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LES

TROIS ROME.

26 FÉVRIER.

Voyage a Mugnano. — Cemetino. — Catacombes. — Église. — Christ de Constantin. Instruments de martyre. — Grotte de Saint-Félix. — Fourches-Caudines. Mu-gnano.

Bien avant Ie jour, notre léger équipage volait sur Ia belle route Qui traverse les plaines accidentées de la Campanie septentrionale ;

Ie but de notre pèlerinage était Mugnano. Ce bourg, situé a dix-neuf löilles de Naples, est devenu célèbredepuis quelques années. La reposenbsp;Ie corps d’une jeune martyre des premiers siècles, que Dieu se plaitnbsp;a glorifier par de nombreux miracles. Son nom est connu de tous lesnbsp;chrétiens : elle s’appelle sainte Philomène. Comme tant d’autres pè-lerins, nous avions a déposer è ses pieds Thommage de nos voeux etnbsp;de nos actions de grftces.

A trois lieues et demie de Naples, nous rencontrSmes Ie petit village de Cemetino. II n’est marqué sur aucune carte géographique, il n’estnbsp;connu d’aucun voyageur; cela doit être, on n’y trouve que des anti-quités chrétiennes. Un prêtre Napolitain nous avait dit; « Les touris-les ont telleraent scandalisé nos cicerone, que, pour ne pas jeter lesnbsp;perles devant les pourceaux, ces derniers ne parlenl presque jamaisnbsp;aux étrangers des objets religieux; ils refusent même les détails qu’onnbsp;leur demande, a moins que votre costume ou une recommandationnbsp;particuliere ne les rassure. » C’est ce qui nous arriva au village denbsp;Cemetino.

« Oü sont les catacombes, oü est la grotte de Saint-Félix? deman-dèmes-nous au gardien de l’église. Son regard lixé sur nous, sa bouche muette, son air soucieux semblaient nous interroger et nousnbsp;dire : Qui êies-vous? puis-je sans profanation vous montrer les monuments des martyrs? Enfin nous lui parlémes de l’abbé D. B.; et Ienbsp;bon jeune horame s’erapressa de nous introduire dans des catacombesnbsp;d’une grande richesse et d’un immense intérêt.

T. 111. nbsp;nbsp;nbsp;1

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o nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.

Résidence du gouverneur de la Campanie, Nole, qui comptait une population de 30,000 êmes, fut a différent es reprises Ie théfttre denbsp;sanglantes persécutions; outre ses propres enfants, elle vit martyrisernbsp;les chrétiens du voisinage amenés au tribunal du gouverneur. De cenbsp;nombre fut saint Janvier, évêque de Bénévent, jeté dans une chau-dière brülante que nous verrons bientót. Avec saint Félix, évêque denbsp;Note, périrent trois mille deux cents fidèles, entre autres les illustresnbsp;vierges Julia et Jucunda. Leur martyre ent lieu sous V’^alérien, l’an Ï259.nbsp;Or, les exécutions se faisaient a Cemelino, éloigné de dix minutes environ de la ville. Les corps des champions de la foi y furent déposés,nbsp;dans une catacombe appelée Ccemeterium in Pincis. Elle est devenuenbsp;célèbre par l’innombrable concours des pèlerins qui s’y rendaient denbsp;toutes les parties de l’Occident et même de l’Orient, ainsi que Ie té-moigne saint Paulin. J.jui-même augmenta la gloire de ce lieu vénéra-ble, en y passant plusieurs années de sa vie auprès du corps de saintnbsp;Félix et des martyrs. Cinq églises furent élevées sur cette catacombe;nbsp;celle du milieu, dédiée a saint Félix, brillait comme une perle enchas-sée dans des perles :

Et manel in mediis quasi gemmh intersila gemmis.

Basilicas per quinque sacri spatiosa sepulcri

Atria diffundens........(i).

On entre aujourd’hui dans ces vénérables sanctuaires en passant sous un are monumental, appelé \' Arco Santo, qui porte sur la gauche Finscription suivante :

Siste gradum, quamvis propcras, en siste, viator.

Te cogat pietas, relligioque loei.

Ingredere, et cineri manibus da lilia plenis Felicis; felix posce, et habebis iter :

Quemque Augustinus, Paulinus, Bedaque dictis Concelebrant, flexo tu venerare genu.

Ingredere, at mundo corde, et simul excule plantas.

Sanctorum quando corpora mille premas.

L’église dédiée a saint Jean l’Évangéliste présente trois autels, ou arcosalium, assez semblables a ceux des catacombes de Rome. Celuinbsp;du milieu porie l’antique inscription :

ARA VERITATIS.

A gt;plt; n

(i) S. Paulin., Epist.

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CATACOMBES. nbsp;nbsp;nbsp;7

Prés de eet autel séculaire, on voit d’un cóté la chaire pontificale, en simple bois, de l’illustre évêque de Nole, saint Paulin; de l’autre,nbsp;un grand bassin de marbre destiné a recevoir Ie sang des martyrsnbsp;qu’on égorgea dans ces lieux. A gauche de la même basilique est unenbsp;vaste grotte en ouvrage réticulé, opus reticulatum, qui forme unenbsp;salie carrée dont un angle est occupé par une large ebaudière, gros-sièrement construite en mattoni. C’est 1^ que fut jeté, pour étrenbsp;brülé vif, saint Janvier, évêque de Bénévent; mais, comme Ie disciplenbsp;bien-aimé, Ie vénérable pontife sortit sain et sauf du milieu des flam-Htes ; il était réservé amp; d’autres combats. De chaque coté ouvrent deuxnbsp;petites chambres ou plutót deux cachots solidement voütés furentnbsp;enfermés saint Janvier et les compagnons de son martyre, Festus,nbsp;Desiderius, Proculus, Eutychès et Acacius. En avant de la ebaudière,nbsp;dans une espèce A’arca, on voit les colonnes oü les martyrs étaientnbsp;flagellés ; les tachés de sang sont encore très-reconnaissables. Suivantnbsp;Ie pieux usage des pèlerins catholiques, nous les balsames avec unnbsp;respectueux amour, en nous recommandant aux puissantes prières desnbsp;courageux témoins de notre foi.

Bestait a visiter la partie des catacombes qui est ü droite de l’église. Nous traversames, pour nous y rendre, Ie ciinetière actuel. Au milieunbsp;des tombes modernes, la piété conserve debout Ie gibet des martyrs :nbsp;il se compose de deux colonnes antiques, auxquelles on pendait, parnbsp;une corde passée de Tune a l’autre, les chrétiens que Ie glaive ne de-vait pas immoler. Peuple élrange que ce peuple païen dont Ie caprice,nbsp;bien plus que la volonté des juges, ordonnait ces différents genres denbsp;mort! il voulait du sang; mais, pour Ie boire avec délices, il exigeaitnbsp;de la variété dans les tortures ; il put se satisfaire, car la nouvellenbsp;crypte oü nous descendimes fut une véritable boucherie. Une longuenbsp;inscription rappelle les noms et les combats des héros chrétiens quinbsp;triomphèrent dans ces souterrains obscurs, comme leurs frères denbsp;Rome, au grand jour de Famphithéatre. Non loin de la se trouve lanbsp;fosse profonde qui rappelle un des fails les plus glorieux de notre bis-toire primitive.

Saint Félix, prétre de Nole, s’était chargé du gouvernement de cetle église pendant l’absence de l’évêqiie saint Maxime, caché dansnbsp;les montagnes, a cause de la persécution. Félix fut arrêté, flagellé,nbsp;jeté, pieds et mains liés, dans un cachot ténébreux, hérissé de mor-ceaux de verre et de pots cassés. Délivré par un ange, il se rend au-près de son évêque, é qui il sauve la vie, et revient sur Ie théfttre dunbsp;combat ; les soldals du gouverneur Ie rencontrent, et ü moins d’un

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8 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ItOME.

miracle il ne peut échapper. Sur sou chemin il trouve une caverne dans laquelle il se jette. Les persécuteurs arrivent; mais une toile d’a-raignée, miraculeusement étendue sifr 1'entrée de la groUe, leur faitnbsp;prendre Ie change; ils passent, et Ie saint, nourri dans ce souterrainnbsp;par une courageuse chrétienne, en sort au bout de six mois pour re-commencer en paix son glorieux ministère. Nous vimes l’ouverture denbsp;la grotte et la grotte ellermême. Je connaissais Ie fait avant de visiternbsp;Ie lieu qui en fut Timmortel thédtre; aussi jamais je n’ai mieux sentinbsp;la différence qu’il y a entre lire ou entendre Ie récit d’un miracle, etnbsp;voir de ses yeux, et toucher de ses mains la place méme oü il s’ac-complit. L’dme vivement émue, nous sorlimes de ces souterrains,nbsp;Irempés d’abord du sang des martyrs, puis baignés, pendant plusieursnbsp;siècles, des larmes d’innombrables pèlerins venus de l’Orient et denbsp;rOccident (i).

L’église qui s’élève aujourd’hui sur Ie sol est riche de marbres et d’inscriptions anciennes. Vers Ie milieu brille l’autel du Saint-Sacre-ment, rempli d’ossements de martyrs; dans une armoire, ou plutótnbsp;dans un vaste dyplique placé au-dessus de l’autel d’une chapelle la-térale, on conserve Ie premier crucifix, fait par ordre de Constantin;nbsp;la tradition Ie fait remonter a Tan 316.11 est en argent, et par la posenbsp;du torse et par Ie caractère grandiose de la figure il rappelle Ie typenbsp;byzantin, dont Rome conserve quelques beaux monuments (a).

Au-dela de Ccmetino, la route serpente entre des montagnes ferti-les, dont la cime était alors couverte de neige. C’est au centre de ces montagnes, non loin de Grotta Minarda, l’ancienne Crypta Minarda,nbsp;que se trouve Ia vallée d’Arpajo (s). Nous nous y engageames afin denbsp;visiter les Fourches-Caudines, théalre fameux de la plus grande humiliation romaine. Un double défilé, formé par une chaine de montagnes circulaires; puis, dans Ie fond de Ia vallée tour ü tour large etnbsp;resserrée, un ruisseau coulant a petit bruit; tel est l’aspect des lieux.nbsp;Or, nous reportant è l’an de Rome 433, il nous semblait voir les Ro-mains, trompés par les soldats de Pontius déguisés en bergers, etnbsp;s'engageant témérairement dans ce dangereiRc passage, pour arrivernbsp;plus vite au secours de Lucérie assiégée par les Samnites. Ils ontnbsp;franchi Ie premier défilé; mais arrivés au second, ils en trouventnbsp;Tissue fermée par un rempart de troncs d’arbres et de quartiers denbsp;rochers. lis lèvent les yeux, et toutes les hauteurs sont couvertes d’en-

(1) nbsp;nbsp;nbsp;S. Paulin., Natalie., 6, ctc.

(2) nbsp;nbsp;nbsp;Boldetli, üsservaz., etc., lib. u, c. 19, p. G07 et suiv.

(3) nbsp;nbsp;nbsp;Voyez la savante disserlalion du P. Danielo, 1778.

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FOURCnES-CAÜDINES. nbsp;nbsp;nbsp;^

nemis; ils veulent retourner sur leurs pas, mais une barrière, sem-blable la première, vient de fermer Tissue du défilé. D’un cóté, nous voyons les fiers Remains, déconcertés, allant, venant, s’interrogeant,nbsp;et ne sachant que résoudre; de Tautre, nous entendons les Samnitesnbsp;qui les accablent de railleries, et qui font retenlir ces Tieux sauvagesnbsp;de leurs chants de triomphe. Enfin Ie moment fatal est arrivé ; deuxnbsp;lances, fixées en terre, en supportent une troisième, et ferment Ie jougnbsp;de la bonte; et voici les consuls, dépouillés de leurs armes et desnbsp;marqués de leur dignité, qui s’avancent les premiers et qui passentnbsp;sous Ie joug; puis les légions, n’ayant d’autre vêtement qu’une simplenbsp;tunique, subissent h leur tour Tignominieuse cérémonie. Les Samni-les, descendus des hauteurs, ferment une double haie entre laquellenbsp;passent les vaincus sous Ie feu de plaisanteries sanglantes. Tout n’estnbsp;pas rose dans la poursuite du pouvoir et des honneurs : avis aux am-bitieux.

Saluant sur la droite Avellino, terre elassique de Texcellente noisette qui lui dolt son nom, et patrie de saint André, la gloire des Théatins, nous laissémes a gauche Bénévent, ville de 13,000 ames,nbsp;non moins célèbre par sa 'poTteAurea, toute bfttie en marbre de Paros,nbsp;et par ses ponts de pierre jeté sur Ie Calore, que par ses nombreuxnbsp;souvenirs. A un mille et demi d’Avellino, on apergoit Ie Monte Ver-gine, sur lequel s’élève un des sanctuaires les plus fréquentés de Tl-talie. Enfin nous découvrimes, situé entre deux chaines de montagnes,nbsp;Ie petit village de Mugnano. L’église, éloignée de la route de quelquesnbsp;centaines de pas, se dessine gracieusement a Textrémilé d’une avenuenbsp;plantée de jeunes arbres ; une rarape douce conduit jusqu’au portailnbsp;de Tédifice. Sur la gauche de la nef est la chapelle de Tillustre mar-tyre. Les richesses qui Tembellissent, les nombreux ex-voto qui cou-vrent les parois, témoignent éloquemment de la puissance de la Saintenbsp;et de la piété des fidèles. Autour de la pierre tombale, apportée desnbsp;catacombes avec Ie corps de la jeune héroïne, on voit des ex-voto en-voyés de la Chine, avec des inscriptions honorifiques qui attestent lanbsp;reconnaissance des rois et des reines de Naples et des autres pays. Surnbsp;cette pierre, Tinscription de la Sainte, gravée en forme de banderolle,nbsp;se présente ainsi ;

lvmena in pace n,


et doit se lire;

FILVMENA IN PACE.

Le gardien du tombeau est un prêtre vénérable, qui nous re^ut

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tES TROiS ROME.

comrae des frères; sur ses pas nous enlrames dans la chapelle de la Sainte. A peine étions-nous prosternés au pied de l’autel que l’orgue senbsp;fit entendre, accompagné du tintement harmonieux des sonnettes atta-chées aux cordons du rideau qui couvre la cMsse. Ge signal annon^aitnbsp;aux nombreux pèlerins agenouillés dans l’église, qu’on allait exposernbsp;les reliques. En effet, Ie voile tiré, la glorieuse Martyre apparut a tousnbsp;les regards, reposant sur un lit de velours, enrichi de pierreries. Surnbsp;sa tête, environnée de l’auréole, brille une couronne de perles; sesnbsp;bras sont ornés de braeelets d’or, et sa main porte la palme du martyre : a cette vue lout Ie monde se proslerna et Ie Credo et la doxologienbsp;au Dieu des martyrs furent trois fois répétés en choeur. Le vénérablenbsp;gardien, revêtu du rochet et de l’étole, ouvrit alors le tabernacle d’oiinbsp;il lira le vase du sang; il le lil baiser a chaque fidéle en pronongantnbsp;cette simple formule qui renferme tous les voeux : Per intercessionemnbsp;beatw FilumencB virginis et martyris liberet te Deus ab omni malo.nbsp;Amen. « Par l’intercession de sainte Philomène vierge et martyre, quenbsp;» le Seigneur vous délivre de tout mal. Ainsi soit-il. »

Nos prières linies, nous demandömes a collationner. On nous in-diqua l’hótel, dont je donne Fenseigne en faveur de ceux qui vien-dront après nous ; Locanda e Trattoria de divoli di S. Filomena, di Domenico Stincone. Or, je dois prévenirnossuccesseurs queM. Dominique Stincone fait faire parfois maigre chère è ses hótes. Un oeufnbsp;frais el quelques feuilles de l’inévitable broccoli, voila tout ce qu’ilnbsp;nous fut possible d’obtenir. Nous en primes bravement notre parti,nbsp;pensant qu’un peu de pénitence ne nuit pas é la prière.

II était décidé que nous ferions une pointe dans la Capitanate. Pourquoi nous éloigner ainsi du but primilif de notre voyage? Quinbsp;nous appelait dans un pays rareraent parcouru par les étrangers? Nosnbsp;nouveaux bacbeliers n’avaient pas encore oublié que la est le champnbsp;de bataille de Cannes; et nous voulions le visiter. Sept heures son-naient lorsque nous arrivames è Cérignola, gros bourg connu par sonnbsp;commerce d’amandes, oü nous passftmes la nuit. Un de nos jeunesnbsp;amis, naguère chef des Carthaginois dans son collége, la trouva biennbsp;longue, tant il désirait voir de ses yeux le nouveau théatre de 1’humi-lialion romaine.

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CUAMP BE BATAILLE BE CANNES. II

27 FÉVRIER.

Champ de balaitle de Cannes.— Marche d’Annibal. — Nole. — Saint Paulin. — Auguste.

— Les cloches. — Retour a Naples.

De grand matin toutle monde fut debout, et peu de temps apres la ¦voilure s’arrétait sur Ie fameux champ de bataille. II est situé a deuxnbsp;lieues environ en de§a de Barletta, I’ancienne Barulum, dont la fortenbsp;citadelle domine les bords de I’Adriatique. Deux collines courant pa-rallèlement Tune i I’autre, en laissant entre dies une large vallée, ferment Ie cirque immense oü Rome et Charthage se disputèrent 1 empirenbsp;du monde. Venus pour être témoins de cette grande lutte, nous nousnbsp;assimes sur une des collines; prés de nous coulait une fonlaine abon-danteounous voyions tour a tour s’abreuveretles chevaux d’jEmilius etnbsp;les éléphants d’Annibal. Les trompeltes ont sonné; les armees s’é-branlent; un long cliquetis de lances, heurtées les uncs centre lesnbsp;autres, glace I’^ime de terreur et ébranle les échos d’alentour. Le dés-ordre se met bientót dans les rangs de I’armee romaine, 1 acharne-ment redouble, de part et d’autre ; pour la quatrième fois Annibal estnbsp;vaiuqueur. Quatre-vingt mille Remains sent taillés en pieces, et lanbsp;plupart laissent leurs cadavres dans cette vallée qui, après plus denbsp;vingt siècles, conserve encore le nom de Champ-du-Sang, Campo dinbsp;Sangue.

Sur le théatre de ce nouveau triomphe on admire vivement le génie d’Anifibal; mais on ne sail comment expliquer sa marche militaire ennbsp;Italië. II avait battu les Remains sur les bords de la Treble et du lacnbsp;Trasimene. Après cette dernière victoire, la route de Rome lui ciaitnbsp;ouverte; il n’était qu’é vingt-huit lieues de cette capitale. Pourquoi,nbsp;au lieu de s’y porter rapidement, s’en eloigner de soixante lieues etnbsp;gagner les cótes de I’Adriatique? Serait-ce qu’une main invisible, lanbsp;main de celui qui réservait a Rome I’empire du monde, écartait mys-térieusement le vainqueur? Annibal se rapprochait-il de la mer, afinnbsp;de recevoir plus facilement de Carthage les secours devenus nécessaires après tant de combats et de fatigues? Voulalt-il détruire lesnbsp;Remains en détail, et ne laisser aucune armée sur ses derrières, pournbsp;n’être pas pris entre deux feux, lorsqu’il mettrait le siége devantnbsp;Rome? La question resta pour nous indécise malgré une très-savantenbsp;discussion qui eut le tort de durer jusqu’a Nole, et de nous faire ou-blier de saluer de loin Venosa, palrie d’Horace :

Nam Vesinus arat finem sub utrumque colonus.

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12 LES TROIS ROME.

Nole est une des plus anciennes villes de la Campanie; elle doit son origine aux Étrusques, et compte aujourd’hui neuf mille ftmes. Denbsp;grands souvenirs se raltachent i cette humble cité, trop négligée parnbsp;les voyageurs. Les tombeaux qui couvraient les plaines environnantes,nbsp;ont fourni Ia plupart des vases étrusques qu’on admire au Musée denbsp;Naples. Défendue par Marcellus, Nole eut deux fois la gloire de résis-ter au vainqueur de Cannes; mais des héros d’un autre genre la firentnbsp;tomber sous l’empire de la Croix. Saint Pierre, Ie premier, y planta Ienbsp;consolant étendard que sa main vlctorieuse allait arborer au sommetnbsp;du Capitole (i). Après lui des légions intrépldes défendirent Ie dra-peau chrétien attaqué a Nole, comme dans Ie reste du monde. Aunbsp;troisième et au quatrième siècle. Maxime, Félix, Acace, Aurelia, etnbsp;mille autres y soutinrent les terribles combats qui ont assuré Ienbsp;triomphe du christianisme. Dans ce champ, si bien arrosé, nousnbsp;voyons venir, au iv“ siècle, un illustre cultivateur, dont Ie nora rap-pelle toutes les gloires. Le lils des sénateurs, Ie consul, Ie préfet denbsp;Rome, le riche, dont les domaines s’appelaient des royaumes, regnanbsp;Paulini; l’ami de saint Ambroise, de saint Augustin, l’égal de cesnbsp;grands hommes par le génie, l’éloquence et la vertu, saint Paulin,nbsp;évêque de Nole, était notre compatriote. Quel noble souvenir pour desnbsp;voyageurs francais!

Nous étions sur les lieux que reraplit encore d’un déllcieux parfum son impérissable mémoire. Apprenant que nous étions Francais, lesnbsp;chanoines réunis a la sacristie s’empressèrent de nous parler de cenbsp;grand homme et de faire l’éloge d’une terre féconde en pareils fruits ;nbsp;« Nos Pères, disaient-ils, le virent arriver au tombeau de saint Félix,nbsp;avec ses deux compagnes chéries, Fhumllité et la pauvrelé. Toute sonnbsp;ambition se bornait ii être le portier de l’église du Saint; il la balayaitnbsp;le matin, la fermait Ie soir, Ia gardait pendant la nuit. Chaque annéenbsp;il composait un poème qu’il offrait, en guise de présent, au saint Martyr, le jour de sa fête (2). Que de larmes il versa, lorsque, après quinze

(1) Remundini, Hist, ecdes. Nolan.; Struvius, p. 140G, etc. — Comme il est plusieurs fois question dans eet ouvrage de l’origine apostolique des óglises d’Italie, je crois devoirnbsp;citer ici le témoignage de saint Léon : « Manifeslum est, inquit, in omnem Italiamnbsp;» nullum instituisse Ecclesias, nisi eos, quos venerabilis apostolus Petrus aut ejusnbsp;» successores constituerint sacerdotes. » Epist. xxv. ad Decentium Engubium, n. 11. —nbsp;Le savant Mamachi ajoute que ces Églises remontent évidemment aux temps apostoli-ques : « IMstulisse autem eos ad tertium quartumve satculum, ut, in Italia, religioninbsp;» latissime propaganda operam darent, cum in remotissimis regionibus adeo propagatanbsp;X secundo sseculo csset, ut ne vicus quidem esset, in quo Christus minime coleretur,nbsp;» numquam eredam. » — Orig. et Antiq. christ. t. ii, lib. 2, p. SIS, note.

(ï) Nous avons quinze de ces poèmes dignes des plus beaux siècles de l’anliquité lit-

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SAINT PA13L1N. nbsp;nbsp;nbsp;15

ans passés dans l’exereice de la plus humble fonclion écclésiastique, il fallut monter, en devenantévöque, au premier rang de la hiërarchie;nbsp;mais rhumilité et la pauvreté y montèrent avec lui.

La veille de sa mort, comme il était étendu sur sa pauvre couche, Ie prétre Postumien vint lui dire ; « Père, il est dü quarante pieces d’ar-gent pour les habits des pauvres. » — « Tranquillisez-vous, lui répon-dit Ie Saint en souriant, mon banquier paiera. » II avait a peine fini,nbsp;qu’un prêtre de Lucanie arriva, apportant cinquante pieces d’argentnbsp;de la part d’un évêque et d’un pieux chrétien. « Postumien, dit Ie saintnbsp;vieillard, remerciez avec moi Notre-Seigneur; donnez deux de ces pieces d’argent au inessager, et avec les autres payez ce qui est dü auxnbsp;marchands qui ont habillé les pauvres. » La nuil étant venue, il dormitnbsp;un peu; puis il réveilla les prêtres pour dire matines, suivant sa cou-tume, et il demeura en silence jusqu’ü l’heure de Vépres. Les lampesnbsp;étant allumées, il étendit doucement les mains en disant d une voixnbsp;basse ; « J’ai préparé une lampe a mon Christ ; » Pavdvi lucernatnnbsp;Christo meo; et il s’endormit du sommeil des bienheureux : c étaitnbsp;i’an du Seigneur 431. « S’il était permis ü des enfants d’en vouloir anbsp;la meilleure des mères, ajouta Ie doyen du chapitre, nous en voudrionsnbsp;ü Rome qui a fait transporter, auprès des Apótres, Ie corps de notrenbsp;Père. Quand vous retournerez dans cette ville, je vous prie de lui fairenbsp;une visite en notre nom; vousletrouverezdansl’églisedeSaint-Barthé-lemy-en-l’lle. »

Quelques-uns de ces vénérables confrères voulurent bien nous con-duire dans la crypte oü reposent les reliques de saint Félix. Comme celui du prophéte, Ie corps du glorieux martyr, révéré du monde entier,nbsp;continue d’opérer des prodiges ; de ses ossements desséchés découlenbsp;une huile miraculeuse qui guérit les malades.

Au sortir de l’église, nous visitüraes quelques ruines païennes, peut-être celles du palais oü mourut Auguste; mais on ne peut Faffirmer, tant elles sont informes. Par quel secret conseil la Providence a-t-ellenbsp;xoulu que les mêmes lieux vissent expirer Ie héros du paganisme, Ienbsp;superbe maitre du monde, et Ie héros de l’Évangile, 1’opulent rejelon

téraire; ils sont des trésors pour 1’apologisle et même pour 1’artiste chrétien. Saint Paulin a mis en deux vers tout Ie dogme de Ia presence réelle :

tn cruce fixa caro est, qua pascor; de cruce sanguis Ille fluit vitam quo bibo, corda lavo.

Ailleurs i\ parte de la peinture morale des églises, dont il fait un magnifiqne éloge en 1’appelant Ie grand livre des ignorants, etc.

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'14 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.

des plus illustres Romains, devenu volontairement humble et pauvre pour l’amour de Dieu et de ses frères? Pourquoi nous a-t-elle conservénbsp;les détails précis de ce double trépas? Ne serait-ce. pas afin que lanbsp;postérité s’intruisit en contemplant sur Ie même théfttre, aux prisesnbsp;avec la mort, ces deux hommes, qu’on peut appeler la personnilica-tion de leur foi religieuse et du monde qu’ils représentent? Nousnbsp;avions assisté aux derniers instants de saint Paulin; et la douce séréniténbsp;de son visage, et la joie de son Ame, et l’onction de ses paroles, et lanbsp;tendresse de ses adieux, et la délicieuse conflance entre les bras denbsp;laquelle il s’endort, nous faisaient dire : Puissions-nous mourir ainsi!

En parcourant les ruines païennes, nous contemplions Auguste mourant: quels voeux sa fin peut-elle inspirer? Obsédé par Livie, qu’ilnbsp;avail enlevée è Drusus Néron, son époux, Ie vieil empereur déshériienbsp;son petit-fils Agrippa Poslhume, et lègue Ie tróne de l’univers a Ti-bère, fils de Livie. L’inquiétude Ie mine; il cherche une diversionnbsp;dans les plaisirs et dans les voyages. Livie lui persuade d’accompagnernbsp;jusqu’a Bénévent Tibère qui part pour I’lllyrie : Ie mailre du monde,nbsp;devenu l’esclave d’une femme, obéit. Tibère s’est embarqué, Augustenbsp;veut retourner è Rome; mais de violentes douleurs d’estomac et d’in-teslins ne lui permettent point de passer Nole. L’histoire dit qu’afinnbsp;d’assurer l’empire h Tibère, Livie aurait bate la lin du vieil empereur,nbsp;en empoisonnant des figues sur un arbre oü il avail coutume d’ennbsp;aller manger (i). Quoi qu’il en soit, celte femme, aussi ambitieusenbsp;que débaucbée, cxpédie promptement un courrier è Tibère, pour luinbsp;ordonner de revenir; puis elle dispose autour du palais des gardesnbsp;qui en ferment exactement toutes les avenues : aucune nouvelle nenbsp;parvient au malade sans la permission de Livie, et rien de ce qui senbsp;passe dans Ie palais impérial ne transpire au dehors.

Cependant Ie matin du 19 aoüt, de Tan de Rome 766, Ie chef du monde païen, se sentant mourir, demande un miroir, ordonne qu’onnbsp;lui ajuste les cheveux et qu’on pare un peu ses joues tombantes. Puis,nbsp;faisant appeler quelques amis prés de son lit: « N’ai-jepas lien joué,nbsp;leur dit-il, la farce de la vie? eh Men done! applaudissez (%). Aprèsnbsp;un pareil adieu, il fait sortir tout Ie monde, et il expire. II était troisnbsp;heures de l’aprcs-midi, lorsque Auguste donnait ce dernier spectaclenbsp;dans la mème chambre oü était mort son père Octave ; c’était Fan 14 denbsp;Jésus-Christ. Grace k Livie, qui faisait toujours rassurer Ie peuple sur

(i) Dion. Lvi, p. 675.

(a) Amicos admissos percunclatus : Ecquid iis viderelur mimum vitse commode tran-segisse, adjecit el clausulam, etc. — Sucl. Aug. 99.

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LES CLOCHES. 15

la santé du prince, on sut si bien prendre les mesures esigées par les circonstances, que Ie même instant apporta la nou\elle de la mortnbsp;d’Auguste et de i’avéneinent de ïibère (i).

La vie hunaaine n'est qu’une farce et Thomme un comédien; voila done Ie dogrne suprème qu’Auguste lègue ii l’univers! Dans cette parole quel matérialisme abject'. Comme on s’éloigne avec horreur dunbsp;moribond qui la prononce! Comme on bénit Ie Dieu rédempteur quinbsp;est venu rehabilitee Thomme si profondément déchu, et lui apprendrenbsp;(lue la vie du temps est l’apprentissage decisif de la vie de 1 éternité!

iNous avions quitté Nole, sans penser aux cloches, mais eet ouhli lut bientüt réparé. A peine étions-nous dans la campagne quel Ave Marianbsp;sonnait a la cathédrale. « Étrangers, qui emportez de ces lieux tantnbsp;de souvenirs, semblaient nous dire ces cloches, n’oubüez pas que nousnbsp;sommes d’origine campanienne : Nole nous vit naitre, Rome nousnbsp;conserva, Ie monde chrétien, qui nous adopta, nous aime et nous bénit.nbsp;Voyageurs qui passez, bénissez-nous vous-mémes. Notre voix doit vousnbsp;être chère; depuis Ie berceau jusqu’a la tombe, elle s’associe aux joiesnbsp;de Thomine pour les animer, a ses douleurs pour les adoucir; carnbsp;toujours elle chante 1’immortelle espérance, fondée sur les consolantsnbsp;mystères qu’elle redit seule en ce moment. » Tons ensemble nous sa-luftmes avec les cloches, et TArchange messager de I’lncarnation, etnbsp;Marie, et Ie Verbe fait chair.

L’histoire et la poésie des cloches nous occupaient encore, lors-qu’une voix rauque se fit entendre a la portiere de la voiture : Ipas-saporti: Les passeports? Nous n’en avions pas; et l’alguazil qui veil-lait a la barrière de Naples voulut d’abord arrêter nos Excellences et les conduire au violon; puis s’adoucissant, ii exigeait quelques carlinsnbsp;pour nous laisser passer. Nous tinmes ferme, et il finit par se retirernbsp;en nous appelant Francesacci: tel fut Ie seul malheur de cette longuenbsp;el belle journée.

28 FÉVRIER.

Préambule..— Anecdote sur saint Alphonse de Liguori. — Nocera. — Frèrc Philippe.

Chauihre de saint Alphonse de Liguori. — Details sur sa mort. Son portrait—

La Cava. — La Bibliothèque. — Retour a Naples. — Prédicateuis dans les mes.

Tout Ie monde sait qu’au dernier siècle une ligue formidable d’é-crivains licencieux et impies mena^ait et la religion, et la socicté, et les croyances, et les moeurs ; l’épouvantable èatastrophe qui ébranla

i, o.

(i) Tacit. Annal.

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16 nbsp;nbsp;nbsp;lES TROIS ROME.

Ie monde, fut Ie résultat de cette conspiration infernale. A ce torrent dévastateur, Dien prit soin d’opposer de puissantes barrières. Desnbsp;hommes de génie, des saints furent suscités pour arrêter les flots denbsp;Terreur; et, en protégeant Ie dépót des saines doctrines, conservernbsp;aux races futures Tunique moyen de rentrer d^ns Tordre. Paris cou-ronna Ie coryphée de la licence et de Timpiété : TEurope applaudit;nbsp;et, de nos jours encore, Ferney, demeure souillée du cynique vieil-lard, est Ie but d’un pèlerinage obligé pour nn grand nombre denbsp;voyageurs. L’ceil ouvert, Toreille tendue, la bouche béante, Ie cceurnbsp;ému, ils entrent dans Ia chambre du philosophe anti-chrétien. C’estnbsp;a peine s’ils osent toucher du bout du doigt les rideaux déchirés denbsp;son lit, OU la vieille canne qu’un jardinier centenaire leur donne pournbsp;avoir appartenu au maitre de la maison. Ils notent tous ces détails, ilsnbsp;sont fiers de les avoir re^us, ils se font gloire de les raconter : leurnbsp;voyage de Ferney est une époque mémorable de leur vie.

Malgré cela, ou plutöl h cause de cela, certains hommes seront peut-être fort étonnés de voir Ie voyageur chrélien chercher avec em-presseraent les lieux habités par nos saints et nos grands hommes;nbsp;les visiter avec bonheur et parler avec entrainement des émotionsnbsp;qu’ils lui font éprouver; Ie monde est ainsi fait. « Si, comme tantnbsp;d’autres, disais-je a mes jeunes amis, nous courions Tltalie pour ynbsp;voir des tableaux, des statues, des ruines païennes, des lieux célèbres,nbsp;théamp;tres des actions souvent fort peu honorables des héros de Tanti-quilé, on trouverait cela tout simple. Nous passcrions pour des amateurs, peut-être pour des connaisseurs, et Ton ne manquerait pas denbsp;s’écrier : Quel charmant voyage ils ont fait! Mais paree que nousnbsp;mettons chaque chose è sa place; qu’aux souvenirs païens que nousnbsp;sommes loin de négliger, nous donnons la préférence aux souvenirsnbsp;chrétiens; que les catacombes de Cemetino, par exemple, ce champnbsp;de bataille oü nos pères vainquirent glorieusement Ie paganisme, nousnbsp;inspirent plus d’intérêt que les Fourches-Caudines et Ia vallée denbsp;Cannes, vous verrez qu’on aura peine è nous pardonner. N’importe,nbsp;nous continuerons comme nous avons commencé. Salut aux ruinesnbsp;païennes, mais prédilection pour les monuments et les sanctuairesnbsp;chrétiens : admiration pour les chefs-d’oeuvre du génie; mais, avantnbsp;tout, respect, amour, admiration pour nos saints et nos martyrs, aunbsp;sang, aux sueurs, aux travaux desquels nos critiques ne sont pas moinsnbsp;redevables que nous des lumières, des institutions, de la supérioriténbsp;sociale dont Ie monde actuel est si fier. »

Je faisais ce petit préambule, en courant, vers trois heures du matin.

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ANECDOTE SER SAINT ALPHONSE »E LIGCORI. nbsp;nbsp;nbsp;17

sur la route de Portici. II était amené par les circonstances : nous allions Nocéra. Nocéra est Ie lieu élernellement cher au chrélien, oünbsp;vécut, écrivit, souffrit et mourut Ie saint Francois de Sales de Fltalie,

Ie grand soutien de la foi et des moeurs contre les crreurs du dernier siècle ; j’ai nommé saint Alphonse-Marie de Liguori. Une de nos joiesnbsp;était de visiter sa chambre et d’offrir les augustes mystères sur sonnbsp;glorieux tombeau. Outre les documents contenus dans sa vie, plusieursnbsp;fois impritnés, nous avions sur Ie saint évêque de nombrcux détailsnbsp;conservés dans la jnémoire des vieillards. A l’amp;ge de seize ans, Alphonse fut repu par acclamation docteur de Tuniversité de Naples;nbsp;ce brillant succès ne Féblouit pas un instant. Jaloux de conserver lanbsp;pureté virginale de son cmur, dont l’orgueil est Ie plus dangereuxnbsp;ennemi, Ie saint jeune homme se retirait souvent dans la solitude pournbsp;y fortifier sa vertu. Son asile privilégié était la maison des Lazaristes,nbsp;connus a Naples sous Ie nom de Missionnarj della Vergine.

Or, j’avais beaucoup fréquenlé è Paris un de ces vénérables enfants de saint Vincent de Paul, qui résidait alors h Naples. Quelques joursnbsp;avant Ie voyage de Nocéra, j’étais allé lui rendre visite. Avec une cor-dialité que je n'oublierai jamais, Ie bon père F.... me fit les honneursnbsp;de la maison. Après m’avoir montré l’église, la chapelle intérieure,nbsp;les jardins, les cloitres, etc. : « Maintenant, me dit-il, il faut que jenbsp;vous fasse voir une celluie qui est pour nous un précieux sanctuaire; »nbsp;et il m’ouvrit la modeste chambre dans laquelle Ie jeune de Liguorinbsp;venait faire sa retraite annuelle. « Peut-être, ajouta l’aimable vieillard,nbsp;ne seriez-vous pas föché de faire connaissance avec Ie prédicateur qui

convertit saint Alphonse? 11 est chez moi, venez. »

Nous entrimes dans la chambre du missionnaire, qui me fit asseoir prés de lui, en face d’un tableau couvert d’un voile épais.« Ce tableau,nbsp;me dil-il, est a la Mission depuis environ cent ans; il nous a été envoyénbsp;par un de nos Pères de Florence. La vérilé du fait qu’il rappelle estnbsp;attestée par des preuves toujours visibles, par Ie témoignage de nosnbsp;Pères de Florence et par la deposition jurée du héros de cette ef-frayante histoire ; nous conservons dans nos archives Ie procès-verhalnbsp;authentique de tont cela. Done, un vieillard de Florence entretenailnbsp;depuis longtemps des rapports criminels avec une femme. Après unenbsp;résistance opiniatre è la grace, il se convertit; niais la femme demeurenbsp;impénitente ; elle meurt. Or, un soir que eet homme était en prièresnbsp;dans sa chambre, au pied d’une grande image de Notre-Seigneur ennbsp;croix, il entend autour de lui comme Ie bruit d’un ouragan, du milieunbsp;du bruit une voix lugubre, la voix de la femme, qui crie : 3e suis

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jg nbsp;nbsp;nbsp;LES ÏIIOIS ROME.

damnée! Par la permission de Dieu, je viens vous donner une marqué de l’activité du feu qui me brüle. A l’instant, deux mains de feu sontnbsp;imprimées, avec les cinq doigts, sur Ie tableau, qu’elles percent denbsp;part en part. » En pronongant ces paroles, Ie Père léve Ie voile, et jenbsp;vois, en effet, sur la vieille gravure, Pempreinte de deux mains bru-lantes, qui ont enlevé, comrne un emporte-pièce, Ie papier touché,nbsp;tandis que les parties voisines sont parfaitement inlactes : circonstancenbsp;qui, aux yeux même de la science, rend Ie fait humainement inexplicable. Le talon des mains a porté sur Ie cadre, qu’il a carbonisé avecnbsp;la même precision : tout cela est horrible a voir.

« Dans une retraite, continua le père F...., on montra publique-ment ce tableau. Vous jugez de l’impresslon qu’il produisit sur un coeur comme celui d’Alphonse. Quoique déja tout é Dieu, le saintnbsp;jeune homme ne cessait de répéter : C’est a ma retraite aux Mission-naires della Vergine, que je dois ma conversion. »

Cependant nous avions dépassé Pompéi ainsi que sa soeur, l’infor-tunée Slabia; bientót la route descendit dans une large vallée au fond de laquelle apparaissait la petite ville de Nocéra. Comme les cilésnbsp;voisines, Nocéra, fondée par les Grecs, devint colonie romaine, et futnbsp;saccagée par Annibal. Plus tard elle tomba au pouvoir des Sarrasinsnbsp;qui l’occupèrent pendant plusieurs siècles : de la lui est venu le noninbsp;de Nocéra-des-Païens, comme a sainte Agathe, sa voisine, celui denbsp;Sitinie-Agathe-des-Golhs. Si le voyageur profane n’y voit rien quinbsp;excite sa curiosité, il en est autrement du pèlerin catholique. Tout ynbsp;parle de saint Alphonse; et tout ce qui touche é ce grand hommenbsp;inspire un vif intérêt. Dans les humbles religieux du Très-Saint-liedempteur nous trouvames des frères remplls d’attention et de cor-dialité, qui nous accordèrent, de la meilleure gréce du monde, lanbsp;faveur de célébrer la messe sur le tombeau de leur père. L’illustrenbsp;évêque repose dans l’église qu’il a fait bétir; son corps est placé sousnbsp;l’autel de la chapelle qui forme la partie gauche du transept. Quandnbsp;nous y entrêmes, cette chapelle était entourée d’une foule de pèlerinsnbsp;qui répandaient leurs larmes et leurs prières devant \e bon saint,nbsp;dont leurs pères avaient si longtemps admiré la douceur inaltérable,nbsp;la pauvreté évangélique et la charité toute paternelle.

De l’église, nous passames au réfectoire. La première chose que nous fit remarquer le Père supérieur, c’est la place de saint Alphonse.nbsp;II nous semblait voir encore le vénérable vieillard, assis sur un petitnbsp;banc de hois adossé a la muraille, et déposant, dans une assiette placéenbsp;devant lui, les prémices de son repas, qu’il offrait è Notre-Seigneur

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CHAMBKE DE SAIST ALPHONSE DE LIGUORI.

dans la personae d’un pauvre. Une soupe au broccoli, accompagnée d’un morceau de bceuf et de viande salée, tel fut, avec deux orangesnbsp;pour dessert, Ie menu du fragal déjeuner qui nous attendait. Le lingenbsp;et la vaisselle n’ctaient pas moins en harmonie avec l’esprit de mortification et de pauvreté qui distingue les dignes religieux. Frère Philippe ajouia par sa conversation un nouvel assaisonneinent aux metsnbsp;que sa main nous avail préparés. Frère Philippe! mais c est Fadmi-ration du pays et la joie de la maison. Apprenant que nous élionsnbsp;Francais, il obtint la permission de nous parler, el il nous racontanbsp;son histoire. Vieux soldat de l’Einpire, blessé en vingt batailles, il futnbsp;inconsolable de la chute de. son Empereur. Dégoülé du monde, ilnbsp;chercha le repos au service du seul maitre que nul ne peul détröner,nbsp;ct il se fit religieux dans la congrégation du Saint-Rédempteur. La vienbsp;des camps ne lui a permis d’apprendre ni le lalin, ni la théologie . ilnbsp;n’est done ni prédicateur, ni confesseur, ni écrivain ; il est cuisinier.nbsp;Plein de gaité, il conserve dans son humble emploi quelque chosenbsp;de ces allures mililaires et de cetle brusque franchise qui vont, on ne

peut mieux, avec le froc noir et le tablier blanc.

Au déjeuner succéda la visite de la maison. Nous examinamp;mes avec respect ce cloitre, ces corridors, ces cours intérieures que le Saintnbsp;avail si souvent parcourus, et nous arrivftmes au piano nobile : li senbsp;trouve l’apparteraent du glorieux fondateur. Une petite porie en boisnbsp;nu, ouvrant sur le corridor, donne passage ^ une celluie d’cnvironnbsp;dix pieds de longueur sur buit de largeur. On ne peut se defend renbsp;d’un saisissement religieux, en voyant ces murailles froides et nues,nbsp;ce parquet en briques grossières, ce plafond aux traverses saillantes,nbsp;reconvert d’une couche de plamp;tre a peine suflisante pour fermer lenbsp;passage a la poussière; cetle petite fenêlre, mal close, devanl laquellcnbsp;le grand docleur composa la plupart de ses pieux et savants ouvrages,nbsp;eet autel élevé depuis 1’époque de la canonisation et qui rappelle parnbsp;sa pauvreté le détachement dont il saint fit toujours profession.

Une cloison, garnie d’une porte vitrée, sépare le cabinet de travail fie la chambre a coucher. Entré dans cette seconde pièce, j’en fis l’in-veniaire. Un petit lit compose d’une simple couverture et d un matelasnbsp;mince comnie une plancbe, reposant sur un fond en bois supporlé parnbsp;quatre pieds en fer de irente centimètres de hauteur; trots vieillesnbsp;chaises en paille; deux fauteuils séculaires garnis en peau, dont 1’unnbsp;il roulettes qui servait a promener le saint vieillard dans les corridorsnbsp;de la maison; une petite table, une lampe en cuivre, un cierge quinbsp;brulait prés de son lil de mort; lel est I’ameublement du moderne

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20 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.

docteur de l’Église, du fils des grands de la terre, de l’illustre évéque de Sainte-Agathe. Chose bien significative! la religion catholique seulenbsp;inspire im pareil mépris des choses créées et du bien-être matériel.

Dans cette chambre vénérable, disposée comme Ie jour même oü Ie saint expira, les Pères qui nous accompagnaient nous parlèrent desnbsp;derniers moments d’Alphonse : « Notre bienheureux Père, disaient-ils,nbsp;avait toujours désiré de raourir au milieu de ses enfants. Sa confiancenbsp;en Marie était si grande, qu’il ne doutait pas qu’elle ne lui obtint cettenbsp;consolation. «Mon Dieu! écrivait-il au milieu même de sa carrière, jenbsp;» vous reraercie d’avance de la grace que vous me ferez de mourir en-» touré de mes très-chers enfants, qui n’auront alors d’autre sollici-» tude que mon salut éternel, et qui tous m’aideront è bien mourir. »nbsp;Son espérance ne fut pas vaine : ii la première nouvelle de sa maladie,nbsp;nos Pères et nos Frères arrivaient sans discontinuer de toutes nos mai-sons; et, comme un autre Jacob, Alphonse entra dans sa dernièrenbsp;agonie environné de sa nombreuse familie qu’il bénil avec effusion; etnbsp;cette chambre oü nous sommes, et les corridors que nous avons par-courus, furent inondés de larmes.

» Le Père recteur et Ie père Buonapane se tenaient au chevet de son lit; au pied était agenouillé le père Fiore. L’un d’eux lui présenta unenbsp;image de la sainte Vierge, en lui disant de l’invoquer pour la bonnenbsp;mort. Au nom de Marie, le saint ouvrit les yeux, prit l’image. Ia con-templa longtemps, et entra dans une douce extase qui le conduisit dansnbsp;I’éternité bienheureuse. On ne remarqua ni révolution dans son corps,nbsp;ni contraction dans ses membres, ni serrement de poitrine, ni soupirnbsp;douloureux: et pourtant il était mort. Ce fut le 1“” aoèt 1787, vers lesnbsp;onze heures du matin, a Page de 90 ans, 10 mois et o jours, que notrenbsp;Père, environné de ses enfants, s’endormil dans les bras du Seigneurnbsp;et de la très-sainte Vierge, au moment oü Pon sonnait YAngelus. »

En nous donnant comme gage de notre visite le véritable portrait du saint, les Pères ajoutèrent sur sa personne quelques détails, impri-més depuis dans les Mémoires du père Tannoja (i). « Notre Père étaitnbsp;de taille moyenne; il avait la tête grosse, le teint vermeil, le frontnbsp;large, Pceil agréable et d’un bleu d’azur, le nez aquilin, la bouchenbsp;petite et toujours le sourire sur les lèvrcs. Sa barbe était épaisse et sesnbsp;cheveux noirs; il les portait courts, et se les coupait souvent lui-même.nbsp;11 était myope et se servait de lunettes, qu’il ótait toujours quand ilnbsp;était en chaire ou qu’il parlait aux femmes. Sa voix était claire et so-

(») 5 Vol. ia-8o. Paris, 1842.

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IA CAVA,— LA BIBLIOTHÊQDE. nbsp;nbsp;nbsp;21

nore : telle spacieuse que fiit Téglise et telle longue que fut Ia mission, elle ne lui manqua jamais, et il la conserva ainsi jusqu’a sa mort. IInbsp;avail un port imposant, des manières graves et gracieuses i la fois, sinbsp;bien que tout en lui coneourait a Ie rendre aimable. »

Le temps était venu de dire adieu è eette sainte maison. A.près nous être prosternés de nouveau devant 1’autel du glorieux docteur, nousnbsp;resumes l’embrassement des bons Pères, et nous partiraes pour Ianbsp;Cava. Cette petite ville, batie dans la vallée pittoresque de Monte Me-telUano, est célèbre par son monastère de Bénédictins, un des plusnbsp;intéressants de l’Europe. Pendant les guerres intestines qui, au moyennbsp;iige, désolèrent l’Italie, le monastère de la Cava devint le trésor oü lesnbsp;particuliers déposaient leurs chartes et leurs titres de noblesse ou denbsp;propriété. Le respect universel dont les religieux étaient 1 objet, for-niait une barrière autour de leur demeure, que ni 1 homme d armes,nbsp;ni le paladin, ni le seigneur, si haut et si puissant qu il fut, n osaitnbsp;franchir. A cette double circonstance est due la richesse scientifiquenbsp;du célèbre couvent. On y conserve environ 60,000 parchemins origi-naux; puis un code de lois des Lombards, que Muratori n a pas connu,nbsp;lorsqu’il a publié sa collection. Je m’étonne que quelques-uns de nosnbsp;élèves de l’école des chartes n’aillent pas se fixer sur les lieux, et explorer cette mine féconde.

A en juger par l’accueil que nous resumes, ils peuveut compter sur la réception cordiale el robligeance h toute épreuve des excellents religieux. Sous la conduite du Pcre archiviste, nous visit4mes la biblio-thèque, qni est bien, suivanl Pexpression de M. de Bonald, Ie vastenbsp;sépulcre de Pinlelligence humaine; seulement il est au pouvoir desnbsp;vivanls de ressusciter les morts, et nous en évoquimes quelques-uns.nbsp;Leur savoir, leur bon sens, la vivacilé de leur foi, la naïveté de leurnbsp;langage, nous firent vivement regretter de n’avoir a leur donner quenbsp;quelques instants fugilifs; mais le temps nous pressait; nous devionsnbsp;renirer è Naples avanl la nuit. Toulefois le Père archiviste nous re-Oöt : « Voyez encore, nous dit-il, cette Bible du vui® siècle. » Puisnbsp;1 ouvrant b dessein ii l’évangile de saint Jean, il ajouta : « S il y a desnbsp;sociniens en France, veuillez leur dire que vous avez lu de vos yeux lenbsp;fameux passage : 3Ves sunt tjiui testifnonium dnnt in cwlOy Patev,nbsp;Verbum et Spiritus sanctus, et hi tres unum sunt. Au moins vousnbsp;saurez qu’ils out tort de rejeter le mystère de Ia sainte Trinité, pareenbsp;qu’ils n’ont pas lu ce passage dans qpelque ancien mauuscrit. »nbsp;Grdce h I’activité de noire postillon, nous arrivAmes sur le quai Na-politain au soleil couchant. Le golfe, au bleu d’azur, illuminé des der-

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22 LES TROIS ROME.

niers feux du jour, semé de bètiments aux diverses couleurs et sillonné d’embarcations légères, présentail un coup d’ceil jnagnifique et très-animé : Ie quai lui-méme offrit un autre spectacle. De nombreux pro-meneurs encombraient les larges trottoirs; les cafés étaient entourésnbsp;d’amateurs qui buvaient, lisaient, causaient autour de petites tablesnbsp;placées dans la rue. Au milieu de cette multitude agitée comme lesnbsp;flots de la mer, nous vimes, dans les retraits formes de distance ennbsp;distance par les maisons voisines, des prédicateurs en plein air, montésnbsp;sur Ie Palco, espèce d’estrade en simples planches; ils tenaient è lanbsp;main un grand crucifix et annongaient avec feu la parole qui a sauvénbsp;les pauvres et les petits. II y avait foule au sermon; et ce qu’il y a denbsp;mieux, silence, respect, attention parmi les auditeurs, tous debout etnbsp;chapeau bas. Ni Ie bruit du corricolo qui brulait Ie pavé, ni les crisnbsp;des enfants qui jouaient dans Ie voisinage, ni les conversations des pas-sants qui, brochant sur Ie tout, allaient et venaient comme les üotsnbsp;poussés en sens divers, rien ne distrayait l’auditoire, suspendu ennbsp;en quelque sorte aux lèvres du prcdicateur. Telles sont encore les villesnbsp;de ritalie; sans craindre l’outrage ou Ie mépris, la religion peut senbsp;montrer dans les rues et sur les places publiques; elle peut même ynbsp;répandre la divine sentence avec la consolante certitude de trouver unenbsp;bonne terre pour la recevoir.

Tous les prédicateurs étaient des jésuites. Le soir méme j’eus l’oc-casion de rencontrer un de ces religieux et je lui manifestai l’étonne-ment que m’avait causé le singulier spectacle, dont j’avais souvent ouï parler, mais que je venais de voir pour la première fois.

(c Ne craignez-vous pas, lui disais-je, d’exposer la parole sainte a la dérision, et nos augustes vérités au mépris? D’ailleurs, quel fruit pou-vez-vous espérer de discours faits en pareils lieux, a de pareils auditeurs, et en pareilles circonstances? — Vous n’êtes pas le premier anbsp;qui ces réllexions soient venues. Les étrangers blAment volontiers cenbsp;qui n’est pas conforme aux usages de leur pays; et Ton dit ici que lesnbsp;voyageurs frangais ne sont pas les derniers è se faire remarquer parnbsp;eet esprit de critique dont la légèreté est le moindre défaut. Quant aunbsp;mépris que vous redoutez, vous avez pu vous convaincre qu’il n’existenbsp;pas. J’ai souvent rempli la même fonction que nos pères, et si j’avaisnbsp;apergu quelque marqué de dérision, je ne craindrais pas de vous lenbsp;dire. Chez nous, le respect pour la religion n’est pas encore un vainnbsp;mot: sera-t-il durable? Je l’ignore; mais jusqu’ici nous pouvons con-server nos usages héréditaires sans craindre l’inconvénient que vousnbsp;signalez. Vous me demandez ensulte quel fruit nous pouvons espérer

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ISCHIA. — PKOCWA.

de ces prédications en plein venl? Le succès n’est pas noire affaire, on nous dit de prêcher et nous prêchons. Comme nos pêcheurs du golfe,nbsp;les pêcheurs évangéliques jettent leurs filets un peu au hasard; quel-quefois on les retire vides, maïs d’autrefois on y trouve de belles pieces ; l’esprit de Dien souffle oü ü veut. Tel homme qui, sous un pve-teste OU sous un autre, ne viendrait pas a Téglise pour entendre unnbsp;sermon, s’arrête en passant devant nos Palchi; ü écoute, une bonnenbsp;pensee tombe dans son ceeur, el dans un temps donné elle portera sounbsp;fruit; je vous parle d’après Fexpérience. 11 faut bien que cette experience soit fondée, puisque nos plus grands saints de Rome et de Nanbsp;pies ont encouragé el pratiqué ce ministère populaire. Je ne vous ci-ferai que saint Alphonse, dont vous avez aujourd'hui visité le tombeau.

Sur les traces de seinblables modèles nous marchons avec confiance et cn connaissance de cause. Serez-vous assez obligeant pour le dire enbsp;notre part a quelques-uns de vos eorapatriotes? »

Je le promis au bon Père et nous nous sépararoes.

V MARS.

ïschia. — Procida-. — Vèpres Siciliennes. — Grotie d’Azur. — Capri. — Souvenirs de Tibère. — Monte Solaro. — Souvenirs des Francais. — Salerne. — Tombeau de saintnbsp;Maltliieu,— De saint Grégoire VII.—Amalfi. — Calbédrale.—Souvenirs historitiues.nbsp;Atrani. — Portes do San-Salvalore.—Sorrento.— Le Tasse. — Quisisaua. Castel-lainare. — Yierge de Pozzano. — Barque niarchande. — Pieux usage.

On trouve 4 Naples des bateaux a vapeur qui font en une journée le tour du golfe. Ils reldchent plusieurs fois et laissent aux passagersnbsp;le temps de voir les points remarquables de la cóte. De grand matinnbsp;nous nous embarquames sur un joli pyroscaphe qui, par exception,nbsp;devait parcourir le double golfe de Naples et'de Sorrento. On levanbsp;1 ancre au milieu des eris de joie d’un nombreux et brillant équipage.nbsp;Afin d’éviter toute répétilion, je ne parlerai pas du spectacle enchan-teur dont Foeil jouit constammenl pendant le cours de cette délicieuse

promenade.

Arrivés en pleine mer, nous saluames, sur Ia gauche, Ischia et Pro-cida, iles moitié grecques et moitié romaines, qui se dessinent vers la pointe occidentale du cap Misène. La première compte vingt millenbsp;habitants. L’excellence de ses eaux thermales y attire un grandnbsp;nombre de malades, et l’amateur de paysages la visite pour jouir dunbsp;spectacle de ses vallées pitloresques, de sa vegetation vigoureuse etnbsp;du pic de TÉpomée. Du haul de cette aiguille volcanique on a, dit-on.

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24 LES TROIS ROME.

un coup d’oeil qui ne Ie cède en rien h celui du Pic de Ténériffe. Enfin Ischia, VInarima de Virgile et d’Homère, et la Pythecusa de Plinenbsp;et de Strabon, rappellent au pèlerin catholique la miraculeuse arrivéenbsp;de sainte Restitute, conduite k ces rivages par la main puissante dunbsp;Dieu des martyrs.

Au-dessus de Procida, plane une ombre sanglante, dont la \ue fait frissonner Ie voyageur francais. Du milieu de l’ile s’élancent les pansnbsp;délabrés de hautes et tristes murailles. Aujourd’hui simple rendezvous de chasse, ces ruines séculaires furent jadis Ie redoutable manoirnbsp;du cruel Jean de Procida, seigneur de l’ile, et principal auteur dunbsp;fameux massacre de nos compatriotes, connu sous Ie nom de Vépresnbsp;Siciliennes. Honoré de la confiance des rois de Naples, Jean de Procida fut disgracié par Charles d’Anjou, et jura de se venger. Médecinnbsp;habile, il profita des relations nombreuses que lui procurait l’exercicenbsp;de son art, pour ourdir une vaste conspiration qui aboutit au carnagenbsp;des Francais, alors maitres de la Sicile. Afin qu’aucune victime nenbsp;put échapper, les conjurés faisaient répéter ü toutes les personnesnbsp;qu’ils rencontraient Ie mot cicerone, dont la prononciation difficilenbsp;trahissait l’étranger qui était sur-le-champ mis a mort. Commencé knbsp;Palerme, Ie jour de Püques, a Tissue des Vépres, Ie massacre fut sinbsp;complet, qu’il enlraina la chute de la domination frangaise: c’étaitnbsp;Tan 1284. L’ile de Procida ne compte que douze mille habitants; ellenbsp;jouit néanmoins d’une certaine célébrité, due a Thabileté de ses ma-rins et i» la beauté de ses faisans.

Pendant que nous tenions les regards fixes sur ces deux oasis de la mer, Ie pyroscaphe marchait de toute la force de sa vapeur ; bientótnbsp;on signale la Grotte d’Azur. Un bateau plat se détache de la rive etnbsp;vient prendre les voyageurs, curieux de visiter Ie phénoraène souterrain. Grace i un vent d’ouest qui agita les flots jusque la fort tran-quilles, nous fumes jetés sans accident amp; Touverture de la grotte. Sousnbsp;une voute très-élevée, d’oü pendent par milliers de gracieux stalactites,nbsp;est un lac d’environ trente mètres de circonférence sur quatre de pro-fondeur. L’eau, les rochers, Ie sable, les coquillages, tout parait d’unnbsp;bleu d’azur; tandis que la transparence de Teau est si parfaite qu’onnbsp;croit pouvoir prendre avec la main les coquillages dont les formesnbsp;variées se dessinent gracieusement au fond du lac ; tel est Ie phéno-mène que Toeil admire, et que la science explique ou croit expliquernbsp;par des raisonnements dont Ie simple exposé m’entrainerait trop loin.

Après la Grotte d’Azur, Tile Capri vint appeler notre attention. Je ne sais quel mouvement de peur et de pitié on éprouve en foulant

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mokte SOLMlO.

jaUl.TA»:' nbsp;nbsp;nbsp;—-----

poor la première fois la trop célèbre Caprée ; la sinistre image de Tibère vous suit partout. A.U sommet d’un léger monticule on voit esnbsp;ruines bien conservées du palais de ce prince. Les mosaiques, lesnbsp;riches ornements, les thermes somptueux, redisent imparfaitement lanbsp;vie souillée du maitre du monde; plus éloquent est Ie rocher solitairenbsp;sur lequel était assis Ie donjon impérial. D’une voix que les sièclesnbsp;n’ont pu affaiblir, il accuse la sombre déBance et les basses cruautésnbsp;du fils de Livie. Pour lout dire en un mot, Caprée, ile voluptueuse

et inabordable, devait êlre la demeure de Tibère.

L histoire a pris soin de justifier cette induction. Je me rappe ais ce passage ou Suétone et Tacile raconlent que Tibère, faligué de lanbsp;contrainle que lui imposait Ie séjour de la capitale, quitta Rome pournbsp;n’y jamais rentrer. II fit défendre par un décret affiché publiquement,nbsp;a quiconque de venir troubler son repos. Environné de soldals quinbsp;empéchaient de l’approcher, il se promena longlemps dans des heuxnbsp;écartés de la Campanie; mais nulle part il ne trouva une solitu enbsp;assez profonde. Gêné par la vue des hommes et des villes, il abandonnanbsp;la terre ferme et passa dans 1’ile de Caprée ; aucun séjour ne pouvaitnbsp;mieux lui convenir. Entouré d’écueils, Caprée n’est accessible que parnbsp;un seul endroit, tellement que personne ne peut y aborder sans ètrenbsp;vu; du reste, c’est une demeure délicieuse. Abritée contre les ventsnbsp;du nord, elle est rafraichie pendant l’été par une brise parfumée. Lenbsp;golfe de Naples est en perspective et les voyageurs s’accordent encorenbsp;a regarder le coup d’oeil dont on jonil du Monte Solaro, comme lenbsp;plus beau de toute ITtalie. Tibère y fit balir douze palais magnifiques,nbsp;qui devinrent douze maisons d’incroyables débauches, et douze pré-toires sanglants, d’oü parlirent pendant onze années des arrêts denbsp;proscription et de mort (i).

Le farouehe empereur se trouvait done h l’aise, paree que, séparé du reste du monde, il pouvait se livrer sans contrainte a ses vicieuxnbsp;penchants. Tel est, ajoutenl les bistoriens, le motif de la préférencenbsp;qu il donna au séjour de Caprée. Entr’autres preuves, Suétone rap-porte l’avenlure d’un malheureux pêcheur, qui nous revinl è la mé-moire, Ce brave homme ayant pêché un beau surmulet, sa premièrenbsp;pensée est de l’offrir a 1’empereur; il grimpe par des rochers fortnbsp;escarpés et se présente inopinément k Tibère, Irrilé, effrayé, ce princenbsp;fait saisir le malheureux pêcheur, et ordonne qu’on lui froUe le visagenbsp;avec son poisson. Pendant qu’on exécute l’ordre tyrannique.le pêcheurnbsp;se félicite hautemeni de n’avoir pas apporté une grosse écrevisse de

(i) Plia. lib. 111,6.

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26 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.

rner qu’il avait prise avec Ie surmulet; Ie barbare empereur profile de l’avis pour augtnenler la rigueur du supplice. II envoie cherchernbsp;récrevisse et, la substituant au surmulet, il fait mettre Ie visage dunbsp;pêcheur tout en sang (i).

Mi'

Selon l’invariable conduite de la Providence, Pile de Caprée, souillée de tant de crimes, devait être purifiée. EUe Ie fut, elle Pest encorenbsp;par Ia présence séculaire de saints religieux, et par une notable partienbsp;des reliques de Pillustre vierge et marlyre, sainte Agathe (2). Un autrenbsp;rapprochement se présente au voyageur francais ; Capri lui rappellenbsp;un des plus glorieux exploits de nos compatriotes. De victoire en vic-toire, Murat venait de monter sur Ie tróne de Naples; tout Ie pays luinbsp;obéissait amp; Pexception de Pimprenable Capri. Murat ordonne au gé-néral Lamarque de réduire cette forteresse. Lamarque part avec 1600nbsp;hommes d’élite, el, après des prodiges d’audace, il force les assiégésnbsp;a capituler. A cette occasion Salicetti, ministre de Naples, écrivait denbsp;Capri : « J’y ai trouvé les Francais, mais je ne puis croire qu’ils ynbsp;soient entrés. » Or, celui qui défendait ce nouveau Gibraltar, élait Ienbsp;futur geólier de Sainte-Hélène, sir Hudson-Lowe!

Nous doublames rapidement Ie cap Campanella, et quelques heures suffirent pour nous rendre au rivage de Salerne. Voyez cette villenbsp;d’environ douze mille ames, gracieusement assise sur Ie penchant desnbsp;montagnes, dominant Ie golfe qui porte son nom. Ses rues irréguliè-res, élroites, pavées de dalles du Vésuve, ses édifices aux murs bario-lés, semblent indiquer une ville moderne et d’une importance secondaire; pourtant c’est l’antique Salernum, la fille des Grecs, l’esclavenbsp;des Domains, des Lombards et des Normands; la cité savanle dontnbsp;l’école médicale est connue du monde entier. Mais Ie temps et lesnbsp;hommes, plus redoutables que Ie temps, ont mutilé, changé son antique physionomie. L’Université existe encore, mais elle ne jette plusnbsp;d’éclat; et les aphorismes précieux de l’école de Salerne ont été tra-duits en vers burlesques (3).

La cathédrale, gothique d’origine, est toute moderne par les orne-ments et les decorations de l’artiste san Felice. Ce qui reste k Salerne, c’est la gloire de posséder Ie corps de l’apötre saint Matthieu et dunbsp;pape saint Grégoire VIL Rapportées du pays des Parthes, oü Ie pê-

(1) nbsp;nbsp;nbsp;Sliet., lib. LX.

(2) nbsp;nbsp;nbsp;S. Greg., lib. i, Epist. 54, ad Jo. Episc. Surrentinnm.

(5) Ils lurent écrits cn vers latins au commencement du xii« siècle par Jean de Milan, en faveur de Robert, due de Normandie. Ce poème dont il ne reste que Ie tiers (373 versnbsp;sur 1239) a été travesti en vers burlesques par L. Martin, en 1633.

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c)7

TOMEEAU DE GREGOIEE VH.

o.heur évangélique avail tendu ses filets et terminé sa carrière, les reliques de saint Matthieu furent déposées a Salerne, l’an 1080. Lanbsp;reconnaissance authentique de ce précieux trésor eut lieu par les soinsnbsp;de l’évêque Alfano. Ce prélat écrivit en cette occasion une éloquentenbsp;lettre au pape saint Grégoire VU, que Baronius a pris soin de nousnbsp;conserver avec la réponse du Souverain Pontife (i). Appuyé sur cenbsp;double ténioignage que justifie la constante tradition et 1’éclat des miracles, Ie voyageur calholique se prosterne respectueusement devantnbsp;Ie tombeau du glorieux Apötre, et il ne se relève que pour répandrenbsp;son amp;me devant une autre tombe également illustre.

Lans la même église est Ie mausolée du pape saint Grégoire quot;Vil. Lne statue de marbre représente l’illustre Pontife debout, dans unenbsp;attitude pleine de force et de majesté ; on croit voir encore Ie Moisenbsp;du moyen Sge, protégeant Israel contre les fureurs arabitieuses desnbsp;Pharaons du Nord. Son historiën protestant nous dispense de répon-dre aux plates invectives lancées, par certain guide en Italië, contrenbsp;Ie saint Pontife qui, par douze années de luttes continuelles, conquitnbsp;la liberté de PÉglise et sauva la société. On aime a voir reposer, 1 unnbsp;üuprès de Pautre, saint Matthieu qui mourut martyr pour avoirnbsp;prêché 1’Évangile; et saint Grégoire VII, qui mourut en exil pournbsp;avoir soutenu l’édifice ébranlé de la religion (2) ; mêmes combats,nbsp;même gloire. Pour continuer Ie triomphe de saint Matthieu sur Ie paganisme, de nombreuses colonnes de vert antique et d’autres marbresnbsp;précieux, enlevés aux temples de PcBstum, décorent la cathédrale;nbsp;tandis que la victoire immortelle de saint Grégoire VU, contre les op-presseurs de PÉglise, est rappelée dans une inscription contemporaine. Sur un bas-relief antique, servant d’ornement au tombeau dunbsp;cardinal Caraffa, Pami et Padmirateur du puissant Pontife, on lit cesnbsp;mots qui font allusion a la statue dont j’ai parié : Hic mortuus jacerenbsp;delegit vivus, ubi Gregorius septimus Pontifex maximus Ubertatisnbsp;ejusdem (ecclesiastical) vigil assiduus excubat adimc, licet cubet (s).

Nous quittames Salerne pour nous rendre è Amalfi. L’Athènes du moyen el Ig rivale de Venise par Pétendue de son commerce,nbsp;n est aujourd’hui qu’un pittoresque village. Au souvenir de tanl de

Cd Annal. t. xi, an. 108O. C. D.

(2)« Dilexi jusiitiam et odWi iniquitalem, propterea motiot in exllio; » telles furent les dernières paroles de ce grand pape.

(5j « Vivant, il voulut reposcr après sa mort la oü Grégoire VII, Souverain Pontife,

gardien vigilant de la liberté de 1’Église, la protégé encore debout, quoique couché dans la tombe. »

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28 LES TROIS ROME.

gloire éclipsée, c’esl è peine si on peut admirer les beautés ravissantes du paysage, les bois de myrtes et d’oliviers, les grottes, les ruines, lesnbsp;blanches maisons autour desquelles serpentent les ceps tortueux de lanbsp;vigne et les branches dorées de l’oranger. Balie sur remplacementnbsp;d’un temple païen, la cathédrale est la seule trace de magnificence denbsp;l’ancienne Amalfi. Nous y vimes deux belles colonnes de granit rouge,nbsp;deux sarcophages antiques, un bas-relief de sculpture grecque et unnbsp;vase antique de porphyre servant de baptistère. Mais elle possède unnbsp;trésor qui vaut mieux que toutes les richesses de Tart: dans un superbe tombeau repose Ie corps de l’apótre saint André. C’est Ie cardinal Pierre de Capoue, qui, après la prise de Constantinople par lesnbsp;Francais, l’apporta en Italië et Ie déposa dans la cathédrale d’Amalfi (i).nbsp;Comme ceux d’ÉIisée, les ossements de l’Apólre prophétisent; il ennbsp;sort une vertu miraculeuse qui guérit les malades et une voix qui ré-pète les immortelles paroles du Martyr en voyant sa croix ; « Je tenbsp;salue, croix précieuse, croix si longtemps désirée. Regois-moi dans tesnbsp;bras, et présente-moi è mon Seigneur. »

Bien qu’elle ne soit plus qu’une ombre d’elle-même, Amalfi exerce encore une grande influence sur Ie voyageur par ses nobles souvenirs,nbsp;et sur Ie monde par une découverte fameuse dont elle fut Ie théamp;tre.nbsp;En 1020, ses riches navigateurs fondirent a Jérusalem un hópital quinbsp;fut l’origine de l’ordre a jamais illustre des chevaliers de Malte. Troisnbsp;siècles plus tard, un autre navigateur d’Amalfi, Flavio Gioia, inventanbsp;laboussole(2).Merveilleux génie de l’homme! Une aiguille aimantéeestnbsp;devenue la clef qui ouvre l’pnivers, et un peu de vapeur l’agent irresistible qui rapproche toutes les distances. Pour apprendre è la pos-térité que la boussole était due a un sujet du roi de Naples, alorsnbsp;cadet de Ia maison de France, Gioia marqua Ie nord avec une fleur denbsp;lys. Get usage est encore imité par toutes les nations qui fort heureu-sement pour notre gloire en ont oublié l’origine. Immortalisée parnbsp;l’invention de la boussole, Amalfi peut dormir en paix dans la tombenbsp;sanglante que lui creusèrent les Pisans. Toutefois elle possède unnbsp;autre litre au souvenir de la postérité ; dans ses décombres fumantesnbsp;on trouva les Pandectes de Justinien, qui, sauvées de la destruction,nbsp;donnèrent une si heureuse impulsion è l’étude du droit Romain.

A peu de distance d’Amalfi, nous traversSmes presque au pas de course Ie petit village d’Atrani, patrie de Mazaniello; il nous fut seu-

(1) nbsp;nbsp;nbsp;Ughelli, Italia sacra, t. viii.

(2) nbsp;nbsp;nbsp;On a prélendu que la boussole a été inventée par les Chinois; cette opinion sentnbsp;un peu Irop la philosophic pour êlre probable.

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50 nbsp;nbsp;nbsp;LES TBOIS ROME.

allions quitter pour longtemps!... pour toujours!... adieu au Toledo; adieu a la Speranzella! adieu bienlót ü Naples. Adieu', ce mot revientnbsp;chaque jour en voyage ; mot plein de mélancolie, qui nous rappelle,nbsp;malgré nous, que l’homme ici-bas n’est qu’un être d’un jour, devantnbsp;qui tout passe comme une ombre vaine, et qui passe lui-même, lais-sant a peine quelques traces, bienlót effacées, de son rapide passage.nbsp;Déja nous étions sur Ie quai de Chiaja, attendant un voyageur retar-dataire. Les lazzaroni, qui, les premiers, avaient salué notre arrivée,nbsp;assistaient les derniers a notre depart. Ils sortaient par groupes, et senbsp;rendaient au port, au marché, sur les places, partout oü leur industrie pourrait s’exercer.

I lii

Un d’entre eux, grand jeune homme aux allures dégagées, amp; la phy-sionomie supérieurement mimique, vint è la portière, salua respec-tueusement nos Excellences, et nous fit mille souhaits de bon voyage et d’heureux retour auprès de nos pères, de nos mères, de nos frères,nbsp;de nos soeurs, de nos aïeux jusqu’a la quatrièrae génération. Pour toutnbsp;cela, que deraandait-il? une simple boUiglia. Ajoutez qu’il nous ex-primait sa prière, non en paroles, mais par des gestes tellement poé-tiques, qu’ils valaienl dix fois raieux que l’objet de demande. Nous Ienbsp;lui donnames de grand coBur, je dirais méme avec un sentiment marqué de reconnaissance. Voici pouiquoi; en partanl de Rome, on nousnbsp;avail annoncé que nous ne sortirions pas de Naples sans être volés. Anbsp;entendre les mauvaises langues, on ne pouvait parcourir les rues na-politaines sans coudoyer des filous, et, a moins d’attachcr son foulardnbsp;dans la poche, il était impossible d’en rester possesseur pendant unenbsp;journée. Ces propos ressemblaient trop aux récits de certains guides en Italië, pour ne pas les trouver au moins étranges. Mes jeunesnbsp;amis parièrenl pour la probité des lazzaroni : l’enjeu consisla en deuxnbsp;bouteilles de Champagne, payables it Rome, si nous revenions avecnbsp;acmes et bagages ; or, Ie pari était gagné. Nous avions visité Naplesnbsp;dans tous ses quarliers; nous n’avions ni attaché ni eaché nos foulards,nbsp;et, en faisant nos malles, tous avaient répondu ó l’appel; enfin nousnbsp;étions bien et dument fermés dans la voiture de voyage : partant plusnbsp;de danger. Comment ne pas accueillir gracieusement Ie lazzarone etnbsp;ne pas donner de quoi boire un fiasco de son vin sucré, a celui dontnbsp;la probité nous valail deux bouteilles de vin de Champagne?

Pendant qu’on stalionnait amp; la barrière pour remplir les dernières formalités de police, j’examinais ces lazzaroni, groupés autour de notrenbsp;équipage. Vrais Ills des Étrusques et des Grecs, venus sur ces hords ilnbsp;y a deux mille cinq cents ans, ils onl conservé en grande partie el Ie

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OBSERVATIONS SER LE REUPLE NAPOLITAIN. nbsp;nbsp;nbsp;31

costume, et les habitudes, et les gouts de leurs aieux. Croirait-on qu’ils portent encore le bonnet phrygien, tel que s’en étaient affublésnbsp;nos classiques démagogues de 93? Ce bonnet de laine rouge s’élèvenbsp;en forme conique et retombe par-devant, ou par-derrière, ou sur I’o-reille, suivant le caprice ou la inode. Bien aveugle qui n’y verrait pasnbsp;line preuve sans réplique de la ténacité des habitudes populaires;nbsp;Naples en fournit bien d’autres dont plusieurs raerevinrent 4 la pen-sée. On sail que les Remains pavaient leurs voies de larges dalles, etnbsp;ils couvraient de peintures a fresque toutes les parties de leurs ha-Ijitations. Pompéi est un monument irrécusable de ce double fait. Or,nbsp;vous voyez encore les rues de Naples et les grandes routes qui vien-nent y aboulir, pavées de la même manière ; le badigeon remplacenbsp;dans les habitations les plus pauvres les fresques antiques. Le langagenbsp;figuré des Campaniens (i), la forme des raagasins, le genre de Tie etnbsp;de culture, le dirai-je? la soif des plaisirs et même du sang, sont au-tant de témoignages qui ne sauraient échapper a I’oeil exercé de 1 ob-

servateur.

A la vue de cette étonnante fidélité, on ne peut s’eropécher de se dire a soi-même ; « Si Thorame tient avec tant de force a des habitudes puremenl malérielles, que l’expérience, la mode, nne connais-sance plus approfondie de. son bien-être, tendent sans cesse a modifier : avec quelle énergie ne devait-il pas tenir, il y a dix-buit siècles,nbsp;a des habitudes morales, chères d ses passious, fortifiées par l’éduca-tion et consacrées par la religion même? Si, approfondissant cettenbsp;pensée, on réfléchit au caractère et au tempérament de ce peuple, h lanbsp;nature du climat et a la magnificence du pays qu’il habite, le miraclenbsp;de sa conversion au chrislianisme grandil dans des proportions im-meuses. Ces proportions atteignent l’infini quand on ajoute : Et pour-tant le cbristianisme a changé les habitudes, les croyances, les lois elnbsp;les usages non-seulemenl des Napolitains, mais de tons les peuples'.

Mal conduits par un voituriii maussade, nous n’arrivêmes a Capone qu a onze heures. Les chevaux, déja vieux et usés de longue main parnbsp;la fatigue, refusaient de marcher ; continuer avec un semblable équipage, c’éiait nous exposer a Voute espèce de désagréments, dont lenbsp;moindre était de coucher è la belle étoile. Nos craintes étaient d’au-lant mieux fondées que nous devions relourner h Rome par la routenbsp;difficile et presque déserte des Abruzzes et du mout Cassin. Nous into Tout le monde salt que rilluslre chanoine de Jorio a relrouvé, dans la mimiquenbsp;du peuple de Naples, l’explicalion 1'ort naturelle des figures el des emblèmes peints

sur les vases étrusques.

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52 LES TROIS ROME.

vitftmes Ie conducteur a nous donner des chevaux frais, ou du moins a prendre un cheval de renfort, ainsi que nous étions convenus. II re-fusa sèchcnienl; nous portdmes plainte au Podestd, qui fit venirnbsp;notre automédon. Les parties entendues, Ie juge nous donna gain denbsp;cause, et termina son verdict par ces mots : « Ces messieurs sont prê-tres, ils mcritent toute conflance; toi, tu es un vaurien. » A quoi Ienbsp;voiturier répondit ; « Mais s’ils sont prêtres, je suis clirétien, moi ;nbsp;Se sono sacerdoti, sono cristiano, io.Birbante, reprit Ie juge,nbsp;tais-toi, et fais ce que je te commande. » Nous eümes un chevalnbsp;de plus.

A trois milles de Capoue, la route bifurque. De ses deux prolonge-ments, Fun sedirige vers Rome par Mola et Terracine; nous I’avions suivi en venant amp; Naples. L’autre, qui tourne sur la droite, conduit anbsp;Aquila par Isernia et Venafro. Au point de section, s’élève, parmi desnbsp;ruines, un bourg insalubre et malpropre ; c’est tout ee qu’il reste denbsp;Fancienne Calvi, cité jadis célèbre, dont Ie vin, chanté par Horace,nbsp;égalait celui de Falerne. La nouvelle route que nous avions prise traverse constamment des plaines bordées a droite par une chaine denbsp;montagnes bien cultivées; mais la rareté des habitations répand surnbsp;ces lieux une certaine Iristesse et inspire presque de Feffroi. II étaiinbsp;nuit close lorsque nous arrivames i une auberge isolée, appelée, jenbsp;erois, Ponte-Storto.

Si les relations des voyageurs en Orient sont fidèles, nous pouvons nous flatter d’avoir vu un veritable caravansérail; maison compléle-ment solitaire, établie sur Ie bord d’un chemin; vaste cour carrée,nbsp;semblable au cloitre d’un couvent, moins Félégance des portiques;nbsp;locanda ouverte aux quatre vents, et peuplée passagèrement de toutenbsp;espèce d’horames et de quadrupèdes, anes, chevaux, boeufs, bullies etnbsp;mulets : il ne manquait que Ie droraadaire. Nous y trouvftmes cent anbsp;cent cinquante conscrits; les uns, rangés autour d’un large foyer,nbsp;gardaient tristement Ie silence; pauvres jeunes gens, ils pensaientnbsp;peut-être ft leurs mères! les autres assis i» de longues tables, devi-saient du pays, portaient de bruyantes santés, ou prétaient Foreille aunbsp;sergent recruteur, vieux soldat qui en avait plus d’une a raconter.nbsp;Parmi nos compagnons de voyage, se trouvait un jeune peintre écos-sais. Le spectacle de cette scène faiblement éclairée par les Hammes dunbsp;foyer presque éteint, lui parut digne de son crayon; il est difücile,nbsp;vraiment, mème en Italië, de trouver des sujets plus pittoresques. Dunbsp;souper qu’on nous servit, je n’ai rien è dire, attendu qu’il nous fut anbsp;, peu prés impossible d’y toucher. Les provisions avaienl élé épuisées

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SiS-GERMANO.

les¥ants‘res;;;s;;us:et par le mouvement saccaüe qui re^

i tomes les parlies de la locanda, jusqu’^ la pointe du ]0 nbsp;nbsp;nbsp;¦

t nas rncp flanc Ip.ft vovafices!

par nos nombreux devanciers; et malgre noire hólesse, excelleate femme d’aiileurs, il nous fallut subir 1’adage : Tarde mmenhbmnbsp;ossa. Quant au sommeil, même silence; il fut tenu pendant toute lanbsp;nuit, k line distance plus que respeclueuse, par le bruit conlmuel desnbsp;chariots, par les cris des muletiers qui arrivaient ou qui partaient,nbsp;par les ebanis des conscrils, el par le mouvement saccadé qui régnanbsp;dans toutes les parties de la locanda, jusqu’^ la pointe du jnbsp;pas rose dans les voyages!

5 MARS.

- Souvenir.

San-Germano. — Ruines. — Mout-Cassin. — Église. — Bibliothèque.

Anecdote. — Ilótel dell’ Amalfi.

Avant I’aube du jour nous étions sur la route de San-Germano el du Mont-Cassin ; même paysage que la veille. Seulement la vallée senbsp;resserre, et de distance en distance on voit de pelits villages, ou plutótnbsp;des groupes de maisons blanches suspendues au flanc des montagnes,nbsp;comme les nids d’hirondelles aux murailles noircies d’un vieux chateau. Le temps était superbe, et déja si doux que l’innocente aloueltenbsp;chantail au-dessus de nos têtes le retour du printcmps. Quelle diffé-rence entre ses gracieux accords et les cris sauvages et le tumulienbsp;horrible qui ébranlèrent tant de fois les échos de Ia vallée solitaire!

Ici passèrent tour tour, eu vainqueurs et en vaincus, les Samnites, les Romains, les Lombards, les Sarrasins, les Normands; el le sol couvert de ruines montre encore l’esprit de destruction dont ils furent

animés.

San-Gerraano, que nous découvrimcs au délour de la vallée, en offre une première preuve. Ce bourg élégant, bati en 866, par Ber-taire, abbé du Mont-Cassin, s’élève sur les ruines de 1’ancienne Cassi-num. Ville importante des Samnites, Cassinum devint la conquête desnbsp;Romains, puis la proie des Barbares. De son antique splendour il nenbsp;reste que des souvenirs, quelques colonnes de granit placées dansnbsp;réglise de Saint-Germain, et un amphithéfilre assez mal conservé.nbsp;Ummide Quadratilla le fit construire a ses frais et le donna aux habitants. Quelques siècles plus tard, cette femme aurait poul-êlre prodi-gué sa fortune è bfitir des böpitaux : voyez pourtant rinüuence desnbsp;doctrines religieuses! Quoi qu’il en soit, I’inscriplion qui rappelle la

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34 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.

fondation du sanglant édifice se conserve au Mont-Cassin. Elle est ainsi congue :

I

VMMIDA c. r.

QVADRATILLA AMPHITHEATRVM ETnbsp;TEMPLVM CASINATIRVSnbsp;SVA PECVNIA FECIT.

Quant au temple païen dont la même inscription révèle l’existence, il n’en reste pas de vestiges.

Après un frugal déjeuner, nous descendiraes dans la cour de 1’Al-bergo, oü nous attendaient les pacifiques montures qui devaientnous porter au monastère, assis sur Ie sommet de la montagne ; ces montures, ne vous en déplaise, étaient des ónes. Pas de moqueries, s’ilnbsp;vous plait; qui que vous soyez, philanthropes, touristes, amateurs,nbsp;ramp;ne doit vous être respectable. II est Ie cheval du pauvre et presquenbsp;toujours la monture obligée du pèlerin des montagnes : un jour peut-être vous reconnaitrez que ses humbles services égalent souvent ceuxnbsp;des coursiers du désert. Notre caravane se composait d’Européens elnbsp;d’Américains : les deux mondes s’étaient donné rendez-vous pournbsp;faire ensemble un pèlerinage è l’antique sancluaire de la science et denbsp;la civilisation. Vu du bas de Ia montagne, Ie monastère du Mont-Cassin présente l’aspeet sévère d’une citadelle. Ses larges voütes, sesnbsp;hautes murailles, et tout eet appareil de Ia force ne sont que tropnbsp;justifiés par les circonstances qui accompagnèrent sa fondation et parnbsp;les événements dont il fut Ie theatre durant les premiers siècles denbsp;son existence.

Au pied de cette montagne, dont la cime élancée domine toutes les montagnes d’alentour, arrivait, en 529, un homme jeune encore : ilnbsp;s’appelait Benoit. Vêtu d’une longue robe noire, un baton è Ia main,nbsp;il vient seul, è pied, du désert de Subiaco : mais oü va-t-il? Lui-mêmenbsp;peut-être il l’ignore. Tout ce qu’il sait, c’est qu’il va, comme ce con-quérant fameux, oü Dieu Ie pouamp;se, quo Deus impulerit. En effet,nbsp;Dieu Ie conduit par la main; car une grande mission lui est confiée.nbsp;Au temps oü il traversalt solitairement les profondes yallées de l’A-pennin, on entendait, d’une part, Ie bruit de l’empire remain quinbsp;tombait avec fracas sous les coups répétés des barbares; de l’autre,nbsp;les cris sauvages de nouvelles hordes accourant du fond de l’Asie pournbsp;partager les lambeaux sanglants du vaste colosse ; la destruction mar-chait è leur suite, partout oü elles avaient passé régnait Ie silence des

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36 LES TROIS ROME.

36 LES TROIS ROME.

I'! I'

orner de milliers de vignettes plus poétiques et plus brillantes les unes que les autres, ces énoruies feuilles de vélin dont Ie dévelop-pement couvrirait peut-être Ie tiers ou Ie quart d’un arpent denbsp;terrain.

Au-dessus de la crypte ou Soccorpo dans laquelle sont les tombeaux de saint Benoit, de sainte Scholastique, de saint Maur et de saintnbsp;Placide, s’élève Ie maitre-autel, tout resplendissant de marbre, denbsp;pierres précieuses, d’albatre, de vert et de noir antiques, de lapis-lazuli et de brocatelle. La tombe qui renferme Ie corps du frère et denbsp;la soeur, porte cette belle inscription ;

BENEDICT. ET SCHOLSAM UNO IN TERRIS PARTÜ EDITOS,

CNA IN DEÜM PIETATE COELO REDDITOS ÜNÜS IIIC EXCIPIT TUMULUS,

MORTALIS DEPOSITI PBO .ETERNITATE CUSTOS.

Les chapelles latérales,ainsi que les mausolées du prince de Mignano el du jeune Pierre de Médicis, sont d’une bonne architecture et d’unenbsp;rare magnificence. Toutefois ces beautés extérieures ne sauraient fairenbsp;oublier a l’dme chrétienne la sainteté séculaire du lieu qu’elle visite.nbsp;Chaque autel, chaque tableau, chaque sculpture lui rappelle quelquenbsp;trait d’une vie héroïquement chrétienne. De toutes parts une nuée denbsp;saints la contemple, et la basilique tout entière serable retentir encore des voix males el uombreuses de ces fils de la solitude, dont lesnbsp;accents, partis du sommet de la montagne, élevaient jusqu’au ciel lesnbsp;soupirs de leurs frères errants au-dessous d'eux dans la vallée desnbsp;larmes.

It.',

De l’église, nous passémes dans l’intérieur du couvent, conduits par l’aimable et savant archiviste. A Péinotion religieuse, produite par lanbsp;visite de l’église, l’intérieur du couvent vient méler d’intéressantsnbsp;souvenirs. Essentiellement conservateurs, les anciens ordres religieuxnbsp;sont dans leurs habitudes, leurs langages, leurs costumes et mêmenbsp;dans la disposition de leurs demeures, les témoins fidèles d’un mondenbsp;qui n’est plus. Chaque couvent de bénédictins, en particulier, est unenbsp;page de l’histoire ancienne, non-seulement pour Ie chrétien, mais encore pour Ie philosophe et souvent pour l’artiste.

It.quot;

(( L’architecture des monastères, écrivait 1’abbé Fleury, est celle de la maison romaine. » La vérité de cette observation est si frappante

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BlBLlOTHÈftUE*

DtbUAU nbsp;nbsp;nbsp;---

au Mont-Cassin, que ie voyageur tant soit peu altenlif ne saurait s j méprendre. « Le monastère'du Monl-Cassin, dit un de nos guidesnbsp;francais, -véritable colonie religieuse et savante, rêunissait dans sonnbsp;enceinte tous les arts, métiers et professions, logés a leur aise dansnbsp;des batiments séparés. De même que chez les anciens, si la partie pu-Ijlique. de la maison était grande, et la partie privée petite; ainsi dansnbsp;le couvent, le vestibule, les portiques, la salie du chapitre, le rélec-toire, tout ce qui sert h la communaulé, est vaste et magnifique. Lanbsp;société seule compte, l’individu disparait; et la celluie de 1’abbaye nenbsp;lienl pas plus de place que la chambre de Pompéi. Les monastèresnbsp;seuls avaient perpétué ces vénérables coutumes de 1 antiquiié, si op-posées aux moeurs et aux usages de quelques époques modcrnes, oünbsp;les besoins et les jouissances de Thomme se sont étendus et multipliésnbsp;mesure que l’état el la société se rappetissaient. »

La bibliolhèque, belle et vaste piece, ornée des statues des grands hommes de l’ordre de Saint-Benoit, contient vingt mille volumes.nbsp;Quelle que soit la rarelé de ces ouvrages, les manuscrits forment lanbsp;veritable richesse de ces précicuses archives. On y compte buit centsnbsp;diplómes originaux, donl plusieurs vemontent au ix“ siècle.

Après nous avoir parié des travaux du célèbre P. Frangipani sur saint Augustin, et montré les volumincux manuscrits d’ouvrages tropnbsp;légèremenl attribués è ce grand docleur, notre aimable guide ouvritnbsp;une armoire, en disant; « Voici qui n’est pas de 1’évéque d’Hippone;»nbsp;et nous avions entre les mains une lettre originate du terrible Mahomet II, au pape Nicolas Y. Le sultan pric le Pape de faire cessor lesnbsp;armements des princes chrétiens contrc les Turcs. Le laste orientalnbsp;respire tout entier dans les premières lignes de cette pièce : « Roi desnbsp;rois, seigneur des seigneurs, Machabelh, amiral, grand-sullan Bégri,nbsp;fils du grand sultan Maralh, serviteur des sept Musaphy, donne lenbsp;salut dont il est digne, è Nicolas, vicaire de Jésus-Chrisl, crucifié parnbsp;les Jnifs. » croit-on pas entendre Nabucliodonosor? La réponse dunbsp;Souveraiu Ponlife, jointe a la lettre du sultan, commence ainsi : « Nicolas, Serviteur des serviteurs de Dieu, salue cordialement Machabelh,nbsp;seigneur des Turcs et prince des infidèles. ygt; Quel contraste! Le Papenbsp;entre ensuite dans le détail des griefs du monde chrétien conlre Ianbsp;puissance oitomane, et déclare avec une grande énergie que les feintesnbsp;promesses du sultan ne lui feront pas prendre le change. Pourquoinbsp;les detracteurs de la papauté ne vout-ils pas fouiller nos vieillcs archives?

Ce qne nous visiiamcs ensuite, pénctrés d’un respectueux amonr,

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58 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.

est la chapelle étroite et basse qui fut la celluie de saint Benoit, üne belle peinture représente Ie vénérable patriarche contemplant I’timenbsp;de sa soeur chérie qui s’envole au ciel sous la forme d’une colombe.nbsp;Sortis des cloilres, nous voulümes parcourir les environs du couvent,nbsp;moins pour jouir du vaste horizon que l’oeil peut h peine embrasser,nbsp;quo pour glaner quelques-uns des nobles souvenirs dont cette terrenbsp;abonde ; il en est deux surtout qui saisissent Ie voyageur francais.

A l’ombre de ces grands murs, sur un large lapis de vert gazon, aux bords de ces bois de chênes et d’oliviers sauvages, s’ébattaient,nbsp;il y a six on buit siècles, des troupes sémillantes de jeunes enfants :nbsp;joyeux écoliers, lils des grands seigneurs du pays, que leurs parentsnbsp;confiaient aux religieux de Saint-Benoit pour en faire des hommes, etnbsp;des hommes comrae on l’enlendait alors. Une éducation sévère etnbsp;chrétiennement intelligente disciplinait ces jeunes ,'\mes, les trempaitnbsp;fortement, et les armait de toutes pièces pour les grandes luttes de lanbsp;vie. II faut bien Ie reconnaitre, Ie moyen age, avec ses allures moitiénbsp;chevaleresques, moitié monastiques, et toujours profondément em-preintes d’un double caractère de religion et de grandeur, fut, ennbsp;bonne partie, l’élève desBénédictins. Au nombre de ces nobles écoliersnbsp;Ie Mont-Cassin montre avec un orgueil paternel Ie jeune Thomas, filsnbsp;du comte d’Aquino, dont Ie chateau est situé dans Ie voisinage. A l’Agenbsp;de cinq ans, lui aussi jouait sous les vastes cloitres, au sommet de lanbsp;haute montagne, d’oü il ne devait descendre que pour devenir lanbsp;gloire del’ordre naissant de Saint-Dominique, l’astre Ie plus hrillantnbsp;de rUniversité de Paris, et sous Ie nom de Docteur angélique, l’éter-nelle admiration du monde entier.

Ces lieux parlent encore d’un autre personnage que nous ne pou-vions oublier. L’ordre de Saint-Benoit parcourait Ie second siècle de sa glorieuse existence, lorsqu’un jour, vers Ie coucher du soleil, deuxnbsp;pèlerins inconnus gravissaient Ie flanc rocailleux du Mont-Cassin, puisnbsp;frappaient è la porte du couvent. « Soyez les bienvenus, mes frères,

leur dit Ie père hètelier. — Dieu vous bénisse de votre charité._

Frères, que demandez-vous, leur dit l’Abbé. — Nous sommes venus, reprennent les étrangers, pour servir Dieu avec vous dans cette saintenbsp;maison. » lis sont admis au nombre des frères; mais ordre est donnénbsp;de veiller avec soin sur leur conduite et d’éprouver leur vocation.nbsp;L’Abbé lui-même veut se charger de l’un d’cux. Pour exercer sa patience et son humilité, il l’envoie garder les hrebis; l’étranger ohéitnbsp;avec grSce. Chaque matin il conduisit, sur Ie plateau que nous par-courions nous-mêmes, son petit troupeau qu’il surveille avec amour

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39

anecdote.

fit qu’il raraène chaque soir au monastère. Un jour, des larrons, sorlis brusquemenl de la forêl, veulent iui enlever une de ses brebis; il courtnbsp;Ü eux et leur dit: « Faites de moi ce que vous voudrez, mais je nenbsp;souffrirai pas que vous preniez rieu de ce qui m’est conCé. » Alors cesnbsp;mechants le dépouillenl de ses habits et se retirent: le pauvre bergernbsp;revient au convent prcsque nu. Pour I’eprouver, l’Abbé, loin de com-patir a ses peines, le traite d’homme Wche et sans conduite; quoinbsp;I’inconnu répond humblement ; « Je sais bien que je ne suis qu’un

pécheur qui commets beaucoup de faules. »

Quelque temps apres, 1’Abbé le met ii une autre épreuve, el lui or-

donne d’aller aider le frère qui sect a la cuisine. L’étranger s’lncbne profondément et se rend b son nouvel emploi; mais, ne 1’ayant jamaisnbsp;pratiqué, il emasse les maladresses. Le frcre cuisinier s impatiente sinbsp;fort qu’il en vient b le frapper. L’inconnu ne répond rien; maisnbsp;1’autre élranger, ne pouvant contenir son indignation, dit au cuisinier : « Frère, que Dieu el Carlotnan vous le pardonnenl. » Frater,nbsp;iQnoscat Beus et Carloniannus. A quelques jours de la, une nouvellenbsp;foute provoque la même scène; et le compagnon de 1 inconnu dit ennbsp;core ; « Frère, que Dieu et Garloman vous le pardonnent. « Frater,nbsp;igmscat Deus et Carloniannus. Enfin, une troisième maladresse attire le même traitement au pauvre novice. Alors son compagnon, em-porté par la colère, saisit un pilon, en frappe Ie cuisinier, et lui dit :

« Méchant serviteur, que ni Dieu ni Garloman ne te pardonnent. »

¦iVec tihi Deus parcat, serve nequam, nee Carlomannus ignoscai.

L’Abbé ayant appris celte querelle fit metlre en prison le compagnon de l’inconnu, et le lendemain, il le fait comparaitre devant le cha-pilre assemble. L’accuse étant k genoux ; « Ponrquoi, lui dit 1 Abbé, avez-vous battu le frère cuisinier? — C’est paree que j’at vu le plusnbsp;méchant de leus les serviteurs, frapper le meilleur et le plus noble denbsp;tons les hommes? — Qui est done ce religieus que vous appelez le plusnbsp;noble de tous les hommes? — C’esl notre prince Garloman, qui anbsp;quitté sa dignité et la gloire du monde pour 1’amour de Jésus-Christ. »

A ces mots tons les religieux étonnés, FAbbé en tète, se lèvcnt de leiirs stalles, entourent le prince et iui font mille excuses. Mais, oublianl cenbsp;qu’il avait été dans le siècle : « Mes pères et mes frères, leur dit Garloman, vous vous trompez, je ne suis pas un prince, je ne suis qu’uiinbsp;pauvre pécheur. » Bientót, par l’ordre du pape Élienne, le pauvre.nbsp;pécheur du Moni-Cassia fut envoyé en France pour trailer, avec sonnbsp;frère Pépin, des grands intéréts de ia paix de l’Europe. 11 mourut dansnbsp;ce voyage, et son corps seul revint au Mont-Cassin, dans ua cercueil

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40 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.

d’or, oü il fut trouvé en 1628 (i). Cette histoire du prince francais donne lieu il un rapprochement caraetéristique du moyen üge et denbsp;l’époque actuelle. Dans les siècles de foi, rhurailité, base de toutes lesnbsp;vertus chrétiennes, étail'regardée comme la garantie de toutes les ver-tus sociales ; Ie mérite surtout cherchait a s’elïacer. Lorsque, sans intrigues de sa part, un homme était appelé aux dignités, il répondaitnbsp;en tremblant : Vous vous trompez, je ne suis qu’un pauvre pécheur;nbsp;et il accomplissait de grandes choses. Aujourd’hui on procédé autre-ment. Quiconque veut parvenir (et qui ne Ie veut pas?) fait sonner de-vant lui de la trompette, s’avance la tête haute au milieu de la placenbsp;publique, et, monté sur Ie piédestal de son orgueil, il crie é la foulenbsp;dont il mendie les suffrages : Je suis Ie plus capable, Ie plus vertueux,nbsp;Ie plus digne. Puis, quand il est é l’oeuvre, il multiplie les erreurs etnbsp;souvent les bassesses. Cela doit être; mais malheur aux peuples chcznbsp;qui se pratique un pareil système!

Aux souvenirs succéda la réalité. Nous vimes les classes oü les Béné-diclins conlinuent de former la jeunesse ii la science et é la vertu : soixante ii soixante-dix jeunes gcns composent leur intéressant collége.nbsp;Au moment de notre passage Ie Mont-Cassiri comptait dix-huit Pères,nbsp;onze novices et treize frères. Leur vie, partagée entre la prière et l’é-tude, s’écoule sous l’oeil de Dieu dans un calme que l’on ambitionnenbsp;poursoi; mais qui, hélas! ne franchit point les limites du cloitre.

A peine avions-nous quitté San-Germano et repris, en courant, la belle route de la vallée, que notre voiture s’arrête brusquement, re-cule, et deraeure suspendue au bord du fossé. Sant Antonio! Santnbsp;Antonio! telle était l’unique exclamation du conducteur. En un clinnbsp;d’oeil nous sommes a terre, et nous voyons un malheureux cheval quinbsp;tremble sur ses membres et qui, dans scs mouvements convulsifs, faillitnbsp;nous précipiter dans un profond ravin. Pour éviter un plus grand malheur, on eoupa les traits, et Fanimal blanchi d’écume s’en va lombernbsp;è quelques, les quatre fers en Pair. Sant Antonio! Sant Antonio!nbsp;che disgrazia! et Ie pauvre voiturin Jetait son chapeau par terre, s’ar-rachait les cheveux, pleurait comme un enfant.

Francais, Anglais et Américain, nous nous empressons de Ie consoler, de l’encoürager, de porter secours a l’animal. Seul, notre compagnon Ie Prussien restc immobile sur Ie hord de la route, fumant tran-quillement sa pipe et criant de temps en temps au voiturin : Coquin, il être ta faute : toi il avoir dü nous donner 'une meüleur cheval.

(i) Histoire de l'Ordre de SainrUenoU, t. ii, p. tl.

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ANECDOTE.

Après de longs efforts, la malheureuse béte esl remise sup ses jambes et même a la voiture. Le Prussien reprend gravement sa place, en continuant de fumer el de maugréer; pour nous, moins rassures, nousnbsp;fimes une partie de la route a pied, et nous disions ; Si, en France,nbsp;pared accident fffi arrivé, quel torrent d’imprécations et de blasphemes seraieni soriis de la bouche du conducteur! en Italie, c’est unenbsp;invocation pieuse. Notre malheureux voiturin s’adresse a samt Antoine, paree que, suivant I’anlique usage, les animaus sonl bemts enbsp;jour de sa fête et mis sous sa garde particulière. Difference enlre lenbsp;Penple qui croit et le peuple qui ne emit plus ; dans le malheur, 1 unnbsp;prie, 1 autre blasphème.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;ix j ir

11 était six heures, lorsque nous arrivémes a l’hötel isolé de Amalfe. La stationne un poste militaire qui veille sur l’extrême fron-tière du royaume de Naples; vu l’état de noire équipage, il fut decidenbsp;que nous y passerions la nuit. Pendant que chacun de nous était oc-cupé a faire les préparalifs de son campement, des gamins entouraientnbsp;la voiture, Pexaminaient curieusement el se permeltaienl même denbsp;monter sur les marchepieds pour inspecter Pintérieur. Or, il arrivanbsp;qn’un de ces jeunes gens, apercevant dans la poche du lond une superbe pipe, irouva bon de s’en eraparer, et disparut ; le propriétairenbsp;de I’objet volé était noire Prussien. Redescendu dans la cour, sa première pensée est d’allumer sa pipe; ü la cherche sur lui, dans la voiture, et ne la trouve pas; il la demande ii tout le monde, il remontenbsp;dans sa chambre, et revient en criant; On in a volé mon pipe, et ilnbsp;raaugréait, et il tempêtait. Téraoin de cette scène, le voiturin regardaitnbsp;immobile et répétait avec un sourire malin : Excellence, c est votrenbsp;faiite; il fallait veiller. Enfin un des soldats du poste se mil a la recherche du jeune larron, et au bout d une demi-heure il rapporla la

pipe qui, moyennant deux carlins, centra dans la poche du proprié taire.

i MARS.

Arce.


'Thomas nbsp;nbsp;nbsp;— Souvenirs de Ciceron et de Marius. — Aquino. — Souvenirs de saint

Ono._Sjm Tocca-Secca ct le P. San-Germano. — Ceprano. — Frosinone. — Feren-

1 nbsp;nbsp;nbsp;profanes. — Prison de saint Ambroise. — Angelus du soir. —

nauber^ede la Fontaine.

La chaine de moniagnes, qui continue sur la droite, rappelle de grands souvenirs. Arce, dont les mines se dessinent b I’horizon, passenbsp;pour la plus belle villa d’Atlicus, frère de Cicéron, et Arpino, assis

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42 LES TROIS ROME.

sur la hauteur, est la patrie du prince des orateurs remains. On place la maison de Cicéron dans la petite rue de la Cortina. Marius, né aunbsp;même lieu, n’a laissé d’autres souvenirs que son nom. Prés de la, vousnbsp;apercevez Aquino, et les ruines du chateau dans lequel saint Thomasnbsp;re^ut Ie jour. Cette terre féconde en grands hommes monlre encorenbsp;Ie chevalier d’Arpino, dont les talents incontestables, gatés par Ie mau-vais gout, ont exercé sur 1’architecture une funeste influence.

Le village de Rocca-Secca, qui se dessine sur Ie même plateau, est riche en antiquités, et rappelle aux amis de la religion et de la sciencenbsp;le célèbre père San-Germano, missionnaire aux Indes pendant vingt-six ans. Architecte, géographe, le savant religieux dirigea les travauxnbsp;du port de Rangoun, dans l’empire Birman, dressa une carte de eetnbsp;empire, la plus exacte qu’on connaisse, et vint mourir dans sa patrienbsp;en 1819.

Après Je ne sais combien de circuits dans les montagnes, la route descend enfin a Ceprano. Cette petite ville, batie sur le Liris, est lanbsp;première des États Piomains : la population nous parut remarquable-ment misérable. 11 faut dire que le sol est ingrat, et que le défaut denbsp;grandes communications ne permet qu’un falble développement k l’ac-tivité des habitants. Jusqu’a Frosinone, le chemin continue d’être fortnbsp;mauvais; mais la physionomle de cette ville ne ressemble nullementnbsp;a celle de Ceprano : la beauté des edifices, la régularité des rues, l’ai-sance et le bien-être qui semblent respirer jusque dans les détailsnbsp;d’ameublement et de toilette, tout annonce le travail et la fertilité dunbsp;sol. De la grande place on jouit d’un coup d’oeil qui passe pour le plusnbsp;beau de toute cette partie de ITtalie, et le palais apostolique fait hon-neur a la magnificence de Grégoire XVI.

En deux heures de marche nous arrivames ii Ferentino. Batie sur une montagne, cette ville ofifre le même panorama que la précédente.nbsp;Les remparts, en gros travertins sans ciment, accusent une haute an-tiquité, et prouvent qu’elle fut une place de guerre trés-importante ;nbsp;c’est dans les environs que se tenait l’assemblée générale des peuplesnbsp;du Latium. Après la conquète, Rome défendit ces réunions, dans lanbsp;crainte qu’elles ne devinssent l’occasion de quelque soulèvement. Né.an-moins les Èques, les Volsques et les Herniques, auxquels appartenaitnbsp;Ferentino, trouvèrent le moyen de former une ligue puissante, denbsp;battre les Remains et de s’emparer de Tusculum; mais, battus it leurnbsp;tour par le consul Servilius, ils furent obligés de reprendre le joug.

Je he mentionnerais pas ce fait d’un intérêt secondaire, s’il n’en rappelait un autre éminemment propre a caractériser les moeurs de

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ia

FEREStlSO.

Rome païenne. Trois cents enfants avaient été donnés en olage par les peoples ré\oltés. A la première nouvelle de leur défaite, Ie consunbsp;Appius fit conduire au Forum ces trois cents enfants, qui, après avoirnbsp;été battus de verges, eurent tous la tête tranchée. Geile barbane exas-péra les Herniques et les Voisques; longtemps ils médilèrenl leur vengeance, mais quand ils voulurent l’exercer il élail irop tard ; demainnbsp;nous verrons Ie champ de bataille oü lomba, pour ne plus se relever,

1 antique liberlé de ces peuples courageus.

Des inscriptions, des statues, de nombreuses antiquités, parmi es quelles on remarque une table de marbre avec des caraclères en bronze,nbsp;eappellent les vicissitudes de Ferentino, sa conquête par les Romains,nbsp;et les noms plus ou moins connus de ses citoyens et de ses gouverneurs. Comme tous les peuples d’Italie, les Herniques participèrentnbsp;de bonne beure a la grande émancipalion chrétienne ; en tête des événbsp;ques de Ferentino, la tradition place un disciple de saint Pierre (i) •nbsp;Largement arrosée. du sang des martyrs, la semence évangélique ynbsp;produisil des générations de héros. En première ligne brille un eennbsp;lurion qui revolt encore, après quinze siècles, les honneurs d un triom-pbe perpéiuel, au lieu même oü il remporta sa glorieuse victoire. Am-broise, vétéran des armées impériales, était en garnison a Ferentinum,nbsp;lorsque parut Pédit de persécution lancé par Dioclétien. Saisi, déchiré,nbsp;jeté dans les flammes, Ie généreux athlèle passe par tous les genres denbsp;snpplice; mais ü en sort plein d’ardeur pour de nouveaux combatsnbsp;qu’il soutient avec inlrépidité. Honteux de tant de défaites, Ie proconsul Ie fait reconduire dans sa prison, oü il re^oit aveo Ie coup de lanbsp;niort la palme immortelle qui Ie fait entrer dans les rangs de la grandenbsp;armée des martyrs. Cela se passait Ie 16 aoüt de 1 an 505 (a).

Or, il nous fut doniié de voir ce cachot dont 1 obscurité, 1 humidité, l’horreur et les étroites dimensions accusent 1’origine romaine et rap-pellent la prison Mamertine. A la catbédrale on admire la stótuenbsp;équestre du saint martyr, en argent massif: e’est un beau travail dunbsp;seizième siècle. Ferentino possède plusieurs couvents, enlre autresnbsp;ceux des Glarisses et des Oblates, dont la régularité est vraimenlnbsp;exe.mplaire.

Le jour était sur son déclin, et nous eümes la pensée de coucher h Ferentino. Cependant on nous dit qu’a trois lieues de la, sur la routenbsp;de Rome, nous trouverions l’excellent albergo sotto la fontana; etnbsp;comme nous éüons presses, nous nous remimes en marche. En des-

(0 üghelli, Italia sacra, de Ferentinat. episcop., p. 612.

(4) Baron., an. 303, n. 113.

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u LES TROIS ROME.

Cendant la montagne nous rencontrames les femmes de la ville, qui venaient de puiser de l’eau h une fontaine dont la source jaillit a l’en-Irée du yallon. Leur costume est on ne peut plus pittoresque, et leursnbsp;cruches en cuivre conservent la même forme qu’au temps d’Horace.nbsp;A cette scène qui rappelle les mceurs patriarcales succéda bientót unnbsp;spectacle d’un intérêt supérieur. Les laboureurs et les bergers reve-naient des champs : les uns conduisant leurs troupeaux, les autresnbsp;portant sur l’épaule leurs instruments de travail, la pioche et la bêche;nbsp;tous causaientgaiment, heureux de regagner leurs foyers et de se livrernbsp;au sommeil si doux è Thomme des champs qui a porté Ie poids de lanbsp;chaleur et du jour. Tout a coup Ie son argentin de plusieurs clochesnbsp;annonce l’Angelus; et vous auriez vu ces braves gens, jeunes hommes,nbsp;enfants et vieillards óter leur large chapeau de feutre, se mettre a ge-noux sur Ie chemin et saluer ensemble l’auguste Vierge dont Ie noranbsp;distille dans Ie coeur du pauvre, plus encore que dans celui du riche,nbsp;la douceur, la confiance et la paix. Pourquoi nos artistes de l’acadé-mie de France ne reproduisent-ils pas ces scènes tout a la fois si pit-toresques et si touchantes?

II était nuit, mais nuit noire, lorsque la berline s’arrêta devant Val-bergo. Au raoyen age, quand d’illustres pèlerins arrivaient è la chute du jour devant un antique manoir, la sentinelle placée sur la tour denbsp;la grande poterne, sonnait du cor, Ie pont-levis s’abaissait, et les hólesnbsp;faisaient leur entree è la lueur des torches. Le Vetturino italien n’anbsp;pas oublié eet antique usage. Aux cris répétés de notre phaéton, aunbsp;claquement de son fouet, le maitre d’hótel parait sur la porte, unenbsp;lampe a la main. « Padrone, hatez-vous d’ouvrir; voici de noblesnbsp;étrangers qui vous demandent Fhospitalité : ils sont nombreux; qu’onnbsp;prépare le souper et les logements. « Pour loute reponse a ce langagenbsp;digne des troubadours, nous entendons ces mots fort pöu chevaleres-ques : « II n’y a point de place. — Ouvrez toujours : il faut quenbsp;j’entre ma voiture. — La porte est trop basse, vous ne passerez pas. »nbsp;Pendant ce dialogue, nous descendons; en un clin d’oeil nous avonsnbsp;reconnu les lieux, et il est bien constant que nous sommes tombésnbsp;dans la plus chétive locanda que nous ayons rencontrée sur toute lanbsp;route. Nous voulons continuer jusqu’it Valmontone; impossible, lenbsp;conducteur nous prévient qu’a moins d’un quart de lieue commen-cent les Maremmes, et qu’il ne veut pas s’y engager pendant la nuit.nbsp;Nous échangeómes entre nous un regard qui disait : II faut se ré-signér.

Telles étaient les dimensions de l’hólel della Fontana, que, pour

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46 LES TROIS ROME.

5 MARS.

Anagni. — Villa de Cicéron. — Cathédrale.— Cryple. — Tombeau de saint Magnus ct de sainte Olive. — Archives Capitulaires. — Manuscrits. — Charle de Boniface VIII.nbsp;—Souvenirs.—Valmontone.—Champ de ba taille du consul Fabius Ainbustes. — Lacnbsp;Régille. — Retour a Rome.

A la pointe du jour nous étions a Anagni. Ancienne capitale des Herniques, cette ville, très-agréablement située, compte environnbsp;6,000 habitants. Cicéron possédait dans Ie voisinage sa délicieuse villanbsp;d’Amalthée, dont on a peine it reconnaitre les vestiges. Rome fit deuxnbsp;fois la conquête d’Anagni : comme reine de la force, par ses consuls;nbsp;et comme reine de I’amour, par saint Pierre. Le vicaire de Jésus-Christ envoys des Apótres dans ces lieux qui touchaient au siége denbsp;son empire; et sous Dèce, nous voyons l’évêque saint Magnus scellernbsp;de son sang la foi qu’il avait enseignée aux habitants d’Anagni. Unenbsp;illustre vierge, sainte Secundine, fut la compagne de son Iriomphe (t).nbsp;Nous nous rendimes directement a la cathédrale. Cet edifice, dont lenbsp;ton général inspire je ne sais quels doux sentiments de confiance etnbsp;de piété, recouvre un monument d’un grand intérêt archéologique.nbsp;C’est une vaste crypte ou plulót une église souterraine du onzièmenbsp;siècle. Sa forme rappelle celle des églises primitives : on y trouvenbsp;deux choeurs latéraux outre le choeur ordinaire et une superbe absidenbsp;ornéedefresquesoü brille le double caractère de grandeur et de naïveténbsp;de Part chrétien. C’est lit que reposent les corps de saint Magnus etnbsp;de sainte Olive, vierge non moins illustre que sainte Secundine, etnbsp;comme elle l’objet de la vénération filiale du peuple d’Anagni.

Prés du tombeau de saint Magnus, on lit ce vers latin ;

Exlrahitur Verolis, acquirit Anagnia nummis.

(( II est tiré de Véroli, il est acheté par Anagni. » Cette inscription rappelle un fait qui prouve le pieux empressement des habitants anbsp;posséder les reliques de leur apótre. Le corps de saint Magnus avait éténbsp;transféré a Véroli, petite ville entre Ferentino et Frosinone. Les Sar-rasins ravagent cette ville infortunée ; aux mains de leur roi sent lesnbsp;reliques du glorieux martyr. Le Barbare I’envoie dire aux habitantsnbsp;d’Anagni, en ajoutant qu’il est pret a leur céder ce précieux dépót,nbsp;moyennant une somme d’argent. La ville offre ü I’instant une riche

(i) Mamachi, Antiquit, et orig. christ., t. ii, p. 239; Baron., Not. ad martyr., 15 jan., 19 Aug.

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Al

ARCHIVES CAPITCCMRËS.

raneon, obüent Ie corps du marlyr, Ie dépose dans un magnifiqne tombeau, et grave Ie vers qui éternise Ie souvenir de ce fait incomprehensible è notre siècle, mais très-rationel aus yeux de la raison éclai-rée par la foi.

Un des chanoiues voulut bien nous conduire aux Archives Capilu-laires. II nous monlra plusieurs manuscrits très-rares, entr’autres la célèbre charte eontenant la nomenclature des ornements légués par Ienbsp;pape Boniface VIII ^ la cathédrale d'Anagni, dont il avait éié cha-noiue, ainsi que par Innocent III, Grégoire IX et Alexandre IV. Cettenbsp;piece est sur parcherain, et se divise, pour Ie texte, en deux parties.

Ua première, eontenant l’inventaire des ornements, commence amsi: fn nomine Domini. Amen. Hwc sunt paramenia, qu(e donamt hc-olesim xinagnice sanclissimus Pater D. Bonifacius Papa VIII, divernbsp;sis temporibus. La seconde indique les objets d’or et d argent offertsnbsp;par ee même Pape; on Ut en têle ; Hoe est inventarium argenU etnbsp;auri laborati daii Ecclesiw Anagniw per prcedictum D. Papam.

Nous vimes quelques-uns de ces superbes présents, moins précieux par la richesse de la matière et la beauté du travail, que par la mamnbsp;qui les offrit. La grande figure de Boniface Vlll se montre dans la petite ville d’Anagni avec loute sa majeslé. C’est la qu’on Ie voit, dignenbsp;hérilier de saint Grégoire VII, lutter intrépidement contre la tyrannienbsp;des princes du monde, et, en sauvant 1’Êglise de l’oppression, sauvernbsp;la liberté des peuples. A ce double tilre il devait, corame 1 exilé denbsp;Salerne, recevoir, pendant sa vie, l’outrage des despotes et de leursnbsp;séides; et après sa mort, l’insulte et la caloronie de leurs serviles bio-graphes : ni Tune ni l’autre de ces gloires ne lui ont manqué. En par-courant les rues d’Anagni, on croit rencontrer h chaque pas Nogaretnbsp;et Sciarra Colonne portant leurs mains parricides sur Ie visage dunbsp;Pontife, et entendre encore Ie retentissement de ces soufflets, les plusnbsp;sacrileges de tous, après ceux qui furent appliqués par les valets denbsp;Caïphe sur la joue de I’Homme-Dieu. Descendu dans ia tombe, ienbsp;grand Pape a été poursuivi, et il l’est encore, par cette foule d’écri-vains anticalholiques, courtisans de toutes les tyrannies, et calomia-

teurs jurés de la papauté et de ses actes.

Reprenant la route de Rome, nous entrames bieniól dans les Ma-

remmes. On donne ce nom h des landes couvertes de bouleaux, de fougères et de quelqnes arbres rachitiques : celles que nous avions anbsp;traverser ont plusieurs lieues d’étendue. Nous les franchimes sansnbsp;faire aucune mauvaise rencontre, et avant midi nous élions ^ Valmon-tone. Ce beau village, qui doit soa nom h la hauteur sur laquelle il

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48 LES TROIS ROME.

est assis, domine un large et fertile vallen. C’est a quelque distance, du cóté de Rome, qu’on rencontre Ie champ de bataille oü Ie consulnbsp;M. Fabius Ambustus défit complétement les Herniques, l’an denbsp;Rome 395 (i). Le théatre du combat est une plaine de médiocre éten-due resserrée entre des montagnes, de manièreü gêner considérable-ment les manoeuvres de la cavalerie, .\ussi lorsque Faction fut engagée.nbsp;Ia cavalerie romaine mit pied amp; terre et vint combattre a la tête de F infanterie. Les Herniques qui avaient appelé sous les armes toute la fleurnbsp;de leur jeunesse, la lirent avancer pour soutenir Ie choc. Le carnagenbsp;fut horrible; on se battit jusqu’au soir; enfin les Herniques furentnbsp;vaincus, niais Ia nu it empêcha de les poursuivre. Le consul rentranbsp;dans Rome et se contenta de Fovation.

En ce temps-lè, Rome préludait par la conquête de Fltalie i Ia con-quête du monde; la victoire lui était partout favorable. A midi, nous apergümes le lac di Santa Prasseda, autrefois le lac Regille. Trois ansnbsp;après la victoire dont nous venions de traverser le lugubre théatre, Ienbsp;dictateur Posthumius avait rougi du sang des Latins les eaux de ce lacnbsp;devenu fameux. Enfin, le bruit des armes avait cessé, le silence du dé-sert régnait autour de nous ; nous étions dans Ia Campagne romaine.

C’est au retour de Naples, après avoir vu celte ville si brillante et si animée, qu’on se trouve dans les conditions favorables pour appré-cier la majestueuse tranquillité de la Ville éternelle. On sent, en ynbsp;rentrant, qu’on met le pied dans un autre monde; que des intéréts etnbsp;des pensées différentes préoccupent les deux cités. A Naples et auxnbsp;autres villes, les choses du temps; é Rome, les choses de Féternité.nbsp;A Naples et aux autres villes, la physionomie cbangeanle, le bruit tu-multueux des affaires et des folies joies; ii Rome, Fimmobilité de la foinbsp;et le solennel silence des ruines. Ces différences, qui font de Romenbsp;une ville è part au milieu du monde, la mettent dans une mystcrieusenbsp;harmonie avec les besoins intimes de Féme. De la, sans nul doute, lenbsp;charme puissant qui vous y attire, la douce paix qui vous y accom-pagne, le regret si vif qui vous suit en la quittant: sensations indé-finissables que tons les voyageurs éprouvent è divers degrés, bien quenbsp;le grand nombre n’y soit nullement préparé, et que tous, è peu prés,nbsp;en ignorent la véritable cause.

(i) Sigonius, Comment, in fastos et triumph, Rom,, p. 66.

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CÉRÉMONIE DE LA ROSE D OR. 49

6 MARS.

Cérémonie de la Rose d’or. — Charité romaine dans l’ordre moral. — Catéchisme.— Archiconfrérie de Sainte-Marie-drA/’/anw. — Fête impériale. —Relrailes de première Communion. — S^inte-Lucie-in-Trastevere. — Saint-Vit sur 1’Esquilin.

Rome conlinuait de se préoccuper vivement de la conversion de M- Ratisbonne. Afin de in’unir è la reconnaissance générale, je célébrainbsp;la raesse sur 1’aulel de la chapelle miraculeuse ; Ie même motif y atti-rait un grand nombre de fidèles; car en Italië un miracle est loujoursnbsp;événement.

C’était Ie quatrième dimancbe de Carèine, jour oü se fait la béné-diciion de la rose d’or. Afin d’être témoins de la cérémonie, nous nous •¦endimes a la chapelle Sixtine; mais qiiel est Ie sens, quelle est 1 origine de eet antique usage? il faut connaitre la réponse a ces questions,nbsp;^ous peine d’avoir des yeux pour ne pas voir. Ancienneraenl, les Sou-'erains Pontifes se rendaient è cheval du palais de Lairan, qu ils habi-laient, a la basilique de Sainte-Croix-en-Jérusalem. Lè était la stationnbsp;du jour, dont la messe commence dans tout Ie monde calholique parnbsp;oe mot: Lwtare! Réjouis-toi! Parvenu é la moitié de la sainte, maisnbsp;Pénible quarantaine, l’Église veut encourager ses enfants et leur in-spirer une sainte joie, en leur montrant de plus prés Ie terme de leurnbsp;pénitence et la couronne immortelle qui doit récompenser leurs privations et leurs combats. Or, afin de rendre plus vif et plus populairenbsp;t'e sentiment d’allégresse, Rome Ie symbolise dans une rose, la reinenbsp;des fleurs. Tel est Ie sens de la poétique prière qui en accompagnenbsp;encore la bénédiction.

Après PolBce, Ie Pape, tenant a la main la rose bénite, la montrait 311 people, comme Terablème de leurs communes espérances pour 1 a-venir et de leurs dispositions actuelles. Porlant toujours Ia rose ii Ianbsp;main, Ie Pontife était reconduit jusqu’au parvis de la basilique par Ienbsp;préfet de Rome, en habit de pourpre el en chaussure de couleur d or,nbsp;qui souicnait 1’élrier pour aider Ie saint Père h descendre de cheval.nbsp;Afin de reconnaitre ce téraoignage de respect, Ie Pape donnait la rosenbsp;a ce diguitaire, qui la recevail a genoux et lui baisait Ie pied. Plusnbsp;tard, les Souverains Pontifes onl été dans l’usage d’envoyer ceUe rosenbsp;a quelque souverain, h une église, amp; une personne éminente, quelque-fois aux anciens empereurs d’Allemagne, a Tépoque de leur couron-tieroent, Aujourd’hui elle est donnée aux princes on aux princessesnbsp;dont Ie Saint-Père veut hononer la piété et la charité. La bénédiction

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50 LES TROIS ROME.

de la rose d’or eut lieu, pour la première fois, sous Ie ponlificat de Léon IX, en 1050; toutefois Ie document qui fixe cette date semblenbsp;annoncer qu’elle remonte beaucoup plus haut (i).

La cérémonie se fait aujourd’hui dans la salie des parements. Après les prières marquees dans Ie rituel, Ie Saint-Père oint la rose avec dunbsp;baurae, et place au centre, oü se trouve un tout petit godet, ferménbsp;avec une grille d’or, un peu de ce baume avec du musc; 11 l’aspergenbsp;d’eau bénite, l’encense et la remet au dernier clerc de la chambre.nbsp;Nous Ie vimes arriver, précédant Ie Pape et portant è la main la pré-cieuse fleur, qui fut placée au milieu de l’autel sur un riche voile denbsp;soie brode d’or. Après la messe, elle fut emportée avec la même cérémonie, et déposée au Vatican, jusqu’au jour oü Ie Père communnbsp;daigne en gratifier quelqu’une de ses nobles et pieuses lilies (2).

I'

Dans la journée, nous reprimes notre étude de la charité romaine, suspendue par Ie voyage de Naples. Les établissements et les oeuvresnbsp;particulières destlnés au soulagement des maux physiques et des misères intellectuelles, avaient passé sous nos yeux; restaient les misèresnbsp;morales avec les moyens que Rome emploie pour les guérir. Cesnbsp;moyens se divisent en deux classes : les uns ont pour but de prévenirnbsp;Ie mal, les autres sont établis pour les guérir. Élever Thomme a sanbsp;plus haute puissance en faisant couler abondamment la vie de la foinbsp;et de la piété dans toutes les öraes : tel est l’objet des premiers. Dansnbsp;ce nombre il faut placer les catéchismes, les prédications, les retraites, les Quarante heures, les stations, la grande association du Saint-Sacrement, Passociation particulière de Saint-Louis de Gonzague, lesnbsp;écoles du soir,Ies oratoires nocturnes, l’institution des Pcricolanti, etc.nbsp;Parrai les seconds, destinés ii réhabiliter Ie coupable, se rangent lesnbsp;maisons de repentir, les institutions en faveur des prisonniers, et plu-sieurs autres oeuvres qui participent au double caractère de remèdesnbsp;préservatifs et curatifs. Sans doute, la plupart de ces moyens sontnbsp;connus, et on les trouve en usage dans Ie reste de la catholicité. Ainsinbsp;leur histoire peut, au premier coup d’oeil, paraitre fastidieuse ounbsp;inutile. Pourtant il n’en est rien; outre l’avantage de la priorité, cesnbsp;moyens ont, a Rome, un caractère d’ensemble dont l’étude est indispensable, si l’on veut connaitre è fond l’intelligente charité de la mèrenbsp;de toutes les églises.

En parcourant les rues de la ville, nous rencontrümes des troupes

(1) Constanzi, 1.1, p. 13.

{2) Cartarius, De Rosa aurea; Marlinelli, Roma ex Elhnica sacra, etc.

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CATÉCHISME. 51

de petils gar^ons qui se dirigeaient gaimenl quot;vers les différenles églises. Une de ces bandes joyeuses entra a Sainte-Marie-del-Pianto;nbsp;nous l’y suivimes. Après une courte prière, Ie catéchisme commenga;nbsp;il fut expHqué par un des membres de VArchiconfrérie de la Doctrine chrétienne, dont voici l’origine. En 1567, un gentilhomme mi-lanais, nommé Marco Lusani, étant venu è Rome, se dévoua généreu-sement amp; l’instruction chrétienne des petits enfants; plusieurs ecclé-siastiques zélés voulurent partager sa bonne oeuvre, et il en résultanbsp;Une pieuse confrérie que saint Pie V et Benoit XIV ont favorisée denbsp;tout leur pouvoir. Entre tous les moyens établis pour exciter l’émula-tion des enfants, Ie plus puissant, paree qu’il convient Ie mieux aunbsp;caractère remain, est Ie concours solennel du premier dimanebe aprèsnbsp;Quasimodo. La dispute est soutenue par deux enfants de chaque pa-roisse, en présence des supérieurs, des dépulés et d’un immense concours de peuple. Les enfants s’interrogent et se répondent tour anbsp;tour; celui qui finit par ne plus trouver de compétiteur pour lui ré-pondre sur toutes les questions du petit catéchisme de Bellarmin, estnbsp;déclaré empereur. Les quatre qui Pont approché de plus prés forwent sa cour, composée de deux princes, d’un capitaine et d’unnbsp;écuyer.

Alors commence une scène d’une naïveté charmante.

A peine Ie jeune empereur de sept è huit ans est-il proclamé, qu’on Ie place sur un tröne, on Ie couronne de lauriers, on lui met unnbsp;sceptre a la main, on Ie décore d’une croix brillante qui pend sur sanbsp;poitrine; les princes et les officiers de sa maison l’accompagnent gra-'ement dans un superbe carrosse qui Ie conduit chez ses parents.nbsp;t*ans la demeure de son heureuse familie, on prépare richement unenbsp;Pièce, oü s’élève un tróne pour Ie jeune monarque qui re^oit les féli-citations et les hommages de nombreux courtisans de tout Age et denbsp;toute condition.

*-¦68 jours suivants, il sort dans sa voiture, accompagné de quel-qu un des membres de l’Archiconfrérie, et rend visite aux plus illus-tres personnages de Rome, qui Ie comblent de caresses et de ca-deaux ; sou règne dure un an. Ce terme écoulé, on nomme un nouvel empereur ; tel est Ie principal encouragement donné aux enfants. Lesnbsp;catéchistes eux-mémes ne sont pas oubliés. Par les soins de la confré-fie, des personnes pieuses de l’un et de l’aulre sexe sont envoyéesnbsp;tians les paroisses de Rome pour enseigner la doctrine chrétienne :nbsp;luelques-uns de ses membres assistent a ces catéchismes, et, d’accordnbsp;avec les curés, ils en nomment les maitresses. Si elles sont exactes A

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52 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.

leurs fonctions et a la communion générale qui a lieu tous les deux mois i Santa Maria del Pianto, elles sont inscrites sur les tableauxnbsp;de la loterie et aptes a recevoir les dots.

Grace au zèle de cette vaste association, a la sollicitude des pasteurs et d’un grand nombre de religieux et de pieux laïques, la religion,nbsp;placée auprès du berceau des générations naissantes, dépose sur leursnbsp;jeunes lèvres Ie sel de la divine sagesse, émousse Ie premier aiguillonnbsp;de la concupiscence, et développe en temps utile Ie sens cbrétien.

Bientót ce petit peuple voudra s’asseoir è la table sacrée : la cha-rité romaine battend sur les marches du sanctuaire. Dire sa ten-dresse, sa sollicitude, ses industries maternelles pour rendre tous ces enfants dignes d’être les convives de leur Dieu, dépasserait les bornesnbsp;que je me suis fixées. II suffira de savoir qu’il existe a Rome un grandnbsp;nombre d’établissements pieux qui, è l’époque solennelle de la première communion, recoivent les enfants de bun et de bautre sexe. Ilsnbsp;y sont a demeure pendant huit jours, nourris, instruits, préparés avecnbsp;un zèle admirable au plus grand acte de la vie.

Nous visitames avec un vif intérêt celui de ces établissements qui est prés de Sainte-Lucie-m-3Vasfeoere. Un saint prêtre, D, Joachimnbsp;Micchelini, curé de Saint-Sauveur, a Ponte Piotto, en fut Ie fondateur.nbsp;Désolé de voir un grand nombre d’enfants, qui ne faisaient autrenbsp;chose que courir les rues, jouer, voler et se livrer è toute sorte denbsp;vices, il congut Ie projet de leur tendre une main secourable. Aunbsp;moyen de petites recompenses, il réussit è les réunir tous les diman-ches dans un local séparé. De concert avec d’autres ecclésiastiques, ilnbsp;leur faisait une petite instruction sur Ie catéchisme, leur faisait entendre la messe et fréquenter les sacrements, puis leur donnait lesnbsp;récompenses promises : Dieu bénit et Ie prêtre et son oeuvre. Grêcenbsp;aux secours fournis par des personnes pieuses, on put donner des retraites a ces enfants qui se préparaient a la première communion; onnbsp;les regut d’abord au nombre de vingt-quatre, pendant huit jours.nbsp;Bientót il fut possible d’en admettre un plus grand nombre, de multiplier les retraites pendant Ie cours de bannée, et même d’habiller denbsp;la têle aux pieds la plupart de ces pauvres enfants.

Ge que Ie vertueux Micchelini ,a réalisé au-deli du Tibre, un de ses confrères ba fait a bautre extrémilé de Rome, dans Ie quartier de’nbsp;Monti. Don Santé Diotavelli, ayant obtenu busage de bancien convent contigu è Saint-Vit, sur l’Esquilin, établit des retraites prépara-loires a la première communion pour les enfants de cette région ;nbsp;comme ceux du Trastevere, ils sont logés, nourris, instruits et habil-

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VISITE A OWERBECK. nbsp;nbsp;nbsp;55

lés s’il y a lieu. On trouve des inaisons semblables, a I’hospice de Sainte-Galle, sur les bordsdu Velabre; a Saint-Laurent-in-Pane^Jerna,nbsp;prés de I’Esquilin; au convent del Bivin-Amove, dans le voisinage denbsp;Sainte-Marie-Majeiire, etc. (i).

Voila quelques-uns des moyens que Rome emploie pour donner la vie morale a ses enfants. Si plusieurs échappent a lant de sollicilude,nbsp;et grandissent dans Fignorauce de la religion et dans les vices qu’ellenbsp;engendre, ils trouvent, plus tard, dans les maisons que je viens denbsp;nommer la facilité de s’instruire et de devenir d’utiles citoyens en de-venant de bons catholiques. Pour eux aussi s’ouvrent, quel que soitnbsp;leur état, des catéchismes et des retraites. Les mêmes soins leur sontnbsp;prodigués pendant leur séjour; la charité les accompagne dans lenbsp;Wonde et les réunit, a dilTérentes époques, sous son aile. Le carêmenbsp;surtout est le moment oü Rome présente ce nouveau spectacle. Ennbsp;est-il de plus intéressant? je Fignore; et pourtant quel voyageur senbsp;donne la peine ou le plaisir de le contempler? L’heure avancée nenbsp;nous permit pas d’en jouir immédiatement; nous le verrons demain,nbsp;après avoir rendu visite a Owerbeck.

7 MARS.

Visile a Owerbeck; détails sur cel artiste. — Ce que fait Rome pour preparer aux Paques. — Predications. — Stations. — Catéchismes. — Retraites. — Pompes religieuses. — Remarques d’un protestant.

Parmi les raerveilles religieuses que Rome offre a Famour du voyageur attentif, il en est une qui tient un rang d’honneur : c’est le pieux, le kaint, Fangelique Owerbeck. En le visitant aujourd’hui,nbsp;nous ne crumes pas nous écarter de notre itinéraire. Le peintre quinbsp;fait de Fart un sacerdoce, et de ses tableaux sublimes autant de prédi-cations eloquentes, destinées è répandre partout Famour de la vertunbsp;et le gout de la piété, n’est-il pas une source de vie morale? Si, denbsp;plus, ce peintre fait ecole et s’efforce d’apprendre a ses disciples lesnbsp;secrets de Fart cbrétien, en leur inspirant sa foi vive, sa piété tendrenbsp;et sa pureté de mceurs, n’a-t-il pas droit aux hommages publics desnbsp;chrétiens et de Fartiste vraiment digne de ce nom?

L excellent ami qui nous accompagnait voulut bien nous donner, chemin faisant, quelques détails sur le nouvel Angelico da Fiesole.nbsp;« Owerbeck, nous dit-il, est né en Allemagne. Après avoir appris lesnbsp;premiers éléments de la peinture it FAcadémie de Vienne, il partit en

(i) Constanzi, IstUuzioni di Picta, 1.1, p. H7-2t9.

T. III. nbsp;nbsp;nbsp;,

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34 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.

1809 pour Rome, oü l’appelaient iin irrésistible instinct et I’amour de l’antiquité. Bientöl il y fut rejoint par deux amis, Pierre Cornélius etnbsp;Wilhelm Schadow, tons deux aujourd’hui chefs d’écoles opposées ennbsp;Allemagne. La colonic se grossit encore de quelques jeunes gens quinbsp;aspiraient a un art nouveau, et forma dans les ruines d’un conventnbsp;une communauté pauvre et studieuse, vivant d’enthousiasrae et d’es-pérances. Pendant quelques années les courageux artistes demeurè-rent inapergus, effacés par l’invasion et les préoccupations de lanbsp;guerre; mais après les événements de 1813, ils se révélèrent dans desnbsp;fresques de haul style, avec la diversité de leur talent. Celui d’Ower-bcck s’était transformé, et dépouillant peu a pen les formes tudes-ques, il s’appropriait Ie génie italien.

