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UNIVERSITEITSBIBLIOTHEEK UTRECHT
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26 F�VRIER.
Voyage a Mugnano. � Cemetino. � Catacombes. � �glise. � Christ de Constantin. Instruments de martyre. � Grotte de Saint-F�lix. � Fourches-Caudines. Mu-gnano.
Bien avant Ie jour, notre l�ger �quipage volait sur Ia belle route Qui traverse les plaines accident�es de la Campanie septentrionale ;
Ie but de notre p�lerinage �tait Mugnano. Ce bourg, situ� a dix-neuf l�illes de Naples, est devenu c�l�bredepuis quelques ann�es. La reposenbsp;Ie corps d�une jeune martyre des premiers si�cles, que Dieu se plaitnbsp;a glorifier par de nombreux miracles. Son nom est connu de tous lesnbsp;chr�tiens : elle s�appelle sainte Philom�ne. Comme tant d�autres p�-lerins, nous avions a d�poser � ses pieds Thommage de nos voeux etnbsp;de nos actions de grftces.
A trois lieues et demie de Naples, nous rencontrSmes Ie petit village de Cemetino. II n�est marqu� sur aucune carte g�ographique, il n�estnbsp;connu d�aucun voyageur; cela doit �tre, on n�y trouve que des anti-quit�s chr�tiennes. Un pr�tre Napolitain nous avait dit; � Les touris-les ont telleraent scandalis� nos cicerone, que, pour ne pas jeter lesnbsp;perles devant les pourceaux, ces derniers ne parlenl presque jamaisnbsp;aux �trangers des objets religieux; ils refusent m�me les d�tails qu�onnbsp;leur demande, a moins que votre costume ou une recommandationnbsp;particuliere ne les rassure. � C�est ce qui nous arriva au village denbsp;Cemetino.
� O� sont les catacombes, o� est la grotte de Saint-F�lix? deman-d�mes-nous au gardien de l��glise. Son regard lix� sur nous, sa bouche muette, son air soucieux semblaient nous interroger et nousnbsp;dire : Qui �ies-vous? puis-je sans profanation vous montrer les monuments des martyrs? Enfin nous lui parl�mes de l�abb� D. B.; et Ienbsp;bon jeune horame s�erapressa de nous introduire dans des catacombesnbsp;d�une grande richesse et d�un immense int�r�t.
T. 111. nbsp;nbsp;nbsp;1
-ocr page 10-o nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
R�sidence du gouverneur de la Campanie, Nole, qui comptait une population de 30,000 �mes, fut a diff�rent es reprises Ie th�fttre denbsp;sanglantes pers�cutions; outre ses propres enfants, elle vit martyrisernbsp;les chr�tiens du voisinage amen�s au tribunal du gouverneur. De cenbsp;nombre fut saint Janvier, �v�que de B�n�vent, jet� dans une chau-di�re br�lante que nous verrons bient�t. Avec saint F�lix, �v�que denbsp;Note, p�rirent trois mille deux cents fid�les, entre autres les illustresnbsp;vierges Julia et Jucunda. Leur martyre ent lieu sous V�^al�rien, l�an �259.nbsp;Or, les ex�cutions se faisaient a Cemelino, �loign� de dix minutes environ de la ville. Les corps des champions de la foi y furent d�pos�s,nbsp;dans une catacombe appel�e Ccemeterium in Pincis. Elle est devenuenbsp;c�l�bre par l�innombrable concours des p�lerins qui s�y rendaient denbsp;toutes les parties de l�Occident et m�me de l�Orient, ainsi que Ie t�-moigne saint Paulin. J.jui-m�me augmenta la gloire de ce lieu v�n�ra-ble, en y passant plusieurs ann�es de sa vie aupr�s du corps de saintnbsp;F�lix et des martyrs. Cinq �glises furent �lev�es sur cette catacombe;nbsp;celle du milieu, d�di�e a saint F�lix, brillait comme une perle enchas-s�e dans des perles :
Et manel in mediis quasi gemmh intersila gemmis.
Basilicas per quinque sacri spatiosa sepulcri
Atria diffundens........(i).
On entre aujourd�hui dans ces v�n�rables sanctuaires en passant sous un are monumental, appel� \' Arco Santo, qui porte sur la gauche Finscription suivante :
Siste gradum, quamvis propcras, en siste, viator.
Te cogat pietas, relligioque loei.
Ingredere, et cineri manibus da lilia plenis Felicis; felix posce, et habebis iter :
Quemque Augustinus, Paulinus, Bedaque dictis Concelebrant, flexo tu venerare genu.
Ingredere, at mundo corde, et simul excule plantas.
Sanctorum quando corpora mille premas.
L��glise d�di�e a saint Jean l��vang�liste pr�sente trois autels, ou arcosalium, assez semblables a ceux des catacombes de Rome. Celuinbsp;du milieu porie l�antique inscription :
ARA VERITATIS.
(i) S. Paulin., Epist.
-ocr page 11-CATACOMBES. nbsp;nbsp;nbsp;7
Pr�s de eet autel s�culaire, on voit d�un c�t� la chaire pontificale, en simple bois, de l�illustre �v�que de Nole, saint Paulin; de l�autre,nbsp;un grand bassin de marbre destin� a recevoir Ie sang des martyrsnbsp;qu�on �gorgea dans ces lieux. A gauche de la m�me basilique est unenbsp;vaste grotte en ouvrage r�ticul�, opus reticulatum, qui forme unenbsp;salie carr�e dont un angle est occup� par une large ebaudi�re, gros-si�rement construite en mattoni. C�est 1^ que fut jet�, pour �trenbsp;br�l� vif, saint Janvier, �v�que de B�n�vent; mais, comme Ie disciplenbsp;bien-aim�, Ie v�n�rable pontife sortit sain et sauf du milieu des flam-Htes ; il �tait r�serv� amp; d�autres combats. De chaque cot� ouvrent deuxnbsp;petites chambres ou plut�t deux cachots solidement vo�t�s o� furentnbsp;enferm�s saint Janvier et les compagnons de son martyre, Festus,nbsp;Desiderius, Proculus, Eutych�s et Acacius. En avant de la ebaudi�re,nbsp;dans une esp�ce A�arca, on voit les colonnes o� les martyrs �taientnbsp;flagell�s ; les tach�s de sang sont encore tr�s-reconnaissables. Suivantnbsp;Ie pieux usage des p�lerins catholiques, nous les balsames avec unnbsp;respectueux amour, en nous recommandant aux puissantes pri�res desnbsp;courageux t�moins de notre foi.
Bestait a visiter la partie des catacombes qui est � droite de l��glise. Nous traversames, pour nous y rendre, Ie ciineti�re actuel. Au milieunbsp;des tombes modernes, la pi�t� conserve debout Ie gibet des martyrs :nbsp;il se compose de deux colonnes antiques, auxquelles on pendait, parnbsp;une corde pass�e de Tune a l�autre, les chr�tiens que Ie glaive ne de-vait pas immoler. Peuple �lrange que ce peuple pa�en dont Ie caprice,nbsp;bien plus que la volont� des juges, ordonnait ces diff�rents genres denbsp;mort! il voulait du sang; mais, pour Ie boire avec d�lices, il exigeaitnbsp;de la vari�t� dans les tortures ; il put se satisfaire, car la nouvellenbsp;crypte o� nous descendimes fut une v�ritable boucherie. Une longuenbsp;inscription rappelle les noms et les combats des h�ros chr�tiens quinbsp;triomph�rent dans ces souterrains obscurs, comme leurs fr�res denbsp;Rome, au grand jour de Famphith�atre. Non loin de la se trouve lanbsp;fosse profonde qui rappelle un des fails les plus glorieux de notre bis-toire primitive.
Saint F�lix, pr�tre de Nole, s��tait charg� du gouvernement de cetle �glise pendant l�absence de l��v�qiie saint Maxime, cach� dansnbsp;les montagnes, a cause de la pers�cution. F�lix fut arr�t�, flagell�,nbsp;jet�, pieds et mains li�s, dans un cachot t�n�breux, h�riss� de mor-ceaux de verre et de pots cass�s. D�livr� par un ange, il se rend au-pr�s de son �v�que, � qui il sauve la vie, et revient sur Ie th�fttre dunbsp;combat ; les soldals du gouverneur Ie rencontrent, et � moins d�un
-ocr page 12-8 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ItOME.
miracle il ne peut �chapper. Sur sou chemin il trouve une caverne dans laquelle il se jette. Les pers�cuteurs arrivent; mais une toile d�a-raign�e, miraculeusement �tendue sifr 1'entr�e de la groUe, leur faitnbsp;prendre Ie change; ils passent, et Ie saint, nourri dans ce souterrainnbsp;par une courageuse chr�tienne, en sort au bout de six mois pour re-commencer en paix son glorieux minist�re. Nous vimes l�ouverture denbsp;la grotte et la grotte ellerm�me. Je connaissais Ie fait avant de visiternbsp;Ie lieu qui en fut Timmortel th�dtre; aussi jamais je n�ai mieux sentinbsp;la diff�rence qu�il y a entre lire ou entendre Ie r�cit d�un miracle, etnbsp;voir de ses yeux, et toucher de ses mains la place m�me o� il s�ac-complit. L�dme vivement �mue, nous sorlimes de ces souterrains,nbsp;Iremp�s d�abord du sang des martyrs, puis baign�s, pendant plusieursnbsp;si�cles, des larmes d�innombrables p�lerins venus de l�Orient et denbsp;rOccident (i).
L��glise qui s��l�ve aujourd�hui sur Ie sol est riche de marbres et d�inscriptions anciennes. Vers Ie milieu brille l�autel du Saint-Sacre-ment, rempli d�ossements de martyrs; dans une armoire, ou plut�tnbsp;dans un vaste dyplique plac� au-dessus de l�autel d�une chapelle la-t�rale, on conserve Ie premier crucifix, fait par ordre de Constantin;nbsp;la tradition Ie fait remonter a Tan 316.11 est en argent, et par la posenbsp;du torse et par Ie caract�re grandiose de la figure il rappelle Ie typenbsp;byzantin, dont Rome conserve quelques beaux monuments (a).
Au-dela de Ccmetino, la route serpente entre des montagnes ferti-les, dont la cime �tait alors couverte de neige. C�est au centre de ces montagnes, non loin de Grotta Minarda, l�ancienne Crypta Minarda,nbsp;que se trouve Ia vall�e d�Arpajo (s). Nous nous y engageames afin denbsp;visiter les Fourches-Caudines, th�alre fameux de la plus grande humiliation romaine. Un double d�fil�, form� par une chaine de montagnes circulaires; puis, dans Ie fond de Ia vall�e tour � tour large etnbsp;resserr�e, un ruisseau coulant a petit bruit; tel est l�aspect des lieux.nbsp;Or, nous reportant � l�an de Rome 433, il nous semblait voir les Ro-mains, tromp�s par les soldats de Pontius d�guis�s en bergers, etnbsp;s'engageant t�m�rairement dans ce dangereiRc passage, pour arrivernbsp;plus vite au secours de Luc�rie assi�g�e par les Samnites. Ils ontnbsp;franchi Ie premier d�fil�; mais arriv�s au second, ils en trouventnbsp;Tissue ferm�e par un rempart de troncs d�arbres et de quartiers denbsp;rochers. lis l�vent les yeux, et toutes les hauteurs sont couvertes d�en-
(1) nbsp;nbsp;nbsp;S. Paulin., Natalie., 6, ctc.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Boldetli, �sservaz., etc., lib. u, c. 19, p. G07 et suiv.
(3) nbsp;nbsp;nbsp;Voyez la savante disserlalion du P. Danielo, 1778.
-ocr page 13-FOURCnES-CA�DINES. nbsp;nbsp;nbsp;^
nemis; ils veulent retourner sur leurs pas, mais une barri�re, sem-blable la premi�re, vient de fermer Tissue du d�fil�. D�un c�t�, nous voyons les fiers Remains, d�concert�s, allant, venant, s�interrogeant,nbsp;et ne sachant que r�soudre; de Tautre, nous entendons les Samnitesnbsp;qui les accablent de railleries, et qui font retenlir ces Tieux sauvagesnbsp;de leurs chants de triomphe. Enfin Ie moment fatal est arriv� ; deuxnbsp;lances, fix�es en terre, en supportent une troisi�me, et ferment Ie jougnbsp;de la bonte; et voici les consuls, d�pouill�s de leurs armes et desnbsp;marqu�s de leur dignit�, qui s�avancent les premiers et qui passentnbsp;sous Ie joug; puis les l�gions, n�ayant d�autre v�tement qu�une simplenbsp;tunique, subissent h leur tour Tignominieuse c�r�monie. Les Samni-les, descendus des hauteurs, ferment une double haie entre laquellenbsp;passent les vaincus sous Ie feu de plaisanteries sanglantes. Tout n�estnbsp;pas rose dans la poursuite du pouvoir et des honneurs : avis aux am-bitieux.
Saluant sur la droite Avellino, terre elassique de Texcellente noisette qui lui dolt son nom, et patrie de saint Andr�, la gloire des Th�atins, nous laiss�mes a gauche B�n�vent, ville de 13,000 ames,nbsp;non moins c�l�bre par sa 'poTteAurea, toute bfttie en marbre de Paros,nbsp;et par ses ponts de pierre jet� sur Ie Calore, que par ses nombreuxnbsp;souvenirs. A un mille et demi d�Avellino, on apergoit Ie Monte Ver-gine, sur lequel s��l�ve un des sanctuaires les plus fr�quent�s de Tl-talie. Enfin nous d�couvrimes, situ� entre deux chaines de montagnes,nbsp;Ie petit village de Mugnano. L��glise, �loign�e de la route de quelquesnbsp;centaines de pas, se dessine gracieusement a Textr�mil� d�une avenuenbsp;plant�e de jeunes arbres ; une rarape douce conduit jusqu�au portailnbsp;de T�difice. Sur la gauche de la nef est la chapelle de Tillustre mar-tyre. Les richesses qui Tembellissent, les nombreux ex-voto qui cou-vrent les parois, t�moignent �loquemment de la puissance de la Saintenbsp;et de la pi�t� des fid�les. Autour de la pierre tombale, apport�e desnbsp;catacombes avec Ie corps de la jeune h�ro�ne, on voit des ex-voto en-voy�s de la Chine, avec des inscriptions honorifiques qui attestent lanbsp;reconnaissance des rois et des reines de Naples et des autres pays. Surnbsp;cette pierre, Tinscription de la Sainte, grav�e en forme de banderolle,nbsp;se pr�sente ainsi ;
lvmena in pace n,
et doit se lire;
FILVMENA IN PACE.
Le gardien du tombeau est un pr�tre v�n�rable, qui nous re^ut
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tES TROiS ROME.
comrae des fr�res; sur ses pas nous enlrames dans la chapelle de la Sainte. A peine �tions-nous prostern�s au pied de l�autel que l�orgue senbsp;fit entendre, accompagn� du tintement harmonieux des sonnettes atta-ch�es aux cordons du rideau qui couvre la cMsse. Ge signal annon^aitnbsp;aux nombreux p�lerins agenouill�s dans l��glise, qu�on allait exposernbsp;les reliques. En effet, Ie voile tir�, la glorieuse Martyre apparut a tousnbsp;les regards, reposant sur un lit de velours, enrichi de pierreries. Surnbsp;sa t�te, environn�e de l�aur�ole, brille une couronne de perles; sesnbsp;bras sont orn�s de braeelets d�or, et sa main porte la palme du martyre : a cette vue lout Ie monde se proslerna et Ie Credo et la doxologienbsp;au Dieu des martyrs furent trois fois r�p�t�s en choeur. Le v�n�rablenbsp;gardien, rev�tu du rochet et de l��tole, ouvrit alors le tabernacle d�oiinbsp;il lira le vase du sang; il le lil baiser a chaque fid�le en pronongantnbsp;cette simple formule qui renferme tous les voeux : Per intercessionemnbsp;beatw FilumencB virginis et martyris liberet te Deus ab omni malo.nbsp;Amen. � Par l�intercession de sainte Philom�ne vierge et martyre, quenbsp;� le Seigneur vous d�livre de tout mal. Ainsi soit-il. �
Nos pri�res linies, nous demand�mes a collationner. On nous in-diqua l�h�tel, dont je donne Fenseigne en faveur de ceux qui vien-dront apr�s nous ; Locanda e Trattoria de divoli di S. Filomena, di Domenico Stincone. Or, je dois pr�venirnossuccesseurs queM. Dominique Stincone fait faire parfois maigre ch�re � ses h�tes. Un oeufnbsp;frais el quelques feuilles de l�in�vitable broccoli, voila tout ce qu�ilnbsp;nous fut possible d�obtenir. Nous en primes bravement notre parti,nbsp;pensant qu�un peu de p�nitence ne nuit pas � la pri�re.
II �tait d�cid� que nous ferions une pointe dans la Capitanate. Pourquoi nous �loigner ainsi du but primilif de notre voyage? Quinbsp;nous appelait dans un pays rareraent parcouru par les �trangers? Nosnbsp;nouveaux bacbeliers n�avaient pas encore oubli� que la est le champnbsp;de bataille de Cannes; et nous voulions le visiter. Sept heures son-naient lorsque nous arrivames � C�rignola, gros bourg connu par sonnbsp;commerce d�amandes, o� nous passftmes la nuit. Un de nos jeunesnbsp;amis, nagu�re chef des Carthaginois dans son coll�ge, la trouva biennbsp;longue, tant il d�sirait voir de ses yeux le nouveau th�atre de 1�humi-lialion romaine.
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-ocr page 15-CUAMP BE BATAILLE BE CANNES. II
27 F�VRIER.
Champ de balaitle de Cannes.� Marche d�Annibal. � Nole. � Saint Paulin. � Auguste.
� Les cloches. � Retour a Naples.
De grand matin toutle monde fut debout, et peu de temps apres la �voilure s�arr�tait sur Ie fameux champ de bataille. II est situ� a deuxnbsp;lieues environ en de�a de Barletta, I�ancienne Barulum, dont la fortenbsp;citadelle domine les bords de I�Adriatique. Deux collines courant pa-rall�lement Tune i I�autre, en laissant entre dies une large vall�e, ferment Ie cirque immense o� Rome et Charthage se disput�rent 1 empirenbsp;du monde. Venus pour �tre t�moins de cette grande lutte, nous nousnbsp;assimes sur une des collines; pr�s de nous coulait une fonlaine abon-danteounous voyions tour a tour s�abreuveretles chevaux d�jEmilius etnbsp;les �l�phants d�Annibal. Les trompeltes ont sonn�; les armees s��-branlent; un long cliquetis de lances, heurt�es les uncs centre lesnbsp;autres, glace I�^ime de terreur et �branle les �chos d�alentour. Le d�s-ordre se met bient�t dans les rangs de I�armee romaine, 1 acharne-ment redouble, de part et d�autre ; pour la quatri�me fois Annibal estnbsp;vaiuqueur. Quatre-vingt mille Remains sent taill�s en pieces, et lanbsp;plupart laissent leurs cadavres dans cette vall�e qui, apr�s plus denbsp;vingt si�cles, conserve encore le nom de Champ-du-Sang, Campo dinbsp;Sangue.
Sur le th�atre de ce nouveau triomphe on admire vivement le g�nie d�Anifibal; mais on ne sail comment expliquer sa marche militaire ennbsp;Itali�. II avait battu les Remains sur les bords de la Treble et du lacnbsp;Trasimene. Apr�s cette derni�re victoire, la route de Rome lui ciaitnbsp;ouverte; il n��tait qu�� vingt-huit lieues de cette capitale. Pourquoi,nbsp;au lieu de s�y porter rapidement, s�en eloigner de soixante lieues etnbsp;gagner les c�tes de I�Adriatique? Serait-ce qu�une main invisible, lanbsp;main de celui qui r�servait a Rome I�empire du monde, �cartait mys-t�rieusement le vainqueur? Annibal se rapprochait-il de la mer, afinnbsp;de recevoir plus facilement de Carthage les secours devenus n�cessaires apr�s tant de combats et de fatigues? Voulalt-il d�truire lesnbsp;Remains en d�tail, et ne laisser aucune arm�e sur ses derri�res, pournbsp;n��tre pas pris entre deux feux, lorsqu�il mettrait le si�ge devantnbsp;Rome? La question resta pour nous ind�cise malgr� une tr�s-savantenbsp;discussion qui eut le tort de durer jusqu�a Nole, et de nous faire ou-blier de saluer de loin Venosa, palrie d�Horace :
Nam Vesinus arat finem sub utrumque colonus.
-ocr page 16-12 LES TROIS ROME.
Nole est une des plus anciennes villes de la Campanie; elle doit son origine aux �trusques, et compte aujourd�hui neuf mille ftmes. Denbsp;grands souvenirs se raltachent i cette humble cit�, trop n�glig�e parnbsp;les voyageurs. Les tombeaux qui couvraient les plaines environnantes,nbsp;ont fourni Ia plupart des vases �trusques qu�on admire au Mus�e denbsp;Naples. D�fendue par Marcellus, Nole eut deux fois la gloire de r�sis-ter au vainqueur de Cannes; mais des h�ros d�un autre genre la firentnbsp;tomber sous l�empire de la Croix. Saint Pierre, Ie premier, y planta Ienbsp;consolant �tendard que sa main vlctorieuse allait arborer au sommetnbsp;du Capitole (i). Apr�s lui des l�gions intr�pldes d�fendirent Ie dra-peau chr�tien attaqu� a Nole, comme dans Ie reste du monde. Aunbsp;troisi�me et au quatri�me si�cle. Maxime, F�lix, Acace, Aurelia, etnbsp;mille autres y soutinrent les terribles combats qui ont assur� Ienbsp;triomphe du christianisme. Dans ce champ, si bien arros�, nousnbsp;voyons venir, au iv� si�cle, un illustre cultivateur, dont Ie nora rap-pelle toutes les gloires. Le lils des s�nateurs, Ie consul, Ie pr�fet denbsp;Rome, le riche, dont les domaines s�appelaient des royaumes, regnanbsp;Paulini; l�ami de saint Ambroise, de saint Augustin, l��gal de cesnbsp;grands hommes par le g�nie, l��loquence et la vertu, saint Paulin,nbsp;�v�que de Nole, �tait notre compatriote. Quel noble souvenir pour desnbsp;voyageurs francais!
Nous �tions sur les lieux que reraplit encore d�un d�llcieux parfum son imp�rissable m�moire. Apprenant que nous �tions Francais, lesnbsp;chanoines r�unis a la sacristie s�empress�rent de nous parler de cenbsp;grand homme et de faire l��loge d�une terre f�conde en pareils fruits ;nbsp;� Nos P�res, disaient-ils, le virent arriver au tombeau de saint F�lix,nbsp;avec ses deux compagnes ch�ries, Fhumllit� et la pauvrel�. Toute sonnbsp;ambition se bornait ii �tre le portier de l��glise du Saint; il la balayaitnbsp;le matin, la fermait Ie soir, Ia gardait pendant la nuit. Chaque ann�enbsp;il composait un po�me qu�il offrait, en guise de pr�sent, au saint Martyr, le jour de sa f�te (2). Que de larmes il versa, lorsque, apr�s quinze
(1) Remundini, Hist, ecdes. Nolan.; Struvius, p. 140G, etc. � Comme il est plusieurs fois question dans eet ouvrage de l�origine apostolique des �glises d�Italie, je crois devoirnbsp;citer ici le t�moignage de saint L�on : � Manifeslum est, inquit, in omnem Italiamnbsp;� nullum instituisse Ecclesias, nisi eos, quos venerabilis apostolus Petrus aut ejusnbsp;� successores constituerint sacerdotes. � Epist. xxv. ad Decentium Engubium, n. 11. �nbsp;Le savant Mamachi ajoute que ces �glises remontent �videmment aux temps apostoli-ques : � IMstulisse autem eos ad tertium quartumve satculum, ut, in Italia, religioninbsp;� latissime propaganda operam darent, cum in remotissimis regionibus adeo propagatanbsp;X secundo sseculo csset, ut ne vicus quidem esset, in quo Christus minime coleretur,nbsp;� numquam eredam. � � Orig. et Antiq. christ. t. ii, lib. 2, p. SIS, note.
(�) Nous avons quinze de ces po�mes dignes des plus beaux si�cles de l�anliquit� lit-
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ans pass�s dans l�exereice de la plus humble fonclion �ccl�siastique, il fallut monter, en devenant�v�que, au premier rang de la hi�rarchie;nbsp;mais rhumilit� et la pauvret� y mont�rent avec lui.
La veille de sa mort, comme il �tait �tendu sur sa pauvre couche, Ie pr�tre Postumien vint lui dire ; � P�re, il est d� quarante pieces d�ar-gent pour les habits des pauvres. � � � Tranquillisez-vous, lui r�pon-dit Ie Saint en souriant, mon banquier paiera. � II avait a peine fini,nbsp;qu�un pr�tre de Lucanie arriva, apportant cinquante pieces d�argentnbsp;de la part d�un �v�que et d�un pieux chr�tien. � Postumien, dit Ie saintnbsp;vieillard, remerciez avec moi Notre-Seigneur; donnez deux de ces pieces d�argent au inessager, et avec les autres payez ce qui est d� auxnbsp;marchands qui ont habill� les pauvres. � La nuil �tant venue, il dormitnbsp;un peu; puis il r�veilla les pr�tres pour dire matines, suivant sa cou-tume, et il demeura en silence jusqu�� l�heure de V�pres. Les lampesnbsp;�tant allum�es, il �tendit doucement les mains en disant d une voixnbsp;basse ; � J�ai pr�par� une lampe a mon Christ ; � Pavdvi lucernatnnbsp;Christo meo; et il s�endormit du sommeil des bienheureux : c �taitnbsp;i�an du Seigneur 431. � S�il �tait permis � des enfants d�en vouloir anbsp;la meilleure des m�res, ajouta Ie doyen du chapitre, nous en voudrionsnbsp;� Rome qui a fait transporter, aupr�s des Ap�tres, Ie corps de notrenbsp;P�re. Quand vous retournerez dans cette ville, je vous prie de lui fairenbsp;une visite en notre nom; vousletrouverezdansl��glisedeSaint-Barth�-lemy-en-l�lle. �
Quelques-uns de ces v�n�rables confr�res voulurent bien nous con-duire dans la crypte o� reposent les reliques de saint F�lix. Comme celui du proph�te, Ie corps du glorieux martyr, r�v�r� du monde entier,nbsp;continue d�op�rer des prodiges ; de ses ossements dess�ch�s d�coulenbsp;une huile miraculeuse qui gu�rit les malades.
Au sortir de l��glise, nous visit�raes quelques ruines pa�ennes, peut-�tre celles du palais o� mourut Auguste; mais on ne peut Faffirmer, tant elles sont informes. Par quel secret conseil la Providence a-t-ellenbsp;xoulu que les m�mes lieux vissent expirer Ie h�ros du paganisme, Ienbsp;superbe maitre du monde, et Ie h�ros de l��vangile, 1�opulent rejelon
t�raire; ils sont des tr�sors pour 1�apologisle et m�me pour 1�artiste chr�tien. Saint Paulin a mis en deux vers tout Ie dogme de Ia presence r�elle :
tn cruce fixa caro est, qua pascor; de cruce sanguis Ille fluit vitam quo bibo, corda lavo.
Ailleurs i\ parte de la peinture morale des �glises, dont il fait un magnifiqne �loge en 1�appelant Ie grand livre des ignorants, etc.
-ocr page 18-'14 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
des plus illustres Romains, devenu volontairement humble et pauvre pour l�amour de Dieu et de ses fr�res? Pourquoi nous a-t-elle conserv�nbsp;les d�tails pr�cis de ce double tr�pas? Ne serait-ce. pas afin que lanbsp;post�rit� s�intruisit en contemplant sur Ie m�me th�fttre, aux prisesnbsp;avec la mort, ces deux hommes, qu�on peut appeler la personnilica-tion de leur foi religieuse et du monde qu�ils repr�sentent? Nousnbsp;avions assist� aux derniers instants de saint Paulin; et la douce s�r�nit�nbsp;de son visage, et la joie de son Ame, et l�onction de ses paroles, et lanbsp;tendresse de ses adieux, et la d�licieuse conflance entre les bras denbsp;laquelle il s�endort, nous faisaient dire : Puissions-nous mourir ainsi!
En parcourant les ruines pa�ennes, nous contemplions Auguste mourant: quels voeux sa fin peut-elle inspirer? Obs�d� par Livie, qu�ilnbsp;avail enlev�e � Drusus N�ron, son �poux, Ie vieil empereur d�sh�riienbsp;son petit-fils Agrippa Poslhume, et l�gue Ie tr�ne de l�univers a Ti-b�re, fils de Livie. L�inqui�tude Ie mine; il cherche une diversionnbsp;dans les plaisirs et dans les voyages. Livie lui persuade d�accompagnernbsp;jusqu�a B�n�vent Tib�re qui part pour I�lllyrie : Ie mailre du monde,nbsp;devenu l�esclave d�une femme, ob�it. Tib�re s�est embarqu�, Augustenbsp;veut retourner � Rome; mais de violentes douleurs d�estomac et d�in-teslins ne lui permettent point de passer Nole. L�histoire dit qu�afinnbsp;d�assurer l�empire h Tib�re, Livie aurait bate la lin du vieil empereur,nbsp;en empoisonnant des figues sur un arbre o� il avail coutume d�ennbsp;aller manger (i). Quoi qu�il en soit, celte femme, aussi ambitieusenbsp;que d�baucb�e, cxp�die promptement un courrier � Tib�re, pour luinbsp;ordonner de revenir; puis elle dispose autour du palais des gardesnbsp;qui en ferment exactement toutes les avenues : aucune nouvelle nenbsp;parvient au malade sans la permission de Livie, et rien de ce qui senbsp;passe dans Ie palais imp�rial ne transpire au dehors.
Cependant Ie matin du 19 ao�t, de Tan de Rome 766, Ie chef du monde pa�en, se sentant mourir, demande un miroir, ordonne qu�onnbsp;lui ajuste les cheveux et qu�on pare un peu ses joues tombantes. Puis,nbsp;faisant appeler quelques amis pr�s de son lit: � N�ai-jepas lien jou�,nbsp;leur dit-il, la farce de la vie? eh Men done! applaudissez (%). Apr�snbsp;un pareil adieu, il fait sortir tout Ie monde, et il expire. II �tait troisnbsp;heures de l�aprcs-midi, lorsque Auguste donnait ce dernier spectaclenbsp;dans la m�me chambre o� �tait mort son p�re Octave ; c��tait Fan 14 denbsp;J�sus-Christ. Grace k Livie, qui faisait toujours rassurer Ie peuple sur
(i) Dion. Lvi, p. 675.
(a) Amicos admissos percunclatus : Ecquid iis viderelur mimum vitse commode tran-segisse, adjecit el clausulam, etc. � Sucl. Aug. 99.
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la sant� du prince, on sut si bien prendre les mesures esig�es par les circonstances, que Ie m�me instant apporta la nou\elle de la mortnbsp;d�Auguste et de i�av�neinent de �ib�re (i).
La vie hunaaine n'est qu�une farce et Thomme un com�dien; voila done Ie dogrne supr�me qu�Auguste l�gue ii l�univers! Dans cette parole quel mat�rialisme abject'. Comme on s��loigne avec horreur dunbsp;moribond qui la prononce! Comme on b�nit Ie Dieu r�dempteur quinbsp;est venu rehabilitee Thomme si profond�ment d�chu, et lui apprendrenbsp;(lue la vie du temps est l�apprentissage decisif de la vie de 1 �ternit�!
iNous avions quitt� Nole, sans penser aux cloches, mais eet ouhli lut bient�t r�par�. A peine �tions-nous dans la campagne quel Ave Marianbsp;sonnait a la cath�drale. � �trangers, qui emportez de ces lieux tantnbsp;de souvenirs, semblaient nous dire ces cloches, n�oub�ez pas que nousnbsp;sommes d�origine campanienne : Nole nous vit naitre, Rome nousnbsp;conserva, Ie monde chr�tien, qui nous adopta, nous aime et nous b�nit.nbsp;Voyageurs qui passez, b�nissez-nous vous-m�mes. Notre voix doit vousnbsp;�tre ch�re; depuis Ie berceau jusqu�a la tombe, elle s�associe aux joiesnbsp;de Thomine pour les animer, a ses douleurs pour les adoucir; carnbsp;toujours elle chante 1�immortelle esp�rance, fond�e sur les consolantsnbsp;myst�res qu�elle redit seule en ce moment. � Tons ensemble nous sa-luftmes avec les cloches, et TArchange messager de I�lncarnation, etnbsp;Marie, et Ie Verbe fait chair.
L�histoire et la po�sie des cloches nous occupaient encore, lors-qu�une voix rauque se fit entendre a la portiere de la voiture : Ipas-saporti: Les passeports? Nous n�en avions pas; et l�alguazil qui veil-lait a la barri�re de Naples voulut d�abord arr�ter nos Excellences et les conduire au violon; puis s�adoucissant, ii exigeait quelques carlinsnbsp;pour nous laisser passer. Nous tinmes ferme, et il finit par se retirernbsp;en nous appelant Francesacci: tel fut Ie seul malheur de cette longuenbsp;el belle journ�e.
28 F�VRIER.
Pr�ambule..� Anecdote sur saint Alphonse de Liguori. � Nocera. � Fr�rc Philippe.
Chauihre de saint Alphonse de Liguori. � Details sur sa mort. Son portrait�
La Cava. � La Biblioth�que. � Retour a Naples. � Pr�dicateuis dans les mes.
Tout Ie monde sait qu�au dernier si�cle une ligue formidable d��-crivains licencieux et impies mena^ait et la religion, et la socict�, et les croyances, et les moeurs ; l��pouvantable �atastrophe qui �branla
i, o.
(i) Tacit. Annal.
-ocr page 20-16 nbsp;nbsp;nbsp;lES TROIS ROME.
Ie monde, fut Ie r�sultat de cette conspiration infernale. A ce torrent d�vastateur, Dien prit soin d�opposer de puissantes barri�res. Desnbsp;hommes de g�nie, des saints furent suscit�s pour arr�ter les flots denbsp;Terreur; et, en prot�geant Ie d�p�t des saines doctrines, conservernbsp;aux races futures Tunique moyen de rentrer d^ns Tordre. Paris cou-ronna Ie coryph�e de la licence et de Timpi�t� : TEurope applaudit;nbsp;et, de nos jours encore, Ferney, demeure souill�e du cynique vieil-lard, est Ie but d�un p�lerinage oblig� pour nn grand nombre denbsp;voyageurs. L�ceil ouvert, Toreille tendue, la bouche b�ante, Ie cceurnbsp;�mu, ils entrent dans Ia chambre du philosophe anti-chr�tien. C�estnbsp;a peine s�ils osent toucher du bout du doigt les rideaux d�chir�s denbsp;son lit, OU la vieille canne qu�un jardinier centenaire leur donne pournbsp;avoir appartenu au maitre de la maison. Ils notent tous ces d�tails, ilsnbsp;sont fiers de les avoir re^us, ils se font gloire de les raconter : leurnbsp;voyage de Ferney est une �poque m�morable de leur vie.
Malgr� cela, ou plut�l h cause de cela, certains hommes seront peut-�tre fort �tonn�s de voir Ie voyageur chr�lien chercher avec em-presseraent les lieux habit�s par nos saints et nos grands hommes;nbsp;les visiter avec bonheur et parler avec entrainement des �motionsnbsp;qu�ils lui font �prouver; Ie monde est ainsi fait. � Si, comme tantnbsp;d�autres, disais-je a mes jeunes amis, nous courions Tltalie pour ynbsp;voir des tableaux, des statues, des ruines pa�ennes, des lieux c�l�bres,nbsp;th�amp;tres des actions souvent fort peu honorables des h�ros de Tanti-quil�, on trouverait cela tout simple. Nous passcrions pour des amateurs, peut-�tre pour des connaisseurs, et Ton ne manquerait pas denbsp;s��crier : Quel charmant voyage ils ont fait! Mais paree que nousnbsp;mettons chaque chose � sa place; qu�aux souvenirs pa�ens que nousnbsp;sommes loin de n�gliger, nous donnons la pr�f�rence aux souvenirsnbsp;chr�tiens; que les catacombes de Cemetino, par exemple, ce champnbsp;de bataille o� nos p�res vainquirent glorieusement Ie paganisme, nousnbsp;inspirent plus d�int�r�t que les Fourches-Caudines et Ia vall�e denbsp;Cannes, vous verrez qu�on aura peine � nous pardonner. N�importe,nbsp;nous continuerons comme nous avons commenc�. Salut aux ruinesnbsp;pa�ennes, mais pr�dilection pour les monuments et les sanctuairesnbsp;chr�tiens : admiration pour les chefs-d�oeuvre du g�nie; mais, avantnbsp;tout, respect, amour, admiration pour nos saints et nos martyrs, aunbsp;sang, aux sueurs, aux travaux desquels nos critiques ne sont pas moinsnbsp;redevables que nous des lumi�res, des institutions, de la sup�riorit�nbsp;sociale dont Ie monde actuel est si fier. �
Je faisais ce petit pr�ambule, en courant, vers trois heures du matin.
-ocr page 21-ANECDOTE SER SAINT ALPHONSE �E LIGCORI. nbsp;nbsp;nbsp;17
sur la route de Portici. II �tait amen� par les circonstances : nous allions Noc�ra. Noc�ra est Ie lieu �lernellement cher au chr�lien, o�nbsp;v�cut, �crivit, souffrit et mourut Ie saint Francois de Sales de Fltalie,
Ie grand soutien de la foi et des moeurs contre les crreurs du dernier si�cle ; j�ai nomm� saint Alphonse-Marie de Liguori. Une de nos joiesnbsp;�tait de visiter sa chambre et d�offrir les augustes myst�res sur sonnbsp;glorieux tombeau. Outre les documents contenus dans sa vie, plusieursnbsp;fois impritn�s, nous avions sur Ie saint �v�que de nombrcux d�tailsnbsp;conserv�s dans la jn�moire des vieillards. A l�amp;ge de seize ans, Alphonse fut repu par acclamation docteur de Tuniversit� de Naples;nbsp;ce brillant succ�s ne F�blouit pas un instant. Jaloux de conserver lanbsp;puret� virginale de son cmur, dont l�orgueil est Ie plus dangereuxnbsp;ennemi, Ie saint jeune homme se retirait souvent dans la solitude pournbsp;y fortifier sa vertu. Son asile privil�gi� �tait la maison des Lazaristes,nbsp;connus a Naples sous Ie nom de Missionnarj della Vergine.
Or, j�avais beaucoup fr�quenl� � Paris un de ces v�n�rables enfants de saint Vincent de Paul, qui r�sidait alors h Naples. Quelques joursnbsp;avant Ie voyage de Noc�ra, j��tais all� lui rendre visite. Avec une cor-dialit� que je n'oublierai jamais, Ie bon p�re F.... me fit les honneursnbsp;de la maison. Apr�s m�avoir montr� l��glise, la chapelle int�rieure,nbsp;les jardins, les cloitres, etc. : � Maintenant, me dit-il, il faut que jenbsp;vous fasse voir une celluie qui est pour nous un pr�cieux sanctuaire; �nbsp;et il m�ouvrit la modeste chambre dans laquelle Ie jeune de Liguorinbsp;venait faire sa retraite annuelle. � Peut-�tre, ajouta l�aimable vieillard,nbsp;ne seriez-vous pas f�ch� de faire connaissance avec Ie pr�dicateur qui
convertit saint Alphonse? 11 est chez moi, venez. �
Nous entrimes dans la chambre du missionnaire, qui me fit asseoir pr�s de lui, en face d�un tableau couvert d�un voile �pais.� Ce tableau,nbsp;me dil-il, est a la Mission depuis environ cent ans; il nous a �t� envoy�nbsp;par un de nos P�res de Florence. La v�ril� du fait qu�il rappelle estnbsp;attest�e par des preuves toujours visibles, par Ie t�moignage de nosnbsp;P�res de Florence et par la deposition jur�e du h�ros de cette ef-frayante histoire ; nous conservons dans nos archives Ie proc�s-verhalnbsp;authentique de tont cela. Done, un vieillard de Florence entretenailnbsp;depuis longtemps des rapports criminels avec une femme. Apr�s unenbsp;r�sistance opiniatre � la grace, il se convertit; niais la femme demeurenbsp;imp�nitente ; elle meurt. Or, un soir que eet homme �tait en pri�resnbsp;dans sa chambre, au pied d�une grande image de Notre-Seigneur ennbsp;croix, il entend autour de lui comme Ie bruit d�un ouragan, du milieunbsp;du bruit une voix lugubre, la voix de la femme, qui crie : 3e suis
-ocr page 22-jg nbsp;nbsp;nbsp;LES �IIOIS ROME.
damn�e! Par la permission de Dieu, je viens vous donner une marqu� de l�activit� du feu qui me br�le. A l�instant, deux mains de feu sontnbsp;imprim�es, avec les cinq doigts, sur Ie tableau, qu�elles percent denbsp;part en part. � En pronongant ces paroles, Ie P�re l�ve Ie voile, et jenbsp;vois, en effet, sur la vieille gravure, Pempreinte de deux mains bru-lantes, qui ont enlev�, comrne un emporte-pi�ce, Ie papier touch�,nbsp;tandis que les parties voisines sont parfaitement inlactes : circonstancenbsp;qui, aux yeux m�me de la science, rend Ie fait humainement inexplicable. Le talon des mains a port� sur Ie cadre, qu�il a carbonis� avecnbsp;la m�me precision : tout cela est horrible a voir.
� Dans une retraite, continua le p�re F...., on montra publique-ment ce tableau. Vous jugez de l�impresslon qu�il produisit sur un coeur comme celui d�Alphonse. Quoique d�ja tout � Dieu, le saintnbsp;jeune homme ne cessait de r�p�ter : C�est a ma retraite aux Mission-naires della Vergine, que je dois ma conversion. �
Cependant nous avions d�pass� Pomp�i ainsi que sa soeur, l�infor-tun�e Slabia; bient�t la route descendit dans une large vall�e au fond de laquelle apparaissait la petite ville de Noc�ra. Comme les cil�snbsp;voisines, Noc�ra, fond�e par les Grecs, devint colonie romaine, et futnbsp;saccag�e par Annibal. Plus tard elle tomba au pouvoir des Sarrasinsnbsp;qui l�occup�rent pendant plusieurs si�cles : de la lui est venu le noninbsp;de Noc�ra-des-Pa�ens, comme a sainte Agathe, sa voisine, celui denbsp;Sitinie-Agathe-des-Golhs. Si le voyageur profane n�y voit rien quinbsp;excite sa curiosit�, il en est autrement du p�lerin catholique. Tout ynbsp;parle de saint Alphonse; et tout ce qui touche � ce grand hommenbsp;inspire un vif int�r�t. Dans les humbles religieux du Tr�s-Saint-liedempteur nous trouvames des fr�res remplls d�attention et de cor-dialit�, qui nous accord�rent, de la meilleure gr�ce du monde, lanbsp;faveur de c�l�brer la messe sur le tombeau de leur p�re. L�illustrenbsp;�v�que repose dans l��glise qu�il a fait b�tir; son corps est plac� sousnbsp;l�autel de la chapelle qui forme la partie gauche du transept. Quandnbsp;nous y entr�mes, cette chapelle �tait entour�e d�une foule de p�lerinsnbsp;qui r�pandaient leurs larmes et leurs pri�res devant \e bon saint,nbsp;dont leurs p�res avaient si longtemps admir� la douceur inalt�rable,nbsp;la pauvret� �vang�lique et la charit� toute paternelle.
De l��glise, nous passames au r�fectoire. La premi�re chose que nous fit remarquer le P�re sup�rieur, c�est la place de saint Alphonse.nbsp;II nous semblait voir encore le v�n�rable vieillard, assis sur un petitnbsp;banc de hois adoss� a la muraille, et d�posant, dans une assiette plac�enbsp;devant lui, les pr�mices de son repas, qu�il offrait � Notre-Seigneur
-ocr page 23-CHAMBKE DE SAIST ALPHONSE DE LIGUORI.
dans la personae d�un pauvre. Une soupe au broccoli, accompagn�e d�un morceau de bceuf et de viande sal�e, tel fut, avec deux orangesnbsp;pour dessert, Ie menu du fragal d�jeuner qui nous attendait. Le lingenbsp;et la vaisselle n�ctaient pas moins en harmonie avec l�esprit de mortification et de pauvret� qui distingue les dignes religieux. Fr�re Philippe ajouia par sa conversation un nouvel assaisonneinent aux metsnbsp;que sa main nous avail pr�par�s. Fr�re Philippe! mais c est Fadmi-ration du pays et la joie de la maison. Apprenant que nous �lionsnbsp;Francais, il obtint la permission de nous parler, el il nous racontanbsp;son histoire. Vieux soldat de l�Einpire, bless� en vingt batailles, il futnbsp;inconsolable de la chute de. son Empereur. D�go�l� du monde, ilnbsp;chercha le repos au service du seul maitre que nul ne peul d�tr�ner,nbsp;ct il se fit religieux dans la congr�gation du Saint-R�dempteur. La vienbsp;des camps ne lui a permis d�apprendre ni le lalin, ni la th�ologie . ilnbsp;n�est done ni pr�dicateur, ni confesseur, ni �crivain ; il est cuisinier.nbsp;Plein de gait�, il conserve dans son humble emploi quelque chosenbsp;de ces allures mililaires et de cetle brusque franchise qui vont, on ne
peut mieux, avec le froc noir et le tablier blanc.
Au d�jeuner succ�da la visite de la maison. Nous examinamp;mes avec respect ce cloitre, ces corridors, ces cours int�rieures que le Saintnbsp;avail si souvent parcourus, et nous arrivftmes au piano nobile : li senbsp;trouve l�apparteraent du glorieux fondateur. Une petite porie en boisnbsp;nu, ouvrant sur le corridor, donne passage ^ une celluie d�cnvironnbsp;dix pieds de longueur sur buit de largeur. On ne peut se defend renbsp;d�un saisissement religieux, en voyant ces murailles froides et nues,nbsp;ce parquet en briques grossi�res, ce plafond aux traverses saillantes,nbsp;reconvert d�une couche de plamp;tre a peine suflisante pour fermer lenbsp;passage a la poussi�re; cetle petite fen�lre, mal close, devanl laquellcnbsp;le grand docleur composa la plupart de ses pieux et savants ouvrages,nbsp;eet autel �lev� depuis 1��poque de la canonisation et qui rappelle parnbsp;sa pauvret� le d�tachement dont il saint fit toujours profession.
Une cloison, garnie d�une porte vitr�e, s�pare le cabinet de travail fie la chambre a coucher. Entr� dans cette seconde pi�ce, j�en fis l�in-veniaire. Un petit lit compose d�une simple couverture et d un matelasnbsp;mince comnie une plancbe, reposant sur un fond en bois supporl� parnbsp;quatre pieds en fer de irente centim�tres de hauteur; trots vieillesnbsp;chaises en paille; deux fauteuils s�culaires garnis en peau, dont 1�unnbsp;il roulettes qui servait a promener le saint vieillard dans les corridorsnbsp;de la maison; une petite table, une lampe en cuivre, un cierge quinbsp;brulait pr�s de son lil de mort; lel est I�ameublement du moderne
-ocr page 24-20 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
docteur de l��glise, du fils des grands de la terre, de l�illustre �v�que de Sainte-Agathe. Chose bien significative! la religion catholique seulenbsp;inspire im pareil m�pris des choses cr��es et du bien-�tre mat�riel.
Dans cette chambre v�n�rable, dispos�e comme Ie jour m�me o� Ie saint expira, les P�res qui nous accompagnaient nous parl�rent desnbsp;derniers moments d�Alphonse : � Notre bienheureux P�re, disaient-ils,nbsp;avait toujours d�sir� de raourir au milieu de ses enfants. Sa confiancenbsp;en Marie �tait si grande, qu�il ne doutait pas qu�elle ne lui obtint cettenbsp;consolation. �Mon Dieu! �crivait-il au milieu m�me de sa carri�re, jenbsp;� vous reraercie d�avance de la grace que vous me ferez de mourir en-� tour� de mes tr�s-chers enfants, qui n�auront alors d�autre sollici-� tude que mon salut �ternel, et qui tous m�aideront � bien mourir. �nbsp;Son esp�rance ne fut pas vaine : ii la premi�re nouvelle de sa maladie,nbsp;nos P�res et nos Fr�res arrivaient sans discontinuer de toutes nos mai-sons; et, comme un autre Jacob, Alphonse entra dans sa derni�renbsp;agonie environn� de sa nombreuse familie qu�il b�nil avec effusion; etnbsp;cette chambre o� nous sommes, et les corridors que nous avons par-courus, furent inond�s de larmes.
� Le P�re recteur et Ie p�re Buonapane se tenaient au chevet de son lit; au pied �tait agenouill� le p�re Fiore. L�un d�eux lui pr�senta unenbsp;image de la sainte Vierge, en lui disant de l�invoquer pour la bonnenbsp;mort. Au nom de Marie, le saint ouvrit les yeux, prit l�image. Ia con-templa longtemps, et entra dans une douce extase qui le conduisit dansnbsp;I��ternit� bienheureuse. On ne remarqua ni r�volution dans son corps,nbsp;ni contraction dans ses membres, ni serrement de poitrine, ni soupirnbsp;douloureux: et pourtant il �tait mort. Ce fut le 1�� ao�t 1787, vers lesnbsp;onze heures du matin, a Page de 90 ans, 10 mois et o jours, que notrenbsp;P�re, environn� de ses enfants, s�endormil dans les bras du Seigneurnbsp;et de la tr�s-sainte Vierge, au moment o� Pon sonnait YAngelus. �
En nous donnant comme gage de notre visite le v�ritable portrait du saint, les P�res ajout�rent sur sa personne quelques d�tails, impri-m�s depuis dans les M�moires du p�re Tannoja (i). � Notre P�re �taitnbsp;de taille moyenne; il avait la t�te grosse, le teint vermeil, le frontnbsp;large, Pceil agr�able et d�un bleu d�azur, le nez aquilin, la bouchenbsp;petite et toujours le sourire sur les l�vrcs. Sa barbe �tait �paisse et sesnbsp;cheveux noirs; il les portait courts, et se les coupait souvent lui-m�me.nbsp;11 �tait myope et se servait de lunettes, qu�il �tait toujours quand ilnbsp;�tait en chaire ou qu�il parlait aux femmes. Sa voix �tait claire et so-
(�) 5 Vol. ia-8o. Paris, 1842.
-ocr page 25-IA CAVA,� LA BIBLIOTH�QDE. nbsp;nbsp;nbsp;21
nore : telle spacieuse que fiit T�glise et telle longue que fut Ia mission, elle ne lui manqua jamais, et il la conserva ainsi jusqu�a sa mort. IInbsp;avail un port imposant, des mani�res graves et gracieuses i la fois, sinbsp;bien que tout en lui coneourait a Ie rendre aimable. �
Le temps �tait venu de dire adieu � eette sainte maison. A.pr�s nous �tre prostern�s de nouveau devant 1�autel du glorieux docteur, nousnbsp;resumes l�embrassement des bons P�res, et nous partiraes pour Ianbsp;Cava. Cette petite ville, batie dans la vall�e pittoresque de Monte Me-telUano, est c�l�bre par son monast�re de B�n�dictins, un des plusnbsp;int�ressants de l�Europe. Pendant les guerres intestines qui, au moyennbsp;iige, d�sol�rent l�Italie, le monast�re de la Cava devint le tr�sor o� lesnbsp;particuliers d�posaient leurs chartes et leurs titres de noblesse ou denbsp;propri�t�. Le respect universel dont les religieux �taient 1 objet, for-niait une barri�re autour de leur demeure, que ni 1 homme d armes,nbsp;ni le paladin, ni le seigneur, si haut et si puissant qu il fut, n osaitnbsp;franchir. A cette double circonstance est due la richesse scientifiquenbsp;du c�l�bre couvent. On y conserve environ 60,000 parchemins origi-naux; puis un code de lois des Lombards, que Muratori n a pas connu,nbsp;lorsqu�il a publi� sa collection. Je m��tonne que quelques-uns de nosnbsp;�l�ves de l��cole des chartes n�aillent pas se fixer sur les lieux, et explorer cette mine f�conde.
A en juger par l�accueil que nous resumes, ils peuveut compter sur la r�ception cordiale el robligeance h toute �preuve des excellents religieux. Sous la conduite du Pcre archiviste, nous visit4mes la biblio-th�que, qni est bien, suivanl Pexpression de M. de Bonald, Ie vastenbsp;s�pulcre de Pinlelligence humaine; seulement il est au pouvoir desnbsp;vivanls de ressusciter les morts, et nous en �voquimes quelques-uns.nbsp;Leur savoir, leur bon sens, la vivacil� de leur foi, la na�vet� de leurnbsp;langage, nous firent vivement regretter de n�avoir a leur donner quenbsp;quelques instants fugilifs; mais le temps nous pressait; nous devionsnbsp;renirer � Naples avanl la nuit. Toulefois le P�re archiviste nous re-O�t : � Voyez encore, nous dit-il, cette Bible du vui� si�cle. � Puisnbsp;1 ouvrant b dessein ii l��vangile de saint Jean, il ajouta : � S il y a desnbsp;sociniens en France, veuillez leur dire que vous avez lu de vos yeux lenbsp;fameux passage : 3Ves sunt tjiui testifnonium dnnt in cwlOy Patev,nbsp;Verbum et Spiritus sanctus, et hi tres unum sunt. Au moins vousnbsp;saurez qu�ils out tort de rejeter le myst�re de Ia sainte Trinit�, pareenbsp;qu�ils n�ont pas lu ce passage dans qpelque ancien mauuscrit. �nbsp;Grdce h I�activit� de noire postillon, nous arrivAmes sur le quai Na-politain au soleil couchant. Le golfe, au bleu d�azur, illumin� des der-
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niers feux du jour, sem� de b�timents aux diverses couleurs et sillonn� d�embarcations l�g�res, pr�sentail un coup d�ceil jnagnifique et tr�s-anim� : Ie quai lui-m�me offrit un autre spectacle. De nombreux pro-meneurs encombraient les larges trottoirs; les caf�s �taient entour�snbsp;d�amateurs qui buvaient, lisaient, causaient autour de petites tablesnbsp;plac�es dans la rue. Au milieu de cette multitude agit�e comme lesnbsp;flots de la mer, nous vimes, dans les retraits formes de distance ennbsp;distance par les maisons voisines, des pr�dicateurs en plein air, mont�snbsp;sur Ie Palco, esp�ce d�estrade en simples planches; ils tenaient � lanbsp;main un grand crucifix et annongaient avec feu la parole qui a sauv�nbsp;les pauvres et les petits. II y avait foule au sermon; et ce qu�il y a denbsp;mieux, silence, respect, attention parmi les auditeurs, tous debout etnbsp;chapeau bas. Ni Ie bruit du corricolo qui brulait Ie pav�, ni les crisnbsp;des enfants qui jouaient dans Ie voisinage, ni les conversations des pas-sants qui, brochant sur Ie tout, allaient et venaient comme les �otsnbsp;pouss�s en sens divers, rien ne distrayait l�auditoire, suspendu ennbsp;en quelque sorte aux l�vres du prcdicateur. Telles sont encore les villesnbsp;de ritalie; sans craindre l�outrage ou Ie m�pris, la religion peut senbsp;montrer dans les rues et sur les places publiques; elle peut m�me ynbsp;r�pandre la divine sentence avec la consolante certitude de trouver unenbsp;bonne terre pour la recevoir.
Tous les pr�dicateurs �taient des j�suites. Le soir m�me j�eus l�oc-casion de rencontrer un de ces religieux et je lui manifestai l��tonne-ment que m�avait caus� le singulier spectacle, dont j�avais souvent ou� parler, mais que je venais de voir pour la premi�re fois.
(c Ne craignez-vous pas, lui disais-je, d�exposer la parole sainte a la d�rision, et nos augustes v�rit�s au m�pris? D�ailleurs, quel fruit pou-vez-vous esp�rer de discours faits en pareils lieux, a de pareils auditeurs, et en pareilles circonstances? � Vous n��tes pas le premier anbsp;qui ces r�llexions soient venues. Les �trangers blAment volontiers cenbsp;qui n�est pas conforme aux usages de leur pays; et Ton dit ici que lesnbsp;voyageurs frangais ne sont pas les derniers � se faire remarquer parnbsp;eet esprit de critique dont la l�g�ret� est le moindre d�faut. Quant aunbsp;m�pris que vous redoutez, vous avez pu vous convaincre qu�il n�existenbsp;pas. J�ai souvent rempli la m�me fonction que nos p�res, et si j�avaisnbsp;apergu quelque marqu� de d�rision, je ne craindrais pas de vous lenbsp;dire. Chez nous, le respect pour la religion n�est pas encore un vainnbsp;mot: sera-t-il durable? Je l�ignore; mais jusqu�ici nous pouvons con-server nos usages h�r�ditaires sans craindre l�inconv�nient que vousnbsp;signalez. Vous me demandez ensulte quel fruit nous pouvons esp�rer
-ocr page 27-ISCHIA. � PKOCWA.
de ces pr�dications en plein venl? Le succ�s n�est pas noire affaire, on nous dit de pr�cher et nous pr�chons. Comme nos p�cheurs du golfe,nbsp;les p�cheurs �vang�liques jettent leurs filets un peu au hasard; quel-quefois on les retire vides, ma�s d�autrefois on y trouve de belles pieces ; l�esprit de Dien souffle o� � veut. Tel homme qui, sous un pve-teste OU sous un autre, ne viendrait pas a T�glise pour entendre unnbsp;sermon, s�arr�te en passant devant nos Palchi; � �coute, une bonnenbsp;pensee tombe dans son ceeur, el dans un temps donn� elle portera sounbsp;fruit; je vous parle d�apr�s Fexp�rience. 11 faut bien que cette experience soit fond�e, puisque nos plus grands saints de Rome et de Nanbsp;pies ont encourag� el pratiqu� ce minist�re populaire. Je ne vous ci-ferai que saint Alphonse, dont vous avez aujourd'hui visit� le tombeau.
Sur les traces de seinblables mod�les nous marchons avec confiance et cn connaissance de cause. Serez-vous assez obligeant pour le dire enbsp;notre part a quelques-uns de vos eorapatriotes? �
Je le promis au bon P�re et nous nous s�pararoes.
V MARS.
�schia. � Procida-. � V�pres Siciliennes. � Grotie d�Azur. � Capri. � Souvenirs de Tib�re. � Monte Solaro. � Souvenirs des Francais. � Salerne. � Tombeau de saintnbsp;Maltliieu,� De saint Gr�goire VII.�Amalfi. � Calb�drale.�Souvenirs historitiues.nbsp;Atrani. � Portes do San-Salvalore.�Sorrento.� Le Tasse. � Quisisaua. Castel-lainare. � Yierge de Pozzano. � Barque niarchande. � Pieux usage.
On trouve 4 Naples des bateaux a vapeur qui font en une journ�e le tour du golfe. Ils reldchent plusieurs fois et laissent aux passagersnbsp;le temps de voir les points remarquables de la c�te. De grand matinnbsp;nous nous embarquames sur un joli pyroscaphe qui, par exception,nbsp;devait parcourir le double golfe de Naples et'de Sorrento. On levanbsp;1 ancre au milieu des eris de joie d�un nombreux et brillant �quipage.nbsp;Afin d��viter toute r�p�tilion, je ne parlerai pas du spectacle enchan-teur dont Foeil jouit constammenl pendant le cours de cette d�licieuse
promenade.
Arriv�s en pleine mer, nous saluames, sur Ia gauche, Ischia et Pro-cida, iles moiti� grecques et moiti� romaines, qui se dessinent vers la pointe occidentale du cap Mis�ne. La premi�re compte vingt millenbsp;habitants. L�excellence de ses eaux thermales y attire un grandnbsp;nombre de malades, et l�amateur de paysages la visite pour jouir dunbsp;spectacle de ses vall�es pitloresques, de sa vegetation vigoureuse etnbsp;du pic de T�pom�e. Du haul de cette aiguille volcanique on a, dit-on.
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un coup d�oeil qui ne Ie c�de en rien h celui du Pic de T�n�riffe. Enfin Ischia, VInarima de Virgile et d�Hom�re, et la Pythecusa de Plinenbsp;et de Strabon, rappellent au p�lerin catholique la miraculeuse arriv�enbsp;de sainte Restitute, conduite k ces rivages par la main puissante dunbsp;Dieu des martyrs.
Au-dessus de Procida, plane une ombre sanglante, dont la \ue fait frissonner Ie voyageur francais. Du milieu de l�ile s��lancent les pansnbsp;d�labr�s de hautes et tristes murailles. Aujourd�hui simple rendezvous de chasse, ces ruines s�culaires furent jadis Ie redoutable manoirnbsp;du cruel Jean de Procida, seigneur de l�ile, et principal auteur dunbsp;fameux massacre de nos compatriotes, connu sous Ie nom de V�presnbsp;Siciliennes. Honor� de la confiance des rois de Naples, Jean de Procida fut disgraci� par Charles d�Anjou, et jura de se venger. M�decinnbsp;habile, il profita des relations nombreuses que lui procurait l�exercicenbsp;de son art, pour ourdir une vaste conspiration qui aboutit au carnagenbsp;des Francais, alors maitres de la Sicile. Afin qu�aucune victime nenbsp;put �chapper, les conjur�s faisaient r�p�ter � toutes les personnesnbsp;qu�ils rencontraient Ie mot cicerone, dont la prononciation difficilenbsp;trahissait l��tranger qui �tait sur-le-champ mis a mort. Commenc� knbsp;Palerme, Ie jour de P�ques, a Tissue des V�pres, Ie massacre fut sinbsp;complet, qu�il enlraina la chute de la domination frangaise: c��taitnbsp;Tan 1284. L�ile de Procida ne compte que douze mille habitants; ellenbsp;jouit n�anmoins d�une certaine c�l�brit�, due a Thabilet� de ses ma-rins et i� la beaut� de ses faisans.
Pendant que nous tenions les regards fixes sur ces deux oasis de la mer, Ie pyroscaphe marchait de toute la force de sa vapeur ; bient�tnbsp;on signale la Grotte d�Azur. Un bateau plat se d�tache de la rive etnbsp;vient prendre les voyageurs, curieux de visiter Ie ph�nora�ne souterrain. Grace i un vent d�ouest qui agita les flots jusque la fort tran-quilles, nous fumes jet�s sans accident amp; Touverture de la grotte. Sousnbsp;une voute tr�s-�lev�e, d�o� pendent par milliers de gracieux stalactites,nbsp;est un lac d�environ trente m�tres de circonf�rence sur quatre de pro-fondeur. L�eau, les rochers, Ie sable, les coquillages, tout parait d�unnbsp;bleu d�azur; tandis que la transparence de Teau est si parfaite qu�onnbsp;croit pouvoir prendre avec la main les coquillages dont les formesnbsp;vari�es se dessinent gracieusement au fond du lac ; tel est Ie ph�no-m�ne que Toeil admire, et que la science explique ou croit expliquernbsp;par des raisonnements dont Ie simple expos� m�entrainerait trop loin.
Apr�s la Grotte d�Azur, Tile Capri vint appeler notre attention. Je ne sais quel mouvement de peur et de piti� on �prouve en foulant
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mokte SOLMlO.
jaUl.TA�:' nbsp;nbsp;nbsp;�-----
poor la premi�re fois la trop c�l�bre Capr�e ; la sinistre image de Tib�re vous suit partout. A.U sommet d�un l�ger monticule on voit esnbsp;ruines bien conserv�es du palais de ce prince. Les mosaiques, lesnbsp;riches ornements, les thermes somptueux, redisent imparfaitement lanbsp;vie souill�e du maitre du monde; plus �loquent est Ie rocher solitairenbsp;sur lequel �tait assis Ie donjon imp�rial. D�une voix que les si�clesnbsp;n�ont pu affaiblir, il accuse la sombre d�Bance et les basses cruaut�snbsp;du fils de Livie. Pour lout dire en un mot, Capr�e, ile voluptueuse
et inabordable, devait �lre la demeure de Tib�re.
L histoire a pris soin de justifier cette induction. Je me rappe ais ce passage ou Su�tone et Tacile raconlent que Tib�re, faligu� de lanbsp;contrainle que lui imposait Ie s�jour de la capitale, quitta Rome pournbsp;n�y jamais rentrer. II fit d�fendre par un d�cret affich� publiquement,nbsp;a quiconque de venir troubler son repos. Environn� de soldals quinbsp;emp�chaient de l�approcher, il se promena longlemps dans des heuxnbsp;�cart�s de la Campanie; mais nulle part il ne trouva une solitu enbsp;assez profonde. G�n� par la vue des hommes et des villes, il abandonnanbsp;la terre ferme et passa dans 1�ile de Capr�e ; aucun s�jour ne pouvaitnbsp;mieux lui convenir. Entour� d��cueils, Capr�e n�est accessible que parnbsp;un seul endroit, tellement que personne ne peut y aborder sans �trenbsp;vu; du reste, c�est une demeure d�licieuse. Abrit�e contre les ventsnbsp;du nord, elle est rafraichie pendant l��t� par une brise parfum�e. Lenbsp;golfe de Naples est en perspective et les voyageurs s�accordent encorenbsp;a regarder le coup d�oeil dont on jonil du Monte Solaro, comme lenbsp;plus beau de toute ITtalie. Tib�re y fit balir douze palais magnifiques,nbsp;qui devinrent douze maisons d�incroyables d�bauches, et douze pr�-toires sanglants, d�o� parlirent pendant onze ann�es des arr�ts denbsp;proscription et de mort (i).
Le farouehe empereur se trouvait done h l�aise, paree que, s�par� du reste du monde, il pouvait se livrer sans contrainte a ses vicieuxnbsp;penchants. Tel est, ajoutenl les bistoriens, le motif de la pr�f�rencenbsp;qu il donna au s�jour de Capr�e. Entr�autres preuves, Su�tone rap-porte l�avenlure d�un malheureux p�cheur, qui nous revinl � la m�-moire, Ce brave homme ayant p�ch� un beau surmulet, sa premi�renbsp;pens�e est de l�offrir a 1�empereur; il grimpe par des rochers fortnbsp;escarp�s et se pr�sente inopin�ment k Tib�re, Irril�, effray�, ce princenbsp;fait saisir le malheureux p�cheur, et ordonne qu�on lui froUe le visagenbsp;avec son poisson. Pendant qu�on ex�cute l�ordre tyrannique.le p�cheurnbsp;se f�licite hautemeni de n�avoir pas apport� une grosse �crevisse de
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rner qu�il avait prise avec Ie surmulet; Ie barbare empereur profile de l�avis pour augtnenler la rigueur du supplice. II envoie cherchernbsp;r�crevisse et, la substituant au surmulet, il fait mettre Ie visage dunbsp;p�cheur tout en sang (i).
Mi'
Selon l�invariable conduite de la Providence, Pile de Capr�e, souill�e de tant de crimes, devait �tre purifi�e. EUe Ie fut, elle Pest encorenbsp;par Ia pr�sence s�culaire de saints religieux, et par une notable partienbsp;des reliques de Pillustre vierge et marlyre, sainte Agathe (2). Un autrenbsp;rapprochement se pr�sente au voyageur francais ; Capri lui rappellenbsp;un des plus glorieux exploits de nos compatriotes. De victoire en vic-toire, Murat venait de monter sur Ie tr�ne de Naples; tout Ie pays luinbsp;ob�issait amp; Pexception de Pimprenable Capri. Murat ordonne au g�-n�ral Lamarque de r�duire cette forteresse. Lamarque part avec 1600nbsp;hommes d��lite, el, apr�s des prodiges d�audace, il force les assi�g�snbsp;a capituler. A cette occasion Salicetti, ministre de Naples, �crivait denbsp;Capri : � J�y ai trouv� les Francais, mais je ne puis croire qu�ils ynbsp;soient entr�s. � Or, celui qui d�fendait ce nouveau Gibraltar, �lait Ienbsp;futur ge�lier de Sainte-H�l�ne, sir Hudson-Lowe!
Nous doublames rapidement Ie cap Campanella, et quelques heures suffirent pour nous rendre au rivage de Salerne. Voyez cette villenbsp;d�environ douze mille ames, gracieusement assise sur Ie penchant desnbsp;montagnes, dominant Ie golfe qui porte son nom. Ses rues irr�guli�-res, �lroites, pav�es de dalles du V�suve, ses �difices aux murs bario-l�s, semblent indiquer une ville moderne et d�une importance secondaire; pourtant c�est l�antique Salernum, la fille des Grecs, l�esclavenbsp;des Domains, des Lombards et des Normands; la cit� savanle dontnbsp;l��cole m�dicale est connue du monde entier. Mais Ie temps et lesnbsp;hommes, plus redoutables que Ie temps, ont mutil�, chang� son antique physionomie. L�Universit� existe encore, mais elle ne jette plusnbsp;d��clat; et les aphorismes pr�cieux de l��cole de Salerne ont �t� tra-duits en vers burlesques (3).
La cath�drale, gothique d�origine, est toute moderne par les orne-ments et les decorations de l�artiste san Felice. Ce qui reste k Salerne, c�est la gloire de poss�der Ie corps de l�ap�tre saint Matthieu et dunbsp;pape saint Gr�goire VIL Rapport�es du pays des Parthes, o� Ie p�-
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Sliet., lib. LX.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;S. Greg., lib. i, Epist. 54, ad Jo. Episc. Surrentinnm.
(5) Ils lurent �crits cn vers latins au commencement du xii� si�cle par Jean de Milan, en faveur de Robert, due de Normandie. Ce po�me dont il ne reste que Ie tiers (373 versnbsp;sur 1239) a �t� travesti en vers burlesques par L. Martin, en 1633.
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TOMEEAU DE GREGOIEE VH.
o.heur �vang�lique avail tendu ses filets et termin� sa carri�re, les reliques de saint Matthieu furent d�pos�es a Salerne, l�an 1080. Lanbsp;reconnaissance authentique de ce pr�cieux tr�sor eut lieu par les soinsnbsp;de l��v�que Alfano. Ce pr�lat �crivit en cette occasion une �loquentenbsp;lettre au pape saint Gr�goire VU, que Baronius a pris soin de nousnbsp;conserver avec la r�ponse du Souverain Pontife (i). Appuy� sur cenbsp;double t�nioignage que justifie la constante tradition et 1��clat des miracles, Ie voyageur calholique se prosterne respectueusement devantnbsp;Ie tombeau du glorieux Ap�tre, et il ne se rel�ve que pour r�pandrenbsp;son amp;me devant une autre tombe �galement illustre.
Lans la m�me �glise est Ie mausol�e du pape saint Gr�goire quot;Vil. Lne statue de marbre repr�sente l�illustre Pontife debout, dans unenbsp;attitude pleine de force et de majest� ; on croit voir encore Ie Moisenbsp;du moyen Sge, prot�geant Israel contre les fureurs arabitieuses desnbsp;Pharaons du Nord. Son histori�n protestant nous dispense de r�pon-dre aux plates invectives lanc�es, par certain guide en Itali�, contrenbsp;Ie saint Pontife qui, par douze ann�es de luttes continuelles, conquitnbsp;la libert� de P�glise et sauva la soci�t�. On aime a voir reposer, 1 unnbsp;�upr�s de Pautre, saint Matthieu qui mourut martyr pour avoirnbsp;pr�ch� 1��vangile; et saint Gr�goire VII, qui mourut en exil pournbsp;avoir soutenu l��difice �branl� de la religion (2) ; m�mes combats,nbsp;m�me gloire. Pour continuer Ie triomphe de saint Matthieu sur Ie paganisme, de nombreuses colonnes de vert antique et d�autres marbresnbsp;pr�cieux, enlev�s aux temples de PcBstum, d�corent la cath�drale;nbsp;tandis que la victoire immortelle de saint Gr�goire VU, contre les op-presseurs de P�glise, est rappel�e dans une inscription contemporaine. Sur un bas-relief antique, servant d�ornement au tombeau dunbsp;cardinal Caraffa, Pami et Padmirateur du puissant Pontife, on lit cesnbsp;mots qui font allusion a la statue dont j�ai pari� : Hic mortuus jacerenbsp;delegit vivus, ubi Gregorius septimus Pontifex maximus Ubertatisnbsp;ejusdem (ecclesiastical) vigil assiduus excubat adimc, licet cubet (s).
Nous quittames Salerne pour nous rendre � Amalfi. L�Ath�nes du moyen el Ig rivale de Venise par P�tendue de son commerce,nbsp;n est aujourd�hui qu�un pittoresque village. Au souvenir de tanl de
Cd Annal. t. xi, an. 108O. C. D.
(2)� Dilexi jusiitiam et odWi iniquitalem, propterea motiot in exllio; � telles furent les derni�res paroles de ce grand pape.
(5j � Vivant, il voulut reposcr apr�s sa mort la o� Gr�goire VII, Souverain Pontife,
gardien vigilant de la libert� de 1��glise, la prot�g� encore debout, quoique couch� dans la tombe. �
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gloire �clips�e, c�esl � peine si on peut admirer les beaut�s ravissantes du paysage, les bois de myrtes et d�oliviers, les grottes, les ruines, lesnbsp;blanches maisons autour desquelles serpentent les ceps tortueux de lanbsp;vigne et les branches dor�es de l�oranger. Balie sur remplacementnbsp;d�un temple pa�en, la cath�drale est la seule trace de magnificence denbsp;l�ancienne Amalfi. Nous y vimes deux belles colonnes de granit rouge,nbsp;deux sarcophages antiques, un bas-relief de sculpture grecque et unnbsp;vase antique de porphyre servant de baptist�re. Mais elle poss�de unnbsp;tr�sor qui vaut mieux que toutes les richesses de Tart: dans un superbe tombeau repose Ie corps de l�ap�tre saint Andr�. C�est Ie cardinal Pierre de Capoue, qui, apr�s la prise de Constantinople par lesnbsp;Francais, l�apporta en Itali� et Ie d�posa dans la cath�drale d�Amalfi (i).nbsp;Comme ceux d��Iis�e, les ossements de l�Ap�lre proph�tisent; il ennbsp;sort une vertu miraculeuse qui gu�rit les malades et une voix qui r�-p�te les immortelles paroles du Martyr en voyant sa croix ; � Je tenbsp;salue, croix pr�cieuse, croix si longtemps d�sir�e. Regois-moi dans tesnbsp;bras, et pr�sente-moi � mon Seigneur. �
Bien qu�elle ne soit plus qu�une ombre d�elle-m�me, Amalfi exerce encore une grande influence sur Ie voyageur par ses nobles souvenirs,nbsp;et sur Ie monde par une d�couverte fameuse dont elle fut Ie th�amp;tre.nbsp;En 1020, ses riches navigateurs fondirent a J�rusalem un h�pital quinbsp;fut l�origine de l�ordre a jamais illustre des chevaliers de Malte. Troisnbsp;si�cles plus tard, un autre navigateur d�Amalfi, Flavio Gioia, inventanbsp;laboussole(2).Merveilleux g�nie de l�homme! Une aiguille aimant�eestnbsp;devenue la clef qui ouvre l�pnivers, et un peu de vapeur l�agent irresistible qui rapproche toutes les distances. Pour apprendre � la pos-t�rit� que la boussole �tait due a un sujet du roi de Naples, alorsnbsp;cadet de Ia maison de France, Gioia marqua Ie nord avec une fleur denbsp;lys. Get usage est encore imit� par toutes les nations qui fort heureu-sement pour notre gloire en ont oubli� l�origine. Immortalis�e parnbsp;l�invention de la boussole, Amalfi peut dormir en paix dans la tombenbsp;sanglante que lui creus�rent les Pisans. Toutefois elle poss�de unnbsp;autre litre au souvenir de la post�rit� ; dans ses d�combres fumantesnbsp;on trouva les Pandectes de Justinien, qui, sauv�es de la destruction,nbsp;donn�rent une si heureuse impulsion � l��tude du droit Romain.
A peu de distance d�Amalfi, nous traversSmes presque au pas de course Ie petit village d�Atrani, patrie de Mazaniello; il nous fut seu-
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Ughelli, Italia sacra, t. viii.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;On a pr�lendu que la boussole a �t� invent�e par les Chinois; cette opinion sentnbsp;un peu Irop la philosophic pour �lre probable.
-ocr page 33- -ocr page 34-50 nbsp;nbsp;nbsp;LES TBOIS ROME.
allions quitter pour longtemps!... pour toujours!... adieu au Toledo; adieu a la Speranzella! adieu bienl�t � Naples. Adieu', ce mot revientnbsp;chaque jour en voyage ; mot plein de m�lancolie, qui nous rappelle,nbsp;malgr� nous, que l�homme ici-bas n�est qu�un �tre d�un jour, devantnbsp;qui tout passe comme une ombre vaine, et qui passe lui-m�me, lais-sant a peine quelques traces, bienl�t effac�es, de son rapide passage.nbsp;D�ja nous �tions sur Ie quai de Chiaja, attendant un voyageur retar-dataire. Les lazzaroni, qui, les premiers, avaient salu� notre arriv�e,nbsp;assistaient les derniers a notre depart. Ils sortaient par groupes, et senbsp;rendaient au port, au march�, sur les places, partout o� leur industrie pourrait s�exercer.
I lii
Un d�entre eux, grand jeune homme aux allures d�gag�es, amp; la phy-sionomie sup�rieurement mimique, vint � la porti�re, salua respec-tueusement nos Excellences, et nous fit mille souhaits de bon voyage et d�heureux retour aupr�s de nos p�res, de nos m�res, de nos fr�res,nbsp;de nos soeurs, de nos a�eux jusqu�a la quatri�rae g�n�ration. Pour toutnbsp;cela, que deraandait-il? une simple boUiglia. Ajoutez qu�il nous ex-primait sa pri�re, non en paroles, mais par des gestes tellement po�-tiques, qu�ils valaienl dix fois raieux que l�objet de demande. Nous Ienbsp;lui donnames de grand coBur, je dirais m�me avec un sentiment marqu� de reconnaissance. Voici pouiquoi; en partanl de Rome, on nousnbsp;avail annonc� que nous ne sortirions pas de Naples sans �tre vol�s. Anbsp;entendre les mauvaises langues, on ne pouvait parcourir les rues na-politaines sans coudoyer des filous, et, a moins d�attachcr son foulardnbsp;dans la poche, il �tait impossible d�en rester possesseur pendant unenbsp;journ�e. Ces propos ressemblaient trop aux r�cits de certains guides en Itali�, pour ne pas les trouver au moins �tranges. Mes jeunesnbsp;amis pari�renl pour la probit� des lazzaroni : l�enjeu consisla en deuxnbsp;bouteilles de Champagne, payables it Rome, si nous revenions avecnbsp;acmes et bagages ; or, Ie pari �tait gagn�. Nous avions visit� Naplesnbsp;dans tous ses quarliers; nous n�avions ni attach� ni each� nos foulards,nbsp;et, en faisant nos malles, tous avaient r�pondu � l�appel; enfin nousnbsp;�tions bien et dument ferm�s dans la voiture de voyage : partant plusnbsp;de danger. Comment ne pas accueillir gracieusement Ie lazzarone etnbsp;ne pas donner de quoi boire un fiasco de son vin sucr�, a celui dontnbsp;la probit� nous valail deux bouteilles de vin de Champagne?
Pendant qu�on stalionnait amp; la barri�re pour remplir les derni�res formalit�s de police, j�examinais ces lazzaroni, group�s autour de notrenbsp;�quipage. Vrais Ills des �trusques et des Grecs, venus sur ces hords ilnbsp;y a deux mille cinq cents ans, ils onl conserv� en grande partie el Ie
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costume, et les habitudes, et les gouts de leurs aieux. Croirait-on qu�ils portent encore le bonnet phrygien, tel que s�en �taient affubl�snbsp;nos classiques d�magogues de 93? Ce bonnet de laine rouge s��l�venbsp;en forme conique et retombe par-devant, ou par-derri�re, ou sur I�o-reille, suivant le caprice ou la inode. Bien aveugle qui n�y verrait pasnbsp;line preuve sans r�plique de la t�nacit� des habitudes populaires;nbsp;Naples en fournit bien d�autres dont plusieurs raerevinrent 4 la pen-s�e. On sail que les Remains pavaient leurs voies de larges dalles, etnbsp;ils couvraient de peintures a fresque toutes les parties de leurs ha-Ijitations. Pomp�i est un monument irr�cusable de ce double fait. Or,nbsp;vous voyez encore les rues de Naples et les grandes routes qui vien-nent y aboulir, pav�es de la m�me mani�re ; le badigeon remplacenbsp;dans les habitations les plus pauvres les fresques antiques. Le langagenbsp;figur� des Campaniens (i), la forme des raagasins, le genre de Tie etnbsp;de culture, le dirai-je? la soif des plaisirs et m�me du sang, sont au-tant de t�moignages qui ne sauraient �chapper a I�oeil exerc� de 1 ob-
servateur.
A la vue de cette �tonnante fid�lit�, on ne peut s�erop�cher de se dire a soi-m�me ; � Si Thorame tient avec tant de force a des habitudes puremenl mal�rielles, que l�exp�rience, la mode, nne connais-sance plus approfondie de. son bien-�tre, tendent sans cesse a modifier : avec quelle �nergie ne devait-il pas tenir, il y a dix-buit si�cles,nbsp;a des habitudes morales, ch�res d ses passious, fortifi�es par l��duca-tion et consacr�es par la religion m�me? Si, approfondissant cettenbsp;pens�e, on r�fl�chit au caract�re et au temp�rament de ce peuple, h lanbsp;nature du climat et a la magnificence du pays qu�il habite, le miraclenbsp;de sa conversion au chrislianisme grandil dans des proportions im-meuses. Ces proportions atteignent l�infini quand on ajoute : Et pour-tant le cbristianisme a chang� les habitudes, les croyances, les lois elnbsp;les usages non-seulemenl des Napolitains, mais de tons les peuples'.
Mal conduits par un voituriii maussade, nous n�arriv�mes a Capone qu a onze heures. Les chevaux, d�ja vieux et us�s de longue main parnbsp;la fatigue, refusaient de marcher ; continuer avec un semblable �quipage, c��iait nous exposer a Voute esp�ce de d�sagr�ments, dont lenbsp;moindre �tait de coucher � la belle �toile. Nos craintes �taient d�au-lant mieux fond�es que nous devions relourner h Rome par la routenbsp;difficile et presque d�serte des Abruzzes et du mout Cassin. Nous into Tout le monde salt que rilluslre chanoine de Jorio a relrouv�, dans la mimiquenbsp;du peuple de Naples, l�explicalion 1'ort naturelle des figures el des embl�mes peints
sur les vases �trusques.
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vitftmes Ie conducteur a nous donner des chevaux frais, ou du moins a prendre un cheval de renfort, ainsi que nous �tions convenus. II re-fusa s�chcnienl; nous portdmes plainte au Podestd, qui fit venirnbsp;notre autom�don. Les parties entendues, Ie juge nous donna gain denbsp;cause, et termina son verdict par ces mots : � Ces messieurs sont pr�-tres, ils mcritent toute conflance; toi, tu es un vaurien. � A quoi Ienbsp;voiturier r�pondit ; � Mais s�ils sont pr�tres, je suis clir�tien, moi ;nbsp;Se sono sacerdoti, sono cristiano, io. � Birbante, reprit Ie juge,nbsp;tais-toi, et fais ce que je te commande. � Nous e�mes un chevalnbsp;de plus.
A trois milles de Capoue, la route bifurque. De ses deux prolonge-ments, Fun sedirige vers Rome par Mola et Terracine; nous I�avions suivi en venant amp; Naples. L�autre, qui tourne sur la droite, conduit anbsp;Aquila par Isernia et Venafro. Au point de section, s��l�ve, parmi desnbsp;ruines, un bourg insalubre et malpropre ; c�est tout ee qu�il reste denbsp;Fancienne Calvi, cit� jadis c�l�bre, dont Ie vin, chant� par Horace,nbsp;�galait celui de Falerne. La nouvelle route que nous avions prise traverse constamment des plaines bord�es a droite par une chaine denbsp;montagnes bien cultiv�es; mais la raret� des habitations r�pand surnbsp;ces lieux une certaine Iristesse et inspire presque de Feffroi. II �taiinbsp;nuit close lorsque nous arrivames i une auberge isol�e, appel�e, jenbsp;erois, Ponte-Storto.
Si les relations des voyageurs en Orient sont fid�les, nous pouvons nous flatter d�avoir vu un veritable caravans�rail; maison compl�le-ment solitaire, �tablie sur Ie bord d�un chemin; vaste cour carr�e,nbsp;semblable au cloitre d�un couvent, moins F�l�gance des portiques;nbsp;locanda ouverte aux quatre vents, et peupl�e passag�rement de toutenbsp;esp�ce d�horames et de quadrup�des, anes, chevaux, boeufs, bullies etnbsp;mulets : il ne manquait que Ie droraadaire. Nous y trouvftmes cent anbsp;cent cinquante conscrits; les uns, rang�s autour d�un large foyer,nbsp;gardaient tristement Ie silence; pauvres jeunes gens, ils pensaientnbsp;peut-�tre ft leurs m�res! les autres assis i� de longues tables, devi-saient du pays, portaient de bruyantes sant�s, ou pr�taient Foreille aunbsp;sergent recruteur, vieux soldat qui en avait plus d�une a raconter.nbsp;Parmi nos compagnons de voyage, se trouvait un jeune peintre �cos-sais. Le spectacle de cette sc�ne faiblement �clair�e par les Hammes dunbsp;foyer presque �teint, lui parut digne de son crayon; il est dif�cile,nbsp;vraiment, m�me en Itali�, de trouver des sujets plus pittoresques. Dunbsp;souper qu�on nous servit, je n�ai rien � dire, attendu qu�il nous fut anbsp;, peu pr�s impossible d�y toucher. Les provisions avaienl �l� �puis�es
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les�ants�res;;;s;;us:et par le mouvement sacca�e qui re^
i tomes les parlies de la locanda, jusqu�^ la pointe du ]0 nbsp;nbsp;nbsp;�
t nas rncp flanc Ip.ft vovafices!
par nos nombreux devanciers; et malgre noire h�lesse, excelleate femme d�aiileurs, il nous fallut subir 1�adage : Tarde mmenhbmnbsp;ossa. Quant au sommeil, m�me silence; il fut tenu pendant toute lanbsp;nuit, k line distance plus que respeclueuse, par le bruit conlmuel desnbsp;chariots, par les cris des muletiers qui arrivaient ou qui partaient,nbsp;par les ebanis des conscrils, el par le mouvement saccad� qui r�gnanbsp;dans toutes les parties de la locanda, jusqu�^ la pointe du jnbsp;pas rose dans les voyages!
5 MARS.
- Souvenir.
San-Germano. � Ruines. � Mout-Cassin. � �glise. � Biblioth�que.
Anecdote. � Il�tel dell� Amalfi.
Avant I�aube du jour nous �tions sur la route de San-Germano el du Mont-Cassin ; m�me paysage que la veille. Seulement la vall�e senbsp;resserre, et de distance en distance on voit de pelits villages, ou plut�tnbsp;des groupes de maisons blanches suspendues au flanc des montagnes,nbsp;comme les nids d�hirondelles aux murailles noircies d�un vieux chateau. Le temps �tait superbe, et d�ja si doux que l�innocente aloueltenbsp;chantail au-dessus de nos t�tes le retour du printcmps. Quelle diff�-rence entre ses gracieux accords et les cris sauvages et le tumulienbsp;horrible qui �branl�rent tant de fois les �chos de Ia vall�e solitaire!
Ici pass�rent tour tour, eu vainqueurs et en vaincus, les Samnites, les Romains, les Lombards, les Sarrasins, les Normands; el le sol couvert de ruines montre encore l�esprit de destruction dont ils furent
anim�s.
San-Gerraano, que nous d�couvrimcs au d�lour de la vall�e, en offre une premi�re preuve. Ce bourg �l�gant, bati en 866, par Ber-taire, abb� du Mont-Cassin, s��l�ve sur les ruines de 1�ancienne Cassi-num. Ville importante des Samnites, Cassinum devint la conqu�te desnbsp;Romains, puis la proie des Barbares. De son antique splendour il nenbsp;reste que des souvenirs, quelques colonnes de granit plac�es dansnbsp;r�glise de Saint-Germain, et un amphith�filre assez mal conserv�.nbsp;Ummide Quadratilla le fit construire a ses frais et le donna aux habitants. Quelques si�cles plus tard, cette femme aurait poul-�lre prodi-gu� sa fortune � bfitir des b�pitaux : voyez pourtant rin�uence desnbsp;doctrines religieuses! Quoi qu�il en soit, I�inscriplion qui rappelle la
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fondation du sanglant �difice se conserve au Mont-Cassin. Elle est ainsi congue :
I
VMMIDA c. r.
QVADRATILLA AMPHITHEATRVM ETnbsp;TEMPLVM CASINATIRVSnbsp;SVA PECVNIA FECIT.
Quant au temple pa�en dont la m�me inscription r�v�le l�existence, il n�en reste pas de vestiges.
Apr�s un frugal d�jeuner, nous descendiraes dans la cour de 1�Al-bergo, o� nous attendaient les pacifiques montures qui devaientnous porter au monast�re, assis sur Ie sommet de la montagne ; ces montures, ne vous en d�plaise, �taient des �nes. Pas de moqueries, s�ilnbsp;vous plait; qui que vous soyez, philanthropes, touristes, amateurs,nbsp;ramp;ne doit vous �tre respectable. II est Ie cheval du pauvre et presquenbsp;toujours la monture oblig�e du p�lerin des montagnes : un jour peut-�tre vous reconnaitrez que ses humbles services �galent souvent ceuxnbsp;des coursiers du d�sert. Notre caravane se composait d�Europ�ens elnbsp;d�Am�ricains : les deux mondes s��taient donn� rendez-vous pournbsp;faire ensemble un p�lerinage � l�antique sancluaire de la science et denbsp;la civilisation. Vu du bas de Ia montagne, Ie monast�re du Mont-Cassin pr�sente l�aspeet s�v�re d�une citadelle. Ses larges vo�tes, sesnbsp;hautes murailles, et tout eet appareil de Ia force ne sont que tropnbsp;justifi�s par les circonstances qui accompagn�rent sa fondation et parnbsp;les �v�nements dont il fut Ie theatre durant les premiers si�cles denbsp;son existence.
Au pied de cette montagne, dont la cime �lanc�e domine toutes les montagnes d�alentour, arrivait, en 529, un homme jeune encore : ilnbsp;s�appelait Benoit. V�tu d�une longue robe noire, un baton � Ia main,nbsp;il vient seul, � pied, du d�sert de Subiaco : mais o� va-t-il? Lui-m�menbsp;peut-�tre il l�ignore. Tout ce qu�il sait, c�est qu�il va, comme ce con-qu�rant fameux, o� Dieu Ie pouamp;se, quo Deus impulerit. En effet,nbsp;Dieu Ie conduit par la main; car une grande mission lui est confi�e.nbsp;Au temps o� il traversalt solitairement les profondes yall�es de l�A-pennin, on entendait, d�une part, Ie bruit de l�empire remain quinbsp;tombait avec fracas sous les coups r�p�t�s des barbares; de l�autre,nbsp;les cris sauvages de nouvelles hordes accourant du fond de l�Asie pournbsp;partager les lambeaux sanglants du vaste colosse ; la destruction mar-chait � leur suite, partout o� elles avaient pass� r�gnait Ie silence des
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I'! I'
orner de milliers de vignettes plus po�tiques et plus brillantes les unes que les autres, ces �noruies feuilles de v�lin dont Ie d�velop-pement couvrirait peut-�tre Ie tiers ou Ie quart d�un arpent denbsp;terrain.
Au-dessus de la crypte ou Soccorpo dans laquelle sont les tombeaux de saint Benoit, de sainte Scholastique, de saint Maur et de saintnbsp;Placide, s��l�ve Ie maitre-autel, tout resplendissant de marbre, denbsp;pierres pr�cieuses, d�albatre, de vert et de noir antiques, de lapis-lazuli et de brocatelle. La tombe qui renferme Ie corps du fr�re et denbsp;la soeur, porte cette belle inscription ;
BENEDICT. ET SCHOLSAM UNO IN TERRIS PART� EDITOS,
CNA IN DE�M PIETATE COELO REDDITOS �N�S IIIC EXCIPIT TUMULUS,
MORTALIS DEPOSITI PBO .ETERNITATE CUSTOS.
Les chapelles lat�rales,ainsi que les mausol�es du prince de Mignano el du jeune Pierre de M�dicis, sont d�une bonne architecture et d�unenbsp;rare magnificence. Toutefois ces beaut�s ext�rieures ne sauraient fairenbsp;oublier a l�dme chr�tienne la saintet� s�culaire du lieu qu�elle visite.nbsp;Chaque autel, chaque tableau, chaque sculpture lui rappelle quelquenbsp;trait d�une vie h�ro�quement chr�tienne. De toutes parts une nu�e denbsp;saints la contemple, et la basilique tout enti�re serable retentir encore des voix males el uombreuses de ces fils de la solitude, dont lesnbsp;accents, partis du sommet de la montagne, �levaient jusqu�au ciel lesnbsp;soupirs de leurs fr�res errants au-dessous d'eux dans la vall�e desnbsp;larmes.
It.',
De l��glise, nous pass�mes dans l�int�rieur du couvent, conduits par l�aimable et savant archiviste. A P�inotion religieuse, produite par lanbsp;visite de l��glise, l�int�rieur du couvent vient m�ler d�int�ressantsnbsp;souvenirs. Essentiellement conservateurs, les anciens ordres religieuxnbsp;sont dans leurs habitudes, leurs langages, leurs costumes et m�menbsp;dans la disposition de leurs demeures, les t�moins fid�les d�un mondenbsp;qui n�est plus. Chaque couvent de b�n�dictins, en particulier, est unenbsp;page de l�histoire ancienne, non-seulement pour Ie chr�tien, mais encore pour Ie philosophe et souvent pour l�artiste.
It.quot;
(( L�architecture des monast�res, �crivait 1�abb� Fleury, est celle de la maison romaine. � La v�rit� de cette observation est si frappante
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DtbUAU nbsp;nbsp;nbsp;---
au Mont-Cassin, que ie voyageur tant soit peu altenlif ne saurait s j m�prendre. � Le monast�re'du Monl-Cassin, dit un de nos guidesnbsp;francais, -v�ritable colonie religieuse et savante, r�unissait dans sonnbsp;enceinte tous les arts, m�tiers et professions, log�s a leur aise dansnbsp;des batiments s�par�s. De m�me que chez les anciens, si la partie pu-Ijlique. de la maison �tait grande, et la partie priv�e petite; ainsi dansnbsp;le couvent, le vestibule, les portiques, la salie du chapitre, le r�lec-toire, tout ce qui sert h la communaul�, est vaste et magnifique. Lanbsp;soci�t� seule compte, l�individu disparait; et la celluie de 1�abbaye nenbsp;lienl pas plus de place que la chambre de Pomp�i. Les monast�resnbsp;seuls avaient perp�tu� ces v�n�rables coutumes de 1 antiquii�, si op-pos�es aux moeurs et aux usages de quelques �poques modcrnes, o�nbsp;les besoins et les jouissances de Thomme se sont �tendus et multipli�snbsp;mesure que l��tat el la soci�t� se rappetissaient. �
La bibliolh�que, belle et vaste piece, orn�e des statues des grands hommes de l�ordre de Saint-Benoit, contient vingt mille volumes.nbsp;Quelle que soit la rarel� de ces ouvrages, les manuscrits forment lanbsp;veritable richesse de ces pr�cicuses archives. On y compte buit centsnbsp;dipl�mes originaux, donl plusieurs vemontent au ix� si�cle.
Apr�s nous avoir pari� des travaux du c�l�bre P. Frangipani sur saint Augustin, et montr� les volumincux manuscrits d�ouvrages tropnbsp;l�g�remenl attribu�s � ce grand docleur, notre aimable guide ouvritnbsp;une armoire, en disant; � Voici qui n�est pas de 1��v�que d�Hippone;�nbsp;et nous avions entre les mains une lettre originate du terrible Mahomet II, au pape Nicolas Y. Le sultan pric le Pape de faire cessor lesnbsp;armements des princes chr�tiens contrc les Turcs. Le laste orientalnbsp;respire tout entier dans les premi�res lignes de cette pi�ce : � Roi desnbsp;rois, seigneur des seigneurs, Machabelh, amiral, grand-sullan B�gri,nbsp;fils du grand sultan Maralh, serviteur des sept Musaphy, donne lenbsp;salut dont il est digne, � Nicolas, vicaire de J�sus-Chrisl, crucifi� parnbsp;les Jnifs. � croit-on pas entendre Nabucliodonosor? La r�ponse dunbsp;Souveraiu Ponlife, jointe a la lettre du sultan, commence ainsi : � Nicolas, Serviteur des serviteurs de Dieu, salue cordialement Machabelh,nbsp;seigneur des Turcs et prince des infid�les. ygt; Quel contraste! Le Papenbsp;entre ensuite dans le d�tail des griefs du monde chr�tien conlre Ianbsp;puissance oitomane, et d�clare avec une grande �nergie que les feintesnbsp;promesses du sultan ne lui feront pas prendre le change. Pourquoinbsp;les detracteurs de la papaut� ne vout-ils pas fouiller nos vieillcs archives?
Ce qne nous visiiamcs ensuite, p�nctr�s d�un respectueux amonr,
-ocr page 42-58 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
est la chapelle �troite et basse qui fut la celluie de saint Benoit, �ne belle peinture repr�sente Ie v�n�rable patriarche contemplant I�timenbsp;de sa soeur ch�rie qui s�envole au ciel sous la forme d�une colombe.nbsp;Sortis des cloilres, nous voul�mes parcourir les environs du couvent,nbsp;moins pour jouir du vaste horizon que l�oeil peut h peine embrasser,nbsp;quo pour glaner quelques-uns des nobles souvenirs dont cette terrenbsp;abonde ; il en est deux surtout qui saisissent Ie voyageur francais.
A l�ombre de ces grands murs, sur un large lapis de vert gazon, aux bords de ces bois de ch�nes et d�oliviers sauvages, s��battaient,nbsp;il y a six on buit si�cles, des troupes s�millantes de jeunes enfants :nbsp;joyeux �coliers, lils des grands seigneurs du pays, que leurs parentsnbsp;confiaient aux religieux de Saint-Benoit pour en faire des hommes, etnbsp;des hommes comrae on l�enlendait alors. Une �ducation s�v�re etnbsp;chr�tiennement intelligente disciplinait ces jeunes ,'\mes, les trempaitnbsp;fortement, et les armait de toutes pi�ces pour les grandes luttes de lanbsp;vie. II faut bien Ie reconnaitre, Ie moyen age, avec ses allures moiti�nbsp;chevaleresques, moiti� monastiques, et toujours profond�ment em-preintes d�un double caract�re de religion et de grandeur, fut, ennbsp;bonne partie, l��l�ve desB�n�dictins. Au nombre de ces nobles �coliersnbsp;Ie Mont-Cassin montre avec un orgueil paternel Ie jeune Thomas, filsnbsp;du comte d�Aquino, dont Ie chateau est situ� dans Ie voisinage. A l�Agenbsp;de cinq ans, lui aussi jouait sous les vastes cloitres, au sommet de lanbsp;haute montagne, d�o� il ne devait descendre que pour devenir lanbsp;gloire del�ordre naissant de Saint-Dominique, l�astre Ie plus hrillantnbsp;de rUniversit� de Paris, et sous Ie nom de Docteur ang�lique, l��ter-nelle admiration du monde entier.
