page 14-iO nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
de l�autre pr�sentant a tous les peuples Ie vin de sa corruption (i). C�est ainsi que les monuments remains ont Ie privil�ge de rendre unnbsp;t�moignage �galement incontestable h I�esactitude de l�histoire profanenbsp;et de l�histoire sacr�e.
Voulez-vous maintenant voir une autre construction presque aussi ancienne que Ie Grand �gout? Tournez a droite et vous serez devantnbsp;la petite �glise de Sainte-Marie-Egyptienne. Elle pr�sente un parall�-logramme environn� de colonnes, ayant quelque rapport avec la mai-son carr�e de Nimes. Quelle fut, dans l�origine, la destination de eetnbsp;�difice, dont la forme et l�architecture annoncent les temps voisins denbsp;Romulus? Ij�opinion la plus suivie dit que c�est Ie temple de la Fortune virile. II aurait �l� bati par Servius Tullius, sixi�me roi de Rome,nbsp;en reconnaissance de ce qu��tant n� esclave, la fortune l�avait �lev� anbsp;la dignit� royale (2). S�il en est ainsi, que Servius Tullius se console ;nbsp;en d�diant son temple a sainte Marie d��gypte, Rome chr�tienne n�ennbsp;�a point chang� la destination; elle n�a fait que I�ennoblir. Dans Tillus-tre p�nitente de I�Orient, elle consacre le passage miraculeux d�unenbsp;servitude plus profonde a une dignit� plus haute. Les reliques de lanbsp;sainte reposent sous le maitre autel, et sent I�objet d�une grande v�n�-ratlon. Depuis longtemps cette �glise est desservie par les Arm�niensnbsp;qui, dans les jours de f�te, d�ploient aux yeux de leurs fr�res d�Occi-dent la majest� des anciens rites et la magnificence des costumes denbsp;I�Eglise ori�ntale. Une inscription, plac�e a gauche, rappelle en termesnbsp;touchants qu�un bon marchand arra�nien, �tant venu se fixer h Rome,nbsp;avail fait une fortune consid�rable qu�il distribua tout enti�re auxnbsp;pauvres. Heureux le voyageur catholique dans la Ville �ternelle! il nenbsp;peut entrer dans une �glise, visiter une ruine profane, mettre le piednbsp;dans la rue, sans rencontrer un objet, un souvenir qui r�veille en luinbsp;les plus grandes et les plus douces pens�es de la foi.
29 D�CEMBRE.
Theatre de Marcellus. � Forum oUtorium. � Portique d�Oetavie. � Saint-Arge-i�n-Pescheria. � Inscriptions remarquables. � Cirque Flaminien. � Couvent de Saint-Ambroise della Massima. � Grand Cirque. � Dimension. � Descriptions des jeux. � Sainte-Marie-in-Cosmedin.
Nous �tions loin d�en avoir fini avec la ville basse, et malgr� notre d�sir de monter sur I�Aventin, il nous fallut encore rester dans la
(1) Meretricis magns qua3 sedet super aquas multas, etc.
(3) Nardini, p. 579.
-ocr page 15-TUliilTRE DE MARCELLUS. nbsp;nbsp;nbsp;1 ^
plaine. Le Quartier Saint-Ange, qui s�emm�le avec celui de la Ripa, ne nous permit pas de franchir ses limites. 11 occupe en partie lesnbsp;anciennes r�gions de la Via lata et du cirque Flaminien. Le roi denbsp;ce quartier est le ih�alre de Marcellus, dont les restes grandioses at-teslent les meilleurs temps de Tarchitecture romaine. Bati par Auguste, poiir�terniserla m�moire de son jeune neveu, ilpouvait contenirnbsp;environ trente mille speclateurs. �irange vicissitude des choses hu-maines! ses portiques, jadis �lincelants de marbres polis, sous les-quels venait se reposer la mollesse romaine, sont aujourd�hui noircisnbsp;par la fum�e et divis�s en comparliments obscurs, dans lesquels denbsp;laborieux forgerons gagnent leur pain du jour a la sueur de leurnbsp;visage.
Entre le th�alre de Marcellus, le Tibre et I�antique porte Flumen-tane, c�est-^-dire dans I�espace qui separe aujourd�hui le pont di Quattro Capi, le palais Jovelli, et Sainte-Marie-t/i-Porlico, se irouvaitnbsp;le Forum olitorium, marche aux l�gumes (i). II est fameux par sanbsp;colonne lactaire au pied de laquelle on d�posait nuilamment, comraenbsp;sur les bords duV�labre, des milliers de pelites cr�aluresliumaines(2).nbsp;Franchissant d�un pas rapide ce lieu de triste m�moire,nousarrivaraesnbsp;au portique d�Octavie. �lev� a la soeur d�Auguste avee les d�pouillesnbsp;des �almates (s), ce monument a �t� conserv�, du moins en partie,nbsp;par la religion, dans l��glise de Sainte-Marie-i�-PorItco. Aux m�mesnbsp;lieux se trouve I�antique �glise de SahU-Xnge-in-Pescheria, balie ennbsp;m�moire de la c�l�bre apparition de saint Michel sur le moot Gargan,nbsp;dans le royaume de Naples. Le pape Boniface II la consacra au glo-rieux archange, le 129 septembre de Fan 439. Sous le mailre autel re-posent les reliques des illustres martyrs de Tibur, sainte Symphorosenbsp;et ses sept fils. L�ancienne inscription qui indique les restes v�n�ra-ble.s des h�ros chr�tiens conserves a Sainl-Ange, pr�sente une par-�licularit� fortremarquable. Elle commence ainsi: Nomina sanctorum,nbsp;quorum beneficia hie requiescunt. � Noms des saints dont les bienfaitsnbsp;reposent ici. �
Le mot hienfait, employ� au lieu de corps, pour d�signer les reliques des saints, voilii certes une des figures les plus hardies de la rh�-torique de la foi. Pour Finventer, lui donner cours et la faire graver sur un grand nombre de pierres monumenlales (a), on conviendra
(i) Varr., lib. iv. � Tenull., Apol., 1.quot;. (a) Feslus, v. Lactaria.
(5) Dio., lib. xux.
(4) Mazzob, lib. vii, p. 228.
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LES TROIS ROME.
sans peine qu�il a fallu l�exp�rience la plus douce et la plus constante. Or, j�aime i� penser que Ie -voyageur sera heureux de connailre \esbien-faits qui reposent ii Saint-.^nge-m-Pescforja. En voici la liste, jenbsp;transcris la v�n�rable inscription : � des SS. Pierre, Paul, Andr�,nbsp;Jacques, Jean, Thomas, Jacques, Philippe, Barth�lemy, Simon, Thad-d�e, Jean-Baptiste, Sylvestre, �tienne, Lin, Laurent, C�saire, Nican-dre, Gelse, Euplius, Pierre, Marcellin, Valentin, Donat, Nicolas, Pan-crace, Anastase, Judas, Th�odore, Georges, Cristophe, Alexandre,nbsp;Erasme, T�lius, Ahacire, Jean, Dom�sius, Procope, Pantal�on, Nicaise,nbsp;Cosme, Damien, Antoine, L�once, Eupr�pius, Antipe, Anne, �lisaheth,nbsp;Euph�mie, Sophie, Thccle, P�tronille, Th�odole, Th�opiste, Aurea,nbsp;Athanasie, Theucriste, Eudoxie. �
J�ai voulu citer en entier ce glorieux catalogue, o� sont r�unis tous les �tats et toutes les conditions; afin de pr�senter, une fois pournbsp;toutes, une remarque dont Ie sujet se retrouve dans chaque �glisenbsp;principale de Rome. Offrir des mod�les et des bienfaiteurs ii toutes lesnbsp;positions de la vie; se montrer vraiment catholique par la saintet�,nbsp;comme par la foi, en un mot, faire de chacun de ses temples une miniature du ciel; telle est, a n�en pas douter, la pens�e intime qui anbsp;dirig� 1��glise romaine lorsqu�elle a peupl� de saints et de martyrs,nbsp;de toutes les hi�rarchies, de tout dge, de tout sexe et de toute condition, ses nombreux sanctuaires. Connaissez-vous un dessein plus noble,nbsp;une intention plus maternelle?
Saint-Ange-m-PescAm'd, dont les habitants s�illustr�rent par de glorieuses victoires, touche a un lieu c�l�bre par des combats d�unnbsp;autre genre : ici commengait Ie cirque Flaminien. Ce nouveau th�4trenbsp;des joies bruyantes et cruelles de Tancienne Rome couvrait Tespacenbsp;occup� maintenant par Ia place Margana, Ie palais Mallei, et la ruenbsp;des Bouliques obscures : l��glise Sainte-Catherine-des-Cordiers ennbsp;piarque amp; peu pres Ie centre. B4ti par Flaminius, qui p�rit a la ba-taille de Trasim�ne, il devint fameux par les jeux qu�on y donnait ennbsp;l�honneur des dieux infernaux (i).
Tous les abords inspiraient la frayeur. La plupart des d�mons, ador�s des Remains sous des noms divers, Jupiter Stator, Neptune,nbsp;Vulcain, Junon, Diane, Castor, Mars, Hercule, pr�sidaient aux combats et leurs temples formaient comme une enceinte continue autournbsp;du cirque (2). L�extr�mit�, qui r�pond au couvent Specchi Tor de�,
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Festis, Ludi taurii.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Victor, in Reg., ix; Tit.-Liv., Decad., iii, Ub. xvm; ld., Decad. tv, lib. x; Vitr.nbsp;lib. IV, c. vit; Macrob., Satur. lib. ui, c. iv.
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SAINT-AMBROISE DELLA MASSLMA.
�tait born�e par Ie temple de Bellone, d�esse de la guerre, devant le-quel s'�levait la fameuse colonne Bellique. Descendu du temple de Jupiter capitolin o� la guerre se d�cidait, Ie consul, charg� de la sou-tenir, montait sur la colonne Bellique et d�cochait une fl�ehe ensan-glant�e centre Ie peuple ennemi (i). Parti du temple de Bellone, Ienbsp;g�n�ral revenu de son exp�dition s�y pr�sentait de nouveau a l�au-dience du s�nat, qui lui d�cernait ou lui refusait les honneurs dunbsp;triomphe (ss).
Apr�s toules ces images de sang, on est heureux de rencontrer un souvenir plein de charmes et d�innocence. L��glise et Ie monast�re denbsp;Saint-Ambroise della Massima, qui s��l�vent sur la droite, remplacentnbsp;la maison paternelle de l�illustre archev�que de Milan. C�est li�, qu�a-pr�s avoir re�u Ie voile des mains du pape saint Lib�re, v�cut dans lanbsp;compagnie d�autres vierges chr�tiennes, sainte Marcelline, la dignenbsp;soeur, Paimable institutriee de ses deux fr�res Ambroise etSatyre (s).nbsp;Revenus en arri�re, nous passames devant Ie Ghetto, ou quartier desnbsp;Juifs, dont je parlerai plus tard, et nous gagn�mes la vall�e qui s�parenbsp;Ie Palatin de 1�Aventin. Mais comment la franchir au pas de course?nbsp;trop de souvenirs retardent la marche du voyageur et commandentnbsp;son attention.
Cette longue vall�e, aujourd�hui toute couverte de ronces, de vignes, de ruines a fleur de terre, accident�e, tourment�e, excav�e, informe,nbsp;m�connaissable, �tait autrefois Ie grand Cirque ; Ie grand Cirque! lanbsp;merveille de Rome par son �tendue, l�amour et la passion des Remainsnbsp;qui ne demandaient, pour �tre heureux, que du pain et les joies dunbsp;Cirque!
Fond� par les premiers rois de Rome, il grandit avec la cit�. Telle �tait sou �tendue sous les empereurs, qu�il occupait trois stades etnbsp;demie de longueur sur quatre arpents de largeur, et pouvait contenirnbsp;trois cent mille spectateurs assis (4). Plac�s sur Ie versant du montnbsp;Aventin, nous nous figurions eet immense parall�logramme de 2,187nbsp;pieds de long sur 960 de large, termin� en demi-cercle (s). De cbaque
(0 Ante (ffidem Bellonte) erat colurana index belli inferendi. Yict., in Red., ix. Cum-que bajc dixisset, hastam cruentam juxta Bellonte templum in porticumcontorsit. Dio.,
lib. VI, .
(2) Tit.-l.iv., Decad. 1, lib. ix, etc., etc.
(5) Bar., Not. ad Martyr., 17 Julii.
(4) ......Duas tantum res anxius optat, panetn et eircenses. �.......Eisque templum,
et habitaculum, et conclo, et spes omnis. Circus est maximus. Am. Marcell., lib. xxviii.
(5) nbsp;nbsp;nbsp;Tarquinius primus in Circo maxime inter Palatinum et Aventinum montes sitonbsp;primo circumquaque operta tecto fecit sedilia. Nam antea siantes spectare solebant
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c�t� r�gnaient deux rangs de portiques �lev�s l�un sur l�autre, d�co-r�s de colonnes et couronn�s par une large terrasse. Des tavernes, des lieux de d�bauche, des passages qui conduisaient dans l�int�rieur dunbsp;th�fttre occupaient les portiques inf�rieurs. Comme il dort entass�nbsp;dans les bouges de Paris et de Londres, Ie petit peuple dorraait sousnbsp;leurs arcades, o�, pendant les jeux, les spectateurs trouvaient un abrinbsp;contre la chaleur et la pluie. Six tours carr�es (i), dominant les ter-rasses, �taient r�parties dans Ie pourtour de l��difice, et servaient denbsp;loges aux personnages distingu�s. Des gradins en pierre, plac�s ennbsp;amphitheatre, r�gnaient sur trois c�t�s du monument, et Ie quatri�me,nbsp;coup� en ligne droite, �tait occup� par les Carceres, d�o� s��langaientnbsp;les chevaux et les chars. Au-dessus des Carceres brillait Ie pavilion denbsp;l�empereur. Une forte grille s�parait de l�ar�ne les trois c�t�s, garnisnbsp;de gradins; h la base de la grille circulait un Euripe, canal large, etnbsp;profond de dix pieds, aliment� par des eaux vives, et servant a inon-der la lice pour les naumachies (2).
Le Cirque �tait divis� dans presque toute salongueurpar V�pine (5), esp�ce de muraille haute de six pieds et large de douze. Sur cette mu-raille, o� conduisaient des degr�s m�nag�s aux deux bouts, s��levaientnbsp;l�autel du dieu Consus (4), deux petits temples du Soleil, les statues,nbsp;en bronze dor�, d�Hercule, de Cyb�le, de C�r�s, de Bacchus, de S�j�,nbsp;d�esse des moissons, et de plusieurs autres divinit�s. Du centre denbsp;V�pine s��langait, a cent vingt pieds de hauteur, l�ob�lisque d�Augustenbsp;portant au sommet une flamme dor�e, image du soleil auquel il �tait d�-di� (5). Cet ob�lisque est aujourd�hui sur la place du Peuple. Auxnbsp;deux extr�mit�s de V�pine on voyait les trois Barnes (e) de pierre ounbsp;de bois dor�, autour desquelles devaient tourner les chars dont la carri�re se trouvait trac�e, de chaque c�t� de V�pine, par des colonnesnbsp;en forme de cypr�s et surmont�es de dauphins (v).
Tel �tait le grand Cirque, dont les imposantes constructions, enno-blies par la teinte safran�e qui, sous ce beau ciel de Rome, annonce une antiquit� v�n�rable, se d�tachaient vivement sur une ar�ne jon-
furcis tabulata sustinentibus. Dion. Haly., lib. iii; Plin., lib. xxxvi, c. 15; id., Panegyr. Trajan.; Vict., in Reg., xi.
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Mcenianx.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Varr., lib. iv, p. 48.
(3) nbsp;nbsp;nbsp;Spina.
(4) nbsp;nbsp;nbsp;Tertull., De Speet., vin; Pint., Roinul., 20.
(s) Dion., XLix, p. 478.
(6) nbsp;nbsp;nbsp;Meta:.
(7) nbsp;nbsp;nbsp;Metasque imitata cupressus. Ovid., Metam. x.
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LE GRAND CIRQUE.
ch�e de vermilion, couleur de sang, et de chrysocale, vert cotnme un Irais gazon (i).
Pour animer Ie tableau, repr�sentons-nous, sur les gradins de ce colossal monument, trois cent mille speclaleurs! Puis, aux crois�es, aux galeries, au sommet des plates-formes des palais qui s��l�vent en am-phith�fttre sur les flancs des trois collines environnantes, Ie Palatin,
Ie Coelius et l�Aventin, un nombre peut-�tre �gal de spectateurs (2). Peignons-nous ces spectateurs tous en habit de f�te, tous couronn�snbsp;de fleurs; cette foule immense, �maill�e de femmes brillanies de parure : tant�t se levant comine un seul homme pour saluer Ie person-nage aim� du peuple qui entre dans Ie Cirque; tant�t �clatant en cris,nbsp;en murmures, en sarcasmes, en tr�pignements, a la vue de 1 hommenbsp;qui a perdu la faveur populaire; puis, passant de ces mouvements sinbsp;passionn�s et si tumultueux qu�on les prendrait pour les agitations etnbsp;les mugissements de la mer en courroux (3), a un repos complet, � unnbsp;silence profond, command� par Ie cort�ge religieux qui descend desnbsp;hauteurs du Capitole.
Voyez, en effet, sortir de la demeure redout�e du grand Jupiter la longue et solennelle procession qui se rend au Cirque en traversant Ienbsp;Forum romain (4). En t�te s�avance un char superbe, mont� par Ienbsp;pr�sident des jeux ; c�esl Auguste, c�esl N�ron, c�est Caligula, c�est telnbsp;autre personnage, �dile, pr�teur ou pr�fet, portant Ie costume rougenbsp;des triomphateurs. Ene troupe de jeunes gardens de quatorze a quinzenbsp;ans, les uns a cheval, les autres a pied, ouvrent la marche. Ils pr�c�dent les cochers (s) conduisant les Biges, les Quadriges, les S�juges,nbsp;chars a deux, a quatre, a six chevaux, qui doivent figurer dans lesnbsp;courses.
Apr�sles cochers viennent, dans un �tat presque complet de nudit�, les athletes destin�s a combattre dans les grands et les petits jeux. Ilsnbsp;sonl suivis de trois choeurs de danseurs : Ie premier compos� d�hom-mes fails, Ie second de jeunes gardens, Ie troisi�me d�enfanls. Unenbsp;tunique d��cavlate serr�e avec un ceinturen de cuivre, une �p�e aunbsp;c�t�, une petite lance a la main, un casque d�airain ombrag� de panaches et orn� d�aigrelles, compose leur armure el leur costume, lisnbsp;ex�cutent des danses guerri�res que dirigent, en les accompagnant,
(1) Suet., in Calig., 18; Plin., lib. xxxin, c. 5. Isidor. Uisp., Elijrn., lil), xix, c- 17. (�) Dio., lib. i.vu, p. (i��.
{3) �erlull., De Speet., xvi.
(4) nbsp;nbsp;nbsp;Dion. Italy., 1. vu, c. 13.
(5) nbsp;nbsp;nbsp;Aurigarii.
-ocr page 20-16 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
des joueurs de flutes courtes, de harpes d�ivoire et de luths. Aux mu-siciens succ�dent des troupes de Satyres, hideux personnages couverts de peaux de boucs, serr�es avec des ceintures, et cachant leur t�te sous des crini�res h�riss�es. Parmi eux on aper^oit des Sil�nes,nbsp;autres esp�ces de monstres v�tus de tuniques a long poll et de man-teaux de toutes sortes de fleurs. Tous ensemble c.ontrefont, d�une ina-ni�re grotesque, les danses les plus s�rieuses, et provoquent, parnbsp;mille contorsions, Ie rire des spectateurs (i).
Derri�re les Satyres et les Sil�nes s�avancent une nouvelle troupe de musiciens et une foule de ministres subalternes du culte, portantnbsp;dans leurs mains des cassolettes d�or et d�argent, o� fume l�encensnbsp;dont ils embaument les airs sur leur passage. Les statues des dieux,nbsp;momentan�ment enlev�es de leurs temples, et accompagn�es des diff�rents coll�ges sacerdotaux, ferment la marche. Toutes ces statues ennbsp;ivoire ou en ricbe m�tal, d�cor�es de couronnes d�or et enrichies denbsp;pierres pr�cieuses, sont plac�es, les unes sur des cbars brillantsnbsp;d�ivoire ou d�argent (a), tir�s par des chevaux superbes; les autresnbsp;dans des liti�res ferm�es (5). Des patriciens les escortent; et dejeunesnbsp;enfants, ayant encore leur p�re et leur m�re, tiennent la bride desnbsp;chevaux [i).
Le cortege entre dans Ie Cirque et en fait Ie tour au milieu du re-cueillement universe!, interrompu seulement par les acclamations que poussent les dilf�rentes classes de citoyens, lorsque la divinit� protec-trice de leur profession passe devant eux. Le tour du Cirque achev�,nbsp;on place les statues des dieux dans l��dicule qui les attend non loinnbsp;des Carceres; on les couche sur des coussins (s); les sacrificateurs im-molent des victimes, l�empereur fait des libations; Rome et l�Olympe,nbsp;Jupiter et C�sar, sont au Cirque; les jeux vont commencer.
D�ja les chars sont sortis des Carceres; les quatre couleurs, le vert, le bleu, le blanc et le rouge, brillent sur les tuniques des cochers (e);nbsp;les coursiers impatients sont a peine retenus par la chaine qui fermenbsp;l�entr�e de la carri�re; la foule avide tient l�oeil fix� sur les chars; denbsp;t�m�raires paris s�engagent parmi les spectateurs; enfin, de la tentenbsp;imp�riale un linge blanc (7) est jet� dans le Cirque : la trompette
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Dion. Italy., vii, 13.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Tcnsae.
(3) nbsp;nbsp;nbsp;Armamaxffi.
(4) nbsp;nbsp;nbsp;Cic., De Arusp. resp. 11.
(5) nbsp;nbsp;nbsp;Piilvinaria.
(6) nbsp;nbsp;nbsp;Prasinus, venetus, albus, purpureus. Baleng., De Circis, cap. XLVin, De Coloribus.
(7) nbsp;nbsp;nbsp;Mappa.
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sonne, la chaine tombe, tous les chars s��lancent H la fois. Leurs roues enflamm�es touchent a peine l�ar�ne, les hornes sont �vit�es, tous re-viennent intacts au point de d�part; Ie people est m�content. Unenbsp;seconde, une iroisi�me �volulion recommence; un agitateur habilenbsp;d�tourne brusquement son char sur celui de son adversaire, pousse sanbsp;roue centre la sienne, brise son essieu et fait tomber les chevaux surnbsp;l�ar�ne; Ie peuple applaudit. Un char lanc� h fond de train, heurtenbsp;centre la borne, il \ole en �clats, lecocher est tu�; Ie peuple bat desnbsp;mains : � chaque mort, les applaudissements redoublent.
Cependant la lutte se soutient entre les quatre couleurs; chaque faction excite ses cochers, lui donne des conseils, lui adresse des re-proches; les spectateuvs se l�vent, agitent leurs mains, secouent leursnbsp;tuniques, tr�pignent sur leurs si�ges (i); se lancent mutuellement desnbsp;sarcasmes, des injures, des coups; Ie combat n�est plus dans 1 ar�ne,nbsp;il est sur les degr�s du Cirque, la m�l�e devient quelquefois horrible :nbsp;en un seul jour trente-cinq mille cadavres (a)!!!
II connaissait done bien les spectacles de la yieille Rome, Ie grand apologisle qui les peignit en trois mots : fureur, cruaut�, impudi-cit� (5). II aurait pu ajouter : folie, prodigalit�, idolatrie.
Pour ce peuple qui n�a pas de nom dans la langue chr�tienne, les cochers devenaient des personnages, des h�ros, des demi-dieux. Lesnbsp;po�tes chantaient leurs victoires; les empereurs, les magistrals, Ienbsp;peuple entier leur d�cernait des couronnes, leur �levait des statuesnbsp;d'or et de bronze, les comblait de richesses et d�honneurs, et Ie mar-bre des tombeaux redisait leur gloire aux g�n�rations futures (a). Lesnbsp;chevaux eux-m�mes partageaient ces honneurs insens�s. Pour eux il ynbsp;avait des couronnes, des statues, des cr�ches d�or, les gloires du con-sulat ; affaiblis par Ia vieillesse, ils �taient, comme les v�t�rans de l�ar-m�e, nourris aux frais du tr�sor public; morts, une s�pulture honorable les attendait au Vatican (s).
Au Cirque comme a ramphith��tre, il fallait, pour attirer les spec-tateurs, varier les plaisirs. Des chasses vraiment fabuleuses par Ie nombre et la vari�t� des animaux; des combats de gladiateurs; desnbsp;combats d�hommes et de b�tes, la lutte, Ie pugilat, des naumachies
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Varr., Ub. n, De Re rustica. Voyez Balenger, De Circis, p. �C�est dans eetnbsp;ouvrage sp�cial que se trouvent en grande par�e les d�tails qui pr�c�dent et qui suivent.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Procop., De bell. Persic., lib. i; Buleng., p. 129 et suiv.
(�) Yoluptates circi iurenlis, cavea; saevientis, scenas lascivientis. Torlull., De Pudi-cHia.
(4) nbsp;nbsp;nbsp;Martial., De Stat., lib. v, c. 26; Buleng, p. 146.
(5) nbsp;nbsp;nbsp;ld., 148.
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sur une mer de vin (i), devaient tour ii tour r�veiller les sensations de ce peuple blas�. Peut-on voir Ie lieu qui fait naitre tous ces souvenirsnbsp;sans se rappeler Androcl�s et ce lion d�Afrique moins f�roce que lesnbsp;Remains? C�est Ia dans Ie grand Cirque, suivant Aulugelle, que Ienbsp;pauvre esclave, expos� aux b�tes, fut reconnu et �pargn� par Ie noblenbsp;animal auquel il avail arrach� une �pine, lorsque, fugitif, il cberchaitnbsp;au d�sert un refuge centre la cruaul� de son maitre.
II ne sulHt pas d�avoir prodigu� l�or, l�argent, Ie sang du monde en-tier pour divertir Ie peuple-roi; il fallait encore Ie combler de riches-ses, afin de Ie remercier en quelque sorte d�avoir daign� prendre part a ces f�tes ruineuses ; des loteries terminaient les jeux du cirque. Onnbsp;vit tour i tour N�ron, �itus, Domiiien, Adrien, et les autres einpe-reurs, jeter a pleines mains, dans l�ar�ne, des d�s en bois, que lesnbsp;hommes, puis les femmes, venaienl recueillir et s�arracher. Chaquenbsp;d� portait une inscription indiquant un objet qui �tait remis au sortienbsp;de l�enceinte. Su�tone va nous dire quelle en �tait la nature et la va-leur : � Pendant les jeux qui dur�rent plusieurs jours, N�ron fit quo-tidiennement distribuer jusqu�a mille billets de loterie, avec lesquelsnbsp;on gagnait toute esp�ce de choses ; des oiseaux, des vivres, du bl�,nbsp;des v�tements, de l�or, de l�argent, des perles, des diamants, des tableaux, des esclaves, des chevaux, des b�tes f�roces apprivois�es, desnbsp;navires, des maisons, des terres (2). � II en fut de m�me de ses suc-cesseurs (3). Par compensation. Ton envoyait les vieux esclaves mou-i�ir de faim dans Pile du Tibre!
Si les jeux du Cirque �laient dignes de la soci�t� pa�ienne, ils ne 1��-taient pas moins des dieux qu�elle adorait. Croirait-on que les spectacles �taient des f�tes religieuses, les f�tes du ciel et de la terre, les f�tes de l�univers pa�en? Et cependant il en est ainsi. � Le caract�renbsp;religieux s�y montre partout; il ne faut qu�ouvrir les yeux pour 1�ynbsp;reconnailre. II �clate, et dans les dispositions de 1��difice, ih�alre denbsp;ceite pieuse solennit�, et dans les exercices qui la composent. Regar-dez VEpine, vous la voyez couverte de monuments religieux; les Car-ceres, dont le nombre duod�cimal vous rappelle les douze signes dunbsp;zodiaque. Les Dauphins et les Oves de bois (4), dont sont surmon-t�es les colonnes qui tracent la carri�r�, ont rapport au culte de Neptune OU Consus; et a celui des dieux des coureurs et des lulteurs,
(!) Fortur in Euripis vino plenis navales circenses exhibuisse. Lamprid., in Ilelioyab.
(2) Sparsa et populo missalia omnium rerum, etc. Suet., in Ker., c. xi.
(�) Buleog., Dc Venat. circi., p. 110 et suiv.
(4) Colonnes en forme d�ceufs ou dc cyprcs.
-ocr page 23-SAINTE-MARIE-IN-COSMEDIN.
Castor el Pollux, tous deux n�s d�un oeuf. Les cochers, habill�s de qualre couleurs dil��rentes, repr�senlent les quatre saisons de 1�ann�e.
Ils partent des douze Carceres, comine l�ann�e passe par les douze signes du zodiaque, et les vingt-quatre courses qu�ils accomplissentnbsp;sont les \ingt-quatre heures du jour el de la nuit. Plusieurs autres d�tails n�ont pas un rapport moins sacr� avec les myst�res de la nature.nbsp;Les Biges, attel�s d�un cheval blanc et d�un noir, rappellent la coursenbsp;xari�e de la lune qui s�accomplit tanl�t de jour tani�t de nuit; lesnbsp;Quadriges sont une imitation de la course de Pboebus; les cbevauxnbsp;de main sur lesquels les ministres du Cirque vont annoncer les courses, figurent Lucifer qui annonce Ie jour. Pluton pr�side aux Triges,nbsp;et Jupiter aux S�juges (i). �
Ainsi, dans les jeux du Cirque l�idol�trie coulait i pleins bords. Faut-il s��tonner si les P�res de l��glise ont tant de fois tonn� centrenbsp;ces divertissements? Apr�s avoir dur� sans interruption pendant desnbsp;jours et des nuits, la f�te finissait comme elle avail commenc�. Long-temps apr�s que Ie soleil avail quitt� l�horizon, des milliers de torcbesnbsp;venaient �clairer la foule immense qui sorlail p�niblement des porli-ques, et pr�c�der la procession sacr�e qui reportait dans les templesnbsp;les statues des dieux dont la pr�sence avail sanctifi� les spectacles (2).
Quand, debout sur les lieux m�mes qui en furenl Ie ib�amp;tre, on a repass� dans son esprit ces troiscoupables folies, un grand ennui saisitnbsp;Ie coeur; l��me fatigu�e cbercbe un asile solitaire o� elle puisse �pan-cber sans contrainle les sentiments qui l�oppressent. Quel bonbeurnbsp;pour nous d�apercevoir, dans Ie voisinage, un sanctuaire de la saintenbsp;Vierge! Nous y entr�mes : c��tait Sainte-Marie-w-Cosmerfzn. D�di�enbsp;a la douce Reine du monde, cette �glise v�n�rable s��l�ve non loin dunbsp;grand Cirque, comme pour rassurer Ie voyageur effray� de ses souvenirs, en lui rappelant que l�bumanit� vit sous une autre loi: elle passenbsp;pour la seconde �glise de Rome consacr�e a la M�re de Dieu. On lanbsp;croit batie par les premiers chr�tiens sur les ruines du temple de lanbsp;Pudicitia patricia, dans lequel les seules femmes nobles et non re-mari�es avaient Ie droit de p�n�trer. Suivant la tradition, saint Augustin y enseigna la rb�lorique avant d�aller a Milan, et les catboli-ques d�Orient, poursuivis par les iconoclastes, �tant venus s�y r�fu-gier, lui donn�rent Ie nom d'�cole des Grecs. liien qu�elle ait �t�nbsp;restaur�e en 772 par Ie pape Adrien 1�, et en 858 par Ie pape Nico-
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Cassiod. Variar., iii, 51; Rome au si�cle d�Auguste, 1.11,252.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Xiphil, in Sever., p. 406.
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las Pquot;', cette Basilique compte parmi celles qui conservent Ie mieux les formes primitives.
Toutefois son plus pr�cieux ornement estl�image de Ia sainte Vierge, qui fut apporl�e de l�Orient, afin de la soustraire aux outrages denbsp;Fcmpereur iconoclaste, L�on l�Isaurien. Au jugement des connaisseurs,nbsp;cetteimage,chef-d�ceuvredelapeinturebyzantine,est si belle queRomenbsp;elle-ra�me n�en a point qui L�gale. Elle est plac�e derri�re Ie maitrenbsp;autel, et porte la fameuse inscription grecque ; �Eor�xos- atfrafUtog:nbsp;� M�re de Dieu toujours vierge. � Sous Ie cbceur est une crypte primitive dans laquelle on descend par deux escaliers. L�antique inscriptionnbsp;avertit qu�on y conserve Ie corps de sainte Cyrille, fille de l�empereurnbsp;D�ce. Beatce Cyrillce virg. et M. jilicB Decii. Les hagiograpbes pensent n�anmoins que l�illustre martyre �tait seulement une alfranchienbsp;de l�imp�ratrice, femme du pers�cuteur. Quoi qu�il en soit, tous lesnbsp;p�lerins s�empressent de baiser la pierre sur laquelle Tinnocente vic-time fut immol�e : elle peut avoir trois pieds de longueur sur deuxnbsp;de largeur, et quatre pouces d��paisseur. Deux cents martyrs de lontnbsp;flge, de tout sexe et de tout pays, forment l�auguste cort�ge de lanbsp;sainte Vierge a Sainte-Marie-in-Cosmedin (i). Nous les remerci�mesnbsp;avec effusion d�avoir, par leur sang, d�livr� Ie monde des atrocit�snbsp;pa�ennes, et nous renlrames pour analyser les impressions et les souvenirs de cette importante journ�e.
50 D�CEMBRE.
Mont Aventin. � Souvenirs pa�ens. � Souvenirs chr�tiens. � �glise de Sainte-Prisque. � De Sainte-Sabine. � Histoirc.�Mosa�que. � Saint Dominique, son oranger.�nbsp;�glise de Saint-Alexis. � Histoire. � Prieur� de Malte. � Vue de Rome. � Le Mordenbsp;Testaccio. � Ordre bizarre d��i�Uogabale.
Traversant de nouveau, sans regarder ni a droite, ni a gauche dans la crainte de nous arr�ter encore, une partie des r�gions visit�es lesnbsp;jours pr�c�dents, nous arrivftmes de bonne heure au pied de 1�Aventin.nbsp;Par une rue �troite, ardue, sans pav�, nous gravimes, du c�t� du Ti-bre, les flancs escarp�s de la colline : les souvenirs surgissaient denbsp;toutes parts. A gaucbe nous laissions 1�antre de Cacus, le fameux ounbsp;le fabuleux brigand qui fut tu� par Hercule, dont il avait vol� lesnbsp;bffiufs (si); devant nous se pr�sentait remplacement des Thermes de
(0 Constanzi, t. n, p. 44; Miizzol. t. vi, p. 136.
(a) Virgil., lib. via.
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�GLISE DE SAINTE-PRISQ�E.
D�ce et d'H�liogabale, tristement c�l�bres par les noms et les faits qu�ils rappellent (i); de la maison de Vitelius, qui excita la fureur desnbsp;Romains (2); du temple infame de la Boune D�esse (s); de Minerve,nbsp;o� s�assemblaient les cora�diens el les p��tes (4); de la Libert�, aveenbsp;son Tabularium contenant Ie code p�nal des vestales inlid�les (s). Anbsp;eette page d�figur�e de Thistoire profane succ�d�rent bient�t les litres mienx conserv�s de nos gloires cbr�tiennes. Ici habii�renl saintenbsp;Marcelfe ei sainte Sylvie, ces deux illustres matrones, dont la premi�re lienl une place si glorieuse dans les �crits de saint J�r�me. (e),nbsp;et la seconde dans la vie de saint Gr�goire Ie Grand, digne Ills d unenbsp;telle m�re.
Jusqu�ici nous avicns v�cu de souvenirs; enfin la r�alit� commenga.
L �glise de Sainte-Prisque nous ouvrit ses portes et ses tr�sors d an-tiquit�s. Voisine du temple de Diane et de la Fontaine des Faunes, elle s��l�ve fi la place m�me occup�e par la maison de Tillustre mar-lyre. Saint Pierre y re^ut fr�quemment l�hospitalit�, grdce � deuxnbsp;n�ophytes, juifs de nation, Aquila et Priscille, attach�s peut-�tre a'lanbsp;familie consulaire de sainte Prisque. Cette jeune vierge �tait ftg�e denbsp;treize ans lorsqu�elle fut baptis�e par l�ap�tre lui-m�me dans la de-meure paternelle. D�nonc�e Ji reropereur Claude, on la conduisit aunbsp;temple d�ApoIlon, pour sacrifier aux idoles. Sur son refus, Ie juge Ianbsp;fit cruellement flageller, puis jeter dans une �troite prison. Amen�enbsp;une seconde fois devant Ie tribunal, elle montra la m�me fermet�; ennbsp;sorte que Ie lyran transport� de fureur ordonna de lui verser sur lanbsp;t�te de l�huile bouillante et de la pr�cipiter dans un noir cachot, d�otinbsp;elle ne fut tir�e que pour �tre expos�e aux b�tes; mais Ie lion qui de-vait la d�vorer se jela respectueusement ses pieds. Ge spectacle nenbsp;put toucher les bourreaux, qui soumirent la jeune vierge aux tortures du chevalet, du feu et de la faim; Jusqu�� ce qu�enfin, honteuxnbsp;*d��tre vaincus par une enfant, ils l�entrain�rent sur la voie d�Ostie, o�nbsp;ils lui trancb�renl la t�te, a trois mille de Rome (7). Sainte Prisquenbsp;est regard�e comme la protomarlyre de l�Occident (s). Ainsi, Ie pre-
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Cassiod., in CronL; Lampi�id., in Ileliogab.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Tacit., Hist., lib. m.
(3) nbsp;nbsp;nbsp;Ovid., Fast., lib. v.
(4) nbsp;nbsp;nbsp;Festas, in Scribas.
(5) nbsp;nbsp;nbsp;Tit.-Liv., Decad. v, lib, v; Festas, lib. v,
(6) nbsp;nbsp;nbsp;Epist. 54 ad Desider.
(7) nbsp;nbsp;nbsp;Caron, Annot. ad Martyr.; Martinelli, Primo Trojeo della Croce, c. xviii.nbsp;(s) Mazz., t. VI, p. 269.
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mier sang r�g�n�rateur qui coula sur la vieille Rome, fut un sang remain, un sang illuslre, un sang virginal!
Dans la crypte, on garde pr�cieusement Ie vase avec lequel saint Pierre administrait Ie bapl�me. Restaur�e par les papes Adrien P',nbsp;en 772, et Callixte 111, en 145o, l��glise conserve une antique inscription qui rappelle sommaireinent les faits que je viens de rapporter (i).
Un sang, non moins illustre, purifia Ie lieu longtemps souill� par Ie temple de Junon Itegina. Ce sang fut celui de sainte Sabiil�, mar-tyris�e dans la maison de ses parents. Confi�e aux soins d�une gouvernante cbr�lienne, Sabine re^ut Ie bapl�me, fit un riche mariage,nbsp;et fut enfin arr�t�e comme chrctienne. Par ordre d�Adrien, Elpidiusnbsp;alia l�interroger : � iN�est-ce pas vous, lui dit il, qui �tes Sabine, il-histre par voire naissance et par votre mariage (2)? �� � Oui,c�est moi,nbsp;mais je rends grace a J�sus-Christ qui, par Ie moyen de sa servanlenbsp;S�raphie, m�a d�livr�e de. la servitude du d�mon. � Le juge n�en de-manda pas davantage; et apr�s divers tourmenls, illit irancher la l�ienbsp;a la noble accus�e. Ses fr�res dans la foi, qui s��taient empress�s d��-lever un oratoire sur sa tombe dans le Pagus Yindicianus, n�avaientnbsp;garde d�oublier le th��tre m�me de son Iriomphe. En 42o, un ver-tueux pr�tre, nomm� Pierre, Illyrien d�origine, y batit une �glise.nbsp;L�inscription suivante rappelle la m�moire du charitable fondateur :nbsp;� Riche pour les pauvres, pauvre pour lui, qui, m�prisant les biensnbsp;de la vie pr�sente, m�rita d�esp�rer la vie future. Pavperibvs locvples,nbsp;sibi pavpcr, qvi hona vitce prcesmtis fcgiens, mervit sperare fvtvram.�nbsp;Y a-t-il une inscription pa�enne qui vaille celle-la? Mais que dire denbsp;celte autre, plac�e dans la m�me �glise pour le pieux cardinal Valen-tini? Vt mariens viveret vixit vt moritvrvs. � Afin de vivre en mou-rant, il v�cut comme devant mourir. � Toule la philosophic de la vienbsp;humaine est renferm�e dans ces courtes paroles.
L��glise de Sainte-Sabine, si pleine de souvenirs, fut consacr�e par saint Sixte III, et d�clar�e stationnale pour le mercredi des Cendres
(lt;) Montis Aventini nviiic 1'acta est gloria major Unius vcri relligione Dei :
Pratcipue ob Priscte, quod cernis, nobile Templum,
Qu�d priscum merilo par sibi nomen habct.
Nam Petrus id coluit, populos dum s.Tpe doceret,
Dum l'acerel magno sacraque sape Deo : nbsp;nbsp;nbsp;/
Dum quos Faunorum (bnlis deceperat error,
Ilic melius sacra puriticarct aqua.
Voycz Fogginio, p. 28�.
(2) Tu-ne CS illa Sabina et genere el malrimonio nobilissinia?
-ocr page 27-�GLISE DE SAINTE-SADINE.
par saint Gr�goire Ie Grand. L�illustre pontife y pr�cha plusieurs fois ce jQur-li�, et les papes conserv�vent longterops Vusage de \enir anbsp;Sainte-Sabine recevoir les cendres de la p�nitence.
Les murs lat�raux, la disposition des points d�intersection, annon-cent que l��glise fut orn�e de nombreuses mosa�ques. 11 en reste seu-lement deux beaux vestiges, dont Ie premier couronne l�abside. Quinze m�daillons font Ie tour'de l�arc; Ie plus �lev� repr�sente Noli�e-Sei-gneur; les autres contiennent des figures incertaines, auxqnelles onnbsp;trouve une l�g�re ressemblance avec les images des empereurs dansnbsp;les m�dailles. De chaque c�t� est une ville, que l�arch�ologie chr�-tienne reconnail pour J�rusalem et Betbl�em, les deux termes oppos�snbsp;de la vie mortelle de Notre-Seigneur; trois lampes sont suspendues anbsp;leurs vo�tes, embl�me de la lumi�re qui a jailli de la cr�che, berceaunbsp;de l�Enfant-Dieu, et de la croix, son lit de mort. Dans Ie ciel, au-dessus de la t�te de Notre-Seigneur, volligent neuf colombes, gracieuxnbsp;symbole de l�innocence et de la douceur du Dieu fait homme.
Au bas de l��glise est 1�autre vestige, non moins int�ressant que Ie premier. Les quatre Lvang�listes avec leurs attributs, forment la partienbsp;sup�rieure du tableau. Sur les c�t�s, on voit a droite saint Pierre, anbsp;gauche saint Paul, tons deux pr�chant l��vangile. Au-dessus de la t�lenbsp;de saint Pierre s��chappe, du sein de la nue, la main a moili� ferm�e,nbsp;symbole de la puissance divine, dont l�Ap�tre est Ie d�positaire. In-f�rieurement � saint Pierre parait une femme tenant un livre � la main;nbsp;sous ses pieds on lit les paroles suivantes qui expUquent la figure ;nbsp;Ecclesia ex Circvmcisione : l��glise de la Circoncision. Au-dessousnbsp;de saint Paul est une figure semblable avec ces mots, �galement clairs :nbsp;Ecclesia ex Genlibvs : l��glise des Genlils. Onclion, simplicil�, grandeur, tels sont les caracl�res de ces anciennes peintures. Vraiment,nbsp;nos pferes �taient mieux inspir�s que les artistes modernes, qui, tropnbsp;Jouvent, inscrivent sur les murailles de nos temples, avec un pinceaunbsp;pa�en et un coeur mondain, des v�rit�s dont ils n�ont ni l�intelligence,nbsp;ni Ie sentiment (i).
Dans la crypte, plac�e sous Pautel, reposent les corps de sainle Sabine et de sainle S�raphie, vierge et martyre, sa gouvernante. A gauche, en entrant, on voit, fix�e dans Ie mur, la pierre qui couvraitnbsp;Ie tombeau des saintes martyres et sur laquelle saint Dominique availnbsp;coutume de faire oraison. Comment Ie glorieux fondateur des Domi-nicains avait-il cboisi ce lieu de pri�res? La raison en est bien simple :
(i) Voyez Ciampini, 1.1, p. 186 el suiv.
-ocr page 28-24 LES TEOIS ROME.
Ie pape Honorius III poss�dait un palais contigu a Sainte-Sabine, dont il fit pr�sent a saint Dominique, et Ie palais pontifical devint la de-meure du religieux et une des plus illustres maisons de son ordre.
Sur la facade brille Ie nom des h�tes immortels qui Tont habit� ; saint Dominique, saint Raymond de Pennafort, saint Thomas d�Aquin,nbsp;saint Hyacinthe, la lumi�re de la Pologne, saint Pie V. Jugez de quellenbsp;frayeur religieuse on est saisi en franchissant le seuil de cette demeurenbsp;tant de fois v�n�rable, en parcourant ces m�mes lienx que tant denbsp;saints et d�hommes de g�nie ont parcourus! II nous fut permis d�en-trer dans la chambre de saint Dominique, dont la forme n�a pasnbsp;chang�; elle peut avoir dix pieds de longueur sur six de largeur. Au-jourd�hui c�est une chapelle richement d�cor�e par les rois d�Espa-gne. Une l�g�r� distance la s�pare de la modeste cellule habil�e parnbsp;saint Pie V, le pontife de glorieuse memoire, le vainqueur de L�pante.nbsp;Sous la conduite d�un religieux plein de cette douce affabilit� qui ca-racterise tous les Dominicains que j�ai rencontr�s, nous traversamesnbsp;les vastes cloitres pour nous rendre au jardin. La se trouve un Granger, planl� de la main de saint Dominique; il est entour� d�une immense caisse en pierre qui rappelle les plutei des anciens; cet arbre,nbsp;six fois s�culaire, porte encore des oranges. On voulut bien en cueillirnbsp;sous nos yeux, et nous en donner comme souvenirs de pi�t�. Nous lesnbsp;resumes avec reconnaissance et, je le dirai tout haut, nous les avonsnbsp;rapportees comme des reliques bien autrement pr�cieuses que lesnbsp;feuilles des arbustes virgiliens, ou les morceaux de marbre et de mo-sa�ique enlev�s aux monuments profanes, dont la plupart des voyageursnbsp;�clair�s ne manquent pas de faire une ample collection.
Lorsqu�en sortant de Sainte-Sabine on tourne ii droite, quelques instants suffisent pour arriver au couvent des Hi�ronymites, ou senbsp;trouve la belle eglise de Saint-Alexis. Le premier objet d�une justenbsp;admiration est le tabernacle du maitre autel, en pierres pr�cieuses,nbsp;don vraiment royal de Charles IV, roi d�Espagne. Mais ici les mer-veilles de Part et la magnificence des princes sont �clips�es par l��clatnbsp;de rhumilit� chr�lienne. Antique palais d�Euph�mien, s�nateur ro-raain et p�re de saint Alexis, 1��glise que nous visitions rappelle l�h�-ro�sme d�une vertu plus difficile peut-�tre que le martyre. Voyez anbsp;droite, dans I�enceinte sacr�e, ce puits �troit et profond; c�est le m�menbsp;ou le fils du s�nateur puisait I�eau dont il s�abreuvait. Au has denbsp;1��glise, derri�re une superbe grille, voyez cet escalier; c�est le m�menbsp;�sous lequel Alexis, revenu d�un long et myst�rieux p�lerinage, v�cutnbsp;dix-sept ans, pauvre et iuconnu dans la maison paternelle. Cet escalier
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lUSTOlRE.
est en bois, compos� de dix marches et reconvert d�une gaze qui Ie prot�g� contre la poussi�re, sans emp�cher de Ie voir distinctement ()).
Une magnifique statue de marbre blanc repr�sente Ie saint couch�, tenant d�une main un crucifix et de l�autre un papier. Le sculpteurnbsp;a voulu immortaliser la circonstance miraculeuse qui accompagna lanbsp;mort du grand serviteur de Dieu. Voici le fait;
Depuis dix-sept ans, le fils d�Euph�mien et d�Agla� vivait obscur et cach� comme un pauvre ordinaire, sous l escalier de la maison pa-ternelle : la fin de son h�ro�que carri�re arriva. Le Dieu des ftmesnbsp;humbles voulut faire �clater la vertu de son serviteur et glorifier so-lennellement devant les hommes celui qui, pour plaire a Dieu, availnbsp;si longtemps et si fid�lement �vit� leurs regards. Alexis meurt, aus-sil�t une voix myst�rieuse retentit dans plusieurs �glises de Rome, quinbsp;dit : QucBr�e hominem Dei, ut oret pro Roma: � Cherches l hommenbsp;de Dieu, afin qu�il priepour Rome. � La ville s��meut; on s agite, onnbsp;s�inlerroge, on se met en pri�res, pour demander a Dieu o� est lenbsp;Saint ou�il faut chercher. La m�me voix se fait entendre : � Chercheznbsp;Vhomme de Dieu, afin qu�il prie pour Rome; � puis elle ajoute : Innbsp;domo Euphemiani quairite : � Cherchez dans la maison d�Euph�mien. �
Le peuple s�y porte en foule; on trouvc le saint pauvre, mort sous un escalier, un crucifix dans une main, un papier ferm� dans 1�aulre.nbsp;Vainement on veut lui �ter ce papier dans lequel on pr�sume qu�il anbsp;�crit son histoire. Le souverain Pontife, l�empereur, le s�nat, sontnbsp;bient�t inform�s du prodige; ils accourent sur le mont Aventin ; lenbsp;p�re d�Alexis fait partie du cort�ge. Arriv� pr�s du mort, le vicairenbsp;de J�sus-Christ lui ordonne, au nom de Dieu, de remeitre le papiernbsp;qu�il tient ii la main : la main s�ouvre et laisse tomber l��crit dansnbsp;celle du pape. Lecture en est faile en pr�sence de l�empereur, du s�-�nat, de tout le peuple, du p�re, de la mere, de l��pouse de saintnbsp;Alexis. Qu�on Juge de l�impression qu�elle dut produire sur ces der-niers t�moins, en leur apprenant que ce pauvre, cach� depuis dix-septnbsp;ans sous l�escalier de leur palais, �tait Alexis, leur fils, leur �poux!
Rome enti�re fondit en larmes de douleur, de joie, el, s�il �tait permis de le dire, d�admiration. Par respect pour le serviteur de Dieu,
(i) Sous Vescalier m�me on lil 1�inscriplion suivante : � Sub gradii islo in paterna � domo B. Alexius, Ronianorum nobilissimus, non ut filius, scd tanquam pauper advenanbsp;igt; receptus, asperam egenamque vitam duxit annis xvu; ibique purissimam animamnbsp;� Creatori suo feliciter reddidit anno ccccxiv, Innoccntio PP. I, et ilonorio et Theodo-� sio II Imperatoribus. �
-ocr page 30-26 LES TROIS ROME.
TempereurHonorius et Ie papeInnocent I^voulurent portereux-m�mes Ie saint dans l��glise de Saint-Boniface, qui, jointe au palais d�Euph�-mien, est devenue l��glise de Saint-Alexis (i). Son corps repose sousnbsp;Ie maitre autel, dans une chftsse magnifique, avec celui de saint Boniface, martyr. Non loin de la se voit I�image miraculeuse de la saintenbsp;Vierge, qui manifesta aux habitants d�Edesse le m�rite du bienheureuxnbsp;p�lerin, et qui lui conseilla de retourner a Rome et 4�y vivre inconnunbsp;dans la maison paternelle (2).
L�h�ro�sme chr�tien que nous venions d�admirer et dans le courage d�une jeune vierge, et dans l�humilit� d�un noble jeune homme, brillenbsp;encore, sur le mont Aventin, dans une de ses expressions les plus sublimes : pr�s de Saint-Alexis est le grand-prieur� des Chevaliers denbsp;Malte. Leur �glise, d�di�e a la sainte Vierge, s��l�ve sur les ruines dunbsp;temple de la d�esse Fauna (5); c�est, comme on sait, un des titresnbsp;nombreux que les pa�ens donnaient a Cyb�le. Faire honorer Marie aunbsp;m�me lieu o� se c�l�braient les myst�res de la Bonne D�esse ; vrai-ment Rome est admirable de tact et d�intelligence. Sainte-Marie-Aventina forme Ie milieu du prieur�, situ� dans une position magnifique. Quand vous serez devant la porte 'principale qui donne surnbsp;l�esplanade plant�e d�arbres verts, n�oubliez pas de regarder par lenbsp;trou de la serrure : votre vue ira se reposer une demi-lieue de la,nbsp;pr�cis�ment sur le d�me de Saint-Pierre.
Du belv�d�re, b�ti au fond du jardin, sur le bord escarp� de la col-line, le coup d�mil est vraiment pittoresque. Au pied de l�Aventin passe le Tibre, coulant p�niblement ses eaux jaunatres vers le portnbsp;des Domains; sur la rive oppos�e se montre le grand hospice de Saint-Michel; puis le Trastevere; puis le Janicule a l�horlzon et Rome surnbsp;la droite. A gauche, vers le sud-est, entre l�ancienne porte Trigeminanbsp;et la porte d�Ostie, l�oeil de la m�moire d�couvre le vaste port Nava-lia. Emporium, creus� par les Romains et entour� de superbes porti-ques, o� venaient aborder les vaisseaux charg�s d�apporter � Rome lesnbsp;productions et les d�pouilles du monde. Aux m�mes lieux il aper^oitnbsp;encore l�arsenal de la marine et les greniers publics (4), ainsi que lenbsp;Forum pistorium, �tabli peut-�tre depuis que Domitien eut form� unnbsp;coll�ge de boulangers (5). plus loin s��l�ve, isol� au milieu de la vaste
(i) Voycz les Bollandistes, 17 juillet. (a) Mazzol., c. vi, p. 270.
(5) Nardini, p. 598.
(4) nbsp;nbsp;nbsp;Tite-Live, Decad. v, lib. v.
(5) nbsp;nbsp;nbsp;Sext. Aurel., in Trajan.
-ocr page 31-FIN DE L ANNEE. nbsp;nbsp;nbsp;^
plaine, Ie mont Testaccio. Singuli�re montagne! teute form�e de d�-combres el de pots cass�s, qui n�a pas moins de 163 pieds de hauteur sur 4,503 de circonf�rence. On s�accorde a dire que les terreaux enle-v�s par les anciens Remains, lorsqu�ils construisirent Ie grand cirquenbsp;et les autres monuments de leur ville, ferment les couches inf�rieuresnbsp;de celte colline artificielle; les amphores cass�es constituent la parlienbsp;sup�rieure. Celte explication, d�ailleurs constat�e par Ie fait, n�a riennbsp;qui r�pugne. On sail que les Remains faisaient un usage continuel, etnbsp;par cons�quent une large consommalion, de vases de lerre cuite, pournbsp;mellre les eaux, les vins, les huiles, les autres liquides et m�me lesnbsp;cendres des morts. Port�s au m�me lieu pendant des si�cles, ces fragments sont devenus Ie mont Testaccio.
A la base on a creus� de vastes caves d�une grande fraicheur, dans lesquelles on conserve encore l�approvisionnement des vins pour lanbsp;consommalion de la ville �. Ie Testaccio est la Uip�e de Rome.
Lorsque vous regarderez cetle montagne de pots casses, si vous daignez vous souvenir qu�un jour H�liogabale, voulant connaitre lanbsp;grandeur de Rome, ordonna a ses esclaves de ramasser toutes les arai-gn�es de la ville, et qu�il en obtint dix mille pesant (i), vous aureznbsp;deux indications assez bizarres, ou de la maladresse et de la malpro-pret�, OU de la prodigieuse multitude de la population romaine.
51 D�CEMBRE.
Fin do t�ann�e. � Impressions. � Te Deum au Ges�.
C��lait Ie dernier jour de l�ann�e. Graves partout, les pens�es qu�inspire ce temps qui fuil et qui nous emporte en fuyant; cettenbsp;qjin�e qui va tomber dans 1�abime de l��lernil�, comme la goutle d�eaunbsp;dans les profondeurs de 1�Oc�an; cette sc�ne du monde si capricieusenbsp;et si mobile, avec laquelle nous changeons nous-m�mes; ce mondenbsp;enfin qui croule aulour de nous ; toutes ces pens�es deviennent anbsp;Rome plus graves et plus solennelles. Pourrail-il en �tre autrement?nbsp;D�une part, les objets qui vous environnent, c�est-�-dire l�iinage partout pr�sente a vos yeux de la gloire humaine la plus grande, de lanbsp;puissance la plus colossale qu�on ait jamais vue, d�figur�e, �vanouie,
(i) Servis imperasse ut omnes araneas colligerent in urbe; atque cos collegisse ad decem inilUa pondo, el subjecisse, vel hinc inlelligendum quam magna Roma esset. �nbsp;Lamprid. in Heliogab.
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oach�e dans la nuit silencieuse d�un immense tombeau ; d�autre part, les monuments chr�tiens qu�on rencontre a chaque pas, debout surnbsp;les d�bris mutil�s des th�atres et des forum, ou sur Ie sommet �lanc�nbsp;des sept collines; l�aspecl de cette �glise de J�sus-Christ, qui seule,nbsp;parmi toutes les catastrophes et toutes les r�volutions des empires,nbsp;demeure immuable; Ie rendez-vous au m�me lieu, Ie dernier jour denbsp;l�ann�e, de deux inondes, l�un jadis redoutable g�ant, vainqueur desnbsp;nations et aujourd�hui cadavre pourri dans la tombe; l�autre jadisnbsp;petit troupeau poursuivi jusqu�aux entrailles de la terre, et aujourd�hui roi assis sur Ie char de triomphe : cette double vue du n�ant denbsp;rhomme et de la grandeur de Dieu p�n�tre TSme d�une frayeur reli-gieuse, et, malgr� qu�on en ait, on en vient a se dire a soi-m�me : Etnbsp;toi aussi tu passes! p�lerin d�un jour, demain qui se souviendra denbsp;loi? Veux-tu vivre apr�s la tombe? immortalise ton esprit, immortalise ton coeur, immortalise ta vie, identifie-toi a ce qui ne passe point.nbsp;Que chaque ann�e, enlev�e a ton existence terreslre, aille s�ajouter anbsp;ton existence future; hate-loi, aussi bien celle qui commence seranbsp;peut-�tre la derni�re.
Conduit par ces pens�es, les seules, ce me semble, qui s�harmoni-sent bien avec Rome a la fin de l�ann�e, nous nous rendimes au Ges�. Suivant l�usage, Ie souverain Pontife y vient lui-m�me Ie dernier journbsp;de l�ann�e, vers Ie soir, pour y donner une b�n�diction et chanter unnbsp;Te Deum solennel. R�pandre une derni�re fois la ros�e f�conde de lanbsp;gr�ce sur Ie monde catholique, faire monter vers celui de qui descendnbsp;tout don parfait un dernier hymne de reconnaissance, parfumer denbsp;l�encens de la pri�re l�ann�e qui va paraitre devant Dieu; tel est Ienbsp;but sublime de cette c�r�monie.
Pour voir arriver Ie Saint-P�re, une foule immense encombrait la place du Ges� et toutes les rues adjacentes. Ce ne fut pas sans peine quenbsp;nous parvinmes a nous faire jour et a nous loger. Enfin, deux dragonsnbsp;arriv�rent au galop, et tout Ie peuple de se d�couvrir et de r�p�ter :nbsp;Eccolo, eccolo! Ie voila! Ie voila! En efret,bient�t parut Ia garde noble,nbsp;en grand costume, puis la voilure pontificale attel�e de sixchevauxnoirsnbsp;conduits par deux postillons en livr�e rouge. Le Saint-P�re portalt lanbsp;soutane blanche, le rochet, le camail, l��tole et le chapeau rouge. IInbsp;nous fut possible de le suivre dans l��glise et d�assister au Te Deum;nbsp;mais press�s par la foule, nous ne p�mes jouir qu�imparfaitement denbsp;la belle illumination. En sor^nt, le souverain Pontife fut salu� par unnbsp;cri que nul monarque au monde n�entendit jamais: Santo Padre,nbsp;la benedizione; Saint-P�re, votre b�n�diction! r�p�tait, ^ la vue de
-ocr page 33-le premier jocb re r an.
son p�re et de son roi, le peuple romain, veritable enfant g'^V gouvernement peut-�tre trop doux.
1quot; nbsp;nbsp;nbsp;1842.
� � nbsp;nbsp;nbsp;' coini-Pierre.�Dimension. � Beaut�s ar
te premier jour de Tan a Rome. - VisUe a f , ^s d�ordres. - Le baldaquin.
Usuque8.-La chaire de Saint-Pierre. - Les lou nbsp;nbsp;nbsp;_^nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;_
La coupole.�Saint-Pierrc, image du ciel. � n Baguette du p�nitencier.
Ce jour-la je v�eus un pen a Rome et beaucoup en France. Le sou-renip de nos amis, souvenir si doux quand on est pres, si ainer quand on est loin, nous saisit d�s le r�veil; que font-ils? que disent-ils? Ah!nbsp;ils pensent a nous, parlent de nous,, ils nous envoient leurs voeux; etnbsp;nous aussi nous avions pour eux des souhaits dans le coeur et sur lesnbsp;l�vres. D�pos�s au saint autel, dans le sein du P�re commun de lanbsp;grande familie calholique, ils furent confi�s aux anges du ciel, et lesnbsp;plaines del�Italie ne furent pas assez larges, et les Alpes ne furent pasnbsp;assez hautes pour les emp�cher de parvenir a leur adresse.
Apr�s nos amis de France vinrent nos amis d�ltalie. J�aime a le dire, i Rome il r�gne je ne sais quelle sympathie qui vous donne bien-t�t des amis et presque des fr�res. Plus promptement et plus corapl�-lement qu�ailleurs, les distinctions de pays, les oppositions, ou m�me,nbsp;si vous le voulez, les r�pugnances nationales, disparaissent peur fairenbsp;place a un seul litre, celui de catholique. A Rome, chacun se regardenbsp;comme cbez soi ; el vraiment c�est avec raison. Rome n�est-elle pas lanbsp;�ville du P�re commun, le centre de la catholicit�, le berceau et le tr�nenbsp;de la foi qui, d�un p�le � l�autre, unit tous les esprits et tons lesnbsp;coeurs dans la m�me pens�e et dans le m�me amour? Esl-ce que lesnbsp;gloires de Rome ne sont pas mes gloires? est-ce que ses f�les ne sontnbsp;pas mes f�les? esl-ce que sa doctrine n�est pas ma doctrine? Voil� cenbsp;que peut se dire le calholique francais, anglais, africain, asiatique,nbsp;n�importe sa patrie; et voil� ce qu�il sent tr�s-bien et ce qu�il se ditnbsp;instinctivement du moins, lorsqu�il est a Rome. Done, nous resumesnbsp;la visite el les voeux d�un certain nombre d�amis �lrangers et romains.nbsp;Cette marque d�affection, dont le principe �tait certainement la com-munaut� de pens�es dans la foi, produit une impression que le tempsnbsp;ne saurait effacer.
Dans la rue on entendait circuler de toutes paris le Buon capo d�anno, mot consacr� par l�usage pour souhaiter la bonne ann�e. Ce
T. II. nbsp;nbsp;nbsp;2
-ocr page 34-50 nbsp;nbsp;nbsp;les TROIS ROME.
mot ne \a pas seul; il nous fut ais� de voir qu�a Rome, comme i Paris, Ie premier jour de Fan, Ie genre humain se divise math�mati-quement en deux classes : Tune qui donne et Fautre qui refoit desnbsp;�trennes ; et, si j�ai bonne m�moire, partout la derni�re est de beau-coup la plus nombreuse, sans �tre la moins contente.
Laissant a son bonheur cette int�ressante portion de Fhumanit�, nous mimes nos instants profit et nous nous rendimes � Saint-Pierre.nbsp;N��tait-il pas convenable de commencer Fann�e par une xisite au roinbsp;de la cit�? D�ailleurs Ie bon p�re V...., p�nitencier de France, nousnbsp;avait donn� rendez-vous a son domicile, ce qui veut dire a son confes-sionnal, adoss� au transept de la grande basilique. En passant pr�s denbsp;Fob�lisque de N�ron, Fexcellent ami qui nous accompagnait se d�cou-vrit respectueusement et r�cita une pri�re. � Vous saluez, lui dis-je,nbsp;un des plus glorieux troph�es du christianisme!�Je fais plus encore, je salue la vraie croix, dont un morceau couronne Ie monolithe,nbsp;et je r�cite Ie Pater et VAve auquel Sixte V a attach� une indulgencenbsp;de dix ans et de dix quarantaines. � Nous imitftmes son exemple, etnbsp;nous arrivames a Saint-Pierre dont Fhistoire et Farchitecture devaientnbsp;principalement nous occuper. Avant d�entrer sous Ie vestibule, onnbsp;nous dit : � Voyez ces colonnes qui soutiennent la grande loge; sinbsp;vous en coupiez une tranche vous aurlez une table � recevoir douzenbsp;personnes. � Comme tous les voyageurs, nous r�pondimes par un si-gne d�incr�dulit�; mais bient�t il fallut baisser Ie ton, et convenir quenbsp;les douze convives seraient fort a Faise. Tel est Ie bonheur ou Ie malheur de Saint-Pierre ; tout y est colossal, et rien n�y parait grand.nbsp;D�une part, Farchitecture grecque avec ses pleins cintres et ses lignesnbsp;coup�es, qui abaissent constamment Ie rayon visuel; d�autre part,nbsp;Fharmonie des proportions qui, faisant de toutes les parties du monument un tout parfaitement homogene, n�en met aucune en relief,nbsp;passent pour �tre les causes principales de Fillusion.
Avant de franchir Ie seuil, nous voul�mes nous rendre comple des transformations que F�glise avait subies avant de devenir, par sa grandeur et sa magnificence, Ie premier temple du monde.
Tout d�abord se pr�sente un rapprochement qui n�est pas sans in-t�r�t. Entre les diff�rents quartiers de Rome, Ie Vatican fut particu-li�rement souill� par les superstitions et les infamies pa�ennes. Le temple de la Bonne D�esse, celui d�Apollon, le palais de N�ron, lanbsp;pr�sence d�horribles serpents(i), justifient en Fexpliquant le mot d�tm-
(i) Faciunt his fiflem in Italia appellatas Bok (id est serpentes) in tantam amplitudi-nem exeuntes, ut D. Claudio principe, occis� in Vaticano solidus in alvo spectatus sit inl'ans. � Plin., lib. vin, c.
-ocr page 35-VISITE A. SAIM-PIERRE.
fdme, par lequel Tacite d�signe cetter�gion transtib�rine (i). Profon-deur des conseils �lernels'. c�est ce m�me lieu que la Providence a cboisi pour remplacement du temple Ie plus auguste de l�univers, surnbsp;Ie m�me sol oii 1�antique serpent r�gnait en maitre; o� N�ron crutnbsp;ctoufler l��glise au berceau, devait resplendir aux yeux des peuplesnbsp;�lonn�s Ie temple du P�cheur galil�en, monument immortel de lanbsp;double victoire remporl�e sur l�enfer et sur Ie monde ; au pied de lanbsp;m�me montagne o� les pa�ens abuses venaient cbercber les oracles dunbsp;mensonge, il fallait que Ie monde chr�tien vint recevoir avec un res-peclueux amour les infaillibles oracles de la v�rit�. De la, Ie nom denbsp;Vatican donn� a cette colline (2).
Cependant, les martyrs immol�s par N�ron furent d�pos�s dans les grottes creus�es par leurs fr�res au voisinage du cirque et des jardinsnbsp;imp�riaux. Victime, a son tour, du cruel empereur, FAp�tre vint reposer au milieu de ses enfants, et commencer la grande cit� des martyrs. Sur ces grottes, tombe, asile et berceau des premiers cbr�tiens,
Ie pape saint Anaclet, successeur de saint Pierre, �rigea un modeste oratoire (s); et comment dire les larmes et les pri�res r�pandues ennbsp;ce lieu v�n�rable pendant les orages trois fois s�culaires qui battirentnbsp;l��glise naissante? A l�aurore de la paix, Constantin s�empressa denbsp;changer l�oratoire primitif en un temple digne du lieu qu�il devaitnbsp;consacrer. Le jour fix� pour commencer les travaux, 1�empereur senbsp;rendit au Vatican, et d�posant le diad�me et la pourpre, il voulut lui-m�me ouvrir les fondations et en extraire douze paniers de terre ennbsp;l�honneur des douze Ap�tres, N��tait-il pas juste que les mains desnbsp;C�sars, employ�es jadis amp; bamp;tir les temples des id�les, fussent sancli-fi�es en travaillant aux temples du vrai Dieu (4)? Le corps de saintnbsp;Pierre, relev� de sa tombe, fut plac� dans une ch�sse d�argent, ren-ferm�e dans une autre de bronze dor� et enricbie d�une croix d�or dunbsp;poids de luO livres.
Constantin et sainte H�l�ne r�unirent leurs lib�ralit�s pour embel-lir le nouveau temple. Void la liste abr�g�e de leurs pr�sents : les douze Ap�tres, en argent, pesant chacun 300 livres; trois calices d�or,
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Poslremo ue salulis quidem cur� infarnibus Va�cani locis niagna pars retendit,nbsp;undo crebra; in vulgus niorlcs. �Tacit., Mist. lib. u.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Vaticanum, a Va�cu�o. Severan. a S. Scverano de septern urbis eccles., etc.�nbsp;Ciampini, Veter, monim., 1.111, p. 50 et suiv.
(5) Hic �ncmoviam B. Belri conslruxit et composuit, dum presbyter faclus fuisset a B. Petra. �Anast., in Anaclet.
[i) Restitutionem Capitolii aggressus ruderibus purgandis nianus primus admovit, ac suo collo quaidam extuUt. Suet. in Yespas., c. viii.
-ocr page 36-32 nbsp;nbsp;nbsp;les TROIS ROME.
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orn�s de 43 pierres pr�cieuses, pesant chacun 12 livres; vingt calices d�argent, chacun de 10 livres; deux burettes d�or, du poids de 10 livres ; une pat�ne, de For Ie plus pur, avec un tabernacle en forme denbsp;tour, surmont� de la colombe, orn� de 215 perles, pesant 30 livres;nbsp;cinq pat�nes d�argent, chacune de 15 livres; une couronne d�or, de-vant Ie tombeau, avec un cand�labre orn� de 50 dauphins, du poidsnbsp;de 35 livres; au milieu de 1��glise, 32 cand�labres d�argent, orn�s denbsp;dauphins, pesant chacun 10 livres; 1�autel, en or et en argent cisel�,nbsp;orn� de 210 pierres pr�cieuses et pesant 350 livres; une cassolettenbsp;pour les parfums, de For Ie plus pur, enrichie de 51 perles et pesantnbsp;15 livres; de plus, des revenus consid�rables pour Fentretien de F�-glise et la magnificence des c�r�monies (i).
Ce temple auguste fut consacr�, par Ie pape saint Sylvestre, Ie 18 novemhre de Fan 324. Apr�s bien des restaurations, des agrandis-sements, el m�me une reconstruction compl�te, il est devenu, par Ienbsp;z�le des Souverains Pontifes, ce qu�il est aujourd�hui, la merveille dunbsp;monde. Le frontispice repose sur huit colonnes et quatre pilastres co-rinthiens, s�par�s par cinq portes. II est couronn� par un attique surmont� d�unc galerie d�o� s��l�vent treize statues colossales repr�sentant Notre-Seigneur et les douze Ap�tres : de chaque c�t� sont deuxnbsp;magnifiques horloges. Les cinq portes du frontispice, plac�es en facenbsp;des cinq portes de F�glise, conduisent dans un superbe vestibule toutnbsp;brillant de marbres et de dorures. En face de la porte du milieunbsp;est la c�l�bre mosa�que appel�e la Navicella. Dans eet ouvrage dunbsp;xin� si�cle on voit saint Pierre conduisant sa barque agit�e par lesnbsp;vents. Le vrai motif pour lequel ce tableau se trouve dans le vestibulenbsp;n�est pas connu de tous les voyageurs. Des ebr�tiens ignorants conser-v�rent pendant plusieurs g�n�rations Fusage pa�en de regarder le so-leil levant et de Fhonorer avant d�entrer dans la Basilique. Afin denbsp;leur offrir un sujet digne de leurs hommages, la mosa�ique fut plac�enbsp;au lieu o� elle est encore; chaque jour, pendant trente ann�es, le savant cardinal Baronius ne manqua jamais de la v�n�rer en entrantnbsp;dans Saint-Pierre, et de r�citer cette pri�re : Seigneur, sauvez-moinbsp;des flots du p�ch�, comme vous avez sauv� Pierre des flots de la mer :nbsp;Domine, ut �rexisti Petrum a fluctibus, ita eripe me a peccatorumnbsp;undis. Imit� par les coll�gues du pieux cardinal, son exemple est encore suivi par les p�lerins qui le connaissent.
Aux deux extr�mit�s du vestibule, F�glise a plac� le souvenir des
(i) Anast. in Sylvestr.
-ocr page 37-. nbsp;nbsp;nbsp;BEAUT�S AUTIS�IQUES.
deux plus grands �v�nements poliliques de son hisloire. Constantin et Charlemagne, pr�sents dans leurs superbes statues �questres, rappel-lent ; la premier, la victoire du chrislianisme sur Ie monde pa�en; Ienbsp;second, 1��tablissement social de son r�gne sur Ie monde moderne. Lanbsp;grande porte en bronze, hommage d�Eug�ne IV, est orn�e de bas-re-liefs repr�sentant Ie martyre de saint Pierre, Ie couronnement de l�em-pereur Sigismond, ainsi que les principaux �v�nements du conciledenbsp;Florence et la r�union si d�sir�e des Grecs avec les Latins. Au-dessusnbsp;de cette porte on admire Ie bas-relief du Bemin qui montre Notre-Iseigneur confiant li saint Pierre Ie soin de ses brebis.
Entr� dans la Basilique, Ie voyageur cberche en vain les colossales proportions dont il a entendu parler : hauteur, largeur, longueur,nbsp;tout lui parait ordinaire; et pourtant Saint-Pierre surpasse en magnificence et en grandeur les plus vastes et les plus splendides �glises denbsp;l�Orienl et de POccident : Sainte-Sophie de Constantinople, la catb�-drale de Milan et Saint-Paul de Londres. La cath�drale de Milan n�anbsp;que P18 pieds de long sur 312 de large; et Saint-Paul de Londres,nbsp;499 pieds de longueur sur 231 de largeur; tandis qu�^ partir de lanbsp;porte d�entr�e,jusqu�au chevet, Saint-Pierre compte 575 pieds de longnbsp;et 419 de large dans Ie transept. La nef du milieu a 82 pieds de largeur sur 142 de hauteur, y compris la voute. Les deux nefs lal�ralesnbsp;ont chacune 20 pieds de largeur. Ces diff�rentes mesures sont grav�esnbsp;sur Ie pav� de Saint-Pierre. Tout en marbre ou en porphyre, ce pav�nbsp;ressemble un brillant parterre �maill� de fleurs et d�coup� en rosaces, en losanges, en comparliments d�une gracieuse vari�t� et d�unenbsp;grande richesse de dessin.
Les b�nitiers augmentent d�abord Pillusion; mais bienl�t ils la dis-sipent : s�en approcher est Ie premier moyen de connaitre la grandeur (1^ Saint-Pierre. On nous avail dit : � Les anges qui les souliennontnbsp;ont six pieds; � et nous avions r�pondu : � Exag�ration de voyageursnbsp;enthousiastes. � Eh bien, on avail'raison et nous avions tort. Nousnbsp;mesurftmes ces anges qui, au premier coup d�oeil, ressemblent a denbsp;jeunes enfants; et qui sont bien en r�alit� des colosses de six pieds. Ilsnbsp;sont en marbre blanc, et soutiennent deux coquilles de marbre jaune,nbsp;plac�es vis-a-vis Tune de l�autre, au-devant des deux premiers enlrenbsp;pilastres. Je voulus offrir de Teau b�nite li l�excellent ami qui nousnbsp;accompagnait; mais il refusa de la recevoir. � Pour gagner 1�indul-gence, me dit-il, en prenant de Peau b�nite dans les basiliques romai-nes, il faut la prendre soi-m�me; ainsi Pont voulu les Souverainsnbsp;Pontifes, afin que chaque fid�le accomplit par lui-m�me un acte denbsp;religion. �
-ocr page 38-LES TROIS ROME.
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Quand on vient a Saint-Pierre pour en admirer les merveilles, Ie plus grand embarras est de savoir par o� commencer. Des monumentsnbsp;de tout genre, des chefs-d�oeuvre de peinture et de sculpture se dis-putent Fattention. Si on attaque Fauguste Basilique par Ie c�t� droit,nbsp;vous avez d�abord la chapelle de la Piti�, o� Ie ciseau de Michel-Angenbsp;se r�v�le dans Fimmortelle statue de la sainte Vierge tenant son filsnbsp;mort sur ses genoux. La colonne entour�e de fer, qui s��l�ve pr�s denbsp;Fautel, est, suivant la tradition, une des douze colonnes du temple denbsp;J�rusalem, que Constantin fit placer autour de la Confession de Saint-Pierre. L�antique inscription qui Faccompagne c�l�bre les nombreuxnbsp;miracles accord�s a la foi des p�lerins en face de ce monument sanc-tifi� par la pr�sence et peut-�tre par Fattouchement del�Homme-Dieu.nbsp;En montant se pr�sente la chapelle de saint S�bastien, remarquablenbsp;par les deux tombeaux du pape Innocent XII et de la comtesse Ma-thilde de Mantoue. Plus loin, la raagnifique cbapelle du Saint-Sacre-ment offre � votre admiration ses tombeaux de Sixte IV et de Gr�-goire XIII, son riche tabernacle et sa communion de saint J�r�me ennbsp;mosa�que. C�est ici que, Ie jeudi-saint, Ie Souverain Pontife, d�pouill�nbsp;des ornements de sa dignit�, lave les pieds des douze ap�tres. Vientnbsp;ensuite la chapelle de la sainte Vierge, construite sur les dessins denbsp;Michel-Ange, avec son autel tout brill.ant d�albatre, d�am�thystes etnbsp;d�autres pierres pr�cieuses : Benoit XIV y repose au milieu de Ianbsp;Science et de la Charit�. Admirez encore Fautel de la Nacelle, dontnbsp;Ie tableau en mosa�que repr�sente la barque de Pierre pr�s de submer-ger, et Ie Sauveur venant calmer les Hots; puis Ie magnifique mauso-l�e de Cl�ment XIII, immortel ouvrage de Canova. Les deux lions cou-ch�s sur les deux grands socles sont les deux plus beaux lions modernesnbsp;qu�on connaisse. II est � regretter que, dans les autres figures, Ie c�l�bre artiste ait trop sacrifi� Fesprit � la forme. La derni�re chapellenbsp;a droite est d�di�e a sainte P�tronille, et Ie tableau qui repr�sente lanbsp;sainte au moment de son exhumation passe pour la plus belle mosa�que de Saint-Pierre.
Au chevet de F�glise apparait � une grande hauteur la Chaire de-saint Pierre. Quelle jouissance pour un catholique, pour un pr�tre, de reposer ses regards sur ce v�n�rable monument! Voila done cettenbsp;Chaire mille fois plus respectable que les chaises curules des s�na-teurs remains et que tous les tr�nes des rois et des empereurs; cettenbsp;Chaire sur laquelle Pierre s�assit tant de fois dans les souterrains dunbsp;Vatican; de laquelle il ordonna les premiers pretres et consacra les premiers pontifes; de laquelle il pr�chait et administrait les sacrements
-ocr page 39-CHAIBE DE SAINT-PIERKE.
h ces ehers n�ophytes, dont la robe, blanchie la veille dans les eaux du bapt�me, devait Ie lendemain s�empourprer dans Ie sang du martyre.nbsp;Longtemps conserv�e pr�s du corps de FAp�lre dans la catacombe va-licane, elle fut Ie premier tr�ne sur lequel ses successeurs venaientnbsp;s�asseoir apr�s leur election. Enfin, Alexandre \'II la fit placer dans Ienbsp;magnifique monument qu�on yoit aujourd�hui et qui ne couta pasnbsp;inoins de cent mille ecus remains (i). Un autel majestueux en marbrenbsp;rare et une chaire en bronze dor� dans laquelle est conserv�e k chairenbsp;en bois dont se servil l�Ap�tre, lelies sont les deux parties qui compo-sent ce bel ouvrage. La partie sup�rieure est soutenue par quatrenbsp;figures colossales en bronze, qui repr�sentent les quatre grands docnbsp;leurs de l��glise, deux de l�Orient et deux de l�Occident. Comme acnbsp;compagnement s��l�vent de chaque c6l� les superbes tombeaux denbsp;Paul III et d�Urbain VUL C�est au-dessous de celte chaire deux foisnbsp;monumentale que Ie Saint-P�re est assis lorsqu�il pontifie.
En descendant 1��glise par Ie c�t� gauche, on arrive ii 1�autel des saints apotres Simon et Jude, d�cor� de deux grosses colonnes denbsp;granit noir �gyptien, au milieu desquelles brille un tableau en mo-sa�que repr�sentant saint Pierre gu�rissant Ie boiteux. Arr�lons-nousnbsp;devant la chapelle de saint L�on Ie Grand, pour admirer ces deux colonnes de granit rouge et Ie magnifique bas-relief d�Algardi, repr�sentant Ie Poiitife qui fait reculer Attila. Voici maintenant Ie tombeaunbsp;d�Alexandre VII, dernier ouvrage du Bemin. L�autel est remarquablenbsp;par ses quatre colonnes, dont deux d�alb�tre et deux de granit noir.nbsp;PieVlI, d�immortelle m�moire, assis entre la Force et la Sagesse, repose dans la chapelle Cl�mentine, sous un mausol�e d� au ciseau denbsp;Thorwaldsen et a la g�n�rosit� du fid�le cardinal Gonsalvi. A ces monuments succ�de la magnifique chapelle du chapilre de Sainl-Pierre.nbsp;Eerm�e par une grille de fer orn�e de bronze dor�, elle pr�sente, sur-tout pendant les offices, nn superbe coup d�ceil. Au-dessus de la portenbsp;voisine est d�pos� provisoirement Ie corps du dernier pape r�gnant;nbsp;comme ^ Saint-Denis, Ie mort ne descend dans la tombe qu�au d�c�snbsp;de son successeur. Parmi les chefs-d�oeuvre consacr�s a la gloire immortelle des Saints el des Ponlifes, brillent de royales inforlunes :nbsp;les monuments des Stuarts, ouvrage de Canova, ornent la chapelle denbsp;la Pr�sentation. La chapelle des Fonts baptismaux termine cette cou-ronne de sanciuaires plus splendides les uns que les autres. Tout cenbsp;que peuvenl les arts pour r�veiller la foi sur la grandeur du sacrement
;i) Constanzi, t. ii, p. 19.
-ocr page 40-56 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS HOME.
qui, du fils de Ia poussi�re, fait un enfant de Dieu et un fr�re des anges, brille dans ce lieu sacr�. Les peintures de la coupole sent d�unenbsp;ex�cution parfaite; une urne de porphyre en ferme de nacelle, denbsp;douze pieds de longueur sur six de largeur, contient l�eau baptismale.nbsp;Cette urne, trouv�e dans Ie Forum, servit autrefois de couvercle aunbsp;sarcophage de l�empereur Othon II, mort a Rome en 974. Elle est au-jourd�hui ferm�e par une esp�ce de pyramide en bronze dor�, orn�enbsp;d�arabesques et rehauss�e par quatre anges de bronze.
Revenus � notre point de d�part, nous commen^firaes un nouveau voyage par Ia grande nef. A droite et � gauche on est domin� par lesnbsp;statues colossales de tous les fondateurs d�ordres religieux. Ces puis-sants g�nies, envoy�s de si�cle en si�cle au secours de l��glise, cesnbsp;illustres g�n�raux dont les phalanges d�fendirent avec tant de gloirenbsp;la v�rit�, Ia vertu, la civilisation, forment une longue galerie et commenbsp;une double chaine qui, se prolongeant jusqu�au rond-point de l��-glise, va se rattacher k la Chaire de saint Pierre, centre unique denbsp;l�unit� et foyer toujours ardent de la lumi�re et de la charit� catho-lique. En s�abaissant, les regards rencontrent la statue de sai�t Pierrenbsp;assis sur son tr�ne; j�en ai d�jii parl�, mais je tiens a en parler encorenbsp;paree qu�elle rappelle un noble souvenir. Quoi qu�en dise certainnbsp;Voyage en Itali�, c�est Ie bronze de la statue de Jupiter'Capltolinnbsp;qui a fourni la matl�re pour cette statue de saint Pierre, monumentnbsp;de la reconnaissance de saint L�on Ie Grand. L�illustre Pontife la fitnbsp;fondre en l�honneur du glorieux Ap�tre qui, plus puissant pour pro-t�ger Rome chr�tienne, que Jupiter ne l�avait �t� pour d�fendre Romenbsp;pa�enne, venait de sauver la ville des fureurs d�Attila (i). P�n�tr� de cenbsp;grand souvenir, il vous en co�tera peu d�imiter les p�lerins calholi-ques et de baiser Ie pied de cette statue et de la toucher du front;nbsp;double usage qui traduit bien les deux dispositions de tout enfant denbsp;l��glise : l�amour et la soumission. Le cceur m�me s�attendrit, lors-qu�en accomplissant ce pieux devoir on se souvient que chaque jour,nbsp;pendant trente ans, Ie p�re de l�hlstoire eccl�siastique, l�immortelnbsp;Raronius, toucha de son noble front le pied de cette statue et le cou-vrit de ses baisers. En m�me temps s��chappait de sa grande �me cenbsp;mot d�une simplicit� enfantine : Pax et obedientia; credo Unam,nbsp;Sanctam et Apostolicam Romanam Ecclesiam; � Paioc et ob�is-sance;je crots l��glise Une, Sainte, Apostolique et Romaine. �
(i) Voyez Torrigio, de Cryptis vaticanis, p. 126. ld. Sacri Trofei Romani, p. 149. Fr. Maria Phoebeus, de Identitate cathedra; D. Petri Dissert., p. 38. Id. Ciamp., Monim. veter.,nbsp;t. III, p. 57. ld. CoDStanz, t. ii, p. 17.
-ocr page 41-LE BALDAQUIN. 37
Plus on avance vers la Confession de Saint-Pierre, plus le respect augmente. Pour I�accroitre encore, un d�cret de la Congr�gation desnbsp;Rites, du 10 octobre 1594, ordonne a tous ceux qui en approchent denbsp;mettre le genou en terre sans excepter personne, ni I�empereur, ni lenbsp;pape lui-m�me; et une sentence d�excommunication menace le clercnbsp;de service qui oserait nettoyer on parer Vautel papal sans �tre rev�tunbsp;de la cotta. Get autel, on le Souverain Pontife seul a le droit de c�l�-brer la messe, s��l�ve snr sept gradins en marbre blanc; il est isol� etnbsp;tourn�, suivant I�usage ordinaire, vers I�Orient. Quatre colonnes torsesnbsp;en bronze dor� soutiennent le baldaquin. Fondues, en 1653, par ordrenbsp;d Urbain VIII, ces colonnes n�ont pas moins de Irente-quatre pieds denbsp;hauteur. Elies sont faites avec le bronze des portes du Panth�on, etnbsp;reinplies, nous fut-il assur�, d�osseinents de martyrs. Aux angles denbsp;I�entablement brillent quatre anges debout, tourn�s aux quatre pointsnbsp;du ciel. De leurs pieds portent quatre consoles renvers�es qui, ii leurnbsp;point de jonction, supportent un globe dor� surmonl� d�une croix.nbsp;Tout cela parait d�une moyenne �l�vation; et le plus haul palais denbsp;Rome, le palais Farnese, n�alteint pas la hauteur de ce magnifiquenbsp;monument. Du sol occup� par la statue de Pie VI (i), a la cime de lanbsp;croix, il roesure plus de quatre-vingt-six pieds.
La Confession de Saint-Pierre me semble resumer compl�lement I�histoire de P�glise militante. Fond�e par les Ap�tres, soutenue jiarnbsp;les martyrs, s��levant sur les d�bris du paganisme vaincu, appelant lesnbsp;�lus de Dieu dispers�s aux quatre x�ents, dominant le monde par lanbsp;croix et porlant sa t�te auguste jusqu�aux portes du ciel ; telle senbsp;montre P�glise pendant son p�lerinage. Mais ce n�est ici que Ia premi�re panic de son existence, ou plut�l la moiti� d�elle-m�me. Commenbsp;son divin fondaleur, Pauguste soci�t� r�gne au ciel et sur la terre ; unnbsp;temple vraiment catholique doit la repr�senter dans ce double �tat. Etnbsp;voiPa qu�en balissanl Saint-Pierre de Rome, le g�nie de Michel-Angenbsp;est travers� par une de ces illuminations soudaines qui enfantent lesnbsp;chefs-d�oBuvre. �rop longtemps esclave de Part pa�en, Pimmorte.1 ou-vrier rel�ve noblement sa t�te et, tout ii coup inspire par la foi, il lanccnbsp;dans les airs la sublime coupole. Dans eette cr�ation, la plus bardienbsp;qu�on connaisse. Part chr�lien aura Pespace n�cessaire pour d�velop-per dans toute sa magnificence Pid�e de P�glise catholique. Sur cesnbsp;vastes parois de cent trente pieds de diam�tre et de trois cents d��l�-vation, la mosa�que, peinture immortelle, repr�sentera sous les plus
(i) C�cst un des beaux ouvrages de Canova.
-ocr page 42-'!ii
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LES TROIS ROME.
brillantes couleurs l��glise triomphante, avec ses glorieuses hi�rar-chies : les saints; puis la Reine des saints et des anges; puis l�auguste Trinit�; puis Tinfini: puis la croix dominant r�ternit� et l�immensit�,nbsp;comme elle domine Ie temps et l�espace.
Toutefois ce n�est pas seulement en peinture que l��glise du ciel est pr�sente a Saint-Pierre de Rome : elle y vit dans les innombrables re-liques de ses saints et de ses martyrs.
�trangers qui auriez Ie malheur de porter a l�auguste Basilique un coeur ll�tri par Ie doute impie; et vous p�lerins d�une science incom-pl�te OU d�une curiosit� vaine, il ne vous reste maintenant qu�a sortirnbsp;du temple. Comme un brillant panorama, toutes les beaut�s ext�-rieures du superbe �dilice out pass� devant vos yeux; vous les aveznbsp;admir�es avec plus ou moins d�intelligence, critiqu�es avec plus ounbsp;moins de bonne foi : tout est fini. La beaut� int�rieure de la maisonnbsp;de Dieu vous est cach�e; Ie sens po�tique du monument vous �chappe :nbsp;car Ie monde surnaturel qui Fhabite est nul pour vous. Au catholiquenbsp;est r�serv�e I�intelligence de ces choses; seul, 11 a des yeux pour lesnbsp;voir et un coeur pour les sentir. Si done Saint-Pierre de Rome est Ienbsp;reflet du ciel par ses magnificences, il en est l�image par les saints quinbsp;l�habitent. Tous les ordres de bienheureux y sont repr�senl�s. Celui-lanbsp;m�me qui est au-dessus de toutes les hi�rarchies s�y fait adorer dansnbsp;les troph�es de sa victoife. Sous les yeux de cette nu�e de t�moins,nbsp;une frayeur religieuse vous saisit; et ce n�est pas sans �prouver desnbsp;sentiments Inconnus, qu�a l�exemple de tant de millions de p�lerinsnbsp;nous parcourumes ce Paradis de la terre. Ici, pas un habitant de lanbsp;J�rusalem c�leste qui ne vous rappelle sa pr�sence par un vivant souvenir.
j�sus-CiiRisT, LE Roi D� CIEL : voici une partie notable de sa croix, Ie fer de la lance qui lui perga Ie c�t�, Ie linge sur lequel est empreintenbsp;sa face adorable (i).
Marie, la Reine du ciel : voici une portion du voile sacr� qui fut a son usage.
Saint Jean-Baptiste, Ie plus grand des enfants des hommes; saint� Anne, saint Joseph : voici une partie de leurs cendres ou de leursnbsp;v�tements.
Les Ap�tres et les �vang�listes : voici les corps glorieux de saint Pierre, de saint Paul, de saint Simon, de saint Jude; les reliques denbsp;saint Andr�, de saint Jaeques-le-Majeur, de saint Barth�lemy et denbsp;saint Luc.
(i) Voir la note a la fin du volume.
-ocr page 43-SAINT-PIERRE, IMAGE DU CIEL.
Les PoNTiFEs ; void les corps de irenle-cinq papcs, saints ou martyrs : Lin, Clet, Anaclet, Evariste, Sixie I, T�lesphore, Hygin, Pie 1, �leulh�re, Victor, Fabius, Jean I, Jean II, L�on I, G�lase II, Symma-que, Hormisdas, Agapet, Gregoire I, Boniface IV, Dieudonn�, Eug�ne I, Vitalien, Agalhon, L�on II, Serge I, Gr�goire II, Gr�goire III,nbsp;Zacharie, Paul I, L�on III, L�on IV, iNicolas 1, L�on IX, F�lix IV.
Les �v�oues et les Doctecrs ; voici les corps ou les reliques des saints ; Chrysost�me, Basile, Gr�goire de ISazianze, Polycarpe, Lambert, Martin, Hilaire, Gr�goire le Thaumaturge, Charles Borrom�e,nbsp;J�r�me, Thomas d�Aquin.
Les Pr�tres, les Diacres et les Religieux : voici saint Thomas de Villeneuve, saint Francois d�Assise, saint Antoine de Padoue, saintnbsp;Pierre d�Alcantara, saint Bernardin de Sienne, saint Philippe de N�ri,nbsp;saint �tienne, saint Laurent, saint Vincent, saint Paul, ermite, saintnbsp;Antoine, abb�.
Les Martyrs de tout ftge, de tout sexe et de toute condition ; voici, outre ceux que nous venons de nommer, saint Proc�s et saint Marti-nien, ge�liers de saint Pierre; saint Anastase, saint Th�odore, saintnbsp;Nic�e, saint Achill�e, les quarante martyrs, saint Gorgon, saint Ti-burce, sainte P�lronille, sainte Bibiane, sainte Th�odora, sainte Agathe,nbsp;sainte Colombo, sainte Susanne, sainte Balbine, sainte Ruffine, saintenbsp;Catherine, sainte Pudeniienne, sainte Marguerite et une multitudenbsp;d�autres venus du milieu de la grande tribulation, apr�s avoir lavenbsp;leurs robes dans le sang de I�Agneau.
Tels sont les habitants de Saint-Pierre de Rome; tels les t�moins qui vous y regardent, les freres qui vous y regoivent, les amis quinbsp;vous y consolent, les mod�les qui vous y montrent leurs palmes etnbsp;leurs couronnes. Connaissez-vous une assembl�e plus aiiguste, un lieunbsp;plus saint, une image plus parfaite du ciel sur la terre? Encore unenbsp;fois, malheur au voyageur qui a des yeux et qui ne voit pas ces choses,nbsp;un esprit et qui ne les comprend pas, un cmur et qui ne les sent pas!
Pour nous, absorb�s par la vue des beaut�s ext�rieures et int�rieu-res du premier temple du monde, nous avions depuis longtemps oubli� le hut secondaire de notre visite. Enfin, un regard jel� a gauche de la Confession de Saint-Pierre nous rappela 1�excellent p�nitenciernbsp;de France. De nombreux confessionnaux plac�s dans cette partie denbsp;1��glise, et portant pour inscription ; lingua hispanica, lingua an-glicana, lingua grmca, annoncent la pr�sence des p�nitenciers. Lesnbsp;mots lingua gallica �crits sur la frise d�un large confessionnal, nousnbsp;indiqu�renl la demeure du P. V.... De la demi-porte de ce confession-
-ocr page 44-40 LES TBOIS ROME.
nal s��lance une baguette d�environ six pieds de longueur qui intrigua fort mes jeunes amis.
Qu�est-ce en effet qu�un p�nitencier? Pourquoi est-il arm� d�une longue baguette? Pourquoi en frappe-t-il sur la t�te des passants quinbsp;Ie demandent? Voila des questions et des usages que la plupart ne senbsp;donnent gu�re la peine d�approfondir : je parlerai bient�t de la P�ni-tencerie; il suffira de savoir, pour Ie moment, qu�on trouve � Saint-Pierre des pr�tres des diff�rentes nations catholiques pour entendrenbsp;les confessions des p�lerins. Investis de pouvoirs sp�ciaux, ils exercentnbsp;sous la juridiction du grand p�nitencier un minist�re doublementnbsp;utile. Absoudre les p�nitents, et secourir, diriger, piloter leurs com-patriotes pendant leur s�jour a Rome, telle est leur vie. Comme on estnbsp;sur de les trouver � Saint-Pierre, leur confessionnal devient en quel-que sorte leur domicile; ils y donnent leurs audiences, regoivent vosnbsp;lettres de recommandation, prennent note de vos demandes, sollicitentnbsp;pour vous des pr�sentations au saint P�re ou des billets d�entr�e aux
c�r�monies du Vatican. Le bon P. V.....en particulier s�acquitte de ces
diff�rents devoirs avec une obligeance telle qu�il a �t�justeraentnomm� la Providence des Frangais.
� Mon p�re, lui dit Henri, que signifient cette longue baguette que vous avez devant vous et le coup que vous en donnez sur la t�te denbsp;ceux qui le demandent? � C�est le signe de Paffranchissement spiri-tuel. Quarante jours d�indulgence sont attach�s eet acte d�humilit�,nbsp;lorsqu�on Paccomplit dans les dispositions convenables. � Que pensernbsp;maintenant des touristes qui racontent sans sourciller qu�a Rome onnbsp;remet les p�ch�s avec un coup de baguette? de tant de voyageurs qui,nbsp;contents de ne pas blamer eet usage, rougissent de Padmirer tout hautnbsp;et d�daignent tout bas de s�y conformer? Ils ne savent done pas, quenbsp;chez les Remains, Paffranchissement avait lieu en donnant un coup denbsp;verge sur Ia t�te de Pesclave : Rome chr�tienne a conserv� cette cou-tume. � Par un coup de verge, dit-elle, les maitres du monde faisaientnbsp;tomber les fers de leurs esclaves; eh bien, moi, plus puissante que lesnbsp;maitres du monde, j�affranchis les ames en me servant du m�me signe. � II n�y a que les c�r�monies pour perp�tuer avec cette simpli-cit� sublime les usages de la plus haute antiquit� (i).
(i) Nous avions rappel� ce souvenir lorsque nous en avons irouv� la confirmation et le d�veloppement dans la note suivaute du comle de Maistre: D�lai de la just. div. not. iii,nbsp;p. 92, �d. in-8o, Lyon.
� II y avait a Rome troismani�res d�affrancbir un esclave, le Ceiis, le Testament fet la Baguette. Pour ne pariet' que de la derni�re, le pr�teur, appuyant sur la t�te de l�es-
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GOUVEllNEMENT ECCL�SIASTIQBE.
2 JANVIER.
� nbsp;nbsp;nbsp;.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;,nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;,.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;� Congr�gaUvws romaines, leur '�uE
Organisation du gouvernement ��'f nbsp;nbsp;nbsp;- Le Sainl-Officc.-L�fnde*.-
leur origine, leur consUw�ou.-La nbsp;nbsp;nbsp;^ �veques. - De la residence des ev�-
La Congregation du coucUe. -�e V nbsp;nbsp;nbsp;^nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;^ Jdes r�guliers. - Be l�imaumile
ques. - Bes ev�ques et r�guliers. � Be la u ' ^�^^�ation des rites. � Bes indul-cccl�siastique. - Congregation consistoriale. nbsp;nbsp;nbsp;� .nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;^ exlraordinaires. � Bap-
gences et des saintes reliques. � Bes affaires cccle 1 l�me d�une faiailLe juWe, son hislol�c.
Hier, �. Toccasion de notre visite ^ Saint-Pictre, j avais nomm� la P�nileTtcerie; et aujourd��iui, ii l�occasion de la p�nitencerie, je \aisnbsp;m'occuper des Congr�gations romaines. Or, ce que Voltaire disait denbsp;la Ligue on peut Ie dire de l�organisalion du gouvernement spirituelnbsp;de Rome ;
Beaucoup en ont parl�, mais bien peu Vont connu.
Centre du monde catholique, Rome vit d�s les premiers si�eles ar-river de l�Orient et de POccident toutes les grandes affaires qui int�ressent la d�fense et la propagation de l��vangile. Elle habile encore les catacombes, et d�ja l��glise de Corinthe vient, comme une fille �nbsp;sa m�re, lui faire part de ses douleurs et la prier d�apaiser Ie schismenbsp;qui la d�sole; plus tard, c�est l��glise d�Orient qui la conjure de d�-cider la grande question de la c�l�bralion de la Paque. Voici mainte-nant l'�glise d�Afrique qui lui soumet l�irritante affaire du bapt�menbsp;des h�r�tiques; enfin c�est Ie monde entier qui s�empresse de lui sou-mettre ses diificult�s, de lui confier ses douleurs, et de lui apporler
clave une baguette qu'on nommait en latin vindicla, c�est-a-dire adjudicatrice, lui disait; Jfe declare eet homme libre comme les Romains sont libres. Dico eum liberum esse morenbsp;Quiritum. Puis se tournanl du c�t� du licteur, il lui disait; Prends cette baguette et fatsnbsp;ton devoir, suivant ce que je t�ai dit: Secundum tuum censum, siculi dixi: Ecce tibi vin-dicta. Le licteur, ayant requ la vindicte de la main du pr�teur, en donnait un coup surnbsp;la t�te de 1�esclave; puis il lui frappait de la main la joue et le dos, apr�s quoi un secr�taire inscrivait le nom de 1�affranchi dans le regislre des citoyens. Ces formes �taientnbsp;ctablies pour faire entendre aux yeux quo eet homme, sujet nagu�re aux cha�mentsnbsp;ignominieux de l�esclavagc, en �tait affranchi pour toujours. La puissance publique ienbsp;frappait pour annoncer qu�il nc serait plus frapp�. On comprend du resle que ces actes
n��laient que de pure forme, 1'esclave �tait a peine touch�.....L�esprit de cette forma-
lil�, qui n�cst pas douteux, n�a rien que de Ir�s-mo�v� et do tr�s-raisonnable : il est encore rappel� de nos jours par le grand p�nilencier (et menie par tons les p�niteii-ciers) de Rome, qui touche de la vindicte chrctiennele penitent absous, pour lui declarer qu�il a cess� d�etre esclave (venumdatus sttb peccato, Rom. vu, 14), et que son nomnbsp;vieut d�etre inscrit par le souverain spirituel au nombre des hommes libres; car \e justenbsp;seu.1 est libre, comme le Portique 1�a dit avant l��vangile. �
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tous les probl�mes qui int�ressent sa \ie morale, quelquefois m�me sa vie politique et civile. � De toutes parts, disait Ie pape Innocent Pquot;', onnbsp;vient demander a Loire a la source apostolique (i); � � � d�innom-brables consultations nous sont adress�es, � ajoutait saint L�on (2).
� Votre �glise est la m�re de toutes les �glises, �crivait au pape Jean l�empereur Justinien, et nous ne permettons pas que vous ignorieznbsp;rien de ce qui int�resse les autres �glises (5). � Tons les si�cles ontnbsp;suivi Ie m�me exemple et Rome ne faillit jamais a sa mission.
Mais comment a-t-elle pu suffire a cette sollicitude universelle et r�gler tant d�affaires diff�rentes avec une sagesse irr�prochable? Sonnbsp;premier soin, et je dirai sa r�gie invariable, fut d�ajouter a 1�assistancenbsp;surnaturelle qui lui est promise toutes les lumi�res que peuvent don-ner Ie savoir et l�exp�rience. Loin de repousser Ie g�nie, Rome l�ap-pelle; ici plus qu�ailleurs la science et la vertu conduisent infaillible-ment aux emplois importants et aux grandes dignit�s : c�est un faitnbsp;glorieux dont l�histoire des papes et des cardinaux offre de nombreuxnbsp;exemples. De plus, Rome a divis� les affaires en grandes cat�gories etnbsp;�tabli autant de cours diff�rents pour en connaitre. Or, toutes ces affaires se rapportent a un double objet; propager et maintenir l��van-gile. De la l�origine, Ie nombre, Ie caract�re et les attributions desnbsp;Congregations romaines (4).
1� Dans l�ordre logique, la premi�re qui se pr�sente est la Congr�-gation de la Propagande. Log� pr�s du lieu o� elle tient ses s�ances, j�avais un double int�r�t � commencer par elle mon p�lerinage. Insti-tu�e en 1622 par Ie Souverain Pontife Gr�goire XV, cette Congr�gationnbsp;se compose d�un cardinal qui a Ie titre de pr�fet, de plusieurs autresnbsp;cardinaux et de protonotaires apostoliques, interpr�tes des languesnbsp;�trang�res. Elle a pour but, comme son nom l�indique, de r�pandrenbsp;la foi dans Ie monde entier. En cons�quence, Ie soin de toutes les affaires concernant les missions, l�intendanee sur tous les s�minaires etnbsp;coll�ges destines amp; fournir des missionnaires, ferment ses attributions.nbsp;Les lundis elle tient une r�union devant Ie Saint-P�re; ses autres s�ances, qui reviennent fr�quemment, ont lieu au coll�ge de la Propagande,
(1) Per omnes provincias de apostolico fonte petentibus responsa, etc., Epist. 50.
(3) nbsp;nbsp;nbsp;Apostolicam sedem innumeris relalionibus esse consultam. Epist. 10.
(5) Nee enitn patimur, quidquatn quod ad ecclesiarutn slatum pertinet, quanquain manifestum et indubilatum sit quod raovetur, ut non etiam vestr� innotescat Sancti-tali, quae caput est omnium sanctarum ecclesiarum. Dig. lib. viii, c. de Sum. Trinit.
(4) nbsp;nbsp;nbsp;Pour esquisser Ie tableau de cette magnifique administration, je rappellerai qu�ilnbsp;exisle a Rome treize congregations o� aboutissent toutes les affaires de lacatholicitc!nbsp;trois principaux tribunaux eccl�siastiques, et un principal tribunal civil.
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sur la place d�Espagne. Ce superbe �tablissement s appelle Ie Coll�ge Vrbain de la Propagande, du nom du pape Urbain YIII qui Ie o� anbsp;en 1627. II est destin� aus jeunes gens des nations �trang�res, et sur-lout des nations orientates, qui se disposent al �tat eccl�siastique.nbsp;ordre d�Alexandre \'�, tons les �l�ves de la Propagande s�obligent parnbsp;serinent i n�embrasser aucun ordre r�gulier sans la permission dunbsp;Saint-Si�ge, -i entrer dans les ordres sacr�s sur l�axis de la Congr�ga-tion, et a pr�cber P�vangile dans leur pays. Ces jeunes gens, envoyesnbsp;la plupart par les missionnaires, ne d�pensent rien ni pour leur voyage,nbsp;ni pour leur entretien, ni pour leur �ducation, ni peur eur retour .nbsp;la ctiarit� aposlolique se charge de tous les frais. CeUe an quot;nbsp;au nombre de quatre-vingts. Leur costume se compose u c apeaunbsp;remain et d�une soutane noire avec boutons et ceinture rou^e. ousnbsp;les jours, ou � peu pr�s, ils sortent en promenade afin viter mnbsp;fluence maligne du Sirocco; et pendant les vacances ils vont jouir enbsp;la Vilkgiatura dans quelqne campagne aux environs de Rome.L etudenbsp;des sciences sacr�es et profanes, enseign�es par des maitres habiles,nbsp;occupe tous leurs moments ; nne vaste bibliotb�que et un riche museenbsp;sont a leur disposition. Le coll�ge de la Propagande poss�de aussi unenbsp;imprimerie compos�e de toutes sortes de caract�res �lrangers, pournbsp;�diter les missels, bibles, cat�chismes el autres livres a l�usage desnbsp;peoples nouvellement convertis. Ses nombreux apparlements servenlnbsp;d�h�lellerie aux nouveaux chr�tiens et aux pauvres �v�ques qui se ren-denl ii Rome. Depuis sa fondation la Propagande a �t� une p�pini�renbsp;de missionnaires z�l�s, de vicaires apostoliques, d �v�ques, d archev�-ques et de martyrs (i).
2� Congr�gation ou tribunal du Suint-Office. II ne sufiit pas de planter la foi, il faut veiller a la conservation de eet arbre divin, en lenbsp;^r�servant du ver rongeur de Ph�r�sie et de l�impi�t�. Or, dans lenbsp;moyen ftge, il s��leva une foule de seclaires qui, sous le masque de lanbsp;v�rit� et de la vertu, corrompaient la saine doctrine et se livraient dansnbsp;le silence aux exces du libertinage le plus r�voltant. Non-seulemenl lanbsp;foi, mais la civilisation de l�Europe �tail menac�e; c�est alors que dansnbsp;son immense sollicitude, le grand pape Innocent 111 �tablit VInquisition ou ie Saint-Office. Nous sommes dispense d�en dire du bien, depuis que tous les h�r�tiques, tous les impies, sans exception, en ontnbsp;dit tant de mal. Sous les papes Gr�goire IX, Innocent IV et Cl�ment VIII,nbsp;les Dominicains, les Franciscains et les Minimes remplirent successi-
(i) Constanzi, 1.1, p. 109.
-ocr page 48-44 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS HOME.
veraent les fonctions d�inquisiteurs. En dS4S, Paul 111 (i) �tablit a Rome Ie Tribunal supr�me du Saint-Office, dont il confia la directionnbsp;a six cardinaux. Ce nombre fut port� a buit par Pie IV et b douze parnbsp;Sixte V, en sorte qu�aujourd�hui ceite Congr�gation se compose dunbsp;Souveraiu Pontife, pr�sident; de douze cardinaux avec Ie titre d�inquisiteurs g�n�raux; d�un secr�taire, d�un assesseur, d�un commis-saire et d�u�i grand nombre de consulteurs. Elle s�assemble trois foisnbsp;la semaine : Ie lundi et Ie mercredi au couvent des Dominicains pournbsp;pr�parer les questions, et Ie jeudi devant Ie Saint-P�re, pour les d�-cider. La qualrt�.des membres qui ferment ce tribunal manifeste lanbsp;grandeur de son autorit� dans les causes qui int�ressent la puret� denbsp;la foi. Sa juridiction s��tend sur toute esp�ce de personnes eccl�sias-tiques ou la�ques, villes, communaut�s ou royaumes, et il n�est pas denbsp;privil�ge personnel ou local qui puisse en exempter : autant son pou-voir est illimit�, autant sont grandes l��quit� et la mis�ricorde quinbsp;pr�sident il ses jugements. Sous Ie nom de qualificateurs, des th�olo-giens vieillis dans l��tude donnent aux propositions mauvaises, conte-nues dans les livres d�nonc�s, les notes ou les qualifications qui leurnbsp;conviennent. Leur rapport fait et v�rifi�, on proc�d� aux d�bats, malsnbsp;a huis dos, afin de sauver l�honneur du coupable, s�il est pr�sent; lui-m�me peut pr�senter sa d�fense ou recourir au minist�re d�un avocatnbsp;h son choix. Par un privil�ge unique, s�il avoue sa faute, il est absous;nbsp;nulle pelne ext�rieure ne lui est inflig�e, tout se borne a quelquesnbsp;oeuvres satisfactolres. Si l�obstination du coupable force Ie tribunalnbsp;de s�vir, les peines ext�rieures qu�il impose sont loin d��tre propor-lionn�es � Ia grandeur du d�lit: telle est cette inquisition tant calom-ni�e dont on a voalu faire un �pouvantail. Quand vous serez � Romenbsp;ne manquez pas d�aller visiter ces prisons qu�on dit si redoutables;nbsp;cherchez ces cachots obscurs, ces affreux,Instruments de supplice, cesnbsp;juges sanguinaires dont Ie nom vous a fait pallr; et apr�s avoir ri denbsp;votre frayeur, vous reconnaltrez la justesse de ce mot attribu� � je nenbsp;sals plus quel magistrat: � Si on m�accusait d�avoir pris les tours denbsp;Notre-Dame, je commencerais par me sauver; car il n�y a pas d�ab-surdit� qu�on ne persuade a force de la r�p�ter. �
3� Congr�gation de VIndex. L�erreur a comme la v�rit� un double organe ; la voix et la presse. Si la parole vivante a plus d�effet. Ia parole �crite exerce par sa durce et par sa propagation une influencenbsp;plus �tendue : ne pas Ia surveiller, serait de la part de l��glise une
(i) Constit. Licet, etc.
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pr�varication. A.ussi du moment o� Timprimerie fut devenue 1 auxi-liaire actif, incessant de la pens�e humaine, Rome s�occnpa de la di-riger et d�en r�primer les �carts. Re concile de Trente (i) chargea quelques pr�lats de dresser un catalogue des livres suspects ou perni-cieux (index puvgatorius). N�ayant pu examiner eet index, Ie Concilenbsp;Ie renvoya Pie IV qui l�approuva, ainsi que les r�gies �tablies parnbsp;les pr�lats examinateurs Saint Pie V et Cl�ment VIII, modifiant unnbsp;peu 1�ouvrage de leurs pr�d�cesseurs, constitu�rent la Congr�gationnbsp;lelie qu�elle est aujourd�hui. Elle se compose de dix cardinaux dontnbsp;1 tin a Ie litre de pr�fet; du maitre du sacr� palais qui est assistantnbsp;perp�tuel; d�un secr�taire qui est toujours un dominicain, un grannbsp;noinbre de consulteurs et de quelques rapporteurs. Sou but est exanbsp;miner les livres et de signaler ceux qui doivent �tre probib�s, e enbsp;fendre, sous peine d�excommunication, de retenir et de lire les ounbsp;vrages contraires a la religion et aux bonnes moeurs; de tracer auxnbsp;�v�ques, aux inquisiteurs locaux et aux imprimeurs les r�gies qu ilsnbsp;doivent suivre dans la lecture, la r�vision, la publication et la venlenbsp;des livres. Lorsque la Congr�gation se r�unit, elle examine les ouvragesnbsp;qui lui sont d�nonc�s, n�importe Ie pays oii ils ont �l� publi�s; lesnbsp;votes recueillis, elle pr�sente la sentence it 1�approbation du Saint-P�re, puis on -publie Vindex, c�est-a-dire, la liste des ouvrages con-damn�s avec Ia defense de les lire. Combien de fois n�ai-je pas vu surnbsp;les murs de Rome la condamnation de certains livres dont Paris pro-clame Ie m�rite et encourage la propagation ii grand renfort d�affichesnbsp;et de r�clames! Or j�avoue qu�a mes yeux il n�est ni article du journal, ni vogue litt�raire, ni croix d�honneur, ni dignil� qui puisse laver
la bonte, d�un avUeur attach� au pilori, dans jla capitale du monde Chr�tien (2).
*(i) Sess. xviu.
{2) Les d�crets de la Congr�gation del�Index sont ainsi congus:
Deere tum.
Die N. N. 18
Sacra Congregatie Eminentissimorum ac Reverendissimorum sanct� Romanai Ecclesia Cardinalium a Sanotissimo Domino nostiio N. Papa N. sanctaque Sede apostolica Indici librorum prav� doctrinal, corumdemque proscription!, expurgationi, ac permis-sioni m universa Christiana Republica prsepositorum et delegatorum, habitain palalionbsp;Yaucano, damnavit et damnat, proscripsit proscribitque, vel alias damnala alque pro-
senpta in Indicem librorum probibitornm tel�rri mandavit et mandat opera qua; se-quuntur.
Ici Ie litre des ouvrages et Ie nom des auteurs.
A. la fm;
Itaque nemo cujuscumque gradus et conditionis praxlicta opera damnata atquepro-
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4� Cougr�gation du Concile. L�int�grit� de la foi et la puret� des moeurs prot�g�es par Flndex et Ie Saint-Oflice, il fallait veiller a la vienbsp;ext�rieure de l��glise. D�une part, Ia beaut� de la fille du Roi ne doitnbsp;pas �tre seulement dans son ame, elle doit briller encore sur ses v�-temenls sans tache, orn�s de diverses couleurs; d�airtre part, l��glisenbsp;doit �tre comme une arm�e rang�e en bataille qui agit avec ensemblenbsp;et que rien ne peut entamer. Or, la discipline est ce lien myst�rieuxnbsp;qui la rend une et forte. Au saint Concile de Trente revient surtoutnbsp;la gloire d�avoir, dans les temps modernes, r�par� et affermi ce liennbsp;eonservateur.Mais les instincts rebelles, quiviventau coeur de Thommenbsp;d�chu, ne pouvaient manquer de recourir a la ruse et a la chicanenbsp;pour �luder des lois qui les g�nent : les p�res de 1�auguste assembleenbsp;l�avaient pr�vu. Ils s�adress�rent done au Pontife supr�me, pour Ienbsp;supplier de pr�venir ou de rendre vaines ces nouvelles attaques. Pie IVnbsp;r�pondit a leurs voeux en �tablissant une Congr�gation charg�e d�in-terpr�ter les d�crets du Concile (i), de veiller a leur ex�cution et denbsp;soumettre au pape les doutes qui pourraient survenir. Les Souverainsnbsp;Pontifes saint Pie V et Sixte V �tendirent les droits de cette Congr�gation. En cons�quence, il lui appartient d�interpr�ter tout ce quinbsp;regarde la r�forme et la discipline �lablies par Ie concile de Trente;nbsp;de revoir les decrets des synodes, d�examiner Ie compte rendu quenbsp;les �v�ques doivent envoyer a Rome apr�s la visite de leur dioc�se; denbsp;dispenser les b�n�liciers de la r�sidence pour cause de sant� ounbsp;d��tude, etc. A raison de la multitude et de la gravit� de ses affaires,nbsp;la Congr�gation se compose de vingt-quatre cardinaux, dont 1�un a Ienbsp;litre de pr�fet; d�un secr�taire et vice secr�taire; d�un substitut avecnbsp;des exp�ditionnaires et de douze pr�lats y compris Ie secr�taire desnbsp;lettres latines. Ce dernier est charg� de transmeltre aux �v�ques lanbsp;solution des difficult�s qu�ils ont soumises a la Congr�gation.
scripta, quocumque loco, et quocumque idiomale, aut in poslerum edere, aut edita legere, vel relinere audeat, scd locorum ordinariis aut hfereticae pravitatis inquisitori-bus ea tradcre teneatur sub pcenis in Indice librorum velitorum indictis.
Quibus Saxctissimo Domixo kostuo N. Pap.e N. per me inl'rascriptum secretariuzn re-latis, Sanctitas sca decretura probavit, et promulgari pra�cepit. In quorum fidcm, etc.
Datum Roma; die N. N.
Signature du cardinal, pr�fet de la Congregation.'
Et du secr�taire.
Puls;
Die N. supradictum decretum affixum et publicatum fuit ad S. Mari� supra Miner-vam, ad Basilicffi Principis Apostolorum, Palatii S. Officii, Curia; Innocentianae valvas, et in aliis consuetis Urbis locis per me N. apost. curs.
(i) Constit. Aliis nos, etc.
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CONGREGATIONS ROMAINES.
S� Congr�gation de 1�Examen des �v�ques. Le maintien de la discipline et les succes d�une arm�e d�pendent presque toujours des ge-n�raux qui la commandent ; or, les �v�ques soul les g�n�raux de 1�arm�e militante. De la, le soin religieux apporl� par l��glise ro-maine pour faire de bons cboix. Les grands papes Gr�goire XIV etnbsp;Benoit XIV s�occup�rent particuli�rement de eet objet fondamental �.nbsp;Cl�ment VIII �tablit une congr�gation sp�ciale pour examiner les can-didats aux �v�ch�s d�Italie. L��loignement des lieux ne lui permit pasnbsp;d aslreindre a cette mesure salutaire les �v�ques des nation� �trannbsp;g�res. La Congr�gation se divise en deux commissions . 1 une pour lanbsp;th�ologie, l�autre pour le droit canon. La premi�re est compos�e enbsp;cinq cardinaux examinateurs et d�un grand nombre de religieux c oisisnbsp;par le Souverain Ponlife. La seconde compte neuf cardinaux examinanbsp;teurs et plusieurs pr�lats. Un pr�lat secr�taire tient note des r�ponsesnbsp;et dresse le proc�s-verbal de la s�ance. La Congr�gation s�assemblenbsp;devant le pape qui est assis sur son trOne environn� des cardinauxnbsp;examinateurs ; le Candida^ reste � genoux sur un carreau. II r�pondnbsp;en latin aux questions et aux objections qui lui sont adress�es. L�examen fini, les cardinaux donnent leur opinion par ce mot est idoneus;nbsp;ensuite le Consistoire s�assemble et le pape pr�conise le candidat quinbsp;peut alors recevoir la cons�cration �piscopale. On aime a se rappelernbsp;qu�apr�s son examen, saint Francois de Sales m�rita d�entendre de lanbsp;bouctie m�me du Souverain Pontife eet �loge si flatteur : Allez, monnbsp;fils, et buvez de l�eau de votre citerne.
Puisque j�ai uomm� le Consistoire, il n�est pas inutile de fixer le sens de ce mot. Le Consistoire est le conseil du Saint-P�re, sacrumnbsp;Pontificis consilium, et le principal tribunal de Rome. II est publicnbsp;ou secret. Le pape pr�side en personne, rev�tu de ses habits ponti-ficaux ; les assistants sont les membres du coll�ge et autres grandsnbsp;dignitaires. Les assemblees ont lieu r�guli�rement une fois la semaine,nbsp;le lundi ou le jeudi; il a aussi des s�ances extraordinaires. Pendantnbsp;que le Consistoire est r�uni, toutes les autres Congr�gations doiventnbsp;vaquer. Toutes les affaires de l��glise peuvent �tre du ressort dunbsp;Consistoire, mais il ne s�occupe que des plus importantes. Quand unenbsp;bulle ou une constitution ont �l� d�lib�r�es dans ce conseil, il en estnbsp;fait mention; si, au contraire, le pape a prononc� seul, la bulle ou lanbsp;constitution portent le nom de proprio motu.
6� Congr�gation de la Residence des �c�ques. Si tons les �v�ques ne peuvent �tre examin�s h Rome, tous doivent poss�der les vertus denbsp;leur charge et en accomplir les obligations. Or, le premier devoir
-ocr page 52-48 nbsp;nbsp;nbsp;LES TUOIS ROME.
d�un berger est de veiller sur ses brebis; mais pour cela il faut qu�il r�side au milieu de sou troupeau. Ije droit naturel, Ie droit divin, Ienbsp;droit eccl�siastique lui d�fendent de s�absenter sans cause grave;nbsp;attendu que Ie loup ravisseur qui r�de autour de la bergerie ne s�ab-sente jamais. Pour lever les scrupules des �v�ques et pour les mettrenbsp;� l�abri des sollicitations du monde, Ie Pasteur des pasteurs a sage-meat �tabli une Congr�gation charg�e de d�cider si les motifs d�ab-sence sont legitimes. N�e du concile de Trente, cette Congr�gationnbsp;se compose de plusieurs cardinaux dont Fun a Ie titre de pr�fet, etnbsp;d�un secr�taire : elle n�a pas de jour fixe pour ses reunions.
7� Congr�gation des �v�ques et R�guliers. L�examen donne de bons �v�ques, la r�sidence les rend utiles ^ leur dioc�se; mais denbsp;graves, de nombreuses difiicult�s peuvent entraver leur gouvernement. Parfois il arrive que les pr�tres, les cbapitres, les r�guliers quinbsp;travaillent sous leurs ordres se croient bless�s dans leur droit ; il fal-lait un recours aux faibles, un frein aux forts, une r�gie � tous. Etnbsp;voilit qu�une Congr�gation romaine, ind�pendante, d�sint�ress�e, anbsp;pour mission de d�cider les diff�rends. �tablie par Sixte V (i), elle senbsp;compose de vingt-quatre cardinaux, dont Fun a Ie titre de pr�fet;nbsp;d�un secretaire; d�un vice-secr�taire; d�un substitut et d�un grandnbsp;nombre d�employ�s. Le pr�lat qui fait les fonctions de secr�taire oc-cupe ce qu�on appelle a Rome une place cardinalice, c�est-�-direnbsp;qu�en sortant de charge il est rev�tu de la pourpre. Cette Congr�gation s�assemble tous les jeudis. Trancber les difiicult�s qui survien-nent sur la juridiction des �v�ques, d�cider les questions relatives auXnbsp;nouvelles fondations de monast�res, au passage d�un ordre dans unnbsp;autre, ii la sortie momentan�e du couvent, it Fali�nation des biens ec-cl�siastiques ; tel est le vaste champ de sa juridiction.
8� Congr�gation de la Discipline des R�guliers. Par leur �ducation forte et s�v�re, par leur affranchissement de tous les liens terrestres etnbsp;par leurs voeux solennels, les ordres religieux sont le corps d��lite denbsp;F�glise militante; mais plus leur action est d�cisive, plus il importenbsp;de la r�gler. Si done la congr�gation pr�c�dente s�occupe sp�ciale-ment du clerg� s�culier, celle-ci a pour objet de sa sollicitude la conduite de la milice r�guli�re. Minist�re central de tous les ordres religieux, elle entretient avec eux une correspondance qui s��tend anbsp;toutes les parties du monde. Afin que ses avis et ses d�cisions soientnbsp;donn�s en connaissance de cause, elle poss�de dans ses archives les
(i) Constit. 74.
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CONGR�G.WIOKS BOMMN�S.
constitutions et les statuts de toutes les religions avec leur statistique la plus d�taill�e. Cette congregation doit son origine au pape Innocent XII (i). Les membres qui la composent sont au nombre de dix :nbsp;un cardinal pr�fet et neuf autres cardinaux, second�s par un prelatnbsp;secr�taire, un substitut et plusieurs employ�s. Les �rections de convents, de noviciats, les prol�sseurs et les directeurs de ces maisons,nbsp;la vie commune, 1�observation des vceux, des r�gies et des constitutions, les personnes r�guli�res, etc., composent son d�partement.
9'gt; Congr�gation de l�Immunit� eccUsiastiqw- Que servirait � l�E-glise d�avoir de bons g�n�raux et une armee parfaitement discipbn�e, si elle-m�me ne pouvait agir? Soci�t� parfaite, investie par son ivinnbsp;1�ondateur de tous les pouvoirs n�cessaires pour maintemr son existence et accoinplir sa mission dans tout l�univers, 1 �glise ne peutnbsp;sans crime �tre entrav�e dans s'on action par aucune puissance hu-maine; mais, ii raison des passions des hommes, ce droit divin ne pro-duil pas toujours un fait analogue. H n�est que trop vrai, les rois, lesnbsp;nations, les grands du nionde cherchent h restreindre Ie pouvoir denbsp;T�glise, a en g�ner l�exercice, a usurper sur ses droits et a transformer ses ministres en fonctionnaires de la puissance temporelle. G�estnbsp;au moment o� ces tendances anti-chr�tiennes allaient devenir plusnbsp;g�n�rales et plus imp�rieuses que Ie pape Urbain \111 �iablit la Congr�gation de rinimunit�, destin�e a �tre Ie boulevard de 1�ind�pen-dance eccl�siastique. Elle se compose de douze cardinaux, dont l�un anbsp;Ie litre de pr�fet, d�un grand nombre de pr�lals; d�un secr�taire;nbsp;d�un vice-secr�taire et de plusieurs greffiers.
Rien de plus d�licat que la nature de ses attributions. Assurer la* libre action de I�Eglise dans toutes les parties du monde; s�opposernbsp;aux taxes, aux imp�ts que les magistrals et -les communaut�s s�culi�-res veulent frapper injustemenl sur les personnes et les lieux eccl�-siasliques; punir la violation des droits et immunit�s de L�glise,nbsp;quels que soient les coupables : telles sont les dilEciles affaires quenbsp;cetie congr�gation doil manier tous les jours et qu�elle decide avecnbsp;une autorit� souveraine. A Rome, o� 1�anciemie discipline s�est main-tenue, elle s�occupe encore de sauvegarder les coupables, en faisantnbsp;respecter les asiles sacr�s. Chezles Juifs ily avail, comme on sait, desnbsp;villes de refuge; il en �tait de m�me chez les pa�ens ; leurs templesnbsp;�taienl des asiles inviolables (2). Par cette institution Ie l�gislateur
(i) Bulle Dehitum pastoralis officii, etc., 1-t ao�t 1793. (s) Voyez Am.MaTcellin.etc.
-ocr page 54-�O nbsp;nbsp;nbsp;LES TaOIS ROME.
avail voulu soustraire Ie coupable aux coups irr�fl�chis d�une premi�re col�re, tout en apprenant aux hommes que la vengeance doit expirer sur Ie seuil de la maison de Dieu. Fid�le aux enseignementsnbsp;de la sagesse antique, Rome conserve Ie droit d�asile; mais seulementnbsp;pour certains crimes ou d�lits. Elle Irouve ainsi Ie moyen de prot�gernbsp;efficacement la morale, sans priver la soci�t� des r�parations legitimesnbsp;qui lui sont dues. Or decider, suivant les constitutions apostoliques,nbsp;si dans tel cas un coupable a Ie droit d�asile, voilii de nos jours encore Ie devoir de la Congr�gation de l�Immunit�.
10� Congr�gation Consistoriale. Pour pr�parer les graves et nom-breuses affaires qui doivent �tre soumises au conseil du Saint-P�re, quoi de plus convenable que d��tablir un tribunal d�instructionnbsp;charg� d�examiner d�avance toutes les pieces du proc�s? Quel moyennbsp;plus propre a donner aux d�cisions pontificales ce caract�re de matu-rit� et de haute sagesse qui doivent les distinguer et qui les distin-guent en effet? �elle est la mission de la Congr�gation qui nous oc-cupe. Elle discute sp�cialement les affaires qui ont rapport a l��rection,nbsp;a l�union des �v�ch�s, aux ali�nations, aux coadjuteurs des �v�ques etnbsp;aux suffragants. �tablie par Sixte V, elle se compose comme les au-tres de plusieurs membres du sacr� Coll�ge et d�un pr�lat secr�taire;nbsp;mais ce qui la distingue et ce qui prouve tout Ie soin du Saint-Si�genbsp;� s�entourer de lumi�res, c�est la pr�sence des secr�taires nationaux :nbsp;la France, l�Espagne, l�Autriche, toutes les nations caiholiques y sontnbsp;repr�sent�es.
11quot; Congr�gation des Rites. Grace aux Congregations dont nous venons de parler, la spli�re dans laquelle 1��glise doit exercer son action ext�rieure est libre. Mais Ie sacerdoce est investi d�un doublenbsp;pouvoir ; s�il agit sur Ie corps moral de J�sus-Christ qui est la soci�t� cbr�tienne; il agit encore sur son corps naturel, pr�sent dans lanbsp;divine Eucharistie. Quels doivent �tre l�ordre, la majest�, l�unit�, lanbsp;saintet� des pri�res et des c�r�monies pour rendre Ie culte sacr� dignenbsp;du Dieu auquel il se rapporte? Voila ce que d�cide en premier lieu lanbsp;Congr�gation des Rites. Rechercher quels sont les serviteurs de Diennbsp;qui ont droit aux hommages de leurs fr�res; constater la v�rit� denbsp;leurs miracles, �tablir l�h�ro�sme de leurs vertus, et pour cela se livrei'nbsp;aux investigations les plus minulieuses et les plus longues, faire denbsp;toute la proc�dure un rapport au Vicaire de J�sus-Christ charg� denbsp;prononcer : telle est sa seconde et noble tftche. Juridiction souverainenbsp;de tout ce qui a rapport � la liturgie et au culte e.xt�rieur, elle fut �ia-blie par Sixte V. Outre les douze cardinaux qui la composent, elle
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CONGREGATIONS ROMAINES.
compte un pr�lat secr�taire; un autre prelat qui a le litre de promo-leur de la foi; un assesseur ou \ice-promoleur de la foi, el un grand nombre de consulleurs, parini lesquels sent toujours le maitre du sa-cr� palais, les mailres des c�r�monies ponlificales, un hymnograpbe,nbsp;un notaire, un chancelier avec ses greffiers. Dans les causes de b�atifi-cation et de canonisation elle s�adjoint des avocats, des m�decins, desnbsp;physiciens, des interpr�tes pour les differentes langues qui tons s�o-Ijligent, sur la foi du serment, parler suivant leur conscience. Pournbsp;quiconque s�esl donu� la peine d��tudier les r�gies de ce tribunal etnbsp;les sages lenteurs de ses proc�dures, il est bien d�montr� qu�il n�existenbsp;SOUS le ciel aucun jury dont les d�cisions m�ritent, m nie lutnaine
ment parlant, un pared degr� de confiance.
12� Gongr�gation des Indulgences et des saintes Religues. utant 1��glise se montre z�l�e pour la beaut� du culte qui est dti ^
Epoux, autant elle d�ploie de vigilance pour emp�cber les fraudes et les abus qui pourraient en lernir l��clat. baire connaitre aux � esnbsp;quelles sont les graces particulieres attacb�es aux prieres et aux actesnbsp;de pi�t�; leur nominee avec certitude quelles sont les reliques de leursnbsp;fr�res morts pour la foi et auxquelles ils doivent leurs hommages;nbsp;�viter ainsi les exc�s d�un z�le peu �clair�, ou l�indiff�rence coupablenbsp;de. l�impi�t�; en un mot, eclairer la devotion el r�gler la pi�t� euversnbsp;les martyrs ; tel est le but qu�elle s�est propos� en �tablissanl la Con-gr�galion des Indulgences et des saintes Reliques. Comme toutes lesnbsp;autres institutions catboliques, celle-ci plonge ses racinesjusque dansnbsp;les profondeurs de Tantiquit�. Le germe qui la lit naitre fut d�pos�nbsp;dans le berceau m�me de F�glise, et il grandil avec elle. Toutefoisnbsp;l�existence r�guliere de cette Gongr�gation ne. se montre qu�au moyennbsp;age, sous le pontifieat d�Innoeent III. Sa forme permanente, ses attributions el ses r�gies acluelles sont l�ouvrage du pape Gl�ment IX.nbsp;Dans sa constitution trente-sixi�me (i), donn�e Fan 1669, il F�tablitnbsp;sur les bases suivantes : six cardinaux dont Fun avec le litre de pr�-fet, un pr�lat secr�taire et un grand nombre de consulteurs; voil�inbsp;pour le personnel. Quant aux attributions, il faut ajouter aux pr�c�-dentes celles d�accorder les aulels privil�gi�s el d�oblenir du Souve-rain Pontife F �tablissement de nouvelles indulgences.
15� Gongr�gation des Affaires eccl�siastiques extraordinair es. A mesure que les antiques liens qui unissaient a F�glise les nationsnbsp;chr�tiennes vont en s�al�aiblissant, des difiicult�s d�une nature loute
(i) In ipsis ponliiicalus nostri primord�s, etc.
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nouvelle viennent entraver la marehe de l��glise. Chaque ann�e, pour ainsi dire, des r�volutions �clatent ehez les diff�rents peuples; et sem-blables a des ouragans elles balaient les institutions catholiques, bri-sent les lois disciplinaires, jettent aux mains des spoliateurs avides Ienbsp;patrimoine de l��glise et des pauvres. Cependant Ie calme semble re-naitre; pour un motif ou pour un autre, les gouvernements nouveauxnbsp;veulent redonner une forme a cette chr�tient� boulevers�e ; il faut en-tamer des n�gociations avec Rome, et des concordats sont propos�s.nbsp;Dans ces graves circonstances, on congoit sans peine que Ie Saint-Si�ge s�entoure de toutes les lumi�res possibles. Sans doute les Con-gr�gations dont j�ai parl� jusqu�ici suffisent pour offrir au Saint-P�renbsp;tous les conseils desirables. Mals soit a cause de Timmense quantit�nbsp;d�affaires qui les surchargent, soit par un effet de cette prudencenbsp;consomm�e qui distingue Ie Saint-Si�ge, Rome poss�de pour les casnbsp;extraordinaires une Congr�gation form�e d�hommes �minents, habitu�s de longue main au maniement des affaires : c�est la Congr�gationnbsp;dont il s�agit. Elle doit son origine a Timmortel Pie VII, qui miracu-leusement reudu a son peuple, l��tablit en 1814. Elle se compose denbsp;buit cardinaux, d�un secr�taire, de cinq consulteurs et des employ�snbsp;ordinaires.
lei nous fumes oblig�s de suspendre nos investigations; car nos courses et nos �tudes eccl�siastiques ne devaient pas nous emp�chernbsp;de nous rendre ce jour-la m�me a VAra-Cceli. Une grande Funzione,nbsp;comme on dit ii Rome, devait y avoir lieu ; il s�agissait du bapt�menbsp;solennel de toute une familie isra�lite, dont voici en peu de mots l�in-t�ressante histoire. Cette familie tr�s-opulente habitait Anc�ne. Treizenbsp;ans s��taient �coul�s depuis qu�une jeune isra�lite de cette ville avaitnbsp;�t� plac�e dans une pension catholique. Ses parents avaient exig�nbsp;qu�on ne lui parlat jamais de religion; la condition avait �t� accept�enbsp;et fid�lement remplie; si bien que la fille d�Isra�l avait grandi dansnbsp;toute l�opposition antichr�tienne qui caract�rise sa nation. Elle venaitnbsp;d�atteindre sa vingti�me ann�e environ, lorsque, Ie jour de la F�te-Dieu, la curiosit� l�emportant, elle se mit a une fen�tre pour voirnbsp;passer la procession. A la vue du Saint-Sacrement, �lev� entre lesnbsp;mains du pr�tre, elle tombe �vanouie et se rel�ve catholique. Pri�res,nbsp;oppositions, larraes, menaces m�me de la part de ses parents, rien nenbsp;put �branler sa r�solution.
Parent de cette jeune n�ophyte, Ie chef de notre familie juive avait �t� t�moin de l��v�nement. Depuis cette �poque il se sentait press�nbsp;de chercher la v�rit� hors du juda�sme. Apr�s de nombreux combats.
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il devint calholique dans son cceur; et cons�quent avec lui-m�me, il plaga une pieuse gouvernante aupr�s de ses enfants. On leur parlaitnbsp;de la religion chr�tienne, on les conduisait h nos c�r�monies, on leurnbsp;donnait des madones : ces pauvres enfants ne r�vaient que Ie catho-licisme. La m�re seule se montrait d�une opinitoet� d�solante. Cepen-dant deux de ses petites filles, surtout, ne cessaient de prier pournbsp;elle. Apr�s plusieurs ann�es, leurs pri�res et leurs caresses furentnbsp;couronn�es de succ�s : la m�re consentit a prendre connaissance de lanbsp;religion. Esprit �lev�, caract�re ferme, cceur droit, cette dame recon-Dut bient�t la v�rit�, et avec une foi admirable elle demanda elle-ffi�me Ie sacrement de ia r�g�n�ration.
Cette heureuse familie, compos�e du p�re, de la m�re et de trois petites filles, allait done faire son abjuration, recevoir Ie bapt�me, lanbsp;penitence, la confirmation, la communion; et Ie p�re et la m�re, Ienbsp;sacrement de mariage. Quelle f�te! Vous jugez si une pareille c�r�monie avait attir� la foule. Suivant la coutume italienne, les murs denbsp;l��glise �laient tendus en damas rouge et les antiques piliers rev�tusnbsp;jusqu�aux chapiteaux d�une �toffe de la m�me couleur. Au milieu de lanbsp;nef, en face du tr�ne pontifical, s��levait un autel provisoire, avec desnbsp;fonts baptismaux et tout ce qui est n�cessaire ii l�administration desnbsp;sacrements. Le cardinal Franzoni, pr�fet de la Propagande, faisait lanbsp;c�r�monie.
Selon l�usage de la primitive �glise, le chef de la familie, homme d�environ quarante-cinq ans, portait le v�tement blanc des cat�chu-m�nes; sa femme et ses filles, aussi v�tues de blanc, �taient couvertesnbsp;d�un voile qui descendait jusqu�� terre. Toutes les fois qu�elles durentnbsp;le relever pour les diff�rentes c�r�monies, les spectateurs remarqu�-rent la joie calme et douce qui rayonnait sur le front de ces heureusesnbsp;firebis d�Isra�l : beau sujet pour le pinceau d�un grand peintre. Nenbsp;Pouvant fixer sur la toile eet int�ressant spectacle, nous nous conten-t�mes de b�nir avec effusion le Dieu qui dans sa bont� a voulu fairenbsp;de tous les hommes un seul peuple de fr�res.
Le soir nous e�mes un autre motif d�actions de graces; le bon P. Grassi, sup�rieur de la Propagande, nous envoya des billets pournbsp;assisier a la F�te des langues j�en parlerai en son lieu,
Toji. n.
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3 JANVIER.
La p�nilcncerie. � La Dalerie. � La Chancellerie romaine. � La Rote. � Les Encycli-ques. � Les Bref's. � Les Rulles. � Les L�gats a Latere. � Les Nonces. � Les L�gats-n�s. � Les R�i�gats. � Les Cardinaux protecteurs. � Visite a la familie juive.� Conservatoire des Neophytes.
De bonne heure, une occasion se pr�senta de voir de plus pr�s Ia familie isra�lite, au bapt�me de laquelle nous avions assist� Ia veille;nbsp;mais ce plaisir fut r�serv� pour Ie soir. En attendant, nous reprimesnbsp;nos �tudes et nos courses eccl�siastiques rest�es inachev�es. Apr�s lesnbsp;Congr�gations romaines, les tribunaux devaient nous occuper; carnbsp;ils eompl�tent celte magnilique hi�rarchie de pouvoirs qui fait dunbsp;gouvernement romain un mod�le d�autant plus int�ressant i �tudiernbsp;qu�il est moins connu.
La P�nitencerie. La beaut� incommunicable de l��glise catholi-que c�est l�unit� ; unite dans la croyance, unit� dans la discipline, harmonie entre tous les membres de ce grand corps; voila, nous l�a-vons vu, a quoi contribuent puissammenl les Congr�gations romaines.nbsp;Ramener loutes les haules questions de morale au jugement de l�au-torit� supr�me et tracer des r�gies sures pour diriger les ames, tel estnbsp;encore Ie moyen de maintenir l�unit� dans l�exercice du minist�re Ienbsp;plus saint et Ie plus compliqu�. Rome atteint ce but salutaire par sesnbsp;tribunaux. L�absolution de certains cas r�serv�s. Ia d�livrance des censures et des irr�gularit�s, la commutation des voeux et des serments,nbsp;la dispense des emp�chements occultes de mariage, la r�habilitationnbsp;in�me de ce contrat, fondement de la familie, de l��tat et de l��glise,nbsp;la solution de toutes les difficult�s morales pour lesquelles Ie mondenbsp;catholique s�adresse au Saint-Si�ge, forment les attributions de la P�nitencerie. Ce tribunal est done la juridiction souveraine de la puissance des clefs, c�est la commission que Ie Vicaire de J�sus-Christ in-veslit de son droit de lier et de d�lier. Les �l�ments de cette cournbsp;supr�me apparaissent depuis l�origine des si�cles chr�tiens (i). Apr�snbsp;des modifications successives, la P�nitencerie regnt enfin, sous Benoit XIV, une forme et des r�gies invariables (2). Elle s�assemble unenbsp;fois par semaine, sous la pr�sidence d�un cardinal qui prend Ie litrenbsp;de grand p�nitencier; au-dessous de lui sont: Ie r�gent qui est ordi-
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Constanzi, 1.1, p. 46, n. SI.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Constit. Pastor bonus, etc.
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nairement un pr�lat, auditeur de Rote; Ie th�ologien qui est un p�re de la compagnie de J�sus; Ie dataire, Ie canoniste, Ie correcteur, Ienbsp;garde des sceaux, les trois secr�taires ou procureurs et les exp�dition-Oaires. Deux choses sont a remarquer au sujet de la P�nitencerie : sesnbsp;actes sont enti�rement gratuits et ses pouvoirs d�absoudre au for int�rieur OU d�accorder des dispenses ne cessent pas m�me pendant lanbsp;vacance du Saint-Si�ge. Ainsi les catholiques du monde entier peuventnbsp;toujours, et sans rien payer, obtenir de l��glise leur m�re, les d�ci-sions n�cessaires pour tranquilliser leur conscience. Y a-t-il au mondenbsp;Un autre royaume, une autre r�publique dont les membres jouissent,nbsp;dans l�ordre civil, d�un semblable avantage?
Le chef de ce tribunal remplit des devoirs d�une haute importance : il est utile de les connaitre pour comprendre certaines coutu-ines de Piome chr�tienne. Le grand p�nitencier se rend le dimanche des Piameaux a i��glise de Saint-Jean-de-Latran; le Mercredi-Saint, �nbsp;Sainte-Marie-Majeure; le Jeudi et le Vendredi-Saint a Saint-Pierrenbsp;pour entendre les confessions des fid�les, sur un si�ge �lev� et d�cou-vert. Dans eet usage Pgt;ome conserve un pr�cieux vestige de l�anciennenbsp;discipline. On sait que dans la primitive �glise, F�v�que ou le pr�trenbsp;qui entendait les confessions s�asseyait sur un si�ge �lev�, d�couvert,nbsp;et bien que Paccusation fut secr�te, tout se passait en pr�sence denbsp;Passembl�e des fid�les (i). �difier ses fr�res, s�humilier soi-m�me, r�-parer la mauvaise �dification dont on avait pu se rendre coupable,nbsp;d�sarmer ainsi la justice divine, telles �taient les raisons de eet usagenbsp;�v�n�rable qui subsiste encore � Naples, du moins pour les hommes.nbsp;A.U grand p�nitencier est r�serv� le droit de chanter -la messe le mer-uredi des Cendres dans la chapelle Sixtine et de donner les cendresnbsp;3u Saint-P�re. C�est lui qui assiste le Souverain Pontife dans ses der-Uters moments; enfin sous ses ordres sont plac�s les p�nitenciers desnbsp;I^asiliques patriarcales de Rome et de Lorelte (a).
2� La Daterie. S�il est digne de la bont� maternelle et de la saintet� *^6 1��glise de donner gratuitement a ses enfants les dispenses desnbsp;6mp�chements occultes de mariage, ainsi que la solution de leursnbsp;doutes et Pabsolution de leurs fautes; il convient � sa divine sagessenbsp;de pr�venir la suspension trop fr�quente de ses lois. � Vos int�r�tsnbsp;particuliers, dit-elle aux chr�tiens, vous portent a demander la dispense de mes saintes r�gies; je pourrais ne pas tenir compte de vosnbsp;d�sirs et vous obliger a courber votre front sous le niveau d�une l�-
(gt;) Tertull., de Pcenit.
(2) Ferraris, t. vi,art. Major poenitent.
-ocr page 60-56 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS HOME.
gislation qui est faile pour tous. N�anmoins je veux bien user d�in-dulgence; mais comme vous n��tes pas de meilleure condition que vos fr�res, il est �quitable que vous compensiez par une bonne oeuvrenbsp;la faveur que je vous accorde. Votre aum�ne tournera au profit denbsp;tous; en sorte que si d�une part vous failes une br�che a ma discipline; d�autre part, vous la r�parez en contribuant au bien g�n�ralnbsp;de la r�publique chr�tienne. � Telle est dans sa plus simple expression la pens�e de l��glise, lorsqu�il s�agit des dispenses en g�n�ral etnbsp;des dispenses de mariage en particulier.
�r, Ie tribunal de Rome charg� d�accorder ces faveurs, c�est la Da-terie. Rev�tue pour Ie for ext�rieur d�un pouvoir semblable � celui de Ia P�nitencerie pour Ie for int�rieur, la Daterie est appel�e par lesnbsp;docteurs catholiques, YOrgane du Pape (i). Son origine est fort an-cienne; on la trouve d�ja au temps d�Honorius III. Sous Innocent VIIInbsp;elle habitait un palais au Vatican; depuis Paul V, elle est au Quirinal.nbsp;Les collations d��v�ch�s, de b�n�fices, de canonicats, les dispensesnbsp;d�age, etc., ferment ses attributions. Le pr�sident de Ia Daterie a Ienbsp;titre de prodataire. Ce nom indique tout amp; la fois quTl est dans sanbsp;charge comme le vicaire du pape, et qu�il donne la date pr�cise des faveurs accord�es par le Souverain Pontife. II jouit d�une juridictionnbsp;tr�s-�tendue, et dans les affaires de sa comp�tence il prononce sansnbsp;appel. Lorsque les gr�ces qui sont du ressort de la Daterie ont �t� ob-lenues et sign�es du Saint-P�re, elles passent a la Ghancellerie qui ennbsp;exp�die les bulles.
La Ghancellerie est en quelque sorte le minist�re des affaires �tran-g�res de P�glise et le secr�tariat g�n�ral de Sa Saintet�. Son institution remonte au moins au xii� si�cle, sous le pontificat de Lucius III, nomm� en H82. Depuis plusieurs si�cles elle suit une marche invariable dans ses rapports avec le monde catholique, et sa constitution (2) porte le nom de R�gies de la Chancellerie. Elle est pr�sid�enbsp;par un cardinal qui prend le litre de Viee-Chancelier de la saintenbsp;Eglise romaine. L��tymologie de ce nom qui indique une esp�ce d�in-f�riorit�, vient, suivant les uns, de ce que le pape est le chancelier denbsp;Dieu; suivant les autres, de ce que la dignit� de Chancelier fut pos-s�d�e par des pr�lats, qui, a raison de la sup�riorit� des cardinaux,nbsp;ne prirent que le titre de Vice-Chancelier : titre conserv� par les cardinaux appel�s plus tard ii la m�me function (5). Quoi qu�il en soit,
(t) Corrad., in Praxi Beneflc., Ub. 11, c. 11, n. 9.
(2) Elle est attrlbu�e au pape Jean XXII. Voyez Constanz., 1.1, p. 55.
(s) Yoyez Ciampini, De S. R. Ecclesia: Vice-Qmcellario.
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les graces exp�di�es de la Chancellerie sont envoy�es en forme de huiles, �crites sur parchemin et portent Ie fameux cachet de plomb, ainsi que la quotit� d�une somnie h payer.
3� La Rote. Voici la chambre d�appel et la cour de cassation de Rome. On l�appelle Rota, qui veut dire roue, paree que la salie o� senbsp;r�unit Ie tribunal est circulaire, en sorte que les juges assis formentnbsp;un rond. L�origine de ce tribunal, qui se perd dans la nuit des temps,nbsp;montre toute la sollicitude de l��glise romaine pour les int�r�ts g�n�-raux de la chr�tient�. Autrefois les Souverains Pontifes confiaient xo-lontiers a leurs chapelains Ie r�glement d�un grand nombre d�affairesnbsp;qui leur �taient soumises. 11 en r�sulta, vers Ie xv� si�cle, un tribunalnbsp;compos� de douze pr�lats charg�s de prononcer en appel sur les proc�s d�ja discut�s devant les autres tribunaux. Aux jours de l�unit� denbsp;l�Europe dans la foi, Rome �tait pour une foule de questions, m�me*nbsp;civiles, l�autorit� supr�me des nations; de l� vient que la Rote se compose de juges pris des diff�rents pays. Autrefois toutes les puissancesnbsp;chr�tiennes y avaient des repr�sentants de leurs choix. Aujourd�huinbsp;la France, PAutriche, l�Espagne et la Toscane ont seules conserve Ienbsp;droit de nommer des auditeurs de Rote. L�Espagiie en nomme deuxnbsp;qui, r�unis a ceux des autres puissances, aux quatre Remains et auxnbsp;trois des L�gations de Bologne, Ferrare et Forli, forment Ie nombrenbsp;de douze juges dont se compose ce tribunal. II n�y a point de pr�sident, seulement Ie plus ancien auditeur prend Ie nom de doyen : c�estnbsp;une place cardinalice. Aujourd�hui la Rote n�est plus que la premi�renbsp;cour de justice des�tatspontificaux (i). N�anmoins Ia presence d�un auditeur national estun avantage et une garantie pour ses compatriotes,nbsp;industrials ou propri�taires dans les �tats Remains, qui peuvent avoirnbsp;des proc�s a soutenir devant ce tribunal. Ajoutez que par Ie rang qu�ilsnbsp;occupent dans la pr�lature, par la stabilit� de leur charge, par lesnbsp;pr�rogatives dont ils jouissent, les auditeurs de Rote peuvent rendre
(lt;) II exisle encore a Rome plusieurs autres Congregations ct trilmnaux d�une grande importance; mais comme leurs attributions n�ont point rapport aux affaires g�neralesnbsp;de l��glise, je me contenterai de les nommer: La Congregation de la R�v�rende fabriqiicnbsp;de Saint-Pierre, celle des �titdes de l��tat, celle du Ceremonial du Saint-Si�ge, etc.,nbsp;celle du bon Gouvernement. Dire que cette derni�re Congregation est charg�e d��couternbsp;toutes les plaintes du peuple centre les agents du gouvernement, et de d�grever lesnbsp;contribuables des inip�ts qui sont au-dessus de leur position, c�est monteer avec quellenbsp;sollicitude Ie Saint-P�re veille au bien-�tre de son peuple. Cette institution est un pro-gr�s que nos gouvernements constitutionnels adopteront quand il plaira au lib�ralismenbsp;d��tre liberal. La Congregation de la Consulta est institu�e pour r�gler les allaires dunbsp;Saint-Si�ge, dont elle Ibrme la chambre l�gislative et Ie conscil d��tat. Tous los pr�latsnbsp;lt;iui out �t� l�gals ou nonces aposloliques y assistent.
58 LES TROIS ROME.
d�importants services sous un autre point de vue. Pour Ie dire en passant, la France vient de supprimer son auditeur de Rote : cela ne lui fait pas lionneur.
Les Congregations et les tribunaux qui constituent l�organisation merveilleuse de l��glise romaine, attirent sans cesse Ie monde catho-lique vers Ie centre de l�autorit� et de ia foi. A son tour Rome r�agitnbsp;sur toutes les parties de la chr�tient� et fait sentir jusqu�aux extr�-mit�s du monde son action salutaire. Par quels moyens s�op�re cenbsp;mouvement de retour? Tous ces moyens se r�duisent a un seul, la parole. A la difference des autres capitales qui agissent sur les provincesnbsp;par la pr�pond�rance de la richesse ou de la force; a la difference denbsp;Rome pa�enne qui opprimait les nations par la puissance du glaive ;nbsp;comme Dieu lui-m�me dont elle est Forgane, Rome chr�tienne gou-verne Ie monde par la parole. Si la doctrine est d�finie, si les mceursnbsp;sont r�gl�es, si la discipline est maintenue ou modifi�e, si les �v�quesnbsp;sont institu�s, si les limites des dioc�ses sont trac�es, c�est a la parolenbsp;du Saint-Si�ge qu�il faut en rapporter la gloire. Or, cette parole vi-vifiante, Rome la fixe dans ses �crits, ou la personnifie dans sesnbsp;envoy �s.