» Enlrainé par sa nature délicate et rêveuse vers la slmplicité charmante de Part ehrétien, Ie jeune artiste s’adonnait surtout ii la contemplation de la madone. ïandis qu’il pénétrait son imagination des beautés de Raphael, un autre travail s’opérait en lui ; il se prenait hnbsp;maudire la reformation, comme il avail renié la renaissance. II com-prenait que, pour rendre Ie sens des types du catholicisme, il fallaitnbsp;en croire les mystères et en posséder la foi compléte. II abjura donenbsp;Ie protestantisme, et fut imité par Ie plus grand nombre de sesamis :nbsp;on donna aux convevtis Ie surnotn de, Nazaréens. Quelque temps après,nbsp;riicole allemande se dlspersa par reffet des circonstances, et Ower-beck est resté seul k Rome, comme l’ange destine d garder la pureténbsp;du sanctuaire oü s’était accomplie la renovation de l’art national. »

Nous Ie trouvames dans la solitude du palais Cenci, oü il réalise l’idée la plus haute de l’artiste ehrétien. La pureté de sa vie et l’ha-bitude des méditations religieuses se révclent dans Ie caractère noblenbsp;el sévère de son visage. A la simplicité de ses manières, a la bonhomienbsp;charmante et au feu de sa conversation, on reconnait un cceur alle-mand souvent nourri du pain eucharistique. La prière sanctilie lesnbsp;travaux de l’atelier oü regne, parmi les élèves, un pieux recueillement.nbsp;L’admiraiion pour Ie talent d’Owerbeck et Ie respect pour sa vertunbsp;sont tels, qu’un jeune artiste nous disait: « Devant un coup de crayonnbsp;d’Owerbeck, chacuu doit óter son chapeau. » J’ajoute qu’en présencenbsp;de ses tableaux il faut croire et prier; leur vue seule est un acte denbsp;foi, d’espérance et d’amour. Je me rappelle, entr’autres, YInstitutionnbsp;de la sainte Eucharistie et Ie Couronnement de la sainte Viergenbsp;dans Ie eiel. On sait que ce dernier motif a élé Ie sujet de prédilectionnbsp;de toutes Ie écoles catholiques avant la renaissance. « De[)uis cettenbsp;époque, il n’a plus été ni compris ni traité; et TAssomption de Marie

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DÉTAILS sun l’ARTISTE OWERBECK. o5

Qous est toujours représentée sous l’einblème d’une femme a la pose fopcé.e, aux formes plus ou moins matérielles, soutenue péniblementnbsp;par des anges et enlevée sur les nuages. Combien est plus pure etnbsp;plus suave l’idée d’Owerbeck empruntée aux anciennes écoles denbsp;peinture! Le Fils de Dieu, assis dans la gloire a cóté de sa Mère, lanbsp;tient embrassée avec une indicible tendresse, et Marie, appuyanl sanbsp;tête sur l’épaule de Jésus, goüte, avec le calme du Paradis, le bonlieurnbsp;de relrouver ce Fils depuis si longlemps perdu. Des anges forment,nbsp;sur un ciel étoilé, Pamande symbolique qui enveloppe les deux person nages. Rien ne peut rendre la douceur et la grace exquise de cenbsp;tableau. »

Interrogé et complimenté sur ses cbefs-d’oeuvre, le pleux artiste nous répondit avec modeslie : « Puissé-je être assez heureux pour quenbsp;mes pauvres fatigues soient de quelque édification aux ames fidèles,nbsp;en les aidant a méditer les saints mystères de notre religion : c’est lenbsp;but auquel j’ai aspiré! » Puissent ii leur tour nos jeunes peintres nenbsp;pas se bomer a étudier la méthode de Frédéric Owerbeck, mais senbsp;faire un devoir d’imiter sa vie, en partageant sa foi vive et sa piété sincere! comme celle du mailre, leur gloire est a ce prix.

Est-il besoin d’ajouter que nous quiltames le palais Genei, pénétrés d’admiralion pour le talent du peintre catholique et de vénérationnbsp;pour sa vertu? Mais ce qu’il est bon de remarquer, c’est la conduitenbsp;de la Providence qui, dans la personne de Pimmortel artiste, placenbsp;Rome tl la tête du mouvement régénérateur de Tart. II est done écritnbsp;que la Reine de la foi dolt avoir la glorieuse initiative de tout ce quinbsp;est beau, comme de tout ce qui est bien.

Hier, nous avions laissé la charité romaine préparant la jeunesse au grand acte de la première communion; aujourd’hui, un nouveau devoir appelle sa sollicitude : Pheure solennelle approche oü les ebré-tiens de tous les êges doivent aussi participer au banquet eucharisti-que. Grace è la loi de la communion pascale, l’Église possède le secretnbsp;de renouveler pepétuellement sa jeunesse, et de raniraer, d’affermirnbsp;OU d’accroitre la vie morale de ses enfants. Celte loi sacrée, que le lordnbsp;protestant Fitz William (i) regarde avec raison comme l’indispensablenbsp;fondement des sociétés,- Rome en comprend toute l’importance (2).

(1) nbsp;nbsp;nbsp;Lettres d’Atticus.

(2) nbsp;nbsp;nbsp;Voici la conclusion que le puissant logicien lire d’une longue suite de raisonne-

tnenls parfaitement enchainés ; nbsp;nbsp;nbsp;,

« En résumé, la vertu, la justice, la morale doivent servir de base- d tous les gouver-nements.

“ Or, il est impossible d'établir la vertu, Ia justice, la morale sur des bases tant soit

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Ob nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.

Pour en procurer Ie digne accomplissement, prédications, stations, catéchismes, retraites, tout est mis en oeuvre.

Pendant tout Ie Caréme, on compte, soit dans les communautés, soit dans les paroisses, plus de soixante prédicateurs qui annoncentnbsp;du haut de la chaire ou du Palco les vérités éternelles. II y a des sermons a toutes les heures du jour et presque de la nuit; partout l’as-sistauce est nombreuse, et, je Ie dis pour l’avoir vu, parfaitementnbsp;recueillie. La plupart des ordres religieux prennent une part active anbsp;ce grand ministf're. Parmi ces hommes de solitude et de méditationnbsp;qui apparaissent tour a tour dans Ie costume imposant du jésuite, dunbsp;capucin, du passionniste, du domiriicain, du récollet et du théatin, ilnbsp;en est de fort éloquents. Le cclèbre P. Ventura attirait la foule ^ Saint-Pierre et amp; Saint-André della Valle.

Ce retenlisseraent general, incessant, de la parole divine, ébranle les ames, et la Ville sainte, habituellement si grave, prend une phy-sionorriie plus grave encore. Les theatres sont fermés; il n’y a d’ouvertnbsp;que les églises, les oratoires nocturnes et des maisons de retraite.

Rome emploie un autre genre de predication non moins eloquent et peut-être plus eflicace que le premier. Les stations coramencent dèsnbsp;le mercredi des cendres, pour ne linir qu’après Paques; chaque journbsp;une des églises de Rome s’ouvre solennellement a la prière. Elle estnbsp;richement décorée, les autels sont pares de lieurs, le pavé et le porti-peu solides, sans le tribunal de la penitence, paree que ce tribunal, lo plus rcdoutablenbsp;de lous les tribunaux, s’cmpare scul de la conscience et la dirige d’une manière plusnbsp;efficace qu’aucun autre tribunal.

» De plus, il est impossible d’établir le tribunal de lapéniicnce sans la croyance d la presence réelle, principale base de la foi catholique romaine; paree que sans cettenbsp;croyance le sacrcmeni de la communion perd sa valeur et sa consideration.... Partoutnbsp;oü cette croyance fut détriiiic, Ic tribunal de la penitence tomba avec elle; comraenbsp;partout oü cette croyance existe, la confession devient nécessaire. Or, cc tribunal quinbsp;se trouve nécessairement lié a la croyance de la presence réelle el a la loi de la communion, rend indispensable 1’exercice de la verlu, de ia justice, de la morale. Done,nbsp;comme je Tai déjadit,

B II est impossible de former un système de gouvernement quelconque, qui puisse être permanent ou avantageux, d moins qu’il nc soit appuyé siir la religion catholique romaine et en particulier sur le dogme de la presence réelle et la loi de la communion.

» Si Ton ose dire quo les enfants de TÉglise catholique sont mediants el pervers, malgré cette loi sacrée el les devoirs qui en découlent, que devons-nous dire des hommesnbsp;fibres de ces salutaires entraves? Les habitants de la plus houreuse el de la plus florissante monarchie qui ait jamais brillé sur la terre s’on sont lout a coup aflranchis;nbsp;qu’est-il arrivé? Ces malhcurcux insensés n’ayant plus de frein pour les rctenir, ontnbsp;lout ose; el ieurs crimes, comme une mer qui déborde, rompant des digues que Dieunbsp;seul pourra rélablir, ont bouleversé 1’Europe, inondé Ic monde, et imprimé au nomnbsp;francais une tache ineffa^ablc, et la plus ignominieuse doiit une nation puisse se cou-vrir. »

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bt

STATIONS.

que jonchés de feuilles odoriférantes, les piliers et les cliapelles tendus de belles draperies et illuminés par do nombreux flambeaux : tous lesnbsp;reliquaires sont ouverts. Soulevant Ie voile qui les cache d’habitude,nbsp;Rome montre ce jour-la les corps, les ossements de ses martyrs, lesnbsp;instruments de leurs supplices, et conduisant quarante jours de suitenbsp;ses enfants en presence de ces glorieux tombeaux, sous les yeux denbsp;cette nuée de héros de tout iige, de tout sexe et de toute condition,nbsp;elle leur dit ; « Regardez vos pères; voyez ce qu’ils ont fait! Etes-vous dignes d’eux, dignes de votre mere? Athletes de la foi, si vousnbsp;avez failli,rheure est venue de vous reiever et de retourncr au combat.nbsp;Pour vous encourager, vos pères vous montrent leurs palmes immortelles; pour vous guider, leurs exemples; pour vous soutenir, leursnbsp;priores. » Une indulgence plénière est attachée ii la visite de l’églisenbsp;stationnale; et les fidèles de toutes les classes s’y portent avec unnbsp;Saint empresscment (i).

C’est Ie jour de la station qu’il faut visiter chaque église de Rome. Outre Ie concours édiliant de la population, la beauté des offices et lanbsp;richesse des décorations, on y voit toutes les reliques insignes, dontnbsp;quelques-unes ne sont exposées que dans cette seule circonstance dcnbsp;l’année (2).

(1) nbsp;nbsp;nbsp;La Station est une devotion parliculière a la vitte do Rome. ïcrtullien ct saiiunbsp;JérOme en rapporlent 1’origine aux papcs saint Victor ou saint Zópliirin (192, 202).nbsp;Saint Grégoire Ie Grand rcgla les jours de cette devotion, leur nombro et les sanctiiairc.snbsp;oü clle devait avoir lieu : Sationes Gregorius per Basilicas, vel bcalonm marUjrumnbsp;caimeteria, secundum quod hactcnus plebs rotnana quasi eo vivcnte certatbu dismrrii,nbsp;sollirAie ordinavil.— Joan. Diacon. Vita, lib. ii, c. 6; Durandus, Rational, divin. offic.nbsp;lib. vn, c. 1. — Le mot station expriine unc inagnifique idee. Les stations militaircs sontnbsp;les tieures ou les sentiuelles, debout 1’anne an bras, veillcnt sur lo camp. Soldats tou-jours en campagne, les premiers Chretiens avaicnt aussi leurs stations. Ces héros dunbsp;christianisme sc réiinissaient done aux tombeaux des martyrs, soit pour eelebrer leurnbsp;triomphe au jour anniversaire de leur mort, soit pour s’exciter par le souvenir do leurnbsp;courage a combatlre vaillammenl, soit pour obtenir leur puissante protection. Tel estnbsp;le sens donne au mot station par les Pères do 1’Églisc et par saint Isidore dc Seville;nbsp;Htymolog. Rome a soigneusement conserve cel antique et noble usage. Du reslo a lanbsp;paix dcl’Église, les stations se lirent avec plus de pompe et de rcgularite. Le pcuple scnbsp;reunissait dans uno église pen cloignée de Tcglise stationnale. Lo Pape et le elergd s’ynbsp;Teudaient egalement, puis la procession partait pour 1’endroit désigné. Les femmes senbsp;rangeaient du cöté du nord, los hommes au midi, en sorte qu’il n’y avail ni mélangenbsp;ni confusion. Lc Pape prononcait unc homélie, cclébrait les saints mystères ct les fidèlesnbsp;participaient a la sainte communion. L’usage solonnel des stations cessa lorsque lenbsp;Saint-Siége fut transféré a Avignon : a parlir de cette époque on lc rcmplaca par lesnbsp;chapclles papales. Voyez Moretti, De Presbijt., 178; Ferraris, art. Statio.

(2) nbsp;nbsp;nbsp;Dans l’intérêt du voyageur catlioliquc je vais indiquer les jours el les lieux denbsp;station pendant tout le Carême :

Mercredi des Cendres. — Station a Sainte-Sabine.

Jeudi— Saint-Georges au Yélabre.

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58 LES TKOIS ROME.

La prédication journalière des grandes vérités du christianisme, l’exeniple des sainls donl les tombes sont ouverles, et les reliques élo-quentes exposées chaque jour du Carème aux regards des fidèles : telnbsp;est Ie double moyen que Rome emploie pour préparer les Smes a lanbsp;résurrecliou morale. Mals ce double moyen dolt êlre identifié a chaquenbsp;individu : or, une partie des auditeurs ne comprend pas re qui estnbsp;annoncé avec Ie ton solennel de la chaire; un plus grand nombre peut-être négligé de s’en faire l’application. Sans ces deux conditions d’in-telligence et d’assimilation, la vérilé ne peut devenir la nourriture denbsp;réme. Rome ne l’oublie pas; et suivant la salutaire prescription denbsp;Benoit XIV, des caléchismes préparatoires aux Paques s’ouvrent dansnbsp;les paroisses et dans les oratoires nocturnes. Les adultes de l’un et denbsp;l’autre sexe y sont invités, c’est pour eux qii’on les fait ; ordre estnbsp;donné aux maitres d’y envoyer leurs domestiques, et pour óter Ie pré-lexte du travail, les cafés et les magasins doivent être fermés pendantnbsp;les heiirés d’instruction. Afin que l’auditoire soit homogène, etnbsp;qu’ainsi Ie catéchisme soit plus profitable, les différentes classesnbsp;d’adultes ont leurs réunions particulières. Les caléchismes commen-

Vendrcdi. — Saints-Jean et Paul, sur rAventin.

Saincdi. — Saint-Tryphon-m-P/ö3sa-F/awmé«a.

— nbsp;nbsp;nbsp;Premier Dimanche de Car^77ie. — Saint-Jean-de-Latran.

Lundi. — Saint-Pierre-cs-Liens.

Mardi. — Sainte-Anaslasie.

Mercredi. — Sainle-Maric-Majcure.

Jeudi. — Saint“Laurcnt-?n-Pa?2e^er«a.

Vendredi.—• Les Douze-Apótres.

Sarnedi. — Sainl-Pierre, au Vatican.

— nbsp;nbsp;nbsp;Second Dimanche de CarCme, — Sainte-Marie-m-Pomnzca.

Lundi. — Saint-Clément.

Mardi. — Sainle-Balbine.

Mercredi. — Sainle-Cccile.

Jeudi. — Sainte-Marie-üi-rrastci?ere.

Vendrcdi. — Saint-Vital.

Samedi. — Saints-Picrre et Marcellin.

— nbsp;nbsp;nbsp;Troisième Dhnanche de CarCrne. —Saint-Laurent-ftori-rfcs-mwr^.nbsp;Lundi. — Sainl-Marc.

Mardi. — Sainle-Pudentie^nne.

Mercredi. — Saint-Sixte.

Jeudi. — Saints-Cóme et Damien.

Vendredi. — Saint-Laurent-m-Lwcma.

Sarnedi. — Sainie-Siisanne.

— nbsp;nbsp;nbsp;Quatrième Dimanche de Carême. — Sainle-Croix-c«-/cr«sa/crrt.nbsp;Lundi. — Les Quatre -Couronnes.

Mardi. — Saint-Laurent-m-Damaso. ilfercretZi. — S^ini-P'dul-hors-des-murs.

Jeudi. — Saint-Martin-m-J/o/ja' et Saint-Sylveslre*m-Capifc-

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RETKAITES. 5;)

cent Ie qualrième dimanche du Carème el conlinuent toule la se-maine (i).

Grace aux inslruclions élémenlaires, les ignorants el les pauvres sauront faire Ie discernement du corps de Jésus-Christ, ils connaitrontnbsp;les dispositions essentielles qui doivent accompagner Ie chréiien a lanbsp;Table sacrée. Mais si l’esprii est éclairé, Ie cceur peul n’Ctre pas cmu,nbsp;et la vie morale ne revieudra point a rdme ; les maisons de retraiienbsp;obliendront ce dernier résullat.

Ces asiles oü Thoinme seul avec Dieu seul s’approprie les vérités générales, se guérit de ses blessures el se renouvelle dans la vertu,nbsp;sont semés, comme les hospices, dans tous les quartiers de Rome; Ienbsp;convent des Passionnistes au Monl-Coelius, celui des Franciscains aunbsp;Palalin, la maison des Lazaristes a Monte-Cilorio, regoivent les ecclé-siastiques et les laïques de toules les conditions. A Sainte-Lucie-m-Trastevere, les pauvres, les soldats, les artisans, trouvenl graluitementnbsp;une pieuse solitude oü ils trouvent pendant buit ou dix jours la doublenbsp;nourrilure de Fame et du corps. Les jeunes gens y vont aussi, a moinsnbsp;qu’ils ne soient envoyés ii Ponte Piotto. Pour les éludiants les excrcices

Vendredi. — Saintc-Aurclic et Sainte-Bibiane.

Samcdi. — Sainl-NicoIas-m-Carccre..

— nbsp;nbsp;nbsp;Dimanche de la Passion. — Saliit-Picrre au Vatican et Saint-Lazare.

Lundi. — Sainl-Chrysogone-m-r?’a5ïet;crc.

Mardi. — Saint-Cyriaque-m-Sa?zia-3iana-m-Fm-Lafa, et a Sainl-Cyr el Sainie-Julietle.

Mercrcdi. — Saini-Marcel.

Jeudi. — Sainl-Apüllinaire.

Vendredi. — Saiiil-Étienne-le-Rond, au Mont-Cöeliiis.

Samcdi. — Saint-Jean-Porte-Laline.

— nbsp;nbsp;nbsp;Dimanche des Rameaux. — SaiiU-Jean-Jc-Latran.nbsp;hiindi. — Sainte-Praxède.

Mardi, — Sainte-Prisque et Sainte-Marie-rfe^-Popo/o.

Mercredi. — Sainie-Marie-Majeurc.

Jeudi. — Saint-Jean-(le-Latran.

Vendredi. — Sainte-Groix-c»-/erzlt;5a/cw.

Samedi. — Saint*Jean-dc-Latran.

— nbsp;nbsp;nbsp;Dimanche de Pdques. — Sainte-Marie-Majeure.

Lundi— Sainl-Picrrc ct Saint-Onuphre.

Mardi.Su'wt-Paul-hors-des-murs.

Mercredi. — Saint-Laurent-'/iOï’S-rfes-mKr^.

Jeudi. — Les Douze-Apóircs.

Vendredi,^^hne-'^tlarie-ad-Martyres.

Samedi. Saint-Jean-dc-Latran.

— nbsp;nbsp;nbsp;Dimanche de Quasimodo. — Sainl-Pancrace.

(*} On lil dans ie Diario sacro : Dom. quarta di quares. Alle ore 22 si da principio nelle solite ebiese ai catcchismi in apparecchio alia S. Pasqua slabiliti da Benediclo XIVnbsp;nel 175ü, e di sera negli oraiorj noliurni.

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co LES TROIS ROME.

spirituels sc donnenl amp; TUniversiti, au Collége romain, a Saint-Eu-sèbe, etc. En 1819, Ms^ Pialti, archevóque de Trébisonde, établit sur Ie Janicule une maison de retraite destinée aux nobles et aux officiersnbsp;de Ia garnison. Partie a ses dépens, partie avec les aumónes de Pie Vil,nbsp;il a préparé une habitation charmante qui s’ouvre tons les mois auxnbsp;retrailants, et surtout pendant Ie Caréine. Grace aux invitations denbsp;l’excellent prélat, les exercices spiritucls y sont très-fréquentés, el,nbsp;Dieu bénissant Ie zèle désintéressé de son minislrc, il en résulle unnbsp;grand bien. La vie morale se raniine dans les ames oü les préoccupa-tions mondaines l’avaient presque éteintes; et des pères de familienbsp;vraiment chrétiens, des officiers vigilants et dévoués sont les fruitsnbsp;journaliers de ces retraites, presque toujours gratuites.

Les dames, les jeunes personnes, les femmes de toutes les classes se relirent dans les convents de religieuses. Elles vont en grand nombrenbsp;au monastère del Bambin Gesü, prés de l’Esquilin, de Sainte-Ursule,nbsp;del Divin-Amore, voisin de la Basilique libérienne, etc. Cette dernièrenbsp;maison appartientaux religieuses Augustines dont la principale occupation est d’aider les personnes de leur sexe qui viennent faire lesnbsp;exercices spirituels. Fondées a Montefiascone par Ie cardinal Barba-rigo, elles sont établies a Rome depuis l’annde 1616. La supérieurenbsp;porie Ie litre de Mère-Vicaire, paree que la sainte Vierge est regardéenbsp;comme la première supérieure de la maison ; les retraites s’y succè-denl pendant toute Fannée. Deux prétres attachés au monastère caté-chisent, prèchent, confessent et les enfants qui viennent s’y préparernbsp;h la première communion, et les adultes qui viennent s’y reposer dunbsp;travail de la vertu et se préparer a de nouveaux combats (i). La nom-breuse association des dames et des demi-dames, dame, e semi-dame,nbsp;fait sa retraite au Caravila : j’en parlerai bientót.

Former 1’homme ii entendre Ia voix de Dieu, a rentrer en lui-mème et il se juger, tel est Ie but des prédications, des stations, des caté-chismes et des retraites que Rome multiplie pendant Ie Carême. Tou-tefois si puissants qu’on les suppose, ces moyens ne suffisent pas :nbsp;pour être, en effet, réhabilité a ses propres yeux, Ie coupable a besoinnbsp;d’absolulion. II veut entendre son juge lui dire clairement; Allez ennbsp;paix, vos péchés vous sont remis. Celte assurance est un besoin, unenbsp;nécessité, il la lui faut; et pourlant, inconcevable mystère! il redoutenbsp;Ie tribunal oü cette sentence de miséricorde est prononcée. Or, voilénbsp;que pour l’attirer, l’ingénieuse charité romaiue a placé sur les tribu-

(i) Constanzi, 1.1, p. 117-t25.

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REMARQUES D UN PROTESTANT. 61

naux de la pénitence des inscriptions pleines de confiance et de tendre niiséricorde. Comment les voir sans être encouragé? Un protestantnbsp;célèbre, connu par ses préjugés haineux contre le catholicisme, n’a punbsp;s’empêcher d’admirer ces inscriptions. En voici plusieurs qu’il a prisnbsp;la peine de recueillir : Allez, montrez-vous au prétrc.J’irai dnbsp;mon père, et je lui dirai : Mon père, fai pêche.lls seront remisnbsp;dans le del.Retourne, ó mon ume, d Ion repos.Allez en paixnbsp;et ne péchez plus.Celui qui vous ecoute, m’écoule.Venez dnbsp;moi, vous tous qui gémissez sous le poids de vos misères.Le Justenbsp;me reprendra avec miséricorde.Voyez s’il est en moi une voienbsp;d’iniquité, et ramenez-moi dans le chemin du del.C’est pour entendre les gémissements des prisonniers (i).

Enfin, pour compléter I’impression en frappant les sens, viennent les grandes solennites de la Semaine Sainte. Nulle part sous le ciel,nbsp;Toei! de I’liomme ne contemple des porapes et des cérémonies tour anbsp;tour plus attendrissantcs, plus lugubres, plus imposantes. Telle estnbsp;leur mystérieuse puissance qu’elles vous jettent dans je ne sais quellenbsp;ivresse dont les salutaires effets se font longtemps sentir. Malgré lenbsp;mal que les étrangers lui font, malgré I’esprit antichrétien qui soufflenbsp;sur le monde, Rome continue de présenter, pendant le Caróme, I’as-pect d’une chaste matrone, d’une sobre et grave mere de familie; etnbsp;les observations d’un écrivain protestant se vérifient encore de nosnbsp;jours : (c J’ai remarqué, dit-il, a Rome et en Italië, que malgré lesnbsp;progres du vice, le peuple de toutes les classes se contenait singuliè-rement pendant le Carême. On n’entendait plus comme auparavant ninbsp;blasphemes, ni propos fibres. Le faste, la parure, les repas somptueux,nbsp;les délices avaient fait place a la modestie, a l’austérité, a l’extérieurnbsp;de la pénitence; des sermons édifiants tous les soirs, des quêtes abon-dantes en faveur des pauvres, une apparence générale de componclionnbsp;et d’amendement.

» J’avoue que c’est en Italic que j’ai le mieux appris it apprécier l’utifité du Carême, et a rendre justice aux motifs qui I’ont fait insti-tuer. Je ne saurais partager I'opinion de ceux qui pensent que lesnbsp;hommes devant, dans tous les temps, mener une vie conforme auxnbsp;principes de la foi, c’est une superstition de réserver une partie denbsp;l’année pour une dévotion plus grande que de coutume. Quand on ré-lléchit sur la difficnlté de retenir constamment les hommes dans lesnbsp;hornes du devoir, on ne tarde pas ü reconnaitre combien il est imper

il) Addison’s, Remarks on several parts of Italy, p. 31.

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62 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.

tant de fixer dans Tannée un temps d’une durée raisonnable, pour les obliger b rentrer en eux-mêraes, et a faire de sérieuses réflexions surnbsp;leur conduite; de peur que Ie péché ne jette de trop profondes racines,nbsp;et que l’habitude du vice ne devienne trop difficile i détruire (i). »

8 MARS.

Ce que Rome fait tous les dimanches pour enlretenir Ia vie morale. — Instructions paroissiales et particulières.—Mission urbainc.—Exerciccs de Saint-Vit et de Sainte-Marie-ói-CapeHa. — Interpretation de 1’Écriture. — Chemin de la Croix au Colisée.nbsp;— Saluts du Saint-Sacrement. — Tous les jours de la semaine, instructions et pratiques en l’honneur de Notre-Seigneur et de la Sainte-Vierge— Enterrement.

Le zèle qu’elle déploie dans les époques solennelles de Paqties et de la première Communion, pour abreuver ses enfants a la source mêmenbsp;de la vie morale, Rome le soutient perpétuellement, afin de les main-tenir dans l’heureux état oii elle les a places. Aux efforts incessants denbsp;réternel ennemi du genre humain, elle oppose des efforts non moinsnbsp;soutenus. Pendant toute Pannée les moyens de persévérance les plusnbsp;variés et les plus nombreux sont ménagés aux heureux habitants de lanbsp;Ville sainte.

Conformément au précepte du Concile de Trente, tous les dimanches, a la messe paroissiale, les curés font une homélie it leurs parois-siens; et le soir, ils les réunissent pour entendre Pexplication du caté-chisme. De plus, dans beaucoup d’autres églises, il y a, tous les jours de fête, une instruction pour le people. Au Gesü, a \'Ara-Cceli, auxnbsp;Douze-Apdtres,at ailleurs, on prêche vers onze heures du matin. Dansnbsp;toutes les églises ou oratoires des norabreuses confréries, après la ré-cilation de l’Office des Morts ou de la sainte Vierge, on fait aux associés une instruction, que la langue italienne appelle gracieusementnbsp;un fermrino : le discours est suivi de la messe. La même chose a lieunbsp;dans les universités, les colléges, séminaires, associations pieuses ré-pandues dans tous les quarliers de Rome; voila pour le matin.

Le soir, a l’église de la Minerve, on récite le Rosaire, et un des confrères du P. Lacordaire, un Dominicain, fait un discours a la foule nombreuse qu’altire la réputation de Porateur. Dans le même tempsnbsp;a lieu ce qu’on appelle la mission urbaine, missione urbana. Un prê-tre, choisi parmi beaucoup d’autres associés il la même oeuvre, réunitnbsp;le people dans une église indiquée d’avance, et lui adresse une in-

(i) Sir Edwin Sands, Europee speculum.

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EXEnciCES CE SAisr-viT, ETC. nbsp;nbsp;nbsp;63

struclion forte, mais familière, suivie de l’acte solennel de Contrition :

Ie peuple affeclionne parliculièrement celte pieuse pratique. Pour Pen faire jouir plus faeilement, la mission change d’église tons les mois.nbsp;C’est le directeur du Caravita qui se charge ordinairement de cet utile,nbsp;mais laborieux ministère. A Saint-Vit, au Mont-Esquilin, il y a unenbsp;dominicale en faveur des enfants et des adultes qui onl fait les exer-cices spirituels dans le courant de l’année. Les eglises de religieuses,nbsp;les conservatoires de jeunes personnes onl aussi, les dimanches el lesnbsp;fetes, des instructions donnees par des prétres séculiers on réguliersnbsp;spécialement chai’gés de cette fonction. Vers la tombée de la riiiil, lenbsp;voyageur, qui descend le Tibre du cóté de Saint-Michel, voit accourirnbsp;a l’église de Sainie-Marie-m-CapeWa, les mariniers, doni les largesnbsp;bateaux couvrent le port de llipa-Grande. Dans ce vénérable sanc-luaire, dédié h l’Étoile de la mer, la confrérie de Saint-Paul réunil lesnbsp;pauvres et les matelots, les catéchise, les conlésse, les dispose a la dignenbsp;reception des sacremenls.

II est un autre genre de predication que je n’ai trouvé qu’a Rome, et qui me semble très-propre a répandre, parmi les fidèles, un grandnbsp;fonds de doctrine et de piélé : je veux parler de THerméneutique onnbsp;interprélalion de l’Écriiure. Des religieux de différents ordres se partagent le lexte sacré el se succèdent dans la mème chaire, de six ennbsp;six mois. Le premier commence par la Genèse, et explique un ou plu-sieurs livres de l’Ancien Testament. li en dit l’origine, le sujet, la division ; développe les fails principaux et en lire des conséquences pratiques. Ses successeurs expliquent les livres suivants; en sorte qu’aunbsp;bout d’une ou de deux années, la Bible tout entiére, depuis les livresnbsp;de Moïse jusqu’a 1’Apocalypse, est exposée aux simples fidèles. Nousnbsp;assistions avec bonheur a ce cours d’enseignemenl si nouveau pournbsp;nous. 11 y avail foule; et les gens du peuple, les simples femmes for-maienl une grande parlie de l’audiloire. A en juger par le silence etnbsp;1 attention générale, cette instruction avail pour tous un atlrait particulier. Pour rnoi elle avail un autre mérite, celui de fermer la bouchenbsp;a nos frères séparés. On sait que les protestants ne craignent pas d’ac-cuser l’Église de s’opposer a 1’étude de J’Écriture sainte ; et l’Églisenbsp;leur répond en faisant expliquer publiquement et perpétnellemenl lesnbsp;livres sacrés. Parmi les prédicateurs qui remplissent glorieusement cetnbsp;intéressant ministère, il faut nommer en particulier les pcres Jésuites,nbsp;les Augustins et les Frères Mineurs de 1’Observance.

Les dimanches et les fètes on trouve encore ii Rome une pratique de piété qui a Ie privilége d’atlirer une grande foule ; c’est l’exercicc

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64 nbsp;nbsp;nbsp;lES TROIS ROME.

solennel du Chemin de la Croix au Colisée. Les confrères du Via crucis partent de leur oratoire silué au Forum. Une grande croix denbsp;bois, nette croix qui a sauvé Ie monde, marche en téte, portee ordi-nairement par Ie cardinal protecteur de la confrérie, revétu du sac denbsp;la pénitcnce. La procession des confrères est immédiatcment suivie denbsp;celle des swurs, sorelle, qui s’avancc, comme la première, précédée denbsp;la croix. L’arbre sacré est soutenu Ie plus souvent par les mains déli-cates de quelque noble dame romaine, petite-fille peut-être des Fabiusnbsp;et des Scipions. Le double cortége se dirige lentement vers Ie Colisée,nbsp;au chant des hymnes et des cantiques. Arrivées au centre de Farène,nbsp;oü attend une foule compacte et silencieuse, les deux confréries senbsp;rangent autour de la grande croix, sur le piëdestal de laquelle montenbsp;un bon religieux du couvent de Saint-Bonaventure. II prèche; et sonnbsp;humble parole, empruntant aux ruines gigantesques de Famphithéatrenbsp;et aux souvenirs puissants de la grande lulte accomplie dans ces lieux,nbsp;une éloquencc irresistible, les cceiirs s’attendrissent bicntöt; et vousnbsp;voyez, pendant la visite des stations, les fidèles, Remains et éti’angcrs,nbsp;arroser de leurs larmes ce sol trempé, il y a quinze siccles, du sangnbsp;de nos pères. Tels sont avec les pieux pèlerinages, et les saluts dunbsp;Saint-Sacrement donnés chaque dimanclie dans quarante églises, lesnbsp;principaux exercices par lesquels Rome sanctifie le jour du Seigneurnbsp;et entretient la vie morale au ceeur de ses enfants.

Que fait-elle dans le même but pendant la semaine? Chaque jour, le soleil sc léve pour éclairer et féconder la lerre, chaque jour Fair senbsp;renouvelle pour fournir un aliment aux pouinons des êtres animésnbsp;ce qui se fait dans Fordre physique pour la conservation des corps,nbsp;Rome le fait dans Fordre moral pour la conservation des aines. Chaque jour le soleil de la verité brille a son horizon, et la parole sainte,nbsp;qui en est comme le rayonnement, pénètre dans les Ames de bonnenbsp;volonté. Afin de prévenir la monotonie, les salutaires pratiques de lanbsp;piété changent continuellement de forme et d’objet secondaire; denbsp;sorte que les esprits et les coeurs, quels que soient leurs dispositionsnbsp;et leurs besoins, trouvent infailliblemenl, dans le cours de la semaine,nbsp;le remède a leur faiblesse, Faliment è leur faim, la lumière a leursnbsp;lénèbres.

Toutefois, la pensée dominante de la charité romaine est de fixer perpétuellement les regards de Fhomme sur les trois grands objetsnbsp;du culte catholique : tout cc qu’il y a de flus saint, de flus aimablenbsp;et de flus attendrissant; Jésus, Marie et les ümes du furgatoire, sontnbsp;sans cesse rappelés a Fesprit et au coeur des fidèles. De lè, dans la

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TOUS LES JOERS, INSTRUCTIONS ET PRATIQUES. nbsp;nbsp;nbsp;bo

piété romaine, ce mélange de force, de confiance enfantine et de ten-dresse, que je n’ai Irouvé nulle part au même degré; de la encore cette formule par laquelle les pauvres demandent l’aumóne, et qui resume si bien l’esprit du catholicisme a Piome : Un mezzo bajocconbsp;per l’amor di Gesü sacramento, di Èlaria santissima et delle animenbsp;del purgatorio. Que l’intention de la mère et de la maitresse de toutesnbsp;les églises soit d’élever a sa plus haute puissance ce triple sentiment,nbsp;les faits vont l’établir. Et d’abord, Tinstruction qui nourrit la foi etnbsp;qui éclaire la piété coule chaque jour de la semaine, abundante et va-riée, sur les différents points de la Ville sainte. Dans Taprès-midi, deuxnbsp;instructions sur les devoirs de la vie commune ont lieu amp; l’église dellanbsp;VaUicella; Ie soir, elles se répètent plus variées et plus nombreusesnbsp;a la mission in Monte-Citorio et dans tous les oratoires nocturnes.

Tous les jours de l’année, a Sainte-Marie-Madeleine, au Quirinal, exposition et bénédiction du Saint-Sacrement.

Tous les jours de l’année, a Sainte-Marie-de-la-Paix, une messe votive de la Sainte Trinité, en actions de grftces des privilégcs accordésnbsp;a Marie par chacune des trois augustes Personnes.

Tous les jours de l’année, a Sainte-Marie-de-la-Minerve, a Saint-Nicolas-dei-Perfetti, è Saint-Cyr, a Sainte-Marie-deZ-Pf«Klt;o, du Suffrage, de Lorette; a Sainle-Marie-dei-Monti, a VAra-Coeli, a Saint-Celse, aux Saints-Anges-Gardiens, a Saint-Nicolas-m-Carcere, a Saint-Barthélemi-en-TIle, a la Trinité-dcs-Pèlerins, ii la Mort, a Saint-Lauvent-in-Damaso, b Sainte-Marie-des-Graces, ^ Porta Angelica, anbsp;Sainte-Marie-rff-Mojite-Sawlt;o, a Sainte-Marie-des-Anges, aux Pères-de-la-Pénitence, récitation publique du Rosaire avec bénédiction dunbsp;Saint-Sacrement.

Tous les jours, h Saint-Marcel et é Sainte-Marie-m-Ft«, récitation solennelle de la couronne des Sept-Douleurs de la sainte Vierge.

Tous les jours, a Sainte-Marie-m-Cosmecltw,et ^ Sainte-Marie-deHa-Pietd, sur la place Colonne, a Saint-Fran^ois-de-Paule-ai-il/onit, récitation des Litanies de la sainte Vierge et du Rosaire.

Tous les jours, vers Ie commencement de la nuit, récitation de la Couronne des Trépassés au Cimetière du Janicule, et dans toute lanbsp;ville VAve Maria des Morts.

En assistant a 1’une de ces pieuses réunions, nous fumes témoins, dans l’église de Sainte-Marie-des-Graces, de l’enterrement d’une jeunenbsp;personne. Depuis vingt-quatre heures Ie corps était déposé ii l’église,nbsp;dans une bière fermée. Des messes se célébraient aux divers autels, etnbsp;les nombreuses compagnes de la jeune défunte, vétues de blanc et

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66 LES TKOIS ROME.

couvertes d’un grand voile, se tenaient agenouillées, un cierge a la main, autour du catafalque, ou se rendaient successivement la sainlenbsp;table, pour y coinmunier en faveur de leuramie. Celle-ci était habilléenbsp;de blanc; sa tête virginale était ornée d’une couronne de roses; unnbsp;voile broché d’or couvrait son noble visage, dont la sérénité annongaitnbsp;l’innocence de l’aine et Ie calme d’un doux sommeil. Non loin du catafalque s’ouvrait Ie caveau funèbre. Au milieu des hymnes de l’espé-rance on y descendit lentement la jeune victime de la mort; car pournbsp;elle la tombe est une mère, dans Ie sein de laquelle une nouvelle vienbsp;lui sera donnée. En attendant, elle ne sera point oubliée; une simplenbsp;pierre la séparera de ses amies et de ses proches. Nul ne viendra dansnbsp;la pieuse église sans donner une larme £l sa mémoire, une prière a sesnbsp;besoins. Comme ce touchant spectacle traduit bien la pensee catho-lique! Entre cette lenteur dans la dernière séparation, celte publiciténbsp;de la mort, cette sépuliure dans Ie temple, et la rapide clandestiniténbsp;de nos enterreraents jointe it l’isolement impie de nos cimetières:nbsp;quelle différence!

9 MARS.

Sainle Francoise, Uomaine. — Oraloires nocturnes. — Lo Caravita. — Écoles du soir.

Dès Ie matin, Ie jieuple se portait en foule a Téglise de. Tor dei Speecht: on y célébrait avec grande pompe la féte de saintc Franf-oise,nbsp;Romaine. J’eus moi-möme Ie bonheur d’offrir les augustes mystèresnbsp;dans ces lieux remplis de pieux souvenirs et au milieu de la commu-nauté, digne héritière de la Sainte. Née a Rome, en 1384, d’une il-lustre familie, Francoise épousa, jeune encore, Lorenzo Ponzani, éga-lement distingué par sa noblesse, sa fortune et ses vertus. Cette unionnbsp;rappela celle de saint Éléazar et de sainte Delphine. Devenue veuve,nbsp;Frangoise résolut de se consacrer entièrement it Dien et aux pauvres.nbsp;Dans Ie monde on l’avait vue, unissanl la mortification amp; l’aumóne,nbsp;faire avec les mendiants un commerce d’un égoïsme, sublime. Ennbsp;échange du bon pain qu’elle leur donnait, elle voulait qu’ils lui cédas-sent les croütes desséchées dans leurs poclies; et tandis que Ie pauvrenbsp;mangeait la nourriture délicate de l’opulcnce, la noble matrone se con-tentait du grossier aliment de la misère. Son entière abnegation d’elle-même se traduisit par un mot qui reste dans la communauté, oü ilnbsp;conserve Ie même sens. Partout ailleurs la religieuse appelle profession, 1’acie solennel de sa consécration au service de Dieu; ici on Ie

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ORATOIRES NOCTURNES. nbsp;nbsp;nbsp;67

désigne par Ie mot i'ohlation. Ne trouvez-vous pas lè une nuance d’idées que l’esprit admire et une exquise délicatesse de sentimentsnbsp;lt;iui pénètre Ie coeur? La religicuse vous apparait, non plus seulementnbsp;comme une personne qui prononce des engagements plus ou moinsnbsp;étendus; mais comme une humble victime qui s’apporte elle-même anbsp;1’autel, affcro, et qui s’immole sans retour et sans partage.

La chapelle et toutes les salles du couvent étaient remplies de dames de la plus haute condition; car les oblates de Sainte-Frangoise se re-crutent en général dans les classes élevées de la société. Au sorlir d’unnbsp;magnifique salut du Saint-Sacrement, nous continuitmes noire étudenbsp;de la charité romaine.

S’il vous est arrivé de parcourir, a la chute du jour, les boulevards de Londres ou de Paris, vous aurez vu, de distance en distance, desnbsp;édifices splendidement éclairés, et une foule d’arlisans et d’ouvriers,nbsp;d’hommes, de femmes et d’enfants, entrer pêle-mêle dans ces vastesnbsp;biitimenls. C’est I’heure du spectacle ; Ie peuple s’y rend, il y passenbsp;une partie de la nuit; et, en échange de son argent, il apprend a senbsp;moquer de la religion, de la vertu et des bonnes moeurs; ses-passionsnbsp;s’irritent, ses désirs s’enflamment, sa vie morale s’all'aiblit, et souventnbsp;Ie devoir lui devient un fardeau trop lourd. En tout cas, il n’en sortnbsp;jamais ni plus probe, ni plus résigné, ni plus laborieux; et pourtantnbsp;il a dépensé une partie de son salaire et de la subsistance de sa familie. A Rome aussl vous trouvez des théütres, mais les pièces sontnbsp;rigoureusement censurées; et puis, a cólé de ces lieux de divertissement profane, l’intelligente charité tient ouvert des asiles oü l’hommenbsp;du peuple el même Ie ciloyen opulent peuvent trouver des jouissancesnbsp;qui accroissent leur vie morale, raniment leur courage, consulentnbsp;leurs chagrins, soutiennent leur faiblesse, sans entamer ni leur fortune ni leurs épargnes : je veux parler des oratoires nocturnes.

On donne ce nom des églises ou chapclles, plus ou moins vastes qui s’ouvrent tous les soirs au public. Des chants religieux, de la mu-'nbsp;sique, une instruction, des priores, d’autres exercices de piété, senbsp;succèdent jusqu’a une heure fort avancéc de la nuit. On trouve desnbsp;oratoires nocturnes dans tous les quarliers de Rome, et partout l’as-sistance est nombreuse. Vous en avez un a Sainte-Marie-tZeLjPfanïo,nbsp;prés de la place Giulia, qui est dirigé par les membres de l’archicon-frérie de la doctrine chrélienne. Le cardinal .\nlonelli, dont la mé-moire sera toujours en bénédiction parmi les catholiques, en élablitnbsp;quatre dans les quartiers les plus éloignés de Rome. G’est en 1795nbsp;qu ils s’ouvrirent sous la direction d’un prêlre illusire, don Joseph

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68 nbsp;nbsp;nbsp;I.ES TROIS ROHE.

Marconi. Le premier cst ai Monti, le second, a la place Barberini, le troisieme, au Trastevere, et le quatrieme prés de la place de Navone,nbsp;a I’eglise della Pace.

Toutefois l’étendue de la ville et rempressement du peuple les ren-daient insuffisants. D’ailleurs toule la cité Leonine, ainsi que les environs du Vatican, étaient privés de cette utile institution. L’abbé, comte Fioravanti, mort dans la suite évêque de Rieti, combla cette lacune. Sur le modèle des précédents, il établit iin oratoirc nocturne énbsp;l’église de Saint-Ange-ni-Comdon'. Restaient les quartiers populeuxnbsp;du Ponte Quattro-Capi. Grace au zèle du chanoine Carboni, cure denbsp;Saint-Aïige-in-Pescheria, ils fiirent bientót favorisés du même bion-fait. Leur oratoirc est a Sainte-Marie-m- Vincis. Placé sous la protection de saint Francois-Xavicr et agregé au Caravita, il réunit con-stamment une foule nombreuse de fidèles et d’apótres zélés. R existenbsp;encore plusieurs autres oraloires nocturnes, dont je ne parle pas afinnbsp;d’éviter les longueurs. Je me contente de faire connailre celui du Caravita, le plus ancien et Ic plus célèbre de tous. Son histoire, d’ailleurs, est l’histoire de tous les autres ; partout le mCme but, le mêmenbsp;ordre et les mêmes moyens.

En 1606, vivait a Rome un jeune novice de la Compagnie de Jésus, nommé Nicolas Promontorio. Suivant l’usagc, il s’cn allait chaquenbsp;dimanche, de concert avec ses collègues, preeber sur les places pu-bliques. Son eloquence et sa piété attiraient autour de son palco unnbsp;grand nombre d’auditeurs qu’il conduisait ensuile au tribunal de lanbsp;reconciliation. Le dernier dimanche du mois on les voyait tous ensemble s’approcher de la sainte Table, dans Féglise la plus voisine denbsp;la place oü s’était faitc l’instruction. Bientót on les réunit les jours denbsp;fête dans une chapolle du collége Piomain. G’est de la que les plusnbsp;fervents partaient pour aller faire la mission urbaine, ayant a leur têtenbsp;le pieux novice fondateur de cette bonne ceuvre.

Le père Caravita succéda au père Promontorio dans le double em-ploi de directeur de la mission et de president de l’oratoire. Entiè-rement dévoné au succès de ces institutions naissantes, il obtint des aumónes assez considérables pour faire balir la superbe cliapelle quinbsp;porte encore son nom. Elle est situce au centre de Rome, non loin denbsp;Féglise de Saint-Ignace. Trois patrons lui furent donnés : la saintenbsp;Trinitc, sainte Marie della Piëta, et le grand apótre des temps nio-dernes, saint Frangois-Xavier ; jamais vocable n’exprima mieux et lenbsp;but et les moyens d’une oeuvre de ce genre.

L’oraloire s’ouvre tous les jours a vingt-quatre heures d’Italie,

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LE CARWITA. nbsp;nbsp;nbsp;69

c’est-i-dire è la tombée de la nuit. Voici les exercices qui s’y font pour les hommes seulcment. On commence par quelques prières siii-vies d’une instruction prononcce par Ie directeur : vient eusuite Icnbsp;chant sublime du Salve Regina. 11 est h peine fini qu’on expose Ienbsp;Saint-Saerement, et en presence de toute la foule prosternée, se faitnbsp;Ie fervorino pour exciter a la contrition. Sur tons les assistants ainsinbsp;préparés tombe la bcnédiclion de celui qui regarde avec amour lesnbsp;cojurs contrits et humiliés. Le mardi, lejeudi et Ie samedi, des exercices de penitence corporelle remplacent le sermon. Pendant toute lanbsp;séance vous voyez de nombreux confesseurs assis sur leurs tribunaux,nbsp;et dont l’utile ministère se prolonge quelquefois très-avant dans lanbsp;nuit. A la fin des exercices, quelques membres de l’oratoire commen-cent la récitation du chapelet. Ils la continuent a plusieurs choeursnbsp;dans les rues; la foule méle sa voix è leur voix, et les pieux corteges vont achever les louanges de la Mère de miséricorde et de gracesnbsp;au pied de la Madone de VArchetto ou de la place Madame.

Le Caravita ne s’ouvre pas seulement le soir de cbaque jour. Le matin de toutes les fétes de précepte, il recoit les hommes seulementnbsp;qui trouvent ii s’y confesser. On y fait a haute voix la meditation pendant une demi-heure : on y chante l’oüice de la sainte Vierge, on ynbsp;entend une instruction suivie du saint sacrifice de la Messe. Le premier dimanche de chaque mois a lieu la preparation a la mort, lanbsp;récitation de Toffice des Trépassés et la communion générale.

Depuis le soir de Noël jusqu’au premier janvier, les hommes y font leur retraite. A certaines époques, l’entrée du Caravita est exclusive-ment réservée è deux vastes associations de femmes. La première, fon-dée en 1707, approuvée et enrichie d’indulgences par le pape Clément XI, se compose de l’élite de la société romaine ; elle s’appelle lanbsp;Congrégation des Dames. Les membres de cette noble assembleenbsp;viennent è l’oratoire une fois par mois pour la retraite de la Bonne-Mort; y font, pendant la semaine de la Passion, les exercices spiri-tuels de huit jours, et un triduum en préparation a la fêle de l’As-somption. Elles s’y rendent encore pour assister au service solennelnbsp;qu’on y célèbre a la mort de chacune des associées; remettent è lanbsp;prieure l’offrande destinée a la célébration des messes en faveur de lanbsp;défunte, et vont tour è tour porter des aumónes è l’hópilal de Ia Consolation, OU des encouragements et des instructions pieuses aux femmes condamnées. Quoiqu’a des jours différents, la seconde congrégation, appelée des Demi-Dames, Semi-Damc, jouit des mémes gracesnbsp;et des mêmes exercices que la première. Seulement les membres de

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LES THOIS ROME.

cette association réservent leurs charitables soins pour l’hospice de Saint-Jacques-des-/nCMro6?es.

On voit que les réunions du Caravita et en général de tous les ora-toires nocturnes, n’ont pas seulement pour objet la perfection de ceux qui les fréquentenl; tnais qu’elles tendenl ii entretenir et i» porter lanbsp;vie morale dans ceux qui en sont éloignés. Ainsi les quatre congréga-tions d’hommes, dont l’illustre chapelle est pour ainsi dire Ie centre,nbsp;s’emploient avec une ardeur merveilleuse au bien des classes labo-rieuses ordinairement si negligees dans les grandes villes. Composéesnbsp;de prétres et de laïques, elles vont faire dans tous les quartiers denbsp;Rome et méme è la campagne, des instructions populaires aux mois-sonneurs, aux faucheurs, aux voiturins, pénétrant pour cela dans lesnbsp;carrefours, dans les hangars, dans les remises, partoul enfin oü senbsp;trouvent réunis leurs auditeurs. Elles les invitent h venir au Caravita,nbsp;OU des confesseurs charitables les altendent; et Dieu seul connait lesnbsp;mystères de réhabililation qui s’accomplissent dans ces èmes trop souvent et trop longtemps negligees. Plusieurs fois témoins de ce spectacle, bien autrement intéressant que la vue du Colisée ou de l’arc denbsp;Janus, nous ne savions que bénir et admirer. Dévouement du zèle,nbsp;puissance de la foi, Rome se montrant aussi bien dans Ie détail quenbsp;dans l’ensemble de ses muvres la mère de ses enfants et Ie modèle denbsp;toutes les églises ; voila ce qui ressort en traits lumineux de ces institutions, a peu prés ignorées de l’Europe et invisibles au voyageurnbsp;mondain.

Ce n’est pas tout; Ie désir d’instruction, qui tourmente notre siècle, se fait sentir en Italië comme en France. Avec cette intelligence supérieure qui ne lui manqua jamais, Rome Ie seconde, et Ie fait ser-vir au' progrès moral de ses habitants. Nous savons déjé ce qu’elle faitnbsp;pour l’instruction de I’enfance; Page mur est aussi 1’objet de sa solli-citude. Au commencement de 1842, Rome comptait déjé buit écolesnbsp;du soir, fréquentées par un millier d’adultes. Une école coüte 160 écusnbsp;par an. On voit par la l’économie tant prisée de nos jours de Finsti-tution roniaine. Elle est due è la charité des excellents maitres qui,nbsp;sans autre récompense que Ie mérite acquis devant Dieu, prêtent gra-tuitement leur concours a l’éducation du pauvre, sacrifiant é ce besoinnbsp;religieux les plus belles heures de la soirée, avec un zèle égal a celuinbsp;de nos bons Frères de la doctrine chrétienne. Un grand nombre d’ec-clésiastiques et de laïques se dévouent é cette aumóne inlellecluelle,nbsp;dont Ie principal but est moins de faire des savants que des chréliensnbsp;fidèles et des citoyens probes, laborieux et moraux. Les curés de la

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EXPOSITION PERPÉTUELLE DO SAINT-SACREMENT. nbsp;nbsp;nbsp;71

ville témoignent le plus grand zèle pour ces institutions. Une centaine de personnes et le président des subsides fournissent les fonds nécessaires a la location des batiinents, a I’achat des plumes, papier, etc.,nbsp;et aux dépenses de la réunion du dinianche. Parmi les principaux donateurs, on nous citait le cardinal Patrizi, vicaire de Sa Sainteté, lenbsp;due Sforza Cesarini, et surtout les nobles families Buoncompagni etnbsp;Borghèse qu’on est certain de toujours rencontrer sur le cheinin desnbsp;Bonnes oeuvres.

Essentiellement chrétienne, Rome imprirae son cachet a ces écoles d’adultes comme a tout ce qu’elle touche. Ainsi, les confesseui’s rem-placent, pendant la soirée du samedi, les lemons et les études. La ma-tinée du dimanche est employée a des exercices de piété cn commun;nbsp;après le déjeuner les jeunes gens sent conduits dans de heaux jardinsnbsp;pour s’y livrer ü la récréatioi». De cette manière, les écoles du soirnbsp;réunissent toules les conditions pour former le coeur è la vertu, cenbsp;qui est le premier but de I’institution romaine.

10 MARS.

Exposition el Adoration pcrpcluclle du Saint-Sacrement. — Culte perpéluel de Marie.

Tandis que les peuples de I’Europe actuelle, emportés par le lour-billon des affaires et des plaisirs, s’agitent, et se corrompent en se communiquant, au lieu de la vie morale, la fievre brulante des préoc-cupations raalérielles, Rome présente aux yeux de I’ohservateur unnbsp;spectacle bien différent. Au milieu dii silence de sa solitude, elle senbsp;lient nuit et jour prosternée devant celui qui donne aux nations lanbsp;vie surnaturelle dont il est la source. Epouse et mère, elle ne cessenbsp;pas d’offrir a Dieu des prières et des larmes, afin qu’il lui plaise denbsp;répandre ses lumières sur les aveugles, ses miséricordes sur les cou-pahles, ses hénédictions sur tous les hommes, enfants de leur commune tendresse. C’est Monique a Milan; e’est Antoine au dé.sert; e’estnbsp;Moïse sur la montagne sollicitant des conversions et des victoires, etnbsp;les ohtenant : ou, pour mieux dire, c’est le christianisme avec sonnbsp;dogme tout è la fois si lumineux et si consolant de la réversihilité desnbsp;mérites; c’est Rome enfin revêtue de l’apostolat de la vérité et honoréenbsp;du sacerdoce de l’expiation.

A cette mission nouvelle, trop peu connue des nations, la mère des églises ne fait point défaut. Depuis le premier jour de l’année jusqu’aunbsp;dernier, le Saint-Sacrement reste nuit et jour exposé sur les autels, et

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72 nbsp;nbsp;nbsp;LES TKOIS ROME.

nuit et jour il est entouré d’adorateurs. Cetle dévotion remonte a l’époque precise oü Ie protestantisme triomphant insultait, dans l’Eu-rope entière, au Saint des saints, niait sa présence dans les tabernaclesnbsp;de la terre, et livrait ses temples aux flammcs, ses martyrs aus xentsnbsp;et ses prêtres h la mort. Ellc fut pour la première fois établie, en 1560,nbsp;par rarchiconfrérie de la Mort, dans l’église de Saint-Laurent-m-Damaso. Depuis ce moment elle est devenue générale, et n’a jamaisnbsp;cessé. Le premier jour de l’année eccclésiastique, c’est-a-dire Ie premier dimanche de l’Avent, après la messe pontificale, célébrée amp; lanbsp;chapelle Sixtine, le Saint-Père expose le Saint-Sacrement dans la cha-pelle Pauline : il y reste jusqu’au mardi matin, environné d’adorateurs. De la il passe è la basilique de Saint-Jean-de-Latran, puls dansnbsp;les autres églises patriarcales, et enfin dans toutes celles qui sontnbsp;désignées a eet honneur par le cardinal-vicaire.

Après avoir parcoiiru toute Pétendue de la ville et épuisé le cerele Je Pannée, Ia grande Victime de propitiation revient a son point denbsp;départ, d’oü elle recommence son miscrleordieux pèlerinage. Le Saint-Sacrement reste exposé dans chaquc église pendant quarante heures.nbsp;Le matin, on célèbre une messe solennelle suivie d’un grand nombrcnbsp;d’autres ü voixbasse; vers midi on fait une procession intérieure, ennbsp;chantant les Litanies des Saints, commc pour conjurer tons les ci-toyens du ciel de venir compléter, par leurs adorations, les supplications de la terre. Le troisième jour on renouvelle les mêmes prièresnbsp;et les mêmes hommages, on donne la bénédiction; et au moment précisnbsp;oü le Sauveur du monde entre dans Ie tabernacle, les cloches annon-cent au loin qu’il reparait sur les autels d’une autre église.

Les adorateurs ne manquent jamais au Dieu qui vient ainsi recueil-lir les voeux et les hommages de ses enfants. Grace au Diario Romano, tout le monde connait d’avance Féglise qui a les quarante heures.nbsp;A défaut de cette indication, la mémoire des fidèics, le son des cloches,nbsp;les riches tentures qui décorent le portail du temple avertissent lanbsp;foulc et I’attirent au pied des autels. Pendant toute la journée unnbsp;peuple plus OU moins nombreux tient compagnie au divin Médiateur.nbsp;Merci, mon Dieu! de nous avoir tant de fois rendus témoins de eet édi-liant spectacle.

Mais quand le soir sera venu, le besoin d’un repos nécessaire ne fera-t-il pas deserter l’église? Qu’on se rassure : la grande associationnbsp;duiSaint-Sacrement saura veiller au nom de la ville entière. Composéenbsp;de tout ce qu’il y a de plus éminent en piété dans le clergé, dans lanbsp;prélature, dans le sacré collége, dans la noblesse et dans le peuple.

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EXPOSITION PERPÉTCELLE DU SAINT-SACREMENT. nbsp;nbsp;nbsp;73

elle comptc des membres dans tons les quarliers. Un certain nombre est désigné pour venir, a tour de role, passer une partie de la nuitnbsp;(ievant lo Saint-Sacrcment. Vers les neuf heures du soir, un carrossenbsp;flestinó a cet usage vient chercher a leur domicile les adoraleurs nocturnes. Ils sont pour le moins au nombre de quatre, non compris unnbsp;prêtre ct un clerc. Leur adoration dure quatre heures, après les-quelles ils sont releves par de nouveaux confrères. Un petit livrenbsp;contient les meditations, les prières, les hymnes qui doivent les oc-cuper.

Pendant que le prêtre veille è ce que tout se passe suivant les régies prescrites par les constitutions apostoliques, le clerc sonne tl’heure en heure la cloche de l’église, afin d’avertir les fidèles, ennbsp;fiuelque lieu qu’ils soient, d’offrir leurs adorations a I’auguste Vic-time. Ce tintement de la cloche a toutes les heures du jour et de lanbsp;tmit, produit sur I’lime religieuse une impression dont je ne sauraisnbsp;cxprimer la puissance. Le coeur même le plus dissipé ne réussit pasnbsp;toujours a s’cn défeiidre ; une foule de confidences intimes ne laissentnbsp;itucun doute a cet égard. J’ajouterai que les adorateurs ont coutumenbsp;de faire entre eux un pieux echange de prières en faveur des amesnbsp;auxquelles ils s’intéressent. Je pourrais en citer un qui a souventnbsp;empruntii les adorations et les communions de ses confrères, pour ob-lenir la conversion d’un illustre coupable : le succès a dépassé sonnbsp;espérance.

L’exposition perpétuelle du Saint-Sacrement est une des gloires exclusives de Rome, mais elle n’est pas la seule; dans la Métropole denbsp;la foi, il existe d’autres oeuvres non moins propres a entretenir la vienbsp;morale au sein des nations, a faire couler sur le monde un fleuve denbsp;graces et a désarmer la justice de Dieu irritée par les crimes de lanbsp;terre. De ce nombre sont les grandes associations destinées é honorernbsp;la sainte Trinité, le Verbe fait chair, le précieux Sang, la Reine de lanbsp;Miséricorde, etc. Prières continuelles, aumónes abondantes, mortifications variées : tels sont les moyens par lesquels les pieux confrèresnbsp;aceomplissent leur utile mission. Parmi ces différentes institutions, ilnbsp;en est une que je me plais a mcntionner. En France, nous avons desnbsp;sociétés d’assurance contre I’incendie, centre la grêle, centre lesnbsp;inondations, contre les naufrages, que sais-je? Tout cela peut êtrenbsp;avantageux; mais une société qui s’en va fermer la source des fléauxnbsp;en changeant la justice de Dieu on miséricorde et sa colère en clé-mence, n’est-elle pas plus utile et plus sure? Eh bien! il existe ènbsp;Rome une association perpétuellemcnt en prière pour conjurer les

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74 LES TROIS ROME.

fléaux de Dieu. Les données manquent pour apprécier mathématique-ment tous ses résultats matériels; mais, a moins de folies, nul ne peut en nier ni la réalité, ni l’élendue.

A ces grands moyens que Rome emploie tons les jours afin d’entre-tenir la vie morale dans Ie coeur de ses enfants, il faut en ajouter un autre non moins puissant et aussi continuel : je veux parler du cultenbsp;de Marie.

La dévolion envers l’auguste Vierge, fille, mère, épouse de Dieu et soeur du genre humain, est la grande dévolion du monde catholique.nbsp;Modèle de l’univers, Rome se distingue ici entre toutes les villes,nbsp;toutes les tribus et toutes les nations. Des volumes ne sulBraient pasnbsp;a redire les manifestations variées de son amour et de sa lendre con-fiance envers Marie. C’est assez de savoir qu’il n’est pas un carrefour,nbsp;une rue, une place, je dirais presque une seule maison de la Villenbsp;éternelle, oü l’oeil du pèlerin ne rencontre une image de la Viergenbsp;bénite; tandis que les sculptures, les bas-reliefs, les dorures, les élégants flambeaux, les inscriptions gracieuses ou triomphales qui l’ac-compagnent, les signes de respect donnés par la foule qui passe, té-moignenl hautcment de la piéló romaine.

Ajoutez qu’il est au coin des rues de nombreuses chapelles dédiées a Marie, oii les habitants font constamment brüler a leurs frais desnbsp;cierges et des lampes, et devant lesquelles il est rare de ne pas trou-ver a toute heure du jour et de la soirée quelques personnes ennbsp;prières. Ajoutez, enfin, que Rome ne compte pas moins de soixante-six églises consacrées a Marie sous les litres divers dont Ie monde catholique honore la gracicuse Souveraine des anges et des hommes.nbsp;Chaque jour, dans un grand nombre; plusieurs fois la semaine ou Ienbsp;mois, dans les autres, s’accomplissent je ne sais combien d’exercicesnbsp;de piété en son honneur : litanies solennelles, neuvaines, triduum,nbsp;offices magnifiques, etc., etc. Toutes ces fêles, sujet de publique allé-gresse, sont célébrées avec enthousiasme. II n’en est pas une ii la-qiielle des railliers de personnes de tout rang, de tout sexe et de toutnbsp;élat ne se préparent les unes par des neuvaines, les autres par des retraites, par des triduum, et par Ie grand jeune. Faut-il s’étonner sinbsp;des graces nombreuses sont Ie fruit de cette piété filiale?

Mais aussi Rome se montre envers Marie d’une reconnaissance que Ie temps ne peut affaiblir. Vienne assiégée par les Turcs, est délivréenbsp;par Sobieski. D’une voix unanime, Ie monde catholique proclamenbsp;avec Ie guerrier polonais que l’honneur de la miraculeuse victoire re-vient è Marie. Pour la remercier de ce bienfait, une confrérie est

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CULTE PERPÉTUEL DE MARIE. 75

érigée en 1684 par Ie pape Innocent XI. Depuis celte époque, Ia pieuse association n’a pas cessé de payer au nom de l’Europe entière la dettenbsp;de la reconnaissance. Chaque année, au jour anniversaire de la fonda-tion, vous voyez la nombreuse assemblee parür de l’église du Saint-^Oïti-de-Marie au Forum de Trajan, et se rendre processionnellementnbsp;Jfsqu’a Sainte-Marie-de-la-Victoire, pour y chanter l’hymne catholi-I’le du trioinphe et de Faction de graces. Le Saint-Père ne manquenbsp;jamais de s’associer a cette noble démarche, téraoignage d’un senti-®ent plus noble encore : au moment oü l’archiconfrérie passe au Qui-’’•nal, il la bénil solennellement.

Si la reconnaissance est un titre è de nouveaux bienfaits, il me semble qu’on ne doit pas trop s’étonner des gréces nombreuses, ninbsp;®ême des miracles éclatants dont Marie favorise sa ville bien-aimée.nbsp;En 1842, un pauvre mendiant perclus des deux jambes, et commenbsp;1’Enéas de Jérusalem connu de la ville entière, s’en allait régulière-®ent demander sa guérison devant la Madone du palais Cenci. Las denbsp;öe rien obtenir, il dit un jour a sa divine Mère, dans un langage fami-lier a la piété italienne ; « Voila longtemps que je viens, et je ne suisnbsp;pas guéri; eb bien! c’est aujourd’hui la dernière fois; tenez, voila mesnbsp;héquilles; je ne veux plus m’en servir et je reste ici, a moins que vousnbsp;ne me rendiez mes jambes. » La pricre de la foi a pénétré le Ciel. Lenbsp;malade est guéri, il tressaille, il ne se possède pas de joie. La foulenbsp;Fenvironne, on crie, on pleure, on chanle; c’est une ivresse générale.nbsp;La Madone est magnifiqueraent illuminée, et pendant trois jours etnbsp;trois nuits des orchestres se succèdent pour célébrer les louanges denbsp;celle qu’on n’invoqua jamais en vain. Et je me disais ; Si c’était ennbsp;France, personne ne ferait attention. Je me trorape, un doute glacénbsp;sortirait de presque toutes les bouches; il y aurait dans la plupartnbsp;des esprits une fin de non-recevoir, les journaux verseraient a flots lenbsp;blasphème, la dérision et l’incrédulité; et Fon voudrait qu’une pa-reille nation obtint des miracles!

11 MARS.

iJ,


Keuvaine a Saint-.Ioseph. — Prêparalion aiix fetes. —Cc que

de la semaine peur entretenir la vie morale— Predication aux ju .

Hier it la chute du jour, comme nous rentrions en ville, après avoir visité Saint-Paul-/iors-des-iI/Mrs oü était la station, nous enten traes enbsp;son de nombreuses cloches qui appelaient les fidèles aux églises.

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76 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.

« Ecco la Novena di S. Giuseppe, s’écria Ie guide avec transport. » L’heure avancée ne nous permit pas d’étudier sur-le-cliamp cette nouvelle manifestation de la piété romaine; la parlie fut remise au lende-main : or, maintenant Ie lendemain s’appelle aujourd’hui.

Chaquc jour de la semaine Rome a quelque nouveau raoyen de ré-vciller la piété. C’est ici Ie lieu d’exposer ce merveilleux système dont lo résultat est de remuer successivement toutes les fibres du cceur, denbsp;prévenir la monotonie et de présenter un aliment convenable auxnbsp;gouts les plus variés et les plus difiiciles. Mais puisque l’oceasion s’ennbsp;présente, je vais commencer par dire un mot de la neuvaine de Saint-Joseph. De bonne heure nous étions au pied du Capitole. Gravissantnbsp;par l’ancien emplacement des Gémonies Ie flane ardu de la redoutablenbsp;colline, nous arrivames a la chapelle de Saint-ioseph-de’-Falegnami.nbsp;Ce sanctuaire qui appartient a la confrérie des Charpentiers, est batinbsp;sur la prison Mamertine. II me fut donné de faire descendre l’augustenbsp;victime dans ce lieu oü saint Pierre et saint Paul, prisonniers denbsp;Néron, confessèrcnt si glorieusement leur divin maitre. L’assistance,nbsp;composée en grande partie d’artisans, était nombreuse et recueillie :nbsp;qu’il était beau d’entendre tous ces hommes du peuple proclamer,nbsp;en chantant ses litanies, la gloire et la bonté du glorieux patriarche!

Saint Joseph est la réhabilitation du pauvre et du travailleur. II est aussi Ie patron de la bonne mort, si désirable a tous, mais particuliè-rement a ceux qui portent durant la vie Ie poids accablant de la cha-leur et du jour : a ce double titre la devotion populaire lui est acquise.nbsp;Et voila que Ie spectacle dont nous venions de jouir se reproduisait ennbsp;méme temps sur les différents points de la Ville éternelle. Nous Ienbsp;trouvames aux Orphelins, a l’Ara-Coeli, aux Agonisants, a la Mort, knbsp;Saint-Nicolas-w-Arctone, a la Rotonde, a la Lungara au dela du Tibre,nbsp;au Nom-de-Marie, è Sainte-Marie-in-Monticelli, i Saint-Étienne-de?-Cacco, a Saint-Frangois-de-Paul-doi-Monft, aux Anges-Gardiens, et ènbsp;Sainte-Marie-de/-Pasco/o. Partout des prières, des confessions et desnbsp;communions nombreuses.

Ces neuvaines, ces triduum, ces retraites, toutes ces maternelles industries si puissantes pour retremper les ames, Rome les emploie sur-tout i l’approche des fêtes de Notre-Seigneur, de la sainte Vierge et des Saints. Dans Ie cours de l’année on compte, outre les exercicesnbsp;ordinaires de piété, quatre-vingt-cinq neuvaines publiques et soixante-quinze triduum solennels. « La foi des nations, me disait-on ^ ce sujet,nbsp;trouve sa vie dans les actes extérieurs, tels que les pèlerinages, lesnbsp;fêtes, les confréries, les pratiques populaires; qu’est devenue Ia reli-

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EOTRETIEN DE LA VIE MORALE. 77

gion en France depuis que vous avez supprimé toutes ces choses? Le culte intérieur même a péri! » Rome semble se surpasser pendantnbsp;1’octave des Morts. Des larmes d’attendrissement et de reconnaissance,nbsp;trempent le papier sur lequel on essaie de raconter ce qu’elle fait ennbsp;faveur de ses enfants décidés. Qu’il suffise d’ajouter a ce que j’ai ditnbsp;ailleurs, que les innombrables associations de bonnes oeuvres et denbsp;prières sont, pendant les buit jours de TOclave, uniquement occupéesnbsp;des èmes du Purgatoire. Des aumónes abondantes sont recueillies pournbsp;faire offrir le saint sacrifice en leur faveur; la prière, roffice des morts,nbsp;fa participation aux sacrements, tout est mis en oeuvres par les fidèles,nbsp;pour les soulager. Rome, qui encourage Ia piété particulière, donnenbsp;1’exemple public de la sienne. Des octavos de messes, de prières etnbsp;^’instructions, se font aux églises de Saint-Grégoire, sur le Ccelius, denbsp;la Mort, du Suffrage, è la via Giulia, h la Rotonde, de Saint-Nicolas-in-Arcione, du Saint-Nom-de-Marie, de Jésus et Marie-aw-Corso, desnbsp;Saints-Anges-Gardiens, de Sainte-Marie-soprd-lfmerua, de Saint-Lau-J^ent-hors-des-Murs, de Siint-André-delle-Fratte, de Sainte-Marie-des-Miracles, de Saint-Laurent-fn-Dantaso, de l'Ara-Cwli, de Sainte-Agalhe-w-ïVasfeüere; dans beaucoiip d’autres églises, dans un grandnbsp;nombre de cimetières, et au Colisée, oü l’on pratique chaque jour lesnbsp;touchants exerciees du chemin de la Croix.

Grèce è Tintelligente et active sollicitude de sa mère, le fidéle de Rome est toujours tenu en haleine, et ses années s’écoulent au milieunbsp;d’une variété sans cesse renaissante d’émotions pieuses et de moyensnbsp;sanclificateurs. Chaque jour de la semaine lui apporte son tribui particulier.

Le dimanche arrive chargé de richesses. Exilé, voyageur, soldat, tnarchand du Ciel, Thomme veut-il obtenir des consolations, des lu-oiières, du courage, de la charité pour la semaine qui commence, ounbsp;la grSce de terminer par une fin précieuse cette aulre semaine qu’onnbsp;appelle la vie? Voici le Dieu des vertus qui se présente è lui solennel-lement exposé sur les autels de vingt églises différentes. Aux Saints-Anges-Gardiens et h Sainte-Marie-du-Suffrage, c’est pour la bonnenbsp;mort; dans quinze autres sanctuaires, c’est pour lui accorder la foi, lanbsp;soumission, des faveurs spirituelles et temporelles, mais surtout lanbsp;grande vertu de 1’être soulfrant; la patience : et il peut l’obtenir ennbsp;parcouranl avec ses frères la voie douloureuse du Calvaire, nolaramentnbsp;au Colisée et au cimetière du Janicule.

Le lundi sollicite sa piété envers les défunts; et voici, pour la seconder, le Saint-Sacrement exposé aux Sainls-Apótres, a VAra-Cali, ^

T. m. nbsp;nbsp;nbsp;.

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'8 LES TROIS ROME.

Saint-Antoine-des-Portugais, a Saint-André-rfefo-FaMe, au Divino-Amore pres de la place Borghèse, i Saint-Michel-m-Borg'O, i Sainte-'M.avie-m-Publicolis. Qu’il vienne l’adorer, et une indulgence plénière applicable aux ames du purgatoire sera la récompense de sa ferveur.

Le mardi encourage sa faiblesse, et lui rappelle qu’il a dans Ie ciel des amis puissants disposés a le secourir. Sainte Anne, la mère toute-puissante de la toute-puissante Marie; Saint-Antoine-de-Padoue, lenbsp;curateur de ses intéréts temporels, lui offrent leurs services et leurnbsp;appui. A Sainte-Anne-öM-Horg'o, a Saint-Antoine-de-Padoue, ii Saint-Audré-dellc-Fratte, et dans sept autres églises il trouvera le Saint-Sa-crement exposé.

Le mercredi convoque les pères de familie aux pieds de saint Joseph leur admirable modèle. Pour attirer la foule au glorieux patriarche,nbsp;le Saint-Sacrement est exposé dans neuf églises, notamment a Saint-}oseph-dclla-Lungara, et a la chapelle de la Rotonde, dédiée au pèrenbsp;nourricier du Fils de Dieu.

Le jeudi, c’est le Sauveur lui-même qui appelle a lui tout ce qui soulTre, tout ce qui pleure, c’cst-a-dire tous les fils d’Adam. Les églisesnbsp;de Saint-Nicolas-m-Carcere, des Orphelins, de Sainte-Agathe-fw-SM-burra, de Saint-Laurent, l’offrent a l’amour de ses enfants; et Sainte-Uarie.-in-Campo-Carleo anime leur confiance en redisant l’histoire denbsp;la dernière cène.

Vendredi, jour de douleur et de repentir, le divin Crucifié appa-rait sur un plus grand nombre d’autels. Compagne de ses souffrances, Marie n’cst point oubliée; et tandis qu’il adore son Dieu mourant, lenbsp;fidéle entend prés de lui des voix émues qui redisent tristement è sanbsp;mère les angoisses du Calvaire, et sollicitent le pardon des coupables.nbsp;La recitation de la Couronne des sept Douleurs se fait solennellementnbsp;h Sainte-Marie-fn-Ffa, a Saint-Frangois-de-Paule, b Saint-Augustin, ènbsp;Saint-Thomas-m-Parïowe. A Sainl-André-delle-Fratte, b Saint-Char-\e%-de-Catinan, on console le Coeur sacré de 1’Homme-Dieu : aunbsp;Gesü on fait l’exercice de la bonne Mort. La pieuse Confrérie Gonfalons demande .a Jésus-Christ exposé dans l’oratoire des SS. Pierrenbsp;et Paul, un des plus magnifiques de Rome, le soulagement et la déli-vrance des esclaves. A Sainte-Marie-m-Momftce/K, on prie pour lesnbsp;agonisants; a l’Oratoire du Crucifié, Via di S. Isidoro, on sollicite lanbsp;conversion des pécheurs, particulièrement de ceux qui sont é l’ago-nie; en même temps, le Colisée, Sainte-Praxède, Saint-Sauveur, présnbsp;de Saint-Louis-des-Franqais, Sainte-Hélène-rfe’-Cesartm, se remplis-sent de lidèles qui font le Chemin de la Croix; et le Vatican retenlit

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PREDICATION AUX JÜIFS. nbsp;nbsp;nbsp;79

du Vexilla Regis, magnifiquement chanlé devant le chef-d’ceuvre de Michel-Ange, la Madone della Pietd.

Le samedi, tous les fronts romains s’épanouissent. C’est le jonr de Marie; et toutes les Madones sent illuminées, et des prières plus nom-Lreuses, plus ferventes, s’élèvent de lous les points de la cité vers lanbsp;Vierge pleine de grace. Le matin une messe solennelle est célébrée iinbsp;Saint-Jean-des-Florentins, en l’honneur de Marie, pour la délivrancenbsp;des fléaux, c’est-h-dire, pour désarmer le maitre du tonnerre, en in-'oquant celle qui a le droit de lui dire : Mon fils! N’est-ce pas la unenbsp;ravissante industrie de la foi catholique? Dans la soirée, les superbesnbsp;églises de Sainte-Marie-del-Pfaraio, de Sainte-Marie-du-Peuple, denbsp;Sainte-Marie-m-Cosmcdm, de Sainle-Marie-al/e-CoppeMe, de Sainle-Marie-du-Bon-Conseil, de Sainte-Marie-w-ÏVasteoere, du Saint-Nom-de-Marie, de Sainle-Marie-m-Fm-Lato, et bien d’autres encore reten-tissenl des louanges de l’auguste Vierge. Mais la foule est pour la plusnbsp;Lelie, la plus gracieuse des églises de INotre-Dame, Sainte-Marie-Ma-jeure. Sous les voutes de rimmortelle Basilique, un peuple innom-Lrable chante en choeur ces litanies lorétanes, si sublimes et si simplesnbsp;qu’on les dirait empruntées au répertoire des anges.

Pendant qu’elle glorifie de la sorte l’auguste fillc de Juda, Rome ne veut pas que les tristes enfants d’Abraham soient privés de leurnbsp;part d’allégresse. Elle les invite a partager sa joie, en leur procurantnbsp;le moyen de reconnailre en Marie leur soeur la plus illustre et la mèrenbsp;de leur Dieu. Tous les samedis il se fait, dans l’église de Saint-Ange-in-Pescheria, une instruction pour les Juifs ; le tiers au moins denbsp;ceux qui ont plus de douze ans est tenu d’y assister. La chaire est oc-cupée par un dominicain, docteur en théologie, et très-versé dans lanbsp;connaissance de l’hébreux. II explique l’Ancien Testament et surtoutnbsp;les Prophéties qui établissent et la venue et les caractères du Messie,nbsp;dont il démontre Taccoraplissement littéral en Notre-Seigneur Jésus-Christ. Des conversions, plus nombreuses que jamais dans ces der-nières années, sont le fruit de cette charitable institution, due au popenbsp;GrégoireXlII. 11 est, pour les Juifs, une autre prédication non moinsnbsp;éloquente, et celle-lé ils peuvent Tentendre lous les jours. Sur le por-lail de l’église, tournée vers la grande porie du Ghetto, est un immense crucifix; de chaque cóté de la croix sont gravées, en longs ca-raclères latins et hébraïques, ces paroles du Sauveur, prononcées parnbsp;Isaïe : Expandi manus meas tota die ad populum incredulum :nbsp;« J ai étendu mes mains tout le jour vers un peuple incrédule (t).»

(lt;) Isai., c. ixv, 2.

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80 LES TROIS ROME.

Le Juif de Rome ne peut sorlir de son quartier sans voir, devant ses yeux, celte grande figure, sans lire ces touchantes paroles dont, quoinbsp;qu’il fasse, le souvenir salutaire doit, plus d’une fois, Timportunernbsp;au milieu de ses préoccupations mercantiles.

12 MARS.

- nbsp;nbsp;nbsp;Association de Saint-Louis de Gonzague.-

- nbsp;nbsp;nbsp;Reflexions. — Statistique morale.


Messe A Saint-Nicolas-in-Carcere. -delle Pericolanti.


¦ OEuvre


Avant huit heures nous étlons, comme la veille, au pied du Capi-tole. Je ne sais quel charme secret attire en ces lieux le voyageur Chrétien. On aime a prier lit oü passèrent tous les jours, duranl tantnbsp;de siècles, les pompes impures du paganisme ; le coeur trouve unenbsp;vive satisfaction amp; honorer le vrai Dien sur les ruines des temples desnbsp;idoles, et k glorifier, dans les antiques prisons romaines, les glorieuxnbsp;lihérateurs qui brisèrent les chaines du genre humaln. Sur les pasnbsp;d’une foule nombreuse, nous arrivftmes h Saint-Nicolas-m-Camre;nbsp;c’élait jour de station. Comme son nom l’indique, ce sanctuaire rem-place un cachot qu’on croit avoir été celui des prisonniers pour dettes.nbsp;Ainsi, au lieu même oü Timpitoyahle dureté des fénérateurs torturaitnbsp;le pauvre insolvable, le christianisme honore un saint qui fut le pèrenbsp;des orphelins et des malheureux.

De plus, comme si la Providence avail voulu récompenser sensible-ment la charilé du grand évêque de Myre, son corps, miraculeiisement conservé Rari, dans le royaume de Naples, distille encore une huilenbsp;qui guérit les infirmilés et les maladies. On sait la dévotion que l’Eu-rope enticre professe pour ce Vincent de Paul de 1’Orient; mais onnbsp;ignore peul-ètre qu’en Occident, Rome la première a dédié une églisenbsp;en son honneur. Sous le maitre-autel reposent, en partie, les corps desnbsp;illustres martyrs Marc, Marcellin, Faustin et Béatrix. Le Saint-Sacre-ment exposé, la présence des martyrs, le souvenir du grand évêque,nbsp;le nom moitié païen du sanctuaire, il n’en fallait pas tant pour en-chainer toutes les puissances de rüme au pied de l’antique confession.nbsp;Nous y laissaraes en prières un grand concours d’hommes et de femmes du peuple; un instinct mystérieux semblait leur dire que la ilsnbsp;trouveraient un coeur sensible üi leurs besoins. De Saint-Nicolas nousnbsp;nous rendimes au Collége romain, dans l’intention d’obtenir quel-ques renseignements sur l’Associatlon de Saint-Louis de Gonzague.

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ASSOCIATION DE SAINT-LOUIS DE GONZAGÜE. nbsp;nbsp;nbsp;81

11 est dans la vie un flge critique, ^ige de folies dangereuscs el Irop souvent coupables, dont Ie Tasse disait:

Nella liorida eta quando piü I’liom vaneggia.

Or, eet age est décisif en bien comme en mal; car il est écrit, non-seulement au livre des Proverbes, mais au livre de l’expérience ; L a-dolescent suivra jusqu’a la tombe la voie dans laquelle il marqua ses premiers pas. La charité romaine l’a pris en tendre pitié. Aus moyensnbsp;généraux destinés a tons les iiges, elle crée pour l’adolescence des ressources particulières et d’iine efiicacité merveilleuse. Je ne dirai ninbsp;les soins maternels dont elle l’environne dans les colléges on dans lesnbsp;conservatoires, ni la sollicitude incessante dont elle 1’accompagne Ienbsp;jour et la nuit; je ne dois parler en ce moment que de l’associationnbsp;de Saint-Louis de Gonzague pour les jeunes gens, et de Pceuvre delknbsp;Pericolanti pour les jeunes filles.

Sous Ie patronage d’un jeune saint aux moeurs angéliques, l’orguei! et les délices des Remains, s’élève une association nombreuse de jeunesnbsp;gens. Les luttes victorieuses de la verlu centre la paresse, l’indolence,nbsp;1’orgueil, I’entrainement aux plaisirs, en ouvrent l’entrée. Chaquenbsp;dimanche la jeune et joyeuse phalange se réunit pour prier, s’in-struire et jouer en comraun. Les chefs de la petite armée la con-duisent dans Ie jardin si connu de’ Cerchi; et la vous verriez toutenbsp;cette heureuse jeunesse se livrer, avec l’abandon naturel amp; quinze ans,nbsp;aux jeux les plus actifs et les plus variés : la prière termine les divertissements qu’elle avait commeucés. Le retour en ville est grave, oc-cupépar les discours sérieux et par l’histoire de quelques faits destinésnbsp;^ réveiller le souvenir et l’amour de la puissante reine des Vierges. Lenbsp;*èle du bien, l’ardeur du travail redouble h l’approche de la fête denbsp;saint Louis de Gonzague. Pendant les six dimanches qui précédent lanbsp;solennité, objet de tous les voeux, c’est a qui se rendra le plus dignenbsp;de la célébrer : réunions de piété, vigilance sur soi-même, fréquenta-tion de sacreinents, rien n’est négligé.

Enfin le grand jour parait ; on se rend au bien-aimé jardin. Au centre s’élève un magnifique autel, sur lequel est un réchaud embrasé.nbsp;L’assemblée forme un eerde immense, autour duquel sont disposésnbsp;par intervalle des orchestres qui font retentir de joyeuses fanfares.nbsp;Aux symphonies succèdent les chants et les bymnes composés en 1’hon-neur du céleste arai. Ses vertus, sa bonté, ses miracles sont retracésnbsp;par des voix éloquentes, et bientót la jeune asserablée manifeste sa

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8:2 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.

confiance et son amour par une cérémonie dont la gravité solennelle égale la charmante naïveté. Tons les membres qui la composent tien-nent a la main une large lettre placée sous une enveloppe enrichie denbsp;dessins et enlouvée de rubans et de fils d’or ; cette lettre est un message de la tcrre au ciel. A l’intérieur sont écrits lés voeux longtempsnbsp;étudiés du jeune correspondant; h l’extérieur on lit la simple et sublime adresse : Al Santo Giovane Luigi Gonzaga in Paradiso. Lenbsp;signal est donné par la musique, et toutes les lettres sont apportéesnbsp;sur l’autel. Au milieu d’un grand silence on les verse toutes ensemblenbsp;sur le réchaud et bientót on les voit poussées par les Hammes s’élever 'nbsp;vers le ciel dans des nuages d’encens et de parfums, aux applaudisse-ments de la joyeuse assemblée et au bruit harmonieux de tous lesnbsp;orchestres.

Inspirés par une piété fervente on suggérés par un habile directeur, ces voeux sont, dans le cours de l’année, souvent rappelés i la mémoire,nbsp;de généreuses résolutions se renouvellent, de nobles victoires sontnbsp;remporlées sur les passions naissantes, et de pulssantes prières s’ennbsp;vont appuyer devant le tröne de Dieu les demandes présentées par lenbsp;protecteur né de la jeunesse. ïels sont, avec bien d’autres, les résul-tats moraux de cette fête. Mals quand elle n’aurait, ainsi que l’asso-ciation elle-méme, d’autre avantage que d’endormir des imaginationsnbsp;de quinze ans, et de leur faire trouver dans d’iTinocents plaisirs lenbsp;bonheur que tant d’autres vont demander i des divertissements dan-gereux et trop souvent criminels, ne serait-elle pas digne de tous lesnbsp;éloges? A Fhomme, è l’enfant surlout, il faut des fêtes. Depuis quenbsp;nous avons supprimé, parmi notre jeunesse pensante, les associationsnbsp;pieuses et décoloré pour elle les fêtes chrétiennes, quels sont, dites-moi, ses amusements, ses habitudes, ses croyances et ses moeurs?

Du collége Domain nous nous rendimes au Janicule, afin de visiter

conservatoire dalle Pericolanti.

Analogue ii l’Association de Saint-Louis-de-Gonzague, eet établissement, destiné aux jeunes personnes, compléte les moyens spéciaux que Rome emploie pour sauver l’adolescence. Lorsqu’il découvre unenbsp;fille OU une jeune veuve qui ne peut, sans danger pour sa vertu, resternbsp;dans le monde, le curé de la paroisse est obligé d’en donner avis auxnbsp;supérieurs. Des asiles toujours ouverts re^oivent la Pericolante, pournbsp;un temps plus ou moins long suivant que les circonstances l’exigent.nbsp;Fondé a la fin du dernier siècle par le zélé Francesco Cervetti, compagnon de charité de l’illustre magon connu sous le nom de Tatanbsp;Giovanni, le Conservatoire du Janicule fut l’objet de la sollicitude

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OEÜVRE BELLE PEBICOLASTI. 85

paternelle de Pie VI. Ms' Ruffo, trésorier général, y établit des métiers de soierie; les marchands y apporlent des commandes; ua cinquièmenbsp;du gain est accordé aux jeunes ouvrières, Ie reste tourne a l’enlretiennbsp;et au profit de rétablissement: nous y Irouvamp;mes cinquante pension-naires. Plusieurs autres maisons semblables, quoique d’une moindrenbsp;importance, sont répandues dans les différentes paroisses. Lorsque Ienbsp;danger est passé, les Pericolanti rentrenl dans leurs families; et gracenbsp;^ la prévoyante sollicitude dont elles furent I’objet, la plupart font lanbsp;consolation de TÉglise et Pornement de la société dont elles mena-?alent d’être la douleur et la bonte.

Tels sont, très-en abrégé, les moyens généraux et particuliers que Rome emploie pour conserver, entretenir et augmenter la vie moralenbsp;parmi ses enfants. De cette intelligente charité quels sont les résul-lats? S’il fallait en croire les récits de certains hommes, les mceursnbsp;romaines ne seraient pas raeilleures que celles des peuples sur lesquelsnbsp;la religion a perdu Ia plus grande partie de son empire. De lil on veutnbsp;faire conclure ; 1“ Que les Piomains sont un peuple de vils hypocrites,nbsp;altendu que, malgré lant de moyens de moralisation, ils valent a peinenbsp;les nations privées de ces puissantes ressources; 2“ que Ie christianismenbsp;est mort ou a peu prés, attendu Fimpuissance de ses institutions etnbsp;de ses pratiques pour Ia perfection morale des peuples civilisés. Denbsp;tous ces raisonnements Ie corollaire obligé est, pour ceux qui les font,nbsp;l’apologiedeleur superbe dédain des prescriptions chrétiennes, et, pournbsp;Ie public, Ie mépris de la religion, et de Rome en particulier qui ennbsp;est Ie centre.

A cela je ne vois qu’une chose amp; dire : comparez les statistiques el rendez raison de Ia dilférence dans Ie nombre des crimes. ïandis quenbsp;dans les deux grandes métropoles de la civilisation moderne, Londresnbsp;et Paris, l’infanticide semble être i l’ordre du jour, d’oü vient qu’anbsp;Rome il est a peine connu? Tandis qu’a Paris on compte annuellementnbsp;^le quatre a cinq cents suicides, et plus encore a Londres, commentnbsp;se fait-il que dans un laps de vingt-cinq ans, Rome n’en a vu que onzenbsp;sur lesquels quatre sont dus au paroxisme de la fièvre? ïandis qu’anbsp;Paris le nombre des enfants exposés est d’un sur irois, et i Londresnbsp;d’un sur deux, pourquoi a Rome n’est-il pas d’un sur cinq? Tandisnbsp;qu’ii Paris rien n’est moins rare que de voir des hommes mourir avecnbsp;1’insensibilité de la brute, et, jusque sur leur lit d’agonie, refuser denbsp;faire leur paix avec Dieu et de satisfaire a ceux que trop souvent ilsnbsp;ont ruinés ou déshonorés, quelle raison myslérieuse épargne a Romenbsp;Cel épouvantable spectacle? Enfin, tandis que les cas de démence, dus

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84 nbsp;nbsp;nbsp;LES TKOIS ROMe.

è l’excès des passions, se trouvent en France dans la proportion de quatre-vingts pour cent, et en Angleterre dans une proportion plusnbsp;forte encore, qu’est-ce qui, ^ Rome, malgré l’ardeur du climat et lanbsp;vivacité du sang, abaisse ce chiffre aux proportions de un ii six?

L’infanticide, l’exposition, Ie suicide, l’impénitence finale, la folie par suite des passions, voila, on ne peut Ie nier, les grands symptómesnbsp;de la demoralisation des cités et des peoples. Puisque, de toutes lesnbsp;capitales du monde, Rome est celle oü ces symptómes se manifestentnbsp;Ie moins, il faut bien conclure que les Remains ne sont pas un peuplenbsp;de vils hypocrites, aussi et plus dépravés que les nations antichré-tiennes; il faut bien conclure encore que Ie christianisrae n’est ni mortnbsp;ni mourant, mais que partoul oü il lui est donné d’exercer librementnbsp;son influence, il empêche les fils d’Adam de retomber dans l’abimenbsp;de la dégradation morale d’oü il les tira il y a dix-huit siècles; il fautnbsp;conclure enfin que, malgré les mauvaises doctrines et les examplesnbsp;plus mauvais encore qui lui viennent du dehors, Rome est toujoursnbsp;par excellence la Ville sainte et véritablement sanctifiante.

Que tous ses habitants soient des saints, il serait absurde de Ie pré-tendre. Toutefois au milieu méme de leurs coupables entrainements, il leur reste une qualité, un bien, fruit exclusif de l’éducation et desnbsp;habitudes ebréliennes, c’est Ie remords. « Comrae vous autres Francais, nous disait un homme de la plus haute intelligence, nous avonsnbsp;Ie malheur de commettre des fautes; mais, comme vous, nous ne pou-vons vivre avec Ie remords. » Tót ou tard eet aiguillon de la consciencenbsp;finit par faire rentrer Ie coupable dans Ie chemin de la vertu et parnbsp;assurer a l’élément chrétien une victoire déeisive dans la dernièrenbsp;lulte de la vie. JustiGée par l’expérience, cette observation est confirmee par 1’aveu si connu d’un homme non suspect. C... D...., merabrenbsp;de nos sociétés secrètes et ardent révolutionnaire, parcourait les Étatsnbsp;Romains pour grossir les rangs des Carbonari. Après s’être épuisénbsp;pendant vingt ans en efforts de tout genre, il écrivait: « Ces Italiens,nbsp;on n’en peut rien faire; vous croyez les avoir gagnés, mais qu’ils aientnbsp;seulement un accès de fièvre ou qu’ils entendent un bon sermon, toutnbsp;est fini; et les voil^i retournés k confesse. »

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HESSE A SAINT-STANISLAS-KOTSKA. 85

15 MARS.

Messe a Saint-Slanislas-Kotska. — Charile romaine pour rendre la vie morale. — Pri-sonniers. — Visite au chdleau Saint-Ange, auCapitolo, auxThermesde Dioclétien. — Archiconfrérie de Sainl-Jéróme. — Prison de la Via Giulia.

Lorsque vous longerez les inlerminables murs du Quirinal, en descendant la rue des Quatre-Fonlaines, ne manquez pas d’entrer dans 1’église de Saint-André, située sur votre gauche : c’est un petit bijounbsp;qui mérite l’attention de l’artiste et du chrétien. Seulement je doisnbsp;vous prévenir que si vous avez peur des jésuites, vous ferez bien denbsp;passer outre ; vous trouvez ici une de leurs retraites. II y en a denbsp;jeunes, il y en a de vieux; il y en a de vivants, il y en a de morts.nbsp;En 1678, Ie prince Camille Pamphili fit b^iir cette église pour Ienbsp;noviciat de la célébre Compagnie. La fa§ade, d’ordre corinthien, estnbsp;ornée d’un gracieux porlique circulaire, soutenu par deux colonnesnbsp;ioniques. L’inlérieur, en forme de rotonde, est entièrement revêtu denbsp;marbres rares et enrichi de fresques précieuses. Entre autres tableauxnbsp;on remarque au maitre-autel Ie Crucifiement, du Bourguignon, et,nbsp;dans la chapelle de Saint-Stanislas, Ie Portrait du Saint, par Charlesnbsp;Maratte. Depuis Ie pavé jusqu’^ la voute, cette chapelle étincelle denbsp;dorures et de marbres choisis; mais son plus bel ornement est Ie corpsnbsp;de saint Stanislas, conserve, sous Ie maitre-autel, dans une riche cliassenbsp;en lapis-lazuli : il me fut donné d’y célébrer les saints mystères. Monnbsp;coeur y rendait présents tous mes jeunes amis de France et les jetaitnbsp;dans les bras de l’angélique enfant.

Après la raesse un des pères nous introduisit dans la maison spa-cieuse et bien aérée du noviciat. On y conserve la chambre de saint Stanislas, transformée en chapelle. Au milieu est la statue du Saintnbsp;couché sur son lit de mort. La tête, les mains et les pieds sont ennbsp;marbre blanc du plus beau grain; la soutane est de marbre noir, etnbsp;ic inatelas avec les coussins de marbre jaune. 11 y a tant de vérilé dansnbsp;Ce chef-d’oeuvre de Le Gros, que j’éprouvai en Ie voyant ce que toutnbsp;Ie monde éprouve ii la vue d’un moribond doucement endormi sur sanbsp;couche. Dans plusieurs cadres suspendus aux murs, on voit de 1’écri-ture. du Saint, dont on semble encore entendre la voix mouranle pro-öongant la memorable parole, avideraent recueillie par Ia piété calho-lique. Le jour de l’Assomption de Fan 1568, saint Stanislas était,nbsp;comme il l’avait prédit lui-même, sur le point d’aller célébrer dans le

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8G nbsp;nbsp;nbsp;I-ES TROIS ROME.

ciel la fête de Marie. Le supérieur de la maison, entouré de tous les novices, s’approche du jeune Saint et, au nom de l’obéissance, luinbsp;ordonne de dire ee qu’il a fait et ce qu’il faut faire pour obtenir de lanbsp;Reine des anges les faveurs dont elle l’a comblé. — Quidquid minimum, répondit-il, dummodo sit constans; « le plus léger hommage,nbsp;pourvu qu’il soit persévérant. »

Hier nous avions terminé l’étude des moyens par lesquels Rome entretient la vie morale dans ses enfants; il nous restait a voir cenbsp;qu’elle fait pour Ia rendre a ceux qui Tont perdue. Je ne parle pointnbsp;du pécheur privé de la grdce; dans les oeuvres expliquées plus haut, ilnbsp;trouve d’innombrables facilités de rentrer dans Tamltié de Dieu. 11nbsp;s’agit de Thomrae que la justice humaine a frappé, ou de la femmenbsp;qui, inlidèle è ses devoirs, expie dans la solitude les scandales de sanbsp;vie. D’autres onl fait l’éloge plus ou moins juste des prisons romainesnbsp;sous le rapport matériel; maïs quel voyageur, raême honoré d’unenbsp;mission spéciale, a daigné instruire le monde des moyens par lesquelsnbsp;Rome rend le coupable i la liberté morale et a la vertu? Toutefoisnbsp;dans I’accomplissement de ce devoir sacré, ou, si l’on veut, dans lanbsp;solution de ce grand probième, la maitresse des nations peut aussinbsp;leur servir de modèle.

D’abord Rome, la première, a trouvé le syslème pénitentiaire, re-gardé comme le meilleur moyen de moraliser les prisonniers. Nulle part il n’a été mieux compris ou plus sagement appliqué. Ensuite, sesnbsp;prisons ordinaires ne sont pas des bagnes, oii Thomme, placé sousnbsp;l’empire exclusif de la force brutale, achève de se matérialiser; ellesnbsp;offrent au coupable tous les moyens de retrouver le sentiment de sanbsp;dignité, le regret du mal et le courage du bien. Persuadée que lenbsp;christianisme seul peut réhabiliter l’individu, comme il a réhabiliténbsp;le genre humain, Rome appelle è son aide ce puissant auxiliaire. Lesnbsp;portes même des plus sombres cachots lui sont ouvertes, il a toute liberté de parler et d’agir. Chaque prison a ses chapelains. Anges tuté-laires, nuit et jour ils sont la pour consoler, encourager et guérir cesnbsp;ames quelquefois plus malheureuses encore que coupables. Tous lesnbsp;matins desprières encommun,suiviesdu sacrificede la grande victime,nbsp;rappellen! aux condamnés et le prix de leur ame, et la grandeur denbsp;leurs éternelles destinées, et la bonté toujours compatissante de leurnbsp;Père céleste. Viennent ensuite périodiquement des instructions fa-milières qui, en dissipant l’ignorance, font peu i peu germer dansnbsp;les 4mes de salutaires résolutions.

Le sentiment de la vie morale, constamment entretenu dans les pri-

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CnARITÉ ROMAINE POOR RENDRE LA VIE MORALE. 87

Sonniers, regoit chaque année une impulsion plus vive qui finit tót ou lard par le replacer dans l’état normal : une retraite annuelle estnbsp;donnée dans toutes les prisons. C’est pendant le carnaval qu’elle anbsp;lieu au chateau Saint-Ange. Lés detenus sont dispensés du travail, etnbsp;préparés au devoir pascal qu’ils peuvent, en vertu d’une concessionnbsp;particulière, accomplir dans cette circonstance. La Confrérie de Saint-Paul destine ó cette mission des prêtres choisis. Les uns occupent lanbsp;chaire, les autres Ie tribunal de la réconciliation; il en est qui dirigent le chant, pendant que leurs confrères veillent a l’observation dunbsp;réglement, et occupent par des lectures publiques les moments libresnbsp;de la journée. Pendant toute la durée de la retraite, les détenus resolvent de la générosité du Saint-Père une indemnité inquivalente aunbsp;bénéfice des petits travaux qu’on a coulume de leur permettre en dehors des occupations forcées. (i).

II est d’expérience que la fréquentation exclusive de leurs sembla-bles fut toujours pour les condamnés une cause incessante de démo-ralisation. Le plus grand avantage peut-être du système pénitentiaire est d’obvier a eet inconvénient. La oü il n’est point établi, Rome nenbsp;négligé rien pour procurer aux détenus la société d’hommes vertueuxnbsp;et honorables, dont la présence et les discours assainissent peu ó peunbsp;ces ómes corrompues. A la suite des chapelains on voit chaque journbsp;accourir dans toutes les prisons des religieux, des prêtres séculiers etnbsp;de pieux laïques qui, par des moyens différents, travaillent de concert anbsp;Pamélioralion morale des détenus. Voilace que nous trouvèmes dans lesnbsp;prisons du chateau Saint-Ange, du Capitole et des Thermes deDioclétien.

Dans cette course on nous apprit encore l’existence de deux associations spécialeraent deslinées au soulagement matériel et moral des prisonniers. Je remarquerai, en passant, qu’elles remontent Tune etnbsp;l’autre au seizième siècle. « II semble, dit un historiën protestant, qu’ónbsp;cette mémorable époque Rome ait voulu se venger, par l’éclat de sesnbsp;ffiuvresvraiment divines, des bruyantes calomnies de la Réformation. «nbsp;La première est l’Archiconfrérie de Saint-Jéróme-de-la-Charité. Insti-tuéc en 1519 par Jules de Médicis, cousin de Léon X, et depuis papenbsp;sous le nom de Clément Vil, elle possède sur la place Farnèse Ia bellenbsp;église de Saint-Jéróme. Parmi ses membres elle compta saint Philippenbsp;de Néri et plusieurs autres personnages d’une éminente vertu. L’esprit de charité de ses illustres fondateurs s’est conservé dans l’asso-ciation qui embrasse les oeuvres les plus variées.

{lt;) Constanzi, t. i, p. 204.

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88 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.

1® Bien que dévouée particulièrement aux prisonniers, elle donne des secours k tous les pauvres honleux de la ville ; Rome pour elle senbsp;divise en quatre régions. Pendant trois mois elle fournit du pain auxnbsp;pauvres honteux d’un quartier; pendant Ie second trimestre elle ré-pand ses aumónes sur les pauvres d’un second quartier, ainsi de suite.nbsp;Afin de raénager la susceptibilité des families, les secours so distri-buent Ie dimanche de très-grand matin ii l’oratoire de Saint-Jéróme.

2® Elle dote des jeunes filles.

5® Elle contribue è l’entretien du monastère delle Convertite.

4® Elle entretient, dans une maison voisine de Saint-Jéróme, qua-torze prêtres chargés de répandre une grande partie de ses bienfaits corporels et spirituels; de confesser les fidèles qui visitent en foulenbsp;cette pieuse église; d’y célébrer la messe et d’y remplir les autresnbsp;fonclions d’utilité publique.

5® Elle défend les causes des pauvres veuves et des orphelins, par Ie ministère d’un avocat qu’elle entretient h ses frais; et quand lesnbsp;pauvres demeurent ó Rome, elle paie les dépenses nécessaires il lanbsp;prompte expédition de leurs affaires.

6® Tous les deux jours elle distribue du pain aux prisonniers.

7® Chaque matin elle fait célébrer deux messes sur l’autel des prisons, fournissant tout ce qui est nécessaire ii cette bonne oeuvre.

8® Elle fait dire la messe pour les prisonniers malades, leur donne les remèdes et leur procure Ie médecin, Ie chirurgien, Ie barbier.

9® Elle députe dans les prisons un de ses membres honoré de la pré-lature, qui intercède auprès des juges en faveur des condamnés et qui paie è leur sortie de prison les dépenses qu’ils ont pu faire.

10“ Enfin elle entretient un avocat chargé de défendre les accusés.

Ce n’est pas tout encore. Lorsqu’au milieu du dix-septième siècle Innocent X eut fait élever, dans la via Giulia, la prison qui porte sonnbsp;nom et que Howard lui-même regarde comme l’une des plus solidesnbsp;et des plus salubres de toute l’Europe, l’Archiconfrérie de Saint-Jéróme en fit l’acquisition et se chargea sur ses propres fonds de l’en-tretien des détenus. C’était une belle pensée de remettre ces malheu-reux entre les mains de la charité, et Ie trésor public s’en trouvaitnbsp;lui-méme grandement soulagé. Mais les dernières secousses politiquesnbsp;ayant de beaucoup diminué les ressources de l’OEuvre, la Chambrenbsp;apostolique lui accorde aujourd’hui quelques subventions. « Les reli-gieux de Saint-Jéróme, continue Mequot;’ Morichini, vont tous les dimanchesnbsp;dans cette prison précher, faire Ie catéchisme et d’autres exercices denbsp;piété, avec l’aide des Pères Jésuites qui se rendent chaque jour dans

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SAINT-MERRE-IN-MONTORIO. nbsp;nbsp;nbsp;89

la prison Julienne, comme dans toutes les autres, pour distribuer abondamment les instructions ehrétiennes. Les confrères de I’oratoire,nbsp;établi è l’église de Saint-Jérórae, consacrent Ie dimanche è des actesnbsp;de charité envers les détenus malades; ils leur portent des douceurs,nbsp;leur font Ia barbe, réparent leurs lits et les consolent en les instrui-sant (i). »

Ainsi, pendant qu’une multitude de jeunes gens, d’hommes et de femmes sent au chevet des malades dans les höpitaux, Ie même journbsp;et è la même heure, de fervents chrétiens descendent dans les prisonsnbsp;et prodiguent aux condaranés les soins d’une charité vraiment frater-nelle. Tant il est vrai que la religion a des entrailles de mère pournbsp;tous les malheureux, comme elie a des consolations pour toutes lesnbsp;inforlunes et des legons de sagesse pour tous les Sges!

U MARS.

Saint-Pierrc-m-]ltoH(orio. — Visite au Pénitencier des jeunes détenus.— Association de la Pitié des Praonn/m. —Saint-Michel. —Autres oeuvres en faveur des détenus.nbsp;Les Irlandais a Sainte-Agatbe-ai/a-Swiiurra.

A raesure que Ie moment solennel d’introduire ses enfants au banquet eucharistique approche de plus prés, Rome multiplie les moyens de sanctification. Hier avait eu lieu la procession enl’honneur de Marienbsp;addolorata, et Ie commencement d’une octave de prières i la Mère desnbsp;douleurs. Pendant que cette procession, précédée du Tronco, traver-sait la place Colonne et Ie Corso, un pieux pèlerinage s’ouvrait dansnbsp;un autre quartier de Rome, it Saint-Pierre-fre-iHowfono. A partir dunbsp;dimanche de la Passion jusqu’au dimanche de Quasimodo, il y a indulgence plénicre pour tous les fidèles qui visitent la chapelle oü futnbsp;crucifié Ie Prince des Apótres. Quoi de plus propre è former dans lesnbsp;cteurs Ie double sentiment réclamé par les circonstances, la confiancenbsp;et Ie repentir! Aujourd’hui sur les pas d’un grand nombre de pèle-*¦gt;08, nous montames au Janicule, et nous ne descendimes de notrenbsp;P*euse station que pour traverser Ie Tibre et visiter Ie Pénitencier desnbsp;jeunes détenus.

Hans cette maison créée par Léon XII, pour les enfants sortis de Saint-Michel, il nous fut donné de voir la charité romaine en exercice.nbsp;Har une heureuse coincidence nous y trouvAmes les deux députés de

(lt;) Instit. de Bienfaisance, p. 259.

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90 nbsp;nbsp;nbsp;I,ES TROIS ROME.

TArchiconfrérie de Saint-Jéróme, chargés de la direction de eet excellent asile correctionnel. Plusieurs prêtres, de la Sociélé des Pieux-Ouvriers, distribuaient les secours spirituels è ces pauvres enfants qui, malgré les chutes de leurs premières années, donnent l’espérancenbsp;fondée d’un retour durable è la sagesse et a la vertu. On voyait dansnbsp;leur physionomie je ne sais quel mélange de pudeur, de regret, denbsp;joie, qui résumait a nos yeux les sentiments d’une ame coupable sansnbsp;doute, mais novice encore dans Ie mal et dominéé par une pensée denbsp;réhabilitation. Chaque enfant a sa celluie séparée; tous travaillent lanbsp;laine, et gardent un rigoureux silence. On volt que Ie pénitencier denbsp;Saint-Michel a servi de modèle a celui-ci : et comme Ie premier, Ienbsp;second est dans une excellente voie de prospérité. II en est de mêmenbsp;de la Colonie agricole, dont je parlerai en visitant la Villa Albani.

Comme nous sortions, voici venir deux ecclésiastiques, connus de l’obligeant ami qui nous accompagnait. Après un instant de conversation : « Ces messieurs, nous dit-il, sont des confrères de la Pieta-des-Prisonniers, dont Ie centre est è l’église de Samt-Jean-della-Pigna;nbsp;ils vont exercer leur charité aux prisons Innocentienncs. On les y rencontre, habituellement occupés i consoler, ü instruire, i distraire lesnbsp;détenus, qui les aiment beaucoup. Un prétre, membre de eette confrérie, appelé solliciteur, est chargé de visiter chaque jour les prisons,nbsp;de gouter les aliments et surtout la nourriture des détenus au secret,nbsp;qui doit étre plus choisie, plus abundante et plus saine que celle desnbsp;autres. Ainsi, nos prisonniers soumis d’ailleurs a un régime très-hu-main, secourus par tant d’associations charitables, environnés de tantnbsp;de ressources spirituelles, se trouvent soulagés dans leur pénible position et arrachés i la fange du vice par cette réhabilitation morale quinbsp;les élève h la vertu. »

Fondée par Ie père Tallier, jésuite, et approuvée par Grégoire XIII, la Confrérie de la Pietd-des-Prisonniers fut dotée en 157S, parnbsp;Sixte IV, d’une rente annuelle de deux mille écus, afin qu’elle putnbsp;délivrer amp; Paques et a Xoël quelques prisonniers pour dettes. Aujour-d’hui son objet principal est de prévenir l’incarcératlon des pauvresnbsp;ouvriers, en désintéressant leurs créanciers (i).

Repassant Ie Tibre au pont Quattro-Capi, nous visitttmes Ie célèbre pénitencier de Saint-Michel. Pour Ie connaitre sous Ie rapport maté-riel, 11 faut imaginer une grande salie rectangulaire garnie, sur sesnbsp;longs cötés, d’un triple rang de cellules dont les portes donnent sur

(i) 518'' Morichini, p. 211.

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SAIKT-MICHEL. 9!

un balcon qui longe l’édilice intérieur. Deux larges fenêtres ouvertes vis-a-vis Tune de l’autre, dans les deux petits cótés, éclairent et assai-Dissent nierveilleusement la salie. Au fond eSt Tautel; sur la longueurnbsp;des parois, sont disposés les métiers qui correspondent a des ateliersnbsp;plus considérables. Les soixante-quatre cellules des prisonniers peu-vent être surveillées d’un coup d’oeil par Ie directeur, avantage Ie plusnbsp;grand du système panoptique de Bentham. Le style du pénitenciernbsp;est magnifique en son genre, et c’est a juste titre qu’il est considérénbsp;aujourd’hui comme le type des célèbres prisons pénitcntiaires d’Amé-rique, de Suisse, de France et d’Angleterre (i).

La pensee du fondateur révèle le but moral de l’établissement. Clément XI venait de construire la partie de Saint-Michel destinée i l’ap-prentissage des arts et métiers; te sage Pontife pensa qu’il fallait compléter son oeuvre en élevant un pénitencier pour les jeunes gensnbsp;coupables de délits ; corriger les défauts est une seconde éducation.nbsp;Dans le }]otu proprio du 14 novembre 1703, il s’exprime ainsi :nbsp;« Maintenant que la maison nouvelle se trouve terminée, avec sesnbsp;soixante petites cellules séparées les unes des autres et toutes ensemble dans une grande enceinte; que prés de eette salie des dépendancesnbsp;peuvent servir d’ateliers pour les travaux de draperie et d’autres industries : Nous voulons et ordonnons que tons les enfants ou jeunesnbsp;gens ftgés de moins de vingt ans, qui, é l’avenir, pour fautes par euxnbsp;commises seront arrêtés, au lieu d’être conduits dans les prisons pu-bliques, soient transportés dans la nouvelle maison de correction; et,nbsp;comme il y a des enfants de nature perverse qui désobéissent i leursnbsp;parents, et par leur raéchant earactère accusent de très-mauvaises inclinations au vice. Nous voulons et ordonnons qu’ils puissent êtrenbsp;également gardés, amendés et corrigés dans la méme maison...

» Les detenus seront instruits dans les principes de la vie chrétienne, ct apprendront les régies de bien vivre. Nous ordonnons en consé-tluence aux révérends Cardinaux, protecteurs de l’hosplce, de députernbsp;'m prétre séculier qui devra non-seulement célébrer chaque jour lanbsp;sainte messe, mais instruire les jeunes gens incarcérés, dans la religionnbsp;ct les choses nécessaires a une vie chrétienne. Nous voulons en outrenbsp;9Ue des maitres enseignent aux détenus quetque art mécanique, afinnbsp;par eet exercice, ils abandonnent l’habitude de l’oisiveté et com-mencent une nouvelle carrière de bonnes mceurs. »

En parcourant le pénitencier de Saint-Michcl, oü la pensee de Clé- 1

1

Msf Morichini, p. 106.

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92 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROTS ROME.

ment XI continue de porter les plus heureux fruits, on se rappelle in-volontairement ce mot de Montesquieu : « La philosophie ne fait rien de bien que Ia religion a’ait fait avant elle et mieux qu’elle. » Lors-qu’elle revendique l’invention du système pénitentiaire, la philanthro-pie moderne commet un larcin et une erreur. Un larcin, puisqu’ellenbsp;s’attribue une gloire qui appartient è l’Église de Rome; une erreur,nbsp;puisqu’elle s’imagine avoir découvert une institution dont l’idée estnbsp;aussi ancienne que Ie christianisme, et dont l’application précèdenbsp;toutes les théories et tous les essais des premiers philanthropes fla-mands et américains : c’est, comme on voit, un article de plus pournbsp;Ie Dictionnaire des antiquités modernes.

« II y a, dit amp; ce sujet M. Guizot, un fait trop peu reraarqué dans les institutions de l’Église; c’est son système pénitentiaire, systèmenbsp;d’autant plus curieux è étudier qu’il est, quant auxprincipes et auxnbsp;applications du droit pénal, complétement d’accord avec la philosophie moderne. Si vous étudiez la nature des peines de l’Église et desnbsp;pénitences publiques qui étaient son principal chUtiment, vous verreznbsp;qu’elles ont surtout pour objet d’exciter, dans l’ame du coupable, Ienbsp;repentir; dans celle des assistants, la terreur morale de l’exemple. IInbsp;y a bien une autre idéé qui s’y mêle, une idéé d’expiation. Je ne sais,nbsp;en thèse générale, s’il est possible de séparer l’idée d’expiation de cellonbsp;de la peine, et s’il n’y a pas dans toute peine, indépendamment dunbsp;besoin de provoquer Ie repentir du coupable et de détourner ceux quinbsp;pourraient être tentés de Ie devenir, un secret et impérieux besoinnbsp;d’expier Ie tort commis. Mais, laissant de cóté cette question, il estnbsp;évident que Ie repentir et l’exemple seront Ie but d’une législationnbsp;vraiment philosophique. N’est-ce pas au nom de ces principes, que lesnbsp;publicistes les plus éclairés ont réclamé, de nos jours, la réforme denbsp;la législation pénale européenne? Aussi, ouvrez leurs lwrcs,vous sereznbsp;étonnés de toutes les ressemblances que vous rencontrerez entre lesnbsp;moyens pénaux qu’ilsproposent et ceux qu employait l’Église (i). »

Tels sont, en abrégé, les moyens de tout genre que Rome emploie pour rendre la vie morale au coupable. Si la juste sévérité des lois Ienbsp;condamne a mourir, il se voit immédiatement environné d’une nouvelle sollicitude. Aux détails déjaconnus j’ajouterai que plusieurs confréries font de la bonne mort des condamnés Ie grand objet de leurnbsp;zèle et de leurs prières. Dans la splendide église des Augustins, aunbsp;Corso, l’Archiconfrérie du Saint-Nom de Jésus et de Marie, expose Ie

(i) Hist, dc la civilisat. en Europe, lecon vi, p. lö-

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LES IRLANDAIS A SAlPiTE-AGATHE-ALLA-SUBURRA. nbsp;nbsp;nbsp;93

Saint-Sacrement depuis Ie matin du jour de l’exécution jusqu’après la consommation du supplies. De plus, elle envois plusieurs de sesnbsp;membres quêter par toute la ville les aumónes des fidèles, afin de fairenbsp;célébrer des messes pour Ie repos de son ftme : ces quêteurs sontnbsp;quelquefois d’éminents personnages. Sur la place de Pasquin, 1’Archi-confrérie des Agonisants emploie tout ce que Ie zèle Ie plus actif peutnbsp;Inspirer, afin d’obtenir aux malades a l’agonie, et surtoul aux suppli-ciés, la grilce inappréciable d’une bonne mort. Outre l’expositionnbsp;solennelle du Saint-Sacrement, et la quête publique en leur faveur,nbsp;elle envole des billets a tous les couvents et a toutes les communautésnbsp;de Ia ville, afin que chacun se mette en prières et s’efforce d’obtenirnbsp;de la miséricorde divine Ie salut du coupable. Quoi de plus chrétiennbsp;qu’un pareil usage! quoi de plus moral aux yeux mörae de la raison!nbsp;Mais quoi de plus glorieux pour Rome! car nulle autre ville dans Ienbsp;monde n’offre un semblable spectacle.

Sur l’invitation de notre guide nous allames, avant de rentrer a t’hótel, visiter l’église de Sainte-Agalhe-alla-SMburra. Les élèves dunbsp;collége Irlandais s’y trouvaient réunis pour commencer, suivant l’usage,nbsp;Un Triduum en l’honneur de saint Patrice, apotre de leur héroïquenbsp;patrie. II était beau de voir tous ces futurs athlètes de la vérité se pré-parer par un redoublement de ferveur i la solennelle réception dunbsp;pain des forts. II était plus beau peut-étre d’entendre tous ces enfantsnbsp;de Ia noble Irlande, prosternés dans la grande Rome au pied de l’au-tel d’une vierge martyre, appeler sur leur nation la protection de celuinbsp;qui en chassa l’idotótrie. Qui sait? C’est peut-étre de Sainte-Agalhe-o-UaSuburra que partira Ie coup qui sauvera l’Irlande. Quoi qu’il ennbsp;soit, Ie voyageur catholique, témoin de ce touchant spectacle, unit denbsp;grand eoeur ses voeux aux soupirs des opprimés; et si les secrets pres-sentiments de sa foi ne sont pas vains, il salue avec transport Ie journbsp;désormais prochain, oü la fiére Albion sera forcée de briser les chainesnbsp;de son illustre captive, et oü la patrie d’O’ConnelI reparaitra aux yeuxnbsp;du monde catholique, parée de toutes les graces que donnent auxnbsp;vierges martyres et la candeur de leur front immaculé et les cicatricesnbsp;de leurs glorieuses blessures.

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94 LES TKOIS ROME.

15 MARS.

Visite 4 l’Églisc de Sainl-Auguslin. — Bibliothèque Angelica. — Refuges de la Croix de Lorette, de Sainte-Marie-in-Trastenere, de la Divine-Clémence. — Reflexions.

Presqu’au centre de Rome, sur les ruines du bücher impérial, s’é-lève la belle et grande église de Saint-Augustin. Devant aujourd’bui visiter les maisons de repentir destinées aux femmes, il parut conve-nable de commencer par rendre nos devoirs a celui qui fut lui-mêmenbsp;un illustre pénitent. Ajontez qu’en tête de son histoire, cette églisenbsp;montre un nom francais. Elle doit sa fondation au cardinal Guillaumenbsp;d’Estouteville, ministre de France a Rome, en 1485; et sa coupole estnbsp;la première qu’ait vu s’élever la Ville éternelle. II serait trop long de dé-crire toutes les chapelles ainsi que les peintures el les marbres pré-cieux dont elles sont décorées. Le tableau de saint Augustin, placé surnbsp;Tautel a droite du transept, est du Guerchin. A gauche on admire lenbsp;saint Thomas de Villeneuce donnant I’aumone, d’Hercule Ferrata;nbsp;dans Tavant-dernière chapelle, le groupe de la sainte Vierge, de Yenfant Jesus et de saint André, par Sansovino. Mais la merveille de cettenbsp;église est le prophéte Isdïe, peint par Raphael, sur le troisième piliernbsp;h gauche en entrant. Le jeune émule de Buonarotti dut jouir vivementnbsp;de son succès, lorsqu’il vit Michel-Ange lui-même prodiguer de justesnbsp;éloges it cette oeuvre entreprise pour lutter avec les prophetes, dont ilnbsp;avait décoré la chapelle Sixtine au Vatican. Je dirai que ce chef-d’oeuvre vient d’être copié en mosaïque. II n’a que deux mètres de largeurnbsp;sur deux et demi de hauteur, et pourtant il a occupé trois ouvriers anbsp;la fois pendant six années. Seule la patience romaine peut se résoudrenbsp;è produire si lentement. J’ajouterai que ces grands tableaux de mosaïque reviennent a cent cinquante ou deux cents mille francs.

Si le génie moderne est dignement représenté è Saint-Augustin, la peinture antique n’y lient pas un rang moins distingué. La belle imagenbsp;de la sainte Vierge qu’on y vénère suüit pour donner une haute idéénbsp;de Tart byzantin. Elle est une de celles que les Grecs fugitifs appor-tèrent d’Orient après la prise de Constantinople et que la traditionnbsp;attribue è saint Luc. La foule entourait l’autel de la Mère des miséri-cordes, et de nombreux poignards, suspendus aux pilastres de la chapelle, annoncent les guérisons morales obtenues par l’entremise denbsp;celle qu’on n’invoqua jamais en vain. Une autre partie de la foule senbsp;rapprocha de l’autel oü je venais de monter. Par une de ces harmonies

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VISITE A l’église de SAIST-AÜGÜSTIN. nbsp;nbsp;nbsp;9j

délicieuses dont Rome possède si bien Ie secret, sainte Monique repose dans l’église de Saint-Augustin! Comment dire la messe sur Ie corpsnbsp;sacré de la plus admirable et de la plus cbérie des mères, sans se rap-peler les tendres paroles que Ie meilleur des fils répétait en pleurantnbsp;prés de son cercueil : « Elle était, Seigneur mon Dieu! la servante de

* nbsp;nbsp;nbsp;tous vos serviteurs;.... elle prenaitsoin de tous,comme si tous avaient

* nbsp;nbsp;nbsp;été ses enfants; elle était souraise a tous, comme si chacun d’euxnbsp;» avait été son père (i). »

n fut offert, non plus suivant Ie désir d’Augustin pour Ie repos de sa bien-aimée défunte; mais pour les Moniques et les Augustins, sinbsp;Oombreux au dix-neuvième siècle. Puisse-t-il leur avoir été salutaire!

Après la messe nous visitêmes la bibliothèque du couvent. Elle est connue sous Ie nom de bibliothèque Angelica et Passionei en mémolrenbsp;du père Angelo Rocca, augustin, qui la fonda en 1605; et du. cardinalnbsp;Passionei qui l’augmenta considérablement vers la fin du dernier siècle. On y corapte prés de cent mille volumes, entre autres les Actanbsp;tiirorum illustrium, espèce de recueil allemand, de plus de deux centnbsp;cinquante volumes, oü l’on trouve de tout, mais oü l’on ne trouve Ienbsp;lout de rien.

A l’examen des ouvrages inanimés de Tintelligence succéda l’étude des oeuvres toujours vivantes de la charité. Afin de n’oublier aucunnbsp;genre de misère, Rome a préparé aux femmes coupables différents Refuges oü elles peuvent renaitre è la vie morale. Avant Ie seizième siècle,nbsp;on trouve déja Ie monastère della Convertite au Corso; en 1.54i2, saintnbsp;Ignace établit k la Longara celui des Mal mariées; soixante-treize ansnbsp;plus tard, en 1615, Ie père Dominique de Jésus ouvrit Ie refuge de lanbsp;Croix; enfin l’année 1628 vit s’élever l’asile de Saint-Jacques : en sortenbsp;fiu’ici comme ailleurs, Rome peut revendiquer la glorieuse initiativenbsp;*lu bien. Or, les femmes coupables peuvent se diviser en trois classes;nbsp;oelles qui, jeunes encore, sont devenues victimes d’un entrainementnbsp;Passager; celles qui sont restées plus longlemps dans Ie désordre, ounbsp;fiUe la justice huraaine a frappées de condamnation; enfin celles qui,nbsp;après Ie mariage, ont oublié leurs devoirs d’épouse et de mère. Onnbsp;oon^oit l’utilité de maisons spéciales pour chacune de ces catégories.

Sur Ie Mont-Pincio s’élève Ie refuge de Ia Croix, oü Pon n’admet

les veuves ni les ferames mariées. II se compose exclusivement de jeunes filles, que Ia supérieure elle-même va choislr dans l’hópitalnbsp;Saint-Jacques. Les réfugiées sont au nombre de vingt; elles vivent en

(gt;) Confess.^ lib. ijt, c. 9, n. 5.

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96 LES TROIS ROME.

communauté, sans rien posséder en propre. Leur oceupation est de filer la laine pour Ie compte d’un négociant qui paie trente écus parnbsp;mois au bénëfice de l’asile; cent autres écus sont accordés mensuelie-ment par la commission des subsides ; avec ces modiques revenusnbsp;joints h quelques aumónes la maison marche parfaitement. Tout ynbsp;respire Tordre, la propreté, Ie contentement du repentir, je diraisnbsp;presque, la joie de l’innocence. Tandis que quelques conservatoiresnbsp;inspirent une certaine mélancolie, on éprouve ici, je ne sais quel sentiment de tendre satisfaction, en voyant lant d’infortunées victimes denbsp;la seduction marcher, au sein de eet asile silencieux, dans les voiesnbsp;les plus élevées de la perfection (i).

En elï'et, bien qu’il leur soit permis de quitter Ie refuge, s’il arri-vait qu’elles prissent i dégout une telle vie, on les voit presque toutes persévérer; et même quelques-unes d’entre elles revêtent l’habit reli-gieux dans Ie couvent de Saint-Jacques i» la Longara. Les parents lesnbsp;plus proches peuvent les voir une fois par mois. En outre, une foisnbsp;la semaine, elles sortent de bon matin pour prendre Fair dans les ruesnbsp;peu fréquentées, vêtues uniformément de robes grises, d’une guimpenbsp;blanche et d’une petite coiffe placée sur la tête. Le refuge de la Croix,nbsp;fondé en 1793 par les soins de dom Giro, prêtre espagnol, et de lanbsp;seeur Marie-Thérèse Sébastiani, a re^u les encouragements les plusnbsp;précieux de Pie VII et de Grégoire XVI, qui ont daigné Ie visiter et ennbsp;confier la direction a un député ecclésiastique dépendant du cardinal-vicaire.

Du Pincio, nous nous rendimes au Mont-Coelius pour visiter un nouveau refuge dont voici l’origine. Vers le commencement de ce siècle, quelques dames romaines et principalement la vertueuse prin-cesse Thérèse-Doria Pamphili, allant consoler les malades i Thèpitalnbsp;Saint-Jacques, voyaient avec douleur que ces femmes a peine guériesnbsp;retournaient de nouveau a leurs anciens désordres. Le refuge de lanbsp;Croix était insuflisant pour les recevoir toutes, et, comme nousnbsp;l’avons vu, il n’admet que les lilies. La princesse demanda done et ob-tint de Léon XII un ancien hospice situé dans la rue San-Giovanni.nbsp;C’est le refüge de Lorette, ainsi nommé paree qu’il est sous Ia direction de la congrégation de Lorette composée de dames et présidée parnbsp;Ie cardinal-vicaire. On y re^oit toutes les personnes du sexe qui, aprèsnbsp;leur guérison, veulent mener une conduite régulière. Les femmes ma-riées y sont aussi adraises jusqu’ü ce qu’on puisse les réconcilier avec

(i) Mer Morich., p. 160.

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REFUGE DE SAINTE-MARIE-IN-TRASTEVERE. nbsp;nbsp;nbsp;97

leurs maris, éloignés d’elles par suite de leurs déréglements. La nour-fiture et le réglement sent a peu prés les mêmes qu’au refuge de Croix.

Au-dessous de ces infortunées, sent les femmes qui sortent de prison, et que la misère ou toute autre cause entrainerait promptement dans le mal, si une main tutélaire ne venait les soutenir. Pour elles anbsp;dté fondé le conservatoire de Sainte-Marie-m-7'ras(euere. A I’excep-Con des récidives, elles viennent dans cette maison se livrer aux ceu-''I'es de la piété chrélienne et au travail. Bien qu’on ne doive y rece-voir que des filles, on y admet aussi les femmes mariées. Elles ynbsp;ï’estent tant qu’elles veulent et on les engage a y demeurer, a moinsnbsp;•lu’elles ne se réunissent a leurs maris, ou n’aient de bons parentsnbsp;pour prendre soin d’elles. Plusieurs ecclésiastiques et une société denbsp;dames pieuses leur donnent tons les soins spirituels, nécessaires a leurnbsp;Conversion et a leur persévérance. Le refuge de Sainte-Marie datenbsp;de 1806, et la gloire en revient au père Stracchini et è I’excellentnbsp;cardinal Cristaldi.

Enfin, pres de Saint-Onupbe est le conservatoire de la Divine-Clé-iiience, ou Ton place toutes les personnes du sexe dont la conduite irrégulière serail dangereuse pour les moeurs publiques. Fondé par lenbsp;pape Clément IX, ce refuge est sous la direction des curés de Rome,nbsp;présidés par Ms' le vice-gérant.

J’ai longuemenl parlé des institutions charitables de la mère des Églises, et pourtant je puis, en terminant ce sujet beaucoup tropnbsp;ignoré, dire avec un historiën bien plus explicite que moi : « Voilanbsp;On abrégé des oeuvres charitables qui se pratiquent a Rome; car il se-cait impossible d’en faire Ténumération compléte. Ce que j’en ai rap-Porté sulEt pour montrer avec combien de raison Rome est appelée lanbsp;'^ille sainte. Pas un genre de misères qu’elle n’ait soulagé la première,nbsp;ct qu’elle ne soulage encore. La source de sa charité est dans sa foi;nbsp;clle compte six cents églises ou oratoires dans lesquels ses enfantsnbsp;*001 appelés aux temps convenables. Lé, elle prodigue tous les moyensnbsp;de réconcilier les pécheurs avec Dieu, d’affermir les jusies dans lanbsp;'’ertu, de soulager les amp;mes du purgatoire, d’honorer Dieu et de fairenbsp;cooler a pleins bords la vie morale dans tous les fidèles. Ainsi conti-oiie de se vérifier le mot de saint Léon, que Rome jadis maitresse denbsp;l erreur est devenue la maitresse de la vérité (i). » 1

1

Conslanzi, 1.1, p. 2G3, n. 262.

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98 LES TROIS ROME.

16 MARS.

TJne fêle au palais Massimi. — L’Apollinaire. — L’Université. — Le Collége romain. Les Bibliothèques.

Le jour des calendes d’avril, 16 mars de l’année 1385, voici ce qui se passait a Rome, dans le palais du prince Fabricio Massimi. Toute lanbsp;noble familie pleurait agenouillée autour d’un lil de douleur. Sur cenbsp;lil se débaltait dans les convulsions de l’agonie un jeune enfant denbsp;qualorze ans et trois mois : c’élait le fils de la maison, l’orgueil denbsp;son père, la joie de sa mère, l’araour de ses soeurs. Tont i coup lenbsp;père se léve et depêche un de ses domestiques auprès de saint Philippe de Néri, en le suppliant de venir sans délai. Le Saint est a l’au-tel; il ne peut aecourir qu’une heure après. Pendant ce temps-lé lenbsp;prêtre Dom Camillo fait les prières de la recommandation de Fame aunbsp;jeune moribond qui expire cnlre ses bras. Fabricio, désolé, s’approchenbsp;pour remplir un dernier devoir en fermant lui-même les yeux é sonnbsp;fils. De son cöté, Francesca, la bonne de 1’enfant, apporte de Peaunbsp;pour laver, suivant l’usage, le corps du défunt, et les habits dont ilnbsp;doit être revêtu sur son lit de mort.

Sur ces entrefaites arrive saint Philippe : « Hélas! père, lui dit Fabricio, Paul est mort; il n’y a plus rien é faire; que n’êtes-vousnbsp;venu plus tót? » Le Saint se rend droit è la chambre mortuaire, oünbsp;il trouve la bonne Francesca se préparant amp; parer l’enfant de ses vête-ments funèbres. Philippe s’approche du lit, demande de Peau bénite,nbsp;en répand sur la bouche et le visage du mort, lui impose les mains,nbsp;se met en prières, le touche et Pappelle deux fois par son nom. Ennbsp;présence de tout le monde, Paul ouvre les yeux, répond au Saint, etnbsp;revient a la vie (i).

En mémoire de ce miracle, la familie Massimi célèbre chaque an-née, dans son palais, une pieuse fête é Phonneur de saint Philippe de Néri. Si vous ótes a Rome le seizième jour de mars, ne manquez pasnbsp;d’y assister. Comme nous, vous serez touchés du témoignage publicnbsp;de cette reconnaissance séculaire, et vous sentirez s’accroitre en vousnbsp;la dévolion envers un Saint trop peu connu. Ces deux choses, égale-ment douces et bonnes, comptent parmi les joies utiles d’un voyagenbsp;en Ralie.

()) Vi/aS. Philippi, etc., Auctor. Ant. Galliono, p. Ii26.

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l’apollinaike. nbsp;nbsp;nbsp;99

Avant de parlir pour Naples, nous avions vu ce que Rome fait pour lt;lissiper Tignorance parrai Ie peuple; les circonslances nous avaientnbsp;enopêché de décrire les grands moyens qu’elle emploie pour dévelop-Per Tintelligence dans les classes supérieures : Ie temps était venu denbsp;la suivre dans ce nouvel exercice de sa charitable sollicitude. Urienbsp;foule de colléges, d’institutions, d’académies sont ouverts ^ Romenbsp;pour la culture de l'esprit. II serait trop long d’en parler en détail;nbsp;pour connaitre I’état de l’instruction supérieure il sufBt d’étudiernbsp;1’Apollinaire, TUniversité et Ie Collége remain.

Conformément aux sages prescriptions du Concile de Trente, Rome s’empressa de fonder un séminaire pourl’éducation des clercs: Ie Sou-'erain Pontife Pie IV en posa la première pierre en 1S63; et saintnbsp;Charles Rorromée, I’amp;me de la discipline ecclésiastique, donna les loisnbsp;qui régissent encore eet établissement. Les élèves y sont admis aunbsp;concours. Ils doivent êlte Remains, agés au moins de douze ans, versésnbsp;'lans la connaissance de la grammaire supérieure, tonsurés ou prêts anbsp;1’être. Ils sont nourris au séminaire, formés a la science par des mai-tres et des répétiteurs habiles, soignés gratuitement dans leurs mala-?lies, instruits dans les principes de la vie chrétienne et ecclésiastique,nbsp;par la pratique de l’oraison et l’exercice des fonctions sacrées, soitnbsp;dans l’église de l’Apollinaire, soit a Saint-Jean-de-Latran aux joursnbsp;des grandes solennités. Tous les bénéficiers de Rome contribuent, aunbsp;Doyen d’une réserve, a I’entrelien du séminaire. Si les élèvesnbsp;o’entrent pas dans les ordres sacrés, ils sont tenus de payer lesnbsp;dépenses de nourriture qu’ils ont faites pendant leur éducation clé-cicale.

Les belles-lettres, la philosophie, la théologie, Ie droit canon, l’his-'oire ecclésiastique, toutes les autres branches de la science sacrée s enseignent au séminaire. S’il faut en juger par les résultats, lesnbsp;*^'udes doivent étre très-avancées. Le clergé remain se distingue sur-'^out par sa connaissance profonde de la morale et des 'antiquités chré-Rennes. Grace a cette double science, il a toujours su se garantir dunbsp;gt;el4chement et du rigorisme, comme I’a si bien démontré le doctenbsp;Lrancolini (i); de plus, il peut avec une facilité et une foree remar-q'iable confondre les novateurs, soit en malière de dogine, soit en magere de discipline, en leur opposant l’autorité des monuments anciens. De la cette immutabililé de doctrine, et cette uniformité denbsp;wéthode qui se manifeste jusque dans les sermons et les instructions

(') Clericus Bomanus contra nimium rigorem munitus, iii-fül.

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100 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.

paroissiales. J’ajouterai que, obligé par sa position de répondre aux consultations et aux difEcultés qui arrivent de toutes les parties dunbsp;monde, Ie clergé romain acquiert avec Ie temps une science pratiquenbsp;et positive, qu’il est rare de Irouver ailleurs au même degré. Le sémi-naire est placé sous la direction du cardinal-vicaire qui habite unnbsp;palais contigu; et par une concession de Léon Xll, il peut confé-rer le doctorat en théologie, par conséquent le baccalauréat et lanbsp;licence.

Nous ne voulumes pas quitter ce bel établissement sans visiter l’église de Saint-Apollinaire, qui lui a donné son nom. Fondée en 772nbsp;par Adrien I, et restaurée par Benoit XIV sur les dessins de Fuga, ellenbsp;possède deux belles statues de saint Ignace et de saint Frangois-Xavier; maisce qui la rend précieuse auxjeunes clercs, c’est le nom-bre et le choix des reliques dont elle est enrichie. Une partie des osse-ments de la légion Thébaine et des onze mille vierges; les corps desnbsp;saints martyrs Euslrace, Auxence, Mardaire et Greste, apportés d’0-rient par les religieux Basiliens; des reliques de saint Ignace, de saintnbsp;Frangois-Xavier, de saint Francois de Borgia, de saint Louis de Gon-zague et de saint Stanislas Kostka : quoi de plus éloquent dans unenbsp;église de séminaire? Soldat, vierge, martyr, le prétre catholique doitnbsp;être tout cela. Et Rome veut queses jeunes clercs, placés dés l’enfancenbsp;sous les yeux de tant d’illustres modèles venus exprès de l’Orient etnbsp;de rOccident, puisent le véritable esprit du sacerdoce dans une églisenbsp;dédiée a un évêque martyr, disciple de Pierre, le chef des pasteurs etnbsp;martyr lui-même.