Ces lieux parlent encore d�un autre personnage que nous ne pou-vions oublier. L�ordre de Saint-Benoit parcourait Ie second si�cle de sa glorieuse existence, lorsqu�un jour, vers Ie coucher du soleil, deuxnbsp;p�lerins inconnus gravissaient Ie flanc rocailleux du Mont-Cassin, puisnbsp;frappaient � la porte du couvent. � Soyez les bienvenus, mes fr�res,
leur dit Ie p�re h�telier. � Dieu vous b�nisse de votre charit�._
Fr�res, que demandez-vous, leur dit l�Abb�. � Nous sommes venus, reprennent les �trangers, pour servir Dieu avec vous dans cette saintenbsp;maison. � lis sont admis au nombre des fr�res; mais ordre est donn�nbsp;de veiller avec soin sur leur conduite et d��prouver leur vocation.nbsp;L�Abb� lui-m�me veut se charger de l�un d�cux. Pour exercer sa patience et son humilit�, il l�envoie garder les hrebis; l��tranger oh�itnbsp;avec grSce. Chaque matin il conduisit, sur Ie plateau que nous par-courions nous-m�mes, son petit troupeau qu�il surveille avec amour
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anecdote.
fit qu�il rara�ne chaque soir au monast�re. Un jour, des larrons, sorlis brusquemenl de la for�l, veulent iui enlever une de ses brebis; il courtnbsp;� eux et leur dit: � Faites de moi ce que vous voudrez, mais je nenbsp;souffrirai pas que vous preniez rieu de ce qui m�est conC�. � Alors cesnbsp;mechants le d�pouillenl de ses habits et se retirent: le pauvre bergernbsp;revient au convent prcsque nu. Pour I�eprouver, l�Abb�, loin de com-patir a ses peines, le traite d�homme Wche et sans conduite; quoinbsp;I�inconnu r�pond humblement ; � Je sais bien que je ne suis qu�un
p�cheur qui commets beaucoup de faules. �
Quelque temps apres, 1�Abb� le met ii une autre �preuve, el lui or-
donne d�aller aider le fr�re qui sect a la cuisine. L��tranger s�lncbne profond�ment et se rend b son nouvel emploi; mais, ne 1�ayant jamaisnbsp;pratiqu�, il emasse les maladresses. Le frcre cuisinier s impatiente sinbsp;fort qu�il en vient b le frapper. L�inconnu ne r�pond rien; maisnbsp;1�autre �lranger, ne pouvant contenir son indignation, dit au cuisinier : � Fr�re, que Dieu el Carlotnan vous le pardonnenl. � Frater,nbsp;iQnoscat Beus et Carloniannus. A quelques jours de la, une nouvellenbsp;foute provoque la m�me sc�ne; et le compagnon de 1 inconnu dit ennbsp;core ; � Fr�re, que Dieu et Garloman vous le pardonnent. � Frater,nbsp;igmscat Deus et Carloniannus. Enfin, une troisi�me maladresse attire le m�me traitement au pauvre novice. Alors son compagnon, em-port� par la col�re, saisit un pilon, en frappe Ie cuisinier, et lui dit :
� M�chant serviteur, que ni Dieu ni Garloman ne te pardonnent. �
L�Abb� ayant appris celte querelle fit metlre en prison le compagnon de l�inconnu, et le lendemain, il le fait comparaitre devant le cha-pilre assemble. L�accuse �tant k genoux ; � Ponrquoi, lui dit 1 Abb�, avez-vous battu le fr�re cuisinier? � C�est paree que j�at vu le plusnbsp;m�chant de leus les serviteurs, frapper le meilleur et le plus noble denbsp;tons les hommes? � Qui est done ce religieus que vous appelez le plusnbsp;noble de tous les hommes? � C�esl notre prince Garloman, qui anbsp;quitt� sa dignit� et la gloire du monde pour 1�amour de J�sus-Christ. �
A ces mots tons les religieux �tonn�s, FAbb� en t�te, se l�vcnt de leiirs stalles, entourent le prince et iui font mille excuses. Mais, oublianl cenbsp;qu�il avait �t� dans le si�cle : � Mes p�res et mes fr�res, leur dit Garloman, vous vous trompez, je ne suis pas un prince, je ne suis qu�uiinbsp;pauvre p�cheur. � Bient�t, par l�ordre du pape �lienne, le pauvre.nbsp;p�cheur du Moni-Cassia fut envoy� en France pour trailer, avec sonnbsp;fr�re P�pin, des grands int�r�ts de ia paix de l�Europe. 11 mourut dansnbsp;ce voyage, et son corps seul revint au Mont-Cassin, dans ua cercueil
-ocr page 44-40 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
d�or, o� il fut trouv� en 1628 (i). Cette histoire du prince francais donne lieu il un rapprochement caraet�ristique du moyen �ge et denbsp;l��poque actuelle. Dans les si�cles de foi, rhurailit�, base de toutes lesnbsp;vertus chr�tiennes, �tail'regard�e comme la garantie de toutes les ver-tus sociales ; Ie m�rite surtout cherchait a s�el�acer. Lorsque, sans intrigues de sa part, un homme �tait appel� aux dignit�s, il r�pondaitnbsp;en tremblant : Vous vous trompez, je ne suis qu�un pauvre p�cheur;nbsp;et il accomplissait de grandes choses. Aujourd�hui on proc�d� autre-ment. Quiconque veut parvenir (et qui ne Ie veut pas?) fait sonner de-vant lui de la trompette, s�avance la t�te haute au milieu de la placenbsp;publique, et, mont� sur Ie pi�destal de son orgueil, il crie � la foulenbsp;dont il mendie les suffrages : Je suis Ie plus capable, Ie plus vertueux,nbsp;Ie plus digne. Puis, quand il est � l�oeuvre, il multiplie les erreurs etnbsp;souvent les bassesses. Cela doit �tre; mais malheur aux peuples chcznbsp;qui se pratique un pareil syst�me!
Aux souvenirs succ�da la r�alit�. Nous vimes les classes o� les B�n�-diclins conlinuent de former la jeunesse ii la science et � la vertu : soixante ii soixante-dix jeunes gcns composent leur int�ressant coll�ge.nbsp;Au moment de notre passage Ie Mont-Cassiri comptait dix-huit P�res,nbsp;onze novices et treize fr�res. Leur vie, partag�e entre la pri�re et l��-tude, s��coule sous l�oeil de Dieu dans un calme que l�on ambitionnenbsp;poursoi; mais qui, h�las! ne franchit point les limites du cloitre.
A peine avions-nous quitt� San-Germano et repris, en courant, la belle route de la vall�e, que notre voiture s�arr�te brusquement, re-cule, et deraeure suspendue au bord du foss�. Sant Antonio! Santnbsp;Antonio! telle �tait l�unique exclamation du conducteur. En un clinnbsp;d�oeil nous sommes a terre, et nous voyons un malheureux cheval quinbsp;tremble sur ses membres et qui, dans scs mouvements convulsifs, faillitnbsp;nous pr�cipiter dans un profond ravin. Pour �viter un plus grand malheur, on eoupa les traits, et Fanimal blanchi d��cume s�en va lombernbsp;� quelques, les quatre fers en Pair. Sant Antonio! Sant Antonio!nbsp;che disgrazia! et Ie pauvre voiturin Jetait son chapeau par terre, s�ar-rachait les cheveux, pleurait comme un enfant.
Francais, Anglais et Am�ricain, nous nous empressons de Ie consoler, de l�enco�rager, de porter secours a l�animal. Seul, notre compagnon Ie Prussien restc immobile sur Ie hord de la route, fumant tran-quillement sa pipe et criant de temps en temps au voiturin : Coquin, il �tre ta faute : toi il avoir d� nous donner 'une me�leur cheval.
(i) Histoire de l'Ordre de SainrUenoU, t. ii, p. tl.
-ocr page 45-ANECDOTE.
Apr�s de longs efforts, la malheureuse b�te esl remise sup ses jambes et m�me a la voiture. Le Prussien reprend gravement sa place, en continuant de fumer el de maugr�er; pour nous, moins rassures, nousnbsp;fimes une partie de la route a pied, et nous disions ; Si, en France,nbsp;pared accident fffi arriv�, quel torrent d�impr�cations et de blasphemes seraieni soriis de la bouche du conducteur! en Italie, c�est unenbsp;invocation pieuse. Notre malheureux voiturin s�adresse a samt Antoine, paree que, suivant I�anlique usage, les animaus sonl bemts enbsp;jour de sa f�te et mis sous sa garde particuli�re. Difference enlre lenbsp;Penple qui croit et le peuple qui ne emit plus ; dans le malheur, 1 unnbsp;prie, 1 autre blasph�me.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;ix j ir
11 �tait six heures, lorsque nous arriv�mes a l�h�tel isol� de Amalfe. La stationne un poste militaire qui veille sur l�extr�me fron-ti�re du royaume de Naples; vu l��tat de noire �quipage, il fut decidenbsp;que nous y passerions la nuit. Pendant que chacun de nous �tait oc-cup� a faire les pr�paralifs de son campement, des gamins entouraientnbsp;la voiture, Pexaminaient curieusement el se permeltaienl m�me denbsp;monter sur les marchepieds pour inspecter Pint�rieur. Or, il arrivanbsp;qn�un de ces jeunes gens, apercevant dans la poche du lond une superbe pipe, irouva bon de s�en eraparer, et disparut ; le propri�tairenbsp;de I�objet vol� �tait noire Prussien. Redescendu dans la cour, sa premi�re pens�e est d�allumer sa pipe; � la cherche sur lui, dans la voiture, et ne la trouve pas; il la demande ii tout le monde, il remontenbsp;dans sa chambre, et revient en criant; On in a vol� mon pipe, et ilnbsp;raaugr�ait, et il temp�tait. T�raoin de cette sc�ne, le voiturin regardaitnbsp;immobile et r�p�tait avec un sourire malin : Excellence, c est votrenbsp;faiite; il fallait veiller. Enfin un des soldats du poste se mil a la recherche du jeune larron, et au bout d une demi-heure il rapporla la
pipe qui, moyennant deux carlins, centra dans la poche du propri� taire.
i MARS.
Arce.
'Thomas nbsp;nbsp;nbsp;� Souvenirs de Ciceron et de Marius. � Aquino. � Souvenirs de saint
Ono._Sjm Tocca-Secca ct le P. San-Germano. � Ceprano. � Frosinone. � Feren-
1 nbsp;nbsp;nbsp;profanes. � Prison de saint Ambroise. � Angelus du soir. �
nauber^ede la Fontaine.
La chaine de moniagnes, qui continue sur la droite, rappelle de grands souvenirs. Arce, dont les mines se dessinent b I�horizon, passenbsp;pour la plus belle villa d�Atlicus, fr�re de Cic�ron, et Arpino, assis
-ocr page 46-42 LES TROIS ROME.
sur la hauteur, est la patrie du prince des orateurs remains. On place la maison de Cic�ron dans la petite rue de la Cortina. Marius, n� aunbsp;m�me lieu, n�a laiss� d�autres souvenirs que son nom. Pr�s de la, vousnbsp;apercevez Aquino, et les ruines du chateau dans lequel saint Thomasnbsp;re^ut Ie jour. Cette terre f�conde en grands hommes monlre encorenbsp;Ie chevalier d�Arpino, dont les talents incontestables, gat�s par Ie mau-vais gout, ont exerc� sur 1�architecture une funeste influence.
Le village de Rocca-Secca, qui se dessine sur Ie m�me plateau, est riche en antiquit�s, et rappelle aux amis de la religion et de la sciencenbsp;le c�l�bre p�re San-Germano, missionnaire aux Indes pendant vingt-six ans. Architecte, g�ographe, le savant religieux dirigea les travauxnbsp;du port de Rangoun, dans l�empire Birman, dressa une carte de eetnbsp;empire, la plus exacte qu�on connaisse, et vint mourir dans sa patrienbsp;en 1819.
Apr�s Je ne sais combien de circuits dans les montagnes, la route descend enfin a Ceprano. Cette petite ville, batie sur le Liris, est lanbsp;premi�re des �tats Piomains : la population nous parut remarquable-ment mis�rable. 11 faut dire que le sol est ingrat, et que le d�faut denbsp;grandes communications ne permet qu�un falble d�veloppement k l�ac-tivit� des habitants. Jusqu�a Frosinone, le chemin continue d��tre fortnbsp;mauvais; mais la physionomle de cette ville ne ressemble nullementnbsp;a celle de Ceprano : la beaut� des edifices, la r�gularit� des rues, l�ai-sance et le bien-�tre qui semblent respirer jusque dans les d�tailsnbsp;d�ameublement et de toilette, tout annonce le travail et la fertilit� dunbsp;sol. De la grande place on jouit d�un coup d�oeil qui passe pour le plusnbsp;beau de toute cette partie de ITtalie, et le palais apostolique fait hon-neur a la magnificence de Gr�goire XVI.
En deux heures de marche nous arrivames ii Ferentino. Batie sur une montagne, cette ville ofifre le m�me panorama que la pr�c�dente.nbsp;Les remparts, en gros travertins sans ciment, accusent une haute an-tiquit�, et prouvent qu�elle fut une place de guerre tr�s-importante ;nbsp;c�est dans les environs que se tenait l�assembl�e g�n�rale des peuplesnbsp;du Latium. Apr�s la conqu�te, Rome d�fendit ces r�unions, dans lanbsp;crainte qu�elles ne devinssent l�occasion de quelque soul�vement. N�.an-moins les �ques, les Volsques et les Herniques, auxquels appartenaitnbsp;Ferentino, trouv�rent le moyen de former une ligue puissante, denbsp;battre les Remains et de s�emparer de Tusculum; mais, battus it leurnbsp;tour par le consul Servilius, ils furent oblig�s de reprendre le joug.
Je he mentionnerais pas ce fait d�un int�r�t secondaire, s�il n�en rappelait un autre �minemment propre a caract�riser les moeurs de
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FEREStlSO.
Rome pa�enne. Trois cents enfants avaient �t� donn�s en olage par les peoples r�\olt�s. A la premi�re nouvelle de leur d�faite, Ie consunbsp;Appius fit conduire au Forum ces trois cents enfants, qui, apr�s avoirnbsp;�t� battus de verges, eurent tous la t�te tranch�e. Geile barbane exas-p�ra les Herniques et les Voisques; longtemps ils m�dil�renl leur vengeance, mais quand ils voulurent l�exercer il �lail irop tard ; demainnbsp;nous verrons Ie champ de bataille o� lomba, pour ne plus se relever,
1 antique liberl� de ces peuples courageus.
Des inscriptions, des statues, de nombreuses antiquit�s, parmi es quelles on remarque une table de marbre avec des caracl�res en bronze,nbsp;eappellent les vicissitudes de Ferentino, sa conqu�te par les Romains,nbsp;et les noms plus ou moins connus de ses citoyens et de ses gouverneurs. Comme tous les peuples d�Italie, les Herniques particip�rentnbsp;de bonne beure a la grande �mancipalion chr�tienne ; en t�te des �v�nbsp;ques de Ferentino, la tradition place un disciple de saint Pierre (i) �nbsp;Largement arros�e. du sang des martyrs, la semence �vang�lique ynbsp;produisil des g�n�rations de h�ros. En premi�re ligne brille un eennbsp;lurion qui revolt encore, apr�s quinze si�cles, les honneurs d un triom-pbe perp�iuel, au lieu m�me o� il remporta sa glorieuse victoire. Am-broise, v�t�ran des arm�es imp�riales, �tait en garnison a Ferentinum,nbsp;lorsque parut P�dit de pers�cution lanc� par Diocl�tien. Saisi, d�chir�,nbsp;jet� dans les flammes, Ie g�n�reux athl�le passe par tous les genres denbsp;snpplice; mais � en sort plein d�ardeur pour de nouveaux combatsnbsp;qu�il soutient avec inlr�pidit�. Honteux de tant de d�faites, Ie proconsul Ie fait reconduire dans sa prison, o� il re^oit aveo Ie coup de lanbsp;niort la palme immortelle qui Ie fait entrer dans les rangs de la grandenbsp;arm�e des martyrs. Cela se passait Ie 16 ao�t de 1 an 505 (a).
Or, il nous fut donii� de voir ce cachot dont 1 obscurit�, 1 humidit�, l�horreur et les �troites dimensions accusent 1�origine romaine et rap-pellent la prison Mamertine. A la catb�drale on admire la st�tuenbsp;�questre du saint martyr, en argent massif: e�est un beau travail dunbsp;seizi�me si�cle. Ferentino poss�de plusieurs couvents, enlre autresnbsp;ceux des Glarisses et des Oblates, dont la r�gularit� est vraimenlnbsp;exe.mplaire.
Le jour �tait sur son d�clin, et nous e�mes la pens�e de coucher h Ferentino. Cependant on nous dit qu�a trois lieues de la, sur la routenbsp;de Rome, nous trouverions l�excellent albergo sotto la fontana; etnbsp;comme nous ��ons presses, nous nous remimes en marche. En des-
(0 �ghelli, Italia sacra, de Ferentinat. episcop., p. 612.
(4) Baron., an. 303, n. 113.
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Cendant la montagne nous rencontrames les femmes de la ville, qui venaient de puiser de l�eau h une fontaine dont la source jaillit a l�en-Ir�e du yallon. Leur costume est on ne peut plus pittoresque, et leursnbsp;cruches en cuivre conservent la m�me forme qu�au temps d�Horace.nbsp;A cette sc�ne qui rappelle les mceurs patriarcales succ�da bient�t unnbsp;spectacle d�un int�r�t sup�rieur. Les laboureurs et les bergers reve-naient des champs : les uns conduisant leurs troupeaux, les autresnbsp;portant sur l��paule leurs instruments de travail, la pioche et la b�che;nbsp;tous causaientgaiment, heureux de regagner leurs foyers et de se livrernbsp;au sommeil si doux � Thomme des champs qui a port� Ie poids de lanbsp;chaleur et du jour. Tout a coup Ie son argentin de plusieurs clochesnbsp;annonce l�Angelus; et vous auriez vu ces braves gens, jeunes hommes,nbsp;enfants et vieillards �ter leur large chapeau de feutre, se mettre a ge-noux sur Ie chemin et saluer ensemble l�auguste Vierge dont Ie noranbsp;distille dans Ie coeur du pauvre, plus encore que dans celui du riche,nbsp;la douceur, la confiance et la paix. Pourquoi nos artistes de l�acad�-mie de France ne reproduisent-ils pas ces sc�nes tout a la fois si pit-toresques et si touchantes?
II �tait nuit, mais nuit noire, lorsque la berline s�arr�ta devant Val-bergo. Au raoyen age, quand d�illustres p�lerins arrivaient � la chute du jour devant un antique manoir, la sentinelle plac�e sur la tour denbsp;la grande poterne, sonnait du cor, Ie pont-levis s�abaissait, et les h�lesnbsp;faisaient leur entree � la lueur des torches. Le Vetturino italien n�anbsp;pas oubli� eet antique usage. Aux cris r�p�t�s de notre pha�ton, aunbsp;claquement de son fouet, le maitre d�h�tel parait sur la porte, unenbsp;lampe a la main. � Padrone, hatez-vous d�ouvrir; voici de noblesnbsp;�trangers qui vous demandent Fhospitalit� : ils sont nombreux; qu�onnbsp;pr�pare le souper et les logements. � Pour loute reponse a ce langagenbsp;digne des troubadours, nous entendons ces mots fort p�u chevaleres-ques : � II n�y a point de place. � Ouvrez toujours : il faut quenbsp;j�entre ma voiture. � La porte est trop basse, vous ne passerez pas. �nbsp;Pendant ce dialogue, nous descendons; en un clin d�oeil nous avonsnbsp;reconnu les lieux, et il est bien constant que nous sommes tomb�snbsp;dans la plus ch�tive locanda que nous ayons rencontr�e sur toute lanbsp;route. Nous voulons continuer jusqu�it Valmontone; impossible, lenbsp;conducteur nous pr�vient qu�a moins d�un quart de lieue commen-cent les Maremmes, et qu�il ne veut pas s�y engager pendant la nuit.nbsp;Nous �change�mes entre nous un regard qui disait : II faut se r�-sign�r.
Telles �taient les dimensions de l�h�lel della Fontana, que, pour
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5 MARS.
Anagni. � Villa de Cic�ron. � Cath�drale.� Cryple. � Tombeau de saint Magnus ct de sainte Olive. � Archives Capitulaires. � Manuscrits. � Charle de Boniface VIII.nbsp;�Souvenirs.�Valmontone.�Champ de ba taille du consul Fabius Ainbustes. � Lacnbsp;R�gille. � Retour a Rome.
A la pointe du jour nous �tions a Anagni. Ancienne capitale des Herniques, cette ville, tr�s-agr�ablement situ�e, compte environnbsp;6,000 habitants. Cic�ron poss�dait dans Ie voisinage sa d�licieuse villanbsp;d�Amalth�e, dont on a peine it reconnaitre les vestiges. Rome fit deuxnbsp;fois la conqu�te d�Anagni : comme reine de la force, par ses consuls;nbsp;et comme reine de I�amour, par saint Pierre. Le vicaire de J�sus-Christ envoys des Ap�tres dans ces lieux qui touchaient au si�ge denbsp;son empire; et sous D�ce, nous voyons l��v�que saint Magnus scellernbsp;de son sang la foi qu�il avait enseign�e aux habitants d�Anagni. Unenbsp;illustre vierge, sainte Secundine, fut la compagne de son Iriomphe (t).nbsp;Nous nous rendimes directement a la cath�drale. Cet edifice, dont lenbsp;ton g�n�ral inspire je ne sais quels doux sentiments de confiance etnbsp;de pi�t�, recouvre un monument d�un grand int�r�t arch�ologique.nbsp;C�est une vaste crypte ou plul�t une �glise souterraine du onzi�menbsp;si�cle. Sa forme rappelle celle des �glises primitives : on y trouvenbsp;deux choeurs lat�raux outre le choeur ordinaire et une superbe absidenbsp;orn�edefresqueso� brille le double caract�re de grandeur et de na�vet�nbsp;de Part chr�tien. C�est lit que reposent les corps de saint Magnus etnbsp;de sainte Olive, vierge non moins illustre que sainte Secundine, etnbsp;comme elle l�objet de la v�n�ration filiale du peuple d�Anagni.
Pr�s du tombeau de saint Magnus, on lit ce vers latin ;
Exlrahitur Verolis, acquirit Anagnia nummis.
(( II est tir� de V�roli, il est achet� par Anagni. � Cette inscription rappelle un fait qui prouve le pieux empressement des habitants anbsp;poss�der les reliques de leur ap�tre. Le corps de saint Magnus avait �t�nbsp;transf�r� a V�roli, petite ville entre Ferentino et Frosinone. Les Sar-rasins ravagent cette ville infortun�e ; aux mains de leur roi sent lesnbsp;reliques du glorieux martyr. Le Barbare I�envoie dire aux habitantsnbsp;d�Anagni, en ajoutant qu�il est pret a leur c�der ce pr�cieux d�p�t,nbsp;moyennant une somme d�argent. La ville offre � I�instant une riche
(i) Mamachi, Antiquit, et orig. christ., t. ii, p. 239; Baron., Not. ad martyr., 15 jan., 19 Aug.
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ARCHIVES CAPITCCMR�S.
raneon, ob�ent Ie corps du marlyr, Ie d�pose dans un magnifiqne tombeau, et grave Ie vers qui �ternise Ie souvenir de ce fait incomprehensible � notre si�cle, mais tr�s-rationel aus yeux de la raison �clai-r�e par la foi.
Un des chanoiues voulut bien nous conduire aux Archives Capilu-laires. II nous monlra plusieurs manuscrits tr�s-rares, entr�autres la c�l�bre charte eontenant la nomenclature des ornements l�gu�s par Ienbsp;pape Boniface VIII ^ la cath�drale d'Anagni, dont il avait �i� cha-noiue, ainsi que par Innocent III, Gr�goire IX et Alexandre IV. Cettenbsp;piece est sur parcherain, et se divise, pour Ie texte, en deux parties.
Ua premi�re, eontenant l�inventaire des ornements, commence amsi: fn nomine Domini. Amen. Hwc sunt paramenia, qu(e donamt hc-olesim xinagnice sanclissimus Pater D. Bonifacius Papa VIII, divernbsp;sis temporibus. La seconde indique les objets d�or et d argent offertsnbsp;par ee m�me Pape; on Ut en t�le ; Hoe est inventarium argenU etnbsp;auri laborati daii Ecclesiw Anagniw per prcedictum D. Papam.
Nous vimes quelques-uns de ces superbes pr�sents, moins pr�cieux par la richesse de la mati�re et la beaut� du travail, que par la mamnbsp;qui les offrit. La grande figure de Boniface Vlll se montre dans la petite ville d�Anagni avec loute sa majesl�. C�est la qu�on Ie voit, dignenbsp;h�rilier de saint Gr�goire VII, lutter intr�pidement contre la tyrannienbsp;des princes du monde, et, en sauvant 1��glise de l�oppression, sauvernbsp;la libert� des peuples. A ce double tilre il devait, corame 1 exil� denbsp;Salerne, recevoir, pendant sa vie, l�outrage des despotes et de leursnbsp;s�ides; et apr�s sa mort, l�insulte et la caloronie de leurs serviles bio-graphes : ni Tune ni l�autre de ces gloires ne lui ont manqu�. En par-courant les rues d�Anagni, on croit rencontrer h chaque pas Nogaretnbsp;et Sciarra Colonne portant leurs mains parricides sur Ie visage dunbsp;Pontife, et entendre encore Ie retentissement de ces soufflets, les plusnbsp;sacrileges de tous, apr�s ceux qui furent appliqu�s par les valets denbsp;Ca�phe sur la joue de I�Homme-Dieu. Descendu dans ia tombe, ienbsp;grand Pape a �t� poursuivi, et il l�est encore, par cette foule d��cri-vains anticalholiques, courtisans de toutes les tyrannies, et calomia-
teurs jur�s de la papaut� et de ses actes.
Reprenant la route de Rome, nous entrames bieni�l dans les Ma-
remmes. On donne ce nom h des landes couvertes de bouleaux, de foug�res et de quelqnes arbres rachitiques : celles que nous avions anbsp;traverser ont plusieurs lieues d��tendue. Nous les franchimes sansnbsp;faire aucune mauvaise rencontre, et avant midi nous �lions ^ Valmon-tone. Ce beau village, qui doit soa nom h la hauteur sur laquelle il
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est assis, domine un large et fertile vallen. C�est a quelque distance, du c�t� de Rome, qu�on rencontre Ie champ de bataille o� Ie consulnbsp;M. Fabius Ambustus d�fit compl�tement les Herniques, l�an denbsp;Rome 395 (i). Le th�atre du combat est une plaine de m�diocre �ten-due resserr�e entre des montagnes, de mani�re� g�ner consid�rable-ment les manoeuvres de la cavalerie, .\ussi lorsque Faction fut engag�e.nbsp;Ia cavalerie romaine mit pied amp; terre et vint combattre a la t�te de F infanterie. Les Herniques qui avaient appel� sous les armes toute la fleurnbsp;de leur jeunesse, la lirent avancer pour soutenir Ie choc. Le carnagenbsp;fut horrible; on se battit jusqu�au soir; enfin les Herniques furentnbsp;vaincus, niais Ia nu it emp�cha de les poursuivre. Le consul rentranbsp;dans Rome et se contenta de Fovation.
En ce temps-l�, Rome pr�ludait par la conqu�te de Fltalie i Ia con-qu�te du monde; la victoire lui �tait partout favorable. A midi, nous aperg�mes le lac di Santa Prasseda, autrefois le lac Regille. Trois ansnbsp;apr�s la victoire dont nous venions de traverser le lugubre th�atre, Ienbsp;dictateur Posthumius avait rougi du sang des Latins les eaux de ce lacnbsp;devenu fameux. Enfin, le bruit des armes avait cess�, le silence du d�-sert r�gnait autour de nous ; nous �tions dans Ia Campagne romaine.
C�est au retour de Naples, apr�s avoir vu celte ville si brillante et si anim�e, qu�on se trouve dans les conditions favorables pour appr�-cier la majestueuse tranquillit� de la Ville �ternelle. On sent, en ynbsp;rentrant, qu�on met le pied dans un autre monde; que des int�r�ts etnbsp;des pens�es diff�rentes pr�occupent les deux cit�s. A Naples et auxnbsp;autres villes, les choses du temps; � Rome, les choses de F�ternit�.nbsp;A Naples et aux autres villes, la physionomie cbangeanle, le bruit tu-multueux des affaires et des folies joies; ii Rome, Fimmobilit� de la foinbsp;et le solennel silence des ruines. Ces diff�rences, qui font de Romenbsp;une ville � part au milieu du monde, la mettent dans une mystcrieusenbsp;harmonie avec les besoins intimes de F�me. De la, sans nul doute, lenbsp;charme puissant qui vous y attire, la douce paix qui vous y accom-pagne, le regret si vif qui vous suit en la quittant: sensations ind�-finissables que tons les voyageurs �prouvent � divers degr�s, bien quenbsp;le grand nombre n�y soit nullement pr�par�, et que tous, � peu pr�s,nbsp;en ignorent la v�ritable cause.
(i) Sigonius, Comment, in fastos et triumph, Rom,, p. 66.
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6 MARS.
C�r�monie de la Rose d�or. � Charit� romaine dans l�ordre moral. � Cat�chisme.� Archiconfr�rie de Sainte-Marie-drA/�/anw. � F�te imp�riale. �Relrailes de premi�re Communion. � S^inte-Lucie-in-Trastevere. � Saint-Vit sur 1�Esquilin.
Rome conlinuait de se pr�occuper vivement de la conversion de M- Ratisbonne. Afin de in�unir � la reconnaissance g�n�rale, je c�l�brainbsp;la raesse sur 1�aulel de la chapelle miraculeuse ; Ie m�me motif y atti-rait un grand nombre de fid�les; car en Itali� un miracle est loujoursnbsp;�v�nement.
C��tait Ie quatri�me dimancbe de Car�ine, jour o� se fait la b�n�-diciion de la rose d�or. Afin d��tre t�moins de la c�r�monie, nous nous ��endimes a la chapelle Sixtine; mais qiiel est Ie sens, quelle est 1 origine de eet antique usage? il faut connaitre la r�ponse a ces questions,nbsp;^ous peine d�avoir des yeux pour ne pas voir. Ancienneraenl, les Sou-'erains Pontifes se rendaient � cheval du palais de Lairan, qu ils habi-laient, a la basilique de Sainte-Croix-en-J�rusalem. L� �tait la stationnbsp;du jour, dont la messe commence dans tout Ie monde calholique parnbsp;oe mot: Lwtare! R�jouis-toi! Parvenu � la moiti� de la sainte, maisnbsp;P�nible quarantaine, l��glise veut encourager ses enfants et leur in-spirer une sainte joie, en leur montrant de plus pr�s Ie terme de leurnbsp;p�nitence et la couronne immortelle qui doit r�compenser leurs privations et leurs combats. Or, afin de rendre plus vif et plus populairenbsp;t'e sentiment d�all�gresse, Rome Ie symbolise dans une rose, la reinenbsp;des fleurs. Tel est Ie sens de la po�tique pri�re qui en accompagnenbsp;encore la b�n�diction.
Apr�s PolBce, Ie Pape, tenant a la main la rose b�nite, la montrait 311 people, comme Terabl�me de leurs communes esp�rances pour 1 a-venir et de leurs dispositions actuelles. Porlant toujours Ia rose ii Ianbsp;main, Ie Pontife �tait reconduit jusqu�au parvis de la basilique par Ienbsp;pr�fet de Rome, en habit de pourpre el en chaussure de couleur d or,nbsp;qui souicnait 1��lrier pour aider Ie saint P�re h descendre de cheval.nbsp;Afin de reconnaitre ce t�raoignage de respect, Ie Pape donnait la rosenbsp;a ce diguitaire, qui la recevail a genoux et lui baisait Ie pied. Plusnbsp;tard, les Souverains Pontifes onl �t� dans l�usage d�envoyer ceUe rosenbsp;a quelque souverain, h une �glise, amp; une personne �minente, quelque-fois aux anciens empereurs d�Allemagne, a T�poque de leur couron-tieroent, Aujourd�hui elle est donn�e aux princes on aux princessesnbsp;dont Ie Saint-P�re veut hononer la pi�t� et la charit�. La b�n�diction
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de la rose d�or eut lieu, pour la premi�re fois, sous Ie ponlificat de L�on IX, en 1050; toutefois Ie document qui fixe cette date semblenbsp;annoncer qu�elle remonte beaucoup plus haut (i).
La c�r�monie se fait aujourd�hui dans la salie des parements. Apr�s les pri�res marquees dans Ie rituel, Ie Saint-P�re oint la rose avec dunbsp;baurae, et place au centre, o� se trouve un tout petit godet, ferm�nbsp;avec une grille d�or, un peu de ce baume avec du musc; 11 l�aspergenbsp;d�eau b�nite, l�encense et la remet au dernier clerc de la chambre.nbsp;Nous Ie vimes arriver, pr�c�dant Ie Pape et portant � la main la pr�-cieuse fleur, qui fut plac�e au milieu de l�autel sur un riche voile denbsp;soie brode d�or. Apr�s la messe, elle fut emport�e avec la m�me c�r�monie, et d�pos�e au Vatican, jusqu�au jour o� Ie P�re communnbsp;daigne en gratifier quelqu�une de ses nobles et pieuses lilies (2).
I'
Dans la journ�e, nous reprimes notre �tude de la charit� romaine, suspendue par Ie voyage de Naples. Les �tablissements et les oeuvresnbsp;particuli�res destln�s au soulagement des maux physiques et des mis�res intellectuelles, avaient pass� sous nos yeux; restaient les mis�resnbsp;morales avec les moyens que Rome emploie pour les gu�rir. Cesnbsp;moyens se divisent en deux classes : les uns ont pour but de pr�venirnbsp;Ie mal, les autres sont �tablis pour les gu�rir. �lever Thomme a sanbsp;plus haute puissance en faisant couler abondamment la vie de la foinbsp;et de la pi�t� dans toutes les �raes : tel est l�objet des premiers. Dansnbsp;ce nombre il faut placer les cat�chismes, les pr�dications, les retraites, les Quarante heures, les stations, la grande association du Saint-Sacrement, Passociation particuli�re de Saint-Louis de Gonzague, lesnbsp;�coles du soir,Ies oratoires nocturnes, l�institution des Pcricolanti, etc.nbsp;Parrai les seconds, destin�s ii r�habiliter Ie coupable, se rangent lesnbsp;maisons de repentir, les institutions en faveur des prisonniers, et plu-sieurs autres oeuvres qui participent au double caract�re de rem�desnbsp;pr�servatifs et curatifs. Sans doute, la plupart de ces moyens sontnbsp;connus, et on les trouve en usage dans Ie reste de la catholicit�. Ainsinbsp;leur histoire peut, au premier coup d�oeil, paraitre fastidieuse ounbsp;inutile. Pourtant il n�en est rien; outre l�avantage de la priorit�, cesnbsp;moyens ont, a Rome, un caract�re d�ensemble dont l��tude est indispensable, si l�on veut connaitre � fond l�intelligente charit� de la m�renbsp;de toutes les �glises.
En parcourant les rues de la ville, nous rencontr�mes des troupes
(1) Constanzi, 1.1, p. 13.
{2) Cartarius, De Rosa aurea; Marlinelli, Roma ex Elhnica sacra, etc.
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de petils gar^ons qui se dirigeaient gaimenl quot;vers les diff�renles �glises. Une de ces bandes joyeuses entra a Sainte-Marie-del-Pianto;nbsp;nous l�y suivimes. Apr�s une courte pri�re, Ie cat�chisme commenga;nbsp;il fut expHqu� par un des membres de VArchiconfr�rie de la Doctrine chr�tienne, dont voici l�origine. En 1567, un gentilhomme mi-lanais, nomm� Marco Lusani, �tant venu � Rome, se d�voua g�n�reu-sement amp; l�instruction chr�tienne des petits enfants; plusieurs eccl�-siastiques z�l�s voulurent partager sa bonne oeuvre, et il en r�sultanbsp;Une pieuse confr�rie que saint Pie V et Benoit XIV ont favoris�e denbsp;tout leur pouvoir. Entre tous les moyens �tablis pour exciter l��mula-tion des enfants, Ie plus puissant, paree qu�il convient Ie mieux aunbsp;caract�re remain, est Ie concours solennel du premier dimanebe apr�snbsp;Quasimodo. La dispute est soutenue par deux enfants de chaque pa-roisse, en pr�sence des sup�rieurs, des d�pul�s et d�un immense concours de peuple. Les enfants s�interrogent et se r�pondent tour anbsp;tour; celui qui finit par ne plus trouver de comp�titeur pour lui r�-pondre sur toutes les questions du petit cat�chisme de Bellarmin, estnbsp;d�clar� empereur. Les quatre qui Pont approch� de plus pr�s forwent sa cour, compos�e de deux princes, d�un capitaine et d�unnbsp;�cuyer.
Alors commence une sc�ne d�une na�vet� charmante.
A peine Ie jeune empereur de sept � huit ans est-il proclam�, qu�on Ie place sur un tr�ne, on Ie couronne de lauriers, on lui met unnbsp;sceptre a la main, on Ie d�core d�une croix brillante qui pend sur sanbsp;poitrine; les princes et les officiers de sa maison l�accompagnent gra-'ement dans un superbe carrosse qui Ie conduit chez ses parents.nbsp;t*ans la demeure de son heureuse familie, on pr�pare richement unenbsp;Pi�ce, o� s��l�ve un tr�ne pour Ie jeune monarque qui re^oit les f�li-citations et les hommages de nombreux courtisans de tout Age et denbsp;toute condition.
*-�68 jours suivants, il sort dans sa voiture, accompagn� de quel-qu un des membres de l�Archiconfr�rie, et rend visite aux plus illus-tres personnages de Rome, qui Ie comblent de caresses et de ca-deaux ; sou r�gne dure un an. Ce terme �coul�, on nomme un nouvel empereur ; tel est Ie principal encouragement donn� aux enfants. Lesnbsp;cat�chistes eux-m�mes ne sont pas oubli�s. Par les soins de la confr�-fie, des personnes pieuses de l�un et de l�aulre sexe sont envoy�esnbsp;tians les paroisses de Rome pour enseigner la doctrine chr�tienne :nbsp;luelques-uns de ses membres assistent a ces cat�chismes, et, d�accordnbsp;avec les cur�s, ils en nomment les maitresses. Si elles sont exactes A
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leurs fonctions et a la communion g�n�rale qui a lieu tous les deux mois i Santa Maria del Pianto, elles sont inscrites sur les tableauxnbsp;de la loterie et aptes a recevoir les dots.
Grace au z�le de cette vaste association, a la sollicitude des pasteurs et d�un grand nombre de religieux et de pieux la�ques, la religion,nbsp;plac�e aupr�s du berceau des g�n�rations naissantes, d�pose sur leursnbsp;jeunes l�vres Ie sel de la divine sagesse, �mousse Ie premier aiguillonnbsp;de la concupiscence, et d�veloppe en temps utile Ie sens cbr�tien.
Bient�t ce petit peuple voudra s�asseoir � la table sacr�e : la cha-rit� romaine battend sur les marches du sanctuaire. Dire sa ten-dresse, sa sollicitude, ses industries maternelles pour rendre tous ces enfants dignes d��tre les convives de leur Dieu, d�passerait les bornesnbsp;que je me suis fix�es. II suffira de savoir qu�il existe a Rome un grandnbsp;nombre d��tablissements pieux qui, � l��poque solennelle de la premi�re communion, recoivent les enfants de bun et de bautre sexe. Ilsnbsp;y sont a demeure pendant huit jours, nourris, instruits, pr�par�s avecnbsp;un z�le admirable au plus grand acte de la vie.
Nous visitames avec un vif int�r�t celui de ces �tablissements qui est pr�s de Sainte-Lucie-m-3Vasfeoere. Un saint pr�tre, D, Joachimnbsp;Micchelini, cur� de Saint-Sauveur, a Ponte Piotto, en fut Ie fondateur.nbsp;D�sol� de voir un grand nombre d�enfants, qui ne faisaient autrenbsp;chose que courir les rues, jouer, voler et se livrer � toute sorte denbsp;vices, il congut Ie projet de leur tendre une main secourable. Aunbsp;moyen de petites recompenses, il r�ussit � les r�unir tous les diman-ches dans un local s�par�. De concert avec d�autres eccl�siastiques, ilnbsp;leur faisait une petite instruction sur Ie cat�chisme, leur faisait entendre la messe et fr�quenter les sacrements, puis leur donnait lesnbsp;r�compenses promises : Dieu b�nit et Ie pr�tre et son oeuvre. Gr�cenbsp;aux secours fournis par des personnes pieuses, on put donner des retraites a ces enfants qui se pr�paraient a la premi�re communion; onnbsp;les regut d�abord au nombre de vingt-quatre, pendant huit jours.nbsp;Bient�t il fut possible d�en admettre un plus grand nombre, de multiplier les retraites pendant Ie cours de bann�e, et m�me d�habiller denbsp;la t�le aux pieds la plupart de ces pauvres enfants.
Ge que Ie vertueux Micchelini ,a r�alis� au-deli du Tibre, un de ses confr�res ba fait a bautre extr�mil� de Rome, dans Ie quartier de�nbsp;Monti. Don Sant� Diotavelli, ayant obtenu busage de bancien convent contigu � Saint-Vit, sur l�Esquilin, �tablit des retraites pr�para-loires a la premi�re communion pour les enfants de cette r�gion ;nbsp;comme ceux du Trastevere, ils sont log�s, nourris, instruits et habil-
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l�s s�il y a lieu. On trouve des inaisons semblables, a I�hospice de Sainte-Galle, sur les bordsdu Velabre; a Saint-Laurent-in-Pane^Jerna,nbsp;pr�s de I�Esquilin; au convent del Bivin-Amove, dans le voisinage denbsp;Sainte-Marie-Majeiire, etc. (i).
Voila quelques-uns des moyens que Rome emploie pour donner la vie morale a ses enfants. Si plusieurs �chappent a lant de sollicilude,nbsp;et grandissent dans Fignorauce de la religion et dans les vices qu�ellenbsp;engendre, ils trouvent, plus tard, dans les maisons que je viens denbsp;nommer la facilit� de s�instruire et de devenir d�utiles citoyens en de-venant de bons catholiques. Pour eux aussi s�ouvrent, quel que soitnbsp;leur �tat, des cat�chismes et des retraites. Les m�mes soins leur sontnbsp;prodigu�s pendant leur s�jour; la charit� les accompagne dans lenbsp;Wonde et les r�unit, a dilT�rentes �poques, sous son aile. Le car�menbsp;surtout est le moment o� Rome pr�sente ce nouveau spectacle. Ennbsp;est-il de plus int�ressant? je Fignore; et pourtant quel voyageur senbsp;donne la peine ou le plaisir de le contempler? L�heure avanc�e nenbsp;nous permit pas d�en jouir imm�diatement; nous le verrons demain,nbsp;apr�s avoir rendu visite a Owerbeck.
7 MARS.
Visile a Owerbeck; d�tails sur cel artiste. � Ce que fait Rome pour preparer aux Paques. � Predications. � Stations. � Cat�chismes. � Retraites. � Pompes religieuses. � Remarques d�un protestant.
Parmi les raerveilles religieuses que Rome offre a Famour du voyageur attentif, il en est une qui tient un rang d�honneur : c�est le pieux, le kaint, Fangelique Owerbeck. En le visitant aujourd�hui,nbsp;nous ne crumes pas nous �carter de notre itin�raire. Le peintre quinbsp;fait de Fart un sacerdoce, et de ses tableaux sublimes autant de pr�di-cations eloquentes, destin�es � r�pandre partout Famour de la vertunbsp;et le gout de la pi�t�, n�est-il pas une source de vie morale? Si, denbsp;plus, ce peintre fait ecole et s�efforce d�apprendre a ses disciples lesnbsp;secrets de Fart cbr�tien, en leur inspirant sa foi vive, sa pi�t� tendrenbsp;et sa puret� de mceurs, n�a-t-il pas droit aux hommages publics desnbsp;chr�tiens et de Fartiste vraiment digne de ce nom?
L excellent ami qui nous accompagnait voulut bien nous donner, chemin faisant, quelques d�tails sur le nouvel Angelico da Fiesole.nbsp;� Owerbeck, nous dit-il, est n� en Allemagne. Apr�s avoir appris lesnbsp;premiers �l�ments de la peinture it FAcad�mie de Vienne, il partit en
(i) Constanzi, IstUuzioni di Picta, 1.1, p. H7-2t9.
T. III. nbsp;nbsp;nbsp;,
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1809 pour Rome, o� l�appelaient iin irr�sistible instinct et I�amour de l�antiquit�. Bient�l il y fut rejoint par deux amis, Pierre Corn�lius etnbsp;Wilhelm Schadow, tons deux aujourd�hui chefs d��coles oppos�es ennbsp;Allemagne. La colonic se grossit encore de quelques jeunes gens quinbsp;aspiraient a un art nouveau, et forma dans les ruines d�un conventnbsp;une communaut� pauvre et studieuse, vivant d�enthousiasrae et d�es-p�rances. Pendant quelques ann�es les courageux artistes demeur�-rent inapergus, effac�s par l�invasion et les pr�occupations de lanbsp;guerre; mais apr�s les �v�nements de 1813, ils se r�v�l�rent dans desnbsp;fresques de haul style, avec la diversit� de leur talent. Celui d�Ower-bcck s��tait transform�, et d�pouillant peu a pen les formes tudes-ques, il s�appropriait Ie g�nie italien.
� Enlrain� par sa nature d�licate et r�veuse vers la slmplicit� charmante de Part ehr�tien, Ie jeune artiste s�adonnait surtout ii la contemplation de la madone. �andis qu�il p�n�trait son imagination des beaut�s de Raphael, un autre travail s�op�rait en lui ; il se prenait hnbsp;maudire la reformation, comme il avail reni� la renaissance. II com-prenait que, pour rendre Ie sens des types du catholicisme, il fallaitnbsp;en croire les myst�res et en poss�der la foi compl�te. II abjura donenbsp;Ie protestantisme, et fut imit� par Ie plus grand nombre de sesamis :nbsp;on donna aux convevtis Ie surnotn de, Nazar�ens. Quelque temps apr�s,nbsp;riicole allemande se dlspersa par reffet des circonstances, et Ower-beck est rest� seul k Rome, comme l�ange destine d garder la puret�nbsp;du sanctuaire o� s��tait accomplie la renovation de l�art national. �
Nous Ie trouvames dans la solitude du palais Cenci, o� il r�alise l�id�e la plus haute de l�artiste ehr�tien. La puret� de sa vie et l�ha-bitude des m�ditations religieuses se r�vclent dans Ie caract�re noblenbsp;el s�v�re de son visage. A la simplicit� de ses mani�res, a la bonhomienbsp;charmante et au feu de sa conversation, on reconnait un cceur alle-mand souvent nourri du pain eucharistique. La pri�re sanctilie lesnbsp;travaux de l�atelier o� regne, parmi les �l�ves, un pieux recueillement.nbsp;L�admiraiion pour Ie talent d�Owerbeck et Ie respect pour sa vertunbsp;sont tels, qu�un jeune artiste nous disait: � Devant un coup de crayonnbsp;d�Owerbeck, chacuu doit �ter son chapeau. � J�ajoute qu�en pr�sencenbsp;de ses tableaux il faut croire et prier; leur vue seule est un acte denbsp;foi, d�esp�rance et d�amour. Je me rappelle, entr�autres, YInstitutionnbsp;de la sainte Eucharistie et Ie Couronnement de la sainte Viergenbsp;dans Ie eiel. On sait que ce dernier motif a �l� Ie sujet de pr�dilectionnbsp;de toutes Ie �coles catholiques avant la renaissance. � De[)uis cettenbsp;�poque, il n�a plus �t� ni compris ni trait�; et TAssomption de Marie
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Qous est toujours repr�sent�e sous l�einbl�me d�une femme a la pose fopc�.e, aux formes plus ou moins mat�rielles, soutenue p�niblementnbsp;par des anges et enlev�e sur les nuages. Combien est plus pure etnbsp;plus suave l�id�e d�Owerbeck emprunt�e aux anciennes �coles denbsp;peinture! Le Fils de Dieu, assis dans la gloire a c�t� de sa M�re, lanbsp;tient embrass�e avec une indicible tendresse, et Marie, appuyanl sanbsp;t�te sur l��paule de J�sus, go�te, avec le calme du Paradis, le bonlieurnbsp;de relrouver ce Fils depuis si longlemps perdu. Des anges forment,nbsp;sur un ciel �toil�, Pamande symbolique qui enveloppe les deux person nages. Rien ne peut rendre la douceur et la grace exquise de cenbsp;tableau. �
Interrog� et compliment� sur ses cbefs-d�oeuvre, le pleux artiste nous r�pondit avec modeslie : � Puiss�-je �tre assez heureux pour quenbsp;mes pauvres fatigues soient de quelque �dification aux ames fid�les,nbsp;en les aidant a m�diter les saints myst�res de notre religion : c�est lenbsp;but auquel j�ai aspir�! � Puissent ii leur tour nos jeunes peintres nenbsp;pas se bomer a �tudier la m�thode de Fr�d�ric Owerbeck, mais senbsp;faire un devoir d�imiter sa vie, en partageant sa foi vive et sa pi�t� sincere! comme celle du mailre, leur gloire est a ce prix.
Est-il besoin d�ajouter que nous quiltames le palais Genei, p�n�tr�s d�admiralion pour le talent du peintre catholique et de v�n�rationnbsp;pour sa vertu? Mais ce qu�il est bon de remarquer, c�est la conduitenbsp;de la Providence qui, dans la personne de Pimmortel artiste, placenbsp;Rome tl la t�te du mouvement r�g�n�rateur de Tart. II est done �critnbsp;que la Reine de la foi dolt avoir la glorieuse initiative de tout ce quinbsp;est beau, comme de tout ce qui est bien.
Hier, nous avions laiss� la charit� romaine pr�parant la jeunesse au grand acte de la premi�re communion; aujourd�hui, un nouveau devoir appelle sa sollicitude : Pheure solennelle approche o� les ebr�-tiens de tous les �ges doivent aussi participer au banquet eucharisti-que. Grace � la loi de la communion pascale, l��glise poss�de le secretnbsp;de renouveler pep�tuellement sa jeunesse, et de raniraer, d�affermirnbsp;OU d�accroitre la vie morale de ses enfants. Celte loi sacr�e, que le lordnbsp;protestant Fitz William (i) regarde avec raison comme l�indispensablenbsp;fondement des soci�t�s,- Rome en comprend toute l�importance (2).
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Lettres d�Atticus.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Voici la conclusion que le puissant logicien lire d�une longue suite de raisonne-
tnenls parfaitement enchain�s ; nbsp;nbsp;nbsp;,
� En r�sum�, la vertu, la justice, la morale doivent servir de base- d tous les gouver-nements.
� Or, il est impossible d'�tablir la vertu, Ia justice, la morale sur des bases tant soit
-ocr page 60-Ob nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
Pour en procurer Ie digne accomplissement, pr�dications, stations, cat�chismes, retraites, tout est mis en oeuvre.
Pendant tout Ie Car�me, on compte, soit dans les communaut�s, soit dans les paroisses, plus de soixante pr�dicateurs qui annoncentnbsp;du haut de la chaire ou du Palco les v�rit�s �ternelles. II y a des sermons a toutes les heures du jour et presque de la nuit; partout l�as-sistauce est nombreuse, et, je Ie dis pour l�avoir vu, parfaitementnbsp;recueillie. La plupart des ordres religieux prennent une part active anbsp;ce grand ministf're. Parmi ces hommes de solitude et de m�ditationnbsp;qui apparaissent tour a tour dans Ie costume imposant du j�suite, dunbsp;capucin, du passionniste, du domiriicain, du r�collet et du th�atin, ilnbsp;en est de fort �loquents. Le ccl�bre P. Ventura attirait la foule ^ Saint-Pierre et amp; Saint-Andr� della Valle.
Ce retenlisseraent general, incessant, de la parole divine, �branle les ames, et la Ville sainte, habituellement si grave, prend une phy-sionorriie plus grave encore. Les theatres sont ferm�s; il n�y a d�ouvertnbsp;que les �glises, les oratoires nocturnes et des maisons de retraite.
Rome emploie un autre genre de predication non moins eloquent et peut-�tre plus eflicace que le premier. Les stations coramencent d�snbsp;le mercredi des cendres, pour ne linir qu�apr�s Paques; chaque journbsp;une des �glises de Rome s�ouvre solennellement a la pri�re. Elle estnbsp;richement d�cor�e, les autels sont pares de lieurs, le pav� et le porti-peu solides, sans le tribunal de la penitence, paree que ce tribunal, lo plus rcdoutablenbsp;de lous les tribunaux, s�cmpare scul de la conscience et la dirige d�une mani�re plusnbsp;efficace qu�aucun autre tribunal.
� De plus, il est impossible d��tablir le tribunal de lap�niicnce sans la croyance d la presence r�elle, principale base de la foi catholique romaine; paree que sans cettenbsp;croyance le sacrcmeni de la communion perd sa valeur et sa consideration.... Partoutnbsp;o� cette croyance fut d�triiiic, Ic tribunal de la penitence tomba avec elle; comraenbsp;partout o� cette croyance existe, la confession devient n�cessaire. Or, cc tribunal quinbsp;se trouve n�cessairement li� a la croyance de la presence r�elle el a la loi de la communion, rend indispensable 1�exercice de la verlu, de ia justice, de la morale. Done,nbsp;comme je Tai d�jadit,
B II est impossible de former un syst�me de gouvernement quelconque, qui puisse �tre permanent ou avantageux, d moins qu�il nc soit appuy� siir la religion catholique romaine et en particulier sur le dogme de la presence r�elle et la loi de la communion.
� Si Ton ose dire quo les enfants de T�glise catholique sont mediants el pervers, malgr� cette loi sacr�e el les devoirs qui en d�coulent, que devons-nous dire des hommesnbsp;fibres de ces salutaires entraves? Les habitants de la plus houreuse el de la plus florissante monarchie qui ait jamais brill� sur la terre s�on sont lout a coup aflranchis;nbsp;qu�est-il arriv�? Ces malhcurcux insens�s n�ayant plus de frein pour les rctenir, ontnbsp;lout ose; el ieurs crimes, comme une mer qui d�borde, rompant des digues que Dieunbsp;seul pourra r�lablir, ont boulevers� 1�Europe, inond� Ic monde, et imprim� au nomnbsp;francais une tache ineffa^ablc, et la plus ignominieuse doiit une nation puisse se cou-vrir. �
-ocr page 61-bt
STATIONS.
que jonch�s de feuilles odorif�rantes, les piliers et les cliapelles tendus de belles draperies et illumin�s par do nombreux flambeaux : tous lesnbsp;reliquaires sont ouverts. Soulevant Ie voile qui les cache d�habitude,nbsp;Rome montre ce jour-la les corps, les ossements de ses martyrs, lesnbsp;instruments de leurs supplices, et conduisant quarante jours de suitenbsp;ses enfants en presence de ces glorieux tombeaux, sous les yeux denbsp;cette nu�e de h�ros de tout iige, de tout sexe et de toute condition,nbsp;elle leur dit ; � Regardez vos p�res; voyez ce qu�ils ont fait! Etes-vous dignes d�eux, dignes de votre mere? Athletes de la foi, si vousnbsp;avez failli,rheure est venue de vous reiever et de retourncr au combat.nbsp;Pour vous encourager, vos p�res vous montrent leurs palmes immortelles; pour vous guider, leurs exemples; pour vous soutenir, leursnbsp;priores. � Une indulgence pl�ni�re est attach�e ii la visite de l��glisenbsp;stationnale; et les fid�les de toutes les classes s�y portent avec unnbsp;Saint empresscment (i).
C�est Ie jour de la station qu�il faut visiter chaque �glise de Rome. Outre Ie concours �diliant de la population, la beaut� des offices et lanbsp;richesse des d�corations, on y voit toutes les reliques insignes, dontnbsp;quelques-unes ne sont expos�es que dans cette seule circonstance dcnbsp;l�ann�e (2).
(1) nbsp;nbsp;nbsp;La Station est une devotion parliculi�re a la vitte do Rome. �crtullien ct saiiunbsp;J�rOme en rapporlent 1�origine aux papcs saint Victor ou saint Z�pliirin (192, 202).nbsp;Saint Gr�goire Ie Grand rcgla les jours de cette devotion, leur nombro et les sanctiiairc.snbsp;o� clle devait avoir lieu : Sationes Gregorius per Basilicas, vel bcalonm marUjrumnbsp;caimeteria, secundum quod hactcnus plebs rotnana quasi eo vivcnte certatbu dismrrii,nbsp;sollirAie ordinavil.� Joan. Diacon. Vita, lib. ii, c. 6; Durandus, Rational, divin. offic.nbsp;lib. vn, c. 1. � Le mot station expriine unc inagnifique idee. Les stations militaircs sontnbsp;les tieures ou les sentiuelles, debout 1�anne an bras, veillcnt sur lo camp. Soldats tou-jours en campagne, les premiers Chretiens avaicnt aussi leurs stations. Ces h�ros dunbsp;christianisme sc r�iinissaient done aux tombeaux des martyrs, soit pour eelebrer leurnbsp;triomphe au jour anniversaire de leur mort, soit pour s�exciter par le souvenir do leurnbsp;courage a combatlre vaillammenl, soit pour obtenir leur puissante protection. Tel estnbsp;le sens donne au mot station par les P�res do 1��glisc et par saint Isidore dc Seville;nbsp;Htymolog. Rome a soigneusement conserve cel antique et noble usage. Du reslo a lanbsp;paix dcl��glise, les stations se lirent avec plus de pompe et de rcgularite. Le pcuple scnbsp;reunissait dans uno �glise pen cloign�e de Tcglise stationnale. Lo Pape et le elergd s�ynbsp;Teudaient egalement, puis la procession partait pour 1�endroit d�sign�. Les femmes senbsp;rangeaient du c�t� du nord, los hommes au midi, en sorte qu�il n�y avail ni m�langenbsp;ni confusion. Lc Pape prononcait unc hom�lie, ccl�brait les saints myst�res ct les fid�lesnbsp;participaient a la sainte communion. L�usage solonnel des stations cessa lorsque lenbsp;Saint-Si�ge fut transf�r� a Avignon : a parlir de cette �poque on lc rcmplaca par lesnbsp;chapclles papales. Voyez Moretti, De Presbijt., 178; Ferraris, art. Statio.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Dans l�int�r�t du voyageur catlioliquc je vais indiquer les jours el les lieux denbsp;station pendant tout le Car�me :
Mercredi des Cendres. � Station a Sainte-Sabine.
Jeudi� Saint-Georges au Y�labre.
-ocr page 62-58 LES TKOIS ROME.
La pr�dication journali�re des grandes v�rit�s du christianisme, l�exeniple des sainls donl les tombes sont ouverles, et les reliques �lo-quentes expos�es chaque jour du Car�me aux regards des fid�les : telnbsp;est Ie double moyen que Rome emploie pour pr�parer les Smes a lanbsp;r�surrecliou morale. Mals ce double moyen dolt �lre identifi� a chaquenbsp;individu : or, une partie des auditeurs ne comprend pas re qui estnbsp;annonc� avec Ie ton solennel de la chaire; un plus grand nombre peut-�tre n�glig� de s�en faire l�application. Sans ces deux conditions d�in-telligence et d�assimilation, la v�ril� ne peut devenir la nourriture denbsp;r�me. Rome ne l�oublie pas; et suivant la salutaire prescription denbsp;Benoit XIV, des cal�chismes pr�paratoires aux Paques s�ouvrent dansnbsp;les paroisses et dans les oratoires nocturnes. Les adultes de l�un et denbsp;l�autre sexe y sont invit�s, c�est pour eux qii�on les fait ; ordre estnbsp;donn� aux maitres d�y envoyer leurs domestiques, et pour �ter Ie pr�-lexte du travail, les caf�s et les magasins doivent �tre ferm�s pendantnbsp;les heiir�s d�instruction. Afin que l�auditoire soit homog�ne, etnbsp;qu�ainsi Ie cat�chisme soit plus profitable, les diff�rentes classesnbsp;d�adultes ont leurs r�unions particuli�res. Les cal�chismes commen-
Vendrcdi. � Saints-Jean et Paul, sur rAventin.
Saincdi. � Saint-Tryphon-m-P/�3sa-F/awm�a.
� nbsp;nbsp;nbsp;Premier Dimanche de Car^77ie. � Saint-Jean-de-Latran.
Lundi. � Saint-Pierre-cs-Liens.
Mardi. � Sainte-Anaslasie.
Mercredi. � Sainle-Maric-Majcure.
Jeudi. � Saint�Laurcnt-?n-Pa?2e^er�a.
Vendredi.�� Les Douze-Ap�tres.
Sarnedi. � Sainl-Pierre, au Vatican.
� nbsp;nbsp;nbsp;Second Dimanche de CarCme, � Sainte-Marie-m-Pomnzca.
Lundi. � Saint-Cl�ment.
Mardi. � Sainle-Balbine.
Mercredi. � Sainle-Cccile.
Jeudi. � Sainte-Marie-�i-rrastci?ere.
Vendrcdi. � Saint-Vital.
Samedi. � Saints-Picrre et Marcellin.
� nbsp;nbsp;nbsp;Troisi�me Dhnanche de CarCrne. �Saint-Laurent-ftori-rfcs-mwr^.nbsp;Lundi. � Sainl-Marc.
Mardi. � Sainle-Pudentie^nne.
Mercredi. � Saint-Sixte.
Jeudi. � Saints-C�me et Damien.
Vendredi. � Saint-Laurent-m-Lwcma.
Sarnedi. � Sainie-Siisanne.
� nbsp;nbsp;nbsp;Quatri�me Dimanche de Car�me. � Sainle-Croix-c�-/cr�sa/crrt.nbsp;Lundi. � Les Quatre -Couronnes.
Mardi. � Saint-Laurent-m-Damaso. ilfercretZi. � S^ini-P'dul-hors-des-murs.
Jeudi. � Saint-Martin-m-J/o/ja' et Saint-Sylveslre*m-Capifc-
-ocr page 63-RETKAITES. 5;)
cent Ie qualri�me dimanche du Car�me el conlinuent toule la se-maine (i).
Grace aux inslruclions �l�menlaires, les ignorants el les pauvres sauront faire Ie discernement du corps de J�sus-Christ, ils connaitrontnbsp;les dispositions essentielles qui doivent accompagner Ie chr�iien a lanbsp;Table sacr�e. Mais si l�esprii est �clair�, Ie cceur peul n�Ctre pas cmu,nbsp;et la vie morale ne revieudra point a rdme ; les maisons de retraiienbsp;obliendront ce dernier r�sullat.
Ces asiles o� Thoinme seul avec Dieu seul s�approprie les v�rit�s g�n�rales, se gu�rit de ses blessures el se renouvelle dans la vertu,nbsp;sont sem�s, comme les hospices, dans tous les quartiers de Rome; Ienbsp;convent des Passionnistes au Monl-Coelius, celui des Franciscains aunbsp;Palalin, la maison des Lazaristes a Monte-Cilorio, regoivent les eccl�-siastiques et les la�ques de toules les conditions. A Sainte-Lucie-m-Trastevere, les pauvres, les soldats, les artisans, trouvenl graluitementnbsp;une pieuse solitude o� ils trouvent pendant buit ou dix jours la doublenbsp;nourrilure de Fame et du corps. Les jeunes gens y vont aussi, a moinsnbsp;qu�ils ne soient envoy�s ii Ponte Piotto. Pour les �ludiants les excrcices
Vendredi. � Saintc-Aurclic et Sainte-Bibiane.
Samcdi. � Sainl-NicoIas-m-Carccre..
� nbsp;nbsp;nbsp;Dimanche de la Passion. � Saliit-Picrre au Vatican et Saint-Lazare.
Lundi. � Sainl-Chrysogone-m-r?�a5�et;crc.
Mardi. � Saint-Cyriaque-m-Sa?zia-3iana-m-Fm-Lafa, et a Sainl-Cyr el Sainie-Julietle.
Mercrcdi. � Saini-Marcel.
Jeudi. � Sainl-Ap�llinaire.
Vendredi. � Saiiil-�tienne-le-Rond, au Mont-C�eliiis.
Samcdi. � Saint-Jean-Porte-Laline.
� nbsp;nbsp;nbsp;Dimanche des Rameaux. � SaiiU-Jean-Jc-Latran.nbsp;hiindi. � Sainte-Prax�de.
Mardi, � Sainte-Prisque et Sainte-Marie-rfe^-Popo/o.
Mercredi. � Sainie-Marie-Majeurc.
Jeudi. � Saint-Jean-(le-Latran.
Vendredi. � Sainte-Groix-c�-/erzlt;5a/cw.
Samedi. � Saint*Jean-dc-Latran.
� nbsp;nbsp;nbsp;Dimanche de Pdques. � Sainte-Marie-Majeure.
Lundi� Sainl-Picrrc ct Saint-Onuphre.
Mardi. � Su'wt-Paul-hors-des-murs.
Mercredi. � Saint-Laurent-'/iO�S-rfes-mKr^.
Jeudi. � Les Douze-Ap�ircs.
Vendredi, � ^^hne-'^tlarie-ad-Martyres.
Samedi. Saint-Jean-dc-Latran.
� nbsp;nbsp;nbsp;Dimanche de Quasimodo. � Sainl-Pancrace.
(*} On lil dans ie Diario sacro : Dom. quarta di quares. Alle ore 22 si da principio nelle solite ebiese ai catcchismi in apparecchio alia S. Pasqua slabiliti da Benediclo XIVnbsp;nel 175�, e di sera negli oraiorj noliurni.
-ocr page 64-co LES TROIS ROME.
spirituels sc donnenl amp; TUniversiti, au Coll�ge romain, a Saint-Eu-s�be, etc. En 1819, Ms^ Pialti, archev�que de Tr�bisonde, �tablit sur Ie Janicule une maison de retraite destin�e aux nobles et aux officiersnbsp;de Ia garnison. Partie a ses d�pens, partie avec les aum�nes de Pie Vil,nbsp;il a pr�par� une habitation charmante qui s�ouvre tons les mois auxnbsp;retrailants, et surtout pendant Ie Car�ine. Grace aux invitations denbsp;l�excellent pr�lat, les exercices spiritucls y sont tr�s-fr�quent�s, el,nbsp;Dieu b�nissant Ie z�le d�sint�ress� de son minislrc, il en r�sulle unnbsp;grand bien. La vie morale se raniine dans les ames o� les pr�occupa-tions mondaines l�avaient presque �teintes; et des p�res de familienbsp;vraiment chr�tiens, des officiers vigilants et d�vou�s sont les fruitsnbsp;journaliers de ces retraites, presque toujours gratuites.
Les dames, les jeunes personnes, les femmes de toutes les classes se relirent dans les convents de religieuses. Elles vont en grand nombrenbsp;au monast�re del Bambin Ges�, pr�s de l�Esquilin, de Sainte-Ursule,nbsp;del Divin-Amore, voisin de la Basilique lib�rienne, etc. Cette derni�renbsp;maison appartientaux religieuses Augustines dont la principale occupation est d�aider les personnes de leur sexe qui viennent faire lesnbsp;exercices spirituels. Fond�es a Montefiascone par Ie cardinal Barba-rigo, elles sont �tablies a Rome depuis l�annde 1616. La sup�rieurenbsp;porie Ie litre de M�re-Vicaire, paree que la sainte Vierge est regard�enbsp;comme la premi�re sup�rieure de la maison ; les retraites s�y succ�-denl pendant toute Fann�e. Deux pr�tres attach�s au monast�re cat�-chisent, pr�chent, confessent et les enfants qui viennent s�y pr�parernbsp;h la premi�re communion, et les adultes qui viennent s�y reposer dunbsp;travail de la vertu et se pr�parer a de nouveaux combats (i). La nom-breuse association des dames et des demi-dames, dame, e semi-dame,nbsp;fait sa retraite au Caravila : j�en parlerai bient�t.
Former 1�homme ii entendre Ia voix de Dieu, a rentrer en lui-m�me et il se juger, tel est Ie but des pr�dications, des stations, des cat�-chismes et des retraites que Rome multiplie pendant Ie Car�me. Tou-tefois si puissants qu�on les suppose, ces moyens ne suffisent pas :nbsp;pour �tre, en effet, r�habilit� a ses propres yeux, Ie coupable a besoinnbsp;d�absolulion. II veut entendre son juge lui dire clairement; Allez ennbsp;paix, vos p�ch�s vous sont remis. Celte assurance est un besoin, unenbsp;n�cessit�, il la lui faut; et pourlant, inconcevable myst�re! il redoutenbsp;Ie tribunal o� cette sentence de mis�ricorde est prononc�e. Or, voil�nbsp;que pour l�attirer, l�ing�nieuse charit� romaiue a plac� sur les tribu-
(i) Constanzi, 1.1, p. 117-t25.
-ocr page 65-REMARQUES D UN PROTESTANT. 61
naux de la p�nitence des inscriptions pleines de confiance et de tendre niis�ricorde. Comment les voir sans �tre encourag�? Un protestantnbsp;c�l�bre, connu par ses pr�jug�s haineux contre le catholicisme, n�a punbsp;s�emp�cher d�admirer ces inscriptions. En voici plusieurs qu�il a prisnbsp;la peine de recueillir : Allez, montrez-vous au pr�trc. � J�irai dnbsp;mon p�re, et je lui dirai : Mon p�re, fai p�che. � lls seront remisnbsp;dans le del. � Retourne, � mon ume, d Ion repos. � Allez en paixnbsp;et ne p�chez plus. � Celui qui vous ecoute, m��coule. � Venez dnbsp;moi, vous tous qui g�missez sous le poids de vos mis�res. � Le Justenbsp;me reprendra avec mis�ricorde. � Voyez s�il est en moi une voienbsp;d�iniquit�, et ramenez-moi dans le chemin du del. � C�est pour entendre les g�missements des prisonniers (i).
Enfin, pour compl�ter I�impression en frappant les sens, viennent les grandes solennites de la Semaine Sainte. Nulle part sous le ciel,nbsp;Toei! de I�liomme ne contemple des porapes et des c�r�monies tour anbsp;tour plus attendrissantcs, plus lugubres, plus imposantes. Telle estnbsp;leur myst�rieuse puissance qu�elles vous jettent dans je ne sais quellenbsp;ivresse dont les salutaires effets se font longtemps sentir. Malgr� lenbsp;mal que les �trangers lui font, malgr� I�esprit antichr�tien qui soufflenbsp;sur le monde, Rome continue de pr�senter, pendant le Car�me, I�as-pect d�une chaste matrone, d�une sobre et grave mere de familie; etnbsp;les observations d�un �crivain protestant se v�rifient encore de nosnbsp;jours : (c J�ai remarqu�, dit-il, a Rome et en Itali�, que malgr� lesnbsp;progres du vice, le peuple de toutes les classes se contenait singuli�-rement pendant le Car�me. On n�entendait plus comme auparavant ninbsp;blasphemes, ni propos fibres. Le faste, la parure, les repas somptueux,nbsp;les d�lices avaient fait place a la modestie, a l�aust�rit�, a l�ext�rieurnbsp;de la p�nitence; des sermons �difiants tous les soirs, des qu�tes abon-dantes en faveur des pauvres, une apparence g�n�rale de componclionnbsp;et d�amendement.
� J�avoue que c�est en Italic que j�ai le mieux appris it appr�cier l�utifit� du Car�me, et a rendre justice aux motifs qui I�ont fait insti-tuer. Je ne saurais partager I'opinion de ceux qui pensent que lesnbsp;hommes devant, dans tous les temps, mener une vie conforme auxnbsp;principes de la foi, c�est une superstition de r�server une partie denbsp;l�ann�e pour une d�votion plus grande que de coutume. Quand on r�-ll�chit sur la difficnlt� de retenir constamment les hommes dans lesnbsp;hornes du devoir, on ne tarde pas � reconnaitre combien il est imper
il) Addison�s, Remarks on several parts of Italy, p. 31.
-ocr page 66-62 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
tant de fixer dans Tann�e un temps d�une dur�e raisonnable, pour les obliger b rentrer en eux-m�raes, et a faire de s�rieuses r�flexions surnbsp;leur conduite; de peur que Ie p�ch� ne jette de trop profondes racines,nbsp;et que l�habitude du vice ne devienne trop difficile i d�truire (i). �
8 MARS.
Ce que Rome fait tous les dimanches pour enlretenir Ia vie morale. � Instructions paroissiales et particuli�res.�Mission urbainc.�Exerciccs de Saint-Vit et de Sainte-Marie-�i-CapeHa. � Interpretation de 1��criture. � Chemin de la Croix au Colis�e.nbsp;� Saluts du Saint-Sacrement. � Tous les jours de la semaine, instructions et pratiques en l�honneur de Notre-Seigneur et de la Sainte-Vierge� Enterrement.
Le z�le qu�elle d�ploie dans les �poques solennelles de Paqties et de la premi�re Communion, pour abreuver ses enfants a la source m�menbsp;de la vie morale, Rome le soutient perp�tuellement, afin de les main-tenir dans l�heureux �tat oii elle les a places. Aux efforts incessants denbsp;r�ternel ennemi du genre humain, elle oppose des efforts non moinsnbsp;soutenus. Pendant toute Pann�e les moyens de pers�v�rance les plusnbsp;vari�s et les plus nombreux sont m�nag�s aux heureux habitants de lanbsp;Ville sainte.
Conform�ment au pr�cepte du Concile de Trente, tous les dimanches, a la messe paroissiale, les cur�s font une hom�lie it leurs parois-siens; et le soir, ils les r�unissent pour entendre Pexplication du cat�-chisme. De plus, dans beaucoup d�autres �glises, il y a, tous les jours de f�te, une instruction pour le people. Au Ges�, a \'Ara-Cceli, auxnbsp;Douze-Apdtres,at ailleurs, on pr�che vers onze heures du matin. Dansnbsp;toutes les �glises ou oratoires des norabreuses confr�ries, apr�s la r�-cilation de l�Office des Morts ou de la sainte Vierge, on fait aux associ�s une instruction, que la langue italienne appelle gracieusementnbsp;un fermrino : le discours est suivi de la messe. La m�me chose a lieunbsp;dans les universit�s, les coll�ges, s�minaires, associations pieuses r�-pandues dans tous les quarliers de Rome; voila pour le matin.
Le soir, a l��glise de la Minerve, on r�cite le Rosaire, et un des confr�res du P. Lacordaire, un Dominicain, fait un discours a la foule nombreuse qu�altire la r�putation de Porateur. Dans le m�me tempsnbsp;a lieu ce qu�on appelle la mission urbaine, missione urbana. Un pr�-tre, choisi parmi beaucoup d�autres associ�s il la m�me oeuvre, r�unitnbsp;le people dans une �glise indiqu�e d�avance, et lui adresse une in-
(i) Sir Edwin Sands, Europee speculum.
-ocr page 67-EXEnciCES CE SAisr-viT, ETC. nbsp;nbsp;nbsp;63
struclion forte, mais famili�re, suivie de l�acte solennel de Contrition :
Ie peuple affeclionne parliculi�rement celte pieuse pratique. Pour Pen faire jouir plus faeilement, la mission change d��glise tons les mois.nbsp;C�est le directeur du Caravita qui se charge ordinairement de cet utile,nbsp;mais laborieux minist�re. A Saint-Vit, au Mont-Esquilin, il y a unenbsp;dominicale en faveur des enfants et des adultes qui onl fait les exer-cices spirituels dans le courant de l�ann�e. Les eglises de religieuses,nbsp;les conservatoires de jeunes personnes onl aussi, les dimanches el lesnbsp;fetes, des instructions donnees par des pr�tres s�culiers on r�guliersnbsp;sp�cialement chai�g�s de cette fonction. Vers la tomb�e de la riiiil, lenbsp;voyageur, qui descend le Tibre du c�t� de Saint-Michel, voit accourirnbsp;a l��glise de Sainie-Marie-m-CapeWa, les mariniers, doni les largesnbsp;bateaux couvrent le port de llipa-Grande. Dans ce v�n�rable sanc-luaire, d�di� h l��toile de la mer, la confr�rie de Saint-Paul r�unil lesnbsp;pauvres et les matelots, les cat�chise, les conl�sse, les dispose a la dignenbsp;reception des sacremenls.
II est un autre genre de predication que je n�ai trouv� qu�a Rome, et qui me semble tr�s-propre a r�pandre, parmi les fid�les, un grandnbsp;fonds de doctrine et de pi�l� : je veux parler de THerm�neutique onnbsp;interpr�lalion de l��criiure. Des religieux de diff�rents ordres se partagent le lexte sacr� el se succ�dent dans la m�me chaire, de six ennbsp;six mois. Le premier commence par la Gen�se, et explique un ou plu-sieurs livres de l�Ancien Testament. li en dit l�origine, le sujet, la division ; d�veloppe les fails principaux et en lire des cons�quences pratiques. Ses successeurs expliquent les livres suivants; en sorte qu�aunbsp;bout d�une ou de deux ann�es, la Bible tout enti�re, depuis les livresnbsp;de Mo�se jusqu�a 1�Apocalypse, est expos�e aux simples fid�les. Nousnbsp;assistions avec bonheur a ce cours d�enseignemenl si nouveau pournbsp;nous. 11 y avail foule; et les gens du peuple, les simples femmes for-maienl une grande parlie de l�audiloire. A en juger par le silence etnbsp;1 attention g�n�rale, cette instruction avail pour tous un atlrait particulier. Pour rnoi elle avail un autre m�rite, celui de fermer la bouchenbsp;a nos fr�res s�par�s. On sait que les protestants ne craignent pas d�ac-cuser l��glise de s�opposer a 1��tude de J��criture sainte ; et l��glisenbsp;leur r�pond en faisant expliquer publiquement et perp�tnellemenl lesnbsp;livres sacr�s. Parmi les pr�dicateurs qui remplissent glorieusement cetnbsp;int�ressant minist�re, il faut nommer en particulier les pcres J�suites,nbsp;les Augustins et les Fr�res Mineurs de 1�Observance.
Les dimanches et les f�tes on trouve encore ii Rome une pratique de pi�t� qui a Ie privil�ge d�atlirer une grande foule ; c�est l�exercicc
-ocr page 68-64 nbsp;nbsp;nbsp;lES TROIS ROME.
solennel du Chemin de la Croix au Colis�e. Les confr�res du Via crucis partent de leur oratoire silu� au Forum. Une grande croix denbsp;bois, nette croix qui a sauv� Ie monde, marche en t�te, portee ordi-nairement par Ie cardinal protecteur de la confr�rie, rev�tu du sac denbsp;la p�nitcnce. La procession des confr�res est imm�diatcment suivie denbsp;celle des swurs, sorelle, qui s�avancc, comme la premi�re, pr�c�d�e denbsp;la croix. L�arbre sacr� est soutenu Ie plus souvent par les mains d�li-cates de quelque noble dame romaine, petite-fille peut-�tre des Fabiusnbsp;et des Scipions. Le double cort�ge se dirige lentement vers Ie Colis�e,nbsp;au chant des hymnes et des cantiques. Arriv�es au centre de Far�ne,nbsp;o� attend une foule compacte et silencieuse, les deux confr�ries senbsp;rangent autour de la grande croix, sur le pi�destal de laquelle montenbsp;un bon religieux du couvent de Saint-Bonaventure. II pr�che; et sonnbsp;humble parole, empruntant aux ruines gigantesques de Famphith�atrenbsp;et aux souvenirs puissants de la grande lulte accomplie dans ces lieux,nbsp;une �loquencc irresistible, les cceiirs s�attendrissent bicnt�t; et vousnbsp;voyez, pendant la visite des stations, les fid�les, Remains et �ti�angcrs,nbsp;arroser de leurs larmes ce sol tremp�, il y a quinze siccles, du sangnbsp;de nos p�res. Tels sont avec les pieux p�lerinages, et les saluts dunbsp;Saint-Sacrement donn�s chaque dimanclie dans quarante �glises, lesnbsp;principaux exercices par lesquels Rome sanctifie le jour du Seigneurnbsp;et entretient la vie morale au ceeur de ses enfants.
Que fait-elle dans le m�me but pendant la semaine? Chaque jour, le soleil sc l�ve pour �clairer et f�conder la lerre, chaque jour Fair senbsp;renouvelle pour fournir un aliment aux pouinons des �tres anim�snbsp;ce qui se fait dans Fordre physique pour la conservation des corps,nbsp;Rome le fait dans Fordre moral pour la conservation des aines. Chaque jour le soleil de la verit� brille a son horizon, et la parole sainte,nbsp;qui en est comme le rayonnement, p�n�tre dans les Ames de bonnenbsp;volont�. Afin de pr�venir la monotonie, les salutaires pratiques de lanbsp;pi�t� changent continuellement de forme et d�objet secondaire; denbsp;sorte que les esprits et les coeurs, quels que soient leurs dispositionsnbsp;et leurs besoins, trouvent infailliblemenl, dans le cours de la semaine,nbsp;le rem�de a leur faiblesse, Faliment � leur faim, la lumi�re a leursnbsp;l�n�bres.
Toutefois, la pens�e dominante de la charit� romaine est de fixer perp�tuellement les regards de Fhomme sur les trois grands objetsnbsp;du culte catholique : tout cc qu�il y a de flus saint, de flus aimablenbsp;et de flus attendrissant; J�sus, Marie et les �mes du furgatoire, sontnbsp;sans cesse rappel�s a Fesprit et au coeur des fid�les. De l�, dans la
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pi�t� romaine, ce m�lange de force, de confiance enfantine et de ten-dresse, que je n�ai Irouv� nulle part au m�me degr�; de la encore cette formule par laquelle les pauvres demandent l�aum�ne, et qui resume si bien l�esprit du catholicisme a Piome : Un mezzo bajocconbsp;per l�amor di Ges� sacramento, di �laria santissima et delle animenbsp;del purgatorio. Que l�intention de la m�re et de la maitresse de toutesnbsp;les �glises soit d��lever a sa plus haute puissance ce triple sentiment,nbsp;les faits vont l��tablir. Et d�abord, Tinstruction qui nourrit la foi etnbsp;qui �claire la pi�t� coule chaque jour de la semaine, abundante et va-ri�e, sur les diff�rents points de la Ville sainte. Dans Tapr�s-midi, deuxnbsp;instructions sur les devoirs de la vie commune ont lieu amp; l��glise dellanbsp;VaUicella; Ie soir, elles se r�p�tent plus vari�es et plus nombreusesnbsp;a la mission in Monte-Citorio et dans tous les oratoires nocturnes.
Tous les jours de l�ann�e, a Sainte-Marie-Madeleine, au Quirinal, exposition et b�n�diction du Saint-Sacrement.
Tous les jours de l�ann�e, a Sainte-Marie-de-la-Paix, une messe votive de la Sainte Trinit�, en actions de grftces des privil�gcs accord�snbsp;a Marie par chacune des trois augustes Personnes.
Tous les jours de l�ann�e, a Sainte-Marie-de-la-Minerve, a Saint-Nicolas-dei-Perfetti, � Saint-Cyr, a Sainte-Marie-deZ-Pf�Klt;o, du Suffrage, de Lorette; a Sainle-Marie-dei-Monti, a VAra-Coeli, a Saint-Celse, aux Saints-Anges-Gardiens, a Saint-Nicolas-m-Carcere, a Saint-Barth�lemi-en-TIle, a la Trinit�-dcs-P�lerins, ii la Mort, a Saint-Lauvent-in-Damaso, b Sainte-Marie-des-Graces, ^ Porta Angelica, anbsp;Sainte-Marie-rff-Mojite-Sawlt;o, a Sainte-Marie-des-Anges, aux P�res-de-la-P�nitence, r�citation publique du Rosaire avec b�n�diction dunbsp;Saint-Sacrement.
Tous les jours, h Saint-Marcel et � Sainte-Marie-m-Ft�, r�citation solennelle de la couronne des Sept-Douleurs de la sainte Vierge.
Tous les jours, a Sainte-Marie-m-Cosmecltw,et ^ Sainte-Marie-deHa-Pietd, sur la place Colonne, a Saint-Fran^ois-de-Paule-ai-il/onit, r�citation des Litanies de la sainte Vierge et du Rosaire.
Tous les jours, vers Ie commencement de la nuit, r�citation de la Couronne des Tr�pass�s au Cimeti�re du Janicule, et dans toute lanbsp;ville VAve Maria des Morts.
En assistant a 1�une de ces pieuses r�unions, nous fumes t�moins, dans l��glise de Sainte-Marie-des-Graces, de l�enterrement d�une jeunenbsp;personne. Depuis vingt-quatre heures Ie corps �tait d�pos� ii l��glise,nbsp;dans une bi�re ferm�e. Des messes se c�l�braient aux divers autels, etnbsp;les nombreuses compagnes de la jeune d�funte, v�tues de blanc et
-ocr page 70-66 LES TKOIS ROME.
couvertes d�un grand voile, se tenaient agenouill�es, un cierge a la main, autour du catafalque, ou se rendaient successivement la sainlenbsp;table, pour y coinmunier en faveur de leuramie. Celle-ci �tait habill�enbsp;de blanc; sa t�te virginale �tait orn�e d�une couronne de roses; unnbsp;voile broch� d�or couvrait son noble visage, dont la s�r�nit� annongaitnbsp;l�innocence de l�aine et Ie calme d�un doux sommeil. Non loin du catafalque s�ouvrait Ie caveau fun�bre. Au milieu des hymnes de l�esp�-rance on y descendit lentement la jeune victime de la mort; car pournbsp;elle la tombe est une m�re, dans Ie sein de laquelle une nouvelle vienbsp;lui sera donn�e. En attendant, elle ne sera point oubli�e; une simplenbsp;pierre la s�parera de ses amies et de ses proches. Nul ne viendra dansnbsp;la pieuse �glise sans donner une larme �l sa m�moire, une pri�re a sesnbsp;besoins. Comme ce touchant spectacle traduit bien la pensee catho-lique! Entre cette lenteur dans la derni�re s�paration, celte publicit�nbsp;de la mort, cette s�puliure dans Ie temple, et la rapide clandestinit�nbsp;de nos enterreraents jointe it l�isolement impie de nos cimeti�res:nbsp;quelle diff�rence!
9 MARS.
Sainle Francoise, Uomaine. � Oraloires nocturnes. � Lo Caravita. � �coles du soir.
D�s Ie matin, Ie jieuple se portait en foule a T�glise de. Tor dei Speecht: on y c�l�brait avec grande pompe la f�te de saintc Franf-oise,nbsp;Romaine. J�eus moi-m�me Ie bonheur d�offrir les augustes myst�resnbsp;dans ces lieux remplis de pieux souvenirs et au milieu de la commu-naut�, digne h�riti�re de la Sainte. N�e a Rome, en 1384, d�une il-lustre familie, Francoise �pousa, jeune encore, Lorenzo Ponzani, �ga-lement distingu� par sa noblesse, sa fortune et ses vertus. Cette unionnbsp;rappela celle de saint �l�azar et de sainte Delphine. Devenue veuve,nbsp;Frangoise r�solut de se consacrer enti�rement it Dien et aux pauvres.nbsp;Dans Ie monde on l�avait vue, unissanl la mortification amp; l�aum�ne,nbsp;faire avec les mendiants un commerce d�un �go�sme, sublime. Ennbsp;�change du bon pain qu�elle leur donnait, elle voulait qu�ils lui c�das-sent les cro�tes dess�ch�es dans leurs poclies; et tandis que Ie pauvrenbsp;mangeait la nourriture d�licate de l�opulcnce, la noble matrone se con-tentait du grossier aliment de la mis�re. Son enti�re abnegation d�elle-m�me se traduisit par un mot qui reste dans la communaut�, o� ilnbsp;conserve Ie m�me sens. Partout ailleurs la religieuse appelle profession, 1�acie solennel de sa cons�cration au service de Dieu; ici on Ie
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d�signe par Ie mot i'ohlation. Ne trouvez-vous pas l� une nuance d�id�es que l�esprit admire et une exquise d�licatesse de sentimentsnbsp;lt;iui p�n�tre Ie coeur? La religicuse vous apparait, non plus seulementnbsp;comme une personne qui prononce des engagements plus ou moinsnbsp;�tendus; mais comme une humble victime qui s�apporte elle-m�me anbsp;1�autel, affcro, et qui s�immole sans retour et sans partage.
La chapelle et toutes les salles du couvent �taient remplies de dames de la plus haute condition; car les oblates de Sainte-Frangoise se re-crutent en g�n�ral dans les classes �lev�es de la soci�t�. Au sorlir d�unnbsp;magnifique salut du Saint-Sacrement, nous continuitmes noire �tudenbsp;de la charit� romaine.
S�il vous est arriv� de parcourir, a la chute du jour, les boulevards de Londres ou de Paris, vous aurez vu, de distance en distance, desnbsp;�difices splendidement �clair�s, et une foule d�arlisans et d�ouvriers,nbsp;d�hommes, de femmes et d�enfants, entrer p�le-m�le dans ces vastesnbsp;biitimenls. C�est I�heure du spectacle ; Ie peuple s�y rend, il y passenbsp;une partie de la nuit; et, en �change de son argent, il apprend a senbsp;moquer de la religion, de la vertu et des bonnes moeurs; ses-passionsnbsp;s�irritent, ses d�sirs s�enflamment, sa vie morale s�all'aiblit, et souventnbsp;Ie devoir lui devient un fardeau trop lourd. En tout cas, il n�en sortnbsp;jamais ni plus probe, ni plus r�sign�, ni plus laborieux; et pourtantnbsp;il a d�pens� une partie de son salaire et de la subsistance de sa familie. A Rome aussl vous trouvez des th��tres, mais les pi�ces sontnbsp;rigoureusement censur�es; et puis, a c�l� de ces lieux de divertissement profane, l�intelligente charit� tient ouvert des asiles o� l�hommenbsp;du peuple el m�me Ie ciloyen opulent peuvent trouver des jouissancesnbsp;qui accroissent leur vie morale, raniment leur courage, consulentnbsp;leurs chagrins, soutiennent leur faiblesse, sans entamer ni leur fortune ni leurs �pargnes : je veux parler des oratoires nocturnes.
On donne ce nom des �glises ou chapclles, plus ou moins vastes qui s�ouvrent tous les soirs au public. Des chants religieux, de la mu-'nbsp;sique, une instruction, des priores, d�autres exercices de pi�t�, senbsp;succ�dent jusqu�a une heure fort avanc�c de la nuit. On trouve desnbsp;oratoires nocturnes dans tous les quarliers de Rome, et partout l�as-sistance est nombreuse. Vous en avez un a Sainte-Marie-tZeLjPfan�o,nbsp;pr�s de la place Giulia, qui est dirig� par les membres de l�archicon-fr�rie de la doctrine chr�lienne. Le cardinal .\nlonelli, dont la m�-moire sera toujours en b�n�diction parmi les catholiques, en �lablitnbsp;quatre dans les quartiers les plus �loign�s de Rome. G�est en 1795nbsp;qu ils s�ouvrirent sous la direction d�un pr�lre illusire, don Joseph
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Marconi. Le premier cst ai Monti, le second, a la place Barberini, le troisieme, au Trastevere, et le quatrieme pr�s de la place de Navone,nbsp;a I�eglise della Pace.
Toutefois l��tendue de la ville et rempressement du peuple les ren-daient insuffisants. D�ailleurs toule la cit� Leonine, ainsi que les environs du Vatican, �taient priv�s de cette utile institution. L�abb�, comte Fioravanti, mort dans la suite �v�que de Rieti, combla cette lacune. Sur le mod�le des pr�c�dents, il �tablit iin oratoirc nocturne �nbsp;l��glise de Saint-Ange-ni-Comdon'. Restaient les quartiers populeuxnbsp;du Ponte Quattro-Capi. Grace au z�le du chanoine Carboni, cure denbsp;Saint-A�ige-in-Pescheria, ils fiirent bient�t favoris�s du m�me bion-fait. Leur oratoirc est a Sainte-Marie-m- Vincis. Plac� sous la protection de saint Francois-Xavicr et agreg� au Caravita, il r�unit con-stamment une foule nombreuse de fid�les et d�ap�tres z�l�s. R existenbsp;encore plusieurs autres oraloires nocturnes, dont je ne parle pas afinnbsp;d��viter les longueurs. Je me contente de faire connailre celui du Caravita, le plus ancien et Ic plus c�l�bre de tous. Son histoire, d�ailleurs, est l�histoire de tous les autres ; partout le mCme but, le m�menbsp;ordre et les m�mes moyens.
En 1606, vivait a Rome un jeune novice de la Compagnie de J�sus, nomm� Nicolas Promontorio. Suivant l�usagc, il s�cn allait chaquenbsp;dimanche, de concert avec ses coll�gues, preeber sur les places pu-bliques. Son eloquence et sa pi�t� attiraient autour de son palco unnbsp;grand nombre d�auditeurs qu�il conduisait ensuile au tribunal de lanbsp;reconciliation. Le dernier dimanche du mois on les voyait tous ensemble s�approcher de la sainte Table, dans F�glise la plus voisine denbsp;la place o� s��tait faitc l�instruction. Bient�t on les r�unit les jours denbsp;f�te dans une chapolle du coll�ge Piomain. G�est de la que les plusnbsp;fervents partaient pour aller faire la mission urbaine, ayant a leur t�tenbsp;le pieux novice fondateur de cette bonne ceuvre.
Le p�re Caravita succ�da au p�re Promontorio dans le double em-ploi de directeur de la mission et de president de l�oratoire. Enti�-rement d�von� au succ�s de ces institutions naissantes, il obtint des aum�nes assez consid�rables pour faire balir la superbe cliapelle quinbsp;porte encore son nom. Elle est situce au centre de Rome, non loin denbsp;F�glise de Saint-Ignace. Trois patrons lui furent donn�s : la saintenbsp;Trinitc, sainte Marie della Pi�ta, et le grand ap�tre des temps nio-dernes, saint Frangois-Xavier ; jamais vocable n�exprima mieux et lenbsp;but et les moyens d�une oeuvre de ce genre.
L�oraloire s�ouvre tous les jours a vingt-quatre heures d�Italie,
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c�est-i-dire � la tomb�e de la nuit. Voici les exercices qui s�y font pour les hommes seulcment. On commence par quelques pri�res siii-vies d�une instruction prononcce par Ie directeur : vient eusuite Icnbsp;chant sublime du Salve Regina. 11 est h peine fini qu�on expose Ienbsp;Saint-Saerement, et en presence de toute la foule prostern�e, se faitnbsp;Ie fervorino pour exciter a la contrition. Sur tons les assistants ainsinbsp;pr�par�s tombe la bcn�diclion de celui qui regarde avec amour lesnbsp;cojurs contrits et humili�s. Le mardi, lejeudi et Ie samedi, des exercices de penitence corporelle remplacent le sermon. Pendant toute lanbsp;s�ance vous voyez de nombreux confesseurs assis sur leurs tribunaux,nbsp;et dont l�utile minist�re se prolonge quelquefois tr�s-avant dans lanbsp;nuit. A la fin des exercices, quelques membres de l�oratoire commen-cent la r�citation du chapelet. Ils la continuent a plusieurs choeursnbsp;dans les rues; la foule m�le sa voix � leur voix, et les pieux corteges vont achever les louanges de la M�re de mis�ricorde et de gracesnbsp;au pied de la Madone de VArchetto ou de la place Madame.
Le Caravita ne s�ouvre pas seulement le soir de cbaque jour. Le matin de toutes les f�tes de pr�cepte, il recoit les hommes seulementnbsp;qui trouvent ii s�y confesser. On y fait a haute voix la meditation pendant une demi-heure : on y chante l�o�ice de la sainte Vierge, on ynbsp;entend une instruction suivie du saint sacrifice de la Messe. Le premier dimanche de chaque mois a lieu la preparation a la mort, lanbsp;r�citation de Toffice des Tr�pass�s et la communion g�n�rale.
Depuis le soir de No�l jusqu�au premier janvier, les hommes y font leur retraite. A certaines �poques, l�entr�e du Caravita est exclusive-ment r�serv�e � deux vastes associations de femmes. La premi�re, fon-d�e en 1707, approuv�e et enrichie d�indulgences par le pape Cl�ment XI, se compose de l��lite de la soci�t� romaine ; elle s�appelle lanbsp;Congr�gation des Dames. Les membres de cette noble assembleenbsp;viennent � l�oratoire une fois par mois pour la retraite de la Bonne-Mort; y font, pendant la semaine de la Passion, les exercices spiri-tuels de huit jours, et un triduum en pr�paration a la f�le de l�As-somption. Elles s�y rendent encore pour assister au service solennelnbsp;qu�on y c�l�bre a la mort de chacune des associ�es; remettent � lanbsp;prieure l�offrande destin�e a la c�l�bration des messes en faveur de lanbsp;d�funte, et vont tour � tour porter des aum�nes � l�h�pilal de Ia Consolation, OU des encouragements et des instructions pieuses aux femmes condamn�es. Quoiqu�a des jours diff�rents, la seconde congr�gation, appel�e des Demi-Dames, Semi-Damc, jouit des m�mes gracesnbsp;et des m�mes exercices que la premi�re. Seulement les membres de
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LES THOIS ROME.
cette association r�servent leurs charitables soins pour l�hospice de Saint-Jacques-des-/nCMro6?es.
On voit que les r�unions du Caravita et en g�n�ral de tous les ora-toires nocturnes, n�ont pas seulement pour objet la perfection de ceux qui les fr�quentenl; tnais qu�elles tendenl ii entretenir et i� porter lanbsp;vie morale dans ceux qui en sont �loign�s. Ainsi les quatre congr�ga-tions d�hommes, dont l�illustre chapelle est pour ainsi dire Ie centre,nbsp;s�emploient avec une ardeur merveilleuse au bien des classes labo-rieuses ordinairement si negligees dans les grandes villes. Compos�esnbsp;de pr�tres et de la�ques, elles vont faire dans tous les quartiers denbsp;Rome et m�me � la campagne, des instructions populaires aux mois-sonneurs, aux faucheurs, aux voiturins, p�n�trant pour cela dans lesnbsp;carrefours, dans les hangars, dans les remises, partoul enfin o� senbsp;trouvent r�unis leurs auditeurs. Elles les invitent h venir au Caravita,nbsp;OU des confesseurs charitables les altendent; et Dieu seul connait lesnbsp;myst�res de r�habililation qui s�accomplissent dans ces �mes trop souvent et trop longtemps negligees. Plusieurs fois t�moins de ce spectacle, bien autrement int�ressant que la vue du Colis�e ou de l�arc denbsp;Janus, nous ne savions que b�nir et admirer. D�vouement du z�le,nbsp;puissance de la foi, Rome se montrant aussi bien dans Ie d�tail quenbsp;dans l�ensemble de ses muvres la m�re de ses enfants et Ie mod�le denbsp;toutes les �glises ; voila ce qui ressort en traits lumineux de ces institutions, a peu pr�s ignor�es de l�Europe et invisibles au voyageurnbsp;mondain.
Ce n�est pas tout; Ie d�sir d�instruction, qui tourmente notre si�cle, se fait sentir en Itali� comme en France. Avec cette intelligence sup�rieure qui ne lui manqua jamais, Rome Ie seconde, et Ie fait ser-vir au' progr�s moral de ses habitants. Nous savons d�j� ce qu�elle faitnbsp;pour l�instruction de I�enfance; Page mur est aussi 1�objet de sa solli-citude. Au commencement de 1842, Rome comptait d�j� buit �colesnbsp;du soir, fr�quent�es par un millier d�adultes. Une �cole co�te 160 �cusnbsp;par an. On voit par la l��conomie tant pris�e de nos jours de Finsti-tution roniaine. Elle est due � la charit� des excellents maitres qui,nbsp;sans autre r�compense que Ie m�rite acquis devant Dieu, pr�tent gra-tuitement leur concours a l��ducation du pauvre, sacrifiant � ce besoinnbsp;religieux les plus belles heures de la soir�e, avec un z�le �gal a celuinbsp;de nos bons Fr�res de la doctrine chr�tienne. Un grand nombre d�ec-cl�siastiques et de la�ques se d�vouent � cette aum�ne inlellecluelle,nbsp;dont Ie principal but est moins de faire des savants que des chr�liensnbsp;fid�les et des citoyens probes, laborieux et moraux. Les cur�s de la
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ville t�moignent le plus grand z�le pour ces institutions. Une centaine de personnes et le pr�sident des subsides fournissent les fonds n�cessaires a la location des batiinents, a I�achat des plumes, papier, etc.,nbsp;et aux d�penses de la r�union du dinianche. Parmi les principaux donateurs, on nous citait le cardinal Patrizi, vicaire de Sa Saintet�, lenbsp;due Sforza Cesarini, et surtout les nobles families Buoncompagni etnbsp;Borgh�se qu�on est certain de toujours rencontrer sur le cheinin desnbsp;Bonnes oeuvres.
Essentiellement chr�tienne, Rome imprirae son cachet a ces �coles d�adultes comme a tout ce qu�elle touche. Ainsi, les confesseui�s rem-placent, pendant la soir�e du samedi, les lemons et les �tudes. La ma-tin�e du dimanche est employ�e a des exercices de pi�t� cn commun;nbsp;apr�s le d�jeuner les jeunes gens sent conduits dans de heaux jardinsnbsp;pour s�y livrer � la r�cr�atioi�. De cette mani�re, les �coles du soirnbsp;r�unissent toules les conditions pour former le coeur � la vertu, cenbsp;qui est le premier but de I�institution romaine.
10 MARS.
Exposition el Adoration pcrpcluclle du Saint-Sacrement. � Culte perp�luel de Marie.
Tandis que les peuples de I�Europe actuelle, emport�s par le lour-billon des affaires et des plaisirs, s�agitent, et se corrompent en se communiquant, au lieu de la vie morale, la fievre brulante des pr�oc-cupations raal�rielles, Rome pr�sente aux yeux de I�ohservateur unnbsp;spectacle bien diff�rent. Au milieu dii silence de sa solitude, elle senbsp;lient nuit et jour prostern�e devant celui qui donne aux nations lanbsp;vie surnaturelle dont il est la source. Epouse et m�re, elle ne cessenbsp;pas d�offrir a Dieu des pri�res et des larmes, afin qu�il lui plaise denbsp;r�pandre ses lumi�res sur les aveugles, ses mis�ricordes sur les cou-pahles, ses h�n�dictions sur tous les hommes, enfants de leur commune tendresse. C�est Monique a Milan; e�est Antoine au d�.sert; e�estnbsp;Mo�se sur la montagne sollicitant des conversions et des victoires, etnbsp;les ohtenant : ou, pour mieux dire, c�est le christianisme avec sonnbsp;dogme tout � la fois si lumineux et si consolant de la r�versihilit� desnbsp;m�rites; c�est Rome enfin rev�tue de l�apostolat de la v�rit� et honor�enbsp;du sacerdoce de l�expiation.