Les �crits �man�s du Saint-Si�ge s�appellent Encycliques, Brefs ou Bulles. Ici quelques explications deviennent n�cessaires; d�une part,nbsp;Ie voyageiir consciencieux n�est pas d�humeur se payer de mots in-compris; d�autre part, F�glise romaine �tant notre m�re, il nous si�-rait mal d�ignorer ses usages et les premiers �l�ments de sa langue.nbsp;Ne faut-il pas, aujourd�hui surtout, que nous soyons en �tat, je ne disnbsp;pas de les justifier, ils n�ont pas besoin d�apologie, mais de les expli-quer dans leur v�ritable sens?
Les Encycliques, c�est-a-dire universelles, sont des lettres pontifi-cales qui s�adressent au monde enlier.Elles r�glent un point de dogme, de morale, de discipline ou traitent des questions qui int�ressent toutenbsp;la catholicit�. Le souverain Pontife y parle ex Cathedra, comme doc-teur de F�glise universelle, afin que tout le monde Fentende et senbsp;conduise d�apr�s sa parole. Rien de plus solennel que leur formule;nbsp;le cbef des pasleurs s�adresse i� tous les pasteurs de Fimmense bercailnbsp;de J�sus-Christ; aux Patriarches, aux Primats, aux Archev�ques,nbsp;aux �v�ques; il leur intime ses ordres, leur communique ses d�ci-sions, leur fait part de ses joies et de ses douleurs et leur trace la lignenbsp;de conduite qu�ils doivent tenir.
Les Brefs. Si la lettre pontificale, tout en traitant des clioses impor-tantes, est courte et succincte; ou si elle est longue mais relative ii une
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question secondaire, c�est un Bref, Breve (i). Le Bref s��crit sur du parchemin blanc et mince, en caract�res latins avec ponctuation r�-guli�re. II est ferm� avec de la cire rouge fix�e par un petit cordonnbsp;de chanvre et portant l�empreinte de VAnneau du P�cheur. Cettenbsp;mani�i'e de cacheter les lettres est un vestige de l�antiquit� profane :nbsp;les missives des Romains, les paquets confi�s aux Tabellaires, n��taientnbsp;pas autrement ferm�s (2). L�Anneau du P�cheur est le cachet pontifical. Certains monuments semblent �tablir que saint Pierre lui-m�menbsp;niarquait ses lettres de ce signe professionnel. Quoi qu�il en soit,nbsp;1�usage en remonte a la plus haute anliquit� (5). Son nom lui vient denbsp;ce g��il repr�sente saint Pierre sur sa barque dans Tesercice de lanbsp;p�clie. Soigneusement gard� par un pr�lat domestique du saint P�re,nbsp;il est, a la mort du pape, remis solennellement en pr�sence du sacr�nbsp;Coll�ge, au cardinal camerlingue qui le brise avec un marteau.
Les Bulks. Quand il s�agit d�affaires d�une haute importance et que la majest� pontificale se d�ploie en expressions plus relev�es et plusnbsp;�tendues, les lettres apostoliques prennent le nom de Bulks. Dansnbsp;l�antiquit�, ce mot d�signait le bouton ou la petite boule d�or, esp�cenbsp;d�ornement circulaire que les jeunes Romains portaient sur leur poi-trine (4). Transform� en cachet, rorneinent lui-m�me servit a scellernbsp;les lettres, surtout les lettres des grands personnages, les lettres-pa-tentes et les edits des souverains. Ainsi la fameuse constitution denbsp;Charles IV qui r�gie les droits des empereurs d�Allemagne et des �lec-teurs est appel�e Bulle d�or, paree qu�elle fut scell�e avec une bulle ounbsp;cachet d�or (s). Comme le Bref, la Bulle est �crite en latin; mais surnbsp;Un parchemin plus �pais, plus rude et moins blanc, sans points ni vir-gules, et en caract�res ronds, c�est-a-dire, gothiques ou gaulois, pournbsp;�'appeler le temps o� le Saint-Si�ge r�sidait h Avignon. Afin d��trenbsp;�x�cutoire, une Bulle doit �tre fulmin�e; mais elle ne peut �tre ful-uiin�e avant d��tre scell�e. Or, elle est scell�e avec un cachet de plomb,nbsp;qui pend de l�extr�mit� par un lacet de soie, si la Bulle est gracieuse;nbsp;chanvre, si elle est de justice ou contentieuse. Le cachet de plomb
(�) Ferraris, 1.1, verb. Breve.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Cic. Catil. III, S. � Pro Flacco, 161. � Plularch. de la Curios��, 2�.
(3) nbsp;nbsp;nbsp;Petra, 1.1, ad Constit. apostol., � 2. Promm., n. 1, iii. Cancelueei, Vso del anellonbsp;Piscatorio, etc., p. 9.
(4) nbsp;nbsp;nbsp;Ferraris, loc. cit.
(5) nbsp;nbsp;nbsp;Ferraris, verb. Bull. aur. � Petra, loc. cit., Dufresne, Glossar. verb. Bulla; Bullanbsp;enim proprie erat imperaloris sigillum, quod apponi consueverat in liUeris ardua con-tinentibus : et quia sigillum erat aureuni dicebantur hujusmodi imperiales littera; Bidlmnbsp;aurew. Sieque bullare idem est ac sigillare, et littera; bullatas, sigillatK significantur.nbsp;Ferraris, ubi supra.
-ocr page 64-60 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
�i double face porte d�un c�t� l�efiigie de saint Pierre et de saint Paul, de l�autre celle du pape r�gnant. Comme l�anneau du p�cheur, Ie cachet de plomb est s�igneusement conserv� par un pr�lat qu�on appellenbsp;Ie Pr�sident du Plomb. A la mort du saint P�re, ce sceau est pr�sent�nbsp;� tous les membres du sacr� Coll�ge, puis mis en pi�ces sous leursnbsp;yeux par Ie cardinal camerlingue (i).
Dans eet usage de rompre imm�diatement apr�s sa mort les deux cachets du Pontife d�funt, il faut voir une preuve de plus du z�lenbsp;constant apport� par l��glise pour pr�venir loute supercherie et toutenbsp;supposition de Brefs, de Bulles ou d�actes apestoliques.
Entre les Brefs et les Bulles, il existe encore d�autres differences qu�il est bon de connaitre. Ainsi Ie Bref se date du jour de laNativit�nbsp;de Notre-Seigneur; la Bulle, du jour de Flncarnalion. Le Bref portenbsp;en t�te le nom du pape ; Gregorius PP. XVI; la Bulle n�a pas de titre,nbsp;elle commence h la ligne, par ces mots : Gregorius episcopus, servusnbsp;SERVORUM Dei. La Bulle indique en finissant l�ann�e du pontificat; lenbsp;Bref se termine par cette formule : Donn� d Rome, d Saint-Pierrenbsp;ou d Sainte-Marie-Majeure (suivant que le saint P�re habite le Vaticannbsp;ou le Quirinal) sous l�anneau du p�cheur, etc., et il est sign� du cardinal secr�taire des Brefs. Malgr� ces dilf�rences, les Brefs et les Bullesnbsp;ont, chacun sur son objet, la m�me autorit� (2).
A ces usages doublement v�n�rables et paree qu�ils sont ceux de l��glise et paree qu�ils rappellent le souvenir d�un monde qui n�estnbsp;plus, s�en joint un autre non moins respectable quand on en connaitnbsp;l�origine et la nature. Les Bulles portent l�indication d�une soramenbsp;qui se paie h la Daterie ou au secretariat des Brefs, pour l�exp�ditionnbsp;des lettres apostoliques. C�est ce qu�on appelle h Rome la Tassa, lanbsp;taxe. Or, on entend souvent r�p�ter de vive voix et par �crit, que lesnbsp;causes eccl�siastiques font couler d Rome des fleuves d�or �tranger,nbsp;dont la cour pontificale abuse pour entretenir son luxe et sa mollesse.nbsp;Voila quelques-unes des calomnies que des hommes soi-disant catho-liques ne craignent pas de jeter au front de leur m�re. Quand on entend ces propos injurieux, tout ce qu�on peut faire c�est de dire avecnbsp;un grand sentiment de piti� : Mon Dieu, pardonnez-leur, car �s nenbsp;savent ce qu�ils font! � Rome d�pense annuellement pour les �glisesnbsp;�trang�res la moiti� plus qu�elle n�en revolt; et tout l�argent prove-
(1) nbsp;nbsp;nbsp;On sail que le cardinal camerlingue est le chef de la chambre apostolique, et quenbsp;la chambre apostolique administre les revenus du Saint-Si�ge.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Brevia apostolica rite confecta, tanlam vim habent in illis materiis in quibus con-liciuntur, quantum habent Bull� in c.-cteris materiis. Ferraris, verb. Bulla.
-ocr page 65-LES L�GATS A LATERE. 61
nant des causes eccl�siastiques est employ� en bonnes oeuvres : � telle est, ni plus ni moins, l�exacte v�rit� (i). Ainsi, en retour et non pournbsp;prix des faveurs qu�elle leur accorde, Rome, la m�re de toutes lesnbsp;�glises, regoit de quelques-unes de ses filles abondamment pourvuesnbsp;des biens de la terre, des sommes plus ou moins consid�rables dontnbsp;elle gratifie ses autres filles pauvres el pers�cut�es, en y ajoutant toutnbsp;ee qu�elle peut de ses ressources. De cette mani�re l�abondance desnbsp;unes suppl�e a l�indigence des autres, et les liens de la charit� catho-lique �tablis par Ie Sauveur lui-m�me, sont toujours maintenus; voilanbsp;sa conduite. Or, quoi qu�on en dise, il n�y a pour la qualifier qu�unenbsp;expression dans Ie langage humain : c�est une conduite admirable etnbsp;digne de Rome (2).
Nous venions d��tudier avec bonheur Ie dernier moyen par lequel Ie Saint-Si�ge agit sur Ie monde, mais nous n��tions pas satisfaits. Pournbsp;compl�ter nos connaissances, il fallait encore nous former une id��nbsp;exacte des ambassadeurs qui portent aux nations la parole romaine.
Comme prince temporel, Ie saint P�re enlretient avec les puissances des relations diplomatiques. Dans ce qui regarde les int�r�ts des �tatsnbsp;Remains, les n�gociations suivent la marche commune des relationsnbsp;des peuples entre eux, et sont trait�es dans Ie langage vulgaire de lanbsp;diplomatie. Comme chef de l��glise, Ie souverain Pontife se fait aussinbsp;repr�senter aupr�s des nations calholiques. Dans ces nouveaux rapports, toute la marche des choses change, jusqu�au vocabulaire ; c�estnbsp;un concordat au lieu d�un trait�; c�est un l�gal au lieu d�un nonce;nbsp;c�est une bulle, un bref au lieu d�une lettre. Les ambassadeurs spiri-tuels OU, pour rappeler l�expression du v�n�rable cardinal Pacca, lesnbsp;bras du Saint-Si�ge, sont les l�gats et les nonces. On distingue les L�-gats a latere, les L�gats envoy�s, les L�gats n�s, les D�l�gats.
Le pouvoir d�envoyer ses repr�sentants dans toutes les parties du monde calholique est l�apanage exclusif de l��glise de Rome. Elle l�anbsp;exerc� d�s le commencement du Christianisme. On les voit tour a tour
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Voyez 1�opuscule officiel in�lul� : Del denaro slraniero che viene in IXoma, e chenbsp;ae va per cause ecclesiastiche, par Msr Marchetti, arch, d Ancyre. \ oyez aussi Constanzi,nbsp;Instiluzioni di Pi�ta, etc., 1.1, p. 6-57.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Aux d�penses que Rome fait annuellement en faveur des pauvres �glises d�Irlandc,nbsp;d�AUemagne, du Nord, de l�Orient et de l�Occident, il laut joindre l�int�r�t des sommesnbsp;emprunt�es en diff�rents temps par les papes pour les besoins gcn�raux de la chr�-tient�. Les int�r�ts de ces emprunts se montent a 400,000 ecus; en y joignant les d�penses de la Propagande et de ses coll�ges, on a 555,000 �cus. Ainsi, d�un c�t� Romenbsp;pergoit des pays �trangers 500,000 �cus; de 1�autre, elle d�pense pour les pays �tran-gers 555,000 �cus. Elle est done grev�e par an de 235,000 �cus romains, ou de 1,265,000 fr.nbsp;' Voila, conclut 1�auteur, ce qu�elle gagne a eet �change. � Me�� Marchetti, supra.
-ocr page 66-62 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
pr�sider les conciles et soutenir les int�r�ts de la religion au pr�s des rois et des empereurs de l�Orient el de l�Occident. Les cardinauxnbsp;envoy�s en mission quittent leur place ordinaire a c�t� du souverainnbsp;Pontife; de la vient qu�on les appelle L�gats d latere (i). lis sont or-dinaires ou extraordinaires. Les premiers sont les cardinaux qui pr�sident aux l�gations italiennes ; Bologne, Ferrare, Forli. Les seconds,nbsp;investis de pouvoirs tr�s-�tendus, sont envoy�s dans les grandes cir-constances o� il s�agit des plus graves int�r�ts de la chr�tient�. Ainsinbsp;un l�gat d latere vint en France pour y r�tablir l��glise boulevers�enbsp;par la revolution.
Les L�gats envoy�s, ou nonces apostoliques (2), sont des pr�lats envoy�s par Ie souverain Pontife aupr�s des princes chr�tiens pournbsp;d�fendre les int�r�ts de F�glise et repr�senter Ie Saint-Si�ge. On distingue les nonces de premier ordre, tels que ceux d�Allemagne, denbsp;France, d�Espagne et de Portugal; ils sont ordinairement �lev�s aunbsp;cardinalat au sorlir de leur l�galion. Les nonces de second ordre quinbsp;ne jouissent pas du m�me privil�ge, sont ceux de Pologne, de Naples, de Venise, de Florence, de Bruxelles, de Cologne et de Lucerne.
Les L�gats n�s sont des �v�ques au si�ge desquels est attach�, par Ie souverain Pontife, Ie droit de l�gation, en sorte qu�ils deviennentnbsp;l�gats par Ie seul fait de leur �lection. De ce nombre sont les arche-v�ques de Reims, de Salzbourg, de Prague, de Tol�de et autrefois denbsp;Canlorb�ry. Tous les l�gats d latere, les nonces ou les l�gats n�s jouissent dans leur province de la juridiction ordinaire.
Les D�l�gats sont des envoy�s du Saint-Si�ge, charg�s seulement de conduire une affaire particuli�re ou certaines affaires d�termin�es,nbsp;sans aucune juridiction �trang�re (3). L�histoire des l�gats apostoliques, des services qu�ils ont rendus aux nations et a F�glise, la grandeur de caract�re, la prudence, Fesprit de conciliation qu�ils ont d�-ploy� dans les circonstances les plus difficiles, ferment une des plusnbsp;belles pages de nos annales chr�tiennes. On peut s�en convaincre ennbsp;lisant les ouvrages du v�n�rable cardinal Pacca, dont Ie nom se trouvenbsp;m�l� � toutes les grandes affaires de l��glise en Allemagne, en France,nbsp;en Portugal, pendant Ie demi-si�cle qui vient de s��couler.
Les relations du Saint-Si�ge avec Ie monde catholique ne sont pas entretenues seulement par 1�envoi des l�gats et des nonces, des bulles
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Dicuntur a latere quia cardinales ad latus summ! Pontificis assistant, et sic dumnbsp;mittuntur, quasi a latere extrahi videntur. Ferraris, verb. Legalus.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Legati missi, seu nuntii apostolici.
(3) nbsp;nbsp;nbsp;Voyez Devoti, Jus Canonicum, 1.1, p. 198-9. Ferraris, t. v, p. 38-39.
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et des brefs; Ie P�re commun a voulu donner a chaque nation un pro-tecteur et un avocat pris dans son propre conseil. C�est une garantie que jamais souverain n�offrit aux peuples avec lesquels il est en rapport. On appelle done Cardinal Protecteur de telle nation, un mem-bre du sacr� Coll�ge qui se fait en quelque sorte Francais, Espa-gnol, etc., suivantqu�il est protecteur de la France, de l�Espagne, etc.,nbsp;dans Ie conseil priv� du Pape. Comme les cardinaux sont libres d�ac-cepter ce protectorat et qu�ils ne Ie choisisssent que d�apr�s leursnbsp;propres sympathies, ils Font toujours exerc� avec tant de conscience,nbsp;qu�on ne connait pas d�exemple d�un protecteur qui ait agi centre lesnbsp;int�r�ts de F�tat plac� sous son patronage. Le cardinal protecteur nenbsp;s�occupe gu�re des affaires spirituelles des peuples qui ont des minis-tres r�sidents a Rome; mais il est comme Fambassadeur et le conseilnbsp;des nations qui sont sans repr�sentants aupr�s du saint P�re. Lanbsp;Prance, FAutriche, FEspagne, les Deux-Siciles, le Portugal, la Polo-gne, la Sardaigne, FAngleterre, F�cosse, Flrlande, Raguse, FIllyrie,nbsp;la Gr�ce, FArm�nie, Lucques, la Savoie et les Maronites ont chacunnbsp;Un cardinal protecteur.
Tel est le rapide tableau du gouvernement pontifical. La haute sagesse de F�glise en forme le trait saillant, et le vicaire de J�sus-Christ s�y montre aux yeux de Fobservateur impartial bien moinsnbsp;comme un roi que comme un p�re dont la sollicitude s��tend sur lenbsp;monde entier : mais il ne faut pas d�fendre par des paroles celui quinbsp;marche a Fabri de ses oeuvres.
Nos �tudes et nos courses n�avaient pu nous faire oublier la visite a la familie juive. L�heure avanc�e nous obligea de marcher au pas denbsp;course, et nous fumes bient�t au forum de Nerva, pres duquel senbsp;trouve le Conservatoire des n�ophytes (i). II faut savoir que dans sanbsp;charit� maternelle, Rome a fond� une maison pour recevoir les infi-fi�les qui d�sirent embrasser F�vangile. Les cat�chum�nes y sont en-Iretenus gratuitement, au moins pendant quarante jours. Un tb�olo-gien distingu� qui entend et qui parle leur langue, est charg� de lesnbsp;instruire. Afin de rappeler les usages de la primitive �glise, lebapt�menbsp;leur est solennellement administr� le Samedi-Saint ou Ia veille de lanbsp;Rentec�te, dans F�glise de Saint-Jean-de-Latran. Suivant les circon-stances on choisit aussi d�autres �poques et d�autres �glises pour cettenbsp;belle c�r�monie. Apr�s le bapt�me les n�ophytes restent encore quelque temps au Conservatoire afin d�affermir leur foi naissante. Les en-
(i) Voyez Constanzi, 1.1, p. 113-H9.
-ocr page 68-61 nbsp;nbsp;nbsp;I.ES TROIS ROME.
fants pauvres y regoivent ni�me une education convenable (i). Cet asile du silence et de la paix nous fut ouvert sans diflicult�. En entrantnbsp;nous trouvames tout d�abord nos petites chr�tiennes de la veille,nbsp;rayonnantes de bonbeur et gambadant de toutes leurs forces dans lanbsp;premi�re cour. A la vue d�un pr�tre elles suspendirent leurs jeux innocents, e^t vinrent, suivant I�usage d�ltalie, me baiser la main. Le p�renbsp;parut a son tour; des larmes d�attendrissement mouill�rent ses yeuxnbsp;lorsqu�il nous paria desajoie et de celle de toutesa familie. Enfin lanbsp;mere elle-m�me nous disait avec une grande na�vet� ; � C�est moi quinbsp;ai �l� la plus m�chante, je me suis fait attendee longtemps : enfin jenbsp;suis chr�tienne. � Puis attirant sur ses genoux une de ses plus jeunesnbsp;filles : � Voil�, dit-elle, celle qui m�a convertie; ch�re enfant, tu asnbsp;donn� la vie a ta m�re. � Et des larmes d�une tendresse surnaturellenbsp;coulaienl de ses yeux, et la m�re et l�enfant se confondirent dans denbsp;mutuelles �treintes. Ce spectacle renouvela toutes les impressions quenbsp;nous avions �prouv�es la veille. Apr�s une longue et int�ressante conversation nous nous retirames, laissant a son bonbeur cette familienbsp;b�nie; heureux nous-m�mes de ce q�ue nous avions vu, de ce que nousnbsp;avions entendu et souhaitant a tous nos amis une pareille journ�e.
4 JANVIER.
Viscina. puUica.�Thermes de Caracalla. � Slatues. � Excursion a�rienne. � Souvenir de Caracalla. �Vall�e de la nymplie �g�rie. � �glise des Saints N�r�e et Achill�e.nbsp;� Origine de son nom de Fasciola. � Les sept Salles. � Les mules de SixteV.�nbsp;Forum de Nerva. � Temple de Pallas. � Boucherie des martyrs.
Avant d�attaquer un nouveau quartier, il nous parut convenable de r�gler nos comptes avec ceux que nous avions d�j� explor�s. Quelquesnbsp;omissions furent reconnues, et nous partimes pour les r�parer. Au-dela du mont Aventin, dans l�ancienne r�gion de la Piscine publique,nbsp;sont les Thermes de Caracalla; ils eurent notre premi�re visite. La c�-l�bre piscine qui donnait le nom � cette partie de Rome, n��tait autrenbsp;chose qu�un lac artificiel, o� la jeunesse venait s�exercer � la natation.nbsp;Suivant les auteurs anciens, ce lac �tait aliment� par l�eau appienne,nbsp;la premi�re qui fut amen�e � Rome. II parait avoir disparu depuisnbsp;que les Thermes de Caracalla l�eurent rendu inutile. En effet, non-seulement la jeunesse, mais tout le peuple de Rome trouvait dans ce
(t) Sur la place Saint-Jacques, a Scossa cavalli, les h�r�tiques irouvent un asile sem blable, o� rien ne leur manque, pendant tout le temps de leur instruction.
-ocr page 69-THERMES DE CARACALLA. 65
superbe �difice de quoi satisfaire son gout pour Ie bain et les exercices nautiques. Repr�sentez-vous un palais carr� de 4200 pieds d�enceintenbsp;et d�une hauteur proportionn�e, tout rev�tu des marbres les plusnbsp;rares, et orn� de colonnes et de statues de bronze et de marbre, chefs-d�oeuvre de la sculpture antique. Vos pieds foulent un pav� en mo-sa�que; vosyeu.x admirent i la voute des peintures exquises; a droitenbsp;et a gauche, seize cents chambres de bains avec autant de si�ges denbsp;marbre poli; puis des salles immenses pour les jeux publics (i). Dansnbsp;ce nombre n��taient pas comprises les pi�ces inseparables des Thermesnbsp;remains : YApodyterium, o� l�on quittait ses habits; Ie Frigidarium,nbsp;o� Ton prenait Ie bain froid; Ie Tepidarium, o� Ton prenait Ie bainnbsp;ti�de; Ie Calidarium, o� l�on prenait Ie bain chaud; \e Sudatorium,nbsp;o� l�on excitait la transpiration par la vapeur; Y Unctuarium, o� l�onnbsp;se parfumait au sortir du bain (2); les lieux de d�bauche, les bibliotb�-ques, etc. Nous remarquames encore que les bains donnaient sur Ienbsp;grand Cirque : il en est toujours ainsi dans la vieille Rome; Ie sang etnbsp;la volupt� y sont inseparables.
Moins vastes que ceux de Diocl�tien, les Thermes de Caracalla comptaient cependant parmi les merveilles de l�ancienne Rome. Deuxnbsp;choses en faisaient la gloire, la grande salie et les statues qui l�embel-lissaient. Par la hardiesse et la l�g�ret� de sa construction, cette salienbsp;�tait Ie d�sespoir des architectes et des m�caniciens, dont les uns sou-tenaient qu�il �tait impossible d�en faire une pareille et dont les au-tres niaient qu�elle f�t de la main des hommes (5). Autant qu�on peutnbsp;Ie calculer par les ruines qui en restent, elle avait 690 pieds de longueur sur 450 de largeur. Les statues de marbre et de bronze �taientnbsp;tine autre merveille des Thermes Antonins. C�est de la que furentnbsp;iransport�s au mus�e de Naples ces chefs-d�oeuvre dont un seul suffi-rait pour illustrer une ville, et m�me un royaume. II suflit de nommernbsp;les statues d�Hercule, de Flore, du Gladiateur, et Ie fameux groupenbsp;de Dirc�. On voit Dirc� attach�e aux cornes d�un taureau furieux parnbsp;ses deux fr�res Z�tus el Amphion; plus loin, Antiope leur m�re, et Ienbsp;berger auquel elle remet ses deux enfants. Toutes ces figures sont denbsp;grandeur colossale et forment Ie groupe Ie plus consid�rable que Partnbsp;antique nous ait l�gu�.
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Habebant in usum lavantiura sellas mille sexcentas e polito marmore factas. Olym-piodor., in Ant. Caracall. � M. Bluet, jeune architecte pensionnaire de Tacad�mie denbsp;France a Rome, vient de faire Ie plan de ce magnilique �dillce.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Voyez Bracci, de Thermis Veterum.
(5) Sparilian, in Caracall.
-ocr page 70-66 nbsp;nbsp;nbsp;les TROIS ROME.
Malgr� les representations de l�ami qui nous accompagnait, nous voul�mes monter sur la voute de la grande salie. Cette voute, ou, pournbsp;parler plus exactement, cette langue de voute qui compte a peine quel-ques pouces d��paisseur, se trouve appuy�e par deux contreforts; maisnbsp;elle est crevass�e en plusieurs endroits, en sorte que notre excursionnbsp;a�rienne pouvait n��tre pas saus danger. N�anm�ins nous arrivamesnbsp;heureusement, et nous p�mes promener nos regards sur la vall�e dunbsp;grand Cirque et sur toute la campagne romaine. Croirait-on que lanbsp;partie sup�rieure de cette voute plate �tait en mosa�que? Nous en d�-tachAmes avec peine quelques morceaux qui nous restent comme desnbsp;souvenirs de la prodigalit� romaine. Cependant il s�agissait, pour des-cendre, de traverser dans toute son �tendue l��troit espace sur lequelnbsp;nous �tions suspendus. En mesurant la hauteur effrayante qui nousnbsp;s�parait du sol, j�avoue qu�une esp�ce de frisson me courut de la t�tenbsp;aux pieds. Toutefois, apr�s quelques moments d�li�sitation, je franchisnbsp;d�un pas rapide Ie p�rilleux passage; heureux d�en �tre revenu, je menbsp;promis bien de ne pas y retourner.
Le souvenir de Caracalla, qui nous avait vivement frapp�s dans l�en-ceinte du camp Pr�torien, ne cessa de nous poursuivre en parcourant ces ruines immenses. De chaque pierre, de chaque mosa�que, de cha-que tron^on de colonne semble sortir la voix lugubre qui effrayaitnbsp;jusqu�au milieu de ses joies bruyantes l�empereur fratricide ; Boisnbsp;ton fr�re : Bibe fratrem.
Non loin des �hermes de Caracalla, s�ouvre la vall�e d�Eg�rie, si connue dans l�hisloire de Numa. A la groUe myst�rieuse succ�de unnbsp;monument chr�tien digne de 1�attention du voyageur : c�est l��glisenbsp;des saints N�r�e et Achill�e. Le christianisme, entr� avec saint Paulnbsp;dans le palais des C�sars, s�y �tait maintenu avec avantage malgr�nbsp;les pers�cutions : quelques membres des families imp�riales Pavaientnbsp;embrass�; dans ce nombre on compte Flavia Domitilla, ni�ce du Consul Flavius Clemens, cousin de Domitien. Baplis�e par saint Pierre,nbsp;elle eut a son service deux fr�res, N�r�e et Achill�e, r�g�n�r�s commenbsp;elle par le prince des ap�tres et qui persuad�rent a la jeune princessenbsp;de consacrer sa virginit� au Seigneur. Reconnus pour �lre chr�tiens,nbsp;ils furent rel�gu�s dans File Pontia et martyris�s a Terracine; leursnbsp;corps, enlev�s par les fid�les, repos�rent longtemps dans la catacombenbsp;de Pr�textat, sur la voie Ardealine ; plus tard ils furent plac�s dansnbsp;1 antique �glisequi porte encore leur nom. Batie par le pape Jean F%nbsp;dans un terrain appartenant k sainte Lucine, cette basilique fut r��di-fi�e par saint L�on III. L�illustre cardinal Baronius en �tant devenu
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titulaire, prit un soin particulier de la conserver; c�est lui qui, en 1S97, y fit rapporter les corps des saints martyrs, avcc celui de sainte Flavienbsp;Domitille, que Gr�goire IX avail plac�s dans l��glise de Saint-Adrien.
Avant d��tre d�di�e aux saints N�r�e et Achiil�e, la basilique s�ap-pelait Fasciola, ce qui veut dire pet�-lange, nom qu�elle conserve encore aujourd�hui. Si vous recherchez l�originede cette d�nominationnbsp;singuli�re, la tradition romaine vous r�pond : � Saint Pierre passantnbsp;en eet endroit de la voie Appienne, un des linges mis par les chr�liensnbsp;sur les plaies dont les ceps avaient couvert ses pieds, se d�tacha; etnbsp;Un �dicule vint marquer Ie lieu o� Ie fait s��tait accompli (i). � Deuxnbsp;fois respectable par son antiquit� et par les noms qui l�appuient, lanbsp;tradition dont je parle tirerait au besoin sa certitude de la circon-stance m�me dont elle t�moigne. Qui ne sait que Ie soin Ie plus at-tentif a conserver les moindres faits de la vie des Ap�tres rentre par-faitement dans Ie g�nie de la pi�t� primitive? Ie doute n�est pas permisnbsp;quand on connait la v�n�ration profonde, la tendresse filiale, je diraisnbsp;Ie saint enthousiasme des chr�tiens de Rome pour saint Pierre et saintnbsp;Paul. Tons les monuments attestent qu�ils les suivirent pas amp; pas, indiquant d�abord par des oratoires, par des chapelles, et plus tard im-mortalisant par des �glises magnifiques tous les lieux d�positaires denbsp;quelque souvenir aposlolique.
L��glise des saints N�r�e et Achiil�e offre une riche moisson i I�ar-tiste et � l�arch�ologue. Le baldaquin est soutenu par quatre belles colonnes de marbre africain; les deux ambons, bien conserv�s, pr�-sentent des d�tails d�un grand int�r�t. Dans le choeur, au rond-pointnbsp;fie I�ahside, s��l�ve la chaire pontificale sur laquelle saint Gr�goire lenbsp;Grand prononga la vingt-huiti�me de ses hom�lies, dont une parlienbsp;est grav�e sur le dossier de cette chaire. Mais le monument le plusnbsp;important est la belle mosa'ique de I�abside; elle date de I�an 796, etnbsp;cepr�sente la Transfiguration. Au sommet de Pare on voit Notre-Sei-gneur avec Mo�se et �lie; plus has les trois Ap�tres saisis de frayeur,nbsp;courb�s vers la terre et se voilant la face de leurs manteaux. A gauchenbsp;�pparait la sainte Vierge recevant la visite de Tange; a droite, Marienbsp;tenant TEnfant J�sus debout sur son sein; pr�s de l� est un ange auxnbsp;ailes �tendues, dans Tattitude de Tadmiration. Depuis plus de millenbsp;ans, la divinit� du Fils et la divine maternit� de la M�re brillent dansnbsp;cette immortelle peinture. Voila done contre les novateurs de tous lesnbsp;temps et Tantiquit� de la foi et Timmuable raison des si�cles (2).
(0 Mazzol., 1. VI, p. 2ol.
(2) Voyez.sur T�glise des saints Ncr�e, etc., le savant et curieux ouvrage de Tabb�
-ocr page 72-68 nbsp;nbsp;nbsp;les TROIS ROME.
Rentrant en ville par la Voie des Triomphes, nous p�n�tramp;mes, au delamp; du Colis�e, dans une -vigne qui communique aux sept Salles, settenbsp;Sale OU sette Camere. On appelle de ce nom sept magnifiques r�servoirs qui fournissaient des eaux d�abord aux jardins de N�ron, puisnbsp;aux thermes de Titus. D�autres les regardent comme des ruines dunbsp;Nymphceum de Marc-Aur�le (j). Quoi qu�il en soit, les sept Salles m�-ritent d��lre vues, paree qu�elles donnent une haute idee de la magnificence romaine. Les chambres et les vastes corridors qui les avoisinentnbsp;firent partie de la maison d�or de N�ron. On sait que cette maisonnbsp;gigantesque fut d�abord appel�e domus transitoria, paree que Ie peu-ple en traversait les portiques pour aller du Coelius a l�Esquilin. Cettenbsp;circonstance nous semble expliquer, d�une part, la pr�sence des m�daillons imp�riaux peints au sommet de la voute, et repr�sentantnbsp;l�empereur surmont� d�une aigle aux ailes �tendues; d�autre part, lanbsp;singuli�re inscription que je vais transcrire en latin, car
Le latin dans les mots brave l�honn�tet�;
Mals le lecteur francais vent �tre respect� :
Done, sur les murs de ces superbes couloirs on lit :
Duodecim deos et Dianam,
Et Jovem optimum maximum Habeat iratos,
Quisquis bic minxerit aut cacarit.
Les anciens mettaient la propret� de leurs monuments sous la protection des dieux, nous la mettons sous la garde de la police. Au-des-sous de l�inscription s�allongent deux grands serpents tourn�s l�un centre l�autre et s�par�s par un faisceau de verges. Le serpent chez lesnbsp;anciens �tait un signe de respect et le faisceau de verges indique lanbsp;punition du d�linquent.
Comme nous quittions les sept Salles pour nous rendre au Forum de Nerva, nous aper^umes un meunier qui conduisait cinq mules char-g�es de sacs de farine. � Voila, nous dit-on, les cinq mules de Sixte V.nbsp;� C�est � leurs dents que vous les connaissez? r�pondimes-nous surnbsp;le ton de la plaisanterie. � Non, je parle s�rieuseraent, voici le fait :nbsp;Comme la plupart des grands hommes, Sixte V avait une manie, ilnbsp;comptait tout par cinq. II d�fendit aux meuniers d�entrer a Rome avecnbsp;plus de cinq mules et avec moins de cinq : sa d�fense a toujours �t�
D. Barthelemy Piazza : Santuario Romano delle stazioni, staz., 25; et, Roma ckrUtiana ad diem 12 Maii; voyez aussi Ciampini, Monim., veter. t. ii, p. 123.
(t) Amm. Marcell., lib. xv.
-ocr page 73-FORUM DE NERVA. 69
maintenue. II laissa en mourant cinq millions de scudi au tr�sor, et cinq mille mesures de bl� dans les greniers publics; il construisit cinqnbsp;fontaines monumentales, il �leva cinq ob�lisques, il prit le nom denbsp;cinq; il disait qu�il ne r�gnerait que cinq ans, et sa pr�diction s�estnbsp;v�rifi�e: �lu en 1585, il mourut en 1590. � Depuis cette explication,nbsp;nous ne renconlrames jamais les meuniers avec leurs cinq mules, ninbsp;plus ni moins, sans penser au grand pape, et sans applaudir a la con-stance avec laquelle le people de Rome demeure fid�le i la m�moirenbsp;d�un Pontife qui fut son idole.
Cependant nous voyions s��lever devant nous les restes grandioses du Forum de Nona. Dans la partie qui demeure intacte est l��glisenbsp;de Saint-Basile et le monast�re des Jeunes Filles nouvellement conver-ties a la foi. L�empereur Alexandre Severe avait enrlchi ce forum d�unnbsp;grand nombre de statues colossales repr�sentant les C�sars, et de superbes colonnes d�airain sur lesquelles �iaient grav�s les faits �clatantsnbsp;de l�bistoire i�omaine (i). Ce prince, connu par son int�grit�, y donnanbsp;un grand exemple de justice. Vetronius Turinus, un de ses courtisans,nbsp;s��tait laiss� corrompre par des pr�sents magnifiques, et avait promisnbsp;en retour les faveurs de C�sar : Alexandre le condamna a mourir dansnbsp;la fum�e. On le conduisit au forum, et pendant qu�une �paisse fum�enbsp;�touffait le coupable un h�raut sonnait de la trompette endisant: Ainsinbsp;est puni par la fum�e celui qui a vendu de la fum�e (2).
A quelques pas du Forum se voient les restes du temple de Pallas que la tradition fait remonter h Nerva (s). 11 olfre encore d�excellentesnbsp;sculptures avec des colonnes cannel�es d�ordre corinthien. Au sommetnbsp;s �l�ve une statue de Pallas en demi-figure; la d�esse est debout, lenbsp;lt;^asque en t�te et le bouclier a la main gauche; la droite, qui portait
lance, est bris�e. Par elle-m�me cette ruine pa�enne n�offre qu�un l^aible int�r�t; mais les sanglants souvenirs qui s�y rattachent remuentnbsp;'iveraent Fame du chr�tien. Au pied de cette idole, devant la portenbsp;de ce temple, furent immol�s de nombreux martyrs. De lii vient k lanbsp;petite �glise voisine le nom de Sainte-Agathe des Tisscrands, d lanbsp;boucherie des Martyrs, ad macellum Marlyrum (ij.Un puiis profond,nbsp;renferm� dans l�int�rieur du temple, regut les corps et le sang de nosnbsp;p�res. Plusieurs m�me semblent y avoir �t� jet�s tout vivants; car on
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Statuas colosseas, vel pedestres, nudas, vel equestres divis imperatoribus cumnbsp;titulis, et columnis aereis qua; gestorura ordinem continorent. � Lamprid., in Sever.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Fumo punitur, qui vendidit 1'umum. ld.
(3) nbsp;nbsp;nbsp;Sext. Aurel., in Nerva.
(a) Voyez les actes des saints Gordien, Crescent, Corneille, etc.
-ocr page 74-70 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
a trouv� dans Ie puits, sur Ie corps m�me d�un martyr, une de ces pierres qu�on suspendait au cou des chr�tiens. Celle-ci est ronde, noirenbsp;et peut peser cent livres environ. On l�a plac�e sous une grille a l�ori-fice du puits o�, depuis bien des si�cles, de nombreuses g�n�rationsnbsp;l�environnent de leurs respects et la couvrent de leurs baisers.
5 JANVIER.
Ancienne region de la Via Lata. � �ombeau de Publicius Bibulus. � Basilique des SS. Ap�tres. � Maison de Martial. � Temple du Soleil. � �gUse de Saint-Marcel. �nbsp;Palais Doria. ��gUse de Sainte-Marie-�i-Fia Lata. � Prison de Saint-Paul. � Palaisnbsp;de Venise. � �gUse de Saint-Marc. �
Notre beau soleil d�Italie avait reparu : Rome revenait a la vie. Les porteurs de vin promenaient dans les rues leurs mulcts charg�s denbsp;jiaschi en verre blanc surmont�s d�un bouchon de papier; les mar-chands d�oranges faisaient retentir les places de leurs cris aigus;nbsp;riiumble passioniste pr�sentait sa tirelire aux passants, et Ie fr�renbsp;capucin, conduisant par la bride Fane h�r�ditaire, portait au couventnbsp;les provisions de la journ�e, lorsque nous partimes pour nous rendrenbsp;sur Ie nouveau th�dlre de nos investigations : elles recommenc�rentnbsp;au point o� nous les avions laiss�es la veille. L�ancienne Via Latanbsp;qui s��tendait du Forum de Trajan et de la racine du Capitole, jus-qu�a la fontaine Trevi et.i F�glise des Saints-Ap�tres; telle �tait lanbsp;r�gion qui devait nous occuper. Pr�s de la rue Macel de Corvi, senbsp;pr�sente un ancien monument de la vieille Rome ; c�est Ie tombeaunbsp;de Caius Publicius Bibulus, don du peuple romain; Finscription int�resse par son ancienne orthographe :
C. POBLICIO. L. F. BIBULO. AID. PL. HONORIS VIRTVTISQVE. CAVIA. SENATVS CONSVLTOnbsp;POPVLIQVE JVSSV. LOCO. MONVMENTI. QVOnbsp;IPSE. POSTERESQVE. EJVS. INFERRENTVBnbsp;PVELICE. DATVS. EST.
Le monument lui-m�me soutenu par quatre colonnes surmont�es d�un entablement avec des sculptures, est d�une bonne conservation.nbsp;En remontant a droite, on trouvait jadis le portique de Constantin, et,nbsp;suivant les arch�ologues, le Forum suarium ou march� aux cochons,nbsp;environn� de superbes galeries. Quoi qu�il en soit de ces �difices dontnbsp;il ne reste que le souvenir, on convient que leur emplacement r�pond,
-ocr page 75-BASILIQDE DES SAINTS AP�TRES. 71
� peu de chose pr�s, a l��glise des Saints-Ap6tres, y compris la place et les jardins qui I�accompagnent.
Cette �glise est une des huit basiliques Constantiniennes (i). A �iroite, sous Ie vestibule, on voit une aigle romaine parl'aitement con-serv�e. Comme tant d�autres monuments, I�embleme de la puissancenbsp;'nip�riale redit a tous ceux qui entrent ou qui sortent, Ie triomphenbsp;ii�imortel remport� sur les C�sars par les douze p�cheurs �vang�liques.nbsp;Sur Ie seuil du temple un noble souvenir attend Ie p�lerin : c�est icinbsp;�lue saint Gr�goire Ie Grand prononQa deux de ses �loquentes hom�-bes. En avangant il apertjoit a droile une fresque symbolique dans la-�lUelle l�Enfant J�sus est debout sur Ie giron de sa m�re. On sait d�janbsp;�lue cette attitude exprime la foi de l��glise a la divinit� du Sauveurnbsp;a la maternit� divine ; la peinture dont nous parlons est fort an-cienne. A gauche s��l�ve Ie tombeau en marbre du pape Cl�ment XIV,nbsp;�uvre remarquable de la jeunesse de Canova.
Les ap�tres saint Philippe et saint Jacques-Ie-Mineur reposent sous Ie mailre autel. Toujours fid�le a la pens�e catholique, Rome a prisnbsp;soin de former autour d�eux une brillante couronne de saints et denbsp;martyrs. La grille plac�e en avant du sanctuaire ferme un caveau dansnbsp;lequel quinze martyrs, retir�s des catacombes d�Apronius, sur la vdienbsp;Latine, re^oivent les hommages les plus empress�s des p�lerins. Sousnbsp;1 autel de saint Antoine, on conserve les corps de sainte Eug�nie et denbsp;sainte Claudia, sa m�re. 11 serait long de citer en d�tail tons les glo-fteux t�moins de notre foi, dont la pr�sence fait de l��glise des Saints-A^p�tres, un des plus v�n�rables sanctuaires de Rome. Pas une desnbsp;6�lestes hierarchies qui n�y soit dignement repr�sent�e; il suflit denbsp;Dommer saint Laurent, saint Vincent, saint Gr�goire Ie Grand, saintnbsp;Cr�goire Vil, saint Charles Borrom�e, saint Bernardin de Sienne, saintnbsp;b'ran^.ois d�Assise, saint Antoine de Padoue, sainte Agatbe, saintenbsp;brax�de, sainte Marguerite de Cortone. Convenez qu�il serait bien ma-lade Ie cceur qui ne trouverait pas ici un ami autrefois �prouv� parnbsp;m�mes douleurs et aujourd�hui capable de les adoucir {%). Cettenbsp;�glise est Ie si�ge de la Confr�rie des Saints-Ap�tres, qui fut �rig�enbsp;�ous Ie pontificat de Cl�ment VUL II en sera question plus tard; jenbsp;dirai en passant qu�elle est une des oeuvres les plus dignes de la ville,nbsp;tn�re et maitresse non-seuleraent de la foi, mais encore de la charit�.
Quand du palais de I�ambassade de France, contigu a l��glise des Saints-Ap�tres, on se dirige vers Ie Corso, en passant pr�s de la fon-
{') Ciampini parait �tre d�un avis diff�rent. Mon. veter., t. ni, p. 157.
(*) Voyez Mazzol., t. vi, p. 141 et suiv.
-ocr page 76-72 LES TROIS ROME.
laine Trevi, on rencontre plusieurs souvenirs pa�ens d�un m�diocre int�r�t. Ici �tait la maison du po�te Martial; il nous apprend lui-m�menbsp;qu�elle �tait situ�e pr�s de I�eau Martia, dans la rue du Poirier, etnbsp;qu�11 fallait monter trois grands escaliers pour arriver ii ses apparte-ments (i). Plus loin s��levait Ie temple d�di� au Soleil par Aur�lien,nbsp;et dans lequel Fempereur victorieux de FOrient plaga de magnifiquesnbsp;d�pouilles. � C��taient, dit un histori�n, des robes couvertes de pier-reries, des dragons persiques, des tiares et des �tofles de pourprenbsp;d�une telle beaut� que Ie monde remain n�en vit jamais de pareil-les (2). � A cette description Ie m�me auteur ajoute imm�diatement unnbsp;d�tail qui ne semble pas domier une haute opinion du respect desnbsp;pa�ens pour les temples de leurs dieux. Sous les portiques du templenbsp;du Soleil on vendait les vins du fisc, c�est-a-dire les vins qui revenaientnbsp;Fempereur, soit par les contributions, soit par les p�ages (3).
'Ces souvenirs, qui n�avaient pu retarder notre course, nous permi-rent d�arriver promptement a Saint-Marcel. L��glise du glorieux Pontife est situ�e dans Ie Corso, la principale rue de Rome. Pour lanbsp;visiter avec un profond respect, il faut se rappeler une des bellesnbsp;pages de notre histoire primitive. Les chr�tiens �taient dans Ie deuil ;nbsp;Ie pape saint Marcel venait d��tre saisi et livr� au tyran. Pour humi-lier les fid�les, Maxence condamna Ie Souverain Pontife ii garder desnbsp;b�tes renferm�es dans un enclos. Depuis neuf mois il �tait occup� �nbsp;eet abject minist�re, lorsque ses pr�tres trouv�rent moyen de Fenlever.nbsp;Sainte Lucine Ie cacha dans sa maison, situ�e il la place m�me o�nbsp;s��l�ve aujourd�hui F�glise de Saint-Marcel (4). Les brebis s�y r�unis-saient autour du pasteur pour re.cevoir la parole de vie et Ie vin quinbsp;enivrait les martyrs. Cette demeure �tait devenue trop sainte pour
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Sicca domus queritur nullo se rore foveri,
Cum mihi vicino Martia Ibnte sonet.
Epigram., lib. ix, Epigr. 19.
Non est quod puerum, Luperce, vexes,
Longura est si velit ad pirum venire.
Et scalis habito tribus, sed altis, etc.
Epigram., 1.1, Epigr. penult.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Romaj Soli lemplum posuit majore honorifleentia conservatum, quod Orientis victor hostili pra;da ditavit ornavitque... Tune illse vestes, quas in templo Solis videmus,nbsp;conserls genimis, tune persici dracones, et tiarai, tuno genus purpur3e,.quod postea neenbsp;ulla gens detulit, nee Romanus orbis vidit. �Vopisc. in Aiirelian.
(3) nbsp;nbsp;nbsp;Idem.
(4) nbsp;nbsp;nbsp;II s�agit ici de sainte Eucine la Jeune, qu�il ne faut pas confondre avec saintenbsp;Lucine qui donna la sepulture a saint Paul, etc.
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servir encore a des usages profanes ; Lucine en fit don au vicaire de J�sus-Christ, qui la changea en eglise. Maxence ayant appris ce qui senbsp;Passait fit de nouveau arr�ter le Pontife; puis, ajoutant Pimpi�t� a lanbsp;cruaul�, il ordonna qu�on changeftt T�glise en �curie et qu�on la rem-Plit d�animaux, dont le saint pape fut condamn� a prendre soin. Etnbsp;1�on vit le v�n�rable vieillard transform�'en palfrenier ou en bestiaire,nbsp;garder dans une �glise les chevaux, les boeufs et les cochons, jusqu�anbsp;ce que la mauvaise odeur et les privations de tout genre vinssent mettle fin il sa douloureuse existence. Enterr� avec honneur dans la catacombe de sainte Priscille, sur la voie Solaria, il fut plus tard rapport�nbsp;au lieu de sa mort (i); et plac� sous le maitre autel de l��glise quinbsp;Porte son nom, il regoit aujourd�hui les hommages du monde catho-fique sur le th�atre m�me de ses humiliations. Glorieuse vicissitudenbsp;fiont Rome pr�sente a chaque pas de touchants examples! A c�t� dunbsp;Pontife martyr repose saint Phocas, humble jardinier, qui, lui aussi,nbsp;signa la foi de son sang. Un grand nombre d�autres martyrs enrichis-sent de' leurs reliques sacr�es la pieuse �glise de Saint-Marcel : je nenbsp;nomme que sainte F�licit�, 1�h�ro�ne de Carthage, dont le corps senbsp;conserve, en grande partie, sous I�autel de saint Paul.
Trois autres objets attirent la pi�t� des fid�les. Le premier est une image miraculeuse de la sainte Vierge, couronn�e par le chapitre dunbsp;Vatican (2). Lorsqu�une grAce surnaturelle a �t� obtenue par I�interces-sion de la divine M�re, c�est I�usage a Rome et en Italic de couronnernbsp;1�image devant laquelle on I�a sollicit�e. Un cercle d�argent, d�or ou denbsp;pierres pr�cieuses entoure la t�te de Marie, et appelle la devotion ennbsp;Perp�tuant le temoignage de la reconnaissance. Si le premier aspectnbsp;Cette couronne plac�e au centre d�un tableau, semble �trange aunbsp;Voyageur qui en ignore la raison, il devient pour le chr�tien �clair�nbsp;uu motif toujours nouveau de confiance filiale envers celle qui est toutnbsp;� la fois notre m�re et notre soeur. Le second objet est le tombeau dunbsp;Cardinal Gonsalvi. Ge mausolee, qui rappelle 1�aimable, le pieux, I�ha-l*�le n�gociateur, le ministre n�cessaire de Pie VII, se trouve dans lanbsp;chapelle du Crucifix, ou I�illustre diplomate a voulu reposer aupr�s denbsp;son fr�re ch�ri. Le troisi�me est le Crucifix miraculeux devant lequelnbsp;11 est rare de ne pas trouver des fid�les en pri�res. Le 22 mai denbsp;1 an 1519, l��glise s��croula. Dans cet amas de ruines, le Crucifix seulnbsp;fut trouv� intact a sa place ordinaire et la lampe qui 1��clairait tou-
(gt;) Voyez Baron. Annal., t. m, an. 509, n. v.
(2) C�est done 1�auiorii� publique et compelente qui constate le miracle et decide du
couronnement.
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jours allum�e. �ne confr�rie de Liiques, appel�e du Tr�s-Saint-Cru-cilix, rappelle encore aujourd�hui Ie souvenir consolant du fait que je viens de rapporter.
A c�t� de l��glise est Ie palais Doria, un des plus grands de Rome. 11 renferme une belle et nombreuse collection de tableaux ; Albertnbsp;Durer, L�onard de Vinei, Claude Lorrain, Murillo, Michel-Ange, ontnbsp;�crit quelques pages de ce livre immortel. .
En sortant, nous n�e�mes que la rue a traverser, pour nous trouver ii Sainte-Marie-fw-Ffa Lata. J�avoue qu�une vive �motion me saisit ennbsp;mettant Ie pied sur ce nouveau th�atre de notre pieuse curiosit�; etnbsp;comment aurais-je pu m�en d�fendre? Je foulais la terre que Ie grandnbsp;Ap�tre lui-m�me avait foul�e! J�allaisdescendre sous des vo�tes qui re-tentirent de sa voix! J�allais visiter un lieu qui avait vu Paul, Ie fiernbsp;prisonnierdeJ�sus-Christ; Luc,son ins�parablecompagnon; On�sime,nbsp;On�siphore, de Lycaonie, les d�put�s de Philippes, et bien d�autresnbsp;encore dont les noms v�n�rables brillenl d�un si doux �clat dans lesnbsp;annales de la primitive �glise. Au-dessus de la porte d�un escaliernbsp;souterrain, on lit ces paroles qui vous font tressaillir : Cum venisse-mus Romam, permissum est Paulo manere sibimet cum custodientenbsp;se milite (i) : � Lorsque nous fumes venus a Rome, il fut permis i� Paulnbsp;de demeurer libre avec Ie soldat qui Ie gardait (2). � La porte s�ouvritnbsp;et nous descendimes dans Ia prison. C�est bien ici, sous ces vo�tesnbsp;sombres, noircies par Ie temps, et form�es comme toutes les substructions romaines de gros quartiers de travertin, que Ie grand Ap�trenbsp;fut d�pos� en arrivant d�Asie, lors de son premier voyage a Rome.nbsp;C�est ici qu�il s�journa attach� par une chaine au bras d�un soldat,nbsp;pendant deux ann�es enti�res. Trois jours apr�s son arriv�e, Paul,nbsp;dont Ie z�le ne connaissait ni retard ni danger, convoqua dans sa prison les principaux d�entre les Juifs. � Fr�res, leur dit-il, c�est pournbsp;l�esp�rance d�Isra�l que je suis charg� de cette chaine; � et il leurnbsp;prouva que Ie Sauveur J�sus �tait bien Ie Messie attendu de leursnbsp;p�res et annonc� par les Proph�tes. Ni l��loquence surhumaine, ni lesnbsp;fers �loquents du prisonnier ne purent convaincre ces hommes a lanbsp;nuque roide, et Paul leur dit; � Eh bien, sachez que la nouvelle quenbsp;vous repoussez sera envoy�e aux nations; et ils se retir�rent se disputant entre eux. �
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Act. xxviu, 16.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;On sait que chez les Remains il y avait deux series de prisons : la prison publi-que et la libera cuslodia, ou maison particuli�re dans laquelle Ie prisonnier �tait gard�nbsp;a vue.
PRISON DE SAINT-PA�L. nbsp;nbsp;nbsp;75
Cependant FAp�tre parut devant N�ron, une demi-justice lui fut rendue; c�est-a-dire qu�on lui laissasongardien, sa chaine et sa prison,nbsp;roais il lui fut permis de pr�cher : Paul profita largement de cette li-Ijert�. Sa prison ne d�semplissait pas; il annonjait avec assurance Ienbsp;Seigneur J�sus et les v�rit�s du r�gne de Dieu. Le coll�ge des pon-tifes, le s�nat, le pr�toire, le palais m�me en retentirent (i). Non-seu-lement il parlait, il s�occupait encore des besoins de toutes les �glises,nbsp;il �crivait aux fid�les et a ses disciples, lei Epapbrodite, �v�que desnbsp;l'hilippiens, vint lui apporter, au noin de ses ebers neophytes, unenbsp;soinme d�argent; ici, On�sime, le pauvre esclave qui s��tait enfui, ve-nait le prier de lui obtenir sa grace; et Paul lui donnait cette lettrenbsp;si touchante, o� il conjure par ses chaines Phil�mon, le maitre d�On�-sinae, de le recevoir comme son propre Ills. Ici, il �crivait aux Phi-lippiens pour les remercier de leur charit�; aux �ph�siens en leurnbsp;envoyant le Tabellaire Tychicus, qu�il chargeait de leur donner ennbsp;d�tail de ses nouvelles; sa seconde �pitre a son cher Timoth�e, dansnbsp;laquelle il pronongait cette parole si digne de sa grande Sme : � Jenbsp;suis en prison, mais Ia parole de Dieu n�est pas enchain�e. � Puis avecnbsp;une parfaite libert� d�esprit, le prisonnier de N�ron descendait dansnbsp;le'd�tail de toutes les affaires de l��glise et priait son disciple de luinbsp;envoyer sou manteau et ses papiers (2).
Ici, saint Luc �crivait sous les yeux de Paul les Actes des Ap�tres; saint Pierre, on n�en saurait douter, vint lui rendre de fr�quentes visites, et Dieu sait quelles paroles furent �chang�es, quels projets furentnbsp;congus dans cette prison! Heureuses muraillesl parlez done et dites-TOoi ce que vous avez entendu. Mais non, e�est a la foi de le comprendre
au coeur de le sentir. Nous ne vimes qu�un modeste autel, et dans '�n angle pr�s du soupirail, une colonne de granit, entour�e d�unenbsp;�haine antique scell�e � sa base. Avec cette chaine, � cette m�me co-^�nne, la tradition allirme qu�avant sa conversion Martial le ge�liernbsp;aitachait Paul, son captif, et ses autres prisonniers. Une main ing�-fiieuse y a grav� ces mots ,de Paul lui-m�me : Sed verhum Dei nonnbsp;ulligatum- A I�autre extr�mit� de la prison est une source donlnbsp;^ �au limpide reste toujours au m�me niveau. L�Ap�tre la fit miracu-leiisement jaillir pour baptiser Martial et d�autres cat�chum�nes (3).nbsp;Est-il �tonnant qu�un lieu si v�n�rable n�ait pas cess� d��tre entour�nbsp;la pieuse sollicitude des fid�les?
(lt;) Baron., an. 59, n. 7.
(*) Baron., an. 59, n. 10,11 et suiv.
(�) Constanzi, t. ii, p. 49; Mazzol., t. V), p. 515.
-ocr page 80-76 LES IROIS ROME.
Aussi voyons-nous qu�une des plus anciennes diaconies de Rome y 1'ut �tablie; celte date nous reporte aux premiers successeurs de saintnbsp;Pierre. Pendant que 1�autorit� des Pontifes consacrail cette illustrenbsp;prison, Ie z�le des chr�tiens se plaisait a l�embellir. L��glise sup�rieurenbsp;devint un sanctuaire dont la richesse extraordinaire attestera long-temps la reconnaissance de nos a�eux. Une l�gion de martyrs, domin��nbsp;par une image miraculeuse de la sainte Vierge, garde encore aujour-d�hui ce lieu d�apostolique m�moire. Dans ce nouveau ciel o� sont re-pr�sent�s tons les �ges et toutes les conditions, brille surtout Ie cou-rageux diacre saint Agapet, dont Ie corps repose sous Ie maitre autel(i).
Lorsqu�on continue de suivre Ie Corso, on passe, en d�bouchant sur la place de Venise, devant Ie palais Rinuccini, nagu�re propri�t� de lanbsp;m�re de Napol�on. Plus loin est Ie magnifique palais de Venise, antique propri�t� de la fameuse r�publique. Rati en 1468 sous Paul II,nbsp;il sert aujourd�hui d�babitation a l�ambassadeur d�Autriche. L�an-cienne �glise de Saint-Marc est attenante au palais. 11 faut remonternbsp;jusqu�au iv^si�cle pour en trouver l�origine.Le pape saint Marc la biltitnbsp;en 336 et la d�dia a saint Marc �vang�liste. Elle fut renouvel�e parnbsp;Adrien P*', puis restaur�e par Gr�goire IV, en 833. Le maitre autelnbsp;d�une grande magnificence conserve les corps du pape saint Marc etnbsp;des illustres princes persans, Abdon et Sennen, martyris�s dans l�am-phith�dtre. Les peintures de Ia voute sont du Tintoret et le saint Marcnbsp;du P�rugin.
Nos courses en zigzag nous avaient ramen�s a notre point de depart; la place Macel de Corvi et la mont�e de Marforio nous avaient d�j�nbsp;vus; nous les traversames rapidement pour aller nous reposer de nosnbsp;fatigues et compter nos richesses.
L��piphanieJa Rome. � Jlesse laline, grecque, arm�nienne, maronite. � Agapes a la Propagande. � Fetes des Langues. � Impressions.
Le voyageur qui a le bonheur d��tre a Rome le jour de I�Epiphanle, voit de ses yeux le grand miracle du christianisme, la diver site denbsp;tous les peuples dans Vunit� de la foi. II se trouve au centre de cenbsp;foyer lumineux dont les rayons se prolongent sans alt�ration jusqu�auxnbsp;fronti�res du globe, et dont la circonf�rence embrasse 1�univers. C�est
(0 Voyez toute l�histoire de Sainte-Marie-in-Fia Lata, �crite par le savant Martinelli'
-ocr page 81-l'�PIPBANIE a ROME. nbsp;nbsp;nbsp;77
la, sans contredit, un beau, un doux spectacle. Pour en jouir il faut aller a la Propaganda : sa chapelle devient le panorama du catholi-cisme. Ce jour-li les pr�tres des diff�rents rites de I�Orient et de l�Oc-cident, qui se trouvent a Rome, viennent, suivant l�usage, offrir l�au-guste sacrifice dans le c�nacle d�o� partent incessamment les ap�tresnbsp;de toutes les nations. J�y vins moi-m�me, heureux et confus d��tre acteur dans la vaste sc�ne qui se d�ployait aux regards des hommes etnbsp;des anges. Ma messe finie, nous devinmes spectateurs � notre tour.
De la sacristie sort un pr�tre grec; comme aux jours anciens, il Porte une ample chasuble ronde : tout son corps, la t�te except�e, estnbsp;envelopp� dans ce large manteau de soie, finement rehauss� de dessinsnbsp;d�or et de pourpre. Toutes les fois qu�il veut se servir de ses mains,nbsp;il rel�ve sa chasuble par-devant et la tient gracieusement roul�e surnbsp;les bras : la libert� de ses mouvements ne parait nullement g�n�e. Sanbsp;pri�re est une esp�ce de m�lop�e ou de r�citatif cadenc�; ses c�r�monies sont tr�s-vari�es et sa messe dure au moins trois quarts d�heure.nbsp;Mais au fond se trouve toujours la grande, l�indivisible unit� catho-lique : m�me mati�re du sacrifice, m�me victime, m�mes paroles sa-cramentelles. A l�autel voisin �tait un pr�tre melchite. La richesse etnbsp;l�ampleur de ses ornements, la douceur de sa prononciation, le nombrenbsp;des c�r�monies sacr�es, la grace avec laquelle il les accomplissait ;nbsp;tout cela formait un ensemble plein d�harmonie qui disposait le coeurnbsp;aux plus doux sentiments de la pi�t�.
L�Arm�nien, grave, aust�re, parait a son tour. Sa t�te est orn�e d�une esp�ce de tiare surmont�e de la croix; sa chasuble a grands ramagesnbsp;d�or, ressemble a nos chapes. La majestueuse simplicit� des c�r�monies dont il accompagne l�auguste sacrifice, sa belle t�te a caract�renbsp;nniental, sa longue barbe noire lui donnent un air de grandeur et denbsp;^ignit� qui commande le respect. En le voyant a l�autel, je me figu-*'3is saint Basile pontifiant devant l�empereur Valens, et faisant trembler, par la seule majest� de son maintien, le monarque h�r�tique.
Un �v�que maronile vlnt ajouter un rite nouveau � tous ces rites de 1�Orient. II portalt it la main une petite croix semblable a la croixnbsp;pastorale de nos �v�ques; il la tint jusqu�au moment de la cons�crationnbsp;tourn� vers le peuple, il s�en servit plusieurs fois pour le b�nir. IInbsp;eonserva sa mitre ou plut�t sa cidaris, presque jusqu�^ l��l�vation. Lenbsp;diacre et Ie sous-diacre portaient de longues et larges tuniques vertes,nbsp;lermin�es par une bordure de velours violet broch� d�or. Sur leursnbsp;�paules brillait une esp�ce de camail en velours violet avec des rayonsnbsp;*1 Of. Comme celui de toutes les nations soumises a un long esclavage,
T. II. nbsp;nbsp;nbsp;4
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Ie chant des Orientaux est triste et monotone. J�ai oubli� de dire que tous les l�viles �taient rev�lus de longues tuniques roses, rouges ounbsp;vertes avec des croix d�or sur les �paules, sur les bras et sur lapoitrine.
Toutes ces langues, tous ces rites et toutes ces formes qui, malgr� leurs diff�rences viennent se confondre dans la m�me unit�, caract�-risent divinement F�glise catholique. C�est bien ce jour-la que je vis,nbsp;dans r�clatde la parureproph�tique, Timmortelle�pouse de FHomme-Dieu, i laquelle son �poux a doiin�, comme signe distinctif, un v�te-ment broch� d�or et une robe de diverses couleurs (i).
L�ollice achev�, un des directeurs du coll�ge vint m�inviter tr�s-poliment d�jeuner ainsi que mes jeunes compagnons. Nos excuses ne furent point agr��es et il faliut c�der a Fusage. Autour d�une vastenbsp;table vous nous auriez vus, pr�tres de toutes les parties du monde quinbsp;venions de consommer la m�me victime sur Ie m�me autel, romprenbsp;ensemble Ie m�me pain et offrir Ie spectacle de celte grande fraternit�nbsp;que Ie Christianisme seul a pu r�aliser sur la terre. Occidentaux etnbsp;Levantins, Grecs,Arm�niens, Cophtes,Maronites,fr�resqui ne s��taientnbsp;jamais vus et qui probablement ne devaient plus se revoir, tous man-geaient Ie m�me pain, parlaientla m�me langue, �prouvaient les m�mesnbsp;sentiments. Plac�s au milieu d�une soci�t� d�vor�e par F�go�sme, nosnbsp;p�res des premiers si�cles traduisaient dans leurs fraternelles agapesnbsp;Funit� d�amour dont ils trouvaient Ie gage dans la chair et Ie sang d�unnbsp;Dieu, devenus leur aliment; ainsi, sur Ie d�clin du monde, Rome veutnbsp;qu�au jour solennel de F�piphanie tous les pr�tres qui ont c�l�br� lanbsp;messe amp; la Propagande, s�asseoient amp; la m�me table. Voilii bien cettenbsp;�glise catholique toujours la m�me dans son esprit et dans son dogme;nbsp;voila bien cette Rome toujours fid�le au culte des nobles souvenirs.
Pour compl�ter Ie spectacle de Funit� vivante du catholicisme, aux agapes succ�de la F�te des langues ; cette solennit� eut lieu Ie 10 janvier. Rien sous Ie ciel de plus pittoresque et de plus imposant. A Fex-Ir�mit� d�une vaste salie, richement d�cor�e, s��levait une estrade aunbsp;milieu de laquelle apparaissait, sur un pi�destal couvert en veloursnbsp;cramoisi, Ie buste du Saint-P�re, centre auguste de Funit�. L�estradenbsp;et la salie enti�re �taient garnies de si�ges; lii pour les �l�ves de lanbsp;Propagande, ici pour les spectateurs. Les cardinaux prirent place dansnbsp;Fenceinte r�serv�e et la f�te commenga.
Un jeune am�ricain de Philadelphie, faisant les fonctions de pr�sident, ouvrit la s�ance par un discours latin rendu avec une gr�ce par
ti) Astilit Itegina a dextris luis in vestitu deaurato, circumdata varietate. Ps. lU.
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faite. Le souvenir du jour amp; jamais memorable o� Ie Soleil de justice s��tait lev� sur le monde, l�unit� de la foi retrouv�e � la cr�che par lesnbsp;laages de l�Orient, la diffusion de la bienfaisante lumi�re du catholi-cisme jusque dans les sombres for�ts du nouveau monde, et d�autresnbsp;Dobles pens�es, inspir�rent dignement le jeune orateur. Son discoursnbsp;Q��tait qu�une pr�face, et comme le th�me qui allait ��tre d�velopp�nbsp;successivement par les enfants de tous les peuples : il le fut trente-�euf fois de suite, en trente-neuf langues diff�rentes. Nous entendi-ffies tour ik tour l�b�breu, le syriaque, le samarilain, le chald�en,nbsp;l�arabe, le turc, Tarm�nien, le persan, le sab�en, le grec, le p�guan,nbsp;le tamoul, le kurde, le g�orgien, l�irlandais, l��cossais, l�illyrien, lenbsp;bulgare, le polonais, Fallemand, 1�anglais, le hollandais, l�indien, l�es-pagnol, le portugais, le francais, Falbanais, le cophte, F�thiopien etnbsp;du chinois de toutes les esp�ces. Chaque partie du globe avait la sesnbsp;repr�sentants et ses organes, proclamant, chacun dans son idiome, lanbsp;grande unit� calholique. C��tait vraiment comme au jour de la Pen-tec�te a J�rusalem, o� se irouvaient des hommes de toutes les nationsnbsp;qui sont sous le del, proclamant en leurs langues la grandeur denbsp;Dieu. Spectacle unique, saisissant et que Rome seule peut donner.
Or, rien n��tait plus �lrange, plus curieux que d�entendre tous ces sons divers, de voir toutes ces physionomies si diff�rentes. L�Arabenbsp;parle en cadence; le persan en aspirant ses syllabes; le P�guan, ik lanbsp;figure bronz�e, chante plut�t qu�il ne parle son idiome d�une grandenbsp;douceur; le Turc aux cheveux d��b�ne, rend des sons gutturaux; lenbsp;�oir �thiopien fait entendre sa langue douce et forte; � c�t� de luinbsp;Se montre un gentil petit �cossais, au teint de rose, martelant avecnbsp;grfice son apre dialecte : tous avaient command� un religieux silence.nbsp;Mals quafld parurent les Chinois du Chan-si et du Hu-quan Falten-Ron redoubla. Ils apport�rent en tribut une �glogue qui fut accueillienbsp;par de vives acclamations. Ce fut bien autre chose quand les trois in-*^erlocuteurs, se rapprochant, se mirent ik chanter en choeur ; des bat-temenls de main partirent de tous les rangs el se renouvel�rent plu-sieurs fois. L�orateur enfantin qui leur succ�da ne fut pas moinsnbsp;^Pplaudi, c��tait un jeune Chinois de Canton. Une fl�te douce, unenbsp;Riandoline, un petit fifre, tout ce que vous voudrez, pourvu que celanbsp;lt;ihante doucement, et vous aurez la langue cliinoise de Canton dansnbsp;la bouche d�un enfant. Comme bouquet un remerciment fut adress� iknbsp;1 assembl�e en fort bon italien par trois jeunes �l�ves d�environ douzenbsp;Fun Indien, Fautre Turc et letroisl�me Albanais.
Chaque assistant �prouve dans cette f�te calholique un plaisir pro-
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portionn� � ses connaissances linguistiques. Le seul homme dans l�univers capable de le go�ter dans toute sa pl�nitude en �tait priv� :nbsp;l��tonnant cardinal Mezzoffanti trompa tons les yens avides de le con-tcmpler. Ayanl demand� de ses nouvelles, on me r�pondit par la gra-cieuse formule italienne : �poco bene; � II est indispos�. �
Mais quei que soit son degr� d�instruction, il n�est pas un specta-teur s�rieux en qui la F�te des Langues ne produise de vives impressions et ne laisse de prolbnds souvenirs. Comme elle compl�te bien 1��piphanie au point de vue catholique! Dans l�auguste sacrifice,nbsp;offert sur le m�me au tel par des pr�tres de toutes les nations ainsi quenbsp;dans le repas fraternel qui Fa suivi, brille 1�unit� d�amour r�tablienbsp;par F�vangile; ici reparait avec non moins d��clat Funit� de croyancenbsp;malgr� la diversit� des langues : double solennit� qui vous montre lenbsp;catholicisme r�parateur de la chute primitive, ramenant toutes cho-ses a Funit� du temps pour pr�parer celle de F�ternit�. Et puis comment voir sans attendrissement ces jeunes �l�ves de la Propagande?nbsp;Comment les oublier jamais? Nobles enfants des quatre parties dunbsp;monde, venus de cinq ii six mille lieues de leur berceau, pour se pr�parer a Fapostolat et au martyre. Oui, me disais-je, parmi ces jeunesnbsp;gens si bons, si distingu�s, si parfaitement int�ressants, il en est plu-sieurs, un grand nombre peut-�tre, qui dans peu d�ann�es aurontnbsp;expire au milieu des tortures; et je gravais soigneusement leurs nomsnbsp;dans ma m�moire, et je regardais avidement leurs traits dans la pens�enbsp;qu�un jour en lisant les Annales de la Propagation de la Foi, jenbsp;pourrais ajouter : lt;c Ce missionnaire qui vient de signer F�vangile denbsp;son sang, je Fai vu, je Fai entendu. Or, il y a bonheur, gloire et profitnbsp;a rencontrer, m�me une seule fois, sur le chemin de la vie, un saint,nbsp;un martyr.
7 JANYIER.
Le Quirinal.�Temple du dieu Fidius. � Temple de Quirinus. � Place du Quirinal. � Palais. � D�tails sur le Conclave. � Souvenirs. � Enlevement de Pie VII.
Le Quirinal ancien et moderne occupa notre journ�e. Situ� dans Fantique r�gion A'Alta Semita, il offre quelques ruines et beaucoupnbsp;de souvenirs. Les bains de Paulus, situ�s h la base de la montagne,nbsp;occupaient, du moins en partie, la rue appel�e aujourd�hui par corruption Via Magnanapoli. On croit que Fesp�ce de th��tre trouv�nbsp;sous le monast�re de Sainte-Catherine de Sienne, faisait partie de ces
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Ihermes fameux. Quoi qu�il en soit, le jardin Aldobrandini, plac� dans Ic voisinage, s��tend sur le plateau de I�ancienne colline Mutia-fe, c�l�bre par le temple du dieu de la bonne foi, Dius Fidius. Unnbsp;fragment de marbre represente les �l�ments de la bonne foi, tels qu�ilsnbsp;�taient compris par les anciens. A droite on voit un homme dans lanbsp;pl�nitude de la force, avec I�habit de paix, et ce mot : Honor. A gau-cbe est line figure de femme dans le m�me costume et couronn�e denbsp;laurier, avec ce mot : Veritas. Ces deux personnages se donnent lanbsp;*tiain. Entre eux parait un gracieux enfant, au regard pudique, dontnbsp;la t�te est entour�e de ces paroles ; divs fidivs. Sur un autre d�bris,nbsp;au lieu des paroles pr�c�dentes on lit : Amor, et plus haut ; Fidei si-*nulacrum. Le temple de Fidius �tait d�couvert, afin que les dieux denbsp;1�Olympe fussent spectateurs des rites qui s�y accomplissaient. Ainsi,nbsp;aux yeux des Remains, I�lionneur, la v�rit�, I�affection dans le coeurnbsp;des contractants et le Ciel pour t�moin, telles �taient les garanties denbsp;la foi jur�e : il �tait, ce me semble, difiicile de mieux choisir. C�estnbsp;dans le temple de Fidius que le patriotisme romain conservait, avecnbsp;�n noble orgueil, la quenouille et le fuseau de �anaquille, femme denbsp;Tarquin l�Ancien (i).
Non loin de la et pr�s de Saint-Andr�-des-J�suites, s��levait le temple de Quirinus : on sait que Quirinus n��tait autre que Romulus.nbsp;Ge prince �tant mort, le peuple soupgonna les s�nateurs de l�avoirnbsp;assassin�; une guerre civile devenait imminente, lorsque Julius Pro-culus vint affirmer avec serment que Romulus, environn� d�une gloirenbsp;surhumaine, lui �tait apparu sur la colline appel�e depuis le Quiri-^lt;^1, et qu�il l�avait charg� d�annoncer aux Remains un empire �ter-*^al. En cons�quence, Romulus fut plac� parmi les dieux, sous le nomnbsp;de Quirinus, et ador� dans un temple bati sur la montagne. Get �di-fice reQut du dictateur Papirius le premier cadran solaire qu�on ait vunbsp;^ Rome. La Fortune puh�que, le Salut et je ne sais combien d�autresnbsp;dieux masculins et f�minins avaient leurs sanctuaires dans les envi-*quot;008. Au m�me lieu �taient aussi les thermes de Constantin, magnifi-*lue construction, dont le plus bel ornement, peut-�tre, �taient lesnbsp;deux chevaux en marbre blanc qu�on voit aujourd hui devant le palaisnbsp;du Quirinal.
Ce palais commenc� par Paul III, continu� par Gr�golre XIII, par Sixte V et Cl�ment VIII, fut achev� par Paul V, de la familie Bor-�R�se. Les Souverains Pontifes l�habitent pendant l��t�, paree qu�il
b) Plin., 1. viii, c. 48.
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est dans un quartier plus salubre que Ie Vatican. Vers Ie mois d�octo-bre Ie Saint-P�re quitte celte nouvelle demeure et va passer les mois de la malaria amp; Gastel-Gandolfo, situ� a quatre lieues de Rome, surnbsp;les hauteurs d�Albano. Au Quirinal comme au Vatican, les beaux-artsnbsp;se sont donn� rendez-vous. La cour d�honneur, la salie royale, la cha-pelle Pauline restaur�e par ordre de Pie VII, t�moignent du gout exquis des peintres et des sculpteurs et de la magnificence des Pon-tifes. Jusqu�a ces derniers temps les conclaves s��laient presquenbsp;toujours assembl�s au Vatican; ils se tiennent maintenant au Quirinal (i).
Cette circonstance oblige Ie voyageur chr�tien � faire une �tude particuli�re d�un palais o� Ie monde catholique refoit son chef, et lanbsp;glorieuse chaine des Pontifes Ie nouvel anneau qui doit la prolonger anbsp;travers les si�cles. Mais, pour devenir int�ressante, cette �tude exigenbsp;quelques d�tails sur l��lection du pape.
Lors done que ie Saint-P�re est expir�, Ie cardinal camerlingue, en habit violet, se pr�sente a la porte de sa chambre, qu�il frappe troisnbsp;fois avec un marteau d�or, appelant a chaque fois Ie pape a haute voixnbsp;par ses noms de bapt�me, de familie et de pape. Apr�s une l�g�renbsp;pause, il dit en pr�sence des Clercs de la chambre et des Notairesnbsp;apostoliques qui prennent acte de cette c�r�monie : II est done mort.nbsp;On apporte au m�me cardinal Panneau du p�cheur, et il Ie casse avecnbsp;Ie m�me marteau en pr�sence du sacr� Coll�ge, les morceaux en ap-partiennent au maitre des c�r�monies. Apr�s avoir pris possession dunbsp;Vatican, il envoie des gardes pour se saisir du chateau Saint-Ange etnbsp;des portes de la ville. Lorsqu�il a pourvu � la s�ret� de Rome il sortnbsp;du palais en carrosse, pr�c�d� du capitaine des gardes du pape, et en-vironn� des hallebardiers suisses qui accompagnent ordinairement Sanbsp;Saintet�. Au d�part du cort�ge on sonne la grosse cloche du Capitole,nbsp;qui annonce la mort du Souverain Pontife; au m�me instant les clo-cles de toutes les �glises remplissent la ville de leurs sons fun�bres.nbsp;Pendant que les fid�les sont en pri�res, Ie magistral remain rassemblenbsp;la milice du Capitole el l�envoie, sous la conduite des Pr�sidenls L�-gionnaires, tirer de prison les coupables retenus pour des d�lits denbsp;peu de gravit�. De son c�t�, Ie sacr� Coll�ge d�pute des courriers ex-traordinaires a tous les cardinaux absents de Rome, pour les inviter anbsp;se rendre au conclave.
(i) Notizie istoriche delle stagioni, etc., da Francesco Cancellieri, p. 69. � Caaremo-niale continens ritus electionis romani Pontificis, etc., cui prajfiguntur constitutiones pontificise et conciliorum decreta ad earn rem pertinenlia. In-4o, Romse,
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Cependant Ie corps du Saint-P�re demeure expos� durant neuf jours dans la basilique vaticane, a la vue de tout Ie peuple qui vientnbsp;en foule lui baiser les pieds. Le neuvi�me jour on prononce l�oraisonnbsp;fun�bre et on d�pose le pape d�funt dans un tombeau provisoire. Lenbsp;lendemain, les cardinaux s�assemblent a Saint-Pierre, et le cardinalnbsp;doyen y dit la messe du Saint-Esprit, pour l��lection du nouveaunbsp;Pontife. Dans la journ�e le sacr� Coll�ge se r�unit dans l��glise denbsp;Saint-Sylvestre au Quirinal, d�o� il part, au chant du Fem Creator,nbsp;pour se rendre processionnellement au conclave. L�immense c6t� dunbsp;Quirinal, qui longe la Yia Pia, est divis� dans toute sa longueur ennbsp;cellules ferm�es par de simples cloisons en planches. Ghaque celluienbsp;se compose de diff�rentes petites pi�ces et cabinets, et chaque cardinal a la sienne pour lui et ses conclavistes. La chambre du cardinalnbsp;sulEt a peine pour contenir un lit, cinq ou six chaises et une table :nbsp;la pi�ce qui suit est destin�e pour un conclaviste. Au-dessus de cellenbsp;du cardinal est une chambre pour un second conclaviste, avec deuxnbsp;pi�ces � c�t�, dont Pune sert de chapelle et I'autre de salie it manger.nbsp;Toutes les cellules sent tendues de serge verte en dehors et en dedans,nbsp;except� celles des cardinaux cr��s par le pape d�funt, qui sont ta-.nbsp;piss�es de serge violette en dehors, et en dedans d�une serge de lainenbsp;de m�me couleur ; chaque cardinal fait meltre ses armes sur la porienbsp;de son logement.
Lorsque les cardinaux sont arriv�s au conclave, on leur donne lecture des huiles concernaut F�loction du pape, el tous jurent de les observer. Le maitre des c�r�monies leur repr�sente qu�ils ne doiventnbsp;pas s�enferraer au conclave, s�ils n�ont pas I�intention d�y rester jus-Qu�a la fin, comme les bulles le prescrivent. Le gouverneur du conclave et le marechal de la Sainte-�glise commencent alors h placernbsp;Icurs soldats dans les lieux ou ils le jugent n�cessaire pour la suret�nbsp;tic l��lection. Les princes de l��glise entr�s dans leurs cellules, onnbsp;tnure les portes du palais ainsi que les fen�tres it I�exception d�unnbsp;Panneau; ce qui ne laisse p�n�trer dans le conclave qu�un demi-jour,nbsp;favorable au recueillement. On pratique une communication avec lenbsp;dehors par des tours, a peu pr�s semblables it ceux des couvents denbsp;feligieuses. Ces tours ont deux serrures. Tune int�rieure, I�autre ext�rieure; il en est de m�me de la seule porie qui ne soit pas mur�e etnbsp;fiui ne doit s�ouvrir que pour la sortie des cardinaux ou de leurs conclavistes, tomb�s malades dans le conclave. Les clefs de la serrure exterieure des tours sont confides au pr�lat gouverneur du conclave;nbsp;Celles de la serrure int�rieure restent entre les mains du maitre des
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c�r�monies. Le prince Savelli garde les clefs ext�rieures de la porte principale. C�est un privil�ge accord� par les papes �i sa familie quinbsp;est d�une noblesse fort ancienne. Pendant toute la dur�e du conclavenbsp;il restenuit et jour a la garde de cette porte, a la t�te d�un nombreuxnbsp;d�tachement de troupes. Le cardinal camerlingue tient les clefs in-t�rieures de cette m�me porte; aussi bien que celles d�un petit gui-chet que l�on ouvre seulement pour les audiences donn�es par les car-dinaux chefs d�ordre, aux ambassadeurs des puissances catholiques.
Vers le soir, le cardinal doyen et le cardinal camerlingue font la visite pour voir si tout est dans l�ordre. II ne reste dans le conclave outre les cardinaux et leurs conclavistes que les quatremaitres des c�r�monies, le secr�taire du sacr� Coll�ge, quelques religieux pour ser-vir de confesseurs, deux m�decins, un chirurgien, un apothicairenbsp;avec deux gargons, deux barbiers et deux aides, un maitre magon, unnbsp;maitre charpentier, et environ trente valets appel�s facchini, pournbsp;faire le plus rude service. A 1�heure du repas, les officiers des cardinaux vont prendre dans les cuisines les mets destin�s a leurs maitres.nbsp;En arrivant au tour, ils nomment leur cardinal a haute voix, aCn quenbsp;le conclaviste qui attend dans l�int�rieur fasse prendre les plats parnbsp;des valets charg�s de les porter dans la celluie du cardinal. Lorsqu�onnbsp;a pass� tout ce qui compose le repas, un censeur en robe violette, tenant une masse d�argent a la main, ferme a l�ext�rieur la fen�tre desnbsp;tours, et le pr�lat assistant y applique le scell� avec ses armes. Lenbsp;maitre des c�r�monies fait la m�me chose a l�int�rieur. Les pr�lats quinbsp;assistent aux tours sont d�put�s du sacr� Coll�ge. Ce poste d�honneurnbsp;et de confiance est occup� par des �v�ques, des Auditeurs de Rote,nbsp;des Clercs de la chambre et des Conservateurs remains. Quand onnbsp;veut parler i un cardinal ou a toute autre personne renferm�e dans lenbsp;conclave, on doit se pr�senter aux heures fix�es; la conversation nenbsp;peut avoir lieu qu�en pr�sence des gardes du conclave, ii haute voix,nbsp;et en italien ou en latin afin que tout le monde l�entende. Telles sontnbsp;en g�n�ral les pr�cautions prises pour emp�cher toute communicationnbsp;avec Text�rieur, et procurer la libert� du conclave en le d�gageant denbsp;toute sollicitation �trang�re.
Aux mesures de la prudence humaine se joignent les moyens d�un ordre sup�rieur. Par ordre du cardinal vicaire tous les pr�tres disentnbsp;a la messe, et cela pendant toute la vacance du Saint-Si�ge, la collectenbsp;pro eligendo summo Ponlifice. Conform�ment a la Constitution denbsp;Gr�goire X, le Saint-Sacrement est expos� dans un grand nombrenbsp;d��glises, comme pour les Quarante heures. Pendant que les diverses
D�TAILS SUB LE CONCLAVE. 85
confr�ries de Rome viennent Ie visiter Ie matin et Tapr�s-midi, en chantant les litanies et r�citant les pri�res indiqu�es pour la circon-stance, Ie clerg� s�culier et les religieux mendiants se rendent chaquenbsp;jour en procession de l��glise des Saints-Ap�tres au palais du Quintal, pour obtenir un heureux choix. A l�int�rieur, Ie sacr� Coll�ge nenbsp;cesse d�invoquer les lumi�res d�en haut. Le lendemain de l�cntr�e aunbsp;conclave, le cardinal doyen dit une messe basse du Saint-Esprit, h la-quelle communient tous ses coll�gues qu�il exhorte a travailler s�rieu-sement a l��lection. Aussit�t la grande affaire commence, et chaquenbsp;jour, soir et matin, les cardinaux s�assemblent a la chapelle duscrutin.nbsp;La convocation de l�assembl�e se fait de cette mani�re : a six heuresnbsp;du matin et a deux heures apr�s midi, un des maitres des c�r�moniesnbsp;parcourt tout le conclave pour avertir les cardinaux, en sonnant unenbsp;clochette et en disant: Ad capellam, Domini; d la chapelle. Eminences. Tous les soirs, sur les neuf heures, le m�me maitre des c�r�monies annonce avec sa clochette la retraite, en disant ces mots : Ad cel-lam, Domini; d la celluie, Eminences.
Le scruiin se fait avec une grande solennit�. Au milieu de la chapelle Pauline est une longue table, portant deux calices destines a re-cevoir les billets. Sur la m�me table est la formule du serment que chaque cardinal prononce avant de d�poser soa vote; en voici la teneur (i) : (c Je prends a t�moin J�sus-Christ Notre-Seigneur qui doitnbsp;me juger, que j��lis celui que je crois, selon Dieu, devoir �tre �lu, etnbsp;que je ferai la m�me chose ii Vaccessit. � On a recours a Yaccess�,nbsp;lorsque le scrutin ne donne i aucun candidat les deux tiers des suffrages, qui est le nombre requis pour �tre �lu. Dans ce cas, les cardinaux peuvent voter pour celui qui a r�uni le plus de voix ; ils acc�-dent ainsi h leurs coll�gues, et de la vient le nom donn� a cette formenbsp;d etection. Disons en passant que eet usage remonte a l�anciennenbsp;Lome. Le s�nateur, qui �tait de l�avis d�un autre, se levait de sa placenbsp;s�approcbait de lui; ou, s�il ne voulait pas la quitter, il disait toutnbsp;Laut; Accedo ad idem; je vote comme un tel.
Pour entretenir la bonne harmonie entre les nations et le Souverain Pontife, l��glise veut bien accorder aux grandes puissances catholi-ques le droit d�exclure le cardinal qui ne leur est pas agr�able. (2).nbsp;L Autriche, la France et l�Espagne jouissent de ce droit de veto. Maisnbsp;d faut observer que chaque couronne ne peut donner Fexclusion qu�a
_ (1) � Testor Christum Dominum qui me judicaturus est, eligere quem secundum Deum Judico eligere debere,et quod idem in accessu prasstabo. �
(2) II en est qui pr�tendent que c�est un droit usurp�, on ne salt quand, ni par qui.
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un seul. Pour neutraliser, dans certains cas, cette influence qui pour-rait �loigner injustement du pontifical les membres les plus v�n�ra-bles du sacr� Coll�ge, Ie conclave fait usage de toute son habilet�. S�a-perQoit-il que telle ou lelie puissance veut faire donner 1�esclusion a quelqu�un? il ne manque pas de proposer un autre candidat qu�onnbsp;sait n��tre pas agr�able a cette couronne : ce dernier est presque tou-jours exclu. Apr�s avoir fait prendre Ie change a la puissance int�res-s�e, Ie conclave revient au premier candidat, qui ne peut plus �trenbsp;exclu par cette puissance; car elle a �puis� son droit.
Nous avons dit, ailleurs, que, suivant la bulle de Sixte V, les deux tiers des suffrages sont n�cessaires pour l��lection. Lorsque les scruta-teurs ont reconnu qu�un membre du sacr� Coll�ge a r�uni cette ma-jorit�, un d�entre eux, �levant fortement la voix, proclame Ie nom dunbsp;cardinal, en disant: Cardinalis N.; Ie cardinal N. Ce nom est � peinenbsp;prononc� que Ie dernier cardinal-diacre sonne la clochette; a ce signalnbsp;Ie maitre des c�r�monies et Ie secr�taire du sacr� Coll�ge entrent dansnbsp;la cliapelle; puis les trois cardinaux chefs d�ordre s�avancent devant Ienbsp;cardinal �lu, et Ie cardinal doyen lui dit : (c Acceptez-vous l��lectionnbsp;qui vient d��tre faite canoniquement de vous pour Ie souverain pontifical (i) ? � Aussit�t Ie consentement obtenu, tous les petits baldaquinsnbsp;plac�s sur les si�ges occup�s par les cardinaux s�abattent; celui dunbsp;nouveau pape reste seul. Les cardinaux qui sont a la droite et a lanbsp;gauche du nouvel �lu, s��loignent de lui, et quittent leur place par unnbsp;sentiment de respect; c�est un premier hommage qu�ils rendent � lanbsp;sup�riorit� qu�il vient d�acqu�rir sur eux, et comme une d�clarationnbsp;tacite qu�ils cessent d��tre ses �gaux.
Alors Ie cardinal doyen Ie prie de faire connaitre Ie nom qu�il veut prendre. Jusqu�en 1009, les papes conservaient leur nom de bapt�me;nbsp;mais Ie pape nomm� cette ann�e-li s�appelait Pierre; il ne voulut pasnbsp;porter Ie nom sacr� donn� par N.-S. au saint Ap�tre, et il prit celuinbsp;de Sergius IV. Depuis, les papes ont toujours pris un nouveau nomnbsp;en montant sur Ie saint Si�ge. Cette formalit� remplie, Ie premiernbsp;maitre des c�r�monies dresse un acte authentique de l��lection; apr�snbsp;quoi les deux premiers cardinaux-diacres conduisent Ie nouveau papenbsp;derri�re Ie maitre autel o� les maitres des c�r�monies Ie rev�tent desnbsp;ornements de sa dignit�. La soutane de moir� blanche, la ceinture anbsp;glands d�or, Ie rochet de fin lin, Ie camail de satin rouge bord� d�her-mine, 1 etole brod�e d�or, les bas blancs, les mules de velours rouge,
(i) Acceptasne electionem de te canonice factam in summum pontificem?
D�TAILS SUB LE CONCLAVE. nbsp;nbsp;nbsp;87
orn�es de la croix d�or, composent riiabillement du nouveau Pontife. On Ie porte dans son fauteuil plac� sur Ie marcliepied de l�autel. Lesnbsp;cardinaux, en commenfant par Ie doyen, viennent lui baiser Ie pied,nbsp;puis la main, et Ie Saint-P�re leur donne Ie baiser de paix au visage.nbsp;Le cardinal camerlingue passe au doigt du pape Fanneau du p�clieur,nbsp;que Sa Saintet� confie ensuite au maitre des c�r�monies charg� d�ynbsp;faire graver Ie nom du nouveau successeur de saint Pierre. C�est alorsnbsp;que le premier cardinal-diacre, pr�c�d� du premier maitre des c�r�monies et de la musique papale qui chante Fantienne : Ecce Sacerdosnbsp;Magnus; void le Grand Pontife, se rend ii Ia loge qui donne sur Ianbsp;place du Quirinal, pour averlir le peuple assembl� de F�lection dunbsp;pape. A la vue du cardinal, un long fr�missement parcourt la foulenbsp;immense, puis un silence religieux s��tablit, et d�une voix forte Ienbsp;prince de F�glise prononce lentement ces paroles solennelles : � Jenbsp;�vous annonce une grande joie; nous avons pour pape FEminentissimenbsp;et R�v�rendissime N. N. du titre de S. N. cardinal de la sainte �glisenbsp;romaine, N. qui a pris le nom de N. (i). � A ces mots de transports denbsp;joie �clatent de toutes parts; les tambours battent aux champs, lesnbsp;clairons �clatent; la grande coulevrine du chateau Saint-Ange retentit,nbsp;et le bruit de toule Fartillerie de Rome se m�le au son des cloches denbsp;ses trois cents �glises. Suivant un ancien usage le peuple rompt lesnbsp;cl�tures du conclave et prend tout ce qu�il trouve; aussi les cardinauxnbsp;ont-ils soin de mettre a couvert ce qu�ils veulenl sauver. Cependantnbsp;le Saint-P�re, rev�tu des ornements. pontificaux, et port� sur Fautelnbsp;de la chapelle Pauline, o� il revolt de nouveau les hommages du sacr�nbsp;Coll�ge, en pr�sence de tout le peuple et apr�s le chant du Te Deum,nbsp;il b�nit Fassembl�e. Le soir toute la ville est illumin�e et le Saint-P�re fait distribuer aux pauvres une grande quantit� de pain, de vinnbsp;et d�argent.
Lorsque le jour du Couronnement est venu, on porte le Souverain Pontife dans la basilique de Saint-Pierre, au milieu de la pompe lanbsp;plus solennelle. Pendant que le cort�ge descend Fescalier royal, lesnbsp;ehantres de la chapelle ex�cutent YEcce Sacerdos Magnus. Sa Sain-*�010 est regue sous le portique par le chapitre de Saint-Pierre, quinbsp;ehante la sublime antienne : Tu es Petrus; le Saint-P�re descend denbsp;l3 Sedia devant Fautel du Saint-Sacrement, et va s�asseoir sur Fautelnbsp;qui est devant la chaire de saint Pierre. Pendant qu�il y regoit Fhom-
(i) Annuntio vobis gaudium magnum : habemus papam, Eminentissimum ac Reve-rendissimum Dominum N. N. tituli S. N. Sanctae romaaa: Ecclesise cardinalem N... qui nomen imposuit N...
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LES TROIS ROME.
image des cardinaux, on chante Ie Te Deum; et Ie nouveau Pontife b�uit pour la premi�re fois Ie peuple Immense qui reroplit la vastenbsp;Basilique.
Le couronnement a lieu d�ordinaire Ie dimanche qui suit l��lection; il se fait ii Saint-Pierre. Depuis saint Sylvestre, a qui Constantin lanbsp;donna, les papes ont toujours port� la couronne, symbole de la royaut�nbsp;et du pouvoir conf�r� a saint Pierre sur toute l��glise par J.-C. Unenbsp;seconde couronne fut ajout�e � la premi�re, sinon par Nicolas II, ennbsp;1038, du moins par Bonifac� VIII, en 1294, et au plus tard par Cl�ment V, en 1303 ; Benoit XII, en 1534, Urbain V, en 1362, ou, selonnbsp;d�autres, Boniface IX, en 1389, prirent la troisi�me (i).
Arriv� a son tr�ne le Saint-P�re entonne Tierce, pendant laquelle Sa Saintet� se rev�t des habits pontilicaux. Les cardinaux, les pr�latsnbsp;et les �v�ques prennent leurs ornements blanes et leur mitre, et onnbsp;fait la procession autour du choeur. Pendant la marche, un maitre desnbsp;c�r�monies porte a la main un long baton argent�, a Pextr�mit� du-quel sont li�es des �toupes de soie. Parvenu a la chapelle des SS. Proces et Martinien, il se retoUrne, fait une g�nuflexion devant le Pontife,nbsp;un clerc de la chapelle allume ces �toupes, et le maitre des c�r�moniesnbsp;se rel�ve en chantant: Pater Sancte, sic transit gloria mundi; Saint-P�re, ainsi passe la gloire du monde!
Au retour de la procession la messe commence. Le Gloria in ex-celsis termin�, un grand mouvement se remarque dans le choeur : le premier cardinal-diacre, accompagn� des auditeurs de Rote et des avo-cats consistoriaux, descend au tombeau des ap�tres Pierre et Paul,nbsp;sous 1�autel de la Confession; et de la chapelle souterraine s��l�ve lenbsp;cri trois fois r�p�t� ; Christ, exaucez-nous. Le choeur : A Notre Seigneur N. choisi de Dieu pour Souverain Pontife et Pape universel,nbsp;la vie (2). Ce sont les litanies du couronnement dont l�origine se perd
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Voir pour tous les d�tails qui pr�c�dent et qui suivent; Riganti, De regul. Cancell.;nbsp;Rocca, Thesaur. antiquit.; Cancellieri, Notizie dei diversi sUi in cui sono stati tenuti inbsp;conclavi nella citta di Rorna; Coeremoniale continens ritus electionis S. Pontif Romse,nbsp;in-4�; Chapelles Papales, par G. Mozoni, etc.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Exaudi, Christel ie choeur : Domino Nostro N. a Deo decreto Summo Pontifici etnbsp;universal! Pap� vita!
Exaudi, Christe 1 Le choeur: Domino Nostro N. a Deo decreto Summo Pontifici et universal! Pap� vita!
Exaudi, Christel te ctenrDomino Nostro N. aDeo decreto Summo Pontifici et universal! Pap� vita!
Salvator mundi! ie chmur ; Tu ilium adjuva!
Salvator mundi! ie clmur : Tu ilium adjuva!
Salvator mundi! ie choeur ; Tu ilium adjuva!
D�TAILS SDR LE CON'CLAVE. nbsp;nbsp;nbsp;89
dans la nuit des si�cles. Je ne sais s�il existe quelque chose de plus solennel que cettepri�re qui, s��levant de la tombe apostolique, traversenbsp;la sublime coupole et monte directement au ciel.
Apr�s la messe, Ie Saint-P�re reQoit les insignes de la double dignil� de pontife et de roi qui l��l�ve au-dessus de toules les puissances visibles. Le cardinal-diacre lui met Ie Pallium en disant : � Recevez Ienbsp;Pallium, insigne de la pl�nitude du pouvoir pontifical, pourl�honneurnbsp;du Dieu tout-puissant, de la tr�s-glorieuse Vierge Marie sa m�re, etnbsp;des bienheureux ap�tres Pierre et Paul, et de la sainte �glise ro-Hiaine (i). � Le Saint-P�re monte ensuite sur la grande loge du Vatican, et le premier cardinal-diacre, a qui est r�serv� l�honneur ,'de lenbsp;couronner, lui met sur la t�te la Tiare, embl�me de la puissance royale,nbsp;en disant ; � Recevez la Tiare, orn�e d�une triple couronne, et sacheznbsp;que vous �tes le p�re des princes et des rois, le mod�rateur du monde,nbsp;le vicaire sur lerre de Notre-Seigneur J�sus-Cdirist, a qui soit honneurnbsp;et gloire aux si�cles des si�cles. Ainsi soit-il (a). �
Le Saint-P�re b�nitle peuple, puisle doyen du sacr� Coll�ge, au nom de tous les cardinaux, vient lui faire le compliment Ad multas annos,nbsp;lui souhaitant de longues ann�es de pontifical. A ce moment fortun�,nbsp;Rome est dans l�all�gresse : rartillerie du chateau Saint-Ange, toutenbsp;l�infanterie et la cavalerie rang�es en bataille sur la place Saint-Pierre,
Sancta Maria! Le clmur : Tu ilium adjuva!
Sancta Maria! Le chaeur : Tu ilium adjuva!
Sancte Michael! Le choeur : Tu ilium adjuva!
Sancle Gabriel! Le chaeur : Tu ilium adjuva!
Sancte Raphael! Le chwur : Tu ilium adjuva!
Sancte Joannes Baptista! Le chaeur : Tu ilium adjuva!
Sancte Petre! Le choeur : Tu ilium adjuva!
Sancte Paule! Le choeur : Tu ilium adjuva!
Sancte Andrea! Le choeur : Tu ilium adjuva!
Sancte Stephane! Le choeur : Tu ilium adjuva!
Sancte Leo! Le choeur : Tu ilium adjuva!
Sancte Gregori! Le choeur : Tu ilium adjuva!
Sancle Benedicte! Le choeur : Tu ilium adjuva!
Sancte Basili! Le chwur : Tu ilium adjuva!
Sancte Saba! Le chwur : Tu ilium adjuva!
Sancta Agnes! Le chwur ; Tu ilium adjuva!
Sancta Catcilia! Le chwur : Ta ilium adjuva!
Sancta Lucia! Le chwur : Tu ilium adjuva!
(lt;) Accipe Pallium, signum plenitudinis ponlificalis oflicii, ad honorem omnipotenlis Pei et gloriosissimae Virginis Mari� ejus matris, et beatorum apostolorum Petri et Pauli,
sancta: Romana: Ecclesia:.
(a) Accipe Tiaram tribus coronis ornatam, et scias te esse patrem principum et regum, rectorum orbis, in terra vicarium Salvatoris nostri Jesu Christi, cui est honor et glorianbsp;tu ssecula sseculorum. Amen.
90 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
font une d�charge g�n�rale; Ie soir, la ville enli�re est illumin�e.
Roi, Ie Souverain Pontife a re�u la couronne royale dans la basili-quevaticane; Ev�qiie, illui reste ii prendre possession de son �v�ch�. G�est amp; Saint-Jean-de-Latran qu�a lieu l�auguste c�r�monie du j30sse.sso.nbsp;Cette �glise lient Ie premier rang entre toutes les �glises catholiques;nbsp;elle est la cath�drale du monde, car elle est la cath�drale de Rome :nbsp;voila pourquoi l��v�que du monde, l��v�que de Rome s�y rend apr�snbsp;son couronnement. Afin d�attirer les b�n�dictions du Ciel sur cetlenbsp;d�marche solennelle, Ie Saint-P�re fait distribuer la veille d�abon-dantes aum�nes, fait des fondaiions pieuses, et donne aux arts de pr�-cieux encouragements. Le sacr� Coll�ge, les pr�lats, les chefs d�ordre,nbsp;toutes les autorit�s romaines se rendent au palais habil� par le Pape.nbsp;A l�heure indiqu�e le brillant cort�ge se met en marche et traverse lanbsp;ville en passant par le Capilole, o� un are de triomphe attend le Pon-life-Roi. Les clefs de la forteresse lui sont pr�sent�es par le s�nateur,nbsp;tenant un sceptre d�ivoire a la main. On franchit le Forum, on passenbsp;sous l�arc de Titus et par le Colis�e; en sorle que le successeur denbsp;Pierre le Galil�en traverse, en triomphateur, lous ces lieux c�l�bresnbsp;par la cruaut� des tyrans et par le carnage des martyrs. Depuis l�arcnbsp;de Titus jusqu�au Colis�e, les Juifs font tapisser le chemin et le bor-dent ii droite et a gauche d��criteaux sur lesquels on lil des sentencesnbsp;en h�breu et en latin, appliqu�es au nouveau pape. Le grand rabbin,nbsp;a la t�te de ses confr�res, pr�sente a Sa Saintel� une bible h�bra�que.nbsp;Le Saint-P�re la regoit et leur dit : � C�est en vain que vous attendeznbsp;le Messie que ce livre divin promet, il y a plus de dix-huit si�clesnbsp;qu�il est venu; ne r�sisiez pas plus longtemps a l��vidence. � Et ilnbsp;prie le Seigneur d��ter le bandeau fatal qui leur d�robe la lumi�re.
Arriv� sous le portique de Saint-Jean-de-Latran, le Souverain Pontife est compliment� par le cardinal-archipr�tre, au nom du chapitre. Les clefs de la basilique. Tune en or, et l�autre en argent, lui sontnbsp;pr�sent�es dans un bassin en vermeil rempli de fleurs. C�est alors quenbsp;la musique chante ces paroles du proph�te : lt;t II a �lev� de terre l�in-digent, afin de le placer parmi les princes de son people. � Toute lanbsp;basilique est tapiss�e de tentures rouges frang�es d�or, avec des inscriptions relatives � la c�r�monie. Apr�s l�hommage du sacr� Coll�ge et le chant du Te Deum, le Saint-P�re assis sur son tr�ne regoitnbsp;du premier cardinal-diacre des m�dailles frapp�es a l�occasion de sanbsp;prise de possession. Chaque cardinal en regoit deux dans sa mitre.nbsp;Tune d�or, l�autre d�argent, et baise en m�me temps la main du Saint-P�re. Le cort�ge se remet en marche et se rend sur la galerie du por-
ENLEVEMENT DE PIE VII. nbsp;nbsp;nbsp;91
tique, d�oii le Souverain Pontife donne la b�n�diction solennelle; puis on jette sur toute la foule de nombreuses poign�es de petites pi�cesnbsp;�i�argent, frapp�es expr�s aux armes du pape, en disant ces paroles :
a distribu� et donn� aux pauvres; dispcrsit, dedit pauperibus.
Telles sont les principales c�r�monies qui pr�c�dent, qui accompa-gnent et qui suivent l��lection du vicaire de J�sus-Christ. On est heu-reux de visiter, au milieu de ce cort�ge d�imposants souvenirs, le palais O� s�accomplit le grand �v�nement; mais si le Quirinal vous redit la gloire de la papaut�, il vous rappelle aussi ses douleurs. Pouvions-�OUS oublier, nous voyageurs francais, ce qui se passa dans ce palaisnbsp;c�l�bre la nuit du 5 au 6 juillet 1809? Le g�n�ral Radet, envoy� deTos-cane pour enlever le v�n�rable Pie Vll, avail cern� le palais. Desnbsp;�chelles, appliqu�es aux murs du jardin, et ^ Tare qui joint le Quirinalnbsp;^ la rue voisine, avaient permis aux satellites de s�introduire dans lanbsp;demeure du Pontife : nulle r�sistance n�est oppos�e a leur entreprisenbsp;sacril�ge. Radet, � la t�te de ses sbires, se trouve li trois heures dunbsp;niatin sur le seuil de la chambre occup�e par le Saint-P�re. Quelquesnbsp;instants apr�s, le vicaire de J�sus-Christ, accompagn� de son fid�lenbsp;ministre, le v�n�rable cardinal Pacca, est enferm� dans une voiture etnbsp;conduit � marches forc�es jusqu�a Florence. On sortit par la porte dunbsp;People. � Bienl�t, dit le cardinal Pacca, le Saint-P�re me demanda sinbsp;j�avais emporte quelque argent. � � � Je lui dis : Votre Saintet� anbsp;vu que j�ai �t� arr�t� dans son appartement, et il ne m�a pas �t� permis de retourner dans le mien. � Alors nous tir�mes nos bourses; etnbsp;malgr� I�affliction et la douleur oii nous �tions plong�s de nous voirnbsp;arrach�s de Rome el s�par�s de son bon people, nous ne pumes nousnbsp;�'mp�cher de rire, quand nous trouvames dans la bourse du pape unnbsp;Papetto (vingt ba�oques, environ vingt-deux sous de France), et dansnbsp;la mienne trois grossi (quinze ba�oques, un peu plus de seize sous).nbsp;Nous n�avions ni provisions, ni habits, ni linge pour changer. Le papenbsp;fit voir le papetto au g�n�ral Radet en lui disant : � De toute notrenbsp;Principaut�, voila done ce qui nous reste (i)! � Fid�le k conserver tousnbsp;^6s monuments de son histoire, Rome a laiss� subsister les traces denbsp;^a violence exerc�e au Quirinal contre l�immortel Pontife. Les fen�tresnbsp;t^ass�es par des mains fran^aises sont encore la pour rappeler l�attentatnbsp;sacrilege et la mani�re dont il fut commis. Qui de nous peut les voirnbsp;�ans baisser les yeux?
Le Quirinal renferme un sanctuaire o� Fon ne p�n�tre pas sans �tre
(0 M�moires du card. Pacca.
-ocr page 96-92 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
saisi d�un profond respect, c�est la Custode. On donne ce nom aux magnifiques salles dans lesquelles Rome conserve les reliques des martyrs. Tons les h�ros du Christianisme y sont repr�sent�s : c�est commenbsp;Ie quartier g�n�ral du courage et de la gloire. La sont apport�s lesnbsp;corps des martyrs qu�on extrait des catacombes (i); de la partent pournbsp;toutes les �glises du monde chr�lien, les reliques sacr�es qui vont t�-moigner de la foi primitive et r�chauffer la pi�t� des peoples vieillis ;nbsp;mais je donnerai la-dessus de nouveaux d�tails en parlant des catacombes. Avant de quitter Ie Quirinal nous jetames un dernier regardnbsp;sur la place qui lui sert d�avenue. Cette place est irr�guli�re, maisnbsp;noblement termin�e par Ie palais pontifical, les remises et Ie palais denbsp;la ConsuUe. Un autre ornement de la place de Monte Cavallo, c�estnbsp;l�ob�lisque du tombeau d�Auguste. Semblable � celui de Sainte-Marie-Majeure, il s��lance du milieu d�une fontaine entre les deux statuesnbsp;colossales de Castor et de Pollux tenant leurs chevaux. De son c�t�, lanbsp;fontaine �l�ve ii une grande hauteur ses eaux abondantes qui retom-bent gracieusement dens un superbe bassin de granil oriental, trouv�nbsp;dans Ie Forum, vis-i-vis de la prison Mamertine. L�ensemble du monument ne laisserait rien a d�sirer, si les demi-dieux n��taient dans unnbsp;�tat de nudit� qui fait peine. Les derniers rayons du soleil, qui do-raient la grande fagade du Quirinal, nous avertirent qu�il �tait tempsnbsp;de mettre fin a nos �tudes. Franchissant done avec rapidit� la placenbsp;de Trevi, nous rentr�mes par la Propagande a notre gite de Ia rue desnbsp;due Macelli.
8 JANVIER.
Fontaines de Rome.�Aqueducs des anciens Remains.�Puissance do la Ville �lernelle.
De bonne heure nous descendimes vers Ie quartier de la Colonne, nouvel objet de nos investigations; mais sur Ie ebemin nous rencon-trdmes la fontaine Trevi: impossible de passer sans faire halte. Rome,nbsp;c�l�bre par tant de monuments, se distingue surtout par ses fontaines.nbsp;On peut dire que sous ce nouveau rapport elle n�a pas de rivale. Lanbsp;fontaine de Mo�se, la fontaine Pauline, celles de la place Navone etnbsp;de la place de Trevi, surpassent tout ce qu�on peut admirer en cenbsp;genre, non-seulement par la richesse de leurs ornements, mais encorenbsp;par 1�abondance de leurs eaux. Ailleurs, qu�avez-vous ? des filets d�eau
(i) Du moins en partie; on en depose d�autres a 1'Apollinairc.
93
FONTAINES DE ROME.
OU des sources plus ou moins abondantes, qui, cachant dans les en-Irailles de la terre le chemin qu�elles parcourent, d�posent humble-Uient leurs eaux silencieuses dans de prosa'iques r�servoirs de bois ou de pierre. Ici quelle dif��rence! vous voyez de v�ritables rivi�res quinbsp;�'^iennent de dix et de quinze lieues sur des arcs de triomphe apporternbsp;leur tribut au peuple-roi. Leurs eaux tombent en cascade dans denbsp;wastes bassins de marbre et de granit, environn�s d�un peuple de sta-lues; ou bien elles s��cbappent en bouillonnant des fentes des rochersnbsp;dispos�s avec un art qui �gale la nature. A cette magnificence on re-connait, en patrie du moins, l�h�ritage des anciens maitres du monde.nbsp;Home pa'ienne imprimait h tous ses ouvrages un cachet de grandeurnbsp;qui r�v�le a chaque pas la puissante reine de la force. Nous I�avionsnbsp;admir�e dans ses �gouts, il fallut recommencer � I�aspect des fontaines.nbsp;Hebout, les bras crois�s, sur le bord du gracieux bassin de marbrenbsp;lilanc de la place de Tr�vi, que l�eau virginale remplit de ses flotsnbsp;orgent�s, nous repassames dans notre m�moire ce nouveau chapitre denbsp;la magnificence roinaine.
Jusqu�a Fan 442, les Remains se content�rent de l�eau du Tibre, des puils et de quelques fontaines jaillissantes. A cette �poque, le cen-seur Appius Claudius, surnomm� FAveugle, entreprit d�amener hnbsp;Rome une source situ�e a trois lieues de distance, sur la voie Pr�nes-line. II eut la gloire de r�ussir et de donner son nom au premier aque-duc que la ville poss�da (i). Tour a tour cach�e dans les flancs desnbsp;uiontagnes ou suspendue dans les airs sur de magnifiques arcades,nbsp;eeite rivi�re venait se d�charger pr�s de la porte Capena, et coulaitnbsp;jusqu�au Cbamp de Mars (2). La vue de cette merveille, d�ailleurs sinbsp;otile a Fassainissement de lacit� et si favorable au luxe toujours crois-�ont des Romains, excita une noble �mulation. Les censeurs, les �dlles,nbsp;Hs pr�teurs eux-m�mes voulurent doter la ville de quelque monument
semblable.
C'Anio vefus fut amen� a Rome par les censeurs Curius Dentatus
Lucius Papirius Cursor, Fan 481. Les soldats de Pyrrhus, faits pri-sonniers, et les richesses de ce prince construisirent ce superbe aque-duc. Commengant bien au dela de Tivoli, il venait rejoindre Faqueduc de Claude, pr�s de la porte Capena. Sa longueur totale �tait de seizenbsp;lieues et demie, dont les cinq sixi�mes en conduits souterrains et lenbsp;^'este en substructions �lev�es au-dessus du sol (3).
(0 Per Appium Claudium censorem via facta et aqua inducta est, qua! Ipsius nomine Puncupalur. Cassiod.; Frontin, De Aqumduct., 5; Tit.-Liv., ix, 29.
(-) Frontin., id.; Nardini, p. 446.
(5) Frontin., 5.
-ocr page 98-94 LES TROIS ROME.
L�eau Tepula, qui avail sa source � onze milles de Rome, sur la voie Latine, arrivait dans un aquedue construit par les censeurs Caius Ser-vilius Cepio et Lucius Cassius Longinus, l�an 628 (r).
L�eau Martia, la plus fraiche des eaux romaines, fut amen�e par Ie pr�teur Quintus Martius (2). Sortant des montagnes de la Sabine, ellenbsp;traversait Ie pays des Marses et Ie lac Ficin, et arrivait h Rome dansnbsp;un aquedue dont la longueur totale �tait de vingt-lroie lieues troisnbsp;quarts (3). La partie souterraine �tait de vingt lieues et demie; cellenbsp;sur terre, de trois lieues et quart, dont la nioiti� environ en arcadesnbsp;gigantesques.
L�eau Julia, amen�e a Rome par Agrippa, sous Ie consulat d�Au-guste, l�an 721, prenait sa source dans les montagnes de Tuscalum, pr�s de la voie Latine, ii douze milles de Rome (4). Elle entrait en villenbsp;du c�t� de la Porte-Majeure et venait arroser Ie Quirinal.
L�eau Vierge, la plus l�g�re et la plus saine de toutes, fut encore conduite a Rome par Agrippa, Fan 53S. Elle dut son nom a une jeunenbsp;fille qui la trouva, sur la voie de Pr�neste, ii six lieues de Rome.nbsp;L�aqueduc avail cinq lieues en canaux souterrains, Ie resle en substructions et en arcades (s). II entrait a Rome du c�t� de la voie No-mentane, c�toyait la base du mont Pincius, et se d�chargeait au-des-sus des jardins de Salluste, non loin du lieu o� se trouve aujourd�huinbsp;la Trinit�-des-Monts. Ici la source virginale se divise en deux branches : l�une qui s��tend vers la rue appel�e pour cela de Condotti etnbsp;la naumachie de Domitien; 1�autre vers la fontaine de Trevi qu�ellenbsp;alimente. De nombreux canaux donnaient de l�eau en abondance auxnbsp;plaines du Champ de Mars, ainsi qu�a la septi�me et a la neuvi�menbsp;R�gion. Perdue a la suite des guerres, celte source, laiit aim�e desnbsp;Remains, fut rendue a leurs d�sirs par les papes. Gr�goire XIII la dis-tribua dans tous les quarliers de la ville o� Ie niveau permettait de lanbsp;faire arriver. Grace a I�inlelligent et g�n�reux Pontife, elle coula bien-l�t � grands Hots sur la place du Peuple, sur la place Calonne, sur lanbsp;place de la Rotonde et sur Ia place Navone. Les statues, les ob�lisques,nbsp;les vasques de bronze et de granit, les plus beaux ouvrages de Partnbsp;fiirent prodigu�s pour orner ces superbes fontaines.
L�eau Alseatina fut un pr�sent d�Auguste lui-m�me. Elle prenait
(0 Fronlin., S.
(a) Clart.ssinia aquariim omnium in toto orbe trigoris, salubrilatisque palma prmconio urbis Martia est inter reliqua De�m munera urbi tributa. � Plin., lib. xxxi, c. 5.
(s) Plin., id., id.; Fronlin, id.
(4) Dio, lib. XI.VI11.
(s) Plin., lib. XXXI, c. 3; Front., 5.
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sa source dans Ie lac du rn�me nom, situ� a huit lieues de Rome, sur ia voie Claudia (i). Elle ne servait gu�re que pour les naumachies etnbsp;pour Ie quartier Transteverin, dans les cas de n�cessit�. Cette eau portalt Ie nom A'Augusta qu�elle partageait avec iine autre source tr�s-abondante que Ie m�me empereur joignit par un superbe aqueduc hnbsp;1�eau Martia. C��tait pour suppleer � cette derni�re dans les tempsnbsp;de s�cheresse (2). Les successeurs d�Octave marcb�rent sur la trace denbsp;ee prince, et ie surpass�rent m�me en magnificence et en lib�ralit�nbsp;pour amener a Rome de nouvelles sources. Bient�t on compta qua-torze aqueducs dans lesquels un hommeacheval pouvait voyager com-tiiod�ment (3).
Le plus remarquable de tous par la grandeur et la hardiesse de ses proportions �tait l�aquedue de Claude, dont les ruines prodigieusesnbsp;traversent la campagne romaine. Que dis-je les ruines? Taqueduclui-tti�me subsiste; et aujourd�hui encore il conduit a Rome une bonnenbsp;Partie de l�eau qui abreuve et einbellil la cite. Commence par Caligulanbsp;et acbev� par Claude, il amenait I�eau de Subiaco, a quarante millesnbsp;deRome. Sa hauteurest telle qu�il domine les sept collines, et qu�autre-fois, se dechargeant sur le sommet de I�Aventin, il laissait tomber sesnbsp;eaux en magnifiques cascades dans la vall�e du grand Cirque Q). Plinenbsp;I�Ancien nous �tonne quand il dit qu�un semblable ouvrage ne coutanbsp;que sept millions et demi; mais il faut savoir que la main-d�oeuvrenbsp;u�etait pas pay�e. Prisonniers de guerre, esclaves infortun�s, dites-nousnbsp;combien vous futes de milliers pour achever ce travail de g�ants!
h'Anio novus, ruisseau limpide qui sortait des montagnes de la Sa-itine, du c�t� de Subiaco, a quarante-deux milles de Rome, faisait son ontr�e dans la ville par I�aqueduc de Claude (5). Le ruisseau d'Her-^ule parcourait ^ peu pr�s la m�me distance et suivait le m�me che-tttin. Apr�s avoir contempl� avec stupeur ces ouvrages que le monde
(gt;) Frontin., 5.
(5) Roma; aqu.T;duclus dccem et qualuor numero sunt cocto ex latere per priscos hotlines ffidificati, et lalitudine et simul profundilatc, ut mquUans vir aliquis ipso cum cquo per eos superne evadereliberiusqueat. �Procop. de Bell, Gothic.^ 1, iv.�-Victornbsp;compte 20.
U) Vicit antecedentes aquarum ductus novissiraum impendium opcris inchoati a p- Ca;sare et peracti a Claudio : quippe a qu.adrogesimo lapide ad earn cxcelsitalem utnbsp;omnes urbis montes levarentur, influxere Curtius et Ca;ruleusionics. � Plin., xxxvr,nbsp;to�Claudiam per lantam lastigii niolem sic ad Aventini caput esse pcrductam; utnbsp;rum ibi ex alto lapsa ceciderit, cacumen illud excelsum, quasi imam vallem irrigarenbsp;''ideatur. � Cassiod.
(3) Front 5.
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entier ne serait plus capable d�ex�cuter (i), nous nous transport�mes h l�occident de la ville, vers Ie Vatican et Ie Janicule. Li nous atten-daient de nouvelles preuves et de cette force rotnaine si habile a latternbsp;contre la nature, et de cette vaste exploitation de rhomme par i�hoinmenbsp;sous Ie paganisme.
La superbe fontaine Pauline, assez forte pour faire tourner des mou-lins en tombant de l�aqueduc, r�v�le la main de Trajan. Ce fut vers l�an 112 de notre �re qu�apr�s de glorieuses luttes contre les resistances de la nature, Ie vainqueur de D�c�bale fit couler les sources abon-dantes d�Oriolo e| de Bassano (2) au-dessus du Vatican : la distancenbsp;parcourue est �norme. Au pape Paul V, digne �mule des C�sars par sanbsp;magnificence, est due la reslauration de Taqueduc et la nouvelle distribution de Peau trajane, si utile au Borgo et m�me a Rome. Par lesnbsp;soins du m�me Pontife, l�aqueduc traverse aujourd�hui Ie Tibre etnbsp;vient alimenter un grand nombre de fontaines dans l�int�rieur de lanbsp;ville ; la plus remarquable est celle de la place Farn�se. C�est unnbsp;prince de l��glise, Ie cardinal Odoard Farn�se, qui fit construire cettenbsp;superbe fontaine, a laquelle il donna pour recipient Ie vaste bassin denbsp;granit numidique, trouv� dans les thermes de Caracalla. Paul V tiranbsp;un autre parti de Peau trajane. Sous son intelligente direction elle vintnbsp;arroser les jardins du Vatican, et s��lever en gerbes immenses sur lanbsp;place de Saint-Pierre, dans les deux magnifiques fontaines que toutnbsp;Ie monde admire. Celle du septentrion fut construite par ses ordres,nbsp;sur les dessins du chevalier Maderna. Elle devint Ie mod�le de la seconde qui est au midi et dont la gloire appartient a Cl�ment X. Lenbsp;pr�voyant Pontife la fit �lever pour la commodit� des p�lerins qui al-laient afiluer a Rome pendant Pann�e sainte de 1673. Enfin sousnbsp;Alexandre VU, Peau trajane servit de moteur au balancier de Ph�telnbsp;des monnaies: nouvel usage que rappelle Pinscription suivante grav�enbsp;sur la port� de P�difice :
ALEXANDER VU. PONT. MAX.
MONETARIAM OFFICINAM IN QUA NOVO ARTIFICIOnbsp;PRiEClPITlS AQU.E IMPULSU VERSATIS ROTISnbsp;MAGNO TEMPORIS OPER/EQUE COMPENDIOnbsp;N�MMI AFFABRE CELERITERQUE SIGNENTURnbsp;PUBLIC.E DTILITATI CONSTRUXITnbsp;ANNO SAL. MDCLXXV.
(!) Ad qua; opera patranda nunc lotus orbis infirmus videatur. � Lander Albertus, Descript. Hal.
(s) Forum Claudii et Bassi.
AQ�ED�CS DES ANCIENS DOMAINS. nbsp;nbsp;nbsp;97
Nous avions �tudi� une des plus grandes merveilles de la cit� des G�sars et de la cit� des Pontifes. En calculant la largeur totale desnbsp;aqueducs qui venaient rafraichir Rome, embellir ses �difices et vi-vifiernbsp;ses places et ses amphith�atres, on trouve une distance d�environ centnbsp;Irente lieues! D�autres calculs �tablissent que toutes les eaux r�uniesnbsp;formaient une rivi�re de la force de la Seine (i). Que dire de la solidit�nbsp;aqueducs et des dilEcult�s vaincues pour les construire? Pendantnbsp;des si�cles ces iits artificiels ont port� des masses d�un poids �norme;nbsp;ds ont r�sist� aux intemp�ries de Pair, aux ravages du temps, auxnbsp;Coups des Barbares, a l�affaissement du sol et a tou|les accidents quinbsp;tttenacent des constructions de ce genre. Aujourd�hui encore leursnbsp;Testes grandioses ne semblent braver les �ges et survivre a Rome elle-�t�me que pour perp�luer la gloire de la Ville �ternelle, en porlanlnbsp;Jusqu�aux derni�res g�n�rations l�imposant t�moignage de son incomparable puissance. La construction des aqueducs n�atteste ni moins denbsp;g�nie, ni moins de pouvoir. Des montagnes perc�es, des vall�es com-Itl�es, les entrailles de la terre creus�es souvent a trente pieds de pro-fondeur, des canaux suspendus dans les airs, portant sur de longuesnbsp;files d�arcades une rivi�re, quelquefois deux ou trois. Tune au-dessusnbsp;de l�autre, � une hauteur prodigieuse ; pr�s de ces gigantesques ou-vrages que sont nos tunnels et nos petits canaux?
Toutefois, ce n�est la qu�une partie des merveilles que pr�sentent les eaux romaines. Lorsque debout sur ces ruines, aupr�s de ces fon-faines sauv�es par la main des Pontifes, on p�n�tre plus avant dans Ienbsp;syst�me int�rieur des aqueducs, l��tonnement redouble. Arriv�es auxnbsp;Portes de la ville, ces rivi�res tombaient les unes dans de vastes piscines o� elles d�posaient leur limon, les autres dans des chSteaux-�^�eau (castella et dividicula) d�o� elles se divisaient pour prendrenbsp;^iff�rentes directions. Dans les dividicula �taient de larges vases denbsp;liTonze, en forme d�entonnoirs; fixes sur de vastes tuyaux en plomb,nbsp;ils recevaient la quantit� d�eau destin�e amp; chaque r�gion, a chaquenbsp;Tiaumachie, etc. Des 'puils �tablis de distance en distance donnaientnbsp;^ eau aux maisons, aux jardins, aux euripes, aux abreuvoirs, auxnbsp;'lilas des faubourgs (2). Ces ch�teaux-d eau �taient au nombre denbsp;plus de deux cents. Qu�on se figure done ces deux cents castella, orn�s
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Rondelet a fait eet aulre calcul Aiir Frontin .-la masse d�eau amen�e
ducs �tait �quivalente a une rivi�re large de trente pieds, profonde de six, el dont la ^Uesse serail de Ircnte pouces par seconde.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Kumina per urbem et cloacas videri fluere, atque domum prope modum haDerenbsp;fistulas et canales quibus aquam inducal. � Strab.
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des statues des divinit�s protectrices des eaux; les innombrables luyaux de plomb qui couraient sous les rues et qui formaient commenbsp;les'veines et les arl�res de ce corps gigantesque; les abreuvoirs et lesnbsp;fontaines jaillissantes au nonibre de plusieurs mille; tous ces fleuvesnbsp;qui coulaient suspendus a travers Timmense cit�, et on n�aura pas denbsp;peine a s��crier avec Pline, que nulle merveille dans Funivers ri��taitnbsp;plus digne de Fadmiration des hommes (i).
Tel est, en effet, Ie premier sentiment qu�on �prouve au souvenir de tant de puissance et de g�nie. 11 en est un second dont il est impossible de se d�fendre, quand on songe aux provinces d�sol�es, auxnbsp;esclaves enchain�s dont les mains et les richesses b^tirent ces somp-tueux aqueducs qui auraient d� porter des fleuves de larmes avant denbsp;conduire les eaux n�cessaires a la mollesse des maitres du monde. Lanbsp;fontaine de Trevi nous avait ouvert un si grand horizon qu�il nousnbsp;fallut renoncer a Ie d�passer ce jour-la. Toutefois la vue des aqueducsnbsp;et des fontaines ne put nous faire oublier nos amis de France : avantnbsp;de rentrer, nous allames demander nos lettres. Mais a peine touchions-nous aux galeries de Fh�tel des postes qu�un fatal �criteau vint frap-per nos regards de la mani�re du monde la plus d�sagr�able. I cor-rieri di Toscana e di Bologna non sono giunti; ce qui veut dire :nbsp;Messieurs les Francais, vous n�aurez pas de lettres aujourd�hui.
9 JANVIER.
Colonne Antonine. � La Legion Fulminante. � Bas-relief. � �dit de Marc-Aur�le. � Restauralion de la Colonne par Sixtc V. � Monte-Citorio. � La Fontaine. � Le Gnomon.�Le Champ de Mars.� Les Sepia et ia Villa publica. �Les Jardins, lesnbsp;Thermes et le lac d�Agrippa.
Avant neuf heures nous entrions dans le quartier de la Colonne, fl doit son nom a la colonne Antonine qui s��l�ve sur la place principale.nbsp;Situ� vers le centre de la ville, il occupe une partie des anciennes regions de VAlta Semita et de la Via Lala. La place Colonne est unenbsp;des plus r�guli�res de Rome. Deux monuments Fembellissent : une
(t) Si quis diligentius a:stimaverit aqiiarum abundantiam in publico, in balneis, pis-cinis, domibus, euripis, horiis, suburbanis villis, spalioque advenien�um cxtruclos arcus, monies perfossos, convalles atquatas, patebitur nihil magis mirandum 1'uisse totonbsp;orbelerrarum. �Plin.,lib. xxxvi, tS. �Magniludinis Romani imperii id pra;cipuuninbsp;esse indicium. � Front., S.
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superbe fontaine et la colonne d�Antoniu. Cette colonne, si fameuse dans l�histoire, fut �lev�e par Ie s�nat � l�empereur Marc-Aur�le-An-tonin, pour les yictoires qu�il avail remport�es sur les Marcomans, lesnbsp;Quades et autres peuples de FAllemagne. Elle est en marbre blanc etnbsp;pr�sente onze pieds et demi de diam�tre sur cent quarante-huit etnbsp;demi de hauteur. Les bas-reliefs qui l�entourent de la base au sommetnbsp;repr�sentent les exploits de l�empereur. Quel bonheur pour nous d�ynbsp;''oir sculpt�par des mains pa�ennes un fait contemporain, si glorieusnbsp;pour Ie Christianisme naissant! je veux parler du miracle de la l�gionnbsp;l^ulrainante. C��tait l�an 176, l�empereur �tait au coeur de FAllemagnenbsp;�vec son armee. Tromp�s par les Quades, les Remains s�engagent dananbsp;une vall�e profonde, cern�e de tous c�t�s par de hautes montagnes.nbsp;Les Barbares apparaissent tout ^ coup au sommet des hauteurs :nbsp;1�arm�e romaine ne peut ni avancer ni reculer, et va subir une seconde fois Fhumilialion des Fourches Caudines. La demoralisation senbsp;uaet dans les rangs; les forces physiques manquent aux legions : unenbsp;soif �pouvantable tourmente les Romains priv�s d�eau depuis cinqnbsp;jours. Dans cette extr�mit�, Ie commandant des cohortes pr�toriennesnbsp;vient trouver Marc-Aur�le : lt;c C�sar, lui dit-il, la l�gion m�litine, quinbsp;fait partie du corps d�arm�e, est compos�e de chr�tiens, auxquels riennbsp;n�est impossible. � Faites-la mettre en pri�res, lui r�pond Fempe-reur. � Anim�s de la foi victorieuse du centenier de F�vangile, tousnbsp;ces vieux soldats, venus d�Orient, tombent ii genoux et conjurent Ienbsp;vrai Dieu de glorifier son nom. Leur pri�re est ii peine achev�e quenbsp;Ic ciel se couvre d��pais nuages; la foudre �clatc avec un brult �pou-''antable, r�p�t� mille fois par F�cho des montagnes. Accompagn�enbsp;lt;l�une gr�le horrible, elle tombe, elle retombe encore sur les Barbaresnbsp;90�elle br�le, qu�elle �pouvante et met en d�sordre; tandis qu�unenbsp;Pluie bienfaisante rafraichit les Romains. � De telle sorte, dit un au-fcur pa�en, qu�on voyait en m�me temps et dans Ie m�me lieu, Ie feunbsp;Feau descendre du ciel, les uns rafraichis et les autres brul�s; carnbsp;feu n�atteignait pas les Romains et Feau br�lait les Barbares commenbsp;*106 huile enflamm�e. Inond�s qu�ils �taient, ils demandaient de Feaunbsp;^ grands cris, et se faisaient de larges blessures pour �teindre Fin-cendie qui les consumait. Dans leur d�sespoir ils se jet�rent au mi-^*cu des Romains, o� Feau seulement �tait rafraichissante; Fempereurnbsp;C� eut piti�. En m�moire de ce fait, Farm�e proclama Marc-Aur�lenbsp;coipereur pour Ia septi�me fois; et Ie prince voulut que la l�gion m�-Ltine s�appelit d�sormais la L�gion Fulminante. II ne s�en tint pasnbsp;ayant fait part au s�nat de F�v�neraent miraculeux, il publia un
100 LES TROIS ROME.
�dit pour faire cesser Ia pers�cution contre les chr�tiens (i). �
Cet �dit, que nous avons encore, commence par cette formule qui donne une id�� de la pompeuse emphase d�ploy�e dans leurs lettresnbsp;officielles par les maitres du monde : � L�empereur, C�sar, Marc-Aur�le-Antonin Auguste, parthique, germanique, sarmatique, souve-rain pontife, tribun vingt-huit fois, empereur sept fois, consul troisnbsp;fois, p�re de Ia patrie, proconsul, au s�nat et au peuple remain (2). �nbsp;Apr�s la mort de Marc-Aur�le, lorsque Ie s�nat lui eut d�cern� les honneurs divins, on �leva Si sa m�moire la superbe colonne qui nous oc-cupe en ce moment. Soit que Ie s�nat ne voulut pas rendre hommagenbsp;au Dieu des chr�tiens de la d�livrance de Farm�e, soit qu�il ne voul�tnbsp;pas contredire l�opinion du peuple qui l�attribuait a Jupiter pluvieux,nbsp;on fit graver l��v�nement sur la colonne; mais on figura Jupiter don-nant la pluie aux Remains et lan^ant la foudre sur les Barbares. Beaunbsp;troph�e de Terreur, vraiment! Le s�nat complaisant n�est plus, Ienbsp;peuple aveugl� n�est plus; la colonne reste, le bas-relief reste aussinbsp;avec T�dit de Marc-Aur�le qui rend hommage ii la v�rit�.
Nous cherchames avec empressement ce bas-relief important. A la partie sup�rieure on voit i a^iiev fluvieux; le dieu est en demi-figure,nbsp;avec une harbe de Neptune, les bras �lendus, avec deux ailes d�-ploy�es : a droite et a gauche la foudre sillonne Tespace. Les deux ar-m�es sont au-dessous. Tune en d�sordre, Tautre s�avangant Tarme aunbsp;poing. Et vous croyez que le voyageur chr�tien n�est pas heureux denbsp;trouver les preuves de sa foi grav�es par les pers�cuteurs eux-m�mesnbsp;sur un monument d�une pareille date et d�une pareille importance!nbsp;Honneur au g�nie de Sixte V a qui rien de grand n��tait �tranger! C�estnbsp;ce pape d�immortelle m�moire qui fit relever la colonne Antonine. Lanbsp;statue de Marc-Aur�le qui la couronnait, ainsi que les tables denbsp;marbre o� les inscriptions antiques �taient grav�es, ont disparu. Anbsp;la place brille Ia statue en bronze dor� de Tap�tre saint Paul, cetnbsp;autre vainqueur des Barbares. Une inscription chr�tienne, grav�e parnbsp;ordre du Pontife, annonce la restauration de la superbe colonne.
SIXTVS. V. PONT. MAX. COLVMNAM HANCnbsp;AB OMNI IMPIET.VTEnbsp;EXPVRGAT.AM
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Dio., in Mare. Aurel.; Xiphil., id.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Imp. C^sAii. M. Aviielivs. Antoninvs. Avgvstvs. Parthicvs. Gebmanicvs. Sarmatic�s.nbsp;Pontifex, maximvs. trievnitia;. potestatis. xxvui. Imp. vu. cos. m. Pateb. Patri�. Pbocos.nbsp;S. P. Q.U. S. D.
-ocr page 105-lt;c Sixte V, Souverain Pontife, d�dia cette colonne, purifi�e de toute impi�t�, a l�ap�tre saint Paul dont il fit placer au sommet la statue ennbsp;hronze dor�, l�an i 589, de son pontificat Ie quatri�me. �
Glorieux et fier de sa purification, Ie monument chante sa reconnaissance et sa nouvelle destin�e :
a Je suis maintenant triomphale et sacr�e, portant Ie diciple vrai-naent pieux du Christ, qui par la pr�dication de la croix triompha des Romains et des Barbares. � Ainsi, Pimmortelle colonne sauv�e par Ienbsp;Christianisme proclame un double triompbe : celui de Marc-Aur�lenbsp;sur les Barbares du Nord et celui de Paul, par la croix, sur les Ro-niains et sur les Barbares du monde entier. Nous la saluftmes avecnbsp;transport, et laissant � gauche l�h�tel des postes, monument de Gr�-goire XVI, nous fumes en quelques instants sur la place de Monte-^itorio.
Ce petit monticule parait form� des d�bris de 1�amphith��tre deSta-tilius Taurus. L�opulent Romain Ie construisit sous Ie quatri�me con-sulat de G�sar et en fit la d�dicace avec Ie sang des gladiateurs. Brvil� fians Ie grand incendie de N�ron, eet �difice est rest� enseveli sous sesnbsp;Propres ruines (i). La s��l�ve aujourd�hui la Curia Innocentiana. Cenbsp;superbe palais, o� Pon rend la justice et o� l�on tire la loterie, doitnbsp;�on nom au pape Innocent XII qui l�acheta de la familie Ludovisi.
(i) Dio-, lib. SI et 43-63; Piranesi, Iconographie, etc. Nardin., p. 317.
T. II. nbsp;nbsp;nbsp;5
j02 nbsp;nbsp;nbsp;I-ES TROIS ROME.
Apr�s l�avoir augment� et erabelll, Ie Souverain Pontife Ie destina aux tribunaux et en assigna Ie loyer a l�hospice de Saint-Michel. La g�n�-rosit� du Pontife est rappel�e dans Finscription grav�e sur la majes-tueuse fontaine qui coule devant la grande facade ;
INNOC. XII. P. 0. M.
IIAC IN iEDE PLVRiV COMPLEXO OBNAMENTVM \RBISnbsp;TRIBVNALIA IN VNVM COLLECTAnbsp;CENSVM IIOSPITIIS PAVPERVMnbsp;DE MAGNiriCENTIAnbsp;JVSTITIA ET MISERICORDIAnbsp;OPTIME MERITO.
Le grand bassin qui re^oit Peau de la fontaine fut trouv� dans les ruines du Forum de Trajan : il est en granit oriental et a seize piedsnbsp;de diam�tre. La place qui est devant le palais pr�sente deux autresnbsp;ornements dignes de Fattention des arch�olognes. Le premier est lenbsp;pi�destal de la colonne Antonine. D�couvert sous Cl�ment XI, il futnbsp;tir� du milieu des ruines et plac� o� il est aujourd�hui par Benoit XIV.nbsp;On y voit en bas-relief Fapoth�ose d�Antonin, avec les symboles etnbsp;les rites oblig�s; toutes ces sculptures sont du meilleur go�t et s�expli-quent par Finscription qui les accompagne :
WVO. ANTONINO. AVG. PIO.
ANTONINVS. AVGVSTVS.
ET VERVS. AVGVSTVS. FILII.
Le second ornement est Fob�lisque �gyptien. L�opinion la plus ac-cr�dit�e parmi les savants voit dans ce monolithe le c�l�bre gnomon, OU aiguille de Fhorloge solaire du Champ de Mars. Cette horloge fa-meuse occupait le c�t� du Champ de Mars o� se trouve aujourd�huinbsp;F�glise de Saint-Laurent-m-LMci�a. Restaur� et �rig� par Benoit XlVnbsp;sur la place de Monle-Citorio, Fob�lisque excite trois sentiments dansnbsp;Fame du voyageur ; la compassion pour les meurtrissures et les fractures nombreuses qu�il a subies pendant sa longue s�pulture; la reconnaissance pour la patience et le g�nie employ�s a le replacer surnbsp;sa base; enfin une piti� profonde pour le monde esclave de Rome,nbsp;forc� de venir au sein de la Ville �ternelle attester, par ses plus pr�-
-ocr page 107-LE CHAMP HE MARS. nbsp;nbsp;nbsp;105
cieux monuments, sa servitude et sa honte. L�inscription antique fait naitre ce dernier sentiment.
IMP, C.ESAR. DIVI. F. AVGVSTVS.
PONTIFEX MAXIMVS. IMP.
XII. COS. XI. TRIB. POT.
XIV. .�GYPTO. IN. POTESTAT�M POPVLI
ROMANI REDACT.
SOLI. DONVM. DEDIT.
� L�empereur C�sar, fils du divin C�sar, Auguste, souverain pontife, empereur douze fois, consul onze fois, tribun quatorze fois, ayantnbsp;soumis l��gypte a la puissance du peuple romain, a offert cet hom-�oage au soleil. �
et
Nous avions mis le pied sur le Champ de Mars, si souvent nomm� dans I�histoire romaine. Ici quelle moisson de souvenirs! Consacr� aunbsp;dieu Mars apr�s I�expulsion des rois, ce champ fameux comprenaitnbsp;I�espace renferm� entre le Tibre et le Capitole d�un c�t�, le Quirinalnbsp;et le Pincius de I�autre. Une partie �tail r�serv�e a la course des che-vaux et aux exercices de la jeunesse romaine : le reste se couvrit peunbsp;a peu de monuments c�l�bres. Quelques ruines et la place qu�ils occu-p�rent, voila ce qui reste de la plupart. Nous visit�mes dans tons lesnbsp;Sens cette vaste plaine oii la sixi�me partie de Rome moderne est assise,nbsp;�OUS arr�tant sur chaque emplacement, devant chaque d�bris des anciens �difices. Non loin de Monte-Citorio brillaient les Septa Julia.nbsp;^��taient de magnifiques portiqucs en marbre, de quatre mille cinqnbsp;Cent trente-trois pieds de long, support�s par des centaines de colonnes,nbsp;servant aux assemblees du peuple pour l��lection de ses grands
^'Sgistrats (i). En avan^ant, on trouve la place de la Villa Publica, S^ond et somptueux b�tiraent a double �tage, en portiques, brillantnbsp;'^�or et d�azur, enrichi de peintures, de bois pr�cieux et de marbresnbsp;*''^res. Destin�e a loger les ambassadeurs des nations ennemies (2), cettenbsp;''ilia devint tristement fameuse pendant les guerres civiles : Sylla ynbsp;It �gorger quatre l�gions fid�les it Marius et qui s��taient rendues surnbsp;� promesse d�avoir la vie sauve (a). In�vitable destin�e du voyageurnbsp;ans Romel partout il doit se r�signer h poser le pied dans le sang etnbsp;Ics ruines.
b) PUn., lib. XVI, 10. b) bit.-Liv., Decad., iv, c. 3.nbsp;b) Valer. Max., lib. ix, c. 2.
104 LES TROIS ROME.
Vers Ie centre de la plaine �tait Ie qiiartier d�sign� sous Ie nom de Champ d�Agrippa. Ministre et gendre d�Auguste, Fopulent Romainnbsp;avait embelli ces lieux de plusieurs monuments dignes de sa magnificence. La �taient ses jardins, son lac, ses thermes et enfin l�immortelnbsp;Panth�on. Tout ce que Ie luxe oriental, aid� de la richesse romaine,nbsp;avait pu inventer de plus rare, de plus flatteur pour les sens, se trou-vait r�uni dans les jardins et dans les thermes ; Ie lac devint fameuxnbsp;par les folies de N�ron. Ce prince, dont l�orgueil et la volupt� semhlentnbsp;avoir troubl� la raison, aimait Si faire ses soupers sur Peau. Une tablenbsp;somptueuse couverte de vaisselle d�or et des mets les plus excentriques,nbsp;r�unissait Ie Ills d�Agrippine et tout ce qu�il y avait a Rome de d�-bauch�s. Au bruit des symphonies et a la lueur des flambeaux onnbsp;voyait la gal�re qui portait et les convives et Ie souper imp�rial, re-morqu�e par d�autres gal�res resplendissantes d�or et d�ivoire, se pro-mener lentement jusqu�au milieu de la nuit sur ce lac bord� d�arbresnbsp;verts (i). Quels temps! quelles moeursl quel monde!
Enfin, nous arrivames devant Ie Panth�on, aujourd�hui la Rotonde. Ce n�est plus un souvenir que nous avons a �voquer, ce n�est plus unenbsp;ruine a interroger et h. reconstruire : nous sommes en face d�un monument entier, Ie mieux conserv� sans contredit de l�ancienne Rome. IInbsp;�tait trop tard pour l��ludier ii notre aise; nous remimes la partie aunbsp;lendemain.
10 JANVIER.
Le Panth�on, son histoire. � Uichesses.�Purification. � Miracle. � La Minerve.� � Tombe du B. Angelico de Fiesole. � Chambre de sainte Catherine de Sienne.��nbsp;Place Navone. � Fontaines. � March�. � Jeux. � Sainte-Agn�s.
Temps incertain, mais nouvelle ardeur pour I��tude : avant neuf heures nous �tions au Panth�on. Tout le monde sait que ce templenbsp;superbe fut bati par le gendre d�Auguste, durant son troisi�me con-sulat, c�est-a-dire l�an de Rome 527, vingt-six ans avant la naissancenbsp;de Notre-Seigneur J�sus-Christ. L�inscription grav�e sur Ia frise determine cette �poque :
M. AGRIPPA. L. F. COS. TERTIVM. FECIT.
Le Panth�on se divise en deux parties ; la Rotonde proprement dite et le Portique. La premi�re fut �lev�e par Agrippa pour servir de Ca'
(t) Tacit., Annal. xv; Suet. in Ner,, c. xxvii.
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lidarium i ses thermes, et, lorsque plus tard il voulut en faire un temple, il y ajouta Ie Portique. Auguste devait �tre, dans la pens�enbsp;d�Agrippa, Ie dien tut�laire de la Rotonde; mais Ie prince refusa eetnbsp;honneur et permit seulement que sa statue fut mise sous Ie p�ristyle.nbsp;Elle �tait dans une niche a droite de la porte d�entr�e, celle d�Agrippanbsp;occupait une pareille niche a gauche. Le temple fut d�di� a Jupiternbsp;vengeur, Jovi ultori; mais bient�t l�Olympe entier vint prendre placenbsp;dans le nouveau sanctuaire qui fut appel� Panth�on, soit paree qu�onnbsp;y adorait tous les dieux ensemble, soit, comme le pretend Dion Cassius, paree qu�il avail la forme du ciel (i). Ce qui n�est pas douteux,nbsp;c�est que nul autre temple n��galait Ia grandeur et la richesse de ce superbe �difice. Au lieu de descendre comme aujourd�hui, on montaitnbsp;cinq marches pour y entrer. Sous le p�ristyle s�ouvrait Ia porte dontnbsp;le double battant, de bronze dor�, demeurait ouvert a tout le monde.nbsp;Comme ceux du temple, les murs du p�ristyle �taient rev�tus des marbres les plus pr�cieux, orn�s de bas-reliefs, etlesoldall�en planisph�resnbsp;de marbreet de porphyre de plus de septpiedsde diam�tre.LePortiquenbsp;a cent trois pieds de long sur soixante-et-un de large. II est form� denbsp;seize colonnes toutes d�un seul bloc de granit oriental. Elles ont qua-torze pieds de circonf�rence et trente-huit de hauteur sans compreudrenbsp;les bases et les chapiteaux. Ces derniers, de marbre blanc, passentnbsp;pour les plus beaux que l�anliquit� nous ait l�gu�s. Le comble entiernbsp;du p�ristyle se composait de poutres et de solives creuses, en bronze.nbsp;En dessous, elles �taient rev�tues de grandes tables de m�me m�tal,nbsp;courb�es en voute et enrichies d�une quantit� d�ornements d�argentnbsp;sur un fond d�or; en dessus, elles �taient couvertes de tuiles en bronzenbsp;dor�; une sculpture du plus puissant elfet, dont les figures rapport�esnbsp;�taient en bronze, remplissait le tympan du fronton.
Cette riche proie avail �chapp� aux Barbares; mais l�empereur Constant II, �tant venu a Rome en 665, fit enlever la pr�cieuse couverture 'tvec une parlie de la charpente �galement en bronze dor� : son intention �tait d�en orner Constantinople. Malheureusement la flotte char-g�e de ces d�pouilles fut pill�e par les Sarrasins, et les ornements dunbsp;banth�on all�rent p�rir a Alexandria (2). Plus noble fut la pens�e d�Ur-bain VIII. Afin d�utiliser a la gloire du vrai Dieu ce qui restait dunbsp;bronze jadis consacr� aux idoles, ce Pontife le fit jeter dans lo moulenbsp;Oierveilleux d�oii sortirent les colonnes torses du baldaquin de Saint-f'ierre. Le m�me pape construisit encore les deux clochers qui couron-
(*) bib. LIU.
(s) Fabriz, Descriz. di Roma, c. 2.
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lient aujourd�hui Ie p�ristyle. Quelques auteurs croient que la grande porte de bronze est la m�me qui fut plac�e par Agrippa; mais ce n�estnbsp;qu�une opinion. Quoi qu�il en soit, on aura une idee du bronze employ� au Panth�on, quand on saura que les clous seulement pesaientnbsp;neuf mille trois cent soixante-quatorze livres, et que la totalil� de cenbsp;pr�cieux m�tal s��levait � quatre cent cinquante mille deux cent trentenbsp;livres. On voit ici comme partout que les Remains taillaient en pleinnbsp;drap.
Apr�s avoir �tudi� Ie Porlique, nous entrames dans Ie temple m�me. II est circulaire et pr�sente un diam�tre de cent trente-deux pieds ; lanbsp;hauteur de P�difice depuis la base jusqu�au sommet est �gale au diam�tre, et l��paisseur du mur est de dix-neuf pieds. La coupole de Saint-Pierre n�a que deux pieds de diam�tre de moins que celle du Panth�on;nbsp;mais elle est a trois cents pieds au-dessus du sol. De la ce mot des Domains : Michel-Ange a bdti dans les airs ce qu�Agrippa construisitnbsp;sur la terre. La Rotonde pr�senlait a Pint�rieur six grandes niches,nbsp;pratiqu�es dans P�paisseur du mur, trois circulaires et trois affectantlanbsp;forme d�un parail�logramme. Chaque niche formait un �dicule ou petitnbsp;temple contenant la statue en bronze, en argent, en or ou en ivoire,nbsp;d�un dieu ou d�une d�esse. Jupiter occupait la niche du milieu, qui,nbsp;plus grande que les autres, pouvait se comparer a un h�micycle. Denbsp;nombreuses statues ornaient toutes les parois du temple. La plus riche,nbsp;sinon la plus remarquable, �tait celle de V�nus, a laquelle on voyaitnbsp;suspenduela moiti� de la grande perle qui figura au souper de Cl�o-patre : ce bijou �tait estim�plus d�un million cinq cent mille francs (i).
Deux colonnes en marbre jaune, cannel�es, hautes de plus de vingt-sept pieds et orn�es de chapiteaux d�airain de Syracuse, d�un travail admirable, s�paraient chaque �dicule de la partie circulaire du temple.nbsp;Toutes ensemble supportaient un entablement de marbre blanc quinbsp;r�gnait autour de P�difice et que rehaussait une frise de porphyre.nbsp;Un attique de marbre, perc� de quatorze fen�tres entre lesquellesnbsp;�taient des cariatides de bronze, surmontait eet entablement. 11 sup-portait lui-m�me la voute, au centre de laquelle existait une ouverturenbsp;de vingt-sept pieds de diam�tre par o� Pon apercevait Ie ciel. Get oeilnbsp;de la voute �tait garni d�un eerde de bronze dor�, et d�une armaturenbsp;portant des crampons auxquels s�attacbait un voile de pourpre pournbsp;intercepter les rayons du soleil. Plus de cent cinquante rosaces d�airain dor� brillaient dans la coupole et d�coraient cinq rangs de cais-
(i) Owerboke, del Panteon.
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sons dor�s, doiil les plus grands avaient pr�s de douze pieds de diam�tre.
Ce qu�elle �tait il y a dix-huit si�cles, la Rotonde l�est encore au-jourd�hui; l�ornementation et la destination seules ont chang� : m�ine p�rystile, m�me forme, m�mes murailles, m�me coupole; l�ceil de lanbsp;voute est rest� ce qu�il �tait, et Ie regard chr�tien s��l�ve au ciel parnbsp;Ie m�me chemin que suivit Ie regard pa�en. Ma�s quelle diff�rence dansnbsp;la pensee, dans la pri�re et dans l�esp�rance! Aueun voile ne fermenbsp;Couverture; et Ie soleil brille et la pluie tombe librement dans la Rotonde : on y entend quelquefois la messe en parapluie. tglise sainte,nbsp;fid�le gardienne du pass�, vous avez bien fait de laisser les choses ennbsp;eet �tat: si la coupole ouverte pr�sente un cachet pa�en, Ie sens estnbsp;chr�tien, tr�s-chr�tien; et ce sens est a vous. Cependant l�eau s��coulenbsp;par une ouverture grill�e, pratiqu�e au point central du pav�, vers la-quelle s�incline doucement tout Ie sol de l��difice.
En face de la porte d�enlr�e, h Fendroit m�me occup� par F�dicule de Jupiter, s��l�ve Ie maitre autel. Les sept autres �dicules sonl de-venus des chapelles secondaires. Dans la troisi�me, � gauche en entrant, est la belle statue de Ia sainte Vierge appel�e la Madonna delnbsp;Sasso, dont Ie soubassement forme Ie tombeau de Raphael. D�couvertnbsp;en 1833, Ie 14 septembre, Ie corps du grand peintre fut replac�dansnbsp;Ie m�me endroit, Ie soir du 18 octobre, avec toute la pom,pe et les c�r�monies n�cessaires. Pour entrer dans Ie Panth�on il faudrait, commenbsp;Mo�se devant Ie buisson ardent, �ter sa chaussure. Dans ce m�me lieunbsp;profan� par toutes les divinit�s pa�ennes, reposent aujourd�hui les re-liques d�innombrables martyrs : toutes les parties du Panth�on sontnbsp;pleines de ces ossements sacr�s. L�an du Seigneur 608, Ie pape Boniface IV, voulant purifier ce temple, descendit aux catacombes et retiranbsp;de leur demeure souterraine une l�gion de h�ros chr�tiens : vingt-fiuit voitures, magni�quement orn�es, transport�rent, aux acclamations de Rome enti�re, les nouveaux triomphateurs dans Ie sanctuairenbsp;du paganisme vaincu. Le Panth�on, d�di� a la Reine des auges et desnbsp;hommes, prit le nom de Sainte-Marie-aux-Martyrs. Deux si�clesnbsp;apr�s, en 830, Gr�goire IV le consacra en Fhonneur de tous les saints.nbsp;Par Fordre du Pontife, le jour de cette cons�cration devint une f�te denbsp;Pr�cepte, que F�glise catholique c�l�bre encore chaque ann�e le premier novembre.