Une légere distance nous séparait de l’Université, qui regut notre seconde visite. Ce bel établissement forme un parallélogramme, aunbsp;milieu duquel est une vaste cour entourée de trois cötés par de superbes portiques a deux étages; le quatrième est formé par l’Église.nbsp;II doit son origine et son développement aux papes Boniface VIII,nbsp;Léon X, Sixte V, Urbain VIII et Alexandre VIL Protecteur éclairé au-tant que généreux des sciences et des arts, Léon XII a donné unnbsp;nouvel éclat a l’Université romaine, en y fondant plusieurs chairesnbsp;nouvelles, en augmentant le iraitement des professeurs, et en perfec-tionnant, par sa constitution du 27 aoüt 1824, le réglement des études. Placée sous la direction d’un cardinal arcbichancelier et d’unnbsp;recteur, l’Université se compose de cinq Colléges ou Facultés : théologie, droit, médecine, philosophie et philologie. Elle compte qua-rante-huit professeurs; et le programme de leurs cours montreranbsp;que Rome sait se maintenir d la hauteur de la science moderne.

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101

COLLÉGE ROMAIN.

Théologie.

ÊGriiure sainte.

Théologie dogmalique.

Théologie scolastique.

Physique sacrée.

Hisloire ecclésiastique.

Eloquence sacrée.

Jurisprudence.

l^roit naturel.

Uroit des gens.

Dfoit canon.

Eroit ecclésiastique.

Pandectes de Justinien.

Eroit civil, öroit criminel.

Médecine.

Anatomie.

Physiologic simple et comparce.

Médecine Ihéorique et pratique. Pathologie.

Züologie.

Hygiène et thérapeulique.

Médecine légale.

Clinique médicale h I’hópital du Saint-Esprit.

Chirurgie théorique.

Clinique chirurgicale a l’hópilal de Saint-Jacques.

Chimie.

Botanique théorique et pratique.

Histoire naturelle.

Pharmacie théorique et pratique. Chirurgie vétérinaire théorique et pratique.

Philosophic.

Logique.

Métaphysique.

Morale.

Algèbre et geometrie.

Calcul supérieur.

Mécanique.

Hydraulique.

Optique et astronomie.

Geometrie descriptive et projection des ombres.

Architecture statique et hydraulique. Mineralogie.

Physique théorique et expérimentale.

Philologie.

Archéologie.

Éloquence.

Poésie.

Languc hébraïque. Arabe.

Syro-Caldaïque.

Grecque.

Laline.


n faut ajouter les écoles des beaux-arts, dans lesquelles on enseigne peinture, Ia sculpture, l’architecture, rornementation, la perspective, I’anatomie, la mythologie, etc.; ces cours sont faits par onzenbsp;Peofesseurs, membres de l’Académie de Salnt-Luc.

Quant a l’esprit qui dirige les études, il est éminemment chrétien, et brille dans l’inscription placée au-dessus du grand portail;

imTIVM SAPIENTIvE TIMOR DOMINI.

^Es MOïENs sont : les exercices religieux, les retraites et autres pratiques annuelles, hebdomadaires ou journalières établies par les ré-glements. Son rut, c’esl la gloire de Dieu, la defense de l’Église et Ie iiien de la société : triple objet éloquemment résumé dans l’églisenbsp;dédvée k saint Luc, k saint Léon Ie Grand, et k saint Yves, avocat desnbsp;pauvres.

T. III.

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102 LES TEOIS ROME.

Je dirai que les États Romains comptent sept TJnivcrsités. Les deux premières, qui semblent marcher d’un pas égal, sont celles denbsp;Rome et de Bologne, présidées chacune par un cardinal archichance-licr. Les cinq autres ont pour chancelier l’évêque diocésain. Toutesnbsp;les Universilés, colléges, établissements d’éducation, écoles, sont sousnbsp;la direction de la Congrégation des Études, établie par Léon XIL Ellenbsp;se compose de cinq cardinaux chargés de veiller è la pureté de lanbsp;doctrine et des moeurs, et a l’exécution des réglements donnés par Ienbsp;sage Pontife.

De 1’Université nous passömes au Collége remain, dont les excellents pères Marchi et Perrone voulurent bien nous faire les honneurs. Sous Ic rapport de rimportance, ce superbe étahlissement rivalisenbsp;presque avec 1’Université. Le grand pape Grégoire XIII Ie fonda ennbsp;1 o82, le dota de riches revenus et en confia la direction aux Jésuites.nbsp;Conformément aux intentions du Pontife, il y a des classes oü Pon en-seigne les différentes sciences depuis les plus élémentaires jusqu’auxnbsp;plus élevées. On y admet non-seulement les Romains, mais encore lesnbsp;clrangers de toute nation qui peuvent y prendre les grades. Le Collége romain compte onze cents étudiants tous externes, et un grandnbsp;noinbre de professeurs connus de toute i’Europe savanle ; tels sontnbsp;entre autres les pères Vico, Marchi, Perrone et Secchi. Indépendam-ment des humanités on y enseigne :

La théologie dogmatique et morale.

Le droit canon.

L’éloquence sacrée.

La liturgie.

La philosophie.

La philosophie morale.

La physique.

La chimie.

Les mathématiques transcendantes.

Les langues et les litlératures hébraïque et grecque.

Dans les parlies supérieures des bfttiments sont la bibliothèque, l’observatoire et le célèbre musée Kircher. La première, composéenbsp;d’environ quarante mille volumes choisis, nous fut montrée par lenbsp;père Perrone qui en fait son domicile du jour, et presque de la nuit.nbsp;Le savant Romain est un type du genre, dont la vue ressuscite auxnbsp;yeux du voyageur les poétiques traditions du moyen Sge. Voyez sousnbsp;une. robe de bure noire, rousse ou blanche, un religieux aux alluresnbsp;graves, aux raanières affables et modestes, la téte coiffée de Pantique

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LES BIBLIOTIIÈQUES. nbsp;nbsp;nbsp;103

barette et Ie mejiton orné quelquefois d’une barbe magnifique? il est assis dans un grand fauteuil de peau, vénérable chaise curule de lanbsp;science. Devant lui s’étend une large table couverte de papiers plusnbsp;OU moins raturés et environnée, comine d’une constellation, de pupi-tres tournants, surchargés d’in-folios et de maiiuscrits; a droile estnbsp;l’encrier peut-ètre séculaire dans lequel tant de plumes savantes ontnbsp;trempé; a gauche la classique tabatière de buis avec Ie fazzoletto denbsp;coton; partout les menus accessoires qui annoncent la paliente application de l’érudit et la longueur de ses séances parmi les morts.nbsp;S’il est vrai que la science solide et consciencieuse demande Ie calmenbsp;de la solitude et s’allie peu avec les distractions et les plaisirs de lanbsp;vie mondaine,

Non jacct in molli veneranda scientia leclo,

Ie spectacle que je viens de décrirt n’est pas indifférent, il donne foi oux indagalions romaines, comme aux études bénédictines. Dans Ienbsp;fait, ces savants, que les inventeurs de la Utlérature facile trouventnbsp;surannés, s’appellent ; Vico, Mai, Ventura, Marchi, Perrone, Secchi,nbsp;Orioli, Micara, Mezzofanti; et leurs devanciers ; Thomas d’Aquin,nbsp;Suarez, Baronius, Bellarmin, Boldetti, Mamachi, Winckelman, Maran-goni, etc., etc.

Au musée, nous trouvümes Ie père Marchi expliquant les plans des catacombes de Sainte-Agnès. Sous sa conduite, il nous fut donué denbsp;visiter avec grand intérêt les nombreuses collections d’antiques ennbsp;naarbre, en bronze, en terre cuite, qui placent Ie musée Kircher im-töédiatement après ceux de Naples, du Vatican, de Florence et denbsp;Paris.

Religioni ac bonis artibus; ces deux mots gravés en lettres d’or sur la grande porie du Collége remain annoncent assez l’esprit et Ie but denbsp;1’enseignement qu’on y donne. Est-il nécessaire d’ajouter que Ie coeurnbsp;Of Ie caractère des jeunes gens, dont notre Université ne s’occupe pas ounbsp;pcesque pas, est pour les savants religieux Ie premier objet de leurnbsp;Paternelle sollieitude? Rien de plus complet ou de mieux entendunbsp;que leur système d’éducalion morale. Aussi la récompense incontestéenbsp;lt;fe tant de dévouement est 1’autorité réelle que les bons pères conser-vent sur les écoliers. On se souvient h Rome d’un fait qui doit trou-ver ici sa place. En 1831, h l’époque des troubles de la Romagne,nbsp;foutes les Universités fiirent obligees de suspendre leurs cours, tandisnbsp;que Ie Collége romain continua paisiblement ses travaux.

Pour achever l’histoire des moyens par lesquels Rome favorise Ie

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10-i

LES TROIS ROME.

progrès de la science, il me reste è dire un mot des bibliothèques. Nulle ville en Europe ne compte aulant de ces vastes dépöts des con-naissances humaines. Outre celles en grand nombre qui existent dansnbsp;les convents, il y a onze bibliothèques ouvertes au public : la Vati-cana, la Casanatensc, VAngelica, l’Alexandrina, la Lancisiana,nbsp;YAra-CceUtana, la Barberini, la Corsini, la Chigi, la ValUcellana etnbsp;YAlbani. La ValUcellana, établie au couvent de Saint-Philippe denbsp;Néri, est surtout riche en manuscrits ecclésiastiques et historiques.nbsp;De mème que dans Ie Tabularium du Capitole, Rome ancienne con-servait les faits culminants de l’histoire des nations, on peut dire quenbsp;Rome moderne conserve dans ses bibliothèques, dépositaires de tantnbsp;de milliers de manuscrits, de chartes, de documents religieux, poli-tiques, scientifiques, les archives de tout l’univers. Mais tandis quenbsp;Rome païenne cachait ses trésors dans une forteresse, Rome chré-tienne ouvre les siens a quiconque veut y puiser.

n MARS.

- Villa Ludovisi. — Borghese. -

Los villas. — Villa Albani. — Inslilut de M. Campa. ¦

Pamphili.

Depuis trois mois, nos études avaient eu pour objet Rome païenne et Rome chrétienne. Leurs monuments, leur esprit, leurs oeuvres,nbsp;leur vie intime avaient tour a tour occupé notre attention : il élaitnbsp;temps de sortir de Penceinte des murailles et d’explorer les nom-breuses riebesses de la Campagne romaine. Ici encore les deux cités senbsp;relrouvent mèlées ensemble; et sous peine de ne pas bien voir, ilnbsp;faudra marcher une seconde fois dans Ie dornaine du paganisme et dunbsp;christianisme.

Un des objets les plus intéressants et les plus souvent décrits par les voyageurs sont les villas romaines. Si vous voulez imaginer un palais d’une magnificence souvent royale, situé au milieu de vastesnbsp;jardins, plantés de bosquets odoriférants, et de statues de marbre denbsp;toules les formes, de tons les ftges et presque toujours d’un grandnbsp;mérite, avec cela des pieces d’eaux, des fontaines jaillissantes; en unnbsp;mot tout ce qui peut Halter les sens, vous aurez une idéé de ces habitations somptueuses que nous appelons villas, et que la langue ita-licnne plus explicite nomme delizie. OhVigé de me restreindre, jenbsp;parlerai seulement de quelques-unes : Ah uno disce omnes.

Sorii de Rome par la porte Salaria, Ie voyageur Irouve è un quart

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VILLA ALBANI. nbsp;nbsp;nbsp;lOo

de mille, non loin des antiques jardins de Salluste, la célèbre villa Albani. Elle doit son existence a deux ecclésiastiques, I’un et Tautrenbsp;hommes de grand génie. Le cardinal Alexandre Albani en traga lui-naême les dessins dont il confia I’execution i Charles Marchioimi.nbsp;Pendant qu’on travaillait aux batiments, le prince de l’Église, amateur passionné des arts, consacrait une partie de son immense fortune il former de vastes collections de statues, de bustes, de bas-reliefs, d’urnes, de colonnes et d’inscriptions. L’immortel abbénbsp;Winckelman, le restaurateur de ,1a science archéologique, fut chargénbsp;de mettre en ordre ces pierres d’attente; et il en a formé un des plusnbsp;beaux et des plus intéressants musées qu’on connaisse. Tout cela senbsp;passait dans la seconde moitié du siècle dernier.

Parmi la multitude de chefs-d’oeuvre et d’objets rares qui remplis-sent fes vestibules, les galeries et les apparteraents, nous admirimes surtout une peinture antique représentant, è ce qu’on croit, Livie etnbsp;Octavie sacrifiant è Mars; les fils de Niobé, percés do flèches par Diane,nbsp;bas-reliefs d’une magnifique exécution; une Pallas en bronze, unonbsp;Diane en albMre avec la lête, les pieds et les mains en bronze; l’Apol-lon Sauroctone, tueur de lézards, en bronze; le repos d’Hcrcule; lenbsp;curieux Hermès de Mercure avec une inscription grecque et latincnbsp;qu’on admire en rougissant; et le célèbre bas-relief d’Antinoiis. Surnbsp;une table de marbre de Paros, trouvée dans la villa d’Adrien, on voilnbsp;Antinoüs sculpté d’aprcs nature, en demi-ügure, la poitrine et les brasnbsp;nus. La voute de la grande galerie, peinte par Mengs, représenle lenbsp;Parnasse, dont les accompagnements en clair-obscur produisent unnbsp;excellent effet. Viennent ensuite les bas-reliefs de Diogène dans sounbsp;tonneau, conversant avec Alexandre; de Bérénice, offrant sa chevelurenbsp;pour le retour de son mari Ptolémée Evergète; et de Dédale fabriquantnbsp;ses ailes : ce dernier est de rouge antique et d’un beau travail. A cesnbsp;ouvrages de premier ordre, il faut ajouter les bustes d’un grand nom-hre d’empereurs et de personnages célèbres de l’antiquité; vingt-deuxnbsp;colonnes antiques de différents marbres, et une d’albatre oriental, ad-oairablement veiné; un superbe sarcophage avec les noces de Pélée etnbsp;•io Thétis; enfin le fameux candélabrc avec ses danseuses, un desrestesnbsp;^cs plus exquis de la sculpture antique.

iNos yeux éblouis demandaient ii se reposer sur un spectacle plus lt;loux. Nous le trouvümes dans l’institut agricole de M. Campa, voisinnbsp;de la villa Albani. Destiné ii recevoir de jeunes vagabonds ou détenusnbsp;eorrectionnellement, eet établissement forme le pendant de notre Met-^cay, mais il l’a précédé. Un voyageur francais qui l’a visité avant nous

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106 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.

Ie décrit en ces terraes: « Avec une médiocre fortune et une ferme vo-lonlé, M. Paolo Campa est parvenu rassembler, entièrement i ses frais, 8.5 enfants, dans un domaine de 20 rubbis (37 hectares), et cenbsp;n’est que depuis peu de temps que Ie trésor public lui accorde 10 écusnbsp;par an. Le but de I’etablissement étant de les retirer du vice et d’ennbsp;faire des agriculteurs, lous sont successivement appliqués, selon leurnbsp;Age et leurs forces, et sous la direction d’instructeurs, aux divers tra-vaux de la campagne, et aux soins des bestiaux et de la laiterie : dix-huit vaches et des boeufs de labour leur sont confiés. Si, pendant l’hi-ver, la mauvaise saison suspend l’ouvrage extérieur, on les occupe Anbsp;fabriquer des cbapéaux de paille, des paniers, des ustensiles d’osiernbsp;OU de bois; et a tout ce qui concerne les vêtements, la chaussure desnbsp;campagnards, et les reparations d’une ferme.

» Levés de bonne heure, ils emploient toute la journée aux travaux manuels. Le soir, deux heures sont consacrées A l’instruction reli-gieuse, a la lecture, a I’ecriture, au calcul et aux cléments de musique;nbsp;car pour charmer leur travail, ils chantent souvent en choeur, et tou-jours en revenant A domicile le soir et au moment des repas; d’ail-leurs, ce talent est recherché dans les paroisses rurales et peut contri-buer a leur bien-être. La nourriture se compose en général de pain,nbsp;de fruils et de légumes; ils boivent du vin coupé avec de l’eau et nenbsp;mangent de viande que les dimanches et fêtes : en tout on les habituenbsp;au régime qu’ils doivent retrouver dans les exploitations rurales.nbsp;Malgré cette alimentation presque uniquement végétale, ils jouissentnbsp;d’une bonne santé et d’une gaité remarquable (i). »

Ils nc peuvent sorlir de l’établissement sous aucun prétexte. Cette sage mesure les met A l’abri des rechutes, évitées d’ailleurs de leurnbsp;propre mouvement. Conduits par la douceur et par fa religion, ilsnbsp;chérissent leur asile et leur bienfaiteur qu’ils appellent du nom denbsp;père; et on nous disait qu’aucun n’avait cherché a s’échapper d’unnbsp;local qui n’a que des haies pour clóture.

Arrivés A l’age de vingt ans on les colonise dans les lieux les moins malsains de la Campagne romaine. Les sortants seront remplacés parnbsp;de nouveaux adoptés et l’institut deviendra une pépinière de cultiva-teurs instruits, servant de modèles aux paysans routiniers.

Après avoir visité de nouveau Vagger de Servius Tullius et le Champ-Scélérat, vivant tombeau des Vestales, nous entrames, grace A une permission écrile, dans la villa Ludovisi. Elle occupe une partie

p. 527.

(i) M. Fulchiron, Èiats Romains, l. iii, I part.

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VILLA BORGUÈSE. nbsp;nbsp;nbsp;-107

'Jes Jardins de Salluste, confine aux inurs de la ville et mérite l’atten-tion du voyageur par sa fanieuse Aurore, du Guerchin. La déesse ïissise sur son char monte è l’horizon, chassant devant elle les ténèbres

la nuit el semant des fleurs a pleines mains. Cette fresque, dans laquelle on trouve que Ie Guerchin lui-mêine s’est surpassé, orne lanbsp;''oüte du Casino, située vers Ie milieu de la villa.

Descendus par Ie versant du Pincio, nous abordames la magnifique ''illa Borghese. Tout ce que la fortune, et Ie goüt passionné desnbsp;l^eaux-arls, hérédilaires dans une familie princière, peuvent offrir denbsp;ressources, a été employé depuis ti’ois siècles a rembellissement de cenbsp;lieu de délices. En arrivant par l’entrée occidentale tournée vers lanbsp;porte Flamlnienne, Ie voyageur se trouve en face d’un superbe porti-que, reproduisant avec exactitude les plus célèbres propylées de lanbsp;Grèce et de l’Asie-Mineure, tels que ceux d’Athènes el d’Éleusis : ennbsp;sorte qu’il a sous les yeux un monument complet de style grec. Anbsp;gauche de la magnifique allée qui conduit è une grande fontaine, voicinbsp;Un lac d’eau limpide, alimenlé par un ruisseau lombant de cascadenbsp;en cascade; puis les imposanles substructions du Pincius, dont lesnbsp;voütes vingt fois séculaires olïrent un aspect sérieux et tout h faitnbsp;classique. En avant de la fontaine, Tallée bifurque. Le bras gauchenbsp;conduit a un arc de triomphe iniité de l’antique et surmonlé de lanbsp;statue de Septime Severe, au milieu de deux esclaves; il passe ensuitenbsp;au temple Tétrastyle d’Esculape orné d’une statue antique du dieu denbsp;la médecine ; puis au porlique d’un temple égyptien préccdé de deuxnbsp;obélisques. De la vous apparail surplombant, suspendu dans le vide,nbsp;l’arigle des substructions du Pincius. Get ouvrage réticulé reporte lanbsp;pensee i la fin de la république et rappelle ropulcnt Domltius Jino-barbus, qui le fit construire pour appuyer ses magnifiques jardins.

Le bras droit de la grande allée arrive directement au Casino ap-pelé de Raphael, paree qu’il fut la demeure de l’immortel artiste. Plus loin se trouvent échelonnés au milieu des fontaines, des lacs etnbsp;des bosquets, le temple monoptère de Diane, 1’Hippodrome et le fa-Hieux Casino, jadis dépositaire des monuments de Panlique Gabies,nbsp;transports è Paris pendant l’occupation franfaise. A la chute denbsp;1’Empire, le prince Camille Borghese réclama vivement ces riches tré-sors, mais ses demandes furent écartées. II prit alors la résolulion denbsp;former un nouveau musée, qui sous plusieurs rapports rivalise avecnbsp;le premier.

Au milieu de ce paysage si riche et si varié, s’élève le palais, dont la description arlistique serait infinie. Dans les différents salons, tous

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108 LES TROIS ROME.

plus brillants les uns que les autres, on admire la tête colossale de Diane, d’un tra\ail exquis ; la déesse a les oreilles percées, indice desnbsp;boucles qu’elle porlait; la statue parfaitement drapée d’une prêtresse,nbsp;placée sur un autel sépulcral, avec l’épitaphe en vers grecs d’une cé-lèbre cantatrice nommée Musa; la téte de Vespasien en porphyre; lanbsp;statue de Cérès en marbre pentélique, de grandeur naturelle, regardéenbsp;comme la plus parfaite de loutes celles qui représentent la déesse desnbsp;inoissons; la statue d’Hercule, placée sur un grand sarcophage ornéenbsp;d’excellents bas-reliefs reproduisant les cinq premiers travaux dunbsp;demi-dieu : Ie lion de Némée, l’hydre de Lernes, Ie sanglier d’Éri-manthe, la Biche aux pieds d’airain et les Stinfalides percées denbsp;llèches; enfin, Ie fanieux bas-relief de i’éducation de ïélèphe, chef-d’oeuvre du temps d’Adrien, si délicalemenl travaillé, qu’on Ie pren-drait pour un camée. Les colonnes antiques des marbres les plus races,nbsp;les vases de bronze et d’albatre, les mosa’iques, les inscriptions, lesnbsp;peintures, les sculptures, mille autres objels aussi races que précieuxnbsp;abondent dans ce palais de/Muses et laissent Ie regret de ne pouvoirnbsp;tout décrire.

Rentrés en ville par la porte du Peuple et longeant Ie quai de Ri-petla, nous transportames notre admiration au delè du ïibre, a la villa Pamphili. Mémes richesses et móme variété que dans les précédentes.nbsp;Toutefois deux choses la distinguent el niéritent I’attenlion particu-lière du voyageur : les Colombaires et 1’llémicyclc. A droite de la première allée, on voit plusieurs colombaires, trouvés il y a vingt-cinqnbsp;ans. Cette découverte est précieuse, d’abord paree qu’elle indique bnbsp;ne pas s’y méprendrè la direction de la voie Aurélienne; ensuite pareenbsp;que la construction remarquablede ces monuments et leursnombreusesnbsp;inscriptions fournissent les plus intéressants détails sur les usages fu-néraires des anciens. Au centre de la villa est l’Hémicycle, environnénbsp;de jolies niches en marbre, d’oü jaillissent en murmurant de petitesnbsp;fontaines dont les eaux limpides tombent dans des vasques élégam-ment travaillées. Des bas-reliefs antiques et des statues lient les fontaines entre elles et forment autour de rhémicycle un cordon continunbsp;de chefs-d’oeuvre. Au milieu s’élève une magnifique rotonde, dans Ienbsp;fond de laquelle est une statue de Faune, qui joue de la flute. La villanbsp;tout entière, composée d’allées superbes, de bosquets, de jardins,nbsp;ornés d’un peuple de statues, de délicieuses fontaines, de plusieursnbsp;chutes d’eau, et d’une somptueuse habitation, n’a pas moins de cinqnbsp;milles de circonférence.

On ne serail pas embarrassé de trouver dans les environs dix autres

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PYRAMIDE DE CESTIUS. nbsp;nbsp;nbsp;'109

villas presqu’aussi intéressantes. Tel est, avec les oeuvres de charilé, Ie öoble usage que font de leur fortune les grandes families de Rome.nbsp;l'uisse l’esprit mesquin de Tindustrialisme ne jamais donner un autrenbsp;Cours k leurs richesses et è leurs gouts!

18 MARS.

Pyraniide de Cestius.— Explication archóologique de Ce monument. — Dictionnaiie des Siglcs. — Combien il est utile au vojageur en Italië.

Avant de franchir l’enceinte de Rome par la porte d’Ostie,on trouve, prés des murailles, un des monuments les plus importants et les mieuxnbsp;conservés de l’antiquité païenne, j’ai nommé Ie tombeau de Caius Cestius. R forme une pyramide quadrangulaire de cent treize pieds denbsp;hauteur sur deux cent soixante et seize de largeur au-dessus du sou-bassement. A l’extérieur, cette masse gigantesque est toute revêtue denbsp;plaques de marbre blanc, d un pied d’épaisseur, la statue de Cestiusnbsp;couronnait Ie mausolée. Aux deux angles de la facade occidentale s’élè-vent deux petitescolonnes cannelées, surmontées d’élégants cbapiteaux.nbsp;Elles furent trouvées et redressées par ordre d’Alexandre VII, lorsqu’ilnbsp;fit restaurer la pyramide. On trouva également deux socles de statuesnbsp;avec une précieuse inscription conservée au Musée du Capitole.

Pour comprendre Ie monument il faut étudier et I’inscription dont je viensdeparler, et celles qui sont gravées sur la pyramide elle-même,nbsp;et les peintures qui décorent la charabre sépulcrale. Void l’inscrip-lion capitoline :

M. VALERtVS. MESSALLA. CORVINVS.

P. RVTILIVS. LVPVS. L. JVNIVS. SILANVS.

L. PONTIVS. MELA. D. MARIVS.

NIGER. IIEREDES. C. CESTI. ET.

L. CESTIVS. QÜ.I;. EX PARTE. AD EV.M. FRATRIS. HEREDITASnbsp;M. AGRIPP.E. MVNERE. PERnbsp;VENIT. EX. EA. PECVNIA. QVAMnbsp;PRO. SVIS. PARTIBVS. RECEPER.

EX VENDITIONE. ATTALICOR.

QV«. EIS. PER EDICTVM. jEDILIS. IN. SEPVLCRVM.

C. CESTI. EX. TESTAMENTO.

EJVS. INFERRE. NON LICVIT.

fi.

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no nbsp;nbsp;nbsp;LES TROfS ROME.

d® Dans les quaire premières lignes elle nous fait connailre les cinq héritiers de Cains Gestius.

2® Dans les trois suivantes elle nous apprend qu’une partie de la succession de Cains Cestius revint h son frère Lucius, par la libéraliténbsp;d’Agrippa. Cette circonstance est doublement précieuse. D’abord, ellenbsp;rend témoignage amp; I’habitude ou étaienl les Domains de faire héritiersnbsp;d’une partie ou de la totalité de leur fortune les grands personnagesnbsp;de I’empire, quelquefois I’empereur lui-même. Cette conduite étrange,nbsp;mais qui point les moeurs du temps, avait plusieurs motifs. Chez lesnbsp;uns, c’était la flalterie; afin de s’attirer les bonnes graces d’un hommenbsp;puissant, ils le déclaraientpubliquementleur héritier. Tel fut ce Sextusnbsp;Pacuvius dont parle Dion, qui après des bassesses de tout genre pournbsp;capter la bienveillance d’Auguste, fit un jour annoncer a ce princenbsp;qu’il lui léguait toute sa fortune (i). Les autres avaient pour but d’as-surer a leur familie la protection de quelque grand personnage. Certains de la bonne foi de leur légataire, ils lui donnaient en fidéicommisnbsp;une partie de leur succession, afin qu’elle retourn^t aux héritiers qu’ilsnbsp;voulaient favoriser, mais que les circonstances ne permettaient pasnbsp;d’envoyer directement en possession.

Tel est dans l’inscription le cas de Lucius Cestius. La remise de la succession par l’héritier fiduciaire s’appelait une faveur, un acte denbsp;libéralité, comme l’expriment ces trois mots Agrippce munere perve-nil. Dans la réalité ce nom ne lui convenait que trop bien. La bonnenbsp;foi et le désintéressement étaient rares parmi les Domains du tempsnbsp;de l’empire; et comme aucune loi écrite ne forfait les héritiers fidu-ciaires a rendre la succession, il arrivait fréquemment que les intentions du testateur n’étaient pas remplies (2). Les abus devinrent sinbsp;criants, qu’Auguste chargea les consuls d’interposer leur autoriténbsp;pour faire accomplir les fidéicommis. Cette mesure fut insullisante,nbsp;et Claude se vit obligé de créer des magistrats spéciaux, prwtorcs (i-(^e*-commmam,pourveillerarexécutiondeces clauses testamentaires.

Ensuite les mots de l’inscription, Agrippw munere pcrvenit, ont encore l’avanlage de fixer l’époquc du tombeau de Cestius : ils nousnbsp;apprennent qu’il remonte au siècle d’Auguste dont Agrippa était lenbsp;gendre. Ainsi, nous pouvons juger, d’après ce monument authentique,nbsp;de l’architccture, de la peinture, du goüt et de la magnificence desnbsp;Domains dans leurs constructions funèbres.

(O Lib. 53.

(2) Quia, dit le sénatus-consulte Tribellius, nemo invilus cogebatur praistare id de quo rogatus erat; quia nullo vinculo juris, sod lantum pudore corum, qui rogabantur, con-tincbantur.

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EXPLICATION ARCUÉOLOGIQÜE DE CE MONÜMENT. lil

5“ Les lignes cinq, six, sept, huit, neuf et dix, révèlent d’autres par-licularités non moins inléressantes. Nous y voyons que Lucius Cestius consacra sa part de la succession fraternelle a édifier Ie monument denbsp;son frère; que les héritiers lirent Ie complément de la somrae nécessaire, en vendant les attaliques du défunt. On appelait attalica desnbsp;draps d’or, ornés de peintures i» l’aiguille, servant de courte-pointesnbsp;pour les lits, de tapis pour les tables ou méme de manteaux. Sous cenbsp;nora étaient encore compris les vètements précieux, tels que les lati-claves, la robe-prétexte, etc. Ces objets de luxe, auxquels Attale, roi denbsp;Pergame, avait donné son nom, étaient d’une valeur immense (i).nbsp;Toutefois les riches avaient coutume de les bruler avec Ie corps denbsp;leur propriétaire.

4» Les trois dernières lignes nous apprennent qu’un des édiles était particulièrement chargé d’empêcher cette dépense non moins ruineusenbsp;qu’inutile; que dans Ie fait il ne la permit point aux héritiers de Cestius; qu’en conséquence ceux-ci employèrent Fargent provenant de lanbsp;vente des attalica ii élever une statue a Cestius; enfin, que Fédile pou-vait même annuler la clause du testament qui ordonnait de livrer auxnbsp;flarames du bucher ces précieuses tentures.

5“ L’ensemble de Finscripüon joint ik Fexistence d’une statue qui devait être magnifique, afin de ne point déparer Ie superbe tombeau denbsp;Cestius, semble indiquer clairement Fénorme fortune de ce Remain etnbsp;surtout Ie nombre et la richesse de ses attaliques. Mais qui était Caiusnbsp;Cestius? L’histoire n’en dit rien; et nous serions réduits ii une ignorance complete, si la seconde inscription ne venait jeter quelques trailsnbsp;de lumière sur une existence qui n’a d’autre gloire que celle de lanbsp;tombe. Sur la fagade oriëntale de la pyramide on lit ;

C. CESTIVS. L. F. POP. EPVLO. PB. TB. PL. vu. VIR. EPVLONVM.

OPVS. ABSOLVTVM. EX. TESTAMENTO DIEBVS. CCCXXX. ARBITRATVnbsp;PONTI. P. F. CLA. MEL.E. IIEBEDISnbsp;A. POTUI L.

Ces paroles nous apprennent que Caius Cestius était fils de Lucius Cestius; qu’il était de la tribu Popilia, la vingt-septième du peuple ro-•tkain (2); que Ie surnom de sa familie était epulo, sans doute paree quenbsp;®stte dignité lui était souvent écbue; qu’il était ou qu’il avait été pré-teur, tribun du peuple, et enfin membre du collége des Septemvirs

(') Plin., lib. 37, c. i.

(2) Panvin., de r,eimb. Rom., lib. ji p. 248.

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J12 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.

Epulons. Ce collége était composé de sept prêtres chargés de prépa-rer les festins publics donnés en l’honneur des dieux, et de Jupiter en particulier, è l’occasion d’une victoire signalée ou d’une calamité pu-blique. Ces festins epula, s’appelaient encore lectisternia, paree qu’ilsnbsp;se donnaient dans les temples oü étaient les espèces de lits sur les-quels on déposait les statues des dieux.

Nous voyons ensuite que la Pyramide fut élevée en trois cent trente jours, d’après une clause du testament, et que Texécution et fut con-liée a Pontius Claudius Mela, héritier, et a Pothus, affranchi du dé-funt. Cette dernière indication fait comprendre que les personnagesnbsp;nommés dans la première inscription n’étaient héritiers qu’a titre particulier, tandis que Claudius Ie fut è titre universel; de plus, quenbsp;1’usage des Remains était de prescrire dans leur testament Pépoque ènbsp;laquelle leur lombeau devait être érigé (i); enfin, que dans cette cir-ccnstance la promptitude du travail fut véritablement merveilleuse.

Voilé pourl’exlérieur du monument. L’intérieurestégalement digne d’attention. Une petite porte donne entree é la chambre sépulcrale, oünbsp;l’on arrive après avoir franchi un massif de vingt-huit pieds. Lecaveaunbsp;lui-même a dix-huit pieds de long sur treize de haut et douze de large.nbsp;La voute et les parois sont ornées de peintures encore bien conservées.nbsp;On y voit des compartiments dont les lignes régulièrement iracéesnbsp;sont émaillées de distance en distance de quelques fleurs. Cette formenbsp;décorative se retrouve souvent dans les catacombes. Au centre desnbsp;carrés inférieurs, brillent quatre figures de femmes, et dans les carrésnbsp;ou plutüt les cumi supérieurs quatre Victoires ailées, tenant d’unenbsp;main la couronne et de l’autre Ie serlum, espèce de bandelelte servantnbsp;a retenir la couronne ou Ie diadème. Tout eet ensemble fait allusionnbsp;a la dignité et aux festins sacrés de Ceslius; car il est diliicile de nenbsp;pas y reconnaitre un lectisternium ou repas en l’honneur des dieux.

Des quatre figures de femmes deux sont debout; la première porte de la main droiie une aiguière de forme étrusque, servant é contenirnbsp;Peau lustrale. Sur sa main gauche repose un plat dans lequel on voitnbsp;quelques herbes et un de ces gateaux appelés placentum, mets ordi-naires dans les festins sacrés. Entre les mains de la seconde on voitnbsp;deux flutes longues, dont les auteurs nous apprennent qu’on faisaitnbsp;usage dans les solennités religieuses. Les deux dernières figures sontnbsp;assises : Tune tient un livre, sans doute pour rappeler les livres sibyl-lins qu’on ne manquait pas de consuUer dans les occasions impor-tantes, afin de connaitre Ie dieu auquel il fallait adresser des suppli-

(i) Cod. lex. XLiv, de Hcered. Instit.

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EXPLICATION ARCHÉOLOGIQÜE DE CE MONUMENT. dl;

cations ou des actions de graces; l’aulre est placée devant une table conde et représente Tattilude que les femmes tenaient dans les repasnbsp;sacrés ou domestiques : elles mangeaient assises, et les hommes eou-chés. On y voit de plus l’usage des Romains d’adorer assis. « Ils vou-laient par la, dit Plutarque, montrer Ie succès de leurs prières et lanbsp;durée des faveurs qu’ils avaient obtenues (i). » Dans les mêmes com-Partiments sont peints des vases dont la grandeur plus qu’ordinairenbsp;accuse la destination non aux repas des particuliers,mais auxfestinsdesnbsp;dieux; puis un candélabre, dont la présence indique les solennités nocturnes appelées percfg'i/m, si souvent célébrées enl’honneur des dieux.

Quant aux Victoires, elles sont lè pour dire dans quelle circonstance avait lieu les banquets servis par les Septemvirs épulons. Plausiblesnbsp;en elles-mêmes, ces explications me semblent confirmées par l’usagenbsp;universal de mellre dans les tombeaux tout ce qui pouvait rappelernbsp;la vie et les fonctions du défunt.

Riche d’intérét pour Parchéologue, la pyramide de Cestius ne Pest pas moins pour Ie philosoplie. Si tout ce qui est a sa raison d’élrenbsp;dans les eonseils de la Providence, et si toules les pensees de Dieunbsp;tendent au bien de Thumanité, on se demande : Pourquoi ce tombeaunbsp;uiagnifique élevé a un homme qui n’a laissé aucune trace dans l’his-toire? Pourquoi, a Ia difference de tant d’autres, réduits en poudre,nbsp;ce mausolée resle debout, dans un état étonnanl de conservation?nbsp;L’observateur chrétien ne s’y irompe pas ; Ie tombeau de Cestius estnbsp;un monument chargé de redire aux générations Texistence d’une loinbsp;sociale qu’il imporle de ne jamais oublier. II rappelle que tous les évé-uements heureux ou malheureux sont dans la main de Dieu; et quenbsp;Home, la maitresse du monde, était tellement convaincue de cette vé-cité, qu’elle avait établi un sacerdoce permanent, destiné ii fléchir ou

remercier la Divinité par des sacrifices publics, auxquels prenait part la cité tout enlière. Quand on songe ii l’aveuglement des nationsnbsp;^Ic notre siècle, on a deviné une des causes, que dis-je? la seule causenbsp;Peut-êtrepour laquellela Providence a conservé la pyramide de Cestius.

Voilé dans sa partie brillante Pbistoire du monument. Mais telles *I*ie furent et telles que soient encore sa magnificence et sa solidité,nbsp;ce tombeau a dü subir Faction du temps. L’urne qui contenait lesnbsp;cendres de 1’opulent Romain a disparu, ainsi que la statue qui cou-connait Fédifice. La pyramide elle-même demandait, il y a déja deuxnbsp;siècles, un protecteur intelligent qui réparét ses ruines et lui con-servét sa forme primitive. La main d’un pape lui rendit ce noble ser-

(*) In Numa.

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lU I.ES TROIS HOME.

vice ; elle l’a rendu ii tanl d’aulresl Au-dessous de la seconde inscription vous lisez :

INSTAVRATVM. AN. DOMINI. M. DC. IXIII.

Et Ie voyageur murmure, en bénissant Ie notn d’Alexandre VII.

Celte excursion dans les terres de l’archéologie nous parut fort intéressante; mais elle suppose plusieurs connaissances indispensables, entr’autres la manière de lire les inscriptions. Tout Ie monde sait quenbsp;dans l’écriture monumentale on Irouve une foule d’abréviations, quel-quefois une simple leltre pour indiquer un mot. A moins de possédernbsp;la clef de cette espèce d’biéroglyphes, il arrive amp; chaque instant d’etrenbsp;arrêté par des inscriptions indéchiffrables. On parcourt ainsi les co-lombaires, les obélisques, les arcs de triomphe, les musées sans intelligence, par conséquent sans utililé réelle et presque sans plaisir. Lanbsp;forme extérieure vous frappe, vous l’admirez peut-être; mais Ie monument lui-même est im témoin muet, un livre fermé qui ne vous ditnbsp;rien et que vous avez Ie regret de quitter sans l’avoir compris : je Ienbsp;dis pour l’avoir éprouvé plus d’une fois. Or, c’esl Ié tout ensemble unnbsp;malheur réel dont Ie voyageur sérieux a peine a se consoler, et unnbsp;malheur assez ordinaire, attendu que la connaissance des sigles n’estnbsp;pas, telle est du moins ma crainte, très-familière au grand nombre.nbsp;J’ai done cru faire une chose aussi utile qu’agréable en pla^ant a lanbsp;fin de mon Journal un dictionnaire explicatif des abréviations lesnbsp;plus ordinaires et des principaux sigles, avec des notions sur lesnbsp;usages, les dignités, les faits, dont Tintelligenee est nécessaire pournbsp;avoir une idéé nette de Tinscription et du monument qu’elle traduit.

Non loin de la pyramide de Cestius est Ie cimetière des Protestants. Ce voisinage a quelque chose de péniblement signilicatif. Pas plus sulles tombes de nos frères séparés, que sur Ie mausolée du prêlre païeii,nbsp;ne s’élève Ie signe chrétien de l’espérance! Or, quand la croix ne senbsp;montre pas debout sur les ruines de Fhomme, comme Ie grand métnbsp;au-dessus du vaisseau naufragé, ne faut-il pas craindre que tout n’aitnbsp;péri? Du reste, je rappellerai en passant que c’est en creusant Ie fossénbsp;d’enceinte aulour du cimetière protestant, que furent trouvés les pré-cieux fragments du plan en marbre de l’ancienne Rome.

Nous allions franebir la porte d’Oslie et nous acheminer vers Saint-^w\-hors-dcs-murs, lorsqu’en regardant nos monlres, il fut démontré que la pyramide de Cestius avail trouvé bon d’escompter a son profitnbsp;noire journée tout cnlière. Il fallut ballre en retraite; déja la nuitnbsp;descendait é grands pas des montagnes de la Sabine; elle nous en-veloppa de ses premiers voiles, lorsque nous rentrames en ville.

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rORTE TRIGEMINA. lis

19 MARS.

- Saints-

Porte Trigemina. — Chapelle de l’Adieu. — Saint-Paul-ftors-des-mios.

Viiicent-et-Anastase. — Saint-Paul-Trois-Fontames.

Reprenant la course de la veille, nous arrivames de bonne heure a la porte Saint-Paul. Appelée tour i tour Trigemina, Minucia, Nava-Ostiensis, k cause des trois Horace qui la traversèrent en allant aunbsp;combat; a cause de sa forme, de ses restaurations et des lieux oti ellenbsp;couduisait, elle a changê tous ces noms pour celui du grand Apótrenbsp;’lu’elle vit passer dans la circonstance la plus mémorable de sa glo-Pieuse existence. Lorsqu’il traverse sa double arcade, Ie chrétien a lanbsp;Certitude de marcher sur les pas de saint Pierre et de saint Paul. En-fermés dans la prison Mamertine au mois d’octobre, l’an 65, les deuxnbsp;A.pótres en furent tirés Ie 29 juin de l’an 66, pour aller ensemble aunbsp;Biartyre. Ils venaient de passer la porte Trigemina, lorsque les licteursnbsp;cxécutcrent l’ordre qu’ils avaient regu de les séparer. Pierre fut ra-inené au Vatican ou il trouva la croix, et Paul continua sa route versnbsp;les eaux Salviennes qu’il devait immortaliser par sa mort.

L’inspection des lieux rend d’abord difficile it comprendre, et eet ordre et l’itinéraire des deux prisonniers. Le Vatican et les eaux Salviennes sont aux deux points opposés de Rome, et en suivant la mêmenbsp;ligne, la prison Mamertine se trouve vers le centre. Pourquoi done nenbsp;pas séparer les prisonniers sur le seuil même du cachot, ou du moinsnbsp;au milieu du Forum, après la flagellation d’usage? Pourquoi cettenbsp;caarche et cette contre-marche? — D’abord, sera-t-il sans fondementnbsp;*le supposer que INéron ait voulu elfrayer les chrétiens et ceux quinbsp;*turaient voulu le devenir, en promenant par toute la grande Rome lesnbsp;*lcux chefs de la nouvelle religion, qu’il faisait conduireau supplice?nbsp;He plus, serait-ce calomnier Néron de dire qu’en faisant crucifier aunbsp;Vatican, oü était le palais impérial, le vieillard que les lidèles regar-daient justement comme leur patriarche, et qui les gouvernait depuisnbsp;''logt-cinq ans, ce prince voulut, comme il l’avait déja fait pour lesnbsp;efirétiens, se repaitre des tourments de celui qui était ^ ses yeux l’en-“emi capital de l’empire, et qui naguère avait allumé sa colère en occa-sionnant la mort de son demi-dieu favori, Simon le magicien (2)?

(6 Fogginio, De Romano divi Petri itinere et episcopatu, p. 08G.

1.1,


¦gt; p. 477, n. 9.


W Baronius pense que saint Paul fut conduit au dela de la porie Trigemina, paree que c’était le quarticr des pauvres, par con'scquent de la plupart des chrcliens; et saintnbsp;P'erre, surle Vatican, au dela du Tibre, paree que c’élail le quarticr des Juifs. An.

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116 I.ES TliOlS ROME.

Quoi qu’il en soit, les nombreux chrétiens qui suivaient les Apótres furent témoins de leur séparation, et un vénérable monument indiquenbsp;Ie lieu même oü elle s’accomplit. G’est une petite chapelle, située surnbsp;la gauche de la voie d’Ostie, a dix minutes environ de la porte Saint-Paul. Sur Ie frontispice on lit l’inscription suivante, écrite en vieuxnbsp;italien :

IN QVESTO LVOGO SI SEPARARONO S. PIETRO ET S. PAVOLO ANDANDO AL MARTIRIO ET DISSEnbsp;PAVOLO A PIETROinbsp;LA PACE SIA CON TECO FVNDAMENTOnbsp;BE LA CHIESA ET PASTORE BI TVTTInbsp;LI AGNELLI BI CHRISTOnbsp;ET PIETRO A PAVOLOnbsp;VA IN PACE PREDICATORE DE RVONInbsp;ET GVIDA DE LA SALVTE DE GIVSTI (l).

Ces lignes précieuses rendent témoignage a deux faits parfaitement distincts : Ia séparation des deux Apótres en eet endroit, lorsqu’ilsnbsp;allaient au martyre; puis les adieux qu’ils se firent en se quittant, pournbsp;ne plus se retrouver que dans Ie ciel. Le premier est attesté par lanbsp;tradition des siècles que perpétue la petite chapelle. Le second reposenbsp;sur l’autorité de saint Denis qui a pris soin de nous conserver lesnbsp;adieux apostoliques, sinon quant aux mots, du moins quant au sens (2).nbsp;Bien qu’il ne soit pas écrit dans l’inscription, il est un troisièrae faitnbsp;rappelé par la Chapelle de l’Adieu, auquel Ia tradition et l’hisloirenbsp;rendent également témoignage. Lorsque les deux vénérables vieil-lards (5) se furent embrassés pour Ia dernière fois, suivant l’usage desnbsp;chrétiens, et que chaciin eut pris le chemin de son martyre, Paulnbsp;apergut dans la foule une très-noble matrone, nommée Plautilla (r),nbsp;baptisée par saint Pierre. L’Apótre lui deraanda son voile afin de s’en-velopper la tête pendant l’exécution (s), en promeltant qu’il lui seraitnbsp;bienlüt rendu : elle Ie lui donna avec bonheur. Or la cbapelle indiquenbsp;encore le lieu oü s’accomplit eet acte de courageuse charité (e).

(1) nbsp;nbsp;nbsp;Dionysius, m Epist. ad Timotheum.

(2) nbsp;nbsp;nbsp;Voir, sur 1’auihenlicilc de cetle leltre de saint Denis, Fogginio, De Rom. divinbsp;Petri, etc. p. 25 et 26.

(3) nbsp;nbsp;nbsp;Saint Paul avait soixante-huit ans, S. Chrys. Oral, in Princip. Apostol.; et saintnbsp;Pierre etait encore plus age.

(4) nbsp;nbsp;nbsp;C’est la mere de sainte Flavie Domitille.

(5) nbsp;nbsp;nbsp;Tel etait I’usage chez les Domains. Josèpheetles Actesde saint Cyprien,etc.,etc.,nbsp;cn font 1'oi.

(6) nbsp;nbsp;nbsp;Baron. Ann. 1. i, p. 478, n. 10.

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SAINT'PAUL-IIORS-DES-MURS. nbsp;nbsp;nbsp;117

A la vue de cette vénérable chapelle on tombe a genoux, on prie, on airne, on bénit, et Ton ne se relève, que pour aller se prosterner denbsp;nouveau dans la Basilique peu éloignée de Saint-Paul-/iors-des-mMr’s.nbsp;Void, en effet, un des plus augustes sanctuaires de la Ville éternelle.nbsp;Saint-Paul-Aors-c^es-mwrs, une des cinq églises palriarcales, fut fondéenbsp;par Constantin a la prière de saint Sylvestre sur la partie d’une catacombe, appartenant ii sainte Lucine, OÜ le grand Apótre avait été en-soveli après son marlyre. Un rescrit des empereurs Valeniinien II,nbsp;Theodose et Arcade, daté de Pan 386, et conservé dans les archives dunbsp;Vatican, ordonne a Salluste, préfet de Ptome, de rebatir cette églisenbsp;aur un plan plus vaste et avec plus de magnificence. Tons les Souve-rains Pontifes se sont fait un devoir de conserver et d’embellir cenbsp;vénérable monument du christianisme. La Basilique était parvenuenbsp;Peut-êlre son plus haul point de magnificence, lorsque, dans la nuitnbsp;du IS au 16 juillet 1823, un incendie violent, occasionné, dit-on, parnbsp;1’imprudence d’un plombier, réduisit en cendres la plus grande par-tie de cet irréparable edifice. Sur-le-champ, Léon XII, de glorieusenbsp;tOeraoire, ordonna de le reconstruire : les Iravaux n’ont pas été inter-rompus, mais ils sont loin d’être achevés. Plusieurs princes sont venusnbsp;ou aide au Pontife. Les deux superbes monolilhes qui décoi’ent I’en-trée de la grande nef, ont été envoyés par le roi de Sardaigne, etnbsp;Méhémet-Ali a fait don de quatre magnifiques colonnes en albatre denbsp;ciuquante pieds de hauteur.

Telle est en quelques lignes I’histoire de cette Basilique; I'inventaire de ses richesses demanderait un volume entier. Le peu que j’en vaisnbsp;dire suffira pour faire comprendre et la générosité vraiment royale, etnbsp;la foi vive des siècles chrétiens, et la profonde vénération dont ils en-t'ironnèrcnt constamment le grand .Apótre. Suivant sa coutume, Constantin enrichit la nouvelle église d’une prodigieuse quantité de vases,nbsp;do flambeaux, de statues d’or et d’argent. Les impératrices rivalisè-rent de générosité avec les princes leurs époux pt leurs fils. Galla Pla-cidia, fille de Théodose, épouse de Constant et mère de Valentinien,nbsp;fit faire la superbe mosaïque du chceur qui existe encore. Aux maitresnbsp;du monde se joignirent les Souverains Pontifes et les particuliers. Lesnbsp;peintures, les tabernacles en argent, les pavés en mosaïque, le matro-neum, OU enceinte réservée pour les femmes, furent l’ouvrage desnbsp;papes Symmaque, Grégoire 11, Grégoire III, Adrien I, etc. Ce derniernbsp;cestaura encore le portique élevé par la piété des fidèles, depuis lesnbsp;uiurs de la ville jusqu’i l’église, c’est-è-dire sur une longueur de troisnbsp;'aulies. Bien qu’il n’existe plus depuis le dixième siècle, on peul,

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118 LES TEOIS ROME.

quand on a vu celui de Bologne, se former une idéé de la magnificence de eet ouvrage, digne par son caractère grandiose de la piété ro-maine.

ik'‘

La célèbre porie de bronze, une des merveilles de Sainl-Paul, fut faite Ji Constantinople en 1070, aux dépens du consul romain, Panta-léon. On y voyait en relief les Prophètes, les Apótres et les principauxnbsp;traits de leur vie. Cette porte fondue par l’incendie n’existe plus qu’ennbsp;morceaux. Heureusement que Ie fidéle Burin de Nicolaï en a conservénbsp;l’iraage; l’archéologie chrétienne n’aura pas tout perdu. Cent trente-deux colonnes soutenaient la Basilique et la divisaient en cinq nefs.nbsp;Vingt-quatre étaient de marbre phrygien, d’un travail exquis, d’ordrenbsp;corinlhien et cannelées dans les deux tiers de leur hauteur. Leur origine les rendait plus précieuses encore; elles provenaient ou du mau-solée d’Adrien ou de la basilique Émilienne au Forum. Les autelsnbsp;étaient ornés de trente colonnes en porphyre; les murs de la nef dunbsp;milieu, couverts de peintures du neuvième siècle et tous les compar-timents du pavé fails en marbres précieux. De tant de richesses, Pin-cendie n’a presque rien épargné : ce qu’il n’a pas détruit, il l’a plusnbsp;OU moins endommagé.

II faut excepter les objels suivants : les mosaïques de la facade, ouvrage de la fin du treizième siècle; Ie portique de l’église, orné de douze colonnes dont quatre en granit; la fameuse urne du troisièraenbsp;siècle, qui se Irouve sous Ie portique. Elle est couverle de bas-reliefsnbsp;d’un médiocre travail, représentant l’infidélité et Ie supplice de Marcia, l’apolhèse d’un poète tragique, et de petits génies montés sur desnbsp;navires qui entrent dans Ie port, symbole de l’autre vie. Enfin, lanbsp;grande mosaïque d’Honorius III continue de décorer I’abside dunbsp;cliffiur. Au milieu du transept s’élève l’autel principal, oü repose lanbsp;moilié des corps de saint Pierre et de saint Paul. Une partie des chai-nes du grand Apólre se conserve dans une chapelle voisine : j’en par-lerai plus tard. Autour de leurs chefs sont rangés une foule de martyrs et de saints de toute condition; en sorte qu’a l’égal des autresnbsp;basiliques de Rome, Saint-Paul-Aors-des-mMrs est un ciel sur la terre.nbsp;Vous avez, composant Ie cortége des deux Apótres, saint Timothée,nbsp;saint Mathias, saint Jacques-le-Majeur, saint Jacques-le-Mineur, saintnbsp;Barthélemi, saint Matthieu, saint Luc, leurs glorieux compagnonsnbsp;d’armes, dont les corps, en tout ou en partie reposent dans I’auguslenbsp;sanctuaire. Viennent ensuite les saints Pontifes Félix III, Sixte I,nbsp;Alexandre, Fabien, Grégoire; les grands diacres Etienne, Laurent,nbsp;Vincent; les martyrs Celse, Julien, Basilisse, Épaphras, Zénon, Victo-

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SAISTS-VINCEST-ET-ANASTASE. nbsp;nbsp;nbsp;H 9

*“10, Constance el Marcien; enfin les \ierges dont Ie front est ceint ^ une double couronne, Gaudence, Elvie, Diane, Satyre, Agnès, Jus-aecompagnées d’un grand nombre d’autres.

Quand il a rendu rhommage de sa foi, de sa gratitude et de sa con-^ance k cette auguste assemblée de frères, de soeurs, de protecteurs et modèles, Ie voyageur chrétien va se prosterner dans la chapelle dunbsp;Crucifix, devant Ie Christ tant de fois niiraculeux qui paria k saintenbsp;Brigitte; puis il entre dans Ie cloitre atlenant i l’église. , il étudienbsp;avec amour les gracieuses colonnettes des porliques, merveilles de Tartnbsp;ai moyen öge; puis les nombreuses inscriptions anciennes incrustéesnbsp;•^ans les murs par les mains habiles des bénédictins, è qui Ie pape Mar-V confia la garde de la Basilique.

lln mille plus loin, en suivant la route solitaire, tracée entre de ®oinbreux accidents de terrains, on traverse sur un pont étroit lesnbsp;Salviennes. La vue de ce ruisseau vous fait tressaillir, car ellenbsp;^“appelle vivement la mort du grand Apèlre. Bientót vous êtes en facenbsp;églises des Saints-Vincent-et-Anastase et de Sainte-Marie-Scala-qui, avec celle de Saint-Paul, ferment un triangle allonge, lei,nbsp;pèlerin catholique est tenté d’öter sa chaussure, tant la terre qu’ilnbsp;fouler est sainte. L’óglise 'des Saints-Vincent-et-Anastase a vu saintnbsp;^^ernard priant sur ses dalles, sacrifiant sur ses autels.

Vous demandez peut-être comment I’iHustne abbé de Clairveaux se trouvait en ces lieux? Batie en 62o par Honorius Iquot;, restaurée en 772nbsp;par Adrien Iquot;, rétidifiée par saint Léon et raagnifiquement dotée parnbsp;Charlemagne en 800, l’église de Saint-Anastase, avec Ie monastèrenbsp;'oisin, fut cédée en 1140, par Ie pape Innocent II, aux religieux denbsp;CUeaux. Le premier supérieur de la nouvelle colonie devint, queJquesnbsp;^Dnées plus tard, le pape Eugène III : ii cette double circonstance estnbsp;le voyage de saint Bernard. Le style roman doraine dans l’église denbsp;^aint-Anastase, empreint d’un caractère de pureté et de vigueur fortnbsp;^rtnarquables; les douze Apótres, fresques dégradées de Pgt;aphaël, or-öent les pilastres, et de nombreuses reliques enriohissent les autels.nbsp;C Orient et l’Occident y sont représentés, le premier par saint Anas-martyrisé en Perse, sous Chosroès; le second par saint Vincent,nbsp;gloire de I’Espagne : la plus grande partie de leurs corps sacrés réu-en ce lieu, est lè corame pour servir de témoignage è l’unité et iinbsp;catholicité de la foi.

Voici, quelques pas de distance, de nouveaux témoins, non moins dlustres, mais bien autrement nombreux : nous sommes è l’église denbsp;Sainte-Marie-Sc«la-Clt;BlL Sous vos pieds reposent dix mille deux cent

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120 nbsp;nbsp;nbsp;lES TROIS ROME.

Irois martyrs, donl Ie sang abreuva la terre que vous foulez. Ici est la catacombe de saint Zénon, sur la porte de laquelle on lit :

Hic reoüiescunt corpora

s. MARTÏRIS ZENOMS TRIBDNI ET SOCIORÜM MILITCJMnbsp;DECEM MILLICMnbsp;DDCENTORUM TRIÜM.

D’oü vient celte armee de martyrs? qui a fait un pareil carnage des chrétiens? C’est Ie même empereur, répond l’histoire, qui fit exter-miner dans les gorges d’Agaune la valeureuse légion Thébaine. Dio-clétien et Maximien, voulant surpasser leurs précédesseurs, firenl éle-ver, sur les crêtes de l’Esquilin, les Thermes somplueux qui portentnbsp;encore leurs noms. Quarante mille soldats chrétiens, condamnés auxnbsp;mines, furent employés è ce travail qui dura sept ans. Pour les récom-penser, les magnanimes empereurs firent égorger ces génércux athletes, OU sur Ie lieu même qu’ils avaient arrosé de leurs sueurs, ou surnbsp;Ie coteau du Concombre, ou enfin aux eaux Salviennes. Le neuvièmenbsp;jour de juillet de l’an 298, on vit descendre des hauteurs de l’Esqui-lin dix mille soldats désarmés, exténués de fatigues, et déja brisés denbsp;coups comme de vils esclaves; ^ leur têle, marcliaient Zénon, leurnbsp;tribun, et fes autres officiers ; ils franchirenl la porte Trigemina, sui-virent pendant quelqne temps la voie d’Ostie, puis tournant un peu anbsp;gauche, ils entrèrent dans le fond d’une vallée solitaire, et, parvenusnbsp;a l’endroit appelé Guttajugiter manans, ils furent tous égorgés lenbsp;même jour, puis enterrés par les chrétiens, leurs frères (i).

On se sent lellement absorbé par ce grand souvenir, que c’est a peine s’il reste assez d’attention pour examiner l’église. Réédifiée aunbsp;xvi“ siècle par les cardinaux Pierre Aldobrandini et Alexandre Far-nèse, elle est de forme octogone, et possède, è la voute du choeur, lanbsp;première mosaïque moderne oü le bon goüt s’allie aux richesses dunbsp;dessin et du coloris. Un jour, pendant que saint Bernard disait ici lanbsp;messe pour les morts, on vit une échelle miraculeuse, qui touchait de

(i) Repertus est omnium numerus decem millium ducentorum trium, qui omncs cum Zcnone tribune, qui inter eos dignitate excellere videbatur, extra urbem porta Trigemina ducti sunt; et in concavo vallis, in loco dicto GuUa jugiter manans, ad aquasnbsp;Salvias, ad unum omnes necat'i sunt septimo Idus Julii, quo celebri memoria annuatimnbsp;eorumdem triumphi dies natalis recolitur. — Baron. An. t. ii, p. 506, n. 17.

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SAINT-PAUL-TROIS-FONTAINES. nbsp;nbsp;nbsp;i 21

la lerre au ciel, el un grand nombre d’anges qui en montaient les de-; de la Ie nom de Scala-Ccdi, que celle église plusieurs fois re-a loujours conserve.

En sortant, Ie premier objet qui frappa nos regards fut Ie frontis-P'ce élancé de Saint-Paul-Trofs-Fontafnes, sur lequel brillaient, aux *'ayons du soleil, ces mols écrits en grandes lettres d’or ;

S. PAÜLI APOSTOLI MABTÏRII LOCCS CRI TRES FONTES MIRABILITER ERUPËRÜNT.

quot; Lieu du martyre de Tapètre saint Paul, oü jaillirent miraculeuse-***fint trois fontaines. »

Ai est en tremblant qu’on approche de ce vénérable sanctuaire; Ie *®laissement augmente lorsqu’on y pénètre, et surtout lorsque lesnbsp;^®§ards contemplenl les objets qu’il renferme. A Tangle de Téglise,nbsp;fnère une forte grille en fer, voici la colonne oü Paul était lié,nbsp;^üand la hache du licteur lui trancha la tête. Cette colonne, ou plutótnbsp;^ tron^on de colonne, est de marbre blanc et peut avoir cinq piedsnbsp;® Lauteur sur quatre de circonférence. L’autel du Saint, éloigné denbsp;*11elqug5 ggj jg colonnes de porphyre noir, uniques ennbsp;^’'andeur et en beauté. En venant au lieu du supplice, Paul availnbsp;'^Péré plusieurs miracles, entre aulres la conversion de trois soldatsnbsp;'1'** faisaient partie de Teseorte, Longinus, Austus et Megistus, mar-J isés trois jours après; ce n’était la que Ie prélude de miracles plusnbsp;S*'ands encore.

Eomtne Ie flambeau prés de s’éteindre jette une flamme plus vive, Paul, Tinfatigable prédicateur des Grecs et des Barbaras, expi-®ttt sous les yeux de Rome, rendez-vous de Tunivers, allait devenirnbsp;^_as briliaut et plus miraculeux dans sa mort que dans sa vie. Tel futnbsp;au au sommet du Calvaire; tel devait être son liéroïque Apótre. Lanbsp;au Ie con^oit. Avant de quitter Ie monde, devenu son disciple,nbsp;devait un miracle immense, éternel, qui résumiit, en les con-uiant, tous les prodiges de sa vie, et qui, perpétuellement visiblenbsp;yeux des générations, les affermit dans la doctrine de leur Maitrenbsp;jour de Téternité. L’Hisloire interrogée répond qu’en elfetnbsp;® Providence a déployé, dans la mort de Paul, toute la magnificencenbsp;grande loi.

lait

flui jaillit; la colonne, la lerre, Ie bras, la chlamyde du licteur

^ u Wie tombe; et deux miracles paraissent. Au lieu de sang, c’est

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122 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.

en sont inondés (i). La têle fait trois bonds; et des trois points du sol qu’elle a touchés sortent trois fontaines qui coulent encore. Elies sontnbsp;renfermées dans l’églisc, laissant entre elles quatre pieds environnbsp;d’intervalle, et eonservant chacune sa temperature différente (a).

Ce qu’on éprouve a la vue de ces eaux miraculeuses, ce qu’on éprouve en les approchant de ses lèvres, ce qu’on éprouve, ce qu’onnbsp;demande, ce qu’on désire après en avoir bu, il n’est pas un chrétiennbsp;qui ne Timagine; mais celui-lh seul peut Ie savoir qui a joui de cenbsp;bonheur. Après l’exéculion, Plautille enveloppa dans son voile la tètenbsp;de I’Apótre qu’elle vint déposer dans la catacombe de Lucine sur lanbsp;voie d’Ostie. Par les soins de Lucine, cette autre matrone, égalementnbsp;digne de nos temps héroïques, Ie reste du corps fut transporté dansnbsp;Ie mème cimetière (5). Pendant que cela se passait, Ie prêtre Marcelnbsp;donnait, a l’autre extrémité de Rome, une royale sépulture a Pierrenbsp;qui venait d’expirer sur les hauteurs du Vatican.

C’était assez de jouissances pour un jour; d’ailleurs, nous aurions cru profaner un pareil spectacle si nous ne fussions restés sous lesnbsp;impressions qu’il produit : nous rentrAmes a Rome en suivant denbsp;nouveau la voie qui avait conduit Paul au triomphe.

(1) nbsp;nbsp;nbsp;Res quidem adeo insignis non tantum ex diotis actis (apostolorum Petr. et Paul.),nbsp;sed ct aliis compluribus liabetur teslibus cunlirmat». Nam et S. Ambrosius, Serm. 68,nbsp;de re tam colebri et clara nee dubitatione aliqua obscurala his verbis meminit; « Denbsp;Pauli veróccrvice,cumeam persecutor gladio percussisset, dicilur fluxisse lactis magisnbsp;unda quam sanguinis et miriim in modum sanctum apostolum Raptismi gratia in ipsiUnbsp;esede exslilisse splendidum potius quam cruentum. Qusc quidem res in sancto Paulonbsp;stupenda non est. Quid enim mirum si abundat lacte nulrilor Ecclesia;?... ha:c estnbsp;plane promissionis illa terra, quam Deus palribus nostris promisit, dicendo; Dabo vobisnbsp;terram fluentem lac el mei. Non enim de bac terra locutus est, qua; dimananlibus aquisnbsp;eoenum involvit et utrumque permiscet; sed de illa turn Pauli, turn similium Pauli, quscnbsp;jugiter purum suavequo distillat. Qua; enim Pauli epistola melle dulcior, et lacte can-didior? quae epistola; tanquam ubera ecclesiarura populos enulriunt ad salulem. Denbsp;'cervice ergo Apostoli pro sanguine lac manavh. » Sed ct S. Joannes Chrysostomus,nbsp;ejusdem veritatis gravissimus assertor, sic alt: (Orat. in Priiic. Apost.)... ï Quails locusnbsp;tuum, Paulc, sanguinem excepit, qui lacteus apparuit iu ejus veste qui te percussil?nbsp;Qui quidem sanguis barbaricum illius animum reddens melle duldoretn, ut ipsc un»nbsp;cum soeiis ad fideni Iraduceretur, ita aflecit. » — Voyez Baron. Ann. 1.1, p. 478, H. 12.

(2) jBarOD. Ann. t. i, p. 478, H. 1.5.

(3) nbsp;nbsp;nbsp;ld. id. id. — On salt loutes les instances que fit,quatre siècics plus tard, l'impé-ralrice Constantine, pour obtenir de saint Gregoire le Grand ce voile precieux; onnbsp;connait aussi les lettres par lesquelles le ponlife s'excuse de ne le pouvoir donner,nbsp;altendu qu’il est toujours dans la tombe de Paul qu’un ne doit pas ouvrir. Epist.nbsp;lib. Ill, cp. 5.

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DIMANCHE DES RAMEAUS. 123

20 MARS.

l'imanche des Rameaux; Anecdote. — Arc de Drusus. — Voies Romaines.—Voie Appienne. — Basilique de Saint-Sébaslien.— Souvenirs. — In.scriplion. — Villa denbsp;Maxence. — Temple et Cirque de Romulus. — Tombeau de Caecilia Melalla. — Églisenbsp;tlu üomine, quo vadis? — Paroles de saint Ambroise et de Suarez.

Si dans la langue catholique, Ia semaine que nous comraen^ons ® ^ppelle justement la Grande Semaine, la Semaine Sainte; a Rome,nbsp;seroble mériter un autre nom : car nulle part dans l’univers elle

est aussi grande, aussi sainte. Elles sont grandes, sans doute, elles ®ent saintes les cérémonies qui durant ces jours mémorables s’accom-Plissent a Jérusalem sur Ie lieu même des événements; mais Jérusa-^ent est l’esclave des Turcs. Dans son étatde pauvreté et de desolation,nbsp;*Rielle pompe peut-elle donner ii ses augustes mystères? D’ailleurs,nbsp;^^fusalem n’a plus ni les Hols innombrables de pèlerins venus desnbsp;*luatre coins du monde, et dont la présence anime en les grandissantnbsp;*e.s fêtes de la religion; ni Ie Pontife suprème qui, du haut de sonnbsp;^vóne imraortel, bénit ses enfants après s’être prosterné leurs pieds;nbsp;*^1 la lance, ni la couronne, ni les clous, ni la colonne, ni la croix denbsp;^ Homme-Dieu, signes puissants qui remuent jusqu’è la dernière fibrenbsp;du coeur; ni tout ce magique ensemble de monuments et de souve-•'irs qui rappelant de leurs tombeaux les siècles païens et les sièclesnbsp;'^Wliens, les fait assister avec vous au drame du Calvaire, en mêmenbsp;'*5tnpsqu’il s’empare de toutes les facultés de l’ême, et tour ii tour lesnbsp;élève jusqu’ii la bonté d’un Dieu mourant, ou les abaisse jusqu’è lanbsp;**iélératesse du Juif déicide.

A.ussi, tous les voyageurs, je crois, s’accordent è dire que Ie bon-^6ur de voir les cérémonies de la Semaine Sainte, a Rome, suffit pour faire enlreprendre Ie voyage d’Italie. Inutile dès-lors d’ajouter quenbsp;^^ous saluémes avec une joie toute particulière Ie soleil qui allait ennbsp;eclairer Ie premier jour. A neuf heures nous étions au Vatican, pournbsp;assister è la bénédiction des rameaux. Naguère encore la cérémonienbsp;avait lieu a la chapelle Sixline; mais sur les instantes prières des nom-f*reux étrangers qui désiraient en ètre témoins, Grégoire XVI a décidénbsp;'1’ie désormais elle se ferait a Saint-Pierre. D’abord la vue de cesnbsp;Palmes artistement travaillées rappelle un intéressant souvenir.

Siste V avait résolu de faire élever sur la place de Saint-Pierre ^ obélisque de granit rouge, a moitié enfoui sous les décombres dunbsp;f-irque de Néron. L’opération fut confiée è Parchitecte Dominique

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124 LES TROIS ROME.

Fontana. Celui-ci avait disposé des cordes qui devaient insensible-ment ébranler Ie monolilbe, Ie soulever et Ie diriger sans accident pour les ouvriers, vers Ie point qu’il devait occuper. Le 10 septem-bre 1586 est choisi pour l’érection. L’architecte demandait un grandnbsp;silence, afin que l’on put entendre ses ordres. Sixte V fait publier unnbsp;édit par lequel il annonce que le premier spectateur, de quelquenbsp;rang, de quelque condition qu’il soit, qui proférera un cri, ou trou-blera l’opération, sera sur-le-champ puni de mort. Personne n’estnbsp;admis sur la place sans connaitre la rigueur de l’ordonnance. II estnbsp;bien convenu avec tous les assistants qu’on n’entendrait que le son denbsp;la trompette pour régler les mouvements, et le son des cymbales pournbsp;marquer les repos; la voix seule du directeur des travaux pouvait in-terrompre le silence universe!. Une telle contrainte ne coüte pas d’ef-forts è ce peuple si enthousiaste des arts, et qui, en beaucoup denbsp;circonstances, sait avoir quelque chose de la grandeur et de la digniténbsp;de 1’ancien peuple remain. Sixte V s’avance bien tót lui-même suivi denbsp;sa cour, et s’assit sur une estrade.

Les cordes mises en mouvement soulèvent l’obélisqüe, et portent cette masse d’un poids immense prés de la place disposée pour la re-cevoir. Le Pape encourage les ouvriers par des signes de tête et parnbsp;des regards étincelants de joie : encore un instant, et le hut est at-teint. Fontana parle seul, il commande une dernière manoeuvre. Toutnbsp;ü coup un capitaine de bótiment génois, nommé Bresca, natif de Sannbsp;Ilemo, dans la rivière de Gênes, crie du milieu de la foule, et d’unenbsp;voix retentissante : Aqua alle funi, « de l’eau aux cordes, » et aussi-tót il va se livrer aux gardes qui entourent l’instrument du supplice,nbsp;dressé k un angle de la place. Fontana regarde avec attention les cordes, il voit qu’effectivemeni elles vont prendre feu, se rompre, laissernbsp;tomber l’obélisque, et écraser les ouvriers : il ordonne qu’on mouillenbsp;les cordes rapidement. Bresca savait que les cóbles, placés verticale-ment, se resserrent lorsqu’on les mouille, et naturellement élèvent lenbsp;poids qui y est suspendu. II en arriva ainsi, et l’opération s’acheva aunbsp;milieu des applaudissements universels.

Le Pape tend les bras a Fontana; celui-ci court ó l’homme qui avait crié Aqua alle funi, l’embrasse, le conduit au Pape, a qui il de-mande sa grace. « II ne s’agit pas de grace, repartit Sixte V, il s’agitnbsp;de récompense; qu’il désigne lui-même la récompense qu’il veut! »nbsp;Bresca, qui savait que dans les jardins de sa ville natale on cultivaitnbsp;des palmiers, et que l’on venait y acheter des rameaux pour le journbsp;des Palmes, demanda, pour lui et ses descendants, le privilége de

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DIMANCIIE DES RAMEADX. 125

vendre au palais apostolique les palmes nécessaires pour la fète des Hameaux. TJn diplome qui accordait ce privilége fut délivré Ie lende-•tiain; de plus, Ie chef de la familie fut déclaré capitaine honoraire dunbsp;premier régiment, avec droit d’arborer Ie pavilion Pontifical a bordnbsp;son navire. La familie Bresca, illustrée par son aïeul, est encorenbsp;chargée aujourd’hui de fournir les palmes des Rameaux. Chaque annéenbsp;efie envoie un bailment qui les apporte a Rome, oü elles sont distri-fiuées avec les cérémonies d’usage (i).

Le Saint-Père descendit de ses appartements dans la Rasilique, et Se rendit è la chapelle de la Pitié oü l’attendait le Sacré Collége. Aprèsnbsp;s’être revêtu de ses habits sacrés, il monta sur la sedia gestatoria, etnbsp;s avanga vers la confession de Saint-Pierre, précédé, comme le jour denbsp;Noël, par les prélats et les cardinaux, et accompagné de l’étal-majornbsp;fle la garde noble. Autour du Saint-Père, les gardes suisses en grandnbsp;eostume portaient les épées flamboyanles des cantons catholiques :nbsp;*gt;oble usage qui semble dire que les fils de Guillaume Tell ont tou-jours dans les velnes du sang a verser, pour défendre Pimmortel gar-^iien de la liberté du monde. Après une courte prière devant la confession, le Souverain Pontife s’assit sur son tróne et reQut l’obédiencenbsp;•fes cardinaux, revêlus de la cappa violeUa. Des faisceaux de palmesnbsp;s’élevaient a droite et k gauche du tróne, laissant apercevoir sept ra-*öeaux fort distingués par l’élégance de leurs ornements : ouvrage desnbsp;^'eligieuses Camaldules, ces sept palmes étaient destinées k orner l’autelnbsp;la croix Papale. La bénédiction finie, le Pape se rassit et la distri-f*uiion commenga. Deboul après du tróne, le cardinal-doyen présentenbsp;•^rie a une les palmes au Saint-Père qui les donne successivement auxnbsp;•'erdinaux, aux palriarches, archevêques, évéques, généraux d’or-J^^’es, etc., et aux étrangers admis par billet du majordome. Celtenbsp;insigne faveur nous avail été accordée; et si le temps efface les impres-®ngt;ns, du moins la palme des Rameaux et le cierge de la Chandeleur,nbsp;^®?us de la main du Vicaire de Jésus-Christ, nous resteront comme denbsp;P*‘écieux souvenirs de ces moments solennels.

Pendant que les yeux sont fixés sur la raajestueuse cérémonie, l’óme tout entière aux souvenirs qu’elle retrace; pour les rendre plusnbsp;''•fs deux hautes-contre chantent Panlienne Pueri Hebrceorum, etnbsp;'ous croyez entendre les naïves acclamations des enfants de Jérusalemnbsp;^ecourus avec la foule au-devant du divin ïriomphateur. Vous assisteznbsp;'nus-même au triomphe : Ia procession commence, et le Vicaire de

1') Voyez Vie de Pie VU, par M. Artaud, etc.

T. III. nbsp;nbsp;nbsp;6

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I.ES TROIS ROME.

. 1’Homme-Dieu, porté sur son Iröne, descend la Basilique. Et Ie Gloria laus, et les autres chants catholiques mêlés aux plus expressives cérémonies retracent tout amp; la fois l’entrée de Notre-Seigneur a Jérusalemnbsp;et l’entrée du genre humain dans Ie ciel, dont la porie fermée s’ouvrenbsp;par la croix.

La procession revenue dans Ie choeur, Ie Saint-Père monte au tróne; les cardinaux quittent les ornements de leur ordre, reprennent leursnbsp;habits de choeur et leur cappa violetta : tout se prépare pour la messenbsp;célébrée par un cardinal-prétre. Le moment solennel de la Passion estnbsp;arrivé; el voici que trois prêlres chargés de redire les douleurs de lanbsp;grande Victime paraissent au milieu du choeur, portant l’aube etnbsp;l'étole diaconale : après avoir baisé les pieds du Saint-Père ils com-mencent le lugubre drame. Le prêtre qui chante le récit est un ténornbsp;5 la voix mamp;le et forte; le second, appelé ancïlla, est un contralto quinbsp;redit sur un ton pénétrant les paroles des témoins, des juges et desnbsp;bourreaux; les paroles du Sauveur sortent d’une basse profonde etnbsp;solennelle.

Ce chant au-dessus de tout éloge est a peu prés le même dans toutes les églises catholiques. Mais il est deux choses qui, au Vatican, ren-dent cette récitation dramatique, belle ou plutót magnilique : c’estlanbsp;justesse des voix et surtout le choeur. Toutes les fois que dans 1’his-toire de la Passion, la foule des Juifs, ou méme plusieurs personnagesnbsp;doivent parler ensemble, le choeur éclate en une harmonie simplenbsp;mais large, et pour ainsi dire compacte, et qui rend les paroles avecnbsp;une vérité saisissante. Ainsi, quand les Juifs s’écrient: « Crucifiez-le,»nbsp;OU bien : « Barabbas t » le chant, comme les paroles, est concis etnbsp;d’une énergie terrible; il n’a qu’une note pour chaque syllabe, etnbsp;dans les trois notes du dernier mot, un changement subit de ton pro-duit un effet dramatique. Ces morceaux d’ensemble furent coraposés,nbsp;en 1S85, par Ïhomas-Louis de Victoria, natif d’Avila, et contemporain de rimmortel Palestrina, qui n’y trouva rien k corriger ou anbsp;changer.

A rOlfertoire on chante pour motet une partie du Stabat de Palestrina, chef-d’oeuvre de palhétique et d’harmonie ; on ne l’enlend que ce jour-lamp;. Après Ia messe le Saint-Père debout sur son trónenbsp;bénit l’assistance; puis le cardinal célébraut proclame l’indulgence denbsp;trente ans, accordée par le Souverain Pontife aux fidèles présents ènbsp;roffice. Le cortége se remet en marche, et le Souverain Pontife rentrenbsp;dans ses appartements.

II avail été facile de nous convaincre qu’è Rome comme ailleurs, la

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ABC DE DRUSDS. nbsp;nbsp;nbsp;127

bénédiction des rameaux est une des cérémonies les plus populaires du catholicisme. De nos jours encore, on voit en France et même anbsp;Paris, la foule empressée de recevoir la palme bénite; la marchandenbsp;de la rue l’étale sur sa boutique, et Ie cocher de fiacre l’arbore ii sonnbsp;chapeau, tandis que l’enfant porte joyeusement a sa main Ie buisnbsp;merveilleux, chargé ce jour-la de pommes et de bonbons : a cela senbsp;borne malheureusement la piélé du grand nombre. Les populationsnbsp;d’Italie, chez qui Ie sens chrétien est moins affaibli, conservent avecnbsp;un soin religieux les rameaux qui leur sont distribués dans les diverses églises; elles les placent dans les lieux les plus apparents de leurnbsp;maison : ils sont pour elles non-seuleroent un pieux symbole de lanbsp;Passion du Sauveur, mais encore un souvenir de l’obligation qui leurnbsp;est imposée d’appeler chaque jour les bénédictions du Ciel et de senbsp;sanctifier, corame ont été sanctifiées ces branches de palmier par lesnbsp;prières de l’Église.

Pendant que Ie cardinal grand pénitencier se rendait a Saint-Jean-de-Latran pour y exercer les functions de sa dignité, nous étions en niarehe vers la Basilique de Saint-Sébaslien. Avant d’arriver a la portenbsp;Appienne, on passe sous l’arc de Drusus. Je ne dirai autre chose denbsp;ce monument, sinon qu’il fut élevé par Ie sénat en l’honneur de Néronnbsp;Claudius, qui re^ut en outre Ie litre de Germanique, conservé depuisnbsp;dans sa familie. Cet are, gravement endommagé, se compose de grosnbsp;quartiers de travertin et de deux colonnes de marbre africain d’ordrenbsp;•composite. Sur Ie couronnement est un reste de l’aqueduc de l’eaunbsp;Algentiana,que Caracalla fit conduiredu Mont-Algidusa sesThermesnbsp;A^ntonins. Ici commence la célèbre voie Appienne.

Sa solidité, sa largeur, son étendue, Ie nombre et la magnificence •Jes mausolées, dont elle était bordée a droile et a gauche, lui avaientnbsp;*ttérité Ie nom glorieux de Reine des routes, Regina viarum (i). Ennbsp;''oyant ses larges dalles que foulèrent successivement tous les grandsnbsp;Personnages de Rome païenne, Ie pèlerin catholique n’oublie pasnbsp;qu’elles furent aussi foulées par les pieds des Apótres et rougies dunbsp;Sang d’innombrables martyrs (2); puis il se demande pour quelle raison et par quel secret merveilleux les Remains donnaient a leurs ou-''*'3ges en général, et a leurs routes en particulier, cette solidité quinbsp;^^‘ave les siècles? People guerrier, les fils de Romulus durent attacbernbsp;haute importance a la construction des routes nécessaires 5 la cir-

(') Appia longarum terilur Regia viarum. Mart, ix, 104.

A chaque page de 1’hisloire el des marlyrologes, vous renconlrei unc phrase qui commence par ces mols : liontoe, via Appia, et qui finit par un marlyre.

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LES TROIS ROME.

culation continuelle de leurs armées; de lè les voies publiques aux-quelles sont reslés, comme souvenir de leur origine, les noms de Müitaires, Prétoriennes ou Consulaires. Telle est la réponse denbsp;l’Histoire. Sans la nier, la foi en ajoute une autre. Destiné a facillternbsp;la propagation de TÉvangile qui allait apporter au 'monde l’unité morale, l’empire Romain devait établir Tunité matérielle'de tous lesnbsp;peuples sous un sceptre eommun. Cette mission réclamait, entre au-tres choses, de grandes, d’innombrables voies de communication.nbsp;Rome était chargée de les ouvrir; et Ie spectacle que nous avions sousnbsp;les yeux nous montrait encore, après plus de deux mille ans, et lanbsp;justesse de cette réponse et l’énergique intelligence avec laquellenbsp;Rome sut accomplir une tache qu’elle ne comprenait pas. « Les voiesnbsp;publiques, dit un historiën témoin de leur magnificence, tiennent Ienbsp;premier rang parmi les monuments de la Ville éternelle (i). » On peutnbsp;encore en juger par Ie détail de leur construction.

Pour établir une route, on commen^ait par creuser Ie terrain h une certaine profondeur; puis on Ie nivelait en remplaf.ant avec un sablenbsp;fin et solide les parties de terre qui offraient peu de consistance. Lanbsp;forme ainsi creusée, on en réglait les pentes, et, dans Ie cas de rem-blai, Ie terrain était battu avec de lourds pilons ou foulé avec de grosnbsp;cylindres de fer qu’on roulait dessus. Venaient ensuite trois ou quatrenbsp;couches de ma^onnerie qui forrnaient une masse de trois piedsnbsp;d’épaisseur.

La première appelée Statumen, ou fondation, se composait d’une couche de mortier de chaux d’un pouce environ, sur lequel plu-sieurs rangs de pierres plates de dix pouces d’épaisseur, élaient scel-lées et jointes entr’elles par un ciment très-dur.

La seconde, Iludus, consistait en un lit de mortier, mélangé de cailloux de la grosseur d’un muf et de fragments de briques. On bat-tait forlement ce corroi avec des pilons ferrés, et quand il était biennbsp;foulé, réduit a dix pouces d’épaisseur, on établissait dessus Ie noyau,nbsp;Nucleus.

La troisième. Nucleus, était un mélange de chaux, de crale et de terre franche battus ensemble. Son épaisseur variait de cinq pouces anbsp;un pied.

Enfin la quatrième. Summum dorsum, Ie dos de la chaussée, ou

(i) Ego sane in tribus magnificenlissimis operibus Uoma!, et è quibus maxime apparent illius imperii opes, pene aquaaductus, viarum munitiones, doacarum slrucluraa, nequc id solum ad militatera ejusmodi operum respiciens, sedetiam adimpcndii sump-tuumquemodum. Dyon. Ilal. lib. m.

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VOIES ROMAINES. nbsp;nbsp;nbsp;129

Summa crusta, la croüte supérieure, était formée de granJes pierres plates, taillées en polygenes irréguliers, ou coupées ix angles droits.nbsp;Ces dalles, dont les plus grandes ont jusqu’a trois ou quatre pieds denbsp;‘liainètre, étaient un peu relevées vers leur centre et jointes ensemblenbsp;avec une telle précision, qu’aucun corps étranger ne pouvait y péné-Irer. Ainsi étaient dallées toutes les voies consulaires, jusqu’it cin-lt;luante licues de Rome. Au detó de ce terme, ou dans les provinces,nbsp;la Summa crusta était composée d’une couche de cailloux forlementnbsp;eimentée et épaisse de six pouces : c’était Ie mac’adara perfectionné.

Les voies étaient bordées a dróite et a gauche de deux pelits murs, ^argines, ou parapets en grosse pierre de taille, servant tout a la foisnbsp;de contrefort et de passage pour les piélons. Ces bordures avaientnbsp;lt;Iuinze pouces de haut sur vingt et un de large. De douze pas en douzenbsp;pas, s’élevaient des pierres un peu plus hautes avec quelques degrésnbsp;pour aider les voyageurs a monter en char ou a cheval. Enfin parais-saient les milliaires, grosses hornes de pierre ou de marbre cylindri-fiues ou carrées, hautes d’environ huit pieds, et indiquant les distances de Rome, de mille pas en mille pas, jusqu’a quinze lieues denbsp;la Ville (i).

La largeur ordinaire de la voie Appienne est de vingt-six pieds. Au Biilieu des marais Pontins elle en a jusqu’ii trente-six, afin de diminuernbsp;les dangers de ce passage; et au dela de Fondi, elle revient a vingt-sixnbsp;pieds. üne fois sortie des gorges d’Itri, elle continuait sur la mêmenbsp;largeur avec la même magnificence d’ornements et de constructionnbsp;jusqu’1» Brindes, port jadis célèbre, oü allaient s’embarquer Ia plupartnbsp;'les grands personnages qui partaient pour l’Orient. Sur leurs pasnbsp;ttous avions franchi YAlmon, petite riviere dans laquelle les prêtresnbsp;*le Cybèle lavaient chaque année la statue de la Déesse et les objetsnbsp;Servant h son culte ; ils en avaient besoin! La petite église du Do-quo vadis? s’était présentée sur notre gauche, sans avoir punbsp;ttous retenir ; Saint-Séhastien devait avoir notre première visite.

Bêtie sur les célèbres catacombes de Saint-Callixte, on croit cette Hflsilique d’origine Constantinienne. Restaurée en 367 par saint Da-t®ase, elle fut dédiée par Innocent F' è saint Sébastien quelepapeCaiusnbsp;ttomma Ie Dcfenseur de l’Église. Elle fut réédifiée en 16 H, par Ie car-•llnal Scipion Borghèse, dans Ie style de l’époque. La facade est ornéenbsp;'l un portique soutenu par six colonnes de granit; la nef ést large,nbsp;élevée, et se termine par un autel orné de quatre colonnes de vert an-

(') Tit. Liv. IX, 43; xli,22. Ciccr. deLegib.m,5. Bergicr, Grandscheminsdel’Empire, gt;'i 16 et IV, 40, etc.

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LES TROIS ROME.

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H''.

tique. Ce que nous remarquames Ie plus est un tabernacle de marbre blanc représentant l’Enfant Jésus debout sur une colonne, et entourénbsp;de deux saintes femmes. Le symbolisme chrétien pouvait-il exprimernbsp;plus vivement l’adorable myslère de 1’Eucharistie? La partie la plusnbsp;venerable de cette église est Ia Platonia ou locus ad catatumbas,nbsp;espèce de souterrain passablement éclairé, oü se Irouve un puits célè-bre dans l’hisloire. Jaloux de posséder les corps de saint Pierre et denbsp;saint Paul, qu’ils prétendaient leur appartenir en qualité de compa-triotes, les lidèles d’Orient avaient formé le projet de les enlever. Déjènbsp;ils étaient en possession de ce double trésor, lorsqu’un ouragan épou-vantable les obligea de Wcher prise; ils n’eurent que le temps denbsp;cacher les riches dépouilles dans ce puits oü elles restèrent long-temps (i). Prés de l’autel qui cache rorilice du puits, on voyait jadisnbsp;la chaire pontificale, rougie du sang du pape saint Etienne, égorgénbsp;dans ce lieu pendant la célébration des augustes mystères. Cette chairenbsp;est aujourd’hui a Pise, dans l’église des chevaliers qui portent lenomnbsp;du Ponlife martyr.

La chapelle qui se présente sur la droite, en entrant dans la Basi-lique, est un vrai trésor de reliques insignes. Je nommerai seuleraent les têtes des papes et martyrs, saint Callixte et saint Etienne; le fernbsp;d’une flèche qui perga saint Sébastien ; un antique calice de plomb,nbsp;contenant des cendres et des ossements du pape saint Fabien; et lanbsp;pierre qui porte l’empreinte des pas de Notre-Seigneur, lorsqu’il ap-parut i saint Pierre sortant de Rome pour éviter la mort. Elle y a éténbsp;transportée de la petite église du Domine, quo vadis? appelée aussinbsp;Sainte-Marie-ad-Passtts, ou delle Piante. Dans la chapelle Albani,nbsp;dédiée a saint Fabien, on vénère la tête du glorieux Pontife. A gauchenbsp;de la nef, en entrant, est la magnifique chapelle de Saint-Sébastien,nbsp;dont Faulel renferme le corps de Plllustre martyr. La belle statue dunbsp;Saint, en marbre blanc, est due au ciseau de Giorgetti.

Mais ce qui, dans la Basilique tant de fois vénérable, domine tous les souvenirs du voyageur et absorbe son Ame tout entière, c’est lanbsp;pensée de la célèbre catacombe creusée sous ses pieds. Je n’en dirainbsp;rien aujourd’hui, afin de ne pas anliciper sur notre voyage dans lanbsp;Rome souterraine. Qu’il suffise de rapporter l’inscriplion gravée présnbsp;de la porte supérieure des immenses galeries : elle dit au chrétiennbsp;que 174 mille martyrs et quarante-six papes reposent dans ces lieux,nbsp;après avoir remporlé la palme de la victoire et lavé leurs robes dans

(i) Baron. An, 1.1, p. 481, n. 21. — Je parlerai de cc lieu et de ce fait dans l'Histoire des Catacornbes,

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WSCRIPTION. nbsp;nbsp;nbsp;I 5 I

Ie sang de I’Agneau pendant la grande tribulation (i). Lue ii la lumière '’acillante d’une lorche résiiieuse, au moment de descendre dans lanbsp;¦vaste nécropole, cetle inscription produit un saisissement qu’il est ,jenbsp;crois, également impossible d’éviler et de rendre. Faut-il s’étonuernbsp;que l’église de Saint-Sébastien soit une des plus riches en indulgencesnbsp;et qu’elle compte parmi les sept Basiliques de Rome, donl la visitenbsp;est récompensée par d’immenses faveurs spirituelles?

Un peu au deli de Saint-Sébastien, on voit dans les vignes qui bor-dent la gauche de Ia voie Appienne, les ruines éparses de la somp-lueuse villa du tyran Maxeuce. A cette villa appartiennent Ie temple et Ie Cirque de Romulus. Exceplé un vaste souterrain soutenu par unnbsp;pilier oclogone, avec des niches pour les urnes sépulcrales, Ie premiernbsp;de ces edifices n’offre plus qu’un amas de débris plus ou moins in-formes : temple et tombeaux des dieux de fabrique humaine, il a périnbsp;comme ses divinités tutélaires. D’accord avec l’histoire, la traditionnbsp;nous apprend qu’il fut dédié l’an oH, par Maxence, a son fils Romulus : il en est de même du Cirque voisin. Le décrire serait répéter cenbsp;fiue nous avons dit en parlant du Circus Maximus; néanmoins il fautnbsp;le visiter. Les carceres, l’épine, le Pulvinarium y sont ii découvert,nbsp;ot dans un état de conservation qui met sous les yeux la forme et lesnbsp;proportions des Cirques anciens.

Rentrés sur la voie Appienne, nous fumes, en quelques instants, au pied d’un monument dont la masse imposante domine toute la Campagne romaine, il s’agit du Capo di Bove ou tombeau de Csecilianbsp;Metella. Ce gigantesque mausolée semble ne rester debout parmi tantnbsp;de ruines, que pour porlexjusquau del l’étcrnel témoignage de notrenbsp;^éant, et annoncer a l’étranger qui vient voir la cilé des Césars, quenbsp;pour relrouver l’antique maitresse du monde il faut désormais lanbsp;®hercher parmi les ruines et les tombeaux. Qui était Csecilia Metella?nbsp;1^’ille de Quintus Metellus, et femme de Crassus, voila tout ce que nousnbsp;savons; encore n’est-ce pas l’histoire qui nous l’apprend. A défautnbsp;gloire personnelle, cette femme voulut, comme Caius Ceslius etnbsp;•^omme tant d’autres, se faire une place dans la mémoire des sièclesnbsp;la magnificence de sa tombe. Elle a réussi : son mausolée est unnbsp;plus beaux et des mieux conservés de l’ancienne Rome. Qu’on se

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j52 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.

figure une tour ronde, de quatre-vingt-neuf pieds et demi de diamètre sur une hauteur proportionnée, posant sur un soubassement quadran-gulaire et toute formée d’énormes bloes de travertin, avec une cor-niche saillante et une frise ornée de têtes de loups et de guirlandesnbsp;de cyprès d’une bonne exécution. A l’intérieur est la cbambre sépul-crale, aujourd’hui comblée, oü fut trouvé Ie magnilique sarcophagenbsp;qu’on admire sous Ie porlique du palais Farnèse. Sur Ie cóté qui re-garde la voie Appienne, on lit l’inscription suivante, qui contient,nbsp;comme nous l’avons remarqué, toute l’histoire de Théroïne ;

CJEClhlM Q. CRETICI. F.

MEÏELL^. CRASSI.

Au-dessus de l’inscription est un bas-relief en marbre, représentant une Victoire qui écrit sur un bouclier les grandes actions de Crassusnbsp;et de Métellus. Bien qu’il soit de la fin de la Bépublique, Ie mausoléenbsp;de Csecilia offre du marbre dans quelques-unes de ses parties : cettenbsp;circonslance peut servir ^ riiistoire de Tart chez les Remains.

Après avoir jeté un rapide coup d’oeil sur Ie joli petit temple dédié au Dieu du Retour (i),nous arrivèmes, en reprenant la voie Appienne,nbsp;a l’église du Domine, quo vadis? Fondée aux premiers jours du chris-tianisme, cette petite église tour a tour restaurée et rebAtie, constatenbsp;un fait que Ie pèlerin catholique recueille avec amour. Saint Pierrenbsp;était depuis plusieurs mois enfermé dans la prison Mamertine, con-damné a mort et n’attendant pour être martyrisé que l’ordre de Néron.nbsp;Lesehrétiens éperdus, tremblant de perdre leur guide et leur père, ré-solurent a tout prix de Ie sauver. Soit qu’ils fussent secondés par Procésnbsp;et Martinien, devenus les disciples de l’Apötre dont ils étaient les geó-liers, soit qu’ils eussent recours é d’autres moyens dont Ie secret nousnbsp;échappe, toujours est-il, qu’ils parvinrent é tirer saint Pierre de sonnbsp;lénébreux cachot. Déja les remparts de la ville étaient franchis; et Ienbsp;prisonnier, que dis-je? Ie vainqueur de Néron et de Jupiter, marchait,nbsp;pour s’éloigner de Rome, sur cette même voie Appienne qu’il avaitnbsp;suivie, pour y entrer, vingt-cinq années auparavant.

Ce n’est pas que Pierre voulut éviter la mort; il savait que Ie sang des martyrs est Ie fondement de l’Église et une semence de chrétiens;

(i) Pline rapporte que les Uotnains consacrèrcnt un lemple i cette divinilé, en mé-moire de la retraite d’Annibal; maïs la place qu’il lui assigne ne peut convenir a l'édi-lice dont je viens de parler ; coramc tant d’aulres ruines, celle-ci est done incertaine.

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FRASCATI. nbsp;nbsp;nbsp;135

savaii de plus que la croix lui était réservée : mais ignorant si 1 heure était venue, il avait cédé aux larines des néophytes. Arrivé surnbsp;Ie lieu oü nous sommes, il aper^oit son divin Mailre venant a sa rencontre, chargé de sa croix. Pierre l’a reconnu, et il s’écrie ; Domine,nbsp;JMo vadis? « Seigneur, oü allez-vous? » — Venio ilerum crucifigi:nbsp;quot; Je viens pour être crucifié de nouveau. » Pierre comprit; et ren-tcant ü Rome, il attendit la croix sur laquelle Ie Rédempteur dunbsp;Wonde devait mourir, non plus en personne comme a Jerusalem,nbsp;Wais dans la personne de son vicaire (i).

Le paganisme vaincu, Ie monde pacilié et soumis ü 1’Évangile, tel fut, avec le temps, le fruit de la mort de Pierre et de ses collègues :nbsp;1’arc de Constantin, sous lequel nous passflmes bientöt, continue denbsp;le redire par ces deux mots immortels : Fundatori quietis.

21 MARS,

Frascati. — Villas. — Le cardinal Micara. — Tusculiim. — Grotta Ferrala.

Les grandes cérémonies de la Semaine Sainte, commencée le di-Wanche des Rameaux, ne continuent que le mercredi soir ; ainsi le lundi et le raardi sont deux jours de congé dont nous profitilmes pournbsp;visiter les environs de Rome. Le 21 mars k six heures du matin, deux

(i) Outre la tradition constante des lidèles de Rome, nous avons, sur ce l'ait, des •éaioignages écrits, enlre autres, celui de saint Ambroise; dans un discours centrenbsp;^axence, le grand Docteur s’exprime ainsi: lt;i Idem Petrus postea, victo Simone, cumnbsp;PVfficepta Dei populo semlnaret et doceret casümoniam, excitavit animos gentiliuin.nbsp;Qaibus eum quserentibus, Christiana; animse deprccata; sunt, ut paulisper cederel, elnbsp;lUamvis esset cupidus passionis, tarnen conlemplatione populi precantis inflexus est:nbsp;Wgabatur enim, ut ad insUtuendum, et confirmandum populum se reservaret. Quidnbsp;|bulta’ Nocte muro egredi coepit; et videns sibi in porla Christum occurrere, urbemquenbsp;’J'Sfedijait: Domine,quo vadis? Respondit Christus : Venio ilerum crucifigi. Intellexitnbsp;, atrus ad suam crucem divinum pertincre responsum. Christus enim non poteratnbsp;Rerum cruciligi; qui carnem, passione suscepla mortis, exuerat; quod enim mortuusnbsp;mortuus est semel; qnod autem vivit, Deo vivit; intellexit ergo Petrus, quod ilerumnbsp;^^liristus cruciligendus esset in servulo. Itaque sponle renieavit: interrogantihus ebris-hanis responsum reddidit; stalimque correplus, per crucem suam honoriiieavit Domi-'Jtm Jesum. — Bar. Art. 1.1, p. 477, n. G. Fogginio, Exercit. xvii, p. 404, etc., etc. — Anbsp;'occasion de ce fait il est bon de rapporter les remarquablcs paroles de Suarez quinbsp;^’appliqueni a toules les autres traditions romaines dont il est parlé dans les Troisnbsp;^'Orne: ,lt; Inter tradiliones qua; in Ecclesia inveniunlur, qu.-edam sunt universales toliusnbsp;“Ecclesia; calholicae; ali® parliculares quarumdam Ecclesiarum, ut exporientia con-

“ nbsp;nbsp;nbsp;.....Parliculares per se non sunt regulm iidei, nisi aliunde accedat Ecclesia; deii-

* nnio qua; iiiag approbet. Et ideo parliculares tradiliones Ecclesia; Romanm, ut est specialis episcopatus, sunt majoris auctoritatis; quia solentesse a Ponlificibus appro-“ bata;. s Df, iripi, ^irt, theol. Disput, v, sect. 4.

6.

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134 LES TROIS ROME.

voitures trottant au travers de la Campagne romaine, sur Tanlique voie Asinaria, transportaient a Frascati notre petite caravane. Lesnbsp;gigantcsques arcades de l’aqueduc de Claude, courant sur une longueur de plusieurs milles, jalonnaient notre route au milieu du dé-sert: bientöt on coupe la voie Latine. Sa direction se fait reconnaitrenbsp;aux ruines des tombeaux échelonnées sur ses bords ; lugubre spectaclenbsp;que vienl assombrir encore l’ombre du farouche Tolila; ce terriblenbsp;ravageur de Rome avail ici son camp. Les ruines que Ton voit parlentnbsp;de lui, comme la porte par laquelle nous venions de sortir rappelle etnbsp;la trahison des soldats isauriens préposés i sa garde, et Fentrée è jamais lamentable du barbare vainqueur.

Deux heures de marche suffisent pour conduire au pied de la gra-cieuse montagne sur Ie versant de laquelle est située la petite ville de Frascati : Tusculum, qu’elle remplace, en occupait la cime. Cettenbsp;derniére ville, détruiteen 1191 par les Romains et les Tiburtins, donnanbsp;naissance ii Frascati, qui est aujourd’hui Ie siége du troisième évêchénbsp;suburbicaire. Toute la cöte est émaillée de villas délicieuses, oü lesnbsp;Romains viennent chercher, sousl’épais feuillage des oliviers sauvagesnbsp;et des chênes verts, un abri prolecleur centre Ie soleil de juillct etnbsp;centre les fièvres d’automne. Parmi ces habitations royales se distin-guent les Delizie Aldobrandini, Taverna, Conti, Bracciano : les deuxnbsp;premières apparliennent è la familie Borghèse. Jardins, cascades, jetsnbsp;d’eau, points de vue, objets d’art, tout se réunit pour en faire un sé-jour enchanteur. Dans la villa Aldobrandini on admire une vastenbsp;pièce, resplendissante de fresques du Dominiquin, au milieu de laquelle s'élève Ie Mont-Parnasse en relief. La poétique montagne estnbsp;habilée par des musiciens en bronze qui mêlent Ie son de leurs instruments au bruit des eaux dont la chute les anime. La villa Continbsp;fait admirer son escalier royal, la Ruffina son architecture du Bemin,nbsp;et la Montalto, sa voute peinte par l’école du Dominiquin.

Entre nos excursions dans la montagne et notre ascension 5i Tusculum, vint s’intercaler fort k propos un diner qu’assaisonnèrent une faim de carême et de piquants débats avec les üniers de Frascati. Denbsp;père en fils, ces hauls et puissants seigneurs sont en possession denbsp;conduire les étrangers k Tusculum, et do leur louer des anes ou desnbsp;mulets pour faire Ie voyage; c’est leur industrie, et ils en ont Ie mo-nopole. Qu’on juge si Ie forestiere qui arrive est soigné, entouré,nbsp;pressé d’accepter Thonneur d’êlre servi! Mais Ie taux du service!nbsp;voil^ ce qui naguère encore n’était pas tisé; et il ne l’était pas, pareenbsp;que nul n’avail osé Irancher cette question délicate; done il élait arbi-

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LE CARDINAL MICARA. nbsp;nbsp;nbsp;155

Iraire, c’est-i-dire exorbitant. II a fallu Ie cardinal Micara, pour oser Ie limiter au maximum d’une piastre; l’Italie en a été slupéfaite : c’estnbsp;'in vrai coup d’État. Nos parlementaires invoquèrent done Ie tarif, etnbsp;Dioyennant la promesse d’une bonne main supplementaire, les intéressants quadrupèdes nous furcnl assurés : il nous en fallait quatorze.

Pendant qu’on les préparait, nous visitames Ie palais épiscopal, ‘bustré au dix-huitième siècle par Ie cai’dinal d’York, Ie dernier desnbsp;Stuarts; ensuite la catbédrale dédiée a saint Pierre, oü Ton voit quel-9ues monuments de l’ancienne familie royale d’Angleterre; enfin lanbsp;bemeure du cardinal Micara, évêque actuel de Frascati. A Tangle de lanbsp;place voisine de la catbédrale est un bMiment de chétive apparence

de médiocre dimension. 11 renferme Ie grand séminaire et Ie petit ^éminaire; car Tévêché de Frascati ne compte guère que six mille dio-résains. Un élroit et pauvre escalier conduit a une antichambre quinbsp;sert de salie a manger. Lh étaient assis autour d’un poêle italicn deuxnbsp;domestiques en livrée, suivant Tétiquette. Une simple porte en planches nues nous séparait de la chambre du cardinal Micara, la gloirenbsp;du Sacré Collége, théologien, jurisconsulte, administrateur et Ie plusnbsp;grand orateur de Tltalie.

Représentez-vous un vieillard de soixante-sept ans, de taille moyenne, broite et bien prise; avec des cheveux blancs bien fournis, et une ma-gnifique barbe, blanche comme la neige, descendant vers Ie milieu denbsp;la poitrine; un oeil de feu, étincelant dans sa profonde orbite, ombra-gée par d’épais sourcils régulièrement arqués; un large front carré,nbsp;bes lèvres minces et roses, sur lesquelles erre toujours un sourirenbsp;b’une finesse et d’une gr^ce inexprimables; contemplez ce vieillard,nbsp;Ce prince de TÉglise, que tant de voeux appellent k 1’honneur de lanbsp;Rare, vêtu de la bure grossière des capucins, assis sur une mauvaisenbsp;chaise de bois composant, avec une petite table couverte de papiersnbsp;ct un petit lit sans rideaux, élevé d’un pied au-dessus du sol, tout Ienbsp;raobilier de cette unique pièce tour è tour salon, cabinet d’étude etnbsp;chambre a coucher : représentez-vous tout cela, et vous aurez vu lanbsp;Personne, Ie palais et Tameublement de Tillustre et saint cardinal.

Fils d’un fermier de Frascati, frère d’un fermier de la même ville, homme admirable n’a point voulu habiter Ie magnifique palais denbsp;®cs prédécesseurs. « Les grands appartemenls me font peur, nous di-®®it-il en souriant; et puis, je me trouve ici au milieu de mes enfants.»nbsp;Fn effet, son séminaire est sa familie, il en est Ie directeur el Ie père;nbsp;^ais sa sollicitude s’étend au dehors. Quoique pauvre, et très-pauvre,nbsp;'I trouve, avec ses huit cents piastres de revenu, Ie moyen de faire

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156 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.

faire des routes, de batir un höpital, d’établir un mont-de-piété, d’ou-vrir des écoles, oü il conduit lui-même par la main les enfants qu’il rencontre dans les rues : c’est Ie type ressuscité du père de l’É-glise. Aussi les habitants de Frascati sont fiers de l’avoir pour évêquenbsp;et pour concitoyen : II nostro, disent-ils en parlant de lui; et dansnbsp;leur juste estiine ce mot-1^ dit tout. Son Éminence nous paria en très-bon francais de la France, oü elle nest jamais venue, mais qu’ellenbsp;connait comme si elle n’en étalt jamais sortie; elle s’exprirae sur lesnbsp;grandes questions qui agitent non-seulement notre patrie, mais l’Eu-rope enlière, avec cette fermeté de jugement et cette hauteur de vuenbsp;qui caractérisent tout ii la fois Fhomme pratique et l’homme de génie.

Comment Fhumble capucin fut-il tiré de l’obscurité de sa celluie? Quelle main a placé la lumière sur Ie chandelier? L’élévation du cardinal Micara est une preuve entre mille, qu’è Rome la science et lanbsp;vertu sont, plus que partout, la route assurée des honneurs. C’était ennbsp;1824; Ie père Micara prêchait a Rome en presence de Léon XII. Avecnbsp;toute la liberté de 1’Évangile et toute l’éloqucnce de sa parole, il fitnbsp;entendre d’utiles vérités è l’adresse de quelques-uns de ses auditeurs.nbsp;On Ie comprit; et les personnages intéressés vinrent porter plainte aunbsp;Souverain Pontife, en Ie priant de rappeler h l’ordre Ie témérairenbsp;prédicateur, et au besoin de lui imposer une sévère pénitence ; Ienbsp;Saint-Père promit de faire bonne justice. Quelques jours après, lésnbsp;mécontents demandèrent h Léon XII s’il avail tenu parole, et puninbsp;comme il Ie méritait l’audacieux capucin. « Si, si, répondit Ie Pape.nbsp;— Quelle pénitence votre Sainteté lui a-t-elle donnée? — Je 1’ai faitnbsp;cardinal. »

La bénédiction du vieillard porte toujours bonheur; après avoir sollicité et regu celle du vénérable Pontife, nous partimes pour Tus-culum. Entre deux bordures de lauriers de vingt-cinq pieds d’éiéva-tion, on arrive par une pente douce è la Ruflinella. Cette gracieusenbsp;villa, propriété de Lucien Bonaparte, a été achetée par la reine douairière de Sardaigne. Quelques pas plus loin s’onvre une voie romainenbsp;dont les dalles usées témoignent qu’elles ont porté les chars d’illustresnbsp;personnages : entre autres de Cicéron qui avail ici une de ses demeu-res, de Caton originaire de Tusculum, de Lucullus dont la villa con-lenait, au dire des censeurs scandalisés, plus d’espace è balayer qu’anbsp;cultiver (i). Au milieu des ruines éparses de tous cótés sur Ie sol, onnbsp;croit reconnaitre 1’emplacement el les debris de la maison de l’orateur

(0 Plin. lib. XVIII, c. 6.

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TUSCULUM. nbsp;nbsp;nbsp;137

roinain, immortalisé dans Ie monde classique par la composition des Tusculanes. Voyez pourtant la distance qui sépare la plus haute rai-son païenne de la plus faible intelligence chrétienne! Quelle ame bap-bsée accepterait et Ie mobile des actions, et la régie des moeurs, et lanbsp;i'écompense de la vertu préconisée par Cicéron? C’est ici ii ïusculumnbsp;que s’adressant la question ; « Qu’est-ce que la gloire? » Ie grandnbsp;Philosophe répondait : « La gloire est un bien réel et solide, et nonnbsp;pas une ombre trompeuse; un concert d’éloges donnés a la sagesse;nbsp;la voix désintéressée des bons juges qui célèbrent Ie mérite éclatant;nbsp;1’écho, la plus belle récompense de la vertu. La gloire seule nous dé-dommage de la brièveté de la vie, par Ie souvenir de la postérité; ellenbsp;öous rend présent aux lieux oü nous ne sommes plus, elle nous faitnbsp;'dvre au-delé du trépas; elle est enfin comrae Ie degré qui élève lesnbsp;liommes au rang des immortels (i). »

Après avoir rattaché toutes les espérances de rhomrae a une chi-®aère aussi vaine que la gloire, Cicéron essaie de donner un guide a aes actions, une consolation é ses douleurs. G’est alors qu’il s’écrie,nbsp;les mines de la villa semblaient retenlir encore de ses paroles : « 0nbsp;philosophic! seule capable de nous guider! 0 toi, qui enseigne lanbsp;''ertu et chasse le vice, que serions-nous sans toi, et tons les hommes Inbsp;Tu as enfanté les villes; tu as inspire aux hommes épars I’amour denbsp;la société; tu leur as fait rapprocher leurs deraeures, contractor desnbsp;'Hariages, inventer une langue et une écriture communes; tu as dicténbsp;les lois, formé les moeurs, civilisé les peoples. Je cberche un asile au-Peés de toi; j’implore Ion secours; content jusqu’ici de suivre ennbsp;Partie tes lemons, aujourd’hui je me livre igt; toi tout entier. Eh! a quellenbsp;Puissance aurions-nous plutót recours qu’^ la tienne, pour nous donder la tranquillite de la vie, et nous óter la terreur de la mort (2) ? »nbsp;Le jour, I’heure peut-être ou Cicéron écrivait ce fastueux éloge denbsp;la gloire et de la philosophic, mères de la vertu, Brutus, ami de Ci-adorateur de la vertu, die de la philosophic et de la gloire, senbsp;®uicidait aux champs de Philippes en s’écriant ; « Vertu maudite, tunbsp;u es qu’un mot; vain fantóme, ou vile esclave de la fortune, sois a ja-®aais le partage de mes ennemis. »

En chevauchant sur nos faciles montures dans les grottes de Cicéron, dans les Thermes, dans le Théétre, dans les aqueducs et la citadellenbsp;de Tusculum, nous étions parvenus au point culminant du plateau,nbsp;eucombré de ruines mécounaissables. De lii, I’oeil embrasse tout le paid Tuscul. Ill, 2; la même pensee se relrouvc dans le discours Pro Ulilonc, 53.

Id Tuscul. Y, 2.

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i38 LES TBOIS HOME.

norama de la Campagne romaine. Ravie de ce grand et solennel spectacle, notre caravane partit a regret pour GroUa-Ferrata. Par un pri-\ilége exclusif, l’Italie offre ^ chaque pas Ie saisissant contraste des gloires du paganisme et du clirislianisme. Dans une grotte fermée parnbsp;une grille de fer et voisine de Tusculum, se trouvait, au moyen age,nbsp;une statue miraculeuse de Marie : les fidèles, en grand nombre, y ve-naient en pèlerinage. Autour de la grotte s’éleva en l’an 1000 un mo-nastère de Basiliens. Un jour, les religieux virent arriver un vénérablenbsp;vieillard qui demandait a passer Ie reste de sa -vie parmi eux. C’étaitnbsp;saint Nil, la gloire de Ultalie, l’admiration des rois, Ie fondateur denbsp;plusieurs monastères en Calabre.

Le saint homme avait pris la fuite, en apprenant que Ie prince de Gaëte n’altendait que sa mort pour enlever ses reliques. Lorsqu’il ha-bitait encore le Mont-Garan, l’empereur Othon III vint le visiter etnbsp;lui offrit un emplacement pour batir un monastère. « Demandez-moi,nbsp;ajouta le prince, tout ce qu’il vous plaii’a, mon père, je vous l’accor-derai avec joie. — La seule chose que je vous demande, lui dit le saintnbsp;en lui mettant la main sur la poitrine, c’est que vous pensiez au salutnbsp;de votre ftme. » Saint Nil mourut a Grotta-Ferrata en lOOS. Sonnbsp;corps repose sous l’autel. Dans les fresques immortelles qui décorentnbsp;l’église du convent, le Dominiquin a représenlé la visite de l’empe-reur Othon, la resurrection d’un enfant, et d’autres traits de la vienbsp;du saint anachorète. Le monastère conserve encore le souvenir de Til-lustre Bessarion, qui vint y chercher un asile après la prise de Constantinople. Nos hommages rendus è la Vierge miraculeuse, nous primes en toute hate la route de Palestrine. Le village de la Colonna, lenbsp;lac Régille, les ruines de Gabies, n’eurent qu’un rapide coup d’mil :nbsp;la nuit enveloppait l’antique Préneste lorsque nous y entraraes.

22 MARS.

Palestrine. — Souvenirs de Pie VI. — Subiaco. — Tivoli. — Calliédrale. — Souvenirs de sainte Symphorose. — Temple de Vesta, — de la Sibylle. — Villa de Mécène. — Lesnbsp;Cascatelles. — Villa de Varrus ou Madonna del Quintigliolo. — Grotte des Sirènes.—nbsp;Villa d’Este. — Villa d’Adrien. — Tombeau de la familie Plaulia. — La Solfatarre. —nbsp;Ponte Mammolo. — Rentree a Rome.

Pour les villes et pour les royaumes, aussi bien que pour les indi-vidus, il est des moments solennels qui décident de leur avenir : Pré-nesle en offre un mémorable exemple. Fiére de son origine bien anté-rieure celle de Rome, fiére de ses murailles cyclopéennes, fiére

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PALESTRIHE. 159

surtoul de son temple de la Fortune, oil I’Empire romain lout entier venait consulter le Sort (i), la cilé Latine jouait depuis longtemps unnbsp;Fóle élevé sur la scène du monde; mais l’heure de sa décadence ap-prochait. Divisée entre Marius et Sylla, Rome était en feu el y mettaitnbsp;loute rilalie. Préneste prend parti pour Marius. La hauteur de sesnbsp;murs, la force de sa citadelle la font choisir par le Ills de Marius pournbsp;son asile et son camp retranché. Sylla se présente a son tour; la villenbsp;est prise, le vainqueur égorge les habitants, et l’antique cité descendnbsp;dans une tombe sanglante d’oü elle n’est jamais sortie. Le vainqueurnbsp;a beau rétablir sur des bases plus larges, et avec une magnificencenbsp;nouvelle, le temple de la Fortune; vains efforts : le prestige est passénbsp;pour toujours. II nous semble qu’il en devrait être ainsi. Le momentnbsp;approchait oü l’oracle éternel de la vérité, la vérité même allait parlernbsp;au monde; et dans la destruction de Préneste, donjon séculaire oü lenbsp;père du mensonge régnait comme au Capitole, le chrétien attentifnbsp;voit briller Faction divine qui avance d’un pas l’ceuvre de la prépara-tion évangélique.

Palestrine n’offrant d’autre intérêt que celui des souvenirs, nous la quittftmes de fort bonne heure pour nous rcndre ii Subiaco. Subiaco!nbsp;quel charmant pèlerinage! comme tout y parle ü l’imagination et aunbsp;coeur! quelle jouissance pour le voyageur francais de trouver, dansnbsp;cette poétique solitude, des religieux qui parlent sa langue comme ilnbsp;la parle lui-même, et qui, sans Favoir jamais vu, le chérissent et lenbsp;resolvent comme des frères! Subiaco fut la première retraite de saintnbsp;Benoit; on peut dire qu’il y jeta les bases de son immortel institut,nbsp;et depuis treize siècles, les fils du vénérable patriarche gardent avecnbsp;un religieux respect le berceau chéri de leur nombreuse familie. Ilsnbsp;sont divisés en deux monastères, celui de Saint-Benoit et celui denbsp;Sainte-Scholastique. Avec quel amour ils nous montrèrent le Sacronbsp;Specco, caverne mystérieuse, oü leur père vécut longtemps, commenbsp;Ignace a Manrèze, comme Moïse au désert, préparant avec Dieu lesnbsp;grands desseins 'qu’il devait exécuter! Une belle statue y représentenbsp;Je Saint, absorbé dans la méditation; a cóté de lui est une corbeille,nbsp;souvenir de celle qu’employait saint Romain pour passer a son maitrenbsp;Une frugale nourriture. Ailleurs, voici le grand crucifix dans lequelnbsp;r^t enchassé celui que portalt Fillustre fondateur.

Au convent de Sainte-Scholastique, Farcbéologue trouve les riches-ses dont les Bénédictins furent partout les créateurs ou los gardiens.

(0 Cicer. De Divinat., lib. n.

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140 LES TROIS ROME.

C’est un cloitre du dixième siècle, un autre du treizièmc, une sacristie du seizième; de précieux manuscrits avec enluminures, ainsi que lesnbsp;editions Princeps des ouvrages imprimés a Subiaco, les premiers quinbsp;Ie furent en Italië. De la bibliothèque nous descendimes è l’église pournbsp;vénérer les saints martyrs Audax et Anatolie, dont les corps reposentnbsp;sous Ie maitre autel. Des anges de la prière et des martyrs, veillantnbsp;depuis tant de siècles dans cette solitude sanctifiée par la presence dunbsp;patriarche des religieux en Occident, tout cela est un mystère denbsp;grftce, une harmonie providentielle dont Ie secret nous fut donnénbsp;quelques pas plus loin : Ncron et ses dignes successeurs avaient icinbsp;leur villa. Partout la souiliure, puis la purification; et la seconde tou-jours en raison directe de la première. Tivoli nous offrira bienlöt Ienbsp;même contraste. En quitiant Subiaco, un autre souvenir se présentenbsp;au voyageur. Ici, comme aux marais Pontins, Pie VI s’est montré mo-narque intelligent et magnifique. La superbe église de Saint-André,nbsp;les papeteries, les grandes forges et d’autres établissements d’utiliténbsp;publique, furent son ouvrage. Aussi un are de triomphe en marbre,nbsp;placé a l’entrée de la ville, perpétue la raémoire du bienfaisant Pon-life. Noble tribut de reconnaissance et d’amour, qüel amer rapprochement tu inspires au voyageur francais! Saint martyr, oubliez Valencenbsp;et sa citadelle; Vicaire du Dieu qui embrassa tous les hommes dansnbsp;son immense charité, priez pour Ie peuple fidéle qui vous éleva desnbsp;monuments de gloire, priez aussi pour Ie peuple aveuglé qui vousnbsp;donna des fers.

Dans Ia pittoresque vallée qu’arrose l’Anio aux ondes limpides, court en serpentant la jolie route de Tivoli. Les chevaux remains vontnbsp;vite, et bientót nous aperf/ümes l’antique Tibur : grotte des Sirenes,nbsp;cascatelles, souvenirs d’Horace, souvenirs de Varus, souvenirs de Ca-lulle, souvenirs de Ia Sibylle, souvenirs de Mécène, souvenirs de saintenbsp;Symphorose et de ses sept fils; voila de quoi intéresser l’artiste, l’ar-chéologue et Ie chrétien. Malgré sa population de sept mille dmes,nbsp;Tivoli ressemble plus h un village qu’a une ville; les rues sont irrégu-lières, montueuses, les maisons, ii quelques exceptions prés, d’unenbsp;médiocre apparence. Le grand Hotel de la Reine eut Thonneur denbsp;nous donner l’hospitalité, et l’on ne devinerait pas quelle fut Ia première chose qui s’olfrit a nos regards en montant l’escrdier du premiernbsp;étage. Sur un tronc fixé a Ia muraillc, nous lümes en très-bon francais : Aumónepour la Propagation de la foi dans les deux mondes.nbsp;Avec une joie toute francaise, mêlée d’un grain d’orgueil national,nbsp;chacun de nous s’empressa d’y déposer son apostolique olfrande.

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TIVOLI. nbsp;nbsp;nbsp;141

L’oeuvre de la Propagation de la foi, établie dans la cité de Mécène, Salluste et d’Horace, n’est-ce pas un curieux monument du trioni-Phe du christianisme?

Tivoli en offre bien d’autres. La cathédrale, dédiée è saint Laurent, batie sur les ruines du temple de Neptune, dont on voit encore lanbsp;*^6lla et les portiques. Ge temple est célèbre dans les annales du mar-^yre par des fails dont il est nécessaire de connaitre I’histoire, si Tonnbsp;'’eut visiter avec intelligence et respect le lieu qui en fut le théétre.nbsp;Adrien venait d’achever les édifices de la somptueuse villa que nousnbsp;''isiterons dans quelques heures; suivant I’usage ils furent dédiés aunbsp;*tiilieu des pompes religieuses et des sacrifices. Le superstilieux vieil-iard voulut connaitre la durée de ses superbes palais, el les Dieuxnbsp;'onsultés répondirent : « Une veuve chrétienne retirée a Tibur nousnbsp;fprme la bouche. Elle s’appelle Symphorose, elle est mère de sept Ills;nbsp;®i elle nous offre de l’encens nous répondrons. »

L’empereur se fait amener la noble matrone, épouse et belle-soeur de Gétulius (i) et d’Amatius, généraux de ses armées, déjii marlyrisésnbsp;pour la foi. Promesses, menaces, tout est employé pour la determinernbsp;ü Un acte d’idolatrie. Vains efforts! Adrien, la prenant alors par l’en-droit le plus sensible, lui dit ; « Sacrifiez aux Dieux ou vous sereznbsp;''ous-même sacrifiée avec vos sept enfants! — Serai-je assez heureusenbsp;Pour étre sacrifiée buit fois a mon Dieu! — Ge n’est pas ü ton Dieu,nbsp;Reprit l’empereur avec colère, c’est aux miens que tu seras sacrifiée.

Vos Dieux ne peuvent me recevoir en sacrifice; je ne suis pas une ''ictime pour eux. » Alors Adrien ordonna de la conduire devant Ienbsp;teiiipie d’Hercule; de lui meurtrir le visage ia coups de poing, de lanbsp;^ttspendre par les cheveux, et, après l’avoir cruellement battue denbsp;^®*’ges, de la précipiter dans l’Anio. Gésar, la haine t’aveugle, et pour-tu as raison ; il fallait que les eaux oü se baignaient les courtisanes de Tibur, fussent purifiées par le corps sanglant d’une chré-**enne. Le lendemain, l’empereur fait planter sept poteaux autour dunbsp;tenaple d’Hercule, on y attache les sept Ills de l’illustre Matrone, etnbsp;*nus expirent dans des tortures dont la cruelle variété fait frémir (a).

Tel est le premier événement qui saisit le voyageur sur le seuil du

b),Ou Zolicus.

Ces glorieux martyrs sont appelés dans I’histoire les sept JSiothuncitcs^ c est~a-dire “torts de mort violente. Entcrrés par les chrétiens sur la voie Tihurtine, ils furentnbsp;Iransportés a Rome par le pape Étienne, dans 1’cglise de Saint-Ange-in-Pesc/ura ounbsp;‘Is reposent encore. Prés de leur tombe nous avons lu l’inscription suivante ; Ilicnbsp;’^gviescvnt corpora sanctorvm martijrvm Symphorosce, vlri svi Zotici et filiorvm ejvsnbsp;o Stephana papa translata.

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142 LES TROIS ROME.

temple : en voici un second. Cette terre que vous foulez a bu Ie sang d’un autre chrétien vraiment digne de son nom. II s’appelait Gene-rosus; et ce nom qu’il avait illustré dans la carrière des armes, il l’anbsp;rendu immortel par sa mort. Depuis quinze siècles il triomphe au lieunbsp;même oü il a vaincu ; son corps glorieux repose sous l’autel, non loinnbsp;de saint Quirinus, autre martyr de Tibur, et de l’illustre Sympborosenbsp;dont il était bien juste de conserver ici quelques reliques.

De la catbédrale nous passamp;mes au temple de Vesta. Sur la pointe d’un rocber qui domine la grande cascade de l’Anio et donne sur unenbsp;vallée profonde, s’élève un gracieux édifice, de forme circulaire, sou-tenu par dix colonnes de travertin délicatement cannelées et surmon-tées d’une corniche festonnée. Ses murailles revêtues intérieurementnbsp;et extérieurement de petits polygones de tuf irréguliers, son architecture irréprocbable, tout annonce que eet édifice est de la meilleurenbsp;époque. Mais quelle fut sa destination? Les savants ne sont pas d’ac-cord; l’opinion en fait un temple de Vesta. Quoi qu’il en soit, il peutnbsp;offrir au dessinateur Ie premier plan d’un charmant paysage.

Moins incertaine est la science, lorsqu’elle attribue è la Sibylle Ie petit temple, voisin du précédent. 11 forme un carré long soutenu parnbsp;quatre colonnes ioniques de front, et peut avoir trente pieds de longueur sur quinze de largeur. Bien que eet édifice, devenu l’église denbsp;Saint-Georges, n’ofïre presque rien d’intéressant sous Ie rapport denbsp;l’art antique, il est toutefois impossible d’y pénétrer sans se rappelernbsp;Ie célèbre oracle attribué è la Sibylle. Per^ant la nuit des Ages, l’oellnbsp;d’Albunea voit une grande lumière, et sa bouche proclame la gloirenbsp;d’une jeune vierge, mère d’un Dieu, né dans les champs de Beth-léhem :

Vivax ipsc Deus dedit hiec mihi numina fandi Carmine quo sanctam potui monstrare Püellam,

Condpiet quae Nazareis in finibus ilium,

Quern sub carne Deum Bethlemilica rura videbunt:

O nimium lelix coelo dignissima mater,

Quae tantam sacro lactabit ab ubere prolem (lt;)!

En descendant par Ie flanc occidental de la colline, on arrive bien-töt a la villa de Mécène. Étrange vicissitude! La magnifique demeure du favori d’Auguste est aujourd’hui une forge. Ses murs de marbre,nbsp;aux compartiments dorés, sont dégradés ou noircis par une fumée séculaire. Dans les atria oü se promenaient les élégants sybarites de lanbsp;cour impériale, vont et viennent des forgerons è demi nus; et les salles

(i) Voyoz Canisius, de Maria deipara Virgine, lib. ii, c. 7, p. 147.

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VILLA DE MÉCÈNE. nbsp;nbsp;nbsp;143

^'rillantes oü résonnaient les accords d’une musique voluptueuse, ne ''ópercutent plus que Ie bruit assourdissant de vingt marteaux qui re-Iwndissent sur I’enclume. Sous les larges portiques de la villa denbsp;Méeène passait la voie Valeria, et une ancienne inscription montrenbsp;qu’elle formait une galerie couverte, a l’instar sans doute de nos pas-*3ges parisiens. Continuant de la suivre jusqu'au bas de Ia montagne,nbsp;oous traversftmes Ie fleuve sur un petit pont en bois, afin de gagnernbsp;Ie coteau opposé et de jouir de la vue des cascatelles. On en comptenbsp;huit, en y comprenant la grande cascade. Dans leur chute d’unenbsp;'ï'oyenne hauteur, elles forment sept larges nappes dont la hlancheurnbsp;^e lait tranche vivement sur Ie vert gazon de la colline, et produit Ienbsp;plus gracieux coup d’oeil. A tnesure qu’on s’élève sur Ie coleau, onnbsp;ï’encontre des ruines dont Ie nom même est perdu. Qui sait avec cer-fitude oü était la royale villa du chevalier roinain Manlius Vopiscus, sinbsp;**iagnifiquement chantée par Stace (i); celle de Catulle, Ie licencieuxnbsp;Poète; celle de Salluste, Ie rapace proconsul; celle d’Uoracelui-même,nbsp;fiu’il avait cru immortaliser par ces vers?

Laudabunt alii claram Rhodon, aul Mylilenen, etc. (2)?

Plus heureuse est la villa de Quintilius Varus. Érudit, cicérone, simple herger, tous savent en montrer la place et les débris. D’oü lui vient privilége? Serait-ce que la céléhrité du malheur est plus durablenbsp;fiue celle de la gloire? Appelé du gouvernement de la Judée au com-®uandement de l’armée romaine en Germanic, Varus se laissa surpren-'^•’e par Arminius, et perdit avec la vie les plus belles légions de l’em-P*Pe. Varus, qu’as-tu fait de mes légions? Ce cri déchirant qu’Augustenbsp;cessait de répéter, a la nouvelle du désastre, semble retentir plusnbsp;^urt autour de la villa de Varus et la protéger comme l’anathème pro-^•^ge un lieu funeste. Mais non; Ie véritable conservateur de ces ruinesnbsp;^élèbres, c’est Ie sanctuaire de Marie qui les couvre de son ombre,nbsp;^eur nom, mèlé ü celui de l’auguste Vierge, les rendra désormais immortelles : la villa de Varus s’appelle la Madonna del Quintigliolo.nbsp;Nous y trouvames, prosterné devant l’antique image de Marie, un jeunenbsp;PAtre dont Ie troupeau de chèvres blanches paissait aux environs, sousnbsp;*0 garde du chien fidéle. Ce spectacle inattendu nous rappela soudainnbsp;visite que M. de Chateaubriand avait faite h cette chapelle solitaire,nbsp;01 nous associa délicieusement aux sentiments qu il exprime.

(O Carmen. 111.

(s) Od. VI, lib. 1.

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J44 LES TROIS ROME.

Comme lui nous avions passé Ie Teverone sur Ie pont Lupo, pour rentrer A Tivoli par la porte Sabine; comme lui nous avions traversénbsp;Ie bois de vieux oliviers; comme lui, enfin, nous étions dans la petitenbsp;chapelle blanche, dédiée i la Madonna Quintigliana. « G’était un

dimanche, dit Tilluslre écrivain..... un seul homme, qui avait l’air

très-malheureux, était prosterné auprès d’un banc; il priait avec tant de ferveur qu’il ne leva pas même les yeux sur moi au bruit de mesnbsp;pas. Je sentis ce que j’ai mille fois éprouvé en entrant dans une église,nbsp;un certain apaisement des troubles du coeur, comme parlent nosnbsp;vieilles bibles, et je ne sais quel dégout de la terre. Je me mis a ge-noux amp; quelque distance de eet homme, et inspiré par Ie lieu, je pro-nongai cette prière : Dieu du voyageur, qui avez voulu que Ie pèlerinnbsp;vous adorèt dans eet humble asile bati sur les ruines du palais d’unnbsp;grand de la terre! Mère de douleur, qui avez établi votre culte denbsp;miséricorde dans l’héritage de ce Romain infortuné, mort loin de sonnbsp;pays dans les forêts de la Gernaanie! nous ne sommes ici que deuxnbsp;fidèles, prosternés au pied de votre autel solitaire. Accordez a eet in-connu, si profondément humilié devant vos grandeurs, tout ce qu’ilnbsp;vous demande; faites que les prières de eet homme servent a leur tournbsp;a guérir mes infirmités, afin que ces deux chrétiens qui sont étrangersnbsp;l’un a l’autre, qui ne se sont rencontrés qu’un instant dans la vie, etnbsp;qui vont se quitter pour ne plus se revoir ici-bas, soient tout étonnés,nbsp;en se retrouvant au pied de votre tróne, de se devoir mutuellementnbsp;une partie de leur bonheur, par les miracles de la charilé. »

Entre la villa de Varus et la porte Sabine, on se trouve en face de la grotte des Sirenes et de la grande cascade de l’Anio. Le fleuve dé-bouche d’un rocher percé naguère par les ordres de Grégoire XVI, etnbsp;tombe avec fracas dans un gouffre profond, d’oü il ressort en écu-mant, pour couler ensuite tranquillement dans la vallée. Un monument élevé au Souverain Pontife consacre la reconnaissance des habitants pour ces utiles tra vaux qui mettent la ville a l’abrides inondations.nbsp;Afin de pouvoir dire que nous n’avionsrien oublié, nous fimes, avantnbsp;de quitter Tivoli, une excursion amp; la villa d’Este. Voir une maison,nbsp;des jardins, des fontaines, jadis magnifiques et aujourd’hui délabrés;nbsp;se rappeler le cardinal Hippolyte d’Esle, fondateur de la villa, et lenbsp;Tasse qui regut ici une noble hospitalilé; tel est ü peu prés le seulnbsp;avantage de cette visite.

Sorlis par la porte Sainte-Croix, nous laissémes bientót la voie Ti-burtine, pour nous rendre é la villa d’Adrien, située sur la gauche, dans la Campagne romaine. Je ne m’arrêterai point h décrire cette

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\'1LL\ d’ADRIEN. nbsp;nbsp;nbsp;i45

S*gantesque demeure de l’un des maitres du monde. Pour donner une gt;dée de sa magnificence, il suffit de dire que la villa d’Adrlen est plusnbsp;Scande que Pompéi : elle a sept milles au moins de circonférence. Denbsp;®iême qu’il avail pris Ie modèle de son tombeau sur les édifices lesnbsp;plus remarquables de la Grèce et de TEgyple, Adrien voulut réunirnbsp;‘lans sa villa les lieux et les monuments les plus célèbres, dont sesnbsp;‘’untinuels voyages lui avaient donné connaissance. On y trouvait Ienbsp;l^ycée, l’Académie, Ie Prytanée, Ie Pécile, Canope et les temples denbsp;^^rapis, la vallée de Tempé, les théütres, les principaux temples de lanbsp;l^rèce et de l’Égypte, sans oublier les Enfers (i).

Mais pour embellir la demeure de leur roaitre, Rome, Athènes, Co-*‘lnthe, Alexandrie, étaient devenues veuves de leurs artistes fameux; 1’Orient et l’Occident avaient fouillé loutes leurs mines d’or el d’ar-Sant,- toutes leurs carrières de marbre, d’albalre, de porphyre et denbsp;^asalte. Vanité des hommes et de leurs projets! au lieu d’êlre un sé-jour de délices, ce lieu ne fut pour Adrien qu’un théètre de souf-l^fauces. II y trouva Ie gerroe de la maladie qui Ie conduisit au lom-^aau; et l’on dirait que tous ces monuments, représentant lesnbsp;‘1'fférentes parties du monde, ne s’élaient donné rendez-vous quenbsp;pour faire assister l’univers enlier aux angoisses, aux colères, auxnbsp;‘’ages sanguinaires du vieil empereur. De la partirent les fatales sen-'ances qui conduisirent a la mort, et sainte Symphorose avec ses septnbsp;et Ie vieillard Servianus, la gloire de Tempire, el même l’impé-aatrice Sabina (2). Adrien lui-même, obligé de se donner un succes-**eur è Tempire, quilta promptement ce séjour somplueux et s’en alianbsp;'nourir a Baïa.

Telles étaient d’ailleurs les richesses accumulées dans cette villa, Tu’elles ferment, malgré tout ce qui a éié perdu, une par tie considé-aable des musées de Rome, et que Ie salon de Canope au Capitole estnbsp;aenipli presque exclusivement des statues égypliennes et des objetsnbsp;^Ppartenanl au culte de Sérapis, trouvés dans la demeure impériale.

a ce chef-d’oeuvre du luxe et de Topulence colossale du maitre du '“ande, que reste-t-il ? A part les casernes des gardes prétoriennes, centonbsp;Caruerefie, et les murs pantelants de je ne sais quels édifices ; théiUres,nbsp;'hermes, palais, bibliolhèques, portiques, tout n’est plus qu’un amasnbsp;‘aforme de débris entassés pêle-méle sur un sol accidenté, couvert denbsp;‘‘onces et habité seulement par des lézards veris et d’autres repüles.nbsp;Au moment oü nous parcourions ce vaste champ de ruines, un pauvre

- Sparlian. in Adrian.

(*) Et ut nihil prjetermilleret, eliam inferos finxit. -(s) ld. id.

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m LES TROIS ROME.

paysan Ie traversait en silence ; il conduisait un ftne chargé de longs roseaux, destinés a soulenir les ceps d’une vigne plantée dans la nau-machie impériale.

Regagnant la voie Tiburtine, nous nous arrêtèmes devant Ie mau-solée de la familie Plautia, Ie temps nécesssaire pour lire quelques inscriptions. Je citerai seulement celle de Tiberius Plautius Silvanus,nbsp;compagnon de Claude dans la guerre Britannique. Pour la forme etnbsp;les proportions, ce tombeau ressemble beaucoup i celui de Ca3cilianbsp;Metella. Singulière destinée des sépulcres Remains! Ceux que je viensnbsp;de nömmer servirent de forteresse pendant les giierres civiles du moyennbsp;Sge; et Ie mausolée d’Adrien est encore la citadelle de Rome.

Bientót une forte odeur de soufre, accompagnée d’exhalaisons très-désagréables, nous .averlit du voisinage du pont de la Solfatarre. Dans un largo canal coulent avec rapidité des eaux blanchatres, mais lim-pides et azurées; de la Ie nom d'Albulm que leur avaient donné lesnbsp;anciens. Elles proviennent d’un lac profond tout imprégné de malièresnbsp;sulfureuses. Ce lac, aux Bes FloUantes, qu’on nous avail tant recom-mandé, ne vaut pas la peine d’être visité, sinon peut-êlre par les mi-néralogistes. Plus intéressant est Ie Ponte Mammolo, sur lequel onnbsp;traverse Ie Teverone avant de rentrer amp; Rome. Quatre grands souvenirs Ie rendent a jamais célèbre : Ie jeune Manlius y conquit Ie surnomnbsp;glorieux de Torquatus, dans un combat qui rappelle celui de Davidnbsp;centre Goliath; Timpératrice Mamée Ie fit restaurer, Tolila Ie détrui-sit, Narsès Ie releva.