A cette mission nouvelle, trop peu connue des nations, la m�re des �glises ne fait point d�faut. Depuis le premier jour de l�ann�e jusqu�aunbsp;dernier, le Saint-Sacrement reste nuit et jour expos� sur les autels, et
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nuit et jour il est entour� d�adorateurs. Cetle d�votion remonte a l��poque precise o� Ie protestantisme triomphant insultait, dans l�Eu-rope enti�re, au Saint des saints, niait sa pr�sence dans les tabernaclesnbsp;de la terre, et livrait ses temples aux flammcs, ses martyrs aus xentsnbsp;et ses pr�tres h la mort. Ellc fut pour la premi�re fois �tablie, en 1560,nbsp;par rarchiconfr�rie de la Mort, dans l��glise de Saint-Laurent-m-Damaso. Depuis ce moment elle est devenue g�n�rale, et n�a jamaisnbsp;cess�. Le premier jour de l�ann�e ecccl�siastique, c�est-a-dire Ie premier dimanche de l�Avent, apr�s la messe pontificale, c�l�br�e amp; lanbsp;chapelle Sixtine, le Saint-P�re expose le Saint-Sacrement dans la cha-pelle Pauline : il y reste jusqu�au mardi matin, environn� d�adorateurs. De la il passe � la basilique de Saint-Jean-de-Latran, puls dansnbsp;les autres �glises patriarcales, et enfin dans toutes celles qui sontnbsp;d�sign�es a eet honneur par le cardinal-vicaire.
Apr�s avoir parcoiiru toute P�tendue de la ville et �puis� le cerele Je Pann�e, Ia grande Victime de propitiation revient a son point denbsp;d�part, d�o� elle recommence son miscrleordieux p�lerinage. Le Saint-Sacrement reste expos� dans chaquc �glise pendant quarante heures.nbsp;Le matin, on c�l�bre une messe solennelle suivie d�un grand nombrcnbsp;d�autres � voixbasse; vers midi on fait une procession int�rieure, ennbsp;chantant les Litanies des Saints, commc pour conjurer tons les ci-toyens du ciel de venir compl�ter, par leurs adorations, les supplications de la terre. Le troisi�me jour on renouvelle les m�mes pri�resnbsp;et les m�mes hommages, on donne la b�n�diction; et au moment pr�cisnbsp;o� le Sauveur du monde entre dans Ie tabernacle, les cloches annon-cent au loin qu�il reparait sur les autels d�une autre �glise.
Les adorateurs ne manquent jamais au Dieu qui vient ainsi recueil-lir les voeux et les hommages de ses enfants. Grace au Diario Romano, tout le monde connait d�avance F�glise qui a les quarante heures.nbsp;A d�faut de cette indication, la m�moire des fid�ics, le son des cloches,nbsp;les riches tentures qui d�corent le portail du temple avertissent lanbsp;foulc et I�attirent au pied des autels. Pendant toute la journ�e unnbsp;peuple plus OU moins nombreux tient compagnie au divin M�diateur.nbsp;Merci, mon Dieu! de nous avoir tant de fois rendus t�moins de eet �di-liant spectacle.
Mais quand le soir sera venu, le besoin d�un repos n�cessaire ne fera-t-il pas deserter l��glise? Qu�on se rassure : la grande associationnbsp;duiSaint-Sacrement saura veiller au nom de la ville enti�re. Compos�enbsp;de tout ce qu�il y a de plus �minent en pi�t� dans le clerg�, dans lanbsp;pr�lature, dans le sacr� coll�ge, dans la noblesse et dans le peuple.
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elle comptc des membres dans tons les quarliers. Un certain nombre est d�sign� pour venir, a tour de role, passer une partie de la nuitnbsp;(ievant lo Saint-Sacrcment. Vers les neuf heures du soir, un carrossenbsp;flestin� a cet usage vient chercher a leur domicile les adoraleurs nocturnes. Ils sont pour le moins au nombre de quatre, non compris unnbsp;pr�tre ct un clerc. Leur adoration dure quatre heures, apr�s les-quelles ils sont releves par de nouveaux confr�res. Un petit livrenbsp;contient les meditations, les pri�res, les hymnes qui doivent les oc-cuper.
Pendant que le pr�tre veille � ce que tout se passe suivant les r�gies prescrites par les constitutions apostoliques, le clerc sonne tl�heure en heure la cloche de l��glise, afin d�avertir les fid�les, ennbsp;fiuelque lieu qu�ils soient, d�offrir leurs adorations a I�auguste Vic-time. Ce tintement de la cloche a toutes les heures du jour et de lanbsp;tmit, produit sur I�lime religieuse une impression dont je ne sauraisnbsp;cxprimer la puissance. Le coeur m�me le plus dissip� ne r�ussit pasnbsp;toujours a s�cn d�feiidre ; une foule de confidences intimes ne laissentnbsp;itucun doute a cet �gard. J�ajouterai que les adorateurs ont coutumenbsp;de faire entre eux un pieux echange de pri�res en faveur des amesnbsp;auxquelles ils s�int�ressent. Je pourrais en citer un qui a souventnbsp;empruntii les adorations et les communions de ses confr�res, pour ob-lenir la conversion d�un illustre coupable : le succ�s a d�pass� sonnbsp;esp�rance.
L�exposition perp�tuelle du Saint-Sacrement est une des gloires exclusives de Rome, mais elle n�est pas la seule; dans la M�tropole denbsp;la foi, il existe d�autres oeuvres non moins propres a entretenir la vienbsp;morale au sein des nations, a faire couler sur le monde un fleuve denbsp;graces et a d�sarmer la justice de Dieu irrit�e par les crimes de lanbsp;terre. De ce nombre sont les grandes associations destin�es � honorernbsp;la sainte Trinit�, le Verbe fait chair, le pr�cieux Sang, la Reine de lanbsp;Mis�ricorde, etc. Pri�res continuelles, aum�nes abondantes, mortifications vari�es : tels sont les moyens par lesquels les pieux confr�resnbsp;aceomplissent leur utile mission. Parmi ces diff�rentes institutions, ilnbsp;en est une que je me plais a mcntionner. En France, nous avons desnbsp;soci�t�s d�assurance contre I�incendie, centre la gr�le, centre lesnbsp;inondations, contre les naufrages, que sais-je? Tout cela peut �trenbsp;avantageux; mais une soci�t� qui s�en va fermer la source des fl�auxnbsp;en changeant la justice de Dieu on mis�ricorde et sa col�re en cl�-mence, n�est-elle pas plus utile et plus sure? Eh bien! il existe �nbsp;Rome une association perp�tuellemcnt en pri�re pour conjurer les
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fl�aux de Dieu. Les donn�es manquent pour appr�cier math�matique-ment tous ses r�sultats mat�riels; mais, a moins de folies, nul ne peut en nier ni la r�alit�, ni l��lendue.
A ces grands moyens que Rome emploie tons les jours afin d�entre-tenir la vie morale dans Ie coeur de ses enfants, il faut en ajouter un autre non moins puissant et aussi continuel : je veux parler du cultenbsp;de Marie.
La d�volion envers l�auguste Vierge, fille, m�re, �pouse de Dieu et soeur du genre humain, est la grande d�volion du monde catholique.nbsp;Mod�le de l�univers, Rome se distingue ici entre toutes les villes,nbsp;toutes les tribus et toutes les nations. Des volumes ne sulBraient pasnbsp;a redire les manifestations vari�es de son amour et de sa lendre con-fiance envers Marie. C�est assez de savoir qu�il n�est pas un carrefour,nbsp;une rue, une place, je dirais presque une seule maison de la Villenbsp;�ternelle, o� l�oeil du p�lerin ne rencontre une image de la Viergenbsp;b�nite; tandis que les sculptures, les bas-reliefs, les dorures, les �l�gants flambeaux, les inscriptions gracieuses ou triomphales qui l�ac-compagnent, les signes de respect donn�s par la foule qui passe, t�-moignenl hautcment de la pi�l� romaine.
Ajoutez qu�il est au coin des rues de nombreuses chapelles d�di�es a Marie, oii les habitants font constamment br�ler a leurs frais desnbsp;cierges et des lampes, et devant lesquelles il est rare de ne pas trou-ver a toute heure du jour et de la soir�e quelques personnes ennbsp;pri�res. Ajoutez, enfin, que Rome ne compte pas moins de soixante-six �glises consacr�es a Marie sous les litres divers dont Ie monde catholique honore la gracicuse Souveraine des anges et des hommes.nbsp;Chaque jour, dans un grand nombre; plusieurs fois la semaine ou Ienbsp;mois, dans les autres, s�accomplissent je ne sais combien d�exercicesnbsp;de pi�t� en son honneur : litanies solennelles, neuvaines, triduum,nbsp;offices magnifiques, etc., etc. Toutes ces f�les, sujet de publique all�-gresse, sont c�l�br�es avec enthousiasme. II n�en est pas une ii la-qiielle des railliers de personnes de tout rang, de tout sexe et de toutnbsp;�lat ne se pr�parent les unes par des neuvaines, les autres par des retraites, par des triduum, et par Ie grand jeune. Faut-il s��tonner sinbsp;des graces nombreuses sont Ie fruit de cette pi�t� filiale?
Mais aussi Rome se montre envers Marie d�une reconnaissance que Ie temps ne peut affaiblir. Vienne assi�g�e par les Turcs, est d�livr�enbsp;par Sobieski. D�une voix unanime, Ie monde catholique proclamenbsp;avec Ie guerrier polonais que l�honneur de la miraculeuse victoire re-vient � Marie. Pour la remercier de ce bienfait, une confr�rie est
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�rig�e en 1684 par Ie pape Innocent XI. Depuis celte �poque, Ia pieuse association n�a pas cess� de payer au nom de l�Europe enti�re la dettenbsp;de la reconnaissance. Chaque ann�e, au jour anniversaire de la fonda-tion, vous voyez la nombreuse assemblee par�r de l��glise du Saint-^O�ti-de-Marie au Forum de Trajan, et se rendre processionnellementnbsp;Jfsqu�a Sainte-Marie-de-la-Victoire, pour y chanter l�hymne catholi-I�le du trioinphe et de Faction de graces. Le Saint-P�re ne manquenbsp;jamais de s�associer a cette noble d�marche, t�raoignage d�un senti-�ent plus noble encore : au moment o� l�archiconfr�rie passe au Qui-���nal, il la b�nil solennellement.
Si la reconnaissance est un titre � de nouveaux bienfaits, il me semble qu�on ne doit pas trop s��tonner des gr�ces nombreuses, ninbsp;��me des miracles �clatants dont Marie favorise sa ville bien-aim�e.nbsp;En 1842, un pauvre mendiant perclus des deux jambes, et commenbsp;1�En�as de J�rusalem connu de la ville enti�re, s�en allait r�guli�re-�ent demander sa gu�rison devant la Madone du palais Cenci. Las denbsp;�e rien obtenir, il dit un jour a sa divine M�re, dans un langage fami-lier a la pi�t� italienne ; � Voila longtemps que je viens, et je ne suisnbsp;pas gu�ri; eb bien! c�est aujourd�hui la derni�re fois; tenez, voila mesnbsp;h�quilles; je ne veux plus m�en servir et je reste ici, a moins que vousnbsp;ne me rendiez mes jambes. � La pricre de la foi a p�n�tr� le Ciel. Lenbsp;malade est gu�ri, il tressaille, il ne se poss�de pas de joie. La foulenbsp;Fenvironne, on crie, on pleure, on chanle; c�est une ivresse g�n�rale.nbsp;La Madone est magnifiqueraent illumin�e, et pendant trois jours etnbsp;trois nuits des orchestres se succ�dent pour c�l�brer les louanges denbsp;celle qu�on n�invoqua jamais en vain. Et je me disais ; Si c��tait ennbsp;France, personne ne ferait attention. Je me trorape, un doute glac�nbsp;sortirait de presque toutes les bouches; il y aurait dans la plupartnbsp;des esprits une fin de non-recevoir, les journaux verseraient a flots lenbsp;blasph�me, la d�rision et l�incr�dulit�; et Fon voudrait qu�une pa-reille nation obtint des miracles!
11 MARS.
iJ,
Keuvaine a Saint-.Ioseph. � Pr�paralion aiix fetes. �Cc que
de la semaine peur entretenir la vie morale� Predication aux ju .
Hier it la chute du jour, comme nous rentrions en ville, apr�s avoir visit� Saint-Paul-/iors-des-iI/Mrs o� �tait la station, nous enten traes enbsp;son de nombreuses cloches qui appelaient les fid�les aux �glises.
-ocr page 80-76 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
� Ecco la Novena di S. Giuseppe, s��cria Ie guide avec transport. � L�heure avanc�e ne nous permit pas d��tudier sur-le-cliamp cette nouvelle manifestation de la pi�t� romaine; la parlie fut remise au lende-main : or, maintenant Ie lendemain s�appelle aujourd�hui.
Chaquc jour de la semaine Rome a quelque nouveau raoyen de r�-vciller la pi�t�. C�est ici Ie lieu d�exposer ce merveilleux syst�me dont lo r�sultat est de remuer successivement toutes les fibres du cceur, denbsp;pr�venir la monotonie et de pr�senter un aliment convenable auxnbsp;gouts les plus vari�s et les plus difiiciles. Mais puisque l�oceasion s�ennbsp;pr�sente, je vais commencer par dire un mot de la neuvaine de Saint-Joseph. De bonne heure nous �tions au pied du Capitole. Gravissantnbsp;par l�ancien emplacement des G�monies Ie flane ardu de la redoutablenbsp;colline, nous arrivames a la chapelle de Saint-ioseph-de�-Falegnami.nbsp;Ce sanctuaire qui appartient a la confr�rie des Charpentiers, est batinbsp;sur la prison Mamertine. II me fut donn� de faire descendre l�augustenbsp;victime dans ce lieu o� saint Pierre et saint Paul, prisonniers denbsp;N�ron, confess�rcnt si glorieusement leur divin maitre. L�assistance,nbsp;compos�e en grande partie d�artisans, �tait nombreuse et recueillie :nbsp;qu�il �tait beau d�entendre tous ces hommes du peuple proclamer,nbsp;en chantant ses litanies, la gloire et la bont� du glorieux patriarche!
Saint Joseph est la r�habilitation du pauvre et du travailleur. II est aussi Ie patron de la bonne mort, si d�sirable a tous, mais particuli�-rement a ceux qui portent durant la vie Ie poids accablant de la cha-leur et du jour : a ce double titre la devotion populaire lui est acquise.nbsp;Et voila que Ie spectacle dont nous venions de jouir se reproduisait ennbsp;m�me temps sur les diff�rents points de la Ville �ternelle. Nous Ienbsp;trouvames aux Orphelins, a l�Ara-Coeli, aux Agonisants, a la Mort, knbsp;Saint-Nicolas-w-Arctone, a la Rotonde, a la Lungara au dela du Tibre,nbsp;au Nom-de-Marie, � Sainte-Marie-in-Monticelli, i Saint-�tienne-de?-Cacco, a Saint-Frangois-de-Paul-doi-Monft, aux Anges-Gardiens, et �nbsp;Sainte-Marie-de/-Pasco/o. Partout des pri�res, des confessions et desnbsp;communions nombreuses.
Ces neuvaines, ces triduum, ces retraites, toutes ces maternelles industries si puissantes pour retremper les ames, Rome les emploie sur-tout i l�approche des f�tes de Notre-Seigneur, de la sainte Vierge et des Saints. Dans Ie cours de l�ann�e on compte, outre les exercicesnbsp;ordinaires de pi�t�, quatre-vingt-cinq neuvaines publiques et soixante-quinze triduum solennels. � La foi des nations, me disait-on ^ ce sujet,nbsp;trouve sa vie dans les actes ext�rieurs, tels que les p�lerinages, lesnbsp;f�tes, les confr�ries, les pratiques populaires; qu�est devenue Ia reli-
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gion en France depuis que vous avez supprim� toutes ces choses? Le culte int�rieur m�me a p�ri! � Rome semble se surpasser pendantnbsp;1�octave des Morts. Des larmes d�attendrissement et de reconnaissance,nbsp;trempent le papier sur lequel on essaie de raconter ce qu�elle fait ennbsp;faveur de ses enfants d�cid�s. Qu�il suffise d�ajouter a ce que j�ai ditnbsp;ailleurs, que les innombrables associations de bonnes oeuvres et denbsp;pri�res sont, pendant les buit jours de TOclave, uniquement occup�esnbsp;des �mes du Purgatoire. Des aum�nes abondantes sont recueillies pournbsp;faire offrir le saint sacrifice en leur faveur; la pri�re, roffice des morts,nbsp;fa participation aux sacrements, tout est mis en oeuvres par les fid�les,nbsp;pour les soulager. Rome, qui encourage Ia pi�t� particuli�re, donnenbsp;1�exemple public de la sienne. Des octavos de messes, de pri�res etnbsp;^�instructions, se font aux �glises de Saint-Gr�goire, sur le Ccelius, denbsp;la Mort, du Suffrage, � la via Giulia, h la Rotonde, de Saint-Nicolas-in-Arcione, du Saint-Nom-de-Marie, de J�sus et Marie-aw-Corso, desnbsp;Saints-Anges-Gardiens, de Sainte-Marie-soprd-lfmerua, de Saint-Lau-J^ent-hors-des-Murs, de Siint-Andr�-delle-Fratte, de Sainte-Marie-des-Miracles, de Saint-Laurent-fn-Dantaso, de l'Ara-Cwli, de Sainte-Agalhe-w-�Vasfe�ere; dans beaucoiip d�autres �glises, dans un grandnbsp;nombre de cimeti�res, et au Colis�e, o� l�on pratique chaque jour lesnbsp;touchants exerciees du chemin de la Croix.
Gr�ce � Tintelligente et active sollicitude de sa m�re, le fid�le de Rome est toujours tenu en haleine, et ses ann�es s��coulent au milieunbsp;d�une vari�t� sans cesse renaissante d��motions pieuses et de moyensnbsp;sanclificateurs. Chaque jour de la semaine lui apporte son tribui particulier.
Le dimanche arrive charg� de richesses. Exil�, voyageur, soldat, tnarchand du Ciel, Thomme veut-il obtenir des consolations, des lu-oii�res, du courage, de la charit� pour la semaine qui commence, ounbsp;la grSce de terminer par une fin pr�cieuse cette aulre semaine qu�onnbsp;appelle la vie? Voici le Dieu des vertus qui se pr�sente � lui solennel-lement expos� sur les autels de vingt �glises diff�rentes. Aux Saints-Anges-Gardiens et h Sainte-Marie-du-Suffrage, c�est pour la bonnenbsp;mort; dans quinze autres sanctuaires, c�est pour lui accorder la foi, lanbsp;soumission, des faveurs spirituelles et temporelles, mais surtout lanbsp;grande vertu de 1��tre soulfrant; la patience : et il peut l�obtenir ennbsp;parcouranl avec ses fr�res la voie douloureuse du Calvaire, nolaramentnbsp;au Colis�e et au cimeti�re du Janicule.
Le lundi sollicite sa pi�t� envers les d�funts; et voici, pour la seconder, le Saint-Sacrement expos� aux Sainls-Ap�tres, a VAra-Cali, ^
T. m. nbsp;nbsp;nbsp;.
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Saint-Antoine-des-Portugais, a Saint-Andr�-rfefo-FaMe, au Divino-Amore pres de la place Borgh�se, i Saint-Michel-m-Borg'O, i Sainte-'M.avie-m-Publicolis. Qu�il vienne l�adorer, et une indulgence pl�ni�re applicable aux ames du purgatoire sera la r�compense de sa ferveur.
Le mardi encourage sa faiblesse, et lui rappelle qu�il a dans Ie ciel des amis puissants dispos�s a le secourir. Sainte Anne, la m�re toute-puissante de la toute-puissante Marie; Saint-Antoine-de-Padoue, lenbsp;curateur de ses int�r�ts temporels, lui offrent leurs services et leurnbsp;appui. A Sainte-Anne-�M-Horg'o, a Saint-Antoine-de-Padoue, ii Saint-Audr�-dellc-Fratte, et dans sept autres �glises il trouvera le Saint-Sa-crement expos�.
Le mercredi convoque les p�res de familie aux pieds de saint Joseph leur admirable mod�le. Pour attirer la foule au glorieux patriarche,nbsp;le Saint-Sacrement est expos� dans neuf �glises, notamment a Saint-}oseph-dclla-Lungara, et a la chapelle de la Rotonde, d�di�e au p�renbsp;nourricier du Fils de Dieu.
Le jeudi, c�est le Sauveur lui-m�me qui appelle a lui tout ce qui soulTre, tout ce qui pleure, c�cst-a-dire tous les fils d�Adam. Les �glisesnbsp;de Saint-Nicolas-m-Carcere, des Orphelins, de Sainte-Agathe-fw-SM-burra, de Saint-Laurent, l�offrent a l�amour de ses enfants; et Sainte-Uarie.-in-Campo-Carleo anime leur confiance en redisant l�histoire denbsp;la derni�re c�ne.
Vendredi, jour de douleur et de repentir, le divin Crucifi� appa-rait sur un plus grand nombre d�autels. Compagne de ses souffrances, Marie n�cst point oubli�e; et tandis qu�il adore son Dieu mourant, lenbsp;fid�le entend pr�s de lui des voix �mues qui redisent tristement � sanbsp;m�re les angoisses du Calvaire, et sollicitent le pardon des coupables.nbsp;La recitation de la Couronne des sept Douleurs se fait solennellementnbsp;h Sainte-Marie-fn-Ffa, a Saint-Frangois-de-Paule, b Saint-Augustin, �nbsp;Saint-Thomas-m-Par�owe. A Sainl-Andr�-delle-Fratte, b Saint-Char-\e%-de-Catinan, on console le Coeur sacr� de 1�Homme-Dieu : aunbsp;Ges� on fait l�exercice de la bonne Mort. La pieuse Confr�rie Gonfalons demande .a J�sus-Christ expos� dans l�oratoire des SS. Pierrenbsp;et Paul, un des plus magnifiques de Rome, le soulagement et la d�li-vrance des esclaves. A Sainte-Marie-m-Momftce/K, on prie pour lesnbsp;agonisants; a l�Oratoire du Crucifi�, Via di S. Isidoro, on sollicite lanbsp;conversion des p�cheurs, particuli�rement de ceux qui sont � l�ago-nie; en m�me temps, le Colis�e, Sainte-Prax�de, Saint-Sauveur, pr�snbsp;de Saint-Louis-des-Franqais, Sainte-H�l�ne-rfe�-Cesartm, se remplis-sent de lid�les qui font le Chemin de la Croix; et le Vatican retenlit
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du Vexilla Regis, magnifiquement chanl� devant le chef-d�ceuvre de Michel-Ange, la Madone della Pietd.
Le samedi, tous les fronts romains s��panouissent. C�est le jonr de Marie; et toutes les Madones sent illumin�es, et des pri�res plus nom-Lreuses, plus ferventes, s��l�vent de lous les points de la cit� vers lanbsp;Vierge pleine de grace. Le matin une messe solennelle est c�l�br�e iinbsp;Saint-Jean-des-Florentins, en l�honneur de Marie, pour la d�livrancenbsp;des fl�aux, c�est-h-dire, pour d�sarmer le maitre du tonnerre, en in-'oquant celle qui a le droit de lui dire : Mon fils! N�est-ce pas la unenbsp;ravissante industrie de la foi catholique? Dans la soir�e, les superbesnbsp;�glises de Sainte-Marie-del-Pfaraio, de Sainte-Marie-du-Peuple, denbsp;Sainte-Marie-m-Cosmcdm, de Sainle-Marie-al/e-CoppeMe, de Sainle-Marie-du-Bon-Conseil, de Sainte-Marie-w-�Vasteoere, du Saint-Nom-de-Marie, de Sainle-Marie-m-Fm-Lato, et bien d�autres encore reten-tissenl des louanges de l�auguste Vierge. Mais la foule est pour la plusnbsp;Lelie, la plus gracieuse des �glises de INotre-Dame, Sainte-Marie-Ma-jeure. Sous les voutes de rimmortelle Basilique, un peuple innom-Lrable chante en choeur ces litanies lor�tanes, si sublimes et si simplesnbsp;qu�on les dirait emprunt�es au r�pertoire des anges.
Pendant qu�elle glorifie de la sorte l�auguste fillc de Juda, Rome ne veut pas que les tristes enfants d�Abraham soient priv�s de leurnbsp;part d�all�gresse. Elle les invite a partager sa joie, en leur procurantnbsp;le moyen de reconnailre en Marie leur soeur la plus illustre et la m�renbsp;de leur Dieu. Tous les samedis il se fait, dans l��glise de Saint-Ange-in-Pescheria, une instruction pour les Juifs ; le tiers au moins denbsp;ceux qui ont plus de douze ans est tenu d�y assister. La chaire est oc-cup�e par un dominicain, docteur en th�ologie, et tr�s-vers� dans lanbsp;connaissance de l�h�breux. II explique l�Ancien Testament et surtoutnbsp;les Proph�ties qui �tablissent et la venue et les caract�res du Messie,nbsp;dont il d�montre Taccoraplissement litt�ral en Notre-Seigneur J�sus-Christ. Des conversions, plus nombreuses que jamais dans ces der-ni�res ann�es, sont le fruit de cette charitable institution, due au popenbsp;Gr�goireXlII. 11 est, pour les Juifs, une autre pr�dication non moinsnbsp;�loquente, et celle-l� ils peuvent Tentendre lous les jours. Sur le por-lail de l��glise, tourn�e vers la grande porie du Ghetto, est un immense crucifix; de chaque c�t� de la croix sont grav�es, en longs ca-racl�res latins et h�bra�ques, ces paroles du Sauveur, prononc�es parnbsp;Isa�e : Expandi manus meas tota die ad populum incredulum :nbsp;� J ai �tendu mes mains tout le jour vers un peuple incr�dule (t).�
(lt;) Isai., c. ixv, 2.
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Le Juif de Rome ne peut sorlir de son quartier sans voir, devant ses yeux, celte grande figure, sans lire ces touchantes paroles dont, quoinbsp;qu�il fasse, le souvenir salutaire doit, plus d�une fois, Timportunernbsp;au milieu de ses pr�occupations mercantiles.
12 MARS.
- nbsp;nbsp;nbsp;Association de Saint-Louis de Gonzague.-
- nbsp;nbsp;nbsp;Reflexions. � Statistique morale.
Messe A Saint-Nicolas-in-Carcere. -delle Pericolanti.
� OEuvre
Avant huit heures nous �tlons, comme la veille, au pied du Capi-tole. Je ne sais quel charme secret attire en ces lieux le voyageur Chr�tien. On aime a prier lit o� pass�rent tous les jours, duranl tantnbsp;de si�cles, les pompes impures du paganisme ; le coeur trouve unenbsp;vive satisfaction amp; honorer le vrai Dien sur les ruines des temples desnbsp;idoles, et k glorifier, dans les antiques prisons romaines, les glorieuxnbsp;lih�rateurs qui bris�rent les chaines du genre humaln. Sur les pasnbsp;d�une foule nombreuse, nous arrivftmes h Saint-Nicolas-m-Camre;nbsp;c��lait jour de station. Comme son nom l�indique, ce sanctuaire rem-place un cachot qu�on croit avoir �t� celui des prisonniers pour dettes.nbsp;Ainsi, au lieu m�me o� Timpitoyahle duret� des f�n�rateurs torturaitnbsp;le pauvre insolvable, le christianisme honore un saint qui fut le p�renbsp;des orphelins et des malheureux.
De plus, comme si la Providence avail voulu r�compenser sensible-ment la charil� du grand �v�que de Myre, son corps, miraculeiisement conserv� Rari, dans le royaume de Naples, distille encore une huilenbsp;qui gu�rit les infirmil�s et les maladies. On sait la d�votion que l�Eu-rope enticre professe pour ce Vincent de Paul de 1�Orient; mais onnbsp;ignore peul-�tre qu�en Occident, Rome la premi�re a d�di� une �glisenbsp;en son honneur. Sous le maitre-autel reposent, en partie, les corps desnbsp;illustres martyrs Marc, Marcellin, Faustin et B�atrix. Le Saint-Sacre-ment expos�, la pr�sence des martyrs, le souvenir du grand �v�que,nbsp;le nom moiti� pa�en du sanctuaire, il n�en fallait pas tant pour en-chainer toutes les puissances de r�me au pied de l�antique confession.nbsp;Nous y laissaraes en pri�res un grand concours d�hommes et de femmes du peuple; un instinct myst�rieux semblait leur dire que la ilsnbsp;trouveraient un coeur sensible �i leurs besoins. De Saint-Nicolas nousnbsp;nous rendimes au Coll�ge romain, dans l�intention d�obtenir quel-ques renseignements sur l�Associatlon de Saint-Louis de Gonzague.
-ocr page 85-ASSOCIATION DE SAINT-LOUIS DE GONZAG�E. nbsp;nbsp;nbsp;81
11 est dans la vie un flge critique, ^ige de folies dangereuscs el Irop souvent coupables, dont Ie Tasse disait:
Nella liorida eta quando pi� I�liom vaneggia.
Or, eet age est d�cisif en bien comme en mal; car il est �crit, non-seulement au livre des Proverbes, mais au livre de l�exp�rience ; L a-dolescent suivra jusqu�a la tombe la voie dans laquelle il marqua ses premiers pas. La charit� romaine l�a pris en tendre piti�. Aus moyensnbsp;g�n�raux destin�s a tons les iiges, elle cr�e pour l�adolescence des ressources particuli�res et d�iine efiicacit� merveilleuse. Je ne dirai ninbsp;les soins maternels dont elle l�environne dans les coll�ges on dans lesnbsp;conservatoires, ni la sollicitude incessante dont elle 1�accompagne Ienbsp;jour et la nuit; je ne dois parler en ce moment que de l�associationnbsp;de Saint-Louis de Gonzague pour les jeunes gens, et de Pceuvre delknbsp;Pericolanti pour les jeunes filles.
Sous Ie patronage d�un jeune saint aux moeurs ang�liques, l�orguei! et les d�lices des Remains, s��l�ve une association nombreuse de jeunesnbsp;gens. Les luttes victorieuses de la verlu centre la paresse, l�indolence,nbsp;1�orgueil, I�entrainement aux plaisirs, en ouvrent l�entr�e. Chaquenbsp;dimanche la jeune et joyeuse phalange se r�unit pour prier, s�in-struire et jouer en comraun. Les chefs de la petite arm�e la con-duisent dans Ie jardin si connu de� Cerchi; et la vous verriez toutenbsp;cette heureuse jeunesse se livrer, avec l�abandon naturel amp; quinze ans,nbsp;aux jeux les plus actifs et les plus vari�s : la pri�re termine les divertissements qu�elle avait commeuc�s. Le retour en ville est grave, oc-cup�par les discours s�rieux et par l�histoire de quelques faits destin�snbsp;^ r�veiller le souvenir et l�amour de la puissante reine des Vierges. Lenbsp;*�le du bien, l�ardeur du travail redouble h l�approche de la f�te denbsp;saint Louis de Gonzague. Pendant les six dimanches qui pr�c�dent lanbsp;solennit�, objet de tous les voeux, c�est a qui se rendra le plus dignenbsp;de la c�l�brer : r�unions de pi�t�, vigilance sur soi-m�me, fr�quenta-tion de sacreinents, rien n�est n�glig�.
Enfin le grand jour parait ; on se rend au bien-aim� jardin. Au centre s��l�ve un magnifique autel, sur lequel est un r�chaud embras�.nbsp;L�assembl�e forme un eerde immense, autour duquel sont dispos�snbsp;par intervalle des orchestres qui font retentir de joyeuses fanfares.nbsp;Aux symphonies succ�dent les chants et les bymnes compos�s en 1�hon-neur du c�leste arai. Ses vertus, sa bont�, ses miracles sont retrac�snbsp;par des voix �loquentes, et bient�t la jeune asserabl�e manifeste sa
-ocr page 86-8:2 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
confiance et son amour par une c�r�monie dont la gravit� solennelle �gale la charmante na�vet�. Tons les membres qui la composent tien-nent a la main une large lettre plac�e sous une enveloppe enrichie denbsp;dessins et enlouv�e de rubans et de fils d�or ; cette lettre est un message de la tcrre au ciel. A l�int�rieur sont �crits l�s voeux longtempsnbsp;�tudi�s du jeune correspondant; h l�ext�rieur on lit la simple et sublime adresse : Al Santo Giovane Luigi Gonzaga in Paradiso. Lenbsp;signal est donn� par la musique, et toutes les lettres sont apport�esnbsp;sur l�autel. Au milieu d�un grand silence on les verse toutes ensemblenbsp;sur le r�chaud et bient�t on les voit pouss�es par les Hammes s��lever 'nbsp;vers le ciel dans des nuages d�encens et de parfums, aux applaudisse-ments de la joyeuse assembl�e et au bruit harmonieux de tous lesnbsp;orchestres.
Inspir�s par une pi�t� fervente on sugg�r�s par un habile directeur, ces voeux sont, dans le cours de l�ann�e, souvent rappel�s i la m�moire,nbsp;de g�n�reuses r�solutions se renouvellent, de nobles victoires sontnbsp;remporl�es sur les passions naissantes, et de pulssantes pri�res s�ennbsp;vont appuyer devant le tr�ne de Dieu les demandes pr�sent�es par lenbsp;protecteur n� de la jeunesse. �els sont, avec bien d�autres, les r�sul-tats moraux de cette f�te. Mals quand elle n�aurait, ainsi que l�asso-ciation elle-m�me, d�autre avantage que d�endormir des imaginationsnbsp;de quinze ans, et de leur faire trouver dans d�iTinocents plaisirs lenbsp;bonheur que tant d�autres vont demander i des divertissements dan-gereux et trop souvent criminels, ne serait-elle pas digne de tous lesnbsp;�loges? A Fhomme, � l�enfant surlout, il faut des f�tes. Depuis quenbsp;nous avons supprim�, parmi notre jeunesse pensante, les associationsnbsp;pieuses et d�color� pour elle les f�tes chr�tiennes, quels sont, dites-moi, ses amusements, ses habitudes, ses croyances et ses moeurs?
Du coll�ge Domain nous nous rendimes au Janicule, afin de visiter
conservatoire dalle Pericolanti.
Analogue ii l�Association de Saint-Louis-de-Gonzague, eet �tablissement, destin� aux jeunes personnes, compl�te les moyens sp�ciaux que Rome emploie pour sauver l�adolescence. Lorsqu�il d�couvre unenbsp;fille OU une jeune veuve qui ne peut, sans danger pour sa vertu, resternbsp;dans le monde, le cur� de la paroisse est oblig� d�en donner avis auxnbsp;sup�rieurs. Des asiles toujours ouverts re^oivent la Pericolante, pournbsp;un temps plus ou moins long suivant que les circonstances l�exigent.nbsp;Fond� a la fin du dernier si�cle par le z�l� Francesco Cervetti, compagnon de charit� de l�illustre magon connu sous le nom de Tatanbsp;Giovanni, le Conservatoire du Janicule fut l�objet de la sollicitude
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paternelle de Pie VI. Ms' Ruffo, tr�sorier g�n�ral, y �tablit des m�tiers de soierie; les marchands y apporlent des commandes; ua cinqui�menbsp;du gain est accord� aux jeunes ouvri�res, Ie reste tourne a l�enlretiennbsp;et au profit de r�tablissement: nous y Irouvamp;mes cinquante pension-naires. Plusieurs autres maisons semblables, quoique d�une moindrenbsp;importance, sont r�pandues dans les diff�rentes paroisses. Lorsque Ienbsp;danger est pass�, les Pericolanti rentrenl dans leurs families; et gracenbsp;^ la pr�voyante sollicitude dont elles furent I�objet, la plupart font lanbsp;consolation de T�glise et Pornement de la soci�t� dont elles mena-?alent d��tre la douleur et la bonte.
Tels sont, tr�s-en abr�g�, les moyens g�n�raux et particuliers que Rome emploie pour conserver, entretenir et augmenter la vie moralenbsp;parmi ses enfants. De cette intelligente charit� quels sont les r�sul-lats? S�il fallait en croire les r�cits de certains hommes, les mceursnbsp;romaines ne seraient pas raeilleures que celles des peuples sur lesquelsnbsp;la religion a perdu Ia plus grande partie de son empire. De lil on veutnbsp;faire conclure ; 1� Que les Piomains sont un peuple de vils hypocrites,nbsp;altendu que, malgr� lant de moyens de moralisation, ils valent a peinenbsp;les nations priv�es de ces puissantes ressources; 2� que Ie christianismenbsp;est mort ou a peu pr�s, attendu Fimpuissance de ses institutions etnbsp;de ses pratiques pour Ia perfection morale des peuples civilis�s. Denbsp;tous ces raisonnements Ie corollaire oblig� est, pour ceux qui les font,nbsp;l�apologiedeleur superbe d�dain des prescriptions chr�tiennes, et, pournbsp;Ie public, Ie m�pris de la religion, et de Rome en particulier qui ennbsp;est Ie centre.
A cela je ne vois qu�une chose amp; dire : comparez les statistiques el rendez raison de Ia dilf�rence dans Ie nombre des crimes. �andis quenbsp;dans les deux grandes m�tropoles de la civilisation moderne, Londresnbsp;et Paris, l�infanticide semble �tre i l�ordre du jour, d�o� vient qu�anbsp;Rome il est a peine connu? Tandis qu�a Paris on compte annuellementnbsp;^le quatre a cinq cents suicides, et plus encore a Londres, commentnbsp;se fait-il que dans un laps de vingt-cinq ans, Rome n�en a vu que onzenbsp;sur lesquels quatre sont dus au paroxisme de la fi�vre? �andis qu�anbsp;Paris le nombre des enfants expos�s est d�un sur irois, et i Londresnbsp;d�un sur deux, pourquoi a Rome n�est-il pas d�un sur cinq? Tandisnbsp;qu�ii Paris rien n�est moins rare que de voir des hommes mourir avecnbsp;1�insensibilit� de la brute, et, jusque sur leur lit d�agonie, refuser denbsp;faire leur paix avec Dieu et de satisfaire a ceux que trop souvent ilsnbsp;ont ruin�s ou d�shonor�s, quelle raison mysl�rieuse �pargne a Romenbsp;Cel �pouvantable spectacle? Enfin, tandis que les cas de d�mence, dus
-ocr page 88-84 nbsp;nbsp;nbsp;LES TKOIS ROMe.
� l�exc�s des passions, se trouvent en France dans la proportion de quatre-vingts pour cent, et en Angleterre dans une proportion plusnbsp;forte encore, qu�est-ce qui, ^ Rome, malgr� l�ardeur du climat et lanbsp;vivacit� du sang, abaisse ce chiffre aux proportions de un ii six?
L�infanticide, l�exposition, Ie suicide, l�imp�nitence finale, la folie par suite des passions, voila, on ne peut Ie nier, les grands sympt�mesnbsp;de la demoralisation des cit�s et des peoples. Puisque, de toutes lesnbsp;capitales du monde, Rome est celle o� ces sympt�mes se manifestentnbsp;Ie moins, il faut bien conclure que les Remains ne sont pas un peuplenbsp;de vils hypocrites, aussi et plus d�prav�s que les nations antichr�-tiennes; il faut bien conclure encore que Ie christianisrae n�est ni mortnbsp;ni mourant, mais que partoul o� il lui est donn� d�exercer librementnbsp;son influence, il emp�che les fils d�Adam de retomber dans l�abimenbsp;de la d�gradation morale d�o� il les tira il y a dix-huit si�cles; il fautnbsp;conclure enfin que, malgr� les mauvaises doctrines et les examplesnbsp;plus mauvais encore qui lui viennent du dehors, Rome est toujoursnbsp;par excellence la Ville sainte et v�ritablement sanctifiante.
Que tous ses habitants soient des saints, il serait absurde de Ie pr�-tendre. Toutefois au milieu m�me de leurs coupables entrainements, il leur reste une qualit�, un bien, fruit exclusif de l��ducation et desnbsp;habitudes ebr�liennes, c�est Ie remords. � Comrae vous autres Francais, nous disait un homme de la plus haute intelligence, nous avonsnbsp;Ie malheur de commettre des fautes; mais, comme vous, nous ne pou-vons vivre avec Ie remords. � T�t ou tard eet aiguillon de la consciencenbsp;finit par faire rentrer Ie coupable dans Ie chemin de la vertu et parnbsp;assurer a l��l�ment chr�tien une victoire d�eisive dans la derni�renbsp;lulte de la vie. JustiG�e par l�exp�rience, cette observation est confirmee par 1�aveu si connu d�un homme non suspect. C... D...., merabrenbsp;de nos soci�t�s secr�tes et ardent r�volutionnaire, parcourait les �tatsnbsp;Romains pour grossir les rangs des Carbonari. Apr�s s��tre �puis�nbsp;pendant vingt ans en efforts de tout genre, il �crivait: � Ces Italiens,nbsp;on n�en peut rien faire; vous croyez les avoir gagn�s, mais qu�ils aientnbsp;seulement un acc�s de fi�vre ou qu�ils entendent un bon sermon, toutnbsp;est fini; et les voil^i retourn�s k confesse. �
-ocr page 89-HESSE A SAINT-STANISLAS-KOTSKA. 85
15 MARS.
Messe a Saint-Slanislas-Kotska. � Charile romaine pour rendre la vie morale. � Pri-sonniers. � Visite au chdleau Saint-Ange, auCapitolo, auxThermesde Diocl�tien. � Archiconfr�rie de Sainl-J�r�me. � Prison de la Via Giulia.
Lorsque vous longerez les inlerminables murs du Quirinal, en descendant la rue des Quatre-Fonlaines, ne manquez pas d�entrer dans 1��glise de Saint-Andr�, situ�e sur votre gauche : c�est un petit bijounbsp;qui m�rite l�attention de l�artiste et du chr�tien. Seulement je doisnbsp;vous pr�venir que si vous avez peur des j�suites, vous ferez bien denbsp;passer outre ; vous trouvez ici une de leurs retraites. II y en a denbsp;jeunes, il y en a de vieux; il y en a de vivants, il y en a de morts.nbsp;En 1678, Ie prince Camille Pamphili fit b^iir cette �glise pour Ienbsp;noviciat de la c�l�bre Compagnie. La fa�ade, d�ordre corinthien, estnbsp;orn�e d�un gracieux porlique circulaire, soutenu par deux colonnesnbsp;ioniques. L�inl�rieur, en forme de rotonde, est enti�rement rev�tu denbsp;marbres rares et enrichi de fresques pr�cieuses. Entre autres tableauxnbsp;on remarque au maitre-autel Ie Crucifiement, du Bourguignon, et,nbsp;dans la chapelle de Saint-Stanislas, Ie Portrait du Saint, par Charlesnbsp;Maratte. Depuis Ie pav� jusqu�^ la voute, cette chapelle �tincelle denbsp;dorures et de marbres choisis; mais son plus bel ornement est Ie corpsnbsp;de saint Stanislas, conserve, sous Ie maitre-autel, dans une riche cliassenbsp;en lapis-lazuli : il me fut donn� d�y c�l�brer les saints myst�res. Monnbsp;coeur y rendait pr�sents tous mes jeunes amis de France et les jetaitnbsp;dans les bras de l�ang�lique enfant.
Apr�s la raesse un des p�res nous introduisit dans la maison spa-cieuse et bien a�r�e du noviciat. On y conserve la chambre de saint Stanislas, transform�e en chapelle. Au milieu est la statue du Saintnbsp;couch� sur son lit de mort. La t�te, les mains et les pieds sont ennbsp;marbre blanc du plus beau grain; la soutane est de marbre noir, etnbsp;ic inatelas avec les coussins de marbre jaune. 11 y a tant de v�ril� dansnbsp;Ce chef-d�oeuvre de Le Gros, que j��prouvai en Ie voyant ce que toutnbsp;Ie monde �prouve ii la vue d�un moribond doucement endormi sur sanbsp;couche. Dans plusieurs cadres suspendus aux murs, on voit de 1��cri-ture. du Saint, dont on semble encore entendre la voix mouranle pro-�ongant la memorable parole, avideraent recueillie par Ia pi�t� calho-lique. Le jour de l�Assomption de Fan 1568, saint Stanislas �tait,nbsp;comme il l�avait pr�dit lui-m�me, sur le point d�aller c�l�brer dans le
-ocr page 90-8G nbsp;nbsp;nbsp;I-ES TROIS ROME.
ciel la f�te de Marie. Le sup�rieur de la maison, entour� de tous les novices, s�approche du jeune Saint et, au nom de l�ob�issance, luinbsp;ordonne de dire ee qu�il a fait et ce qu�il faut faire pour obtenir de lanbsp;Reine des anges les faveurs dont elle l�a combl�. � Quidquid minimum, r�pondit-il, dummodo sit constans; � le plus l�ger hommage,nbsp;pourvu qu�il soit pers�v�rant. �
Hier nous avions termin� l��tude des moyens par lesquels Rome entretient la vie morale dans ses enfants; il nous restait a voir cenbsp;qu�elle fait pour Ia rendre a ceux qui Tont perdue. Je ne parle pointnbsp;du p�cheur priv� de la grdce; dans les oeuvres expliqu�es plus haut, ilnbsp;trouve d�innombrables facilit�s de rentrer dans Tamlti� de Dieu. 11nbsp;s�agit de Thomrae que la justice humaine a frapp�, ou de la femmenbsp;qui, inlid�le � ses devoirs, expie dans la solitude les scandales de sanbsp;vie. D�autres onl fait l��loge plus ou moins juste des prisons romainesnbsp;sous le rapport mat�riel; ma�s quel voyageur, ra�me honor� d�unenbsp;mission sp�ciale, a daign� instruire le monde des moyens par lesquelsnbsp;Rome rend le coupable i la libert� morale et a la vertu? Toutefoisnbsp;dans I�accomplissement de ce devoir sacr�, ou, si l�on veut, dans lanbsp;solution de ce grand probi�me, la maitresse des nations peut aussinbsp;leur servir de mod�le.
D�abord Rome, la premi�re, a trouv� le sysl�me p�nitentiaire, re-gard� comme le meilleur moyen de moraliser les prisonniers. Nulle part il n�a �t� mieux compris ou plus sagement appliqu�. Ensuite, sesnbsp;prisons ordinaires ne sont pas des bagnes, oii Thomme, plac� sousnbsp;l�empire exclusif de la force brutale, ach�ve de se mat�rialiser; ellesnbsp;offrent au coupable tous les moyens de retrouver le sentiment de sanbsp;dignit�, le regret du mal et le courage du bien. Persuad�e que lenbsp;christianisme seul peut r�habiliter l�individu, comme il a r�habilit�nbsp;le genre humain, Rome appelle � son aide ce puissant auxiliaire. Lesnbsp;portes m�me des plus sombres cachots lui sont ouvertes, il a toute libert� de parler et d�agir. Chaque prison a ses chapelains. Anges tut�-laires, nuit et jour ils sont la pour consoler, encourager et gu�rir cesnbsp;ames quelquefois plus malheureuses encore que coupables. Tous lesnbsp;matins despri�res encommun,suiviesdu sacrificede la grande victime,nbsp;rappellen! aux condamn�s et le prix de leur ame, et la grandeur denbsp;leurs �ternelles destin�es, et la bont� toujours compatissante de leurnbsp;P�re c�leste. Viennent ensuite p�riodiquement des instructions fa-mili�res qui, en dissipant l�ignorance, font peu i peu germer dansnbsp;les 4mes de salutaires r�solutions.
Le sentiment de la vie morale, constamment entretenu dans les pri-
-ocr page 91-CnARIT� ROMAINE POOR RENDRE LA VIE MORALE. 87
Sonniers, regoit chaque ann�e une impulsion plus vive qui finit t�t ou lard par le replacer dans l��tat normal : une retraite annuelle estnbsp;donn�e dans toutes les prisons. C�est pendant le carnaval qu�elle anbsp;lieu au chateau Saint-Ange. L�s detenus sont dispens�s du travail, etnbsp;pr�par�s au devoir pascal qu�ils peuvent, en vertu d�une concessionnbsp;particuli�re, accomplir dans cette circonstance. La Confr�rie de Saint-Paul destine � cette mission des pr�tres choisis. Les uns occupent lanbsp;chaire, les autres Ie tribunal de la r�conciliation; il en est qui dirigent le chant, pendant que leurs confr�res veillent a l�observation dunbsp;r�glement, et occupent par des lectures publiques les moments libresnbsp;de la journ�e. Pendant toute la dur�e de la retraite, les d�tenus resolvent de la g�n�rosit� du Saint-P�re une indemnit� inquivalente aunbsp;b�n�fice des petits travaux qu�on a coulume de leur permettre en dehors des occupations forc�es. (i).
II est d�exp�rience que la fr�quentation exclusive de leurs sembla-bles fut toujours pour les condamn�s une cause incessante de d�mo-ralisation. Le plus grand avantage peut-�tre du syst�me p�nitentiaire est d�obvier a eet inconv�nient. La o� il n�est point �tabli, Rome nenbsp;n�glig� rien pour procurer aux d�tenus la soci�t� d�hommes vertueuxnbsp;et honorables, dont la pr�sence et les discours assainissent peu � peunbsp;ces �mes corrompues. A la suite des chapelains on voit chaque journbsp;accourir dans toutes les prisons des religieux, des pr�tres s�culiers etnbsp;de pieux la�ques qui, par des moyens diff�rents, travaillent de concert anbsp;Pam�lioralion morale des d�tenus. Voilace que nous trouv�mes dans lesnbsp;prisons du chateau Saint-Ange, du Capitole et des Thermes deDiocl�tien.
Dans cette course on nous apprit encore l�existence de deux associations sp�cialeraent deslin�es au soulagement mat�riel et moral des prisonniers. Je remarquerai, en passant, qu�elles remontent Tune etnbsp;l�autre au seizi�me si�cle. � II semble, dit un histori�n protestant, qu��nbsp;cette m�morable �poque Rome ait voulu se venger, par l��clat de sesnbsp;ffiuvresvraiment divines, des bruyantes calomnies de la R�formation. �nbsp;La premi�re est l�Archiconfr�rie de Saint-J�r�me-de-la-Charit�. Insti-tu�c en 1519 par Jules de M�dicis, cousin de L�on X, et depuis papenbsp;sous le nom de Cl�ment Vil, elle poss�de sur la place Farn�se Ia bellenbsp;�glise de Saint-J�r�me. Parmi ses membres elle compta saint Philippenbsp;de N�ri et plusieurs autres personnages d�une �minente vertu. L�esprit de charit� de ses illustres fondateurs s�est conserv� dans l�asso-ciation qui embrasse les oeuvres les plus vari�es.
{lt;) Constanzi, t. i, p. 204.
-ocr page 92-88 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
1� Bien que d�vou�e particuli�rement aux prisonniers, elle donne des secours k tous les pauvres honleux de la ville ; Rome pour elle senbsp;divise en quatre r�gions. Pendant trois mois elle fournit du pain auxnbsp;pauvres honteux d�un quartier; pendant Ie second trimestre elle r�-pand ses aum�nes sur les pauvres d�un second quartier, ainsi de suite.nbsp;Afin de ra�nager la susceptibilit� des families, les secours so distri-buent Ie dimanche de tr�s-grand matin ii l�oratoire de Saint-J�r�me.
2� Elle dote des jeunes filles.
5� Elle contribue � l�entretien du monast�re delle Convertite.
4� Elle entretient, dans une maison voisine de Saint-J�r�me, qua-torze pr�tres charg�s de r�pandre une grande partie de ses bienfaits corporels et spirituels; de confesser les fid�les qui visitent en foulenbsp;cette pieuse �glise; d�y c�l�brer la messe et d�y remplir les autresnbsp;fonclions d�utilit� publique.
5� Elle d�fend les causes des pauvres veuves et des orphelins, par Ie minist�re d�un avocat qu�elle entretient h ses frais; et quand lesnbsp;pauvres demeurent � Rome, elle paie les d�penses n�cessaires il lanbsp;prompte exp�dition de leurs affaires.
6� Tous les deux jours elle distribue du pain aux prisonniers.
7� Chaque matin elle fait c�l�brer deux messes sur l�autel des prisons, fournissant tout ce qui est n�cessaire ii cette bonne oeuvre.
8� Elle fait dire la messe pour les prisonniers malades, leur donne les rem�des et leur procure Ie m�decin, Ie chirurgien, Ie barbier.
9� Elle d�pute dans les prisons un de ses membres honor� de la pr�-lature, qui interc�de aupr�s des juges en faveur des condamn�s et qui paie � leur sortie de prison les d�penses qu�ils ont pu faire.
10� Enfin elle entretient un avocat charg� de d�fendre les accus�s.
Ce n�est pas tout encore. Lorsqu�au milieu du dix-septi�me si�cle Innocent X eut fait �lever, dans la via Giulia, la prison qui porte sonnbsp;nom et que Howard lui-m�me regarde comme l�une des plus solidesnbsp;et des plus salubres de toute l�Europe, l�Archiconfr�rie de Saint-J�r�me en fit l�acquisition et se chargea sur ses propres fonds de l�en-tretien des d�tenus. C��tait une belle pens�e de remettre ces malheu-reux entre les mains de la charit�, et Ie tr�sor public s�en trouvaitnbsp;lui-m�me grandement soulag�. Mais les derni�res secousses politiquesnbsp;ayant de beaucoup diminu� les ressources de l�OEuvre, la Chambrenbsp;apostolique lui accorde aujourd�hui quelques subventions. � Les reli-gieux de Saint-J�r�me, continue Mequot;� Morichini, vont tous les dimanchesnbsp;dans cette prison pr�cher, faire Ie cat�chisme et d�autres exercices denbsp;pi�t�, avec l�aide des P�res J�suites qui se rendent chaque jour dans
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la prison Julienne, comme dans toutes les autres, pour distribuer abondamment les instructions ehr�tiennes. Les confr�res de I�oratoire,nbsp;�tabli � l��glise de Saint-J�r�rae, consacrent Ie dimanche � des actesnbsp;de charit� envers les d�tenus malades; ils leur portent des douceurs,nbsp;leur font Ia barbe, r�parent leurs lits et les consolent en les instrui-sant (i). �
Ainsi, pendant qu�une multitude de jeunes gens, d�hommes et de femmes sent au chevet des malades dans les h�pitaux, Ie m�me journbsp;et � la m�me heure, de fervents chr�tiens descendent dans les prisonsnbsp;et prodiguent aux condaran�s les soins d�une charit� vraiment frater-nelle. Tant il est vrai que la religion a des entrailles de m�re pournbsp;tous les malheureux, comme elie a des consolations pour toutes lesnbsp;inforlunes et des legons de sagesse pour tous les Sges!
U MARS.
Saint-Pierrc-m-]ltoH(orio. � Visite au P�nitencier des jeunes d�tenus.� Association de la Piti� des Praonn/m. �Saint-Michel. �Autres oeuvres en faveur des d�tenus.nbsp;Les Irlandais a Sainte-Agatbe-ai/a-Swiiurra.
A raesure que Ie moment solennel d�introduire ses enfants au banquet eucharistique approche de plus pr�s, Rome multiplie les moyens de sanctification. Hier avait eu lieu la procession enl�honneur de Marienbsp;addolorata, et Ie commencement d�une octave de pri�res i la M�re desnbsp;douleurs. Pendant que cette procession, pr�c�d�e du Tronco, traver-sait la place Colonne et Ie Corso, un pieux p�lerinage s�ouvrait dansnbsp;un autre quartier de Rome, it Saint-Pierre-fre-iHowfono. A partir dunbsp;dimanche de la Passion jusqu�au dimanche de Quasimodo, il y a indulgence pl�nicre pour tous les fid�les qui visitent la chapelle o� futnbsp;crucifi� Ie Prince des Ap�tres. Quoi de plus propre � former dans lesnbsp;cteurs Ie double sentiment r�clam� par les circonstances, la confiancenbsp;et Ie repentir! Aujourd�hui sur les pas d�un grand nombre de p�le-*�gt;08, nous montames au Janicule, et nous ne descendimes de notrenbsp;P*euse station que pour traverser Ie Tibre et visiter Ie P�nitencier desnbsp;jeunes d�tenus.
Hans cette maison cr��e par L�on XII, pour les enfants sortis de Saint-Michel, il nous fut donn� de voir la charit� romaine en exercice.nbsp;Har une heureuse coincidence nous y trouvAmes les deux d�put�s de
(lt;) Instit. de Bienfaisance, p. 259.
-ocr page 94-90 nbsp;nbsp;nbsp;I,ES TROIS ROME.
TArchiconfr�rie de Saint-J�r�me, charg�s de la direction de eet excellent asile correctionnel. Plusieurs pr�tres, de la Soci�l� des Pieux-Ouvriers, distribuaient les secours spirituels � ces pauvres enfants qui, malgr� les chutes de leurs premi�res ann�es, donnent l�esp�rancenbsp;fond�e d�un retour durable � la sagesse et a la vertu. On voyait dansnbsp;leur physionomie je ne sais quel m�lange de pudeur, de regret, denbsp;joie, qui r�sumait a nos yeux les sentiments d�une ame coupable sansnbsp;doute, mais novice encore dans Ie mal et domin�� par une pens�e denbsp;r�habilitation. Chaque enfant a sa celluie s�par�e; tous travaillent lanbsp;laine, et gardent un rigoureux silence. On volt que Ie p�nitencier denbsp;Saint-Michel a servi de mod�le a celui-ci : et comme Ie premier, Ienbsp;second est dans une excellente voie de prosp�rit�. II en est de m�menbsp;de la Colonie agricole, dont je parlerai en visitant la Villa Albani.
Comme nous sortions, voici venir deux eccl�siastiques, connus de l�obligeant ami qui nous accompagnait. Apr�s un instant de conversation : � Ces messieurs, nous dit-il, sont des confr�res de la Pieta-des-Prisonniers, dont Ie centre est � l��glise de Samt-Jean-della-Pigna;nbsp;ils vont exercer leur charit� aux prisons Innocentienncs. On les y rencontre, habituellement occup�s i consoler, � instruire, i distraire lesnbsp;d�tenus, qui les aiment beaucoup. Un pr�tre, membre de eette confr�rie, appel� solliciteur, est charg� de visiter chaque jour les prisons,nbsp;de gouter les aliments et surtout la nourriture des d�tenus au secret,nbsp;qui doit �tre plus choisie, plus abundante et plus saine que celle desnbsp;autres. Ainsi, nos prisonniers soumis d�ailleurs a un r�gime tr�s-hu-main, secourus par tant d�associations charitables, environn�s de tantnbsp;de ressources spirituelles, se trouvent soulag�s dans leur p�nible position et arrach�s i la fange du vice par cette r�habilitation morale quinbsp;les �l�ve h la vertu. �
Fond�e par Ie p�re Tallier, j�suite, et approuv�e par Gr�goire XIII, la Confr�rie de la Pietd-des-Prisonniers fut dot�e en 157S, parnbsp;Sixte IV, d�une rente annuelle de deux mille �cus, afin qu�elle putnbsp;d�livrer amp; Paques et a Xo�l quelques prisonniers pour dettes. Aujour-d�hui son objet principal est de pr�venir l�incarc�ratlon des pauvresnbsp;ouvriers, en d�sint�ressant leurs cr�anciers (i).
Repassant Ie Tibre au pont Quattro-Capi, nous visitttmes Ie c�l�bre p�nitencier de Saint-Michel. Pour Ie connaitre sous Ie rapport mat�-riel, 11 faut imaginer une grande salie rectangulaire garnie, sur sesnbsp;longs c�t�s, d�un triple rang de cellules dont les portes donnent sur
(i) 518'' Morichini, p. 211.
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un balcon qui longe l��dilice int�rieur. Deux larges fen�tres ouvertes vis-a-vis Tune de l�autre, dans les deux petits c�t�s, �clairent et assai-Dissent nierveilleusement la salie. Au fond eSt Tautel; sur la longueurnbsp;des parois, sont dispos�s les m�tiers qui correspondent a des ateliersnbsp;plus consid�rables. Les soixante-quatre cellules des prisonniers peu-vent �tre surveill�es d�un coup d�oeil par Ie directeur, avantage Ie plusnbsp;grand du syst�me panoptique de Bentham. Le style du p�nitenciernbsp;est magnifique en son genre, et c�est a juste titre qu�il est consid�r�nbsp;aujourd�hui comme le type des c�l�bres prisons p�nitcntiaires d�Am�-rique, de Suisse, de France et d�Angleterre (i).
La pensee du fondateur r�v�le le but moral de l��tablissement. Cl�ment XI venait de construire la partie de Saint-Michel destin�e i l�ap-prentissage des arts et m�tiers; te sage Pontife pensa qu�il fallait compl�ter son oeuvre en �levant un p�nitencier pour les jeunes gensnbsp;coupables de d�lits ; corriger les d�fauts est une seconde �ducation.nbsp;Dans le }]otu proprio du 14 novembre 1703, il s�exprime ainsi :nbsp;� Maintenant que la maison nouvelle se trouve termin�e, avec sesnbsp;soixante petites cellules s�par�es les unes des autres et toutes ensemble dans une grande enceinte; que pr�s de eette salie des d�pendancesnbsp;peuvent servir d�ateliers pour les travaux de draperie et d�autres industries : Nous voulons et ordonnons que tons les enfants ou jeunesnbsp;gens ftg�s de moins de vingt ans, qui, � l�avenir, pour fautes par euxnbsp;commises seront arr�t�s, au lieu d��tre conduits dans les prisons pu-bliques, soient transport�s dans la nouvelle maison de correction; et,nbsp;comme il y a des enfants de nature perverse qui d�sob�issent i leursnbsp;parents, et par leur ra�chant earact�re accusent de tr�s-mauvaises inclinations au vice. Nous voulons et ordonnons qu�ils puissent �trenbsp;�galement gard�s, amend�s et corrig�s dans la m�me maison...
� Les detenus seront instruits dans les principes de la vie chr�tienne, ct apprendront les r�gies de bien vivre. Nous ordonnons en cons�-tluence aux r�v�rends Cardinaux, protecteurs de l�hosplce, de d�puternbsp;'m pr�tre s�culier qui devra non-seulement c�l�brer chaque jour lanbsp;sainte messe, mais instruire les jeunes gens incarc�r�s, dans la religionnbsp;ct les choses n�cessaires a une vie chr�tienne. Nous voulons en outrenbsp;9Ue des maitres enseignent aux d�tenus quetque art m�canique, afinnbsp;par eet exercice, ils abandonnent l�habitude de l�oisivet� et com-mencent une nouvelle carri�re de bonnes mceurs. �
En parcourant le p�nitencier de Saint-Michcl, o� la pensee de Cl�- 1
Msf Morichini, p. 106.
-ocr page 96-92 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROTS ROME.
ment XI continue de porter les plus heureux fruits, on se rappelle in-volontairement ce mot de Montesquieu : � La philosophie ne fait rien de bien que Ia religion a�ait fait avant elle et mieux qu�elle. � Lors-qu�elle revendique l�invention du syst�me p�nitentiaire, la philanthro-pie moderne commet un larcin et une erreur. Un larcin, puisqu�ellenbsp;s�attribue une gloire qui appartient � l��glise de Rome; une erreur,nbsp;puisqu�elle s�imagine avoir d�couvert une institution dont l�id�e estnbsp;aussi ancienne que Ie christianisme, et dont l�application pr�c�denbsp;toutes les th�ories et tous les essais des premiers philanthropes fla-mands et am�ricains : c�est, comme on voit, un article de plus pournbsp;Ie Dictionnaire des antiquit�s modernes.
� II y a, dit amp; ce sujet M. Guizot, un fait trop peu reraarqu� dans les institutions de l��glise; c�est son syst�me p�nitentiaire, syst�menbsp;d�autant plus curieux � �tudier qu�il est, quant auxprincipes et auxnbsp;applications du droit p�nal, compl�tement d�accord avec la philosophie moderne. Si vous �tudiez la nature des peines de l��glise et desnbsp;p�nitences publiques qui �taient son principal chUtiment, vous verreznbsp;qu�elles ont surtout pour objet d�exciter, dans l�ame du coupable, Ienbsp;repentir; dans celle des assistants, la terreur morale de l�exemple. IInbsp;y a bien une autre id�� qui s�y m�le, une id�� d�expiation. Je ne sais,nbsp;en th�se g�n�rale, s�il est possible de s�parer l�id�e d�expiation de cellonbsp;de la peine, et s�il n�y a pas dans toute peine, ind�pendamment dunbsp;besoin de provoquer Ie repentir du coupable et de d�tourner ceux quinbsp;pourraient �tre tent�s de Ie devenir, un secret et imp�rieux besoinnbsp;d�expier Ie tort commis. Mais, laissant de c�t� cette question, il estnbsp;�vident que Ie repentir et l�exemple seront Ie but d�une l�gislationnbsp;vraiment philosophique. N�est-ce pas au nom de ces principes, que lesnbsp;publicistes les plus �clair�s ont r�clam�, de nos jours, la r�forme denbsp;la l�gislation p�nale europ�enne? Aussi, ouvrez leurs lwrcs,vous sereznbsp;�tonn�s de toutes les ressemblances que vous rencontrerez entre lesnbsp;moyens p�naux qu�ilsproposent et ceux qu employait l��glise (i). �
Tels sont, en abr�g�, les moyens de tout genre que Rome emploie pour rendre la vie morale au coupable. Si la juste s�v�rit� des lois Ienbsp;condamne a mourir, il se voit imm�diatement environn� d�une nouvelle sollicitude. Aux d�tails d�jaconnus j�ajouterai que plusieurs confr�ries font de la bonne mort des condamn�s Ie grand objet de leurnbsp;z�le et de leurs pri�res. Dans la splendide �glise des Augustins, aunbsp;Corso, l�Archiconfr�rie du Saint-Nom de J�sus et de Marie, expose Ie
(i) Hist, dc la civilisat. en Europe, lecon vi, p. l�-
-ocr page 97-LES IRLANDAIS A SAlPiTE-AGATHE-ALLA-SUBURRA. nbsp;nbsp;nbsp;93
Saint-Sacrement depuis Ie matin du jour de l�ex�cution jusqu�apr�s la consommation du supplies. De plus, elle envois plusieurs de sesnbsp;membres qu�ter par toute la ville les aum�nes des fid�les, afin de fairenbsp;c�l�brer des messes pour Ie repos de son ftme : ces qu�teurs sontnbsp;quelquefois d��minents personnages. Sur la place de Pasquin, 1�Archi-confr�rie des Agonisants emploie tout ce que Ie z�le Ie plus actif peutnbsp;Inspirer, afin d�obtenir aux malades a l�agonie, et surtoul aux suppli-ci�s, la grilce inappr�ciable d�une bonne mort. Outre l�expositionnbsp;solennelle du Saint-Sacrement, et la qu�te publique en leur faveur,nbsp;elle envole des billets a tous les couvents et a toutes les communaut�snbsp;de Ia ville, afin que chacun se mette en pri�res et s�efforce d�obtenirnbsp;de la mis�ricorde divine Ie salut du coupable. Quoi de plus chr�tiennbsp;qu�un pareil usage! quoi de plus moral aux yeux m�rae de la raison!nbsp;Mais quoi de plus glorieux pour Rome! car nulle autre ville dans Ienbsp;monde n�offre un semblable spectacle.
Sur l�invitation de notre guide nous allames, avant de rentrer a t�h�tel, visiter l��glise de Sainte-Agalhe-alla-SMburra. Les �l�ves dunbsp;coll�ge Irlandais s�y trouvaient r�unis pour commencer, suivant l�usage,nbsp;Un Triduum en l�honneur de saint Patrice, apotre de leur h�ro�quenbsp;patrie. II �tait beau de voir tous ces futurs athl�tes de la v�rit� se pr�-parer par un redoublement de ferveur i la solennelle r�ception dunbsp;pain des forts. II �tait plus beau peut-�tre d�entendre tous ces enfantsnbsp;de Ia noble Irlande, prostern�s dans la grande Rome au pied de l�au-tel d�une vierge martyre, appeler sur leur nation la protection de celuinbsp;qui en chassa l�idot�trie. Qui sait? C�est peut-�tre de Sainte-Agalhe-o-UaSuburra que partira Ie coup qui sauvera l�Irlande. Quoi qu�il ennbsp;soit, Ie voyageur catholique, t�moin de ce touchant spectacle, unit denbsp;grand eoeur ses voeux aux soupirs des opprim�s; et si les secrets pres-sentiments de sa foi ne sont pas vains, il salue avec transport Ie journbsp;d�sormais prochain, o� la fi�re Albion sera forc�e de briser les chainesnbsp;de son illustre captive, et o� la patrie d�O�ConnelI reparaitra aux yeuxnbsp;du monde catholique, par�e de toutes les graces que donnent auxnbsp;vierges martyres et la candeur de leur front immacul� et les cicatricesnbsp;de leurs glorieuses blessures.
-ocr page 98-94 LES TKOIS ROME.
15 MARS.
Visite 4 l��glisc de Sainl-Auguslin. � Biblioth�que Angelica. � Refuges de la Croix de Lorette, de Sainte-Marie-in-Trastenere, de la Divine-Cl�mence. � Reflexions.
Presqu�au centre de Rome, sur les ruines du b�cher imp�rial, s��-l�ve la belle et grande �glise de Saint-Augustin. Devant aujourd�bui visiter les maisons de repentir destin�es aux femmes, il parut conve-nable de commencer par rendre nos devoirs a celui qui fut lui-m�menbsp;un illustre p�nitent. Ajontez qu�en t�te de son histoire, cette �glisenbsp;montre un nom francais. Elle doit sa fondation au cardinal Guillaumenbsp;d�Estouteville, ministre de France a Rome, en 1485; et sa coupole estnbsp;la premi�re qu�ait vu s��lever la Ville �ternelle. II serait trop long de d�-crire toutes les chapelles ainsi que les peintures el les marbres pr�-cieux dont elles sont d�cor�es. Le tableau de saint Augustin, plac� surnbsp;Tautel a droite du transept, est du Guerchin. A gauche on admire lenbsp;saint Thomas de Villeneuce donnant I�aumone, d�Hercule Ferrata;nbsp;dans Tavant-derni�re chapelle, le groupe de la sainte Vierge, de Yenfant Jesus et de saint Andr�, par Sansovino. Mais la merveille de cettenbsp;�glise est le proph�te Isd�e, peint par Raphael, sur le troisi�me piliernbsp;h gauche en entrant. Le jeune �mule de Buonarotti dut jouir vivementnbsp;de son succ�s, lorsqu�il vit Michel-Ange lui-m�me prodiguer de justesnbsp;�loges it cette oeuvre entreprise pour lutter avec les prophetes, dont ilnbsp;avait d�cor� la chapelle Sixtine au Vatican. Je dirai que ce chef-d�oeuvre vient d��tre copi� en mosa�que. II n�a que deux m�tres de largeurnbsp;sur deux et demi de hauteur, et pourtant il a occup� trois ouvriers anbsp;la fois pendant six ann�es. Seule la patience romaine peut se r�soudrenbsp;� produire si lentement. J�ajouterai que ces grands tableaux de mosa�que reviennent a cent cinquante ou deux cents mille francs.
Si le g�nie moderne est dignement repr�sent� � Saint-Augustin, la peinture antique n�y lient pas un rang moins distingu�. La belle imagenbsp;de la sainte Vierge qu�on y v�n�re su�it pour donner une haute id��nbsp;de Tart byzantin. Elle est une de celles que les Grecs fugitifs appor-t�rent d�Orient apr�s la prise de Constantinople et que la traditionnbsp;attribue � saint Luc. La foule entourait l�autel de la M�re des mis�ri-cordes, et de nombreux poignards, suspendus aux pilastres de la chapelle, annoncent les gu�risons morales obtenues par l�entremise denbsp;celle qu�on n�invoqua jamais en vain. Une autre partie de la foule senbsp;rapprocha de l�autel o� je venais de monter. Par une de ces harmonies
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d�licieuses dont Rome poss�de si bien Ie secret, sainte Monique repose dans l��glise de Saint-Augustin! Comment dire la messe sur Ie corpsnbsp;sacr� de la plus admirable et de la plus cb�rie des m�res, sans se rap-peler les tendres paroles que Ie meilleur des fils r�p�tait en pleurantnbsp;pr�s de son cercueil : � Elle �tait, Seigneur mon Dieu! la servante de
* nbsp;nbsp;nbsp;tous vos serviteurs;.... elle prenaitsoin de tous,comme si tous avaient
* nbsp;nbsp;nbsp;�t� ses enfants; elle �tait souraise a tous, comme si chacun d�euxnbsp;� avait �t� son p�re (i). �
n fut offert, non plus suivant Ie d�sir d�Augustin pour Ie repos de sa bien-aim�e d�funte; mais pour les Moniques et les Augustins, sinbsp;Oombreux au dix-neuvi�me si�cle. Puisse-t-il leur avoir �t� salutaire!
Apr�s la messe nous visit�mes la biblioth�que du couvent. Elle est connue sous Ie nom de biblioth�que Angelica et Passionei en m�molrenbsp;du p�re Angelo Rocca, augustin, qui la fonda en 1605; et du. cardinalnbsp;Passionei qui l�augmenta consid�rablement vers la fin du dernier si�cle. On y corapte pr�s de cent mille volumes, entre autres les Actanbsp;tiirorum illustrium, esp�ce de recueil allemand, de plus de deux centnbsp;cinquante volumes, o� l�on trouve de tout, mais o� l�on ne trouve Ienbsp;lout de rien.
A l�examen des ouvrages inanim�s de Tintelligence succ�da l��tude des oeuvres toujours vivantes de la charit�. Afin de n�oublier aucunnbsp;genre de mis�re, Rome a pr�par� aux femmes coupables diff�rents Refuges o� elles peuvent renaitre � la vie morale. Avant Ie seizi�me si�cle,nbsp;on trouve d�ja Ie monast�re della Convertite au Corso; en 1.54i2, saintnbsp;Ignace �tablit k la Longara celui des Mal mari�es; soixante-treize ansnbsp;plus tard, en 1615, Ie p�re Dominique de J�sus ouvrit Ie refuge de lanbsp;Croix; enfin l�ann�e 1628 vit s��lever l�asile de Saint-Jacques : en sortenbsp;fiu�ici comme ailleurs, Rome peut revendiquer la glorieuse initiativenbsp;*lu bien. Or, les femmes coupables peuvent se diviser en trois classes;nbsp;oelles qui, jeunes encore, sont devenues victimes d�un entrainementnbsp;Passager; celles qui sont rest�es plus longlemps dans Ie d�sordre, ounbsp;fiUe la justice huraaine a frapp�es de condamnation; enfin celles qui,nbsp;apr�s Ie mariage, ont oubli� leurs devoirs d��pouse et de m�re. Onnbsp;oon^oit l�utilit� de maisons sp�ciales pour chacune de ces cat�gories.
Sur Ie Mont-Pincio s��l�ve Ie refuge de Ia Croix, o� Pon n�admet
les veuves ni les ferames mari�es. II se compose exclusivement de jeunes filles, que Ia sup�rieure elle-m�me va choislr dans l�h�pitalnbsp;Saint-Jacques. Les r�fugi�es sont au nombre de vingt; elles vivent en
(gt;) Confess.^ lib. ijt, c. 9, n. 5.
-ocr page 100-96 LES TROIS ROME.
communaut�, sans rien poss�der en propre. Leur oceupation est de filer la laine pour Ie compte d�un n�gociant qui paie trente �cus parnbsp;mois au b�n�fice de l�asile; cent autres �cus sont accord�s mensuelie-ment par la commission des subsides ; avec ces modiques revenusnbsp;joints h quelques aum�nes la maison marche parfaitement. Tout ynbsp;respire Tordre, la propret�, Ie contentement du repentir, je diraisnbsp;presque, la joie de l�innocence. Tandis que quelques conservatoiresnbsp;inspirent une certaine m�lancolie, on �prouve ici, je ne sais quel sentiment de tendre satisfaction, en voyant lant d�infortun�es victimes denbsp;la seduction marcher, au sein de eet asile silencieux, dans les voiesnbsp;les plus �lev�es de la perfection (i).
En el�'et, bien qu�il leur soit permis de quitter Ie refuge, s�il arri-vait qu�elles prissent i d�gout une telle vie, on les voit presque toutes pers�v�rer; et m�me quelques-unes d�entre elles rev�tent l�habit reli-gieux dans Ie couvent de Saint-Jacques i� la Longara. Les parents lesnbsp;plus proches peuvent les voir une fois par mois. En outre, une foisnbsp;la semaine, elles sortent de bon matin pour prendre Fair dans les ruesnbsp;peu fr�quent�es, v�tues uniform�ment de robes grises, d�une guimpenbsp;blanche et d�une petite coiffe plac�e sur la t�te. Le refuge de la Croix,nbsp;fond� en 1793 par les soins de dom Giro, pr�tre espagnol, et de lanbsp;seeur Marie-Th�r�se S�bastiani, a re^u les encouragements les plusnbsp;pr�cieux de Pie VII et de Gr�goire XVI, qui ont daign� Ie visiter et ennbsp;confier la direction a un d�put� eccl�siastique d�pendant du cardinal-vicaire.
Du Pincio, nous nous rendimes au Mont-Coelius pour visiter un nouveau refuge dont voici l�origine. Vers le commencement de ce si�cle, quelques dames romaines et principalement la vertueuse prin-cesse Th�r�se-Doria Pamphili, allant consoler les malades i Th�pitalnbsp;Saint-Jacques, voyaient avec douleur que ces femmes a peine gu�riesnbsp;retournaient de nouveau a leurs anciens d�sordres. Le refuge de lanbsp;Croix �tait insuflisant pour les recevoir toutes, et, comme nousnbsp;l�avons vu, il n�admet que les lilies. La princesse demanda done et ob-tint de L�on XII un ancien hospice situ� dans la rue San-Giovanni.nbsp;C�est le ref�ge de Lorette, ainsi nomm� paree qu�il est sous Ia direction de la congr�gation de Lorette compos�e de dames et pr�sid�e parnbsp;Ie cardinal-vicaire. On y re^oit toutes les personnes du sexe qui, apr�snbsp;leur gu�rison, veulent mener une conduite r�guli�re. Les femmes ma-ri�es y sont aussi adraises jusqu�� ce qu�on puisse les r�concilier avec
(i) Mer Morich., p. 160.
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leurs maris, �loign�s d�elles par suite de leurs d�r�glements. La nour-fiture et le r�glement sent a peu pr�s les m�mes qu�au refuge de Croix.
Au-dessous de ces infortun�es, sent les femmes qui sortent de prison, et que la mis�re ou toute autre cause entrainerait promptement dans le mal, si une main tut�laire ne venait les soutenir. Pour elles anbsp;dt� fond� le conservatoire de Sainte-Marie-m-7'ras(euere. A I�excep-Con des r�cidives, elles viennent dans cette maison se livrer aux ceu-''I'es de la pi�t� chr�lienne et au travail. Bien qu�on ne doive y rece-voir que des filles, on y admet aussi les femmes mari�es. Elles ynbsp;�estent tant qu�elles veulent et on les engage a y demeurer, a moinsnbsp;�lu�elles ne se r�unissent a leurs maris, ou n�aient de bons parentsnbsp;pour prendre soin d�elles. Plusieurs eccl�siastiques et une soci�t� denbsp;dames pieuses leur donnent tons les soins spirituels, n�cessaires a leurnbsp;Conversion et a leur pers�v�rance. Le refuge de Sainte-Marie datenbsp;de 1806, et la gloire en revient au p�re Stracchini et � I�excellentnbsp;cardinal Cristaldi.
Enfin, pres de Saint-Onupbe est le conservatoire de la Divine-Cl�-iiience, ou Ton place toutes les personnes du sexe dont la conduite irr�guli�re serail dangereuse pour les moeurs publiques. Fond� par lenbsp;pape Cl�ment IX, ce refuge est sous la direction des cur�s de Rome,nbsp;pr�sid�s par Ms' le vice-g�rant.
J�ai longuemenl parl� des institutions charitables de la m�re des �glises, et pourtant je puis, en terminant ce sujet beaucoup tropnbsp;ignor�, dire avec un histori�n bien plus explicite que moi : � Voilanbsp;On abr�g� des oeuvres charitables qui se pratiquent a Rome; car il se-cait impossible d�en faire T�num�ration compl�te. Ce que j�en ai rap-Port� sulEt pour montrer avec combien de raison Rome est appel�e lanbsp;'^ille sainte. Pas un genre de mis�res qu�elle n�ait soulag� la premi�re,nbsp;ct qu�elle ne soulage encore. La source de sa charit� est dans sa foi;nbsp;clle compte six cents �glises ou oratoires dans lesquels ses enfantsnbsp;*001 appel�s aux temps convenables. L�, elle prodigue tous les moyensnbsp;de r�concilier les p�cheurs avec Dieu, d�affermir les jusies dans lanbsp;'�ertu, de soulager les amp;mes du purgatoire, d�honorer Dieu et de fairenbsp;cooler a pleins bords la vie morale dans tous les fid�les. Ainsi conti-oiie de se v�rifier le mot de saint L�on, que Rome jadis maitresse denbsp;l erreur est devenue la maitresse de la v�rit� (i). � 1
Conslanzi, 1.1, p. 2G3, n. 262.
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16 MARS.
TJne f�le au palais Massimi. � L�Apollinaire. � L�Universit�. � Le Coll�ge romain. Les Biblioth�ques.
Le jour des calendes d�avril, 16 mars de l�ann�e 1385, voici ce qui se passait a Rome, dans le palais du prince Fabricio Massimi. Toute lanbsp;noble familie pleurait agenouill�e autour d�un lil de douleur. Sur cenbsp;lil se d�baltait dans les convulsions de l�agonie un jeune enfant denbsp;qualorze ans et trois mois : c��lait le fils de la maison, l�orgueil denbsp;son p�re, la joie de sa m�re, l�araour de ses soeurs. Tont i coup lenbsp;p�re se l�ve et dep�che un de ses domestiques aupr�s de saint Philippe de N�ri, en le suppliant de venir sans d�lai. Le Saint est a l�au-tel; il ne peut aecourir qu�une heure apr�s. Pendant ce temps-l� lenbsp;pr�tre Dom Camillo fait les pri�res de la recommandation de Fame aunbsp;jeune moribond qui expire cnlre ses bras. Fabricio, d�sol�, s�approchenbsp;pour remplir un dernier devoir en fermant lui-m�me les yeux � sonnbsp;fils. De son c�t�, Francesca, la bonne de 1�enfant, apporte de Peaunbsp;pour laver, suivant l�usage, le corps du d�funt, et les habits dont ilnbsp;doit �tre rev�tu sur son lit de mort.
Sur ces entrefaites arrive saint Philippe : � H�las! p�re, lui dit Fabricio, Paul est mort; il n�y a plus rien � faire; que n��tes-vousnbsp;venu plus t�t? � Le Saint se rend droit � la chambre mortuaire, o�nbsp;il trouve la bonne Francesca se pr�parant amp; parer l�enfant de ses v�te-ments fun�bres. Philippe s�approche du lit, demande de Peau b�nite,nbsp;en r�pand sur la bouche et le visage du mort, lui impose les mains,nbsp;se met en pri�res, le touche et Pappelle deux fois par son nom. Ennbsp;pr�sence de tout le monde, Paul ouvre les yeux, r�pond au Saint, etnbsp;revient a la vie (i).
En m�moire de ce miracle, la familie Massimi c�l�bre chaque an-n�e, dans son palais, une pieuse f�te � Phonneur de saint Philippe de N�ri. Si vous �tes a Rome le seizi�me jour de mars, ne manquez pasnbsp;d�y assister. Comme nous, vous serez touch�s du t�moignage publicnbsp;de cette reconnaissance s�culaire, et vous sentirez s�accroitre en vousnbsp;la d�volion envers un Saint trop peu connu. Ces deux choses, �gale-ment douces et bonnes, comptent parmi les joies utiles d�un voyagenbsp;en Ralie.
()) Vi/aS. Philippi, etc., Auctor. Ant. Galliono, p. Ii26.
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Avant de parlir pour Naples, nous avions vu ce que Rome fait pour lt;lissiper Tignorance parrai Ie peuple; les circonslances nous avaientnbsp;enop�ch� de d�crire les grands moyens qu�elle emploie pour d�velop-Per Tintelligence dans les classes sup�rieures : Ie temps �tait venu denbsp;la suivre dans ce nouvel exercice de sa charitable sollicitude. Urienbsp;foule de coll�ges, d�institutions, d�acad�mies sont ouverts ^ Romenbsp;pour la culture de l'esprit. II serait trop long d�en parler en d�tail;nbsp;pour connaitre I��tat de l�instruction sup�rieure il sufBt d��tudiernbsp;1�Apollinaire, TUniversit� et Ie Coll�ge remain.
Conform�ment aux sages prescriptions du Concile de Trente, Rome s�empressa de fonder un s�minaire pourl��ducation des clercs: Ie Sou-'erain Pontife Pie IV en posa la premi�re pierre en 1S63; et saintnbsp;Charles Rorrom�e, I�amp;me de la discipline eccl�siastique, donna les loisnbsp;qui r�gissent encore eet �tablissement. Les �l�ves y sont admis aunbsp;concours. Ils doivent �lte Remains, ag�s au moins de douze ans, vers�snbsp;'lans la connaissance de la grammaire sup�rieure, tonsur�s ou pr�ts anbsp;1��tre. Ils sont nourris au s�minaire, form�s a la science par des mai-tres et des r�p�titeurs habiles, soign�s gratuitement dans leurs mala-?lies, instruits dans les principes de la vie chr�tienne et eccl�siastique,nbsp;par la pratique de l�oraison et l�exercice des fonctions sacr�es, soitnbsp;dans l��glise de l�Apollinaire, soit a Saint-Jean-de-Latran aux joursnbsp;des grandes solennit�s. Tous les b�n�ficiers de Rome contribuent, aunbsp;Doyen d�une r�serve, a I�entrelien du s�minaire. Si les �l�vesnbsp;o�entrent pas dans les ordres sacr�s, ils sont tenus de payer lesnbsp;d�penses de nourriture qu�ils ont faites pendant leur �ducation cl�-cicale.
Les belles-lettres, la philosophie, la th�ologie, Ie droit canon, l�his-'oire eccl�siastique, toutes les autres branches de la science sacr�e s enseignent au s�minaire. S�il faut en juger par les r�sultats, lesnbsp;*^'udes doivent �tre tr�s-avanc�es. Le clerg� remain se distingue sur-'^out par sa connaissance profonde de la morale et des 'antiquit�s chr�-Rennes. Grace a cette double science, il a toujours su se garantir dunbsp;gt;el4chement et du rigorisme, comme I�a si bien d�montr� le doctenbsp;Lrancolini (i); de plus, il peut avec une facilit� et une foree remar-q'iable confondre les novateurs, soit en mali�re de dogine, soit en magere de discipline, en leur opposant l�autorit� des monuments anciens. De la cette immutabilil� de doctrine, et cette uniformit� denbsp;w�thode qui se manifeste jusque dans les sermons et les instructions
(') Clericus Bomanus contra nimium rigorem munitus, iii-f�l.
-ocr page 104-100 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
paroissiales. J�ajouterai que, oblig� par sa position de r�pondre aux consultations et aux difEcult�s qui arrivent de toutes les parties dunbsp;monde, Ie clerg� romain acquiert avec Ie temps une science pratiquenbsp;et positive, qu�il est rare de Irouver ailleurs au m�me degr�. Le s�mi-naire est plac� sous la direction du cardinal-vicaire qui habite unnbsp;palais contigu; et par une concession de L�on Xll, il peut conf�-rer le doctorat en th�ologie, par cons�quent le baccalaur�at et lanbsp;licence.
Nous ne voulumes pas quitter ce bel �tablissement sans visiter l��glise de Saint-Apollinaire, qui lui a donn� son nom. Fond�e en 772nbsp;par Adrien I, et restaur�e par Benoit XIV sur les dessins de Fuga, ellenbsp;poss�de deux belles statues de saint Ignace et de saint Frangois-Xavier; maisce qui la rend pr�cieuse auxjeunes clercs, c�est le nom-bre et le choix des reliques dont elle est enrichie. Une partie des osse-ments de la l�gion Th�baine et des onze mille vierges; les corps desnbsp;saints martyrs Euslrace, Auxence, Mardaire et Greste, apport�s d�0-rient par les religieux Basiliens; des reliques de saint Ignace, de saintnbsp;Frangois-Xavier, de saint Francois de Borgia, de saint Louis de Gon-zague et de saint Stanislas Kostka : quoi de plus �loquent dans unenbsp;�glise de s�minaire? Soldat, vierge, martyr, le pr�tre catholique doitnbsp;�tre tout cela. Et Rome veut queses jeunes clercs, plac�s d�s l�enfancenbsp;sous les yeux de tant d�illustres mod�les venus expr�s de l�Orient etnbsp;de rOccident, puisent le v�ritable esprit du sacerdoce dans une �glisenbsp;d�di�e a un �v�que martyr, disciple de Pierre, le chef des pasteurs etnbsp;martyr lui-m�me.
Une l�gere distance nous s�parait de l�Universit�, qui regut notre seconde visite. Ce bel �tablissement forme un parall�logramme, aunbsp;milieu duquel est une vaste cour entour�e de trois c�t�s par de superbes portiques a deux �tages; le quatri�me est form� par l��glise.nbsp;II doit son origine et son d�veloppement aux papes Boniface VIII,nbsp;L�on X, Sixte V, Urbain VIII et Alexandre VIL Protecteur �clair� au-tant que g�n�reux des sciences et des arts, L�on XII a donn� unnbsp;nouvel �clat a l�Universit� romaine, en y fondant plusieurs chairesnbsp;nouvelles, en augmentant le iraitement des professeurs, et en perfec-tionnant, par sa constitution du 27 ao�t 1824, le r�glement des �tudes. Plac�e sous la direction d�un cardinal arcbichancelier et d�unnbsp;recteur, l�Universit� se compose de cinq Coll�ges ou Facult�s : th�ologie, droit, m�decine, philosophie et philologie. Elle compte qua-rante-huit professeurs; et le programme de leurs cours montreranbsp;que Rome sait se maintenir d la hauteur de la science moderne.
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COLL�GE ROMAIN.
Th�ologie. �Griiure sainte. Th�ologie dogmalique. Th�ologie scolastique. Physique sacr�e. Hisloire eccl�siastique. Eloquence sacr�e. Jurisprudence. l^roit naturel. Uroit des gens. Dfoit canon. Eroit eccl�siastique. Pandectes de Justinien. Eroit civil, �roit criminel. M�decine. Anatomie. Physiologic simple et comparce. M�decine Ih�orique et pratique. Pathologie. Z�ologie. Hygi�ne et th�rapeulique. M�decine l�gale. Clinique m�dicale h I�h�pital du Saint-Esprit. Chirurgie th�orique. Clinique chirurgicale a l�h�pilal de Saint-Jacques. |
Chimie. Botanique th�orique et pratique. Histoire naturelle. Pharmacie th�orique et pratique. Chirurgie v�t�rinaire th�orique et pratique. Philosophic. Logique. M�taphysique. Morale. Alg�bre et geometrie. Calcul sup�rieur. M�canique. Hydraulique. Optique et astronomie. Geometrie descriptive et projection des ombres. Architecture statique et hydraulique. Mineralogie. Physique th�orique et exp�rimentale. Philologie. Arch�ologie. �loquence. Po�sie. Languc h�bra�que. Arabe. Syro-Calda�que. Grecque. Laline. |
n faut ajouter les �coles des beaux-arts, dans lesquelles on enseigne peinture, Ia sculpture, l�architecture, rornementation, la perspective, I�anatomie, la mythologie, etc.; ces cours sont faits par onzenbsp;Peofesseurs, membres de l�Acad�mie de Salnt-Luc.
Quant a l�esprit qui dirige les �tudes, il est �minemment chr�tien, et brille dans l�inscription plac�e au-dessus du grand portail;
imTIVM SAPIENTIvE TIMOR DOMINI.
^Es MO�ENs sont : les exercices religieux, les retraites et autres pratiques annuelles, hebdomadaires ou journali�res �tablies par les r�-glements. Son rut, c�esl la gloire de Dieu, la defense de l��glise et Ie iiien de la soci�t� : triple objet �loquemment r�sum� dans l��glisenbsp;d�dv�e k saint Luc, k saint L�on Ie Grand, et k saint Yves, avocat desnbsp;pauvres.
T. III.
-ocr page 106-102 LES TEOIS ROME.
Je dirai que les �tats Romains comptent sept TJnivcrsit�s. Les deux premi�res, qui semblent marcher d�un pas �gal, sont celles denbsp;Rome et de Bologne, pr�sid�es chacune par un cardinal archichance-licr. Les cinq autres ont pour chancelier l��v�que dioc�sain. Toutesnbsp;les Universil�s, coll�ges, �tablissements d��ducation, �coles, sont sousnbsp;la direction de la Congr�gation des �tudes, �tablie par L�on XIL Ellenbsp;se compose de cinq cardinaux charg�s de veiller � la puret� de lanbsp;doctrine et des moeurs, et a l�ex�cution des r�glements donn�s par Ienbsp;sage Pontife.
De 1�Universit� nous pass�mes au Coll�ge remain, dont les excellents p�res Marchi et Perrone voulurent bien nous faire les honneurs. Sous Ic rapport de rimportance, ce superbe �tahlissement rivalisenbsp;presque avec 1�Universit�. Le grand pape Gr�goire XIII Ie fonda ennbsp;1 o82, le dota de riches revenus et en confia la direction aux J�suites.nbsp;Conform�ment aux intentions du Pontife, il y a des classes o� Pon en-seigne les diff�rentes sciences depuis les plus �l�mentaires jusqu�auxnbsp;plus �lev�es. On y admet non-seulement les Romains, mais encore lesnbsp;clrangers de toute nation qui peuvent y prendre les grades. Le Coll�ge romain compte onze cents �tudiants tous externes, et un grandnbsp;noinbre de professeurs connus de toute i�Europe savanle ; tels sontnbsp;entre autres les p�res Vico, Marchi, Perrone et Secchi. Ind�pendam-ment des humanit�s on y enseigne :
La th�ologie dogmatique et morale.
Le droit canon.
L��loquence sacr�e.
La liturgie.
La philosophie.
La philosophie morale.
La physique.
La chimie.
Les math�matiques transcendantes.
Les langues et les litl�ratures h�bra�que et grecque.
Dans les parlies sup�rieures des bfttiments sont la biblioth�que, l�observatoire et le c�l�bre mus�e Kircher. La premi�re, compos�enbsp;d�environ quarante mille volumes choisis, nous fut montr�e par lenbsp;p�re Perrone qui en fait son domicile du jour, et presque de la nuit.nbsp;Le savant Romain est un type du genre, dont la vue ressuscite auxnbsp;yeux du voyageur les po�tiques traditions du moyen Sge. Voyez sousnbsp;une. robe de bure noire, rousse ou blanche, un religieux aux alluresnbsp;graves, aux raani�res affables et modestes, la t�te coiff�e de Pantique
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barette et Ie mejiton orn� quelquefois d�une barbe magnifique? il est assis dans un grand fauteuil de peau, v�n�rable chaise curule de lanbsp;science. Devant lui s��tend une large table couverte de papiers plusnbsp;OU moins ratur�s et environn�e, comine d�une constellation, de pupi-tres tournants, surcharg�s d�in-folios et de maiiuscrits; a droile estnbsp;l�encrier peut-�tre s�culaire dans lequel tant de plumes savantes ontnbsp;tremp�; a gauche la classique tabati�re de buis avec Ie fazzoletto denbsp;coton; partout les menus accessoires qui annoncent la paliente application de l��rudit et la longueur de ses s�ances parmi les morts.nbsp;S�il est vrai que la science solide et consciencieuse demande Ie calmenbsp;de la solitude et s�allie peu avec les distractions et les plaisirs de lanbsp;vie mondaine,
Non jacct in molli veneranda scientia leclo,
Ie spectacle que je viens de d�crirt n�est pas indiff�rent, il donne foi oux indagalions romaines, comme aux �tudes b�n�dictines. Dans Ienbsp;fait, ces savants, que les inventeurs de la Utl�rature facile trouventnbsp;surann�s, s�appellent ; Vico, Mai, Ventura, Marchi, Perrone, Secchi,nbsp;Orioli, Micara, Mezzofanti; et leurs devanciers ; Thomas d�Aquin,nbsp;Suarez, Baronius, Bellarmin, Boldetti, Mamachi, Winckelman, Maran-goni, etc., etc.
Au mus�e, nous trouv�mes Ie p�re Marchi expliquant les plans des catacombes de Sainte-Agn�s. Sous sa conduite, il nous fut donu� denbsp;visiter avec grand int�r�t les nombreuses collections d�antiques ennbsp;naarbre, en bronze, en terre cuite, qui placent Ie mus�e Kircher im-t��diatement apr�s ceux de Naples, du Vatican, de Florence et denbsp;Paris.
Religioni ac bonis artibus; ces deux mots grav�s en lettres d�or sur la grande porie du Coll�ge remain annoncent assez l�esprit et Ie but denbsp;1�enseignement qu�on y donne. Est-il n�cessaire d�ajouter que Ie coeurnbsp;Of Ie caract�re des jeunes gens, dont notre Universit� ne s�occupe pas ounbsp;pcesque pas, est pour les savants religieux Ie premier objet de leurnbsp;Paternelle sollieitude? Rien de plus complet ou de mieux entendunbsp;que leur syst�me d��ducalion morale. Aussi la r�compense incontest�enbsp;lt;fe tant de d�vouement est 1�autorit� r�elle que les bons p�res conser-vent sur les �coliers. On se souvient h Rome d�un fait qui doit trou-ver ici sa place. En 1831, h l��poque des troubles de la Romagne,nbsp;foutes les Universit�s fiirent obligees de suspendre leurs cours, tandisnbsp;que Ie Coll�ge romain continua paisiblement ses travaux.
Pour achever l�histoire des moyens par lesquels Rome favorise Ie
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LES TROIS ROME.
progr�s de la science, il me reste � dire un mot des biblioth�ques. Nulle ville en Europe ne compte aulant de ces vastes d�p�ts des con-naissances humaines. Outre celles en grand nombre qui existent dansnbsp;les convents, il y a onze biblioth�ques ouvertes au public : la Vati-cana, la Casanatensc, VAngelica, l�Alexandrina, la Lancisiana,nbsp;YAra-CceUtana, la Barberini, la Corsini, la Chigi, la ValUcellana etnbsp;YAlbani. La ValUcellana, �tablie au couvent de Saint-Philippe denbsp;N�ri, est surtout riche en manuscrits eccl�siastiques et historiques.nbsp;De m�me que dans Ie Tabularium du Capitole, Rome ancienne con-servait les faits culminants de l�histoire des nations, on peut dire quenbsp;Rome moderne conserve dans ses biblioth�ques, d�positaires de tantnbsp;de milliers de manuscrits, de chartes, de documents religieux, poli-tiques, scientifiques, les archives de tout l�univers. Mais tandis quenbsp;Rome pa�enne cachait ses tr�sors dans une forteresse, Rome chr�-tienne ouvre les siens a quiconque veut y puiser.
n MARS.
- Villa Ludovisi. � Borghese. -
Los villas. � Villa Albani. � Inslilut de M. Campa. �
Pamphili.
Depuis trois mois, nos �tudes avaient eu pour objet Rome pa�enne et Rome chr�tienne. Leurs monuments, leur esprit, leurs oeuvres,nbsp;leur vie intime avaient tour a tour occup� notre attention : il �laitnbsp;temps de sortir de Penceinte des murailles et d�explorer les nom-breuses riebesses de la Campagne romaine. Ici encore les deux cit�s senbsp;relrouvent m�l�es ensemble; et sous peine de ne pas bien voir, ilnbsp;faudra marcher une seconde fois dans Ie dornaine du paganisme et dunbsp;christianisme.
Un des objets les plus int�ressants et les plus souvent d�crits par les voyageurs sont les villas romaines. Si vous voulez imaginer un palais d�une magnificence souvent royale, situ� au milieu de vastesnbsp;jardins, plant�s de bosquets odorif�rants, et de statues de marbre denbsp;toules les formes, de tons les ftges et presque toujours d�un grandnbsp;m�rite, avec cela des pieces d�eaux, des fontaines jaillissantes; en unnbsp;mot tout ce qui peut Halter les sens, vous aurez une id�� de ces habitations somptueuses que nous appelons villas, et que la langue ita-licnne plus explicite nomme delizie. OhVig� de me restreindre, jenbsp;parlerai seulement de quelques-unes : Ah uno disce omnes.
Sorii de Rome par la porte Salaria, Ie voyageur Irouve � un quart
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de mille, non loin des antiques jardins de Salluste, la c�l�bre villa Albani. Elle doit son existence a deux eccl�siastiques, I�un et Tautrenbsp;hommes de grand g�nie. Le cardinal Alexandre Albani en traga lui-na�me les dessins dont il confia I�execution i Charles Marchioimi.nbsp;Pendant qu�on travaillait aux batiments, le prince de l��glise, amateur passionn� des arts, consacrait une partie de son immense fortune il former de vastes collections de statues, de bustes, de bas-reliefs, d�urnes, de colonnes et d�inscriptions. L�immortel abb�nbsp;Winckelman, le restaurateur de ,1a science arch�ologique, fut charg�nbsp;de mettre en ordre ces pierres d�attente; et il en a form� un des plusnbsp;beaux et des plus int�ressants mus�es qu�on connaisse. Tout cela senbsp;passait dans la seconde moiti� du si�cle dernier.