A la Rotonde le voyageur se trouve au milieu des miracles. D�abord Ie Panth�on devenu Ie temple de Marie lui atteste Finexplicable vic-'oire du Christianisme sur Fidol�trie; puis les vo�tes dn temple luinbsp;cedisent le triomphe de Marie sur le Juda�sme obstin�. Comme le
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Dieu d�Isra�l a^vait consacr� Ie temple de Salomon par l�apparition de sa gloire; l�auguste Vierge voulut prendre possession de sa nouvellenbsp;demeure par un �clatant prodige. L�enthousiasme des chr�tiens,nbsp;en voyant leur m�re Marie assise au Panth�on, provoqua les railleries et les blasph�mes des juifs habitants de Rome. Elles parvin-rent aux oreilles d�un noble Remain, aveugle de naissance; mais fortnbsp;instruil des v�rit�s de la foi. L�occasion se pr�sente bient�t de con-fondre les obstin�s enfants d��sra�l; la dispute s��chauffe, et dans unnbsp;mouvement d�inspiration l�aveugle s��crie : Puisque les raisons lesnbsp;plus clairesne peuvent vous convaincre, vous rendrez-vous a la v�rit�nbsp;si je recouvre la vue par l�intercession de Marie avant que la f�te denbsp;la Purification soit pass�e? La proposition est accept�e avec un sourirenbsp;d�incr�dulit� qui disait; Notre promesse ne nous oblige a rien, lanbsp;condition ne sera pas remplie. Cependant Ie bruit de l�engagement senbsp;r�pand dans la ville. Au jour de la f�te, un immense concours denbsp;chr�tiens et de juifs se presse au Panth�on; l�attente de ce qui doitnbsp;arriver tient la multitude en suspens. Parvenu a grand�peine dansnbsp;l�enceinte sacr�e, l�aveugle entonne VAntienne qu�il a lui-m�me com-pos�e en l�honneur de Marie ; Salut, vierge Marie, eest vous seulenbsp;qui avez vaincu toutes les heresies dans l�univers (i). II chante encore et d�ja ses yeux sont ouverts a la lumi�re : mille t�moins, amisnbsp;et ennemis, constatent Ie miracle. La stupeur et la joie s�emparent denbsp;I�assembl�e; cinq cents juifs se rendent a 1��vidence; Ie pape lui-m�menbsp;les baptise de sa main et inaugure ainsi Ie nouveau sanctuaire de lanbsp;M�re des mis�ricordes. En m�moire du fait, l��glise a plac� dans sanbsp;liturgie Ie chant du pieux aveugle qu�elle redit encore de nos jours (2).
Nous Ie r�p�tames avec elle et nousquittames Ie Panth�on pour nous rendre it La Minerve. Sur la place de ce nom, situ�e au centre de Rome,nbsp;se trouve le c�l�bre couvent des Dominicains avec leur belle biblio-th�que et leur grande �glise batie sur les ruines d�un temple d�di� anbsp;Minerve. Line tombe illustre appelle en ce lieu l�artiste et le chr�tien;nbsp;ici repose le bienheureux Angelico de Fiesole. La double aur�ole denbsp;la saintet� et du g�nie entoure le front immortel du fils de saint Dominique. Peintre vraiment catholique, le bienheureux Angelico mou-rut en 1455. Derri�re l�autel de la sacristie est un petit oratoire d�o�nbsp;s�exbale je ne sais quel parfum d�innocence et de charit�; c�est lanbsp;chambre de sainte Catherine de Sienne. Heureux habitant de la ville
(lt;) Gaude, virgo Maria, cuuclas haereses sola inlcremisti in universo mundo. (2) Baron., an. 850.
PLACE NAVONE. nbsp;nbsp;nbsp;iOd
�ternelle, qui avez tant de lieux ou la d�votion semble naitre de tout ce qui vous envii�onne!
Au milieu de la place s��l�ve l�ob�lisque �gyptien consacr� jadis ii Neith, qui �tait la Minerve des Grecs et des Romains. Ce monolithenbsp;fut trouv� en 1665, dans les jardins du couvent, pr�s d�un templenbsp;d�Isis. Deux ans plus tard, Alexandre VII Ie fit �riger au lieu qu�il oc-t'upe encore aujourd�hui ; l�inscription fait allusion a F�lephant quinbsp;^ui sert de pi�destal:
Sapientis ^Egypli insculptas obelisco figuras,
Ab elephanto belluarum fortissima gestari Quisquis bic vides, documenlum intelUgenbsp;Robusta; mentis esse solidam sapienliam suslinere.
Quittant la r�gion deMa Pigna, nous entrames dans Ie Parione. Au t�entre de ce nouveau quartier est la place Navone; elle succ�de aunbsp;cirque d�Alexandre S�v�re, dont elle conserve la forme ellyptique.nbsp;Trois belles fontaines lui servent d�ornements : celle du milieu passenbsp;pour Ie chef-d�oeuvre du Bemin. L�ensemble repr�sente les quatrenbsp;grands lleuves des quatre parties du monde ; Ie Danube, Ie Gange, Ienbsp;Nil et la Plata. Ces statues colossales sont assises aux quatre coinsnbsp;d�un rocher brut, dont Ie sommet est couronn� par un ob�lisque. Lenbsp;cocher, perc� des quatre c�t�s, jette quatre ruisseaux et pr�sente unenbsp;''ue de caverne. Du milieu sortent un lion et un cheval qui viennentnbsp;s�abreuver. L�ob�lisque, auquel le rocber sert de pi�destal, est un mo-�toliihe �gyptien trouv� dans le cirque de Romulus.
Tous les mercredis, la place Navone pr�sente le coup d�oeil le plus '�ari� et te plus piltoresque. Elle se couvre de petites boutiques ennbsp;plein vent, dans lesquelles on offre aux amateurs toute esp�ce d�objetsnbsp;quincaillerie, de bric-�-brac et surtout d�anliquit�s trop souventnbsp;*�odernes. C�est a un Francais, le cardinal de Rohan, ambassadeur i�nbsp;^onie, qu�on est redevable de ce curieux march�. La m�nie place sertnbsp;^'^ssi ii 1�amusement du peuple romain. Tous les samedis du moisnbsp;*1 ao�t, vers le soir, on ferme les pertes d eau, en sorte que le lende-�^ain la place devient un lac. Les beaux �quipages viennent s�y pro-*'icner, les chevaux ont de Peau jusqu�au poitrail, le peuple circulenbsp;�tutour de la place dans des galeries improvis�es, pendant que plusieursnbsp;*^�cps de musique ex�eutent de joyeuses symphonies. Rome n�est nul-Icnient ennemie des plaisirs innocents; je crois m�me qu�il n�est au-cune ville dans le monde o� les divertissements de ce genre soient
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plus communs et plus accessibles a la multitude. Cette observation, qui se repr�sentera plus tard, me semble tr�s-significative.
Quand vous avez admir� les chefs-d�oeuvre modernes et repass� dans votre esprit les souvenirs pa�ens du cirque de S�v�re, Ie Christianismenbsp;vous apparait et vous montre ici Ie th�atre d�un de ses plus �clatantsnbsp;iriomphes. Quelle est cette magnifique �glise qui s��lcve en face de lanbsp;grande fontaine, sur la partie lat�rale de la place? Le premier enfantnbsp;r�pondra : C�est l��glise de Sainte-Agn�s, la bien-aim�e des Remains.nbsp;Oui, dans ce m�me lieu ou r�gne la jeune vierge qu�immortalise unenbsp;double victoire, �tait, sous le paganisme, le lupanar du cirque. Or,nbsp;un jour, le fils du pr�fet Sempronius demande la main de la viergenbsp;chr�tienne. Agn�s r�pond qu�elle est fiancee a un �poux divin : sonnbsp;refus est compris. Sempronius prend les int�r�ts de son fils et fait ar-r�ter la noble enfant. Suivant le style des tyrans, promesses, menaces,nbsp;tout est mis en oeuvre pour �branler sa r�solution. Vains efforts!nbsp;Agn�s r�siste de toute la puissance de sa candeur et de sa foi. Sempronius la fait d�pouiller de ses v�tements et jeter dans le lupanarnbsp;pour �tre abandonn�e aux insultes des libertins. � Et vous faites ainsi,nbsp;s��criait Terlullien, notre plus bel �loge, puisque le plus grand sup-plice que vous puissiez inventer contre nos filles et centre nos soeursnbsp;est d�exposer a vos outrages leur pudique vertu; � mais le Dieu desnbsp;vierges prit soin de sa jeune �pouse : miraculeusement prot�g�e contrenbsp;les attaques des libertins, Agn�s victorieuse expira au milieu des tour-ments. Cela se passait sous l�empire de Diocl�tien, Agn�s �tant �g�enbsp;de treize ans.
Avec quel religieux respect le voyageur moderne p�n�tre dans ce lieu souterrain, th�atre d�une victoire dont il b�n�ficie encore apr�snbsp;quinze si�cles! A la lueur d�une torche, il lit au d�tour de I�escaliernbsp;l�inscription qui rappelle Ia protection miraculeuse dont le Seigneurnbsp;couvrit sa fid�le servante, et bient�t il foule le pav� en mosa�que touch� par les pieds de la sainte : il est dans son cachot. La jeune h�ro�nenbsp;y fut jet�e par une ouverture pratiqu�e a la voute, semblable � cellonbsp;de la prison Mamertine. Ce cachot tr�s-�troit peut avoir douze piedsnbsp;de profondeur. 11 �tait enti�rement priv� de lumi�re; aujourd�hui unnbsp;larmier y laisse p�n�trer quelques rayons d�une lueur incertaine. Lenbsp;lupanar voisin dans lequel Agn�s fut conduite, se compose de deiixnbsp;pi�ces vo�t�es en belles pierres; chaque pi�ce porte douze pieds denbsp;hauteur sur autant de largeur et vingt pieds de longueur. �el est lenbsp;glorieux th�atre o� Ie Christianisme, personnifi� dans une jeune fifionbsp;de treize ans, triompha des deux plus redoutables puissances du pag�'
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nisme, la volupt� et Ia cruaul�. A Ia vue de ces lieux si �loquents, Ie coeur s��meut, la foi grandit et l�on se rappelle avec admiration cenbsp;fait trop peu remarqu� de notre histoire primitive : dans les redou-tables combats qui furent livr�s a nos p�res, on vit quelquefois lesnbsp;hommes palir et renier la foi; mais on ne cite pas une jeune vierge quinbsp;ait trembl� ou du moins qui soit morte dans Fapostasie. Tant est vraienbsp;cette parole que Dieu se plait h choisir ce qu�il y a de plus faible pournbsp;confondre ce qu�il y a de plus fort!
11 JANVIER.
Patais Braschi. � Anecdote. � Place de Pasquin. � Chiesa nuova. � Souvenirs de saint Philippe de N�ri. � Le jeune Spazzara.� Campodi-Fiore.� Th��tre, portiqucs, curienbsp;de Pomp�e. � Mort de C�sar. � Palais Spada. � Statue de Pomp�e. � Saint J�r�menbsp;de la Cliaril�. � Naumachie de C�sar. � Combat naval.
D�s le matin nous nous retrouvions sur la place Navone. Apr�s l�a-voir parcourue dans toute sa longueur nous tournames a droite et nous fumes devant Ie palais Braschi. Cette superbe habitation rappelle la glorieuse m�moire de Fimmortel Pie VI; le grand escaliernbsp;passe pour un chef-d�oeuvre. En gravissant les larges marches denbsp;marbre poli, nous pensions au ponlife qui les avait tant de fois mon-t�es; nous le suivimes ensuite de son palais dans les prisons du Directoire et jusqu�h la citadelle de Valence, devenue son tombeau. Puissenbsp;la justice divine pardonner h la France les attentats sacrileges commisnbsp;contre Point du Seigneur! A ces souvenirs solennels, un de nos amisnbsp;joignit une curieuse anecdote relative au m�me Pontife. En 178.1,nbsp;Pie VI se rendit a Vienne pour conf�rer avec 1�empereur des affairesnbsp;�la 1��glise. Chemin faisant, son compagnon de voyage lui dit : � Sa-vez-vous, Tr�s-Saint-P�re, que les populations protestantes regardentnbsp;ancore le pape comme 1�antechrist et qu�elles croient, en consequence,nbsp;que votre Saintet� a un pied de bouc? � Cette �trange r�v�lation di-^ertit d�abord l�excellent Pontife. Puis, prenant en piti� Terreur denbsp;pauvres gens, il dit : � Nous leur montrerons le contraire. � Arriv� a Worms, il voulut apr�s le diner se promener a pied sur unenbsp;�las places de la ville : Pie VI passait pour le plus bel h�mme de sonnbsp;si�cle. La foule �bahie le regarde; sa taille �lev�e, sa noble d�marche, sa belle figure o� se peint la bont� du p�re et la majest� du Pon-^*fa, ses mani�res si simples et si distingu�es, tout en lui attire etnbsp;subjugue; mais les pieds.....ils sont Tobjet d�une avide curiosit�. Or,
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Ie pape a les pieds comme tout Ie monde! oui, comme tout Ie monde : vu, connu, d�montr�. Le pape n�est done pas Tantechrist, comme Ienbsp;disent les livres de Luther, comme le pr�chent les ministres, commenbsp;nous le croyions hier encore; on nous trompe, on se moque denbsp;nous : telles furent les r�llexions qui circul�rent dans la foule, et lesnbsp;pieds du Pontife pr�par�rent ces nombreuses conversions que la vuenbsp;de nos pr�tres francais devait achever quelques ann�es plus tard.
A deux pas du palais Braschi est la place proverbiale de Pasquin. Pasquin �tait un tailleur qui se plaisait a railler tous ceux qui pas-saient devant sa boutique. Apr�s sa mort on trouva une anciennenbsp;statue fort endommag�e dont personne ne put dire le nom. Le peuplenbsp;la baptisa du nom de Pasquin, et chaque nuit elle regoit les lazzis etnbsp;les quolibets des satiriques de Rome, qu�elle r�p�te toute la journ�e.nbsp;Le lendemain on trouve la r�ponse aux pasquinades, affieb�e sur lanbsp;statue de Marforio, voisine du Capitole. D�s l�aurore la foule curieusenbsp;se presse autour des deux statues parlantes, qui parfois disent de s�-v�res, mais bonnes v�rit�s.
Continuant dans la direction de la place de Pasquin, on arrive en quelques minutes a l��glise de Ssimte-Marie-in-Navicella, autrementnbsp;Chiesa nuova. Cette superbe �glise, qui doit sa fondation h saintnbsp;Gr�goire le Grand, fut rebatie en 157,'! par les soins de saint Phi-lippe-de-N�ri. L�or, le marbre et les riches peintures y brillent denbsp;toutes parts, surtout dans la chapelle de Saint-Philippe, o� repose lenbsp;corps v�n�cable de l�ap�tre de Rome. Fondateur de la congr�gationnbsp;de rOratoire, Philippe-de-N�ri fut tout a la fois le grand confesseurnbsp;de Rome, bami des jeunes gens, le p�re des pauvres, le protecteurnbsp;des ouvriers et le raod�le des pr�tres. A tant de titres il m�rita la reconnaissance filiale des Remains, et parmi eux nul autre nom n�estnbsp;plus populaire. Un p�re de l�Oratoire nous conduisit d�abord dans lanbsp;chambre du saint. Suivant la tr�s-louable coutume d�Italie, cettenbsp;chambre v�n�rable est conserv�e lelie qu�elle �tait durant la vie dunbsp;serviteur de Dieu, avec les m�mes meubles qui furent a son usage. Lanbsp;nous vimes son confessionnal en mauvais bois de sapin vermoulu, etnbsp;dont le si�ge est garni d�un petit coussin doubl� de cuir. A l�instarnbsp;des autres confessionnaux d�Italie, les grilles secomposent d�une simplenbsp;feuille de t�le perc�e de petits trous ronds comme une �cumoire. Quenbsp;de sages conseils, que de consolantes paroles, que d�exhortations con-vertissantes ont pass� par l� I Grilles tant de fois v�n�rables, que nenbsp;pouvez-vous parler? Dans une petite armoire on garde la chaufferettenbsp;du saint confesseur, elle est couverte d�un bois grossier; plus loin
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e est son pauvrelit, et enfin Ie modeste pulpito duquel il parlait.
Cette pi�ce unique composait tous les appartements de celui qui refusa tant de lois les palais, les richesses et les dignil�s humaines.nbsp;La il donnait ses audiences spirituelles et recevait ses nombreux visiteurs. Toujours aimable, toujours plein de l�esprit de Dieu, il avaitnbsp;Ie talent de renvoyer contents et meilleurs ceux qui l�approchaient.nbsp;Un jour, entre autres, Ie jeune Frangois Spazzara, glorieux rejetonnbsp;d�une noble familie, vint trouver Ie p�re Philippe afin de causer fa-inili�rement avec lui. � Vous vous livrez maintenant a l��tude dunbsp;droit? lui dit Ie saint. � Oui, p�re Philippe, et avec beaucoup d�ar-deur. � Que vous �tes heureux! parlez-moi un peu de vos projets,nbsp;continua Ie saint en lui faisant des caresses extraordinaires. �J�es-p�re �tre bient�t rcQU docteur. � Que vous �tes he�reux! �Jenbsp;compte devenir avocat consistorial, puis entrer dans la pr�lature. �nbsp;Que vous �tes heureux! � Puis Ie saint se mit � d�tailler toutes lesnbsp;grandeurs que Ie monde pouvait lui olTrir et dont l�id�e avait pass�nbsp;par la t�te du jeune homme. Apr�s chaque gloire, chaque avantage, ilnbsp;r�p�tait : Que vous �tes heureux! Francois prenait tout cela au s�-rieux, lorsque Ie saint Ie pressant tendrement sur son coeur, lui ditnbsp;tout bas a 1�oreille : Et apr�s! Ces deux mots rest�rent si profond�-ment grav�s dans Fame du jeune homme, que, de retour chez lui, il nenbsp;pouvait s�emp�cher de se les redire. A la suite de chacun de ses r�vesnbsp;de fortune revenaient ces deux mots inexorables : � Et apr�s! etnbsp;apr�s il me faudra mourir.... tout quitter.... �tre jug�.... ahsous ounbsp;condamn�.... Vanit� de tout ce qui passe, s��cria-t-il un jour; puis,nbsp;tournant toutes ses pens�es vers celui qui ne passe pas, il entra dansnbsp;Ia congr�gation de FOratoire o� il v�cut et mourut saintement (Q.
Et apr�s! Ces deux paroles myst�rieuses semblent retentir encore ^ 1�oreille du voyageur dans cette chambre ou elles furent si elBcace-�16nt prononc�es, et Ie pr�parent a entrer dans la petite chapelle dunbsp;�aint. Elle est contigue a la pi�ce que nous venions de visiter; icinbsp;rien n�est chang� ; m�me porie, m�me crucifix en bois, m�me tableaunbsp;'^6 la sainte Vierge tenant Fenfant J�sus, m�me autel; en un mot,nbsp;��me ameublement a Fusage du saint pr�tre et tant de fois t�moinnbsp;�Ia ses pri�res, de ses larmes et de ses divines extases. On ne peut,nbsp;sans �prouver un profond saisissement, fouler ce sol v�n�rable et ap-Pliquer ses l�vres au lableau miraculeux plac� sur Fautel. Descendusnbsp;^ Ia sacristie de F�glise, nous vimes un assez grand nombre de lettres
Vie de saint Phil., 1. ni, p. 257.
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autographes du saint, une bonne partie de ses v�tements, Ie reliquaire qu�il re^ut de saint Charles Borrom�e apr�s l�avoir gu�ri, Ie crucifixnbsp;qu�il portait sur sa poitrine et un morceau de pain laiss� par lui anbsp;son dernier souper, la veiile de sa mort. Que tous ces objets ou seu-lement quelques-uns aient appartenu � Cic�ron, a C�sar, amp; n�importenbsp;quel pa�en d�un certain renom, et il n�est pas un touriste qui ne vou-l�t les voir, qui ne f�t tr�s-heureux et tr�s-fier de les avoir vus. Soit:nbsp;pourquoi done trouveriez-vous �trange, ridicule peut-�tre l�enthou-siasme et la sainte joie du chr�tien a la vue des restes v�n�rables denbsp;nos grands hommes? Nos saints valent bien vos h�ros! La visite denbsp;rOratoire se termina par une derni�re station dans la magnifiquenbsp;chapelle o� repose saint Philippe. Puisse rillustre confesseur de Romenbsp;obtenir a tous ses fr�res dans Ie sacerdoce l�esprit de sagesse, de douceur et de z�le dont il fut dou� pour la direction des ames!
De la Chiesa nuova, notre course pril sa direction vers Ie Campo-di-Fiore. C��tait entrer en plein paganisme. Le champ de Flore donn� au peuple remain par Acca Laurentia, fameuse courtisane dont Ma-crobe rapporte l�histoire (i), rappelle et les prodigalit�s du luxe, etnbsp;les plaisirs insens�s de la vieille Rome, et la mort tragique du premier des C�sars. Des bosquets de platanes, reli�s par de superbesnbsp;portiques, peupl�s de statues d�hommes et d�animaux, rafraichis parnbsp;des fontaines jaillissantes; puis des basiliques et enfin des theatres ;nbsp;tels �taicnt les principaux ornements de ce lieu de d�lices. Entre tousnbsp;ces edifices brillait le th�amp;tre de Pomp�e dont on voit encore quel-ques vestiges au palais Orsini. Le vainqueur de Mithridate fut le premier qui batit Rome un th�atre permanent; jusque la les th�.ltresnbsp;�taient d�molis apr�s les jeux. Afin de faire respecter son ouvrage,nbsp;Pomp�e y joignit un temple d�di� a V�nus victorieuse : Veneri vic-trici. Br�l� plusieurs fois, du moins en partie, il fut tour a tour res-taur� par Tib�re, Caligula, N�ron (2). Ce dernier eut un jour la fan-taisie de montrer a Tirldate, roi d�Arm�nie, la richesse et la splendeurnbsp;du peuple remain. En vingt-quatre heures il fit dorer les vo�tes, lesnbsp;corniches, les pilastres, en un mot, toutes les parties du th�atre quinbsp;ne l��taient pas. Qu�on juge de F�bahissement du prince �tranger ennbsp;entrant dans eet �difice d�or, o� trente mille spectateurs �taient assisnbsp;et dont Fimmense pourtour �tincelait a�x rayons de plusieurs milquot;nbsp;liers de flambeaux (5)!
(1) Saturn., lib. i, c. tO.
(a) Tacite, Annul., lib. vi; Suet., in Tiber.; id., in Calig.; Plin., lib. xxxin.
(3) Plin., id.; Dio., lib. lxiu.
-ocr page 119-THEATRE DE POMP�E. H5
Pomp�e ayant obtenu, par une glorieuse exception, les honneurs du trionaphe, lorsqu�il n��tait encore que simple chevalier remain, fitnbsp;hdtir, pr�s de son theatre, un temple it la Fortune �questre. Vint en-suite la construction de son c�l�bre portique et de sa Curia si fameusenbsp;par la mort de C�sar. Le portique se composait de superbes arcadesnbsp;soutenues par cent colonnes du plus beau inarbre. Suivant les �rudits,nbsp;il servait tout d la fois de promenoir aux gens oisifs, de retraite auxnbsp;spectateurs lorsque la pluie les forfait a quitter le theatre, et enfin denbsp;chemin pour aller a la Curia. Non moins somptueux que les autres,nbsp;ce dernier �difice, qui occupait I�espace compris entre le palais Orsininbsp;et l��glise de Sami-kadv�-della-Valle, �tait destin� aux assembl�es dunbsp;s�nat. Le jour des ides de mars, l�an 45 avant l��re chr�tienne, lesnbsp;p�res consents s�y r�unissaient. Malgr� de funestes pronostics, C�sar,nbsp;dont la puissance est it son apog�e, y parait �i son tour. Le maitre dunbsp;monde se trouve, sans le savoir, au milieu de ses assassins. Brutus etnbsp;Cassius, tous deux pr�teurs, s�approchent comme pour lui parler; ennbsp;ra�me temps les conjur�s, l�enveloppant de tous c�t�s, le percent denbsp;coups de poignards. Les s�nateurs, �trangers au complot, sont telle-ment saisis d��tonnement et d�horreur qu�ils n�ont la force ni de prendre la fuite, ni de secourir C�sar, ni m�me de prof�rer une parole. Lenbsp;dictateur se d�fend seul avec beaucoup de courage; mals apercevantnbsp;Brutus, qu�il avait toujours ch�ri comme un fils, au nombre des conjur�s, il s��crie : � Et toi aussi, Brutus! � A ces mots il se couvre lenbsp;fisage avec sa robe, et, perc� de vingt-trois coups, il va tomber aunbsp;pied de la statue de Pomp�e.
Nous �tions sur le lieu m�me oii le tragique �v�nement s��tait accompli. Pour en voir un t�moin encore subsistant, il suflit d�entrer
palais Spada o� se trouve la fameuse statue dont je viens de parler. Elle est de marbre blanc, d�un excellent travail et de proportions h�-co�ques. Pomp�e est repr�sent� dans l�attitude du commandement, unnbsp;^^ras �tendu; mais le nu antique emp�che de le fixer (t). �trangesnbsp;vicissitudes des choses humaines! Deux rivaux se disputent le sceptrenbsp;flu monde : Pomp�e vaincu par C�sar tombe sous les coups des Bar-tiares, et C�sar poignard� par les siens vient expirer aux pieds de lanbsp;statue de son rival. L�un et l�autre s��taient jou�s trop souvent de lanbsp;vie de leurs semblables : la justice de Dieu devait avoir son tour.
Quant a C�sar en particulier, nous nous trouvions ii quelques pas seulement du lieu o� il donna un jour le spectacle de la plus froide
(0 Quelques-uns rcyoqucm en doutc l�identit� de cette statue.
ril 6 nbsp;nbsp;nbsp;LES TBOIS ROME.
cruaut�. Avant de Ie visiter nous entrames, pour reposer notre �tne, dans la petite �glise de Saint-J�r�me-de-la-Charit�. Batie sur remplacement de la maison de sainte Paule, elle rappelle et cette illustrenbsp;fille des Scipion, et saint J�r�me lui-m�me qui vint y loger pendantnbsp;son s�jour a Rome, en 382. Longtemps elle fut un p�lerinage oblig�nbsp;pour les artistes, paree qu�elle poss�dait la Communion de saint J�r�me, Ie chef-d�oeuvre du Dominiquin : aujourd�hui elle n�en a qu�unenbsp;copie, l�original est au Vatican. N�anmoins elle peut encore of�rir anbsp;l��tude et m�rae a l�admiration la nappe de communion de la premi�renbsp;chapelle laterale. Cette nappe, unique en son genre, est de marbrenbsp;rouge vein� de blanc; on dirait un tulle, ou une broderie � l�aiguille,nbsp;tant elle est finement d�coup�e. Aux extr�mit�s sont agenouill�s deuxnbsp;jolis anges adorateurs, eo marbre blanc, qui la soutiennent d�licate-ment et la laissent retomber en gracieux festons. Ind�pendamment denbsp;ce curieux travail, les grands souvenirs que cette �glise rappelle suf-firont toujours pour attirer Ie voyageur chr�tien.
Continuant a circuler dans Ie Campo-di-Fiore, dont on aime� �tu-dier tous les contours, nous arrivames, en faisant une pointe, a l�an-cien champ Caudeta. C�est dans la partie basse de ce terrain, voisin du Champ de Mars et du Tibre, que C�sar fit creuser sa Nauma-chie (j). Apr�s la conqu�te de l�Espagne et des Gaules, Ie dictateurnbsp;voulut y donner un spectacle digne de lui et du peuple remain. Dansnbsp;l�immense bassin alimcnt� par les eaux du fleuve, on vit un jour en-trer cent navires, bir�mes, trir�mes et quadrir�mcs. Partag�s en deuxnbsp;flottes, ils occupaient les deux extr�mit�s du lac et avaient devant euxnbsp;un vaste champ de bataille : un c�t� portait Ie nom d�arm�e de Tyr,nbsp;l�autre celui d�arm�e d��gypte (2); dix-neuf mille hommes montaientnbsp;ces batiments. Suivant Tacite, ces combaltants �taient tous des malfai-teurs (5). Vraiment o� Rome avait-elle �t� chercher dix-neuf millenbsp;malfaiteurs? Ah! l�histoire ne nous Fa que trop appris; les esclaves,nbsp;les gladiateurs, les prisonniers de guerre : tels �taient les malfaiteursnbsp;que Rome forfait h s��gorger pour son plaisir.
Dans la crainte que les naumachaires, enhardis par leur nombre et sachant d�ailleurs Ie sort qui les attendait, ne voulussent se r�vol-
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Suivant Feslus, Ie champ Caudeta se trouvait au.dela du Tibre : Caudeta ager, innbsp;quo f'rutices existunt in modum caudarum equinarum. � Caudeta appellatur agernbsp;trans �iberim, quod in eo virgulta nascuntur ad caudarum equinarum simililudineni-V. Caud.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Suet., Coes., 59.
(3) nbsp;nbsp;nbsp;Annal., lib. xu, 36.
COMBAT NAVAL. 117
ler, on avail horde le bassin de troupes pr�tes h les repousser le fer a la main. Enfin C�sar arrive, on le reconnait de loin i la couronne denbsp;lauriers qui ne quitte plus son front d�pouill�, a I�habit triomphalnbsp;qu�il a le privil�ge de porter dans tons les jeux publics, a I�ensemblenbsp;de sa mise ou r�gnent la recherche la plus �l�gante et la mollesse lanbsp;plus eff�min�e (i). Entour� d�un cort�ge de jeunes olEciers et pr�c�d�nbsp;de licteurs par�s de lauriers, il s�avance vers le fauteuil d�or qui luinbsp;ast pr�par�, lorsqu�il entend ses soldats murmurer hautement conlrenbsp;lui. La magnificence d�ploy�e dans les f�tes pr�c�dentes et renouvel�enbsp;dans celle-ci cause leur m�contenlement. � A quoi bon toutes ces d�-Penses, disent-ils, n�aurait-il pas mieux fait de nous partager eetnbsp;argent? � Le dictateur eff�min� jette un regard foudroyant sur lesnbsp;t�m�raires qui semblent le braver; puis, s��langant au milieu d�euxnbsp;avec toute l�imp�tuosit� de la col�re, il en saisit un de sa propre mainnbsp;at le livre au supplice. Ce trait de vigueur, je dirais de despotismenbsp;t�usulman, r�tablit l�ordre, et C�sar retourne avec une lenteur affect�enbsp;prendre place sur l�esp�ce de tr�ne qui lui est r�serv� (2).
Les deux flottes d�filent alors devant lui. C�sar, ceux qui vont mourir te saluent, crient, suivant l�usage, les naumachaires en passant aux pieds du dictateur. Bien que prononc�s il y a dix-neuf si�cles,nbsp;ces mots, que semblait r�p�ter encore le lieu o� nous �tions, jetaientnbsp;Un frisson jusqu�aux profondeurs de l��me. Cependant les navires senbsp;rangent, einquante d�un c�t�, cinquante de l�autre. Le signal estnbsp;donn�, les combattants poussent un cri unanirae, les manoeuvres com-^'lencent, les rames se l�vent et retombent en cadence; Pair retentit.lesnbsp;'aisseaux s��branlent et le combat s�engage d�abord de loin. Lespierres,nbsp;lu plomb, les brandons, garnis d��toupes enflamm�es, frott�s d�huile,nbsp;d� bitume et de soufre; les fl�ches, les javelots volent de toutes parts,nbsp;^�Uc�s par des machines guerri�res ou par le bras nerveux des combat-^^^'ts, et remplissent Pair de longues trainees de llamme et de fum�e.
En peu d�instants Pespace disparait sous les nefs �cumantes; les '^^Ux flottes se joignent avec un choc violent qui fait fr�mir et reculernbsp;ondes. Les redoutables �perons d�airain dont chaque proue estnbsp;�rm�e s�enfoncent dans les flancs des navires et en ressortenl pour s�ynbsp;*'�plonger encore. Bientot les gal�res s�affaissent, quelques infortun�snbsp;^^saient de se sauver en nageant; mais ils sont repouss�s dans les flotsnbsp;P3r les impitoyables gardes du rivage. La flotte �gyptienne conduite
jO Suet., Cces., 43; Dio., ]ib. xliii. '�) Uio., lib. xuii.
-ocr page 122-H8 LES TROIS ROME.
avec moins d�habilet� que la Hotte tyrienne est accul�e aux berges de Ia Naumachie. Ainsi bloqu�e, elle cherche a r�tablir I��galit� du combat en tentant l�abordage. Le massacre devient horrible, des torrentsnbsp;de sang inondent les ponts, les eaux en sont rougies, les navires dispa-raissent engloutis dans les flots, a peine quelques-uns surnagent encore mont�s par les d�bris mutil�s de dix-neuf mille hommes! C�sar,nbsp;qui pendant le spectacle n�a cess� de lire des lettres (i), se l�ve tout anbsp;coup, et, d�un air aussi distrait qu�indiff�rent, ordonne de faire gr�cenbsp;a ceux qui restent (a).
Le peuple, qui avail accueilli le diotateur par des applaudissements universels, s��loigna en murwmrant, paree que, disait-il, dans tons lesnbsp;jeux publics C�sar affectait de s�occuper d�autre chose que du spectacle. Mieux qu�un livre, ce dernier trait peint la vieille Rome : il estnbsp;digne de Tacite (s).
Quelques coins du Champ de Flore et du Champ de Mars nous res-faient � visiter, mais il �tait trop tard pour entreprendre une nouvelle excursion. Rentr�s a cinq heures, nous r�digions les notes de la jour-n�e, lorsque la bonne Maddalena frappe i ma porte et me dit : Ecconbsp;un signore che vuol parlargli. Je passe dans la pi�ce voisine et je re-connais M. N... � Vous me voyez hien tard, dit-il, mais je n�ai punbsp;venir plus t�t. Ce matin j�ai demand� votre audience au Saint-P�re etnbsp;ce soir m�me j�ai re^u la r�ponse, c�est pour demain a neuf heures etnbsp;demie. �Moi, demain, voir le Saint-P�re! � Je ne pus dire autrenbsp;chose, et il me passa une esp�ce de fr�missement des pieds a la t�te. IInbsp;fut convenu que le lendemain, � neuf heures, je serais en voiture surnbsp;la place Colonne. M. N... partit, et je m�empressai d��crire les gr�eesnbsp;que je voulais demander.
12 JANVIER.
Audience papale. � Impressions. � Accueil du Saint-P�re. � Royaut� pontificale.-' Cabinet particulier du pape. � Portrait de sa Saintet� Gr�goire XVI. � C�r�monienbsp;du baisemeut des pieds.
Le temps est hien pour quelque chose dans nos f�tes; un soleil br�' lant, une temp�rature mod�r�e, un ciel sans nuage invitent a la joie etnbsp;compl�tent les douces impressions d�un coeur content. Aussi je rendis
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Suet., Atig., i�.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Tacit., AnnaL, xii, S6.
(3) nbsp;nbsp;nbsp;ld., id.; Rome au si�cle d�Auguste, t. iv, p. 9�.
-ocr page 123-A�DIENCE PAPALE. nbsp;nbsp;nbsp;119
gr�ces a Dieu, lorsqu�arriv� sur la place Colonne je vis Ie soleil briiler tons ses feux sous un ciel d�azur dont pas une vapeur ne ternissaitnbsp;1��clat : entre Ie riant spectacle de la nature et les dispositions de monnbsp;^TOe, il y avait harmonie. A neuf heures pr�cises la voiture roulait versnbsp;Ie Vatican. J��tais en grand costume de pr�tre francais; d�une mainnbsp;je relenais mon large manteau de c�r�monie, de Fautre je portais lanbsp;lioite conteiiant mes chapelets et mes faveurs. Arriv�s au pont Saint-Ange Ie coeur me battait d�ja bien fort : � En v�rit�, dis-je a M. N...,nbsp;Je ne sais quelle contenance je vais avoir devant Ie Saint-P�re, je suisnbsp;lellement �mu que je r�ponds d�avance de faire quelque belle gauche-fie. � On me'rassura; mais il �tait un peu tard; F�quipage s�arr�laitnbsp;pied de Fescalier royal. Nous montames doucement ces superbesnbsp;�Marches que tant de inilliers de princes de 1��glise et de princes desnbsp;peoples, tant d��v�ques, tant de missionnaires p�lerins du monde etnbsp;des si�cles, avaient mont�es! Comme eux j�allais me prosterner auxnbsp;Pieds du Pontife immortel. Encore un peu, et j�allais voir Ie repr�sentant visible de la Divinit�, j�allais entendre sa voix, �tre b�ni de sanbsp;l�iain, moi, obscur agneau de son immense bergerie! D�o� me vient
tant de bonheur......? Que ne puis-je Ie partager avec tous mes amis
de France.....? Get hommage de respect et d�amour filial je vais Ie
rendre au successeur de Pierre Ie Galil�en, dans ce m�me palais bUti Sur celui de N�ron, aux m�mes lieux o� les chr�tiens servirent de flam-fieaux vivants pour les jeux de C�sar, o� Ie premier des papes fut cru-t^tfi�, o� Pie VI, qui suivant les pr�dictions de Fimpi�l� devait �tre Ienbsp;dernier, fut saisi et enlev� comme un malfaiteur. Eh bien! oui, �glisenbsp;�^atholique, divine enclume forg�e par Ie Christ, vous avez us� tousnbsp;les marteaux; les N�rons anciens et les N�rons modernes ont pass�, etnbsp;^e pape demeure!
fi�ja nous �tions dans la premi�re antichambre. Par ses peintures
fresque et ses pilastres de marbre, cette immense pi�ce annonce que Ie s�jour de la papaut� est aussi Ie palais des arts. La se tenaient quel-'1'tes plantons de la garde suisse, avec trois sediarii au costume com-Pl�tement rouge. Devant nous s�ouvrirent successivement une seconde,nbsp;�tQe troisi�me, une quatri�me pi�ce, semblables � la'premi�re et pournbsp;Ie personnel et pour la d�coration. Toutefois, en avan^ant, Ie d�cornbsp;�levient de plus en plus magnifique. Des parois orn�es de tentures ennbsp;danias rouge, de tableaux choisis, de christs en ivoire d�une dimen-�ion surprenante; des vo�tes brillantes de peintures et de dorure; desnbsp;Perquets couverts de riches tapis ; tel est Fensemble de chaque salon.
�ans Favant-dernier nous trouv�mes les pr�lats domestiques du
-ocr page 124-120 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
Saint-P�re, en costume violet; un garde-noble en grande tenue mon-tait la garde a la porte qui communique a I�antichambre suivante : bient�t un cam�rier vient prendre ma provision de chapelets, qu�ilnbsp;d�pose sur un plateau pour les pr�senter a la b�n�diction pontificale.nbsp;A peine a-t-il disparu, qu�une petite sonnelte se fait entendre : Ie moment de mon audience est arriv�. Je traverse la derni�re antichambrenbsp;occup�e par Ie majordome et par quelques pr�lats ; me voila sur Ienbsp;seuil du cabinet particulier du Saint-P�re. Une porto battante s�ouvrenbsp;et je commence les trois g�nuflexions d�usage. La premi�re n�est pasnbsp;achev�e que Ie Saint-P�re se l�ve de son fauteuil et, m�appelant parnbsp;mon nom, m�ouvre ses bras.... Je me prosterne de nouveau pournbsp;baiser la mule, mais l�excellent pape me rel�ve et, par une faveur quinbsp;me rend confus, il me donne sa main � embrasser. Je d�posai sur sanbsp;table un exemplaire de quelques-uns de mes p�ch�s liU�raires. � Jenbsp;les connais d�ja, me dit Ie Pape. � Puis il ouvrit Ie premier volumenbsp;du Cat�chisme et lut a haute voix la premi�re et la seconde page, ennbsp;disant : Si, si, questo � vero, questo � ben vero.
Avec une bont� toute paternelle il daigna me remercier de ce que j�avais �crit, encouragea mes efforts pour l�avenir, remit Ie volume surnbsp;sa table; et me prenant par la main, il se mit a causer avec moi comme
un p�re avec son enfant......tant il y avait de simplicit�, de familiarit�,
d�aimable abandon dans ses bienveillantes paroles. La conversation se prolongea longtemps; avec un tact exquis, sa Saintet� eut soin de lanbsp;faire rouler sur tont ce qui pouvait m�int�resser et comme pr�tre etnbsp;comme Francais. C�est bien ma faute si j��tais troubl�; pourtant celtenbsp;faute, je la commettais tout en me la reprochant; je ne tardai pas b ennbsp;�tre puni. A Pune des questions du Saint-P�re, je r�pondis : Ouigt;nbsp;Monsieur!i'en devins rouge craraoisi; l�auguste vieillard sourit dou-cement; puis, me serrant la main avec plus d�affection, il me demandanbsp;combien de temps je resterais a Rome : � Trcs-Saint-P�re, je comptenbsp;y rester jusqu�a Pbques. � Bien, vous viendrez me revoir, n�est-cenbsp;pas? � Ce nouveau t�moignage de bont� mit Ie comble ii ma reconnaissance et m�enhardit a demander mes grbces. Dans la salie d�attente onnbsp;m�avait dit de ne pas solliciter certaines indulgences, paree que je nenbsp;les obtiendrais pas; mais, voyant Ie Saint-P�re si bon, je hasardai ntanbsp;demande. Avec un sourire qui semblait dire : Vous ne vous g�nez pasinbsp;Ie Pape fit un signe de t�te et m�exauga. Quant a la liste des autresnbsp;grbces pour moi et pour mes amis, il la prit dans ses mains, la lu*-tout enti�re et dit : Oui, oui, tout cela : Si, si, tutto questo; et lanbsp;signa de sa main.
-ocr page 125-ACCUEIL DU SAINT-P�RE. nbsp;nbsp;nbsp;'J21
L�audience s��tait prolong�e au dela du temps ordinaire; un cam�-rier ouyrit la porie, Ie vicaire de J�sus-Christ me b�nit de nouveau, et 3pr�s avoir pris mes mains dans les siennes, m�engageant a revenir,
se dirigea vers son fauteuil et je sortis. Tel est en abr�g� I�accueil 'lue je rcQus de Gr�goire XVI: beaucoup d�autres peuvent en dire au-lant. Le r�cit de tant de faveurs imm�rit�es, devait rester enseveli dansnbsp;ttn silence �ternel; ainsi le demandait l�amour-propre; mais amp; notrenbsp;�poque de d�nigrement et d�ind�pendance, il est pour le p�lerin denbsp;Home un devoir imp�rieux, c�est de faire connaitre la royaut� pontificale dans son double caract�re de majest� divine et de bont� pater-nelle. La vue seule du Vatican, ces salons grandioses o� brille le luxenbsp;fies beaux-arts, ces gardes qui les occupent, ces officiers empresses,nbsp;tout annonce au voyageur la majest� des rois, et, malgr� qu�il en ait,nbsp;Un sentiment de crainle s�empare de son ame. Si, parvenu au fond dunbsp;palais, on se trouvait en pr�sence d�un monarque assis sur un tr�ne,nbsp;environn� de magnificence; si on ne recueillait de sa bouche que quel-fiues rares paroles dict�es par l��tiquette et r�gl�es par la politique, onnbsp;festerait sous l�unique impression du respect et de la crainte; en sor-tanl on pourrait �tre fier, mais on ne serail pas satisfait: le coeur n�au-rait point eu sa part. Telle est pourtant Taudience des rois du si�cle;nbsp;tel le sentiment dominaleur qu�elle inspire. Ne vous en �tonnez pas,nbsp;ils sont maitres, ils ne sont pas p�res; ils le savent et vous le saveznbsp;comme eux.
Bien diff�rent est le roi du Vatican. A Timpression de crainte et de respect produite par l�appareil imposant de la majest� souveraine, senbsp;ui�le, en sa pr�sence, le d�licieux sentiment de la confiance et de Ta-Oaour. Tous ces magnifiques salons aboutissent a une modeste pi�cenbsp;Ou se trouve non point un monarque dans le sens d�g�n�r� du mot;nbsp;utais un p�re qui vous accueille avec empressement, qui vous regoitnbsp;fians ses bras, qui vous caresse comme un fils ch�ri; qui s�abaissenbsp;jusqu�a vous pour vous �lever jusqu�� lui; qui s�identifie avec vousnbsp;ufin de mettre son cceur a Tunisson du v�tre; qui vous parle commenbsp;� il vous avail toujours connu, et dont les l�vres ne s ouvrent que pournbsp;rous sourire et les mains pour vous b�nir. Dans ce double caract�renbsp;fie force et de douceur, d�autorit� et d�amour, de majest� et de sim-Plicit�, le type divin du pouvoir se r�v�le; un sentiment inconnu,nbsp;�i�lange ind�finissable de respect, de confiance, d�amour et de d�voue-roent, domine tous les autres: Timpression est d�licieuse; car Tesprit,nbsp;lo cceur, toutes les facult�s sont satisfaites. Ainsi, p�re et roi, et roinbsp;paree qu�il est p�re, voila Gr�goire XVI, voil� le pape. Telle est lanbsp;royaut� du Vatican, telle fut celle du Calvaire.
m LES TKOIS HOME.
Le cabinet dans lequel je re(;us mon audience est une pi�ce oblon-gue, assez �troite et simplement ineubl�e; sur un des c�l�s �tait une table a �crire. Des papiers, quelques livres, un modeste encrier et unnbsp;beau crucifix en ivoire avec une slaluelle de la sainte Vierge, en fai-saient tout rornement. Sur une estrade d�environ six pouces de hauteur s��levait un simple fauteuil de bureau, il n�y a pas d�autre si�ge.nbsp;Le Saint-P�re portait une soutane de molleton blanc, sans ceinture,nbsp;suivant l�usage d�Italie : des bas blancs, une calotte blanche, avec unenbsp;p�lerine de la m�me couleur, longue comme la moiti� d�un camailnbsp;ordinaire, compl�taient sa toilette. Le%mules seulement �taient rougesnbsp;et orn�es d�une croix d�or. Gr�goire XVI est d�une stature �lev�e, sesnbsp;cheveux sont blancs comme la neige. II a le teint frais, plut�t pale quenbsp;color�, la voix douce et forte, les yeux grands et noirs, orn�s de largesnbsp;sourcils bien arqu�s. Sa d�marche est ferme et sa taille droite malgr�nbsp;le poids de soixante-seize ans. Ses facult�s morales ont conserv� toutenbsp;leur rigueur : sa m�moire surtout est �tonnante. Ajoutcz a tous cesnbsp;avantages, la dignit� et la simplicit� des mani�res avec je ne sais quelnbsp;air de spirituelle bonhomie, et vous aurez le portrait non flatt� de l�au-guste et venerable vieillard.
Parmi les c�r�monies usit�es dans les audiences papales, il en est une dont il n�est pas inutile d�expliquer l�origine, d�autant qu�elle ex-primeasamani�re la nature de la royaut� chr�tienne qui vient de nousnbsp;occuper : je veux parler de la g�nuflexion et du baiscment des pieds.nbsp;Les peuples anciens t�moignaient leur respect pour la majest� souve-raine, soit en Il�chissant le genou, soit en se prosternant le front dansnbsp;la poussi�re. De la ces expressions si fr�quentes dans les auteurs contemporains : genuflexus ante eum, provolutus ad pedes. Encore au-jourd�hui les Orientaux s�inclinent jusqu�a terre lorsqu�ils paraissentnbsp;devant leurs maitres. Get usage, le Christianisme l�a conserv�, et lenbsp;catholique rend avec amour et dignit� au vicaire de J�sus-Christ,nbsp;rhommage que la crainte ou la flatterie arrachait aux peuples courb�snbsp;sous Ie joug du despotisme. Mais les premiers Souverains Pontifes, nenbsp;voulant pas qu�on piit croire qu�ils Fexigeaient pour leur personne,nbsp;plac�rent la croix sur leur chaussurc, afin que le fid�le en se prosternant devant eux, baisAt ce signe adorable. Dans l��glise de Saint-Mart*�-des-Monts, nous vimes la croix sur une pantoufle du papenbsp;saint Martin 1quot;, martyrise vers le milieu du viP si�cle. Le m�me signenbsp;se trouve dans le portrait en mosa�que d�Honorius Iquot;, a Sainte-Agn�s-hors-des-Murs et dans celui de saint Corneille, �galement en mosa�que,nbsp;dans l��glise de Samle-Marie-in-Trastevere. A ce premier signe d�hu-
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les Souverains Pontifes ont ajout�, depuis saint Gr�goire Ie ^rand, Ie tltre de Serviteur des serviteurs de Dieu : Servus servorumnbsp;t^ei. L��vangile, programme, devise de la royaut� chr�tienne, ces troisnbsp;*Dots grav�s au cceur des monarques seraient la garantie de leur tr�nenbsp;Ia f�licit� de leurs peuples. S�il n�en est pas ainsi, qu�on se gardenbsp;*^6 I�imputer ^ l��glise romaine, qui dans ses moindres usages et dansnbsp;plus solennels enseignements se r�v�le comme la plus grande �colenbsp;�Ia respect et comme la plus grande �cole de d�vouement; double de-'oir quijrenferme la solution de tous les probl�mes sociaux.
13 JANVIER.
au P. Maulone. �Details sur saint Alphonse, sur sa canonisation. � Leltre du Saint. � Sa Th�ologie est-elle une Th�ologie locale, nouvelle, dangereuse, de contre-Sande? �Piquante conversation du bon P�re. � Visite a Saint-Louis-des-Frangais.
Depuis longtemps une visite a laquelle je tenais beaucoup m�avait �t� promise. Vers dix heures, un excellent ami vint me prendre et menbsp;�onduisit chez les religieux du Tr�s-Saint-R�dempteur: Ie p�re Josephnbsp;Mautone, sup�rieur de la maison, �tait l�objet de ma vive curiosit�. Cenbsp;v�n�rable vieillard a re^u l�habit religieux des mains de saint Alphonsenbsp;de Liguori, avec lequel il a v�cu quatre ans. Nous Ie trouvames dansnbsp;petite celluie, occup� � mettre en ordre quelques opuscules in�ditsnbsp;'ll! Frangois de Sales de Tltalie. Aux questions que je lui adressai surnbsp;vie intime du saint �v�que, il me r�pondit: � Malgr� ses souffrancesnbsp;�ontinuelles, notre p�re �tait on ne peut ni plus gai, ni plus aimable.nbsp;Cendant la r�cr�ation il ne manquait pas de jouer du piano ou du cla-'�cin pour divertir la communaut�; il �tait l�ame de la conversation.nbsp;^ Partir du jour o� il fut nomm� �v�que, il ne voulut plus toucher anbsp;instruments. � Mon p�re, lui disaient ses enfants, pourquoi nenbsp;ihuez-vous plus? � Ma che, ma che direbbe la povera gente? Que di-Ie pauvre peuple? II ne manquerait pas de dire; Pendant quenbsp;'�o�s sommes dans la mis�re et Ie travail. Monseigneur s�amuse. � Pournbsp;^''iter cette esp�ce de scandale, il ne reprit son clavecin qu�apr�s avoirnbsp;*^oun� sa d�mission.
Digne enfant de saint Alphonse, Ie p�re Joseph est lui-m�me un ^^�s-aimable vieillard. Une longue causerie s�engagea sur la th�ologienbsp;Morale du saint �v�que et sur les contradictions qu�elle avait rencon-^^des. � A,h! me dit-il, ces contradictions ne datent pas d�aujourd�hui,nbsp;I sais quelque chose. Postulateur de la cause dans Ie proc�s de la
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canonisation de notre p�re, j�ai eu de rudes combats a soutenir. Un jour, entre aulres, Ie promoteur de la foi, que nous appelons \ulgai-rement l�avocat du diable, crut m�avoir pris dans ses filets en m�ob-jectant que saint Alphonse avait manqu� de prudence, puisqu�il availnbsp;soutenu Ie probabilisme, contrairement i l�opinion d�un grand nombrenbsp;de th�ologiens. Et cela est si vrai, ajoutait-il.qu�on assure qu�Alphonsenbsp;de Liguori s�est lui-m�me r�tract� avant de mourir. �
A ces mots, Ie bon vieillard, �tant sa barrette, me disait d�un air malin : � Je Ie laissai aller sans l�interrompre; on me croyait presquenbsp;battu. Quand il eut fini, je liis ma r�ponse a l�objection d�imprudence;nbsp;elle fut trouv�e victorieuse par Ia sacr�e Congregation, et Ie promoteurnbsp;lui-m�me abandonna ce chef d�accusation; mais restait la pr�tenduenbsp;r�tractation du saint: c�est la que j�attendais l�avocat du diable. Je tirenbsp;de mon dossier la lettre que voici, �crite par Ie saint lui-m�me peunbsp;de temps avant de paraitre devant Dieu. � �uvrant alors Ie tiroir denbsp;sa table il me lut cette lettre ; elle est tellement d�cisive qu�on menbsp;pardonnera de la rapporter.
� Le p�re Patuzzi m�insinue bien des fois dans son livre que je dols me retractor; mais il laisse entendre que j�aimerais mieux exposer Ienbsp;salut de mon ame que d�y consentir. Je le remercie de la bonne opinion qu�il a de moi. Ainsi j�ai quitt� le monde, je me suis priv� de manbsp;libert� en entrant dans ma congr�gation, o� l�on fait voeu de parfaitenbsp;pauvret� et de pers�v�rance; en un mot, je me suis condamn� � vivrenbsp;en missionnaire dans une �troite celluie, et pourquoi? pour mourirnbsp;en r�prouv�, et cela paree que je ne veux pas me rendre a la v�rit� etnbsp;r�tracter mon opinion. Mais quelle folie serail la mienne! d�autantnbsp;qu�il n�y aurait pour moi aucun d�shonneur a me r�tracter, mais glolrenbsp;devant le monde entier. En me r�tractant je dirais que jusqu�ici j�ainbsp;�t� dans la bonne foi, mais qu��tant homme sujet a Terreur, je menbsp;suis empress� de me rendre a la lumi�re lorsqu�il a plu au Seigneurnbsp;de m��clairer. Je suis certain que tous, m�me mes partisans, me re-garderaient comme un homme de conscience et ne me refuseraient pasnbsp;leurs �loges. Quant aux antiprobabilistes, de quelles louanges ne menbsp;combleraient-ils pas en me voyant passer dans leur camp? Au contraire, en restant dans mon opinion, je passe aupr�s du p�re Patuzzinbsp;et de ses adh�rents pour un cerveau f�l�, un relach�, un obstin�, etnbsp;qui mieux est, pour un homme ridicule et de mauvaise foi.
)) Mon grand age et mes infirmit�s m�avertissent que je paraitrai bient�t devant Dieu; mais je me console en pensant que ma sentencenbsp;�ternelle sera rendue non par le p�re Patuzzi, mais par J�sus-Christ
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qui voit Ie fond des coeurs. II est vrai, je crains Ie jugement h cause de roes p�ch�s; ma�s nullement a cause de l�opinion que je soutiens, carnbsp;fille me parait tellement certaine que l��glise seule pourrait me la fairenbsp;abandonneren la condamnant. Danscecas je soumettrais monjugementnbsp;a son infaillible autorit�, mais j�ob�irais sans savoir pourquoi. Ed innbsp;tal caso io sot to porr� il mio giudizio alia di lei autorit� infallibile,nbsp;e dir� che mi bisogna ubbidire, benech� sia mi ignoto il perch�. �
Ailleurs Ie saint s�exprime ainsi : lt;t Votre paternil� saura que j�eus d�s Ie principe pour maitres et pour directeurs dans les �tudes eccl�-siastiques des partisans du rigorisme; que Ie premier auteur plac�nbsp;cntre mes mains, fut Ginetti, chef des probabiliorisles, et que pendantnbsp;longtemps je fus l�ardent d�fenseur du probabiliorisme. Plus tard,nbsp;examinant les raisons de l�opinion contraire, j�ai change de sentiment.nbsp;Pendant l�espace de trente ans environ que je me suis occup� de cettenbsp;lt;lnestion, j�ai lu d�innombrables auteurs partisans de l�une et de l�au-^fe opinion : et pendant tout ce temps-li je n�ai jamais cess� de de-roander a Dieu de me faire connaitre Ie syst�me que je devais embras-ser afin d��viter Terreur. Enfin j�ai fix� mon opinion, appuy� non surnbsp;roon discernement personnel, mais sur Tenseignement des th�ologiensnbsp;et, avant tous, du prince de la th�ologie, saint Thomas, I�oracle denbsp;toutes les �coles et Ie docteur de T�glise.
� Je me suis appliqu� souvent a bien examiner ma conscience. Je SUIS certain de n�avoir �crit ni par passion, ni par enthousiasme... Jenbsp;lermine. Depuis plusieurs mois je suis atteint d�une maladie qui nenbsp;roe laisse aucun repos et qui vraisemblablement me conduira bient�tnbsp;�^iros la tombe. Or, on dit commun�ment qu�autre est Ie langage qu�onnbsp;Gent pendant la vie et autre celui qu�on tient a Tarticle de la mort;
a Theure de la mort on �prouve des remords qu�on ne sent point �ti pour mieux dire qu�on ne veut point sentir pendant la vie. Eh bien,nbsp;1� n�ai aucun remords d�avoir soutenu mon syst�me touebant Ie pro-^abilisme; que dis-je? mon plus grand remords serait de tenir Ie sys-^�roe contraire dans l�instruction des autres, bien qu�appuy� sur l�opi-G'on de certains auteurs modernes. Dans Tenseignement j�ai suivi Ienbsp;eonseil de saint Chrysostome : Circa vitam tuam esto acerhus, circanbsp;^lienam benignus. �
* A la lecture de ces lettres, ajoutait Ie p�re Joseph, vous auriez vu ^e promoteur de la foi ouvrir de grands yeux; il resta muet et la sacr�enbsp;Congr�gation d�clara qu�Alphonse avait pratiqu� la prudence dans unnbsp;h�ro�que; et remarquez qu�il s�agit ici de la prudence de T�-^rivain qui doit Ie diriger dans ses enseignements. La bulle fut r�dig�e
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et port�e a Fapprobation du Saint-P�re. Le cardinal rapporteur trem-blait en la lisant, tant les expressions de la Congr�gation �taient fortes et explicites, sur les ouvrages el la saine doctrine d�Alphonse. Lors-qu�il fut arriv� au passage qui contenait ce jugement, le Saint-P�renbsp;rinterroinpit en s��criant : Bravo, tutto questo � vero. Jugez de manbsp;consolation en apprenant cetle parole sortie de l�oracle de la v�rit�!nbsp;je dis � mon tour : Petrus locutus est, causa finila est: Pierre a parl�,nbsp;ia cause est finie.
� Pas pour tout le monde, lui dis-je, � Ah, ooi, je sais, reprit-il vivement, qu�il y a quelques mauvais Francais, Francesacci, qui r�sistent encore. Mais ils ne sont pas m�chants, non sono cattivi, dit-ilnbsp;en portant l�index a son front, sono pazzi, si, si, pazzi, e percM :nbsp;oui, oui, fous el voici pourquoi. � Alors il se mil a me d�veloppernbsp;avec bcaucoup de logique et de lucidit� les cons�quences du gallica-nisme et du rigorisme. � Je connais ces messieurs, continua le spiri-tuel vieillard; th�ologie locale, th�ologie nouvelle, th�ologie dange-reuse, th�ologie de contrebande, voila ce qu�ils disent de la morale denbsp;saint Alphonse. �
Puis �tant de nouveau sa barrette, il s�inclinait de mon c�t� et re-prenait avec une douce ironie ; � Th�ologie locale! ma per Baccho; tr�s-locale, en effet, puisqu�elle est adopt�e dans tous les lieux dunbsp;monde, en Itali�, en Allemagne, en Pologne, en Bosni�, en Servie, auxnbsp;Indes, en Am�rique et m�me en France. Voila les signatures de septnbsp;de vos �v�ques qui, d�accord avec soixante-cinq de leurs coll�gues,nbsp;prient le Saint-P�re de mettre Alphonse au nombre des docteurs denbsp;l��glise. Theologie locale! mais quand elle ne serait pas pour toutenbsp;la catholicit�, vos Francais devraient encore la regarder comme faitenbsp;pour leur pays. A qui, je vous prie, sa Sainlet� a-t-elle r�pondu solen-nellement qu�on pouvait, tuta conscientia, suivre en tout les opinionsnbsp;de saint Alphonse? Est-ce a un �v�que italien, allemand, espagnol?nbsp;Non, c�est a un cardinal franpis qui, apparemment, ne le consultaitnbsp;pas pour 1�Italie, l�Allemagne ou l�Espagne; mais pour la France, maisnbsp;pour son dioc�se; et la preuve, c�est que la pieuse �minence s�estnbsp;empress�e d�envoyer � ses pr�tres la r�ponse du vicaire de J�sus-Christ, en les exhortant h suivre une morale approuv�e par la m�renbsp;et la maitresse de toutes les �glises. Et quand cette consultation a-t-ellenbsp;�t� faite? II n�y a ni cent ans, ni cinquante ans, ni vingt-cinq ans; ily *nbsp;neuf ans. La morale de saint Alphonse est done bonne pour la Francenbsp;actuelle (i). Th�ologie locale! mais si elle est bonne pour une partie
(i) Reponse du Saint-Si�ge a son �minence le cardinal de Rohan, archev�que de Be-sanqon., 51 janvier 1833.
PIQUAKTE CONVERSATION I)U BON P�RE. nbsp;nbsp;nbsp;127
de la catholicit�, -perch�, di grazia, ne serait-elle pas bonne pour les oiitres? Depuis quand la morale a-t-elle cess� d �tre une? Qui a jamais os� dire que la r�gie des mceurs pouvait varier suivant les degr�snbsp;de longitude? Ce qui est juste, honn�te, licite, en Itali�, en Allemagne,nbsp;en Espagne, peut-il �tre injuste et illicite en France? 11 ne s�agit pasnbsp;dans la morale de saint Alphonse, de certaines applications de d�tailnbsp;^ni peuvent varier suivant les lieux et les personnes, tout en admet-Isni conime vrai Ie principe d�o� elles d�coulent; il s agil du fondement m�me de toute sa th�ologie, savoir, si une loi douteuse oblige ounbsp;n�oblige pas. Or, la solution de ce probl�me ne peut varier suivantnbsp;^es pays et les personnes; elle doit �tre n�cessairement la m�me par-^out. Eh bien, 1��glise a trouv� irr�pr�hensible sa solution donn�e anbsp;probl�me par saint Alphonse; done dans tons les pays on peut.nbsp;Pour ne pas dire on doit, suivre la morale qui en d�coule. Ecco innbsp;^reue yer la iheologia locale : voila en pen de mots pour la th�ologienbsp;locale!
� Benone, padre, benone; tr�s-bien, p�re, tr�s-bien, lui dis-je; o�est une th�ologie nouvelle ; on ne peut Ie nier. Th�ologie nouvelle! reprit-il; aA Francesacci, qui vi prendo, ah! gallicans, je vousnbsp;prends ici. Ne vous en d�plaise, sur ce point les novateurs ne sont pasnbsp;eeux qu�on croitl Quelle est, je vous prie, la date de vos theologiesnbsp;favorites? Combien en citez-vous qui soient les ain�es de celle que jenbsp;d�fends? J�en connais de vos theologies qui n�ont pas cinquante ans,nbsp;quot;lui n�ont pas vingt-cinq ans, il y en a m�me une qui n est pas tout �nbsp;fait n�e. Vous en avez, dites-vous, qui sont anciennes. Oui, elles datentnbsp;du la seconde moiti� du xvii� si�cle. Mais saint Thomas, saint Bona-''U�ture, saint Antonin, saint Raymond-de-Pennafort, les six cent cin-^'^ante-six princes et grands seigneurs du monde th�ologique, dontnbsp;fes oracles composent la morale de saint Alphonse, ne sont pas d�hier.nbsp;ffs r�gnaient avant vos th�ologiens, et, Dieu aidant, ils r�gneront en-'�re apr�s les nouveaux venus. Ah 1 vous dites que vous les entendeznbsp;�^ieux que nous : ma per Baccho! avez-vous jamais r�fl�chi sur cenbsp;si frappant? D�un c�t�, je vois en morale toutes les �glises dunbsp;*^onde, Rome b leur t�te, marchaiit dans la m�me voie et adoptantnbsp;�^its contestation la morale de saint Alphonse; de l�autre, quelquesnbsp;'ranigais qui la repoussent. Les unes et les autres disent avoir cesnbsp;�Vands saints pour maltres et pour docteurs, de quel c�t� est la vraienbsp;fmerpr�tation? Qui a chang�? Ab initio non fuit sic. Lette divisionnbsp;^ � pas toujours exist�; avant 1641, la France �tait a l�unisson des au-fves �glises. Lisez vos conf�rences eccl�siastiques, vos rituels, vos
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tli�ologies ant�rieures amp; cette �poque; elles vous offriront Ia preuve de ce magnifique accord. Pourquoi, quand et comment a-t-il cess�? de-mandez-le au jans�nisme. Le clerg� de France, tout en restant catho-lique, ne fut pas assez sur ses gardes centre les s�v�res nouveaut�s denbsp;la secte. Une nouvelle pratique remplaga l�ancienne, except� toutefoisnbsp;dans certaines communaut�s religieuses qui conserv�rent jusqu�a lanbsp;r�volution fran^aise les anciennes traditions. Voil� en peu de motsnbsp;pour la th�ologie nouvelle. �
Le bon p�re, que j��coutais avec Fint�r�t le plus vif, s�arr�ta un instant et m�offrit un portrait original de saint Alphonse, ainsi qu�un carr� de papier, sur lequel �taient des notes �crites de sa main, puisnbsp;un morceau du drap sur lequel le saint �v�qiie avait expir�. Je regusnbsp;ces objets avec une respectueuse reconnaissance; puis, apr�s quelquesnbsp;d�tails sur la pauvret� d�Alphonse, je poussai de nouveau son habilenbsp;d�fenseur en ajoutant ; � Convenez cependant, mon p�re, que cettenbsp;th�ologie est dangereuse, et qu�on en abuse.
� Th�ologie dangereuse! Gcs� mio .'je vais vous traduire cette modeste pr�tention de vos Francais : � Moi, soussign�, sup�rieur, pro-fesseur, directeur de s�minaire, cure, vicaire francais, sachant, en droitmieuxquele papesi uneth�ologieest bonne oumauvaise; connais-sant, en fait, mieux que lui la morale qu�il convient d�enseigner ennbsp;France, je d�clare dangereuse la th�ologie de Liguori, approuv�eparlenbsp;pape, et mauvaise en France quoique bonne pour l�Italie, pour l�Al-lemagne, pour l�Espagne et le reste du monde; en foi de quoi je d�clare que ma conscience ne me permet ni de suivre, ni d�enseigner 1�nbsp;susdite morale et que Rome aurait heaucoup mieux fait de mettrenbsp;Liguori ii Tindex que de l�inscrire au catalogue des saints. � Voilagt;nbsp;voila, me dit, en souriant, l�excellent vieillard, la modestie de vos doe-teurs. Or, ajouta-t-il, qui que vous soyez, sup�rieur, directeur, prO'nbsp;fesseur de s�minaire, malgr� le respect que vous m�inspirez, malgr^nbsp;ma v�n�ration pour la Sorbonne, votre concile permanent des Gaulesgt;nbsp;je vous d�clare, a mon tour, que jene connais qu�un homme au mond�nbsp;a qui il ait �t� dit : Tu es Pierre, et sur cette pierre je bdtirai tnoti'nbsp;Eglise; confirme tes fr�res; pais mes agneaux, pais mes brebis.nbsp;qu�il condamne je le condamne, ce qu�il approuve je l�approuve.nbsp;vez-vous en dire autant? On en abuse, ajouta-t-il encore; mais onnbsp;abuse aussi de l��vangile : est-il mauvais pour cela? �
Et il mefixait dans le blanc des yeux, scrutant ma pens�e; comw� je le voyais en si beau chemin je lui dis pour le lancer jusqu�au term� �nbsp;� II n�est pas moins vrai que c�est une th�ologie de contrebande qni
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s introduit furtivement dans les s�minaires et dans les dioceses, au grand d�plaisir des professeurs et des �v�ques. � Th�ologie de con-trebande! ma che vergogna! Le Saint-P�re est-il on n�est-il pas Ienbsp;rhef de l��glise universelle? Son royaume spirituel, son droit de r�girnbsp;d�enseigner s��tend-il ou ne s��tend-il pas sur tons les royaumes,nbsp;'B�me sur la bienheureuse �glise gallicane? A-t-il ou n�a-t-il pas lenbsp;�iroit d�approuver, de blamer les pr�dicateurs et les th�ologiens, denbsp;faire enseigner ou decondamner les doctrines? de leur donner ou denbsp;ieur refuser des visa et des passeports pour tout l�univers? Si vousnbsp;*fites oui, et il faut bien que vous en passiez par lii sous peine denbsp;Cesser d��tre catholique, pourriez-vous me nommer qui a le droit denbsp;*f�clarer marchandise de contrebande une th�ologie approuv�e et re-Command�e par le vicaire de J�sus-Christ? Qui a le droit d��tablir desnbsp;douanes sur les fronti�res de tel ou tel empire pour peser, verifier,nbsp;eontr�ler, contre-marquer, arr�ter, confisquer les doctrines qu�il en-''oie? Eb bien, la morale de saint Alphonse vient de Rome, son passe-Port est sign� BenoU, Cl�ment, L�on, Pie, Gr�goire; done elle n�estnbsp;pas une marchandise de contrebande; done elle est en r�gie, donenbsp;fibre passage, fibre circulation; done aux autorit�s comp�tentes de luinbsp;pr�ter secours et assistance en cas de besoin. �
A ces mots, le r�v�rend p�re se d�couvre encore et me dit en incli-Oant profond�ment la t�te : � Combien vos Francais en ont-ils qui pr�-sentent les m�mes certificats? � Je ne pus m�emp�cher de sourire en ''oyant la verve du bon vieillard. Le sel de sa conversation me la fitnbsp;fcllement go�ter que je n�ai pas eu de peine a la rapporter tout en-fi�re. Puisse-t-elle servir a fixer les esprits sur une question de la plusnbsp;fiaute importance!
En rentrantje yhilai Saint-Louis-des-Frangais; c�est la plus belle �glise nationale qu�il y ait a Rome. Outre la magnifique facade de travertin, on y admire deux superbes fresques du Dominiquin; les pein-fares de la voute par le cbevalier d�Arpin; le tombeau du cardinal denbsp;*^crnis et surtout un petit tableau de la sainte Vierge, plac� dans lanbsp;Sacristie : eet ouvrage de toute beaut� est attribu� au Corr�ge. Batienbsp;1589 sur les dessins de Jacques de la Porte, 1 �glise est d�di�e a lanbsp;aainte Vierge, h saint Louis, roi de France, et a saint Denis VAr�opa-Sfle, ap�tre des Gaules. Ainsi, n�en d�plaise � nos critiques de r�ac-Rome et nos a�eux ont toujours cru que la Gaule celtique tientnbsp;^a foi de l�illustre disciple de saint Paul. Vraiment, lorsqu�on a lu lesnbsp;aavantes Dissertations du p�re Mamachi, on s��tonne que la Francenbsp;�Moderne ait pu r�pudier une si noble origine. Jusqu�au commence-
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ment du xvii� si�cle, on ne mettait pas s�rieusement en doute, m�me pami nous, la mission de saint Denis. Le Martyrologe gallican, pu-bli� par le savant Du Saussaye, et l��glise de Saint-Louis-des-Fran^aisnbsp;� Rome, en sont un double monument: ne se Irouvera-t-il pas aujour-d�hui un critique digne de ce nom, pour reviser ce proc�s?
il JANVIER.
L�abb� Palotta. � Le Padre Bernardo. � Le P�re Ventura. � Predication italienne.
Avec la permission du Saint-P�re, Ms'' de B.... protonotaire aposto-lique, c�l�brait dans sa chapelle priv�e, la f�te patronale de saint Louis : il me pria d�y dire la messe. Je fus d�aulanl plus reconnaissantnbsp;de cette aimable invitation qu�elle devait me procurer 1�avantage denbsp;voir un des saints de Rome, le r�v�rend p�re Bernardo, religieux mi-nime. Lui et l�abb� Palotta sont hautement accus�s de faire des miracles. Le fait est qu�ils jouissent � Rome de cette v�n�ration religieusenbsp;qui s�attacbe a la saintet�, comme Fombre au corps; et tout porte inbsp;croire qu�ici la voix du peuple est la voix de Dieu. L�abb� Palotta estnbsp;un pr�tre seculier, napolitain d�origine, ami et compagnon du v�n�-rable chanoine del Buffalo, fondateur de la Congregation du pr�cieuxnbsp;Sang; il a h�rit� de son esprit et de son z�le. Sa vie se passe en toutesnbsp;sortes de bonnes oeuvres. Je vais citer en particulier �Apostolat ca-tholique, vaste conception du g�nie de la foi, dans laquelle viennent senbsp;concentrer toutes les pensees particuli�res, toutes les oeuvres isol�esnbsp;tendant � la gloire de Dieu et au bien spirituel des hommes. C�estnbsp;pour faire connaitre cette oeuvre, en la repr�sentant avec son carac-t�re d�universalit�, que pendant Foctave de F�piphanie on pr�che dansnbsp;toutes les langues a Saint-Andr�-deWa-FaWe, et qu�on y c�l�bre Ianbsp;messe dans tous les rites. L�abb� Palotta est continuellement appel�nbsp;aupr�s des malades; s�il y a une mission difficile elle semble �tre denbsp;son ressort, tant est grande la confiance qu�inspirent ses vertus!nbsp;porte toujours sur lui une image de la sainte Vierge, plac�e dans unnbsp;grand reliquaire, et au lieu du bonjour ou de Vau revoir mondain, dnbsp;offre Marie k votre v�n�ration. Get homme extraordinaire est petit denbsp;taille, mince et un peu vout�. Ses cheveux d�ja grisonnants, son teintnbsp;pale, ses grands yeux bleus comme le ciel de Rome, son regard douxnbsp;et p�n�trant, sa figure ovale, d�une grande puret�, Fam�nit� de sesnbsp;mani�res, Fair de m�lancolie et de candeur r�pandu sur toute sa pef'
LE P.VDUE BERSAEDO.
Sonne, mais surtout sa foi qui ne doute de rien, vous inspirent je ne sais quel sentiment de confiance filiale et de respect religieux dont onnbsp;Oe peut se d�fendre. L�abb� Palolta parle peu, et son maintien tou-jours compos� donne l�id�e d�un veritable mystique dans le bon sensnbsp;ce mot.
Autre est le padre Bernardo, car la grace se modifie suivant les oaract�res et les temp�raments. Calabrois de naissance, soldat avantnbsp;*l��tre religieux, le p�re Bernard a des allures plus d�cid�es que l�abb�nbsp;Palotta. Sa taille est haute, sa d�marche vive et saccadee, sa physio-Oomie mobile, des cheveux noirs comme jais, un teint brun, des yeuxnbsp;Ooirs et petits, brillant comme des flambeaux dans leurs orbites pro-fondes, des l�vros pinc�es, des pommettes saillantes caract�risent ennbsp;lui Ie type m�ridional. Aimable, gai, simple, un peu n�glig�, il attirenbsp;a lui par la rondeur de ses mani�res, la spirituelle vivacit� de sa parole, et eet inexplicable cachet de saintet� empreint sur toute sa per-sonne, dont il ne se doute m�me pas. Quand il sort tont Ie mondenbsp;1�arr�te dans les rues pour lui baiser la main et se recommander a sesnbsp;pri�res. Cela lui arrive tons les jours; car du matin au soir et du soirnbsp;au matin il est appel� aupr�s des malades, des alllig�s ct des p�cheurs.nbsp;Toutes les classes se Ie disputent, et il se donne tout a tous. Mais sanbsp;sant� ne peut y sufiire, et, quoique jeune encore, il est d�ja courb�,nbsp;bien moins sous Ie poids de ses quarante-cinq ans que par les aust�-rit�s et les fatigues. Pour le m�nager ses sup�rieurs l�envoy�rent, il ynbsp;a quelque temps, en Calabre. A peine Ie peuple de Rome eut-il apprisnbsp;Ie d�part du saint, qu�il se porta en foule au couvent des minimes etnbsp;r�clama avec larmes son consolateur et son ami. Sa pri�re parvint jus-^u�au Souverain Pontife qui rappela Ie p�re Bernard, et longteraps Ienbsp;peuple fit la garde pendant la nuit autour du monast�re pour emp�-eher qu�on ne Ie lui enlevat une seconde fois.
Nous e�mes Ie bonheur d�assister a sa messe, c�l�br�e dans la cha-Pelle de Monseigneur de B..., il la dit corame un saint qu�il est, avec l'eaucoup de recueillement et de simplicit�. II ne resta que vingt mi-*iutes� Pantel et ne fut long qu�a POffertoire, au Meinenlo, a ia Con-s�eration et a la Communion. Tout le reste, il Pexp�dia lestement; onnbsp;'oyait qu�il traitait avec Notre-Seigneur en ami. II cut la bont� denbsp;Oous donner a chacun un souvenir et de nous parler de la France,nbsp;*iont il connait bien la situation morale. La r�putation d�homme denbsp;^ieu dont jouit Ie padre Bernardo est tellement r�elle que dans lesnbsp;*^ffaires difliciles Ie Souverain Pontife a souvent recours a ses lumi�res.
On Ie voit, Rome est un grand reliquaire o� se trouvent non-seule-
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ment des saints morts, mais encore, des saints \ivants ; il doit, ce me semble, en �tre ainsi. Est-ce que la note de saintet� ne doit pas �trenbsp;permanente et sensible dans l��glise, comme celle de catholicit�?nbsp;N�est-ce pas au cceur m�me de Ia c�leste �pouse de l�Homme-Dieu,nbsp;que ce caracl�re doit briller d�un �clat plus constant et plus vif? Or,nbsp;c�est par la permanence du miracle que la saintet� de l��glise devientnbsp;surtout incontestable. Eb bien, les saints morts dont lesreliques rem-plissent les catacombes de Rome, ou reposent sous les autels, commenbsp;Ie corps du bienheureux Crispino et du bienheureux Leonard de Port-Maurice, prouvent qu�elle �lait sainte aux si�cles pass�s, et les saintsnbsp;vivants montrent qu�elle n a pas cess� de l��tre.
J�ai dit que l�abb� Palotta dirigeait 1�Apostolat catholique ; nous nous rendimes a Saint-Andr�-rfeHa-FaMe, pour contempler cettenbsp;grande muvre en action. Pendant la journ�e plusieurs sermons avaientnbsp;eu lieu en dil��rentes langues; celui du soir fut pr�ch� par Ie c�l�brenbsp;p�re Ventura, dont un immense concours environnait la chaire. A peinenbsp;si la vaste �glise avec les chapelles lat�rales sulEsaient ii la multitude.nbsp;Le p�re parut sur Ie palco, esp�ce d�estrade �lev�e de six pieds au-dessus de l�auditoire; assez large pour y placer une table et un fauteuil et assez longue pour que le pr�dicateur puisse se promener. Dunbsp;reste, elle n�est entour�e ni de grilles, ni de balustrades; seulementnbsp;des draperies plus ou moins riches la recouvrent enti�rement et re-tombent jusqu�� terre. Le pr�dicateur n�avait d�autre v�tement quenbsp;son costume de th�atin. Apr�s l�exorde, le grand orateur se mit ennbsp;mouvement et s�en allant de droite amp; gauche, puis de gauche i droite,nbsp;il distribuait la parole sainte a toutes les parties de la nombreuse assistance. Grace a cette libert�, il y avait dans son action et dans sonnbsp;geste un naturel et une dignit� que rendront toujours impossibles lesnbsp;esp�ces de torineaux dans lesquelles Tart moderne emprisonne le pr�dicateur cisalpin.
Je n�ai pas vu de recueillement plus parfait. II est vrai que le sujet en lui-m�me inspirait, a Rome surtout, un int�r�t puissant; Marie,nbsp;reine des Ap�tres, tel fut le th�me de l�orateur. Je ne sais lequel onnbsp;devait le plus admirer ou de la noble simplicit�, ou de la prodigieusenbsp;�rudition avec laquelle le sujet fut trait�. En homme sup�rieur, le p�renbsp;Ventura parlant a un audiloire compos� en parlie de gens du peuple,nbsp;sut par la clart� tout �vang�lique de son �locution se mettre au niveaunbsp;des plus simples esprits; en m�me temps que sa science profondenbsp;forqait l�assentiment de la raison la plus �lev�e. II nous montra quenbsp;Marie m�ritait son titre glorieux, non-seulement paree qu�elle fut la
LE P�RE VENTURA. nbsp;nbsp;nbsp;l��
ro�re du Roi des Ap�tres, mais encore paree qu�elle avail �t� Ie premier ap�tre de son Fils. A la cr�che elle Ie fit connaitre aux Mages; au (��nacle elle pr�sidait a la diffusion de F�glise apr�s avoir pr�sid� � sanbsp;Daissance dans la grotte de Bethl�em. C�esl elle qui r�v�la aux Ap�tresnbsp;les raysl�res de la sainte Enfance; elle qui oblint a saint Pierre Ienbsp;pardon, aux autres Ap�tres la fid�lit� et a saint �tienne Ie courage dunbsp;martyre; elle qui mit fin a la controverse entre saint Pierre et saintnbsp;Paul. A elle Pierre Mtit une �glise en Palestine, Paul en Espagne,nbsp;Thomas dans I�lnde, Andr� en Acha'ie. En entendant chacune de cesnbsp;propositions, la plupart si nouvelles pour moi, je me disais int�rieu-rement : Comment le. p�re va-t-il la prouver ? Mais voila, chose eton-Dante! qu�� la suite de chaque assertion venait en preuve un ou plu-ateurs textes des P�res de F�glise. Ce sermon produisitune impressionnbsp;profonde et donna une haute id�� de F�loquence et de la science dunbsp;pr�dicateur. Vers la fin Ie p�re s�arr�ta, tout Fauditoire se mit � ge-�oux et Fon r�cita a haute voix trois Ave, Maria, afin que la gr�cenbsp;'Int, comme une ros�e bienfaisante, f�conder la semence sacr�e d�po-s�e dans les ames :.cela me parut touchant et parfaitement logique.nbsp;Pendant ce moment de repos les membres d�une confr�rie lirent lanbsp;qu�te. Couverts de grands sacs de bure noire qui les cachaient enti�re-mentsans excepter la figure, ils parcouraient toutes les nefs de F�glise.nbsp;Afin de ne pas d�ranger Fassistance en p�n�trant dans les rangs, ilsnbsp;�taient munis de longues baguettes a Fextr�mit� desquelles un sac �taitnbsp;suspendu; ils Ie faisaient arriver devant chaque auditeur qui pouvait,nbsp;sans se g�ner, y d�poser son offrande : un brillant salut couronna di-gnement Ie sermon.
Je dois dire que la pr�dication italienne diff�re notablement de la tgt;�tre. A Rome, en particulier, les sujets de morale ont la pr�f�rence,nbsp;fn n�y supporte. pas nos sermons philosophiques. Un sujet pratiquenbsp;�Ppropri� aux besoins de Fauditoire, les t�moignages de F�criture,nbsp;*^68 P�res, des conciles, avec quelque trait d�histoire, voila pour Ienbsp;fond. Quant a la forme elle est simple, Ie style moins �tudi� que cheznbsp;�ous, Ie path�tique beaucoup plus fr�quent, surtout Ie dialogue avecnbsp;f ouditeur, ou Ie colloque avec Ie crucifix invariablement attach� a lanbsp;�^haire, quand Ie pr�dicateur ne Ie tient pas a la main. Aux sujets denbsp;*b�rale se joint Fherm�neutique ou explication historique, dogmatiquenbsp;�t morale de F�criture sainte : j�en parlerai plus tard.
6.
-ocr page 138-134
LES TBOIS ROME.
15 JANVIER.
�glise de B�lisaire. � Sainte-Marie-m-Foraica. � B�cher imperial. � Description.� Fun�railles d�Auguste, sou mausol�e. �D�tails sur la chemise d�amiante.
La partie du Champ de Mars qui avoisine Ie mausol�e d�Auguste nous restait a explorer. Au lieu de nous y rendre par la place d�Espa-gne, nous primes la direction de la fontaine de Trevi, et regagnant lanbsp;Rotonde, nous arrivames par le centre de Rome sur le nouveau th�dtrenbsp;de nos investigations. La raison de ce d�tour �tait le d�sir de visiternbsp;la petite �glise de Sainte-Marie-m-Form'ca, batie pr�s de la fontainenbsp;de Trevi; son nom lui vient des arcs fornices qui supportaient I�anciennbsp;aqueduc de I�eau virginale. Les ornements qui la d�corent n�ont riennbsp;de remarquable; mais son origine excite vivement la curiosite dunbsp;voyageur. B�lisaire ob�issant aveugl�ment aux ordres sacrileges denbsp;l�imp�ratrice avail os� d�poser le pape P�lage. Mais I�illustre guerriernbsp;ne fut pas longtemps sans reconnaitre sa faute. II s�en humilia, etnbsp;pour perp�tuer la m�moire de son repentir, il fit �lever cette �glisenbsp;que nous �tions venus visiter. Sur la parlie ext�rieure de la muraillenbsp;lat�rale on voit une table de marbre dont I�inscription rappelle ce faitnbsp;tout ensemble humiliant et glorieux. Voici cette inscription assez gros-si�rement sculpt�e :
Hanc vir patricius Vilisarius urbis amicus Ob culpao veniam condidit Ecclesiam.
Hanc iccirco pedem qui sacram ponis in atdem,
Ut miseretur eum sa!pe precaro Deum ;
Janua adest templi Domino def'ensa potenti.
� Le patricien B�lisaire, ami de Rome, a bati cette �glise en r�pa-ration de sa faute. C�est pourquoi vous qui entrez dans ce sanctuaire priez souvent Dieu qu�il ait piti� de lui; voici la porte du temple d�-fendue par un maitre puissant. � Eutr� dans P�glise monumentalegt;nbsp;le p�lerin prie volontiers pour B�lisaire, et il regrette vivement ce*nbsp;ages de foi o� la faiblesse humaine savait racheter ses fautes par unenbsp;�clatante expiation.
Parvenus dans la rue della Scrofa, voisine de l��glise de Saint-Augustin, nous �tions au lieu m�me o� s��levait jadis le bustum ini' p�rial: ici venait finir la gloire des maitres du monde. Avant m�menbsp;d�attendre les ravages de la tombe leur corps �tait r�duit en cendres.
-ocr page 139-BUCHER iSIP�RUL. nbsp;nbsp;nbsp;doj
Elev� d�abord pour bruler le corps d�Augusle, le bucher devint permanent et servit a consumer ses successeurs. Que de graves pens�es surgissent de ce lieu tant de fois t�moin de la vanit� des grandeurs lesnbsp;plus �tonnantes que rhomme puisse alteindre! Le monument fatal quinbsp;servit a r�duire en poudre tant de C�sars divinis�s a p�ri comme eux,nbsp;11 n�en reste que Femplacement et le souvenir; mais I�histoire a lanbsp;main il est possible de le reconstruire el de l��ludier.
Qu�on se repr�sente un temple quadrangulaire form� d�une �norme pile de bois, dont I�interieur est rempli de mati�res combustibles etnbsp;1�ext�rieur recouvert de tentures broch�es d�or et d�cor� de peintures
de statues. Ce temple se compose de quatre �tages a jour, se retrai-tant I�un sur I�autre, de mani�re que le second est plus petit que le premier, le troisi�me que le second el ainsi de suite. Quand Augustenbsp;fut mort on I�exposa pendant sept jours dans le vestibule du palatium.nbsp;Sue un lit vaste et �lev�, orn� d�or, d�ivoire el de housses de pourprenbsp;brod�es d�or, on voyait une statue de cire a la ressemblance de I�em-pereur. H�las! le maltre du monde n��tait plus qu�un cadavre, et pournbsp;le d�rober a la vue une place avail �l� r�serv�e dans la partie inf�rieure du lit, pour.y renfermer le v�ritable corps. Auguste �tait re-pr�sent� couch�, rev�tu de l�habit triompbal et ayant toute la pdleurnbsp;d�un malade (i). Aupr�s du lit se tenait un jeune et bel esclave, qui,nbsp;avec un �ventail en plume de paon, chassait les mouches de dessus lenbsp;�visage du prince, comme pour prol�ger sou sommeil. Autour du litnbsp;Ou voyait si�ger, pendant la plus grande partie du jour, ,a gauche, toutnbsp;le s�nat en habits de deuil; a droite, les matrones dislingu�es par lesnbsp;dignit�s de leurs maris ou de leurs parents. Elles ne portaient ninbsp;parures d�or, ni colliers; toutes �taient v�tues de simples robes blan-ehes, et dans l�atlitude d�une profonde trlstesse. Pendant les septnbsp;jours, les m�decins se pr�sent�rent quotidiennement, comme s�ilsnbsp;^isitaient un malade et disaient chaque fois : II va plus mal (2).
Le jour des obs�ques, les consuls d�sign�s se rendirent a la maison Palatine, pour faire la lev�e du lit fun�raire, que quarante soldalsnbsp;Pr�toriens prirent a l��paule. En avant du lit on reraarquail une statuenbsp;de la Yictoire, que, par une flalterie assez d�licate, le s�nat avail voulunbsp;^aire paraitre dans celte pompe fun�bre, comme si cette d�esse �taitnbsp;de la familie des C�sars. Elle �tait accompagn�e de deux statues d�Au-guste, l�une d�or, sur un brancard, destin�e a recevoir les honneursnbsp;divins, et l�autre, sur un char triompbal. Venaient ensuite les bustes,
(*) Herodian., iv, Ant., p. 87.
(-) Herodian., iv, Ant., p. 87.
-ocr page 140-d�6 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
non-soulemeiit de tous les a�eux de la familie imp�riale, Jules C�sar except�, a cause de sa divinit�; mais encore ceux de tons les Remains,nbsp;qui, depuis Romulus, s��taient illustr�s par leurs belles actions. Parminbsp;les bustes et les statues paraissaient aussi des tableaux o� l�on voyaitnbsp;les titres de toutes les lois rendues et les noms de toutes les nationsnbsp;vaincues par Auguste (i).
Des essaims de jeunes gardens et de jeunes filles accompagnaient la pompe fun�bre, en chantant des po�mes en l�honneur du d�funt. Lenbsp;s�nat, les chevaliers, les soldats pr�toriens et une foule immense denbsp;citoyens fermaient la marche. Tous �taient en habits de deuil el avaientnbsp;quitt� les anneaux d�or pour en prendre de fer (-2). Arriv� au Forum,nbsp;le cort�ge s�arr�ta. II y eut deux oraisons fun�bres. Tune prononc�enbsp;par Tib�re, l�autre par le jeune Drusus. Les s�nateurs, comme ilsnbsp;I�avaient eux-m�mes d�cr�t�, vinrent a leur tour prendre le lit a l��-paule pour Ie porter au b�cher : on le pla^a sur le second �tage dunbsp;temple improvis� dont les pontifes et les pr�tres firent processionnel-lement le tour. Le cort�ge les suivit, et chacun y jeta, en passant, desnbsp;parfums, des plantes odorantes, des aromates de tous genres, desnbsp;armes d�honneur, revues jadis par les soldats, pour leurs belles actionsnbsp;a la guerre (5). Tib�re et la familie imp�riale vinrent donner le derniernbsp;baiser � la statue d�Auguste; ils se plac�rent ensuite sur un tribunalnbsp;et on distribua des torches aux centurions qui enflamm�rent le bucher.nbsp;Au m�me instant on lacha du petit temple sup�rieur un aigle qui,nbsp;s��levant rapidement au-dessus des tourbillons de flamme et de fum�e,nbsp;prit son vol vers le ciel, comme pour y porter Fame de l�illustre mort.nbsp;Livie et les priiicipaux chevaliers, en simples tuniques, sans ceinturenbsp;et picds nus, demeur�rent cinq jours aupr�s du b�cher, recueillirentnbsp;les cendres de l�empereur et les renferm�rent dans son mausol�e (a).
Ce superbe monument, construit par Auguste lui-m�me, se compo-sait d�une grosse tour ronde tr�s-haute, a trois �tages concentriques, dont le second �tait d�un diam�tre beaucoup moindre que le premier,nbsp;et le troisi�me moindre encore que le second. La retraite laiss�e parnbsp;chaque �tage �tait remplie de terre et planl�e dans son pourtour d�ar-bres qui, ne d�pouillant jamais leur verdure, faisaient un agr�ablenbsp;cont raste a vee les murs de T�difice bati tout en marbre blanc. Unenbsp;statue en bronze de l�empereur formait l�amortissement du dernier
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Tacit., An7ial., i, 8.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;8uct., Aug., too.
(.�i) Dio., I. VI, p. 68�.
(4) Homo au si�cle d�Auguste, lettre lxx, p. 10.
MA�SOL�E d�AUGUSTE. 137
�tage. Dans la partie inf�rieure du raausol�e �taient des loculi, pour les cendres du prince, de ses parents et de ses amis (i). Derri�re r�-gnait un bois sacr� avec des promenades ouvertes au peuple; puis unenbsp;place environn�e d�une double enceinte, Tune de marbre, l�antre denbsp;fcr, pr�c�d�e de deux ob�lisques de soixante pieds de haut et d�un seulnbsp;Woc de granit oriental : tel �tait Ie mausol�e d�Auguste.
Dece monument qui portait jusqu�au del Ie magnifique t�moignage de noire n�ant, il ne reste aujourd�h�i qu�une grande ruine. Quand Ienbsp;''quot;oyageur, entr�dans la rue des Pontifes, arrive pr�s du palais Corea, ilnbsp;Se trouve en face de gros murs pantelants et d�labr�s, ouvrage r�ticu-laire en tuf litbo�de, c�est Ie soubassement du superbe tombeau : plusnbsp;de marbre, plus d�inscriptions, plus de statues, plus d�ob�lisques,nbsp;tout a disparu. Le diam�tre actuel des ruines du soubassement est denbsp;deux cent vingt pieds remains anciens. En y regardant de pr�s, onnbsp;distingue encore dans le pourtour les vestiges de treize chambres s�-pulcrales; la quatorzi�me servait d�entr�e a la grande salie rondenbsp;plac�e sous Vagger, dont le diam�tre �tait de cent trente pieds.
Comme celles de tons les C�sars, les cendres d�Auguste ont �t� je-t�es au vent, mais enfin elles repos�rent en ce lieu. Par quel moyen avait-on pu les distinguer des cendres du bois qui servit amp; consumernbsp;le cadavre imp�rial? C�est une question qui ne manque pas d�int�r�t,nbsp;mais la r�ponse demande quelques d�tails. Le r�sulta dont je parlenbsp;�tait d� a l�emploi de la cbemise d�amiante, dans laquelle on enve-loppait les corps destin�s au b�cher. Chacun salt que l�amlante estnbsp;lm min�ral filagineux, de couleur grise ou plomb�e, dont on fait unnbsp;tissu qui r�siste parfaitement � l�action du feu. L�amiante se trouvenbsp;surtout en Corse, en Cbypre, dans Pinde, dans les Pyr�n�es et m�menbsp;dans les Alpes. Quant a Ia mani�re de le mettre en oeuvre, on prendnbsp;la pierre et on la jette dans de Peau chaude, elle y demeure plus ounbsp;moins de temps selon la temp�rature du bain. Ensuite on la broie,nbsp;on la p�trit avec les mains pour en faire sortir une esp�ce de terrenbsp;lilancb^tre semblable a la chaux. Cette terre foime le lien qui r�unitnbsp;les filaments de Pamiante. Lorsque 1 eau dans laqnelle s accomplitnbsp;ceite op�ration est devenue blanche, �paisse, on la remplace par unenbsp;autre, en continuant la manipulation jusqu�a ce que le min�ral soit
(i) Quorum omnium(sepulcrorum) prseclarissimum est Mausoleum, agger ad omnem �epra sublimen albi lapidis fornicem congestus et ad verticem usque semper virentibusnbsp;arboribus coopertus. In f'astigio statua August! Caesaris : sub aggere loculi ejus et co-Snatorum ac familiarium. A tergo lucus magnus ambulationes habens admirabiles. �nbsp;Strab., V, p. 211.
-ocr page 142-138 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
enti�reinent d�gag� des substances �trang�res. L�amiante r�duit en filaments est expos� sur une claie pour s�eher.
On prend ensuite deux cardes ou peignes semblables h ceux qui servent pour carder la laine et on peigne doucement Tamiante. Quandnbsp;les cardes sont pleines, on les applique Tune centre l�autre et on lesnbsp;fixe sur une table ; c�est la quenouille. Avec un petit crochet fait ennbsp;forme de fuseau on tire les filaments, on en r�unit plusieurs, on faitnbsp;tourner Ie fuseau et on obtient un fil. Pendant cette operation, l�ou-vrier a soin de tremper dans l�huile l�index et Ie pouce; paree que,nbsp;d�une part, Ie fil d�amiante coupe et �corche, et d�autre part, quenbsp;l�huile adoucit Ie filament et Ie rend plus facile i filer. Quand Ie filnbsp;est obtenu, on suit, dans Ie tissage, les proc�d�s employ�s pour Ienbsp;chanvre et Ie liii. La longueur du travail, et surtout la raret� du linnbsp;vivant, donnent une idee de la richesse des Remains, qui employaientnbsp;les tissus d�amiante non-seulement comme chemises fun�raires, raaisnbsp;encore comme linge de table (i). Pour lessiver ce linge d�une nouvellenbsp;esp�ce il sulfit de Ie jeter au feu; il en sort purifi� de toute tache etnbsp;rendu ii son premier �clat. Mais les tissus d�amiante sont naturelle-ment secs, en sorte que te simple frottement suflit pour les �railler;nbsp;on les conserve en les imbibant d�huile, et lorsqu�on veut en fairenbsp;usage on les passe au feu. C�est ainsi que la m�me chemise fun�rairenbsp;pouvait servir longtemps dans la m�me familie (2).
Auguste fut done envelopp�, pour �tre r�duit en cendres, dans ce linceul incombustible; puis d�pos� dans un loculus du mausol�e im-p�rial. Marcellus, son neven, et Germanicus, l�idole du peuple, vin-rent bient�t l�y rejoindre (a). Ils furent suivis d�Octavie, sceur d�Au-guste, de Drusus et des autres membres de la familie r�gnante, anbsp;l�exceptlon des deux Julie, fille et ni�ce d�Auguste, qui en furent ex-clues par ordre d�Auguste lui-m�me. Le dernier empereur qui vint ynbsp;prendre place fut Nerva, l�an 98. Mais, comme nous l�avons remar-qu�, ni le prestige de ces grands noms, ni les grilles de bronze, ni lesnbsp;murailles de marbre n�ont pu prol�ger le monument imp�rial, quinbsp;n�est plus aujourd�hui qu�une ruine informe; tandis qu�aux m�mes
(t) Inventum jam est quod ignibiis non absumeretur; vivum (linum) id vocant, af' dentesque in focis conviviorum ex eo vidimus mappas, sordibus exustis, splendescenle*nbsp;igni magis quam possent aquis. Regum inde f'unebres tiinicoe, corporis f'avillam ab re-liquo separanti'unere... Nascitur in desertis.... assuoscitque vivere ardendo, rarum i�'nbsp;ventu, difficile textu propter brevitatem.... Ergo huic lino principatus in toto orbo. �nbsp;Plin., lib. XIX. c. 1.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Voyez Ciamp., Mon. Vet., t. ni, p. 220.
(3) nbsp;nbsp;nbsp;Tacit., Annal; m.
-ocr page 143-PLACE D� PEUPLE. nbsp;nbsp;nbsp;1�9
lieux Pierre et Paul r�gnent glorieux dans leurs sepulcres devenus des temples : au christianisme seul, le privil�ge de donner rimmortalit�,nbsp;ro�me ii la tombe.
16 JxVNYIER.
-Nauraachie de Domilien.
Pkce du Peuple. � Ob�lisque. �Sainte-Marie-du-Peuple.
� Triuil�-des-Monts.
Non loin du mausol�e d�Auguste est la Place du Peuple. Nous y �lescendimes de bonne beure, afin de reprendre notre course au pointnbsp;OU nous l�avions laiss�e hier. Des promenades, plant�es d�arbres verts,nbsp;ontouraient le tombeau des C�sars, et eet �lys�e romain �tait parsem�nbsp;de monuments fun�bres apparlenant. Ia plupart, aux affranebis de lanbsp;familie imp�riale. Outre les t�moignages de l�bistoire, nous avons, ennbsp;faveur de ce fait, un grand nombre d�inscriptions tumulaires trouv�esnbsp;sur place. Je ne rapporterai que la suivante :
D. M.
VLPIO. MARTIALI. AVGVSTI LIBERTO. A. MARMOP.IBUS.
� Aux dieux Mftnes. A Ulpius Martialis, affranchi d�Auguste, con-servateur des marbres. �
En changeant de destination, la place du Peuple n�a rien perdu de sa beaut�. Elle est vaste, circulaire et entour�e de statues et d��dificesnbsp;superbes. Au centre s��l�ve l�ob�lisque d�Auguste avec une magnifi-que fontaine, dont les eaux retombent dans une vasque de granit. Lanbsp;circonf�rence est perc�e par les trois grandes rues du Babouino, dunbsp;Corso et de Bipetta, qui prolongent le rayon visuel jusqu�au centrenbsp;de Rome, tandis que les belles �glises qui forment l�enceinte, reposentnbsp;1�oeil ravi de tant de magnificence et d�harmonie. Sur ia gauche senbsp;dessinent les gazons etages du Pificius^ coupes par des sentiers ennbsp;spirale; et � droite les arbres verts qui masquent le Tibre. La Portenbsp;Plaminienne, avec sesbas-reliefs, compl�te le panorama. Cette placean-oonce dignement Ia ville de Rome auxvoyageursqui arrivent de Francenbsp;OU d�Allemagne par la route de Toscane. Aussi, de toute antiquit�, lesnbsp;oiupereurs, les papes, les cardinaux et les princes souverains l�ont-ilsnbsp;ohoisie pour faire leur entr�e publique dans la Ville �ternelle. Vitel-lius la suivit pr�c�d� de ses legions victorieuses, pour venir ensuitenbsp;expirer mis�rablement au pied du Capitole; et Pie VII, d�immortelle
'J40 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
iTi�moire, revenant de Texil, passait par la, accompagn� des b�n�dic-tions et des larmes d�un peuple dont il �tait Ie mod�le et Ie p�re.
Nous nous approchimes de l�ob�lisque pour mieux l��tudier; il a soixante-quatorze pieds de bauteur, non compris Ie pi�destal sur le-quel il repose, ni la croix magnifique dont il est couronn�. Apr�s lanbsp;victoire d�Actium et la conqu�te d��gypte, Auguste fit transporter anbsp;Rome ce superbe monolilhe, Ie plaga dans Ie Circus maximus et Ienbsp;d�dia au Soleil. En 1589, Sixte V Ie relira des d�combres du Cirque,nbsp;Ie fit �riger sur la place du Peuple et Ie consacra amp; la croix, v�ritablenbsp;soleil du monde. L�ob�lisque lui-m�me raconte son histoire et chantenbsp;sa nouxelle destin�e. Sur Ie premier c�t� on lit;
IMP. C^SAR. DIV. F.
AVGVSTVS.
PONTIFEX. MAXIMVS IMP. XII. COS. XI. TRIR. POT. XIV.
^G�PTO IN POTESTATEM
POPVLI ROMANI REDACTA SOLI DONVM DEDIT.
� L�empereur C�sar, fils du divin C�sar, Auguste, souverain pontife, empereur douze fois, consul onze fois, tribun quatorze fois, ayant soumis l��gypte � l�empire du peuple remain, a offert ce don au Soleil. �
Sur Ie second c�t� :
SEXTVS. V. PONT. MAX.
OBELISCVM HVNC A. CAES. AVG. SOLInbsp;IN CIRCO MAXISIO RITVnbsp;DICATVM IMPIOnbsp;MISERANDA RVINAnbsp;FRACTVM ORRVTVMQVEnbsp;ERVI TRANSFERRInbsp;FORM^ SV.E REDDInbsp;CRVCIQ. INVTCTISS.
�EDICARI JVSSIT.
A. M. D. LXXXIX. PONT. IV.
� Sixte V, Souverain Pontife, a fait d�terrer, transporter, restaurer et d�dier a la croix victorieuse eet ob�lisque sacril�gement consacr�,nbsp;par Auguste, au Soleil, dans Ie grand Cirque, puis mis�rablement
OB�LISQUE. nbsp;nbsp;nbsp;14!
bris� et enseveli sous les ruines. L�an 1589, de son pontifical Ie qua-tri�rae. �
Faisant allusion ^ l��glise voisine de Sainte-Marie-du-Peuple, J�o-b�lisque ajoute ;
ANTE SACRAM ILUVS jEDEMnbsp;AVGVSTIORnbsp;L^ITIORQVE SVRGOnbsp;CVJVS EX VTEROnbsp;VIRGINALInbsp;AVG. IMPERANTEnbsp;SOL JVSTITIjEnbsp;EXORTVS EST.
� Plus saint et plus joyeux, je m��l�ve devant Ie sanctuaire de celle lt;�u sein virginal de qui, sous Perapire d�Auguste, sorlit Ie Soleil denbsp;justice. �
P�n�tr�s de cette po�sie deux fois sublime et par Ie sujet et par la forme, nous voulumes honorer dans son temple la c�lesle Vierge, sinbsp;bien chant�e par Ie monolithe �gyplien. Et ces chants et nos hommages, Marie semhle les m�riter surtout en ce lieu; car il est beau denbsp;Voir Ie type auguste de la puret� et de la mis�ricorde r�gner sur lesnbsp;ruines du tombeau de N�ron. � Quand il fut mort, dit Su�tone, sesnbsp;�ourrices Eglogue et Alexandria, avec Act�, l�ensevelirent dans Ie tombeau de la familie Domilia, que 1�on voit du Champ de Mars, sur lanbsp;rolline des Jardins (i). � En ce lieu, souill� par les cendres impuresnbsp;'fu parricide couronn�, crut, dans la suite des temps, un noyer d�unenbsp;grandeur �tonnante. L�arbre touffu devint la retraite d�une nu�e denbsp;rorbeaux qui d�solaient cette partie de Rome. On eut recours � Marie;nbsp;�lle apparut au pape Pascal II, lui dit que ces corbeaux �taient desnbsp;^sprits de t�n�bres, ordonna de couper l�arbre funeste {albero mal-^ato), de jeter au vent les cendres infames, et de bfttir en ce lieu unnbsp;temple en son honneur. L�ordre fut litt�ralement accompli. En 4231,
pape Gr�goire IX, environn� de tout Ie peuple et du sacr� Coll�ge, �Pporta, en grande pompe, ii Sainte-Marie-du-Peuple, l�image mira-ruleuse de la sainte Vierge, v�n�r�e jusqu�alors a Saint-Jean-de-La-^ran. De ces deux fails, Ie premier est consign� dans les annales de
(lt;) Reliquias .Egloge el Alexandria nutrices cum Acte concubina gentili Domiliorum ^oaumento condiderunt, quod prospicilur e campo Martio imposilum colli Ilortorum.
A'er. vers. fin.
142 LES TROIS ROME.
l�histoire (i); Ie second est grave sur les deux bas-reliefs en stuc dor�, qui sont a gauche et a droite de l�autel. Trois si�cles plus tard, ennbsp;4578, on vit Ie pape Gr�goire XII� y venir en procession avec tout Ienbsp;clerg�, les pieds nus, pour demander par Fentremise de Marie, F�loi-gnenient de la peste dont Rome �tait menac�e; et la peste disparut.nbsp;Ges titres et bien d�autres justifient en Fexpliquant la v�n�ralion dunbsp;peuple remain pour la Madonna del Popolo. Est-il besoin d�ajouternbsp;que la Reine du ciel est ici, comme dans les autres sanctuaires denbsp;Rome, environn�e d�une cour nombreuse de saints et de martyrs?nbsp;Qu�il suffise de nommer saint Pierre, saint Paul, saint Andr�, saintnbsp;�tienne, saint Laurent, saint Hippolyte, saint Tiburce, saint Innocent,nbsp;de la l�gion Th�baine; sainte RulBne, sainte Seconda, sainteAgn�s etnbsp;sainte Faustine, dont le corps repose sous Fautel de la Conception,nbsp;dans la chapelle Cibo.
C�toyant la base du mont Pincius, nous arrivAmes i la place d�Es-pagne orn�e de la belle fontaine appel�e Barcaccia. C�est lii, suivant les arch�ologues, qu��lait la fameuse Naumachie de Domilien (2). Lesnbsp;maitres du monde pa�en n�en faisaient pas d�autres : ils pillaientnbsp;FOrient et 1�Occident pour balir ^ Rome deux cboses, des thermes etnbsp;des th�atres; et il faut le dire, pour peindre la soci�t� dont ils �taientnbsp;la personnification, leur popularil�, leur sceptre m�me �taient a ceprix.nbsp;Au-dessus de la place d�Espagne se d�veloppe le superbe escalier quinbsp;conduit a la Trinil�-de�-Monti et a FAcad�mie de France; ici, nousnbsp;�tions tout a fait chez nous. La belle eglise de la Trinit� avec les bii-timents qui Fenvironnent appartient a notre patrie. Nos dames dunbsp;Sacr�-Co�ur y donnent aux jeunes Roniaines F�ducation si distingu�enbsp;et si chr�tienne que tout le monde connait. Apr�s avoir salu� Fob�-lisque de Salluste, �lev� devant F�glise par la magnificence de Pie VI,nbsp;nous entrames pour voir la c�l�bre Descente de croix, de Daniel denbsp;Volterre. Citqe par le Poussin comme un des trois premiers tableauxnbsp;de Rome, elle prouve encore, roalgr� de facheuses d�gradations, quenbsp;le Poussin Favait parfaitement class�e. On admire surtout le groupenbsp;de la sainte Vierge et des saintes femmes, la figure de Notre-Seigneurnbsp;qui tombe v�ritablement come corpo morto cade, et cet homme montenbsp;sur une �chelle, si plein de verve et si merveilleuseraent dessin�.
La colline que nous parcourions, ainsi que le couvent des Carmelites et des Capucins, �taient occup�s jadis par les jardins de Lucullus, devenus plus tard la possession de Messaline! Faut-il s��tonner que.
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Voyez Mazzolari, Landucci, Alborici.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Suet., in Dom., c. iv.
TEMPLE D ANTONIN. 143
pour sanctifier le ih�ittre d�une volupt� sans honte et d�une opulence deux fois scandaleuse, la Providence ait etablit au m�me lieu et lesnbsp;anges de la purete et les mod�les vivants de la pauvrete volontaire, jenbsp;Veux dire les vierges du Carmel et les enfants de Saint-Frangois? Con-traste toucliant, que le chr�tien ne peut voir sans I�admirer et le b�nir.
17 JANVIER.
Temple d�Antonin. � Pont et Chateau Saint-Ange. � Anecdote sur une bande de brigands.� Sainte-Marie-m-rrasponlina. � Colonnes de Saint-Pierre et de Saint-Paul.
� Coupole de Saint-Pierre. � Palla. � Cimeticre dos Pclerins.
Monseigneur de B.... nous avail obtenu la permission de monter k la coupole de Saint-Pierre : lui-m�me devait nous accompagner. Lenbsp;temps �tait ce qu�il doit �tre quand on veut jouir du magnifique panorama de Rome et de ses environs, consid�r� du point culminant de lanbsp;Ville �ternelle. Toutefois, au lieu de prendre la ligne droite, nousnbsp;descendimes au centre de la ville, afin de visiter un monument quenbsp;nous avions vu bien des fois sans l��tudier. Sur la place di Pielra senbsp;trouvent les restes imposants d�un ancien �difice. Onze colonnes tr�s-majestueuses en marbre blanc, cannel�es et d�ordre corinthien, sontnbsp;encore debout, et soutiennent un magnifique entablement de marbre.nbsp;Les trois premi�res semblent appartenir a un portique, puisque l�ar-ehitrave qui les unit parait en saillie des deux c�t�s; les buit autresnbsp;soutenaient la voute d�un temple ou d�une basilique : sur leurs cbapi-teaux s�appuie une large voussure qui laisse entrevoir la grandeur denbsp;1��difice. Quel �tait ce monument ? Les uns pr�tendent que c��tait lenbsp;portique et le temple de Neptune, bati par Agrippa en m�moire desnbsp;bataillesnavales gagn�es par Auguste; mais l�opinion la plus communenbsp;y voit un temple d�Antonin. Quoi qu�il en soit, les Souverains Pon-tifes ont pris soin de conserver cetle ruine, en faisant �lever des mursnbsp;fiui appuient les colonnes et la voute. II en est r�sult� un batimentnbsp;Taste et r�gulier, dans lequel Innocent XII a �tabli la douane denbsp;terre. C�est l� qu�en arrivant a Rome vous irez faire votre premi�renbsp;station.
Nous arrivAmes vers neuf beures au pont Saint-Ange, autrefois pont �lien. Sur les piles sont plac�s a droite et a gauche des anges denbsp;grandeur h�ro�ique, dont chacun ticnt A la main un des instruments denbsp;la Passion. Le pi�destal de cbaque statue porte en guise d�inseriptionnbsp;un.verset de l��vangile, analogue a l�instrument de supplice qui servit
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k consommer Ie d�icide. Cette composition un pen pr�tentieuse est de rin�vitable chevalier Bemin. En t�le du pont est Ie chateau Sainl-Ange, magnifique mausol�e d�Adrien. Ce prince Ie fit construire avecnbsp;un luxe et une solidit� capahles d��clipser Ie tombeau d�Auguste et denbsp;braver les si�cles (i). Le m�le forme une masse ronde dont Ie diam�trenbsp;actuel est de cent quatre-vingt-huit pieds. Tont l�ext�rieur �tait autrefois rev�tu de dalles de marbre de Paros, et la plate-forme orn�enbsp;de statues d�hommes, de chevaux et de chars. On y voit aujourd�huinbsp;un petit oratoire d�di� a saint Michel et surmont� de la statue denbsp;l�Archange remettant son glaive dans le fourreau, tel qu�il apparut anbsp;saint Gr�goire le Grand, lors de la terrible peste de Rome. La tournbsp;�tait protegee, comme elle Pest encore, par une enceinte quadrangu-laire, et le massif des murs est tel qu�il laisse a peine, dans l�int�rieurnbsp;de la rotonde, la place sufEsante pour un petit escalier. Dans ce videnbsp;�troite �tait l�urne nontenant les cendres imp�riales. D�s le tempsnbsp;d�Honorius le m�le d�Adrien devint une citadelle. II a conserv� cettenbsp;destination tout en devenant aussi une prison d��tat, et m�me unenbsp;prison criminelle. Lorsque nous le visit�mes on y comptait plusieursnbsp;centaines de formats. Parmi les chambres sup�rieures on nous montranbsp;cellequ�avaitr�cemraentoccup�eleneveu de Napol�on; comme lesau-tres prisonniers, il avait grav� son nom sur la muraille : Louis-Josephnbsp;Napol�on, chef d�escadron, octobre 4836. Singuli�re destln�e de cettenbsp;familie! N�s sur les marches du tr�ne, tous ses membres vivent aujourd�hui dans l�exil ou dans les fers.
Parmi les prisonniers du chftteau Saint-Ange, il en �tait un qui nagu�re excitait vivement la curiosit� des voyageurs. C��tait Bernar-done, dernier survivant de cette bande de Malandrini, si fameux ennbsp;Itali� au commencement de notre si�cle (2). Son histoire m�rite d��trenbsp;connue et je vais la rapporter telle que je l�ai apprise, a Rome, d�unnbsp;Francais, t�moin oculaire des �v�nements. Une bande de brigands, v�ri-tables types du genre si souvent d�crit par les voyageurs, s��tait �ta-blie dans les montagnes qui s�parent le royaume de Naples des �tatsnbsp;pontificaux. Compos�e d�environ trente individus, d�termin�s etarm�snbsp;jusqu�aux dents, elle formait, sous la conduite d�un chef absolu, unenbsp;troupe parfaitement disciplin�e. Elle �tait d�autant plus redoutablenbsp;qu�elle connaissait jusqu�au dernier tous les sentiers, tous les ravins
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Sepultus est in ripa fluminis juxta pontem ^lium; illic sepulcrum condilum; jaainbsp;enim August! monumentum replelum erat, nee quisquam amplius iu eo sepeliebatur.nbsp;� Dio. in Adrian.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Bornardone avait ct� transi�r� a Civila-Vecchia.
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et toutes les cavernes de ces for�ts presque inaccessibles. Vainement on avail envoy� a sa poursuite des escouades de carabiniers et m�menbsp;des troupes de ligne ; elle �chappait a lous les efforts, et la terreurnbsp;qu�elle inspirait au pays allait toiijours croissanle.
Pour avoir des vivres elle frappait des contributions sur les fernies et les villages. � Tel jour, a telle heure, faisail dire Ie chef aux habitants, vous d�poserez en tel endroit, tant de pain, de vin,d�argent,etc.,nbsp;sinon, Ie feu sera mis a vos maisons. De plus, si vous osez toucher anbsp;nos femmes et a nos enfants, ou les prendre pour otages, attendez-vous a de sanglantes repr�sailles. � C��tait Ie sysl�me des trabucairesnbsp;espagnols. Les paysans effray�s fournissaienl docilement a leurs enne-mis les moyens de continuer leurs ravages. On ne savait ni quand, ninbsp;comment ee fl�ati finirait, lorsqu�un cur� du voisinage, vieillard v�n�-rable, qui avail la douleur de compter parmi les brigands plusieursnbsp;de ses paroissiens, r�solut de faire une tentative. Anim� par l�exemplenbsp;de saint Jean, courant malgr� son grand age a la recherche d�unnbsp;jeune larron, Ie bon pasteur se d�cide a p�n�trer, au risque de sa vie,nbsp;jusqu�au repaire des malfaiteurs. II se recommande a Dieu, prend sonnbsp;baton et son br�viaire, et s�achemine, sur Ie soir, vers la redoutablenbsp;montagne. Avec des fatigues incroyables il arrive au plus profond denbsp;la for�t sur Ie bord d�un ravin escarp�. k Qui vive, lui crie une voixnbsp;terrible partie du bord oppos�? � Mes enfants, crie Ie pr�tre, je nenbsp;viens pas pour vous faire du mal. Je veux votre bien; laissez-moi ap-procher; je suis Ie cur� de N., je suis seul et sans armes. Vous deveznbsp;me connaitre; il en est plusieurs parmi vous que j�ai baptis�, que j�ainbsp;tenus sur mes genoux. �
Un des brigands se d�tache, pendant qu�un autre, la carabine a la main, lient Ie pr�tre a distance. La nouvelle est port�e au quartiernbsp;g�n�ral; les uns veulent qu�on laisse venir Ie pr�tre, les autres s�ynbsp;opposent. Le chef tranche la question et envoie dire au vieillard qu�ilnbsp;peut venir; mais qu�il restera en otage, jusqu�a ce qu�il soit bien certain que sa d�marche ne couvre aucun pi�ge, et qu�il paiera de sa t�lenbsp;Ic moindre mal fait a la troupe. Le pr�tre accepte avec bonheur ;nbsp;escort� de deux brigands, il arrive au quartier g�n�ral. C��tait unenbsp;csp�ce de clairi�re basse, �troite, environn�e d�un double rempartnbsp;d�arbres touffus et de rochers caverneux. Les brigands �taient assisnbsp;^mtour d�un large foyer presque �teint. Leurs figures basan�es, leursnbsp;longues barbes, leurs regards farouches, leurs poignards, leurs terri-files carabines, le d�sordre d�un bivouac m�l� a tout eet accoutrementnbsp;du brigand des Abruzzes, �tait de nature a faire trembler Thomme le
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plus intr�pide. A ce spectacle, Ie bon pr�tre se met a pleurer. o Que voulez-vous? qu��les-vous venu faire ici? lui demande Ie chef. �Mesnbsp;enfants, leur dit Ie vieillard, je suis votre p�re! et j�ai voulu \ous voirnbsp;pour vous dire combien je suis alllig�! Quelle vie est la v�tre! dansnbsp;quel �tat est votre ame!... Pendant que vos p�res et m�res, vos amis,nbsp;toute rilalie, et m�me Ie monde eniier s�empressent de profiler denbsp;l�ann�esainte en faisant p�nitence, vous, vous multipliez vos p�ch�s!...nbsp;Mes enfants, y songez-vous? serez-vous les seuls qui refuserez Ie pardon qui est olferl a tous? N��tes-vous pas las du crime? Croyez-moi,nbsp;mes chers enfants, il est temps de vous arr�ler ; je suis venu vousnbsp;chercher pour vous ramener au bercail. �
Aux paroles paternelles du bon vieillard, les brigands, �tonn�s, se regardent. Le chef rompt enfin Ie silence et dit : � Si on veut nousnbsp;faire grace, nous quilterons la vie que nous menons; mais nous sa-vons ce qui nous revient; ainsi, mourir pour mourir, nous aimonsnbsp;mieux mourir ici que sur la polence. � Je ne puis rien vous promet-tre, r�pond le pr�tre; personne ne m�a envoy�; mais, si on vous per-mettait de rentrer dans la soci�tc, vivriez-vous en bons chr�tiens? �nbsp;On ne nous l�accordera pas! � J�irai trouver le Saint-P�re; je de-manderai grace pour vous, et je reviendrai : mes enfants, je vous ennbsp;conjure, failes vos r�flexions; pensez a votre ame. � On bande lesnbsp;yeux du pr�tre, et deux malandrini le reconduisent au pied des mon-tagnes. Sans perdre un instant, le bon vieillard se rend i� Rome. Lenbsp;Pape est inform� de ce qui se passe : la Commission de justice s�as-semble; et il est d�cid� que le pr�tre retournera aupr�s des voleurs,nbsp;qu�il leur prometlra la vie sauve, mais qu�ils devront, pour le reste,nbsp;s�en rapporter a la cl�mence du Saint-P�re.
Le vieillard se remet en marche, retourne aupr�s des brigands et leur fait part de la d�cision du Souverain Pontife. II les conjure de nenbsp;pas manquer cette occasion unique de rentrer dans le bon chemin.nbsp;� Apr�s tout, mes chers enfants, leur dit-il, ne vaut-il pas mieux �trenbsp;condamn�s ici-bas a quelques ann�es de prison, que d��lre pr�cipit�s,nbsp;pour toute l��ternit�, dans les feux de l�enfer? � Puissance admirablenbsp;de la foi sur ces ftmes abandonn�es! les brigands sont vaincus. � Jenbsp;veux moi-m�me vous accompagner, leur dit le bon pasteur.� 1] se metnbsp;en marche, et Rome voit un jour ce v�n�rable pr�tre entrer dans sesnbsp;murs, traverser ses rues, suivi de trente brigands, hier encore la terreur de rilalie, et aujourd�hui doux comme des agneaux. On se rendnbsp;directement au chateau Saint-Ange : les malandrini sont jug�s et condamn�s a la prison, les uns a temps, les autres a perp�tuit�. Cela se
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Passait en 1823, l�ann�e du grand Jubil�. Cet �v�nement, connudeRome �nti�re,confirraadenouveaurobservationquej�avaiseu occasion de fairenbsp;soit a G�nes, soit a Florence, savoir; que Ie moyen age, avec son doublenbsp;caract�re de foi vigoureuse et de passions redoutables r�gne encorenbsp;dans les populations italiennes. Oh ! oui, rendez-nous la foi, et ne d�-sesp�rons de rien : avec elle, les pierres mcmes deviennent des enfantsnbsp;d�Abraham (i).
A une faible distance du cbAteau Saint-Ange, on trouve Ia belle ^glise de Sainte-Marie-m-JVaspomfma : nous y entrames pour visiternbsp;deux monuments du martyre de saint Pierre et de saint Paul. A gau-ohe, dans les chapelles lat�rales, sont deux colonnes en marbre blancnbsp;'ein� de rouge, hautes d�environ cinq pieds. I.es glorieux Ap�tres ynbsp;furent attach�s pour subir la flagellation qui, suivant les lois romai-Oes, pr�c�dait Ie supplice des esclaves et des �trangers. On croit avecnbsp;fondement que ces deux colonnes �taient dans Ie Comitium, dont nousnbsp;avons parl� en d�crivant Ie Forum romain. Sur la premi�re on lit :nbsp;flcec est columna ad quam ligatus fuil S. Petrus, flagellatus et ver-beratus, Nerone imperante : � C�est ici la colonne a laquelle saintnbsp;f^ierre fut attach�, flagell� et frapp� par l�ordre de N�ron. � La secondenbsp;porte la m�me inscription, avec Ie seul changement du nom de I�A-p�tre ; Ilcec est columna ad quam ligatus (uit S. Paulus, flagellatusnbsp;et verberatus, Nerone imperante. C��tait la quatri�me fois au moinsnbsp;que Ie grand Ap�tre souflrait, malgr� sa qualit� de citoyen romain, Ienbsp;^upplice de la flagellation (2); tant il est vrai qu�a l��gard des chr�tiensnbsp;Oft s�est toujours permis de se meltre au-dessus des lois. Apr�s avoirnbsp;f*ais� avec amour ces monuments v�n�rables de noire foi, nous nousnbsp;dirigeames vers Ie Vatican.
II faut monter aux galeries de la coupole pour avoir une faible Id�� du gigantesque fnonument appel� Saint-Pierre de Rome. Ainsi, lesnbsp;quatorze statues deNotre-Seigneur,de saint Jean-Baptiste et des douzenbsp;Ap�tres, qui d�corent la grande facade de F�glise, paraissent a peine,nbsp;''�^es de la place, atteindre la grandeur naturelle : vous approchez, etnbsp;'ous trouvez qu�elles ont dik-sept pieds de hauteur!.Les combles de
grande nef sont en plale-forme, el l�on croit r�ver en y voyant des *'^uisons, une fontaine, des voitures, et je ne sais combien d�autresnbsp;^hosesdont on ne sedoute pas. Dans ces demeuresa�riennes vivent unenbsp;Portie des Pietrini, c�est-a-dire des ouvriers de tout genre employ�s
h) t�n fait a pcu pr�s semblable est rapporl� dans la Vie du cardinal Baronius, lib. iii, p. 134.
(2) �cr virgis cssus sum. 11 Cor. xi, 25.
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a la conservation du monument : leur nombre d�passe trois cent cin-quante. Par une rampe magnifique on arrived la premi�re galerie de la coupole, plac�e imm�diatement au-dessus des lettres: Tu es Petrus, etc.nbsp;Lepourtour int�rieur de cette galerie a deux cents pas, et les lettres, quinbsp;de la nef paraissent avoir six pouces de hauteur, ont en r�alit� cinqnbsp;pieds et demi. Parvenu a la seconde galerie, on peut admirer a sonnbsp;aise les magnifiques mosa�ques dont la richesse et l��clat donnent unenbsp;id�� des splendeurs de l��glise triomphante, repr�sent�e sur toutesnbsp;les parois de la coupole. L��glise militante apparait a son tour, lors-que, plongeant les regards jusqu�au baldaquin de Saint-Pierre, on senbsp;rappelle que ces colonnes, faitesavec Ie bronze du Panth�on d�Agrippa,nbsp;sont remplies d�ossements de martyrs. Base et couronnement de rim-mortel �difice, l�oeil a tout embrass� ; l�impression est compl�te. Denbsp;la encore on aperQoit, non loin de la tombe apostolique, l'autel desnbsp;saints Proc�s et Martinien, ge�liers de saint Pierre et de saint Paul anbsp;la prison Mamertine; el Pon comprend 1�esprit d�une religion quinbsp;rcunit dans Ie m�me temple, associ� aux m�mes honneurs et les bour-reaux et les victimes! C�est qu�en effet, aux yeux de Dieu, Ie sangnbsp;vers� pour la foi efface toutes les distinctions en effa^ant tous les p�ch�s.
Continuant � monter, on arrive enfin au passage qui communique de la lanterne dans l�int�rieur de la boule ; Hic opus, hic labor. De-vant vous est suspendue verlicalement une �troite et longue �chellenbsp;en fer, plac�e au centre d�un tube qu�on pourrait prendre, s�il �taitnbsp;plus large, pour la trach�e-art�re d�une baleine : Jonas n�eut pas be-soin d��ler ses habits pour p�n�lrer dans sa prison vivante; moinsnbsp;favoris�s sont les visiteurs de la Palla. Quiconque d�passe un certainnbsp;diam�tre doit faire divorce avec son manteau, son paletot et m�me sonnbsp;habit; heureux si l��piderme, trop fortement press�, ne laisse aper-cevoir, apr�s la difficile ascension, aucune solution de continuit� : ccnbsp;spectacle tragi-comique nous fut offert. Un de nos compagnons de pC'nbsp;lerinage, gentlemen au large abdomen, se d�pouille de ses v�tementsgt;nbsp;relienl son souffle, s�efface Ie plus possible, et croyant avoir atteiotnbsp;Ie calibre oblig�, il tente Ie passage. Insuffisantes mesures! pris au beaunbsp;milieu de sa course a�rienne, il ne peut ni avancer ni reculer. Chacunnbsp;se met en devoir de Ie d�gager; les uns Ie poussent par les pieds, Ic�nbsp;autres Ie tirent par les bras; et n��tait l�honneur de pouvoir direj�nbsp;suis mont� dans la boule, j�affirme qu�il aurait voulu �tre � cent lieuesnbsp;de ce qu�il appelait, aux �clats de rire universels, une horrible souri-ci�re. II faut convenir qu�un pareil honneur est bien quelque cbose,nbsp;puisqu�on voit inscrils sur des plaques de marbre Ie nom des person-
COUPOLE DE SAINT-PIERRE. nbsp;nbsp;nbsp;149
�lages illustres qui sont entr�s dans la boule: nous y arrivames brave-ffient. Calculant Fespace que nous occupions, nous trouvames que la boule peut la rigueur loger trente personnes; or, comme nous n��-tions que neuf, on comprendra que nous y �tions fort a Faise. Je menbsp;dressai sur la pointe des pieds, et c.�est a peine si avec Findex �tendu,nbsp;je parvins a toucher la partie sup�rieure de cette chambre de cuivrenbsp;dor�. Quand il se voit la-haut, a quatre cent vingt-quatre pieds dansnbsp;les airs; quand il songe qu�au-dessus de sa t�le est la croix, et qu�unnbsp;Diorceau de Farbre sacr� du Calvaire domine tout ce monument, pro-clamant et la victoire du chrislianisme et la profonde mis�ricorde dunbsp;Dieu Sauveur,le voyageur chr�tienentonne involontairement Ie Glorianbsp;in excelsis, puis Ie Credo. Apr�s Belhl�em, la Palla de Saint-Pierrenbsp;de Rome est peut-�tre Ie lieu du monde o� ce double chant produitnbsp;une plusvive, une plus saisissante impression.
Le panorama vraiment magnifique dont nous jouissions nous offrait un autre d�dommagement. Parmi les points curieux du vaste tableau,nbsp;nos regards se fix�rent avec avidit� sur le cimeti�re des P�lerins ; ilnbsp;se trouve a gauche de Saint-Pierre, non loin du Saint-Office. Quandnbsp;on saura de quelle terre il est form� et quelle en est la destination,.onnbsp;comprendra combien notre curiosite �tait legitime. Apr�s sa trahison,nbsp;Judas, bourrel� de remords, rapporte aux pr�tres les trente deniers,nbsp;prix sacril�ge du sang innocent. Le Sanhedrin d�cide qu�on en ach�-tera le champ d�un potier pour la sepulture des p�lerins : In sepul-turam peregrinorum. Eh hien, oui, Juifs d�icides, vous serez pro-ph�tes! L�imp�ratrice sainte H�l�ne, visitant les saints lieux, litnbsp;transporter a Rome la terre de I'Haceldama; et, pour verifier jusqu�iinbsp;la fin des si�cles la parole proph�tique, F�glise a fait de cette terrenbsp;tin cimeti�re r�serv� aux p�lerins, in sepulturam peregrinorum (i).
(4) Fraudulenler principes sacerdotum cogitaverant et decreverant illius pecuni� siimmam in vilissim.'e et abjectissima; rei usum expendere, in sepulturam scilicet mili-tum aliorumque pauperum et ignobilium gentilium; ut hac ratione Christi memoriamnbsp;ad necem empti, et suam ipsorum impietatem emplione sepullura; sepelirenl. Sed aliternbsp;hei Pruvidenlia lactum; ager quippe ille emptus aeternum moniimenlum i'actus estnbsp;�celeris ipsorum. � Novarin. in Matth., c. xxvii.
Nam cumjus.su imperatricis Helena:, de hoc agro, quantum terra; plures navescapere Poterant, Romam evectum, ac juxta monlem Vaticanum in eum locum exoneratumnbsp;quern incola: Campum Sanctum vocitant, licet cceluni mutarit, eamdem tarnen re-linere vim quotidiana experientia docet. Romanos enim respuens, sola peregrinorumnbsp;Corpora ad sepulturam admittit: quorum ctiam hie omnem carnis substanliam intranbsp;�'iginii quatuor horas prorsus consumit, ossibus tantum residuis.�XAnchom. Descript.nbsp;�Aerosol., p. 175, n. 216. Vide etiam Brochardum, Nicephorum, Bredembachium, Salig-�iacum, etc. � Satpius Romasvidi et visi Campum Sanctum, acita serem habere ah ipsonbsp;TOM. 11.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;7
150 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
18 JANVIER.
Le Trast�v�re. � Pont Fabricius. � Ile du Tibrc. � Pont Cestius. � Souvenirs pa�ens.
� Monuments chr�tiens. � Martyre de sainte C�cile. � �glise de Sainte-C�cile, son
tombeau. � Sa chambre de bains. � Mosa�ques de Pabside et du chceur. � Reliques.
Vase du portique. � Saint-Fran?ois-a-iiipa. � Chambre de Saint-Frangois. � Cloitre
du couvent.
Kous avions �tudi� tous les quartiers de Rome environn�s par le Tibre; il nous restait a visiter la r�gion qui se trouve au del� du fleuve,nbsp;et qui pour celte raison s�appelle le Trast�v�re. Nous y arrivdmes parnbsp;le pont di Quatro-Capi, autrefois pont Fabricius. Bati en bois d�snbsp;les premiers temps de la r�publique, il fut construit en pierre parnbsp;Fabricius, Curateur des voies, quelques temps apr�s la conjurationnbsp;de Catilina. L�inscription plac�e sur Fare ne laisse aucun doute a eetnbsp;egard :
L. FACRICIVS C.-F. CVR. VIAR. FACIVNDVM COERAVIT. IDEMQtlE PROB.AVITnbsp;Q. LEPIDVS. M.-F. M. LOLLIVS. M.-F. COS.
S. C. PROBAYERVNT.
On l�appelle vulgairenient de Quattro-Capi, des Quatre-T�tes, a cause d�une statue de Janus Quadrifrons qui se voit i l�entr�e de lanbsp;place. Ce pont conduit a File du Tibre, si c�l�bre dans Fhlstoire denbsp;Rome pa�enne et de Rome chr�tienne. Lit s��levaient le temple de Jupiter Licaonien et le temple plus fameus d�Esculape. Rome, d�sol�enbsp;par la peste, envoya des ambassadeurs en �pire, conform�ment ausnbsp;oracles sibyllins, avec ordre d�apporter le dieu d��pidaure.Un serpentnbsp;monstrueus fut amen� a Rome et plac� dans File du Tibre, o� il eutnbsp;son temple, ses pr�tres et ses autels (i). Les malades venaient en foulenbsp;lui demander la sant�; et les Remains, pour ne pas se donner la peinenbsp;de soigner leurs esclaves vieux ou infirmes, les envoyaient au pr�tendunbsp;Dieu afin qu�il les gu�rit. C��tait un moyen commode de s�en d�bar-rasser (2). Dans File du Tibre on rencontre une de ces belles harmoniesnbsp;que Rome pr�sente a chaque pas au voyageur attentif. Et d�abord, aUnbsp;m�me lieu o� Fantique serpent se faisait adorer par les maitres dn
loei parocho ejusque asseclis et Romanis caeleris audivi. � Cornel, a Rapid, in xxv� Matth., p. 618, n. 8.
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Epitomat. Livii, lib. n; Plin., xsix, c. iv.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Suet., in Claud, c. xxv.
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monde, r�gne aujourd�hui dans son glorieus tombeau un des douze p�cheurs galil�ens qui renvers�rent ridolamp;trie; la s��l�ve la belle �glisenbsp;de Saint-Barth�lemy-en-rile. Ensuite, autour des restes sacr�s denbsp;l�Ap�tre, dans les �difices ruin�s qui log�rent les pr�tres d�Esculape,nbsp;s��tend l�hospice des fr�res de Saint-Jean-de-Dieu, si aim�s des ma-lades et des pauvres de Rome. Non loin du temple de Jupiter �taientnbsp;1��dicule de Faune, puis la statue de Simon Ie Magicien mis au nombrenbsp;des dieux de l�empire (i). Sous Tib�re, File du Tibre, l�moin de l�ago-nie des esclaves abandonn�s, Ie devint encore des angoisses des per-sonnes de distinction que d�jii Ie caprice et la cruaut� du farouchenbsp;C�sar condamuaient a la mort: c�est la qu�elles attendaient pendantnbsp;Un mois entier l�ex�cution de leur sentence (2). Aux pa�ens succ�d�rentnbsp;nos p�res dans la foi, et une foule de martyrs purificreut de leur sangnbsp;cette terre tant de fois souill�e. L�ancien pont Cestius joint l�IIe dunbsp;Tibre au Trast�v�re. Faubourg Saint-Marceau, rueMouffetard de Rome,nbsp;Ie Trast�v�re ne fut longtemps habit� que par Ie bas peuple et parnbsp;les Juifs (3). Auguste y bilit une caserne pour les soldats de marinenbsp;appartenant a la flotte de Ravenne; ceux qui faisaient partiede la flottenbsp;de Mys�ne avaient leur logement dans la troisi�me region, pr�s dunbsp;mont Cselius. L� se trouvaient les pr�s de Mulius Sc�vola donn�s ennbsp;r�compense par Ie peuple romain; les champs de L.Quinctius, et enfinnbsp;les quatre arpents de Cincinnatus (i). Quelle parlie du Trast�v�re oc-cupaient ces lieux historiques? on ne Ie sait. L�opinion la plus commune place les premiers dans Ie voisinage de Sainte-C�cile el de Saint-Fran^ois-d-Jlipa. Le quartier transt�verin renferme encore d�autresnbsp;souvenirs donl je parlerai dans 1�ordre suivant lequel ils se pr�sen-leront.
Parmi les monuments cbr�tiens qui appellent le voyageur au del� du Tibre, il faul placer d�abord l��glise de Sainte-C�cile (s). Sous lenbsp;r�gne d�Alexandre-S�v�re vivait une jeune chr�tienne nomm�e C�cile,nbsp;plus dislingu�e par son ang�lique vertu que par la noblesse de sonnbsp;origine et 1��clat de sa beaut�. Val�rien, officier de l�empereur, n�nbsp;dans le paganisme, demande sa main. Inspir�e par la grace, C�cile ac-oepte la proposition, convertit son fianc�, et Fun et Fautre promet-^ont au Seigneur une continence perp�tuelle. Tiburce, fr�re de Val�-
(1) Euseb., Ilist. Eccl. lib. ii, c. xn; Just., Apol. 1-(s) Sidon., lib. i, epist. 7.
(5) Phil., De Legat. ad Caium; Bar. Annul., 1.1.
{�*) Cincinnato aranti quatuor sua jugera, etc. � Plin., lib. xviii, c. m.
(5) Santa Maria Nova.
-ocr page 156-152 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
rien, c�de aussi aux douces exhortations de sa belle-sceur et re^oit Ie bapt�me. Le bruit de cette double victoire se r�pand, et les n�ophytesnbsp;sont arr�l�s. Le centurion Maxime, qui les conduit au supplice, est sinbsp;touch� de leurs discours et de leur courage, qu�il se convertit lui-m�ine; et, condamn� sur-le-champ, il m�le son sang au sang de sesnbsp;prisonniers.
Restait la jeune h�ro�ne, principal instrument de leur triomphe. Ordre est donn� de la rechercher; les pers�cuteurs se rendent au delanbsp;du Tibre, dans la niaison de C�cile qui est saisie et d�vou�e a la mort.nbsp;Par �gard pour sa haute naissance on employa, pour la faire expirer,nbsp;un genre de supplice connu des Remains, lorsqu�il s�agissait des femmes, et surtout des femmes de qualit�. On l�enferma dans le Sudatorium de ses bains. Cette pi�ce, qu�on trouve dans tous les thermes, etnbsp;dont on voit encore Ie mod�le h Pomp�i, �tait herm�tiquement ferm�enbsp;et se chauffait au moyen d�un calorif�re. On �leva tellement le foyernbsp;que Ia Sainte devait �tre �touff�e en quelques hcures; il n�en fut rien,nbsp;et au bout de trois jours elle sortit pleine de vie de son br�lant tom-beau. C�est alors que le juge ordonna de lui trancher la t�te; lebour-reau lui porta trois coups qui, soit par raffinement de cruaut� de lanbsp;part du tyran, soit par l�effet d�un miracle, la laiss�rent survivre pendant trois jours. L�h�ro�que martyre en profita pour continuer sa mission. Un grand nombre de pa�ens se convertirent et regurent, dans lanbsp;maison m�me de C�cile, la grSce du bapt�me des mains du pape saintnbsp;Urbain. Avant d�e.xpirer la Sainte pria le Pontife de changer sa maisonnbsp;en �glise : son d�sir fut accompli. Consacr�e par le pape saint Urbain,nbsp;et restaur�e par saint Gr�goire le Grand, cette �glise, d�ja si v�n�rable,nbsp;le devinl bien plus encore sous le r�gne de saint Pascal.
Les corps des saints martyrs avaient �t� ensevelis dans les catacom-bes de Pr�textat, mais on ignorait la place de leurs tombes. C�cile la fit connaitre au Vicaire de J�sus-Christ, qui, apr�s de longues recherches, parvint a la d�couvrir. Le loculus de sainte C�cile contenait lenbsp;corps de l�illustre martyre, envelopp� de v�tements broch�s d�or etnbsp;tremp�s de son sang; aux pieds �taient des linges roul�s et �galementnbsp;imbib�s de sang. Les corps de saint Val�rien, Tiburce, Maxime et desnbsp;papes saint Urbain et saint Lucien, furent �galement retrouv�s parnbsp;l�heureux Pontife. Aux jours de ses triomphes, Rome pa�enne ne tres-saillit jamais d�une joie �gale h celle de Rome chr�tienne, lorsque lesnbsp;glorieuxvainqueurs de 1�idolatrie entr�rent dans ses murs. Tous furentnbsp;d�pos�s dans I��glise de Sainte-C�cile, que saint Pascal fit rebatir en-ti�rement, afin de la rendre plus digne du d�p�t sacr� qu�elle devaitnbsp;renfermer.
-ocr page 157-�GLISE ET TOMBEA� DE SAINTE-C�CILE. d53
Riches de ces notions r�clam�es par l�esprit et surtout par Ie coeur du voyageur chr�tien, nous mimes Ie pied dans l��glise tant de foisnbsp;monumentale. Au bas des marches du choeur ouvre la crypte v�n�rablenbsp;oii repose Ie corps de sainte C�cile. II est dans une ch�sse de cypr�snbsp;renferm�e dans une autre d�argent de la valeur de 4,292 �cus d�or :nbsp;hommage du pape Urbain VIII, miraculeusement gu�ri par l�interces-sion de la sainte mariyre. La belle statue en marbre blanc, d��iiennenbsp;Maderne, repr�senle la Sainte couch�e sur Ie c�t�, comme elle futnbsp;trouv�e, lorsqu�au xvC si�cle Ie eardinal Sfondrat ouvrit son tombeau.nbsp;Ce prince de l��glise, titulaire de Sainte-C�cile, enrichit la confessionnbsp;de rillustre martyre de quatre-vingt-dix lampes d�argent qui brulentnbsp;nuit et jour, et son �glise d�une grande quantit� de reliques insignesnbsp;dont nous parlerons bienl�t.
Nos pri�res faites au tombeau de l�h�ro�ne de la Foi, nous voul�mes voir Ie lieu de son triomphe. 11 est en face de la sacristie et peut avoirnbsp;dix-huit pieds de longueur sur six de largeur. Dans Ie fond, les m�mesnbsp;murailles, les m�mes dimensions, Ie m�ine pav� en mosa�que, foul�nbsp;par les pieds nus de la sainte et de ses bourreaux. Afin que rien nenbsp;manque a la v�n�ration du p�lerin dans l�immortel Sudatorium, unenbsp;grille en fer marque la place occup�e par Ie foyer et par la chaudi�renbsp;d�o� se d�gageait la vapeur homicide. S�ils �taient dans la chambrenbsp;o� Socrate hut la cigu�, nos touristes ne tariraient pas en racontantnbsp;lenrs impressions; et l�on voudrait que Ie chr�tien fut muet et insensible dans des lieux consacr�s par la mort bien plus h�ro�que de sesnbsp;p�res, de ses fr�res, de ses sceurs dans la foi! Mais ces impressions,nbsp;la plume ne peut les rendre; c�est au coeur de les sentir.
Telle est, en partie, la gloire int�rieure de l��glise de Sainte-C�cile; sa gloire ext�rieure brille dans les peintures qui la d�corent. Sur Ienbsp;portique on voit d�une part la Sainte r�v�lant Ie lieu de sa s�pulturenbsp;au pape Pascal, et de 1�autre la translation de ses reliques dans Ienbsp;sanctuaire qui lui est consacr�. Ce monument de Part est d�un grandnbsp;int�r�t; mais il a beaucoup souffert, et il est � d�sirer qu�on Ie trans-porte dans un lieu o� il cesse d��tre expos� aux injures du temps, sansnbsp;fiuoi il n�en restera bienl�t plus rien.
Une superbe mosa�ique orne Pare absidal et Ie choeur de P�glise. Au centre de Pare apparait la Reine des vierges assise sur un tr�ne �tin-celant de pierreries. Sur Ie giron de sa divine Mere, Penfant J�sus estnbsp;debout, Ie visage tourn� vers Ie spectateur. A droite et a gauche dunbsp;'r�ne de Marie se tiennent deux anges debout, aux ailes �tendues. Plusnbsp;loin viennent, de chaque c�t�, cinq vierges couronn�es, v�tues de dra-
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peries flottantes, apportant sur leurs mains, couvertes d�un voile pendant, des esp�ces de pains ronds, symboie du travail et de la charit�. Kntre chaque vierge s��l�ve un palmier, dont, les rameaus sont 1�at-tribut de la victoire. Pouvait-il �tre mieux plac� que dans un dessinnbsp;consacr� a la gloire d�une vierge martyre? Aux extr�mit�s de l�arc senbsp;dessinent deux villes, orn�es de lampes suspendues aux portes, Bethl�emnbsp;et J�rusalem, d�o� sortirent la vie, Ie salut, la lumi�re du genre hu-main; el d�oii, dans un certain sens, doivent sorlir lous les hommesnbsp;pour arriver au tr�ne de Dieu dans la patrie c�leste.
Au-dessous de l�arc, sur Ie champ des pilastres, vous voyez de chaque c�t� douze personnages v�tus de grandes draperies et dont chacun �l�ve une couronne vers Ie tr�ne de la Reine des anges et des hommes.nbsp;Les douze Patriarches et les douze Ap�tres repr�sentent ici dans toutenbsp;la dur�e de son existence l��glise catholique, qui se reconnait hum-blement redevable de ses victoires et de son immortalit� a celle quinbsp;r�gue dans les cieux : telles sont les myst�rleuses et magniliques pein-tures de Pare triomphal. Le chosur n�est pas moins riche. Au point Ienbsp;plus �lev� de la coquille, � la junction de deux superbes guirlandes formant encadrement, brille le monogramme du pape saint Pascal P|Li,nbsp;Du haut du ciel apparait la main myst�rieuse, embl�me de la divinit�,nbsp;d�posant unc couronne de diamant sur la tete de Notre-Seigneur quinbsp;est debout. Le Sauveur tienl de la main gauche un livre roul�, et denbsp;la droite il b�nit � la mani�re des Grecs; c�est-�-dire que le pouce etnbsp;le doigl annulaire sont r�unis, tandis que les autres doigts sont �tendus. On sail que les Latins b�nissent en �tendant le pouce, l�index etnbsp;le doigt du milieu, les deux autres �tant courb�s. Par Tune et l�aulrenbsp;mani�re l��glise d�Orient et l��glise d�Occident proclaraent le myst�renbsp;de la sainte Trinit�. Tel n�est pas le seul m�rite de la particularit� quenbsp;nous signalons; elle prouve encore que les mosa�ques de Sainte-C�cilenbsp;sont l�ouvrage d�un artiste grec, et qu�elles sont bien de 1��poque re-cul�e � laquelle on les rapporte.
A la droite du Sauveur on voit saint Paul, dont la main droite pend naturellement, tandis que la gauche, appuy�e sur la poitrine, tient unnbsp;livre, symboie de la doctrine. Le grand Ap�tre est suivi d�une jeunenbsp;vierge porlant le costume des imp�ratrices, avec des colliers de diamant autour du cou, tandis que le nimbe circulaire orne sa t�te enri-chie d�une couronne de peries. Cette vierge est sainte Agathe, cotitu-laire de Ia basilique. A sa droite vient le pape saint Pascal portant Ienbsp;mod�le de l��glise, et la t�te environn�e du nimbe carr�, signe distinctifnbsp;du personnage vivant. Derri�re lui un palmier d�veloppe ses rameaux
VASE DU PORTIQUE. nbsp;nbsp;nbsp;loO
Kiajestueux, parmi lesquels on voit un ph6nix, embl�me de la resurrection. A la gauche de Notre-Seigneur parait saint Pierre tenant les rlefs, et accompagne de saint Val�rien et de sainte C�cile, portant I�unnbsp;et I�autre entre leurs mains la couronne achet�e au prix de leur sang.nbsp;IjB centre de la bordure inf�rieure pr�sente I�Agneau de Dieu, ayantnbsp;sur la t�te le monogramme de Notre-Seigneur; de chaque c�t� sixnbsp;agneaux venant ii lui, et sorlant de deux cit�s semblables pour le mo-d�le et pour la signification ii celles dont nous avons d�ja parl� (i).
L�ensemble harmonieux de la composition, la na�vet�, l��nergie, ou, pour mieux dire, la transparence des embl�mes, la magnificence desnbsp;d�corations et l��clat des couleurs, font de cette mosa�que un des plusnbsp;fieaux monuments de notre antiqiiit� religieuse. Quelle dif��rence entrenbsp;cette mani�re simple, ais�e, sublime des artistes cbr�tiens et celle denbsp;�OS artisans modernes! D�ofi vient que ces derniers n�ont pas m�menbsp;assez de gout pour aller chercher leurs mod�les religieux dans nosnbsp;si�cles de foi? Comme la plupart des �glises de Rome, Sainte-C�cilenbsp;cst non-seulement un mus�e et une galerie, mais encore un reliquaire.nbsp;Nommer les saints et les martyrs dont les restes v�n�rables, recueillisnbsp;par le cardinal Sfondrat, cnrichissent la sainte basilique, serait beau-coup trop long. II sufiit de savoir que tous les ordres de bienheureuxnbsp;ont ici leurs repr�sentants, comme pour f�liciter I�illustre vierge denbsp;son glorieux triomphe, retremper la foi du p�lerin, ranimer son courage et souvent le faire rougir de sa pusillanimite.
En sortant de l��glis� il faut examiner, dans I�ancien atrium, un de Ces grands vases de marbre, appel�s canthdri, qui servaient de fon-taine pour I�ablution des fid�les. Celui de Sainte-C�cile est d�une j^nnenbsp;conservation et rappelle, par l�usage auquel il �tait destin�, la reli-8gt;euse frayeur et l�innocence sans souillure que nos p�res s�efforfaientnbsp;*i�apporter dans le temple saint.
Singuliere destin�e des lieux o� nous sommes! Antiques t�moins flu courage de Mulius Sc�vola, ils furent le prix deson d�vouement (i) ;nbsp;^evenus sous le christianisme le th�fttre d�un d�vouement plus noble,nbsp;'Is sont consacr�s i en perp�tuer le souvenir. L�h�ro�sme de la virgi-quot;'t� et du martyre, et Th�ro�sme peut-�tre aussi grand de la pauvret�
de l�humiliation volontaire, y regoivent les hommages qu�ils m�-'''tent. A Cl�lie et a Mutius Sc�vola succ�dent sainte C�cile et saint
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Ciamp., Vet. Mon., t. n, c. xxvi.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Ici �taient, comme on sail, les pr�s dont la R�publique fit pr�sent a Mutius Sc�-^ola pour prix de son courage. On croit que c�est a 1�endroit m�me o� se trouvc le
onte rotto, qu�eut lieu l�acte h�ro�que du c�l�bre Romaiu.
156 nbsp;nbsp;nbsp;LES TKOIS ROME.
Francois d�Assise dont les vertus, iuspir�es par Ia foi, ont conquis ii leur gloire cette partie du Trast�v�re. Une l�g�re distance nous s�pa-rait du couvent et de l��glise de San Francesco-a-Ripa. Au fond denbsp;cette humble demeure est un petit sanctiiaire d�o� s�exhale je ne saisnbsp;quel parfum de saintel� qui p�n�tre et qui embaume l��me et les sens :nbsp;J�ai nomm� la chambre de saint Frangois d�Assise. Quels que soientnbsp;ton pays, ta croyance et ton nom, p�lerin, �te icita cbaussure; tu entresnbsp;dans la demeure d�un h�ros, d�un saint, sublime instrument de la Providence dans Foeuvre de la civilisation. �es pieds foulent Ie m�me sol,nbsp;tes yeux voient les m�mes parois, Ie m�me plafond; tes mains touchentnbsp;la m�me porte de bois, la m�me pierre qui lui servit d�oreiller; en unnbsp;mot, tu CS environn� de tous les objets t�moins des pri�res, des soupirs,nbsp;des aust�rit�s, des extases du s�raphique patriarche : spectacle deuxnbsp;fois �loquent qui te r�v�le Ie secret de devenir un grand homme, ennbsp;l�apprenant que Dieu choisit toujours pour op�rer des choses merveil-leuses les petits et les humbles.
Dans cette chambre x�n�rable, transform�e en cbapelle, reposent vingt-huit corps saints avec une quantit� de reliques pr�cieuses, quenbsp;des panneaux tournants offrirent a nos regards et ii notre pi�t�. Unnbsp;des religieux qui nous accompagnaient tira ensuite un rideau plac�nbsp;derri�re l�autel, et nous vimes Ie veritable portrait de saint Francoisnbsp;d�Assise; on Ie croit contemporain de l�illustre fondateur. Les cloitresnbsp;du couvent repr�sentant dans des fresques nombreuses, les papes, lesnbsp;cardinaux, les hommes illustres, les saints et les martyrs de 1�ordre.nbsp;C�est pour les bons p�res une galerie de familie dont la vue, j�en suisnbsp;certain, a fait germer plus d�une vertu et encourag� plus d�un sacrifice. Le monde en profite, et l�ingrat qu�il est, trop souvent il oublienbsp;la religion qui les inspire.
19 JANVIER. ^
Sainte-Marie-m-Tra5feti^re. � Tdberna meritoria, � Rescrit d�Alexandre S�v�re. � Miracle de la fontaine d�hiiile. � Preuves. � Premi�re �glise de Rome d�dice �t lanbsp;sainte Yierge, � Vue de la fontaine. � Inscriptions. � Mosa�ques. � Tombeaux.�nbsp;Reliques de Martyrs. � Les Transt�v�rins, � Saint-Pierre-m-Tf/o/jfor/o.