La nuit venait de nous surprendre et Ie ciel fut bientót parsemé d’éloiles. Nous nous primes ó l’admirer, et a redire quelques-uns desnbsp;psauraes oü Ie royal Prophéte décrit la magnificence du firmament. Jenbsp;ne sais quel charme Ie silence et la solitude de la Campagne romainenbsp;donnent a ces sublimes cantiques; toujours est-il que l’ame, it cettenbsp;heure solennelle, au milieu de ce calme profond sent plus vivement lanbsp;belle harmonie qui existe entre la Ville éternelle et Ie silencieux desert qui l’entoure. Pour Ie chrétien, Rome est un temple; et, avantnbsp;d’entrer dans Ie temple, il est bon d’avoir a traverser un cimetière.nbsp;Au milieu des tombeaux Ie bruit du monde s’éteint; les illusions dis-paraissent; de graves pensées les remplacent, et les pensées gravesnbsp;sont soeurs des pensées saintes, qui seules doivent pénétrer dans Ienbsp;temple ; or, quel cimetière que la Campagne romaine!

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ECLISE DE LA. UADELEINE. 147

25 MARS.

*^6lise de la Madeleine. — Saint Camille de Lellis. — Ténebres a la chapelle Sixline. — Difficulté d’y assister. — Idéé générale de l’olUcc. — Peintiire de la chapelle. — Chantnbsp;des Psaumes et des Lamentations. — Miserere de Baini, de Bai, d’Allegri. — Jugeraentnbsp;de Msr Weisman.

Aujourd’hui, 25 mars, deux Fraugais s’étaient donné rendez*vous *dr la place Colonne : réunis h sept heures du matin, ils cheminaienlnbsp;*Dsemble vers l’église de Sainte-Marie-Madeleine. Quel était Ie but denbsp;'®tir pèlerinage? Voir de prés les lieux habités par uo héros de lanbsp;•^harité chrétienne, visiter la cbambre oü il mourut, vénérer les objetsnbsp;^ui furent a son usage et puiser it son lombeau quelques-uns des sen-

’¦inients qui l’animèrent. Ces deux Francais élaient M. Ie W.....et

®doi. Ce héros est saint Camille de Lellis. Double prodige de miséri-®drde et de charité, ses muvres sont un bienfait toujours subsislant. d’un soldat et soldat lui-même, Camille ne tarda pas ii prendrenbsp;habitudes peu régulières des camps. 11 devint joueur; mais joueurnbsp;Passionné. Licencié après la campagne de Tunis, en 1574, il n’avaitnbsp;’’apporté du service militaire que son équipement; il Ie mit en jeu ; ilnbsp;jdUa d’abord son sabre, et il Ie perdit; son mousquet, il Ie perdit;nbsp;giberne, il la perdit; sa capote, il la perdit; sa chemise, il la

perdit (i).

Dépouillé de tout, Ie nouveau prodigue rentra en lui-même; il se ‘^envertit et porla dans la pratique du bien, avee Ie dévouement sansnbsp;ternes d’une grande ême, la franchise et la loyauté d’un soldat. Lesnbsp;Pauvres de toule espèce, mais surlout les malades furent son département, les lazarets et Thêpital du Saint-Esprit, a Rome, son domicile,nbsp;t'ourquoj faut-il que Ie temps ne me permette pas de raconter une desnbsp;leurnées si admirablement remplics du saint liomme? Tout ce que Ienbsp;pare Ie plus dévoué, je dis mal, lout ce que la mère la plus tendrenbsp;peut inventer pour soulager, pour consoler son enfant malade et l’ai-‘ter a sanctifier ses souffrances, Camille Ie faisait, el au dela. Maladenbsp;tui-même, et cassé par les ans, on Ie voyail debout tout Ie jour et unenbsp;Partie de la nuit, passant d’un lit a un autre, el ne comptanl jamaisnbsp;®vec lui-rnCme tanl qu’il y avail une douleur a calmer, une consciencenbsp;“ tranquilliser. C’est au point que les malades eux-mêmes, touchés denbsp;‘Compassion pour ce vénérable vieillard, lui disaienl: « Père, vous

(i) Vi


óo di San Camillo, etc. dai PP. Cicatelli e Dolera, !ib. i, c. i, in-4'’, Roma, 1837.

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148 LES TROIS ROME.

n’en pouvez plus, vous allez tomber, reposez-vous. » Et il leur répou' dait, Ie sourire sur les lèvres ; « Mes enfanls, je suis volre serviteur;nbsp;il faut que je fasse mon devoir. » Pour les seconder il fonda la Con-grégation des Clercs, ministres des infirmes. Cette admirable familie,nbsp;animée de l’esprit de son chef, étonne encore aujourd’bui Ie mondenbsp;chrélien par son dévouement : un voeu special I’enchaine au chevetnbsp;des pestiférés.

Tel est rhomme dont nous allions vénérer Ie tombeau. Dans l’église de la Madeleine est une magnifique chapelle étincelante de marbresnbsp;et de dorures : une chÉisse de bronze doré placée sous l’autel ren-ferme Ie corps de saint Camille. Nous Ie trouvfimes entouré de nom-breux fidèles, et on nous dit que Ie concours était habituellement Ienbsp;même. Le bon père qui nous accompagnait nous fit reraarquer, dansnbsp;la chapelle a droite, le crucifix miraculeux qui, dé;achant ses mainsnbsp;de la croix, adressa un jour au saint fondateur ces consolanles paroles : « De quoi vous aflligez-vous, homrae pusillanime? Continuernbsp;votre entreprise, je serai votre appui; cette oeuvre n’est pas la vólre,nbsp;mais la mienne. »

Entrés dans le couvent, nous arrivames è l’extrémilé d’un long corridor, et devant nous s’ouvrit une petite porte en planches de sapin ; nous étions dans la chambre du saint fondateur. Suivant l’usage d’Ita-lie, cette chambre est aujourd’hui une chapelle; sur les parois latéralesnbsp;brillent deux longs tableaux d’une grande expression, représentantnbsp;les derniers moments du saint; dans les gradins de l’autel on voit anbsp;travers des glacés bon nombre d’objets qui furent a son usage. Unenbsp;petite croisée placée dans le fond éclaire d’un demi-jour ce vénérablenbsp;sanctuaire : j’eus la consolation d’y célébrer la messe que servit monnbsp;aimable compagnon de pèlerinage. Après une agréable visite aunbsp;R. P. de Géramb, qui habite ce couvent, nous nous donuames rendezvous sur la place Saint-Pierre.

A quatre heures du soir, les Ténèbres de la chapelle Sixtine allaicnt ouvrir la suite non interrompue des grandes cérémonies qui font denbsp;la Semaine Sainte, i» Rome, la semaine incomparable. Or, en ce mondenbsp;toute jouissance doit être achetée : celle que nous ambitionnions lenbsp;fut a grand prix. Si j’ai bonne mémoire, on lit dans les Victoires etnbsp;Conquêtes des Francais, qu’après la balaillede la Moskowa, Napoléonnbsp;disait a son armée ; « Soldats, lorsque vous rentrerez dans vos foyers,nbsp;il vous sufiira de dire : J’étais ii cette grande bataille qui se donnanbsp;sous les murs de Moscou, pour qu’on réponde : Voili un brave. »

Nous n’avons pas eu l’honneur de faire la campagne de Russie

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TÉNÊBRES A LA CHAPELLE SIXTINE. 149

1812; nous n'avons point combattu a la Moskowa; et pourtant chacun de nous a la prétention d’être appelé brave. Nous avons fait lanbsp;campagne de Saint-Pierre en 1842; nous avons pris part a la grandenbsp;*i“êlée qui eut lieu sous les murs du Vatican, et dont Ie résultat fut lanbsp;Pctse d’assaut de la chapelle Sixtine. Les abords de la place étaientnbsp;cnvahis par dix mille personnes, armées chacune de l’inébranlablenbsp;césolution de pénétrer dans un local, capable de contenir six centsnbsp;spectateurs, au plus. Tandis que les soldats de I’Enipereur n’eurent hnbsp;combattre que les Russes, nous eümes a lutter centre les enfants de lanbsp;^^ennanie et d’Albion coalisés, et centre les Suisses bardés de fer. Ce-Pcndant nous réussimes è occuper dans la chapelle chacun un piednbsp;carré, au flot qui nous poussa l’honneur de notre entree; mais notrenbsp;Sloire, a nous, c’est d’avoir gardé la position pendant trois heures,nbsp;cramponnés a une balustrade, et obligés de nous défendre tout a lanbsp;lots centre les bourrasques de la foule ennemie et centre la chaleurnbsp;*lui menagait de nous sulToquer.

Mais qu’y a-t-il de si merveilleux dans ces Ténèbres, que tout le tiionde veut y assister, au prix des plus pénibles efforts et même denbsp;dangers reels? Pour répondre, il faut étre chrétien, se recueillir etnbsp;'ïiettre son ame en harmonie avec tout ce qui frappe les sens. Cette cérémonie retrace la grande épopée oü Dieu et Phomrae sont en lutte;nbsp;Cette chapelle est le sublime panorama ou se déroulent les formidablesnbsp;raystères du passé, du présent et de l’avenir, du temps et de l’éter-öilé; cette assemblée, c’est l’univers représenté par ce qu’il a de plusnbsp;^uguste; ces chants sont tour a tour 1’histoire pathétique des plus im-*Henses bienfaits, le sombre tableau d’une ingratitude égale, l’élégienbsp;d’un Dieu mourant, mourant sur une croix.

Voici d’abord le mot de Ténèbres qui rappelle et cette nuit pro-^onde qui enveloppa la nature, lorsque la grande Victime expira sur 'c Calvaire; et ces jours anciens, oü l’Église persécutée fut contrainlenbsp;de cacher ses mystères dans les entrailles de la terre : ténèbres lugu-^res, effrayantes, qui semblent répandues sur tout roflice, empreintnbsp;de douleur et si justement caractérisé par cette belle expression ita-henne : Uffizio di lutto, e come la repfesentazione dei funerali delnbsp;^^^dentore. Rreproduisant toute la scène dans les chefs-d’oeuvre quinbsp;resplendissent ii sa voute et a ses murailles, la chapelle Sixtine montrenbsp;aux regards le commencement, le milieu et la fin du drame. Partout

grande figure de Fllommc-Dieu : lumière de toutes les ombres, réalité de toutes les figures, objet de tons les oracles, dernier mot denbsp;’•outes choses. Levez les yeux; le voici dans les prophèles et les pa-

T. UI. nbsp;nbsp;nbsp;7

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150 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.

triarches de l’Ancien Testament, ainsi que dans les Sibylles, prophètes de la gentilité, que Ie pinceau de Michel-Ange a semés ü la voute dunbsp;temple, comme la main de Dieu sema les étoiles au firmament. A gauche, Ie voici dans Moïse conducteur dTsraël; c’est encore Michel-Ange qui Toffre aux regards. A droite Ie voici, devenu homme, rece-vanl Ie baplême, puis, fondateur de l’Église, donnant h Pierre les clefsnbsp;toutes-puissantes qui ouvrent et ferment Ie ciel: au Pérugin sont duesnbsp;les plus belles pages de cette divine histoire.

Or, Michel-Ange et Pérugin représentent ici Ie génie de Part a sa plus haute puissance, en personnifiant, Ie premier l’école Ombrienne;nbsp;Ie second l’école Florentine. Celle-lè, fidéle aux traditions catholiques,nbsp;part de Cimabuë et de Giotto; elle grandit avec Ie B. Angelico de Fie-sole, et comme Ie flambeau prêt ^ s’éteindre, elle brille de toute sanbsp;gloire dans la personne de Pérugin. Celle-ci, enthousiaste de la forme,nbsp;emprunte Ie génie vigoureux de Buonarotti, et du premier bondnbsp;s’élève ^ une hauteur qu’elle n’a jamais dépassée. Ainsi, par une coincidence unique dans les annales de 1’art, les deux grandes écoles denbsp;peinture ont travaillé de concert è écrire sur les murs de la chapellenbsp;Sixline la grande épopée chrétienne. Si done la religion et son histoire sont Ie véritable objet de Part; sj dans la religion tout ce qu’il ynbsp;a de plus élevé sont les mystères de PHomme-Dieu : comment ne pasnbsp;sentir tout Pintérêt qu’inspire un sanctuaire oü, par tant d’effortsnbsp;réunis, Ie génie de Part accomplit si puissamment sa divine mission?

Délachez maintenant vos regards de la voute; sur les parties infé-rieures Ie drame se déroule, Ie dénoüment approche; et vous tombez sur Ie Golgotha! Le Golgotha, c’est Pautel surmonté de la grande croixnbsp;enveloppée de crêpes funèbres. Mais si la mort de la Victime épuisenbsp;le pouvoir des bourreaux, la Victime elle-méme n’en devient que plusnbsp;vivante et plus forte. Son oeuvre exige qu’elle ressuscite; et le tableau,nbsp;placé derrière Pautel, la représente sortant radieuse des ombres dunbsp;sépulcre. Nous arrivons sur les confins du temps et de 1’éternité : icinbsp;une dernière scène doit compléter toules les autres. Le Dieu, traité ennbsp;roi de théatre et crucifié entre deux voleurs, doit reprendre un journbsp;le róle qui lui convient; ses'bourreaux, les nations révoltées ou fidè-les, le monde entier, cités è son tribunal, doivent lui rendre comptenbsp;de son rang et de sa mort. Et voila que sur le fond de la chapelle, senbsp;détache la terrible fresque de Michel-Ange, le Jugement dernier.

Tout est consommé; depuis le jour oü le monde sort du néant, jus-qu’au jour oü le temps finit et Péternité commence, le Verbe divin, le Rédempteur, Palpha et Poméga s’est montré sous le pinceau sublime

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PEINTÜRES DE LA CHAPELLE. nbsp;nbsp;nbsp;151

Tart chrétien, remplissant de ses mystérieuses actions toute la durée des Sges. Sous eet immense horizon l’ème agrandie ne voit plusnbsp;que lui, lui partout, lui loujours; et Ie eoeur ému se sent disposé a denbsp;nouvelles émotions.

Elles lui arrivent nombreuses et puissantes du spectacle de l’assera-t)lée. Dans cette chapelle Sixtine, oü depuis trois siècles se sont suc-cédé toutes les gloires du génie, de la puissance et de la vertu, Ie pè-lerin catholique se voit environné d’hommes illustres de l’Orient et de 1’Occident : ambassadeurs de la ebrétienté qui viennent apporter ennbsp;tribut è la grande Victime, la compassion et les larmes du monde en-lier. Autour de l’autel sont prosternés les conducteurs d’Israël. Cesnbsp;¦vieillards aux cheveux blancs, dont l’attitude et Ie vêtement exprimentnbsp;la douleur, c’est Ie sénat de l’Église. A leur tête on distingue Ie chefnbsp;de l’auguste assemblée. G’est Ie père des pères, Ie représentant desnbsp;siècles et des nations, celui qui résumé en sa personne sacrée, tous lesnbsp;litres de gloire partagés par d’autres, et qui en ajoute de nouveauxnbsp;lt;lue nul ne partage avec lui : Grand-Prêtre; Souverain Pontife; Chefnbsp;des évêques; Héritier des apótres; Abel par la primauté; Noé par Ienbsp;gouvernement; Abraham par Ie patriarcat; Melchisédecb par Ie sacer-doce; Aaron par la dignité; Samuel par la prédiction; Pierre par lanbsp;puissance, Ie Christ lui-même par l’onction sacrée (i). C’est lui quinbsp;uiène Ie deuil.

A peine a-t-il paru que Ie chant des grandes funérailles commence. Quelles paroles! quelle poésie! C’est Ie Prophète-Roi qui, dans sanbsp;langue inspirée, redit les humiliations et les souffrances du Dieu dunbsp;Calvaire, son seigneur et son fils. C’est Jérémie, ou plutót c’est lanbsp;Victime elle-même qui, empruntant la voix prophétique seule capablenbsp;d’égaler les lamentations aux douleurs, raconte au ciel et è la terre, etnbsp;les complets de ses ennemis, et l’iniquité de ses juges, et la cruauténbsp;de ses bourreaux; et qui termine toutes ses plaintes par cette prière

pénétrante qu’elle amollirait une amp;me de bronze : Jerusalem, Jeru-convertere ad Dominum Deum tuum. C’est Paul, enfin, Ie plus éloquent interprète du christianisme, qui vient graver en traits de feu,nbsp;la tombe de la Victime, la sublime épitaphe qui redit et sa royauténbsp;divine, et son sacerdoce immortel, et sa miraculeuse mission, résuménbsp;de toutes les figures, accomplissement de toutes les promesses, véri-fication littérale de toutes les prophéties antiques. En sorle que dansnbsp;les paroles de l’historien, aussi bien que sous Ie pinceau de l’artiste,

(0 S. Bernard, de Consider, ad Eug. Pap. Ub. ii, c. viii.

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152 LES TROIS ROME.

Jésus-Christ se montre l’alpha et Toméga, Ie commencement, Ie milieu et la lin de toules choses. Que dire maintenant du rhythme, de l’accent, de l’air enfin sur lequel toute celte sublime poésie parvientnbsp;i votre oreille?

Pour les psaumes, c’est Ie chant Grégorien, cela veut dire la mélodie antique dans toute la perfection de sa majestueuse siraplicité : inimitable langage que la musique moderne n’a jamais pu parler. IInbsp;faut ajouter que nulle part ce chant n’est exécuté avec plus de precision qu’a la chapelle Sixtine, et ne porte plus elïicacement a la piéténbsp;ceux (|ui l’entendent. Pour les Lamentations, c’est tour a tour Ie chantnbsp;figure d’Allégri, et Ie chant Grégorien. On pen^ra ce qu’on voudranbsp;de raon expression; mais je dirai qu’en entendant les premières, sur-tout a certains passages, il me semhlait qu’une main me passait sur Ienbsp;coeur dont elle déchirait les membranes. Beste Ie Miserere, digne parnbsp;les paroles et par Ie rhythme de terminer Ie lugubre el solennel office.nbsp;Après l’antienne Traditur autem, Ie Souverain Pontife quitte sa mitrenbsp;blanche et vient se mettre a genoux sur un prie-Dieu, au pied de l’au-tel. Toute Passemblée se prosterne; puis, quand Ie premier maitre desnbsp;cérémonies a donné Ie signal, annongant que Ie Saint-Père a fini denbsp;reciter Ie Pater, on commence Ie chant du Miserere. Les peintures denbsp;Ia chapelle, les chants, les paroles, les cérémonies, tout tend a fixernbsp;les sens et Pcsprit sur la grande Victime du monde, it concentrer toutesnbsp;les affections du cmur sur ses derniers moments en nous rendant té-moins de ses angoisses et de sa mort. Maintenant que le crime est consommé, et consommé par I’homme ingrat, que reste-t-il? sinon que lenbsp;pere commun de tous les hommes, le représentant du genre humain,nbsp;tombe a genoux, s’humilie avec lout ce qui 1’entoure, et de toutes cesnbsp;ames oppressées par la douleur il s’échappe un long gémissement, unnbsp;cri prolongé de miséricorde. Tel est le sens du Miserere, et la raisonnbsp;de la place qu’il occupe dans Poffice de Ténèbres.

Les plus grands maitres se sont exercés it mettre en musique ce psaume admirable. En 1533, Luigi Dentice, Napolitain, publia unnbsp;Miserere qui fit oublier tous les aulres. II régna sans rival jusqu’aunbsp;commencement du dix-septième siècle, oü il fut détróné par celuinbsp;d’Allégri qui lient encore Ie sceptre. Né a Fermo en 1587, Gregorionbsp;Allégri fut appelé è Rome par le pape Ilrbain VUL Devenu membrenbsp;de la chapelle Papale, il composa son Miserere dont la musique senbsp;Irouva si parfaite, que le Souverain Pontife défcndit sous des peinesnbsp;sévères de le copier. On assure cependant que Mozart le retint aprèsnbsp;l’avoir enlendu deux fois seulement. En 1714, Thomas Bai, le prenant

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MISERERE DE DAIM, DE RAI, d’aLLÉGRI. 15ö

pour modèle, varia Ie chant pour chaque verset et produisit un Mise-’¦ere presque aussi beau, maïs qui n’est toujours qu’une imitation. Enfin on en doit un très-remarquable a Baini, directeur de la chapellenbsp;Papale. On l’exécute Ie mereredi, en réservant celui de Bai pour Ienbsp;jeudi, et d’Allégri pour Ie vendredi.

Afin de n’avoir pas è y revenir, je dirai ici l’iinpression produile sur moi par ces trois compositions différentes. A mon sens, la musi-fiue doit étre pour les paroles et non les paroles pour la musique, denbsp;öiême que l’expression doit être pour la pensée et non la pensée pournbsp;1 expression. De plus, je crois que tous les grands sentiments de lAme,nbsp;ct la douleur en particulier, se traduisent en accents d’une énergiquenbsp;simplicité, peu variés dans leur cadence et finissant presque toujoursnbsp;par une désinence uniforme. En effet. Tame fortement impressionnéenbsp;Pedit souvent la même chose, dans les mêmes termes et sur Ie mêmenbsp;Ion ; c’est un fait d’expérience dont Ie pauvre et Ie malade sont lanbsp;preuve journalière. D’après ce double principe, ou pour mieux dire,nbsp;d’après cette double disposition, je trouvai Ie Miserere de Baini unnbsp;peu trop travaillé; bien que les connaisseurs y trouvent de majestueuxnbsp;effets d’harmonie. La modulation, qui change a chaque verset, laissenbsp;deviner l’art et rorapt la sublime monotonie de la douleur. E-vempt,nbsp;du moins en partie, des qualités que je viens de signaler, \e. Misererenbsp;de Bai va mieux au coeur. La phrase lente et sépulcrale se soutient lanbsp;même jusqu’ii la fin, sans éclater en sons aigus ou brisés ; c’est l’ex-Pression uniforme et solennelle d’un sentiment unique, et non pas unnbsp;miroir mis en morceaux qui ne rélléchit que des détails brisés et sansnbsp;onsemble.

Néanmoins quelle différence d’effet, quand, ü genoux dans ce derai-Jour silencieux de la Sixtine, Ié pèlerin fermant tous ses sens excepté Polui de l’ouïe, s’abandonne aux accords uniformes et toujours dirigésnbsp;^*0 même but du Miserere d’Allégri! Interprète de tous ceux qui ontnbsp;®0 Ie bonheur d’entendre cette (euvre immortelle. Me'' Welsmannbsp;Pondra lui-raême nos impressions; elles ne peuvenl que gagner en em-Pruntant Ie langage d’un connaisseur si distingué.

« La mélodie d’Allégri, dit Ie docte prélat, n’est qu’un chant dou-^lement varié, les versets étant alternativement ii quatre et a cinq par-'^ms, jusqu’a ce qu’au final les neuf voix se réunissent en une seule harmonie. La note écrite est simple et sans ornements; mais la tradi-*^'00 soutenue par la longue expérience d’un goüt épuré, a consacrénbsp;des embellissements qui n’ont pas encore été écrlts ou publiés.

» Le verset commence par un bel ensemble, d’un caractère particu-

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^34 LES TROIS ROME.

lier, avec un léger crescendo vers la médiante; les voix se séparent graduellement pour préparer la terminaison. Alors elles semblentnbsp;former entre elles un riche tissu de combinaisons harmonieuses, jus-qu’i ce que toutes, par des modulations successives, soient ramenéesnbsp;ii l’accord parfait sur une cadence suspendue. Dans la seconde partienbsp;du verset, c’est un accord différent et plus riche, après lequel toutesnbsp;les parties se divisent avec plus de grace encore qu’auparavanl: onnbsp;dirait des cordes d’argent se déraêlant d’elles-mêmes et se réunissantnbsp;autour de la magnilique et profonde basse, qui, pendant toutes leursnbsp;modulations, s’est a peine départie de sa grave dignité; et lè, complè-tent la plus sublime harmonie en éclatant dans un crescendo final quinbsp;n’a pas de nom sur la terre.

» Après que tous les versels sont ainsi venus, les uns après les au-tres, ajouter amp; l’impression produite dès les premiers accords, et sans qu’aucun artifice, aucun erabellissement n’ait pu distraire de la penséenbsp;dominante; quand la réunion des deux ebmurs s’est opérée dans eenbsp;final si énergique et si harmonieux, et que Ie récitatif de la prière :nbsp;« Daignez, Seigneur, prendre pitié de votre familie, » s’élève è traversnbsp;les derniers accents ii peine éteints de cetle composition entrainante,nbsp;l’dme demeure sous l’empire des sentiments les plus tendres, presquenbsp;dégoutée des vains bruits de la terre, et aspirant au séjour de la vraienbsp;et parfaite harmonie (i). »

Je n’ai fait que bégayer en voulant raconter la beauté et la puissance de eet office de la Semaine Sainte; j’espère du moins en avoir dit asseznbsp;pour faire naitre Ie désir de l’entendre et de l’apprécier.

n MARS.

Messe 4 la chapelle Sixtine. — Offerloire do Palestrina. — Procession a la chapelle Pauline.— Lavement des pieds. —Table de la Cène. — Fonctions du grand Péni-

tencier. — Ténèbres. — Lavement de 1’autol a Saint-Pierre Iteposoirs. — Sermon

de la passion a Saint-André-dei/a-Fatte.

Dans l’univers catholique, Ie Jeudi Saint rappelle les plus touchanls souvenirs; mais, tt Rome, il les redit d’une manière plus saisissante etnbsp;plus compléte. Afin de représenter Notre-Seigneur, qui dans la der-nière cène fut l’unique et premier prêtre, l’évêque ou Ie curé seulnbsp;célèbre la messe dans chaque paroisse; les autres prêtres s’en abstien-nent en signe de deuil. Comme Notre-Seigneur se donna lui-mêrae en

(i) Cérém. de la Semaine Sainte, p. 119.

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MESSE A LA CIIAFELLE SIXTINE. 135

Qourriture ^ ses disciples, Ie pasteur Ie donne a ses ouailles, plus nom-^reuses a la Table sainle ce jour-lè que les autres. C’est Ie cardinal-doyen qui célèbre la raesse devant Ie Sainl-Père, ii la chapelle Sixline. Préeédé de la croix et du cortége ordinaire, revêtu de la cbape d’ar-gent et de la mitre d’or, Ie Souverain Pontife vint se placer sur sonnbsp;’róne, et regut 1’obédience du Sacré Collége. A l’ofïertoire, on chantanbsp;Ie célèbre motet Fratres ego enim. La consécration finie, deux maitresnbsp;'Jes cérémonies commencèrent la distribution des cierges pour la procession au sépulcre. Ils furent portés par les chapelains ordinairesnbsp;aux cardinaux, patriarches, évêques, abbés raitrés, prélats, prolono-taires et généraux d’ordre. Vers la fin de la messe, Ie cardinal-célé-Ijrant mit ITiostie des Présanctifiés dans un calice, appelé Ie Calicenbsp;du sépulcre. Ce calice est en cristal de roche, monté sur un vermeilnbsp;éniaillé; on y voit Notre-Seigneur avee les douze Apótres : deux cer-cles de pierres précieuses entourent la coupe et Ie pied. La vue de cenbsp;superbe vaisseau nous rappelait douloureusement qu’il avait été enlevénbsp;sous la domination frangaise; mais ayant été rctrouvé plus tard, il futnbsp;cendu h sa première destination.

Bientót Ie Sacré Collége revêt les ornements sacrés de couleur Blanche, et Ie Souverain Pontife, descendant du tröne, vient se placernbsp;devant l’autel oü il regoit Ie calice du sépulcre. La procession se metnbsp;en marcbe, et traverse la salie Royale. Ce superbe vestibule de la cba-pelle Sixtine est illuminé par douze cornes d’abondance, d’oü sortentnbsp;Une multitude de bougies. Pendant la procession un dais magnifiquenbsp;soutenu par des évêques est étendu au-dessus du Souverain Pontifenbsp;‘lui porte Ie Saint-Sacrement; tous les cardinaux mai’cbent tête nue,nbsp;Portant d’une main leur cierge allumé, et de l’autre la mitre renfer-•öant leur calotte rouge : Ie choeur cbante Ie Pange lingua. Aunbsp;Uioment oü Ie Saint-Père franchit Ie seuil de la chapelle Pauline, onnbsp;cntonne Ie Verbum caro. Arrivée au pied de l’autel, Sa Sainteté remetnbsp;Saint-Sacrement au prélat sacristain, qui Ie dépose dans l’urne dunbsp;sépulcre. II en ferme la porte avec une clef qui est confiée au cardinalnbsp;gfand-pénitencier, appelé a officier Ie lendemain. Je ne parle pas denbsp;bénédiction papale qui suit la procession : elle viendra Ie jour denbsp;^^ques. Lorsque la foule nous Ie permit, nous visitames la chapellenbsp;ï*auline dont l’illumination avait cette magnificence et ce goüt exquisnbsp;qu on ne trouve guère qu’en Italië.

^ ce double souvenir de l’institution de la sainte Eucharistie et de mort du Seigneur, succède la représentation des deux actes d’humi-hté sublime par lesquels il couronna sa vie. Accompagné de toute sa

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156 LES TROIS ROME.

cour, Ie Saint-Père se rend au Vatican dans Ia chapelle des saints Procés et Martinien : ici a lieu la cérémonie du Mandatum ou lavement des pieds. Le tróne pontifical est placé dans une enceinte circulairenbsp;sur une estrade élevée, entre les deux colonnes de Pautel. Au fond senbsp;dessine une belle tapisserie représentant la Providence assise sur lenbsp;globe du monde, entre la Justice et la Charité; dans la partie inférieure, on voit deux lions soulenant les étendards de l’Église. Derrière est fixée au mur la raagnifique tapisserie de la Cène, travailléenbsp;a Phospice de Saint-Michel, d’après Ia fresque de Léonard de Vinei.nbsp;A gauche du tróne de riches crédences portent les aiguières, les bassins, les fleurs, les linges et autres objets nécessaires a la cérémonie :nbsp;sur la droite règne une longue estrade oü sont assis les Apótres.

On donne ce nom é treize prêtres auxquels le Saint-Père lave les pieds. Pourquoi Ie nombre treize et non pas douze? Suivant le doclenbsp;Farnelli, c’est pour représenter les douze Apètres et Marie, soeur denbsp;Lazare, versant un baume précieux sur les pieds de Notre-Seigneur;nbsp;d’aulres ont cru que c’était un souvenir de l’Ange qui vint se joindrenbsp;aux douze pauvres, nourris chaque jour par saint Grégoire le Grandnbsp;dans sa résidence du Mont-Goelius. Quoi qu’il en soit, en vertu d’unenbsp;concession pontificale, le choix des Apótres appartient au cardinalnbsp;carmelingue, qui en nomme un; au cardinal secrétaire d’État, un; aunbsp;cardinal préfet de la Propagande, deux; au cardinal protecteur desnbsp;Arméniens, un; h l’ambassadeur de France, un; d'Autriche, un;nbsp;d’Espagne, un; de Portugal, un; au raajordome, trois; au capitainenbsp;des Suisses, un.

Les Apótres, vêlus é Panlique, portent une longue robe de fine laine blanche, une tunique avec une ceinture de ruban de soie, unenbsp;cape blanche a capuchon, attachée sur la poitrine avec deux petitsnbsp;crochets; autour du cou une espèce de fraise plissée; sur la tête unnbsp;bonnet élevé, de forme conique, orné d’un gland, le lout en lainenbsp;blanche, a l’exceplion des paremenls et autres garnitures qui sont denbsp;soie blanche : ils sont chaussés de souliers en cuir blanc. Lorsque lenbsp;Souverain Pontife est assis sur son tróne, le premier cardinal diacrenbsp;chante I’Évangile : Ante diem jestum Paschw; puis les chantres en-tonnenl l’antienne Mandatum. Alors le Pape se léve et dépose lanbsp;chape; mais il conserve l’amict, l’aube, le cordon, l’étole violette, lenbsp;formal et la mitre lamée d’argent. Le cardinal diacre le ceiut d’unnbsp;grémial de lin blanc, garni de dentelles; et le vicaire de Jésus-Christ,nbsp;précédé des massiers, du sous garde-robe, du premier maitre des cérémonies et des deux cardinaux diacres, se rend sur l’estrade des Apótres, pour y renouveler l’exemple de son divin Maitre.

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LAVEMENT DES DIEDS. nbsp;nbsp;nbsp;157

A. I’approche du Ponlife, l’étuvisle apostolique, en habit noir, met ^ nu le pied droit de chaque Apölrc. Un sous-diacre en tuniquenbsp;Blanche et sans manipule, se tient a la droite du Pape et soutient le,nbsp;pied des pèlerins, tandis que le Pontife le lave avec I’eau versée parnbsp;iin bussolante, et qui retombe dans un bassin de vermeil. Le pape lenbsp;^otte légèrement, I’essuie avec un linge, le baise et s’incline. Deuxnbsp;^^ssolanti, en chape rouge, suivent le Saint-Père, portant deux bassins d’argent, dont I’un contient les linges destines i essuyer les piedsnbsp;ilfis Apótres, et I’autre treize bouquets de fleurs naturelles. Après lenbsp;lavement des pieds, chaque Apótre rcgoit de la main du Pape une ser-'ieite et un bouquet de fleurs; et de la main du prélat trésorier, ennbsp;®liape, deux médailles, Pune d’or et l’autre d’argent. Elles ont le dia-*nètre d’un demi-écu romain, et présentent, d’un cöté, I’eHigie et lenbsp;nom du pape régnant, et l’année de son pontificat; de l’autre cóté,nbsp;nn voit Notre-Seigneur lavant les pieds è saint Pierre, et au-dessousnbsp;°n lit l’inscription suivante : Ego Dominus el magister exemplumnbsp;^edi vobis. Ces médailles sont renfermées dans une bourse de damasnbsp;neamoisi a galons d’or (i).

Pendant cette cérémonie, ou l’on voit le Vicaire de Jésus-Christ, I auguste chef de la chrétienté, s’humilier et s’abaisser treize fois de-''ant le pauvre et lepèlerin, et se faire réellement en ce jour le serviteurnbsp;•les serviteurs, nous nous disions a nous-mémes ; Si un vieux Romain,nbsp;si un des Césars revenait sur la terre, et qu’il Contemplat dans lanbsp;Scande Rome, sur les ruines mêmes du palais impérial, un semblablcnbsp;Spectacle, quel serait son étonnement? Lui qui ne voyait dans les pau-'’i’es que des étres méprisables, oü en serait-il en voyant les monar-flues a leurs pieds? Magnilique puissance du catholicisme, qui dansnbsp;’'Ue seule de ses cérémonies rétablit la véritable notion du pouvoir, etnbsp;•'lontre toutes les générations qu’entre le paganisme et nous, l’Évan-S'ie a placé l’infini!

Encore un peu, et ce grave enseignement allait être compléte. Dans

grande salie située au-dessus du péristyle de Saint-Pierre est dres-la table des Apótres : avec une peine incroyable nous parvinmcs ^ y pénétrer. La table apostolique s’élève sur une estrade séparée dunbsp;public par une barrière; elle est longue, élégamraent ornée de lingesnbsp;Plissés, de vases de fleurs, de diverses pièces d’orfévreries et de treizenbsp;®^®tuettes en vermeil, représentant Notre-Seigneur et les douze Apö-’^‘¦es. De distance en distance on voit disposés avec symélrie des vases

(0 Voyez Chapelles papales, p. 268.


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158 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.

dorés, chargés de fruits et de sucreries. A la place de chaque Apótre est un couvert en argent avec deux petils pains. Les Apötres eux-raêmes se tenaient debout, derrière la table, attendant l’arrivée dunbsp;Souverain Pontife. Précédé de la chambre et des prélals en mantellonenbsp;VIOLET, Ie Saint-Père parut, et tous les Apótres fléchirent Ie genou ;nbsp;Sa Sainteté portait la soutane blancbe et la mosette rouge, bordéenbsp;d’herinine. Le maitre de chambre lui rait un tablier de fin lin, bordénbsp;de dentelles, et lui prése.nta le bassin d’argent; après quoi les pèle-rins vincent successivement devant le Pape, qui leur donna è laver :nbsp;puis, retournés k leur place, ils attendirent pour s’asseoir, que lenbsp;Saint-Père eüt béni la table. Après le Benedicite un chapelain com-men^a la lecture. Aussitót on vit s’avancer du fond de la salie desnbsp;évèques et des prélats, apportant sur des serviettes des plats qu’ilsnbsp;remirent au Saint-Père en fléchissant le genou. Le Saint-Père les re-cevait de leurs mains et les prcsentait aux .\pótres, a qui il versa plu-sieurs fois du vin et de l’eau. Pendant le repas, je voyais ce bon Saint-Père passer et repasser sur l’estrade, au-devant de la table, veillant ènbsp;ce^ue rien ne manquat. II était Irès-ému, des larmesc.oulaient desesnbsp;yeux; pour les essuyer il tira de sa poche un pauvre mouchoir denbsp;colon en quadrille : et c’était le Pape!! Au moment du départ, lenbsp;Saint-Père se lava les mains, bénit les Apótres et se retira. La dessertenbsp;de la table ainsi que l’habit dont ils sonl vêtus appartient aux Apótres.

Voilé une de ces scènes qu’il est impossible de jamais oublier. Abraham et les patriarches, le Fils de Dieu et la primitive Église ontnbsp;passé sous vos yeux. Ce qu’il fut, ce qu’il est, ce qu’il sera toujours,nbsp;le christianisme vient de vous le monteer en action. La puissance de-venue une charge. Ia grandeur devenue la servante de Ia faiblesse,nbsp;l’amour é la place de 1’autorité, le dévouement succédant é 1’égoïsme,nbsp;le pauvre et le petit réhabilité, la fraternité de tous les hommes sansnbsp;distinction de race, de dignité, de naissance, en un mot, la miracu-leuse révolution opérée dans les idéés et les moeurs du genre humainnbsp;par le christianisme : tout est la! Quel livre fut jamais aussi éloquentnbsp;qu’une pareille cérémonie!

Dans Faprès-midi, Ie grand pénitencier serend a Saint-Pierre, pour y exercer les fonctions de sa charge : nous l’y suivimes. II fut refi'nbsp;par les pénitenciers nationaux et par les chanoines. Après avoir adorenbsp;le Saint-Sacrement au sépulcre de la Basilique, il s’assit sur l’estradenbsp;élevée é cóté d’un pilier de la coupole, entendit les confessions et ac-corda les indulgences, suivant l’antiquo usage dontj’ai donné l’expb'nbsp;cation.

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TÉNÈBRES. nbsp;nbsp;nbsp;i 59

De la Basilique nous rentramp;raes ^ la chapelle Sixtine pour assis-aux ténèbres du lendemain. Quel spectacle de deuil et de tristesse! Touie la chapelle dépouillée de ses tentures et de ses ornements ; Ienbsp;Wne du pape saus dossier, les bancs des cardinaux sans lapis, la tri-igt;une des princes, veuve de ses velours cramoisis a franges d’or; Ienbsp;Pavé de la chapelle privé de son large tapis vert; Taulel dégarni denbsp;Nappes; Ie tableau du retable couvert d’un voile violet et la croixnbsp;d un voile noir; six cierges de cire jaune illuminant toute cetle scènenbsp;confondant leur clarté douteuse avec les cierges de mérne nature,nbsp;places sur le chandelier triangulaire a cóté de I’autel. Le Saint-Pèrenbsp;Porte un grand manteau de serge rouge a capuchon, et la mitre denbsp;toile d’argent; le Sacré Collége la chape violette : les hallebardiers etnbsp;Wiasslers, les hallebardes et masses renversées. Quand, au milieu denbsp;lugubre appareil et dé ce morne spectacle, la voix des chantres faitnbsp;fetentir a vos oreilles les Lamentations de Jérémie ou le Miserere, ilnbsp;®st impossible de se défendre d’un saisissement profond et universel.nbsp;Vous êtes è un enterrement, et quel enterrement, grand Dieu 1

L’impression se fortifie et se compléte, lorsqu’après les Ténèbres on retourne h Saint-Pierre pour le lavement de Taulel. Cette cérémonie s’accomplit par le chapitre, au milieu d’une pompe lugubre et aunbsp;ohant de l’antienne Diviserunt vestimenta mea : « lis ont partagénbsp;nies vêtements; » et du Psaume, Deus, Deus meus, quare me dereli-^uisti? « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné? »nbsp;Et il semble entendre la grande Victime répétant encore, du sein denbsp;Ses autels dépouillés, ce long cri de douleur dont elle fit relentir lesnbsp;echos du Golgotha. Cependant le chapitre s’est reliré, l’autel reste en-hèrement découvert, les cent vingt-deux cierges qui entourent la concession sont éteints. Dans ce moment de dépouillement et de silence,nbsp;finelque chose de froid et d’inaccoutumé impressionne l’ame plusnbsp;Cortement peut-être qu’a touie aulre époque de l’année; les propor-Dons de la Basilique semblent doublées; les ténèbres mystérieusesnbsp;fini règnent dans ses profondeurs les plus reculées, quelques lueursnbsp;ïeintaines qu’on aper^oit dans le fond de l’église pour diriger les pasnbsp;*Ce ceux qui, les derniers, quiltent eet immense temple, font nailrenbsp;conatne une religieuse terreur dans Tame du spectateur habitué auxnbsp;ï'iches clarlés de la splendide Basilique (i).

Ee temps nous permit de visiter quelques reposoirs. Ceux qui par ^cur bon goüt, leur brillante illumination et le pieux concours des fidè-

9) Chapeltes papales, p. 27i.

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160 LES TROIS ROME.

les, nous causèrent une plus douce éraotion, sont ceux du Jésus et de Saint-Antoine-des-PoriMgrais. Nous terminimes cette journée richenbsp;de tant de grftces et de souvenirs en assistant è Saint-André-deWa-Ydlle au sermon de la Passion. C’élait a la troisième heure de la nuit,nbsp;l’église était remplie; et nous souhaitons i tous les pèlerins d’enten-dre, comme nous, raconter les douleurs du Fils de Dieu par l’éloquentnbsp;père Ventura.

25 MARS.

Yendredi Saint. — Coup d’ceil sur Rome. — Veneration des reliques a Sainte-Croix-en-Jérusalem. — OfTice a la Chapelle Sixtine. — Adoration de la Croix. — Tribut royal. Exposition de la vraie Croix. — Ténèbres—Veneration des reliques a Saint-Pierre.

— nbsp;nbsp;nbsp;Les trois hcures d’agonie. — Le Chemin de la Croix. — L'heure de Marie désolée.

— nbsp;nbsp;nbsp;Office selon le rit Grec. — L’académie des Arcades.,

Le Vendredi Saint! Rome est en deuil; c’est Marie sur le Calvaire. Tout ce qu’elle possède des vestiges de Ia Passion, ou des instrumentsnbsp;du déicide, la Jérusalem de l’Occident 1’expose a la piété des pèlerinsnbsp;et le vénère elle-même les larmes aux yeux. Dès le matin le trésor denbsp;Sainte-Croix-en-Jérusalem est ouvert: le titre de la croix, le clou et lesnbsp;autres grandes reliques sont exposées solennellement a la vénérationnbsp;des fidèles. Le 'soir ii Tautre extrémité de la ville, dans la Basiliquenbsp;vaticane, pared spectacle sera donné; il aura pour témoins le Vicairenbsp;de Jésus-Christ lui-même, tous les chefs de la catholicité et une foulenbsp;de pèlerins venus de toutes les parties du monde. Dans l’intervalle,nbsp;Rome fait entendre continuellement sa voix plaintive, tous ses sanc-tuaires retentissent des accents de la douleur : nulle part ils ne sontnbsp;plus touchants qu’èt la chapelle Sixtine.

L’ofEce a commencë au milieu d’un lugubre appareil; Moïse et les prophètes ont pleuré la mort du juste; le juste a prié pour ses bour-reaux; les oraisons sacerdotales sont finies; tout se prépare pour 1’a-doration de Ia croix : encore un peu, et vous voyez le Pontife è che-veux blancs et tout le Sacré Collége prosternés centre terre. Lenbsp;Cardinal célébrant est seul debout, découvrant l’un après l’autre lesnbsp;bras de la croix, comme pour manifester le grand myslère du Calvaire. Lorsqu’il Ta déposée sur un riche coussin, voici quatre prélatsnbsp;et un aide de chambre qui s’approchent respectueusement du Souve-rain Pontife, remonté sur son tréne. Ils se meltent è genoux devantnbsp;le Saint-Père et lui ótent ses mules. Le Vicaire de Jésus-Christ revêtunbsp;seulement de l’aube, du cordon, de l’étole violette et de la mitre

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VENDREDI SAINT. nbsp;nbsp;nbsp;i6l

ijlanche, s’avance, pieds nus et les mains jointes, vers rextrémité inférieure des bancs du Saeré Collége : l^l on lui óte encore la mitre et la calotte. Dépouillé de tous les insignes de sa suprème dignité, il faitnbsp;une première genuflexion suivie de deux autres, a mesure qu’il avancenbsp;^ers la croix, qu’il adore et qu’il baise. Trois fois Ie front de l’augustenbsp;''•eillard touche Ie pavé du sanctuaire; et lorsque, prosterné au milieunbsp;*1^ la chapelle, il repose ses lèvres sur les plaies sacrées du Dieu cru-la foi du Chrétien s’exalte, en voyant cette croix, jadis objetnbsp;d’ignominie, recevoir dans ce jour, après avoir subjugué Ie monde,nbsp;les hommages de tout ce qu’il y a de plus grand sur la terre (i).

Mais Ie eoeur, qui dira ce qu’il éprouve pendant cetle sublime et louchante cérémonie? Au moment oü Ie Saint-Père fait la premièrenbsp;génullexion, Ie choeur commence, d’une voix basse et plaintive, Ienbsp;ehant si tendre de Y[mproperium : Popule mms, quid feci tibi 'tnbsp;* Mon peuple, que t’ai-je fait? » Impossible de rendre reff'et de cesnbsp;eeproches divins lorsqu’on les entend répétés a la chapelle Sixtine surnbsp;les notes immortelles de Palestrina. Ces paroles du Sauveursontcoupéesnbsp;par Ie Trisagion angélique : Sanctus Deus, Sanctus fortis, Sanctusnbsp;‘’¦uimorlalis, miserere nobis : « Dieu saint, Dieu fort, Dieu éternel,nbsp;ayez pitié de nous ; » c’est tout ce que, dans son élonnement et sanbsp;douleur, la milice des Cieux peut dire la grande Victime. Le Trisagion se chante en grec et en latin; c’est l’Église d’Orient et d’Occi-'lent, OU plutót c’est la seule et unique épouse de l’Homme-Dieu quinbsp;®roprunte toutes les langues, pour exhaler les sentiments qui l’op-Pressent.

Après Ie Saint-Père, tous les cardinaux, patriarebes, primats, ar-‘^hevêques, évéques, généraux d’ordre, vont pieds nus et les mains jaintes a l’adoralion. Lorsque le Souverain Pontife a rendu ses hommages au Dieu crucifié, il met dans le bassin de vermeil qui est a lanbsp;^•’oite de la croix, une bourse de damas violet, contenant cent écusnbsp;*^’or : tous les cardinaux y déposent chacun un écu d’or. Roi dansnbsp;Sou berceau et roi sur Piustrument du supplice, Jésus a droit au tri-l*ut du monde. A Bethléhera, ce tribut lui fut payé sous les yeux denbsp;^®seph et de Marie par les monarques de l’Orient ; h Rome, il luinbsp;est offert en présence des princes et des ambassadeurs des nations ci-''llisées, par le roi de la Ville éternelle, chef auguste de toute la chré-lienté.

L office terminé, on exposa sur l’autel une portion considérable de

(a) Chapelles papales, p. 488.

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162 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.

la vraie croix; elle y resta jusqu’après les ténèbres : Rome veut que Ie souvenir de la grande Victime remplisse même les instants de lanbsp;journée, laissés libre par les cérémonies publiques.

A vingt et une heures et demie d’ltalie, nous entrions a la chapelle Sixtine pour assister aux ténèbres. Tout roffice est une longue et sublime élégie ; l’Église est une épouse éplorée qui pleure sur un tom-beau. Toutefois elle ne pleure pas comme ceux qui sont sans espé-rance: sa douleur est calme; et de son coeur navré s’échappent denbsp;loin en loin quelques accents d’ineffable consolation. Pour elle commenbsp;pour Ie royal Prophete dont elle emprunte la voix, la mort et la ré-surrection de la grande Victime se touchent et se confondent. De linbsp;un double sentiment de tristesse et de joie qui domine roffice et metnbsp;tour ii tour en jeu les deux ressorts de Tème chrétienne, la nature etnbsp;la foi. Sous ce point de vue, les ténèbres chantées Ie Vendredi Saintnbsp;me paraissent plus dramatiques encore que celles de la veille. Le Miserere d’Allégri termine l’office, et, pour un instant, l’Église s’abimenbsp;de nouveau dans son immense douleur.

Ce sentiment dont vous-mèrae ne pouvez vous défendre est une pré-paration amp; la cérémonie qui va suivre. Toute 1’assistance, silencieuse et recueillie, se rendit dans la Basilique de Saint-Pierre. Les grenadiers de la milice urbaine formaient la haie dans la grande nef; ennbsp;tête du cortege s’avan^ait lentement la croix papale, dominant tous lesnbsp;fronts inclinés; venaient ensuite la familie pontificale et la maisonnbsp;d’honneur. Elles étaient suivies de la garde suisse et de la garde noble,nbsp;formant l’escorte du Saint-Père et du Sacré Collége. Arrivé amp; la confession, le Souverain Pontife se mit ü genoux et réeita les oraisonsnbsp;d’usage. Les cardinaux et les évêques également prosternés les réci-tèrent è leur tour. Élevez maintenant vos regards vers la coupole, etnbsp;fixez-les sur la grande tribune de Sainte-Véronique, dont la balustrade est garnie de girandoles chargées de torches allnmées. Au milieu de ces resplendissantes lumières, apparaissentdeuxchanoinesdunbsp;Vatican qui montrenl en silence la sainte Face, la lance, une portionnbsp;de la vraie croix et autres reliques majeures, précieux monuments denbsp;la Passion de Notre-Seigneur et de notre heureuse rédemption. Etnbsp;tout le peuple ainsi que les diverses confréries de la ville, solennelle-ment asserablés, adorent dans le silence, prient, deraandent misé-ricorde.

C’est ainsi que la capitale du monde chrétien réveille, au jour an-niversaire du déicide, d’ineffables sentiments de componction et d’a-mour, et qu’elle expie chaque année, dans le premier temple de Funi-

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LE CHEMIN DE LA CROIX. d63

''^crs, les dérisions sacriléges du Golgotha. L’adoration finie, Ie Saitit-Père se léve seul, laissant toute l’assislance prosternée; et pré-cédé de la croix porlée par un auditeur de Rote, il sort de la Basiliquenbsp;pour rentrer au Vatican, oü Taccompagnent les gardes nobles ayantnbsp;leurs torches allumées. Tel est Ie profond respect qui environne cesnbsp;i“eliques précieuses, qu’a part les jours d’ostentation publique, nul nenbsp;peut les vénérer sans un indult spécial du Souverain Pontife.

Pendant que tout cela se passait ^ Saint-Pierre, les autres églises de Pome redisaient aux nombreux fidèles les douleurs de rHomme-Dieu.nbsp;Au Gesü, è SaLmie-Mavie-in-Trastevcre, amp; Sainte-Marie-du-Suffrage,nbsp;'iel Pianto, il Saint-Laurent, et ailleurs encore on faisait les troisnbsp;Peures d’agonie. En sortant de tous ces sanctuaires, la foule attendrienbsp;Se portait au Colisée, au Caravita, et au ciinetière de Saint-Franfois-de-Paule-ai-Monii, pour y faire Ie Chemin de la Croix, c’est-^-direnbsp;pour couvrir de ses baisers et arroser de ses larmes la voie doulou-feuse que Ie Sauveur arrosa lui-inême de son sang. Mais ü cóté du roinbsp;des martyrs est Marie, la raère de la grande Victime et reine elle-iDême des martyrs : la piété romaine ne saurait Toublier. Si, après lanbsp;ehute du jour, vous entrez dans les églises de Sainte-Lucie-aiie-i?oï-teghe-oscure, de Saiiit-Marcel au Corso, des Saints-Vincent-et-Anas-fase, prés de la fontaine Trevi, vous trouvez tout un peuple faisantnbsp;1’heure de Marie désolée. Enfin, pour que rien ne manque é la catho-licité de la douleur, vers les trois heures du soir, l’église Grecque cé-lèbre a Saint-Athanase, suivant son rit particulier, les funérailles dunbsp;Pauveur; et pendant une partie de la nuit, 1’Académie des Arcadesnbsp;redit en vers et en prose Ie plus grand, Ie plus lugubre, Ie plus heu-'’eux événement qui puisse être inscrit dans les annales du monde.

Au retour de l’assemblée, nous visitümes les boutiques des charcu-Pers de la ville, notamment prés de la Rotonde. Tous ces magasins *ont disposés avec un goüt parfait, et illurainés intérieurement par desnbsp;*'-6utaines de lampions aux diverses couleurs. Des fleurs, des guir-jaudes de feuillage, des bandes de papier d’or et d’argent ornent lesnbsp;jambons, les saucisses, et autres pièces de charcuterie étagées avec art.nbsp;Pans Ie fond apparait toujours une madone, ou quelque mystère denbsp;Notre-Seigneur, sur un transparent du meilleur effet. D’oü vient unnbsp;Pareil usage? Les charcutiers se réjouissent de la fin de Tabstinence

célèbrent par ces innocentes demonstrations Ie retour de leurcom-’^erce. Quelle variété la religion répand dans la vie d’un peuple chré-tien! De temps en temps, nous rencontrions les patrouilles portant, ‘^omme tous les régiments de la garnison, Ie fusil renversé en signe de


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164 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.

grand deuil. A Naples se conserve un autre usage. Pendant les der-niers jours de la Semaine Sainte, nul ne peut se servir de voitures : Ie roi et la familie royale marchent amp; pied et sans pompe extérieure, anbsp;l’égal de leurs sujets. Salutaires habitudes de foi dont on comprendnbsp;tout Ie prix, lorsqu’on rentre dans un pays oü elles n’existent plus.

26 MARS.

Chapclle Sixline. — Chant de VExmltet, des Prophclies et dos Litanies solennelles. —

— nbsp;nbsp;nbsp;Messedu pape Marcel. — Biographic dePalestrina. —Chant du Gloria in Excelsis.

— nbsp;nbsp;nbsp;VAlleluia. — Visite au tombeau de Palestrina. — Aspect de Rome. — Messe armé-nienne. — Couronnement de la sainte Vierge.— La Trinilé-dcs-Pèlerins. — Le Co-lisée, au clair de la lune.

Pendant toute la Semaine Sainte le poste du voyageur est ü la cha-pelle Sixtine : aujourd’hui, Ia messe du pape Marcel nous y rappela de bonne heure. Dans l’bistoire de Tart, cette messe est un événement; je le raconterai bienlót ainsi que 1’intéressante biographic denbsp;Palestrina, auteur de Pimmortelle composition. La chapclle avait repris quelques-uns de ses ornements; le pavé et les siéges du Sacrénbsp;Collége étaient reconverts de leurs tapis; Tautel et le tröne restaientnbsp;encore tendus de violet. Le Saint-Père en chape rouge, en mitre laméenbsp;d’or, et les cardinaux en chape violette étaient h leurs places. Commenbsp;dans toutes les églises catholiques, l’ofEce commenga par la Bénédic-tion du feu nouveau et du cierge Pascal. A VExsultet tout le mondenbsp;se leva comme pour l’Évangile, et nous entendimes, sinon la musiquenbsp;des anges célébrant la résurrection du Sauveur, du moins le plus beaunbsp;récitatif qui, au jugement des connaisseurs, puisse réjouir sur la lerrenbsp;l’oreille de l’homme. Pour mon compte j’aurals voulu que VExsultetnbsp;durat toute la journée.

A ses dernières mélodies succéda le chant tour h tour grave et mé-lancolique des Prophéties et des Litanies solennelles : ainsi toute l’an-tiquité repasse sous vos yeux, et vous vous croyez transporté dans ces nuits brillantes oü l’Église primitive conduisait aux fonts sacrésnbsp;ses nombreux essaims de catéchumènes vêtus de blanc, et appe-lait sur tous ces candidats du ciel la protection des glorieux habitants de la bienheureuse Jérusalem. Le baptême est accompli; etnbsp;I’heureuse Mère, qui vient de donner a son divin Époux un peuplenbsp;d’enfants, tressaille d’allégresse. En ce moment le Souverain Pontifenbsp;prend le pluvial blanc, les cardinaux la chape rouge; on allume lesnbsp;cierges de la balustrade et ceux de l’autel placés sur six chandeliers

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BIOGRAPHIE BE PALESTRINA. nbsp;nbsp;nbsp;^63

Vermeil. Arrivé au pied de I’autel, le Saiat-Pere depose la mitri? et •¦•onimence le Psaurae Judica me, récite la confession et monte a sonnbsp;^róne ou il repoit l’obédience du Sacré Collége. Un cardinal prétre vanbsp;célébrer la messe; mais, avanl de le suivre h l’autel, je dois dégagernbsp;'*'3 parole et raconter l’histoire de Palestrina (i).

Dans le cours du seizième siècle, la musique religieuse était tombée •lans Un tel état de corruption, que le Souverain Ponlife avail résolunbsp;la bannir de sa cbapelle. C’est alors que surgit le génie de Pales-pur comme sides anges lui avaient inspiré son harmonie et capable de reculer ii ses dernières limites la perfection de 1’art musical.nbsp;Diovanni Perluigi, appelé Palestrina du nom de sa ville natale, avaitnbsp;*’^?u.Ie jour en 1524 de parents pauvres; son talent ne tarda pas a lenbsp;faire remarquer, et il entra comme enfant de choeur au service de lanbsp;*f*apelle de quelque église. Les succes qu’il obtint sur ce modestenbsp;théatre relevèrent son génie, et k vingt-sept ans il fut nommé direc-de Ia musique dans Ia chapeile Giulia au Vatican, puis musiciennbsp;Ia cbapelle Papale, enfin directeur de la musique de la Basilique denbsp;*'3tran. G’est en 1360 qu’il composa ses célèbres Improperia, ainsinbsp;fiue le Trisagion qui s’y mêle comme un refrain. L’impression pro-'^uite par celte composition simple et sublime fut telle, que l’annéenbsp;*3ivante, le pape Pie IV pria Palestrina d’en laisser prendre une copienbsp;P3iir sa cha[)elle, oü, depuis, on Pa exécutée tous les ans, Ie jour dunbsp;^’eudredi Saint. Les Improperia sont vraiment le triompbe de la naturenbsp;1’art, et seul un grand génie a pu concevoir que les plus simplesnbsp;*^3tubinaisons dussent produire un elTet admirable. Le docteur Burnetnbsp;''PPelle Palestrina « I’Homère de I’ancienne musique; » et nulle Corn-Position peut-êlre plus que celle-ci ne lui a mérité ce litre. Mais sanbsp;ëloire ne devait point s’arrèter la ; on peut l’appeler encore le sauveurnbsp;^0 la musique.

De Concile de Trente avait sagement décrété l’abolition de toute ’^Usique lascive et profane dans les églises. En 1564, le pape Pie IV’nbsp;^Oflama une Congregation de cardinaux cbargée de pourvoir a l’e.xécu-Doii des décrets du Concile. Parmi les illustres mandataires se trou-'3lt Saint Charles Borromée, bomme de goüt comme tous les vraisnbsp;Joints. i[ connaissait l’habileté de Palestrina, alors attaché è la cha-Polle de Sainte -Marie-Majeure. L’éminent et modeste compositeur futnbsp;‘öandé le lo janvier 1565; la Congrégation le pria d’écrire une messe,nbsp;03*18 laquelle le ihème n’eüt aucun rapport avec les airs profanes et oü

6) Les déiails suivants sont emprunlés a Mb'- Weisman, je ne fais que le traduire en “Orégeani.

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166 LES TBOIS ROME.

les paroles pussent être distinctement entendues. On ne lui cacha pas que du succès de cette épreuve dépendait Ie sort de la musique d’église :nbsp;s’il échouait, elle devait être pour toujours bannie comme profane denbsp;la maison de Dieu.

On se figure aisément l’inquiétude et aussi Ie noble orgueil d’un génie pareil, quand, mesurant la responsabilité dont il était chargé,nbsp;il vit qu’a ses seuls efforts étaient attachées les destinées de sanbsp;science favorite; mais il ne recula point. En trois mois il pré-senta trois nouvelles messes : les deux premières furent grandementnbsp;admirées, la troisième décida la cause. Le 29 juin 1565, on exécutanbsp;devant le Saint-Père, la chapelle Sixtine, la messe viclorieuse. Aunbsp;milieu du ravissement universel, le Pape s’écria : « Tels durent êtrenbsp;les aceents que l’apótre Jean a entendus dans la Jérusalem céleste, etnbsp;qn’un autre Jean a renouvelés dans celle de la terre (i). »

Telle est la magnifique composition que nous allions entendre. Elle est a six voix, ayant deux basses et deux ténors. D’un cóté, Palestrinanbsp;voulait éviter tout air profane; de I’autre, donner a chaque partie unenbsp;allure variée, afin que chacune, de temps en temps, put se reposer. Hnbsp;résolut le problème en adoptant le mode dont je viens de parler. Getnbsp;heureux expédient eut un autre avanlage; il assura un fondementnbsp;magnifique ii I’harmonie, par la stabilité de ses parties basses etnbsp;moyennes, tandis que le contralto el le soprano pouvaient chanter al-ternativement. Ajoutez que la musique est riche, harmonieuse, imposante et surtout essenliellement morale, comme le doit être la musiquenbsp;d’église; ajoutez encore que dans cette messe il n’y a pas de remplis-sage, chaque partie est une partie réelle aussi importante que les au-tres, aussi pleine de vie et de mouvement : et vous pourrez juger dunbsp;prodigieux elfet de cette oeuvre unique.

Afin de la mieux sentir, nous l’écoutions les yeux fermés, lorsqu’a I’intonation du Gloria in Excelsis, un mouvement involontaire nousnbsp;les fit ouvrir. En ce moment deux clercs de la Floresia placés derrièrenbsp;I’autel, découvrirent la tapisserie du retable, représentant la Résur-rection de Notre-Seigneur ; un rayon de soleil vinl frapper le tableaunbsp;et fit resplendir la figure du vainqueur de la mort. Avec la rapiditenbsp;de l’éclair, un tressaillement de bonheur se communique a loute I’as-semblée; les gardes nobles relèvent leurs épées, baissées depuis lanbsp;veille; les suisses, leurs hallebardes; les massiers, leurs masses; lu*

(1) Le litre qu’elle porte de Missa papcc Marcelli, ne lui fut donne qu’a l’époque de sa publication, faite 4 la prière de Philippe II, roi d’Espagne, sous le pontifical du papenbsp;Marcel. — Le Samedi Saint est le seul jour de Taniiéc ou on l’exécule.

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CHANT DE l’alLELÜIA. nbsp;nbsp;nbsp;167

J^’^issiers, leurs verges; toutes les cloches de la ville, mueltes depuis ^ ¦leudi Saint, sonnent b. la volée, et mêlent leurs sons joyeux aunbsp;•“uu solennel des mortiers de la garde suisse et des canons du chateaunbsp;*aint-Ange.

Après Ic chant de Thymne angélique, voici venir un sous-diacre ^'iditeur de Rote, vêtu d’une tunique blanche et accompagné d’unnbsp;'J'sitre des cérémonies. II fit une génuflexion devant l’autel, et se ren-au pied du tróne pontifical, oü il dit i haute voix : Pater sanctc,nbsp;^''^nuntio vohis gaudium magnum, quad est Alleluia ; « Saint Père,nbsp;J® vous annonce une grande joie, c’est VAlleluia. » A ces mots il senbsp;P^'osterna, baisa les pieds du Pontife et rentra, pour ne plus reparaitre,nbsp;^ Ja sacristie. « Égllse de la terre, tendre soeur en exil, consoles-toi;

jour tu diras avec ta soeur ainée Ie cantique de la joie. Re^ois Ie 8age de ton futur bonheur, dans ce mot qu’un messager céleste t’ap-Papte aujourd’hui : bégaie ce mot de la langue du ciel, en attendantnbsp;lüe tu viennes Ie chanter avec moi sous les brillants parvis de l’éter-*'®lle Jérusalem. » Voili tout ce que dit ce messager mystérieux, et cenbsp;•hot plus mystérieux encore que Ie lévite vient apporter au chef denbsp;J Êglise militante.

L’annonce linie, Ie célébrant chante VAlleluia trois fois, en élevant ^Uccessivement la voix d’un ton; et chaque fois les chantres répondentnbsp;pft contre-point, et ne font la cadence finale qu’^ la troisième fois.nbsp;Occupés un instant de ces belles cérémonies, nous revinmes a la messenbsp;Palestrina, qui nous fit gouter jusqu’ii la fin une volupté vivenbsp;®omme les sensations, et calme comme les idéés. Tel fut Ie plaisirnbsp;•lu’elle nous causa, qu’en sortant de la chapelle nous allitmes, pénétrésnbsp;*Je reconnaissance, prier sur la tombe de l’immortel compositeur. In-JiUraé par ordre du Pape dans la Basilique de Saint-Pierre, Palestrinanbsp;Pepose au pied de l’autel des apótres saint Simon et saint Jude. Sur lanbsp;Pierre tumulaire on lit cette inscription ; Joannes Petrus Alexis Pa-^^strina, Musicce princeps.

Depuis Ie chant du Gloria in Excelsis, Rome entière avail change ^’aspect. Un air de jubilation respirait sur toutes les figures; les ruesnbsp;étaient pleines de monde. Parmi ces Hots populaires, les uns descen-'Jaient comme nous de Saint-Pierre; les autres venaient de Saint-Jean-'Je-Latran, oü, suivant l’antique usage, on avail adrainistré Ie baptêmenbsp;^olennel ü des catéchumènes juifs et mahométans, montré les têtes denbsp;®aint Pierre et de saint Paul, et fait l’ordination générale. Toutes lesnbsp;9uires églises fournissaient aussi leur nombreux contingent; et l’onnbsp;**’entendait dans la foule que ces mots mille fois répétés : Buona

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168 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.

Pasqua. A cette salutation chrétienne se joignaient, dans toutes les mes, des décharges de mousqueterie en signe de réjouissance; et tan-dis que d’élégantes voitures promenaient, aux acclamations des en-fants, d’énormes saucisses suspendues a leurs baldaquins de feuillage,nbsp;pour annoncer la fin du carême, on voyait les pères portant sur leursnbsp;bras Ie blanc agneaii que chaque familie se fait un devoir de mangernbsp;Ie jour de Paques. Ce spectacle, qui révélait une ville religieuse avantnbsp;tout, est pour Ie voyageur francais une source d’amères jouissances-Comme les Romains, nos pères connurent ces joies saintes et naïves,nbsp;qui coupent si utilement la monotonie du pèlerinage dans la valléenbsp;des douleurs. Nous les avons frappées d’un superbe dédain et com-plétement bannies de nos moeurs et méme de nos idéés : il reste è sa-voir si nous en sommes devenus meilleurs on plus heureux!

Des plaisirs du méme genre, quoique d’une nature différente, nous étaient réservés pour Ie soir. Vers les quatre beures, les Arméniensnbsp;catholiques célèbrent, dans l’église de Sainte-Marie-Égyptienne, 1»nbsp;première messe du jour de Paques. Un évêque de cette nation, envi-ronné d’un clergé nombreux, était è l’autel. Le costume oriental dunbsp;Pontife, des prétres et des fidèles, leur langue, leur chant, leur rit,nbsp;donnent un grand intérêt a eet office, qui déroule aux yeux du chré-tien une page magnifique de notre vénérable antiquité. Nous ne quit-tames l’office arménien que pour nous rendre i Saint-Marcel, oü nousnbsp;appelait une autre funzione pleine de grftce et d’è-propos : je veuXnbsp;parler du couronnement de la sainte Vierge. Hier, Rome avait pleurénbsp;avec la Mère des douleurs; aujourd’hui, elle s’associe è ses joies, et,nbsp;dans l’effusion de sa tendresse filiale, elle vient la complimenter sur lunbsp;résurrection du Sauveur. Autour de son autel, magnifiquement illu-miné, de nombreux fidèles chantent les allégresses de la divine Mere-On la félicite, on Ia bénlt, on l’implore, on lui dit tout ce que les en-fants bien nés peuvent dire, dans I’enthousiasme de leur amour et denbsp;leur joie, è une mère uniquement chérie. Le Gloria in Excelsis dunbsp;matin, le couronnement de la sainte Vierge le soir, ces deux grandesnbsp;félicitations adressées ii Jésus et i Marie, ont acquitté le tribut de lanbsp;piété romaine, et tous les coeurs satisfaits attendent avec impatiencenbsp;la solennité du lendemain.

Tant d’amour de la part des deux augustes viclimes du Calvaire ne sera pas une legon perdue pour leur familie. « Je vous ai donnénbsp;l’exemple, afin que vous fassiez comme j’ai fait; » telle fut la prescription du Maitre après avoir lavé les pieds de ses disciples. Seule,nbsp;entre toutes les villes du monde, Rome accomplit fidèlement, publi'

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IA Tr.lNITÉ-DES-PÈLERlNS. 169

luement, coiistamment cette divine parole. 11 était huit heures du lorsque nous arrivames a l’hospice des Pèlerins, oü nous atten-ce merveilleux spectacle de charité. Le superbe édifice doit sanbsp;^OBdation ü saint Philippe de Néri. On y revolt graluitement pendantnbsp;^•¦ois, quatre et même sept jours, les pèlerins hommes et femmes quenbsp;Piété amène a Rome. Pour être admis, ils doivent arriver d’un paysnbsp;®loigné de plus de soixanle mille, et présenter un certificat de leurnbsp;‘^''êque ou de ses grands vicaires, attestant qu’ils viennent h Romenbsp;Pour visiter les saints lieux. Quelques confrères nommés receveursnbsp;®taminent ces certilicats, afin d’éviter toute fraude. A Paques lenom-des pèlerins est de trois a quatre cents. L’hospice forme deuxnbsp;^“‘’ps de logis séparés ; l’un pour les hommes et l’autre pour lesnbsp;^®tömes. Le nomhre total des lits est de quatre cent quatre-vingt-huit,nbsp;dans tous les réfectoires réunis on peut servir a la fois neuf centnbsp;fiUarante-quatre personnes.

En arrivant, les pèlerins trouvent des frères et des sceurs qu'ils ® ont jamais vus, et qui les resolvent comme de vieilles connaissances.nbsp;Ces frères et ces soeurs sont les membres de la confrérie du Saint-Sa-'^•‘enient, fondée par saint Philippe de Néri. Leur costume, symbolenbsp;la charité, se compose d’une ample robe rouge, retenue par unenbsp;®*inture avec un long rabat blanc, semblable a celui de nos magistrats.nbsp;Eelui de la plupart des pèlerins rappelle le moyen Sge, et la Terre-‘''ainte, et les Croisades, et Saint-Jacques-de-Compostelle, et les autresnbsp;dont l’histoire, racontée au foyer domestique par l’aïeul auxnbsp;’^Eeveux blancs, charma notre enfance, Le grand chapeau de feutrenbsp;ailes étendues, le camail de toile cirée couvert de coquillages, lanbsp;gourde au cöté, le bourdon a la main, tel est leur pieux et poétiquenbsp;‘équipage.

Ene charité attentive s’informe de leurs besoins et pourvoit a tout. U)s quand le nombre des pèlerins est suffisant, les confrères leurnbsp;onnent le bras; chaque confrère en soulient deux : et trois è trois,nbsp;jls se dirigent en procession vers Saint-Pierre, afin d’aller remerciernbsp;® Père common du succès du voyage, et déposer ad limina Aposto-Ofurn le premier hommage de leur piété. De retour è la Trinité, onnbsp;®t*tre dans le lavoir; il est au rez-de-chaussée et se compose de deuxnbsp;®®lles destinées au lavement des pieds. Geile des hommes contientnbsp;®otxante personnes a la fois, celle des femmes cinquante. Assis sur desnbsp;^Dquettes fixées aux murailles, ces pauvres étrangers de tout age etnbsp;® tout pays regoivent l’humble office de la main de tout ce que Romenbsp;‘otnpte de plus illustre. J’ai vu la des jeunes gens de families distin-

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170 nbsp;nbsp;nbsp;LES TBOIS ROME.

guées, de riches négociants, des princes, des évêques, des cardinaux, de grandes et nobles dames. Leurs brillants équipages couvraient lanbsp;place de la Trinité; tandis qu’eux-mêmes, maitres et maitresses, deve-nus, pour l’amour de Jésus-Christ, serviieurs et servantes des pau-vres, étaient è genoux devant les bien-aimés du Dieu Rédempteur,nbsp;leur rendant avec amour tous les devoirs de l’hospitalité chrétienne.

Au lavement des pieds succède Ie souper. Les réfectoires sont de longues salles voütées, autour desquelles règnent deux tables coupéesnbsp;de distance en distance pour la facilité du service. G’était Ie Samedinbsp;Saint; Ie repas était frugal, mais proprement servi: Ie cardinal Actonnbsp;y présidait. Revêtu comme tous les confrères du grand sac rouge, etnbsp;reconnaissable seulement è sa calotte, Ie prince de TÉglise vint direnbsp;Ie Benedicite. Tous les pèlerins se levèrent, firent la prière avec lui,nbsp;puis se rassirent, et la lecture commenga. Elle racontait l’acte de cha-rité que les saintes femmes avaient voulu exercer envers Notre-Sei-gneur au tombeau, en apportant des parfums pour embaumer sonnbsp;corps. Rentré a la cuisine, Ie cardinal, aidé d’un évéque frangais etnbsp;d’autres personnages éminents, faisait les portions de minestra, qu’ilnbsp;puisait dans une grande chaudière. La soupe ainsi que les autres platsnbsp;arrivaient aux pèlerins sur les bras de confrères d’un rang égalementnbsp;dislingué. Nous remarquames entre autres les jeunes princes d’Es-pagne et Ie cardinal Schwartzemberg. Ils circulaient autour des tables, et servaient avec une grace parfaite les hötes de la charité, con-fus de lant d’honneur et attendris jusqu’aux larraes.

Quel qu’il soit, Ie spectateur ne peut s’empêcher de partager leur émolion, et de bénir tout è la fois Ie Dieu qui a su faire de tous lesnbsp;hommes un seul peuple de frères; et l’Église Romaine qui perpétuenbsp;d’une manière si touchante les enseignements du divin Maitre; et cesnbsp;nobles confrères qui, dans notre siècle d’égoïsme, pratiquent è Ia lettrenbsp;les legons de dévouement qui sauvent les sociétés; et ces pauvres pè'nbsp;lerins, jeunes enfants, vieillards aux cheveux blancs, tendres mères,nbsp;soeurs dévouées, tous venus è pied et de si loin, pour obtenir Ie salutnbsp;de quelque personne chérie, accomplir quelque voeu, et continuer cettenbsp;longue procession qui, depuis dix-huit siècles, se rend de tous Ie®nbsp;points du monde aux glorieux tombeaux des Apótres.

Le réfectoire des femmes présentait Ie même spectacle. Après l’at!' tion de graces, tous les pèlerins se rendirent è la chapelle pour y fairenbsp;en commun la prière du soir. Les dortoirs s’ouvrirent, et chaquenbsp;voyageur y trouva un lit préparé par les mains maternelles de Ianbsp;charité.

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LA TRINITÉ-DES-PÊLERINS. nbsp;nbsp;nbsp;171

La réception des pèlerins n’est point, de la part des fidèles de Rome, *^tie de ces faciles démonstrations que la vanité produil et que la modenbsp;¦'^outient pendant quelque temps; c’est une oeuvre sérieuse qui a tra-''ersé les siècles et qui impose d’énormes sacrifices. Les solennités denbsp;Saint-Pierre, de la Fête-Dieu, de la Porlioncule el bien d’autres en-amènent a Rome un très-grand nombre de pèlerins. Pendant lanbsp;Sfittiaine Sainle, il varie de quatre a cinq cents. Dans les années dunbsp;¦^ubilé il est beaucoup plus considérable. Les arehives de la Triniténbsp;'lonnent Ie tableau suivant des pèlerins hébergés dans l’établissementnbsp;® Ces époques solennelles.

Jubilés.

Total des bouches.

Balance par jour.

157S

116,848

520,04

1600

524,600

889,51

1625

582,760

1,596,60

1650

508,555

845,29

1675

511,777

854,18

1700

500,000

821,91

1725

582,140

1,046,95

1750

194,852

555,78

1775

271,970

745,12

1825

275,299

745,12

Ainsi, a la dépense annuelle, qui est d’environ cent mille francs, *ant pour les convalescents que pour les pèlerins, s’ajoute tous lesnbsp;'ingl-cinq ans une dépense extraordinaire de plus de cinq cent millenbsp;^^cancs. Or, c’est la charité romaine qui s’impose lous ces frais.

Pour compléter nos impressions, ou, si l’on veut, pour les rendre plus vives par un grand contraste, nous nous rendimes au Colisée.nbsp;^euf heures du soir sonnaient au Gesü; il faisait un clair de lunenbsp;®'3gnifique, Rome entière élait dans Ie silence. Sur les dalles de la voienbsp;^acrée, on n’entendait que les pas de notre caravane composée d’en-'•oon quinze personnes. Bien des fois j’avais vu Ie Colisée pendant Ienbsp;il m’avait paru grandiose ; au clair de la lune, il me parutnbsp;cffrayant. Quand les rayons obliques de 1’astre des nuits, traversantnbsp;les larges brèches de ces bautes murailles, pénèlrenl dans les vomi-’^uires è demi ruinés, éclairent toutes les anfractuosités du colossalnbsp;Edifice, et vous laissent entrevoir dans toutes ses parties cette mon-'¦“gne de ruines noiratres, silencieuses, mena^antes, un frisson deter-*’eur vous passe dans les veines, vous serrez Ie bras de votre voisin,nbsp;'ous ne savez si vous devez tester ou si vous devez fuir.

A 1’extrémilé de l’arène, un guide nous attendait muni d’une longue *ürche résineuse. Sur ses pas nous gravimes lentement les degrés qui


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172 LES TROIS ROME.

conduisent au premier étage, dont nous fimes Ie tour, autant que Ie pennettent les larges crevasses de la plate-forme. Nous tenions a passernbsp;sur tous ces siéges occupés jadis par les Césars, Ie Sénat et les Vesta-les. De la, nous montames a l’étage supérieur, Ie seul qui reste accessible. Arrivée sur la galerie, toute la troupe voyageuse se mit a chanter. Ge volume de son quoique faible, mais dont les échos des vastesnbsp;murailles augmentent singulièrement la puissance, donne une idéé denbsp;l’effet produit, alors que Ie Colisée existait tout entier, par les hurle-ments des bêtes féroces, les fanfares des orchestres, les cris des gla-diateurs, les vociférations et les trépignements de cent mille spectateursnbsp;ivres de sang et de volupté. Quel spectacle! quel contraste! Nous sor-tions de la Trinité-des-Pèlerins oü nous avions vu les princes et lesnbsp;princesses a genoux devant Ie pauvre; et nous étions au Colisée oü Ienbsp;riche et Ie puissant faisaient dévorer, pour leur plaisir, Ie petit et Ienbsp;faible; la d’immenses richesses dépensées en oeuvres de la plus tou-cbante charité; ici l’or du monde prodigué pour des scènes de carnage : tel est pourtant l’intervalle que l’Évangile a mis entre nous etnbsp;Ie paganisme. La Trinité-des-Pèlerins et Ie Colisée rapprochés l’un denbsp;Pautre et vus Ie raême jour de la sainte Semaine, présenten!, a Tes-prit de l’observateur impartial, la divinité du christianisme dans sanbsp;plus haute puissance; ils font plus, ils Ia font sentir a son cteur.

27 MARS.

Piques. — Vue de Rome et de Saint-Pierre. — Entree du Pape. — Messe. — Vue de place Saint-Pierre. — Benediction solennclle. — Fête dans les families.— lUumina-lion du Vatican.

L’artillerie du chateau Saint-Ange annon^a, dès 1’aurore, Ie retour de la grande solennité. Toute la population romaine, accrue de soixantcnbsp;mille étrangers, se pressait dans les églises, encombrait les places, etnbsp;se portait en flots pressés vers Ie pont Elien et la Basilique de Saint-Pierre. Un air de jubilation respirait sur toutes les figures : Ie cielnbsp;était magnifique. A peine ca et la quelques légers nuages tempéraientnbsp;les ardeurs du soleil, sans rien eter a ses rayons du vif éclat qui devaitnbsp;éclairer Ie plus bëau jour de la Ville éternelle et du monde. Mais comment décrire ces augustes cérémonies! La plume peut bien les fairenbsp;(onnailre dans tous leurs détails; quant ü rendre l’impression qu’ellet'nbsp;produisent, Ie spectateur de ces grandes scènes reculera toujours devant cette lachc impossible.

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PAQl'ES. nbsp;nbsp;nbsp;175

La pompe des olBces surpasse celle de Noël; les plus riches orne-nients, les vases sacrés les plus précieux étalent leur magnificence sur I aulel, auteur du tróne pontifical, dans les bancs du Sacré Collége etnbsp;dans toutes les parties de la Basilique. Les avenues du portique et lanbsp;grande nef jusqu’a la confession de Saint-Pierre sont occupées par lesnbsp;regiments pontificaux. Les gardes suisses, les gardes nobles, les géné-raux des troupes romaines, en grand costume, font leur service auprèsnbsp;du Souverain Pontife. Sa Sainteté est re^ue sous Ie portique par Ienbsp;chapitre du Vatican, ayant a sa tète Ie cardinal archiprêtre. Au défilénbsp;du cortége devant la statue de Constantin, les tambours battent auxnbsp;eharaps, les cloches de la Basilique sonnenl a la volée et les trompettesnbsp;de la garde noble éclatenl en joyeuses fanfares. Le Pape franchit Ienbsp;seuil de la grande porte du temple, et les chantres de la chapelle en-tonnent l’antienne Tu es Petrus : ce moment a quelque chose d’im-Posant et de solennel qu’on ne saurait décrire. Porté sur la Sedia, lenbsp;Saint-Père s’avance majestueusement vers la confession; lè il met piednbsp;^ terre, et après une courte adoration, monte sur le tróne de Tierce,nbsp;re^oit l’obédience du Sacré Collége et la messe commence. Elle estnbsp;suivie de l’ostension des reliques majeures de la Croix, de la saintenbsp;Face et de la Lance; puis de la Bénédiction solennelle du haut de lanbsp;grande loge.

Avant onze heures, la place de Saint-Pierre présentait un coup d’oeil Unique sur la terre. Aux e.xtrémités inférieures, stationnaient quinzenbsp;cents a deux mille équipages d’une magnificence royale, c’étalent lesnbsp;''oitures des cardinaux, des ambassadeurs, des prélats, des princes etnbsp;•le toute la noblesse roinaine et étrangère. Le centre de la place, ennbsp;uvant de l’obélisque, était occupé par les troupes d’infanterie et denbsp;cavalerie formant un vaste carré. Sur le grand front qui regardaitnbsp;Saint-Pierre était rangée la musique des divers régiments. Enfin dansnbsp;toute l’étendue de la place jusqu’au seuil de la Basilique, sur la dou-galerie environnante, se pressait une foule tellement compacte quenbsp;tout mouvement semblait impossible : il y avait sans exagérer centnbsp;®uhe spectateurs au moins.

Lu lieu élevé oü nous étions parvenus, nos regards se promenaient Cette immense multitude, palpitante d’émotlons, lorsque vers midinbsp;toutes les cloches de la Basilique sonnent a la volée; le canon du chateau Saint-Ange fait une décharge générale, a laquelle vient se mêler

foulement des tambours et le son éclatant des trompettes : c’est * annonce de la prochaine arrivée du Saint-Père. Tous les regards senbsp;portent vers la grande Loge, ombragée par un superbe pavilion d’écar-

T. UI. nbsp;nbsp;nbsp;8

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'174 LES TROIS ROME.

late. Bientót un mot part de toutes les Louches, et cent mille fois ré-pété forme comme un vaste murraure : Ecco! Ecco! Le voila! Ie voilé! Et toutes les têtes se découvrent, et tous les genoux fléchiraient s’il ynbsp;avail place; et l’on vit arriver sur le grand balcon tout le cortége pontifical : cent prélats avec leur magnifique costume, trente-un cardi-naux en mitre blanche, vingt-quatre évêques de l’Orient et de l’Occi-dent. Enfin le Vicaire de Jésus-Christ, l’auguste vieillard porté sur lanbsp;Sedia gestatoria, la tiare en tétc, parut avec une majesté infinie auxnbsp;regards du peuple immense. Un silence universel s’était établi : onnbsp;respirait a peine; toute cette multitude immobile ne semblait vivrenbsp;que par les yeux.

Assis sur la Sedia, approchée de la partie extérieure du grand b.alcon, le Saint-Père récita d’une voix ferme les prières d’usage (i). Denbsp;chaque cólé étaient deux évêques a genoux, l’un tenant le cierge al-lumé, l’autre présentant le livre des oraisons. La formule achevée, lenbsp;Saint-Père, revêtu de la chape brodée d’or, et le front orné de la triple couronne, se leva majestueusement, ouvrit les bras, les étendit ennbsp;haut comme pour aller puiscr dans le ciel même la bénédiction qu’ilnbsp;allait répandre, puis formant le signe de la croix, il les rejoignit surnbsp;sa poitrine, comme un père qui embrasse son enfant et le presse surnbsp;son cceur : et eet enfant, c’est Rome et le monde. Ce mouvement estnbsp;d’uii effet indicible. Jamais et nulle part l’oeil humain n’a rien vu denbsp;si solennel, de si saisissant. Dans ce moment unique, a la vue du Sou-verain Pontife, dont la moitié du corps seul se dessine aux regards, onnbsp;ne sait si c’est un horame, un ange, ou Dieu lui-même qui apparaitnbsp;dans les airs. Quant a l’impression, je le répete, je ne veux pas mêmenbsp;essayer d’en parler. Elle est telle qu’un de nos philosophes du derniernbsp;siècle s’écriait, après l’avoir éprouvée : En ce moment j’étais catho-lique.MXc est telle qu’une princesse protestante venue naguère a Romenbsp;pour y faire de la propagande, tomba évanouie et se releva catholique!

(i) Sancti apostoli Petrus et Paulus, de quorum po testate confidimiis, ipsi intercedant pro nobis ad Dominum.

Precibus el mcrilis Bealaj Mariaï semper Virginis, Beali Michaelis arcbangeli, Boat* Joannes BaptislzCjCl sanctorum apostolorum Pelriet Paiili,et omnium sanctorum,raise-reatur veslri oranipotens Deus, et dimissisomnibus peccalis veslris, perducat vos Jesusnbsp;Christus ad vitara reternam. Amen.

Indulgenliam, absolulionem, ct remissionem omnium peccatorum veslrorum, spa-tium ver® et iructuos® posnitenti®, cor semper pcenitens el emundationem vil®, tiam ct consolaiionem Sancti Spiritus, et finalem perscveranliam in bonis operibus,nbsp;tribuat vobis omnipotens et misericors Dominus. Amen.

Benediciio Dei omnipoientis Patris, el Filii, et Spiritus sancti descendat super vos et maneat semper. Amen.

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lÊTE DANS LES FAMILLES. nbsp;nbsp;nbsp;175

Elle est telle que tous les voyageurs, n’importent leur religion et leur caractère, répètent d’une voix unanime : II n’y a rien de comparablenbsp;sous Ie ciel!

En pronongant les dernières paroles de la bénédiction, Ie Saint-Père s’était rassis; VAmen avait été répété solennellement quatre fois par l’immense voix de la foule, lorsque tout a coup une voix plus fortenbsp;lo redit h sa manière. Les cloches de la Basilique, le canon du chateaunbsp;Saint-Ange, les tamhours et les trompeltes des régiments éclatant a lanbsp;fois, portèrent I’acclamalion de l’éternité jusqu’aux montagnes loin-taines de la Sabine et du Latiura. Les deux cardinaux assistants lurent,nbsp;1’un en latin, I’autre en italien, les formules de I’indulgence plénièrenbsp;accordée aux fidèles qui avaient re^u la bénédiction dans les dispositions convenables. Ges formules imprimées furent jetées au peuple; lenbsp;Saint-Père avait disparu : tout était fini.

La foule émue s’écoula lentement, et bientót divisée en mille fractions, elle fut assise a d’innocents festins par lesquels chaque familie célèbre, en mangeant I’agneau pascal, la fête de la grande familienbsp;chrétienne. Afin que tous aient part a la joie commune, des secoursnbsp;sont donnés a tous les pauvres qui se presentent au Vatican; d’abon-dantes aumónes distribuées aux prisonniers ou portées aux familiesnbsp;nécessiteuses; et des captifs sont mis en liberté. Rome imite ainsi lenbsp;divin Sauveur dont I’apparition dans les limbes fut pour les justesnbsp;I’heureux signal de la délivrance. Enfin, comme les académies et lesnbsp;réunions littéraires avaient chanté naguère les douleurs de la grandenbsp;Victime, elles célèbrent aujourd’hui son triomphe. La prose et la poésienbsp;fedisent tour a tour la victoire de l’Homme-Dieu, les conquétes mer-feilleuses de la foi, ses bienfaits plus merveilleux encore et ses luttesnbsp;Rigantesques : de hrillantes couronnes sont décernées aux vainqueurs.nbsp;Tout cela montre que les fêtes religieuses, a Rome, sont des fêtes véri-tablement populaires.

La joie publique se manifeste le soir par la célèbre illumination de la Coupole. Comme la bénédiction du matin, elle est telle qu’aucunenbsp;autre capitale ne saurait offrir aux regards étonnés du voyageur unnbsp;spectacle semhlable. Qu’on se représente le plus magniCque templenbsp;fiu monde, aveo ses proportions colossales, avec sa coupole de quatrenbsp;cent vingt-quatre pieds de hauteur, avec son immense place environ-née d’une double colonnade ornée de milliers de statues de marbre,nbsp;ft tout eet edifice devenu une montagne de feu! Quatorze cents lampions a feu voilé sont placés sur la facade extérieure du temple et desnbsp;Portiques, è partir du sol jusqu’a Textrémité de la croix du dóme. Ces

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176 LES TROIS ROME.

lampions dessinent loutes les arêtes de l’édifice dont ils marquent les lignes architectoniques, se courbant oü elles se courbent, s’arrêtantnbsp;OU elles s’arrêtent, se brisant oü elles se brisent.

Deux points sont indiqués pour bien jouir de l’illumination : Ie Mont-Pincio et l’entrée de la place Saint-Pierre. Du premier on l’aper-goit dans Ie lointain eomme iin immense météore, dont Ie scintille-ment répand sur Palmosphère la lumière d’un incendie. Du second,nbsp;on la voit de prés et Pon admire la symétrie de toutes ses lignes de feunbsp;qui éclairent les savants dessins de la fagade et de la coupole, tracésnbsp;par la main de Michel-Ange. Descendus du Pincio ii buit heures vingtnbsp;minutes, nous arrivftmes, a travers les Hots du peuple, sur la placenbsp;Saint-Pierre avant neuf heures moins un quart. II était temps, la première illumination commeneée a buit heures était sur Ie point de finir:nbsp;a neuf heures il y a changement de feu.

Au premier coup de I’heure, quelque chose d’enflammé, semblable a des étoiles filantes, court sur Ie dóme, sur la croix, sur les petitesnbsp;coupoles, sur la facade, sur Ie péristyle, sur la colonnade, sur la place,nbsp;se faisant voir partout et ne s’arrétant nulle pact; et quand Ie derniernbsp;coup de riieure sonne, ce je ne sais quoi ne remue plus, ne se voitnbsp;plus; raais sept cent quatre-vingt-onze nouveaux feux ont été allumés,nbsp;et des rosaces, des guirlandes, des candélabres, des foyers d’une flammenbsp;brillante se trouvent mêlés aux lignes un peu ternes de la premièrenbsp;illumination. Rien ne peut rendre la promptitude de ce changementnbsp;de feu, comme rien ne peut faire comprendre i ceux qui ne Pont pasnbsp;vu, Ie grandiose de eet incendie de la coupole (i). Trois cent soixante-cinq pietrini suspendus avec des cordes ont tout a coup opéré eet effetnbsp;magique, sans qu’on ait pu les apercevoir; et allumé dans Ie temps quenbsp;je mets è l’écrire cinq mille neuf cent quatre-vingt-onze lampions.nbsp;C’est leur secret et une des gloires du génie italien, sans rival dans lesnbsp;beaux-arts et dans l’ordonnance d’une fête.

Ce qui rehausse Ie caraclère de ce brillant spectacle et augmente l’impression, c’est la pensée qui l’inspire. Dans les autres pays on illumine pour des fötes civiles; a Rome, seulement pour des fêtes religieuses ; la, pour les joies souffrantes de l’exil; ici, pour les espérancesnbsp;délicieuses de la patrie; et tout y prend Ie caractère de l’infini; et Ienbsp;spectateur élevé au-dessus de lui-même se retire en bénissant la Providence de l’avoir rendu témoin de ces grandes solennités, les plusnbsp;ravissantes après celles du ciel.

(0 Manuel de la chapclle Sixtine, p. lli.

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ADIEDX A ROME PAIENNE. 177

28 MARS.

Adieus a Rome païenne. — Feu d’iirliflce du ChSieau Saint-Ange. — Reflexions sur les solennilcs Romaincs de la Semaine Sainte et de Paques.

A part le feu d’artifice du chflleau Saint-Ange, qui nous était réservé pour le soir, nous avions vu lout ce que Rome et le monde peu-vent offrir de plus magnilique. Le but du voyage était rempli, il fallait songer au départ. Nous élions venus pour étudier les trois cités ren-fermées dans une seule. ABn de conserver plus vifs et plus certainsnbsp;les souvenirs de la triple Rome, nous voulumes la voir une dernièrenbsp;fois dans les grands monuments qui la résument; li celte visite d’adieunbsp;furent employés nos derniers instants. Rome païenne se personnifienbsp;dans les ruines colossales de ses édifices; et le Capitole, le Forum, lanbsp;Prison Mamertine, le Colisée, I’Aqueduc de Claude, les Thermes denbsp;Dioclétien, l’Obélisque d’Auguste nous virent de nouveau, recueillantnbsp;l’irrécusable lémoignage qu’ils rendent au génie, a la religion, auxnbsp;lois, aux moeurs de la puissante reine de la force.

De ce témoignage muet, mais éloquent, void la traduction : « II fut un monde dont Rome était la capitale et dont César était le maitre;nbsp;un monde qui divinisa Thomme et ses passions grossières et ses instincts cruels; qui vit tons les peuples enchainés lour it lour au charnbsp;de la victoire apporter a Thomme déifié I’liommage de leur or et denbsp;leur sang le plus pur; qui rugit comme la hyène et le tigre, lorsquenbsp;douze pecheurs, armés d’une croix de bois, vinrent lui disputer I’em-pire des intelligences; qui déchira pendant trois siècles les corps pal-pilants de dix millions de martyrs, et qui, bourreau tout-puissant, futnbsp;vaincu par ses faibles victiraes, ne laissant après lui que des monuments de son orgueil, de sa force, de sa volupté et de. sa fabuleusenbsp;barbarie; monuments gigantesques dont le dernier vestige aurait dis-paru, si la Croix victorieuse n’avait pris soin de le couvrir de sonnbsp;ombre tulélaire. Grflees a toi, monde de Jupiter et de Néron! toujoursnbsp;vivant dans les ruines, tu enseignes éternellement les siècles; et, plusnbsp;éloquent que tous les oraleurs, tu élèves i sa plus haute puissance lenbsp;miracle de la divinité de ma foi et le sentiment de ma reconnaissancenbsp;pour le Dieu libérateur du genre humain; adieu, ta mission est accom-plie : repose dans ton vaste torabeau; et, s’il se peut, que la terre tenbsp;Soit légère. »

Notre visite a Rome païenne, jointe ü quelques préparatifs de départ.

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178 LES TROIS ROME.

avail occupé une partie de la journée. Le soir, amp; sept heures, nous traversions au pas de charge le Ponte Sisto, et, dans presque toute sonnbsp;étendue, nous suivions la Longara. Oü allions-nous si vite? Chez lanbsp;bonne veuve Buffalo. Que voulions-nous ii cette excellente femme quinbsp;nous était parfaitement inconnue? Nous voulions prendre les placesnbsp;retenues pour nous sur son balcon, situé au bord du ïibre en face dunbsp;chateau Sainl-Ange, afin de jouir la tout a notre aise de la magnifiquenbsp;(nrandola. On donne ce nom au feu d’artifice tiré du móle d’Adrien,nbsp;en réjouissance de la Resurrection du Sauveur. Tout Rome est a cenbsp;spectacle, le plus beau qu’on puisse voir avec ceux de la veille.

A huit heures trois quarts, plusieurs coups de canon donnèrent le signal de la fête. En un clin d’oeil la plate-forme du chateau Sainl-Ange langa dans les airs .des colonnes de üammes qui représentaienlnbsp;au naturel une éruption du Vésuve. Afin de compléter l'illusion, lesnbsp;flammes s’élevaient par bouffées, comme si elles eussent été violem-ment chassées par Pair comprimé au sein du volcan, tandis que le bruitnbsp;du canon imitait les déchirements souterrains de la montagne. A cenbsp;terrible spectacle succéda une douce et gracieuse representation. Lenbsp;chateau fut tout a coup illuminé par des milliers de lampions d’unenbsp;lumière si vive, qu’on aurait dit une rivière de diamants sur la lêlenbsp;d’une femme. Pour troisième scène, nous eümes les Cascatelles de Tivoli. De toutes les embrasures de la citadelle descendirent des ruis-seaux de feu, semblables au fer en fusion. Rien ne fut oublié, pasnbsp;même la grande cascade, donl la lumière éblouissante, réfléchie parnbsp;les eaux du Tibre, doublait pour nous le plaisir du magique spectacle.

Vinrent ensuite, a la gloire du divin Triomphateur, une vaste cou-ronne de gerbes étincelantes, dont chacune ressemblait i un plant d’aloès; puis des chandelles romaines, des comètes, des fusées. Ennbsp;éclatant dans les airs, tous ces brillants météores laissaient échappernbsp;des armées de petits poissons ailés qui semblaient se combattre, puisnbsp;mourir l’instant après celui qui les avail vus naitre. Ce n’était 1^ quenbsp;le prélude de la grande balaille livrée au monde par le divin Crucifié.nbsp;Le combat lui-même nous fut offert dans un siége, remarquable sur-tout par le nombre des fusées et des coups de canon qui se succé-daient avec une rapidité extréme. Enfin, le bouquet se composa d’unenbsp;masse de chandelles romaines qui, s’élevant a une grande hauteur,nbsp;éclatèrent toutes ensemble et formèrent en retombant une immensenbsp;gerbe de flammes, dont les vives nuances scintillaient comme desnbsp;rubis, des diamants et des topazes aux rayons du soleil. Grütce è lanbsp;place que nous occupions sur le bord du Tibre, il nous fut donné de

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RÉFLEXIONS SDU LES SOLE.NNITÉS ROMAINES. 179

jouir doublement du feu d’artifice. La réalité nous apparaissait au raóle d’Adrien, et l’iniage dans Ie fleuve, dont les eaux tranquilles re-produisaient a nos pieds toutes ces gracieuses et terribles merveilles.

La girandole termine les fétes de Paques. En quittant a regret les lieux oii il éprouva tant de jouissances, Ie voyageur réfléchi sent Ienbsp;besoin de se replier sur lui-mêzne, et il se demande : Poiirquoi cesnbsp;grands spectacles? Toutes ces pompes dispendieuses ne seraient-ellesnbsp;(ju’uri vain amusement? D’oü vient aux solennités roraaincs Ie mysté-rieux privilege de faire sentir des impressions qu’aucune autre fête nenbsp;produit? Pourquoi la Ville éternelle donne-t-elle chaque année de pa-reilles fêtes au monde? Le bon sens n’a pas de peine h répondre :nbsp;Rome est trop grave pour s’oublier au point de dépenser périodique-ment en plaisirs inutiles, les aumónes des lidèles ou les sueurs de sesnbsp;enfants? Son histoire l’absout d’une pareille insinuation. Quel estnbsp;done son dessein? La nature raême de ses fètes le révèle et donne lenbsp;secret des impressions ineffables qu’elles produisent.

11 faut des fêtes au peuple, et par peuple, il faut entendre tous les hommes. Mais prenez garde, suivant leur nature, les fêtes sont imenbsp;cause puissante de salut ou de ruine pour les nations. Que les fêtesnbsp;publiques soient tout ensemble un délassemcnt et une haute Icfon denbsp;vertu, et le peuple portera joyeusement le poids du travail; vous sol-licitez tous les nobles instincts du ceeur, vous agrandissez le carac-tère national, vous posez le principe fécond d’actions généreuses quinbsp;sont la gloire et le soutien des sociétcs. Or, les fêtes catholiques seu-les, réunissant au plus haut degré ce double caractère, ont le privilege de produire ce double avantage. Rome le comprend; et si sa conduite avait besoin de justification, elle la trouverait dans l’histoirenbsp;des nations qui dédaignent les fêtes religicuses. Vous avez tourné ennbsp;dérision les pompes salutaires du catholicisme ; vous les avez appau-vries OU supprimées : le peuple s’en est éloigné, mais il n’a pas perdunbsp;le gout des fêtes; il lui en faut, et il en aura. Les théfttrcs, les bals,nbsp;les orgies des barrières, les immondes divertissements de nos gran-des cites remplaceront les nobles plaisirs que la religion lui offraitnbsp;-gratuitement. Au lieu de se spiritualiser, il se materialise; et rexcila-lion fébrile de tous les mauvais instincts, et la corruption des coeurs,nbsp;et la perversité des intelligences, et Tabaissement du caractère natio-*i3l, et la haine de l’ordre, et la ruine précoce de la santé, et le dés-ordre moral, et la misère matérielle son inevitable conséquence; telsnbsp;seront les fruits amers que le peuple recueillera du mépris et de lanbsp;suppression des fêtes religieuses : ce n’est pas une prophétie que jenbsp;fais, c’est de l’hisloire que j’écris.

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180 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.

Justifiées dans leur existence, les solennités romaines nous cachent encore la raison de leur puissance merveilleuse. On la découwe toutnbsp;b. la fois dans leur magnificence extérieure et dans leur nature inlime.nbsp;Ce que j’ai dit de la chapelle Sixline, de ses peintures, de ses chants,nbsp;de ses cérémonies, de la bénódiclion papale, de l’illumination de lanbsp;coupole, suflit pour apprendre que Rome seule possède les éléments,nbsp;dont la réunion fait de ses solennités les plus belles fètes après cellesnbsp;du ciel. Si l’on ajoute que «es fêtes oü la richesse des détails et Ie bonnbsp;goüt des dispositions s’unissent ii la grandeur de l’objet, se célèbrenlnbsp;sous Ie magnifique ciel d’Italie, dans la Ville éternelle, au milieu desnbsp;chefs-d’oeuvre éblouissants du génie chrétien, sous les yeux de toutnbsp;ce que la terre connait de plus auguste, en présence d’une nuée denbsp;lémoins venus des quatre coins du globe : on comprendra que Ie spec-tateur, subjugué par ce merveilleux ensemble, éprouve des impressions inconnues partout ailleurs, et sente son admiration s’élever jus-qu’a I’enlhousiasme, son bonheur jusqu’a l’ivresse.

Toutefois, les solennités romaines de la Semaine Sainte et dePüques doivent leur incomparable puissance, bien moins b leur pompe extérieure qu’h leur nature intime. H y a dans Ie coeur humain deuxnbsp;grandes fibres dont Ie frémissement ébranle profondément et è coupnbsp;sur toutes les autres ; la douleur et l’espérance. Remuées séparément,nbsp;elles exercent une puissante action; remuées a la fois, elles portentnbsp;l’impression b sa plus haute énergie. Or, metlre en jeu ces deux ressorts de l’ame, les metlre en jeu simultanément, les mettre en jeunbsp;avec une force surhumaine, voila Ie privilége des solennités romainesnbsp;dont je parle. La mort, la résurrection d’un Dieu immolé parnbsp;rhomme, ressuscité pour Thomme, c’est-a-dire Ie spectacle Ie plusnbsp;lugubre et la douleur la plus profonde, tout a coup suivis du triom-phe Ie plus éclatant et Ie plus glorieux, tel est Ie sujet, ou pour mieuxnbsp;dire, l’Ame de ces fêtes. Comment concevoir qu’un pareil drame, re-présenté avec toutes les ressources de Tart et du génie, n’ébranlêtnbsp;point Ie spectaleur jusque dans les profondeurs de son ame, et n’éle-vêt point ses impressions a leur dernière puissance?

II faut ajouter que dans sa partie douloureuse comme dans sa partie consolante, Ie drame du Golgotha porte un cachet de catholicité quinbsp;contribue merveilleusement a grandir l’intérêt en mème temps que,nbsp;par ses rapports intimes avec chacun de nous, il nous associé a sesnbsp;péripéties lugubres et a son dénoument glorieux. Pour parler seule-ment des joies qu’il produit, on comprend qu’elle doit être leur viva-cité? lUuminer un palais, lirer un feu d’artifice pour la naissance

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RÉFLEXIONS SUR LES SOLEKNITÉS ROMAINES. nbsp;nbsp;nbsp;d8l

d’un prince, êt l’occasion d’une victoire, en mémoire d’une revolution, est une fête essenliellement particuliere : révénement célébrc est d’unnbsp;intérêt local; souvent même, s’il fait Ie bonheur des uns, il fait lanbsp;douleur des autres. Tel est, en général, Ie caraclère de toutes les fêtesnbsp;politiques. Or, Thomme est ainsi fait, qu’il jouit peu, qu’il jouit malnbsp;luand il est seul. Pour être content, son coeur veut se scntir a l’unis-son avec d’autres coeurs; plus Ie nombre en est grand, plus son bonheur augraente. De plus, Ie plaisir qu’il éprouve revêt Ie caractère dunbsp;sujet qui Ie produit. II sera tour i tour superficiel, passager, inquiet,nbsp;futile, selon que son principe sera empreint de quelqu’un de ces ca-ractères.

Au contraire, Ie sujet de se réjouir est-il par son étendue commun non-seulement a une province, a une nation, i une partie du monde,nbsp;toais a toutes les nations du globe, au ciel même; touche-t-il par sanbsp;nature aux profondeurs de l’humanité et aux grandeurs de Dieu; ennbsp;un mot,est-il catholique suivanttoutel’énergie du mol?a rinstantl’im-pression qu’il produit prend un caraclère d’ialimilé, de douceur etnbsp;de force qui plonge dans une délicieuse ivresse et Ie coeur et les sens.

Or, Ie plus magnifique temple de l’univers, resplendissant de lu-niières au milieu des ténèbres de la nuit, et éclairant de ses feux Ie Cirque même de Néron, qu’illuminèrenl jadisles chrétiens changes ennbsp;torches vivantes; Ie colossal mausolée d’un persécuteur de l’Églisenbsp;devenu Ie théillre oü Ie génie célèbre Ie triomphe du vainqueur desnbsp;Césars et du monde; ce vainqueur lui-même, qui n’est pas un bomme,nbsp;naais un Dieu, un Dieu qui combat non pour lui, mais pour l’huma-nité déchue, qui la sauve, qui la réhabilite, et, la plagant avec lui surnbsp;son char glorieux, l’introduit dans la cité de l’éternel bonheur : con-naissez-vous quelque chose de plus catholiqu%, par conséquent de plusnbsp;intéressant et de plus propre ^ élever l’ame du spectateur? A son tour,nbsp;voyez comme Ie coeur se dilate! En s’abandonnant i l’ivresse de la joie,nbsp;d sent qu’il nage dans un océan sanslimite et sans fond; qu’il est i» l’u-nisson avec Ie ciel et la terre; que son bonheur ne fait cooler d’autresnbsp;iarmes que des larmes de joie : il sent surtout que son allégresse passa-gère se rattache par des liens my stérieux aux allégresses du monde futur;nbsp;^•^0 la fête qu’il célèbre est sa propre fête, la fête de ses millions denbsp;frères de toule nation, de toute langue et de toute tribu, la fête desnbsp;^“ges, la fête de Dieu lui-même, accoraplie sur les confins du tempsnbsp;ot de l’éternité.

On comprend désormais la profonde sagesse de Rome, la mère des Pouples et la gardienne des sociétés ; pour toutes les nations elle a

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18“2 LES TROIS HOME.

établi ces sublimes spectacles qu’elle multiplie peur ses enfants. Aux grandes solennités de Pèques et de Saint-Pierre, succèdent dans Ienbsp;cours de l’année les fêtes patronales de ses clnquante-deux paroisses.nbsp;Ce jour-lè chaque paroisse a son illumination, son feu d’artifice, sonnbsp;orchestre devant le portail. Voila autant de lemons de spiritualismenbsp;données, autant de victoires gagnées au profit de la familie et de lanbsp;société, sur les mauvais penchants de la nature.

29 MARS.

Adieux a Rome chrélienne et a Rome souterraine. — Chaine de saint Paul, a Saint-^au.\-hors-des~murs. — Chaine de saint Pierre, a Saint-Picrre-m-Fmcoh'. — Paroles de saint Chrysostome.

C’était Ie jour de nos adieux a Rome chrétienne. Mais comment les lui faire et par oü commencer? Car dans toutes ses oeuvres, Romenbsp;chrélienne est chère au voyageur calholique, et ses oeuvres sont in-nombrables comme les monuments qui les résument : il fallut choi-sir. Pour nous souvenir éternellement de son intelligente piélé enversnbsp;Dieu, envers Marie et envers les hommes, nous alldmes d’abord adorer son chef invisible, le Fils de Dieu, dans l’église oü les Quarantenbsp;heures l’exposaient aux hommages des Remains. Qu’elle soit hénie lanbsp;dévotion tutélaire qui, chaque jour, opposant a la justice divine, ar-mée contre les iniquités du monde, la grande victime de propitiation,nbsp;détourne des fléaux trop mérités, élève incessamraent les coeurs ennbsp;haut et fait couler sur Punivers entier un fleuve de miséricorde et denbsp;grace!

Quelques instants plus tard, nous franchissions les degrés de Sainte-Marie-Majeure, la Basilique chérie de I’auguste Mère de Dieu.nbsp;A l’exemple dix fois séculaire de tant de pontifes, nous étions pros-ternés devant l’image miraculeuse de la Reine des anges et des hommes, et nous hénissions Rome d’avoir encouragé, défendu, exalté etnbsp;rendu si parfaitement populaire, Ie culte de la plus douce des vierges,nbsp;de Ia plus aimable des mères, de cette fille de Juda dont le sourire,nbsp;le regard, le nom seul porte dans toutes les Ames la sérénité, le courage, la pureté et la confiance enfantine.

De Sainte-Marie-Majeure, nous fimes une dernière visite au cime-tière du Janicule. Agenouillés sur cette terre sainte, théfttre catholi-que de la piété envers les Ames du Purgatoire, nous mélAraes nos prières A celles qui chaque jour y sont répandues par les nombreux

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ADIEÜX A ROME CIIIIÉTIF.NNE. ¦185

Confrères de la Mort. La divine intelligence et Ie coeur maternel de la maitresse de toutes les églises s’étaient de nouveau révélés tout en-tiers a nos regards attendris. Dans cette triple devotion envers Notre-Seigneur au Saint-Sacrement, envers Marie, envers les ames du Pur-gatoire, nous avions vu Ie secret Ie plus intime et comme l’essence denbsp;la piété catholique. Simple fidéle, j’aurais béni Rome, d’ébranlernbsp;ainsi tout ce qu’il y a de plus élevé, de plus tendre et de plus socialnbsp;dans Ie coeur de Thomme; prêtre, chargé de répandre Ie veritablenbsp;esprit du catholicisme, quelles furent mes actions de grüces pournbsp;cette révélation précieuse! Adieu, Mère bien-aimée; intelligentenbsp;épouse de PHomme-Dieu, pourquoi faut-il que vous soyez si peunbsp;comprise!

Rome qui prie nuit et jour sur ses enfants, donl elle ignore les éternelles destinées, veille avec une grande sollicitude sur les tombesnbsp;glorieuses de ceux que la victoire a couronnés de ses lauriers immor-lels. Avec un saint orgueil elle les montre a ses amis et a ses enne-mis ; debout sur Ie seuil des catacombes, elle dit comme Dien a Moïse :nbsp;Otez votre chaussure, la terre que vous allez fouler est une terrenbsp;sainte. Une dernière fois nous voulümes la fouler, cette terre trois foisnbsp;sainte, et par Ie sang dont elle est détrempce, et par les mystèresnbsp;qu’elle a vu s’accomplir, et par les héroïques vertus dont elle fut Ienbsp;théfttre. Entrés dans les catacombes de Saint-Pancrace, nous firaesnbsp;DOS adieux aux martyrs. Glorieux témoins de notre croyance, soyeznbsp;bénis du courage qui vous fit braver les lyrans; a votre heroïsme nousnbsp;sommes redevables de la foi, des lumières de la civilisation qui nousnbsp;élèvent si fort au-dessus du monde antique; comme gage de leur dernière visite, faites couler dans l’ame de ces obscurs pèlerins, vos enfants et vos frères, la sève de la foi primitive, principe fécond desnbsp;vertus dont Pauréole incommunicable doit environner Ie front denbsp;1’Église dans les dernières années de sa vieillesse, comme aux pre-ntiers jours de son enfance. Adieu! et plutót mourir que de déshono-rer Ie nom que vous nous avez conquis!

Des catacombes nous vinmes ii l’hópital du Saint-Esprit et a l’hos-Pice de Saint-Michel, magnilique résumé de Ia charité romaine envers les vivants. Depuis Ie berceau jusqu’a la tombe, Ie pauvre, Ie malade,nbsp;Ie faible et Ie petit, tous ces êtres que Rome païenne livrait pour senbsp;divertir è la dent des lions et è l’épée des gladiateurs, nous appa-i’urent de nouveau dans ces deux établissements, environnés d’égards,nbsp;de respects, de soins, qui feront éternellement de Rome ebrétienne Ianbsp;nière de la charité, comme elle est la maitresse de la foi. .\dieu, cité


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184 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.

providentielle; soyez reine, puisque telle est votre immortelle des-tinée; étendez sur tous les peuples, tirés par vous de la barbarie, Ie sceptre glorieux de I’intelligence et de l’amour, comme autrefois vousnbsp;irapos^tes aux nations, vaincues par vos armes, Ie joug humiliant denbsp;la servitude; et qu’au tribut du sang succède Ie tribut d’une reconnaissance éternelle.

Au milieu de nos courses, on nous apprit qu’il y avail station dans la Basilique de Saint-Paul-^ors-des-mMrs : cette nouvelle fut pournbsp;nous un grand sujet de joie. II allait nous être donné de voir la chainenbsp;de l’immortel prisonnier de Jésus-Christ. Une voiture de place nousnbsp;transporta rapidement devant Ie portail de la vénérable église. En deuxnbsp;pas nous fumes la chapelle, oü les précieuses reliques sont déposées.nbsp;Un prêlre en rochet et en étole vint ouvrir Ie tabernacle qui les ren-ferme : nous étions ^ genoux sur Ie marchepied de l’autel. Après unenbsp;courte prière, Ie prétre prend la chaine et la depose dans nos mains.nbsp;Voir de ses yeux, toucher de ses mains, porter è ses lèvres, couvrirnbsp;de baisers et de larmes brülantes cette cbaine plus précieuse que lesnbsp;colliers des rois; cette chaine dont Paul était si fier, et qu’il portait,nbsp;esclave volontaire, pour briser les fers du genre humain : quel moment ! quelle sensation! La chaine apostolique se compose d’anneauxnbsp;oblongs et mal forgés, qui annoncent bien la fabrique ancienne; ellenbsp;n’est pas très-lourde, peut-être paree que saint Paul était citoyennbsp;remain.

Pour mettre Ie comble a notre bonheur, il ne manquait plus que de voir les chaines également glorieuses du compagnon de saint Paul, denbsp;saint Pierre, Ie chef des conquérants du monde, des sauveurs de l’hu-manité. Or, en revenant de Saint-Paul, nous emnes a voir Ie savantnbsp;professeur d’histoire ecclésiastique, M. l’abbé Tizzani (i). Membre denbsp;la Congrégation des chanoines réguliers de Saint-Jean-de-Latran, char-gée de desservir Saint-Pierre-w-Fmco/*, il demeure dans Ie conventnbsp;contigu il 1’église. Après lui avoir parlé du bonheur dont nous venionsnbsp;de jouir, je lui demandai s’il serail impossible de Ie combler en voyantnbsp;les chaines de saint Pierre. « La dilliculté est extréme, me dit-il; lesnbsp;chaines de saint Pierre ne sont exposées ii la vénération des fidèles quenbsp;Ie premier du mois d’aout. Pourrez-vous attendee jusque-la? cou-tinua-t-il en souriant. — Nous partons demain.— Comment faire?nbsp;Trois clefs ferment la ch4sse oü les chaines sont conservées : Tune estnbsp;entre les mains du Saint-Père; l’autre chez Ie cardinal protecteur; la

(i) C’est a lui qu’on doil Ie Thesaurus historice Ecclesiasticce. 19 vol.

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CHaInES de SAINT PIERRE. nbsp;nbsp;nbsp;185

^roisième est conllée amp; l’abbé de San-Pietro-in-Vincoli. Pour ouvrir la ch;\sse, il faut les avoir toutes les trois. »

L’excellent ami qui nous avail ainsi lenus en suspens se hftta d’ajou-ler : « Tranquillisez-vous, il y a aujourd’hui une permission pour les *luatre heures; trouvez-vous a l’église; vous vous joindrez aux autresnbsp;'foyageurs et vous serez admis. » Qu’on juge de notre joie et de notrenbsp;fidélité au rendez-vous! Or, de ces chaines vénérables que nous allionsnbsp;contempler, voici l’histoire : Saint Pierre, arrêlé a Jerusalem et jeténbsp;6» prison par ordre d’Hérode, fut lié d’une double chaine (i). Jïangenbsp;•iu Seigneur délivra Ie prisonnier. Ses fers restés dans Ie cachot furentnbsp;recueillis par les gardiens que l’Apótre avail eu Ie temps de convertir.nbsp;L’Église naissante de Jérusalem conserve, comme Ie plus précieuxnbsp;trésor, ce gage des souffrances de son père, et l’environna toujoursnbsp;d’un respect et d’une tendresse filiale (2). II en fut de mêmejusqu’aunbsp;cinquième siècle. G’est alors, je veux dire l’an 436, que Fimpératricenbsp;Eudoxie, femme de Théodose Ie Jeune, étant venue a Jérusalem, em-Porta les cbaines del’Apólre a Constantinople. Elle en retint une quinbsp;fut déposée dans la superbe Basilique construite expres pour la rece-''oir; elle envoya l’autre a Rome, a sa fille Eudoxie, femme de l’em-pereur Valentinien.

Cependant Ie Souverain Pontife voulut comparer cette chaine avec celle dont saint Pierre fut lié dans la Prison Mamertine par ordre denbsp;Néron, et qu’è l’exemple de leurs frères de Jérusalem, les fidèles denbsp;Rome avaient conservé avec un soin religieux. En presence de tout Ienbsp;Peuple il les rapprocha Tune et l’autre. Par un miracle toujours sub-sistant, les deux chaines s’unirent aussilót, en sorte qu’aujourd’huinbsp;elles n’en forment qu’une seule. En mémoire du prodige et en l’hon-öeur de saint Pierre, Ie pape, de concert avec Eimpératrice, édifia lanbsp;Rasilique de Saint-Pierre-ès-Liens. La chaine y fut déposée ; elle y estnbsp;encore, après avoir re^u les hommages de toutes les généralions qui senbsp;®ont succédé depuis Ie cinquième siècle jusqu’è nos jours. De tempsnbsp;•^memorial les papes ont élé dans 1’usage d’envoyer de la limaille denbsp;eciie chaine et de celle de saint Paul aux empereurs et aux rois qui ontnbsp;Rien mérité de la religion. Cette limaille est enfermée dans une petitenbsp;Oef d’or, que la piélé des princes chrétiens suspend a leur cou commenbsp;préservatif centre les dangers et un avertisseraent de ce qu’ilsnbsp;*foivent élre (5).

(') 'Vinetus calenis duabus. Act. c. xii.

(2) S. Procl. apud Lippom. t. vii; Baron. Annot. ad Martijr. die l Aug.

(5) Les chaines de saint Paul furent conservées avec Ie mcme soin etdéposéesd'abord


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186 LES TROIS ROME.

Auxchaines de saint Pierre on a joint qualreanneanx de celles de saint Paul, afin de ne pas séparer, dans les hommages de la reconnaissancenbsp;catholique, les deux illustres prisonniers deJésus-Christ. Entrés dans Ienbsp;ircsor del’église, nous trouvamp;mesl’abbédebout devant la chasse entr’ou-verte : il nous fit signe d’approcher. Quand nous fiimes a genoux, ilnbsp;prit la chaine scellée par un des anneaux a la partie inférieure de lanbsp;chüsse, et nous la présenta. Elle peut avoir cinq pieds de longueur ;nbsp;a chaque extrémilé est une charnière destinée a prendre les mains etnbsp;Ie cou. Les anneaux, de forme antique, sont beaucoup plus gros quenbsp;ceux de la chaine de saint Paul. Par une faveur insigne, Pexcellentnbsp;gardien ouvrit une des charnicres, nous la fit embrasser et nous la mitnbsp;au eou. En eet instant solennel, je me rappelais saint Chrysostome, etnbsp;plus heureux que l’illustre patriarche, je jouissais du bonheur qu’ilnbsp;avait si vivement ambitionné :

lt;( Que ne m’est-il donné, s’écriait-il, de voir les lieux oü l’on conserve les chalnes des Apötres! Que je voudrais voir ees chaines que l’enfer redoute, que Ie Ciel révère! Si les devoirs de mon ministère etnbsp;la faiblesse de mon corps ne me retenaient pas, avec quel bonheurnbsp;j’entreprendrais Ie pèlerinage de Rome, uniquement pour voir cesnbsp;chaines et la prison de Pierre et de Paul! Bienheureuses ehaines!nbsp;bienheureuses mains qui en furent ornées! Oh! si j’avais véeu en eenbsp;lemps-la, comme j’aurais couvert de mes baisers ces mains dignesnbsp;d'être enchainées pour mon divin Maitre 1 Plus glorieuses étaient lesnbsp;mains de Paul chargees de ehaines, que lorsqu’elles redressaient Ienbsp;boiteux de Lystre; plus heureux lui-même dans la prison, qu’au troi-siómeeiel; plus glorieux dans son obscur cachot que sur un trónenbsp;ctincelant d’or et de pierreries. Non, non, rien n’est beau comme unenbsp;chaine portée pour Jésus-Christ. Ètre enehainé pour lui, c’est plusnbsp;que d’être apótre, que d’être docteur, que d’être évangéliste, quenbsp;d’être ange 1 Oh! chaine bienheureuse, plus belle que tous les colliers,nbsp;que tous les diadèmes, que toutes les couronnes des rois, qui me don-nera de vous voir (i)! »

commé celles de saint Pierre, dans la Basilique vaticanc. S. Grégoire, écrivant a 1’im-péralrice Constance, lui dit: « De catenis quas ipse S. Paulus in collo et in manibus » geslavit, ex quibus multa miracula in populo demonstrantur, partem aliquam vobisnbsp;» transmitlerecurabo; si tarnen hanc tollorelimando praïvaluero.»/Jpisi. 1. iu,epist. 50.nbsp;— Sept anneaux de la chaine dont Ncron chargca saint Pierre, ainsi que les clefs denbsp;la Prison Mamertine, sont conserves dans Pcglise de Sainte-Cécile. La piété des fidèlcsnbsp;les a ornés de pierres précieuses. Boldetti, Osservaz. etc. lib. i, c. lx, p. 513; voyez aussinbsp;Bar. Annot. ad Martijrol. 1 Aug. — ld. Annal. 1.1. an. 69, n. 30.

(i) Si quis raihi offerret totum coelum, aut illam catenam, ego illam praïfcrrem : si quis me apud superos collocaret cum angelis, aut cum Paulo vincto, eligerem carcerem-.-

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CUAMBRE DE SAINT LOUIS DE GONZAGÜE. nbsp;nbsp;nbsp;187

30 MARS.

Chambre de saint Louis de Gonzague. — Adieux a saint Pierre et a saint Paul. — Portraits des deux Apótres. — Adieu final.

Le jour commengait a paraitre, lorsque nous arrivions a l’étage supérieur du collége Romain. Le père F....... qui nous dirigeait dans les

öombreux corridors du vaste établissement, s’arrêta devant une petite porie en sapin en nous disant : C’est lè. Nous étions sur le seuil de lanbsp;chambre de saint Louis de Gonzague. L’humble celluie que l’ange denbsp;la terre a rendue si vénérable par sa précieuse mort, peut avoir dixnbsp;pieds de longueur sur buit de largeur. Bien que transformée en cha-pelle, la disposition est la même. Au-dessus de l’autel brille le véritablenbsp;portrait de l'aimable saint, et je dois dire qu’il ne ressemble nullementnbsp;a ceux que nous voyons chez les marchands d’estampes. Le saint anbsp;la figure longue, le teint pfile, le nez aquilin, les pommettes saillantes,nbsp;plutót creuses que pleines. Un certain mélange de force et de douceurnbsp;répandu sur la physionomie harmonise tous les traits, et donne a lanbsp;figure un caractère de maturité qui juslifie l’hlsloire du jeune hérosnbsp;Chrétien et ces paroles de l’Écriture consacrées a son éloge : Mort a lanbsp;fleur de I’llge, il avait vécu les années du vieillard : Consummatus innbsp;brevi explevit tempora multa.

Le voyageur catholique pourrait-il quitter Rome sans visiter un pareil sanctuaire? Louis de Gonzague, la fleur de la Compagnie denbsp;Jésus, est tout ensemble un des saints les plus populaires de la Villenbsp;éternelle et le protecteur de la jeunesse cbrétienne ; a ce double titrenbsp;gt;1 méritait nos adieux et nos prières. L’auguste sacrifice fut offert surnbsp;son autel; et des voeux ardents montèrent vers le Ciel pour les géné-cations qui nous suivent, portant dans leurs mains inexpérimentées lenbsp;flonheur et le malheur de l’avenir.

Du collége Romain nous nous rendimes au Vatican. Rois de la ville ®ux Sept-Monts, conquise par leur sang, gouvernée par leur pouvoir,nbsp;bnimée par leur esprit, dirigée par leur assistance, ennoblie par leursnbsp;temples, sanctifiée par leurs chaines, protégée par leurs corps sacrés,nbsp;Saint Pierre et saint Paul avaient re(!u notre première visite, ils de-'’aient avoir la dernière. En eux se résument, quoique d’une manicrenbsp;différente, Rome païenne, Rome chrétienne, Rome souterraine. Que

eiiurequidem . nbsp;nbsp;nbsp;ggj jUj catena beatius. InEpist. ad Ephes. c. iv. hoinil. vin,

P* 61-68. edit, noviss.

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188 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.

Ie souvenir des vainqueurs de Néron, des fondateurs de l’Église, des chefs des martyrs reste complet dans sa mémoire, et Ie voyageur em-porte avec lui la triple Rome tont entière. l'rosternés devant Timmor-telle Confession, nous offrimes aux deux Apótres nos derniers voeux,nbsp;les vceux de nos amis; puis, comme l’enfant salue Ie Père bien-aiménbsp;qu’il va quitter pour toujours, nous saluftmes ces pères de la grandenbsp;familie catholique en empruntant les paroles d’un Saint, digne in-terprète de l’admiration, du respect filial et de la reconnaissance desnbsp;siècles.

Adieu! portes du ciel, double flambeau de ce vaste univers; Paul dont la voix retentit comme Ie tonnerre, Pierre dont la main lance lanbsp;foudre du sein des nues!

Adieu, Paul, qui par la doctrine; Pierre, qui par la dignité, brillez au-dessus de tous les chefs couronnés de l’immortel Sénat! Adieu,nbsp;Paul qui ouvrez les cosurs, et vous, Pierre qui ouvrez Ie ciel! Adieu,nbsp;Paul qui montrez la route, et vous Pierre qui avez les clefs de la Jerusalem éternelle!

Adieu, vous, fondement immobile, et vous, architecte du temple, oü Dieu trouve un autel digne de lui!

Adieu, citadelles de la foi, tours imprenables que Rome, maitresse du monde, oppose a tous les assauts de ses cnnemis!

Adieu, brillantes lumières du corps de Jésus-Christ, dont l’éclat dirige les opérations de tous les autres membres; adieu (i)!

Afin de nous rendre plus présent et plus vif Ie souvenir des deux Apötres, nous voulumes posséder leurs portraits. Les voici tels quenbsp;nous les avons re^us de la tradition primitive (a). Saint Pierre était

(1} Venant. Fortunat. lib. 111. Carm.

(2) II est facile de comprendre que les premiers chréliens aient voulu conserver les trails de leurs pères dans la tbi. L’hisloire nous apprend qu’ils ont realise celte volonlénbsp;cn mille manières. Entre tous les pères dont il serail facile do muiliplier les ténioi-gnages, qu’il sulTise do citer ie grand historiën de l’Église primitive, Euscbo, dont voici lesnbsp;paroles : « Sed quandoquidom hujus urbis (Pancades seu Ca;sarea; Philippi) monlioiiemnbsp;l'ccimtis, non incongruum l'ucrit rem quamdam memoria in primis dignam posterisnbsp;tradere. Elhnici mulierem illam sanguinis profluvio laboranlem, quam ex sacris Evan-geliis discimus a Servatorc nostro curalam 1'uisse, ex hac civitale originem Iraxissenbsp;ferunt, domumque ejus ibidem conspici, et collali in cam a Servatorc nostro beneliciinbsp;illuslria exstare monumenla. Quippe juxla januain domus illius asnea niulieris effigiesnbsp;stare dicitur, columnar lapide.'e imposita, gcnibus flexis, prolensisque manibus inslarnbsp;suppiicantis. Ex converso autera effigies viri ex eodem metallo conflala slantis acnbsp;diploidc decenter induti, manumquc mulieri porrigentis. Ad cujus pedcs in ipsa basinbsp;ignota quardam nasci dicitur planla, qu.-e ad limbriam uslt;iuc arnoa; diploidis .assurgcns,nbsp;dcpellendis omnis generis morbis prarsonlissiraiim remedium est. liane statuam Jesunbsp;Christi speciem rel'erre aicbanl. Mansit porro ad nostra usque tempora, nosque adconbsp;urbem illam ingressi ipsam conspeximus. Nee vero mirandum est, gentiles a Servatorc

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PORTRAITS DES DEt'X APÓTRES.

d’une taiHe moyenne, droite et Lien prise; il avail le teint pAle et blanc, la barbe et les cheveux touffus, crispés, courts et complétementnbsp;blancs; les yeux noirs et saillants, mais babituellement rouges i causenbsp;des larmes abondantes qu’ils répandaient; les sourcils relevés et pres-que nuls; le nez long, droit et plutót retroussé qu’aquilin. Son vête-nient se composait d’une tunique et d’un manteau; et quand il nenbsp;iharchait pas les pieds nus, des sandales formaient sa chaussure (i).

Saint Paul était petit, mince, un pen voute, et avail la tête d’un médiocre volume, le visage pile, annongant une vieillesse precoce; lesnbsp;yeux pleins de grSce; les sourcils abaissés, le nez long et aquilin; lanbsp;barbe épaisse, longue et grisonnante comme les cheveux, et la tête unnbsp;peu chauve (2).

Ces deux portraits, qu’on peut appeler originaux, différent en un point des copies si souvent reproduites par les peintres et les sculp-teurs. On nous représente saint Pierre la tête chauve, et saint Paulnbsp;avec des cheveux épais; c’est le contraire de la réalité. D’ou vient cellenbsp;nostro bencficiis affectos haec prajstitisse, cum el apostolorum Petri ec Pauli, Christiqucnbsp;ipsius piclas imagines ad nostrum usque memoriam servatas in talibus viderimus.nbsp;Quippe prisci illi absque ullo discrimine ennetos de se bene racritos «enüli quadatnnbsp;Consuetudine tanquam servalores colere hujusmodi bonoribus consueverunt. Hist.nbsp;•ib. vu, c. 18. edit. Vales. — Le pinceau de saint Luc reproduisit plusieurs fois le portrait de la sainle Vierge; et les différents arts mulliplièrent les ligures do saint Pierrenbsp;et de saint Paul. On trouve les deux Apótres sur les verres des Catacombes, sur lesnbsp;tables de marbre qui torment les loculi des martyrs, sur les dyptiques ct sur une 1'outenbsp;d’autres objets dont 1’origine touebe au berceau du christianisme. A cölé de l'icono-üraphio marche la tradition, cette autre peinturc qui donne la vic et la couleur auxnbsp;figures, qui dccrit la personne, son visage, son vêtement, sa taille, etc. L’une ct 1’autrenbsp;Se réunissenl pour nous donner le portrait des ApOlres.

(*) Petrus baud crassa corporis statura fuit, sed qua; aliquanto esset erectior, facie snbpallida et alba admodum, capilli capitis et barba; crispi et densi, sed non admodumnbsp;Promimentes lucre : oculi quasi sanguine respersi, nigri; supercilia prope evulsa;nbsp;nasus autem longior illequidem, non tarnen in acumen desinens, sed pressus potius,nbsp;nt simus. Nicepti. lib. 111, c. 57. — Voici un second portrait conforme au premier :nbsp;' Erat autem facie albus, pallidus, recalvaster, crinibus densis crispus, oculis promi-quot; nentibus, sanguincis, nigris, capite barbaque canus, nasum habebat longioreni, sii-‘ Percilia summè retracla, statura mediocri erectiorique pra;dilus, habituquc corporisnbsp;“ probe coactus.»il/enma grasca addiem xxix/«»!».—Yoyezaussi Foggiaio, Exerdt. xx,nbsp;P- 254. Baron. Annul. 1.1, an. 69, n. 51, etc.

t®) Quando enim me Galilatus ille convenit recalvaster, naso aquilo, qui terlium usque Pd ccelum per aerem ingressus est, quaeque optima et pulcherrima sunt inde dedicit.nbsp;quot;Lucian, in Philop. — Qui tricubitalis est, ct cmlum attingit. — Chrysost. Homil.nbsp;Vnneip. — Paulus autem erat parvo et contracto atque incurvo et paululumnbsp;‘nttexo corpore, facie Candida, annosque plures pra; se ferente, et capite modico; oculisnbsp;jnulta iuerat gratia, supercilia deorsum versus vergebant, nasus inllexus idemquenbsp;nngior; barba densior ct satis promissa, caque non minus quam capitis coma canisnbsp;nespersa erat. — Niceph. lib. ii, c. 57. Bar. Ann, 69, n. 1-4.

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^00 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS KOJIE.

erreur? Fogginio Fatlribue a l’ouvrage apocryphe qui parut au cin-quième siècle, et dans lequel saint Pierre est représenté Ie front dé-garni, et cela en opposition avec les monuments et les auteurs les plus anciens (i).

A cette observation précieuse pour l’iconographie, il faut en ajouter une autre d’une grande importance pour la théologie catholique. Lors-que les deux Apólres sont représentés ensemble, saint Pierre occupenbsp;toujours la droite. Sauf quelques très-rares exceptions dues a 1’igno-rance du peintre ou du sculpteur, cette regie est constamment obser-vée sur tous les monuments primitifs en verre, en marbre, en terrenbsp;cuite, en bronze, en ivoire. La signification d’un pareil usage n’estnbsp;pas douteuse. Dieu a voulu que même, dans les plus petits détails, lanbsp;fidéle tradition rendit témoignage a la suprematie de Pierre non-seu-lement sur les Apótres en général, mais encore sur son plus illustrenbsp;collègue. Ainsi se trouve confirmée par tous les genres de preuves,nbsp;une vérité, fondement de toute la hiërarchie catholique, et qui, pournbsp;cette raison, a été et sera dans tous les temps l’objet des attaques lesnbsp;plus vives des scctaires et des impies (2).

II fallut enfin nous arraclier de la Basilique. Adieu done, temple auguste, qui as vu tant de fois prosternés sur tes parvis les empereurs,nbsp;les rois, les princes, les pontifes, toutes les gloires de l’Orient et denbsp;rOccident! Adieu, colline Vaticane, antique séjour d’un oracle men-teur, aujourd’hui demeure vénérable de l’oracle vivant de la vériténbsp;même! Adieu, obélisque de Néron, immortel monument de la victoirenbsp;remportée par FÉvangile sur la toute-puissante cruaulé des Césars!nbsp;Adieu, place Immense, brillant rendez-vous des arts, terre sainte dé-trempée jusque dans tes entrailles du sang précieux des martyrs (5)!

(1) nbsp;nbsp;nbsp;En décrivant un yerre des calacombcs, lo savant archcologiie s’exprimc ainsi;nbsp;« Illud quoque animadvertendum maxime est, fronte calvuni esse Paulum, qualemnbsp;» pi'ofecto antiquissiraus auctor Philopatridos cum describit; » capillis autem undiquenbsp;fluentibus, brevibus lied, et circum altonsis, divum Pelruni, ut quidem fere omnes,nbsp;prseserlim vero anliquiorcs eum rcl’erunt imagines, cum quibus Nicephorus concinil,nbsp;eist Hieronymi ailate (Ilieron. in cp. ad Gal., 1. 8.), in apocrypho de Petri ilineribusnbsp;libro et Petrus calvus iuisse diccretur; undo cxorlum esse pulo, quod el calvus ali'nbsp;quando reprmsentalus sit, ut inferius eliam dicendum est. Exercit. xx. 462.

(2) nbsp;nbsp;nbsp;Boldetti, Osservaz. etc. lib. i, c. xxxix, p. 191; Fabretti, Inscript. Antiq. c. vni,nbsp;p. 594; Mamachi, Origin, et antiq. christ. t. v, lib. tv, c. 11, p. 475.

(5) De la vient la veneration profonde que Rome a toujours eue pour cette place. Uf jour Ie pape saint Pie V s’y promenait, lursque l’ambassadeur de Pologne lui demandanbsp;quelques reliques pour envoyer a sa patrio. Pour toute reponse, Ie pape s’inclina, pritnbsp;une poignce de cette terre, la mil dans un mouchoir, et la donnant a l’ambassadeur,nbsp;il lui dit: « Portez cette terre en Pologne, c’est une précieuse relique; il u’y a pas unenbsp;jtartie de cette place qui n’ait éte trempée du sang des martyrs : « Nullam esse ibi vol

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ABIEÜ FINAL. nbsp;nbsp;nbsp;191

Adieu, Rome, cilé sans égale, théatre de tous les grands événeraents, roystérieuse soudure des deux mondes (i), reine de la force et reine denbsp;1’amour, reine des arts el reine de la foi, mère et maitresse de toulesnbsp;les Églises; qui, du liaut de vos royales collines, illuminez les quatrenbsp;coins du globe et entretenez l’ordre et la vie dans Ie monde des intelligences, comrae Ie soleil, du bant du ciel, éclaire toute la nature etnbsp;ttiaintient rharmonie parmi les astres du firmament!

Que d’autres louent votre antique origine, la puissance de vos ar-Hées, la gloire de vos triomphes, la magnificence de vos édifices, la niultitude de vos richesses, la beauté de vos chefs-d’ceuvre, la majestónbsp;de vos ruines; pour moi, je vous loue paree que vous êtes la colonnenbsp;de la vérité, Ie boulevard de la foi, la bienfaitrice des peuples, lanbsp;source de leur civilisation, la sauvegarde de leur liberté, la boussolenbsp;de l’humanité, Ie dépot de tous ses litres de noblesse, l’asile de toutesnbsp;les infortunes, la gardienne respectueuse de toutes les ruines vivantesnbsp;OU mortes, la patrie de tout ce qui croit, de tout ce qui aime, la tombenbsp;mystérieuse de trois millions de martyrs, Ie reliquaire élincelant oünbsp;ceposent les deux plus grandes gloires du monde, Pierre et Paul.nbsp;Heureuse de les posséder, plus heureuse de les rendre un jour au ciel.nbsp;Sous les yeux des anges et des hommes, quel spectacle vous présente-cez dans ce grand jour, Ie dernier du temps et Ie premier de Pé-lernité!