Parmi la multitude de chefs-d�oeuvre et d�objets rares qui remplis-sent fes vestibules, les galeries et les apparteraents, nous admirimes surtout une peinture antique repr�sentant, � ce qu�on croit, Livie etnbsp;Octavie sacrifiant � Mars; les fils de Niob�, perc�s do fl�ches par Diane,nbsp;bas-reliefs d�une magnifique ex�cution; une Pallas en bronze, unonbsp;Diane en albMre avec la l�te, les pieds et les mains en bronze; l�Apol-lon Sauroctone, tueur de l�zards, en bronze; le repos d�Hcrcule; lenbsp;curieux Herm�s de Mercure avec une inscription grecque et latincnbsp;qu�on admire en rougissant; et le c�l�bre bas-relief d�Antinoiis. Surnbsp;une table de marbre de Paros, trouv�e dans la villa d�Adrien, on voilnbsp;Antino�s sculpt� d�aprcs nature, en demi-�gure, la poitrine et les brasnbsp;nus. La voute de la grande galerie, peinte par Mengs, repr�senle lenbsp;Parnasse, dont les accompagnements en clair-obscur produisent unnbsp;excellent effet. Viennent ensuite les bas-reliefs de Diog�ne dans sounbsp;tonneau, conversant avec Alexandre; de B�r�nice, offrant sa chevelurenbsp;pour le retour de son mari Ptol�m�e Everg�te; et de D�dale fabriquantnbsp;ses ailes : ce dernier est de rouge antique et d�un beau travail. A cesnbsp;ouvrages de premier ordre, il faut ajouter les bustes d�un grand nom-hre d�empereurs et de personnages c�l�bres de l�antiquit�; vingt-deuxnbsp;colonnes antiques de diff�rents marbres, et une d�albatre oriental, ad-oairablement vein�; un superbe sarcophage avec les noces de P�l�e etnbsp;�io Th�tis; enfin le fameux cand�labrc avec ses danseuses, un desrestesnbsp;^cs plus exquis de la sculpture antique.
iNos yeux �blouis demandaient ii se reposer sur un spectacle plus lt;loux. Nous le trouv�mes dans l�institut agricole de M. Campa, voisinnbsp;de la villa Albani. Destin� ii recevoir de jeunes vagabonds ou d�tenusnbsp;eorrectionnellement, eet �tablissement forme le pendant de notre Met-^cay, mais il l�a pr�c�d�. Un voyageur francais qui l�a visit� avant nous
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Ie d�crit en ces terraes: � Avec une m�diocre fortune et une ferme vo-lonl�, M. Paolo Campa est parvenu rassembler, enti�rement i ses frais, 8.5 enfants, dans un domaine de 20 rubbis (37 hectares), et cenbsp;n�est que depuis peu de temps que Ie tr�sor public lui accorde 10 �cusnbsp;par an. Le but de I�etablissement �tant de les retirer du vice et d�ennbsp;faire des agriculteurs, lous sont successivement appliqu�s, selon leurnbsp;Age et leurs forces, et sous la direction d�instructeurs, aux divers tra-vaux de la campagne, et aux soins des bestiaux et de la laiterie : dix-huit vaches et des boeufs de labour leur sont confi�s. Si, pendant l�hi-ver, la mauvaise saison suspend l�ouvrage ext�rieur, on les occupe Anbsp;fabriquer des cbap�aux de paille, des paniers, des ustensiles d�osiernbsp;OU de bois; et a tout ce qui concerne les v�tements, la chaussure desnbsp;campagnards, et les reparations d�une ferme.
� Lev�s de bonne heure, ils emploient toute la journ�e aux travaux manuels. Le soir, deux heures sont consacr�es A l�instruction reli-gieuse, a la lecture, a I�ecriture, au calcul et aux cl�ments de musique;nbsp;car pour charmer leur travail, ils chantent souvent en choeur, et tou-jours en revenant A domicile le soir et au moment des repas; d�ail-leurs, ce talent est recherch� dans les paroisses rurales et peut contri-buer a leur bien-�tre. La nourriture se compose en g�n�ral de pain,nbsp;de fruils et de l�gumes; ils boivent du vin coup� avec de l�eau et nenbsp;mangent de viande que les dimanches et f�tes : en tout on les habituenbsp;au r�gime qu�ils doivent retrouver dans les exploitations rurales.nbsp;Malgr� cette alimentation presque uniquement v�g�tale, ils jouissentnbsp;d�une bonne sant� et d�une gait� remarquable (i). �
Ils nc peuvent sorlir de l��tablissement sous aucun pr�texte. Cette sage mesure les met A l�abri des rechutes, �vit�es d�ailleurs de leurnbsp;propre mouvement. Conduits par la douceur et par fa religion, ilsnbsp;ch�rissent leur asile et leur bienfaiteur qu�ils appellent du nom denbsp;p�re; et on nous disait qu�aucun n�avait cherch� a s��chapper d�unnbsp;local qui n�a que des haies pour cl�ture.
Arriv�s A l�age de vingt ans on les colonise dans les lieux les moins malsains de la Campagne romaine. Les sortants seront remplac�s parnbsp;de nouveaux adopt�s et l�institut deviendra une p�pini�re de cultiva-teurs instruits, servant de mod�les aux paysans routiniers.
Apr�s avoir visit� de nouveau Vagger de Servius Tullius et le Champ-Sc�l�rat, vivant tombeau des Vestales, nous entrames, grace A une permission �crile, dans la villa Ludovisi. Elle occupe une partie
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(i) M. Fulchiron, �iats Romains, l. iii, I part.
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'Jes Jardins de Salluste, confine aux inurs de la ville et m�rite l�atten-tion du voyageur par sa fanieuse Aurore, du Guerchin. La d�esse �issise sur son char monte � l�horizon, chassant devant elle les t�n�bres
la nuit el semant des fleurs a pleines mains. Cette fresque, dans laquelle on trouve que Ie Guerchin lui-m�ine s�est surpass�, orne lanbsp;''o�te du Casino, situ�e vers Ie milieu de la villa.
Descendus par Ie versant du Pincio, nous abordames la magnifique ''illa Borghese. Tout ce que la fortune, et Ie go�t passionn� desnbsp;l^eaux-arls, h�r�dilaires dans une familie princi�re, peuvent offrir denbsp;ressources, a �t� employ� depuis ti�ois si�cles a rembellissement de cenbsp;lieu de d�lices. En arrivant par l�entr�e occidentale tourn�e vers lanbsp;porte Flamlnienne, Ie voyageur se trouve en face d�un superbe porti-que, reproduisant avec exactitude les plus c�l�bres propyl�es de lanbsp;Gr�ce et de l�Asie-Mineure, tels que ceux d�Ath�nes el d��leusis : ennbsp;sorte qu�il a sous les yeux un monument complet de style grec. Anbsp;gauche de la magnifique all�e qui conduit � une grande fontaine, voicinbsp;Un lac d�eau limpide, alimenl� par un ruisseau lombant de cascadenbsp;en cascade; puis les imposanles substructions du Pincius, dont lesnbsp;vo�tes vingt fois s�culaires ol�rent un aspect s�rieux et tout h faitnbsp;classique. En avant de la fontaine, Tall�e bifurque. Le bras gauchenbsp;conduit a un arc de triomphe iniit� de l�antique et surmonl� de lanbsp;statue de Septime Severe, au milieu de deux esclaves; il passe ensuitenbsp;au temple T�trastyle d�Esculape orn� d�une statue antique du dieu denbsp;la m�decine ; puis au porlique d�un temple �gyptien pr�ccd� de deuxnbsp;ob�lisques. De la vous apparail surplombant, suspendu dans le vide,nbsp;l�arigle des substructions du Pincius. Get ouvrage r�ticul� reporte lanbsp;pensee i la fin de la r�publique et rappelle ropulcnt Domltius Jino-barbus, qui le fit construire pour appuyer ses magnifiques jardins.
Le bras droit de la grande all�e arrive directement au Casino ap-pel� de Raphael, paree qu�il fut la demeure de l�immortel artiste. Plus loin se trouvent �chelonn�s au milieu des fontaines, des lacs etnbsp;des bosquets, le temple monopt�re de Diane, 1�Hippodrome et le fa-Hieux Casino, jadis d�positaire des monuments de Panlique Gabies,nbsp;transports � Paris pendant l�occupation franfaise. A la chute denbsp;1�Empire, le prince Camille Borghese r�clama vivement ces riches tr�-sors, mais ses demandes furent �cart�es. II prit alors la r�solulion denbsp;former un nouveau mus�e, qui sous plusieurs rapports rivalise avecnbsp;le premier.
Au milieu de ce paysage si riche et si vari�, s��l�ve le palais, dont la description arlistique serait infinie. Dans les diff�rents salons, tous
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plus brillants les uns que les autres, on admire la t�te colossale de Diane, d�un tra\ail exquis ; la d�esse a les oreilles perc�es, indice desnbsp;boucles qu�elle porlait; la statue parfaitement drap�e d�une pr�tresse,nbsp;plac�e sur un autel s�pulcral, avec l��pitaphe en vers grecs d�une c�-l�bre cantatrice nomm�e Musa; la t�te de Vespasien en porphyre; lanbsp;statue de C�r�s en marbre pent�lique, de grandeur naturelle, regard�enbsp;comme la plus parfaite de loutes celles qui repr�sentent la d�esse desnbsp;inoissons; la statue d�Hercule, plac�e sur un grand sarcophage orn�enbsp;d�excellents bas-reliefs reproduisant les cinq premiers travaux dunbsp;demi-dieu : Ie lion de N�m�e, l�hydre de Lernes, Ie sanglier d��ri-manthe, la Biche aux pieds d�airain et les Stinfalides perc�es denbsp;ll�ches; enfin, Ie fanieux bas-relief de i��ducation de ��l�phe, chef-d�oeuvre du temps d�Adrien, si d�licalemenl travaill�, qu�on Ie pren-drait pour un cam�e. Les colonnes antiques des marbres les plus races,nbsp;les vases de bronze et d�albatre, les mosa�iques, les inscriptions, lesnbsp;peintures, les sculptures, mille autres objels aussi races que pr�cieuxnbsp;abondent dans ce palais de/Muses et laissent Ie regret de ne pouvoirnbsp;tout d�crire.
Rentr�s en ville par la porte du Peuple et longeant Ie quai de Ri-petla, nous transportames notre admiration au del� du �ibre, a la villa Pamphili. M�mes richesses et m�me vari�t� que dans les pr�c�dentes.nbsp;Toutefois deux choses la distinguent el ni�ritent I�attenlion particu-li�re du voyageur : les Colombaires et 1�ll�micyclc. A droite de la premi�re all�e, on voit plusieurs colombaires, trouv�s il y a vingt-cinqnbsp;ans. Cette d�couverte est pr�cieuse, d�abord paree qu�elle indique bnbsp;ne pas s�y m�prendr� la direction de la voie Aur�lienne; ensuite pareenbsp;que la construction remarquablede ces monuments et leursnombreusesnbsp;inscriptions fournissent les plus int�ressants d�tails sur les usages fu-n�raires des anciens. Au centre de la villa est l�H�micycle, environn�nbsp;de jolies niches en marbre, d�o� jaillissent en murmurant de petitesnbsp;fontaines dont les eaux limpides tombent dans des vasques �l�gam-ment travaill�es. Des bas-reliefs antiques et des statues lient les fontaines entre elles et forment autour de rh�micycle un cordon continunbsp;de chefs-d�oeuvre. Au milieu s��l�ve une magnifique rotonde, dans Ienbsp;fond de laquelle est une statue de Faune, qui joue de la flute. La villanbsp;tout enti�re, compos�e d�all�es superbes, de bosquets, de jardins,nbsp;orn�s d�un peuple de statues, de d�licieuses fontaines, de plusieursnbsp;chutes d�eau, et d�une somptueuse habitation, n�a pas moins de cinqnbsp;milles de circonf�rence.
On ne serail pas embarrass� de trouver dans les environs dix autres
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villas presqu�aussi int�ressantes. Tel est, avec les oeuvres de charil�, Ie �oble usage que font de leur fortune les grandes families de Rome.nbsp;l'uisse l�esprit mesquin de Tindustrialisme ne jamais donner un autrenbsp;Cours k leurs richesses et � leurs gouts!
18 MARS.
Pyraniide de Cestius.� Explication arch�ologique de Ce monument. � Dictionnaiie des Siglcs. � Combien il est utile au vojageur en Itali�.
Avant de franchir l�enceinte de Rome par la porte d�Ostie,on trouve, pr�s des murailles, un des monuments les plus importants et les mieuxnbsp;conserv�s de l�antiquit� pa�enne, j�ai nomm� Ie tombeau de Caius Cestius. R forme une pyramide quadrangulaire de cent treize pieds denbsp;hauteur sur deux cent soixante et seize de largeur au-dessus du sou-bassement. A l�ext�rieur, cette masse gigantesque est toute rev�tue denbsp;plaques de marbre blanc, d un pied d��paisseur, la statue de Cestiusnbsp;couronnait Ie mausol�e. Aux deux angles de la facade occidentale s��l�-vent deux petitescolonnes cannel�es, surmont�es d��l�gants cbapiteaux.nbsp;Elles furent trouv�es et redress�es par ordre d�Alexandre VII, lorsqu�ilnbsp;fit restaurer la pyramide. On trouva �galement deux socles de statuesnbsp;avec une pr�cieuse inscription conserv�e au Mus�e du Capitole.
Pour comprendre Ie monument il faut �tudier et I�inscription dont je viensdeparler, et celles qui sont grav�es sur la pyramide elle-m�me,nbsp;et les peintures qui d�corent la charabre s�pulcrale. Void l�inscrip-lion capitoline :
M. VALERtVS. MESSALLA. CORVINVS.
P. RVTILIVS. LVPVS. L. JVNIVS. SILANVS.
L. PONTIVS. MELA. D. MARIVS.
NIGER. IIEREDES. C. CESTI. ET.
L. CESTIVS. Q�.I;. EX PARTE. AD EV.M. FRATRIS. HEREDITASnbsp;M. AGRIPP.E. MVNERE. PERnbsp;VENIT. EX. EA. PECVNIA. QVAMnbsp;PRO. SVIS. PARTIBVS. RECEPER.
EX VENDITIONE. ATTALICOR.
QV�. EIS. PER EDICTVM. jEDILIS. IN. SEPVLCRVM.
C. CESTI. EX. TESTAMENTO.
EJVS. INFERRE. NON LICVIT.
fi.
-ocr page 114-no nbsp;nbsp;nbsp;LES TROfS ROME.
d� Dans les quaire premi�res lignes elle nous fait connailre les cinq h�ritiers de Cains Gestius.
2� Dans les trois suivantes elle nous apprend qu�une partie de la succession de Cains Cestius revint h son fr�re Lucius, par la lib�ralit�nbsp;d�Agrippa. Cette circonstance est doublement pr�cieuse. D�abord, ellenbsp;rend t�moignage amp; I�habitude ou �taienl les Domains de faire h�ritiersnbsp;d�une partie ou de la totalit� de leur fortune les grands personnagesnbsp;de I�empire, quelquefois I�empereur lui-m�me. Cette conduite �trange,nbsp;mais qui point les moeurs du temps, avait plusieurs motifs. Chez lesnbsp;uns, c��tait la flalterie; afin de s�attirer les bonnes graces d�un hommenbsp;puissant, ils le d�claraientpubliquementleur h�ritier. Tel fut ce Sextusnbsp;Pacuvius dont parle Dion, qui apr�s des bassesses de tout genre pournbsp;capter la bienveillance d�Auguste, fit un jour annoncer a ce princenbsp;qu�il lui l�guait toute sa fortune (i). Les autres avaient pour but d�as-surer a leur familie la protection de quelque grand personnage. Certains de la bonne foi de leur l�gataire, ils lui donnaient en fid�icommisnbsp;une partie de leur succession, afin qu�elle retourn^t aux h�ritiers qu�ilsnbsp;voulaient favoriser, mais que les circonstances ne permettaient pasnbsp;d�envoyer directement en possession.
Tel est dans l�inscription le cas de Lucius Cestius. La remise de la succession par l�h�ritier fiduciaire s�appelait une faveur, un acte denbsp;lib�ralit�, comme l�expriment ces trois mots Agrippce munere perve-nil. Dans la r�alit� ce nom ne lui convenait que trop bien. La bonnenbsp;foi et le d�sint�ressement �taient rares parmi les Domains du tempsnbsp;de l�empire; et comme aucune loi �crite ne forfait les h�ritiers fidu-ciaires a rendre la succession, il arrivait fr�quemment que les intentions du testateur n��taient pas remplies (2). Les abus devinrent sinbsp;criants, qu�Auguste chargea les consuls d�interposer leur autorit�nbsp;pour faire accomplir les fid�icommis. Cette mesure fut insullisante,nbsp;et Claude se vit oblig� de cr�er des magistrats sp�ciaux, prwtorcs (i-(^e*-commmam,pourveillerarex�cutiondeces clauses testamentaires.
Ensuite les mots de l�inscription, Agrippw munere pcrvenit, ont encore l�avanlage de fixer l��poquc du tombeau de Cestius : ils nousnbsp;apprennent qu�il remonte au si�cle d�Auguste dont Agrippa �tait lenbsp;gendre. Ainsi, nous pouvons juger, d�apr�s ce monument authentique,nbsp;de l�architccture, de la peinture, du go�t et de la magnificence desnbsp;Domains dans leurs constructions fun�bres.
(O Lib. 53.
(2) Quia, dit le s�natus-consulte Tribellius, nemo invilus cogebatur praistare id de quo rogatus erat; quia nullo vinculo juris, sod lantum pudore corum, qui rogabantur, con-tincbantur.
-ocr page 115-EXPLICATION ARCU�OLOGIQ�E DE CE MON�MENT. lil
5� Les lignes cinq, six, sept, huit, neuf et dix, r�v�lent d�autres par-licularit�s non moins inl�ressantes. Nous y voyons que Lucius Cestius consacra sa part de la succession fraternelle a �difier Ie monument denbsp;son fr�re; que les h�ritiers lirent Ie compl�ment de la somrae n�cessaire, en vendant les attaliques du d�funt. On appelait attalica desnbsp;draps d�or, orn�s de peintures i� l�aiguille, servant de courte-pointesnbsp;pour les lits, de tapis pour les tables ou m�me de manteaux. Sous cenbsp;nora �taient encore compris les v�tements pr�cieux, tels que les lati-claves, la robe-pr�texte, etc. Ces objets de luxe, auxquels Attale, roi denbsp;Pergame, avait donn� son nom, �taient d�une valeur immense (i).nbsp;Toutefois les riches avaient coutume de les bruler avec Ie corps denbsp;leur propri�taire.
4� Les trois derni�res lignes nous apprennent qu�un des �diles �tait particuli�rement charg� d�emp�cher cette d�pense non moins ruineusenbsp;qu�inutile; que dans Ie fait il ne la permit point aux h�ritiers de Cestius; qu�en cons�quence ceux-ci employ�rent Fargent provenant de lanbsp;vente des attalica ii �lever une statue a Cestius; enfin, que F�dile pou-vait m�me annuler la clause du testament qui ordonnait de livrer auxnbsp;flarames du bucher ces pr�cieuses tentures.
5� L�ensemble de Finscrip�on joint ik Fexistence d�une statue qui devait �tre magnifique, afin de ne point d�parer Ie superbe tombeau denbsp;Cestius, semble indiquer clairement F�norme fortune de ce Remain etnbsp;surtout Ie nombre et la richesse de ses attaliques. Mais qui �tait Caiusnbsp;Cestius? L�histoire n�en dit rien; et nous serions r�duits ii une ignorance complete, si la seconde inscription ne venait jeter quelques trailsnbsp;de lumi�re sur une existence qui n�a d�autre gloire que celle de lanbsp;tombe. Sur la fagade ori�ntale de la pyramide on lit ;
C. CESTIVS. L. F. POP. EPVLO. PB. TB. PL. vu. VIR. EPVLONVM.
OPVS. ABSOLVTVM. EX. TESTAMENTO DIEBVS. CCCXXX. ARBITRATVnbsp;PONTI. P. F. CLA. MEL.E. IIEBEDISnbsp;A. POTUI L.
Ces paroles nous apprennent que Caius Cestius �tait fils de Lucius Cestius; qu�il �tait de la tribu Popilia, la vingt-septi�me du peuple ro-�tkain (2); que Ie surnom de sa familie �tait epulo, sans doute paree quenbsp;�stte dignit� lui �tait souvent �cbue; qu�il �tait ou qu�il avait �t� pr�-teur, tribun du peuple, et enfin membre du coll�ge des Septemvirs
(') Plin., lib. 37, c. i.
(2) Panvin., de r,eimb. Rom., lib. ji p. 248.
-ocr page 116-J12 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
Epulons. Ce coll�ge �tait compos� de sept pr�tres charg�s de pr�pa-rer les festins publics donn�s en l�honneur des dieux, et de Jupiter en particulier, � l�occasion d�une victoire signal�e ou d�une calamit� pu-blique. Ces festins epula, s�appelaient encore lectisternia, paree qu�ilsnbsp;se donnaient dans les temples o� �taient les esp�ces de lits sur les-quels on d�posait les statues des dieux.
Nous voyons ensuite que la Pyramide fut �lev�e en trois cent trente jours, d�apr�s une clause du testament, et que Tex�cution et fut con-li�e a Pontius Claudius Mela, h�ritier, et a Pothus, affranchi du d�-funt. Cette derni�re indication fait comprendre que les personnagesnbsp;nomm�s dans la premi�re inscription n��taient h�ritiers qu�a titre particulier, tandis que Claudius Ie fut � titre universel; de plus, quenbsp;1�usage des Remains �tait de prescrire dans leur testament P�poque �nbsp;laquelle leur lombeau devait �tre �rig� (i); enfin, que dans cette cir-ccnstance la promptitude du travail fut v�ritablement merveilleuse.
Voil� pourl�exl�rieur du monument. L�int�rieurest�galement digne d�attention. Une petite porte donne entree � la chambre s�pulcrale, o�nbsp;l�on arrive apr�s avoir franchi un massif de vingt-huit pieds. Lecaveaunbsp;lui-m�me a dix-huit pieds de long sur treize de haut et douze de large.nbsp;La voute et les parois sont orn�es de peintures encore bien conserv�es.nbsp;On y voit des compartiments dont les lignes r�guli�rement irac�esnbsp;sont �maill�es de distance en distance de quelques fleurs. Cette formenbsp;d�corative se retrouve souvent dans les catacombes. Au centre desnbsp;carr�s inf�rieurs, brillent quatre figures de femmes, et dans les carr�snbsp;ou plut�t les cumi sup�rieurs quatre Victoires ail�es, tenant d�unenbsp;main la couronne et de l�autre Ie serlum, esp�ce de bandelelte servantnbsp;a retenir la couronne ou Ie diad�me. Tout eet ensemble fait allusionnbsp;a la dignit� et aux festins sacr�s de Ceslius; car il est diliicile de nenbsp;pas y reconnaitre un lectisternium ou repas en l�honneur des dieux.
Des quatre figures de femmes deux sont debout; la premi�re porte de la main droiie une aigui�re de forme �trusque, servant � contenirnbsp;Peau lustrale. Sur sa main gauche repose un plat dans lequel on voitnbsp;quelques herbes et un de ces gateaux appel�s placentum, mets ordi-naires dans les festins sacr�s. Entre les mains de la seconde on voitnbsp;deux flutes longues, dont les auteurs nous apprennent qu�on faisaitnbsp;usage dans les solennit�s religieuses. Les deux derni�res figures sontnbsp;assises : Tune tient un livre, sans doute pour rappeler les livres sibyl-lins qu�on ne manquait pas de consuUer dans les occasions impor-tantes, afin de connaitre Ie dieu auquel il fallait adresser des suppli-
(i) Cod. lex. XLiv, de Hcered. Instit.
-ocr page 117-EXPLICATION ARCH�OLOGIQ�E DE CE MONUMENT. dl;
cations ou des actions de graces; l�aulre est plac�e devant une table conde et repr�sente Tattilude que les femmes tenaient dans les repasnbsp;sacr�s ou domestiques : elles mangeaient assises, et les hommes eou-ch�s. On y voit de plus l�usage des Romains d�adorer assis. � Ils vou-laient par la, dit Plutarque, montrer Ie succ�s de leurs pri�res et lanbsp;dur�e des faveurs qu�ils avaient obtenues (i). � Dans les m�mes com-Partiments sont peints des vases dont la grandeur plus qu�ordinairenbsp;accuse la destination non aux repas des particuliers,mais auxfestinsdesnbsp;dieux; puis un cand�labre, dont la pr�sence indique les solennit�s nocturnes appel�es percfg'i/m, si souvent c�l�br�es enl�honneur des dieux.
Quant aux Victoires, elles sont l� pour dire dans quelle circonstance avait lieu les banquets servis par les Septemvirs �pulons. Plausiblesnbsp;en elles-m�mes, ces explications me semblent confirm�es par l�usagenbsp;universal de mellre dans les tombeaux tout ce qui pouvait rappelernbsp;la vie et les fonctions du d�funt.
Riche d�int�r�t pour Parch�ologue, la pyramide de Cestius ne Pest pas moins pour Ie philosoplie. Si tout ce qui est a sa raison d��lrenbsp;dans les eonseils de la Providence, et si toules les pensees de Dieunbsp;tendent au bien de Thumanit�, on se demande : Pourquoi ce tombeaunbsp;uiagnifique �lev� a un homme qui n�a laiss� aucune trace dans l�his-toire? Pourquoi, a Ia difference de tant d�autres, r�duits en poudre,nbsp;ce mausol�e resle debout, dans un �tat �tonnanl de conservation?nbsp;L�observateur chr�tien ne s�y irompe pas ; Ie tombeau de Cestius estnbsp;un monument charg� de redire aux g�n�rations Texistence d�une loinbsp;sociale qu�il imporle de ne jamais oublier. II rappelle que tous les �v�-uements heureux ou malheureux sont dans la main de Dieu; et quenbsp;Home, la maitresse du monde, �tait tellement convaincue de cette v�-cit�, qu�elle avait �tabli un sacerdoce permanent, destin� ii fl�chir ou
remercier la Divinit� par des sacrifices publics, auxquels prenait part la cit� tout enli�re. Quand on songe ii l�aveuglement des nationsnbsp;^Ic notre si�cle, on a devin� une des causes, que dis-je? la seule causenbsp;Peut-�trepour laquellela Providence a conserv� la pyramide de Cestius.
Voil� dans sa partie brillante Pbistoire du monument. Mais telles *I*ie furent et telles que soient encore sa magnificence et sa solidit�,nbsp;ce tombeau a d� subir Faction du temps. L�urne qui contenait lesnbsp;cendres de 1�opulent Romain a disparu, ainsi que la statue qui cou-connait F�difice. La pyramide elle-m�me demandait, il y a d�ja deuxnbsp;si�cles, un protecteur intelligent qui r�par�t ses ruines et lui con-serv�t sa forme primitive. La main d�un pape lui rendit ce noble ser-
(*) In Numa.
-ocr page 118-lU I.ES TROIS HOME.
vice ; elle l�a rendu ii tanl d�aulresl Au-dessous de la seconde inscription vous lisez :
INSTAVRATVM. AN. DOMINI. M. DC. IXIII.
Et Ie voyageur murmure, en b�nissant Ie notn d�Alexandre VII.
Celte excursion dans les terres de l�arch�ologie nous parut fort int�ressante; mais elle suppose plusieurs connaissances indispensables, entr�autres la mani�re de lire les inscriptions. Tout Ie monde sait quenbsp;dans l��criture monumentale on Irouve une foule d�abr�viations, quel-quefois une simple leltre pour indiquer un mot. A moins de poss�dernbsp;la clef de cette esp�ce d�bi�roglyphes, il arrive amp; chaque instant d�etrenbsp;arr�t� par des inscriptions ind�chiffrables. On parcourt ainsi les co-lombaires, les ob�lisques, les arcs de triomphe, les mus�es sans intelligence, par cons�quent sans utilil� r�elle et presque sans plaisir. Lanbsp;forme ext�rieure vous frappe, vous l�admirez peut-�tre; mais Ie monument lui-m�me est im t�moin muet, un livre ferm� qui ne vous ditnbsp;rien et que vous avez Ie regret de quitter sans l�avoir compris : je Ienbsp;dis pour l�avoir �prouv� plus d�une fois. Or, c�esl I� tout ensemble unnbsp;malheur r�el dont Ie voyageur s�rieux a peine a se consoler, et unnbsp;malheur assez ordinaire, attendu que la connaissance des sigles n�estnbsp;pas, telle est du moins ma crainte, tr�s-famili�re au grand nombre.nbsp;J�ai done cru faire une chose aussi utile qu�agr�able en pla^ant a lanbsp;fin de mon Journal un dictionnaire explicatif des abr�viations lesnbsp;plus ordinaires et des principaux sigles, avec des notions sur lesnbsp;usages, les dignit�s, les faits, dont Tintelligenee est n�cessaire pournbsp;avoir une id�� nette de Tinscription et du monument qu�elle traduit.
Non loin de la pyramide de Cestius est Ie cimeti�re des Protestants. Ce voisinage a quelque chose de p�niblement signilicatif. Pas plus sulles tombes de nos fr�res s�par�s, que sur Ie mausol�e du pr�lre pa�eii,nbsp;ne s��l�ve Ie signe chr�tien de l�esp�rance! Or, quand la croix ne senbsp;montre pas debout sur les ruines de Fhomme, comme Ie grand m�tnbsp;au-dessus du vaisseau naufrag�, ne faut-il pas craindre que tout n�aitnbsp;p�ri? Du reste, je rappellerai en passant que c�est en creusant Ie foss�nbsp;d�enceinte aulour du cimeti�re protestant, que furent trouv�s les pr�-cieux fragments du plan en marbre de l�ancienne Rome.
Nous allions franebir la porte d�Oslie et nous acheminer vers Saint-^w\-hors-dcs-murs, lorsqu�en regardant nos monlres, il fut d�montr� que la pyramide de Cestius avail trouv� bon d�escompter a son profitnbsp;noire journ�e tout cnli�re. Il fallut ballre en retraite; d�ja la nuitnbsp;descendait � grands pas des montagnes de la Sabine; elle nous en-veloppa de ses premiers voiles, lorsque nous rentrames en ville.
-ocr page 119-rORTE TRIGEMINA. lis
19 MARS.
- Saints-
Porte Trigemina. � Chapelle de l�Adieu. � Saint-Paul-ftors-des-mios.
Viiicent-et-Anastase. � Saint-Paul-Trois-Fontames.
Reprenant la course de la veille, nous arrivames de bonne heure a la porte Saint-Paul. Appel�e tour i tour Trigemina, Minucia, Nava-Ostiensis, k cause des trois Horace qui la travers�rent en allant aunbsp;combat; a cause de sa forme, de ses restaurations et des lieux oti ellenbsp;couduisait, elle a chang� tous ces noms pour celui du grand Ap�trenbsp;�lu�elle vit passer dans la circonstance la plus m�morable de sa glo-Pieuse existence. Lorsqu�il traverse sa double arcade, Ie chr�tien a lanbsp;Certitude de marcher sur les pas de saint Pierre et de saint Paul. En-ferm�s dans la prison Mamertine au mois d�octobre, l�an 65, les deuxnbsp;A.p�tres en furent tir�s Ie 29 juin de l�an 66, pour aller ensemble aunbsp;Biartyre. Ils venaient de passer la porte Trigemina, lorsque les licteursnbsp;cx�cutcrent l�ordre qu�ils avaient regu de les s�parer. Pierre fut ra-inen� au Vatican ou il trouva la croix, et Paul continua sa route versnbsp;les eaux Salviennes qu�il devait immortaliser par sa mort.
L�inspection des lieux rend d�abord difficile it comprendre, et eet ordre et l�itin�raire des deux prisonniers. Le Vatican et les eaux Salviennes sont aux deux points oppos�s de Rome, et en suivant la m�menbsp;ligne, la prison Mamertine se trouve vers le centre. Pourquoi done nenbsp;pas s�parer les prisonniers sur le seuil m�me du cachot, ou du moinsnbsp;au milieu du Forum, apr�s la flagellation d�usage? Pourquoi cettenbsp;caarche et cette contre-marche? � D�abord, sera-t-il sans fondementnbsp;*le supposer que IN�ron ait voulu elfrayer les chr�tiens et ceux quinbsp;*turaient voulu le devenir, en promenant par toute la grande Rome lesnbsp;*lcux chefs de la nouvelle religion, qu�il faisait conduireau supplice?nbsp;He plus, serait-ce calomnier N�ron de dire qu�en faisant crucifier aunbsp;Vatican, o� �tait le palais imp�rial, le vieillard que les lid�les regar-daient justement comme leur patriarche, et qui les gouvernait depuisnbsp;''logt-cinq ans, ce prince voulut, comme il l�avait d�ja fait pour lesnbsp;efir�tiens, se repaitre des tourments de celui qui �tait ^ ses yeux l�en-�emi capital de l�empire, et qui nagu�re avait allum� sa col�re en occa-sionnant la mort de son demi-dieu favori, Simon le magicien (2)?
(6 Fogginio, De Romano divi Petri itinere et episcopatu, p. 08G.
1.1,
�gt; p. 477, n. 9.
W Baronius pense que saint Paul fut conduit au dela de la porie Trigemina, paree que c��tait le quarticr des pauvres, par con'scquent de la plupart des chrcliens; et saintnbsp;P'erre, surle Vatican, au dela du Tibre, paree que c��lail le quarticr des Juifs. An.
-ocr page 120-116 I.ES TliOlS ROME.
Quoi qu�il en soit, les nombreux chr�tiens qui suivaient les Ap�tres furent t�moins de leur s�paration, et un v�n�rable monument indiquenbsp;Ie lieu m�me o� elle s�accomplit. G�est une petite chapelle, situ�e surnbsp;la gauche de la voie d�Ostie, a dix minutes environ de la porte Saint-Paul. Sur Ie frontispice on lit l�inscription suivante, �crite en vieuxnbsp;italien :
IN QVESTO LVOGO SI SEPARARONO S. PIETRO ET S. PAVOLO ANDANDO AL MARTIRIO ET DISSEnbsp;PAVOLO A PIETROinbsp;LA PACE SIA CON TECO FVNDAMENTOnbsp;BE LA CHIESA ET PASTORE BI TVTTInbsp;LI AGNELLI BI CHRISTOnbsp;ET PIETRO A PAVOLOnbsp;VA IN PACE PREDICATORE DE RVONInbsp;ET GVIDA DE LA SALVTE DE GIVSTI (l).
Ces lignes pr�cieuses rendent t�moignage a deux faits parfaitement distincts : Ia s�paration des deux Ap�tres en eet endroit, lorsqu�ilsnbsp;allaient au martyre; puis les adieux qu�ils se firent en se quittant, pournbsp;ne plus se retrouver que dans Ie ciel. Le premier est attest� par lanbsp;tradition des si�cles que perp�tue la petite chapelle. Le second reposenbsp;sur l�autorit� de saint Denis qui a pris soin de nous conserver lesnbsp;adieux apostoliques, sinon quant aux mots, du moins quant au sens (2).nbsp;Bien qu�il ne soit pas �crit dans l�inscription, il est un troisi�rae faitnbsp;rappel� par la Chapelle de l�Adieu, auquel Ia tradition et l�hisloirenbsp;rendent �galement t�moignage. Lorsque les deux v�n�rables vieil-lards (5) se furent embrass�s pour Ia derni�re fois, suivant l�usage desnbsp;chr�tiens, et que chaciin eut pris le chemin de son martyre, Paulnbsp;apergut dans la foule une tr�s-noble matrone, nomm�e Plautilla (r),nbsp;baptis�e par saint Pierre. L�Ap�tre lui deraanda son voile afin de s�en-velopper la t�te pendant l�ex�cution (s), en promeltant qu�il lui seraitnbsp;bienl�t rendu : elle Ie lui donna avec bonheur. Or la cbapelle indiquenbsp;encore le lieu o� s�accomplit eet acte de courageuse charit� (e).
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Dionysius, m Epist. ad Timotheum.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Voir, sur 1�auihenlicilc de cetle leltre de saint Denis, Fogginio, De Rom. divinbsp;Petri, etc. p. 25 et 26.
(3) nbsp;nbsp;nbsp;Saint Paul avait soixante-huit ans, S. Chrys. Oral, in Princip. Apostol.; et saintnbsp;Pierre etait encore plus age.
(4) nbsp;nbsp;nbsp;C�est la mere de sainte Flavie Domitille.
(5) nbsp;nbsp;nbsp;Tel etait I�usage chez les Domains. Jos�pheetles Actesde saint Cyprien,etc.,etc.,nbsp;cn font 1'oi.
(6) nbsp;nbsp;nbsp;Baron. Ann. 1. i, p. 478, n. 10.
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A la vue de cette v�n�rable chapelle on tombe a genoux, on prie, on airne, on b�nit, et Ton ne se rel�ve, que pour aller se prosterner denbsp;nouveau dans la Basilique peu �loign�e de Saint-Paul-/iors-des-mMr�s.nbsp;Void, en effet, un des plus augustes sanctuaires de la Ville �ternelle.nbsp;Saint-Paul-Aors-c^es-mwrs, une des cinq �glises palriarcales, fut fond�enbsp;par Constantin a la pri�re de saint Sylvestre sur la partie d�une catacombe, appartenant ii sainte Lucine, O� le grand Ap�tre avait �t� en-soveli apr�s son marlyre. Un rescrit des empereurs Valeniinien II,nbsp;Theodose et Arcade, dat� de Pan 386, et conserv� dans les archives dunbsp;Vatican, ordonne a Salluste, pr�fet de Ptome, de rebatir cette �glisenbsp;aur un plan plus vaste et avec plus de magnificence. Tons les Souve-rains Pontifes se sont fait un devoir de conserver et d�embellir cenbsp;v�n�rable monument du christianisme. La Basilique �tait parvenuenbsp;Peut-�lre son plus haul point de magnificence, lorsque, dans la nuitnbsp;du IS au 16 juillet 1823, un incendie violent, occasionn�, dit-on, parnbsp;1�imprudence d�un plombier, r�duisit en cendres la plus grande par-tie de cet irr�parable edifice. Sur-le-champ, L�on XII, de glorieusenbsp;tOeraoire, ordonna de le reconstruire : les Iravaux n�ont pas �t� inter-rompus, mais ils sont loin d��tre achev�s. Plusieurs princes sont venusnbsp;ou aide au Pontife. Les deux superbes monolilhes qui d�coi�ent I�en-tr�e de la grande nef, ont �t� envoy�s par le roi de Sardaigne, etnbsp;M�h�met-Ali a fait don de quatre magnifiques colonnes en albatre denbsp;ciuquante pieds de hauteur.
Telle est en quelques lignes I�histoire de cette Basilique; I'inventaire de ses richesses demanderait un volume entier. Le peu que j�en vaisnbsp;dire suffira pour faire comprendre et la g�n�rosit� vraiment royale, etnbsp;la foi vive des si�cles chr�tiens, et la profonde v�n�ration dont ils en-t'ironn�rcnt constamment le grand .Ap�tre. Suivant sa coutume, Constantin enrichit la nouvelle �glise d�une prodigieuse quantit� de vases,nbsp;do flambeaux, de statues d�or et d�argent. Les imp�ratrices rivalis�-rent de g�n�rosit� avec les princes leurs �poux pt leurs fils. Galla Pla-cidia, fille de Th�odose, �pouse de Constant et m�re de Valentinien,nbsp;fit faire la superbe mosa�que du chceur qui existe encore. Aux maitresnbsp;du monde se joignirent les Souverains Pontifes et les particuliers. Lesnbsp;peintures, les tabernacles en argent, les pav�s en mosa�que, le matro-neum, OU enceinte r�serv�e pour les femmes, furent l�ouvrage desnbsp;papes Symmaque, Gr�goire 11, Gr�goire III, Adrien I, etc. Ce derniernbsp;cestaura encore le portique �lev� par la pi�t� des fid�les, depuis lesnbsp;uiurs de la ville jusqu�i l��glise, c�est-�-dire sur une longueur de troisnbsp;'aulies. Bien qu�il n�existe plus depuis le dixi�me si�cle, on peul,
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quand on a vu celui de Bologne, se former une id�� de la magnificence de eet ouvrage, digne par son caract�re grandiose de la pi�t� ro-maine.
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La c�l�bre porie de bronze, une des merveilles de Sainl-Paul, fut faite Ji Constantinople en 1070, aux d�pens du consul romain, Panta-l�on. On y voyait en relief les Proph�tes, les Ap�tres et les principauxnbsp;traits de leur vie. Cette porte fondue par l�incendie n�existe plus qu�ennbsp;morceaux. Heureusement que Ie fid�le Burin de Nicola� en a conserv�nbsp;l�iraage; l�arch�ologie chr�tienne n�aura pas tout perdu. Cent trente-deux colonnes soutenaient la Basilique et la divisaient en cinq nefs.nbsp;Vingt-quatre �taient de marbre phrygien, d�un travail exquis, d�ordrenbsp;corinlhien et cannel�es dans les deux tiers de leur hauteur. Leur origine les rendait plus pr�cieuses encore; elles provenaient ou du mau-sol�e d�Adrien ou de la basilique �milienne au Forum. Les autelsnbsp;�taient orn�s de trente colonnes en porphyre; les murs de la nef dunbsp;milieu, couverts de peintures du neuvi�me si�cle et tous les compar-timents du pav� fails en marbres pr�cieux. De tant de richesses, Pin-cendie n�a presque rien �pargn� : ce qu�il n�a pas d�truit, il l�a plusnbsp;OU moins endommag�.
II faut excepter les objels suivants : les mosa�ques de la facade, ouvrage de la fin du treizi�me si�cle; Ie portique de l��glise, orn� de douze colonnes dont quatre en granit; la fameuse urne du troisi�raenbsp;si�cle, qui se Irouve sous Ie portique. Elle est couverle de bas-reliefsnbsp;d�un m�diocre travail, repr�sentant l�infid�lit� et Ie supplice de Marcia, l�apolh�se d�un po�te tragique, et de petits g�nies mont�s sur desnbsp;navires qui entrent dans Ie port, symbole de l�autre vie. Enfin, lanbsp;grande mosa�que d�Honorius III continue de d�corer I�abside dunbsp;cliffiur. Au milieu du transept s��l�ve l�autel principal, o� repose lanbsp;moili� des corps de saint Pierre et de saint Paul. Une partie des chai-nes du grand Ap�lre se conserve dans une chapelle voisine : j�en par-lerai plus tard. Autour de leurs chefs sont rang�s une foule de martyrs et de saints de toute condition; en sorte qu�a l��gal des autresnbsp;basiliques de Rome, Saint-Paul-Aors-des-mMrs est un ciel sur la terre.nbsp;Vous avez, composant Ie cort�ge des deux Ap�tres, saint Timoth�e,nbsp;saint Mathias, saint Jacques-le-Majeur, saint Jacques-le-Mineur, saintnbsp;Barth�lemi, saint Matthieu, saint Luc, leurs glorieux compagnonsnbsp;d�armes, dont les corps, en tout ou en partie reposent dans I�auguslenbsp;sanctuaire. Viennent ensuite les saints Pontifes F�lix III, Sixte I,nbsp;Alexandre, Fabien, Gr�goire; les grands diacres Etienne, Laurent,nbsp;Vincent; les martyrs Celse, Julien, Basilisse, �paphras, Z�non, Victo-
-ocr page 123-SAISTS-VINCEST-ET-ANASTASE. nbsp;nbsp;nbsp;H 9
*�10, Constance el Marcien; enfin les \ierges dont Ie front est ceint ^ une double couronne, Gaudence, Elvie, Diane, Satyre, Agn�s, Jus-aecompagn�es d�un grand nombre d�autres.
Quand il a rendu rhommage de sa foi, de sa gratitude et de sa con-^ance k cette auguste assembl�e de fr�res, de soeurs, de protecteurs et mod�les, Ie voyageur chr�tien va se prosterner dans la chapelle dunbsp;Crucifix, devant Ie Christ tant de fois niiraculeux qui paria k saintenbsp;Brigitte; puis il entre dans Ie cloitre atlenant i l��glise. , il �tudienbsp;avec amour les gracieuses colonnettes des porliques, merveilles de Tartnbsp;ai moyen �ge; puis les nombreuses inscriptions anciennes incrust�esnbsp;�^ans les murs par les mains habiles des b�n�dictins, � qui Ie pape Mar-V confia la garde de la Basilique.
lln mille plus loin, en suivant la route solitaire, trac�e entre de �oinbreux accidents de terrains, on traverse sur un pont �troit lesnbsp;Salviennes. La vue de ce ruisseau vous fait tressaillir, car ellenbsp;^�appelle vivement la mort du grand Ap�lre. Bient�t vous �tes en facenbsp;�glises des Saints-Vincent-et-Anastase et de Sainte-Marie-Scala-qui, avec celle de Saint-Paul, ferment un triangle allonge, lei,nbsp;p�lerin catholique est tent� d��ter sa chaussure, tant la terre qu�ilnbsp;fouler est sainte. L��glise 'des Saints-Vincent-et-Anastase a vu saintnbsp;^^ernard priant sur ses dalles, sacrifiant sur ses autels.
Vous demandez peut-�tre comment I�iHustne abb� de Clairveaux se trouvait en ces lieux? Batie en 62o par Honorius Iquot;, restaur�e en 772nbsp;par Adrien Iquot;, r�tidifi�e par saint L�on et raagnifiquement dot�e parnbsp;Charlemagne en 800, l��glise de Saint-Anastase, avec Ie monast�renbsp;'oisin, fut c�d�e en 1140, par Ie pape Innocent II, aux religieux denbsp;CUeaux. Le premier sup�rieur de la nouvelle colonie devint, queJquesnbsp;^Dn�es plus tard, le pape Eug�ne III : ii cette double circonstance estnbsp;le voyage de saint Bernard. Le style roman doraine dans l��glise denbsp;^aint-Anastase, empreint d�un caract�re de puret� et de vigueur fortnbsp;^rtnarquables; les douze Ap�tres, fresques d�grad�es de Pgt;apha�l, or-�ent les pilastres, et de nombreuses reliques enriohissent les autels.nbsp;C Orient et l�Occident y sont repr�sent�s, le premier par saint Anas-martyris� en Perse, sous Chosro�s; le second par saint Vincent,nbsp;gloire de I�Espagne : la plus grande partie de leurs corps sacr�s r�u-en ce lieu, est l� corame pour servir de t�moignage � l�unit� et iinbsp;catholicit� de la foi.
Voici, quelques pas de distance, de nouveaux t�moins, non moins dlustres, mais bien autrement nombreux : nous sommes � l��glise denbsp;Sainte-Marie-Sc�la-Clt;BlL Sous vos pieds reposent dix mille deux cent
-ocr page 124-120 nbsp;nbsp;nbsp;lES TROIS ROME.
Irois martyrs, donl Ie sang abreuva la terre que vous foulez. Ici est la catacombe de saint Z�non, sur la porte de laquelle on lit :
Hic reo�iescunt corpora
s. MART�RIS ZENOMS TRIBDNI ET SOCIOR�M MILITCJMnbsp;DECEM MILLICMnbsp;DDCENTORUM TRI�M.
D�o� vient celte armee de martyrs? qui a fait un pareil carnage des chr�tiens? C�est Ie m�me empereur, r�pond l�histoire, qui fit exter-miner dans les gorges d�Agaune la valeureuse l�gion Th�baine. Dio-cl�tien et Maximien, voulant surpasser leurs pr�c�desseurs, firenl �le-ver, sur les cr�tes de l�Esquilin, les Thermes somplueux qui portentnbsp;encore leurs noms. Quarante mille soldats chr�tiens, condamn�s auxnbsp;mines, furent employ�s � ce travail qui dura sept ans. Pour les r�com-penser, les magnanimes empereurs firent �gorger ces g�n�rcux athletes, OU sur Ie lieu m�me qu�ils avaient arros� de leurs sueurs, ou surnbsp;Ie coteau du Concombre, ou enfin aux eaux Salviennes. Le neuvi�menbsp;jour de juillet de l�an 298, on vit descendre des hauteurs de l�Esqui-lin dix mille soldats d�sarm�s, ext�nu�s de fatigues, et d�ja bris�s denbsp;coups comme de vils esclaves; ^ leur t�le, marcliaient Z�non, leurnbsp;tribun, et fes autres officiers ; ils franchirenl la porte Trigemina, sui-virent pendant quelqne temps la voie d�Ostie, puis tournant un peu anbsp;gauche, ils entr�rent dans le fond d�une vall�e solitaire, et, parvenusnbsp;a l�endroit appel� Guttajugiter manans, ils furent tous �gorg�s lenbsp;m�me jour, puis enterr�s par les chr�tiens, leurs fr�res (i).
On se sent lellement absorb� par ce grand souvenir, que c�est a peine s�il reste assez d�attention pour examiner l��glise. R��difi�e aunbsp;xvi� si�cle par les cardinaux Pierre Aldobrandini et Alexandre Far-n�se, elle est de forme octogone, et poss�de, � la voute du choeur, lanbsp;premi�re mosa�que moderne o� le bon go�t s�allie aux richesses dunbsp;dessin et du coloris. Un jour, pendant que saint Bernard disait ici lanbsp;messe pour les morts, on vit une �chelle miraculeuse, qui touchait de
(i) Repertus est omnium numerus decem millium ducentorum trium, qui omncs cum Zcnone tribune, qui inter eos dignitate excellere videbatur, extra urbem porta Trigemina ducti sunt; et in concavo vallis, in loco dicto GuUa jugiter manans, ad aquasnbsp;Salvias, ad unum omnes necat'i sunt septimo Idus Julii, quo celebri memoria annuatimnbsp;eorumdem triumphi dies natalis recolitur. � Baron. An. t. ii, p. 506, n. 17.
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la lerre au ciel, el un grand nombre d�anges qui en montaient les de-; de la Ie nom de Scala-Ccdi, que celle �glise plusieurs fois re-a loujours conserve.
En sortant, Ie premier objet qui frappa nos regards fut Ie frontis-P'ce �lanc� de Saint-Paul-Trofs-Fontafnes, sur lequel brillaient, aux *'ayons du soleil, ces mols �crits en grandes lettres d�or ;
S. PA�LI APOSTOLI MABT�RII LOCCS CRI TRES FONTES MIRABILITER ERUP�R�NT.
quot; Lieu du martyre de Tap�tre saint Paul, o� jaillirent miraculeuse-***fint trois fontaines. �
Ai est en tremblant qu�on approche de ce v�n�rable sanctuaire; Ie *�laissement augmente lorsqu�on y p�n�tre, et surtout lorsque lesnbsp;^��ards contemplenl les objets qu�il renferme. A Tangle de T�glise,nbsp;fn�re une forte grille en fer, voici la colonne o� Paul �tait li�,nbsp;^�and la hache du licteur lui trancha la t�te. Cette colonne, ou plut�tnbsp;^ tron^on de colonne, est de marbre blanc et peut avoir cinq piedsnbsp;� Lauteur sur quatre de circonf�rence. L�autel du Saint, �loign� denbsp;*11elqug5 ggj jg colonnes de porphyre noir, uniques ennbsp;^�'andeur et en beaut�. En venant au lieu du supplice, Paul availnbsp;'^P�r� plusieurs miracles, entre aulres la conversion de trois soldatsnbsp;'1'** faisaient partie de Teseorte, Longinus, Austus et Megistus, mar-J is�s trois jours apr�s; ce n��tait la que Ie pr�lude de miracles plusnbsp;S*'ands encore.
Eomtne Ie flambeau pr�s de s��teindre jette une flamme plus vive, Paul, Tinfatigable pr�dicateur des Grecs et des Barbaras, expi-�ttt sous les yeux de Rome, rendez-vous de Tunivers, allait devenirnbsp;^_as briliaut et plus miraculeux dans sa mort que dans sa vie. Tel futnbsp;au au sommet du Calvaire; tel devait �tre son li�ro�que Ap�tre. Lanbsp;au Ie con^oit. Avant de quitter Ie monde, devenu son disciple,nbsp;devait un miracle immense, �ternel, qui r�sumiit, en les con-uiant, tous les prodiges de sa vie, et qui, perp�tuellement visiblenbsp;yeux des g�n�rations, les affermit dans la doctrine de leur Maitrenbsp;jour de T�ternit�. L�Hisloire interrog�e r�pond qu�en elfetnbsp;� Providence a d�ploy�, dans la mort de Paul, toute la magnificencenbsp;grande loi.
lait
flui jaillit; la colonne, la lerre, Ie bras, la chlamyde du licteur
^ u Wie tombe; et deux miracles paraissent. Au lieu de sang, c�est
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en sont inond�s (i). La t�le fait trois bonds; et des trois points du sol qu�elle a touch�s sortent trois fontaines qui coulent encore. Elies sontnbsp;renferm�es dans l��glisc, laissant entre elles quatre pieds environnbsp;d�intervalle, et eonservant chacune sa temperature diff�rente (a).
Ce qu�on �prouve a la vue de ces eaux miraculeuses, ce qu�on �prouve en les approchant de ses l�vres, ce qu�on �prouve, ce qu�onnbsp;demande, ce qu�on d�sire apr�s en avoir bu, il n�est pas un chr�tiennbsp;qui ne Timagine; mais celui-lh seul peut Ie savoir qui a joui de cenbsp;bonheur. Apr�s l�ex�culion, Plautille enveloppa dans son voile la t�tenbsp;de I�Ap�tre qu�elle vint d�poser dans la catacombe de Lucine sur lanbsp;voie d�Ostie. Par les soins de Lucine, cette autre matrone, �galementnbsp;digne de nos temps h�ro�ques, Ie reste du corps fut transport� dansnbsp;Ie m�me cimeti�re (5). Pendant que cela se passait, Ie pr�tre Marcelnbsp;donnait, a l�autre extr�mit� de Rome, une royale s�pulture a Pierrenbsp;qui venait d�expirer sur les hauteurs du Vatican.
C��tait assez de jouissances pour un jour; d�ailleurs, nous aurions cru profaner un pareil spectacle si nous ne fussions rest�s sous lesnbsp;impressions qu�il produit : nous rentrAmes a Rome en suivant denbsp;nouveau la voie qui avait conduit Paul au triomphe.
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Res quidem adeo insignis non tantum ex diotis actis (apostolorum Petr. et Paul.),nbsp;sed ct aliis compluribus liabetur teslibus cunlirmat�. Nam et S. Ambrosius, Serm. 68,nbsp;de re tam colebri et clara nee dubitatione aliqua obscurala his verbis meminit; � Denbsp;Pauli ver�ccrvice,cumeam persecutor gladio percussisset, dicilur fluxisse lactis magisnbsp;unda quam sanguinis et miriim in modum sanctum apostolum Raptismi gratia in ipsiUnbsp;esede exslilisse splendidum potius quam cruentum. Qusc quidem res in sancto Paulonbsp;stupenda non est. Quid enim mirum si abundat lacte nulrilor Ecclesia;?... ha:c estnbsp;plane promissionis illa terra, quam Deus palribus nostris promisit, dicendo; Dabo vobisnbsp;terram fluentem lac el mei. Non enim de bac terra locutus est, qua; dimananlibus aquisnbsp;eoenum involvit et utrumque permiscet; sed de illa turn Pauli, turn similium Pauli, quscnbsp;jugiter purum suavequo distillat. Qua; enim Pauli epistola melle dulcior, et lacte can-didior? quae epistola; tanquam ubera ecclesiarura populos enulriunt ad salulem. Denbsp;'cervice ergo Apostoli pro sanguine lac manavh. � Sed ct S. Joannes Chrysostomus,nbsp;ejusdem veritatis gravissimus assertor, sic alt: (Orat. in Priiic. Apost.)... � Quails locusnbsp;tuum, Paulc, sanguinem excepit, qui lacteus apparuit iu ejus veste qui te percussil?nbsp;Qui quidem sanguis barbaricum illius animum reddens melle duldoretn, ut ipsc un�nbsp;cum soeiis ad fideni Iraduceretur, ita aflecit. � � Voyez Baron. Ann. 1.1, p. 478, H. 12.
(2) jBarOD. Ann. t. i, p. 478, H. 1.5.
(3) nbsp;nbsp;nbsp;ld. id. id. � On salt loutes les instances que fit,quatre si�cics plus tard, l'imp�-ralrice Constantine, pour obtenir de saint Gregoire le Grand ce voile precieux; onnbsp;connait aussi les lettres par lesquelles le ponlife s'excuse de ne le pouvoir donner,nbsp;altendu qu�il est toujours dans la tombe de Paul qu�un ne doit pas ouvrir. Epist.nbsp;lib. Ill, cp. 5.
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20 MARS.
l'imanche des Rameaux; Anecdote. � Arc de Drusus. � Voies Romaines.�Voie Appienne. � Basilique de Saint-S�baslien.� Souvenirs. � In.scriplion. � Villa denbsp;Maxence. � Temple et Cirque de Romulus. � Tombeau de Caecilia Melalla. � �glisenbsp;tlu �omine, quo vadis? � Paroles de saint Ambroise et de Suarez.
Si dans la langue catholique, Ia semaine que nous comraen^ons � ^ppelle justement la Grande Semaine, la Semaine Sainte; a Rome,nbsp;seroble m�riter un autre nom : car nulle part dans l�univers elle
est aussi grande, aussi sainte. Elles sont grandes, sans doute, elles �ent saintes les c�r�monies qui durant ces jours m�morables s�accom-Plissent a J�rusalem sur Ie lieu m�me des �v�nements; mais J�rusa-^ent est l�esclave des Turcs. Dans son �tatde pauvret� et de desolation,nbsp;*Rielle pompe peut-elle donner ii ses augustes myst�res? D�ailleurs,nbsp;^^fusalem n�a plus ni les Hols innombrables de p�lerins venus desnbsp;*luatre coins du monde, et dont la pr�sence anime en les grandissantnbsp;*e.s f�tes de la religion; ni Ie Pontife supr�me qui, du haut de sonnbsp;^v�ne imraortel, b�nit ses enfants apr�s s��tre prostern� leurs pieds;nbsp;*^1 la lance, ni la couronne, ni les clous, ni la colonne, ni la croix denbsp;^ Homme-Dieu, signes puissants qui remuent jusqu�� la derni�re fibrenbsp;du coeur; ni tout ce magique ensemble de monuments et de souve-�'irs qui rappelant de leurs tombeaux les si�cles pa�ens et les si�clesnbsp;'^Wliens, les fait assister avec vous au drame du Calvaire, en m�menbsp;'*5tnpsqu�il s�empare de toutes les facult�s de l��me, et tour ii tour lesnbsp;�l�ve jusqu�ii la bont� d�un Dieu mourant, ou les abaisse jusqu�� lanbsp;**i�l�ratesse du Juif d�icide.
A.ussi, tous les voyageurs, je crois, s�accordent � dire que Ie bon-^6ur de voir les c�r�monies de la Semaine Sainte, a Rome, suffit pour faire enlreprendre Ie voyage d�Italie. Inutile d�s-lors d�ajouter quenbsp;^^ous salu�mes avec une joie toute particuli�re Ie soleil qui allait ennbsp;eclairer Ie premier jour. A neuf heures nous �tions au Vatican, pournbsp;assister � la b�n�diction des rameaux. Nagu�re encore la c�r�monienbsp;avait lieu a la chapelle Sixline; mais sur les instantes pri�res des nom-f*reux �trangers qui d�siraient en �tre t�moins, Gr�goire XVI a d�cid�nbsp;'1�ie d�sormais elle se ferait a Saint-Pierre. D�abord la vue de cesnbsp;Palmes artistement travaill�es rappelle un int�ressant souvenir.
Siste V avait r�solu de faire �lever sur la place de Saint-Pierre ^ ob�lisque de granit rouge, a moiti� enfoui sous les d�combres dunbsp;f-irque de N�ron. L�op�ration fut confi�e � Parchitecte Dominique
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Fontana. Celui-ci avait dispos� des cordes qui devaient insensible-ment �branler Ie monolilbe, Ie soulever et Ie diriger sans accident pour les ouvriers, vers Ie point qu�il devait occuper. Le 10 septem-bre 1586 est choisi pour l��rection. L�architecte demandait un grandnbsp;silence, afin que l�on put entendre ses ordres. Sixte V fait publier unnbsp;�dit par lequel il annonce que le premier spectateur, de quelquenbsp;rang, de quelque condition qu�il soit, qui prof�rera un cri, ou trou-blera l�op�ration, sera sur-le-champ puni de mort. Personne n�estnbsp;admis sur la place sans connaitre la rigueur de l�ordonnance. II estnbsp;bien convenu avec tous les assistants qu�on n�entendrait que le son denbsp;la trompette pour r�gler les mouvements, et le son des cymbales pournbsp;marquer les repos; la voix seule du directeur des travaux pouvait in-terrompre le silence universe!. Une telle contrainte ne co�te pas d�ef-forts � ce peuple si enthousiaste des arts, et qui, en beaucoup denbsp;circonstances, sait avoir quelque chose de la grandeur et de la dignit�nbsp;de 1�ancien peuple remain. Sixte V s�avance bien t�t lui-m�me suivi denbsp;sa cour, et s�assit sur une estrade.
Les cordes mises en mouvement soul�vent l�ob�lisq�e, et portent cette masse d�un poids immense pr�s de la place dispos�e pour la re-cevoir. Le Pape encourage les ouvriers par des signes de t�te et parnbsp;des regards �tincelants de joie : encore un instant, et le hut est at-teint. Fontana parle seul, il commande une derni�re manoeuvre. Toutnbsp;� coup un capitaine de b�timent g�nois, nomm� Bresca, natif de Sannbsp;Ilemo, dans la rivi�re de G�nes, crie du milieu de la foule, et d�unenbsp;voix retentissante : Aqua alle funi, � de l�eau aux cordes, � et aussi-t�t il va se livrer aux gardes qui entourent l�instrument du supplice,nbsp;dress� k un angle de la place. Fontana regarde avec attention les cordes, il voit qu�effectivemeni elles vont prendre feu, se rompre, laissernbsp;tomber l�ob�lisque, et �craser les ouvriers : il ordonne qu�on mouillenbsp;les cordes rapidement. Bresca savait que les c�bles, plac�s verticale-ment, se resserrent lorsqu�on les mouille, et naturellement �l�vent lenbsp;poids qui y est suspendu. II en arriva ainsi, et l�op�ration s�acheva aunbsp;milieu des applaudissements universels.
Le Pape tend les bras a Fontana; celui-ci court � l�homme qui avait cri� Aqua alle funi, l�embrasse, le conduit au Pape, a qui il de-mande sa grace. � II ne s�agit pas de grace, repartit Sixte V, il s�agitnbsp;de r�compense; qu�il d�signe lui-m�me la r�compense qu�il veut! �nbsp;Bresca, qui savait que dans les jardins de sa ville natale on cultivaitnbsp;des palmiers, et que l�on venait y acheter des rameaux pour le journbsp;des Palmes, demanda, pour lui et ses descendants, le privil�ge de
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vendre au palais apostolique les palmes n�cessaires pour la f�te des Hameaux. TJn diplome qui accordait ce privil�ge fut d�livr� Ie lende-�tiain; de plus, Ie chef de la familie fut d�clar� capitaine honoraire dunbsp;premier r�giment, avec droit d�arborer Ie pavilion Pontifical a bordnbsp;son navire. La familie Bresca, illustr�e par son a�eul, est encorenbsp;charg�e aujourd�hui de fournir les palmes des Rameaux. Chaque ann�enbsp;efie envoie un bailment qui les apporte a Rome, o� elles sont distri-fiu�es avec les c�r�monies d�usage (i).
Le Saint-P�re descendit de ses appartements dans la Rasilique, et Se rendit � la chapelle de la Piti� o� l�attendait le Sacr� Coll�ge. Apr�snbsp;s��tre rev�tu de ses habits sacr�s, il monta sur la sedia gestatoria, etnbsp;s avanga vers la confession de Saint-Pierre, pr�c�d�, comme le jour denbsp;No�l, par les pr�lats et les cardinaux, et accompagn� de l��tal-majornbsp;fle la garde noble. Autour du Saint-P�re, les gardes suisses en grandnbsp;eostume portaient les �p�es flamboyanles des cantons catholiques :nbsp;*gt;oble usage qui semble dire que les fils de Guillaume Tell ont tou-jours dans les velnes du sang a verser, pour d�fendre Pimmortel gar-^iien de la libert� du monde. Apr�s une courte pri�re devant la confession, le Souverain Pontife s�assit sur son tr�ne et reQut l�ob�diencenbsp;�fes cardinaux, rev�lus de la cappa violeUa. Des faisceaux de palmesnbsp;s��levaient a droite et k gauche du tr�ne, laissant apercevoir sept ra-*�eaux fort distingu�s par l��l�gance de leurs ornements : ouvrage desnbsp;^'eligieuses Camaldules, ces sept palmes �taient destin�es k orner l�autelnbsp;la croix Papale. La b�n�diction finie, le Pape se rassit et la distri-f*uiion commenga. Deboul apr�s du tr�ne, le cardinal-doyen pr�sentenbsp;�^rie a une les palmes au Saint-P�re qui les donne successivement auxnbsp;�'erdinaux, aux palriarches, archev�ques, �v�ques, g�n�raux d�or-J^^�es, etc., et aux �trangers admis par billet du majordome. Celtenbsp;insigne faveur nous avail �t� accord�e; et si le temps efface les impres-�ngt;ns, du moins la palme des Rameaux et le cierge de la Chandeleur,nbsp;^�?us de la main du Vicaire de J�sus-Christ, nous resteront comme denbsp;P*��cieux souvenirs de ces moments solennels.
Pendant que les yeux sont fix�s sur la raajestueuse c�r�monie, l��me tout enti�re aux souvenirs qu�elle retrace; pour les rendre plusnbsp;''�fs deux hautes-contre chantent Panlienne Pueri Hebrceorum, etnbsp;'ous croyez entendre les na�ves acclamations des enfants de J�rusalemnbsp;^ecourus avec la foule au-devant du divin �riomphateur. Vous assisteznbsp;'nus-m�me au triomphe : Ia procession commence, et le Vicaire de
1') Voyez Vie de Pie VU, par M. Artaud, etc.
T. III. nbsp;nbsp;nbsp;6
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I.ES TROIS ROME.
. 1�Homme-Dieu, port� sur son Ir�ne, descend la Basilique. Et Ie Gloria laus, et les autres chants catholiques m�l�s aux plus expressives c�r�monies retracent tout amp; la fois l�entr�e de Notre-Seigneur a J�rusalemnbsp;et l�entr�e du genre humain dans Ie ciel, dont la porie ferm�e s�ouvrenbsp;par la croix.
La procession revenue dans Ie choeur, Ie Saint-P�re monte au tr�ne; les cardinaux quittent les ornements de leur ordre, reprennent leursnbsp;habits de choeur et leur cappa violetta : tout se pr�pare pour la messenbsp;c�l�br�e par un cardinal-pr�tre. Le moment solennel de la Passion estnbsp;arriv�; el voici que trois pr�lres charg�s de redire les douleurs de lanbsp;grande Victime paraissent au milieu du choeur, portant l�aube etnbsp;l'�tole diaconale : apr�s avoir bais� les pieds du Saint-P�re ils com-mencent le lugubre drame. Le pr�tre qui chante le r�cit est un t�nornbsp;5 la voix mamp;le et forte; le second, appel� anc�lla, est un contralto quinbsp;redit sur un ton p�n�trant les paroles des t�moins, des juges et desnbsp;bourreaux; les paroles du Sauveur sortent d�une basse profonde etnbsp;solennelle.
Ce chant au-dessus de tout �loge est a peu pr�s le m�me dans toutes les �glises catholiques. Mais il est deux choses qui, au Vatican, ren-dent cette r�citation dramatique, belle ou plut�t magnilique : c�estlanbsp;justesse des voix et surtout le choeur. Toutes les fois que dans 1�his-toire de la Passion, la foule des Juifs, ou m�me plusieurs personnagesnbsp;doivent parler ensemble, le choeur �clate en une harmonie simplenbsp;mais large, et pour ainsi dire compacte, et qui rend les paroles avecnbsp;une v�rit� saisissante. Ainsi, quand les Juifs s��crient: � Crucifiez-le,�nbsp;OU bien : � Barabbas t � le chant, comme les paroles, est concis etnbsp;d�une �nergie terrible; il n�a qu�une note pour chaque syllabe, etnbsp;dans les trois notes du dernier mot, un changement subit de ton pro-duit un effet dramatique. Ces morceaux d�ensemble furent corapos�s,nbsp;en 1S85, par �homas-Louis de Victoria, natif d�Avila, et contemporain de rimmortel Palestrina, qui n�y trouva rien k corriger ou anbsp;changer.
A rOlfertoire on chante pour motet une partie du Stabat de Palestrina, chef-d�oeuvre de palh�tique et d�harmonie ; on ne l�enlend que ce jour-lamp;. Apr�s Ia messe le Saint-P�re debout sur son tr�nenbsp;b�nit l�assistance; puis le cardinal c�l�braut proclame l�indulgence denbsp;trente ans, accord�e par le Souverain Pontife aux fid�les pr�sents �nbsp;roffice. Le cort�ge se remet en marche, et le Souverain Pontife rentrenbsp;dans ses appartements.
II avail �t� facile de nous convaincre qu�� Rome comme ailleurs, la
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b�n�diction des rameaux est une des c�r�monies les plus populaires du catholicisme. De nos jours encore, on voit en France et m�me anbsp;Paris, la foule empress�e de recevoir la palme b�nite; la marchandenbsp;de la rue l��tale sur sa boutique, et Ie cocher de fiacre l�arbore ii sonnbsp;chapeau, tandis que l�enfant porte joyeusement a sa main Ie buisnbsp;merveilleux, charg� ce jour-la de pommes et de bonbons : a cela senbsp;borne malheureusement la pi�l� du grand nombre. Les populationsnbsp;d�Italie, chez qui Ie sens chr�tien est moins affaibli, conservent avecnbsp;un soin religieux les rameaux qui leur sont distribu�s dans les diverses �glises; elles les placent dans les lieux les plus apparents de leurnbsp;maison : ils sont pour elles non-seuleroent un pieux symbole de lanbsp;Passion du Sauveur, mais encore un souvenir de l�obligation qui leurnbsp;est impos�e d�appeler chaque jour les b�n�dictions du Ciel et de senbsp;sanctifier, corame ont �t� sanctifi�es ces branches de palmier par lesnbsp;pri�res de l��glise.
Pendant que Ie cardinal grand p�nitencier se rendait a Saint-Jean-de-Latran pour y exercer les functions de sa dignit�, nous �tions en niarehe vers la Basilique de Saint-S�baslien. Avant d�arriver a la portenbsp;Appienne, on passe sous l�arc de Drusus. Je ne dirai autre chose denbsp;ce monument, sinon qu�il fut �lev� par Ie s�nat en l�honneur de N�ronnbsp;Claudius, qui re^ut en outre Ie litre de Germanique, conserv� depuisnbsp;dans sa familie. Cet are, gravement endommag�, se compose de grosnbsp;quartiers de travertin et de deux colonnes de marbre africain d�ordrenbsp;�composite. Sur Ie couronnement est un reste de l�aqueduc de l�eaunbsp;Algentiana,que Caracalla fit conduiredu Mont-Algidusa sesThermesnbsp;A^ntonins. Ici commence la c�l�bre voie Appienne.
Sa solidit�, sa largeur, son �tendue, Ie nombre et la magnificence �Jes mausol�es, dont elle �tait bord�e a droile et a gauche, lui avaientnbsp;*tt�rit� Ie nom glorieux de Reine des routes, Regina viarum (i). Ennbsp;''oyant ses larges dalles que foul�rent successivement tous les grandsnbsp;Personnages de Rome pa�enne, Ie p�lerin catholique n�oublie pasnbsp;qu�elles furent aussi foul�es par les pieds des Ap�tres et rougies dunbsp;Sang d�innombrables martyrs (2); puis il se demande pour quelle raison et par quel secret merveilleux les Remains donnaient a leurs ou-''*'3ges en g�n�ral, et a leurs routes en particulier, cette solidit� quinbsp;^^�ave les si�cles? People guerrier, les fils de Romulus durent attacbernbsp;haute importance a la construction des routes n�cessaires 5 la cir-
(') Appia longarum terilur Regia viarum. Mart, ix, 104.
A chaque page de 1�hisloire el des marlyrologes, vous renconlrei unc phrase qui commence par ces mols : liontoe, via Appia, et qui finit par un marlyre.
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LES TROIS ROME.
culation continuelle de leurs arm�es; de l� les voies publiques aux-quelles sont resl�s, comme souvenir de leur origine, les noms de M�itaires, Pr�toriennes ou Consulaires. Telle est la r�ponse denbsp;l�Histoire. Sans la nier, la foi en ajoute une autre. Destin� a facillternbsp;la propagation de T�vangile qui allait apporter au 'monde l�unit� morale, l�empire Romain devait �tablir Tunit� mat�rielle'de tous lesnbsp;peuples sous un sceptre eommun. Cette mission r�clamait, entre au-tres choses, de grandes, d�innombrables voies de communication.nbsp;Rome �tait charg�e de les ouvrir; et Ie spectacle que nous avions sousnbsp;les yeux nous montrait encore, apr�s plus de deux mille ans, et lanbsp;justesse de cette r�ponse et l��nergique intelligence avec laquellenbsp;Rome sut accomplir une tache qu�elle ne comprenait pas. � Les voiesnbsp;publiques, dit un histori�n t�moin de leur magnificence, tiennent Ienbsp;premier rang parmi les monuments de la Ville �ternelle (i). � On peutnbsp;encore en juger par Ie d�tail de leur construction.
Pour �tablir une route, on commen^ait par creuser Ie terrain h une certaine profondeur; puis on Ie nivelait en remplaf.ant avec un sablenbsp;fin et solide les parties de terre qui offraient peu de consistance. Lanbsp;forme ainsi creus�e, on en r�glait les pentes, et, dans Ie cas de rem-blai, Ie terrain �tait battu avec de lourds pilons ou foul� avec de grosnbsp;cylindres de fer qu�on roulait dessus. Venaient ensuite trois ou quatrenbsp;couches de ma^onnerie qui forrnaient une masse de trois piedsnbsp;d��paisseur.
La premi�re appel�e Statumen, ou fondation, se composait d�une couche de mortier de chaux d�un pouce environ, sur lequel plu-sieurs rangs de pierres plates de dix pouces d��paisseur, �laient scel-l�es et jointes entr�elles par un ciment tr�s-dur.
La seconde, Iludus, consistait en un lit de mortier, m�lang� de cailloux de la grosseur d�un muf et de fragments de briques. On bat-tait forlement ce corroi avec des pilons ferr�s, et quand il �tait biennbsp;foul�, r�duit a dix pouces d��paisseur, on �tablissait dessus Ie noyau,nbsp;Nucleus.
La troisi�me. Nucleus, �tait un m�lange de chaux, de crale et de terre franche battus ensemble. Son �paisseur variait de cinq pouces anbsp;un pied.
Enfin la quatri�me. Summum dorsum, Ie dos de la chauss�e, ou
(i) Ego sane in tribus magnificenlissimis operibus Uoma!, et � quibus maxime apparent illius imperii opes, pene aquaaductus, viarum munitiones, doacarum slrucluraa, nequc id solum ad militatera ejusmodi operum respiciens, sedetiam adimpcndii sump-tuumquemodum. Dyon. Ilal. lib. m.
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Summa crusta, la cro�te sup�rieure, �tait form�e de granJes pierres plates, taill�es en polygenes irr�guliers, ou coup�es ix angles droits.nbsp;Ces dalles, dont les plus grandes ont jusqu�a trois ou quatre pieds denbsp;�liain�tre, �taient un peu relev�es vers leur centre et jointes ensemblenbsp;avec une telle pr�cision, qu�aucun corps �tranger ne pouvait y p�n�-Irer. Ainsi �taient dall�es toutes les voies consulaires, jusqu�it cin-lt;luante licues de Rome. Au det� de ce terme, ou dans les provinces,nbsp;la Summa crusta �tait compos�e d�une couche de cailloux forlementnbsp;eiment�e et �paisse de six pouces : c��tait Ie mac�adara perfectionn�.
Les voies �taient bord�es a dr�ite et a gauche de deux pelits murs, ^argines, ou parapets en grosse pierre de taille, servant tout a la foisnbsp;de contrefort et de passage pour les pi�lons. Ces bordures avaientnbsp;lt;Iuinze pouces de haut sur vingt et un de large. De douze pas en douzenbsp;pas, s��levaient des pierres un peu plus hautes avec quelques degr�snbsp;pour aider les voyageurs a monter en char ou a cheval. Enfin parais-saient les milliaires, grosses hornes de pierre ou de marbre cylindri-fiues ou carr�es, hautes d�environ huit pieds, et indiquant les distances de Rome, de mille pas en mille pas, jusqu�a quinze lieues denbsp;la Ville (i).
La largeur ordinaire de la voie Appienne est de vingt-six pieds. Au Biilieu des marais Pontins elle en a jusqu�ii trente-six, afin de diminuernbsp;les dangers de ce passage; et au dela de Fondi, elle revient a vingt-sixnbsp;pieds. �ne fois sortie des gorges d�Itri, elle continuait sur la m�menbsp;largeur avec la m�me magnificence d�ornements et de constructionnbsp;jusqu�1� Brindes, port jadis c�l�bre, o� allaient s�embarquer Ia plupartnbsp;'les grands personnages qui partaient pour l�Orient. Sur leurs pasnbsp;ttous avions franchi YAlmon, petite riviere dans laquelle les pr�tresnbsp;*le Cyb�le lavaient chaque ann�e la statue de la D�esse et les objetsnbsp;Servant h son culte ; ils en avaient besoin! La petite �glise du Do-quo vadis? s��tait pr�sent�e sur notre gauche, sans avoir punbsp;ttous retenir ; Saint-S�hastien devait avoir notre premi�re visite.
B�tie sur les c�l�bres catacombes de Saint-Callixte, on croit cette Hflsilique d�origine Constantinienne. Restaur�e en 367 par saint Da-t�ase, elle fut d�di�e par Innocent F' � saint S�bastien quelepapeCaiusnbsp;ttomma Ie Dcfenseur de l��glise. Elle fut r��difi�e en 16 H, par Ie car-�llnal Scipion Borgh�se, dans Ie style de l��poque. La facade est orn�enbsp;'l un portique soutenu par six colonnes de granit; la nef �st large,nbsp;�lev�e, et se termine par un autel orn� de quatre colonnes de vert an-
(') Tit. Liv. IX, 43; xli,22. Ciccr. deLegib.m,5. Bergicr, Grandscheminsdel�Empire, gt;'i 16 et IV, 40, etc.
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H''.
tique. Ce que nous remarquames Ie plus est un tabernacle de marbre blanc repr�sentant l�Enfant J�sus debout sur une colonne, et entour�nbsp;de deux saintes femmes. Le symbolisme chr�tien pouvait-il exprimernbsp;plus vivement l�adorable mysl�re de 1�Eucharistie? La partie la plusnbsp;venerable de cette �glise est Ia Platonia ou locus ad catatumbas,nbsp;esp�ce de souterrain passablement �clair�, o� se Irouve un puits c�l�-bre dans l�hisloire. Jaloux de poss�der les corps de saint Pierre et denbsp;saint Paul, qu�ils pr�tendaient leur appartenir en qualit� de compa-triotes, les lid�les d�Orient avaient form� le projet de les enlever. D�j�nbsp;ils �taient en possession de ce double tr�sor, lorsqu�un ouragan �pou-vantable les obligea de Wcher prise; ils n�eurent que le temps denbsp;cacher les riches d�pouilles dans ce puits o� elles rest�rent long-temps (i). Pr�s de l�autel qui cache rorilice du puits, on voyait jadisnbsp;la chaire pontificale, rougie du sang du pape saint Etienne, �gorg�nbsp;dans ce lieu pendant la c�l�bration des augustes myst�res. Cette chairenbsp;est aujourd�hui a Pise, dans l��glise des chevaliers qui portent lenomnbsp;du Ponlife martyr.
La chapelle qui se pr�sente sur la droite, en entrant dans la Basi-lique, est un vrai tr�sor de reliques insignes. Je nommerai seuleraent les t�tes des papes et martyrs, saint Callixte et saint Etienne; le fernbsp;d�une fl�che qui perga saint S�bastien ; un antique calice de plomb,nbsp;contenant des cendres et des ossements du pape saint Fabien; et lanbsp;pierre qui porte l�empreinte des pas de Notre-Seigneur, lorsqu�il ap-parut i saint Pierre sortant de Rome pour �viter la mort. Elle y a �t�nbsp;transport�e de la petite �glise du Domine, quo vadis? appel�e aussinbsp;Sainte-Marie-ad-Passtts, ou delle Piante. Dans la chapelle Albani,nbsp;d�di�e a saint Fabien, on v�n�re la t�te du glorieux Pontife. A gauchenbsp;de la nef, en entrant, est la magnifique chapelle de Saint-S�bastien,nbsp;dont Faulel renferme le corps de Plllustre martyr. La belle statue dunbsp;Saint, en marbre blanc, est due au ciseau de Giorgetti.
Mais ce qui, dans la Basilique tant de fois v�n�rable, domine tous les souvenirs du voyageur et absorbe son Ame tout enti�re, c�est lanbsp;pens�e de la c�l�bre catacombe creus�e sous ses pieds. Je n�en dirainbsp;rien aujourd�hui, afin de ne pas anliciper sur notre voyage dans lanbsp;Rome souterraine. Qu�il suffise de rapporter l�inscriplion grav�e pr�snbsp;de la porte sup�rieure des immenses galeries : elle dit au chr�tiennbsp;que 174 mille martyrs et quarante-six papes reposent dans ces lieux,nbsp;apr�s avoir remporl� la palme de la victoire et lav� leurs robes dans
(i) Baron. An, 1.1, p. 481, n. 21. � Je parlerai de cc lieu et de ce fait dans l'Histoire des Catacornbes,
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Ie sang de I�Agneau pendant la grande tribulation (i). Lue ii la lumi�re '�acillante d�une lorche r�siiieuse, au moment de descendre dans lanbsp;�vaste n�cropole, cetle inscription produit un saisissement qu�il est ,jenbsp;crois, �galement impossible d��viler et de rendre. Faut-il s��tonuernbsp;que l��glise de Saint-S�bastien soit une des plus riches en indulgencesnbsp;et qu�elle compte parmi les sept Basiliques de Rome, donl la visitenbsp;est r�compens�e par d�immenses faveurs spirituelles?
Un peu au deli de Saint-S�bastien, on voit dans les vignes qui bor-dent la gauche de Ia voie Appienne, les ruines �parses de la somp-lueuse villa du tyran Maxeuce. A cette villa appartiennent Ie temple et Ie Cirque de Romulus. Excepl� un vaste souterrain soutenu par unnbsp;pilier oclogone, avec des niches pour les urnes s�pulcrales, Ie premiernbsp;de ces edifices n�offre plus qu�un amas de d�bris plus ou moins in-formes : temple et tombeaux des dieux de fabrique humaine, il a p�rinbsp;comme ses divinit�s tut�laires. D�accord avec l�histoire, la traditionnbsp;nous apprend qu�il fut d�di� l�an oH, par Maxence, a son fils Romulus : il en est de m�me du Cirque voisin. Le d�crire serait r�p�ter cenbsp;fiue nous avons dit en parlant du Circus Maximus; n�anmoins il fautnbsp;le visiter. Les carceres, l��pine, le Pulvinarium y sont ii d�couvert,nbsp;ot dans un �tat de conservation qui met sous les yeux la forme et lesnbsp;proportions des Cirques anciens.
Rentr�s sur la voie Appienne, nous fumes, en quelques instants, au pied d�un monument dont la masse imposante domine toute la Campagne romaine, il s�agit du Capo di Bove ou tombeau de Csecilianbsp;Metella. Ce gigantesque mausol�e semble ne rester debout parmi tantnbsp;de ruines, que pour porlexjusquau del l��tcrnel t�moignage de notrenbsp;^�ant, et annoncer a l��tranger qui vient voir la cil� des C�sars, quenbsp;pour relrouver l�antique maitresse du monde il faut d�sormais lanbsp;�hercher parmi les ruines et les tombeaux. Qui �tait Csecilia Metella?nbsp;1^�ille de Quintus Metellus, et femme de Crassus, voila tout ce que nousnbsp;savons; encore n�est-ce pas l�histoire qui nous l�apprend. A d�fautnbsp;gloire personnelle, cette femme voulut, comme Caius Ceslius etnbsp;�^omme tant d�autres, se faire une place dans la m�moire des si�clesnbsp;la magnificence de sa tombe. Elle a r�ussi : son mausol�e est unnbsp;plus beaux et des mieux conserv�s de l�ancienne Rome. Qu�on se
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figure une tour ronde, de quatre-vingt-neuf pieds et demi de diam�tre sur une hauteur proportionn�e, posant sur un soubassement quadran-gulaire et toute form�e d��normes bloes de travertin, avec une cor-niche saillante et une frise orn�e de t�tes de loups et de guirlandesnbsp;de cypr�s d�une bonne ex�cution. A l�int�rieur est la cbambre s�pul-crale, aujourd�hui combl�e, o� fut trouv� Ie magnilique sarcophagenbsp;qu�on admire sous Ie porlique du palais Farn�se. Sur Ie c�t� qui re-garde la voie Appienne, on lit l�inscription suivante, qui contient,nbsp;comme nous l�avons remarqu�, toute l�histoire de Th�ro�ne ;
CJEClhlM Q. CRETICI. F.
ME�ELL^. CRASSI.
Au-dessus de l�inscription est un bas-relief en marbre, repr�sentant une Victoire qui �crit sur un bouclier les grandes actions de Crassusnbsp;et de M�tellus. Bien qu�il soit de la fin de la B�publique, Ie mausol�enbsp;de Csecilia offre du marbre dans quelques-unes de ses parties : cettenbsp;circonslance peut servir ^ riiistoire de Tart chez les Remains.
Apr�s avoir jet� un rapide coup d�oeil sur Ie joli petit temple d�di� au Dieu du Retour (i),nous arriv�mes, en reprenant la voie Appienne,nbsp;a l��glise du Domine, quo vadis? Fond�e aux premiers jours du chris-tianisme, cette petite �glise tour a tour restaur�e et rebAtie, constatenbsp;un fait que Ie p�lerin catholique recueille avec amour. Saint Pierrenbsp;�tait depuis plusieurs mois enferm� dans la prison Mamertine, con-damn� a mort et n�attendant pour �tre martyris� que l�ordre de N�ron.nbsp;Lesehr�tiens �perdus, tremblant de perdre leur guide et leur p�re, r�-solurent a tout prix de Ie sauver. Soit qu�ils fussent second�s par Proc�snbsp;et Martinien, devenus les disciples de l�Ap�tre dont ils �taient les ge�-liers, soit qu�ils eussent recours � d�autres moyens dont Ie secret nousnbsp;�chappe, toujours est-il, qu�ils parvinrent � tirer saint Pierre de sonnbsp;l�n�breux cachot. D�ja les remparts de la ville �taient franchis; et Ienbsp;prisonnier, que dis-je? Ie vainqueur de N�ron et de Jupiter, marchait,nbsp;pour s��loigner de Rome, sur cette m�me voie Appienne qu�il avaitnbsp;suivie, pour y entrer, vingt-cinq ann�es auparavant.
Ce n�est pas que Pierre voulut �viter la mort; il savait que Ie sang des martyrs est Ie fondement de l��glise et une semence de chr�tiens;
(i) Pline rapporte que les Uotnains consacr�rcnt un lemple i cette divinil�, en m�-moire de la retraite d�Annibal; ma�s la place qu�il lui assigne ne peut convenir a l'�di-lice dont je viens de parler ; coramc tant d�aulres ruines, celle-ci est done incertaine.
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savaii de plus que la croix lui �tait r�serv�e : mais ignorant si 1 heure �tait venue, il avait c�d� aux larines des n�ophytes. Arriv� surnbsp;Ie lieu o� nous sommes, il aper^oit son divin Mailre venant a sa rencontre, charg� de sa croix. Pierre l�a reconnu, et il s��crie ; Domine,nbsp;JMo vadis? � Seigneur, o� allez-vous? � � Venio ilerum crucifigi:nbsp;quot; Je viens pour �tre crucifi� de nouveau. � Pierre comprit; et ren-tcant � Rome, il attendit la croix sur laquelle Ie R�dempteur dunbsp;Wonde devait mourir, non plus en personne comme a Jerusalem,nbsp;Wais dans la personne de son vicaire (i).
Le paganisme vaincu, Ie monde pacili� et soumis � 1��vangile, tel fut, avec le temps, le fruit de la mort de Pierre et de ses coll�gues :nbsp;1�arc de Constantin, sous lequel nous passflmes bient�t, continue denbsp;le redire par ces deux mots immortels : Fundatori quietis.
21 MARS,
Frascati. � Villas. � Le cardinal Micara. � Tusculiim. � Grotta Ferrala.
Les grandes c�r�monies de la Semaine Sainte, commenc�e le di-Wanche des Rameaux, ne continuent que le mercredi soir ; ainsi le lundi et le raardi sont deux jours de cong� dont nous profitilmes pournbsp;visiter les environs de Rome. Le 21 mars k six heures du matin, deux
(i) Outre la tradition constante des lid�les de Rome, nous avons, sur ce l'ait, des ��aioignages �crits, enlre autres, celui de saint Ambroise; dans un discours centrenbsp;^axence, le grand Docteur s�exprime ainsi: lt;i Idem Petrus postea, victo Simone, cumnbsp;PVfficepta Dei populo semlnaret et doceret cas�moniam, excitavit animos gentiliuin.nbsp;Qaibus eum quserentibus, Christiana; animse deprccata; sunt, ut paulisper cederel, elnbsp;lUamvis esset cupidus passionis, tarnen conlemplatione populi precantis inflexus est:nbsp;Wgabatur enim, ut ad insUtuendum, et confirmandum populum se reservaret. Quidnbsp;|bulta� Nocte muro egredi coepit; et videns sibi in porla Christum occurrere, urbemquenbsp;�J'Sfedijait: Domine,quo vadis? Respondit Christus : Venio ilerum crucifigi. Intellexitnbsp;, atrus ad suam crucem divinum pertincre responsum. Christus enim non poteratnbsp;Rerum cruciligi; qui carnem, passione suscepla mortis, exuerat; quod enim mortuusnbsp;mortuus est semel; qnod autem vivit, Deo vivit; intellexit ergo Petrus, quod ilerumnbsp;^^liristus cruciligendus esset in servulo. Itaque sponle renieavit: interrogantihus ebris-hanis responsum reddidit; stalimque correplus, per crucem suam honoriiieavit Domi-'Jtm Jesum. � Bar. Art. 1.1, p. 477, n. G. Fogginio, Exercit. xvii, p. 404, etc., etc. � Anbsp;'occasion de ce fait il est bon de rapporter les remarquablcs paroles de Suarez quinbsp;^�appliqueni a toules les autres traditions romaines dont il est parl� dans les Troisnbsp;^'Orne: ,lt; Inter tradiliones qua; in Ecclesia inveniunlur, qu.-edam sunt universales toliusnbsp;�Ecclesia; calholicae; ali� parliculares quarumdam Ecclesiarum, ut exporientia con-
� nbsp;nbsp;nbsp;.....Parliculares per se non sunt regulm iidei, nisi aliunde accedat Ecclesia; deii-
* nnio qua; iiiag approbet. Et ideo parliculares tradiliones Ecclesia; Romanm, ut est specialis episcopatus, sunt majoris auctoritatis; quia solentesse a Ponlificibus appro-� bata;. s Df, iripi, ^irt, theol. Disput, v, sect. 4.
6.
-ocr page 138-134 LES TROIS ROME.
voitures trottant au travers de la Campagne romaine, sur Tanlique voie Asinaria, transportaient a Frascati notre petite caravane. Lesnbsp;gigantcsques arcades de l�aqueduc de Claude, courant sur une longueur de plusieurs milles, jalonnaient notre route au milieu du d�-sert: bient�t on coupe la voie Latine. Sa direction se fait reconnaitrenbsp;aux ruines des tombeaux �chelonn�es sur ses bords ; lugubre spectaclenbsp;que vienl assombrir encore l�ombre du farouche Tolila; ce terriblenbsp;ravageur de Rome avail ici son camp. Les ruines que Ton voit parlentnbsp;de lui, comme la porte par laquelle nous venions de sortir rappelle etnbsp;la trahison des soldats isauriens pr�pos�s i sa garde, et Fentr�e � jamais lamentable du barbare vainqueur.
Deux heures de marche suffisent pour conduire au pied de la gra-cieuse montagne sur Ie versant de laquelle est situ�e la petite ville de Frascati : Tusculum, qu�elle remplace, en occupait la cime. Cettenbsp;derni�re ville, d�truiteen 1191 par les Romains et les Tiburtins, donnanbsp;naissance ii Frascati, qui est aujourd�hui Ie si�ge du troisi�me �v�ch�nbsp;suburbicaire. Toute la c�te est �maill�e de villas d�licieuses, o� lesnbsp;Romains viennent chercher, sousl��pais feuillage des oliviers sauvagesnbsp;et des ch�nes verts, un abri prolecleur centre Ie soleil de juillct etnbsp;centre les fi�vres d�automne. Parmi ces habitations royales se distin-guent les Delizie Aldobrandini, Taverna, Conti, Bracciano : les deuxnbsp;premi�res apparliennent � la familie Borgh�se. Jardins, cascades, jetsnbsp;d�eau, points de vue, objets d�art, tout se r�unit pour en faire un s�-jour enchanteur. Dans la villa Aldobrandini on admire une vastenbsp;pi�ce, resplendissante de fresques du Dominiquin, au milieu de laquelle s'�l�ve Ie Mont-Parnasse en relief. La po�tique montagne estnbsp;habil�e par des musiciens en bronze qui m�lent Ie son de leurs instruments au bruit des eaux dont la chute les anime. La villa Continbsp;fait admirer son escalier royal, la Ruffina son architecture du Bemin,nbsp;et la Montalto, sa voute peinte par l��cole du Dominiquin.
Entre nos excursions dans la montagne et notre ascension 5i Tusculum, vint s�intercaler fort k propos un diner qu�assaisonn�rent une faim de car�me et de piquants d�bats avec les �niers de Frascati. Denbsp;p�re en fils, ces hauls et puissants seigneurs sont en possession denbsp;conduire les �trangers k Tusculum, et do leur louer des anes ou desnbsp;mulets pour faire Ie voyage; c�est leur industrie, et ils en ont Ie mo-nopole. Qu�on juge si Ie forestiere qui arrive est soign�, entour�,nbsp;press� d�accepter Thonneur d��lre servi! Mais Ie taux du service!nbsp;voil^ ce qui nagu�re encore n��tait pas tis�; et il ne l��tait pas, pareenbsp;que nul n�avail os� Irancher cette question d�licate; done il �lait arbi-
-ocr page 139-LE CARDINAL MICARA. nbsp;nbsp;nbsp;155
Iraire, c�est-i-dire exorbitant. II a fallu Ie cardinal Micara, pour oser Ie limiter au maximum d�une piastre; l�Italie en a �t� slup�faite : c�estnbsp;'in vrai coup d��tat. Nos parlementaires invoqu�rent done Ie tarif, etnbsp;Dioyennant la promesse d�une bonne main supplementaire, les int�ressants quadrup�des nous furcnl assur�s : il nous en fallait quatorze.
Pendant qu�on les pr�parait, nous visitames Ie palais �piscopal, �bustr� au dix-huiti�me si�cle par Ie cai�dinal d�York, Ie dernier desnbsp;Stuarts; ensuite la catb�drale d�di�e a saint Pierre, o� Ton voit quel-9ues monuments de l�ancienne familie royale d�Angleterre; enfin lanbsp;bemeure du cardinal Micara, �v�que actuel de Frascati. A Tangle de lanbsp;place voisine de la catb�drale est un bMiment de ch�tive apparence
de m�diocre dimension. 11 renferme Ie grand s�minaire et Ie petit ^�minaire; car T�v�ch� de Frascati ne compte gu�re que six mille dio-r�sains. Un �lroit et pauvre escalier conduit a une antichambre quinbsp;sert de salie a manger. Lh �taient assis autour d�un po�le italicn deuxnbsp;domestiques en livr�e, suivant T�tiquette. Une simple porte en planches nues nous s�parait de la chambre du cardinal Micara, la gloirenbsp;du Sacr� Coll�ge, th�ologien, jurisconsulte, administrateur et Ie plusnbsp;grand orateur de Tltalie.
Repr�sentez-vous un vieillard de soixante-sept ans, de taille moyenne, broite et bien prise; avec des cheveux blancs bien fournis, et une ma-gnifique barbe, blanche comme la neige, descendant vers Ie milieu denbsp;la poitrine; un oeil de feu, �tincelant dans sa profonde orbite, ombra-g�e par d��pais sourcils r�guli�rement arqu�s; un large front carr�,nbsp;bes l�vres minces et roses, sur lesquelles erre toujours un sourirenbsp;b�une finesse et d�une gr^ce inexprimables; contemplez ce vieillard,nbsp;Ce prince de T�glise, que tant de voeux appellent k 1�honneur de lanbsp;Rare, v�tu de la bure grossi�re des capucins, assis sur une mauvaisenbsp;chaise de bois composant, avec une petite table couverte de papiersnbsp;ct un petit lit sans rideaux, �lev� d�un pied au-dessus du sol, tout Ienbsp;raobilier de cette unique pi�ce tour � tour salon, cabinet d��tude etnbsp;chambre a coucher : repr�sentez-vous tout cela, et vous aurez vu lanbsp;Personne, Ie palais et Tameublement de Tillustre et saint cardinal.
Fils d�un fermier de Frascati, fr�re d�un fermier de la m�me ville, homme admirable n�a point voulu habiter Ie magnifique palais denbsp;�cs pr�d�cesseurs. � Les grands appartemenls me font peur, nous di-��it-il en souriant; et puis, je me trouve ici au milieu de mes enfants.�nbsp;Fn effet, son s�minaire est sa familie, il en est Ie directeur el Ie p�re;nbsp;^ais sa sollicitude s��tend au dehors. Quoique pauvre, et tr�s-pauvre,nbsp;'I trouve, avec ses huit cents piastres de revenu, Ie moyen de faire
-ocr page 140-156 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
faire des routes, de batir un h�pital, d��tablir un mont-de-pi�t�, d�ou-vrir des �coles, o� il conduit lui-m�me par la main les enfants qu�il rencontre dans les rues : c�est Ie type ressuscit� du p�re de l��-glise. Aussi les habitants de Frascati sont fiers de l�avoir pour �v�quenbsp;et pour concitoyen : II nostro, disent-ils en parlant de lui; et dansnbsp;leur juste estiine ce mot-1^ dit tout. Son �minence nous paria en tr�s-bon francais de la France, o� elle nest jamais venue, mais qu�ellenbsp;connait comme si elle n�en �talt jamais sortie; elle s�exprirae sur lesnbsp;grandes questions qui agitent non-seulement notre patrie, mais l�Eu-rope enli�re, avec cette fermet� de jugement et cette hauteur de vuenbsp;qui caract�risent tout ii la fois Fhomme pratique et l�homme de g�nie.
Comment Fhumble capucin fut-il tir� de l�obscurit� de sa celluie? Quelle main a plac� la lumi�re sur Ie chandelier? L��l�vation du cardinal Micara est une preuve entre mille, qu�� Rome la science et lanbsp;vertu sont, plus que partout, la route assur�e des honneurs. C��tait ennbsp;1824; Ie p�re Micara pr�chait a Rome en presence de L�on XII. Avecnbsp;toute la libert� de 1��vangile et toute l��loqucnce de sa parole, il fitnbsp;entendre d�utiles v�rit�s � l�adresse de quelques-uns de ses auditeurs.nbsp;On Ie comprit; et les personnages int�ress�s vinrent porter plainte aunbsp;Souverain Pontife, en Ie priant de rappeler h l�ordre Ie t�m�rairenbsp;pr�dicateur, et au besoin de lui imposer une s�v�re p�nitence ; Ienbsp;Saint-P�re promit de faire bonne justice. Quelques jours apr�s, l�snbsp;m�contents demand�rent h L�on XII s�il avail tenu parole, et puninbsp;comme il Ie m�ritait l�audacieux capucin. � Si, si, r�pondit Ie Pape.nbsp;� Quelle p�nitence votre Saintet� lui a-t-elle donn�e? � Je 1�ai faitnbsp;cardinal. �
La b�n�diction du vieillard porte toujours bonheur; apr�s avoir sollicit� et regu celle du v�n�rable Pontife, nous partimes pour Tus-culum. Entre deux bordures de lauriers de vingt-cinq pieds d��i�va-tion, on arrive par une pente douce � la Ruflinella. Cette gracieusenbsp;villa, propri�t� de Lucien Bonaparte, a �t� achet�e par la reine douairi�re de Sardaigne. Quelques pas plus loin s�onvre une voie romainenbsp;dont les dalles us�es t�moignent qu�elles ont port� les chars d�illustresnbsp;personnages : entre autres de Cic�ron qui avail ici une de ses demeu-res, de Caton originaire de Tusculum, de Lucullus dont la villa con-lenait, au dire des censeurs scandalis�s, plus d�espace � balayer qu�anbsp;cultiver (i). Au milieu des ruines �parses de tous c�t�s sur Ie sol, onnbsp;croit reconnaitre 1�emplacement el les debris de la maison de l�orateur
(0 Plin. lib. XVIII, c. 6.