Le Tibre nous revit sur ses bords. Laissant ii gauche Sainte-C�cile et Saint-Frangois, que nous avions vus, et Saint-Michel que nous ver-rons plus tard, nous arrivames promptement a Sainte-Marie-w-2�ras-teverc. Cette �glise offre une riche moisson a l�antiquaire et surtoutnbsp;au Chr�tien. Au lieu m�me o� elle s��l�ve, on voyait jadis la Taberna
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SAINTE -MARIE-IN-TR ASTE VERB.
i:')l
meritoria, esp�ce d�h�pital des soldats invalides et de magasin public, o� ron d�posait les marchandises (i). Soit a raison du prodige dontnbsp;je vais parler, soit pour toute autre cause, l�entrep�t fut abandonn�.nbsp;Les chr�tiens, qui attachaient une grande importance a poss�der eetnbsp;emplacement, Ie prirent � bail et y construisirent un oratoire; maisnbsp;les cabaretiers du voisinage trouv�rent bon de les inqui�ter et de lesnbsp;chasser. L�affaire fut port�e au tribunal de l�empereur Alexandre, quinbsp;donna Ie rescrit suivant : � II vaut mieux que Dieu soit honor�, n�im-porte comment, dans la Taberna meritoria, que de la livrer aux cabaretiers (2). � Maitres de ce lieu tant d�sir�, les chr�tiens s�empres-s�rent d�y bamp;tir une �glise, qui fut consacr�e, en 224, par Ie papenbsp;saint Calixte, et d�di�e ii la Vierge-M�re : elle est la premi�re quenbsp;Rome vit �lever en Fhonneur de la Reine du ciel (3).
D�o� venait aux fid�les eet ardent d�sir de poss�der la Taberna meritoria, et de la consacrer par un monument religieux? L�histoire profane et l�histoire sacr�e r�pondent d�un commun accord ; Sousnbsp;Ie r�gne d�Auguste, alors que Dieu tenait Ie monde en suspens par desnbsp;prodiges multipli�s; que l�Occident retenlissait des oracles de la si-bylle de Cumes, popularis�s par Virgile; et que l�Orient tenait ses regards tourn�s vers la Jud�e, d�o� les anciennes traditions annongaientnbsp;la prochaine sortie du dominateur de l�univers ; dans ce moment solennel, Rome vit tout a coup jaillir au lieu occup� par la Taberna meritoria, une fontaine d�huile qui coula pendant un jour entier avecnbsp;tant d�abondance qu�elle deseendait jusqu�au Tibre (a). Les pa�ens en-registr�rent ce fait parmi les �v�nements extraordinaires qui signa-laient Ie r�gne d�Auguste, mais ils n�en comprirent pas mieux Ie sensnbsp;que celui des antiques traditions (s). Ce sens consolateur ne fut pasnbsp;ignor� des chr�tiens. Dans cette fontaine d'huile miraculeusementnbsp;sortie du sein de la terre, au milieu du quartier de Rome habit� parnbsp;les fils d�Abraham, en un lieu de commerce o� ils devaient �tre ennbsp;grand nombre ainsi que les pa�ens, ils voyaient avec raison et l��ter-
li) Taberna; meritoria;, qus \ulgo diversoria vel fullonica appellantur. Cod. Lex. Si ususfructus, � 16.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Rescripsit melius esse ut quomodocumque illic Deus colatur, quam popinariis de-datur. � Lamprid. in Alex.
(3) nbsp;nbsp;nbsp;Illic nobilem ecclesiam erexerunt sanctissima; Virginis Dei genitricis partui, olimnbsp;co prodigio prmsignato, religiosissime consecrandam. � Bar. ann. 224, n. v.
(4) nbsp;nbsp;nbsp;Anno tertio Romae e taberna meritoria trans Tiberim oleum e terra erupit, fluxit-que toto die sine intermissione. � Euseb. in Chron. Ainsi parlent Dion Cassius, Tironnbsp;f rosper, Idace, Orose, Eutrope, Anastase, Raban Maure, etc., etc.
(5) nbsp;nbsp;nbsp;Plin., Hist., lib. 11, c. xxxi; Dio. Hist, rom., lib. xivii.
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nelle mis�ricorde de Dieu qui n�a jamais laiss� son Fils sans t�moi-gnage, et l�annonce parfaitement symbolique de la naissancedu Christ, arriv�e pen de temps apr�s. � En effet, ajoute Orose, christ vent direnbsp;oint; etcette huile miraculeuse annongait l�oint par excellence, Ie Filsnbsp;de Dieu qui allait naitre sous Ie r�gne d�Auguste, et les chr�tiens,nbsp;uncti, qui devaient Ie perp�tuer dans l�empire. Cette huile sort de lanbsp;Taberna meritoria, rendez-vous commun des juifs et des pa�ens, etnbsp;figure de l��glise, compos�e des gentils et des enfants d�Isra�l (i). �
Tel est Ie fait miraculeux qui, atlest� d�abord par Ie double t�moi-gnage de l�histoire profane et de 1�histoire sacr�e; puis, vingt fois soumis l�examen de la critique la plus s�v�re, a travers� dix-huitnbsp;si�cles sans rien perdre de son authenticit�. Aujourd�hui encore 11 ex-plique, en la juslifiant, l�ardeur autrement inexplicable des premiersnbsp;chr�tiens a poss�der Ie lieu m�me oii il s��tait accompli (2).
Avec sa sollicitude ordinaire, Rome a veill� sur ce lieu v�n�rable. Quoique restaur�e plusieurs fois, 1��glise, balie par saint Calixte, conserve toujours dans son enceinte et prot�g� de ses murs sacr�s la placenbsp;d�o� sortit la fontaine miraculeuse. Le voyageur ne peut manquer denbsp;la retrouver; car des inscriptions nombreuses, des ornements de mar-bre et de bronze, et surtout la pi�t� des p�lerins, l�indiquent a tousnbsp;les regards. Nous la vimes; et le moment o� il nous fut donn� de lanbsp;contempler reste dans notre m�moire comme une des joies du p�le-rinage.
Quand vous �tes � la naissance des marches de porphyre qui mentent au sanctuaire, vous voyez sur la droite, dans le pav�, une ouverture circulaire garnie d�une grille, et dont Forificc rev�tu de marbre
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Quo signo, quid evidentius quam in diobus Cffisaris toto orbe regnantis futuranbsp;Christi nativitas declarata est? Christus enim unctus interprelatur. Itaque cum eo tempore, quo Ca�sari perpetua tribunitia potestas decreta est, Ronia: ions olei per totumnbsp;diem defluxit; sub principatu Ca;saris, romanoque imperio per totum diem, id est, pernbsp;omne Romani tempus imperii, Christum, et ex eo christianos, id est unctum et ex eonbsp;unclos, de meritoria Taberna, hoe est de hospilali largaque ecclesia afiluenter atquenbsp;incessahiliter processuros, etc. � Oros., Hist., lih. vi, c. xx.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Les principaux auteurs qui ont examine co fait sont: Pietro Moretti, flistoria hujusnbsp;prodigii elucid. et defen. Roma; 1767. � Panvinius, De s'eptem urbis Ecclesiis, p. 81. �nbsp;Donat., Roma vetus, etc., lih. iii, c. xxi. � Piazza, Gerarchia cardinalizia, p. 164. � Denbsp;Berardesca, In coUectione miraculorum, quee in Christi nativitate visas unt. Neapoli IS��-
� nbsp;nbsp;nbsp;Trombelli, Vita B. Virg., i. u, p. 317, 325. � Mazzolari, Dasiliche sacre, t. vi, p. 297.
� nbsp;nbsp;nbsp;Constanzi, Istituz., etc., t. u, p. 40. � Cancellieri, A�otte di natale, p. 121. � Baron.,nbsp;Apparatus ad Ann. eccl., p. 7; ij. amt. 221.�Benoit XIV, De Festo Natal. Domini.nbsp;Le savant Pontite s�exprime en ces termes: � Nulla de veritale miraculi duhitatio, etc.�
-ocr page 163-MIRACLE DE LA FONTAINE d�iIUILE. nbsp;nbsp;nbsp;159
blanc peut avoir deux pieds de diam�tre. Au-dessus on lit : Fons olei, fontaine de I�huile.
A droite ;
nine oleum fluxit, cum Christus Yirgine luxit.
� D�ici coula une fontaine d�huile, lorsque le Christ naquil de la Vierge. �
A gauche :
Nascitur hinc oleum, Deus ut de Virgine : utroque Oleo sacrala est Roma terrarum caput.
� D�ici I�huile sort quand Dieu nait de la Vierge : par cette double onclion, Rome est sacr�e reine du monde. �
La voix miraculeuse qui s��l�ve du sein de la terre est mont�e jus-qu�aux vo�tes de la basilique, d�o� elle redescend en flots de po�sie. La mosa�que du sanctuaire renvoie ces accents ;
Jam puerum, jam summe Pater, post tempora natum,
Accipimus genilum, tibi quem nos esse coa�vum
Credimus, hinc olei scaturire liquamina Tibrim.
� Enfin, P�re tout-puissant, enfin, nous le poss�dons, eet enfant n� dans la pl�nitude des temps, et que nous croyons �ternel comme vous;nbsp;c�est pour l�annoncer qu�une fontaine d�huile d�coula de ce lieu jus-qu�au Tibre. �
La facade ext�rieure r�pond; c�est la basilique elle-m�me qui, se personnifiant tout a coup, chante son bonheur et sa gloire :
Dum tenet emeritus miles, sum magna Taberna;
Sed dum Virgo tenet me, major iiuncupor et sum:
Tunc oleum fluo, significans magnam pietatem
Clirisli nascenlis, nunc trado petentibus ipsam.
� Occup�e par le soldat �m�rite, je suis le grand hospice; occupee par Marie, je m�appelle plus grande ct je la suis : alors je r�pands denbsp;I�huile, embl�me de la grande mis�ricorde du Christ naissant, et main-tenant je la donne a ceux qui la demandent. �
Ce n�est pas assez; ou qu�ils se tournent, il faut que 1 ceil voie et que I�oreille entende le lemoignage du miracle. Au-dessus du magni-. fique entablement de la chapelle Aldobrandini, voisine du maitrenbsp;autel, brille cette inscription.
In hac prima Matris asde,
Taberna olim meritoria,
Olei fons e solo erumpens Christi ortum protendit.
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LES TROIS ROME.
� Dans ce premier temple de Marie, autrefois la Taherna meritoria, une fonlaine d�huile sortie du sein de la terre annonce l�av�nementnbsp;du Christ. �
Absorb� par ce grand souvenir, Ie voyageur peut a peine s�occuper des localit�s mat�rielles de l�antique �glise. Les pr�cieuses mosa�quesnbsp;de la facade ext�rieure datent du xii� si�cle, et repr�sentent la saintenbsp;Vierge, 1�enfant J�sus et les dix vierges de r�vangile. Dans celles dunbsp;choeur �galement d�une grande beaut�, figure Ie pape Innocent II,nbsp;restaurateur de I��glise en 1139. Titulaire de cette basilique, Ie cardinal Altemps l�enrichit du tableau de VAssomption. On regarde cettenbsp;fresque du Dominiquin comme une des premi�res de Rome pour Ienbsp;coloris et la perspective. Les magnifiques colonnes de granit qui sou-tiennent l��difice proviennent des thermes d�Amp�lide ou de Pris-cilliane (i) : d�pouilles opinies du paganisme voluplueux, elles sontnbsp;bien plac�es dans un temple d�di� a la Reine des vierges. Le plafondnbsp;resplendit de dorures, tandis que le pav�, en porphyre, en vert antique et autres marbres rares, se, dessine comme un riche parterre.nbsp;Parmi les tombeaux, nous remarquftmes pr�s de la sacristie celui dunbsp;cardinal d�AIen^on, fr�re de Philippe le Bel, monument curieux denbsp;Parchitecture, de la sculpture et de la peinture du xiv� si�cle. Nonnbsp;moins Int�ressante pour Parch�ologue est la pierre s�pulcrale du savant et pieux Bottari, pr�fet de la Vaticane, et si justement c�l�brenbsp;par ses travaux sur les catacomhes.
Pr�s de Pautel on conserve la pierre avec laquelle le pape Calixte fut pr�cipit� dans le puits o� il consomma son glorieux martyre : ellenbsp;peut peser environ cent livres, y compris Ia chaine. Le saint Pontifenbsp;repose lui-m�me sous Pautel avec ses illustres successeurs Jules etnbsp;Corneille, martyrs comme lui, et les saints Cal�pode et Quirinus, lenbsp;premier pr�tre, le second �v�que, et tous les deux martyrs. Dans lesnbsp;diff�rentes parties de P�glise habite une l�gion de saints pris dansnbsp;toutes les hi�rarchies. Les douze Ap�tres y sont pr�sents dans unenbsp;partie de leurs restes sacr�s; saint �tienne, saint Laurent, saint As-t�re, saint Sixte, saint Ignace et une foule d�autres y repr�sententnbsp;Pordre des martyrs; saint Chrysostome, saint J�r�me, saint Henri,nbsp;saint S�verin, saint Francois de Paule et saint Philippe de N�ri, celuinbsp;des pontifeset des prctres; enfin sainte Marguerite, sainte Agn�s, saintenbsp;Rufine, sainte Pudentienne, sainte Aur�lie, sainte Balbine, sainte Justine forment un choeur de vierges autour de leur auguste Reine.
(i) Sard., item, antic., p. 414.
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De Sainte-Marie nous nous dirigeftmes vers Saint-Pierre-w-Mow-torio. Pour y arriver, il fallut suivre la Longara, immense rue qui traverse tout Ie Transt�v�rin, et nous p�mes voir Ie type bien carac-t�ris� des habitants de ce qaartier. Les Trasteverini se croient lesnbsp;descendants des anciens Remains, et leur pr�tention ne parait pasnbsp;sans quelque fondement. Fiers, hardis, ils conservent des traces denbsp;l��nergie et de la hauteur de leurs anc�tres. On raconte qu�un Suissenbsp;de la garde pontificale �cartait un de ces hommes curieux de voir denbsp;trop pr�s Ie Saint-P�re. Le Transt�v�rin, reculant, aposlropha ainsinbsp;Ie hallebardier : Barbara, son di sangue romano anche trojano! Onnbsp;trouve dans leur langage un m�lange d�imagination et de souvenirsnbsp;de l�antiquit� qui semble un h�ritage de familie : nulle part les nomsnbsp;des h�ros et des lieux c�l�bres de 1�ancienne Rome ne sont aussi po-pulaires. Les simples femmes r�p�tent les mots de Via Appia et denbsp;Via Flaminia en vous indiquant votre chemin; et Castiglione cite lenbsp;trait d�un Transt�v�rin qui, allant chez le podesta d�clarer le vol denbsp;son �ne, terminait sa plainte et l��loge de eet Ane en disant que lors-qu�il avait son b�t, il semblait v�ritablement un Cic�ron : Che quandonbsp;aveva il suo basta addosso, parea propriamente un TulUo. Du reste,nbsp;les Transt�v�rins sont d�un d�vouement ardent pour la personne dunbsp;Saint-P�re : au moment du danger il faudrait leur passer sur le corpsnbsp;avant d�arriver jusqu�a lui.
Nous �tions arriv�s au pied du monticule o� saint Pierre rendit t�moignage a son divin Maitre. Une voie en zig-zag, orn�e de stationsnbsp;du chemin de la croix, gravit le flanc ardu de la colline, et avertit lenbsp;p�lerin qu�il touche � une terre sanctifi�e. Suivant l�opinion la mieuxnbsp;fond�e, le Montorio faisait partie non du Janicule, mais du Vatican.nbsp;C�est ainsi qu�on justitie l�expression des anciens auteurs qui placentnbsp;sur le mont Vatican le crucifiement de saint Pierre (i). Irrit� de lanbsp;mort de Simon le Magicien et des conqu�tes nombreuses que le p�-cheur de Galil�e faisait au sein m�me de Ia cour imp�riale, N�ron lenbsp;fit saisir et jeter dans la prison Mamertine (2). L�Ap�tre n�en sortitnbsp;que pour �tre li� � la colonne que nous avions vue a Sainle-Marie-Traspontina, et cruellement llagell�, puis condaran� au supplice denbsp;la croix. L�instrument fatal fut dress� non loin du palais imp�rial, surnbsp;une cr�te �lev�e d�o� il pouvait �tre apergu de loin : N�ron �tait biennbsp;capable d�avoir choisi ce lieu, afin de pouvoir, du haut de ses balcons,
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Baron., Annal., 1.1, an. G6, in nol. ad martyr. Rom. 20 juin.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Maxim. Taurinens., Serm. v, in Natal. S. App.;S. Ambr., Serm. eScontr. Auxent.;nbsp;Laciant., De mortib. persecut.
-ocr page 166-iQlt;2 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
se repailre du supplice du Pasteur supr�me, comme il avait voulu jouir des angoisses des simples brebis en les faisant servir de torchesnbsp;dans ses jardins. Quoi qu�il en soit, PAp�tre trouva que c��tait tropnbsp;d�honneur pour lui d��tre crucifi� comme son divin Maitre, et il voulutnbsp;�tre attach� ii la croix la t�te en bas (i).
Les premiers chr�tiens, si fid�les i marquer par des monuments durables tous les pas des Ap�ires, ne pouvaient manquer de gardernbsp;soigneusement la m�moire du lieu consacr� par la mort de saint Pierre,nbsp;et de l�entourer de leur v�n�ration. Le sanctuaire qu�ils �lev�rent surnbsp;Ie Montorio est devenu avec les si�cles la belle �glise que nous allonsnbsp;bient�t admirer. Arriv�s sur Ia plate-forme, d�o� I�oeil d�couvre lesnbsp;sept royales collines et Rome tout enti�re, nous fumes re^us avec em-pressement par les religieux qui veillent sur le v�n�rable monticule.nbsp;Singuli�re destin�e! c�est aux pauvres enfants de Saint-Fran^ois, a cesnbsp;hommes regard�s par les yeux profanes comme la balayure du monde,nbsp;que Dieu a confi�, en Orient et en Occident, la garde des lieux ^nbsp;jamais c�l�bres o� coula le sang de son Fils et celui de son vicaire :nbsp;glorieuse mission, digne r�compense de 1�humilit�. Les bons P�resnbsp;nous introduisirent dans le convent, et de lil dans l��glise. A droite, ennbsp;entrant, il faut �tudier avec soin la chapelle Borgherini, peinte parnbsp;S�bastien del Piombo sur les dessins vigoureux de Michel-Ange. Ellenbsp;est le r�sultat de la ligue de ce dernier avec S�bastien, son �l�ve fa-vori, contre Raphael, qui avait �t� plac� au-dessus de. Michel-Angenbsp;pour r invention et le coloris. De eet te lutte de g�ants sortit la Transfiguration, qui mit aux mains du jeune Sanzio le sceptre de I�art. Anbsp;l��glise succ�de le petit temple du Bramante. Ce sanctuaire intime, ennbsp;forme de coupole et magnifiquement orn� par les offrandes de Philippe II, roi d�Espagne, marque le lieu m�me oti saint Pierre subit lenbsp;marlyre. Au centre du pav� en marbre pr�cieux est l�ouverture sph�-ro�de qui servit de pi�destal � la croix. Se prosterner, prier, b�nir,nbsp;aimer, voilii ce que Pon fait spontan�ment; car il faudrait �tre moinsnbsp;qu�un homme pour ne pas se sentir profond�ment impressionn�, aunbsp;souvenir du d�vouement h�ro�que dont ce lieu fut t�moin.
(I) Origen. apud Euseb., Uist. eccL, lib. lu, c. i; S. Hieron., !n Catalog.; Prudent.. Peristeplian., hym. 12; S. Ambr., In Psal. 118.
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20 JANVIER.
Une Execution.
Hier sur Ie soir j��tais all�, suivant ma coutume, a E�glise de Saint-Andr� delle-Fratte, situ�e a quarante pas de notre demeure; et j�avais r�cil� rofiice devant la grille de la premi�re chapelle a gauche en en-tfant, d�di�e � Tarchange saint Michel. II �tait loin de ma pens�e quenbsp;Hieu allait choisir Ie lendemain cette modeste chapelle d�une modestenbsp;^glise, pour y faire �clater sa gloire par un prodige dont on ne trouvenbsp;gu�re qu�un exemple dans les annales de l�histoire; mais il ne fautnbsp;pas anticiper. En sortant, j�apergus im groupe nomhreux r�uni autournbsp;de 1�angle de la Propagande; je m�approchai pour voir ce qui attiraitnbsp;la foule, et lui imposait Ie morne silence que je ne coraprenais pas. Anbsp;six pieds de hauteur �tait appendu a la muraille un large �criteau ennbsp;t*ois, portant �crit en grosses lettres noires ce qui snit: � Indulgencenbsp;pl�ni�re pour tons les fid�les qui s��tant confess�s communieront de-main dans (lei venait Ie nom de plusieurs �glises), et prieront pournbsp;ceux qui sont condamn�s a mort. � De semblables �criteaux �taientnbsp;plac�s i tous les carrefours et au coin des principales rues; je comprisnbsp;qu�une ex�cution devait avoir lieu Ie lendemain.
Tandis qu�ii Paris, les crieurs publics, sp�culant sur la curiosit� de la foule, proclament dans les rues les ex�cutions � mort, et serablentnbsp;convier Ie peuple a un spectacle; ici on les notifie en appelant tous lesnbsp;fid�les a la pri�re. Cette mani�re d�annoncer Ie fatal �v�nement Indi-que sous quel point de vue Rome envisage Ie supplice du coupable.nbsp;Hans la victime de la justice humaine, elle voit avant tout une ftme hnbsp;sauver, et dans Ie spectacle de sa mort une r�paration envers la soci�t�nbsp;at une leQon de haute morale; pour atteindre ce triple, but elle metnbsp;tout en ceuvre. A partlr du jour de la condamnation, le criminel dektent I�objet des soins les plus charitahles; rien n�est omis pour le disposer au terrible passage du temps � l��ternit�. En disant ce que nousnbsp;ximes j��cris Phistoire invariable de ce qui se fait en pareille circon-stance. D�s le soir, les Confr�res de la Misericorde, Confortatori, ounbsp;de Saint-Jean d�capit�, s�assembl�rent en grand nombre. Cette institution touchante, fond�e sous Innocent VIII en 1488, assiste les condamn�s � mort avec une charit� vraiment chr�tienne. Les membresnbsp;de Cette soci�t� doivent �tre Florentins, ou du moins de families ori-giuaires de Toscane, en m�moire des fondateurs de l�oeuvre. Quelques-
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uns se rendirent i Ia prison et se mirent en pri�res. Vers minuit un des guichetiers entra comnie ^ l�ordinaire dans Ie cachot pour voir sinbsp;tout �tait en ordre; puis en fermant la porte il jeta un billet dans Ianbsp;triste demeure ; Ie condamn� sait, par tradition, ce que cela signifie-On Ie laisse seul pendant quelques moments, attendu que d�ordinairenbsp;1 impression produite par la terrible annonce ne lui permet d�entendrenbsp;ni Ia voix de l�amiti� ni celle de la foi. Quand ceux qui devaient mourirnbsp;Ie lendemain furent calm�s, les Confortatori entr�rent dans Ie cachot;nbsp;un pr�lat et un �v�que, membres de la confr�rie, furent charg�s denbsp;donner les premi�res consolations. Pri�res, douces paroles, marquesnbsp;de la plus affectueuse tendresse, voila ce qui avait lieu dans la prison,nbsp;et ce qui continua sans interruption aucune jusqu�au moment supr�me; au dehors, voici ce dont nous fumes t�moins.
A minuit, lorsque Ia funeste nouvelle parvenait aux deux condamn�s, Ie Saint-Sacrement fut expos� dans l��glise de la Confr�rie-de-la-Mise-ricorde, et les membres des diff�rentes associations de pi�t�, si noni-breuses amp; Rome, entour�rent Fautel du Dieu condamn� lui-m�me a lanbsp;mort pour Ie salut du monde. Vers la pointe du jour on exposa Ie divinnbsp;Sauveur la v�n�ration des fid�les dans plusieurs �glises, et notam-ment ii Saint-Nicolas-in-Arcione. Le peuple s�y porlait en foule, lesnbsp;iribunaux de la p�nilence �taienl environn�s, et on voyait a la tablenbsp;sainte de nombreux chr�tiens priant pour le salut de leurs malheureuxnbsp;fr�res. Le Saint-P�re lui-m�me faisait une longue adoration devant lenbsp;Saint-Sacrement expos� dans sa chapelle domeslique.
Vers buit heures et demie, le lugubre cort�ge se mit en marche. A la suite d�un piquet de dragons, au milieu d�une foule inqui�te, parfoisnbsp;bruyante et parfois silencieuse, s�avangait une longue procession denbsp;religieux et de confr�res de la Mis�ricorde, couverts de sacs noirs, unenbsp;torche a la main et psalmodiant sur un ton grave les litanies des ago-nisants. Venait ensuite la fatale charrette entour�e de carabiniers etnbsp;suivie du boia. Les deux condamn�s �taient assis sur la m�me banquette, accompagn�s de trois pr�tres : un de chaque c�l� des patients,nbsp;le troisi�me en face, tenant devant leurs yeux une image de la saintenbsp;Vierge. Du sein de la foule qui encombre les rues, qui est sur les place�nbsp;et aux fen�tres, savez-vous quel cri s��chappe? Un seul: Sono conver-titi? Sont-ils convertis? se sont-ils confess�s? Pour l�un des condamn�snbsp;les pr�tres assistants r�pondaient affirmativement, par un signe denbsp;t�te souvent r�p�t�. Alors vous auriez entendu tout ce peuple, si im-pressionnable et si expansif, adresser mille b�n�dietions au coupable,nbsp;et lui dire : � Mon fils, mon fr�re, mon enfant, sois b�ni; prends cou-
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*�3ge; je ferai dire une messe pour toi; je voue pour toi une neuxaine, 'ine communion, une aum�ne : nous ne t�oublierons pas : nous auronsnbsp;soin de ta femme, de ta m�re, de ta soeur, de tes enfants. �
L�autre condamn�, coupable de parricide, �tait rest� sourd aux solli-citations de la mis�ricorde; et au signe du pr�tre qui disait : Non � convertito, cette m�me foule �clatail en reproches, en menaces, ennbsp;'Maledictions : � Birbone! lu vas done mourir comme un Turc? encorenbsp;Mn peu et tu seras au tribunal de Dieu! Va, malheureux, tu seras damn�nbsp;Pour l��ternit�. � On rendrait difficilement l�impression produile parnbsp;^a voix de tout un peuple, pronongant d�avance la sentence �ternelle denbsp;^�n�diction ou de malediction qui allait �tre rendue quelques minutesnbsp;Mpr�s sur les condamn�s, au tribunal du souverain Juge. Cependantnbsp;la cort�ge approchait du lieu de Fex�cution; les pr�tres redoublaientnbsp;^�instances aupr�s de Tobslin� : on ralentissait la raarclie a dessein.nbsp;Enfin on arrive k quelques pas de l��chafaud dress� non loin de l��glisenbsp;de Saint-Jean d�capit�. Les deux condamn�s descendent dans la Con-fortatoria, chapelle provisoire �tablie vis-ii-vis de l��glise. On entendnbsp;Une derni�re fois la confession du coupable repentant, on lui donnenbsp;la sainte communion; et apr�s vingt minutes accord�es pour Tactionnbsp;de graces, il monte a T�chafaud. Lit, suivant Tusage de Rome, il senbsp;met a genoux; c�est dans cette attitude religieuse qu�� regoit Ie coupnbsp;de la mort.
Rest�s aupr�s de son compagnon, les Confortatori, auxquels s��taient joints par charil� des pr�tres et des religieux connus par leur saintet�,nbsp;^puisaient toutes les ressources du z�le pour toucher cette ame en-durcie. D�ja Theure de Fex�cution �tait pass�e; Ie bourreau attendaitnbsp;Sa victime. Mais par un trait de cette longanimit� qui la caract�rise,nbsp;la loi pontificale autorise a diff�rer Finstant fatal jusqu�a ce que Ienbsp;Mialheureux soit rentr� en lui-m�me. Le soir seulement, s�il reste insensible, la justice a son cours. Le criminel dont nous parlons conti-Muait de repousser avec une esp�ce de fureur les charitables conseilsnbsp;'IM�on lui donuait; il refusait surtout d�ouvrir ses l�vres a la pri�re.nbsp;Enfin, un des pr�tres qui venait de descendre de 1 �chafaud, lui dit:nbsp;� Mon fils, puisque vous ne voulez pas prier pour vous, priez du moinsnbsp;pour votre compagnon qui est maintenant dans l�ternit�; � et onnbsp;eommence le De profundis! II desserra enfin l�s dents, r�cita la pri�renbsp;et se met a fondre en larmes. � C�est assez, s��cria-t-il, je ne veux pasnbsp;Miourir comme un Turc; je veux me confesser. � 11 le fit en elfet avecnbsp;Ijeaucoup de larmes, regut les sacrements et monta b'ient�t a F�cha-Utud, environn� des b�n�dictions et des promesses de tout Ie peuple.
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LES TROIS ROME.
Devenu doux comme un agneau il detnanda: Quc. faut-il faire?�Vous mettre a geaoux; et il s�y mit. � Mettez li votre t�te, et il la mit, etnbsp;regut Ie coup fatal apr�s avoir prononc� trois fois les saints noms denbsp;J�sus et de Marie. Ou avait recommand� au premier, qu�on voyait sinbsp;bien dispos�, de prier pour son malheureux compagnon; il l�avait faitnbsp;sans doute, et qui sait ce que vaut devant Dien la pri�re m�l�e aunbsp;sang du coupable qui se repent et qui meurt pour expier ses crimes?nbsp;Le criminel avait lutt� pendant plus de trois heures; aussit�t apr�s sonnbsp;ex�eution la cloche de Saint-Nicolas-iw-Jlmone avertit les fid�les res-l�s en adoration, que tout �tait consomm� : il �tait deux heures apr�snbsp;midi. On donna la b�n�diclion et on remit le Saint-Sacrement d.ans lenbsp;tabernacle.
D�s le matin de nombreux confr�res avaient parcouru la foule demandant Taum�ne, afin de faire c�l�brer des messes pour les ames des condamn�s, qui le lenderaain et les buit jours suivants eurent un tr�s-beau service. Quant � leurs corps, les Confortatori les avaient reli-gieusement emport�s dans l��glise de la Confr�rie, o� ils les enterrentnbsp;apr�s avoir psalmodi� Tollice des d�funts. Sur le frontispice de cettenbsp;�glise, on lit pour toute inscription : Per la misericordia ; � A la mi-s�ricorde, � et puis le patron du lieu est aussi un supplici� : c�est saintnbsp;Jean-Baptiste dont la t�te sculpt�e en pierre au-dessous de l�iuscrip'nbsp;tion forme le seul ornement de la facade.
J�ose maintenant le demander : Rome peut-elle mieux faire pour assurer le salut du coupable, monlrer de quel pris une �me est a sesnbsp;yeux, et faire de I�echafaud un spectacle vraiment moral? Ajouteznbsp;qu�on diff�re le plus possible le jour des ex�culions, afin qu�ayant lieunbsp;peu de temps avant les plaisirs du, carnaval et du mois d�octobre, ellesnbsp;servant de contre-poids a des joies trop souvent dangereuses. Deuxnbsp;particularit�s sur le bourreau finiront ce triste sujet. Chez les anciensnbsp;Remains, l�ex�cuteur ne pouvait entrer en ville : il en est encore denbsp;m�me aujourd�hui. Malheur au boia, dont la demeure solitaire estnbsp;rel�gu�e au dela du Tibre, s�il osait franchir le pont Saint-Angegt;nbsp;except� dans le cas o� l�on a besoin de son minist�re : le peuple lanbsp;mettrait en pi�ces. Ensuite il ne re^oit que trois centimes par execution, et cela afin que l�appat du gain ne l�expose point h p�eher ennbsp;d�sirant 1�accomplissement de son triste devoir. Ce dernier trait r�v�le,nbsp;n�en doutez pas, une connaissanee tristement approfondie du coeurnbsp;humain.
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MESSE DANS LA PRISON DE SAINTE-AGS�S.
21 JANVIER.
Messe dans la prison de Sainte-Agn�s. �B�n�diction des Agncaux a Sainte-Agn�s-'�)rs-*s-mMrs.-D�taiIs sur Ie Pa/fem.-Description de 1'Eglise.- Eglise dc Sainte-Constanco. �Pri�res du soir. � Visite au cardinal Pacca.
Pouvoir chaque jour c�l�brer la f�te des martyrs sur Ie th^fttre �i�me de leur victoire, au milieu des plus touchants monuments denbsp;leur courage; lel est l�heureux privil�ge des fid�les de Rome. Hier,nbsp;J nvais eu la consolation d�offrir l�augusle sacrifice dans les catacom-^es de Saint-S�bastien, au lieu o� fut d�pos� par sainte Lucine Ie corpsnbsp;*le l�illustre g�n�ral. Aulour de 1�autel souterrain, �clair� par sixnbsp;Hambeaux, �taient pieusement agenouill�s des hommes et des femmesnbsp;peuple, quelques jeunes enfants, uneprincesseet un eccl�siaslique :nbsp;11 semble que toutes les classes de la soci�t� s��taient donn� rendezvous pour retracer l�image du christianisme primitif.
Aujourd�hui ce spectacle devait se renouveler : on c�l�brait la f�te de Sainte-Agn�s. De bon matin nous �tions h la place Navone, pros-tern�s avec de nombreux fid�les sur Ie pav� de marbre de la magni-fique �glise. Pendant qu�ou chantait dans Ie temple sup�rieur lesnbsp;louanges de la jeune h�ro�ne, il nous fut permis de descendre dans lanbsp;Crypte o�la vierge de treize ans avait remport� son glorieux triomphe.nbsp;Paire couler Ie sang divin au m�me lieu o� coula Ie sang des martyrs,nbsp;ct pr�senter ce double sacrifice au P�re des mis�ricordes, quelle consolation pour Ie pr�lre! Quel gage de salut pour Ie monde! Quellesnbsp;'Dliines jouissances pour Ie voyageur! Si pen qu�il soit chr�tien il senbsp;�6nt p�n�tr� de religion, et, comnie malgr� lui, la pri�re lui vient surnbsp;les l�vres. Au souvenir saisissant des miracles qu�il fallut pour vaincrenbsp;lei, dans ce cachot souterrain, comme au grand jour de I�amphi-'-h�atre, la soci�t� pa�enne dont l�infamie �galait la cruaut�; � la vuenbsp;ces murs antiques, de ces voutes sombres, de ce pav� en mosa�que,nbsp;^�iuoins dix-sept fois s�culaires de la victoire gagn�e par la faiblessenbsp;*ur la force, par la victime sur Ie bourreau, toutes les puissances denbsp;1 �me sont profond�ment �mues; et vous f�licitez la jeune h�ro�ne,nbsp;Votre soBur, vous l�invoquez avez une fraternelle confiance; et vousnbsp;�ortez de la trois fois heureux de ce que vous avez vu, de ce que vousnbsp;^vez senti et de ce que vous esp�rez.
Ces fortunes moments pass�rent vite : Ie temps nous pressait. II s�a-gissait de nous rendre dans la basilique de Sainte-Agn�s-�ors-des-
-ocr page 172-168 nbsp;nbsp;nbsp;les TROIS ROME.
murs, o� devait avoir lieu l�int�ressante b�n�diction des agneaux. Sortis de Rome par la porte Pie, nous suivimes pendant une heure lanbsp;voie Nomentane, et nous arrivames a l��glise : la foule se pressait sousnbsp;l�antique parvis; n�anmoins il nous fut possible de p�n�lrer dans Ienbsp;sanctuaire, et de nous placer a Tangle de Tautel, afin de voir de pr�snbsp;la c�r�monie. Apr�s la messe, chant�e en musique, Ie clerg� sortit pro-cessionnellementde la sacristie et rentra dans lesancluaire. La marchenbsp;�tait ouverte par des clercs portant des flambeaux, Tencensoir et Ienbsp;b�nitier; venaient ensuite deux eccl�siastiques en grands manteauxnbsp;noirs, tenant chacun sur les bras un superbe coussin de damas rougenbsp;orn� de franges d�or, sur lequel �laitmollement couch�un petit agneaunbsp;blanc comme la neige, la t�te couronn�e de roses et tout Ie corps par-sera� de rosettes en ruban rouge. Ces deux agneaux avec les coussinsnbsp;furent plac�s sur Tautel, Tun du c6t� de T�vangile, Tautre du c�t� denbsp;T�pitre. Tous les chanoines r�guliers du Saint-Sauveur qui desser-vent T�glise vinrenC prendre place dans Ie choeur. L�abb�, la mitre ennbsp;t�te et rev�tu de la chape, monta amp; Tautel avec Ie diacre et Ie sous-diacre, pendant que la musique, plac�e dans les galeries sup�rieures,nbsp;ex�cutait �n morceau analogue a la circonstance.
Bient�t Ie c�l�brant pronon^a une magnifique pri�re tout parfum�e de cette d�licieuse po�sie dont Ie type inconnu du monde ne se trouvenbsp;que dans Ie Pontifical romain. Elle commence par une hymne ennbsp;Thonneur de sainte Agn�s, mod�le de puret� et d�innocence, de forcenbsp;et de douceur; puis, rappelant que Tusage de donner des ornementsnbsp;particuliers aux ministres sacr�s est conforme a Tantique traditionnbsp;dont Torigine remonte au Sina�, elle d�roule Ie splendide Tableau desnbsp;si�cles chr�tiens. Apr�s la pri�re Ie c�l�brant jeta de Teau sainte surnbsp;les deux agneaux, et les parfuma de Todeur de Tencens : c�est ainsinbsp;qu�il les b�nit. Si la beaut� de la pri�re et Ie souvenir de Tagneaudivinnbsp;offert sur Tautel de la creix, ne m�avaient enti�rement occup�, jenbsp;n�aurais pu m�emp�cber d�admirer la tranquillit� parfaite et Ie silencenbsp;de ces petits agneaux, dont les pieds �taient li�s en faisceau avec desnbsp;faveurs rouges, et qui se regardaient Tun Tautre en paraissant fortnbsp;�tonn�s de se trouver en pared lieu. Apr�s la b�n�diction, Ie cort�genbsp;retourna amp; la sacristie, et les deux agneaux furent remis a un maitrenbsp;de c�r�monies de la basilique de Saint-Jean-de-Latran. Accompagn�nbsp;de deux serviteurs de T�glise, il les porta aux pieds du Saint-P�re quinbsp;les b�nit lui-m�me. Le camerlingue des sous-diacres apostoliquesnbsp;transporte ensuite ces jeunes agneaux dans un convent de religieuses,nbsp;d�sign� par le Souverain Pontife pour en prendre soin. Quand Ie
D�TAILS SUR LE PALLIUM. nbsp;nbsp;nbsp;169
temps est venu, on tond les deux agneaux, et de leur laine on fait les pallium. A Paques, un des agneaux est servi sur la table du Pape;
il est d�usage dans toutes les families romaines de manger ce jour-14 un agneau, en m�raoire du v�ritable Agneau immol� pour Ienbsp;salut du monde : Rome est unique pour conserver les pieuses cou-tumes et les touchants souvenirs.
Si, au sortir de la c�r�monie de Sainte-Agn�s, vous rencontrez des hommes du monde, soyez sur que les pourquoi vont vous assaillir.nbsp;Pourquoi cette b�n�diclion de deux agneaux? pourquoi les c�r�moniesnbsp;qui l�accompagnenl? pourquoi ce pallium? pourquoi ceci? pourquoinbsp;cela? Quelques mots de r�ponse deviennent n�cessaires. Dans 1 an-cienne loi, Ie Rational et Ie Superhum�ral distinguaient Ie souverainnbsp;Pontife des autres pr�tres. L��glise a voulu que les premiers pasteursnbsp;du divin bercail eussent aussi des ornemenls qui les fissent reconnaitre:nbsp;leur concilier Ie respect des pr�tres et des fid�les, tout en leur rappe-lant a eux-m�mes l�origine, Ie caract�re, Ie but de leur autorit�; tellenbsp;a �t� son intention en les rev�tant du pallium. Successeurs de 1�Agneaunbsp;de Dieu, ilsdoivent perp�tuer sa puissance et retracer sa douceur; voifiinbsp;pourquoi l�insigne de leur haute dignit� sera fait avec Ia laine d�unnbsp;agneau b�nit.Leur emploi est une charge, et ils doivent, comme Ie bonnbsp;Pasteur, porter les ouailles errantes ou malades; voila pourquoi ilsnbsp;porterontlepallium surleurs �paules. C�est paria force et par l�amournbsp;du Dieu crucifi� qu�ils peuvent accomplir leur terrible mission; voililnbsp;pourquoi Ie paMwm sera orn� de six croix. L�origine de leur puissancenbsp;vient de Pierre, et par Pierre du Fils de Dieu m�me; voila pourquoi,nbsp;la veille de Ia f�te des glorieux Ap�tres, on place tous les pallium surnbsp;leur tombeau; retir�s Ie lendemain avec un grand respect, on les confienbsp;aux chanoines sacristains qui les d�posent dans Ie tr�sor des reliques,nbsp;en attendant qu�ils soient envoy�s (i). L�usage du pallium remontenbsp;pour Ie Saint-P�re au berceau de l��glise; la faveur de Ie porter nenbsp;date, pour les m�tropolitains et les patriarches, que du iv*� si�cle. Dansnbsp;la suite, Ie Saint-Si�ge �tendit eet honneur aux archev�ques et m�menbsp;a certains �v�ques des diff�rentes parties du monde (2).
(1) La tradition du pallium se 1'ait en des termes qui ne laissent aucun doute sur l�ex-idication qui precede ; Ad honorem Dei omnipotentis, et beat� Maria; Yirginis, ac bea-lorum apostolorum Petri et Pauli, et Domini nostri N. Papa; N., et sancia; Romana; Ecclesi�B, nee non N. Ecclesim tibi commissa;, tradimus tibi pallium de corpore B. Petrinbsp;sumptum, plenitudinem videlicet Pontificalis officii, ut utaris eo intra ecclesiam tuamnbsp;certis diebus, qui exprimuntur in privilegiis ei ab Apostolica Sede concessis.
(a) Ciampini, il/onim. Veter., t. m, p. 50; Devoti,iMS can., 1.1, p. 14; Constanxi, Isti-etc., p. 17; Durandus, Rational., c. xvn, n. 3; Card. Bona, lib. i, c. 24, etc., etc.
170 LES TP.OIS ROME.
Quand la foule fut �coul�e, nous visit�mes l��glise de Sainte-Agn�s. Cette basilique v�n�rable est bitie sur la place m�me o� Ton trouvanbsp;Ie corps de la jeune h�ro�ne. Elle dolt son origine a Constantin qui lanbsp;fit �lever a la pri�re de sa fille Constance, miraculeusement gu�rie parnbsp;1 intercession de la glorieuse martyre (i). Les mosa�ques du choeurnbsp;sont un hommage du pape Honorius I. Paul V refit Ie tabernacle, ornanbsp;l�autel de pierres pr�cieuses et y d�posa Ie corps de sainte Agn�s avecnbsp;celui de sainte �m�rentienne, sceur de lait de la jeune martyre, et la-pid�e par les pa�ens au moment o� elle priait sur Ie tombeau de sonnbsp;amie. Des inscriptions rappellent que saint Gr�goire Ie Grand pro-nonga dans cette basilique deux hom�lies au jour anniversaire de lanbsp;naissance, e�cst-ii-dire du martyre de la glorieuse titulaire.
Suivant sa noble coutume, Constantin enrichit Ie nouveau temple d�ornements et de vases sacr�s, dignes de Ia magnificence imp�riale.nbsp;On cite entre autres un calice d�or fin du poids de dix livres; tinenbsp;pat�ne du m�me m�tal pesaht vingt livres; un vase pour les ablutions,nbsp;d�or Ie plus pur, enrichi de trente dauphins et pesanl quinze livres',nbsp;enfin une lampe d�or a douze hees du poids de quinze livres (2). Si lesnbsp;Barbares ont emport� ces riches d�pouilles, ils ont du raoins laiss� lesnbsp;marbres pr�cieux qui attestent encore la lib�ralit� du prince et desnbsp;premiers pontifes. L��glise, qui conserve la forme des anciennes basi-liques romaines, a trois nefs soutenues par quatorze colonnes antiques, dont quatre de jaspe ou de porta sanla, les autres d�albAtre,nbsp;except� les deux derni�res, pres de la porto, qui sont de marbre denbsp;Numidie. On est �tonn� de voir l�ordre ionique,le corinthien et Ie composite briller dans les chapiteaux; mais cette confusion des diff�rentsnbsp;ordres prouve, d�une part, que ces colonnes ont appartenu a diff�rentsnbsp;�difices pa�iens, mis � contribution pour �lever Ie temple de l�illustrenbsp;martyre, et, d�autre part, que Ie maitre du monde voulait �tre promp-tement ob�i (5).
Au-dessus des nefs lat�rales r�gne une double galerie en forme de portique, appuy�e sur des colonnes dont la magnificence ne Ie c�denbsp;point aux premi�res : on y remarque Ie m�me m�lange des ordres d�ar-chitecture. Histoire compl�te de Tart, Ie baldaquin du maitre autel estnbsp;soutenu par quatre colonnes du plus beau porphyre. La sculpturenbsp;moderne y brille dans la statue de la Sainte en alb�tre oriental; l�an-tiquit� pa�enne donne la forme du monument avec ses colonnes de
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Anast., In B. Sylvestr.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Anast., In B. Sylvestr.
(3) nbsp;nbsp;nbsp;Baron. Ann. 524, n. 103.
-ocr page 175-EGLISE DE SAINTE-CONSTANCE. 17i
j^spe et de porphyre; la primiiive Eglise est repr�sent�e par un can-tl�labre de la plus grande richesse, et enfin le moyen Age d�ploie sa l�iagnificenre et son g�nie, tout amp; la fois simple et sublime, dans lanbsp;tnosa�que du choeur.
La superbe guirlande de fleurs et de fruits qui l�ontoure se coupe a �a partie sup�rieure de l�arc, pour faire place a une croix radieuse.nbsp;Lans le champ, directement au-dessous de la croix, on A'oit soriir desnbsp;tiuages la main divine tenant une couronne. Plus bas apparait saintenbsp;�'^gn�s dans l�attitude du triomphe, c�esl-a-dire debout, la t�te cou-�'onn�e d��ineraudes et environn�e du nimbe circulaire; le cou orn� denbsp;Colliers de perles, et le corps couvert du laticlave enricbi de pierre-cies, suivant l�usage des empereurs et des imp�ratrices d�Orient. Cenbsp;costume byzantin dans une mosa�que romaine est une preuve de plusnbsp;fiu�a cette �poque, c�est-a-dire au vu� si�cle, on faisait venir les mo-sa�stes de Constantinople. Peu familiaris�s avee nos costumes occiden-*aux, ils liabillaient leurs figures a la mode de leur pays. La Saintenbsp;tient l��vangile centre son cmur; sous ses pieds on voit le glaive quinbsp;lui trancha la t�te, et de cliaque c6t� s��lancent deux gerbes de Hammes, symbole de son d�sir ardent pour les supplices. II �tait dilTicilenbsp;de r�sumer plus parfaitement l��pop�e de la jeune h�ro�ne. A sa droitenbsp;est le pape Honorius I, portant le mod�le de 1��glise; et a sa gauche,nbsp;lepape Symmaque, restaurateur de la v�n�rable basilique.Nous Favonsnbsp;d�ja remarqu�, dans Fensemble de son ornementation, Sainte-Agn�snbsp;est comme une encyclop�die de Part. Or, ce rendez-vous des deuxnbsp;mondes, Fun vaincu et Fautre vainqueur, contribuant chacun a sa ma-m�re a orner le temple d�un enfant, cette longue suite de si�cles quinbsp;'lennent en passant d�poser leur hommage a ses pieds, forment unenbsp;de ces d�licieuses harmonies que Rome a le privil�ge d�offrir au ca-*^holique, seul capable de les coraprendre.
Non loin de Sainte-Agn�s s��l�ve parmi les ruines une superbe rotonde qui contient de grandes richesses arch�ologiques : c�est F�glise de Sainte-Constance. BAtie, a ce que Fon croit, par Constantin pour lenbsp;Lapt�me de son auguste fille, elle servit ensuite de baptist�re a la ba-silique de Sainte-Agn�s. Vingt-quatre colonnes de marbre africain for-Rtant un double portique soutiennent F�difice. Irois grandes niches,nbsp;^oculamenta, sont taill�es dans les parois; deux sont a jour et donnentnbsp;passage a Fext�rieur. La troisi�me renferme une superbe tombe denbsp;porphyre, transport�e du m�le d�Adrien pour recevoir les restes pr�-cieux de la jeune princesse. Le tombeau est orn� de mosa�ques repr�sentant une sc�ne de vendanges, sujet assez fr�quent dans Fornementa-
-ocr page 176-4 72 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
lion des catacombes. Aux vo�tes des deux autres renfoncemenls se trouvent des sujets plus �videmment chr�liens. Dans Tune, INotre-Seigneur apparait debout; de la main droite il b�nit, de la gauche ilnbsp;tientunebanderole sur laquelle on lil: Dominuspacemdat. A gauchenbsp;est saint Philippe, inclin� devant Ie divin Maitre et recevant l�exlr�-init� inf�rieure de la banderole; saint Thomas se montre � la droitenbsp;dans Pattitude du respect et de l�admiration; quatre brebis occupentnbsp;la base du tableau, avec deux petites maisons, tuguriola, environn�esnbsp;de palmiers. On a vu dans ces figures, et tous les fid�les a qui Notre-Seigneur donne sa paix, et les demeures multiples de la maison denbsp;Dieu, et enfin la Jud�e, th�atre primitif de cette sc�ne �vang�lique (i).
Dans l�autre voussure, Ie Fils de Dieu est assis sur Ie globe; maitre absolu de toutes choses, il a Ie droit de promettre la paix et il la donnenbsp;a un de ses disciples qu�il embrasse ; cette seconde mosa�que semblenbsp;ainsi Ie compl�ment de la premi�re. On remarque, a droite et a gauchenbsp;du Seigneur, une grande quantit� de palmiers, pour rappeler Ie paysnbsp;o� Ie divin R�dempteur accomplit sa vie mortelle. Que Ie palmier soitnbsp;Fembl�me de la Jud�e, c�est un fait �labli par les m�dailles de Vespa-sien et de Titus, dans lesquellcs on voit une femme assise, pleurantnbsp;sous un palmier, avec ces mots : Judcea capta. Jusque dans la partienbsp;d�corative, les artistes chr�tiens ont su conserver les grandes v�rit�s denbsp;notre histoire.
Quant a la coupole, peinte a fresque et en mosa�que, elle offre sur les c�t�s des feuilles de vignes, des raisins, toute une sc�ne de vendan-ges, et au sommet une femme en demi-ligure. Malheureusement cettenbsp;partie de Fedifice a beaucoup trop souffert, pour qu�il soit possiblenbsp;d�en donner une explication pleinement satisfaisante (2). Devenue lanbsp;tombe de sainte Constance apr�s avoir �t� son berceau, la rotonde pos-s�de un autel fort curieux, o� repose Ie corps v�n�rable de la fille denbsp;Constantin, avec ceux des saintes Attique et Art�mie, nobles �mules denbsp;l�auguste princesse.
II �tait d�ja tard lorsque nous sortimes pour jeter un coup d�oeil sur la vaste enceinte de ruines que l�on dit �tre Thippodrome de Constantin. Des murs pantelants et �cbauch�s, d�o� pendent de longues touffesnbsp;de lianes et de lierre sauvage; des soubasscments ii moiti� couverts denbsp;terres et de d�bris; des vignes plant�es aux lieux o� couraient lesnbsp;chars, voilii ce qui reste du somptueux monument ; ici on peut direnbsp;avec v�rit� que les ruines m�me ont p�ri. Depuis Ie matin, j�avais v�cu
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Joan., c. XIV.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Voyez Aringhi., Rom. subt., lib. vi, c. 43.
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au milieu des martyrs, Ie soir je devais voir un confesseur de celte Ui�me foi, dont Ie privilege est d��tre pers�cut�e jusqu�� la fin desnbsp;lemps. L�excellent abl)� de L... devait me pr�senter au doyen du sacr�nbsp;Coll�ge, Ie venerable cardinal Pacca. En traversant certaines rues fai-blement �clair�es, nous fumes t�moins d un de ces pieux usages qu�onnbsp;ue trouve qu�� Rome. L�impression qu�ils produisent est d�autant plusnbsp;lt;louce qu�ils sont plus na�fs, et d�autant plus vive qu�ils sont plusnbsp;�trangers a nos moeurs fran^aises. A quelques pas devant nous �taitnbsp;T^ne madone tr�s-bien illumin�e; de chaque c�t� dn la rue, des hom-des femmes et des enfants, sur les porles des maisons, r�citaientnbsp;^n se r�pondant les pri�res du soir, qu�ils termin�rent par les litaniesnbsp;de la sainte Vierge, chant�es en choeur. Vous passez, personne ne senbsp;d�range, la recitation, Ie chant conlinuent jusqu�S ce qu�on ait achev�nbsp;^'Ave, Maria : salutation ang�lique, par laquelle on d�signe � Romenbsp;la chute du jour.
Le cardinal Pacca est un aimable vieillard de quatre-vingt-neuf ans; ses cheveux blancs comme la neige, la finesse de son regard, la d�licatesse de ses traits, la douceur de sa parole, 1�am�nit� de ses mani�res.nbsp;Pair d�alfabilit� et de cordialit� r�pandu sur toute sa personne, com-mandent le respect et l�affection. Ajoutez qu�il aime beaucoup lanbsp;France. � Les Franpais, me disait-il, sont naturellement bons; lis valent mieux que leurs principes, lis ressemblent a l�enfant de l��van-gile, qui dit a son p�re : Je ne veux pas aller ii la vigne, et pourtantnbsp;il y va; tandis que les Allemands imitent l�autre enfant qui dit: J�ynbsp;vais, et il n�y va pas. � A ce jugement dont il est difficile de contesternbsp;la justesse, succ�da l��loge de nos dames fran^aises. L�auguste princenbsp;de l��glise ne savait comment exalter leur charit� et leur d�vouement.nbsp;� Si la France doit �tre sauv�e, disait-il, elle le sera par les femmes;nbsp;alles sont dignes de cette mission. �
22 JANVIER.
Conversion de M. Ra�sbonne. - R�cit de M. de Bussi�res.
Hier matin, comme nous prenions h la b�te la cioccolata, pour nous rendre a Sainte-Agn�s-Aors-des-^enica vint nousnbsp;annoncer, dans la joie de son coeur, la grande nouvelle qui circulaitnbsp;dans Rome ; un ebreo � convertito! nn jnH s est convert! bier, oui,nbsp;bier, b notre �glise de S^iint-AndT�-delle-FraUe! Ges� mio! che helnbsp;miracolo! Nous n�eumes pas le loisir d�en entendre davantage. Le
T. II. nbsp;nbsp;nbsp;*
-ocr page 178-LES TROIS ROME.
soir, on paria de celte conversion chez Ie cardinal Pacca; enfin, au-jourd�hul 22, j�ai eu tons les d�tails du grand �v�nement. Dans Ie salon
de madame la comtesse K......arriva M. Ie baron de Bussi�res, qui
nous raconla, en petit comit�, ce qu�il a publi� depuis. Je vais Ie laisser parler lui-m�me. � Je rapporte, nous dit-il, un fait incontestable; je dis ce que j�ai vu de mes yeux, ce qu�une foule de t�moins hono-rables peuvent alRrmer, ce que Strasbourg ne pourra croire, ce quenbsp;Rome enti�re admire : un homme jouissant de tout son bon sens, denbsp;toute la pl�nitude de ses facult�s, est entr� dans une �glise, juif ob-stin�, et, par un de ces coups de la grftce qui terrassa Saul sur Ie che-min de Damas, il en est sorti, dix minutes apr�s, catbolique de coeurnbsp;et de volont�. Alphonse Ratisbonne appartient � une familie de Strasbourg, distingu�e par sa position et par l�estime de tous. II venaitnbsp;d�arriver h Naples, afin de poursuivre jusqu�en Orient un voyage denbsp;sant� et de plaisir. Destin� ii une position brillante, il se promettait denbsp;consacrer tous ses efforts a la r�g�n�ration de ses coreligionnaires; ilnbsp;rapportait a ce but toutes ses pens�es et toutes ses esp�rances; car ilnbsp;s�indignait de tout ce qui pouvait rappeler la mal�diction qui p�se surnbsp;les descendants de Jacob.
� Cependant Ie moment de partir pour l�Orient �tait venu; Ratisbonne sortit done un matin pour aller, sans plus de d�lal, fixer sa place sur Ie bateau k vapeur qui devait Ie conduire a Palerme. Chemin fai-sant, il songe qu�il n�a pas vu Rome; et qu�une fois de retour, il estnbsp;peu probable qu�il puisse revenir �n Itali�. Absorb� par ces r�llexionsnbsp;il entre dans un bureau, mais c�est celui des diligences : il y retientnbsp;une place, et trois jours apr�s il est amp; Rome; mais il n�y fera qu�unnbsp;bien court s�jour. Le voila done visitant les ruines, les galeries, lesnbsp;�glises; entassant, en vrai touriste, les courses, les impressions et lesnbsp;souvenirs confus. II a liAte d�en finir avec cette ville qu�il est venu voir,nbsp;moins encore par curiosit� que par une sorte d�entrainement qu�ilnbsp;s�explique mal.
� La veille de son d�part, il se pr�senta pour faire une visite d�adieu � mon fr�re. Gustave, mon fr�re, est protestant tr�s-z�l� de la secte desnbsp;Pi�tistes; il avait quelquefois essay� d�attirer a lui le jeune isra�lite :nbsp;les causeries se terminaient ordinairement par deux mots, qui rendaientnbsp;assez bien la situation morale des deux interlocuteurs : protestant en~nbsp;rag�! disait l�un; �M^�c^lcroMt�.^r�pondait^autre. Ratisbonnenetrouvanbsp;point mon fr�re qui �tait parti pour la chasse; la Providence permitnbsp;qu�il s�adress�t a un domestique italien qui, le comprenant mal, l�ln-troduisit dans mon salon. Jusqu�a ce moment nous ne nous �tions ren-
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contr�s qu�une seule fois chez mon fr�re; et, noalgr� mes avances, je avais obtenu de Ratisbonne que la froide politesse d�un homme biennbsp;�lev�. Cependant je Ie refus de mon mieux; je lui parlai de ses courses; il me raconta ce qu�il avait vu, et ses impressions.
� II m�est arriv�, ajouta-l-il, une chose extraordinaire; en visitant J��glise d�Ara-Coeli, au Capitole, je me suis senti saisi d�une �motionnbsp;Pfofonde, que je ne pouvais m�expliquer. � II parait qu�au moment o�nbsp;Hatisbonne me faisait cette confidence, mes regards, �tincelants denbsp;Joie, semblaient lui dire : Tu seras des n�tres; car il se hata d�alBr-Dier, avec une intention bien marquee, que cetie impression avait �t�nbsp;Purement religieuse et nullement chr�tienne. � D�ailleurs, conti-�ua-t-il, en descendant du Capitole, un bien triste spectacle vint ral-luiner toute ma haine centre Ie catholicisme; je traversai Ie Ghetto,nbsp;tit, tout en voyant la mis�re et la d�gradation des Juifs, je me disaisnbsp;qu�apr�s tout, il valait mieux �tre du c�l� des opprim�s, que de celuinbsp;des oppresseurs. � Notre causerie tendait a la discussion : j�essayais,nbsp;dans mon entrainement, de lui faire partager mes convictions catho-liques, et lui, souriant de mes efforts, me r�pondait, avec une bien-veillante piti� pour mes superstitions, quil �tait n� juif, et qu�ilnbsp;mourrait juif.
3) Alors il me vint l�id�e la plus extraordinaire, une id�� du ciel, car les sages de la terre l�auraient trait�e de folie :
� Puisque vous �tes un esprit si fort et si sur de vous-m�me, pro-mettez-moi de porter sur vous ce que je vais vous donner.
� � Voyons, de quoi s�agit-il?
� � Simplement de cette m�daille.
� Et je lui montrai une m�daille miraculeuse de la Vierge. II se re-jeta vivement en arri�re avec un m�lange d�indignation et de surprise.
� Mais, ajoutai-je, d�apr�s votre mani�re de voir, cela doit vous �tre parfaiteraent indiff�rent; et c�est me faire, ii moi, un tr�s-grandnbsp;plaisir.
� � Oh! qu�� cela ne tienne, s��cria-t-il alors en �clatant de rire; je veux au moins vous prouver qu�on fait tort aux Juifs en les accusant d�obstination et d�un insurmontable ent�tement. D�ailleurs vousnbsp;oie fournissez li un fort joli chapitre pour mes notes et impressionsnbsp;de voyage. � Et il continuait des plaisanteries qui me navraient Ienbsp;coeur, car pour moi c��taient des blasph�mes.
� Cependant je lui avais pass� au cou un ruban auquel mes petites filles, pendant notre d�bat, avaient attach� la m�daille b�nite. 11 menbsp;restait quelque chose de plus difficile � obtenir. Je voulais qu�il r�cit�t
-ocr page 180-'176 nbsp;nbsp;nbsp;les TROIS ROME.
la pieuse invocation de saint Bernard Memorare... Pour Ie coup il n y tint plus; il me refusa positivement avec un ton qui semblait dire ;nbsp;Get homme est en v�rit� par trop impertinent. Mais une force int�-rieure me pressait moi-m�me, et je luttais centre ses refus r�it�r�snbsp;avec une sorte d�acharnement, je lui tendais la pri�re, Ie suppliant denbsp;1 emporter avec lui et d��tre assez bon pour la copier, paree que jenbsp;n�en avais pas d�autre exemplaire.
� Alors avec un mouvement d�humeur et d�ironie, comme pour �chapper a mes importunit�s : � Soit, je l��crirai; vous aurez Bianbsp;copie, et je garderai la v�tre; � et il se retira en murmurant tout bas:nbsp;� Voila un original bien indiscret. Je voudrais bien savoir ce qu�il di-rait, si je Ie tourmentais ainsi, pour lui faire r�citer une de mes pri�-res juives. �
M. de Bussi�res nous raconta eusuite tous les efforts qu�il avail faits pour retenir a Rome son jeune juif, d�cid� � partir Ie lendemain; etnbsp;la communication qu�il avail faite il M. de La Ferronays, des difficul-t�s que pr�sentait cette conversion. M. de La Ferronays promit denbsp;prior, et dans la nuit du 17 il mourut presque subitement, laissant auxnbsp;amis qu�il avail �difi�s pendant ses derni�res ann�es, comme ii la familie qui Ie pleurait, l�exemple de ses vertus, et la consolation d�esp�-rer que Dieu iie l�avait appel� a lui que paree qu�il �tait m�r pournbsp;Ie ciel.
� Cependant, continua M. de Bussi�res, Ratisbonne n�avait pas fait un seul pas vers la v�rit�; sa volont� �tait rest�e la m�me, son espritnbsp;toujours Tailleur, ses pens�es toujouvs attach�es aux choses de la terre;nbsp;telle �tait sa situation morale Ie jeudi 20 janvier. Vers midi il entra aunbsp;caf� de la place d�Espagne pour y lire les journaux; il y trouva monnbsp;beau-fr�re, Edmond Humann, s�entretint avec lui des nouvelles dunbsp;jour avec un abandon et une l�g�ret� qui excluaient l�id�e de toutenbsp;pr�occupation grave. En sortant du caf�, vers midi el demi, il rencontra M. Ie baron de Lotzbeck, son ami de pension; il s�entretint gai-ment avec lui des choses les plus futiles; il causa de bal, de plaisirs,nbsp;de la f�te brillante donn�e par Ie prince T... Assur�ment si quelqu�i'Unbsp;lui e�t dit dans ce moment ; Avant deux heures vous serez cathoh'nbsp;que, il l�aurait cru fou.
� II �tait une heure; je devais prendre quelques arrangements ^ l��glise de Saint-Andr�-deWe-Fratte, pour la fun�bre c�r�monie dunbsp;lendemain. Je rencontrai Ratisbonne qui descendait la Via CondoUhnbsp;je l�engageai a venir avec moi. Nous entr�mes � l��glise. Apercevantnbsp;les pr�paratifs du service, il me demanda pour qui ils �taient destines:
-ocr page 181-R�CIT DE M. DE BUSSI�RES. nbsp;nbsp;nbsp;477
Pour un ami que je viens de perdre, M. de La Ferronays, que j siinais extr�mement. � Alors il se mit a se promener dans Ia nef; sounbsp;regard, froid et indiff�rent, semblait dire : Cette �glise est bien laide.
Ie laissai du c�t� de l��pitre, ii c6t� d�une petite enceinte disposce pour recevoir le cercueil, et j�entrai dans l�int�rieur du couvcnt. Jenbsp;ti�avais que quelques mots ii dire a un des religieux, je voulais fairenbsp;Pr�parer une tribune pour la familie du d�funt; mon absence dura �nbsp;Paine dix ou douze minutes.
� En rentrant dans l��glise, je n�apergois pas d abord Ratisbonne; puis je le d�couvre bient�t agcnouill� devant la chapelle de saintnbsp;iWichel, placee a gauche en entrant. Je m�approche, je le pousse troisnbsp;nu quatre fois avant qu�il s�apergoive de ma pr�sence. Enfin il tournenbsp;rers moi un visage baign� de larmes, joint les mains, et me dit avecnbsp;nne expression impossible ii rendre : � Oh! comme ce monsieur a pri�nbsp;pour moi! �
� J�etais moi-m�me stup�fait d��tonnement; je sentais ce qu�on �prouve en pr�sence d�un miracle. Je rel�ve Ratisbonne, je le guide,nbsp;je le portc, pour ainsi dire, hors de l��glise; je lui demande ce qu�il a,nbsp;o� il veut aller. � Conduisez-raoi o� vous voudrez, s��crie-t-il; apr�snbsp;ce que j�ai vu, j�ob�is. � Je le presse de s�expliquer, il ne le peut pas;nbsp;son �motion est trop forte. II tire de son sein la m�daille miraculeusenbsp;qu il couvre de baisers et de larmes. Je le ramcne chez lui, et malgr�nbsp;mes instances r�it�r�es je ne puis obtenir de lui que des exclamationsnbsp;entrecoup�es de sanglots. � Ah! que je suis heureuxl que Dieu estnbsp;fion! quelle pl�nitude de gr�ces et de bonheur! que ceux qui ne saventnbsp;pas sont a plaindre! � Puis il fond en larmes en pensant aux h�r�ti-ffues et aux ra�cr�ants. Enfin ii me demande s�il n�est pas fou... k Maisnbsp;non! s��crie-t-il, je suis dans mon bon sens; mon Dieu! mon Dieu! jenbsp;ne suis pas fou, tout le monde sait bien que ne suis pas fou. �
� Lorsque cette d�lirante �motion commence ii se calmer, Ratis-^onne, avec un visage radieux, je dirais presque transfigur�, me serre dans ses bras, m�embrasse, me demande de le mener chez un confes-�eur, veut savoir quand il pourra recevoir le bapt�me, sans lequel ilnbsp;oo saurait plus vivre, soupire apr�s le bonheur des martyrs, dont il anbsp;''n les tourments sur les murs de Saint-�tienne-le-Rond. 11 me d�clarenbsp;ffu�il ne s�expliquera qu�apr�s en avoir obtenu la permission d�unnbsp;pr�lre, � Car ce que j�ai a dire, ajoute-t-il, je ne dois, je ne puis lenbsp;dire qu�a genoux. � Je le conduis aussit�t au Ges�, pr�s du p�re denbsp;^fillefort qui 1�engage � s�expliquer.
� Alors Ratisbonne tire sa m�daille, l�embrasse, nous la montre, et
'J78 nbsp;nbsp;nbsp;les TROIS ROME.
s��crie : Je l�ai vuc! je l'ai vue�! et son emotion Ie domine encore; mais bient�t plus calme, il put s�exprimer. Voici ses propres paroles :
� J��tais depuis un instant dans l��glise, lorsque tout d�un coup je me suis senti saisi d�un trouble inexprimable. J�ai lev� les yeux, toutnbsp;l��difice avait disparu � mes regards; une seule chapelle avait pournbsp;ainsi dire concentre toute Ia lumi�re, 'et au milieu de ce rayonnementnbsp;a paru debout, sur l�autel, grande, brillante, pleine de majest� et denbsp;douceur, la Vierge Marie, telle qu�elle est sur ma m�daille : une forcenbsp;irr�sistible m�a pouss� vers elle. La Vierge m�a fait signe de la mainnbsp;de m�agenouiller, elle a sembl� me dire : � C�est bienl � elle ne m�anbsp;point parl�, mais j�ai tout compris. �
Tel est Ie r�cit de M. de Bussi�res, il fut accompagn� de beaucoup d�autres d�tails que je ne rapporle pas, paree qu�ils ont �t� consign�snbsp;dans Topuscule inlitul� : L�Enfant de Marie. Toutefois nous revien-drons �i M. Ratisbonne; une c�r�monie solennelle montrera � tous lesnbsp;regards Ie nouveau Saul, terrass� dans la grande Rome, et devenu, denbsp;pers�cuteur, un vase d��lection destin� k faire connailre Ie nom dunbsp;Seigneur, non pas aux Gentils, mais aux Juifs ses fr�res. Abime desnbsp;conseils de Dieu 1 ce jeune homme, au coeur ardent, r�ve la r�g�n�ra-tion de ses coreligionnaires, mais il veut les r�g�n�rer i sa mani�re :nbsp;eh bien! sa mission lui restera, mais il l�accomplira dans un sens plusnbsp;�lev� qu�il ne connait pas. Le voil� catholique, Ie voil� membre d�unenbsp;soci�t� d�ap�tres; et qui sait s�il n�est pas c.boisi pour acc�l�rer lenbsp;mouvement qui, suivant les proph�ties, doit pousser dans le bercailnbsp;du Sauveur les restes d�Israel et annoncer la fin des temps? Regardeznbsp;� l�horizon, peut-�tre y verrez-vous poindre d�j� plus d�un signenbsp;avant-coureur de eet avenir tout � la fois consolant et terrible. Ado-rons, prions, tenons-nous pr�ts.
23 JANVIER.
�glise de Saint-Andr�-delle-Fratte. � Souvenir du cardinal Consalvi. � R�flcxions sur les arts it Rome. � Conversation de Canova avec Napoleon. � Visite des palais et desnbsp;galeries paniculi�res. � Palais Barberini. � Palais Borgb�se.
Tout plein du r�cit de la veille, j�allai de bonne heure c�l�brer le Saint Sacrifice dans l��glise de Saint-Andr�-delle-Eratte, sur ^ ^uinbsp;m�ing de la chapelle o� s��tait accompli le miracle. Je me disais . enbsp;n�est ni un juif allemand, ni un juif anglais, mais un juif francais qui
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a �t� converti. Comment ne pas voir dans cette circonslance les des-seins �ternels de Dien sur Ie peuple missionnaire?
Apr�s la messe nous �tudiames de nouveau cette �glise, d�sormais glorieusement historique, et j�appris une particularii� qui n�est pasnbsp;sans quelque int�r�t. L�illustre cardinal Consalvi, Fami et Ie ministrenbsp;de Pie VII, s��tait trouv� m�l� a toutes les grandes affaires qui avaientnbsp;fempli Ie r�gne orageux de Fimmortel Ponlife. En t�moignage de leurnbsp;haute estime, les diff�rents souverains de FEurope avaient offert iinbsp;1 habile diplomate une riche collection de tabati�res pr�cieuses. Lanbsp;plus splendide �tait celle du concordat de 1801) qui co�ta o0,000 fr.nbsp;he pieux cardinal ordonna, par son testament, qu on les vendit etnbsp;'lu�on employiit une partie du produit �i terminer les facades de plu-sieurs �glises de Rome; de ce nombre fut Saint-Anir�-delle-Fratte.nbsp;L�autre moili� de la somme fut consacr�e ii �lever dans F�glise denbsp;Saint-Pierre Ie mausol�e de Pie VII, son bienfaiteur. Desservie par desnbsp;Minimes, F�glise de Saint-Andr� poss�de une riche chapelle d�di�e anbsp;saint Francois de Paule. On y voit deux anges du Bemin, et plus basnbsp;la mort de sainte Anne, sculpture tr�s-remarquable de Pacetti. Lesnbsp;principaux monuments fun�bres sont ceux du savant danois Zoega, etnbsp;du gracieux sculpteur prussien Rodolphe Schadow : � Tombeaux dunbsp;nord qui prouvent Findicible altrait de Rome et de FItalie pour tousnbsp;les amis des arts et de Fantiquit�. �
Non-seulement les cardinaux et les papes, mais encore les commu-naut�s religieuses et les simples particuliers semblent rivaliser de z�le pour faire de la ville �ternelle la galerie, Ie mus�e, Ie salon de FEurope et du monde. Cet amour enthousiaste de tous les chefs-d�oeuvrenbsp;par lesquels se r�v�le Ie g�nie de Fhomme, est la gloire exclusive denbsp;Rome chr�tienne ; et, apr�s Ie culte ardent de la foi, un des plus beauxnbsp;fleurons de sa couronne. D�jii les palais pontificaux nous avaient mon-fr� leurs incomparables richesses; nous voul�mes, i Fexemple de tousnbsp;les voyageurs, visiter celles qui embellissent les habitations particu-li�res, et nous commenQamp;mes une excursion purement arlistique.
Rans Finstinct dont je viens de parler, il est facile de voir la pens�e lt;le la Providence. D�un c�t� Dieu a voulu que la maitresse de la foi futnbsp;aussi la m�re des arts, afin de fermer la bouche a ceux qui oseraientnbsp;1 accuser d��tre Fennemie des lumi�res; d�un autre c�t�, il est certainnbsp;queleschefs-d�ceuvrede peintureet de sculpture semblent mieux plac�s
Rome que dans nulle autre ville. Un juge que personne ne sera lent� de r�cuser, Canova, exprimait ainsi cette v�rit� trop m�connue. Napol�on Favai tappel�i Paris pour faire Ie portrait de 1�imp�ratrice Marie-
-ocr page 184-180 nbsp;nbsp;nbsp;les TROIS ROME.
Louise. � Je suis venu pour satisfaire Sa Majest�, afin de pouvoir re-tourner � Rome et reprendre mes travaux. � Mais, dit I�empereur, Paris est a pr�sent Ia capitale; il faut que vous demeuriez ici, et vousnbsp;ferez bien. � Vous �tes maitre de ma vie, Sire; mais s�il plait il�em-pereur qu�elle soit employ�e ii son service, il faut qu�il m�accorde denbsp;retourner � Rome, quand j�aurai lermin� les travaux pour lesquels jenbsp;suis venu. On m�a parl� de faire Ie portrait de Timp�ratrice, je la re-pr�senterai sous les traits de la Concorde. �
L�empereur sourit avec bienveillance et r�pliqua : � Ici est Ie centre, ici sont tous les chefs-d�muvre antiques. II ne manque que I�Her-cule Farn�se qui est h Naples : je me Ie suis r�serv�. � Que Votre Majest�, reprit Ganova, laisse au moins quelque chose � Tltalie : lesnbsp;monuments antiques forment collection et chaine avec une infinitenbsp;d�autres qui ne se peuvent transporter ni de Rome, ni de Naples.nbsp;D�ailleurs Ie people romain a un droit sacr� sur les monuments d�-couverts dans les entrailles des fondalions de Rome; c�est un produitnbsp;intrins�quement uni au sol, tellenient que ni les families nobles, ni Ienbsp;pape Pie VII lui-m�me, ne peuvent vendre, ni envoyer au dehors eetnbsp;heritage du peuple-roi, cette r�compense donn�e par lavictoire ii leursnbsp;antiques p�res. �Monsieur, je vous prie, comment est Pair de Rome?nbsp;�tait-il mauvais ou malsain dans les temps anciens? � Je me souviensnbsp;d avoir lu dans Tacite, a propos de l�arriv�e de Vitellius, que beau-coup de soldats tomb�rent malades pour avoir dormi a Pair sur Ienbsp;Vatican (i); mais Rome a d�autres douleurs, continua Pillustre artiste,nbsp;cette capitale est d�sol�e depuis Pabsence du Pape. � Seraez du colon,nbsp;reprit Pempereur, nous ferons Rome capitale de PItalie, et nous ynbsp;joindrons Naples : qu�en dites-vous? Serez-vous content? � Les artsnbsp;pourraient ramener la prosp�rit�; la religion favorise les arts. Cheznbsp;les �gyptiens, chez les Grecs et les Remains, Sire, la religion seule anbsp;soutenu les arts. Les travaux des Remains portent Ie sceau de la religion. Cette salutaire influence sur les arts les a encore sauv�s, en par-tie, des ravages des barbares. Toutes les religions sont les bienfaitricesnbsp;des arts; celle qui est plus particuli�rement et plus magnifiquementnbsp;leur protectrice et leur m�re, c�est Ia vraie religion, notre religionnbsp;catholique romaine. Les protestants, Sire, se contentent d�une simplenbsp;chapelle et d�une croix, et ne donnent pas occasion de fabriquer denbsp;beaux objets d�art. Les �difices qu�ils poss�dent ont �t� faits par les
(i) Ne salutis quidem cura; infamibus Yaticani locis tnagna pars telendit, undo cre-briE in vulgus mortes. Hist., Ub. u 97.
-ocr page 185-PALAIS BARBEP.INI. nbsp;nbsp;nbsp;181
3Utres. � L�empereur s�adressant i Marie-Louise, et I�interpellant, s��cria : � II a raison ; les protestants n�ont rien de beau (i). �
Partis de la Propagande, nous arrivames en quelques minutes � la place Barberini. Elle occupe, en partie, 1 emplacement du cirque denbsp;Plore, fameus par I�abomination des f�tes qu on y c�l�brait la nuit auxnbsp;flambeaux, en I�bonneur de la courtisane divinis�e. Au milieu s��l�venbsp;UDe belle fontaine, form�e de quatre daupbins qui soutiennent unenbsp;grande coquille ouverte, d�ou sort un triton qui jette de Feau � unenbsp;grande hauteur. La place doit son nom au palais Barberini, situ� surnbsp;1 Un des c�t�s. Au bas du grand escalier Fattention se fixe sur unnbsp;Ir�s-beau lion antique, enchass� dans Ie mur du second paliier. Onnbsp;passe de la au salon, dont la voute a �t� peinte a fresque par Pierre denbsp;Gortone; eet ouvrage passe pour Ie chef-d�oeuvre de ce maitre peunbsp;estim� de nos jours. Dans la salie des portraits, vous avez cinq ou-vrages du Titien; puis Ie Christ et la Madeleine, du Tintoret, avec unnbsp;gracieus petit tableau de la sainte Vierge et de FEnfant J�sus, d�An-dr� del Sarto. Nous y trouvAmes aussi une des nombreuses et si re-marquables compositions de G�rard des Nuils, Ie peintre du clair-obscur. VArrestation de Notre-Seigneur au jardin des Olives faitnbsp;illusion par la v�rit� merveilleuse du jeu de la lumi�re : on dirait Ienbsp;diorama en plein jour. Plus loin est Adam et �ve, du Dominiquin :nbsp;Dieu, port� par un groupe d�anges, reproche a Adam sa faute; celui-cinbsp;tremblant et confus, montre sa femme qui se rejette a son tour sur Ienbsp;serpent. Entre beaucoup d�autres tableaux on est surtout frapp� de lanbsp;path�tique t�te de la malheureuse B�atrix Cenci, chef-d�oeuvre dunbsp;Guide. L�histoire rapporte que Ie peintre la fit de m�moirc, apr�snbsp;avoir vu la jeune h�ro�ne monter a F�chafaud, au moment o� elle di-sait au bourreau ces paroles si fortes et si chr�tiennes : � Tu liesnbsp;rnon corps pour Ie supplice, et tu d�lies mon dme pour l�immorta-lit�. Tu leghi il corpo al supplicio, e sciogli l�anima all� immorta-lild. � Ces ouvrages et d�autres encore d�un grand m�rite, tels que Ienbsp;li�dale et F/care, du Guerchin, Ie Saint-Andr�-Corsini, du Guide,nbsp;donnent au palais Barberini une place distingu�e parmi les galeriesnbsp;parliculi�res de Rome.
Repassant pr�s de la villa M�dicis, autrefois la douce prison de Ga-fil�e, et aujourd�hui Facad�mie de France, nous nous rendimes au palais Borgh�se. La vertu, la charit�, la foi vive, habilent ce s�journbsp;fine remplisscnt de leurs chefs-d�oeuvre les maitres de la sculpture
(0 Fie de Pie Vit, par M. Artaud, t. ii, c. 22.
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antique et de Ia peinture moderne. Les longues et brillantes fagades des bfttiments, la cour tnagnilique qui les s�pare, tout annonce unenbsp;demeure vraiment princi�re. Cette cour, de forme quadrangulaire, estnbsp;entour�e de portiques soulenus par quatre-vingt-seize colonnes denbsp;granit, doriques au rez-de-chauss�e, et corinthiennes a l��tage sup�rieur : tel est l�aspect g�n�ral du Cimbalo Borghese.
La galerie du palais, la mieux tenue de Rome, compte dix-sept cents tableaux originaux. Ne pouvant nommer tant de chefs-d�oeuvre, nousnbsp;cilerons seulement, dans la premi�re chambre, la Sainte-Vierge avecnbsp;l�Enfant J�sus, de Sasso Ferrato; la Sainte-Trinit�, de L�onard Bas-sano; dans la seconde chambre, une Madeleine, d�Augustin Carrache:nbsp;Ia Sainte-Vierge et VEnfant J�sus, du Titien; la Chasse de Diane,nbsp;chef-d�oeuvre du Dominiquin, �ternelleraent copi�; dans la troisi�me,nbsp;saint Antoine de Padoue pr�chant les poissons, qui semblent atten-tifs et profond�ment touch�s; ce tableau est de Paul V�ron�ze; saintnbsp;Jean-Baptiste au desert, du m�me. La quatri�me chambre pr�sentenbsp;a l�admiration saint Jean-Baptiste, copi� de Raphael par Jules Ro-main; la Descente de croix, de Raphael; la fameuse Sibylle de Cumes,nbsp;du Dominiquin, et la Visitation, de Rubens; la cinqui�me, hSama-ritaine, de Garofalo el Ie Retour de l�Enfant prodigue, premi�re ma-ni�re du Guerchin; la sixi�me, des peintures pa�ennes et profanes, quinbsp;sont loin de spiritualiser la pens�e; la septi�me, des glac�s orn�es denbsp;peintures de Giro Feri; la huiti�me, quatre tableaux en mosa�que,nbsp;dont l�un repr�sente Ie pape Paul V, de la familie Borghese; la neu-vi�me, Ie d�licieux Retour de VEnfant prodigue, du Titien; la Descente de croix, de P�rugin; un.C�sar Borgia, merveilleuse peinturenbsp;de Raphael; la dixi�me, une Sainte-Vierge, de P�rugin; une Madeleine, d�Andr� del Sarto; la onzi�me, la Sainte-Famille, de Jules Ro-main, etc.; cn tout onze salons remplis de chefs-d�oeuvre. Toutefois,nbsp;dans cette galerie comme dans les autres, Ie chr�tien fait ses r�serves;nbsp;et en lui faisant baisser les yeux, Ie nu des figures 1�oblige h regretternbsp;vivement 1�invasion du sensualisme dans Part, depnis l��poque de lanbsp;renaissance.
Parmi les antiquit�s, on distingue les statues colossales de Julia Pia. de Sabine et de C�r�s, et la superbe urne de porphyre plac�e au milieu de la seconde chambre. On s��tonne que les princes Borgh�senbsp;aient pu former une semblable collection ; ontre leur fortune s�culaire,nbsp;il leur a fallu eet amour ardent des arts que notre si�cle d�agiotagenbsp;aura peine a comprendre, mais qui caract�rise glorieuseraent lesnbsp;Remains.
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24 JANVIER.
Palais Ruspoli. � Escalier. � Palais Chigi. � Galerie. � Biblioth�que. _ Palais Rospi-gliosi. �furore, du Guide. � Buste de Scipion l�Africain. ��glise de SainUgnace. quot;Tombeau de saint Louis de Gonzague. �glise de Ges�. Tombeau de Saint-Ignace. � Thermes de N�ron. � Palais Madame. � �glise de Saint-Eustache.
Uescendus au Corso, nous visitames la belle �glise de Saint-Charles des Milanais, admirant sans r�serve Ie tableau du maitre autel. Surnbsp;cette toile, la plus grande qu�ait anim�e son iromortel pinceau, Le-liPun a peint saint Charles pr�sent� par la sainle Vierge a Notre-Sei-^�eur. En passant jetez un coup d�teil sur Ie palais lluspoli. L esca-ber, form� de 115 marches toutes d�un seul bloc de marbre blanc,nbsp;rivalise avec celui du palais Braschi, et tous deux tiennent Ie premiernbsp;rang parmi les ouvrages de ce genre : au rez-de-chauss�e est Ie plusnbsp;beau caf� de Rome. Sur la piazza Colonna donne Ie palais Chigi :nbsp;nous y fumes en quelques instants. CoiAmenc�e d�apr�s les dessins denbsp;Jacques de la Porie, continu�e par Charles Maderne, cette superbenbsp;demeure fut achev�e par F�lix Della Greca; elle est encore occup�enbsp;par la familie Chigi, qui a donn� � F�glise Ie pape Alexandre VII. Lenbsp;premier �tage pr�sente des statues antiques dont on pourrait vanternbsp;Ie m�rite si elles �taient plus d�centes. Viennent ensuite de nombreu-ses peintures, parmi lesquelles on distingue la Sainte-C�cile, dunbsp;Guide; la Flagellation, du Guerchin; Notre-Seigneur chassant lesnbsp;'oendeurs du Temple, de Bassano; VAnge Gardien, de Pierre de Cor-lone, et une demi-figure de Saint-Pierre, qu�on croit du Domini-^uin. Dans les appartements du prince nous vimes plusieurs dessinsnbsp;nriginaux de Jules Remain, du Bemin, d�Andr� Sacchi, conserv�s sousnbsp;''erre. A c�l� est la biblioth�que o� se trouve le curieux manuscrit dunbsp;proph�te Daniel selon les Septante.
Quittant la place Colonne, apr�s avoir salu� de nouveau le grand Ap�tre qui la domine, nous gagnames rapidement le Monte-Cavallo. Anbsp;gauche de la Consulte, au fond d�une grande cour, le palais Rospi-SHosi d�veloppe ses belles facades. II rappelle trois cardinaux c�l�-bres ; le cardinal Scipion Borgh�se qui le commenga d�apr�s les dessins de Flaminio Ponzio; le cardinal Bentivoglio qui en fit I�acquisi-bon, et enfin le cardinal Mazarin, qui l�ayant achet� sous Louis XIIInbsp;le fit terminer par Charles Maderne. Partag� aujourd�hui entre la noblenbsp;lamille Rospigliosi et le prince Pallavicini, il rivalise avec les autresnbsp;par sa magnificence et par les chefs-d�oeuvre qu�il renferme. Dans
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Ie pavilion amp; gauche, brille sur la voute du salon la fameuse Aurore, du Guide, Ie plus c�l�bre ouvrage de ce grand maitre. La d�esse estnbsp;rcpr�sent�e semant des lleurs, suivie de Phosphore tenant une torche;nbsp;puis du Soleil sous la figure d�Apollon assis sur un char, train� parnbsp;quatre coursiers de front, et environn� de sept Nymphes qui dansentnbsp;autour du P�re de la lumi�re. Le m�me salon poss�de une statue antique de Diane et un cheval de bronze; mais le plus remarquablenbsp;morceau d�antiquit�, c�est le buste de Scipion l�Africain. II se trouvenbsp;dans une pi�ce voisine, avec deux grands tableaux, Pun du Domini-quin, repr�sentant Adam et �ve dans le paradis terrestre, et l�autrenbsp;de Louis Carrache, qui repr�sente Samson faisant �crouler le templenbsp;des Philistins. Les gloires du mus�e sont un superbe vase de vert antique, un cand�labre, diff�rentes statues, et dix-huit fresques trouv�snbsp;dans les thermes de Constantin.
Du Monte-Cavallo, notre course artistique se dirigea vers le palais Madama. Comme nous ne tenions nullement a suivre la ligne droite,nbsp;nous trouvamp;mes bon de faire une courbe a gauche et de visiter en passant les �glises de Saint-Ignace et du Ges�. C�est en 1626 que le cardinal Ludovisi, neveu de Gr�goire XV, commen^a cette grande et bellenbsp;�glise dont le Dominiquin avait fait deux dessins diff�rents ; de la r�u-nion de l�un et de l�autre, le p�re Grassi, j�suite, forma celui qui anbsp;�t� suivi. L��glise est une croix latine; le portail, en travertin, com-pos� d�un double rang de colonnes corinthienne et composite, faitnbsp;honneur au ciseau de l�Algardi. Quant aux peintures de la voute, dunbsp;choeur et du premier autel ii droite, elles sont du p�re Pozzi, j�suite.nbsp;En g�n�ral, on trouve quelque chose de lourd et de raauvais go�tnbsp;dans Pornementation. Quoi qu�il en soit, les autels du transept sontnbsp;remarquables par leurs marbres pr�cieux et par leurs colonnes torses,nbsp;plaqu�es en vert antique. Dans la chapelle il droite, appartenant h Ianbsp;familie Lancelotti, estun bas-relief de Legros, repr�sentant saint Louisnbsp;de Gonzague, dont Pex�cution ne laisse rien ii d�sirer. Sous Pautelnbsp;brille une chdsse rev�tue de lapis-lazuli, dans laquelle repose le corpsnbsp;virginal du jeune Saint. Ce fut un vrai bonheur pour nous de nousnbsp;prosterner devant ce glorieux tombeau, d�o� semble s�exhaler je. nenbsp;sais quel parlum d�innocence et de saintet� qui r�jouit d�licieusementnbsp;le coeur du voyageur. Ang�lique jeune homme, fleur immortelle de lanbsp;Compagnie de J�sus et sa plus belle apologie, gloire de P�glise ca-tholique, seule capable de produire de pareils miracles; mod�le de lanbsp;jeunesse chr�tienne, aimable Louis de Gonzague, obtenez, pour la jeu-nesse de ma patrie, 1'esprit sacr� qui vous anima!
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Pr�s de la porie lat�rale, on s�arr�te devant Ie magnifique tombeau de Gr�goire XV, ouvrage aussi de Legros : il est touchant de voir re-Poser dans T�glise de Saint-Ignace, Ie Ponlife qui Ie canonisa. Lenbsp;(Coll�ge romain touche a F�glise; mals nous ne voul�mes pas y en-Irer dans la crainte de le voir en touristes : il sera 1 objet d�une visitenbsp;particuli�re. Disons seulement en passant que ce b�timent immensenbsp;Put �lev� en 1582 par Gr�goire XIII, sur les dessins de Barthcleminbsp;Attimonato.
Entre Saint-Ignace et le Ges� il y a si peu de distance et tant de i�apports, que Ton ne peut visiter 1�un sans entrer dans 1 autre. Unenbsp;des plus riches �glises de Rome, le Ges�, a �t�, comme �dilice, 1 objet de nombreuses critiques et de grandcs louanges : videant periti.nbsp;Vignole en donna le plan. Jacques de la Porte, son �l�ve, l�ex�cuta ennbsp;y ajoutant la coupole et la facade, orn�e de deux rangs de pilastresnbsp;d�ordre corinlhien et composite. Tout le contour de l��glise est d�cor�nbsp;de pilastres composites, de stucs dor�s, de sculptures en marbre etnbsp;de belles peintures; mais la partie la plus riche, comme la plus re-marquable, est la chapelle de Saint-Ignace, construite sur les dessinsnbsp;du p�re Pozzi. Elle est � gauche dans le transept. L�oeil se fixe d�a-bord sur le retable form� de quatre colonnes surmont�es de lapis-lazuli et ray�es de bronze dor�, avec bases et chapiteaux du m�menbsp;m�tal; les pi�destaux des colonnes, la corniclie et l�entablement sontnbsp;de vert antique. Du milieu de la frise se d�tache un groupe de marbrenbsp;blanc repr�sentant la sainte Trinil�; outre les figures, on admire lenbsp;globe, de lapis-lazuli, que tient le P�re �ternel : c�est le plus gros quinbsp;existe. Le tableau de Saint-Ignace, qui est du 'p�re Pozzi, s�harmonisenbsp;Doblement avec la statue du Saint, en argent massif, et de grandeurnbsp;naturelle. Le corps de Tillustre fondateur repose sous l�autel, dansnbsp;nne superbe chftsse de bronze dor�, orn�e de pierres pr�cieuses, denbsp;�tas-reliefs de bronze dor� et de marbre repr�sentant diverses actionsnbsp;du Saint. De chaque c�t� de l�autel sont deux groupes de marbre,nbsp;Tne les uns trouvent admirables et les autres trop mani�r�s. L un re-pr�sente la embrass�e par diff�rentes nations barbares; l�autre,nbsp;la Religion terrassant l�h�r�sie. Deux de nos compatriotes, Jean Teu-don el Legros, sont les auteurs de ces ouvrages. A Baccicio appartien-nent les peintures de la voute de la chapelle : on les regarde commenbsp;nne de ses meilleures compositions.
A la vue de cette chapelle si riche et si fr�quent�e, consacr�e a un Saint dont le nom est depuis plusieurs si�cles un signe de contradiction parmi les peuples, on est frapp� de la miraculeuse puissance du
486 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
catholicisme qui, malgr� les calomnies et les persecutions, sail assurer une gloire immortelle a ses nobles enfaiits. Puis au souvenir de lanbsp;pri�re de saint Ignace sollicitant, pour sa Compagnie, des croix con-tinuelles, on ne peut s�emp�cher d�admirer la foi de ce grand Saint,nbsp;et de croire qu�il est bien pour quelque chose dans les tribulationsnbsp;incessantes qui composent la vie de ses disciples. A. c�t� du maitrenbsp;autel repose l�un des glorieux Ills d�Ignace, Ie cardinal Bellarmin. Onnbsp;sait qu�il fallut un ordre formel du Saint-P�re pour lui faire accepternbsp;la pourpre; et que Ie peuple de Rome ne l�appelait pas autrement quenbsp;Ie saint Cardinal. Sou tombeau, reinarquable par ses ornements denbsp;marbre, est dii au ciseau du Bemin. A l��glise du Ges� est attenantenbsp;la maison professe de la Compagnie, r�sidence du g�n�ral et des prin-cipaux sup�rieurs. L�affabilit�, la pi�t�, jointes a l��l�valion de Gesprit et ^ la vari�t� des connaissances humaines, caract�risent Ie r�v�-rend p�re Rotbaan, g�n�ral actuel.
II fallut nous rappeler la nature exclusivement artistique de nos investigations, pour ne pas succomber a la tentation de visiter TUniver-sit� romaine, pr�s de laquelle nous passitmes avant d�arriver au pal-lazo Madama. La, place Saint-Eustache est environn�e de trois monuments dignes de l�attention de l�arch�ologue, de l�artiste et dunbsp;Chr�tien : je veux parler des Thermes de N�ron, du palais Madame etnbsp;de l��glise de Saint-Eustache. Pr�s des magnifiques Thermes d�A-grippa, o� il faisait ses voluptueux soupers a la lueur des flambeauxnbsp;et au bruit des symphonies, N�ron conslruisit un �difice du m�menbsp;genre, avec un luxe et un ral�nement de sybaritisme qui faisait direnbsp;i Martial : On ne connail rien de plus mauvais que N�ron et riennbsp;de meilleur que ses Thermes {i).
Pour suivre les progr�s du si�cle, Alexandre S�v�re ench�rit sur N�ron. Non content d�agrandir les Thermes de son pr�d�cesseur, il lesnbsp;�claira pendant la nuit d�une multitude de flambeaux, afin que Ienbsp;peuple ne fut point oblig� d�interrompre Ie cours de ses inqualifia-bles plaisirs. D�s lors, les Thermes prirent Ie nom du bienfaisantnbsp;empereur {%). Des colonnes, des marbres pr�cieux altestent encore lanbsp;richesse et la grandeur de eet �tablissement, dont Ie nom se conserve
(gt;)
.......Quid Nerone pejus?
Quid Thermis melius neronianis?
Epigr., lib. vii, epigr. 33
(2) Addidit et oleum luminibus Thermarum, cum anlea non ante auroram patcrent, el ante soils occasum clauderentur.
Lamprid., In Alexand.
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dans celui de la petite �glise voisine de Saint-Sauveur-iw-JTjemts. Sur ces ruines Iristement monumentales s��l�ve aujourd�hui Ie palais Madame, qui doit son origine et son notn ^ Catherine de M�dicis devenuenbsp;reine de France. Achet� par Benoit XIV, ilsert aujourd�hui der�sidencenbsp;au gouverneur de Rome ; I�architecture, lou�e par les uns, critiqu�enbsp;par les autres, ne manque ni de grandeur ni d��l�gance : elle est denbsp;Paul Marucelli.
A quelques pas du palais et de l��niversit�, se trouvel�antique �glise de Saint-Eustache. Restaur�e une premi�re fois en 1196 par Ie papenbsp;C�lestin III, elle l�a �t� de nouveau dans Ie dernier si�cle sous la direction de l�architecte Antoine Canevari. Pourtant, il faut Ie dire, ce n�estnbsp;ni l�architecture, ni les peintures d�un m�rite plus ou moins contest�,nbsp;ni la grandeur des proportions, qui peuvent expliquer la sollicitudenbsp;maternelle avec laquelle Rome conserve ce modeste �difice. Le voyageurnbsp;�veut-il connaitre le secret de tant de soins empress�s? �n regard sousnbsp;1�autel lui expliquera le myst�re. L� repose dans une urne antique,nbsp;merveille de ciselure, toute une familie de h�ros ; Eustache, g�n�ralnbsp;des arm�es d�Adrien, Th�opista son �pouse et leurs deux fils Th�opistenbsp;et Agapet (i). Leurs noms sont connus de tous les chr�tiens, car ilsnbsp;brillent d�un �clat particulier au milieu de tant de noms illustres dansnbsp;la grande armee des martyrs.
Commandant de la cavalerie roraaine ausi�ge de J�rusalera, Eustache se fit remarquer, par sa brillante valeur, de Trajan alors chef de lanbsp;dixi�me legion. �lev� plus tard au grade de g�n�ral par son ancien compagnon d�armes devenu empereur, il combattait encore sous Adrien.nbsp;Vainqueur des ennemis de l�empire, il raro�ne a Rome son armeenbsp;Womphante et Adrien vent qu�il rende de solennelles actions de gracesnbsp;dieiix du Capitole. Eustache proteste qu�il ne doit de reconnaissance qu�au v�ritable Dieu des arm�es; et il refuse d�accomplir la vo-lont� du prince. Outre de cette r�sistance, Adrien invente un nouveaunbsp;supplice capahle.de venger sa majest� offens�e et de frapper de terreurnbsp;les t�m�raires qui seraient tent�s de m�connaitre ses ordres. Dans unnbsp;taureau de bronze chauff� jusqu�au rouge, il fait enfermer le bravenbsp;g�n�ral, sa femme et ses enfants. L�odeur de ce sacrifice monlejusqu�aunbsp;ciel, et pendant que le Roi des martyrs couronne ses soldats, l��glisenbsp;entoure de sa v�n�ration leurs noms deux fois immortels. Avant denbsp;donner sa vie pour son Dieu, Eustache avait distribu� ses richessesnbsp;aux pauvres ses fr�res (i). C�est dans sa maison que les chr�tiens se
(I) M.1ZZ01., t. VI, p. �Oi.
(*) Baron., Jnn., an. 103, n. 4; et an. 120, n. 4; et JVoI. ad Martyrol., 20 sept. n. B.
188 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
r�unissaient pour c�l�brer leurs fraternelles agapes. En m�moire de ce fait, l��glise qui lui est consacr�e servil longlemps au m�me usage. Unnbsp;ancien Rituel conlient encore la pri�re que Fasseinbl�e r�citait en faveur du Chr�tien g�n�reux qui fournissait a ces repas, dont Ie but �mi-nemment social �tait de montrer l��galil� �vaugclique de tous lesnbsp;hommes ; on ne manque pas d�y rappeler Ie nom et l�exemple de saintnbsp;Eustache (i). Comprend-on maintenant pourquoi Rome garde commenbsp;la prunelle de son ceil la petite �glise dans laquelle nous sommes? Goni-prend-on pourquoi elle est une des stations oblig�es du p�lerin catho-lique dans la Ville �ternelle? Combien d�autres devraient aussi, pournbsp;Ie bonheur du monde, y venir m�diter!
25 JANVIER.
Sainte-Marie-(!e-la-Paix.�Souvenir de Sixte V. � Sibylles de Raphael.�Palais Vidoni.
� nbsp;nbsp;nbsp;Pastes sacr�s de Verrius Flaccus. � Palais Mallei. � Bustes des empereurs.�nbsp;Peinlures du Dominiquin. � Palais Corsini. � Ecce Homo, du Guercliin. � Peinluresnbsp;de Paul Veronese, du TiUen, etc. � Farnesine. � �glise de Saint-Andr�-deiia-Fu/ie.
� nbsp;nbsp;nbsp;Peinlures de la coupole par Ie Dominiquin.
Jour de la Conversion de saint Paul. Apr�s avoir pri� avec Rome, sur la tombe du grand Ap�tre, pour la conversion des Sauls trop nom-breux qui pers�cutent encore J�sus de Nazareth, nous reprimes notrenbsp;p�lerinage de la veille : d�cid�ment nous �tions devenus touristes.nbsp;En cette qualit�, nous travcrsanies rapidement Ie centre de la villenbsp;pour nous rendre de Ia Propagande ii Sainle-Marie-de-la-Paix. Sur Ienbsp;seuil de cette �glise, un grand souvenir vous attend. Au xvF si�cle, Ienbsp;protestantisme avait parcouru 1�Allemagne la torche d�une main et Ienbsp;glaive de l�autre, en pr�chant la souverainet� individuelle; et desnbsp;guerres atroces avaient boulevers� l�Europe et jet� la division entre lesnbsp;princes chr�tiens. R�tablir la paix, tel fut Ie but constant des grandsnbsp;papes qui occup�rent alors Ie si�ge de saint Pierre.
Quand Ie succ�s eut enfin couronn� leurs efforts. Pie IV fit bUtir, en action de graces, une superbe �glise qu�il d�dia � Notre-Dame-de-la-Paix ; Raphael Pimmortalisa par un chef-d�oeuvre de son pinceau.nbsp;Au-dessus de Pare de la premi�re chapelle a gauche, depuis la cor-niche de I��glise jusqu�au bas, brille comme une �loile dans Ie firmament, sa belle peinlure a fresque, repr�sentant les sibylles de Cumes,
(i) Da, Domine, famulo luo N. sperata suffragia obtincre,ul quipauperes tuos in wa sancta Ecclesia recrcavit, sanctorum simul omnium et beati martyris Eustachii cl so-ciorumejus merealur consortia cujus nunc est exempla secutus; Per Christum, elc.
-ocr page 193-PASTES SACR�S DE VERRI�S FLACCUS. 189
de Perse, de Phrygie et de Tivoli. Heureuseraent que la critique piiri-taine, la critique de reaction jans�niste, ne s��taient pas encore fait sentir; nous aurions un chef-d�oeuvre de moins. Le maitre autel, ex�-cut� d�apr�s les dessins de Charles Marata, n�est point �clips� par lanbsp;helle page de Raphael. Ses quatre colonnes de vert antique, ses sculptures, ses peintures en font un pr�cieux ohjet d�art: il en est de m�menbsp;de la coupole, de forme octogone d�un excellent go�t. Apr�s avoirnbsp;salu� en passant Sainte-Marie-rfe-r.4me, on entre au palais Vidoni.
Raphael lui-m�me en donna le plan. Au bas du grand escalier vous attend l�empereur Marc-Aur�le; noble concierge, dont la statue antique semble annoncer le monument qui attire dans ce palais le voya-geur arch�ologue : ici se conservent les Pastes sacr�s, r�dig�s parnbsp;Verrius Flaccus. Trouv�s ii Palestrine dans le si�cle dernier, ces pr�cieux fragments contiennent le calendrier remain pour les mois denbsp;janvier, mars, avril et d�cembre. Le cardinal Stapponi les avait d�-couverts, un autre prince de 1��glise, le cardinal Vidoni, les fit net-toyer, et chargea le professeur d�arch�oiogie, Nibby, de suppl�er lesnbsp;parties qui manquaient. Ainsi restaur�s, les Pastes ont �t� publi�s auxnbsp;frais du cardinal, en caract�res rouges et noirs, pour distinguer cenbsp;qui est antique de ce qui est moderne. Verrius Flaccus, qui les r�di-gea, �tait un affranchi c�l�bre par son talent pour l�enseignement : ilnbsp;lenait une �cole tr�s-fr�quent�e. Auguste le choisit pour pr�cepteurnbsp;de ses petits-fils, et le fit venir dans la maison palatine avec toute sonnbsp;ccole, i� la condition seulement qu�il ne prendrait plus de nouveauxnbsp;disciples (i). Quant au calendrier, il r�v�le �loquemment 1��tat desnbsp;�Hffiurs romaines; on y voit que les jeux publics occupaient plus desnbsp;^cux tiers de Pann�e! A dix-huit si�cles de distance, la m�me pens�enbsp;�ai�rialiste s�est reproduite dans noire calendrier r�publicain, commenbsp;peur �tablir que Phomme sans 1��vangile est toujours le m�me. Anbsp;^ �glise catholique seule il �tait r�serv� de spiritualiser chaque jour
l�ann�e, en le d�diant � un saint.
Apr�s avoir pass� devant Sainte-Lucie, dans la rue des Botteghe oscure, on se trouve au palais Mattel. La r�gularit� des proportions,
beaut� de l�architecture, la richesse des galeries lui assignent une place distingu�e parrai les demeures princi�res de la Ville �ternelle.
a cour et le vestibule sont orn�s de bas-reliefs, de bustes et de statues antiques. Sur les repos du grand escalier on voit deux sieges de Oiarbre trouv�s au Mont-Coelius, pr�s de P�glise d,es Saints-Jean et
17.
(0 Suet., de Illust. Grammat.
-ocr page 194-190 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
Paul; une chasse en relief de l�empereur Commode, les statues de Pallas, de Jupiter et de l�Abondance. Sur Ie perron qui communiquenbsp;au premier �tage est Ie buste antique d�Alexandre Ie Grand; en vousnbsp;penchant sur Ie balcon, tous apercevez, incrust�s dans les murs de lanbsp;cour, la chasse de M�l�agre et les bustes d�Antonin, d�Adrien, denbsp;Marc-Aur�le, de S�v�re, de V�rus et de Commode. Au premier salonnbsp;figurent deux portraits peints par David et Vandyck, et Ie Saint-Bo-naventure du Tintoret; dans une autre piece divis�e en trois compar-timents on voit une premi�re voute peinte a fresque, et une seconde ennbsp;clair-obscur par Ie Dominiquin : ces ouvrages du meilleur go�t sontnbsp;dignes du peintre de Saint-J�r�me.
Traversant Ie Tibre par Ie Ponl-Sixte, nous arrivames au palais Cor-sint, oeuvre capitale de Farchitecte Fuga. Ici se trouvent des tr�sors d�art et de litt�rature; mais ici, comme ailleurs, on deplore Ie sensualisme pa�en qui d�shonore la renaissance et qui vous fait baisser lesnbsp;yeux. Dans la galerie que pr�c�dent deux antichambres orn�es de bas-reliefs antiques, on s�arr�te d�abord devant Ie sublime Ecce Homo,nbsp;du Guercbin; puis Fadmiration est tour a tour sollicit�e par la Pr�-sentation au temple, de Paul V�roncse, et par le Lever du soleil, denbsp;Berghem. Viennent ensuite les Portraits de Jules 11, de Raphael; denbsp;Philippe n, du Titien ; le Lapin, d�Alber Durer; la Vie du soldat ennbsp;douze tableaux, de Callot; VAnnonciation, de Micbel-Ange; FFJero-diade, du Guide; deux Cardinaux, du Dominiquin; une Vierge, denbsp;Murillo; une Chasse aux tigres, de Rubens; le Crucifiement de Saint-Pierre, du Guide, et bien d�autres ouvrages o� rien ue manque, sinonnbsp;Finspiration vraiment chr�tienne et le chaste reflet de la beaut� sur-naturelle.
La biblioth�que est riche surtout en manuscrits et en �ditions do XV� si�cle; la collection des estampes tient le premier rang pour lenbsp;nombre et le cboix. Une villa d�licieuse touche au palais, et s��tendnbsp;sur la pente rapide du Janicule ; du Casino, plac� au sommet, la vuenbsp;de Rome est compl�te. C�est ici que Vasari se plaga pour tracer sonnbsp;plan de la ville, et ii semhle que Martial dessinait le m�me point denbsp;vue, lorsqu�il chantait: liinc septem dominos videre montes, et totantnbsp;licet astimare Romam.
En face du palais Corsini est la Farn�sine. BStie par le fameux Augustin Chigi, banquier de L�on X, cette cassine d�pose et de lanbsp;somptuosit� du maitre et de son gout pour les arts. Les voutes desnbsp;salons sont orn�es de peintures fort peu �difiantes de Raphael et denbsp;ses �l�ves.
-ocr page 195-PALAIS FARN�SE. 191
Rentr�s en ville, nous voulunies visiter en amateurs ia belle �glise de Samt-Xndv�-della-Valle, que nous avinns d�ja plusieurs fois fr�-quent�e comme chr�tiens. Elle s��l�ve sur les ruines de la sc�ne dunbsp;th�4tre de Ponip�e, et attire l�attention, soit par sa majestueuse fagadenbsp;de travertin orn�e de deux rangs de colonnes d�ordre corinthien etnbsp;composite, et enrichie de statues d�un grand prix; soit par sa cou-pole, une des plus �lev�es et des plus larges qu�il y ait a Rome. Lesnbsp;peintures qui la d�corent passent pour un des meilleurs ouvrages denbsp;Lanfranc. Les quatre �vang�listes qu�on voit aux pendantifs de la cou-pole, et les peintures de la voute du chffiur repr�sentant divers traitsnbsp;de la vie de saint Andr�, sont des ouvrages classiques du Dominiqum.nbsp;Parmi les chapelles lat�rales, on remarque surtout la premi�re ii droitenbsp;en entrant, toute rev�tue de marbres rares et orn�e de statues, de buitnbsp;colonnes de vert antique, et d�un bas-relief plac� sur 1�autel, sculpt�nbsp;par Antoine Raggi.
Ce que nous avons vu h Saint-Andr�-della-Valk, � Sainte-Marie-de-la-Paix, se retrouve avec quelques varianles dans la plupart des autres �glises de Rome. Partout les arts ont cherch� un abri protecteur �nbsp;l�ombre des sanctuaires du catholicisme : la reconnaissance et l�in-stinct m�me de la conservation leur en faisaient un devoir. On sait,nbsp;h�las! ce qu�ils sont devenus et ce qu�ils ont fait, lorsque, oubliantnbsp;leur origine et leur mission, ils ont quitt� l�asile paternel et cbercb�nbsp;fortune ailleurs : en peignant l�bistoire de l�Enfant prodigue, ils ontnbsp;�crit leur propre histolre.
26 JANVIER.
l*sl.iis Farn�se. � Fontaines. ^�Portique. � Sculptures, Peintures. � Trioraphe des I^ouiains.�Descriplion du triomphe de Titus. � Itin�raire des iriomphaieurs.�nbsp;Fin du Triomphe. �Reflexions.
Rome avait c�l�br� hier la Conversion de saint Paul. Le souvenir du sublime prisonnier de J�sus-Christ parcourant la ville de N�ron, en-uhatn� par le bras au pr�torien charg� de le garder, nous donna l�id�enbsp;de reconnaitre et de suivre la marche des triomphateurs conduisantnbsp;uu Capitole des peuples d�esclaves attach�s ii leur char; voir ce qu��taitnbsp;e monde au moment oii les pr�dicateurs de F�vangile se laissaientnbsp;ch.arger de fers pour briser les siens, nous offrait ce jour-lii un int�r�tnbsp;Particulier. Ajoutez que nous finissions 1��tude de Rome pa�enne;nbsp;Pouvions-nous mieux la terminer qu�en d�crivant un spectacle o� elle
-ocr page 196-19^ nbsp;nbsp;nbsp;LES TBOIS ROME.
se r�sum� tout enti�re? Chemin faisant nous payames au palais Far-n�se notre derni�re dette artistique.
Avec sa place dispos�e pour lui, et orn�e de deux abondantes fon-taines dont les cuves de granit �gyptien, trouv�es aux Thermes de Caracalla, sont les plus larges que l�on connaisse (i); avec ses rues la-t�rales et r�guli�res, Ie palais Farn�se est ie plus beau palais de Rome.nbsp;Tous les connaisseurs l�admirent comme Ie veritable type de l�archi-tecture romaine, diff�rente par son gout pur et fier de la rudesse flo-rentine et de l�architecture d�apparat des palais de Naples et de G�nes.nbsp;Commenc� par Paul III de la maison Farn�se, encore cardinal, il futnbsp;achev� par son neveu Ie cardinal Alexandre. Trois architectes du premier ordre travaill�rent a ce chef-d�oeuvre : Antoine San Gallo en fitnbsp;Ie plan et �leva les facades ext�rieures; Ie premier �tage de la cour estnbsp;de Vignole, et Michel-Ange vint couronner l��difice de son majestueuxnbsp;entablement. Le travertin de la cour provient de pierres tomb�es dunbsp;Colis�e, qui ne fut point d�raoli par Paul III, comme on Fa injuste-ment pr�tendu, pour bdtir le palais; puisque ce Pontife se montranbsp;toujours tr�s-z�l� pour la conservation des anciens monuments. Nenbsp;sait-on pas qu�un de ses premiers actes fut de cr�er le savant Latinusnbsp;Juvenal Mannetto commissaire g�n�ral des antiquit�s de Rome, avecnbsp;des pouvoirs tr�s-�tendus? Depuis les ouvrages des Remains il n�anbsp;rlen �t� construit de plus parfait que cette cour; elle peut m�me riva-liser, pour la majest� de ses proportions et 1�excellence du travail,nbsp;avec les premiers monuments du peuple-roi. Le palais appartient au-jourd�hui a la maison royale de Naples, devenue h�rili�re de tous lesnbsp;biens de la familie Farn�se.
Du portique tourn� vers la place, on entre dans un magnifique vestibule orn� de douze colonnes de granit �gyptien. Li se trouve le grand sarcophage de marbre de C�cilia M�tella, femme de Crassus,nbsp;dont nous verrons le mausol�e sur la voie Appienne. L�Hercule Farn�se, le gr�upe de Dirc� et les autres chefs-d�oeuvre de statuaire antique dont ce palais �tait rempli, ont �t� transport�s a Naples. �nnbsp;vaste escalier de marbre conduit a la galerie peinte par Annibal Car-rache, aid� d�Augustin son fr�re et de plusieurs de ses �l�ves. Lesnbsp;fresques, dont les voules sont orn�es, passent aux yeux des artistesnbsp;mondains pour avoir beaucoup de m�rite; elles repr�sentent dans lenbsp;go�t de la renaissance les divinit�s etlesfaits de la Mythologie pa�enne.nbsp;C�est dire assez que le peintre chr�tien se gardera de les louer sausnbsp;faire de larges et trop justes r�serves.
(1) Elles ont seize piods de diam�tre et six pieds de profondeur.
-ocr page 197-TKIOMPIIE DES ROMAINS. 193
Du palais Farn�se nous nous dirigeames vers Ie Pont-Saint-Ange et Ie quartier du Vatican. Au dela du m�le d�Adrien, entre Ie Monte-Mario, Ie Vatican et la ville s��tendait Ie territoire du Triomphe,nbsp;Territorium triomphale, dont Ie centre est occup� de nosjours par l��-glise de Sainte-Marie-TrasponZiwa, et par File de maisons qui Fenvi-ronne. Cette plaine, si fameuse dans Fhistoire de Forgueil de la vieillenbsp;Rome et des humiliations du genre humain, �tait destin�e aux appr�tsnbsp;de la pompe triomphale. Lors done qu�un g�n�ral avait raraen� auxnbsp;portes de la ville ses l�gions victorieuses, Ie s�nat s�assemblait pournbsp;d�lib�rer s�il m�ritait les honneurs du triomphe. Afin d�eii �tre jug�nbsp;digne, il fallait avoir pris des villes d�assaut, gagn� des batailles ran-g�es, fait un certain nombre de prispnniers, agrandi Ie territoire denbsp;de la r�publique, n�avoir point essuy� de d�faite dans la m�me campagne, avoir tir� tout Ie parti possible de la victoire et tu� au moinsnbsp;cinq mille ennemis (i).
Le pr�tendent devait annoncer ses victoires au s�nat par une lettre envelopp�e de lauriers; lui-m�me venait. plaider sa cause devant lesnbsp;P�res Conscrits, si, au moment de son retour, la question n��tait pasnbsp;encore d�cid�e. Pour Fentendre et d�lib�rer, les s�nateurs se rendaientnbsp;dans un temple hors de la ville, paree qu�aucun candidat ne pouvaitnbsp;entrer dans Rome, ni franchir Fenceinte du Pomoarium, sans perdrenbsp;aussil�t tous ses droits au triomphe : tant la fi�re cit� se montrait ja-louse de son ind�pendance (2). Si la demande �tait accueillie, on s�em-pressait de faire les dispositions du spectacle le plus tristement magni-fiqne dont Foeil humain ait jamais �t� frapp�.
Afin d�y assister nous ouvrimes Fhistorien Jos�phe que nous avions ^ la main. T�moin oculaire, il raconte en ces termes le triomphe denbsp;iRus, trainant a son char la Jud�e captive. De rendre Fimpressionnbsp;produite par celte lecture sur les lieux m�mes ou les �pouvantahlesnbsp;�^btdiments annonc�s par les proph�tes au peuple d�icide �taient venus
consommer,je ne veux pas Fentreprendre. Quiconque veut F�prou-'er dans sa pl�nitude doit aller a Rome et faire ce que nous fimes. Au �'este, en lisant la description du triomphe de Titus, on peut juger denbsp;^ous les autres ; c��taient le m�me ordre, les m�mes c�r�monies, lanbsp;^�nie foule, la m�me ivresse, d�une part; les m�mes larmes de Fautre,nbsp;la m�me fin, Fesclavage dela mort.
� Longtemps avant Faurore la ville enli�re �tait en mouvement: les *�008 �taient sillonn�es en tous sens par des masses de peuple qui
(O \aler. Max., ii, 8.1.
Suet.,Ca;s.,18.
quot;194 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
criaient : lo triumphe! lo triumphe! ��s la pointe du jour toutes les l�gions, sans armes, v�lues de tuniques de soie et couronn�es de laurier,nbsp;s�approch�rent en bel ordre des portes de la \ille : un splendide banquet leur fut donn� par Vespasien et Titus, suivant la coulurae desnbsp;triomphateurs. Les deux princes eux-m�mes, apr�s avoir pr�sid� Ienbsp;s�nat dans Ie portique d�Octavie et regu les f�licitations de tout Ienbsp;monde, se rendirent a la porte triompbale; lii, ils y prirent leur repas,nbsp;offrirent un sacrifice aux dieux et rev�tirent les ornements du triom-pbe ; Ie cort�ge se mit en marcbe. On y voyait r�gner ce bon go�t quinbsp;salt faire valoir les choses par leur simple disposition et qui pr�vientnbsp;la fatigue et l�ennui par l�ordre �tabli au milieu de la profusion.
� En t�te parut une quantit� prodigieuse d�ouvrages exquis en or, en argent et en ivoire, avec des �toffes et des v�lements de pourpre,nbsp;rehauss�s de diverses couleurs a la raani�re des Babyloniens.
� Venaient ensuite les pierres pr�cieuses en nombre incalculable; les unes enchiss�es dans des cercles d�or formaient de brillantes cou-ronnes; les autres, dispos�es avec art sur de riches �toffes, charmaientnbsp;la vue par leur �clat et leur vari�t� ; elles semblaient passer devantnbsp;les yeux, non comme une repr�sentation th�atrale, mais comme lesnbsp;flots d�un fleuve abondant. Tous ces objets �taient port�s par des l�-gionnaires v�tus de tuniques de pourpre broch�es d�or.
� Au trolsi�me rang paraissaient les statues des dieux, en or, en argent, en bronze et en ivoire : on les comptait par centaines, et toutesnbsp;�taient d�un travail exquis et d�une merveilleuse grandeur.
� Apr�s les dieux s�avangait toute une arm�e d�animaux de diff�-rentes esp�ces, dont les uns, tels que les �l�pbants et les dromadaires, �taient couverts de magnifiques ornements.
� A leur suite marchait tristement l�immense multitude des pri-sonniers, l�oeil morne, la t�te baiss�e, et d�robant aux spectateurs sous des v�tements d�emprunt les fers qui attachaient leurs mains.
� Bient�t tous les regards se port�rent avec admiration sur les si-mulacres des villes conquises. Telles �taient leurs dimensions qu�oD pouvait craindre de voir fl�chir sous Ie poids les nombreux soldats quinbsp;les soutenaient sur leurs �paules. Toutes les faces, encadr�es d�or ounbsp;d�ivoire et couvertes de riches �toffes, �taient orn�es de peintures quinbsp;repr�sentaient au vif les batailles, les ravages des champs, Ie renver-sement des murailles, l�incendie des �difices et surt�ut l�horrlble sacnbsp;de Jerusalem avec toutes les phases atroces de cette guerre d�extermination.
� Suivaient les d�pouilles opimes dont Ie nombre et la richesse ne
-ocr page 199-195
DESCRIPTION DO TRIOMPHE DE TITUS.
Peuvent s�estimer. Au premier rang on voyait vingt-cinq statues d�ai-rain repr�sentant Abraham, Sara et les rois de la familie de David; venaient ensuite les objets sacr�s pris dans le temple de J�rusalem,nbsp;port�s sur de riches brancards par des l�gionnaires couronn�s de laurier magnifiquement v�tus. C��taient entre autres la table des Painsnbsp;de Proposition, en or massif et pesant plusieiirs talents, les trompettesnbsp;du Jubil�, les voiles du temple, et le chandelier d�or auxsept branches.nbsp;Port�e sur un magnilique brancard, la loi des Juifs, qui �tait la der-ni�re dans l�ordre des d�pouilles, fermait le cort�ge.
� Imm�diatement apr�s marchait, enchain� et v�tu d�une robe noire, �le principal chef des Juifs pendant le si�ge de J�rusalem : c��tait Si-ruon, fils de Gioras. II �tait destin� au supplice apr�s avoir, suivantnbsp;1�usage, orn� le triomphe des vainqueurs.
� Les statues de la Victoire, en ivoire et en or, pr�c�daient les deux chars dor�s des triomphateurs. Le premier �tait mont� par Vespasien,nbsp;le second par Titus. Pour les Remains, fid�les a donner un caract�renbsp;religieux a leurs f�tes, le vainqueur au jour du triomphe repr�sentaitnbsp;Jupiter ; il �tait le Dieu de la terre. En cons�quence, il portait la tu-nique du roi de FOlympe, et se teignait le corps en vermilion, pareenbsp;que c��tait avec cette couleur qu�on enluminait la figure de Jupiternbsp;Capitolin; I�attelage m�me du char, presque toujours compos� denbsp;quatre chevaux blancs, �tait un attelage sacr� r�serv� au maitre desnbsp;dieux, et dont nul ne pouvait se servir qu�en vertu d�un d�cret dunbsp;s�nat (i). � Titus �tait sur son char, debout, la figure et les bras en-lumin�sde vermilion, v�tu d�une tunique de pourprebrod�e de palmesnbsp;d�or; les bras orn�s de bracelets militaires, et la t�te ceinte d�une cou-Fonne de laurier. D�une main il tenait une palme �galement de laurier;nbsp;et, de I�autre, un sceptre en ivoire surmont� d�une aigle. En un mot,nbsp;11 avait un costume semhlable a celui de Jupiter tr�s-bon ettr�s-grand,nbsp;ct qui, conserv� dans le Capitole, servait depuis des si�cles a parernbsp;tous les triomphateurs que Rome avait vus lui apporter le tribut de leurnbsp;gloire : car aucun citoyen ne poss�dait un pared costume en pro-pri�t� (2). Son char d�ivoire et de bronze dor� rehauss� de pierreries,nbsp;�tait enti�rement rond, ouvert par derri�re, et tir� par quatre magni-fiques chevaux blancs, attel�s de front et portant une branche de laurier sur le c�t� de la t�te. Des citoyens couronn�s d�olivier, v�tus denbsp;foges blanches, marchaient � pied pr�s des chevaux qu�ils condui
te
(�) Tit.-Liv., X, 7; Plin., liv. v, 23; Plutarch., in Cumill., t4. � Nous avons coinpl�t�
r�cit de Jos�phe par divers d�lails emprunl�s aux auteurs pa�ens.
(2) Jul. Capitol. in Gordian., 4.
'196 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
saient avec des r�nes dor�es. Derri�re Ie triomphaleur, sur l�escalier du char, �tait 1�esclave charg� de lui redire : � C�sar, souviens-toi quenbsp;tu es homme : � Cwsar, hominem te esse memento. A c�t� de Titusnbsp;marchait Domitien son fr�re, magni�quement v�tu et mont� sur unnbsp;cheval d�une ravissante beaut� (i).
L�arm�e suivait Ie char, et faisait retentir les airs des chants de vic-toire m�l�s de quelques traits satyriques contre son g�n�ral. Des mil-liers de spectateurs avides encombraient les rues, les places, les por-tiques, les forum, tous les lieux par o� la pompe devait passer, et m�laient leurs bruyantes acclamations a celles des soldats.
Nous suivimes l�itin�raire du cort�ge depuis Ie Territorium Trium-phale jusqu�au Capitole. II entra dans la ville par la porte Triomphale, situ�e sur les hords du Tibre, au lieu m�me occup� de nos jours parnbsp;VH�pital du Saint-Esprit. Apr�s avoir franchi Ie pont, il atteignit lanbsp;pointe du Champ de Flore, o� se trouve l��glise de Saint-Ange-fw-Piscina. De l�, d�crivant une l�gere courbe, il gagna Ie Y�labre, traversa Ie Forum Boarium, longea Ie Grand Cirque, tourna sur la gauchenbsp;par les Curias veteres, entre Ie Coelius et Ie Palatin, descendit la voienbsp;Sacr�e, et arriva sur Ie Forum Remain qu�il parcourut dans toute sanbsp;longueur; puis, prenant � gauche Ie Clivus Capitolinus, il monta aunbsp;Capitole o� se termina la marche.
Au moment o� Ie char quitta Ie Forum pour gravir la redoutable montagne, tout Ie cort�ge s�arr�ta : il se fit un grand silence, et tousnbsp;les yeux se fix�rent sur Simon. Les licteurs Ie firent sortir des rangsnbsp;et l�entrain�rent vers la droile du Forum, o� il fut battu de verges;nbsp;puis, tout couvert de sang, on Ie pr�cipita dans l�horrible prison Ma-mertine, o� la mort l�attendait. Quand il eut cess� de vivre, les Con-fecteurs lui pass�rent une corde au cou, train�rent son cadavre surnbsp;les degr�s des G�monies et Ie jet�rent dans Ie Tibre.
Pendant l�ex�culion, Titus s�avan^ait lentement vers Ie temple de Jupiter. Comme il �tait presque nuit, des esclaves amen�rent quarantenbsp;�l�phants charg�s de cand�labres, et Ie cort�ge acheva sa marche a lanbsp;lueur de mille flambeaux. Arriv� sur la plate-forme, Ie triomphateurnbsp;descendit de son char, et, suivant l�antique usage, il monta a genou-vnbsp;les degr�s du temple (2). 11 entra dans Ie superbe �difice, dont lesnbsp;portes �taient par�es des armes des vaincus, et attendit qu�on vint luinbsp;annoncer que Simon et les autres captifs avaient cess� de vivre. Bien-
(0 Josephe, de Bello Jud., lib. vu, c. 17,18,19,20; Crsvius, Thesaur. Anl. Rom., t. ixgt; p. 1561.
(2) Dio., lib. XLiii, p. 254; Suet., in Cces., 57.
FIN DU TBIOMPHE. nbsp;nbsp;nbsp;197
t�t parut un licteur qui prononQa Ie mot fatal, usit� en pareille cir-constance : Actum est: C�est fini. � A ce mot toute l�assembl�e fit retentir Ie temple de ses applaudissements, et �itus p�n�tra dans Ienbsp;sanctuaire de Jupiter, o� il fit � haute voix la pri�re suivante ; � Ju-� piter tr�s-bon et tr�s-grand, Junon, reine des immortels, et vousnbsp;� tous, dieux et d�esses, habitants et gardiens de ce temple, je vousnbsp;� rends graces, avec la joie la plus vive, de ce que vous avez bien voulunbsp;� permettre qu�aujourd�hui, qu�a cette heure, la r�publique romainenbsp;� se trouv�t conserv�e et sa prosp�rit� augment�e par mes mains;
� daignez, je vous en supplie, continuer � lui demeurer propices, a � la prot�ger, a veiller a sa conservation (i). �
Alors il s�approcha de la statue de Jupiter, sur les genoux de la-quelle il d�posa une branche de laurier, puis �tant sa couronne il la d�dia au dieu avec quelque partie du butin. Les sacrificateurs amen�-rent les victimes; Titus immola lui-m�me un boeuf, les pr�tres ache-v�rent les sacrifices, et la journ�e se termina par Ie splendide banquetnbsp;que les triomphateurs offrirent, suivant l�usage, au s�nat et a leursnbsp;amis, dans Ie Capitole, sous les portiques m�mes du temple.
De son c�t� Ie peuple se retira dans les maisons pour se livrer a toute l�ivresse de la joie; car les jours de triomphe Rome enti�re �taitnbsp;en f�te, et il n�y avait personne qui n�e�t un festin pr�par� cbez lui (2).nbsp;C��tait Ie triomphateur ou plut�t c��taient les nations vaincues et d�-pouill�es qui en faisaient les frais. Jos�phe ne nous a pas dit quellesnbsp;furent les largesses de Titus. Pour suppl�er � son silence, nous allonsnbsp;faire connailre les pr�sents que C�sar fit au peuple apr�s un de sesnbsp;triomphes : on jugera des Remains. A chaque fantassin des v�t�-rans, 409 francs: � chaque cavalier, 4,910 francs. Beaucoup re^urentnbsp;aussi des terres, les autres soldats furent gratifies dans la m�me proportion. II n�oublia pas non plus Ie peuple : chaque citoyen eut 86 litres de bl�, 10 livres d�huile, 61 francs d�argent, puis 100 autres,nbsp;comme int�r�t de cette largesse promise depuis longtemps. Enfin C�sarnbsp;paya une ann�e de loyer a tous les citoyens dont la location ne d�pas-sait pas 400 francs a Rome, et 100 pour ITtalie. II fit une distributionnbsp;de chair crue, prolongea pendant plusieurs jours Ie repas qu�un triora-phateur offre ordinairement au peuple, et y traita toute la ville et sesnbsp;environs d�une seule fois, en vingt-deux mille tables, servies avec unenbsp;lelie magnificence, qu�on y prodigua Ie vin de Falerne par amphores
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Blond. Flav., Rom. Triumph., x, p. 216.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Jos�phe, id., id., c. 18.
T. II.
198 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
et Ie vin de Chio par tonneaux (i). Malgr� toutes ces largesses, il ntit encore dans les tr�sors de l�empire plus de cent vingt-deux millions (2).
En presence de ces fails prodigieux, debout sur les lieux m�nies qui en furent Ie ih�atre, je laisse a penser ce que peut, ce que doit �prou-ver Ie voyageur. Homme, votre coeur se serre en suivant pas a pas lesnbsp;longs circuits de cette voie douloureuse, humide de sang et de larmes,nbsp;par o� pass�rent tour a tour les peuples de FOrient et de FOccident,nbsp;mutil�s, d�pouill�s et encliain�s au char triomphal de Forgueil et denbsp;la cruaut� romaincs; chr�tien, vous chercfiez une �glise pour allernbsp;exprimer toute votre reconnaissance au Dieu lib�rateur dont la croixnbsp;brisa Ie sceptre de fer qui pesait sur Ie monde : homme et chr�tien,nbsp;au souvenir de ce que nous �tions, de ce que nous serions encore, onnbsp;ne trouve point de parole pour qualifier ceux qui dans leur d�lirenbsp;impie osent outrager le christianisme auquel nous devons tout ce quenbsp;nous sommes.
27 J.\NVIER.
Consistoire public au Valican. -
� Cinq cardinaux do plus. -Anecdote.
- Tradition du chapeau. �
Une autre fete triomphale nous appelait au Vatican. Hier, nous avions vu la vieille Rome exaltant jusqu�au paroxisme Forgueil de sesnbsp;triompbateurs; aujourd�hui il nous �tait donn� de voir la Rome chr�-tienne enseigner a ses princes Fabn�gation et Fhumilit� Ia plus complete. Au Capitole, un esclave �tait oblig� de r�p�ter au vainqueur :nbsp;� Souviens-toi que tu es homme. � Au Vatican, le vicaire de J�sus-Christ disait aux princes nouvellement �lus : Souvenez-vous que vousnbsp;devez vous d�voucr pour les hommes vos fr�res, jusqu�d l�ejfusionnbsp;du sang inclusivement. Cinq cardinaux, cr��s quelques jours aupara-vant par Gr�goire XVI, recevaient aujourd�hui le chapeau rouge, signenbsp;myst�rieux de leur dignit�. Voici quelques d�tails sur cette augustenbsp;c�r�monie, si diff�rente par son esprit des pompes de la veille.
Le salon ducal du Vatican �tait magnifiquement orn�; dans le fond s��levait le tr�ne sur lequel le Saint-P�re �tait assis, ayant � droite et
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Suet., in Cces.; Dio,, xun, 234; Appian., de Bello civ., liv. u, p. 803; Patercul., 11,nbsp;36; Tit.-Liv., ut, 29; Varr. R. R. m, 2; Plutarch., in Lueull, 76; in Cces., 71; Plin.,nbsp;lib. XIV, 13.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Patercul., n, 56; Appian., de Bell. civ., 802.
199
CONSISTOIRE PUBLIC AU VATICAN.
i gauche Ie sacr� Coll�ge; a l�entr�e de la salie se tenaient les nouveaux �lus : nous assistions ^ un consistoire public. Un des Protonotairesnbsp;apostoliques lut quelques pi�ces relatives ii la b�atiflcation d�un saint,nbsp;dont j�ai oubli� Ie nom. La lecture achev�e, les r�cipiendaires vincentnbsp;tour i tour se prosterner aux pieds du Souverain Ponlife, qui les em-brassa et leur posa sur la t�le Ie cbapeau cardinalice, en pronongantnbsp;cette remarquable formule : � Recevez ce chapeau rouge, signe de lanbsp;dignit� du cardinalat, et qui vous oblige a vous d�vouer pour Ie biennbsp;de F�glise et des fid�les jusqu�a reffusion du sang inclusivement (i). �nbsp;Le Saint-P�re ne fit que poser Ie chapeau sur la t�te de chaque cardinal, et il le remit au Maitre des c�r�monies ; le soir on devait le porternbsp;solennellement aux n�uveaux princes de F�glise.
Avant de parler de cette brillante f�te, je dois ajouter que, dans un consistoire secret, le Saint-P�re ferme la louche aux cardinaux qu�ilnbsp;vient de cr�er; cela signifie qu�ils n�ont pas encore voix d�lib�rativenbsp;dans les assembl�es du sacr� Coll�ge; plus tard, il leur ouvre lanbsp;louche; c�est-ii-dire qu�apr�s avoir consult� les anciens cardinaux, ilnbsp;d�clare les nouveaux �lus habiles � voter avec leurs collogues (2). No-viciat et profession, enseignement ulile a tous, voil� ce qu�il faut voirnbsp;dans cette double c�r�monie. Toutefois la promotion n�est completenbsp;que par la tradition de Fanneau et la d�signation du titre. Le cardinal absent de Rome doit jurer, en recevant la barrette, de se rendrenbsp;dans le d�lai d�un an ad limina apostolorum, sous peine de perdrenbsp;sa dignit� (3).
Les cinq cardinaux �lus �taient leurs �minences: Acton, Vanicelli, Corsi, Schwarzemberg, nevcu du g�n�ralissime des troupes autri-chiennes en 1814, et Me^ Massimo. Ce dernier appartient a la familienbsp;des princes Massimo, une des plus illustres de Rome et qui pr�tendnbsp;descendre de Falius Maximus. On nous racontait � ce propos Fanec-dote suivante. Lorsque Fempereur d�Autriche vint a Milan, il y a quelques ann�es, prendre la couronne de fer, le Saint-P�re envoya unenbsp;d�putation pour le complimenter. Le prince Massimo, aujourd�hui
(0 Ad laudem omnipoienlis Dei, el sanctae sedes Apostolicae ornanientum, accipe Ga-terum rubrum, insigne singularis dignitatis Cardinalalus, per quod designatur, quod usque ad morlem et sanguinis effusionem inclusive pro exaltalione sancta; iidei, pace,nbsp;ct quiete populi chrisliani, augmento et statu sacrosancta3 romanos Ecclesias te intrepi-i^um exhibere debeas, in nomine Patris, etc.
(a) Aperinius vobis os, tam in collationibus, quam in consiliis, atque in eleclione summi Pontificis, et in omnibus actibus, turn in consistorio quam extra, qui ad cardi-uales spectant, et quos solili sunt exercere, in nomine, etc.
(!) Constit. de Sixte V. Postquam, etc.
-ocr page 204-200 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
cardinal, en faisait partie. On avail parl� a l�Empereur de la pr�ten-lion de cette familie : � Je suis curieux, dit Ie prince, de voir un descendant des anciens Romains. � A l�audience, il s�adressa a Mequot;' Massimo et lui dit : � Votre familie pr�tend remonter jusqu�a Fabius Maximus; cette g�n�alogie est-elle bien cerlaine? � Tout ce que jenbsp;peux dire a Votre Majest�, r�pondit l�ambassadeur, c�est qu�on Ie croitnbsp;� Rome depuis deux mille ans. �
Pendant que Ie sacr� Coll�ge se rendit a la chapelle Sixtine pour chanter Ie Te Deum en action de graces, nous quittames Ie Vatican.nbsp;La physionomie de la ville annongait l�approche d�une f�te. Dans tousnbsp;les pays, a la naissance des princes, arbitres futurs des destin�es desnbsp;peoples, il se fait de grandes r�jouissances. Ici, les cardinaux sont lesnbsp;princes du sang, et ce soir il en naissait cinq! A �Ave Maria vousnbsp;auriez vu les �difices illumin�s, des orchestres nombreux devant lesnbsp;palais des nouveaux princes, un peuple immense dans les rues et surnbsp;les places, de brillants �quipages sillonnant la foule et conduisant lesnbsp;ambassadeurs, les princes, tout ce que Rome comptait d��trangers denbsp;distinction, a la demeure des cardinaux, auxquels on allait olfrir desnbsp;f�licitations et des hommages. Gr�ce a Msquot; de B... nous fumes de lanbsp;f�te, et nous visitiimes successivement les cinq �lus du sacr� Coll�ge
Rien de plus brillant que I�iHumination de leurs palais. Les dessins les plus vari�s et les plus gracieux charmaient la vue et faisaient croirtnbsp;i quelqu�une de ces f�eries du moyen age. Un escalier vraiment royal,nbsp;couvert de riches tapis, �clair� par une double ligne de cierges denbsp;quatre pieds de hauteur, et d�une grosseur proportionn�e, conduisaitnbsp;au Piano nobile, ou premier �tage du palais. Entre deux hales de la-quais et de suisses en grande livr�e rouge, bariol�e de blanc et denbsp;bleu, tenant i la main des cierges gigantesques, on arrivait au seuilnbsp;des salons. Le cardinal ne porte, ce jour-la, d�autre insigne de sa nouvelle dignit� que la calotte rouge. Le reste du costume se composenbsp;d�un habit noir ^ la frangaise, d�un petit manteau de soie de Ia m�menbsp;couleur et de la m�me longueur que l�habit; d�une culotte courte etnbsp;de bas noirs. II est la sur la porte de son appartement, debout, le chapeau il la main : vous arrivez, il vous salue, vous adresse quelquesnbsp;mots; vous passez plus loin, et vous prenez part ii la conversationnbsp;g�n�rale; pour lui, il reste a son poste : ainsi le veut l�usage qui luinbsp;d�fend �galement de s�asseoir pendant toute la soir�e. Au salon dunbsp;cardinal succ�de la salie du tr�ne; c�esl une pi�ce richement d�cor�e,nbsp;oft se trouve de rigueur le portrait du Saint-P�re. Au bas du portraitnbsp;et tourn� vers le mur est un grand fauteuil exclusivement r�serv� aunbsp;Souverain Pontife.
-ocr page 205-SECONDE PARTIE DU TRIOMPHE. 201
Cependant on attendait avec impatience Ie chapeau qui devait �tre apport� en grande pompe. Vers les sept heures une voiture du papenbsp;sortit du Vatican; elle conduisait les deux pr�lats domestiques charg�snbsp;de remettre l�insigne du cardinalat. Ils entr�rent, poriant Ie chapeaunbsp;sur un plat d�argent, et l�ayant d�pos� sur une table derri�re laquellenbsp;�tait Ie cardinal, un des Pr�lats lui fit une allocution pleine d�a-pro-pos. Le nouvel �lu r�pondit, et relt;;ut, apr�s Ie d�part des gracieuxnbsp;messagers, les f�licitations de toutes les personnes pr�sentes, auxquellesnbsp;on ofFrit des glac�s, qui nous sembl�rent de saison, bien qu�on fut aunbsp;coeur de l�hiver. Remarquable par le bon gofit et la noble simplicit�nbsp;avec laquelle elle fut conduite, cette f�te, comme la plupart des solen-nit�s romaines, a le privil�ge d��lever l�amp;me aux plus hautes pens�es.nbsp;Voir tout ce que le monde a de plus puissant et de plus riche, rendrenbsp;hommage aux princes de cette �glise jadis cach�e dans les Catacombesnbsp;de cette m�me Rome, et pers�cut�e par les grands et les C�sars de cenbsp;lemps-la : quel �trange spectacle! Entre les trioraphes du Capitole etnbsp;les �lections du Vatican, il y a un abime, et eet abime n�a pu �trenbsp;combl� que par le plus grand des miracles.
28 JANVIER.
Seconde parlie du triofhphe� March� aux csclaves. � Condilion de l�esclavc. ~ Emplois. � Traitement. � Esclaves fugilils. � Punition.
Avant-hier nous avions lu la premi�re page de l�histoire des triom-phes : nous avions vu les nations d�pouill�es et enchain�es marcher au Capitole; leurs richesses enfouies dans les vastes tr�sors de la reinenbsp;du monde ou jet�es en pature � son peuple de sybarites; nous avionsnbsp;assist� � la mort ignominieuse de Simon, fils de Gioras, qui avait,nbsp;comme ia plupart des rois et des g�n�raux vaincus, pay� de sa t�tesanbsp;courageuse opposition a la domination romaine. Mais qu�est devenunbsp;tout ce peuple de prisonniers destin�s comme lui a orner le triomphenbsp;de Titus? Immobiles au pied du Capitole, ils attendaient dans la stu-peur l�arr�t des C�sars. II aura �t� doux sans contredit, car Titus estnbsp;appel� les d�lices du genre humain. Afin d�en juger par nous-m�mes,nbsp;nous nous rendimes de bonne heure au Forum romain; et, ouvrantnbsp;les auteurs du temps, nous vimes ce qui se passait le lendemain desnbsp;triomphes : c�est la seconde page de leur histoire, ou plutot le hideuxnbsp;revers de la brillante m�daille.
Et d�abord, que devenaient les prisonniers de marque? Ceux qu�on
202 LES TROIS HOME.
n�immolait ni ii Jupiter Capitolin, ni aux manes des vainqueurs, �taient gard�s en prison, non a Rome, mais dans quelque ville fortenbsp;de l�int�rieur (i). Quant a ceux que leur rang moins distingu�, leurnbsp;influence personnelle ou leur extr�me jeunesse ne pouvaient rendrenbsp;redoutables, on leur accordait quelquefois la libert� (2). Plus souventnbsp;on leur donnait pour prison Rome, o�, confondus dans la foule desnbsp;citoyens, ils devaient seuls pourvoir a leurs besoins (5). Voyons main-tenant quel �tait Ie sort des prisonniers vulgaires, c�est-a-dire des populations enti�res, amen�es comme un vil butin.
Afin d�appr�cier Ie respect du paganisme pour Thumanit�, nous vouliimes les suivre dans les diff�rentes phases de leur existence, de-puis Ie jour de leur arriv�e au pied du Capitole, jusqu�au moment denbsp;leur mort. Les uns �taient destin�s a Famphith�atre et devaient r�-jouir Ie peuple-roi par Ie spectacle de leurs douleurs. Les autresnbsp;�taient destin�s a Fesclavage et vendus a 1�encan; et Ie produit de lanbsp;vente allait enrichir Ie tr�sor de Fempire {i).
Vers Ie centre du Forum, non loin de la Gr�costasis dont quel-ques ruines sont encore debout, s��levait Ie temple de Castor et de Pollux (s); c�est la que se tenait Ie grand march� aux esclaves. Les ina-quignons y revendaient en d�tail la chair humaine qu�ils avaientnbsp;achet�e en gros de la r�publique (e). Ici furent vendus nos p�res, nosnbsp;m�res, nos fr�res et nos sceurs; car ni F�ge ni Ie sexe n��taient �par-gn�s : la victoire s��tait faite la pourvoyeuse g�n�rale de la servitude [1). Le lendemain du triomphe, on voyait sur toute la longueurnbsp;de la fagade du temple et des portiques voisius des �chafauds dress�s,nbsp;et sur ces �chafauds des hommes, des femmes, des jeunes gardens,nbsp;des jeunes filles et des enfants (s). Tous, dans un �tat a peu pr�snbsp;complet de nudit�, avaient un petit �criteau pendu au cou; quelques-uns portaient sur Ia t�te un bonnet de laine blanche, d�autres unenbsp;couronne de feuillage. Le plus grand nombre avaient les pieds nus etnbsp;frott�s de craie ou de gypse (9).
(f) Tit.-Liv., XLV, 42; Polyb., xvi, S.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Appian., de Bell. Mithrid., p. 418.
(3) nbsp;nbsp;nbsp;Plutarch., P. Eniil, 59.
(4) nbsp;nbsp;nbsp;Tacit, Hist., Ill, 54; Tit.-Liv., vi, 4; Plutarch., il. Cato, 43; Tit-Liv., c. v, 33;nbsp;Valer. Max., xi, 5,1.
(3) Sencc., He Consol, sapient. 13.
(6) nbsp;nbsp;nbsp;Tit.-Liv., 11,17; Cic., ad Attic., iv, 6; id. Ualijcarn., iv,6; id. de Bello Gall., vn,S9.
(7) nbsp;nbsp;nbsp;Cais., de Bell. Gall., m, 16; Plutarch., M. Cato, 43.
(8) nbsp;nbsp;nbsp;Plin., XXXV, 18, etc., etc.
(9) nbsp;nbsp;nbsp;Senec., Ep. 43; Aul. Geil., iv, 2; id. vn, 4; Tit.-Liv., xxiv, 16; Aul. Geil.,id.; Plin.,nbsp;xxxY, 17; Juv., vm, 1, v, ui.
-ocr page 207-MAUCH� A�X ESCLAVES. 205
Un homme d�une figure ignoble, amp; l�air brutal et grossier se pro-menait devant chaque �eliafaud, et, s�adressant a la foule avee une vo-lubilit� et une assurance imperturbable, criait : � Rien ne me prcsse de vendre, citoyens; je ne suis pas riche, il est vrai, mais je ne doisnbsp;rien a personne. Un autre ne vous les laisserait pas a ce prix, et moi-m�me je ne les donnerais pas a d�autres qu�a vous, illustres Romains.nbsp;Voyez-moi cela, continuait-il en d�signant un jeune gar�on; examineznbsp;comme il est beau, bien fait de la t�le aux pieds. Je vous garantis sanbsp;frugalit�, sa probit�, sa docilit�; il ob�it au moindre signe ; c�est unenbsp;argile dont on fait tout ce qu�on veut. II sait un peu de grec et vousnbsp;chantera m�me � table, quoiqu�il n�ait pas de musique. � Puis luinbsp;frappant sur les joues ; � Entendez-vous, disait-il, comme cela r�-sonne! quelle chair ferme! la maladie n�aura jamais prise la-dessus.nbsp;Citoyens, je Ie donnerai pour buit mille sesterces; c�est vraiment pournbsp;rien (i). �
Passant ensuite � un jeune enfant : � Aliens, toi, lui disait-il, fais voir ta gentillesse aux maitres du monde; et Ie pauvre enfant de sauter, de tournee, de gambader sur les planches, de faire mille agace-ries pour tenter la foule qui Ie regardait. � Est-il leste! est-il joli!nbsp;est-il mignon! ajoutait Phomme. Mais, citoyens, entrez dans ma taverne, vous verrez mieux que tout cela. Ce n�est ici que mon �talage;nbsp;tout ce que j�ai de plus rare, de plus beau, de plus d�licat, de plusnbsp;admirable, est sur mes �chafauds int�rieurs; veuillez entrer citoyens,nbsp;veuillez entrer (2)! �
Cet ignoble commencement n��tait pour l�esclave que Ie pr�lude des ignominies et des cruaut�s plus grandes qui l�attendaient. Vendunbsp;et pay�, il devenait corps et ame la propri�t� de son maitre ; nulle loi,nbsp;nul article de loi pour prol�ger sa vie, sa vertu. Seconde esp�ce hu-maine, moins vil que nul, chose et non plus �tre intelligent, incapablenbsp;de toute propri�t�, sans patrie, saus familie, sans aucunt diff�rencenbsp;l�gale entre lui et la b�te, il vit, il meurt au gr� du despote qui luinbsp;tient Ie pied sur la gorge, et qui en fait Ie jouet de tous ses caprices (3). �tre m�pris� auquel, pour ne point profaner sa parole, sonnbsp;maitre souvent ne parle que par signes, ou au besoin par �crit ou parnbsp;des coups. Vrai gibier de fouet et de prison, dont la loi compte la vie
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Borat., Epist. ii, 2, vers. 2; Digest., xxi, tit. i, leg. tO, 2; Pers. Sat. v, 77.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Stat. Sylv., n, 1, V, 72; Mart., ix, 60; Senec., Ep. 47.
(5) Servi per Ibrtunamin omnia obnoxii, quasi secundum hominum genus sunl. Flor., lil, 20; Digest., leg. 111 de capile minutis; Caius, Inslit. 1, 52; Juv. Satyr., vi, vers. 219.nbsp;� Caput enim servile nullum jus habet, caret nomine, censu, tribu. Paul, lib. in, denbsp;Cap. diminut.
204 LES TROIS ROME.
pour si peu de chose, que dans une enqu�te judiciaire, accuse ou m�me t�moin, on ne l�interroge que sur Ie chevalet, et. que, sur la r�-quisition d�un plaideur, son inaitre l�envoie sans dillicult� au tortu-reur, se faisanl seulemejit donner caution pour Ie d�chet qui pourranbsp;r�sulter de la torture (i). Et sur ce maitre qui tient sa vie entre sesnbsp;mains, qui peut Ie briser comme un verre, l�esclave doit veiller commenbsp;sur la prunelle de ses yeux. Malheur a lui, si son maitre vient a �trenbsp;tu� par un de ses esclaves : la loi veut que tous les autres, pr�sentsnbsp;dans la maison, innocents ou coupables, soient livr�s au supplice, a lanbsp;mort (2). Tel est Ie joug de fer qui T�crase et qui p�sera sur lui jus-qu�au dernier soupir...
En attendant, il sera condamn�.ii tous les offices les plus p�nibles et les plus bas. Pour mieux juger de sa condition, suivons-le dans lanbsp;maison de son maitre : plus de cent vingt emplois l�attendent, lui etnbsp;ses compagnons d�infortune; nommons-en quelques-uns. Le seuil denbsp;la porte est franchi, nous sommes sous le vestibule; a droite et anbsp;gauche voici deux niches : dans Tune est un chien, dans l�autre estnbsp;Tesclave Janitor. 11 est enchain�, et si la maison change de maitre,nbsp;on le vendra avec la maison, comme s�il tenait invinciblement a la mu-raille o� sa chaine est scell�e et faisait partie int�grante de la construction (3). A quelques pas se montrent les balayeurs (mediastini,nbsp;scopatores); les uns sont debout sur des tr�teaux; les autres sont ac-croupis par terre; tous, le balai, la brosse, le chiffon de pourpre, l��-ponge a la main, font briller comme des glac�s les colonnes de marbrenbsp;du portique et la mosa�que de l�atrium (4). A Tangle de Tatrium estnbsp;Vatriensis, esclave charg� de garder les armoires (armaria) o� sontnbsp;renferm�s les registres de la maison et les images des anc�tres (5).nbsp;Descendons aux cuisines. Dans ces pi�ces importantes des maisonsnbsp;romaines, se tient une multitude d�esclaves dont Tunique soin estnbsp;d�invenler et d�appr�ter des mets capables de r�veiller le go�t blas�nbsp;des Apicius. Le cuisinier (coquus) pr�pare les viandes, et a force denbsp;patience parvient a servir un porc entier, bouilli d�un c�t� et roti denbsp;Tautre; le patissier (pistor dulciarius) fait les sucreries m�l�es denbsp;tous les aromes de TArabie et de Tlnde : dans la crainte que la sueurnbsp;ne tombe dans la pat�, on Toblige k se voiler la t�te pendant qu�il
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Senec., Ep. 47; Tacit., Ann. xiii, 23; Paul, Sentent., v, 16, � 3.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Cic., ad Famil., iv, 12; Digest., ad S. C. Sillanianum, leg. xiii.
(5) Suet., de Clar. Rhetor., 4; Appian., de Bell. civ., iv, 971.
(4) Vitruv., lib. va, c. 4; Borat., lib. ii, Sat. vm.
(s) Yarr., lib. vu, de u h.
205
EMPLOIS DE L ESCLAVE.
p�trit (i). Le lactaire (lactarius) lui donne la cr�me et Ie lait; Ie pla-centaire (placentarius) lui donne les instruments dont il a besoin; le pomaire (pomarius) fournit les pommes, et le focarius entretient lenbsp;four a la chaleur convenable; le cell�rier (cellarius) garde les boissonsnbsp;pr�par�es dans roffice; le permarius pr�serve des mouches et de lanbsp;poussi�re Fhuile, le garura, le miel, et en g�n�ral tout ce qui doltnbsp;bient�t paraitre sur la table; mals malheur aux infortun�s si un seulnbsp;plat manque de saveur ou de parfum! Un go�t exerc� doit pr�sidernbsp;au choix des aliments : le d�gustateur (obsonator) est charg� de cettenbsp;p�rilleuse op�ration.