Du sein de vos catacombes, immense tombeau que protégé votre siuour maternel, du sein de cette chasse glorieuse qu’abrilent lesnbsp;'’oütes dorées du premier temple de Punivers, on verra sortir, res-Plendissants de lumière, Pierre et Paul suivis d’un peuple de héros,nbsp;et tous ensemble, les mains ornées des palmes de la victoire, s’en allernbsp;^ la rencontre du souverain Juge. Quelle rose, quelle couronne vousnbsp;ctiverrez au Christ vainqueur! Plus belle alors mille fois qu’aux joursnbsp;^0 Vos triomphes, la terre et les cieux uniront leurs voix pour vousnbsp;Pcoclamer encore la reine des cités ; voila pourquoi je vous loue (2).

De


®inimam soli partem, qu:c sacro martyrum sanguine non esset imbiita et consecrata.» ® retour chez lui, l’ambassadeur ouvre Ie mouchoir, et trouve a sa grande admirationnbsp;*oute cette terre changée en une masse de sang. Vita di S. I’io da Gabiizio, etc.; Con-t. n, p. 80.

(gt;) Terrarum Dca gentiumque Roma, cui per est nihil, et nihil secundum. Mart. ^P‘gram.

(*) Ego Romam propterea diligo... ob id illam beatam pr.-cdico, quod erga illos Paulus ¦n viveret adeo 1'uit benevolus, adeo illos amavit, coram dissoruit, et postremo vitamnbsp;gj cos fiuivii. Unde et civitas ista hinc facta est insignis plusquam a reliquis omnibus,nbsp;.'*'^.®'”®^o'odum corpus magnum ac validum duos habet oculos illustres, sanctorumnbsp;toet illorum corpora. Non ita coelum splendescil quando radios suos sol ex sesc

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192 LES TROIS ROME.

Et paree que vous étes ma mère, la mère de nies aïeux, de mes frères et de mes soeurs dans la foi, si reculé que soit Ie siècle, si éloigné quenbsp;soit Ie climat oü ils aient vécu, je vous aime, je vous bénis, je vous re-grette : comme gage éternel de ma reconnaissance, de mon respect etnbsp;de ma piété filiale, recevez ce dernier adieu.

31 MARS.

Depart de Rome. — Civila-Castellana. — Souvenir de Macdonald. — Olricoli. —Narni.

— nbsp;nbsp;nbsp;Cathédrale. — Tombeau de saint Cassius. — Souvenir de l’empereur Nerva.—nbsp;ïerni. — Souvenir de Tacite. — Combat du góncral Lemoine. — Martyrs. — Cascadenbsp;delle Marmore. — La Somma.— Spoletle.—Souvenirs païens et chretiens. — Foligno.

— nbsp;nbsp;nbsp;Casa-Pia. — Cathédrale. — Le saint martyr Félicien.

Accompagnés de quelques amis, nous descendiraes sur la place de Monte-Citorio oü la voiture nous attendait. Tout le monde était tristenbsp;et silencieux; car, en tout pays, rien ne ressemble plus ii un enterre-ment qu’un départ. A Rome c’est presque la même ebose; et je ne saisnbsp;si j’aurais pris place dans le fatal vébicule sans la fiche d’espérancenbsp;que je me donnai en disant : Tu reviendras! Sortis par la porte dunbsp;Peuple, nous traversftmes rapidement le desert, et bienlót nous tou-chames ii Civita Castellana. Sous ce nom moderne, reconnaissez Tan-tique Falisca, tant de fois mentionnée dans l’hisloire primitive denbsp;Rome. Entourée de ravins profonds, couverts d’arbustes, cette petitenbsp;ville offre un coup d’oeil très-recherché des artistes. Le pont de cin-quante mètres d’élévation, jeté sur le Rio-Maggiore, anitne le passagenbsp;que complètent les hautes murailles de la citadelle. Comme Falisque,nbsp;Civita Castellana est une des clefs de Rome. De lè, le triste privilegenbsp;d’avoir vu souvent, depuis son origine, ses fossés jonchés de cadavresnbsp;et ses remparts inondés de sang. Le dernier spectacle de ce genre remonte au 4 décembre 1798, alors que Macdonald, a la töte de buitnbsp;mille Francais, taillait en pieces quarante mille Napolitains comman-dés par le général Mack.

Otricoli, l’ancien Ocriculum, situé sur une gracieuse colline, vint dimittit, quemadmodum Romanorum urbs duas illas lampados ubique terrarum effun-

dens. Hincrapietur Paulus,hincPetrus: considcrateethorrete, qualespectaculumvisura

sit Roma, Paulum videlicet repente ex tlieca illa cum Petro resurgentem in occursum Domini sursum ferri. Qualem rosam Christo mittet Roma! qualibus coronis duabusnbsp;ornatur urbs ista! qualibus catenis aureis cincta est! quales habet ibnles! Proplercanbsp;celcbro hanc urbem, non propter copiam auri, non propter columnas, neque propternbsp;aliam phantasiam, sed propter columnas illas Ecclesise. — D. Chrys. In episl. ad Hom-Homil. 32.

1

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OTRICOLI. 193

Pnsuite animer la solitude de la vallëe et eouper Ia monotonie de Ia Le pont Félix, jeté sur Ie Tibre a une petite distance, rappellenbsp;1 éclatante -victoire remportée, en 1799, par les Francais sur les troupes napolitaines.

Narni, la Narnia des Remains, est encore une forte position. Nous Pumes visiter le pont de la Néra, construit suivant la tradition parnbsp;1’enipereur Auguste, et la cathédrale dont la crypte offre un grandnbsp;intérêt. Prêché dans l’Ombrie par les Apötres en personne ou parnbsp;Jeurs envoyés, le christianisme y fut conservé par une longue succession de martyrs et de ponlifes (i). Au nombre de ces derniers, Narninbsp;eot le bonheur de compter saint Cassius qui fleurit sous Justinien.nbsp;Après viugt et un ans neuf mois dix jours d’épiscopat, le glorieuxnbsp;Pontife descendit dans la tombe qu’il s’était lui-même préparée ; cettenbsp;lombe est k l’entrée de la crypte. On y remarque au milieu une grandenbsp;oi'oix, et, aux deux extrémités, deux anges en relief qui se regardent;nbsp;dans le champ on lit 1’inscription suivante, attribuée au Saint lui-

niême :

Cassius immerito prssul de munere Cbrisli,

Hic sua rcsliluo terra; mihi credita membra ;

Quum fato anticipans censors dulcissima vita;.

Ante meum in pace rcquiescit Fausta sepulorum.

Tu, rogo, quisquis ades, prece nes memorare benigna,

Cuncta receplurum le noscens congrua faclis.

Narni donna le jour a l’empereur Nerva; mais aucun monument ne *'3ppelle le souvenir du maitre du monde. Néanmoins le voyageurnbsp;®®lbolique ne saurait voir la patrie de ce bon prince sans lui offrir unnbsp;'Obut de reconnaissance. C’est lui qui fit cesser le veuvage de l’églisenbsp;d Ëphèse et qui combla de joie tous les chrétiens, en rappelant lenbsp;disciple bien-aimé de File de Pathmos oü le cruel Dioclétien l’avaitnbsp;''^'égué.

éiontinuant a suivre les bords de la Néra, bordés, d’un cólé, par des Piaines couvertes d’oliviers, et de l’autre, par les sommets boisés desnbsp;^Pennins sur lesquels s’étagent de blanches habitations, nous arri-'Jlnies h Terni, petite ville charmante. L’antique Interamna fut lenbsp;i'orceau de Tacite l’historien, et de l’empereur du möme nom : telsnbsp;aont, avec des inscriptions nombreuses et les ruines d’un théiitre, sesnbsp;Patres de gloire humaine. En 1797 le sang frangais coula sous ses mu-’adles, mêlé a celui des Napolitains dont le général Lemoine fit un

Ugbelli, Italia sacra, t. i, p. 1007; Papebrock, t. i, act. 35 mensis Maii, I ¦ Jacobelli, dell’ Umbria edit. an. 1647.

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•19-4 LES TROIS ROME.

grand carnage. Aux chrétiens Terni rappelle d’autres souvenirs : c’est ici que la jeune vierge Agapia, que les saints évêques Proculus etnbsp;Valentinus, avec leurs disciples Ephebus et Apollonius, cueillirent lanbsp;palme glorieuse du martyre, et pour jamais délivrèrent leurs conci-toyens du joug de I’idolatrie. L’heure et la rapidite de notre passagenbsp;ne nous permirent point de vénérer leurs reliques, ni de visiter la fa-meuse cascade delle Marmore, b deux lieues de la ville. Cette cataracte,nbsp;une des plus belles du monde et faite de main d’bomrae, est forméenbsp;par le Velino, qui se précipite de trois cent trente-deux pieds de hauteur dans la Néra.

Au sortie de Terni, on entre dans les gorges de la Somma, ebaine ardue qui présente les beautés grandioses de la nature sauvage. Trai-nés par buit bmufs gris aux longues comes, nous franchimes lente-ment cet affreux coupe-gorge, qui débouebe enfin dans la belle valléenbsp;de Spolette. Vicissitudes des cboses bumaines! Ces paisibles quadru-pèdes, qui, de concert avec les cbevaux harasses de la diligence, ha-laient d’obscurs voyageurs, étaient les descendants des grandes victi-mes, honorées du privilége de conduire aux temples des dieux lesnbsp;triomphateurs remains. Le Clitumne, gracieuse rivière sur les herdsnbsp;de laquelle paissaient leurs aïeux, arrose encore les délicieuses prairiesnbsp;de Spolette; les palurages sont les mêmes; la couleur, la forme, la racenbsp;des animaux qui s’en nourrissent, sont toujours ce qu’elles furent; lanbsp;destination seule a changé.

Hitic albi, Clitumne, greges, et maxima taurus

¦yictima, smpe tuo perfusi flumine sacro,

Romanos ad templa deiirn duxere triumphos.

Une pente douce, plantée de petits arbres verts, nous conduisit a ce faraeux aqueduc, un des plus hauts de I’Europe, sur lequel passe unnbsp;pont fort étroit. Est-ce une main romaine ou une main lombarde quinbsp;a jeté ce monument sur la profondeur du vallon? La science bésite inbsp;répondre. Quoi qu’il en soit, I’aqueduc aboutit b Monte-Luco, gracieuse montagne habitée par des religieux, et couronnée par une tournbsp;et un raonastère du dixième siècle. Spolette, largement assise sur unnbsp;terrain inégal, compte environ sept mille ftmes de population, quelquesnbsp;palais remarquables et plusieurs églises dignes de toute I’attention dunbsp;voyageur chrétien. L’arc de triomphe, appelé Porte d’Annibal, rap-pelle aux générations un fait qui rendit Spolette célèbre dans This-loire et chere aux Romains. Encouragé par la récente victoire de Tra-siraène, Annibal vint metlre le siége devant cette ville. Les habitants

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SOtiVENIRS PAÏEKS ET CIIRÉTIENS. 195

se défendirent avec vigueur, et obligèrent Ie général carthaginois it s éloigner, après avoir subi Ie premier échec qu’il eut re^u en Italië.nbsp;D’autres monuments perpétuent Ie souvenir d’un triomphe plus glo-i'ieux. Le temple de la Concorde it l’église du Crucifix; les ruines dunbsp;temple de Jupiter au couvent de Saint-André; celles du temple denbsp;Mars a Téglise de Saint-Julien, attestent la grande victoire remportéenbsp;•ci comme ailleurs par le christianisme naissant (i). Mais cette victoire,nbsp;fiuel noble sang elle a couté, et comment passer it Spolette sans luinbsp;rendre hommage?

L’an 175, toute la ville était en mouvement; on conduisait un martyr au prétoire, d’oü il devait passer au supplier. Le juge Lattend as-sis sur son tribunal, entouré par les licteurs. L’accusé s’appelle Pontius; le juge, Fabien. L’interrogatoire est court et brutal. Es-tu Chrétien? — Oui. — Sacrifie. — Non. — Qu’on le frappe de verges;nbsp;et le corps du martyr n’est plus qu’une plaie. — Cesseras-tu d’atta-fiuer les dieux de l’empire? — Non. — Qu’on le fasse marcher nu-pieds sur des charbons ardents; et le saint y marche sans souffrir,nbsp;comme sur un vert gazon. — Respecte la religion des ancétres. — C’estnbsp;une fable honteuse. — Qu’on l’étende sur le chevalet; et le martyrnbsp;est étendu avec des cordes passées dans des poulies et serrées par unnbsp;double tour. — Sacrifie. — Je ne sacrifierai pas; et on lui déchire lesnbsp;cótes avec des ongles de fer, et il ne meurt pas; et le juge vaincu cachenbsp;sa bonte en envoyant le héros au fond d’un cachot obscur, oü les angesnbsp;éclatants de lumière vieiinent le consoler.

Le jour a reparu; Fabien veut que le soleil témoin de sa défaile fi’bler éclaire son triomphe d’aujourd’hui. Plus mena^ant que la veille,nbsp;fi monte sur son tribunal; le peuple est plus nombreux, plus avide dunbsp;‘irame sanglant. Voici la victime. — Sacrifie. — Non. — Qu’on 1’ex-Pose aux lions; et de longs rugissements se font entendre, par lesquelsnbsp;^cs rois des animaux saluent le vainqueur des démons et des Césars.

juge ressaisit la victime et l’inonde de plomb fondu. Yains sup-Püces! Alors le glaive du confecteur consomme I’holocauste. Le martyr est mort, mais il a vaincu. Jupiter, tes temples sont ébranlés; juge, puissance est tombée dans le mépris; licteurs, vos faisceaux sontnbsp;^cisés; confecteurs, votre hache et votre glaive sont émoussés; encorenbsp;fioelques coups, et ils seront hors de service, ils échapperont de vosnbsp;*^^ins, et le fils et les filles des vicümcs les recueilleronl précieuse-*oent. Longtemps après que vous ne serez plus, ils les montreront aux 1

tielle


storie sacre di Spolet. lib. iv, p. 103.


1

Voyez Ughclli, Dc Orig. christ. Relig. Spolcti, t. i, p. 1230; ot l'erdin. Campclli,

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196 LES TBOIS ROME.

voyageurs comme un double monument de votre impuissante cruauté et du courage victorieux de leurs nobles ancêtres (i).

Au milieu de supplices non moins atroces, moururent, pour ci-menter Ie christianisme a Spoletle, Ie prêtre Concordius, les évêques Félix et Sabinus, les simples fidèies Exupérance, Mareel, Venustius, sanbsp;femme et ses enfants. Du fond des autels étincelants d’or et de marbre,nbsp;oü les honore une piété quinze fois séculaire, les martyrs continuenl denbsp;veiller sur la cité qu’ils ont conquise. Les touristes passent admirateursnbsp;de la porte d’Annibal, mais ignorants ou dédaigneux de ces monumentsnbsp;augustes, qui rappellent un fait bien autrement célèbre que la défaitenbsp;du général carthaginois! Ainsi on voyage quand on n’a qu’un ceil.

Au-deli de Spolette, voici les vene qui nous olfrent Ie temple con-sacré jadis au fleuve Clitumne, et aujourd’hui ehangé en oratoire sans perdre son nom primitif. Enfin nous arrivons ü Foligno. Lenbsp;Fulgium des Romains est aujourd’hui une petite ville coquette, gra-cieuseraenl assise dans la riante vallée de l’Ombrie, et arrosée par lenbsp;Clitumne, le Lapino et la Maroggia. Elle olfre ^ la curiosité du voyageurnbsp;sa Casa Pia, très-bel établissement destiné i recueillir les petitesnbsp;filles errantes, et sa majestueuse calbédrale épargnée par le tremble-ment de terre de 1832; ses églises des Franciscains et des Augustins,nbsp;ainsi que le couvent des Comtesses oü se trouvait, avant d’être trans-portée a Rome, la fameuse madone di Foligno.

Ici encore nous continuous ii suivre l’Église primitive a la trace de son sang. Le rayonnement de la vérité, dont le foyer était a Rome, senbsp;fit sentir a Foligno dés les temps apostoliques. L’an 192, le papenbsp;Victor y envoyait un évêque pour prendre soin de cette chrétienténbsp;naissante, c’est-a-dire un berger qui devait défendre au prix de sonnbsp;sang les agneaux nouvellement nés dans la divine bergerie : eet évêque se nommait Félieien. Après onze années de labeur, le saint prélatnbsp;devint un glorieux martyr. En 1’immolant a son aveugle cruauté,nbsp;Septime Sévère put se flatter d’avoir alïermi la foi du jeune troupeau.nbsp;Le sang du Pontife sera un grain de semence; et de ce grain réuni anbsp;tant d’autres, sortira une moisson que les maitres du monde tente-ront vainement d’anéantir. Nous nous consolames de ne pouvoir ho-norer ses rellques, en pensant que la France avait le bonheur de lesnbsp;posséder. Elles furent transportées a Metz en 369, par l’évêque Théo-doric, sous le règne de l’empereur Othon.

(i) Bar. An. 175, n. vu, in Annot. ad Martyr. 19 Jan. — C’est a 1’amphithéatre que le peuple, ivre du sang des gladialeurs, demanda des chréliens pour viclimes : ses veeuxnbsp;i'urent des ordres : ce fut le commencemenl de la persecution ü Spolette. Voycz Bosio,nbsp;Rom, Subter., 1.1, p. 125.

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SAINT FRANCOIS D ASSISE. 197

1quot; AVRIL.

Saint Francois d’Assise. — Spello. — Sainte-Marie-des-Anges. — Indulgence de la

Porziuncula. — Fete. — Assise. — Église et convent de saint Francois d’.Assise. —

Retour a Foligno.

Nous étions Irop prés d’Assise, pour ne pas visiter ce paradis de rApennin, cel Éden du moyen Sge, d’ou sortit un des hommes lesnbsp;plus merveilleux que la Providence ait jamais employé é la régénéra-tion du monde : j’ai nommé saint Francois d’Assise. Six cents ans senbsp;sent écoulés depuis I’apparition du Séraphique; et comme un douxnbsp;parfum, son souvenir embaume encore toutes ces vallées, ces monta-gnes, ces villes, ces villages, ces solitudes de I’Ombrie. Quand on estnbsp;sur la route qu’il a tant de fois parcourue, nu-pieds, la corde é lanbsp;ceinture et la bure grossière sur Ie corps, il semble entendre les échosnbsp;d’alentour répéter les paroles qui furenl adressées au nouveau chevalier de Jésus-Christ, a l’époux de la sainte pauvreté, au futur soutien de l’Église chancelante. C’était dans une des premières annéesnbsp;du treizième siècle, si fécond en miracles de sainteté, de génie, d’hé-roïsme; Frangois se promenait en méditant dans la campagne, et son-geait è s’enróler dans les troupes de Gautier de Brienne qui marchaitnbsp;contre Naples. Tout è coup il entend une voix qui lui crie : « Francois,nbsp;que fais-tu? Va, et répare ma maisqn, qui, comme tu vois, tombe ennbsp;ruine (i). » Francois tombe a genoux; mais' son humilité Fempêchantnbsp;de comprendre la sublime portée de ces divines paroles, il les prendnbsp;dans un sens matériel. II part aussitöt pour Foligno, y vend jusqu’ènbsp;son cheval et en apporte Ie prix au prêtre Pierre, gardien de la vieiJlenbsp;%lise de Saint-Damien, en Ie conjurant de l’employer ^ la restaura-•^ion de son église. Nous étions aux lieux mèmes oü tout cela se passait.

Déjè nous arrivions a Spello, distant de quatre kilomètres de Foli-SRo. Cette petite ville, toute reraplie d’antiquités romaines, put nous sprêter un instant, mais sans nous distraire de la pensée qui nousnbsp;pPéoccupait.

l^ientót nous découvrimes au milieu de la plaine une magnifique église et un vaste monastère, dont les proportions grandioses et puresnbsp;^appellent Le Bramante et Vignola. C’est Notre-Dame-des-Anges, nonnbsp;plus humble et pauvre, mais revêtue d’un manteau de reine. Sous le 1

1

Corporeis audivit auribus ter dicentem: a Francisce,vade, et répara domura meatn, u®, ut cernis, lota destruitur. » S. Bonavent. Fila S. Fr, c. ii.

T. UI. nbsp;nbsp;nbsp;9

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198 LES TIiOlS HOME.

grand dórae, on relrouve la merveilleuse, la chère Porziuncula, encore toute parfumée de la présence de Francois. C’est 1amp; oil il a prie, oil ilnbsp;a pleure, oil il a regu de Dieu la grace de fonder un grand ordre dansnbsp;l’Église. En vérité, ce lieu est saint! Toutes les générations y ontnbsp;passé, et elles ont senti dcscendre sur elles la force, la résignation,nbsp;l’espérance. Notre-Seigneur Jesus I’avait promis a son serviteur Francois, et sa parole est éternelle (i). Conime son nom I’indique, la Porziuncula n’était, dans I’origine, qu’une petite eglise, ou plutót unenbsp;portion d’église. Sur les instances de l’évêque d’Assise, elle fut donnéenbsp;en aumóne a saint Frangois et a sa Congrégation naissante par l’abbénbsp;des Bénédiclins de Monte-Subazio. Elle est aujourd’hui un des plusnbsp;magnifiques temples et un des plus vénérables sanctuaires de l’Italie.nbsp;Sa gloire lui vient de la vision de saint Frangois, que Ie pinceau d’0-werbeck a reproduite dans une frcsque, chef-d’oeuvre de la renaissance catholique de Tart.

Or, telle fut la vision. Au mois d’octobre de Fan 1221, Francois, prosterné dans sa celluie, priait Dieu avec larmes pour la conversionnbsp;des pécheurs, lorsqu’il fut averti par un ange d’aller a l’église. II ynbsp;trouva Notre-Seigneur, sa très-sainte Mère et une multitude d’espritsnbsp;célestes. « Francois, lui dit Ie Sauveur, vous et vos frères avez unnbsp;grand zèle pour Ie salut des ames; vous avez été placé comme unnbsp;flambeau dans Ie monde, et Ie soutien de VÉglise. Demandez done cenbsp;que vous voudrez pour Ie bien des peoples, et pour ma gloire. »nbsp;Francois demanda pour tous ceux qui visiteraient cette église, unenbsp;indulgence piénière de leurs péchés, après s’en être confessés et re-pentis. La Mère des miséricordes s’inclina vers son Fils, qui réponditnbsp;è Francois : lt;f Je vous accorde ce que vous demandez; mais que celanbsp;soit ratifié sur la terre par celui a qui j’ai donné Ie pouvoir de liernbsp;et de délier. » Le lendemain, Francois partit pour Pérouse oü était Ienbsp;pape Honorius III, auquel il demanda l’indulgence. Le Pape lui dit :nbsp;« Francois, vous demandez quelque chose de grand et tout k faitnbsp;contre l’usage. — Saint-Père, répondit Francois, je ne vous le de-mande pas en inon nom, mais au nom de Jésus-Christ qui m’a en-envoyé. — Qu’il soit fait selon votre désir, dit le Pape; cette indulgence sera pour tous les ans a perpétuité, mais seulement pendant unnbsp;jour. » Deux ans après, Notre-Seigneur daigna fixer lui-même le journbsp;de l’indulgence, et dit a Francois : « Ce sera depuis le soir du journbsp;oü l’apètre saint Pierre se trouva délivré de ses liens jusqu’au soir du

(gt;) Vie de S. Franfois, par M. Chavin, c. xi, p. 180.

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FÊTE. nbsp;nbsp;nbsp;¦199

lendemain (i). » Et les choeurs des anges chantèrent Ie Te Deunt. Francois partit pour Rome : un rairaele éclatant confirma l’indul-gence au jour indiqué.

Depuis six cent vingt ans, toutes les populations de l’Ilalie et de nombreux pèlerins de toutes les parties de l’Europe et du monde sontnbsp;accourus è cette fête de miséricorde et de grftce. Nous ne pümes ennbsp;étre témoins nous-mêmes; plus heureux un voyogeur catholique vanbsp;nous prêter ses yeux et sa plume, et dire ce qu’il a vu, ce qui se voitnbsp;encore chaque année malgré Tindifférence qui glace Ie monde. « Quelnbsp;spectacle que ces troupes de quinze mille, vingt mille pèlerins, arri-vant de toutes les parties du monde, et campant dans la plaine deux ounbsp;trois jours avant l’heure sainte! Bien des peuples ne sont plus que fai-lilement représentés è ce saint rendez-vous d’indulgence, oü l’on comp-tait jadis cent mille personnes; mais les Italiens y sont restés fidèles.

» C’est la qu’il faut les voir avec leurs costumes si gracieux et si va-riés. Ce sont les paysans de la Toscane, les plus propres, les plus élégants de tous, surtout les femmes avec leur vêtement court, toujours lgt;Ieu OU écarlate, sans manches, leurs cheveux ordinaireraent blonds,nbsp;nattés en rond derrière la tête, leurs chapeaux de paille, et les longuesnbsp;touffes de rubans de diverses couleurs qui flottent autour d’elles. Cenbsp;sont les montagnards de l’Ombrie et des Abruzzes avec leurs brayesnbsp;serrées, leur justaucorps gris, leurs larges chapeaux, et cette chaus-sure de grosse toile et de cuir liés avec des cordelettes; les femmesnbsp;avec leur coiffure si riche, quoique grossière et simple, en toile blan-clie ou de couleur, leur corset de velours vert ou rouge bordé de noir;nbsp;leurs jupes larges ii mille plis, et leur mantelette, longue piece de drapnbsp;nrdinairement rouge ou bleu, bordée de quelque couleur voyante, etnbsp;'lont elles se drapent d’une manière pittoresque. C’est la dans cettenbsp;grande fête populaire que Ie peuple Italien apparait réellement peuple-*“oi, roi de la grace, de la poésie, de l’art; cette royauté vaut toutes lesnbsp;®ntres.

» Tout Ie long de la route de Pérouse h Spolette, plusieurs milles, *1®* marchands dressent leurs boutiques; on y vend des vivres, desnbsp;stoffes et surtout des chapelets, des médailles et autres petits objelsnbsp;*l®dévotion; chacun veut emporter un souvenir, un gage qui doitnbsp;charmer les embrassements du retour.

® La journée est ordinairement consacrée a visiter la Basilique d’As-

, (gt;) Volo quod sit dies illa, in qua bcatus Petrus fuit a vinculis absolulus; incipiendu a secundis vesperis illius dici, usque ad vesperas sequentis diei includendo noctem. —nbsp;Barth, de Pise,fol. 198.

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200 lES TROIS ROME.

sise, Ie tombeau de sainte Claire, Saint-Damien, tous les sancluaires vénérés de ce paradis de l’Apennin; mais les bandes pieuses, en chan-tanl des cantiques, aiment surlout a aller prier dans Fhumble et très-ancienne chapelle delle Carceri, solitude chérie de saint Francois. Lenbsp;soir, après que chacuu a pris son repas en familie, car il y a des families entières, ou avec des compagnons de route, les uns se reposentnbsp;de leur voyage, les autres racontent d’édifiantes histoires, quelques-uns chantent en. s’accompagnant d’instruments de leur pays. Sous cenbsp;ciel d’Italie, pendant ces nuits d’élé si sereines, les anges descendentnbsp;sur la terre et recueillent, pour les présenter a Dieu, toutes ces joiesnbsp;confiantes et ces douleurs résignées. Les portes de l’église restentnbsp;toujours ouvertes, et plus de trente confesseurs sont occupés a pansernbsp;et a guérir les blessures de Fame.

» L’intérieur du couvent présente Faspect d’un grand caravansérail, oü se serait arrêtée une nombreuse caravane. Tous les bons paysansnbsp;des environs, qui, plus d’une fois, ont accueilli le frère quêteur, descendent de leurs montagnes et viennent demander k leur tour unenbsp;bospitalité qu’ils n’ont janiais refusée. D’ailleurs le couvent est parnbsp;excellence la maison du peuple; il s’y établit comme chez lui. Dans lanbsp;cour il met son 4ne, son cheval; il se couche tranquillement dans lesnbsp;corridors, dans les cloitres et sur les marches des escaliers.

» Cependant Ia cloche du Sagro-Convento donne le signa! solennel que la journée du pardon s’ouvre dans le ciel et sur la terre. Tous lesnbsp;religieux de Saint-Frangois défilent en longues processions sur la routenbsp;d’Assise; Févêque suit avec le clergé, tous les grands personnages ec-clésiastiques et les maglstrats. Les portes de INotre-Dame-des-Angesnbsp;s’ouvrent avec cérémonie, et le peuple s’y précipite avec une passion,nbsp;un délire dont il est difficile de se faire une idéé. Ce sont des invocations, des cantiques, des larmes : chacun a sa manière témoigne ènbsp;Marie, reine des anges et des hommes, son amour, son respect, sa reconnaissance : il est impossible de n’être pas profondément ému d’unnbsp;pareil spectacle (i). »

Assise nous offrit a chaque pas les souvenirs de saint Francois. Nous visitames successivement Féglise etle monastère de Sainte-Claire, première abbesse des Clarisses, et dont le corps repose sous le maitrenbsp;autel, entouré des fresques de Giotto; Saint-Damien, oü nous vimesnbsp;la porte murée de laquelle sainte Claire, armée du Saint-Sacrement,nbsp;repoussa les Sarrasins déjè maitres de la ville; le couvent et la doublenbsp;église de Saint-Frangois.

(0 Vie de S. Francois, c. xi, passim.

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ASSISE.

A notre grand déplaisir, nous ne pumes donner qu’un rapidecoup d’oeil a celte perle de I’Ualie; car c’est ici le chef-d’oeuvre de I’ecolenbsp;Ombrienne et le veritable sanctuaire de Tart catbolique. Le conventnbsp;avec ses merveilleux cloitres, et son réfectoire, le plus .superbe des ré-fectoires, répond, par ses proportions et par ses fresquesd’Adone Doninbsp;et de Solimène, amp; la magnificence de I’eglise. L’église elle-même estnbsp;une épopée qui retrace la vie du Saint dans sa double phase du tempsnbsp;et de Téternité. L’église inférieure, image de Frangois sur la terre,nbsp;respire la tristesse, la pauvreté et la pénitence. Aux compartimentsnbsp;de la voute du transept, vous voyez les inséparables compagnes ou,nbsp;pour mieux dire, la personnification du glorieux patriarche : c’est lanbsp;sainte pauvreté, la sainte obéissance, la sainte chastete, et plus haul lanbsp;glorification de Francois, assis sur un trone d’or, rayonnant de lu-naière, revétu de la riche tunique de diacre, et entouré des choeursnbsp;angéliques qui célèbrent son triompbe. L’oeil admire ceschefs-d’oeuvre,nbsp;le coeur prie devant ces figures, et I’esprit demande quel est I’auteurnbsp;de ces pages inspirées.

En 1250, le patriarche de la peinlure, Cimabue, était 6 Assise, poignant les grandes figures byzantines de l’église supérieure. Or, un jour se promcnanl dans la campagne de Vespigniano, il trouva unnbsp;pauvre petit berger qui dessinait sur une pierre plate une brebis donbsp;son troupeau : c’était le roi futur de Fart catbolique; il s’appellenbsp;Giotto. Dans la plénitude de son inimitable talent, il a peint, avec unnbsp;amour filial, les grandes figures devant lesquelles six siècles sent reslésnbsp;lüuets d’admiration. De son cóté, Giottino, supérieur peut-étre anbsp;Giotto pour la forme, I’harmonie et le sentiment, a déposé le tributnbsp;de son génie dans I’histoire de Notre-Seigneur et de la très-saintenbsp;Vierge, qui décore la croisée droite de l’église inférieure. Stefanonbsp;Piorentino, Puccio Capanna, Buonnamico, Bulfalmacco et bien d’au-tres sent venus écrire quelques lignes de ce grand poème. L’un d’euxnbsp;®xprimait ainsi la pensée de tous ; «.Nous autres peintres, en travail-^3nt dans ce sanctuaire des beaux-arts, nous ne nous occupons d’autrenbsp;®bose que de faire des saints et des saintes sur les murs et sur les au-I'^ls, afin que par ce moyen les hommes, au grand dépit des démons,nbsp;®oient plus portés i la vertu et i la piété. » A la bonne heure; voilanbsp;artistes qui comprennent leur mission, la mission du génie.

L’église supérieure, brillante, lumineuse, image de Francois dans splendeurs de l’éternité, forme un habile contraste avec l’églisenbsp;inférieure. Cimabue y peignit les quatre docteurs, saint Ambroise,nbsp;Saint Augustin, saint Grégoire et saint Jéróme, el les grandes fresques

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202 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.

de I'Aneiou et du Nouveau Testament : on allribue ü Marp;arilone les gigantesques figures qui ornent les cótés d’une fenêtre. L’ami, Ie con-disciple de Raphael, Aluigi d’Assise, que son merveilleux talent fitnbsp;surnommer VIngegno, l’esprit, suspendil aux voutes de la chapelle denbsp;saint Louis, les iniinitables groupes des quatre Sibylles et des quatrenbsp;Prophètes.

L’église elle-même, premier monument gothique de ITtalie, respire Ie symbolisme profond des temples du Nord. Elle est double, nous ennbsp;savons la raison myslérieuse; bütie sur Ie modèle de la croix, elle offrenbsp;de plus, dans sa partie inférieure, la figure mystérieuse du Tau, im-primé sur Ie front de saint Francois; dédiée a Marie, Reine des Anges,nbsp;et aux saints Apótres, elle a ses murs de marbre blanc, pour signifiernbsp;la pureté de Marie et des anges, et ses douze tourelles de marbre rougenbsp;en mémoire du sang répandu des Apótres (i).

Après nous être prosternés è l’imitation de tant de millions de pèle-rins devant Ie tombeau de saint Francois, Ie plus glorieux après celui du Calvaire, dit un historiën, nous nous rendimes au lieu même oiinbsp;naquit eet homme unique dans les annales du monde. Comme Ie divinnbsp;Maitre dont il devait étre un si parfait imitateur, Francois vit Ie journbsp;dans une étable et fut déposé sur la paille. Au-dessus de la porte denbsp;ce lieu vénérable, on lit;

Hoc oratorium fuit bovis et asini stabulum In quo natuü est Franciscus niUnJi speculum.

Des hauteurs d’Assise nous saluómes dans Ie lointain Pérouse et ses monuments étrusques; Ie lac de Trasimène et Annibal vainqueur, etnbsp;Flaminius vaincu; el les cimes élancées de l’Apennin, avec leur ermitage de Camaldoli et leur couvent de Monte-Corona, habité par les filsnbsp;de saint Romuald, en qui Ie ton, Ie langage, les manières dislinguéesnbsp;de la bonne compagnie, se réunissent il rhumililé des anachorètes etnbsp;ó la charité des religieux hospitallers.

En retournantó Foligno, il nous semblait prés de Nolre-Dame-des-Anges contempler, dans la plaine, ces cinq mille religieux, disciples de saint Francois, venus au chapitre général de l’an 1219. A la vuenbsp;de cette armee logée non loin du Chiascio dans des cabanes faites avecnbsp;des naltes de paille et de jonc, et campée ainsi autour de son chef, onnbsp;ne peut s’empêcher d’admirer la miraculeuse propagation de eet ordre,nbsp;et de se demander quelle en fut la raison providenlielle. 11 faudrail,

(0 Hist. sacr. Conv. A.t.sis. p. 26.

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TOI.ENTINO. nbsp;nbsp;nbsp;203

pour la développer, raconter l’histoire du moyen age. Qu’il suffise de dire que la prédication vivante des vertus évangéliques était, parminbsp;les populations de 1’Europe et surtout de l’Italie, d’un a-propos etnbsp;d’une nécessité vivement sentis. Chasser les hérésies qui sous millenbsp;noms divers se glissaient partout; rétablir la paix entre les princes,nbsp;les villes, et les républiques, en tarissant par d’illustres exemples lesnbsp;sources fccondes de toutes les gucrres : la concupiscence des yeux, lanbsp;concupiscence de la chair et la concupiscence de l’or : tel était Ienbsp;grand besoin du monde. Francois et Dominique furent chargés denbsp;cette mission; ils l’accomplirent, et la face de la terre fut renouvelée.nbsp;Y a-t-il lieu de s’étonner si la voix unanime des peuples a salué avecnbsp;transport ces deux envoyés du Ciel, si les arts è l’envi ont célébrénbsp;leurs bienfaits, et si l’Église a couronné leurs vertus?

2 AVRIL.

Tolentino. — Saint;Nicolas. — Napoléon. — Murat. — Macerata.—Recanati. — Loretle.

— Porte do la Ville. — Rue. — Place. — Histoiie de la sainte Maison de Nazareth.

A la pointe du jour nous étions a Tolentino. D’épaisses ténèbres nous avaient dérobé la vue des gorges mal famées et des précipicesnbsp;effrayanls, au milieu desquels on traverse cette partie de l’Apenninnbsp;qui sépare l’Ombrie de la Marche d’Ancóne. Entre deux montagnes anbsp;peine éloignées Tune de l’autre de cent cinquante toises, Ie gros bourgnbsp;de Serravalle, avec les murs pantelanls de son vieux chateau, avaitnbsp;passé sous nos yeux comme je ne sais quelle vision des Mille et unenbsp;t^^uüs. Au pont de la Trave, nous salutlmes, de loin sur la gauche,nbsp;Camerino, petite ville qui raconte encore avec orgueil qu’elle envoyanbsp;SIX cents hommes, la fleur de sa jeunesse, a Scipion pour passer ennbsp;Afrique.

Tolentino, bAti sur la Chienta, est une petite ville intéressante seu-lement par les souvenirs qui s’y rattachent. Le plus vivace, Ie plus populaire quoique le plus ancien, est celui d’un pauvre religieux appelé du nom béni de saint Nicolas de Tolentino. II fut un de ces prodigesnbsp;de pénitence que la miséricorde divine envoie aux peuples qu’elle veutnbsp;^Pargner. L’histoire de l’époque révèle le secret de sa mission. Pendant trenle années enlicres, le saint prêtre jeuna, pria, édifia sa seconde patrie. II mourut le 10 septembre 1508; et la reconnaissancenbsp;Publique et la confiance filiale qui l’avaient environné pendant sa vie,nbsp;1 environnent encore six cents ans après sa mort. La chambre qu’il

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204 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.

sanctifia par sa présence, les instruments de pénitence avec lesquels il expiait sur sa chair innocente les iniquités d’autrui, la chapelle oünbsp;tant de fois il immola l’auguste Vietime et dans laquelle repose sonnbsp;corps sacré, tout cela est encore Ie trésor, la joie, Ie sanctuaire chérinbsp;des Tolentins.

Agenouillés nous-mêmes sur ces lieux, en présence de ces objets, témoins de tant de vertus, nous mêlames avec amour nos fugitivesnbsp;prières a celles de tant d’autres, en répétant avec Ie Prophéte : Qu’ilnbsp;fait bon vous servir, grand Dieu! qui payez quelques années de labeurnbsp;par des siècles de gloire, sans préjudice des félicités éternelles.

A ce souvenir, si doux au chrétien, en succède un autre humiliant et pénible pour Ie voyageur frangais. Tolentino rappelle Ie traité, ounbsp;plutót l’acte d’odieuse spoliation par lequel Ie Directoire, abusant dunbsp;droit de la force, enleva au Saint-Père Ie comtat Venaissin, Ferrare, lanbsp;Romagne, trente-un millions de francs, des tableaux, des statues, etnbsp;autres objets précieux, pour une somme incalculable. Dix-huit ansnbsp;plus tard, Ie 3 mai 1813, Ie beau-frère de 1’homme qui avait dicté cesnbsp;iniques et dures conditions, perdait, au même lieu, une bataille et unnbsp;royaume!

Au travers d’une plaine fertile et bien cullivée, on arrive Mace-rata. Cette ville de douze mille amp;mes, située sur une gracieuse colline, occupe remplacement de Pancienne Ilclvia Ricina, dont les ruinesnbsp;blanchiUres, parsemées et Ié dans les environs, ressemblent é desnbsp;ossements sur un vieux champ de bataille. L’église de la Miséricordenbsp;mérite d’etre vue. Sa magnificence rappelle au voyageur qu’il est encorenbsp;dans la patrie des arts, tandis que l’Adriatique, dont la surface azuréenbsp;borne l’horizon, lui annonce qu’il touche aux limitos de l’Italie. Onnbsp;descend deMacerata dans une campagne ou plutót dans un vaste jardinnbsp;tout émaillé de tulipes venues d’elles-mêmes comme les coquelicotsnbsp;dans nos champs de blé. Rien de plus agréable que ce coup d’oeil, auxnbsp;premiers jours du printemps : Ie paysage tout entier semble se parernbsp;de gréces, a mesure qu’on approche du sanctuaire chéri de l’aimablenbsp;Reine du ciel.

Du fond de la vallée, la route s’élève en serpentant sur Ie flanc d’une longue colline dominéé par la ville de Recanati. Des habitants,nbsp;descendus pour chercher de l’eau et du bois dans la plaine, remon-taient avec nous vers la cilé aérienne. Les uns portaient eux-mêmesnbsp;leurs fardeaux; les autres s’en étaient déchargés sur Ie dos de quelques énes, en tout pays complaisants servileurs du pauvre. Ce pénible labeur, qui se renouvelle chaque jour, est une suite des guerres


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RECXNMl. 203

sans cesse renaissantes qui désolèrent si longtemps les républiques iia-liennes. Pour mettre sa vie, sa fortune, sa liberté a l’abri du brigandage et de la dévastation, on fut obligé de se réfugier sur les hauteurs ; et par conséquent de faire venir de la plaine les choses nécessaires «I la vie. Recanati offre au voyageur un remarquable monument ennbsp;bronze, placé sur la facade de PHotel-de-Ville, et qui rappelle lanbsp;translation de la Santa Casa dans Ie territoire de la Cité.

En sortant de Recanati, nous primes 'la route du Mont-Royal, et descendimes dans une belle campagne qui sert d’avenue a Lorette. Lanbsp;ville apparait dans Ic lointain, gvacieusement assise sur Ie plateaunbsp;d’une verte colline. Au-dessus des remparts s’élance Ie svelte clochernbsp;et la majestueuse coupole de la Basilique : a cette vue Ie coeur vousnbsp;bat fortement; on aspire au bonheur de mettre Ie pied sur cette terrenbsp;de miracles. Toutefois un Instant l’attention est attirée par un autrenbsp;objet: je veux parler de l’aqueduc dont les arceaux gigantesques sor-tent d’une colline, traversent la plaine, rentrent dans Ie flanc d’unenbsp;montagne, et vont porter une source abondante el pure au milieu denbsp;la place publique de Lorette. Get ouvrage, digne des Remains, est dünbsp;au cardinal Scipion Borghese, protecteur de la sainte Chapelle, ennbsp;l’an 1620.

Enfin nous arrivons a Ia porte Romaine. Deux statues de prophètes surmontéesde la statue de Marie en forment 1’encadrement et annoncentnbsp;que la reine de la cité est la Vierge divine annoncée par les prophètes.nbsp;Nous voici sur la place des Coqs, ainsi appelée d’une superbe fon-taine ornée d’un dragon et de quatre coqs qui jettent une eau limpide:nbsp;devant nous se déroule la Grande-Rue, ou pour mieux dire l’uniquenbsp;rue de Lorette. Mais cette rue est large, longue, bien pavée; et,nbsp;comme celle d’Einsiedeln, bordée de chaque c6té de boutiques oünbsp;1’on vend des chapelets, des médailles el autres objets de dévotion.nbsp;Elle aboutit ii la superbe place de la Madone, exéculée sur les dessinsnbsp;•Ie San Gallo, et terminée par Fauguste Basilique. Au milieu s’élèvenbsp;Une magnifique fontaine, dont la pyramide et Ie vaste bassin sont em-tellis par des armoiries, et des groupes d’aigles, de dragons et denbsp;tritons en bronze, chefs-d’oeuvre des deux Jacometti. A gauche, Ie paleis apostolique présente sa brillante facade et rappelle glorieusementnbsp;tes souverains pontifes Jules II et Benoil XIV; enfin, sur la droite estnbsp;Ie collége Illyrien, oü les pères jésuites forment une nombreuse jeu-Uesse a Ia science et è Ia vertu.

Après ce premier coup d’oeil, suivi d’un premier hommage offert ü Marie sur Ie seuil de son sanctuaire, nous entrames a Fholel della

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206 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME,

Campana. Quelques heures de repos, rendues nécessaires par les fatigues de Ia route, devaient précéder la visite détaillée de l’Église et de la sainte Maison. Elles furent employées ii nous rappeler l’histoirenbsp;du saint lieu, que je vais rapporter en peu de mots.

L’Évangile nous apprend que la sainte Vierge avait sa maison dans la petite ville de Nazareth en Galilee. Elle y vivait avec saint Joseph,nbsp;lorsque’l’archange Gahriel vint lui annoncer Ie mystère de Tlncarna-tion qui s’accomplit aussitót dans ses chastes entrailles. Elle y revintnbsp;habiter au retour de la fuite en Egypte avec saint Joseph et l’enfantnbsp;Jésus. La sainte familie n’eut pas d’autre séjour, jusqu’i la predicationnbsp;publique de Notre-Seigneur. Get humble asile fut dönc Ie témoin denbsp;l’enfance du Fils de Dieu, de ses vertus, de ses entretiens avec Marienbsp;sa mere et saint Joseph son père nourricier. La s’accomplirent, dansnbsp;Ie silence et Fobscurité, les ineffables mystères d’humilité, de pau-vreté, d’obéissance et d’amour, qui, révélés plus tard, sont devenusnbsp;la base de l’Évangile et Ie principe de la plus étonnante révolution morale dont Ie monde ait conservé Ie souvenir. Qu’on juge de Tamournbsp;filial et de la vénération profonde des Apótres et des premiers chré-liens, pour un lieu tout a la fois si éloquent et si saint! On comprendnbsp;qu’ils ont dü Ie garder avec un soin jaloux et Ie visiter souvent; l’his-toire vient confirmer cette induction du simple bon sens. Elle nousnbsp;montre, depuis I’ascension de Notre-Seigneur dans Ie ciel, une procession non interrompue de pèlerins accourus de tous les lieux denbsp;rOrlent et de 1’Occident, pour vénérer Ie berceau de la foi calholique,nbsp;la sainte Maison de Nazareth (i).

A la suite des Apótres et des fidèles de Jérusalem, voici venir les pontifes de l’Occident, les plus illustres matrones de la Ville éternelle,nbsp;la reine du monde, l’impératrice sainte Hélène; puis l’Occident toutnbsp;entier représenté par ses myriades de chevaliers et de croisés, solennelnbsp;pèlerinage qui fut dos par Ie plus illustre de nos rois. L’an 1252,nbsp;saint Louis, sur Ie point de revenir en France, assista une dernièrenbsp;fois 5i ToUice divin dans la sainte maison de Nazareth (2). L’existencenbsp;perpétuelle et l’identité de l’auguste demeure étaient des faits incon-testés et incontestables, comme des faits qui avaient eu pour térooins

(1) Ob liffiC igiuir, qu.-B in hac urbe operata sunt mysleria, Apostoli post Christi in coelos ascensionem, li. M. V. domicilium, in quo ab angelo salulala Christum Dominumnbsp;roncepit, sacris usibus dedicaruut;... eodemque poslmodum loco Dei Genitrici pera-moenuifl, et quod archicpiscopali cathedra pra;celleret, cxcitatum tuit tcropluin.nbsp;Adricom. in Zabulon de Nazareth, n. 73; S. Ilieron. epist. 27 ad Eustoch.

(•¦!) Guillel. de Nangis. De Gcuis S. Ludovici.

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SAINTE MAISOJi DE NAZARETH. nbsp;nbsp;nbsp;207

rOrient et TOccident pendant treize siècles ; la description en était sur loutes les lèvres et dans tons les livves.

Cependant Ie depart de saint Louis fut Ie signa! d’une nouvelle invasion de la barbarie musulmane, el de sa domination séculaire dans la Palestine. La prise de Damiette et Ie sac de Ptolémaïde rendirent Ienbsp;Calife d’Égypte maitre de tout Ie pays. Irrité de ses précédentes dé-faites, Ie nouvel Anliochus allait se venger par des ravages et des profanations inouïes. C’est a ce moment solennel que la sainte maison denbsp;Nazareth disparut, ne laissant sur Ie sol que ses fondations échancrées.

Or, Ie iO mai de l’an 1291, sous Ie ponlificat de Nicolas IV, sons l’empire de Rodolphe Pquot;', Nicolas Frangipane, de l’antlque. familienbsp;Anicia, étant gouverneur de la Dalmatie, et Alexandre de Giorgio,nbsp;natif de Medrusia, étant évêque de Saint-Georges, quelques habitantsnbsp;des bords de l’Adriatique étaient sortis de grand matin pour aller auxnbsp;travaux de la campagne. Entre Fiume et la petite ville de Tersalz, ilsnbsp;trouvent non loin de la raer, en un lieu appelé Raunizza, un édificenbsp;solitaire, placé dans un endroit oü jamais Ton n’avait vu jusquela ninbsp;maison ni cabane. Ils courent, hors d’eux-mêmes, annoncer ce qu’ilsnbsp;ont vu. On arrive de toutes parts, on examine Ie mystérieux bïUimcnt,nbsp;construit de petites pierres rouges et carrées, liées ensemble par dunbsp;ciment. On s’étonne de la singularité de sa structure, de son air d’an-tiquité; on ne peut surtout s’expliquer comment il se tient debout,nbsp;posé sur la terre nue sans aucun fondement.

Mais la surprise augmente quand on pénètre dans l’inlérieur par Funique porte ouverle sur Ie cóté. La chambre forme un carré long.nbsp;Le plafond surmonté d’un petit clocher est de bois, peint en couleurnbsp;d’azur, et divisé en plusieurs compartiments parsemés 5^1 et la d’étoi-les dorées. Autour des murs et au-dessous des lambris, on reraarquenbsp;plusieurs demi-cercles qui s’arrondissent les uns prés des autres, etnbsp;paraissent entremélés de vases diversement variés dans leur forme.nbsp;Les murs épais environ d’une coudée, construits sans régie et sansnbsp;niveau, ne suivent pas exactement la ligne verticale. A droite de ianbsp;porte s’ouvre une étroite et unique fenêtre. En face s’élève un autelnbsp;construit en pierres fortes et carrées, que domine une croix grecquenbsp;nrnée d’un crucifix peint sur une toile collée au bois, oü brille le litrenbsp;sacré de notre salut; « Jésus de Nazareth, roi des Juifs. » Sur la droite

1’autel apparait une statue de la sainte Vierge debout, et portanl 1’enfant Jésus dans ses bras. Les visages sont peints d’une couleurnbsp;semblable a l’argent, mais noircis par le temps et sans doule par lanbsp;fumée des cierges brülés devant ces saintes images. La lête de Marie

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208 nbsp;nbsp;nbsp;I.ES TROIS ROME.

est ornée d’une couronne de perles; ses cheveux partagés è la naza-réenne flottent sur son cou; son corps est vétu d’une robe dorée qui, soutenue par une large ceinture, tombe flottante jusqu’aux pieds; unnbsp;manteau bleu recouvre ses épaules : l’un et l’autre sont ciselés et formes du même bols que la statue elle-même. L’Enfant Jésus, d’unenbsp;taille plus qu’ordinaire, et d’une figure pleine de majesté, a la cheve-lure partagée sur Ie front comme cellè des Nazaréens, dont il portenbsp;l’habit et la ceinture, léve les premiers doigts de la main droite,nbsp;comme pour donncr sa bénédiction, et de la gauche soutient un globe,nbsp;symbole de son pouvoir souverain sur l’univers.

A gauche, prés de l’autel, on voit une petite armoire, ou placard, pratiquée dans Ie mur, qui semble destince a recevoir les ustensilesnbsp;nécessaires h un pauvre ménage : il renferme quelques petits vases ounbsp;écuelles, semblahles i ceux dont se servent, pour prendre leur nour-riture, les pauvres habitants des campagnes. Enfin, prés de lè, unenbsp;espèce de cheminée ou foyer, surmontée d’une niche et soutenue parnbsp;des colonnes ornées de candélabres. Telle était la disposition de cenbsp;mystérieux sanctuaire.

D’oü vient-il? Quelle est cette demeure inconnue? Quelle main l’a tout a coup transportée dans un lieu ou jamais on n’a vu d’habitation ?nbsp;quelle puissance la soutient sur le sol, sans aucun fondement? voilénbsp;les questions que tout le monde fait et auxquelles nul ne peut répon-dre : la stupeur est générale. Tout a coup on voit venir l’évêquenbsp;Alexandre, la démarche vive, assurée, le visage rayonnant de honheur ;nbsp;nouveau sujet d’étonnement. Tout le monde savait le saint évéque at-teint depuis trois ans d’une hydropisie déclarée incurable par les mé-decins, et tellement malade que, depuis longtemps, il ne pouvait plusnbsp;quitter le lit, d’ou 1’on s’atlendait de jour en jour a le voir descendrenbsp;dans la tombe. Au milieu du silence que commande son apparitionnbsp;inattendue, miraculeuse, il raconte en ces termes ce qui lui est arrivé.nbsp;« J’étais dans mon lit, mourant, lorsqu’on est venu m’apprendre I’ar-rivée de cette maison inconnue. J’ai conjuré la très-sainte Vierge denbsp;m’obtenir assez de forces pour venir moi-même visiter ce sanctuairenbsp;raerveilleux et y implorer son puissant secours, résolu que j’étais denbsp;m’y faire apporter si je ne pouvais y venir de moi-même. Touchée denbsp;mon désir, la sainte Vierge m’est apparue, resplendissante de lumière,nbsp;et elle m’a dit ; a Alexandre, vous m’avez invoquée; me void venuenbsp;é votre secours. Sachez que la maison qui vient d’apparaitre en cenbsp;pays, est la maison même ou j’ai pris naissance 4 Nazareth; ou j’ainbsp;re^u la visile de I’ange Gabriel, oii le Verbe s’est fait chair dans mon

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SAINTE MAISON DE NAZARETH. nbsp;nbsp;nbsp;209

Sein. Soyez vous-même pour tout Ie peuple la preuve vivanle de la vé-rité de mes paroles; soyez guéri. Et la sainte Vierge a disparu; et j’ai été guéri. » Or se jeter a genoux, bénir sa bienfaitriee, courir a l’au-guste sanctuaire pour lui rendre graces, fut tout a la fois pour Ie vé-nérable évèque Ie premier besoin de sou coeur, et pour tout Ie peuplenbsp;la preuve éclatante que cette visite surnaturelle n’était pas une chimère enfantée dans un cerveau égaré par la douleur.

Cependant la nouvelle du prodigieux événement arrive aux orellles du gouverneur de la Dalmatie. II accourt, prend les plus minutieusesnbsp;informations, interroge, voit par lui-même; et enfin, pour s’assurernbsp;par une preuve matérielle et sans réplique de la vérité, il décide quenbsp;qualre commissaires, choisis de sa main, partiront immédiatementnbsp;pour la Palestine, avec les plans et les dimensions de la mystérieusenbsp;chapelle; qu’ils s’assureront par eux-mêmes et qu’ils diront sous lanbsp;foi du serment : 1“ si la maison de la sainte Vierge, è Nazareth, con-nue de toute la chrétienté, a réellement disparu sans qu’on sache cenbsp;qu’elle est devenue, ni quelle main 1’a enlevée; 2® si les bases sontnbsp;restées; 3® si leur figure et feurs dimensions cadrent avec fes murs denbsp;la maison qui vient d’arriver; 4® si la nature de la pierre est la même;nbsp;5® si c’est identiquement Ie même genre de construction, en sortenbsp;qu’il soit impossible de nier que ces bases, restées a Nazareth, et lanbsp;maison récemment apparue è Tersatz soient Ie même édifice en deuxnbsp;parties.

Les quatre commissaires, égalemént éminents par leur science et leur vertu, partent pour la Palestine, lis s’adressent aux chrétiens denbsp;Nazareth, et leur demandent oü est la maison de la sainte Vierge.nbsp;Ceux-ci leur répondent en pleurant qu’elle a disparu depuis pen denbsp;lomps, sans qu’on sache cc qu’elle est devenue; qu’ils peuvent biennbsp;encore leur en montrer les fondations, mais rien de plus; qu’ils nenbsp;peuvent imaginer comment on a pu enlever cette sainte maison sansnbsp;laisser sur place autre chose que les fondements échancrés. Les commissaires sont conduits sur remplacement et vérifient de leurs yeux Ienbsp;fécit des chrétiens. Pourremplir leur mandat, ils se raettent a prendrenbsp;la longueur, la largeur, les dimensions des fondements; étudient lanbsp;Dature de la pierre, Ie genre de construction, calculent Ie temps quinbsp;s’est écoulé entre la disparation de la maison et son arrivée en Dalmate. Tout se trouve d’une exactitude parfaite. Ils écrivent leur témoi-gnage, Ie rapportent au gouverneur, Ie confirment par un sermentnbsp;Solennel, et répètent vingt fois, devant toute la province, ce qu’ils ontnbsp;l^ait et ce qu’ils ont vu.

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210 LES TROIS ROME.

Le fait est constant : Tersatz a Ie bonheur de posséder la sainte maison de Nazareth. La Dalmatie tout entière, Ia Bosnië, la Servie,nbsp;l’Albanie, la Croatie, toutes les provinces semblent se vider pour ré-pandre leurs habitants sur cette terre favorisée du Ciel. Mais, hélas!nbsp;ni les hommages des fidèles, ni le dévouement du souverain, ne purentnbsp;lixer dans ces lieux I’inestimable trésor : trois ans et demi après sonnbsp;arrivée, la maison de Nazareth disparut aux regards de ces chrétiensnbsp;désolés.

Porté sur les mains des anges, le vénérable berceau de leur auguste Reine vint se reposer au milieu d’un bois de lauriers, dans le terri-loire de Recanati. Des prodiges nouveaux, qu’il serait trop long denbsp;rapporter, signalèrent sa présence. D’innombrables pèlerins accourusnbsp;de toute l’Italie et de la Dalmatie le visitent, le reconnaissent et ré-pandent des larmes, les uns de joie, les autres d’inconsolable douleur.nbsp;A quelque temps de 1amp;, on ne retrouve plus la sainte Maison; elle estnbsp;venue se reposer a trois milles de Ia ville de Recanati, sur un petitnbsp;monticule, dans le voisinage d’un grand chemin. La piété publique anbsp;pris un nouvel essor; il n’est plus question que du nouveau prodige.nbsp;Quatre mois après, une autre translation s’accomplit : le myslérieuxnbsp;sanctuaire est trouvé au milieu de la voie publique qui conduit denbsp;Recanati au rivage de la mer. C’est lè qu’il est encore aujourd’hui :nbsp;c’est Lorette.

On demande sans doute pourquoi ces différentes translations, ac-complies dans l’intervalle de quélques années. Que sommes-nous pour connaitreles pensées de Dieu, et pénétrer le secret de ses conseils?nbsp;Cependant ne peut-on pas répondre que, par ces différentes translations qui toutes s’enchainent et se confirment, Dieu voulait donner ènbsp;ce prodige une telle évidence qu’il fut impossible de le révoquer ennbsp;doute? En effet, l’attention publique, tout entière fixée sur ce prodigenbsp;inou’i, provoqua de nouvelles recherches; ces recherches furent sui-vies de nouvelles preuves, qui ont élevé la démonstration è la dernièrenbsp;puissance.

En effet, l’étonnant récit de ce qui se passe sur le terriloire de Re-canati est communiqué au pape Boniface VUL En cette circonstance comme dans toutes les autres, Rome agit avec la prudente réserve quinbsp;Ia caractérise. Le Saint-Père ordonne a l’évêque de Recanati de prendrenbsp;un soin particulier du précieux dépót, dont il' l’engage è faire de nouveau constater l’identité.

Le conseil du Pontife est un ordre; 1’an 1296 une célèbre députa-tion, composée de quatorze chevaliers, part de Recanati. Elle emporte


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SAINTE MAISON DE NAZARETH. nbsp;nbsp;nbsp;21 I

les mesures et les plans du sanctuaire nouvellement arrivé a Lorette; elle passe en Dalmatie, dont les habitants inconsolables montrent lenbsp;lieu occupé naguère par la sainte Maison. Les députés examinent avecnbsp;soin la chapelle batie sur ce terrain d’après le modèle de celle qui,nbsp;pendant plus de trois ans, y avail reposé. Ils appliquent a ce monument les mesures de la maison de Lorette, et ils trouvent une entièrenbsp;et parfaite conformité. Ils remarquent, en outre, que le même. jour quinbsp;a vu disparaitre le sanctuaire de Tersatz, I’a vu paraitre sur le terri-toire de Recanati.

Les chevaliers remettent a la voile et,arrivent en Palestine. Ce qu’a-vaient fait cinq ans plus tót les commissaires dalmates, la députation de Recanati le renouvelle avec une attention plus grande encore, s’il estnbsp;possible. Existence des fondations, disparition des murailles, naturenbsp;de la pierre, longueur, largeur, configuration de I’emplacement, toutnbsp;est examiné, comparé avec les plans et les modèles de Tersatz et denbsp;Lorette : l’identité est parfaite. A cette vue la jole éclate, les larmesnbsp;coulent avec abondance; on repart, beureux de rapporterla certitudenbsp;palpable que Lorette possède le plus précieux de tous les trésors; onnbsp;arrive en presence du peuple et des magistrats, le témoignage estnbsp;rendu sous la foi du serment; il est signé et déposé dans les archivesnbsp;de la ville, afin de perpétuer le souvenir d’un événement si digne d’êtrenbsp;transmis è tous les ages. On le voit, pour constater le prodige, la foinbsp;simple et naive de nos pores s’y prit exactement de la même manièrenbsp;que pourrait le faire la haute raison de l’Académie des sciences ounbsp;1’esprit soupfonneux et défiant de notre époque (i).

A la démonstration de la science, le Ciel vint ajouter son témoignage. Outre le prodige perpétuel de I’apparition et de la translation du sanctuaire; outre la guérison de l’évêque Alexandre et la révélationnbsp;de saint Nicolas de Tolentin, des miracles particuliers, palpables,nbsp;eclatent de tous cótés en confirmation du fait qui occupe tous les esprits. La foi publique est dêsormais fixée sur un fondement immuable,nbsp;comrae le rocher. L’Europe entière s’émeut. Alors cette processionnbsp;immense, solennelle, qui, durant ireize siècles, arrivait a Nazareth denbsp;Routes les parties de I’Orient et de TOccident, change son cours et senbsp;dirige vers I’heureuse colline de Lorette. Comraencée il y a six centsnbsp;30S, cette procession continue toujours; dans ses rangs elle a vu toutnbsp;ce que le monde civilisé connait de plus savant, de plus grand, de plusnbsp;illustre, de plus saint, de plus auguste, mêlé a tout ce qu’il y a de

(gt;) Voir, la fin du volume, les pieces juslificalives.

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212 nbsp;nbsp;nbsp;les TROIS ROME.

plus pauvre et de plus naïf ; les peuples et les rois, les empereurs et les impératrices, les papes eux-mémes sont venus présenter leursnbsp;humbles prières et leurs magnifiques offrandes dans la bienheureusenbsp;maison de Marie, et accomplir solennellement la prophétique parolenbsp;de la Vierge de Juda : « Dcsormais toutes les nations m’appellerontnbsp;bienheureuse. »

Telle est en abrégé l’histoire de la sainte Maison de Lorette, que nous verrons deraain (i).

5 AVRIL.

Impression. — Messc a la Sainte-Cliapelle. — Description de TÉglisc. —Du monument

qui enioure la Saintc-Chapelle.— De la Sainle-Chapclle.— La Sacristie.— Le Trésor.

— Lc Palais apostoliquc. — La Pharmacie. — Les Dames du Sacré-Coeur,

En remuant les preuves du miracle, l’hisloire de la Santa-Casa forme dans Fame du voyageur, je ne sais quel indicible mélange denbsp;foi, de respect, de crainte, .de confiance et de joie, il redoute et il dé-sire le moment solennel oü il lui sera donné de voir la grande mer-veille. Pénétrés de ce double sentiment, nous franchimes la porte denbsp;bronze de la Basilique, et, Foeil fixé sur la Sainle-Chapelle élevée aunbsp;milieu du sancluaire,nous allames nous prosterner au seuil de la porte.nbsp;Lamp;, on ne vit plus que par le coeur; les sens se ferment, et toutes lesnbsp;puissances de Fame, absorbées dans un seul objet, s’écoulent en quel-que sorte dans les sentiments qu’il inspire. Encore quelques instants,nbsp;et nous allions entrer dans ce sanctuaire profondément vénérable; etnbsp;moi, prêtre, monter it eet autel oü saint Pierre était monté, et aprèsnbsp;lui tant de saints de FOrient et de FOccident. A la vue de ces lieuxnbsp;qui en furent les heureux lémoins, le grand mystère de FIncarnationnbsp;vous apparait dans tous ses détails : les personnages sont devant vous;nbsp;ils s’animent, on les voit, on les entend.

II y a dix-huit cent quarante-trois ans, un Archange resplendissant de lumières fut envoyé du ciel sur la terre pour apporter la plusnbsp;grande, la plus consolante nouvelle que le genre humain puisse ap-prendre. II descendit a Nazareth de Galilée, dans une pauvre petitenbsp;maison. Et cette maison, la voici: je la vois de mes yeux, je la touchenbsp;de mes mains.

(t) L’histoirc de la sahilo Maison a clc ccrile en toni on en panic par pins de 130 auteurs de tous les pays el de toutes les conditions; on peut consuller cello que vient de publier M. l’abbé Caillsau, 1 vol. J’ai suivi Torsclliui, Giannizi et Antonio Gaudenli,nbsp;archidiacre de Lorette. On peut aussi consultor Benoit XIV De Festis et la Bibliotccanbsp;Ecclesiasiica de Zinelli, t. ni, p. 256.

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IMPRESSION. nbsp;nbsp;nbsp;213

Dans cette maison habitait line jeune vierge humble et modeste; elle y était née, elle y vivait, c’était la maison de ses pères; et cettenbsp;vierge s’appelait Marie.

Et cette maison la voici: je la vois de mes yeux, je la touche Ha mg; mains.

L’Ange la salue avec un profond respect, et lui annonce le choix auguste que Dieii a fait d’elle, et Marie incline sa t6te virginale, et lenbsp;Verbe s’est fait chair dans son sein, dans cette maison.

Et cette maison, la voici : je la vois de mes yeux, je la touche de mes mains.

Et le Verbe divin qui créa le monde, qui I’a rêgénéré, habita dans une forme visible parmi les hommes, soumis a Joseph et h Marie, vivantnbsp;avec eux dans leur pauvre maison.

Et cette maison, la voici: je la vois de mes yeux, je la touche de mes mains.

Voici la même porte dont il a si souvent franchi le seuil, les mêmes murs qui ont vu son travail, son obéissance, sa pauvreté; qui ont entend u sa voix divine, la voix de son Père, la voix de sa Mère! Mursnbsp;trop heureux! parlez done; racontez au monde les ineffables mystèresnbsp;dont vous files si longtemps les témoins.

L’heure de la messe étant venue, je montai h Tautel. Au moment de la consécration, les regards du prétre tombent sur ces mots écrits ennbsp;grosses lettres d’or sur le gradin de I’autel : me verbum caro factumnbsp;EST : « c’est ici QUE LE VERBE s’est FAIT CHAIR. » Et le prêtre a prononcénbsp;les divines paroles, et le grand mystère s’accomplit de nouveau! 0nbsp;mon DieuI que le prêtre n’est-il Marie, pour senlir dignement sonnbsp;bonheur!

Sous I’intelligente direction d’un penitencier de Lorelte, auquel rgt;ous étions recomraandés, nous passümes la journée i I’examen de lanbsp;ï^asilique et de la Sainte-Chapelle. On entre dans la Basilique par troisnbsp;portes en bronze, plus remarquables encore par le travail que par lanbsp;matière. Celle du milieu, plus haute et plus large que les autres, présente sur ses deux battants les principaux fails de I’Ancien Testament,nbsp;en rapport avec ceux du Nouveau : d’on cóté, la figure et la pro-Phélie; de I’autre, la réalité el Taccomplissement. Les pages de lanbsp;Sfande épopée chrétienne qui n’ont pu être écrites sur la porte dunbsp;•milieu, se trouvent sur les portes latérales, dans de superbes médail-lons environnés d’arabesques. Comme complément ou plulot commenbsp;feyonnement des traditions sacrées, ces tableaux sont accompagnés denbsp;statuettes représentant les Sibylles. A quoi vient aboutir loute cette

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214 LES TROIS ROME.

longue marclie des siècles anciens? Qnel est Ie but de tons les oracles et de toutes les promesses? En s’élevaut au-dessus de la grande porte,nbsp;vers Ie centre du frontispice, I’oeil apergoit une magnilique statue ennbsp;Lrcnzs de la sainte Vierge, tenant son divin Fils enlre ses bras. Cenbsp;groupe divin, chef-d’oeuvré du Lombardo, vous répond : C’est moinbsp;qui suis l.e commencement et la fin, l’aipha et Foméga de toutes lesnbsp;prophéties et de tous les événements du monde antique.

L’église forme une croix latine, dont Ie centre est surmonté par une magnifique coupole, ornée d’une lanterne, que Ie pèlerin salue de plu-sieurs lieues, comme Ie navigateur salue Ie phare qui doit Ie dirigernbsp;vers Ie port. La coupole, étincelante de riehes peintures, recouvre lanbsp;Sainte-Chapelle enriehie de marbres precieus d’oü rayonne 1’art ca-tholique. Trois nefs partagent la Basilique, environnée d’une ceinturenbsp;continue de chapelles latérales. Dans les bas cötés de la grande nefnbsp;on compte sis chapelles a droite et sis a gauche: trois dans chacun desnbsp;bras de la croix, et trois autres dans ce qu’on peut appeler la tête;nbsp;ainsi douze autels semblent former une voie glorieuse pour arrivernbsp;jusqu’è la maison de Marie, la reine des Apótres; et neuf autres, imagesnbsp;des neuf choeurs des anges dont elle est aussi la reine, l’entourentnbsp;comme d’une couronne de gloire. Chacune de ces chapelles formenbsp;un musée,oü la peintureet la sculpture ont multiplié des chefs-d’oeuvrenbsp;qu’il serait trop long de décrire.

Je dirai seulement que toutes ces beautés palissent devant les magnificences du Baptistère. Les fonts seuls out couté, selon Renzoli, qua-tre-vingt mille francs. Ils sont formés d’un grand vase de bronze semi-pyramidal, soutenu par quatre anges, et orné de statues et denbsp;bas-reliefs également en bronze. Tont ce qui, dans l’Ancien et Ie Nouveau Testament, se rapporle au Baptême, s’y trouve rappelé. Quatrenbsp;statuettes d’un travail exquis sont aux quatre coins du vase. La première représente la Foi, avec cette devise : « Elle ne saurait être troro-pée; » Nescia falli. La seconde, l’Espérance, avec ces mots: « Elle nenbsp;saurait être ébranlée : » Nescia flecti; la troisième, la Charité, avecnbsp;cette inscription : « Elle ne saurait être divisée : » Nescia scindi; 1*nbsp;quatrième, la Persévérance, avec cette légende : « Elle ne saurait êtrenbsp;brisée : « Nescia frangi. Voilé bien les merveilleux efifets du Baptêm®nbsp;et les grands caractères du chrétien. Au-dessous de ces statues sontnbsp;quatre médaillons qui approprient ce superbe Baptistère a l’église denbsp;Lorette. On peut y suivre les diverses stations de la Santa-Casa,nbsp;d’abord traversant dans les airs la mer Adriatique, puis s’arrêtantnbsp;dans Ie bois des Lauriers, pour passer de la dans les terres des deux


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DU REVÊTEMENT DE LA SilNTE-CIIAPELLE. nbsp;nbsp;nbsp;213

frères de Recanati, et venir enün se fixer dans Ie lieu oü elle repose aujourd’hui.

La grande nef s’élève majestueusement et se recourbe avec art, pour former une voute oü paraissent en clair-obseur différentes images denbsp;prophètes de la main de Luc Signorelli et du Pomarence. A ce derniernbsp;et a son école sont également dues les fresques si gracieuses de lanbsp;coupole. Au milieu des anges et des vertus, la reconnaissance a faitnbsp;éerire par la main du génie Ie souvenir des bienfaiteurs de la Basili-lue. Seize anges soutiennent les armes des papes et des cardinauxnbsp;protecteurs. Sur les deux pilastres du grand arceau, qui séparent lanbsp;nef de la coupole, on voit, a gauche, les armes de la maison d’Autri-nbe, qui a donné toutes les grandes poutres qui soutiennent la couverture de l’église, ainsi que tous les sapins et les mélèzes qui s’y rencon-trent; et a droite celles de la maison Farnèse, qui s’est égalementnbsp;•Lstinguée par sa libéralité envers l’auguste Basilique.

Enfin nous void en face de la Sainte-Chapelle. Un revêtement de niarbre de Carrare du plus beau grain en recouvre les murailles sansnbsp;Jes toucher. Sur toutes les faces l’immortel ciseau de Cioli, de Ranieronbsp;fii Pietra, de Francois del Tadda, de Jéróme Lombard, du chevaliernbsp;della Porta, de Bandinelli, de Sansovino, a sculpté les événements, etnbsp;les personnages qui ont annoncé Ie mystère de riucarriation. Une superbe colonnade d'ordre corinlhien entoure Ie monument. Entre cha-que couple de colonnes est une double niche, la première pour lesnbsp;l’rophètes, la seconde pour les Sibylles qui ont chanté les gloires denbsp;la Vierge-Mère. Plus haut sont des couronnes et des figures angéli-^lues, symboles de la gloire et de la puissance de Marie.

Sur la partie latérale qui regarde Ie nord, on voit en premier lieu 1® Sibylle hellespontique, dont voiei l’oracle : « Un jour que j’étaisnbsp;“ccupée de diverses pensées, j’ai vu une Vierge élevée, a cause de sanbsp;*^liasteté, a un sublime honneur. Le Très-Haut l’a jugée digne de eetnbsp;^Uguste ministère; elle donnera au monde un rejeton éclatant d’unenbsp;glorieuse splendeur; car il sera vraiment le Fils glorieux du Maitre dunbsp;tonnerre; il viendra gouverner le monde dans une profonde paix (i). »nbsp;'^lus bas est le prophéte Isaïe, rendant eet oracle conforme au pre-

(i) Dum meditor quKdam, vidi decorare puellam ,

Eximio, castain quod se servaret, honore;

Munere digna suo ct divino Numine visa.

Qua; sobolem mundo pareret splondorc micanlem :

Progenies summi speciosa et vera Toiianlis Pacifica mundum qui sub dilione gubernal.

Canisius, De Beala Virg. lib. ii, c. 7.

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216 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.

mier : « Voila qu’une Vierge concevra et enfantera un Fils, el son nora sera Emmanuel (i). » Vient ensuite la superbe porte en bronze, coulée,nbsp;ainsi que les trois .autres, par Jéróme Lombard, sous Ie pontifical denbsp;saint Pie V, et surmontée de la Nativité de la très-sainte Vierge, re^uenbsp;dans Ie monde par les sept Vertus qui devaient la dislinguer : l’Inno-cence, la Fidélité, TObéissance, rilumilité, la Modestie, la Charité etnbsp;1’Amour de la retraite.

Entre les deux colonnes du milieu, voici la Sibylle phrygienne et Ie prophéte Daniel. La première a rendu Foracle suivant: « C’est dansnbsp;Ie sein d’une vierge que Dieu lui-même a voulu'faire descendre d’ennbsp;haut son propre Fils, que l’Ange viendra annoncer a cette augustenbsp;Mère (a). » Le second a fixe l’époque du glorieux événement : « Lesnbsp;soixante-dix semaines ont été abrégées, afin que l’iniquité soit détruite,nbsp;et que le Saint des saints re^oive l’onction (3). »

La seconde porte, en bronze comme la première, représente d’abord Ie mariage de la sainte Vierge, puis Ie portement de la Croix, et enfinnbsp;la mort de Jésus au Calvaire. Comme plusieurs autres, ces bronzesnbsp;sont presque uses par les pieux baisers des fidèles.

Les deux dernières niches du cótc septentrional sont occupées par la Sibylle de Tivoli et par le prophéte Amos. La Sibylle semble répéter encore : lt;c J’ai pu montrer cette Vierge sainte, dont le sein concevra dans le pays de Nazareth celui qui, Dieu dans la chair, se fera voirnbsp;dans les champs de Bethiéem (4). » Le Prophéte répond par eet autrenbsp;oracle : « Dans ce jour, j’élèverai le pavilion de David (5). »

Les grandes destinées de Marie nous sont connues par les oracles des prophêtes dTsraël et des prophètes de la Genlilité : passons anbsp;Paccomplissement des fails. Au milieu de la facade occidentale quinbsp;regarde la nef, parait l’étroite fenêlre par laquelle enlra l’ange Ga-

(i) Ecce virgo concipiet et pariet Filium, ct vocabitur nomen ejus Emmanuel.—nbsp;Isai. vn, 14.

(2) Virginis in corpus voluit domittere coelo

Ipse Deus Prolem, quam nuntiat angelus almse Matri.

Casisiüs, De Beata Virg. lib. 11.

(3) Septuaginta hebdomades abbreviate sunt, ut deleatur iniquilas et ungatur Sanctusnbsp;sanctorum. — Dm. ix, 24.

(4) . . . . Sanctam potui monstrarc pucllam,

Concipiet qua; Nazareis in finibus ilium

Quem sub carne Deum Betblemitica rura videbunt.

Casisiüs, De Beata Virg. lib. 11.

(5)IIn die illa suscitabo'tabernaculum David. — Amos, ix, 11.

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DU KEVÈTEMENT DE LA SAllSTE-CHAPELLE. nbsp;nbsp;nbsp;217

^riel, pour annoncer k Marie sa gloire et Ie bonheur du genre humain. Au-dessous est un autel consacré au mystère du Verbe fait chair; au-dessus brille un superbe bas-relief représentant TAnnonciation de lanbsp;très-sainte Vierge. Ce chef-d’ceuvre est dü au ciseau de Sansovino.nbsp;Sur les parties latérales de la fenêtre, on voit, h gauche, la Visite de.nbsp;Marie a sa cousine Elisabeth; a droite, Ie Voyage i Bethléem.

Du cóté de l’évangile, voici la Sibylle de Libye qui chante : « Le jour arrive oü le prince de réternité, éclairant la terre réjouie, effaceranbsp;les crimes des hommes. 11 fera justice a tous. Le Roi saint, qui vitnbsp;dans tous les siècles, viendra se reposer dans le giron de la Reine dunbsp;tüonde (i). » Au-dessous est Jérémie dont l’oracle est encore plus ex-plicite : « Le Seigneur a créé sur la terre un prodige nouveau : unenbsp;femme renfcrmera un homme dans son sein (2). »

Du cóté de l’épitre, c’est la Sibylle de Delphes qui célèbre en même temps et le Fils et la Mère : « Conju dans le sein d’une vierge, il nai-tfa sans le secours d’un père mortel (5); » plus bas le prophétenbsp;Ezéchiel fait connaitre le divin Père du Messie : « Je susciterai è mesnbsp;l^rebis un pasteur unique, qui les mènera aux póturages (4). »

Le cóté latéral qui regarde le Midi nous offre d’abord la Sibylle d Érythrée, dont la prédiction porte : « Je vois le Fils de Dieu qui estnbsp;descendu du ciel... Une vierge auguste de la race des Hébreux Ie don-Hera au monde... II aura une vierge pour mere (s); » puis le prophétenbsp;Zacharie qui a dit : « Voici que je ferai paraitre l’Orient, mon servi-teur; voila l’homme, l’Orient est son nom (e). »

Le cadre, au-dessus de la porie, représente la crèche oü FEnfant fésus est couché, sous la garde de Joseph et de Marie, réchaulfé

(1) Ecce dies veniet, quo seternus tempore princeps,

Irradians sata teta, viris sua crimina tollet, jEquus erit cunctis; gremio Rcx membra reclinatnbsp;Regina; mundi sanctus per saccula vivus.

Canisiüs, De Beata Virg. lib. 11.

(s) Creavil Dominus novum super terram : femina circumdabit virum. — Jer. xxxi, 22.

(3).......... yirgineo conceptus ab alvo,

Prodibit sine contactu maris...

Canisiüs, De Beata Virg. lib. n.

(‘) Suscitabo super eas pastorem unum qui pascat eas. — Ezech. xxxiv, 23.

(5) Cerno Dei Nalum qui se demisit ab allo...

IIebra;a quem virgo ferel de stirpe decora...

Virginc matre salus.

Canisiüs, De Beata Virg. lib. 11.

(®) Eccc ego adducam servum meum Orienlem... Ecce vir ; Oriens nomen ejus. «ch. m,8;vi, 12.

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5gt;18 LES ÏROIS ROME.

par Ie soufflé des animaux dont il partage la demeure et loué par les anges. G’est encore a Sansovino que les arts doivent eet admirablenbsp;travail. Les deux compartiraents de la porte sont ornés de l’Incarnationnbsp;du Verbe et de la Naissance du Sauveur.

Entre les deux colonnes du milieu brillent la Sibylle de Cumes, en Italië, qui a proféré ces paroles : « Alors Dieu fera descendre du som-met de l’Olympe un Roi nouveau; alors une vierge sacrée nourrira denbsp;son lait Ie roi de la milice celeste (i); » et Ie prophéte David, qui, sanbsp;harpe a la main, fait entendre a tous les siècles ce divin Cantique :nbsp;tt J’établirai sur votre tróne Ie fruit de vos entrailles (2). »

Après l’adoration des Mages apparaissent la Sibylle punique et Ie prophéte Malachie. La première dit du Désiré des nations ; « II sera

engendré d’une vierge mére....... C’est d’une vierge pure que ce

grand Dieu prendra naissance (s); » Ie second Ie qualifie par ces mots : « Le Soleil de justice se lévera (4). »

Enfin nous arrivons a la derniére facade, tournée vers l’Orient. Elle nous offre d’abord la Sibylle Samienne qui dévoile le mystére du Dieunbsp;fait chair : « Ils pourront toucher de leurs mains le Roi glorieux desnbsp;vivants, ce Roi qu’une vierge sans tache réchauffera dans son seinnbsp;mortel (s). » Vient ensuite Moïse qui proclama, devant l’ancien peu-ple, la gloire du Législateur futur : « Le Seigneur te suscitera de tanbsp;nation un Prophéte comme moi (e). »

La mort de la sainte Vierge est un autre chef-d’oeuvre qui sépare ces statues des deux suivantes. Les Apótres portent leur Reine au lieunbsp;de la sépulture; les anges, voltigeant dans les airs, semblent attendeenbsp;le moment de la conduire au ciel, tandis qu’une troupe de juifs cher-chent é enlever le précieux dépót.

Les deux derniers prophètes sont la Sibylle de Cumes dans le Pont,

(1).....Tune Deus e magno demittet Olytnpo

Mililia: seterna; Regem sacro virgo cibabil Lacte suo.

Canisius, De Beata Yirg. lib. 11.

(2) De fructu ventris tui ponam super sedem tuam. Ps. 131.

(5) Virgine matre satus.....

Ille Deus casta nascetur virgine matre.

Canisius, De Beata Yirg. lib. u.

(4; Orietur sol justitioe. — Malach. iv, 2.

(5) Ilune poterunt clarum vivorum tangere regem.

Humane quem virgo sinu inviolata fovebit.

Canisius, Dé Beata Yirg. lib. 11.

(o) Prophetam de gente tua, sicut me, suscitabit tibi Dominus. Deut. xvm, 13.

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DU REVÊTEMENT DE L\ SAINTE-CHAPELLE. 219

et Balaam. La Sibylle remplit Ie monde de eet oracle : « Humble en tout, Ie Fils de Dieu choisira pour mère une vierge chaste (i); Ie Prophéte, malgré lui, s’écrie du haut de la monlagne ; « II sortira unenbsp;éloile de Jacob, et un rejeton s’élèvera d’Israël (2).

Tels sont, en abrégé, les magnifiques sujets que Ie génie a sculptés sur Ie revêtement de la Sainte-Chapelle. Est-il étonnant que Ie mondenbsp;entier se solt donné rendez-vous autour du sanctuaire de Nazareth?nbsp;N’est-ce pas la que s’accomplit Ie mystère auquel viennent aboutirnbsp;lt;luarante siècles d’attente, de figures, de promesses et de prépara-tions? Ou Ie mot poésie n’a plus de sens, ou Ton conviendra qu’ilnbsp;rayonne ici dans toute sa splendeur.

Avant de pénétrer dans la Sainte-Chapelle, nous lumes encore la helle inscription, gravée sur la fagade oriëntale par Clément VllI. Ellenbsp;fist ainsi con^ue : « Chrétiens étrangers, qui, conduits par Ie 'voeu denbsp;” la piété, étes venus dans ce lieu, vous voyez la sainte maison de Lo-“ rette, vénérable aux yeux de tout l’univers par les divins mystèresnbsp;quot; et par la gloire de ses miracles. C’est ici que la très-sainte Viergenbsp;*’ Marie, Mère de Dieu, a vu Ie jour; ici qu’elle a été saluée par l’ange;nbsp;“ ici que Ie Verbe éternel de Dieu s’est fait chair. Transportée d’a-“ hord par les mains des anges de la Palestine a la ville de Tersatz,

* nbsp;nbsp;nbsp;en lllyrie. Pan du Salut 1291, sous Ie pontifical de Nicolas IV; troisnbsp;“ ans après, au commencement du règne de Boniface VIII, elle a passé,nbsp;a soutenue par Ie ministère des esprits celestes, sur les terres d’An-a cóne, prés de la ville de Recanati, dans uii bois de cette colline, oü,nbsp;“ après avoir changé trois fois de place dans l’espace d’une année,nbsp;» elle a aussi, par un effet de la Providence, fixé ici son séjour depuis

* nbsp;nbsp;nbsp;trois cents ans. Dès lors, la nouveauté d’un si grand prodige ayantnbsp;“ frappé d’admiration les peuples voisins, et Ie bruit des miraclesnbsp;“ opérés en ce lieu s’étant propagé au loin, toutes les nations ont en-

''ironné de leurs respects cette sainte Maison, dont les murailles,

quolque posées sans fondement sur la terre, deraeurent, après tant

* nbsp;nbsp;nbsp;de siècles, solides et dans une parfaite intégrité. Le pape Clément VII

* nbsp;nbsp;nbsp;1’a revêtue de toutes parts de eet ornement de marbre, dans 1’an-” öée 1525. Clément VIII, souverain pontife, a commandé d’écrire sur

(i) In cuncUs humilis castam pro matre puellam Deligel; hasc alias forma praïcesserit omnes.

Canisius, De Beata Virg. lib. ii.

lt;ies*^ 9”fil'Jr Stella ex Jacob, et consurget virga de Israel. Kttm. xxiv, 17. — Dans cette ï^uption, nous n’avons fait qu’abréger M. Cailleau, dont le rédt est liré de Gian-etc.

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220 LES TROIS ROME.

» cette pierre, une courte histoire de cette admirable translation, Tan » 1S95. Antoine Marie Gallo, cardinal prêtre de la sainte Église ro-» maine, évêque d’Osimo, protecleur de la sainte Maison, a pris soinnbsp;» de faire exécuter eet ordre. Pour vous, pieux étrangers, venez reli-» gieusement implorer la Reine des anges et la Mere des graces, afinnbsp;» que, par ses mérites et par ses prières, vous obteniez de son aima-» file Fils, auteur de la vie, le pardon de vos péchés, la santé du corpsnbsp;» et les joies de l’éternité. »

Enfin nous entrames dans la sainte et très-sainte Maison. Ce que nous en avons dit déja, peut servir è s’en former une idéé. II reste ènbsp;en préciser les dimensions et a la montrer avec les changements légersnbsp;et les nouveaux ornements que la piété des Souverains Pontifes a crunbsp;devoir y apporter. La sainte Maison a 29 pieds 8 pouces de long, surnbsp;12 pieds 8 pouces de large, et 13 pieds 3 pouces de haut. Les mu-railles ont 1 pied 2 pouces d’épaisseur. Elles sont, non pas en briques,nbsp;mais en pierres vives, de couleur rougealre, sur lesquelles serpententnbsp;de petites veines jaunes (i). Ces pierres d’un échantillon de moyennenbsp;grandeur et d’une forme peu régulière, ressemblent amp; notre moéllon.nbsp;J’ai dit que les murailles sont isolées du revêtement de marbre. II nousnbsp;fut facile de nous en convaincre au moyen d’une bougie placée entrenbsp;les deux édifices : l’intervalle peut être de deux pouces et demi. Nulnbsp;fondement ne soutient l’auguste Maison dont les murs reposent surnbsp;la terre nue, et même d’un cöté, k cause de l’inégalité du terrain, nenbsp;touchent pas au sol.

On s’est assuré, ii plusieurs reprises, de ce double fait, au renouvel-lement du dallage extérieur. Le célèbre Tiburce Vergelli, architecte de la Sainte-Chapelle, fit remarquer ce second prodige i Ms'’ Buzi,nbsp;gouverneur de Lorette, et ^ une foule d’autres témoins recomman*nbsp;dables, en passant librement son bamp;ton entre les murailles et la terre (2)-

Sur une des parois on distingue les restes d’une antique peinture représentant saint Louis miraculeusementdélivré des fers dont les Sar-rasins 1’avaient chargé.

L’ancienne couverture n’existe plus : les tuiles en ont été placées

(1) nbsp;nbsp;nbsp;« J’ai examine, dit le fameux Saussure, physicien protestant, les matériaux de Ianbsp;sainte Maison; elle est construite en pierres taillées en forme degrandes briques, placeesnbsp;Tune sur 1’autre et si bien unies qu’elles ne laissent entre elles que de très-petits m-lervalles. Ces pierres ont pris a peu prés la couleur de la brique, de manière qu’a 1®nbsp;première vue on les prend réellemcnt pour une espèce de terre cuite; mais en lesnbsp;examinant avec attention, on reconnaït qu’elles sont d’une pierre sablonneuse d uonbsp;grain très-fin et très-compacle. » Mém. sur la Constit. phys. et Géog. phys. de l’Iialte-

(2) nbsp;nbsp;nbsp;Martorell, Trat. istor. 1.11, fül. 088.

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DE L\ SAINTE-CHAPEILE. 221

sous Ie pavé actuel; une pièce de la charpente primitive est au niveau du pavé, oü continuellement foulée par les pieds des pèlerins, elle de-raeure sans altération. Une autre traverse la chapelle et supporte lesnbsp;lampes d’argent qui brülent devant la Sainte-Vierge. Plusieurs têlesnbsp;de solives qui soutenaient autrefois Ie plafond, se trouvent aujourd’huinbsp;sciées au niveau du mur. Toutes ces pièces sont en cèdre, bois entiè-rement étranger h I’llalie, et très-commun au contraire dans la Judée.nbsp;Malgré leur antiquité, ces bois se conservent entiers et sans piqures,nbsp;comme s’ils venaient d’être taillés et mis en oeuvre.

Au milieu de la sainte Maison est l’autel. Un petit guichet placé sur Ie devant permet de voir l’ancien autel, en pierre de taille, venunbsp;avec Ie vénérable sanctuaire; ii gaucbe se trouve la sainte armoire,nbsp;renfermée dans un buffet moderne. Lamp; sont conservées les deux pe-tites éeuelles en forme de tasses qui servirent, avec plusieurs autres,nbsp;aux usages de la sainte Familie. Elles sont en terre cuite, d’une couleur blanchatre, liserées de rouge. Derrière l’autel ouvre un petitnbsp;cabinet appelé il Santo Camino, è cause de l’antique cheminée placéenbsp;dans Ie fond. Le foyer de eet auguste monument a 4 pieds 3 poucesnbsp;de hauteur, 2 pieds 2 pouces de largeur, et 6 pouces de profondeur.nbsp;L5, on conserve une troisième tasse, semblable aux précédentes; mais,nbsp;par un heureux privilége, elle a échappé a la spoliation frangaise denbsp;1797. Elle est couverte de lames d’or, sur lesquelles sont gravés lesnbsp;deux mystères de l’Annonciation et de la Nativité du Sauveur.

Au-dessus du Santo Camino, dans une niche autrefois toute d’or et parsemée de pierres précieuses, mais aujourd’hui décorée seule-ment d’arahesques en bois doré, on vénère l’antique statue de la bien-heureuse Vierge. Elle est en cèdre du Liban, ainsi que celle du divinnbsp;Enfant qui repose sur les bras de sa Mère. La hauteur de la premièrenbsp;est de 2 pieds 8 pouces; la seconde a 1 pied 2 pouces. Gréce ii la re-connalssante piété du monde catholique, l’auguste image est enrichienbsp;d’un nombre infini de pierres précieuses et A'ex-voto, en or et en argent. Au bas de la Sainte-Chapelle s’ouvre la fenêlre de l’ange, garnienbsp;d’une grille en bronze ciselé, que surmonte la croix antique apportéenbsp;avec la sainte Maison et dont la largeur égale la hauteur.

Après avoir jelé un regard d’ensemble sur le vénérable monument, oous entrames dans la grande chapelle du Trésor.

Voici d’abord la sacristie destinée h l’habillement des prêtres qui doivent célébrer la messe è l’autel de la Sainte-Chapelle, ou amp; celui denbsp;EAnnonciation. Les yeux sont éblouis par l’éclat des peintures et desnbsp;décorations. L’adrairable tableau du Guide, représentant une pieuse

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22:2 nbsp;nbsp;nbsp;LES TEOis home.

dame qui instruit de jeunes filles; la Sainte-Vierge communiée par Notre-Seigneur; Ie Sauveur devant Ie peuple après sa flagellation, denbsp;Gérard des INuits; Ie saint Jéróme, de Paul Véronne; l’ensevelisse-ment de Notre-Seigneur, par Ie Tintoret; la gracieuse Madone, gardéenbsp;sous vérre, niagnifique copie de Raphael, exécutée par Sasso Ferrato;nbsp;la sainte Familie a table, par Ie Corrége : telles sont les oeuvres prin-cipales qui ornent celte splendide sacristie.

A gauche est une porte épaisse, garnie de fer et de verroux; elle donne entrée h la chapelle du Trésor, construite sous Paul V en 1682.nbsp;La voute est couverte de peintures d’une grande beauté, dues au pin-ceau de Christophe Roncalli, surnommé Ie Pomarence. On y voit toutenbsp;la vie de la très-sainte Vicrge. Le milieu de la voute forme trois cora-partiments; au centre, brille 1’auguste Mère tenant son Fils entre sesnbsp;bras, assise au sommet de sa sainte Maison et portée par un groupenbsp;d’esprits célestes. Soixante-neufarmoires en noyer environnent lasalle.nbsp;Telle est leur beauté et la richesse de leurs ornements qu’elles ontnbsp;coüté S6S,000 fr.

Bien que le trésor épuisé par les guerres et les pillages ait souffert de grandes diminutions, il a encore de quoi surprendre. On y voit unenbsp;multitude innombrablede coeursd’or et d’argent, d’étoffes précieuses,nbsp;de calices, de perles, de diamants, de tableaux, de chandeliers, denbsp;montres, de bagues, de croix, de statues, de vases, d’ostensoirs, denbsp;couronnes, de colliers, de rosettes, de lampes, d’encensoirs, de bassins et d’autres objets précieux. Nous remarquAmes en particulier lesnbsp;calices d’or donnés par Murat et par le prince Eugène. N’est-ce pas unnbsp;beau spectacle que celui de toutes ces richesses offertes par les pon-tifes et les rois, par les princes et les chrétiens de tous les pays, aunbsp;Dieu fait pauvre pour nous sauver, et è la douce Vierge qui en deve-nant sa Mère est devenue la nótre, et la dispensatrice de tous les tré-sors du Ciel? Quel plus noble, quel plus utile usage, Thorame, vassalnbsp;de Dieu, peut-il faire des biens qu’il a re§us, que d’en consacrerunenbsp;partie a payer le tribut sacré de la soumission et de la reconnaissance?nbsp;Au nombre de ces riches offrandes, figurent encore deux étendardsnbsp;pris sur les Turcs è la bataille de Lépante. On aime è voir dans toutesnbsp;les églises d’Ilalie, consacrées ii la sainte Vierge, les trophées de cettenbsp;victoire qui sauva la chrélienté, et que, d’une voix unanime, le Pon-tife qui ordonna l’expédition, et le grand capitaine qui la conduisit,nbsp;et les généraux qui combattirent sous ses ordres, et l’armée et le peuple, attribuèrent è la toute-puissante Reine des hommes et des anges.

Vingt armoires sont veuves des dons de la piété. Humiliant souve-

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EE PALAIS APOSTOLIQUE. 223

nir! Pourquoi faul-il que le voyageur franjais soit obligé de recon-naitre pour auteurs de cette spoliation sacrilége, ses trop coupables compatriotes ? Rentrés it la Sainte-Chapelle, nous fimes amende honorable pour cette patrie si chère, en suppliant la Mère des miséricor-des de tout oublier excepté que la France est son royaume : Regnumnbsp;Gallice regnum Marice.

Au sortir de l’église, nous visitftmes les salons du palais apostoli-que, véritable musée oü la richesse des objets le dispute amp; la perfection du travail. La pharmacie sacrée offre ensuite é I’admiration du voyageur les trois cent quatre-vingts vases peints sur les dessins denbsp;Raphael, de Jules Remain, de Michel-Ange et d’autres artistes égale-ment célèbres. 11s peuvent se diviser en quatre classes : la premièrenbsp;renferme les événements les plus mémorables de I’Ancien et du Nouveau Testament; la seconde, les exploits des anciens Remains; la troi-sième, les métamorphoses d’Ovide; la quatrième, des jeux enfantins.nbsp;Au rapport d’un historiën, la reine Christine de Suède les estimaitnbsp;plus que toutes les richesses renfermées dans le trésor de Lorette;nbsp;K car, disait-elle, les pierres precieuses ne manquent pas ailleurs;nbsp;mais 0Ü pourrait-on trouver une si nombreuse et si admirable collection (i) ? »

La journée Unit par une visite aux Dames du Sacré-Coeur établies è Lorette depuis quelques années. Puisse la très-sainte Vierge bénir leurnbsp;établissement, et accepter en compensation des vols sacriléges commisnbsp;dans son sanctuaire par des mains frangaises, les prières et les travauxnbsp;des nobles lilies de la France, qui consacrent sous ses yeux leurs talents et leur vie è lui former autant de sanctuaires vivants qu’ellesnbsp;comptent de jeunes personnes confiées è leur pieuse sollicitude!

4 AVRIL.

Messe a 1’autel de l’Annonciation. — Arrivée des Pèlerins. — Les Dalmales, leurs prières. — Nouveau Vetlurino. — Contrat. — Depart de Lorette. — Aneóne. — Are denbsp;Trajan. — Calhédrale. — Sarcophage de Corconius. — Histoire et conversion de lanbsp;jeune Annina Costanlini.

Le 2S mars tombant cette année le Vendredi Saint, la fête de l’An-*ionciation de la sainte Vierge se trouvait remise au 4 avril. Grèce k 1

1

Bartoli, Isu di lor. c. 20.

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2:24 nbsp;nbsp;nbsp;les trois rome.

cetle circonstance, j’eus Ie bonheur de célébrer, Ie jour anniversaire du grand mystère, l’auguste sacrifice sur l’autel de l’Annonciation.nbsp;Comme je l’ai dit, eet aiitel est placé au-dessous de la fenêtre même oünbsp;dix-huit siècles plus tót, l’archange Gabriel replendissant de lumièrenbsp;apparut Hl Marie et lui dit: Je vous salue, pleine de grdce. La translation de la fête nous procura une autre jouissance. De tous les lieuxnbsp;environnants, les populations arrivaient, bannières en tête, au cbantnbsp;des litanies, pour célébrer Ie joyeux mystère, féliciter l’auguste Viergenbsp;et lui offrir Ie tribut de la tendresse la plus filiale. Sur Ie seuil de lanbsp;Basilique, les pieuses processions tombaient é genoux et monlaientnbsp;ainsi la vaste basilique dont Ie pavé recevait leurs larraes abondantes,nbsp;tandis que les voutes répétaient leurs prières et leurs chants. Arrivésnbsp;au dernier degré qui conduit è la Sainle-Chapelle, lespèlerins faisaientnbsp;a genoux Ie tour de Tédifice, en suivant Ie soubassement de marbrenbsp;qui supporte les magnifiques sculptures. Or, je l’ai vu, ce chemin denbsp;marbre est creusé, sillonné par les genoux des fidèles; les pieusesnbsp;sculptures, les crucifix en bronze sont usés par leurs baisers brülants.nbsp;Comment assister a un pareil spectacle sans être profondément émunbsp;de la foi tendre et vigoureuse de ce bon peuple? Les communionsnbsp;furent innombrables.

Mais ce qui nous toucha jusqu’aux larmes, c’est une nombreuse ca-ravane de Dalraates, avec leur costume si pittoresque et si simple, qui avaient passé l’Adriatique pour venir, suivant un usage six fois séculaire, visiter leur Vierge, la prier et lui adresser de tendres reproches.nbsp;A genoux devant la Sainte-Ghapelle, les mains élendues, les yeux bai-gnés de pleurs, tantót élevés au ciel, tanlót fixés sur la sainte image,nbsp;ils ne cessaient de dire a haute voix : « Revenez ^ nous, 6 belle Dame!nbsp;revenez nous, 6 Marie, avec voire sainte Maison (i)! » Et pendantnbsp;des heures entières, c’étaient les mêmes paroles et les mêmes larmes.nbsp;Ce langage, démonstration éloquente d’un regret éternel, tous lesnbsp;siècles Tont entendu.

« J’ai vu, en l’année 1S59, écrit Ie Père Riera, plus de trois cents pèlerins de celte contrée avec leurs femmes et leurs enfants, arriver hnbsp;Lorette, portant des flambeaux allumés, s’arrêter d’abord a la grandenbsp;porie, oil ils se prosternèrent pour implorer Ie seeours de Dieu et denbsp;sa sainte Mère; puis tous è genoux, rangés en ordre par leurs prêtresnbsp;qu’ils avaient amenés avec eux, ils enlrèrent ainsi dans Ie temple, ennbsp;criant d’une seule voix dans leur idiome naturel : « Revenez, reveneznbsp;a Fiume, ö Marie! Marie, revenez ii Fiume..... Marie!.... Marie!..-

(i) Ritorna a noi, bclla Signora; ritorna a noi, o Maria colla tua casa.

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AURIVÉE DES I’ÈLERINS. nbsp;nbsp;nbsp;2i,'l

Marie!.... (i).» Leur douleur était si vive et leur prière si fervente, que je cherchais a leur imposer silence, craignant que de si ardentesnbsp;supplications ne fussent exaucées, et que la Sainte-Chapelle ne futnbsp;enlevée a l’Italie pour aller a Tersatz reprendre son ancienne position.

J’ajouterai que, pour favoriser et récompenser la dévotion de ce bon peuple, les Souverains Pontifes fondèrent ii Lorette un hospicenbsp;destiné a plusieurs families de la Dalmatie qui n’avaient pu se déter-miner a retourner dans leur pays en quittant la Vierge de Nazareth,nbsp;regardant désormais comme leur patrie Ie lieu qu’elle avait choisinbsp;pour sa résidence. De la naquit la célèbre compagnie du Corpusnbsp;Domini, appelée pour cela des Esclavons jusqu’au pontifical denbsp;Paul m (2).

Pour nous, moins heureux que ces bons Dalmates, il fallut nous éloigner. Adieu, pauvre maison de Nazareth, plus belle aux yeux dunbsp;Chrétien que tous les palais des rois; nous vous quittons, hélas! peut-être pour toujours; mais jusqu’è la mort vous serez k la tête de nosnbsp;plus chers souvenirs.

Nous primes ii Lorette un nouveau vetturino, pour nous conduire jusqu’i Yenise. Un acte, renfermant toutes les clauses et conditionsnbsp;réciproques, fut passé en honnes formes et signé par les parties con-tractantes. Cette précaution n’est pas inutile; elle prévlent les contestations, et en tont cas donne au voyageur un moyen légal de senbsp;faire rendre justice (3).

(1) nbsp;nbsp;nbsp;Reverlere, revertere Flemen, Maria; Maria, Flemen reveriere! O Maria.....

Maria!.... Maria!.... Hist. Lorei. c. iv.

(2) nbsp;nbsp;nbsp;Hist, de N.-D. de Lorette, [). 20.

(5) Void Ie texle de celte pièce qui peul servir dans l’occasion :

Loreto, a di d’aprile 1812.

Fra il signore canonico N. e Giovanni RocheUi, vetturino, è convenuto quanto siegue :

1° II vetturino sopradetto s’obliga a portare il delto signore canonico con trc suoi compagni, da Loreto a Venezia, tra cinque Giorni.

2“ Il vetturino provvedera un huon legno con due buoni cavalli, che non potra cam^ Ware senza il permes'so del signore canonico et de suoi compagni.

0“ Il vetturino dovrii fornire la collazione, il pranzo, e almeno due camere a ire letti per i quatro viaggiatori.

4» Il vetturino dovra andar siempre a buoni alberghi, partendo ogni matlina di buon ora per arrivare ogni Giorno prima di notte all albergo ove dovrasi pernotlare.

5» Tutte le spre d’ ajuti nel passagio di fiumi, ponli, montagne; come quelle di dogana Saranno a carico del vetturino condullore.

6® Il signore canonico e suoi compagni s’obbligano a pagare died scudi a testa al 11 n del viaggio, la buona manda resla alia loro facolta.

E per 1’osservanza di cio si seno volontariamente sottoscritle ambo le parti, come oppresso.

N. canonico.

Giovanni Rochetti.

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226 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.

De Loretle h Ancóne on compte six lieues. Le pays, très-accidenté, offre de beaux points de vue, et une culture intelligente fait toujoursnbsp;de l’ancien Picenum le jardin de l’Italie. Ancóne compte 20,000 ómes,nbsp;y compris 5,000 Juifs, la plupart fort riches et quelques-uns mêmenbsp;opulents. Le port est magnifique, et les Ancónais passent pour lesnbsp;meilleurs marins de l’Italie. La ville adossée i une montagne est cou-ronnée par une forte citadelle. Entre les monuments profanes, on admire I’arc de triomphe de Trajan, tout en marbre de Paros, et le plusnbsp;beau qu’il y ait au monde. Les parties joignent si parfaitementnbsp;qu’elles ne semblent faire qu’une seule pierre. Ge superbe monumentnbsp;est un témoignage de la reconnaissance des Ancónais pour I’empereurnbsp;qui avail agrandi leur port. Du cóté de la mer, enlre les deux colonnes,nbsp;on lit les deux inscriptions suivantes, se rapportant Tune è la femme,nbsp;I’autre a la soeur de Trajan :

D1V.E

MARC1AN.E

AVG.

SORORI. AVG.

PLOT1N.E

AVG.

CONJVG. AVG.

Sur les ruines du temple de Vénus s’élève la cathédrale, dédiée ó saint Cyr en Cyriaque, et dont la facade, ouvrage de Margaritone, offrenbsp;une belle page de Part chrétien. C’est prés de ló que fut pêché lenbsp;fameux turbot sur lequel Domitien fit délibérer le sénat.

Ancóne la dorique (i) rappelle au chrétien et les disciples de saint Pierre qui vinrent la délivrer du joug de l’idolótrie, et les glorieuxnbsp;martyrs dont le sang généreux cimenta l’édifice de la foi. Dans la cha-pelle des reliques, batie par Vanvitelli, on conserve les corps sacrésnbsp;des saintes Palatia et Laurentia qui, vers l’an 303, sanctifièrent parnbsp;l’effusion de leur sang virginal ces lieux souillés par le culte de ITn-fame déesse. L’artiste ne doit pas oublier, dans la même église, lesnbsp;colonnes antiques, autre monument du Iriomphe de la foi sur le paganisme, non plus que Ie tableau de sainte Palatia, et le beau sarco-phage de Corconius, placé dans la crypte. Ce monument, qui remontenbsp;au iv' siècle (366), présente l’Enfant Jésus dans la crèche, au milieunbsp;du boeuf et de Tóne. II ruine ainsi les prétentions de certains auteursnbsp;qui assignaient au v® siècle l’origine de la tradition qui place ces deuxnbsp;animaux dans l’étable du Rédempteur (2). Du reste, la même circon-

(i) Ante domum Veneris quam dorica suslinei Ancon. Juv. (s) Scipio Mafley, Observ, litterar. t. v, p. 194.

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227

CONVERSION DE LA JEUNE ANNINA COSTANTINI.

stance est reproduile sur des verres des catacombes beaucoup plus, anciens, en sorte qu’il faut aller jusqu’au berceau de la foi pour trou-ver le commencement de cette tradition, contemporaine de l’événement.

C’est i Saint-Frangois-m-^ilo qu’on trouve la Vierge si naïve et si pure du Titien, et I’Annonciation du Guerchin.

Un touchant souvenir me préoccupait cn parcourant les rues d’An-cóne. C’était celui d’une jeune Israélite dont la merveilleuse conversion avait, quatorze ans plus tard, amené au pied des autels son oncle, sa tante et ses trois cousines : heureuse familie au triomphe de laquellenbsp;nous avions assisté dans l’église romaine d'Ara-Cceli. Je tenais beaucoup amp; voir les lieux oü ce fait s’était accompli. Mais le fait lui-même,nbsp;peu connu en France, comme tous ceux du même genre, veut êtrenbsp;d’abord raconté. Le voici tel qu’il est consigné dans la relation authen-tique, publiée a Ancóne même par un témoin oculaire. En J826, lanbsp;jeune Annina Costantini, êgée de seize ans, fille unique d’une des plusnbsp;riches families juives d’Ancóne, fut mise en pension chez les maitressesnbsp;Pies. Quoique baptisée secrètement, lorsqu’elle était au berceau, parnbsp;une nourrice chrétienne, elle éprouvait pour le christianisme une ré-pugnance extréme, augmentée par une tendresse inexprimable pournbsp;sa familie : le seul mot de conversion aurait sufii pour provoquer sanbsp;colère. Toutefois les exemples qu’elle avait sous les yeux, les parolesnbsp;qu’elle ne pouvait s’empêcher d’entendre dissipaicnt peu amp; peu sesnbsp;préjugés : l’esprit était convaincu, mais le coeur résistait. Personne,nbsp;du reste, n’était le confident de ce travail intérieur.

Le jour de la Fête-Dieu arrive. La jeune endurcie se met è une fe-nétre qui donne sur la place, afin de voir passer la procession. L’évê-que, Ms‘' Menbrini Gonzaga, qui portait le Saint-Sacrement, s’arrête pour bénir la mer et les vaisseaux. A ce moment solennel, Annina fixenbsp;les yeux sur la sainte hostie et, « Je vis, ce sont ses propres paroles,nbsp;eu milieu de rayons lumineux qui partaient du centre de l’ostensoir,nbsp;Un joli petit enfant qui vola droit ê moi, se posa sur mon sein, m’em-brassa avec amour et me remplit d’une suavité inexprimable (i). »nbsp;Elle tombe évanouie entre les bras de ses maitresses et de ses campagnes, vivement inquiètes d’un état dont elles ignorent la cause. Revenue peu a peu, elle reprit ses sens et verse d’abondantes larmes;nbsp;®ais telle était son attachement a sa familie qu’elle cacha soigneuse-ment ce qu’elle avait vu, dans la crainte d’être obligée de se faire ca-

(0 Quando (lo dirö colle sue precise parole) essa vide Ira molta luce dell’ ostensorio Un vezzoso bambino, cd a lei direUamente volare, e porsarscle in grembo, e stringerselenbsp;al seno soavemcnle, il cuore empiendo di non piu udila dolcczza. Relaz. p. 12.

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228 LES TROIS ROME.

tholique. « J’aurais mieux aimé, disait-elle, tomber en enfer en restant juive, que de contrister ma familie en devenant chrétienne (i). »

Dien, qui voulait avoir cette ftme d’élite, sut bien Iriompher de son opiniAtreté comrae il avail triomphé de celle de Saul, il y a dix-huitnbsp;siècles, et de celle d’Alphonse Ratisbonne, il y a quatre mois. Dans lanbsp;charabre oü couchait Annina se trouvait une vieille image de saintnbsp;Francois de Paule, Ie thaumaturge de la Calabre. Sans savoir pour-quoi, elle se sent prise d’une grande dévotion envers ce saint, et courtnbsp;se prosterner en fondant en larmes devant son portrait. « Francois,nbsp;lui dit-elle, si vous êtes un saint; si la religion chrétienne que vousnbsp;avez professée sur la terre est véritahle, obtenez-moi de Dieu la gracenbsp;de vaincre ma repugnance. » Depuis ce moment, ajoute-t-elle, je menbsp;sentis remplie de tendresse pour ce saint; et je ne comprenais pasnbsp;comment je pouvais aimer d’un amour si sensible un étre invisible etnbsp;qui m’était parfaitement inconnu. Jamais je n’ai eu de pareils sentiments pour aueune creature terrestre, bien que ma tendresse pour manbsp;familie fut immense (2). »

En attendant, elle résistait ^ toutes les solllcitations dela grilee; et telles étaienl ses luttes centre Dieu qu’elle en perdait Fappétit, et pas-sait les nuits a pleurer; « Enfin, dit-elle, dans la nuit du 27 juin jenbsp;m’éveillai, et m’aper^us qu’en dormant je priais mon cher Saint. Lesnbsp;derniers mots de ma prière étaient encore sur mes lèvres, lorsque,nbsp;étant parfaitement éveillée, il m’apparut merveilleusement 5 droile denbsp;mon lit, et, me prenant par la main, il me dit avec douceur : « Con-

» solez-vous, et calmez votre coeur; vous serez ma fille.... toujours.....

» toujours; » et il disparut (a).

La victoire est remportée. Ni l’amour incroyable qu’elle a pour sa familie, il la perte d’un riche mariage, convenu déja avec un de sesnbsp;cousins, ni la certitude de contrister sa mère, veuve depuis longtemps,nbsp;et son oncle qui lui a servi de père, el sa tante qui l’a élevée, ne peu-vent lui faire retenir la vérité captive. Dès Ie M juillet elle éerit troisnbsp;lettres, oü son üme si tendre, si dévouée, mais en méme temps si cou-rageuse et si forte, se révèle tout entière. La première est k sa mère,nbsp;la seconde ü son oncle, la troisième ü sa tante. Elles sont admirables

(1) nbsp;nbsp;nbsp;Ilelaz. p. 13.

(2) nbsp;nbsp;nbsp;ld. p. lo.

(5).... Quando a me svcgliala perfellamente, in mirabil modo egli apparve alia sponda destra del letlo, e presami per la mano : — Ti consola, soavemente mi disse, c ras-sereua il tuo cuore...» lu sarai mia figUa... scmpre... sempre — e ció deito svani-lielaz. p. 16.

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CONVERSION DE LA JEUNE ANNINA COSTANTINI. 229

de simplicité, de piété filiale et d’énergie chrélienne. Je n’en cilerai qu’une seule :

Foris. — A ma très-chère maman, Gentile Perera.

Intus. — « Très-chêre Maman,

» II y a environ quatre mois que, par respect humain, pour ne pas perdre un riche époux, pour ne pas me priver de nombreux avantagesnbsp;et de nombreux plaisirs et beaucoup plus pour ne pas afiliger mesnbsp;bien-aimés parents, je vis cruellement comballue par des sentimentsnbsp;opposés et toujours en dure révolte centre Dieu et centre mon intimenbsp;conviction. Mais la grace céleste a opéré en moi d’une manière tellenbsp;que je ne dois ni ne puls plus résister. Dieu, ó ma chère et très-rchèrenbsp;maman! veut que je sois chrétienne, et il m’a fait connaitre évi-demment sa volonté par mille moyens plus sensibles les uns que lesnbsp;autres.

» Je comprends qu’une semblable nouvelle vous percera Fame; et e’est ia, soyez-en sure, Ie principal motif pour lequel ma présente ré-solution coüte tant i mon coeur, et pour lequel j’ai versé jusqu’ici etnbsp;je verse encore tant de larmes amères. Mais tranquillisez-vous, denbsp;grace, ma bonne et tendre maman, et consolez-vous en pensant que,nbsp;votre Annina ne se faisant point chrétienne par caprice, mais pournbsp;correspondre a la grAce de Dieu, elle ne sera jamais indigne de vousnbsp;et ne fera jamais rien qui puisse mériter vos reproches. Dans cettenbsp;vraie religion, ma bonne maman, vous avez déja placé, sans Ie vouloir,nbsp;ct avant moi, une de vos filles qui, étant morte après avoir relt;;u Ienbsp;saint baptême des mains de sa nourrice, jouit maintenant de Dieunbsp;dans Ie ciel.

» Et voila 1’explication du songe mystérieuxque vous eütes avant ma naissance, et dans lequel il vous fut commandé de me donner Ie nomnbsp;d’Annina, nom que portait ma petite soeur morte au berceau. Ce songe,nbsp;que vous m’avez raconté, je ne l’ai jamais communiqué h personne,nbsp;excepté lorsque j’ai su avec certitude que ma petite soeur avait éténbsp;taptisée, et il a été pour moi un nouveau motif d’embrasser avec force,nbsp;comme je Ie fais. Ia religion chrétienne. Plaise au Seigneur qu’il soitnbsp;aussi pour ma chère maman une raison qui la détermine a suivre scsnbsp;deux filles, et h pourvolr ainsi au véritable bien de son i\me!

» Bénissez-moi, ma bien chère maman; offrez mes respectueux sen-*^iments ii mon excellent oncle Léon; donnez mille tendres baisers a mes

iO.

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250 nbsp;nbsp;nbsp;les TROIS ROME.

chers petits frères, et souvenez-vous que je vous aime sans mesure, et ne cessez pas, de grêce, de m’aimer toujours.

» AncOne, 51 aoüt 1826.

» Yotre fille toute aimante,

» Annina Costantini (i). »

L’effet de ses lettres, joint aux circonslances merveilleuses de sa conversion, fut tel sur l’esprit de son oncle Benedetti Costantini, qu’ilnbsp;détermina, après quatorze ans de lutles intérieures, eet excellentnbsp;homme, avec toute sa familie, è suivre l’exemple de sa nièce.

Cet intéressant souvenir, rendu plus vif encore par la vue des lieux, théfttre de ce consolant prodige, nous occupait délicieusement tandisnbsp;que, par une route charmante, tracée sur les bords de la mer, nousnbsp;franchissions l’espace qui sépareAncóne de Sinigaglia. La nuit tombaitnbsp;comm'e nous entrions dans cette dernière ville, antique fondation denbsp;nos aïeux.

5 AYRIL.

SinigagUa,—Sa Foire. — Fano. — Fossombrone. — Souvenir d’Asdrubal. — Pesaro. — Calhédrale. — Souvenirs de Rossini, de Raphael et du Bramante. — Republique denbsp;San Marino. — Organisation civile et judiciaire des États pontilicaux. — La Cattolica.nbsp;— Souvenirs des Pères de Rimini. — Rimini. — Arc d’Auguste. — Égliscs. — Martyrenbsp;de saint Gaudens. — Tableau de Paul Véronèse.

II est un proverbe, vieux de quelque mille ans, qui a couru et qui court encore Ie monde entier; ce proverbe dit : « Pas de guerre sansnbsp;soldats gaulois : Nullum bellum sine milite gallo. » Nos aïeux étaientnbsp;done de tous les combats, comme d’autres sont de toutes les parliesnbsp;de plaisirs. Quel pays, quel siècle ne les a pas vus guerroyant, tantótnbsp;pour leur compte, tantót pour Ie compte d’autrui; laissant leurs osse-ments sous tous les climats, et fondant des colonies sur les terres étran-gères? Done, en l’an 358 avant Jésus-Christ, les bords charmants denbsp;l’Adriatique virent arriver une armée de Sénonais qui se rendirenVnbsp;mailres du littoral, et y fondèrent une ville h laquelle ils donnèrentnbsp;leur nom. Sous l’enveloppe italienne de Sinigaglia, reconnaissez lanbsp;fille des Gaulois sénonais, l’antique Sena Gallica. Sa belle calhédrale,nbsp;ses vieux remparts, ses rues superbes, annoneent et l’antiquilé de son

(i) La gloria di Dio manifestata nella conversione amtnirablle dcU’egregia ed illusire donzella signora Annina Costantini, d'Ancona, operalta dedicata alia medesima dalnbsp;canonico Mariano Bedetli publico prof. bislor. Eccl. nel vescovile scm. di delta cittanbsp;10 seiiemb. 1826.


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FOIRE DE SINIGAGLIA. 231

origine, et la prospérité de son commerce, et les progrès de sa moderne civilisation.

Sinigaglia, qui compte environ 9,000 ftmes, est Ie Beaucaite de l’I-talie. Sa foire célèbre commence au mois de juillet et dure jus-qu’au 20 aoüt. Elle attire une affluence prodigieuse de marchands italiens, siciliens, allemands, dalinates, grecs surtout. De temps immé-morial ces derniers ont l’habitude de venir chercher i Ancóne el iinbsp;Sinigaglia les produits de l’industrie européenne, et de les distribuernbsp;ensuite dans l’intérieur de la Grèce et aux Echelles du Levant. Avantnbsp;la redoutable concurrence que lui fait Trieste, Ancóne ressemblait anbsp;une cité du Péloponèse et de l’Archipel. Les bfttiments de l’Hellénienbsp;remplissaient Ie port; la plupart des magasins, des boutiques, desnbsp;cafés appartenaient aux Grecs, et Sinigaglia élait un marché ó peunbsp;prés exclusivement ouvert é leurs compatriotes. Aujourd’hui ils nenbsp;viennent plus guère è Sinigaglia, et c’est par correspondance qu’iisnbsp;opèrent. Trieste, mieux placée, s’accroit aux dépens de son anciennenbsp;rivale, dont les exportations se réduisent maintenant au blé, chanvre,nbsp;tabac, suif, peaux, tartrate de potasse, bois de construction.

Malgré sa décadence, Sinigaglia offre encore, pendant la tenue de la foire, un spectacle digne du pinceau de l’artiste. Qu’on se figure unnbsp;mouvement perpétuel d’hommes de toutes les nations, aux costumesnbsp;variés, occupés é se chercher, ou empressés i» faire transporter lesnbsp;marchandises du port ó la ville et de la villeau port; une ville entièrenbsp;dans les rues, garnies de deux rangées de boutiques élégantes, sur-montées de lentes que l’on huraecte de temps en temps, et dont Ie solnbsp;est garni de planches pour la commodité des transports; une ville de-venue un vaste bazar, et dont les fossés, les glacis, les plaines envi-TOnnantes sont couvertes de baraques, de cuisines, de chevaux au piquet; c’est un spectacle que présentcnt é peine les villes orientales,nbsp;evi aboutissent les grandes caravanes de la Mecque et du Sahara.

Nous quittómes nos cousins, les Gallo-Sénonais, après avoir pris une tasse de leur excellent café Manco, et quelques heures plus tard nousnbsp;étions é Fano. L’antique Fanum fortunw ne conserve guère d’autresnbsp;souvenirs de son histoire païenne, que son nom, les restes d’im are denbsp;Womphe élevé en l’honneur d’Auguste, et une belle statue de la For-*¦gt;106, placée sur la fontaine publique. Le nom et la statue immorta-fisent la reconnaissance des Remains pour la victoire dont je vaisnbsp;parler. C’est k Fano qu’on passe le Métaure, fleuve célèbre par la dé-faile du malheureux Asdrubal, digne frère d’Annibal. L’habile capi-taine cherchait a opérer sa jonction avec le vainqueur de Cannes, au-

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LES TROIS ROME.

quel il amenait des ren forts. Arrêté dans sa marche par les consuls Livius Salinator et Claudius Nero, son corps d’armée fut taillé ennbsp;pièces et lui-même resta sur Ie champ de batailie. Ce combat, auquelnbsp;Rome dut peut-être son salut, se donna prés de Fossombrone, Forumnbsp;Sempromi, l’an 207 avant Jésus-Christ, a quelques milles sur lanbsp;gauche de Fano. A la montagne, qui porte encore Ie nom d’Asdrubal,nbsp;on voit la voie Flaminienne, creusée par Ie ciseau pendant l’espace d’unnbsp;mille dans Ie coeur même du rocher vif. Cette ouverture, capablenbsp;d’étonner notre corps royal des ponts et chaussées, est la Petra Per-tusa de Victor, dont l’origine se perd dans la nuit des temps.

Midi sonnait lorsque nous entrions a Pesaro, autre ville du littoral d’environ 18,000 amp;mes. Comme on Ie voit, toute cette cóte de l’A-driatique est très-peuplée. J’aurai bientót occasion de revenir sur cenbsp;fait. On célébrait la fête de saint Vincent Ferrier, Ie grand thaumaturge du quinzièrae siècle, les églises étaient pleines d’une foule re-cueillie et avide d’entendre une très-belle messe en musique, exécutéenbsp;par les amateurs de la ville : la patrie de Rossini est féconde en artistes distingués. Nous vimes a la calhédrale, remarquable édifice, unenbsp;superbe Circoncision, du Barroche, Ie maitre de la peinture dans lanbsp;Romagne, et un Saint-Jéróme, du Guide. Pesaro est, du reste, unenbsp;ville charmante par sa position, et riche par la fécondité de son terri-toire qui produit les meilleures figues de l’Italie.

Continuant a courir sur la voie Flaminienne, on laisse a gauche Ur-bino. Ia patrie de Raphael et du Bramante; un peu plus loin on se trouve en regard de la montagne sur laquelle repose la république denbsp;San Marino. Ce petit État compte environ cinq mille bmes de population, possède trois chateaux et cinq églises. Ses usages et son droitnbsp;coutumier firent tomber la conversation sur l’organisation administrative et judiciaire des États pontificaux.

Le domaine temporel du Saint-Père se divise en vingt provinces.

Celles deBologne, Forli, Ferrare, Urbino et Pesaro, sont présidées par un cardinal légat et prennent le titre de légation.

Les autres, nommées délégalions, sont régies par un prélat délégat apostolique.

Chaque province est divisée en districts.

Chaque district comprend plusieurs arrondissements ou gouverne-ments.

Au-dessous des gouvernements viennent les communes.

Dans chaque commune il existe un Conseil municipal composé de 16 é 48 membres, suivant l’importance de la population.

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ORGANISATION DES ÉTATS PONTIFICAllX. 233

Dans chaque Conseil municipal il y a un ou plusieurs dépulés ec-clésiasliques, choisis par les évêques. Ils assistent aux réunions muni-cipales, et ont voix délibérative lorsqu’il s’agit de questions relatives aux intéréts des fondations pieuses, des établissements de charité etnbsp;des biens du clergé.

Le Conseil municipal nomme et révoque les employés communaux.

Chaque commune entretient, pour le service public, un médecin, un chirurgien-vaccinateur, un maitre d’école, un secrétaire, un rece-veur des impóts, et un trompette chargé d’afficher les lois et ordon-nances, et de publier les arrêtés du pouvoir local.

Pour faire face aux dépenses, le Conseil emploie les revenus des biens-fonds de la commune.

En cas d’insuffisance il peut établir : 1® un impót sur tous les ob-jets de consommation, excepté les grains et la farine; eet impöt ne peut jamais excéder 60 baïoques (3 francs) par téte d’individu male,nbsp;depuis 14 jusqu’a 60 ans; 2° sur les mêmes individus, un impót personnel, gradué suivant la richesse des families et qui ne peut dépas-ser 40 baïoques; 3® si les droits de consommation et de taxe person-nelle ne suflisent pas, on a recours ii des centimes additionnels établisnbsp;sur le foncier (i).

Tous lescitoyens nobles, propriétaires, artisans, sont représentés au conseil municipal. En y joignant les députés ecclésiastiques, tous lesnbsp;intéréts ont leurs organes et leurs défenseurs dans cette assembléenbsp;vraiment populaire.

De cette organisation civile résulte : 1® que les États Pontificaux ne sont point, comme le disent certains journaux, livrés a l’arbitraire dunbsp;despotisme sacerdotal; 2® que les institutions municipales y sont plusnbsp;complètes et plus libérales que les nötres; 3“ que les impóts y sontnbsp;comparativement très-légers.

Pas plus que la fortune des particuliers, leur réputation, leur vie u’est nullement ó la merci du pouvoir. Une organisation judiciaire estnbsp;Jó pour défendre le faible, réprimer et punir le méchant.

Le premier degré de juridiction se trouve dans la commune, les auditeurs légaux jugent par voie économique pour les sommes au-des-sous de cinq piastres.

Le second se trouve dans le chef-lieu du district, oü le gouvernement peut prononcer sur une valeur de deux cents piastres.

Le troisième est au chef-lieu, oü siége un tribunal civil.

(i) Voycz États Rom. par M. Fulchiron, t. iii, p. 212.

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234 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.

Le quatrième est dans les eours d’appel, qui connaissent en seconde instance des procés jugés en première par les tribunaux civils.

Le cinquième est le tribunal suprème de la Sagra Ruota, siégeant é Rome ; c’est notre cour de Cassation.

La jurisprudence des États Pontificaux veut que deux sentences conformes aient élé obtenues, pour qu’il y ait chose jugée. II en ré-sulte des lenteurs qui ont provoqué le blème de plusieurs écrivains.nbsp;L’application de cette loi peut être vicieuse, mais le principe nousnbsp;parait bon. Ces délais qui sont une preuve nouvelle de la prudencenbsp;romaine, donnent aux parlies le temps de preparer leurs moyens denbsp;défense, aux juges celui d’étudier les pièces du procés, et de connaitrenbsp;la sentence anticipée de l’opinion publique; d’un autre cóté, les passions se calment, et des arrangements é l’amiable deviennent plusnbsp;faciles.

Parallèlement è cette hiërarchie judiciaire, s’en élève une autre é laquelle les parties sont heureuses de recourir. Les évêques et arche-vêques sont juges en première instance dans les limites de leurs dio-cèses. Ils prononcent par l’organe de leurs grands vicaires, n’importenbsp;la somme en litige, sur les affaires ecclésiastiques ou mixtes, et mêmenbsp;sur les séculières, s’il y a consentement des parlies.

On peut en appeler de la sentence de l’évêque a cellc de l’archevê-que dont il relève; en tout cas l’appelant a toujours le droit d’en appeler directement au Saint-Siége.

Celui-ci juge par les tribunaux ecclésiastiques de la chambre apos-tolique et du cardinal vicaire.

Les crimes ecclésiastiques et centre les personnes engagées dans les ordres sacrés ou dévouées è Rieu par la profession religieuse, sontnbsp;jugés par les tribunaux ecclésiastiques.

Ces tribunaux ont cinq juges ; l’archevêque ou l’évêque du diocèse, et quatre personnes choisies par lui.

On peut appeler de ce jugement i la Congrégation romaine des évêques et réguliers.

A Rome, c’est au cardinal vicaire qu’appartient exclusivemenl le jugement des crimes centre les bonnes meeurs. Le prélat vice-gérant.nbsp;le prélat suppléant civil et deux assesseurs composent le tribunal.

L’appel de la sentence est porté i la Congrégation des évêques et réguliers.

Les crimes et les délits des soldats et officiers sont exclusivemenl de la compétence des tribunaux mililaires (t).

(i) Voyez États Rom. par M. Fulchiron, t. lu, passim.

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ORGANISATION DES ÉTATS PONTIFICAÜX. 233

Enfin, les offenses centre la religion sont déférées au tribunal de 1’Inquisition, Ie plus miséricordieux de tous les tribunaux.

Telle est, è grands traits, 1’esquisse de l’organisation judiciaire fians les États Remains. La distinction des différentes classes de per-sonnes est soigneusement maintenue. Les simples citoyens, les ecclé-siastiques et les militaires ont leurs tribunaux particuliers. C’est lü,nbsp;ce nous semble, une chose tout a fait équitable, et qui contribue plusnbsp;flu’on ne pense au maintien de la morale publique. II en est de mêmenbsp;des catégories de crimes. Quoi de plus sage, par exemple, que de ré-server la connaissance des fautes contre les moeurs ou la religion a desnbsp;juges qui, par leur earactère sacré et par leurs études spéciales, sontnbsp;plus aptes que tous autres è trailer avec la réserve et la sience conve-nables ces causes difiiciles? En tout cela nous confessons ne pas trou-ver la moindre trace de ce despotisme abrutissant, donl nos journauxnbsp;accusent Ie gouvernement pontifical.

Qu’il y ait dans la législation romaine des lacunes et des défauts, qu’il y ait de la mollesse et même des abus dans l’application des lois;nbsp;nul ne songe ii Ie révoquer en doute. Mais oü ces inconvénients ne senbsp;rencontrent-ils pas? Depuis cinquante ans nous en sommes è faire desnbsp;révolutions pour détruire les abus, y avons-nous réussi? Les abus ontnbsp;changé de nom, de place et d’objets, mais s’il en faut croire nos yeux,nbsp;ils existent toujours. Les abus se détruisent non par les lois, mais parnbsp;les moeurs; et les moeurs se forment par la Religion, lumière de lanbsp;conscience, principe de vertu et frein de toutes les passions. Ce quinbsp;porte k conclure très-logiquement, en faveur de la législation et de lanbsp;législature romalnes, que les défauts et les abus y sont molns fréquentsnbsp;et surtout moins graves que chez un people sans religion.

Quant èi la jurisprudence des États Pontificaux, elle se compose, pour Ie fond, du code Juslinien, et des prescriptions du droit canoni-'l'ie; pour la parlie organique, des ordonnances et réglements desnbsp;Papes, c’est-ü-dire, dans la réalité, de lout ce que la sagesse humainenbsp;eonnait de plus parfait. De lè ce mot du publiciste Ie plus profondnbsp;des temps modernes : « Que dirons-nous de Rome, demande l’illustrenbsp;«omte de Maistre? C’est dans Ie gouvernement des Ponlifes que Ie vé-ritable esprit du christianisme doit se montrer de la manière la moinsnbsp;Equivoque. Or, c’est une vérité universellement connue, que jamais onnbsp;® a reproché il ce gouvernement que la douceur. Nulle part on nenbsp;trouve un régime plus paternel, une justice plus également distribuée,nbsp;système d’impositions ii la fois plus humain et plus savant, unenbsp;tolerance plus parfaite (i). »

(0 Lettres sur l'Inq. Lelt. i, p. 22.

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236 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS HOME.

Gependant les heures avaient fui rapidement. Au sortir du monde administratif et judiciaire, nous entrftmes sur une terre féconde ennbsp;souvenirs de noire antiquité chrétienne. Voici sur Ie bord de la routenbsp;Ie petit village della Cattolica. D’oii lui vient ce nom singulier?nbsp;En 3S9, une grande bataille se livrail a Rimini: Ie catholicisme, c’est-è-dire la vérité, la civilisation, la liberté, était aux prises avec l’aria-nisme, c’est-h-dire avec Terreur, mère de Tesclavage et de la dégrada-tion, soutenu par la ruse de ses chefs et par Ie glaive des Césars : unnbsp;moment Tarianisme triomphe. Les Pères catholiques cedent amp; Torage;nbsp;et plutót que de trahir Ie depót de la foi, ils s’exilent volontairementnbsp;dans Ie petit village oü nous sommes.

A cette glorieuse retraite il doit Ie nom qu’il porte. Saluons en passant les illustres champions dont il fut Tasile. Phébade d’Agen, Ger-vais de Tongres, chefs de la courageuse cohorte, conservez-nous la foi pour laquelle vous avez si noblement comhaltu! G’est Ie premier denbsp;ces saints évêques qui, en apprenant la chute du plus ancien de sesnbsp;collègues, Ie centenaire Osius de Cordoue,'écrivait une lettre qu’ilnbsp;faut lire amp; la chute de toutes les grandes colonnes de TÉglise : « Jenbsp;ne doute pas, dit Ie nouvel Athanase, qu’aprês avoir examiné et exposé toutes ces vérités ó la lumière de Tintelligence publique, on nenbsp;nous oppose, comme une puissante machine, Ie nom d’Osius, Ie plusnbsp;ancien de tous les évêques, et dont la foi a toujours été si sure; maisnbsp;je réponds en peu de mots, que Ton ne peut employer Tautorité d’unnbsp;homme qui se trompe è présent, ou qui s’est toujours trompé. Toutnbsp;Ie monde sait quels ont été ses sentiments jusqu’i ce grand êge; avecnbsp;quelle fermeté il a regu la doctrine catholique a Sardique et ii Nicée,nbsp;et condamné les Ariens. S’il a mainlenant d’autres sentiments, s’ilnbsp;soutient ce qu’il a condamné et condamné ce qu’il a soutenu, je Ie disnbsp;encore une fois, son autorité n’est pas recevable. Car s’il a mal crunbsp;pendant prés de quatre-vingt-dix ans, je ne croirai pas qu’il eroie biennbsp;après quatre-vingt-dix ans; et s’il croitbien maintenant, que doit-onnbsp;juger de ceux qu’il a baptisés dans la foi qu’il tenait alors, et qui sontnbsp;sortis du monde? Que dirait-on de lui-même s’il fut mort avant cettenbsp;assemblée? Done, comme je Tai dit, Ie préjugé de son autorité n’anbsp;aucune force, paree qu’elle se détruit elle-même. Aussi lisons-nousnbsp;que la justice du juste ne Ie sauvera point, s’il tombe une fois dansnbsp;Terreur (i). »

Le Symbole de Nicée, récité de Ia Cattolica é Rimini, en réparation

(i) Bihliolk. PP. t. II.


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JIARTÏRE DE SAINT GAUDENS. nbsp;nbsp;nbsp;257

des outrages fails a la diviiiité du Rédempteur, est doux a ritme fomme Test a la Louche Ie fruit mangé sur l’arbre. Nous entrümesnbsp;dans l’antique cité par la por te Romaine, formée d’un bel are denbsp;triomphe élevé en l’honneur d’Auguste. Comme toutes les villesnbsp;échelonnées sur cette c6te jusques et y compris Venise, Rimini, l’an-cienne Ariminum, n’est plus qu’une ombre d’elle-même. On n’ynbsp;compte que 17,000 amp;mes. La mer s’est éloignée de ses murs, et c’estnbsp;^ peine si on voit quelques traces de l’ancien port. Une partie desnbsp;marbres qui l’embellissaient, ornent aujourd’hui plusieurs églises denbsp;la ville, entre autres la cathédrale. Get édifice, dont la fondation remonte au quatrième siècle, mérite, tout modernisé qu’il est, la cu-riosité de l’artiste chrétien.

Ce qui Ie rend surtout vénérable aux yeux de la foi, c’est Ie sang Episcopal dont il fut rougi par ordre de l’empereur Constance, pro-tecteur des Ariens et arien lui-même. Au temps du trop fameux Con-mle, saint Gaudens, évêque de Rimini, déjouait avec une irrésistiblenbsp;logique les ruses d’ürsace et de Valens. Pour lui répondre, Constance employa la logique des tyrans : il Ie fit égorger par les licteursnbsp;du Proconsul (i). Bétie sur les ruines du temple de Castor et de Pollux,nbsp;la cathédrale perpétue encore Ie souvenir du triomphe de PÉvangilenbsp;sur Ie paganisme, tandis que celle des Capucins marque remplacement de l’amphithéfttre de Publius Sempronius, dont elle protégé lesnbsp;derniers vestiges. La statue de bronze de Paul V, élevée sur la grandenbsp;place, rappelle les bienfaits du Pontife, et dans l’église de Saint-Julien, Ie pinceau de Paul Véronèse redit, avec l’éloquence du génie,nbsp;les combats et les victoires du glorieux martyr.