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roinain, immortalis� dans Ie monde classique par la composition des Tusculanes. Voyez pourtant la distance qui s�pare la plus haute rai-son pa�enne de la plus faible intelligence chr�tienne! Quelle ame bap-bs�e accepterait et Ie mobile des actions, et la r�gie des moeurs, et lanbsp;i'�compense de la vertu pr�conis�e par Cic�ron? C�est ici ii �usculumnbsp;que s�adressant la question ; � Qu�est-ce que la gloire? � Ie grandnbsp;Philosophe r�pondait : � La gloire est un bien r�el et solide, et nonnbsp;pas une ombre trompeuse; un concert d��loges donn�s a la sagesse;nbsp;la voix d�sint�ress�e des bons juges qui c�l�brent Ie m�rite �clatant;nbsp;1��cho, la plus belle r�compense de la vertu. La gloire seule nous d�-dommage de la bri�vet� de la vie, par Ie souvenir de la post�rit�; ellenbsp;�ous rend pr�sent aux lieux o� nous ne sommes plus, elle nous faitnbsp;'dvre au-del� du tr�pas; elle est enfin comrae Ie degr� qui �l�ve lesnbsp;liommes au rang des immortels (i). �
Apr�s avoir rattach� toutes les esp�rances de rhomrae a une chi-�a�re aussi vaine que la gloire, Cic�ron essaie de donner un guide a aes actions, une consolation � ses douleurs. G�est alors qu�il s��crie,nbsp;les mines de la villa semblaient retenlir encore de ses paroles : � 0nbsp;philosophic! seule capable de nous guider! 0 toi, qui enseigne lanbsp;''ertu et chasse le vice, que serions-nous sans toi, et tons les hommes Inbsp;Tu as enfant� les villes; tu as inspire aux hommes �pars I�amour denbsp;la soci�t�; tu leur as fait rapprocher leurs deraeures, contractor desnbsp;'Hariages, inventer une langue et une �criture communes; tu as dict�nbsp;les lois, form� les moeurs, civilis� les peoples. Je cberche un asile au-Pe�s de toi; j�implore Ion secours; content jusqu�ici de suivre ennbsp;Partie tes lemons, aujourd�hui je me livre igt; toi tout entier. Eh! a quellenbsp;Puissance aurions-nous plut�t recours qu�^ la tienne, pour nous donder la tranquillite de la vie, et nous �ter la terreur de la mort (2) ? �nbsp;Le jour, I�heure peut-�tre ou Cic�ron �crivait ce fastueux �loge denbsp;la gloire et de la philosophic, m�res de la vertu, Brutus, ami de Ci-adorateur de la vertu, die de la philosophic et de la gloire, senbsp;�uicidait aux champs de Philippes en s��criant ; � Vertu maudite, tunbsp;u es qu�un mot; vain fant�me, ou vile esclave de la fortune, sois a ja-�aais le partage de mes ennemis. �
En chevauchant sur nos faciles montures dans les grottes de Cic�ron, dans les Thermes, dans le Th��tre, dans les aqueducs et la citadellenbsp;de Tusculum, nous �tions parvenus au point culminant du plateau,nbsp;eucombr� de ruines m�counaissables. De lii, I�oeil embrasse tout le paid Tuscul. Ill, 2; la m�me pensee se relrouvc dans le discours Pro Ulilonc, 53.
Id Tuscul. Y, 2.
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norama de la Campagne romaine. Ravie de ce grand et solennel spectacle, notre caravane partit a regret pour GroUa-Ferrata. Par un pri-\il�ge exclusif, l�Italie offre ^ chaque pas Ie saisissant contraste des gloires du paganisme et du clirislianisme. Dans une grotte ferm�e parnbsp;une grille de fer et voisine de Tusculum, se trouvait, au moyen age,nbsp;une statue miraculeuse de Marie : les fid�les, en grand nombre, y ve-naient en p�lerinage. Autour de la grotte s��leva en l�an 1000 un mo-nast�re de Basiliens. Un jour, les religieux virent arriver un v�n�rablenbsp;vieillard qui demandait a passer Ie reste de sa -vie parmi eux. C��taitnbsp;saint Nil, la gloire de Ultalie, l�admiration des rois, Ie fondateur denbsp;plusieurs monast�res en Calabre.
Le saint homme avait pris la fuite, en apprenant que Ie prince de Ga�te n�altendait que sa mort pour enlever ses reliques. Lorsqu�il ha-bitait encore le Mont-Garan, l�empereur Othon III vint le visiter etnbsp;lui offrit un emplacement pour batir un monast�re. � Demandez-moi,nbsp;ajouta le prince, tout ce qu�il vous plaii�a, mon p�re, je vous l�accor-derai avec joie. � La seule chose que je vous demande, lui dit le saintnbsp;en lui mettant la main sur la poitrine, c�est que vous pensiez au salutnbsp;de votre ftme. � Saint Nil mourut a Grotta-Ferrata en lOOS. Sonnbsp;corps repose sous l�autel. Dans les fresques immortelles qui d�corentnbsp;l��glise du convent, le Dominiquin a repr�senl� la visite de l�empe-reur Othon, la resurrection d�un enfant, et d�autres traits de la vienbsp;du saint anachor�te. Le monast�re conserve encore le souvenir de Til-lustre Bessarion, qui vint y chercher un asile apr�s la prise de Constantinople. Nos hommages rendus � la Vierge miraculeuse, nous primes en toute hate la route de Palestrine. Le village de la Colonna, lenbsp;lac R�gille, les ruines de Gabies, n�eurent qu�un rapide coup d�mil :nbsp;la nuit enveloppait l�antique Pr�neste lorsque nous y entraraes.
22 MARS.
Palestrine. � Souvenirs de Pie VI. � Subiaco. � Tivoli. � Calli�drale. � Souvenirs de sainte Symphorose. � Temple de Vesta, � de la Sibylle. � Villa de M�c�ne. � Lesnbsp;Cascatelles. � Villa de Varrus ou Madonna del Quintigliolo. � Grotte des Sir�nes.�nbsp;Villa d�Este. � Villa d�Adrien. � Tombeau de la familie Plaulia. � La Solfatarre. �nbsp;Ponte Mammolo. � Rentree a Rome.
Pour les villes et pour les royaumes, aussi bien que pour les indi-vidus, il est des moments solennels qui d�cident de leur avenir : Pr�-nesle en offre un m�morable exemple. Fi�re de son origine bien ant�-rieure celle de Rome, fi�re de ses murailles cyclop�ennes, fi�re
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surtoul de son temple de la Fortune, oil I�Empire romain lout entier venait consulter le Sort (i), la cil� Latine jouait depuis longtemps unnbsp;F�le �lev� sur la sc�ne du monde; mais l�heure de sa d�cadence ap-prochait. Divis�e entre Marius et Sylla, Rome �tait en feu el y mettaitnbsp;loute rilalie. Pr�neste prend parti pour Marius. La hauteur de sesnbsp;murs, la force de sa citadelle la font choisir par le Ills de Marius pournbsp;son asile et son camp retranch�. Sylla se pr�sente a son tour; la villenbsp;est prise, le vainqueur �gorge les habitants, et l�antique cit� descendnbsp;dans une tombe sanglante d�o� elle n�est jamais sortie. Le vainqueurnbsp;a beau r�tablir sur des bases plus larges, et avec une magnificencenbsp;nouvelle, le temple de la Fortune; vains efforts : le prestige est pass�nbsp;pour toujours. II nous semble qu�il en devrait �tre ainsi. Le momentnbsp;approchait o� l�oracle �ternel de la v�rit�, la v�rit� m�me allait parlernbsp;au monde; et dans la destruction de Pr�neste, donjon s�culaire o� lenbsp;p�re du mensonge r�gnait comme au Capitole, le chr�tien attentifnbsp;voit briller Faction divine qui avance d�un pas l�ceuvre de la pr�para-tion �vang�lique.
Palestrine n�offrant d�autre int�r�t que celui des souvenirs, nous la quittftmes de fort bonne heure pour nous rcndre ii Subiaco. Subiaco!nbsp;quel charmant p�lerinage! comme tout y parle � l�imagination et aunbsp;coeur! quelle jouissance pour le voyageur francais de trouver, dansnbsp;cette po�tique solitude, des religieux qui parlent sa langue comme ilnbsp;la parle lui-m�me, et qui, sans Favoir jamais vu, le ch�rissent et lenbsp;resolvent comme des fr�res! Subiaco fut la premi�re retraite de saintnbsp;Benoit; on peut dire qu�il y jeta les bases de son immortel institut,nbsp;et depuis treize si�cles, les fils du v�n�rable patriarche gardent avecnbsp;un religieux respect le berceau ch�ri de leur nombreuse familie. Ilsnbsp;sont divis�s en deux monast�res, celui de Saint-Benoit et celui denbsp;Sainte-Scholastique. Avec quel amour ils nous montr�rent le Sacronbsp;Specco, caverne myst�rieuse, o� leur p�re v�cut longtemps, commenbsp;Ignace a Manr�ze, comme Mo�se au d�sert, pr�parant avec Dieu lesnbsp;grands desseins 'qu�il devait ex�cuter! Une belle statue y repr�sentenbsp;Je Saint, absorb� dans la m�ditation; a c�t� de lui est une corbeille,nbsp;souvenir de celle qu�employait saint Romain pour passer a son maitrenbsp;Une frugale nourriture. Ailleurs, voici le grand crucifix dans lequelnbsp;r^t enchass� celui que portalt Fillustre fondateur.
Au convent de Sainte-Scholastique, Farcb�ologue trouve les riches-ses dont les B�n�dictins furent partout les cr�ateurs ou los gardiens.
(0 Cicer. De Divinat., lib. n.
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C�est un cloitre du dixi�me si�cle, un autre du treizi�mc, une sacristie du seizi�me; de pr�cieux manuscrits avec enluminures, ainsi que lesnbsp;editions Princeps des ouvrages imprim�s a Subiaco, les premiers quinbsp;Ie furent en Itali�. De la biblioth�que nous descendimes � l��glise pournbsp;v�n�rer les saints martyrs Audax et Anatolie, dont les corps reposentnbsp;sous Ie maitre autel. Des anges de la pri�re et des martyrs, veillantnbsp;depuis tant de si�cles dans cette solitude sanctifi�e par la presence dunbsp;patriarche des religieux en Occident, tout cela est un myst�re denbsp;grftce, une harmonie providentielle dont Ie secret nous fut donn�nbsp;quelques pas plus loin : Ncron et ses dignes successeurs avaient icinbsp;leur villa. Partout la souiliure, puis la purification; et la seconde tou-jours en raison directe de la premi�re. Tivoli nous offrira bienl�t Ienbsp;m�me contraste. En quitiant Subiaco, un autre souvenir se pr�sentenbsp;au voyageur. Ici, comme aux marais Pontins, Pie VI s�est montr� mo-narque intelligent et magnifique. La superbe �glise de Saint-Andr�,nbsp;les papeteries, les grandes forges et d�autres �tablissements d�utilit�nbsp;publique, furent son ouvrage. Aussi un are de triomphe en marbre,nbsp;plac� a l�entr�e de la ville, perp�tue la ra�moire du bienfaisant Pon-life. Noble tribut de reconnaissance et d�amour, q�el amer rapprochement tu inspires au voyageur francais! Saint martyr, oubliez Valencenbsp;et sa citadelle; Vicaire du Dieu qui embrassa tous les hommes dansnbsp;son immense charit�, priez pour Ie peuple fid�le qui vous �leva desnbsp;monuments de gloire, priez aussi pour Ie peuple aveugl� qui vousnbsp;donna des fers.
Dans Ia pittoresque vall�e qu�arrose l�Anio aux ondes limpides, court en serpentant la jolie route de Tivoli. Les chevaux remains vontnbsp;vite, et bient�t nous aperf/�mes l�antique Tibur : grotte des Sirenes,nbsp;cascatelles, souvenirs d�Horace, souvenirs de Varus, souvenirs de Ca-lulle, souvenirs de Ia Sibylle, souvenirs de M�c�ne, souvenirs de saintenbsp;Symphorose et de ses sept fils; voila de quoi int�resser l�artiste, l�ar-ch�ologue et Ie chr�tien. Malgr� sa population de sept mille dmes,nbsp;Tivoli ressemble plus h un village qu�a une ville; les rues sont irr�gu-li�res, montueuses, les maisons, ii quelques exceptions pr�s, d�unenbsp;m�diocre apparence. Le grand Hotel de la Reine eut Thonneur denbsp;nous donner l�hospitalit�, et l�on ne devinerait pas quelle fut Ia premi�re chose qui s�olfrit a nos regards en montant l�escrdier du premiernbsp;�tage. Sur un tronc fix� a Ia muraillc, nous l�mes en tr�s-bon francais : Aum�nepour la Propagation de la foi dans les deux mondes.nbsp;Avec une joie toute francaise, m�l�e d�un grain d�orgueil national,nbsp;chacun de nous s�empressa d�y d�poser son apostolique olfrande.
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L�oeuvre de la Propagation de la foi, �tablie dans la cit� de M�c�ne, Salluste et d�Horace, n�est-ce pas un curieux monument du trioni-Phe du christianisme?
Tivoli en offre bien d�autres. La cath�drale, d�di�e � saint Laurent, batie sur les ruines du temple de Neptune, dont on voit encore lanbsp;*^6lla et les portiques. Ge temple est c�l�bre dans les annales du mar-^yre par des fails dont il est n�cessaire de connaitre I�histoire, si Tonnbsp;'�eut visiter avec intelligence et respect le lieu qui en fut le th��tre.nbsp;Adrien venait d�achever les �difices de la somptueuse villa que nousnbsp;''isiterons dans quelques heures; suivant I�usage ils furent d�di�s aunbsp;*tiilieu des pompes religieuses et des sacrifices. Le superstilieux vieil-iard voulut connaitre la dur�e de ses superbes palais, el les Dieuxnbsp;'onsult�s r�pondirent : � Une veuve chr�tienne retir�e a Tibur nousnbsp;fprme la bouche. Elle s�appelle Symphorose, elle est m�re de sept Ills;nbsp;�i elle nous offre de l�encens nous r�pondrons. �
L�empereur se fait amener la noble matrone, �pouse et belle-soeur de G�tulius (i) et d�Amatius, g�n�raux de ses arm�es, d�jii marlyris�snbsp;pour la foi. Promesses, menaces, tout est employ� pour la determinernbsp;� Un acte d�idolatrie. Vains efforts! Adrien, la prenant alors par l�en-droit le plus sensible, lui dit ; � Sacrifiez aux Dieux ou vous sereznbsp;''ous-m�me sacrifi�e avec vos sept enfants! � Serai-je assez heureusenbsp;Pour �tre sacrifi�e buit fois a mon Dieu! � Ge n�est pas � ton Dieu,nbsp;Reprit l�empereur avec col�re, c�est aux miens que tu seras sacrifi�e.
Vos Dieux ne peuvent me recevoir en sacrifice; je ne suis pas une ''ictime pour eux. � Alors Adrien ordonna de la conduire devant Ienbsp;teiiipie d�Hercule; de lui meurtrir le visage ia coups de poing, de lanbsp;^ttspendre par les cheveux, et, apr�s l�avoir cruellement battue denbsp;^�*�ges, de la pr�cipiter dans l�Anio. G�sar, la haine t�aveugle, et pour-tu as raison ; il fallait que les eaux o� se baignaient les courtisanes de Tibur, fussent purifi�es par le corps sanglant d�une chr�-**enne. Le lendemain, l�empereur fait planter sept poteaux autour dunbsp;tenaple d�Hercule, on y attache les sept Ills de l�illustre Matrone, etnbsp;*nus expirent dans des tortures dont la cruelle vari�t� fait fr�mir (a).
Tel est le premier �v�nement qui saisit le voyageur sur le seuil du
b),Ou Zolicus.
Ces glorieux martyrs sont appel�s dans I�histoire les sept JSiothuncitcs^ c est~a-dire �torts de mort violente. Entcrr�s par les chr�tiens sur la voie Tihurtine, ils furentnbsp;Iransport�s a Rome par le pape �tienne, dans 1�cglise de Saint-Ange-in-Pesc/ura ounbsp;�Is reposent encore. Pr�s de leur tombe nous avons lu l�inscription suivante ; Ilicnbsp;�^gviescvnt corpora sanctorvm martijrvm Symphorosce, vlri svi Zotici et filiorvm ejvsnbsp;o Stephana papa translata.
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temple : en voici un second. Cette terre que vous foulez a bu Ie sang d�un autre chr�tien vraiment digne de son nom. II s�appelait Gene-rosus; et ce nom qu�il avait illustr� dans la carri�re des armes, il l�anbsp;rendu immortel par sa mort. Depuis quinze si�cles il triomphe au lieunbsp;m�me o� il a vaincu ; son corps glorieux repose sous l�autel, non loinnbsp;de saint Quirinus, autre martyr de Tibur, et de l�illustre Sympborosenbsp;dont il �tait bien juste de conserver ici quelques reliques.
De la catb�drale nous passamp;mes au temple de Vesta. Sur la pointe d�un rocber qui domine la grande cascade de l�Anio et donne sur unenbsp;vall�e profonde, s��l�ve un gracieux �difice, de forme circulaire, sou-tenu par dix colonnes de travertin d�licatement cannel�es et surmon-t�es d�une corniche festonn�e. Ses murailles rev�tues int�rieurementnbsp;et ext�rieurement de petits polygones de tuf irr�guliers, son architecture irr�procbable, tout annonce que eet �difice est de la meilleurenbsp;�poque. Mais quelle fut sa destination? Les savants ne sont pas d�ac-cord; l�opinion en fait un temple de Vesta. Quoi qu�il en soit, il peutnbsp;offrir au dessinateur Ie premier plan d�un charmant paysage.
Moins incertaine est la science, lorsqu�elle attribue � la Sibylle Ie petit temple, voisin du pr�c�dent. 11 forme un carr� long soutenu parnbsp;quatre colonnes ioniques de front, et peut avoir trente pieds de longueur sur quinze de largeur. Bien que eet �difice, devenu l��glise denbsp;Saint-Georges, n�of�re presque rien d�int�ressant sous Ie rapport denbsp;l�art antique, il est toutefois impossible d�y p�n�trer sans se rappelernbsp;Ie c�l�bre oracle attribu� � la Sibylle. Per^ant la nuit des Ages, l�oellnbsp;d�Albunea voit une grande lumi�re, et sa bouche proclame la gloirenbsp;d�une jeune vierge, m�re d�un Dieu, n� dans les champs de Beth-l�hem :
Vivax ipsc Deus dedit hiec mihi numina fandi Carmine quo sanctam potui monstrare P�ellam,
Condpiet quae Nazareis in finibus ilium,
Quern sub carne Deum Bethlemilica rura videbunt:
O nimium lelix coelo dignissima mater,
Quae tantam sacro lactabit ab ubere prolem (lt;)!
En descendant par Ie flanc occidental de la colline, on arrive bien-t�t a la villa de M�c�ne. �trange vicissitude! La magnifique demeure du favori d�Auguste est aujourd�hui une forge. Ses murs de marbre,nbsp;aux compartiments dor�s, sont d�grad�s ou noircis par une fum�e s�culaire. Dans les atria o� se promenaient les �l�gants sybarites de lanbsp;cour imp�riale, vont et viennent des forgerons � demi nus; et les salles
(i) Voyoz Canisius, de Maria deipara Virgine, lib. ii, c. 7, p. 147.
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^'rillantes o� r�sonnaient les accords d�une musique voluptueuse, ne ''�percutent plus que Ie bruit assourdissant de vingt marteaux qui re-Iwndissent sur I�enclume. Sous les larges portiques de la villa denbsp;M�e�ne passait la voie Valeria, et une ancienne inscription montrenbsp;qu�elle formait une galerie couverte, a l�instar sans doute de nos pas-*3ges parisiens. Continuant de la suivre jusqu'au bas de Ia montagne,nbsp;oous traversftmes Ie fleuve sur un petit pont en bois, afin de gagnernbsp;Ie coteau oppos� et de jouir de la vue des cascatelles. On en comptenbsp;huit, en y comprenant la grande cascade. Dans leur chute d�unenbsp;'�'oyenne hauteur, elles forment sept larges nappes dont la hlancheurnbsp;^e lait tranche vivement sur Ie vert gazon de la colline, et produit Ienbsp;plus gracieux coup d�oeil. A tnesure qu�on s��l�ve sur Ie coleau, onnbsp;�encontre des ruines dont Ie nom m�me est perdu. Qui sait avec cer-fitude o� �tait la royale villa du chevalier roinain Manlius Vopiscus, sinbsp;**iagnifiquement chant�e par Stace (i); celle de Catulle, Ie licencieuxnbsp;Po�te; celle de Salluste, Ie rapace proconsul; celle d�Uoracelui-m�me,nbsp;fiu�il avait cru immortaliser par ces vers?
Laudabunt alii claram Rhodon, aul Mylilenen, etc. (2)?
Plus heureuse est la villa de Quintilius Varus. �rudit, cic�rone, simple herger, tous savent en montrer la place et les d�bris. D�o� lui vient privil�ge? Serait-ce que la c�l�hrit� du malheur est plus durablenbsp;fiue celle de la gloire? Appel� du gouvernement de la Jud�e au com-�uandement de l�arm�e romaine en Germanic, Varus se laissa surpren-'^��e par Arminius, et perdit avec la vie les plus belles l�gions de l�em-P*Pe. Varus, qu�as-tu fait de mes l�gions? Ce cri d�chirant qu�Augustenbsp;cessait de r�p�ter, a la nouvelle du d�sastre, semble retentir plusnbsp;^urt autour de la villa de Varus et la prot�ger comme l�anath�me pro-^�^ge un lieu funeste. Mais non; Ie v�ritable conservateur de ces ruinesnbsp;^�l�bres, c�est Ie sanctuaire de Marie qui les couvre de son ombre,nbsp;^eur nom, m�l� � celui de l�auguste Vierge, les rendra d�sormais immortelles : la villa de Varus s�appelle la Madonna del Quintigliolo.nbsp;Nous y trouvames, prostern� devant l�antique image de Marie, un jeunenbsp;PAtre dont Ie troupeau de ch�vres blanches paissait aux environs, sousnbsp;*0 garde du chien fid�le. Ce spectacle inattendu nous rappela soudainnbsp;visite que M. de Chateaubriand avait faite h cette chapelle solitaire,nbsp;01 nous associa d�licieusement aux sentiments qu il exprime.
(O Carmen. 111.
(s) Od. VI, lib. 1.
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Comme lui nous avions pass� Ie Teverone sur Ie pont Lupo, pour rentrer A Tivoli par la porte Sabine; comme lui nous avions travers�nbsp;Ie bois de vieux oliviers; comme lui, enfin, nous �tions dans la petitenbsp;chapelle blanche, d�di�e i la Madonna Quintigliana. � G��tait un
dimanche, dit Tilluslre �crivain..... un seul homme, qui avait l�air
tr�s-malheureux, �tait prostern� aupr�s d�un banc; il priait avec tant de ferveur qu�il ne leva pas m�me les yeux sur moi au bruit de mesnbsp;pas. Je sentis ce que j�ai mille fois �prouv� en entrant dans une �glise,nbsp;un certain apaisement des troubles du coeur, comme parlent nosnbsp;vieilles bibles, et je ne sais quel d�gout de la terre. Je me mis a ge-noux amp; quelque distance de eet homme, et inspir� par Ie lieu, je pro-nongai cette pri�re : Dieu du voyageur, qui avez voulu que Ie p�lerinnbsp;vous ador�t dans eet humble asile bati sur les ruines du palais d�unnbsp;grand de la terre! M�re de douleur, qui avez �tabli votre culte denbsp;mis�ricorde dans l�h�ritage de ce Romain infortun�, mort loin de sonnbsp;pays dans les for�ts de la Gernaanie! nous ne sommes ici que deuxnbsp;fid�les, prostern�s au pied de votre autel solitaire. Accordez a eet in-connu, si profond�ment humili� devant vos grandeurs, tout ce qu�ilnbsp;vous demande; faites que les pri�res de eet homme servent a leur tournbsp;a gu�rir mes infirmit�s, afin que ces deux chr�tiens qui sont �trangersnbsp;l�un a l�autre, qui ne se sont rencontr�s qu�un instant dans la vie, etnbsp;qui vont se quitter pour ne plus se revoir ici-bas, soient tout �tonn�s,nbsp;en se retrouvant au pied de votre tr�ne, de se devoir mutuellementnbsp;une partie de leur bonheur, par les miracles de la charil�. �
Entre la villa de Varus et la porte Sabine, on se trouve en face de la grotte des Sirenes et de la grande cascade de l�Anio. Le fleuve d�-bouche d�un rocher perc� nagu�re par les ordres de Gr�goire XVI, etnbsp;tombe avec fracas dans un gouffre profond, d�o� il ressort en �cu-mant, pour couler ensuite tranquillement dans la vall�e. Un monument �lev� au Souverain Pontife consacre la reconnaissance des habitants pour ces utiles tra vaux qui mettent la ville a l�abrides inondations.nbsp;Afin de pouvoir dire que nous n�avionsrien oubli�, nous fimes, avantnbsp;de quitter Tivoli, une excursion amp; la villa d�Este. Voir une maison,nbsp;des jardins, des fontaines, jadis magnifiques et aujourd�hui d�labr�s;nbsp;se rappeler le cardinal Hippolyte d�Esle, fondateur de la villa, et lenbsp;Tasse qui regut ici une noble hospitalil�; tel est � peu pr�s le seulnbsp;avantage de cette visite.
Sorlis par la porte Sainte-Croix, nous laiss�mes bient�t la voie Ti-burtine, pour nous rendre � la villa d�Adrien, situ�e sur la gauche, dans la Campagne romaine. Je ne m�arr�terai point h d�crire cette
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S*gantesque demeure de l�un des maitres du monde. Pour donner une gt;d�e de sa magnificence, il suffit de dire que la villa d�Adrlen est plusnbsp;Scande que Pomp�i : elle a sept milles au moins de circonf�rence. Denbsp;�i�me qu�il avail pris Ie mod�le de son tombeau sur les �difices lesnbsp;plus remarquables de la Gr�ce et de TEgyple, Adrien voulut r�unirnbsp;�lans sa villa les lieux et les monuments les plus c�l�bres, dont sesnbsp;��untinuels voyages lui avaient donn� connaissance. On y trouvait Ienbsp;l^yc�e, l�Acad�mie, Ie Prytan�e, Ie P�cile, Canope et les temples denbsp;^^rapis, la vall�e de Temp�, les th��tres, les principaux temples de lanbsp;l^r�ce et de l��gypte, sans oublier les Enfers (i).
Mais pour embellir la demeure de leur roaitre, Rome, Ath�nes, Co-*�lnthe, Alexandrie, �taient devenues veuves de leurs artistes fameux; 1�Orient et l�Occident avaient fouill� loutes leurs mines d�or el d�ar-Sant,- toutes leurs carri�res de marbre, d�albalre, de porphyre et denbsp;^asalte. Vanit� des hommes et de leurs projets! au lieu d��lre un s�-jour de d�lices, ce lieu ne fut pour Adrien qu�un th��tre de souf-l^fauces. II y trouva Ie gerroe de la maladie qui Ie conduisit au lom-^aau; et l�on dirait que tous ces monuments, repr�sentant lesnbsp;�1'ff�rentes parties du monde, ne s��laient donn� rendez-vous quenbsp;pour faire assister l�univers enlier aux angoisses, aux col�res, auxnbsp;��ages sanguinaires du vieil empereur. De la partirent les fatales sen-'ances qui conduisirent a la mort, et sainte Symphorose avec ses septnbsp;et Ie vieillard Servianus, la gloire de Tempire, el m�me l�imp�-aatrice Sabina (2). Adrien lui-m�me, oblig� de se donner un succes-**eur � Tempire, quilta promptement ce s�jour somplueux et s�en alianbsp;'nourir a Ba�a.
Telles �taient d�ailleurs les richesses accumul�es dans cette villa, Tu�elles ferment, malgr� tout ce qui a �i� perdu, une par tie consid�-aable des mus�es de Rome, et que Ie salon de Canope au Capitole estnbsp;aenipli presque exclusivement des statues �gypliennes et des objetsnbsp;^Ppartenanl au culte de S�rapis, trouv�s dans la demeure imp�riale.
a ce chef-d�oeuvre du luxe et de Topulence colossale du maitre du '�ande, que reste-t-il ? A part les casernes des gardes pr�toriennes, centonbsp;Caruerefie, et les murs pantelants de je ne sais quels �difices ; th�iUres,nbsp;'hermes, palais, bibliolh�ques, portiques, tout n�est plus qu�un amasnbsp;�aforme de d�bris entass�s p�le-m�le sur un sol accident�, couvert denbsp;��onces et habit� seulement par des l�zards veris et d�autres rep�les.nbsp;Au moment o� nous parcourions ce vaste champ de ruines, un pauvre
- Sparlian. in Adrian.
(*) Et ut nihil prjetermilleret, eliam inferos finxit. -(s) ld. id.
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paysan Ie traversait en silence ; il conduisait un ftne charg� de longs roseaux, destin�s a soulenir les ceps d�une vigne plant�e dans la nau-machie imp�riale.
Regagnant la voie Tiburtine, nous nous arr�t�mes devant Ie mau-sol�e de la familie Plautia, Ie temps n�cesssaire pour lire quelques inscriptions. Je citerai seulement celle de Tiberius Plautius Silvanus,nbsp;compagnon de Claude dans la guerre Britannique. Pour la forme etnbsp;les proportions, ce tombeau ressemble beaucoup i celui de Ca3cilianbsp;Metella. Singuli�re destin�e des s�pulcres Remains! Ceux que je viensnbsp;de n�mmer servirent de forteresse pendant les giierres civiles du moyennbsp;Sge; et Ie mausol�e d�Adrien est encore la citadelle de Rome.
Bient�t une forte odeur de soufre, accompagn�e d�exhalaisons tr�s-d�sagr�ables, nous .averlit du voisinage du pont de la Solfatarre. Dans un largo canal coulent avec rapidit� des eaux blanchatres, mais lim-pides et azur�es; de la Ie nom d'Albulm que leur avaient donn� lesnbsp;anciens. Elles proviennent d�un lac profond tout impr�gn� de mali�resnbsp;sulfureuses. Ce lac, aux Bes FloUantes, qu�on nous avail tant recom-mand�, ne vaut pas la peine d��tre visit�, sinon peut-�lre par les mi-n�ralogistes. Plus int�ressant est Ie Ponte Mammolo, sur lequel onnbsp;traverse Ie Teverone avant de rentrer amp; Rome. Quatre grands souvenirs Ie rendent a jamais c�l�bre : Ie jeune Manlius y conquit Ie surnomnbsp;glorieux de Torquatus, dans un combat qui rappelle celui de Davidnbsp;centre Goliath; Timp�ratrice Mam�e Ie fit restaurer, Tolila Ie d�trui-sit, Nars�s Ie releva.
La nuit venait de nous surprendre et Ie ciel fut bient�t parsem� d��loiles. Nous nous primes � l�admirer, et a redire quelques-uns desnbsp;psauraes o� Ie royal Proph�te d�crit la magnificence du firmament. Jenbsp;ne sais quel charme Ie silence et la solitude de la Campagne romainenbsp;donnent a ces sublimes cantiques; toujours est-il que l�ame, it cettenbsp;heure solennelle, au milieu de ce calme profond sent plus vivement lanbsp;belle harmonie qui existe entre la Ville �ternelle et Ie silencieux desert qui l�entoure. Pour Ie chr�tien, Rome est un temple; et, avantnbsp;d�entrer dans Ie temple, il est bon d�avoir a traverser un cimeti�re.nbsp;Au milieu des tombeaux Ie bruit du monde s��teint; les illusions dis-paraissent; de graves pens�es les remplacent, et les pens�es gravesnbsp;sont soeurs des pens�es saintes, qui seules doivent p�n�trer dans Ienbsp;temple ; or, quel cimeti�re que la Campagne romaine!
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25 MARS.
*^6lise de la Madeleine. � Saint Camille de Lellis. � T�nebres a la chapelle Sixline. � Difficult� d�y assister. � Id�� g�n�rale de l�olUcc. � Peintiire de la chapelle. � Chantnbsp;des Psaumes et des Lamentations. � Miserere de Baini, de Bai, d�Allegri. � Jugeraentnbsp;de Msr Weisman.
Aujourd�hui, 25 mars, deux Fraugais s��taient donn� rendez*vous *dr la place Colonne : r�unis h sept heures du matin, ils cheminaienlnbsp;*Dsemble vers l��glise de Sainte-Marie-Madeleine. Quel �tait Ie but denbsp;'�tir p�lerinage? Voir de pr�s les lieux habit�s par uo h�ros de lanbsp;�^harit� chr�tienne, visiter la cbambre o� il mourut, v�n�rer les objetsnbsp;^ui furent a son usage et puiser it son lombeau quelques-uns des sen-
��inients qui l�anim�rent. Ces deux Francais �laient M. Ie W.....et
�doi. Ce h�ros est saint Camille de Lellis. Double prodige de mis�ri-�drde et de charit�, ses muvres sont un bienfait toujours subsislant. d�un soldat et soldat lui-m�me, Camille ne tarda pas ii prendrenbsp;habitudes peu r�guli�res des camps. 11 devint joueur; mais joueurnbsp;Passionn�. Licenci� apr�s la campagne de Tunis, en 1574, il n�avaitnbsp;��apport� du service militaire que son �quipement; il Ie mit en jeu ; ilnbsp;jdUa d�abord son sabre, et il Ie perdit; son mousquet, il Ie perdit;nbsp;giberne, il la perdit; sa capote, il la perdit; sa chemise, il la
D�pouill� de tout, Ie nouveau prodigue rentra en lui-m�me; il se �^envertit et porla dans la pratique du bien, avee Ie d�vouement sansnbsp;ternes d�une grande �me, la franchise et la loyaut� d�un soldat. Lesnbsp;Pauvres de toule esp�ce, mais surlout les malades furent son d�partement, les lazarets et Th�pital du Saint-Esprit, a Rome, son domicile,nbsp;t'ourquoj faut-il que Ie temps ne me permette pas de raconter une desnbsp;leurn�es si admirablement remplics du saint liomme? Tout ce que Ienbsp;pare Ie plus d�vou�, je dis mal, lout ce que la m�re la plus tendrenbsp;peut inventer pour soulager, pour consoler son enfant malade et l�ai-�ter a sanctifier ses souffrances, Camille Ie faisait, el au dela. Maladenbsp;tui-m�me, et cass� par les ans, on Ie voyail debout tout Ie jour et unenbsp;Partie de la nuit, passant d�un lit a un autre, el ne comptanl jamaisnbsp;�vec lui-rnCme tanl qu�il y avail une douleur a calmer, une consciencenbsp;� tranquilliser. C�est au point que les malades eux-m�mes, touch�s denbsp;�Compassion pour ce v�n�rable vieillard, lui disaienl: � P�re, vous
(i) Vi
�o di San Camillo, etc. dai PP. Cicatelli e Dolera, !ib. i, c. i, in-4'�, Roma, 1837.
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n�en pouvez plus, vous allez tomber, reposez-vous. � Et il leur r�pou' dait, Ie sourire sur les l�vres ; � Mes enfanls, je suis volre serviteur;nbsp;il faut que je fasse mon devoir. � Pour les seconder il fonda la Con-gr�gation des Clercs, ministres des infirmes. Cette admirable familie,nbsp;anim�e de l�esprit de son chef, �tonne encore aujourd�bui Ie mondenbsp;chr�lien par son d�vouement : un voeu special I�enchaine au chevetnbsp;des pestif�r�s.
Tel est rhomme dont nous allions v�n�rer Ie tombeau. Dans l��glise de la Madeleine est une magnifique chapelle �tincelante de marbresnbsp;et de dorures : une ch�isse de bronze dor� plac�e sous l�autel ren-ferme Ie corps de saint Camille. Nous Ie trouvfimes entour� de nom-breux fid�les, et on nous dit que Ie concours �tait habituellement Ienbsp;m�me. Le bon p�re qui nous accompagnait nous fit reraarquer, dansnbsp;la chapelle a droite, le crucifix miraculeux qui, d�;achant ses mainsnbsp;de la croix, adressa un jour au saint fondateur ces consolanles paroles : � De quoi vous aflligez-vous, homrae pusillanime? Continuernbsp;votre entreprise, je serai votre appui; cette oeuvre n�est pas la v�lre,nbsp;mais la mienne. �
Entr�s dans le couvent, nous arrivames � l�extr�mil� d�un long corridor, et devant nous s�ouvrit une petite porte en planches de sapin ; nous �tions dans la chambre du saint fondateur. Suivant l�usage d�Ita-lie, cette chambre est aujourd�hui une chapelle; sur les parois lat�ralesnbsp;brillent deux longs tableaux d�une grande expression, repr�sentantnbsp;les derniers moments du saint; dans les gradins de l�autel on voit anbsp;travers des glac�s bon nombre d�objets qui furent a son usage. Unenbsp;petite crois�e plac�e dans le fond �claire d�un demi-jour ce v�n�rablenbsp;sanctuaire : j�eus la consolation d�y c�l�brer la messe que servit monnbsp;aimable compagnon de p�lerinage. Apr�s une agr�able visite aunbsp;R. P. de G�ramb, qui habite ce couvent, nous nous donuames rendezvous sur la place Saint-Pierre.
A quatre heures du soir, les T�n�bres de la chapelle Sixtine allaicnt ouvrir la suite non interrompue des grandes c�r�monies qui font denbsp;la Semaine Sainte, i� Rome, la semaine incomparable. Or, en ce mondenbsp;toute jouissance doit �tre achet�e : celle que nous ambitionnions lenbsp;fut a grand prix. Si j�ai bonne m�moire, on lit dans les Victoires etnbsp;Conqu�tes des Francais, qu�apr�s la balaillede la Moskowa, Napol�onnbsp;disait a son arm�e ; � Soldats, lorsque vous rentrerez dans vos foyers,nbsp;il vous sufiira de dire : J��tais ii cette grande bataille qui se donnanbsp;sous les murs de Moscou, pour qu�on r�ponde : Voili un brave. �
Nous n�avons pas eu l�honneur de faire la campagne de Russie
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1812; nous n'avons point combattu a la Moskowa; et pourtant chacun de nous a la pr�tention d��tre appel� brave. Nous avons fait lanbsp;campagne de Saint-Pierre en 1842; nous avons pris part a la grandenbsp;*i��l�e qui eut lieu sous les murs du Vatican, et dont Ie r�sultat fut lanbsp;Pctse d�assaut de la chapelle Sixtine. Les abords de la place �taientnbsp;cnvahis par dix mille personnes, arm�es chacune de l�in�branlablenbsp;c�solution de p�n�trer dans un local, capable de contenir six centsnbsp;spectateurs, au plus. Tandis que les soldats de I�Enipereur n�eurent hnbsp;combattre que les Russes, nous e�mes a lutter centre les enfants de lanbsp;^^ennanie et d�Albion coalis�s, et centre les Suisses bard�s de fer. Ce-Pcndant nous r�ussimes � occuper dans la chapelle chacun un piednbsp;carr�, au flot qui nous poussa l�honneur de notre entree; mais notrenbsp;Sloire, a nous, c�est d�avoir gard� la position pendant trois heures,nbsp;cramponn�s a une balustrade, et oblig�s de nous d�fendre tout a lanbsp;lots centre les bourrasques de la foule ennemie et centre la chaleurnbsp;*lui menagait de nous sulToquer.
Mais qu�y a-t-il de si merveilleux dans ces T�n�bres, que tout le tiionde veut y assister, au prix des plus p�nibles efforts et m�me denbsp;dangers reels? Pour r�pondre, il faut �tre chr�tien, se recueillir etnbsp;'�iettre son ame en harmonie avec tout ce qui frappe les sens. Cette c�r�monie retrace la grande �pop�e o� Dieu et Phomrae sont en lutte;nbsp;Cette chapelle est le sublime panorama ou se d�roulent les formidablesnbsp;rayst�res du pass�, du pr�sent et de l�avenir, du temps et de l��ter-�il�; cette assembl�e, c�est l�univers repr�sent� par ce qu�il a de plusnbsp;^uguste; ces chants sont tour a tour 1�histoire path�tique des plus im-*Henses bienfaits, le sombre tableau d�une ingratitude �gale, l��l�gienbsp;d�un Dieu mourant, mourant sur une croix.
Voici d�abord le mot de T�n�bres qui rappelle et cette nuit pro-^onde qui enveloppa la nature, lorsque la grande Victime expira sur 'c Calvaire; et ces jours anciens, o� l��glise pers�cut�e fut contrainlenbsp;de cacher ses myst�res dans les entrailles de la terre : t�n�bres lugu-^res, effrayantes, qui semblent r�pandues sur tout roflice, empreintnbsp;de douleur et si justement caract�ris� par cette belle expression ita-henne : Uffizio di lutto, e come la repfesentazione dei funerali delnbsp;^^^dentore. Rreproduisant toute la sc�ne dans les chefs-d�oeuvre quinbsp;resplendissent ii sa voute et a ses murailles, la chapelle Sixtine montrenbsp;aux regards le commencement, le milieu et la fin du drame. Partout
grande figure de Fllommc-Dieu : lumi�re de toutes les ombres, r�alit� de toutes les figures, objet de tons les oracles, dernier mot denbsp;��outes choses. Levez les yeux; le voici dans les proph�les et les pa-
T. UI. nbsp;nbsp;nbsp;7
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triarches de l�Ancien Testament, ainsi que dans les Sibylles, proph�tes de la gentilit�, que Ie pinceau de Michel-Ange a sem�s � la voute dunbsp;temple, comme la main de Dieu sema les �toiles au firmament. A gauche, Ie voici dans Mo�se conducteur dTsra�l; c�est encore Michel-Ange qui Toffre aux regards. A droite Ie voici, devenu homme, rece-vanl Ie bapl�me, puis, fondateur de l��glise, donnant h Pierre les clefsnbsp;toutes-puissantes qui ouvrent et ferment Ie ciel: au P�rugin sont duesnbsp;les plus belles pages de cette divine histoire.
Or, Michel-Ange et P�rugin repr�sentent ici Ie g�nie de Part a sa plus haute puissance, en personnifiant, Ie premier l��cole Ombrienne;nbsp;Ie second l��cole Florentine. Celle-l�, fid�le aux traditions catholiques,nbsp;part de Cimabu� et de Giotto; elle grandit avec Ie B. Angelico de Fie-sole, et comme Ie flambeau pr�t ^ s��teindre, elle brille de toute sanbsp;gloire dans la personne de P�rugin. Celle-ci, enthousiaste de la forme,nbsp;emprunte Ie g�nie vigoureux de Buonarotti, et du premier bondnbsp;s��l�ve ^ une hauteur qu�elle n�a jamais d�pass�e. Ainsi, par une coincidence unique dans les annales de 1�art, les deux grandes �coles denbsp;peinture ont travaill� de concert � �crire sur les murs de la chapellenbsp;Sixline la grande �pop�e chr�tienne. Si done la religion et son histoire sont Ie v�ritable objet de Part; sj dans la religion tout ce qu�il ynbsp;a de plus �lev� sont les myst�res de PHomme-Dieu : comment ne pasnbsp;sentir tout Pint�r�t qu�inspire un sanctuaire o�, par tant d�effortsnbsp;r�unis, Ie g�nie de Part accomplit si puissamment sa divine mission?
D�lachez maintenant vos regards de la voute; sur les parties inf�-rieures Ie drame se d�roule, Ie d�no�ment approche; et vous tombez sur Ie Golgotha! Le Golgotha, c�est Pautel surmont� de la grande croixnbsp;envelopp�e de cr�pes fun�bres. Mais si la mort de la Victime �puisenbsp;le pouvoir des bourreaux, la Victime elle-m�me n�en devient que plusnbsp;vivante et plus forte. Son oeuvre exige qu�elle ressuscite; et le tableau,nbsp;plac� derri�re Pautel, la repr�sente sortant radieuse des ombres dunbsp;s�pulcre. Nous arrivons sur les confins du temps et de 1��ternit� : icinbsp;une derni�re sc�ne doit compl�ter toules les autres. Le Dieu, trait� ennbsp;roi de th�atre et crucifi� entre deux voleurs, doit reprendre un journbsp;le r�le qui lui convient; ses'bourreaux, les nations r�volt�es ou fid�-les, le monde entier, cit�s � son tribunal, doivent lui rendre comptenbsp;de son rang et de sa mort. Et voila que sur le fond de la chapelle, senbsp;d�tache la terrible fresque de Michel-Ange, le Jugement dernier.
Tout est consomm�; depuis le jour o� le monde sort du n�ant, jus-qu�au jour o� le temps finit et P�ternit� commence, le Verbe divin, le R�dempteur, Palpha et Pom�ga s�est montr� sous le pinceau sublime
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Tart chr�tien, remplissant de ses myst�rieuses actions toute la dur�e des Sges. Sous eet immense horizon l��me agrandie ne voit plusnbsp;que lui, lui partout, lui loujours; et Ie eoeur �mu se sent dispos� a denbsp;nouvelles �motions.
Elles lui arrivent nombreuses et puissantes du spectacle de l�assera-t)l�e. Dans cette chapelle Sixtine, o� depuis trois si�cles se sont suc-c�d� toutes les gloires du g�nie, de la puissance et de la vertu, Ie p�-lerin catholique se voit environn� d�hommes illustres de l�Orient et de 1�Occident : ambassadeurs de la ebr�tient� qui viennent apporter ennbsp;tribut � la grande Victime, la compassion et les larmes du monde en-lier. Autour de l�autel sont prostern�s les conducteurs d�Isra�l. Cesnbsp;�vieillards aux cheveux blancs, dont l�attitude et Ie v�tement exprimentnbsp;la douleur, c�est Ie s�nat de l��glise. A leur t�te on distingue Ie chefnbsp;de l�auguste assembl�e. G�est Ie p�re des p�res, Ie repr�sentant desnbsp;si�cles et des nations, celui qui r�sum� en sa personne sacr�e, tous lesnbsp;litres de gloire partag�s par d�autres, et qui en ajoute de nouveauxnbsp;lt;lue nul ne partage avec lui : Grand-Pr�tre; Souverain Pontife; Chefnbsp;des �v�ques; H�ritier des ap�tres; Abel par la primaut�; No� par Ienbsp;gouvernement; Abraham par Ie patriarcat; Melchis�decb par Ie sacer-doce; Aaron par la dignit�; Samuel par la pr�diction; Pierre par lanbsp;puissance, Ie Christ lui-m�me par l�onction sacr�e (i). C�est lui quinbsp;ui�ne Ie deuil.
A peine a-t-il paru que Ie chant des grandes fun�railles commence. Quelles paroles! quelle po�sie! C�est Ie Proph�te-Roi qui, dans sanbsp;langue inspir�e, redit les humiliations et les souffrances du Dieu dunbsp;Calvaire, son seigneur et son fils. C�est J�r�mie, ou plut�t c�est lanbsp;Victime elle-m�me qui, empruntant la voix proph�tique seule capablenbsp;d��galer les lamentations aux douleurs, raconte au ciel et � la terre, etnbsp;les complets de ses ennemis, et l�iniquit� de ses juges, et la cruaut�nbsp;de ses bourreaux; et qui termine toutes ses plaintes par cette pri�re
p�n�trante qu�elle amollirait une amp;me de bronze : Jerusalem, Jeru-convertere ad Dominum Deum tuum. C�est Paul, enfin, Ie plus �loquent interpr�te du christianisme, qui vient graver en traits de feu,nbsp;la tombe de la Victime, la sublime �pitaphe qui redit et sa royaut�nbsp;divine, et son sacerdoce immortel, et sa miraculeuse mission, r�sum�nbsp;de toutes les figures, accomplissement de toutes les promesses, v�ri-fication litt�rale de toutes les proph�ties antiques. En sorle que dansnbsp;les paroles de l�historien, aussi bien que sous Ie pinceau de l�artiste,
(0 S. Bernard, de Consider, ad Eug. Pap. Ub. ii, c. viii.
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J�sus-Christ se montre l�alpha et Tom�ga, Ie commencement, Ie milieu et la lin de toules choses. Que dire maintenant du rhythme, de l�accent, de l�air enfin sur lequel toute celte sublime po�sie parvientnbsp;i votre oreille?
Pour les psaumes, c�est Ie chant Gr�gorien, cela veut dire la m�lodie antique dans toute la perfection de sa majestueuse siraplicit� : inimitable langage que la musique moderne n�a jamais pu parler. IInbsp;faut ajouter que nulle part ce chant n�est ex�cut� avec plus de precision qu�a la chapelle Sixtine, et ne porte plus el�icacement a la pi�t�nbsp;ceux (|ui l�entendent. Pour les Lamentations, c�est tour a tour Ie chantnbsp;figure d�All�gri, et Ie chant Gr�gorien. On pen^ra ce qu�on voudranbsp;de raon expression; mais je dirai qu�en entendant les premi�res, sur-tout a certains passages, il me semhlait qu�une main me passait sur Ienbsp;coeur dont elle d�chirait les membranes. Beste Ie Miserere, digne parnbsp;les paroles et par Ie rhythme de terminer Ie lugubre el solennel office.nbsp;Apr�s l�antienne Traditur autem, Ie Souverain Pontife quitte sa mitrenbsp;blanche et vient se mettre a genoux sur un prie-Dieu, au pied de l�au-tel. Toute Passembl�e se prosterne; puis, quand Ie premier maitre desnbsp;c�r�monies a donn� Ie signal, annongant que Ie Saint-P�re a fini denbsp;reciter Ie Pater, on commence Ie chant du Miserere. Les peintures denbsp;Ia chapelle, les chants, les paroles, les c�r�monies, tout tend a fixernbsp;les sens et Pcsprit sur la grande Victime du monde, it concentrer toutesnbsp;les affections du cmur sur ses derniers moments en nous rendant t�-moins de ses angoisses et de sa mort. Maintenant que le crime est consomm�, et consomm� par I�homme ingrat, que reste-t-il? sinon que lenbsp;pere commun de tous les hommes, le repr�sentant du genre humain,nbsp;tombe a genoux, s�humilie avec lout ce qui 1�entoure, et de toutes cesnbsp;ames oppress�es par la douleur il s��chappe un long g�missement, unnbsp;cri prolong� de mis�ricorde. Tel est le sens du Miserere, et la raisonnbsp;de la place qu�il occupe dans Poffice de T�n�bres.
Les plus grands maitres se sont exerc�s it mettre en musique ce psaume admirable. En 1533, Luigi Dentice, Napolitain, publia unnbsp;Miserere qui fit oublier tous les aulres. II r�gna sans rival jusqu�aunbsp;commencement du dix-septi�me si�cle, o� il fut d�tr�n� par celuinbsp;d�All�gri qui lient encore Ie sceptre. N� a Fermo en 1587, Gregorionbsp;All�gri fut appel� � Rome par le pape Ilrbain VUL Devenu membrenbsp;de la chapelle Papale, il composa son Miserere dont la musique senbsp;Irouva si parfaite, que le Souverain Pontife d�fcndit sous des peinesnbsp;s�v�res de le copier. On assure cependant que Mozart le retint apr�snbsp;l�avoir enlendu deux fois seulement. En 1714, Thomas Bai, le prenant
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pour mod�le, varia Ie chant pour chaque verset et produisit un Mise-��ere presque aussi beau, ma�s qui n�est toujours qu�une imitation. Enfin on en doit un tr�s-remarquable a Baini, directeur de la chapellenbsp;Papale. On l�ex�cute Ie mereredi, en r�servant celui de Bai pour Ienbsp;jeudi, et d�All�gri pour Ie vendredi.
Afin de n�avoir pas � y revenir, je dirai ici l�iinpression produile sur moi par ces trois compositions diff�rentes. A mon sens, la musi-fiue doit �tre pour les paroles et non les paroles pour la musique, denbsp;�i�me que l�expression doit �tre pour la pens�e et non la pens�e pournbsp;1 expression. De plus, je crois que tous les grands sentiments de lAme,nbsp;ct la douleur en particulier, se traduisent en accents d�une �nergiquenbsp;simplicit�, peu vari�s dans leur cadence et finissant presque toujoursnbsp;par une d�sinence uniforme. En effet. Tame fortement impressionn�enbsp;Pedit souvent la m�me chose, dans les m�mes termes et sur Ie m�menbsp;Ion ; c�est un fait d�exp�rience dont Ie pauvre et Ie malade sont lanbsp;preuve journali�re. D�apr�s ce double principe, ou pour mieux dire,nbsp;d�apr�s cette double disposition, je trouvai Ie Miserere de Baini unnbsp;peu trop travaill�; bien que les connaisseurs y trouvent de majestueuxnbsp;effets d�harmonie. La modulation, qui change a chaque verset, laissenbsp;deviner l�art et rorapt la sublime monotonie de la douleur. E-vempt,nbsp;du moins en partie, des qualit�s que je viens de signaler, \e. Misererenbsp;de Bai va mieux au coeur. La phrase lente et s�pulcrale se soutient lanbsp;m�me jusqu�ii la fin, sans �clater en sons aigus ou bris�s ; c�est l�ex-Pression uniforme et solennelle d�un sentiment unique, et non pas unnbsp;miroir mis en morceaux qui ne r�ll�chit que des d�tails bris�s et sansnbsp;onsemble.
N�anmoins quelle diff�rence d�effet, quand, � genoux dans ce derai-Jour silencieux de la Sixtine, I� p�lerin fermant tous ses sens except� Polui de l�ou�e, s�abandonne aux accords uniformes et toujours dirig�snbsp;^*0 m�me but du Miserere d�All�gri! Interpr�te de tous ceux qui ontnbsp;�0 Ie bonheur d�entendre cette (euvre immortelle. Me'' Welsmannbsp;Pondra lui-ra�me nos impressions; elles ne peuvenl que gagner en em-Pruntant Ie langage d�un connaisseur si distingu�.
� La m�lodie d�All�gri, dit Ie docte pr�lat, n�est qu�un chant dou-^lement vari�, les versets �tant alternativement ii quatre et a cinq par-'^ms, jusqu�a ce qu�au final les neuf voix se r�unissent en une seule harmonie. La note �crite est simple et sans ornements; mais la tradi-*^'00 soutenue par la longue exp�rience d�un go�t �pur�, a consacr�nbsp;des embellissements qui n�ont pas encore �t� �crlts ou publi�s.
� Le verset commence par un bel ensemble, d�un caract�re particu-
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lier, avec un l�ger crescendo vers la m�diante; les voix se s�parent graduellement pour pr�parer la terminaison. Alors elles semblentnbsp;former entre elles un riche tissu de combinaisons harmonieuses, jus-qu�i ce que toutes, par des modulations successives, soient ramen�esnbsp;ii l�accord parfait sur une cadence suspendue. Dans la seconde partienbsp;du verset, c�est un accord diff�rent et plus riche, apr�s lequel toutesnbsp;les parties se divisent avec plus de grace encore qu�auparavanl: onnbsp;dirait des cordes d�argent se d�ra�lant d�elles-m�mes et se r�unissantnbsp;autour de la magnilique et profonde basse, qui, pendant toutes leursnbsp;modulations, s�est a peine d�partie de sa grave dignit�; et l�, compl�-tent la plus sublime harmonie en �clatant dans un crescendo final quinbsp;n�a pas de nom sur la terre.
� Apr�s que tous les versels sont ainsi venus, les uns apr�s les au-tres, ajouter amp; l�impression produite d�s les premiers accords, et sans qu�aucun artifice, aucun erabellissement n�ait pu distraire de la pens�enbsp;dominante; quand la r�union des deux ebmurs s�est op�r�e dans eenbsp;final si �nergique et si harmonieux, et que Ie r�citatif de la pri�re :nbsp;� Daignez, Seigneur, prendre piti� de votre familie, � s��l�ve � traversnbsp;les derniers accents ii peine �teints de cetle composition entrainante,nbsp;l�dme demeure sous l�empire des sentiments les plus tendres, presquenbsp;d�gout�e des vains bruits de la terre, et aspirant au s�jour de la vraienbsp;et parfaite harmonie (i). �
Je n�ai fait que b�gayer en voulant raconter la beaut� et la puissance de eet office de la Semaine Sainte; j�esp�re du moins en avoir dit asseznbsp;pour faire naitre Ie d�sir de l�entendre et de l�appr�cier.
n MARS.
Messe 4 la chapelle Sixtine. � Offerloire do Palestrina. � Procession a la chapelle Pauline.� Lavement des pieds. �Table de la C�ne. � Fonctions du grand P�ni-
tencier. � T�n�bres. � Lavement de 1�autol a Saint-Pierre Iteposoirs. � Sermon
de la passion a Saint-Andr�-dei/a-Fatte.
Dans l�univers catholique, Ie Jeudi Saint rappelle les plus touchanls souvenirs; mais, tt Rome, il les redit d�une mani�re plus saisissante etnbsp;plus compl�te. Afin de repr�senter Notre-Seigneur, qui dans la der-ni�re c�ne fut l�unique et premier pr�tre, l��v�que ou Ie cur� seulnbsp;c�l�bre la messe dans chaque paroisse; les autres pr�tres s�en abstien-nent en signe de deuil. Comme Notre-Seigneur se donna lui-m�rae en
(i) C�r�m. de la Semaine Sainte, p. 119.
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Qourriture ^ ses disciples, Ie pasteur Ie donne a ses ouailles, plus nom-^reuses a la Table sainle ce jour-l� que les autres. C�est Ie cardinal-doyen qui c�l�bre la raesse devant Ie Sainl-P�re, ii la chapelle Sixline. Pr�e�d� de la croix et du cort�ge ordinaire, rev�tu de la cbape d�ar-gent et de la mitre d�or, Ie Souverain Pontife vint se placer sur sonnbsp;�r�ne, et regut 1�ob�dience du Sacr� Coll�ge. A l�of�ertoire, on chantanbsp;Ie c�l�bre motet Fratres ego enim. La cons�cration finie, deux maitresnbsp;'Jes c�r�monies commenc�rent la distribution des cierges pour la procession au s�pulcre. Ils furent port�s par les chapelains ordinairesnbsp;aux cardinaux, patriarches, �v�ques, abb�s raitr�s, pr�lats, prolono-taires et g�n�raux d�ordre. Vers la fin de la messe, Ie cardinal-c�l�-Ijrant mit ITiostie des Pr�sanctifi�s dans un calice, appel� Ie Calicenbsp;du s�pulcre. Ce calice est en cristal de roche, mont� sur un vermeilnbsp;�niaill�; on y voit Notre-Seigneur avee les douze Ap�tres : deux cer-cles de pierres pr�cieuses entourent la coupe et Ie pied. La vue de cenbsp;superbe vaisseau nous rappelait douloureusement qu�il avait �t� enlev�nbsp;sous la domination frangaise; mais ayant �t� rctrouv� plus tard, il futnbsp;cendu h sa premi�re destination.
Bient�t Ie Sacr� Coll�ge rev�t les ornements sacr�s de couleur Blanche, et Ie Souverain Pontife, descendant du tr�ne, vient se placernbsp;devant l�autel o� il regoit Ie calice du s�pulcre. La procession se metnbsp;en marcbe, et traverse la salie Royale. Ce superbe vestibule de la cba-pelle Sixtine est illumin� par douze cornes d�abondance, d�o� sortentnbsp;Une multitude de bougies. Pendant la procession un dais magnifiquenbsp;soutenu par des �v�ques est �tendu au-dessus du Souverain Pontifenbsp;�lui porte Ie Saint-Sacrement; tous les cardinaux mai�cbent t�te nue,nbsp;Portant d�une main leur cierge allum�, et de l�autre la mitre renfer-��ant leur calotte rouge : Ie choeur cbante Ie Pange lingua. Aunbsp;Uioment o� Ie Saint-P�re franchit Ie seuil de la chapelle Pauline, onnbsp;cntonne Ie Verbum caro. Arriv�e au pied de l�autel, Sa Saintet� remetnbsp;Saint-Sacrement au pr�lat sacristain, qui Ie d�pose dans l�urne dunbsp;s�pulcre. II en ferme la porte avec une clef qui est confi�e au cardinalnbsp;gfand-p�nitencier, appel� a officier Ie lendemain. Je ne parle pas denbsp;b�n�diction papale qui suit la procession : elle viendra Ie jour denbsp;^^ques. Lorsque la foule nous Ie permit, nous visitames la chapellenbsp;�*auline dont l�illumination avait cette magnificence et ce go�t exquisnbsp;qu on ne trouve gu�re qu�en Itali�.
^ ce double souvenir de l�institution de la sainte Eucharistie et de mort du Seigneur, succ�de la repr�sentation des deux actes d�humi-ht� sublime par lesquels il couronna sa vie. Accompagn� de toute sa
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cour, Ie Saint-P�re se rend au Vatican dans Ia chapelle des saints Proc�s et Martinien : ici a lieu la c�r�monie du Mandatum ou lavement des pieds. Le tr�ne pontifical est plac� dans une enceinte circulairenbsp;sur une estrade �lev�e, entre les deux colonnes de Pautel. Au fond senbsp;dessine une belle tapisserie repr�sentant la Providence assise sur lenbsp;globe du monde, entre la Justice et la Charit�; dans la partie inf�rieure, on voit deux lions soulenant les �tendards de l��glise. Derri�re est fix�e au mur la raagnifique tapisserie de la C�ne, travaill�enbsp;a Phospice de Saint-Michel, d�apr�s Ia fresque de L�onard de Vinei.nbsp;A gauche du tr�ne de riches cr�dences portent les aigui�res, les bassins, les fleurs, les linges et autres objets n�cessaires a la c�r�monie :nbsp;sur la droite r�gne une longue estrade o� sont assis les Ap�tres.
On donne ce nom � treize pr�tres auxquels le Saint-P�re lave les pieds. Pourquoi Ie nombre treize et non pas douze? Suivant le doclenbsp;Farnelli, c�est pour repr�senter les douze Ap�tres et Marie, soeur denbsp;Lazare, versant un baume pr�cieux sur les pieds de Notre-Seigneur;nbsp;d�aulres ont cru que c��tait un souvenir de l�Ange qui vint se joindrenbsp;aux douze pauvres, nourris chaque jour par saint Gr�goire le Grandnbsp;dans sa r�sidence du Mont-Goelius. Quoi qu�il en soit, en vertu d�unenbsp;concession pontificale, le choix des Ap�tres appartient au cardinalnbsp;carmelingue, qui en nomme un; au cardinal secr�taire d��tat, un; aunbsp;cardinal pr�fet de la Propagande, deux; au cardinal protecteur desnbsp;Arm�niens, un; h l�ambassadeur de France, un; d'Autriche, un;nbsp;d�Espagne, un; de Portugal, un; au raajordome, trois; au capitainenbsp;des Suisses, un.
Les Ap�tres, v�lus � Panlique, portent une longue robe de fine laine blanche, une tunique avec une ceinture de ruban de soie, unenbsp;cape blanche a capuchon, attach�e sur la poitrine avec deux petitsnbsp;crochets; autour du cou une esp�ce de fraise pliss�e; sur la t�te unnbsp;bonnet �lev�, de forme conique, orn� d�un gland, le lout en lainenbsp;blanche, a l�exceplion des paremenls et autres garnitures qui sont denbsp;soie blanche : ils sont chauss�s de souliers en cuir blanc. Lorsque lenbsp;Souverain Pontife est assis sur son tr�ne, le premier cardinal diacrenbsp;chante I��vangile : Ante diem jestum Paschw; puis les chantres en-tonnenl l�antienne Mandatum. Alors le Pape se l�ve et d�pose lanbsp;chape; mais il conserve l�amict, l�aube, le cordon, l��tole violette, lenbsp;formal et la mitre lam�e d�argent. Le cardinal diacre le ceiut d�unnbsp;gr�mial de lin blanc, garni de dentelles; et le vicaire de J�sus-Christ,nbsp;pr�c�d� des massiers, du sous garde-robe, du premier maitre des c�r�monies et des deux cardinaux diacres, se rend sur l�estrade des Ap�tres, pour y renouveler l�exemple de son divin Maitre.
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A. I�approche du Ponlife, l��tuvisle apostolique, en habit noir, met ^ nu le pied droit de chaque Ap�lrc. Un sous-diacre en tuniquenbsp;Blanche et sans manipule, se tient a la droite du Pape et soutient le,nbsp;pied des p�lerins, tandis que le Pontife le lave avec I�eau vers�e parnbsp;iin bussolante, et qui retombe dans un bassin de vermeil. Le pape lenbsp;^otte l�g�rement, I�essuie avec un linge, le baise et s�incline. Deuxnbsp;^^ssolanti, en chape rouge, suivent le Saint-P�re, portant deux bassins d�argent, dont I�un contient les linges destines i essuyer les piedsnbsp;ilfis Ap�tres, et I�autre treize bouquets de fleurs naturelles. Apr�s lenbsp;lavement des pieds, chaque Ap�tre rcgoit de la main du Pape une ser-'ieite et un bouquet de fleurs; et de la main du pr�lat tr�sorier, ennbsp;�liape, deux m�dailles, Pune d�or et l�autre d�argent. Elles ont le dia-*n�tre d�un demi-�cu romain, et pr�sentent, d�un c�t�, I�eHigie et lenbsp;nom du pape r�gnant, et l�ann�e de son pontificat; de l�autre c�t�,nbsp;nn voit Notre-Seigneur lavant les pieds � saint Pierre, et au-dessousnbsp;�n lit l�inscription suivante : Ego Dominus el magister exemplumnbsp;^edi vobis. Ces m�dailles sont renferm�es dans une bourse de damasnbsp;neamoisi a galons d�or (i).
Pendant cette c�r�monie, ou l�on voit le Vicaire de J�sus-Christ, I auguste chef de la chr�tient�, s�humilier et s�abaisser treize fois de-''ant le pauvre et lep�lerin, et se faire r�ellement en ce jour le serviteurnbsp;�les serviteurs, nous nous disions a nous-m�mes ; Si un vieux Romain,nbsp;si un des C�sars revenait sur la terre, et qu�il Contemplat dans lanbsp;Scande Rome, sur les ruines m�mes du palais imp�rial, un semblablcnbsp;Spectacle, quel serait son �tonnement? Lui qui ne voyait dans les pau-'�i�es que des �tres m�prisables, o� en serait-il en voyant les monar-flues a leurs pieds? Magnilique puissance du catholicisme, qui dansnbsp;�'Ue seule de ses c�r�monies r�tablit la v�ritable notion du pouvoir, etnbsp;�'lontre toutes les g�n�rations qu�entre le paganisme et nous, l��van-S'ie a plac� l�infini!
Encore un peu, et ce grave enseignement allait �tre compl�te. Dans
grande salie situ�e au-dessus du p�ristyle de Saint-Pierre est dres-la table des Ap�tres : avec une peine incroyable nous parvinmcs ^ y p�n�trer. La table apostolique s��l�ve sur une estrade s�par�e dunbsp;public par une barri�re; elle est longue, �l�gamraent orn�e de lingesnbsp;Pliss�s, de vases de fleurs, de diverses pi�ces d�orf�vreries et de treizenbsp;�^�tuettes en vermeil, repr�sentant Notre-Seigneur et les douze Ap�-�^��es. De distance en distance on voit dispos�s avec sym�lrie des vases
(0 Voyez Chapelles papales, p. 268.
158 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
dor�s, charg�s de fruits et de sucreries. A la place de chaque Ap�tre est un couvert en argent avec deux petils pains. Les Ap�tres eux-ra�mes se tenaient debout, derri�re la table, attendant l�arriv�e dunbsp;Souverain Pontife. Pr�c�d� de la chambre et des pr�lals en mantellonenbsp;VIOLET, Ie Saint-P�re parut, et tous les Ap�tres fl�chirent Ie genou ;nbsp;Sa Saintet� portait la soutane blancbe et la mosette rouge, bord�enbsp;d�herinine. Le maitre de chambre lui rait un tablier de fin lin, bord�nbsp;de dentelles, et lui pr�se.nta le bassin d�argent; apr�s quoi les p�le-rins vincent successivement devant le Pape, qui leur donna � laver :nbsp;puis, retourn�s k leur place, ils attendirent pour s�asseoir, que lenbsp;Saint-P�re e�t b�ni la table. Apr�s le Benedicite un chapelain com-men^a la lecture. Aussit�t on vit s�avancer du fond de la salie desnbsp;�v�ques et des pr�lats, apportant sur des serviettes des plats qu�ilsnbsp;remirent au Saint-P�re en fl�chissant le genou. Le Saint-P�re les re-cevait de leurs mains et les prcsentait aux .\p�tres, a qui il versa plu-sieurs fois du vin et de l�eau. Pendant le repas, je voyais ce bon Saint-P�re passer et repasser sur l�estrade, au-devant de la table, veillant �nbsp;ce^ue rien ne manquat. II �tait Ir�s-�mu, des larmesc.oulaient desesnbsp;yeux; pour les essuyer il tira de sa poche un pauvre mouchoir denbsp;colon en quadrille : et c��tait le Pape!! Au moment du d�part, lenbsp;Saint-P�re se lava les mains, b�nit les Ap�tres et se retira. La dessertenbsp;de la table ainsi que l�habit dont ils sonl v�tus appartient aux Ap�tres.
Voil� une de ces sc�nes qu�il est impossible de jamais oublier. Abraham et les patriarches, le Fils de Dieu et la primitive �glise ontnbsp;pass� sous vos yeux. Ce qu�il fut, ce qu�il est, ce qu�il sera toujours,nbsp;le christianisme vient de vous le monteer en action. La puissance de-venue une charge. Ia grandeur devenue la servante de Ia faiblesse,nbsp;l�amour � la place de 1�autorit�, le d�vouement succ�dant � 1��go�sme,nbsp;le pauvre et le petit r�habilit�, la fraternit� de tous les hommes sansnbsp;distinction de race, de dignit�, de naissance, en un mot, la miracu-leuse r�volution op�r�e dans les id��s et les moeurs du genre humainnbsp;par le christianisme : tout est la! Quel livre fut jamais aussi �loquentnbsp;qu�une pareille c�r�monie!
Dans Fapr�s-midi, Ie grand p�nitencier serend a Saint-Pierre, pour y exercer les fonctions de sa charge : nous l�y suivimes. II fut refi'nbsp;par les p�nitenciers nationaux et par les chanoines. Apr�s avoir adorenbsp;le Saint-Sacrement au s�pulcre de la Basilique, il s�assit sur l�estradenbsp;�lev�e � c�t� d�un pilier de la coupole, entendit les confessions et ac-corda les indulgences, suivant l�antiquo usage dontj�ai donn� l�expb'nbsp;cation.
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De la Basilique nous rentramp;raes ^ la chapelle Sixtine pour assis-aux t�n�bres du lendemain. Quel spectacle de deuil et de tristesse! Touie la chapelle d�pouill�e de ses tentures et de ses ornements ; Ienbsp;Wne du pape saus dossier, les bancs des cardinaux sans lapis, la tri-igt;une des princes, veuve de ses velours cramoisis a franges d�or; Ienbsp;Pav� de la chapelle priv� de son large tapis vert; Taulel d�garni denbsp;Nappes; Ie tableau du retable couvert d�un voile violet et la croixnbsp;d un voile noir; six cierges de cire jaune illuminant toute cetle sc�nenbsp;confondant leur clart� douteuse avec les cierges de m�rne nature,nbsp;places sur le chandelier triangulaire a c�t� de I�autel. Le Saint-P�renbsp;Porte un grand manteau de serge rouge a capuchon, et la mitre denbsp;toile d�argent; le Sacr� Coll�ge la chape violette : les hallebardiers etnbsp;Wiasslers, les hallebardes et masses renvers�es. Quand, au milieu denbsp;lugubre appareil et d� ce morne spectacle, la voix des chantres faitnbsp;fetentir a vos oreilles les Lamentations de J�r�mie ou le Miserere, ilnbsp;�st impossible de se d�fendre d�un saisissement profond et universel.nbsp;Vous �tes � un enterrement, et quel enterrement, grand Dieu 1
L�impression se fortifie et se compl�te, lorsqu�apr�s les T�n�bres on retourne h Saint-Pierre pour le lavement de Taulel. Cette c�r�monie s�accomplit par le chapitre, au milieu d�une pompe lugubre et aunbsp;ohant de l�antienne Diviserunt vestimenta mea : � lis ont partag�nbsp;nies v�tements; � et du Psaume, Deus, Deus meus, quare me dereli-^uisti? � Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m�avez-vous abandonn�? �nbsp;Et il semble entendre la grande Victime r�p�tant encore, du sein denbsp;Ses autels d�pouill�s, ce long cri de douleur dont elle fit relentir lesnbsp;echos du Golgotha. Cependant le chapitre s�est relir�, l�autel reste en-h�rement d�couvert, les cent vingt-deux cierges qui entourent la concession sont �teints. Dans ce moment de d�pouillement et de silence,nbsp;finelque chose de froid et d�inaccoutum� impressionne l�ame plusnbsp;Cortement peut-�tre qu�a touie aulre �poque de l�ann�e; les propor-Dons de la Basilique semblent doubl�es; les t�n�bres myst�rieusesnbsp;fini r�gnent dans ses profondeurs les plus recul�es, quelques lueursnbsp;�eintaines qu�on aper^oit dans le fond de l��glise pour diriger les pasnbsp;*Ce ceux qui, les derniers, quiltent eet immense temple, font nailrenbsp;conatne une religieuse terreur dans Tame du spectateur habitu� auxnbsp;�'iches clarl�s de la splendide Basilique (i).
Ee temps nous permit de visiter quelques reposoirs. Ceux qui par ^cur bon go�t, leur brillante illumination et le pieux concours des fid�-
9) Chapeltes papales, p. 27i.
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les, nous caus�rent une plus douce �raotion, sont ceux du J�sus et de Saint-Antoine-des-PoriMgrais. Nous terminimes cette journ�e richenbsp;de tant de grftces et de souvenirs en assistant � Saint-Andr�-deWa-Ydlle au sermon de la Passion. C��lait a la troisi�me heure de la nuit,nbsp;l��glise �tait remplie; et nous souhaitons i tous les p�lerins d�enten-dre, comme nous, raconter les douleurs du Fils de Dieu par l��loquentnbsp;p�re Ventura.
25 MARS.
Yendredi Saint. � Coup d�ceil sur Rome. � Veneration des reliques a Sainte-Croix-en-J�rusalem. � OfTice a la Chapelle Sixtine. � Adoration de la Croix. � Tribut royal. Exposition de la vraie Croix. � T�n�bres�Veneration des reliques a Saint-Pierre.
� nbsp;nbsp;nbsp;Les trois hcures d�agonie. � Le Chemin de la Croix. � L'heure de Marie d�sol�e.
� nbsp;nbsp;nbsp;Office selon le rit Grec. � L�acad�mie des Arcades.,
Le Vendredi Saint! Rome est en deuil; c�est Marie sur le Calvaire. Tout ce qu�elle poss�de des vestiges de Ia Passion, ou des instrumentsnbsp;du d�icide, la J�rusalem de l�Occident 1�expose a la pi�t� des p�lerinsnbsp;et le v�n�re elle-m�me les larmes aux yeux. D�s le matin le tr�sor denbsp;Sainte-Croix-en-J�rusalem est ouvert: le titre de la croix, le clou et lesnbsp;autres grandes reliques sont expos�es solennellement a la v�n�rationnbsp;des fid�les. Le 'soir ii Tautre extr�mit� de la ville, dans la Basiliquenbsp;vaticane, pared spectacle sera donn�; il aura pour t�moins le Vicairenbsp;de J�sus-Christ lui-m�me, tous les chefs de la catholicit� et une foulenbsp;de p�lerins venus de toutes les parties du monde. Dans l�intervalle,nbsp;Rome fait entendre continuellement sa voix plaintive, tous ses sanc-tuaires retentissent des accents de la douleur : nulle part ils ne sontnbsp;plus touchants qu��t la chapelle Sixtine.
L�ofEce a commenc� au milieu d�un lugubre appareil; Mo�se et les proph�tes ont pleur� la mort du juste; le juste a pri� pour ses bour-reaux; les oraisons sacerdotales sont finies; tout se pr�pare pour 1�a-doration de Ia croix : encore un peu, et vous voyez le Pontife � che-veux blancs et tout le Sacr� Coll�ge prostern�s centre terre. Lenbsp;Cardinal c�l�brant est seul debout, d�couvrant l�un apr�s l�autre lesnbsp;bras de la croix, comme pour manifester le grand mysl�re du Calvaire. Lorsqu�il Ta d�pos�e sur un riche coussin, voici quatre pr�latsnbsp;et un aide de chambre qui s�approchent respectueusement du Souve-rain Pontife, remont� sur son tr�ne. Ils se meltent � genoux devantnbsp;le Saint-P�re et lui �tent ses mules. Le Vicaire de J�sus-Christ rev�tunbsp;seulement de l�aube, du cordon, de l��tole violette et de la mitre
-ocr page 165-VENDREDI SAINT. nbsp;nbsp;nbsp;i6l
ijlanche, s�avance, pieds nus et les mains jointes, vers rextr�mit� inf�rieure des bancs du Saer� Coll�ge : l^l on lui �te encore la mitre et la calotte. D�pouill� de tous les insignes de sa supr�me dignit�, il faitnbsp;une premi�re genuflexion suivie de deux autres, a mesure qu�il avancenbsp;^ers la croix, qu�il adore et qu�il baise. Trois fois Ie front de l�augustenbsp;''�eillard touche Ie pav� du sanctuaire; et lorsque, prostern� au milieunbsp;*1^ la chapelle, il repose ses l�vres sur les plaies sacr�es du Dieu cru-la foi du Chr�tien s�exalte, en voyant cette croix, jadis objetnbsp;d�ignominie, recevoir dans ce jour, apr�s avoir subjugu� Ie monde,nbsp;les hommages de tout ce qu�il y a de plus grand sur la terre (i).
Mais Ie eoeur, qui dira ce qu�il �prouve pendant cetle sublime et louchante c�r�monie? Au moment o� Ie Saint-P�re fait la premi�renbsp;g�nullexion, Ie choeur commence, d�une voix basse et plaintive, Ienbsp;ehant si tendre de Y[mproperium : Popule mms, quid feci tibi 'tnbsp;* Mon peuple, que t�ai-je fait? � Impossible de rendre reff'et de cesnbsp;eeproches divins lorsqu�on les entend r�p�t�s a la chapelle Sixtine surnbsp;les notes immortelles de Palestrina. Ces paroles du Sauveursontcoup�esnbsp;par Ie Trisagion ang�lique : Sanctus Deus, Sanctus fortis, Sanctusnbsp;���uimorlalis, miserere nobis : � Dieu saint, Dieu fort, Dieu �ternel,nbsp;ayez piti� de nous ; � c�est tout ce que, dans son �lonnement et sanbsp;douleur, la milice des Cieux peut dire la grande Victime. Le Trisagion se chante en grec et en latin; c�est l��glise d�Orient et d�Occi-'lent, OU plut�t c�est la seule et unique �pouse de l�Homme-Dieu quinbsp;�roprunte toutes les langues, pour exhaler les sentiments qui l�op-Pressent.
Apr�s Ie Saint-P�re, tous les cardinaux, patriarebes, primats, ar-�^hev�ques, �v�ques, g�n�raux d�ordre, vont pieds nus et les mains jaintes a l�adoralion. Lorsque le Souverain Pontife a rendu ses hommages au Dieu crucifi�, il met dans le bassin de vermeil qui est a lanbsp;^��oite de la croix, une bourse de damas violet, contenant cent �cusnbsp;*^�or : tous les cardinaux y d�posent chacun un �cu d�or. Roi dansnbsp;Sou berceau et roi sur Piustrument du supplice, J�sus a droit au tri-l*ut du monde. A Bethl�hera, ce tribut lui fut pay� sous les yeux denbsp;^�seph et de Marie par les monarques de l�Orient ; h Rome, il luinbsp;est offert en pr�sence des princes et des ambassadeurs des nations ci-''llis�es, par le roi de la Ville �ternelle, chef auguste de toute la chr�-lient�.
L office termin�, on exposa sur l�autel une portion consid�rable de
(a) Chapelles papales, p. 488.
-ocr page 166-162 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
la vraie croix; elle y resta jusqu�apr�s les t�n�bres : Rome veut que Ie souvenir de la grande Victime remplisse m�me les instants de lanbsp;journ�e, laiss�s libre par les c�r�monies publiques.
A vingt et une heures et demie d�ltalie, nous entrions a la chapelle Sixtine pour assister aux t�n�bres. Tout roffice est une longue et sublime �l�gie ; l��glise est une �pouse �plor�e qui pleure sur un tom-beau. Toutefois elle ne pleure pas comme ceux qui sont sans esp�-rance: sa douleur est calme; et de son coeur navr� s��chappent denbsp;loin en loin quelques accents d�ineffable consolation. Pour elle commenbsp;pour Ie royal Prophete dont elle emprunte la voix, la mort et la r�-surrection de la grande Victime se touchent et se confondent. De linbsp;un double sentiment de tristesse et de joie qui domine roffice et metnbsp;tour ii tour en jeu les deux ressorts de T�me chr�tienne, la nature etnbsp;la foi. Sous ce point de vue, les t�n�bres chant�es Ie Vendredi Saintnbsp;me paraissent plus dramatiques encore que celles de la veille. Le Miserere d�All�gri termine l�office, et, pour un instant, l��glise s�abimenbsp;de nouveau dans son immense douleur.
Ce sentiment dont vous-m�rae ne pouvez vous d�fendre est une pr�-paration amp; la c�r�monie qui va suivre. Toute 1�assistance, silencieuse et recueillie, se rendit dans la Basilique de Saint-Pierre. Les grenadiers de la milice urbaine formaient la haie dans la grande nef; ennbsp;t�te du cortege s�avan^ait lentement la croix papale, dominant tous lesnbsp;fronts inclin�s; venaient ensuite la familie pontificale et la maisonnbsp;d�honneur. Elles �taient suivies de la garde suisse et de la garde noble,nbsp;formant l�escorte du Saint-P�re et du Sacr� Coll�ge. Arriv� amp; la confession, le Souverain Pontife se mit � genoux et r�eita les oraisonsnbsp;d�usage. Les cardinaux et les �v�ques �galement prostern�s les r�ci-t�rent � leur tour. �levez maintenant vos regards vers la coupole, etnbsp;fixez-les sur la grande tribune de Sainte-V�ronique, dont la balustrade est garnie de girandoles charg�es de torches allnm�es. Au milieu de ces resplendissantes lumi�res, apparaissentdeuxchanoinesdunbsp;Vatican qui montrenl en silence la sainte Face, la lance, une portionnbsp;de la vraie croix et autres reliques majeures, pr�cieux monuments denbsp;la Passion de Notre-Seigneur et de notre heureuse r�demption. Etnbsp;tout le peuple ainsi que les diverses confr�ries de la ville, solennelle-ment asserabl�s, adorent dans le silence, prient, deraandent mis�-ricorde.
C�est ainsi que la capitale du monde chr�tien r�veille, au jour an-niversaire du d�icide, d�ineffables sentiments de componction et d�a-mour, et qu�elle expie chaque ann�e, dans le premier temple de Funi-
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''^crs, les d�risions sacril�ges du Golgotha. L�adoration finie, Ie Saitit-P�re se l�ve seul, laissant toute l�assislance prostern�e; et pr�-c�d� de la croix porl�e par un auditeur de Rote, il sort de la Basiliquenbsp;pour rentrer au Vatican, o� Taccompagnent les gardes nobles ayantnbsp;leurs torches allum�es. Tel est Ie profond respect qui environne cesnbsp;i�eliques pr�cieuses, qu�a part les jours d�ostentation publique, nul nenbsp;peut les v�n�rer sans un indult sp�cial du Souverain Pontife.
Pendant que tout cela se passait ^ Saint-Pierre, les autres �glises de Pome redisaient aux nombreux fid�les les douleurs de rHomme-Dieu.nbsp;Au Ges�, � SaLmie-Mavie-in-Trastevcre, amp; Sainte-Marie-du-Suffrage,nbsp;'iel Pianto, il Saint-Laurent, et ailleurs encore on faisait les troisnbsp;Peures d�agonie. En sortant de tous ces sanctuaires, la foule attendrienbsp;Se portait au Colis�e, au Caravita, et au ciineti�re de Saint-Franfois-de-Paule-ai-Monii, pour y faire Ie Chemin de la Croix, c�est-^-direnbsp;pour couvrir de ses baisers et arroser de ses larmes la voie doulou-feuse que Ie Sauveur arrosa lui-in�me de son sang. Mais � c�t� du roinbsp;des martyrs est Marie, la ra�re de la grande Victime et reine elle-iD�me des martyrs : la pi�t� romaine ne saurait Toublier. Si, apr�s lanbsp;ehute du jour, vous entrez dans les �glises de Sainte-Lucie-aiie-i?o�-teghe-oscure, de Saiiit-Marcel au Corso, des Saints-Vincent-et-Anas-fase, pr�s de la fontaine Trevi, vous trouvez tout un peuple faisantnbsp;1�heure de Marie d�sol�e. Enfin, pour que rien ne manque � la catho-licit� de la douleur, vers les trois heures du soir, l��glise Grecque c�-l�bre a Saint-Athanase, suivant son rit particulier, les fun�railles dunbsp;Pauveur; et pendant une partie de la nuit, 1�Acad�mie des Arcadesnbsp;redit en vers et en prose Ie plus grand, Ie plus lugubre, Ie plus heu-'�eux �v�nement qui puisse �tre inscrit dans les annales du monde.
Au retour de l�assembl�e, nous visit�mes les boutiques des charcu-Pers de la ville, notamment pr�s de la Rotonde. Tous ces magasins *ont dispos�s avec un go�t parfait, et illurain�s int�rieurement par desnbsp;*'-6utaines de lampions aux diverses couleurs. Des fleurs, des guir-jaudes de feuillage, des bandes de papier d�or et d�argent ornent lesnbsp;jambons, les saucisses, et autres pi�ces de charcuterie �tag�es avec art.nbsp;Pans Ie fond apparait toujours une madone, ou quelque myst�re denbsp;Notre-Seigneur, sur un transparent du meilleur effet. D�o� vient unnbsp;Pareil usage? Les charcutiers se r�jouissent de la fin de Tabstinence
c�l�brent par ces innocentes demonstrations Ie retour de leurcom-�^erce. Quelle vari�t� la religion r�pand dans la vie d�un peuple chr�-tien! De temps en temps, nous rencontrions les patrouilles portant, �^omme tous les r�giments de la garnison, Ie fusil renvers� en signe de
164 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
grand deuil. A Naples se conserve un autre usage. Pendant les der-niers jours de la Semaine Sainte, nul ne peut se servir de voitures : Ie roi et la familie royale marchent amp; pied et sans pompe ext�rieure, anbsp;l��gal de leurs sujets. Salutaires habitudes de foi dont on comprendnbsp;tout Ie prix, lorsqu�on rentre dans un pays o� elles n�existent plus.
26 MARS.
Chapclle Sixline. � Chant de VExmltet, des Prophclies et dos Litanies solennelles. �
� nbsp;nbsp;nbsp;Messedu pape Marcel. � Biographic dePalestrina. �Chant du Gloria in Excelsis.
� nbsp;nbsp;nbsp;VAlleluia. � Visite au tombeau de Palestrina. � Aspect de Rome. � Messe arm�-nienne. � Couronnement de la sainte Vierge.� La Trinil�-dcs-P�lerins. � Le Co-lis�e, au clair de la lune.
Pendant toute la Semaine Sainte le poste du voyageur est � la cha-pelle Sixtine : aujourd�hui, Ia messe du pape Marcel nous y rappela de bonne heure. Dans l�bistoire de Tart, cette messe est un �v�nement; je le raconterai bienl�t ainsi que 1�int�ressante biographic denbsp;Palestrina, auteur de Pimmortelle composition. La chapclle avait repris quelques-uns de ses ornements; le pav� et les si�ges du Sacr�nbsp;Coll�ge �taient reconverts de leurs tapis; Tautel et le tr�ne restaientnbsp;encore tendus de violet. Le Saint-P�re en chape rouge, en mitre lam�enbsp;d�or, et les cardinaux en chape violette �taient h leurs places. Commenbsp;dans toutes les �glises catholiques, l�ofEce commenga par la B�n�dic-tion du feu nouveau et du cierge Pascal. A VExsultet tout le mondenbsp;se leva comme pour l��vangile, et nous entendimes, sinon la musiquenbsp;des anges c�l�brant la r�surrection du Sauveur, du moins le plus beaunbsp;r�citatif qui, au jugement des connaisseurs, puisse r�jouir sur la lerrenbsp;l�oreille de l�homme. Pour mon compte j�aurals voulu que VExsultetnbsp;durat toute la journ�e.
A ses derni�res m�lodies succ�da le chant tour h tour grave et m�-lancolique des Proph�ties et des Litanies solennelles : ainsi toute l�an-tiquit� repasse sous vos yeux, et vous vous croyez transport� dans ces nuits brillantes o� l��glise primitive conduisait aux fonts sacr�snbsp;ses nombreux essaims de cat�chum�nes v�tus de blanc, et appe-lait sur tous ces candidats du ciel la protection des glorieux habitants de la bienheureuse J�rusalem. Le bapt�me est accompli; etnbsp;I�heureuse M�re, qui vient de donner a son divin �poux un peuplenbsp;d�enfants, tressaille d�all�gresse. En ce moment le Souverain Pontifenbsp;prend le pluvial blanc, les cardinaux la chape rouge; on allume lesnbsp;cierges de la balustrade et ceux de l�autel plac�s sur six chandeliers
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Vermeil. Arriv� au pied de I�autel, le Saiat-Pere depose la mitri? et ���onimence le Psaurae Judica me, r�cite la confession et monte a sonnbsp;^r�ne ou il repoit l�ob�dience du Sacr� Coll�ge. Un cardinal pr�tre vanbsp;c�l�brer la messe; mais, avanl de le suivre h l�autel, je dois d�gagernbsp;'*'3 parole et raconter l�histoire de Palestrina (i).
Dans le cours du seizi�me si�cle, la musique religieuse �tait tomb�e �lans Un tel �tat de corruption, que le Souverain Ponlife avail r�solunbsp;la bannir de sa cbapelle. C�est alors que surgit le g�nie de Pales-pur comme sides anges lui avaient inspir� son harmonie et capable de reculer ii ses derni�res limites la perfection de 1�art musical.nbsp;Diovanni Perluigi, appel� Palestrina du nom de sa ville natale, avaitnbsp;*�^?u.Ie jour en 1524 de parents pauvres; son talent ne tarda pas a lenbsp;faire remarquer, et il entra comme enfant de choeur au service de lanbsp;*f*apelle de quelque �glise. Les succes qu�il obtint sur ce modestenbsp;th�atre relev�rent son g�nie, et k vingt-sept ans il fut nomm� direc-de Ia musique dans Ia chapeile Giulia au Vatican, puis musiciennbsp;Ia cbapelle Papale, enfin directeur de la musique de la Basilique denbsp;*'3tran. G�est en 1360 qu�il composa ses c�l�bres Improperia, ainsinbsp;fiue le Trisagion qui s�y m�le comme un refrain. L�impression pro-'^uite par celte composition simple et sublime fut telle, que l�ann�enbsp;*3ivante, le pape Pie IV pria Palestrina d�en laisser prendre une copienbsp;P3iir sa cha[)elle, o�, depuis, on Pa ex�cut�e tous les ans, Ie jour dunbsp;^�eudredi Saint. Les Improperia sont vraiment le triompbe de la naturenbsp;1�art, et seul un grand g�nie a pu concevoir que les plus simplesnbsp;*^3tubinaisons dussent produire un elTet admirable. Le docteur Burnetnbsp;''PPelle Palestrina � I�Hom�re de I�ancienne musique; � et nulle Corn-Position peut-�lre plus que celle-ci ne lui a m�rit� ce litre. Mais sanbsp;�loire ne devait point s�arr�ter la ; on peut l�appeler encore le sauveurnbsp;^0 la musique.
De Concile de Trente avait sagement d�cr�t� l�abolition de toute �^Usique lascive et profane dans les �glises. En 1564, le pape Pie IV�nbsp;^Oflama une Congregation de cardinaux cbarg�e de pourvoir a l�e.x�cu-Doii des d�crets du Concile. Parmi les illustres mandataires se trou-'3lt Saint Charles Borrom�e, bomme de go�t comme tous les vraisnbsp;Joints. i[ connaissait l�habilet� de Palestrina, alors attach� � la cha-Polle de Sainte -Marie-Majeure. L��minent et modeste compositeur futnbsp;��and� le lo janvier 1565; la Congr�gation le pria d��crire une messe,nbsp;03*18 laquelle le ih�me n�e�t aucun rapport avec les airs profanes et o�
6) Les d�iails suivants sont emprunl�s a Mb'- Weisman, je ne fais que le traduire en �Or�geani.
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les paroles pussent �tre distinctement entendues. On ne lui cacha pas que du succ�s de cette �preuve d�pendait Ie sort de la musique d��glise :nbsp;s�il �chouait, elle devait �tre pour toujours bannie comme profane denbsp;la maison de Dieu.
On se figure ais�ment l�inqui�tude et aussi Ie noble orgueil d�un g�nie pareil, quand, mesurant la responsabilit� dont il �tait charg�,nbsp;il vit qu�a ses seuls efforts �taient attach�es les destin�es de sanbsp;science favorite; mais il ne recula point. En trois mois il pr�-senta trois nouvelles messes : les deux premi�res furent grandementnbsp;admir�es, la troisi�me d�cida la cause. Le 29 juin 1565, on ex�cutanbsp;devant le Saint-P�re, la chapelle Sixtine, la messe viclorieuse. Aunbsp;milieu du ravissement universel, le Pape s��cria : � Tels durent �trenbsp;les aceents que l�ap�tre Jean a entendus dans la J�rusalem c�leste, etnbsp;qn�un autre Jean a renouvel�s dans celle de la terre (i). �
Telle est la magnifique composition que nous allions entendre. Elle est a six voix, ayant deux basses et deux t�nors. D�un c�t�, Palestrinanbsp;voulait �viter tout air profane; de I�autre, donner a chaque partie unenbsp;allure vari�e, afin que chacune, de temps en temps, put se reposer. Hnbsp;r�solut le probl�me en adoptant le mode dont je viens de parler. Getnbsp;heureux exp�dient eut un autre avanlage; il assura un fondementnbsp;magnifique ii I�harmonie, par la stabilit� de ses parties basses etnbsp;moyennes, tandis que le contralto el le soprano pouvaient chanter al-ternativement. Ajoutez que la musique est riche, harmonieuse, imposante et surtout essenliellement morale, comme le doit �tre la musiquenbsp;d��glise; ajoutez encore que dans cette messe il n�y a pas de remplis-sage, chaque partie est une partie r�elle aussi importante que les au-tres, aussi pleine de vie et de mouvement : et vous pourrez juger dunbsp;prodigieux elfet de cette oeuvre unique.
Afin de la mieux sentir, nous l��coutions les yeux ferm�s, lorsqu�a I�intonation du Gloria in Excelsis, un mouvement involontaire nousnbsp;les fit ouvrir. En ce moment deux clercs de la Floresia plac�s derri�renbsp;I�autel, d�couvrirent la tapisserie du retable, repr�sentant la R�sur-rection de Notre-Seigneur ; un rayon de soleil vinl frapper le tableaunbsp;et fit resplendir la figure du vainqueur de la mort. Avec la rapiditenbsp;de l��clair, un tressaillement de bonheur se communique a loute I�as-sembl�e; les gardes nobles rel�vent leurs �p�es, baiss�es depuis lanbsp;veille; les suisses, leurs hallebardes; les massiers, leurs masses; lu*
(1) Le litre qu�elle porte de Missa papcc Marcelli, ne lui fut donne qu�a l��poque de sa publication, faite 4 la pri�re de Philippe II, roi d�Espagne, sous le pontifical du papenbsp;Marcel. � Le Samedi Saint est le seul jour de Tanii�c ou on l�ex�cule.
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J^�^issiers, leurs verges; toutes les cloches de la ville, mueltes depuis ^ �leudi Saint, sonnent b. la vol�e, et m�lent leurs sons joyeux aunbsp;��uu solennel des mortiers de la garde suisse et des canons du chateaunbsp;*aint-Ange.
Apr�s Ic chant de Thymne ang�lique, voici venir un sous-diacre ^'iditeur de Rote, v�tu d�une tunique blanche et accompagn� d�unnbsp;'J'sitre des c�r�monies. II fit une g�nuflexion devant l�autel, et se ren-au pied du tr�ne pontifical, o� il dit i haute voix : Pater sanctc,nbsp;^''^nuntio vohis gaudium magnum, quad est Alleluia ; � Saint P�re,nbsp;J� vous annonce une grande joie, c�est VAlleluia. � A ces mots il senbsp;P^'osterna, baisa les pieds du Pontife et rentra, pour ne plus reparaitre,nbsp;^ Ja sacristie. � �gllse de la terre, tendre soeur en exil, consoles-toi;
jour tu diras avec ta soeur ain�e Ie cantique de la joie. Re^ois Ie 8age de ton futur bonheur, dans ce mot qu�un messager c�leste t�ap-Papte aujourd�hui : b�gaie ce mot de la langue du ciel, en attendantnbsp;l�e tu viennes Ie chanter avec moi sous les brillants parvis de l��ter-*'�lle J�rusalem. � Voili tout ce que dit ce messager myst�rieux, et cenbsp;�hot plus myst�rieux encore que Ie l�vite vient apporter au chef denbsp;J �glise militante.
L�annonce linie, Ie c�l�brant chante VAlleluia trois fois, en �levant ^Uccessivement la voix d�un ton; et chaque fois les chantres r�pondentnbsp;pft contre-point, et ne font la cadence finale qu�^ la troisi�me fois.nbsp;Occup�s un instant de ces belles c�r�monies, nous revinmes a la messenbsp;Palestrina, qui nous fit gouter jusqu�ii la fin une volupt� vivenbsp;�omme les sensations, et calme comme les id��s. Tel fut Ie plaisirnbsp;�lu�elle nous causa, qu�en sortant de la chapelle nous allitmes, p�n�tr�snbsp;*Je reconnaissance, prier sur la tombe de l�immortel compositeur. In-JiUra� par ordre du Pape dans la Basilique de Saint-Pierre, Palestrinanbsp;Pepose au pied de l�autel des ap�tres saint Simon et saint Jude. Sur lanbsp;Pierre tumulaire on lit cette inscription ; Joannes Petrus Alexis Pa-^^strina, Musicce princeps.
Depuis Ie chant du Gloria in Excelsis, Rome enti�re avail change ^�aspect. Un air de jubilation respirait sur toutes les figures; les ruesnbsp;�taient pleines de monde. Parmi ces Hots populaires, les uns descen-'Jaient comme nous de Saint-Pierre; les autres venaient de Saint-Jean-'Je-Latran, o�, suivant l�antique usage, on avail adrainistr� Ie bapt�menbsp;^olennel � des cat�chum�nes juifs et mahom�tans, montr� les t�tes denbsp;�aint Pierre et de saint Paul, et fait l�ordination g�n�rale. Toutes lesnbsp;9uires �glises fournissaient aussi leur nombreux contingent; et l�onnbsp;**�entendait dans la foule que ces mots mille fois r�p�t�s : Buona
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Pasqua. A cette salutation chr�tienne se joignaient, dans toutes les mes, des d�charges de mousqueterie en signe de r�jouissance; et tan-dis que d��l�gantes voitures promenaient, aux acclamations des en-fants, d��normes saucisses suspendues a leurs baldaquins de feuillage,nbsp;pour annoncer la fin du car�me, on voyait les p�res portant sur leursnbsp;bras Ie blanc agneaii que chaque familie se fait un devoir de mangernbsp;Ie jour de Paques. Ce spectacle, qui r�v�lait une ville religieuse avantnbsp;tout, est pour Ie voyageur francais une source d�am�res jouissances-Comme les Romains, nos p�res connurent ces joies saintes et na�ves,nbsp;qui coupent si utilement la monotonie du p�lerinage dans la vall�enbsp;des douleurs. Nous les avons frapp�es d�un superbe d�dain et com-pl�tement bannies de nos moeurs et m�me de nos id��s : il reste � sa-voir si nous en sommes devenus meilleurs on plus heureux!
Des plaisirs du m�me genre, quoique d�une nature diff�rente, nous �taient r�serv�s pour Ie soir. Vers les quatre beures, les Arm�niensnbsp;catholiques c�l�brent, dans l��glise de Sainte-Marie-�gyptienne, 1�nbsp;premi�re messe du jour de Paques. Un �v�que de cette nation, envi-ronn� d�un clerg� nombreux, �tait � l�autel. Le costume oriental dunbsp;Pontife, des pr�tres et des fid�les, leur langue, leur chant, leur rit,nbsp;donnent un grand int�r�t a eet office, qui d�roule aux yeux du chr�-tien une page magnifique de notre v�n�rable antiquit�. Nous ne quit-tames l�office arm�nien que pour nous rendre i Saint-Marcel, o� nousnbsp;appelait une autre funzione pleine de grftce et d��-propos : je veuXnbsp;parler du couronnement de la sainte Vierge. Hier, Rome avait pleur�nbsp;avec la M�re des douleurs; aujourd�hui, elle s�associe � ses joies, et,nbsp;dans l�effusion de sa tendresse filiale, elle vient la complimenter sur lunbsp;r�surrection du Sauveur. Autour de son autel, magnifiquement illu-min�, de nombreux fid�les chantent les all�gresses de la divine Mere-On la f�licite, on Ia b�nlt, on l�implore, on lui dit tout ce que les en-fants bien n�s peuvent dire, dans I�enthousiasme de leur amour et denbsp;leur joie, � une m�re uniquement ch�rie. Le Gloria in Excelsis dunbsp;matin, le couronnement de la sainte Vierge le soir, ces deux grandesnbsp;f�licitations adress�es ii J�sus et i Marie, ont acquitt� le tribut de lanbsp;pi�t� romaine, et tous les coeurs satisfaits attendent avec impatiencenbsp;la solennit� du lendemain.