Le repas est pr�par�; voici venir les invitateurs (imitatores, voca-tores) qui r�citent le nom des convives, tandis que les infertores ap-portent les plats rang�s avec sym�trie sur les tables par les dresseurs (structores). Les convives s��tendent mollement sur les lits, jonch�snbsp;de duvet et de roses effeuill�es, pr�par�s par les lectlcaires (lecticarii,nbsp;lectisterniatores). L��cuyer tranchant (scissor, carptor), d�coupe lesnbsp;viandes que les distributeurs (distributoresjpoilent sur des plats d�or,nbsp;et le pain dans des corbeilles d�argent. Mais dans le passage de lanbsp;cuisine au triclinium, le parfum des mets a pu s��vaporer; le prw-gustator est la pour s�assurer s�ils peuvent �tre pr�sent�s avec con-fiance. Entre les tables circulent les �chansons (pocillatores) qui pr�-sentent i boire aux convives le vin de Falerne, m�l� d�aromates, dansnbsp;des coupes d or enrichies de pierres pr�cieuses. A leur suite marchentnbsp;les vicaires qui pr�senten!, dans des burettes d�or et d�argent, denbsp;1�eau ti�de et de l�eau froide (calidcB gelidwque ministri). Pr�s des litsnbsp;se tiennent de jeunes esclaves v�tus avec �l�gance, la t�te orn�e d�unnbsp;gracieux turban, les jambes et les bras nus-. Chacun a sa fonction;nbsp;l�un, plac� a la t�te, tient une branche de myrte et chasse les mouches;nbsp;les autres, courb�s aux pieds des buveurs ivres, essuient les ignoblesnbsp;traces de leur intemp�rance (mensarum detersores) (2).
Dix, quinze, vingt-deux services se sont succ�d�, et malgr� l�heure avanc�e qu�indique soigneusement le nomenclator en d�pit du som-nieil qui l�accable, le service de l�esclave n�est pas fini. Longtempsnbsp;encore il attendra le repos et le pain n�cessaires a sa vie : peu importenbsp;qu�il meure, pourvu que son maitre se r�jouisse. La salie brille denbsp;mille flambeaux apport�s par les infertores; des symphonies se fontnbsp;entendre : voici des troupes de jeunes esclaves qui viennent ex�cuternbsp;des danses lascives et chanter au son des instruments, et la gloire de
(!) Apul., lib. X iltoam. Athenaeus, lib. xii.
(2) Martial, Epig., lib. m, 4; Sanec., de tra, c. 25.
-ocr page 210-206 nbsp;nbsp;nbsp;lES TROIS ROME.
leurs bons maitres, et les nobles passions dont leur coeur est poss�d�, citharoedi, symphoniaci, choraules (i). Mais la volupt� est toujoursnbsp;suivie d�une inseparable compagne. Aux danses lubriques et auxnbsp;chants obsc�nes succ�de un spectacle tragique : des gladiateurs sontnbsp;introduits, la plupart esclaves infortun�s, coupables d�avoir voulu senbsp;soustraire par la fuile a la barbaric de. leurs maitres. Sous les yeux denbsp;ces spectateurs ivres de vins et de d�bauches, les glaives brillent,nbsp;s�entre-choquent, Ie sang humain coule a flots, et Ie r�le des mourantsnbsp;se m�le aux fr�n�tiques applaudissements des convives (a).
Du triclinium passez aux bains, dans les chambres des maitres, dans les jardins, dans les �tables, dans toutes les parties de la maisonnbsp;de la ville et de la campagne, n�oubliez aucun des emplois domesti-ques si bas et si vils qu�ils soient, inventez-en de nouveaux, d�incon-nus, d�inou�s, et soyez sur de trouver chez ces maitres riches, hautains et Yoluptueux ii l�exc�s, un esclave attach� ii les remplir (3).nbsp;Pour savoir jusqu�ou l�orgueil pa�en faisait descendre l�esclave qui,nbsp;apr�s tout, �tait un homme et avait une ame immortelle, lisez, entrenbsp;mille, l��pitaphe suivante que nous vimes nous-m�mes sur un marbrenbsp;antique :
OSSA
AVBELIAE LIVIAE A�G.
SER. A C�R. CATELLAE.
lt;c Ossements d�Aur�lie, esclave de Livie, femme d�Auguste, charg�e du soin de sa petite chienne. � Dans l�exercice de tous ces emplois sinbsp;vils, si assujettissants, si d�goutants m�me, malheur au pauvre esclavenbsp;coupable de la plus leg�re n�gligence, de l�apparence m�me d�unenbsp;n�gligence ou d�une distraction; que dis-je? coupable d�un soupir,nbsp;d�un �ternument, d�un souffl� pendant les symphonies qui accom-pagnent les orgies nocturnes de ses maitres (i). L�orgueilleuxRemain,nbsp;la superbe matrone qui, dans les circonstances ordinaires, ne daigne
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Capitol., in Gallian.; Sidonius., lib. ix, ep-13.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Tacit., Annal. lib. i.
(3) nbsp;nbsp;nbsp;Plinc traduit ce fait avec une grande �nergie : � Neus ne marchons plus avec nosnbsp;pieds, nous no \o\ons plus avec nos yeux, et ce n�est plus notre m�naoire qui relieotnbsp;Ie nom de nos amis, nous vivous par les soins de nos esclaves. � Alienis pedibus am-bulamus, alienis oculis agnoscimus, aliena meminisse salutamus, aliena vivimus opera.nbsp;Lib. XXIX, c. 1.
(4) nbsp;nbsp;nbsp;At inl�licibus servis movere labra ne in hoe quidem ut loquantur licet, virga murmur omne compescitur, et nee fortuita quidem verberibus excepta sunt: tussis, ster-nutamenta, singultus; magno inalo ulla voee intcrpellatum silentium luitur; nocte totanbsp;jejuni mntique perstant. � Senec., Epist. xlvii.
-ocr page 211-ESCLAVES FUGITIFS. nbsp;nbsp;nbsp;207
point lui adresser la parole, mais lui intiine ses ordros en faisant cla-quer ses doigts, lui parle, en cas de maladresse, a coups de verges, de lani�res ou de baton. On lui fait griller sur la t�te la f�ve malnbsp;cuite; Ie vieux Gaton lui d�chire Ie dos a coups de fouet, paree qu�ilnbsp;est trop lent; Auguste Ie crucifie pour avoir tu� une caillc favorite;nbsp;pour un vase cass�, Pollion Ie jelte vivant a ses mur�nes : et il n�a pasnbsp;m�me Ie droit de se plaindre. Ainsi passera sa tristc existence; puis,nbsp;quand il sera vieux ou infirme, on Ie vendra a un inaitre plus pauvrenbsp;et par suite plus dur. C��tait Ie conseil et la pratique du vertueux Gaton : � Sois bon m�nager, dit-il, vends ton esclave et ton cheval quandnbsp;� ils sont vieux (i); � ou, ce qui est plus commode et non moins barbare, on l�enverra dans l�ile du Tibre, abandonn� a la grace d�Escu-lape. Si on veut bien Ie laisser vieillir dans la maison, il sera renferm�nbsp;dans son �lroite celluie, cella, jusqu�au jour o� quatre de ses compagnons de servitude, eboisis parmi les plus m�priscs, viendront em-porter son cadavre dans quelque coin mal fam� des Esquilies (2).
A-t-il voulu se soustraire par la fuite au joug intol�rable qui p�se sur lui? Aussit�t un cricur public donne son signalement par toute lanbsp;ville : � II y a peu d�instants qu�un esclave s�est sauv� dans les ther-mes : il a environ seize ans, il a les cheveux friscs, il est frais et biennbsp;fait, il s�appelle Gyton ; celui qui Ie rendra ou Ie d�couvrira aura millenbsp;�cus de recompense (s). � Retomb� au pouvoir de son maitre, il subiranbsp;d�abord une sanglante flagellation; puis, avec un fer rouge on luinbsp;marquera sur Ie front les deux lettres o et F, initiates grecque et latinenbsp;du mot fug�ivaire (fugitivarius); ou bien on lui fixera aulour du counbsp;un collier de fer porlant ces mots ; Tene me quia fugi, et revoca menbsp;domino meo N. � Arr�tez-moi paree que je me suis sauv�, et rendez-� moi il mon maitre N. � De ces colliers de la servitude, monumentnbsp;horrible de la barbarie pa�enne, plusieurs sont parvenus jusqu�a nous,nbsp;Dour l�instruction des si�cles modernes. Nous en vimes trois dans unnbsp;mus�e de Rome. Pourtant ces stigmates et ces colliers de fer sont encore une faveur; ordinairement la dent des lions de Pamphith�atre ounbsp;la lance des gladiateurs punit l�infortun� fugitif (4).
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Plutarch., in Cat., c. v.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Horat., liv. 1, Sat. viii.
.........angus�s ejecta cadavera cellis
C�nservus vili portanda locabat in area.
(s) Petr.
(4) Aul. Geil., lib. v, c. 14. Voir sur les esclaves Ie Trait� de Pignorius, De Servis et de eorum apud veteres ministcriis, in-4�. Augusta; Yinde�c. an. 1614.
-ocr page 212-208 nbsp;nbsp;nbsp;LES TBOIS ROME.
Tel �tait Ie sort de la plus grande partie du genre humain, la veille du jour o� Ie christianisme parut; tel Ie r�sum� de la l�gislation, desnbsp;conqu�tes et des pompes triomphales de la vieille Rome; tel est aussinbsp;Ie dernier trait par lequel nous terminons son histoire.
29 JANVIER.
Rome purement chr�lienne. � Caract�re de la charit� romaino. � Carte routi�re de la douleur. � Charit� romaine pour Ie nouveau-n� et Torphelin. � Tour de Th�pital dunbsp;Saint-Espril. � Description de ccth�pital.
Re triomphe, c�est-a-dire les pompes du Capitole et Ie march� du Forum nous avaient donn� Ie dernier mot de la soci�t� pa�enne. Romenbsp;antique! superbe reine de la force, nous te connaissions enfin dansnbsp;ton esprit et dans tes oeuvres. II �tait temps de chercher un spectaclenbsp;plus doux, en �tudiant aussi dans son esprit et dans ses ceuvres Romenbsp;chr�tienne, la m�re des peuples et la reine de la charit�.
Voici un nouveau voyage que nul touriste n�a fait et dont nul guide ne trace l�itin�raire; pourtant il est plein de charmes et d�int�r�t. Denbsp;cette omission plus ou moins voltairienne, qu�est-il r�sult� ? Reine desnbsp;arts, Rome est admir�e de tous; m�re des pauvres et mod�le des nations, Rome est calomni�e; ses oeuvres, plus belles que ses monuments,nbsp;ont �t� m�connues; et l�esprit divin qui leur donna Texistence, a pe-nenbsp;entrevu par quelques-uns, est l�objet des sarcasmes du grand nombre.nbsp;Paree qu�elle ne participe point a la vie factice ni a l�activit� f�brilenbsp;des peuples industriels, on la dit morte. II n�en est rien; la Rome denbsp;Gr�goire XVI est toujours et dans un sens mille fois plus noble que lanbsp;Rome d�Auguste, la m�re des hommes et la nourrici�re des nations ;nbsp;Alma parens vir�m.... magna frugum. La charit� est Ia vie des cit�snbsp;et des peuples; eh bien, la charit� coule A pleins bords dans les veinesnbsp;de Rome chr�tienne; elle est son instinct, et, pour ainsi parler, sonnbsp;essence propre. Qu�il en doive �tre ainsi, l�homme habitu� a r�fl�chirnbsp;ne s�en �tonne pas. Centre de la foi, la ville des Pontifes doit �tre Ienbsp;foyer de l�amour ; Ia logique Ie dit avant que les faits ne l��tablissent.nbsp;Toutefois, hommes, qui que vous soyez, si j�ai une pri�re a vous faire,nbsp;c�est de ne pas vous laisser imposer eet axiome d priori. Consenteznbsp;seulement � voyager avec nous, et l�axiome reviendra, sous forme denbsp;cons�quence, prendre dans votre esprit la place qu�il m�rite.
Partis de bonne heure de la Propagande, nous nous dirigeames vers Ie cMteau Saint-Ange, passant par la place du Peuple et Ie mausol�e
SOME PUREMENT CHR�TIENNE. nbsp;nbsp;nbsp;209
d'Auguste : cela veut dire que nous avions pris le chemin des �coliers. Pour mettre a profit notre longue promenade, nous recueillimes lesnbsp;traits �pars qui, r�unis, forment le caract�re saillant de la charit�nbsp;romaine dont nous allions �tudier les oeuvres.
Gatholique, tel est le signe distinctif de la foi dont les lumi�res descendent incessamment des royales collines ; catholique, tel est aussinbsp;le cachet dominant de la charit� romaine, fille et m�re de la foi.
Catholique, paree qu�elle n�exclut personne. Ses �tahlissements sont le fruit de ses propres �pargnes et des dons offerts par les nations for-m�es a son �cole. Sublime conspiration de la charit�! aux jours de lanbsp;foi, les monarchies et les r�publiques de I�Europe chr�tienne se sontnbsp;associ�es a leur m�re, pour fonder dans le centre de la catholicit� desnbsp;asiles toujours ouverts � l��tranger, quels que soient ses besoins, sonnbsp;pays et son nom. Rarement on trouve dans les hospices des nationsnbsp;europ�ennes, m�me les plus civilis�es, des personnes �trang�res k cesnbsp;nations. A Rome, il n�est pas un h�pital, pas une maison de secoursnbsp;qui ne nourrisse des citoyens d�autres pays. En parcourant les nomsnbsp;des fondateurs ou bienfaiieurs de ces pieux �tahlissements, on voitnbsp;que tous les rangs y ont concouru; et les vieilles archives mentionnentnbsp;ensemble des papes, des cardinaux, des pr�lats, des rois, des princes,nbsp;des femmes, des hommes priv�s et obscurs, et surtout des saints.
Catholique, paree qu�elle est plus abundante que partout ailleurs. Dans sa longue sollicitude, Rome a amass� pour les pauvres un patri-nioine qui ne se trouve que la. Bien que les bouleversements poli-Cques l�aient consid�rablement diminu�, il s��l�ve encore a plus denbsp;quot;64,000 �cus remains de rente (4,425,600). � Dans la ville la plusnbsp;charitable de l�Europe, h Paris, les �tahlissements de bienfaisancenbsp;jouissent d�un revenu de 5,000,000 de francs, et la ville y ajoutenbsp;0.500,000 francs; ce qui fait 10,500,000 fr. A Rome, les rentesnbsp;qu�ils per^oivent de leurs biens sont de 1,900,000 fr. et du tr�sornbsp;2,200,000 francs; en lout 4,100,000 francs. II faut observer qu��nbsp;l^aris, outre les cr�ations de la charit� l�gale, il existe des soci�t�snbsp;Philanihropiques dont les aum�nes n�entrenl pas dans le compte quenbsp;je viens de faire. II faut observer encore que la population de Paris estnbsp;de cinq fois celle de Rome; done, en atlribuant aux soci�t�s parlicu-li�res une contribution de 1,500,000 francs par an, � Rome on donnenbsp;presque le double qu�a Paris, bien que les cit�s septentrionales aientnbsp;plus de besoins � satisfaire que celles du midi (i). �
(�) M. Morichini, Instit. de Bienf. de Rome, p. 23-
-ocr page 214-210 nbsp;nbsp;nbsp;les TROIS ROME.
Calliolique, paree qu�elle a, dans F�tablissement de ses oeuvres, Ia priorit� sur les autres pays. Je n�cn citcrai que trois exemples dansnbsp;ce moment : l�h�pital Saint-Roch, l�hospice des Convalescents et lanbsp;prison p�nitentiaire de Sainl-Michel. L�h�pital de Saint-Roch est unenbsp;maison d�accouchement, ouverte gratuitement � toutes les femmes,nbsp;qui peuvent y ensevelir dans Ie plus myst�rieux silence Ie secret denbsp;leur faule, en m�me temps qu�elles y trouvenl tous les soins qu�exigenbsp;leur �tat. 11 a �t� form� en 1770, longtemps avec celui de Vienne, quinbsp;a pr�c�d� tous les autres. En France, nous �lions encore a faire lanbsp;th�orie de ce que Rome pratiquait depuis plus de quatre-vingts ans (i).nbsp;L�hospice des Convalescents fut fond�, en 1S48, par saint Philippe denbsp;N�ri. II est ant�rieur de plus de deux si�cles a tous les autres du m�menbsp;genre, puisque l�hospice de la Samaritaine, dont se vantent si fort lesnbsp;Anglais, ne date que de 1791 (2). La prison p�nitentiaire de Saint-Michel, tel est Ie troisi�me exemple que j�aime a citer ici.
Lorsqu�a la fin du si�cle dernier les �tats-Unis offrirent � l�Europe �merveill�e leurs nombreux p�nitenciers, nul ne douta de I�originenbsp;am�ricaine de cette institution venue d�outre-mer. Le protestantismenbsp;s�en fit gloire, et personne ne lui disputa son facile triomphe; maisnbsp;enfin la v�rit� s�est fait jour. Nos puhlicistes, envoy�s dans toutes lesnbsp;parties de I�Europe et de l�Ain�rique pour �tudier le r�gime penitentiaire, sont enfin arriv�s a Rome. M. Cerfheer, charg�, en 1839, parnbsp;le ministre de l�int�rieur d�inspecter les prisons de la P�ninsule, s�ex-prime ainsi dans son rapport : � Je n�h�site pas a croire que la r�-forrae p�nitentiaire est partie de l�Italie, du centre m�me de cettenbsp;contr�e, de Rome, o� un pape. Cl�ment XI, fit construire, en 1703,nbsp;sur les dessins de Charles Fontana, une vaste maison de correctionnbsp;pour les jeunes d�tenus... Le syst�me correctionnel est chr�tien, il estnbsp;catholique; il a pris naissance avec les monast�res, un pape Fa hap-lis� au moment mi il le fit entrer dans le monde. L�Am�rique ne Fanbsp;pas trouv�, FAm�rique ne Fa pas perfectionn�; elle Fa emprunt� �nbsp;Gand, qui Favait pris � Milan et a Rome. Oui, c�cst de Rome qu�estnbsp;parti le mouvement qui se manifeste aujourd�hui dans les deux mon-des; e�est Rome qui a cr�� la premi�re maison cellulaire, qui a appfi'nbsp;qu� simultan�ment Fisolement absolu et Fisolement miiig�; c�est unnbsp;pape qui de sa main a �crit les premiers r�glemenls d�une maison denbsp;correction.... J�attache une importance d�autant plus grande a resti-tuer au pontife romain. Cl�ment XI, Fhonneur de la premi�re id�� de
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Voir M. de G�rando, de la Bienf. ptilUq., t. iv, p. 53S.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;�ournon, �tud. statist., 1.11, p. 118.
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la r�forme p�nitenliaire, que j�y trouve une raison puissante pour gagner a la cause de cette r�forme les nombreux seclateurs de la religion: j�y puise encore cette pens�e que la r�forme devant �tre cons�quente i son origine, pour �tre salutaire, elle doit �tre essentiellementnbsp;chr�tienne (i). �
Catholique, paree qu�elle est humble. Rome observe a la lettre Ie commandement du Sauveur : Quand vous faites Faumone, que votrenbsp;main gauche ne sache pas ce que fait votre main droite. Rome n�anbsp;point de journaux qui publienl ses bonnes oeuvres; et les voyageursnbsp;si diserts pour blamer la m�re et la maitresse des �glises, n�ont pas ditnbsp;une parole qui fasse soupgonner Ie ir�sor de charit� qu�elle renfermenbsp;dans son sein. Nous nous croyons ^ la t�te du v�ritable progr�s; nosnbsp;id��s, nos plans, nos moindres essais pour l�am�lioration des classesnbsp;souffrantes, nous les publions comme des d�couvertes. Rome se tait etnbsp;se contente de montrer chez elle la r�alisation quelquefois s�culaire desnbsp;pens�es qui chez nous sont encore a l��tat d��tude ou de projet et quinbsp;u�ont re^u qu�un faible commencement d�ex�cution.
Catholique, paree qu�elle embrasse toutes les mis�res humaines. Or, la mis�re est un indestructible r�seau qui enveloppe les fils d�Adamnbsp;depuis Ie berceau jusqu�a la tombe et au dela. Pour �tre catholique,nbsp;la charit� doit done �tre aussi �tendue que la vie, aussi vari�e que lanbsp;douleur. II faut encore que tous ses rem�des pr�par�s avec intelligence,nbsp;administr�s avec amour, soient tellement dispos�s qu�ils forment unnbsp;syst�me complet, sans d�faut et sans lacune. Eh hien, a Rome, et ^nbsp;Rome seule, entre toutes les cit�s, la gloire d�avoir r�alis� ce merveil-leux syst�me. Soyons-en fiers, nous autres enfants de cette m�re im-ntortelle; si l�arbre se connait a ses fruits, quelle preuve plus douce etnbsp;plus forte de la v�rit� d�une doctrine qui se traduit par de pareillesnbsp;�euvres ?
Nos r�flexions nous avalent conduits jusqu�au pont Saint-Ange. II ^tait temps de nous assurer par nous-m�mes que ce beau syst�me denbsp;��fiarit� n��tait pas un r�ve, mais une r�alit� vivante et palpable. Afinnbsp;de Ie suivre dans toutes ses ramifications, un lil conducteur nous �taitnbsp;u�cessaire. Le raisonnement suivant nous Ie mit a la main : troisnbsp;esp�ces de mis�res, relatives a la triple vie, composent 1�ins�parablenbsp;cort�ge de 1�homme dans la vall�e des larmes : les miamp;cres physiques,nbsp;c est la pauvret�, la maladie, la mort; les mis�res intellectuelles, c�estnbsp;^ ignorance et Terreur; les mis�res morales, ce sont les passions et
*^**^*^ catholique : M. Cerfbeer est isra�lite. �Inst. de Bienf. trad. par M. de
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leurs effets. Munis de cette carte routi�re de la douleur, nous com-inengames a suivre rhomme dans la voie lamentable qu�il parcourt depuis Ie berceau jusqu�a la tombe.
II nait, et quelquefois un arr�t de mort l�attend au seuil de la vie. La charit� romaine est accourue, et s�interposant entre la m�re homicide et la jeune victime, elle a trouv� Ie secret de sauver l�honneur denbsp;Tune et de pr�server les jours de l�autre. Nous voici pr�s de la portenbsp;Triomphale : sur ces lieux funestes o� Rome pa�enne faisait passernbsp;l�humanit� enchain�e au char de ses iriomphateurs, s��l�ve l�h�pitalnbsp;du Saint-Esprit ; c�est Ie plus ancien, et, avec ceux de Naples et denbsp;Milan, Ie plus beau de tous les palais batis aux malheureux. L�an dunbsp;Seigneur 1198, Innocent III occupait la chaire de saint Pierre. Gommenbsp;il se promenait un jour sur les bords du Tibre, on vint lui dire qu�unnbsp;p�cheur en retirant ses filets avail ramen� au lieu de poissons troisnbsp;petits enfants morts. L�excellent pape en fut tellement touch� qu�il fitnbsp;sur-le-champ �tablir pr�s de l�hospice du Saint-Esprit un tour mobile, doubl� d�un matelas, o� l�on put a toute heure du jour et de lanbsp;nuit d�poser les enfants abandonn�s. D�fense fut faite sous des peinesnbsp;s�v�res, non-seulemenl de s�enqu�rir du nom du d�posant, mais encore de Ie suivre de l�oeil lorsqu�il s��loignerait. Accueillis par la charit�, qui a des mains pour recevoir et qui ne doit pas avoir d�yeuxnbsp;pour regarder, ces enfants �laient nourris et �lev�s dans l�h�pital dunbsp;Saint-Esprit: tel fut Ie premier asile permanent et r�gulier, ouvert ennbsp;Europe aux jeunes victimes de la mort. A Paris, la premi�re maisonnbsp;d�enfants trouv�s fut celle de saint Vincent de Paul, en 1678; Londresnbsp;n�en poss�de une que depuis Ie si�cle dernier.
L�oeuvre d�Innocent III s�est perp�tu�e a travers les si�cles, et, grace a la charit� romaine, elle continue d��tre en �tat prosp�re. Parvenusnbsp;� l��ge de travailler, les jeunes gargons sont envoy�s a Viterbe dans unnbsp;asile appartenant au Saint-Esprit; la, ils apprennent un m�tier. A dix-sept ans, si personne ne les adopte, on leur donne une somme d�ar-gent repr�sentant leurs d�penses � l�hospice pendant une ann�e. Getnbsp;argent leur sert � se procurer les outils et les choses n�cessaires anbsp;l�exercice de leur profession; pouvant alors se sul�ire � eux-m�mes onnbsp;les cong�die (i). Les filles sont �galement 1�objet d�une sollicitude anbsp;laquelle rien n��chappe. Rendues a l�hospice, elles forment un grandnbsp;conservatoire d�environ six cents personnes. Sous la direction denbsp;pieuses maitresses, elles sont form�es � une verlu solide et instruites
(i) Conslanzi, etc., p. 66.
-ocr page 217-CHARITE ROMAINE POUR EE NO�VEAO-NE. 213
dans tons les ouvrages propres de leur sexe. Toute la lingerie de rimmense h�pital leur est confi�e. Les unes font des langes pour lesnbsp;enfants trouv�s, les autres plissent les rochets ou surplis ou brodentnbsp;en or et en soie. Un triple avenir leur est ouvert; la residence perp�-tuelle h l�hospice, Ie mariage et l��tat religieux. Dans Ie premier cas,nbsp;leur existence est assur�e. Dans Ie second, l�h�pital leur fait une dotnbsp;de 340 francs. Mais voyez la pr�voyance maternelle de la charit� ro-inaine! Cette dot doit �tre hypoth�qu�e par Ie mari sur une propri�t�nbsp;libre, afin que la fille de la Providence ne puisse jamais en �tre frus-tr�e. Enfin, si elle entre en religion, 1�hospice pourvoit encore it sesnbsp;besoins. Ce n�est pas tout; L�on XII, de glorieuse m�moire, a voulunbsp;que les jeunes orphelines adopt�es eussent droit a une dot payable parnbsp;l�h�pital, si elles venaient a se marier ou b faire profession dans unnbsp;couvent.
Tandis que nous b�nissions cette intelligente sollicitude. Pair content, Ie teint vermeil de tout ce peuple d�enfants, les superbes corps de batiments qu�il habite, tout r�v�lait b nos regards les soins mater-nels et les magnificences royales de la charit�. Cependant nous n�avionsnbsp;vu qu�une faible partie du grand h�pital. Bienl�t d�immenses sallesnbsp;s�ouvrirent devant nous; sup�rieurement pav�es, hautes, bien a�r�es,nbsp;elles sont la plupart orn�es de peintures consolantes qui rappellent lesnbsp;gu�risons op�r�es par Ie Sauveur. Plusieurs rangs de lits r�gnent denbsp;chaque c�t� : toutes ensemble, elles en comptent seize cent seize.nbsp;Chaque salie porte Ie nom du saint qui la prot�g� ou du pontife quinbsp;1 a fond�e ou embellie; la m�moire de Pie VU remplit ces lieux. Lenbsp;sentiment de ses propres douleurs ne fit point oublier au prisonniernbsp;de Fontainebleau les souffrances des pauvres malades. Par ses ordresnbsp;en a fait de notables am�liorations aux batiments; on a reconstruit desnbsp;bains, substitu� dans les salles les po�les aux r�chauds, ajout� une tr�s-belle salie d�op�rations, vaste, bien �clair�e, a�r�e, abondamment pour-'ne d�eaux, de tables de marbre, telle en un mot, dit M�' Morichini,nbsp;qu�au jugement des �lrangers m�me, avares de louanges pour tout cenbsp;fiui nous concerne, nul �tablissement en Europe n en poss�de une sinbsp;compl�te (j).
Les salles sont chauff�es en hiver avec des tuyaux qui partent de chaudi�res plac�es au centre; sur celles-ci de grands vases de cuivrenbsp;�tam� contiennent des d�coctions pectorales que Pon donne ii boirenbsp;aux malades quand ils en demandent. Quatre fois par joiir on appro-
(�! Instit. de Bienf., etc., p. 36.
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prie rh�pital : tousles mois on blanohit les pav�s; Ie linge serenou-velle quand les circonstances l�exigent, sans limites fis�es. D�s qu�un malelas est g�l� ou s�il y meurt quelqu�un, on Ie change a l�instant.nbsp;Au printemps, lorsque Ie nombre des malades est plus restreint, onnbsp;lave les lits, on vernisse les banquettes, on blanchit les murs. Afin denbsp;conserver la puret� de Fair, on �tablit des courants et Fon d�sinfec-tionne les salles avec des acides. Sous Ie pav� des salles, dans toutenbsp;leur longueur, un volume considerable d�eau coule dans un canal denbsp;pierre plac� en pente, qui regoit toutes les immondices et les emportenbsp;rapidement dans Ie Tibre par deux embouchures. �ant de soins sontnbsp;apporl�s h la proprel� de Fh�pital que les plus difiiciles doivent �trenbsp;satisfaits (i).
Les lits se composent de supports en fer, de planches verniss�es, d�une paillasse, d�un matelas, d�un chevet, d�un oreiller, de draps,nbsp;d�une couverture piqu�e pour F�l�, de deux autres couvertures denbsp;laines pour Fhiver. De deux en deux lits sont des tables de marbre,nbsp;scell�es dans les murailles, qui servent a poser les eboses n�cessairesnbsp;aux malades, et des lieux d�aisances; enlre chaque lit vous voyez denbsp;petites tablettes qui, au moyen de coulisses mobiles portant des signesnbsp;couvenus, indiquent a merveille F�tat et Ie traitement du malade :nbsp;dans Ie haut on met les signes qui marquent la nourriture qu�il doitnbsp;prendre; au bas, tous les autres; par exeinple, s�il doit recevoir Ienbsp;saint vialique, s�il a d�ja eu FExtr�me-Onclion, etc.
On distribue la nourriture de sept a neuf heures du matin, et de deux et demie iicinq heures et demie du soir, selon les saisons. Par unenbsp;de ces attentions d�licates dont la charit� chr�tienne est seule capable, trois fois la semaine on touche de Forgue pendant Ie repas desnbsp;malades. Le dinianche olFre bien un autre spectacle : vous verrieznbsp;arriver par toutes les rues qui du Trastevere ou du centre de la villenbsp;aboutissent au Saint-Esprit, de nombreuses confr�ries qui viennentnbsp;prodiguer aux malades leurs charilables services : celui-ci apporte desnbsp;confitures, un aulre fait les lits, un troisi�me coupe la barbe, doniienbsp;des boissons, etc. De tous ces soins qu�est-il rcsult�? Le chiffre a�'nbsp;nuel de la mortalit� est de 9, 10 sur 100; raortalit� bien faible dan�nbsp;un si vaste h�pilal, et qui fait it elle seule Ie plus bel �loge de F�ta-blissement (2).
(i) Instit, de^Bicnf., p. �9. � Pour compl�ter mes notes et mes souvenirs, en parlant de la charilc romaine, j�ai souvent recours aux ouvrages de Mer Morichini et de 1�abbonbsp;Conslanzi; le premier a �l� traduit par M. do Bazelaire, qui i�a enriclii d�une retnarnbsp;quable inlroduclion; 1�aulre n�cxistc qu�en italien.
(3) Instit. de Bienf., 46.
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Voila pour Ie corps; mais l�^me! Fame trop souvent n�glig�e dans les hospices des autres nations, Rome en connait Ie prix, et Fentourenbsp;de soins admirables. Douze aum�niers habitent Fh�pital; nuit et journbsp;au service des malades, ils c�l�brent la messe tous les matins dans lesnbsp;dilF�rentes salles, administrent les Sacrements, assistent les mourants.nbsp;De plus, afin de procurer aux malades toules les facilit�s de satisfairenbsp;a leur devoir, chaque ordre religieux r�sidant a Rome doit, suivantnbsp;les prescriptions de Cl�ment IX, envoyer, une fois par mois, deux denbsp;ses membres pour entendre les confessions : leur s�jour doit �tre denbsp;cinq heures au moins. Plusieurs fois par jour un pr�tre traverse lesnbsp;salles, et, s�arr�tant au milieu de chacune, il suggcre a haute voix unenbsp;bonne pens�e, une sainte maxime capable de consoler les malades ounbsp;de les porter au regret de leurs fautes. Comme on retjoit au Samt-Esprit toutes sorles de personnes sans distinction de religion, beau-coup de pr�tres, tant s�culiers que r�guliers, y viennent volontaire-l�ent soit pour ramener a la foi calholique celles qui malheureusementnbsp;ne la professent pas, soit pour confesser, instruire, consoler les malades, De pieux la�ques y viennent aussi, surtout Ie dimanche, exercernbsp;les diff�rentes oeuvres de la mis�ricorde spiriluelle (i). En parcourantnbsp;ces vastes salles, on croit voir sur chaque porte, auprcs de chaquenbsp;couche douloureuse, saint Camille de Lellis, eet illustre habitu� denbsp;Fh�pital du Saint-Esprit, qui pendant plusieurs ann�es passa les nuilsnbsp;ct les jours au chevet des mourants. Je ne dirai rien autre chose de luinbsp;CQ ce moment : nous Ie retrouverons plus tard.
Si Ie malade succombe, on Ie laisse pendant deux heures dans son PPopre lit; puis on Ie transporte dans la chambremortuaire,o� il restenbsp;vingt-quatre heures. Un cordon attach� a sa main r�pond h une son-^oile plac�e dans la chambre, o� se tient nuit et jour un surveillant.nbsp;Si Ie malade n�avait �t� frapp� que de l�thargie, on en serail averti aunbsp;caoindre mouvement qu�il ferait en reprenant ses sens. Chaque soir,nbsp;^pr�sF^ue, Maria, une pieuse association de la�ques se r�unit au lieunbsp;ofi sont d�pos�s les morts; iis les placentsur un char couvert, et, tenantnbsp;des torches a la main, les conduisent au cimeti�re du Janicule. Riennbsp;� est plus touchantquelecort�ge de ces charitables fr�res, qui viennentnbsp;quelquefois des quartiers les plus �loign�s de la cit�, malgr� les pluiesnbsp;Ou Ie froid de Fhiver. Lorsqu�il n�y a pas de morts a ensevelir, ce quinbsp;arrive souvent, ils vont de m�me au cimeti�re r�citer des pri�res surnbsp;lestombeaux.Si Ie malade gu�rit, nous verrons plus tard ce qu�il devient.
(lt;) Constanzi, p. amp;i-6S.
-ocr page 220-:216 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
Pour entretenir l�esprit de charit� qui produit les merveilleux effets que nous venons de voir, on s�occupe avec soin du nombreux personnelnbsp;attaeh� al�h�pital. Aux approches des principales f�tes, toutela familienbsp;(numerosissima famiglia), r�unie dans la chapelle, y revolt des instructions pour se disposer ^ la fr�quentation des sacrements, Ie journbsp;de la solennit�. Pendant Ie car�me, tous font une retraite pr�paratoire � la communion pascale (i). Rome, qu�on accuse dene rien faire,nbsp;voil^ pourtant ce que vous faites; ce que vous faites depuis des si�cles,nbsp;sans ostentation et sans brult! Tel est Ie respect que vous professeznbsp;pour les membres souffrants de J�sus-Christ; telle la charit� mater-nelle dont vous environnez leur lit de douleur. Parmi toutes les cil�snbsp;du monde chr�tlen, en est-il beaucoup, en est-il une seule qui puissenbsp;se flatter de surpasser ou d��galer sa m�re?
30 JANVIER.
Charit� romaine pour Ie nouveau-n� et 1�orphelin. � H�pital Saint-Roch-in-iJi'petta. � Sainte-Marie-m-� Les enfants du Lettr�.
La beaut� du ciel, les impressions de la veille, les commentaires du soir surnotre visite au Saint-Esprit, tout nous invitait a continuer notrenbsp;voyage sur les pas de la charit� romaine. Hier nous �tions rest�s aunbsp;seuil de la vie, pr�s du berceau de l�enfant arrach� par elle aux horreurs d�une mort pr�matur�e. Ce n�est que par exception, et pour nenbsp;pas y revenir, que nous avions visit� 1�hopital du Saint-Esprit, ce vastenbsp;caravans�rail de toutes les infirmit�s humaines. Aujourd�hui nous re-primes notre p�lerinage au point o� nous l�avions laiss�. Sauver l�en-fant et couvrlr l�honneur de sa coupable m�re, tel est, avions-nousnbsp;dit, Ie premier bienfait de la charit� romaine. Comment l�enfant estnbsp;sauv�, nous Ie savons; il nous reste � voir par quel moyen la r�puta-tion de la femme est prot�g�e.
Dans ses Theories de bienfaisance puhllque, M. de G�rando �cri' vait ; � La maison d�accouchement sera situ�e dans un lieu �cart�; l6�nbsp;personnes qui y seront admises seront libres de ne d�clarer ni leu^nbsp;nom ni leur domicile; Ie registre des d�clarations sera tenu secretnbsp;dans tous les cas; les employ�s et les serviteurs de l��tablissement senbsp;feront un devoir de respecter ce secret; les �trangers ne seront pointnbsp;admis dans les salles (2)... � Ces pr�cautions d�licates que la philan-
(lt;) Constanzi, 63.
(a) T. IV, p. 375.
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thropie r�vait parmi nous pour sauver l�honneur des families, et sur-tout pour �viter 1�infanticide, Rome les a prises depuis longtemps. Nous les trouvames, adoucies encore par la charit�, dans VHospicenbsp;de Saint-Roch. En suivantla rive du Tibre appel�e Ripetta, nousar-riv�mes bient�l � ce nouveau monument de la charit�. Dans les ann�esnbsp;du jubil�, Rome voit toujours naitre quelque belle oeuvre de pi�t�.nbsp;En 1500, la confr�rie de Saint-Roch d�dia une �glise a son saint pro-tecteur et un h�pital de cinquante lits pour toutes sortes de pauvresnbsp;malades. En 1770, un Bref de Cl�ment XIV ordonna qu�il recevraitnbsp;seulement les femmes enceintes, comme cela se fait aujourd�hui.
Nul local ne pouvait mieux convenir a une pareille destination. La porte de sortie ne donne pas sur la voie publique, mais dans un vestibule qui adeux issues, dont une sur une petite place inhabit�e, o� abou-tissent plusieurs rues d�sertes. Toutes les femmes pr�s d�accouchernbsp;u�ont qu�a se pr�senter a la prieu�e pour �tre regues et entretenuesnbsp;aux frais de l�hospice pendant leur grossesse et huit jours encore apr�snbsp;leur d�livrance. On ne leur demande ni leur nom, ni leur condition,nbsp;ni aucun renseignement capable de les trahir. La charit� romaine vanbsp;plus loin; elle les autorise a se voiler Ie visage, pour n��tre recon-nues de personne. Si Tune d�elles vient a mourir, son nom n�est pasnbsp;inscrit sur les registres; on ne les distingue les unes des autres quenbsp;par des num�ros d�ordre. Les femmes qui ne pourraient laisser aper-cevoir leur �tat sans trahir leur coupable faiblesse sont admises longtemps avant leurs couches : on sauve ainsi l�honneur des families etnbsp;1�on �vite les infanticides. Comme si tant de pr�cautions ne suffisaientnbsp;pas, l�h�pital est exempt de toute juridiction criminelle et eccl�sias-^ique; l�entr�e en est d�fendue non-seulement aux hommes, mais auxnbsp;femmes m�mes, parentes ou autres, quel que soit leur rang. Le m�-*fecin, le chirurgien, l�aum�nier, les matrones et les femmes de servicenbsp;y ont seuls acc�s. Ainsi les depositate qui l�habitent sont s�res denbsp;���tre point to�rment�es et de ne recevoir aucune visite indiscr�tenbsp;pendant le s�jour qu�elles y font.
A peine n�s, les enfants sont port�s avec grand soin amp; l�hospice du Saint-Esprit; les m�res qui sont dans l�intention de les reprendre,nbsp;leur laissent un signe quelconque pour les reconnaitre. Cette pr�cau-tion est n�cessaire, paree que, en cas de naissance ill�gitime ou d�ex-tr�me pauvret�, on ne pourrait confier les enfants ii leurs m�res res-pectives; et plut�t que de faire des questions aux femmes en couchesnbsp;ot de rompre le beau secret, ame de eet �tablissement, on a adopt�nbsp;une r�gie g�n�rale, utile aux femmes qui ne pourraient sans honte re-
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tenir pr�s d�elles leurs enlants, tout en laissant aus autres la facilit� de les reprendre a leur sortie de Saint-Roch.
L�h�pital se compose d�une vaste salie et d�autres plus petites r�-cemment bdties. L�une d�elles est destin�e aux accouchements et aux op�rations. Le nombre des lits est de vingt et peut s�accroitre au be-soin; chaque lit a ses rideaux et un paravent qui le s�pare des autres.
La ville qui aurait pris toutes ces pr�cautions pour sauver l�hon-neur de la femme coupable, croirait saus doute avoir accompli toute justice. Rome en juge autrement; tant de soins d�licats ne lui sem-blent que la moiti� de sa t�che ; pr�venir le retour du mal, en gu�-rissant le coeur qui en est le principe, tel est le grand objet de sanbsp;charit�. Et voili que toutes ces Madeleines sont doucement soumisesnbsp;a un r�glement de vie, calcul� de mani�re a les faire revenir de leursnbsp;erreurs. Chaque jour elles assistent au saint sacrifice de la Messe, re-foivent les instructions de la prieure et de l�aum�nier, font diff�rentsnbsp;exercices de pi�t�, se purifient dans le sacrement de p�nitence; et, sinbsp;leur �tat le permet, se fortifient en buvant le sang divin qui fait ger-mer la virginlt� ou �teint la fi�vre br�lante des passions.
Croirait-on qu�il est des hommes qu�un pareil refuge a scandalises? Les philanthropes mat�rialistes l�ont vivement blam� comme coupablenbsp;� leurs yeux d�exciter aux manages imprudents, d�arr�ter l�effet denbsp;la contrainte morale et de seconder l�accroissement d�mesur� de lanbsp;population, etc. Nous nous contenterons de leur r�pondre avec unnbsp;�conomiste chr�tien : � La charit� ne peut jamais sacrifier amp; des �ven-tualit�s �loign�es le soulagement d�une n�cessil� imm�diate et urgente, telle que la conservation d�une m�re et de son nouveau-n�.nbsp;Un exc�s de population est sans doute un grand malheur pour la so-ci�t�; mais le refus de secours dans une circonstance semblable, seraitnbsp;une grave infraction aux lois de la religion et de la charit� chr�tieU'nbsp;nes : entre ces deux extr�mes, il n�est pas permis d�h�siter. La loinbsp;d�humanit� est au-dessus de la loi �conomique (i). �
Nous venions de voir comment la charit� romaine sauve la vie de l�enfant nouveau-n� et prot�g� l�honneur de sa m�re : c��tait la pre-mi�re station de notre p�lerinage ; la seconde fut encore aupr�s d�unnbsp;berceau. L�enfant abandonn� n�est pas seul malheureux. Combie�nbsp;d�autres qui, orphelins d�s le bas-dge, ou n�s de parents pauvres, res-tent sans appui, sans pain, sans abri d�s leur entr�e dans la vie! Roto�nbsp;les adopte tous; et dans cette adoption la m�re des peuples montre
(i) M. (le Villeneuve Bargem. du Paup�r., l. lu, p. 34.
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une tendresse et une intelligence mille fois plus int�ressante a con-naitre que tons ses monuments antiques ou ses chefs-d�ceuvre mo-dernes. Les orphelins sont divis�s en plusieurs categories, suivanl leur aptitude. Les uns s�appliqueront aux sciences, les autres cultive-ront les arts, ceux-la apprendront des m�tiers. Plus d�une fois l��lin-celle du g�nie brilla sous les haillons de la mis�re. Si done son jeunenbsp;pupille annonce d�heureuses dispositions a l��tude, Rome 1�envoie anbsp;1�hospice de Sainte-Marie-iw-.df/inVo ; nous nousy rendimes avec lui.nbsp;Get asile pour les orphelins fut �tabli, en 1540, sur les instances denbsp;Saint Ignace de Loyola. En 1591, Ie charitable cardinal Salviati en re-nouvela les bailments et fonda un coll�ge appel� de son nom. II availnbsp;Femarqu� que, parmi les pauvres enfants deslin�s aux arts et m�tiers,nbsp;il y en avail que la nature avail dou�s de talents et d�aptitude auxnbsp;Iravaux litt�raires; il voulut done que de leur refuge ils passassent aunbsp;Coll�ge, pourvu qu�ils fussent �g�s de douze ans, et eussent v�cu pendant trois ans au moins dans leur premier asile. Le pape L�on XII ennbsp;a conli� la direction aux p�res Sommasques, il ne pouvait la remettrenbsp;� des mains plus habiles. Les conditions voulues pour �tre admis,nbsp;sont d��lre Remain, priv� au moins de sou p�re, ag� de plus de septnbsp;ans et de moins de dix ans. A dix-huit ans accomplis, les �l�ves sor-tent du coll�ge ; on en compte aujourd�hui cinquante. On est charm�nbsp;de voir tous ces visages frais et vermeils se dessiner sur la soutanenbsp;blanche, uniforme oblig� de la maison, et de remarquer la gait� vivenbsp;qui r�gne parmi ces enfants condamn�s a ne connaitre que la douleur.nbsp;Vous trouvez en entrant une belle pi�ce orn�e des inscriptions et desnbsp;portraits des bienfaiteurs. Dans cette m�me salie, il est permis, unenbsp;fois la semaine, aux m�res de venir voir leurs fils, afin de conservernbsp;les liens de l�amour filial et maternel.
11 semblera peut-�tre i quelques personnes que le but o� tendent oes orphelins est Irop �lev�, leur �ducation et leur traitement tropnbsp;�oign�s, pour des jeunes gens que l�on pr�sume �tre pauvres; mais ilnbsp;faut consid�rer que, dans une vaste cit� telle que Rome, des enfantsnbsp;'iennent souvent h perdre leur p�re, qui, avec les travaux honorablesnbsp;quelque profession, soutenait convenablement sa familie. Ges pau-Fres enfants, �lev�s dans des habitudes d�licates et d�ja livr�s aux �tudes, trouvent d�s lors dans la maison de Sainte-Marie un asile en har-�onie avec leur destination. Comme les positions sodales sontnbsp;diff�rentes, il est digne d�une intelligente charit� d�offrir au malheurnbsp;des abris diff�rents et des moyens vari�s d�existence (i). Demain nous
(') Morich., p. 101.
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220 LES TROIS ROME.
continuerons ^ suivre Rome dans l�accomplissement de celte t�che maternelle.
51 JANVIER.
Bapt�me de M. Ratisbonne. � Continuation de la visite de Rome chr�tienne. � Charit� romaine pour Vorphelin. � Hospice apostolique de Saint-Michel. � Son origine.�nbsp;Ses quatre families. � Son organisation.
Avanl de reprendre notre itin�raire, nous assistames a une c�r�monie, je dirais volontiers a un �v�nement dont Ie souvenir ne s�effacera jamais de notre m�moire : M. Ratisbonne devait aujourd�hui recevoirnbsp;Ie bapt�me. Dix jours seulement s��taient �coul�s depuis sa conversion, mais Ie miraculeux n�ophyte �rat# tout coinpris, et I�iHustrenbsp;cardinal Mezzoffanli, charg� de Texamen des cat�chum�nes, ne pou-vait qu�admirer l�abondance de lumi�res que Ie Dieu des mis�ricordesnbsp;avail tout k coup r�pandues dans cette ame privil�gi�e. A huit heures,nbsp;nous �tions au Ges�. D�ji l��glise �tait remplie d�une foule pieusenbsp;avide de contempler Ie jeune Isra�lite, que Marie avail conduit de sanbsp;main pleine de graces jusqu�au pied de la croix : Ia soci�t� frangaisenbsp;oecupait Ie premier rang, et une pi�t� sympathique dominait toutenbsp;rassembl�e. M. Ratisbonne, accompagn� du p�re de Villefort et denbsp;M. de Bussi�res son parrain, se tenait au bas de l��glise : suivant l�an-tique usage, il portait Ie v�lement blanc des cat�chum�nes.
Bient�t Ie cardinal Patrizi, vicaire de sa Saintet�, rev�tu de ses or-nements poniificaux, descendit de la chapelle de Saint-Ignace et vint commencer en face du n�opbyte les pri�res et les c�r�monies d�usage ;nbsp;nous Ie suivimes. Les exorcismes et les onctions myst�rieuses qui pr�paren! riiorame a l�initialion chr�tienne �taient accomplis. Tout anbsp;coup une �preuve inattendue est demand�e au jeune Isra�lite. Na-gu�re encore il avail, comme Saul, blasph�m� Ie nom de J�sus denbsp;Nazareth et sa doctrine; il �tait juste qu�il expi�t cette faute par unnbsp;acte public de repentir et d�humilit� ; � Baisez la terre, 5� lui dit 1�nbsp;cardinal; et aussit�t sans trouble, comme sans h�sitation, il baise Ianbsp;terre! prouvant k cette foule qui Ie contemple, qu�il est vraimenlnbsp;Chr�tien, puisque sa jeunesse a d�ja devin� que l�humilit� est la seulenbsp;porte qui conduise a la v�rit� et au salut. �loquente legon pour nousnbsp;tous qui oublions trop souvent que J�sus, notre maitre, �tait doux elnbsp;humble de coeur (i).
(i) L�Enfant de Marie, par M. de Bussi�res, p. 59.
221
BAPT�ME DE M. RATISBONNE.
Plus de doutes; l�esprit du Sauveur est avec Ie n�ophyte, el Ie cardinal ram�ne comme en triomphe, a la chapelle de Saint-Ignace, cetle brebis ch�rie qu�il vient d�arracber a Satan. Comment vous dire tousnbsp;les sentiments divers qui agitaient alors l�assembl�e? Quel spectacle!nbsp;M. de Bussi�res, protestant converti, conduisant un juif au giron denbsp;l��glise catholiquel et quel juif! un jeune France de 28 ans, dansnbsp;toute la pl�nitude desa force, de sa raison et de son ind�pendance; hiernbsp;encore impie, frondeur, blaspli�mateur, et aujourd�hui doux commenbsp;un agneau, se laissant faire tout ce qu�on veut! Son visage remarqua-ble par un heureux m�lange de fermet� et de douceur, sa longue barbenbsp;noire, sa d�marche, son costume, tout en lui reportait la pens�e aunbsp;temps de la primitive �glise ; on e�t dit un de ces chr�tiens des ca-tacombes qui esp�raient Ie martyre (i). Voila ce que nous vimes. Quenbsp;tous nos jeunes compatriotes n�ont-ils pu jouir du m�me spectacle!nbsp;Quand Ie Pontife demanda au cat�chum�ne : � Quel est votre nom?nbsp;� Marie, � r�pondit-il avec un �lan de reconnaissance et d�amour quinbsp;nous fit tressaillir. La r�ception du bapt�me et de la Confirmation futnbsp;suivie d�une chaleureuse improvisation de M. 1 abb� Dupanloup, etnbsp;Ie saint Sacrifice commen^a. Au moment solennel de la communion,nbsp;M. Ratisbonne se trouva tellement an�anti qu�il fallul Ie soutenir pournbsp;approcher de la table sainte^ Ce n�est qu�avec Ie secours de M. de Bussi�res qu�il put se relever apr�s avoir re^u Ie pain des anges. Un torrent de larmes inondait son visage; il succombait sous Ie poids de l��-moiion.
Avec quel enthousiasme toute l�assembl�e chanta Ie Te Deum, que les anges redirent au ciel dans d�ineffables transports; car il est �crit:nbsp;� Qu�il y a plus de joie dans la sainte J�rusalem pour la conversionnbsp;d�un seul p�cheur que pour la pers�v�rance de quatre-vingt-dix-neufnbsp;justes. � Heureux du bonheur de l��glise, heureux du honheur denbsp;notre nouveau fr�re, nous reprimes la visite de Rome chr�tienne.
Si l�orphelin montre du go�t et de l�aptitude pour les arts lib�raux, Ie grand hospice de Saint-Michel lui pr�sente tous les moyens de four-nir une noble carri�re. �raversantrapidement la ville et Ie Tibre, nousnbsp;arriv�mes de bonne heure a Ripa grande, o� se trouve Ie nouveaunbsp;th�fttre de la charit� romaine. Avant d�y entrer, il est agr�able d�ennbsp;connaitre l�origine. On verra que les oeuvres de Dieu ont presquenbsp;toujours de hien faibles commencements : Ie z�le souvent d�sol� peutnbsp;trouver dans cette remarque un encouragement et une consolation.
(1) VEnfant de Marie, par M. de Bussi�res, p. 10. T. il.
-ocr page 226-LES TROIS ROME.
Au seizi�me si�de vivait � Rome un pieux chr�tien, nomm� Jean-L�onard Ceruso. Touch� de compassion pour les pauvres enfants abandonn�s que Ie rigoureux hiver de 1581 avail rendus fort nom-breux, il les recueillit dans une ch��ve maison de la rue des Ban-quiers, pr�s du palais Chigi. Cel homme avail autrefois enseign� lanbsp;grammaire, el comme 11 pronongail souvenl quelques paroles latines,nbsp;on l�avail nomm� par plaisanterie Ie Lettr�, nom qui ful donn� i sesnbsp;enfants et qu�ils portent encore. II employait ses �l�ves � nettoyer lesnbsp;rues, moyennant une petite r�tribution des marchands. Lui-m�me al-lait par la ville avec un habit bleu venant h mi-jarabe, un gros chape-let au cou, t�te et pieds nus, avec un mainlien si modeste que saintnbsp;Camille de Lellis Ie nommait Ie Pr�dicateur muet. Apr�s sa mort, sonnbsp;petit �tablissement fut incorpor� � l�hospice deSaint-Michel. Cenou-vel asile dut son origine � Thomas Odelcaschi, neveu du pape Innocent XI. Allant un jour a Sainte-Galle o� son parent Marc Antonionbsp;logeait les pauvres pendant la nuit, il s�aper^ut qu�on y admellaitnbsp;souvent des jeunes gens, fugitifs pour la plupart de la maison pater-nelle, et dont personne ne prenait soin. II pensa que ces enfantsnbsp;�taient mal plac�s dans des dortoirs communs, et les r�unit dans unenbsp;maison de la place Margana, o� il les occupa aux gros travaux de lanbsp;laine. Ils �taient alors une trentaine, et bient�t ils arriv�rent au nom-bre de soixante. Odelcaschi s�attacha tellement � ces pauvres enfants qu�il leur acheta en 1686, sur la grande rive du Tibre, un beaunbsp;terrain sur lequel il fit �lever un hospice.
Grace au z�le intelligent et toujours soutenu des souverains Pontifes auxquels la propri�t� de l�hospice fut c�d�e en 1691, Saint-Michel estnbsp;parvenu � ce degr� de grandeur et de prosp�rit� qu�on admire aujour-d�hui. La longeur de l��difice est de 334 m�tres, la largeur de 80 m�tres,nbsp;Ie pourtour de 830 m�tres, c�est-a-dire plus d�un demi-mille. La plusnbsp;grande hauteur est de 23 m�tres; enfin, remplacement a 26,720 m�tres.nbsp;Au dire des �trangers, nul �tablissement en Europe ne peut �lre com-par� a Saint-Michel pour la commodit� et la magnificence.
Conduits par deux excellents pr�tres habitu�s a venir exercer leur charitable z�le sur ce grand th��tre, nous Ie visit�mes dans toutes sesnbsp;parties. Pour ne pas y revenir, j�en donnerai la description compl�te,nbsp;comme je Tai faite pour Ie Sainl-Esprit. L�hospice de Saint-Michelnbsp;embrasse quatre grandes families enti�reraent s�par�es, celles des vieil-lards de l�un et de l�autre sexe, celles des jeunes gardens et des jeunesnbsp;filles. Les vieillards doivent �tre remains ou domicili�s � Rome depuisnbsp;cinq ans; on ne re^oit point ceux qui auraient des maladies incurables
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OU contagieuses. Ils se divisent en deux classes : la premi�re se compose de ceux qui, ayant encore une sant� sulBsante, sont employ�s aux tra-vaux de la cuisine, de la d�pense, du r�fectoire; ils sont portiers, sur-veillants ou gardiens et travaillent dans les ateliers des jeunes gens;nbsp;les autres, d�un age plus avanc� et d�une sant� chancelante, sont dispens�s de tout ouvrage. Les premiers occupent un grand dortoir ditnbsp;de Saint-Sixte; les seconds une salie nomm�e rinlirmerie-basse, d�o�nbsp;sans monter un seul degr� ils vont au r�fectoire et a F�glise. Un prieur,nbsp;pr�tre, dirige cette communaut�, aujourd�hui compos�e de 120 indi-vidus, dont 100 entretenus gratuitement, 20 au moyen d�une l�g�renbsp;r�tribution. II est permis aux vieillards de sortir a certaines heures,nbsp;et ceux que leur sant� emp�cherait de Ie faire, ont un corridor int�rieur couvert o� ils peuvent se promener.
Les vieilles femmes sont au nombre de quatre-vingt-dix, et en y joignant trente jeunes lilies de service, on a une communaut� de centnbsp;vingt personnes. Leur occupation est de faire des bas, de coudre lesnbsp;v�tements neufs et de raccommoder les anciens. Les jeunes filles an-nex�es a cette communaut� comme filles de service, soignent la lingerie des vieillards, des femmes et des jeunes gens; elles servent la salienbsp;des invalides, rinfirmei�ie, Ie r�fectoire commun et la cuisine des ma-lades. La communaut� est pr�sid�e par une prieure, choisie parmi lesnbsp;habitantes m�mes de 1�hospice, et renouvel�e tous les trois ans. Lenbsp;pr�tre, prieur du Conservatoire, Test aussi de cette communaut� (i).
Nous avions parcouru avec un vif int�r�t le grand corps de b�timent qui sert d�asile aux premi�res families de Sainl-Michel ; l�ordre, lanbsp;propret�. Fair heureux de ces pauvres vieillards faisaient F�loge de lanbsp;discipline �tablie par iVU'� Tosti. Mais Fobjet principal de notre visite,nbsp;o��taient les jeunes orphelins; nous avions h�ie de visiter leur de-tneure. Un grand souvenir, un nom b�ni vous revient d�s que vousnbsp;meitez le pied sur le seuil de eet asile ; Innocent XII apparait ici en-'ironn� de Faur�ole immortelle de la chhrit�. L�excellent Pontife,nbsp;dont les lib�ralit�s contribu�rent si puissamment a la magnificence denbsp;1 hospice apostolique, aimait tant ces jeunes orphelins qu�il leurnbsp;donnait le doux nom de fils, et qu�il vint les visiter au moins soixante-quatre fois. En m�moire de cette affectueuse bont�, les �l�ves c�l�brentnbsp;chaque ann�e pour F�me du Pontife un service solennel au jour anni-versaire de sa mort, et redisent ses louanges. L�hospice compte. deuxnbsp;cents jeunes gens divis�s en six chambr�es, qui prennent le nom de
(0 Horichini, p. 109; Constanzi, p. 104,103.
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LES TROIS HOME.
leurs saints protecteurs : Saint-Michel, Saint-Frangois-Xavier, Saint-Philippe, Saint-Pierre et Saint-Paul, Saint-Charles, Saint-Innocent. Chaque chambr�e a un pr�fet, clerc ou pr�tre, et deux sous-pr�fets,nbsp;nomm�s d�curions, choisis parmi les �l�ves les plus sages et les plusnbsp;raisonnables. Un pr�tre recteur surveille la discipline int�rieure de lanbsp;communaut�. Le v�tement int�rieur et de travail est de drap en biver,nbsp;et en �t� d�un tissu de lil et de coton nomm� regatino : quand ils sor-tent, ils ont une soutane de drap noir. Pour entretenir les affectionsnbsp;de familie, il est permis aux �l�ves d�aller quelquefois diner cbez leursnbsp;parents.
Dans l�asile des vieillards r�gne le calme; la causerie, un travail tranquille et les exercices religieux remplissent la journ�e. Ici, au contraire, c�est l�activit� et le mouvement, fervet opus. Dans les superbesnbsp;salles destin�es au travail, vous voyez tous les jeunes orpbelins appli-qu�s a l��tude des arts m�caniques ou des arts lib�raux. On traversenbsp;successivement des ateliers d�imprimeurs, relieurs, tailleurs, cordon-niers, cbapeliers, lainiers, teinluriers, selliers, �b�nistes, serruriers etnbsp;quincailliers. Pour les beaux-arts, nous vimes la fabrique des tapis ennbsp;figures OU ornements, la seule de toute l�Italie; la gravure sur bois,nbsp;Fornementation, la peinture, la sculpture, la gravure sur cuivre, ca-m�es et m�dailles. D�excellents maitres dirigent les travaux, et rien nenbsp;manque au perfectionnement de chacun de ces arts. Non-seulementnbsp;Fenseignement ordinaire des �coles, mais des legons de chimie, denbsp;m�canique, de g�om�trie appliqu�e; la niusique et les sciences litt�-raires font partie de cette lib�rale �ducation. Comme nous Favons vu,nbsp;les beaux-arts en sont Fobjet principal, et Saint-Micbel compte dansnbsp;la soci�t� bon nombre d�artistes que leur talent et leur conduite ontnbsp;distingu�s : il nous sulBra de citer nos deux meilleurs graveurs,nbsp;MM. Mercurii et Calamata, dont les oeuvres, envoy�es par eux a leurnbsp;maison nourrici�re, ornenl un des salons de Fbospice o� ils furent �le-v�s (i). En r�sum�, Saint-Michel est une veritable �cole polytechnique,nbsp;un vrai conservatoire d�arts et m�tiers, ouvert par le g�nie des papeSnbsp;un si�cle avant qu�en poss�dassent les nations les plus �clair�es denbsp;FEurope (2).
Que dire du contentement qui r�gne dans cette maison et de la pS' ternelle discipline qui en est la source? Le voyageur est d�licleuse-ment �mu a la vue de ces enfants maniant avec grace le ciseau ou lenbsp;burin, se levant a son approche, et laissanl briber sur leurs physio-
(0 M. de Bazelaire, Pr�f., p. ixx.
(i) llorich., p. 'Ui.
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HOSPICE APOSTOLIQUE DE SAINT-HICHEL.
noraies ouvertes la timide raodeslie du jeune artiste jointe a la \ivacit6 italienne. II est vrai que tout contribue a leur faire retrouver a Saint-Michel la familie qu�ils ont perdue. Des f�tes innocentes \iennent denbsp;temps en temps couper la monotonie de leur existence laborieuse.nbsp;Chaque ann�e l��cole de musique vocale divertit la maison pendant Ienbsp;carnaval, en donnant des representations dramatiques, auxquellesnbsp;m�me les privil�gi�s du dehors sont admis.
La quatri�me familie de l�hospice apostolique n�est pas moins int�ressante. Deux cent quarante jeunes lilies, plac�es dans neuf vastes pi�ces OU dortoirs, s�exercent assid�ment aux travaux propres de leurnbsp;sexe. Chaque salie est sous la surveillance d�une des anciennes. Lanbsp;prieure et la sous-prieure sont choisies tous les trois ans parmi lesnbsp;plus avanc�es et les plus sages. Le silence r�gnait quand nous entra-mes; tous les yeux �taient fix�s sur l�ouvrage. Aux paroles du pr�trenbsp;qui nous accompagnait, les t�tes se relev�rent; et sur tous ces frontsnbsp;�panouis vous auriez vu hriller la gait� d�enfants innocentes et rieuses,nbsp;sans remords et sans pr�occupation. Tout ce qui peut former des per-sonnes vraiment chr�tiennes et de bonnes femmes de m�nage, entrenbsp;dans le plan de leur �ducation. Outre la religion qu�on leur enseignenbsp;surtout en la faisant aimer et pratiquer, on leur donne des lemons denbsp;lecture, d��criture, d�arithm�tique, de musique m�me et d�ouvrages anbsp;l�aiguille; ce qui facilite leur entr�e dans les monast�res et sert a em-bellir les c�r�monies de la chapelle particuli�re du conservatoire. Lenbsp;soin de la cuisine et du blanchissage de. la communautc les pr�parenbsp;utilement aux travaux du m�nage. Elles fabriquent en outre tous lesnbsp;ornements d�uniforme des troupes pontiiicales, et on leur abandonne,nbsp;comme encouragement, la moiti� du b�n�lice. Quelques-unes travail-lent la soie, la toile, les rubans, soit pour Tusage de Thospice, soitnbsp;pour des n�gociants. Libres de rosier toujours dans l�asile qui lesnbsp;nourrit, on ne les cong�die que pour les marier ou les faire religieuses.nbsp;C�archiconfr�rie de l�Annonciation donne par an cent �cus rornainsnbsp;qui leur servent de dot.
Quant aux secours spirituals, ils sont r�guliers et abundants. L�hospice forme paroisse : les quatre families entendent la messe le matin, r�citent le rosaire et accomplissent d�autres exercices de pi�t�. Le cur�nbsp;et le vicaire sont aid�s dans l�audilion des confessions par deux pr�tresnbsp;pour les jeunes gens, deux pour les jeunes lilies, un pour les vieillards,nbsp;et d autres encore qu�y appelle spontan�ment le z�le du salut desnbsp;^les. Les dimanches, les gargons et les lilies r�citent l�ol�ice; lesnbsp;�vieillards ont le saint exercice de la bonne mort, et dans le courant de
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1�ann�e toute la maison faitune retraite spirituelle suivant la m�thode de saint Ignace.
ler F�YRIER.
Visite au cardinal Mai. � Origine de Ia fable de la papesse Jeanne. � Charit� romaine pour 1�orphelin (suilc). � Hospice de Sainte-Marie-des-Angcs. � Ilospice du Tala-Giovanni.
La nuit �tait venue nous surprendre a Saint-Michel; mais nous ne quitldmes l�int�ressant hospice qu�en nous promettant d�y revenir : ilnbsp;nous restait a visiter la prison p�nitentiaire. Aujourd�hui I�ordre lo-gique de nos �tudes nous appelait sur un point oppos� de Rome, lanbsp;place de Termini. Avant le d�part, je fus pr�sent� a Fun des membresnbsp;les plus illustres du sacr� Coll�ge, le cardinal Angelo Mai. Savant dunbsp;premier ordre, le cardinal Mai s'est plac� hors ligne par ses travauxnbsp;sur les manuscrits de la Vaticane. Les ouvrages in�dits, chretiens etnbsp;profanes, qu�il a d�chiffr�s et publi�s, ferment d�ja dix volumes grandnbsp;in-4� de plus de mille pages (i). II sufflt d�ouvrir cette collection pournbsp;�tre stup�fait, en voyant combien il a fallu de patience, d��rudition etnbsp;de science de tout genre pour ex�cuter un pared travail. Si on admirenbsp;le courage du cardinal, on b�nit le pontife g�n�reux qui a fait impri-mer Fouvrage aux frais de la Chambre apostolique; c�est pour lesnbsp;souv�rains un exemple d�autant plus noble que le Saint-P�re n�est pasnbsp;riche. Apr�s une assez longue conversation dans laquelle il se montranbsp;plein d�affabilit�, Fillustre cardinal me fit visiter lui-m�me sa biblio-Ih�que, une des plus riches et des mieux compos�es sans contredit denbsp;toutes les biblioth�ques particuli�res de FEurope.
Je mis la main sur un volume de la Nova collectio : � Ah! me dit son �minence, vous tenez les Questions de Photius d AmpMloque,nbsp;c�est un des plus curieux ouvrages que j�aie retrouv�. � Puis, prenantnbsp;lui-m�me le volume, il me fit lire diff�rents passages o� le schisma-tique Photius parle en termes tr�s-honorables des Pontifes remains etnbsp;de la supr�matie de leur pouvoir : C�est le bienheureux Damase quinbsp;confirme le deuxi�me Concile general dont les d�crets sont suivis parnbsp;l�univers entier; c�est Agathon qui, quoique non pr�sent de corps aunbsp;sixi�me Concile, Vassemhla pourtant, et en fut l�ornement par sonnbsp;esprit, sa doctrine et son z�le. Photius parle ensuite longuement etnbsp;avec beaucoup d��loges de Jean VIII, ^ qui il donne par trois fois
(i) Scriptorum veterum nova Colleclio e Yaticanis codicibus edita. Typis Valicanis, t82.'gt;-1852.
FABLE DE LA PAPESSE JEANNE. 227
l��pith�te de viril. � Ce n�est pas sans motif, me dit le docte cardinal, que Photius se sert par trois fois de cette expression. �videmment ilnbsp;fait allusion, en la r�futant, ii I�accusalion d�esprit faible, que d�s lorsnbsp;on portalt conlre ce pape, paree qu�il avait souffert qu�on replagiit surnbsp;le si�ge de Constantinople Photius, si oppos� au Saint-Si�ge et frapp�nbsp;auparavant de tant d�analh�mes. C�est de la sans nul doute qu�est n�enbsp;la fable de la papesse Jeanne, dont l�origine, objet de tant d�opinionsnbsp;absurd es, me parail avoir �t� indiqu�e avec pr�cision par Baronius (i),nbsp;lorsqu�il dit que ce pape a �t� appel� une femme paree que, vu la tropnbsp;grande facilit� de son esprit, il ne sut montrer aucune constance sa-cerdotale. De telle sorte qu�on l�appelait non point pape, comme sesnbsp;courageux pr�d�cesseurs, mais papesse, pour lui reprocher de n avoirnbsp;pas m�me r�sist� a Photius. � Apr�s m�avoir fait promettre une seconde visite, l�aimable cardinal me permit d�aller rejoindre mes compagnons de voyage. En peu d�instants nous fumes sur la place denbsp;Termini.
Sainte-Marie-fw-^g'iLfro et Saint-Michel nous avaient montr� la cha-rit� roraaine. formant les pauvres orphelins aux travaux de Pintelli-gence ou aux arts lib�raux; nous allions la voir pr�parant une partie de sa jeune familie il l�exercice des m�tiers et des arts m�caniques.nbsp;Nous franchimes le seuil us� des �hermes de Diocl�tien. Dans cesnbsp;vastes constructions jadis consacr�es aux plaisirs de la vieille Rome,nbsp;la Rome chr�tienne a plac� l�aimable asile de Sainte-Marie-des-Anges.nbsp;Comme a Saint-Michel, on Irouve ici quatre families. Les bons fr�resnbsp;de la Doctrine chr�tienne, dont l�intelligence et le z�le sont ^ Rome cenbsp;qu�ils sont en France, dirigent la communaut� des hommes et desnbsp;jeunes gens. Les jeunes orphelins auxquels leur ftge ne permet pointnbsp;encore d�entreprendre l�apprentissage d�un m�tier ont une �cole denbsp;cat�chisme, de lecture et d��criture; les autres regoivent �galementnbsp;des lemons apr�s leurs travaux. Sans nuire aux occupations manuelles,nbsp;une �cole de musique instrumentale forme, parmi les �l�ves, unenbsp;troupe militaire qui s�exerce chaque jour pendant quelques heures etnbsp;qui a d�j� donn� des preuves publiques de son habilet�. On apprendnbsp;dans l�hospice les m�tiers de cordonnier, tailleur, imprimeur, teintu-rier, serrurier, chapelier, menuisier et �b�niste. De ces ateliers sortentnbsp;ces chaises si l�g�res et si faciles a manier, connues sous le nom denbsp;chaises de Chiavari. Une grande partie des jeunes gens est employ�enbsp;a la confection de la chaussure et des v�tements militaires; g�n�rale-
(1) An. 879, n. 5.
-ocr page 232-228 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
ment les ateliers et les travaux sont afferm�s a des entrepreneurs, ce qui est la m�thode la plus avantageuse, quand les contrats sont r�gu-li�rement stipul�s et pass�s entre gens honn�tes. L�imprimerie seulenbsp;n�est point mise en adjudication; elle publie ordinairement de petitsnbsp;ouvrages de d�votion qu�elle livre h bas prix ou donne gratuitement.nbsp;Le salaire se r�partit en trois parts : un tiers reste a la maison, unnbsp;tiers revient a l�ouvrier, un autre tiers est mis en commun et divis�nbsp;par la suite. Ces petites economies forment Ie p�cule du jeune ouvrier,nbsp;et l�aident, quand il sort, � s��tablir convenablement.
La Congr�gation des Filles du Refuge, transport�e a Rome depuis dix ans par la vertueuse princesse Th�r�se Doria Pamphili, pr�side lanbsp;communaut� des femmes. Les jeunes orphelines travaillent Ie coton, Ienbsp;fil et Ie lin; empaillent les chaises fabriqu�es par les hommes, et sontnbsp;employ�es au blanchissage de la maison et a la tenue du linge. Ici,nbsp;corame dans lous les asiles de Rome, elles demeurent a l�hospice tantnbsp;qu�elles ne se marient pas, ne se font pas religieuses ou ne se mettentnbsp;point en service dans des maisons particuli�res.
Quatre chapelains prennent soin du spirituel des quatre families; et des pr�tres du dehors viennent souvent, surtout dans les infirmeries, distribuer par charit� les secours de la religion. Chaque matinnbsp;on assiste i Ia messe, Ie soir on r�cile Ie rosaire, tout Ie monde doitnbsp;se confesser une fois par mois, et re^oit l�inslruction du cat�chisme,nbsp;base d�une bonne �ducation (i).
Dans les grands �lablissements que nous venions de visiter les en-fants sont a demeure; il en est un autre o� Pon suit un syst�me diff�rent : c�est l�bospice si connu a Rome sous Ie nom de Tata-Gio-vanni. Nous voulumes aussi connaitre cette nouvelle invention de la charit� romaine, et chemin faisant, on nous raconta l�histoire du fon-dateur. Dans Ie si�cle dernier vivait a Rome un pauvre magon, nomm�nbsp;Giovanni Borgi. Tons les jours de f�te il s�en allait a l�h�pital dunbsp;Saint-Esprit pour servir les malades. N�ayant rien a leur donner, ilnbsp;retournait leur lit, leur faisait la barbe et leur rendait tous les servicesnbsp;qu�on peut attendee d�un serviteur d�vou�. Or, il lui arrivait souventnbsp;de rencontrer paries rues de jeunes enfants a peine v�tus et chauss�s,nbsp;expos�s a grandir dans Ie vice et l�oisivet� : il en trouva d�autres anbsp;l�h�pital que la mort avait rendus orphelins. Le sort de tous ces pau-vres enfants toucha vivement le coeur du charitable ouvrier. II com-menga par inviter ceux qui �taient malades a venir le voir dans sa
(i) Morich., p. 128.
-ocr page 233-HOSPICE DE TATA-GIOVANNI. nbsp;nbsp;nbsp;229
maison, lorsqu�ils seraient gu�ris. Au moyen de quelques aum�nes, il les recueillit chez lui, les habilla, et les envoya en apprentissage cheznbsp;les fabricants de la ville, afin de leur procurer par Ie travail desnbsp;moyens d�existence : lui-in�me leur enseignait Ie cat�chisme et les fai-sait approcher des Sacreinents.
De g�n�reux bienfaiteurs ne tard�rent pas ^ Ie seconder de leurs conseils et de leurs bourses. Je citerai entre autres l�illustre cardinalnbsp;di Pietro, Ie bras droit de Pie YII pendant les terribles �preuves denbsp;Fontainebleau. II loua pour Giovanni et ses petits prot�g�s un grandnbsp;appartement dans la via Giulia, et lui assigna trenle �cus par mois :nbsp;ce qui permit d��lever a quarante Ie nombre des orpbelins. Borgi lesnbsp;appelait ses enfants et ceux-ci r�ciproquement lui donnaient Ie titrenbsp;filial de papa. De la est venu b Pinstltution Ie nom de Tata-Gio-vanni (papa Jean). Pie VII, dont Ie cceur �lait si g�n�reux, fut Ie principal protecteur de Borgi. Non content de lui acheter la maison dansnbsp;laquelle il �tait en loyer, il Ie traitait tr�s-amicalement ainsi que lesnbsp;orpbelins, auxquels il donna souvent de sa propre main de l�argentnbsp;dans la sacristie de Saint-Pierre.
Bien que Jean fut illettr�, il sentait la n�cessit� de rinstruclion et fit enseigner i ses enfants la lecture, 1��crilure, rarilhm�tique : on ynbsp;ajoute aujourd�hui des principes d�ornemenlation, de dessin lin�airenbsp;et de g�om�trie, connaissances fort importantes pour de jeunes artisans; mais par-dessus tout on s�attache a former leurs coeurs par l�en-seignement de la religion et par de solides pratiques de pi�t�.
Nous fumes bienl�t en �tat de v�rifier par nous-m�mes ce qu�on venait de nous dire. Avant midi nous �tions a Sainte-Anne-des-Me-nuisiers, o� se trouve l�hospice de Tata-Giovanni. En void la disposition et les r�glements : six chambres sont occup�es par les enfants,nbsp;elles portent les noms significatifs de Saint-Joseph, de Sainl-Pbilippe,nbsp;de Saint-Pierre, de Saint-Paul, de Saint-Stanislas, des Saints Camillenbsp;et Louis. Comme tout est simple dans eet institut, les jeunes gens eux-�i�mes, choisis parmi les plus sages et les plus fig�s, pr�sident lesnbsp;chambres; mieux inslruits que les autres, ils enseignent i leurs cama-cades les premiers �l�ments de la science. De bons pr�tres ou de ver-lueux la�ques y viennent souvent Ie soir distribuer Pauinone de l�in-struction religieuse et scientifique. Le soin de la discipline inl�rieurenbsp;est confi� a deux eccl�siastiques. Les enfants se l�vent de bonne heure,nbsp;et d�s rage le plus tendre ils vont apprendre un m�tier dans les ateliers de la ville. Un pieux la�que procure le placement de ces �l�vcs,nbsp;et tout le jour il est en course pour s�assurer de leurs progres et de
�230 LES TROIS ROME.
leur conduite. Cette m�thode permet amp; l��tablissement de marcher avec pcu de ressources et donne aux jeunes gens la facilit� de choisir l��tatnbsp;qui leur plait d�apr�s leurs forces et leurs dispositions, si hien qu�en-tre cent vingt �l�ves vous voyez trente m�tiers diff�rents. A vingt ansnbsp;on les cong�die, paree qu�ils sont alors en �tat de se tirer d�affaire; etnbsp;la conduite honorable qu�ils tiennent presque tous dans Ie mondenbsp;prouve combien de semblables institutions influent sur la moralenbsp;publique (i).
2 F�VRIER.
Fcte de la Chandeleur. � Cierge b�nit. � Charil� romaine pour rorpheline. � Sainte-Calherine-des-Cordiers. � Los quatre Saints couronn�s. �Les mendianles. � La Z�ccoleuo. � Conservatoire de la Vierge-des-Douleurs. � Conservatoires Borrom�e,nbsp;de Sainte-Euph�mie, de la Divine-Providence.
D�s 1�aurore on entendait par intervalfes Ie canon du ch�teau Saint-Ange; sur tous les �difices publics, comme sur les nombreux palais particuliers, flottait Ie drapeau pontifical; de brillants �quipages sil-lonnaient les rues, les troupes sortaient en grand uniforme, et bient�tnbsp;Ie beau soleil de Rome �claira de tous ses feux ce raouvant tableau.nbsp;C��tait aujourd�hui la Chandeleur, �poque anniversaire de 1��l�vationnbsp;de Gr�goire XVI au souverain pontificat. II y eut grande r�ception aunbsp;Vatican et distribution d�aum�nes � tous les pauvres; Ia religion elle-m�me vint consacrer par ses pompes augustes ce jour si cher a tousnbsp;les catholiques; nos coeurs battaient � l�unisson avec ceux des Romains,nbsp;et nous partimes pour Saint-Pierre. Vraiment Ie jour �tait a souhait;nbsp;car on ne saurait imaginer quelle teinte d�licieuse r�pand sur la cournbsp;pontificale cette lumi�re du soleil d�Italie, dont les rayons si vifs et sinbsp;purs font �tinceler les riches ornements des cardinaux et 5es pr�lats,nbsp;ainsi que les dorures et les draperies, en m�me tennis qu�ils animentnbsp;d�une vie nouvelle les peintures ravissantes du premier temple dunbsp;monde.
Notre plaisir �tait doubl� par la pens�e de recevoir un cierge b�nit de la main m�me du Saint-P�re. Grace a nos billets, il nous fut permisnbsp;de prendre place dans les tribunes r�serv�es, o� se pressait un grandnbsp;nombre de riches uniforraes de toute nation. En face de nous �taientnbsp;don Miguel avec la reine douairi�re de Sardaigne, et un peu plus loin,nbsp;Ie prince royal de Prusse; car � Rome les protestants sont avides de
(0 Conslanzi, p. 107.
-ocr page 235-CHARIT� BOMAINE PO�R l�oRPIIELINE.
nos c�r�monies. Plusieurs vinrent avec nous baiser la crois qui brille sur la mule du Pape, Fantechrist selon eux, et selon nous Ie v�n�rablenbsp;vicaire de J�sus-Chrisl; recevoir Ie cierge de sa main et fl�chir Ienbsp;genou devant sa personne sacr�e. Combien d�actes d�idol�trie! II fautnbsp;que nos fr�res s�par�s tiennent bien peu ii Fenseignement de leursnbsp;minislres, pour se permettre ces d�monstrations �tranges dans de pa-reilles solennit�s. Pour nous, c�est avec un sentiment profond de reconnaissance et de joie que nous resumes Ie cierge pontifical. Pr�cieuxnbsp;souvenir de Rome et du Pape, nous te conservons avec soin. Puisses-tunbsp;sur notre lit de mort briller entre nos mains d�faillantes, comme Ienbsp;symbole fid�le d�une vie �clair�e par la foi et couronn�e par la charit�!
En sortant de Saint-Pierre, nous reprimes notre visite de Rome charitable. D�ja nous connaissions les soins maternels dont la cit� desnbsp;Pontifes environne Forphelin. Au-dessous de Forphelin il est un �trenbsp;plus faible encore, plus nul en quelque sorte, et par cela m�me plusnbsp;digne des soins maternels de la charit� : c�est Forpheline. Qui diranbsp;tout ce que Rome fait pour elle? iNulle ville dans Ie monde ne manifeste aulant de pr�voyante sollicitude et de pers�v�rante g�n�rosil� ennbsp;faveur de ces enfants que leur faiblesse naturelle expose a mille dangers, et dont Fexistencc obscure est n�anmoins une cause puissantenbsp;de salut ou de ruine pour les moeurs publiques. Comme Ie mineurnbsp;suit dans les entrailles de la terre Ie filon tortueux de la mine qu�ilnbsp;exploite; nous voul�mes aussi, malgr� les zigzags in�vitables, suivrenbsp;la charit� romaine dans toute cette partie de son empire. Outre lesnbsp;grands hospices de Saint-Michel et de Sainte-Marie-des-Anges, unnbsp;grand nombre d�autres asiles sont ouverts a Forpheline : nous frap-pames a toutes les portes.
Voici d�abord Sainte-Catherine-des-Cordiers. Deux saints qu�on rencontre souvent a Rome lorsqu�il s�agit d�cEuvres de charit�, saintnbsp;Philippe de N�ri et saint Ignace, donn�rent naissance a cette maison.nbsp;Elle se compose de religieuses Augustines, d�orphelines et de jeunesnbsp;filles nobles. Ces derni�res, confi�es aux religieuses pour leur �duca-tion, paient une pension alimentaire. Les orphelines �lev�es gratuite-ment sont appel�es filles de FInstitut; pour �tre admise, il sufifit a lanbsp;jeune enfant d��tre pauvre et orpheline. Les filles de FInstitut et lesnbsp;pensionnaires ont Ie m�me genre de vie, et leur trailemenl est meilleurnbsp;que celui des autres eonservatoires, paree que Fon y re^oit surtoul desnbsp;jeunes filles n�es de families pauvres, mals distingu�es. Si elles se ma-rient, leur dot est de 50 �eus remains; si elles se font religieuses dansnbsp;Ie monast�re, elles ont Ie privil�ge de ne rien ajouter a la dot que leur
-ocr page 236-232 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
fait la maison elle-m�me; si elles y viennent du dehors, elles doivent apporter une dot de 400 �cus : toutes s�occupent ^ divers ouvrages denbsp;femme command�s par F�tablissement ou par des �lrangers. Dans Ienbsp;premier cas, elles ne sont pas pay�es; dans Ie second, Ie gain tout en-tier leur apparlient. Les travaux les plus fatigants sont a la charge desnbsp;soeurs converses; les autres sont conC�s aux jeunes filles elles-m�mes,nbsp;afin de les habltuer aux soins domestiques. On admire ici la belle fon-dation du cardinal de Saint-Onuphre, qui a laiss� au conservatoire unenbsp;rente pour l�entretien de deux jeunes filles nobles et en danger de senbsp;perdre. Par un pieux usage, les �l�ves r�citent chaque jour les Psau-mes de la P�nitence pour les bienfaiteurs (i).
Franchissant une partie de la ville, nous vinmes au mont Caelius, o� nous attendait un autre monument de la charit� romaine en faveurnbsp;des orphelines. En 1560, Ie pape Paul IV ouvrit eet asile; il porte Ienbsp;nom des Quatre-Saints-Couronn�s dont la colline rappelle Ie glo-rieux triomphe. Les filles de Saint-Augustin s�y d�vouent a la m�menbsp;oeuvre que les soeurs de Sainte-Catherlne. Les orphelines qu�ellesnbsp;�l�vent gratuitement sont ordiuairement au nombre de douze. Sousnbsp;leur direction, les jeunes personnes re^oivent une education solide-ment chr�tienne, et s�occupent de la confection des linges d��glise,nbsp;ainsi que des soins de la cuisine, de la d�pense et de l�infirmerie, pournbsp;se preparer a �tre de bonnes femmes de m�nage. Elles sont fibres denbsp;se consacrer amp; Dieu dans la maison m�me, qui ne se recrute que denbsp;ses propres �l�ves. Quand elles veulent se marier, l�archiconfr�rie denbsp;Sainte-Marie-in-Aquiro leur fournit une dot.
Nous �tions pr�s du Colys�e, et dans quelques instants nous fumes au conservatoire des Mendiantes. L�ann�e jubilaire de 1630 vit naitrenbsp;ce nouveau refuge de l�innocence. Sous la protection de la verlueusenbsp;duchesse de Latera, une dame pieuse et d�vou�e se mit ii recueillir lesnbsp;pauvres jeunes filles qui erraient abandonn�es dans la ville, et k lesnbsp;entretenir au moyen des aumones, plus abondantes encore a Romenbsp;pendant les jubil�s que dans tout autre temps. Le p�re Caravita, j�suitenbsp;de grande r�putation, vint au secours de l�oeuvre naissante et accrutnbsp;le conservatoire jusqu�au nombre de cent personnes. Dans le principenbsp;ces pauvres filles s�en allaient dans les rues chanter des cantiques spi-rituels et recueillir des aum�nes : de la le nom de Mendiantes qu�ellesnbsp;portent encore. Le nouveau conservatoire devint c�l�bre par la fabrication des tissus de laine; et il conserva sa r�putation jusqu�aux trou-
(i) Constanzi, p. 119.
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bles politiques du si�cle dernier. Aujourd�hui les orphelines ne tra-vaillent plus la laine, paree que, dit-on, leur sant� s�en trouvait mal. N�anmoins, comme Ie conservatoire a toujours Ie privilege de fournirnbsp;des draps au gouvernement, il les fait fabriquer a ses risques et p�-rils. La communaut� compte aujourd�hui-quatre-vingt-dis personnesnbsp;occup�es des travaux de leur sexe et surtout d�ouvrages en colon.
Le cardinal Prodataire est sup�rieur de la maison. II admet les orphelines qu�il juge dignes de cette faveur, et, selon la coutume ro-maine, on les garde jusqu�a leur mariage ou � leur entr�e en religion.nbsp;Le produit que les jeunes filles tirent de leurs occupations leur ap-partient, k la charge de se pourvoir de v�tements, except� de celuinbsp;d�uniforme qui leur est donn� par l��tablissement. II se compose d�unnbsp;corsage de couleur cendr�e, et de deux voiles dontl�un couvre la t�te,nbsp;l�autre retombe sur les �paules (i). Les jours de dimanche et de f�te,nbsp;lorsque les dilf�rents conservatoires avec leurs longues files d�enfants,nbsp;au costume gracieux et modeste, se rendent pieusement en p�lerinagenbsp;aux basiliques, Rome pr�sente un spectacle attendrissant. La charit�nbsp;semble montrer avec un orgueil tout maternel ses nombreuses enfantsnbsp;� ses amis et a ses ennemis, et, malgr� son d�sir de critiquer, lenbsp;voyageur ne peut qu�applaudir. Le conservatoire des Mendiantes,nbsp;�tabli dans un beau palais, passe pour le plus vaste de tous ceux denbsp;Rome. Nous y trouv�mes des salles superbes orn�es de riches peintu-res, etun grand jardin plant�d�arbres, qui offre beaucoup d�agr�ment.
Pour perp�tuer les vicloires de ses g�n�raux, Rome ancienne avait �rig� des temples, des ob�lisques, des arcs de triomphe sur toutes sesnbsp;collines; conduite par un autre esprit, Rome chr�tienne a plac� auxnbsp;m�mes lieux les monuments de ses paisibles conqu�tes. Le mont Es-quilin nous appelait pour nous montrer un de ces sanctuaires, o� lanbsp;religion et la charit� travaillent de concert a la r�habilitation de lanbsp;nature humaine. Avant de gravir la c�l�bre colline, nous visitames lenbsp;conservatoire des Sandales (Zoccoletto). Tel est le nom vulgaire qu�anbsp;valu aux orphelines des saints Cl�ment et Crescent la forme primitivenbsp;de leur chaussure. Soixante personnes habitent ce conservatoire, quinbsp;remonte a plus d�un si�cle. L�aum�nier du Saint-P�re en est le sup�rieur; ony regoit les orphelines de 7 � H ans. La jeune fille en entrantnbsp;doit�tremunie de tousles obj ets n�cessaires a une femme. La confr�rienbsp;de l�Annonciation et le chapitre du Vatican accordent des dots � cellesnbsp;qui se marient ou qui se font religieuses. Les �l�ves se fournissent
(i) Conslanzi, p, 126.
-ocr page 238-2�4 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
elles-m�mes des v�tements sur Ie produit de leurs ouvrages. Elles se partagent les travaux de la couture, du blanchissage, du racoommo-dage, de la cuisine, etc. Durant Ie jour on admel dans les ateliers desnbsp;jeunes lilies du dehors pour leur enseigner la couture et les ouvragesnbsp;de leur sexe. Les bitiinents nous parurent Ir�s-beaux et tenus avecnbsp;beaucoup de propret�.
Quand vous serez au mont Esquilin, pr�s des Philippines, on vous montrera une modeste maison appcl�e Ie Conservatoire de la Vierge-des-Douleurs. Si vous en demandez Fhistoire, on vous dira : Un jour,nbsp;Ie prince Baldassare Odelcaschi rencontra dans la rue deux pauvresnbsp;petites filles abandonn�es qui lui demand�rent 1�aum�ne en pleurant.nbsp;Saisi de piti� � leur triste aspect, il r�solut de les enlever aux p�rilsnbsp;auxquels ces malheureuses �taient expos�es sur la voie publique, et lesnbsp;conduisit dans son palais o� il les fit nourrir et �lever. Plus tard, sonnbsp;fils don Charles, qui depuis a quitt� la pourpre pour rev�tir Ie simplenbsp;habit de j�suite, r�unit ces pauvres filles a d�autres que la charit� avaitnbsp;recueillies, et les pla�a dans une maison sur Ie mont Esquilin. Lenbsp;jour de Saint-Louis 1816, il installa la maitresse et ses �l�ves et songeanbsp;d�s lors a faire un �tablissement d�utilit� plus g�n�rale. R�fl�chissant,nbsp;d�une part, que Rome, si riche en monast�res et en conservatoires,nbsp;offre tr�s-peu de lieux o�, moyennant une faible pension, des femmesnbsp;puissent vivre ensemble; consid�rant, d�autre part, que, suivant unenbsp;r�gie tr�s-prudente, les conservatoires ne rcQoivent que des enfantsnbsp;au-dessous de douze ans : il voulut que son �tablissement aocueillit,nbsp;pour la modique r�tribution de quatre ou cinq �cus par mois, lesnbsp;jeunes filles au del� de douze ans, ni assez pauvres pour obtenir unenbsp;place gratuite dans les conservatoires, ni assez riches pour payer unenbsp;plus forte pension.
Get �tablissement comblait done une lacune; aussi dans peu d�ann�es il est devenu florissant. Il a de plus I�avantage de ne point conservernbsp;de personnes �g�es : toutes les �l�ves se marient, se font religieusesnbsp;ou rentrent dans leurs families (i).
A deux pas de la, nous visit�mes le conservatoire Borrom�e. Ici on trouve amp; peu pr�s les m�mes usages, les m�mes travaux que dans lesnbsp;autres asiles : la dot y couronne l��ducation et assure l�avenir de lanbsp;jeuneorpheline. Montant jusqu�a Sainte-Marie-Majeure, nous salu�mesnbsp;Ia divine M�re sous la protection de laquelle sont plac�s la plupart desnbsp;conservatoires de jeunes filles, et nous arrivftmes � la rue des Quatre-
(i) Moricli., p. 133,136.
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VISITE AU CARDINAL MEZZOFANTl.
Fontaines. Le refuge des Trinitaires et de Sainte-Euph�mie nous rap-pela des noms bien chers aux catholiques. L�onard Ceruso, que nous avons vu recueillir les enfants vagabonds, le cardinal Baronius, lenbsp;cardinal vicaire Rusticucci furent les fondateurs et bienfaileurs denbsp;ce conservatoire, qui conlient environ quarante �l�ves. Le z�le, l�inno-cence et la charit� habitent eet asile, dont les batiments trop exigusnbsp;ne devraient peut-�tre contenir que la moiti� moins de monde.
Des Quatre-Fontaines nous dirigeames notre course vers la Propa-gande, et de la, descendant la longue rue du Babouino, nous arrivimes au conservatoire de la Divine-Providence ; sur la rive du Tibre ap-pel�e Ripetta, s��l�ve ce nouvel asile de la faiblesse et de l�innocence.'nbsp;De vastes batiments et des ressources consid�rables permettent de re-cevoir cent pensionnaires n�es de families pauvres mais honn�tes.nbsp;Pendant pr�s d�un si�cle, l��tablissement fabriqua avec un grandnbsp;succ�s des gants et autres ouvrages en peau. Les manufactures de Naples lui ont faitdans ces derniers temps une concurrenceinsoutenable.nbsp;Aujourd�hui les �l�ves se livrent � lous les ouvrages de leur sexe, etnbsp;Ie produit de leur travail leur appartient tout entier. Comme auxnbsp;Zoccolante, on adraet en apprentissage quelques pauvres jeunes fillesnbsp;�trang�res a l��tablissement. L��glise sert d�oratoire domestique o�nbsp;les jeunes filles vont souvent accomplir leurs devoirs religieux. Dansnbsp;les promenades, vous les voyez, suivant l�ancien usage de la maison,nbsp;divis�es par bandes de cinq, v�tues d�une robe noire, d�un schall, d�unnbsp;chapeau et d�un voile de la m�rae couleur : elles ne sortent jamais lesnbsp;jours de f�te. Une dot de 100 �cus leur est donn�e en cas de mariagenbsp;OU d�entr�e au couvent.
5 FEVRIER.
Visite au cardinal Mczzofanti. � Anecdotes. � Charit� romaine pour 1�orpheline (suite). � Conservatoire pie. � Sainte-Marie-du-Refuge. �Dots. � Archiconfr�rie de l'An-nonciation. � Chapelle papale a la Minerve.
La journ�e commen^,a par une visite au cardinal Mezzofanti. Souvent j�avais rencontr� 1�illustre philologue � la Propagande, o� 11 venaitnbsp;passer la soir�e. Bon, a�able, modeste, il se m�lait parmi les �l�ves,nbsp;et parlait tour ii tour l�arabe, le turc, l�arm�nien, le chinois et vingtnbsp;autres langues avec une facilit� qui tient du prodige. Lorsque j�entrainbsp;chez lui, je le trouvai �tudiant le has-hretoui et je ne doute pas qu�ilnbsp;ne puisse bient�t en remontrer aux habitants de Vannes et de Pl�ca-
256 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
deuc : son �minence me confirma deux fails importants. Le premier, Yunite fondamenlale de toutes les langues. Cette unit� se reconnaitnbsp;surtout aux parlies du discours qui sonl les m�mes ou a peu pr�s dansnbsp;lous les idiomes. Le second, la trinit� des dialectes dans la languenbsp;primitive : trinit� qui correspond aux trois races de l�esp�ce humaine.nbsp;Pour le cardinal il est d�montr� qu�il n�y a que trois races sortiesnbsp;d�une souche commune, comme il n�y a que trois langues ou dialectesnbsp;priucipaux d�une langue primitive ; la langue et la race japh�tique ;nbsp;la langue et la race s�m�tique; la langue et la race de Chain. Ainsi l�u-nit� d�esp�ce humaine et la trinit� de races, �lahlies par tous les monuments de l�histoire, setrouvent encore appuy�es de 1�autorit� du phi-lologue le plus extraordinaire qu�on ait jamais connu.
Le t�moignage du cardinal est d�autantplus imposant que sa science linguistique ne se borne pas a une connaissance superhcielle. Parminbsp;les idiomes qu�il poss�de, il n�en est pas un dont il ne connaisse lesnbsp;termes vulgaires, les dictons, les adages et toute cette difficile nomenclature qui constitue la partie populaire d�une langue. Un jour il de-mandait � un de nos amis de quelle province de France il �lait? � Denbsp;la Bourgogne.�Ah! Vous avez deux patois bourguignons; lequelnbsp;parlez-vous? � Je connais le patois de la Basse-Bourgogne. � Et Ienbsp;cardinal se met a lui parler le. bas-bourguignon avec une facilit� quinbsp;aurait rendu jaloux tous les vignerons de Nuits ou de Beaune. Onnbsp;connait aussi l�anecdote rapport�e par lord Byron. Le c�l�bre po�te,nbsp;qui savait plusieurs langues, se croyait un ph�nix, et arriv� a Bolognenbsp;o� r�sidait encore l�abb� Mezzofanti, il voulut le voir, afin de Ie mettrenbsp;� l��preuve. II le tate sur les langues �trang�res en enfin sur l�anglaisnbsp;en lui citant les jurons qu�il a entendus de Ia bouche des bateliers,nbsp;des porlefaix, des postillons, des muletiers, etc. Quand il a fini : �nbsp;Est-ce tout, lui demande le modeste abb�? � A moins d�en inventer,nbsp;il n�y en a pas d�autres. �Vous �tes dans 1�erreur, milord ; et il luinbsp;r�v�le mille gent�lesses inconnues au riche dictionnaire de John Buil.nbsp;Au d�meurant, voici de quell� mani�re lord Byron lui-m�me racontenbsp;le fait; � Je ne me rappelle pas un seul des litt�rateurs �trangers quenbsp;j�eusse souhait� revoir, e.xcept� peul-�tre Mezzofanti, qui est un pro-dige de langage, Briar�e des parties du discours, polyglotte ambulant,nbsp;qui aurait d� vivre au temps de la tour de Babel, comme interpr�tenbsp;universel; v�ritable merveille, et sans pr�tention encore! Je l�ai tat�nbsp;sur toutes les langues desquelles je savais seulement un juron ou adjuration des dieux centre postillons, sauvages, forbans, bateliers, matelots, pilotes, gondoliers, muletiers, conducteurs de chameaux, vetiu-
COJiSERVATOIKE PIE. nbsp;nbsp;nbsp;237
rini, maitres de poste, chevaux de poste, maisons de poste, toute chose de poste! et pardieu! il m�a confondu dans mon propre idiome (i). �
En sortant, je m�aperfus ou plul�t je me rappelai qne nous �tions en plein carnaval. La place du Peuple �tait couverte d��quipages entrant au Corso pour lancer et recevoir des confetti. II faut savoir quenbsp;Ie carnaval jette Ie peupleroinain dansl�ivresse du bonheur. Croirait-onnbsp;que, pour obtenir mon ba�oque, un pauvre me souhaita, entre millenbsp;autres choses, un bon carnaval: padrone, buon carnovale? Comment trouvez-vous cela? En France, faire un pareil soubait a un pr�lrenbsp;connu pour tel, comme je l��tais de mon Romain, ne serait-ce pas unenbsp;moquerie et presque une injure? A Rome il n�en est pas ainsi: autresnbsp;lieux, autres moeurs; je diral plus lard un mot de tout cela.
En suivant notre itin�raire, nous avions fait Ie tour de Rome. Partis de rh�pilal du Saint-Esprit, nous nous retrouvions devant ce. premiernbsp;asile o� la charit� attend Fhomme qui entre dans la vie. Au dela dunbsp;Vatican, Ie Janicule nous appelait pour nous montrer ses merveilles.nbsp;Passant pr�s de Saint-Pierre-w-ilfow^on'o, nous arrivAmes vers Ie soirnbsp;au conservatoire Pie. Deu^Poniifes, saint Pie V et Pie VI, d�immor-lelle m�moire, furent les p�res et les bienfaiteurs de cette maison :nbsp;pouvait-elle prendre un nom plus glorieux? Situ� dans un lieu charmant, 1��tablissement eut autrefois une r�putation m�rit�e pour sanbsp;fabrique de toiles, de nappes et de nappages damasquin�s; les boule-versements du dernier si�cle ont d�truit cette industrie. Les jeunesnbsp;orphelines n�ont plus aujourd�hui que les travaux a l�aiguille, procur�snbsp;en g�n�ral par les �l�ves elles-m�mes; il faut y ajouter la lingerie et Ienbsp;blanchissage du coll�ge de la Propagande. Vous les reconnaissez ii leurnbsp;costume compos� d�une robe couleur caf�, d�une guimpe blanche surnbsp;les �paules, et d�un voile sur la l�te. Comme dans les autres asiles, ilnbsp;leur est permis de voir leurs parents, mais jamais d�aller diner cheznbsp;eux. Le cardinal camerlingue est protecteur n� de l�institut; de lui d�-pendent les admissions. On ne cong�die personne : mais la mort, lenbsp;mariage et le cloitre font souvent des vides. La prieure et les maitresses sont choisies parmi les anciennes pensionnaires; ce qui donnenbsp;a la maison Pair, le ton et l�esprit d�une v�ritable familie.
Sur la m�me colline est le coaservaloire deSainte-Marie-du-Refuge. II remonte a 1703, et doit son origine au pieux oratorien Alexandrenbsp;llussi, le p�re des pauvres et l�ami des papes Cl�ment XI et Benoit XIII.nbsp;Etabli sur des bases plus larges que les autres asiles, ce conservatoire
(0 T. V, p. 446.
-ocr page 242-238 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
revolt les jeunes filles de treize a vingt-six ans, orphelines et priv�es de soutien. L�usage g�n�ral d�admeltre les �l�ves plus jeunes est cer-tainement tr�s-louable; mais il est fort utile aussi qu�il y ait un lieunbsp;comme celui que nous visitons en ce moment, pour sauver de tous p�-rils les femmes un peu plus iig�es. On y compte environ cinquanlenbsp;pensionnaires �lev�es dans la pi�t�, dans Ie travail et dans l�habiludenbsp;des occupations domestiques. Elles ach�tent elles-m�mes leur uniformenbsp;noir sur Ie salaire de leurs travaux en lingerie, broderie et ornementsnbsp;sacr�s.
Le soleil �tait sur son d�clin lorsque nous descendimes du Janicule. La journ�e avail �t� bonne : nous avions fait une riche moisson, et unnbsp;�change continuel d�observalions occupa le long trajet que nous avionsnbsp;� parcourir jusqu�� la rue des Macelli. Sur tous les points de la cit�nbsp;nous avions vu la charit� romaine post�e pour saisir et cacher dansnbsp;son sein maternel et la jeune fille d�laiss�e et l�innocente orpheline.nbsp;Intelligente dans sa tendresse, elle proportionne l��ducation a la position future de ses pupilles; point de lu.xe d�instruclion, point de d�licatesse dans les habitudes, point de recherches dans les v�tements;nbsp;l��ducation est �i la letlre l�apprentissage de la vie. Mais ce qui nousnbsp;avail surtout frapp�s, c�est le soin d�assurer l�avenir de la jeune orpheline. Rome ne fait pas les choses a moiti�; tandis qu�ailleurs l�a-doption n�est que lemporaire, ici elle est perp�tuelle. Si cela lui con-vient, la jeune fille peut vivre et mourir dans l�asile qui accueillit sonnbsp;enfance. Si ses gouts l�appellent ailleurs, on ne lui laisse franchir Ienbsp;seuil du conservatoire qu�au moment o� son sort est assur�, soit parnbsp;le mariage, soit par la profession religieuse. Ainsi sont pr�venus denbsp;terribles dangers pr�par�s ^ la jeune fille pauvre, partout o� cettenbsp;sage conduite est inconnue : qu�arrive-t-il en effet le plus souventnbsp;parmi nous? Vers l��ge de seize a dix-huit ans on cong�die de l�hos-pice l�enfant orpheline ou abandonn�e. Seule, sans appui, sans exp�-rience, elle entre comme domestique dans la premi�re maison qui lmnbsp;ouvre la porte. Bient�t elle sera perdue; elle deviendra un scandalenbsp;public, et rougira peut-�tre ses mains homicides dans le sang de TiB'nbsp;nocence ou remetlra des enfants a la charge de la charit� puhliqu^�nbsp;en attendant qu�elle aille elle-m�me peupler les prisons ou mourir anbsp;l�hospice. Ainsi, sous le rapport moral et m�me sous le rapport �co-nomique, l�adoption perp�tuelle est incontestablement pr�f�rable.
Enfin, ce qui est digne de toute Eattenlion des �conomistes vraiment dignes de ce nom, c�est la dot si g�n�reusement accord�e dans tousnbsp;les conservatoires � la jeune fianc�e ou a la future religieuse. II y a
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ce me semble, tout h la fois une profonde connaissance du coeur hu-main, une volont� bien arr�l�e d�assurer le plein succ�s de la premi�re �ducation et une puissante garantie pour les bonnes moeurs : c�est icinbsp;le caract�re propre de la charil� romaine. Nulle part elle ne se montrenbsp;plus g�n�reuse que dans la cr�ation des dots pour les jeunes filles pau-vres qui veulent se marier ou entrer en religion. Aussi serait-il impossible de faire un d�nombrement exact de toutes les dols qui senbsp;distribuent chaque ann�e dans cette Rome si maternelle, si clair-voyante et pourlant si peu connue. Outre celles que des families richesnbsp;ont constilu�es, il faudrait compter les dons matrimoniaux des mo-nast�res, des chapitres, des congr�gations, des nombreuses confr�ries : il sufBt de dire que presque toutes les oeuvres de religion et denbsp;charil� ont � satisfaire � des legs pieux fails dans ce but. II n�est pasnbsp;jusqu�a la loterie qui ne doive fournir des secours dotaux.
A chaque tirage de Rome, elle doit donner SOO dols de 30 �cus a autant de jeunes Romaines indigentes dont les noms se trouvent acco-l�s aux cinq cents num�ros sortants. Les lirages qui se font dans lesnbsp;aulres villes sont soumis a Ia m�me obligation. En outre, le s�nateurnbsp;de Rome distribue chaque mois trois dots a trois lilles des membresnbsp;de la milice urbaine. Pie VII en a cr�� plusieurs pour les lilles et pe-tites filles des malheureux naufrag�s perdus sur les c�tes de l�Adria-tique. En un mot, Rome distribue chaque ann�e douze cents dots, etnbsp;comme le nombre des mariages est de mille quatre cents, presquenbsp;toutes les filles peuvent en profiler : 32,000 �cus sont consacr�s h cettenbsp;oeuvre (i).
Le bienfait s��tend non-seulement aux jeunes filles �lev�es dans les conservatoires, mais encore celles qui habitcnt au sein de leur familie. Ici se manifeste avec un �clat nouveau le c�t� moral de Ia dotation. La c�l�bre confr�rie de YAnnonciation, qui distribue chaquenbsp;ann�e quatre cents dots, exige, pour admettre la jeune fille a ses largesses, qu�elle soit pauvre, de bonne reputation, romaine, n�e de l�-gitime mariage, et qu�elle n�habite point avec des personnes suspec-tes. Les orphelines sont pr�f�r�es a toutes les autres, et si elles sontnbsp;�trang�res, on les consid�re par ce seul fait de leur abandon, commenbsp;romaines. Afin d�obliger les parents ii veiller efficacement sur leursnbsp;filles en les �loignant de toute profession suspecte, la confr�rie exclutnbsp;celles qui vivent dans les h�tels, vont travailler aux vendanges, auxnbsp;coupes de bois, aux moissons, les aubergistes, cabareti�res, blanchis- 1
Morich., p. 20.
-ocr page 244-240 nbsp;nbsp;nbsp;LES TEOIS ROME.
seuses et graineli�res. D�s l�age de quinze ans, celles qui ne sont dans aucun cas d�exelusion peuvent d�poser entre les mains de Tarchicon-fr�rie leurs certificats. Les visiteurs, choisis parmi les hommes lesnbsp;plus murs et les plus probes de la soci�t�, vont s�assurer dans lanbsp;maison m�me de leur pauvret� et de leur conduite. Apr�s trois ans denbsp;surveillance et d��preuve, elles obtiennent leur dot. Cette esp�ce denbsp;patronage, qui s�exerce pendant les trois ann�es les plus p�rilleuses denbsp;la vie sur les jeunes lilies qui sollicitent des dots et qui sont fort nom-breuses dans la ville, doit influer tr�s-avantageusement sur Ia moralenbsp;publique.
Le jour de l�Annonciation, on d�livre Ie dipl�me dotal, et je dois dire qu�on est heureux d��tre amp; Rome ce jour-la. Dans la matin�e, lenbsp;Saint-P�re se rend � l��glise de la Minerve; il y tient chapelle papale,nbsp;c�est-a-dire qu�il assiste, environn� du sacr� Coll�ge, a la messe quinbsp;est c�l�br�e par un des cardinaux. La vaste �glise est pleine de monde;nbsp;aux places d�honneur sont.toutes les jeunes lilies v�tues jde blanc.nbsp;Apr�s la messe, le Saint-P�re admet au baisement des pieds quelques-nnes de ces heureuses enfants. Elles repr�sentent celles de leurs com-pagnes qui, comme elles, se destinent a Ia vie religieuse. Le m�menbsp;jour, elles font toutes ensemble une procession solennelle; puis ellesnbsp;se s�parent, les unes pour entrer dans le monde, les autres pour senbsp;retirer h l�ombre du cloitre : bien des larmes coulent des yeux desnbsp;enfants, des parents et des spectateurs. Toutefois, s�il y a separation,nbsp;il n�y a pas isolement. Ces deux jeunes generations, reunies uii instantnbsp;sur le chemin de la vie, continueront de se pr�ter un mutuel appui ;nbsp;Tune priera sur la montagne pendant que l�autre combattra dans lanbsp;plaine, jusqu�au jour solennel o� r�unies de nouveau devant le Diennbsp;de l��ternit�, elles recevront la m�me c�uronne obtenue dans des combats diff�rents.
4 F�VRIER.
CUariic romaine pour les malades. � Il�pital de Saint-Sauveur, � de Saint-Jacques, � de Saint-Gallican.
Les jours pr�c�denls nous avions suivi la charit� romaine au seuil de la vie. Ce qu�elle fait pour sauver de la mort l�enfant nouveau-n�,nbsp;OU prot�ger l�orphelin contre la cruelle mis�re, et l�orpheline contrenbsp;Ia mis�re et la s�duction, nous est connu. Reprenant aujourd�huinbsp;notre itin�raire, nous arriv�mes bient�t b une nouvelle station. A
CHAKIT� ROMAI.NE POLR LES MALADES. 241
peine Thomme est-il entr� dans son p�lerinage que la douleur physique, la maladie sous toiites les formes, Tattend et Ie saisit, comme Ie cruel vautour saisit sa proie pour la d�chirer et la faire expirernbsp;loute vive. Afin de Ie soustraire a ses funestes atteintes en lui rendantnbsp;Ia sant�, Rome lui a pr�par� dix-neuf h�pitaux o� l�attendent des secuurs de tout genre. Deux sont destin�s sp�cialement aux maladiesnbsp;m�dicales : Ie Saint-Esprit pour les hommes, Saint-Sauveur pournbsp;les femmes. Ici encore se manifeste Ie caract�re vraiment catholiquenbsp;de la charit� romaine.
Vous �tes tout a coup saisi par la fi�vre si commune en Itali� vers la fin de l��t�; vous �tes �tranger, vous �tes pauvre, n�importe, pr�-sentez-vous a l�h�pital du Saint-Esprit. Qui qite vous soyez, quels quenbsp;soient votre age, votre patrie, votre condition, votre religion, la portenbsp;s�ouvrira sur-le-champ devant vous. On ne vous demandera ni passe-port, ni certificat, ni profession de foi, ni recommandation aucune;nbsp;vous �tes malade, ce titre vous tient lieu de tont : la charit� vous revolt les yeux ferm�s et les bras ouverls. II y a mieux; si seulementnbsp;vous vous croyez malade, sans en avoir la certitude, frappez encore;nbsp;vous serez accueilli avec empressement. Dans la crainte de vous com-muniquer la maladie que vous n�avez peut-�tre pas, on vous placeranbsp;dans une salie particuliere d�observation. Le m�decin vous visitera,nbsp;des soins assidus vous seront prodigu�s, jusqu�a ce que, le doute senbsp;changeant en certitude, vous deviez entrer d�finitivement it Thospicenbsp;OU que vous puissiez retourner avec confiance a vos affaires.
Comme nous avions d�ja visit� Fh�pital du Saint-Esprit, nous nous rendimes directement a Saint-Sauveur. Traversant pour la vingti�menbsp;fois et le Capitole, et le Forum, et le Colis�e, nous arriv�mes a Fh�-pital, situ� non loin de ces lieux si trislement c�l�bres par les cruaut�snbsp;de Fancienne Rome. II est, comme nous Favons dit, exclusivementnbsp;destin� aux femmes : on les y admet, selon la g�n�reuse coutume denbsp;la charit� romaine, sans distinction d�age, de condition, de patrie etnbsp;de religion, d�s qu'elles sont atteintes de maladies m�dicales, aigucsnbsp;OU chroniques. L��tablissement compte quatre grandes salles, qui peu-vent recevoir ensemble 578 malades. Une exquise propret� fait 1�or-nement de ce vaste h�pital. J�avoue que nous fumes charm�s de re-trouver ici cette qualit� sur�minente et si utile de nos h�pitauxnbsp;francais. Parmi les moyens employ�s pour 1 obtenir, on remarque lesnbsp;petits trous faits sous les lits, dans la partie inf�rieure des murs. Cenbsp;moyen, inusit�, je crois, ailleurs, est tr�s-utile pour la salubrit� et lenbsp;renouvellement de Fair, ainsi que les conduits mur�s dans le pav� desnbsp;falies pour en �loigner teute cause d�humidit�.
242 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
Dans la grande salie, comme � G�nes, et en g�n�ral dans les h�pi-taux d�Italie, de nombreuses inscriptions rappellent les noms des bienfaiteurs. Au premier rang, il faut compter la pieuse princessenbsp;Th�r�se Doria Pamphili. L�h�pital de Saint-Sauveur lui doit son plusnbsp;bel ornement: les Soeurs hospitali�res. Form�es sur Ie mod�le de nosnbsp;Filles de Saint-Vincent-de-Paul, elles se d�vouent au soin des mala-dcs; font les quatre voeux simples de pauvrel�, de chastet�, d�ob�is-sance et d�hospitalit� : Notre Saint-P�re Ie Pape Gr�goire XVI a con-firm� leur institut. Outre les soins maternels des religieuses, lesnbsp;malades de Saint-Sauveur regoivent, comme ceux du Saint-Esprit etnbsp;des autres h�pitaux de Rome, les services charitables des associationsnbsp;pieuses. Aiix jours marqu�s, les nobles femmes qui en font partienbsp;viennenl payer leur tribut de zcle et d�affectueux d�vouement. Septnbsp;pr�tres habilent l��tablissement : 1�un, comme prieur, est cbarg� denbsp;la discipline; les autres assistent les mourants. Le z�le am�ne souventnbsp;il leur secours d�autres ouvricrs �vang�liques du clerg� s�culier et r�gulier, qui viennent procurer aux infirmes l�abondance des consolations spirituelles : un grand exemple les encourage. Nous lumes avecnbsp;bonheur, dans la Salle-Neuve, une inscription qui m�rite bien d��trenbsp;conserv�e. Elle rappelle que le pape Cl�ment XI, �tant venu visiternbsp;1�b�pital, trouva un malade a l�agonie et ne le quilta plus, lui prodi-guant les soins et les exhortations religieuses, jusqu�ii ce qu�il le sentitnbsp;expirer dans ses bras. Comme au Saint-Esprit, une pieuse confr�rienbsp;accompagne cbaritablement de ses pri�res les morts que Pon trans-porte de l�h�pital au campo santo.
Le Saint-Esprit et Saint-Sauveur, tels sont les deux asiles pr�par�s aux maladies ordinaires. Si le pauvre fils d�Adam est alteint d�unenbsp;maladie qui demande des op�rations douloureuses et un traitementnbsp;sp�cial, la charit� lui montre le chemin de Saint-Jacques, de Saint-GalHcan et de Sainte-Marie-de-la-Consolation. l^ous primes le m�menbsp;chemin et nous allames visiter ces nouveaux theatres o� la charit� dispute a la maladie ses trop nombreuses victimes. La place Trajane, lanbsp;place Colonne, l�ancien quartier du Champ de Mars, furent rapide-ment franchis et nous arrivtlmes non loin du mausol�e d�Auguste ; icinbsp;se trouve l�h�pital Saint-Jacques, destin� a la haute chirurgie. On ynbsp;re^/Oit les malades des deux sexes, sans distinction de religion et denbsp;pays, qui ont des plaies, des ulc�res, des humeurs, des syphilis, etc.nbsp;Pour �tre admis, il sulEt d�etre pauvre et atteint d�une maladie incurable : Saint-Jacques peut contenir trois cent soixante-seize lits- Lesnbsp;soins m�dicaux sont administr�s par deux m�decins et deux chirurgiens
H�PITAL DE SAINT-JACQDES. 243
en chef, deux substituts, deux assistants et quinze �l�ves attach�s a l�h�pital. Suivant Fusage, autrefois g�n�ral en Europe, tous ces hommesnbsp;de Fart portent un costume particulier. Le surtout rouge, couleur ordinaire des chirurgiens, est pour les �tudiants; le blanc pour les m�-decins.
Pour faire accepter au malade ces rem�des quelquefois bien amers, pour le consoler, pour remuer sa couche douloureuse, et Fentourernbsp;d�attentions d�licates, nous trouv�mes des religieuses hospitali�res,nbsp;auxquelles viennent se joindre souvent les dames romaines de la plusnbsp;haute distinction. Une commission ind�pendante, compos�e d�un pr�lat, d�un eccl�siastique et d�un la�que, dirige Fh�pital; un prieur sur-veille la discipline ; voila pour le mat�riel. Quatre chapelains admi-nistrent les secours spirituels aux malades, visit�s en outre par denbsp;charitables pr�tres et de pieux la�ques. De leur c�t�, les dames quinbsp;viennent servir et consoler les femmes infirmes, s�efforcent de les ra-mener � une vie chr�tienne : elles r�ussissent souvent. Terminons cenbsp;qui regarde les soins spirituels, par cette touchante parole d�unnbsp;histori�n : � Heureux, dit-il, les pauvres qui finissent leurs jours itnbsp;Saint-Jacques; d�abondantes pri�res leur sont assur�es apr�s leurnbsp;mort (i). �
A la t�te de ses bienfaiteurs, Fh�pital vous montre deux cardinaux et un pape dont les noms b�nis vivront ii jamais dans le coeur desnbsp;pauvres. En 1338, le cardinal Jacques Colonna s�apergut que les malades couverts d�ulc�res et de plaies �taient, � cause de la laideur etnbsp;de la longueur de leurs maux, rejet�s des hospices. Touch� de piti�,nbsp;tl ordonna, dans son testament, qu�un asile leur fut ouvert ; on �levanbsp;done Saint-Jacques surnomm� in Augusta, a raison du voisinage dunbsp;mausol�e d�Auguste. Digne �mule de Fillustre fondateur, le cardinalnbsp;Salviati, qui v�cut au xvn� si�cle, embellit Fh�pital et le dola de reve-nus consid�rables. Enfin, Fexcellent Pie VII y joignit F�cole de cliniquenbsp;chirurgicale pour les hommes et les femmes. Si vous ajoutez une bonnenbsp;pharmacie, avec laboratoire et jardin, une biblioth�que a Fusage desnbsp;�tudiants, un vaste amphilh�atre, une chambre d op�rations et denbsp;bains, vous aurez une id�� de eet important h�pital (2).
Faisant un pas de plus dans le chemin de la douleur et de la cha-rit�, nous gagnames le Transt�v�re pour visiter Fhospice de Saint-Gallican. Dans combien de lieux le pauvre malade qui ne peut �tre re^u nulle part, paree qu�il est atteint d�une maladie conlagieuse ou
(0 Constanzi, 1.1, p. 75.
(2) Morich., p. 55.
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LES IROIS ROME.
qui demande un traitement sp�cial, se voit tristement abandonn�! A Rome il ne connait pas cette dure condition; voici un asile cr�� toutnbsp;expr�s pour lui. Saint-Gallican rappelle deux souvenirs que nous re-cueillimes avee bonheur. Au moyen ftge, un l�preux francais �tait venunbsp;se r�fugier au dela de la Porte Angelica. La curiosit� et la compassionnbsp;lui attiraient de nombreuses visites. II reeueillit assez d�aum�nes pournbsp;�tablir lui-m�me une petite maladrerie, o� ses infortun�s compagnonsnbsp;pouvaient trouver des soiiis et un abri : l�bospice prit Ie nom de La-zare, Ie l�preux de l�Evangile. Cependant la l�pre ayant peu � peunbsp;disparu, tandis que la gale et la teigne devenaient plus communes, onnbsp;commen^a d�y soigner ces maladies. L��loignemenl de l�h�pital �taitnbsp;un inconv�nient; on Ie fit disparaitre en transportant les malades aunbsp;Saint-Esprit. Ils y rest�rent jusqu�en 1724, que Ie Pape Benoit XIIInbsp;leur fit batir au Transt�v�re un hospice sp�cial, l�un des plus beauxnbsp;de FEurope. Comme tous les Pontifes remains, Benoit XIII, jaloux denbsp;conserver de nobles souvenirs, d�dia Fh�pital sous 1�invocation denbsp;saint Gallican, personnage consulaire du iv� si�cle, qui Ie premiernbsp;avait ouvert a Ostie un asile pour les voyageurs et les infirmes. L��di-fice termin�, on y mit toutes les maladies cutan�es.
Nous fumes regus par un deschapelainsqui eut Fobligeance de nous Ie faire voir dans Ie plus grand d�tail. Saint-Gallican se compose denbsp;deux grandes salles plac�es sur la m�me ligne. Tune pour les hommes,nbsp;longue de trois cent soixante palmes, Fautre pour les femmes, longuenbsp;de deux cent quarante; elles sont s�par�es par une �glise quadrangu-laire, dont un c6t� a une porte sur la rue; les trois autres sont termi-n�s par des autels. De larges fen�tres bien perc�es, Fune vis-�-vis denbsp;Fautre, �clairent et rafraichissent les salles; a l�ext�rieur r�gne unnbsp;balcon d�o� Fon peut facilenient ouvrir et fermer les crois�es sansnbsp;d�ranger les malades. La salie des hommes peut eontenir cent vingtnbsp;Hts; celle des femmes quatre-vingt-buit. Des salles tenues avec unenbsp;exquise propret�, nous passames dans Ie bel amphith��tre dont L�on X�nbsp;enrichit F�tablissement. Des pr�parations anatomiques, six cuves denbsp;bains en marbre, une riche pharmacie avec un laboratoire et unenbsp;chambre d�op�rations, assurent aux m�decins les ressources, et auXnbsp;malades tous les soins qu�ils peuvent r�clamer.
Dans sa pr�voyante sollicitude, Benoit XIII a r�gl� les conditions d�admission. Les malades qui ont a la fois la gale ou la teigne, on lanbsp;l�pre avec la fi�vre, sont admis sur-le-champ quels que soient leurnbsp;nom, leur pays, leur religion; ceux qui ont des maladies cutan�es sansnbsp;fi�vre, vont se faire soigner tous les jours, s�ils demeurent � Rome;
HOSPICE DE SAINTE-MARIE-DE-LA-CONSOLATION. 245
s�ils viennent du dehors, ils sont re^us avec un ordre des sup�rieurs : l� ne se borne pas la charit� romaine. On a remarqu� que la teignenbsp;nait principalement de la raalpropret� de la t�te, et se irouve commu-n�ment chez les enfants de la classe pauvre. Quoiqu�ils n�aient pasnbsp;toujours la fi�vre, on les admet pourtant a I�hospice jusqu�a leur gu�-rison : ils y forment une maison a part. Tous les matins ils assistentnbsp;� la messe avec les autres malades; on pause ensuite leurs maux et onnbsp;les conduit � l��cole. Ils ont un r�fectoire g�n�ral, et pour dortoir lanbsp;magnifique salie de Benoit XIV. Pendant le jour, ils peuvent se pro-mener dans les cours int�rieures, et m�me sortir tous ensemble. Lesnbsp;jeunes f�les vivent de m�me dans leur quartier. Un conseil de troisnbsp;membres gouverne l�h�pital; un prieur eccl�siastique dirige la partienbsp;des hommes; les femmes sont conli�es a des Soeurs hospitali�res quinbsp;ont leur noviciat dans la maison. Deux chapelains et deux confesseursnbsp;sont charg�s des soins spirituels : pour ceux du corps, vous avez unnbsp;m�decin en chef, un assistant interne, un chirurgien qui fait les coursnbsp;d�anatomie et deux substituts.
S F�VRIER.
Charit� romaine pour les malades qui ont besoin de prompts secours. � Hospice de Sainte-Marie-de-la-Consolation, � �es BenfratelU,� pour les malades chroi�ques;nbsp;� pour ceux qui n�ont besoin que de rem�des ou de soins domestiques, les visitesnbsp;et l�aum�nerie_apostolique.
Chaque peuple a ses d�fauts particuliers, le Remain comrae les autres. La deplorable habitude de se battre au couteau semble naturelle au peuple italien, comme aux autres nations m�ridionales. J�ai vu unnbsp;Francais et un Romain se quereller pour quelques pi�ces de monnaie.nbsp;Dans son impatience, notre compalriote disait: � Je te paierai a coupsnbsp;de b�ton. � Le Romain, p�le de col�re, lui r�pondit froidement : � Etnbsp;moi avec le couteau : Ed io con coUello. � Les gamins, dans la rue,nbsp;recourent a cette arme, k propos de tout et � propos de rien. Pr�venirnbsp;par tous les moyens de semblables exces, et, s�il ne peut, les emp�cher,nbsp;en gu�rir les tristes suites; tel est le devoir d�un bon gouvernement:nbsp;Rome Rentend ainsi. Nous dirons plus tard ce qu�elle fait pour d�-truire 1 abus que nous signalens; l�ordre de nos courses veut que nousnbsp;parlions aujourd�hui du rem�de qu�elle lui pr�pare.
Quand vous descendez au V�labre, on vous montre, non loin de la Roche Tarp�ienne, un h�pital o� brille l�ordre, la propret� et l��l�-gance. Si vous en demandez le nom, il vous sera r�pondu : C�est l�h�-TOM. n.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;11
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pital de Sainte-Marie-de-la-Consolation; et vous b�nirez Ie g�nie ca-tholique seul capable de donner aux asiles de la douleur des noms si gracieux et si doux. Toutefois l�auguste Vierge ne fait point oubliepnbsp;l�h�ro�ne qui jadis consacra ces lieux par Fexercice de la plus admirable charit�. � C�est ici, vous dira l�bomme du peuple, qu�une noblenbsp;matrone, fille de Symmaque, patrice et s�nateur romain, avait coutumenbsp;de donner manger ii douze pauvre : elle s�appelle sainte Galle. Ser-vante des pauvres, elle consacra sa fortune a ses maitres : sa maisonnbsp;fut leur maison ; restaur�e, agrandie par les pontifes, elle est devenuenbsp;avec Ie temps Fhopital que vous voyez. �
II est destin� au traitement des blessures, fractures, contusions et de tous les maux qui exigent les prompts secours de la chirurgie. Par-tag� en deux salles parall�les, larges, propres et parfaitement a�r�es,nbsp;Fune pour les hommes et Fautre pour les femmes, il peut contenirnbsp;cent cinquante-six lils. Rarement ils sont tous occup�s, si ce n�est peut-�tre au carnaval et en octobre, quand Ie peuple s�abandonne sans re-tenue a ses joies toujours folies et trop souvent sanglantes. Chaquenbsp;jour il se pr�sente des blesses, que Fon soigne gratuitement; apr�snbsp;quoi on les renvoie chez eux ou bien on leur donne un lit, s�il est n�cessaire. Dix hommes de Fart, tant chirurgiens que m�decins et �tu-diants, demeurent amp; Fh�pital, afin que Fapplication des rem�des nenbsp;soui�re aucun retard.
Mais, suivant sa louable coutume, la charit� romaine s�occupe sur-tout de la sant� de F4me; et combien d�armes homicides elle a fait tomber des mains des malheureux qui n�attendaient peut-�tre que lanbsp;gu�rison de leurs blessures pour assouvir leur vengeance! Trois pr�tresnbsp;sont la, nuit et jour, pour assisler les malades; puis, vous voyez arrivernbsp;de pieuses confr�ries qui viennent les visiter, les instruire, les r�jouirnbsp;par quelques douceurs. La mort a-t-elle frapp� une victirae? De bonsnbsp;fr�res enlreront li la nuit tombante dans la chapelle fun�bre, enseve-liront Ie corps et Ie porteront en priant h sa dernl�re demeure (i).
Une l�gere distance nous s�parait de File du Tibre; l� nous appelait une nouvelle oeuvre non moins belle que les pr�c�dentes : c�est Fhd-pital tenu par les fr�res de Saint-Jean-de-Dieu, connus vulgairementnbsp;sous Ie nom des Benfratelli. Fond� en 1381, eet �tablissement se compose de deux salles �lev�es, bien claires et bien a�r�es, qui peuventnbsp;contenir ensemble soixante-quatorze lits. On y soigne les hommes seuls,nbsp;attaints de maladies aigu�s et m�dicales. C�est lii que sont transport�s
(i) Constanzi, 1.1, p. 73.
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les pauvres pr�tres qui ne peuvent recevoir amp; domicile les secours n�cessaires. Except� Ie m�decin en chef, qui fait la Yisite de Th�pital deux fois par jour, tous les infirmiers sont des religieux qui, alterna-tivement, veillenl les malades et les assistent avec une charit� extr�me.nbsp;Le sup�rieur lui-m�me recherche avec empressement les services lesnbsp;plus bas et donne l�exemple a tous. Par une perfection, inconnue m�menbsp;de nos ordres francais d�ailleurs si d�vou�s, ces religieux, outre lesnbsp;voBux solennels de chastet�, de pauvret� et d�ob�issance, font celui denbsp;soigner les malades. Presque tous sont la�ques; quelques-uns seule-ment regoivent le sacerdoce, afin de s�appliquer a la gu�rison des ftmes.nbsp;Pr�res des pauvres malades, ils partagent leur nourriture : la m�menbsp;cuisine sert aux uns et aux autres. Afin que les malades boivent Peaunbsp;la plus pure, on va chaque jour chercher celle de la fontaine Trevi,nbsp;appel�e virginale et d�ja reconnue la meilleure du temps des Remains.nbsp;Je ne dois pas oublier que la France entretient, � l�h�pital des Benfra-telli, deux lits pour de pauvres Francais : la d�pense est d�un francnbsp;treize centimes par jour.
Que la douleur, prompte comme le vautour, attaque le fils d�Adam avec la rapidit� de l��clair, Rome ne sera pas prise au d�pourvu :nbsp;Sainte-Marie-de-la-Consolation en est la preuve. Que la maladie, sem-blahle au serpent du d�sert, enlace l�homme de ses nombreux replis,nbsp;et ne le conduise au tr�pas qu�apr�s de longues et cruelles �treintes,nbsp;Rome trouvera encore les moyens de lui arracher ou du moins denbsp;consoler ses victimes; Bien que la plupart des h�pitaux resolvent lesnbsp;maladies chroniques, n�anmoins le manque d�un lieu sp�cial pour lesnbsp;soigner, a fait naitre l�heureuse id�� d��tablir a Rome des Soeurs de lanbsp;Charit�. L�ordre se compose de femmes veuves, mari�es ou filles, denbsp;condition honn�te, et au-dessus de quarante ans. Les paroisses o� ellesnbsp;sont �tablies agissent s�par�ment, mais en cas de besoin, elles se sou-tiennent les unes les autres par des pr�ts r�ciproques de personnes etnbsp;d�argent. Le cur� est le premier sup�rieur, et a le titre de directeur;nbsp;la prieure est la premi�re entre toutes les religieuses. D�s qu�il y anbsp;dans une paroisse un malade chronique, par exemple, un apoplectiquenbsp;OU tout autre, le cur� en avertit les Soeurs, qui vont le visiter deuxnbsp;fois par semaine, lui donnent une demi-livre de viande par jour, paientnbsp;le m�decin, les rem�des et le chirurgien, fournissent le lit et les lingesnbsp;n�cessaires, enfin ne le quittent qu�apr�s la mort ou la gu�rison. Onnbsp;ne saurait dire avec quelle ardente charit� ces bonnes Soeurs assistentnbsp;les infirmes, les servant jour et nuit, s�il le faut. Que diraient les Fa-bius et les Scipions, si, reparaissant dans Rome, ils voyaient leurs
-ocr page 252-248 nbsp;nbsp;nbsp;lES TROIS ROME.
�pouses et leurs filles devenues les servantes de ces pauvres que leur orgueil daignait � peine regarder, et que trop souvent leur cruaut�nbsp;envoyait mourir de faim dans l�ile du Tibre? Douteraient-ils de lanbsp;bont�, et par cons�quent de la divinit� de la religion, qui a produitnbsp;un pareil changement dans les moeurs de l�univers?
Les ressources de la soci�t� se composent de contributions men-suelles OU annuelles. Chaque paroisse a sa caisse sp�ciale; mais elle vient dans l�occasion au secours des autres. Plaise aDieu que les angesnbsp;de la charit� deviennent assez nombreux, pour se r�pandre dans lesnbsp;cinquante-quatre paroisses de Rome (i)!
II est une autre maladie souvent chronique et trop souvent incurable, dont Ie traitement exige des soins particuliers : je veux parler de la d�mence. De toutes les capitales, Rome est celle o� la folie fait Ienbsp;moins de victimes; j�en ai indiqu� la cause. �outefois, sur ce pointnbsp;comme sur les autres elle s�est montr�e g�n�reusement pr�voyante, etnbsp;nous voul�mes voir son oeuvre. Arriv�s a la Longara, nous entrSmesnbsp;dans l�h�pital de Sainte-Marie-de-la-Piti�, des pauvres fous. Voilanbsp;encore un de ces noms qui r�v�le �loquemment Ie coeur lUaternel denbsp;Rome chr�tienne. L�hospice date de fS48, et je ne counais pas de villenbsp;en Europe qui en ait eu avant cette �poque. Celui de Rome fut fond�nbsp;par trois Espagnols, Fernando Ruiz, Diego et Angelo Druno. II sem-ble, par cons�quent, qu�on peut en faire honneur a saint Jean-de-Dieu, espagnol lui-m�me, et dont la charit� envers les ali�n�s avaitnbsp;d�abord attir� la compassion de ses compatriotes sur cette classe d�in-fortun�s. Quoi qu�il en soit, Ie cardinal Quera, espagnol, fut Ie premier protecteur de l�hospice de Rome, et saint Charles Rorrom�e Ienbsp;magnifique bienfaiteur. Les batiments se composent de deux coursnbsp;quadrangulaires, autour desquelles, dans les �tages sup�rieurs, �ontnbsp;les dortoirs, et au rez-de-chauss�e les r�fectoires, la cuisine, les bainsnbsp;et Ia chapelle.
On admet gratuitement les pauvres de Rome; ceux qui appartien-nent aux autres communes y sont entretenus par elles, moyennant une pension annuelle de cent �cus. La nourriture est tr�s-bonne et Ie traitement tr�s-doux : la camisole et les lits de force sont les seuls moyensnbsp;oppos�s � la violence des furieux. Sainte-Marie-de-la-Piti� compte environ 370 ali�n�s; comme dans Ie reste de l�Europe, les femmes y sontnbsp;dans une proportion inf�rieure a celle des hommes. Cette observation,nbsp;jointe amp; beaucoup d�autres, �tablit que l�exc�s des passions, les ambi-
(i) Morich., p. 83.
-ocr page 253-LES VISITES ET l�adm�neeie APOSTOLIQ�E. nbsp;nbsp;nbsp;249
tions trompees et surtout Taffaiblissement de la foi, sont les causes principales de l�augmentation g�n�rale de la folie. Sur cent cas de d�-mence, quatre-vingts sont dus au d�r�glement des passions. Moins ilnbsp;y a de foi chez un peuple, plus il y a de fous; telle est la formulenbsp;qui r�sum� toutes les recherches de la science ; avis aux gouverne-ments, aux families, aux individus.
Nous avons vu ce que la charit� fait pour Ie malade admis dans les h�pitaux. Mais combien d�infortun�s pour qui l��loignement de leurnbsp;familie, l�absence de leur demeure, si ch�tive qu�elle soit, devient unnbsp;tourment insupportable! combien d�autres encore qui, environn�s denbsp;soins attentifs, n�ont besoin que de m�dicaments! Bonne et tendrenbsp;comme une m�re, Rome respecteles affections du pauvre; les rem�desnbsp;n�cessaires lui seront envoy�s dans sa maison, et il aura la consolationnbsp;de gu�rir ou de mourir au milieu des siens. Cette attention d�licate,nbsp;de la charit� romaine, se personnifie dans l�excellent pontife Innocent XII. C�est lui qui, Ie premier, donna i l�Aum�nerie apostoliquenbsp;son existence actuelle. Admirable institution! qui �tend ses bienfaitsnbsp;sur la cit� tont enti�re, partag�e en onze sections nomm�es visites.
Chaque visite embrasse deux, trois, quatre ou cinq paroisses. Onze eccl�siastiques, v�n�rables par leurs vertus et par leur charit�, pr�sident les visites et se nomment visiteurs. Chacune d�elles a son m�decinnbsp;et son chirurgien; de plus, un m�decin-inspecteur vient souvent con-tr�ler les actes de ses coll�gues et la quallt� des rem�des. Trois chi-rurgiens lithotomistes et dix pharmaciens compl�tent Ie personnel etnbsp;les d�pendances de Tceuvre. Quand un malade r�clame les soins denbsp;l�Aum�nerie, il en fait pr�venir son cur�, qui envoie un billet d�avis �nbsp;la pharmacie. Le m�decin y passe tons les matins; trouve Ie billetnbsp;avec 1 adresse du malade, et va le visiter. Si la maladie a un caract�renbsp;trop grave pour �tre soign�e a domicile, ou si I�infirme manque denbsp;l�entourage n�cessaire, on le porte, aux frais de l�Aum�nerie, dans unnbsp;hospice. Qrdinairement on soigne ainsi, chez elles, les pcrsonnes quinbsp;appartiennent a des families distingu�es, mais pauvres, quirougiraientnbsp;d��tre confondues avec le peuple, dans la salie publique d�un h�pital;nbsp;c�est un nouveau trait de d�licatesse de la charit� romaine. Le suivantnbsp;prouve sa g�n�rosit� : quelques chateaux et petites villes des environsnbsp;de Rome ont leurs h�pitaux particuliers; si, dans les lieux o� ilsnbsp;manquent, ainsi que les secours n�cessaires, il se trouve un malade,nbsp;l�Aum�nerie le fait transporter aux hospices de Rome : la Daterienbsp;apostolique consacre, � cette bonne oeuvre, environ sept mille �cusnbsp;par an.
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6 FEVllIER.
Travaux publics.�
Cliarit� romaine pour Ie convalescent, � pour Ie pauvre gu�ri. � 1 Secours particuliers. � Aum�nerie apostolique.
Pendant les trois premiers si�cles, on put suivre la religion chr�-tienne � la trace de son sang et la distinguer ainsi des sectes �tran-g�res. Aiijourd�hui on peut encore la reconnaitre au caract�re incommunicable de ses oeuvres. Depuis hult jours nous la suivions dans la grande Rome, ii la trace de ses bienfaits, et notre course n��tait pasnbsp;linie. Les soins maternels, dont la charit� entoure l�bomme au berceaunbsp;et sur son lit de douleur, nous �taient connus; mais si Ie pauvre ma-lade revient a la sant�, sera-t-il jel� dans la rue et abandonn� ii lui-m�me aussit�t que ses forces, imparfaitement r�tablies, lui permet-tront de regagner sa demeure? II en est ainsi chez la plupart desnbsp;nations civilis�es; Rome tient une autre conduite. II est vrai, Ie maladenbsp;est en convalescence; mais il est encore faible, il ne peut encorenbsp;gagner son pain du jour et un travail trop prompt peut amener denbsp;facheuses recbutes ; Ie temps, une nourriture saine et abundante, unnbsp;air pur, peuvent seuls lui rendre sa vigueur primitive.
� Et vollil, dit M. de Tournon, que la cbarit� romaine qui, d�une main si lib�rale, cr�e des �tablissements o� les malades trouvent desnbsp;secours, compl�te son reuvre par une fondation que doivent enviernbsp;toutes nos grandes villes. Sur les bords du Tibre s��l�ve un vaste etnbsp;beau batiment destin� aux convalescents, c�est-�-dlre a ceux qui, dansnbsp;les h�pitaux, ont attelnt Ie moment o� les rem�des sont inutiles, etnbsp;pour qui un air pur, une nourriture saine, l�absence des travaux etnbsp;des soucis domestiques, sont les nniques soins. Le convalescent, regunbsp;dans la maison della Santissima Trinitd de� Pellegrini, loin des imagesnbsp;fun�bres qui, dans les h�pitaux, assi�geaient son lit, ouvre son coeur inbsp;l�esp�rance et � Ia joie, et peu apr�s Ia soci�t� le retrouve dans un �tatnbsp;de sant� affermi et pr�t � lui �tre utile (i). �
C�est un saint qui, le pi�emler, eut la pens�e de eet �tablissement. Touch� de compassion, en voyant sortir des h�pitaux des hommes �nbsp;peine relev�s de maladle, ext�nu�s, languissants, priv�s encore desnbsp;forces n�cessaires au travail, saint Philippe de N�ri se mit � les re-cueillir dans la maison que lui donna g�n�reusement la noble dame
(i) �tudes statistiques, t. ii, p. 118.
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H�l�na Orsini, aux Thermos d�Agrippine. II les gardait jusqu�� ce qu�ils eussent repris leurs forces et qu�ils fussent capables de travail;nbsp;cela se passait en 1551. La lib�ralit� des Souverains Pontifes agranditnbsp;lellement la maison primitive, qu�elle est devenue Ie magnifique hospice des p�lerins et des convalescents. Lors done qu�un malade doitnbsp;�tre cong�di� de l�h�pital, volei venir un carrosse qui s�arr�te sur Ienbsp;seuil; Ie malade y monte, et comme un grand personnage on conduitnbsp;eet enfant de la charit� dans une superbe demeure. Tous les h�pitauxnbsp;de Rome ont une volture semblable, destin�e au m�me usage. Ces ma-lades sont regus avec empressement par les confr�res, et on les gardenbsp;tant qu�ils ne sont pas enti�rement r�tablis. Leur nourriture consiste,nbsp;Ie matin, en un bouillon et une once et demie de pain; au diner, unnbsp;potage, dix onces de pain, six de viande, une feui�lette de vin et desnbsp;fruits; au souper, un potage, trois onces de viande, six de pain, unenbsp;salade, une demi-feuillette de vin.
Un m�decin visite chaque jour I�etablissement : si Ie convalescent �prouve une rechute, on Ie transporte de nouveau � Ph�pital, ou biennbsp;on Ie conserve amp; l�hospice quand il n�est pas en �tat de supporter Ienbsp;trajet. Le nombre moyen des convalescents est d�environ soixante-dix (i). Je ne donnerai point ici la description de l�h�pital; je la r�serve pour le jour o� nous viendrons faire notre visite aux p�lerins.
Voila done le malade parfaitement gu�ri; il peut, avec confiance, rentrer dans sa familie. Mais pour vivre, il lui faut du travail, et quinbsp;sait s�il en trouvera? La charit� n�a pas voulu lui laisser cette cruellenbsp;inqui�tude. Intelligente, autant que g�n�reuse, Rome a compris, etnbsp;peut-�tre la premi�re, que l�aum�ne la plus utile au pauvre valide, estnbsp;celle du travail. De cette maxime, si ch�re aux �conomistes modernes,nbsp;voyez quelle magnifique application dans la cite des Pontifes 1 En faitnbsp;de travaux publics, Rome rtir�tienne rivalise avec les capitales denbsp;1�Europe, ou plut�t elle les surpasse toutes. Les papes ont entreprisnbsp;des ouvrages s�culaires, non-seulement pour r�pandre sur leur ville lanbsp;gloire et la splendeur; mais aussi pour offrir aux pauvres inoccup�snbsp;un moyen de profit et de soulagement. Tel fut, en particulier, le butnbsp;de Sixte V, d�Innocent XII, de Pie VI, de Pie VII, dans leurs immortelles entreprises. Quoique pauvre, Gr�goire XVI consacre, h eet objet,nbsp;une somme annuelle de 55,293 �cus (2).
Les ouvriers sont ordinalrement au nombre de six cents; on leur donne, par jour, douze ba�oques et un pain. Afin d�emp�cher l�incon-
(�) Morich., p. 80.
(2) Morich., 17 et 174.
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cluite OU la parosse, on cong�die celui qui manque trois fois de suite. L�adininistration se compose de deux inspecteurs, de huil surveillants,nbsp;de trente-deux caporaux, de quelques greffiers et gardiens, qui, tous,nbsp;except� les inspecteurs, sont pris parmi les ouvriers eux-m�mes. Pendant notre s�jour i� Rome, les pauvres �taient occup�s aux fouilles dunbsp;Forum; les vieillards d�sherbaient la Voie sacr�e ou curaient les foss�snbsp;du Palatin; d�autres �taient employ�s 5 la batisse de Saint-Paul-hors-des-Murs, et une soixantaine environ aux forges de Tivoli. II est bonnbsp;de remarquer que tous les,travaux publics de conservation, de d�blaie-ment et de constructions romaines, profitent b l�Europe enti�re :nbsp;chaque ann�e, des milliers de savants et d�artistes viennent les �tu-dier; et si une chose �tonne, c�est qu�un petit nombre seulement son-gent a b�nir la main, deux fois bienfaisante, qui accomplit ces utilesnbsp;ouvrages.
Malgr� sa bonne volont�, il se peut que l�ouvrier ne puisse par son labeur subvenir aux besoins de sa familie. La charit� romaine vientnbsp;alors a son aide, et r�sout de la mani�re la plus lib�rale Ie redoutablenbsp;probl�me des soci�t�s modernes : l�pbondance des uns suppl�e dansnbsp;de justes limites h 1�indigence des autres. II serail Irop long de. nom-mer en d�tail toutes les oeuvres charitables qui ont pour objet les secuurs k domicile. Je dirai seulement qu�i la personne du Souverainnbsp;Pontife est attach� un pr�lat charg� de distribuer les aum�nes du p�renbsp;commun. L�institution d�un aum�nier secret, elemosiniere secreto, dunbsp;Pape remonte au septi�me si�cle, sous Ie pontiflcat de Conon. L�exem-ple du Saint-P�re fut imit� par les rois et les princes chr�tiens; maisnbsp;Rome a Ia gloire de l�initiative. L�aum�nier apostolique habite Ie Vatican, o� se trouvent son secr�tariat, ses archives et ses comptes.nbsp;Membre intime de la familie pontificale, il accompagne toujours Ienbsp;Saint-P�re, soit dans les stations solennelles de la ville, soit dans lesnbsp;voyages hors de Rome; car il est Ie canal oblig� de ses innombrablesnbsp;aum�nes.
Cinq cents �cus par mois sont distribu�s par l�aum�nier en dons manuels, selon la volont� du pape, et Ie plus souvent sur un rescrit dunbsp;Saint-P�re lui-m�rae. Je ne parle pas ici des secours donn�s pournbsp;T�ducation des enfants. Dans les jours plus prosp�res, il accordaitnbsp;aussi de nombreuses pensions mensuelles. Ces pensions se faisaient,nbsp;de pr�f�rence, aux pauvres honteux, aux institutions de charit� et auxnbsp;monast�res. Le deux f�vrier, jour anniversaire du couronnement denbsp;Gr�goire XVI, nous vimes dans Ia grande cour du Belv�d�re, au Vatican, Msquot;' l�aum�nier entour� d�une foule de pauvre : ce spectacle nous
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rappelait Saint-Laurent et la.maison de sainte Cyriaque. Les hommes �taient d�un c6t�, les femmes de I�aulre; chaque pauvre recevait unnbsp;demi-paul, ce qui s�appelle Faum�ne del grosso : la premi�re ann�enbsp;du pontificat on donne un paul entier par t�te. Nagu�re, une aum�ne,nbsp;dite del testone ou des trois pauls, �tait accord�e les jours de Pftquesnbsp;et de Noel; paternelle attention des vicaires de J�sus-Christ, qui vou-laient faire passer gaiment au peuple ces saints jours de f�te! I�abais-sement des revenus pontificaux en a fait cesser l�usage. II en est unnbsp;autre qui subsiste encore, et qui a Ie m�me principe. Trois fois Tan,nbsp;a Pamp;ques, a No�l, et Ie jour du couronnement du pape, Taum�niernbsp;donne un paul a tous les d�tenus de la prison Innocentienne, auxnbsp;jeunes gens de la maison de correction, aux femmes du P�nitencier denbsp;Saint-Michel, et aux prisonniers pour dettes du Capitole.
Citons encore un usage s�culaire et bien touchant que Ie malheur des temps a fait supprimer, du moins en partie. A l�imitation denbsp;Notre-Seigneur qui avait nourri et servi � table ses douze Ap�tres, lesnbsp;papes, depuis saint Gr�goire Ie Grand, faisaient chaque jour dinernbsp;douze pauvres dans leur palais et les servaient de leurs propres mains,nbsp;lorsqu�ils n��taient pas emp�ch�s : L�on XII a donn� bien des fois cenbsp;touchant exemple. Aujourd�hui la table est supprim�e; raais on donnenbsp;chaque jour h douze paut'res une somme �quivalente afin qu�ils puis-sent la partager avec leurs families (i).
7 FEVRIER.
Anecdote� Autres charit�s pour Ie pauvre ; visites a domicile. � Commission des
subsides. � Pr�t d�argent au pauvre. � Soin de ses petites �conomies__Loterie. �
Defense de ses int�r�ts temporels..� Confr�rie de Saint-Yves.
En reprenant notre visite de Rome charitable, nous descendimes au Corso. De vieux livres �tal�s devant Ie modeste magasin d�un bouqui-niste attir�rent un instant notre curiosit� ; je mis la main sur unnbsp;Macrobe. Quelle bonne fortune! et je m�empressai de chercher Ienbsp;fameux mot attribu� a l�empereur Auguste, sur Ie massacre des Innocents. Ce mot est d�une grande importance, puisqu�il constate, par Ienbsp;l�moignage de l�histoire profane, un fait chr�tien d�une haute valeur.nbsp;Done, � la page 159, livre second des Saturnales, je lus : � Auguste,nbsp;ayant appris que parmi les enfants au-dessous de deux ans mis a mortnbsp;dans la Syri� par ordre d�H�rode, roi des Juifs, ce prince avait fait
(1) Constanzi, 1.1, p. 21 et 27; Morich., p. 177.
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mourir son propre fils, il s��cria: I! vaut mieux �tre Ie porc d�H�rode que son fils (i). � Voil^ qui est clair.
A Rome,*conime ailleurs, les pauvres qui tendent la main dans la rue ne sont pas toujours les plus i plaindre. En outre, donner unenbsp;pi�ce de monnaie suffit rarement pour soulager Ie malheureux; carnbsp;rhomme ne vit pas seulement de pain. Mais que Ie riche s�abaisse versnbsp;Ie pauvre, entre dans son ch�tif galetas, s�identifie avec sa position,nbsp;lui laisse, avec Ie pain materiel, de bonnes et douces paroles qui re-l�vent son courage, telle est la v�ritable aum�ne, celle qui caract�risenbsp;essentiellement la charit� catholique. Rome Fa compris, et la Commission des subsides s�acquitte de tous ces devoirs avec intelligence etnbsp;activit�. �tablie sous les derniers pontifes, elle se compose d�un cardinal pr�sident et de quinze membres nomm�s par Ie Saint-P�re.nbsp;Leurs functions durent six ann�es seulement, paree qu�on a pens�nbsp;qu�au bout de ce temps leur z�le pourrait se ralentir. La ville est di-vis�e en douze regions; chaque region se subdivise en paroisses, et unnbsp;nombre correspondant de congr�gations r�gionnaires ou paroissialesnbsp;r�partit les aum�nes : les membres ,de ces derni�res demeurent troisnbsp;ans en charge.
La commission se r�unit une fois par mois chez Ie cardinal pr�sident; une fois par mois aussi se r�unissent les congr�gations paroissiales dans lesquelles on discute les demandes des pauvres de la pa-roisse. Deux D�put�s vont les visiter dans leurs maisons, v�rilient leurs assertions, constatent leurs besoins et proposent la nature, Ie montantnbsp;et la dur�e du secours n�cessaire; la commission sup�rieure fait en-suite Fallocation demand�e. Les visiteurs s�occupent aussi avec soinnbsp;de rechercher F�tat moral des pauvres; s�enqui�rent de leur conduite,nbsp;des causes de leur mis�re et des moyens d�y porter rem�de. I.es secours accord�s se composent ordinairement de v�tements, de fourni-tures de lits, de linge et d�outils de diff�rents m�tiers. Tous ces objetsnbsp;sont fabriqu�s dans l�hospice des Thermes, marqu�s d�un signe particulier, et ne peuvent �tre vendus sous peine de dix jours de prison.nbsp;La charitable commission r�pand annuellement 172,145 �cus, fournisnbsp;par la cbambre apostolique (2).
En lisant ces d�tails, il est bien difficile de ne pas reconnaitre Ie
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Cum audisset Augustus inter pueros quos in Syria Herodes rex Judaeorum inlr.quot;�nbsp;bimatum jussit inlerfici, fdium quoque ejus occisum, ait: Melius est Herodis porcumnbsp;csso quam iilium. � Dans son llistoriafamilice sacrm, Sandini pretend qu�il s�agit d�Antipater, mis a mort par son p�re i la suite d�une conjuration; mais les raisons dt^cetnbsp;auteur me paraissent faciles a r�futer.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Morich., p. 181.
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type essentiel de notre admirable Soci�t� de Saint-Vincent-de-Paul. Sur ce point comme sur les autres, Rome a done encore la gloire denbsp;I�iniliative.