G AVRIL.

Tribune de César. — Chapelle du Miracle. — Saint Antoine de Padoue, son discours poissons.—Xonversion de Bonvillo. — Porte Saint-Julien. — Pont d'Auguste.

Passage du Rubicon. — Cervia. — La Pignala.—Monastère de Classe. — Mosaïque.

— Saint Romuald. — L’empereur Olhon. — Ravenne.

Sur la place du Marché s’élèvent deux monuments qui excitent *l’abord la curiosité du voyageur. Le premier est un piëdestal ennbsp;S^'anit, d’un mètre et demi de hauteur sur cinquante centimètres denbsp;largeur. Qu’est-ce que ce monument tronqué? pourquoi est-il lè au

(t) Baron. Ifot. ad Martyr. 14 oclob.

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238 LES TROIS ROME.

milieu de la rue, gênant la circulation plutótqu’il n’embellit la place? On vous répond : A ce piëdestal se rattache un fait décisif de l’his-toire Romaine. lei même, du haut de cette singulière tribune, Césarnbsp;harangua son armée après Ie passage du Rubicon, pour l’exborter 6nbsp;marcher sur Rome. On sait quelles furent les conséquences de cenbsp;discours.

Le second monument est une jolie petite chapelle circulaire dont la présence au milieu de la place publique, est en réalité aussi contraire aux régies du bon goüt, qu’elle parait d’abord opposée auxnbsp;convenances religieuses. Mais ces considérations si graves qu’ellesnbsp;soient, ont du céder devant des raisons plus graves encore. Au lieunbsp;même occupé par cette chapelle, un fait admirable s’est accompli ;nbsp;ne fallait-il pas en marquer le théêtre, et, par un monument durable,nbsp;lerappeler au pleux souvenir des générations futures? Ainsi en jugeanbsp;la cité reconnaissante : de Ié le petit sanctuaire dont voici l’origine.

Au quatrième siècle élait née dans l’Orient la secte impure du ma-nichéisme. Cachée longtemps en Bulgarie, cette hérésie, la plus dan-gereuse qui alt désolé le moyen ége, s’était tout a coup répandue en Europe è la lin du xii® siècle. Sous les noms d’Albigeois et de Patarins,nbsp;ses sectateurs infectaient de leurs mortels poisons les villes et les campagnes. Pour combattre cette béte hideuse, la Providence suscita lesnbsp;deux grands patriarches, saint Dominique et saint Francois, avec leursnbsp;enfants. De toutes les villes de la Romagne, Rimini était peut-être lanbsp;plus malade. Saint Antoine de Padoue, le Ihaumaturge de 1’époque,nbsp;fut chargé de la guérir : sa réputation l’avait devancé. Sentant biennbsp;qu’ils étaient vaincus si on allait l’enlendre, les hérétiques résolurentnbsp;de ne point se rendre a ses sermons. Le Saint monte en chaire, etnbsp;tout le monde se sauve : Féglise devient déserte ou é peu prés. II nenbsp;se décourage pas, et revient le lendemain en protestant qu’il prêchera,nbsp;n’eüt-il pas un seul auditeur. Les Patarins comprirent que la curio-sité finirait par enlralner quelques défections dans leurs rangs; ü*nbsp;résolurent done de tuer le Saint. Antoine l’apprend et se renfernienbsp;dans sa celluie, passant les jours et les nuits dans les jeünes, la prière,nbsp;et les actes de la plus effrayante macération.

Au bout de quelques jours, enflammé de l’esprit de Dieu, il sort et va droit sur le rivage de l’Adriatique, é l’endroit oü la Marecchia, qmnbsp;passe é Rimini, se jette dans la mer. Debout sur la plage, il appelle énbsp;haute voix les poissons pour célébrer les louanges de leur Créateur,nbsp;puisque les hommes refusent de les entendre. Un grand nombre d’ha-bitants que la curiosité avait conduits sur les pas du Saint, ou qui se

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SAINT ANTOINE DE PADOÜE. 239

t-rouvaient 15 pour se promener, le traitèrent de fou et, en attendant, s’arrêtent pour voir ce qui arrivera. A I’instant les flots s’agitent, etnbsp;^ la surface apparaissent des troupes innombrables de poissons, rangés en bel ordre chacuu selon son espèce. Les plus petits sont plusnbsp;fapprochés du Saint, les autres s’échelonnent en suivant, et fermentnbsp;tin grand araphilhéftlre. Élevées au-dessus de I’eau, leurs tètes, va-riées de formes et de couleurs, ressemblent a un tapis de perles surnbsp;1’azur des flots; tous paraissent attentifs.

Le Saint leur fait alors un magnifique discours : il leur rappelle les bienfaits particuliers qu’ils out re^us du Créateur, la variété et lanbsp;beauté de leurs espèces, la gr5ce et l’agilité de leurs mouvements,nbsp;1’avantage de leur élément oü ils ne tombent pas par fatiguenbsp;comme I’oiseau voyageur sur le navire, ou le quadrupede sur lanbsp;terre; la süreté deleur habitation également 5 I’abri de la foudre etnbsp;de la grêle, I’abondance et le choix de leur nourriture, leur multiplication merveilleuse qui n’exige ni les soins de la mère, ni le lait d’unenbsp;öourrice; le privilége d’avoir été entre tous les autres animaux pré-servés de rexterraination générale au temps du déluge. II leur reditnbsp;1’honneur qu’ils ont re^u plusieurs fois d’être employés par leur Créateur lui-même 5 différents offices, sauver Jonas, guérir Tobie, remplirnbsp;les filets des Apólres du Fils de Dieu, et de s’être multipliés dans lesnbsp;tnains de Jésus-Christ pour rassasier la foule du désert; de lui avoirnbsp;fourni la pièce de monnaie pour payer le tribut, et sa nourriture favorite pendant sa vie mortelle; de l’avoir vu marcher sur leur élément, et enfin choisir leurs pêcheurs pour en faire des pêcheursnbsp;d’hommes.

On dirait que ces animaux le comprennent, tant est grande leur sttenlion, tant sont vifs les applaudissemeuts qu’ils donnent 5 sesnbsp;Paroles, soit en levant la tête, soit en ouvrant leur bouche (i). Si lesnbsp;assistants furent stupéfaits 5 la vue d’un pareil prodige, il n’est pasnbsp;besoin de le dire. Dés le commencement, plusieurs ont couru, horsnbsp;'1’haleine, sur la place publique annongant ce qui se passe; et Rimininbsp;tout entière s’est vidée pour venir au rivage. Alors le Saint rendnbsp;gfftces 5 Dieu et dit qu’il est plus honoré par les poissons que par lesnbsp;bommes hérétiques et infidèles. Puis, bénissant son muet auditoire ennbsp;faisant le signe de la croix, il le congédie; et tous les poissons agitantnbsp;leurs ailes, rerauant leurs queues, et baissant leurs têtes se plongentnbsp;dans les Hots el disparaissenl. Un semblable miracle fait lomber tout

(•) Le Guerchin a immortalise ce miracle dans le superbe tableau qui se voit au palais

borghèse.aRotne.

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240 LES TROIS ROME.

ce peuple i genoux et répandre des torrents de larmes. Le Saint pro-fite de cette disposition pour montrer avec cette éloquence de feu dont il est doué, la malice énorme du péché et surtout de l’hérésie ; pres-que tous se convertissent ii l’instant.

Un petit nombre, toutefois, restèrent obstinés. Au premier rang était un certain Bonvillo, chef de secte. Soit qu’il ne fut pas présentnbsp;au miracle, soit qu’il voulut jouer l’esprit fort, il se moquait de ceuxnbsp;qui s’étaient convertis, pour avoir vu, disait-il, cinq ou six poissonsnbsp;arrêtés par hasard sur le bord de la mer. La pensée lui vint de ruinernbsp;la réputation du Saint en lui demandant un nouveau miracle qu’il re-gardait comme impossible : « II serait indécent, lui dit-il, pournbsp;Jésus-Christ, d’etre dans l’Eucharistie sous les espèces du pain, aussinbsp;n’y est-il pas; et pour t’en convaincre, je veux te le faire prouver parnbsp;mon ène. Tu lui présenteras ton pain sacramentel, et nous verronsnbsp;s’il l’adore. » En entendant un pareil blasphème, le Saint est saisinbsp;d’horreur; toutefois inspiré de Dieu, il accepte'le défi et marque lenbsp;jour de l’épreuve. Les hérétiques l’attendent d’un air de jubilation, etnbsp;chantent déja leur triomphe; les catholiques tremblent, n’ayant pointnbsp;encore pour le Saint la conGance et l’estime qu’il méritait. Néan-moins le miracle des poissons soutient leur courage. En attendant, lenbsp;Saint jeune, prie et ne doute pas de l’assistance divine : toute la villenbsp;est en suspens.

Le matin du jour Gxé, Antoine célèbre la sainte Messe, vient sur la place publique avec le Saint-Sacrement, accompagné de ses religieux,nbsp;et s’arrête devant la maison de Bonvillo. Celui-ci s’avance d’un airnbsp;méprisant avec sa béte de somme, h laquelle, depuis trois jours, il n’anbsp;pas donné de nourriture. Arrivé devant le Saint-Sacrement il lui pré'nbsp;sente de l’avoine. Le Saint adresse quelques mots au peuple immensenbsp;qui l’entoure et lui dit d’avoir foi et dévotion ii Notre-Seigneur; puisgt;nbsp;d’une voix sonore, il appelle le stupide animal, et lui commando denbsp;venir adorer son Créateur caché sous les espèces sacramentelles. A eetnbsp;ordre, la béte de somme laisse l’avoine, s’avance, se met è genoux,nbsp;baisse la tête et demeure dans cette attitude respectueuse, jusqu’a cenbsp;que la sainte hostie soit reportée dans l’église. Le moyen de nier unnbsp;miracle de cette force, accompli sous les yeux de tout un peuple-Aussi le triomphe des catholiques et la confusion des Patarins furentnbsp;ce qu’ils devaient être. Bonvillo, stupéfait, interdit, touché de la gramp;ce,nbsp;abjure l’hérésie avec d’autant plus de gloire pour la vérité qu’il avaitnbsp;été plus opiniiltre, et qü’il était, de tous les Manichéens, le plus accré-dité et le plus puissant. Il passa le reste de sa vie dans la pénitence,

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PASSAGE bU RDBlCON. 241

mourut en laissant de grandes espérances pour son salut (i).

Nous sortimes de Rimini par la porte de Saint-Julien. On traverse Ja Marecchia sur un magnifique pont de marbre, charge d’ornementsnbsp;6t construit par les empereurs Auguste et Tibère. En cet endroitnbsp;s opère la junction des deux anciennes voies consulaires, AJmilia etnbsp;Flaminia, qui reliaient i Rome le nord de I’ltalie. A quelques lieuesnbsp;plus loin nous passames, aussi braves que César, le fameux Rubicon.nbsp;Sous I’humble nom de Pisciatello qui reconnaitrait la petite rivière,nbsp;sur les bords de laquelle se décida le sort de la République romaine?nbsp;Plusieurs prétendent qu’en cet endroit le Rubicon s’est trouvé réuninbsp;au Pisciatello, et que, pour trouver le fameux ruisseau, il faut se rap-Procher un peu plus de Savignano. Quol qu’il en soit, pour peu quenbsp;1’iraagination vienne en aide it la mémoire, on voit Jules César deboutnbsp;sur la rive opposée du torrent; inquiet, troublé, il hésite, puis tout anbsp;coup il s’avance en jetant a son armée et a I’histoire le mot fameux :nbsp;^acta sit alea : « Pourquoi cette hésitation? Chacun sail que le sénat,nbsp;jaloux de la liberté de Rome, avail défendu, par un décret solennel, anbsp;tout général revenant en Ualie avec une armée ou un corps d’armée,nbsp;tie traverser cette rivière sans avoir auparavant déposé les armes et lesnbsp;étendards. Le Rubicon était la limite de I’ltalie et de la Gaule Cisalpine. En le franchissant, César encourait toutes les peines portéesnbsp;centre les ennemis de la patrie. Ainsi se préparait le moment oii lanbsp;liberté romaine devait faire place amp; la volonté d’un seul; moment unique dans I’histoire, oil le despotisme, élevé è sa plus haute puissance,nbsp;devait lutter corps a corps avec la liberté reparaissant dans le mondenbsp;sous la figure de douze pêcheurs envoyés par le Dieu du Calvaire.

Laissant i gauche Césène, patrie de Pie VI et de Pie VII, ainsi que l’^orli, Forum Livii, bati par Liviiis Salinator après la défaite d’As-drubal, nous saluames Faenza, particulièrement chère aux Nivernaisnbsp;'lui lui doivent le nom et le secret de leur productive industrie. Hon-Oeur done a Faenza, et a celui de ses habitants qui nous apporta Partnbsp;^0 fabriquer la faience! Ensuite Cervia nous offrit è déjeuner et nousnbsp;toontra ses montagnes de sel marin. Bientót la Pignata, se dessinantnbsp;coninie un point noir è l’horizon, nous annonga le voisinage de Ra-'enne. La Pignata est une forêt de pins qui a environ douze milles denbsp;long sur quatre de large. On comprend de quelle importance elle étaitnbsp;pour les Romains qui tenaient a Ravenne une des trois stations mari-'lines de l’empire.

(') Vit. di S. Antonio, lib. t, c. 9, p. 40-45.

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iS42 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.

Cependant il vint un jour oü Ie bruit des haches et les cris des bü-cherons cessèrent de se faire entendre; les écbos de la forêt ne redi-rent plus que des cbants et des prières. Ce qu’était devenu Citeaux è la voix de saint Bernard, la Pignata Ie devint a la voix d’bumbles re-ligieux, dévoués i la civilisation par Ie double labeur de la pénilencenbsp;et de la prière. Au centre de la forêt s’éleva, dès la vi® siècle, Ie mo-nastère gracieusement appelé Notre.-Dame-de-la-Palazziola, ou du Pelit-Palais. Plein de confiance dans Pintercession de ces anges de la terre,nbsp;Jean IX, arcbevêque de Ravenne, leur donna des terres et des revenusnbsp;a la double condition de prier pour lui afin d’obtenir de Dieu la ré-mission de ses péchés, et de nourrir è perpétuité cinquante pauvresnbsp;Ie jour de sou décès (i).

Plus que jamais, Ravenne mérite Ie nom de marécageuse, que lui donnait déjè, il y a quinze siècles, Silius Italicus. Des affaissementsnbsp;successifs ont comblé son magnifique port. Les riantes campagnes quinbsp;firent sa gloire et sa richesse, sont cbangées en marais dont l’étenduenbsp;égale celle des marais Pontins. Trois milles avant d’arriver on trouve,nbsp;isolée au milieu de cette triste solitude, la grande et antique église denbsp;Saint-Apollinaire. Le célèbre couvent de la Classe y est joint, babiténbsp;jadis par les Fils de saint Benoit et donné depuis aux Enfants de saintnbsp;Romuald. Ici était autrefois le port de Ravenne, et par conséquent lanbsp;flotte romaine. Classis. Le voisinage de ce lieu, si fréquenté, donnanbsp;naissance a un vaste faubourg, ou pour mieux dire è une petite villcnbsp;qui prit le nom de Classe, ainsi que le monastère. L’importance denbsp;Ravenne fixa Pattention de saint Pierre; le conquérant de PItalie en-voya, pour la soumettre è PÉvangile, un de ses disciples nomménbsp;Apollinaire. II vint, il prêcha, il vainquit, et comme tous ses frères, dnbsp;mourut enseveli dans son triomphe. Évêque et martyr, saint Apoll*'nbsp;naire fut déposé k Classe, prés des murailles du port. En 529, Jean,nbsp;arcbevêque de Ravenne, batit sur son tombeau une magnifique églis®nbsp;et un monastère, dont les religieux chantaient Poffice devant les reli-ques sacrées du bienheureux martyr. C’est, pour le dire en passant,nbsp;de ce monastère que partit Pabbé Jean pour porter a Charlemagne I®nbsp;Sacramentaire de saint Grégoire que le grand empereur avait fait de-mander au pape Adrien par Paul, son ambassadeur.

Bien qu’endommagée par Peau des marais qui salpêtre les murail' les, Péglise de Saint-Apollinaire offre de nombreuses traces de sonnbsp;ancienne magnificence. L’architecture romano-byzantine est d’un trés-

(O f/tsi. de l'ordre de Saint-Benoit, t. n, liv. v, c. 73, p. 802. La charle estdel'anSSö.

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MOSAÏQUE. nbsp;nbsp;nbsp;243

beau caractère; autour des nefs sont rangés les tombeaux en marbre tJes archevêques de Ravenne. Le choeur, ou Tribuna, est orné de pré-cieuses mosaïques. Ces peintures dont la solidité n’a su braver qu’im-Parfaiteraent Taction de Tair salin, datent de la fin du cinquièmenbsp;siècle, et représentent, sur la frise, Notre-Seigneur en demi-figure,nbsp;couvert d’un manteau violet et placé dans un médaillon. A droite et knbsp;gauche sont les figures embléraatiques des quatre Évangélistes. A lanbsp;Partie supérieure de la voute parait la main divine se détachant d’unenbsp;riche bordure; plus bas brille une croix perlée, au milieu d’un eerdenbsp;dont le champ et la circonférence sont parsemés de quatre-vingt-dix-öeuf éloiles d’or. Les deux lettres a et sont a Textrémité des deuxnbsp;croisillons; au pied de la croix on lit : salvs mvndi; au-dessus de lanbsp;*ète, les sigles suivants : i. m. d. j. c. Immolatio Domini Jesu Christi.nbsp;II est done évident que celte croix glorieuse est Temblème de Notre-Seigneur transfiguré, puisqu’on voit a droite Moïse, et è gauche Élie,nbsp;syant au-dessous d’eux Irois brebis représentant les trois Apótres té-•Doins du miracle.

Iramédiatement au-dessous de la Croix, se trouve saint Apollinaire. Le glorieux martyr est debout, décoré du pallium blanc, et revêtu denbsp;la chasuble d’or. Le nimbe circulaire entoure sa téte glorieuse, è gauche et a droite de laquelle on'lit sanctcs apolenams. Le saint a les mainsnbsp;étendues dans Tattitude de Ia prière. Au-dessous de lui sont douzenbsp;agneaux, six è droite et six a gauche, qui viennent vers leur illustrenbsp;berger. Le reste du champ est planté d’arbres du meilleur effet. Ennbsp;descendant au-dessous du grand cadre, on voit è droite un groupenbsp;aujourd’hui tellement détérioré qu’il est indéchiffrable; è gauche, unnbsp;autre groupe, oü Ton remarque Théodoric, roi des Goths, recevant ennbsp;''lage le jeune Justinien présenté par son précepteur. Corame encadre-•Bcnt k ce magnifique tableau, vous avez, d’un cöté, saint Michel, etnbsp;dc Taulre, saint Gabriel, portant chacun un Labarum; au-dessus denbsp;leur tête deux superbes palmiers, et enfin les deux cités emblémati-'1'ies, Jérusalem et Belhléem, d’oü se dirigent, vers le médaillon dunbsp;Sauveur, douze brebis, symbole des douze Apötres et de tous lesnbsp;bdèles.

Ainsi Notre-Seigneur le pasteur des pasteurs, et avec lui les douze londateurs de TÉglise; puis Notre-Seigneur transfiguré, image de lanbsp;'causformation du genre humain par TÉvangile; ensuite saint Apolli-*^®‘ce, un des glorieux artisans de cette transformation, appelant a luinbsp;les peuples confiés è sa sollicitude; enfin la certitude du succès expri-'t'ée par les deux anges, gardiens du Labarum : voilé toute Thistoire

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244 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.

de la religion dans son auteur, dans ses moyens et dans sa lin. Oü trouver un sujet plus chrétiennement poétique rendu avec autant denbsp;bonheur?

Non loin de 15 sont deux tableaux également en mosaïque; Ie premier représente saint Apollinaire prêchant l’Évangile, et rappelle par cette inscription l’origine apostolique de TÉglise de Ravenne: Sanctvsnbsp;Apoliharis, ah apostolo Petro episcopvs ordenatvs, missvs est Ra-vennam ad prwdicandvm Christi Evangelivm (i). Le second offrenbsp;aux regards le martyre du saint Apótre; vieiinent ensuite tous lesnbsp;portraits des archevêques de Ravenne. Au milieu de l’église s’élèvenbsp;une large pierre sur laquelle il subit de cruelles tortures. Cette pierrenbsp;est aujourd’hui un autel; en connaissez-vous de plus vénérable? Aussi,nbsp;qui dira les vceux, les prières, les baisers brülants déposés ici par lesnbsp;générations chrétiennes, depuis dix-huit siècles?

Au milieu de cette longue procession, voici venir deux pèlerins qui surpassent les autres par leur pieuse ferveur. Le premier est un enfant de Ravenne. 11 s’appelle Romuald; il est fils de la plus noble familie de la cité; il porte un coeur oü bouillonne l’amour du plaisir,nbsp;et son front est marqué d’une tache de sang. Hier, il vit tuer en duelnbsp;par son père un de ses proches parents. 11 a fui, il vient demandernbsp;grace devant le tombeau du saint Apótre de sa patrie. Pour quarantenbsp;jours il s’enferme au monastère; il prie, il gérait, il punit sa chairnbsp;jusque-15 rebelle, par de sévères austérités. Un frère convers lui a éténbsp;donné pour le servir; et avec la nourriture du corps, le frère sert a sonnbsp;jeune hóte les aliments de l’ame. Romuald l’écoute; et quand il estnbsp;seul il s’en va méditer ce qu’il vient d’entendre devant le tombeau dunbsp;martyr. Les os de 1’Apótre prophétisent, une voix se fait entendre;nbsp;Romuald s’est dit : Moi aussi, je serai martyr, martyr de la péni'nbsp;tence. L’engagement en est pris devant cette tombe oü nous sommesnbsp;prosternés : bientót le monde aura une merveille de plus. Romualdnbsp;plantera une pépinière de saints encore florissante ; le tombeau denbsp;saint Apollinaire sera le berceau des Camaldules. Cela se passait a lunbsp;fin du x' siècle.

Le second pèlerin est un homme du Nord, a la stature gigantesquer aux formes athlétiques, et pour qui toutes les lois sont a la pointe denbsp;son épée; sur son front brille le diadème de César; du pied il a écrasénbsp;le pauvre et le petit; l’or et le sang des provinces ont alimenté sesnbsp;vigoureuses passions. Et voiló qu’un jour, le loup est changé en

(i) Saint Apollinaire, consacre éveque par TapOtre saint Pierre, fut envoyé a Ravenne

pour y prêclicr l’Évangile do J.-C.

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l’empereür othon. nbsp;nbsp;nbsp;245

3gneau; les religieux de Classe voient a la porie du couvent un pauvre élranger qui deraande timidement la grüce de venir faire pénitencenbsp;Parmi eux. Frère, soyez Ie bien-venu; et ce frère inconnu est introduit.nbsp;II étonne ses hóles eux-mêmes, par la ferveur de sa prière et la grandeur de ses austérités : ce frère élait l’empereur Othon III. Differencenbsp;6nire noire siècle et Ie moyen óge : ici et lè de grandes fautes; maisnbsp;ló de grandes expiations; ici l’impénitence et Ie suicide. Quelle époquenbsp;préférez-vous ?

Après une dernière prière devant Ie miraculeux tombeau, nous par-times pour Ravenne. Colonie de Thessaliens, occupée tour è tour par les Étrusques, les Sabins, les Gaulois sénonais, les Remains, Ravenne,nbsp;après Ie partage de l’empire, échangea Ie sceptre centre les fers qu’ellenbsp;avail si longtemps porlés. Elle devint la capitale de l’empire d’Occi-dent. Toutefois son règne ne fut pas de longue durée; aux enipereursnbsp;succédèrent les Exarques, et bientót elle recueillil les derniers soupirsnbsp;du colosse remain expirant sous les coups des Barbares. Avec lui péritnbsp;aon antique gloire; Ravenne n’est plus qu’une ombre d’elle-même.nbsp;öe toutes les puissances humaines qu’elle a vu passer, elle ne gardenbsp;ffue des souvenirs morts; de la puissance divine qui l’a subjuguée, ellenbsp;conserve des souvenirs encore vivants : double aspect sous lequel nousnbsp;la verrons demain.

7 AVRIL,

Ravenne. — Sainte-Marie-de-la-Rotonde.— Palais de Théodoric. — Tombeau du Dante. Église de Saint-Vilal.—Tombeau de Galla Placidia. — Église de Sainl-Romuald.—nbsp;Caihédvale. — Cjcte pascal. — Chaire de Sarat-Maximm. — BiblioVhèque. — Souvenirs.— Saint-Germain d’Auxerre. —Colonne des Franpais.—Anecdote. — État denbsp;la Romagne.

De vrais lits a l’italienne, c’est-ó-dire assez larges pour héberger un peloton de grenadiers avec armes et bagages, nous avaient été prépa-*“^8 par l’excellente hótesse della Spada. Quelques heures passéesnbsp;•laRs cette couche confortable, chose rare dans la belle Péninsule, suf-Heent pour nous meltre en état de reprendre nos courses. Au lever dunbsp;*®leil, nous étions hors de la ville, ó Sainte-Marie-de-la-Rotonde. Bétienbsp;par Amalazonte, fille de Théodoric, roi des Goths, pour servir de tom-ó son père, cette église rappelle les mausolées d’Augusle etnbsp;•l’Adrien. Elle a deux étages, et pour toiture un seul morceau denbsp;^larbre taillé en forme de couvercle. Ge bloc, Ie plus large qu’onnbsp;'^önnaisse, n’a pas moins de trente pieds de diamètre sur trois d’épais-

T. UI. nbsp;nbsp;nbsp;11

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246 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.

seur. Son poids est d’environ neuf cent mille livres. La belle urne de porphyre, contenanl les cendres royales, et qui était placée au sommetnbsp;de l’édifice, est aujourd’hui incrustée dans un vieux mur, ornée denbsp;trois petites colonnes de marbrc, dernier débris du palais de Théodo-ric. Non loin de lil, au détour d’une rue, apparait Ie mausolée dunbsp;Dante. Les ornements qui décorent Ie tombeau de l’illustre poète,nbsp;sont dus au cardinal légat Vincenti Gonzaga. La fameuse basiliquenbsp;d’Hercule se reconnait au portique élevé sur la place, et soutenu parnbsp;buit grosses colonnes de granit brun. Odoacre, roi des Hérules, .\stol-phe, roi des Lombards, et tant d’autres potentats dont Ravenne futnbsp;tour a tour la conquête, n’y ont pas laissé trace de leur souvenir; tantnbsp;les gloires humaines sont peu durables!

II en est autreraent des gloires chrétiennes. Merveilleux pouvoir de l’Évangile, qui sait iraprimer Ie cachet de limmortalité ii tout cenbsp;qu’il touche. Les saints et les martyrs, ces autres rois de la cité, sontnbsp;encore vivants, et dans les temples élevés en leur honneur et dans lanbsp;reconnaissance populaire. Au vi® siècle, Venance Portunat chantaitnbsp;leur gloire toujours ancienne et tonjours nouvelle, et ses vers peuventnbsp;encore servir de guide au pèlerin catholique (i).

Suivant l’indication du poète, nous nous rendimes d’abord amp; l’église de Saint-Vital. Ce superbe et hardi monument de forme octogone,nbsp;tout brillant de colonnes de marbre grec, de tables de porpbyre, denbsp;mosaïques et de has-reliefs, débris de l’ancienne magnificence de Ra-venne, offre Ie style byzantin dans tout son éclat oriental : eet édifice,nbsp;capital pour l’histoire de Tart, abrite les cendres de l’illustre martyr,nbsp;dont voici l’bistoire. G’était pendant la cruelle persécution de Valé-rien; Vital, imitant la piété de ïobie, avait rendu les honneurs de lanbsp;sépulture au martyr Ursicin, que Paulin Ie consulaire venait de fairenbsp;mourir dans les lourments. Coupable de charité, il est saisi par 1®nbsp;bourreau de son ami, étendu sur Ie chevalet, jeté dans une fosse pro-fonde, et enseveli tout vivant sous une masse de terre et de pierres (s)-Une circonstance particuliere nous faisait un devoir de vénérer aveenbsp;amour ses précieuses reliques. Saint Vital avait deux fils qui, dans un

(j) Inde Ravennatum placilam pelc dulcius urbem,

Pulpita sanctorum per relligiosa recurres;

Martyris egregii lumulum Vilalis adora,

Mills et Drsicini, Pauli sub sorte beati:

Rursus Apollinaris pretiosa ad limina lambe,

Fusus humi supples, el templa per omiiia curre.

In VU. B. Martini, lib. it.

(2) Baron. An. t. 11, 171, n. 3.

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TOMBEAÜ DE GALLA PLACIDIA. nbsp;nbsp;nbsp;247

glorieus combat, re^urent comme leur père la palme du martyre, de-vinrent l’honneur de Tltalie, l’amour de saint Ambroise, et furent pendant plusieurs siècles les patrons bien-aimés de notre cathédralenbsp;de Kevers.

Balie par Juslinien, è I’iinitation de Sainte-Sophie de Constantinople, la Basilique de Saint-Vital devint, par ordre de Charlemagne, Ie type de l’église d’Aix-la-Chapelle. A la voute du cboBur, resplenditnbsp;une des plus belles et des plus vastes mosaïques qu’on connaisse. Ellenbsp;feprésente l’enlrée solennelle de Juslinien et de Theodora son épouse,nbsp;regus dans cette église par saint Maximin, archevêque de. Ravenne etnbsp;consécraleur du temple. D’un cóté, l’empereur avec ses courtisans etnbsp;ses guerriers; de l’aulre, l’iinpératrice avec ses dames. Telle est lanbsp;parfaite conservation de ce magnifique ouvrage que les figures sontnbsp;¦véritablement vivanles, et qu’on pourrait se croire a la cour de Constantinople. Dans la sacristie, on voit Ie Martyre de saint Vital, peintnbsp;par Ie Barroche; c’est un des meilleurs ouvrageg de eet artiste iropnbsp;Peu connu.

A deux pas de Saint-Vital se Irouve Ie monument Ie plus curieux de la ville; je veux parler du tombeau de Galla Placidia. Cette prin-cesse, fille de Théodose, soeur d’Honorius, mère de Valentinien III,nbsp;deux füis esclave, reine, impératrice, née a Constantinople, morte hnbsp;Rome, n’est pas moins illustre par son éminente piété que par les vicissitudes de sa vie. Rome, Rimini, tout Ie littoral de TAdrialiquenbsp;racontent ses bienfaits; Ravenne lui dut quatre églises magnifiques :nbsp;Saint-Jean-Baptiste, Saint-Jean-rÉvangéliste, Sainte-Croix, et Saints-Nazaire et Celse. Parlons d’abord de cette dernière que l’impératricenbsp;elle-même choisit pour son tombeau et celui de sa familie. Cettenbsp;église, en forme de croix, fut balie en 440. En entrant par la portenbsp;I^oyale on voit, a droite et è gauche, deux tombes en marbre d’Islrie,nbsp;incruslées aux trois quarts dans Ie mur. Elles conliennent, dit-on, lesnbsp;oendres des précepteurs de Valentinien et d’Honorius, enfants denbsp;Galla Placidia. Plus haut sont les sarcophages en marbre grec desnbsp;®oapereurs Honorius II et Valentinien III. Chaque tombeau peut avoirnbsp;*** pieds et demi de longueur sur cinq de hauteur et trois de largeur.nbsp;Gelui de Valentinien offre lesemblèmessuivanls : en tète, trois agneauxnbsp;®®ulptés, deux sur les parois et un au milieu; ce dernier est placé surnbsp;rocher d’oü sortent quatre fleuves. Sa tête diamanlée porte

B. signe hiéroglyphique par lequel les premiers chrétiens dési-§oaieni Ie Fils de Dieu, comme les autres agneaux rappellent les Apó-Ires. Prés des agneaux sont deux palraiers chargés de fruits, symbole

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248 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.

de la victoire et de la justice. Sur Ie cóté droit du sarcophage, se présente un vase a deux anses, d’oü semble couler une fontaine dans la-quelle boivent deux colombes. Le couvercle du monument, en forme d’arc, présente les sigles connus a gt;Pc n

Ainsi, le christianisme, écrit lout entier sur cette tombe, enveloppe comme d’un linceul immortel le corps de l’empereur défunt. Cetnbsp;agneau, placé sur le milieu, c’est le Roi des reis, le Seigneur des seigneurs, dont l’empire figuré par les quatre fleuves, s’étend aux quatrenbsp;coins du monde et répand partout la prospérité et la vie. Les agneauxnbsp;représentent les Apötres, premiers ministres du divin Empereur, etnbsp;propagateurs infatigables de sa doctrine. Les deux colombes, quinbsp;boivent dans le vase a deux anses, sont tous les justes de l’Ancien etnbsp;du Nouveau Testament, s’abreuvant aux eaux du Sauveur : fontainenbsp;de vie soutenue, d’un cóté, par le peuple juif, et, de l’aulre, par lenbsp;peuple chrétien, figurés par les deux anses. Quant aux fruits de cettenbsp;doctrine, ils sont représentés admirablement par les palmiers chargésnbsp;de fruits : la Victoire et la Justice. Enfin Thomme, quel que soit sonnbsp;nom, prince, empereur, n’importe, commencé en Jésus-Christ doitnbsp;finir en Jésus-Christ; et le monogramme du Sauveur, placé sur le couvercle du sarcophage, indique éloquemment le cycle mystérieux de lanbsp;vie de l’homme et du monde. Admirable épopée! Mais, grand Dieu’.nbsp;qu’il faut avoir été fidéle pendant son existence, pour faire ainsi gravernbsp;sur sa tombe fhistoire des devoirs qu’on eut ó remplir. Autrement,nbsp;quelle accusation foudroyante que tous ces emblèmes!

Le monument d’Honorius olfre a peu de chose prés les mêmes ca-ractères. Celui de Galla Placidia, placé derrière l’autel et le plus beau des Irois, brille par son élégante simplicité. II ne porie aucun em-blème, excepté quelques volutes burinées dans les parois; mais il offrenbsp;une particularité remarquable. L’impératrice n’était point couchée,nbsp;mais assise dans son tombeau sur un magnifique siége de cyprès-Depuis plus de mille ans elle restait dans cette attitude, lorsque,nbsp;le 3 mai lS7ö, des enfants approchant des flambeaux pour voir, parnbsp;une petite ouverture, l’intérieur du tombeau, le feu prit au cercuednbsp;de cyprès, qu’il consuma en un din d’oeil ainsi que le siége de I’im-pératrice dont le corps fut reduit en cendres.

La voute de l’église resplendit de mosaïques dont la partie la pi**® curieuse est le compartiment du milieu. On voil Notre-Seigneur por-tant de la main droite sa croix penchée sur son épaule; de la gauchenbsp;il tient un livre ouvert; devant lui est une grille environnée denbsp;flammes; et plus loin une petite arraoire ouverte {scrinium), dans la'

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ÉGLISE DE SAINT-ROMUALD. 249

quelle on volt des volumes ayant pour litre : Lucas, Matthmus, Joannes. C’est l’histoire ieonographique d’un fait contemporain denbsp;l’Église. Le concile d’Ephèse venait de condamner Nestorius. Parnbsp;ordre de Théodose et de Valentinien on recherchait et on brülait lesnbsp;ouvrages de l’hérésiarque : voilé ce que signifie le petit bücher. Notre-Seigneur tenant l’Évangile ouvert, et les évangélistes placés dans lenbsp;scrinium, indiquent tout ensemble la source de la vérité et le respectnbsp;profond des premiers fidèles pour les livres divins (i).

Après avoir visité l’église de Saint-Jean-Baptiste, consacrée par saint Pierre Cbrysologue, et le tombeau de saint Barbazian, prêtrc d’An-tioche, confesseur de Galla Placidia, nous entrémes dans Pillustre Ba-silique de Saint-Jean-l’Évangéliste appelée della Sagra. Cette églisenbsp;rappelle un vmu de la pieuse impératrice. Bevenant de Constantinoplenbsp;avec ses enfanls, elle fut assaillie par une tempéte : au milieu dunbsp;danger elle promil, si elle échappait, de faire bétir une église. Sanbsp;prière fut exaucée et Bavenne compta un monument de plus. A la cha-pelle de Saint-Barthélemy on voit un bas-relief qui rappelle l’ouragannbsp;et le vceu de la princesse. Le pinceau de Ciotto a décoré les voütes denbsp;la seconde chapelle.

L’église de Saint-Roinuald, devenue la chapelle du collége, est un splendide édifice oü brillent le porphyre, le marbre africain, lecipol-lin, le vert antique, 1’albatre oriental. On y voit un tabernacle toutnbsp;entier en lapis-lazuli, enrichi intérieurement de pierres précieusesnbsp;d’une grosseur extraordinaire : c’est un des bijoux de l’Italie.

Presque aussi brillante est l’église de Sainte-Apollinaire, balie par Théodoric au commencement du vi'= siècle. Les vingt-qualre colonnesnbsp;de marbre grec qui la soutiennent furent apportées de Constantinople,nbsp;ainsi que le vert antique, le porphyre et le marbre oriental dont l’au-lel est formé. C’est encore l’Orient qui fournit les habiles maitresnbsp;dont le génie brille dans les superbes mosa'iques de la voute. Au-dessousnbsp;d’une vue de Bavenne, on voit d’un cöté vingt-cinq figures de saints;nbsp;de l’autre, vingt-deux saintes, tenant chacun une couronne é la mainnbsp;qu’ils présenten! au Sauveur. Déjé nous avons expliqué la signification de cette peinture, qui prouve une fois de plus que, dans la penséenbsp;chrétienne, les fresques et les mosa’iques sont le grand livre desnbsp;fidèles.

Le monument le plus intéressant de la cathédrale est le Calendrier pascal du vi® siècle. On y voit gravée sur le marbre Pextrême sollici-

(O.Voir Ciampini, Mon. veter. 1.1, 224.

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2S0 nbsp;nbsp;nbsp;les TROIS ItOME.

tude de l’Église pour fixer l’époque précise de la PSque. Dans la sacristie l’ambon ou la chaire de saint Maximin, ouvrage précieux du vi® siècle; une portion de l’ancienne porte de la sacristie en bois de sarment; Moïse, faisant tomber la manne, un des meilleurs tableaux du Guide :nbsp;tels som les principaux objets qui fixent Tattention. Le baptistère, sé-paré de l’église par une rue, se conserve dans son état primitif. C’estnbsp;un baliment octogone avec buit arcades, et une vaste cuve de marbrenbsp;blanc de Paros.

A la bibliothèque on nous montra le célèbre manuscrit d’Aristo-phane, du x® siècle; et dans le médailler, une médaille de Cicéron frappée en son honneur par la ville de Magnésie. En quittanl Ravenne.nbsp;on ne peut s’empècher de saluer une dernière fois les grands bominesnbsp;et les grands saints qui ont illustré cette ville célèbre. Voici, outre lesnbsp;glorieux martyrs dont j’ai parlé, les saints évèques, Adérite, Exupé-rance, Jean, Libère, Marcellin, qui, è la téte d’une nombreuse cohortenbsp;de prêtres, de laïques et de vierges, ont défendu, au prix des plusnbsp;cruelles souffrances, la foi catbolique attaquée tour a tour par les em-pereurs, et les exarques ariens ou semi-ariens, les Goths, les Hérulesnbsp;et les Lombards, conquérants sauvages, moitié chrétiens et moitiénbsp;païens.

Mais le voyageur francais pourrait-il oublier le grand saint Germain d’Auxerre, l’Athanase de son siècle, qui d’une main écrasait Ie pélagianisme en Angleterre; de l’autre défendait dans les Gaules, avecnbsp;un Invincible courage, les droits des peuples méconnus par les lieutenants de Gésar. Hier il avait traversé l’Océan pour chasser le loupnbsp;de Ia bcrgerie, aujourd’hui il franchit les Alpes pour venir déposernbsp;au pied du Iróne les prières des opprimés. Le voici qui approche denbsp;Ravenne : la cour et le peuple sont dans l’attente. Pour éviter l’hon-neur de la réception qu’on lui prépare, il viendra incognito, pendantnbsp;les ténèbres de la nuit; mais on se défie de son humilité, le peuple estnbsp;sur ses gardes : le saint ambassadeur est reconnu. Un cri immensenbsp;d’allégresse retentit jusqu’au ciel et va se mêler aux mugissementsnbsp;des flots : Ravenne est dans l’ivresse du bonheur, Valentinien et sanbsp;mère Placidia descendent du tróne, et abaissent leur puissance devantnbsp;celle de Thomme de Dieu. Placidia lui envoie un vase d’argent remphnbsp;de mets fort délicats, maissans viande, dont elle sait qu’il ne fait pointnbsp;usage. Germain, a son tour, envoie è l’impératrice un pain d’orge surnbsp;une assiette de bois, éloquent bommage que Placidie re^oit avec joie,nbsp;qu’elle garde avec respect, qu’elle fait enchisser dans Tor, et quinbsp;opère des miracles. Est-il besoin de dire que les voeux d’un tel envoyénbsp;étaient exaucés d’avance?

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SAINT GERMAIN d’aGXEERE. nbsp;nbsp;nbsp;231

Mais voili que le Saint tombe malade ; Ravenne a passé de l’allé-gresse a la consternation. L’impératrice est a genoux au chevet du roalade; et pourlant elle hesile a lui accorder une dernière demande.nbsp;Germain vent que son corps soit reporté a Auxerre : l’impéralrice luinbsp;aurait tout accordé, plutót qu’un pared Irésor. Enfin la volonté impériale dut céder a la volonté du Saint. Mais du moins la France auranbsp;Ce qu’on ne peut lui refuser : l’irapératrice oblient le reliquaire dunbsp;glorieux Ponlife. Six évêques se partagent ses vètements. Le cham-l^ellan Acholius fait embaumer le corps; Placidia le revêt d’habitsnbsp;précieux, et donne le coffre de cyprès pour le renfermer; Valentiniennbsp;fournit les voitiires,l’escorte, les frais du transport. Nultriomphe n’é-gale en magnificence ce convoi funèbre. Le nombre des flambeaux estnbsp;lel que leur lumière serable rivaliser, même en plein jour, avec cedenbsp;du soleil. Toules les populations accourues bordent le chemin,nbsp;prosternées devant le saint qui passe. Des milliers de bras aplanissentnbsp;les chemins, réparent les ponts, portent le corps, tandis que des milliers de bouches chantent des hymnes sacrées.

Au sommel des Alpes on rencontre le clergé d’Auxerre qui vient chercher la dépouille mortelle de son pasteur. La marche triomphalenbsp;continue; comme celles de l’Italie, les populations de la Gaule accou-rent au passage du cortége, et après cinquante jours d’un glorieuxnbsp;voyage, le héros cbrétien est déposé dans sa tombe immortelle. Heu-reux le siècle qui produit de pareils hommes! plus heureux celui quinbsp;sait les apprécier, et qui met au premier rang dans son estime et dansnbsp;son respect, non l’inventeur d’une machine, mais le représentant denbsp;la loi religieuse et la personnificalion de la vertu!

Sur les bords du Ronco nous saluames la colonne des Francais; c’est un petit pilastre en marbre blanc qui rappelle la fameuse ba-taille gagnée par Louis XII sur les Espagnols le jour de Paques denbsp;1 an 1312 : triste victoire oü périt, a Fage de vingt-quatre ans, le bril-lant Gaston de Foix et la fleur de la noblesse frangaise. G’est de lènbsp;que Bayard écrivait : « Si le roi a gagné la bataille, les pauvres gen-Glshommes 1’ontbienperdue; » vingt mille cadavres gisaientsur le sol.

Un épais brouillard nous empécha de jouir de la vue des riches Campagnes qui séparent Ravenne de Lugo; le froid devint méme asseznbsp;''if pour nous obliger ii marcher une partie de la route. Médiocre-®acnt faché de nous voir è pied tant pour lui que pour ses chevaux,nbsp;ic digne voiturier s’empressa d’engager la conversation. Nous insi-uuer qu’il comptait sur de bonnes étrennes, tel était son but; maisnbsp;'•cop poli pour le manifester directement, il nous le fit entendre par la

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lES TROIS ROME.

circonlocution suivante : « Excellences, nous dit-il, voili bien des an-nées que j’ai Fhonneur de conduire de nobles étrangers. La voiture occupée maintenant par vos Excellences a transporté lord un tel, ladynbsp;une telle; I’iUustrissime seigneur un tel. » Chaque nom était suivinbsp;d’une biographic plus ou raoins élogieuse. « Vous voyez. Excellences,nbsp;ajouta-t-il, que ma mémoire ne vieillit pas; c’est que,per Bacchol sinbsp;Ie forestiere me donne un paul il peut l’oublier, lui; raais moi je nenbsp;l’oublie jamais. » Cetle phrase achevée avec un air d’indifférence, ilnbsp;fait claquer son fouet, excite ses chevaux, regarde les bagages sous jenbsp;ne sais quel prétexte; mals dans la réalité pour nous laisser sous l’im-pression de son dernier mot.

11 avail été compris. Les commentaires se firent dans la voiture oü nous élions remontés pour entrer ii Lugo. Le Lucus Diance est unenbsp;ville d’environ 5,000 ames, célèbre par ses foires, et par un chateaunbsp;du moyen age, bien conservé. Ville et chateau, tout fut pris par lesnbsp;Francais en 1796.

Engagés de nouveau dans une route de plus en plus difficile, nous cheminions ii pied, lorsque voici venir un homme aux cheveux gri-sonnants, 5 la taille élevée, aux épaules larges, la démarche ferme,nbsp;i l’attitude militaire. « Messieurs, nous dit-il, vous êtes Francais, sinbsp;je ne me trompe. » Sur noire réponse affirmative : « Je m’y connaisnbsp;un peu, conlinua-t-il, j’en ai tant vu de Francais! Je suis un vétérannbsp;de Femplre; j’ai été a Metz, capitale de la Lorraine; j’ai été blessé ènbsp;Wagram; j’étais au siége de Riga; je servais dans les sapeurs italiens.»nbsp;Et en témoignage de ses paroles, il nous montra sa main privée denbsp;deux doigts, et les boutons d’ordonnance que, par respect, il availnbsp;fait remettre a son habit neuf; ils portaient : Zappatori italiani •nbsp;Sapeurs italiens.« Honneur aux braves, » lui dimes-nous en serrant sanbsp;main mutilée, qu’il nous présenta fraternellement. — « Ils s’en vont,nbsp;les braves; nous ne sommes plus que deux dans le pays, et nous luinbsp;apprenons bien des choses. Le dimanche, après la messe, on se réunitnbsp;autour de nous, et alors nous parlons de l’autre. Mais que fait-on ennbsp;France? On dit que vous n’êtes pas rassurés. — El les Romagnols,nbsp;que font-ils? Dans quel état sont les esprits? » Et le vieux soldatnbsp;membre dq Conseil municipal de sa commune, notable du pays, nousnbsp;dit, dans son langage militaire : « Per Baccho! nous avons ici desnbsp;Carbonari dont la tête a délogé. lis ne savent ce qu’ils veulent; maïsnbsp;c’est égal : ils font des mines et des contre-mines contre le gouvernement, et ils trompent un certain nombre de consents qui n’ontnbsp;jamais rien vu. » II développa son Ihème avec un bon sens pratique,nbsp;vraiment remarquable.


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ÉTAT DE LA ROMAGNE. gr.'

Telle fut la conclusion de eet entretien qui se prolongea jusqu’au passage d’une rivière dont j’ai oublié Ie nom : la Romagne, comme lesnbsp;autres parties des États pontificaux, désire, non pas un changementnbsp;de gouvernement, mais une réforme administrative. Voir des cardi-naux et des prélats occuper les postes civils les plus élevés, nous pa-rait, è nous autres Francais, une chose étrange et impopulaire : nousnbsp;sommes dans Terreur. D'abord, tout homme qui veut se donner lanbsp;peine de réfléchir conviendra qu’il n’en doit pas étre autrement dansnbsp;un gouvernement ecclésiastique. Ensuite, Texpérience apprend icinbsp;qu’un prélat ou un cardinal sont toujours plus accessibles au peuple,nbsp;et, amp; raison même de leur caractère, offrent plus de garanties que lesnbsp;laïques. Certains essais de sécularisation, tentés h différentes époques,nbsp;ont suffisammenl prouvé aux populations qu’elles n’auraient point anbsp;réclamer sur ce point Tapplication des idéés d’un très-petit nombre.nbsp;Enfin, toutes les places sont loin d’être occupéos par des ecclésiasti-ques; h part les fonclions les plus imporlantes, les autres eraplois sontnbsp;dévolus en majorité a des séculiers. Ainsi, nous n’en doutons pas,nbsp;laissé k son bon sens, Ie peuple romain continuerait de vivre heureuxnbsp;et tranquille sous les lois de son gouvernement Ie plus palernel dunbsp;monde; mais il subit Tinfluence de Tesprit général. Sociétés secrètes,nbsp;livres clandestinement introduits, voyageurs de toutes nations, dépo-sent dans son sein des germes de mécontentement et Ie poussent a denbsp;tristes excès. Telle est Timprudence ou la malice de certains tourisles,nbsp;que les plus modérés ne trouvent rien de plus pressé que de relever,nbsp;d’envenimer, d’exagérer, s’ils ne les inventent, des défauts insépara-bles de toutes les institutions humaines, et qui, a tout prendre, sontnbsp;mille fois préférables aux plus belles utopies des faiseurs de constitutions d priori.

Depuis longtemps la nuit était close, lorsque nous arrivAmes au bourg d’Argenta. Merci A la petite bicoque isolée qui nous donna unnbsp;appartement confortable, du pain frangais et un bon feu.

8 AVRIL.

Ferrare. —Chateau. —Cathédrale.— Saintc-Marie-det-rado. —Hymne : O gloriosa Domino. — Bibliolhèque. — Manuscrits du Tasse, de l’Arioste, de Guarini. — Prisonnbsp;du Tasse. — Höpital. — Douane autrichienne— Rapports de 1’Autriebe avec Ie Saint-Siége. — Rovigo.

De grand matin nous entrions a Ferrare. Ce qui frappe d’abord, ® est Taspect triste et monotone de cetle ville, jadis la grande reine du

n.

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234 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.

Pd (i), la cité savante, Ie rendez-vous des poètes et des beaux esprits du XVI® siècle. Quelle difference aujourd’hui! Ses anciennes murailles,nbsp;de briques, sont encore debout; sa citadelie menace loujours la ville;nbsp;ses rues alignées, d’une longueur et d’une largeur extrêmes, n’ontnbsp;changé ni de nom ni de direction; mais Ie bruit de la foule ne relentitnbsp;plus sur leur brillant pavé : Ie silence de la tombe a succédé aux agitations de cette vie, jadis si active. Ensuite, Ie regard du voyageur estnbsp;pénibleinent affecté en voyant Ie soldat autrichien occuper la citadelienbsp;d’une ville qui n’appartient point h l’empire. On dirait un geólier quinbsp;épie les nioindres mouvements de son prisonnier, toujours prêt it rivernbsp;plus fortement ses fers ou ii les aggraver. Ainsi Tont décidé les traitésnbsp;de Vienne en 1815. Ferrare, envahie par les Franpais, fut rendue aunbsp;Sainl-Siége, mais h la condition qu’elle recevrait, dans sa forteresse,nbsp;une garnison autrichienne.

Au milieu de sa solitude, Ferrare conserve de beaux vestiges de son ancienne magnificence. Le chateau, ancienne residence des dues, situénbsp;au milieu de la ville, entouré de forts, de tours, de balustrades et denbsp;fosses remplis d’eaii, offre un coup d’ceil imposant. L’intérieur a cessénbsp;d’être en harmonie avec l’architecture : tout a été renouvelé, badi-geonné dans le goüt moderne. Que de souvenirs il rappelle! G’est lènbsp;que tenait sa brillante cour le due Alphonse, appelé, par le Tasse, lenbsp;Magnanime; Tu Magnanimo Alphonso; la que le chantre de la Jerusalem déh'wée,l’Arioste, Guarini, récitaient leurs vers; Ié que Théré-sie, sous la figure de Galvin, venait séduire la princesse Rénée, fillcnbsp;de Louis XII, et préparer, peu é peu, les malheurs de la familie quinbsp;prêta l’oreille é ses perfides legons.

Non loin du chateau s’élève la calhédrale, dédiée h saint Georges. Get edifice, du xi® siècle, conserve extérieurement son heau caractère,nbsp;moitié roman, moitiégoïhique. Sur la grande facade apparait la grandenbsp;scène du Jugement dernier. Au centre du lympan, on voit le Pèrenbsp;Élernel recevant les élus dans son giron, tandis que le diable, arménbsp;d’une fourche, pousse les réprouvés dans le puits de 1’ahime. Gommenbsp;accompagnement, ou plutót comme péripétie de ce grand drame, lesnbsp;sept péchés raortels, la vie du Rédempteur, et une foule d’emblèmesnbsp;sacrés occupent les autres parties du portail. Si les pensées graves sontnbsp;mères des pensées salutaires, la cathédrale de Ferrare peut se flatternbsp;de donner au fidéle qui vient y prier de très-utiles legons.

L’intérieur est décoré de helles peintures, entre lesquelles on re-

(i) La gran donna del Po; Tasson. Secchia rapit. Cant. v. et 37.

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CATIIÉDRALE.

marque une Sainte-Vierge, pleine de grace et de majesté, et iin Juge-ment dernier, Ie premier après celui de Michel-Ange. Mais ce qui intéresse vivement sont les admirables miniatures qui ornent lesnbsp;vingt-trois volumes de livres choraux. Ces chefs-d’oeuvre du Cosraénbsp;rivalisent avec ceux de Sienne; éloge qui suffit pour donner une idéénbsp;de leur magnificence.

L’église de Saint-Dominique attire la curiosité par les statues gran-dioses de sa facade, et par Ie tombeau de Coelius Calcagnini. L’épita-phe de eet homme célèbre, poète, savant, antiquaire, naturaliste, pro-fesseur, astronome, ambassadeur, est pleine d’un sens profond : Ex diulurno studio in primis hoe didicit : moktalia omnia contemnere et

IGNORANTIAM SEAM NON IGNORARE (l).

Voici maintenant la plus ancienne église de Ferrare : Sainte-Marie-del-Vado est antérieure au xi® siècle. Un éclatant miracle l’a rendiie célèbre dans la dévotion des habitants. Le jour de Paques de Fan 1171,nbsp;un prêtre, le prieur Pierre, disait la messe au grand autel, lors-qu’aprês la Conséeration, en présence de tout le peuple, il jaillit de lanbsp;sainte Hostie un filet de sang qui couvrit la voute du choeur. Un ma-gnifique tableau perpétue Ie souvenir du miracle, dont les circonstan-ces expliquent I’utilité. Le dogme le plus cher du catholicisme, sonnbsp;ème, son coeur, sa vie, sa gloire, est, sans contredit, la présence réelle,nbsp;incarnation permanente du Fils de Dieu parrai les hommes. Faut-ilnbsp;s’étonner que toutes les grandes hérésies aient eu pour but de ruinernbsp;directement ou indirectement la fol de ce mystère? Au moyen ège, lesnbsp;Manichéens, répandus par toute l’Europe, la combattaient sourdement,nbsp;tandis que Béranger l’attaquait le front découvert: ces causes et d’au-tres encore tendalent è jeter dans les èmes des doutes funestes. Dansnbsp;sa bonté le Fils de Dieu ne voulut point se laisser sans d’illustresnbsp;témoignages. On cite, vers cette époque, en Orient, le miracle de Constantinople rapporté par Nicéphore; en Occident, celui des Billettes,nbsp;è Paris, celui de Bolsène, et enfin celui de Ferrare, dont je viens denbsp;parler.

Sainte-Marie-dei-Fado intéresse encore par un autre souvenir. Com-bien de fois n’a-t-elle pas vu l’Apötre de Ia Romagne, saint Antoine de Padoue, prosterné dans son vénérable sanctuaire? Combien de foisnbsp;ses voütes antiques n’ont-elles pas retenti de Thymne si gracieuse etnbsp;si tendre qu’il adressait a Marie : O gloriosa Domina? « Cet élannbsp;d’amour filial était, dit l’historien de sa vie, le soufflé de son ftme;

(lt;) o De ses longues eludes il apprit, avant tout, a mépriser tout ce qui est mortel et i ne pas ignorer sou ignorance, a

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236 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.

aussi souvent que Fair vital s’exhalait de ses lèvres, aussi souvent cette hymne s’exhalait de son coeur (i). » Avant d’aller h la Bibliothèquenbsp;publique oü l’on nous monlrera les chants profanes, licencieux même,nbsp;des poètes que Ie monde exalte jusqu’aux nues; que les touristes, surnbsp;les traces de lord Byron, d’Alfieri, de Lamartine, se font un devoir denbsp;vénérer : pourquoi me serait-il défendu de rappeler un chant chrétien,nbsp;un chant douze fois séculaire, qui a passé en les sanctifiant sur les lè-vres de tant de générations, et qui respire les sentiments les plus douxnbsp;et les plus purs? D’ailleurs, l’hymne O gloriosa Domina, si chère anbsp;saint Anioine, n’est-elle pas une production du sol que nous foulons?nbsp;Bien qu’il appartienne a la France par son épiscopat, au monde, parnbsp;son génie, Ie pieux auteur, Venantius Forlunatus, appartient è Trévisenbsp;par Ia naissance, a Ferrare, par l’amitié. Retranchée de nos bréviairesnbsp;gallicans par Ie vandalisme liturgique des deux derniers siècles, maisnbsp;conservée dans Ie Bréviaire romain, Tbymne virginale continue denbsp;parfumer et de réjouir les cinq sixièmes de l’Église catholique, qui lanbsp;chantent i Laudes de Follice de la sainte Vierge. C’est avec bonheurnbsp;que Ie pèlerin catholique, debout a Santa-Maria-del-Vado, la reditnbsp;en unissant son amour amp; celui de tant de frères vivants et morts quinbsp;Font redite avant lui (2).

La Bibliothèque est, sans contredit, Ie monument de Ferrare Ie plus religieusement visité par les voyageurs. Ce qui les attire, c’est moinsnbsp;la belle collection de 80,000 volumes et de 900 manuscrits dont ellenbsp;est riche, que les reliques du Tasse, de FArioste et de Guarini. Du

(1) nbsp;nbsp;nbsp;In ogni in contro facea uso dell’ inno O gloriosa Domina, con gran lenerezza enbsp;fiducia sino a potersi dire che con esso sulle labbra spirasse. Dissertaz, n. xtvii, p. 4-41.

(2) nbsp;nbsp;nbsp;La voici dans sa contexture primitive :

O gloriosa Domina,

Excelsa super sidera,

Qui te creavit, provide Lactasti sacro ubere.

Quod Eva tristis abstulit,

Tu reddis aimo Germine :

Intrent ut astra (lebiles,

Coeli fenestra facta es.

Tu Regis alti janua.

Et porta lucis fulgida,

Vitam datam per Virginem,

Gcntes redemptaj, plaudite.

Gloria tibi, Domine,

Qui natus es de Virgine,

Gum Patre et sancto Spiritu lu sempiterna smcula. Amen.

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BIBLIOTIIÈQÜE. 237

premier, on montre la Jérusalem délivrée; elle est écrite et corrigée de la main de l’auteur, qui a terminé par ces mots : Laus Deo! Gloirenbsp;^ Dien! Comment se défendre d’une vive impression en voyant l’im-ttiortel labeur du plus grand poète épique? Comment ne pas rendrenbsp;gloire au Dieu qui dispense Ie génie, tout en regreltant Pabus quenbsp;1’homme en fait? Si quelque chose peut expier les égarements dunbsp;Tasse, c’est Ie noble but qu’il s’était proposé dans son poème, ainsinbsp;que les persécutions plus ou moins méritées dont il fut l’objet. Unnbsp;Sentiment de mélancolie s’empare du coeur, lorsqu’on lit ces vers,nbsp;écrits par Ie poète dans sa prison, et adressés au due Alphonse, dontnbsp;il subissait la rigoureuse sentence :

Piango il morir, nè piango il morirsolo,

Ma il modo, e la mia fè che mal rimbomba,

Che col nome veder se polta parmi.

Nè Piramidi, o Mete, o di Mauzolo,

Mi saria di conlbrto aver Ia tomba,

Ch’altre moli innalzar credea co’ carmi.

Le vieux fauteuil en noyer et l’élégant écritoire en bronze, de 1’Arioste, émeuvent plus ou moins l’^me du voyageur. Dans le souvenir de eet homme qui fit tant de mal aux moeurs chrétiennes, il y anbsp;je ne sais quoi qui refoule, non-seulement le respect, mais encorenbsp;l’admiration. II faut, comme Alfieri, porter l’enthousiasme du bel esprit jusqu’è ridolatrie, pour vénérer les fragments manuscrits denbsp;VOrlando, et mettre au rang des plus insignes faveurs la permissionnbsp;d’écrire sur une de ces feuilles détachées : Vittorio Alfieri vide e ve-nerö, 18 guigno 1783. On a bonne grftce, après cela, de reprochernbsp;aux catholiques leur vénération pour les ouvrages, pour les reliques,nbsp;pour les corps et pour le sang des martyrs!

Que dirai-je du Pastor Fido de Cuarini, dont le manuscrit raturé Se conserve avec autant de soin que les précédents? II merappela quenbsp;i’auteur, député de Ferrare pour complimenter Paul V sur son avéne-•nent, re^ut du cardinal Bellarmin cette sévère, mais juste legon :nbsp;« Vous avez fait par votre poème, lui dit l’illustre prince de l’Église,nbsp;autant de mal au monde chrétien, que Luther el Calvin par leursnbsp;hérésies. »

On nous conduisit de la Bibliothèque a la prétendue prison du Tasse. C’est une espèce de trou obscur et malsain, sur lequel les dévotsnbsp;tols que lord Byron, Casimir Delavigne et autres ont tracé au crayonnbsp;leurs gémissements plus ou moins poétiques. Malheureusement pournbsp;leur sensibilité, il n’est pas une ame instruite, it Ferrare, qui recon-

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238 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.

naisse dans ce cachot Ia prison du poète. L’hópital Sainte-Anne fut la demeure forcée du Tasse, enfermé, disent les uns, pour cause de folie,nbsp;et suivant les autres pour cause de mésintelligence avec Ie due denbsp;Ferrare.

Laissant les érudits vider entre eux cette question, nous visitimes l’hópital, sur la porte duquel on lit cette belle inscription ; JSgrisnbsp;pauperibus patel hic ostium charitatis. Nous traversames Ie quartiernbsp;des Juifs, plus beau que Ie Ghetto de Rome, et nous entrAmes au cou-vent des Bénédictins. La voute du vestibule qui précède Ie réfectoire,nbsp;offre Ie chef-d’oeuvre du Garofalo : c’est Ie Paradis. On s’étonne denbsp;voir l’Arioste dans la gloire, au milieu des choeurs des anges et desnbsp;vierges; mais la tradition nous vient en aide. Le poète dit au peintre :nbsp;« Mettez-moi dans votre paradis, car je ne suis pas très-sür d’allernbsp;dans l’autre (i). » Puisse-t-il s’être trompé!

Aux portes de Ia ville a Lagoscuro, nous traversAmes le Pó, le Rex Eridanus de Virgile, dont le lit égale presque Ia hauteur des tours denbsp;Ferrare, et nous toucliAmes au royaume Lombardo-Vénitien. Lanbsp;douane de Sainte-Marie-Madeleine nous fit faire une première et peunbsp;gracieuse connaissance avec la police de Sa Majesté impériale et royale.nbsp;Des renseignements authentiques, puisés sur les lieux, nous firentnbsp;juger non-seulement de la police, mais de l’administration autri-chienne : en voici quelques-uns; afin de ne compromettre personne,nbsp;je tais les noms propres.

Pendant notre séjour a Rome, bien des fois nous avions entendu parler des tracasseries et des rapports peu bienveillants du gouvernement autrichien avec le Saint-Siége. Ici nous eümes la preuve que Ienbsp;Joséphisme mesquin, sournois, jaloux, continue de marcher A l’op-pression et a I’avilisSement de l’Église. Je commence par absoudrcnbsp;l’empereur lui-méme et les membres de la familie impériale, dont lunbsp;piété sincère et les intentions droites ne sont mises en doute par personne. II n’en est pas moins vrai qu’A l’ombre du tróne et dans lesnbsp;plis du manteau impérial se cachent des hommes habiles et puissantsnbsp;qui veulent réJuire l’Épouse du Fils de Dieu a la condition d’une ser-vanie, au r61e d’une femme de ménage.

Ainsi les communaulés religieuses ne peuvent recevoir de novices qu’avec l’agrément du pouvoir. Toute correspondance directe desnbsp;évéques avec Rome est sévèrement interdite. Nulle lettre épiscopale,nbsp;mêrae ayant pour but la demande d’une dispense en matière de nta-

(i) Dipingete mi ne questo paradise, perche nell’ allro io non d vo.

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RAPPORTS DE l’aUTRICHE AVEC LE SAINT-SIÉGE. nbsp;nbsp;nbsp;259

riage, ne peut partir pour Rome, sans passer ouverte par les bureaux de la chancellerie.

Aucun évcque ne peut se rendre i Rome sans avoir obtenu la permission du gouvernement. Que cette permission s’obtienne difficile-ment, ou que les évêques metlent peu d’erapressement a la solliciler, il est de fait que la presence d’un prélat autrichien a Rome est unnbsp;événement. Dans l’année du jubilé, en 1825, et la canonisation so-lennelle des saints, en 1837, la Ville éternelle réunit des évêques denbsp;toutes les nations du monde, excepté de l’Autriche.

Défense expresse ii tout jeune ecclésiastique d’aller étudier a Rome; celui qui, malgré cette prohibition, oserait aller puiser la science sa-crée au foyer même de la doctrine, perdrait Ie titre et les avantagesnbsp;de citoyen.

Aucun bref, encyclique ou autre écrlt émané du Souverain Ponlife, ne peut parvenir a un évêque, si ee n’est par l’entremise de la chancellerie. Pour être publiée, toute lettre apostolique a besoin du placetnbsp;ministériel. Tandis que toute l’Italie avait fini son jubilé pour l’Es-pagne, nous traversêmes la Lombardie muette et inactive : aucunnbsp;évêque n’avait encore publié Ie Bi’ef pontifical.

Mais voici quelque chose de plus étrange. L’Autriche a mis i 1’index rindex Romain. Gardez-vous done d’emporter dans votre malle Ie catalogue impriraé des ouvrages censurés par ordre du Souverain Pon-tife, la douane vous Ie confisquerait infaillibleraent. Ainsi, comme lanbsp;plupart des autres nations, la catholique Autriche est liguée centrenbsp;1’Église; elle peut même se flatter de ne pas lui faire verser les larmesnbsp;les moins amères. Qu’elle y prenne garde toutefois, il est dangereuxnbsp;de se heurter contre la pierre; vingt peuples dorment dans les tom-beaux qu’ils avaient creusés pour l’épouse de rHomrae-Dieu.

A travers une magnifique plaine, entre deux lignes de gigantesques Peupliers, court, unie comme une glace, la route de Rovigo. On lanbsp;parcourt avec intérêt en jetant un rapide coup d’oeil sur les ruinesnbsp;voisines de l’antique Adria. De la cité roraaine il ne reste aujourd’huinbsp;fiue Ie nom porté par la mer, dont les Hots refoulés par les attérisse-tDents ne baignent plus Ie cóté oii elle était assise.


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260 LES TROIS ROME.

9 AVRIL.

Padoue. — Histoire. — Université. — Palais de Justice. — II Salone. — Pierre de 1’op-probre—Chute des anges. — Café Pcdrocchi. — Vrato-della-Valle. — Maison du comle Louis Cornaro. — Souvenirs.

Par un beau soleil de printemps dont les rayons faisaient étinceler les tours et les coupoles de ses norabreuses églises, Padoue s’offrit inbsp;nos regards avides de contempler ses gloires artistjques et religieuses.nbsp;Tout annonce l’architecture byzantine avec ses formes brillantes etnbsp;variées. Padoue elle-móme, è la physionomie moitié antique et moitiénbsp;moderne, reflète une double civilisation. Au couvent de Saint-Antoine

nous attendait Ie P. Prosper L......jeune religieux francais, qui se mit

a notre disposition pour nous piloter dans Padoue. Je prie eet excellent ami de recevoir ici Thommage de notre sincère reconnaissance. Fondée, dit-on par Anténor, après la chute de Troie, tour a tour pos-sédée par les Étrusques et les Remains, saccagée par Allaric et Attila,nbsp;occupée par les Vénitiens, Padoue pa'ssa au pouvoir de l’Autrichenbsp;en 1797. Quoique déchue de son antique splendeur, elle compte encore 54,000 habitants. Dans l’antiquité, Padoue eut la gloire de donnernbsp;Ie jour a Tite-Live, et au célèbre grammairien Ascanius Pédianus,nbsp;l’ami de Virgile et Ie eommentateur de Cicéron. Au moyen age, ellenbsp;devint un de ces grands foyers de lumières, que FÉglise créait denbsp;loin en loin pour dissiper les ténèbres amoncelées sur rhorizon parnbsp;les invasions des peuples du Nord.

L’Université de Padoue, déj^ florissante au commencement du xui«siècle, compta jusqu’ii six mille écoliers. Ses chaires furent occupées par une longue suite de professeurs du plushaut mérite, dont les armoiriesnbsp;décorent les cloitres du superbe bailment, quelquefois même par desnbsp;hommes de génie. Pendant dix-huit ans, Galilée y fut lecteur dephi-losophie; Octave Ferrari, penslonné par Louis XIV, y enseigna lesnbsp;belles-lettres; Forcellini, élève de Facciolati, y composa, du moins ennbsp;partie, son grand Dictionnaire latin, grec et italien, Ie plus parfaitnbsp;des dictionnaires. Ce n’est pas sans une sorte de respect qu’en visitantnbsp;Ie séminaire on jette les yeux sur ce manuscrlt en douze volumes in-folio, et qu’on lit les paroles nobles et simples, par lesquelles l’auteurnbsp;rappelle les soins et les forces qu’il a consacrés a ce travail de présnbsp;d’un demi-siècle : Adolescens manum admovi; senex, dum perfice-rem, factus sum, ut videtis.

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USIVERSITÉ. nbsp;nbsp;nbsp;201

Je citerai une dernière gloire de TUniversité de Padoue, c’est 1’éton-nante Héléna Cornaro Piscopia. Jeune enfant de onze ans, elle voua sa virginité au Seigneur, et prit l’habit de Saint-Benoit, qu’elle portanbsp;dans Ie monde jusqu’a sa mort. Jeune fille, elle excita l’admiralion dunbsp;monde savant; philologue, poète, littérateur, elle parlait l’espagnol,nbsp;Ie francais, Ie latin, Ie grec, l’hébreu, l’arabe, cbantait ses vers ennbsp;s’accompagnant, disputait sur la théologie, l’astronomie, les matbé-matiques, et fut regue docteur en pbilosopbie a PUniversilé. Une bellenbsp;statue de marbre, placée sous Ie vestibule de FUniversité, rappelle lesnbsp;traits de cette femme extraordinaire, morte en 1684, Famp;ge de trente-buit ans. L’üniversilé compte aujourd’bui quinze cents élèves, et conserve son ancienne organisation par Facultés et par colléges. On vantenbsp;Ie cabinet d’histoire naturelle et Ie jardin botanique.

A Fétude des sciences et des lettres, Padoue joignit et elle joint encore Ie culte passionné des arts : grand nombre d’oeuvres remarqua-bles attestent ses succès. Notre excellent compatriote nous conduisit d’abord au Palais de Justice. Sur la place des Légumes, delle Erbe,nbsp;s’élève un immense édifice, dont la construction dura plus d’un siècle.nbsp;Commencé en 1172 par Farcbitecte Pietro Cozzo, il fut acbevé en 1306nbsp;par Ie frère Jean, de Fordre des Ermites, Ie Bramante de son époque.nbsp;La merveille de ce palais de forme ellyptique est Ia salie d’audience,nbsp;appelée 11 Salone, h laquelle on arrive par quatre grands escaliers.nbsp;Au-dessus de cbaque porte d’entrée est Ie buste d’un illustre enfant denbsp;Padoue : Tite-Live, Ie prince des bistoriens; frère Albert, de Fordrenbsp;des Ermites, la perle des théologiens; Paul, la gloire des juriscon-sultes, et Ie fameux Pierre d’Albano, astrologue et médecin du trei-zième siècle. Rome, Paris, Westminster, Florence, n’ont rien de comparable pour Fétendue au salon de Padoue, Ie premier du monde,nbsp;non-seulement par sa grandeur, mais encore par sa forme et ses or-néraents.

II faut se représenter une pièce de quatre-vingt-dix-sept metres qua-rante-cinq centimètres de longueur sur trente-deux mètres quarante-huit centimètres de largeur, et autant d’élévation, sans autre soutien que les murs, dans lesquels sont incruslés quatre-vingt-dix gros pi-lastres. Le salon est büti parallèlement è Féquateur; en sorte que lesnbsp;fayons du soleil levant qui entrent par les fenêtres orientales, traversent la pièce de part en part, et vont sortir par les fenêtres occiden-tales. De même aux équinoxes, les rayons solalres qui pénètrent parnbsp;les fenêtres du midi, vont sortir par les fenêtres du nord. Cbose re-gt;iiarquable! les rayons du soleil changeant successivement de direc-

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262 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.

tion, éclairent chaque mois les signes du zodiaque correspondant. Chose plus reraarquable encore! loutes les peintures du salon sont denbsp;Giotto. Elles ont, il est vrai, subi plusieurs retouches, notammentnbsp;dans Ie dernier siècle, oü Ie rol des restaurateurs, Zannoni, les renditnbsp;è leur vie primitive. Ces peintures divisées en trois classes, et formantnbsp;trois cent dix-neuf compartiments, représentant les signes du zodiaque; les travaux propres h chaque saison; les douze Apótres, dontnbsp;chacun est placé aiiprès du signe zodiacal qui correspond a l’époquenbsp;de sa féte; l’histoire de l’Ancien et du Nouveau Testament; puis lesnbsp;effets de la Rédemption empruntés de l’Apocalypse. Entre ces grandsnbsp;sujets se detaehent huit figures ailées, représentant les hult vents desnbsp;anciens. Telle est l’idée générale de ces peintures, ou plutót de cenbsp;musée, oü Ie ciel, la terre, les éléments, la vie matérielle et religieusenbsp;du genre humaln; en un mot, oü la poésie, dans sa plus haute accep-tion, semble s’être immortalisée sous Ie pinceau de Giotto, et Ie com-pas de frère Jean des Ermites.

Le magnifique salon ne sert plus qu’au tirage de la loterie, et dans les grandes occasions, aux fêtes publiques. « En 1815, nous dit lenbsp;père Prosper, une féte brillante y fut donnée a Tempereur Francoisnbsp;et a sa fille Marie-Louise. Le salon avait été transformé en jardin, avecnbsp;une salie de bal et un salon de réception pour Leurs Majestés; lesnbsp;arbres étaient en pleine terre et formaient d’épais massifs illuminés;nbsp;il y avait jusqu’ü des mouvements de terrain, dans ce jardin d’appar-tement. »

A Tangle du salon est la « Pierre do Topprobre, » Lapis viluperii, qui rappelle une singuliere coutume du moyen age. A Padoue, a Vé-rone, è Florence, a Sienne, amp; Lyon et dans beaucoup d’autres villes,nbsp;on trouvait cette espèce de sellette sur laquelle devait s’asseoir lenbsp;débiteur insolvable, pour être délivré de ses créanciers. Un hommenbsp;était poursuivi pour dettes; il ne payait pas, on Tappréhendait; etnbsp;lorsqu’après avoir été assis trois fois a nu sur la pierre de Topprobre,nbsp;la halle pleine de monde, il jurait n’avoir pas cinq francs vaillant, Unbsp;était libéré de toute poursuite. A Sienne, les mêmes débiteurs fiusaientnbsp;pendant trois matins le tour de la place, a Theure oü Ton sonnait lanbsp;cloche du palais; ils étaient accompagnés des shires, et presqu’entiè-rement nus; le dernier jour, en s’asseyant sur la pierre comnie leursnbsp;confrères de Padoue, ils disaient les paroles suivantes exigées par lanbsp;loi : « J’ai consuraé et dissipé tout mon avoir; a présent je paie me*nbsp;créanciers de la manière que vous voyez. » — « Malgrc sa bizarrerie,nbsp;cette coutume, remarque un voyageur, était au fond assez raisonnable-

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CHDTE DES ANGES. 2G3

C’était un moyen d’éehapper è ces éternels prisonniers pour dettes, embarras de noire civilisation et de notre jurisprudence; une lelienbsp;publicilé, mêlée de ridicule et de bonte, valait peut-6tre mieux quenbsp;certains de nos arréls pour déclarer les gens insolvables. »

Du Palais de Justice nous descendimes a l’hótel Pappafava. On y voit et 1’on admire, si l’on veut, la Chute des Anges; c’est un groupenbsp;pyramidal de soixante démons enlacés les uns aux aulres et torabantnbsp;du ciel écrasés par la foudre. Quoi qu’il en soit de l’idée, on louenbsp;l’exécution, ainsi que la patience de Fasolato, sculpteur padouan, anbsp;qui cette oeuvre originale coüta douze années d’un travail non inter-rompu. Que dire du café Pedrocchi, la merveille de Padoue? Consa-crer sa fortune pour élever un monument public, destiné a perpétuernbsp;Ie souvenir d’une grande vertu, d’un grand génie, d’un fait national,nbsp;c’est en faire un noble usage, et l’Italie tient la première place dansnbsp;ce genre de patriotisme; mais épuiser d’immenses richesses pour batirnbsp;un café, dont les murailles, les colonnes, les pavés sont du marbre Ienbsp;plus fin et Ie plus délicatement iravaillé, n’est-ce pas un genre denbsp;luxe d’autant moins estimable qu’il prouv^, en l’encourageant, l’enva-hlssement de l’individualisme sur l’esprit public d’autrefois?

On est heureux de trouver au Prato-della-Valle une éloquente protestation contre cette facheuse tendance. Panthéon en plein vent, Ie Prato est une des plus agréables promenades et une des plus hellesnbsp;places de l’Europe. Les eaux limpides du Bacchiglone en forment unenbsp;ile qui communique h la ville par quatre ponts élégants. Au centrenbsp;s’élèvent, sur leurs gigantesques piédestaux, les statues des grandsnbsp;hommes de Padoue, depuis Anténor jusques a Canova, et forment unnbsp;immense péristyle. Malgré sa fécondité, la patrie de Tite-Live n’a pasnbsp;produit assez de grands hommes pour peupler ce vaste temple, etnbsp;d’illustres Italiens sont Venus compléter la galerie patriotique.

Nous terminames cette première journée en visitant la maison Gius-Uniani al Santo. Le motif de notre curiosité était bien moins la ^onne architecture du célèbre Falconetto, qui édifia cette belle habitation en 1S24, les brillants stucs des salons, les fresques charmantes,nbsp;peinles par Campagnola sur les dessins de Raphael, que la demeurenbsp;du fameux comte Louis Gornaro, si connu par sa sobriété et par sesnbsp;discours della Vila sobria. Ce noble Vénitien, dont l’existence futnbsp;tour è tour un démenti et une justification donnés aux proverbes gas-tconomiques, se trouva dès l’age de trente-cinq ans dans un tel dépé-Hssement que les médecins déclarèrent le mal incurable. Néanmoinsnbsp;d essaya de tous les remèdes pendant l’espace de cinq ans; voyant

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264 LES TROIS ROME.

que les secours de Tart étaient inutiles, il voulut éprouver ce que pro-duirait l’abstinence; et il donna un premier démenti au proverbe des gourmands : « Ce qui est bon au palais est bon a l’estomac. » La délicatesse et l’abondance des aliments et des vins avaient flatté son goutnbsp;et miné sa constitution : il y renonga, el ne mangea plus que desnbsp;choses en rapport avec son reste de faculté digestive; encore avait-ilnbsp;soin de toujours sortir de table avec un peu d’appétit. Parvenu è senbsp;contenter de douze onces de nourriture par jour, il se délivra insensi-blement de toutes ses infirmités au point d’élonner les médecins et denbsp;les faire crier au miracle.

II jouissait, gr4ce è sa vie sobre, d’une parfaile santé, lorsqu’ó l’Sge de soixante ans il est renversé de voiture, regoit une forte contusion a la tête et se casse une jambe et un bras. On veut Ie saigner etnbsp;Ie purger; il refuse l’un et l’autre et demande seulement qu’on luinbsp;remette Ie bras et la jambe. II guérit sans autres remèdes, et vérifianbsp;de Ia sorte les deux proverbes italiens : Mangia piü chi poco mangia;nbsp;« Mange plus qui mange peu : » Fa piü profitto quel che si lascianbsp;sul tondo, che quel che si mette nel ventre; « Ce qu’on laisse sur l’as-» siette fait plus de profit que ce qu’on avale. » Du reste, Ie premiernbsp;de ces proverbes revient a notre axiome : « Ce n’est pas ce qu’onnbsp;mange qui nourrit, c’est ce qu’on digère. »

Cornaro, Sgé de soixante-quinze ans, finit cependant par céder aux instances de ses amis : au lieu de douze onces d’aliments il en prendnbsp;quatorze; et sa boisson, qui n’était que de qualorze, est portée è seize.nbsp;En quelques jours sa santé s’altère, la gailé fait place a la tristesse; Ienbsp;onzième jour un point de cóté, fort douloureux, se déclare et préludenbsp;è unefièvre de trente-cinq jours; elle necède qu’a la reprise du premiernbsp;régime. A partir de cette époque jusqu’au delii de cent ans, Ie comienbsp;jouit et de la santé et de l’usage de tous ses sens et de toutes ses fa-cultés intellectuelles. C’est a quatre-vingt-quinze ans qu’il écrivit sonnbsp;dernier discours sur la vie sobre, d’oü sont extraits les détails pré-cédents.

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SAisTE-soruiE. nbsp;nbsp;nbsp;265

10 AVRIL.

Sainle-Sophic. — La B. Helena Enselmini.— La cathédrale. — Vierge de Giotlo.— Saint Daniel. — Le B. Grégoire Barbarigo. — Le Baptistère. — Le Dyplique. — Corpsnbsp;de saint Mathias. — Crypte de saint Prosdocimus. — Vierge Byzantine. — LUnnan-ziata. — Peintures de Giotlo.—Sainle Justine.—Détails historiques. — Saint Antoine.nbsp;— Chapelle de ce Saint.-—Popularitó du Saint. — Trésor. — Encensoir et navettenbsp;gothiques. — Langue de saint Antoine. — Verre d’Aléardin. — Ses sermons. — Statuenbsp;de Guttamelata. — Bords de la Br.enta. — Venise.

Tout ce coin de l’Italie qui longe les cótés de l’Adriatique depuis Aneóne jusqu’a Venise, est trop peii visité. Le voyageur qui postil-lonne de Paris a Milan, de Milan a Florence, de Florence amp; Naples, nenbsp;connait pas la partie inlime du pays. Une foule de souvenirs, de monuments religieus et artistiques lui échappent: Padoue seule mériterait unnbsp;voyage en Italië. Hier nous avions vu sa gloire extérieure et profane,nbsp;il nous restait a contempler ses richesses intimes cachées a l’ombre denbsp;ses nombreux sanctuaires. Sainte-Sophie eut notre première visite.nbsp;Cette église, du xiii^ siècle, renferme la Vierge, de Zanella; la Bépo-sition de la croix, d’Étienne Dell’ Arzere, et la célèbre Decollationnbsp;de saint Paul, de Bissoni; mais un chef-d’oeuvre d’un autre genre ynbsp;attire le voyageur calholique. En 1226, saint Antoine établit h Padouenbsp;un couvent de Franciscaines. Au nombre des postulantes était unenbsp;jeune personne d’une des plus nobles families de la cité : elle s’appe-lait Héléna Enselmini. Sous la direction du saint apötre, elle devint unnbsp;ange d’oraison, de douceur, de mortification et de patience, dans sesnbsp;longues maladies et ses cruelles adversités. Purifiée au double creusetnbsp;de 1’afiliction et de l’amour divin, cette üme privilégiée s’envola dansnbsp;le sein du céleste Époux, laissant la terre embaumée du parfum de sesnbsp;vertus et consolée par ses nombreux miracles. Son corps, préservé denbsp;la corruption du tombeau, repose dans un des autels de Sainte-Sophie.nbsp;Après l’avoir vénéré, nous nous rendimes è la cathédrale.

Commencé dans la première moitié du xvi' siècle, sur un plan de Michel-Ange, le Duomo ne fut achevé qu’en 1756. C’est dire qu’ilnbsp;porte le cachet plus ou moins beureux de plusieurs générations d’ar-ehitectes. La coupole, ouvrage de Giovani Gloria, se distingue par sanbsp;solidité et son élévation. Après avoir passé devant le superbe bénitiernbsp;®n marbre blanc, surmonté d’une statuette de la sainte Vierge aussinbsp;en marbre blanc, on arrive, en suivant le cóté droit, au remarquablenbsp;inausülée de Sperone Speroni, grand orateur, grand philosophe, grand


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1.ES TROIS ROME.

poète, mailre du Tasse et Tune des gloires de Padoue. La chapelle suivante ofFre, amp; la pieuse admiration du pèlerin, une vierge en demi-figure, qu’on croit du Giotto et qui aurait appartenu a Pélrarque, cha-noine de la cathédrale. Prés du chceur, un groupe, en marbre de Car-rare, représente Benoit XIV, accordant au chapitre l’usage de la Cappanbsp;Magna, et Ie cardinal Rezzonico, évéque de Padoue, et depuis Clément XIII, qui obtint celte faveur. La gloire de l’Iialie est d’écrirenbsp;ainsi sur Ie marbre ou sur Ie bronze les fails publics et particuliers.nbsp;A la sacristie des chanoines, nous vimes un grand nombre de tableauxnbsp;de mérite, parmi lesquels une V'ierge de Sasso Ferrato, Ie peintre desnbsp;peiites madoncs, delle madonine. Mais ce qui appelle surtout la curio-sité, c’est un Évangélier de 1170, et un Épistolier en 1259; l’un etnbsp;l’aulre manuscrils sur parchemin, tout resplendissant de vignettes etnbsp;d'enluminures, sont d’un travail exquis et d’une conservation parfaite.

De la sacristie nous descendlmes dans la crypte. Lii repose, dans une magnilique chdsse, ornée de bas-reliefs en bronze de Titien As-petti, Ie corps de saint Daniel, lévite et martyr. Enfant de Padoue etnbsp;l’un des premiers apólres de la foi, il continue depuis buit cents ansnbsp;ii recevoir les hommages empressés des générations pour lesquelles ilnbsp;soutint de glorieux combats (i).

Revenus a l’église, nous visitömes la chapelle du B. Grégolre Bar-barigo, cardinal et évéque de Padoue, dont Ie corps, miraculeusement conservé, repose dans l’autel. Né en 1626 d’une noble familie véni-tienne, nommé cardinal et évéque de Padoue par Alexandre Vil, dignenbsp;de l’avoir pour ami, Grégoire fut Ie père des pauvres, Ie saint Charlesnbsp;Borromée de la Romagne, Ie protecteur de son people centre les ravages de l’hérésie. Sa ville épiscopale lui doit, outre un superbe collége, son séminaire, Pornement de Pltalie, avec sa bibliolhèque et sonnbsp;iraprimerio justemcnt célèbres.

Le Baptistère, ouvrage du douzième siècle, voisin de la cathédrale, conserve le cachet de cette grande époque de Part. Élevé par la prin-cesse Fina Buzzacarina, femme de Francois de Carrare-le-Vieux, seigneur de Padoue, il fut décoré intérieurement et extérieurementnbsp;d’admirables fresques par les élèves de Giotto. Les peintures exté-rieures ont péri; les aulres, bien conservées ou habilement retouchées,nbsp;olfrent divers sujets de l’Ancien et du Nouveau Testament, la pieusenbsp;fondatrice, implorant la sainle Vierge, et plusieurs portraits desnbsp;princes de Carrare avec celui de Pétrarque. Sur Faulel est un superbe

(i) Sun corps fut Irouvc en 10T3 dans 1'oratoirc de S. Prosdocimus.

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LE BAPTISTÈRE. LE DÏPTIQDE. nbsp;nbsp;nbsp;267

dyptique du seizième siècle représentant les principaux traits de la vie de saint Jean-Baptiste (i).

Le Baptistère et Ie dyptique réunis ferment un monument qui réveille, dans leute sa splendeur, le souvenir de notre vénérable anti-quité. D’un cöté, le brillant édifice oü se Irouve la fontaine de vie, el dent toutes les parlies intérieures el extérieures, semblables aux pagesnbsp;d’un grand livre, sur lesquelles Tart calholique avail écrit teute l’his-toire religieuse du genre bumain dans le passé, dans le présent et dansnbsp;l’avenir; de l’aulre, le dyptique, registre glorieux, dans lequel la mainnbsp;du prétre inscrivait le nom des citoyens successivement admis dans lanbsp;nouvelle république. Remarquons en passant comme l’Église a su en-noblir, en se rappropriaht, un usage déja non vulgaire chez les païens.nbsp;Les dypliques étaient le présent favori des empereurs, des consuls etnbsp;des grands dignitaires de l’empire. Ces espèces de portefeuilles, dontnbsp;l’intérieur se composait de tablettes de cire, ou de plomb, ou de papyrus, étaient ornées de splendides couvertures de cèdre, d’ivoire,nbsp;d’argent, d’or ciselé, enrichies de bas-reliefs d’un travail exquis. Lenbsp;luxe de ces objets fut poussé si loin, que les empereurs Valentinlen,nbsp;Théodose et Arcade, se virent obligés, en 384, de défendre a toute per-sonne, exceplé aux consuls ordinaires, de donner des dypliques d’ornbsp;et d’ivoire (2). Ces dypliques consulaires re^urent le nom de Fastcs,nbsp;paree qu’ils contenaient la succession des consuls, ou, du moins, lenbsp;nom de celui qui en faisait présent. Noble usage! que l’Église a re-marqué et dont elle s’empare; n’esl-il pas juste en effet qu’elle ait sesnbsp;dypliques? N’a-t-elle pas è enregistrer des noms plus illustres quenbsp;eeux des Consuls et des Césars? Des les temps apostoliques, ses artistes sont a l’oeuvre; tout ce qu’ils ont de talent el de richesse estnbsp;employé a fabriquer les fastes immortels de la nouvelle société.

On en distingue quatre espèces : les dypliques des baptises; les dypliques des vivants; les dypliques des saints et des martyrs-, lesnbsp;dypliques des marts. La célébralion de l’auguste Sacrifice a réuni dansnbsp;les catacombes, autour du tombeau d’un martyr, ou dans les superbesnbsp;llasiliques de Rome et de Constantinople, les enfants de la nouvellenbsp;Jerusalem; et voila qu’un ministro sacré, porlant en ses mains lesnbsp;iivres de vie, monte sur l’ambon et récite a haute voix tous les nomsnbsp;fiu’ils contiennent. Noms des néophyles nouvellement baptisés; nomnbsp;du Pape, père commun de la grande familie; nom de l’évêque, pasteur d’une portion du troupeau; noms des prêtres qui travaillent avec

(lt;) Niiova Gu'id.'i, etc., in Padova, p. 74.

(2) Cüd. Tlicod. lib. XV, lil. ix, 1.1. de Expressie Lud.

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268 nbsp;nbsp;nbsp;LES TBOIS ROME,

lui; noms des empereurs, évêques du dehors; nom de quelque fidéle en particulier, distingué parmi lous les aulres; noms des martyrs;nbsp;noms des trépassés dans la foi orthodoxe : noms ehéris et glorieuxnbsp;qu’il faut invoquer, ou qu’il faut rappeler au Dieu dont la bonté mi-séricordieuse les a placés dans les fastes de l’Église militante, afin denbsp;les inscrire un jour dans Ie livre immortel de l’Église triomphante.nbsp;Jusqu’au douzième siècle, l’Orient et l’Occident entendirent l’Épousenbsp;de Jésus-Christ réciter a haute voix, pendant les augustes mystères, Ienbsp;catalogue de familie, si propre a élever la charité de tous ses membresnbsp;jusqu’ii Ia fraternité (»).

Après avoir, grilce aux détails qui précédent, admiré avec intelligence Ie Baptistère et Ie dyptique, nous partimes pour l’Église deux fois monumentale deïl’ Annunziata-nell’-Arena. Monumentale, pareenbsp;qu’elle occupe remplacement de Tamphithéatre, et présente la Reinenbsp;des vierges, la mère de la miséricorde, la douce Marie, honorée aunbsp;même lieu que la volupté et la cruauté païenne souillèrent de tantnbsp;d’iniquités; monumentale, paree qu’elle est une des plus belles pagesnbsp;de Tart catholique. Assise et Padoue sont les deux immortels feuilletsnbsp;du livre écrit par Ie pinceau de Giotto. L'Annunziata fut fondéenbsp;en 1305 par Henri Serovigno, riche citoyen de Padoue : Giotto la pei-gnit en 1506. Ses vastes fresques représentent les principaux traits denbsp;l'Ancien et du Nouveau Testament, et surtout 1’enfer, exécuté, dit-on,nbsp;d’après les inspirations du Dante.

Malgré Ie poids de cinq siècles, cette grande composition est dans son ensemble très-bien conservée. Quant aux détails, on est ravi d’ynbsp;trouver l’éloquente justification de l’École catholique. Les artistes denbsp;la renaissance n’ont cessé de lui reprocher son ignorance en fait denbsp;correction et d’ornementation. Or, les peintures de YAnnunziatd,nbsp;surtout celles de la partie supérieure, sont ravlssantes de grdce, denbsp;douceur et de correction dans Ie dessin, de souplesse et de naturelnbsp;dans les draperies, de beauté dans les poses et d’expression dans lesnbsp;figures. Derrière l’autel s’élève Ie magnifique tombeau en marbre dunbsp;fondateur. Au pied de sa statue, debout prés de la sacristie, on fit =nbsp;Propria figura Domini llenrici Serovigni mililis de Harena. L®®nbsp;peintures du choeur, représentant la vie de la sainte Vierge, sont denbsp;Thadée Bartolo, élève de Giotto, et prouvent, malgré leur inférioriie»nbsp;qu’il ne fut pas indigne de son glorieux maitre. Sans la déviation du

(i) Vojcz Ie précieux ouvrage de Donati, De' dittici degli antichi, profani e ^ecn. In-i», Lucques, 1755.

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SAINTE-JUSTINE. nbsp;nbsp;nbsp;269

xvi' siècle, è quel degré de perfection ne serail pas arrivé Tart ca-tholique!

II fallut dire adieu a VAnnunziata et h ses trésors ; Sainie-Jus-tine nous appelait pour nous montrer les siens. Le premier est l’église mêrne. Debout au milieu du Prato della Valle, contemplez ce templenbsp;magnifique sur lequel trois siècles ont passé sans lui faire perdre lenbsp;brillant éclat de sa jeunesse; il lance dans les airs ses buit coupolesnbsp;ü jour dont la plus élevée forme le piëdestal aérien de la statue de lanbsp;sainte Titulaire; sa triple voute est supportée par une longue rangéenbsp;de pilastres composites appuyés deux è deux sur la même base. Sanbsp;forme est une croix latine : 368 pieds de longueur, 106 de hauteur,nbsp;12o de largeur, telles sont ses dimensions. En y comprenant la statuenbsp;de Ia Sainte, Ia grande coupole mesure intérieurement 133 pieds, ex-térieurement 176 d’élévation. De qui est la pensée créatrice de l’au-guste monument? D’un humble frère de Saint-Benoit, dom Jéróme denbsp;Brescia. Quel en fut I’architecte? Un enfant de Padoue, André Rec-cio. Quel pinceau l’a décoré de ses splendides peintures? La gracieusenbsp;sainte Gertrude en extase est de Pierre Hiberi; Totila, roi des Golhs,nbsp;prosterné devant saint Benoit, appartient a Jean-Baptiste Maganza;nbsp;saint Cosme et saint Damien, sauvés du naufrage par un ange, estnbsp;une composition pleine de feu, d’Antoine Balestra; enfin le martyrenbsp;de sainte Justine, placé au fond du choeur, passe pour le chef-d’oeuvrenbsp;de Paul Véronèse. Les belles stalles du choeur, ornées de bas-reliefsnbsp;représentant les divers sujets du Nouveau Testament, sont en partienbsp;I’ouvrage d’un Francais, Richard Taurigny, de Rouen, qui a fait aussinbsp;les belles stalles du döme de Milan. Quelle est maintenant la sainte ènbsp;qui la ville de Padoue a dédié cette magnifique église?

Fondé sur les monuments de l’histoire et de la tradition, Baronius compte quarante missionnaires, prêlres ou évêques, dirigés dans lesnbsp;différentes parties de l’Italie, des Gaules et de la Germanic, par saintnbsp;Pierre, durant son séjour a Rome. Dans ce nombre figure le saintnbsp;évéque Prosdoclmus, disciple du pêcheur galiléen, envoyé par luinbsp;dans la ville de Padoue, Pan 46 de Notre-Seigneur, la quatrième annéenbsp;de I’empereur Claude, immédiateraent avant l’édit centre les Juifs,nbsp;qui obligea l’Apótre è reprendre le chemin de I’Oricnt (i). A la voixnbsp;du saint évéque, les yeux s’ouvrirent; on déserta les autels des idoles.nbsp;Parmi les néopbytes se distingua une jeune vierge nommée Justine.nbsp;Chose remarquable! presque partout les femmes furent les premières

(0 Annul. 1.1, an. 46, n. 2.

T. in. nbsp;nbsp;nbsp;12

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embrasser l’Évangile; et presque partout elles soutinrent les plus nobles combats. Marie, la mere du Sauveur, sainte Madeleine et sesnbsp;eorapagnes sur Ie Calvaire, donnèrent naissance a cette générationnbsp;d’héroïnes qui payèrent et défendirent, par la généreuse effusion denbsp;leur sang, la réhabilitation de leur sexe. Justine, arrêtée par ordre dunbsp;l)résident Maxime, est soumise a tous les genres de tortures; ferme etnbsp;pure corame un diamant, son ame virginale résiste également aux menaces, aux promesses et aux supplices. Le glaive du confecteur metnbsp;fin i la lulte. Maxime est vaincu; Théroïne a triomphé; l’idolfttrienbsp;ehancélle, et Padoue, purifiée, consacrée par le sang de la sainte vic-time, deviendra une des villes les plus religieuses de l’Italie : telle estnbsp;la glorieuse marlyre pour laquelle a élé bdti le temple magnifiquenbsp;oü nous sommes. Elle s’y \j'ouve, du reste, en nombreuse et noblenbsp;compagnie.

Dans l’autel de la grande chapelle, ii gauche du transept, on vénère une partie considérable du corps de l’apótre saint Mathias, apporténbsp;de rOrient. Derrière l’aulel une porte colossale ouvre sur un antiquenbsp;atrium, au milieu duquel est un puits. Prosternez-vous, qui que vousnbsp;soyez, la terre que vous foulez est une terre sainte. Ce puits, appelénbsp;desSaints-Innocents, renferme lesreliquesd’un grand nombre de martyrs, dont le sang inonda la place du Prato. Descendons maintenantnbsp;ce petit escalier sombre et tortueux, il nous conduit a une crypte, vé-nérable berceau du christianisme è Padoue. Sous la pierre de eetnbsp;aulel oü il offrait silencieusement l’auguste victime, repose le saintnbsp;évÊque Prosdocimus. Cette vierge byzantine que vous voyez sur l’autelnbsp;fut apportée de Constantinople par le saint prêtre Csius. L’an 741nbsp;riconoclaste empereur, Constantin Copronyme, la fit jeter dans lesnbsp;Hammes, d’oü elle sortit miraculeusement intacte. Avant de quitternbsp;l’église, nous vinmes, sur les pas de tant de générations, nous pros-terner au pied du maitre autel devant le corps sacré de sainte Justine,nbsp;en conjurant le Dieu des martyrs de réchauffer, dans les veines denbsp;leurs derniers enfants, le sang généreux des premiers chrétiens.

Le voyageur catholique n’est pas au terme de ses jouissances. L’Iia-lie compte qualre principaux sanctuaires : Piome, Lorette, Assise, sont les trois premiers, Padoue est le quatrième. Cette ville a eu l’iu'nbsp;signe bonheur de posséder pendant une grande partie de sa courtenbsp;vie, et de couronner, après sa mort, le saint le plus populaire dunbsp;moyen Sge : j’ai nommé saint Antoine de Padoue. II faut ajouter quenbsp;la confiance, l’amour, I’enlhousiasme des habitants, per il Santo, estnbsp;vraiment admirable : nous en jugerons par le monument que leur

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SAINT-ANTOINE. nbsp;nbsp;nbsp;271

piété filiale a dédié en son honneur. Commencée en 1255 par Ie cé-lèbre Nicolas de Pise, et achevée en 1307, l’église de Saint-Antoine est un édifice gothique de la meilleure époque et du meilleur goüt.nbsp;Les six coupoles qui la surmontent sont une réminiscence du stylenbsp;byzantin; et ses statues, ses bas-reliefs de Donatello, ses fresques iin-niortelles de Giotto ainsi que ses quatre grands orgues, atteslenl lanbsp;réuniou de tous les arts pour glorifier sur la terre I’humble saint dontnbsp;Ie Ciel couronne les verlus. En entrant, nous fumes très-étonnés denbsp;voir aux portes deux chiens dalmates, de l’espèce des chiens bergers.nbsp;« De temps immémorial, nous dit Ie frère Prosper, la garde de l’églisenbsp;est confiée è ces fidèles animaux. De père en fils ils s’acquitlenl par-failement de leur devoir. Ceux que vous voyez surprirent, il y a quel-ques années, ün domestique de la maison Sografi, qui était resté Ienbsp;soir en prières après la fermeture des portes; ils se placèrent a sesnbsp;cölés, l’un è droite, l’autre h gauche, prêts a s’élancer sur lui aunbsp;moindre mouvement, et ils Ie tinrent ainsi en arrêt jusqu’au lendemainnbsp;matin. »

L’église est un véritable musée de peinture et d’archileclure, dont la description nous entrainerait trop loin. Parmi lant de richesses onnbsp;admire, è la chapelle du Saint-Sacrement, Ie tabernacle en marbrenbsp;précieux orné de bas-reliefs en bronze, de Jéróme Campagni, célèbrenbsp;sculpteur du xvi' siècle, et les quatre anges, dus au ciseau de Donatello. Au choeur est Ie grand candélabre de bronze d’André Riccio, Ienbsp;Lysippe vénitien : c’est Ie plus beau qu’il y alt au monde; il coüta dixnbsp;années de travail a l’artiste. Les quatre statues des protecteurs de Pa-doue, la Vierge el l’Enfant Jésus, sont autanl de chefs-d’ceuvre denbsp;Donatello. Après avoir admiré les belles fresques du xiv® siècle, quinbsp;décorent la chapelle de Sainl-Félix, on aime è s’agenouiller devantnbsp;1’autel oü repose Ie corps du glorieux martyr. Plus loin, sont deux an^nbsp;ciennes chapelles oü l’on voil de précieuses peintures, antérieures è lanbsp;•¦enaissance, dont Tune représenle saint Antoine révélant au B. Lucanbsp;Lelludi la délivrance de Padoue de la lyrannie d’Esselin. Le corps dunbsp;liienheureux repose sous l’aulel.

Nous arrivümes enfin il la chapelle de Saint-Antoine, une des plus Hches du monde. Je ne sais combien d’hommes célèbres ont Iravaillénbsp;a la construire et a l’orner. Commencée en 1500 par Jean et Antoinenbsp;Minello, continuée par Sansovino el Falconetto, elle fut ornée de gra-Weux arabesques par Mallhieu Allio el Jéróme Pironi, el de bas-re-liefs exquis par Campagni, Tullius et Antoine Lombard. Autour de lanbsp;'bapelle sont neuf comparliments décorés de bas-reliefs en marbre.

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272 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.

représentant les principales actions du Saint. On admire surlout Ie miracle de Ia jeune fille des environs de Padoue, étouffée dans unnbsp;bourbier et ressuscitée par Ie Saint; la conversion de l’hérétiquenbsp;Aleardino dont je parlerai plus tard; Ie Saint remeltant 5 un jeunenbsp;bomme Ie pied qu’il s’élait coupé pour avoir donné un coup a sa mère.nbsp;Les stucs de la voute, ouvrage de Titien Minio, sont d’une extrémenbsp;élégance; mais il semble que Tart se surpasse lui-même ii mesurenbsp;qu’il approcbe de l’autel.

Volei les superbes statues en bronze de saint Bonaventure, de saint Louis, évêque de Toulouse, et de saint Antoine; les quatre anges quinbsp;portent Jes candélabres, la grille de bronze et enfin l’autel de marbrenbsp;avec ses magnifiques seulptures. Dans l’autel repose Ie Saint, sur Ienbsp;corps duquel j’eus Ie bonheur d’ofirir les augustes mystères. Telle estnbsp;l’immense popularité de saint Antoine de Padoue, que la magnifiquenbsp;église, avec sa chapelle plus magnifique encore, ont été baties avec lesnbsp;offrandes des fidèles de toutes les nations. Une des trois superbes lam-pes en or massif, fondues en 1797 pour acquitter la contribution denbsp;guerre, était un présent du grand Turc. De nombreux tombeaux senbsp;dressent autour de la chapelle, dans l’église et jusque sous les cloitresnbsp;du couvent : tant est vif Ie désir de n’être point séparé, mème aprèsnbsp;la mort, de celui qu’on aima si tendrement pendant la vie! Entrecesnbsp;illustres mausolées de patriciens, de généraux, d’étrangers dislingués,nbsp;de professeurs célèbres, il faut étudier ceux d’Alexandre Contarini,nbsp;général de la république; du cardinal Pierre Bembo d’Arminius d’Or-besan, baron de la Bastide, jeune guerrier francais mort en 1595, agénbsp;de vingt ans. Son élégante inscription latine sent un peu trop la renaissance (i).

Malgré l’affaiblissement général de la foi, d’innombrables pèlerins arrivent encore de toutes les parties de l’Europe, surtout de l’Alle-magne et de la Pologne, au tombeau de saint Antoine. Chaque journbsp;sont envoyés des ex-voto h sa chapelle ou des offrandes pour son tré-sor. D’oü vient cette popularité si constante et si universelle? L’unnbsp;des plus célèbres docteurs de l’Église, saint Bonaventure, répondait,nbsp;il y a bientót six cents ans : Narrent hi qui sentiunt, dicant Paduam-« Demandez-le a ceux qui ont éprouvé la protection du Saint; ditesnbsp;aux Padouans de raconter ce qu’ils voient, ce que leurs pères ont vu,nbsp;ce que virent leurs aïeux. »

(i) Gallus eram, Pata\i morior, spos una parentum; Flectcre ludus cquos, armaque cura luit:

Me quarto in lustro mihi pr.'nvia Parca pcpercit, Hic tumulus, sors lucc, pax sit utrique : vale.

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I’OPL'LARITÉ DE SAINT ANTOINE. J/0

Or, dans Ie courant du mois de novembre de l’année 1227, leurs aïeux virent entrer a Padoue un jeune religieux de Saint-Francois, lanbsp;tête nue et rasée, Ie corps couvert d’une robe de bure rattachée parnbsp;une ceinture de cuir, les jambes nues et les pieds protégés par desnbsp;sandales. Ce jeune religieux demande modestement 1’auraóne, et sonnbsp;regard angélique et sa noble figure expriment éloquemment son humble et vive reconnaissance. En échange du pain qu’il rc^oit, il apportenbsp;tous les biens qu’une ville peut désirer ; la vérité, la paix. Padouenbsp;manquait de Tune et de l’autre. Ravagée par l’hérésie des Manichéensnbsp;et décliirée par les guerres civiles, elle se débattait dans les angoissesnbsp;de l’agonie. Né en Portugal, et rappelé de France oü il avait opérénbsp;cent prodiges, Antoine, 1’humble franciscain, accourait au secours denbsp;Padoue. II prie, il préche, les miracles éclatent; Padoue s’ébranle, lesnbsp;coeurs sont changés, la vérité brille, la paix revient : Antoine est Icnbsp;sauveur, l’ami, Ie père de tous.

Cependant Ie féroce Esselin da Romano veut saccager Padoue qu’il opprime; Ie Saint marche seul au-devant de ce monstre altéré denbsp;sang. Par la double puissance de sa parole et de sa vertu, il Farrêlenbsp;au milieu de ses officiers, Ie confond, Ie rend immobile de terreur. Etnbsp;1’on vit Ie nouvel Attila, devenu doux comme un agneau, délacher sanbsp;riche ceinture, se la passer au cou et tomber amp; genoux devant Fen-voyé de Dieu en Ie suppliant de demander miséricorde pour lui. Padoue est sauvée; toute Ia Romagne retenlit des louanges du vainqueur;nbsp;Ie bruit de ses miracles vole de bouche en bouche; il arrive jusqu’ünbsp;Rome; GrégoirelX veutvoir, entendre, juger l’éloquent thaumaturge :nbsp;c’était Fan 1230.

Rome est pleine d’étrangers de toutes les nations venus aux saints lieux pour gagner Findulgence de la croisade. II y a des Grecs, desnbsp;Francais, des Espagnols, des Allemands, des Anglais, des Flamands,nbsp;des Suisses, des Écossais et des Esclavons. Antoine parle sa languenbsp;maternelle et se fait entendre de tous ces peuples qui ne la connais-sent pas. Un autre prodige frappe Ie vicaire de Jésus-Christ; c’est lanbsp;solidité de la doctrine du jeune Saint, la force irrésistible de ses rai-sonnements, la vie divine qui surabonde dans ses paroles, sa connais-sance merveilleuse de FÉcriture. Ravi d’admiration, Ie Pontife élèvenbsp;solennellement la voix et fait de lui eet éloge unique dans Fhistoire :nbsp;« C’est Farche des deux Testaments, c’est Farsenal des divines Écri-tures : » Area utriusque Testamenti et divinarum Scripturarum ar-marium.

Antoine retourne è Padoue et sème les miracles sur sa route. Ses

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274 nbsp;nbsp;nbsp;LES TBOIS ROME.

jours se passent a prêcher, ^ confesser el 5 consoler; ses nulls a prier : il est par excellence Thomme public, la fontaine è laquelle chacun vanbsp;puiser. Cependant deux mois encore Ie séparent de sa trente-sixièmenbsp;année, mals dans sa courle vie il a fourni une longue et brillante carrière ; rimmortelle couronne va reposer sur son front. Le saint estnbsp;raalade, le Saint est mourant; a ces mots, la ville et les campagnes s’é-meuvenl : on pleure, on prie, on s’agile. Le Saint est couché sur unnbsp;pauvre grabat dans Ie petit couvent de Barcella, peu éloigné de Padoue:nbsp;la foule s’y transporte; c’est le soir du vendredi 13 juin de l’an 1231.nbsp;Au milieu des sanglots universels, un chant se fait entendre, c’est lenbsp;chant du cygne; je dis mal, c’est le chant d’un ange qui relourne aunbsp;ciel, le chant d’un fils de Marie, qui pour la dernière fois salue sanbsp;mère sur la terre d’exil. De ses lèvres mourantes le saint missionnairenbsp;a répété sa devise cbérie, son hymne de guerre : O gloriosa Domina,nbsp;excelsa super sidera. II est mort. Non, il vit au ciel par sa puissance,nbsp;sur la terre par ses miracles; et, après plus de six cents ans, Antoinenbsp;de Padoue est encore un des saints les plus populaires en Orient etnbsp;en Occident.

De la chapelle oü repose son corps nous passamp;mes au Trésor de la Basilique. Parmi les nombreuses richesses artistiques et religieusesnbsp;dont il est rempli, on admire un encensoir et une navette en or, donnésnbsp;par le pape Sixte IV, de l’ordre des Minimes. L’encensoir de formenbsp;gothique représente une cathédrale en miniature, avec ses clochetons,nbsp;ses ogives, ses gracieuses colonnettes et ses galeries è dentelle. La navette est digne de son nom; c’est un petit navire avec tous ses ponts,nbsp;ses müts, ses voiles, ses cordages et ses matelots. Pourquoi faut-il quenbsp;nos artistes ignorent l’existence de ce double chef-d’oeuvre, ou quenbsp;nos fabricants d’orfévrerie ecclésiastique ne jugent pas è propos denbsp;reproduire ces intéressants modèles?

Outre une immense quantité de reliques insignes, on conserve dans un reliquaire étincelant de pierreries la langue du Saint. Cette languenbsp;puissante qui remua plus d’hommes el surtout plus profondémentnbsp;que celle de Démoslhène ou de Cicéron, est intacte et vermeille. Ellenbsp;fut trouvée dans eet élat miraculeux le 7 avril de l’année 1263, parnbsp;saint Bonaventure, venu è Padoue pour présider è la translation desnbsp;reliques. A la vue de ce prodige, que rendait incontestable la dissolution des autres parties du corps, le Docteur séraphique s’écria : Onbsp;lingua benedicta, quee Dominum semper benedixisli et alios benedi-cere jecisti, nunc manifeste apparet quanti meriti exslilisli apudnbsp;Deum!

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SERMONS DE SAINT ANTOINE. “27.0

La preuve six fois séculaire d’un autre miracle esl a cólé de la pré-cieuse cassette. Je veux parler du fameux verre de Thérélique Aloar-dine de Salvaterra. Aloardine était un soldat que la curiosité on plulót une incrédulité railleuse avait amené .a Padoue. Un jour qu’il était ^nbsp;table, il entendit parler des miracles de saint Antoine. II se mit a s’ennbsp;moquer, et croyant faire une plaisanterie excellente, il ajouta ; « Sinbsp;votre Antoine, que vous appelez saint et thaumaturge, empêehe cenbsp;verre que je liens a la main de se casser quand je le jetterai i terre,nbsp;je croirai ce que vous me dites. » Lü-dessus, il se léve de table, ouvrenbsp;la croisée, et de toutes ses forces jette son verre sur la place contrenbsp;une pierre, et le verre ne se brise pas. Stupéfait, interdit, Aloardinenbsp;tombe è genoux et se relève catholique. Lui-méme va rechercher sonnbsp;verre, et, en présence de tous les témoins de cette scène, le portenbsp;respectueusement au trésor de saint Antoine, ou nous avons eu lenbsp;bonheur de le voir (i). Dans une armoire voisine on conserve les oeuvres du Saint. Ce n’est pas sans un profond respect qu’on approchenbsp;la main des sermons de I’immortel missionnaire. Quoique accompa-gnée de corrections, l’écriture du Saint est très-lisible et mêmenbsp;élégante.

On ne peut quitter ce lieu béni sans songeré une dévotion dont il n’est pas inutile de rappeler I’origine et la perpéluité. Si jamais vousnbsp;avez lu le Martyrologe gallican du savant évêque de Toul, Dussaus-saye, vous aurez vu que nos péres s’adressaient a un saint en particulier pour chaque maladie, chaque besoin : I’ltalie, I’AHemagne, toutesnbsp;les autres parties de la catholicité faisaient comme la France. Saintnbsp;Antoine de Padoue était invoqué pour retrouver les choses perdues.nbsp;Reste précieux du vaste naufrage ou le protestantisme et l’incréduliténbsp;ont englouti tant de pieux usages, cette dévotion est encore pratiquéenbsp;de nos jours; elle est même populaire en Orient et en Occident: voilanbsp;un fait. Respectable déja par sa catholicité et par son ancienneté, cenbsp;fait le devient plus encore par son origine. Des exémples nombreuxnbsp;et des témoignages incontestables consignés dans la vie de saint Antoine de Padoue, prouvent qu’il avait regu de Dieu le pouvoir non-seulement de guérir les malades, mais encore de consoler les affligés,nbsp;en leur faisant miraculeusement retrouver les choses qu’ils avaientnbsp;perdues (a).

En sortant de l’église, on est tellement pénétré de ce qu’on vient de voir, et, quand on est chrélien, de ce qu’on vient d’éprouver, qu’il

(i) Vita di S. AnU, lib. u, p. 198.

(s) Vita di S. Ant-, lib. m, p. 266.

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276 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.

reste a peine assez d’attention pour jeter un coup d’ojil sur la statue équestre en bronze du grand capitaine Gualtamelata, qui décorc lanbsp;place. Cetle statue, la première qui ait été fondue en Italië et cliez lesnbsp;modernes, est Ie chef-d’oeuvre de Donatello. Nous dimes un derniernbsp;adieu au bon frère Prosper, exilé volontaire pour 1’amour de Dieu etnbsp;du prochain; è saint .\ntoine; a Padoue; aux conservatoires de pau-vres et d’orphelins, et nous partimes pour Venise.

La route suit les bords de la Brenta, si vantés par les amateurs de paysages et si célèbres dans nos fastes militaires. Au travers d’unenbsp;campagne couverte de jardins, oii Ton dirait que les statues de mar-bre croissent comme les champignons, on arrive h Mestre : iri vousnbsp;attendent les gondoliers vénitiens pour vous conduire dans leur mer-veilleuse ciié.

II AY RIL.

Transla--Lion. —

Clocherdc Saint-Marc. — Yuc et histoirc de Venise. — Église Saint-Marc.-tion du corps de saint Marc. — Tresor. — Place Saint-Marc. — Chevaux. -Palais du Doge. — Prisons. — Inscriptions.

Le voyageur qui entre è Venise après la chute du jour, se croit trans-porté dans quelque cité fabuleuse des Milk et Une Nuits. Une ville superbe, vaste, populeuse, assise au milieu de la mer, sans qu’onnbsp;aperQoive, pour lui servir de base, ni un pouce de terre, ni une pointenbsp;de rocher, de longs canaux bordes de maisons et de palais, dont lesnbsp;fondements sent cachés dans les Hots, tandis que la facade, moitienbsp;européenne, moitié oriëntale, s’élance majestueusement dans les airs;nbsp;un silence lugubre que ne trouble ni le pas des chevaux, ni le mouvement des voitures, mais le bruit monotone des rames qui frappent ènbsp;coups égaux la tranquille surface des ondes; le son varié de nombreu-ses sonneries, les mille voix criardes de tout un peuple qui encombrenbsp;plusieurs centaines de ponts grands et petits, et passe rapidement au-dessus de votre tête; des gondoles aux couleurs jaune et noire, quinbsp;parcourent en lout sens les longues sinuosités des lagunes; les falolsnbsp;de ces voitures d’eau, les réverbères et les torches dont la lumière in-certaine éclaire ce singulier spectacle : tout cela étonne, surprend etnbsp;produit une impression qui a le privilége de ne ressembler è nullenbsp;autre.

Pour la eompléter, nous voulumes, après avoir vu Venise d’en bas, Ia contempler d’en haut. Le lendemain, au lever du soleil, nous élionsnbsp;sur le eloeher de Saint-Marc. La première merveille a considérer est

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\l*E ET inSTOIRE DE VENiSE. ZL i t

ce clocher mème, un des plus élevés et des plus hardis de l’Ilalie. On arrive au sommet par une rampe douce, sans degré. De ce belvédèrenbsp;on jouit d’un point de vue qui tient du prodige. A tos pieds la mer,nbsp;Venise au sein de la mer, une multitude de dómes, de clochers, denbsp;palais, de colonnes, de portiques, de facades grecques, arabes, byzan-tines; a l’orient, la vaste étendue de l’Adriatique, semée de pelites ilesnbsp;groupées avec grftce autour de l’imposante cité; au nord, les cimesnbsp;blancliies des Alpes du Frioul; è l’occident, les vertes campagnes dunbsp;Padouan et du Vicentin; au midi, la Brenta et ses bords si peuplés etnbsp;si riches.

Au-dessus de ce magnilique panorama, il en est un autre plus ma-gnifique encore, et dont l’éclat rayonnant sur Ie premier en expliqiie, en rehausse toutes les beautés : c’est, qu’on me passe l’expression, Ienbsp;panorama de Venise au point de vue providentie!. Appuyé sur la galerie aérienne du clocher de Saint-M-irc, Tobservateur ne peut êtrenbsp;mieux pour Ie contempler. Au commencement du cinquième siècle, Ienbsp;monde remain, longlemps battu en brèclie par les ennemis du dehorsnbsp;et par ceux du dedans, s’écroulait avec un épouvantable fracas sous lesnbsp;coups des Barbares. Le drapeau noir d’Attila venait d’élre arboré sousnbsp;les murs de l’antique Aquilée; mais les habitants, conliants dans leurnbsp;courage, avaient méprisé ce dernier signe de miséricorde. Quelquesnbsp;heures après, Aquilée n’est plus qu’un monceau de cendres. Cepen-dant quelques families de la cité ont trouvé leur salut dans la fuite.nbsp;Les récifs de l’Adriatique leur ofirent un asile. Au milieu des lagunes,nbsp;elles se couslruisent de pauvres cabanes, vivent isolément, absorbéesnbsp;par le soin de pourvoir a leur subsistance.

Deux siècles plus tard, vers l’an 097, elles se réunissent, se donnent un chef commun et deviennent un petit État. Sous la protection denbsp;l’erapire d’Orient, la naissante république grandit, se fortifie, et bien-töt se déclare indépendante. Au dixième siècle, elle prend son essor etnbsp;vole a ses premières conquêtes. Le siècle suivant la voit mettre sur sanbsp;jeune tête la couronne royale, marcher Légale des grandes puissancesnbsp;deLEuropeetpartageravecGênesLempiredes mers. Pendant cinq siècles, elle pèse d’un poids souvent décisif dans les deslinées du monde.nbsp;Enfin sa mission est remplie : gloire, richesse, puissance, liberiénbsp;mêrae, tout lui est été; et la Tyr de LOccident se voit réduite è n’étrenbsp;plus dans ses vieux jours que Lagent subalterne d’un empire étranger.nbsp;Et maintenant, quelle fut la raison providentielle de la grandeur denbsp;Venise et de sa décadence?

Le Dieu qui tire le bien du mal et la vie même de la mort, fait nai-

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278 nbsp;nbsp;nbsp;I.ES TROIS ROME.

tre la puissante cilé de l’invasion des Barbares. Sous l’aile maternellc de la Providence, elle grandit rapidement en force, en richesse, ennbsp;courage ; il Ie faut ainsi, car Venise doit êlre un des plus puissanlsnbsp;auxiliaires de 1’Europe civilisée par Ie christianisme. Arrivera l’épo-que solennelle oü la barbarie musulmane, menagant d’envahir l’Occi-dent et de remplacer la lumière par les ténèbres, la liberté par l’es-clavage, les peuples cbréliens se lèveront comme un seul horame; et,nbsp;au lieu d’altendre l’ennemi, ils iront l’attaquer jusqu’au coeur de sonnbsp;empire. Mais il faut des navires pour transporter leurs armées; desnbsp;marins inlrépides pour lutter contre les floltes ottomanes : Venisenbsp;rend ce double service ii la cause commune. Gênes la seconde noble-mcnt; et, sur leurs vaisseaux, la civilisation, armée de toutes pièces,nbsp;traverse les deux mers qui conduisent chez les Barbares. Tant quenbsp;durera la raison providentielle de leur puissance, Gênes et Venise res-teront au premier rang parmi les États européens. Elles commence-ront a déchoir, lorsque leur existence n’aura plus pour objet que desnbsp;intéréts d’un ordre inférieur. Avec une précision remarquable leurnbsp;histoire témoigne de ce double fait.

Venise eut encore une autre mission. Lorsque, aux xv® et xvi“ siè-cles, l’hérésie voulut enróler la vieille Europe contre la foi catholique, elle emprunta la voix infatigable de la presse pour faire retentir aunbsp;loin ses eris de révolte. Bftle, Genève, La Uaye, Amsterdam devinrentnbsp;ses redoutables auxiliaires ; Venise fut choisie pour soutenir Peffortnbsp;du combat. De ses presses immortelles sortirent d’innombrables ou-vrages destinés è proclamer, è défendre et è propager les vérités conservatrices de la religion et de la société. Ce double coup d’oeil jeténbsp;sur la reine de 1’Adriatique, nous descendimes du clocher pour visiternbsp;l’église de Saint-Marc, la merveille de Venise et l’un des plus splen-dides monuments de toule l’Italie.

Mélange d’architecture grecque, romane, gothique, musée de dé-pouilles opimes apportées du Péloponèse, de Constantinople, d’Espa-gne, de Syrië, de tous les pays enfin oü Venise voyait flotter ses pavilions, galerie magnifique de peinlures nationales, l’église de Saint-Marc redit è sa manière toute l’histoire de la puissante république. Lenbsp;seul inventaire de ses trésors serait infini. Commencée en 976 par Icnbsp;doge Orseolo, la Basilique fut terminée en 1071; mais rornementationnbsp;a continué jusqu’au xviii® siècle. A l’exlérieur comme a l’intérieur toutnbsp;ce qui n’est pas or, bronze ou mosaïque est incrusté de marbre oriental. Outre ses grandes portes de bronze et ses superbes mosaïques, lenbsp;vestibule renferme, sur Ia droite, la chapelle Zeno, dont l’autel, re-

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ÉGLISE DE SAIST-MARC. nbsp;nbsp;nbsp;27!)

gardé comme un chef-d’oeuvre, est enrichi d’une profusion de colonnes et de statues de bronze d’un travail exquis. Au centre est Ie monumentnbsp;du cardinal Zeno, avec sa statue en bronze eouchée sur Ie cercueil.

Lorsqu’on franchit Ie seuil du temple, on éprouve un sentiment analogue è celui de la reine de Saba, lémoin des magnificences de Salomon. A la vue de ces voütes d’or, de ce pavé de jaspe et de porphyre,nbsp;de ces cinq cents colonnes de marbre précieux, de bronze, d’albftire,nbsp;de vert antique et de serpentine, de ces bas-reliefs en bronze, chefs-d’oeuvre de Sansovino, de Titien Minio, de Zuccato, de Pietro Lombardo, on reste ébahi, silencieux, immobile. Le demi-jour qui éclairenbsp;toutes ces magnificences, ajoute è l’impression et porte au recueille-ment. On se prosterne, on prie, on est heureux de voir les plus richesnbsp;creatures réunies au génie de Phomme pour chanter la gloire dunbsp;Créateur.

Le bénitier de porphyre a pour base un autel antique de sculpture grecque, orné de dauphins et de tridents. La raosaïque des fonts, représentant le Baptême de Notre-Seigneur, est un ouvrage du xiP sièclenbsp;plein de verve et de chaleur. Au transept brille le magnifique Ora-toire de la Croix. 11 affecte la forme d’une petite tribune soutenue parnbsp;six riches colonnes, au-dessus desquelles on admire la célèbre mosaï-que du Paradis. Lb se trouve la plus belle des nombreuses colonnettesnbsp;de Saint-Marc ; elle est de porphyre noir et blanc. Je ne puis qu’indi-quer les deux chaires de marbres précieux, supportées par des colonnes d’un grand prix, qui s’élèvent è 1’entrée du choeur; les stallesnbsp;ornées de marqueteries; les bas-reliefs et les figures de bronze quinbsp;décorent les balustrades, ainsi que les orneraents en marbre et la porienbsp;en bronze de la sacristie, chefs-d’oeuvre de Sansovino, qui lui coutè-rent vingt ans de travail. Quatre colonnes de marbre grec ornées denbsp;bas-reliefs soutiennent la Confession de Saint-Marc, et au-dessus denbsp;1’autel on voit la fameuse Pala d’oro, ou Icons Byzantine. C’est unenbsp;niosaïque en émail sur lame d’or et d’argent rehaussée de ciselures,nbsp;de perles, de camées et de pierres précieuses. Elle offre, dans unenbsp;suite de compartiments symétriques, les principaux fails de l’Anciennbsp;et du Nouveau Testament, de la vie de saint Marc, des Apótres, desnbsp;Prophètes, avec des inscriptions grecques et latines. La Pala d’oro,nbsp;exécutée ü Constantinople, est un ancien monument de Part en Orient,nbsp;vers la fin du x“ siècle.

Mais pour qui sont réunies tant de riebesses? Quel est eet édifice en faveur duquel Venise met è contribution l’Orient et l’Occident, lanbsp;öature et le génie? Comme tous les grands peuples ont été des peoples

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280 I.ES TROIS ROME.

religieux; ainsi leurs plus beaux monuments sonl les monuments sacrés. Tel est celui qui nous occupe et dont il faut expliquerl’origine.nbsp;Dans tout Ie moyen Sge, les nations de l’Occident montrèrent unenbsp;ardeur extréme h rapporter de l’Orient les corps des martyrs. Auxnbsp;yeux de leur foi si pure, paree qu’elle était si ardente et si simple,nbsp;les reliques d’un saint étaient un trésor plus précieux que Tor et lesnbsp;pierreries. Leur propre intérêt se combinait avec une impulsion mys-térieuse de la Providence. L’Orient devait finir par tomber sous Ienbsp;joug mahométan; et Dieu ne voulait pas abandonner les ossementsnbsp;sacrés de ses Apótres et de ses martyrs aux profanations des Infidèles.nbsp;Dans cette chasse aux reliques, pour employer l’expression d’un auteur contemporain, les Francais, fils ainés de l’Église, tenaient Ienbsp;premier rang (i). L’Italie et Venise surtout brulaient du même zèle.

Or, en 826, six vaisseaux de cette république stalionnaient au port d’Alexandrie : les Sarrasins étaient maitres de la ville. Néanmoins lesnbsp;marchands de Venise avaient la liberté d’y entrer pour leur commerce.nbsp;Quelques-uns d’entre eux visitaieut assidümcnt l’église oü reposait Ienbsp;corps de saint Marc, Ie disciple de saint Pierre et l’apótre de l’Égypte.nbsp;Un religieux et un prêtre veillaient a la garde de son tombeau; maisnbsp;cbaque jour exposés aux avanies des Tures, ils craignaient de voirnbsp;briser la tombe du saint évangéliste et ses cendres jetées aux flammes.nbsp;Leurs larraes et leurs inquiétudes ne furent pas longtemps un mystèrenbsp;pour les marchands vénitiens. Ceux-ci n’hésilèrent pas it leur deman-der Ie corps de saint Marc, afin de Ie mettre en lieu de süreté. Lesnbsp;gardiens s’y refusèrent d’abord; enfin, après bien des difficultés d’unenbsp;part, et des prières de l’autre, la concession fut promise. Le supplicenbsp;d’un religieux qui avait soustrait un monument sacré a la brutaliténbsp;des Sarrasins, en hi\ta I’accomplissemcnt. Extrait du tombeau par lenbsp;religieux Stauratio et le prêtre Théodore, le corps sacré fut mis, enveloppé de soie, dans un long panier, sous une épaisse couche de lé-gumes et de viande de pore, dont les Mahométans ont horreur. Lesnbsp;Vénitiens resolvent le précieux dépót et se dirigent vers leurs vaisseaux. Chemin faisant, ils sont arrêtés par les Infidèles, qui demandentnbsp;a voir ce qu’ils portent. A la vue des viandes immondes, les Turesnbsp;leur crachent au visage et s’éloignent en criant : Canzir, canzir :nbsp;« Du cochon, du cochon. » Rendus ii leurs bords, les pieux Vénitiensnbsp;enveloppent les saintes reliques dans les voiles du navire et lèventnbsp;l’ancre en toute héte.

(i) Francos... sanctorum corporum cupidissimos venari, ctc. Vid. Bar. an. 826, n. 53, l. IX.

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TRANSLATION DU CORPS DE SAINT MARC. nbsp;nbsp;nbsp;281

Bientót elles sont transportées sur Ie tillac et déposées dans une élégante chapelle. Autour du corps brulent nuit et jour des flambeauxnbsp;et des parfums. Pendant toute la traversée, deux religieux, Slauratio,nbsp;l’un des gardiens, et Dominique, pèlerin de Jérusalem, psalmodientnbsp;des bymnes et des prières, tandis que d’éclatanls miracles signalcntnbsp;la présence de l’Apótre. Enfin on arrive dans les eaux de Venise. In-formée de l’heureuse conquéle, toute la ville accourt sur Ie port;nbsp;l’évêque, en habits pontificaux, accompagné de tout Ie clergé et dunbsp;sénat, rejoit les précieuses reliques et les porte solennellement aunbsp;palais du Doge. Aussitót on se met a l’oeuvre pour bütir un templenbsp;digne de l’Apótre de Jésus-Christ : Saint-Marc s’élève, resplendissantnbsp;de dorures et de mosaïques, de marbre et de peintures. Mille fois plusnbsp;glorieux dans sa vie et dans sa mort que César ou Alexandre, Ie con-quérant évangélique est déposé dans la splendide Basilique. « Mais,nbsp;' ajoute rhistorien, les Vénitiens, jaloux de posséder un si grand trésor,nbsp;prirent toutes sortes de précautions pour empécher qu’il ne leur futnbsp;enlevé. Sachant que les Francais étaient tout-puissants en Occident,nbsp;et d’une avidité extréme de corps saints, qu’ils allaient chercher par-tout, ils déposèrent les reliques de saint Marc dans la Basilique élevéenbsp;en son honneur, mais dans un lieu inconnu des étrangers (i). »

De l’église, nous passames au Trésor. C’est un des plus riches et des plus vastes reliquaires du monde. Lè, sont des vases sacrés, desnbsp;patènes, un devant d’autel couvert de pierres dures orientales; plu-sieurs morceaux de la vraie croix, un clou, l’éponge, Ie roseau, Instruments de la Passion du Sauveur; Ie couteau qui servit au Fils denbsp;Dieu lors de la Gêne et sur Ie manche duquel on distingue quelquesnbsp;lettres hébraïques tellement effacées que Montfaucon ne put les lire;nbsp;enfin, deux candélabres, chefs-d’oeuvre de l’orfévrerie byzantine, quinbsp;mériteraient seuls qu’on visitat Ie Trésor.

En traversant la place Saint-Marc et la Piazzetta, nous saluémes les quatre fameux Chevaux de Corinthe, placés sur Ie vestibule denbsp;l’église, les deux piliers apportés de Saint-Jean-d’Acre et couverts denbsp;caractères cophtes : enfin, Ie Lion de Saint-Marc, emblème nationalnbsp;de l’ancienne puissance de Venise, replacé sur sa colonne après avoirnbsp;orné Ie quai des Invalides. De la, au palais du Doge, il n’y a qu’un pas.

Cet imposant édifice, avec ses hautes murailles, ses galeries orientales, son aspect sombre et sévère, son escaller des Géants et son pont des Soupirs, représente assez bien Ie gouvernement et la double vie

(i) Baron. Ann. 826, n. 33, t. ix. — Ce lieu fut découvcrt en 1094. Voyez Boldelli, Osservaz., etc. lib. i, 649, p. 509.

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282 nbsp;nbsp;nbsp;LES TIIOIS ROME.

de Ia piiissante république. Palais, tribunal, prison, il inspire je ne sais quel sentiment de terreur qu’exagèrent encore les récits menson-gers de plusieurs écrivains. Heureusement qu’on se rappelle et lesnbsp;éloges donnés par Comines au gouvernement vénitien, et Ie jugementnbsp;du grand comte de Maislre : « A l’égard des cruautés reprochées aunbsp;Tribunal des Dix, j’ai, dit-il, Ie malheur de n’y pas trop croire.nbsp;Comme ITnquisition religieuse d’Espagne, ITnquisition publique denbsp;Venise pourrait fort bien avoir régné sur les imaginations, par je nenbsp;sais quelle terreur adoucie, toute composée de souvenirs fantastiques,nbsp;qui n’avaient d’autre effet que de maintenir I’ordre en épargnant Ienbsp;sang (i). Du reste, nous visilftmes en détails les Plombs et les Puits,nbsp;sauf h voir demain la partie brillante du palais.

Les Plombs, devenus célèbres par Ie réeit de Silvio Pellico, sont des prisons placées dans les combles du chateau, dont la toiture est ennbsp;plomb. Sans doute Ie détenu devait y souffrir; néanmoins il y a entrenbsp;Ie plafond des cellules et Ie toit de l’édifice un grenier et un courantnbsp;d’air suffisant pour tempérer l’excès de la cbalenr. Du cólé de la mernbsp;la vue est ravissante. Les Plombs étaient vides de prisonniers, et dansnbsp;la chambre de Silvio nous trouvames un locataire aisé qui préféraitnbsp;eet appartement élevé a beaucoup d’autres plus élégants peut-être,nbsp;raais d’une salubrité moins parfaite.

Les Puits sont les prisons basses. Ils formaient plusieurs étages dont deux subsistent encore. Nous parcourümes ces anciens cachots,nbsp;et n’en déplalse aux romanciers, ils ne sont point placés sous Ie canal,nbsp;et Pon n’a jamais navigué sur la tête des coupables. Ces cachots, ennbsp;fortes pierres de taille, révèlent raême une pensée d’humanité qu’onnbsp;ne trouve pas toujours dans les prisons modernes. La plupart sontnbsp;garnis de madriers de chéne et d’une couchette élevée au-dessus dunbsp;sol, afin de prévenir 1’humidilé. Ajoutez qu’aucun prisonnier n’y futnbsp;jamais chargé de chaines, sorte de privilége peut-être unique dansnbsp;l’histoire des prisons. Ajoutez, enfin, que sur la grande galerie quinbsp;communique aux Puits et sur laquelle passaient et repassaient chaquenbsp;jour Ie doge, Ic sénat, les inquisiteurs, est la bulle si louchante d’Ur-bain VIII qui accorde de grandes faveurs spirituelles i tous ceux dontnbsp;la charité soulagera, même faiblement, les prisonniers. Rappelez-vousnbsp;que ces magistrals étaient des cbrétlens animés de la foi du moyennbsp;êge, et vous pourrez alïirmer, sans crainte d’erreur, que les Puits denbsp;Venise furent un peu moins horribles que les autres prisons du mémenbsp;temps.

(i) Lettrc IIsur VInq. p. Ü6.

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PRISONS. nbsp;nbsp;nbsp;283

Le témoignage au moins négatif de ceux qui les habitèrent semble confirmer cette induction. A la lueur d’une torche nous lumes unenbsp;foule d’inscriptions tracées amp; la craie rouge sur les parois des cachots.nbsp;Bien qu’elles manifestent, avec une libre énergie, les dispositionsnbsp;personnelles de leurs auteurs, il n’en est aucunequiexprime la plainte.nbsp;La résignatioD, la prudence, le courage, la défiance des hommes,nbsp;telles sont les qualités que se recommandent les uns aux autres lesnbsp;habitants de ces sombres demeures (i).

12 AVRIL.

Suite du palais du Doge.—Peintures. — Bibliolhèque.— Palais des Beaux-Arls.—

— nbsp;nbsp;nbsp;École vénitienne. — Palais Barbarigo. — Grimani. — Buste do Beatrix. — Arsenal.

— nbsp;nbsp;nbsp;Le Bucentaure.

(t La gloire et la splendeur passées de Venise éclatent de toute part au palais du Doge : d’immenses tableaux du Titien, du Tintoret, denbsp;Paul Véronèse et d’autres habiles maitres, rappellent les grandes actions de son histoire; une sorte de patriotisme respire dans ces bellesnbsp;peintures. Venise y parait toujours comme l’emblème de la force, denbsp;la grandeur et de la beauté : elle est une déesse puissante qui brisenbsp;des chaines, ref-oit les hommages des villes soumises; elle est dans lenbsp;ciel au milieu des statues des saints et des saintes; on la volt entre lanbsp;Justice et la Paix; elle est entourée des Vertus, couronnée par la Vic-

(t) Voici quelques-unes de ces maximes. Dans le cachot n» V, au rez-dc-cbaussee on Ut:

Maledictus homo qui confidit in homine.

Soli Deo honor et gloria.

Dans le cachot n» IX, au rez-de-chaussée :

Non ti fidar d'alcuno pensa, e tact Sefuojr vuoi dei spioni insidie, e lacinbsp;ll pentirti, il penlirti nula giova.

Ma ben del valor tuofa vera prova.

De chi me fido guardami Iddio;

De chi no me fido me guardaro io.