Tant d�amour de la part des deux augustes viclimes du Calvaire ne sera pas une legon perdue pour leur familie. � Je vous ai donn�nbsp;l�exemple, afin que vous fassiez comme j�ai fait; � telle fut la prescription du Maitre apr�s avoir lav� les pieds de ses disciples. Seule,nbsp;entre toutes les villes du monde, Rome accomplit fid�lement, publi'
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luement, coiistamment cette divine parole. 11 �tait huit heures du lorsque nous arrivames a l�hospice des P�lerins, o� nous atten-ce merveilleux spectacle de charit�. Le superbe �difice doit sanbsp;^OBdation � saint Philippe de N�ri. On y revolt graluitement pendantnbsp;^��ois, quatre et m�me sept jours, les p�lerins hommes et femmes quenbsp;Pi�t� am�ne a Rome. Pour �tre admis, ils doivent arriver d�un paysnbsp;�loign� de plus de soixanle mille, et pr�senter un certificat de leurnbsp;�^''�que ou de ses grands vicaires, attestant qu�ils viennent h Romenbsp;Pour visiter les saints lieux. Quelques confr�res nomm�s receveursnbsp;�taminent ces certilicats, afin d��viter toute fraude. A Paques lenom-des p�lerins est de trois a quatre cents. L�hospice forme deuxnbsp;^���ps de logis s�par�s ; l�un pour les hommes et l�autre pour lesnbsp;^�t�mes. Le nomhre total des lits est de quatre cent quatre-vingt-huit,nbsp;dans tous les r�fectoires r�unis on peut servir a la fois neuf centnbsp;fiUarante-quatre personnes.
En arrivant, les p�lerins trouvent des fr�res et des sceurs qu'ils � ont jamais vus, et qui les resolvent comme de vieilles connaissances.nbsp;Ces fr�res et ces soeurs sont les membres de la confr�rie du Saint-Sa-'^��enient, fond�e par saint Philippe de N�ri. Leur costume, symbolenbsp;la charit�, se compose d�une ample robe rouge, retenue par unenbsp;�*inture avec un long rabat blanc, semblable a celui de nos magistrats.nbsp;Eelui de la plupart des p�lerins rappelle le moyen Sge, et la Terre-�''ainte, et les Croisades, et Saint-Jacques-de-Compostelle, et les autresnbsp;dont l�histoire, racont�e au foyer domestique par l�a�eul auxnbsp;�^Eeveux blancs, charma notre enfance, Le grand chapeau de feutrenbsp;ailes �tendues, le camail de toile cir�e couvert de coquillages, lanbsp;gourde au c�t�, le bourdon a la main, tel est leur pieux et po�tiquenbsp;��quipage.
Ene charit� attentive s�informe de leurs besoins et pourvoit a tout. U)s quand le nombre des p�lerins est suffisant, les confr�res leurnbsp;onnent le bras; chaque confr�re en soulient deux : et trois � trois,nbsp;jls se dirigent en procession vers Saint-Pierre, afin d�aller remerciernbsp;� P�re common du succ�s du voyage, et d�poser ad limina Aposto-Ofurn le premier hommage de leur pi�t�. De retour � la Trinit�, onnbsp;�t*tre dans le lavoir; il est au rez-de-chauss�e et se compose de deuxnbsp;��lles destin�es au lavement des pieds. Geile des hommes contientnbsp;�otxante personnes a la fois, celle des femmes cinquante. Assis sur desnbsp;^Dquettes fix�es aux murailles, ces pauvres �trangers de tout age etnbsp;� tout pays regoivent l�humble office de la main de tout ce que Romenbsp;�otnpte de plus illustre. J�ai vu la des jeunes gens de families distin-
-ocr page 174-170 nbsp;nbsp;nbsp;LES TBOIS ROME.
gu�es, de riches n�gociants, des princes, des �v�ques, des cardinaux, de grandes et nobles dames. Leurs brillants �quipages couvraient lanbsp;place de la Trinit�; tandis qu�eux-m�mes, maitres et maitresses, deve-nus, pour l�amour de J�sus-Christ, serviieurs et servantes des pau-vres, �taient � genoux devant les bien-aim�s du Dieu R�dempteur,nbsp;leur rendant avec amour tous les devoirs de l�hospitalit� chr�tienne.
Au lavement des pieds succ�de Ie souper. Les r�fectoires sont de longues salles vo�t�es, autour desquelles r�gnent deux tables coup�esnbsp;de distance en distance pour la facilit� du service. G��tait Ie Samedinbsp;Saint; Ie repas �tait frugal, mais proprement servi: Ie cardinal Actonnbsp;y pr�sidait. Rev�tu comme tous les confr�res du grand sac rouge, etnbsp;reconnaissable seulement � sa calotte, Ie prince de T�glise vint direnbsp;Ie Benedicite. Tous les p�lerins se lev�rent, firent la pri�re avec lui,nbsp;puis se rassirent, et la lecture commenga. Elle racontait l�acte de cha-rit� que les saintes femmes avaient voulu exercer envers Notre-Sei-gneur au tombeau, en apportant des parfums pour embaumer sonnbsp;corps. Rentr� a la cuisine, Ie cardinal, aid� d�un �v�que frangais etnbsp;d�autres personnages �minents, faisait les portions de minestra, qu�ilnbsp;puisait dans une grande chaudi�re. La soupe ainsi que les autres platsnbsp;arrivaient aux p�lerins sur les bras de confr�res d�un rang �galementnbsp;dislingu�. Nous remarquames entre autres les jeunes princes d�Es-pagne et Ie cardinal Schwartzemberg. Ils circulaient autour des tables, et servaient avec une grace parfaite les h�tes de la charit�, con-fus de lant d�honneur et attendris jusqu�aux larraes.
Quel qu�il soit, Ie spectateur ne peut s�emp�cher de partager leur �molion, et de b�nir tout � la fois Ie Dieu qui a su faire de tous lesnbsp;hommes un seul peuple de fr�res; et l��glise Romaine qui perp�tuenbsp;d�une mani�re si touchante les enseignements du divin Maitre; et cesnbsp;nobles confr�res qui, dans notre si�cle d��go�sme, pratiquent � Ia lettrenbsp;les legons de d�vouement qui sauvent les soci�t�s; et ces pauvres p�'nbsp;lerins, jeunes enfants, vieillards aux cheveux blancs, tendres m�res,nbsp;soeurs d�vou�es, tous venus � pied et de si loin, pour obtenir Ie salutnbsp;de quelque personne ch�rie, accomplir quelque voeu, et continuer cettenbsp;longue procession qui, depuis dix-huit si�cles, se rend de tous Ie�nbsp;points du monde aux glorieux tombeaux des Ap�tres.
Le r�fectoire des femmes pr�sentait Ie m�me spectacle. Apr�s l�at!' tion de graces, tous les p�lerins se rendirent � la chapelle pour y fairenbsp;en commun la pri�re du soir. Les dortoirs s�ouvrirent, et chaquenbsp;voyageur y trouva un lit pr�par� par les mains maternelles de Ianbsp;charit�.
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La r�ception des p�lerins n�est point, de la part des fid�les de Rome, *^tie de ces faciles d�monstrations que la vanit� produil et que la modenbsp;�'^outient pendant quelque temps; c�est une oeuvre s�rieuse qui a tra-''ers� les si�cles et qui impose d��normes sacrifices. Les solennit�s denbsp;Saint-Pierre, de la F�te-Dieu, de la Porlioncule el bien d�autres en-am�nent a Rome un tr�s-grand nombre de p�lerins. Pendant lanbsp;Sfittiaine Sainle, il varie de quatre a cinq cents. Dans les ann�es dunbsp;�^ubil� il est beaucoup plus consid�rable. Les arehives de la Trinit�nbsp;'lonnent Ie tableau suivant des p�lerins h�berg�s dans l��tablissementnbsp;� Ces �poques solennelles.
Jubil�s. |
Total des bouches. |
Balance par jour. |
157S |
116,848 |
520,04 |
1600 |
524,600 |
889,51 |
1625 |
582,760 |
1,596,60 |
1650 |
508,555 |
845,29 |
1675 |
511,777 |
854,18 |
1700 |
500,000 |
821,91 |
1725 |
582,140 |
1,046,95 |
1750 |
194,852 |
555,78 |
1775 |
271,970 |
745,12 |
1825 |
275,299 |
745,12 |
Ainsi, a la d�pense annuelle, qui est d�environ cent mille francs, *ant pour les convalescents que pour les p�lerins, s�ajoute tous lesnbsp;'ingl-cinq ans une d�pense extraordinaire de plus de cinq cent millenbsp;^^cancs. Or, c�est la charit� romaine qui s�impose lous ces frais.
Pour compl�ter nos impressions, ou, si l�on veut, pour les rendre plus vives par un grand contraste, nous nous rendimes au Colis�e.nbsp;^euf heures du soir sonnaient au Ges�; il faisait un clair de lunenbsp;�'3gnifique, Rome enti�re �lait dans Ie silence. Sur les dalles de la voienbsp;^acr�e, on n�entendait que les pas de notre caravane compos�e d�en-'�oon quinze personnes. Bien des fois j�avais vu Ie Colis�e pendant Ienbsp;il m�avait paru grandiose ; au clair de la lune, il me parutnbsp;cffrayant. Quand les rayons obliques de 1�astre des nuits, traversantnbsp;les larges br�ches de ces bautes murailles, p�n�lrenl dans les vomi-�^uires � demi ruin�s, �clairent toutes les anfractuosit�s du colossalnbsp;Edifice, et vous laissent entrevoir dans toutes ses parties cette mon-'��gne de ruines noiratres, silencieuses, mena^antes, un frisson deter-*�eur vous passe dans les veines, vous serrez Ie bras de votre voisin,nbsp;'ous ne savez si vous devez tester ou si vous devez fuir.
A 1�extr�mil� de l�ar�ne, un guide nous attendait muni d�une longue *�rche r�sineuse. Sur ses pas nous gravimes lentement les degr�s qui
172 LES TROIS ROME.
conduisent au premier �tage, dont nous fimes Ie tour, autant que Ie pennettent les larges crevasses de la plate-forme. Nous tenions a passernbsp;sur tous ces si�ges occup�s jadis par les C�sars, Ie S�nat et les Vesta-les. De la, nous montames a l��tage sup�rieur, Ie seul qui reste accessible. Arriv�e sur la galerie, toute la troupe voyageuse se mit a chanter. Ge volume de son quoique faible, mais dont les �chos des vastesnbsp;murailles augmentent singuli�rement la puissance, donne une id�� denbsp;l�effet produit, alors que Ie Colis�e existait tout entier, par les hurle-ments des b�tes f�roces, les fanfares des orchestres, les cris des gla-diateurs, les vocif�rations et les tr�pignements de cent mille spectateursnbsp;ivres de sang et de volupt�. Quel spectacle! quel contraste! Nous sor-tions de la Trinit�-des-P�lerins o� nous avions vu les princes et lesnbsp;princesses a genoux devant Ie pauvre; et nous �tions au Colis�e o� Ienbsp;riche et Ie puissant faisaient d�vorer, pour leur plaisir, Ie petit et Ienbsp;faible; la d�immenses richesses d�pens�es en oeuvres de la plus tou-cbante charit�; ici l�or du monde prodigu� pour des sc�nes de carnage : tel est pourtant l�intervalle que l��vangile a mis entre nous etnbsp;Ie paganisme. La Trinit�-des-P�lerins et Ie Colis�e rapproch�s l�un denbsp;Pautre et vus Ie ra�me jour de la sainte Semaine, pr�senten!, a Tes-prit de l�observateur impartial, la divinit� du christianisme dans sanbsp;plus haute puissance; ils font plus, ils Ia font sentir a son cteur.
27 MARS.
Piques. � Vue de Rome et de Saint-Pierre. � Entree du Pape. � Messe. � Vue de place Saint-Pierre. � Benediction solennclle. � F�te dans les families.� lUumina-lion du Vatican.
L�artillerie du chateau Saint-Ange annon^a, d�s 1�aurore, Ie retour de la grande solennit�. Toute la population romaine, accrue de soixantcnbsp;mille �trangers, se pressait dans les �glises, encombrait les places, etnbsp;se portait en flots press�s vers Ie pont Elien et la Basilique de Saint-Pierre. Un air de jubilation respirait sur toutes les figures : Ie cielnbsp;�tait magnifique. A peine ca et la quelques l�gers nuages temp�raientnbsp;les ardeurs du soleil, sans rien eter a ses rayons du vif �clat qui devaitnbsp;�clairer Ie plus b�au jour de la Ville �ternelle et du monde. Mais comment d�crire ces augustes c�r�monies! La plume peut bien les fairenbsp;(onnailre dans tous leurs d�tails; quant � rendre l�impression qu�ellet'nbsp;produisent, Ie spectateur de ces grandes sc�nes reculera toujours devant cette lachc impossible.
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La pompe des olBces surpasse celle de No�l; les plus riches orne-nients, les vases sacr�s les plus pr�cieux �talent leur magnificence sur I aulel, auteur du tr�ne pontifical, dans les bancs du Sacr� Coll�ge etnbsp;dans toutes les parties de la Basilique. Les avenues du portique et lanbsp;grande nef jusqu�a la confession de Saint-Pierre sont occup�es par lesnbsp;regiments pontificaux. Les gardes suisses, les gardes nobles, les g�n�-raux des troupes romaines, en grand costume, font leur service aupr�snbsp;du Souverain Pontife. Sa Saintet� est re^ue sous Ie portique par Ienbsp;chapitre du Vatican, ayant a sa t�te Ie cardinal archipr�tre. Au d�fil�nbsp;du cort�ge devant la statue de Constantin, les tambours battent auxnbsp;eharaps, les cloches de la Basilique sonnenl a la vol�e et les trompettesnbsp;de la garde noble �clatenl en joyeuses fanfares. Le Pape franchit Ienbsp;seuil de la grande porte du temple, et les chantres de la chapelle en-tonnent l�antienne Tu es Petrus : ce moment a quelque chose d�im-Posant et de solennel qu�on ne saurait d�crire. Port� sur la Sedia, lenbsp;Saint-P�re s�avance majestueusement vers la confession; l� il met piednbsp;^ terre, et apr�s une courte adoration, monte sur le tr�ne de Tierce,nbsp;re^oit l�ob�dience du Sacr� Coll�ge et la messe commence. Elle estnbsp;suivie de l�ostension des reliques majeures de la Croix, de la saintenbsp;Face et de la Lance; puis de la B�n�diction solennelle du haut de lanbsp;grande loge.
Avant onze heures, la place de Saint-Pierre pr�sentait un coup d�oeil Unique sur la terre. Aux e.xtr�mit�s inf�rieures, stationnaient quinzenbsp;cents a deux mille �quipages d�une magnificence royale, c��talent lesnbsp;''oitures des cardinaux, des ambassadeurs, des pr�lats, des princes etnbsp;�le toute la noblesse roinaine et �trang�re. Le centre de la place, ennbsp;uvant de l�ob�lisque, �tait occup� par les troupes d�infanterie et denbsp;cavalerie formant un vaste carr�. Sur le grand front qui regardaitnbsp;Saint-Pierre �tait rang�e la musique des divers r�giments. Enfin dansnbsp;toute l��tendue de la place jusqu�au seuil de la Basilique, sur la dou-galerie environnante, se pressait une foule tellement compacte quenbsp;tout mouvement semblait impossible : il y avait sans exag�rer centnbsp;�uhe spectateurs au moins.
Lu lieu �lev� o� nous �tions parvenus, nos regards se promenaient Cette immense multitude, palpitante d��motlons, lorsque vers midinbsp;toutes les cloches de la Basilique sonnent a la vol�e; le canon du chateau Saint-Ange fait une d�charge g�n�rale, a laquelle vient se m�ler
foulement des tambours et le son �clatant des trompettes : c�est * annonce de la prochaine arriv�e du Saint-P�re. Tous les regards senbsp;portent vers la grande Loge, ombrag�e par un superbe pavilion d��car-
T. UI. nbsp;nbsp;nbsp;8
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late. Bient�t un mot part de toutes les Louches, et cent mille fois r�-p�t� forme comme un vaste murraure : Ecco! Ecco! Le voila! Ie voil�! Et toutes les t�tes se d�couvrent, et tous les genoux fl�chiraient s�il ynbsp;avail place; et l�on vit arriver sur le grand balcon tout le cort�ge pontifical : cent pr�lats avec leur magnifique costume, trente-un cardi-naux en mitre blanche, vingt-quatre �v�ques de l�Orient et de l�Occi-dent. Enfin le Vicaire de J�sus-Christ, l�auguste vieillard port� sur lanbsp;Sedia gestatoria, la tiare en t�tc, parut avec une majest� infinie auxnbsp;regards du peuple immense. Un silence universel s��tait �tabli : onnbsp;respirait a peine; toute cette multitude immobile ne semblait vivrenbsp;que par les yeux.
Assis sur la Sedia, approch�e de la partie ext�rieure du grand b.alcon, le Saint-P�re r�cita d�une voix ferme les pri�res d�usage (i). Denbsp;chaque c�l� �taient deux �v�ques a genoux, l�un tenant le cierge al-lum�, l�autre pr�sentant le livre des oraisons. La formule achev�e, lenbsp;Saint-P�re, rev�tu de la chape brod�e d�or, et le front orn� de la triple couronne, se leva majestueusement, ouvrit les bras, les �tendit ennbsp;haut comme pour aller puiscr dans le ciel m�me la b�n�diction qu�ilnbsp;allait r�pandre, puis formant le signe de la croix, il les rejoignit surnbsp;sa poitrine, comme un p�re qui embrasse son enfant et le presse surnbsp;son cceur : et eet enfant, c�est Rome et le monde. Ce mouvement estnbsp;d�uii effet indicible. Jamais et nulle part l�oeil humain n�a rien vu denbsp;si solennel, de si saisissant. Dans ce moment unique, a la vue du Sou-verain Pontife, dont la moiti� du corps seul se dessine aux regards, onnbsp;ne sait si c�est un horame, un ange, ou Dieu lui-m�me qui apparaitnbsp;dans les airs. Quant a l�impression, je le r�pete, je ne veux pas m�menbsp;essayer d�en parler. Elle est telle qu�un de nos philosophes du derniernbsp;si�cle s��criait, apr�s l�avoir �prouv�e : En ce moment j��tais catho-lique.MXc est telle qu�une princesse protestante venue nagu�re a Romenbsp;pour y faire de la propagande, tomba �vanouie et se releva catholique!
(i) Sancti apostoli Petrus et Paulus, de quorum po testate confidimiis, ipsi intercedant pro nobis ad Dominum.
Precibus el mcrilis Bealaj Maria� semper Virginis, Beali Michaelis arcbangeli, Boat* Joannes BaptislzCjCl sanctorum apostolorum Pelriet Paiili,et omnium sanctorum,raise-reatur veslri oranipotens Deus, et dimissisomnibus peccalis veslris, perducat vos Jesusnbsp;Christus ad vitara reternam. Amen.
Indulgenliam, absolulionem, ct remissionem omnium peccatorum veslrorum, spa-tium ver� et iructuos� posnitenti�, cor semper pcenitens el emundationem vil�, tiam ct consolaiionem Sancti Spiritus, et finalem perscveranliam in bonis operibus,nbsp;tribuat vobis omnipotens et misericors Dominus. Amen.
Benediciio Dei omnipoientis Patris, el Filii, et Spiritus sancti descendat super vos et maneat semper. Amen.
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Elle est telle que tous les voyageurs, n�importent leur religion et leur caract�re, r�p�tent d�une voix unanime : II n�y a rien de comparablenbsp;sous Ie ciel!
En pronongant les derni�res paroles de la b�n�diction, Ie Saint-P�re s��tait rassis; VAmen avait �t� r�p�t� solennellement quatre fois par l�immense voix de la foule, lorsque tout a coup une voix plus fortenbsp;lo redit h sa mani�re. Les cloches de la Basilique, le canon du chateaunbsp;Saint-Ange, les tamhours et les trompeltes des r�giments �clatant a lanbsp;fois, port�rent I�acclamalion de l��ternit� jusqu�aux montagnes loin-taines de la Sabine et du Latiura. Les deux cardinaux assistants lurent,nbsp;1�un en latin, I�autre en italien, les formules de I�indulgence pl�ni�renbsp;accord�e aux fid�les qui avaient re^u la b�n�diction dans les dispositions convenables. Ges formules imprim�es furent jet�es au peuple; lenbsp;Saint-P�re avait disparu : tout �tait fini.
La foule �mue s��coula lentement, et bient�t divis�e en mille fractions, elle fut assise a d�innocents festins par lesquels chaque familie c�l�bre, en mangeant I�agneau pascal, la f�te de la grande familienbsp;chr�tienne. Afin que tous aient part a la joie commune, des secoursnbsp;sont donn�s a tous les pauvres qui se presentent au Vatican; d�abon-dantes aum�nes distribu�es aux prisonniers ou port�es aux familiesnbsp;n�cessiteuses; et des captifs sont mis en libert�. Rome imite ainsi lenbsp;divin Sauveur dont I�apparition dans les limbes fut pour les justesnbsp;I�heureux signal de la d�livrance. Enfin, comme les acad�mies et lesnbsp;r�unions litt�raires avaient chant� nagu�re les douleurs de la grandenbsp;Victime, elles c�l�brent aujourd�hui son triomphe. La prose et la po�sienbsp;fedisent tour a tour la victoire de l�Homme-Dieu, les conqu�tes mer-feilleuses de la foi, ses bienfaits plus merveilleux encore et ses luttesnbsp;Rigantesques : de hrillantes couronnes sont d�cern�es aux vainqueurs.nbsp;Tout cela montre que les f�tes religieuses, a Rome, sont des f�tes v�ri-tablement populaires.
La joie publique se manifeste le soir par la c�l�bre illumination de la Coupole. Comme la b�n�diction du matin, elle est telle qu�aucunenbsp;autre capitale ne saurait offrir aux regards �tonn�s du voyageur unnbsp;spectacle semhlable. Qu�on se repr�sente le plus magniCque templenbsp;fiu monde, aveo ses proportions colossales, avec sa coupole de quatrenbsp;cent vingt-quatre pieds de hauteur, avec son immense place environ-n�e d�une double colonnade orn�e de milliers de statues de marbre,nbsp;ft tout eet edifice devenu une montagne de feu! Quatorze cents lampions a feu voil� sont plac�s sur la facade ext�rieure du temple et desnbsp;Portiques, � partir du sol jusqu�a Textr�mit� de la croix du d�me. Ces
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lampions dessinent loutes les ar�tes de l��difice dont ils marquent les lignes architectoniques, se courbant o� elles se courbent, s�arr�tantnbsp;OU elles s�arr�tent, se brisant o� elles se brisent.
Deux points sont indiqu�s pour bien jouir de l�illumination : Ie Mont-Pincio et l�entr�e de la place Saint-Pierre. Du premier on l�aper-goit dans Ie lointain eomme iin immense m�t�ore, dont Ie scintille-ment r�pand sur Palmosph�re la lumi�re d�un incendie. Du second,nbsp;on la voit de pr�s et Pon admire la sym�trie de toutes ses lignes de feunbsp;qui �clairent les savants dessins de la fagade et de la coupole, trac�snbsp;par la main de Michel-Ange. Descendus du Pincio ii buit heures vingtnbsp;minutes, nous arrivftmes, a travers les Hots du peuple, sur la placenbsp;Saint-Pierre avant neuf heures moins un quart. II �tait temps, la premi�re illumination commene�e a buit heures �tait sur Ie point de finir:nbsp;a neuf heures il y a changement de feu.
Au premier coup de I�heure, quelque chose d�enflamm�, semblable a des �toiles filantes, court sur Ie d�me, sur la croix, sur les petitesnbsp;coupoles, sur la facade, sur Ie p�ristyle, sur la colonnade, sur la place,nbsp;se faisant voir partout et ne s�arr�tant nulle pact; et quand Ie derniernbsp;coup de riieure sonne, ce je ne sais quoi ne remue plus, ne se voitnbsp;plus; raais sept cent quatre-vingt-onze nouveaux feux ont �t� allum�s,nbsp;et des rosaces, des guirlandes, des cand�labres, des foyers d�une flammenbsp;brillante se trouvent m�l�s aux lignes un peu ternes de la premi�renbsp;illumination. Rien ne peut rendre la promptitude de ce changementnbsp;de feu, comme rien ne peut faire comprendre i ceux qui ne Pont pasnbsp;vu, Ie grandiose de eet incendie de la coupole (i). Trois cent soixante-cinq pietrini suspendus avec des cordes ont tout a coup op�r� eet effetnbsp;magique, sans qu�on ait pu les apercevoir; et allum� dans Ie temps quenbsp;je mets � l��crire cinq mille neuf cent quatre-vingt-onze lampions.nbsp;C�est leur secret et une des gloires du g�nie italien, sans rival dans lesnbsp;beaux-arts et dans l�ordonnance d�une f�te.
Ce qui rehausse Ie caracl�re de ce brillant spectacle et augmente l�impression, c�est la pens�e qui l�inspire. Dans les autres pays on illumine pour des f�tes civiles; a Rome, seulement pour des f�tes religieuses ; la, pour les joies souffrantes de l�exil; ici, pour les esp�rancesnbsp;d�licieuses de la patrie; et tout y prend Ie caract�re de l�infini; et Ienbsp;spectateur �lev� au-dessus de lui-m�me se retire en b�nissant la Providence de l�avoir rendu t�moin de ces grandes solennit�s, les plusnbsp;ravissantes apr�s celles du ciel.
(0 Manuel de la chapclle Sixtine, p. lli.
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28 MARS.
Adieus a Rome pa�enne. � Feu d�iirliflce du ChSieau Saint-Ange. � Reflexions sur les solennilcs Romaincs de la Semaine Sainte et de Paques.
A part le feu d�artifice du chflleau Saint-Ange, qui nous �tait r�serv� pour le soir, nous avions vu lout ce que Rome et le monde peu-vent offrir de plus magnilique. Le but du voyage �tait rempli, il fallait songer au d�part. Nous �lions venus pour �tudier les trois cit�s ren-ferm�es dans une seule. ABn de conserver plus vifs et plus certainsnbsp;les souvenirs de la triple Rome, nous voulumes la voir une derni�renbsp;fois dans les grands monuments qui la r�sument; li celte visite d�adieunbsp;furent employ�s nos derniers instants. Rome pa�enne se personnifienbsp;dans les ruines colossales de ses �difices; et le Capitole, le Forum, lanbsp;Prison Mamertine, le Colis�e, I�Aqueduc de Claude, les Thermes denbsp;Diocl�tien, l�Ob�lisque d�Auguste nous virent de nouveau, recueillantnbsp;l�irr�cusable l�moignage qu�ils rendent au g�nie, a la religion, auxnbsp;lois, aux moeurs de la puissante reine de la force.
De ce t�moignage muet, mais �loquent, void la traduction : � II fut un monde dont Rome �tait la capitale et dont C�sar �tait le maitre;nbsp;un monde qui divinisa Thomme et ses passions grossi�res et ses instincts cruels; qui vit tons les peuples enchain�s lour it lour au charnbsp;de la victoire apporter a Thomme d�ifi� I�liommage de leur or et denbsp;leur sang le plus pur; qui rugit comme la hy�ne et le tigre, lorsquenbsp;douze pecheurs, arm�s d�une croix de bois, vinrent lui disputer I�em-pire des intelligences; qui d�chira pendant trois si�cles les corps pal-pilants de dix millions de martyrs, et qui, bourreau tout-puissant, futnbsp;vaincu par ses faibles victiraes, ne laissant apr�s lui que des monuments de son orgueil, de sa force, de sa volupt� et de. sa fabuleusenbsp;barbarie; monuments gigantesques dont le dernier vestige aurait dis-paru, si la Croix victorieuse n�avait pris soin de le couvrir de sonnbsp;ombre tul�laire. Grflees a toi, monde de Jupiter et de N�ron! toujoursnbsp;vivant dans les ruines, tu enseignes �ternellement les si�cles; et, plusnbsp;�loquent que tous les oraleurs, tu �l�ves i sa plus haute puissance lenbsp;miracle de la divinit� de ma foi et le sentiment de ma reconnaissancenbsp;pour le Dieu lib�rateur du genre humain; adieu, ta mission est accom-plie : repose dans ton vaste torabeau; et, s�il se peut, que la terre tenbsp;Soit l�g�re. �
Notre visite a Rome pa�enne, jointe � quelques pr�paratifs de d�part.
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avail occup� une partie de la journ�e. Le soir, amp; sept heures, nous traversions au pas de charge le Ponte Sisto, et, dans presque toute sonnbsp;�tendue, nous suivions la Longara. O� allions-nous si vite? Chez lanbsp;bonne veuve Buffalo. Que voulions-nous ii cette excellente femme quinbsp;nous �tait parfaitement inconnue? Nous voulions prendre les placesnbsp;retenues pour nous sur son balcon, situ� au bord du �ibre en face dunbsp;chateau Sainl-Ange, afin de jouir la tout a notre aise de la magnifiquenbsp;(nrandola. On donne ce nom au feu d�artifice tir� du m�le d�Adrien,nbsp;en r�jouissance de la Resurrection du Sauveur. Tout Rome est a cenbsp;spectacle, le plus beau qu�on puisse voir avec ceux de la veille.
A huit heures trois quarts, plusieurs coups de canon donn�rent le signal de la f�te. En un clin d�oeil la plate-forme du chateau Sainl-Ange langa dans les airs .des colonnes de �ammes qui repr�sentaienlnbsp;au naturel une �ruption du V�suve. Afin de compl�ter l'illusion, lesnbsp;flammes s��levaient par bouff�es, comme si elles eussent �t� violem-ment chass�es par Pair comprim� au sein du volcan, tandis que le bruitnbsp;du canon imitait les d�chirements souterrains de la montagne. A cenbsp;terrible spectacle succ�da une douce et gracieuse representation. Lenbsp;chateau fut tout a coup illumin� par des milliers de lampions d�unenbsp;lumi�re si vive, qu�on aurait dit une rivi�re de diamants sur la l�lenbsp;d�une femme. Pour troisi�me sc�ne, nous e�mes les Cascatelles de Tivoli. De toutes les embrasures de la citadelle descendirent des ruis-seaux de feu, semblables au fer en fusion. Rien ne fut oubli�, pasnbsp;m�me la grande cascade, donl la lumi�re �blouissante, r�fl�chie parnbsp;les eaux du Tibre, doublait pour nous le plaisir du magique spectacle.
Vinrent ensuite, a la gloire du divin Triomphateur, une vaste cou-ronne de gerbes �tincelantes, dont chacune ressemblait i un plant d�alo�s; puis des chandelles romaines, des com�tes, des fus�es. Ennbsp;�clatant dans les airs, tous ces brillants m�t�ores laissaient �chappernbsp;des arm�es de petits poissons ail�s qui semblaient se combattre, puisnbsp;mourir l�instant apr�s celui qui les avail vus naitre. Ce n��tait 1^ quenbsp;le pr�lude de la grande balaille livr�e au monde par le divin Crucifi�.nbsp;Le combat lui-m�me nous fut offert dans un si�ge, remarquable sur-tout par le nombre des fus�es et des coups de canon qui se succ�-daient avec une rapidit� extr�me. Enfin, le bouquet se composa d�unenbsp;masse de chandelles romaines qui, s��levant a une grande hauteur,nbsp;�clat�rent toutes ensemble et form�rent en retombant une immensenbsp;gerbe de flammes, dont les vives nuances scintillaient comme desnbsp;rubis, des diamants et des topazes aux rayons du soleil. Gr�tce � lanbsp;place que nous occupions sur le bord du Tibre, il nous fut donn� de
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jouir doublement du feu d�artifice. La r�alit� nous apparaissait au ra�le d�Adrien, et l�iniage dans Ie fleuve, dont les eaux tranquilles re-produisaient a nos pieds toutes ces gracieuses et terribles merveilles.
La girandole termine les f�tes de Paques. En quittant a regret les lieux oii il �prouva tant de jouissances, Ie voyageur r�fl�chi sent Ienbsp;besoin de se replier sur lui-m�zne, et il se demande : Poiirquoi cesnbsp;grands spectacles? Toutes ces pompes dispendieuses ne seraient-ellesnbsp;(ju�uri vain amusement? D�o� vient aux solennit�s roraaincs Ie myst�-rieux privilege de faire sentir des impressions qu�aucune autre f�te nenbsp;produit? Pourquoi la Ville �ternelle donne-t-elle chaque ann�e de pa-reilles f�tes au monde? Le bon sens n�a pas de peine h r�pondre :nbsp;Rome est trop grave pour s�oublier au point de d�penser p�riodique-ment en plaisirs inutiles, les aum�nes des lid�les ou les sueurs de sesnbsp;enfants? Son histoire l�absout d�une pareille insinuation. Quel estnbsp;done son dessein? La nature ra�me de ses f�tes le r�v�le et donne lenbsp;secret des impressions ineffables qu�elles produisent.
11 faut des f�tes au peuple, et par peuple, il faut entendre tous les hommes. Mais prenez garde, suivant leur nature, les f�tes sont imenbsp;cause puissante de salut ou de ruine pour les nations. Que les f�tesnbsp;publiques soient tout ensemble un d�lassemcnt et une haute Icfon denbsp;vertu, et le peuple portera joyeusement le poids du travail; vous sol-licitez tous les nobles instincts du ceeur, vous agrandissez le carac-t�re national, vous posez le principe f�cond d�actions g�n�reuses quinbsp;sont la gloire et le soutien des soci�tcs. Or, les f�tes catholiques seu-les, r�unissant au plus haut degr� ce double caract�re, ont le privilege de produire ce double avantage. Rome le comprend; et si sa conduite avait besoin de justification, elle la trouverait dans l�histoirenbsp;des nations qui d�daignent les f�tes religicuses. Vous avez tourn� ennbsp;d�rision les pompes salutaires du catholicisme ; vous les avez appau-vries OU supprim�es : le peuple s�en est �loign�, mais il n�a pas perdunbsp;le gout des f�tes; il lui en faut, et il en aura. Les th�fttrcs, les bals,nbsp;les orgies des barri�res, les immondes divertissements de nos gran-des cites remplaceront les nobles plaisirs que la religion lui offraitnbsp;-gratuitement. Au lieu de se spiritualiser, il se materialise; et rexcila-lion f�brile de tous les mauvais instincts, et la corruption des coeurs,nbsp;et la perversit� des intelligences, et Tabaissement du caract�re natio-*i3l, et la haine de l�ordre, et la ruine pr�coce de la sant�, et le d�s-ordre moral, et la mis�re mat�rielle son inevitable cons�quence; telsnbsp;seront les fruits amers que le peuple recueillera du m�pris et de lanbsp;suppression des f�tes religieuses : ce n�est pas une proph�tie que jenbsp;fais, c�est de l�hisloire que j��cris.
-ocr page 184-180 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
Justifi�es dans leur existence, les solennit�s romaines nous cachent encore la raison de leur puissance merveilleuse. On la d�couwe toutnbsp;b. la fois dans leur magnificence ext�rieure et dans leur nature inlime.nbsp;Ce que j�ai dit de la chapelle Sixline, de ses peintures, de ses chants,nbsp;de ses c�r�monies, de la b�n�diclion papale, de l�illumination de lanbsp;coupole, suflit pour apprendre que Rome seule poss�de les �l�ments,nbsp;dont la r�union fait de ses solennit�s les plus belles f�tes apr�s cellesnbsp;du ciel. Si l�on ajoute que �es f�tes o� la richesse des d�tails et Ie bonnbsp;go�t des dispositions s�unissent ii la grandeur de l�objet, se c�l�brenlnbsp;sous Ie magnifique ciel d�Italie, dans la Ville �ternelle, au milieu desnbsp;chefs-d�oeuvre �blouissants du g�nie chr�tien, sous les yeux de toutnbsp;ce que la terre connait de plus auguste, en pr�sence d�une nu�e denbsp;l�moins venus des quatre coins du globe : on comprendra que Ie spec-tateur, subjugu� par ce merveilleux ensemble, �prouve des impressions inconnues partout ailleurs, et sente son admiration s��lever jus-qu�a I�enlhousiasme, son bonheur jusqu�a l�ivresse.
Toutefois, les solennit�s romaines de la Semaine Sainte et deP�ques doivent leur incomparable puissance, bien moins b leur pompe ext�rieure qu�h leur nature intime. H y a dans Ie coeur humain deuxnbsp;grandes fibres dont Ie fr�missement �branle profond�ment et � coupnbsp;sur toutes les autres ; la douleur et l�esp�rance. Remu�es s�par�ment,nbsp;elles exercent une puissante action; remu�es a la fois, elles portentnbsp;l�impression b sa plus haute �nergie. Or, metlre en jeu ces deux ressorts de l�ame, les metlre en jeu simultan�ment, les mettre en jeunbsp;avec une force surhumaine, voila Ie privil�ge des solennit�s romainesnbsp;dont je parle. La mort, la r�surrection d�un Dieu immol� parnbsp;rhomme, ressuscit� pour Thomme, c�est-a-dire Ie spectacle Ie plusnbsp;lugubre et la douleur la plus profonde, tout a coup suivis du triom-phe Ie plus �clatant et Ie plus glorieux, tel est Ie sujet, ou pour mieuxnbsp;dire, l�Ame de ces f�tes. Comment concevoir qu�un pareil drame, re-pr�sent� avec toutes les ressources de Tart et du g�nie, n��branl�tnbsp;point Ie spectaleur jusque dans les profondeurs de son ame, et n��le-v�t point ses impressions a leur derni�re puissance?
II faut ajouter que dans sa partie douloureuse comme dans sa partie consolante, Ie drame du Golgotha porte un cachet de catholicit� quinbsp;contribue merveilleusement a grandir l�int�r�t en m�me temps que,nbsp;par ses rapports intimes avec chacun de nous, il nous associ� a sesnbsp;p�rip�ties lugubres et a son d�noument glorieux. Pour parler seule-ment des joies qu�il produit, on comprend qu�elle doit �tre leur viva-cit�? lUuminer un palais, lirer un feu d�artifice pour la naissance
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d�un prince, �t l�occasion d�une victoire, en m�moire d�une revolution, est une f�te essenliellement particuliere : r�v�nement c�l�brc est d�unnbsp;int�r�t local; souvent m�me, s�il fait Ie bonheur des uns, il fait lanbsp;douleur des autres. Tel est, en g�n�ral, Ie caracl�re de toutes les f�tesnbsp;politiques. Or, Thomme est ainsi fait, qu�il jouit peu, qu�il jouit malnbsp;luand il est seul. Pour �tre content, son coeur veut se scntir a l�unis-son avec d�autres coeurs; plus Ie nombre en est grand, plus son bonheur augraente. De plus, Ie plaisir qu�il �prouve rev�t Ie caract�re dunbsp;sujet qui Ie produit. II sera tour i tour superficiel, passager, inquiet,nbsp;futile, selon que son principe sera empreint de quelqu�un de ces ca-ract�res.
Au contraire, Ie sujet de se r�jouir est-il par son �tendue commun non-seulement a une province, a une nation, i une partie du monde,nbsp;toais a toutes les nations du globe, au ciel m�me; touche-t-il par sanbsp;nature aux profondeurs de l�humanit� et aux grandeurs de Dieu; ennbsp;un mot,est-il catholique suivanttoutel��nergie du mol?a rinstantl�im-pression qu�il produit prend un caracl�re d�ialimil�, de douceur etnbsp;de force qui plonge dans une d�licieuse ivresse et Ie coeur et les sens.
Or, Ie plus magnifique temple de l�univers, resplendissant de lu-nii�res au milieu des t�n�bres de la nuit, et �clairant de ses feux Ie Cirque m�me de N�ron, qu�illumin�renl jadisles chr�tiens changes ennbsp;torches vivantes; Ie colossal mausol�e d�un pers�cuteur de l��glisenbsp;devenu Ie th�illre o� Ie g�nie c�l�bre Ie triomphe du vainqueur desnbsp;C�sars et du monde; ce vainqueur lui-m�me, qui n�est pas un bomme,nbsp;naais un Dieu, un Dieu qui combat non pour lui, mais pour l�huma-nit� d�chue, qui la sauve, qui la r�habilite, et, la plagant avec lui surnbsp;son char glorieux, l�introduit dans la cit� de l��ternel bonheur : con-naissez-vous quelque chose de plus catholiqu%, par cons�quent de plusnbsp;int�ressant et de plus propre ^ �lever l�ame du spectateur? A son tour,nbsp;voyez comme Ie coeur se dilate! En s�abandonnant i l�ivresse de la joie,nbsp;d sent qu�il nage dans un oc�an sanslimite et sans fond; qu�il est i� l�u-nisson avec Ie ciel et la terre; que son bonheur ne fait cooler d�autresnbsp;iarmes que des larmes de joie : il sent surtout que son all�gresse passa-g�re se rattache par des liens my st�rieux aux all�gresses du monde futur;nbsp;^�^0 la f�te qu�il c�l�bre est sa propre f�te, la f�te de ses millions denbsp;fr�res de toule nation, de toute langue et de toute tribu, la f�te desnbsp;^�ges, la f�te de Dieu lui-m�me, accoraplie sur les confins du tempsnbsp;ot de l��ternit�.
On comprend d�sormais la profonde sagesse de Rome, la m�re des Pouples et la gardienne des soci�t�s ; pour toutes les nations elle a
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�tabli ces sublimes spectacles qu�elle multiplie peur ses enfants. Aux grandes solennit�s de P�ques et de Saint-Pierre, succ�dent dans Ienbsp;cours de l�ann�e les f�tes patronales de ses clnquante-deux paroisses.nbsp;Ce jour-l� chaque paroisse a son illumination, son feu d�artifice, sonnbsp;orchestre devant le portail. Voila autant de lemons de spiritualismenbsp;donn�es, autant de victoires gagn�es au profit de la familie et de lanbsp;soci�t�, sur les mauvais penchants de la nature.
29 MARS.
Adieux a Rome chr�lienne et a Rome souterraine. � Chaine de saint Paul, a Saint-^au.\-hors-des~murs. � Chaine de saint Pierre, a Saint-Picrre-m-Fmcoh'. � Paroles de saint Chrysostome.
C��tait Ie jour de nos adieux a Rome chr�tienne. Mais comment les lui faire et par o� commencer? Car dans toutes ses oeuvres, Romenbsp;chr�lienne est ch�re au voyageur calholique, et ses oeuvres sont in-nombrables comme les monuments qui les r�sument : il fallut choi-sir. Pour nous souvenir �ternellement de son intelligente pi�l� enversnbsp;Dieu, envers Marie et envers les hommes, nous alldmes d�abord adorer son chef invisible, le Fils de Dieu, dans l��glise o� les Quarantenbsp;heures l�exposaient aux hommages des Remains. Qu�elle soit h�nie lanbsp;d�votion tut�laire qui, chaque jour, opposant a la justice divine, ar-m�e contre les iniquit�s du monde, la grande victime de propitiation,nbsp;d�tourne des fl�aux trop m�rit�s, �l�ve incessamraent les coeurs ennbsp;haut et fait couler sur Punivers entier un fleuve de mis�ricorde et denbsp;grace!
Quelques instants plus tard, nous franchissions les degr�s de Sainte-Marie-Majeure, la Basilique ch�rie de I�auguste M�re de Dieu.nbsp;A l�exemple dix fois s�culaire de tant de pontifes, nous �tions pros-tern�s devant l�image miraculeuse de la Reine des anges et des hommes, et nous h�nissions Rome d�avoir encourag�, d�fendu, exalt� etnbsp;rendu si parfaitement populaire, Ie culte de la plus douce des vierges,nbsp;de Ia plus aimable des m�res, de cette fille de Juda dont le sourire,nbsp;le regard, le nom seul porte dans toutes les Ames la s�r�nit�, le courage, la puret� et la confiance enfantine.
De Sainte-Marie-Majeure, nous fimes une derni�re visite au cime-ti�re du Janicule. Agenouill�s sur cette terre sainte, th�fttre catholi-que de la pi�t� envers les Ames du Purgatoire, nous m�lAraes nos pri�res A celles qui chaque jour y sont r�pandues par les nombreux
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Confr�res de la Mort. La divine intelligence et Ie coeur maternel de la maitresse de toutes les �glises s��taient de nouveau r�v�l�s tout en-tiers a nos regards attendris. Dans cette triple devotion envers Notre-Seigneur au Saint-Sacrement, envers Marie, envers les ames du Pur-gatoire, nous avions vu Ie secret Ie plus intime et comme l�essence denbsp;la pi�t� catholique. Simple fid�le, j�aurais b�ni Rome, d��branlernbsp;ainsi tout ce qu�il y a de plus �lev�, de plus tendre et de plus socialnbsp;dans Ie coeur de Thomme; pr�tre, charg� de r�pandre Ie veritablenbsp;esprit du catholicisme, quelles furent mes actions de gr�ces pournbsp;cette r�v�lation pr�cieuse! Adieu, M�re bien-aim�e; intelligentenbsp;�pouse de PHomme-Dieu, pourquoi faut-il que vous soyez si peunbsp;comprise!
Rome qui prie nuit et jour sur ses enfants, donl elle ignore les �ternelles destin�es, veille avec une grande sollicitude sur les tombesnbsp;glorieuses de ceux que la victoire a couronn�s de ses lauriers immor-lels. Avec un saint orgueil elle les montre a ses amis et a ses enne-mis ; debout sur Ie seuil des catacombes, elle dit comme Dien a Mo�se :nbsp;Otez votre chaussure, la terre que vous allez fouler est une terrenbsp;sainte. Une derni�re fois nous voul�mes la fouler, cette terre trois foisnbsp;sainte, et par Ie sang dont elle est d�trempce, et par les myst�resnbsp;qu�elle a vu s�accomplir, et par les h�ro�ques vertus dont elle fut Ienbsp;th�fttre. Entr�s dans les catacombes de Saint-Pancrace, nous firaesnbsp;DOS adieux aux martyrs. Glorieux t�moins de notre croyance, soyeznbsp;b�nis du courage qui vous fit braver les lyrans; a votre hero�sme nousnbsp;sommes redevables de la foi, des lumi�res de la civilisation qui nousnbsp;�l�vent si fort au-dessus du monde antique; comme gage de leur derni�re visite, faites couler dans l�ame de ces obscurs p�lerins, vos enfants et vos fr�res, la s�ve de la foi primitive, principe f�cond desnbsp;vertus dont Paur�ole incommunicable doit environner Ie front denbsp;1��glise dans les derni�res ann�es de sa vieillesse, comme aux pre-ntiers jours de son enfance. Adieu! et plut�t mourir que de d�shono-rer Ie nom que vous nous avez conquis!
Des catacombes nous vinmes ii l�h�pital du Saint-Esprit et a l�hos-Pice de Saint-Michel, magnilique r�sum� de Ia charit� romaine envers les vivants. Depuis Ie berceau jusqu�a la tombe, Ie pauvre, Ie malade,nbsp;Ie faible et Ie petit, tous ces �tres que Rome pa�enne livrait pour senbsp;divertir � la dent des lions et � l��p�e des gladiateurs, nous appa-i�urent de nouveau dans ces deux �tablissements, environn�s d��gards,nbsp;de respects, de soins, qui feront �ternellement de Rome ebr�tienne Ianbsp;ni�re de la charit�, comme elle est la maitresse de la foi. .\dieu, cit�
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providentielle; soyez reine, puisque telle est votre immortelle des-tin�e; �tendez sur tous les peuples, tir�s par vous de la barbarie, Ie sceptre glorieux de I�intelligence et de l�amour, comme autrefois vousnbsp;irapos^tes aux nations, vaincues par vos armes, Ie joug humiliant denbsp;la servitude; et qu�au tribut du sang succ�de Ie tribut d�une reconnaissance �ternelle.
Au milieu de nos courses, on nous apprit qu�il y avail station dans la Basilique de Saint-Paul-^ors-des-mMrs : cette nouvelle fut pournbsp;nous un grand sujet de joie. II allait nous �tre donn� de voir la chainenbsp;de l�immortel prisonnier de J�sus-Christ. Une voiture de place nousnbsp;transporta rapidement devant Ie portail de la v�n�rable �glise. En deuxnbsp;pas nous fumes la chapelle, o� les pr�cieuses reliques sont d�pos�es.nbsp;Un pr�lre en rochet et en �tole vint ouvrir Ie tabernacle qui les ren-ferme : nous �tions ^ genoux sur Ie marchepied de l�autel. Apr�s unenbsp;courte pri�re, Ie pr�tre prend la chaine et la depose dans nos mains.nbsp;Voir de ses yeux, toucher de ses mains, porter � ses l�vres, couvrirnbsp;de baisers et de larmes br�lantes cette cbaine plus pr�cieuse que lesnbsp;colliers des rois; cette chaine dont Paul �tait si fier, et qu�il portait,nbsp;esclave volontaire, pour briser les fers du genre humain : quel moment ! quelle sensation! La chaine apostolique se compose d�anneauxnbsp;oblongs et mal forg�s, qui annoncent bien la fabrique ancienne; ellenbsp;n�est pas tr�s-lourde, peut-�tre paree que saint Paul �tait citoyennbsp;remain.
Pour mettre Ie comble a notre bonheur, il ne manquait plus que de voir les chaines �galement glorieuses du compagnon de saint Paul, denbsp;saint Pierre, Ie chef des conqu�rants du monde, des sauveurs de l�hu-manit�. Or, en revenant de Saint-Paul, nous emnes a voir Ie savantnbsp;professeur d�histoire eccl�siastique, M. l�abb� Tizzani (i). Membre denbsp;la Congr�gation des chanoines r�guliers de Saint-Jean-de-Latran, char-g�e de desservir Saint-Pierre-w-Fmco/*, il demeure dans Ie conventnbsp;contigu il 1��glise. Apr�s lui avoir parl� du bonheur dont nous venionsnbsp;de jouir, je lui demandai s�il serail impossible de Ie combler en voyantnbsp;les chaines de saint Pierre. � La dillicult� est extr�me, me dit-il; lesnbsp;chaines de saint Pierre ne sont expos�es ii la v�n�ration des fid�les quenbsp;Ie premier du mois d�aout. Pourrez-vous attendee jusque-la? cou-tinua-t-il en souriant. � Nous partons demain.� Comment faire?nbsp;Trois clefs ferment la ch4sse o� les chaines sont conserv�es : Tune estnbsp;entre les mains du Saint-P�re; l�autre chez Ie cardinal protecteur; la
(i) C�est a lui qu�on doil Ie Thesaurus historice Ecclesiasticce. 19 vol.
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^roisi�me est conll�e amp; l�abb� de San-Pietro-in-Vincoli. Pour ouvrir la ch;\sse, il faut les avoir toutes les trois. �
L�excellent ami qui nous avail ainsi lenus en suspens se hftta d�ajou-ler : � Tranquillisez-vous, il y a aujourd�hui une permission pour les *luatre heures; trouvez-vous a l��glise; vous vous joindrez aux autresnbsp;'foyageurs et vous serez admis. � Qu�on juge de notre joie et de notrenbsp;fid�lit� au rendez-vous! Or, de ces chaines v�n�rables que nous allionsnbsp;contempler, voici l�histoire : Saint Pierre, arr�l� a Jerusalem et jet�nbsp;6� prison par ordre d�H�rode, fut li� d�une double chaine (i). J�angenbsp;�iu Seigneur d�livra Ie prisonnier. Ses fers rest�s dans Ie cachot furentnbsp;recueillis par les gardiens que l�Ap�tre avail eu Ie temps de convertir.nbsp;L��glise naissante de J�rusalem conserve, comme Ie plus pr�cieuxnbsp;tr�sor, ce gage des souffrances de son p�re, et l�environna toujoursnbsp;d�un respect et d�une tendresse filiale (2). II en fut de m�mejusqu�aunbsp;cinqui�me si�cle. G�est alors, je veux dire l�an 436, que Fimp�ratricenbsp;Eudoxie, femme de Th�odose Ie Jeune, �tant venue a J�rusalem, em-Porta les cbaines del�Ap�lre a Constantinople. Elle en retint une quinbsp;fut d�pos�e dans la superbe Basilique construite expres pour la rece-''oir; elle envoya l�autre a Rome, a sa fille Eudoxie, femme de l�em-pereur Valentinien.
Cependant Ie Souverain Pontife voulut comparer cette chaine avec celle dont saint Pierre fut li� dans la Prison Mamertine par ordre denbsp;N�ron, et qu�� l�exemple de leurs fr�res de J�rusalem, les fid�les denbsp;Rome avaient conserv� avec un soin religieux. En presence de tout Ienbsp;Peuple il les rapprocha Tune et l�autre. Par un miracle toujours sub-sistant, les deux chaines s�unirent aussil�t, en sorte qu�aujourd�huinbsp;elles n�en forment qu�une seule. En m�moire du prodige et en l�hon-�eur de saint Pierre, Ie pape, de concert avec Eimp�ratrice, �difia lanbsp;Rasilique de Saint-Pierre-�s-Liens. La chaine y fut d�pos�e ; elle y estnbsp;encore, apr�s avoir re^u les hommages de toutes les g�n�ralions qui senbsp;�ont succ�d� depuis Ie cinqui�me si�cle jusqu�� nos jours. De tempsnbsp;�^memorial les papes ont �l� dans 1�usage d�envoyer de la limaille denbsp;eciie chaine et de celle de saint Paul aux empereurs et aux rois qui ontnbsp;Rien m�rit� de la religion. Cette limaille est enferm�e dans une petitenbsp;Oef d�or, que la pi�l� des princes chr�tiens suspend a leur cou commenbsp;pr�servatif centre les dangers et un avertisseraent de ce qu�ilsnbsp;*foivent �lre (5).
(') 'Vinetus calenis duabus. Act. c. xii.
(2) S. Procl. apud Lippom. t. vii; Baron. Annot. ad Martijr. die l Aug.
(5) Les chaines de saint Paul furent conserv�es avec Ie mcme soin etd�pos�esd'abord
186 LES TROIS ROME.
Auxchaines de saint Pierre on a joint qualreanneanx de celles de saint Paul, afin de ne pas s�parer, dans les hommages de la reconnaissancenbsp;catholique, les deux illustres prisonniers deJ�sus-Christ. Entr�s dans Ienbsp;ircsor del��glise, nous trouvamp;mesl�abb�debout devant la chasse entr�ou-verte : il nous fit signe d�approcher. Quand nous fiimes a genoux, ilnbsp;prit la chaine scell�e par un des anneaux a la partie inf�rieure de lanbsp;ch�sse, et nous la pr�senta. Elle peut avoir cinq pieds de longueur ;nbsp;a chaque extr�mil� est une charni�re destin�e a prendre les mains etnbsp;Ie cou. Les anneaux, de forme antique, sont beaucoup plus gros quenbsp;ceux de la chaine de saint Paul. Par une faveur insigne, Pexcellentnbsp;gardien ouvrit une des charnicres, nous la fit embrasser et nous la mitnbsp;au eou. En eet instant solennel, je me rappelais saint Chrysostome, etnbsp;plus heureux que l�illustre patriarche, je jouissais du bonheur qu�ilnbsp;avait si vivement ambitionn� :
lt;( Que ne m�est-il donn�, s��criait-il, de voir les lieux o� l�on conserve les chalnes des Ap�tres! Que je voudrais voir ees chaines que l�enfer redoute, que Ie Ciel r�v�re! Si les devoirs de mon minist�re etnbsp;la faiblesse de mon corps ne me retenaient pas, avec quel bonheurnbsp;j�entreprendrais Ie p�lerinage de Rome, uniquement pour voir cesnbsp;chaines et la prison de Pierre et de Paul! Bienheureuses ehaines!nbsp;bienheureuses mains qui en furent orn�es! Oh! si j�avais v�eu en eenbsp;lemps-la, comme j�aurais couvert de mes baisers ces mains dignesnbsp;d'�tre enchain�es pour mon divin Maitre 1 Plus glorieuses �taient lesnbsp;mains de Paul chargees de ehaines, que lorsqu�elles redressaient Ienbsp;boiteux de Lystre; plus heureux lui-m�me dans la prison, qu�au troi-si�meeiel; plus glorieux dans son obscur cachot que sur un tr�nenbsp;ctincelant d�or et de pierreries. Non, non, rien n�est beau comme unenbsp;chaine port�e pour J�sus-Christ. �tre enehain� pour lui, c�est plusnbsp;que d��tre ap�tre, que d��tre docteur, que d��tre �vang�liste, quenbsp;d��tre ange 1 Oh! chaine bienheureuse, plus belle que tous les colliers,nbsp;que tous les diad�mes, que toutes les couronnes des rois, qui me don-nera de vous voir (i)! �
comm� celles de saint Pierre, dans la Basilique vaticanc. S. Gr�goire, �crivant a 1�im-p�ralrice Constance, lui dit: � De catenis quas ipse S. Paulus in collo et in manibus � geslavit, ex quibus multa miracula in populo demonstrantur, partem aliquam vobisnbsp;� transmitlerecurabo; si tarnen hanc tollorelimando pra�valuero.�/Jpisi. 1. iu,epist. 50.nbsp;� Sept anneaux de la chaine dont Ncron chargca saint Pierre, ainsi que les clefs denbsp;la Prison Mamertine, sont conserves dans Pcglise de Sainte-C�cile. La pi�t� des fid�lcsnbsp;les a orn�s de pierres pr�cieuses. Boldetti, Osservaz. etc. lib. i, c. lx, p. 513; voyez aussinbsp;Bar. Annot. ad Martijrol. 1 Aug. � ld. Annal. 1.1. an. 69, n. 30.
(i) Si quis raihi offerret totum coelum, aut illam catenam, ego illam pra�fcrrem : si quis me apud superos collocaret cum angelis, aut cum Paulo vincto, eligerem carcerem-.-
-ocr page 191-CUAMBRE DE SAINT LOUIS DE GONZAG�E. nbsp;nbsp;nbsp;187
30 MARS.
Chambre de saint Louis de Gonzague. � Adieux a saint Pierre et a saint Paul. � Portraits des deux Ap�tres. � Adieu final.
Le jour commengait a paraitre, lorsque nous arrivions a l��tage sup�rieur du coll�ge Romain. Le p�re F....... qui nous dirigeait dans les
�ombreux corridors du vaste �tablissement, s�arr�ta devant une petite porie en sapin en nous disant : C�est l�. Nous �tions sur le seuil de lanbsp;chambre de saint Louis de Gonzague. L�humble celluie que l�ange denbsp;la terre a rendue si v�n�rable par sa pr�cieuse mort, peut avoir dixnbsp;pieds de longueur sur buit de largeur. Bien que transform�e en cha-pelle, la disposition est la m�me. Au-dessus de l�autel brille le v�ritablenbsp;portrait de l'aimable saint, et je dois dire qu�il ne ressemble nullementnbsp;a ceux que nous voyons chez les marchands d�estampes. Le saint anbsp;la figure longue, le teint pfile, le nez aquilin, les pommettes saillantes,nbsp;plut�t creuses que pleines. Un certain m�lange de force et de douceurnbsp;r�pandu sur la physionomie harmonise tous les traits, et donne a lanbsp;figure un caract�re de maturit� qui juslifie l�hlsloire du jeune h�rosnbsp;Chr�tien et ces paroles de l��criture consacr�es a son �loge : Mort a lanbsp;fleur de I�llge, il avait v�cu les ann�es du vieillard : Consummatus innbsp;brevi explevit tempora multa.
Le voyageur catholique pourrait-il quitter Rome sans visiter un pareil sanctuaire? Louis de Gonzague, la fleur de la Compagnie denbsp;J�sus, est tout ensemble un des saints les plus populaires de la Villenbsp;�ternelle et le protecteur de la jeunesse cbr�tienne ; a ce double titrenbsp;gt;1 m�ritait nos adieux et nos pri�res. L�auguste sacrifice fut offert surnbsp;son autel; et des voeux ardents mont�rent vers le Ciel pour les g�n�-cations qui nous suivent, portant dans leurs mains inexp�riment�es lenbsp;flonheur et le malheur de l�avenir.
Du coll�ge Romain nous nous rendimes au Vatican. Rois de la ville �ux Sept-Monts, conquise par leur sang, gouvern�e par leur pouvoir,nbsp;bnim�e par leur esprit, dirig�e par leur assistance, ennoblie par leursnbsp;temples, sanctifi�e par leurs chaines, prot�g�e par leurs corps sacr�s,nbsp;Saint Pierre et saint Paul avaient re(!u notre premi�re visite, ils de-'�aient avoir la derni�re. En eux se r�sument, quoique d�une manicrenbsp;diff�rente, Rome pa�enne, Rome chr�tienne, Rome souterraine. Que
eiiurequidem . nbsp;nbsp;nbsp;ggj jUj catena beatius. InEpist. ad Ephes. c. iv. hoinil. vin,
P* 61-68. edit, noviss.
-ocr page 192-188 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
Ie souvenir des vainqueurs de N�ron, des fondateurs de l��glise, des chefs des martyrs reste complet dans sa m�moire, et Ie voyageur em-porte avec lui la triple Rome tont enti�re. l'rostern�s devant Timmor-telle Confession, nous offrimes aux deux Ap�tres nos derniers voeux,nbsp;les vceux de nos amis; puis, comme l�enfant salue Ie P�re bien-aim�nbsp;qu�il va quitter pour toujours, nous saluftmes ces p�res de la grandenbsp;familie catholique en empruntant les paroles d�un Saint, digne in-terpr�te de l�admiration, du respect filial et de la reconnaissance desnbsp;si�cles.
Adieu! portes du ciel, double flambeau de ce vaste univers; Paul dont la voix retentit comme Ie tonnerre, Pierre dont la main lance lanbsp;foudre du sein des nues!
Adieu, Paul, qui par la doctrine; Pierre, qui par la dignit�, brillez au-dessus de tous les chefs couronn�s de l�immortel S�nat! Adieu,nbsp;Paul qui ouvrez les cosurs, et vous, Pierre qui ouvrez Ie ciel! Adieu,nbsp;Paul qui montrez la route, et vous Pierre qui avez les clefs de la Jerusalem �ternelle!
Adieu, vous, fondement immobile, et vous, architecte du temple, o� Dieu trouve un autel digne de lui!
Adieu, citadelles de la foi, tours imprenables que Rome, maitresse du monde, oppose a tous les assauts de ses cnnemis!
Adieu, brillantes lumi�res du corps de J�sus-Christ, dont l��clat dirige les op�rations de tous les autres membres; adieu (i)!
Afin de nous rendre plus pr�sent et plus vif Ie souvenir des deux Ap�tres, nous voulumes poss�der leurs portraits. Les voici tels quenbsp;nous les avons re^us de la tradition primitive (a). Saint Pierre �tait
(1} Venant. Fortunat. lib. 111. Carm.
(2) II est facile de comprendre que les premiers chr�liens aient voulu conserver les trails de leurs p�res dans la tbi. L�hisloire nous apprend qu�ils ont realise celte volonl�nbsp;cn mille mani�res. Entre tous les p�res dont il serail facile do muiliplier les t�nioi-gnages, qu�il sulTise do citer ie grand histori�n de l��glise primitive, Euscbo, dont voici lesnbsp;paroles : � Sed quandoquidom hujus urbis (Pancades seu Ca;sarea; Philippi) monlioiiemnbsp;l'ccimtis, non incongruum l'ucrit rem quamdam memoria in primis dignam posterisnbsp;tradere. Elhnici mulierem illam sanguinis profluvio laboranlem, quam ex sacris Evan-geliis discimus a Servatorc nostro curalam 1'uisse, ex hac civitale originem Iraxissenbsp;ferunt, domumque ejus ibidem conspici, et collali in cam a Servatorc nostro beneliciinbsp;illuslria exstare monumenla. Quippe juxla januain domus illius asnea niulieris effigiesnbsp;stare dicitur, columnar lapide.'e imposita, gcnibus flexis, prolensisque manibus inslarnbsp;suppiicantis. Ex converso autera effigies viri ex eodem metallo conflala slantis acnbsp;diploidc decenter induti, manumquc mulieri porrigentis. Ad cujus pedcs in ipsa basinbsp;ignota quardam nasci dicitur planla, qu.-e ad limbriam uslt;iuc arnoa; diploidis .assurgcns,nbsp;dcpellendis omnis generis morbis prarsonlissiraiim remedium est. liane statuam Jesunbsp;Christi speciem rel'erre aicbanl. Mansit porro ad nostra usque tempora, nosque adconbsp;urbem illam ingressi ipsam conspeximus. Nee vero mirandum est, gentiles a Servatorc
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PORTRAITS DES DEt'X AP�TRES.
d�une taiHe moyenne, droite et Lien prise; il avail le teint pAle et blanc, la barbe et les cheveux touffus, crisp�s, courts et compl�tementnbsp;blancs; les yeux noirs et saillants, mais babituellement rouges i causenbsp;des larmes abondantes qu�ils r�pandaient; les sourcils relev�s et pres-que nuls; le nez long, droit et plut�t retrouss� qu�aquilin. Son v�te-nient se composait d�une tunique et d�un manteau; et quand il nenbsp;iharchait pas les pieds nus, des sandales formaient sa chaussure (i).
Saint Paul �tait petit, mince, un pen voute, et avail la t�te d�un m�diocre volume, le visage pile, annongant une vieillesse precoce; lesnbsp;yeux pleins de grSce; les sourcils abaiss�s, le nez long et aquilin; lanbsp;barbe �paisse, longue et grisonnante comme les cheveux, et la t�te unnbsp;peu chauve (2).
Ces deux portraits, qu�on peut appeler originaux, diff�rent en un point des copies si souvent reproduites par les peintres et les sculp-teurs. On nous repr�sente saint Pierre la t�te chauve, et saint Paulnbsp;avec des cheveux �pais; c�est le contraire de la r�alit�. D�ou vient cellenbsp;nostro bencficiis affectos haec prajstitisse, cum el apostolorum Petri ec Pauli, Christiqucnbsp;ipsius piclas imagines ad nostrum usque memoriam servatas in talibus viderimus.nbsp;Quippe prisci illi absque ullo discrimine ennetos de se bene racritos �en�li quadatnnbsp;Consuetudine tanquam servalores colere hujusmodi bonoribus consueverunt. Hist.nbsp;�ib. vu, c. 18. edit. Vales. � Le pinceau de saint Luc reproduisit plusieurs fois le portrait de la sainle Vierge; et les diff�rents arts mullipli�rent les ligures do saint Pierrenbsp;et de saint Paul. On trouve les deux Ap�tres sur les verres des Catacombes, sur lesnbsp;tables de marbre qui torment les loculi des martyrs, sur les dyptiques ct sur une 1'outenbsp;d�autres objets dont 1�origine touebe au berceau du christianisme. A c�l� de l'icono-�raphio marche la tradition, cette autre peinturc qui donne la vic et la couleur auxnbsp;figures, qui dccrit la personne, son visage, son v�tement, sa taille, etc. L�une ct 1�autrenbsp;Se r�unissenl pour nous donner le portrait des ApOlres.
(*) Petrus baud crassa corporis statura fuit, sed qua; aliquanto esset erectior, facie snbpallida et alba admodum, capilli capitis et barba; crispi et densi, sed non admodumnbsp;Promimentes lucre : oculi quasi sanguine respersi, nigri; supercilia prope evulsa;nbsp;nasus autem longior illequidem, non tarnen in acumen desinens, sed pressus potius,nbsp;nt simus. Nicepti. lib. 111, c. 57. � Voici un second portrait conforme au premier :nbsp;' Erat autem facie albus, pallidus, recalvaster, crinibus densis crispus, oculis promi-quot; nentibus, sanguincis, nigris, capite barbaque canus, nasum habebat longioreni, sii-� Percilia summ� retracla, statura mediocri erectiorique pra;dilus, habituquc corporisnbsp;� probe coactus.�il/enma grasca addiem xxix/��!�.�Yoyezaussi Foggiaio, Exerdt. xx,nbsp;P- 254. Baron. Annul. 1.1, an. 69, n. 51, etc.
t�) Quando enim me Galilatus ille convenit recalvaster, naso aquilo, qui terlium usque Pd ccelum per aerem ingressus est, quaeque optima et pulcherrima sunt inde dedicit.nbsp;quot;Lucian, in Philop. � Qui tricubitalis est, ct cmlum attingit. � Chrysost. Homil.nbsp;Vnneip. � Paulus autem erat parvo et contracto atque incurvo et paululumnbsp;�nttexo corpore, facie Candida, annosque plures pra; se ferente, et capite modico; oculisnbsp;jnulta iuerat gratia, supercilia deorsum versus vergebant, nasus inllexus idemquenbsp;nngior; barba densior ct satis promissa, caque non minus quam capitis coma canisnbsp;nespersa erat. � Niceph. lib. ii, c. 57. Bar. Ann, 69, n. 1-4.
-ocr page 194-^00 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS KOJIE.
erreur? Fogginio Fatlribue a l�ouvrage apocryphe qui parut au cin-qui�me si�cle, et dans lequel saint Pierre est repr�sent� Ie front d�-garni, et cela en opposition avec les monuments et les auteurs les plus anciens (i).
A cette observation pr�cieuse pour l�iconographie, il faut en ajouter une autre d�une grande importance pour la th�ologie catholique. Lors-que les deux Ap�lres sont repr�sent�s ensemble, saint Pierre occupenbsp;toujours la droite. Sauf quelques tr�s-rares exceptions dues a 1�igno-rance du peintre ou du sculpteur, cette regie est constamment obser-v�e sur tous les monuments primitifs en verre, en marbre, en terrenbsp;cuite, en bronze, en ivoire. La signification d�un pareil usage n�estnbsp;pas douteuse. Dieu a voulu que m�me, dans les plus petits d�tails, lanbsp;fid�le tradition rendit t�moignage a la suprematie de Pierre non-seu-lement sur les Ap�tres en g�n�ral, mais encore sur son plus illustrenbsp;coll�gue. Ainsi se trouve confirm�e par tous les genres de preuves,nbsp;une v�rit�, fondement de toute la hi�rarchie catholique, et qui, pournbsp;cette raison, a �t� et sera dans tous les temps l�objet des attaques lesnbsp;plus vives des scctaires et des impies (2).
II fallut enfin nous arraclier de la Basilique. Adieu done, temple auguste, qui as vu tant de fois prostern�s sur tes parvis les empereurs,nbsp;les rois, les princes, les pontifes, toutes les gloires de l�Orient et denbsp;rOccident! Adieu, colline Vaticane, antique s�jour d�un oracle men-teur, aujourd�hui demeure v�n�rable de l�oracle vivant de la v�rit�nbsp;m�me! Adieu, ob�lisque de N�ron, immortel monument de la victoirenbsp;remport�e par F�vangile sur la toute-puissante cruaul� des C�sars!nbsp;Adieu, place Immense, brillant rendez-vous des arts, terre sainte d�-tremp�e jusque dans tes entrailles du sang pr�cieux des martyrs (5)!
(1) nbsp;nbsp;nbsp;En d�crivant un yerre des calacombcs, lo savant archcologiie s�exprimc ainsi;nbsp;� Illud quoque animadvertendum maxime est, fronte calvuni esse Paulum, qualemnbsp;� pi'ofecto antiquissiraus auctor Philopatridos cum describit; � capillis autem undiquenbsp;fluentibus, brevibus lied, et circum altonsis, divum Pelruni, ut quidem fere omnes,nbsp;prseserlim vero anliquiorcs eum rcl�erunt imagines, cum quibus Nicephorus concinil,nbsp;eist Hieronymi ailate (Ilieron. in cp. ad Gal., 1. 8.), in apocrypho de Petri ilineribusnbsp;libro et Petrus calvus iuisse diccretur; undo cxorlum esse pulo, quod el calvus ali'nbsp;quando reprmsentalus sit, ut inferius eliam dicendum est. Exercit. xx. 462.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Boldetti, Osservaz. etc. lib. i, c. xxxix, p. 191; Fabretti, Inscript. Antiq. c. vni,nbsp;p. 594; Mamachi, Origin, et antiq. christ. t. v, lib. tv, c. 11, p. 475.
(5) De la vient la veneration profonde que Rome a toujours eue pour cette place. Uf jour Ie pape saint Pie V s�y promenait, lursque l�ambassadeur de Pologne lui demandanbsp;quelques reliques pour envoyer a sa patrio. Pour toute reponse, Ie pape s�inclina, pritnbsp;une poignce de cette terre, la mil dans un mouchoir, et la donnant a l�ambassadeur,nbsp;il lui dit: � Portez cette terre en Pologne, c�est une pr�cieuse relique; il u�y a pas unenbsp;jtartie de cette place qui n�ait �te tremp�e du sang des martyrs : � Nullam esse ibi vol
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Adieu, Rome, cil� sans �gale, th�atre de tous les grands �v�neraents, royst�rieuse soudure des deux mondes (i), reine de la force et reine denbsp;1�amour, reine des arts el reine de la foi, m�re et maitresse de toulesnbsp;les �glises; qui, du liaut de vos royales collines, illuminez les quatrenbsp;coins du globe et entretenez l�ordre et la vie dans Ie monde des intelligences, comrae Ie soleil, du bant du ciel, �claire toute la nature etnbsp;ttiaintient rharmonie parmi les astres du firmament!
Que d�autres louent votre antique origine, la puissance de vos ar-H�es, la gloire de vos triomphes, la magnificence de vos �difices, la niultitude de vos richesses, la beaut� de vos chefs-d�ceuvre, la majest�nbsp;de vos ruines; pour moi, je vous loue paree que vous �tes la colonnenbsp;de la v�rit�, Ie boulevard de la foi, la bienfaitrice des peuples, lanbsp;source de leur civilisation, la sauvegarde de leur libert�, la boussolenbsp;de l�humanit�, Ie d�pot de tous ses litres de noblesse, l�asile de toutesnbsp;les infortunes, la gardienne respectueuse de toutes les ruines vivantesnbsp;OU mortes, la patrie de tout ce qui croit, de tout ce qui aime, la tombenbsp;myst�rieuse de trois millions de martyrs, Ie reliquaire �lincelant o�nbsp;ceposent les deux plus grandes gloires du monde, Pierre et Paul.nbsp;Heureuse de les poss�der, plus heureuse de les rendre un jour au ciel.nbsp;Sous les yeux des anges et des hommes, quel spectacle vous pr�sente-cez dans ce grand jour, Ie dernier du temps et Ie premier de P�-lernit�!
Du sein de vos catacombes, immense tombeau que prot�g� votre siuour maternel, du sein de cette chasse glorieuse qu�abrilent lesnbsp;'�o�tes dor�es du premier temple de Punivers, on verra sortir, res-Plendissants de lumi�re, Pierre et Paul suivis d�un peuple de h�ros,nbsp;et tous ensemble, les mains orn�es des palmes de la victoire, s�en allernbsp;^ la rencontre du souverain Juge. Quelle rose, quelle couronne vousnbsp;ctiverrez au Christ vainqueur! Plus belle alors mille fois qu�aux joursnbsp;^0 Vos triomphes, la terre et les cieux uniront leurs voix pour vousnbsp;Pcoclamer encore la reine des cit�s ; voila pourquoi je vous loue (2).
De
�inimam soli partem, qu:c sacro martyrum sanguine non esset imbiita et consecrata.� � retour chez lui, l�ambassadeur ouvre Ie mouchoir, et trouve a sa grande admirationnbsp;*oute cette terre chang�e en une masse de sang. Vita di S. I�io da Gabiizio, etc.; Con-t. n, p. 80.
(gt;) Terrarum Dca gentiumque Roma, cui per est nihil, et nihil secundum. Mart. ^P�gram.
(*) Ego Romam propterea diligo... ob id illam beatam pr.-cdico, quod erga illos Paulus �n viveret adeo 1'uit benevolus, adeo illos amavit, coram dissoruit, et postremo vitamnbsp;gj cos fiuivii. Unde et civitas ista hinc facta est insignis plusquam a reliquis omnibus,nbsp;.'*'^.�'��^o'odum corpus magnum ac validum duos habet oculos illustres, sanctorumnbsp;toet illorum corpora. Non ita coelum splendescil quando radios suos sol ex sesc
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Et paree que vous �tes ma m�re, la m�re de nies a�eux, de mes fr�res et de mes soeurs dans la foi, si recul� que soit Ie si�cle, si �loign� quenbsp;soit Ie climat o� ils aient v�cu, je vous aime, je vous b�nis, je vous re-grette : comme gage �ternel de ma reconnaissance, de mon respect etnbsp;de ma pi�t� filiale, recevez ce dernier adieu.
31 MARS.
Depart de Rome. � Civila-Castellana. � Souvenir de Macdonald. � Olricoli. �Narni.
� nbsp;nbsp;nbsp;Cath�drale. � Tombeau de saint Cassius. � Souvenir de l�empereur Nerva.�nbsp;�erni. � Souvenir de Tacite. � Combat du g�ncral Lemoine. � Martyrs. � Cascadenbsp;delle Marmore. � La Somma.� Spoletle.�Souvenirs pa�ens et chretiens. � Foligno.
� nbsp;nbsp;nbsp;Casa-Pia. � Cath�drale. � Le saint martyr F�licien.
Accompagn�s de quelques amis, nous descendiraes sur la place de Monte-Citorio o� la voiture nous attendait. Tout le monde �tait tristenbsp;et silencieux; car, en tout pays, rien ne ressemble plus ii un enterre-ment qu�un d�part. A Rome c�est presque la m�me ebose; et je ne saisnbsp;si j�aurais pris place dans le fatal v�bicule sans la fiche d�esp�rancenbsp;que je me donnai en disant : Tu reviendras! Sortis par la porte dunbsp;Peuple, nous traversftmes rapidement le desert, et bienl�t nous tou-chames ii Civita Castellana. Sous ce nom moderne, reconnaissez Tan-tique Falisca, tant de fois mentionn�e dans l�hisloire primitive denbsp;Rome. Entour�e de ravins profonds, couverts d�arbustes, cette petitenbsp;ville offre un coup d�oeil tr�s-recherch� des artistes. Le pont de cin-quante m�tres d��l�vation, jet� sur le Rio-Maggiore, anitne le passagenbsp;que compl�tent les hautes murailles de la citadelle. Comme Falisque,nbsp;Civita Castellana est une des clefs de Rome. De l�, le triste privilegenbsp;d�avoir vu souvent, depuis son origine, ses foss�s jonch�s de cadavresnbsp;et ses remparts inond�s de sang. Le dernier spectacle de ce genre remonte au 4 d�cembre 1798, alors que Macdonald, a la t�te de buitnbsp;mille Francais, taillait en pieces quarante mille Napolitains comman-d�s par le g�n�ral Mack.
Otricoli, l�ancien Ocriculum, situ� sur une gracieuse colline, vint dimittit, quemadmodum Romanorum urbs duas illas lampados ubique terrarum effun-
dens. Hincrapietur Paulus,hincPetrus: considcrateethorrete, qualespectaculumvisura
sit Roma, Paulum videlicet repente ex tlieca illa cum Petro resurgentem in occursum Domini sursum ferri. Qualem rosam Christo mittet Roma! qualibus coronis duabusnbsp;ornatur urbs ista! qualibus catenis aureis cincta est! quales habet ibnles! Proplercanbsp;celcbro hanc urbem, non propter copiam auri, non propter columnas, neque propternbsp;aliam phantasiam, sed propter columnas illas Ecclesise. � D. Chrys. In episl. ad Hom-Homil. 32.
1
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Pnsuite animer la solitude de la vall�e et eouper Ia monotonie de Ia Le pont F�lix, jet� sur Ie Tibre a une petite distance, rappellenbsp;1 �clatante -victoire remport�e, en 1799, par les Francais sur les troupes napolitaines.
Narni, la Narnia des Remains, est encore une forte position. Nous Pumes visiter le pont de la N�ra, construit suivant la tradition parnbsp;1�enipereur Auguste, et la cath�drale dont la crypte offre un grandnbsp;int�r�t. Pr�ch� dans l�Ombrie par les Ap�tres en personne ou parnbsp;Jeurs envoy�s, le christianisme y fut conserv� par une longue succession de martyrs et de ponlifes (i). Au nombre de ces derniers, Narninbsp;eot le bonheur de compter saint Cassius qui fleurit sous Justinien.nbsp;Apr�s viugt et un ans neuf mois dix jours d��piscopat, le glorieuxnbsp;Pontife descendit dans la tombe qu�il s��tait lui-m�me pr�par�e ; cettenbsp;lombe est k l�entr�e de la crypte. On y remarque au milieu une grandenbsp;oi'oix, et, aux deux extr�mit�s, deux anges en relief qui se regardent;nbsp;dans le champ on lit 1�inscription suivante, attribu�e au Saint lui-
ni�me :
Cassius immerito prssul de munere Cbrisli,
Hic sua rcsliluo terra; mihi credita membra ;
Quum fato anticipans censors dulcissima vita;.
Ante meum in pace rcquiescit Fausta sepulorum.
Tu, rogo, quisquis ades, prece nes memorare benigna,
Cuncta receplurum le noscens congrua faclis.
Narni donna le jour a l�empereur Nerva; mais aucun monument ne *'3ppelle le souvenir du maitre du monde. N�anmoins le voyageurnbsp;��lbolique ne saurait voir la patrie de ce bon prince sans lui offrir unnbsp;'Obut de reconnaissance. C�est lui qui fit cesser le veuvage de l��glisenbsp;d �ph�se et qui combla de joie tous les chr�tiens, en rappelant lenbsp;disciple bien-aim� de File de Pathmos o� le cruel Diocl�tien l�avaitnbsp;''^'�gu�.
�iontinuant a suivre les bords de la N�ra, bord�s, d�un c�l�, par des Piaines couvertes d�oliviers, et de l�autre, par les sommets bois�s desnbsp;^Pennins sur lesquels s��tagent de blanches habitations, nous arri-'Jlnies h Terni, petite ville charmante. L�antique Interamna fut lenbsp;i'orceau de Tacite l�historien, et de l�empereur du m�me nom : telsnbsp;aont, avec des inscriptions nombreuses et les ruines d�un th�iitre, sesnbsp;Patres de gloire humaine. En 1797 le sang frangais coula sous ses mu-�adles, m�l� a celui des Napolitains dont le g�n�ral Lemoine fit un
Ugbelli, Italia sacra, t. i, p. 1007; Papebrock, t. i, act. 35 mensis Maii, I � Jacobelli, dell� Umbria edit. an. 1647.
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grand carnage. Aux chr�tiens Terni rappelle d�autres souvenirs : c�est ici que la jeune vierge Agapia, que les saints �v�ques Proculus etnbsp;Valentinus, avec leurs disciples Ephebus et Apollonius, cueillirent lanbsp;palme glorieuse du martyre, et pour jamais d�livr�rent leurs conci-toyens du joug de I�idolatrie. L�heure et la rapidite de notre passagenbsp;ne nous permirent point de v�n�rer leurs reliques, ni de visiter la fa-meuse cascade delle Marmore, b deux lieues de la ville. Cette cataracte,nbsp;une des plus belles du monde et faite de main d�bomrae, est form�enbsp;par le Velino, qui se pr�cipite de trois cent trente-deux pieds de hauteur dans la N�ra.
Au sortie de Terni, on entre dans les gorges de la Somma, ebaine ardue qui pr�sente les beaut�s grandioses de la nature sauvage. Trai-n�s par buit bmufs gris aux longues comes, nous franchimes lente-ment cet affreux coupe-gorge, qui d�bouebe enfin dans la belle vall�enbsp;de Spolette. Vicissitudes des cboses bumaines! Ces paisibles quadru-p�des, qui, de concert avec les cbevaux harasses de la diligence, ha-laient d�obscurs voyageurs, �taient les descendants des grandes victi-mes, honor�es du privil�ge de conduire aux temples des dieux lesnbsp;triomphateurs remains. Le Clitumne, gracieuse rivi�re sur les herdsnbsp;de laquelle paissaient leurs a�eux, arrose encore les d�licieuses prairiesnbsp;de Spolette; les palurages sont les m�mes; la couleur, la forme, la racenbsp;des animaux qui s�en nourrissent, sont toujours ce qu�elles furent; lanbsp;destination seule a chang�.
Hitic albi, Clitumne, greges, et maxima taurus
�yictima, smpe tuo perfusi flumine sacro,
Romanos ad templa deiirn duxere triumphos.
Une pente douce, plant�e de petits arbres verts, nous conduisit a ce faraeux aqueduc, un des plus hauts de I�Europe, sur lequel passe unnbsp;pont fort �troit. Est-ce une main romaine ou une main lombarde quinbsp;a jet� ce monument sur la profondeur du vallon? La science b�site inbsp;r�pondre. Quoi qu�il en soit, I�aqueduc aboutit b Monte-Luco, gracieuse montagne habit�e par des religieux, et couronn�e par une tournbsp;et un raonast�re du dixi�me si�cle. Spolette, largement assise sur unnbsp;terrain in�gal, compte environ sept mille ftmes de population, quelquesnbsp;palais remarquables et plusieurs �glises dignes de toute I�attention dunbsp;voyageur chr�tien. L�arc de triomphe, appel� Porte d�Annibal, rap-pelle aux g�n�rations un fait qui rendit Spolette c�l�bre dans This-loire et chere aux Romains. Encourag� par la r�cente victoire de Tra-sira�ne, Annibal vint metlre le si�ge devant cette ville. Les habitants
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se d�fendirent avec vigueur, et oblig�rent Ie g�n�ral carthaginois it s �loigner, apr�s avoir subi Ie premier �chec qu�il eut re^u en Itali�.nbsp;D�autres monuments perp�tuent Ie souvenir d�un triomphe plus glo-i'ieux. Le temple de la Concorde it l��glise du Crucifix; les ruines dunbsp;temple de Jupiter au couvent de Saint-Andr�; celles du temple denbsp;Mars a T�glise de Saint-Julien, attestent la grande victoire remport�enbsp;�ci comme ailleurs par le christianisme naissant (i). Mais cette victoire,nbsp;fiuel noble sang elle a cout�, et comment passer it Spolette sans luinbsp;rendre hommage?
L�an 175, toute la ville �tait en mouvement; on conduisait un martyr au pr�toire, d�o� il devait passer au supplier. Le juge Lattend as-sis sur son tribunal, entour� par les licteurs. L�accus� s�appelle Pontius; le juge, Fabien. L�interrogatoire est court et brutal. Es-tu Chr�tien? � Oui. � Sacrifie. � Non. � Qu�on le frappe de verges;nbsp;et le corps du martyr n�est plus qu�une plaie. � Cesseras-tu d�atta-fiuer les dieux de l�empire? � Non. � Qu�on le fasse marcher nu-pieds sur des charbons ardents; et le saint y marche sans souffrir,nbsp;comme sur un vert gazon. � Respecte la religion des anc�tres. � C�estnbsp;une fable honteuse. � Qu�on l��tende sur le chevalet; et le martyrnbsp;est �tendu avec des cordes pass�es dans des poulies et serr�es par unnbsp;double tour. � Sacrifie. � Je ne sacrifierai pas; et on lui d�chire lesnbsp;c�tes avec des ongles de fer, et il ne meurt pas; et le juge vaincu cachenbsp;sa bonte en envoyant le h�ros au fond d�un cachot obscur, o� les angesnbsp;�clatants de lumi�re vieiinent le consoler.
Le jour a reparu; Fabien veut que le soleil t�moin de sa d�faile fi�bler �claire son triomphe d�aujourd�hui. Plus mena^ant que la veille,nbsp;fi monte sur son tribunal; le peuple est plus nombreux, plus avide dunbsp;�irame sanglant. Voici la victime. � Sacrifie. � Non. � Qu�on 1�ex-Pose aux lions; et de longs rugissements se font entendre, par lesquelsnbsp;^cs rois des animaux saluent le vainqueur des d�mons et des C�sars.
juge ressaisit la victime et l�inonde de plomb fondu. Yains sup-P�ces! Alors le glaive du confecteur consomme I�holocauste. Le martyr est mort, mais il a vaincu. Jupiter, tes temples sont �branl�s; juge, puissance est tomb�e dans le m�pris; licteurs, vos faisceaux sontnbsp;^cis�s; confecteurs, votre hache et votre glaive sont �mouss�s; encorenbsp;fioelques coups, et ils seront hors de service, ils �chapperont de vosnbsp;*^^ins, et le fils et les filles des vic�mcs les recueilleronl pr�cieuse-*oent. Longtemps apr�s que vous ne serez plus, ils les montreront aux 1
tielle
storie sacre di Spolet. lib. iv, p. 103.
Voyez Ughclli, Dc Orig. christ. Relig. Spolcti, t. i, p. 1230; ot l'erdin. Campclli,
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voyageurs comme un double monument de votre impuissante cruaut� et du courage victorieux de leurs nobles anc�tres (i).
Au milieu de supplices non moins atroces, moururent, pour ci-menter Ie christianisme a Spoletle, Ie pr�tre Concordius, les �v�ques F�lix et Sabinus, les simples fid�ies Exup�rance, Mareel, Venustius, sanbsp;femme et ses enfants. Du fond des autels �tincelants d�or et de marbre,nbsp;o� les honore une pi�t� quinze fois s�culaire, les martyrs continuenl denbsp;veiller sur la cit� qu�ils ont conquise. Les touristes passent admirateursnbsp;de la porte d�Annibal, mais ignorants ou d�daigneux de ces monumentsnbsp;augustes, qui rappellent un fait bien autrement c�l�bre que la d�faitenbsp;du g�n�ral carthaginois! Ainsi on voyage quand on n�a qu�un ceil.
Au-deli de Spolette, voici les vene qui nous olfrent Ie temple con-sacr� jadis au fleuve Clitumne, et aujourd�hui ehang� en oratoire sans perdre son nom primitif. Enfin nous arrivons � Foligno. Lenbsp;Fulgium des Romains est aujourd�hui une petite ville coquette, gra-cieuseraenl assise dans la riante vall�e de l�Ombrie, et arros�e par lenbsp;Clitumne, le Lapino et la Maroggia. Elle olfre ^ la curiosit� du voyageurnbsp;sa Casa Pia, tr�s-bel �tablissement destin� i recueillir les petitesnbsp;filles errantes, et sa majestueuse calb�drale �pargn�e par le tremble-ment de terre de 1832; ses �glises des Franciscains et des Augustins,nbsp;ainsi que le couvent des Comtesses o� se trouvait, avant d��tre trans-port�e a Rome, la fameuse madone di Foligno.
Ici encore nous continuous ii suivre l��glise primitive a la trace de son sang. Le rayonnement de la v�rit�, dont le foyer �tait a Rome, senbsp;fit sentir a Foligno d�s les temps apostoliques. L�an 192, le papenbsp;Victor y envoyait un �v�que pour prendre soin de cette chr�tient�nbsp;naissante, c�est-a-dire un berger qui devait d�fendre au prix de sonnbsp;sang les agneaux nouvellement n�s dans la divine bergerie : eet �v�que se nommait F�lieien. Apr�s onze ann�es de labeur, le saint pr�latnbsp;devint un glorieux martyr. En 1�immolant a son aveugle cruaut�,nbsp;Septime S�v�re put se flatter d�avoir al�ermi la foi du jeune troupeau.nbsp;Le sang du Pontife sera un grain de semence; et de ce grain r�uni anbsp;tant d�autres, sortira une moisson que les maitres du monde tente-ront vainement d�an�antir. Nous nous consolames de ne pouvoir ho-norer ses rellques, en pensant que la France avait le bonheur de lesnbsp;poss�der. Elles furent transport�es a Metz en 369, par l��v�que Th�o-doric, sous le r�gne de l�empereur Othon.
(i) Bar. An. 175, n. vu, in Annot. ad Martyr. 19 Jan. � C�est a 1�amphith�atre que le peuple, ivre du sang des gladialeurs, demanda des chr�liens pour viclimes : ses veeuxnbsp;i'urent des ordres : ce fut le commencemenl de la persecution � Spolette. Voycz Bosio,nbsp;Rom, Subter., 1.1, p. 125.
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1quot; AVRIL.
Saint Francois d�Assise. � Spello. � Sainte-Marie-des-Anges. � Indulgence de la
Porziuncula. � Fete. � Assise. � �glise et convent de saint Francois d�.Assise. �
Retour a Foligno.
Nous �tions Irop pr�s d�Assise, pour ne pas visiter ce paradis de rApennin, cel �den du moyen Sge, d�ou sortit un des hommes lesnbsp;plus merveilleux que la Providence ait jamais employ� � la r�g�n�ra-tion du monde : j�ai nomm� saint Francois d�Assise. Six cents ans senbsp;sent �coul�s depuis I�apparition du S�raphique; et comme un douxnbsp;parfum, son souvenir embaume encore toutes ces vall�es, ces monta-gnes, ces villes, ces villages, ces solitudes de I�Ombrie. Quand on estnbsp;sur la route qu�il a tant de fois parcourue, nu-pieds, la corde � lanbsp;ceinture et la bure grossi�re sur Ie corps, il semble entendre les �chosnbsp;d�alentour r�p�ter les paroles qui furenl adress�es au nouveau chevalier de J�sus-Christ, a l��poux de la sainte pauvret�, au futur soutien de l��glise chancelante. C��tait dans une des premi�res ann�esnbsp;du treizi�me si�cle, si f�cond en miracles de saintet�, de g�nie, d�h�-ro�sme; Frangois se promenait en m�ditant dans la campagne, et son-geait � s�enr�ler dans les troupes de Gautier de Brienne qui marchaitnbsp;contre Naples. Tout � coup il entend une voix qui lui crie : � Francois,nbsp;que fais-tu? Va, et r�pare ma maisqn, qui, comme tu vois, tombe ennbsp;ruine (i). � Francois tombe a genoux; mais' son humilit� Femp�chantnbsp;de comprendre la sublime port�e de ces divines paroles, il les prendnbsp;dans un sens mat�riel. II part aussit�t pour Foligno, y vend jusqu��nbsp;son cheval et en apporte Ie prix au pr�tre Pierre, gardien de la vieiJlenbsp;%lise de Saint-Damien, en Ie conjurant de l�employer ^ la restaura-�^ion de son �glise. Nous �tions aux lieux m�mes o� tout cela se passait.
D�j� nous arrivions a Spello, distant de quatre kilom�tres de Foli-SRo. Cette petite ville, toute reraplie d�antiquit�s romaines, put nous spr�ter un instant, mais sans nous distraire de la pens�e qui nousnbsp;pP�occupait.
l^ient�t nous d�couvrimes au milieu de la plaine une magnifique �glise et un vaste monast�re, dont les proportions grandioses et puresnbsp;^appellent Le Bramante et Vignola. C�est Notre-Dame-des-Anges, nonnbsp;plus humble et pauvre, mais rev�tue d�un manteau de reine. Sous le 1
Corporeis audivit auribus ter dicentem: a Francisce,vade, et r�para domura meatn, u�, ut cernis, lota destruitur. � S. Bonavent. Fila S. Fr, c. ii.
T. UI. nbsp;nbsp;nbsp;9
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grand d�rae, on relrouve la merveilleuse, la ch�re Porziuncula, encore toute parfum�e de la pr�sence de Francois. C�est 1amp; oil il a prie, oil ilnbsp;a pleure, oil il a regu de Dieu la grace de fonder un grand ordre dansnbsp;l��glise. En v�rit�, ce lieu est saint! Toutes les g�n�rations y ontnbsp;pass�, et elles ont senti dcscendre sur elles la force, la r�signation,nbsp;l�esp�rance. Notre-Seigneur Jesus I�avait promis a son serviteur Francois, et sa parole est �ternelle (i). Conime son nom I�indique, la Porziuncula n��tait, dans I�origine, qu�une petite eglise, ou plut�t unenbsp;portion d��glise. Sur les instances de l��v�que d�Assise, elle fut donn�enbsp;en aum�ne a saint Frangois et a sa Congr�gation naissante par l�abb�nbsp;des B�n�diclins de Monte-Subazio. Elle est aujourd�hui un des plusnbsp;magnifiques temples et un des plus v�n�rables sanctuaires de l�Italie.nbsp;Sa gloire lui vient de la vision de saint Frangois, que Ie pinceau d�0-werbeck a reproduite dans une frcsque, chef-d�oeuvre de la renaissance catholique de Tart.
Or, telle fut la vision. Au mois d�octobre de Fan 1221, Francois, prostern� dans sa celluie, priait Dieu avec larmes pour la conversionnbsp;des p�cheurs, lorsqu�il fut averti par un ange d�aller a l��glise. II ynbsp;trouva Notre-Seigneur, sa tr�s-sainte M�re et une multitude d�espritsnbsp;c�lestes. � Francois, lui dit Ie Sauveur, vous et vos fr�res avez unnbsp;grand z�le pour Ie salut des ames; vous avez �t� plac� comme unnbsp;flambeau dans Ie monde, et Ie soutien de V�glise. Demandez done cenbsp;que vous voudrez pour Ie bien des peoples, et pour ma gloire. �nbsp;Francois demanda pour tous ceux qui visiteraient cette �glise, unenbsp;indulgence pi�ni�re de leurs p�ch�s, apr�s s�en �tre confess�s et re-pentis. La M�re des mis�ricordes s�inclina vers son Fils, qui r�ponditnbsp;� Francois : lt;f Je vous accorde ce que vous demandez; mais que celanbsp;soit ratifi� sur la terre par celui a qui j�ai donn� Ie pouvoir de liernbsp;et de d�lier. � Le lendemain, Francois partit pour P�rouse o� �tait Ienbsp;pape Honorius III, auquel il demanda l�indulgence. Le Pape lui dit :nbsp;� Francois, vous demandez quelque chose de grand et tout k faitnbsp;contre l�usage. � Saint-P�re, r�pondit Francois, je ne vous le de-mande pas en inon nom, mais au nom de J�sus-Christ qui m�a en-envoy�. � Qu�il soit fait selon votre d�sir, dit le Pape; cette indulgence sera pour tous les ans a perp�tuit�, mais seulement pendant unnbsp;jour. � Deux ans apr�s, Notre-Seigneur daigna fixer lui-m�me le journbsp;de l�indulgence, et dit a Francois : � Ce sera depuis le soir du journbsp;o� l�ap�tre saint Pierre se trouva d�livr� de ses liens jusqu�au soir du
(gt;) Vie de S. Franfois, par M. Chavin, c. xi, p. 180.
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lendemain (i). � Et les choeurs des anges chant�rent Ie Te Deunt. Francois partit pour Rome : un rairaele �clatant confirma l�indul-gence au jour indiqu�.
Depuis six cent vingt ans, toutes les populations de l�Ilalie et de nombreux p�lerins de toutes les parties de l�Europe et du monde sontnbsp;accourus � cette f�te de mis�ricorde et de grftce. Nous ne p�mes ennbsp;�tre t�moins nous-m�mes; plus heureux un voyogeur catholique vanbsp;nous pr�ter ses yeux et sa plume, et dire ce qu�il a vu, ce qui se voitnbsp;encore chaque ann�e malgr� Tindiff�rence qui glace Ie monde. � Quelnbsp;spectacle que ces troupes de quinze mille, vingt mille p�lerins, arri-vant de toutes les parties du monde, et campant dans la plaine deux ounbsp;trois jours avant l�heure sainte! Bien des peuples ne sont plus que fai-lilement repr�sent�s � ce saint rendez-vous d�indulgence, o� l�on comp-tait jadis cent mille personnes; mais les Italiens y sont rest�s fid�les.
� C�est la qu�il faut les voir avec leurs costumes si gracieux et si va-ri�s. Ce sont les paysans de la Toscane, les plus propres, les plus �l�gants de tous, surtout les femmes avec leur v�tement court, toujours lgt;Ieu OU �carlate, sans manches, leurs cheveux ordinaireraent blonds,nbsp;natt�s en rond derri�re la t�te, leurs chapeaux de paille, et les longuesnbsp;touffes de rubans de diverses couleurs qui flottent autour d�elles. Cenbsp;sont les montagnards de l�Ombrie et des Abruzzes avec leurs brayesnbsp;serr�es, leur justaucorps gris, leurs larges chapeaux, et cette chaus-sure de grosse toile et de cuir li�s avec des cordelettes; les femmesnbsp;avec leur coiffure si riche, quoique grossi�re et simple, en toile blan-clie ou de couleur, leur corset de velours vert ou rouge bord� de noir;nbsp;leurs jupes larges ii mille plis, et leur mantelette, longue piece de drapnbsp;nrdinairement rouge ou bleu, bord�e de quelque couleur voyante, etnbsp;'lont elles se drapent d�une mani�re pittoresque. C�est la dans cettenbsp;grande f�te populaire que Ie peuple Italien apparait r�ellement peuple-*�oi, roi de la grace, de la po�sie, de l�art; cette royaut� vaut toutes lesnbsp;�ntres.
� Tout Ie long de la route de P�rouse h Spolette, plusieurs milles, *1�* marchands dressent leurs boutiques; on y vend des vivres, desnbsp;stoffes et surtout des chapelets, des m�dailles et autres petits objelsnbsp;*l�d�votion; chacun veut emporter un souvenir, un gage qui doitnbsp;charmer les embrassements du retour.
� La journ�e est ordinairement consacr�e a visiter la Basilique d�As-
, (gt;) Volo quod sit dies illa, in qua bcatus Petrus fuit a vinculis absolulus; incipiendu a secundis vesperis illius dici, usque ad vesperas sequentis diei includendo noctem. �nbsp;Barth, de Pise,fol. 198.
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sise, Ie tombeau de sainte Claire, Saint-Damien, tous les sancluaires v�n�r�s de ce paradis de l�Apennin; mais les bandes pieuses, en chan-tanl des cantiques, aiment surlout a aller prier dans Fhumble et tr�s-ancienne chapelle delle Carceri, solitude ch�rie de saint Francois. Lenbsp;soir, apr�s que chacuu a pris son repas en familie, car il y a des families enti�res, ou avec des compagnons de route, les uns se reposentnbsp;de leur voyage, les autres racontent d��difiantes histoires, quelques-uns chantent en. s�accompagnant d�instruments de leur pays. Sous cenbsp;ciel d�Italie, pendant ces nuits d��l� si sereines, les anges descendentnbsp;sur la terre et recueillent, pour les pr�senter a Dieu, toutes ces joiesnbsp;confiantes et ces douleurs r�sign�es. Les portes de l��glise restentnbsp;toujours ouvertes, et plus de trente confesseurs sont occup�s a pansernbsp;et a gu�rir les blessures de Fame.