Sans �tre r�duit a la mendicit�, le pauvre ouvrier a souvent besoin d�argent, soit pour commencer quelque petite entreprise, soit pournbsp;acheter les mati�res qu�il met en oeuvre, ovi m�rae les outils qu�il em-ploie. Ici encore, la charit� romaine s�est pr�sent�e la premi�re au-devant de cette n�cessit� : les �tats pontilicaux ont vu naitre lesnbsp;Monts-de-Pi�t�, dont la gloire revient tout enti�re au p�re Barnab� denbsp;Terni. C��tait au commencement du quinzi�me si�cle; le bon religieux,nbsp;pr�chant a P�rouse, ne pouvait retenir ses larmes en voyant les �nor-mes int�r�ts extorqu�s aux pauvres par les usuriers, et surlout par lesnbsp;Juifs (i). On ne pr�tait pas ii moins de 80 ou 70 pour cent. Son z�lenbsp;ne lui laissa de repos qu�apr�s avoir engage quelques riches charita-bles a former une caisse de pr�ts pour les n�cessileux, moyennanl unnbsp;l�ger int�r�t destin� au paiement des employ�s. La chose r�ussit mer-veilleusement, et cette caisse se nomma Mont-de-Pi�t�. Aussi, concertnbsp;unanime de b�n�dictions de la part du pauvre peuple; explosion formidable d�injures, d�accusalions, de r�clamations, de calomnies de lanbsp;part des agioteurs. Heureusement que les petits et les faibles avaientnbsp;alors un appui dans la papaut�. Les Souverains Pontifes impos�rentnbsp;silence aux d�tracteurs, approuv�rent Finstitution, et frapp�rent denbsp;censures quiconque en parlerait mal. Au nombre de ces bienfaiteursnbsp;du peuple, citons, entr�autres, Paul II, Sixte IV, Innocent VIII, Jules IInbsp;et L�on X. En lisant les sages et paternelles prescriptions de ces pontifes, on ne peut douler qu�il y ait dans Fhistoire une page qui fassenbsp;plus d�honneur a la charit� romaine (2).
Un Mont-de-Pi�t� ne tarda pas 0 �tre �tabli dans Rome, et les car-dinaux, protecteurs de Fordre des Fr�res-Mineurs, Ie furent aussi de leur oeuvre. Entre ces princes de F�glise on doit nommer, par reconnaissance, saint Charles Borrom�e qui fit de pers�v�rants efforts pournbsp;la prosp�rit� de Finstitution. Cl�ment VIII, voyant le nombre croissant des d�p�ts, acheta, pour les recevoir, trois grands palais, dont lanbsp;r�union forme aujourd�hui le local du Mont-de-Pi�t�; nous le visi-lames avec admiration. La chapelle, destin�e aux exercices religieux
(1) Montes Pietalis... ut ad ipsa tanquam ad montem confidenter refugere possint in-digentes, et ea in promptu sint ad mutuandum sub pignoris caulione ipsisindigenlibus, et pccurrendum usuris, quas pro sua indigenlia usurariis praiserlim Judajis solvere co-gebantur. Ferraris, t. v.
(a) Voyez entre autres Ferraris Bibliotheca, etc., etc., Montes Pietatis.
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de la confr�rie, resplendit de marbres rares et de sculptures pr�-cieuses : tout l��difice est fraichement restaur�. Nous apprimes que Ie Saint-P�re, Gr�goire XVI, venait de donner au Saint-Mont une preuvenbsp;de sympathie et de lui laisser un souvenir de sa g�n�rosit� envers lesnbsp;pauvres, en ordonnant, a ses frais, la restitution gratuite de beaucoupnbsp;de gages. Dans les temps les plus prosp�res de l�oeuvre, les gages senbsp;conservaient dix-huit mois gratuitement, jusqu�i� concurrence denbsp;30 ecus. Depuis les secousses politiques, Ie gage d�un an se re^oit etnbsp;se renouvelle seul gratuitement, quand Ie pr�t n�exc�de pas 13 �cus.
Deux choses distinguent Ie Mont-de-Pi�t� de Rome ; la premi�re est l��tablissement d�une salie particuli�re o� Pon regoit uniquement Por,nbsp;Pargent, les bijoux d�une valeur plus forte que quatre �cus. La facilit�nbsp;offerte aux d�posants et Ia r�serve dont on use � leur �gard, sp�ciale-ment dans cette garde, o� viennent souvent, pouss�es par Ie besoin,nbsp;des personnes fort honn�tes, est un nouvel exemple de d�licatesse denbsp;Ia charit�romaine. La seconde, c�est P�tablissement de monts suppl�-inentaires dans les diff�rents quartiers de la ville. Ils sont destin�s, parnbsp;Ie Mont-de-Pi�t� lui-m�me, � recevoir provisoirement les gages jusqu��nbsp;la valeur de quatre �cus, afin que les pauvres puissent trouver un secuurs instantan� a toutes les heures, et surtout les jours de f�te quandnbsp;P�tablissement principal est ferm�.
Si Ie Mont-de-Pi�t� offre au pauvre Ie moyen de se soustraire aux ravages de Pusure, il lui fournit, avec trop de facilit� peut-�tre, desnbsp;fonds qu�il peut perdre en d�bauches et en folies. Pour compenser lesnbsp;vices de cette institution, ou plut�t pour la compl�ter, on a �tabli �nbsp;Rome une Caisse d��pargne. Ainsi, Ie pauvre. Partisan, Phonn�te ou-vrier, trouvent dans la pr�voyante cit� la pr�cieuse ressource de senbsp;procurer de Pargent pour leurs besoins, et Ie moyen assur� de con-server utilement Ie fruit de leurs �conomies.
N�anmoins, Ie peuple est toujours un enfant; malgr� Pactive solli-citude avec laquelle on veille sur ses int�r�ts, la tentation du jeu peut Pentrainer dans des pertes ruineuses et Ie compromettre lui et sa familie. On sait combien la loterie, surtout, a d�attrait pour les pauvres.nbsp;Autoris�e a Rome par Innocent XIII, Ia loterie fut abolie par Benoit XIII; son successeur, Benoit XIV, voyant son peuple, passionn�nbsp;pour ce jeu de hasard, courir dans tous les �tats limitrophes o� ilnbsp;exislait et d�placer ainsi les capitaux, en revint a Ie tol�rer. Mais ilnbsp;obligea Ie fisc � donner aux gagnants un surcroit de 80 pour 100, etnbsp;a reverser sur les pauvres tous les profits du jeu, d�ductlon faite desnbsp;d�penses qu�il entraine. Ainsi, la loterie de Rome r�pand 30,000 �cus
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par an, en aum�nes manuelles; 15,000 en autres aum�nes, et 5,500 �cus en dot a de pauvres jeunes filles, comme nous l�avons dit plusnbsp;haut. Telle est Fhabile combinaison en vertu de laquelle la loterie denbsp;Rome gu�rit d�une main les blessures qu�elle peut faire de 1�autre.nbsp;Connaissez-Yous un moyen plus ing�nieux de tirer Ie bien d�un malnbsp;n�cessaire?
Prot�g� contre ses propres passions, il ne reste plus qu�� mettre Ie pauvre a couvert de l�injustice d�autrui. Si Ie ricbe a un proc�s, ou ilnbsp;se d�fend lui-m�me, ou il trouve facilement des avocats; mais Ie petitnbsp;et Ie faible, trop peu �clair� pour plaider sa cause, ou trop pauvrenbsp;pour trouver une voix qui veuille lui pr�ter son appui, se voit expos�nbsp;sans d�fense i une ruine compl�te : Rome est venue a son aide. D�snbsp;Ie commencement du xvi� si�cle, il se forma une soci�t� de gens denbsp;robe, avocats ou pr�lats des tribunaux et m�me de la Rote. Elle s�as-semble cbaque dimancbe dans l��gllse de Saint-Cbarles o� elle a sonnbsp;oratoire particulier. Apr�s avoir accompli ses exercices pieux, elle senbsp;retire dans une salie voisine pour examiner les causes civiles dans les-quelles les pauvres se trouvent engag�s ; Ie droit reconnu, elle prendnbsp;gratuitement leur d�fense. L�Arcbiconfr�rie de Saint-Yves n�exceptenbsp;aucun pauvre de son patronage, quel que soit son pays : nouvellenbsp;preuve que la cbarit� romaine a toujours aspir� a �tre catbolique.
La Confr�rie se compose d�un cardinal protecteur, d�un pr�lat mem-bre de la magistrature de Rome, nomm� pr�fet, et d�associ�s tous bommes de loi. Le pauvre qui r�clame son appui, adresse directementnbsp;sa supplique au cardinal protecteur, qui l�envoie a quelqu�un des l�-gistes de la soci�t�. Celui-ci examine les certificats d�indigence et lesnbsp;all�gations pr�sent�es comme preuve de son droit par le demandeur;nbsp;puis quand ces deux conditions de justice et de mis�re se trouventnbsp;r�unies, la Confr�rie se charge de la cause, et l�un des fr�res pr�sentenbsp;la d�fense. Or, le pauvre est �loquemment soutenu; car la Confr�rienbsp;a toujours vu parmi ses membres de c�l�bres personnages; aujour-d�hui encore elle est fi�re d�avoir compt� dans ses rangs l�illustre Benoit XIV, quand il n��tait encore que l�avocat Lambertini. De leurnbsp;c�t�, les Souverains Pontifes n�ont cess� d�encourager cette associationnbsp;�minemmentchr�tienne. Benoit XIII lui accorda le privil�ge de pouvoirnbsp;faire d�corer de la pr�lature romaine Phomme de loi qu�il lui plaitnbsp;de choisir.
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8 FEVRIER.
Carnaval. � Charit� romaine pour Ie pauvre sans abri. � Visite a Sainte-Galle et a Saint-Louis.
II �tait pr�s de midi lorsque nous sorlimes pour continuer notre itin�raire; mais Ie carnaval �tait dans Ia rue, et force nous fut denbsp;battre en retraite. Or, les plus graves historiens de l�antiquit� ont d�-crit les joies du peuple-roi, et nous devons les en remercier; car lesnbsp;plaisirs des peuples ont aussi leur enseignement. Telle sera monnbsp;excuse, si je parle du carnaval dans Ia Rome moderne.
Dignes h�ritiers des fils de Romulus, les Romains d�aujourd�hui sont encore fous de spectacle; Ie carnaval en particulier semble leurnbsp;tourner la t�te. A cette f�te burlesque, ils mettent une importancenbsp;parfaitement comique, et leur enthousiasme se traduit par un pro-verbe fort connu. Pour marquer les grandes �poques de l�ann�e, ilsnbsp;disent : II santo Natale, la Pasqua,e il santissimo carnevale. A l�ap-proche du carnaval la loterie ne peut suffire aux demandes de billets;nbsp;Ie Mont-de-Pi�t� regorge d�objets souvent de premi�re n�cessit�, quenbsp;les pauvres y d�posent en gage de l�argent dont ils ont besoin; lesnbsp;cours publics sont ferm�s; les magasins du Corso ne vendent plus,nbsp;ils se transforment en tribunes et en galeries pour les spectateurs :nbsp;toute la ville est en f�te.
L�ouverlure du carnaval est annonc�e par la grosse cloche du Ca-pitole qui ne sonne que pour cette circonstance et pour la mort du Pape! C�est � midi pr�cis qu�elle se fait entendre. Alors Ie s�nateur denbsp;Rome, en grand manteau de soie brod� d�or, accompagn� de gardesnbsp;et de pages richement v�tus, descend la c�l�bre colline, dans une voi-ture �tincelante de glac�s et de dorures; il parcourt Ie Corso d�unenbsp;extr�mit� ^ l�autre. Sa pr�sence avertit Ie bon peuple qu�il peut com-mencer. A peine la voiture s�natoriale a-t-elle quitt� la rue, qu�unnbsp;coup de canon donne Ie signal de la f�te. En un clin d�ceil Ie Corsonbsp;se remplit de deux files continues d��quipages qui circulent lentement,nbsp;et dont Ie double mouvement d�aller el de retour forme une chainenbsp;mobile de la place du Peuple � la place de Venise. Jusqu�aux derniersnbsp;�tages, les crois�es et les balcons, richement tendus d��tolFes rouges,nbsp;sontgarnis de spectateurs qui lancent a l�envi des confetti snv les �quipages. Les confetti sont des espcces de bonbons en farine, de la gros-seur d�un pois ou d�une petite noisette, et qui se cassent en tombant.
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II pleut aussi des fleurs et de petits morceaux de chocolat de la m�me grosseur que les confetti. Princes ou princesses, personne n�est �par-gn�. Pour se garantir de la gr�le dont ils sont assailHs, les prome-neurs se couvrent Ie visage d�un masque en lil de fer; mais rien nenbsp;prot�g� leurs habits, qui sont, apr�s quelques minutes, blancs commenbsp;ceux des meuniers. De leur c�t�, les �quipages se munissent de grandsnbsp;paniers remplis des innocents projectiles, et ripostent de leur mieux.
Au milieu des voitures circulent, gambadent, dansent, chantent, im-provisent, des myriades de masques de toutes les formes et de toutes les couleurs. Sur les deux trottoirs se presse une foule compacte, quinbsp;d�vore des yeux Ie comique spectacle, qui se passionne, qui fr�mit,nbsp;qui �clate en bravos et en �clats de rire, et qui semble ivre de joie.nbsp;Plac�s nous-m�mes au balcon isol� d�un Iroisi�me �tage, nous nenbsp;p�mes maitriser notre hilarit�, a la vue de certaines sc�nes d�une bi-zarrerie achev�e. La premi�re de ces singularit�s, ou excentricit�s,nbsp;comme parle certain orateur politique, �tait un improvisateur en costume de troubadour. Plac� en jockey derri�re une cal�che d�couverte,nbsp;il chantait ses vers en s�animant avec un tambour de basque. Les lazzinbsp;�taient si comiques, si mordants, que toute la foule assembl�e autournbsp;de la voiture riait a �touffer; Ie rire se communiquait aux balcons, etnbsp;devenait tout a fait hom�rique.
Parut ensuite un docteur en m�decine, v�tu comme Sangrado, la t�te couverte d�un chapeau noir, k la Robinson, d�un m�tre de hauteur; Ie corps envelopp� d�une large robe noire retenue par une cein-ture, et Ie nez orn� d�une paire de lunettes dont chaque verre avait lanbsp;largeur d�une assiette. A c�t� du docteur marchaient ses aides et sesnbsp;domestiques. Les premiers, charg�s du grimoire, faisaient faire placenbsp;k leur maitre; les seconds tenaient �lev� au-dessus de leur t�te certainnbsp;instrument qui par ses dimensions colossales ressemblait beaucoupnbsp;moins a ses pareils qu�� une chemin�e de bateau a vapeur. Des hu�esnbsp;et des quolibets, d�ailleurs fort innocents, signalaient sur toute lanbsp;route Ie passage du disciple d�Hippocrate. Des manifestations d�unnbsp;autre ordre accueillaient un gracieux personnage, qui s�en allait ennbsp;zigzag, s�arr�tant devant les plus larges balcons : c�est ce qu�on appe-lait dans la foule Ie jardinier du pape. Arm� d�un serpent de b�ls quinbsp;s�allongeait et se repliait a volont�, ce masque portalt jusqu�aux seconds �tages des bouquets de violettes et de roses printani�res. Pournbsp;r�compense il recevait sur la figure quelques bonnes poign�es de confetti : cruaut�!
Au nombre de ces acteurs en plein vent, figuraient plusieurs �l�ves
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de I�Academie de France : ils repr�sentaient une sc�ne de brigands. Voici venir un masque aux proportions hercul�ennes, la carabine surnbsp;l��paule; il conduit par la bride un superbe cheval, sur lequel senbsp;trouve couch� en travers et fortement attach� un noble voyageur, lanbsp;t�te envelopp�e d�un linge ensanglant�. Autour du cheval marchentnbsp;buit brigands arm�s de carabines et de poignards. Derri�re, viennentnbsp;deux chevaux de bat portant les riches d�pouilles du voyageur, quenbsp;la troupe infernale est cens�e conduire dans son repaire, au fond denbsp;la for�t. De temps en temps vous auriez vu la malheureuse victimenbsp;faisant mine de vouloir se d�barrasser de ses liens; puis toutes lesnbsp;carabines se dirigeant contre elle, et tous les poignards se levant surnbsp;sa poitrine. Telle �tait la v�rit� de cette sc�ne, que, si les acteursnbsp;n�eussent �t� de nos compatriotes, on les aurait pris pour des v�t�ransnbsp;du m�tier.
Au reste, pour voir Ie carnaval, et pour en rire de grand coeur, je n��lais pas en mauvaise compagnie. A ma gauche �tait un professeurnbsp;d�histoireeccl�siastique, pr�tre fort respectable sous tous les rapports;nbsp;� ma droite, un �v�que! oui, un �v'�que; et quel �v�que! pour parlernbsp;en style de M. Jules Janin, un �v�que de l�Oc�anie, un ap�tre. Pendant que ce peuple de grands enfants fol�lrait dans la rue, nous par-lions de missions, de sauvages, de propagation de la foi. Notre conversation continuait depuis longtemps, lorsqu�un coup de canon se fitnbsp;entendre ; il avertissait les �quipages de se tenir pr�ts � sortie dunbsp;Corso; et toutes les voitures s�arr�t�rent. Quelques minutes apr�s, unnbsp;second coup de canon donna Ie signal de la sortie : en un clin d�oeilnbsp;Ia rue fut d�gag�e : les trottoirs seuls rest�rent encombr�s de pi�tons.nbsp;Deux piquets de dragons parcoururent au galop Ie Corso dans toutenbsp;sa longueur, afin de balayer l�espace pour la course des chevaux.
Sur Ia place du Peuple on tient sept chevaux sauvages (barheri). Ces animaux, parfaitement orn�s de rubans, sont couverts de feuillesnbsp;de papier et demolettes en fer, dont Ie fr�lement et la piq�re les �pou-vantent et les excitent, en sorte qu�ils volent plul�t qu�ils ne courent.nbsp;En quelques minutes ils ont travers� Rome, sans qu�onles voie jamaisnbsp;se d�tourner de leur route ni � droite ni � gauche : Ie premier arriv�nbsp;remporte Ie prix. La course linie, un nouveau coup de canon annoncenbsp;Ia fin des divertissements pour ce jour-l�. Chacun centre chez soi; tousnbsp;les masques tombent, Ie d�guisement seul peut se conserver. Et vousnbsp;voyez tout ce peuple, docile comme un enfant, se soumettre exacte-ment � cette sage prescription : Ie lendemain la f�te recommence etnbsp;se passe comme la veille. Avant Ie signal, pas un masque dans les
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rues; apr�sl�^uejl/arm^pas un masque sur les visages. A la vue de cette soumission, ainsi que de l�ordre et de la d�cence qui r�gnaient dansnbsp;la f�te, neus ne p�mes nous erap�cher de dire : Si c��tait h Paris, aunbsp;lieu de quelques dragons, il faudrait des r�giments entiers pour con-tenir la foule et pr�venir Ie d�sordre : il y aurait probablement desnbsp;r�sistances, des querelles, du sang r�pandu; ici, rien de tout cela :nbsp;tant il est vrai que nous ne savons plus nous amuser!
Le dernier jour, a la course des chevaux succ�de Ie jeu des Jlfocco-letti : c�est le bouquet du carnaval. Les moccoletti sont de petites bougies que chacun tient a la main ; on en compte des myriades, si bien que depuis le pav� de la rue jusqu�aux derniers �tages, le Corso senbsp;trouve illumine comme par enchantement. Or, c�est a qui �teindra lenbsp;moccolo de son voisin. Tout sert pour cela : des bouquets de fleursnbsp;OU des poign�es de confetti, le chapeau et le mouchoir de poche.nbsp;Celui-ci le soullle sans fagonau nez du porteur; celui-1^ grimpe derri�re les voitures, et d�un seul coup �teint les moccoli de tout l��qui-page; pendant qu�il fait cette niche, un autre lui rend la pareille; onnbsp;en voit qui, arm�s de longues ferluches, vont faire des razzia auxnbsp;balcons, et chaque succ�s est salu� par de bruyants �clats de rire, etnbsp;par le mot railleur adress� � celui dont le flambeau est �teint; Senzanbsp;moccolo, senza moccolo!! Or, tont ce peuple s�agitant en sens divers,nbsp;ces cris de joie, ces rires prolong�s, ces milliers de flambeaux �teints,nbsp;puis rallum�s, puis �teints de nouveau pour se rallumer encore, ferment bien le spectacle le plus anim� et le plus curieux qu�on puissenbsp;imaginer. De plaisante qu�elle est consid�r�e sur un seul point, cettenbsp;sc�ne devient tout � coup magnifique, lorsque, porlant au loin sesnbsp;regards, le spectateur voit se d�rouler devant lui cette immense illumination, dont les mouvements donnent au Corso l�air d�un fleuve denbsp;feu agit� par les vagues. Vers une demi-heure de la nuit, un derniernbsp;coup de canon annonce la fin, et tous les moccoletti s��teignent. Telnbsp;est le carnaval de Rome, dont je ne peux rien dire, sinon qu�il est par-faitement beau et parfaitement fou.
N�anmoins, au c�t� frivole de ces divertissements la religion a su joindre un caract�re de gravit� qu on ne retrouve qu a Rome. Ainsinbsp;les vendredis, les dimanches et les f�tes qui se rencontrent pendant lenbsp;carnaval sont cb�m�s, c�est-ii-dire, qu�il n�y a ni masques, ni jeux, ninbsp;courses. Si pour cette raison le carnaval nepeut durer dix jours pleins,nbsp;I�exc�dant du prix de course, qui est, je crois, de mille piastres, estnbsp;donn� en aum�nes � de pauvres communaut�s. Le Saint-P�re aussinbsp;fait son carnaval: chaque matin il vient en ville, se montre � son peu-
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ple, et visite quelques maisons religieuses, o� il laisse des b�n�dictions et des bienfaits. A certain jour, il invite les cardinaux et quelquesnbsp;personnes choisies i une loterie tir�e en faveur des pauvres dans sesnbsp;appartements. On voit que Rome n�a rien n�glig� pour rendre Ie moinsnbsp;nuisible qu�il se peut des divertissements dont il serail sans doutenbsp;p�rilleux de vouloir abolir l�usage. J�ajouterai que Ie matin, en arrivantnbsp;� Saint-Pierre, nous avions vu une longue procession qui montait lesnbsp;degr�s du vestibule. Elle se composait d�une corporation dont lesnbsp;membres, v�tus de longs sacs rouges, �taient pr�c�d�s d�une croix denbsp;quinze pieds de hauteur et d�une grosseur proporiionn�e. Cette croixnbsp;de carton, couleur �corce de bois, ronde, noueuse, ressemble tout anbsp;fait il deux arbres joints ii la h4te pour former un instrument de sup-plice : on ne peut la voir sans �prouver une impression de terreur,nbsp;tant elle est propre ^ frapper les sens. Cette procession venait assisternbsp;il la b�n�diction du Saint-Sacrement et aux Quarante-Heures, qui ontnbsp;lieu pour servir de contre-poids aux dangers du carnaval. C�est Ienbsp;Saint-P�re lui-m�me qui vint exposer Ie Saint-Sacrement. Semblablenbsp;a Job qui offrait des sacrifices au Seigneur apr�s les innocents festinsnbsp;o� ses enfants s��taient r�unis, afin d�expier les fautes dont ils auraientnbsp;pu s�y rendre coupables; 1��glise, inqui�te de la conduite de ses enfants durant ces jours de dissipation et de plaisir, olFre a Dieu unenbsp;victime d�expiation, et ordonne des pri�res plus longues et plus so-lennelles. Je ne sals, mais c�est la, ce me semble, une belle harmonie.
Apr�s les moccoletti, au lieu de reprendre Ie chemin de notre h�tel, nous nous dirige�mes vers un double asile pr�par� par Ia charit� ro-maine au pauvre sans abri. Lorsqu�a la nuit tombante vous parcoureznbsp;certaines rues de Paris ou de Londres, vous voyez d�boucher de toutesnbsp;parts un peuple d�hommes, de femmes et d�enfants en baillons; puisnbsp;tout � coup ils disparaissent dans des caves malsaines, dans des bougesnbsp;immondes. Une liti�re les attend; c�est la que pour quelques pence ounbsp;quelques sous ils couchent p�le-m�le, jusqu�a ce que Ie jour rappellenbsp;dans les rues ces troupeaux d��tres d�grad�s dont Ie seul aspect de-vrait faire rougir les deux Capitales qui se proclament les reines denbsp;la civilisation. Que Rome pr�sente un spectacle bien diff�rent!
Arriv�s au delii du V�labre, pr�s du portique d�Octavie, nous en-tendimes Ie pas d�un grand nombre d�hommes et d�enfants qui reten-tissaient sur Ie pav� de la rue et du carrefour ; c��taient des pauvres. O� allaient-ils? Ils allaient comme nous a l�hosplce de Sainte-Galle.nbsp;Que je vous dise 1�histoire de cette touchante cr�ation. Au milieu dunbsp;dix-septi�me si�cle, Ie charitable pr�tre, Marc-Antoine Odelcaschi,
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ouvrit � Sainte-Galle un refuge de nuit pour tous les pauvres saus asile, sp�cialemenl en hiver. On voyait ce saint homme, allant lui-in�me les chercher dans les rues et les carrefours, les faire monternbsp;dans son carrosse et les conduire a son hospice (i). II parvint h en re-cueillir jusqu�a cinq ou six cents, dont il r�parait les haillons d�cou-sus, raccommodait les chaussures, et auxquels � donnait un Ut, dunbsp;feu et une soupe qu�il leur offrait de ses propres mains; mais sonnbsp;principal but �tait de les instruire dans les chosesde la foi. InnocentX,nbsp;don Livio et don Baldassare Odelcaschi, tous membres de J�illustre familie si connue � Rome par sa g�n�reuse charit�, assur�rent la perp�-tuit� de cette oeuvre.
Aujourd�hui, les pauvres trouvent done � Sainte-Galle un abri pour leur sommeil, et un lit compos� de supports, de tablettes, d�une paillasse, de draps et de couvertures. En �t�, on les y re^oit jusqu�ii huitnbsp;heures du soir, en hiver jusqu�a huit heures et demie. On comptenbsp;224 lits distribu�s en cinq dortoirs : trois sont comrauns; un autrenbsp;sert aux maladies de la peau; un cinqui�me est destin� aux eccl�sias-tiques : ce dernier est de onze lits. Le refuge est ouvert tant que Ienbsp;pauvre en a besoin.
Nous entrames avec ces membres souffrants du Sauveur, ou plut�t avec nos maitres, suivant l��vang�lique expression de saint Jean l�Au-m�nier. Plusieurs eccl�siastiques �taient la qui les recevaient avec unenbsp;grande cordialit�. On leur fit prendre place, puis on commenga a leurnbsp;rompre le pain de la charit� spirituelle. Un jour, c�est le cat�chisme;nbsp;un autre jour, le chapelet; le samedi, un trait d�histoire relatif � lanbsp;sainte Vierge : on les confesse quand il y a lieu. Ces diff�rents exerci-ces, accorapagn�s quelquefois de chants, se prolongent fort avant dansnbsp;la nuit. Chaque ann�e on leur donne une petite retraite, et le 5 octo-bre, jour de la f�te de sainte Galle, on tire au sort une liste de douzenbsp;pauvres auxquels on sert un bon diner.
Cette maternelle charit� qui accueille les hommes h Sainte-Galle, nous la retrouvames a Saint-Louis, s exer^ant a 1 �gard des femmes.nbsp;Ce nouvel hospice, voisin du premier, fut fond� au commencement dunbsp;dernier si�cle par le v�n�rable p�re Gallazi de Florence. II se composenbsp;de deux dortoirs, d�une chapelle, d�une salie de r�cr�ation et d�unnbsp;jardin. Les revenus actuels ne permettent pas d�avoir plus de trentenbsp;lits; mais le local en contiendrait le double. Les pauvres femmes, qui
(i) Egli medesimo si andava cercando per le vie � per le piazze di Roma, � ritrovan-done li conduceva in corarzza in quest� ospizio. � Const., 209.
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vers YAngelus du soir se pr�sentent, sont admises tant qu�il y a place. On exclut seulemenl les malades, les femmes enceintes, celles affect�esnbsp;de maux cutan�s, puisqu�elles ont des refuges sp�ciaux. Des personnesnbsp;charitables les resolvent et les instruisent. Apr�s l�instruction et lanbsp;pri�re, on les envoie dans leurs lits compos�s de paillasses, de drapsnbsp;et de couvertures. Le matin, ^ peine lev�es, elles sortent et vont anbsp;leurs travaux. Une fois par mois elles entendent toutes la messe etnbsp;communient dans l�hospice. Ce jour-la on leur donne un demi-paul parnbsp;t�te {2S cent.) en compensation de ce qu�elles auraient pu gagner pendant ce temps (i). A la vue de tant de soins, de tant de respects pournbsp;le pauvre, jadis si profond�ment m�pris� de la soci�t� pa�enne, et au-jourd�hui si mal compris dans nos soci�t�s mat�rialistes, les yeux dunbsp;voyageur se mouillent de douces larmes, el sa m�moire lui rappellenbsp;l�oracle du Proph�te dont il fait avec bonheur I�application � cettenbsp;�glise romaine, sa m�re et le mod�le des peoples : C�est a vous quenbsp;le pauvre a �t� confi�, et vous serez l�appui de l�orphelin. Si onnbsp;�prouve un regret, c�est de penser qu�au dela des Alpes, dans le beaunbsp;royaume de France, on ne trouve Hen de semblable.
9 F�VRIER.
Le jour des Cendres. � Chapelle papale. � Charit� romaine pour les vieillards, � pour les veuves.�Asile Barberini pour les mourants. � Ministres des inlirmes, � pour lesnbsp;morts. �- Archiconfr�rie de la Mort, � du Suffrage. � L�Ave Maria des morts.
Nous nous �tions endormis dans le carnaval, nous nous r�veill�raes dans le Car�me. A minuit, les cloches de la ville sainte se mirentnbsp;toutes en branie et annonc�rent solennellement l�ouverture de ^ grandenbsp;quarantaine. Je ne sais quelle impression produit cette immense son-nerie, � une heure si inaccoutum�e. De graves et saintes pens�es vousnbsp;assi�gent, et Thomme m�me le plus irr�fl�chi doit avoir peine a s�ennbsp;d�fendre. Au premier son des cloches, bals, spectacles, soir�es, toutnbsp;Unit, et Unit jusqu�a P�ques, du moins les spectacles et les bals. Lenbsp;jeune catholique a remplac� les joies folies et les pens�es mondaines.nbsp;Le peuple remain qui avail pris le carnaval au s�rieux, prend aussi lenbsp;Car�me sur le m�me ton. D�s le matin du mercredi des Cendres, ilnbsp;remplit les �glises, et regoit sur son front la marque solennelle de lanbsp;p�nitence. Tout est calrne dans la cit�, hier encore si bruyante: Rome
(i) Constanzi, p. 209; Morich., p. 134.
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a repris sa physionomie de grave et chaste matrone; on dirait que Ie carnaval est pass� depuis un an.
Nous allames nous-m�me chercher les cendres a la chapelle Sixtine: et il nous fut donn� de les recevoir de la main du Souverain Pontife.nbsp;Si partout la lugubre c�r�monie est imposante, nulle part sous Ie cielnbsp;elle ne Test autant qu�� Saint-Pierre. Le sacr� Coll�ge, les g�n�rauxnbsp;d�ordre, les ambassadeurs, les pr�lats remains, les �v�ques �trangers,nbsp;vieillards a cheveux blancs ou jeunes hommes, l��lite des nations, gar-nissaient l�enceinle r�serv�e de la superbe chapelle : leSaint-P�re �taitnbsp;sur son tr�ne. Tout a coup il en descend, et je vous laisse amp; pensernbsp;quel sentiment doit avoir de lui-m�me le voyageur obscur, lorsqu ilnbsp;voit le cardinal, grand p�nitencier, s�avancer au-devant du vicaire denbsp;J�sus-Christ et lui dire, en mettant des cendres sur la t�te la plus au-guste de l�univers : Souviens-toi, homme, que tu es poussi�re, et quenbsp;tu retourneras en poussi�re [i)! J�avoue qu�apr�s un pared exemplenbsp;il en co�te peu de s�humilier. Aussi le Souverain Pontife fut a peinenbsp;remont� sur son tr�ne, que toute l�assembl�e vint avec un profond re-cueillement se prosterner a ses pieds, et recevoir de sa main sacr�e lenbsp;signe de la p�nitence.
Au sortir de la c�r�monie, un de nos amis de Rome voulut bien dirlger notre course aux hospices qui nous restaient a visiter. Cheminnbsp;faisant, la conversation tomba sur le respect pour l�autorit�, respectnbsp;�minemment social, dont nous venions d�avoir un exemple dans lanbsp;mani�re dont le Saint-P�re revolt les cendres. � Ces traditions salu-taires, ajouta notre guide, se conservenl encore dans nos families; g�-n�ralement l�autorit� paternelle est bien respect�e. Entre les parentsnbsp;et les enfants ne r�gne pas cette familiarit�, voisine de l��galit�; pointnbsp;de tutoiement des enfants aux parents, ni des p�res aux in�res; l�en-fant n�embrasse son pore ni le matin ni le soir : il se contente de luinbsp;baiser la main. � Aussi, quand les Remains voient la mani�re dont nosnbsp;Frangais en usent avec leurs enfants, ils disent tout �tonn�s : � unnbsp;dar troppo confidenza ai figli: N�auraient-ils pas raison?
Cependant nous arrivions au but de notre voyage. Avant de toucher a sa derni�re heure, alors que ses forces, �puis�es par Page, ne luinbsp;permettent plus de se sufiire ^ lui-m�me, le pauvre trouve, grice h Ianbsp;charit� romaine, un abri pour sa vieillesse; comme il trouva un berceau pour son enfance,unsecours pour ses mis�res et des rem�des pournbsp;ses maladies. Nous l�avons vu a Saint-Michel, a Sainte-Marie-des-Anges,
(i) Toutefois, en signe de sa dignit� supr�me, le Saint-P�re ne se met point a genoux pour recevoir les Cendres, il resle debout.
-ocr page 270-266 nbsp;nbsp;nbsp;lES TROIS ROME.
coulant tranquillement ses vieux jours, entour� de tous les soins du corps et de F�me : il semble que dans cette longue chaine de bienfaits,nbsp;il ne manque pas un anneau. Pourtant l�oeil maternel de Rome entre-voit une solution de continuit�, un besoin auquel je ne sacbe pas quenbsp;les autres pays fassent attention. Trop souvent des femmes du peuple,nbsp;�pouses laborieuses d�honn�tes ouvriers, deviennent veuves avant PSge.nbsp;Second�es de leurs maris, elles pourvoyaient li leurs besoins; seulesnbsp;elles ne Ie peuvent plus : si elles restent au milieu du monde, combiennbsp;de dangers les attendent! Mais comment les en tirer? trop jeunes encore, elles ne peuvent �tre plac�es dans les hospices des vieillards.nbsp;Quel moyen de pr�server leur vertu et d�assurer leur existence? Cenbsp;grave probl�me, si int�ressant pour les mmurs publiques, Rome l�anbsp;r�solu. Dans son sein existent de pieuses maisons qui accueillent gra-tuitement les pauvres veuves, et leur m�nagent un asile, sans toutefoisnbsp;leur donner la nourriture, ni Ie v�lement. Elles y vivent en commu-naut�, avec la libert� de sortir, de travailler comme il leur plait et denbsp;s�occuper comme elles Ie veulent. Nous visitames d�abord la maisonnbsp;dece genre, fond�epar Ie charitable m�decin Joseph Ghislieri, a Torre-del-Grillo; elle sert d�habitation � six pauvres veuves. De Ia nous diri-geant vers Ie forum de Trajan, nous vimes l�asile ouvert par les princesnbsp;Ruspoli, dans lequel chaque veuve occupe une chambre s�par�e. Vintnbsp;ensuite Ie Boschetto, qui sert de demeure ^ dix pauvres veuves; puisnbsp;l�asile paroissial de Saint-Laurent-m-iwcma, dont l�excellent cur�nbsp;nous fit Ie plus gracieux accueil; enfin Ie Refuge des princes Barberini, h Santa-Maria-in-via : c�est Ie meilleur de Rome, puisquenbsp;chaque veuve a pour elle seule deux chambres et une cuisine (i).
Enfin la grande catastrophe s�annonce : pr�c�d�e de la maladie, la mort si cruelle pour tous, si d�solante pour Ie pauvre, vient cherchernbsp;ses victimes. Mais a Rome la charit� la devance; elle est assise aupr�snbsp;de la couche douloureuse. Son enfant mourra, il Ie faut bien; mais ilnbsp;mourra dans les bras de sam�re, entour� de ses caresses et de ses soins.nbsp;Je ne parlerai pas ici des soins mat�riels; gr^ce au christianisme, ilsnbsp;sont g�n�ralement les m�mes chez toules les nations civilis�es. Quantnbsp;aux soins spirituels, d�cisifs, dans ces moments supr�mes, commentnbsp;dire la tendre sollicitude avec laquelle Rome les prodigue? Pour n��trenbsp;pas long, j�omets et les pieuses confr�ries des agonisants, et celles quinbsp;fr�quentent les h�pitaux, et les oeuvres particuli�res, qui ont pournbsp;objet d�obtenir aux malades la grSce d�une sainte mort: je me bornenbsp;� signaler l�institution de Saint-Camille-de-Lellis.
(i) Constanzi, 130; Morich. 137.
-ocr page 271-MINISTRES DES INFIRMES.
A peine pouvez-vous descendre dans un quartier de Rome sans ren-contrer un religieux au maintien grave et modeste. Sur sa longue soutane noire, recouverte d�un manteau de m�me couleur, se dessinent deux grandes croix rouges; elles sont plac�es Tune sur Ie coeur, l�autrenbsp;sur l��paule. Ce religieux, v�n�r� de tous, est un enfant de Saint-Ca-mille-de-Lellis, autrement un ministre des infirmes. A toutes le.snbsp;heures de la nuit et du jour, lui et ses confr�res sont aux ordres desnbsp;raalades. La charit� les attache a leur lit; et tous les soins corporelsnbsp;et les secours spirituels que Ie z�le et Ie d�vouement peuvent inspirer,nbsp;ils les prodiguent aux malades, riches ou pauvres, �trangers ou natio-naux. Que la maladie soit contagieuse, il n�importe; soldats intr�pides,nbsp;ils affronteront Ie danger et ne quitteront jamais Ie poste d�honneurnbsp;qui leur est confi�. Par un de ces traits assez communs au moyen age,nbsp;mais fort rares aujourd�hui, les ministres des infirmes ajoutent auxnbsp;voeux ordinaires celui de ne jamais quitter les pestif�r�s. J�aurainbsp;occasion de parler plus tard de leur maison et de leur saint fon-dateur.
Enfin Ie pauvre meurt; mais il n�est point abandonn�. Voici venir je ne sais combien de pieux confr�res qui se disputent l�honneur denbsp;lui rendre les derniers devoirs, de laver, d�ensevelir son corps, et denbsp;Ie porter sur leurs �paules au campo santo. Mais il meurt dans lesnbsp;champs, au milieu de cette Campagne romaine si redoutable, et parnbsp;sa solitude et par Ie mal aria qu�on y respire: ne craignez pas; commenbsp;Tohie a Ninive, la charit� bravera tous les dangers. II faut savoir qu�finbsp;1'�poque des moissons, de nombreux ouvriers descendent de la Sabinenbsp;et viennent olFrir leurs bras aux propri�taires des parlies cultiv�es denbsp;la Campagne romaine : d�s que la ehaleur se d�veloppe, de grandsnbsp;maux les accablent.
a Leurs poumons, habitu�s h Pair subtil des montagnes, sont mal a l�aise dans l�atmosph�re pesante de la plaine. Leur corps, dont Ienbsp;soleil a ouvert les pores, se refroidit brusquement par Ie contact im-m�diat d�une fraiche ros�e et de la terre qui leur sert de coucbe. Lanbsp;fi�vre en saisit chaque jour quelques-uns, que Ie Caporale, presquenbsp;aussi a plaindre qu�eux, transporte dans sa tente, en mettant a c�t�nbsp;d�eux un peu d�eau acidul�e. Le soir toutes les victimes de la journ�enbsp;sont conduites en charrette � l�h�pital le plus voisin, distant quelque-fois de dix � douze lieues. La noble et pieuse familie Doria Pamphilinbsp;a donn� le bon, mais unique exemple d��tablir dans chacune de sesnbsp;fermes, une voiture commode pour remplir ce charitable devoir; maisnbsp;trop souvent on arrive au lieu o� se trouvent les secours, lorsqu�ils
-ocr page 272-268 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
sont devenus inutiles. Quelquefois dans Ie paroxisme de la fi�vre, ces pauvres gens s��loignent de leur troupe; et il n�est pas rare que lanbsp;mort les frappe loin de leurs amis.
� Ces Iristes �v�nements sont assez fr�quents pour que des hommes pieux aient form� une confr�rie qui parcourt les campagnes pour ynbsp;recueillir et pour transporter les malades a l�h�pital, et pour ensevelirnbsp;les corps de ceux qui meurent ignor�s. Ainsi dans ces campagnes ro-maines dont jadis les palais et les jardins avaient chass� la charrue,nbsp;Thomme peut mourir seul, et son cadavre serait livr� aux oiseaux denbsp;proie, si Ie Christianisme n�avait rerapli quelques ceeurs d�une sublimenbsp;charit�. Ma�s je dois me hater de dire que l�on ne saurait accuser en-li�rement les hommes de ces malheurs, r�sultant en grande partiedenbsp;la nature des choses qui, n�cessitant une immense r�union d�ouvriersnbsp;dans des lieux mal sains, mal fourni d'habitation et situ�s loin desnbsp;villes, rend tr�s-dilEcile de donner des soins h huit ou neuf centsnbsp;moissonneurs qu�emploient quelques fermiers. Cependant il est reconnunbsp;que Ie mal peut �tre diminu� et Ie sort de ces ouvriers am�lior� parnbsp;quelques pr�cautions que Ie gouvernement pontifical et l�administra-tion fran^aise ont �galement recommand�es (i). �
D�sireux de connaitrc la pieuse confr�rie qui, s�en allant chercher au loin dans les campagnes des malades a soulager ou des morts ii ensevelir, donne au monde un si magnifique exemple de charit�, nousnbsp;nous rendimes a la Via Giulia, o� est son �glise. La nous apprimesnbsp;que l�associalion remonte a l�an to51. Elle est ir�s-nombreuse et senbsp;compose de personnes d�une condition honn�te, souvent m�me �lev�e.nbsp;Parmi ses membres les plus z�l�s fut saint Charles Borrom�e, neveunbsp;du pape alors r�gnant. Le costume consiste en un long sac de toilenbsp;blanche. Comme nous �tions a l��glise, on venait d�apprendre la nouvelle d�un accident arriv� dans la campagne. Pr�venus sur-le-champ,nbsp;quelques fr�res arriv�rent en toute hdte; ils se couvrirent de leur sacnbsp;et se mirent en route. Ils en agissent ainsi par tous les temps et dansnbsp;toutes les saisons, et vont chercher le corps jusqu�� vingt ou trentenbsp;milles de Rome. Ils ont droit de le faire enterrer dans le cimeti�renbsp;qu�ils jugent convenable : terme moyen, la confr�rie recueille annuel-lement treize morts dans la campagne, k la distance de neuf � dix-seplnbsp;milles.
Dans l�int�rieur de Rome les confr�res accompagnent ces convois fun�bres, comme le font aussi plusieurs autres associations. Rev�tus denbsp;leur sac ils sortent deux a deux, pr�c�d�s d�un �tendard long et �troit,
(i) M. de Tournon, �lud. stat, sur Rome, 1.1, p. 283.
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la face couverte d�un capuchon � deux trous laissant voir les yeux; ils se dirigent ainsi vers la maison d�sign�e, portent Ie mort � I��giise,nbsp;en r�citant des psaumes et tenant des torches ii la main. Les confr�riesnbsp;de Rome accompagnent de cette mani�re, h leur s�pulture, non-seu-lement leurs membres, mais encore les �trangers.
Voila done Ie pauvre regu ^ son entr�e dans la vie, nourri, abrit�, secouru dans ses besoins et dans ses maladies, assisl� h l�heure de Ianbsp;mort, d�pos� avec respect dans la terre sainte d�o� il doit se relevernbsp;un jour; telle est pour Ie dernier des fils d�Adam la v�n�ration pro-fonde et constante de la Rome chr�tienne. Compar�e a celle de la Romenbsp;imp�riale, cette conduite forme un contraste lellement inexplicable,nbsp;qu�il faudrait �tre bien aveugle pour n�y pas voir sous une de ses facesnbsp;les plus divines, l��clatant miracle qui ebangea les coutumes et lesnbsp;id��s du genre humain. L�admiration et la reconnaissance qu�il excitenbsp;deviennent plus vives encore, quand on songe que la charit� romaine,nbsp;franchissant Ie seuil de la tombe, s�en va soulager l�enfant de sa ten-dresse jusqu�ausein de F�ternit�. Que n�ai-je une plume assez �loquentenbsp;pour peindre dignement l�amour maternel de Rome pour les tr�pas-s�s. O vous! qui aimez les pieux souvenirs des si�cles de foi et les tou-chants usages de nos p�res, venez dans la Ville sainte; et quand ilnbsp;vous sera donn� de la contempler, de grace, ayez des yeux pour y voirnbsp;autre chose que des palais, des tableaux, des statues, des ob�lisques,nbsp;des th��tres et des naumaebies : sachez voir Rome dans Rome.
Tendre Rachel, l��glise m�re et maitresse des autres �glises est sans cesse en mouvement pour communiquer sa sollicitude en faveur de sesnbsp;enfants qui ne sont plus. Quelle consolation pour elle de voir les succ�snbsp;couronner ses efforts! Nous voul�mes en �tre les beureux t�moins.nbsp;Dans une des belles �glises de la Via Giulia est �tablie, depuis troisnbsp;si�cles, l�archiconfr�rie du Suffrage : immense association riche d�in-dulgences, qui �tend ses filiations dans les parties les plus recul�esnbsp;du monde catholique. De l� d�coule incessamment un fleuve de pri�res,nbsp;d�aum�nes, de bonnes oeuvres, de messes, qui s�en va porter Ie rafrai-chissement et la paix aux ames retenues dans les feux expiateurs. Vousnbsp;n�avez pas oubli� cette autre confr�rie, si imposante par Ie nombre,nbsp;si admirable par la ferveur de ses membres, qui, chaque soir, accourtnbsp;� l�h�pital du Saint-Esprit; puis, quand la nuit est venue, gravissantnbsp;pieusement la cr�te escarp�e du Janicule, s�en va prier sur les tom-beaux. Joignez-y vingt autres associations que vous pouvez voir chaquenbsp;soir dans les diff�rents hospices, dans les oratoires nocturnes, r�citantnbsp;les offices saints pour les ames du purgatoire. Enlln, quand Fautomne
li
T. II.
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LES TROIS ROME.
ram�ne la f�te solennelle des Morts, transportez-vous ^ la Vm Giulia, aux cimeti�res du Janicule, de Saint-Sauveur, de la Consolation et denbsp;Sainte-Marie-iw-Trasie�ere. TJne foule immense et recueillie remplitnbsp;ces demeures ou, pour mieux parler, ces vastes dortoirs des morts.nbsp;Afin d��mouvoir sa pi�t�, on fait succ�der aux pri�res, des repr�sen-tations de sc�nes tir�es de l��criture. Les personnages ont la t�te, lesnbsp;mains et les pieds en cire, choses que l�on travaille tr�s-habillementnbsp;� Rome; leur v�tement est appropri� h. la circonstance, et on les voitnbsp;dans Ie moment Ie plus important de l�action ; Ie fid�le y trouve unnbsp;motif de tendre compassion et l�artiste lui-m�rae un sujet d��tude. Lanbsp;f�te des Morts continue avec la m�me pompe el Ie m�me empresse-menV pendant toute Foctave (i).
Mais il ne suffit pas a F�glise de faire prier une fois chaque ann�e pour desdmesqui souflrent continuellement, et voil� qu�un autre usagenbsp;vient chaque jour redire aux vivants Ie souvenir de leurs fr�res d�funtsnbsp;et solliciter leur pi�t�. Done, en 1480, naquit en Itali� un saint quinbsp;devait �tre la gloire de son si�cle et de F�glise : il se nommait Gaetanonbsp;ai Tiena. La tendresse de son coeur eut surtout pour objet les �mesnbsp;du Purgatoire. Venu a Rome, il �tablit un pieux usage que vous ynbsp;trouvez encore : c�est ce qu�on appelle VAve Maria des morts (2).nbsp;Apr�s que la nuit descendue des sept collines, a envelopp� la ville denbsp;ses sombres voiles, les cloches font entendre un tintement lugubre.nbsp;Elles averlissent les chr�tiens de songer une derni�re fois, avant denbsp;prendre leur repos, a eeux de leurs fr�res qui n�auront pour lit quenbsp;des flammes br�lantes; et les bons fid�les s�empressent de r�citer Ienbsp;De profundis, ou la petite pri�re indiqu�e pour chaque jour de lanbsp;semaine dans un livret parfaitement populaire (s). Voil� quelques-unesnbsp;des pieuses pratiques �lablies dans la Ville sainte en faveur des �mesnbsp;souffrantes. On avouera sans peine que la vue de ces touchants usagesnbsp;fait plus de bien au cceur que Faspect des monuments superbes etnbsp;m�me des f�tes magnifiques dont Rome a Ie glorieux privil�ge. Du moinsnbsp;ils demontrent au voyageur Ie plus indiff�rent que la maitresse de lanbsp;foi est aussi la m�re de la charit�, et que depuis Ie seuil de la vie jus-qu�au del� du tombeau, Ie pauvre n��chappe pas un instant � son intelligente charit�. Or, au si�cle ou nous vivons, une pareille connais-sance est bien quelque chose.
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Constanzi, t. i, p. 72,222,251.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Raccolta di Indulgenze, p. 486. Roma, 1841.
(5) II Purgatorio aperio alia piela de� vivenli.
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10 F�VRIER.
lies Sacconi. � Aum�nes particuli�res. � R�flexions sur Ia charit� romaine.
Le temps �tait froid, Ie ciel brumeux, et Ie pav� couvert de boue. Je note toutes ces circonstances paree qu�elles rel�vent � mes yeuxnbsp;l�oeuvre admirable dont je vais parler. Comme nous passions au som-met du Capitole, pr�s de la prison des d�biteurs, nous vimes � quel-ques pas deux hommes marchant silencieusement devant nous, denbsp;chaque c�i� de la rue. Ils �taient nu-pieds, le corps enti�rement couvert d�unlong sac de toile blanche, termin� par un masque de la m�menbsp;�toffe et perc� de deux trous ^ la hauteur des yeux, en sorte qu�ilnbsp;�tait impossible de voir leur visage. L�un et l�autre tenaient une boursenbsp;amp; Ia main et se pr�sentaient sur le seuil de chaque porte o� ils s�ar-r�taient, sans dire un seul mot; la porte s�ouvrait; une pi�ce de mon-naie tombait dans leur bourse; et, leur reconnaissance exprim�e parnbsp;un profond salut, ils allaient se pr�senter a la porte voisine. � Quelsnbsp;sont ces hommes? que font-iJs? � telles furent les questions que nousnbsp;adressftmes tout d�une voix a l�excellent ami qui nous accompagnait.nbsp;� Ces hommes, nous dit-il, sont des Sacconi: ils doivent leur nom aunbsp;grand sac qui les enveloppe. Vous saurez qu�il existe ici une association pieuse, compos�e de l��lite de la noblesse, du clerg� s�culier etnbsp;des cardinaux; elle a pour but le soulagement des pauvres et surtoutnbsp;des prisonniers pour dettes. Chaque mois ses membres parcourent lesnbsp;rues en demandant I�aum�ne. Au jour fix�, en �t� comme en hiver,nbsp;n�importe le froid ou la pluie, ils vont, comme vous voyez, pieds nus,nbsp;qu�ter de porte en porte dans tons les quartiers de Rome. Vous voyeznbsp;encore que tout le monde les accueille; le peuple a pour eux unenbsp;grande v�n�ration, et les riches s�exposeraient, en les refusant, a �con-duire un de leurs parents ou de leurs amis : ces deux Sacconi quinbsp;nous pr�c�dent sont peut-�tre deux cardinaux, ou deux princes remains. D
Voil�, si je ne me trompe, une charit� de bon aloi. Qu�on ne dise plus, comme certains touristes, que pour les Remains tout est spectacle et momerie; qu�amis du confortable ils ne connaissent pas lanbsp;charit� qui exige du d�vouement et le sacrifice du moi. Certes, l�os-tentation ne se trouve pas, elle ne peut pas s�y trouver, Ici, ces hommes ne sauraient �tre connus de personne, pas m�me de leurs amis;nbsp;ils ne disent pas un mot, et nul ne peut voir les traits de leur visage.
-ocr page 276-272 nbsp;nbsp;nbsp;LES thois home.
Quel avantage vraiment pour la vanil� et Ie bien-�tre de ces grands seigneurs, de parcourir ainsi, envelopp�s dans unmauvais sac de toile,nbsp;les pieds nus, par un temps d�hiver, pendant une grande partie de lanbsp;journ�e, demandant l�aum�ne, les rues les plus obscures de la cit�?nbsp;Les d�tracteurs syst�matiques de tout ce qui est inspir� par la religion, auraient-ils Ie courage d�en faire autant? Vaniteux comme tousnbsp;les ills d�Adam, qu�ils essaient done de conqu�rir la popularit� � cenbsp;prix-l�! Quand nous les aurons vus a l�oeuvre, nous pourrons pensernbsp;que des motifs humains peuvent inspirer un pareil d�vouement; jus-que la on nous permettra de croire que l��vangile seul est capablenbsp;d�obtenir, et d�obtenir constamment, depuis plusieurs si�cles, un sacrifice doublement co�teux a la nature.
Le spectacle si moral que nous avions sous les yeux, nous conduisit � parler des aum�nes particuli�res qui se font a Rome. Cette page de-vait compl�ter notre histoire de la charit� corporelle dans la ville denbsp;Saint-Pierre. En France, nous b�nissons Henri IV pour avoir d�sir�nbsp;que tous ses sujets eussent une poule a manger le dimanche; a Romenbsp;les secours sont si abondants que chaque pauvre peul tous les joursnbsp;faire un excellent repas. Et d�abord, deux belles institutions prennentnbsp;un soin sp�cial des infortun�s qui, n�s dans I�aisance et �lev�s dansnbsp;les habitudes du monde, sentent peser plus lourdement sur eux lenbsp;poids de la mis�re. Grace a �Archiconfr�rie des Saints-Ap�tres etnbsp;de la Divine Piti�, des secours, souvent consid�rables, viennent inat-tendus et m�me inconnus, trouver dans leur fi�re indigence des veuves honn�tes et de malheureux p�res de familie : la premi�re remontenbsp;a Fan 1564. Elle fut fond�e par quelques pieux chr�tiens qui pre-naient un soin particulier de la chapelle du Saint-Sacrement, dansnbsp;l��glise des Saints-Ap�tres. Se trouvant assoei�s, par cette pratique denbsp;pi�t�, ils voulurent joindre aux actes de d�votion les oeuvres d�unenbsp;active charit�; toujours et partout c�est ainsi que le christianismenbsp;proc�d�. Ils se consacr�rent done au soulagement des pauvres, et sp�-cialement des pauvres honteux. Tous issus de nobles et riches families,nbsp;les membres actuels sont au nombre de quatorze, un par quartier, etnbsp;chacun d�eux distribue par an trois cents francs en aum�nes.
La Congr�gation de la Divine Piti� doit son origme au v�n�rable pr�tre Giovani Stanchi de Castel-Nuovo. En 1679, ce saint homnaenbsp;r�unit quelques personnes choisies dans le clerg� et parmi les la�ques,nbsp;pour recueillir des aum�nes destin�es aux families honteuses, dont lanbsp;mis�re contraste avec leur aisance pass�e. Grace a la g�n�reuse protection des Souverains Pontifes Innocent XI, Cl�ment XII, Benoit XIIL
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la congregation s�est toujours maintenue dans un �tat prosp�re. II nous fut tr�s-agr�able de la connaitre, paree qu�elle offre une preuvenbsp;de plus de la priorit� de Rome et de son intelligence en fait de bonnesnbsp;oeuvres. Ses membres sonl au nombre de trente a quarante, et doiventnbsp;avoir vingt-cinq ans accomplis : ils sont pr�tres ou s�culiers.
� Leur m�thode, dit Ms' Morichini, dans la distribution des secours est, je crois, la meilleure que l�on puisse suivre; et Rome peut senbsp;vanter d�avoir mis en pratique, il y a cent cinquante ans, ces maximes de la cbarit� publique et priv�e, dont Ie baron de G�rando a r�-cemment d�velopp� la th�orie dans son Visiteur du pauvre. Chaquenbsp;quartier de la ville a son d�put�, assist� de deux autres membres visiteurs. Aucune aum�ne n�est accord�e avant qu�un visiteur ait, de sesnbsp;propres yeux, constat� la mis�re et Ie besoin. Les secours se donnentnbsp;plut�t en nature qu�en argent; plut�t a un petit nombre de person-nes qui s�en trouvent vraiment soulag�es, qu�� de nombreuses familiesnbsp;pour qui ils ne seraient qu�une goutte d�eau. Des couchers, des v�te-ments, Ie rachat des gages du Mont-de-Pi�t�, Ie paiement des loyers,nbsp;des bons de pains, sont les aum�nes les plus ordinaires. D apr�s sesnbsp;statuts, I�oeuvre doit assister sp�cialement les infirmes, les jeunes fillesnbsp;en p�ril, les veuves, les femmes d�laiss�es par leurs maris, les pri-sonniers, les p�nitents, les jeunes gens priv�s d�einploi et les voya-geurs.
� Trois fois par an chaque visiteur a une somme a distribuer dans son quartier. Chacune de ces distributions peut monter a 700 �cus,nbsp;ce qui forme dans l�ann�e 2,100 �cus, bien que la Congr�gation pos-s�de un revenu double au moins, mais grev� de legs et de services re-ligieux. Une distribution de pain se fait a la f�te de Sainte-Anne, etnbsp;des secours particuliers assez consid�rables se donnent encore d�ur-gence dans Ie cours de Fann�e, lorsqu�on a connaissance de la position critique de quelque honorable familie. Dans ce cas les aum�nesnbsp;sont port�es aux n�cessiteux par les d�put�s d�sign�s � l�avance sousnbsp;Ie titre de d�put�s des cas secrets, qui ne rendent point compte denbsp;1�argent k eux confi�, afin que jamais Ie nom des malheureux qu�ilsnbsp;ont secourus ne paraisse sur les registres de la socit�t� (i). �
J�ajouterais de longues pages ^ celles qui pr�c�dent, si je voulais parler de toutes les autres aum�nes, bonnes oeuvres, institutions denbsp;cbarit� qui font la gloire et la vie de Rome chr�tienne; je me conten-terai de quelques r�flexions propres � caract�riser ce magnifique sys-
(t) P. 188.
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LES TROIS ROME.
t�me de philanthropie, si peu connu en Europe et si peu en harmonie avec les principes de nos �conomistes modernes.
Et d�abord tont part ii Rome de l�inspiration religieuse : ce qui, chez d�autres peoples, se fait par Ie sentiment naturel de devoir etnbsp;d�humanit�, prend ici la vie dans des motifs de foi. En t�te de toutesnbsp;les institutions charitables, vous trouvez Ie nom d�un saint, d�un pr�-tre pieux, d�un chr�tien fervent, qui en congut l�id�e; toutes conser-vent Ie cachet de leur origine, soit dans leur nom de confr�ries, soitnbsp;dans leur organisation en quelque sorte eccl�siastique. La banni�renbsp;d�un saint leur sert de ralliement comme sa vie de mod�le; une cha-pelle particuliere est ordinairement affect�e a leurs r�unions, et leursnbsp;r�gleraents ont un cachet tout catholique. Dans l�exercice ext�rieur denbsp;leurs bonnes oeuvres, les confr�res se cachent g�n�ralement sous unnbsp;habit fort laid en lui-m�me, mais favorable � l�liumilit� : Ie sac denbsp;penitent qui les couvre ne laisse voir que les yeux, et des hommes dunbsp;monde, de hauts dignitaires, voilent souvent, sous ce froc grossier,nbsp;leur g�n�reux concours au soulggement de la mis�re. Pour nous au-tres, Francais du xix� si�cle, c�est l�apparition d�un temps qui n�estnbsp;plus, un souvenir des si�cles de foi, une vision du moyen :lge (i).
Cette origine de la charit� romaine explique trois autres caract�res qui la distinguent. Le premier c�est la priorit�. Les institutions charitables de Rome sont les ain�es de toutes les oeuvres de bienfaisancenbsp;r�pandues en Occident: elles leur ont servi de mod�le, et bien des an-n�es et m�me des si�cles avant que les �conomistes eussent entreprisnbsp;de tracer les lois de la charit�, la foi les avait r�v�l�es aux papes ;nbsp;c�est une cons�quence de la mission civilisatrice qui leur a �t� confi�e.
Le second, c�est la surabondance des secours : nous avons vu qu�en-tre les villes de l�Europe, Rome est la plus charitable. Aux sources m�mes de la foi, aux tombeaux de ses innombrables martyrs, ellenbsp;puise incessamment l�esprit de sacrifice qui d�borde comme la liqueur pr�cieuse d�un vase trop plein, en mille creations de charit�nbsp;spirituelle et corporelle.
Le troisi�me, c�est la distribution des aum�nes, moins r�guli�re qu�on ne la d�sirerait. L��me embras�e de la charit�. Fame qui senbsp;donne elle-m�rae, s�astreint peu aux froids calculs de la prudence hu-maine : elle voit la douleur avant tout, sans s�inqui�ter suffisammentnbsp;de mod�rer son z�le. Toujours est-il que des �tres souffrants sont sou-lag�s et que la grande obligation de l�homme envers son fr�re estnbsp;accomplie (i).
(1) nbsp;nbsp;nbsp;De Bazel., pref., p. xxxiii.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;De Bazel., pr�f., p. xx.
-ocr page 279-R�FLEXIONS SUR LA CIIARIT� ROMAINE.
De 14 encore la pr�sence des mendiants dans les mes de Rome. Si Ia philanthropie inspirait la bienfaisance romaine, elle aurait enferm�nbsp;les pauvres afin d��ter eet objet importun a la vue du voyageur; carnbsp;la philanthropie n�est pas m�re. II en est autrement de la charit� ; ellenbsp;exhorte Ie pauvre au travail, elle lui en fournit les moyens, et s�il nenbsp;peut travailler, elle l�engage a recevoir les secours a domicile plut�tnbsp;que de les arracher aux passants; mais il lui en coute d�aller plus loin,nbsp;et d�user de rigueur centre un �tre deux fois sacr� pour elle. C�estnbsp;ainsi que L�on XII, en organisant la commission des subsides, permitnbsp;aux pauvres reconnus vraiment digues de s�cours, de choisir entre lesnbsp;aum�nes a domicile et les chances de la mendicit�. Ceux qui prirentnbsp;ce dernier parti furent enregistr�s, et on leur d�livra une plaque ennbsp;cuivre portant ces mots grav�s : Questuante in Roma N.... Eux seulsnbsp;avaient Ie droit de mendier; mais au bout de quelque temps on tol�ranbsp;I�intrusion de nouveaux venus, non-soumis aux formalit�s pr�alables,nbsp;et Ton se vit derechef envahi par une foule �trang�re peut-�tre auxnbsp;vrais besoins (i).
Les choses en �taient 14 lorsque nous �tions 4 Rome. Et vraiment quand on a vu de pr�s les difiicult�s et les embarras de tout genrenbsp;cr��s par la politique g�n�rale de l�Europe au gouvernement pontifical, quand on connait son caract�re essentiellement paternel, onnbsp;congoit tr�s-bien cette esp�ce de laisser aller sur une mesure de police, dont l�utilit� absolue n�est peut-�tre pas aussi �vidente qu�onnbsp;pourrait Ie croire. Non, il n�est pas encore claireraent d�montr� quenbsp;Ie syst�me des d�p�ts de mendicit� soit beaucoup plus moral, beau-coup plus humain, beaucoup moins co�teux que la mendicit� elle-m�me. Le syst�me de d�p�t entraine sous un nom ou sous un autre lanbsp;taxe des pauvres; il transforme en d�lit ce qui n�est souvent qu�unnbsp;malheur; il priv� le pauvre de la libert�, l�arrache 4 sa familie et l�ex-pose aux inconv�nients du contact souvent tr�s-dangereux de nom-hreux compagnons corrompus et corrupteurs. La vue de nos d�potsnbsp;de France ou des Work-houses d�Angleterre fait 4 eet �gard de biennbsp;tristes r�v�lations.
D�ailleurs, en adraettant la sup�riorit� du syst�me moderne, il res-terait, avant de condamner Rome, 4 savoir s il lui est possible de l��ta-filir. Engloutir des milliers de pauvres dans des prisons, humides et obscures, avec la nourriture strictement n�cessaire au soutien de leurnbsp;ch�tive existence, il n�est vraiment pas difficile d�abolir ainsi la men-
(�) De Bazel., pr�f., p. civ.
-ocr page 280-276 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
dicil�; il suffit pour cela d�avoir dans la poitrine un coeur anglais. Mais en Itali� appliquer un pareil syst�me! plus facilenient on ravi-rait la vie a riiomme que la vue de son beau ciel et les rayons du soleil.nbsp;D�ailleurs.la libert� individuelley est encore trop respect�eetl��go�smenbsp;trop inconnu, pour que les heureux du si�cle se croient permis d�ache-ter leurs jouissances au prix des douleurs de leurs fr�res (i).
Enfin il ne faut pas croire, comme Ie racontent certains voyageurs, que Rome soit Ie foyer de la mendicit�. � Grftce � ses nombreusesnbsp;maisons de travail, elle est loin, dit un �conomiste c�l�bre, de nourrirnbsp;autant de pauvres oisifs que beaucoup de villes renomm�es par leurnbsp;opulence et par leur bonne police. On n�y compte gn�re plus de men-diants que dans les principales villes de France (a). � Deux choses mul-tiplient les pauvres a I�ceil: la premi�re, c�est que Rome les laisse dansnbsp;la rue tandis que Paris les met en prison; la seconde, c�est qu�ils sontnbsp;habituellement concentr�s dans un seul quartier, celui qu�habitent ounbsp;que traversent continuellement les �trangers, au Corso, de la placenbsp;d�Espagne a la place de Venise. Partout ailleurs nous avons rencontr�nbsp;peu de mendiants. Et puls, Ie plus souvent ces pauvres viennent desnbsp;pays voisins, des duch�s de l�Italie septentrionale, de la Lombardie,nbsp;du royaume de Naples et m�me de Paris : plus d�un Francais y a re-connu ce cul-de-jatte que tout Ie monde a vu nagu�re train� sur lesnbsp;boulevards dans son grotesque �quipage. On pourrait en d�livrernbsp;Rome, k peu pr�s comme �sope proposait de boire la mer, si Ponnbsp;voulait arr�ter d�abord tous les fleuves qui s�y rendent (2).
� Telles sont dans leur enchainement et dans leur esprit les institutions charitables de Rome, dont Ie but est Ie soulagement de la mis�re physique. Pour les bien appr�cier, il faut y distinguer deux �l�ments :nbsp;l��l�mentcatholique et I��l�mentitalien, c�est-a-dire les choses en elles-m�mes, el ces choses traduites en faits par des hommes; la m�me distinction dolt �tre faite pour les institutions de tout autre pays. Ennbsp;quot;principe, on peut dire que tout est bon, souvent m�me admirable etnbsp;sublime dans les institutions romaines, paree que 1�id�e est fille dunbsp;g�nie catholique; mais en application, Ie g�nie italien se trahit et tropnbsp;souvent d�figure par son laisser aller les oeuvres les plus belles. C�estnbsp;ainsi que les institutions fran^aises, allemandes, espagnoles, portentnbsp;1�empreinte des d�fauts du caract�re national, qui les rendent souventnbsp;imparfaites dans Ie fond aussi bien que dans la forme. Ici elles ne tou-
(1) nbsp;nbsp;nbsp;De Bazel., pref., p. cv.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;M. de Villeneuve, du Pauper., t. 11, p. 583.
(�) De Bazel., pr(il'., p. cm.
-ocr page 281-ROTONDE DE SAINT-JEAN. 277
chent qu�a la forme, en sorte que si toutes les lois et tons les r�gle-ments s�y ex�cutaient, Rome serait un type id�al de gouvernement (i). Pourrions-nous dire la m�me chose de la France? � Cette remarque,nbsp;dont nous avons eu vingt fois l�occasion de v�rifier la justesse, s�appli-que en g�n�ral k tous les autres aspects de la ville des Pontifes.
H F�VRIER.
Rotonde de Saint-Jean devant la Porte-Latine. � Colombaire de Pomponius Hylas, � de la familie Volusia. � Tombeau des Scipions. � Chemin de la Croix au Colis�e.
Connaissant les oeuvres de charit� corporelle que Rome chr�tienne a �chelonn�es sur tous les chemins de la vie, depuis Ie berceau jusqu�anbsp;la tombe, nous avions achev� la premi�re partie de notre itin�raire.nbsp;Avant d��tudier la charit� intellectuelle et morale, nous fimes unenbsp;halte longtemps d�sir�e.
La chapelle de Saint-Jean-devant-la-Porte-Latine fut 1�objet de notre p�lerinage. Visiter Ie lieu consacr� par Ie martyre de 1 Ap�tre m�menbsp;de la Charit�, c��tait, sans nous �carter de notre itin�raire, r�parernbsp;heureusement une lacune.
Le voyageur qui vient du Colis�e par la voie des Triomphes se trouve bient�t sur la voie Appienne. Cette derni�re, si c�l�bre dans Fhistoirenbsp;de l�ancienne Rome, est aujourd�hui bord�e d�un large trottoir form�nbsp;de beaux fragments de marbres antiques. Apr�s l�avoir suivie jusqu�anbsp;la hauteur des Thermes de Caracalla, nous tournames a gauche et nousnbsp;mimes les pieds sur la voie Latine, qui conduit h la porte du m�menbsp;nom : cette porte a �t� ferm�e par les Francais pendant l�occupationnbsp;imp�riale. Or, en foulant eet antique chemin, comment ne pas se souvenir du disciple bien-aim�, qui lui-m�me le parcourut en allant aunbsp;supplice? Sans respect pour ce v�n�rable vieillard, Domitien Favaitnbsp;fait amener a Rome, enchain� comme un malfaiteur. Conduit a quel-ques pas de la Porte-Latine, il fut, suivant la coutume romaine, battunbsp;de verges, ras� par ignominie, puis jet� dans une chaudi�re d�huilenbsp;bouillante. 11 en sortit sain et sauf, comme les jeunes H�bi^eux de lanbsp;fournaise de Babylone; mais ce fut pour �tre rel�gu� dans File denbsp;Patbmos, jusqu�h ce que Nerva e�t aboli les sanglants d�crets de sonnbsp;barbare pr�d�cesseur.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;�,nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;'
Sur le lieu m�me du martyre, un de nos compalriotes, nomm� 1
De Bazel., pr�f. p. xxm.
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LES TROIS ROME.
Adam, auditeur de Rote dans Ie seizi�me si�cle, fit �lever une petite chapelle en forme de rotonde, dans laquelle sont conserves les instruments du martyre. A l�int�rieur on lit l�inscription suivanle ;
Martyrii palmam tulit hic athieta Joannes, Principii verbum cernere qui meruit.nbsp;Verberat hic fuste proconsul, i'oicipc tondel,nbsp;Quem fervens oleum laedere non valuit.nbsp;Condilur hic oleum, dolium, cruor atque capillinbsp;Qum consecravit inclyta Roma �bi.
Cette visite nous procura un double plaisir. D�abord, il nous fut donn� de prier Ie disciple bien-aim� du Sauveur, au lieu m�me o� ilnbsp;avail donn� � son tendre Maitre une preuve si �clatante de son amour.nbsp;Or, c�est l� une d�licieuse jouissance; car au tombeau des martyrs onnbsp;prie mieux, et quelque chose vous dit qu�on est exauc� plus facilementnbsp;qu�ailleurs. Ensuite je voyais dans cette chapelle un monument denbsp;juste reconnaissance, et j�en �tais fier. A nous autres S�quanais, la lu-mi�re �vang�lique est venue de saint Jean : saint Ir�n�e, son disciple,nbsp;nous envoya Ferr�ol et Fergeux, nos premiers missionnaires.
L�ame pleine de ces bonnes et douces pens�es, nous entrames dans un jardin, �loign� seulement de quelques pas : c��tait pour visiter unnbsp;monument d�un tout autre genre. Sur la porte d�un escalier tournantnbsp;qui descend dans un profond souterrain, on lit : Columbarium liber-torum domus Augustce. Nous �tions dans le s�pulcre des affranchis denbsp;la maison d�Auguste. Arriv�s it la chambre mortuaire, area, qui formenbsp;un quadrilat�re, nous reconnumes, � la lueur de nos torches, unenbsp;grande quantit� de petites niches, semblables a des nids de colombes,nbsp;columbarium, pratiqu�es dans les quatre parois; ces petites niches,nbsp;termin�es en plein ceintre, arcuatw, peuvent avoir un pied et demi denbsp;hauteur sur une largeur �gale. A la base sont deux trous pratiqu�snbsp;dans l�int�rleur du mur, dont chacun contient un vase de terre cuite,nbsp;olla, renfermant des cendres et des d�bris d�ossements calcin�s, sui-vant la coutume des Remains. Un simple couvercle en terre cuite,nbsp;operculum, ferme le Vhse ou urne fun�raire. La niche elle-m�me senbsp;trouve ferm�e par une tablette en pierre ou en marbre, sur laquellenbsp;on lit les noms et les qualit�s du mort, tituli. Sur Tune de ces tabletjes, plac�e devant une niche non encore ouverte, sont les deux inscriptions suivantes : la premi�re appartient h Tune de ces nombreusesnbsp;esclaves �mploy�es h la toilette des matrones romaines, d�Octavie parnbsp;cons�quent; la seconde est celle de l�argentier ou de l�esclave pr�pos�nbsp;� la garde de l�argenterie de la m�me princesse. Toutes les deux pour-
I
-ocr page 283-COLOMBAIRE DE LA FAMILLE VOLUSIA. nbsp;nbsp;nbsp;279
raient servir de texte h ud long commentaire, car elles r�v�lent des usages intimes de la vie romaine et certaines conditions de l�escla-vage (i).
PESVS-E OCTAVIO nbsp;nbsp;nbsp;PniLETVS OCTAVI.E
C.ESARIS AVGVSTl F. nbsp;nbsp;nbsp;C^SARIS AVGVSTI F.
ORSATRICI nbsp;nbsp;nbsp;ARGENTORATO. FECIT
VIX. ANN. XVni. nbsp;nbsp;nbsp;CONTVBERNALI SV^
CARISSIM.E ET SIBI.
A la voute du colombaire sont suspendues deux lampes en bronze � sis OU sept becs. Elles �taient, dit-on, garnies de m�ches en amianle,nbsp;afin de br�ler toujours. Du reste la forme de ces lampes est encorenbsp;fort commune a Rome; c�est une preuve entre mille de la t�nacit� desnbsp;habitudes populaires. Sur les murailles on voit quelques peinturesnbsp;assez bien conserv�es, repr�sentant des g�nies. Tout ce spectacle denbsp;mort, o� nulle pens�e d�immortalit� ne vient consoler votre ame, anbsp;quelque chose qui glace et qui fait mal. La visite au monument denbsp;l�ap�tre saint Jean nous rendail cette impression plus vive; mais ellenbsp;Ie devint bien davantage, lorsqu�apr�s avoir travers� une petite vigne,nbsp;nous arrivimes au Colombaire de la familie Volusia, particuli�rementnbsp;c�l�bre sous N�ron.
L�aspect grandiose du monument annonce qu�ici reposent des grandeurs humaines an�anlies. Ce colombaire peut avoir quarante pieds de hauteur, et forme un parall�logramme d�environ trente pieds denbsp;long sur vingt de large. La voute en pendentif repose sur un largenbsp;pilier plac� au milieu. Par suite des att�rissemenls, la partie sup�rieure du colombaire ne d�passe que d�environ trois pieds Ie niveaunbsp;du sol. Nous descendimes dans Ie souterrain, o� nous p�mes compternbsp;environ quinze cents niches. La, bien des noms connus dans Thistoirenbsp;s�offrent aux yeux et aux m�ditations du voyageur. Dans Ie massif dunbsp;pilier central est une niche plus grande que les autres, contenantnbsp;une belle urne en marbre blanc, qui porie ces mots pour inscription :
NE TANGITO o MORTALISnbsp;REVEREREnbsp;MANES DeOS.
tO Voyez Pignorius, De Servis.
-ocr page 284-280 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
Les arch�ologues pr�tendent qu�elle contient les cendres d�un pr�tre des idoles. Toujours est-il que les Pa�ens eux-m�mes plagaient les cendres des morts sous la garde des dieux : Ie respect des tombeaux estnbsp;une loi de l�humanit�, et une legon utile aux vivants. On ne put la lirenbsp;grav�e il y a dix-huit si�cles sur une urne pa�enne, par une mainnbsp;pa�enne, sans faire plus d�une r�flexion a l�adresse de nos contemporains. J�oubliais de dire que Ie colombaire n�a �l� d�couvert que de-puis quelques ann�es; cette circonstance explique la parfaite conservation du monument, et la fraicheur des peintures qui Ie d�corent.
Toutes les vignes environnantes sont de v�ritables mines de Colom-baires. Elles doivent ce privil�ge au voisinage de la voie Appienne, rendez-vous g�n�ral des tombeaux dans l�ancienne Rome. Ainsi il suffitnbsp;de creuser pour trouver des pierres monumentales, des bas-reliefs,nbsp;des lampes, des ustensiles, des d�bris de parures et beaucoup d�autresnbsp;objets int�ressants. Nous vimes entr�autres un magnifique sarcophagenbsp;en marbre, d�un travail exquis et d�une conservation parfaite, sur le-quel est repr�sent�e une bataille des Remains centre les Gaulois : onnbsp;reconnait nos a�eux au torques ou collier entrelac�, pass� auteur denbsp;leur cou.
Comme nous �tions en train de visiter les morts, nous nous diri-geames vers la voie Appienne, et en quelques instants nous fumes au lombeau des Scipions. Ce c�l�bre monument fut d�couvert en 1780.nbsp;II avait deux �tages; Ie premier est creus� dans Ie tuf litho�de; il nenbsp;reste presque plus rien du second, orn� de demi-colonnes de marbres,nbsp;et de niches destin�es aux statues des membres de la familie. Arm�snbsp;de torches, nous descendimes a l��tage inf�rieur, par un chemin tor-tueux nouvellement creus�. Le premier torabeau que nous rencontra-mes est celui de Publius-Corn�lius Scipion, flamen dialis (grand-pr�tre de Jupiter); I�inscription en fait foi. Nous remarqu4mes encorenbsp;ceux du vainqueur de l�Espagne et de Lucius-Corn�lius Scipion, filsnbsp;de Scipion l�Asiatique et petit-fils de l�Africain. Tous les sarcophagesnbsp;�taient plac�s dans le tuf; ma�s ils ne ressemblent en rien it nos loculinbsp;des catacombes, bien que la race Cornelia ait conserv� jusqu�� Syllanbsp;l�usage exceptionnel de ne pas br�ler ses morts. Des tombeaux ennbsp;ruines! voilii done, illustre familie, m�re de tant de grands hommesnbsp;qui pendant plusieurs si�cles remplirent la terre du bruit de ton nom,nbsp;voil� tout ce qui reste de toi! Vanit� de toute gloire que le chris-lianisme n�a pas immortalis�e en la consacrant.
Ren tr�s dans la voie des triomphes, un nouveau constraste nousatten-dait au Colis�e. Un grand nombre d��l�gants �quipages stationnaient
-ocr page 285-CHEMIN DE LA CROIX AU COLIS�E. 281
autour des vastes portiques : ils avaient amen� un peuple de nobles p�lerins. C��tait Ie vendredi; il �tait environ trois heures : on faisait Ienbsp;Chemin de la Croix. Le Chemin de la Croix au Colis�e! concevez-vousnbsp;quelque chose de plus solennel, de plus salsissant! Oui li, au milieunbsp;de cette ar�ne tant de fois ensanglant�e, est une grande croix, deboutnbsp;sur son pi�destal de pierre; autour de ce podium contre lequel furentnbsp;�cras�es tant de malheureuses victimes de la barbarie romaine, sontnbsp;les stations du Chemin de la Croix : la croix partout, la croix seulenbsp;debout au Colis�e! Puis, sur cette terre d�tremp�e i une si grandenbsp;profondeiT du sang des martyrs, une foule pieuse, sans distinction denbsp;rang et de sexe, agenouill�e, recueillie, s�avan^ant doucement en r�-pandant des larmes et des pri�res, ii la suite d�une grande croix denbsp;bois, portee par un pauvre religieux de Saint-Frangois, les pieds nusnbsp;et le corps couvert d�une bure grossi�re. Les vastes gradins qu��bran-l�rent tant de fois les rugissements des lions, les g�missements desnbsp;mourants, les cris forcen�s et les battements de mains d�un peuplenbsp;entier alt�r� de sang, retentissent de ces douces et fraternelles paroles,nbsp;r�p�t�es en commun par des hommes de toutes les nations : Notrenbsp;P�re qui �tes aux deux; la pri�re de l�amour, a la place des vocif�-rations de la haine, le christianisme triomphant au lieu m�me o� lenbsp;paganisme avait voulu le noyer dans le sang de ses martyrs : oh! vrai-ment, c�est l� un contraste, un spectacle, au prix duquel le voyage denbsp;Rome ne sera jamais achet� trop cher.
12 F�VRIER.
3Iiscre intellectuelle.�Charit� romaine i l��gard des ignorants.��coles r�gionnaires.
� nbsp;nbsp;nbsp;Leur discipline.' Leur nombre. � �coles graluites. � Saint Joseph de Calasanzi
� nbsp;nbsp;nbsp;origine de son oeuvre. � Ses d�veloppements. � Autres �coles gratuites pour les
jeunes gar^ons. � Les Doctrinaires. � Les Fr�res des �coles chr�tiennes.
Le temps �tait superbe et nous engageait i sortir. Nous en profi-tftmes pour reprendre notre visite de Rome charitable. Au-dessus des mis�res physiques, la maladie, la pauvret� et la mort, sont les mis�resnbsp;de rintelligence et du coeur. L�ignorance et Terreur, les passions etnbsp;leurs tristes effets; tels sont les maux qui tourmentent Thomme dansnbsp;la plus noble partie de liii-m�me : le moment �tait venu de recher-cher ce que Rome fait pour les pr�venir et les r�parer. L�ignorance senbsp;dissipe par Tinstruction. Or, quelles que soient sa fortune et sa condition, le jeune Romain trouve, au seuil de la vie, des sources abon-
-ocr page 286-282 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
dantes o� il peut puiser la v�rit�; nous voul�mes nous-m�mes en visiter quelques-unes.
Saus sortir du quartier, nous vimes, devant une maison de bonne apparence, une enseigne en bois peint et portant de gros caract�res;nbsp;elle indiquait que la �tait une �cole r�gionnaire. Les �coles r�gion-naires sont ainsi appel�es de ce qu�autrefois il en existait une dansnbsp;chaque quartier ou r�gion. L�absence compl�te de documents ne per-met pas d�en d�terminer l�origine : plusieurs historiens les rattachentnbsp;aux anciennes �coles institu�es par Ie s�nat remain. Quoi qu�il en soit,nbsp;les �coles r�gionnaires, bien que destin�es aux enfants du peuple,nbsp;n�ont jamais �t� enti�rement gratuites : aujourd�hui encore elles ne Ienbsp;sont pas. Le maitre re^oit de chaque �l�ve une r�tribution mensuellenbsp;qui varie de quatre k dix pauls (2 a 5 fr.). On y enseigne la doctrinenbsp;chr�tienne, la lecture, l��criture, les �l�ments des langues italienne etnbsp;frangaise, l�arithm�tique, les principes de la g�ographie, et de l�his-toire tant sacr�e que profane. Le maitre doit en outre avoir un livrenbsp;de civilit� qui instruise des bonnes mani�res, et le faire lire une foisnbsp;par semaine. On admet les enfants d�s l��ge de cinq ans accomplis,nbsp;pourvu qu�ils n�aient aucune maladie malpropre ou contagieuse. Lesnbsp;classes durent trois heures le matin et trois heures le soir; elles com-mencent et se terminent par la pri�re, et d�s le matin les enfants vontnbsp;k la messe dans quelque �glise voisine.
Depuis vingt-cinq ans, le nombre des �coles r�gionnaires s�est nota-blement accru : on en compte aujourd�hui cinquante-cinq dans Rome, et s�il n�existait dans le r�glement un arliele qui exige entre les �colesnbsp;une distance de cent Cannes architectoniques, le nombre en serait cer-tainement plus consid�rable (i). Toutes sont plac�es, dans la ville,nbsp;sous la d�pendance du cardinal vivaire, et partout ailleurs sous celle desnbsp;�v�ques. Une commission, compos�e d�eccl�siastiques distingu�s, sur-veille directement les �coles et les visite fr�quemment. Elle examinenbsp;les candidats et les approuve comme instituteurs, en leur donnant unnbsp;brevet qui se renouvelle tous les ans. Elle distribue les prix aux �l�vesnbsp;et se r�unit une fois par semaine pour discuter les affaires relatives knbsp;l�instruction primaire. A cette m�me commission est confi� le choixnbsp;des livres et tout ce qui regarde les �coles, sous le rapport litt�rairenbsp;et disciplinaire (2).
Jusqu�au milieu du si�cle dernier, les fonctions d�instituteur �taient remplies par les �trangers, les Remains les trouvant au-dessous de
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Constanzi, 1.1, p. 158-160.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Mwic�., p. 217.
-ocr page 287-�COLES R�GIONNAIRES. 283
leur dignit�. Ne dirait-on pas qu'ils ont tons lu Virgile, et que leur r�le soit toujours de commander aux nations ? Aujourd�hui, ils ne d�-daignent plus de se consacrer a ces functions, paree qu�en effet ellesnbsp;sont nobles, tr�s-charitables et dignes de respect; d�ailleurs, la solli-citude pontificale assure l�avenir de ceux qui s�y d�vouent. Une contribution mensuelle de trois pauls vers�s pour eux dans une caisse denbsp;pr�voyance, que Ie tr�sor public alimente de dix autres �cus, forme unnbsp;fonds de retraite et de subvention pour les infirmes et pour ceuxnbsp;qu�un accident force it suspendre leurs lemons. En outre, deux maitresnbsp;suppl�ants, pay�s par l��tat, font Yinterim des professeurs �loign�snbsp;de leurs classes par une maladie.
Des �coles r�gionnaires pour les petites filles existent aussi dans tous les quartiers de Rome. Elles sont tenues par des maitresses soumises aux r�glements dont nous venons de parler. Ces �coles sont �ga-lement tr�s-nombreuses. Les unes et les autres ont conserv� leur ca-ract�re municipal, c�est-�i-dire qu�elles ne sont pas enti�rementnbsp;gratuites. Enfin la religion ouvrit aux pauvres des �coles publiques,nbsp;sans exiger aucune r�tribution : ici encore Rome a donn� Ie premiernbsp;exemple de cette charit� sup�rieure; il date du pontificat de Cl�ment VIII, vers la fin du xvi� si�cle.
En IS92 arrivait amp; Rome Joseph Calasanz. N� dans Ie royaume d�A-ragon, il joignait a la science des docteurs l�humilit� des saints et Ie noble enthousiasme pour Ie bien dont son compatriote, Ignace denbsp;Loyola, donnait de si heureux exemples. Sa science profonde Ie fitnbsp;nommer th�ologal, par Ie cardinal Marc-Antoine Calonne; mais l��clatnbsp;de ses brillantes fonctions �tait pour lui un motif de rechercher, avecnbsp;plus d�ardeur, les ceuvres obscures. II entra dans l�archiconfr�rie desnbsp;Saints-Ap�tres, qui distribue des aum�nes aux indigents. Dans l�exer-cice de cette charit�, il s�apergut que Tignorance �tait la m�re f�-conde du vice et de la mis�re. Son coenr �tait bris� en voyant unenbsp;foule de petits gardens, abandonn�s dans les rues par l�insoucieusenbsp;complicit� de leurs parents, passer les jours entiers dans Ie vagabondage, sous pr�texte de mendier leur pain. L�enseignement du cat�-chisme, renouvel� seulement tous les dimanches dans les paroisses, nenbsp;pouvait fructifier pendant toute la semaine; d ailleurs, Rome n�avaitnbsp;� cette �poque d�autres maitres que les instituteurs r�gionnaires, tr�s-faiblement r�tribu�s par Ie s�nat. Joseph les pria d�accueillir, dansnbsp;leurs �coles, ces pauvres petits malheureux; mais ils refus�rent denbsp;s�en charger, si l�on n�augmentait leur salaire. Ce tendre ami des en-fants frappa successivement � toutes les portes; partout il fut �con-duit, sous des pr�textes plus ou moins plausibles.
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Voyant tous ses efforts inutiles, il r�solut d�entreprendre lui-m�me la r�alisation de ses voeux. Au mois de novembre 1597, il fonda la premi�re �cole publique gratuite, � Sainte-Doroth�e-m-Jrasie�ere; ilnbsp;choisit ce quartier, comme �tant celui de Rome o� Ie besoin d�in-struction se faisait Ie plus vivement sentir. Le digne cur� de la pa-roisse, Antonio Brendoni, mit a sa disposition deux salles, el s�associanbsp;lui-m�me � sa g�n�reuse eutreprise. Peu apr�s deux autres bonsnbsp;pr�tres s�adjoignirent aux fondateurs, et l��cole compta bient�t quel-ques centaines d��l�ves. L�instruction des pauvres, �tant par-dessusnbsp;tout une oeuvre de pi�t�, saint Joseph donna a son institution le nomnbsp;A��coles pieuses. il se mit done a enseigner aux enfants le cat�chisme,nbsp;la lecture, l��criture, l�arithm�tique; a I�enseignement, le saint fonda-teur ajoutait la fourniture des livres et de tous les autres menus ob-jets, que la pauvret� de ces chers enfants ne leur eut pas permis de senbsp;proeurer.
Bient�t les �coles pieuses pass�rent au palais Vestri, pr�s de l��glise de Sainl-A.�dr�-della-VaUe. La prit naissance une soci�t� de pr�tresnbsp;instituteurs, et saint Joseph regut le litre de pr�fet des �coles pieuses.nbsp;11 donna h. sa congr�gation le nom touchant des Pauvres de la M�renbsp;de Dieu des �coles pieuses. La pauvret�, Marie, l�enfance, ces troisnbsp;mots allaient droit a T�me et attiraient des b�n�dictions et des secoursnbsp;abondants aux hommes d�vou�s qui les adoptaient pour devise. Ajou-tez que, par un trait de charit� bien digne d�un saint, Joseph admel-tait les enfants juifs eux-m�mes, et souvent on l�entendit tonner, dansnbsp;ses predications, contre Fusage de la populace romaine qui poursui-vait de ses insultes ces pauvres petits malheureux, ii cause de leurnbsp;religion. Cl�ment VIII approuva la nouvelle congr�gation, qui devintnbsp;un ordre r�gulier avec les trois voeux ordinaires, et de plus la cons�-cration � l�enseignement.
Le saint s�appliquait surtout k �lever les enfants sous 1�empire d�une sage discipline; les religleux (Scolopii) observent encore la m�menbsp;m�thode, lis regoivent gratuitement les enfants de toute condition, d�snbsp;F�ge de sept ans, et leur donnent trois heures de legon le matin et au-lant le soir. Les �l�ves vont � la messe tous les jours, disent leursnbsp;pri�res au commencement et h la fin des classes; ils se r�unissent,nbsp;m�me le dimanche, dans leurs salles, pour se livrer � divers exercicesnbsp;religieux, entre autres, pour r�citer le petit office de la sainte Vierge.nbsp;Chaque ann�e, aux environs de PAques, on donne amp; tous ces enfantsnbsp;les exercices de la retraite (i). Combien de fois nous avons vu, en pas-
(i) Constanzi, 1.1, p. 145-6.
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sant devanl Saint-Panlal�on, � la fin des classes, les bons religieus, fld�les � l�exemple de leur p�re, acconapagnant les �coliers jusque cheznbsp;leurs parents! Pour cela, les enfants sortenl en rang, et se dirigentnbsp;deux li deux vers les diff�rents quartiers de Rome; la file diminuenbsp;petit a petit, i mesure qu�ils arrivent a leurs habitations respectives.nbsp;Ainsi Ton �vite, et Ie tapage, et Ie d�sordre, et les accidents qui nenbsp;manqueraient pas d�arriver parmi cette multitude d�enfants abandon-n�s k eux-m�mes. A l�enseignement �l�mentaire, les �coles de Saint-Pantal�on joignent l�instruction sup�rieure, et m�me les �l�ments denbsp;la grammaire latine.
Que la France soit fi�re, elle Ie peut a bon droit, de ses �coles chr�-liennes. Mais, fille respectueuse, qu�elle c�de encore ici Ie pas � sa na�re. Rome a sur elle, comme sur toutes les autres �glises, Ie glorieuxnbsp;avantage d�avoir ouvert la premi�re des �coles gratuites pour les enfants du peuple. C�est un saint pr�tre qui, luttant avec courage contrenbsp;tous les obstacles, a laiss� au monde ce bel exemple, el la religionnbsp;peut dire que l�enseignement des pauvres lui appartient, et par droitnbsp;de naissance, et par droit de conqu�te. Double injustice de vouloir Ienbsp;lui �ter; mais aussi double chdtiment et double malheur : je d�sirenbsp;n��tre pas proph�te.
Sur les pas de saint Joseph de Calasanz on vit accourir de saints pr�tres, de vertueux la�ques, Jaloux de partager, et les p�nibles tra-vaux, et les recompenses �ternelles du g�n�reux ami de l�enfance.nbsp;En 1727, Benoit XIII donna aux p�res doctrinaires, enfants du v�n�-rable C�sar de Bus, l�antique �glise de Sainle-Marie-m-Monticelli.nbsp;Vingt-cinq ans plus t�t, en 1702, M. de la Salie �tait venu, dans la per-sonne de ses religieux, travailler h la m�me vigne. Les bons fr�res ou-vrirent leur premi�re �cole pr�s de la place Barberini; la seconde k lanbsp;Trinit�-des-Monts qu�ils habitent encore aujourd�hui. En 1795, Pie YInbsp;leur en donna une autre, pr�s de Saint-Sauveur-tw-iaMro; enfinnbsp;L�on XII leur fournit un quatri�me �tablissement pr�s de la Madonenbsp;des Monts, sous Ie titre de Saint-Antoine-de-Padoue. La crainte seulenbsp;d��tre trop long me fait passer sous silence d�autres ressources gra-tuiternent offertes aux enfants du peuple, pour dissiper leur ignorance, premi�re mis�re spirituelle des fils d�Adam. II faudrait d�ail-leurs revenir sur Ia plupart des institutions d�ja visit�es, o� 1�enfantnbsp;et Ie pauvre regoivent, et Ie pain du corps, et Ie pain de Fame.
-ocr page 290-286 LES TROIS ROME.
15 FEVRIER.
Visite aux �coles de pelites filles. � Fondation de la B. Ang�le de M�rici. � �coles pon-
tificales. � �coles des pieuses maitresses. � Autres �tablissements. � Remarques.�
R�sum�.
Bien que ce fut Ie dimanche et la veille de notre depart peur Naples, nous trouvAmes Ie loisir de visiter de nouvelles �coles. Nous sa-vions ce que Rome fait en faveur des gargons pauvres, il nous restait �. voir quels soins sa maternelle sollicitude prodigue aux petites filles.nbsp;Les nombreux conservatoires d�ja mentionn�s sembleraient nous dispenser de nouveaux d�tails; toutes les ressources de la cbarit� la plusnbsp;ing�nieuse s�y trouvent comme �puis�es : il n�en est rien pourtant.nbsp;De Rome les �coles de Saint-Joseph se r�pandirent bient�t dans toutenbsp;ritalie; mais elles ne s�occupaient que des petits gargons : restaientnbsp;les jeunes filles. Plus faibles encore, et par la m�me expos�es h plusnbsp;de dangers, elles devaient attirer 1�attention particuli�re de l��glise etnbsp;devenir l�objet de son active sollicitude ; ici encore les faits sont d�ac-cord avec la logique.
Longtemps avant saint Joseph de Calasanz, �tait n� � Dezenzano, sur Ie lac de Garde, la bienheureuse Ang�le de M�rici. Cette saintenbsp;vierge, dont la m�moire est en v�n�ration particuli�re a Rome, vint ynbsp;fonder, en 1537, une institution destin�e � Finstruclion gratuite desnbsp;petites filles pauvres. Seulement, on r�serva l�enseignement de l��cri-ture � celles des �l�ves qui se proposaient d�einbrasser la vie monas-tique : on n�apprenait aux autres que Ie cat�chisme, la lecture et Ienbsp;travail des mains; c��tait un premier pas. Dans Ie si�cle suivant,nbsp;en 1655, s�ouvrit � Rome la premi�re �cole gratuite pour les fillesnbsp;pauvres, sur Ie plan des �coles pieuses de Saint-Joseph : on la dut � lanbsp;g�n�rosit� du pape Alexandre VII. Consol� par Ie succ�s qu�elle ob-tint, l�intelligent Pontife en �tablit de semblables dans tous les quarters de Rome. L�aum�nerie apostolique se chargea, comme elle senbsp;charge encore, de tous les frais. De 1^ Ie nom si bien m�rit� di �colesnbsp;pontificales (Scuole pontificie) qu�elles portent encore. Nous en visi-tames plusieurs, et vraiment je ne sais ce que nos inspecteurs univer-sitaires pourraient leur reprocher. II est vrai, pourtant, qu�on n�ynbsp;enseigne ni la mythologie, ni l�astronomie, ni autres utiles sciencesnbsp;du m�me genre; tout se borne A l�enseignement de la religion,nbsp;lecture, it l��criture, au calcul et aux ouvrages des mains (i).
(i) Constanzi, 1.1, p. 27, 29 et t�6.
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Ce que nous avions vu dans les �coles pontificales, nous Ie retrou-vamp;mes chez les Maitresses-pieuses-Ouvri�res (Maestre pie Operarie). N� � Monteliascone, eet ordre vint s��tablir a Rome, sous Ie pontificatnbsp;de Cl�ment XII; raum�nerie apostolique fournit i ses besoins. Lanbsp;grande �cole, et, pour ainsi dire, la maison-m�re est a Sainte-Agathe-ai-Monti; c�est Ia que r�side la sup�rieure g�n�rale. Elle est �lue tousnbsp;les trois ans, et dirige toute la communaut� avec son conseil compos�nbsp;de trois assistantes. C�est de la qu�on envoie les maitresses n�cessairesnbsp;aux difT�rentes �coles de la ville et m�me des villes voisines. Elles resolvent gratuitement toutes les petites lilies pauvres, Ag�es de cinqnbsp;ans, qui habitent dans Ie quartier : les classes durent six lieures parnbsp;jour, et les objets de l�enseignement sont les m�mes que dans les au-tres �coles. Nous remarquftmes Ie soin touchant avec lequel on formenbsp;lesjeunes coeursa la pratique de la religion. Ainsi, outre uncat�chismenbsp;fort clair, on leur emseigne les dispositions n�cessaires aux sacrementsnbsp;de P�nitence et d�Eucharistie; la pratique des vertus chr�tiennes; lanbsp;d�votion a la sainte Vierge et ^ l�Ange Gardien; Ia modestie dans Ienbsp;maintien, surtout dans les rues et a F�glise. Je ne m��tonne pas denbsp;I�approbation donn�e par les papes a cette utile congr�gation (i). Ellenbsp;compte ii Rome sept �coles qui regoivent mille jeunes filles.
A c�t� de ces pieux �tablissements, fleurissent les �coles paroissiales �tablies dans presque toutes les paroisses de Rome, et qui ont Ie m�menbsp;but. Yiennent encore celles des Dames du Sacr�-Cosur, amp; la Trinit�-des-Monts et ii Sainte-Rufine-m-Trasietiere; de Saint-Pascal; desnbsp;religieuses du Divin-Amour; des maitresses pieuses au Ges�, dontnbsp;les unes donnent l�enseignement �l�mentaire aux enfants pauvres,nbsp;tandis que les autres �l�vent les jeunes filles des classes sup�rieures.
A la vue de ces nombreux �tablissements, deux remarques se pr�-sent�rent h notre esprit : d�abord, la date des premiers. C�est au commencement du xvP si�cle, a l��poque o� Ie protestantisme venait jeter ^ la face de l��glise romaine Ie reproche d�obscurantisme, que Romenbsp;ouvrait gratuitement au peuple les premi�res �coles publiques denbsp;1�Europe! Elle ne craignait done pas la lumi�re; elle ne craignait pasnbsp;surtout, comme l�en accusaient les chefs de la Reformation, que sesnbsp;enfants apprissent a lire, m�me la Rible, puisque c�est en Itali� quenbsp;parut la premi�re traduction de l��criture en langue vulgaire. En-suite, Rome qui donna Ie mouvement, � y a trois si�cles, a continu�nbsp;de marcher; et je ne sais s�il est aucune capitale qui puisse rivaliser
(0 Voyez Ia bulle: Experientia rerum omnium magistra, de Cl�ment XII. 8 sept. 1760.
-ocr page 292-288 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
avec elledans Ia voieduprogr�s.Pourunepopulation de 170,000 Ames, Rome compte aujourd�hui 574 �coles primaires, dirig�es par 484 mai-tres et peupl�es de plus 14,000 enfants! Pour un million d�habitants.nbsp;Paris ne comptait, au 1��� juillet 1844, que 24,137 �l�ves dans lesnbsp;�coles populaires. Outre les �coles r�gionnaires, parvenues au nombrenbsp;de 5S, plusieurs salles d�asile ont �t� fond�es; de nouvelles �coles pa-roissiales ont �t� ouvertes; cinq ou six autres institutions, ayant Ienbsp;m�me but, ont �t� �rig�es. Dans ce nombre ne sont pas comprises lesnbsp;�coles primaires, appel�es Ahusives, paree qu�elles se sont form�esnbsp;sans autorisation, et qui comptent au moins 20 institutcurs et 300 �l�ves (i). Tels sont, en abr�g�, les moyens que Rome emploie pour dis-siper l�ignorance dans les classes inf�rieures de la soci�t� : c�est ainsinbsp;que la m�re des �glises r�pond encore aujourd�hui a ceux qui osentnbsp;l�accuser d��tre stationnaire, r�trogade et ennemie des lumi�res. L�A-pollinaire, l�Universit�, Ie Coll�ge remain nous apprendront plus tardnbsp;ce qu�elle fait pour l�instruction des classes �lev�es.
Mais il ne suffit pas de dissiper I�ignorance; pour entretenir l�amp;me humaine dans son �tat normal, il faut encore la pr�server de 1�erreur,nbsp;et surtout de Ferrebr en mati�re de religion, la plus funeste de tou-tes. L�esprit Ie plus �clair� peut �tre atteint de ce cbol�ra-morbus,nbsp;dont semble impr�gn� l�atmosph�re de l�Europe actuelle, et qui tuenbsp;Ie coeur apr�s avoir alt�r� la virginit� de Pintelligence. Afin de l��loi-gner de ses fronti�res il n�est pas de mesure que Rome ne prescrive.nbsp;Ses douanes visitent avec un soin rigoureux tous les ouvrages venusnbsp;du dehors; la congr�gation de l�Index veille nuit et jour pour en ar-r�ter la propagation et pour les signaler, en les fl�trissant, a la frayeurnbsp;publique. A Rome, nul ouvrage ne peut �tre publi� sans avoir �t� soumis a rexamen des maitres de la doctrine: gravures, morceaux denbsp;musique, pi�ces de th�dtre, tout est surveill�. De peur que les spectacles, m�mes permis, ne nuisent aux pens�es graves qui doivent former Ie fond de l�intelligence chr�tienne, les repr�sentations cessentnbsp;aux �poques et aux jours consacr�s au recueillement et a la pri�re;nbsp;tels que l�Avent, Ie Gar�me, Ie vendredi de ebaque semaine et Ie di-manche.
(i) Morich., p. 217.
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D�PART POUR NAPLES.
U F�VRIER.
Depart pour Naples. � Albano. � Souvenirs de saint Bonaventure. � La Palazzola. � Ruines d�Albe-la-Longue. � Monte Cavo. � Lac d�Albano. � Les Nymph�es. �nbsp;L��missaire. � Castel-Gandoll'o. � Tombeaux pr�tendus d�Ascagne et des Curiaces.nbsp;� Horace et Saint-Paul. � Aricia. � Genzano. � Lac N�mi. � Civita Lavinia.
A sept heures du matin, par un froid assez piquant, nous quittions Ie palais Conti dans une large voiture it huit places : toutes �taientnbsp;occup�es par nos amis. C��lait une caravane fran^aise, c�est-i-direnbsp;joyeuse et l�g�re qui partait pour Naples. Nous sortimes de Rome parnbsp;l�ancienne porte Coelimontana, aujourd�hui de Saint-Jean, et bient�tnbsp;nous trott�mes sur la voie Appienne. Cette voie, royale entre toutesnbsp;les autres (regina viarum) (i), s��tendait, comme je l�ai d�ja dit, denbsp;Rome jusqu�ii Brindes, et chaque pierre semble avoir une bouchenbsp;pour rappeler quelque grand souvenir. Apr�s les maitres du mondenbsp;mat�riel, les C�sars el leurs l�gions triomphantes, on y voit passer lesnbsp;rois du monde moral, Pierre et Paul, vainqueurs des C�sars et denbsp;leurs arm�es; puis les chr�tiens de Rome, allant au-devanl de l�Ap�-Ire d�barqu� k Pouzzole : enfin ces vieilles dalles semblent encorenbsp;marqu�es de taches de sang qui redisent Ie peuple de martyrs dontnbsp;elles contempl�rent les combats et les triomphes. Tous ces grandsnbsp;souvenirs, sacr�s et profanes, empruntent je ne sais quelle majest� denbsp;la solitude et des ruines qui vous environnent. Ici, la campagne ro-maine se montre, peut-�tre plus qu�ailleurs, solitaire, accident�e, re-mu�e, excav�e et couverte d�antiques d�bris. Comme compl�ment dunbsp;tableau, 1�immense aqueduc de Claude sillonne la vaste plaine, �levantnbsp;jusqu�aux nues ces gigantesques arceaux sur lesquels passent les eauxnbsp;du Latium, apport�es en tribut a la Ville �ternelle.
Vers dix heures nous arrivions k Albano. C�est une petite ville de cinq mille Ames, bade it l�extr�mit� du d�sert, non loin des ruinesnbsp;d'Albe-la-Longue. Apr�s une modeste collation � l�hotel de la Ville denbsp;Paris, nousnousrendimes a l��glise principale, appel�eSafjite-Mane-de-la-Rotonde. Le portail est orn� de beaux ornements de marbre,nbsp;sculpt�s en feuilles d�acanthe, pris de quelque ancien �difice. L�int�-rieur olfre peu de richesses artistiques; pourtant le voyageur chr�-lien doit une visite � ia cath�drale d�Albano. Elle rappelle un nomnbsp;dont le doux et glorieux souvenir ne saurait �tre oubli�.
(i) Stat. Sylv. II, V. ta; Mart., ix, 104.
-ocr page 294-290 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
Au xiii� si�cle vivaient � rUniversit� de Paris, dont ils forment l�im-mortelle aur�ole, deux illustres amis, que leurs vertus ont places sur les autels du monde catholique, et que leur g�nie a mis au premiernbsp;rang des docteurs. La merveilleuse penetration de son esprit valut anbsp;1�un Ie titre de docteur ang�lique; celui de docteur s�raphique futnbsp;acquis � l�autre par la ravissante onction de ses �crits. Enfants spiri-tuels de deux p�res �galement illustres, Dominique et Francois, ilsnbsp;continu�rent avec gloire a soutenir F�gllse de Dieu, au secours denbsp;laquelle eux, et leurs p�res, et leurs fr�res �taient envoy�s. Tous lesnbsp;deux puis�rent leur doctrine dans Ie m�me livre : Ie Crucifix. Et parnbsp;un rare bonheur pour Ie voyageur chr�lien, leur souvenir marqu� denbsp;distance en distance Ia route qui conduit de Rome i Naples par Ter-racine. Ai-je besoin de les nommer? Saint Bonavenlure et saint Thomas d�Aquin ne sont-ils pas connus de tous?
Le premier, humble enfant de saint Frangois, mari� comme son p�re � une glorieuse princesse qu�on appelle la pauvret� �vang�lique,nbsp;cherchait vainement � cacher sous le froc de bure, l��clat qui jaillis-sail de son g�nie et de sa verfu. L�oeil p�n�trant du vicaire de J�sus-Ghrist d�couvre enfoui le tr�sor, et par un ordre supr�me il fait sortirnbsp;la lumi�rede dessous le boisseau. Cach�, � Paris, Bonaventure regoitnbsp;en m�me temps et Ie chapeau de cardinal, et sa nomination �. l��v�-ch� suburbicaire d�Albano et l�ordre d�accepter : il part pour ITtalie.nbsp;Gr�goire X vient a sa rencontre et lui donne lui-m�me I�onction �pis-copale. On connait la vie du nouveau prince de F�glise, et sa mortnbsp;non moins belle que sa vie. Tomb� malade au milieu du Concile g�-n�ral de Lyon, o� il avait plus qu�un autre contribu� � l�union denbsp;rOrient et de l�Occident, il eut encore la force d�assister i l�abjura-lion du grand chancelier de Constantinople, sa noble conqu�te; et onnbsp;peut dire de lui ce qu�on a dit de Turenne, qu�il mourut ensevelinbsp;dans son triomphe. Or les �glises et les rues d�Albano nous rappe-laient un mot consolant du grand �v�que. Parmi les religieux de sonnbsp;ordre il en �tait un nomm� Egidius, qui avait une profonde v�n�ra-tion pour l�illustre et saint docteur. Un jour Egidius, avec une siro-plicit� d�enfant, tournait autour du saint, d�sirant lui adresser unenbsp;question, mais ne sachant trop comment formuler sa demande : tantnbsp;on est sot quand on veut avoir de l�esprit! Enfin, recueillant toutesnbsp;les ressources de son g�nie : � Mon fr�re Bonaventure, lui dit-il, Dieunbsp;vous a fait de grandes graces h vous autres savants; mais nous, pau-vres ignorants, que ferons-nous pour nous sauver? � Le saint r�pon-dit; ff Quand Notre-Seigneur n�aurait donn� aux hommes que son
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SO�VEXIRS DE SAINT BONAyENTURE.
amour, cela suffirait. � Un ignorant peut-il aimer Dieu autant qu�un savant? � Une vieille femme peut aimer Dieu autant et plus qu�unnbsp;docteur en th�ologie. � A ces mots Egidius, transport� de bonheur,nbsp;court dans Ie jardin, situ� du c�t� de Rome, et se mettant sur la porte,nbsp;il se met a crier ; a Hommes simples et ignorants, pauvres et ch�tivesnbsp;bonnes femmes, vous pouvez aimer Dieu autant que fr�re Bonaven-ture (i); � et il tomba dans une d�licieuse extase qui dura trois heures.
Ces souvenirs du moyen ftge nous accompagnaient pendant que nous gravissions Ie flanc rocailleux des montagnes du Latium, au piednbsp;desquelles est situ�e la moderne Albano. Nous arrivames bient�t a lanbsp;Palazzola, humble couvent de Franciscains, bMi sur les ruines m�mesnbsp;d�Albe-la-Longue. Celte ville importante, tant de fois nomm�e dansnbsp;les premiers temps de la r�publique romaine, fut fond�e, dit-on, parnbsp;Ascagne, fils d��n�e, et d�truite par Tullus Hostilius. Pr�s du couvent on voit encore un ancien tombeau creus� dans Ie roe, avec lesnbsp;faisceaux consulaires et la chaise curule. De la nous poussames aunbsp;dela de Rocca di Papa, jusqu�� la cime du Monte Cavo. C�est ici,nbsp;dans une esp�ce de plate-forme en fer a cheval, que Romulus inauguranbsp;la religion des peoples aborig�nes; ici que son successeur, Tarquinnbsp;l�Ancien, batit Ie fameux temple de Jupiter Latialis, divinit� cruellenbsp;qui voulait du sang humain a l�ouverture des jeux �tablis en son hon-neur. Pour honorer et la m�moire de leurs a�eux et Ie berceau de leurnbsp;religion, les Remains venaient sur cette montagne c�l�brer les F�riesnbsp;latines; les triomphateurs eux-m�mes �taient oblig�s de s�y rendre,nbsp;quelques jours apr�s leurs triomphes, afin d�y offrir un sacrificenbsp;d�actions de grftce; et enfin les consuls devaient y prendre possessionnbsp;de leur dignit�. A tant de bruit et de mouvement a suec�d� Ie silencenbsp;�ternel de la solitude.
Revenant sur nos pas, nous visitflmes Ie lac d�Albano ou di Castello. II se trouve aupr�s du village de Castel-Gandolfo, � la cime d�unenbsp;montagne, et occupe Ie crat�re �teint d�un volcan. Entour� de cb�nesnbsp;verts et d�oliviers sauvages, il est profond�ment encaiss� et forme unnbsp;ovale dont Ie pourtour peut avoir deux lieues et demie ; sa profon-deur est de 480 pieds. En descendant jusqu�au bord, nous vimesnbsp;deux Nymph�es, c�est-a-dire dif��rentes salles creus�es dans la lave etnbsp;servant aux voluptueux Remains a prendre Ie frais. Celle que les pay-sans nomment Grotta di Bergantino, construction r�ticulaire, cou-verte d�une vigoureusev�g�tation, offreun aspect singuli�rement pit-
(O Acta SS., 25 avril.
-ocr page 296-292 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
toresque; mais Ia merveille du lac est Ie canal, ou �missaire, qui en d�charge les eaux dans la campagne romaine. En volei l�origine : Lesnbsp;Remains �taient occup�s au si�ge de V�ies, lorsque les eaux du lacnbsp;mont�rent d�une mani�re effrayante et menac�rent tout Ie pays d�unenbsp;inondation g�n�rale. On envoya des d�put�s a Delphes pour consultornbsp;1 oracle d�Apollon. 11 r�pondit que les Remains ne seraient maitresnbsp;de V�ies, qu�apr�s avoir ouvert un �coulement aux eaux du lac. Aussi-t�t une partie de l�arm�e se mit � l�oeuvre; l�autre continua de gardernbsp;la place. On perga la montagne, et on fit un canal d�un mille de longueur sur quatre pieds de largeur et six de hauteur. A la vue de cenbsp;tunnel encore hien conserv�, quoiqu�il date de 2240 ans, comment nenbsp;pas admirer Ie puissant g�nie du peuple-roi, et l�habilet� de Camillenbsp;qui, trompant l�impatience de son arm�e, sut l�occuper a un travailnbsp;de longue haleine en attendant Ie moment favorable pour emporter Ianbsp;ville e.nnemie?
Enfin nous arrivam�s amp; Castel-Gandolfo, humble village o� Ie Sou-verain Pontife vient passer quelques mois a la fin de l��t�. L�ext�rieur du palais en est fort simple, mais Ie point de vue est magnifique; denbsp;la plate-forme on embrasse toute la campagne romaine, desert de ruines, au milieu duquel la Ville �ternelle, avec ses d�mes dor�s, sesnbsp;ob�lisques et ses palais, apparait comme une majestueuse oasis de monuments. L��glise de Castel-Gandolfo est une croix grecque, de l�ar-chitecture du Rernin. Sur Ie maitre autel nous vimes un beau tableaunbsp;qu'on dit de Pierre de Cortone; Pautel h gauche a une Assomptionnbsp;de Carle Marratte.
En descendant la colline, pour regagner Albano, Ie voyageur salue Ie pr�tendu tombeau d�Ascagne. Ce monument antique, auquel Ienbsp;manque d�inscription ne permet d�assigner ni une date, ni un nom,nbsp;se compose d�une tour colossale, termin�e -en c�ne. Les rev�tementsnbsp;de marbre et les autres ornements qui Ie d�coraient ont disparu : ilnbsp;est triste comme la mort. II en faut dire autant d�une autre ruinenbsp;situ�e au dela d�Albano, et qui porte, on ne salt pourquoi, Ie nom denbsp;Tombeau des Curiaces.
L�heure du d�part �tant arriv�e, nous reprimes nos places dans la berline, et je m�empressai de consulter deux guides dont j�avais eunbsp;soin de me faire accompagner ; l�un �talt k ma droite, l�autre ^ manbsp;gauche, dans les poches de la voiture. Vous tous qui ferez la m�m�nbsp;route, je vous en prie, ne les oubliez pas : Ie premier c�est Horace, Ienbsp;second, les Actes des Ap�tres. Oui, ce chemin que vous suivez, Horacenbsp;et saint Paul Ie suivirent, il y a dix-huit cents ans ; leurs souvenirs y
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sont marqu�s. Or, je ne connais rien de plus int�ressant et de plus agr�able que de marcher sur cette m�me voie Appienne avec deux p�-lerins si c�l�bres et si diff�rents. De plus, je xais vous dire a quellenbsp;occasion Horace faisait ce voyage; quant a saint Paul, vous saureznbsp;bient�t pourquoi on le rencontre sur une route illustr�e par tons lesnbsp;conqu�rants du monde. L�an de Rome 713, M�c�ne, Cocceius et Ca-piton furent envoy�s par le s�nat jusqu�ii Brindes, afin de r�conciliernbsp;avec Octave, Antoine qui assi�geait alors cette ville. Horace, leur ami,nbsp;fut du voyage. Parti de Rome avec le rh�teur H�liodore, il vint re-joindre les diplomates ^ Terracine. En sortant d�Albano, la routenbsp;traverse un pays montagneux, plant� d�oliviers et d�arbres verts etnbsp;passablement cultiv�. A deux milles au dela, on gravit une cr�te surnbsp;laquelle est assise, comme un nid d�aigle au sommet d�un rocher, lanbsp;moderne Aricia. Ce gracieux petit village occupe la place de la for-teresse de I�antique Aricia, dont il conserve le nom. On dit qu�Aricienbsp;fut fond�e deux cents ans avant la gu�rre de Troie par Archiloque denbsp;Sicile. Quoi qu�il en soit, cette ville fut la patrie d�Atia, m�re de I�em-pereur Auguste. Son territoire produisait d�excellents oignons quinbsp;ont m�rit� d��tre chant�s par plusieurs po�tes et maudit par Horacenbsp;qui faisait profession de d�tester cordialement tous les rejetons denbsp;cette familie l�gumineuse, jusqu�au cinqui�me degr� et au del�. Lesnbsp;ruines a peine reconnaissables de la cit� se voient au-(tessous du village, il l�endroit appel� le Jardin du milieu, VOrto di Mezzo. Commenbsp;nous approchions, j�ouvris mon Horace, qui parle ainsi d�Aricie :
Egressum magna me excepit Aricia Roma
Uospitio modico (i).
Les paroles du po�te voyageursev�rifient encore; Aricie est toujours une bicoque, et ses auberges nous parurent de fort m�diocre appa-rence; je n�en peux pas dire autre chose; car plus heureux qu�Horace,nbsp;ou plus press�s, nous passames sans leur laisser voir la couleur de nosnbsp;ba�oques ; nous ne mimes pied � terre que pour visiter l��glise et lenbsp;s�v�re palais Chigi. Ces deux ouvrages du Bernin pr�sentent un ensemble bien entendu, mais semblent p�cher par les d�tails : la cou-pole seulement parait irreprochable.
Horace et H�liodore qu�il accompagnait, couch�rent ii Aricie. En 'rais flaneurs, ces messieurs voyageaient i petites journ�es, et proba-i)lement aux frais de l��tat: n��tant pas dans les m�mes conditions.
(i) Lib. 1, satyr. v.
T. II,
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-ocr page 298-294 nbsp;nbsp;nbsp;les trois rome.
nous pouss�mes jusqu�a Vell�tri. Avant d�y arriver on visile Genzano (l�ancienne Gentiana), joli bourg situ� pr�s du lac N�mi. Ce lac lui-m�me doit � sa forme, aux rosiers qui l�entourent et a la limpidit� denbsp;ses eaux, Ie gracieux nom de Miroir de Diane, Speculum Dianw. Nonnbsp;loin de la route, il nous fut encore permis de voir la Civ�d Lanivianbsp;(Lanuvium), patrie d�Antonin Ie Pieux, et de.ce Milon, meurtrier denbsp;Claudius, si connu des rh�toriciens. Cinq heures sonnaient, nous en-tr�mes � Yell�tri, patrie de l�empereur Auguste.
IS F�VRIER.
Vell�tri. � Cisterna. � Souvenir de saint Paul. � Les Marais pontins. � Ard�e, Annum, Sezze. � Linea Pia. � Forappio. � Souvenir de saint Paul. � Fossa Nuova.� Souvenir de saint Thomas. � Terracine. � Temple de Jupiter Anxurus el de Minerve.nbsp;�Chateau de Th�odoric. � Cath�drale. �-H�pital et Palais de la Residence.
Hier matin, nous avions d�jeun� ii VH�tel de la Ville de Paris : la susdite enseigne �tait en bon francais, et, ne l�oubliez pas, c��tait anbsp;Albano; Ie soir, notre pha�ton nous introduisit rapidement en faisantnbsp;claquer son fouet, au grand H�tel de Russie : c��tait ^ Vell�tri, villenbsp;importante des anciens Volsques (Velitrce), et cette seconde enseignenbsp;�tait aussi en bon francais. Remarquez-vous l�influence des grandesnbsp;nations, et de la France en particulier? jusqu�aux plus minces d�tails,nbsp;tout annonce 1�ascendant de la langue et par cons�quent de la pens�enbsp;franpise sur les populations italiennes. 11 y a IA, ce me semble, pournbsp;notre patrie un grand enseignement et une grave responsabilit�. Lanbsp;premi�re personne que j�aper^us A l�entr�e de Vell�tri, fut un pauvrenbsp;p�re capucin, vieillard a barbe blanche, les pieds nus et la besace surnbsp;1��paule. Ce roi de la pauvret� me parut admirablement plac� dans lanbsp;patrie du maitre du monde : nulle part, peut-�tre, Ie repr�sentantnbsp;sublime de la puissance spirituelle ne pocte avec plus de grace Ienbsp;sceptre �chapp� aux empereurs de la force.Nousapprimes de sa bouchenbsp;que l��glise comptait aujourd�hui 18,000 de ses semblables, vivantsnbsp;miracles des ages de la foi, divis�s en quarante provinces, et r�pandusnbsp;sur toutes les plages de l�ancien et du nouveau monde, m�me en France!
Vell�tri, qui fait partie de l��v�ch� d�Ostie, compte dix a douze mille �mes. Du plateau qui lui sert d�emplacement, on jouit d�unenbsp;vue magnifique. Quand, au coucher du soleil, Ie voyageur porte sesnbsp;regards vers l�Orient, il voit A ses pieds de profonds ravins qui se re-lient par une vaste plaine aux montagnes de la Sabine, dont Ie sommet
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couvert de neige se confond avec Ia brume du soir, et forme une es-p�ce de voile qui, aux derniers rayons du cr�puscule, prend une teinte amarante du plus bel effet. Les principaux monuments de Vell�trinbsp;sont la colonne du pape Urbain YIII sur la place du March�, les fon-laines publiques d�une bonne construction, et Ie palais Lancelotti avecnbsp;son bel escalier de marbre. L��glise de Sainte-Marie-deW� Orlo ren-ferme quelques bons tableaux. En nous promenant dans les environsnbsp;nous vimes Ie lieu o� fut trouv�e la Pallas Vel�erna^ Tune des bellesnbsp;statues du Mus�e de Paris; puis des ruines informes de monumentsnbsp;anciens, qui joncbaient Ie sol, et rappelaient de grands noms et denbsp;tristes souvenirs. C�est peut-�tre en m�moire d�Auguste, dont Vell�trinbsp;fut Ie berceau, que Tib�re, Nerva, Caligula, Othon, lirent de cettenbsp;ville leur s�jour favori, et l�enrichirent de superbes villas.
Cependant, tout n�est pas rose dans les voyages; au lieu de dormir 4 Ph�tel de Russie, nous avions bivouaqu� et cela pour cause. Mais ilnbsp;y a compensation it tout, m�me � une mauvaise nuit. D�s les premi�resnbsp;clart�s de l�aurore nous descendimes sur la place, et il nous fut possible de jouir d�un magnifiqu� lever du soleil. Merci aux grabats denbsp;Ph�tel de Russie, sans eux nous aurions perdu ce superbe spectacle.nbsp;Nous quittames Vell�tri, laissant h gauche, du c�t� de la Sabine, lanbsp;petite ville de Cori, Pancienne Cora, c�l�bre par ses temples d�Her-cule et de Castor et de Pollux : Parea du premier est occup�e par Ienbsp;baptist�re de P�glise. Vers neuf heures, nous passames la rivi�renbsp;d�Astura, et bient�t nous entrames dans Cisterna. Un accident fortnbsp;heureusement arriv� � notre attelage, nous permit de nous arr�ter unenbsp;heure. Je vais vous expliquer pourquoi je parle ainsi d�un fait quinbsp;contrariait passablement notre digne voiturin. Nous avions avec nous,nbsp;comme je 1 ai dit, les Actes des Ap�tres qui nous apprennent Ie passage de saint Paul sur la voie Appienne. Or, vous savez, peut-�trenbsp;m�me ne savez-vous pas que les chr�tiens de Rome, inform�s de Ianbsp;venue tant d�sir�e du grand Ap�tre, vinrent � sa rencontre, commenbsp;des enfants vont au-devant de leur p�re, absent depuis longtemps.Sansnbsp;doute, a�n de n��veiller aucune d�fiance, ils se partag�rent en deuxnbsp;bandes : les uns s�arr�t�rent ad tres Tahernas, aux trois H�telleries;nbsp;les autres pouss�rent jusqu�au Forum dAppius (i). Or, les tres Ta-bernas d�autrefois sont, suivant la constante tradition, Ie Cisternanbsp;d�aujourd�hui (2).
tl) Fratres occurrerunt nobis usque ad Ap� forum ac tres Tabernas. Act. xxvm, 13.
(2) Erat Appii forum (ut colligitur ex Plinio, lib. xiv, c. 6) in agro Setino, in via Appia �ocus positus; tres Taberna; vero contra Antium. Unde et Cicero (Ad Ailicum, epist. xix.
-ocr page 300-1296 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
Nous nous �langtimes de la voiture, et en un instant nous f�mes amp; l��glise. Prostern� sur les dalles du modeste sanctuaire, chacun de nousnbsp;se disait : � Tu es peut-�lre � genoux a la m�me place o� saint Paulnbsp;et les chr�liens de Rome se rencontr�rent, s�embrass�rent, ser�jouirentnbsp;et pri�rent ensemble! � Quand on a Ie bonheur d��tre en corps et ennbsp;ame sur des lieux d�o� sortent de pareils souvenirs, on eonviendranbsp;qu�il sulBt, pour �prouver d�inel�ables impressions, de laisser aller sonnbsp;coeur a la foi. Cistcrna est un petit village, silu� sur une hauteur, aunbsp;bord de la voie Appienne. Nous la reprimes, et bienl�t apparut a nosnbsp;regards avides Torre de� tre Ponti, simple relai de poste, d�o� Ponnbsp;commence a d�couvrir les fameux Marais pontins : avant de les traverser, il est agr�able d�en connaitre l�histoire.
Les Marais pontins forment une vaste plaine de trois lieues de lar-geur sur buit lieues de longueur. Ils occupent l�espace compris entre Ie pays des anciens Rutules et des Volsques; c�est-a-dire entre Ai'd�e,nbsp;Anlium, Terracine, d�une part; les monts Lepini et la mer Tyrrh�-nicnne, de l�autre.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;�
Pour restituer a la culture les Marais pontins, il fallait vaincre des obstacles de tous genres : un sol presque sans pente et sans solidit�,nbsp;une masse d�eau pluviale descendant sans cesse des montagnes de lanbsp;Sabine et du Latium, quatre rivi�res et plusieurs torrents qui convergent vers ces marais, et dont les eaux, ne trouvant pas une d�clivenbsp;suffisante, s�journent dans les terres, les p�n�trent et les corrompent.nbsp;Ces rivi�res sont la Pedicata, l�Amazeno, la Cavata, la Cavatella, l�Uf-fente, la Ninfa et la Tepia (i). Longtemps avant la fondation de Rome,nbsp;les Volsques et les Rutules �taient parvenus, a 1�aide de travaux dontnbsp;Ie secret nous �chappe, a dess�cher ces marais au point d�y construirenbsp;vingt-trois villes, parmi lesquelles on comptait Pometia, Longula, Vo-lusca, Mugilla, etc., dont la premi�re opposa une longue r�sistance hnbsp;Tarquin l�Ancien (2). N�glig�es apr�s la conqu�te, les terres pontinesnbsp;retomb�rent dans leur �tat primitif. Les assainir de nouveau �tait une
Hb. 2): Emersimus commode ex Anlio in Appiam ad tres Tabernas. Distans erat ab Urbe forum App� quinquaginta et unum niil�a pasSuum. Tres Tabernae vero posiUEnbsp;erant ad trigesimum tertium lapidem. Sic enim Antoninus Appi� \i:e numcrat millia-ria, nimirum ab Urbe ad Ariciam sexdecim millia passuum, ab Aricia ad tres Tabernasnbsp;decom et septem, unde vero ad App� forum deccm et octo. De foro App� nulla suntnbsp;vestigia, vel si quaj exstant, palude pontina facta sunt inaccessa. Tres vero Tabernasnbsp;illam esse ferunt, quac hodie vulgo dicitur, corrupte vocabulo, Cisterna. � Baron., an.nbsp;SO, n. lJ.b.
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Et non pas, conime dit M. Bouillet, Ie Liris ou Garigliano qui coule a plus de dixnbsp;lieues de la. C�est ainsi que 1��niversit� fait la g�ographie, m�me de TEurope.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;PUne, Bist. nat.
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entreprise digne des Romains : l�an de Rome M2, Ie censeur Appius Claudius les fit traverser par la superbe route qui porte sou nom;nbsp;cent cinquante ans plus tard, ie consul Cornelius C�lh�gus fut Ie premier qui entreprit de grands travaux d�assainissement (i) ; Jules C�sarnbsp;et Auguste les pouss�rent jusqu�o� ils purent aller (2); enfin, Trajannbsp;vint embellir par des routes, des �difices et des ponts superbes cesnbsp;lieux regard�s longtemps comme inaccessibles (3).
Jaloux d�avoir dans les environs de Rome des habitations et des propri�t�s dignes de leur opulence, les maitres du monde sem�rentnbsp;cette plaine de villas immenses, de forum, de pares, de jardins. Lesnbsp;nations vaincues payaient ces constructions et un peuple d�esclavesnbsp;cultivait avec soin ces lieux enchanteurs. Cependant l�empire romainnbsp;s��croule sous les coups des barbares. Les villes sont saccag�es, lesnbsp;palais br�l�s, les villas abandonn�es : et les fiers descendants de Romulus, chass�s comme un vil troupeau par les terribles guerriersnbsp;d�Alarlc et de Totila, prennent Ie chemin de l�exil : a cette �poquenbsp;finit la gloire des Marais pontins. Les rivi�res qui, bien dirig�es, fer-tilisaient en l�embellissant la vaste campagne, et dont les eaux r�uniesnbsp;formaient un canal navigable, inond�rent de nouveau la plaine et lanbsp;transform�rent en un vaste marais. Des tentatives de dess�chementnbsp;furent faites par Ie patrice D�cius, sous Th�odoric, roi des Goths (r);nbsp;mais l�honneur du succ�s �tait r�serv� a d�autres. La religion qui anbsp;r�par� tant de d�sastres, sauv� tant de ruines, d�fricb� tant de landes,nbsp;devait encore rendre a l�agriculture cette fertile campagne. Les papesnbsp;Roniface VIII, Martin V, Sixte V, assainirent la partie sup�rieure desnbsp;marais et firent �couler les eaux dans la mer, par un canal qu�on ap-pelle encore Ie Fiume Sisto. L�immortel Pie VI eut la gloire d�ache-ver 1 oeuvre de ses pr�d�cesseurs. C�est lui qui, par des travaux habi-lement dirig�s et patiemment suivis, parvint h dess�chor les Maraisnbsp;pontins dans quatre cinqui�mes de leur surface, � y faire croitr� denbsp;belles moissons et paitre de nombreux troupeaux. 11 d�gagea la voienbsp;Appienne, et ordonna de la continuer en ligne droite dans toute lanbsp;longueur des marais : et cette superbe route (Linea Pia) est la plus
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Pontin.-E paludos a Cornelio Cclhego consule, cui ea provincia evenerat, siccalae,nbsp;3gerque ex iis lactus. � Epitom. Livii, 26.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Suet. c. 4�.�.....Sterilisque diu paUis aptaque remis
Vicinas urbes alit, etc. � Ilorat. Art. poet.
(5) Perpontinas paludes viam saxo stravit,exstruxitque juxla \iasoedificia, pontesque raagnificentissinios fecit. �Dio., lib. 68.
(4) Cassiod., lib. 11 Var., episl. 31,32.
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longue ligne sans deviation qui existe. Honneur encore a Gr�goire XVI qui, malgr� son modique revenu, continue et qui, Dieu aidant, avan-cera beaucoup la noble t�cbe du ponlife martyre.
Au sortir de Torre de� tre Ponti, on laisse a gauche les ruines d�Ar-d�e, capitale des Rutules, c�l�bre par Ie si�ge qu�elle soutint centre Tarquin Ie Superbe, et pendant lequel arriva l�aventure de Lucr�ce.nbsp;Sur la droite, vous avez Nettuno, Tautique Antium, capitale desnbsp;Volsques, asile de Coriolan exil�, patrie de Caligula et de N�ron : c�estnbsp;dans les ruines de cette ville que fut trouv�, il y a deux si�cles, l�A-pollon du Belv�d�re. A l�entr�e des Marais se dessine sur une hauteur la petite ville de Sezze (Suessia Pometia), avec son convent denbsp;Franciscains, destin� � secourir les pauvres habitants de ces lieux o�nbsp;les maladies scrofuleuses sont tr�s-communes. Enfin nous enMmesnbsp;sur la Linea Pia, route superbe, comme je viens de Ie dire, ou plu-t�t gracieuse allee de jardin, bord�e d�arbres, et d�un canal coulant inbsp;pleins bords, et traversant les Marais ponlins dans toute leur �tendue.nbsp;A droite et a gauche, nous voyions s��lever des compagnies d�oies sau-vages; des troupeaux de bullies erraient au loin dans ces vastes ma-r�cages qu�embellissent, de distance en distance, de larges portionsnbsp;de terrain cultiv�es et couvertes de verdure. Du c�t� de la mer, nousnbsp;avions en perspective Ie cap de Circ�, fameux dans la Fable par lanbsp;m�tamorphose des compagnons d�Ulysse, ainsi que la petite ville denbsp;Saint-F�lix qui s��l�ve a une grande hauteur au-dessus du niveau de lanbsp;mer : tel est Ie spectacle dont on jouit jusqu�k Forappio.
Situ� au milieu des Marais pontins, Forappio ne se compose que de trois maisons; et pourtant ce lieu nous offrait un vif int�r�t! Ici lesnbsp;traditions sacr�e et profane se donnent rendez-vous : Horace et saintnbsp;Paul vous apparaissent. Prenant les Actes des Ap�tres, je lus ; � Lesnbsp;fr�res nous vinrent au-devant jusqu�au Forum d�Appius. Paul lesnbsp;ayant vus, rendit graces � Dieu et prit confiance (i). � C�est done ici,nbsp;pour la premi�re fois, que Ie grand Ap�tre eut la consolation si long-temps d�sir�e de voir ces chr�tiens de Rome dont la foi �tait d�j� renommee par lout 1�univers. C�est ici que ces chr�tiens, pour qui lesnbsp;travaux, Ie g�nie, Ie courage, les chaines de l�illustreprisonnier�taientnbsp;un objet d�adrairalion, contempl�rent, pour la premi�re fois, ses traitsnbsp;v�n�r�s et ch�ris. Quelles effusions d�amour et de bonheur de part etnbsp;d�autre! Quelles larmes! quels entretiens! Et j��tais li au m�me lieunbsp;OU cette sc�ne s��tait accomplie; je foulais Ie m�me sol, je voyais les
(i) Fratres occurrerunt nobis usque ad App� forum ac tres Tabernas. Quos cum vi-disset Paulus gralias agens Deo, suscepit fiduciam. � Cap. xxvm, 15.
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m�mes montagnes t�moins de ce spectacle. O mon Dieu, que la foi vive fait �prouver au chr�tien de douces �motions! Jules C�sar avaitnbsp;pass� la; Auguste avail pass� la; Trajan, Nerva, Cic�ron, Horace, Vir-gile, M�c�ne, Appius avaient pass� l�; mais tous ces h�ros, tous- cesnbsp;grands hommes de la terre disparaissaient ii mes yeux devant monnbsp;h�ros, mon grand homme, Ie vainqueur des C�sars, des po�tes, desnbsp;orateurs et des philosophes, Paul, Ie prisonnier du Christ (i).
Trois maisons modernes marquent Ie lieu occup� jadis par Ie Forum d�Appius. Or, s�il faut en juger par les autres, ce Forum n��tait rien moins qu�une place superbe dont la statue d�Appius, fondateurnbsp;de la voie Appienne, faisait Pornement, et selon toute apparence ilnbsp;faisait partie de quelque villa magnifique. Les d�bris de colonnes, lesnbsp;frises de marbre qui couvrent Ie sol environnant sembleraient don-ner cr�dit a cette opinion; j�eus Ie regret de ne trouver sur un bloenbsp;de granit, qu�une inscription effac�e, except� Ie nom de Nerva qu�onnbsp;lit tr�s-bien : j�en fls sauter un morceau que je conserve en m�moirenbsp;de saint Paul.
Apr�s avoir satisfait au besoin de notre cceur, il fallut songer a apaiser notre faim. Or, il n�y avail ni provisions ni m�me de feu dansnbsp;Ia Locanda. Fort heureusement que c��tait l�beure o� Ie marchandnbsp;de poissons remontait de la mer Tyrrh�nienne, apportant sur unenbsp;mule, je ne sais quelle menue p�che, aux rares habitants des Marais.nbsp;Avec beaucoup d�instance il nous fut possible d�oblenir, pour collation, six petits poissons a partager entre buit. Nous primes place a unenbsp;table flanqu�e de deux bancs de ch�ne et couverte aux trois quartsnbsp;d�une nappe d�une malpropret� impossible a d�crire; Ie reste du service �tait amp; l�avenant. A cette premi�re disgrazia, s�en joignait unenbsp;autre plus grande et beaucoup plus ancienne, attendu qu�elle availnbsp;d�j� Ie privil�ge de condamner Horace k la di�te, il y a deux mille ans.nbsp;Le po�te �tait a table avec nous, nous l�interrogeamp;mes, et voici ce qu�ilnbsp;nous dit de sa couch�e au Forum d�Appius ;
........Inde Forum Appi,
Differtum naulis, cauponibus atque malignis.
(lt;) Quand Baronius �crivait, le grand dess�chement des Marais ponlins n��tait pas op�r�; il pouvait done dire qu'il ne restait plus de vestige du Forum d�Appius; les auteurs de la m�me �poque ont pu se diviser sur remplacement de ce c�l�bre Forum;nbsp;teais aujourd�hui les doutes ne semblent plus possibles. Le nom tr�s-reconnaissable dunbsp;beu, sa position dans les Marais pontins, aupr�s du grand canal dont parle Horace, sanbsp;distance indiqu�e par l�itin�raire de l�empereur Antonin, sont des t�moignages d�unenbsp;valeur incontestable, et, je crois, � peu pres incontest�s de nos jours.
-ocr page 304-300 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
Hic ego propter aquam, quod erat deterrima, ventri Indico helium, coenantcs haud animo a;quo
Exspectans comit�s.......
Hor. Satyr. lib. v, sat. 3.
L�eau du Forappio �tait si mauvaise lorsque nous y passamp;mes, Ie 15 f�vrier 1842, que nous aurions �t� oblig�s comme Horace de d�-clarer Ia guerre a notre estomac, sans un charitable avertissement denbsp;notre h�te. Quoique descendant peut-�tre en ligne droite de ces ma-lins h�teliers dont parle Ie po�te, il eut la conscience de nous pr�venirnbsp;de n�en pas boire : un pen de vin pur d�une qualit� passable arrosanbsp;nos petits poissons. Quant aux bateliers criards qui emp�ch�rent Horace de dormir, il n�en exis,te plus de trace : ce lieu si anim�, o� ve-naient mouiller les nombreux bateaux qui remontaient de la mernbsp;Tyrrh�nienne, est aujourd�hui silencieux et d�sert. Toutefois Ie canal,nbsp;appel� Naviglio Grande, form� par la reunion des rivi�res et par lesnbsp;saign�es des marais, ce canal sur lequel Horace s�embarqua pour Ter-racine, coule encore au m�me lieu, rouvert et restaur� par les Souve-rains Pontifes.
En sortant de Forappio, on reprend la Linea Pia, toujours belle et gracieuse. Les montagnes qui forment un demi-cercle autour des Marais pontins vont en s�abaissant a mesure qu�elles se rapprochent denbsp;la mer, o� elles plongent leurs pieds et leurs flancs ii moiti� d�nud�s.nbsp;A gauche on laisse Fossa Nuova, c�l�bre monast�re o� saint Thomasnbsp;d�Aquin, se rendant au Concile de Lyon, tomba malade et inourut.nbsp;En face du voyageur se montre Terracine, la vieille Anxur, enferm�enbsp;dans la circonf�rence de l�arc et coquettement �tag�e sur ses rochersnbsp;blanchatres. La physionomie est encore la m�me qu�au temps d�Horace.nbsp;J�ouvris en effet Ie po�te de Tivoli qui ne se doutait gu�re qu�un journbsp;il servirait de cic�rone � un chanoine francais, et il me dit:
Millia tum pransi tria repimus, atque subimus Impositum saxis late candentibus Anxur.
Hor. Satyr. lib. v, sat. 3.
La veille il avait couch� au Forum d�Appius et s��tait plaint du bruit des cousins et des grenouilles qui avaient troubl� son sommeil.nbsp;Nous n�e�mes pas occasion de faire connaissance avec cette aimablenbsp;soci�t�; et comme Horace n�en dit plus rien, nous sommes autoris�s �nbsp;croire qu�il ne la rencontra pas a Terracine. En revanche, il y retrouvanbsp;ses illustres compagnons de voyage, et Ie loisir de frotter avec un col-lyre noir ses yeux chassieux.
-ocr page 305-TEMPLE DE JUPITER ANXURUS. nbsp;nbsp;nbsp;501
Hie oculis ego nigra meis collyria lippus Illinere........
Plus heureuse qu�Horace, notre petite caravane avail bon pied et bon ceil; si elle n�eut pas I�avantage derencontrer ii Terracine M�c�ne,nbsp;Fonteius et Capiton, nous y trouvames Fexcellent abb� Rafaello Ma-riotti, ebanoine de la eoll�giale, jeune eccl�siastique fort distingue, quinbsp;nous fit avec une bonne grace parfaite les bonneurs de sa ville natale.nbsp;Avec lui nous visitames les ruines eruellement d�figur�es du templenbsp;de Jupiter Anxurus, puis I�area en belle mosa�que du temple de Mi-nerve. A la d�esse de la Sagesse ont succcd� dans ee lieu les excellentsnbsp;P�res doctrinaires, fond�s par le B. C�sar de Bus. De lii, gravissantnbsp;la pente escarp�e de la Blancbe-Montagne, nous arrivAmes aux ruinesnbsp;bien conserv�es du chateau de Tb�odoric. Maitre de Terracine, le roinbsp;des Goths fit batir cette citadelle pour maintenir la ville qui finit parnbsp;lui �chapper, comme elle avail �chapp� aux Volsques ses fondateursnbsp;et aux Romains ses seconds maitres.
De la hauteur ou nous �tions, le regard embrasse les Marais pontins et une grande �lendue de la naer Tyrrh�nienne. Au milieu des flotsnbsp;semble se balancer, comme une oasis de verdure. Pile Ponzia dont lanbsp;vue nous fit tressaillir. C�est la que le farouche Domitien avail rel�su�nbsp;sa douce parente, sainte Flavie Domitille, qu�il fit ensuite bruler a Terracine avec plusieurs autres martyrs. Apr�s avoir salu� et les h�rosnbsp;de la foi et le theatre de leur glorieux combat, nous descendimes a lanbsp;cath�drale. Elle est balie sur les ruines du temple d�Apollon. Conjoin-tement avec le chanoine Mariotti, M. le cur� voulut bien nous en expli-qu�r l�origine el les divers monuments.
Terracine regut de l�ap�tre saint Pierre le don de la foi et son premier �v�que, saint �paphrodite, un des soixante-douze disciples de Notre-Seigneur. Rest certain que le p�cheur deGalil�e, pendant viugt-clnq ans de s�jour a Rome, ne n�gligea rien pour propager I�Evangile;nbsp;qu�il fonda des �glises et �tablit des �v�ques. D�un c�t�, tout porte anbsp;croire, m�me ii d�faut d�autres preuves, que la plupart des villes d�I-talie furent visil�es et �vang�lis�es par saint Pierre en personne, ounbsp;par ses disciples; d�un a�tre c�t�, Terracine, appuy�e sur une tradition constante, afiirme que la chaine de ses ponlifes commence a saintnbsp;�paphrodite. Je ne vois gu�re ce qu�on peut opposer h cette l�gitimenbsp;pr�tention (i).
Au rond-point du choeur on conserve une chaire pontificale, que la
(i) Voyez Ugelli, Italia sacra, t. t, p. 1278.
-ocr page 306-502 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
in�me tradition assure avoir �t� occup�e par saint Pierre. Elle est en niarbre blanc, et d�une forme qui rappelle parfaitement les si�gesnbsp;�piscopaux conserv�s dans les catacombes. A c�t� du maiire autelnbsp;s��l�ve un baldaquin support� par les colonnes m�me de I�ancien autelnbsp;d�ApoIlon. Sous ce monument reposent les corps de toute une familienbsp;de martyrs, couronn�s a Terracine m�me. �leuth�re, cbef de la familie; Silvain son fils, �v�que de Terracine; sainte Silvie sa ro�re, etnbsp;sainte Rufine sa soeur; tels sont les noms sacr�s de ces glorieux t�moinsnbsp;de notre foi. Les colonnes de granit qui supportent la nef et la mosa�-que du pav�, enlev�es au temple d�Apollon, sont d�autres monumentsnbsp;de la victoire du christianisme. Quant ii la catb�drale elle-m�me, ellenbsp;a vu s�accomplir deux fails m�morables. C�est ici que Ie pape saintnbsp;Victor III se d�mit du souverain pontifical en 1086, et que Ie papenbsp;Urbain II fut �lu en 1088. Nous aimions amp; nous rappeler que Urbain II,nbsp;l�ami de saint Gr�goire VII et une des gloires du moyen �ge, �tait unnbsp;de nos compatriotes. N� h Chatillon-sur-Marne et religieux de Clunynbsp;avant d��tre �lev� sur la chaire de saint Pierre, il fut l�auteur de lanbsp;premi�re croisade pr�ch�e solennellement au concile de Clermontnbsp;en 1095. Une inscription grav�e sur Ie marbre du sanctuaire proclaraenbsp;la gloire diff�rente des deux pontifes :
S. VICTOR m A SUMMO PONTIFICATU SE DEMISIT 1086 B. UBBANUS II ELECT�S 1088.
Le grand exemple d�abn�gation et d�humilit� chr�tienne donn� par Victor n�a pas �t� perdu ; l�heureuse �glise de Terracine le relronvenbsp;aujourd�hui dans Ms�� Sillani, son premier pasteur. Get �v�que, dignenbsp;des temps apostoliques, jouit d�un tr�s-modique revenu dont il ne r�serve pour lui que le strict n�cessaire : sa maison se compose d�un seulnbsp;domestique. Aust�re comme un anachor�te, il jeune presque continuellement et ne prend pour sa collation qu�une demi-pagnotta avecnbsp;un peu d�huile. Plein de z�le, non-seulement pour le salut de son trou-peau, mais encore pour le bien de 1��glise tout enti�re, il a r�gl� quenbsp;chaque ann�e, pendant le Car�me, tous les pr�dicateurs de son dioc�senbsp;feraient deux instructions en faveur de l�oeuvre frangaise et catholiquenbsp;de la Propagation de la Foi.
Sous le vestibule de la catb�drale, on nous fit remarquer un grand vase antique, en basalte, et ayant la forme d�une urne s�pulcrale. Sanbsp;longueur est d�environ quatre pieds, sur une hauteur proportionn�e.nbsp;Pa�en d�origine et consacr�, suivant la tradition, au culte d�Apollon,
-ocr page 307-GUARDIOLE.
ce vase fut bien des fois rempli du sang des martyrs. A la paix de l��-glise, il re�ut l�eau sainte dont les chr�tiens se lavaient les mains et Ie visage, avant d�entrer dans Ie temple : les inscriptions suivantes per-p�tuent ce double souvenir :
vAso IN c�i da� gentili
FORONO TORMENTATI E SCANNATI MOLTI CRISTIANInbsp;INNANZI l�idOLO Dl APOLLO (l).
POI COLLOGATO Da� FIDELI IN OOESTO ATRIOnbsp;AD �SO Dl FONTE PER LAVARSInbsp;E MANI E VOLTO PRIMA d�iNTRARE IN CUIESA (2).
En descendant de la colline, nous jetames un dernier regard sur Terracine et sur son ancien port dont il ne reste que quelques modil-lons avec des anneaux de fer, destin�s amp; l�amarrage des navires. L�h�-pital et Ie palais de la r�sidence nous rappel�rent Ie souvenir de Pie VI.nbsp;Ces deux �difices sont dus a rexcellent Pontife qui venait souvent anbsp;Terracine, pour surveiller lui-m�me et activer les immortels travauxnbsp;qu�il avait entrepris dans les Marais pontins.
16 FEVRIER.
Guardiole. � Souvenir de Tib�re. � Souvenir d�Esm�nard. � Fondi. � Chambre de
saint Thomas. � Le corsaire Fr�d�ric Barberousse. � Itri. � Tombeau .de Cic�ron.
� nbsp;nbsp;nbsp;Mola di Gaeta� Villa dl Cic�ron. � Souvenirs de Gaeta. � Minlurne. � ie Liris.
� nbsp;nbsp;nbsp;La Campanie.
Avant six heures, nous avions quitt� Terracine. Le temps �tait superbe et nous permettait de jouir du nouveau paysage qui se d�rou-lait it nos regards. La route actuelle court sur l�ancien trac� de la voie Appienne, dans le fond d�une �troite vall�e, bord�e it droite par lanbsp;mer, et i gauche par les montagnes bois�es du Latium. Environ tousnbsp;�es quarts de lieue, on rencontre sur le bord du chemin de p�lit�snbsp;Biaisons en pierre avec une porte doubl�e de t�le et deux crois��s gar-Dies de barreaux de fer. En regard est une gu�rite. en magonn�rie, d'�ii'nbsp;nous voyions sortir une t�te humaine coiff�e d�un bonnet de police!
Intrigu�s de ce spectacle qui se renouvelait depuis l�entr�e des Mal'
(*) S. Paulino, epist. xii ad Sever.
(s) Contal. Hist. Terrac.
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rais pontins, et qui devait continuer jusqu.�au dela de Minturne, sur les confins de la Campanie, nous en demandilmes la cause a notre voi-turin. � Ces maisons, nous dit-il, s�appellent Guardiole; elles sont lanbsp;demeure des gardes �clielonn�s sur la route, pour prot�ger les voya-geurs. � L�explication n��tait pas tr�s-rassurante. Si on ajoute que Ienbsp;pays semble form� tout expres pour servir de forteresse aux brigands,nbsp;on conviendra que la pr�caution des gouvernements de Rome et denbsp;Naples est loin d��tre inutile et qu�il faut un certain courage pournbsp;s�enfoncer dans ces gorges redoutables. Pour r�rilier la r�ponse dunbsp;conducteur, nous entriimes nous-m�mes dans une de ces Guardioles :nbsp;nous y trouvames, en efl'et, deux carabiniers assis. sur uu lit de camp.nbsp;Au-dessus de leur t�te �lait un ratelier garni de sabres, de pistolets etnbsp;de plusieurs carabines. � Pourquoi �tes-vous ici, mes braves? � Nousnbsp;sommes ici pour donner la chasse a la Cattiva gente che talvolta per-corre queste montagne; mais il est rare que nous ayons a travailler.nbsp;Depuis la capitulation de Garbaroni, on n�entend presque plus parlernbsp;d�arrestations. � Et ils disaient vrai; ear, aujourd�hui, les vols a mainnbsp;armee ne sont pas plus fr�quents en Itali� que sur les routes de France :nbsp;depuis six ans, les statistiques n�en ont constat� que cinq. Au reste Ienbsp;brigandage italien dont on a tant parl�, doit son origine, ou, si onnbsp;aime mieux, son d�veloppement, non pas a une disposition particuli�renbsp;aux habitants de la P�ninsule, mais aux guerres d�invasion qui, anbsp;toutes les �poques, ravag�rent ce beau pays.
Trop faibles pour lutter corps a corps avec leurs ennemis, et notam-ment avec les arm�es frangaises, les Italiens comme les Espagnols eu-rent recours a la guerre de partisans. Apr�s la conqu�te, plusieurs bandes arm�es refus�rent de se dissoudre, et finirent, pour avoir denbsp;quoi subsister, par attaquer les voyageurs. On les trouvait surtoutnbsp;dans la Calabre, dans les Apennins et dans les montagnes du Latium,nbsp;sur les confins des �tats Pontificaux et Napolitains. Elles choisissaientnbsp;de pr�f�rence cette derni�re retraite, paree que l�extradition n�ayantnbsp;pas lieu, elles se mettaient facilement en s�ret� en passant d�un terri-loire il l�autre; telle est la raison de l��tablissement des Guardioles surnbsp;les fronti�res des deux royaumes. Aujourd�hui que l�extradition estnbsp;convenue, Ie brigandage a presque enti�rement disparu.
Nous venions de quitter nps lrraves carabiniers, lorsque nous arri-vames ii Torre de' Confmi. i^�est un poste de douane renforc� d�un (l�tacheraent de troupes de,ligne. La vue d�un nouvel uniforme, d�unnbsp;nouveau drapeau, la demande^des passeports, en un mot toutes lesnbsp;formalit�s d�j� connues, nous avertirent que nous entrions dans un
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nouvel �tat �. c��tait Ie royaume de Naples. Cependant rien n�annonce encore la terre promise de l�Italie, Ie paradis de l�Europe. La routenbsp;continue d��tre la m�me, courant invariablenient dans une petite vall�enbsp;resserr�e d�un c�t� par la mer, et de l�autre par une chalne de mon-tagnes presque toutes volcaniques. Un peu en deca de Fondi on voitnbsp;sur la gauche la grotte fameuse dans laquelle S�jan sauva la vie a Ti-L�re. Ce prince, accompagn� de son favori, se rendait en Campanie.nbsp;Arriv� pr�s de Fondi, il s�arr�ta dans un lieu appel� Ia villa de la Caverns, o� un banquetvvaimenl romain lui fut donn� ainsi qu�a S�jan etnbsp;aplusieurs autres personnes, dans une grotte creus�e par la nature. Aunbsp;milieu du repas, des pierres se d�tachent tout a coup de Ia voute, obstruent la porte et tuent plusieurs esclaves; la frayeur s�empare de tousnbsp;les convives qui cherchent leur salut dans une fuite pr�cipit�e. S�jan,nbsp;appuy� sur sa t�te, sur ses mains et sur ses genoux, couvre l�empereurnbsp;et Ie pr�serve de la chute d�s pierres et du choc des fuyards. C�estnbsp;dans cette position que Ie Irouv�rent les gardes accourus au secoursnbsp;de leur maitre. Une confiance illimit�e de la part de Tib�re fut Ie prixnbsp;de ce d�vouement (i). A quoi tiennent les grandes fortunes!