Vn parlar poco ed un Negar pronto ed unnbsp;Pensar il fine pot dar la vitanbsp;A noi allri meschini. 1605.

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284 LES TROIS ROME.

toire, OU elle apparait dans les nues au milieu de la foule des divini-tés : l’allégorie perd de sa froldeur ordinaire, puisqu’elle y devient l’expression d’un sentiment d’orgueil et d’amour de la cité. »

Après celte appréciation générale, nous examinümes en particulier les peintures de la salie du grand Conseil. A droite, en entrant, estnbsp;l’immense tableau de la gloire du Paradis, ouvrage de la vieillesse dunbsp;Tintoret. Malgré l’espèce de confusion qui semble régner dans lesnbsp;innombrables figures, il est encore un chef-d’oeuvre de premier ordre.nbsp;Les peintures qui couvrent entièrement les murs et Ie plafond, indé-pendamment de leur beauté, offrcnt un grand intérét sous Ie rapportnbsp;historique, puisqu’elles représentent les fastes de la république véni-tienne et les événements religieux, politiques ou militaires qui eurentnbsp;Ie plus d’inlluence sur les destinées des nations eui’opéennes. On re-raarque, entre autres, Ie Retour du doge André Contarini après lanbsp;victoire remportée sur les Génois, et l’Apothéose de Venise, doublenbsp;chef-d’oeuvre de Paul Véronèse; la Première Conquête de Constantinople par Dandolo, de Palma Ie jeune; et Ie combat naval dans lequelnbsp;Othon, fils de l’empereur, fut fait prisonnier par les Vénitiens, denbsp;Dominique Barbare.

La salie du grand Conseil est aujourd’hui la Bibliothèque de Saint-Marc. Jamais livres ne furent plus magnifiquement logés, si ce ne sont ceux du Vatican. Pétrarque et l’illustre cardinal Bessarion furent,nbsp;l’un Ie fondateur, Tautre Ie bienfaiteur Insigne de la Bibliothèque denbsp;Venise, qui compte environ soixante-dix mille volumes. Le Prince denbsp;1’Église donna sa riche collection de livres grecs et latins, afin que sesnbsp;malheureux compatriotes non moins que les Européens pussent ennbsp;tirer des fruits abondants.

Les voeux du bienfaisant cardinal n’ont pas été stériles. Non-seule-ment Venise se distingua longtemps par son amour des lettres et des sciences, mais encore elle fit participer 1’Europe cntière amp; ses richesnbsp;trésors. Les travaux des trois Aide, premiers imprimeurs de livresnbsp;grecs, et la multiplicité de leurs éditions, ont étendu le bienfait denbsp;Bessprion : les éditions d’Alde Panelen ont l’autorité des manuscrits.nbsp;Afin de rendre a chacun ce qui lui appartient, il est juste de direnbsp;qu’il fut, ainsi que ses descendants, noblement encouragé par les Sou-verains Pontifes, notamment p.ar Paul IV et Clément VUL Le premiernbsp;chargea Paul Manuce d’imprimer les oeuvres des saints Pères, et luinbsp;confia 1’imprimerie du Capilole; le second, remit è Manuce le jeune lanbsp;direction de l’imprimerie du Vatican. II n’est pas un progrès utile ennbsp;tête duquel on ne trouve la papauté. Deux manuscrits fixèrent surtout

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ÉCOLE VÉN'ITIEN’NE. 283

notre attention : un Évangéliaire, qui conipte prés de mille ans, et les Actes du Concile de Chalcédoine, manuscrit in-folio du xivquot; siècle,nbsp;provenant du cardinal Bessarion.

Nous donnitmes Ie reste de la journée é la visite des Galeries, des Musées publics et particuliers, et de l’Arsenal. Dans rimpossibililénbsp;de décrire tous les objels d’art qu’ils renferment, je me contenterainbsp;de dire que Venise est pour l’artiste une mine d’une variété et d’unenbsp;richesse inépuisable. Toutefois, a part les mosaïques de Saint-Marc etnbsp;les peintures de plusieurs églises, la plupart des ouvrages appartien-nent è la renaissance. II faut encore excepter Ie palais Manfrin quinbsp;conserve, dans une galerie séparée, les ceuvres des anciens peintresnbsp;Cimabue, Giotto, Montagna. Mals l’école Vénitienne, représentée parnbsp;les frères Gentile et Giovanni Bellini, Ie Giorgione, Ie Titien, Ie Tin-toret, Paul Véronèse, fut, sans contredit, la première pour Ie colorisnbsp;et par Ie faire tout ensemble énergique, noble et sévère. A l’Académienbsp;des Beaux-.\rts on remarque surtout saint Mare opérant un miraclenbsp;pour délivrer uc esclave, tableau classique du Tintoret; les Noces denbsp;Cana, Ie plus bel ouvrage de Padovanino; la sainte Vierge sur un trónenbsp;avec l’Enfant Jésus, de Paul Véronèse. Le palais Barbarigo offre lanbsp;célèbre Madeleine du Titien; et le palais Manfrin, la Descente de Croixnbsp;du même peintre. Une Galerie de familie peinte par le Titien et Paulnbsp;Véronèse, avec un Musée rempli de statues antiques, d’inscriptions etnbsp;de bronze, rendent le palais Grimani digne de Rome et de Naples.nbsp;Prés de la place Saint-Marc, Ia Piscina de san Mosè, demeure dunbsp;comte Cicognara, possède le buste de laBéatrix du Dante, chef-d’oeuvrenbsp;de Canova.

Venise, qui venait de se montrer si gracieuse, si brillante, si riche dans SOS galeries, ses musées et ses palais, nous apparut puissante etnbsp;formidable dans son antique arsenal. Void, è 1’entrée, les deux lionsnbsp;gigantesques en marbre du Mont Ilymète, enlevés d’Athènes par Mo-rosini, surnoramé le Péloponésien. Au-dessus de la porte est la gracieuse statue de sainte Justine, monument de la victoire navale rem-portée sur les Turcs par les Vénitiens, le jour de Ia glorieuse martyre,nbsp;en 1371. Dans les salles, parfaitement tenues, le voyageur francaisnbsp;considère avec une respectueuse éraotion l’armure de Henri IV, dontnbsp;Je bon roi fit présent amp; la république, le jour oü il fut admis au nombrenbsp;des nobles Vénitiens. Le chrétien s’arrête devant les casques des croisésnbsp;eompagnons du célèbre Dandolo, et devant les longs et brillants éten-dards pris sur les Turcs a Ia bataille de Lépante. Enfin, nous exami-Dftmes avec une vive curiosité le petit modèle du Bucentaure, qui rap-pelle la fête la plus brillante et Ia plus populaire de Venise.

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286 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.

Reine de Ia mer, Venise, au temps de sa splendeur, renouvelail chaque année, aux yeux de l’Eiirope entière, la consécration de sounbsp;empire. Le Doge épousait la mer : mariage tout a la fois militaire etnbsp;religieux, qui produisit, durant de longs siècles, de glorieux fruits denbsp;salut pour les nations occidentales. II ne faut pas l’oublier, c’est denbsp;l’arsenal de Venise que sortirent les nombreuses flottes qui, s’oppo-sant è l’invasion toujours menagante des Turcs, sauvèrent la civilisation de ritalie. Venise fut sur mer pour le midi de l’Europe, ce quenbsp;Ia Pologne fut sur lerre, pour les contrées du Nord. L’alliance de lanbsp;religion avee le courage de son peuple, telle fut la cause de sa puissance. Quoi de plus juste qu’elle la reconnut et en renouvelamp;t les conditions dans une fête solennelle (i)! Le Bucentaure servait è la cérémonie. C’était une magnifique galère, étincelante de dorures, de centnbsp;sept pieds de long sur vingt-deux et demi de large. Le jour de l’As-cension était choisi pour les Épousailles de la mer. Sur le premiernbsp;pont du navire on comptait cinquanle-deux rames, vingt-six de chaquenbsp;cóté; tandis que le deuxième pont formait une vaste salie, ornée denbsp;sculptures dorées d’un bout ii l’autre, tapissée de velours et ferniéenbsp;par de belles glacés. Les sculptures représentaient les attributs desnbsp;Vertus et des Saisons : éloquente réunion qui indiquait l’empire de lanbsp;religion sur la nature et les éléments. Au fond de la salie s’élevait lenbsp;fauteuil du Doge, brillant de dorures et environné des siéges des sé-nateurs et des minislres étrangers. Au son des cloches et au bruit dunbsp;canon, aux fanfares de la musique, aux acclamations de tout le peuple,nbsp;le Bucentaure sortait de l’Arsenal la veille de l’Ascension, et se met-tait h Tancre devant la place Saint-Marc, en attendant la cérémonie.

Dés le lendemain, tous les navires du port, richement pavoisés, entouraient le Bucentaure, et formaient un brillant cortége. Le Pa-triarche de Venise, le Doge, tous les sénateurs, en grand costume,nbsp;monlaient sur le royal vaisseau, qui s’avangait en pleine mer, a quel-que distance du Lido. La, au milieu des chants du clergé, aux yeux denbsp;tous les ambassadeurs, qui semblaient, par leur présence, reconnaitrenbsp;cette prise de possession, le Doge s’avangait majesiueuseraent sur Ienbsp;pont, et épousait la mer en y jetant un anneau d’or et en disant:nbsp;({ Nous t’épousons, notre mer, pour marque de la véritable et perpé-'nbsp;tuelle domination que nous avons sur toi. » Des acclamations unaninies

[i) La cérémonie des épousailles fut établie en 1273, a la suite de quelqucs contestations entre les Bolonais et les Anconitains d'une part, et les Vénitiens de l’autre. Ces dorniers, vainqueurs de leurs rivaux, voulurcnt constater, par unecérémonie annuelic,nbsp;leur souveraineté sur l’Adriatique.

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LE BUCENTACRE. 287

saluaient Ie renouvellementderalliance. Huit jours après la cérémonie, lo Bucentaure rentrait dans TArsenal. L’histoire de Venise est pleinenbsp;de fails éclatants qui raontrent avec quelle généreuse fidélité les épouxnbsp;de l’Adriatique gardèrent leur central. Si la mémoire manque aunbsp;voyageur, il peut nous suivre domain dans la visite des églises. II ynbsp;verradesesyeux lesnombreuxmonuments qui redisent Ie mèle couragenbsp;et les utiles exploits des nobles Véniliens centre Ie plus formidablenbsp;ennemi de la civilisation européenne, l’Islamisme.

13 AVRIL.

EgUses della Salute, — Dei Frari, — Ae Saint-Pierre. — Souvenirs de saint Laurent-Justinien. — Idee du gouvernement vénitien. — Saiuts-Jean-et-Paul. — Monument de Marc-Antoine Bragadino. — Saint-Georges-Majeur. — Maitre autel. — Inscriptionnbsp;relative a une indulgence. — Souvenir de Pie VII. — Monument du doge Micbeli. —nbsp;Chapelle des Cordeliers. — Souvenirs de Saint-Marc.

Venise possède tant de belles églises et de superbes mausolées que je n’en dirai presque rien. L’église de Samle-Mzrie-della-Salute, voi-sine du séminaire patriarcal, intéresse bien moins par ses cent cin-quante statues et son grand candélabre de bronze, Ie plus beau denbsp;1’État vénitien après celui de Padoue, que par les trois sublimes tableaux du Titien : la Mort d’Abel, Ie Sacrifice d’Abraham et Davidnbsp;tuanl Goliath. A l’église du Rédempteur brille Ie génie de Valladio, Ienbsp;Vitruve des temps modernes et Ie restaurateur de l’architecture ennbsp;Italië. Sainle-Marie-tfet-Fran possède plusieurs magnifiques mausolées;nbsp;entre autres celui du général Benoit Pesaro; celui du doge Francoisnbsp;Foscari, mort en 14S7; du brave Sébastien Veniero, un des trois ami-raux qui commandaient è Lépante; Ie monument Orsini, d’une élégante et noble simplicité, et celui de Canova. Dans la vaste et anciennenbsp;église de Saint-Pierre, on voit Ia chaire de marbre, en forme de fauteuil, que la tradition dit avoir servi a saint Pierre, è Antioche; et Ienbsp;roagnifique tableau de Bellucci montre saint Laurent-Justinien quinbsp;délivre Venise de la peste.

Tout parle encore, a Venise, de ce grand Saint, l’ornement de 1’épiscopat et la gloire de sa patrie. La première pensée du voyageurnbsp;caiholique est pour Pimmortel patriarche, comme une de ses premières démarches est la visite de son tombeau. En parcouranl lesnbsp;fuelles, les ponts et les lagunes, on croit apercevolr, è chaque pas,nbsp;cette grande et douce figure devant laquelle s’arrêtait, silencieuse, la

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288 nbsp;nbsp;nbsp;I-ES TROIS ROME.

foule bruyante et agitée; on croit entendre ce noble enfant des Gius-tiniani, couvert de la robe de bure des religieux de Saint-Georges, demandant l’aumóne a ceux qui naguère l’avaient vu parcourant Ienbsp;grand canal sur les gondoles dorées de son illustre familie; on Ie voit,nbsp;s’arrêtanl au seuil du palais maternel, priant les domestiques de sonnbsp;père de donner au pauvre de Jésus-Christ les restes de la table. A lanbsp;voix de son fils, la pieuse mère sentait ses entrailles émues, et ordon-nait de lui donner tout ce qu’il demanderait et méme au-dela; maisnbsp;Ie jeune Saint ne recevait que deux pains. Après quoi il souhailait lanbsp;paix ^ ceux qui l’avaient assisté et se retirait comme s’il eüt été unnbsp;élranger.

Devenu, malgré ses protestations et ses larmes, évêque de Venise, il fut tout amp; la fois Ie Vincent de Paul et Ie Charles Borromée de sonnbsp;siècle. Pour honorer tant de vertus, Ie pape Nicolas V attacha la di-gnité patriarcale au siége de Venise. Toujours humble sous la pourpre,nbsp;toujours pauvre dans l’abondance, Laurent sauva sa patrie par la puissance de ses prières; et lui laissa, en mourant, un de ces exemplesnbsp;sublimes qui valent mieux pour la prospérilédes États que d’éclatantesnbsp;victoires. « Que voulez-vous faire? dit-il è ses domestiques tout occu-p6s è lui préparer un lit moins dur que Ie grabat dont il se servait.nbsp;Vous perdez votre temps, mon Seigneur est mort étendu sur unenbsp;croix. Ne vous rappelez-vous pas que saint Martin disait, dans sonnbsp;agonie, qu’un chrétien doit mourir sur la cendre et Ie cilice? » Et ilnbsp;voulut mourir coucbé sur un peu de paille. Quant a son testament,nbsp;comment Ie faire, il ne possédait rien? Pourtant il voulut tester; cenbsp;fut pour léguer sa belle arae è ses diocésains, en les exhortant tous ènbsp;la vertu; et son corps au couvent de Saint-Georges, ordonnant de l’en-terrer comme celui d’un simple religieux.

Les Giustiniani, qu’on croit descendre des empereurs Justin et Jus-linien, étaient une des quatre families vénitiennes appelées Évangé-listes. Ce nom extraordinaire révèle l’économie profondément catholl-que du gouvernement de Venise. Ce gouvernement était une monarchie élective. Investi pour la vie du pouvoir de décider la guerre ou la paixgt;nbsp;de commander les armées, de nommer aux fonctions publiques et denbsp;présider Ie sénat, Ie Doge était nommé par la noblesse. Celle-ci se di-visait en quatre classes : la première, composée des families qui des-cendaient des douze tribuns par lesquels Ie premier Doge fut élunbsp;en 709, et qui, par une espèce de prodige, subsistèrent jusqu’è la fif^nbsp;de la république. Voici leurs noms glorieux dans les fastes religieux etnbsp;militaires de l’Europe ; Contarini, Badoera, Morosini, Gradenigo.

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IDÉÉ DU GOUVEDNEMENT VÉNITIEN. nbsp;nbsp;nbsp;289

Tiepolo, Micheli, Sanudo, Memo, Faliero, Dandolo, Polano, Barozzi. Ces premières families électorales étaient comparées aux douzenbsp;Apótres.

Dans cette classe il y avail encore quatre families, comparées aux quatre Évangélistes. Presque aussi anciennes que les précédentes, ellesnbsp;signèrent avec elles la fondation de la grande église de Saint-Georges-Majeur, Tan 800. Ce sont : les Giustiniani, les Cornaro, les Bragadinonbsp;et les Bembo.

La seconde classe se composait des families dont les noms se trou-vaient inscrits dans Ie livre d’or ou regislre de la noblesse, dressé Pan 1289.

La troisième était formée de ceux qui, postérieurement a cette époque, avaient acheté leurs litres de noblesse cent mille ducats. Ainsi, a Venise comme dans notre ancienne monarcbie, tout Ie monde pouvaitnbsp;devenir noble. II suflisait d’avoir acquis l’indépendance doracstiquenbsp;et montrer que désormais on était en état de se dévouer au servicenbsp;public de la société : quoi! était-il rien de plus moral? Dans cette flat-teuse recompense Ie citoyen trouvait une prime d’encouragement a lanbsp;vertu, a la bonne conduite, au travail, è l’esprit de sacrlQce. De sonnbsp;cóté, cette longue épreuve offrait è la société des garanties précieusesnbsp;de noblesse de sentiments, de probité et de désinléressement dans ceuxnbsp;qu’elle admettait a la gestion des emplois publics.

La quatrième classe comprenait ceux qui avaient été agrégés au sénat de Venise.

Dans Ie corps de la noblesse étaient pris les six Sages qui étaient comme les ministres de la république. Ils rappelaient les sept diacresnbsp;primitifs de Jérusalem et les diacres régionnaires de Rome. Cettenbsp;belle et forte hiérarchie è laquelle Venise dut douze cents ans de glo-rieuse existence, périt sous les coups de la révolution frangaise. Ennbsp;apprenant la mort du capitaine de vaisseau Laugier, Bonaparte s’étaitnbsp;écrié : « La République Véniticnne a vécu. » Le 10 mai 1797 un denbsp;ses lieutenants, Ie géncral Baraguay-d’IIilliers entra dans la ville, etnbsp;débarqua sur la place Saint-Marc. On brüla publiquement Ie Livrenbsp;d’Or et tous les insignes du pouvoir renversé.

A Saint-Pierre succéda Saints-Jean-et-Paul. Ce temple superbe, vaste Basilique du moyen ège, aux vitraux a la fois éclatants et som-Ijres, toute resplendissatite des peintures du Titien, de Vivarini, denbsp;Bellino, de Corona, et des sculptures de Pietro Lombardo, de Barlhel,nbsp;de Grapiglia, de Taglia Pietra de Torreto, maitre de Canova, est unnbsp;monument national rempli des magnifiques mausolées des doges, des

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290 LES TKOIS ROME.

sénateurs et des grands hommes de Venise : c’esl Ie Saint-Denis de la république. On remarque, d’abord, les monuments des doges Pierrenbsp;et Thomas Monnigo, sous lesquels Venise parvint a l’apogée de sa puissance; celui du doge Léonard Loredano qui institua Ie Conseil des Dixnbsp;et les Inquisiteurs d’État; celui du général Pompée Giustiniani, mortnbsp;sur Ie champ de bataille en 1616; ceux des doges Thomas et Jean Monnigo, du XV' siècle, chefs-d’oeuvre de goüt et d’exécution; enfin, Ienbsp;plus beau, Ie plus élégant et Ie plus riche de tous les mausolées denbsp;Venise, celui du doge André Vendramini, mort en 1479.

II est un autre tombeau devant lequel on s’arrêle avec un saisisse-ment religieux, comrae on ferait devant Ie loculus d’un martyr ; c’est celui de Marc-Antoine Bragadino. Depuis trois mois, Ie brave capi-taine, a la tête d’une garnison de sept mille hommes, défendait Fama-gouste contre toute l’armée otlomane : c’était en 1571. Dans les premiers jours de mai une mine, creusée par les Turcs, éclate subitement,nbsp;éhranle toute la ville et renverse une partie des murailles. Les assié-geants tentent un assaut général; mais ils échouent. Cinq fois, pendantnbsp;six semaines, ils reviennent è la charge, et cinq fois ils sont repoussés.nbsp;Malheureusement la garnison se voit attaquée par un ennemi contrenbsp;lequel toute bravoure est impuissante : la famine.Bragadino se résignenbsp;a capituler.

Mustapha Pacha, qui commande Ie siége, lui accorde les conditions les plus honorables, et lui témoigne toute son admiration pour sa gé-néreuse défense : mais ces hypocrites démonstrations ne durent pasnbsp;longtemps. Le barbare fait garrotter Ie vaillant général, et ordonne,nbsp;pour le moment, de lui couper le nez et les oreilles. Dix jours après,nbsp;il le fait promener ignomiuieusement dans les rues de cette ville qu’ilnbsp;a si glorieusement défendue. Enfin, arrivé sur la place publique, ilnbsp;est attaché a un poteau, puis couché a terre et écorché vif. Sans laissernbsp;écbapper aucune plainte, Bragadino récite le Miserere au milieu denbsp;ses affreuses tortures; et en pronon^ant ce verset; « Accordez-moi,nbsp;Seigneur, un coeur pur, » ce grand homme exhale son dernier soupir-Non content de ce supplice horrible, Mustapha, dans sa sauvage féro-cité, ordonne que le corps du héros soit écartelé et que sa peau soitnbsp;remplie de foin pour être promenée dérisoirement sur une vache dansnbsp;le camp et dans les rues de la ville. Cette noble dépouille est ensuitenbsp;pendue è la vergue d’une galère, envoyée au sultan et exposée dans lenbsp;bagne de Constantinople a la vue des esclaves chrétiens. Mais cesrestesnbsp;précieux furent rachetés du vil Pacha, et placés dans le tombeau qnnbsp;est devant nous. Je laisse a penser quelle émotion fait éprouver la pré-

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SAINT-GEORGES-MAJEIIR. nbsp;nbsp;nbsp;291

sence de la relique du héros de Venise et de I’inseription qui rappelle son horrible supplice (i).

De Saints-Jean-et-Paul nous passamp;mes è Saint-Georges-Majeur. Noble ouyrage de Palladio, celte église forme une grande croix latine,nbsp;ornée de onze autels. Ses principales richesses sont les deux magni-fiques colonnes en marbre grec veiné qui décorent la porte d’entrée;nbsp;un Crucifix de bois, donné par Cosine de Médicis, pendant son exil;nbsp;six tableaux du Tintoret : Ie Martyre de quelques saints, Ie Couronne-ment de la Sainte-Vierge, la Cène, la Manne dans Ie désert, la Résur-rection et Ie Martyre de saint Étienne. Le maitre autel, exécuté parnbsp;Campagna sur les dessins de l’Aliense, est un monument du premiernbsp;ordre. Quatre statues en bronze, représentant les qualre Évangélistes,nbsp;soutiennent un globe sur lequel s’élève l’Agneau dominateur dunbsp;monde, belle et harmonieuse composition qui exprime noblement lenbsp;triomphe de l’Évangile : « chef-d’oeuvre de Part, comparé au Jupiternbsp;Olympien de Phidias, et placé avec raison au-dessus de la chaire denbsp;saint Pierre, du Bemin. »

Non content d’être artiste, le voyageur, dont je viens de citer l’o-pinion, veut ètre théologien. A propos d’une inscription gravée sur un des pilastres, il décoche la tirade suivante contre la papauté : « Cettenbsp;inscription semble porter bien loin la doctrine des indulgences, puis-qu’elle dit : Le pardon de tous les crimes est accordé d celui quinbsp;visitera celte église; Inscription éloquente, contemporaine de lanbsp;Saint-Barlhélemy, et qui ne respire que trop l’esprit pontifical dunbsp;temps (2). » Une erreur, une absurdité, une calomnie, une insinuationnbsp;perfide : voili ce qu’on trouve dans cette déclamation éloquente, contemporaine de Voltaire, et qui ne respire que trop Vesprit philoso-phique du temps.

Une erreur; ilest faux que 1’inscription de Saint-Georges porte plus loin que les autres formules pontificales de tous les temps, la doctrinenbsp;des indulgences. Loin de promettre le pardon de tous les crimes,nbsp;comme l’auleur le prétend, elle ne promet le pardon d’aucun crime.nbsp;Elle promet seuleinent la remise de la peine temporelle due au péché,nbsp;oe qui est bien différent. En effet, comme condition de l’indulgencenbsp;fiu’elle annonce, elle stipule, avant tout, l’expiation du péché.

Une absurdité; traduite par l’auteur, l’inscription veut dire : Celui qui aura expié ses péchés recevra le pardon de tous ses péchés en

(0 Suivant r.abbé Mariti, dans son Voyage de Cliypre, la défense de Faniagouste aux Tures soixantc-quinze mille bommes.

W Voyage en Italië, par M. Val... 1.1, liv. vr; t. xv, p. 336.

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292 nbsp;nbsp;nbsp;LES TBOIS ROME.

visitant cette église. Comment l’auteur, qui se donne Ia peine de rap-porter l’inscription tont entière, a-t-il pu tomber dans un pareil nonsens? Peut-on ignorer a ce point la langue de l’Église, ou se laisser entrainer, contre l’évidence et l’intérêt de sa réputation, au plaisir denbsp;lancer un trait contre la papauté?

Une calomnie; est-il permis, en plein xix® siècle, a un bibliothécaire royal, d’imputer a la religion, au pape et a ses doctrines Ie massacrenbsp;de la Saint-Barthélemy? Est-ce de la science et de la philosophic contemporaine?

Une insinuation perfide; cette inscription, dit l’auteur, ne respire que trop Vesprit pontifical du temps. Ou cette phrase n’a pas de sens,nbsp;ou elle veut dire qu’au xvi® siècle Ia papauté, dominéé par Ie génie denbsp;Tambition, encourageait les massacres des hérétiques, la révolte desnbsp;sujets contre les princes ennemis de l’Église, et les crimes qui sont lanbsp;suite ordinaire des perturbations sociales, en promettant Ie pardon denbsp;tous les crimes, a la condition de visiter telle ou telle église. Yoilanbsp;pourtant de quelle manière un trop grand nombre de voyageurs ennbsp;Italië, Ie sachant ou sans Ie savoir, travestissent, les uns sur un point,nbsp;les autres sur un autre, les actes pontificaux, livrent la religion au mépris, répandent et fortifient contre elle de haineux préjugés (i).

Si I’artiste entre avec amour dans Saint-Georges-Majeur, Ie chrétien n’y pénètre qu’avec un profond sentiment de respect, de reconnaissance et d’admiration. G’est ici Ie temple éternellement glorieux oünbsp;fut renouée, contrairement a toutes les prévisions humaines et a toutesnbsp;les prédictions de l’impiété triomphante, la chaine interrompue desnbsp;Souverains Pontifes. Pie VI était mort amp; Valence; et la philosophie an-

(i) Afin de mettre les pièces du procés sous les yeux du lecteur, je vals Iranscrirc rinscripUon telle qu’elle est, et telle que l’auteur lui-même la rapporte ;

Qiiisquis criminibus expiatis Slalas precans preces.nbsp;ad

XII Kal. aprilis jEdes liasce supplexnbsp;inviseritnbsp;Is

Yeniam scelerum Maximam consequulurumnbsp;se sciat

Gregorius XIII Pont. max.

Sacro cam diplomate tribuit.

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MONUMENT DU DOGE MICHELI. nbsp;nbsp;nbsp;293

lichrétienne avait entonné l’hymne funèbre de la papauté. Devant les bataillons révolutionnaires, tous les membres du Sacré Collége s’é-taient dispersés ; maitres de l’Italie, les Francais rendaient Ie conclavenbsp;impossible. Et voili» que la Providence saisit d’une main Ie jeunenbsp;guerrier dont la présence gêne son action, et Ie jette aux extréniilésnbsp;de 1’Orient; de l’autre, elle amène les Anglais et les Russes qui chas-sent les troupes frangaises de l’Italie. Un éclair brille entre deux ora-ges; et eet instant suffit è FArbilre Suprème pour accomplir sonnbsp;oeuvre : Pie Vil ést sacré a Saint-Georges. Reviennent maintenant etnbsp;Ie consul Bonaparte et ses légions victorieuses, qu’importe? l’Église anbsp;un chef; l’oeuvre divine est sauvée, sauvée malgré tous les calculs,nbsp;tous les désirs, toules les fureurs de l’iniquité. Le portrait de Pie VII,nbsp;placé a Saint-Georges, redit dans toute son étendue ce drame mé-morable.

Le tombeau du doge Dominique Micheli, le saint Bernard et le Godefroy des croisades vénitiennes, en rappelle un autre. On diraitnbsp;que la Providence a voulu rapprocher ces deux souvenirs dans unnbsp;même lieu, pour faire briber avec plus d’éclat son action perpétuellenbsp;sur FÉglise. A la tête de ses deux cents navires, Micheli, vainqueurnbsp;de Jaffa, conquérant de Tyr et d’Ascalon, la terreur des Grecs, fut unnbsp;des principaux instruments dont Dieu se servit pour repousser lanbsp;barbaric musulmane, dans la grande lutte du moyen age.

Notre pèlerinage finit amp; Saint-Frangois-c^eZZa-Ffi/wa. Cette vaste église possède dix-sept chapelles dont la plus riche est la chapellenbsp;Giustiuiani, toute revêlue de sculptures en marbre. Plusieurs mauso-lées du xv“ et du xvF siècle, ainsi que la Resurrection et Ia Sainle-Vierge, de Paul Véronèse, forment la principale richesse de cetienbsp;grande Basilique. La petite chapelle de Saint-Marc, siluée dans lenbsp;jardin du couvent voisin, occupe, suivant Ia tradition, la place mêmenbsp;oü saint Marc, se rendant de Rome en Egypte, s’arrêta et entendit unenbsp;voix divine qui lui disalt : Pax tibi, Marce, Evangelista mens, quenbsp;les Vénitiens adoptèrent pour devise (i).

(1) Que saint Marc ait prêclic l’évangile a Aquilee, ofi il eut pour successeur le glorieus martyr Hermagoras, c’est un fait altesté par la tradition constante; qu’il ait passé en se rendant en Egypte par les Lagunes ou Yenise est batie, 1’inspection desnbsp;lieux rend vraisemblable un fait que la tradition donne pour certain. Yoyez Bar. An.nbsp;1.1, an. 46. Mamacbi, Orig. etc. t. ii, lib. n, 244.

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294 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.

U AVRIL.

Cliarilé vénitienne. — La I'itié. — Spedalctto. — Saint-Jcróme-Emiliani. — Casa di Ricovero. — Casa d’Industria. — Aumónes annuelles. — Ile de Murano. — Glacés. —nbsp;Perles. — Clou de Ia Passion. — lie Saint-Lazare.— Méchitaristes. — Départ denbsp;Venise. — Phosphorescence de la mer. — Dernier reflet de la gloire de Venise.—nbsp;Plotte et bataillc de Lepante.— Noms des vaisseaux.

En baptisant une nation, Ie christianisme lui imprime trois carac-tères ; la force, l’intelligence et la charité. La plus puissante des ré-publiques niodernes, Venise, porta, dès l’origine, cette glorieuse au-réole. Ses victoires en Europe et en Orient nous ont témoigné de sa valeur; son intelligence brille encore dans ses églises, dans ses mu-sées, dans ses galeries et dans ses souvenirs historiques. Sous ces deuxnbsp;premiers rapports, la reine del’Adriatique est déchue desa splendeur;nbsp;niais la charité lui reste, et ce divin flambeau, qui répandit un douxnbsp;éclat sur sa prospérité, embellit encore d’un noble reflet les débris denbsp;sa grandeur effacée. II est consolant de contempler cette gloire qu’onnbsp;n’a pu lui ravir. D’ailleurs si Thistoire religieuse et charitable desnbsp;pays qu’il parcourt fut, dans tous les temps, Ie but Ie plus noble etnbsp;Ie plus utile du voyageur, aujourd’hui de nouveaux motifs doivent Ienbsp;rendre sacré. D’une part, rindiffércnce religieuse et la philanlhropie,nbsp;qui menaeent de tout envahir et de tout matérialiser; d’autre part, Ienbsp;progrès du paupérisme, parallèle a celui de l’industrle, et les idéésnbsp;qui fermentent parnii les peuples, créent une situation grave, pleinenbsp;de menaces et de périls. La charité seule peut la conjurer et venir ennbsp;aide a la société. Faire connaitre ses ceuvres, ses secrets, ses admira-bles inventions est done un service d’autant plus utile que, sous cenbsp;rapport, nous avons beaucoup amp; apprendre. Cette pensée, qui m’a faitnbsp;indiquer ou décrire, dans chaque ville, les institutions charitables, menbsp;détermine a faire aujourd’hui l’esquisse de la charité vénitienne,nbsp;comme je Ie ferai bientót pour Milan et pour Turin.

Des richesses que la valeur et l’hablleté de ses navigateurs faisaient refluer vers ses iles, la reine de l’Adriatique fit toujours une belle partnbsp;aux pauvres, et nul genre de misère ne fut délaissé. Au x' siècle Ienbsp;saint doge Pierre Orseolo construisit un höpital, en face de son palaiSinbsp;pour les innombrables pèlerins de la Terre-Sainte; un siècle plus tard,nbsp;il s’en élevalt un autre sous Ie patronage des saints Pierre et Paul, oUnbsp;trouvèrent accès, non-seulement les pèlerins, mais encore les blessésnbsp;a quelques nations qu’ils appartinssent; Ie xiii® siècle vit biUir, par Ie

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ClURITÉ YÉSITIENNE. nbsp;nbsp;nbsp;29S

fils du doge Pierre Ziani, Ie magnifique hospice des Arniéniens qu’ad-ministrent encore les Méchilaristes de Saint-Lazare.

Au xiv“ siècle, Venise fut témoin d’une aulre raerveille. Le tumulte des arrnes, le concours d’une multitude d’étrangers, avaient produitnbsp;dans l’opulente cité un grand relAchement de moeurs. Les naissancesnbsp;illégitimes se multipliaient, et les abandons aussi. C’est alors que vintnbsp;prècher, dans cetle ville, un religieux franciscain, Pierre d’Assise,nbsp;homme d’un zèle apostolique et d’une charité ardente. Ses verius etnbsp;son éloquence ne tardèrent pas è le faire chérir des Vénitiens. II ron-conlrait souvent, dans les rues, des enfants exposés, et les cris de cesnbsp;pauvres petitsluidéchiraient l’Ame. Neprenantconseil que de sa tendrenbsp;compassion, ilrésolut, luiélranger et indigent, deleurcréerunrefuge.nbsp;11 en demande l’autorisation au magistrat, puis il se rend de maisonnbsp;en maison faisant retenlir celte seule invocation : Piëta! Piëta!

II n’en fallut pas davanlage; les portes et les bourses s’ouvrirent. Bientót des centaines d’orpheiins étaient affranchis de la mort : a leurnbsp;sauveur demeura le surnom de Petit Frère Pierre de la Pitié. Sousnbsp;sa direction, deux confréries d’homraes et de femmes s’organisent; lesnbsp;hommes vont par les rues a la recherche des enfants, les recueillent,nbsp;les portent eux-mêmes è l’asile préparé, oü les femmes leur prodi-guent de tendres soins. Lorsque Pierre mourut, en 1553, son pieuxnbsp;établissement, fondé depuis sept ans, était consolidé, et le Doge ennbsp;acceptait le patronage è perpétuilé. Jusqu’en 1797, les plus haulsnbsp;patriciens se firent honneur de l’administrer. Les Souverains Ponlifesnbsp;avaient attaché des bénédictions spéciales a celte ceuvre ; le jour desnbsp;Rameaux le sénat, précédé du Doge, allait solennellement visiter l’é-glise pour gagner l’indulgence et déposer une riche aumóne : unnbsp;Foscarini laissa un legs de cent mille ducats. Les orphelins recevaienlnbsp;1’inslruction religieuse et apprenaienl un métier. Les gargons demeu-raient dans la maison jusqu’é 18 ans et étaient ensuile conliés a desnbsp;patrons qu’on choisissait de préférence parmi ceux qui n’avaient pasnbsp;d’enfants. On gardait les lilies jusqu’a ce qu’elles trouvassent un hon-nête établissement. Le mailre de la chapelle du Doge les formait a lanbsp;musique vocale et instrumentale : des talents très-dislingués sont sortisnbsp;de cette heureuse alliance de la charité avec les arts.

Sous l’influence de saint Laurent-Justinien, le xv“ siècle fut un des plus brillants dans l’histoire de la charité vénilienne. Le précurseurnbsp;de saint Vincent de Paul réchauffa lezèle de ses compatriotes, soutintnbsp;les oeuvres existantes et en prépara de nouvelles. On les vil éclore aunbsp;siècle suivant. En 1527 la famine désolait la Lombardie; le sénat de

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Venise avail suffisamment approvisionné la cité; mais celte .sage pré-voyance y fit refluer une multitude d’étrangers affamés, qu’on vit bientót se trainer par les rues, hèves, maladifs, épuisés, ayant a peinenbsp;la force de tendre la main. Les entrailles de quelques hommes pieuxnbsp;s’éraurent; ils improvisèrent au Busaglio un vaste liópital temporaire,nbsp;pour offrir a ces mallieureux des lits, des soins, des aliments. Dèsnbsp;l’année suivante la charité entendait perpétuer son oeuvre du moment,nbsp;et comme gage de durée y fondait une chapelle. On résolut de I’affec-ter aux orphelins de père et de mère. Alors vivait a Venise un richenbsp;patricien, Jéróme Émiliani. II avail porté les armes avec honneur etnbsp;exercé de grands emplois; mais hientót son ambition s’élait tournéenbsp;au soin des abandonnés et des veuves. II accourt au Busaglio, se dé-pouille d’un magnifique patrimoine; et, après ses biens, voue sa per-sonne au service de ces pauvres enfants, se faisant leur caléchiste etnbsp;leur nourricier, leur chef d’atelier et Ie patron de leur apprentissage.nbsp;Pendant leur séjour h Venise, saint Ignace de Loyola et ses premiersnbsp;compagnons furent les auxiliaires de saint Jéróme Émiliani. Cettenbsp;maison, qu’illustrent de si touchants souvenirs, subsiste, gróce ó sesnbsp;propres ressources et it une subvention municipale : les orphelins etnbsp;les orphelines y sont confiés a deux congregations différentes. Quandnbsp;vous irez a Venise ne manquez pas de visiter lo SpedalcUo.

Pendant que des saints illustres fondaient au Busaglio ce précieux asile pour l’enfance, une grande pécheresse fondait, sur un autre pointnbsp;de la cité, un refuge pour les lilies exposées. Non contente de se livrernbsp;a une pénitence austere, pour effacer quelques années de sa jeunesse,nbsp;Vérouica Franco voulut éviter a d’autres les écueils qu’elle avail tropnbsp;connus. Le Soccorso casa Pia, situé sur la paroisse Saint-Raphael, re-cevait les personnes qui ne trouvaient pas un abri sullisant dans lenbsp;monde et celles que ramenait le repentir. De nombreuses sympathiesnbsp;lui vinrent en aide, el le grand Conseil s’y associa, par un décretnbsp;solennel, en 1593. Le reglement voulait que les repenties ne pussentnbsp;sortir que pour embrasser la v'ie religieuse ou pour se marier. Partout,nbsp;en Italië, on voit la charité s’occuper eflicacement de l’avenir des enfants et des personnes abandonnées.

Vers le même temps on fondait, a Saint-Lazare, un dépot de men-dicité qui fut plus tard transporté dans le voisinage des Saints-Jean-et-Paul. Un riche marchand, Bontempio, y consacra 30,000 ducats do son vivant, et 100,000 après sa mort. On y joignit un oratoire musical qui devint célèbre et donna lieu a un usage touchant. Chaquenbsp;dimanche une foule nombreuse s’y portait, et après les devoirs pieuX

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CAS.V UI niCOSEUO. 297

accomplis, tous descendaienl au dépöl ; palriciens, marchands, bourgeois, faisaient Ie catéchisnie aux vieillards et les servaient a table.

Grace a saint Gaëtan de Tienne et a saint Jéróme Émiliani, les incurables eurent aussi leur asile : la vieillessc ne fut pas oubliée. Nous visitAmes avec bonheur la Casa di liicovero, qui revolt quatre centsnbsp;vieillards des deux sexes dans des balinients séparés. Les malades etnbsp;les pauvres sont royalenient traités a Venise. Cette ville possède deuxnbsp;magnifiques hópitaux, l’un militaire, pouvant recevoir mille malades,nbsp;l’aulre civil, pouvant en recevoir qualorze cents. L’hópilal des Frèresnbsp;de Saint-Jean-de-Dieu renferme deux cents lits affectés i la cliniquenbsp;chirurgicale. On y regoit encore sept cents aliénés. Gette maison sub-siste, en partie, par la libéralité du dernier doge de Venise, Marini.nbsp;Mort de douleur, après la chute de la république, eet homme charitable donna un dernier témoignage d’attachement a sa patrie par unnbsp;splendide legs de 100,000 ducats A partager également entre un asilenbsp;d’aliénés et un asile d’enfants orphelins ou abandonnés. L’hospice desnbsp;Convalescents, alia Croce, complete ce système de charité.

II nous restait a voir la Casa d’industria, ou Atelier libre de travail. Fondée en 1812, cette maison occupe environ cinq cents indi-gents. Véritablement industrielle, elle confectionne des tapis, des nattes, du pain, tient un atelier de buanderie. Elle a, en outre, l’en-treprise du balayage des rues et de leur éclairage A Fhuile. Tout pau-vre sans emploi y est admis avec un certificat du curé et du commis-saire de ch.arité.

L’hospice des Enfants-Trouvés mérite encore Fattention par 1’ordre et l’économie qui Ie distinguent. Quatre mille enfants, dont prés denbsp;la moitié a été exposée, y sont annuellement admis. Tous sont occupésnbsp;a la campagne, A l’exception de deux cents, qui restent dans la maison.nbsp;Les filles, en se mariant, refoivent une couverture de laine et 9o li-vres 75 centimes d’Italie.

Pour compléter cette esquisse de la charité vénitienne, il aurait fallu parler de maintes oeuvres de détail, de fondations répanduesnbsp;dans presque toutes les iles qui entourent les lagunes, de maisons denbsp;retraite annexées A la plupart des paroisses, des soixante-douze confréries pour Ie soulagement des indigents de chaque paroisse, de lanbsp;grande confrérie qui fournissait a tous gratuitement les soins médi-caux et les remèdes, des commissions vouées spécialement aux pauvresnbsp;honteux. Ces confréries et ces commissions ont été réunies, en 1814,nbsp;sous une direction centrale appelée Puhlica Beneficenza. Les revenusnbsp;fondés, les dons annuels mettent a la disposition de la direction une

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somme de 3 millions 400 mille francs, somme magnifique pour une ville de 114,000 ftmes, et qui est employee en distributions de vête-ments, decouchers, de chauffage, d’aliments, et médications gratuites.nbsp;De plus, les indigents re^oivent personnellement 15, 20, 30 centimesnbsp;par tête, et davantage encore, selon les besoins constatés. A Paris l’Ad-minislration des Hospices n’alloue, pour Ie service des Bureaux denbsp;Bienfaisance, que 1,700,000 francs (i).

Après les établissements de cbarité vient une autre gloire de Venise, et celle-ci fut longtemps un privllége exclusif : je veux parler de la fabrication des glacés. Aujourd’hui les différentes villes del’Europe luinbsp;font une redoutable concurrence, et produisent des glacés plus grandesnbsp;que celles de Venise. Néanmoins ces deruières conservent, dit-on, unenbsp;supériorilé incontestable. Toules les glacés de Venise sont soufflées,nbsp;tandis que les belles glacés de Paris sont coulees. De lè 1’énorme difference de beauté qui existe enlre les premières et les secondes. Lesnbsp;premières sont plus égales, plus unies, et ne sont pas, comme les secondes, sujettes a renfermer des bulles d’air, ni a faire paraitre unenbsp;figure plus longue ou plus large ou plus courte et même difforme,nbsp;ce qui arrive quelquefois dans nos glacés coulées, par suite des partiesnbsp;plus ou moins épaisses ou inégalement étendues. L’infériorité actuellenbsp;des glacés vénitiennes tient amp; leur petitesse comparative. Les plusnbsp;grandes n’ont guère que trois pieds et demi de hauteur sur deuxnbsp;pieds et demi de largeur. C’est, nous dit-on, tout ce que Ie soufile denbsp;riiomme peut produire de plus élendu.

L’ile de Murano, oü se trouvent ces ateliers si renommés, nous offrit aussi la fabrication des perles. On a peine it concevoir comment onnbsp;peut donner ces jobs petits objets a si bon marclie ; décrire les procédés de fabrication est peut-être un moyen de résoudre Ie problème.nbsp;On commence par mêler diverses couleurs avec les éléments ordinalresnbsp;du verre. Quand la matière est en fusion, un verrier plonge un longnbsp;tube OU chalumeau dans Ie four. II en retire un morceau de matièrenbsp;qu’il présente au chalumeau d’un autre ouvrier; les deux verriersnbsp;soufflent chacun de leur cóté, et la matière, traversée par l’air, formenbsp;une espèce de manchon. Aussilót deux enfants s’emparent des chalu-meaux et s’éloignent en courant, chacun dans un sens opposé. La matière vilreuse, qui est molle, s’allonge indéfiniment, sans se rompre,nbsp;jusqu’a ce qu’elle se refroidisse; et l’air introduit dans Ie tube, se

(i) Nous devons la plupart des détails qui précédent, aux mémoires iiiédits d’un Vénitien, et dont un excellent recueil, les Annales de la Charité, vient de donner unnbsp;extrait. 31 oct. 1843, p. 633.

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PERLES. nbsp;nbsp;nbsp;299

dilatant è mesure que la matière s’allonge, conserve Ie vide qui est au milieu de chaeun de ces tubes.

A cette première opération succède Ie coupage. Tous ces tubes de mille couleurs sont d’abord cassés è des longueurs de deux ou troisnbsp;pieds. On les porie ensuite è des ouvrières qui, avec un couteaunbsp;fixé a une banquette, les coupent en petits morceaux de quelquesnbsp;lignes. Tous ces morceaux torabent dans des paniers qu’on verse dansnbsp;un grand bassin rerapli d’une terre calcaire réduite en poudre el quinbsp;se durcit au feu. On xemue Ie tout de manière i fermer les petitsnbsp;trous prallqués dans les perles. Jusque la, les perles sont encorenbsp;d’inégale longueur, les bouts éraillés et raboleux. Pour les polir et lesnbsp;rendre de grandeur uniforme, on les jetle, pleins de terre, dans unenbsp;vaste chaudière lournante, semblable a une vis d’Archimède. Les perlesnbsp;exposées a un feu très-ardent se ramolllssent, et Ie frottement centrenbsp;les parois de la chaudière les polit, les arrondit et les ramène è unenbsp;forme et a des dimensions égales. On les retire, on les passe au criblenbsp;pour les dégager de la terre, on les lave, on les trie, et ces jolis riensnbsp;fabrlqués avec une rapidité et une précision merveilleuses, partent parnbsp;milllers pour tous les coins du monde, oü ils se changent, sous desnbsp;doigts habiles, en objets pleins de grace et de variété.

De 1’ile de Murano nous partimes pour File Saint-Lazare. C’est la qu’est situé Ie célèbre couvent des Arméniens. Embarqués pour unenbsp;traversée de quelques milles, nous nous mimes è prier, conformémentnbsp;a 1’usage des anciens navigateurs de FAdriatique. Entre les millions denbsp;navires plus ou moins célèbres qui ont sillonné cette mer, il en est unnbsp;plus glorieux que tous les autres, dont Ie souvenir ne peut échappernbsp;au voyageur chrétien. C’est la galère qui ramena de Jérusalem Fim-pératrice sainte Hélène avec une partie des instruments de la Passion.nbsp;Enlrée dans la mer Adriatique, fameuse par ses naufrages, Fillustrenbsp;voyageuse est assaillie d’une violente tempête. Ellese souvient du Dieunbsp;dont la voix calma les flots; et prenant un des clous qui avaient percénbsp;ses membres sacrés, elle Ie plonge dans la mer, qui s’apaise aussitöt,nbsp;et qui cessa, dès lors, d’être la terreur des nautonniers. Jadis, en mé-moire de ce fait, tous les équipages qui entraient dans les eaux denbsp;FAdriatique, meltaient chapeau bas, se prosternaient, entonnaient desnbsp;hymnes sacrés et se livraient i» de pieux exercices. Pendant une longuenbsp;suite de siècles, les rivages de cette mer sanctifiée retentirent de leursnbsp;prières solennelles (i). Ce n’est pas Ie seul spectacle vraiment chré-

(i) Sandini, [list. Famil. sacrce, p. 231.

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oOO nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.

tien dont l’Adrialique fut témoin. II en est un autre non inoins solennel, dont je parlerai après avoir visité Saint-Lazare, oü nous abordons.

Représentez-vous une petite ile aiix contours gracieux, li la surface uniforme, couverte de jardins parfaitement cultivés, au ^milieu des-quels s’élève un vaste bdtiment dont les murs, peints en rouge, envi-ronnent plusieurs larges cours d’une elegance et d’une propreté re-marquables; voyez, sous les longs portiques, se promener des religieuxnbsp;vêtus de noir, k la démarche grave, au type oriental, amp; la longue barbenbsp;noire, aux manières pleines de grace et de dignilé, parlant votre languenbsp;maternelle, vous accueillant comme des frères,bien qu’ils nevous aientnbsp;jamais vus, et vous aurez une idéé du couvent arménien de Saint-Lazare. Mais pourquoi ces fils de l’Orient se trouvent-ils ici?

L’Arménie avail subi Ie joug musuiman; la dernière étincelle de la foi élait menacée de s’éteindre dans la patrie de saint Grégoirenbsp;Ie Thaumaturge. Un religieux, Méchitar de Petro, né a Sébaste, availnbsp;demandé, pour lui et pour ses frères, un asile aux Vénitiens, alorsnbsp;inaitres de la Morée. Sa demande fut accueillie; mais Venise perditnbsp;bienlót ses possessions d’outre-mer. En se repliant sur elle-même, ellenbsp;n’oublia point ses hóles de l’Orient; elle leuraccorda généreusementnbsp;et ó perpétuité l’ile de Saint-Lazare pour retraite. Que font-ils dansnbsp;cette solitude placée sur les frontières des deux mondes? Ils prientnbsp;pour leur patrie; ils transmettenl la foi, seul espoir de l’Arménie, auxnbsp;jeunes compatriotes qui leur sont adressés, et qui repartent ensuitenbsp;pour la communiquer a d’autres; ils puisent aux sources de l’Occi-dent la science qu’ils revêtent du costume arménien pour l’envoyer anbsp;rOrient, puis ils nous donnent les monuments de la science oriëntalenbsp;qu’ils rendent acc^ssibles en les traduisant dans les diverses languesnbsp;européennes : telle est leur mission. Si done elle n’a plus Ie pouvoirnbsp;de repousser par les armes la barbarie musulmane, Venise conservenbsp;la gloire de la combattre par les lumières de la science et de la foi.

L’abbé, qui parlait très-bien frangais, vint nous recevoir. 11 nous conduisit d’abord a l’église qui est petite, mais parfaitement tenue.nbsp;Les religieux élaient ó Toliice; nous relrouvómes avee bonheur Ie ritnbsp;et Ie costume plein de dignité que nous avions admirés ó la Propa-gande. L’office terminé, nous fumes entourés par les bons religieuxnbsp;qui s’empressèrent de nous parler de la France et de nous montrernbsp;leur bibliothèque, riche en manuscrits fort anciens et fort rares, leurnbsp;belle imprimerie et les divers ouvrages polyglotles qui en sont sortis.nbsp;Depuis l’église jusqu’au réfectoire, partout nous dümes admirer, sansnbsp;restriction, l’ordre, l’intelligence, Ie travail qui règnent dans cette

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PHOSPHORESCENCE DE L\ HEIt.

maison, capable de ramener Fennemi Ie plus eniporté des instiluüons mouastiques.

Le temps avail fui; et quand nous partiines de Saint-Lazare les der-niers feux du jour éclairaient les eaux agitées des lagunes. Venise, le palais ducal, Féglise Saint-Marc, FArsenal et le Lido commen§aient anbsp;reprendre les sombres voiles dans lesquelles nous les avions trouvésnbsp;enveloppés cinq jours auparavant. La gondola corriera nous altendailnbsp;avec ses gondoliers vêtus de jaune, pour nous transporter a Meslre :nbsp;il était huit heures du soir.

Pendant la traversée nous fumes témoins d’un curieux phénomène, la phosphorescence de la mer. Cheque coup de rame laissait après luinbsp;une longue trainée de feu qui dissipait les ténèbres dans lesquellesnbsp;nous retombions un instant après; le _même spectacle continua deuxnbsp;heures entières. Quelle en est la cause? Faut-il Fattribuer, comme Icnbsp;veulent quelques savants, a Fagilalion de pelits animalcules doués denbsp;la raême propriéléque les vers luisants? L’électricité peut-elle en re-vendiqucr la gloire? En attendant les solutions de la science, le voya-geur chrétien qui part de Venise, aime a contempler un autre spectacle qui, pour la puissante cite, fut le dernier, mais brillant rayonnbsp;de sa gloire : la vue de FAdriatique lui en rappelle vivement le souvenir.

Enhardie par la prise de Constantinople, la puissance oltomane était devenue plus redoulable que jamais. Tandis que ses armées me-nagaient le nord de FEurope, ses flottes envahissaient les iles de lanbsp;Grèce et emportalent Fun après Fautre les postes avancés de la civilisation : la croix reculait devant le croissant. Des hauteurs du Vaticannbsp;le grand pontife saint Pie V a vu le danger. Senlinelle vigilante, ilnbsp;pousse le cri d’alarme; FEurope méridionale entend sa voix. Unenbsp;floUe de deux cent irente-huit voiles se réunit a Messine, sous le com-mandement de don Juan d’Autriche : Venise y compte pour sa partnbsp;cent vingt-cinq navires. Au moment de lever Fancre, toute Farmée senbsp;confesse; on éloigne tout ce qui pourrait ètre une occasion de péché;nbsp;le blasphème est défendu sous peine de mort : le Nonce apostoliquenbsp;bénit solennellement la Hotte, et ces milliers de braves, assurés de lanbsp;protection du Ciel, font voile vers FOrient.

Toutefois, ce n’est ni le spectacle que je viens de décrire, ni le ré-sultat de Fexpédition, la victoire de Lépante, c’est-a-dire, la plus grande victoire navale qui ait jamais été remportée, qui me frappa lenbsp;plus dans ce souvenir solennel ; ce sont les noms des vaisseaux quinbsp;composaient la Hotte chrétienne. Plus éloquemment que les exercices

13.

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502 nbsp;nbsp;nbsp;les TROIS ROME.

religieux de la vaillante armee, ils montrent l’esprit qui, alors encore, dorninait les idéés et les habitudes générales de l’Europe. J’ai vu lanbsp;liste de tous les navires espagnols, génois et vénitiens qui combatlirentnbsp;^ Lépante : tous portent des noms de saints ou de saintes, è peinenbsp;quelques-uns des noms nationaux, pas un seul nom d’une divinitcnbsp;païenne (i). Que diraient ces braves marins si, revenus au monde, ilsnbsp;voyaient les nations de l’Europe affubler presque tous leurs vaisseauxnbsp;de noms païens; et au lieu de meltre leurs flottes sous l’invocation denbsp;tous les saints et saintes du Paradis, les conGer au patronage desnbsp;dieux et des déesses de l’Olympe? Ce choquant usage, centre lequelnbsp;réclament également Ie bon gout et la religion, serait pour eux, commenbsp;il est pour tout observateur réfléchi, un signe trop certain de l’affai-blissement de la foi, et de Penvabissement du paganisme dans l’Eu-rope chrétienne depuis la Gn du xvi' siècle. II n’était pas inutile de Ienbsp;rappeler aux optimistes, qui prétendent que les tendances des tempsnbsp;modernes sont des tendances éminemment chrétiennes.

15 AVRIL.

Trévise : Souvenirs de BenoU XI et de Totila. — Vicence ; Theatre olympique. — Hadona-del-Monte. — Montebello, Arcolc : Souvenirs.— Anecdote. — Vérone ; Amphitheatre. — Souvenirs de l’empereur Philippe et de Pie VI. — Grands hommes. —nbsp;Cathédrale. — Saint Zéuon. — Miracle.— San Firmo.— Lac de Garde. — Rivoli :nbsp;Souvenir.—Trait de courage.—Peschicra, Altila, saint Léon ;Desenzano, la B. Angèlenbsp;Merici. — Brescia : Statue de la Victoire. — Cathédrale. ¦— Deux reliques. — Martyrs.nbsp;— Saint Gaudens. — Fontaines. — Souvenir de Bayard. — Bergamo : Batiment de lanbsp;foirc. — Saint-Alexandre. — Sainte Astérie. — Sainte Eusébie. — Sainte Grata.—nbsp;Grands hommes. — Colléoni. — Calepin. — Passage de 1’Adda. — Vaprio.

II était nuit lorsque nous passimes h Trévise. Ne pouvant voir qu’imparfaitement les richesses de celte ville, nous nous contenlamesnbsp;de les rappeler ü notre mémoire et de saluer les personnages qui Tontnbsp;rendue fameuse. Le Duomo, construction gothique du xv“ siècle, intéresse beaucoup moins par ses admirables chapelles des Lombardi, sesnbsp;superbes mausolées du pape Alexandre Vlll, chanoine de cette église,nbsp;et de l’évêque Zanelti, ses tableaux de Bordone, et sa magniGque An-nonciation, du Tilien, que par sa crypte de Saint-Ribéral, vastenbsp;église souterraine dans laquelle repose, depuis des siècles, le corpsnbsp;du héros chrétien, modèle et protecteur de la cilé. Saint Nicolas, dunbsp;commencement du xiv® siècle, rappelle tout it Ia fois Ie puissant génie

(t) Tous les vaisseaux tures portent des noms nationaux.

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VICENCE ; TIIÉATRE OLÏMPIQUE. nbsp;nbsp;nbsp;303

de saint Dominique et les libéralités du pape Benoit XI. Ce pontife est une des deux grandes figures qui semblent attendre Ie voyageur auxnbsp;portes de Trévise. Fils d’un berger, Nicolas Bocasini entra de bonnenbsp;heure dans l’ordre de Saint-Dominique, dont il devint général. Nonce,nbsp;Cardinal, légat a latere, pape sous Ie nom de Benoit XI, il fut Ie bien-faiteur de l’Europe et l’apötre de la Concorde. II pacifia la France etnbsp;FAngleterre, la Hongrie, Venise et Padoue, Ie Danemark et l’Italie.nbsp;Trévise devait au monde une pareille compensation. A cöté de la doucenbsp;et rayonnanle figure du pontife apparait celle du farouche Totila, eetnbsp;autre enfant de Trévise qui porta la guerre partout oü il porta ses pas,nbsp;ravagea 1’Italie et fit deux fois Ie sac de Rome.

Quelques heures après avoir quitté 1’antique Tarvanum, Ie voyageur qui se dirige sur Milan rencontre Vicence. Cette ville, de buit mille ames, située dans une position avantageuse, traversée par deuxnbsp;rivières et tout émaillée d’églises et de palais, rappelle en mömenbsp;temps les Gaulois sénonais qui la fondèrent, les Romains qui la pri-rent, Alaric et Attila qui Ia saccagèrent, Frédéric Barberousse, puisnbsp;Napoléon qui tour è tour en firent la conquête. Singulière destinée denbsp;ITtalie! II n’est pas une ville de ce pays providentiel qui n’ait été Ienbsp;théétre de quelques-uns des grands événements dont se compose lanbsp;trame générale de l’histoire. Cela tient i ce que Fantique Ausonie futnbsp;Ie plus brillant satellite de Rome, astre immense qui entraine tous lesnbsp;autres dans son orbite. Au milieu de tant de révolutions, Vicence anbsp;conservé Famour des arts et Ie culte filial de Marie. Le roi de Farchi-tecture moderne, Palladio, a semé dans sa ville natale les créations denbsp;son génie. Outre le Palais de Justice, la Ragione, dont Ia grande salienbsp;rappelle le salon de Padoue; del Capitanio, de Chievicati, de Barba-rano et de Franceschini, oü les différents styles réunissent leursnbsp;beautés et leurs richesses, on cite le ThécUre Olympique, ce vastenbsp;édifice dont la grande salie, environnée de quatorze rangs de gradins,nbsp;présente un diamètre intérieur de 102 pieds sur une hauteur denbsp;52 au-dessus du pavé. Qui n’a pas visité les thédtres d’Herculanum etnbsp;de Pompéi, peut les voir ii Vicence.

La calhédrale, de style gothique, offre une crypte fort curieuse et une belle Adoration des Mages, de Paul Véronèse; mals ce qui atliranbsp;notre attention, c’est la Madona-del-Monte. Aux por!es de Vicence,nbsp;s’élève un are de triomphe dü au génie de Palladio. Ce monument,nbsp;chef-d’oeuvre des belles proportions, sert de vestibule au Portique ounbsp;chemin couvert qui conduit au sanctuaire de Marie. Cette galerie,nbsp;semblable è celle de Bologne, a un mille de longueur; clle serpente

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304 nbsp;nbsp;nbsp;tES TROES ROME.

gracieusement sur les cótés verdoyants d’une colline, et, commencée par un are de triomphe, elle se termine par une magnifique église.nbsp;Du haut de son temple aérien, la Reine des Anges et la Mère desnbsp;hommes, la douce Médialrice entre Ie ciel et la terre domine au loin etnbsp;la cité vicentine et les campagnes populeuses qui l’environnent.

De tous les points de l’horizon, l’oeil aper^oit Ie brillant sanctuaire, et il nous fut doux de contempler les norabreux pèlerins que la reconnaissance et l’amour conduisaient au pied du trène de celle qu’onnbsp;n’invoqua jamais en vain. La statue de Marie est un ouvrage grec d’unnbsp;grand mérite artistique; elle brille au milieu des pierreries, des do-rures et des chefs-d’oeuvre, double hommage de la piété et du talent.nbsp;On est altendri i» la vue de la belle composition de Carpioni, representant l’Espérance introduisant au sanctuaire de Marie une foule denbsp;pauvres, de femmes et d’enfants. Dans Ie réfectoire du couvent, voisinnbsp;de l’église, est un autre chef-d’oeuvre également du amp; l’inspirationnbsp;chrétienne : c’est Ie merveilleux tableau de Paul Véronèse, représentant Ie Fils de Marie sous les habits d’un voyageur assis it la table denbsp;saint Grégoire. Honneur done au sanctuaire du Monte Berico! Jésusnbsp;et Marie, Ie père et la mère du monde régénéré, y sont représentésnbsp;dans l’accomplissement des actes de bonté et de charité qui traduisentnbsp;si parfaitement 1’esprit de l’Évangile.

Continuant è traverser les riches campagnes du Vicentin, si juste-ment nommées Ie jardin de Venise, la route, unie comme une glace, conduit au bourg de Montebello. Ce n’est pas ici, comme dit un voyageur, que Ie maréchal Cannes conquit son titre historique. Le Montebello, théatre de sa gloire, est un village situé è quelques kilomètresnbsp;de Voghera, dans les États sardes. L’illustre guerrier, a la téte d’unenbsp;poignée de braves, y mit en déroute une colonne autrichienne,nbsp;le 8 juin 1800, six jours avant la bataille de Marengo.

Mais nous saluames bientöt, sur la gauche, un autre lieu, théatre réel d’un glorieux combat. L’Alpon et l’Adige, qui coulent dans lanbsp;plaine, Arcole et son pont célèbre se dessinaient dans le lointain.nbsp;Quand on passe par lè, il semble encore entendre le bruit de ce canonnbsp;républicain qui ébranlait l’Europe; on voit Augereau et Napoléon,nbsp;prenant tour a tour un drapeau criblé de balles, et s’avan^ant, 5 lanbsp;tête des grenadiers d’élite, jusque sur les batteries autrichiennes, sansnbsp;réussir a les emporter. On assiste h des prótiiges de valeur; puis onnbsp;ne voit plus que des tourbillons d’une fumée de salpêtre; la terre anbsp;dispara sous des monceaux de cadavres; enfin on entend la chute denbsp;plusieurs milliers de braves qui tombent, renversés du haut du pont

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ANECnOTE. 305

fatal. Napoléon lui-même, emporté par son cheval, dont il n’est plus le mailre, est précipité, de toute la hauteur du pont, dans la fangenbsp;sanglante des marais. L’intrépide Béliard I’a sauvé : et, en le sauvantnbsp;deux fois en un quart d’heure, a décidé deux fois le sort de l’Europe.

Cependant, le lendemain 17 novembre, la bataille est gagnée; mais tous sont harassés de fatigues, tous se livrent au repos. Napoléon seulnbsp;ne dort pas : il veille a la süreté de ses légions. Nous le voyons, dansnbsp;la nuit du 17 au 18, parcourir son camp sous le costume d’un simplenbsp;officier, pour voir par lui-méme si l’excès de la fatigue ne diminue pasnbsp;la vigilance des sentinelles : il en voit une endormie a son poste. Sou-dain il s’approche ii petits pas, retient son haleine de peur de l’éveil-ler, lui prend doucement son fusil, et continue la faction du dormeur.nbsp;Au bout de quelques instants, le soldat s’éveille, ouvre les yeux etnbsp;s’écrie, elfrayé ; Je suis perdu! En elfet les lois de la discipline autorisent Napoléon i lui passer son épée au travers du corps : Rassure-toi, lui dit avec douceur le général en chef, après tant de fatigues, ilnbsp;est permis d un brave tel que toi de s’abandonner au sommeil; mais,nbsp;une autre fois, choisis mieux ton temps (i). Comrae monument de lanbsp;bataille d’Arcole, il reste une pyramide a moitié ruinée!

Rien de plus gracieux que le paysage de Montebello amp; Vérone. La route est bordée de canaux ou coule doucement une eau limpide, el lanbsp;campagne couverte de muriers. De tous cótés s’élèvent des treillesnbsp;colossales qui, passant d’un arbre ^ l’autre, ferment des guirlandesnbsp;de verdure, dont l’aspect charme la vue, tandis qu’une chaine continuenbsp;de petites montagnes très-bien cultivées étend l’horizon jusqu’auxnbsp;Alpes tyrolicnnes.

Vérone, ville de guerre, de science et de piélé, nous montrait ses formidables remparts, son bastion d’Espagne, ses beaux ponts surnbsp;1’Adige, ses larges rues, la plate-forme aérienne de son amphithéfttre, lenbsp;Hiieux conservé d’Ilalie, et les dömes élancés de ses nombreuses églises.nbsp;Dien qu’elle ait courbé sa noble tête sous vingt sceptres différents, lanbsp;fille des Gaulois est restée frangaise par le caractore et par le ceeur.nbsp;Elle écrit notre langue sur ses magasins, elle la parle dans ses salons,nbsp;tandis qu’après une domination de trente ans, l’Autricbe n’y parlenbsp;qu’un idiome incompris ; preuve évidente que le vainqueur n’a pointnbsp;encore imposé sa pensée au vaincu.

Notre première visite fut pour ramphithéètre. Nous y retrouvAmes Ja miniature parfaitement intacte du Colysée ; même disposition,

(i) Vüir Trophées des armées ffang., t. ii, p. 151.

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Ö06 nbsp;nbsp;nbsp;les TROIS ROME.

même usage, mêmes souvenirs. Le magnifique edifice, qui date du règne de Trajan, est bAti en gros quartiers de marbre, compte qua-rante-cinq rangs de gradins, et contient vingt-deux mille places. C’eslnbsp;dans son voisinage que fut tué l’empereur Philippe, l’Arabe, et quenbsp;le sceptre du monde passa aux mains du cruel Décius, son meurtrier.nbsp;Ce souvenir vous saisit èi 1’approcbe du monument; car l’assassinat denbsp;Philippe pesa d’un grand poids sur les destinées de 1'Erapire, dont ilnbsp;précipita la chute en lui donnant un tyran de plus, et a 1’Église unnbsp;de ses plus violents persécuteurs : ce meurtre fut commis en 249.nbsp;Quinze siècles plus tard, Pie VI, passant a Vérone, hénissait, du hautnbsp;du sanglant amphithéülre, vingt mille chrétiens triomphants au lieunbsp;même oii leurs pères avaient combattu.

En nous rendant de 1’amphilhéêtre a la calhédrale, nous saludmes les grands hommes que Vérone a produits ; Catulle, Cornelius Nepos,nbsp;Pline l’Ancien, San-Micheli, Ie savant marquis Scipio Maffei, Paulnbsp;Véronèse, Bianchini, les illustres frères Ballerini, Onuphre, Pindemonte, ferment Pimmortelle auréole de la cité qui leur donna le jour.nbsp;Vérone ne brille pas seulement par ses illustres morts; elle peut encore présenter des gloires contemporaines. Nous fiimes heureux d’êirenbsp;re^us par le vénérable abbé Zamboni, célèbre dans 1’Europe savantenbsp;par l’invention de la pile sèche appliquée aux horloges. Si la douceurnbsp;du caractère, la modestie du maintien, la simplicité de la parole,nbsp;l’aménité des manières, sont autant de caractères incommunicables dunbsp;vrai mérite, j’affirme que l’illuslre physicien est un grand homme.

Avant d’entrer au Duomo, nous jeldmes un coup d’oeil sur la bibliothèque du chapitre, la véritable bibliolhèque de Vérone. Fondéenbsp;vers 1’an 830, elle est riche en manuscrits dont plusieurs remontentnbsp;au IV'* siècle. Pétrarque y Irouva les ÉpUres familières de Cicéron, etnbsp;le cardinal Mai les Anciens Interprètes de Virgile. Mais la plus célèbrenbsp;découverte est celle des Institutes de Gaïus. Vers 1820 un diplomatenbsp;danois, Niebuhr, reconnut ces manuscrits couverts de la poussière desnbsp;siècles. Tombé sur un Palimpseste en grand et beau papier, il s’aper-5Ut qu’a la première écriture on avait ajouté \es Épitres de saint Js-róme, et, entre ces deux copies, intercalé quelques méditations dunbsp;même docteur. Ayant fait disparaitre, après en avoir pris copie, le*nbsp;écritures surajoutées, il arriva au texte primitif; ce lexte élait celuinbsp;des Institutes de Gaïus. Jurisconsulte célèbre, Gaïus, contemporain denbsp;Marc-Aurèle, compléte le Droit romain, en nous faisant connaiire lesnbsp;doctrines des jurisconsultes antérieurs 5 Justinien et ii Théodose. Sounbsp;manuscritest très-bien écrit et très-bien conserve; seulement Popéra-

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MIRACLE. nbsp;nbsp;nbsp;307

lion du grattage a enlevé plusieurs membres de phrase donl la restitution exercera longtemps la patiente sagacité de nos professeurs de droit.

La cathédrale dale de la fin du x® siècle. Ses mille figures symboli-ques de lions, d’oiseaux, de griffons, de prophèies et de guerriers, offre une ample moisson l’archéologue. UAssomption, du Tilien,nbsp;intéresse le peintre; et la gijpsse arète de poisson, instrument de sup-plice pour les martyrs, gardée dans la cbapelle de la Sainte-Vierge,nbsp;excite la vénéralion du chrélien. Vérone compte, en effet, un bonnbsp;nombre de martyrs dont les plus illustres sont les saints Zénon, Fir-mus et Rusticus. Glorieux privilége de l’héroïsme chrétien, le premiernbsp;est eneore, après quinze siècles, parfaitement populaire dans la villenbsp;dont il fit la noble conquête par l’effusion de son sang et qu’il protégénbsp;par la puissance de son intercession. La reconnaissance des Véronaisnbsp;célèbre, chaque année, trois fêtes en son honneur. La première a pournbsp;objet sa nativité, la seconde son Ordination et la troisième la Translation de ses reliques. Avant d’être honoré dans l’église actuelle, le corpsnbsp;du glorieux Pontife reposait dans uue anclenne Basilique, sur les bordsnbsp;de 1’Adige, hors les murs de Vérone. En 589, l’anlique église fut té-moin d’un éclatant miracle que saint Grégoire rapporte en ces termes :

« Pendant que le Tibre débordé couvrait de ses eaux une partie considérable de Rome, la ville de Vérone fut submergée par l’Adige.nbsp;Le peuple courut en foule a l’église de Saint-Zénon; on vit les eauxnbsp;en respecter les portes, s’élever a la hauteur des fenêtres sans entrernbsp;dans l’église, et rester suspendues comme celles du Jourdain, lors dunbsp;passage des Israélites. Le peuple resta vingt-quatre heures en prières,nbsp;après quoi le fleuve rentra dans son lit. » Ce miracle, dont tous lesnbsp;habitants de Vérone furent témoins oculaires, joint a plusieurs autresnbsp;qui s’opérèrent dans la suite, augmenta beaucoup la vénéralion qu’onnbsp;avait déjè pour le Saint (i).

Sur les pas de tant de générations nous alMmes rendre nos hommages a rimmorlel pontife. Tout ce que Part et la piélé peuvent pro-duire de beau et de touchant, se trouve réuni pour embellir son église et sa tombe. Monument du ix® siècle, l’église offre ses portes de bronzenbsp;couvertes de figures syraboliques, la statue du Saint en marbre rouge,nbsp;le jour sombre et le recueillement pieux des sancluaires golhiques etnbsp;romans. Celui-ei mérite d’étre étudié, car il a écbappé aux ravagesnbsp;des restaürations. La crypte oü repose le saint Martyr témoigne par

(i) Dialog, lib. iu,c. 19.

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508 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.

sa richesse de la pieuse libéralilé des fidèles. II nous eül élé bien agréable, si Ie temps l’avait permis, de visiter en artistes et en chré-tiens les autres églises de Vérone, si nombreuses, si magnifiques et sinbsp;riches de souvenirs. Notre dernière station fut a San-Firmo, antiquenbsp;église, célèbre par ses tombeaux des Turriani, les Hippocrates de l’Italienbsp;au XVI® siècle, et des Alighieri, descendants du Dante. La reposent lesnbsp;restes précieux des saints Firmus et Rusticus, nobles fils de Vérone,nbsp;martyrises Fan 503 sous 1’empire de Dioclétien. Après avoir salué etnbsp;ces glorieux témoins de notre foi, et les vingt-trois évêques véronaisnbsp;places sur les autels du monde catholique, et toutes ces générationsnbsp;de vierges, glorieuses enfants nées du sang des martyrs, nous dimesnbsp;un dernier adieu a la cité gauloise en lui promeltant une seconde visite pour étudier ses Musées, sa Bibliothèque capitulaire et ses oeuvresnbsp;de Charité. Plaise au Ciel qu’il nous soit donné de tenir un jour notrenbsp;promesse!

En approchant du lac de Garda, un des plus beaux de l’Italie, nous saluèmes, sur la droite, sans pouvoir Ie considérer, Ie champ de ba-taille de Rivoli. L’écho des montagnes semblait nous apporter Ie motnbsp;fameux de Napoléon qui appela et fit appeler, par Farmée tout en-tière, Masséna, VEnfant gdté de la victoire. Le lac de Garda nousnbsp;redisait une autre circonstance incroyable, et pourtant vraie, de cenbsp;mémorable combat. Cinquante hommes de la dix-huitième demi-brigade' firent dix-huit cents prisonniers. Le chef de ces braves, lenbsp;capitaine René, raconte ainsi, dans une lettre a son père, eet événement singulier. « Le 25 au matin, le général Monnier me demanda sinbsp;je voulais rester au village de Garda avec cinquante hommes, pournbsp;surveiller le lac et favoriser un débarquement. J’acceptai. Environ anbsp;quatre heures, au moment oü je visitais un petit poste que j’avais placenbsp;en avant, sept Autrichiens parurent ; nous les fimes prisonniers.nbsp;Craignant d’être attaqué, je me dispose h prendre une position avan-lageuse; mais a cinquante pas, quelle ne fut pas ma surprise, de ren-contrer une colonne autrichienne, que je n’aper^us qu’i vingt pas,nbsp;paree qu’il y avait un tournant! Le commandant m’ordonne de metirenbsp;bas les armes, que je suis prisonnier. — Non, Monsieur, répondis-je,nbsp;eest vous; fai déjd désarmé votre avant-garde, vous en voyez unenbsp;partie; bas les armes! ou point de quartier. Mes soldats, excités parnbsp;mon exemple, répètent ce cri.

Les prisonniers, voyant qu’au premier feu ils seraient tués, criaient de toutes leurs forces è leurs camarades de se rendre. Tout ce tapaganbsp;étonna roflicier ennemi : il veut parler. Nous ne répondons qu’en re-

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TRAIT DE COURAGE. nbsp;nbsp;nbsp;309

pélant : Bas les armes! II propose de capitiiler. Non! lui dis-je, bas les armes et prisonniers.Mais, Monsieur, si je me rends, n’aurai-jenbsp;pas de mauvais traitemcnts d éprouver? Je lui répondis que non,nbsp;lt;1't, sur ma parole d’honneur, il öle son chapeau, s’avance, et me présente son épée; toute sa troupe met bas les armes. Je n’étais pas a monnbsp;aise; je craignais qu’ils ne s’aperQussenl enfin du peu de monde quenbsp;j’avais; je les fis rétrograder. Un grand nombre refuse de marcher; jenbsp;sentis Ie danger extréme oü j’étais, surtoiit en entendant un capitaincnbsp;leur dire : Attendons encore.Qtiappelez-vous, Monsieur? luinbsp;dis-je d’un ton ferme, oü est done Vhonneur? N’étes-vous pas pri-sonnier? m’avez-vous rendu vos armes? ai-je votre parole? Vousnbsp;êtes officier, je compte sur votre loyauté: pour preuve, je vous rendsnbsp;votre épée, et faites marcher votre troupe; sans quoi je me vois forcénbsp;de faire agir contre vous la colonne de six mille hommes qui me suit.nbsp;Le mot honneur, et surtout, sans doute, cette colonne imaginaire, Ienbsp;décidèrent; et nous arrivémes au camp sans fécheuse rencontre (i). »

Rivoli a vu deux grandes puissances se disputer avec acharnement une victoife dont quelques villes, quelques provinces devaient être lenbsp;prix : humble village, lu seras immortel. Or, nous arrivons sur unnbsp;nouveau champ de bataille bien autrement célèbre. Ici se rencontrè-rent les deux souveraines du monde, la civilisation et la barbarie; lanbsp;première personnifiée dans saint Léon, la seconde dans Attila. D’unnbsp;cóté, le Pontife armé de Ia Croix, et suivi de quelques prétres; denbsp;l’autre, le guerrier farouche, la terreur de l’univers, le fléau de Dieu,nbsp;couvert de sa redoutable armure, et environné de ses hordes sauva-ges ; l’avenir sera le prix du vainqueur. Cela se passait au bord dunbsp;lac de Garda, sur les rives du Mincio, au lieu même oü nous sommes,nbsp;prés de la petite ville de Peschiera, mille fois traversée par les voya-geurs, sans qu’aucun ait daigné se rappeler l’événement immense dontnbsp;elle fut le theatre.

Au printemps de l’année 432, Aquilée, Milan, toutes les villes de la haute Italië tombaient avec un horrible fracas sous les coups pressésnbsp;des Barbares ; le retentissement de leur chute troublait les conseilsnbsp;des empereurs remains, et leurs légions elfrayées, n’osaient plus sou-tenir le regard du farouche vainqueur. Le torrent dévastateur se pré-cipitait sur Rome avec une rapidité toujours croissante. Saint Léonnbsp;Ifouve dans sa foi le courage de lui opposer une digue. II part; Romenbsp;^’accompagne de ses prières; le M juin 432, il arrive au camp d’Attila.

1

23 nivöse (14 janvier 1797).

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310 nbsp;nbsp;nbsp;I-ES TROIS ROME.

En présence du pape, Ie Barbare reste immobile, muet, et ne relrouve la parole que pour dire amp; ses officiers qu’il a vu, debout è cólé dunbsp;Pontife, un aütre Pontife, plein de majesté, qui Ie mena^ait de mort,nbsp;s’il n’obéissait Léon. Et Atlila, épouvanté, fait sonner la retraite.nbsp;Rome est sauvée : Ia civilisation chrétienne a remporté un triomphenbsp;plus glorieux que ses victoires de l’ampbithéfttre (i). Tel fut, dès l’ori-gine, Ie róle de TÉglise, des papes et des Saints. Apótres de la civilisation et protecteurs de la liberté humaine, ils défendent Tune etnbsp;1’aulre centre leurs plus fiers ennemis, et jamais les droits les plusnbsp;sacrés de la société n’ont trouvé de champions ni plus intrépides uinbsp;plus persévérants : ITtalie est pleine de pareils souvenirs.

Avant la nuit nous traversümes Desenzano, gros bourg connu des touristes par Pexcellence de ses vins, et du voyageur catholique parnbsp;la Sainte illustre dont il fut Ie berceau. La bienheurcuse Angèle Mé-rici, fondatrice des Ursulines, mérite la reconnaissance des sledes.nbsp;Humble enfant, née en 1506, elle voit aujourd’hui sa familie répanduenbsp;dans toutes les contrées de Tanden et du nouveau monde. La sociéténbsp;lui doit des millions d’épouses vertueuses, et TÉglise des millions denbsp;vierges, sa gloiro et sa couronne.

La liieur des réverbères éclaira notre passage i Brescia ; toutefois Tantique Brixia n’était point endormie. Une foule de promeneursnbsp;sillonnaient ses rues et ses places, les fidèles sortaient des églises oUnbsp;Ton venalt de chanter les gracieuses litanies de la Madone. Auxiliairenbsp;de Vespasien dans sa guerre centre Vitellius, Brixia vit s’élever dansnbsp;son enceinte un temple dédié au vainqueur. Découvert depuis quelquesnbsp;années, eet antique monument suffit presque a lui seul pour peuplernbsp;Ie musée public. II a donné entre autres la fameuse statue en bronzenbsp;de la Victoire ou de la Renommée, Tune des plus belles qu’on con-naisse. Les inscriptions anciennes sont très-nombreuses a Brescia, quinbsp;est, après Rome, la ville aux belles fontaines. On en compte plus denbsp;dnq cents publiques ou particulières. L’ancienne cathédrale Duornonbsp;Vecchio, édifice lombard du vn'= siècle, renferme deux reliques d’unnbsp;grand prix. La première est une crolx que la tradition dit contemporaine de celle qui apparut a Constantin dont elle reproduit les proportions. La seconde est Toriflamme qu’Albert, évêque de Brescia, plantanbsp;de sa main sur les murs de Damiette dans la croisade de 1221. Lesnbsp;autres églises de Brescia en possèdent de plus riches encore: les corpsnbsp;sacrés de vingt-deux évêques, les pères et les bienfaiteurs de la cite.

(i) Bar. an. 452, t. v, p. 135, n. 3, 4, 5.

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MARTYRS, nbsp;nbsp;nbsp;3J I

niis au nombre des saints; Afra, noble héroïne qui souffrit sous Adrien; les illustres frères Faustinus et Jovila égaleinent honorés de lanbsp;palme du marlyre sous Adrien, ainsi que leur fils spirituel Calocerus;nbsp;enfin Clateus, un de ces nombreux évêques missionnaires envoyésü lanbsp;conquête de ritalie par saint Pierre, et dont le sang versé par Aéronnbsp;cimenta les fondements de l'église naissante de Brescia.

II serait long d’énumérer toutes les gloires chrétiennes de cette heureuse cité; mais il en est une qu’on ne peut passer sous silence.nbsp;Le voyageur chrétien a nommé saint Gaudens, le pèlerin de I’Orient,nbsp;qui regut des mains des propres soeurs de saint Basile une portion desnbsp;reliques des quarante martyrs de Sébaste, qui les rapporta dans sanbsp;patrie ou elles resolvent encore les hommages erapressées des fidèles;nbsp;l’ami de saint Ambroise a qui la crainte de l’excommunication futnbsp;seule capable de faire accepter l’honneur de l’épiscopat; le championnbsp;de la foi et la gloire des docteurs de son siècle. L’esprit chrétien, ré-chauffé d’iïge en ége par tant de saints évêques, s’est traduit è Brescia,nbsp;comme dans les autres villes d’Italie, en oeuvres de charilé. Je citerainbsp;seulement la pieuse raaison de la Congrégation apostoUque, institution que la France doit envier et qui a pour but de secourir les families honnêles lombées dans le besoin. II serait difficile de trouvernbsp;Un zèle plus désintéressé et plus aclif, une charité plus délicate etnbsp;plus ingénieuse h secourir sans offenser. On est lier vraiment d’ap-parteniriune religion qui se manifeste par de semblables institutions.

Nous quittdmes Brescia en regrettant de ne pas voir les nombreux et très-remarquables tableaux du Titien, de Civerchio et du Moretto,nbsp;qui décorent les charmantes églises de la ville. Sur la grande placenbsp;uous donntïmes un souvenir i» Bayard dont la conduite a Brescia luinbsp;fait autant d’honneur que sa bravoure sur les champs de bataille. Sinbsp;la seconde lui mérite le titre de chevalier sans peur, il doit a la pre-Uiière le titre non moins glorieux de chevalier sans reproche.

Le voisinage des Alpes Trentines, qu’on cótoie de Brescia a Ber-game, avait rendu le froid très-piquant. On ferma soigneusement les Portières, en sorte que c’est è travers un carreau de vitre que j’ai punbsp;'^oir la campagne : elle me parut peupléc et très-fertile. Ce que jere-^'aarquai le plus, c’est l’admirable sysième d’iriïgaUdn, employé dansnbsp;Ce beau pays comme dans le reste de la Lombardie : j’en parlerai plusnbsp;lard. Après quelques heures de marche, nous passames 1 Oglio, quinbsp;®eri du lac d’Isée, et nous entrêmes dans une campagne merveilleuse-'^'ent cultivée. Sur un gracieux coteau, encadré par deux rivières, lenbsp;fltemho et le Serio, s’élève en amphilhéatre l’antique Bergame, le

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512 LES TROIS ROME.

Bergomum des Romains. Ses murailles, ses bastions, ses fosses, sa ci-tadelle qui couronne Ie Monte-Virgilio, lui donncnt un aspect severe et quelque peu menagant. L’inlérieur de la ville offre un gracieuxnbsp;contraste, et donne au voyageur satisfait mille moyens de modifier sanbsp;première impression.

L’édifice qui s’offrit d’abord ii nos regards fut Ie batiment de la Foire. C’est un vaste parallélogramme, avec quatre grandes salles auxnbsp;quatre angles, destiné a la foire célèbre qui fait la richesse du pays.nbsp;Sur les cólés on compte plus de cinq cents boutiques élégantes; aunbsp;milieu du champ, jaillit une superbe fontaine dont les eaux limpidesnbsp;alimentent plusieurs canaux destines è entretenir la fraicheur et lanbsp;propreté. Vers la fin d’aoüt, Ie caravansérail se peuple, s’anime; desnbsp;tentes aux diverses couleurs sont tendues de toutes parts; des milliersnbsp;d’étrangers, surtout de Suisses et d’Anglais, viennent enlever les drapsnbsp;de Como et les soieries de Lombardie. Comme tant d’autres, la foirenbsp;de Bergame doit son origine a de pieux pèlerinages : elle existait déjanbsp;en 915.

Ajoutons que les quatre portes de la ville désignées par des noms de saints, les nombreuses églises, les convents et les institutions denbsp;charité attestent éloquemment Ie passage et l’empire de l'esprit chré-tien. Chose remarquable! les villes d’Occident qui ont regu la foi dèsnbsp;les temps apostoliques, et qui ont été arrosées du sang des martyrs,nbsp;conservent plus abondamment la sève primitive. La belle église denbsp;Saint-Alexandre, qui apparaissait ii nos regards, nous rappelait que,nbsp;sous ce rapport, Bergame n’est pas moins heureuse que les autresnbsp;cites d’Italie. Soldat de la légion Thébaine, Alex-andre avait précédenbsp;ses glorieux compagnons dans la route du martyre. Bergame fut Ienbsp;lieu de son triomphc, et Bergame est devenue la cité qu’il protégénbsp;encore par ses prières et qu’il enrichit par la présence de son corpsnbsp;sacré : on Ie vénère dans un magnifique tombeau. Avant Ie soldat denbsp;Maximien, une jeune vierge avait soutenu, dans Bergame, un illustrenbsp;combat. Astérie, couvaincue d’être chrétienne, s’était vue l’objet de l3nbsp;fureur infernale d’Aurélien, préfet de l’empereur Valérien. Des sup'nbsp;plices exquis, endurés avec un courage héroïque, rendirent égalementnbsp;immortelles et la gloire de la victime et la cruauté du bourreau. E“'nbsp;sébie, digne émule d’Astérie, se présente avec elle a la vénération dunbsp;voyageur catholique; viennent ensuile les saints Dominion et Jeati,nbsp;qui par leurs combats héroïques assurèrent Ie bonheur de la cité ennbsp;affermissant Ie règne de l’Évangile.

Non loin de Saint-x\lexandre s’élève une autre église qui rappelle un

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MILAN. nbsp;nbsp;nbsp;513

nom béni dans I’histoire, et plus glorieuxaBergame que ceus duTasse, de Calepin ou de Colleoni : je veiix parler de sainte Grata. Modèle denbsp;toutes les verlus sodales et domestiques, cette sainte veuve, dontnbsp;I’heureuse influence fut pour sa patrie un immense Lienfait, voit hnbsp;son tour la reconnaissante piété des habitants honorer ses vertus dansnbsp;une église toule resplendissante d’or, de marbre et de peintures ex-quises. Bergame n’a pas oublié ses autres gloires. Pres de Sainte-Marie-Majeure est le mausolée du général Colleoni, Ie premier qui fitnbsp;usage de fartillerie de campagne et qui inventa les affuts de canons.nbsp;Le guerrier est monte sur un grand cheval de bois doré, environnénbsp;de statues et de bas-reliefs, outrages plus ou moins parfaits, maisnbsp;précieux pour I’histoire de fart au xvi® siècle. Le Tasse, dont le pèrenbsp;était de Bergame, domine la grande place du Palais de Ju.stice : sanbsp;belle statue en marbre de Carrare témoigne du patriotisme des habitants. Dans l’église des Augustins est le tombeau d’un homme quenbsp;nous avons tons connu dans notre enfance : Ambroise Calepin, I’au-leurdufameux dictionnaire en sept langues, repose ici. Que Dieu fassenbsp;paix au bon religieux dont le pénible labeur contribua puissammentnbsp;au progrès des lettres dans Ie seizième siècle!

Descendus de Bergame, nous ne lardSmes pas a franchir PAdda •sur le pont de Vaprio, célèbre par sa Vierge gigantesque, de Léonardnbsp;de Vinei ; quelques beures plus tard, nous entrions ii Milan.

IG AVRIL.

Milan. — Reflexions.—La catlicdralc. — Coup d’oeil général sur Milan. —Visite dé-taillée. — Sacristie de Saint-Satyre. — Imago miraculeuse de la sainte Vierge.— Saint Nazaire. — Tomboaux des Trivulce. — Saint-Laurent. — Détails sur l’archilec-turc. — Saint-Alexandre. — Richesses du niaitre aulel. — Saint-Eustorge. — Chairenbsp;de saint Pierre, martyr, — Son tombeau, ses rcliques, son histoire.

Le voyageur qui a parcouru I’ltalie, éclairé du double flambeau de la science et de la foi, a vu I’liistoire du monde moderne se déroulernbsp;a ses regards dans leurs drames les plus solennels. Dans I’ltalie méridionale, i Rome surtout, il a vu le catholicisme triomphant du paganisme ct baptisant Constantin; il I’a vu dans I’ltalie oriëntale, hnbsp;Denise en particulier, triompher de I’islamisme et noyant dans lesnbsp;Hots de Lepante la puissance ottomane; il I’a vu dans I’ltalie septen-tfionale, è Pcschiera, triompher de la barbaric et repoussant Attila;nbsp;puis, dans toutes les parlies de la giorieuse Peninsule; il I’a vu, in-

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314 LES TROIS ROME.

spirateur des beaux-arls, semant partout des milliers de chefs-d’oeuvre, et, ce qui vaut rnieux encore, créant d’innombrables institutions oünbsp;la charité, victorieuse de Tégoïsme, élève la nature huniaine au plusnbsp;haut degré de la perfection et de la gloire. II a vu toutes ces chosesnbsp;dans leur cause, la divine parole; dans leurs moyens, Ie sang fécondnbsp;des martyrs et les exemples non moins féconds des grands saints, nésnbsp;de cette semence divine.

Et il a béni la piété des habitants qui rendent è leurs bienfaiteurs un culte filial. Et l’Italie, malgré les défauts inséparables de la naturenbsp;humaine, lui est apparue comme une terre évidemraent privilégiée :nbsp;privilégiée paree qu’elle re^oit plus immédiatement les influences sa-lutaires de Rome, la tête et Ie cceur du catholicisme. Ce spectacle,nbsp;chaque ville en offre la miniature plus ou moins ornée, plus ou moinsnbsp;compléte. Or, parmi les cites d’Ilalie, il en est une qui semble réflé-chir plus parfaitement toutes les gloires, et ressentir plus efficace-ment toutes les influences de la ville raère et maitresse de toutes lesnbsp;autres : j’ai nomraé Milan. Avant de prouver par les faits l’éloge quinbsp;précède, il convient de reprendre Ie récit de notre voyage.

A neuf heures du matin, par un temps superbe, mais un peu froid, nous entrSmes dans la capitale du royaume Lombardo-Vénitien. Anbsp;mesure qu’elles se rapprochent de nos frontières, les villes italiennesnbsp;prennent une physionomie plus frangaise. Les grandes rues de Milannbsp;ressemblent aux boulevards de Paris : même alignement, même hauteur de facade; seuleraent les magasins sont moins nombreux, la circulation moins active. A l’hótel Reichmann, nous resumes une hos-pitalité tout a la fois allemande, italienne et fran^aise. Je donne cenbsp;détail, pour rappeler un mélange, aussi rare que précieux, de bonhomie, d’attention et de politesse. Notre première visite fut pour Ienbsp;Duomo, la merveille de la cité.

Qu’on se figure une montagne de marbre blanc taillée, sculptée, ciselée, ouvrée, dans toutes ses parties, comme une dentelle de Valenciennes, OU un point d’Angleterre. Voyez s’élancer autour de cettenbsp;montagne cent douze clochetons sveltes et gracieux, qu’on prendrait,nbsp;si ce n’était la couleur, pour une plantation d’arbres verts sur lesnbsp;flancs d’une colline. Un people de statues anime cette forêt; troisnbsp;mille sont déjè placées, il doit y en avoir quatre mille cinq cents. Paenbsp;la position plus ou moins élevée qu’elles occupent, par les saints etnbsp;les saintes qu’elles représentent, elles offrent aux regards de la terrenbsp;l’image brillante de la hiérarchie céleste. Toute cette cour immortellenbsp;semble n’avoir qu’une voix pour exalter l’auguste Vierge, dont la

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COUP d’OEIL GÉNÉRAL SUR MILAN. 315

statue de bronze doré domine la plus haute aiguille de la coupole. Quand le culte de Marie n’aurait inspiré que la cathedrale de Milan,nbsp;il devrait être en bénédiction auprès de toutês les générations d’ar-tistes.

Magnifique dans son ensemble, le somptueux édifice porie, princi-palement sur la facade, les traces des différents styles d’architecture qui ont tenu le sceptre depuis l’époque de sa fondation. Commencéenbsp;en 1386, elle n’est pas encore terminée : chaque année, la Cour d’Au-Iricbe dépense une soinme considérable pour continuer les Iravaux.nbsp;A rarchiteclure primilif et a ces tailleurs en pierre, grands hommesnbsp;inconnus qui lui succédèrent, les artistes de la Renaissance ont ajouténbsp;leur faire, On leur doit, entre autres, la croisée carrée surmontéenbsp;d’un attique, dont la présence déligure le portail. Néanmoins lenbsp;Luomo de Milan passe pour la plus belle gloire de l’Ilalie, aprèsnbsp;Saint-Plerre de Rome : il fallut toute l’énergie des siècles de foi pournbsp;enlreprendre une pareille construction. Le vaisseau a 449 pieds denbsp;longueur, 275 de largeur dans le transept, et 238 de hauteur sous lanbsp;coupole, 147 dans la nef, 110 dans les bas cótés. La hauteur extérieurenbsp;de la coupole, avec couronneraent, est de 370 pieds.

L’intérieur donne lieu aux mêmes observations que la fagade ; le style n’est pas uniforme. On regrette de ne pas y trouver le naïf et lenbsp;fouillé du xm“ siècle. Néanmoins, quand on a franchi le seuil de lanbsp;Basilique par une des cinq grandes portes qui correspondent aux cinqnbsp;nefs, on éprouve la religieuse impression dont il est impossible de senbsp;défendre dans nos églises gothiques. Cinquante-deux colonnes de mar-bre, de 84 pieds d’élévation sur 24 de circonférence, souliennent l’édi-fice. Les deux monolilhes en granit rouge, qui ornenl intérieuremenlnbsp;la porie principale, sont peut-étre les plus hauls qui aient jamais éténbsp;employés dans aucune construction. Un nouveau people de statues denbsp;öiarbre, placé dans une longue ceinture de niches, anime l’intérieurnbsp;et forme le cortége du Dieu qui repose sur raulel. Nous remarquSmes,nbsp;entre autres, celles de saint Ambroise, de saint Charles, du Pape Martin V, de Pie IV. Le baptistère est fornié d’un grand bassin de por-phyre, qui passe pour avoir appartenu aux Thermes de Maximiennbsp;Hercule.

Le choeur, ferme par une superbe grille, s’élève de plusieurs degrés au-dessus de la nef. II est entouré de stalles dont les sculptures repré-sentent Ia vie de saint Ambroise et d’autres archevéques de Milan ;nbsp;clles sont regardées comme un chef-d’oeuvre. Au-dessus du maitre au-tcl brille le riche tabernacle oü l’on conserve le Santo Chiodo, clou

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516 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.

de Ia vraie Croix, porté en procession par saint Charles pendant Ia terrible peste de 1576. Derrière Ie choeur est la statue colossale denbsp;saint Barlhéleray. On sait que Ie glorieux Apótre fut écorché tout vif;nbsp;c’est dans eet état qu’il est représenté; cette sorte de réalité, renduenbsp;par un très-habile ciseau, est horrible. La sacristie nous offrit des ca-lices et des patènes d’un travail exquis, Ia belle statue de Notre-Sei-gneur lié a la colonne et les deux statues en argent de saint Atnbroisenbsp;et de saint Charles.

Nous terminilmes cette visite par la chapelle souterraine de saint Charles. A la vue de ce mot : Humilitas, devise du grand archevêquenbsp;et de son illustre familie, qui brille sur Ie magnifique tombeau d’unnbsp;saint devant lequel Ie monde lui-même reste muet d’admiration, 1®nbsp;chrétien se rappelle la promesse du Divin Maitre : Qui se humiliave-rit, exaltabitur : « Celui qui s’humilie sera élevé. » La chasse estnbsp;d’argent, avec des panneaux en cristal de roche et des moulures ennbsp;vermeil; Ie saint archevêque est revêtu de ses habits pontificaux, en-richis de diamants; sa tête, ornée de la mitre, repose sur un coussinnbsp;d’or. En contemplant les traits de cette grande figure qui dominanbsp;Ie xvi® siècle et qui domine encore Ie clergé moderne, on bénit la Providence, toujours fidéle a veiller sur l’Église; et on lui demande denbsp;tirer de ses trésors quelqu’un de ces grands Saints dont les besoinsnbsp;actuels réclament si impérieusement la puissante activité.

Au faite du Duomo, debout sur la coupole de ce temple merveil' leux qui élève jusqu’aux nues la gloire de Ia Soeur et de la Mère donbsp;genre humain, il nous fut donné de contempler un des plus vastesnbsp;panoramas d’Italie : une grande ville arrosée par deux rivières, l’Addanbsp;et Ie Tessin, majestueusement assise au milieu d’une plaine immenso»nbsp;émaillée de villes, de villages, de villas somptueuses, coupée par miH®nbsp;canaux qui ajoutent la fertilité et la grêce aux travaux d’une intelligente culture, et terminée par les sommets neigeux des Alpes et d®nbsp;l’Apennin.

Oii trouver un belvédère plus favorable pour contempler Ie panorama historique de la cité milanaise? Regardez ; voici venir tour ^ tour, du haut des Alpes et du fond de la plaine, se renversant les unSnbsp;les autres, les Gaulois, les Remains, les Goths, les Huns, les Lombard»-les Francais, les Espagnols et vingt autres peuples qui se disputent lonbsp;possession de cette terre promise. La victoire reste aux Roraains,nbsp;Milan devient Ie séjour de quelques-uns des maitres du monde. Lo®nbsp;autres se plaisent a y laisser des monuments de leur puissance. Cesnbsp;seize colonnes que vous admircz prés de Péglise de Saint-Laurent-

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VISITE BÉTAILLÉE. 317

proviennent des Thermes somptueux élevés par Maximien, Ie grand persécuteur du christianisme.

Mais voici bien d’autres conquérants : il ne s’agit plus de la possession de la lerre et de la domination des corps, mais de l’empire des ames. L’ami de saint Paul, celui que les habitants de Lystre pre-naient pour Jupiter lui-même, saint Barnabé arrive a Milan. II arrhenbsp;la ville pour son Divin Maitre, et vole a de nouvelles conquêtes. Per-pétue, dame romaine, épouse d’un officier de Néron, a élevé dans lanbsp;foi son jeune fils Nazaire. 11 part pour Milan, continue Fosuvre de Barnabé, associé a ses travaux Celse, jeune enfant de la cilé : tout ce qu’ilnbsp;y a de plus faible contre ce qu’il y a de plus fort! Le sang des jeunesnbsp;martyrs, exprimé de leurs veines par d’horriblcs tortures, cimenleranbsp;les fondalions de l’église milanaise, dont les murs seront composés dunbsp;sang el des ossements des illuslres martyrs Fauste, Calimène, Nabornbsp;et Félix, Gervais et Protais; et qui aura pour clef de voüie, saint Am-broise; pour colonnes, trente-trois évèques inscriis au catalogue desnbsp;Saints; pour enfant, Augustin, le docteur des docteurs; et pour restaurateur, saint Charles, FAthanase du xvi® siècle.

Tant de victoires devaient être récompensées par un glorieux triom-phe. Néron, Antonin, Commode, Aurélien, Maximien, ont émoussé leur hache contre les martyrs milanais; elle est lombée de leurs mainsnbsp;désormais impuissantes : et dans les mains de leurs successeurs, as-semblés sur le théAtre möme du combat, voycz la plume qui signe lenbsp;traité de paix, et declare le monde vaincu par la Croix. Salut! églisenbsp;de Milan! voici la page la plus solennelle de ton histoire. Au commencement de Fannée 313, deux empereurs romains, Constantin et Lici-nius, arrivent a Milan. L’empire a les yeux Cxés sur leurs démarches,nbsp;il attend avec anxiété le résultat de leurs secretes délibérations. Enfin,nbsp;peu de jours avant les calendes d’avril, vers Fépoque oü le Christnbsp;sorlit glorieux du tombeau, un édit parait, qui annonce Ia fin de lanbsp;lutte trois fois séculaire du paganisme contre le christianisme; quinbsp;permet a FÉpouse de FHomme-Dieu de sortir des ténébreuses galeriesnbsp;des catacombes, lui accorde pleine liberté d’exercer au grand jour elnbsp;son culte majestueux et sa mission bienfaisanie, ordonnant, en outre,nbsp;de lui rendre, sans exiger aucune rangon, tous les biens que la persé-cution lui a ravis (i).

Le glaive impérial ne fera plus de martyrs, mais Fhérésie fera des apostats. Milan devint le théAtre d’une nouvelle lutte. Auxence est

(i) Euseb. Ilist. lib. x, c. 5; Bar. an. Stö, t. m, p. 74, n. 1-8. T. lU.

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5)8 LES TROIS ROME.

vaincu par saint Ambroise; la vérité, qui remporte un nouveau triom-phe, prépare ceux de la verlu. Pour n’en citer qu’un seul, cette mon-tagne de marbre, cette église merveilleuse, au faite de laquelle nous sommes assis, quelle en fut la pensée créatrice? Quel souvenir redit-elle aux générations qui la contemplent? Au xiv® siècle, vivait, a Milan,nbsp;un de ces bommes de fer, comrae l’Europe d’alors en comptait desnbsp;milliers. Galéas Visconti, due de Milan, s’était emparé par trabison denbsp;la personne de son oncle et du patrimoine de ses cousins. Mais Ie re-mords vivait dans son ame cupide, comme il vivait au coeur de la so-ciété contemporaine. En expiation de son double crime, il fit bütirnbsp;deux magnifiques églises en l’honneur de Marie, que tous les sièclesnbsp;appellent Ie Refuge des pécheurs. Ces deux merveilles sont la Catbé-drale de Milan et la Chartreuse de Pavie. Le prince pénitent donna,nbsp;outre des sommes considérables, une carrière de marbre blanc d’unenbsp;pureté admirable : c’est la carrière de Candoglia, prés du lac Majeur.

Après ce coup d’oeil d’ensemble, nous descendimes du Duomo pour commencer la visite détaillée de la cilé. La sacristie de l’église denbsp;Saint-Satyre, en forme de petit temple octogone, offre amp; l’admirationnbsp;de l’artiste son architecture du Bramante, et ses sculptures grandiosesnbsp;du Caradosso. Elle attire aussi le pèlerin catholique par sa madonenbsp;miraculeuse du xi*^ siècle. Cette image de la sainte Vierge est une desnbsp;plus vénérables de l’Italie. Au portail de Saint-Nazaire nous vimes lesnbsp;buit sarcophages de la familie Trivulce. Singulier spectacle que cesnbsp;grands cercueils de pierre suspendus au-dessus de votre téte! On s’ar-rête éinu et silencieux devant celui de Jean-Jacques Trivulce, le célè-bre maréchal, créateur de la milice frangaise et le bras droit denbsp;Louis Xll. Son caractère semble peint dans l’épitaphe qu’il se fit ènbsp;lui-même ; « Joannes-Jacobus TrivuUius, Antonii filius, qui nun-quam quievit, quiescit. Tace.Jean-Jacques Trivulce, fds d’Antoine, qui jamais ne se reposa, repose. Silence. » Saint-Nazaire, fondénbsp;en 382, rappelle une gloire bien supérieure h celle des conquérants.nbsp;Les autels, les murs de l’antique sanctuaire redisent encore les nomsnbsp;immortels des glorieux martyrs de Milan, les saints Nazaire et Cclse;nbsp;et du grand apötre de la cité, saint Ambroise, qui vint, il y a quinzenbsp;siècles, déposer leurs reliques dans ce vénérable sanctuaire.

A l’église Saint-Laurent, rebalie par saint Charles, on admire le génie si hardi et si fécond des architectes italiens. II ne s’agit plus denbsp;crolx latine, de croix grecque, ni même de rotonde; v.oici un édificenbsp;octogone dont quatre cótés disposés en demi-quarts de eerde presen-lent dans leur enfoncement deux rangs de colonnes, l’un sur 1 autre.

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SAI.NT-ALEXANDRE. nbsp;nbsp;nbsp;'nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;519

qui servent de galeries tournanles. Les aulres cólés en ligne droile n’ont qu’un seul rang de colonnes; mais ces colonnes ont deux fois lanbsp;hauteur des premières, et soutiennent la coupole. Plusieurs tableauxnbsp;distingués d’Hercule Procaccini, d’Aurèle Luini et de Vimercali,nbsp;ajoutent leurs graces brillantes aux formes extraordinaires de l’édifice.

Si l’église di San Lorenzo est une des plus curieuses de Milan par son architecture, celle de Saint-Alexandre est peut-être une des plusnbsp;remarquables par ses richesses. A la voute, et dans les dilTérentes parties de ce temple magnifique, brillent les excellentes peintures denbsp;Frédéric Bianchi, de Philippe Abbiati, de San Agostino, dont les unesnbsp;représentent les principaux traits de I’Ancien Testament, et de la vienbsp;du glorieux titulaire. Le maitre autel resplendit sous sa ricbe garniture de lapis-lazuli, de jaspes sanguines, d’agates orientales et aulresnbsp;pierces précieuses.

Saint-Eustorge a de quoi salisfaire l’archéologue et le chrétien. Au premier, elle offre deux monuments remarquables : la chaire è pré-cher et le tombeau de saint Pierre, martyr. II est intéressant de voirnbsp;quelle élait la forme de nos chaires chrétiennes au moyen ftge, et denbsp;connailre les peoples restés lidèles aux formes primitives de Part, etnbsp;ceux qui s’en sont éloignés. Les ambons, les jubés des premiers tempsnbsp;furent remplacés par des chaires. En Suisse et en Italic, la chaire ac-tuelle, ou lepalco, est une espèce d’estrade ou de tribune oblonguenbsp;sur laquelle le prédicateur peut è son aise aller et venir, et conservernbsp;la liberté de mouvement, la grdce et la dignité de mainlien qui con-vient i l’orateur ; telles étaient aussi les chaires du moyen age.

Celle de saint Pierre, martyr, forme une espèce de grosse tribune en pierre, d’oii l’éloquent Dorainicain pouvait, en allant d’une extré-miié a l’autre, faire entendre è son immense audiloire la défense denbsp;la foi qu’il devait un jour signer de son sang. Quelle différence enlrenbsp;cette tribune si noble, si commode, si respectable par sa forme primitive, et cette boite de sapin suspendue aux piliers de nos églises, sinbsp;mesquine, si élroite, si étrange quelquefois de forme et d’ornementa-lion, dans laquelle le prédicateur, emprisonné et ii moitié caché, senbsp;courbe et s’agile, condamnc a des mouvemenls sans grèce et sans dignité. Le tombeau de saint Pierre, martyr, est uu chef-d’oeuvre denbsp;Part au xivquot; siècle, de cel art naturel et vrai paree qu’il est profondé-ment religieux. II faut surlout remarquer les cariatides gothiques représentant les verlus du Saint et qui soutiennent tout Pédifice.

Mais quel est ce saint donl la chaire est un objet de vénération; ce Saint dont les arts ont consacré la mémoire, et dont la lète, constam-

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320 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.

ment environnée par de pieux pèlerins, repose dans un reliquaire d’or et de cristal? C’est un de ces hommes puissants en oeuvres et ennbsp;paroles, qui sauvèrent la civilisation de l’Europe en sauvant la foi;nbsp;bienfaiteurs de I’humanile dont Ie matérialisme moderne a oublié Ienbsp;nom tout en jouissant du fruit de leurs labours, mais que la reconnaissance calholique continue d’invoquer et de bénir. Tandis quenbsp;dans ritalie oriëntale saint Antoine de Padoue met en fuite par l’éclatnbsp;de ses miracles Terreur et la tyrannic, saint Pierre, martyr, fait pal-piter sous les coups de la grilce victorieuse le reste de la Péninsule.nbsp;Impossible de compter les brebis qu’il arrache aux griffes du mani-chéisme. Tel est Tenthousiasrae et la vénération qu’il inspire, que lesnbsp;populations entières vont au-devant de lui avec la croix, la bannière,nbsp;les trompetles et les tambours. Souvent on est obligé de le porter surnbsp;une lilière, de peur qu’il ne soit écrasé par Ia foule. Cependant Ianbsp;iiaine des manichéens égale Tamour des catholiques. Elle s’accroit aunbsp;point qu’ils le font assassiner entre Come et Milan. Avant de mourir,nbsp;le Saint récite le Symbole et prie pour ses meurlriers. Sa prière estnbsp;exaucée; son assassin entre chez les Dominicains de Forli en qualiténbsp;de frère convers, et lè expie son crime dans les larmes de la plusnbsp;austére pénitence ; voilamp; le moyen flge. Nous étions agenouillés de-vant le tombeau du Martyr, six cents ans aprós sa mort, arrivée lenbsp;6avrill252.

17 AVRIL.

Saiut-Ambroisc. — Souvenirs de Théodose. — Tombeau de Stilicon.— Mosalque.— Corps de saint Ambroisc, — des SS. Gervais et Protais, —de sainte Marcelline.—nbsp;Lit de saint Satyre. — Crucifix de saint Charles. — Baptistère. — Souvenir de saintnbsp;Augustin. — Souvenirs de la Peste de Milan.— Saint Charles el Calvin! — RitAm-brosien. — École de Saint-Ambroise. — Lazaret. — Monza. — Église. — Peinlure. —nbsp;Trésor. — Couronne de fer. — Anecdote. — Séminaire des Philosophes. — Retour anbsp;Milan.

J’eus la consolation de dire la messe dans Ia crypte oü repose saint Ambroise avec les saints Gervais et Protais. J’aurais désiré de Toffrirnbsp;surle corps même du grand docleur; mais un réglement qu’on nousnbsp;fit voir a la sacristie défend de célébrcr les saints mystères sur eetnbsp;autel, si ce n’est selon le rit arabrosien. L’église de Saint-Ambroise,nbsp;dont la fondalion remonte a Tan 587, est un des plus anciens monuments de Tantiquité chrétienne. Avant d’entrer on trouve le portiquenbsp;quadriforme qui en isolant Téglise du bruit et du tumulle, servait denbsp;station aux premiers ordres de pénitents. Voici le seuil sacré sur lequel

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SAINT-AimnOlSE.

saint Ambroise arréta Tliéodose. Ces picrres que voyez de vos yeux, que vous foulez de vos pieds, ont vu Ie maitre du monde, environnénbsp;de tout l’éclat de la pompe impériale, se présenter a celte église aprèsnbsp;Ie massacre de ïhessalonique. Si elles pouvaient parler, elles vous re-diraient les sublimes paroles qu’elles ont entendues de la bouche dunbsp;Pontife : « Seigneur! il scmble que vous ne sentez point encore l’énor-milé du crime commis par vos ordres; que l’éclat de la pourpre nenbsp;vous empéche point de reconnaitre la faiblesse de ce corps si magni-fiqueraent couvert. Vous êtes pétri du même limon que vos sujels ;nbsp;il n’y a qu’un maitre du monde. Oserez-vous, en priant, lever vers luinbsp;ces mains encore teintes d’un sang injustement répandu? Retirez-vousnbsp;done et n’allez pas aggraver par un nouveau crime celui dont vousnbsp;êtes coupable. — Mais David a péché, répondit Ie prince en s’excu-sant. — Puisque vous l’avez imilé dans son péché, lui dit Ambroise,nbsp;imitez-le dans sa pénitence. » L’empereur se sourait et resta huit moisnbsp;exclu de la participation aux saints mystères.

Saint Ambroise arrêtant Théodose, saint Léon arrêtant Attila, saint Basile arrêtant Valens, oü trouver quelque chose de plus sublime etnbsp;de plus social dans les annales des peuples? Chose remarquable! cesnbsp;grands e,xemples de protection du faible coiitre Ie fort, du droit contrenbsp;l’injustice, de la vérité contre Terreur, ne se rencontrent ni dansnbsp;Thistoire des sacerdoces païens, ni dans celle des églises hérétiquesnbsp;OU schismutiques : h Téglise catholiquo Thonneur exclusif de les don-ner au monde! En dire la raison serail inutile : quand les termesnbsp;d’un problème sont si neltement posés, Ie premier venu peut dégagernbsp;Tinconnue.

Les principaux monuments de la Basilique ambrosienne sont : Tan-tique tribune ou chaire en marbre blanc d’oü saint Ambroise, stii-vant la tradition, voyait Ie jeune Augustin parmi ses auditeurs les plus assidus; Ie fameux serpent d’airain, élevé au milieu de la nel',nbsp;que les uns ont pris pour Esculape, les autres pour celui que Moïsenbsp;éleva dans Ie désert; Ie tombeau de Stilicon et de sa femme Séréna.nbsp;Le maitre aulel resplendit sous son fameux Paliotto d’or, chef-d’oeuvre d’orfévrerie du x‘gt; siècle; et Tabside du choeur attire les regards sur sa belle raosaïque du ix®. A la partie supérieure, le Sauveurnbsp;est assis sur un tróne d’or, étincelant de pierreries, ayant it ses cötésnbsp;saint Gervais et saint Protais. Non loin de lit parail saint Ambroise,nbsp;a qui Dieu révéla, dans un mystérieux sorameil, le lieu ou reposaientnbsp;les corps des deux martyrs. A ce propos, un voyageur francais qui senbsp;pique d’érudition, mais it qui le sens chrétien manque trop souvent.

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3^22 LES TROIS IIÜMË.

se scandalise et s’écrie ; « Saint Ambroise s’endort en disant la messe, tandis qu’un sacristain lui frappe sur l’épaule pour Ie réveiller et luinbsp;inontrer Ie peuple qui attend. Singulier moment choisi par l’artistenbsp;dans la vie de ce grand Saint! On savait que Fénelon s’était endorminbsp;au sermon; saint Ambroise, dormant debout a I’autel, est encorenbsp;moins édifiant. » C’est ainsi qu’on écrit I’bistoire.

An fond du Presbyterium est la chaire pontificale de saint Ambroise, en marbre blanc, simple el sans sculptures. Prés de la on v6-nère le crucifix avec lequel saint Charles benissait le peuple pendant la peste. Dans la cbapelle, qui porte son nom, repose sainte Marcelline, digne soeur de ses deux frères, Ambroise et Satyre, dont elle futnbsp;I’aiinable institutrice. La même Basilique renfermait aussi le corps denbsp;saint Satyre, transporlé depuis a Saint-Victor; mais elle conserve tou-jours le lit qui fut it son usage. A la vue de ces colonnes torses en bois,nbsp;de ces ais deux fois vénérables, le chrétien éprouve ce que le touristenbsp;lui-même serait hcureux et fier d’éprouver, s’il voyait la toge de Ci-ceron ou la chaise curule de César.

Nos impressions furent d’aulant plus vives, qu’un événement de la vie de saint Satyre redit it toutes les générations et la foi ardente desnbsp;premiers chrétiens et I’amour indissoluble qui les unissait an Dieunbsp;Rédempteur. Satyre s’était embarqué pour I’Afrique, afin de recou-vrer qtielques biens qu’on retenait injustement b son frère. Le vais-seau fit malheureuseinent naufrage : Satyre n’était encore que caté-chumène. II prie les fidèles quiportaientrEucharistie avec eux,suivantnbsp;I’usage, de lui remettre une hostie consacrée. II I’enveloppe dans sonnbsp;oratorium, espèce de mouchoir que les Remains portaienl é leur cou.nbsp;Muni de ce sacré dépót, il se jette a la mer, sans attendee de planchenbsp;pour se soutenir ; il nage et arrive a terre le premier. Pour témoignernbsp;it Dieu sa reconnaissance, il se fait baptiser et meurt bientól après,nbsp;entre les bras d’Ambroise et de Marcelline.

Au sortir de la pieuse Basilique, nous visitames le Baptistère é jamais célèbre, oü le grand Augustin devint l’enfant de cette Église calholique dont il devait étre la plus brillante lumière. C’était le buitnbsp;des Calendes de mai, 23 avril de l’an 387, la veille de Püques fi); dansnbsp;cette nuit solennelle le Baptistère, resplendissant de luraières, étailnbsp;rempli de catéchumènes aux longs vêtements blancs. Un peuple immense assiégeait les portiques; les hymnes sacrés s’élevaient vers lenbsp;ciel avec la fumée de 1’encens. Revêtu de ses habits pontificaux. Ara-

(f) Possidius, Vit. August, n. 42; Ambros. epist. ai JEmilium.

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RIT AMimOilEN.

broise arrive conduisant par la main Ie fds de Monique, Ie professeur d’éloquence de la grande Rome, Augustin, sa noble conquête : il Ienbsp;plonge dans la fontaine sacrée. Suivant la tradition de l’église de Milan, c’est après la troisième immersion qu’Ambroise, dans Tenthou-siasme de l’amour et de la joie, entonne Thymne sublime Te Deum,nbsp;qu’Augustin continue avec lui en improvisant alternativement chacunnbsp;des versets. Y a-l-il de la témérité it défier l’artiste chrétien, Ie voya-geur quel qu’il soit, de rester sans émotion en visitant ce Baptistèrenbsp;immorlel el de ne pas murmurer I’liymne d’aclions de graces?

Cependant l’heure avancée nous appelait a la calhédrale : nous vou-lions assister a la grand’messe célébrée suivant Ie rit Ambrosien. 11 serail hors de propos d’expliquer ici la raison des nombreuses transpositions dans l’ordre des cérémonies. Je me contenterai de les signaler, en ajoutant qu’on y voit briller les usages vénérables de notre an-liquité chrélienne. La messe commence par Vlnlroibo snivi dunbsp;Confitemini Domino quoniam bonus; Ie Kyrie ne se dit qu’après Ienbsp;Gloria in excelsis. L’Évangile se lit sur une espèce de pupitre ounbsp;d’ambon fort élevé, afin qu’il puisse être entendu de tout Ie peuple;nbsp;la lecture est suivie du Kyrie, eleison. Le célébranl ne se lave lesnbsp;mains qu’immédiateraent avant la consécration; en recevanl la communion chaque fidéle répond Amen; la messe finit par un troisièmenbsp;Kyrie, eleison.

Mais de toutes les cérémonies, celle qui rappelle le plus distincle-ment les usages de la primitive Église, c’est l’oflrande du pain et du vin. Au moment de l’Offertoire le Célébrant descend a l’entrée dunbsp;chueur, oü Ie pain et le vin lui sont présentés par VÉcole de Saint-Ambroise. On donne ce nom è dix vieillards et é dix femmes égéesnbsp;enlretenus aux frais de l’église. Deux de ces vieillards, revêlus d’habitsnbsp;parliculiers, présentent le pain et le vin. Le premier vieillard présentenbsp;trois hosties, et l’autre une burette d’argent pleine de vin. Deuxnbsp;femmes viennent é leur tour présenter le pain el le vin : tous, hommesnbsp;et femmes, sont suivis du reste de l’École qui va successivement fairenbsp;l’oblation des syraboles eucharistiques. Et eet usage vous reporte anbsp;dix-huit siècles, aux Basiliques de Constantinople et aux catacombesnbsp;de Rome; et le sacrifice vous apparait ce qu’il est dans sa réalité,nbsp;l’oeuvre commune de tous les membres de 1 Église, du clergé aussinbsp;bien que du peuple : meum ac vestrum sacrificium.

En attendant le départ des wagons qui devaient nous conduire a Monza, nous sortimes des barrières pour visiter le lazaret, devenu sinbsp;fameux par la peste de Milan. Cel édifice du xv“ siècle a 1200 pieds

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I.ES TIIOIS nOME.

sur «-liaque face, enlouré d’un porlique ouvert et spacieux donl les arcades s’appuient sur des colonnes en granit d’une seule piece. Chaque pestiféró avail sa chambre. Au milieu de la vaste pelouse, renferméenbsp;dans les porliques, s’élève une chapelle oü l’on disait la messe pour lesnbsp;raalades. II semble voir a l’autel saint Charles Borromée offrant l’au-

I

guste Viclime pour les quaranle mille pesliférés qui encombraient, pendant l’épidémie, ce séjour de la douleur et de la mort.

Deux voix, qui retenlissaient a la möme époque, semblent encore frappcr volre oreille. La première est cclle du saint Arcbevêqiie di-sant aux prètrcs milanais, dont son exemple animail Ic courage : « Lesnbsp;plus tendres soins dont Ie meillenr des pcres doit entourer ses enfantsnbsp;dans ces temps de desolation, l’évéque doit les prodiguer è ses ouaillesnbsp;par son zèle et par son ministère, aGn que lous les autres bommes,nbsp;enflammés par son exemple, cmbrassent loutes les couvres de la cba-rité cbrélienne. Quant aux curés et a tous ceux qui ont charge d’ütmes,nbsp;loin d’eux la pensée de priver du plus petit service leur troupeau,nbsp;dans un temps oü ils lui sont nécessaires; mais qu’ils prennent la determination Gxe de tout braver de bon coeur, même la mort, plutót quenbsp;d’abandonner, dans eet extréme besoin de toutes series de secours, lesnbsp;Gdèles conGés è leurs soins par Ie Sauveur qui les a rachetés de sonnbsp;sang (i).»

De l’autre c6té des Alpes, entendez la voix des ministres protestants qui, interrogés par Ie conseil de Genève, ne craignent pas de ré-pondre : « A la vérité, il serail de noire devoir d’aller consoler lesnbsp;pestiférés, mais aucun d’enlre nous n’a assez de courage pour Ie faire.nbsp;Nous prions Ie conseil de nous pardonncr notrc faiblesse, Dieu ne nousnbsp;ayant pas accordé la grftce de vaincre et d’affronter Ie péril avec l’in-trépidité nécessaire, a la réserve de Matlhicu Geneston, lequel offrenbsp;d’y aller, si Ie sort tombe sur lui. » En se reiirant, ils disaient entrenbsp;eux : « Nous irions plutót au diable (2). » Au lieu d’encourager sesnbsp;digiles prêtres, rarchevéque de Genève, Calvin, se fit défendre d’allernbsp;visiter Thèpital pestilenliel. Entre deux religions qui inspirent desnbsp;sentiments si différents, il est facile de décider quelle est la bonne.

La cloche de Tembarcadère vlnt nous lirer du lazaret : en moins d’une heure nous fumes h Monza. L’anlique Modoetia, siluée ó douzenbsp;milles de la capitale, nous appelait pour nous monlrer les riches tré-sors de sa Basilique. La tradition redit ainsi l’origine de Monza :

(1) nbsp;nbsp;nbsp;Condt. Wed. v, c. 4, p. n.

(2) nbsp;nbsp;nbsp;Exir. des regislrcs du conseit d'Élat de la republique de Genèvc, 17Ö5 4nbsp;fragm. l«i- raai ISr», p. 10.

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HONZA. nbsp;nbsp;nbsp;5’;)

Théodelinde fut inspirée de balir une église; mais elle ne savait oü Ja placer. Un jour que, faliguée de la chasse, elle se reposait sous lesnbsp;grands arbres de Monza, une colombe s’approche el lui dit : Modo,nbsp;« Tout de suite; » et la reine répond ; Eliam, « Oui. » Et sur-le-champ elle fit mettre la main a l’ceuvre, et Modoetia, nom latin denbsp;Monza, répèle de génération en generation les deux paroles créatrices.

C’est dans l’église collégiale de Saint-Jean-Baptiste que se conserve, enlre autres reliques insignes, la fameusc Couronne de Fer, dont ilnbsp;faut raconter 1’origine et 1’usage. L’an 325, sainte Hélène, visitant lanbsp;Palestine, trouva non-seulement la Croix du Sauveur, mais encore lesnbsp;qualre clous avec lesquels Ie Roi des rois fut attaché au tróne de sonnbsp;amour. La pieuse impératrice voulut que ces insignes de la royauténbsp;divine servissent d’ornement et de défense ii l’empereur, son fils, elnbsp;aux Césars, ses successeurs. Un des clous fut placé dans Ie diadème denbsp;Constantin; un aulre dans Ie frein de son cheval de bataille. Cesnbsp;clous furent religieusement gardés k Constantinople, oü ils étaient encore au milieu du vi“ siècle. En 530, on voit Ie Pape Vigile jurer, surnbsp;ces monuments vénérables, en présence de l’empereur Justinien, denbsp;condamner les écrils de Théodore de Mopsueste. Trenle-six ans plusnbsp;lard, ils quittaient l’Orient avec saint Grégoire, pour venir augmenternbsp;1’immense trésor de reliques et de monuments sacrés que Rome for-mait avec tant de persévérance, qu’elle conserve avec lant de soin, etnbsp;qu’elle montre avec un orgueil si légitime ü ses amis comme ü sesnbsp;ennemis.

Pendant que saint Grégoire s’asseyait sur la chaire de Pierre, oü ses vertus et ses talents l’avaient élevé, non loin de Rome une jeunenbsp;reine montait sur Ie tróne redouté des Lombards ; c’était Théodelinde.nbsp;Fille du roi de Bavière, épouse d’Agilulfe, elle fut en Italië, pour sonnbsp;mari et pour son peuple, ce que Clolilde fut dans les Gaules pournbsp;Clovis et ses Francs, Adelberge en Angleterre et Ingonde en Espagne :nbsp;c’est-ii-dire, Tapólre de sa nation qu’elle eut Ie bonheur de ramcnernbsp;de l’arianisme ü la vraie foi. En témoignage de sa paternelle satisfaction, saint Grégoire fit présent a la pieuse reine du clou renfermé dansnbsp;Ie diadème de Constantin. Théodelinde Ie plaga, avec un morceaunbsp;considérable de la vraie Croix, envoyé par Ie méme Pontife, dansnbsp;I’Ëglise de Monza.

A cette époque, Monza n’élait qu’un simple chateau oü les rois lombards, dont Pavie élait la capilale, venaient passer la belle saison. De-puis qu’il fut enrichi de lant de trésors divins, ils Ie regardèrcnl comme Ie palladium de leur empire. Ce que Ie tabernacle de l’Arche

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LES TllOlS ROME.

d'alliance élait pour les Israélites, Monza Ie devinl pour les Lombards. De la Ie nom de Palladium et A'Oraculum qu’il porte dans leursnbsp;Charles. En mourant, Théodelinde donna toutes les richesses donl jenbsp;viens de parler, et d’autres encore, a la Basilique de Monza, balie parnbsp;ses soins. L’acle ou la copie de l’acle de donalion se trouve sur lanbsp;couverlure d’or d’un manuscril conservé a Monza, et que Mabillon anbsp;publié dans son Iter italicum : de chaque cöté on lil l’inscriptionnbsp;suivante :

EX. DONIS. DEI. DEDIT.

TREODELENDA. REG.

IN. BASELECA. QVAM. FVN-DAVIT. IN MODOECIA.

JVXTA. PALATIVM. SVVM.

Afin de perpétuer l’éloquent usage auquel Tirapératrice sainle Hélène destina Ie clou qui avail percé Ie Roi des rois, Agilulfe etnbsp;Théodelinde Ie firent placer dans la couronne des rois lombards, etnbsp;les premiers, ils voulurent porter sur leur front ce diadème sacré. Anbsp;partir de cette époque, on voit leurs successeurs et ensuite les empe-reurs d’Allemagne venir prendre ii Monza la Couronne de Fer, et re-cevoir, en la prenant, Ie litre de rois dTtalie. Le premier empereurnbsp;dont la tête fut ornée de ce diadème auguste, c’est Charlemagne, etnbsp;ravant-dernier. Napoléon (i). La cérémonie du couronnement se faitnbsp;toujours par l’archevêque de Milan. Les anciennes annales disent qu’ilnbsp;tient ce privilége du Pape saint Grégoire lui-même.

Deux obstacles retardèrent, pendant quelque temps, la visite du Trésor. A notre arrivée, on faisait le Calécliisme de Persévérance;nbsp;l’église élait pleine de monde. L’ofiice terminé, il fallut avoir les clefsnbsp;de la sainte chapelle, qui, déposées entre pliisieurs mains, furent dif-ficilementréunies. Ce retard nous permit de visiter l’église dans toutesnbsp;ses parties. La fagade est ornée de deux statues de saint Jean-Baptistenbsp;et de deux médaillons en marbre représentant Théodelinde et Agilulfe-Tout 1’intérieur est peint h. fresque. La chapelle, ^ gauche du maitrenbsp;autel, possède un tableau du xv® siècle (lAM), qui représente des cof-fres précieux ouverts en présence de la reine Théodelinde et de sonnbsp;fils, le roi Adwald, de l’archevêque de Milan, et d’un grand nomhrenbsp;de prélats et de seigneurs de la Cour. Quelques-uns des personnages

(0 Carolum Magnum, viclo Desiclerio rcge, Modoetia; per archiepiscopum Mediola-nensem Corona Ferrea redimi voluisse, alque, ut ita apud posteros obseryaretur, instituissc. — Sigon. De regno Dal. lib. iv.

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COljRONNE DE EER. 327

portent dans leurs mains des vaisseaux sacrés et la Croix; a leur téte marche saint Grégoire Ie Grand tenant une couronne royale serablablenbsp;ü la Couronne de Fer. Ce tableau traduit et compléte un monumentnbsp;précieux que nous avions vu i la métropole de Milan. Je veux parlernbsp;de la mosaïque du ix' siècle, placée sur Ie cóté gauche de la grandenbsp;abside, et qui représente l’archevêque donnant la Couronne de Fernbsp;aux rols lombards. Ces deux peintures constatent d’une inanière au-thentique et l’origine et l’histoire et l’usage de la Couronne de Fer.

Enfin les clefs arrivèrent. Au Trésor de la sacristie nous vimes Ie manuscrit dont j’ai parlé, la magnifique coupe en onyx, don de saintnbsp;Grégoire, et la plus grande qu’on connaisse; Ie superbe peigne ennbsp;ivoire de Théodelinde, enchftssé dans un ornement en filigrane d’ornbsp;enrichi d’émeraudes; enfin, Ie bassin de bronze doré, nontenant unenbsp;poule entourée de sept poussins en vermeil, emblème de la bienfai-sante princesse, occupée du bonheur des sept provinces qui compo-saient son royaume. Deux aulres objets encore plus vénérables attirè-rent notre attention. Le premier est la Lettre autographe de saintnbsp;Grégoire le Grand é Théodelinde, dans laquelle le Souverain Pontifenbsp;détaille a la princesse les reliques qu’il lui envoie par Jean son légat.nbsp;Cette lettre est sur papyrus et a deux colonnes séparées par une guirlande de petites fleurs. Lè second est la Croix del Regno, qu’on sus-pendait au cou des rois lombards lorsqu’on célébrait leur couronne-ment. C’est une croix grecque en or, dont les branches longues denbsp;deux pouces sont enrichies de pierres précieuses et réunies par unnbsp;magnifique saphir.

De la sacristie on nous conduisit a l’église. C’est dans la chapelle, a droite du maitre autel, qu’on garde la Couronne de Fer avec plu-sieurs reliques insignes : le précieux trésor est renfermé dans une superbe armoire placée au-dessus de l’autel. La Couronne de Fer senbsp;compose de deux parties ; l’une intérieure et l’autre extérieure. Lanbsp;première est le clou même de Ia Passion. Ce clou est aplali et formenbsp;une lame circulaire d’environ six lignes de largeur et d’une longueurnbsp;suffisante pour entourer une tête d’homme; la seconde est le diadèmenbsp;proprement dit. Le clou est enchèssé dans une couronne d’or enri-chie d’émaux et de vingt-deux pierres fines de différentes couleurs; sanbsp;hauteur est d’environ vingt lignes; elle forme un simple eerde onnbsp;bandeau sans bandelettes pour l’attacher, sans rayons ni cimier a lanbsp;partie supérieure : trois signes de haute antiquité. En y regardant denbsp;prés, on est frappé du poli et de la pureté du fer intérieur, exemptnbsp;de la moindre tache de rouille, bien que la Couronne ait été souvent

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3i8 LES TROIS ROME.

et quelquefois longtemps cachée dans des lieux huniides, pour la sous-iraire aux ravages et aux profanations, suites inévitables des guerres nombreuses qui ont désolé l’Italie.

En regardant une dernière fois cette précieuse relique placée entre un morceau considerable de la vraie Croix, une partie du roseau, denbsp;l’éponge, de la colonne et du saint sépulcre, on se demande pourquoinbsp;les rois et les empereurs ont voulu a lout prix orner leur front de cettenbsp;antique Couronne dont la magnificence est loin d’égaler celle desnbsp;modernes diadèmes? L’homme raisonnable est forcé de répondre :nbsp;Que tous les siècles ont rcconnu dans la Couronne de Monza quelquenbsp;chose de sacré et de divin; que les chefs des nations chrétiennes ontnbsp;regardé corame un honneur insigne de porter sur leur têle, méme unnbsp;instant, Ie diadème sanctifié par Ie sang du Roi des rois; que la Religion a voulu, en leur accordant ce glorieux privilége, leur rappeler etnbsp;l’origine du pouvoir et l’usage qu’ils en doivent faire et Ie complenbsp;qu’ils en rendront. De son cóté, dans la conduite humainement inexplicable de tous ces monarques qui prennent pour leur couronne unnbsp;instrument de supplice, Ie chrétien ne peut s’empêcher d’admirer unenbsp;preuve de plus de la divinilé de celui qui a changé les idéés, lesnbsp;moeurs, les lois et les préjugés de l’univers (i).

Comme nous sortions de l’église, nous trouvames sur la place un groupeconsidérable debourgeois et d’hommes du peuple qui causaientnbsp;ensemble. Dans la foule était un vieillard encore vert qui vint droil, ünbsp;nous et nous dit en bon frangais : « Salut ii mes compatriotes. — Vousnbsp;êtes done Francais?— Oui.— Que faites-vous dans ce pays?—Jenbsp;vis doucemenl de mes petites rentes. — Depuis quand avez-vous quitténbsp;la France? — J’habite Monza depuis quarante ans. Je faisais partie denbsp;l'armée d’Italie; j’étais ii Marengo; je fus blessé; je suis reslé dans Ienbsp;pays et j’y suis établi; mais parlez-moi de la France! » En disant cesnbsp;mots, il nous tendit affectueusement la main; son visage s’épanouis-sait, se colorait ü chacune de nos paroles; enfin deux grosses larraesnbsp;lui tombèrent des joues et il nous dit en nous serranl de nouveau lanbsp;main : « Vous Ie voyez, je suis devenu Italien sans cesser d’êtrenbsp;Francais!

« \ tous les coeurs bien nés, que la palrie est chore! »

(0 Voir, sur la Couronne de Fer, la savante dissertation de Fontanini, prélat domes-tique de Clément XI. Rome, 1717. Cet ouvrage, conlre lequel viennent se briser les raisonnements de M. Robulziano Gironi, commence par ces mots:« Quid adhuc quajrisnbsp;» examen, quod jam factum est apnd Apostolicam Sedem, » et finit par ccux-ci :nbsp;« Desinat incesscre novitas velustalem. »

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RIZIÊRES. nbsp;nbsp;nbsp;320

Nous visitómes ensuite Ie petit Séminaire. A la difference des autres diocèses d’Italie, Milan réunit dans des maisons séparées les théolo-giens et les philosophes. Comme edifice Tétablissement de Monza estnbsp;très-beau et passe pour très-remarquable sous Ie rapport des études.nbsp;Par un syslème qui ressemble un peu a celui de Mettray ou de Petil-Bourg, les dortoirs servent en même temps de salles d’étude. Nousnbsp;ünissions de les parcourir, lorsqu’on vint annoncer Ie départ du con-voi de cinq heures : 11 fallut descendre en toute hdte a l’embarcadère.nbsp;Je Ie dis a regret: lorsque les cheinins de fer seront ctablis, Ie clas-sique voiturin n’éxistera plus; on ira de Gênes Ji Venise en une jour-née; les mille beautés de la nature et des arts passeront devant lesnbsp;yeux comme des ombres cbinoises; on voyagora, non pour voir, maisnbsp;pour arriver : c’en sera fait du voyage d’Italie.

18 AVRIL.

Rizières. — Pavie. — Pont. — Corps de saint Augustin. — üniversité. — Collége Dorromce. — Champ de bataille. — Chartreuse.

A cinq heures du matin nous partimes pour Pavie. Une plaine monotone, d’environ six lieues de longueur, sépare Milan de l’ancienne capitale des Lombards. On la parcourt sur une superbe route quinbsp;cótoie conslamment Ie Naviglio, grand canal de communication enlrenbsp;Ie Milanais et l’Adriatique. Au milieu des arbres et des champs cul-tivés se dessinent de norabreuses rizières : c’était Ie moment des se-mailles. Des hommes portant en sautolr un sac de riz, la tête couvertenbsp;d’un large chapeau de paille et les jambes nues, jetaient la semencenbsp;dans un terrain profondément humecté et même couverte de quelquesnbsp;pouces d’eau. Était-ce pour obéir a la prescription du Chantre desnbsp;Géorgiques : Nudus ara, sere nudus? Je 1’ignore; ce qui parait infail-lible, c’est qu’une pareille opération doit amener Ie résultat indiquénbsp;par la fin posthume du vers virgilien : Ilahehis frigora, febres. Quoinbsp;qu’il en soit, la culture du riz est une des principales richesses de Ianbsp;Lombardie et du Piémont. L’Europe en est, 'dit-on, redevable ii unnbsp;Hollandais revenu des Grandes-Indes. L’ltalie en profile largement,nbsp;grice a son intelligent système d’irrigation.