� L�int�rieur du couvent pr�sente Faspect d�un grand caravans�rail, o� se serait arr�t�e une nombreuse caravane. Tous les bons paysansnbsp;des environs, qui, plus d�une fois, ont accueilli le fr�re qu�teur, descendent de leurs montagnes et viennent demander k leur tour unenbsp;bospitalit� qu�ils n�ont janiais refus�e. D�ailleurs le couvent est parnbsp;excellence la maison du peuple; il s�y �tablit comme chez lui. Dans lanbsp;cour il met son 4ne, son cheval; il se couche tranquillement dans lesnbsp;corridors, dans les cloitres et sur les marches des escaliers.
� Cependant Ia cloche du Sagro-Convento donne le signa! solennel que la journ�e du pardon s�ouvre dans le ciel et sur la terre. Tous lesnbsp;religieux de Saint-Frangois d�filent en longues processions sur la routenbsp;d�Assise; F�v�que suit avec le clerg�, tous les grands personnages ec-cl�siastiques et les maglstrats. Les portes de INotre-Dame-des-Angesnbsp;s�ouvrent avec c�r�monie, et le peuple s�y pr�cipite avec une passion,nbsp;un d�lire dont il est difficile de se faire une id��. Ce sont des invocations, des cantiques, des larmes : chacun a sa mani�re t�moigne �nbsp;Marie, reine des anges et des hommes, son amour, son respect, sa reconnaissance : il est impossible de n��tre pas profond�ment �mu d�unnbsp;pareil spectacle (i). �
Assise nous offrit a chaque pas les souvenirs de saint Francois. Nous visitames successivement F�glise etle monast�re de Sainte-Claire, premi�re abbesse des Clarisses, et dont le corps repose sous le maitrenbsp;autel, entour� des fresques de Giotto; Saint-Damien, o� nous vimesnbsp;la porte mur�e de laquelle sainte Claire, arm�e du Saint-Sacrement,nbsp;repoussa les Sarrasins d�j� maitres de la ville; le couvent et la doublenbsp;�glise de Saint-Frangois.
(0 Vie de S. Francois, c. xi, passim.
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A notre grand d�plaisir, nous ne pumes donner qu�un rapidecoup d�oeil a celte perle de I�Ualie; car c�est ici le chef-d�oeuvre de I�ecolenbsp;Ombrienne et le veritable sanctuaire de Tart catbolique. Le conventnbsp;avec ses merveilleux cloitres, et son r�fectoire, le plus .superbe des r�-fectoires, r�pond, par ses proportions et par ses fresquesd�Adone Doninbsp;et de Solim�ne, amp; la magnificence de I�eglise. L��glise elle-m�me estnbsp;une �pop�e qui retrace la vie du Saint dans sa double phase du tempsnbsp;et de T�ternit�. L��glise inf�rieure, image de Frangois sur la terre,nbsp;respire la tristesse, la pauvret� et la p�nitence. Aux compartimentsnbsp;de la voute du transept, vous voyez les ins�parables compagnes ou,nbsp;pour mieux dire, la personnification du glorieux patriarche : c�est lanbsp;sainte pauvret�, la sainte ob�issance, la sainte chastete, et plus haul lanbsp;glorification de Francois, assis sur un trone d�or, rayonnant de lu-nai�re, rev�tu de la riche tunique de diacre, et entour� des choeursnbsp;ang�liques qui c�l�brent son triompbe. L�oeil admire ceschefs-d�oeuvre,nbsp;le coeur prie devant ces figures, et I�esprit demande quel est I�auteurnbsp;de ces pages inspir�es.
En 1250, le patriarche de la peinlure, Cimabue, �tait 6 Assise, poignant les grandes figures byzantines de l��glise sup�rieure. Or, un jour se promcnanl dans la campagne de Vespigniano, il trouva unnbsp;pauvre petit berger qui dessinait sur une pierre plate une brebis donbsp;son troupeau : c��tait le roi futur de Fart catbolique; il s�appellenbsp;Giotto. Dans la pl�nitude de son inimitable talent, il a peint, avec unnbsp;amour filial, les grandes figures devant lesquelles six si�cles sent resl�snbsp;l�uets d�admiration. De son c�t�, Giottino, sup�rieur peut-�tre anbsp;Giotto pour la forme, I�harmonie et le sentiment, a d�pos� le tributnbsp;de son g�nie dans I�histoire de Notre-Seigneur et de la tr�s-saintenbsp;Vierge, qui d�core la crois�e droite de l��glise inf�rieure. Stefanonbsp;Piorentino, Puccio Capanna, Buonnamico, Bulfalmacco et bien d�au-tres sent venus �crire quelques lignes de ce grand po�me. L�un d�euxnbsp;�xprimait ainsi la pens�e de tous ; �.Nous autres peintres, en travail-^3nt dans ce sanctuaire des beaux-arts, nous ne nous occupons d�autrenbsp;�bose que de faire des saints et des saintes sur les murs et sur les au-I'^ls, afin que par ce moyen les hommes, au grand d�pit des d�mons,nbsp;�oient plus port�s i la vertu et i la pi�t�. � A la bonne heure; voilanbsp;artistes qui comprennent leur mission, la mission du g�nie.
L��glise sup�rieure, brillante, lumineuse, image de Francois dans splendeurs de l��ternit�, forme un habile contraste avec l��glisenbsp;inf�rieure. Cimabue y peignit les quatre docteurs, saint Ambroise,nbsp;Saint Augustin, saint Gr�goire et saint J�r�me, el les grandes fresques
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de I'Aneiou et du Nouveau Testament : on allribue � Marp;arilone les gigantesques figures qui ornent les c�t�s d�une fen�tre. L�ami, Ie con-disciple de Raphael, Aluigi d�Assise, que son merveilleux talent fitnbsp;surnommer VIngegno, l�esprit, suspendil aux voutes de la chapelle denbsp;saint Louis, les iniinitables groupes des quatre Sibylles et des quatrenbsp;Proph�tes.
L��glise elle-m�me, premier monument gothique de ITtalie, respire Ie symbolisme profond des temples du Nord. Elle est double, nous ennbsp;savons la raison mysl�rieuse; b�tie sur Ie mod�le de la croix, elle offrenbsp;de plus, dans sa partie inf�rieure, la figure myst�rieuse du Tau, im-prim� sur Ie front de saint Francois; d�di�e a Marie, Reine des Anges,nbsp;et aux saints Ap�tres, elle a ses murs de marbre blanc, pour signifiernbsp;la puret� de Marie et des anges, et ses douze tourelles de marbre rougenbsp;en m�moire du sang r�pandu des Ap�tres (i).
Apr�s nous �tre prostern�s � l�imitation de tant de millions de p�le-rins devant Ie tombeau de saint Francois, Ie plus glorieux apr�s celui du Calvaire, dit un histori�n, nous nous rendimes au lieu m�me oiinbsp;naquit eet homme unique dans les annales du monde. Comme Ie divinnbsp;Maitre dont il devait �tre un si parfait imitateur, Francois vit Ie journbsp;dans une �table et fut d�pos� sur la paille. Au-dessus de la porte denbsp;ce lieu v�n�rable, on lit;
Hoc oratorium fuit bovis et asini stabulum In quo natu� est Franciscus niUnJi speculum.
Des hauteurs d�Assise nous salu�mes dans Ie lointain P�rouse et ses monuments �trusques; Ie lac de Trasim�ne et Annibal vainqueur, etnbsp;Flaminius vaincu; el les cimes �lanc�es de l�Apennin, avec leur ermitage de Camaldoli et leur couvent de Monte-Corona, habit� par les filsnbsp;de saint Romuald, en qui Ie ton, Ie langage, les mani�res dislingu�esnbsp;de la bonne compagnie, se r�unissent il rhumilil� des anachor�tes etnbsp;� la charit� des religieux hospitallers.
En retournant� Foligno, il nous semblait pr�s de Nolre-Dame-des-Anges contempler, dans la plaine, ces cinq mille religieux, disciples de saint Francois, venus au chapitre g�n�ral de l�an 1219. A la vuenbsp;de cette armee log�e non loin du Chiascio dans des cabanes faites avecnbsp;des naltes de paille et de jonc, et camp�e ainsi autour de son chef, onnbsp;ne peut s�emp�cher d�admirer la miraculeuse propagation de eet ordre,nbsp;et de se demander quelle en fut la raison providenlielle. 11 faudrail,
(0 Hist. sacr. Conv. A.t.sis. p. 26.
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pour la d�velopper, raconter l�histoire du moyen age. Qu�il suffise de dire que la pr�dication vivante des vertus �vang�liques �tait, parminbsp;les populations de 1�Europe et surtout de l�Italie, d�un a-propos etnbsp;d�une n�cessit� vivement sentis. Chasser les h�r�sies qui sous millenbsp;noms divers se glissaient partout; r�tablir la paix entre les princes,nbsp;les villes, et les r�publiques, en tarissant par d�illustres exemples lesnbsp;sources fccondes de toutes les gucrres : la concupiscence des yeux, lanbsp;concupiscence de la chair et la concupiscence de l�or : tel �tait Ienbsp;grand besoin du monde. Francois et Dominique furent charg�s denbsp;cette mission; ils l�accomplirent, et la face de la terre fut renouvel�e.nbsp;Y a-t-il lieu de s��tonner si la voix unanime des peuples a salu� avecnbsp;transport ces deux envoy�s du Ciel, si les arts � l�envi ont c�l�br�nbsp;leurs bienfaits, et si l��glise a couronn� leurs vertus?
2 AVRIL.
Tolentino. � Saint;Nicolas. � Napol�on. � Murat. � Macerata.�Recanati. � Loretle.
� Porte do la Ville. � Rue. � Place. � Histoiie de la sainte Maison de Nazareth.
A la pointe du jour nous �tions a Tolentino. D��paisses t�n�bres nous avaient d�rob� la vue des gorges mal fam�es et des pr�cipicesnbsp;effrayanls, au milieu desquels on traverse cette partie de l�Apenninnbsp;qui s�pare l�Ombrie de la Marche d�Anc�ne. Entre deux montagnes anbsp;peine �loign�es Tune de l�autre de cent cinquante toises, Ie gros bourgnbsp;de Serravalle, avec les murs pantelanls de son vieux chateau, avaitnbsp;pass� sous nos yeux comme je ne sais quelle vision des Mille et unenbsp;t^^u�s. Au pont de la Trave, nous salutlmes, de loin sur la gauche,nbsp;Camerino, petite ville qui raconte encore avec orgueil qu�elle envoyanbsp;SIX cents hommes, la fleur de sa jeunesse, a Scipion pour passer ennbsp;Afrique.
Tolentino, bAti sur la Chienta, est une petite ville int�ressante seu-lement par les souvenirs qui s�y rattachent. Le plus vivace, Ie plus populaire quoique le plus ancien, est celui d�un pauvre religieux appel� du nom b�ni de saint Nicolas de Tolentino. II fut un de ces prodigesnbsp;de p�nitence que la mis�ricorde divine envoie aux peuples qu�elle veutnbsp;^Pargner. L�histoire de l��poque r�v�le le secret de sa mission. Pendant trenle ann�es enlicres, le saint pr�tre jeuna, pria, �difia sa seconde patrie. II mourut le 10 septembre 1508; et la reconnaissancenbsp;Publique et la confiance filiale qui l�avaient environn� pendant sa vie,nbsp;1 environnent encore six cents ans apr�s sa mort. La chambre qu�il
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sanctifia par sa pr�sence, les instruments de p�nitence avec lesquels il expiait sur sa chair innocente les iniquit�s d�autrui, la chapelle o�nbsp;tant de fois il immola l�auguste Vietime et dans laquelle repose sonnbsp;corps sacr�, tout cela est encore Ie tr�sor, la joie, Ie sanctuaire ch�rinbsp;des Tolentins.
Agenouill�s nous-m�mes sur ces lieux, en pr�sence de ces objets, t�moins de tant de vertus, nous m�lames avec amour nos fugitivesnbsp;pri�res a celles de tant d�autres, en r�p�tant avec Ie Proph�te : Qu�ilnbsp;fait bon vous servir, grand Dieu! qui payez quelques ann�es de labeurnbsp;par des si�cles de gloire, sans pr�judice des f�licit�s �ternelles.
A ce souvenir, si doux au chr�tien, en succ�de un autre humiliant et p�nible pour Ie voyageur frangais. Tolentino rappelle Ie trait�, ounbsp;plut�t l�acte d�odieuse spoliation par lequel Ie Directoire, abusant dunbsp;droit de la force, enleva au Saint-P�re Ie comtat Venaissin, Ferrare, lanbsp;Romagne, trente-un millions de francs, des tableaux, des statues, etnbsp;autres objets pr�cieux, pour une somme incalculable. Dix-huit ansnbsp;plus tard, Ie 3 mai 1813, Ie beau-fr�re de 1�homme qui avait dict� cesnbsp;iniques et dures conditions, perdait, au m�me lieu, une bataille et unnbsp;royaume!
Au travers d�une plaine fertile et bien culliv�e, on arrive Mace-rata. Cette ville de douze mille amp;mes, situ�e sur une gracieuse colline, occupe remplacement de Pancienne Ilclvia Ricina, dont les ruinesnbsp;blanchiUres, parsem�es et I� dans les environs, ressemblent � desnbsp;ossements sur un vieux champ de bataille. L��glise de la Mis�ricordenbsp;m�rite d�etre vue. Sa magnificence rappelle au voyageur qu�il est encorenbsp;dans la patrie des arts, tandis que l�Adriatique, dont la surface azur�enbsp;borne l�horizon, lui annonce qu�il touche aux limitos de l�Italie. Onnbsp;descend deMacerata dans une campagne ou plut�t dans un vaste jardinnbsp;tout �maill� de tulipes venues d�elles-m�mes comme les coquelicotsnbsp;dans nos champs de bl�. Rien de plus agr�able que ce coup d�oeil, auxnbsp;premiers jours du printemps : Ie paysage tout entier semble se parernbsp;de gr�ces, a mesure qu�on approche du sanctuaire ch�ri de l�aimablenbsp;Reine du ciel.
Du fond de la vall�e, la route s��l�ve en serpentant sur Ie flanc d�une longue colline domin�� par la ville de Recanati. Des habitants,nbsp;descendus pour chercher de l�eau et du bois dans la plaine, remon-taient avec nous vers la cil� a�rienne. Les uns portaient eux-m�mesnbsp;leurs fardeaux; les autres s�en �taient d�charg�s sur Ie dos de quelques �nes, en tout pays complaisants servileurs du pauvre. Ce p�nible labeur, qui se renouvelle chaque jour, est une suite des guerres
RECXNMl. 203
sans cesse renaissantes qui d�sol�rent si longtemps les r�publiques iia-liennes. Pour mettre sa vie, sa fortune, sa libert� a l�abri du brigandage et de la d�vastation, on fut oblig� de se r�fugier sur les hauteurs ; et par cons�quent de faire venir de la plaine les choses n�cessaires �I la vie. Recanati offre au voyageur un remarquable monument ennbsp;bronze, plac� sur la facade de PHotel-de-Ville, et qui rappelle lanbsp;translation de la Santa Casa dans Ie territoire de la Cit�.
En sortant de Recanati, nous primes 'la route du Mont-Royal, et descendimes dans une belle campagne qui sert d�avenue a Lorette. Lanbsp;ville apparait dans Ic lointain, gvacieusement assise sur Ie plateaunbsp;d�une verte colline. Au-dessus des remparts s��lance Ie svelte clochernbsp;et la majestueuse coupole de la Basilique : a cette vue Ie coeur vousnbsp;bat fortement; on aspire au bonheur de mettre Ie pied sur cette terrenbsp;de miracles. Toutefois un Instant l�attention est attir�e par un autrenbsp;objet: je veux parler de l�aqueduc dont les arceaux gigantesques sor-tent d�une colline, traversent la plaine, rentrent dans Ie flanc d�unenbsp;montagne, et vont porter une source abondante el pure au milieu denbsp;la place publique de Lorette. Get ouvrage, digne des Remains, est d�nbsp;au cardinal Scipion Borghese, protecteur de la sainte Chapelle, ennbsp;l�an 1620.
Enfin nous arrivons a Ia porte Romaine. Deux statues de proph�tes surmont�esde la statue de Marie en forment 1�encadrement et annoncentnbsp;que la reine de la cit� est la Vierge divine annonc�e par les proph�tes.nbsp;Nous voici sur la place des Coqs, ainsi appel�e d�une superbe fon-taine orn�e d�un dragon et de quatre coqs qui jettent une eau limpide:nbsp;devant nous se d�roule la Grande-Rue, ou pour mieux dire l�uniquenbsp;rue de Lorette. Mais cette rue est large, longue, bien pav�e; et,nbsp;comme celle d�Einsiedeln, bord�e de chaque c6t� de boutiques o�nbsp;1�on vend des chapelets, des m�dailles el autres objets de d�votion.nbsp;Elle aboutit ii la superbe place de la Madone, ex�cul�e sur les dessinsnbsp;�Ie San Gallo, et termin�e par Fauguste Basilique. Au milieu s��l�venbsp;Une magnifique fontaine, dont la pyramide et Ie vaste bassin sont em-tellis par des armoiries, et des groupes d�aigles, de dragons et denbsp;tritons en bronze, chefs-d�oeuvre des deux Jacometti. A gauche, Ie paleis apostolique pr�sente sa brillante facade et rappelle glorieusementnbsp;tes souverains pontifes Jules II et Benoil XIV; enfin, sur la droite estnbsp;Ie coll�ge Illyrien, o� les p�res j�suites forment une nombreuse jeu-Uesse a Ia science et � Ia vertu.
Apr�s ce premier coup d�oeil, suivi d�un premier hommage offert � Marie sur Ie seuil de son sanctuaire, nous entrames a Fholel della
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Campana. Quelques heures de repos, rendues n�cessaires par les fatigues de Ia route, devaient pr�c�der la visite d�taill�e de l��glise et de la sainte Maison. Elles furent employ�es ii nous rappeler l�histoirenbsp;du saint lieu, que je vais rapporter en peu de mots.
L��vangile nous apprend que la sainte Vierge avait sa maison dans la petite ville de Nazareth en Galilee. Elle y vivait avec saint Joseph,nbsp;lorsque�l�archange Gahriel vint lui annoncer Ie myst�re de Tlncarna-tion qui s�accomplit aussit�t dans ses chastes entrailles. Elle y revintnbsp;habiter au retour de la fuite en Egypte avec saint Joseph et l�enfantnbsp;J�sus. La sainte familie n�eut pas d�autre s�jour, jusqu�i la predicationnbsp;publique de Notre-Seigneur. Get humble asile fut d�nc Ie t�moin denbsp;l�enfance du Fils de Dieu, de ses vertus, de ses entretiens avec Marienbsp;sa mere et saint Joseph son p�re nourricier. La s�accomplirent, dansnbsp;Ie silence et Fobscurit�, les ineffables myst�res d�humilit�, de pau-vret�, d�ob�issance et d�amour, qui, r�v�l�s plus tard, sont devenusnbsp;la base de l��vangile et Ie principe de la plus �tonnante r�volution morale dont Ie monde ait conserv� Ie souvenir. Qu�on juge de Tamournbsp;filial et de la v�n�ration profonde des Ap�tres et des premiers chr�-liens, pour un lieu tout a la fois si �loquent et si saint! On comprendnbsp;qu�ils ont d� Ie garder avec un soin jaloux et Ie visiter souvent; l�his-toire vient confirmer cette induction du simple bon sens. Elle nousnbsp;montre, depuis I�ascension de Notre-Seigneur dans Ie ciel, une procession non interrompue de p�lerins accourus de tous les lieux denbsp;rOrlent et de 1�Occident, pour v�n�rer Ie berceau de la foi calholique,nbsp;la sainte Maison de Nazareth (i).
A la suite des Ap�tres et des fid�les de J�rusalem, voici venir les pontifes de l�Occident, les plus illustres matrones de la Ville �ternelle,nbsp;la reine du monde, l�imp�ratrice sainte H�l�ne; puis l�Occident toutnbsp;entier repr�sent� par ses myriades de chevaliers et de crois�s, solennelnbsp;p�lerinage qui fut dos par Ie plus illustre de nos rois. L�an 1252,nbsp;saint Louis, sur Ie point de revenir en France, assista une derni�renbsp;fois 5i ToUice divin dans la sainte maison de Nazareth (2). L�existencenbsp;perp�tuelle et l�identit� de l�auguste demeure �taient des faits incon-test�s et incontestables, comme des faits qui avaient eu pour t�rooins
(1) Ob liffiC igiuir, qu.-B in hac urbe operata sunt mysleria, Apostoli post Christi in coelos ascensionem, li. M. V. domicilium, in quo ab angelo salulala Christum Dominumnbsp;roncepit, sacris usibus dedicaruut;... eodemque poslmodum loco Dei Genitrici pera-moenuifl, et quod archicpiscopali cathedra pra;celleret, cxcitatum tuit tcropluin.nbsp;Adricom. in Zabulon de Nazareth, n. 73; S. Ilieron. epist. 27 ad Eustoch.
(��!) Guillel. de Nangis. De Gcuis S. Ludovici.
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rOrient et TOccident pendant treize si�cles ; la description en �tait sur loutes les l�vres et dans tons les livves.
Cependant Ie depart de saint Louis fut Ie signa! d�une nouvelle invasion de la barbarie musulmane, el de sa domination s�culaire dans la Palestine. La prise de Damiette et Ie sac de Ptol�ma�de rendirent Ienbsp;Calife d��gypte maitre de tout Ie pays. Irrit� de ses pr�c�dentes d�-faites, Ie nouvel Anliochus allait se venger par des ravages et des profanations inou�es. C�est a ce moment solennel que la sainte maison denbsp;Nazareth disparut, ne laissant sur Ie sol que ses fondations �chancr�es.
Or, Ie iO mai de l�an 1291, sous Ie ponlificat de Nicolas IV, sons l�empire de Rodolphe Pquot;', Nicolas Frangipane, de l�antlque. familienbsp;Anicia, �tant gouverneur de la Dalmatie, et Alexandre de Giorgio,nbsp;natif de Medrusia, �tant �v�que de Saint-Georges, quelques habitantsnbsp;des bords de l�Adriatique �taient sortis de grand matin pour aller auxnbsp;travaux de la campagne. Entre Fiume et la petite ville de Tersalz, ilsnbsp;trouvent non loin de la raer, en un lieu appel� Raunizza, un �dificenbsp;solitaire, plac� dans un endroit o� jamais Ton n�avait vu jusquela ninbsp;maison ni cabane. Ils courent, hors d�eux-m�mes, annoncer ce qu�ilsnbsp;ont vu. On arrive de toutes parts, on examine Ie myst�rieux b�Uimcnt,nbsp;construit de petites pierres rouges et carr�es, li�es ensemble par dunbsp;ciment. On s��tonne de la singularit� de sa structure, de son air d�an-tiquit�; on ne peut surtout s�expliquer comment il se tient debout,nbsp;pos� sur la terre nue sans aucun fondement.
Mais la surprise augmente quand on p�n�tre dans l�inl�rieur par Funique porte ouverle sur Ie c�t�. La chambre forme un carr� long.nbsp;Le plafond surmont� d�un petit clocher est de bois, peint en couleurnbsp;d�azur, et divis� en plusieurs compartiments parsem�s 5^1 et la d��toi-les dor�es. Autour des murs et au-dessous des lambris, on reraarquenbsp;plusieurs demi-cercles qui s�arrondissent les uns pr�s des autres, etnbsp;paraissent entrem�l�s de vases diversement vari�s dans leur forme.nbsp;Les murs �pais environ d�une coud�e, construits sans r�gie et sansnbsp;niveau, ne suivent pas exactement la ligne verticale. A droite de ianbsp;porte s�ouvre une �troite et unique fen�tre. En face s��l�ve un autelnbsp;construit en pierres fortes et carr�es, que domine une croix grecquenbsp;nrn�e d�un crucifix peint sur une toile coll�e au bois, o� brille le litrenbsp;sacr� de notre salut; � J�sus de Nazareth, roi des Juifs. � Sur la droite
1�autel apparait une statue de la sainte Vierge debout, et portanl 1�enfant J�sus dans ses bras. Les visages sont peints d�une couleurnbsp;semblable a l�argent, mais noircis par le temps et sans doule par lanbsp;fum�e des cierges br�l�s devant ces saintes images. La l�te de Marie
-ocr page 212-208 nbsp;nbsp;nbsp;I.ES TROIS ROME.
est orn�e d�une couronne de perles; ses cheveux partag�s � la naza-r�enne flottent sur son cou; son corps est v�tu d�une robe dor�e qui, soutenue par une large ceinture, tombe flottante jusqu�aux pieds; unnbsp;manteau bleu recouvre ses �paules : l�un et l�autre sont cisel�s et formes du m�me bols que la statue elle-m�me. L�Enfant J�sus, d�unenbsp;taille plus qu�ordinaire, et d�une figure pleine de majest�, a la cheve-lure partag�e sur Ie front comme cell� des Nazar�ens, dont il portenbsp;l�habit et la ceinture, l�ve les premiers doigts de la main droite,nbsp;comme pour donncr sa b�n�diction, et de la gauche soutient un globe,nbsp;symbole de son pouvoir souverain sur l�univers.
A gauche, pr�s de l�autel, on voit une petite armoire, ou placard, pratiqu�e dans Ie mur, qui semble destince a recevoir les ustensilesnbsp;n�cessaires h un pauvre m�nage : il renferme quelques petits vases ounbsp;�cuelles, semblahles i ceux dont se servent, pour prendre leur nour-riture, les pauvres habitants des campagnes. Enfin, pr�s de l�, unenbsp;esp�ce de chemin�e ou foyer, surmont�e d�une niche et soutenue parnbsp;des colonnes orn�es de cand�labres. Telle �tait la disposition de cenbsp;myst�rieux sanctuaire.
D�o� vient-il? Quelle est cette demeure inconnue? Quelle main l�a tout a coup transport�e dans un lieu ou jamais on n�a vu d�habitation ?nbsp;quelle puissance la soutient sur le sol, sans aucun fondement? voil�nbsp;les questions que tout le monde fait et auxquelles nul ne peut r�pon-dre : la stupeur est g�n�rale. Tout a coup on voit venir l��v�quenbsp;Alexandre, la d�marche vive, assur�e, le visage rayonnant de honheur ;nbsp;nouveau sujet d��tonnement. Tout le monde savait le saint �v�que at-teint depuis trois ans d�une hydropisie d�clar�e incurable par les m�-decins, et tellement malade que, depuis longtemps, il ne pouvait plusnbsp;quitter le lit, d�ou 1�on s�atlendait de jour en jour a le voir descendrenbsp;dans la tombe. Au milieu du silence que commande son apparitionnbsp;inattendue, miraculeuse, il raconte en ces termes ce qui lui est arriv�.nbsp;� J��tais dans mon lit, mourant, lorsqu�on est venu m�apprendre I�ar-riv�e de cette maison inconnue. J�ai conjur� la tr�s-sainte Vierge denbsp;m�obtenir assez de forces pour venir moi-m�me visiter ce sanctuairenbsp;raerveilleux et y implorer son puissant secours, r�solu que j��tais denbsp;m�y faire apporter si je ne pouvais y venir de moi-m�me. Touch�e denbsp;mon d�sir, la sainte Vierge m�est apparue, resplendissante de lumi�re,nbsp;et elle m�a dit ; a Alexandre, vous m�avez invoqu�e; me void venuenbsp;� votre secours. Sachez que la maison qui vient d�apparaitre en cenbsp;pays, est la maison m�me ou j�ai pris naissance 4 Nazareth; ou j�ainbsp;re^u la visile de I�ange Gabriel, oii le Verbe s�est fait chair dans mon
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Sein. Soyez vous-m�me pour tout Ie peuple la preuve vivanle de la v�-rit� de mes paroles; soyez gu�ri. Et la sainte Vierge a disparu; et j�ai �t� gu�ri. � Or se jeter a genoux, b�nir sa bienfaitriee, courir a l�au-guste sanctuaire pour lui rendre graces, fut tout a la fois pour Ie v�-n�rable �v�que Ie premier besoin de sou coeur, et pour tout Ie peuplenbsp;la preuve �clatante que cette visite surnaturelle n��tait pas une chim�re enfant�e dans un cerveau �gar� par la douleur.
Cependant la nouvelle du prodigieux �v�nement arrive aux orellles du gouverneur de la Dalmatie. II accourt, prend les plus minutieusesnbsp;informations, interroge, voit par lui-m�me; et enfin, pour s�assurernbsp;par une preuve mat�rielle et sans r�plique de la v�rit�, il d�cide quenbsp;qualre commissaires, choisis de sa main, partiront imm�diatementnbsp;pour la Palestine, avec les plans et les dimensions de la myst�rieusenbsp;chapelle; qu�ils s�assureront par eux-m�mes et qu�ils diront sous lanbsp;foi du serment : 1� si la maison de la sainte Vierge, � Nazareth, con-nue de toute la chr�tient�, a r�ellement disparu sans qu�on sache cenbsp;qu�elle est devenue, ni quelle main 1�a enlev�e; 2� si les bases sontnbsp;rest�es; 3� si leur figure et feurs dimensions cadrent avec fes murs denbsp;la maison qui vient d�arriver; 4� si la nature de la pierre est la m�me;nbsp;5� si c�est identiquement Ie m�me genre de construction, en sortenbsp;qu�il soit impossible de nier que ces bases, rest�es a Nazareth, et lanbsp;maison r�cemment apparue � Tersatz soient Ie m�me �difice en deuxnbsp;parties.
Les quatre commissaires, �galem�nt �minents par leur science et leur vertu, partent pour la Palestine, lis s�adressent aux chr�tiens denbsp;Nazareth, et leur demandent o� est la maison de la sainte Vierge.nbsp;Ceux-ci leur r�pondent en pleurant qu�elle a disparu depuis pen denbsp;lomps, sans qu�on sache cc qu�elle est devenue; qu�ils peuvent biennbsp;encore leur en montrer les fondations, mais rien de plus; qu�ils nenbsp;peuvent imaginer comment on a pu enlever cette sainte maison sansnbsp;laisser sur place autre chose que les fondements �chancr�s. Les commissaires sont conduits sur remplacement et v�rifient de leurs yeux Ienbsp;f�cit des chr�tiens. Pourremplir leur mandat, ils se raettent a prendrenbsp;la longueur, la largeur, les dimensions des fondements; �tudient lanbsp;Dature de la pierre, Ie genre de construction, calculent Ie temps quinbsp;s�est �coul� entre la disparation de la maison et son arriv�e en Dalmate. Tout se trouve d�une exactitude parfaite. Ils �crivent leur t�moi-gnage, Ie rapportent au gouverneur, Ie confirment par un sermentnbsp;Solennel, et r�p�tent vingt fois, devant toute la province, ce qu�ils ontnbsp;l^ait et ce qu�ils ont vu.
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Le fait est constant : Tersatz a Ie bonheur de poss�der la sainte maison de Nazareth. La Dalmatie tout enti�re, Ia Bosni�, la Servie,nbsp;l�Albanie, la Croatie, toutes les provinces semblent se vider pour r�-pandre leurs habitants sur cette terre favoris�e du Ciel. Mais, h�las!nbsp;ni les hommages des fid�les, ni le d�vouement du souverain, ne purentnbsp;lixer dans ces lieux I�inestimable tr�sor : trois ans et demi apr�s sonnbsp;arriv�e, la maison de Nazareth disparut aux regards de ces chr�tiensnbsp;d�sol�s.
Port� sur les mains des anges, le v�n�rable berceau de leur auguste Reine vint se reposer au milieu d�un bois de lauriers, dans le terri-loire de Recanati. Des prodiges nouveaux, qu�il serait trop long denbsp;rapporter, signal�rent sa pr�sence. D�innombrables p�lerins accourusnbsp;de toute l�Italie et de la Dalmatie le visitent, le reconnaissent et r�-pandent des larmes, les uns de joie, les autres d�inconsolable douleur.nbsp;A quelque temps de 1amp;, on ne retrouve plus la sainte Maison; elle estnbsp;venue se reposer a trois milles de Ia ville de Recanati, sur un petitnbsp;monticule, dans le voisinage d�un grand chemin. La pi�t� publique anbsp;pris un nouvel essor; il n�est plus question que du nouveau prodige.nbsp;Quatre mois apr�s, une autre translation s�accomplit : le mysl�rieuxnbsp;sanctuaire est trouv� au milieu de la voie publique qui conduit denbsp;Recanati au rivage de la mer. C�est l� qu�il est encore aujourd�hui :nbsp;c�est Lorette.
On demande sans doute pourquoi ces diff�rentes translations, ac-complies dans l�intervalle de qu�lques ann�es. Que sommes-nous pour connaitreles pens�es de Dieu, et p�n�trer le secret de ses conseils?nbsp;Cependant ne peut-on pas r�pondre que, par ces diff�rentes translations qui toutes s�enchainent et se confirment, Dieu voulait donner �nbsp;ce prodige une telle �vidence qu�il fut impossible de le r�voquer ennbsp;doute? En effet, l�attention publique, tout enti�re fix�e sur ce prodigenbsp;inou�i, provoqua de nouvelles recherches; ces recherches furent sui-vies de nouvelles preuves, qui ont �lev� la d�monstration � la derni�renbsp;puissance.
En effet, l��tonnant r�cit de ce qui se passe sur le terriloire de Re-canati est communiqu� au pape Boniface VUL En cette circonstance comme dans toutes les autres, Rome agit avec la prudente r�serve quinbsp;Ia caract�rise. Le Saint-P�re ordonne a l��v�que de Recanati de prendrenbsp;un soin particulier du pr�cieux d�p�t, dont il' l�engage � faire de nouveau constater l�identit�.
Le conseil du Pontife est un ordre; 1�an 1296 une c�l�bre d�puta-tion, compos�e de quatorze chevaliers, part de Recanati. Elle emporte
SAINTE MAISON DE NAZARETH. nbsp;nbsp;nbsp;21 I
les mesures et les plans du sanctuaire nouvellement arriv� a Lorette; elle passe en Dalmatie, dont les habitants inconsolables montrent lenbsp;lieu occup� nagu�re par la sainte Maison. Les d�put�s examinent avecnbsp;soin la chapelle batie sur ce terrain d�apr�s le mod�le de celle qui,nbsp;pendant plus de trois ans, y avail repos�. Ils appliquent a ce monument les mesures de la maison de Lorette, et ils trouvent une enti�renbsp;et parfaite conformit�. Ils remarquent, en outre, que le m�me. jour quinbsp;a vu disparaitre le sanctuaire de Tersatz, I�a vu paraitre sur le terri-toire de Recanati.
Les chevaliers remettent a la voile et,arrivent en Palestine. Ce qu�a-vaient fait cinq ans plus t�t les commissaires dalmates, la d�putation de Recanati le renouvelle avec une attention plus grande encore, s�il estnbsp;possible. Existence des fondations, disparition des murailles, naturenbsp;de la pierre, longueur, largeur, configuration de I�emplacement, toutnbsp;est examin�, compar� avec les plans et les mod�les de Tersatz et denbsp;Lorette : l�identit� est parfaite. A cette vue la jole �clate, les larmesnbsp;coulent avec abondance; on repart, beureux de rapporterla certitudenbsp;palpable que Lorette poss�de le plus pr�cieux de tous les tr�sors; onnbsp;arrive en presence du peuple et des magistrats, le t�moignage estnbsp;rendu sous la foi du serment; il est sign� et d�pos� dans les archivesnbsp;de la ville, afin de perp�tuer le souvenir d�un �v�nement si digne d��trenbsp;transmis � tous les ages. On le voit, pour constater le prodige, la foinbsp;simple et naive de nos pores s�y prit exactement de la m�me mani�renbsp;que pourrait le faire la haute raison de l�Acad�mie des sciences ounbsp;1�esprit soupfonneux et d�fiant de notre �poque (i).
A la d�monstration de la science, le Ciel vint ajouter son t�moignage. Outre le prodige perp�tuel de I�apparition et de la translation du sanctuaire; outre la gu�rison de l��v�que Alexandre et la r�v�lationnbsp;de saint Nicolas de Tolentin, des miracles particuliers, palpables,nbsp;eclatent de tous c�t�s en confirmation du fait qui occupe tous les esprits. La foi publique est d�sormais fix�e sur un fondement immuable,nbsp;comrae le rocher. L�Europe enti�re s��meut. Alors cette processionnbsp;immense, solennelle, qui, durant ireize si�cles, arrivait a Nazareth denbsp;Routes les parties de I�Orient et de TOccident, change son cours et senbsp;dirige vers I�heureuse colline de Lorette. Comraenc�e il y a six centsnbsp;30S, cette procession continue toujours; dans ses rangs elle a vu toutnbsp;ce que le monde civilis� connait de plus savant, de plus grand, de plusnbsp;illustre, de plus saint, de plus auguste, m�l� a tout ce qu�il y a de
(gt;) Voir, la fin du volume, les pieces juslificalives.
-ocr page 216-212 nbsp;nbsp;nbsp;les TROIS ROME.
plus pauvre et de plus na�f ; les peuples et les rois, les empereurs et les imp�ratrices, les papes eux-m�mes sont venus pr�senter leursnbsp;humbles pri�res et leurs magnifiques offrandes dans la bienheureusenbsp;maison de Marie, et accomplir solennellement la proph�tique parolenbsp;de la Vierge de Juda : � Dcsormais toutes les nations m�appellerontnbsp;bienheureuse. �
Telle est en abr�g� l�histoire de la sainte Maison de Lorette, que nous verrons deraain (i).
5 AVRIL.
Impression. � Messc a la Sainte-Cliapelle. � Description de T�glisc. �Du monument
qui enioure la Saintc-Chapelle.� De la Sainle-Chapclle.� La Sacristie.� Le Tr�sor.
� Lc Palais apostoliquc. � La Pharmacie. � Les Dames du Sacr�-Coeur,
En remuant les preuves du miracle, l�hisloire de la Santa-Casa forme dans Fame du voyageur, je ne sais quel indicible m�lange denbsp;foi, de respect, de crainte, .de confiance et de joie, il redoute et il d�-sire le moment solennel o� il lui sera donn� de voir la grande mer-veille. P�n�tr�s de ce double sentiment, nous franchimes la porte denbsp;bronze de la Basilique, et, Foeil fix� sur la Sainle-Chapelle �lev�e aunbsp;milieu du sancluaire,nous allames nous prosterner au seuil de la porte.nbsp;Lamp;, on ne vit plus que par le coeur; les sens se ferment, et toutes lesnbsp;puissances de Fame, absorb�es dans un seul objet, s��coulent en quel-que sorte dans les sentiments qu�il inspire. Encore quelques instants,nbsp;et nous allions entrer dans ce sanctuaire profond�ment v�n�rable; etnbsp;moi, pr�tre, monter it eet autel o� saint Pierre �tait mont�, et apr�snbsp;lui tant de saints de FOrient et de FOccident. A la vue de ces lieuxnbsp;qui en furent les heureux l�moins, le grand myst�re de FIncarnationnbsp;vous apparait dans tous ses d�tails : les personnages sont devant vous;nbsp;ils s�animent, on les voit, on les entend.
II y a dix-huit cent quarante-trois ans, un Archange resplendissant de lumi�res fut envoy� du ciel sur la terre pour apporter la plusnbsp;grande, la plus consolante nouvelle que le genre humain puisse ap-prendre. II descendit a Nazareth de Galil�e, dans une pauvre petitenbsp;maison. Et cette maison, la voici: je la vois de mes yeux, je la touchenbsp;de mes mains.
(t) L�histoirc de la sahilo Maison a clc ccrile en toni on en panic par pins de 130 auteurs de tous les pays el de toutes les conditions; on peut consuller cello que vient de publier M. l�abb� Caillsau, 1 vol. J�ai suivi Torsclliui, Giannizi et Antonio Gaudenli,nbsp;archidiacre de Lorette. On peut aussi consultor Benoit XIV De Festis et la Bibliotccanbsp;Ecclesiasiica de Zinelli, t. ni, p. 256.
-ocr page 217-IMPRESSION. nbsp;nbsp;nbsp;213
Dans cette maison habitait line jeune vierge humble et modeste; elle y �tait n�e, elle y vivait, c��tait la maison de ses p�res; et cettenbsp;vierge s�appelait Marie.
Et cette maison la voici: je la vois de mes yeux, je la touche Ha mg; mains.
L�Ange la salue avec un profond respect, et lui annonce le choix auguste que Dieii a fait d�elle, et Marie incline sa t6te virginale, et lenbsp;Verbe s�est fait chair dans son sein, dans cette maison.
Et cette maison, la voici : je la vois de mes yeux, je la touche de mes mains.
Et le Verbe divin qui cr�a le monde, qui I�a r�g�n�r�, habita dans une forme visible parmi les hommes, soumis a Joseph et h Marie, vivantnbsp;avec eux dans leur pauvre maison.
Et cette maison, la voici: je la vois de mes yeux, je la touche de mes mains.
Voici la m�me porte dont il a si souvent franchi le seuil, les m�mes murs qui ont vu son travail, son ob�issance, sa pauvret�; qui ont entend u sa voix divine, la voix de son P�re, la voix de sa M�re! Mursnbsp;trop heureux! parlez done; racontez au monde les ineffables myst�resnbsp;dont vous files si longtemps les t�moins.
L�heure de la messe �tant venue, je montai h Tautel. Au moment de la cons�cration, les regards du pr�tre tombent sur ces mots �crits ennbsp;grosses lettres d�or sur le gradin de I�autel : me verbum caro factumnbsp;EST : � c�est ici QUE LE VERBE s�est FAIT CHAIR. � Et le pr�tre a prononc�nbsp;les divines paroles, et le grand myst�re s�accomplit de nouveau! 0nbsp;mon DieuI que le pr�tre n�est-il Marie, pour senlir dignement sonnbsp;bonheur!
Sous I�intelligente direction d�un penitencier de Lorelte, auquel rgt;ous �tions recomraand�s, nous pass�mes la journ�e i I�examen de lanbsp;�^asilique et de la Sainte-Chapelle. On entre dans la Basilique par troisnbsp;portes en bronze, plus remarquables encore par le travail que par lanbsp;mati�re. Celle du milieu, plus haute et plus large que les autres, pr�sente sur ses deux battants les principaux fails de I�Ancien Testament,nbsp;en rapport avec ceux du Nouveau : d�on c�t�, la figure et la pro-Ph�lie; de I�autre, la r�alit� el Taccomplissement. Les pages de lanbsp;Sfande �pop�e chr�tienne qui n�ont pu �tre �crites sur la porte dunbsp;�milieu, se trouvent sur les portes lat�rales, dans de superbes m�dail-lons environn�s d�arabesques. Comme compl�ment ou plulot commenbsp;feyonnement des traditions sacr�es, ces tableaux sont accompagn�s denbsp;statuettes repr�sentant les Sibylles. A quoi vient aboutir loute cette
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longue marclie des si�cles anciens? Qnel est Ie but de tons les oracles et de toutes les promesses? En s��levaut au-dessus de la grande porte,nbsp;vers Ie centre du frontispice, I�oeil apergoit une magnilique statue ennbsp;Lrcnzs de la sainte Vierge, tenant son divin Fils enlre ses bras. Cenbsp;groupe divin, chef-d�oeuvr� du Lombardo, vous r�pond : C�est moinbsp;qui suis l.e commencement et la fin, l�aipha et Fom�ga de toutes lesnbsp;proph�ties et de tous les �v�nements du monde antique.
L��glise forme une croix latine, dont Ie centre est surmont� par une magnifique coupole, orn�e d�une lanterne, que Ie p�lerin salue de plu-sieurs lieues, comme Ie navigateur salue Ie phare qui doit Ie dirigernbsp;vers Ie port. La coupole, �tincelante de riehes peintures, recouvre lanbsp;Sainte-Chapelle enriehie de marbres precieus d�o� rayonne 1�art ca-tholique. Trois nefs partagent la Basilique, environn�e d�une ceinturenbsp;continue de chapelles lat�rales. Dans les bas c�t�s de la grande nefnbsp;on compte sis chapelles a droite et sis a gauche: trois dans chacun desnbsp;bras de la croix, et trois autres dans ce qu�on peut appeler la t�te;nbsp;ainsi douze autels semblent former une voie glorieuse pour arrivernbsp;jusqu�� la maison de Marie, la reine des Ap�tres; et neuf autres, imagesnbsp;des neuf choeurs des anges dont elle est aussi la reine, l�entourentnbsp;comme d�une couronne de gloire. Chacune de ces chapelles formenbsp;un mus�e,o� la peintureet la sculpture ont multipli� des chefs-d�oeuvrenbsp;qu�il serait trop long de d�crire.
Je dirai seulement que toutes ces beaut�s palissent devant les magnificences du Baptist�re. Les fonts seuls out cout�, selon Renzoli, qua-tre-vingt mille francs. Ils sont form�s d�un grand vase de bronze semi-pyramidal, soutenu par quatre anges, et orn� de statues et denbsp;bas-reliefs �galement en bronze. Tont ce qui, dans l�Ancien et Ie Nouveau Testament, se rapporle au Bapt�me, s�y trouve rappel�. Quatrenbsp;statuettes d�un travail exquis sont aux quatre coins du vase. La premi�re repr�sente la Foi, avec cette devise : � Elle ne saurait �tre troro-p�e; � Nescia falli. La seconde, l�Esp�rance, avec ces mots: � Elle nenbsp;saurait �tre �branl�e : � Nescia flecti; la troisi�me, la Charit�, avecnbsp;cette inscription : � Elle ne saurait �tre divis�e : � Nescia scindi; 1*nbsp;quatri�me, la Pers�v�rance, avec cette l�gende : � Elle ne saurait �trenbsp;bris�e : � Nescia frangi. Voil� bien les merveilleux efifets du Bapt�m�nbsp;et les grands caract�res du chr�tien. Au-dessous de ces statues sontnbsp;quatre m�daillons qui approprient ce superbe Baptist�re a l��glise denbsp;Lorette. On peut y suivre les diverses stations de la Santa-Casa,nbsp;d�abord traversant dans les airs la mer Adriatique, puis s�arr�tantnbsp;dans Ie bois des Lauriers, pour passer de la dans les terres des deux
DU REV�TEMENT DE LA SilNTE-CIIAPELLE. nbsp;nbsp;nbsp;213
fr�res de Recanati, et venir en�n se fixer dans Ie lieu o� elle repose aujourd�hui.
La grande nef s��l�ve majestueusement et se recourbe avec art, pour former une voute o� paraissent en clair-obseur diff�rentes images denbsp;proph�tes de la main de Luc Signorelli et du Pomarence. A ce derniernbsp;et a son �cole sont �galement dues les fresques si gracieuses de lanbsp;coupole. Au milieu des anges et des vertus, la reconnaissance a faitnbsp;�erire par la main du g�nie Ie souvenir des bienfaiteurs de la Basili-lue. Seize anges soutiennent les armes des papes et des cardinauxnbsp;protecteurs. Sur les deux pilastres du grand arceau, qui s�parent lanbsp;nef de la coupole, on voit, a gauche, les armes de la maison d�Autri-nbe, qui a donn� toutes les grandes poutres qui soutiennent la couverture de l��glise, ainsi que tous les sapins et les m�l�zes qui s�y rencon-trent; et a droite celles de la maison Farn�se, qui s�est �galementnbsp;�Lstingu�e par sa lib�ralit� envers l�auguste Basilique.
Enfin nous void en face de la Sainte-Chapelle. Un rev�tement de niarbre de Carrare du plus beau grain en recouvre les murailles sansnbsp;Jes toucher. Sur toutes les faces l�immortel ciseau de Cioli, de Ranieronbsp;fii Pietra, de Francois del Tadda, de J�r�me Lombard, du chevaliernbsp;della Porta, de Bandinelli, de Sansovino, a sculpt� les �v�nements, etnbsp;les personnages qui ont annonc� Ie myst�re de riucarriation. Une superbe colonnade d'ordre corinlhien entoure Ie monument. Entre cha-que couple de colonnes est une double niche, la premi�re pour lesnbsp;l�roph�tes, la seconde pour les Sibylles qui ont chant� les gloires denbsp;la Vierge-M�re. Plus haut sont des couronnes et des figures ang�li-^lues, symboles de la gloire et de la puissance de Marie.
Sur la partie lat�rale qui regarde Ie nord, on voit en premier lieu 1� Sibylle hellespontique, dont voiei l�oracle : � Un jour que j��taisnbsp;�ccup�e de diverses pens�es, j�ai vu une Vierge �lev�e, a cause de sanbsp;*^liastet�, a un sublime honneur. Le Tr�s-Haut l�a jug�e digne de eetnbsp;^Uguste minist�re; elle donnera au monde un rejeton �clatant d�unenbsp;glorieuse splendeur; car il sera vraiment le Fils glorieux du Maitre dunbsp;tonnerre; il viendra gouverner le monde dans une profonde paix (i). �nbsp;'^lus bas est le proph�te Isa�e, rendant eet oracle conforme au pre-
(i) Dum meditor quKdam, vidi decorare puellam ,
Eximio, castain quod se servaret, honore;
Munere digna suo ct divino Numine visa.
Qua; sobolem mundo pareret splondorc micanlem :
Progenies summi speciosa et vera Toiianlis Pacifica mundum qui sub dilione gubernal.
Canisius, De Beala Virg. lib. ii, c. 7.
-ocr page 220-216 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
mier : � Voila qu�une Vierge concevra et enfantera un Fils, el son nora sera Emmanuel (i). � Vient ensuite la superbe porte en bronze, coul�e,nbsp;ainsi que les trois .autres, par J�r�me Lombard, sous Ie pontifical denbsp;saint Pie V, et surmont�e de la Nativit� de la tr�s-sainte Vierge, re^uenbsp;dans Ie monde par les sept Vertus qui devaient la dislinguer : l�Inno-cence, la Fid�lit�, TOb�issance, rilumilit�, la Modestie, la Charit� etnbsp;1�Amour de la retraite.
Entre les deux colonnes du milieu, voici la Sibylle phrygienne et Ie proph�te Daniel. La premi�re a rendu Foracle suivant: � C�est dansnbsp;Ie sein d�une vierge que Dieu lui-m�me a voulu'faire descendre d�ennbsp;haut son propre Fils, que l�Ange viendra annoncer a cette augustenbsp;M�re (a). � Le second a fixe l��poque du glorieux �v�nement : � Lesnbsp;soixante-dix semaines ont �t� abr�g�es, afin que l�iniquit� soit d�truite,nbsp;et que le Saint des saints re^oive l�onction (3). �
La seconde porte, en bronze comme la premi�re, repr�sente d�abord Ie mariage de la sainte Vierge, puis Ie portement de la Croix, et enfinnbsp;la mort de J�sus au Calvaire. Comme plusieurs autres, ces bronzesnbsp;sont presque uses par les pieux baisers des fid�les.
Les deux derni�res niches du c�tc septentrional sont occup�es par la Sibylle de Tivoli et par le proph�te Amos. La Sibylle semble r�p�ter encore : lt;c J�ai pu montrer cette Vierge sainte, dont le sein concevra dans le pays de Nazareth celui qui, Dieu dans la chair, se fera voirnbsp;dans les champs de Bethi�em (4). � Le Proph�te r�pond par eet autrenbsp;oracle : � Dans ce jour, j��l�verai le pavilion de David (5). �
Les grandes destin�es de Marie nous sont connues par les oracles des proph�tes dTsra�l et des proph�tes de la Genlilit� : passons anbsp;Paccomplissement des fails. Au milieu de la facade occidentale quinbsp;regarde la nef, parait l��troite fen�lre par laquelle enlra l�ange Ga-
(i) Ecce virgo concipiet et pariet Filium, ct vocabitur nomen ejus Emmanuel.�nbsp;Isai. vn, 14.
(2) Virginis in corpus voluit domittere coelo
Ipse Deus Prolem, quam nuntiat angelus almse Matri.
Casisi�s, De Beata Virg. lib. 11.
(3) Septuaginta hebdomades abbreviate sunt, ut deleatur iniquilas et ungatur Sanctusnbsp;sanctorum. � Dm. ix, 24.
(4) . . . . Sanctam potui monstrarc pucllam,
Concipiet qua; Nazareis in finibus ilium
Quem sub carne Deum Betblemitica rura videbunt.
Casisi�s, De Beata Virg. lib. 11.
(5)IIn die illa suscitabo'tabernaculum David. � Amos, ix, 11.
-ocr page 221-DU KEV�TEMENT DE LA SAllSTE-CHAPELLE. nbsp;nbsp;nbsp;217
^riel, pour annoncer k Marie sa gloire et Ie bonheur du genre humain. Au-dessous est un autel consacr� au myst�re du Verbe fait chair; au-dessus brille un superbe bas-relief repr�sentant TAnnonciation de lanbsp;tr�s-sainte Vierge. Ce chef-d�ceuvre est d� au ciseau de Sansovino.nbsp;Sur les parties lat�rales de la fen�tre, on voit, h gauche, la Visite de.nbsp;Marie a sa cousine Elisabeth; a droite, Ie Voyage i Bethl�em.
Du c�t� de l��vangile, voici la Sibylle de Libye qui chante : � Le jour arrive o� le prince de r�ternit�, �clairant la terre r�jouie, effaceranbsp;les crimes des hommes. 11 fera justice a tous. Le Roi saint, qui vitnbsp;dans tous les si�cles, viendra se reposer dans le giron de la Reine dunbsp;t�onde (i). � Au-dessous est J�r�mie dont l�oracle est encore plus ex-plicite : � Le Seigneur a cr�� sur la terre un prodige nouveau : unenbsp;femme renfcrmera un homme dans son sein (2). �
Du c�t� de l��pitre, c�est la Sibylle de Delphes qui c�l�bre en m�me temps et le Fils et la M�re : � Conju dans le sein d�une vierge, il nai-tfa sans le secours d�un p�re mortel (5); � plus bas le proph�tenbsp;Ez�chiel fait connaitre le divin P�re du Messie : � Je susciterai � mesnbsp;l^rebis un pasteur unique, qui les m�nera aux p�turages (4). �
Le c�t� lat�ral qui regarde le Midi nous offre d�abord la Sibylle d �rythr�e, dont la pr�diction porte : � Je vois le Fils de Dieu qui estnbsp;descendu du ciel... Une vierge auguste de la race des H�breux Ie don-Hera au monde... II aura une vierge pour mere (s); � puis le proph�tenbsp;Zacharie qui a dit : � Voici que je ferai paraitre l�Orient, mon servi-teur; voila l�homme, l�Orient est son nom (e). �
Le cadre, au-dessus de la porie, repr�sente la cr�che o� FEnfant f�sus est couch�, sous la garde de Joseph et de Marie, r�chaulf�
(1) Ecce dies veniet, quo seternus tempore princeps,
Irradians sata teta, viris sua crimina tollet, jEquus erit cunctis; gremio Rcx membra reclinatnbsp;Regina; mundi sanctus per saccula vivus.
Canisi�s, De Beata Virg. lib. 11.
(s) Creavil Dominus novum super terram : femina circumdabit virum. � Jer. xxxi, 22.
(3).......... yirgineo conceptus ab alvo,
Prodibit sine contactu maris...
Canisi�s, De Beata Virg. lib. n.
(�) Suscitabo super eas pastorem unum qui pascat eas. � Ezech. xxxiv, 23.
(5) Cerno Dei Nalum qui se demisit ab allo...
IIebra;a quem virgo ferel de stirpe decora...
Virginc matre salus.
Canisi�s, De Beata Virg. lib. 11.
(�) Eccc ego adducam servum meum Orienlem... Ecce vir ; Oriens nomen ejus. �ch. m,8;vi, 12.
-ocr page 222-5gt;18 LES �ROIS ROME.
par Ie souffl� des animaux dont il partage la demeure et lou� par les anges. G�est encore a Sansovino que les arts doivent eet admirablenbsp;travail. Les deux compartiraents de la porte sont orn�s de l�Incarnationnbsp;du Verbe et de la Naissance du Sauveur.
Entre les deux colonnes du milieu brillent la Sibylle de Cumes, en Itali�, qui a prof�r� ces paroles : � Alors Dieu fera descendre du som-met de l�Olympe un Roi nouveau; alors une vierge sacr�e nourrira denbsp;son lait Ie roi de la milice celeste (i); � et Ie proph�te David, qui, sanbsp;harpe a la main, fait entendre a tous les si�cles ce divin Cantique :nbsp;tt J��tablirai sur votre tr�ne Ie fruit de vos entrailles (2). �
Apr�s l�adoration des Mages apparaissent la Sibylle punique et Ie proph�te Malachie. La premi�re dit du D�sir� des nations ; � II sera
engendr� d�une vierge m�re....... C�est d�une vierge pure que ce
grand Dieu prendra naissance (s); � Ie second Ie qualifie par ces mots : � Le Soleil de justice se l�vera (4). �
Enfin nous arrivons a la derni�re facade, tourn�e vers l�Orient. Elle nous offre d�abord la Sibylle Samienne qui d�voile le myst�re du Dieunbsp;fait chair : � Ils pourront toucher de leurs mains le Roi glorieux desnbsp;vivants, ce Roi qu�une vierge sans tache r�chauffera dans son seinnbsp;mortel (s). � Vient ensuite Mo�se qui proclama, devant l�ancien peu-ple, la gloire du L�gislateur futur : � Le Seigneur te suscitera de tanbsp;nation un Proph�te comme moi (e). �
La mort de la sainte Vierge est un autre chef-d�oeuvre qui s�pare ces statues des deux suivantes. Les Ap�tres portent leur Reine au lieunbsp;de la s�pulture; les anges, voltigeant dans les airs, semblent attendeenbsp;le moment de la conduire au ciel, tandis qu�une troupe de juifs cher-chent � enlever le pr�cieux d�p�t.
Les deux derniers proph�tes sont la Sibylle de Cumes dans le Pont,
(1).....Tune Deus e magno demittet Olytnpo
Mililia: seterna; Regem sacro virgo cibabil Lacte suo.
Canisius, De Beata Yirg. lib. 11.
(2) De fructu ventris tui ponam super sedem tuam. Ps. 131.
(5) Virgine matre satus.....
Ille Deus casta nascetur virgine matre.
Canisius, De Beata Yirg. lib. u.
(4; Orietur sol justitioe. � Malach. iv, 2.
(5) Ilune poterunt clarum vivorum tangere regem.
Humane quem virgo sinu inviolata fovebit.
Canisius, D� Beata Yirg. lib. 11.
(o) Prophetam de gente tua, sicut me, suscitabit tibi Dominus. Deut. xvm, 13.
-ocr page 223-DU REV�TEMENT DE L\ SAINTE-CHAPELLE. 219
et Balaam. La Sibylle remplit Ie monde de eet oracle : � Humble en tout, Ie Fils de Dieu choisira pour m�re une vierge chaste (i); Ie Proph�te, malgr� lui, s��crie du haut de la monlagne ; � II sortira unenbsp;�loile de Jacob, et un rejeton s��l�vera d�Isra�l (2).
Tels sont, en abr�g�, les magnifiques sujets que Ie g�nie a sculpt�s sur Ie rev�tement de la Sainte-Chapelle. Est-il �tonnant que Ie mondenbsp;entier se solt donn� rendez-vous autour du sanctuaire de Nazareth?nbsp;N�est-ce pas la que s�accomplit Ie myst�re auquel viennent aboutirnbsp;lt;luarante si�cles d�attente, de figures, de promesses et de pr�para-tions? Ou Ie mot po�sie n�a plus de sens, ou Ton conviendra qu�ilnbsp;rayonne ici dans toute sa splendeur.
Avant de p�n�trer dans la Sainte-Chapelle, nous lumes encore la helle inscription, grav�e sur la fagade ori�ntale par Cl�ment VllI. Ellenbsp;fist ainsi con^ue : � Chr�tiens �trangers, qui, conduits par Ie 'voeu denbsp;� la pi�t�, �tes venus dans ce lieu, vous voyez la sainte maison de Lo-� rette, v�n�rable aux yeux de tout l�univers par les divins myst�resnbsp;quot; et par la gloire de ses miracles. C�est ici que la tr�s-sainte Viergenbsp;*� Marie, M�re de Dieu, a vu Ie jour; ici qu�elle a �t� salu�e par l�ange;nbsp;� ici que Ie Verbe �ternel de Dieu s�est fait chair. Transport�e d�a-� hord par les mains des anges de la Palestine a la ville de Tersatz,
* nbsp;nbsp;nbsp;en lllyrie. Pan du Salut 1291, sous Ie pontifical de Nicolas IV; troisnbsp;� ans apr�s, au commencement du r�gne de Boniface VIII, elle a pass�,nbsp;a soutenue par Ie minist�re des esprits celestes, sur les terres d�An-a c�ne, pr�s de la ville de Recanati, dans uii bois de cette colline, o�,nbsp;� apr�s avoir chang� trois fois de place dans l�espace d�une ann�e,nbsp;� elle a aussi, par un effet de la Providence, fix� ici son s�jour depuis
* nbsp;nbsp;nbsp;trois cents ans. D�s lors, la nouveaut� d�un si grand prodige ayantnbsp;� frapp� d�admiration les peuples voisins, et Ie bruit des miraclesnbsp;� op�r�s en ce lieu s��tant propag� au loin, toutes les nations ont en-
''ironn� de leurs respects cette sainte Maison, dont les murailles,
quolque pos�es sans fondement sur la terre, deraeurent, apr�s tant
* nbsp;nbsp;nbsp;de si�cles, solides et dans une parfaite int�grit�. Le pape Cl�ment VII
* nbsp;nbsp;nbsp;1�a rev�tue de toutes parts de eet ornement de marbre, dans 1�an-� ��e 1525. Cl�ment VIII, souverain pontife, a command� d��crire sur
(i) In cuncUs humilis castam pro matre puellam Deligel; hasc alias forma pra�cesserit omnes.
Canisius, De Beata Virg. lib. ii.
lt;ies*^ 9�fil'Jr Stella ex Jacob, et consurget virga de Israel. Kttm. xxiv, 17. � Dans cette �^uption, nous n�avons fait qu�abr�ger M. Cailleau, dont le r�dt est lir� de Gian-etc.
-ocr page 224-220 LES TROIS ROME.
� cette pierre, une courte histoire de cette admirable translation, Tan � 1S95. Antoine Marie Gallo, cardinal pr�tre de la sainte �glise ro-� maine, �v�que d�Osimo, protecleur de la sainte Maison, a pris soinnbsp;� de faire ex�cuter eet ordre. Pour vous, pieux �trangers, venez reli-� gieusement implorer la Reine des anges et la Mere des graces, afinnbsp;� que, par ses m�rites et par ses pri�res, vous obteniez de son aima-� file Fils, auteur de la vie, le pardon de vos p�ch�s, la sant� du corpsnbsp;� et les joies de l��ternit�. �
Enfin nous entrames dans la sainte et tr�s-sainte Maison. Ce que nous en avons dit d�ja, peut servir � s�en former une id��. II reste �nbsp;en pr�ciser les dimensions et a la montrer avec les changements l�gersnbsp;et les nouveaux ornements que la pi�t� des Souverains Pontifes a crunbsp;devoir y apporter. La sainte Maison a 29 pieds 8 pouces de long, surnbsp;12 pieds 8 pouces de large, et 13 pieds 3 pouces de haut. Les mu-railles ont 1 pied 2 pouces d��paisseur. Elles sont, non pas en briques,nbsp;mais en pierres vives, de couleur rougealre, sur lesquelles serpententnbsp;de petites veines jaunes (i). Ces pierres d�un �chantillon de moyennenbsp;grandeur et d�une forme peu r�guli�re, ressemblent amp; notre mo�llon.nbsp;J�ai dit que les murailles sont isol�es du rev�tement de marbre. II nousnbsp;fut facile de nous en convaincre au moyen d�une bougie plac�e entrenbsp;les deux �difices : l�intervalle peut �tre de deux pouces et demi. Nulnbsp;fondement ne soutient l�auguste Maison dont les murs reposent surnbsp;la terre nue, et m�me d�un c�t�, k cause de l�in�galit� du terrain, nenbsp;touchent pas au sol.
On s�est assur�, ii plusieurs reprises, de ce double fait, au renouvel-lement du dallage ext�rieur. Le c�l�bre Tiburce Vergelli, architecte de la Sainte-Chapelle, fit remarquer ce second prodige i Ms'� Buzi,nbsp;gouverneur de Lorette, et ^ une foule d�autres t�moins recomman*nbsp;dables, en passant librement son bamp;ton entre les murailles et la terre (2)-
Sur une des parois on distingue les restes d�une antique peinture repr�sentant saint Louis miraculeusementd�livr� des fers dont les Sar-rasins 1�avaient charg�.
L�ancienne couverture n�existe plus : les tuiles en ont �t� plac�es
(1) nbsp;nbsp;nbsp;� J�ai examine, dit le fameux Saussure, physicien protestant, les mat�riaux de Ianbsp;sainte Maison; elle est construite en pierres taill�es en forme degrandes briques, placeesnbsp;Tune sur 1�autre et si bien unies qu�elles ne laissent entre elles que de tr�s-petits m-lervalles. Ces pierres ont pris a peu pr�s la couleur de la brique, de mani�re qu�a 1�nbsp;premi�re vue on les prend r�ellemcnt pour une esp�ce de terre cuite; mais en lesnbsp;examinant avec attention, on reconna�t qu�elles sont d�une pierre sablonneuse d uonbsp;grain tr�s-fin et tr�s-compacle. � M�m. sur la Constit. phys. et G�og. phys. de l�Iialte-
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Martorell, Trat. istor. 1.11, f�l. 088.
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sous Ie pav� actuel; une pi�ce de la charpente primitive est au niveau du pav�, o� continuellement foul�e par les pieds des p�lerins, elle de-raeure sans alt�ration. Une autre traverse la chapelle et supporte lesnbsp;lampes d�argent qui br�lent devant la Sainte-Vierge. Plusieurs t�lesnbsp;de solives qui soutenaient autrefois Ie plafond, se trouvent aujourd�huinbsp;sci�es au niveau du mur. Toutes ces pi�ces sont en c�dre, bois enti�-rement �tranger h I�llalie, et tr�s-commun au contraire dans la Jud�e.nbsp;Malgr� leur antiquit�, ces bois se conservent entiers et sans piqures,nbsp;comme s�ils venaient d��tre taill�s et mis en oeuvre.
Au milieu de la sainte Maison est l�autel. Un petit guichet plac� sur Ie devant permet de voir l�ancien autel, en pierre de taille, venunbsp;avec Ie v�n�rable sanctuaire; ii gaucbe se trouve la sainte armoire,nbsp;renferm�e dans un buffet moderne. Lamp; sont conserv�es les deux pe-tites �euelles en forme de tasses qui servirent, avec plusieurs autres,nbsp;aux usages de la sainte Familie. Elles sont en terre cuite, d�une couleur blanchatre, liser�es de rouge. Derri�re l�autel ouvre un petitnbsp;cabinet appel� il Santo Camino, � cause de l�antique chemin�e plac�enbsp;dans Ie fond. Le foyer de eet auguste monument a 4 pieds 3 poucesnbsp;de hauteur, 2 pieds 2 pouces de largeur, et 6 pouces de profondeur.nbsp;L5, on conserve une troisi�me tasse, semblable aux pr�c�dentes; mais,nbsp;par un heureux privil�ge, elle a �chapp� a la spoliation frangaise denbsp;1797. Elle est couverte de lames d�or, sur lesquelles sont grav�s lesnbsp;deux myst�res de l�Annonciation et de la Nativit� du Sauveur.
Au-dessus du Santo Camino, dans une niche autrefois toute d�or et parsem�e de pierres pr�cieuses, mais aujourd�hui d�cor�e seule-ment d�arahesques en bois dor�, on v�n�re l�antique statue de la bien-heureuse Vierge. Elle est en c�dre du Liban, ainsi que celle du divinnbsp;Enfant qui repose sur les bras de sa M�re. La hauteur de la premi�renbsp;est de 2 pieds 8 pouces; la seconde a 1 pied 2 pouces. Gr�ce ii la re-connalssante pi�t� du monde catholique, l�auguste image est enrichienbsp;d�un nombre infini de pierres pr�cieuses et A'ex-voto, en or et en argent. Au bas de la Sainte-Chapelle s�ouvre la fen�lre de l�ange, garnienbsp;d�une grille en bronze cisel�, que surmonte la croix antique apport�enbsp;avec la sainte Maison et dont la largeur �gale la hauteur.
Apr�s avoir jel� un regard d�ensemble sur le v�n�rable monument, oous entrames dans la grande chapelle du Tr�sor.
Voici d�abord la sacristie destin�e h l�habillement des pr�tres qui doivent c�l�brer la messe � l�autel de la Sainte-Chapelle, ou amp; celui denbsp;EAnnonciation. Les yeux sont �blouis par l��clat des peintures et desnbsp;d�corations. L�adrairable tableau du Guide, repr�sentant une pieuse
-ocr page 226-22:2 nbsp;nbsp;nbsp;LES TEOis home.
dame qui instruit de jeunes filles; la Sainte-Vierge communi�e par Notre-Seigneur; Ie Sauveur devant Ie peuple apr�s sa flagellation, denbsp;G�rard des INuits; Ie saint J�r�me, de Paul V�ronne; l�ensevelisse-ment de Notre-Seigneur, par Ie Tintoret; la gracieuse Madone, gard�enbsp;sous v�rre, niagnifique copie de Raphael, ex�cut�e par Sasso Ferrato;nbsp;la sainte Familie a table, par Ie Corr�ge : telles sont les oeuvres prin-cipales qui ornent celte splendide sacristie.
A gauche est une porte �paisse, garnie de fer et de verroux; elle donne entr�e h la chapelle du Tr�sor, construite sous Paul V en 1682.nbsp;La voute est couverte de peintures d�une grande beaut�, dues au pin-ceau de Christophe Roncalli, surnomm� Ie Pomarence. On y voit toutenbsp;la vie de la tr�s-sainte Vicrge. Le milieu de la voute forme trois cora-partiments; au centre, brille 1�auguste M�re tenant son Fils entre sesnbsp;bras, assise au sommet de sa sainte Maison et port�e par un groupenbsp;d�esprits c�lestes. Soixante-neufarmoires en noyer environnent lasalle.nbsp;Telle est leur beaut� et la richesse de leurs ornements qu�elles ontnbsp;co�t� S6S,000 fr.
Bien que le tr�sor �puis� par les guerres et les pillages ait souffert de grandes diminutions, il a encore de quoi surprendre. On y voit unenbsp;multitude innombrablede coeursd�or et d�argent, d��toffes pr�cieuses,nbsp;de calices, de perles, de diamants, de tableaux, de chandeliers, denbsp;montres, de bagues, de croix, de statues, de vases, d�ostensoirs, denbsp;couronnes, de colliers, de rosettes, de lampes, d�encensoirs, de bassins et d�autres objets pr�cieux. Nous remarquAmes en particulier lesnbsp;calices d�or donn�s par Murat et par le prince Eug�ne. N�est-ce pas unnbsp;beau spectacle que celui de toutes ces richesses offertes par les pon-tifes et les rois, par les princes et les chr�tiens de tous les pays, aunbsp;Dieu fait pauvre pour nous sauver, et � la douce Vierge qui en deve-nant sa M�re est devenue la n�tre, et la dispensatrice de tous les tr�-sors du Ciel? Quel plus noble, quel plus utile usage, Thorame, vassalnbsp;de Dieu, peut-il faire des biens qu�il a re�us, que d�en consacrerunenbsp;partie a payer le tribut sacr� de la soumission et de la reconnaissance?nbsp;Au nombre de ces riches offrandes, figurent encore deux �tendardsnbsp;pris sur les Turcs � la bataille de L�pante. On aime � voir dans toutesnbsp;les �glises d�Ilalie, consacr�es ii la sainte Vierge, les troph�es de cettenbsp;victoire qui sauva la chr�lient�, et que, d�une voix unanime, le Pon-tife qui ordonna l�exp�dition, et le grand capitaine qui la conduisit,nbsp;et les g�n�raux qui combattirent sous ses ordres, et l�arm�e et le peuple, attribu�rent � la toute-puissante Reine des hommes et des anges.
Vingt armoires sont veuves des dons de la pi�t�. Humiliant souve-
-ocr page 227-EE PALAIS APOSTOLIQUE. 223
nir! Pourquoi faul-il que le voyageur franjais soit oblig� de recon-naitre pour auteurs de cette spoliation sacril�ge, ses trop coupables compatriotes ? Rentr�s it la Sainte-Chapelle, nous fimes amende honorable pour cette patrie si ch�re, en suppliant la M�re des mis�ricor-des de tout oublier except� que la France est son royaume : Regnumnbsp;Gallice regnum Marice.
Au sortir de l��glise, nous visitftmes les salons du palais apostoli-que, v�ritable mus�e o� la richesse des objets le dispute amp; la perfection du travail. La pharmacie sacr�e offre ensuite � I�admiration du voyageur les trois cent quatre-vingts vases peints sur les dessins denbsp;Raphael, de Jules Remain, de Michel-Ange et d�autres artistes �gale-ment c�l�bres. 11s peuvent se diviser en quatre classes : la premi�renbsp;renferme les �v�nements les plus m�morables de I�Ancien et du Nouveau Testament; la seconde, les exploits des anciens Remains; la troi-si�me, les m�tamorphoses d�Ovide; la quatri�me, des jeux enfantins.nbsp;Au rapport d�un histori�n, la reine Christine de Su�de les estimaitnbsp;plus que toutes les richesses renferm�es dans le tr�sor de Lorette;nbsp;K car, disait-elle, les pierres precieuses ne manquent pas ailleurs;nbsp;mais 0� pourrait-on trouver une si nombreuse et si admirable collection (i) ? �
La journ�e Unit par une visite aux Dames du Sacr�-Coeur �tablies � Lorette depuis quelques ann�es. Puisse la tr�s-sainte Vierge b�nir leurnbsp;�tablissement, et accepter en compensation des vols sacril�ges commisnbsp;dans son sanctuaire par des mains frangaises, les pri�res et les travauxnbsp;des nobles lilies de la France, qui consacrent sous ses yeux leurs talents et leur vie � lui former autant de sanctuaires vivants qu�ellesnbsp;comptent de jeunes personnes confi�es � leur pieuse sollicitude!
4 AVRIL.
Messe a 1�autel de l�Annonciation. � Arriv�e des P�lerins. � Les Dalmales, leurs pri�res. � Nouveau Vetlurino. � Contrat. � Depart de Lorette. � Ane�ne. � Are denbsp;Trajan. � Calh�drale. � Sarcophage de Corconius. � Histoire et conversion de lanbsp;jeune Annina Costanlini.
Le 2S mars tombant cette ann�e le Vendredi Saint, la f�te de l�An-*ionciation de la sainte Vierge se trouvait remise au 4 avril. Gr�ce k 1
Bartoli, Isu di lor. c. 20.
-ocr page 228-2:24 nbsp;nbsp;nbsp;les trois rome.
cetle circonstance, j�eus Ie bonheur de c�l�brer, Ie jour anniversaire du grand myst�re, l�auguste sacrifice sur l�autel de l�Annonciation.nbsp;Comme je l�ai dit, eet aiitel est plac� au-dessous de la fen�tre m�me o�nbsp;dix-huit si�cles plus t�t, l�archange Gabriel replendissant de lumi�renbsp;apparut Hl Marie et lui dit: Je vous salue, pleine de grdce. La translation de la f�te nous procura une autre jouissance. De tous les lieuxnbsp;environnants, les populations arrivaient, banni�res en t�te, au cbantnbsp;des litanies, pour c�l�brer Ie joyeux myst�re, f�liciter l�auguste Viergenbsp;et lui offrir Ie tribut de la tendresse la plus filiale. Sur Ie seuil de lanbsp;Basilique, les pieuses processions tombaient � genoux et monlaientnbsp;ainsi la vaste basilique dont Ie pav� recevait leurs larraes abondantes,nbsp;tandis que les voutes r�p�taient leurs pri�res et leurs chants. Arriv�snbsp;au dernier degr� qui conduit � la Sainle-Chapelle, lesp�lerins faisaientnbsp;a genoux Ie tour de T�difice, en suivant Ie soubassement de marbrenbsp;qui supporte les magnifiques sculptures. Or, je l�ai vu, ce chemin denbsp;marbre est creus�, sillonn� par les genoux des fid�les; les pieusesnbsp;sculptures, les crucifix en bronze sont us�s par leurs baisers br�lants.nbsp;Comment assister a un pareil spectacle sans �tre profond�ment �munbsp;de la foi tendre et vigoureuse de ce bon peuple? Les communionsnbsp;furent innombrables.
Mais ce qui nous toucha jusqu�aux larmes, c�est une nombreuse ca-ravane de Dalraates, avec leur costume si pittoresque et si simple, qui avaient pass� l�Adriatique pour venir, suivant un usage six fois s�culaire, visiter leur Vierge, la prier et lui adresser de tendres reproches.nbsp;A genoux devant la Sainte-Ghapelle, les mains �lendues, les yeux bai-gn�s de pleurs, tant�t �lev�s au ciel, tanl�t fix�s sur la sainte image,nbsp;ils ne cessaient de dire a haute voix : � Revenez ^ nous, 6 belle Dame!nbsp;revenez nous, 6 Marie, avec voire sainte Maison (i)! � Et pendantnbsp;des heures enti�res, c��taient les m�mes paroles et les m�mes larmes.nbsp;Ce langage, d�monstration �loquente d�un regret �ternel, tous lesnbsp;si�cles Tont entendu.
� J�ai vu, en l�ann�e 1S59, �crit Ie P�re Riera, plus de trois cents p�lerins de celte contr�e avec leurs femmes et leurs enfants, arriver hnbsp;Lorette, portant des flambeaux allum�s, s�arr�ter d�abord a la grandenbsp;porie, oil ils se prostern�rent pour implorer Ie seeours de Dieu et denbsp;sa sainte M�re; puis tous � genoux, rang�s en ordre par leurs pr�tresnbsp;qu�ils avaient amen�s avec eux, ils enlr�rent ainsi dans Ie temple, ennbsp;criant d�une seule voix dans leur idiome naturel : � Revenez, reveneznbsp;a Fiume, � Marie! Marie, revenez ii Fiume..... Marie!.... Marie!..-
(i) Ritorna a noi, bclla Signora; ritorna a noi, o Maria colla tua casa.
-ocr page 229-AURIV�E DES I��LERINS. nbsp;nbsp;nbsp;2i,'l
Marie!.... (i).� Leur douleur �tait si vive et leur pri�re si fervente, que je cherchais a leur imposer silence, craignant que de si ardentesnbsp;supplications ne fussent exauc�es, et que la Sainte-Chapelle ne futnbsp;enlev�e a l�Italie pour aller a Tersatz reprendre son ancienne position.
J�ajouterai que, pour favoriser et r�compenser la d�votion de ce bon peuple, les Souverains Pontifes fond�rent ii Lorette un hospicenbsp;destin� a plusieurs families de la Dalmatie qui n�avaient pu se d�ter-miner a retourner dans leur pays en quittant la Vierge de Nazareth,nbsp;regardant d�sormais comme leur patrie Ie lieu qu�elle avait choisinbsp;pour sa r�sidence. De la naquit la c�l�bre compagnie du Corpusnbsp;Domini, appel�e pour cela des Esclavons jusqu�au pontifical denbsp;Paul m (2).
Pour nous, moins heureux que ces bons Dalmates, il fallut nous �loigner. Adieu, pauvre maison de Nazareth, plus belle aux yeux dunbsp;Chr�tien que tous les palais des rois; nous vous quittons, h�las! peut-�tre pour toujours; mais jusqu�� la mort vous serez k la t�te de nosnbsp;plus chers souvenirs.
Nous primes ii Lorette un nouveau vetturino, pour nous conduire jusqu�i Yenise. Un acte, renfermant toutes les clauses et conditionsnbsp;r�ciproques, fut pass� en honnes formes et sign� par les parties con-tractantes. Cette pr�caution n�est pas inutile; elle pr�vlent les contestations, et en tont cas donne au voyageur un moyen l�gal de senbsp;faire rendre justice (3).
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Reverlere, revertere Flemen, Maria; Maria, Flemen reveriere! O Maria.....
Maria!.... Maria!.... Hist. Lorei. c. iv.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Hist, de N.-D. de Lorette, [). 20.
(5) Void Ie texle de celte pi�ce qui peul servir dans l�occasion :
Loreto, a di d�aprile 1812.
Fra il signore canonico N. e Giovanni RocheUi, vetturino, � convenuto quanto siegue :
1� II vetturino sopradetto s�obliga a portare il delto signore canonico con trc suoi compagni, da Loreto a Venezia, tra cinque Giorni.
2� Il vetturino provvedera un huon legno con due buoni cavalli, che non potra cam^ Ware senza il permes'so del signore canonico et de suoi compagni.
0� Il vetturino dovrii fornire la collazione, il pranzo, e almeno due camere a ire letti per i quatro viaggiatori.
4� Il vetturino dovra andar siempre a buoni alberghi, partendo ogni matlina di buon ora per arrivare ogni Giorno prima di notte all albergo ove dovrasi pernotlare.
5� Tutte le spre d� ajuti nel passagio di fiumi, ponli, montagne; come quelle di dogana Saranno a carico del vetturino condullore.
6� Il signore canonico e suoi compagni s�obbligano a pagare died scudi a testa al 11 n del viaggio, la buona manda resla alia loro facolta.
E per 1�osservanza di cio si seno volontariamente sottoscritle ambo le parti, come oppresso.
N. canonico.
Giovanni Rochetti.
-ocr page 230-226 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
De Loretle h Anc�ne on compte six lieues. Le pays, tr�s-accident�, offre de beaux points de vue, et une culture intelligente fait toujoursnbsp;de l�ancien Picenum le jardin de l�Italie. Anc�ne compte 20,000 �mes,nbsp;y compris 5,000 Juifs, la plupart fort riches et quelques-uns m�menbsp;opulents. Le port est magnifique, et les Anc�nais passent pour lesnbsp;meilleurs marins de l�Italie. La ville adoss�e i une montagne est cou-ronn�e par une forte citadelle. Entre les monuments profanes, on admire I�arc de triomphe de Trajan, tout en marbre de Paros, et le plusnbsp;beau qu�il y ait au monde. Les parties joignent si parfaitementnbsp;qu�elles ne semblent faire qu�une seule pierre. Ge superbe monumentnbsp;est un t�moignage de la reconnaissance des Anc�nais pour I�empereurnbsp;qui avail agrandi leur port. Du c�t� de la mer, enlre les deux colonnes,nbsp;on lit les deux inscriptions suivantes, se rapportant Tune � la femme,nbsp;I�autre a la soeur de Trajan :
D1V.E
MARC1AN.E
AVG.
SORORI. AVG.
PLOT1N.E
AVG.
CONJVG. AVG.
Sur les ruines du temple de V�nus s��l�ve la cath�drale, d�di�e � saint Cyr en Cyriaque, et dont la facade, ouvrage de Margaritone, offrenbsp;une belle page de Part chr�tien. C�est pr�s de l� que fut p�ch� lenbsp;fameux turbot sur lequel Domitien fit d�lib�rer le s�nat.
Anc�ne la dorique (i) rappelle au chr�tien et les disciples de saint Pierre qui vinrent la d�livrer du joug de l�idol�trie, et les glorieuxnbsp;martyrs dont le sang g�n�reux cimenta l��difice de la foi. Dans la cha-pelle des reliques, batie par Vanvitelli, on conserve les corps sacr�snbsp;des saintes Palatia et Laurentia qui, vers l�an 303, sanctifi�rent parnbsp;l�effusion de leur sang virginal ces lieux souill�s par le culte de ITn-fame d�esse. L�artiste ne doit pas oublier, dans la m�me �glise, lesnbsp;colonnes antiques, autre monument du Iriomphe de la foi sur le paganisme, non plus que Ie tableau de sainte Palatia, et le beau sarco-phage de Corconius, plac� dans la crypte. Ce monument, qui remontenbsp;au iv' si�cle (366), pr�sente l�Enfant J�sus dans la cr�che, au milieunbsp;du boeuf et de T�ne. II ruine ainsi les pr�tentions de certains auteursnbsp;qui assignaient au v� si�cle l�origine de la tradition qui place ces deuxnbsp;animaux dans l��table du R�dempteur (2). Du reste, la m�me circon-
(i) Ante domum Veneris quam dorica suslinei Ancon. Juv. (s) Scipio Mafley, Observ, litterar. t. v, p. 194.
-ocr page 231-227
CONVERSION DE LA JEUNE ANNINA COSTANTINI.
stance est reproduile sur des verres des catacombes beaucoup plus, anciens, en sorte qu�il faut aller jusqu�au berceau de la foi pour trou-ver le commencement de cette tradition, contemporaine de l��v�nement.
C�est i Saint-Frangois-m-^ilo qu�on trouve la Vierge si na�ve et si pure du Titien, et I�Annonciation du Guerchin.
Un touchant souvenir me pr�occupait cn parcourant les rues d�An-c�ne. C��tait celui d�une jeune Isra�lite dont la merveilleuse conversion avait, quatorze ans plus tard, amen� au pied des autels son oncle, sa tante et ses trois cousines : heureuse familie au triomphe de laquellenbsp;nous avions assist� dans l��glise romaine d'Ara-Cceli. Je tenais beaucoup amp; voir les lieux o� ce fait s��tait accompli. Mais le fait lui-m�me,nbsp;peu connu en France, comme tous ceux du m�me genre, veut �trenbsp;d�abord racont�. Le voici tel qu�il est consign� dans la relation authen-tique, publi�e a Anc�ne m�me par un t�moin oculaire. En J826, lanbsp;jeune Annina Costantini, �g�e de seize ans, fille unique d�une des plusnbsp;riches families juives d�Anc�ne, fut mise en pension chez les maitressesnbsp;Pies. Quoique baptis�e secr�tement, lorsqu�elle �tait au berceau, parnbsp;une nourrice chr�tienne, elle �prouvait pour le christianisme une r�-pugnance extr�me, augment�e par une tendresse inexprimable pournbsp;sa familie : le seul mot de conversion aurait sufii pour provoquer sanbsp;col�re. Toutefois les exemples qu�elle avait sous les yeux, les parolesnbsp;qu�elle ne pouvait s�emp�cher d�entendre dissipaicnt peu amp; peu sesnbsp;pr�jug�s : l�esprit �tait convaincu, mais le coeur r�sistait. Personne,nbsp;du reste, n��tait le confident de ce travail int�rieur.
Le jour de la F�te-Dieu arrive. La jeune endurcie se met � une fe-n�tre qui donne sur la place, afin de voir passer la procession. L��v�-que, Ms�' Menbrini Gonzaga, qui portait le Saint-Sacrement, s�arr�te pour b�nir la mer et les vaisseaux. A ce moment solennel, Annina fixenbsp;les yeux sur la sainte hostie et, � Je vis, ce sont ses propres paroles,nbsp;eu milieu de rayons lumineux qui partaient du centre de l�ostensoir,nbsp;Un joli petit enfant qui vola droit � moi, se posa sur mon sein, m�em-brassa avec amour et me remplit d�une suavit� inexprimable (i). �nbsp;Elle tombe �vanouie entre les bras de ses maitresses et de ses campagnes, vivement inqui�tes d�un �tat dont elles ignorent la cause. Revenue peu a peu, elle reprit ses sens et verse d�abondantes larmes;nbsp;�ais telle �tait son attachement a sa familie qu�elle cacha soigneuse-ment ce qu�elle avait vu, dans la crainte d��tre oblig�e de se faire ca-
(0 Quando (lo dir� colle sue precise parole) essa vide Ira molta luce dell� ostensorio Un vezzoso bambino, cd a lei direUamente volare, e porsarscle in grembo, e stringerselenbsp;al seno soavemcnle, il cuore empiendo di non piu udila dolcczza. Relaz. p. 12.
-ocr page 232-228 LES TROIS ROME.
tholique. � J�aurais mieux aim�, disait-elle, tomber en enfer en restant juive, que de contrister ma familie en devenant chr�tienne (i). �
Dien, qui voulait avoir cette ftme d��lite, sut bien Iriompher de son opiniAtret� comrae il avail triomph� de celle de Saul, il y a dix-huitnbsp;si�cles, et de celle d�Alphonse Ratisbonne, il y a quatre mois. Dans lanbsp;charabre o� couchait Annina se trouvait une vieille image de saintnbsp;Francois de Paule, Ie thaumaturge de la Calabre. Sans savoir pour-quoi, elle se sent prise d�une grande d�votion envers ce saint, et courtnbsp;se prosterner en fondant en larmes devant son portrait. � Francois,nbsp;lui dit-elle, si vous �tes un saint; si la religion chr�tienne que vousnbsp;avez profess�e sur la terre est v�ritahle, obtenez-moi de Dieu la gracenbsp;de vaincre ma repugnance. � Depuis ce moment, ajoute-t-elle, je menbsp;sentis remplie de tendresse pour ce saint; et je ne comprenais pasnbsp;comment je pouvais aimer d�un amour si sensible un �tre invisible etnbsp;qui m��tait parfaitement inconnu. Jamais je n�ai eu de pareils sentiments pour aueune creature terrestre, bien que ma tendresse pour manbsp;familie fut immense (2). �
En attendant, elle r�sistait ^ toutes les solllcitations dela grilee; et telles �taienl ses luttes centre Dieu qu�elle en perdait Fapp�tit, et pas-sait les nuits a pleurer; � Enfin, dit-elle, dans la nuit du 27 juin jenbsp;m��veillai, et m�aper^us qu�en dormant je priais mon cher Saint. Lesnbsp;derniers mots de ma pri�re �taient encore sur mes l�vres, lorsque,nbsp;�tant parfaitement �veill�e, il m�apparut merveilleusement 5 droile denbsp;mon lit, et, me prenant par la main, il me dit avec douceur : � Con-
� solez-vous, et calmez votre coeur; vous serez ma fille.... toujours.....
� toujours; � et il disparut (a).
La victoire est remport�e. Ni l�amour incroyable qu�elle a pour sa familie, il la perte d�un riche mariage, convenu d�ja avec un de sesnbsp;cousins, ni la certitude de contrister sa m�re, veuve depuis longtemps,nbsp;et son oncle qui lui a servi de p�re, el sa tante qui l�a �lev�e, ne peu-vent lui faire retenir la v�rit� captive. D�s Ie M juillet elle �erit troisnbsp;lettres, o� son �me si tendre, si d�vou�e, mais en m�me temps si cou-rageuse et si forte, se r�v�le tout enti�re. La premi�re est k sa m�re,nbsp;la seconde � son oncle, la troisi�me � sa tante. Elles sont admirables
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Ilelaz. p. 13.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;ld. p. lo.
(5).... Quando a me svcgliala perfellamente, in mirabil modo egli apparve alia sponda destra del letlo, e presami per la mano : � Ti consola, soavemente mi disse, c ras-sereua il tuo cuore...� lu sarai mia figUa... scmpre... sempre � e ci� deito svani-lielaz. p. 16.
-ocr page 233-CONVERSION DE LA JEUNE ANNINA COSTANTINI. 229
de simplicit�, de pi�t� filiale et d��nergie chr�lienne. Je n�en cilerai qu�une seule :
Foris. � A ma tr�s-ch�re maman, Gentile Perera.
Intus. � � Tr�s-ch�re Maman,
� II y a environ quatre mois que, par respect humain, pour ne pas perdre un riche �poux, pour ne pas me priver de nombreux avantagesnbsp;et de nombreux plaisirs et beaucoup plus pour ne pas afiliger mesnbsp;bien-aim�s parents, je vis cruellement comballue par des sentimentsnbsp;oppos�s et toujours en dure r�volte centre Dieu et centre mon intimenbsp;conviction. Mais la grace c�leste a op�r� en moi d�une mani�re tellenbsp;que je ne dois ni ne puls plus r�sister. Dieu, � ma ch�re et tr�s-rch�renbsp;maman! veut que je sois chr�tienne, et il m�a fait connaitre �vi-demment sa volont� par mille moyens plus sensibles les uns que lesnbsp;autres.
� Je comprends qu�une semblable nouvelle vous percera Fame; et e�est ia, soyez-en sure, Ie principal motif pour lequel ma pr�sente r�-solution co�te tant i mon coeur, et pour lequel j�ai vers� jusqu�ici etnbsp;je verse encore tant de larmes am�res. Mais tranquillisez-vous, denbsp;grace, ma bonne et tendre maman, et consolez-vous en pensant que,nbsp;votre Annina ne se faisant point chr�tienne par caprice, mais pournbsp;correspondre a la grAce de Dieu, elle ne sera jamais indigne de vousnbsp;et ne fera jamais rien qui puisse m�riter vos reproches. Dans cettenbsp;vraie religion, ma bonne maman, vous avez d�ja plac�, sans Ie vouloir,nbsp;ct avant moi, une de vos filles qui, �tant morte apr�s avoir relt;;u Ienbsp;saint bapt�me des mains de sa nourrice, jouit maintenant de Dieunbsp;dans Ie ciel.
� Et voila 1�explication du songe myst�rieuxque vous e�tes avant ma naissance, et dans lequel il vous fut command� de me donner Ie nomnbsp;d�Annina, nom que portait ma petite soeur morte au berceau. Ce songe,nbsp;que vous m�avez racont�, je ne l�ai jamais communiqu� h personne,nbsp;except� lorsque j�ai su avec certitude que ma petite soeur avait �t�nbsp;taptis�e, et il a �t� pour moi un nouveau motif d�embrasser avec force,nbsp;comme je Ie fais. Ia religion chr�tienne. Plaise au Seigneur qu�il soitnbsp;aussi pour ma ch�re maman une raison qui la d�termine a suivre scsnbsp;deux filles, et h pourvolr ainsi au v�ritable bien de son i\me!
� B�nissez-moi, ma bien ch�re maman; offrez mes respectueux sen-*^iments ii mon excellent oncle L�on; donnez mille tendres baisers a mes
iO.
-ocr page 234-250 nbsp;nbsp;nbsp;les TROIS ROME.
chers petits fr�res, et souvenez-vous que je vous aime sans mesure, et ne cessez pas, de gr�ce, de m�aimer toujours.
� AncOne, 51 ao�t 1826.
� Yotre fille toute aimante,
� Annina Costantini (i). �
L�effet de ses lettres, joint aux circonslances merveilleuses de sa conversion, fut tel sur l�esprit de son oncle Benedetti Costantini, qu�ilnbsp;d�termina, apr�s quatorze ans de lutles int�rieures, eet excellentnbsp;homme, avec toute sa familie, � suivre l�exemple de sa ni�ce.
Cet int�ressant souvenir, rendu plus vif encore par la vue des lieux, th�fttre de ce consolant prodige, nous occupait d�licieusement tandisnbsp;que, par une route charmante, trac�e sur les bords de la mer, nousnbsp;franchissions l�espace qui s�pareAnc�ne de Sinigaglia. La nuit tombaitnbsp;comm'e nous entrions dans cette derni�re ville, antique fondation denbsp;nos a�eux.
5 AYRIL.
SinigagUa,�Sa Foire. � Fano. � Fossombrone. � Souvenir d�Asdrubal. � Pesaro. � Calh�drale. � Souvenirs de Rossini, de Raphael et du Bramante. � Republique denbsp;San Marino. � Organisation civile et judiciaire des �tats pontilicaux. � La Cattolica.nbsp;� Souvenirs des P�res de Rimini. � Rimini. � Arc d�Auguste. � �gliscs. � Martyrenbsp;de saint Gaudens. � Tableau de Paul V�ron�se.
II est un proverbe, vieux de quelque mille ans, qui a couru et qui court encore Ie monde entier; ce proverbe dit : � Pas de guerre sansnbsp;soldats gaulois : Nullum bellum sine milite gallo. � Nos a�eux �taientnbsp;done de tous les combats, comme d�autres sont de toutes les parliesnbsp;de plaisirs. Quel pays, quel si�cle ne les a pas vus guerroyant, tant�tnbsp;pour leur compte, tant�t pour Ie compte d�autrui; laissant leurs osse-ments sous tous les climats, et fondant des colonies sur les terres �tran-g�res? Done, en l�an 358 avant J�sus-Christ, les bords charmants denbsp;l�Adriatique virent arriver une arm�e de S�nonais qui se rendirenVnbsp;mailres du littoral, et y fond�rent une ville h laquelle ils donn�rentnbsp;leur nom. Sous l�enveloppe italienne de Sinigaglia, reconnaissez lanbsp;fille des Gaulois s�nonais, l�antique Sena Gallica. Sa belle calh�drale,nbsp;ses vieux remparts, ses rues superbes, annoneent et l�antiquil� de son
(i) La gloria di Dio manifestata nella conversione amtnirablle dcU�egregia ed illusire donzella signora Annina Costantini, d'Ancona, operalta dedicata alia medesima dalnbsp;canonico Mariano Bedetli publico prof. bislor. Eccl. nel vescovile scm. di delta cittanbsp;10 seiiemb. 1826.
FOIRE DE SINIGAGLIA. 231
origine, et la prosp�rit� de son commerce, et les progr�s de sa moderne civilisation.
Sinigaglia, qui compte environ 9,000 ftmes, est Ie Beaucaite de l�I-talie. Sa foire c�l�bre commence au mois de juillet et dure jus-qu�au 20 ao�t. Elle attire une affluence prodigieuse de marchands italiens, siciliens, allemands, dalinates, grecs surtout. De temps imm�-morial ces derniers ont l�habitude de venir chercher i Anc�ne el iinbsp;Sinigaglia les produits de l�industrie europ�enne, et de les distribuernbsp;ensuite dans l�int�rieur de la Gr�ce et aux Echelles du Levant. Avantnbsp;la redoutable concurrence que lui fait Trieste, Anc�ne ressemblait anbsp;une cit� du P�lopon�se et de l�Archipel. Les bfttiments de l�Hell�nienbsp;remplissaient Ie port; la plupart des magasins, des boutiques, desnbsp;caf�s appartenaient aux Grecs, et Sinigaglia �lait un march� � peunbsp;pr�s exclusivement ouvert � leurs compatriotes. Aujourd�hui ils nenbsp;viennent plus gu�re � Sinigaglia, et c�est par correspondance qu�iisnbsp;op�rent. Trieste, mieux plac�e, s�accroit aux d�pens de son anciennenbsp;rivale, dont les exportations se r�duisent maintenant au bl�, chanvre,nbsp;tabac, suif, peaux, tartrate de potasse, bois de construction.
Malgr� sa d�cadence, Sinigaglia offre encore, pendant la tenue de la foire, un spectacle digne du pinceau de l�artiste. Qu�on se figure unnbsp;mouvement perp�tuel d�hommes de toutes les nations, aux costumesnbsp;vari�s, occup�s � se chercher, ou empress�s i� faire transporter lesnbsp;marchandises du port � la ville et de la villeau port; une ville enti�renbsp;dans les rues, garnies de deux rang�es de boutiques �l�gantes, sur-mont�es de lentes que l�on huraecte de temps en temps, et dont Ie solnbsp;est garni de planches pour la commodit� des transports; une ville de-venue un vaste bazar, et dont les foss�s, les glacis, les plaines envi-TOnnantes sont couvertes de baraques, de cuisines, de chevaux au piquet; c�est un spectacle que pr�sentcnt � peine les villes orientales,nbsp;evi aboutissent les grandes caravanes de la Mecque et du Sahara.
Nous quitt�mes nos cousins, les Gallo-S�nonais, apr�s avoir pris une tasse de leur excellent caf� Manco, et quelques heures plus tard nousnbsp;�tions � Fano. L�antique Fanum fortunw ne conserve gu�re d�autresnbsp;souvenirs de son histoire pa�enne, que son nom, les restes d�im are denbsp;Womphe �lev� en l�honneur d�Auguste, et une belle statue de la For-*�gt;106, plac�e sur la fontaine publique. Le nom et la statue immorta-fisent la reconnaissance des Remains pour la victoire dont je vaisnbsp;parler. C�est k Fano qu�on passe le M�taure, fleuve c�l�bre par la d�-faile du malheureux Asdrubal, digne fr�re d�Annibal. L�habile capi-taine cherchait a op�rer sa jonction avec le vainqueur de Cannes, au-
-ocr page 236-LES TROIS ROME.
quel il amenait des ren forts. Arr�t� dans sa marche par les consuls Livius Salinator et Claudius Nero, son corps d�arm�e fut taill� ennbsp;pi�ces et lui-m�me resta sur Ie champ de batailie. Ce combat, auquelnbsp;Rome dut peut-�tre son salut, se donna pr�s de Fossombrone, Forumnbsp;Sempromi, l�an 207 avant J�sus-Christ, a quelques milles sur lanbsp;gauche de Fano. A la montagne, qui porte encore Ie nom d�Asdrubal,nbsp;on voit la voie Flaminienne, creus�e par Ie ciseau pendant l�espace d�unnbsp;mille dans Ie coeur m�me du rocher vif. Cette ouverture, capablenbsp;d��tonner notre corps royal des ponts et chauss�es, est la Petra Per-tusa de Victor, dont l�origine se perd dans la nuit des temps.
Midi sonnait lorsque nous entrions a Pesaro, autre ville du littoral d�environ 18,000 amp;mes. Comme on Ie voit, toute cette c�te de l�A-driatique est tr�s-peupl�e. J�aurai bient�t occasion de revenir sur cenbsp;fait. On c�l�brait la f�te de saint Vincent Ferrier, Ie grand thaumaturge du quinzi�rae si�cle, les �glises �taient pleines d�une foule re-cueillie et avide d�entendre une tr�s-belle messe en musique, ex�cut�enbsp;par les amateurs de la ville : la patrie de Rossini est f�conde en artistes distingu�s. Nous vimes a la calh�drale, remarquable �difice, unenbsp;superbe Circoncision, du Barroche, Ie maitre de la peinture dans lanbsp;Romagne, et un Saint-J�r�me, du Guide. Pesaro est, du reste, unenbsp;ville charmante par sa position, et riche par la f�condit� de son terri-toire qui produit les meilleures figues de l�Italie.