Les environs de Fondi semblent funestes au voyageur. Non loin de la grotte de Tib�re, on trouve la descente o� Esm�nard p�rit mis�ra-blement. Exil� en Itali�, par ordre de Napol�on, pour une satire centrenbsp;l�ambassadeur russe, Ie chantre de la Navigation partait de Naplesnbsp;pour revenir en I^rance^lorsque, sur la route de Fondi, il fut entrain�nbsp;par des chevaux fougueux, tomba de voiture et se cassa la t�te contrenbsp;un rocher : c��lait Ie 25 juin 18H. On regrette qu�une simple croix,nbsp;a d�faut d�autre monument, ne rappelle pas au voyageur francais Ienbsp;lieu o� p�rit notre jeune et brillant po�te.
A dix heures nous entrions daas la petite ville de Fondi; si tant est qu�on doive donner ee nom a un amas de maisons informes, jet�esnbsp;sans r�gularit� sur Ie flanc d�une cr�le aride, et habit�es par une population miserable qui ne semble avoir de voix que pour deraander lanbsp;bottiglia. Tel est Ie nom que prend, dans Ie royaume de Naples, lanbsp;buona mancia ou Ie bicchiere de 1�ouest et du nord de ITtalie. �nnbsp;attroupement consid�rable d�hommes, de femmes, d enfants d�gu�-nill�s se forma en un elin d�oeil autour de la voiture, arr�l�e sur lanbsp;place pour subir les investigations de la douane. Le chef du poste, �nbsp;1�air empes�, drap� dans son manteau vert, ridiculement fier de sa petite autorit�, chamaillant ses subalternes, nous rappela, trait pour
(i! Tacit. AnnaL Ub. iv, n. 9.
-ocr page 310-506 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
trait, eet Aufidius Luscus, pr�teur de Fondi, avec sa robe pr�texte et son laticlave, dont se moqu�rent si agr�ablement Horace et ses illustresnbsp;compagnons :nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;�
Fuudos Aulidio Lusco prailore libeuter Linquimus, insani ridentes prsemia scrib�,
Praetextam, et latum clavum, prunajque batillum.
Profitant de notre halte forc�e, j�allai visiter, au couvent des Domi-nicains, situ� du c�t� de Ia mer, la chambre de saint Thomas. Qui s�en doute aujourd�hui? La, dans une bicoque sans nom, entre les mursnbsp;noirs d�une petite cellule d�environ douze pieds de longueur sur cinqnbsp;de largeur, rayonna l�astre brillant qui �claira Ie moyen amp;ge et quinbsp;�claire encore de sa vive et pure lumi�re la th�ologie catholique? C�estnbsp;ainsi que les ordres religieux faisaient murir, dans Ie silence et l�ob-scurit� d�une longue retraite, les puissants talents qui devaient un journbsp;�tonner Ie monde et Ie diriger ; l�usage de la serre chaude employ�e denbsp;nos jours a l��gard de l�esp�ce humaine, n��tail connu des anciens quenbsp;pour les melons et les petits'pois. Dans Ie jardin du couvent, on mon-tre encore un oranger plant�. Ia t�te en bas, par Ia main du grandnbsp;docteur. La pauvre ville de Fondi conserve Ie souvenir d�un autrenbsp;�v�nement dont les traces lamentables se voient sur sa physionomie,nbsp;comme les coups de la mer sur Ie vaisseau d�rnSt�. Au xvi� si�cle, Ienbsp;fameux corsaire Barberousse d�barqua lout h coup, pendant la nuit,nbsp;sur la plage voisine, et tenta d�enlever Julie de Gonzague, veuve denbsp;Vespasien Calonne, comtesse de Fondi. L�entreprise �choua, et Ie corsaire, pour SC venger, mit la ville amp; feu et � sang, et emmena une par-tie des habitants en esclavage; depuis cette �poque Fondi ne s�est jamais relev�e de ses ruines. La seule gloire qui lui reste, ce sont lesnbsp;Monfs CcECubi, coteaux voisins qui produisaient d�ja, il y a deux millenbsp;ans, les vins g�n�reux si recherch�s par les maitres du monde (i).
Comme Horace nous quittames Fondi avec plaisir, pour nous diriger par la m�me route que Ie po�te vers Itri, 1� Urbs Mamurrarum des anciens. II parait que la noble ambassade n�arriva dans cette villenbsp;qu�� la fraicheur du soir, puisqu�elle y coucha; tandis que nous ynbsp;fimes notre entr�e sous les feux d�un soleil br�lant. Du reste, Itrinbsp;n�est plus qu�un pauvre village, o� tout annonce que Ie voyageurnbsp;chercherait en vain la maison de Murena et la cuisine de Capiton.
In Mamurrarum lassi deinde urbe manemus,
Muraena praebeute domum, Gapiloue culinam.
(�)
Csecuba fundanis generosa coquuntur amyclis.
Makt.
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TOMBEAU DE CIC�RON.
Toutefois il nous e�t �t� agr�able d�y s�journer si, comme Horace, nous avions pu nous prometlre Ie plaisir de rencontrer, Ie lendemain,nbsp;Plotlus, Varius et Virgile, les �mes les plus candides que la terre aientnbsp;jamais port�es : Animm quales neque candidiores terra tulit. En sor-tant d�Itri on ne tarde pas �i d�couvrir, i travers les oliviers sauvagesnbsp;dont la route est bord�e, une vaste �tendue de la mer Tyrrh�nienne;nbsp;c�est Ie golfe de Ga�te : Mola n�est plus qu�a quelques milles. Avantnbsp;d�entrer dans cette petite ville d�licieusement situ�e, Ie voyageur s�ar-r�te devant un ancien monument qui passe pour Ie tombeau de Cic�-ron (i). Quoique sur ce point tons les arch�ologues ne soient pasnbsp;d�accord, il est pourtant certain que l�illustre orateur fut assassin�nbsp;dans ces lieux par les sicaires d�Antoine et enterr� par ses affranchis,nbsp;auxquels on attribue l��rection du mausol�e dont nous saluftmes lesnbsp;grandes ruines. Comme les monuments fun�bres de l�ancienne Rome,nbsp;il s��l�ve en forme de tour ronde, a la hauteur de trcnte ou quarantenbsp;pieds. Le couronnement a disparu, les marbres et les sculptures ontnbsp;�t� enlev�s, et des plantes parasites cachent aujourd�hui la nudit� denbsp;ce tombeau, comme il cacha lui-m�me le n�ant de Thomme dont lenbsp;nom a rempll l�univers.
II �tait un peu plus de midi lorsque par un temps magnifique nous entrames a Mola-di-Gaeta. Le vaste panorama qui se d�roule tout anbsp;coup est d�autant plus saisissant qu�il est moins attendu, et qu�il con-traste mieux avec l��troit horizon de la vall�e solitaire an fond de la-quelle le voyageur, venant de Rome, a march� si longtemps. Devantnbsp;nous, la mer, dont la surface �tincelait comme un immense miroirnbsp;frapp� des rayons du soleil; a droite, Gaeta, avec ses tours �lanc�es,nbsp;qui paraissait dans le lointain comme une citadelle bade au milieu desnbsp;Hots; � gauche, les monts volcaniques qui se prolongent jusqu�auxnbsp;ruines de Minturne; Mola plant�e sur le rivage comme un belv�d�renbsp;pour embrasser cette grande sc�ne : ce spectacle enchanteur nous fitnbsp;comprendre que nous arrivions dans le paradis de I�Europe. Entr�s anbsp;1�h�tel par une all�e bord�e de lauriers roses et de myrtes blancs ennbsp;pleine fleur, nous fimes collation dans une salie ouvrant sur la mer.nbsp;Quant il sa position, elle est comme le rendez-vous des beaut�s de lanbsp;nature et des grands souvenirs de I�histoire. Au-dessous de cette salienbsp;0� nous, chr�tiens voyageurs, prenions notre repas de p�nitence, Ci-c�ron, l�aust�re Cic�ron, nageait dans les dcllces, se baignait dans desnbsp;cuves pav�es en mosa�que et jouait dans les jardins embaum�s par
(�) L�auteur des Antichila Cicerotiiane, etc., le place au pied du mout Acerbara, vis-a-vis la tour, a droite de la voie Appienne.
-ocr page 312-308 nbsp;nbsp;nbsp;les TROIS ROME.
l�oranger et Ie citronnier : nous �tions sur 1�eraplacement de Formia, et de Formianum, villa du grand oraleur.
INous en visilames avec un certain int�r�t les vestiges d�figur�s; car la vanit� humaine, la folie de l��tre d�un jour qui passe son �ph�m�renbsp;existence ii batir des palais pour ne laisser que des ruines, remplitnbsp;l�ame chr�lienne de graves et salulaires pens�es. Dans les Thermes jenbsp;lus l�inscription suivante plac�e au-dessus d�une fonlaine d�eau doucenbsp;qui sort du roe � deux pas de la mer :
N�MPH^E ARTACE.E EIRE, LAVA, TAC�.
Suivant les po�tes, c�est ici, pr�s de la fontaine Artachia, qu�Ulysse rencontra la fille d�Antiphates, roi des Leslrigons, qui allait y puiser.
Mola offre encore quelques restes d�un th��tre, d�un amphitheatre, d�un temple de Neptune, des villas de Scaurus et d�Adrien. Aux souvenirs de Laesius et de Scipion, grands hommes qui, sur ces rivages,nbsp;jouaient aux ricochetscomme des enfants,s�ajoute celui du papeG�lasenbsp;et de l�illustre cardinal Cajetan, a qui Ga�te se glorilie d�avoir donn�nbsp;Ie jour. Fixant nos regards sur cette ville, que Ie temps ne nous permitnbsp;pas de visiter, nous p�mes apercevoir Ie Corvo, sur lequel s��l�ve lanbsp;fameuse tour de Roland. Elle n�est autre chose que Ie tombeau denbsp;Lucius Munatius Plancus, disciple de Cic�ron, et qui fut, si je ne menbsp;trompe, Ie fondateur de Lyon. Dans la cath�drale de Ga�te se conservenbsp;l��tendard offert par saint Pie V a don Juan d�Autriche, g�n�ralissimenbsp;des troupes chr�tiennes a la journ�e de L�pante.
Quand on a quitt� Mola, dont la pauvret� contraste p�niblemcnt avec la richesse du sol, on c�toie, pendant plusieurs milles, cette bellenbsp;portion de la mer Tyrrh�nienne appel�e Ie golfe de Gacte. De riantesnbsp;pens�es, de gracieux souvenirs accompagnentlevoyageur jusqu�a Tra-jetto; mais la vue de ce petit village donne soudain des impressionsnbsp;hien diff�renles : Trajetto remplace Minturne! G�est dans les mar�-cages voisins de cette ville que fut oblig� de se cacher Marius, Ie vain-queur des Cimbres. D�couverl par les �missaires de Sylla, il fut jet�nbsp;dans les prisons de la ville d�o� il s��chappa pour se sauver en Afri-que. Salut � la cit� fameuse dont il ne roste plus d�autre vestige qu�unnbsp;long et bel aqueduc! Salut � Marius, dont la grande ombre semblenbsp;attendee Ie voyageur et lui dire : � Va dire aux ambitieux que tu asnbsp;vu Marius cach� dans les marais de Minturne! �
Quant � moi, il me restera de Minturne un autre souvenir. Sur ses
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ruines je perdis.... ma tabali�re. Tous ceux qui sont dignes d�appr�-cier l�avantage d�avoir une tabali�re en voyage, s�associeront a ma juste douleur. Une tabali�re est une boite de Pandore dans laquellenbsp;on trouve toujours l�esp�rance, paree qu�on y trouve Ie secret de r�-veiller l�esprit et de lui faire deviner les exp�dients les plus propres amp;nbsp;vous tirer d�embarras; la tabali�re est un d�lassement aussi utilenbsp;qu�agr�able; la tabali�re est un lien social qui vous met soudain ennbsp;rapport d�intiinit� avec Phomme que vous n�avez jamais vu : et j�avaisnbsp;perdu la mienne! Adieu, tabali�re nivernaise, pr�cieux souvenir de lanbsp;France! Graces te soient rendues des longs services que tu me prodi-guas! puisses-lu tomber entre les mains d�un amateur, qui sache tenbsp;trailer avec les �gards dus a une�trang�re malheureuse! Adieu, Min-turne; longtemps encore, en sacrifiant � une douce et salutaire habitude, je me souviendrai de toi. Dans tes marais solitaires, Mariusnbsp;pleura ses infortunes, et moi sur tes ruines je pleurai ma tabali�re.
Pour s�cher mes larmes, qui cependant, je vous prie de Ie croire, ne furent ni bien am�res, ni tr�s-abondantes, il ne fallut rien moinsnbsp;que la vue de la belle Campanie : nous arrivions aux bords du Liris,nbsp;aujourd�hui Ie Garigliano. On Ie traverse sur un beau pont en lil denbsp;fer, Ie seul, avec celui de Pavie, que poss�de la P�ninsule italique.
Les eaux du fleuve, refoul�es par la mer, ferment des marais qui offrent une position militaire formidable. Gonzalve de Cordoue l�avaitnbsp;parfaitement compris, lorsqu�il s�y retrancha avec. un faible corpsnbsp;d�arm�e pour attendee les Francais. Accuse de t�m�rit� par ses propres olBciers, il leur r�pondit h�ro�quement: � J�aime mieux trouvernbsp;mon tombeau en gagnant un pied de terre sur l�ennemi, que rallongernbsp;ma vie de cent ann�es cn reculant de quelques pas. � L��v�nementnbsp;justilia cette r�solution. Nos bouillants corapatriotes furent battusnbsp;compl�tement : c��tait en 1503. Or, il �lait presque nuit, lorsquenbsp;nous parcourions ces lieux funestes. Cette circonstance ajoutait unnbsp;triste a-propos au r�dt de Brant�me, avec qui chacun de nous pouvaitnbsp;r�p�ter ; � H�las! j�ai veu ces lieux-la derniers, et mesmes Ie Garillan,nbsp;et c�estait sur Ie tard, il soleil couchant, que les ombres et les mamp;nesnbsp;commencent a paroistre comme fantosme, plus tost qu�aux autresnbsp;heures du jour, o� il me semblait que ces ames g�n�reuses de nosnbsp;braves Frangois l� morts, s�eslevaient sur la terre el me parlaient etnbsp;quasi me respondaient sur mes plaintes que je leur faisois de leurnbsp;combat et de leur mort (i). �
(0 Vie de Gonzalve de Cordoue.
-ocr page 314-310 nbsp;nbsp;nbsp;lES TROIS HOME.
En traversant lo Garigliano, on fait ses adieux au Latium; car de l�autre c�t� du fleuve, on met Ie pied sur la Campanie ou terre de Labour. Ce nom lui vient, et de l�admirable fertilit� du sol, et de l�intel-ligente culture qui en d�cuple les produits et la beaut�. Dans la plaine,nbsp;la vigne se marie constamment � l�olivier, et ombrage une terre cou-verte de riches moissons. Les coteaux sont couverts d�une v�g�tationnbsp;non moins vigoureuse, et nous entendimes pr�s de nous la muse d�Ho-race qui cbantait les vins du mont Massico, veteris pocula Massici,nbsp;dont les cr�tes verdoyantes s��levaient � notre gauche. Bient�t elle senbsp;tut, disparaissant avec Ie po�le dans l�orabre de la nuit qui nous enveloppe nous-m�mes. Le froid devint tr�s-vif, et Ie ciel �tincelant d��toi-les nous permettait de voir les deux chaines de montagnes enlre les-quelles nous dumes voyager longtemps. La frayeur s�empara de lanbsp;caravane; mais h�las! non moins heureux qu�au passage des Apen-nins, nous ne pumes voir ni la figure ni l�ombre m�me d�un lazzarone,nbsp;d�un birbante ou d�un malandrino. Adieu les po�tiques �pisodes; versnbsp;dix heures du soir, nous arrivions sains et saufs au petit village denbsp;Santa-Agata, o� nous passames la nuit.
n FEVRIER.
Souvenir d�Annibal.�Capouc.�Amphitheatre.� Mosa�ques.� Cath�drale.� Souvenir de Bellarmin. � Aversa. � �tablissement d�ali�n�s. � Naples. � Les Lazzaroni.
Admirer et b�nir, voila tout ce qu�on peut faire lorsque, par un beau lever de soleil, on traverse les campagnes si gracieusement acci-dent�es qui s��tendent depuis Sainte-Agathe a Capoue. Rien de plusnbsp;s�duisant, que l�aspect des plaines de la Campanie. La vous trouveznbsp;des champs en culture; plus loin, de longues files de peupliers enlac�snbsp;de vignes grimpantes jusqu�au faite de leurs vertes pyramides, etnbsp;s��lanQant de l�un k l�autre en festons charg�s de grappes; puis, desnbsp;champs de roses cultiv�es et m�me de roses sauvages, plus odorantesnbsp;que les roses doraestiques; car il semble, dit Pline, que cette terre en-chanteresse ne veut produire que des choses agr�ables (i), des plainesnbsp;de myrtes, et, pour compl�ter la s�duction et anlmer ces bosquets,nbsp;quantit� de beaux pigeons roucoulent sous leurs ombrages. Tel quenbsp;Varron le d�crivait, le sol de la Campanie est encore si l�ger, qu�on ynbsp;laboure avec des �nes (s). Cette province toutefois a un inconv�nient,
(i) Lib. xvin, 11.
(a) R. de re Rust., i, 10.
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qu�Horace avail remarqu� avant nous, et dont nous ne tardftmes pas a sentir la d�sagr�able pr�sence : quand il fait du vent, on est abim�nbsp;dans des tourbillons de poussi�re,
......Trahentia pulveris atri
Quantum non Aquilo Campanis excitat agris.
Lib. II, Sat. vni.
Peu il peu Pceil s�habitue au ravissant spectacle, les impressions per-dent de leur vivacit�, et de grands souvenirs viennent procurer a l��me des jouissances d�un autre ordre : dans ces lieux tout parle d�Annibal.nbsp;La conduite si diversement jug�e du grand Capitaine devint Ie sujetnbsp;d�une longue et int�ressante causerie; chacun prit part ii la conversation, qui pour, qui contre Ie g�n�ral carthaginois. II aurait d� marcher sur Rome aussit�t apr�s la bataille de Cannes, et altaquer la villenbsp;alors que la terreur �tait dans toutes les ames; tel �tait Ie langage denbsp;ses adversaires qui condamnaient hautenient son s�jour ii Capoue. �nbsp;Sans doute, r�pondaient ses d�fenseurs, Annibal eut tort de laissernbsp;son arm�e s�amollir aux d�lices de Capoue; il aurait du 1 occuper anbsp;des travaux, ii des marches et a des contre-marches, afin de la tenirnbsp;en haleine. Quant � marcher sur Rome aussit�t apr�s la d�faite desnbsp;consuls, Ie pouvait-il avec prudence? Depuis son entree en Ralie Annibal avail perdu beaucoup de monde; il n�avait point de machinesnbsp;de guerre; il ignorait encore Ie refus de secours et Ie mauvais vouloirnbsp;de son aveugle patrie; les Remains n��taient pas d�courag�s. Attaquernbsp;Rome, c��tait s�exposer � un �chec qui compromettait sa r�putatlonnbsp;et lui faisait perdre en un jour Ie fruit de ses vlctoires. Quoi qu�il ennbsp;soit, on conclut en disant : La sagesse humaine est toujours courtenbsp;par quelque endroit, et Rome, la ville providentielle, ne devait pasnbsp;encore p�rir; elle devait au contraire aller en grandissant jusqu�a cenbsp;qu�elle e�t pr�par� Ie r�gne du Messie, Ie Roi immortel des si�cles etnbsp;des empires. Comme Ie fruit mang� sur l�arbre a une saveur plus exquise, cette discussion tirait des lieux m�mes un charme et un int�r�tnbsp;particulier.
R en r�sulta qu�elle nous conduisit, � notre insu, jusqu�aux bords du Vollurne, fleuve boueux qui baigne les murs de Capoue. Dix heu-res sonnaient lorsque nous enlrames dans la cit� fatale au vainqueurnbsp;*^6 Cannes; je me trompe, l�ancienne Capoue est � irois milles denbsp;^3 nouvelle. Une voiture de place de la familie du Corricolo napo-lilain nous y transporta en quelques instants. Mais h�las! au lieunbsp;d une cit� brillante, nous trouvames un pauvre village appel� Santa-
-ocr page 316-312 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
Maria-Maggiore. Les ruines dont ie sol est combl� t�moignent des invasions des Barbares et de Tinhumanit� romaine. Oubliant les services que Capoue lui avait rendus apr�s Thumiliation des Fourches-Caudines, Rome traita avec une cruaul� inou�e celte r�publique cou-pable d�avoir repu Annibal; Ie peuple, r�duit a l�esclavage, fut vendunbsp;� l�encan, et les s�nateurs, batlus de verges, furent d�capit�s. RebStienbsp;par Jules-C�sar, Capoue se vit tour a tour occup�e, saccag�e, br�l�enbsp;par les Vandales, les Ostrogoths et les Sarrasins; et depuis l�an 840,nbsp;l��mule de Rome par Ie luxe et la richesse, la m�re de F�loquence,nbsp;comme l�appelle Gic�ron, n�est plus qu�une ombre, ua spectre assisnbsp;sur un tombeau.
De toutes ses ruines, les mieux conserv�es sont celles de l�amphi-th��tre. Nous les visit�mes avec une curiosit� d�aulant plus vive, qu�il existe au-dessous de l�ar�ne des charnbres et des couloirs spacieuxnbsp;dont la destination n�est pas bien connue. B�tie avec une solidit� inbsp;toute �preuve, Famphith�atre de Capoue a sur son grand diam�trenbsp;2S2 pieds; sur son petit, 155. Sa circonf�rence ext�rieure est denbsp;396 pieds, et F�paisseur-des murs et des magonneries, de 132. L�ar�ne est portee par des voutes destin�es, sulvant les uns, au servicenbsp;des hommes employ�s aux jeux. Voir, comme quelques autres, dansnbsp;ces constructions souterraines des Lupanaria ou des Thermes, c�estnbsp;soutenir une opinion qui ne parait pas sans fondement. Personne quinbsp;ne sache que ces lieux �taient ins�parables des amphitheatres. Or, lesnbsp;Carapaniens voluptueux et sanguinaires qui, non contents d�avoirnbsp;pour leur service une �cole nombreuse de gladiateurs, firent les premiers usage du velarium, pouvaient-ils oublier ce compl�ment oblig�nbsp;des jouissances de tous les peuples anciens? Quoi qu�il en soit, k lanbsp;vue de ce colossal monument on se demande quelles �taient les riches-ses de Capoue et sa soif excessive de jeux et de plaisirs, pour y sacri-fier une si grande part de ses facult�s? En attendant que la sciencenbsp;moderne ait r�solu ce probl�me offert h ses m�ditations dans presquenbsp;toutes les villes pa�ennes, Faspect de ces edifices tant de fois souill�snbsp;de sang et d�iniquit�s, offre un monument �ternel de la justice divine.nbsp;Ici comme ailleurs elle apparait d�truisant les cit�s coupables et Cendant aux Campaniens, comme aux autres peuples, suivant leurs oeuvres. A Capoue nous retrouv�mes Horace et ses nobles compagnonsnbsp;que nous avions laiss�s a Itri. M�c�ne jouait au ballon, Horace et Vir-gile dormaient:
Hinc muli Capuse clitellas tempore ponuut.
Lusum it Maecenas, dormitum ego Virgiliusque :
Namque pita lippis inimicum et ludero crudis.
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Nous regreUftmes d�autant plus de ne pouvoir aller souper avec eux dans la magnifique villa de Cocceius :
nine nos Cocceii recipit plenissima villa.
que, rentr�s dans la nouvelle ville, nous n�eumes pour d�jeuner que deux �normes plats de broccoli, esp�ce de choufleurs particuli�re anbsp;ritalie et accomod�s a Fhuile : tout le monde les trouva d�testables,nbsp;et chacun de s�extasier sur les d�lices de Capoue. Par compensation,nbsp;il nous fut donn� de converser en francais avec des officiers suissesnbsp;au service de Naples : ils �taient ici en qualit� d�instrucleurs � l��colenbsp;d�arlillerie. Sur leur indication, nous nous rendimes amp; la cath�drale,nbsp;o� de beaux souvenirs attendent l�artiste et le chr�tien. En t�te desnbsp;monuments se place la Madonne en mosa�que, un des plus beaux ou-vrages de l��poque bysanline ; elle date du neuvi�me si�cle. Au centre de Pare apparait le sainte Vierge portant la couronne de perles,nbsp;la tunique et le manteau �maill�s de pierres pr�cieuses, suivant l�u-sage des imp�ralrices d�Orient. La figure est d�une grande beaut�, lanbsp;pose tr�s-gracieuse. Les pieds de la c�leste Reine reposent sur le Sup-pedaneum, r�serv� aux personnages de distinction; l�Enfant J�sus estnbsp;assis sur le giron de sa m�re, tenant de la main gauche une grandenbsp;croix. Au bas de cette premi�re figure on lit mp ��, abr�viation desnbsp;mots grecs mhthp �EOY, Mater Dei, M�re de Dieu. A droite de lanbsp;sainte Merge sont, debout, saint Pierre et saint �tienne, le premiernbsp;portam les clefs divines dont il fait hommage � Marie, et le second,nbsp;v�tu de la dalmatique et tenant le livre des �vangiles, symbole desesnbsp;fonclious; � droite, et dans la m�me attitude, saint Paul �levant lanbsp;main vers Marie, et sainte Agatbe, couverte d�un manteau �tincelantnbsp;de pierres pr�cieuses et portant de la main gauche une couronne denbsp;perles, symbole de la virginit�. Au sommet de Pare apparait le Saint-Esprit, en forme de colombe, la t�te entour�e d�un diad�me triangulaire, embl�me bysantin de la sainte Trinit�. Sur la corde du grandnbsp;are on lit cette inscription qui fixe la date du monument:
CONDIDIT HANG AVLAM CANDVLFVS,
ET OTO BEAVIT
MOENIA BES, MOREM VITRE�H, DEBIT VGO DECOREM.
Le mot beavit, rendit bienheureux, pour dire consacra, est certai-nement une des plus riches expressions de la langue chr�tienne (i).
(i) Ciampini, Mon, Veter., t. ii, p. tOT.
-ocr page 318-514 LES TROIS ROME.
Apr�s avoir admir� celle belle page de Tart chr�tien, enlrons a la cath�drale, et saloons les gloires de cetle antique �glise. Arriv� ii Ca-pooe, Ie chef des p�cheurs galil�ens, qui parcourait Ie monde en se-niant des �v�ques, consacra son compagnon de voyage, saint Prisque,nbsp;un des soixante-douze disciples, et l��tablit pasteur de cette chr�tient�nbsp;naissante (i). Toutes les colonnes du temple, enlev�es � Famphith�A-tre, sont des monuments de la victoire du christianisme. Dans lanbsp;crypte, on admire Ie Christ mort, ouvrage du Bemin suivant les uns,nbsp;et selon les autres de Vaccaro son disciple. En remontant a l��glise,nbsp;lisez la belle inscription qui rappelle Ie nom et les vertos du e�l�brenbsp;Cardinal Bellarmin, archev�que de Capoue. C�est l� un de ces hommesnbsp;que l��glise peut montrer avec orgueil a ses ennemis comme*� sesnbsp;amis. Cl�ment VIII ne fut que l�organe de I�opinion publique lors-qu�en Ie d�signant pour la pourpre romalne, il fit de lui cet�loge, unique peut-�tre dans l�histoire ; � Nous Ie choisissons paree qu�il n�anbsp;pas son pared en science dans Ie monde catholique (2). � Malgr� tantnbsp;de m�rite, 1�humble religieux refusa les supr�mes honneurs qui luinbsp;�taient siglorieusementofferts. La crainte d�offenser Dieu, et la menacenbsp;de l�excommunication purent seuls triompher de sa r�sistance.
Qu�on juge de l��motion du voyageur chr�tien, lorsqu�il voit a la cath�drale de Capoue la place o� Ie Bossuet du seizi�me si�cle s�as-seyait chaque dimanche au milieu des pauvres et des petits enfants dunbsp;people pour leur faire Ie cat�chisme! Faut-il s��tonner si Ie nom denbsp;Bellarmin continue d��tre en b�n�diction, et si on conserve avec unnbsp;soin religieux, dans la sacristie de l��glise, un grand nombre d�orne-ments qui furent � l�usage du saint cardinal? Une autre gloire de Capoue sont ses martyrs. Saluons avec les si�cles.les h�ros dont Ie sangnbsp;purifia l�antique cit� fameuse entre toutes par les crimes qui la souil-l�rent. A leur t�te marche saint Prisque, son premier �v�que, mis anbsp;mort sur la via Aquaria, par ordre de N�ron; vient ensuite son illus-tre successeur, saint Rufus, patricien par sa naissance, chr�tien par Ienbsp;bapt�me, �v�que par l�onction �piscopale qu�il regut de saint Apollinaire, disciple de saint Pierre et martyr par la grace de N�ron : surnbsp;ses traces void venir le jeune Antonin, avec Ariste son compagnon,nbsp;Quinetus, Arcontius, Donat, Rosius, H�raclius, et beaucoup d�autres
(i) Ant. (�.araccioli, de Sacris. Eccl. Neap. 3Ion. p. 70. � Selvaggio, Antiquit. Christ. Instit. t. I, p. 53.
(s) Hunc eligimus, quia non habet parem in Ecclesia Dei quoad doctrinam. � Vit-Card. Dellar., lib. u, c. 5.
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AVEBSA.
qui forment la glorieuse l�gion dont les saints Rufus et Carpophore, martyris�s sous Diocl�tien, composent l�arri�re-garde.
Apr�s avoir rendu nos hommages aux fondateurs et aux conserva-leurs de la cit� chr�tienne, nous partimes de Capoue par une chaleur affreuse. La route �tait couverte d�une forte couche de poussi�re,nbsp;constamment agit�e par fes nombreux �quipages que nous rencon-trions; cette poussi�re d�une blancheur et d�une finesse extr�me futnbsp;pour nous un v�ritable supplice. Au reste, rien de plus bizarre que lesnbsp;attelages du pays. Tant�t c�est une charrette � deux roues, garnie denbsp;quelques planches en guise de bancs et train�e par un bceuf et unnbsp;bullle; tant�t c�est un chariot ordinaire conduit par un cheval et unnbsp;ane, quelquefois par un bceuf et un cheval, d�autres fois par un boeufnbsp;OU par un buffle seul. Nulle part, je crois, on ne peut voir une tellenbsp;vari�t�, pour ne pas dire une pareille bigarrure. Cependant la jolienbsp;petite ville d�Aversa vint appeler notre attention sur d�autres objets.nbsp;Tout ce que Ie temps nous permit de voir, c�est Ie bel �tablissementnbsp;d�ali�n�s, longtemps confi� aux soins intelligents du pieux abb� Lin-guiti. Le premier, en Europe, avec les Fr�res de Saint-Jean-de-Dieu,nbsp;il a eu le m�rite de d�livrer ces infortun�s des liens dont ils �taientnbsp;garrott�s, et de les soumettre a un traitement plus doux et plus salu-taire. La situation de l�hospice est heureuse; des bosquets, des cours,nbsp;des jardins, des plantations, de vastes salles orn�es de peinture et denbsp;sculpture; un mus�e, une biblioth�que, un billard, donnent h eet asilenbsp;de l�infortune tout le confortable d�une somptueuse villa. On y vou-drait un peu plus d�ordre et de propret�, qui, soit dit en passant, nenbsp;paraissent pas �tre les vertus cardinales des Italiens.
Avant quatre heures notre berline stationnait aux portes de Naples. La visite tr�s-s�v�re de nos bagages, la remise de nos passeports, lanbsp;d�livrance du permis de s�jour, nous y retinrent longtemps. Au voya-geur qui arrive par terre, la troisi�me capitale de l�Europe ne se pr�sente pas d�abord sous un aspect favorable. L�oeil rencontre des mai-sons plus OU moins �l�gantes, mais rien qui annonce la superbenbsp;Parth�nope. Plus heureux est le passager qui aborde par mer; pournbsp;lui Naples se montre dans tout l��clat de sa magnificence. Cependantnbsp;nous vimes sur la gauche un vaste batiment dont l�aspect cause unenbsp;l*ien douce �motion au voyageur chr�tien ; c�est VAlhergo reale deinbsp;poveri : palais royal des pauvres. Dans ces quatre mots est tout en-li�re la r�volution morale op�r�e par l��vangile. Nous nous inclin�mesnbsp;fievant la bienfaisante r�volution et devant le superbe �difice, auquelnbsp;bous promlmes une visite d�taill�e.
1
-ocr page 320-316 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
En attendant nous recevions nous-m�mes, sans nous en apercevoir, une visite qui ne tarda pas amp; fixer notre attention ; un balaillon denbsp;lazzaroni escortait la voiture. A r�panouissement de leur visage il �taitnbsp;facile de deviner Ie plaisir que leur faisait gouter Tesp�rance de servirnbsp;bient�t les nobles forestieri. Puisque Ie lazzarone est la premi�re cu-riosit� napolitaine qui se pr�sente, commen^ons par la d�crire. Sansnbsp;doute il est moins po�tique, moins pittoresque, en un mot moins int�ressant qu�autrefois : ses anciennes habitudes sont notablement mo-difi�es. II ne campe plus dans la rue; Ie panier d�osier ou la dalle dunbsp;carrefour ne forme plus son lit; il n�est plus compl�tement �lrangernbsp;a la civilisation au milieu de laquelle il est lanc�; il a renonc� a sanbsp;nudit� sauvage. En �l�, il porte un calegon de toile; conime celle denbsp;ses premiers a�eux sa t�te est coiff�e du bonnet phrygien, mals il nenbsp;connait que par exception l�usage des bas el des chaussures. En hiver,nbsp;il se couvre d�un gilet de laine a larges manches et a capuchon; enfinnbsp;il est devenu locataire et m�me paroissien. Malgr� ses changements,nbsp;il conserve des allures qui en font un type a part. Gai, insouciant,nbsp;vivant au jour Ie jour, sans jamais songer au lendemain; jouissant d�-licieusement de son beau ciel, raisonnant beaux-arts, improvisant desnbsp;po�sies, 11 trouve dans ce laisser-aller Ie bonheur ou une illusion quinbsp;lui ressemble.
Maitre pass� en pantomime, il exprime quand il veut, par Ie jeu vari� de sa physionomie, Ie mouvement de la t�te et la mobilit� de sanbsp;main, tout ce qu�il sent, tout ce qu�il d�sire; ma�s ce langage muetnbsp;ne lui convient qu�avec ses pareils, et dans certaines circonstances o�nbsp;Ie myst�re est un devoir. Partout ailleurs il est Ie plus criard desnbsp;mortels (i) ; il crie au lieu de chanter, il crie au lieu de parler; et Ienbsp;jour commence h peine qu�il vous assourdit de ses vocif�rations inces-santes. Pas moyen de vous y soustraire; car il est partout, sur Ie port,nbsp;dans les rues, sur les places, devant les monuments, mais surtout de-vant les stations des voitures publiques ; il foisonne au Toledo. Ennbsp;avez-vous besoin? il est la. Vous est-il inutile? il est encore l�. Tou-jours pr�t � vous faire accepter ses services, il trouve sans peine Ienbsp;moyen de se rendre n�cessaire. Voulez-vous aller a une �glise? il ennbsp;connait lechemin. A un mus�e? il vous servira de cic�rone. Deman-dez-vous une barque? tous les bateliers sont ses amis. Prenez-vousnbsp;une voiture? il vous ouvre la porti�re, baisse, rel�ve Ie marchepied�nbsp;et monte en jockey. Pendant Ie voyage, il rit, il chante, il vous �gaie
(i) Napolitani maestri in schiamazzare Aifieri. Son. cxliii.
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LES LAZZAROSI.
et de temps en temps vous dit a roreille : Eccellenza, una bottiglia. A la fin de la course il saute a bas de la voiture, vous pr�sente un petitnbsp;tapis pour poser Ie pied, brosse votre chaussure, vos habits, recoil vosnbsp;tornesi, youamp; salue d�un air respectueux et malin; puis, cire le sabotnbsp;du cheval, lui peigne sa criniere, en attendant une nouvelle pratique.
Le lazzarone est de tous les ftges et de toutes les tailles. Dans notre excursion a la grotte du Chien, c�est-5-dire pendant une heure et demie,nbsp;nous fumes, malgr� nos observations, nos protestations, nos menacesnbsp;r�it�r�es, impitoyablement suivis par un petit lazzaro, dans le costume que je viens de d�crire. II ne cessa de nous donner des indications et des renseignements dont nous n�avions que faire. A toutesnbsp;nos injonctions de se relirer et de nous laisser en paix, il r�pondaitnbsp;en souriant: Eccellenza si, Eccellenza si; et n�en continuait pas moins.nbsp;Enfin, dans un mouvement de vivacH�, nous lui dimes : � Va-t�en,nbsp;mauvais petit lazzarone. � Eccellenza no; non, Excellence, je ne suisnbsp;pas un lazzarone; je vous demande une bouteille, tandis que les laz-zaroni prennent les mouchoirs du monde, ruhano li fazzoletti dellanbsp;gente. � II fallut c�der i son importunit�; nous lui donnames quelquesnbsp;grains pour acheter du maccaroni. � Merci, Excellences; � puis ilnbsp;nous quitta sautant de joie, et, dans la r�alit�, plus heureux que le roinbsp;de Naples qui pourtant ne passe pas pour le monarque le moins heureux du monde civilis�. J�ajouterai a la louange des lazzaroni, que lanbsp;foi est tr�s-vive dans leur coeur, et qu�ils sont moins mauvais que leurnbsp;r�putation ; je reviendrai la-dessus.
l-i
Nous arrivames done h l�h�tel, environn�s d�un nombreux cort�ge. Vingt lazzaroni se pr�cipit�rent h la fois sur nos bagages : c��tait ii quinbsp;aurait I�honneur de nous servir. En un din d�oeil, roues, banquettes,nbsp;int�rieur, imp�riale, toutes les parties de la voiture furent envahies.nbsp;Spectateur attentif, notre vetturino, vieux Remain qui connaissait sonnbsp;monde, se tenait debout, le fouet a la main, et tout haut, � la barbenbsp;de nos empress�s serviteurs : � Signori, hadate : Messieurs, preneznbsp;garde, veillez sur vos effets. � U parait que la v�rit� n�offense pas lesnbsp;lazzaroni, ou que notre conducteur les calomniait, car ils accomplirentnbsp;Gn riant leur tache sous le feu de ces insultantes recommandations:nbsp;rien ne fut perdu.
TOM. II.
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18 FEYRIER.
Vue g�n�rale de Jlaples. � Rencontre d�un r�giment de la garde royale. � Cath�drale. � Tombeau de Charles d�Anjou. � Colonnes antiques. � Baptist�re. � Basilique denbsp;Sainte-ResUtute. � Hisloire de cetle sainte.
Voyez Naples, et puis mourez. Notre premi�re pens�e fut de v�ri-fier, par nous-m�mes, ce proverbe italien, en nous promettant, toute-fois, de ne pas mourir. On convient que Ie panorama de Naples est Ie plus magnifique de l�Europe; il serait Ie plus beau du monde, si celuinbsp;de Constantinople ne lui �tait, dit-on, sup�rieur. Pour en jouir, nousnbsp;montames au fort Saint-Elme'. Du haut de cette citadelle, dont lesnbsp;fondements sont creus�s dans Ie roe vif, on domine la ville enti�re etnbsp;ses environs. A gauche se d�roule Ie vaste faubourg delle Vergini, avecnbsp;ses palais blanchis, aux toits en plate-forme et aux larges balcons, couverts de vases de fleurs et d�arbustes. Plus loin, c�est Ie grand h�pitalnbsp;des Pauvres, Ospedale dei Poveri, tenu par nos soeurs grises, d�ori-gine francomtoise; la porte de Capoue, puis Caserte, avec son chateaunbsp;royal et ses d�licieux jardins; au dela les vastes plaines de la Campa-nie, �raaill�es de maisons �l�gantes, dont la blancheur tranche vive-ment sur la verdure de la prairie et Ie feuillage touffu des oliviers etnbsp;des orangers; enfin, ii l�horizon, les Apennins dont les cimes �chan-cr�es �taient alors couvertes de neiges. Devant nous, s��panouissaitnbsp;aux rayons du soleil, Ie ceeur de la brillante cit�. Ses d�mes dor�s, sesnbsp;palais, ses monuments, sa belle rue de Tol�de pav�e en larges dallesnbsp;volcaniques, bord�e de superbes edifices, d��l�gants magasins, et sil-lonn�e par une foule d��quipages et de pi�tons; son Largo del Castello,nbsp;la plus vaste place de Naples, avec sa fontaine Medina, une des plusnbsp;belles du monde apr�s celles de Rome, formaient un tableau dont lanbsp;magnificenca �tait rehauss�e par la verte campagne qui lui sert denbsp;bordure et qui s��l�ve en pente douce, jusqu�au pied du V�suve. Lenbsp;V�suve lui-m�me avec son c�ne noirci, d�o� s��chappe incessammentnbsp;une large colonne de fum�e, m�le a ce riant spectacle quelque chosenbsp;de s�v�re, et, en jetant dans l��me je ne sais quelle terreur involon-taire, compl�te admirahlement les impressions du spectateur.
A droite, la sc�ne est plus magnifique encore. La ville descend en amphith�^tre et arrive au superbe quai de Chiaja, habit� par la premi�re soci�t� de Naples. A l�ouest, se dessine la montagne escarp�e
-ocr page 323-que traverse la fameuse grotte de Pausilippe, et qui, plongeant dans la mer, ferme la cit� d�une insurmontable barri�re. Adoss�e au flancnbsp;int�rieur de la montagne, brille la belle et d�vote �glise della Madonnanbsp;di pi� di Grotta; puis vient la Villa Reale qui �tale ses graces incom-parables sur Ie bord de la mer. Sa position, ses fontaines, ses vasesnbsp;de marbre et de bronze, ses all�es d�acacias, ses bosquets de myrles etnbsp;d�orangers, son temple circulaire de marbre blanc, sa vue admirable,nbsp;en font peut-�tre la plus d�licieuse des promenades publiques. A l�ex-tr�mit� s��l�ve, sur une pointe de rocber, la masse imposante du Chd-teau de l�OEuf, qui forme une ile et communique avec la terre parnbsp;une jet�e de deux cents metres de longueur. Villa de Lucullus, prisonnbsp;d�Augustule, Ie dernier empereur Remain, monument d�orgueil etnbsp;d�humiliations, Ie chateau de l�OEuf commande Ie golfe de Naples etnbsp;Ie divise en deux parties. Plus loin est la Tour del Carmine, redou-table donjon qui domine Ph�micycle m�ridional du port, et rappellenbsp;l�insurrection de Mazaniello, dont il est destin� ii pr�venir Ie retour.nbsp;Par del� ces �difices, vous voyez briber autour du golfe au bleu d�azur,nbsp;Portici, avec sa maison royale; Resina, d�o� l�on monte au V�suve,nbsp;et dans Ie lointain Castellamare, appuy� aux montagnes, suivi denbsp;Sorrento et de la trop c�l�bre Capri. Les regards, continuant h tournee vers la droite, viennent enfin^se reposer sur Ie cap Mis�ne, d�o�nbsp;Pline rAncien, commandant de la flolte romaine, s�embarqua pour sanbsp;fatale exploration du V�suve.
Ce grand spectacle n�est cependant que la miniature du panorama napolitain. A mesure qu�on s��l�ve, l�horizon s�agrandit, et lorsqu�on arrive au couvent des Caraaldules, on jouit d�une des plus belles vuesqu�ilnbsp;soit donn� h l�oeil humain de contempler. Les deux golfes de Naplesnbsp;et de Pouzzoles dans toute leur �tendue, les coteaux d�licieux de Ba�a,nbsp;Ie plateau accident� de Cumes, les crat�res �teints de la Solfatarre etnbsp;de l�Astrumi, Ie lac d�Agnano, la mer immense, d�un c�t�; et de 1�autre,nbsp;les vastes plaines de la Campanie coup�es de gracieux monticules etnbsp;couvertes de la v�g�tation la plus vigoureuse et la plus Vari�e, competent en Ie d�veloppant Ie point de vue du fort Saint-Elme. Ajouteznbsp;� tout cela un ciel d�une magnificence peut-�tre unique au monde;nbsp;puis si vous �tes artiste, saisissez vos pinceaux, et bient�t vous lesnbsp;briserez de d�sespoir.
Tel est, dans ses traits saillants, Ie panorama de Naples, contempl� du fort Saint-Elme et des Camaldules. O mon Dieu! Quelle sera lanbsp;patrie de Thomme votre enfant, si son exil est si beau!
320 LES TROIS ROME.
mieux exerc�e ne saurait donner qu�une description imparfaite, nous descendimes pour visiter en d�tail les principaux points du vaste tableau : la cath�drale eut les pr�mices. Comme nous quittions Ie Largonbsp;dei Studj, un fait ancien, mais nouveau pour nous, vint �mouvoir pro-fond�ment notre coeur : Ie premier r�giment de la garde traversait lanbsp;place de la Trinit� et se dirigeait vers l��glise du Ges� Nuovo. O�nbsp;vont, silencieux et recueillis, tous ces vieux soldats en demi-tenue, colonel et �tat-major en t�te? Ils vont, oreilles fran�alses du xix� si�cle,nbsp;�coutez bien, ils vont aux exercices de la retraite pr�paratoire 4 lanbsp;communion pascale. Nous les suivimes, et nous p�mes voir toutes cesnbsp;vieilles Moustaches se mettre a genoux devant Ie Dieu des arm�es, d�-poser leurs sabres et leurs casques, puis se grouper autour des con-fessionnaux el attendee, dans la pri�re, Ie moment du discours et denbsp;Ia confession. La retraite dure dix jours, et plusieurs fois il nous futnbsp;donn� de jouir d�un spectacle si honorable pour ceux qui Ie donnentnbsp;et si consolant pour Ie chr�tien qui Ie contemple. O France, autrefoisnbsp;si ebr�tienne et toujours si brave! quand retrouveras-tu Tintelligence?nbsp;quand reliras-tu avec impartialit� ta brillante histoire? Ce jour-l�,nbsp;nation guerri�re entre toutes les autres, tu comprendras la n�cessit�nbsp;pour toi de l�alliance oblig�e de l�esprit chr�tien et de l�esprit militaire; depuis que tu l�as rompue, tu as eu des soldats, quand tu l�aurasnbsp;renou�e tu auras des h�ros!
A la cath�drale nous attendait l�excellent chanoine JDe� BiancM. Ami intime de Fillustre chanoine de Jorio et son disciple intelligent,nbsp;M. De� Bianchi voulut bien nous servir de guide. Irr�guli�re dans sanbsp;forme, moiti� gothique et moiti� grecque dans son architecture,nbsp;l��glise de Saint-Janvier pr�sente un vaste champ d etudes a l�artistenbsp;et au chr�tien. Voici d�abord deux antiques colonnes de porphyre quinbsp;en ornent l�entr�e. Au-dessus de la grande porte int�rieure sont lesnbsp;superbes tombeaux de Charles d�Anjou, de Charles Martel et de Cl�-mence, sa femme, �lev�s en leur honneur par Ie comte Olivar�s, vice-roi de Naples. Le baptist�re, form� d�un vase antique en basalte �gyp-tien, repose sur un pi�destal de porphyre, orn� des attribute denbsp;Bacchus. Cent dix colonnes de granit �gyptien, restes de l�anciennbsp;temple d�Apollon et de Neptune, soutiennent les vo�tes de r�difice, etnbsp;sont un nouveau troph�e de la victoire �vang�lique. Vers le milieu denbsp;la cath�drale, s�ouvre la basilique de Sainte-Restitute, qui compose lanbsp;partie gauche du transept : la chapelle de Saint-Janvier forme lanbsp;droite. Sainte-Restitute est l�ancienne cath�drale; on la croit de fon-dation Constantinienne. Une inscription en mosa�que, grav�e sur l�au-
-ocr page 325-BASILIQCE DE SAINTE-RESTIT�DE. nbsp;nbsp;nbsp;321
tel, en fait honneur a sainte H�l�ne, lorsqu�au retour de Ia Palestine elle passa par Naples en se rendant � Rome (i).
Quoi qu�il en soit, on convient que les vingt-deux colonnes de la basilique proviennent d�un temple de Diane. 11 en est de m�me desnbsp;griffes OU consoles qui soutiennent Ie maitre autel, sous lequel reposenbsp;Ie corps de sainte Restitute. Ges objets dans Ie style grec sont d�un travail exquis.
On croit que l�oratoire particulier de saint Aspr�nus et de sainte Candide forme Ia chapelle du Saint-Sacrement plac�e ii droite de l�au-tel : je parlerai bient�t de ces deux illustres personnages. A gauchenbsp;du m�me autel on trouve la chapelle de saint Jeaxi-in-Fonte; elle estnbsp;orn�e de mosa�ques et de peintures d�un grand int�r�t pour qui veutnbsp;�tudier l�histoire de Part. Une des mosa�ques repr�senle la saintenbsp;Vierge v�tue a la grecque. C�est la madone del principio, ainsi nom-m�e paree qu�elle fut la premi�re honor�e a Naples. Le costume by-zantin, qui montre la filiation de l�art, se rencontre souvent dans lesnbsp;�glises de Rome. A droite de la madone est l�antique portrait de saintnbsp;Janvier, regard� comme le vrai portrait du saint pendant des si�cles.nbsp;Un sarcophage pa�en devenu le tombeau du cardinal Piscicelli, plu-sieurs mausol�es parmi lesquels nous distinguames celui du savant etnbsp;pieux chanoine Mazzocchi forment les principals richesses artistiquesnbsp;de Sainte-Restitute.
Mais qui �tait cette sainte? D�o� vient la magnificence de son sane-
�{2) Void cotte inscription :
Lux immensa Deus postquam descendit ad ima Annis trecentis compleiis atque paractis,
Nobilis hoe templum sancta conslruxit Helena.
Hic bene quanta dalur venia vix quisque loquetur,
Sylvestro grato papa donante beaio,
Annis datur clerus jam instaurator Partbenopensis Mille trecentis undenis, bisque retensis.
Une autre inscription, conserv�e au coll�ge des J�suites, prouve Ie passage de sainte H�l�ne a Naples :
PIISlMiE AC CLEMENTISSIM.E domino nostra AVGVSTiEnbsp;HELENA MATKlnbsp;DOMINI NOSTISI VICTORISnbsp;SEMPER AVGVSTI CONSTANTINI, ET AVIJEnbsp;DOMINORVM NOSTRORVMnbsp;C^SARVM BEATORVMnbsp;YXOUI DIVl CONSTANTINInbsp;ORDO NEAPOLITANVSnbsp;ET POPYLYS.
-ocr page 326-522 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
tuaire et la v�n�ration profonde dont elle-m�me est environn�e?Quand un pays a vu des prodiges d�infamie comme ceux qui souill�rent lesnbsp;rivages de I�anlique Parth�nope, il faut qu�il p�risse ou qu�il soit pu-rifi� : or, pour Ie purifier il faut du sang. Puis afin de retremper lesnbsp;coeurs amollis de ses habitants, afin de relever leurs ames d�grad�esnbsp;par d�incroyables d�bauches, il faut des prodiges non moins incroya-bles de courage et de chastet�. Celte loi, d�o� d�pend l��quilibre dunbsp;monde moral, la raison la devine avant que l�histoire en montre l�ap-plication. Done, Pouzzoles, Nole, Gapoue, furent arros�es de sangnbsp;Chr�tien; et si Naples, sans doute moins coupable, n�eut pas de martyrs, elle vit des prodiges r�g�n�rateurs. Vers Ie milieu du troisi�menbsp;si�cle, sous l�empire de Val�rien, Proculus �tant gouverneur de l�Afri-que, il y avait a Carthage une jeune vierge nomm�e Restitute. Con-vaincue d��tre chr�tienne, elle est araen�e devant Ie juge qui la livrenbsp;a d�effroyables tortures. Vains efforts! rh�ro�ne demeure in�branlablenbsp;dans sa foi. Tout a coup Ie visage du tyran bribe d�une joie f�roce ;nbsp;il a trouv� un supplice digne de sa haine, et digne aussi de sa victime.nbsp;II ordonne a ses licteurs de saisir la jeune vierge, et de la jeter piedsnbsp;et mains lies dans une barque remplie de poix et d��toupes, auxquellesnbsp;il fait mettre Ie feu, afin de Ia faire bruler en pleine mer. L�ordre estnbsp;ex�cut�; mais les flammes commencent par consumer les bourreaux,nbsp;tandis que les vents poussent au large la br�lante nacelle. Press� surnbsp;Ie rivage, tout Ie peuple la contemple, attendant Ie sort de la victimenbsp;qui bient�t l�ve les yeux au ciel et expire doucement � la vue desnbsp;spectateurs. Cependant les bots, messagers fid�les du Dieu qui les en-chaine, les calme ou les agite, Iransport�rent la barque du martyrenbsp;aux rivages dTschia. Avertis par leurs fr�res d�Afrique, les chr�liensnbsp;de Naples vinrent chercher avec un profond respect Ie corps de lanbsp;jeune vierge; et pour mieux glorifier la chaste h�ro�ne que Ie Cielnbsp;leur avait envoy�e comme patronne et comme mod�le, ils lui batirentnbsp;un sanctuaire avec les d�bris des temples impurs, o� s��taient d�gra-d�s leurs voluptueux anc�tres (i).
(i) Voyez BaroniuSj Martyrolog. Horn. 17 mai, notes B et C; Annales, t. v, ann. lii, n. 7. � Je n�ai fait que trauscrire les paroles du grand histori�n.
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SECOKDE VISITE A LA CATH�DEALE.
19 FEYRIER.
Seconde visite a Ia cath�drale. � Chapelle du s�minaire. � De Minutolo. � Crypte. � Tombeau du roi Andr�. � Chapelle de Saint-Janvier. � Tr�sor. � Sacristie. � Batonnbsp;de saint Pierre. � �glise des Chartreux. � Mot d�un pape.
Quand vous serez a Naples, couchez-vous de bonne heure, vous vous en trouverez bien : eet oracle est plus sur que celui de Calchas.
If
A quatre beures du matin, il n�est plus possible de dormir. Les grelots des 4nes et des mulets des jardiniers, les clochettes des vacbesnbsp;et des cb�vres qu�on conduit par troupes dans les rues et qu�on traitnbsp;devant les maisons pour donner du lait cbaud aux m�nag�res; les crisnbsp;des p4tr,es et des marchands d�oranges, rendent tout sommeil impossible. Du reste, Ie ciel de Naples est si admirablement beau, qu�onnbsp;pardonne volontiers aux tapageurs qui vous procurent Ie plaisir de Ienbsp;voir au lever de l�aurore. Apr�s avoir joui de ce ravissant spectacle,nbsp;nous reprimes la visite interrompue de la cath�drale. Le choeur, quinbsp;forme un parall�logramme, pr�sente, d�un c6t�, la chapelle du Semi-naire; de l�autre, celle de Minutolo. Les chanoines de Naples compo-sent entre eux une association de missionnaires appel�e di Propaganda. Ils s�en vont, sur l�avis du cardinal-archev�que, donner desnbsp;retraites dans les paroisses du dioc�se ; on sait que saint Alphonse denbsp;Liguori en fut un des membres les plus distingu�s : or la chapellenbsp;del Seminaria sert ii leur r�union. Sur la porte brille la belle As-somplion du P�rugin. La chapelle Minutolo est curieuse sous le rapport de Part. Nous remarqu�mes entr�autres divers sujets de la Passion, de Mare de Stefani, le p�re de la peinture napolitaine, mortnbsp;en 1590. Dans la crypte ou soccorpo, plac�e au dessus du maitre autelnbsp;de la cath�drale, repose le corps de saint Janvier. Cette chapelle, toutenbsp;rev�tue de marbre blanc, est soutenue par des colonnes qu�on dit pro-venir d�un temple d�ApolIon. Parmi les ornements on admire la statuenbsp;en marbre du cardinal Oliviero Carafa, qu on croit de Michel-Ange :nbsp;les arabesques et les autres peintures d�coratives sont d�une rarenbsp;beaut�.
Avant de nous rendre ii la chapelle de Saint-Janvier, nous vimes pr�s de la porte de la sacristie le petit tombeau du roi Andr� de Hon-grie, mis � mort du consentenient de Jeanne de Naples son �pouse, etnbsp;nous l�mes cette humiliante �pitaphe :
Andrew neap. Joanna uxoris dolo et laq�eo necato.
324 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
Vis-a-vis la basilique de Sainte-Restitute est la chapelle de Saint-Janvier. Si la magnificence des peintures, la beaut� des marbres, l��clat des dorures, la richesse des offrandes consacr�es par une longuenbsp;suite de g�n�rations it Tornement d�un sanctuaire, prouvent et la puis-sante bont� du saint qui regoit de si �clatants hommages, et la pi�t�nbsp;fidele du peuple qui les rend; certes, la chapelle de Saint-Janviernbsp;donne la plus haute id�� du pouvoir de l�illustre martyr et de la reli-gieuse reconnaissance des Napolitains.
La riche chapelle del Tesoro di San Gennaro est .un magnifique ex-voto consacr� par la rille de Naples i son protecteur, apr�s la pestenbsp;de 1526; ma�s qui ne fut commenc� qu�en 1608 et achev� en 1678 (i).nbsp;Quarante-deux colonnes en brocatelle soutiennent Ie brillanl sanctuaire; Ie pav� est en raarbre choisi; les fresques de la voute, des angles et des lunettes sont des chefs-d�oeuvre du Dorainiquin; saint Janvier, sortant de la fournaise, est de l�Espagnolet; la Poss�d�e, d�livr�enbsp;par Ie saint �v�que, est l�un des meilleurs ouvrages de Stanzoni, sur-nomm� Ie Guide de Naples. Derri�re l�autel, digne de la magnificencenbsp;qui l�entoure, se conserVent la t�te et Ie sang de saint Janvier. Chaquenbsp;ann�e, au mois de mai et au mois de d�cembre, ces re.liques pr�cieusesnbsp;sont expos�es solennellement a la v�n�ration des fid�les : Ie concoursnbsp;est immense. Le sang se liqu�fie, s�agite et bouillonne dans la fiole quinbsp;Ie contient lorsqu�on l�approche de la t�te du saint martyr. Voil� lenbsp;fait qui se r�p�te p�riodiquement depuis je ne sais comblen de sl�cles,nbsp;et en pr�sence de je ne sais cetnbien de milliers de personnes de toutenbsp;condition et de tont pays (a).
Si vous n�y croyez pas, allez y voir. La liqu�faction miraculeuse est tenement certaine, que le clerg� de Naples s�empresse de faire placernbsp;les �trangers de mani�re � la voir de leurs yeux, et k bien s�assurernbsp;qu�il n�y a ni illusion, ni supercherie (s). A.pr�s avoir v�n�r� le sang et
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Indicazione del pi� rimarcabile in Napoli, etc.; Dal canonico de Jorio, p. 19.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Baronius parlant de 1��pouvantable eruption du Vcsuve de l�an 471, arr�l�e mira-culeusement par i�intercession de saint Janvier, ajoute : � Insigne ac perenne miracu-lum sanguinis ejusdem sancli Januarii, qui cura ampulla vitrea concretus conlineatur,nbsp;liquescere tarnen et fluere, perinde ac si recens esset effusus, saepe conspicitur, nonnbsp;ejusmodi est, ut unius vel allerius hominis les�monio comprobelur; sed ita manlfes-tum, ut ipse martyris sanguis assidua miraculorum operatione, vocibus quibusdam velutnbsp;Abel sanguis damans, per universum orbem christianum intonet.
A'ot. ad Martyrol. 19 sept.
(5) 11 sangue si espone dalle nove della mattina, alia qual ora debbono condurvisi coloro che amano accertarsi della sua miracolosa liquetazione; ed in tal circostanza sinbsp;da la preferenza agli esteri, ad oggetto deliminare le iucoerenze degli errori divulgatinbsp;dalla incredulita. � ld., p. 20.
-ocr page 329-Ie chef du martyr, qu�on eut l�obligeance de nous montrer, nous pas-sames i la sacristie du Tr�sor. Outre dix-neuf statues de bronze, Ie bazar de la foi en contient quarante et une d�argent, bustes ou figuresnbsp;enti�res. Que dire des vases d�or, des croix garnies de diamants? ilnbsp;sul�t de nommer un collier tout en perles fines, un devant d�aulelnbsp;tout en argent cisel�, et une mitre enrlchie de 3694 pierres pr�cieu-ses, diamants, �meraudes, rubis, etc. Tels sont les t�raoignages de lanbsp;pi�t� s�culaire des particuliers et des rols de Naples envers saintnbsp;Janvier.
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Toujours dirig�s par notre excellent guide, nous visitames les insignes reliques conserv�es a la sacristie de la cath�drale : celle qui int�resse Ie plus vivement est Ie b�ton de saint Pierre. La traditionnbsp;constante de l��glise de Naples, confirm�e par les monuments de l�his-toire, enseigne que Ie p�cheur galil�en, se rendant � Rome, d�barquanbsp;sur les c�tps de l�Adriatique, traversa la Campanie et arriva par Nolenbsp;� Naples, Pan 46 de J�sus-Christ (i). Regu dans cette derni�re villenbsp;par une dame nomm�e Candide, l�Ap�tre la convertit et la baptisa.nbsp;Quelques jours apr�s, Aspr�nus, mari de Candide, tomba dangereu-sement malade. Saint Pierre fut pri� de venir Ie voir; mais au lieunbsp;d�y aller il fit porter son baton a Aspr�nus, en lui disant de venir lui-m�me Ie trouver. Aspr�nus prit Ie. baton, seleva, fut gu�ri, et devintnbsp;Ie premier �v�que de Naples. Quand on r�fl�chit, disions-nous h Rome,nbsp;au'souvenir d�un fait analogue, qu'ala naissance de l��glise, les plusnbsp;�tonnants miracles �taient n�cessaires; quand on entend Nolre-Sei-gneur annoncer a ses Ap�tres qu�ils feraient des prodiges plus grandsnbsp;que les siens; quand on lit dans Ie texte sacr� qu�une parole de saintnbsp;Pierre sufEsait pour rappeler les morts h la vie; que 1�ombre seule denbsp;son corps ou Ie contact de ses v�tements rendait sur-le-champ Ia sant�nbsp;aux malades : y a-l-il lieu de s��tonner qu�un objet, tant de fois touch� par les mains de l�Ap�tre, ait joui de la m�me vertu ? Ce batonnbsp;qui, de nos jours encore, a �t� l�instrument de plusieurs miracles, peutnbsp;avoir trois pieds et demi de longueur. II est droit, rond, d�un bois quinbsp;ressemble a l�olivier, et orn� a la partie sup�rieure d�une pomme, ou,nbsp;pour mieux dire, d�un chapiteau en os. On Ie conserve dans un �tuinbsp;d�argent perc� de distance en distance d�ouvertures garnies de cristal,nbsp;qui permettent de Ie voir. Avec quelle crainte respectueuse, quel inex-primable bonheur Ie p�lerin catholique prend en ses mains, et couvre
(i) Voir Ie savant Mazzocchi; Ughelii, Hist. Italice sacrce; Carracdoli, De sacris EccL ^eap, 3Ionim. p. 70,106,108 et suiv.; et les innombrabies �crivains de Reritm NeapoU-tanarum, cil�s en par�e par Struvius, Biblioth. selec. l. ii, p. 1403.
14.
-ocr page 330-326 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
de ses baisers ce venerable t�moin des fatigues et de Ia miraculeuse puissance du grand p�lerin de l��vangile!
Nous rentrions dans la cath�drale, comme Ie cbapitre arrivait a TolBce. Ce corps v�n�rable se compose de trente chanoines mitr�s, denbsp;V�ingt-deux semainiers et de dix-huit quarantistes. Quand tous sontnbsp;rang�s dans leurs stalles Ie coup d�oeil est vraiment imposant. Pour-quoi faut-il que nous ne trouvions plus de pareil spectacle qu�a l��-tranger? Depuis qu�elle a violemment supprim� ces grands corps quinbsp;�taient rornement de la religion, la France est-elle devenue plus respectable, plus morale et plus riche? Pour terminer notre journ�e, ilnbsp;nous restait i voir l��glise de Saint-Martin-d�s-Chartreux. Si l�Italienbsp;est Ie temple des arts, on peut dire que l��glise de Saint-Martin denbsp;Naples en est Ie sanctuaire. Situ�e'sous les murailles du fort Saint-Elme, c�est-a-dire dans une position admirable, cette �glise est la pro-pri�t� s�culaire des enfants de Saint-Bruno. Les bons c�nobites ontnbsp;consacr� tous leurs revenus h Fembellir. Les marbres les plus rares,nbsp;d�coup�s avec un gout parfait, en forment Ie brillant pav�; Lanfranc,nbsp;Stanzoni, l�Espagnolet ont enrichi les vo�tes et les chapelles des chefs-d�oeuvre de leur pinceau. La Communion des Ap�tres, par ce dernier,nbsp;offre un saint Pierre en raccourci d�un effet extraordinaire. Aux piliersnbsp;d�une chapelle on voit deux pierres de touche, taill�es en forme d�ar-tichaud, d�un travail exquis et d�un prix inestimable. Plus loin est unnbsp;autel en pierres fines, dont la valeur num�rique d�passe deux centnbsp;mille francs; ici c�est un tabernacle en �caille transparente; ailleursnbsp;des autels enrichis de lapis-lazzuli, d�am�thistes, d�agates, etc.
Le Tr�sor n�est pas moins resplendissant que l��glise. On y admire Ia Descente de Croix, Ie chef-d�oeuvre de l�Espagnolet, et I�un des tableaux les plus path�tiques de la renaissance. De l��glise nous passil-mes dans le couvent, dont les superbes cloitres, ouverts sur le golfenbsp;de Naples, sont support�s par des colonnes de marbre blanc du plusnbsp;beau grain. Les arts, les sciences et les pauvres, telles furent dans tousnbsp;les pays et � toutes les �poques les trois parties prenantes dans lenbsp;budget des ordres religieux. Quand voudra-t-on s�en souvenir? � Aunbsp;milieu de toutes ces richesses, nous disait le v�n�rable sup�rieur, nousnbsp;avons il peine, du pain k manger. Les revolutions nous ont priv�s denbsp;nos biens et nous sommes rappel�s h la pauvret� de nos premiersnbsp;p�res; Dieu soit b�ni! � Le bon religieux nous disait cela sans senbsp;plaindre et avec cette douce r�signation qui caract�rise l�h�ro�sme denbsp;la vertu. Que dis-je? il nous fit l��loge de la France, pour laquelle ilnbsp;t�moignait une vive sympathie. Cette charit�, vraiment �vang�lique,
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SAINT-PIERRE-AD-ARAM. nbsp;nbsp;nbsp;527
pour une nation dont lui et ses fr�res avaient eu tant amp; souffrir, me rappela Ie mot d�un grand pape ; � Sont-ils heureux ces Francais! ilsnbsp;font des soitises toute la journ�e, et Dieu les efface pendant la nuit. �
20 F�VRIER.
if
�glUe de Saint-Pierre-ad-ytrom, � de la Pi�l�-di-Sangri, � de Saint-Paul-Majeur,� de Saint-Ga�lan de Tiene, � de Saint-Andr�-d�Avcllino. � Chambre de ce dernier�nbsp;Saint-Dominique-Majeur.� Tableaux.�Tombes royales.� Souvenirs de saint Thomas. � VInconoraia. � Fresques de Giotto. � �glise du Monte-Olivelo. � Souvenirsnbsp;du Tasse, � de sainte Marie de/ Carmine. � Souvenir du malheureux Conradin.�nbsp;Le Ges� Nuovo. � Chambre de saint Jeronimo.�^Excursion au lac d�Agnano.��nbsp;Grottedu Cbien.�Villa de Pollion. � Tombeau de Virgile.�Sainte-Marie-dc/-Parto.nbsp;� Tombeau de Sannazar. � Sainte-Marie-a-pi�-di-Grotto.
C��tait le dimanche; il �tait dans I�ordre de continuer notre �tude des monuments chr�liens. Vers six heures du matin, je traversais a lanbsp;hdte les vieux quartiers de Naples. Des rues mal-propres, torlueuses,nbsp;resserrees entre de hautes et noires constructions, me rappelaient notrenbsp;faubourg Saint-Marceau. Ayant pour guide et pour clerc un jeunenbsp;Napolitain, n� d�un p�re francais, j�allais dire la messe it Textr�mit�nbsp;de la ville, dans une �glise oubli�e des voyageurs et qu�on appellenbsp;Saint-Pierre-ad-^4ram. Ce v�n�rable �difice, dont la forme irr�guli�re,nbsp;insolite, annonce la haute antiquil�, marque aux g�n�rations le lieunbsp;pr�cis qu�habita saint Pierre pendant son s�jour a Naples. Sur lanbsp;gauche pr�s de la porte d�entr�e, une petite chapelle occupe la placenbsp;m�me ou, suivant la tradition, l�Ap�tre offrit les saints Myst�res. Dans-I�autel, plusieurs fois restaur�, on conserve religieusement la t.ablenbsp;m�me qui servait a I�auguste sacrifice. J�eus le bonheur de monter.anbsp;cet autel, et de faire descendre I�adorable Victime sur cette m�menbsp;table, O�, dix-huit si�cles auparavant, elle �tait venue s�immoler entrenbsp;les mains de saint Pierre. La messe linie, un des pr�tres auxquelsnbsp;j��tais adress�, me fit examiner avec lui les diff�rentes parties de lanbsp;pieuse chapelle. Deux anciennes inscriptions me paraissent dignesnbsp;d��tre rapport�es : � Siste, fidelis, et priusquam templum ingredia~nbsp;^is, Petrum sacrificantem venerare. Hie enim primo, mox Romcenbsp;filias per Evangelium genuit, paneque illo suavissimo cibavit: Ar-r�te, Chr�tien, et avant d�entrer dans le temple, honore Pierre, offrantnbsp;I�auguste Victime. C�est ici d�abord, et ensuite a Rome, qu�il engendranbsp;des enfants a l��vangile et qu�il les nourrit du pain d�licieux. �
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L�autre, dans Ie style antique, est ainsi congue :
Q�OD. PRIMA. IN LATIO. CHRISTO. .PIA. COLLA. SDBEGl. PARTHENOPE. H.EC. PETRI. PR^STITIT. ARA. FIDEM.
lt;c Que moi, Parth�nope, ai Ia premi�re en Latium courb� la t�te sous Ie joug du Christ, eet autel de Saint-Pierre en est la preuve. a
Ces inscriptions ne sont pas, sans doute, contemporaines des Ap6-tres, mais on ne peut leur refuser une haute antiquit�; et cela sufiit pour montrer la perp�tuit� de la tradition.
De la ehapelle nous passftmes � l�oratoire souterrain de sainte Can-dide. En m�me temps que ces vieilles substructions, ces dalles noir-cies, cette forme antique, reportent la pens�e aux jours de la primitive �glise, Ie souvenir des saintes pri�res, des larmes pieuses, des souf-frances et des vertu� dont ces lieux furent les heureux t�moins, pro-duit sur Ie coeur une impression de pi�t� que la parole ne peut rendre.
Avant neuf heures, j��tais r�uni � notre petite caravane. En nous rendant � Saint-Paul-Mo/mr, nous jetames un coup d�oeil sur les troisnbsp;statues, jadis si vant�es et aujourd�hui si d�cri�es, de l��glise della-Pietd-di-Sangri. Ces trois statues de marbre blanc sont envelopp�esnbsp;dans des voiles de marbre qui t�moignent d�une grande difiicult�nbsp;vaincue. La Pudeur n�a pas du tout Pair pudique; Notre-Seigneurnbsp;envelopp� d�un linceul transparent, semble avoir plus de m�rite; enfin, Ie Vice d�tromp�, sous la figure d�un homme qui cherche � senbsp;d�barrasser d�un grand filet qui l�enveloppe, offre d�incontestablesnbsp;beaut�s de d�tail: les mailles du filet en marbre, par exemple, sontnbsp;rendues au naturel.
Saint-Paul-Majeur appartient aux Th�atins. En avant de la porte principale sont deux colonnes qui faisaient partie du temple de Castornbsp;et de Pollux, b�ti au m�me lieu par Julien de Tarse, affranchi de Ti-b�re. La Conversion de saint Pierre et la Chute de Simon Ie Magi-cien, qui ornent la sacristie, passent pour les chefs-d�oeuvre du f�condnbsp;Solim�ne. Mais les vraies richesses de Saint-Paul-Majeur sont les corpsnbsp;sacr�s de saint Ga�tan de Tiene et de saint Andr� d�Avellino. Ces deuxnbsp;saints furent Ia gloire de leur ordre, les mod�les des pr�tres et les bien-faiteurs de leur patrie. Saint Ga�tan mourut Ie 7 aout 1547, et saintnbsp;Andr�, Ie 10 novembre 1608 : Ie m�me convent qui avait �t� t�moinnbsp;de leurs vertus et de leur mort, garde leurs restes pr�cieux. Apr�s lesnbsp;avoir v�n�r�s, nous p�n�trames dans Ie cloitre. On y voit les vestigesnbsp;du th��itre sur lequel N�ron faisait l�essai de ses talents dramatiques.
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CHAMBRE DE SAINT-ANDR�-d�aVELLISO.
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avant de se produire sur la sc�ne de Ia grande Rome. De ce monument de la folie imp�riale, il ne reste que des ruines d�ligur�es. La religionnbsp;qui semble en avoir confi� la garde ii ses enfants pour l�instructlon desnbsp;si�cles, leur a l�gu� un autre monument, sur lequel les bons religieusnbsp;veillent avec une pi�t� toute filiale : je veux parler de la chambre denbsp;saint Andr� d�Avellino. Telle �tait Fheureuse celluie au jour de la mortnbsp;du saint, telle nous la vimes : rien n�y a �l� chang�. Les pauvres meu-bles qui furent a son usage, ses livres, son �critoire, sa petite chaisenbsp;de bois, quelques �crits de sa main, en un mot, tout ce qui composenbsp;la fortune ordinaire des grands serviteurs de Dieu, est 1^ qui parie, quinbsp;pr�che, qui �meut et qui remplit l�ame de je ne sais quel parfum denbsp;pi�t�, dont la douce impression se fait longtemps sentir.
Doublement heureux, et de ce que nous avions vu, et de ce que nous allions voir, nous passames a Saint-Dominique-il/ayewr. Quand on entrenbsp;dans cette �glise, on est en plein moyen age. Malgr� les changementsnbsp;qu�elle a subis depuis environ six si�cles, elle porte encore le cachetnbsp;grandiose de Tart gothique, et le g�nie puissant et s�v�re de saintnbsp;Dominique semble se r�fl�chir ici comme dans tons les autres bamp;ti-ments de son ordre. Parmi les objets d�art on remarque le Crucifie-ment et la Resurrection, pr�cieuses fresques d�Angelo Franco, lenbsp;Giotto napolitain; le C�notaphe du cardinal Spinelli; le Tombeau denbsp;Jeanne d�Aquin, morte en 1300, et celui de la princesse de Feveloto,nbsp;Dona Vincenza d�Aquino, la derni�re de ce nom, morte en 1599; lenbsp;Portrait contemporain de saint Dominique, regard� comme v�ritable,nbsp;et le monument de Galeas Pandone, une des merveilles de Fart dues �nbsp;Jean de Nole.
Avant d entrer dans la chapelle du grand Crucifix que nous r�ser-vions pour la fin, nous visit�mes la sacristie qui est a elle seule un des plus remarquables monuments de Naples. Les fresques du plafond, sesnbsp;armoires en racine, ses stucs dor�s, son pav� en marbres pr�cieux, dis-paraissent devant les douze tombeaux des princes de la maison d�Aragon. Cette n�cropole royale renferme toute une dynastie, �ternelle-ment regrett�e des Napolitains, dont elle fit le bonheur et la gloire.nbsp;Les tombes, plac�es en Fair sur une estrade circulaire, sent recouvertesnbsp;de velours cramoisi et surmont�es d�une petite figure de la mort peintenbsp;en clair-obscur avec cette inscription : Sceptra ligonibus cequat.
Enfin nous allions voir la merveille de Saint-Dominique-Majeur. La grande chapelle du Crucifix nous fut ouverte, et un des religieuxnbsp;s�approchant du maitre autel d�couvrit le Crucifix miraculeux, objetnbsp;d�une v�n�ration six fois s�culaire. Par ordre du pape Urbain IV, saint
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Thomas avail compos� Ie magnifique office du Saint-Sacrement, o� la th�ologie la plus exacte se r�unit a la pi�t� la plus tendre et a la po�sienbsp;la plus �lev�e. Souvent l�amg'�lfij'Me auteur �taitvenu chercherdes inspirations au pied de ce Crucifix ; Ie travail termin�, il vint offrir ses re-merciraents au Dieu de qui descend tout don parfait. Animant tout inbsp;coup son image, Ie divin Maitre daigne faire entendre ces paroles ii saintnbsp;Thomas : Bene scripsisti de me, Thoma; quam mercedem recipies?nbsp;� Vous avez bien �crit de moi, Thomas; quelle r�compense deman-dez-vous? � � � Pas d�autre que vous, Seigneur : � Non aliam nisinbsp;te Domine, r�pondit Ie saint qui s��tait senti soulever de terre. Lenbsp;Crucifix, noirci par le lemps, peut avoir un m�tre et demi de hauteur,nbsp;et de la bouche de J�sus-Christ on voit sortir les paroles qui pr�c�dent,nbsp;et qui furent peintes aussit�t apr�s le miracle.
Thomas, donf Jes �crits recevaient l�approbation du Ciel et les ap-plaudissements de la terre enti�re, habitait comme le dernier de ses fr�res une humble cellule. Cette chambre o� il composa l�office dunbsp;Saint-Sacrement, o� � v�cut pendant les quinze mois qu�il enseignanbsp;la th�ologie a Naples, a �t� transform�e en chapelle, sans perdre sanbsp;forme primitive. Elle est petite, faiblement �clair�e, et divis�e par unenbsp;cloison a laquelle est suspendue la cloche qui appelait les �coliers dunbsp;Docteur ang�lique. Au-dessus est la classe m�me o� il donnait ses lemons ; on y voit encore un debris de sa chaire. Cette salie est oblonguenbsp;et regoit le jour par trois crois�es. Le traitement du puissant profes-seur, �tait par mois de six ducats ou vingt-cinq francs de notrenbsp;mtinnaie (i)!
Parmi les autres �glises de Naples, l�artiste chr�tien verra avec in-t�r�t YIncoronata, Sainte-Lucie, et celles que je nommerai plus loin. La premi�re est riche des peintures de Giotto : le Mariage de la reinenbsp;Jeanne, et les sept Sacreinents, sont dignes du peintre catholique etnbsp;montrent ce que Part aurait pu devenir sans Pinfluence pa�enne de lanbsp;renaissance. La seconde int�resse par son antiquit�. Sainte-Claire,nbsp;surmont�e d�un beau clocher gothique, est la plus �l�gante des �glisesnbsp;de Naples; elle sert de s�pulture a la familie r�gnante, et conservenbsp;une belle Vierge de Giotto. Dans Pancien convent de la fameuse con-gr�gation de Monte-Oliveto, on se souvient du Tasse, qui, pauvre etnbsp;souffrant, y trouva un asile. Le po�te paya la bienveillante hospitalit�nbsp;dont il �tait Pobjet par son po�me inachev� : Origine della congrega-zione di Monte-Oliveto. L��glise tr�s-bien conserv�e est un v�ritable
(i) L�ordre de Charles d�Anjou, qui fixe celte sommo, se conserve encore dans les archives de Naples: il est de 1272.
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mus�e de sculpture. Le ciseau de Jean de Nola s�est surpass� dans les quatre Evang�listes, qui d�corent la chapelle de Liguori.
Sainte-Marie-cleZ-Camme;, une des plus populaires �glises de Naples, est ingrate pour l�artiste, ma�s riche pour le chr�tien et pour le savant. Au premier, elle pr�sente le Crucifix rairaculeux, qui, pendantnbsp;le si�ge de Naples, en 1459, baissa la t�te afin d�esquiver un bouletnbsp;de canon. Chaque ann�e, le lendernain de No�l, on Toffre amp; la v�n�-ration publique, et loute la ville, les magistrals en t�te, viennent ho-norer ce signe de salut et de protection. Honneur au peuple de Naples!nbsp;les coeurs reconnaissants sont rarement de mauvais cffiurs. Au savant,nbsp;cette �glise rappelle une des plus tragiques catastrophes de l�histoire.nbsp;C��tait le 29 octohre 1268, Charles d�Anjou r�gnait a Naples. Par sonnbsp;ordre un �chafaud se dressait sur la place du March� qui est devantnbsp;l��glise. Bient�t on y vit monter deux jeunes princes, Conradin denbsp;Souabe et Fr�d�ric son cousin : le premier n�avait que dix-sept ans.nbsp;Venu en Itali� pour r�clamer ses droits au tr�ne de Naples, il est trahinbsp;par le seigneur d�Astura qui le livre a Charles d�Anjou. L�imp�ratricenbsp;Marguerite n�a pas pliit�t appris le malheur de son fils, l�unique h�-ritier de l�illustre maison de Souabe, qu�elle accourt du fond de l�Al-lemagne pour racheter sa vie. Elle arrive trop tard; les jeunes princesnbsp;avaient p�ri par la main du bourreau, et l�infortun� Conradin n�avaitnbsp;fait entendre que ce cri : � O ma m�re! quelle douleur vous causeranbsp;ygt; la nouvelle qu�on va vous porter de moi (i)! � A cette nouvelle, l�im-p�ratrice consacra le prix inutile de la ran�on a l��glise et au monas-t�re del Carmine, o� sa statue la repr�sente la bourse a la main. Derri�re le maitre autel, nous p�mes lire a la lueur d�une lampe unenbsp;inscription qui marque le lieu o� furent d�pos�s les corps des deuxnbsp;jeunes princes. �trange vicissitude! C�est sur cette m�me place dunbsp;March�, th��tre du regicide, qu��clata deux si�cles plus tard la revolution populaire dirig�e par Mazaniello.
Un spectacle plus consolant nous attendait au Ges� Nuovo. Dans Ia maison des j�suites contigue a cette �glise, est la chambre immor-talis�e par les vertus du p�re de Jeronimo. Ce saint religieux quenbsp;Rome vient de placer sur les autels du monde catholique, habita pendant quarante ans cette petite et obscure celluie. Son corps reposenbsp;dans l��glise sous un magnifique autel, o� nous p�mes le v�n�rer. On
(i) L�histoire ajoule que ce prince malheureux jeta son gant du ham de L�chataud, pour marque de 1�invesliture qu�il donnait a celui de ses parents qui voudrait le venger.nbsp;Un cavalier ayant eu la hardiesse de le prendre, le porta |i Jacques I, rol d�Arag�n, quinbsp;lava dans des torrents de sang napolltain le meurtro du jeune prince.
-ocr page 336-532 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
se rappelle que l�homme de Dieu tenant un jour sur ses genoux saint Alphonse de Liguori, encore enfant, disait a la m�re de ce petit ange :nbsp;� Je serai au Ciel avant lui, mais nous serons canonis�s Ie na�me jour.�nbsp;L��v�nement a prouv� que Ie saint fut proph�te.
II nous restait assez de temps pour faire une excursion au lac d�Agnano. Dix minutes apr�s avoir travers� la grotte de Pausilippe, onnbsp;laisse � gauche la route de Pouzzoles, et dans une heure de marchenbsp;forc�e on arrive au lac Solitaire. Ce qui attire les voyageurs, ce n�est ninbsp;Ie lac lui-m�me, ni sa ceinture de montagnes giboyeuses, pare r�serv�nbsp;des chasses royales; c�est tout simplement sa caverne sulfureuse ap-pel�e la Grotte du Chien. Du sol que Ie voyageur foule sous ses pieds,nbsp;comme des montagnes volcaniques qui bornent son �troit horizon, senbsp;d�gagent diff�rents gaz donl ia haute temp�rature annonce Ie voi-sinage du feu souterrain. De Ia c�l�bre Grotte s�exhale une telle quan-tit� d�acide carbonique, qu�il serait impossible d�y vivre longtemps.nbsp;� Excellences, nous dit Ie paysan qui exploite la curiosit� des voyageurs, faites-moi la gp^ce de vous baisser, de porter votre main versnbsp;la terre, et de la reporter promptement jusqu�a la hauteur de votrenbsp;visage. � Nous accordames cette grace au bon hohime. Apr�s deux ounbsp;trois mouvements de main qui nous fir.ent monter au nez une br�lantenbsp;vapeur, il nous fallut sortie bien vite, nous nous sentions asphyxi�s.
Moins heureux fut Ie pauvre d�monstrateur qui nous succ�da; Ie paysan amena Ie malheureux chien destin� � constater l�abondance etnbsp;la force meurtri�re du gaz carbonique. 11 Ie prit, l�introduisit forc�-ment dans la grotte, l�y lient couch�; et une minute apr�s vous eussieznbsp;vu Ie pauvre animal en proie a des convulsions affreuses, �cumant, etnbsp;respirant � peine. Alors son maitre Ie jette hors de la grotte; Pair purnbsp;entre dans ses poumons, il est sauv�. Mais, h�las! les voyageurs se sui-vent, les exp�riences se renouvellcnt, et la vie du pauvre chien senbsp;passe en �vanouissements perp�tuels. Pendant que nous plaignions Ienbsp;sort de l�int�ressant animal, Ie paysan allumait une torche r�sineusenbsp;qu�il introduisit dans la grotte. Tant qu�elle fut �lev^e au-dessus de lanbsp;couche atmosph�rique satur�e de carbone, elle continua de bruler :nbsp;� peine y fut-elle plong�e, qu�elle s��teignit instantan�ment, commenbsp;un flambeau qu�on jetterait dans une rivi�re ; la m�me exp�rience senbsp;renouvela six fois. Pr�s de la Grotte du Chien sont des cavernes sulfureuses, dont la temp�rature s��l�ve jusqu�^ 4o degr�s, et tellementnbsp;impr�gn�es de soufre qu�un morceau de bois frott� centre leurs pa-rois prend feu comme une allumette chimique. Les personnesatteintesnbsp;de rhumatisme, y viennent chercher des bains de vapeur qu�on ditnbsp;tr�s-eflicaces.
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Quelques jours avant les �ruptions du V�suve, toutes les grottes sulfureuses s�agitent, fument et deviennent briilantes, le lac bouil-lonne : c�est un signe avant-coureur du redoutable ph�nom�ne. Grandnbsp;et magnifique dans le ciel de Naples, terrible dans les foyers incandes-cents cach�s sous le sol, Dieu se montre ici plein de sollicitude pournbsp;cette ville insouciante et l�g�re qui danse, qui cbante et qui dort surnbsp;cette croute de terre qui la s�pare d�insondables �tangs de feu.
De retour ii Pausilippe, nous graviines le llanc escarp� de la mon-tagne afin de visiter les ruines fameuses dont elle est couverte. Sur ce gracieux promontoire se trouvent les citernes et les r�servoirs denbsp;I�immense villa de Vedius Pollion. C�est li que se gardaient les vieillesnbsp;mur�nes, nourries de la chair des esclaves condamn�s amp; mort pournbsp;leur mauvais service. � Un jour, dit S�n�que, Auguste soupait cheznbsp;Pollion : un esclave de ce dernier casse un verre de cristal; Vediusnbsp;fait aussit�t saisir le maladroit; et comme s�il avait commis le plusnbsp;�norme des crimes, il le condamne a �tre jet� vivant amp; de grosses mur�nes qu�il nourrissalt dans une piscine, molns pour satisfaire sa gour-mandise que pour assouvir sa cruaute. L�esclave s��chappe et vientnbsp;tomber aux pieds de C�sar demandant non qu�on lui fit grace de lanbsp;vie, il connaissait trop bien son maitre, mals a p�rir d�une autre ma-nl�re, et ii n��tre pas mang� par ces polssons cruels. L�empereur s�a-baisse jusqu�� implorer la piti� de Pollion, qui demeure inexorable.nbsp;Alors, c�dant a un noble mouvement d�indignation, Auguste accordenbsp;la gr^ce pleine et enti�re du coupable, fait briser tous les vases denbsp;cristal, ordonne de combler I�infame piscine, dans laquelle ce V�dius,nbsp;de race d�affranchi, se donnait le spectacle d�un Remain d�p�c� et d�-vor� en un instant par ces especes de serpents aquatlques (i). �
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Voil� tout ce que le maitre du monde crut pouvoir faire en faveur de l�humanit� outrag�e. N�anmoins tel qu�il est, ce trait honore lenbsp;premier des C�sars. Pourquoi faut-il que, quelques pages plus loin,nbsp;l�histolre ajoute : � Un jour, Auguste fit crucifier un de ses esclavesnbsp;pour avoir fait r�tir et mang� une caille qui, dans les combats de cesnbsp;petits animaux, baltait loutes les aulres et s��tait jusqu�alors montr�enbsp;invincible (2). �
Imm�diatement au-dessus de l�entr�e de Pausilippe, du c�t� de Naples, est le petit Columbaire, regard� comrae le tombeau de Virgile.nbsp;Une grotte �lev�e de quelques m�tres au-dessus du sol, nue, d�grad�e,nbsp;couverte de ronces; voil� ce qu�est aujourd�hui la tombe du prince
(lt;) Senec. deIra, iii, 40; Dio. iiv, p. 614; Plin. ix, 27; Senec. de Clementia, i, 18.
(2) Plutarc., Apophthegm. Rom., 10.
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des po�tes. C�est � peine si on peut lire, sur une des parois, l��pitaphe que Virgile lui-m�me s��taitcompos�e, en manifestant la volont� d��trenbsp;enterr� � Naples :
Mantua me genuit; Calabri rapuere; tenet nunc Parthenope : cecini pascua, rura, duces.
Le laurier, planl� par P�trarque, et renouvel� par Casimir de Lavigne, a s�ch�; comme souvenir, je fus r�duit h prendre une feuille de m�-rier sauvage. Ajoutons qu�un anglais s�est fait inhumer pr�s du tom-beau virgilien ; on dirait qu�au privil�ge du spleen le nomade enfantnbsp;d�Albion veut joindre le monopole de toutes les excentricit�s. Descen-dus de la montagne, nous visitames Notre-Dame-del-Parfo, fond�e parnbsp;Sannazar, eet autre po�te, moiti� chr�tien, moiti� pa�en dans ses ou-vrages, se montre tel encore dans son monument fun�bre beaucoupnbsp;trop vant�. Nous terminames notre longue journ�e en offrant nosnbsp;adieux du soir a la gardienne des voyageurs, dans la pieuse �glise denbsp;Sainte-Marie-(X-P��-d* Grotta. Nous y trouv�mes une grande affluencenbsp;de fid�les de tout �ge et de toute condition qui, pieusement agenouill�snbsp;devant l�image miraculeuse de l�auguste Vierge, chantaient en choeurnbsp;ses gloires divines et ses bont�s malernelles.
21 F�VRIER.
Grotte de Pausilippe. � Pouzzoles. � Souvenir de saint Paul. � Calh�drale. � Souve-ner de saint Janvier, � Pi�destal du lomps de Tib�re. � Temple de S�rapis. � Voie Campanienne. � Le'lac Lucrin.�Anecdote. � Le lac Averne et la grotte de lanbsp;Sibyile. � Ba�a. � Cumes. �Bauli. � Le cap Mys�ne. � Piscine admirable. ��Lesnbsp;Champs �lys�es. � Le Maccaroni. � Souvenirs et impressions.
Presqu�a l��gal de Rome, Naples est la terre classique de l�antiquit� pa�enne. Vers les derniers temps de la r�publique, la s�duisante Par-th�nope et ses rivages enchant�s �taient devenus le rendez-vous g�n�-sal, le Baden de la haute soci�t� romaine : pas une familie c�l�bre quinbsp;n�eut sa villa sur les bords ravissants du golfe de Ba�a. Voila pourquoinbsp;Virgile, en homme de g�nie, en po�te qui veut devenir populaire,nbsp;plaga dans ces lieux le th�i�tre des plus brillants �pisodes de sonnbsp;po�me national. Pour faire une connaissance intime avec ce mondenbsp;d�Auguste, de Tib�re, de Caligula et d�Adrien, 11 faut visiter succes-sivement Pouzzoles, Pompei et le mus�e Bourbon. A Pouzzoles onnbsp;trouve des ruines �loquentes et une molsson de souvenirs; Pompeinbsp;montre au voyageur non plus seulement des ruines, mais une villenbsp;bien conserv�e, avec ses temples, ses basiliques, ses forum, ses rues.
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POUZZOLES.
ses maisons, une ville antique h laquelle il ne manque, pour �tre une ville moderne, que du mouvement, des habitants, et I�ameublementnbsp;ordinaire. Le mus�e Bourbon compl�te Pouzzoles et Pompei. Dans cenbsp;vaste d�p�t vous trouvez les meubles, les ustensiles, les vases, les inscriptions, les peintures, les statues, que dirai-je? tous les objets capa-bles d�initier un homme du dix-neuvi�me si�cle aux plus intimes secrets de la vie domestique, civile et religieuse d�un monde ensevelinbsp;depuis deux mille ans.
L�ordre logique de ces �tudes �galement int�ressantes pour l�anti-quaire et le chr�tien, nous appelait a Pouzzoles. Un temps magnifique, un ciel sans nuage, une atmosph�re d�une transparence inconnue par-tout ailleurs, nous avions ii souhait tout ce qu�il faut pour jouir dunbsp;riche spectacle que nous allions contempler. Franchissant rapidementnbsp;la villa Reale, o� se prom�ne en cal�ches d�couvertes toute la fashionnbsp;napolitaine, nous arrivames a la grotte de Pausilippe. Cette galerienbsp;souterraine perce la montagne, dont la masse imposante interceptenbsp;toute communication autrement que par mer, entre Naples et la campagne : elle s�appelle Pausilippe, c�est-�-dire repos. Qui ouvrit cenbsp;libre passage? on I�ignore. D�ja S�n�que le d�crit, et tout porte anbsp;croire qu�il est bien ant�rieur � ce philosophe (i). Quoiqu�il en soit,nbsp;ce chemin souterrain, creus� dans le tuf lito�de, a 960 pas de longueur, 30 pieds de largeur et SO de hauteur. II est �clair�, de distance en distance, par des r�verb�res et par deux larges soupirauxnbsp;praliqu�s aux extr�mit�s : deux heures apr�s l�avoir franchi, on arrivenbsp;a Pouzzoles.
Cette petite ville, jadis c�l�bre par son commerce, est bien d�chue de sa splendeur; mais ce qui n�a pas chang�, c�est sa d�licieuse position. Debout sur le quai, le visage tourn� vers Ie golfe, au bleu d�azur,nbsp;le spectateur contemple au sud, Capri, tristement c�l�bre par les infamies de Tib�re; au couchant, le cap Mys�ne, qui domine de toutenbsp;sa hauteur le superbe bassin; Bauli et sa Piscine admirable, � laquellenbsp;se relient les coteaux semi-circulaires, o� la voluptueuse Ba�a �tageaitnbsp;ses villas et ses temples; h l�ouest, le plateau de Cumes, fameux parnbsp;la r�sidence de la Sybille; le lac Lucrin, o� les Remains parquaientnbsp;les huitres vertes dont ils �taient si friands; le Monte-Nuovo, monticule volcanique, form� en 1538, apr�s un tremblement de terre quinbsp;�Dgloutit Ia petite ville de Tripergole; le mont Falerne, connu par
(0 Nihil illo carcere longius, nihil illis faucibus obscurius. Epist. 57. � Strabon at-tribue la perc�e de Pausilippe a l'architecle Cocc�ius, contemporain d�Auguste. Lib. v,259.
-ocr page 340-336 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
ses vins mielleux, que chanta si souvent la muse d�Horace; la villa ruin�e de Cic�ron, dans laquelle Adrien, mort � Ba�a, fut d�abord en-seveli; au nord, les montagnes verdoyantes de la Solfatarre, l�anciennbsp;forum de Vulcain, couronn�es par les ruines du vaste amphith�atre o�nbsp;Ie sang des gladiateurs coula en l�honneur d�Auguste, et par la superbe voie Campanienne, bord�e de tombeaux qul s��tendent a plusnbsp;de deux milles.
Jouir de ce ravissant spectacle, nourrir notre �me des souvenirs classiques donl celte terre abonde, c��tait la sans doute un motif denbsp;notre excursion; mais il n��tait pas Ie seul : un int�r�t plus grandnbsp;nous appelait en ces lieux, comme il doit y appeler tout voyageurnbsp;Chr�tien. Me transportant par la pensee ik dix-huit si�cles, j�animaisnbsp;tous ces bords enchanteurs; je les repeuplais de leurs palais, de leursnbsp;Thermes, de leurs temples, de leurs villas, �tincelantes de pourpre, denbsp;peinture, de bronze, de marbre et d�or. A ces balcons de jaspe et denbsp;porphyre, sur ces d�licieuses terrasses d�cor�es de myrtes blancs etnbsp;de laurlers roses, je voyais se proraener les maitres et les maitressesnbsp;du monde : Marius, Pomp�e, Lucullus, Cic�ron, Hortensius, C�sar,nbsp;Auguste, N�ron, Adrien; que sais-je? Tous ces g�ants de la puissance,nbsp;de la fortune et de la gloire avaient la une demeure de volupt� (i). Jenbsp;voyais done toute cette �blouissante soci�t�, contemplant, Ie troisi�menbsp;jour de mai de l�an S9 apr�s J�sus-Christ, cette mer de Ba�a transparente comme un cristal de roche et unie comme une glace de Venise;nbsp;jouissant de ce soleil et de ce ciel unique : lorsque tout � coup appa-rait, doublant Ie cap Mys�ne, un navire qui porie sur sa poupe lanbsp;grande image de Castor et de Pollux et qui, pouss� par un bon ventnbsp;du midi, cingle rapidement vers Pouzzoles. Ses voiles de perroquetnbsp;sont d�ploy�es : c�est un navire d�Alexandrie, on Ie reconnait ^ ce si-gne d�honneur. Et toutes les villas s�animent, et tout Ie peuple est surnbsp;Ie port pour Ie voir arriver (2).
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Horat., ej). 1, v. 83;� Ep., 51. Plutarch., in Mario, 60.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Quod Paulus Alexandrina navi dicatur adveclus, hic opportune in medium addu-cenda sunt qum scribit Seneca, epist. 77, ad LuciUum, de navibus Alexandrinis eufflnbsp;Puteolos appellunt, quam prae cajteris illa; nobililata; essent, et a concurrente ad portuinnbsp;populo spectarentur avidius; ha:c enim ait: Gralus illarum Campanim aspcctus est, etnbsp;omnis in pilis Puteolorum turba consistit; et ex ipso genere velorum Alexandrinasnbsp;{quamvis in magna turba navium) intelligit. Solis enim licet supparum intendere, quodnbsp;in allo omnes habent naves; nulla enim res mqu� adjuvat cursum quam summa parsnbsp;veli, illinc maxime navis urgetur. Itaque quoties ventus increbuit, majorque est quatnnbsp;expedit, antenna submiuiiur : minus habet virium flatus ex humili. Cum intraverenbsp;Capreas et promontorium, et quo, alia procelloso speculatur vertice Pallas, aslevxnbsp;velo jubentur esse conteutm ; supparum Alexandrinarum insigne est. �Voyez Bar.,nbsp;an. 39,1.1, p. 424, n. B.
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Romains et Romaines, regardez-le Lien. A son bord est un homme que plusieurs d�entre vous connaissent : c�est Julius, centurion de lanbsp;cohorte Augusta. Sous sa garde se trouve un prisonnier fameux qu�ilnbsp;am�ne de C�sar�e, et que vous ne connaissez pas. Si vous interrogeznbsp;Julius, il vous dira que c�est un juif qui vient pour se faire juger dansnbsp;la grande Rome; car il a r�cus� Porcius Festus, gouverneur de Syrie,nbsp;et �voqu� sa cause au tribunal m�me de C�sar. Voil� ce que vous r�-pondra Julius, qui ne connait gu�re mieux que vous son illustre prisonnier. Mais moi qui le connais, je vous dirai ce que tous vos descendants savent aujourd�hui: � Plus puissant que vos gouverneurs etnbsp;vos proconsuls, plus puissant que vous-m�mes, superbes maitres dunbsp;monde, ce prisonnier apporte dans les plis de son pauvre manteau,nbsp;non la paix ou la guerre a une nation barbare, mais la guerre anbsp;I�empire, guerre a I�univers, guerre a mort, qui fera trembler lanbsp;grande Rome sur ses redoutables collines, jusqu�� ce qu�elle enseve-lisse sous des ruines sanglantes et les cit�s et les hommes, et les dieuxnbsp;et Jupiter au sommet du Capitole, et C�sar dans son palais d�or; etnbsp;cette guerre dont il sera le h�ros, dont vous serez les t�moins et lesnbsp;victimes, changera la face de la terre et placera le nom du prisonniernbsp;au-dessus de vos noms, et ses chaines au-dessus de vos sceptres, et sesnbsp;ossements au milieu de Rome elle-m�me, dans des temples plus bril-lants que votre Panth�on. Voulez-vous maintenanl connaitre le nomnbsp;du captif de Julius? il s�appelle Paul. �
Mais les vieux Romains ne savaient rien de tout cela; et ils virent passer, sans soup^onner ce qu�il portait, Pimmortel navire, qui tra-versa, au milieu d�une multitude d�embarcations brillantes d�or et denbsp;pourpre, le golfe de Ba�a, et vint jeter I�ancre a Pouzzoles. Quant aunbsp;voyageur Chr�tien, qui connait toutes ces choses, je vous laisse � penser avec quels yeux, avec quel cceur il contemple ce golfe, ce quai,nbsp;th��tre d�un d�barquement si m�morable dans les annales du monde!nbsp;avec quel bonheur il parcourt les rues sinueuses de cette petite villenbsp;de Pouzzoles, oii les fr�res retinrent sept jours le grand captif et sesnbsp;Compagnons (i)! Les larmes lui viennent aux yeux lorsque prenantnbsp;1��vangile il lit toute cette histoire dans les Actes des Ap�tres : � Ilnbsp;fut d�cid� que Paul serait remis avec les autres prisonniers au centurion appel� Julius, de la cohorte Augusta... Nous nous embarquaraesnbsp;sur un navire d�Alexandrie, qui avail pour enseigne Castor et Pollux.nbsp;En c�toyant nous arriv�mes a Rhegium; et un jour apr�s, pouss�s
(0 La chr�tient� de Pouzzoles avail �t� fond�e par saint Pierre quinze ans aupa-ravant.
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par un vent du midi, nous vinmes amp; Pouzzoles, o� nous trouvamp;mes les fr�res qui nous retinrent chez eux pendant sept jours (d). �
En m�moire du d�barquement de saint Paul, la ville de Pouzzoles fait chaque ann�e une procession solennelle sur Ie quai (2). [Honneurnbsp;�ternel aux cit�s qui savent perp�tuer par de semblables t�moignagesnbsp;Ie souvenir des grands �v�nements de leur histoire (3)!
(d) Actes des Ap�lres, c. xxvii et xxviii.
(2) La procession a lieu Ie 30 du mois de mai. En fixant ce jour, la tradition estd�ac-cord avec l�histoire sacr�e qui fixe Ie d�part de Malte au priutemps. Voyez Cornel, a Lapide, in Act. Apost., c. xxvn, v. 9.
(5) Puisque Ie sujet m�y conduit et que je me trouve en des lieux o� tout parle du grand Ap�tre, je ne puis r�sister au plaisir de faire connaitre la conduite des habitantsnbsp;de Roggio, qui la veille m�me avait en Ie bonheur de voir saint Paul. Le navire Alexandria venait de jeter 1�ancre sur leur plage. A la vue de 1�enseigne de Castor et de Pollux,nbsp;toute la ville accourt pour rendre hommage a ses divinit�s ch�ries. Paul, qui ne perdnbsp;aucune occasion d�annoncer l��vangile, se met amp; parler; mais les idolatres n�ont pasnbsp;Pair de le comprendre; ils vont se retirer : on est au moment de lever 1�ancre. Paulnbsp;supplie le peuple de rester et de 1��couter pendant les quelques instants qu�une petitenbsp;chandclle mettra a se consumer. On accepte; Paul allume une petite chandelle et lanbsp;place sur la borne ou colonne de granit a laquelle on amarre les navires. Bient�t lanbsp;chandelle est br�lce; mais voila que la colonne prend feu et sert de flambeau. Frapp�snbsp;de ce miracle, comme les habitants de Malte 1�avaient �t� de 1�impuissance de la vip�re etnbsp;de la gu�rison de Publius, les R�giens proclament Paul un homme divin et demandentnbsp;a embrasser sa doctrine. Pauj en baptise quelques-uns de sa main et leur laisse pournbsp;�v�que Etienne de Nic�e, l�un de ses compagnons: Reggio est convertie. En reconnaissance de son bonheur, ellc batit une �glise sur le bord de la mer, au lieu m�me dunbsp;miracle qu�atteste encore le troncon del�antique colonne plac�e sur 1�autel. Depuisdix-huit si�cles ces excellents chr�liens continuent de t�moigner de leur vive gratitude et denbsp;leur pi�t� filiale envers l�Ap�tre; 1�hymne suivante, connue de tont le peuple, se chantenbsp;encore pour c�l�brerle glorieux �v�nement:
HYMN�S
In columnam Rheginam S. Pauli apostoli.
Ave, columna nobilis.
Electro et auro ditior,
Illaque Mosis ignea Columna fortunatior.
Quod ore Paulus prasdical.
Te l�lgurante comprobat; nbsp;nbsp;nbsp;.
Te conflagrante Rhegium Christi fidem compleclitur.
Te palma tangens languida Sensit medelam ccelicam :
Ilaustusque pulvis illico iEgris salutem contulit.
Ergo columna Rhegia,
Hebros ut Israclica In terrte optima transtulit,
Tu nos in astra ducito.
-ocr page 343-SOUVET^m DE SAINT JANVIER. nbsp;nbsp;nbsp;339
Apr�s avoir joui longuement de ces beaux souvenirs et de Tadmi-rable vue du golfe, nous visit�mes Pouzzoles. La cath�drale, balie, sur la bauteur, est d�di�e a saint Proculus, compagnon de saint Janvier.
La parole divine sem�e a Pouzzoles par les princes des Ap�tres n�a-vait pas tard� a porter des fruits abundants : bient�t m�rs pour Ie ciel, ces fruits furent cueillis par la main des pers�cuteurs. L�an denbsp;Rome 301, sous l�empire de Diocl�tien, Constantin �tant consul pournbsp;la cinqui�me fois, et Maximien Hercule pour la sixi�me, Timoth�e,nbsp;gouverneur de la Campanie, r�sidant a Nole, fit amener a son tribunal Janvier, �v�que de. B�n�vent, aqui il ordonna de sacrifier aux dieuxnbsp;de l�empire. Janvier refusant, Ie gouverneur Ie fit jeter dans une four-naise ardente, d�o� Ie martyr sortit sain et sauf. Timoth�e Ie fit fla-geller cruellement;. puis, charg� de chaines, il l�obligea de marchernbsp;devant sa voiture jusqu�a Pouzzoles. Enferm� dans une �troite prison,nbsp;Ie saint en fut tir� avec d�autres chr�tiens qu�on y retenait depuisnbsp;longtemps, et tous ensemble comparurent devant Timoth�e; c��taientnbsp;Janvier, Proculus et Sosie : Ie premier, diacre de l��glise de Pouzzoles,nbsp;Ie second de Messine, enfin Eulych�s et au tres simples fid�les. Con-damn�s aux b�tes, ils furent conduits � Pamphith�atre de la Solfa-tarre, o�, apr�s avoir �t� expos�s aux lions qui les respect�rent, Timoth�e leur fit trancher la t�te (i). La mort des martyrs fut leurnbsp;triomphe ; d�abord Proculus et Janvier repos�rent honorablement inbsp;Pouzzoles, jusqu�ii ce que Ie corps du dernier fiit Iransport� h Naples,nbsp;aux acclamations du peuple entier; ensuite Ie paganisme vaincu futnbsp;forc� de c�der ses temples aux vainqueurs. La cath�drale de Pouzzoles n�est autre que Ie temple consacr� a Jupiter, puis � Auguste parnbsp;Ie chevalier remain Calpurnius ; les colonnes et les chapiteaux sent
Summo Patri sit gioria, nbsp;nbsp;nbsp;,
Natoque Patris unico,
Et Paraclete numini Cunctis in revum ssculis. Amen.
V. Paulus apostolus devenit Rhegium, alleluia.
R. Et seminavit verbum Dei, alleluia.
ORATIO.
Deus, qui ad Pauli apostoli pratdicalioneffl, lapidasa columna divinitus ignescenle, �dei lumine Rheginos populos illustrasti; da, quaisumus, ut quemEvangelii praconemnbsp;*iabuimus in terris, intercessorem babere mereamur in ccelis. Per Dominum, etc. (�).
(�) Bar., An. 501, n. ii et suiv.
(�) Marafiotti, in Chronic. Calabrice, lib. i, e. 20; Giovan. Angel. Spacuuolo de Rebus lib. iv,c.l.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;�
-ocr page 344-540 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
les m�mes. C�est dans ce glorieux sanctuaire que nous \�n�ramp;mes Ie corps de saint Proculus et la pierre miraculeuse sur laquelle saintnbsp;Janvier fut �gorg�.
Au milieu de la place qui pr�c�de l��glise est un pi�destal de marbre blanc, orn� de qualorze figures qui repr�sentent les villes de l�Asienbsp;Mineurerenvers�es parun tremblement de terre et rebaties par Tib�re.nbsp;L�histoire, d�accord avec la tradition, attribue la destruction de cesnbsp;quatorze cit�s, au tremblement de terre qui eut lieu ii la mort de Notre-Seigneur. Ainsi, Ie monument de Pouzzoles est un t�moin palpable denbsp;la v�rit� du r�cit �vang�lique (i). Le guide distingu� qui nous accom-pagnait nous paria avec une profonde v�n�ration de Ms'. N.., �v�quenbsp;actuel de Pouzzoles. Ce pontife, digne des temps apostoliques, parlagenbsp;son modique revenu en trois parts �gales: la premi�re pour la cath�-drale, la seconde pour les pauvres, et la troisi�me pour lui.
Au bas de la ville, sont les magnifiques d�brls du temple de S�rapis, bAti par Adrien. Le toit, dont il reste quelques parties, �tait en marbrenbsp;blanc. Depuis le tremblement de terre de 1518, qui fit refluer les eauxnbsp;du lac Lucrin, le pav� et les pi�destaux des colonnes sont inond�s. Ennbsp;y comprenant lesporliques et les quarante-deux chambres des pr�tres,nbsp;le temple a 44 m�tres de longueur et 38 de largeur. Ce monumentnbsp;d�un culte �tranger, qui fut le dernier a tenir t�te au christianisme,nbsp;offre la preuve mille fois r�p�t�e de l�alliance impure contract�e parnbsp;Rome pa�enne avec toutes les divinit�s que ses triomphateurs ame-naient enchain�es amp; leur char. Comme toujours, un amphith�fttre ac-compagnait le sanctuaire des impurs myst�res. Quoique bien d�grad�,nbsp;Pamphith�atre de Pouzzoles n�a pas tout � fait perdu son anciennenbsp;forme ; il pouvait contenir quarante mille spectateurs, qui,apr�s s��trenbsp;souvent enivr�s du sang des gladiateurs, burent avec d�lices celui desnbsp;martyrs. Par debt Famphith�atre, pr�s de Saint-Vito, on voit les ruinesnbsp;gigantesques des nombreux mausol�es qui bordaient la voie Campa-nienne. D�pouill�s d�inscriptions, ces tombeaux conservent encore desnbsp;bas-reliefs et des fresques dont 1�artiste peut enrichir son album. Lanbsp;plupart ont trait 5 des sujets mylhologiques (2).
Le quai pr�sente les restes imposants du Mole, restaur� par Adrien et Antonin le Pieux. Mais ce qui �pouvante 1�imagination, sont lesnbsp;vestiges du pont de Caligula. Ils se composent de trelze arches, ap-puy�es sur d��normes piles dont la derni�re plonge � soixante palmes
(i) Phl�goti, affranchi d�Adrien, cit� par Orig�ne; Eus�b., Chronic, an Chrisli 55; Plin., lib. 11, c. 84; Sueton., in Tiber., c. 48.
(1) Antichita di Pozzuoli, in-fol.
-ocr page 345-VOIE CAMPANIENNE. nbsp;nbsp;nbsp;^nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;341
au-dessous de la mer. Pourquoi ces constructions gigantesques? Su�-tone va nous l�apprendre. � Caligula, dit-il, voulant c�l�brer des vic-toires imaginaires centre les Parthes et les Daces, donna Ie spectacle extravagant d�un triomphe amp; la mani�re de l�insens� Xerx�s. Dans cenbsp;but.il ordonna de construire un pont qui, partant de la partie du golfenbsp;o� est assis Pouzzoles, devait aller jusqu�a Ba�a, situ� sur la rive op-pos�e. Mais il fut impossible de batir dans la mer sur un espace denbsp;2818 toises. Pour lever eet obstacle, 1�empereur fit r�unir de tous lesnbsp;ports d�Italie un grand nombre de navires qui, plac�s sur une doublenbsp;ligne, form�rent une sorte de pont. Sur cette longue file de vaisseauxnbsp;on �leva une chauss�e de terre et de ma^onnerie, suivant Ie mod�le denbsp;la voie Appienne, avec des parapets aux deux c�t�s et des h�telleriesnbsp;d�espace en espace, o� Pon avait eu soin d�amener m�me de Peaunbsp;douce, qui sortait par des fontaines jaillissantes. Le triomphe duranbsp;deux jours, et la cessation compl�te des transports maritimes occa-sionna une famine g�n�rale qui se fit sentir a Rome plus vivementnbsp;qu�ailleurs (i). �
Pendant que nous �tions � consid�rer ces monuments de la folie imp�riale, une forte barque nous arrivait, mont�e par six rameurs et par un cic�rone. Nous y primes place en r�citant, amp; Pexemple des voyageursnbsp;chr�tiens, VAve maris Stella en Phonneur de Marie, et un Pater ennbsp;Phonneur de saint Paul qui nous avait pr�c�d�s sur ce golfe. Tandisnbsp;que les rames, frappant a coups �gaux les flots azur�s, poussaient dou-cement notre embarcation vers Monte-Nuovo, il nous vint en pens�enbsp;de lire dans Su�tone la description du triomphe de Caligula. Quoi denbsp;plus utile que d��tudier les moeurs publiques d�une soci�t� dont on vanbsp;visiter les po�tiques monuments et le brillant s�jour?
lt;t Lorsque tout fut pr�t, continue le grave histori�n, Ca�us se rev�tit de la cuirasse d�Alexandre, qu�il avait enlev�e au tombeau de ce con-qu�rant, mit par-dessus une casaque militaire, toute de soie, rehauss�enbsp;d�or et �blouissante de pierreries; puis, P�p�e au c�t�, le bouclier �nbsp;la main et la couronne civique sur la t�te, il sacrifia d�abord � Neptune, dont il allait braver la puissance; et a l�Envie, dont il craignaitnbsp;les malignes influences, ^ cause de la grandeur de l�exploit par lequelnbsp;il allait se signaler. Ensuite il entre a cheval sur le pont, et suivi denbsp;Dombreuses troupes d�infanterie et de cavalerie, arm�es comme pournbsp;Un jour de bataille, il court bride abattue jusqu�a Pouzzoles, en attitude de combattant; il y passe la nuit pour se reposer de ses grandes
(i) In Caligiil.
T. II. nbsp;nbsp;nbsp;15
-ocr page 346-342 nbsp;nbsp;nbsp;.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
fatigues. Le lendemain, en habit de triomphateur, il monte sur un char attel� de chevaux fameux par de nombreuses victoires dans lesnbsp;courses du Cirque. II repasse ainsi le pont, faisant porter devant luinbsp;de pr�tendues d�pouilles, et pr�c�d� de Darius, fils d�Artabane roi desnbsp;Parthes, que son p�r� avail donn� en otage aux Domains. Apr�s lenbsp;triomphateurvenait sur des chars toute sa cour v�tue magnifiquement,nbsp;suivie des soldats a pied comme dans les v�ritables triomphes. Du haulnbsp;d�une estrade plac�e au milieu du pont, l�empereur harangua sesnbsp;troupes et les complimenta d�un si beau fait d�armes, et leur distribuanbsp;de Dargent.
� La f�te fut termin�e par un repas g�n�ral. Ca�us sur le pont, les officiers et les soldats dans des barques, se mirent � table et burent lenbsp;reste du jour et toute la nuit, qui fut aussi claire que le plus beaunbsp;jour; car le pont et toutes les c�tes de la mer, en forme de croissant,nbsp;furent tellement illumin�s, qu�on ne s�aper^ut pas de l�absence dunbsp;soleil : Caligula s��tait piqu� de changer la nuit en jour, comme ilnbsp;avait fait d�un bras de mer un chemin praticable pour les gens de pied.
� Apr�s le rejtas, Ca�us, �chauff� par le vin, se procura un divertissement digne de lui. II se mit a jeter ses courtisans dans Ia mer et a faire couler un grand nombre de barques pleines de soldats et denbsp;peuple. Beaucoup furent noy�s; la plupart n�anmoins se sauv�rent,nbsp;paree que Ia mer fut parfaitement calme. Ca�us y trouva un nouveaunbsp;sujet d�orgueil; il supposa que Neptune avait eu peur de lui et n�avaitnbsp;os� troubler ses plaisirs (i). �
La lecture finissait, lorsque le cic�rone nous avertit de regarder le Monte-Nuovo. Apr�s nous avoir racont� la formation de cette mon-tagne et l�engloutissement de Tripergole, il ajoutait: �Tont cela est arriv� a cette ville, paree qu�on y commettait beaucoup de p�ch�s. � Lenbsp;terrible bouleversement dura trois jours, et combla une partie du lacnbsp;Lucrin, dont il refoula les eaux vers Pouzzoles. Horace ne pouvaitnbsp;manquer de faire mention de ce lac fameux dans l�histoire de la sen-sualit� romaine, par les huitres vertes dont il �tait le r�servoir :
Non me Lucrina juverinl conchylia (2).
Agrippa s�para le lac Lucrin de la pleine mer par une digue longue d�environ ISOO m�tres et assez large pour un cbar de grande voie.nbsp;Cette digue est presque enti�rement ruin�e; mais le canal qui unis-
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Suet., in Calig. c. xxxii; Dio., lib. xuii.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Epod., Od. n.
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sail le lac au golfe subsiste encore. L�aspect de ces lieux nous rappela l�int�ressante histoire qu�on lit dans Aulu-Gelle : � Un jour, une foulenbsp;immense se pressait sur les bords du lac Lucrin, occupee ^ regardernbsp;un grand poisson mort, �chou� sur le rivage. Ce poisson �tait un dauphin qui, entr� dans le lac, congut la plus vive amiti� pour Fenfantnbsp;d�un homme du peuple. Get enfant allait souvent de Ba�a � Pouzzolesnbsp;pour se rendre aux �coles publiques. S�arr�tant d�ordinaire � Fheurenbsp;de. midi sur les bords du lac, il avait accoutum� le dauphin � y venir,nbsp;en Fappelant Simon, et en lui jetant quelques morceaux de pain.nbsp;L�animal accourait, fut-il cach� au fond des eaux, et apr�s avoir rejunbsp;sa portion accoutum�e, pr�sentait son dos en cachant ses pointesnbsp;comme dans un fourreau ; F�colier montait dessus, et il le portait �nbsp;Pouzzoles i travers la mer, et le ramenait de m�me. Ce jeu duraitnbsp;depuis plusieurs ann�es, lorsque Fenfant mourut de maladie. Le dauphin continua de. venir au rendez-vous; mais ne trouvant plus celuinbsp;qu�il cherchait, il avait Fair chagrin. C�est son corps que la foulenbsp;consid�rait: et on ne doute pas que le pauvre animal ne soit mort denbsp;chagrin de la perte de son jeune ami. Tout le monde venait admirernbsp;celle victime d�une amiti� si rare et si singuli�re, et il ful d�cid� qu�onnbsp;I�inhumerait a c�t� de Fenfant qu�elle aima avec tant de Constance (i).�
Suivant un petit chemin creux, ouvert entre deux vignes, on arrive en quelques minutes sur les bords du lac Averne qui communiquaitnbsp;jadis avec le lac Lucrin : ici cominencent les souvenirs de notre Mythologie classique. Toutefois, il faut convenir ou que ces lieux ont biennbsp;chang�, ou que. la muse de Virgile les avait singuli�rement embellis.nbsp;h'Horrible Averne est bien encore entour� d�une ceinture de monta-gnes; mais elles ne sont plus couvertes de ces �paisses for�ts, dont lesnbsp;arbres touffus r�pandaient sur ces eaux mortes une nuit �lernelle; cesnbsp;montagnes, aujourd�hui nues et arides, ajoutent Fimage de la d�sola-tion � la solitude de ces lieux. Vinfernal Styx est une source d�eaunbsp;potable, situ�e pr�s de la, sur le bord de la mer. Les eaux thermalesnbsp;que Fon trouve pr�s de Cumes, �taient le P�ripht�g�ton, autre fleuvenbsp;des Enfers. h'avare Ach�ron, sous le nom peu po�tique de Fusaro,nbsp;sert il rouir le chanvre, et fournit d�excellenles huitres. Les Champsnbsp;�lys�es situ�s pr�s de Bauli, sont un bon vignoble. N�anmoins cesnbsp;lieux ont �t� si exactement d�crits, que, son Virgile a la main, le voya-geur peut encore les reconnaitre.
G�est ainsi que nous retrouvames, sur les bords de FAverne, les
(i) A. Geil., VII, 8; Plin., ix, 8; Solin., 17.
-ocr page 348-544 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
ruines du temple d�Apollon. A quelques pas de la, sur la gauche, est 1�entr�e de la grotte de la Sibylle de Cumes. Le gardien de l�antre infernal Toulut bien nous l�ouvrir, moyennant quelques carlins, et a lanbsp;lueur de grosses torches r�sineuses, il nous fut permis de juger cettenbsp;galerie souterraine. On reconnait bienl�t une voute assez semblable anbsp;celle de Pausilippe. Ce chemin t�n�breux passe sous le mont Mis�nenbsp;et conduit jusqu�i Cumes; mais la plus grande partie est aujourd�huinbsp;combl�e (i).
L�entr�e est une caverne naturelle qui servait de vestibule i la grotte de la Sibylle de Cumes, qui parait en avoir eu plusieurs pour rendrenbsp;ses oracles : c�est par la que la pr�tresse d�Apollon est suppos�e avoirnbsp;conduit �n�e aux enfers. �elle Virgile d�crit cette caverne, telle onnbsp;peut encore la reconnaitre : Noire, horrible, b l�ouverture large etnbsp;beante, aux avenues pierreuses, creus�e dans le flanc de la montagne,nbsp;a deux pas du lac Averne :
Spelunca alta fuit, vastoque immanis hiatu,
Scpupea, tuta lacu nigro nemorumque tenebris.
Ainsi on ne pouvait aller recevoir les oracles de la Sibylle qu�en tra-versant de longues galeries souterraines: cette condition disposait i la terreur religieuse et convenait bien aux myst�res t�n�breux du p�renbsp;du mensonge. .Apr�s avoir fait environ deux cents pas sous une voutenbsp;spacieuse, le guide s�arr�ta �i l�entr�e d�une ouverture basse et tr�s-�troite en disant: Excellences, voici le chemin qui conduit aux enfersnbsp;ou plut�t aux bains de la Sibylle, au lieu m�me o� elle rendait ses oracles. � Nous �tions cinq voyageurs, et en nous retournant, nous aper-c�mes cinq lazzaroni de haute stature, au teint cuivr�, amp; la barbe noire,nbsp;qui se pr�sentent pour nous servir de monture; car le sentier qui con-
(i) La di�icult� est de savoir quel en �tait l�usage. Suivant le g�ographe Strabon, Agrippa, gendre d�Auguste, aurait fait praliquer cette longue galerie afin de relief lenbsp;lac Averne a la ville de Cumes {*). II aurait ainsi ouvert un chemin plus commode, plusnbsp;court et toujours f'rais, aux nombreux visiteurs qui passaient incessamment d�un lieunbsp;a 1�autre pendant la saison des bains. D�un autre c�l�, Virgile, qui tout en restant po�tenbsp;est aussi g�ographe, parle de la caverne par laquelle la Sibylle conduisit �n�e aux enfers ; il la place au lieu m�me o� commence le chemin d�Agrippa. La tradition constante du pays soutenue par les plus savants arch�ologues est d�accord avec Virgile. Onnbsp;peut, ce me semble, concilier facilement ces deux opinions : il sulfu d�admettre que lanbsp;galerie souterraine, jusqu'� la grotte de la Sibylle, est une caverne naturelle, bien an-tcrieure par cons�quent au gendre d�Auguste qui n�a fait que la prolonger. L�inspectionnbsp;des lieux suffit pour donner un fondement solide a ce sentiment.
(�) Strab., lib. v, p. 2�7.
-ocr page 349-LA GROTTE DE LA SIBYLLE.
(luit aux bains de la Sibylle est inond� de deux pieds d�eau. A la vue de ces m41es figures auxquelles la lueur des torches donnait quelquenbsp;chose de blafard, nous �changeftmes, mes amis et moi, un coup d�oeilnbsp;qui voulait dire : Faut-il accepter? S�ils allaient nous d�pouiller, nousnbsp;�gorger? qui Ie saurait? Malgr� noire secr�te terreur, nous nous d�ci-dames bravement, et nous voila tous i grimper sur Ie dos inclin� denbsp;nos parlantes montures.
Je tenais fortement Ie cou et je crois la barbe de la mienne; en �change, elle me serrait fortement les jambes et ne cessait de r�p�ter : � Excellence, ne laissez pas d�border vos genoux, vous vous �cor-cheriez aux parois : baissez la t�te, ou vous allez vous heurter contrenbsp;la voute. � De cette mani�re qui peut paraitre pittoresque, et m�menbsp;po�tique, mais qui a coup sur n�esl pas commode, nous avancionsnbsp;lentement dans les sinuosit�s de Ia voute infernale. Bient�t mon chevalnbsp;fut dans l�eau jusqu�aux genoux; les pieds de mon excellence y trem-p�rent aussi et mes yeux se ferm�rent, fatigu�s qu�ils �taient par lanbsp;fum�e de la torche r�sineuse qui me br�lait a six pouces de la figure.nbsp;Le voyage commengait h me paraitre long, lorsque mon Atlas, tour-nant brusquement a droite, fit un large saut et me d�posa sur un bancnbsp;de pierre : � Excellence, me dit-il d�un air satisfait, nous voila auxnbsp;bains de la Sibylle. � En attendant le reste de la caravane, je me frottainbsp;les yeux et je reconnus que nous �tions dans une caverne si noire, sinbsp;profonde, que tous les antres des brigands des Apennins ou de la Ca-labre ne sauraient en approcher. Mes aventureux compagnons arri-vaient a la file, riant, criant, haletant et l�g�rement effray�s : la grottenbsp;pr�sentait alors un spectacle digne d�un habile pinceau. Les vieillesnbsp;parois noircies par la fum�e, les figures basan�es des lazzaroni, nosnbsp;visages alt�r�s, l�eau sale qui couvrait le sol, toute cette sc�ne, faible-ment �clair�e par la lumi�re vacillante des torches, offrait le sujet d�unnbsp;tableau presque infernal.
La caverne, ou, comme on dit, la salie de bains, a deux ouvertures; celle par laquelle on entre; et l�aulre, actuellement ferm�e, qui com-muniquait avec un des nombreux souterrains dont la grotte Sibyllinenbsp;�tait environn�e ;
Qu� lali ducunt aditus centum, ostia centum.
Sa dimension est d�environ vingt-cinq pieds de longueur sur douze de largeur. Avec le renfoncement qui est amp; l�extr�mit� elle formenbsp;comme un double sanctuaire, � Voil�, nous disait le guide, les restes
-ocr page 350-Si� nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
des irois cuves en pierre o� la proph�tesse avail soin de se purifier avant de rendre ses oracles; ici, au milieu, est Ie pi�destal d�o� ellenbsp;parlait. � Chose bien remarquable! les m�mes explications que nousnbsp;venions d�entendre de la bouche de notre cic�rone, les guides les don-naient d�ja il y a dix-sept cents ans. Je ne sais si je me trompe, maisnbsp;il me semble que dans la grotte de la Sibylle de Cumes, visit�e et d�-crite par saint Justin martyr, il est difficile de ne pas reconnaitre cellenbsp;o� nous �tions (i). Le grand apologiste, venant de l�Asie ii Rome, vou-lut entrer dans cette grotte c�l�bre, et il en parle en ces termes ;nbsp;� �tant � Cumes, nous vimes un lieu dans lequel se trouve un sanc-tuaire creus� dans le m�me rocher; c�est une chose vraiment merveil-leuse et digne d�admiration. C��tait la que la Sibylle rendait ses oracles, nous disaient ceux qui les avaient re^us de leurs p�res et qui lesnbsp;gardent comme un patrimoine. Dans le sanctuaire ils nous montr�rentnbsp;trois cuves taill�es dans le m�me roe, qu�on remplissait d�eau, et dansnbsp;lesquelles elle se baignait. Ayant repris ses v�tements, elle se retiraitnbsp;dans la partie intime du sanctuaire, pratiqu� comme tout le reste dansnbsp;le m�me rocher, et l�, s�asseyant au milieu sur un si�ge �lev�, ellenbsp;rendait ses oracles (2). �
Mais pourquoi le grave philosophe, l�illustre champion de la foi avait-il voulu voir de ses yeux cette caverne t�n�breuse? Pourquoinbsp;nous-m�mes la d�crire avec tant de d�tails, et y rester si longtemps?nbsp;c�est que la grotte de la Sibylle de Cumes, qui n�apprend rien a l�ar-ch�ologue, offre un puissant int�r�t au voyageur chr�tien. Elle lui rap-pelle ces vierges-proph�tes que la divine Providence avait, suivant Ianbsp;pens�e des P�res de l��glise, suscit�es au milieu de la gentilit� pournbsp;entretenir la salutaire croyance du R�dempteur futur. Dcbout, sur Ienbsp;si�ge de la proph�tesse, je me mis a r�p�ter cel oracle fameux mis ennbsp;vers par Virgile : � Voici un nouvel ordre de choses qui commence;nbsp;voici la Vierge qui revient; voici F antique �ge d�or; un enfant, des-
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Quel(]ues-uns placent la gvoUe de la Sibylle dans une excavation plus voisine denbsp;Cumes : je n�ai pas la pretention de juger le d�bat: Yideant doctiores.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Hanc (Sibyllam) Babylone ortam dicunt, Berosi Chaldaica; historia; scriptorisnbsp;tiliam; et cum in Campania; oras delata nescio quo paclo fuisset, ibi oracula edidissenbsp;in urbe quse Cumte dicitur, Baiis, ubi sunt Therma; Campanae, sex lapidibus distans.nbsp;Vidimus, cum in hao urbe essemus, locum quemdam, ubi sacellum maximum ex unonbsp;saxo excisum conspeximus, rem sane praeclarissimam et omni admiratione dignam :nbsp;ibi sua illam oracula edidisse narrabant, qui bate a majoribus, ut patriae suae propria,nbsp;aoceporant. In medio autem sacello monstrabant nobis tria receptacula ex eodem ex-cisa saxo, quibus aqua repletis lavare earn dicebant, et cum veslem resumpsisset innbsp;intimam sacelli aedem secedere, ex eodem saxo excisam, ac in medio mdis sedentemnbsp;cxcelso solio, sic vaticinari. � S. Just, martyr, ad Groecos Cohortalio, c. xxxvii.
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cendu des cieux, met fin a nos crimes et ram�ne sur la terre la justice et la paix (i). � Et nous b�nimes Ie Dieu de bont� qui ne s�est jamaisnbsp;laiss� sans t�moignage et qui, dans ce lieu m�me, avail fait sortie denbsp;la bouche de la vierge pa�enne, comme autrefois de la bouche de Balaam, une magnifique proph�tie; et nous r�p�tions, avec saint Justin :nbsp;� O Grecs, si vous pr�f�rez la v�rit� a vos fables, croyez-en done a lanbsp;plus ancienne de vos Sibylles dont Ie livre, r�pandu par tout l�univers,nbsp;vous annonce manifestement et la nullit� de vos dieux, et la venue denbsp;notre Sauveur J�sus-Christ (2). �
Sortis de la grotte, nous payames joyeusement nos montures. En recevant son salaire, mon porteur me dit : � P�re, n�oubliez pas votrenbsp;cheval dans vos pri�res. � � Mais, lui r�pondis-je en souriant, monnbsp;cheval m�a port� dans Ie chemin des enfers! � Eh bien, priez pournbsp;moi, P�re, et Ie cheval et Ie cavalier iront en paradis! � II fallutnousnbsp;s�parer; nos chevaux resl�rent la pour olfrir leurs services aux amateurs, et nous, prenant Ie sentier du. lac Lucrin, nous regagnamesnbsp;notre embarcation. Le rivage de Ba�a, auquel nous allions aborder, futnbsp;jadis c�l�br� par Horace comme le plus d�licieux de l�univers :
Nullus in orbe sinus Baiis pra�lucet amoenis.
Que dirait le po�te s�il voyait celte c�te d�serte, inculte, insalubre et couverte de ruines? Sur la droite on distingue les vestiges desnbsp;Bains de N�ron : ces grottes bouillantes sont �neore des �tuves d�unnbsp;elfet extraordinaire. Suivant son usage, le guide s�y plongea et en sortitnbsp;un instant apr�s tout en feu et ruisselant de sueur. Voici, a la suite lesnbsp;unes des autres, les ruines de villas somptueuses, dont le nom m�menbsp;a p�ri; les ruines d�un temple de Venus Genitrix, bien plac� dans cesnbsp;lieux; les ruines d�un temple de Mercure, digne compagnon de lanbsp;d�esse; les ruines d�un temple de Diane Ducif�re; ruines �loquentes,nbsp;habit�es par quelques pauvres p�cheurs dont les enfants d�guenill�snbsp;xiennent vous vendre, sur des assiettes en terre rouge, des morceauxnbsp;de marbre pr�cieux, derniers restes des temples, des palais et de ther-mes des maitres du monde! On dirait, amp; la vue de cette d�solation,nbsp;qu�Isa�ie proph�tisait contre Ba�a, lorsqu il disait a la superbe Tyr :
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Eglog. IV. � Ces vers de Virgile ainsi que l�oracle de Ia Sibylle furent lus solen-nellement au concile de Nic�e. � Eus�b., Vit. Constant.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Veslram igitur salutem, o Graici, si lalso de diis, qui nulli suilt, commento polio-rem ducilis, credite, ut jam dixi, SybiUte anliquissima; et velustissinia;, cujus libri pernbsp;totum orbem servantur, quteque ex patenti quodam afllatu dees qui dicuntur, nullosnbsp;esse per oracula nos docet, ac de futuro Salvatoris nostri Jesu Chrisli adventu, ac denbsp;rebus omnibus quas gesturus erat clare el aperte prainuntiat. hl., c. xxxviii.
-ocr page 352-348 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
(( Un joup 'viendra o� les riches vaisseaux des nations n�aborderont
plus � ton port.....Tu ne seras toi-m�me qu�un mis�rable village, ba-
bit� par quelques pauvres p�cheurs qui laveront leurs filets sur ta plage d�serte (i). �
Comme Ba�a, Cumes bAtie sur la colline n�offre aux voyageurs que d�informes et nombreux d�bris d�antiquit�s grecques et roraaines. Maisnbsp;elle lui rappelle Ie premier �tablissement fond� par les Grecs sur lesnbsp;c�tes d�Italie; la fameuse Sibylle; Tarquin Ie Superbe, qui vint ynbsp;mourir apr�s son expulsion, et P�trone qui s�y fit ouvrir les veines. Anbsp;une lieue de Cumes, Torre di Patria, l�ancienne Linterne montre Ienbsp;tombeau d�couronn� de Scipion l�Africain.
Revenus au rivage, nous doublftmes Ie promontoire sur lequel s��l�ve Ie chateau de Ba�a. Construit par Ie vice-roi de Naples, Pierre de To-l�de, il est favorableraent plac� pour la d�fense du golfe dont il coupenbsp;Ia monotonie. Plus loin Ie petit village de Bauli, l�ancienne Baccola,nbsp;se dessine au milieu du vaste panorama de ruines qui couvre toute lanbsp;c�te. La somptueuse villa de Marius n�est repr�sent�e que par quelquesnbsp;arcades bris�es; fii p�cherie d�Hortensius, connue par ses mur�nes,nbsp;n�offre plus que deux substructions qui s�avancent dans la mer. Ellenbsp;est suivie d�un monument circulaire, amp; demi ruin�, que Ie guide nousnbsp;signala comme Ie tombeau d�Agrippine, m�re de N�ron. Nous entr4-mes dans ce monument, dont l�origine et la destination me paraissentnbsp;douteuses; d�ailleurs la fum�e des torches a form� sur les parois unenbsp;telle couche de suie que la lecture des inscriptions est amp; peu pr�s impossible. Quoi qu�il en soit du tombeau, Ie port de Bauli ressemblenbsp;beaucoup � celui dont Tacite fait la description dans son r�cit de lanbsp;mort d�Agrippine.
Comme nous allions quitter Ia barque pour monter au cap Mis�ne, nos rameurs nous deraand�rent pour Bonne-Main un plat de Macaroni. (f Excellences, nous dirent-ils, vous ne regretterez pas vos tor-nesi; voir manger Ie macaroni a la napolitaine est une chose curieuse,nbsp;digne de nobles �trangers. � II est de fait que les voyageurs de Naplesnbsp;ne manquent pas de se rendre vers Ie soir i la porte de Massa pournbsp;jouir d�une representation de cette sc�ne nationale; en jouir sur mernbsp;nous parut encore plus piquant, et nous consentimes. En attendant,nbsp;nous gravimes Ie flanc escarp� du cap Mis�ne et nous arriv;\mes h lanbsp;Piscina mirabile. Ce monument, Ie seul bien conserv� de toute lanbsp;c�te, est digne du nom qu�il porte et des Remains qui l�ont construit.
(i) Isa�e, c. XXII, t et suiv.
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PISCINE ADMIRABLE.
C�est un r�servoir qui fournissait de I�eau douce a la flotte stationn�e au cap Mis�ne. II forme un parall�logramrae et repose sur quaranle-huit pilastres dispos�s en quatre files d�arcs quadruples d�une hauteurnbsp;extraordinaire : sa longueur est de 216 pieds. La voute est perc�e denbsp;treize ouvertures par lesquelles on pr�surae que se puisait l�eau. Deuxnbsp;escaliers conduisent jusqu�au bas; et Ie voyageur peut voir de pr�s,nbsp;et la beaut� de L�difiee et la solidil� que lui donne la forte couche denbsp;stalactite d�pos�e sur toutes les parties. II a fallu des sommes �normesnbsp;pour construire cette piscine, et de plus �normes pour y amener l�eaunbsp;de plusieurs milles, malgr� des obstacles immenses.
Mais on conQoit que les Remains n�aient recul�, ni devant les diffi-cult�s, ni devant les d�penses : la piscine �tait n�cessaire ii leur flotte, et leur flotte �tait n�cessaire ii la suret� de l�emplre. Trois gran-des stations maritimes, reli�es par des points interm�diaires, for-malent un vaste syst�me de d�fense. La premi�re, �tablie a Fr�jus,nbsp;Forum Julii, prot�geait l�Italie du c�t� des Gaules : Auguste la formanbsp;primitivement des vaisseaux pris a la balaille d�Actium (i). La secondenbsp;�tait a Ravenne : dominant les c�tes de l�Adriatique, elle opposait unenbsp;barri�re aux incursions d�s Barbares du Nord. La troisi�me, fix�e anbsp;Mis�ne, devait, en se ralliant � celle de Fr�jus, entretenlr la suret� desnbsp;mers depuis Ie d�troit de Messine jusqu�aux Colonnes d�Hercule. Cesnbsp;trois flottes furent �tablies par Auguste a qui Ton doit Fach�vementnbsp;du port de Mis�ne commenc� par C�sar. Ce port magnifique, combl�nbsp;en partie, porte Ie nom deMare-Morto qui lui convient aujourd�hui.
Si la vue de la Piscine donne une haute id�� de la magnificence ro-maine, les ruines peu �loign�es des Cento camerelle en donnent une au moins �gale de leur barbarie. Les Cento camerelle sont un b�ti-ment ainsi appel� � cause du grand nombre de pieces obscures et denbsp;longs corridors, �galement priv�s de lumi�re, qu�il conlient. Un voyageur francais, qui l�avait visit� quatre ans avant nous. Fa bien d�crit:nbsp;je Ie laisserai parler. � Apr�s avoir bien examin� eet �difice, il est difficile de lui assignee une autre destination que celle d�une prison, etnbsp;alors on est saisi de tristesse en voyant avec quelle barbarie, quel ou-bli de tous sentiments d�humanit�, les prisonniers devaient y �trenbsp;trait�s. Quatre longs cachots surtout, de deux m�tres de largeur et senbsp;coupant � angles droits, sont affreux. L inspection des lieux fait croirenbsp;que les d�tenus y �talent assis sur Ie sol, rang�s c�te a c�te, et proba-filement enchain�s, comme les esclaves africains dans l�entre-pont d�uu
(i) Suet., Aug., 49.
15.
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vaisseau n�grier. Au point de jonclion de ces cachots, une petite cham-bre permettait de voir tout ce qui s�y passait, en supposant n�an-nioins qu�ils fussent �clair�s par des lampes; c��tait un essai du sys-t�rae panoptique adopt� dans plusieurs prisons modernes. En avant de cette construction, deux rangs d�arcades semblent aroir �t� desti-n�s au logement des soldats de garde et aux ge�liers. Get horrible monument confirme une remarque d�j^ faite plusieurs fois par diversnbsp;�crivains; c�est que les anciens, dans leurs perfectionnements sociaux,nbsp;n�accordaient d�attention qu�aux besoins des populations consid�r�esnbsp;en masse, et que les int�r�ts et les souffrances des individualit�s lesnbsp;touchaient peu. C�est Ie Christianisme qui, ayant proclam� que tousnbsp;les hommes sont fr�res, a seul rendu son importance a chaque mem-bre de la familie (i). �
Les fameux Champs Elys�es s��tendent du Mare-Morto jusqu�au lac Fusaro, I�ancien Ach�ron, plac� de I�autre col� de la plaine. Cesnbsp;lieux si beaux sous la plume de Virgile, ces jardins d�licieux, arros�snbsp;de belles fontaines, plant�s d�arbustes toujours verts et orn�s de superbes tombeaux, ne sont plus qu�un vignoble assez mal cultiv�. Nousnbsp;ne voul�mes pas quitter Mis�ne, sans visiter les ruines de la maisonnbsp;de Lucullus, c�l�bre par la mort de Tlb�re. L� 13 mars de Tan 55 denbsp;Notre-Seigneur, Tib�re, apr�s avoir assist� aux jeux donn�s par les soldats de sa garde, se trouva pris d�une violente douleur de c�t� : ilnbsp;entre dans l�ancienne villa de Lucullus. On lui apporte les actes dunbsp;s�nat; il s�irrite et m�dite de nouvelles cruaut�s. Macron, pr�fet dunbsp;pr�toire, ordonne qu�on jette sur Ie vieil empereur des coussins et desnbsp;matelassous lesquels il Ie fait �touffer [i). Ainsi mourut Tib�re, dansnbsp;sa soixante-dix-huiti�me ann�e, en face de cette ile de Capri qu�il anbsp;rendue tristement immortelle par dix ann�es de cruaut�s et de d�-bauches �galement incroyables.
Pendant notre excursion, les matelots avaient fait cuire leur macaroni et Tavaient port� sur la barque. Nous y fumes a peine mont�s, qu�ils hiss�rent la voile, et, nous laissant aller doucement a la brisenbsp;du soir, ils se mirent ii absorber, comme il �tait convenu, en noirenbsp;pr�sence, le mets favori du Napolitain. Pour avoir une id�� de cetienbsp;sc�ne gaslronomique, il faut se repr�senter ces bateleurs de carre-fours, qui, au grand �bahissement de la foule, engloutissent avec unenbsp;dext�rit� merveilleuse des aunes de ruban ou des �p�es nues. Avec lanbsp;m�me facilit�, nos matelots firent couler dans les profondeurs de leur
(0 M. Fulchiron, Environs de Naples, 1838, p. 290. (a) Tacit., vi, 50; Suet., Tib., 72, 73; Dion., lib. ivm.
-ocr page 355-SOUVENIRS ET IMPRESSIONS. 3S1
gosier les interminables varmi de p4te huil�e, qui, da vase ou ils �laient enroul�s, montaient dans la bouche des parties prenantes,nbsp;passant par leurs mains �lev�es au-dessus de la t�te en guise de poulie.nbsp;L�operation, impossible ^ tout autre, fut accomplie en un clin d�oeil.nbsp;� Excellences, nous dirent-ils alors d�un air satisfait, n�est-ce pas quenbsp;vous ne regretterez jamais vos tornesi? Soyez b�nis, nobles seigneurs; � et ils se mirent a chanter.
Pendant qu�ils r�p�taient leurs joyeux refrains, nous jetdmes un dernier regard sur les coteaux de Ba'ia, comme pour fixer, dans notrenbsp;esprit, avec I�image de ces lieux c�l�bres, les nombreux souvenirs qu�ilsnbsp;rappellent. La c�te semblait nous jeter ces trois mots : Luxe effr�n�!nbsp;volupt�! cruaut�!
L�antique Ba�a, assise au milieu de bosquets de myrtes et de lau-riers, devint bient�t insuffisante pour tous ceux qui voulaient y avoir des maisons, ou simplement y louer des logements. II s��leva donenbsp;une seconde ville aussi considerable que la premi�re, toute compos�enbsp;de villas d�une magnificence royale. Contigu�s les unes aux autres,nbsp;elles dominaient sur Ie lac Lucrin, plusieurs m�me s�avan^aient jus-que dans ses ondes. Pas une qui ne co�tat des sommes �normes; cellenbsp;de Marius, pass�e a Corn�lie, m�re des Gracques, fut vendue ^ Lucul-lus 460,87 francs (i).
D�s les premiers jours du printemps arrivait la foule. Une contp�e, qui renfermait tant d�eaux salutaires, n��tait, sans doute, peupl�e quenbsp;de goulteux, de paralytiques, de bless�s, de gens a mines tristes etnbsp;pales; en un mot, de malades de tout genre. Peut-�tre en fut-il ainsinbsp;dans Ie principe; mais, vers la fin de la r�publique et sous l�empire.nbsp;Pon y rencontrait beaucoup plus de gens bien portants que de malades; et ces belles campagnes �taient un s�jour de plaisir bien plus quenbsp;de douleur (2).
Caligula y venait pour donner au monde Ie spectacle de ses r�ii-neuses extravagances; N�ron s�y rendait accompagn� de mille v�itifi�es et de deux mille mules ferr�es d�argent; Popp�e Ie suivait entour�enbsp;de cinq cents anesses, dont Ie lait composait Ie bain de la courlisa�e,nbsp;afin de rendre sa peau plus blanche et plus douce (5). Tous les grandsnbsp;de l�empire marchaient sur les traces de leur maitre, et variaient leursnbsp;plaisirs suivant leurs caprices. Les uns faisaient creuser des piscinesnbsp;semblables h des palais; leur bonheur �tait d�y nourrir, �i,grands
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Plutarch., ire Mario, c. 60.
V,,; 1�)
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Strab., V, p. 235; Dion., xlvih, p. 442.nbsp;(5) Plin., 1. XI, 41.
332 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
frais, les poissons les plus rares. Hortensius aurait plul�t consent! tirer de son �curie des mules d�attelage pour vous les donner, qu�unnbsp;seul vieux barbeau de sa piscine. La sant� de ses poissons lui �taitnbsp;plus ch�re que celle de ses esclaves; lorsque les premiers �taient ma-lades, il s�inqui�tait bien plus qu�ils n�eussent point d�eau trop froide,nbsp;que d�en voir boire aux derniers (i). Crassus, qui passait pour unnbsp;homme grave; Crassus, homme censorial, prit Ie deuil pour une mu-r�ne morte chez lui, et la pleura comme il e�t pleur� sa fille (2). Cettenbsp;d�gradation �tait d�ja g�n�rale au temps de Cic�ron. lt;c Nos grands,nbsp;�crit Ie c�l�bre orateur, se montrent aussi contents que s�ils �taientnbsp;transport�s au ciel, quand ils ont dans leurs piscines de vieux bar-beaux qui viennent manger a la main, et ils ne se soucient nullementnbsp;des affaires de l��tat (3). � Antonia, bru de �ib�re, mettait des pendants d�oreilles � ses mur�nes qu�elle aimait avec passion ( ). �
Mais, en g�n�ral,la soci�t� qui se r�unissait a Ba�a selivraitii une vie plus que voluptueuse. La r�putation de ce lieu �tait si bien �tablie qu�ilnbsp;suf�isait d�en respirer l�air pour perdre tout sentiment de pudeur etnbsp;de vertu (s). � II �aut fuir Ba�a, disait S�n�que, c�esl Ie cloaque de tousnbsp;les vices, diversorium vitiorum; la d�bauche en fait son th�atre, nullenbsp;part elle ne se montre plus entreprenante et ne se met plus a l�aise,nbsp;comme si la licence �tait, en ces lieux, une dette indispensable (s). �nbsp;On se tenait renferm� pendant,1a chaleur du jour; mais Ie soir tontnbsp;Ie monde sortait. Alors l�Averne et Ie Lucrin se remplissaient de bai-gneurs et de baigneuses qui joignaient au plaisir du bain celui de lanbsp;natation, et sillonnaient a la nage la surface transparente et docile denbsp;ces belles eaux (7). Au milieu de cette foule d�hommes et de femmesnbsp;que l�on aurait pris pour les tritons et les n�r�ides de ces lacs, glis-saient des milliers de petites barques de toutes formes et de toutesnbsp;couleurs. Les promenades se prolongeaient fort tard; on soupait surnbsp;l�eau, on parfumait Ie lac de roses elfeuill�es, qui d�robaient presquenbsp;ses ondes k la vue. Des orchestres plac�s sur les bords du lac, ounbsp;�chelonn�s sur Ie liane circulaire des montagnes, accompagnaient denbsp;leurs concerts ces promenades et ces repas; et pendant toute la nuit
(1) nbsp;nbsp;nbsp;VaiTon.,R. R, m, 17.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Macrob., Saturn., n, 11.
(�) Ad. Attic., II, 1.
(4) Plin., IX, S�.
(s) Cicer., pro Cmlio, 20; Marl. 1,63.
(6) nbsp;nbsp;nbsp;Epist. 51.
(7) nbsp;nbsp;nbsp;Propert., 1,11; v, 11.
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on n�entendait que des symphonies et des chansons lubriques, r�p�-t�es par les �chos d�alentour (i).
Je me trompe : aux chants de la volupt� la cruaut� m�lait sa voix lugubre. G�est la, sur ces Lords enchant�s, que Ie sang humain cou-lait en l�honneur d�Auguste, que Macron �touffait Tib�re, que Caligulanbsp;jetait ses courtisans dans les flots et que N�ron ordonnait Ie meurtrenbsp;de sa m�re.
Luxe, volupt�, cruaut�! tels furent les derniers mots par lesquels Pouzzoles et Ba�a r�sum�rent, en descendant dans les ombres de lanbsp;nuit, r�blouissanle soci�t� qui jadis habita leurs rivages.
22 F�VRIER.
Pomp�i. � Histoire et ruine de Ia ville. � Aspect g�n�ral. � Impressions. � Examen des edifices religieux, civils et priv�s. �Reflexions.
� A Pomp�i, l�antiquit� n�est plus cette antiquit� vague, recul�e, incertaine, cette antiquit� des ruines mutil�es de Pouzzoles, de Ba�a etnbsp;des autres pays, moins encore cette antiquit� des livres, des commen-taleurs, des arch�ologues; c�est l�antiquit� r�elle, vivante, en personne,nbsp;si on peut Ie dire ; on la suit, on la voit, on la touche. � Avant d�arrivernbsp;dans cette ville, unique au monde, il nous parut convenable d�en con-naitre l�histoire. Pomp�i, situ�e au pied du V�suve, sur Ie fleuve Sarno,nbsp;�tait uhe des villes les plus importantes de la Campanie. Sa positionnbsp;en faisait Ie centre commercial d�Herculanum, de Stabia et de Nuceria;nbsp;elle comptait environ vingt-cinq mille habitants. Fond�e par les�trus-ques OU les Grecs, elle fut convectie en colonie romaine par Sylla, et de-vint, comme tous les environs de Naples, un s�jour de d�lices pour lanbsp;haute soci�t� de l�empire. Cic�ron, qui avait des villas partout, enavaitnbsp;une h Pomp�i dont il �gale les agr�ments � ceux de Tusculum: Tuscu-lum et Pompeianum valde me delectant. L�an 63 de l��re chr�tienne,nbsp;un tremblement de terre causa de grands dommages ii Pomp�i; maisnbsp;les traces en avaient presqu�enti�rement disparu, lorsque la terriblenbsp;�ruption du V�suve de Fan 79 an�antit cette malheureuse ville, ainsinbsp;qu�Herculanum et Stabia : Herculanum �tait, dit-on, une ville de qua-rante mille dmes; la population de Stabia est Incertaine. Pour assister,nbsp;en quelque fafon,!� l��pouvantable catastrophe dont nous allions, apr�snbsp;dix-sept cents ans, reconnoitre les effets, la pens�e nous vint d�en lire
(i) Senec., Epist. 51, etc., etc.
-ocr page 358-334 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
ladescription dansDionCassius et dansPline Ie Jeune,t�moin oculaire.