Cette culture est, d’ailleurs, la plus simple de toutes; Ia terre, après la moisson, est privée d’eau jusqu’au printemps. On y sème alors Ienbsp;riz sur un seul labour et sans autres préparalions. Lorsque la plantenbsp;a quelques pouces d’élévation, on baisse les écluses pour inonder Ie

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330 nbsp;nbsp;nbsp;LES TUOIS KOME.

sol. Le riz-croit comme une plante marine dans une terre constamment submergée. On ne relève les écluses que vers l’époque de la maturité,nbsp;afin de. donner au sol le. temps de se dessécher, et aux moissonneursnbsp;la possibililé de couper la récolte. Elle se lie en petites gerbes qu’onnbsp;laisse quelque temps enlassées avant de les batlre. On cullive cetienbsp;plante trois années de suite dans le même terrain; on n’y met pointnbsp;d’engrais pendant tout ce temps, è cause des eaux qui en neutralise-raient l’effet; et puis on laisse la terre deux ans inculte ou en prés naturels. Pendant cinq ans on ne fume la terre qu’une fois. Le produitnbsp;d’une mesure de riz est estimé le double de celle d’un blé d’égalenbsp;beauté (i). Toutefois h cöté des avantages sont les inconvénients : lesnbsp;eaux stagnantes des rizières causent souvent des fièvres et d’autresnbsp;maladies.

Le principal motif de notre pèlerinage amp; Pavie était d’offrir les saints raystères sur le corps de saint Augustin. Nous avions prié au Baptis-tère de Milan qui fut son berceau, il était juste de nous prosterner surnbsp;sa tombe. Mais avant de nous rendre a l’église, le temps nous permitnbsp;de Jeter un coup d’oeil sur la ville. Bütie sur les bords du Tessin, aunbsp;milieu d’uue campagne si fertile et si gracieuse qu’elle partage avec lanbsp;marche d’Ancóne le glorieux surnom de Jardin de l’Italie, Pavie, lenbsp;Ticinum des Remains, doit son origine aux Gaulois dont elle fut unenbsp;des principales forteresses. Le démon y régnait en maitre absolu, aussinbsp;bien que dans le reste du monde, lorsque les pêcheurs de Galilée vincent ébranler ses autels. La grande ombre des saints Juvenlius et Sy-rus semble encore planer sur cette ville, conquise amp; la foi par leursnbsp;pénibles luttes. Envoyés par saint Herraagore, disciple de saint Marc,nbsp;ils plantèrent l’étendard victorieux de la croix non-seulement ^ Pavie,nbsp;mais dans les cités voisines (2). Pour prendre racine et développer sesnbsp;rameaux protecteurs, l’arbre de la vraie liberté demandait du sang : ilnbsp;en fut arrosé. En tête des martyrs de Pavie marchent les saints évê-ques Dalmase et Félix; leur courage, devenu le palrimoine de leursnbsp;successeurs, continua de briller dans les luttes acharnées quoique nonnbsp;sanglantes de Terreur centre la vérité. Quatorze évêques, formés surnbsp;leur modèle et placés comme eux sur les autels du monde chrétien,nbsp;sont les chefs de la glorieuse armée dont Tintelligenle valeur sul con-server a Pavie le trésor de la foi.

(1) Voyez, Lettres sur l’Italië, par M. de Chflteauvieux, p. 580. t*) Bar. Annot. ad Martyr. scpl.

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PAVIE.

Les arts et les sciences brillèrent aussi d’un vif éclat dans la capitale des Lombards. Le roi Luitprand, guerrier, législateur, auxiliaire denbsp;Charles-Martel dans la défense de la civilisation européenne contre lesnbsp;Sarrasins; Boèce, minislre de Théodoric, savant, orateur, philosophe,nbsp;poète, martyr du bien public, ont laissé des noms immortels; mais lanbsp;tour oü Boèce fut enfermé, et dans laquelle il composa son livre de lanbsp;Consolation, n’existe plus. Fondée par les Souverains Pontifesnbsp;en 1360, FUniversité de Pavie continue glorieusement la chaine de lanbsp;tradition scientifique. Entre les illustres élèves qu’elle vit è ses cours,nbsp;le voyageur chrétien n’a garde d’oublier saint Francois de Sales.

L’aspect de Pavie n’a rien de remarquable; les rues sont générale-ment étroites et malpropres; les édifices publics, quclques-uns ex-ceptés, d’une médiocre élégance : la Strada Nuova mérite seule d’être parcourue. Cette rue large, bordée de magasins, traverse toute lanbsp;ville et abüutit au superbe pont du Tessin. Ce monument du xiv“ sièclenbsp;atteste la puissance de l’art et Ia grandeur des édifices publics, è unenbsp;époque longtemps accusée de barbarie. II a trois cents pieds de longueur sur douze de largeur. Cent colonnes de granit soutiennentnbsp;Félégante toiture dont il est couvert, ainsi que la pieuse chapelle b^tienbsp;vers le milieu.

Parmi les églises, Saint-Michel offre de curieux resles de sculpture romane. Grace ii plusieurs restaurations maladroites, la cathédrale nenbsp;conserva qu’imparfaitement son caractère gothique; mais elle a plusieurs bons tableaux de Sacchi, de Zingaro et d’Antoine Rossi. Lenbsp;Saint Syrus de ce dernier est une oeuvre capitale; mais la véritablenbsp;richesse de ce temple, le noble objet de la pieuse curiosité du voyageur, c’est le tombeau de saint Augustin.

L’illustre Évêque d’Hippone repose dans le maitre autel. L’art tout i la fois si patient et si poétique du xiv® siècle s’est, en quelque sorte,nbsp;surpassé pour orner la tombe de l’immortel Docteur. La descriptionnbsp;de cette épopée en marbre nous entrainerait trop loin; je me conten-terai de dire que quatre cent quatre-vingts figures d’un travail exquis,nbsp;décorent les parois du mausolée.

' Ce que peut éprouver un prêtre catholique offrant l’adorable Vic-time sur le corps de saint Augustin, les pensées qui lui viennent au souvenir du Ills de Monique, les sentiments que lui inspirent Ie voisi-nage, le. contact du gigantesque athlète de la foi, du génie le plusnbsp;vaste et en même temps du coeur peut-étre le plus aimant qui ait ho-noré 1’Église et l’humanité, sont des choses qu’on ne peut redire,nbsp;même lorsqu’on a eu le bonheur de les éprouver.

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33:2 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS rome.

Maïs comment ce précieux dépot se troiive-t-il a Pavie? Dcpuis onze cents ans l’histoire n’a jamais varié dans sa réponse. A la fin du v® siècle, Trasamond, roi des Yandales, persécuta violemment l’Église d’A-frique. Tons les évêques dont Ie glaive ne termiiia pas la glorieusenbsp;carrière, fureiit relégués en Sardaigne. En parlant pour l’exil, les gé-néreux confesseurs emportèrent avec eux les ossements des martyrs elnbsp;en particulier Ie corps sacré d’Augustin, leur père et leur modèle :nbsp;c’était l’an 403, sous Ie pape Symmaque. Trois cents ans plus tard,nbsp;vers Pan 774, la crainte des Sarrassins fit transporter Ie précieux dé-pöt Ji Pavie, oü loutes les générations chrétiennes n’ont pas cessé unnbsp;instant de venir lui rendre leurs hommages (i). Or, savez-vous ennbsp;quels termes un francais, dont l’ouvrage est entre les mains de la plupart des pèlerins d’Italie, parle de ce fait incontestable et incontesté?nbsp;Prêtez l’oreille ; « Parmi cette foule de débris mensongers qui abon-dent en Italië, Pavie en montre peut-être deux des plus brillants etnbsp;des mieux imagines. Le premier est Ie prétendu et grandiose tombeaunbsp;de saint Augustin {a). » Un fait public, traité de fable; les auteursnbsp;contemporains accuses de fourberie ou d’ignorance; onze siócles, denbsp;superstition; les papes, de jonglerie; voila une partie du venin ren-fermé dans ces phrases que rendront a jamais inexcusables et la fidé-lité del’historien et la probité de Phonnête homme; jusqu’ici pourtantnbsp;on a voyagé en Italië avec de pareils guides!

Après un frugal repas, nous visitames l’Université. Ce vaste édifice, situé dans la Strada Nuova, offre i l’admiration de l’étranger sa richenbsp;fagade et ses trois cours environnées d’un péristyle a doubles colonnes.nbsp;Dans l’intérieur on trouve une bibliothèque d’environ cinquante millenbsp;volumes, un beau cabinet de physique et d’histoire naturelle et des

(!) Vid. S. Fulgent, ep. Rusp.; Oldrad. cp. Mediol. Epist. ad Car. Magn.; Francis. Fara. de Rebus Sardois, etc., etc.; Bar. An. t. ix, an. T2ö; Paul. diacon. de Gestis Lon-gobard, lib. vi, c. U; Sigonius, de Reg. Italice; Ado Viennens. In chronic, an. 717. Deuxnbsp;témoins illustres, contemporains de la seconde translation, s’cxpriment ainsi; « Luit-» prandus audiens quod Sarraceni, depopulala Sardinia, eliam loca fcedarent illa ubinbsp;» ossa sancti Augustini episcopi propter vastationem Barbarorum olim translata etnbsp;» honorilice fuerunt condita, misit, et dato magno pretio accepit, et iranstulit ca innbsp;» Ticinum, ibique cum debito tanto Patri honore recondidit. » Beda, lib. de Sex. eetat.nbsp;in fine. — Le fait que le V. Béde raconte cn pcu de mots, Oldrade, archevêque dc Milan,nbsp;le décrit en detail dans sa lettre a Charlemagne. Cette piece capitale, que je regrctienbsp;de ne pouvoir rapporler, se trouve tout enticre dans Baronius, Ann. t. ix, an. 7d3,nbsp;n. 2 et suiv.; on y voil el la reception magnifique faite par Luitprand el par son peuplcnbsp;au corps de saint Auguslin, et les miracles par lesquels le saint récompensa la piétenbsp;publique, enfin la deposition de ses restes sacrés dans 1’cglise de Saint-Pierre in cielonbsp;d'oro.

(s) Cet auteur est M. Valeri, dans ses Voyages prclendus historiques cn Italië.

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COLLÉGE BORROMÉE. OOO

salles superbes destinécs a renseignement. Les études, dont Ie programme est aussi varié qu’en France, s’y font avec un succès égal, sinon supérieur, grace a la liberté de l’enseignement. On n’y sème pasnbsp;du grec et du latin pour récolter des bacheliers, maïs on y répandnbsp;Finstruction pour obtenir de la science.

Le Collége Borromée, voisin de l’Université, est une des magnlfi-ques créations de saint Charles. L’illustre Archevêque voulut que Ia jeune noblesse du Milanais puisüt è des sources pures la science quinbsp;fait les citoyens utiles, tandis qu’élevée sous la même discipline, dansnbsp;la même province et dans le même établissement, elle se formerait anbsp;des moeurs chrétiennes et conserverait avec fidélité_ l’esprit national,nbsp;précieux héritage des families, et garantie d’honneur et de prospériténbsp;pour les États. Avec l’intelligence et le zèle des grandes choses quinbsp;caractérisent les saints, le généreux Cardinal s’empressa de mettre lanbsp;main a l’exécution de son projet; l’énergie de sa volonté et Ia bonténbsp;de son coeur le conduisirent a tenue dans le court espace de quelquesnbsp;années. Pavie fut doté d’un monument, dont l’imposante facade, l’é-légante architecture, les vastes portiques, les fresques brillantes et lanbsp;splendide chapelle, sont l’orgueil de la cité et la gloire immortelle dunbsp;fondateur. Fidéle a l’esprit du saint Cardinal, la familie Borroméenbsp;continue encore aujourd’hui d’entretenir é ses frais et le Collége et lesnbsp;trente élèves qui le composent.

Les Saints, bienfaiteurs du monde, tel fut le sujet de la conversation pendant le trajet que nous fimes a pied jusqu’a la Chartreuse, distantenbsp;de Pavie d’environ six milles. A moitié chemin, sur la gauche, onnbsp;montre l’endroit présumé oü Francois F' perdit Ia célèbre bataille.nbsp;Le champ fameux porte encore le noin de Ripentita; c’est dans Ienbsp;pare de la Chartreuse que le monarque francais rendit sa noble épéenbsp;et devint prisonnier. La tradition du couvent porie que la premièrenbsp;chose qui frappa ses regards fut Finscription suivante : Bonum mihinbsp;quia humiliasti me, ut discam justificationes tuas : « C’est un biennbsp;pour moi. Seigneur, que vous m’avez humilié, afin que j’apprenne énbsp;connaitre vos adorables jugements. » A la vue de ce texte divin, Ienbsp;prince se mit h genoux, le répéta avec dévolion et écrivit ii sa mère :nbsp;Tout est perdu. Madame, fors l’honneur. A vingt minutes de la route,nbsp;au milieu d’une plaine couverte d’arbres fruitiers, se dessine la Chartreuse. Que dire de cette merveille? Sinon qu’elle est la digne seeurnbsp;de la Chartreuse de Naples. Sur l’élégante facade, ornée de peinturesnbsp;exquises, de bas-reliefs, de médaillons et de colonnes en marbre denbsp;Carrare, brille au loin Finscription suivante, écrite en grandes lettres

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534 LES TROIS ROME.

d’or : Virgini Marice, Filiw, Matri et Sponsw Dei: « A la Vierge Marie, fille, mère et épouse de Dieu. )gt; Miséricorde pour Galéas Visconti, dont Ie repentir a élevé ce magnifique sanctuaire.

L’église, mélange d’architecture gothique et grecque, forme une croix latine, dont la longueur est d’environ deu.x cent trente-cinqnbsp;pieds, et la plus grande largeur de cent soixante-cinq. Elle a troisnbsp;nefs, quatorze chapelles, sept de chaque cóté, sans compter les deuxnbsp;du transept et Ie maitre autel. Tous les murs extérieurs sont ornés denbsp;sculptures et de colonnes en marbre blanc, aussi bien que Ie dóme, dontnbsp;la forme est de la plus grande élégance. L’intérieur du temple répondnbsp;5 l’extérieur. Du pavé jusqu’^ la voute, tout est or, marbre et pein-ture. Cbaque autel, surmonté d’un tableau, olfre amp; l’ceil ébloui l’as-semblage des marbres les plusrares incrustés ordinairement de pierresnbsp;flnes. Lesprincipales fresques sont de César et de Camille Procaccini, denbsp;Macrino d’Alba, d’Antoine Busca et de Daniel Crespi. La sainte Vierge,nbsp;avec Notre-Seigneur, Saint Pierre et Saint Paul, par Ie Guercbin, etnbsp;la Sainte Vierge entourée d’Anges qui adorent l’Enfant Jésus, par Ienbsp;Pérugin, sont deux admirables chefs-d’oeuvre de grftce et d’expression.nbsp;L’habile ciseau d’Amedei et d’autres sculpleurs célèbres a peuplénbsp;toutes les parties de Pédilice de statues dont la beauté rivalise avecnbsp;celle des peintures. Que dire de la grille en fer du chceur, avec desnbsp;montanls en marbre, des ornements et des figures en bronze doré,nbsp;sinon qu’elle est peut-étre la plus belle qui existe? Dans Ie transeptnbsp;s’élève Ie raausolée en marbre de Galéas Visconti, fondateur de l’église.nbsp;Ce monument est couvert de sculptures exquises représentant les actions de Galéas, dont Ie corps n’a jamais reposé dans ce superbe tom-beau, achevé cent soixante ans seulement après sa mort.

Qui n’a pas vu Ie chceur et Ie maitre autel ne peut se former une idéé de leur magnificence. La étincellent de toutes parts, les mosaï-ques les plus fines et les plus brillanles, l’albatre découpé comme unenbsp;dentelle, Ie bronze aniraé par Ie ciseau de Brambilla, Ie lapis-lazulinbsp;formant partout de gracieux dessins et faisant briber, sur son fondnbsp;d’azur, une multitude de pierres précieuses, semblables aux étoilesnbsp;qui scintillent h Ia voute du ciel. Le Lavabo des religieux, les deuxnbsp;sacristies sont autant de bijoux. Dans le premier, la grande vasque ennbsp;marbre, les figurines qui lancent de Peau, le puits en marbre, sem-blent Ie dernier effort de Part, tant on y trouve d’élégance et de délicatesse. Par leur grandeur et leur richesse, les deux sacristies répon-dent è ce qu’on a déjii vu. La neuve est un musée de peinture; etnbsp;Pancienne possède un ouvrage unique au monde : c’est un coffre orné

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I» SERMON. nbsp;nbsp;nbsp;535

de bas-reliefs en dents d’hippopotarae, et représentant leute l’histoire de l’Ancien et du Nouveau Testament.

En sortant de l’église, neus enlrAmes dans Ie Portique de la Fontaine. Ce lieu rappelle \'Atrium des anciens. Au centre jaillit une source limpide, et, sur les cótés, règne un portique élégant en terrenbsp;cuite, avec plafond peint en azur el or, et dont les sculptures rivali-sent avec les plus beaux ouvrages en raarbre. De lè, nous passAmesnbsp;dans un autre cloitre plus vaste, mais non moins riche. Le milieu,nbsp;couvert de gazon, est le cimetière des Chartreux, dont les cellules s’é-lèvent symétriquement au-dessus du toit avancé qui couvre le portique. Telle est l’imparfaite esquisse de cette merveille de Tart. Lenbsp;repentir d’un prince l’avait commencée, l’auslère frugalité des Chartreux l’avait achevée; un prince jansénisle, Joseph II, l’a spoliée, etnbsp;le Directoire franqais l’a exposée A une ruine compléte en enlevant lesnbsp;plombs qui la couvraient. Amour et admiration, horreur et pitié : telsnbsp;sont les sentiments qu’inspirentl’hisloire et lavuede la Chartreuse (i).

19 AVRIL.

Un sermon. — Bibliollièque. — Galerie. — Ëibllollièque ambroisienne. — Leonard de Vind. — Sainle-Marie-des-Gr5ces.— Fresque de la Cèiie. — Are de Ia paix. — Cirque.

— nbsp;nbsp;nbsp;Grand Seminaire. — Palais archiépiscopal. — Première maison d’orphelins.—nbsp;Grand höpilal. — Frères de Saint Jfean-de-Dieu. — Salles d’asile. — Oratoire de Sain t-Charles. — Pieux institut de Sainle-Marie-de-la-Paix. — Collége militaire. — Hospicesnbsp;Martinclli, —de Sainte-Marie-deWa-SieHa, — di Loreio, —delta Vergine Addolorata.

— nbsp;nbsp;nbsp;Pia cas(f d’industria.

En passant prés de l’église de Saint-Fidèle, nous fumes attirés par la voix d’un prédicateur qui, je ne sais A 1’occasion de quelle fête,nbsp;prêchait sur la Sainte-Vierge. L’auditoire était nomhreux et très-

(i) Le moyen 5ge avec sa foi, ses faiblesses et son héroïque penitence, respire dans Facte de Ibndalion. « Le buit octobre de 1’an de Fincarnation mil trois cent qualre-vingt-seize, Jean Galéas Visconti posa la première pierre de Fédificc, et trois ans aprèsnbsp;vingt-cinq chartreux vinrent s’y élablir. Le due leur assigna pour dotation divers lioXixnbsp;aux environs, dont ils retirèrent un revenu considérable, lequel nc fit que s’accroilrenbsp;par Ia culture. Jean Galéas, dans son testament l'ait a Jliligno, le 21 aoüt 1402, imposanbsp;aux religieux 1’obligation d’employer une somme fixe et aunuellc a finir cette con-s'.ruction, et ce jusqu’a son plein et entier achèvemenl; après quoi, la même sommenbsp;devait étre distribuée aux pauvres chaque année, ce qui ne put avoir lieu qu’en Fan-née 1342, Fédifice n’ayant été entièrement lini qu’a cette époque. Mais le reliquat deve-nant tous les ans plus considérable, il donna le moyen aux religieux, tout en salisl'ai-aant 4 Faumóne prcscrite, de continuer a embcllir et a enrichir le superbe monument. »nbsp;Caval. Malespina di Sannazaro, Descriz. della Certosa dl Pavia.

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Öo6 nbsp;nbsp;nbsp;lüS TUOIS IU)ME.

recueilli. Suivant l’usage d’Italie, l’oraLeur allait et venait librement sur Ie Palco, distribuant aux fidèles les trésors de sa piété et de sonnbsp;éloquence : il ne manquait ni de Tune ui de l’aulre. Sa parole vive etnbsp;figurée, sou ton de voix onctueux, ses gestes pittoresques, Ie laissernbsp;aller de ses pensees et de ses sentiments, convenaient on ne peutnbsp;mieux au caractère de l’assemblée. En général, j’ai remarqué dans lesnbsp;predications italienncs beaucoup plus d’abandon et de naturel quenbsp;dans les nótres. La méthode symétrique, la froide unite, toutes cesnbsp;choses de Tart humain, que nous devons, en partie, a notre éduca-tion classique, la chaire italienne est loin de les admettre au mênienbsp;degré. II en résulte que la prédication atteint mieux son but, c’est-a-dire qu’elle est ensemble plus populaire et plus ulile.

De Saint-Fidèle nous nous rendimes a la Bibliolhèque. Ici, comine dans la plupart des grandes villes d’Ualie, la Bibliothèque est un palais et un trésor. Deux beaux escaliers de marbre conduisent dans denbsp;vasles salles ornées de boiseries délicatement travaillées. Environ centnbsp;soixante mille volumes et mille manuscrits sont rangés dans de superbes armoires; puis vient Ie Cabinet des médailles et l’Observa-toire, un des plus remarquables de l’Europe. Ce dernier a été illustrcnbsp;par un des meilleurs astronomes des temps modernes, l’abbé Oriconi,nbsp;qui Ie dirigea pendant cinquante ans. Après avoir refusé d’être séna-teur de l’Empire, rhumble et pieux ecclésiastique mourut en 1832-Dans Ie même batiment se trouve la galerie. Comme tout Ie monde,nbsp;nous y vimes avec bonheur Ie Mariage de la Sainte- Vierge, ouvragenbsp;plein de grdce de la jeunesse de Raphael, et YAgar renvoyèe pufnbsp;Abraham, du Guerchin ; ce tableau produit une vive impression;nbsp;Saint Pierre et Saint Paul, par Ie Guide; Saint Mare prêchant dansnbsp;Alexandria, par Gentile Belini; la Madeleine aux pieds de Notre-Seigneur, Sainte Familie, parrAlbane; plusieurs autres compositions, de Gaudence Ferrari, de Bernardino Luini, du Bramantino,nbsp;sont autant de chefs-d’oeuvre de goüt, de naïveté, d’expression et denbsp;perspective.

Si Ia galerie de Milan tient une place distinguée parmi les galeries de l’Europe, la bibliothèque ambrosienne figure en première lignenbsp;parmi les trésors littéraires de l’Italie. Due en partie a la munificencenbsp;de saint Charles, elle compte environ soixante mille volumes et plu®nbsp;de dlx mille manuscrits. Nous vimes quelques Palimpsestes d’unnbsp;grand intérêt. Je citerai entre autres celui des Plaidoyers de Cicéronnbsp;pour Scaurus et Flaccus, sur lesquels on avait écrit les vers de Sédu-lius notre poète chrétien du vi“ siècle. Celui des Lettres de Mare-

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BIBLIOTllEQUE AMBROSIENKE. 337

Aurèle et de Fronton, retrouvées sous une hisloire du Concile de Chalcédoine : cette double découverle est due au cardinal Mai, quinbsp;semble avoir re^u la mission de faire è l’égard des vieux manuscrits,nbsp;ce que Cuvier a fait b l’égard des fossiles. Les ouvrages de Josèphe,nbsp;écrils sur papyrus, sont un des manuscrits les plus précieux qu’onnbsp;connaisse : ce manuscrit date de douze siècles au moins. Une salienbsp;magnifique contient plusieurs chefs-d’oeuvre de peinture; tels sont Ienbsp;Christ, du Guide et VÉcole d’Athènes, de Raphael.

Léonard de Vinei ne doit pas être oublié. Peintre, littérateur, méca-nicien, ingénieur, architecte, l’ami de Francois 1“ conduisant de front tous les arts, et dans tous il laissa les traces lumineuses du génie. Lenbsp;père des lettres eut pour ce grand bomme plus que de l’admiratlon;nbsp;il l’honora d’une constante amitié. Ayant appris que Léonard denbsp;Vinei était mourant a Fontainebleau, le roi vint le voir et le soutintnbsp;sur son séant pendant qu’on lui faisait prendre un bouillon. ïant denbsp;bonté excita la surprise d’un courtisan : « Sachez, lui dit le roi, quenbsp;je puis faire des grands seigneurs tous les jours, mais Dieu seul peutnbsp;faire l’homme que je perds. »

La Cène passe pour le chef-d’oeuvre de Léqnard de Vinei. Elle fut faite pour le réfectoire des Dominicains de Notre-Dame-des-Gr4ces, etnbsp;on nous dit que la tête seule de Notre-Seigneur avait occupé l’artistenbsp;pendant troisans. Cette fresque admirable est malheureusement perduenbsp;OU b peu prés. En 1796, les Francais, devenus maitres de Milan, pro-fanèrent l’église des Dominicains et cbangèrent le réfectoire en écurie.nbsp;L’humidité et le salpêtre se communiquant aux murs, réduisirentnbsp;bienlót l’immortelle composition amp; l’état déplorable oü nous l’avonsnbsp;vue. II n’en resterait pas de vestige si un jeune olEcier, visitant lesnbsp;casernes, n’avait fait immédiatement retirer les chevaux et pourvu,nbsp;autant qu’il était encore possible, it la conservation du chef-d’oeuvre.

Au sortir de Notre-Dame-des-Gréces nous saluames l’Arc de la Paix commencé par Napoléon, et le Cirque achevé par ce même conquérant.nbsp;Ce Cirque moderne imite parfaitement les anciens, et sert comme euxnbsp;aux courses de chars et aux naumachies; il peut contenir trente millenbsp;spectateurs. On dirait que dans ce beau pays d’Italie les monumentsnbsp;sortent de dessous terre et ne coutent rien ii construire, tant Ie nom-bre en est considérable. Les ponts, les églises, les palais, les statues,nbsp;les arcs de triomphe, les portiques, les fontaines, qu’on rencontre dansnbsp;les moindres villes, sont d’une perfection admirable et d’une soliditénbsp;qui défie les siècles. L’amour des arts est la gloire des Italiens, elle ennbsp;vaut bien une autre; celle-lii du moins ne fait pas de malheureux.

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338 LES TROIS ROME.

Le grand séminaire et Ie palais archiépiscopal sont deux autres monuments qui honorent la cilé qui les possède et le grand saint qui en fut le fondateur. D’une architecture noble et sévère, ils réfléchissentnbsp;le génie de l’illustre cardinal et indiquent le but auquel ils sont des-tinés. Les vastes salons de l’arehevêché autrefois tendus de riches ta-pisseries, en furent dépouillés par saint Charles, pour habiller sesnbsp;pauvres diocésains pendant la peste; on les a laissés dans le même étaf.nbsp;La nudité de ces grands murs a je ne sals quoi de saisissant qui de-vient de Téloquence, lorsqu’on la contemple en se rappelant le faitnbsp;dont Je viens de parler.

Réchauffé par saint Charles, l’esprit de charité continue d’inspirer les Milanais. II faut dire è leur gloire, que le premier établissementnbsp;régulier, en faveur des enfants abandonnés, prit naissance dans leurnbsp;ville. L’honneur en revient i un saint prêtre nommé Dathéus, digni-taire de l’église de Milan; voici l’acte même de cetle fondation mémo-rable qui eut lieu en 787 : « Moi Dathéus, pour le salut de mon amenbsp;et celui de mes concitoyens, j’ordonne qu’on fasse de la maison quenbsp;j’ai achetée et qui est contigue ii l’église, un hospice pour les enfantsnbsp;trouvés. Je veux qu’aussitót qu’un enfant sera exposé dans l’église, ünbsp;soit regu par le préposé de Fhospice et confié a la garde et aux soinsnbsp;des nourrices qui seront payées pour cela... Ces enfants apprendrontnbsp;un métier, et lorsqu’ils seront parvenus è l’age de dix-huit ans, je veuxnbsp;qu’ils soient dégagés de toute servitude et libres d’aller et de demeu-rer oü il leur plaira (i). »

II serait agréable de suivre a travers les siècles cette longue chaine de bienfaits publics, dont rétablissement de Dathéus fut comme lenbsp;premier et brillant anneau. Si les hornes d’un voyage nous interdisentnbsp;un semblable travail, elles permettent au moins de l’esquisser rapide-ment; je dirais volontiers qu’elles le commandent: en général, l’Italienbsp;charitable est trop peu connue. Toutefois, en présence du paupérismenbsp;qui envahit les sociétés modernes, en face de ce formidable problèmenbsp;dont la solution tourmente l’Europe actuelle, a la vue du malaise etnbsp;de la fermentation qui travaillent les classes inférieures et qui peut,nbsp;dans un moment donné, établir un duel ^ mort entre celui qui nenbsp;possède pas et celui qui possède : n’est-ce pas un devoir impérieux de

(i) Muratori, Antiek, ital. l. iv, 37. — L’épUaphe de ce saint prêtre est simple el sublime comme sa vie :

Sancie, memento, Deus, quia condidit isle Dathajus Hanc aulam miseris auxilio pueris.

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GRAND HüPITAL.

rechercher comment la plus ancienne, la plus parfaite des sociétés, l’Église catholique, a prévenu la cause et paralysé les effets de ce terrible antagonisme? Or, peut-être nulle part son esprit ne s’est faitnbsp;sentir plus vivement qu’en Italië; et le voyageur qui révèle h son paysnbsp;quelques-unes de ses inventions salutaires, mérite presque une cou-ronne civique. Mieux vaut mille fois publier une bonne oeuvre que denbsp;decrire une statue; d’ailleurs il est juste de faire pour Milan ce quenbsp;nous avons fait pour le reste de I’ltalie : tels sent les motifs qui, con-trairement a nos projets, retardèrent notre depart de vingt-quatrenbsp;heures.

Notre première visite fut pour le grand Hópital: c’est le plus beau palais de la ville. Les marbres, les colonnes, les ornements d’architec-ture y sont prodigués. Bati par le due Francois Sforza, il a été, depuisnbsp;son origine, considérablement augmenté. II contient buit cents lits,nbsp;sans rideaux, et qui me parurent trop rapprochés. On y regoit sansnbsp;distinction tous les pauvres malades. Outre les raédecins et les chirur-giens ordinaires, des professeurs y enseignent Tart de guérir è denbsp;nombreux élèves qui joignent constamment la théorie amp; la pratique. IInbsp;n’y manque qu’une chose : nos soeurs de Saint-Vincent de Paul. Puissenbsp;1’lieureuse contagion qui de Gênes les a fait passer a Plaisance gagnernbsp;bienlót le Milanais! Les soins matériels y sont donnés avec tout Ie zèlenbsp;et rintelligence qu’on peut attendee d’infirmiers et de femmes anbsp;gages; s’il y a un peu d’encombrement, la propreté des vastes sallesnbsp;ne laisse rien è désirer. II en est de mème des secours spirituels. Sousnbsp;ce dernier rapport, les hópitaux d’Italie sont des modèles qu’on nenbsp;saurait trop étudier.

La charité milanaise a bati pour le pauvre malade un autre palais moins somptueux que le premier, mais il est administré avec un dé-voueraent plus sublime. Dans la rue Fate-ben-Fratelli, vous voyez unnbsp;grand édifice, dont le vestibule est orné d’une belle statue, en marbrenbsp;blanc, de saint Jean-de-Dieu. C’est la que les dignes enfants du saintnbsp;Vincent de Paul de l’Espagne et de l’Italie soignent paternellementnbsp;quatre-vingt-dix malades. Comme le coeur des bons religieux, lesnbsp;portes de leur maison restent toujours ouvertes : quel qu’il soit, l’in-firme peut entrer, certain d’être regu avec un empressement cordial;nbsp;voila pour les malades.

Mais l’enfance, la pauvreté, la vieillesse, de quelle manière la charité milanaise vient-elle a leur secours? Ici, comme partout oü il règne, le c.atholicisme produit des miracles, et embrasse toutes les misèresnbsp;humaines, depuis le berceau jusqu’ii la tombe. Outre un grand nom-

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3-iO nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.

bre d’écoles gratuiles, Milan possède, pour une population de 148,000 ümes, sept ou buit salles d’asile. Elles doivent leur existence a l’excel-lent abbé Aporti. La méthode est la même que chez nous ; et la tenuenbsp;ne laisse rien a désirer. L’Oratoire de Saint-Charles regoit, les diman-ches et jours fériés, de jeunes apprentis auxquels on fait passer Ienbsp;temps en exercices religieux et en divertissements honnêtes. Le pieuxnbsp;Institut de Sainte-Marie-de-la-Paix élève les enfants incorrigibles denbsp;dix è quatorze ans. Un des grands moyens d’amélioralion, c’est le silence auquel il est oblige pendant toule la durée du travail. Lorsquenbsp;nous le visitames, l’Institut venait d’êlre fondé; néanmoins il comptaitnbsp;déja bon nombre d’enfants, et le vertueux directeur s’applaudissaitnbsp;des résultats obtenus.

Louis XIV établit l’Hótel des Invalides, oü les braves sont nourris dans leur vieillesse, et soulagés dans leurs infirmités aux frais de lanbsp;patrie, pour laquelle ils ont versé leur sang et perdu leurs membres;nbsp;Napoléon fonda la Maison impériale de Sainl-Denis pour les filles desnbsp;Légionnaires; et toute l’Europe applaudit è ces nobles institutions. Hnbsp;restait une lacune ; l’empereur d’Autriche l’a comblée. Milan possèdenbsp;un Collége militaire, desliné aux enfants des soldats des huit régi-ments italiens ; nous y trouvaraes trois cents élèves. Les services, lesnbsp;blessures, la mort des pères sur Ie ehamp de bataille, sont les litresnbsp;d’admission pour les enfants. On nous dit qu’il existe cinquante Insti-tuts semblables pour les autres régiments de l’armée autrichienne. IInbsp;est facile de comprendre combien ces institutions de bon sens et denbsp;charité doivent attacher le sous-officier et le soldat a son drapeau,nbsp;puisqu’en son absence l’abandon et le besoin ne menacent plus sa familie.

Mais l’enfant du simple ciloyen è qui la mort ravit les auteurs de ses jours, que devient-il? La charité lui ouvre ses bras et lui tient lieu denbsp;mère. Son collége a elle, c’est l’liospice des Orphelins, appelé Marli-netti, du nom de son fondateur. Dans cette belle et vaste maison, nousnbsp;trouvaraes environ deux cents enfants au teint rose, a la figure épa-nouie. Ils y sont re§us de l’fige de sept A treize ans, et y restent jusqu’anbsp;dix-huit ans. On les forme pour les professions industrielles, et on lesnbsp;envoie en apprentissage chez les meilleurs artisans; ils s’habiluentnbsp;ainsi peu a pcu a la vie de l’ouvrier. C’est le système tout Ji la fois éco-nomique et paternel de l’hospice romain Tata Giovanni. La eondilionnbsp;essentielle de succes se trouve dans le choix des mailres. Les avantagesnbsp;que l’hospice Martinetti procure aux orphelins, les jeunes orphelinesnbsp;en jouissent dans la maison de Sainie-Mamp;rie-della-Stella, vis-a-vis de

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UOSPICE Dl LORETO. 34»

Notre-Dame-des-Gr4ces. Fondé par Ie cardinal Borromée, cel asile re-foit de trois è quatre cents orphelines. Elles y entrent depuis sept ans jusqu’è dix, pour n’en sortir qu’è vingt-un. Sous Ie rapport de la religion , des bonnes moeurs et du travail, leur éducation ne laisse riennbsp;è désirer. Aussi les Stellines sont-elles recherchées en mariage par lesnbsp;artisans honnêtes. Quand elles s’établissent on leur fait une dot denbsp;trois cent treize francs. Ne trouvent-elles ni amp; se marier, ni è se placer? Sainte-Marie-di-Loreto leur ouvre ses portes; la elles peuvent passer leur vie au sein de la paix et de l’innocence. A l’époque de notrenbsp;visite, Sainte-Marie-della-SfeHa comptait trois cent quarante orphelines; nous en trouvilmes cent vingt au Loreio. On Ie voit, Ie systèmenbsp;d’une double adoption se pratique h Milan comme dans la plupart desnbsp;autres villes d’Italie; rien n’est plus moral et peut-être plus économi-que. Je ne répéterai pas ce que j’ai dit ailleurs sur Ie raême sujet.

Milan se distingue encore par l’aumóne favorite de la charité ro-maine. Sur Ie revenu de plusieurs fondations, on y dislribue annuel-lement plus de mille dots, et chaque semaine des secours individuels pour plus de trenle mille livres italiennes. La vénérable congrégationnbsp;de Santa-Corona fait soigner gratuitement les malades ü domicile.nbsp;La pieuse Union visite les malades du grand hópital, prend soin desnbsp;femmes et des filles en danger, cherche a les marier ou ^ les placer;nbsp;dirige Ie Refuge de la Beata-Vergine-Addolorata; y revolt les jeunesnbsp;filles nubiles .%ées de moins de vingt ans, les entretient jusqu’è vingt-six, et leur fait une dot è leur sortie. Elle dirige aussi Ie Refuge des-tiné aux jeunes filles de cinq è douze ans. Elles y restent jusqu’è vingtnbsp;ans et n’en sorlent que pour êlre femmes de chambre ou maitressesnbsp;d’école : si elles se marient, elles regoivent une dot de deux centsnbsp;francs. II existe encore it Milan plusieurs autres associations charita-bles, entre les diverses professions. Je me conlenterai de citer Ie pieuxnbsp;Institut de secours pour les médecins, Ie pieux Instilut philharraoni-que, Ie pieux Institut typographique, Ie pieux Institut pour les cha-peliers; c’est ainsi que dans tous les pays caiholiques on lutte par desnbsp;associations pieuses el charüables contre I’individualisme qui produitnbsp;l’égoïsme d’abord, puis Ie paupérisme. Mals pour être utiles, c’est-è-dire morales et durables, les associations doivent être fondées sur Ienbsp;double lien de l’intérêt du temps et de Tintérêt de réternité : c’estnbsp;dire assez qu’elles sont impossibles en dehors de l’inspiration chré-lienne.

Mais la gloire de la charité milanalse est la Pia Casa d’Industria. La visite de cel établissement modéle lermina notre longue et riclie

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342 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.

journée. Empêcher les pauvres de mendier, mais aussi de souffrir, sans porter atleinle a leur liberté; ainsi se pose au point de vue de récono-miste Chrétien Ie grand problème de l’extinction de la mendicité. Or,nbsp;il nous semble trouver ici sa véritable solution. La Pia casa empêchenbsp;les pauvres de mendier, c’est-a-dire qu’elle ne leur laisse aucun pré-texte de Ie faire. On a dit aux pauvres : Ou vous êtes valides ou vousnbsp;ne l’êtes pas. Si vous êtes valides, travaillez chez vous ou chez les par-ticuliers; si l’ouvrage vous manque, venez h la Pia casa, elle vous ennbsp;donnera, quels que soient votre êge, votre sexe ou vos forces. Quandnbsp;l’ouvrage reviendra chez vous ou chez les particuliers, vous aurez toutenbsp;liberté de Ie reprendre. Si vous êtes invalides, vous serez secourus inbsp;domicile; mais dans aucun cas il ne vous sera permis de mendier. Sinbsp;vous Ie faisiez, malgré tous les moyens de ne pas Ie faire, vous com-mettriez un délit également contraire ii l’Évangile qui déclare indignenbsp;de manger celui qui refuse de travailler, et è la loi civile qui doit ré-primer la fainéantise, mère de tous les vices. Coupables, vous serieznbsp;punis par la réclusion, dans une maison d’arrêt ou un dépót de mendicité.

Ce qui précède montre que la Pia Casa empêche aussi Ie pauvre de souffrir, en lui procurant toujours de l’ouvrage èi lui, a sa femmenbsp;et a ses enfants. Non-seulement elle lui assure Ie salaire exigé pour lanbsp;suhsistance de sa familie; elle respecte encore sa liberté. Le pauvrenbsp;arrive le matin a son ouvrage; on lui vend, s’il le désire, une excellente soupe au prix de neuf centimes la ration de vingt-huit onces; etnbsp;de cinq centimes la demi-ration. 11 peut acheter au dehors ce qu’il luinbsp;convient d’y ajouter, et peut même prendre ses repas en ville avec sanbsp;femme et ses enfants; car, chaque jour, il a, comme l’ouvrier ordinaire, une heure le matin el une heure le soir dont il peut disposer.nbsp;Sa journée Unie il se reirouve le soir avec sa familie, et sa conditionnbsp;ne diffère en rien de celle de l’artisan. Quelle difïérence entre la Pianbsp;Casa et nos dépóts, et surlout les work-houses de l’Angleterre, oü lanbsp;liberté du pauvre et lesjoies de la familiesont si horriblementsacrifiées!nbsp;Mais aussi quelle différence dans les résultals! Ici, le pauvre bénitnbsp;l’autorité et la richesse; li», il les maudit. Ici, le pauvre conserve sanbsp;dignité et son honneur en conservant sa liberté; la, il s’abrutit ennbsp;perdant l’un et l’autre. Ici, la lutte entre le pauvre et le riche serailnbsp;difficile è provoquer; Ié, elle ne semble attendee qu’une occasion pournbsp;éclater en sanglantes représailles, en désordre, en anarchie.

La Casa d’lndustria, établie en 1784, sous la dénomination de Maison de Traveil libre, vit en 4815 une succursale se former é l’au-

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PIA CASA D INDUSTRIA. 343

tre exlrémité de la ville, prés de l’église Saint-Marc. L’établissement regoit des internes ricoverati et des externes intervenienti. Les premiers sont a demeure; mais ils sont libres de quitter l’établissementnbsp;quand ils veulent, et sans être astreints è justifier de leurs moyensnbsp;d’existence ; ils travaillent a la journée ou a forfait. Leur salaire estnbsp;de quarante centimes pour les hommes, et de trente pour les femmes.nbsp;Celui des seconds n’est que de trente-cinq centimes pour les hommes,nbsp;vingt-cinq pour les femmes; mals ils y joignent tout Ie produit du travail qu’ils peuvent faire en sus de leur tache. Par ce moyen leurnbsp;journée est loin d’être mauvaise. Quelques individus sont ii leursnbsp;pièces et peuvent gagner jusqu’é deux francs par jour. Les enfantsnbsp;n’ont aucun salaire; leur travail est accepté pour leur nourrilure quinbsp;se compose de soupe, pain et vlande; deux fois la seraaine on y ajoutenbsp;du vin.

Les hommes et les femmes travaillent dans des salles séparées; et il y a de l’ouvrage pour tout Ie monde. Le tissage de la toile et desnbsp;étoffes accompagné de loutes les opérations qu’il suppose, tels quenbsp;carder, filer, blanchir, teindre, etc., avec la fabrique de naties denbsp;jonc, dont il se fait une grande consommalion dans le Milanais, ferment les deux principales occupations de la Pia Casa. Le nombre desnbsp;internes est d’environ cinq cents; celui des externes varie de cinqcentsnbsp;è mille, suivant les saisons, l’activité des travaux et la cherté des vivres.nbsp;« Ajoutons que l’établissement fournit du travail ii domicile h quatorzenbsp;mille personnes environ chaque année. Toutefois, grdce è la spécialiténbsp;de ses produits, il ne fait aucune concurrence ruineuse é l’ouvriernbsp;libre, ni a l’industrie privée. C’est ainsi que Ie système milanais ré-sout le problème de l’extinction de la mendicité, el concilie les intéréts de tous : ceux de la société en détruisant la plaie du vagabondage; ceux du pauvre, en lui offrant un asile, tout en lui laissant etnbsp;sa dignité, et sa liberté, et sa familie; ceux de Touvrier libre, en diri-geant les travaux du refuge de manière è éviter une concurrence nui-sible il son industrie. En sortant de la Pia Casa, on ne peut que répéter aux économistes le mol de Bécon aux Pédagogues de son temps :nbsp;« Vous cherchez des systèmes d’éducation; voyez les écoles des Jé-suites, c’est tout ce qu’on a réalisé de meilleur (i). »

(i) Consule Jesuilaruni scholas; bis enim quod in usura venit nihil melius. De aug, scient.

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344 LES THOIS ROHE.

20 AYRIL.

Départ de Milan. — Système d'irrigation. — Pont du Tessin. — Anecdote. — Novare. —

Djptique consulaire.— Baptistcre. — Saint-Gaudence. — Souvenirs.—Saint-Laurent.

— nbsp;nbsp;nbsp;Le Piémont. — Verccil. — Souvenirs de Marius et de saint Eusèbe. — Cathcdrale.

— nbsp;nbsp;nbsp;Tombeau du B. Amédce,— de saint Eusèbe. — Manuscrit de saint Marc. — Église

de Saint-André. — Tombeau de Thomas Gallo.

Nous quittames la capitale de la Lorabardie par une belle journée de printemps. Les cullivaleurs étaient dans les campagnes; ici on en-semeng-ait les rizières; li on fauchait les luzernes. Les oiseaux revenusnbsp;de leurs migrations lointaines, réjouissaienl par leurs chants les nom-breux travailleurs et de grands troupeaux de boeufs bondissant aulournbsp;de nous, animaieni le paysage. De toutes parts, des canaux gracieuse-ment tracés porlaient dans tous les héritages le riche tribui de leursnbsp;eaux limpides. On ne peut qu’admirer I’inlelligence avec laquelle lanbsp;science des eaux et de l’architecture hydraulique est employée dansnbsp;ce charmant et fertile pays. De grands réservoirs sont établis sur lenbsp;flanc éloigné des montagnes, de manière ü ménager un niveau sulEsantnbsp;pour l’irrigation de la plaine. L’eau descend par des canaux qui lanbsp;divisenl en circulant autour des propriétés. De distance en distancenbsp;sont des retenues el des empellements destinés ii la faire déborder surnbsp;le sol; de lelie fagon qu’aucuue partie de la surface ne puisse échappernbsp;au bienfait. Léonard de Vinei n’est pas, comme on l’a cru, l’inventeurnbsp;de ces canaux; on ne lui attribue que l’invention des écluses.

Outre ces rigoles, qu’on prendrait é leur couleur argentée pour les mailles d’un vaste réseau étendu sur le vert gazon, Milan possèdenbsp;deux grands canaux qui ferment sa véritable richesse : celui du Tessin,nbsp;fini en 1271 et celui de l’Adda creusé en 1457. Venus de points op-posés, ils se réunissent dans la ville, I’embellissent, la rafraichissent,nbsp;en fertilisent les jardins, l’unissent è TAdriatique, dont ils allirent lenbsp;commerce, et la mettent en communication avec les contrées voisinesnbsp;et avec les vallées du lac Majeur. C’est de la qu’ils apportent, ii desnbsp;prix très-modérés, les vivres, les charbons, les bols de chauffage et denbsp;charpente, les matériaux de tout genre, mais principalement le mia-rolo, superbe granit dont sont faites les cinq ou six mille colonnes quinbsp;ornent la royale cité.

Adieu au Milanais! Adieu aux belles eaux qui fertilisent le sol; aux bonnes oeuvres qui fécondent les ftmes de la Gaule cisalpine! Adieunbsp;bienlöt ^ ITtalie. Déjii nous avons passé Magenta, la Maxentia desnbsp;Piomains, gros bourg, placé au milieu des vertes campagnes commenbsp;une brillante oasis : nous voici sur les bords du Tessin. A l’auire

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ANFXDOTE. Oi.)

extrémité du pont, Ie plus beau de l’Italie, nous ne vimes que par les yeux de l’imagination Annibal et ses éléphants, descendu des Alpesnbsp;et se préparant è franchir Ie fleuve, malgré la défense de l’armée ro-maine; ce que nous vimes des yeux du corps, c’est la douane piémon-taise, rangée en ordre de bataille et nous attendant de pied ferme. IInbsp;fallut subir sa visite, exhiber les passaporti et remplir pour la cin-quantième fois les formalités d’usage. On daigna nous trouver ennbsp;régie, et la permission de trotter vers Novare nous fut donnée par écrit.

Dans la voiture prit place un chanteur bergamasque, qui venait amp; Turin; son voeu Ie plus ardent était de franchir les Alpes avec nous etnbsp;de voir Paris. « J’ai Ié un compatriote, ajoutait-il, je serais heureuxnbsp;de Ie revoir. — Quel est son nom? — Vous ne Ie connaissez pas; maisnbsp;toute l’Europe Ie connait, c’est Rubini. — 11 est de Bergame? — Cer-tainement, et nous sommes nés dans la méme rue. II n’élaii pas riche,nbsp;Ie brave gar^on, mais il avail une jolie voix. Pour aider sa vieille mèrenbsp;il curaulait les fonclions de choriste et celle plus lucrative de garjonnbsp;tailleur. Un jour, comme il était allé essayer des pantalons é Nozari,nbsp;notre excellent Virtuoso Ie regarda fixement et lui dit avec bonté : —nbsp;II me semble, mon gar^on, l’avoir vu quelque part? — C’est possible.nbsp;Monsieur, vous m’aurez vu au ihéétre, oü je fais ma partie dans lesnbsp;choeurs, — As-tu une bonne voix? — Pas fameuse. Monsieur, je montenbsp;avec peine au sol. — Voyons, Gt Nozari en s’approchant du piano :nbsp;commence-moi la gamme. — Le jeune choriste obéit; mais arrivé aunbsp;sol, il s’arrêta tout essoufllé. — Donne le la, voyons!... — Monsieur,nbsp;je ne puis. — Donne le la, malheureux. — La, la, la. — Donne le si.nbsp;— Mais, Monsieur... — Donne le si te dis-je, ou sur mon éme... — Nenbsp;vous féchez pas. Monsieur, j’essaierai ; la, si, la, si, do. — Tu voisnbsp;bien, dit Nozari d’une voix triomphante! et maintenant, mon gar?on,nbsp;je nete dis qu’un mot : Si tu veux travailler, tu deviendras le premier ténor d’ltalie. Nozari ne s’est pas trompé; le pauvre choriste,nbsp;qui, pour gagner sa vie, raccommodait des culottes, possède aujour-d’hui deux millions de fortune et s’appelle Rubini (i). »

A quoi tient la réputation! Et le chanteur, Ger de son compatriote, se mit é nous parler de Donzelli, de Crivelli, de Léodaro, de Bianchi,nbsp;de Mari, de Dolci, et de toute cetle volée de rossignols partis denbsp;Bergame, « dont les accents onl charmé tour è tour les capitales denbsp;I’Europe. »

Cette conversation mondaine venait de Gnir, lorsqu’S l’extrémité d’une plaine grasse el fertile, coupée par le Terdoppio et le canal denbsp;Sforzesca, nous découvriroes, assise sur un monticule, l’antique No-(0 Celle anecdote a élé depuis racontée bien des fois, cnlre aulres par Fiorcnlino.

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5i6 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.

vare. Son vieux cMteau, ses remparts, ses grosses portes lui donnent un aspect menagant ; on dirait de loin un donjon du moyen Age. Lanbsp;Novaria des Romains conserve plusieurs monuments curieux de leurnbsp;domination. La religion du peuple-roi se trouve dans les nombreuxnbsp;aulels votifs, rangés vers l’ancien porlique de la cathédrale. Sonnbsp;amour pour les jeux publics, est rappelé dans un dyptique consulairenbsp;de Ia sacristie de Saint-Gaudens. Sur ce libretto d’ivoire sont sculptésnbsp;deux consuls donnantle signal des spectacles. Ces différentes reliquesnbsp;composent, avec bon nombre de pierres sépulcrales, d’urnes et d’in-scriptions romalnes, un musée fort curieux; mais Ie principal objet denbsp;notre attention fut Ie superbe columbarium changé en baptistère : unnbsp;sépulcre païen devenu Ie berceau des fidèles! voili un de ces beaux etnbsp;puissants contrastes dont l’Italie possède si blen Ie secret, et dont lanbsp;vue produit toujours une vive impression. Quelques bonnes toiles dé-corent la cathédrale, et les archives du chapitre conservent un desnbsp;manuserits les plus anciens de toute l’ltalie : c’est la Vie de saintnbsp;Gaudens et d’autres saints de Novare, écrite en 700. La Basilique dé-diée au saint Évêque est Ie plus bel édifice de la ville. Les brlllantesnbsp;et gracieuses peintures du Moncalvo, de Brandi, de Gaudens Ferrari,nbsp;de Stephano Legnani et des meilleurs maitres de l’École milanaise,nbsp;resplendissent a la coupole et dans les chapelles, tandis que Ie maitrenbsp;autel éblouit par ses marbres et ses bronzes. Toutefois la magnificencenbsp;de l’église Ie cède a celle du tombeau, un des plus splendides de l’Ita-lie. Quel était done ce Pontife dont Ie corps est environné de tant denbsp;gloire?

Comme un ouragan formidable, l’arianisme soutenu de la puissance impériale mena^ait de renverser, de déraciner sur toute la face dunbsp;globe l’arbre encore jeune de la vraie foi. Déjii l’Afrique, l’Asie, unenbsp;partie même de l’Europe ébranlée jusque dans leurs fondements, senbsp;couvraient de ruines sanglantes; les ténèbres de Terreur s’étendaientnbsp;comme de sombres nuages sur les chrétientés les plus brillantes; Ienbsp;monde descendait peu ii peu dans la nuit de Thérésie pour retombernbsp;ensuite dans Tabjection païenne. Mais la Providence veille sur sonnbsp;oeuvre. Alhanase en Orient, Hilaire, Martin, Ambroise en Occident,nbsp;luttent au nom des peuples centre la violence de la tempête. Ils sau-vent TÉglise, et avec elle la foi, la civilisation, la liberté du monde; etnbsp;toutesles générations reconnaissantes proclament depuis quinze sièclesnbsp;leur courage et leurs vertus. Tels sont les litres que saint Gaudens,nbsp;évêque de Novare, présente ^ Ia vénération et h Tamour de son peuple.nbsp;Disciple de saint Laurent martyr, et digne de son maitre, Gaudensnbsp;est sacré évêque de Novare par saint Simplicien de Milan. Un amour

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SAINT GAÜ0ENS. 347

plus fort quo la mort l’attache è saint Martin de Tours, la colonne de la vérité en Occident; et quand il voit saint Eusèbe de Verceii, sonnbsp;collègue et son voisin, partir pour l’Orient, il se fait Ie compagnonnbsp;de son exil, et se dévoue è toutes les rigueurs impériales pour conser-ver intact dans son coeur et dans Ie coeur de ses enfants Ie trésor denbsp;la foi (i).

Honneur a ces enfants qui n’ont jamais oublié leur père! Dans une commune vénération ils confondent saint Gaudens et Ie saint martyrnbsp;Laurent, cette autre gloire de la cité. Laurent était un prêtre de IXo-vare, dévoué k l’éducation des enfants. Irrités de ses succés, les païensnbsp;des environs se jettent tout a coup sur Ie saint inslituteur, et Ie met-tent en pièce avec ses jeunes chrétiens. Leur sang féconde la semencenbsp;de la foi, et Novare prie encore aujourd’hui devant les ossements sa-crés de ses nouveaux bienfaiteurs. Pour les glorifier aux yeux de tousnbsp;les siècles, Ie Dieu des martyrs fait sortie de leur tombeau une liqueurnbsp;miraculeuse qui guérit les malades (a). Après avoir déposé nos hommages aux pieds de ces véritables grands hommes dont la présencenbsp;fait plus de bien que la vue des ruines et des chefs-d’oeuvre de Tart,nbsp;nous nous remimes en marche pour Verceii.

Le Piémont se déroulait devant nous avec ses rizières, ses prairies et ses montagnes; tout annonce la fertilité du sol et le calme heureux desnbsp;habitants. C’est qu’en effet ce petit royaume est un modèle, une oasisnbsp;de paix au milieu de l’Europe agitée. La religion honorée, pratiquée,nbsp;aimée comme le trésor public, y fait sentir sa douce influence. Le roinbsp;lui-même est un fervent chrélien; puissent tons ceux qui l’approchentnbsp;partager sa foi sincère et son respect pour l’Église! On dit que lanbsp;chenille de l’impiété moderne a sali par-ci par-la quelques fleurs; onnbsp;dit que, malgré les lignes douanières, nos mauvaises productions pé-nètrent dans le royaume; on dit que l’esprit révolutionnaire fait tournee certaines têtes. Pourtant, que manque-t-il au Piémont pour êtrenbsp;heureux? Les lois sont sages et paternelles; les institutions de chariténbsp;nombreuses et bien entendues; les impóts presque nuls; les sciencesnbsp;théoriques et pratiques, les arts mêmes sont en honneur. Une des

(1) nbsp;nbsp;nbsp;Bar. An. 597, t. v, n. 52.

(2) nbsp;nbsp;nbsp;Void 1’aniique inscription gravée sur le tombeau de marbre rempli de leurs os-sements :

ASPICIS HOC MARMOR TVMVLl DE MORE CAVATVM,

Id SOLIDVM est INTVS, RIMA NEC VLLA PATET,

VnDE QVEAT TELLVS OCCVLTAS MITTERE LYMPHAS :

MaNAT AB INGESUS OSSIBVS ISTE LlQüOR.

Si DVBITAS, MEDIO SVD.ANTES TOLLE SEPVLCRO ReLLIQVIAS, disces VNDA SALVBRIS VBl EST.

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348 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.

plaics les plus dangereuses ouverles par iiotre Code civil a élé fermée. On sail quels ravages produit chez nous la loi ridicule et funeste quinbsp;aulorise un laïque ceint d’une écharpe, a prononcer ces graves paroles : Au nom de la loi, je vous unis. lei on ne peut contracter mariagenbsp;que devant Ie prêtre revêtu en celte circonstance de pouvoirs religieuxnbsp;et civils.

Puisse la rivalilé qui existe entre Gênes et Turin ne jamais devenir un ferment de discorde! puisse la fièvre d’innovation ne pas substituernbsp;de fatales utopies è un système de gouvernement éprouvé par l’expé-rience et sanctionné par l’approbation des hommes sages et désintéressés !

En devisant ainsi sur Ie royaume de Sa Majesté Sarde, nous arri-vftmes en vue de Vereeil. L’antique Vercellw, fondée par Ie Gaulois Bellovèse, l’an 603 avant Jésus-Christ, est assise sur une riante col-line au confluent du Cervo et de la Sesia. Dans la plaine voisine appa-rait l’ombre de Marius, non pas triste et humiliée comme 5 Minlurne,nbsp;mais imposante et glorieuse; on entend lecliquetis des armes, lescrisnbsp;des mourants : c’est ici que Ie grand capitaine tailla en pièces cesnbsp;myriades de Cimbres et de Teutons, tombés sur ITtalie comme unenbsp;avalanche du sommet des Alpes. Si Ie voyageur, en traversantle champnbsp;de bataille, admire une fois de plus la valeur romaine, il s’inclinenbsp;aussi devant la Providence, dont il voit la main puissante écarter tousnbsp;les obstacles humains i l’agrandissement de la Ville éternelle. Sous cenbsp;rapport les plaines de Vereeil tiennent une large place dans la tramenbsp;générale de l’hisloire antérieure au ebristianisme.

Quand aux luttes du fer centre Ie fer succèdent les combats plus importants des idéés centre les idéés, Vereeil brille avec non moinsnbsp;d’éclat. Dans les murs de l’antique cité, un nouveau guerrier, égale-ment venu de Rome, met en fuite la formidable hérésie d’Arius : cettenbsp;seconde victoire n’est pas moins providenlielle que la première. II nousnbsp;tardait de nous prosterner devant Ie tombeau du héros qui la rem-porta. J’ai nommé saint Eusèbe, évêque de Vereeil, l’ami de saint Ara-broise, Ie défenseur de saint Athanase, la terreur de Constance, Ienbsp;glorieux martyr du Verbe consubstantiel qui, trainé de prisons ennbsp;prisons, depuis Vereeil, en Palestine, en Cappadoce, dans les désertsnbsp;de la Haute-Égypte, donna au monde entier Ie long spectacle de sonnbsp;héroïque fermeté.

Notre première visite fut pour la catbédrale, oü repose Ie corps de l’immortel Pontife. Le Duomo est un majestueux édifice, rebftti aunbsp;VI® siècle sur les dessins du célèbre Pellegrini de Bologne. Deux cha-pelles fixent principalement l’attention. La première est dédiée au

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TOMBEAÜ DU B. AMÉDÉE. 349

B. Amédée de Savoie. Le corps de ce prince, dont la couronne tempo-relle s’est changée en couronne éternelle, repose dans un tombean d’argent, donné par un de ses descendants, le roi Charles-Félix. Denbsp;cette tombe semble sortir encore la parole vraimènt royale du Bien-beureux. A la valeur d’un héros, le due joignait loutes les verlus chré-tiennes, et en particulier une tendresse paternelle pour les pauvres :nbsp;« Seigneur, lui dit un jour son intendant, vos aumónes épuisent vosnbsp;trésors. — Eh bien! répondit le prince, voici le collier de mon ordre,nbsp;qu’on le vende et qu’on soulage mon peuple. » La seconde chapelle,nbsp;plus vénérable encore que la première, est celle de Saint-Eusèbe.nbsp;A la vue de la magnificence qui entoure le corps du Martyr, au souvenir des nombreux miracles qu’il opère, on ne peut retenir la plaintenbsp;sublime du Prophéte : Seigneur, c’est trop d’honneur et de puissancenbsp;pour vos amis.

De cette tombe, arrosée de tant de larmes brulantes, couverle de tant de baisers, parfumée de l’encens de tant de prières, nous des-cendimes au Irésor de la cathédrale. Peut-on passer k Verceil sansnbsp;voir le célèbre manuscrit de l’Évangile de saint Marc, copié de lanbsp;main de saint Eusèbe? Que sont devenues les lames d’argent dont lenbsp;roi Bérenger le fit couvrir, il y a prés de neuf cents ans? Demandez-lenbsp;aux Vandales modernes. C’est par la crainte d’une nouvelle spoliationnbsp;que les boiseries du choeur, véritable. chef-d’oeuvre de sculpture, ontnbsp;été refaites, il y a quelques années, de manière è pouvoir être démon-tées en un jour.

La vaste église de Saint-André, surmontée de qualre clochers, rap-pelle un autre grand souvenir. L’an 1230, au moment oü saint Thomas illustrait, par son enseignement, les Universités de Naples et de Paris,nbsp;un autre docteur, prenant pour guide saint Denis l’Aréopagite, expli-quait avec un immense succès la Théologie mystique dans le conventnbsp;de Saint-André de Verceil : ce maitre s’appelait Thomas Gallo. Parminbsp;ses disciples s’asseyait un jeune religieux de Saint-Frangois qui devaitnbsp;remplir le monde du bruit de son nom et de l’éclat de ses miracles ;nbsp;c’était Antoine de Padoue. Une fresque de 1’époque, placée sur le tom-beau du professeur, le représente assis dans sa chaire de théologie, etnbsp;parmi ses élèves on voit saint Antoine de Padoue, la tête environnéenbsp;d’une auréole. Un bas-relief, qui décore la partie inférieure du mausoléa, indique la source oü le docteur puisait son admirable science.nbsp;Thomas est è genoux devant Notre-Seigneur et la sainte Vierge, tandisnbsp;que saint Denis, debout, lui pose affectueusement la main sur la tète.nbsp;Il serait difficile de trouver quelque chose de plus intéressant, sous le

15.

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350 nbsp;nbsp;nbsp;LES Tnois ROME.

double rapport de 1’art et de la piété, que cette tombe \raiment monumentale.

21 AYRIL.

Vue de Turin. — Pinacothèque. — Bibliolhèque. — Musce grec et remain. — Table Isiaque. — Musée égyptien. — Instruments aratoires. — Armes. — Statues. — Lesnbsp;saints martyrs Octave, Solutor, Adventor. — Saint Maxime.— Cathédrale.—Chapellenbsp;du Saint-Suaire. — Palais du roi. — Audience.

Après avoir voyagé une partie de la nuit, nous arrivSmes en vue de Turin, au lever du soleil. Le Pó qui coule a pleins bords dans la vastenbsp;plaine, les dómes et les campanili étincelants aux premiers feux dunbsp;jour, l’ancienne capitale de la Ligurie avec ses larges rues lirées aunbsp;cordeau, ses places superbes si elles étaient finies, ses édifices auxnbsp;brillanles facades, les monlagnes voisines, dont la base est émailléenbsp;de riantes villas, tandis quelesommetélève jusqu’auxnues la splendidenbsp;église de la Superga: tout cela forme un ensemble plein de grandeurnbsp;et qui saisit, même après avoir vu l’Italie. Du milieu de Piazza Gastello on jouit d’un coup d’oeil unique : quatre rues se coupant è anglenbsp;droit partagent la ville enlière et, du centre, laissent apercevoir lesnbsp;quatre extrémités. Afin d’éviter les répétitions, je ne m’arrêterai pointnbsp;a décrire les uombreux et remarquables tableaux des Écoles flamandenbsp;et hollandaise que nous vimes è la Pinacotheca du Cbèteau; lesnbsp;aquarelles de Bagetti passent pour des chefs-d’oeuvre; il en est denbsp;même du Saint Jean Népomucène, de Murillo. Le Saint est au con-fessionnal, ayant, d’uu cólé, Tlmpératrice, de l’autre, un paysan, imagenbsp;de l’égalité évangélique devant ces tribunaux qui justifient ceux quinbsp;s’accusenl. Parmi les manuscrits de la Bibliolhèque, il faut remarquernbsp;VEpitome de Lactance, unique en Europe; et VImitation de Jésus-Christ, qu’on croit du xiv® siècle.

Le Musée grec et remain offre peu d’intérêt, après ceux de Rome el de Naples. La fameuse table Isiaque elle-même a perdu son prestigenbsp;d’antiquité, depuis qu’elle passe, parmi les savants, pour dater seule-ment du règne d’Adrien. II n’en est pas de même du Médaillier, unnbsp;des plus riches de l’Europe. Sous les porliques de PUniversité se conserve, entre autres bas-reliefs, le Voeu de Q. Visquasius. On voit unnbsp;homme conduisant un char attelé de deux mules et chargé d’un tonneau. Le char et le tonneau sont parfaitement semblables a ceux dontnbsp;on se sert encore aujourd’hui dans le pays (i). Dans le musée de Na-

(i) On sait quo ce furent les Gaulois qui enseignèrenl aux Romains è faire les ton-neaux.

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MÜSÉE ÉGÏPTIEN. 35r

pies, vingt objels différents nous avaientaussi donné lieu de remarquer la ténacité des habitudes populaires.

Mais la gloire de Turin, c’est Ie Musée égyptien, Ie premier de TEu-rope. Je ne sais quel saisissement on éprouve au milieu de ce monde éteint depuis trois ou quatre mille ans. Les statues des rois et desnbsp;dieux; les fresques et les peintures des tombeaux qui rcprésentent lesnbsp;usages de la vie intirae, militaire et agricole; des eharrues, un jougnbsp;pour les boeufs, des flèches, un casque, un cimeterre de bronze, deuxnbsp;petits chiens d’ivoire, dont un conserve encore Ie lil qu’il devidait ilnbsp;y a trente siècles; des souliers en cartonnage de toile; les momiesnbsp;qui vous montrent des prêtres, des rois, des princes auxquels il nenbsp;manque, pour être vivants, que Ie mouvement et la chaleur : tout celanbsp;fait admirer la science d’un peuple sans rival dans Tart d’imprimer anbsp;ses oeuvres les plus simples, comrae les plus gigantesques, Ie cachetnbsp;de l’immortalité.

Toutefois, amp; ce premier sentiment succède bientót une profonde pitié. Voyez les dieux devant lesquels se prosternait la plus savantenbsp;des nations! Embaumés, comme leurs adorateurs, ces dieux mortelsnbsp;sont des bêtes de toute espèce; des ibis, des chacals, des cynocéphales,nbsp;des éperviers, des poissons, des crocodiles, de jeunes taureaux portantnbsp;sur Ie front Ie signe caractéristique du boeuf Apis. Qu’est-ce done quenbsp;l’homme abando’nné ü lui-même? Des nombreuses statues les plusnbsp;magnifiques sont celles d’Osymandias, haute de plus de quinze pieds;nbsp;et du grand Sésostris haute de six i» sept pieds. La dernière, en basaltenbsp;noir h taches blanches, passe pour Ie chef-d’oeuvre de Tart égyptien.nbsp;Assis sur son tröne en habit militaire, Ie roi tient amp; la main un sceptrenbsp;recourbé. Sa physionomie est douce et fiére; la pose pleine de dignité;nbsp;les mains sont parfaites et les pieds d’une juste proportion. Turinnbsp;doit cette immense collection é Tun de ses enfants, le chevalier Dro-vetti, longtemps consul au Caire : honneur é son intelligent et géné-reux patriotisme!

On ne peut sortir du Musée égyptien sans se rappeler la grave ré-flexion d’uii voyageur. « J’avoue, dit-il,qu’en trouvant entassés au pied des Alpes tous ces débris poudreux ou mutilés de la plus anciennenbsp;civilisation du globe, peut-ètre qu’un jour, me disais-je, nos propresnbsp;débris, tous nos monuments de marbre et de bronze, tons ces magnifiques témoignages de notre puissance et de notre gloire, seront exposés dans le musée de quelque peuple aujourd’hui sauvage, dans unnbsp;dé.sert encore inconnu, prés d’un lac ignoré, au sein de quelque im-pénétrable et sombre forêt, ou de quelque haute montagne a peinenbsp;découverte. Les Sacy, les Akerblad, les Yong, les Champollion, les

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5o^ nbsp;nbsp;nbsp;LES rnois rohe.

Sail, les Seyffarlh, les Pfaff d’un aulre monde feront a leur tour des dissertations, ils défendronl opinifttrément leurs différents systèmes.nbsp;Louis XIV, avec son siècle brillant et ses vastes travaux, sera commenbsp;Ie grand Bamsès, comme Ie Sésostris de ces temps lointains; et nosnbsp;récentes conquétes, si rapides, si passagères, seinbleront de la fablenbsp;après l’histoire. »

L’habitant de Turin qui visite son Musée ne doit pas dépenser toute sa compassion pour les Égyptiens, il doit en réserver une partie pournbsp;lui-même, lorsqu’il songe aux dieux qu’adoraient ses ancêtres: la mêmenbsp;disposition doit être celle de tout voyageur, è quelque nation civiliséenbsp;qu’il appartienne. Mais comment Turin a-t-elle été tirée de l’idolfttrie,nbsp;quels sont ces hommes au sang desquels l’antique Ligurie est redeva-ble de la foi, et de la civilisation fille de la foi ? Par quelles mains Ienbsp;salutaire flambeau a-t-il été tenu constamment allumédans ce religieuxnbsp;pays, malgré les tempêtes de la persécution et de l’hérésie? Les an-nales de Turin nous raconlent l’histoire de ces véritables pères de lanbsp;patrie et la reconnaissante piélé de leurs fils.

L’antique Bodincomagus, fondée par les Gaulois, dont elle adora les dieux cruels, fut saccagée par Annibal, conquise par les Remainsnbsp;qui lui donnèrent Ie nom de Colonia Julia, et embellie par Auguste,nbsp;dont Ie surnom devint pour elle un tilre de gloire : Augusta Tauri-norum. En recevant Ie joug, elle regut les dieux des vainqueurs ; avecnbsp;Teutatès elle adora Jupiter. Elle les adorail encore, lorsque saintnbsp;Barnabé, suivi bientót des saints Apólres de la Ligurie, Celse et Na-zaire, vint lui présenter Ie flambeau de la vérité : Turin Ie re?ut. Lanbsp;divine semence ne tarda pas è lever dans cette terre féconde commenbsp;dans les autres parties de la Gaule cisalpine (i). Pour la conduire ènbsp;maturité deux choses étaient nécessaires : Ie feu de la persécution etnbsp;la rosée du sang; ces deux conditions furent remplies. Par ordre denbsp;Maximien, Octave, Solutor et Adventor, tous trois soldats de la légionnbsp;Thébaine, re^urent it Turin Ia palrae du martyre, et devinrent les pré-fflices de la riche moisson que YAugusta Taurinorum préparail aunbsp;Père de familie («).

La culture de ce précieux héritage fut confiée dans la suite des siècles è d’intelligents laboureurs. Au premier rang brille saintnbsp;Maxime, la gloire non-seulement de Turin, mais de l’Église entière.nbsp;Ge grand évéque assista aux conciles de Milan en 451, et de Romenbsp;en 465; défendit vigoureusement l’intégrilé de la foi, dota Ie monde

(i) S. Barnabé, Bar. 52-54; Ughelli, t. iv, 830.

(ï) Taurini ejusdem Icgionis nobilissimi milites Octavius, Solutor et Adventor, glo rioso rearlyrio ercxere troplia;a victoriae. — Bar. An. 297, t. ii, n. 15.

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CnAPELLE DU SAINT-SL'AIBE. ooo

d’éloquenls écrits, et maintint la ferveur primitive parmi ses ouailles. Pénétré de confiance pour les trois martyrs dont Ie sang avail cimenlénbsp;les fondements de son église, il disait a son peuple : « Honneur a lousnbsp;les martyrs, mais honneur surtout è» ceux dont nous possédons les re-liques! Ils nous assistent par leurs prières; ils nous prolégent parnbsp;leur présence durant cette vie, et nous re^oivent dans leurs bras quandnbsp;nous partons pour l’éternité. » A. tous ces saints qu’elle aime et qu’ellenbsp;honore comrae ses pères, ses bienfaileurs et ses patrons, la pieuse cilénbsp;a bati cent dix églises, comme on sait les bdlir en Italië.

La plus remarquable est Ie Duomo, dédié a saint Jean-Baptiste. Elle offre i l’artiste une Sainte Vierge, d’Albert Durer, les statues denbsp;sainte'Christine et de sainte Thérèse, de Legros, les sculptures dunbsp;maitre aulel en marbre, la vaste tribune de l’orgue chargée de dorures.nbsp;Mais lout cela est éclipsé par la splendide chapelle du Saint-Suaire,nbsp;située derrière Ie maitre autel. Représentez-vous une rotonde très-élevée, environnée de colonnes groupées de marbre noir poli, dont lesnbsp;bases et les cbapileaux sont de marbre doré. Sur ces colonnes s’ap-puient six grandes arcades qui ferment les fenêtres, dont l’entablementnbsp;soutient la coupole. Gelle-ci se compose de plusieurs voütes en marbrenbsp;percées è jour, placées les unes au-dessus des autres, et disposées denbsp;manière è laisser voir au sommet de d’édifice une couronne de marbrenbsp;en forme d’étoile, qui semble suspendue en l’air, bien qu’elle reposenbsp;sur ses rayons. L’autel en marbre noir supporte une champ;sse d’argent,nbsp;ornée d’or et de diamanls et mise sous verre : elle renferme Ie saintnbsp;Suaire. Cette précieuse relique apporlée d’Orient au temps des croi-sades par GeofFroy de Charny, chevalier champenois, rappelle Ie voeunbsp;de Francois Iquot; avant la bataille de Marignan; après la vicloire on vitnbsp;Ie prince se rendre a pied de Lyon è Chambéry, oü était alors Ie saintnbsp;Suaire, pour y rendre hommage de ses succès au Dieu des batailles.nbsp;Si 1’on ajoute qu’au-dessus de l’aulel brille une grande croix de cristalnbsp;soutenue par un groupe d’anges, et que Ie pavé est en marbre violet,nbsp;semé d’étoiles d’or, on aura un sanctualre d’une beauté sévère, ma-jestueuse et parfaileraent en harmonie avec sa destination.

La chapelle est contigue au palais du Roi; une porte de communication s’ouvrit et nous fumes dans les appartemenls du souverain. Plusieurs personnes attendaient dans une vaste salie : c’était jour d’au-dience. Deux fois par semaine et pendant plusieurs heures, les riches et les pauvres ont leur libre accès auprës du prince. Tous sont admisnbsp;èdéposer dans son coeur leurs plaintes, leurs demandes, leurs misères,nbsp;leurs projets, les peines intimes de leur vie publique ou privée. Le lloinbsp;écoute, encourage, console, secourt, protégé; en un mot, rempUt avec

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354 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.

intelligence et dévouement tons les devoirs d’un père. Faut-il s’en éton-ner? Charles-Albert est Ie plus fervent chrétien de son royaume, Ie saint Louis du dix-neuvième siècle. Tous les matins il entend la messe,nbsp;et ehaque dimanche il a Ie bonheur de s’approcber de la sainte table.

Pénétrés de vénération pour ce Iloi si digne du tróne, nous descen-dimes è la Consolata, la plus belle église des couvents, oü Ie voyageur catholique est attiré par I’image miraculeuse de la sainte Vierge. IInbsp;faut pénétrer dans Ie sanctuaire de la Consolata resplendissant d’ornbsp;et de marbre; il faut contempler les mille témoignages de confiancenbsp;et d’amour donnés è la Reine des Grftces, pour connaitre la piété desnbsp;habitants de Turin ; nous verrons domain que cette piété n’est pasnbsp;stérile.

22 AVRIL.

ȧVise-della-gran-Madre-di-Dio. — Chateau de Slupinigi. — Superga. — Grand hópilal. — Salles d’asile. — OEuvre de Sainl-Louis do Gonzague. — Hópilal de la Cliarilé. —nbsp;Institutions pour les orphclins et les orphelines. — Les Rosines. — La petite Maisonnbsp;de la Providence. — Silvio Pellico. — Départ do Turin. — Les Vaudois. — Suze.

Les environs de Turin présentent trois monuments que nous ne pou-vions oublier. Dès Ie matin, longeant une belle rue ornée de portiques et traversant une magnifique place circulaire, nous arrivémes au piednbsp;d’une délicieuse eolline parée de la première verdure du printempsnbsp;et toute scmée de blanches villas. Devant nous se présentait. Imposantnbsp;et magnifique, Ie temple della gran Madre di Dio. On ne se lassenbsp;point de contempler cet édifice, copie du Panthéon. Ses formes pleinesnbsp;de noblesse et ses proportions colossales rappellent les monumentsnbsp;remains, tandis que sa fondation proclaine la pieuse gratitude de lanbsp;ville de Turin envers Marie. Ce temple est un ex-voto des décurionsnbsp;de la cité, en reconnaissance du retour du roi Victor-Emmanuel.

Portant notre curiosité sur un autre point, nous saluAmes le chAteau de Stupinigi, avec son toit pittoresque surmonté d’un grand cerf denbsp;bronze. Ce rendez-vous de chasse de la cour de Turin passe, dans sonnbsp;genre, pour 1’édilice le plus magnifique de I’Europe. Au loin, sur lenbsp;plateau d’une haute montagne, on voit s’élancer les royales constructions de la Superga : cette église de forme octogone, portée par denbsp;grandes colonnes de marbre, enrichie de superbes chapelles, est aussinbsp;un ex-voto. En 1706, le roi Victor-Amédée et le prince Eugène cau-saient ensemble sur cette montagne, observant les mouvements de I’ar-mée frangaise qui assiégeait Turin. Le Roi, désespérant de sauver sanbsp;capiiale, tombe a genoux, expose A Marie sa confiance et ses craintes,nbsp;et lui promet, si le siége est levé, de faire bAtir au lieu même oü il prie

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grand hópital. 335

une église en son honneur. La Superga est Ie Saint-Denis des rois du Piémonl; leurs tombeaux sont peut-être plus brillants que ceux denbsp;nos princes, mais ils me semblent par la mêine manquer de tristessenbsp;et de majesté.

Rentrés en ville, nous consacrftmes Ie reste du jour è visiter d’aulres monuments moins connus des voyageurs, et pourtant plus glorieux elnbsp;plus dignes de leur attention ! Grèce i son voisinage de la France, Turin possède nos Dames du Sacré-Coeur et nos admirables Soeurs denbsp;Saint-Vincent de Paul. Les premières élèvent la jeunesse, les secondesnbsp;soignent les malades : c’est dire avec quelle intelligence et quel dévoue-ment sont accueillies les générations qui entrent dans la vie et les gé-nérations qui sortent de ce royaume de douleurs. Le grand höpitalnbsp;Saint-Jean comple cinq cents lits. Dèpuis les dernières révolulions, lanbsp;charité publique fqurnit une grande parlie des sommes nécessaires hnbsp;son entretien. Inutile de dire que l’ordre et la proprelé rcgnent dansnbsp;les salles, comrae l’attention et l’économie dans le service : eet élogenbsp;convient amp; tous les hospices tenus par nos religieuses. Fondé, en 1794,nbsp;par le.saint prêtre Barucchi, curé de la ciladelle, Fhépital Saint-Louisnbsp;passe pour un modèle d’archileclure, de propreté, de salubrité et denbsp;bon goüt. Turin possède aussi une vaste maison d’aliénés, une école denbsp;Sourds-Muets, plusieurs salles d’asile, dont l’origine est due a unenbsp;Dame frangaise qui entretient, dans sa propre maison, un de ces douxnbsp;et joyeux hospices de Fenfance. La reconnaissance publique a nomménbsp;madame la marquise de Bar..., chez qui nous fumes re^us avec unenbsp;bonté dont le souvenir ne s’effacera jamais.

Avec quel bonheur le voyageur francais rencontre dans les rues nos Frères des Éqoles chréliennes! lei, comme partout, lours établis-sements sont florissants. Ils tiennent, en outre, aux frais de la ville,nbsp;une Ecole supérieure, oü 1’on poursuit les études commencées dans lesnbsp;classes élémentaires, et oü 1’on apprend la langue frangaise. Au sortirnbsp;de 1’École, les enfants des pauvres subissent un examen, el les plusnbsp;forts sont admis è l’OEuvre royale, oü ils reQoivent gratuitement unenbsp;instruction professionnelle.

Le christianisme a toujours aimé et propagé les lumières; aussi le développement de Finslruction publique est une des gloires du Pié-mont. Mais si le catholicisme est une religion de vérilé, il est encorenbsp;une religion de charilé; car Dieu est l’un et l’autre. Un volume entiernbsp;ne suffirail pas pour décrire toules les oeuvres de miséricorde dont ilnbsp;couvre le pays oü nous sommes. Une foule d’associations d’hommes etnbsp;de femmes donnent des secours è domicile; elles pourvoient spécia-lement aux besoins d’une classe de pauvres qui mérite les plus grands

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3Ö6 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.

égards, et qu’il est difficile de découvrir, celle des pauvres honteux. La Congrégalion de Saint-Paul charge douze de ses membres de lesnbsp;chercher et d’en prendre soin dans les différents quartiers : elle faitnbsp;aussi trailer les malades pauvres domicile. L’OEuvre de Sainl-Louis-de-Gonzague, diverses Associations de Dames dans les paroisses, assistent les indigents incapables de travail, è raison de leurs inlirmités.nbsp;Les pauvres valides sont regus ii l’Hópital de la Charité : on en comptenbsp;plus de mille. Pour les occuper, on a formé diverses manufactures; lanbsp;fabrication des étoffes de laine, des draps ordinaires, des tapis de pied,nbsp;des toiles, des cotonnades, emploie Ie plus grand nombre de bras.nbsp;II y a aussi différents métiers et même une Ëcole de musique, oü Ienbsp;Roi prend des sujets pour sa chapelle. Nous y trouvAmes un grand ordre,nbsp;UD air général de satisfaction sur tous les visages, et une séparationnbsp;d’üge et de sexe convenablement Iracée et régulièrement maintenue.

Mais qui dira tout ce que la charité piémontaise fait pour les en-fanls? Substitué a l’ancien couvent de Salnt-Michel, l’hospice des Enfants-Trouvés regoit ceux qui sont nés ii la Maternité ou qui ontnbsp;été exposés. Le Piémont compte trente-deux hospices du même genre,nbsp;oü ces petites créatures sont environnées de toutes les sollicitudesnbsp;maternelles de la charité. Un nombre au moins égal de pieuses institutions regoit les orphelins et les orphelines : les aumónes et les fon-dations des fidèles en font presque tous les frais. h'Albergo Regio dinbsp;Virtü nous montra ses cent cinquanle jeunes gens de families pauvres,nbsp;gaiment appliqués è une foule de métiers. Depuis deux siècles ce pré-cieux établissement est en possession de donner au Piémont les oii-vriers les plus instruits, les plus estimables et les plus habiles.

Quant aux jeunes fdles pauvres qui ne trouveraient pas dans leurs families des garanties suffisantes contre le danger de la corruption,nbsp;la Casa del Soccorso leur ouvre un doux et sur asile. Ont-elles perdunbsp;leurs parents? Tétablissement des Pauvres Orphelines, fondé au milieu du xvP siècle, les regoh èl’ège dehuit a douze ans. A vingt-cinqnbsp;elles ont la faculté de quitter la maison pour se marier, ou pournbsp;prendre le voile. Celles qui renlrent dans le monde rcQoivent le bien-fait d’une seconde adoption : elles sont cautionnées par des personnesnbsp;honnêtes qui répondent de leur subsistence, qui les protégent et lesnbsp;surveillent. Ce patronage, si éminemment chrétien, porte avec lui sanbsp;récompense. Les orphelines en général font honneur è leurs parentsnbsp;adoptifs. Elles aiment le travail, sont bonnes ouvrières, modestes, so-bres et d’une excellente conduite; aussi elles sont recherchées par lesnbsp;les families les plus estimables.

Parmi tant d’institutions, oü respire l’esprit de la plus généreuse el

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INSTITUTIONS POUR LES ORPIIELINS. 357

de la plus inlelligeute charilé, il en esl deux qu’on ne peut oublier. Je ne sais si le christianisme a jamais opéré de plus touchants miracles : je veux parler de I'OEuvre des Rosines et de la Petite Maisonnbsp;de la Providence. En 1716 naquit a Mondovi une jeune lille nomméenbsp;Rosa Corona. Orpheline des I’enfance, délaissée, sans appui, pauvrenbsp;des biens de ce monde, riche seuleraent d’une tendre compassion pournbsp;le malheur, elle voulut consacrer sa vie et son coeur è aider ses cora-pagnes d’inforlune. Ce qu’il lui fallut d’abnégation et de peine on lenbsp;devine vaguement, Dieu seul le connait. Quant aux succès de son zèle,nbsp;tout le monde peut les admirer et les bénir. Huit établissements ennbsp;Piémont, servant de refuge aux jeunes filles de treize è vingt ans,nbsp;doivent leur origine amp; la persévérance de son dévouement. Du nomnbsp;de leur bien-aimée fondatrice, les diligentes élèves, sont appeléesnbsp;Rosines; et, depuis un siècle, on les voit répondre admirablement ènbsp;ses instructions et ii ses exemples, par leur ardeur pour le travail, etnbsp;par leur douce et solide piélé. Toutes sont vêtues uniformément d’unenbsp;robe violette avec une petite coiffe d’indienne; le tout fort simple etnbsp;cependant de bon goüt. Elles peuvent rester dans l’établissement toutenbsp;leur vie, et ne sortent jamais en viile, amp; moins d’une permission etnbsp;seulement pour affaires.

La seule maison de Turin contient trois cents jeunes filles. C’est lè que repose la bonne Rosa dont la modeste tombe présente une inscription, touchaiile histoire de sa vie et de la tendresse de ses enfants.

QUl GIACE

ROSA GORONADI MONDOVI,

CHE DALLA GIOVINEZZA DEDICATASI A DIO,

PER LA Dl LUI GLORIA INSTlTui, ERESSE

IN PATRIA, Qüi E IN ALTRE CITTA RITIRI Dl ABBANDONATE FANCIULLEnbsp;PER FARLE SERVIRE A DIOnbsp;CON DAR LORO OTTIME REGOLEnbsp;PER GUI s’lMPlEGANO NELLA PIËTA, E NEI LAVORI.nbsp;NEL SUO GOVEBNO Dl ANNI PIÜ Dl TRENTAnbsp;DIEDE PROVE COSTANTInbsp;d’esimia CARITA e d’invitta FORTEZZA,nbsp;PASSO all’ ETERNO RIPOSO al Dl -28 FEBRAROnbsp;l’anno 1770, Dell’ eta süa oo.

LE FIGLIE GRATE ALLA BENEFICA MADRE HAN POSTO QUESTO MONUMENTO.

L’autre merveille de Turin est la Petite Maison dela Providence. A quoi tiennent les plus grandes choses! Un diacre de Rome apergoitnbsp;en traversant le marché quelques esclaves en vente; il est frappé de

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358 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.

leur bonne mine; il en prend pitié : et de ce mouvement prompt comme l’éclair naitra la conversion de la Grande-Bretagne. lei, quoi-que dans un ordre différent, même principe et méme succès.

A l’entrée de l’hiver de 1828, une Frangaise, accompagnée de son mari et de ses cinq enfanls, traversait Turin pour se rendre a Lyon.nbsp;Cette femme, enceinte de sept mois, tombe subitement malade; on lanbsp;présente è la porte de tous les hópitaux; aucun ne s’ouvre pour la re-cevoir, sous prélexte qu’elle n’est pas dans les cas prévus par les ré-glements. A peine de retour dans la petite auberge oü elle est des-cendue, cette pauvre femme meurt entre les bras du prêtre qui estnbsp;venu l’administrer. Ce prêtre était Ie chanoine Cottolengo. Une mèrenbsp;de familie, une étrangère, une malade repoussée de tous les hospicesnbsp;et mourant, peut-être, faute de quelques soins donnés i temps! cenbsp;spectacle émeut profondément Ie bon prêtre. Son coeur a con§u l’idéenbsp;d’une maison destinée è prévenir Ie retour de semblables malheurs :nbsp;il n’y aura d’exclusion pour personne : pour avoir droit d’entrée,nbsp;il sullira d’être repoussé partout. Mais il n’a pas de ressources! Est-ce que la Providence ne nourrit pas les petits oiseaux? Riche seule-raent de sa chariié et de sa confiance en Dieu, Ie vénérable abbé placenbsp;d’abord quatre grabats dans les petites chambres d’une pauvre maison, située dans un des quarticrs Ie plus populeux de la ville. Lenbsp;nombre des admis s’accroit rapidement; deux pieuses lilies en pren-nent soin. La charité leur donne de nouvelles compagnes; c’est Ienbsp;noyau d’une congrégation digne de saint Vincent de Paul.

A l’époque du choléra, on oblige le chanoine Cottolengo h transporter son hospice dans un autre emplacement. Après bien des recherches, il trouve un local dans un des faubourgs. Ce déplacement pouvait faire périr l’oeuvre encoreau berceau, il fut l’occasion de son dé-veloppement. La charité s’émeut, on vient en aide au pieux fondateur;nbsp;et l’établissement, qui, en 1829, recevait quatre malades, en comptenbsp;aujourd’hui quatorze cents. II s’étend chaque jour, car il ne refusenbsp;personne; tout ce qui ne peut trouver asile dans les autres institutionsnbsp;de charité est re^u de droit it la Petite Maison de la Providence.nbsp;L’orphelin, l’enfant abandonné, le sourd-muet, l’idiot, l’épileptique,nbsp;l’incurable, le cul-de-jatte, 1’inlirme, le malade, la pauvre lille dé-laissée, l’indigent et l’étranger, tous, jusqu’aux malheureuses victi-mes de la débauche, peuvent venir frapper i la porte de l’hospice,nbsp;certains qu’elle s’ouvrira.

Mais qui donne Ia nourriture i toutes ces bouches, des remèdes ü toutes ces maladies? Chose prodigieuse, miracle inouï de confiancenbsp;d’une part, de protection divine de 1’autre! eet établissement colossal

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PETITE MAISON DE LA PROVIDENCE.

n’a ni biens-fonds, iii rentes, ni dotations, ni secours réguliers; il de-mande è Dieu d’abord, puis h la cbarité publiquc, la nourriture de chaque jour : et le pain quotidien n’a jamais manqué; mais les aumd-nes, toujours suffisantes pour les besoins du moment, ne les ont jamaisnbsp;dépassés. La Providence laisse a son oeuvre cette existence précaire quinbsp;fail briber le caractcre vraiment divin d’un édifice béli, pour ainsinbsp;dire, en Pair, sans fondements et sans appui, et qui croulerait amp; I’in-stant raéme si la main qui le soutient venait a se retirer. Mais aussi lanbsp;modeste église de I’hospice retentit nuit et jour de supplications et denbsp;prières ; chacune des nombreuses families de la maison passe it sonnbsp;tour une heure au pied de I’autel.

OÜ est le noviciat des frères et des soeurs qui soignent tant de pau-vres et de malades? II est dans la maison. Quelle en est la pépinière? Les orpbelins et les orphelines qui viennent y chercher un asile. Outre les métiers et les professions utiles auxquels on les applique, onnbsp;les exerce a la noble vocation de servir les pauvres. Les orphelinesnbsp;apprennent a soigner les malades, et quelques-unes se préparent it de-venir Soeurs de Cbarité : une partie des orpbelins se dispose aux fonc-tions d’infirmiers; les uns et les autres instruisent et soignent lesnbsp;petits enfants indigents qui viennent du dehors passer la journée dansnbsp;la maison. .4dmirable combinaison qui de l’éducation donnée par lanbsp;cbarité, fait naitre pour la charité de nouvelles générations de minis-tres dévoués (i)! L’ltalie nous avail habitués aux miracles; mais j’avouenbsp;qu’elle nous reservait le plus grand de tous pour le dernier.

Au sorlir de ce lieu ou la charité de Jésus-Christ vous pénètre de ses flammes et se montre aussi vive, aussi pure, aussi étonnante quenbsp;dans les plus beaux jours de l’Église, nous nous rendimes chez M”*' la

marquise de B....., I’aimable et pieuse bötesse de Silvio Pellico. L’il-

lustre prisonnier du Spielberg, a qui nous étions adressés, nous refut avec une alïabililé parfaite. Quand on nomme un conspirateur, unnbsp;carbonara, un criminel de lèze-majesté, I’imagination se représentenbsp;involontairement un homme aux traits diirs, au regard farouche, a Pairnbsp;sombre et mécbant, aux formes plus ou moins athlétiques, h la voixnbsp;criarde ou retenlissante : quel fut done noire étonnemenl! je diraisnbsp;noire indignation, en voyant un pelil homme qui alteint è peinenbsp;quatre pieds et demi de hauteur, amp; la complexion délicate, au visagenbsp;doux et riant, aux manières affables, au maintien simple et modeste;nbsp;un homme qui ne parle de ses prisons que pour bénir la Providencenbsp;et excuser ses bourreaux; qui joint a l’humilité d’un enfant, la piéténbsp;d’une jeune fille, et le courage patient d’un solitaire! Pour découvrirnbsp;(i) Voyez Instituti di bencficenza a Torino, par M. Sacchi.

h A

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360 LES TROIS ROME.

un conspirateur digne du carcere duro, dans une semblable créature, il faut avoir les yeux de la police autrichienne : tel fut Ie premier motnbsp;qui s’échappa de toutes les bouches en sortant de rhótel.

L’heure du départ était arrivée. G’est avec bonheur que nous primes place dans la voiture, dont Ie dernier tour de roue devait s’arrê-ter sur Ie sol de France. En sortant de Turin par la porte de Suze, on s’inclinedevant la pyramide de Beccaria; puis, entrant dans une plainenbsp;richement cultivée, on laisse Ji gauche Pignerol et Fenestrelles. Lanbsp;première rappelle au voyageur Ie mystérieux Masque de fer, et Fou-quet et Lauzun, prisonniers de Louis XIV, et Ie vénérable cardin,alnbsp;Pacca, prisonnier de Napoléon. La seconde redit Ie passage de 1’arméenbsp;fran^aise en 1316, glorieux prélude de 1’escalade du Grand-Saint-Ber-nard. Au fond des vallées voisines subsistent depuis sept cents ans lesnbsp;restes des Vaudois. Ges hérétiques, si redoulables et par leurs excès etnbsp;par leurs doctrines subversives de tout ordre religieux et civil, fermentnbsp;eux-mêmes une société et une religion qui compte environ vingt millenbsp;adeptes. Ils sont en général agriculteurs et bergers, ils vivent de lanbsp;culture de leurs vallées et du produit de leurs troupeaux. Ils ont desnbsp;temples et des ministres appelés modérateurs ou barbes, communi-quent peu avec les pays voisins et se montrent très-attachés è leursnbsp;erreurs.

Sur la route, voici Bivoli dont Ie chateau servit de prison è Victor-Amédée II; plus loin, on aper^oit è travers les plants pressés de mü-riers, Ie gracieux village d’Avigliano, renommé par ses soieries ; deux lieues au delè, prés du bourg Saint-Ambroise, s’élève sur Ie sommetnbsp;pyramidal du Saint-Michel, un convent de Bénédictins, qu’on pren-drait pour un donjon mena?ant du moyen ège. Enfin, cótoyant lesnbsp;Lords escarpés de la Doire, et contemplant une dernière fois la vignenbsp;mariée è l’ormeau, nous arrivAmes a Suze. Salut h la jolie petite ville!nbsp;Salut è son Pas, si difficile et si fameux dans les annales de nos guer-res! Salut a son Arc de Triomphe en marbre dédié a Auguste, et dontnbsp;la frise aérienne ofire l’image sculptée d’un triple sacrifice ; partoutnbsp;oü Ie peuple-roi laissa des monuments de sa puissance, il grava unnbsp;hommage a la religion. La nuit vint nous surprendre dans ces Ther-mopyles de ITtalie, mais elle ne devait pas nous arréter. Tandis quenbsp;nous devisions assis autour d’un large foyer, on transportait la caissenbsp;de la voiture sur un traineau, seul moyen de continuer Ie voyage aunbsp;milieu des neiges.

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ADIEÜX A L ITALIË.

25 AVRIL.

Adieux a l'Italie. — Plateau du Mont-Cenis. — Hospice des Pclerins. — Lans-Ie-Bourg. — Route des Atpcs. — Saint-Jean-de-Maurienne. — Aiguebelle. — Chambéry. — Passage des Échelles. — Pont de Beauvoisin. — Lyon. — Retour a Nevers.

La lueur douteuse de nos lanternes ne nous permit pas de voir remplacement du fort de la Brunette; mais Ie voyageur chrétien et francais ne peut oublier Ie brave chevalier de Belle-Isle, pêre de l’excel-lent maréchal de ce nom, qui mourut ici en 1747, victime de son courage. II est done dit qu’on ne peut faire un pas, n’iniporte dansnbsp;quelle partie de ritalie, depuis les Alpes jusqu’aux Abruzzes, sansnbsp;heurter du pied des ossements francais. Génie, or, sang, courage,nbsp;nous avons tout dépensé pour conquérir un pays oü jamais nous n’a-vons pu asseoir notre domination, et dans lequel aujourd’hui nous nenbsp;possédons pas même un pouce de terrain : Myslère !

Les premiers feux du jour éclairaient l’horizon, lorsque nous arri-vömes ö l’auberge de la Grande-Croix. Pendant la halte obligée des traineaux, nous jetftmes un dernier regard sur l’Italie, i laquelle nousnbsp;fimes nos souhaits et nos adieux. Je ne sais, mais il semble qu’aunbsp;sommet des Alpes, Ét six mille pieds d’élévation au-dessus de la mer,nbsp;au milieu du silence de la nature, Ie spectateur s'isole plus facilementnbsp;de ses préjugés, Ie regard devient plus pénétrant, Ie jugement plusnbsp;calme; l’esprit s’agrandit avec l’borizon, Ie coeur se dilate, les sentiments arrivent plus vifs et plus purs; on voit mieux la grandeur ou lanbsp;petitesse des hommes, la réalité ou Ie néant des choses; il se faitnbsp;comrae un triage du bien et du mal, qui permet d’apprécier les vraiesnbsp;conditions de la gloirc, du bonheur et de la vie des nations.

Brillante Ausonie, qui resplendit, parmi les peuples, comme Ie diamant au front des monarques, tu fus la mère incomparable des grands capitaines, des grands poètes, des grands navigateurs, des grands artistes : Alma Parens, magna virüm. Le marbre, Ie bronze, les mé-taux précieux, animés au souffle de ton génie, s’élèvent en statues, ennbsp;temples, en palais, en fontaines, en arcs de triomphe, en obélisques,nbsp;en monuments de tout genre, et couvrent ton sol privilégié, magnill-ques et nombreux comme les sapins séculaires qui couronnent lesnbsp;cimes aériennes des Alpes et de l’Apennin. La terre semble, pour toi,nbsp;avoir échappé è la malédiction primitive; docile a ta main, elle pro-duit avec abondance non-seulement le pain qui entretient la vie denbsp;l’homme, le vin qui réjouit son coeur, la soie qui lui donne un véle-ment royal; mais encore les fruits les plus délicieux è son gout, lesnbsp;fleurs les plus douces ii son odorat el les plus agréables a sa vue.

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362 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.

Gracieusc comme la ceinture nuptiale de la jeune vierge (i), une mer d’azur entoure tes rivages et t’apporte les productions les plusnbsp;rares des pays lointains; telle est l’heureuse température de ton cli-mat, que des milliers de malades viennent de tous les points du globenbsp;lui deniander la guérison; tandis que ton ciel, presque toujours sansnbsp;nuage, semble jaloux de faire briber d’un éclat immortel toutes lesnbsp;nuances de tes graces et de ta ravissante beauté. Brillante Ausonie,nbsp;réjouis-toi; tu pourras perdre, tu as perdu peut-être d’autres sceptres;nbsp;mais tant que l’amour des merveilles de la nature et de Tart vivranbsp;dans Ie coeur de rhomme, tu seras Ie premier objet de son ardentenbsp;curiosité et Ie terme final de sa légitime admiration.

ïoutefoisun esprit calme et pénétrant voit-il dans tous ces avantages Ie veritable principe de la gloire et du bonheur de l’Italie? Hélas! cesnbsp;biens apparents sont plutót une cause de ruine qu’une source de pros-périté. N’est-il pas connu que la richesse du sol est la compagne ordinaire de la mollesse des moeurs; que la mollesse des mceurs engendrenbsp;la corruption des coeurs, et que la corruption conduit d’un pas plusnbsp;OU moins rapide, mais toujours infaillible, a la destruction des socié-tés? Et puis, quoi de plus propre 5 provoquer des invasions désas-treuses que tant de biens réunis dans ce pays enchanteur? C’est aunbsp;point qu’en parcourant les annales trente fois séculaires de la Pénin-sule, on est forcé de s’écrier : « Malheureuse Italië, d’être si belle etnbsp;d’exciter, de siècle en siècle, la convoitise de tous les Barbares! » Lenbsp;principe de sa vie, Paine de sa gloire, c’est la religion. Elle fit sa forcenbsp;avant 1’Evangile, et lui donna l’empire du monde : Nulla unquamnbsp;(civitas) nee major, nee sanctior. Depuis l’Évangile, elle la maintientnbsp;sur le tróne de l’intelligence, et la fait régner sur les peuples, commenbsp;le soleil sur les astres du firmament, pour leur communiquer la lu-mière, régulariser leurs mouvements, et, les entrainant dans son or-bite, maintenir Pharmonie universelle.

Rechercher partout ce principe vital, le dévoiler aux regards de ceux qui viendront après nous, tel a été l’objet de notre long pèleri-nage. Ce principe nous est apparu dans le décret particulier de lanbsp;Providence, qui a choisi 1’Italië pour le centre de la foi; il nous estnbsp;apparu dans les tombes des martyrs, dont le sang continue de fécondernbsp;cette terre qu’il dötrempa jusque dans ses profondeurs; dans les Basi-liques des Saints, que la pieuse Italië environne d’un culte si magni-fique, si filial et si tendre; dans les pèlerinages si nombreux, dans lesnbsp;dévotions si naïves è la Vierge Mère de Dieu, protectrice de l’innocencenbsp;et refuge des pécheurs; dans les institutions de charité si intelligentes

(•) Jérémie, vi, 11,32.

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ADIEIIX A l’italie. nbsp;nbsp;nbsp;363

el si variées, qui portent la vie dans toules les veines du corps social avec plus d’abondauce et de bonheur que les mille canaux d’irriga-tions dans les plaines de la Toscane on de la Loinbardie; dans le respect pour l’autorité paternelle; dans l’obéissance générale aux raagis-Irats et aux souverains; dans la foi en Dieu, a TÉglise, au pape et ènbsp;sa parole souveraine.

Les gloires extérieures de 1’Italië ne sonl qu’un reflet de cette lu-mière cachée, la manifestation multiple de ce principe vital. Puissent les voyageurs le bien comprendre, et ne plus provoquer par leursnbsp;sarcasmes, leurs faux jugements, leurs railleries, les populations ita-liennes au mépris des seules et véritables garanties de leur existencenbsp;et de leur prospérité! Puisse l’Italie elle-même repousser comme lenbsp;piége le plus dangereux, le rêve, aujourd’hui si chaudement caressé,nbsp;d’une république, d’une confédératipn, que sais-je? d’une unité chi-mérique qui réunirait toutes ses provinces sous un sceptre comraun!nbsp;Née dans les loges ténébreuses du carbonarisme, propagée par l’espritnbsp;mauvais qui soufflé aujourd’hui sur le monde, désirée par ceuxquin’ontnbsp;vu que de loin la pr6tendueliberté,la prétendue grandeur, laprétenduenbsp;félicité des sociélés laïques. Pour l’Italie, cette utopie recèle dans sonnbsp;sein la guerrecivile,lapertedela liberté etla spoliation du Saint-Siége.

La guerre civile. Quelle sera la capitale de la nouvelle république? L’Italie fut-elle jamais habitée par un peuple homogene? Son histoirenbsp;n’est-elle pas le récit continuel des sanglantes rivalités des Étrusquesnbsp;et des Samnites, des Volsques et des Latins, des Grecs et des Gauloisnbsp;établis sur son territoire? Le Toscan et le Piémontais, le Lombard etnbsp;le Vénitien, le Génois et le Parmesan, le Remain et le Napolitain,nbsp;n’ont-ils pas hérilé de I’anlipathie et des prétentions de leurs aïeux?nbsp;Vouloir composer de tant d’élémenls contraires, un tout homogène capable d’union; vouloir faire céder a des intéréts poliliques de pareillesnbsp;résistances provenani de la différence des races ; el des cinq capitalesnbsp;italiennes en obliger qualre 5 renoncer a leurs prétentions pour re-connaitre la suprémalie d’une de leurs rivales, c’est une tentative impossible en elle-mémc et qui ne tarderail pas amp; devenir sanglanle.

La perte de la liberté. Si la liberté n’est pas la licence; si la liberté implique le droit reel et-pratique d’agir sans entrave dans la sphèrenbsp;oü la Providence a placé chaque ville, chaque province, chaque individu; le droit de manifester sa pensée quand elle est juste, noble,nbsp;bienfaisante; le droit de parvenir aux dignités el aux honneurs quenbsp;méritent le travail, la science, la verlu, le génie; le droit de faire ré-parer les torts et les injustices dont on peut êlre la viclime dans sanbsp;personnc, dans son honneur ou dans sa fortune; en un mot le droit

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set LES TROIS ROME.

pour chacun de remplir facilement ct sans crainte les devoirs de la double sociélé humaine et divine : I’histoire passée et présente déposenbsp;que ritalie, Rome surtout, jouit d’une plus grande somme de liberlénbsp;que tont autre pays du monde. Que deviendrait celle liberlé dansnbsp;rhypothèse del’iinité matérielle, de la centralisation et du gouvernementnbsp;représentatif? Un cri général ne s’élève-t-il pas du sein des peuples quinbsp;en ont essayé, contre un système qui confisque, au profit d’un étre idéal,nbsp;collectif, et forcément irresponsable, Élat, Gouvernement, Chambre,nbsp;quel que soit son nom, l’intelligence, l’éducation, la fortune, la liberlénbsp;des villes, des provinces, des parliculiers, transformés en automates?

La spoliation du Saint-Siêge. Voila Ie dernier mol de la révolulion, non-seulement en Italië, mais dans Ie reste de l’Europe. A qui fera-t-onnbsp;croire que les apölres de la jeune Ausonie travaillent h metlre entrenbsp;les mains du Pape Ie sceptre de la Péninsule? Quand tel serail leurnbsp;but, la réalisalion de leur projet serail encore un malheur. Autant ilnbsp;convient au vicaire de Jésus-Christ d’être matérielleraent indépendant,nbsp;autant il lui siérait mal d’être souverain d’un grand empire? Dans lesnbsp;jours d’orages oü nous vivons, son tröne temporel ne serait-il pas unnbsp;obstacle permanent au libre exercice de son pouvoir spirituel? Nenbsp;voyez-vous pas la jalousie des puissances, les intrigues de la diplomatie, la défiance dés peuples, la haine peut-être 1’assiéger jour etnbsp;nuit et faire disparaitre Ie Père et Ie Pontife sous Ie visage défiguré dunbsp;nionarque? Mais c’est trop longlemps discuter une supposition évi-demment chimérique. Dans Ie plan réel de la future république, lesnbsp;États Pontifleaux ne seraient qu’une province de second ordre, lelienbsp;par exemple que la Lombardie et la Toscane, et Ie Saint-Père Ie iribu-taire et Ie vassal de l’État. Mais alors que devient 1’indépendance matérielle du chef de l’Église? que devient l’Église elle-mêrae? quenbsp;deviennent l’enseignement de la religion et la foi des peuples, et Ienbsp;gouvernement de la grande sociélé répandue aux quatre coins dunbsp;monde? que deviennent, en dernière analyse, la liberlé et la civilisation? Ce que deviendrait l’harmonie des cieux si vous parveniez inbsp;enchainer Ie soleil.

En jetant un dernier regard sur l’Italie, toutes ces pensées venaient en foule se présenter ^ mon esprit. C’est qu’en parcourant les diversesnbsp;parties de eet heureux pays, quelques bruits sourds parviennent iinbsp;1’oreille du voyageur altentif. Un feu souterrain brüle dans les entrail-les de la terre, il pourrait un jour faire explosion. Puisse Ie Dieu denbsp;toute bonté qui protégé si manifestement l’Italie, éteindre Ie volcan!nbsp;Si la Péninsule doit être punie, qu’elle Ie solt par la perte des biensnbsp;If-mporcls qui l’cnrichissent, mais que jamais sa foi, ni sa piélé ne

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363

PLATEAU DO MOXT-CENIS.

s’aUèrent. Pourvu qu’elle conserve intact ce double trésor, füt-elle dépouillée de lout Ie reste, elle sera toujours assez riche, assez puis-sanle, assez heureuse. Elle aura Ie principe immortel qui fit de Romenbsp;la reine élernelle du monde, et de la brillante Ausonie, sa fille de pré-dilection ; Nulla unquam civitas nee major, nee sanelior, nee bonisnbsp;exemplis ditior fait.

Cependant l’équipage convenablement chauffé se remit en marche, et nous fumes bienlót sur Ie plateau du Mont-Cenis. Le vert gazonnbsp;donl il est couvert pendant l’été, les narcisses, les renoncules, lesnbsp;violeHes, les mille fleurs qui le tapissent et qui I’embaument, avaientnbsp;disparu sous des monlagnes de neige. Leurs flancs, entr’ouverls parnbsp;la main des hommes, nous offrirent un étroit mais long passage enlrenbsp;deux hautes murailles dont la solidité dépendait uniqueraent de quel-ques degrés de plus ou de moins dans le thermomètre. Bien nous pritnbsp;de voyager par un temps sec et un ciel serein; car un dégel, unenbsp;bourrasque pouvait nous ensevelir comme taut d’autres sous les avalanches. Afin de porter secours aux malheureux pèlerins de ces mon-tagnes surpris par la tempéte, la charilé catholique a bAli au milieunbsp;de la plaine un de ses avant-postes. Trois quarts de lieue au deli denbsp;VHospiee des Pèlerins, on commence h descendre. Une route en zignbsp;zag qui semble tomber de précipice en précipice conduit Lans-le-Bourg. On est agréablement surpris de trouver, au sortir de ces solitudes sauvages, un petit village très-vivant, très-animé : Lans-le-Bourgnbsp;est le point de rencontre des voyageurs d’Ilalie et de Savoie. Aussi lenbsp;confortable n’y est point inconnu ; téraoin le diner qui nous fut servinbsp;au Lion-d’Or, et que nous primes avec un appétit savamment aiguiscnbsp;par le grand cuisinier du pays, l’air des Alpes.

Enrichie d’un rliume de première qualité, que notre excellent conducteur essaya vainement de fondre ii la chaleur d’un vieux Bordeaux, notre caravane reprit son mouvement de descente par une route si-nueuse, tracée sur les bords escarpés de l’Arque, entre deux alTreusesnbsp;chaines de montagnes rocheuses. De profonds abiraes, de sombres fo-rêls de sapins, des torrents qui se précipitent avec fracas; des pyra-mides de granit qui surplombent au-dessus de votre léte, des quartiersnbsp;de rochers détachés du tlanc de ces masses giganlesques, des cavernesnbsp;béantes, repaires des loups et des ours, redoulables seigneurs de cesnbsp;montagnes : tel est le gracieux spectacle qui se prolonge, sauf quel-ques légères variétés, pendant l’espace de ireize lieues, de Lans-le-Bourg è Saint-Jean-de-Maurienne.

Pourtant, s’il faut en croire l’histoire, c’est par ce chemin aujour-d’hui infiniraent moins difficile qu’il n’élait il y a un siècle, qu’\nnibal

T. lil. nbsp;nbsp;nbsp;10

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3Ü6 nbsp;nbsp;nbsp;les TROIS ROME.

franchit les Alpes avec des chevaux, des éléphants et tout I’embarras-santattirail d’une armee d’invasion. Le passage du Grand-Saint-Bernard par Napoléon fut-il plus glorieux? C’est unjoli thème de rhétorique.

A Saint-Jean-de-Maurienne, la vallée commence h s’ouvrir; on aper-goit gè et la quelques coins de terre végétale. On se souvient de Charles le Chauve mourant ici empoisonné par son médecin juif; on gémit è lanbsp;vue des goitres et des crétins; on salue le champ de bataille présumé,nbsp;oü Annibal battit les Allobroges et perdit son arrière-garde; puis lanbsp;vue se repose sur le village d’Aiguebelle, sur la jolie église de la Trappenbsp;qui ne saurait être mieux placée; puis on quitte la vallée de Mauriennenbsp;dont Aiguebelle est la clef. Autant la population de ces montagnesnbsp;solitaires est pauvre, autant elle est laborieuse et morale. De toutesnbsp;les provinces du Piémont el de la Savoie, la Maurienne est la seule quinbsp;n’ait pas d’hospice pour les enfanls trouvés : elle n’en a pas besoin.

Salut mainlenant it 1’Isère, moitié savoyarde et moitié frangaise; salut it Montmélian, è ses jolis cóteaux plantés de vigne, it ses fortifications en ruines, qui jadis arrêlèrent Louis Xlll et sa brave armée.nbsp;Nous voici ii Chambéry, la capilale de la Savoie. Sur les noirs pavésnbsp;de ses rues étroites, Toreille du pèlerin croit entendre les pas raesu-rés des légions de César, descendues des Alpes pour faire la conquêtenbsp;des Gaules; puis, sous les votites de la pieuse cathédrale, la voixnbsp;chérie de saint Frangois de Sales, l’apótre de ces montagnes. A quelquenbsp;distance, Toeil rencontre deux illustres berceaux, celui du grandnbsp;corate de Maistre, et celui du général de Boigne. Honneur, reconnaissance, immortalité, au génie dont la main puissante saisit Voltaire etnbsp;brisa le colosse au pied d’argile; dont le regard élevé presqu’it l’inlui-tion divine, sonde avec la même facilité les mystères de la Providencenbsp;et les profondeurs de l’avenir, et dont la parole parfaitement originalenbsp;se grave dans les coeurs comme la pointe du burin sur le cuivre ounbsp;sur l’acier. Honneur, reconnaissance, immortalité au guerrier géné-reux, deux fois digne de ce nom, qui, après avoir, au prix de son sang,nbsp;vaincu les ennemis de sa patrie, remporta une victoire plus noble encore, en versant son immense fortune dans le sein des pauvres.

Admirons maintenant l’industrie huraaine, qui ii force d’audace et d’opiniétreté a ouvert la belle route sur laquelle nous sommes, ennbsp;pergant et en faisant sauter pendant une demi-lieue des rochers gigan-tesques dont la masse effraie l’imaginalion. Ce n’est pas d’hier quenbsp;l’irapossible lui sourit et qu’elle aime ii le tenter. II y a vingt siècles,nbsp;Horace lui en faisait le poétique reproche : Nil intentatum reliquit,nbsp;audax Japeli genus. Si on les interroge, ces roes disloqués, entr’ou-verts par la mine, répondront que leurs frères ou leurs aïeux volèrentnbsp;en éclats è la vapeur du vinaigre brülé par Annibal. 11 est probable

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RETOUR A NEVERS.

que c’élait du vinaigredesquatrevoleurs; l’histoire n’en dit mot; mais on affirmequ’il seraitplus facile aujourd’hui que jamais des’en assurer.

Après Ie bourg des Échelles, on traverse Ie Giers, espèce de torrent qui mugit au fond d’un ravin dont la pente d’une élévation prodi-gieuse cache ses ondes écumantes. Bientót il se montre sous la formenbsp;d’une petite rivière calme et inoffensive, faible barrière qui sépare lanbsp;France de la Savoie : nous entrons sur Ie Pont de Beauvoisin. Adieunbsp;au costume Savoyard, italien, napolitain, autrichien; adieu è la Do-gana, aipassaporti, alia buona mano. Tout change; voici l’uniforraenbsp;francais, Ie frac vert liseré bleu; voici la douane et les passe-ports etnbsp;les plorabs de süreté. On nous fouilla consciencieusement et presquenbsp;poliment; puis, nxpyennant cinquante centimes on nous plomba dansnbsp;toutes les régies, et quelques heures après la diligence Bonafous nousnbsp;déposait sur Ie pavé de Lyon : Ie eerde de nos pérégrinations était fini.

Trois jours furent donnés au repos et ü l’étude fort intéressante des établissements qui font la gloire de la ville des Aumónes. Fourvières,nbsp;avec son dévot pèlerinage, Saint-Jean, si heureux de posséder Ie coeurnbsp;de saint Vincent de Paul; les Chartreux et leur belle église, Saint-lré-née, la Prison de saint Pothin et de sainte Blandine, les ossements desnbsp;dix-neuf mille martyrs; Ainay, jadis si redoulé des poètes et desrhé-teurs; Ie pieux Cimetière de Saint-Just; la Charlté, avec son peoplenbsp;de vieillards et ses molles couchettes pour les petits enfanls exposés,nbsp;une foule d’égllses brillantes d’oeuvres et d’institutions de charité,nbsp;tout ce spectacle de piété, de foi, de luxe catholique, renouvela quel-ques-unes des impressions éprouvées au-delè des monts. Elles nousnbsp;furent bien douces; car, è partir des frontières de France, les croix,nbsp;les madones, les oratoires, les signes religieux qui couronnent lesnbsp;montagnes et qui bordent les chemins d’Ilalie avaient disparu. Plusnbsp;de poésie pour Ie coiur, plus de charmes divins au pèlerinage : par-toul la froide image d’un matérialisme monotone.

Le 27, a midi, nous arrivions sains et saufs au point du départ. Ai-je besoin de dire que la vue de Kevers émut délicieusernent notre ftme etnbsp;appela sur nos lèvres la prière par laquelle, six mois auparavant, lenbsp;voyage avait commencé? « O Dieu! protecleur des enfants d’Israël,nbsp;qui leur avez fait traverser la mer Rouge è pied sec, qui avez indiquénbsp;aux Mages, par la lumière d’une étoile, le chemin qui conduisait ènbsp;vous : daignez nous accorder un voyage heureux, un temps serein,nbsp;afin que sous la conduite de vos saints Anges nous arrivions au lieunbsp;oü nous allons, nous revenlons sains et saufs è celui d’oü nous par-tons, et qu’ensuite nous parvenions heureusement au port du salutnbsp;éternel. Amen. d Puisse-t-il en être ainsi!

ris DU TOME TROISIÊME.

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TABLE DES MATIERES

CONTENUES DAKS LE TOME TROISIÈME.

Pages.

27

Fevrier. Voyage a Mugnano. Cenietino. Calacombes. Eglise. Christ de Constaulin. Insiruiiients de marlyre. Grotle de Saint-Felix.nbsp;Fourclies-Caudiues. Mugnano.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;S

— Champ de hataille de Cannes. Marche d’Annihal. Nolo. Saint Paulin. Auguste. Les cloches. Retour a Naples.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;11

28 — Preamhule. Anecdote sur saint Alphonse de Liguori. Nocera. Frère Philippe. Chamhre de saint Alphonse de Liguori. Détails surnbsp;sa mort. Son portrait. La Cava. La hihliothèque. Retour a Naples.nbsp;Prédicateurs dans les rues.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;15

Mars. Ischia. Procida. Vepres Siciliennes. Grotte d’Azur. Capri. Souvenirs de Tihèrc. Monte Solaro. Souvenirs des Frantais. Sa-lerne. Toinhcau de saint Malthieu, de saint Gregoire VII. Amalfi.nbsp;Cathedrale. Souvenirs historiques. Atrani. Portes de San-Salvatore.nbsp;Sorento. Le Tasse. Quisisana. Castellaniare. Vierge de Pozzano.nbsp;Barque marchande. Pieux usage.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;25

— nbsp;nbsp;nbsp;Depart de Naples. Ohservatioiis sur le peuple Napolilain. Capoue.

Anecdote. Calvi. Ponte-Storto. nbsp;nbsp;nbsp;29

— nbsp;nbsp;nbsp;San-Germano. Ruines. Mont-Cassin. Eglise. Bihliolhèque. Souvenirs. Anecdote. Hotel dell’ Amalfi.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;55

— nbsp;nbsp;nbsp;Ai •ce. Arpino. Souvenirs de Ciceron et de Marius. Aquino. Sou

venirs de saint Thomas, Rocca-Sccca et le P. San Germane. Ce-prano. Frosinone. Fcrenlino. Souvenirs profanes. Prison de saint Amhroise. Angelus du soir. L’auherge de la Fontaine.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;41

— nbsp;nbsp;nbsp;Anagni. Villa de Ciceron. Cathedrale. Crypte. Tomheau de saint

Magnus et dc sainte Olive. Archives capitulaires. Manuscrits. Charte de Boniface Vlll. Souvenirs. Valmontone. Champ de hataille dunbsp;consul Fahius Amhustes. Lac Régille. Retour a Rome.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;iC

-— Cérémoine de la Rose d’or. Charite romaine dans I’ordre moral. Catcchisme. Archiconfrérie de Sainte-Maric-del-P/anto. Fete impériale. Retraite de première Communion. Sainte-Lucie-in-Trastewre.nbsp;Saint-Vit sur l’Esquilin.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;-nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;40

— nbsp;nbsp;nbsp;Visite a Owerheck; détails sur eet artiste. Ce que fait Rome pour

preparer aux Paques. Prédication. Satations. Caléchismes. Retraites. Pompes religieuses. Remarques d’un protestant.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;55

— nbsp;nbsp;nbsp;Ce que Rome fait lous les dimanches pour entrelenir la vie mo-

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TABLE DES MATIEKES. 569

Tiiges.


rale. Instructions paroissiales et particulières. Mission urbaine. Exercices de Saint-Vil et de Sainte-Marie-in-Copeiia. Interpretationnbsp;de rEcriture. Cheniin de la Croix au Colisée. Saint du Saint-Sacre-ment. Tons les jours de la seniaine, instructions et pratiques ennbsp;rhonneur de Notre-Seigneur et de la sainle Vicrge. Enterrement.

9 nbsp;nbsp;nbsp;Mars. Sainte Frangoise, Romaine. Oratoires nocturnes. Le Caravita.nbsp;Ecoles du soil'.

10 nbsp;nbsp;nbsp;— Exposition et adoration perpetuelle du Saint-Sacremcnt. Cultenbsp;perpetuel de .Marie.

— Neuvaine a Saint-Joseph. Preparation aux fetes. Ce que Rome fait chaque jour de la semaine pour entretenir la vie morale. Predication aux juifs.

— nbsp;nbsp;nbsp;Messe a Saint-Nicolas-in-Carccrc. Association de Saint-Louisnbsp;de Gonzague. OEuvre delle Pericolanli. Réfloxions. Statistique morale.

— nbsp;nbsp;nbsp;Messe a Saint-Stanislas-Kostka. Cliaritc romaine pour rendrenbsp;la vie morale. Prisonniers. Visile au Chateau Saint-Ange, au Capi-tole, aux Tliermes de Dioclélien. Archiconfrérie de Saint-Jéróme.nbsp;Prison de la Via Giulia.

— nbsp;nbsp;nbsp;Saint-Pierre-in-.Montorio. Visite au Pénilencier des jeunes dé-tenus. Association de la Pitié des Prisonniers. Saint-.Michel. Autres


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oeuvres en faveur des délenus. Les Irlandais a Sainte-Agathe-aHa-Subura.


— Visite a l’Eglise de Sainl-Aiigustin. Bibliotlicque Angelica. Refuges de la Croix de Lorette, de Sainlc-Marie-Mi-Tras(ewre, de la Divine-Clémence. Reflexions.

— Une fete au Palais Massimi. L’Apollinaire. L’üniversitc. Le College roraain. Les Bibliotbèques.

1” — Les villas. Villa Albani. Inslitut de M. Campa. Villa Ludovisi. Borghêse. Pampbili.

18 — Pyr.amide de Cestius. Explication archcologique de ce monument. Dictionnaire des Sigles. Combien il est uiile au xmyagcur en Italië.

— Porte Trigemina. Chapelle de l’Adien. Sainl-Paul-Aow-te-murs. Saints-Viucent-et-Anastase. Saint-Paul-Trou-FontaincA.

— DimancheS des Raraeaux; Anecdote. Arc de Drusus. Voies Romaines. Voie Apienne. Basilique de Saint-Sébastien. Souvenirs.nbsp;Inscription. Villa de Maxence. Temple el Cirque de Romulus,nbsp;ïombeau de Cmcilia Meialla. Eglise du Donmie, quo vadis? Parolesnbsp;de saint Ambroise et de Suarezr.

21 nbsp;nbsp;nbsp;— Frascati. Villas. Lc cardinal Micara. Tusculum. Grotia Ferrata.

22 nbsp;nbsp;nbsp;— Palestrine. Souvenirs do Pie VI. Subiaco. Tivoli. Cathédrale.nbsp;Souvenirs de sainte Symphorose. Temple de Vesta, de la Sibylle.nbsp;Villa de Mécène. Les Cascatelles. Villa de Varrus ou Madona delnbsp;Quinligliolo. Grotte des Sirenes. Villa d’Estc. Villa d’Adrien. Tom-beau de la familie Plautia. La Solfatare. Ponte Mammolo. Rentreenbsp;a Rome.

23 nbsp;nbsp;nbsp;— Eglise de la M.adeleine. Saint-Caraille de Lellis. Ténèbres a lanbsp;Chapelle Sixline. Difficultó d’y assister. Idee générale de rofflcc.nbsp;Peifitures de la chapelle. Chant des Psaumes et des Lamentations.nbsp;Miserere de Baini, de Bai, d’Allegri. Jugement de M^' Weisman.

21 — Messe a la chapelle Sixtine. Offertoire de Palestrina. Procession


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570 TABLE DES MATIÈRES.

Pages.


a la Cliapelle Pauline. Lavement des pieds. Table de la Gêne. Fonc-tions du grand Penitencier. Ténèbres. Lavement de I’aulel a Saint-Pierre. Reposoirs. Sermon de la passion a Saint-Andre-rZeHa-VaHe.

23 Mars. Vendredi Saint. Coup d’oeil sur Rome. Veneration des reliques a Sainte-Croix-en-Jerusalem. Office a la Cliapelle Sixtlne. Adoration de la Croix. Tribut royal. Exposition de la vraie Croix. Ténèbres. Veneration des reliques a Saint-Pierre. Les trois heures d’a-gonie. Le Chemin de la Croix. L’heure de Marie désolée. Office ’nbsp;selon le rit Grec.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;L’academie desnbsp;nbsp;nbsp;nbsp;Arcades.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;160

26 nbsp;nbsp;nbsp;— Cliapelle Sixtine. Chant de VExsuUet, des Proplieties et desnbsp;Litanies solennelles. Messe du pape Marcel. Riograpliie de Pales-

. trina. Chant du Gloria in Excelsis. L’Alleluia. Visite au tombeau de Palestrina. Aspect de Rome. Messe arménienne. Couronnementnbsp;de la salnte Vierge. La Trinité des Pèleriiis. Le Colisee au clair denbsp;la lune.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;161

27 nbsp;nbsp;nbsp;— Paques. Vue de Rome et de Saint-Pierre. Entree du Pape.

Messe. Vue de la Place Saint-Pierre. Rénédiclion solennelle. Fete dans les families. Illuminationnbsp;nbsp;nbsp;nbsp;dunbsp;nbsp;nbsp;nbsp;Vatican.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;172

28 nbsp;nbsp;nbsp;— Adieux a Rome pa'ienne. Feu d’ariifice du Chateau Saint-Ange. Réflexions sur les solennités romaines de la Semaine Sainte

et de Paques. nbsp;nbsp;nbsp;177

29 nbsp;nbsp;nbsp;— Adieux a Rome chrétienne et a Rome souterraine. Cliaine denbsp;saint Paul, a Sainl-fml-hors-des-murs. Cliaine de saint Pierre, anbsp;Saint-Pierre-m-FincoZi. Paroles de saint Clirvsostome.


50 — Cliambre de saint Louis de Gonzague. Adieux a saint Pierre et


k saint Paul. Portraits des deux Apotres. Adieu final.

— Depart de Rome. Civita-Castellana. Souvenir de Macdonald. Otricoli. Narni. Catliédrale. Tombeau de saint Cassius. Souvenirnbsp;de I’empereur Nerva. Terni. Souvenir de Tacite. Combat du general Lemoine. Martyrs. Cascade dclle Marmore. La Somma. Spolette.nbsp;Souvenirs paiens et clirétiens. Foligno. Casa-Pia. Catliédrale. Lenbsp;saint martyr Félicien.

1”'' Avril. Saint FranQois d’Assise. Spello. Sainte-Marie-des-Anges. Indulgence de la Porziuncula. Fete. Assise. Eglise et convent denbsp;Saint-FranQois d’Assise. Retour a Foligno.

2 — Tolentino. Saint-Nicolas. Napoléon. Murat. Macerata. Recanati. Lorette. Porte de la Ville. Rue. Place. Ilistoire de la sainte Maisonnbsp;de Nazareth.

5 — Impression. Messe è la Sainte-Cliapelle. Description de I’Eglise. Du monument qui entoure la Sainte-Chapelle. De la Sainte-Cha-pelle. La sacristie. Le Tresor. Le palais apostolique. La Pharmacie.nbsp;Les Dames du Sacré-Coeur.

— nbsp;nbsp;nbsp;Messe a 1’autel de 1’Annonciation. Arrivée des Pèlerins. Lesnbsp;Dalmates, leurs prières. Nouveau Vetturino. Contrat. Depart denbsp;Lorette. Ancone. Arc de Trajan. Catliédrale. Sarcopliage de Corco-nius. Histoire et conversion de la jeune Annina Costantini.

— nbsp;nbsp;nbsp;Sinigaglia, sa foire. Fano. Fossombrone. Souvenir d’Asdrubal.nbsp;Pesaro. Cathédrale. Souvenirs de Rossini, de Raphael et du Bramante. République de San-Marino. Organisation civile et judiclairenbsp;des Etats pontificaux. La Cattolica. Souvenirs des Pères de Rimini.nbsp;Rimini. Arc d’Auguste. Eglises. Martyre de saint Gaudens. Tableaunbsp;de Paul Véronèse.


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TABLE DES MATIÈRES. 571

Pages.


6 nbsp;nbsp;nbsp;Avril. Tribune de César. Chapelle du Miracle. Saint Antoine de Pa-doue, son discoursaux poissons. Conversion deBonvillo. Porte Saint-Julien. Pont d’Auguste. Passage du Rubicon. Cervia. La Pignata.nbsp;Monastère de Classe. Mosaïque. Saint Romuald. L’einpereur Oihon.nbsp;Ravenne.

7 nbsp;nbsp;nbsp;— Ravenne. Sainte-Marie-de-la-Rotonde. Palais de Théodoric. Tom-beau du Danlc. Egtise de Saint-Vital. Tombeau de Galla Placidia.nbsp;Eglise de Saint-Romuald. Calhédrale. Cycle pascal. Cbaire de Saint-Maxirain. Bibliolhèque. Souvenirs. Saint-Gerniain d’Auxerre. Colonne des Frangais. Anecdote. Etat de la Roniagne.

8 nbsp;nbsp;nbsp;— Ferrare. Chateau. Cathédrale. Sainle-Marie-dci-Fado. Hymne :

O gloriosa Domina. Bibliothèque. Manuscrits du Tasse, de l’Arioste, de Guarini. Prisons du Tasse. Hópital. Douane aulrichienne. Rapports de rAutricbe avec Ie Saint-Siége. Rovigo.

— Padoue. Ilistoire. Universilé. Palais de Justice. II Salone. Pierre de l’opprobre. Chute des Anges. Café Pedrocchi. Vralo-della-Yalle.nbsp;Maison du comte Louis Cornaro. Souvenirs.

10 nbsp;nbsp;nbsp;— Sainte-Sophie. La B. Hélène Enselmini. La Calhédrale. Viergenbsp;de Giotto. Saint Daniël. Le B. Grégoirc Barbarigo. Le Baptistère.

Le diptyque. Corps de saint Mathias. Crypte de saint Prodocimus. Vierge byzantine. VAnnunziala. Peintures de Giotto. Sainte Jus-line. Détails hisloriques. Saint Antoine. Chapelle de ce saint. Po-pularité du saint. Trésor. Encensoir el navette golhiques. Languenbsp;de saint Antoine. Verre d’Aléardin. Ses sermons. Statue de Gutta-melata. Bords de la Brenta. Venise.

11 nbsp;nbsp;nbsp;— Clocher de Saint-Marc. Vue el histoire de Venise. Eglise denbsp;Sainl-Marc. Translation du corps de saint Marc. Trésor. Placenbsp;Saint-Marc. Chevaux. Lion. Palais du Doge. Prisons. Inscriptions. 276nbsp;— Suite du palais^ du Doge. Peintures. Bibliolhèque. Palais desnbsp;Beaux-Arts. Ecole Véniiieniie. Palais Babarigo. Grimani. Buste denbsp;Beatrix. Arsenal. Le Bucentaure.

13 — Eglises della Salute, Dei Frari, de Saint-Pierre. Souvenirs de saint Laurent-Justinien. Idee du gouvernement Venitien. Saints-Jean-et-Paul. Monument de Marc-Antoine Bragadino. Saint-Geor-

fes-Majeur. Mailre autel. Inscription relative a une indulgence, ouvenir de Pie VIL Monument du Doge Miclieli. Chapelle des Cordeliers. Souvenirs de Saint-Marc.

li — Charité vénilienne. La Pitié. Spcdaletlo. Saint-Jéróme-Emi-liani. Casa di Ricovero. Casa d’Induslria. Aumones-annuelles. He de Murano. Glacés. Perles. Clous de la Passion. He Saint-Lazare.nbsp;Méchitaristes. Déparl de Venise. Phosphorescence de la nier. Dernier reflet de la gloire de Venise. Flolte et balaille de Lépante.nbsp;Noms des vaisseaux.

— Trévise; souvenirs de Benoit XI et de Totila. Vicence ; Theatre olympique. Madona-del-Monic. Montebello, Arcole : souvenirs.nbsp;Anecdote. Véronc: Aniphithéatre. Souvenirs de l’ernpereur Philippenbsp;el de Pie VI. Grands hommes. Cathédrale. Saint Zénon. Miracle.

San Firmo. Lac de Garde. Rivoli: souvenir. Trait de courage, Pes-chiera, Altila, saint Léon : Desenzano. La B. Angèle Merici. Brescia : Statue de la Victoire. Calhédrale. Deux rcliques. Martyrs. Saint Gaudens. Fontaines. Souvenir de Bayard. Bergameibalimentnbsp;de la foire. Saint Alexandre, Sainte Aslérie. Sainte Eusébie. Sainte


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37-2 TABLE 1)ES MATIEBES.

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Grata. Grands hommes. Collconi. Calepin. Passage de I’Adda. Vaprio.

16 Avril. Milan. Reflexions. La Cathédrale. Coup d’ceil general sur Milan. Visite détaillée. Sacristie de Saiut-Satyre. Image miraculeuse de lanbsp;sainte Vierge. Saint-Nazaire. Tombeaux des Trivulce. Salnt-Lau-rent. Détails sur rarcbitecture. Saint-Alexandre. Richesses dunbsp;inaitre autel Saint-Eustorge. Chaire de saint Pierre, martyr, sonnbsp;tombeau, ses reliques, son histoire.

— Saint-Ambroise. Souvenirs de Theodose. Tombeau de Stilicon. Mosaïque. Corps de saint Ambroise, des SS. Gervais et Protais, denbsp;sainte Marcelline. Lit de saint Satyre. Crucifix de saint Charles.nbsp;Raptistère. Souvenir de saint Augustin. Souvenirs de la pesle denbsp;Milan. Saint Charles et Calvin. Rit Ambrosien. Ecole de Saint-Ambroise. Lazaret. Monza. Eglise. Peinturc. Trésor. Couronne denbsp;fer. Anecdote. Semitiaire des Philosopbes. Retour a Milan.

— Rizières. Pavie. Pont. Corps de saint Augustin. Universite. College Borromee. Champ de bataillc. Chartreuse.

— Un sermon. Bibliothèque. Galerie. Bibliothèque Ambrosienne. Leonard de Vinci. Sainte-Marie-des-Graces. Fresque de la Cène.nbsp;Arc de la Paix. Cirque. Grand Seminaire. Palais archiepiscopal.nbsp;Première Maison d’orphelins. Grand bopital. Frères de Saint-Jean-de-Dieu. Salles d’asile. Oratoire de Saint-Charles. Pieux institut denbsp;Saiute-Marie-de-la-Paix. Collége militaire. Hospices Marlinelli, denbsp;Sainle-Marie-della-Slella, di Lorelo, della Verginc Addolorala. Pianbsp;Casa d’lndustria.

— Depart de Milan. Système d’irrigation. Pont du Tessin. Anecdote. Novare. Diptyque consulaire. Baptistère. Saint-Gaudence. Souvenirs. Saint-Laurent. Le Piéinont. Verceil. Souvenirs de Marius et de saint Eusèbe. Cathédrale. Tombeaux du B. Amédée, denbsp;saint Eusèbe. Manuscrit de saint Marc. Eglise de Saint-André.nbsp;Tombeau de Thomas Gallo.

— Vue de Turin. Pinacolhèque. Bibliothèque. Musée grec et ro»-inain. Table Isiaque. Musée égyptien. Instruments aratoires. Armes. Statues. Les saints martyrs Octave, Solutor, Adventor. Saint Maxime.nbsp;Cathédrale. Chapelle du Saint-Suaire. Palais du roi. Audience.

Eglhc-della-gran-Madre-di-Dio. Chateau de Stupinigi. Superga. Grand hopilal. Salles d’asile. OEuvre de Saint-Louis de Gonzague.nbsp;Hdpital de la Charite. Institutions pour les orphelins et les orphe-lines. Les Rosines. La petite Maison de la Providence. Silvio Pel-lico. Depart de Turin. Les Vaudois. Suze.

— .\dieux a I’llalie. Plateau du Mont-Cenis. Hospice des Pèlerins. Lans-le-Bourg. Route des Alpes. Saint-Jean-de-Maurieiiue. Aigue-belle. Chambéry. Passage des Echelles. Pont de Bcauvoisin. Lyon.nbsp;Retour a Nevers.


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FIN I)E I.A TABLE DU TOME TROISIEME.

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