Voici leurs paroles : � Le premier novembre de la premi�re ann�e du r�gne de Titus, i une heure apr�s midi, on apergut, du c�t� dunbsp;Vcsuve, un grand nuage d�une forme singuli�re, et qui, semblable anbsp;un pin, s��levait d�abord � une hauteur eonsid�rable, et formait commenbsp;un trone d�o� s��chappaient plusieurs branches. Ce nuage �tait tanl�tnbsp;blanc, tanl�t sale, et parsem� de taches. Cependant tout devenait ef-frayant dans la nature; la terre trerablait, la cime des montagnes on-doyait, des bruits souterrains semblables au tonnerre se m�laient a denbsp;longs mugissements qui faisaient retentir les c�tes de la mer, le solnbsp;devenait br�lant, le golfe de Naples bouillonnait, le ciel �tait en feu :nbsp;il semblait que tous les �l�ments d�chain�s se faisaient une. guerrenbsp;dont les hommes allaient �tre les victimes. Tout � coup le feu souterrain, cause de cette effrayante commotion, vainquit les obstacles et lenbsp;V�suve langa dans les airs des pierres d�une grosseur prodigieuse, quinbsp;roulaient du haut de la montagne. Des colonnes de flammes sortirentnbsp;du crat�re et furent bient�t suivies d�une fum�e si �paisse, qu�elle ob-scurcit le soleil et changea le jour en une nuit affreuse. Alors l��pou-vante fut a son comble : chacun croyait toucher a sa derni�re heure.nbsp;On s�imaginait voir dans ces hoi�ribles t�n�bres des g�ants et des fan-l�mes arm�s les uns centre les autres : il semblait que le monde allaitnbsp;rentrer dans le chaos o� il entrainait les dieux eux-m�mes. Les unsnbsp;quittaient leurs maisons agit�es et pr�tes a se renverser sur eux, pournbsp;chercher leur salut dans les rues et dans les campagnes; les autresnbsp;fuyaient des campagnes dans les villes et dans les maisons : ceux quinbsp;�taient en mer s�efforgaient de gagner la terre, et de la terre on cou-rait vers la mer. �
Cependant arrivent d�immeuses nu�es de cendres qui remplissent 1�air, la terre et la mer. Elles furent port�es jusqu�� Rome en asseznbsp;grande quantit� pour y obscurcir le jour. La surprise fut �gale a lanbsp;terreur, paree que la cause de eet �trange ph�nora�ne n��tait encorenbsp;connue que dans la Campanie. � lei, ajoute Pline, elles tombaient ennbsp;pluie si abondante et si rapide, qu��tant a Mis�ne, �loign� de cinqnbsp;lieues du V�suve, et oblig� de m�asseoir avec ma m�re � c�t� du che-min de peur que la foule qui fuyait en tumulte ne nous �cras�t dansnbsp;l�obscurit�, il fallait nous lever incessamment pour secouer la cendrenbsp;qui, sans cette pr�caution, nous aurait couverts et m�me �touff�s (i). �
Tandis que ces nu�es de cendres brulantes ensevelissaient sous une
(i) Lib. VI, Ep. XVI et xx ad Tacit.
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couche de douze pieds d��paisseur Pomp�i et Stabia, des torrents de laves voniis par Ie crat�re et m�l�s de cendre, de graviers et d�eaunbsp;bouillante coulaient dans les rues d�Herculanum, p�n�traient dans lesnbsp;caves, s��levaient dans les appartements, puis, en se refroidissant, for-raaient une masse compacte qui ne permit plus de distinguer ni forum,nbsp;ni �difices, ni ville. Ce qui ajoulait a l�horreur de cette sc�ne, c��taitnbsp;Teffrayante obscurit� qui r�gnait partout. � La nuit, continue Ie m�menbsp;t�moin, �tait, non pas ce qu�est la nuit la plus obscure en pleine campagne, lorsqu�on ne voit ni lune ni �toiles, mais ce qu�elle est dansnbsp;une chambre bien ferm�e apr�s qu�on a �teint toutes les lumi�res (i), �nbsp;De temps en temps ces t�n�bres effroyables, qui dur�rent trois jours,nbsp;�taient illumin�es par intervalle, non par l��clat du jour, mais par lanbsp;lueur des flammes qui s��langaient du crat�re. Puis revenait la nuit,nbsp;revenait la pluie de cendres plus �paisse et plus abondante. Enfin Ienbsp;jour se montra, chacun fit usage de ses yeux et porta ses regardsnbsp;sur les objets environnants. Tout �tait chang�, boulevers�; la mer availnbsp;perdu ses limites, et la terre couverte de monceaus de cendres, commenbsp;elle Pest quelquefois par la neige dans les jours d�hiver, pr�sentait Ienbsp;plus d�solant spectacle (2).
11 r�sulte de ce r�cil que la catastrophe s�accomplit assez lentement pour permettre aux habitants de fuir; de li Ie petit nombre de sque-lettes trouv�s dans les fouilles.
Quoi qu�il en soit, Ie souvenir des malheureuses villes resta dans la m�moire des habitants du pays, bien que la plaine uniforme dontnbsp;elles �taient couvertes ait fait oublier leur v�ritable situation. C�est anbsp;tort, par exemple, que les guides et les cic�rone supposent Pomp�i re-trouv�e seulement au dernier si�cle. � Et d�abord, Pamphith�titre,nbsp;situ� hors de la ville, au milieu des champs cuUiv�s, �l�ve, tout d�-grad� qu�il est, son second rang d�arcades de six � sept m�tres au-dessus du plateau, et eri s�inclinant et en rasant de Poeil la surface denbsp;la terre, on voit qu�un m�tre environ du premier rang a du toujoursnbsp;apparaitre. De plus, la partie sup�rieure et Pentablement n�ont �t�nbsp;d�truits que successivement et par Pinjure du temps. Ainsi, depuis lanbsp;catastrophe de Pomp�i, cet amphith�atre, existant si pr�s de Naples,nbsp;dans un pays si people, n�a pu �chapper aux regards; c��tait un signenbsp;toujours subsistant et l�moignant que Pantique cit� devait �tre ense-xelie dans le voisinage. De plus, une ancienne inscription semble in-diquer que Pempereur Alexandre S�v�re fit creuser les cendres de
1 (1) Lib. VI, XVI et XX ad Tacif.
(2) Plin., id., id.; in Dio. Tito.
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Pomp�i et que ces recherches lui procur�rent des statues, des colonnes et des marbres pr�cieux. Au commencement du xvi� si�cle, eette ville,nbsp;comme gisement et ruines encore debout, �lait aussi bien connuenbsp;qu�aujourd�hui.
Yoici ce qu�en dit Sannazar ; � Cette ville, qui se pr�sente a nos yeux, appel�e Pomp�i et c�l�bre autrefois, fut engloutie par un trem-blement de terre, Ie sol ayant, comme je Ie pense, manqu� sous sesnbsp;pieds ; genre de mort �trange et horrible pour une nation, que de
disparaitre en un instant du nombre des vivants.....En parlant ainsi,
nous �tions d�ja bien pr�s de la cil� qui �tait Ie sujet de nos r�flexions, car on en pouvait distinguer les terres, les maisons, les th�dtres etnbsp;les temples presqu�intacts. En 1572 Ie comte de Sarno, faisant creusernbsp;un canal souterrain pour porter de Peau a la Torre, traversa et fouillanbsp;en diagonale la place de la ville; il y d�couvrit encore des maisons,nbsp;des rues, des temples et d�autres monuments. � Un si�cle apr�s, Ma-crini, dans son ouvrage de Vesuvio, dit qu�il conjecturait que remplacement nomm� Civitd devait �tre Pomp�i; et il ajoute que ce n�estnbsp;pas seulement Ie nom de Civita qui Ie porte h Ie croire, mais encorenbsp;paree qu�il y a reconnu lui-m�me des constructions enti�res,des ruinesnbsp;de grandes murailles et des portiques en partie hors de terre. II estnbsp;done �vident que cette ville ne fut jamais oubli�e depuis sa catastrophe,nbsp;et que la tradition et des monuments encore apparents en conservaientnbsp;Ie souvenir; mais Ie moment ou Pon devait s�en occuper s�rieusementnbsp;n��tait pas arriv�. Enfin, en 1748, des paysans, en ouvrant un foss�,nbsp;d�couvrirent encore des habitations, des statues et des objets servantnbsp;� Pusage de la vie. D�s lors Pomp�i attira Pattention de tous les savants de PEurope, et renlra dans sa gloire (t). �
Herculanum Pavait pr�c�d�e de quelques ann�es seulement. En 1715, Ie prince d�Elbeuf, Emmanuel de Lorraine, faisant batir une maisonnbsp;de plaisance a Portici, d�couvrit, sans s�y attendee, une grande quan-tit� de marbres, h soixante pieds au-dessous du sol. Le roi de Naples,nbsp;devenu propri�taire de la maison du prince d�Elbeuf, continua lesnbsp;fouilles, et ce fut en 1736 qu�on reconnut Pexislence d�une ville en-li�re ; c��tait Herculanum. Quant h Stabia, on s�est h peu pr�s born�nbsp;� en retrouver Pemplacement.
Le d�blai de Pomp�i fut pouss� avec activit� par le roi Murat: huit cents ouvriers y travaillaient sans relftche. Aujourd�hui on en comptenbsp;� peine quarante; au train ou vont les fouilles, il faut encore altendre
(i) M. Fulcfairon, Environs de Naples, p. 336.
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environ cinq cents ans pour jouir de I�aspect entier de la ville; car les remparts, decouverts de 1812 k 1814, montrent que le quart denbsp;Pomp�i peine est d�couvert.
De bonne heure nous arrivames en voiture ii une des portes de la cit� silencieuse. Un v�t�ran, la carabine sur I�epaule, et un cic�rone,nbsp;le chapeau i la main, s�avanc�rent pour nous recevoir. Suivant notrenbsp;habitude, nous vouliimes avoir une idee g�n�rale de la ville, avant denbsp;I�exarainer en d�tail, et nous fimes le tour des remparts. Pomp�i, situ�enbsp;au sud-est du V�suve, dans une plaine l�g�rement accident�e, d�critnbsp;un ovale, renfl� vers le milieu, et s��tendant du nord-ouest au sud-est:nbsp;sa circonf�rence est d�environ neuf kilom�tres. La partie de la villenbsp;encore ensevelie est couverte de vignes et d�arbres � fruits, plant�snbsp;dans une terre meuble ou plul�t dans une cendre grisatre d�une pro-digieuse activit�. C�est la, sur les coteaux plus rapproch�s du V�suvenbsp;qu�on r�colte le lacryma Christi.
Les remparts de Pomp�i portent tous les caract�res de la plus haute antiquit�.Ils ferment une enceinte continue, saus aucun angle saillant:nbsp;cette disposition dans le syst�me militaire des anciens favorisait la d�-fense de la ville. Les bastions se composent en g�n�ral d�un plain-piednbsp;et de deux murs; on y monte par des degr�s assez larges pour per-mettre a plusieurs soldats de passer de front. Une partie du niurnbsp;d�enceinte a �t� min�e soit par le tremblement de terre de l�an 63, soitnbsp;par Sylla lorsqu�il s�empara de la ville l�an 666 de Rome. Les remparts sont flanqu�s de onze tours, a trois �tages avec une porte secr�tenbsp;pour favoriser les sorties. Pomp�i a cinq portes; celle d�Herculanumnbsp;est pr�c�d�e et snlvie de trois autres dispos�es de mani�re a pouvoirnbsp;prolonger la d�fense, suppose que l�ennemi e�t forc� la premi�re entr�e. C�est sur la partie ext�rieure du rempart lat�ral � cette portenbsp;qu�on plagait les affiches; c�est-a-dire qu�on y �crivait avec un pin-ceau, en caract�res rouges ou noirs, ce qu�on voulait faire savoir aunbsp;public. Lors de la d�couverte on y lisait encore les restes d�un^affiche,nbsp;par laquelle on annongait deux combats de Gladiateurs de Rufus etnbsp;une chasse dans l�amphith�amp;tre avec velarium.
Les �difices de Pomp�i tant publics que particuliers sont d�une construction noble, �l�gante, sans avoir la puret� de l�architecturenbsp;grecque. Les maisons, en g�n�ral, ont deux �tages, mals les apparte-nients sont petits. On retrouve a peu pr�s partout la m�me forme etnbsp;Ia m�me distribution : il n�y a de diff�rence notable que dans la grandeur et les d�tails de luxe, proportlonn�s a la fortune des proprl�tai-ces : presque toutes les facades sont peintes en rouge. Jusqu�ici vingt-
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deux rues ont �t� d�couvertes; celles qui avoisinent Ie Forum et les th�atres soul larges et r�guli�res, les aulres sont g�n�ralement �troitesnbsp;et tortueuses. Toutes sont pav�es en larges dalles du V�suve et bor-d�es de trottoirs de chaque c6t�. De distance en distance on voit desnbsp;hornes servant � consolider les trottoirs ou ii monter a cheval. La plupart des rues, �tablies en chauss�e, sont assez larges pour que deuxnbsp;chars puissent passer de front : il faut seulement remarquer que lesnbsp;chars anciens n�ont que quatre pieds de voie. Sous les trottoirs on re-marque des vides par lesquels les eaux pluviales coulaient dans lesnbsp;�gouts et s�en allaient a la mer, dont les Hots baignaient les murs denbsp;la ville.
Dans presque tous les carrefours on trouve des fontaihes d�une bonne architecture qui recevaient leurs eaux des longs aqueducs �ta-blis entre la ville et les montagnes. Elles sont g�n�ralement orn�es denbsp;bas-reliefs repr�sentant des t�tesde dieux, d�animaux, a qui sans doulenbsp;elles �taient d�di�es ou dont elles portaient Ie nom. Comme dans nosnbsp;villes actuelles, des hornes en granit entouraient les fontaines et lesnbsp;prot�geaient contre les roues des voltures. Aux carrefours on voit encore des peintures ou des autels consacr�s aux dieux tut�laires desnbsp;rues, appel�s Lares compUales. Dans les diff�rentes parties du petitnbsp;sanctuaire, des fresques repr�sentent les sacrifices offerts a ces divini-t�s : on voit presque partout un ou deux serpents qui engloutissentnbsp;les mets consacr�s. Le bas peuple surtout avait une d�votion particu-li�re pour ces sortes de divinit�s auxquelles on le voit pr�senter surnbsp;un plat des fruits, des fleurs, des legumes, etc.
Apr�s ce coup'd�oeil g�n�ral, nous descendimes dans l�int�rieur de la ville. Comment rendre l�impression qu�on �prouve en parcourantnbsp;ces rues solitaires o� les chars, qui les travers�rent il y a bient�t deuxnbsp;mille ans, ont laiss� la profonde empreinte de leurs roues; ces temples, avec leurs colonnes et leurs autels, mais veufs de leurs pr�tres etnbsp;de leurs dieux; ces th�dtres, avec leurs coins, leurs gradins, leurnbsp;sc�ne, leur avant-sc�ne et leurs portiques, mais sans acteurs ni spec-tateurs; ces fontaines bien conserv�es et qui ne coulent plus; ces ba-siliques et ces forums, bruyants rendez-vous des oisifs et des hommesnbsp;d�affaires, o� l�on ne rencontre que quelques l�zards qui fuient k l�as-pect des vivants? Voici les Thermes avec leurs salles du bain froid,nbsp;du bain chaud, du bain ti�de, ainsi que les niches o� l�on plagait lesnbsp;strigiles et les pots de parfums; mais o� sont les baigneurs volup-tueux qui en faisaient usage? Voici les boutiques avec les poids et lesnbsp;balances, mais o� sont les marchands et les acheteurs? Voici l�auberge
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d�Albinus; mais point de voyageurs dans les appartements; point de mule attach�e aux anneaux de fer devant la porte de l��table.
Enfin voici les maisons des particuliers; passez sans crainte devant la loge du chien, ce fid�le animal n�y est plus; entrez dans la cuisine,nbsp;voyez les rechauds et les ustensiles, mais plus de feu, plus de mets,nbsp;plus de cuisinier; p�n�trez dans l�Ex�dre ou salie de reception, par-courez Ie jardin et les chambres i coucher, personne qui les occupe;nbsp;et pourtant, telle est la conservation de toutes ces choses, telle est lanbsp;fraicheur des peintures d�coratives, tel l��clat des mosa�ques et desnbsp;pav�s de marbre pr�cieux, qu�on croit entrer dans une maison b�tienbsp;la veille. On est tent� de s�asseoir en attendant Ie retour des maitres;nbsp;et il y a dix-sept si�cles que ces maitres sont absents.... ils ne revien-dront plus.... partout solitude profonde, silence solennel qu�interrom-pent a peine Ie colloque fugitif du cic�rone et de F�tranger venu denbsp;loin pour visiter cette n�cropole; ou Ie pas du v�t�ran, ruine ambulante qui veille sur les remparts; ou la piocbe du fossoyeur qui d�-terre lentement quelques coins de la cit� ensevelie toute vive, et biennbsp;mieux conserv�e sous sa couverture de cendres que la momie �gyp-tienne dans son triple rang de bandelettes parfum�es.
Les �difices que nous visitames en particulier sont lessuivants :
Le Panth�on ou temple d'Auguste. Ce superbe �difice en forme de rotonde, servait de tr�sor public et de salie de banquet; il est support�nbsp;par douze colonnes et entour� de onze chambres destin�es aux pr�-ires ou aux principaux habitants lorsqu�il y avail des festins publics.nbsp;Les fresques. qui d�corent Fint�rieur sont d�une puret� de dessin etnbsp;d�une fraicheur surprenante; mais la plupart repr�sentent des sujetsnbsp;lubriques ou des sc�nes de table ; au dela de Fenceinte est le Triclinium des pr�tres.
Le temple de V�nus, un des plus consid�rables de la ville, est situ� sur la gauche du Forum. Ses d�pendances sont orn�es de peintures,nbsp;et les inscriptions qui en couvrent quelques parlies rappellent les riches pr�sents offerts b la d�esse, ainsi que la restauration du coll�genbsp;des pr�tres consacr�s au culte de Fimpure divinit�.
Le temple de Jupiter s��l�ve non loin de celui de V�nus, a Fextr�-mit� du Forum. II forme un vaste carr� long, auquel on arrive par plusieurs marches ; la facade, tourn�e vers le Forum, produit un tr�s-heau coup d�oeil.
Le temple de Mercure fait pendant a celui de V�nus, mais il est heaucoup plus petit. Le temple de la Fortune, a quelques pas du Forum, fut trouv� incrust� de marbres pr�cieux et charg� d�ornements.
-ocr page 364-360 LES TROIS ROME.
On y monte par huit degr�s; dans Ie sanctuaire �taient deux statues : Tune de femme, et l�autre qu�on dit de Cic�ron, paree que les inscriptions semblaient rappeler Ie c�l�bre Orateur.
Le temple d'Hercule ou de Neptune, situ� dans Ie Forum triangulaire, pr�sente un vaste parall�logramme. A l�entr�e sont deux autels pourl�immolationet le sacrifice des victimes: ces autels carr�s, lourds,nbsp;massifs, �lev�s d�un metre environ, pr�sentent encore les conduitsnbsp;par o� tombait le sang des victimes.
Le tempte d'Isis, ayant aussi deux autels a l�entr�e, est beaucoup plus petit que le pr�c�dent; il forme une sorte de vaste niche, it la-quelle on arrive par de nombreux degr�s; au fond est un autel creuxnbsp;sur lequel �tait la statue de Ia divinit�, et servant de cachette aux pr�-tres qui rendaient des oracles par la bouche de l�idole. L�inscriptionnbsp;suivante, grav�e sur la porte, rappelle le tremblemenl de terre denbsp;Fan 63 et la restauration deT�difice aux frais de N. Popidius Celsinus,nbsp;que les D�curions reconnaissants admirent gratuitement dans leursnbsp;corps ;
N. POPIDIVS. N. F. CELSINVS AEDEM. ISIDIS. TERRA!. MOTV. CONLAPSAMnbsp;A. FVNDAMENTO. P. S. RESTITVIT. HViNC. DECVRIONES. OBnbsp;LIBERALITATEM
CVM ESSET. ANNORVM. SEXS. ORDINI. SVO. GRATIS.
ADLEGERVNT.
Des temples nous passftmes aux �difices publics : le premier dans lequel nous entrftmes, c�est la Caserne. Quel fut notre �tonnement denbsp;lire sur les colonnes et sur les murs des noms, des mots, des dessinsnbsp;plus OU moins bizarres, grav�s avec la pointe d�un sabre ou d�un ja-velot par les soldats, dans l�oisivet� du corps de garde! La cuisine estnbsp;assez remarquable, paree qu�on y trouve des foyers bien conserv�s.nbsp;(c IIs ont, dit M. Mazois, la forme de ce qu�on appelle, en termes eu-linaires, une paillasse, c�est-^-dire d�une esp�ce d�dtre relev�, et ilsnbsp;s��tendent Ie long d�une grande pi�ce, de mani�re ii permettre de fairenbsp;la cuisine pour un grand nombre de personnes. �
Pr�s de la caserne s��l�ve YOd�on et le Grand-Th�dtre, l�un et l�autre tr�s-bien conserv�s. Dans le premier, au bas du Proscenium,nbsp;on lit, sur le pav�, l�inscription suivante en lettres de bronze ;
M. OeVLATIVS M. F. VERVS. II. VIR. PRO. LVDIS.
Tandis qu�elle rappelle le nom du magistral pr�pos� aux specta-
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des, une autre inscription, grav�e sur Ie marbre, dit que Ie th�atre fut construit par les D�cemvirs Quintius et Porcius, avec Ie consente-ment des D�curions.
C. OVINCTIVS. C. F. VALG.
M. PORCIVS. M. F.
DVO. \TR. DEC. DECR.
TIIEATRVM. TECTVM.
FAC. LOCAR. EIDEMQVE. PROD.
Des billets d�entr�e montrent que Ie prix des places n�exc�dait pas quelques sous de notre monnaie. Void la teneur d�un de ces billetsnbsp;pour rOd�on ou Th�atre comique :
CAV. II.
CVN. III.
GRAD. VIII.
CASINAI. PLAVT.
Ce qui veul dire : deuxi�me trav�e, troisi�me coin, huiti�me gra-din pour la representation de Casina, com�die de Plaute. �
Le Grand-Th�amp;tre est un bel edifice auquel il ne manque que les statues de bronze dont il �taitd�cor� : le stuc qui rev�t les parois semble fait d�hier. Une inscription, grav�e sur le c�t� qui regardele templedenbsp;Neptune, apprend que ce th�atre est d� a la lib�ralil� des deux Marcus Holconius, Rufus et Geler, qui le firent �lever pour 1�emhellisse-ment de la Colonie.
M. M. HOLCOM. RVFVS. ET. CELER.
CRYPTAM. TRIBVNAL. THEATR. S. P.
AD DECVS. COLONIE.
On nous fit remarquer que les premi�res places �taient occup�es par les D�curions, les Augustales, ou pr�tresd�Auguste, et les citoyensnbsp;qui avaient le privil�ge du Bisellium : on sail que le Bisellium �taitnbsp;une esp�ce de banc couvert de coussins orn�s de franges, et sur lequelnbsp;on s�asseyait seul au Forum et dans les spectacles publics, quoi qu�ilnbsp;y e�t place pour deux. Les secondes places �taient pour les militairesnbsp;et les divers corps; les troisi�mes et derni�res pour le peuple et lesnbsp;femmes. Cette explication mit en col�re un de nos compagnons, vrainbsp;chevalier francais, et, qui mieux est, parisien de mani�re et d�origine;nbsp;il se r�cria vivement contre Pirapolitesse des P�kins de Panelen monde.
-ocr page 366-362 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
C�est en vain que nous voul�mes Ie calmer, en lui rappelant que les femmes chez les pa�ens �laient esclaves, el trait�es comme telles : il nenbsp;s�en fachait que mieux; si bien que pour dissiper sa col�re chevale-resque, nous ne trouv�mes d�autre exp�dient que de lui faire partagernbsp;une bouteille de lacryma Christi. � Voici, nous disait Thomme quinbsp;nous l�apporta, du vin antico e moderno. � II faisait allusion a Fori-gine de ce vin excellent, produit par les vignes dont reste encore cou-verte la plus grande partie de la malheureuse Pomp�i.
Quelques instants apr�s nous �tions aux Thermes. Ils sont assez bien conserv�s : on y distingue toutes les parties connues de ces sortesnbsp;d��tablissements, o� tout respire la mollesse et Ie sybaritisme. Par unnbsp;exc�s de pr�caution, ceux de Pomp�i sont batis dans une partie de lanbsp;ville qui est � Fabri du vent du nord, et Fon est bien surpris d�ynbsp;retrouver notre sysl�me moderne des calorif�res. On voil que la va-peur, habilement m�nag�e, p�n�trait entre Ie stuc et la muraille, et senbsp;r�pandait dans un espace vide qui r�gne tout autour du calidarium etnbsp;du tepidarium. Au reste, les dimensions �troites de eet �tablissementnbsp;font pr�sumer qu�il n�est pas Ie seul du m�me genre dans cette cit�nbsp;voluptueuse : les fouilles, on peut Fassurer, viendrontun jour cbangernbsp;cette conjecture en certitude. Pr�s du Forum est la Basilique; c��-tait tout ensemble la bourse, Ie rendez-vous des n�gociants et Ie tribunal des juges. Ce grand �difice, en forme de quadrilat�re, a troisnbsp;nefs; celle du milieu est � ciel ouvert; les deux autres sont couvertes,nbsp;et forment chacune deux portiques superpos�s : du portique sup�rieurnbsp;on pouvait voir ce qui se passait, et dans la grande nef et dans Ie tribunal. Dans Ie fond du monument s��l�ve, a six pieds au-dessus dunbsp;sol, Ie tribunal o� si�geaient les magistrals. Perpendiculairement au-dessous de leur banc est un cachot o� nous trouvAmes encore plusreursnbsp;anneaux de fer sc.ell�s dans Ie mur et auxquels �taient fix�es leschainesnbsp;des prisonniers. Ils �taient, dit-on, interrog�s par des ouvertures gar-nies de barreaux de fer et pratiqu�es dans Ie pav� de Fabside. Cettenbsp;forme odieuse de jugement ne devait s�employer que pour les �tran-gers et les esclaves, car les citoyens remains avaient droit a la publi-cit�. Les prisons publiques sont pr�s du temple de Jupiter. Des portesnbsp;tr�s-�troites garnies de barreaux de fer, des cabanons o� Ie jour nenbsp;p�n�trait point, t�moignent de la douceur du syst�me p�nitentiairenbsp;usit� dans Ie paganisme.
Nous descendimes � VAmphith�dtre par une large voie dont les dalles us�es prouvent encore combien �tait fr�quent� ce lieu de carnage et de d�bauche : il pouvait contenir vingt mille spectateurs. La
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EXAMEN DES �DIFICES RELIGIEDX ET CIVILS.
Cavea, ou l�ensemble des degr�s; se divise en trois parties : la premi�re, Prima cavea, au-dessus du podium, �tait r�serv�e aux d�cem-virs, d�curions, magistrals, pr�tres et pr�tresses. La seconde. Media cavea, compos�e de douze gradins, �tait occup�e par les personnes denbsp;distinction, les militaires, etc. La troisi�me. Summa cavea, �tait pournbsp;Ie peuple et les femmes. On compte cent ouvertures par lesquelles lanbsp;foule pouvait entrer et sortir. Ainsi, en supposant que deux personnesnbsp;sortissent a la fois par les quatre-vingts grandes portes, et une seulenbsp;par les vingt autres, et donnant a chacune une seconde pour franchirnbsp;Ie seuil, on trouve que les vingt mille spectateurs pouvaient �tre dehors en deux minutes et demie. Voila pourtant k quoi Ie paganismenbsp;employait son g�nie et ses richesses. Le monument de la Pr�tressenbsp;Eumachia et le Lavoir fix�rent un instant noire attention que r�-clama bient�t V�cole publique. Pr�s de la partie ori�ntale du Forumnbsp;est une belle pi�ce sur les murs de laquelle on lit : Varna discenti-bus : Varna aux �coliers. C�est l�enseigne du maitre, dont Ia chairenbsp;en pierre, plac�e dans un angle, rassemble, si on veut, h celle de nosnbsp;r�gents de coll�ge. Un de nos compagnons s�y assit gravement, et pa-rodiant le professeur Varna, il nous fit une legon de rh�torique. Lenbsp;sujet fut la premi�re phrase de Ia fameuse Catilinaire : Quousquenbsp;tandem abutere, Catilina, patientia nostra? L�illustre professeurnbsp;nous fit sentir toule la beaut� du quousque, du tandem et du patientia; puis il interrogea, d�veloppa, gesticulant, frappant sur la chairenbsp;et rappelant a l�ordre ses �coliers, vrais �grillards qui riaient auxnbsp;�clats, et k qui le moderne Varna finit par donner de nombreuxnbsp;sums, dont la conscience d�aucun est encore charg�e.
De l��cole nous passftmes au Four public. Ce bfttiment, qui ouvre sur la grande rue, a toutes les d�pendances n�cessaires d�un four etnbsp;d�un moulin. On y trouve m�me une �curie pour les b�tes de sommenbsp;qui apportaient le grain et pour celles qui tournaient la meule. Dansnbsp;une vaste pi�ce sont quatre moulins en pierre, dans lesquels on re-marque deux parties bien distinctes ; Tune immobile, 1�autre mobile.nbsp;La premi�re consiste en une base sur laquelle est fix� un c�ne solide ;nbsp;la seconde se compose d�une pierre superpos�e � la premi�re, et quinbsp;�trangl�e vers le milieu s��vase en haut et en bas et forme un doublenbsp;c�ne. L��vasement sup�rieur sert a recevoir le grain; et l��vasementnbsp;inf�rieur couvre le c�ne solide sur lequel il s�adapte. En tournant lanbsp;pierre sup�rieure autour de la pierre inf�rieure, le grain tomb� entrenbsp;deux se concassait, se moulait. La farine se r�pandait autour de lanbsp;partie inf�rieure du c�ne solide, d�o� elle �tait re�ue dans un rebord
-ocr page 368-564 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
circulaire en ferme de gorge profonde, fix� a la base. A la pierre sup�rieure sent adapt�s des anses ou anneaux de fer dans lesquels pas-sait la traverse, tourn�e par les b�tes de somme ou par les esclaves.
Pr�s des moulins est un grand four, enti�rement semblable aux n�tres. Sur une des murailles du Pistrinum, o� l�on manipulait lanbsp;pAte, est peint un sacrifice a la d�esse Fornax. Au-dessus se d�roulentnbsp;les deux serpents qui jouent un r�le si fr�quent parmi les divinit�s denbsp;Pomp�i. Plus loin sent deux oiseaux, les ailes �tendues, Ie bec ouvert,nbsp;se pr�cipitant sur deux grosses mouches, dont Ie contact pourraitnbsp;soullier la p�te : de grosses amphores, trouv�es dans ce four de ville,nbsp;contenaient du pain et de la farine.
Du four nous allAmes a VAuberge. En avant est un portique, dont Ie fond est occup� par plusieurs boutiques, couvertes de peinturesnbsp;grossi�res repr�sentant les comestibles ordinaires. Au milieu du portique se trouve une fontaine avec un abreuvoir, et vers l�extr�mit� unnbsp;certain nombre de r�chauds pour cuire les aliments. Des boutiques,nbsp;on monte par un escalier en bois au premier �tage, derri�re lequelnbsp;s��l�ve une terrasse a plusieurs degr�s d�o� Pon jouissait de la vue denbsp;la mer, des Apennins et du V�suve. Dans l��curie on a d�couvert Ienbsp;squeletted�un �ne avec son mors de bronze, les d�bris d�une charrette,nbsp;les rayons et les bandes des roues. Le portique ext�rieur contenaitnbsp;cinq squelettes humains, entour�s d�une grande quantit� de monnaiesnbsp;d�argent et de bronze, de Irois anneaux d�or, de pendants d�oreillesnbsp;d�or en forme de balances.
Les boutiques sont tr�s-nombreuses � Pomp�i, et r�v�lent une ville de commerce et de mouvement. La plupart se ressemblent pour lanbsp;forme de l��difice et la distribution des parties : c�est partout une ounbsp;deux pi�ces sans aucune d�pendance, avec un banc tant�t simple etnbsp;uni, tant�t perc� de trous ronds dans lesquels on voit des jarres denbsp;diff�rentes grandeurs destin�es � recevoir les huiles, les vins, etc. Gesnbsp;bancs en pierre ont souvent des r�chauds qui servaient � chauffer lesnbsp;boissons au degr� voulu par les amateurs. II parait constant que lesnbsp;anciens en g�n�ral, et les Pomp�iens en particulier, buvaient rareraentnbsp;froid (i). Ces derni�res boutiques bien plus nombreuses que les autresnbsp;s�appelaient Thermopolia. Chose digne de remarque! les boutiquesnbsp;actuelles des environs de Naples sont exactement calqu�es sur cellesnbsp;de Pomp�i: c�est un nouveau fait qui montre combien sont lenaces lesnbsp;habitudes populaires. L�Atelier des marbriers nous en fournit unenbsp;nouvelle preuve. Dans ce local, d�couvert en 1798, on trouva un
(i) Yoycz Bottari, Pitlure e Sculture sacre, t. ii, 170.
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grand nombre de figures et de statuettes plus ou moins avane�es, une horloge solaire, un bloc de marbre � moiti� sci� et la scie � c�t�, desnbsp;�querres, des compas, de la poix grecque qui avait bouilli dans unenbsp;casserole, etc. Enfin, ce qui confirrae l�observation �nonc�e plus haut,nbsp;un oeuf en marbre blanc de grosseur ordinaire. Plac� dans Ie nid o�nbsp;Pon voulait que la poule vint pondre, eet oeuf de marbre r�sistait auxnbsp;coups de bec et �tait a la poule la tentation de becqueter les siens etnbsp;de les casser. Bonnes m�nag�res de Pomp�i, consolez-vous; l�excel-lente recette dont vous faisiez usage il y a dix-huit cents ans, se pratique encore aujourd�hui dans les campagnes environnantes.
Enfin les maisons particuli�res re^urent notre derni�re visite. Je me contente de citer celle des Danseuses ainsi nomm�e a cause des fres-ques qui la d�corenl; celle du Cave Canem ou du Po�te dramatique,nbsp;dont l�entr�e en mosa�que repr�sente un chien a Paltache, dans unenbsp;attitude mena^ante, ayant pr�s de lui ces paroles : Cave canem,� garenbsp;au chien; � ce qui a valu ^ la maison Ie nom qu�elle porie : celle dunbsp;Faun�, avec sa magnifique mosa�que repr�sentant une bataille d�A-lexandre contre les Perses ; celle de Pansa, demeure consulaire, re-marquable par sa bonne distribution et Phabile m�lange de l�utile etnbsp;de l�agr�able : enfin la plus belle de toutes, celle de Diom�de. Ellenbsp;doit son nom � Marcus Arrius Diom�de dont Ie tombeau fut trouv�nbsp;dans Ie voisinage, mais en r�alit� Ie propri�taire est inconnu. Quoinbsp;qu�il en soit du propri�taire, la maison, situ�e a l�entr�e de la ville,nbsp;a trois �tages, avec un jardin carr�, au milieu duquel est un beau r�servoir. La cave, en forme de cloitre, r�gne tout autour du jardin etnbsp;se termine par une porte qui ouvrait sur la mer. C�est la, pr�s decettenbsp;porte fatale, qu�a �t� irouv�e, une bourse pleine d�or ii la main, lanbsp;femme de Diom�de, avec seize autres personnes surprises par l��rup-tion. Dans la cave nous vimes encore de longues rang�es d�amphoresnbsp;� moiti� pleines d�huile et de vin h l��tat solide.
On a tant de fois d�crit les diff�rentes maisons de Pomp�i, que pour �viler les redites je me contenterai d�en parler en g�n�ral, afin qu�onnbsp;puisse m�me de loin s�en former une juste idee. �outes les maisons denbsp;Pomp�i seressemblent. Les principales divisions consacr�es par l�usagenbsp;se r�p�tent dans chacune d�elles, il n�y a gu�re d�autre diff�rence quenbsp;les d�corations et les pi�ces accessoires plus ou moins utiles que Ienbsp;luxe ajoute au n�cessaire. Chaque maison est divis�e en deux partiesnbsp;distinctes : la premi�re renferme toutes les pi�ces d�un usage public,nbsp;et la seconde est destin�e au logement des maitres et aux d�pendancesnbsp;du service.
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006 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
La partie publique se compose des pi�ces suivantes ;
1� Le Protyrum. Du seuil de la raaison, sur lequel on lit souvent : Have, � salut, � vous entrez dans un petit porche ou corridor, c�estnbsp;le protyrum. II est ordinairement d�cor� de peintures ou d�un pav�nbsp;en mosa�que.
2� Le Vestibule ou atrium. Le corridor vous conduit dans l�atrium, espace libre en forme de carr� long, au centre duquel est un bassin denbsp;marbre, deslin� a recevoir les eaux pluviales; autour de l�atriumnbsp;r�gnent difif�rentes pi�ces pour loger les �trangers ou pour recevoirnbsp;les visiteurs, en attendant le moment de la reception.
3quot; Au fond de l�atrium est le TaUinum, grande salie o� le maitre de la maison donnait audience a ceux qui venaient traiter avec iuinbsp;d�affaires publiques ou commerciales.
4� A gauche du tablinum est le Lararium, petit sanctuaire des dicux du foyer. On y voit ordinairement des peintures repr�sentantnbsp;les sacrifices offerts aux dieux lares; rarement un autel, mais souventnbsp;une console sur laquelle on pla^ait les offrandes ou une lampe allum�e.
5� A droite du tablinum, une, quelquefois deux pi�ces appel�es alcB, ailes; esp�ces de cabinets particuliers ou de travail.
6� Enfin �i droite et a gauche deux passages appel�s gorges ou fauces, par ou Ton entre dans la partie priv�e de l�habitation. Pr�s de l� se trouve la loge du portier charg� de garder les appartements int�rieurs. Telle est la partie publique des habitations.
Dans la partie priv�e on rencontre :
1� Le P�ristyle; c�est une galerie soutenue par des colonnes et formant un carr� long, autour d�un jardin ou d�un Xistus, c�est-a-dire d�un parterre plant� de fleurs et d�arbustes. Au centre du jardin senbsp;trouve ordinairement une grande vasque dans laquelle jouaient de pe-lits poissons et dont l�eau s��levait en jets gracieux et vari�s.
2quot; VEx�dre; sur les c�t�s du p�ristyle ouvre \'ex�dre, on salon dans lequel le maitre recevait la visite de ses amis.
3� Le Triclinium ou salie a manger, dont les parois sont couvertes de peintures repr�sentant les sujets des plus vari�s : sc�nes de ven-danges, sc�nes mythologiques, grotesques caricatures, etc.
4quot; L�Oi�cMS, grande salie o� les femmes se r�unissaient pour tra-vailler.
5� Les chambres a coucher, orn�es de peintures, de statues et de mosa'iques.
6� Les cabinets de toilette.
7� Le Sacrarium, esp�ee de chapelle domestique, avec des niches pour les statues des divinit�s protectrices de la familie.
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EXAMEN DES �DIFICES KELIGIE�X ET CIVILS.
8� Les bains, la cuisine, Ie grenier, la cave pour l�huile et pour Ie vin, ainsi que les autres d�pendances n�cessaires d�une maison, �taientnbsp;isol�s des appartements et plac�s sur la partie ext�rieure du p�ristyle.
En g�n�ral, toutes les pi�ces de l�habitation priv�e sont tr�s-petites. Au premier coup d�teil on s��tonne que, sous un climat brulant, lesnbsp;anciens aient pu demeurer dans de semblables appartements; mais ilnbsp;faut savoir qu�ils passaient la plus grande partie de leur temps sousnbsp;de vastes portiques, aux ih�atres, au forum et dans les autres �dificesnbsp;publics : la vie de familie �tait a peu pr�s nulle. C�est qu�en effet lanbsp;femme est l�ame du foyer domeslique. Or, amp; Pomp�i comme dans Ienbsp;reste du monde pa�en, la femme �tait une puissance inconnue, que Ienbsp;Christianisme seul a r�v�l�e, une esclave dont l��vangile seul a bris�nbsp;les fers.
Celte distribution sym�trique et ce plan uniforme des malsons don-nent lieu a plusieurs observations que je r�sumerai tout a l�h�ure. En attendant je finis par o� finissent toutes les choses humaines, les cit�snbsp;aussi bien que les bommes : les tombeaux. A Pomp�i, comme dans lesnbsp;autres villes pa�ennes, ils sont plac�s sur les bords des grandes voies.nbsp;L�id�e de rel�guer les morts dans des cbamps isol�s, �loign�s de la vuenbsp;des vivants, n��tait venue ^ aucun peuple : il fallait la philosophie dunbsp;dernier si�cle, qui ne doutait de rien, paree qu�elle ne se doutait denbsp;rien, pour inventer une anomalie non moins contraire aux habitudesnbsp;g�n�rales des nations qu�aux sentiments de la nature et aux principesnbsp;de la religion.
En sortant de la porte d�Herculanum, on voit d�abord la gu�rlte de la sentinelle. Le soldat qui �tait de faction, au moment de la catastrophe, resta fidele � son poste; mais sa fid�lit� lui couta la vie ; on l�anbsp;trouv� mort, la lance au poing. Pr�s de la gu�rite est le banc circulaire o� les vieux troupiers de ce temps-li devisaient sur les passants,nbsp;racontaient leurs exploits, jouaient aux d�s; et fumaient leur cigare,nbsp;ajoutait un de nos compagnons. A quinze pas, on voit Ph�raicycle, onnbsp;le lieu de la s�pulture donn�e par les D�curions a Mammia, pr�tressenbsp;publique, comme le dit Finscription grav�e sur le grand are :
MAMMIE. P. E. SACERDOTI PVBLIC.E.
LOevS SEPVLTVR. DATVS DECVRIONVM. DECRETO.
Autour de remplacement s�pulcral de Mammia r�gne une banquette demi-circulaire, pr�s de laquelle une pierre tombale pr�sente cettenbsp;aulre inscription ;
-ocr page 372-7)68 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
M. PORC. M. F.
EX. DEC. DECRETO.
IN FRONTEM. P. .XXV.
IN AGRO. P. XXV.
Ce qui veut dire : � Marcus Porcius a regu, des D�curions, un lieu de sepulture de vingt-cinq pieds de largeur sur vingt-cinq pieds de long-gueur. � Ces inscriptions prouvent d�abord qu�un des plus beauxnbsp;t�moignages de reconnaissance et d�estime pour un citoyen, c��tait denbsp;lui donner un lieu de sepulture au nom de la ville. Elies prouventnbsp;aussi, de la part des pa�ens, la crainte que leurs cendres fussent con-fondues avec celles des �trangers : des milliers d�inscriptions �tablis-sent l�universalit� de ce sentiment, dont je donnerai la raison en par-lant des catacombes. Parmi beaucoup d�autres inscriptions, je menbsp;contente de citer celle du superbe mausol�e de Nevoleja Tych� et denbsp;C. Munatius Faustus ;
NAEVOLEIA. I. LIB. TYCUE SIBI ET C. MVNATIO. FAUSTO, AVG. EX PAGANO.
CVl. DECVRIONIS. CONSENSV. POPVLI.
BISELLIVM. OB MERITA. EJVS DECREVERVNT HOC MONVMENTVM. NA5VOLEIA. TYCHE. LIBERTIS. SUISnbsp;UBERTABVSQ. ET. C. MVNATl. FAVSTI VIVA FECIT (l).
Apr�s avoir parcouru la voie des Tombeaux, nous jetames, avant de remonter en voiture, un dernier .regard sur Pomp�i. Adieu, cit� pro-videntielle; bien diff�rente de tant d�autres villes tomb�es, sans laissernbsp;de vestiges, sous les coups des barbares, tu fus r�serv�e pour l�instrue-tion des races futures : l��pouvantable catastrophe qui t�a mise dansnbsp;la tombe t�y conserve vivante, ensevelie sous une couche de cendres.nbsp;Monument ancien et nouveau, tu montres non plus seulement dans lesnbsp;livres, dans des souvenirs et dans des ruines, mais dans une r�alit�nbsp;palpable, Ie paganisme lel qu�il �tait, voluptueux, cruel, �go�ste. G�estnbsp;h peine si Ie quart de ton enceinte est d�couvert; et d�ja nous avions
(i) C�est-a-dire : Nevoleja Tych�, premi�re affranchie, a elle-m�me et a C. Munalius Faustus, du faubourg d�Auguste (1), auquel les d�curions avec Ie consentement dunbsp;peuple out accord�, a raison de ses m�rites, 1�honneur du Bisellium, a fait ce monument. Nevoleja Tych� 1�a fait de son vivant pour ses alfranchis et pour ses affrancbies,nbsp;et pour C. Munatius Faustus.
C��tait Ie nom d�un faubourg de Pomp�i.
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R�FLEXIONS.
compt� neuf temples, deux th�itres, un amphith�atre, des thermes, deux forum, une basilique, une easerne; pas un h�pital!! Partout dansnbsp;tes temples, dans tes carrefours, dans tes rues, dans tes maisons desnbsp;idoles monstrueuses et des peintures obsc�nes, vivants t�moins de l�in-famie de ton culte et de l�abomination de tes moeurs; puls dans Ie luxenbsp;et dans la distribution m�me de tes habitations, Ie sensualisme abject,nbsp;l��go�sme et l�absence de la vie de familie. Adieu, Pomp�i, page denbsp;Peffrayante histoire du monde pa�en, lu en apprends plus sur la d�-gradation de Thumanit� que tous les livres des sages. Grace a toi, Ienbsp;miracle qui r�g�n�ra l�univers resplendit a mes yeux d�un �elat plusnbsp;vif que Ie beau soleil qui brille sur ta tombe entr�ouverte.....
Pourtant, au milieu de cette Babylone, il est a croire que Dieu comptait quelques �lus : un signe sacr� trouv� dans la maison denbsp;Pansa, semble prouver qu�il y avait des cbr�tiens a Pomp�i. Nous sa-vons d�ailleurs que saint Pierre avait pass� a Naples en 44; que saintnbsp;Paul trouva des fr�res a Pouzzoles en 59. Est-il croyable que vingt ansnbsp;apr�s Ie passage de saint Paul, et trente-cinq apr�s celui de saintnbsp;Pierre, une ville aussi importante que Pomp�i, et ii peine �loign�e denbsp;quelques lieues, ne poss�dat aucun disciple de P�vangile?
23 F�YRIER.
Les Studj, OU Mus�e Bourbon. � Vie rcligieuse. � Vie publique. � Vie priv�e .nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;des anciens.
fl
En 1756, Ie c�l�bre abb� Barth�lemy �crivait de Rome : � Je monte bien souvent au Capitole. La premi�re fois que j�y entrai je sentis Ienbsp;coup de l��lectricit�, et je ne saurais vous d�crire I�impression que menbsp;firent tant de richesses rassembl�es. Ce n�est plus un cabinet, c�est Ienbsp;s�jour des dieux de l�ancienne Rome, c�est Ie lyc�e des philosophes,nbsp;c�est un s�nat compos� de rois de l�Orient, que vous dirai-je? Un peu-ple de statues habite Ie Capitole : c�est Ie grand livre des antiquaires. �nbsp;Si Ie Capitole est Ie grand livre des antiquaires, Ie mus�e de Naplesnbsp;peut �tre appel� Ie second volume de ce grand livre; et je ne crainsnbsp;pas d�ajouter que ce second volume est bien plus int�ressant que Ienbsp;premier. La vous avez la repr�sentation, ici la r�alit�. Aux statues desnbsp;dieux, des rois et des grands bommes qui font du Capitole un olympe,nbsp;un s�nat, un lyc�e, Ie mus�e de Naples ajoute tous les objets qui ser-vaient � la vie religieuse, publique et priv�e des anciens, et jusqu�auxnbsp;aliments m�mes dont ils se nourrissaient. L�impression que nous
370 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
�prouvAmes en Ie visitant fut d�autant plus vive que la vue des Studj corapl�tait la visite de Pomp�i et les souvenirs de Ba�a.
Or, Ie mus�e de Naples, v�ritable bazar d�HercuIanum et de Pomp�i, est tellement riche que, vu la multitude innombrable d�objets de tontnbsp;genre qu�il of�re a la curiosit� du voyageur (i), il est ii peu pr�s impossible de Ie visiter avec fruit, si on ne Ie visite avec ordre.
Hier nous avions �tudi� Pomp�i sous Ie rapport religieux, civil et domestique; il �tait naturel de suivre Ie m�me plan dans l�examen dunbsp;Mus�e. Ainsi nous rapportames tous les objets a trois grandes cat�go-ries : la vie religieuse, la vie publique et la vie priv�e des anciens.
I. Vie religieuse. Les temples de Pomp�i sont, il est vrai, tr�s-bien conserv�s, mais ils sont veufs de leurs dieux, de leurs pr�tres et denbsp;leur mobilier. Entrez au mus�e Bourbon : voici l�Olympe avec sesnbsp;habitants; replacez-les par l�imagination dans les niches que vous aveznbsp;vues la veille, et Ie temple est anim�, Ie spectacle est complet. Jupiter,nbsp;Mercure, Ganym�de, Bacchus, Flore, Junon, Pallas, V�nus, Ibis, S�ra-pis, Apollon, les dieux publics el domestiques, toutes les divinit�snbsp;sont la, en bronze, en marbre, dans toutes les dimensions, avec leursnbsp;attributs divers, et cette beaut� de forme que savait donner i ses ceu-vres Ie ciseau cr�ateur des Grecs. Apr�s les dieux viennent les instruments de leur culte. Voici des autels de toutes formes; regardez celuinbsp;qui est i votre*droite, il vous montre encore quelques restes d�une vic-time. A c�t� sont deux Lectisternium, Hts sacr�s ou larges consolesnbsp;sur lesquels on plagait les vases sacr�s et les images des dieux; unnbsp;superbe r�chaud avec son tr�pied pour l�usage des parfums et desnbsp;libations; les couteaux des victimaires, les vases pour recevoir Ie sang;nbsp;Ie petit autel des aruspices avec les instruments pour fouiller et examiner les entrailles des viclimes; les palettes pour recueillir les cen-dres; les cand�labres ^ trois, � quatre, amp; cinq branches; les pat�resnbsp;pour les libations; les fifres, les trompettes, tous les instruments denbsp;musique sacr�e.
Afin d�animer tous ces objets, passons dans Ia galerie des fresques. Voyez les pr�tres et les assistants, accomplissant une grande c�r�monie dans l�int�rieur d�un temple. Tout parait en mouvement, et pournbsp;peu qu�on soit familier avec les usages anciens, on suit dans tous sesnbsp;d�tails l�ordre du sacrifice et de la f�te; on croit entendre l�harmonie
(i) Lorsque nous Ie parcour�mes, Ie mus�e Bourbon contenait 1684 objels d�antiqui-t�s �gj'ptiennes; 110 grands bronzes; 1830 statues, bustes, bas-reliefs en marbre; 6093 objets en terre cuite; 1300 lampes; 2197 objets en verre; 14,000 objets pelitsnbsp;bronzes; 2600 vases grecs et ctrusques; 2000 peintures; 1700 papyrus, etc., etc.
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des trompettes et des cors, Ie son bris� du fifre, et Ton voit les poses myst�rieuses du pr�tre, dansant a la l�te de Torchestre qui Ie suit.nbsp;Enfin la fum�e, la flamme, les ibis et Ie bel ordre de la foule recueillienbsp;vous transporteront au milieu du temple et vous croirez faire vous-m�me partie du cortege.
Nous venions d�assister a une c�r�monie solennelle dans un temple public; il fallait voir Ie culte domeslique s�accomplissant dans Ie secret de chaque familie. Les Lararium et les Sacrarium, visit�s lanbsp;veille, �taient pr�sents a notre imagination : aujourd�hui rien de plusnbsp;facile que de les contempler tels qu�ils �taient il y a dix-huit si�cles anbsp;certaines heures du matin et du soir, alors que toute la familie s�ynbsp;r�unissait. Les petits autels des dieux Lares, incrust�s d�argent; lesnbsp;dieux m�mes en bronze, en marbre, d�licatement travaill�s; les r�-chauds �l�gants, les vases, les coupes, la cendre m�me, et les restesnbsp;des ofifrandes existant encore sur les autels dans Ie m�me �tat o� ils fu-rent saisis par l��ruption du V�suve : toutes ces choses que vous voyeznbsp;de vos yeux, que vous touchez de vos mains, vous rendent pr�sent auxnbsp;c�r�monies du culte domeslique.
Si on ajoute � cela les embl�mes religieux, les amulettes, plac�s sur la porte des maisons pour les pr�server des influences des mauvaisnbsp;g�nies, les cippes des carrefours, des forum, des fontaines, en un molnbsp;cette foule d�objets religieux dispos�s a chaque pas dans les maisonsnbsp;et dans les rues, on se trouve en plein paganisme; et l�on voit Ie pau-vre idoMtre tant�t la coupe de libations a la main, taiit�t la pat�renbsp;charg�e de fleurs, de fruits, de gateaux, incessamment prostern� de-vant des dieux tour � tour cruels, hideux, ridicules et presque tou-jours inf�mes.
II. Vie publique. � Aux forum et aux basiliques il ne manquait hier que des promeneurs, des juges et des n�gociants; aux th��tres,nbsp;des acteurs et des spectateurs; a ramphith��tre, des gladiateurs; auxnbsp;thermes, des baigneurs; aux lavoirs, des blanchisseuses; aux boutiques, des marchands : aujourd�hui nous allons voir ces diff�rentsnbsp;personnages avec leur costume ordinaire ou de circonstance ; lousnbsp;habitent Ie mus�e Bourbon. Ce qui frappa d abord n�s regards futnbsp;ce peuple de statues, vives images des hommes et des femmes quinbsp;avaient parcouru comme nous les rues de Pomp�i, qui avaient remplinbsp;cette ville du bruit de leur nom, ou que leur naissance, leur dignit�,nbsp;leur importance historique avail admis au droit de cit�.
Les uns sont a cheval, les autres a pied, tous dans Ie costume du temps, accomplissant quelque devoir public ou se livrant aux occupa-
-ocr page 376-572 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
tions ordinaires de la vie. Mareus-Nonius-Balbus Junior, et Marcus-Nonius-Ealbus, Senior, pr�sident aux repr�sentations th�atrales d�Her-culanuni. P�riandre, Lyeurge, Cic�ron, Publicola, D�mosth�ne, Euri-pide, Sophocle, H�rodote, �crivent, parlent, commandent. Voiei dans Ie forum des Pomp�iens qui se restaurent en buvant les liquides alorsnbsp;en usage; d�autres sont occup�s a lire les affiches et� regarderdeuxnbsp;belles statues �questres. En voiei un qui essaie de nouvelles sandales,nbsp;qui ach�te. des vases neufs et, par �conomie, de vieux ustensiles; ce-lui-la mange des croquets, celui-ci de la viande. Voil� un marchandnbsp;d'habits-galons qui porte tout son magasin sur son dos : devant lui,nbsp;la pratique qui marchande. A deux pas, des pelits gargons et des pe-tites lilies vont gaiment a l��cole, et un jeune artiste copie une statuenbsp;�questre qui surplombe sur son pi�destal. Tournez a gauche, et vousnbsp;�tes heureusement t�moin d�une bonne action. Des dames font 1�au-m�ne a un pauvre aveugle conduit par un chien. Qui sait? celles-lanbsp;peut-�tre �taient chr�tiennes. D�autres femmes accourent au-devantnbsp;de la foule poui^ vendre et acheter; tandis que les voisines, suivantnbsp;l�antique usage, bavardent avec les comm�res du quartier.
� Entrons znaintenant au th�atre. Les chaises curules, les bisellium, les contre-marques m�mes que ces hommes prenaient pour s�asseoir,nbsp;ily a dix-huit si�cles, sur ces m�mes degr�s que nous avions occup�snbsp;la veille, sont I�, expos�s a vos regards, parmi les petits bronzes. Lesnbsp;restes des machines employ�es pour tendre Ie voile du th��tre de Pomp�i se trouvent encore � leur place. Quant au voile lui-m�me qui nenbsp;pouvait r�sister � Paction du temps, il est conserv� dans la fresque repr�sentant Ie Siparium, ou voile tout entier, de mani�re � �tonnernbsp;les plus grands connaisseurs en fait d�antiquit�s et de beaux arts.
D�sirez-vous connaitre les diff�rentes professions et manier les armes offensives et d�fensives, les outils, les instruments, les �critoi-res, les poids et les balances de ces hommes morts depuis tant denbsp;si�cles, si diff�rents de nous par les moeurs, par Ie langage, par la religion, et croyons-nous peut-�tre, par les usages ordinaires de la vie?nbsp;il suffit d�ouvrir les yeux et d��tendre la main. Quel �tail Puniformenbsp;des nomhreuses troupes de gladlateurs qui vendaient leur vie pournbsp;amuser Ie peuple? quelle �tait Par mure de ces soldats remains quinbsp;firent la conqu�te du monde? regardez, louchez ; leurs lances, leursnbsp;�p�es, leurs poignards, leurs boucliers, leurs casques, leurs �perons,nbsp;les brides des chevaux sont la, ainsi que les chaines qu�on mettait auxnbsp;pieds des l�gionnaires indisciplin�s. A. celle que vous voyez suspenduenbsp;sous des faisceaux d�armes, �taient attach�s cinq soldats dont lesnbsp;squelettes ont �t� retrouv�s dans la prison militaire.
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Messieurs les membres de nos acad�mies et de nos instituts, savants du dix-neuvi�me si�cle, �ies-vous curieux de connaitre vos pr�d�ces-seurs, et de les voir a l�oeuvre dans leur cabinet? Entrez; en voici unnbsp;qui compose, il tient d�une main son stylet, de l�autre la tablette en-duite de cire : son front est soucieux; il est en travail de quelque noble pens�e. Son voisin parcourt un papyrus; des femmes savantesnbsp;sont la dans la m�me attitude : plumes, encrier, encre, papier de dif-f�rentes esp�ces, et sur ce papier des phrases et des ratures; tout estnbsp;la sous vos yeux, et vous pouvez, avec la permission du cicerone, Ienbsp;prendre dans vos mains. Demandez-vous quelque chose de plus?nbsp;H�las! j�ai a vous montrer, sur ce m�me papier, les teignes imperti-nentes qui attent�rent aux oeuvres du g�nie; mais, en punition de leurnbsp;crime, elles sont carbonis�es comme Ie papier m�me. Peut-�tre seriez-vous flatt�s de voir une biblioth�que du si�cle d�Auguste? En voicinbsp;les rayons et les montants avec des incrustations en bois, en argent,nbsp;en bronze, que vous pouvez recommander aux �b�nistes de Paris.
Adieu a la science; salut au commerce. Voulez-vous acheter des lampes, et surtout des lampes a deux becs? Voici 1�enseigne du mar-chand : c�est une t�te de boeuf portant une lampe a deux becs et d'unenbsp;proportion d�mesur�e, comme Ie gant, Ie chapeau, la botte rouge quinbsp;servent d�enseigne a nos gantiers, a nos chapeliers, a nos bottlers dunbsp;dix-neuvi�me si�cle. On trouve, dans Ie magasin, des lampes, desnbsp;cand�labres en terre et en bronze de toutes les formes, de toutes lesnbsp;grandeurs, vernis et non vernis. Vous faut-il des lampes h pied, desnbsp;lampes sans pied, des lampes orn�es de bas-reliefs? II y a de quoinbsp;choisir; en voici une qui conserve encore sa m�che. Deux choses vousnbsp;�tonneront : c�est la perfection du travail et Ia ressemblance que lesnbsp;flambeaux d�autrefois ont avec les n�tres. Avez-vous besoin de lanternes? il est difliclle d�en trouver de plus �l�gantes et de plus solides quenbsp;celles de Pomp�i. Les unes ont pour manche un joli tigre; les autresnbsp;ont des parols en talc, esp�ce de pierre transparente, ou en corne, afinnbsp;d��teindre un peu la lumi�re et de r�sister au choc.
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Cherchez-vous de l�huile ou du vin vieux? entrez dans un Thermo-polium. Les amphores, les jarres en sont pleines; et si vous craignez que Ie marchand vous trompe, v�rifiez ses poids, ses mesures, ses balances ; tout est la. Le setier et Ie triangle, pour constater Ie niveaunbsp;des liquides, ressemblenl parfaitement ^ ceux dont les Napolitainsnbsp;font encore usage. Voici le pied romain, il est en os, ainsi que d�autresnbsp;mesures. La plupart des poids sont en pierre ou �n plomb; ces der-niers portent �crit d�un c�t� : Eme, ach�te; et de l�autre, Habebis,
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tu auras. Ce qui rappelle assez bien l�enseigne de nos perruquiers francais : Demain on rase icipour rien; ou celle de quelques d�tail-lants napolitains : Aujourd�hui on ne fait pas cr�dit; eest demain.
Mais vous �tes malade, au lieu de boisson et de nourriture il vous faut des rem�des : la pharmacie est ouverte. Une jolie petite caissenbsp;pleine de drogues vous pr�sente des p�tes pr�par�es en forme de cy-lindre pour faire des pilules, et des pilules m�mes loutes failes. Unenbsp;op�ralion est peut-�tre indispensable; il faut vous arracher une dent,nbsp;OU vous couper un bras; voici Ie chirurgien. Sa trousse, Ir�s-volumi-neuse, est �tal�e ^ vos regards, et les onguents, dont il faudra composer Ie premier appareil, sont renferm�s dans d��l�gantes boites denbsp;poche, conjointement avec de petits instruments de chirurgie. Si votrenbsp;cheval a besoin d�une saign�e, l�artiste v�t�rinaire est la avec ses lan-cettes; il peut m�me vous olFrir de la charpie tr�s-bien conserv�e. Lanbsp;collection des instruments de chirurgie, trouv�s a Pomp�i, fait encorenbsp;l�admiration des hommes de Tart: vari�t�, richesse, �l�gance; elle nenbsp;laisse rien a d�sirer.
11 y a longtemps que nous voyageons, notre linge a besoin d��tre lav�; mais nous voulons qu�il soit lav� a l�antique, comme on lavaitnbsp;celui d�Auguste, de Titus, de Nonius ou de Munatius Faustus. D�j^nbsp;nous avons vu Ie lavoir public, sa grande chaudi�re, ses diff�renlesnbsp;pi�ces pour reoevoir, conserver, battre ou s�cher Ie linge. Si cela nenbsp;suflit pas, une belle fresque, contemporaine de l�op�ration, nous lanbsp;fait connaitre dans ses plus grands d�tails. Elle montre que lesnbsp;hommes, les femmes et m�me les enfants travaillaient �galeraent anbsp;l�oeuvre essentielle de l��conomie domestique. Les uns reticent Ie lingenbsp;de la chaudi�re et Ie mettent sous presse pour exprimer l�eau qu�ilnbsp;contient; h c�t� d�eux est leur lampe avec la burette d�huile, afin denbsp;pouvoir prolonger leur travail pendant la nuit; les autres portent lesnbsp;tissus aux laveuses qui les passent dans des vases de m�tal. Voici desnbsp;jeunes geus qui pressent les draps dans des conques; quelques-uns denbsp;leurs camarades les �tendent, et d�autres portent Ie banc de lessivenbsp;semblable a celui que nous connaissons. Pendant qu�ils cherchentnbsp;noise ^ des femmes occup�es au m�me travail, la maitresse blan-chisseuse donne un morceau de linge a une petite fille bien sage, quinbsp;Ie regoit en �coutant avec attention les recommandations de sa sup�rieure.
Quitlons un instant la ville dont nous connaissons les habitants et les arts; une promenade a la campagne nous sera d�autant plusnbsp;agr�able que nous pouvons la faire sans sortie du Mus�e. Les beaux
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fruits de la Campanie n�ont pas chang�depuis la destruction de Pomp�i, on peut en juger et par ceux qui sont peints et par ceux qui sont con-serv�s. La mani�re d�arroser est la mfime. Voyez ce jardinier qui conduit son Sne charg� d�amphores et couvert du simple liarnais que vousnbsp;pouvez reconnaitre chaque matin sur la place du Mercato. Le jour ounbsp;Ton tue le pore est une f�te pour la familie de la campagne, il.en �taitnbsp;de m�me au temps d�Auguste. Les r�gies de I�agricuUure n�ont pasnbsp;plus vari� que les principes de F�conomie domestique. Les Pomp�iensnbsp;d�autrefois labouraient comme les Campaniens d�aujourd�hui. Voicinbsp;leurs instruments aratoires, leurs pioches, leurs hoyaux, leurs selles,nbsp;leurs pics, leurs crocs, leurs fourches, leurs rateaux, et jusqu�au ra-cloir pour nettoyer la charrue.
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Les bergers sont ins�parables des cullivateui�s. Cette fresque de dix-huit si�cles vous montre, dans leurs costumes et dans leurs habitudes, les pasteurs de ce beau pays de Naples. Ils suivent leur trou-peau qui bondit dans la plaine verdoyante; deux petits p�lres traientnbsp;une ch�vre, dont leur camarade revolt le lait dans un vase; d�autresnbsp;pressent le lait et en font la ricotta, encore si recherchee des Napoli-tains et m�me des Remains : ils la d�posent dans un panier; et voici,nbsp;dans le mus�e, les restes de ces antiques paniers, soigneusement con-serv�s parmi les objels pr�cieux. Pendant 1�op�ration, un autre bergernbsp;joue du chalumeau, et si cet instrument, fait d�un simple roseau,nbsp;n�a pu r�sister au temps, voici la cornemuse, mont�e en bronze et gar-nie d�os: I�outre, qui �tait en peau, a �t� consum�e; mais vous pouveznbsp;toucher la jolie chainette en bronze qui suspendait I�instrument cham-p�lre au cou du berger. Vous serail-il agr�able d�entendre la clochettenbsp;ou le grelot suspendu au cou des cb�vres, des brebis, des bceufs ounbsp;des vaches du si�cle de Titus? lirez ce petit cordon qui pend � I�ar-moire; pr�tez I�oreille, et vous entendrez un son rauque ou argentin,nbsp;enti�rement semblable a celui qui, chaque matin, vous r�veille, alorsnbsp;que les bergers conduisent leurs vaches et leurs cb�vres dans les ruesnbsp;de Naples.
Ce spectacle nous oblige a faire r�paration d�honneur au chanlre des �glogues. Nous avions cru que les bergers de Virgile �taient desnbsp;�tres imaginaires, dont le po�te avait cr�� le type, les habitudes, lesnbsp;moeurs, les plaisirs et le langage : il n en est rien ou presque rien.nbsp;G�ographe lorsqu�il d�crit la grotte de la Sibylle et le lac Averne, Virgile est histori�n lorsqu�il chante la vie pastorale.
III. Vie priv�e. � Qu��taient dans l�int�rieur du foyer domestique ces hommes que nous avons vus dans les temples, dans les villes et
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dans les campagnes? Quelles �taient leurs habitudes, leurs meubles, leurs ustensiles, les objets de luxe ou de n�cessit� dont ils se servaient?nbsp;II est facile de satisfaire notre curiosil�. Et d�abord, nous pouvonsnbsp;prendre part aux jeux des enfants. En voici des troupes qui s�amusent;nbsp;suivant l�usage, l�un rit, l�autre pleure; celui-Ia boude, celui-ci jouenbsp;tranquiyement pendant que son voisin caresse un petit chat. Petitsnbsp;gargons et petites filles jouent aux osselets, et ces osselets ne sont pasnbsp;ici en peinture, mais en r�alit� : il vous est loisible de les prendre etnbsp;de jouer comme ceux qui s�en servaient il y a dix-huit si�cles. II en estnbsp;de m�me des joyeux sabots, et des v�n�rables toupies qui firent tantnbsp;courir les petits Pomp�iens, et qui ont conserv� Ie privil�ge d�en fairenbsp;courir bien d�autres. Vous avez vu trotter dans les all�es du Luxembourg la voiture aux ch�vres qui fait, chaque jour, Ie bonheur de plu-sieurs centaines de inioches parisiens : les mioches de Pomp�i lanbsp;connaissaient aussi. Les ch�vres sont mortes; mais la voiture existe :nbsp;regardez, elle est en bronze, � quatre roues, et d�un travail tr�s-soign�.
Mais s�il y a temps de r�cr�ation, il y a aussi, m�me pour les enfants, temps de labeur ; voyons-les a 1�oeuvre. Avez-vous besoin de sandales? demandez-en a ce jeune cordonnier qui travaille Ie neznbsp;baiss� sur son ouvrage. Vous faut-il une caisse? l�apprenti menuisiernbsp;vous en fait une : ainsi des autres objets et des autres m�tiers. Ce n�estnbsp;pas tout; les enfants de tous les pays ont un penchant bien connu �nbsp;imiter tout ce qu�ils voient faire; souvent m�me ils ont un attrait particulier pour repr�senter les c�r�monies de la religion. Chose bien re-marquable! les enfants de Pomp�i avaient Ie m�me go�t : tant il estnbsp;vrai que Thomme est naturellement religieux. En voici trois qui sontnbsp;tout occup�s a offrir une libation autour d�uu monument; d�autresnbsp;c�l�brent un sacrifice; et vous pouvez toucher de vos mains les petitsnbsp;couteaux et les petites pat�res, les petits vases et tous les autres objetsnbsp;destin�s � l�immolation de la victime suppos�e.
Des enfants passons aux grandes personnes: je ne parle pas des caricatures d�ja connues des anciens, elles couvrent les fresques des dif-f�rentes pi�ces; examinons seulement les meubles et les ustensiles de m�nage. A la cave sont de nombreuses rang�es d�amphores, grisAtres,nbsp;longues, au cou �troit, simples ou avec deux anses; la plupart en terrenbsp;cuite non vernies : celles-la contiennent l�huile, celles-ci Ie vin et lesnbsp;autres liqueurs. Dans ce vase perc� de petits trous et appel� Glira-rium, on conserve Ie loir vivant; on Fengraisse et on Ie mange quandnbsp;on veut. Cet autre vase plein contient du bl�, de Forge, des f�ves;
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VIE PRIV�E.
vous pouvez en prendre et m�me en semer. Voici les mortiers avee leurs pilons, les �cuelles avec leurs couvercles, les moutardiers, lesnbsp;verres de table avec cette engageante inscription : Bibe, amice, denbsp;meo : � Bois, ami, de ce que je contiens. � Parmi ces verres, il en estnbsp;de polis et de diverses couleurs; d�autres ont une anse et beaucoup ennbsp;ont deux. Les petites tasses bleues que vous voyez n�ont pas encorenbsp;servi : elles allaient partir au moment de l��ruption; car elles furentnbsp;trouv�es soigneusement emball�es les unes dans les autres, entour�esnbsp;chacune d�une l�g�re couche de paille, suivant la m�thode encorenbsp;suivie par nos marcbands de verres et de faience.
Dans notre si�cle des lumi�res on a pris je ne sais combien de brevets d�invention pour des fourneaux �conomiques : il est piquant de voir l�antiquit� de cette d�couverte moderne. Voici un fourneau exac-tement semblable a ceux que nous c�nnaissons, dans lequel on faisaitnbsp;cuire, bouillir, r�tir plusieurs cboses � la fois; seulement il est ennbsp;bronze, tandis que les n�tres sont en fonte : progr�s! A droite et hnbsp;gaucbe brillent les marmites et les casseroles, la plupart argent�es anbsp;rint�rieur; les moules pour la patisserie, les passoires, les cuvettes, etnbsp;m�me les pincettes pour prendre Ie feu. Voulez-vous savoir a qui ap-partenait Ie beau vase plac� sur cette console? l�inscription vous ditnbsp;qu�il fut la propri�t� de M�'= Camelia Schelidoni -.Camelice Schelidoni.nbsp;J�ai Ie regret de ne pouvoir rien vous apprendre de plus sur cettenbsp;dame pomp�ienne, dont Ie bon go�t est d�ailleurs incontestable. Lanbsp;grande bouilloire qui est a c�t� du vase m�rite une attention particu-li�re. Le robinet plac� sur Ie flanc, bien au-dessus du fond, donne lanbsp;facilit� d�avoir tant�t de l�eau bouillante, tant�t une d�coction denbsp;fleurs ou de plantes d�pos�es dans la partie de la bouilloire inf�rieurenbsp;au robinet. Regardez encore ce r�chaud; il est quadrangulaire,lepour-tour repr�sente les murailles d�une ville avec leurs tours et leurs cr�-neaux : toute cette enceinte est creiise, et contient l�eau qui, une foisnbsp;en �bullition, sort a volont� par un robinet plac� sur le c�t�. Lesnbsp;tours ont un couvercle, qui s�ouvre lorsqu�on a besoin de la vapeur denbsp;l�eau bouillante, pour temp�rer Fair trop rar�fi� par le feu.
De la cuisine il est naturel d entrer dans le Triclinium, ou salie � manger. La table est mise et couverte de solxante-douze pi�ces d�ar-genterie; les assiettes, les soupi�res, le plateau, les cuillers et les four-chettes sont a peu pr�s semblables � ceux dont nous faisons usage;nbsp;seulement les fourchettes ont la queue toute droite, et les verres, d�unenbsp;grande dimension, sont garnis de deux anses : ce qui semblerait prou-ver que les anciens buvaient de fortes rasades et buvaient h deux
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mains. Mais les aliments? Voici de la farine; du levain envelopp� dans la serviette, dont la marque est encore visible; du pain avec Ie nomnbsp;du boulanger ; Eris. q. Cram. Re. Ser.; des galettes et des croquets;nbsp;du froment, de l�orge, du millet, du riz, du son, des glands, du ch�-nevis, des f�ves, des lentilles, des carroubes, des amandes, des chdtai-gnes, des noix, des oignons, des daltes, des figues, de l�huile dans unnbsp;bocal, qui se liqu�fie encore a la chaleur, de la viande dans une casserole d�argent, enfin des mufs frais..... de deux mille ans. Tous ces
objets, d�un usage journalier, sont ld, tels qu�ils furent trouv�s, la plupart dans les m�mes vaisseaux de terre, de bronze ou d�argent, o�nbsp;les avaient d�pos�s, il y a tant de si�cles, les malheureux habitantsnbsp;d�Herculanum et de Pomp�i.
Quant aux objets de luxe, Ie nombre en est immense; ils �galent, s�ils ne surpassent, par la richesse de la mati�re et la beaut� du travail, ce que nous avons de plus parfait. La vanit� est ancienne dans Ienbsp;monde f�rainin; et les dames de Pomp�i paraissent y avoir sacrifi�nbsp;largement. Brasselets d�or, en forme de serpents, pour Ie haut du brasnbsp;et pour Ie poignet; colliers �galement en or avec des pierres pr�cieu-ses; cam�es d�une valeur inestimable; ornements de tout genre : telsnbsp;sont les brillants t�raoignages de cette infirmit� tant de fois s�culaire.nbsp;Dans ce riche magasin de nouveaut�s, nous trouvdmes d��l�gantesnbsp;vlsiteuses qui s�extasiaient, qui s�exclamaient d�admiration et qui, d�-vor�es du d�sir d�avoir des brasselets ou des colliers a la Pomp�ienne,nbsp;demandaient : � Combien co�terait ceci? que c�est beau! quel travailnbsp;exquis! �
Laissant a leur jouissance ces dignes liiles de leurs a�eules, nous voul�mes, avant de quitter Ie Mus�e, parcourir Ie eerde entler de lanbsp;vie humaine : il nous restait a voir la mort et les c�r�monies qui 1�ac-compagnaient. Voici Ie fun�bre cort�ge, avec les pleureuses oblig�esnbsp;et les images des anc�tres; dies sont suivies du Silicernium et denbsp;l�urne qui contient les cendres du d�funt. Les bas-reliefs du mausol�enbsp;redisent les actions du mort; plus loin est Ie Triclinium fun�raire,nbsp;dans lequel une foule de Pomp�iens, coucb�s sur des lits, participentnbsp;au repas consacr� amp; la m�moire de ceux qu�ils ont perdus. Pour quenbsp;ce spectacle ne soit pas une simple repr�sentation, voyez ces morts de
dix-huit si�cles.....Momies a moiti� d�couvertes, ils sont couch�s dans
leur tombe, et ces squeleltes, noirs comme du charbon, conservent encore une partie de leurs cheveux.
Commenc� dans les ruines de Ba�a, continu� dans les �difices de Pomp�i, compl�t� dans les galeries du mus�e Bourbon, notre voyage
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LE V�SDVE.
au milieu de l�antiquit� pa�enne �tait fini; quelle impression nous en reste-t-il? A Ia vue de ces maisons, de ces meubles, de ces usages,nbsp;semblables aux n�tres, bien qu��g�s de deux mille ans, on se dit : IInbsp;n�y arien de nouveau sous Ie soleil; ce qui est, est ce qui fut et ce quinbsp;sera. Enferm� dans un eerde dont il ne lui est pas donn� de franchirnbsp;les limites, Fhomme avance et recule tour amp; tour. Ce qu�il savait hier,nbsp;il l�oublie aujourd�hui; demain il Ie retrouve et, croyant Favoip in-vent�, il cbante son progr�s. En fait d�arts, de constructions et denbsp;luxe, les anciens sont encore nos rivaux et tr�s-souvent nos maitres.nbsp;Pour les �galer, deux choses nous manquent: la richesse et l�escla-vage. Mais sous Ie voile brillant d�une civilisation mat�rielle, �lev�enbsp;Jusqu�aux derni�res limites, I�mil aperQoit une soci�t� d�vor�e d��-go�sme, us�e de d�bauches, et hideuse de crimes dont Ie souvenirnbsp;seul fait palir. Les preuves palpables de cette incroyable d�gradationnbsp;sont la, et semblent avoir �t� conserv�es non-seulement pour justifiernbsp;les auteurs pa�ens et les P�res de T�glise, qui trac�rent Ie tableau desnbsp;mceurs romaines; mais encore pour apprendre au voyageur �pou-vant�, qu�ils n�ont pas tout dit, qu�ils n�ont pu tout dire. En pr�sencenbsp;de ces irr�cusables t�moins, Ie ebr�tien b�nit dans toute Teffusion denbsp;son cffiur Ie Dieu dont l�infinie mis�ricorde a renouvel� la face de lanbsp;terre, et il ajoute, en adorant sa redoutable justice : Si les arts, la Religion, les spectacles, les habitudes g�n�rales sont l�expression d�unenbsp;�poque, d�un peuple et d�une ville, Herculanum et Pomp�i m�ritaientnbsp;l�horrible chatiment qui les an�antit.
24 FEVRIER.
IjC V�suve. � R�stna. � L�Ermilage. � Souvenir de Sparlacus et de Pline. � Arriv�e au sommet du Y�suve. � Descente au crat�re.� Fertilit� des terrains volcaniques.nbsp;� Herculanum. � Por�ci. � Le Corricolo.
Pour compl�ter l�utile lecon que donnent Herculanum et Pomp�i, il nous restait a visiter le V�suve, redoutable agent de la justice denbsp;Dieu, qui d�truisit a cause de leurs iniquit�s, et qui conserve pournbsp;1�instruction des races futures, les cit�s coupables. Partis de bonnenbsp;heure par le chemin de fer de Caslellamare, nous fumes en vingt minutes it R�sina, petit village d�o� Ton monte au V�suve : on s�adresse,nbsp;pour avoir des guides, aux fr�res Salvatori. Cette familie, dont lenbsp;nom seul inspire la confiance, jouit de p�re en fils du privil�ge d�ac-compagner les voyageurs dans la visite de la terrible montagne; elle
380 LES TEOIS ROME.
Ie partage avec sept autres families, a qui on fait apprendre gratuite-ment la langue frangaise. Les conditions arr�t�es, nous primes un frugal d�jeuner, pendant lequel on pr�para les anes et les mulets quinbsp;devaient nous servir de monture; chacun de nous acheta Ie baton denbsp;rigueur et la caravane partit. En t�te marchait Ie guide; au centre et
l�arri�re-garde un groupe de quinze ou vingt lazzaroni de diff�rente taille. Les uns conduisaient nos montures par la bride, les autres lesnbsp;tenaient par la queue et venaient pour les garder au pied du V�suve;nbsp;ceux-lii portaient des paniers d�oranges et quelques bouteilles de la-crima Christi. Adorateurs du farniente, plusieurs nous suivaient sansnbsp;autre function connue que d�amuser nos Excellences par leurs pantomimes et leurs joyeux propos; mais, dans la r�alit�, ils essayaient denbsp;nous prouver i chaque instant par des indications artistiques, histo-riques, min�ralogiques, la grande utilit� de leur pr�sence, etl�obliga-tion sacr�e de reconnaitre leurs importants services par quelquesnbsp;tornesi.
A une demi-lieu'e de R�sina, on quitte la belle v�g�tation, les plants de vignes et d�oliviers, les blanches villas avec leurs enclos d�oran-gers. La pente devient plus rapide; et un chemin rocailleux, difficile,nbsp;serpentant parmi d��normes couches de lave, conduit dans une solitude affreuse. Lii commence une nature triste et morte, i laquelle lanbsp;vue de petits coins de terrains �chapp�s a la destruction ajoute plusnbsp;de tristesse encore. Bient�t on arrive aux couches de laves noires, cal-cin�es, vitrifi�es, qui couvrent la base du V�suve dont Ie c�ne noiramp;-tre, semblable a la chemin�e d�une immense machine ii vapeur, s��-iance i treize cents pieds au-dessus du niveau de la mer. Cependant,nbsp;au milieu de ce desert, on Irouve une oasis; c�est l�Ermitage, appel�nbsp;aussi l�h�kl des Trois Ormeaux. L�Ermitage est une petite maisonnbsp;dans laquelle r�side un pr�tre avec plusieurs carabiniers. Le p�renbsp;Thomas, auquel nous �tions adress�s par un de ses amis, �tait malheu-reusement absent, et les honneurs du lieu nous furent faits par unnbsp;doraestique intelligent, quoique un peu bavard. Du haut de la ter-rasse, le coup d�ceil est ravissant, c�est le panorama napolitain vu dunbsp;point oppos� aux Camaldules.
Toutefois, deux souvenirs tragiques viennent assombrir le tableau. Vers l�an de Rome 680, un esclave, n� dans la Thrace, �tait enferm�nbsp;� Capoue, avec trois ou quatre mille malheureux destin�s comme luinbsp;aux jeux sanglants de l�amphith�atre. Une nuit il force sa prison, ga-gne la campagne et se voit bient�t a la t�te d�une petite troupe d�es-claves fugitifs : de montagne en montagne, il arrive sur le versant du
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V�suve. Plein d�audace et de courage, dou� d�une force d�Am� que les mauvais traitements de la servitude out doubl�e, Spartacus adresse anbsp;ses compagnons les �nergiques paroles que l�histoire a recueillies etnbsp;que semblent encore r�p�ter les �chos du volcan : � Rebuts dunbsp;monde, sans nom, saus patrie, sans familie; condamn�s a r�cr�er nosnbsp;maitres par des spectacles barbares ou a nourrir leur mollesse aunbsp;prix de nos sueurs; trait�s par eux comme de vils animaux, Ie fouetnbsp;sanglant, Ie fer rouge, la croix, sont Ie prix de nos services : voila cenbsp;que nous sommes. 11 d�pend de nous de cbanger notre sort; nousnbsp;avons la force, Ie nombre, Ie droit; sachons combattre, et la destin�enbsp;sera pour nous. � A ces mots Spartacus �tend les mains vers Ie ciel etnbsp;vers la mer; ses compagnons l��l�vent sur leurs boucliers, et buitnbsp;jours apr�s quarante mille esclaves, rang�s en bataille, battent les pr�-teurs et les consuls, et font trembler la grande Rome : mais l�heurenbsp;de la libert� n�avait pas encore sonn� pour Ie monde. Cinq ans apr�snbsp;Spartacus d�fait par Crassus venait mourir presque au m�me lieu o�nbsp;il avait lev� l��tendard de l��mancipation.
Quand du haut de la m�me terrasse on porte les regards du c�t� de Stabia, on croit apercevoir, a travers une pluie de cendres, Ie fatalnbsp;linceul sur lequel Pline l�ancien, suffoqu� par la fum�e du volcan, senbsp;fit �tendre, apr�s avoir demand� deux verres d�eau fraiche. On croitnbsp;sentir encore l�odeur de soufre qui annongait la colonne d�air embra-s�e, puis on croit voir la flamme qui suivait; et bientot on distinguenbsp;Ie corps inanim� du grand naturaliste, mort en ces lieux par amournbsp;de la science, comme Spartacus par amour de la libert�.
Bien que peu rassurant, ce dernier souvenir ne nous emp�cha pas de continuer notre p�rilleuse ascension. II est vrai que Ie ciel �taitnbsp;calme et Ie V�suve parfaitement inoffensif. Si nous n�avions rien �nbsp;craindre du volcan, il parait que nous devions redouter les sgrazatori.nbsp;En quittant l�Ermitage, notre petite troupe fut escort�e par deux ca-rabiniers de s�ret�. Sa Majest� Napolitaine les entrelient dans ce postenbsp;isol�, pour accompagner les voyageurs, qu�on pourrait, du reste,nbsp;d�pouiller et m�me assassiner au pied du V�suve sans qu�une oreillenbsp;humaine entendit leurs cris de d�tresse. Par un �troit sentier on descend dans un ravin profond qui prot�g� 1 Ermitage centre les eruptions du volcan; puis on s��l�ve sur d��normes couches de lave, et onnbsp;arrive en peu de temps a la base de la montagne. Sur la gauche s��l�ve un c�ne appel� C�ne de Gautrey, du nom d�un Francais qui s�ynbsp;pr�cipita volontairement et dont Ie V�suve vomit Ie cadavre deux joursnbsp;apr�s. Lk il faut mettre pied � terre; les b�tes de somme ne peuvent
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aller plus loin : c�est aux voyageurs, arm�s d�un bamp;lon, a gravir Ie flanc ardu de la raontagne. Parvenus a une certaine hauteur, nousnbsp;nous assimes pour respirer et jouir d�un spectacle qui n��tait pas sausnbsp;int�r�t.
Quoique je l�aie souvent d�sir�, je n�ai jamais vu Ie grand d�sert du Sahara, ni la caravane asiatique ou africaine bivouaquant au milieunbsp;des sables br�lants; ni l�Arabe vagabond caracolant dans ces vastesnbsp;solitudes pour d�trousser Ie voyageur �gar�. A d�faut de la r�alit�,nbsp;j�avais sous les yeux une repr�sentation assez frappante. Au pied de lanbsp;montagne stationnaient, attach�es par Ie licou a des pieux fix�s ennbsp;terre, quarante montures, �nes, chevaux ou mulets. Trente lazzaroni,nbsp;vive image des n�gres, domestiques oblig�s de la caravane ori�ntale,nbsp;gardaient nos b�tes de somme, et quelques-uns de nos bagages. Auteur de nous une solitude non moins compl�te que celle du d�sert;nbsp;� d�faut d�une plaine de sable, nous avions sous les pieds une plainenbsp;de cendres et de laves. Les B�douins m�me ne manquaient pas; car ilnbsp;est d�usage que, parmi les officieux valets dont vous �tes accompagn�,nbsp;il se trouve toujours quelques filous. Enfin, si la caravane du d�sertnbsp;est prot�g�e par des soldats a la longue carabine pass�e en bandou-li�re, nous avions Ie m�me avantage.
Pendant que je r�vais a ma vision africaine, les retardataires rejoi-gnirent Ie corps d�arm�e, et on continua d�escalader la difficile montagne ; Ie V�suve pr�sentait alors un ph�nom�ne remarquable. Comme ces vieillards dont parlent souvent les moralistes, qui, malgr� leursnbsp;cheveux blancs, portent dans leur poitrine un coeur o� bouillonnentnbsp;les passions; Fantique volcan cachait ses entrailles de feu sous unenbsp;surface couverte d�une neige glac�e : avant midi nous �tions au termenbsp;de notre ascension. Le sommet du �F�suve forme un plateau circulairenbsp;d�un quart de lieue de diam�tre.
De 1��paisse couche de cendres chaudes sur laquelle vous marchez, s��chappent de distance en distance des fumorole ou soupiraux br�lants, dans lesquels il est impossible de tenir la main. Qa et la quelques laves blanch�tres, semblables a des ossements r�pandus parminbsp;les cendres d�un b�cher fun�raire, de nombreux accidents de terrainnbsp;avec des parties saillantes, couleur de tuile, d�o� sort incessammentnbsp;un air enflamm�; partout l�image de la destruction et de la mort ; telnbsp;est le spectacle qui frappe d�abord les regards du voyageur. Nousnbsp;fimes le tour du plateau sans nous arr�ter, paree que les pieds nousnbsp;br�laient, pendant que l�odeur du soufre nous prenait � la gorge etnbsp;que la fum�e du crat�re nous faisait pleurer les yeux. Parvenus au
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point du V�suve qui regarde Pomp�i, nous nous arr�tftmes devant un soupirai], semblable h Ia gueule d�une fournaise pleine de verre ennbsp;fusion; il nous pril fantaisie d�y plonger nos batons, et chaque foisnbsp;nous les retirions tout en feu. Des lettres, des papiers, des cartes denbsp;visites pr�sent�es a Torifice, brulaient instantan�ment entre nos mains.nbsp;Voyez pourtant la t�m�rit� humaine! La cro�te br�lante qui r�son-nait sous nos pas nous s�parait i peine de quelques pieds d�un abimenbsp;de feu. Que fallait-il pour entr�ouvrir notre fr�le plancher et nousnbsp;engloutir? une l�g�re secousse de tremblement de terre, un peu d�airnbsp;comprim�; et nous n�y pensions pas!
Au centre du plateau s�ouvre Ie cral�re; c�est un gouffre taill� en forme d�entonnoir, qui peut avoir deux cents pieds de profondeur surnbsp;autant de largeur. Les parois abruptes, couvertes de cendres, de sou-fre et de cinabre, olfrent un aspect qui fatigue la vue et porte la terreur dans l��me. La visite au V�suve ne serail pas compl�te si on nenbsp;descendait au fond du crat�re. Le guide consult� opposa d�abordnbsp;quelques difBcult�s � nos d�sirs; cependant il nous assura que, lenbsp;temps �tant calme, nous n�avions rien ^ cralndre, et sur ses pas nousnbsp;commenQames l�aventureuse excursion. Appuy�s sur nos longs b�tons,nbsp;nous descendimes en zigzag par le flanc m�ridional du gouffre br�-lant, et apr�s dix minutes d�une marche p�nible nous fumes a quelques pas de la chemin�e. Au centre de l�abime est une large ouverture de laquelle s��l�ve nuit et jour une vaste colonne de fum�enbsp;blancMtre, satur�e de chlore et de soufre. Dans le sein de la terre onnbsp;entend comme le bruit intermittent d�im �norme soufflet de forge, ounbsp;Ie jeu parfaitement isochrone d�une pompe � double piston. A chaquenbsp;coup de piston, la fum�e s��lance par bouff�es � quinze ou vingt piedsnbsp;d��l�vation. Les mati�res ign�es vomies par le crat�re se refroidissentnbsp;au contact de l�atmosph�re et retombent sur les bords; puis en s�ac-cumulant elles ferment autour de l�orifice un c�ne �lev� de plusieursnbsp;m�tres, auquel on donne le nom de chemin�e.
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Depuis quelque temps nous consid�rions, avec une curiosit� m�l�e de terreur, ce soupirail de l�enfer, lorsqu�un coup de vent rabat surnbsp;nous la colonne de fum�e. Un de nos compagnons se Irouve suffoqu�;nbsp;il tombe, ses membres se roidissent, ses yeux s�injeclent de sang. Ianbsp;respiration est on ne peut plus p�nible. On se h�te de le relever, denbsp;l��loigner, de le hisser sur le flanc du crat�re; bient�t il recouvre sesnbsp;sens : mais la crainte d�un nouvel accident nous oblige � quitternbsp;promptement la place. Au reste, nous avions vu tout ce qu�on peutnbsp;voir. P�n�tr�s d�un double sentiment de reconnaissance et de frayeur.
-ocr page 388-584 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
nous regagn�mes Ie plateau, et, nous laissant glisser sur une cro�te de lave recouverte d�un pied de cendres, nous arrivSmes au bas du Y�-suve sans accident pour nos personnes, mais avec un irr�parable dom-mage pour nos chaussures. Brul�es et d�chir�es, elles n�auraient punbsp;nous conduire d�ceuiment jusqu�i Naples si nous avions du faire lanbsp;route a pled. Heureusement nos fid�les montures nous attendaient anbsp;la base de la montagne; avec elles nous repassames h FErmitage, o�nbsp;rest�rent nos carabiniers, et deux heures plus tard nous �tions nous-m�mes de retour k R�sina.
Malgr� la juste frayeur qu�inspire Ie V�suve, malgr� les ravages qu�il fait depuis tant de si�cles, on ne peut s�emp�cher en Ie visitant,nbsp;de rendre hommage amp; ses bienfaits. La cendre, dont il inonde les co-teaux et les plaines du voisinage, est tellement fertile, que la population s��l�ve jusqu�a cinq mille ames par lieue carr�e, dans Ie rayonnbsp;qu�elle arrose. Outre la vue, qui est ravissante, toute esp�ce de culture y r�usslt, et toute sorle d�arbres y croissent. Les bl�s rendentnbsp;buit et dix pour un, et, suivant la coutume des Romains, la terre estnbsp;labour�e sans retard pour recevoir des semences d�une autre esp�ce.nbsp;Les arbres portent la vigne et donnent des fruits; on en cueille en-suite les feuilles en automne, pour nourrir les bestiaux pendant Fhi-ver : entre les rangs d�ormeaux croissent des melons que 1�on vendnbsp;avant de semer Ie bl�. Apr�s la r�colte du bl�, on retourne Ie chaumenbsp;5 la b�che pour y semer des f�ves ou du tr�lle a fleurs pourpr�es.nbsp;Pendant six mois les enfants viennent chaque matin en couper avecnbsp;une faucille une charge pour nourrir les vaclies. Au printemps onnbsp;plante Ie ma�s sur Ie chaume du tr�fle ou des f�ves; on fume alorsnbsp;les terres, et cette r�colte, qui nourrit Ia familie, est un jour de f�tenbsp;dans les campagnes. Elle est a peine linie qu�on retourne la terrenbsp;pour y semer du bl�, et, apr�s Ie bl�, des l�gumes de diff�rentesnbsp;esp�ces.
Ainsi les terres produisent en abondance du vin et des fruits, des grains et des l�gumes pour Fhomme; des feuilles et de Fherbe pournbsp;les bestiaux. Malgr� cela Ie m�tayer est pauvre en g�n�ral, surtout lorsnbsp;d�une mauvaise r�colte. La mis�re est partout la compagne assidue denbsp;la f�condit� du sol, paree qu�elle attire et augmente tellement la population que Ie sol, subdivis� � 1�infini, cesse bient�t de pouvoir entre-lenir, � lui seul, les bras qu�il a trop multipli�s. k Pour en juger, ilnbsp;suffit de savoir que ces terres volcaniques nourrissent une familie denbsp;cinq personnes avec Ie tiers du produit de cinq arpents : on ne peutnbsp;gu�re trouver qu�aux Indes l�exemple d�une telle richesse et d�une si
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grande population (i). � Tant de productions n��puisent pas la f�con-dit� du sol. Aux l�gumes, aux past�ques, aux meilleures oranges de l�Europe avec celles de Portugal, les cendres du V�suve ajoutent Ienbsp;lacrima Christi, excellent vin, dont Ie nom un peu triste a inspir� cesnbsp;jolis vers au po�te italien Chiabrera :
Chi fu de� contadini il si indiscreto.
Ch�a sbigotlir la gente Diede nome dolente
Al vin, che sovra gil allri il cuor fa lieto?
Lacrima dunque appellerassi un riso,
Parto di nobilissima vendemmia?
On ne peut quitter R�sina sans visiter Herculanum, ensevelie sous la lave it soixante pieds de profondeur. A la lue.ur des torches nousnbsp;parcour�mes les parties d�jit d�blay�es; Ie premier monument qu�onnbsp;rencontre, c�est Ie th�dtre qui passe pour Ie mieux conserv� que nousnbsp;ayons. Mais Dion Cassius parait s��tre tromp�, lorsqu�il avance que lesnbsp;habitants furent surpris par l��ruption au milieu d�une pi�ce de co-m�die ; Ie petit nombre de squelettes, trouv�s au theatre, semblenbsp;t�moigner du contraire. Quoi qu�il en soit, les proportions de l��di-fice, l�alignement des rues, Ie nombre des papyrus, montrent qu�Her-culanum �tait une grande et belle ville; comme les fresques et lesnbsp;autres objets de luxe et de religion �tablissent malheureusement qu�ellenbsp;m�rita Ie sort de Pomp�i, dont elle partageait les iniquit�s. Pr�s d�Her-culanum brille la r�sidence royale de Portici dont la cour d�honneurnbsp;est travers�e par la grande route de Salerne et des deux Calabres : nenbsp;pas d�ranger la voie publique et sacrifier son repos h. la facilit� desnbsp;communications, c�est lii un sentiment paternel qui honorera toujoursnbsp;Ie roi Charles III. L��l�gance des portiques, la beaut� des peinturesnbsp;m�ritent l�attention du voyageur. Apr�s avoir jet� un coup d�oeil surnbsp;ces richesses, vrais tr�sors partout o� elles seraient moins communes,nbsp;nous entrames a Naples, non sans admirer les nombreux corricolo quinbsp;sillonnaient la route aux larges dalles.
Le corricolo est la voiture napolitaine par excellence. Habitants de la ville et de la campagne, lazzaroni et bourgeois, militaires et artisans,nbsp;hommes et femmes, semblent y monter avec un �gal bonlieur. Pour lanbsp;forme, il ressemble � nos coucous des environs de Paris'; mais ce quinbsp;ne ressemble � rien, c�est la mani�re dont s�y placent les voyageursnbsp;au nombre de dix, de douze et m�me de quatorze. Ils sont partout,
(i) Lullin de Ch�leauvieux, Lettres sur l�Italie, p. 250.
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386 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
dedans, devant, derri�re, dessus et dessous; debout, assis, couch�s, accroupis; riant, chantant, jasant et surtout gesticulant avec ce talentnbsp;mimique si vif et si vari�, qui permet aux Napolitains d�entretenir lanbsp;conversation sans prononcer une seule parole et sans �tre compris desnbsp;�trangers. Quand Ie corricolo, orn� de cette soci�t� au costume pitto-resque, passe rapidenient devant vous, on ne sait si on voit des ombresnbsp;chinoises ou une voiture de masques.
25 F�YRIER.
L�Albergo des pauvres. � Charles III. � Benoit XIV. � Le padre Rocco. � Charit� na-polilaine pour les enfants abandonn�s. � Ponti-Rossi. � Saint-Janvier-des-Pauvres. � Catacombcs. � Coll�ge cl�nois. � Ges� Vecchio. � Corps de saint Chrysante etnbsp;de sainte Darie.�La Vestale martyre.�Pi�t� napolitaine.�Mceurs publiques.�nbsp;Anecdote.
Nous en avions fini avec le monde pa�en, antique habitant de Par-Ih�nope et de ses bords enchant�s : ses monuments de tout genre nous �taient connus et nous l�avions surpris dans les impurs secrets de sanbsp;vie religieuse, publique et priv�e. Le terrible volcan dont Dieu s��taitnbsp;servi pour exercer sa juste vengeance avait re^u notre visite : il nousnbsp;restait � �tudier le peuple nouveau, fils et successeur du peuple quinbsp;n�est plus. Naples, devenue chr�tienne, manifeste sa foi par ses monuments, ses institutions, ses lois et ses moeurs. Ne parlons pas de sesnbsp;trois cents �glises; passons A ses �tablissements de charit�.
h'Albergo reale de Poveri fut le premier objet de notre euriosit�. Pour nous y rendre nous suivimes la grande rue de Tol�de; les Studjnbsp;se trouvaient a deux pas; nous y entrAmes pour voir la biblioth�que.nbsp;Elle poss�de un assez grand nombre d��ditions princeps, et environnbsp;trois mille manuscrits fort anciens. Le plus pr�cieux de tous est le c�-l�bre autograpbe de saint Thomas d�Aquin, contenant Texposition dunbsp;Trait� de saint Denis l�Ar�opagite De coelesli Hierarchia. Autrefois onnbsp;le conservait religieusement au couvent de Saint-Dominique; on l�ynbsp;transporte encore chaque ann�e, pour 1�exposer A la v�n�ration desnbsp;fid�les le jour de la f�te du saint dooteur.
Non loin des Studj, incomparable mus�e d�antiquit�s pa�ennes. Naples montre avec un juste orgueil son Albergo des pauvres, l�un des trois plus grands hospices de TEurope. Un roi, un pape, un saint, tra-vaill�rent de concert A la fondation de ce magnifique h�tel de la mis�re : le roi, c�est Charles III; le pape, Benoit XIV; et Ie serviteur denbsp;Dieu, Ie Padre Rocco, si c�l�bre A Naples par son �loquence et par sa
-ocr page 391-l�albergo des pauvkes. nbsp;nbsp;nbsp;587
charit�. Soulager les infirmit�s corporelles et spirituelles des pauvres, telle est la pens�e qui animait les trois fondateurs. L�inscription grav�enbsp;en lettres d�or sur la facade principale de l��difice :
EEGIUM TOTIOS REGNI PAUPERUM HOSPITIUM.
r�sum� la pens�e cr�atrice que la charte du jeune roi d�veloppe tout enti�re.
a Le z�le, dit l�excellent monarque, qui nous anime pour assurer la f�licit� de ce royaume, ne nous permet plus de regarder d�un ceil indiff�rent tous les d�sordres produits par la grande quantit� de pauvresnbsp;qui encombrent cette ville populeuse. Bien que parmi tous ces indi-gents, il y ait des vieillards, des estropi�s, des aveugles, incapables denbsp;travailler, ce qui nous touche d�une profonde piti�, il y en a pourtant,nbsp;et c�est le plus grand nombre, qui vivent dans le vagabondage; cesnbsp;hommes-la sont robustes et tenaces amp; professer l��tat de mendiant, pournbsp;mener de propos d�lib�r� une vie oisive et libertine. II y a aussi desnbsp;orphelins et des enfanls abandonn�s, qui s�habituant a mendier sansnbsp;aucune �ducation chr�tienne, sans apprendre aucun �tat, deviennentnbsp;non-seulement des �lres inutiles, mais encore des sc�l�rats nuisibles knbsp;la soci�t�. En cons�quence, par une juste commis�ration pour les premiers, et par la charge qui nous est impos�e de r�former les autres,nbsp;nous avons r�solu de fonder dans cette capitale un h�tel g�n�ral desnbsp;pauvres de tout sexe, de tout Age, et d�y introduire les arts les plusnbsp;utiles et les plus n�cessaires, afin qu�une telle oeuvre soit agr�able auxnbsp;yeux de Dieu, et devienne un bienfait pour la ville et le royaume (i). �
Mais pour �lever le colossal �difice, entrepris par l�architecte Ferdinand Fuga, il fallait des sommes immenses, et le royaume �tait �puis�. Le jeune roi ne perdit point courage; il commenga par offrir g�n�-
(!) Lo zelo che si nudre dall� animo nostro per Ia maggiore feliciui de questo reame, non ci permette di piii riguardare con occhio indifferente tutti i disordini che derivanonbsp;da� poveri, i quaii inondano questa popolatissinia citta. Sebbene vari fra cosloro siennbsp;vecchi, storpi, ceichi, inabili allaf alica, della miseria de quali altamenle � commossanbsp;la pi�ta nostra, pure gli attri, e fanno la maggior porte, son uomini vagabond! e robusti,nbsp;fermi tutti nel professare la mendicita per menar di proposito una vita oziosa e liber-tina : son l'anciulli orf'ani e derelitti, i quali avezzandosi al mestiere del limosinare,nbsp;senza cristiana educazione, e senza apprendere arte alcuna,riescono col tempo non solonbsp;inutili, ma 1'acinorosi e perniciosissimi allo stato. Quindi per giusta commiserazionenbsp;de� primi, e per dovuta provvidenza ed emenda degli attri, abbiamo deliberate di fon-dare in questa capitale un generale albergo de� poveri d'ogni sesso ed eta, e quivi in-trodurre le arti pi� utili e necessarie, allinche tale opera sia grata agli occhi di Dio, enbsp;di benefizio alia citta ed al regno.
-ocr page 392-388 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS SOME.
reusement les ressources dont il pouvait disposer : puis il en cr�a de nouvelles sans aggraver les imp�ts. Cerlaines corporations du royaumenbsp;�taient soumises a une contribution annuelle dont jusqu�a lui les vice-rois avaient seuls profit�. Lorsque les d�put�s de la ville de Naples, lesnbsp;chefs des corporations et les sup�rieurs des convents vinrent d�posernbsp;leurs of�randes au pied du tr�ne, Ie roi leur dit : � Mes bons'sujets,nbsp;vous savez que je fais construire un grand asile pour les pauvres dunbsp;royaume; j�ai besoin pour cela de votre aide, et j��prouve un v�ritablenbsp;plaisir a changer la destination de tous ces pr�sents, en les faisantnbsp;servir d�abord a l�ach�vement et ensuite la dotation de YAlbergonbsp;des pauvres. �
Benoit XIV, inform� des g�n�reuses intentions du jeune prince, consentit volontiers a supprimcr onze convents d�Augustins r�form�s,nbsp;dont il consacra Ie revenu a la construction et a l�entretien du royalnbsp;palais de la charit�. Dans Ie m�me temps Ie roi Charles rencontra unnbsp;homme qui lui fut d�un grand secours pour I�accomplissement de sonnbsp;oeuvre : c��tait Ie fameux Padre Rocco, dominieain, missionnaire dunbsp;peuple. Saint Bernard par l��loquence, saint Vincent de Paul par lanbsp;charit�, la Padre Rocco �tait tout-puissant sur Ie peuple napolitain.nbsp;Vrai tribun chr�tien, il savait, par son accent inspir�, subjuguer Ienbsp;coeur et la pens�e de ses nombreux auditeurs, et chacun, sans se l�a-vouer, lui accordait un pouvoir providentiel; il s�en servit pour seconder les charitables desseins du monarque. Quand on lui demandaitnbsp;comment faire pour trouver toujours l�argent n�cessaire a l�ach�ve-ment d�un edifice qui engloutissait des tr�sors, il r�pondait en sou-riant : � Faites toujours, Dargent ne manquera pas, je vous en don-nerai : Fate, fate, il danaro non mancherd, ed io velo porter�. �
Sa confiance ne fut pas vaine; et en 1764, Ie magnifique asile s�ou-vrit a tous les genres de mis�res. Nous y trouvamp;mes environ trois mille enfants des deux sexes dont les cat�gories et les travaux rappellentnbsp;l�hospice apostolique de Saint-Michel. On y voit diff�rents m�tiersnbsp;pour les tissus de coton, pour les soieries, pour la broderie et la passementerie ; il y a une �cole de musique, de dessin, de calcul, une fon-derie de caract�res, une imprimerie, un atelier de lithographic et unenbsp;institution pour les sourds-muets. Une fabrique de corail emploienbsp;plus de trois cents jeunes filles; les autres s�occupent aux travaux denbsp;l�aiguille, a tlsser, a filer, etc. Ainsi il y a du travail, et du travailnbsp;Ubre, pour les adultes de tous les ages, des �coles pour tous les artsnbsp;et pour tous les m�tiers, de Finstruction pour toutes les capacit�s.nbsp;Nous visitftmes, avec une vive satisfaction, ce peuple entier de mal-
-ocr page 393-CIIARIT� NAPOLITAINE POUR LES ENFANTS.
heureux dont le paganisme ne daignait pas s�occuper, dont la philan-thropie aggrave souvent les douleurs, et que la seule charite catholique environne de soins assidus et couvre de son aile maternelle.
Pendant le cours de cetle visite d�int�r�ssants d�tails nous furent donn�s sur la charit� napolitaine; il nous est doux de les faire con-naitre. Dans chaque commune du royaume de Naples, Padminlstrationnbsp;municipale recueille, sans s�informer de leur origine, lous les enfantsnbsp;qui lui sont pr�sent�s, et les met en nourrice chez des parliculiers :nbsp;le chef-lieu de chaque province poss�de un hospice sp�cial pour lesnbsp;enfants trouv�s. Un petit halcon couvert, Ringhiera, fait rolBce denbsp;tour, et l�enfant d�pos� est recueilli imm�diatement, au son d�une clo-chette qui avertit la surveillante. On rcgoit, dans ces hospices, tousnbsp;les enfants sans difficult�. II est tr�s-rare que les enfants legitimesnbsp;soient expos�s; mais d�un autre c�l� il y a peu d�enfants naturels quinbsp;ne soient port�s dans ces asiles. L'Annunziata, fond� en 1515, regoitnbsp;les enfants trouv�s de Naples et des environs. Les gargons, � l�ftge denbsp;sept ans, sont envoy�s ii VAlbergo de Poveri, o� ils sont �lev�s avecnbsp;les orphelins. Les lilies sont �galement revues dans Penceinte qui leurnbsp;est r�serv�e, et suivant l�excellente coutume de l�ltalie, elles y hahitentnbsp;jusqu�a leur mort, a moins qu�elles ne se marient; dans ce cas, ellesnbsp;resolvent une dot convenable. Du reste, il est rare qu�elles ne trouventnbsp;pas � s��tahlir; car c�est un usage dans le peuple d�aller, par d�vo-tion, chercher une �pouse au milieu d�elles.
En nous rendaiit a Saint-Janvier-des-Pauvres, nous visitames les Ponti-Rossi, magnifiques d�bris de l�aqueduc bftti par Auguste pournbsp;conduire, � trente-cinq milles de Naples, les eaux du fleuve Sebeto,nbsp;destin�es a Ia Hotte de Mis�ne. L�hospice de Saint-Janvier comptenbsp;quatre cents pauvres hommes ou femmes, soign�s, dirig�s, consol�snbsp;par nos soeurs grises, d�origine francomtoise. J�aime a Ie r�p�ter : nosnbsp;religieuses sont destin�es a faire b�nir le nom de la France jusqu�auxnbsp;extr�mit�s du monde, et a nous concilier l�estime et I�affeetion n�cessaires a notre mission providentielle.
Pr�s de Saint-Janvier est l�ouverture des cataeombes dont nous par-cour�mes les vastes galeries. La hauteur des vo�tes, la largeur et la r�gularit� des rues, le nombre et lasolidit� des colonnes, tout annoncenbsp;un travail ex�cut� a loisir et avec toutes les ressources de Tart. Ce faitnbsp;seul t�moigne d�une origine pa�ienne ; la tradition invariable sur cenbsp;point. Test aussi sur l�usage que nos p�res firent de ces cataeombes.nbsp;Bien que Naples n�ait �t� le th��tre d�aucune pers�cution, cependantnbsp;les chr�tiens de cette ville, en voyant le sang de leurs fr�res couler non
TOM. II. nbsp;nbsp;nbsp;17
-ocr page 394-390 nbsp;nbsp;nbsp;les TEOIS ROME.
loin de leurs murailles, durent souvent cacher leurs myst�res aux regards des pa'iens; ces souterrains devinrent leur asile. On y trouve encore des fonts baptismaux, une chapelle, une chaire pontificale, t�-moins authentiques du passage des premiers fid�les.
L�esprit du christianisme, qui respire dans les catacombes, se ma-' feste avec �clat dans la fondation du Coll�ge Chinois, unique en Europe. Vers la fin du xvii� si�cle, le P. Mattliieu Ripa, missionnairenbsp;napolitain, s�embarqua pour la Chine. Peintre habile, il sut m�riternbsp;les bonnes graces de I�erapereur, et brulant de z�le pour le salut de cenbsp;vaste pays, il voulut perp�tuer le bien qu�il avail commenc�. De retournbsp;dans sa patrie, en 1726, il fonda un coll�ge destin� a I�instruction desnbsp;jeunes Chinois. L��tablisseraent fut dot� par de pieux chr�tiens et parnbsp;la Propagande de Rome. Les �l�ves y sont envoy�s de la Chine parnbsp;les missionnaires � l�ftge de treize ou quatorze ans; ils repartent lors-que leur education est finie, et pr�chent l��vangile a leurs compa-triotes. Nous vimes les portraits d�un assez grand nombre avec desnbsp;inscriptions indiquant leurs noms, l�ann�e de leur naissance, de leurnbsp;arriv�e amp; Naples, de leur d�part pour la Chine et de leur mort, quandnbsp;elle est connue; enfin le genre de martyre que plusieurs ont subi.nbsp;Dien que peu nombreux, le Coll�ge chinois a rendu d�importants services � la religion, aux sciences et aux arts.
Nous le quitt�mes en saluant les futurs martyrs qu�il cachait h l�ombre de ses cloitres, et nous allames rendre nos hommages a deuxnbsp;martyrs des premiers temps, que la cit� napolitaine environne d�unenbsp;v�n�ration profonde et d�une confiance toute filiale: je veux parler desnbsp;saints Crysante et Darie dont les corps reposent ^us le grand autelnbsp;de l��glise populaire du Ges� Vecchio. Gardien de ce sanctuaire v�-n�rable, un saint pr�tre, don Placido, rappell�, par son d�vouementnbsp;et par ses hautes vertus, les plus beaux exemples des temps primitifs.nbsp;Lev� � deux heures du matin, il c�l�bre les saints myst�res ^ troisnbsp;heures, et une foule de peuple y assiste. La messe est suivie de la m�-ditation ou d�une instruction famili�re. Le bon pr�tre ne descend denbsp;la chaire que pour entrer au confessionnal, o� il demeure une partienbsp;de la journ�e; des audiences de charit� occupent, avec la pri�re, lenbsp;reste de son temps. Gr�ce h son obligeance, la ch�sse des martyrs nousnbsp;fut ouverte, et nous pumes v�n�rer a notre aise ces pieuses reliques,nbsp;dont la vue rappelle vivement un des plus beaux triomphes de l��-vangile.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;*
Chrysante, fils d�un s�nateur romain, �tait n� en �gypte. Jeune encore, il accompagna son p�re dans la grande Rome, o� sa haute in-
-ocr page 395-SAINT CHRTSANTE ET SAINTE DARIE. 591
telligence fut bient�t appr�ci�e. Convaincu de la vanit� des idoles, il cherchait, par tous les moyens, i connaitre la v�rit�, afin de d�livrernbsp;son amp;me des doutes qui la d�solaient. Un vieillard lui est indiqu�nbsp;comme un sage; Chrysanle s�adresse k lui. Le vieillard, qui �tait chr�-tien, n�a pas de peine a dessiller les yeux du jeune n�ophyte. La v�rit�nbsp;connue est a l�instant m�me embrass�e avec ardeur : Chrysante de-vient ap�tre. Son p�re s��tonne, s�irrite, et jure de faire revenir sonnbsp;fils de ce qu�il appelle ses superstitions et ses erreurs. Caresses, pri�-res, menaces, tout est mis en oeuvre; mais tout reste inutile. C�dantnbsp;alors aux instigations de ses proches, le p�re de Chrysante enfermenbsp;son fils dans son palais, et tend � sa vertu le pi�ge le plus dangereux.nbsp;Les personnes araen�es pour le s�duire n�ayant pu l��branler, on faitnbsp;choix d�une Vestale, �galement fameuse par ses attraits, par ses con-naissances et par le charme de son �locution. Pr�tresse d�une idole,nbsp;dont le culte �tait regard� comme la sauvegarde de l�empire, Darienbsp;d�ploie tous ses artifices pour corrorapre le jeune chr�tien et l�ame-ner comme une conqu�te ii l�autel des dieux; mais elle devient elle-m�me la conqu�te de la grace. Chrysante et Darie, se voyant unis parnbsp;les liens de la foi, de l�esp�rance et de la charit�, s�unissent alors parnbsp;les liens sacr�s d�un mariage virginal. Cette r�solution met Chrysantenbsp;en libert�, et lui donne, ainsi qu�� sa chaste �pouse, le moyen de continuer a pr�cher J�sus-Christ. De nombreuses conversions dans lesnbsp;hauts rangs de la soci�t� deviennent le fruit de leur apostolat; unenbsp;des plus remarquables fut celle du tribun Claudius, avec sa femme,nbsp;ses deux fils, ses domestiques et soixante-dix soldats.
Des plaintes sont port�es au pr�fet C�l�rinus qui fait arr�ter les jeunes �poux. Chrysante est enferm� dans la prison Mamertine, etnbsp;Darie expos�e dans un lieu de d�bauches. Le Seigneur veille sur euxnbsp;comme il veilla sur tant d�autres; et ils sortent intacts et purs. Pournbsp;en finir, l�empereur irrit� les condamne � �tre enterr�s tout vivants.nbsp;II est vraisemblable que eet affreux supplice fut choisi afin de fairenbsp;subir k Darie le genre de mort r�serv� aux Vestales infid�les (i). Celtenbsp;conjecture devient d�autant plus probable qu on fit expirer les saintsnbsp;martyrs pr�s de la porte Solaria, lieu d�sign� pour le supplice desnbsp;Vestales {2). Un frisson de terreur vous parcourt tous les membres, etnbsp;des larmes de compassion coulent de vos yeux, lorsqu�en pr�sence de
(1) nbsp;nbsp;nbsp;tJna cum Chrysante in foveam altam demissa, occluso aditu, instar Vestalium de-linquenlium, extra portam Salariam, eo mode ambo mort coguntur. � Bar. an. 284,nbsp;N. VII, A.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;D. Halycar., ii, 17; Plutarch., in Numa, 18.
-ocr page 396-392 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
ces corps v�n�rables, vous vous rappelez les efifroyables tortures qui leur m�rit�rent la glorieuse immortalit�.
La Veslale, jug�e et condamn�e par Ie coll�ge des pontifes, �tait battue de verges, puis couverte d�ornements mortuaires. En eet �tatnbsp;on la faisait monter dans une lectique, r�serv�e pour ces horribles c�r�monies, et envelopp�e ext�rieurement de coussins serr�s avec desnbsp;courroies, afin de donner a cette bi�re des vivants toute la surdit�nbsp;d�un tombeau. Les cris du d�sespoir expiraient centre ces parois, etnbsp;les juges et les bourreaux n�avaient a redouter ni de se sentir �musnbsp;malgr� eux, ni de voir exciter parmi les assistants une �motion quinbsp;auraitpuarracher leurs victimes, L�affreux convoi traversait Ie Forum,nbsp;Ie Comitium, et se dirigeait lentement par la voie Solaria vers Ienbsp;Champ-Sc�l�rat, lieu du supplice. La consternation r�gnait dans lanbsp;ville; les boutiques, les tavernes, les basiliques �taient ferm�es, et Ienbsp;silence de la foule n��tait interrompu que par les sanglots des parentsnbsp;et des amis de la condamn�e (i).
Au milieu du Champ-Sc�l�rat se trouvait creus� un caveau souterrain, dans lequel on descendait a l�aide d�une �chelle. Un petit lit �tait dress� sous la voute, et, aupr�s de cette couche de la mort, lui-sait une lampe s�pulcrale, non loin de laquelle �tait d�pos� un peunbsp;d�huile, un peu de pain et d�eau, un peu de lait, provisions d�un journbsp;pour une malheureuse condamn�e �ternellement i� cette prison tumu-laire (2). Cependant les licteurs d�nouaient les fermetures de la lectique d�pos�e devant Ie caveau; Ie Flamen dialis conduisait la victimenbsp;sur l��chelle, puis se retirait aussit�t en laissant l�infortun�e entre lesnbsp;mains du bourreau. Celui-ci lui offrait la main pour l�aider k des-cendre; elle �tait peine arriv�e au fond de sa tombe que Ie bourreaunbsp;se hatait de retirer l��chelle, et des esclaves, aussi impassibles que lanbsp;mort, remplissaient l�entr�e du caveau jusqu�au niveau du sol, �gali-sant Ie terrain, paree qu�il ne fallait pas que la Vestale coupablenbsp;laissat de trace de sa pr�sence, ni parmi les vivants ni parmi lesnbsp;morts (3).
Mais les chr�tiens, t�moins intr�pides du martyre de leur fr�re et de leur soeur, n�oubli�rent pas leur glorieux tombeau. Ils s�y r�unis-saient au jour anniversaire de leur mort (i), et quand la paix fut don-n�e � l��glise, Ie pape saint Damase rendit tl la lumi�re du soleil Chry-
(t) Plutarch., in Ifuma, 18.
(3) nbsp;nbsp;nbsp;ld., id. � Et Queest. rom. 96.
{4) En parlant des catacombes, je rapporterai ce qui se passa dans une de ces synaxes.
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sant� et Darie, et c�est une grande joie pour Ie fid�le des derniers lemps d�associer ses humbles hommages a ceux que Ie monde catholi-que olfre solennellement, depuis seize si�cles, aux h�ros des flges pri-mitifs (i).
Piiisque je suis a parler des monuments et des objets de la pi�t� napolitaine, voici quelques d�tails qui compl�teront ce que j�ai d�janbsp;dit sur eet int�ressant sujet. La pi�t� prend Ie caract�re des nations comme des individus; plus froide, plus r�serv�e en France, ellenbsp;est plus vive, plus expansive et plus na�ve en Itali�. Je voyais au Ges�nbsp;Vecchio une femme du peuple, tour � tour agenouill�e et assise, par-lant tout haut la sainte Yierge dont l�image miraculeuse couronne Ienbsp;maitre autel. Les yeux constamment fix�s sur Marie, elle l�appelait :nbsp;Mamma, mamma; luiracontaitavec une simplicit� d�enfant ses peinesnbsp;domestiques, ses d�sirs, ses esp�rances, ses craintes, puis elle pleurait,nbsp;puis elle lui envoyait des baisers; puis elle la saluait avec amour, etnbsp;finissait, pour recommencer encore, en ajoutant; Je vous ai tout dit;nbsp;faites maintenant, je m�en vais, je compte sur vous, vous m�entendeznbsp;bien? addio, mamma, mamma, addio. Enfin elle sortit en lui envoyantnbsp;un dernier baiser. Ce que faisait cette pauvre femme, vingt autres Ienbsp;faisaient en m�me temps; personne ne s�en occupait, tant cette ma-ni�re de prier est naturelle au peuple de Naples.
Dans la classe �lev�e la pi�t�, et surtout la confiance filiale envers Marie, conserve Ie m�me caract�re de foi vive et de na�vet� touchante.nbsp;Un des magistrats les plus distingu�s de Naples a compos� pour sa familienbsp;un ouvrage fort estim�, dans lequel il parle ainsi i la sainte Vierge :nbsp;� Vous trouvez peut-�tre, ma m�re, que vous m�avez d�ja donn� beau-coup, je ne Ie nie pas; mais vous me devez encore plus que vous nenbsp;m�avez donn�. Permettez-moi de r�gler aujourd�hui mes comptes avecnbsp;vous. Toutes les l�gislations du monde, d�accord avec la nature elle-m�me, donnent aux enfants un droit sacr� sur tous les biens de leurnbsp;m�re, surtout lorsque ces biens n�ont �t� accord�s a la m�re qu�ennbsp;consid�ration de ses enfants. Ce principe pose, voyez combien vousnbsp;�tes riche! Vos richesses ne sont pas des tr�sors, mais des mines in�-puisables. Vous �tes la reine du ciel et de la terre, la dispensatrice denbsp;la grace, la puissance qui se fait ob�ir de Dieu m�me. Or, songeznbsp;bien, je vous prie, que tous ces biens ne vous ont pas �t� donn�s pournbsp;vous seule, mais pour vos enfants, mais pour moi Ie dernier de tous.
(i) Nos saints martyrs furent mis a mort sous Num�rius l�an 284, et leurs actes �crits par les deux fr�res Armenius et Yerinus. Voyez Tratlcnimento storico su te gloriosenbsp;gesla de� santi conjugi Crisanto e Daria vv. e mm. � Naples, 1851.
17.
-ocr page 398-594 nbsp;nbsp;nbsp;LES TllOIS ROME.
Est-ce que vous seriez ce que vous �tes sans moi, sans les p�cheurs comme moi? N�est-ce pas pour nous racheler que Ie Fils de Dieu s�estnbsp;fait homme et qu�il \ous a choisie pour sa m�re? Vous voyez done quenbsp;tout ce que vous avez, m�apparlient. Or, ce que vous ni�avez donn�nbsp;n�est rien en comparaison de ce que vous poss�dez; vous me redeveznbsp;done, et vous me redevez beaucoup! qu�avez-vous a r�pondre?... �
Et ailleurs : � �coutez-moi, ma M�re, il faut que vous m�accordiez ce que je vous demande. Si vous me Ie refusiez que dirait-on de vous?nbsp;Ou que vous n�avez pas pu m�exaucer, ou que vous ne l�avez pasnbsp;voulu. Que vous ne Favez pas pu, personne ne Ie croira, on vous con-nait irop bien; que vous ne l�avez pas voulu, j�avoue que j'aimeraisnbsp;mieux entendre dire que vous ne Favez pas pu. Quoi! ma M�re, lanbsp;M�re de gr�ce, de mis�ricorde et de cl�mence, ne pas vouloir exaucernbsp;uu de ses enfants! mais que deviendrait votre r�putation? Pensez-y;nbsp;et sortez de l� si vous pouvez (i). �
La foi, m�re de cette pi�t� filiale, se manifeste de plusieurs ma-ni�res. Je me contenterai d�en citer Fexemple suivant, qui m�est par-ticuli�rement connu. �n chanoine francais, et un de ses coll�gues de Naples, se promenant � la campagne, entrent dans un jardin pour ynbsp;manger des figues fraiclies. Apr�s la mangiata, ils demandent a lanbsp;maitresse de 1�eau pour se laver les doigts et un linge pour s�essuyer.nbsp;Avant qu�on ait apport� Ie linge, Ie chanoine francais prend Ie premier essuie-main qu�il rencontre : � Non, non, P�re, lui dit Fexcellentenbsp;femme, il n�est pas digne d�essuyer des doigts qui, chaque jour, tou-chent Ie corps de J�sus-Christ. � Puis elle court a son armoire et ennbsp;lire Ie raouchoir de batiste Ie plus blanc et Ie plus fin qu�elle peutnbsp;trouver, et Ie pr�sente au pr�tre.
Au reste, la foi des Napolitains est proverbiale en Itali�. Un de nos amis prenait cong� du Saint-P�re Gr�goire XVI; � Puisque vous alleznbsp;a Naples, lui dit Sa Saintet�, apportez-moi un peu de la bonne foi na-politaine : Apportate mi un poco di fide napoUtana. � II faut direnbsp;que les pr�tres z�l�s, dont Naples s�honore, se donnent une peine in-finie pour entretenir cette pieuse disposition. Le soir ils ouvrent lesnbsp;oratorj pour le peuple. II y a instructions, confessions, pri�res jusqu�anbsp;onze heures et minuit : nul n��chappe � leur charit�. Croira-t-on ennbsp;France que j�ai vu les gal�riens, traversant les rues de Naples et allant,nbsp;comme des s�minaristes, aux exercices de la retraite qu�on leur donnenbsp;chaque ann�e pour les pr�parer aux P�ques? Le gouvernement lui-
(1) Maria, stel[a del mare. Dal sig. de Conciliis, Giudice alia G. C. G. di Kapoli, In-18.
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MOEURS PlIBLIQUES.
m�me, qui, dans certains cas, prend un air de despotisme religieux, seconde ici Ie z�le du clerg�. Une loi met a la charge de toutes lesnbsp;communes la d�pense n�cessaire pour avoir un pr�dicateur pendant Ienbsp;Car�me. Ces honoraires, dont la loi fixe Ie maximum, ne peuvent d�-passer 60, 40 ou 30 ducats, suivant l�importance de la localit�. Cettenbsp;loi a �t� port�e, bien moins pour rem�dier � Tindiff�rence des habitants, que pour mettre une borne amp; leur g�n�rosit�.
Les autorit�s municipales ne s�occupent done pas seulement de l�em-bellissement et du bou �tat de leur commune, elles consacrent encore une partie du revenu public au bien moral de leurs administr�s : voilinbsp;certes une institution populaire et vraiment catholique. Malgr� toutnbsp;cela il y a du mal a Naples; mais il y a des remords : les deux �l�mentsnbsp;sont en lutte. Avec une foi tr�s-robuste, nos hommes du moyen Sge senbsp;laissaient emporter de temps en temps a de graves d�sordres, puis, lanbsp;religion reprenant son empire, ils rentraient en eux-m�mes, se frap-paient la poitrine, r�paraient leurs iniquit�s et mouraieut en p�nitentsnbsp;et en saints. Tel est, a quelques diff�rences pr�s, l��tat actuel des populations napolitaines. Les poignards que Ton trouve suspendus de-vant les autels de la sainte Vierge sont une preuve de ce fait, et unnbsp;hommage amp; la puissance de la religion. En tout pays, Ie boiteux gu�rinbsp;laisse ses b�quilles a l�autel de son protecteur; c�est un monument denbsp;la bont� de l�un et de la reconnaissance de l�autre. A Naples, l�assassin,nbsp;Ie vindicatif, ce malade moral, que Marie a gu�ri et d�sarm�, vientnbsp;d�poser l�arme homicide devant l�image de sa lib�ratrice. A ce spectacle on g�mit sans doute sur la perversit� humaine, mais aussi onnbsp;admire et on b�nit la puissance de la religion, sans laquelle un de cesnbsp;poignards aurait peut-6tre �t� pour nous.
La foi agit encore d une mani�re bien consolante sur les moeurs pu-bliques. Quatre grands sympt�mes annoncent la d�cadence des nations, et prouvent l�exc�s de rimmoralil� de Tesprit et du eoeur : j�ai nomm�nbsp;Tinfanticide, la folie par suite des passions, l�impi�l� finale et Ie suicide. Or, a Naples l�infanticide est Ir�s-rare. L�exposition m�me n�estnbsp;que d�un sur sept, tandis qu�ii Paris elle est de plus d�un tiers, et qu�anbsp;Londres elle s��l�ve k pr�s de la moiti� des naissances. Malgr� l�ardeurnbsp;du climat. Naples compte sept fois moins de fous que Paris, et dix ounbsp;douze fois de moins que Londres. Sur quatre cent mille habitants.nbsp;Naples ne voit annuellement que vingt-cinq � trente-cinq suicides,nbsp;tandis que Paris en donne, terme moyen, un et demi par jour. II sem-ble d�s lors que nous avons assez mauvaise gr�ce k reprocher aux Na-politains leurs d�sordres moraux. Je ne veux pas les nier; seulement
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les chiffres qui pr�c�dent montrent tout ce qu�il y a d�exag�ration dans les r�cits de certains voyageurs.
Comme nous relournions � l�h�tel, une femme du peuple pria notre guide, qu�elle connaissait, d�entrer dans sa maison; il aecepta et nousnbsp;Ie suivimes. Nous fumes bient�t entour�s de plusieurs jeunes enfantsnbsp;qui, me reconnaissant pour pr�tre, vinrent me baiser les mains. Nousnbsp;demandames a cette femme si tous ces enfants lui appartenaient.nbsp;� Oui, nous dit-elle, seulement il y en a deux qui sont figli della Madonna. � II n�est pas rare a Naples de yoir les plus pauvres gens senbsp;charger, par d�votion, d�un ou m�me de deux enfants trouv�s, ou denbsp;les adopter a la place de ceux qu�ils ont perdus. C�est ce qu�avait faitnbsp;la vertueuse femme, et ces enfants, elle les d�signait sous Ie nom tou-chant, consacr� par l�usage napolitain, d'enfants de la Sainte-Vierge.
Le t�moignage unanime des si�cles, la parole solennelle des Souverains Pontiles et les hommages non interrompus du monde catholique �tablissent aux yeux de tontnbsp;homme sensp la certitude de ces monuments v�n�rables (i). L�authenticit� reconnue,nbsp;laissez-moi rapporter sur le voile sacr� une tr�s-ancienne tradition (2). Le bruit desnbsp;miracles de Notre-Seigneur �tait parvenu aux oreilles de Tib�re. L�empereur �tantnbsp;tomb� malade d�sira de voir ce personnage extraordinaire qui vivait dans la Jud�e. Sinbsp;c�est un Dieu, disait-il, il peut me secourir; si c�est un homme il peut m�aider de sesnbsp;conseils. II appela done un de ses officiers nomm� Volusien, etle fit partir pour la Palestine avec ordre de lui amener J�sus. L�officier s�embarqua sur-le-champ; mais con-trari� par la mer il perdit beaucoup de temps et n�arriva dans la Jud�e qu�apr�s lanbsp;mort de Notre-Seigneur. Ne pouvant plus accomplir sa mission, il voulut du moins reporter a l�empereur quelque souvenir du Nazar�en. II apprit qu�une femme qui habi-tait la ville de Tyr avait �t� gu�rie par J�sus et qu�elle conservait son portrait. Volusiennbsp;l�envoya chercher et l'obligea de le suivre avec le portrait qu�elle poss�dait. De retour anbsp;Rome, Volusien conduisit cette femme a Tib�re. En la voyant, l�empereur lui demandanbsp;s�il �tait vrai qu�elle e�t �t� gu�rie par J�sus. II en est ainsi, r�pondit cette femme; etnbsp;en m�me temps elle pr�senta l�image du Sauveur a Tib�re qui fut gu�ri sur-le-champ.nbsp;P�n�tr� de reconnaissance, l�empereur se rendit au s�nat, et proposa de mettre J�susnbsp;au nombre des dieux. Les s�nateurs s�y refus�rent; alors ce prince qui jusque la s��taitnbsp;montr� doux et humain, se laissa emporter a sa col�re et fit mourir un grand nombrenbsp;de s�nateurs et d�illustres Remains. Quant a la femme de Tyr, elle resta � Rome etnbsp;donna l�image du Sauveur au pape saint Cl�ment qui la conserva pr�cieusement et lanbsp;transmit a ses successeurs (5).
II y a plusieurs remarques a faire sur cette tradition : I� Elle dit que Tib�re connut
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Benedict, xiv. de Festis Domini, etc.; de Feria vi in Parasceve, p. 193 et suiv.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Fogginio, de Romano, etc., p. 38 et suiv.
(3) nbsp;nbsp;nbsp;Voyez Fogginio,p. 'al et suiv. � Nous poss�dons une dissertation excellente surnbsp;la v�rit� de celt� tradition et l�aulhenticit� de cette image, dans Zinelli, Bibliolh. Eccl.,nbsp;t. III, p. 263, �dit. de Venise, 1840, in-8�.
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les miracles du Sauveur. Ce fait nous est attest� d�ailleurs par Tertullien et saint Justin qui disent, dans leurs apologies, que les actes de Notre-Seigneur �crils par Pilate �taientnbsp;conserves a Rome dans les archives du senat; on sait de plus que les gouverneurs denbsp;provincesenvoyaient a I�empereur le r�citde tout ce qui se passait d�extraordinairedansnbsp;leur gouvernement: la m�me chose se fait encore aujourd�hui en France et partout.nbsp;2� File ne contient aucune particularit� qui r�pugne a la raison, ou qui contredise desnbsp;fails connus. 3� Elle affirme que Tib�re, irrit� du refus que le senat avait fait d�admettrenbsp;J�sus-Christ au nombre des dieux, se vengea de ce corps en faisant mourir plusieursnbsp;de ses membres. Ce d�tail n�a rien de contraire a 1�histoire; loin de la,ildonnela raisonnbsp;d�un fail rapport� par Tacite, par Suetone, savoir la vengeance exercee par Tib�renbsp;centre le senat. Quoi qu�il en soit de cette tradition, toujours est-il certain que le voilenbsp;sacr� est honor� au Vatican depuis la plus haute antiquit�. D�ja au huiti�me si�cle unenbsp;f�te solennelle �tait �tabiie en son honneur.
On ne manque pas de dire qu�on honorait autrefois dans plusieurs villes le voile sacr�; comme certains critiques de nos jours ne craignent pas d'avancer qu�on v�n�renbsp;dans plusieurs lieux le corps du m�me martyr. Puisque je suis amen� sur ce terrain ilnbsp;faut r�pondre bri�vement a ces pr�tendues difficult�s : 1� Peu importe ce qui se passenbsp;dans les aulres �glises; il sullit de savoir que le voile sacr�, conserv� a Rome, r�unitnbsp;au premier chef les trois preuves d�authenticit� : 1�antiquit� du t�moignage, la priorit�nbsp;du culte et le jugement de I�autorile comp�tente; 2� que l�existence simultan�e de plusieurs voiles OU mouchoirs sanclifi�s par l�attouchement du Sauveur n�a rien d�impos-sible, je dirai m�me qu�elle est tr�s-vraisemblable pour qui eonnait un peu 1�histoirenbsp;des premiers chr�liens; 3� que plusieurs ont pu �tre appel�s voile sacr�, paree qu�ilsnbsp;conlenaient quelque morceau du veritable. C�est ainsi qu�on a souvent d�tach� desnbsp;clous de la Passion plusieurs parcelles qui ont �t� enchdss�es dans des clous profanes,nbsp;de m�me que nous enchdssons des parcelles de la vraie croix dans d'autres croix denbsp;diverses mati�res. Or, dans le-langage chr�lien, ces seconds clous sont appel�s sacr�s;nbsp;et bien qu�ils n�aient perc� ni les pieds ni les mains du Sauveur, ils n�en s�nt pas moinsnbsp;l�objet d�une juste veneration. Il y aurait bien d�autres r�ponses a donner; mais ellesnbsp;d�passeraient les limites d�une simple note.
Quant au m�me martyr qu�on dit honor� en plusieurs lieux a la fois, je r�ponds 1� que le fait est faux, s�il s�agit du corps entier, et nos d�tracteurs sont mis au d�fi de lenbsp;prouver; 2� le fait est vrai, s�il s�agit d�une partie du corps. Ces expressions : Tellenbsp;�glise poss�de, honor� le corps, le bras, la t�te de tel saint, de tel martyr, ne signifientnbsp;pas que cette �glise poss�de r�ellement le corps, la t�te, le bras entier du saint ou dunbsp;martyr. Pour l�ordinaire, elles indiquent seulement qu�elle en poss�de une partie. Ennbsp;usage d�s les premiers si�cles, ces mani�res dc parler, oii l�on prend la partie pour lenbsp;tout, sont pleines d�un sens profond : elles montreni que la vertu du saint est tout en-ti�re dans la moindre partie de ses reliques (i). J�aurai occasion de revenir Ih-dessus,nbsp;en parlant des catacombes.
-ocr page 402- -ocr page 403-CONTEN�ES DANS LE TOME DEUXI�ME.
Pages.
28 D�cembre 1811. LeV�labre. Saint-Georges. Souvenirs de Sainte-Bibiane. Are de Janus quadriforme. Le grand �gout de Tarquin, cloaca maxima. Les �gouts de Rome en g�n�ral. Etymologie d�unnbsp;mot fort connu. Sainte-Marie-Egyptienne ou l�Eglise des Arm�-niens.
� nbsp;nbsp;nbsp;Theatre de Marcellus. Forum oUlorium. Portique d�Octavie.nbsp;Saint-Ange-in-Pescheria. Inscriptions remarquables. Cirque Fla-minien. Convent de Saint-Ambroise della Massima. Grand Cirque.nbsp;Dimension. Descriptions des jeux. Sainte-Marie-m-Cosmedfw.
50 � Mont Aventin. Souvenirs pa�ens. Souvenirs chr�tiens. Eglise de Sainte-Prisque. De Sainte-Sabine. Histoire. Mosa�que. Saint Dominique, son oranger. Eglise de Saint-Alexis. Histoire. Prieur� denbsp;Malte. Vue de Rome. Le Monte Texlaccio. Ordre bizarre d�H�lio-gabale.
� nbsp;nbsp;nbsp;Fin de Tann�e. Impressions. Te Deum au Ges�.
J.ANVIER 1842. Le premier jour de 1�an a Rome. Visite a Saint-Pierre. Dimension. Beaut�s artistiques. La chaire de Saint-Pierre. Les fon-dateurs d�ordres. De baldaquin. La Coupole. Saint-Pierre, imagenbsp;du ciel. Les reliques. Visite au P�re V� Baguette du p�nitencier.
2 � Organisation du gouvernement eccl�siastique. Congr�gations romaines, leur but, leur origine, leur constitution. La Propagande.
Le Saint-Of�ce. VIndex. La Congregation du concile. De 1�examen des �v�ques. De la residence des �v�ques. Des �v�ques et r�guliers.
De la discipline des r�guliers. De Timmunit� eccl�siastique. Con-gr�gation consistoriale. Congr�gation des rites. Des indulgences et des� saintes reliques. Des affaires eccl�siastiques extraordinaires.nbsp;Bapt�me d�une familie juive, son histoire.
5 � La P�nitencerie. La Daterie. La Chancellerie romaine. La Rote.
Les Encycliques. Les brefs. Les Bulles. Les L�gats a Latere. Les Nonces. Les L�gats-n�s. Les D�l�gats. Les Cardinaux protecteurs.nbsp;Visite a la familie juive. Conservatoire des N�ophytes.
4 � Piscina publica. Thermes de Caracalla. Statues. Excursion a�rienne. Souvenir de Caracalla. Vall�e de la nymphe Eg�rie.nbsp;Eglise des saints N�r�e et Achill�e. Origine de son nom de Fasciola. Les sept Salles. Les mules Sixte V. Forum de Nerva. Temple de Pallas. Boucherie des martyrs.
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5 Janvier. Ancienne region de la Yia Lala. Tombeau de Publicius Bibulus. Basilique des SS. Ap�tres. Maison de Martial. Templenbsp;du Soleil. Eglise de Saint-Marcel. Palais Doria. Eglise de Sainte-Marie-iw-Fid Lala. Prison de Saint-Paul. Palais de Venise. Eglisenbsp;de Saint-Marc.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;7�
� nbsp;nbsp;nbsp;L�Epiphanie a Rome. Messe latine, grecque, arm�nienne, ma-ronite. Agapes a la Propagande. F�tes des Langues. Impressions. 76nbsp;�� Le Quirinal. Temple du dieu Fidius. Temple de Qiiirinus. Place
du Quirinal. Palais. D�tails sur le Conclave. Souvenirs. Enl�ve-raent de Pie Vil. nbsp;nbsp;nbsp;80
8 � Fontaines de Rome. Aqueducs des anciens Remains. Puissance de la Ville �ternelle.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;92
� nbsp;nbsp;nbsp;Colonne Antonine. La L�gion Fulminante. Bas-relief. Edit denbsp;Marc-Aur�le. Restauration de la Colonne par Sixte V. Monte-Cito-rio. La Fontaine. Le Gnomon. Le Champ de Mars. Les Septa et lanbsp;Villa publica. Les Jardins, les Thermes et le Lac d�Agrippa. 98
� nbsp;nbsp;nbsp;Le Panth�on, son histoire. Richesses. Purification. Miracle. La
Minerve. Tombe du R. Angelico de Fiesole. Chambre de sainte Catherine de Sienne. Place Navone. Fontaines. March�. Jeux.nbsp;Sainte-Agn�s. ,nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;104
H � Palais Brasclii. Anecdote. Place de Pasquin. Chiesa nuova. Souvenirs de saint Philippe de N�ri. Le jeune Spazzara. Campo-di-Fiore. Theatre, portiques, curie de Pomp�e. Mort de C�sar. Palais Spada. Statue de Pomp�e. Saint-J�r�me de la Charit�. Naumachienbsp;de C�sar. Combat naval.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;111
12 � Audience papale. Impressions. Accueil du Saint-P�re. Royaut� pontificale. Cabinet particulier du Pape. Portrait de sa Saintet�nbsp;Gr�goire XVI. C�r�monie du baisement des pieds.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;118
15 � Visite au P. Mautone. D�tails sur saint Alphonse, sur sa canonisation. Lettre du Saint. Sa Th�ologie est-elle une Th�ologie locale,nbsp;nouvelle, dangereuse, de contrebande? Piquante conversation dunbsp;bon P�re. Visite a Saint-Louis-des-Franeais.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;123
15 nbsp;nbsp;nbsp;� Eglise de B�lisaire. Sainte-Marie-tn-Fornico. B�cher imp�rial.
17 nbsp;nbsp;nbsp;� Temple d�Antonin. Pont et chateau Saint-Ange. Anecdote sur
une bande de brigands. SAmle-Mane-in-Traspontina. Colonne de Saint-Pierre et de Saint-Paul. Coupole de Saiut-Pierre. Palla. Ci-meti�re des P�lerins.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;145
18 nbsp;nbsp;nbsp;� Le Trastevere. Pont Fabricius. Ile du Tibre. Pont Cestius. Souvenirs pa�ens. Monuments chr�tiens. Martyre de sainte C�cile.nbsp;Eglise de Sainte-C�cile. Son Tombeau. Sa chambre des bains. Mo-sa�ques de 1�abside et du choeur. Reliques. Vase du portique. Saint-Franeois-d-Riptt. Chambre de Saiiit-Francois. Cloitre du convent. 150
19 nbsp;nbsp;nbsp;� Sainte-Marie-w-Traslt;mre. Taberna mer�oria. Rescritd�Alexan-
dre S�v�re. Miracle de la fontaine d�huile. Preuves. Premi�re �glise de Rome d�di�e a la sainte Vierge. Vue de la fontaine. Inscriptions.nbsp;Mosa�ques. Tombeaux. Reliques de Martyrs. Les Transt�v�rins.nbsp;Saint-Pierre-iw-l/owtono.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;156
-ocr page 405-TABLE DES MATI�BES.
401
Pages.
165
20 nbsp;nbsp;nbsp;Janvier. Une execution.
167
175
21 nbsp;nbsp;nbsp;� Messe dans la prison de Sainte-Agn�s. Benediction des Agneauxnbsp;a Sainte-Agn�s-Aors-des-mttrs. D�tails sur Ie Pallium. Descriptionnbsp;de l�Eglise. Eglise de Sainte-Constance. Pri�res du soir. Visite aunbsp;cardinal Pacca.
22 nbsp;nbsp;nbsp;� Conversion de M. Ratisbonne. R�cit de M. de Bussi�res.
25 � Eglise de Saint-A.ndr�-delle-Fralle. Souvenir du cardinal Con-
178
salvi. Reflexions sur les arts a Rome. Conversation de Canova avec Napol�on. Visite des palais et des galeries particuli�res. Palaisnbsp;Barberini. Palais Borgh�se.
24 nbsp;nbsp;nbsp;� Palais Ruspoli. Escalier. Palais Chigi. Galerie. Biblioth�que.
Palais Rospigliosi. Aurore, du Guide. Buste de Scipion l�Africain. Eglise de Saint-Ignace. �ombeau de Saint-Louis de Gonzague.nbsp;Eglise du Ges�. Tombeau de Saint-Ignace. Thermes de N�ron. Palais Madame. Eglise de Saint-Eustaclie.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;185
25 nbsp;nbsp;nbsp;� Sainte-Marie-de-la-Paix. Souvenir de Sixte V. Sibylles de Raphael. Palais Vidoni. Pastes sacr�s de Verrius Flaccus. Palais Mattel. Bustes des empereurs. Peintures du Dominiquin. Palais Cor-sini. Ecce Homo, du Guerchin. Peintures de Paul Veronese, dunbsp;Titien, etc. Farnesine. Eglise de Saint-Aair�-della-Yalle. Peintures
de la coupole par Ie Dominiquin. nbsp;nbsp;nbsp;188
26 nbsp;nbsp;nbsp;� Palais Farn�se. Fontaines. Portique. Sculptures. Peintures.
Triomphe des Remains. Description du triomphe de Titus. Itin�-raire des triomphateurs. Fin du Triomphe. R�flexions. nbsp;nbsp;nbsp;191
27 nbsp;nbsp;nbsp;� Consistoire public au Vatican. Cinq cardinaux de plus. Tradition du chapeau. Anecdote. Retour au Forum. Seconde page dunbsp;triomphe. March� aux esclaves. Sort des esclaves chez les Remains. 198
28 nbsp;nbsp;nbsp;� Seconde partie du triomphe. March� aux esclaves. Condition de
l�esclave. Emplois. Traitement. Esclaves fugitifs. Punition. nbsp;nbsp;nbsp;201
29 nbsp;nbsp;nbsp;� Rome purement chr�tienne. Caract�re de la charit� roraaine.
Carte routi�re de la douleur. Charit� romaine pour Ie nouveau-n� et l�orphelin. Tour de l�h�pital du Saint-Esprit. Description de eetnbsp;h�pital.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;208
30 nbsp;nbsp;nbsp;� Charit� romaine pour Ie nouveau-n� et l�orphelin. H�pital Saint-^OCh-in-Ripetta. Sainte-Marie-iri-Aq�iro. Les enfants du Lettr�. 216nbsp;� Bapt�me de M. Ratisbonne. Continuation de la visite de Romenbsp;chr�tienne. Charit� romaine pour l�orphelin. Hospice apostolique
de Saint-Michel. Son origine. Ses quatre families. Son organisation. 220 1� F�vrier. Visite au eardinal Mal. Origine de la fable de la papessenbsp;Jeanne. Charit� romaine pour l�orphelin (suite). Hospice de Saintc-Marie-des-Anges. Hospice du Tata-Giovanni.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;226
2 nbsp;nbsp;nbsp;� F�te de la Chandeleur. Cierge b�nit. Charit� romaine pour l�or-pheline. Sainte-Catherine-des-Cordiers. Les quatre Saints couron-n�s. Les mendiantes. La Zoccoletto. Conservatoire de la Vlerge-des-Douleurs. Conservatoires Borrom�e, de Sainte-Euph�mie, de
la Divine-Providence. nbsp;nbsp;nbsp;230
3 nbsp;nbsp;nbsp;� Visite au cardinal Mezzofanti. Anecdotes. Charit� romaine pournbsp;1�orpheline (suite). Conservatoire Pie. Sainte-Marie-du-Refug�. Dots.nbsp;Archiconfr�rie de l�Annonciation. Chapelle papale de la Minerve. 233
4 nbsp;nbsp;nbsp;� Charit� romaine pour les malades. H�pital de Saint-Sauveur,
de Saint-Jacques, de Saint-Gallican. nbsp;nbsp;nbsp;240
.3 � Charit� romaine pour les malades qui ont besoin de prompts
T. II. nbsp;nbsp;nbsp;18
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TABLE DES MATI�BES.
Pages.
secours. Hospice de Sainte-Marie-de-la-Consolation, des Benfra-telli, pour les malades chroniques, pour ceux qui n�ont besoin que de rem�des ou de soins domestiques, les visites et l�Aum�nerienbsp;apostolique.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;245
6 nbsp;nbsp;nbsp;F�vkier. Charit�romainepourle convalescent, pour Ie pauvregu�ri.nbsp;Travaux publics. Secours particuliers. Aum�nerie apostolique. 250
7 nbsp;nbsp;nbsp;� Anecdote. Autres charit�s pour Ie pauvre. Visites a domicile.
8 nbsp;nbsp;nbsp;� Carnaval. Charit� romaine pour Ie pauvre sans abri. Visite a
Sainte-Galle et a Saint-Louis. nbsp;nbsp;nbsp;258
9 nbsp;nbsp;nbsp;� Le jour des Cendres. Chapelle papale. Charit� romaine pournbsp;les vieillards, pour les veuves. Asile Barberini pour les mourants.nbsp;Ministres des infirmes, pour les morts. Archiconfr�rie de la mort,
du suffrage. VAm-Maria des morts. nbsp;nbsp;nbsp;264
40 � Les Sacconi. Aum�nes particuli�res. R�flexions sur la charit� romaine.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;271
42 � Mis�re intellectuelle. Charit� romaine a l��gard des ignorants. Ecoles r�gionnaires, leur discipline, leur nombre. Ecoles gratuiles.nbsp;Saint-Joseph de Calasanz, origine de son oeuvre, ses d�veloppe-ments. Autres �coles gratuites pour les jeunes garpons. Les Doctrinaires, les Fr�res des Ecoles chr�iiennes.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;281
13 nbsp;nbsp;nbsp;� Visite aux �coles de petites filles. Fondation de la B. Ang�le de
M�rici. Ecoles pontificales. Ecoles des pieuses maitresses. Autres �tablissements. Remarques. R�sum�.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;286
14 nbsp;nbsp;nbsp;� D�part pour Naples. Albano. Souvenirs de saint Bonaventure.
La Paiazzola. Ruines d�Albe-la-Longue. Monte Cavo. Lac d�Albano.
Les Nymph�es. L��missaire. Castel-Gondolpho. Tombeaux pr�ten-dus d�Ascagne et des Curiaces. Horace et saint Paul. Aricia. Gen-zano. Lac N�mi. Civita Lavinia. nbsp;nbsp;nbsp;289
15 nbsp;nbsp;nbsp;� Vell�tri. Cisterna. Souvenir de saint Paul. Les Marais ponlins.
Ard�e, Antium, Sezze. Linea Pia. Forappio. Souvenir de saint Paul. Fossa Nuova. Souvenir de saint Thomas. Terracine. Temple denbsp;Jupiter Anxurus et de Minerve. Chateau de Th�odoric. Cath�drale.nbsp;H�pital et Palais de lanbsp;nbsp;nbsp;nbsp;R�sidence.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;294
16 nbsp;nbsp;nbsp;�� Guardiole. Souvenir de Tib�re. Souvenir d�Esm�nard. Fondi.nbsp;Chambre de saint Thomas. Le corsaire Fr�d�ric Barherousse. Itre.nbsp;Tombeau de Cic�ron. Mola di Gaeta. Villa di Cic�ron. Souvenirs
de Gaeta. Minturne. Le Liris. La Campanie. nbsp;nbsp;nbsp;303
17 nbsp;nbsp;nbsp;� Souvenir d�Annibal. Capoue. Ampliith�atre. Mosa�ques. Cath�
18 nbsp;nbsp;nbsp;� Vue g�n�rale de Naples. Rencontre d�un r�giment de la garde
19 nbsp;nbsp;nbsp;� Seconde visite a la Cath�drale. Chapelle du s�minaire. De Mi-nulolo. Crypte. Tombeau du roi Andr�. Chapelle de Saint-Janvier.
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403
Pages.
Tr�sor. Sacristie. Baton de saint Pierre. Eglise des Cliartreux. Mot d�un pape.
20 nbsp;nbsp;nbsp;F�vrier. Eglises de Saint-Pierre-ad- Aram, de la Pi�t�-di-Sangri, denbsp;Sairit-Paul-Majeur, de Saint-Ga�tan de Tiene, de Saint-Andr�-d�Avellino. Chambre de ce dernier. Saint-Doniinique-Majeur. Tableaux. Tombes royales. Souvenir de saint Thomas, h'Incoronata.nbsp;Fresques de Giotto. Eglise du Monte-Oliveto, Souvenirs du Tasse,nbsp;de Sainte-Marie del Carmine. Souvenir du malheureux Conradin.
Le Ges�-Nuovo. Cbambre de saint Jerouimo. Excursion au lac d�Agnano. Grotte du Chien. Villa de Pollion. Tombeau de Virgile.nbsp;Sainte-Marie-deJ-Porto. Tombeau de Sannazar. Sainte-Marie-a-pi�-di-GroUa.
21 nbsp;nbsp;nbsp;� Grotte de Pausilippe. Pouzzoles. Souvenir de saint Paul. Cath�-drale. Souvenir de saint Janvier. Pi�destal du temps de Tib�re.nbsp;Temple de S�rapis. Voie Campanienne. Le lac Lucrin. Anecdote.
Le lac Averne et la grotte de la Sibylle. Ba�a. Cumes. Bauli. Le cap Mys�ne. Piscine admirable. Les Champs Elys�es. Le Macaroni.nbsp;Souvenirs et impressions.
22 nbsp;nbsp;nbsp;� Pomp�i. Histoire et ruine de la ville. Aspect g�n�ral. Impres
sions. Examen des edifices religieux, civils et priv�s. Reflexions. 3S3 � Les Stud], OU Mus�e Bourbon. Vie religieuse. Vie publique. Vienbsp;priv�e des anciens.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;569
25
24
23
323
327
.ao4
� Le V�suve. R�sina. L�Ermitage. Souvenir de Spartacus et de Pline. Arriv�e au sommet du V�suve. Descente au crat�re. Ferti-
lit� des terrains volcaniques. Herculanum. Portici. Le Corricolo. 579 � L�Albergo des Pauvres. Charles III. Benoit XIV. Le Padre Rocco.nbsp;Charit� napolitaine pour les enfants abandonn�s. Ponti-Rossi.nbsp;Saint-Janvier-des-Pauvres. Catacombes. Coll�ge chinois. Ges�-Vecchio. Corps de saint Cbrysante et de sainte Darie. La Vestalenbsp;martyre. Pi�t� napolitaine. Moeurs publiques. Anecdote.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;386
FIN DE LA T.ABLE DO TOME DE�XI�ME.
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