Continuant a courir sur la voie Flaminienne, on laisse a gauche Ur-bino. Ia patrie de Raphael et du Bramante; un peu plus loin on se trouve en regard de la montagne sur laquelle repose la r�publique denbsp;San Marino. Ce petit �tat compte environ cinq mille bmes de population, poss�de trois chateaux et cinq �glises. Ses usages et son droitnbsp;coutumier firent tomber la conversation sur l�organisation administrative et judiciaire des �tats pontificaux.
Le domaine temporel du Saint-P�re se divise en vingt provinces.
Celles deBologne, Forli, Ferrare, Urbino et Pesaro, sont pr�sid�es par un cardinal l�gat et prennent le titre de l�gation.
Les autres, nomm�es d�l�galions, sont r�gies par un pr�lat d�l�gat apostolique.
Chaque province est divis�e en districts.
Chaque district comprend plusieurs arrondissements ou gouverne-ments.
Au-dessous des gouvernements viennent les communes.
Dans chaque commune il existe un Conseil municipal compos� de 16 � 48 membres, suivant l�importance de la population.
-ocr page 237-ORGANISATION DES �TATS PONTIFICAllX. 233
Dans chaque Conseil municipal il y a un ou plusieurs d�pul�s ec-cl�siasliques, choisis par les �v�ques. Ils assistent aux r�unions muni-cipales, et ont voix d�lib�rative lorsqu�il s�agit de questions relatives aux int�r�ts des fondations pieuses, des �tablissements de charit� etnbsp;des biens du clerg�.
Le Conseil municipal nomme et r�voque les employ�s communaux.
Chaque commune entretient, pour le service public, un m�decin, un chirurgien-vaccinateur, un maitre d��cole, un secr�taire, un rece-veur des imp�ts, et un trompette charg� d�afficher les lois et ordon-nances, et de publier les arr�t�s du pouvoir local.
Pour faire face aux d�penses, le Conseil emploie les revenus des biens-fonds de la commune.
En cas d�insuffisance il peut �tablir : 1� un imp�t sur tous les ob-jets de consommation, except� les grains et la farine; eet imp�t ne peut jamais exc�der 60 ba�oques (3 francs) par t�te d�individu male,nbsp;depuis 14 jusqu�a 60 ans; 2� sur les m�mes individus, un imp�t personnel, gradu� suivant la richesse des families et qui ne peut d�pas-ser 40 ba�oques; 3� si les droits de consommation et de taxe person-nelle ne suflisent pas, on a recours ii des centimes additionnels �tablisnbsp;sur le foncier (i).
Tous lescitoyens nobles, propri�taires, artisans, sont repr�sent�s au conseil municipal. En y joignant les d�put�s eccl�siastiques, tous lesnbsp;int�r�ts ont leurs organes et leurs d�fenseurs dans cette assembl�enbsp;vraiment populaire.
De cette organisation civile r�sulte : 1� que les �tats Pontificaux ne sont point, comme le disent certains journaux, livr�s a l�arbitraire dunbsp;despotisme sacerdotal; 2� que les institutions municipales y sont plusnbsp;compl�tes et plus lib�rales que les n�tres; 3� que les imp�ts y sontnbsp;comparativement tr�s-l�gers.
Pas plus que la fortune des particuliers, leur r�putation, leur vie u�est nullement � la merci du pouvoir. Une organisation judiciaire estnbsp;J� pour d�fendre le faible, r�primer et punir le m�chant.
Le premier degr� de juridiction se trouve dans la commune, les auditeurs l�gaux jugent par voie �conomique pour les sommes au-des-sous de cinq piastres.
Le second se trouve dans le chef-lieu du district, o� le gouvernement peut prononcer sur une valeur de deux cents piastres.
Le troisi�me est au chef-lieu, o� si�ge un tribunal civil.
(i) Voycz �tats Rom. par M. Fulchiron, t. iii, p. 212.
-ocr page 238-234 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
Le quatri�me est dans les eours d�appel, qui connaissent en seconde instance des proc�s jug�s en premi�re par les tribunaux civils.
Le cinqui�me est le tribunal supr�me de la Sagra Ruota, si�geant � Rome ; c�est notre cour de Cassation.
La jurisprudence des �tats Pontificaux veut que deux sentences conformes aient �l� obtenues, pour qu�il y ait chose jug�e. II en r�-sulte des lenteurs qui ont provoqu� le bl�me de plusieurs �crivains.nbsp;L�application de cette loi peut �tre vicieuse, mais le principe nousnbsp;parait bon. Ces d�lais qui sont une preuve nouvelle de la prudencenbsp;romaine, donnent aux parlies le temps de preparer leurs moyens denbsp;d�fense, aux juges celui d��tudier les pi�ces du proc�s, et de connaitrenbsp;la sentence anticip�e de l�opinion publique; d�un autre c�t�, les passions se calment, et des arrangements � l�amiable deviennent plusnbsp;faciles.
Parall�lement � cette hi�rarchie judiciaire, s�en �l�ve une autre � laquelle les parties sont heureuses de recourir. Les �v�ques et arche-v�ques sont juges en premi�re instance dans les limites de leurs dio-c�ses. Ils prononcent par l�organe de leurs grands vicaires, n�importenbsp;la somme en litige, sur les affaires eccl�siastiques ou mixtes, et m�menbsp;sur les s�culi�res, s�il y a consentement des parlies.
On peut en appeler de la sentence de l��v�que a cellc de l�archev�-que dont il rel�ve; en tout cas l�appelant a toujours le droit d�en appeler directement au Saint-Si�ge.
Celui-ci juge par les tribunaux eccl�siastiques de la chambre apos-tolique et du cardinal vicaire.
Les crimes eccl�siastiques et centre les personnes engag�es dans les ordres sacr�s ou d�vou�es � Rieu par la profession religieuse, sontnbsp;jug�s par les tribunaux eccl�siastiques.
Ces tribunaux ont cinq juges ; l�archev�que ou l��v�que du dioc�se, et quatre personnes choisies par lui.
On peut appeler de ce jugement i la Congr�gation romaine des �v�ques et r�guliers.
A Rome, c�est au cardinal vicaire qu�appartient exclusivemenl le jugement des crimes centre les bonnes meeurs. Le pr�lat vice-g�rant.nbsp;le pr�lat suppl�ant civil et deux assesseurs composent le tribunal.
L�appel de la sentence est port� i la Congr�gation des �v�ques et r�guliers.
Les crimes et les d�lits des soldats et officiers sont exclusivemenl de la comp�tence des tribunaux mililaires (t).
(i) Voyez �tats Rom. par M. Fulchiron, t. lu, passim.
-ocr page 239-ORGANISATION DES �TATS PONTIFICA�X. 233
Enfin, les offenses centre la religion sont d�f�r�es au tribunal de 1�Inquisition, Ie plus mis�ricordieux de tous les tribunaux.
Telle est, � grands traits, 1�esquisse de l�organisation judiciaire fians les �tats Remains. La distinction des diff�rentes classes de per-sonnes est soigneusement maintenue. Les simples citoyens, les eccl�-siastiques et les militaires ont leurs tribunaux particuliers. C�est l�,nbsp;ce nous semble, une chose tout a fait �quitable, et qui contribue plusnbsp;flu�on ne pense au maintien de la morale publique. II en est de m�menbsp;des cat�gories de crimes. Quoi de plus sage, par exemple, que de r�-server la connaissance des fautes contre les moeurs ou la religion a desnbsp;juges qui, par leur earact�re sacr� et par leurs �tudes sp�ciales, sontnbsp;plus aptes que tous autres � trailer avec la r�serve et la sience conve-nables ces causes difiiciles? En tout cela nous confessons ne pas trou-ver la moindre trace de ce despotisme abrutissant, donl nos journauxnbsp;accusent Ie gouvernement pontifical.
Qu�il y ait dans la l�gislation romaine des lacunes et des d�fauts, qu�il y ait de la mollesse et m�me des abus dans l�application des lois;nbsp;nul ne songe ii Ie r�voquer en doute. Mais o� ces inconv�nients ne senbsp;rencontrent-ils pas? Depuis cinquante ans nous en sommes � faire desnbsp;r�volutions pour d�truire les abus, y avons-nous r�ussi? Les abus ontnbsp;chang� de nom, de place et d�objets, mais s�il en faut croire nos yeux,nbsp;ils existent toujours. Les abus se d�truisent non par les lois, mais parnbsp;les moeurs; et les moeurs se forment par la Religion, lumi�re de lanbsp;conscience, principe de vertu et frein de toutes les passions. Ce quinbsp;porte k conclure tr�s-logiquement, en faveur de la l�gislation et de lanbsp;l�gislature romalnes, que les d�fauts et les abus y sont molns fr�quentsnbsp;et surtout moins graves que chez un people sans religion.
Quant �i la jurisprudence des �tats Pontificaux, elle se compose, pour Ie fond, du code Juslinien, et des prescriptions du droit canoni-'l'ie; pour la parlie organique, des ordonnances et r�glements desnbsp;Papes, c�est-�-dire, dans la r�alit�, de lout ce que la sagesse humainenbsp;eonnait de plus parfait. De l� ce mot du publiciste Ie plus profondnbsp;des temps modernes : � Que dirons-nous de Rome, demande l�illustrenbsp;�omte de Maistre? C�est dans Ie gouvernement des Ponlifes que Ie v�-ritable esprit du christianisme doit se montrer de la mani�re la moinsnbsp;Equivoque. Or, c�est une v�rit� universellement connue, que jamais onnbsp;� a reproch� il ce gouvernement que la douceur. Nulle part on nenbsp;trouve un r�gime plus paternel, une justice plus �galement distribu�e,nbsp;syst�me d�impositions ii la fois plus humain et plus savant, unenbsp;tolerance plus parfaite (i). �
(0 Lettres sur l'Inq. Lelt. i, p. 22.
-ocr page 240-236 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS HOME.
Gependant les heures avaient fui rapidement. Au sortir du monde administratif et judiciaire, nous entrftmes sur une terre f�conde ennbsp;souvenirs de noire antiquit� chr�tienne. Voici sur Ie bord de la routenbsp;Ie petit village della Cattolica. D�oii lui vient ce nom singulier?nbsp;En 3S9, une grande bataille se livrail a Rimini: Ie catholicisme, c�est-�-dire la v�rit�, la civilisation, la libert�, �tait aux prises avec l�aria-nisme, c�est-h-dire avec Terreur, m�re de Tesclavage et de la d�grada-tion, soutenu par la ruse de ses chefs et par Ie glaive des C�sars : unnbsp;moment Tarianisme triomphe. Les P�res catholiques cedent amp; Torage;nbsp;et plut�t que de trahir Ie dep�t de la foi, ils s�exilent volontairementnbsp;dans Ie petit village o� nous sommes.
A cette glorieuse retraite il doit Ie nom qu�il porte. Saluons en passant les illustres champions dont il fut Tasile. Ph�bade d�Agen, Ger-vais de Tongres, chefs de la courageuse cohorte, conservez-nous la foi pour laquelle vous avez si noblement comhaltu! G�est Ie premier denbsp;ces saints �v�ques qui, en apprenant la chute du plus ancien de sesnbsp;coll�gues, Ie centenaire Osius de Cordoue,'�crivait une lettre qu�ilnbsp;faut lire amp; la chute de toutes les grandes colonnes de T�glise : � Jenbsp;ne doute pas, dit Ie nouvel Athanase, qu�apr�s avoir examin� et expos� toutes ces v�rit�s � la lumi�re de Tintelligence publique, on nenbsp;nous oppose, comme une puissante machine, Ie nom d�Osius, Ie plusnbsp;ancien de tous les �v�ques, et dont la foi a toujours �t� si sure; maisnbsp;je r�ponds en peu de mots, que Ton ne peut employer Tautorit� d�unnbsp;homme qui se trompe � pr�sent, ou qui s�est toujours tromp�. Toutnbsp;Ie monde sait quels ont �t� ses sentiments jusqu�i ce grand �ge; avecnbsp;quelle fermet� il a regu la doctrine catholique a Sardique et ii Nic�e,nbsp;et condamn� les Ariens. S�il a mainlenant d�autres sentiments, s�ilnbsp;soutient ce qu�il a condamn� et condamn� ce qu�il a soutenu, je Ie disnbsp;encore une fois, son autorit� n�est pas recevable. Car s�il a mal crunbsp;pendant pr�s de quatre-vingt-dix ans, je ne croirai pas qu�il eroie biennbsp;apr�s quatre-vingt-dix ans; et s�il croitbien maintenant, que doit-onnbsp;juger de ceux qu�il a baptis�s dans la foi qu�il tenait alors, et qui sontnbsp;sortis du monde? Que dirait-on de lui-m�me s�il fut mort avant cettenbsp;assembl�e? Done, comme je Tai dit, Ie pr�jug� de son autorit� n�anbsp;aucune force, paree qu�elle se d�truit elle-m�me. Aussi lisons-nousnbsp;que la justice du juste ne Ie sauvera point, s�il tombe une fois dansnbsp;Terreur (i). �
Le Symbole de Nic�e, r�cit� de Ia Cattolica � Rimini, en r�paration
(i) Bihliolk. PP. t. II.
JIART�RE DE SAINT GAUDENS. nbsp;nbsp;nbsp;257
des outrages fails a la diviiiit� du R�dempteur, est doux a ritme fomme Test a la Louche Ie fruit mang� sur l�arbre. Nous entr�mesnbsp;dans l�antique cit� par la por te Romaine, form�e d�un bel are denbsp;triomphe �lev� en l�honneur d�Auguste. Comme toutes les villesnbsp;�chelonn�es sur cette c6te jusques et y compris Venise, Rimini, l�an-cienne Ariminum, n�est plus qu�une ombre d�elle-m�me. On n�ynbsp;compte que 17,000 amp;mes. La mer s�est �loign�e de ses murs, et c�estnbsp;^ peine si on voit quelques traces de l�ancien port. Une partie desnbsp;marbres qui l�embellissaient, ornent aujourd�hui plusieurs �glises denbsp;la ville, entre autres la cath�drale. Get �difice, dont la fondation remonte au quatri�me si�cle, m�rite, tout modernis� qu�il est, la cu-riosit� de l�artiste chr�tien.
Ce qui Ie rend surtout v�n�rable aux yeux de la foi, c�est Ie sang Episcopal dont il fut rougi par ordre de l�empereur Constance, pro-tecteur des Ariens et arien lui-m�me. Au temps du trop fameux Con-mle, saint Gaudens, �v�que de Rimini, d�jouait avec une irr�sistiblenbsp;logique les ruses d��rsace et de Valens. Pour lui r�pondre, Constance employa la logique des tyrans : il Ie fit �gorger par les licteursnbsp;du Proconsul (i). B�tie sur les ruines du temple de Castor et de Pollux,nbsp;la cath�drale perp�tue encore Ie souvenir du triomphe de P�vangilenbsp;sur Ie paganisme, tandis que celle des Capucins marque remplacement de l�amphith�fttre de Publius Sempronius, dont elle prot�g� lesnbsp;derniers vestiges. La statue de bronze de Paul V, �lev�e sur la grandenbsp;place, rappelle les bienfaits du Pontife, et dans l��glise de Saint-Julien, Ie pinceau de Paul V�ron�se redit, avec l��loquence du g�nie,nbsp;les combats et les victoires du glorieux martyr.
G AVRIL.
Tribune de C�sar. � Chapelle du Miracle. � Saint Antoine de Padoue, son discours poissons.�Xonversion de Bonvillo. � Porte Saint-Julien. � Pont d'Auguste.
Passage du Rubicon. � Cervia. � La Pignala.�Monast�re de Classe. � Mosa�que.
� Saint Romuald. � L�empereur Olhon. � Ravenne.
Sur la place du March� s��l�vent deux monuments qui excitent *l�abord la curiosit� du voyageur. Le premier est un pi�destal ennbsp;S^'anit, d�un m�tre et demi de hauteur sur cinquante centim�tres denbsp;largeur. Qu�est-ce que ce monument tronqu�? pourquoi est-il l� au
(t) Baron. Ifot. ad Martyr. 14 oclob.
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milieu de la rue, g�nant la circulation plut�tqu�il n�embellit la place? On vous r�pond : A ce pi�destal se rattache un fait d�cisif de l�his-toire Romaine. lei m�me, du haut de cette singuli�re tribune, C�sarnbsp;harangua son arm�e apr�s Ie passage du Rubicon, pour l�exborter 6nbsp;marcher sur Rome. On sait quelles furent les cons�quences de cenbsp;discours.
Le second monument est une jolie petite chapelle circulaire dont la pr�sence au milieu de la place publique, est en r�alit� aussi contraire aux r�gies du bon go�t, qu�elle parait d�abord oppos�e auxnbsp;convenances religieuses. Mais ces consid�rations si graves qu�ellesnbsp;soient, ont du c�der devant des raisons plus graves encore. Au lieunbsp;m�me occup� par cette chapelle, un fait admirable s�est accompli ;nbsp;ne fallait-il pas en marquer le th��tre, et, par un monument durable,nbsp;lerappeler au pleux souvenir des g�n�rations futures? Ainsi en jugeanbsp;la cit� reconnaissante : de I� le petit sanctuaire dont voici l�origine.
Au quatri�me si�cle �lait n�e dans l�Orient la secte impure du ma-nich�isme. Cach�e longtemps en Bulgarie, cette h�r�sie, la plus dan-gereuse qui alt d�sol� le moyen �ge, s��tait tout a coup r�pandue en Europe � la lin du xii� si�cle. Sous les noms d�Albigeois et de Patarins,nbsp;ses sectateurs infectaient de leurs mortels poisons les villes et les campagnes. Pour combattre cette b�te hideuse, la Providence suscita lesnbsp;deux grands patriarches, saint Dominique et saint Francois, avec leursnbsp;enfants. De toutes les villes de la Romagne, Rimini �tait peut-�tre lanbsp;plus malade. Saint Antoine de Padoue, le Ihaumaturge de 1��poque,nbsp;fut charg� de la gu�rir : sa r�putation l�avait devanc�. Sentant biennbsp;qu�ils �taient vaincus si on allait l�enlendre, les h�r�tiques r�solurentnbsp;de ne point se rendre a ses sermons. Le Saint monte en chaire, etnbsp;tout le monde se sauve : F�glise devient d�serte ou � peu pr�s. II nenbsp;se d�courage pas, et revient le lendemain en protestant qu�il pr�chera,nbsp;n�e�t-il pas un seul auditeur. Les Patarins comprirent que la curio-sit� finirait par enlralner quelques d�fections dans leurs rangs; �*nbsp;r�solurent done de tuer le Saint. Antoine l�apprend et se renfernienbsp;dans sa celluie, passant les jours et les nuits dans les je�nes, la pri�re,nbsp;et les actes de la plus effrayante mac�ration.
Au bout de quelques jours, enflamm� de l�esprit de Dieu, il sort et va droit sur le rivage de l�Adriatique, � l�endroit o� la Marecchia, qmnbsp;passe � Rimini, se jette dans la mer. Debout sur la plage, il appelle �nbsp;haute voix les poissons pour c�l�brer les louanges de leur Cr�ateur,nbsp;puisque les hommes refusent de les entendre. Un grand nombre d�ha-bitants que la curiosit� avait conduits sur les pas du Saint, ou qui se
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t-rouvaient 15 pour se promener, le trait�rent de fou et, en attendant, s�arr�tent pour voir ce qui arrivera. A I�instant les flots s�agitent, etnbsp;^ la surface apparaissent des troupes innombrables de poissons, rang�s en bel ordre chacuu selon son esp�ce. Les plus petits sont plusnbsp;fapproch�s du Saint, les autres s��chelonnent en suivant, et fermentnbsp;tin grand araphilh�ftlre. �lev�es au-dessus de I�eau, leurs t�tes, va-ri�es de formes et de couleurs, ressemblent a un tapis de perles surnbsp;1�azur des flots; tous paraissent attentifs.
Le Saint leur fait alors un magnifique discours : il leur rappelle les bienfaits particuliers qu�ils out re^us du Cr�ateur, la vari�t� et lanbsp;beaut� de leurs esp�ces, la gr5ce et l�agilit� de leurs mouvements,nbsp;1�avantage de leur �l�ment o� ils ne tombent pas par fatiguenbsp;comme I�oiseau voyageur sur le navire, ou le quadrupede sur lanbsp;terre; la s�ret� deleur habitation �galement 5 I�abri de la foudre etnbsp;de la gr�le, I�abondance et le choix de leur nourriture, leur multiplication merveilleuse qui n�exige ni les soins de la m�re, ni le lait d�unenbsp;�ourrice; le privil�ge d�avoir �t� entre tous les autres animaux pr�-serv�s de rexterraination g�n�rale au temps du d�luge. II leur reditnbsp;1�honneur qu�ils ont re^u plusieurs fois d��tre employ�s par leur Cr�ateur lui-m�me 5 diff�rents offices, sauver Jonas, gu�rir Tobie, remplirnbsp;les filets des Ap�lres du Fils de Dieu, et de s��tre multipli�s dans lesnbsp;tnains de J�sus-Christ pour rassasier la foule du d�sert; de lui avoirnbsp;fourni la pi�ce de monnaie pour payer le tribut, et sa nourriture favorite pendant sa vie mortelle; de l�avoir vu marcher sur leur �l�ment, et enfin choisir leurs p�cheurs pour en faire des p�cheursnbsp;d�hommes.
On dirait que ces animaux le comprennent, tant est grande leur sttenlion, tant sont vifs les applaudissemeuts qu�ils donnent 5 sesnbsp;Paroles, soit en levant la t�te, soit en ouvrant leur bouche (i). Si lesnbsp;assistants furent stup�faits 5 la vue d�un pareil prodige, il n�est pasnbsp;besoin de le dire. D�s le commencement, plusieurs ont couru, horsnbsp;'1�haleine, sur la place publique annongant ce qui se passe; et Rimininbsp;tout enti�re s�est vid�e pour venir au rivage. Alors le Saint rendnbsp;gfftces 5 Dieu et dit qu�il est plus honor� par les poissons que par lesnbsp;bommes h�r�tiques et infid�les. Puis, b�nissant son muet auditoire ennbsp;faisant le signe de la croix, il le cong�die; et tous les poissons agitantnbsp;leurs ailes, rerauant leurs queues, et baissant leurs t�tes se plongentnbsp;dans les Hots el disparaissenl. Un semblable miracle fait lomber tout
(�) Le Guerchin a immortalise ce miracle dans le superbe tableau qui se voit au palais
borgh�se.aRotne.
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ce peuple i genoux et r�pandre des torrents de larmes. Le Saint pro-fite de cette disposition pour montrer avec cette �loquence de feu dont il est dou�, la malice �norme du p�ch� et surtout de l�h�r�sie ; pres-que tous se convertissent ii l�instant.
Un petit nombre, toutefois, rest�rent obstin�s. Au premier rang �tait un certain Bonvillo, chef de secte. Soit qu�il ne fut pas pr�sentnbsp;au miracle, soit qu�il voulut jouer l�esprit fort, il se moquait de ceuxnbsp;qui s��taient convertis, pour avoir vu, disait-il, cinq ou six poissonsnbsp;arr�t�s par hasard sur le bord de la mer. La pens�e lui vint de ruinernbsp;la r�putation du Saint en lui demandant un nouveau miracle qu�il re-gardait comme impossible : � II serait ind�cent, lui dit-il, pournbsp;J�sus-Christ, d�etre dans l�Eucharistie sous les esp�ces du pain, aussinbsp;n�y est-il pas; et pour t�en convaincre, je veux te le faire prouver parnbsp;mon �ne. Tu lui pr�senteras ton pain sacramentel, et nous verronsnbsp;s�il l�adore. � En entendant un pareil blasph�me, le Saint est saisinbsp;d�horreur; toutefois inspir� de Dieu, il accepte'le d�fi et marque lenbsp;jour de l��preuve. Les h�r�tiques l�attendent d�un air de jubilation, etnbsp;chantent d�ja leur triomphe; les catholiques tremblent, n�ayant pointnbsp;encore pour le Saint la conGance et l�estime qu�il m�ritait. N�an-moins le miracle des poissons soutient leur courage. En attendant, lenbsp;Saint jeune, prie et ne doute pas de l�assistance divine : toute la villenbsp;est en suspens.
Le matin du jour Gx�, Antoine c�l�bre la sainte Messe, vient sur la place publique avec le Saint-Sacrement, accompagn� de ses religieux,nbsp;et s�arr�te devant la maison de Bonvillo. Celui-ci s�avance d�un airnbsp;m�prisant avec sa b�te de somme, h laquelle, depuis trois jours, il n�anbsp;pas donn� de nourriture. Arriv� devant le Saint-Sacrement il lui pr�'nbsp;sente de l�avoine. Le Saint adresse quelques mots au peuple immensenbsp;qui l�entoure et lui dit d�avoir foi et d�votion ii Notre-Seigneur; puisgt;nbsp;d�une voix sonore, il appelle le stupide animal, et lui commando denbsp;venir adorer son Cr�ateur cach� sous les esp�ces sacramentelles. A eetnbsp;ordre, la b�te de somme laisse l�avoine, s�avance, se met � genoux,nbsp;baisse la t�te et demeure dans cette attitude respectueuse, jusqu�a cenbsp;que la sainte hostie soit report�e dans l��glise. Le moyen de nier unnbsp;miracle de cette force, accompli sous les yeux de tout un peuple-Aussi le triomphe des catholiques et la confusion des Patarins furentnbsp;ce qu�ils devaient �tre. Bonvillo, stup�fait, interdit, touch� de la gramp;ce,nbsp;abjure l�h�r�sie avec d�autant plus de gloire pour la v�rit� qu�il avaitnbsp;�t� plus opiniiltre, et q��il �tait, de tous les Manich�ens, le plus accr�-dit� et le plus puissant. Il passa le reste de sa vie dans la p�nitence,
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mourut en laissant de grandes esp�rances pour son salut (i).
Nous sortimes de Rimini par la porte de Saint-Julien. On traverse Ja Marecchia sur un magnifique pont de marbre, charge d�ornementsnbsp;6t construit par les empereurs Auguste et Tib�re. En cet endroitnbsp;s op�re la junction des deux anciennes voies consulaires, AJmilia etnbsp;Flaminia, qui reliaient i Rome le nord de I�ltalie. A quelques lieuesnbsp;plus loin nous passames, aussi braves que C�sar, le fameux Rubicon.nbsp;Sous I�humble nom de Pisciatello qui reconnaitrait la petite rivi�re,nbsp;sur les bords de laquelle se d�cida le sort de la R�publique romaine?nbsp;Plusieurs pr�tendent qu�en cet endroit le Rubicon s�est trouv� r�uninbsp;au Pisciatello, et que, pour trouver le fameux ruisseau, il faut se rap-Procher un peu plus de Savignano. Quol qu�il en soit, pour peu quenbsp;1�iraagination vienne en aide it la m�moire, on voit Jules C�sar deboutnbsp;sur la rive oppos�e du torrent; inquiet, troubl�, il h�site, puis tout anbsp;coup il s�avance en jetant a son arm�e et a I�histoire le mot fameux :nbsp;^acta sit alea : � Pourquoi cette h�sitation? Chacun sail que le s�nat,nbsp;jaloux de la libert� de Rome, avail d�fendu, par un d�cret solennel, anbsp;tout g�n�ral revenant en Ualie avec une arm�e ou un corps d�arm�e,nbsp;tie traverser cette rivi�re sans avoir auparavant d�pos� les armes et lesnbsp;�tendards. Le Rubicon �tait la limite de I�ltalie et de la Gaule Cisalpine. En le franchissant, C�sar encourait toutes les peines port�esnbsp;centre les ennemis de la patrie. Ainsi se pr�parait le moment oii lanbsp;libert� romaine devait faire place amp; la volont� d�un seul; moment unique dans I�histoire, oil le despotisme, �lev� � sa plus haute puissance,nbsp;devait lutter corps a corps avec la libert� reparaissant dans le mondenbsp;sous la figure de douze p�cheurs envoy�s par le Dieu du Calvaire.
Laissant i gauche C�s�ne, patrie de Pie VI et de Pie VII, ainsi que l�^orli, Forum Livii, bati par Liviiis Salinator apr�s la d�faite d�As-drubal, nous saluames Faenza, particuli�rement ch�re aux Nivernaisnbsp;'lui lui doivent le nom et le secret de leur productive industrie. Hon-Oeur done a Faenza, et a celui de ses habitants qui nous apporta Partnbsp;^0 fabriquer la faience! Ensuite Cervia nous offrit � d�jeuner et nousnbsp;toontra ses montagnes de sel marin. Bient�t la Pignata, se dessinantnbsp;coninie un point noir � l�horizon, nous annonga le voisinage de Ra-'enne. La Pignata est une for�t de pins qui a environ douze milles denbsp;long sur quatre de large. On comprend de quelle importance elle �taitnbsp;pour les Romains qui tenaient a Ravenne une des trois stations mari-'lines de l�empire.
(') Vit. di S. Antonio, lib. t, c. 9, p. 40-45.
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Cependant il vint un jour o� Ie bruit des haches et les cris des b�-cherons cess�rent de se faire entendre; les �cbos de la for�t ne redi-rent plus que des cbants et des pri�res. Ce qu��tait devenu Citeaux � la voix de saint Bernard, la Pignata Ie devint a la voix d�bumbles re-ligieux, d�vou�s i la civilisation par Ie double labeur de la p�nilencenbsp;et de la pri�re. Au centre de la for�t s��leva, d�s la vi� si�cle, Ie mo-nast�re gracieusement appel� Notre.-Dame-de-la-Palazziola, ou du Pelit-Palais. Plein de confiance dans Pintercession de ces anges de la terre,nbsp;Jean IX, arcbev�que de Ravenne, leur donna des terres et des revenusnbsp;a la double condition de prier pour lui afin d�obtenir de Dieu la r�-mission de ses p�ch�s, et de nourrir � perp�tuit� cinquante pauvresnbsp;Ie jour de sou d�c�s (i).
Plus que jamais, Ravenne m�rite Ie nom de mar�cageuse, que lui donnait d�j�, il y a quinze si�cles, Silius Italicus. Des affaissementsnbsp;successifs ont combl� son magnifique port. Les riantes campagnes quinbsp;firent sa gloire et sa richesse, sont cbang�es en marais dont l��tenduenbsp;�gale celle des marais Pontins. Trois milles avant d�arriver on trouve,nbsp;isol�e au milieu de cette triste solitude, la grande et antique �glise denbsp;Saint-Apollinaire. Le c�l�bre couvent de la Classe y est joint, babit�nbsp;jadis par les Fils de saint Benoit et donn� depuis aux Enfants de saintnbsp;Romuald. Ici �tait autrefois le port de Ravenne, et par cons�quent lanbsp;flotte romaine. Classis. Le voisinage de ce lieu, si fr�quent�, donnanbsp;naissance a un vaste faubourg, ou pour mieux dire � une petite villcnbsp;qui prit le nom de Classe, ainsi que le monast�re. L�importance denbsp;Ravenne fixa Pattention de saint Pierre; le conqu�rant de PItalie en-voya, pour la soumettre � P�vangile, un de ses disciples nomm�nbsp;Apollinaire. II vint, il pr�cha, il vainquit, et comme tous ses fr�res, dnbsp;mourut enseveli dans son triomphe. �v�que et martyr, saint Apoll*'nbsp;naire fut d�pos� k Classe, pr�s des murailles du port. En 529, Jean,nbsp;arcbev�que de Ravenne, batit sur son tombeau une magnifique �glis�nbsp;et un monast�re, dont les religieux chantaient Poffice devant les reli-ques sacr�es du bienheureux martyr. C�est, pour le dire en passant,nbsp;de ce monast�re que partit Pabb� Jean pour porter a Charlemagne I�nbsp;Sacramentaire de saint Gr�goire que le grand empereur avait fait de-mander au pape Adrien par Paul, son ambassadeur.
Bien qu�endommag�e par Peau des marais qui salp�tre les murail' les, P�glise de Saint-Apollinaire offre de nombreuses traces de sonnbsp;ancienne magnificence. L�architecture romano-byzantine est d�un tr�s-
(O f/tsi. de l'ordre de Saint-Benoit, t. n, liv. v, c. 73, p. 802. La charle estdel'anSS�.
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beau caract�re; autour des nefs sont rang�s les tombeaux en marbre tJes archev�ques de Ravenne. Le choeur, ou Tribuna, est orn� de pr�-cieuses mosa�ques. Ces peintures dont la solidit� n�a su braver qu�im-Parfaiteraent Taction de Tair salin, datent de la fin du cinqui�menbsp;si�cle, et repr�sentent, sur la frise, Notre-Seigneur en demi-figure,nbsp;couvert d�un manteau violet et plac� dans un m�daillon. A droite et knbsp;gauche sont les figures embl�raatiques des quatre �vang�listes. A lanbsp;Partie sup�rieure de la voute parait la main divine se d�tachant d�unenbsp;riche bordure; plus bas brille une croix perl�e, au milieu d�un eerdenbsp;dont le champ et la circonf�rence sont parsem�s de quatre-vingt-dix-�euf �loiles d�or. Les deux lettres a et sont a Textr�mit� des deuxnbsp;croisillons; au pied de la croix on lit : salvs mvndi; au-dessus de lanbsp;*�te, les sigles suivants : i. m. d. j. c. Immolatio Domini Jesu Christi.nbsp;II est done �vident que celte croix glorieuse est Tembl�me de Notre-Seigneur transfigur�, puisqu�on voit a droite Mo�se, et � gauche �lie,nbsp;syant au-dessous d�eux Irois brebis repr�sentant les trois Ap�tres t�-�Doins du miracle.
Iram�diatement au-dessous de la Croix, se trouve saint Apollinaire. Le glorieux martyr est debout, d�cor� du pallium blanc, et rev�tu denbsp;la chasuble d�or. Le nimbe circulaire entoure sa t�te glorieuse, � gauche et a droite de laquelle on'lit sanctcs apolenams. Le saint a les mainsnbsp;�tendues dans Tattitude de Ia pri�re. Au-dessous de lui sont douzenbsp;agneaux, six � droite et six a gauche, qui viennent vers leur illustrenbsp;berger. Le reste du champ est plant� d�arbres du meilleur effet. Ennbsp;descendant au-dessous du grand cadre, on voit � droite un groupenbsp;aujourd�hui tellement d�t�rior� qu�il est ind�chiffrable; � gauche, unnbsp;autre groupe, o� Ton remarque Th�odoric, roi des Goths, recevant ennbsp;''lage le jeune Justinien pr�sent� par son pr�cepteur. Corame encadre-�Bcnt k ce magnifique tableau, vous avez, d�un c�t�, saint Michel, etnbsp;dc Taulre, saint Gabriel, portant chacun un Labarum; au-dessus denbsp;leur t�te deux superbes palmiers, et enfin les deux cit�s embl�mati-'1'ies, J�rusalem et Belhl�em, d�o� se dirigent, vers le m�daillon dunbsp;Sauveur, douze brebis, symbole des douze Ap�tres et de tous lesnbsp;bd�les.
Ainsi Notre-Seigneur le pasteur des pasteurs, et avec lui les douze londateurs de T�glise; puis Notre-Seigneur transfigur�, image de lanbsp;'causformation du genre humain par T�vangile; ensuite saint Apolli-*^��ce, un des glorieux artisans de cette transformation, appelant a luinbsp;les peuples confi�s � sa sollicitude; enfin la certitude du succ�s expri-'t'�e par les deux anges, gardiens du Labarum : voil� toute Thistoire
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de la religion dans son auteur, dans ses moyens et dans sa lin. O� trouver un sujet plus chr�tiennement po�tique rendu avec autant denbsp;bonheur?
Non loin de 15 sont deux tableaux �galement en mosa�que; Ie premier repr�sente saint Apollinaire pr�chant l��vangile, et rappelle par cette inscription l�origine apostolique de T�glise de Ravenne: Sanctvsnbsp;Apoliharis, ah apostolo Petro episcopvs ordenatvs, missvs est Ra-vennam ad prwdicandvm Christi Evangelivm (i). Le second offrenbsp;aux regards le martyre du saint Ap�tre; vieiinent ensuite tous lesnbsp;portraits des archev�ques de Ravenne. Au milieu de l��glise s��l�venbsp;une large pierre sur laquelle il subit de cruelles tortures. Cette pierrenbsp;est aujourd�hui un autel; en connaissez-vous de plus v�n�rable? Aussi,nbsp;qui dira les vceux, les pri�res, les baisers br�lants d�pos�s ici par lesnbsp;g�n�rations chr�tiennes, depuis dix-huit si�cles?
Au milieu de cette longue procession, voici venir deux p�lerins qui surpassent les autres par leur pieuse ferveur. Le premier est un enfant de Ravenne. 11 s�appelle Romuald; il est fils de la plus noble familie de la cit�; il porte un coeur o� bouillonne l�amour du plaisir,nbsp;et son front est marqu� d�une tache de sang. Hier, il vit tuer en duelnbsp;par son p�re un de ses proches parents. 11 a fui, il vient demandernbsp;grace devant le tombeau du saint Ap�tre de sa patrie. Pour quarantenbsp;jours il s�enferme au monast�re; il prie, il g�rait, il punit sa chairnbsp;jusque-15 rebelle, par de s�v�res aust�rit�s. Un fr�re convers lui a �t�nbsp;donn� pour le servir; et avec la nourriture du corps, le fr�re sert a sonnbsp;jeune h�te les aliments de l�ame. Romuald l��coute; et quand il estnbsp;seul il s�en va m�diter ce qu�il vient d�entendre devant le tombeau dunbsp;martyr. Les os de 1�Ap�tre proph�tisent, une voix se fait entendre;nbsp;Romuald s�est dit : Moi aussi, je serai martyr, martyr de la p�ni'nbsp;tence. L�engagement en est pris devant cette tombe o� nous sommesnbsp;prostern�s : bient�t le monde aura une merveille de plus. Romualdnbsp;plantera une p�pini�re de saints encore florissante ; le tombeau denbsp;saint Apollinaire sera le berceau des Camaldules. Cela se passait a lunbsp;fin du x' si�cle.
Le second p�lerin est un homme du Nord, a la stature gigantesquer aux formes athl�tiques, et pour qui toutes les lois sont a la pointe denbsp;son �p�e; sur son front brille le diad�me de C�sar; du pied il a �cras�nbsp;le pauvre et le petit; l�or et le sang des provinces ont aliment� sesnbsp;vigoureuses passions. Et voil� qu�un jour, le loup est chang� en
(i) Saint Apollinaire, consacre �veque par TapOtre saint Pierre, fut envoy� a Ravenne
pour y pr�clicr l��vangile do J.-C.
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3gneau; les religieux de Classe voient a la porie du couvent un pauvre �lranger qui deraande timidement la gr�ce de venir faire p�nitencenbsp;Parmi eux. Fr�re, soyez Ie bien-venu; et ce fr�re inconnu est introduit.nbsp;II �tonne ses h�les eux-m�mes, par la ferveur de sa pri�re et la grandeur de ses aust�rit�s : ce fr�re �lait l�empereur Othon III. Differencenbsp;6nire noire si�cle et Ie moyen �ge : ici et l� de grandes fautes; maisnbsp;l� de grandes expiations; ici l�imp�nitence et Ie suicide. Quelle �poquenbsp;pr�f�rez-vous ?
Apr�s une derni�re pri�re devant Ie miraculeux tombeau, nous par-times pour Ravenne. Colonie de Thessaliens, occup�e tour � tour par les �trusques, les Sabins, les Gaulois s�nonais, les Remains, Ravenne,nbsp;apr�s Ie partage de l�empire, �changea Ie sceptre centre les fers qu�ellenbsp;avail si longtemps porl�s. Elle devint la capitale de l�empire d�Occi-dent. Toutefois son r�gne ne fut pas de longue dur�e; aux enipereursnbsp;succ�d�rent les Exarques, et bient�t elle recueillil les derniers soupirsnbsp;du colosse remain expirant sous les coups des Barbares. Avec lui p�ritnbsp;aon antique gloire; Ravenne n�est plus qu�une ombre d�elle-m�me.nbsp;�e toutes les puissances humaines qu�elle a vu passer, elle ne gardenbsp;ffue des souvenirs morts; de la puissance divine qui l�a subjugu�e, ellenbsp;conserve des souvenirs encore vivants : double aspect sous lequel nousnbsp;la verrons demain.
7 AVRIL,
Ravenne. � Sainte-Marie-de-la-Rotonde.� Palais de Th�odoric. � Tombeau du Dante. �glise de Saint-Vilal.�Tombeau de Galla Placidia. � �glise de Sainl-Romuald.�nbsp;Caih�dvale. � Cjcte pascal. � Chaire de Sarat-Maximm. � BiblioVh�que. � Souvenirs.� Saint-Germain d�Auxerre. �Colonne des Franpais.�Anecdote. � �tat denbsp;la Romagne.
De vrais lits a l�italienne, c�est-�-dire assez larges pour h�berger un peloton de grenadiers avec armes et bagages, nous avaient �t� pr�pa-*�^8 par l�excellente h�tesse della Spada. Quelques heures pass�esnbsp;�laRs cette couche confortable, chose rare dans la belle P�ninsule, suf-Heent pour nous meltre en �tat de reprendre nos courses. Au lever dunbsp;*�leil, nous �tions hors de la ville, � Sainte-Marie-de-la-Rotonde. B�tienbsp;par Amalazonte, fille de Th�odoric, roi des Goths, pour servir de tom-� son p�re, cette �glise rappelle les mausol�es d�Augusle etnbsp;�l�Adrien. Elle a deux �tages, et pour toiture un seul morceau denbsp;^larbre taill� en forme de couvercle. Ge bloc, Ie plus large qu�onnbsp;'^�nnaisse, n�a pas moins de trente pieds de diam�tre sur trois d��pais-
T. UI. nbsp;nbsp;nbsp;11
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seur. Son poids est d�environ neuf cent mille livres. La belle urne de porphyre, contenanl les cendres royales, et qui �tait plac�e au sommetnbsp;de l��difice, est aujourd�hui incrust�e dans un vieux mur, orn�e denbsp;trois petites colonnes de marbrc, dernier d�bris du palais de Th�odo-ric. Non loin de lil, au d�tour d�une rue, apparait Ie mausol�e dunbsp;Dante. Les ornements qui d�corent Ie tombeau de l�illustre po�te,nbsp;sont dus au cardinal l�gat Vincenti Gonzaga. La fameuse basiliquenbsp;d�Hercule se reconnait au portique �lev� sur la place, et soutenu parnbsp;buit grosses colonnes de granit brun. Odoacre, roi des H�rules, .\stol-phe, roi des Lombards, et tant d�autres potentats dont Ravenne futnbsp;tour a tour la conqu�te, n�y ont pas laiss� trace de leur souvenir; tantnbsp;les gloires humaines sont peu durables!
II en est autreraent des gloires chr�tiennes. Merveilleux pouvoir de l��vangile, qui sait iraprimer Ie cachet de limmortalit� ii tout cenbsp;qu�il touche. Les saints et les martyrs, ces autres rois de la cit�, sontnbsp;encore vivants, et dans les temples �lev�s en leur honneur et dans lanbsp;reconnaissance populaire. Au vi� si�cle, Venance Portunat chantaitnbsp;leur gloire toujours ancienne et tonjours nouvelle, et ses vers peuventnbsp;encore servir de guide au p�lerin catholique (i).
Suivant l�indication du po�te, nous nous rendimes d�abord amp; l��glise de Saint-Vital. Ce superbe et hardi monument de forme octogone,nbsp;tout brillant de colonnes de marbre grec, de tables de porpbyre, denbsp;mosa�ques et de has-reliefs, d�bris de l�ancienne magnificence de Ra-venne, offre Ie style byzantin dans tout son �clat oriental : eet �difice,nbsp;capital pour l�histoire de Tart, abrite les cendres de l�illustre martyr,nbsp;dont voici l�bistoire. G��tait pendant la cruelle pers�cution de Val�-rien; Vital, imitant la pi�t� de �obie, avait rendu les honneurs de lanbsp;s�pulture au martyr Ursicin, que Paulin Ie consulaire venait de fairenbsp;mourir dans les lourments. Coupable de charit�, il est saisi par 1�nbsp;bourreau de son ami, �tendu sur Ie chevalet, jet� dans une fosse pro-fonde, et enseveli tout vivant sous une masse de terre et de pierres (s)-Une circonstance particuliere nous faisait un devoir de v�n�rer aveenbsp;amour ses pr�cieuses reliques. Saint Vital avait deux fils qui, dans un
(j) Inde Ravennatum placilam pelc dulcius urbem,
Pulpita sanctorum per relligiosa recurres;
Martyris egregii lumulum Vilalis adora,
Mills et Drsicini, Pauli sub sorte beati:
Rursus Apollinaris pretiosa ad limina lambe,
Fusus humi supples, el templa per omiiia curre.
In VU. B. Martini, lib. it.
(2) Baron. An. t. 11, 171, n. 3.
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glorieus combat, re^urent comme leur p�re la palme du martyre, de-vinrent l�honneur de Tltalie, l�amour de saint Ambroise, et furent pendant plusieurs si�cles les patrons bien-aim�s de notre cath�dralenbsp;de Kevers.
Balie par Juslinien, � I�iinitation de Sainte-Sophie de Constantinople, la Basilique de Saint-Vital devint, par ordre de Charlemagne, Ie type de l��glise d�Aix-la-Chapelle. A la voute du cboBur, resplenditnbsp;une des plus belles et des plus vastes mosa�ques qu�on connaisse. Ellenbsp;fepr�sente l�enlr�e solennelle de Juslinien et de Theodora son �pouse,nbsp;regus dans cette �glise par saint Maximin, archev�que de. Ravenne etnbsp;cons�craleur du temple. D�un c�t�, l�empereur avec ses courtisans etnbsp;ses guerriers; de l�aulre, l�iinp�ratrice avec ses dames. Telle est lanbsp;parfaite conservation de ce magnifique ouvrage que les figures sontnbsp;�v�ritablement vivanles, et qu�on pourrait se croire a la cour de Constantinople. Dans la sacristie, on voit Ie Martyre de saint Vital, peintnbsp;par Ie Barroche; c�est un des meilleurs ouvrageg de eet artiste iropnbsp;Peu connu.
A deux pas de Saint-Vital se Irouve Ie monument Ie plus curieux de la ville; je veux parler du tombeau de Galla Placidia. Cette prin-cesse, fille de Th�odose, soeur d�Honorius, m�re de Valentinien III,nbsp;deux f�is esclave, reine, imp�ratrice, n�e a Constantinople, morte hnbsp;Rome, n�est pas moins illustre par son �minente pi�t� que par les vicissitudes de sa vie. Rome, Rimini, tout Ie littoral de TAdrialiquenbsp;racontent ses bienfaits; Ravenne lui dut quatre �glises magnifiques :nbsp;Saint-Jean-Baptiste, Saint-Jean-r�vang�liste, Sainte-Croix, et Saints-Nazaire et Celse. Parlons d�abord de cette derni�re que l�imp�ratricenbsp;elle-m�me choisit pour son tombeau et celui de sa familie. Cettenbsp;�glise, en forme de croix, fut balie en 440. En entrant par la portenbsp;I^oyale on voit, a droite et � gauche, deux tombes en marbre d�Islrie,nbsp;incrusl�es aux trois quarts dans Ie mur. Elles conliennent, dit-on, lesnbsp;oendres des pr�cepteurs de Valentinien et d�Honorius, enfants denbsp;Galla Placidia. Plus haut sont les sarcophages en marbre grec desnbsp;�oapereurs Honorius II et Valentinien III. Chaque tombeau peut avoirnbsp;*** pieds et demi de longueur sur cinq de hauteur et trois de largeur.nbsp;Gelui de Valentinien offre lesembl�messuivanls : en t�te, trois agneauxnbsp;��ulpt�s, deux sur les parois et un au milieu; ce dernier est plac� surnbsp;rocher d�o� sortent quatre fleuves. Sa t�te diamanl�e porte
B. signe hi�roglyphique par lequel les premiers chr�tiens d�si-�oaieni Ie Fils de Dieu, comme les autres agneaux rappellent les Ap�-Ires. Pr�s des agneaux sont deux palraiers charg�s de fruits, symbole
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de la victoire et de la justice. Sur Ie c�t� droit du sarcophage, se pr�sente un vase a deux anses, d�o� semble couler une fontaine dans la-quelle boivent deux colombes. Le couvercle du monument, en forme d�arc, pr�sente les sigles connus a gt;Pc n
Ainsi, le christianisme, �crit lout entier sur cette tombe, enveloppe comme d�un linceul immortel le corps de l�empereur d�funt. Cetnbsp;agneau, plac� sur le milieu, c�est le Roi des reis, le Seigneur des seigneurs, dont l�empire figur� par les quatre fleuves, s��tend aux quatrenbsp;coins du monde et r�pand partout la prosp�rit� et la vie. Les agneauxnbsp;repr�sentent les Ap�tres, premiers ministres du divin Empereur, etnbsp;propagateurs infatigables de sa doctrine. Les deux colombes, quinbsp;boivent dans le vase a deux anses, sont tous les justes de l�Ancien etnbsp;du Nouveau Testament, s�abreuvant aux eaux du Sauveur : fontainenbsp;de vie soutenue, d�un c�t�, par le peuple juif, et, de l�aulre, par lenbsp;peuple chr�tien, figur�s par les deux anses. Quant aux fruits de cettenbsp;doctrine, ils sont repr�sent�s admirablement par les palmiers charg�snbsp;de fruits : la Victoire et la Justice. Enfin Thomme, quel que soit sonnbsp;nom, prince, empereur, n�importe, commenc� en J�sus-Christ doitnbsp;finir en J�sus-Christ; et le monogramme du Sauveur, plac� sur le couvercle du sarcophage, indique �loquemment le cycle myst�rieux de lanbsp;vie de l�homme et du monde. Admirable �pop�e! Mais, grand Dieu�.nbsp;qu�il faut avoir �t� fid�le pendant son existence, pour faire ainsi gravernbsp;sur sa tombe fhistoire des devoirs qu�on eut � remplir. Autrement,nbsp;quelle accusation foudroyante que tous ces embl�mes!
Le monument d�Honorius olfre a peu de chose pr�s les m�mes ca-ract�res. Celui de Galla Placidia, plac� derri�re l�autel et le plus beau des Irois, brille par son �l�gante simplicit�. II ne porie aucun em-bl�me, except� quelques volutes burin�es dans les parois; mais il offrenbsp;une particularit� remarquable. L�imp�ratrice n��tait point couch�e,nbsp;mais assise dans son tombeau sur un magnifique si�ge de cypr�s-Depuis plus de mille ans elle restait dans cette attitude, lorsque,nbsp;le 3 mai lS7�, des enfants approchant des flambeaux pour voir, parnbsp;une petite ouverture, l�int�rieur du tombeau, le feu prit au cercuednbsp;de cypr�s, qu�il consuma en un din d�oeil ainsi que le si�ge de I�im-p�ratrice dont le corps fut reduit en cendres.
La voute de l��glise resplendit de mosa�ques dont la partie la pi**� curieuse est le compartiment du milieu. On voil Notre-Seigneur por-tant de la main droite sa croix pench�e sur son �paule; de la gauchenbsp;il tient un livre ouvert; devant lui est une grille environn�e denbsp;flammes; et plus loin une petite arraoire ouverte {scrinium), dans la'
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quelle on volt des volumes ayant pour litre : Lucas, Matthmus, Joannes. C�est l�histoire ieonographique d�un fait contemporain denbsp;l��glise. Le concile d�Eph�se venait de condamner Nestorius. Parnbsp;ordre de Th�odose et de Valentinien on recherchait et on br�lait lesnbsp;ouvrages de l�h�r�siarque : voil� ce que signifie le petit b�cher. Notre-Seigneur tenant l��vangile ouvert, et les �vang�listes plac�s dans lenbsp;scrinium, indiquent tout ensemble la source de la v�rit� et le respectnbsp;profond des premiers fid�les pour les livres divins (i).
Apr�s avoir visit� l��glise de Saint-Jean-Baptiste, consacr�e par saint Pierre Cbrysologue, et le tombeau de saint Barbazian, pr�trc d�An-tioche, confesseur de Galla Placidia, nous entr�mes dans Pillustre Ba-silique de Saint-Jean-l��vang�liste appel�e della Sagra. Cette �glisenbsp;rappelle un vmu de la pieuse imp�ratrice. Bevenant de Constantinoplenbsp;avec ses enfanls, elle fut assaillie par une temp�te : au milieu dunbsp;danger elle promil, si elle �chappait, de faire b�tir une �glise. Sanbsp;pri�re fut exauc�e et Bavenne compta un monument de plus. A la cha-pelle de Saint-Barth�lemy on voit un bas-relief qui rappelle l�ouragannbsp;et le vceu de la princesse. Le pinceau de Ciotto a d�cor� les vo�tes denbsp;la seconde chapelle.
L��glise de Saint-Roinuald, devenue la chapelle du coll�ge, est un splendide �difice o� brillent le porphyre, le marbre africain, lecipol-lin, le vert antique, 1�albatre oriental. On y voit un tabernacle toutnbsp;entier en lapis-lazuli, enrichi int�rieurement de pierres pr�cieusesnbsp;d�une grosseur extraordinaire : c�est un des bijoux de l�Italie.
Presque aussi brillante est l��glise de Sainte-Apollinaire, balie par Th�odoric au commencement du vi'= si�cle. Les vingt-qualre colonnesnbsp;de marbre grec qui la soutiennent furent apport�es de Constantinople,nbsp;ainsi que le vert antique, le porphyre et le marbre oriental dont l�au-lel est form�. C�est encore l�Orient qui fournit les habiles maitresnbsp;dont le g�nie brille dans les superbes mosa'iques de la voute. Au-dessousnbsp;d�une vue de Bavenne, on voit d�un c�t� vingt-cinq figures de saints;nbsp;de l�autre, vingt-deux saintes, tenant chacun une couronne � la mainnbsp;qu�ils pr�senten! au Sauveur. D�j� nous avons expliqu� la signification de cette peinture, qui prouve une fois de plus que, dans la pens�enbsp;chr�tienne, les fresques et les mosa�iques sont le grand livre desnbsp;fid�les.
Le monument le plus int�ressant de la cath�drale est le Calendrier pascal du vi� si�cle. On y voit grav�e sur le marbre Pextr�me sollici-
(O.Voir Ciampini, Mon. veter. 1.1, 224.
-ocr page 254-2S0 nbsp;nbsp;nbsp;les TROIS ItOME.
tude de l��glise pour fixer l��poque pr�cise de la PSque. Dans la sacristie l�ambon ou la chaire de saint Maximin, ouvrage pr�cieux du vi� si�cle; une portion de l�ancienne porte de la sacristie en bois de sarment; Mo�se, faisant tomber la manne, un des meilleurs tableaux du Guide :nbsp;tels som les principaux objets qui fixent Tattention. Le baptist�re, s�-par� de l��glise par une rue, se conserve dans son �tat primitif. C�estnbsp;un baliment octogone avec buit arcades, et une vaste cuve de marbrenbsp;blanc de Paros.
A la biblioth�que on nous montra le c�l�bre manuscrit d�Aristo-phane, du x� si�cle; et dans le m�dailler, une m�daille de Cic�ron frapp�e en son honneur par la ville de Magn�sie. En quittanl Ravenne.nbsp;on ne peut s�emp�cher de saluer une derni�re fois les grands bominesnbsp;et les grands saints qui ont illustr� cette ville c�l�bre. Voici, outre lesnbsp;glorieux martyrs dont j�ai parl�, les saints �v�ques, Ad�rite, Exup�-rance, Jean, Lib�re, Marcellin, qui, � la t�te d�une nombreuse cohortenbsp;de pr�tres, de la�ques et de vierges, ont d�fendu, au prix des plusnbsp;cruelles souffrances, la foi catbolique attaqu�e tour a tour par les em-pereurs, et les exarques ariens ou semi-ariens, les Goths, les H�rulesnbsp;et les Lombards, conqu�rants sauvages, moiti� chr�tiens et moiti�nbsp;pa�ens.
Mais le voyageur francais pourrait-il oublier le grand saint Germain d�Auxerre, l�Athanase de son si�cle, qui d�une main �crasait Ie p�lagianisme en Angleterre; de l�autre d�fendait dans les Gaules, avecnbsp;un Invincible courage, les droits des peuples m�connus par les lieutenants de G�sar. Hier il avait travers� l�Oc�an pour chasser le loupnbsp;de Ia bcrgerie, aujourd�hui il franchit les Alpes pour venir d�posernbsp;au pied du Ir�ne les pri�res des opprim�s. Le voici qui approche denbsp;Ravenne : la cour et le peuple sont dans l�attente. Pour �viter l�hon-neur de la r�ception qu�on lui pr�pare, il viendra incognito, pendantnbsp;les t�n�bres de la nuit; mais on se d�fie de son humilit�, le peuple estnbsp;sur ses gardes : le saint ambassadeur est reconnu. Un cri immensenbsp;d�all�gresse retentit jusqu�au ciel et va se m�ler aux mugissementsnbsp;des flots : Ravenne est dans l�ivresse du bonheur, Valentinien et sanbsp;m�re Placidia descendent du tr�ne, et abaissent leur puissance devantnbsp;celle de Thomme de Dieu. Placidia lui envoie un vase d�argent remphnbsp;de mets fort d�licats, maissans viande, dont elle sait qu�il ne fait pointnbsp;usage. Germain, a son tour, envoie � l�imp�ratrice un pain d�orge surnbsp;une assiette de bois, �loquent bommage que Placidie re^oit avec joie,nbsp;qu�elle garde avec respect, qu�elle fait enchisser dans Tor, et quinbsp;op�re des miracles. Est-il besoin de dire que les voeux d�un tel envoy�nbsp;�taient exauc�s d�avance?
-ocr page 255-SAINT GERMAIN d�aGXEERE. nbsp;nbsp;nbsp;231
Mais voili que le Saint tombe malade ; Ravenne a pass� de l�all�-gresse a la consternation. L�imp�ratrice est a genoux au chevet du roalade; et pourlant elle hesile a lui accorder une derni�re demande.nbsp;Germain vent que son corps soit report� a Auxerre : l�imp�ralrice luinbsp;aurait tout accord�, plut�t qu�un pared Ir�sor. Enfin la volont� imp�riale dut c�der a la volont� du Saint. Mais du moins la France auranbsp;Ce qu�on ne peut lui refuser : l�irap�ratrice oblient le reliquaire dunbsp;glorieux Ponlife. Six �v�ques se partagent ses v�tements. Le cham-l^ellan Acholius fait embaumer le corps; Placidia le rev�t d�habitsnbsp;pr�cieux, et donne le coffre de cypr�s pour le renfermer; Valentiniennbsp;fournit les voitiires,l�escorte, les frais du transport. Nultriomphe n��-gale en magnificence ce convoi fun�bre. Le nombre des flambeaux estnbsp;lel que leur lumi�re serable rivaliser, m�me en plein jour, avec cedenbsp;du soleil. Toules les populations accourues bordent le chemin,nbsp;prostern�es devant le saint qui passe. Des milliers de bras aplanissentnbsp;les chemins, r�parent les ponts, portent le corps, tandis que des milliers de bouches chantent des hymnes sacr�es.
Au sommel des Alpes on rencontre le clerg� d�Auxerre qui vient chercher la d�pouille mortelle de son pasteur. La marche triomphalenbsp;continue; comme celles de l�Italie, les populations de la Gaule accou-rent au passage du cort�ge, et apr�s cinquante jours d�un glorieuxnbsp;voyage, le h�ros cbr�tien est d�pos� dans sa tombe immortelle. Heu-reux le si�cle qui produit de pareils hommes! plus heureux celui quinbsp;sait les appr�cier, et qui met au premier rang dans son estime et dansnbsp;son respect, non l�inventeur d�une machine, mais le repr�sentant denbsp;la loi religieuse et la personnificalion de la vertu!
Sur les bords du Ronco nous saluames la colonne des Francais; c�est un petit pilastre en marbre blanc qui rappelle la fameuse ba-taille gagn�e par Louis XII sur les Espagnols le jour de Paques denbsp;1 an 1312 : triste victoire o� p�rit, a Fage de vingt-quatre ans, le bril-lant Gaston de Foix et la fleur de la noblesse frangaise. G�est de l�nbsp;que Bayard �crivait : � Si le roi a gagn� la bataille, les pauvres gen-Glshommes 1�ontbienperdue; � vingt mille cadavres gisaientsur le sol.
Un �pais brouillard nous emp�cha de jouir de la vue des riches Campagnes qui s�parent Ravenne de Lugo; le froid devint m�me asseznbsp;''if pour nous obliger ii marcher une partie de la route. M�diocre-�acnt fach� de nous voir � pied tant pour lui que pour ses chevaux,nbsp;ic digne voiturier s�empressa d�engager la conversation. Nous insi-uuer qu�il comptait sur de bonnes �trennes, tel �tait son but; maisnbsp;'�cop poli pour le manifester directement, il nous le fit entendre par la
-ocr page 256-lES TROIS ROME.
circonlocution suivante : � Excellences, nous dit-il, voili bien des an-n�es que j�ai Fhonneur de conduire de nobles �trangers. La voiture occup�e maintenant par vos Excellences a transport� lord un tel, ladynbsp;une telle; I�iUustrissime seigneur un tel. � Chaque nom �tait suivinbsp;d�une biographic plus ou raoins �logieuse. � Vous voyez. Excellences,nbsp;ajouta-t-il, que ma m�moire ne vieillit pas; c�est que,per Bacchol sinbsp;Ie forestiere me donne un paul il peut l�oublier, lui; raais moi je nenbsp;l�oublie jamais. � Cetle phrase achev�e avec un air d�indiff�rence, ilnbsp;fait claquer son fouet, excite ses chevaux, regarde les bagages sous jenbsp;ne sais quel pr�texte; mals dans la r�alit� pour nous laisser sous l�im-pression de son dernier mot.
11 avail �t� compris. Les commentaires se firent dans la voiture o� nous �lions remont�s pour entrer ii Lugo. Le Lucus Diance est unenbsp;ville d�environ 5,000 ames, c�l�bre par ses foires, et par un chateaunbsp;du moyen age, bien conserv�. Ville et chateau, tout fut pris par lesnbsp;Francais en 1796.
Engag�s de nouveau dans une route de plus en plus difficile, nous cheminions ii pied, lorsque voici venir un homme aux cheveux gri-sonnants, 5 la taille �lev�e, aux �paules larges, la d�marche ferme,nbsp;i l�attitude militaire. � Messieurs, nous dit-il, vous �tes Francais, sinbsp;je ne me trompe. � Sur noire r�ponse affirmative : � Je m�y connaisnbsp;un peu, conlinua-t-il, j�en ai tant vu de Francais! Je suis un v�t�rannbsp;de Femplre; j�ai �t� a Metz, capitale de la Lorraine; j�ai �t� bless� �nbsp;Wagram; j��tais au si�ge de Riga; je servais dans les sapeurs italiens.�nbsp;Et en t�moignage de ses paroles, il nous montra sa main priv�e denbsp;deux doigts, et les boutons d�ordonnance que, par respect, il availnbsp;fait remettre a son habit neuf; ils portaient : Zappatori italiani �nbsp;Sapeurs italiens.� Honneur aux braves, � lui dimes-nous en serrant sanbsp;main mutil�e, qu�il nous pr�senta fraternellement. � � Ils s�en vont,nbsp;les braves; nous ne sommes plus que deux dans le pays, et nous luinbsp;apprenons bien des choses. Le dimanche, apr�s la messe, on se r�unitnbsp;autour de nous, et alors nous parlons de l�autre. Mais que fait-on ennbsp;France? On dit que vous n��tes pas rassur�s. � El les Romagnols,nbsp;que font-ils? Dans quel �tat sont les esprits? � Et le vieux soldatnbsp;membre dq Conseil municipal de sa commune, notable du pays, nousnbsp;dit, dans son langage militaire : � Per Baccho! nous avons ici desnbsp;Carbonari dont la t�te a d�log�. lis ne savent ce qu�ils veulent; ma�snbsp;c�est �gal : ils font des mines et des contre-mines contre le gouvernement, et ils trompent un certain nombre de consents qui n�ontnbsp;jamais rien vu. � II d�veloppa son Ih�me avec un bon sens pratique,nbsp;vraiment remarquable.
�TAT DE LA ROMAGNE. gr.'
Telle fut la conclusion de eet entretien qui se prolongea jusqu�au passage d�une rivi�re dont j�ai oubli� Ie nom : la Romagne, comme lesnbsp;autres parties des �tats pontificaux, d�sire, non pas un changementnbsp;de gouvernement, mais une r�forme administrative. Voir des cardi-naux et des pr�lats occuper les postes civils les plus �lev�s, nous pa-rait, � nous autres Francais, une chose �trange et impopulaire : nousnbsp;sommes dans Terreur. D'abord, tout homme qui veut se donner lanbsp;peine de r�fl�chir conviendra qu�il n�en doit pas �tre autrement dansnbsp;un gouvernement eccl�siastique. Ensuite, Texp�rience apprend icinbsp;qu�un pr�lat ou un cardinal sont toujours plus accessibles au peuple,nbsp;et, amp; raison m�me de leur caract�re, offrent plus de garanties que lesnbsp;la�ques. Certains essais de s�cularisation, tent�s h diff�rentes �poques,nbsp;ont suffisammenl prouv� aux populations qu�elles n�auraient point anbsp;r�clamer sur ce point Tapplication des id��s d�un tr�s-petit nombre.nbsp;Enfin, toutes les places sont loin d��tre occup�os par des eccl�siasti-ques; h part les fonclions les plus imporlantes, les autres eraplois sontnbsp;d�volus en majorit� a des s�culiers. Ainsi, nous n�en doutons pas,nbsp;laiss� k son bon sens, Ie peuple romain continuerait de vivre heureuxnbsp;et tranquille sous les lois de son gouvernement Ie plus palernel dunbsp;monde; mais il subit Tinfluence de Tesprit g�n�ral. Soci�t�s secr�tes,nbsp;livres clandestinement introduits, voyageurs de toutes nations, d�po-sent dans son sein des germes de m�contentement et Ie poussent a denbsp;tristes exc�s. Telle est Timprudence ou la malice de certains tourisles,nbsp;que les plus mod�r�s ne trouvent rien de plus press� que de relever,nbsp;d�envenimer, d�exag�rer, s�ils ne les inventent, des d�fauts ins�para-bles de toutes les institutions humaines, et qui, a tout prendre, sontnbsp;mille fois pr�f�rables aux plus belles utopies des faiseurs de constitutions d priori.
Depuis longtemps la nuit �tait close, lorsque nous arrivAmes au bourg d�Argenta. Merci A la petite bicoque isol�e qui nous donna unnbsp;appartement confortable, du pain frangais et un bon feu.
8 AVRIL.
Ferrare. �Chateau. �Cath�drale.� Saintc-Marie-det-rado. �Hymne : O gloriosa Domino. � Bibliolh�que. � Manuscrits du Tasse, de l�Arioste, de Guarini. � Prisonnbsp;du Tasse. � H�pital. � Douane autrichienne� Rapports de 1�Autriebe avec Ie Saint-Si�ge. � Rovigo.
De grand matin nous entrions a Ferrare. Ce qui frappe d�abord, � est Taspect triste et monotone de cetle ville, jadis la grande reine du
234 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
Pd (i), la cit� savante, Ie rendez-vous des po�tes et des beaux esprits du XVI� si�cle. Quelle difference aujourd�hui! Ses anciennes murailles,nbsp;de briques, sont encore debout; sa citadelie menace loujours la ville;nbsp;ses rues align�es, d�une longueur et d�une largeur extr�mes, n�ontnbsp;chang� ni de nom ni de direction; mais Ie bruit de la foule ne relentitnbsp;plus sur leur brillant pav� : Ie silence de la tombe a succ�d� aux agitations de cette vie, jadis si active. Ensuite, Ie regard du voyageur estnbsp;p�nibleinent affect� en voyant Ie soldat autrichien occuper la citadelienbsp;d�une ville qui n�appartient point h l�empire. On dirait un ge�lier quinbsp;�pie les nioindres mouvements de son prisonnier, toujours pr�t it rivernbsp;plus fortement ses fers ou ii les aggraver. Ainsi Tont d�cid� les trait�snbsp;de Vienne en 1815. Ferrare, envahie par les Franpais, fut rendue aunbsp;Sainl-Si�ge, mais h la condition qu�elle recevrait, dans sa forteresse,nbsp;une garnison autrichienne.
Au milieu de sa solitude, Ferrare conserve de beaux vestiges de son ancienne magnificence. Le chateau, ancienne residence des dues, situ�nbsp;au milieu de la ville, entour� de forts, de tours, de balustrades et denbsp;fosses remplis d�eaii, offre un coup d�ceil imposant. L�int�rieur a cess�nbsp;d��tre en harmonie avec l�architecture : tout a �t� renouvel�, badi-geonn� dans le go�t moderne. Que de souvenirs il rappelle! G�est l�nbsp;que tenait sa brillante cour le due Alphonse, appel�, par le Tasse, lenbsp;Magnanime; Tu Magnanimo Alphonso; la que le chantre de la Jerusalem d�h'w�e,l�Arioste, Guarini, r�citaient leurs vers; I� que Th�r�-sie, sous la figure de Galvin, venait s�duire la princesse R�n�e, fillcnbsp;de Louis XII, et pr�parer, peu � peu, les malheurs de la familie quinbsp;pr�ta l�oreille � ses perfides legons.
Non loin du chateau s��l�ve la calh�drale, d�di�e h saint Georges. Get edifice, du xi� si�cle, conserve ext�rieurement son heau caract�re,nbsp;moiti� roman, moiti�go�hique. Sur la grande facade apparait la grandenbsp;sc�ne du Jugement dernier. Au centre du lympan, on voit le P�renbsp;�lernel recevant les �lus dans son giron, tandis que le diable, arm�nbsp;d�une fourche, pousse les r�prouv�s dans le puits de 1�ahime. Gommenbsp;accompagnement, ou plut�t comme p�rip�tie de ce grand drame, lesnbsp;sept p�ch�s raortels, la vie du R�dempteur, et une foule d�embl�mesnbsp;sacr�s occupent les autres parties du portail. Si les pens�es graves sontnbsp;m�res des pens�es salutaires, la cath�drale de Ferrare peut se flatternbsp;de donner au fid�le qui vient y prier de tr�s-utiles legons.
L�int�rieur est d�cor� de helles peintures, entre lesquelles on re-
(i) La gran donna del Po; Tasson. Secchia rapit. Cant. v. et 37.
-ocr page 259-CATII�DRALE.
marque une Sainte-Vierge, pleine de grace et de majest�, et iin Juge-ment dernier, Ie premier apr�s celui de Michel-Ange. Mais ce qui int�resse vivement sont les admirables miniatures qui ornent lesnbsp;vingt-trois volumes de livres choraux. Ces chefs-d�oeuvre du Cosra�nbsp;rivalisent avec ceux de Sienne; �loge qui suffit pour donner une id��nbsp;de leur magnificence.
L��glise de Saint-Dominique attire la curiosit� par les statues gran-dioses de sa facade, et par Ie tombeau de Coelius Calcagnini. L��pita-phe de eet homme c�l�bre, po�te, savant, antiquaire, naturaliste, pro-fesseur, astronome, ambassadeur, est pleine d�un sens profond : Ex diulurno studio in primis hoe didicit : moktalia omnia contemnere et
IGNORANTIAM SEAM NON IGNORARE (l).
Voici maintenant la plus ancienne �glise de Ferrare : Sainte-Marie-del-Vado est ant�rieure au xi� si�cle. Un �clatant miracle l�a rendiie c�l�bre dans la d�votion des habitants. Le jour de Paques de Fan 1171,nbsp;un pr�tre, le prieur Pierre, disait la messe au grand autel, lors-qu�apr�s la Cons�eration, en pr�sence de tout le peuple, il jaillit de lanbsp;sainte Hostie un filet de sang qui couvrit la voute du choeur. Un ma-gnifique tableau perp�tue Ie souvenir du miracle, dont les circonstan-ces expliquent I�utilit�. Le dogme le plus cher du catholicisme, sonnbsp;�me, son coeur, sa vie, sa gloire, est, sans contredit, la pr�sence r�elle,nbsp;incarnation permanente du Fils de Dieu parrai les hommes. Faut-ilnbsp;s��tonner que toutes les grandes h�r�sies aient eu pour but de ruinernbsp;directement ou indirectement la fol de ce myst�re? Au moyen �ge, lesnbsp;Manich�ens, r�pandus par toute l�Europe, la combattaient sourdement,nbsp;tandis que B�ranger l�attaquait le front d�couvert: ces causes et d�au-tres encore tendalent � jeter dans les �mes des doutes funestes. Dansnbsp;sa bont� le Fils de Dieu ne voulut point se laisser sans d�illustresnbsp;t�moignages. On cite, vers cette �poque, en Orient, le miracle de Constantinople rapport� par Nic�phore; en Occident, celui des Billettes,nbsp;� Paris, celui de Bols�ne, et enfin celui de Ferrare, dont je viens denbsp;parler.
Sainte-Marie-dei-Fado int�resse encore par un autre souvenir. Com-bien de fois n�a-t-elle pas vu l�Ap�tre de Ia Romagne, saint Antoine de Padoue, prostern� dans son v�n�rable sanctuaire? Combien de foisnbsp;ses vo�tes antiques n�ont-elles pas retenti de Thymne si gracieuse etnbsp;si tendre qu�il adressait a Marie : O gloriosa Domina? � Cet �lannbsp;d�amour filial �tait, dit l�historien de sa vie, le souffl� de son ftme;
(lt;) o De ses longues eludes il apprit, avant tout, a m�priser tout ce qui est mortel et i ne pas ignorer sou ignorance, a
-ocr page 260-236 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
aussi souvent que Fair vital s�exhalait de ses l�vres, aussi souvent cette hymne s�exhalait de son coeur (i). � Avant d�aller h la Biblioth�quenbsp;publique o� l�on nous monlrera les chants profanes, licencieux m�me,nbsp;des po�tes que Ie monde exalte jusqu�aux nues; que les touristes, surnbsp;les traces de lord Byron, d�Alfieri, de Lamartine, se font un devoir denbsp;v�n�rer : pourquoi me serait-il d�fendu de rappeler un chant chr�tien,nbsp;un chant douze fois s�culaire, qui a pass� en les sanctifiant sur les l�-vres de tant de g�n�rations, et qui respire les sentiments les plus douxnbsp;et les plus purs? D�ailleurs, l�hymne O gloriosa Domina, si ch�re anbsp;saint Anioine, n�est-elle pas une production du sol que nous foulons?nbsp;Bien qu�il appartienne a la France par son �piscopat, au monde, parnbsp;son g�nie, Ie pieux auteur, Venantius Forlunatus, appartient � Tr�visenbsp;par Ia naissance, a Ferrare, par l�amiti�. Retranch�e de nos br�viairesnbsp;gallicans par Ie vandalisme liturgique des deux derniers si�cles, maisnbsp;conserv�e dans Ie Br�viaire romain, Tbymne virginale continue denbsp;parfumer et de r�jouir les cinq sixi�mes de l��glise catholique, qui lanbsp;chantent i Laudes de Follice de la sainte Vierge. C�est avec bonheurnbsp;que Ie p�lerin catholique, debout a Santa-Maria-del-Vado, la reditnbsp;en unissant son amour amp; celui de tant de fr�res vivants et morts quinbsp;Font redite avant lui (2).
La Biblioth�que est, sans contredit, Ie monument de Ferrare Ie plus religieusement visit� par les voyageurs. Ce qui les attire, c�est moinsnbsp;la belle collection de 80,000 volumes et de 900 manuscrits dont ellenbsp;est riche, que les reliques du Tasse, de FArioste et de Guarini. Du
(1) nbsp;nbsp;nbsp;In ogni in contro facea uso dell� inno O gloriosa Domina, con gran lenerezza enbsp;fiducia sino a potersi dire che con esso sulle labbra spirasse. Dissertaz, n. xtvii, p. 4-41.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;La voici dans sa contexture primitive :
O gloriosa Domina,
Excelsa super sidera,
Qui te creavit, provide Lactasti sacro ubere.
Quod Eva tristis abstulit,
Tu reddis aimo Germine :
Intrent ut astra (lebiles,
Coeli fenestra facta es.
Tu Regis alti janua.
Et porta lucis fulgida,
Vitam datam per Virginem,
Gcntes redemptaj, plaudite.
Gloria tibi, Domine,
Qui natus es de Virgine,
Gum Patre et sancto Spiritu lu sempiterna smcula. Amen.
-ocr page 261-BIBLIOTII�Q�E. 237
premier, on montre la J�rusalem d�livr�e; elle est �crite et corrig�e de la main de l�auteur, qui a termin� par ces mots : Laus Deo! Gloirenbsp;^ Dien! Comment se d�fendre d�une vive impression en voyant l�im-ttiortel labeur du plus grand po�te �pique? Comment ne pas rendrenbsp;gloire au Dieu qui dispense Ie g�nie, tout en regreltant Pabus quenbsp;1�homme en fait? Si quelque chose peut expier les �garements dunbsp;Tasse, c�est Ie noble but qu�il s��tait propos� dans son po�me, ainsinbsp;que les pers�cutions plus ou moins m�rit�es dont il fut l�objet. Unnbsp;Sentiment de m�lancolie s�empare du coeur, lorsqu�on lit ces vers,nbsp;�crits par Ie po�te dans sa prison, et adress�s au due Alphonse, dontnbsp;il subissait la rigoureuse sentence :
Piango il morir, n� piango il morirsolo,
Ma il modo, e la mia f� che mal rimbomba,
Che col nome veder se polta parmi.
N� Piramidi, o Mete, o di Mauzolo,
Mi saria di conlbrto aver Ia tomba,
Ch�altre moli innalzar credea co� carmi.
Le vieux fauteuil en noyer et l��l�gant �critoire en bronze, de 1�Arioste, �meuvent plus ou moins l�^me du voyageur. Dans le souvenir de eet homme qui fit tant de mal aux moeurs chr�tiennes, il y anbsp;je ne sais quoi qui refoule, non-seulement le respect, mais encorenbsp;l�admiration. II faut, comme Alfieri, porter l�enthousiasme du bel esprit jusqu�� ridolatrie, pour v�n�rer les fragments manuscrits denbsp;VOrlando, et mettre au rang des plus insignes faveurs la permissionnbsp;d��crire sur une de ces feuilles d�tach�es : Vittorio Alfieri vide e ve-ner�, 18 guigno 1783. On a bonne grftce, apr�s cela, de reprochernbsp;aux catholiques leur v�n�ration pour les ouvrages, pour les reliques,nbsp;pour les corps et pour le sang des martyrs!
Que dirai-je du Pastor Fido de Cuarini, dont le manuscrit ratur� Se conserve avec autant de soin que les pr�c�dents? II merappela quenbsp;i�auteur, d�put� de Ferrare pour complimenter Paul V sur son av�ne-�nent, re^ut du cardinal Bellarmin cette s�v�re, mais juste legon :nbsp;� Vous avez fait par votre po�me, lui dit l�illustre prince de l��glise,nbsp;autant de mal au monde chr�tien, que Luther el Calvin par leursnbsp;h�r�sies. �
On nous conduisit de la Biblioth�que a la pr�tendue prison du Tasse. C�est une esp�ce de trou obscur et malsain, sur lequel les d�votsnbsp;tols que lord Byron, Casimir Delavigne et autres ont trac� au crayonnbsp;leurs g�missements plus ou moins po�tiques. Malheureusement pournbsp;leur sensibilit�, il n�est pas une ame instruite, it Ferrare, qui recon-
-ocr page 262-238 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
naisse dans ce cachot Ia prison du po�te. L�h�pital Sainte-Anne fut la demeure forc�e du Tasse, enferm�, disent les uns, pour cause de folie,nbsp;et suivant les autres pour cause de m�sintelligence avec Ie due denbsp;Ferrare.
Laissant les �rudits vider entre eux cette question, nous visitimes l�h�pital, sur la porte duquel on lit cette belle inscription ; JSgrisnbsp;pauperibus patel hic ostium charitatis. Nous traversames Ie quartiernbsp;des Juifs, plus beau que Ie Ghetto de Rome, et nous entrAmes au cou-vent des B�n�dictins. La voute du vestibule qui pr�c�de Ie r�fectoire,nbsp;offre Ie chef-d�oeuvre du Garofalo : c�est Ie Paradis. On s��tonne denbsp;voir l�Arioste dans la gloire, au milieu des choeurs des anges et desnbsp;vierges; mais la tradition nous vient en aide. Le po�te dit au peintre :nbsp;� Mettez-moi dans votre paradis, car je ne suis pas tr�s-s�r d�allernbsp;dans l�autre (i). � Puisse-t-il s��tre tromp�!
Aux portes de Ia ville a Lagoscuro, nous traversAmes le P�, le Rex Eridanus de Virgile, dont le lit �gale presque Ia hauteur des tours denbsp;Ferrare, et nous toucliAmes au royaume Lombardo-V�nitien. Lanbsp;douane de Sainte-Marie-Madeleine nous fit faire une premi�re et peunbsp;gracieuse connaissance avec la police de Sa Majest� imp�riale et royale.nbsp;Des renseignements authentiques, puis�s sur les lieux, nous firentnbsp;juger non-seulement de la police, mais de l�administration autri-chienne : en voici quelques-uns; afin de ne compromettre personne,nbsp;je tais les noms propres.
Pendant notre s�jour a Rome, bien des fois nous avions entendu parler des tracasseries et des rapports peu bienveillants du gouvernement autrichien avec le Saint-Si�ge. Ici nous e�mes la preuve que Ienbsp;Jos�phisme mesquin, sournois, jaloux, continue de marcher A l�op-pression et a I�avilisSement de l��glise. Je commence par absoudrcnbsp;l�empereur lui-m�me et les membres de la familie imp�riale, dont lunbsp;pi�t� sinc�re et les intentions droites ne sont mises en doute par personne. II n�en est pas moins vrai qu�A l�ombre du tr�ne et dans lesnbsp;plis du manteau imp�rial se cachent des hommes habiles et puissantsnbsp;qui veulent r�Juire l��pouse du Fils de Dieu a la condition d�une ser-vanie, au r61e d�une femme de m�nage.
Ainsi les communaul�s religieuses ne peuvent recevoir de novices qu�avec l�agr�ment du pouvoir. Toute correspondance directe desnbsp;�v�ques avec Rome est s�v�rement interdite. Nulle lettre �piscopale,nbsp;m�rae ayant pour but la demande d�une dispense en mati�re de nta-
(i) Dipingete mi ne questo paradise, perche nell� allro io non d vo.
-ocr page 263-RAPPORTS DE l�aUTRICHE AVEC LE SAINT-SI�GE. nbsp;nbsp;nbsp;259
riage, ne peut partir pour Rome, sans passer ouverte par les bureaux de la chancellerie.
Aucun �vcque ne peut se rendre i Rome sans avoir obtenu la permission du gouvernement. Que cette permission s�obtienne difficile-ment, ou que les �v�ques metlent peu d�erapressement a la solliciler, il est de fait que la presence d�un pr�lat autrichien a Rome est unnbsp;�v�nement. Dans l�ann�e du jubil�, en 1825, et la canonisation so-lennelle des saints, en 1837, la Ville �ternelle r�unit des �v�ques denbsp;toutes les nations du monde, except� de l�Autriche.
D�fense expresse ii tout jeune eccl�siastique d�aller �tudier a Rome; celui qui, malgr� cette prohibition, oserait aller puiser la science sa-cr�e au foyer m�me de la doctrine, perdrait Ie titre et les avantagesnbsp;de citoyen.
Aucun bref, encyclique ou autre �crlt �man� du Souverain Ponlife, ne peut parvenir a un �v�que, si ee n�est par l�entremise de la chancellerie. Pour �tre publi�e, toute lettre apostolique a besoin du placetnbsp;minist�riel. Tandis que toute l�Italie avait fini son jubil� pour l�Es-pagne, nous travers�mes la Lombardie muette et inactive : aucunnbsp;�v�que n�avait encore publi� Ie Bi�ef pontifical.
Mais voici quelque chose de plus �trange. L�Autriche a mis i 1�index rindex Romain. Gardez-vous done d�emporter dans votre malle Ie catalogue imprira� des ouvrages censur�s par ordre du Souverain Pon-tife, la douane vous Ie confisquerait infaillibleraent. Ainsi, comme lanbsp;plupart des autres nations, la catholique Autriche est ligu�e centrenbsp;1��glise; elle peut m�me se flatter de ne pas lui faire verser les larmesnbsp;les moins am�res. Qu�elle y prenne garde toutefois, il est dangereuxnbsp;de se heurter contre la pierre; vingt peuples dorment dans les tom-beaux qu�ils avaient creus�s pour l��pouse de rHomrae-Dieu.
A travers une magnifique plaine, entre deux lignes de gigantesques Peupliers, court, unie comme une glace, la route de Rovigo. On lanbsp;parcourt avec int�r�t en jetant un rapide coup d�oeil sur les ruinesnbsp;voisines de l�antique Adria. De la cit� roraaine il ne reste aujourd�huinbsp;fiue Ie nom port� par la mer, dont les Hots refoul�s par les att�risse-tDents ne baignent plus Ie c�t� oii elle �tait assise.
260 LES TROIS ROME.
9 AVRIL.
Padoue. � Histoire. � Universit�. � Palais de Justice. � II Salone. � Pierre de 1�op-probre�Chute des anges. � Caf� Pcdrocchi. � Vrato-della-Valle. � Maison du comle Louis Cornaro. � Souvenirs.
Par un beau soleil de printemps dont les rayons faisaient �tinceler les tours et les coupoles de ses norabreuses �glises, Padoue s�offrit inbsp;nos regards avides de contempler ses gloires artistjques et religieuses.nbsp;Tout annonce l�architecture byzantine avec ses formes brillantes etnbsp;vari�es. Padoue elle-m�me, � la physionomie moiti� antique et moiti�nbsp;moderne, refl�te une double civilisation. Au couvent de Saint-Antoine
nous attendait Ie P. Prosper L......jeune religieux francais, qui se mit
a notre disposition pour nous piloter dans Padoue. Je prie eet excellent ami de recevoir ici Thommage de notre sinc�re reconnaissance. Fond�e, dit-on par Ant�nor, apr�s la chute de Troie, tour a tour pos-s�d�e par les �trusques et les Remains, saccag�e par Allaric et Attila,nbsp;occup�e par les V�nitiens, Padoue pa'ssa au pouvoir de l�Autrichenbsp;en 1797. Quoique d�chue de son antique splendeur, elle compte encore 54,000 habitants. Dans l�antiquit�, Padoue eut la gloire de donnernbsp;Ie jour a Tite-Live, et au c�l�bre grammairien Ascanius P�dianus,nbsp;l�ami de Virgile et Ie eommentateur de Cic�ron. Au moyen age, ellenbsp;devint un de ces grands foyers de lumi�res, que F�glise cr�ait denbsp;loin en loin pour dissiper les t�n�bres amoncel�es sur rhorizon parnbsp;les invasions des peuples du Nord.
L�Universit� de Padoue, d�j^ florissante au commencement du xui�si�cle, compta jusqu�ii six mille �coliers. Ses chaires furent occup�es par une longue suite de professeurs du plushaut m�rite, dont les armoiriesnbsp;d�corent les cloitres du superbe bailment, quelquefois m�me par desnbsp;hommes de g�nie. Pendant dix-huit ans, Galil�e y fut lecteur dephi-losophie; Octave Ferrari, penslonn� par Louis XIV, y enseigna lesnbsp;belles-lettres; Forcellini, �l�ve de Facciolati, y composa, du moins ennbsp;partie, son grand Dictionnaire latin, grec et italien, Ie plus parfaitnbsp;des dictionnaires. Ce n�est pas sans une sorte de respect qu�en visitantnbsp;Ie s�minaire on jette les yeux sur ce manuscrlt en douze volumes in-folio, et qu�on lit les paroles nobles et simples, par lesquelles l�auteurnbsp;rappelle les soins et les forces qu�il a consacr�s a ce travail de pr�snbsp;d�un demi-si�cle : Adolescens manum admovi; senex, dum perfice-rem, factus sum, ut videtis.
-ocr page 265-USIVERSIT�. nbsp;nbsp;nbsp;201
Je citerai une derni�re gloire de TUniversit� de Padoue, c�est 1��ton-nante H�l�na Cornaro Piscopia. Jeune enfant de onze ans, elle voua sa virginit� au Seigneur, et prit l�habit de Saint-Benoit, qu�elle portanbsp;dans Ie monde jusqu�a sa mort. Jeune fille, elle excita l�admiralion dunbsp;monde savant; philologue, po�te, litt�rateur, elle parlait l�espagnol,nbsp;Ie francais, Ie latin, Ie grec, l�h�breu, l�arabe, cbantait ses vers ennbsp;s�accompagnant, disputait sur la th�ologie, l�astronomie, les matb�-matiques, et fut regue docteur en pbilosopbie a PUniversil�. Une bellenbsp;statue de marbre, plac�e sous Ie vestibule de FUniversit�, rappelle lesnbsp;traits de cette femme extraordinaire, morte en 1684, Famp;ge de trente-buit ans. L��niversil� compte aujourd�bui quinze cents �l�ves, et conserve son ancienne organisation par Facult�s et par coll�ges. On vantenbsp;Ie cabinet d�histoire naturelle et Ie jardin botanique.
A F�tude des sciences et des lettres, Padoue joignit et elle joint encore Ie culte passionn� des arts : grand nombre d�oeuvres remarqua-bles attestent ses succ�s. Notre excellent compatriote nous conduisit d�abord au Palais de Justice. Sur la place des L�gumes, delle Erbe,nbsp;s��l�ve un immense �difice, dont la construction dura plus d�un si�cle.nbsp;Commenc� en 1172 par Farcbitecte Pietro Cozzo, il fut acbev� en 1306nbsp;par Ie fr�re Jean, de Fordre des Ermites, Ie Bramante de son �poque.nbsp;La merveille de ce palais de forme ellyptique est Ia salie d�audience,nbsp;appel�e 11 Salone, h laquelle on arrive par quatre grands escaliers.nbsp;Au-dessus de cbaque porte d�entr�e est Ie buste d�un illustre enfant denbsp;Padoue : Tite-Live, Ie prince des bistoriens; fr�re Albert, de Fordrenbsp;des Ermites, la perle des th�ologiens; Paul, la gloire des juriscon-sultes, et Ie fameux Pierre d�Albano, astrologue et m�decin du trei-zi�me si�cle. Rome, Paris, Westminster, Florence, n�ont rien de comparable pour F�tendue au salon de Padoue, Ie premier du monde,nbsp;non-seulement par sa grandeur, mais encore par sa forme et ses or-n�raents.
II faut se repr�senter une pi�ce de quatre-vingt-dix-sept metres qua-rante-cinq centim�tres de longueur sur trente-deux m�tres quarante-huit centim�tres de largeur, et autant d��l�vation, sans autre soutien que les murs, dans lesquels sont incrusl�s quatre-vingt-dix gros pi-lastres. Le salon est b�ti parall�lement � F�quateur; en sorte que lesnbsp;fayons du soleil levant qui entrent par les fen�tres orientales, traversent la pi�ce de part en part, et vont sortir par les fen�tres occiden-tales. De m�me aux �quinoxes, les rayons solalres qui p�n�trent parnbsp;les fen�tres du midi, vont sortir par les fen�tres du nord. Cbose re-gt;iiarquable! les rayons du soleil changeant successivement de direc-
-ocr page 266-262 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
tion, �clairent chaque mois les signes du zodiaque correspondant. Chose plus reraarquable encore! loutes les peintures du salon sont denbsp;Giotto. Elles ont, il est vrai, subi plusieurs retouches, notammentnbsp;dans Ie dernier si�cle, o� Ie rol des restaurateurs, Zannoni, les renditnbsp;� leur vie primitive. Ces peintures divis�es en trois classes, et formantnbsp;trois cent dix-neuf compartiments, repr�sentant les signes du zodiaque; les travaux propres h chaque saison; les douze Ap�tres, dontnbsp;chacun est plac� aiipr�s du signe zodiacal qui correspond a l��poquenbsp;de sa f�te; l�histoire de l�Ancien et du Nouveau Testament; puis lesnbsp;effets de la R�demption emprunt�s de l�Apocalypse. Entre ces grandsnbsp;sujets se detaehent huit figures ail�es, repr�sentant les hult vents desnbsp;anciens. Telle est l�id�e g�n�rale de ces peintures, ou plut�t de cenbsp;mus�e, o� Ie ciel, la terre, les �l�ments, la vie mat�rielle et religieusenbsp;du genre humaln; en un mot, o� la po�sie, dans sa plus haute accep-tion, semble s��tre immortalis�e sous Ie pinceau de Giotto, et Ie com-pas de fr�re Jean des Ermites.
Le magnifique salon ne sert plus qu�au tirage de la loterie, et dans les grandes occasions, aux f�tes publiques. � En 1815, nous dit lenbsp;p�re Prosper, une f�te brillante y fut donn�e a Tempereur Francoisnbsp;et a sa fille Marie-Louise. Le salon avait �t� transform� en jardin, avecnbsp;une salie de bal et un salon de r�ception pour Leurs Majest�s; lesnbsp;arbres �taient en pleine terre et formaient d��pais massifs illumin�s;nbsp;il y avait jusqu�� des mouvements de terrain, dans ce jardin d�appar-tement. �
A Tangle du salon est la � Pierre do Topprobre, � Lapis viluperii, qui rappelle une singuliere coutume du moyen age. A Padoue, a V�-rone, � Florence, a Sienne, amp; Lyon et dans beaucoup d�autres villes,nbsp;on trouvait cette esp�ce de sellette sur laquelle devait s�asseoir lenbsp;d�biteur insolvable, pour �tre d�livr� de ses cr�anciers. Un hommenbsp;�tait poursuivi pour dettes; il ne payait pas, on Tappr�hendait; etnbsp;lorsqu�apr�s avoir �t� assis trois fois a nu sur la pierre de Topprobre,nbsp;la halle pleine de monde, il jurait n�avoir pas cinq francs vaillant, Unbsp;�tait lib�r� de toute poursuite. A Sienne, les m�mes d�biteurs fiusaientnbsp;pendant trois matins le tour de la place, a Theure o� Ton sonnait lanbsp;cloche du palais; ils �taient accompagn�s des shires, et presqu�enti�-rement nus; le dernier jour, en s�asseyant sur la pierre comnie leursnbsp;confr�res de Padoue, ils disaient les paroles suivantes exig�es par lanbsp;loi : � J�ai consura� et dissip� tout mon avoir; a pr�sent je paie me*nbsp;cr�anciers de la mani�re que vous voyez. � � � Malgrc sa bizarrerie,nbsp;cette coutume, remarque un voyageur, �tait au fond assez raisonnable-
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C��tait un moyen d��ehapper � ces �ternels prisonniers pour dettes, embarras de noire civilisation et de notre jurisprudence; une lelienbsp;publicil�, m�l�e de ridicule et de bonte, valait peut-6tre mieux quenbsp;certains de nos arr�ls pour d�clarer les gens insolvables. �
Du Palais de Justice nous descendimes a l�h�tel Pappafava. On y voit et 1�on admire, si l�on veut, la Chute des Anges; c�est un groupenbsp;pyramidal de soixante d�mons enlac�s les uns aux aulres et torabantnbsp;du ciel �cras�s par la foudre. Quoi qu�il en soit de l�id�e, on louenbsp;l�ex�cution, ainsi que la patience de Fasolato, sculpteur padouan, anbsp;qui cette oeuvre originale co�ta douze ann�es d�un travail non inter-rompu. Que dire du caf� Pedrocchi, la merveille de Padoue? Consa-crer sa fortune pour �lever un monument public, destin� a perp�tuernbsp;Ie souvenir d�une grande vertu, d�un grand g�nie, d�un fait national,nbsp;c�est en faire un noble usage, et l�Italie tient la premi�re place dansnbsp;ce genre de patriotisme; mais �puiser d�immenses richesses pour batirnbsp;un caf�, dont les murailles, les colonnes, les pav�s sont du marbre Ienbsp;plus fin et Ie plus d�licatement iravaill�, n�est-ce pas un genre denbsp;luxe d�autant moins estimable qu�il prouv^, en l�encourageant, l�enva-hlssement de l�individualisme sur l�esprit public d�autrefois?
On est heureux de trouver au Prato-della-Valle une �loquente protestation contre cette facheuse tendance. Panth�on en plein vent, Ie Prato est une des plus agr�ables promenades et une des plus hellesnbsp;places de l�Europe. Les eaux limpides du Bacchiglone en forment unenbsp;ile qui communique h la ville par quatre ponts �l�gants. Au centrenbsp;s��l�vent, sur leurs gigantesques pi�destaux, les statues des grandsnbsp;hommes de Padoue, depuis Ant�nor jusques a Canova, et forment unnbsp;immense p�ristyle. Malgr� sa f�condit�, la patrie de Tite-Live n�a pasnbsp;produit assez de grands hommes pour peupler ce vaste temple, etnbsp;d�illustres Italiens sont Venus compl�ter la galerie patriotique.
Nous terminames cette premi�re journ�e en visitant la maison Gius-Uniani al Santo. Le motif de notre curiosit� �tait bien moins la ^onne architecture du c�l�bre Falconetto, qui �difia cette belle habitation en 1S24, les brillants stucs des salons, les fresques charmantes,nbsp;peinles par Campagnola sur les dessins de Raphael, que la demeurenbsp;du fameux comte Louis Gornaro, si connu par sa sobri�t� et par sesnbsp;discours della Vila sobria. Ce noble V�nitien, dont l�existence futnbsp;tour � tour un d�menti et une justification donn�s aux proverbes gas-tconomiques, se trouva d�s l�age de trente-cinq ans dans un tel d�p�-Hssement que les m�decins d�clar�rent le mal incurable. N�anmoinsnbsp;d essaya de tous les rem�des pendant l�espace de cinq ans; voyant
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que les secours de Tart �taient inutiles, il voulut �prouver ce que pro-duirait l�abstinence; et il donna un premier d�menti au proverbe des gourmands : � Ce qui est bon au palais est bon a l�estomac. � La d�licatesse et l�abondance des aliments et des vins avaient flatt� son goutnbsp;et min� sa constitution : il y renonga, el ne mangea plus que desnbsp;choses en rapport avec son reste de facult� digestive; encore avait-ilnbsp;soin de toujours sortir de table avec un peu d�app�tit. Parvenu � senbsp;contenter de douze onces de nourriture par jour, il se d�livra insensi-blement de toutes ses infirmit�s au point d��lonner les m�decins et denbsp;les faire crier au miracle.
II jouissait, gr4ce � sa vie sobre, d�une parfaile sant�, lorsqu�� l�Sge de soixante ans il est renvers� de voiture, regoit une forte contusion a la t�te et se casse une jambe et un bras. On veut Ie saigner etnbsp;Ie purger; il refuse l�un et l�autre et demande seulement qu�on luinbsp;remette Ie bras et la jambe. II gu�rit sans autres rem�des, et v�rifianbsp;de Ia sorte les deux proverbes italiens : Mangia pi� chi poco mangia;nbsp;� Mange plus qui mange peu : � Fa pi� profitto quel che si lascianbsp;sul tondo, che quel che si mette nel ventre; � Ce qu�on laisse sur l�as-� siette fait plus de profit que ce qu�on avale. � Du reste, Ie premiernbsp;de ces proverbes revient a notre axiome : � Ce n�est pas ce qu�onnbsp;mange qui nourrit, c�est ce qu�on dig�re. �
Cornaro, Sg� de soixante-quinze ans, finit cependant par c�der aux instances de ses amis : au lieu de douze onces d�aliments il en prendnbsp;quatorze; et sa boisson, qui n��tait que de qualorze, est port�e � seize.nbsp;En quelques jours sa sant� s�alt�re, la gail� fait place a la tristesse; Ienbsp;onzi�me jour un point de c�t�, fort douloureux, se d�clare et pr�ludenbsp;� unefi�vre de trente-cinq jours; elle nec�de qu�a la reprise du premiernbsp;r�gime. A partir de cette �poque jusqu�au delii de cent ans, Ie comienbsp;jouit et de la sant� et de l�usage de tous ses sens et de toutes ses fa-cult�s intellectuelles. C�est a quatre-vingt-quinze ans qu�il �crivit sonnbsp;dernier discours sur la vie sobre, d�o� sont extraits les d�tails pr�-c�dents.
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10 AVRIL.
Sainle-Sophic. � La B. Helena Enselmini.� La cath�drale. � Vierge de Giotlo.� Saint Daniel. � Le B. Gr�goire Barbarigo. � Le Baptist�re. � Le Dyplique. � Corpsnbsp;de saint Mathias. � Crypte de saint Prosdocimus. � Vierge Byzantine. � LUnnan-ziata. � Peintures de Giotlo.�Sainle Justine.�D�tails historiques. � Saint Antoine.nbsp;� Chapelle de ce Saint.-�Popularit� du Saint. � Tr�sor. � Encensoir et navettenbsp;gothiques. � Langue de saint Antoine. � Verre d�Al�ardin. � Ses sermons. � Statuenbsp;de Guttamelata. � Bords de la Br.enta. � Venise.
Tout ce coin de l�Italie qui longe les c�t�s de l�Adriatique depuis Ane�ne jusqu�a Venise, est trop peii visit�. Le voyageur qui postil-lonne de Paris a Milan, de Milan a Florence, de Florence amp; Naples, nenbsp;connait pas la partie inlime du pays. Une foule de souvenirs, de monuments religieus et artistiques lui �chappent: Padoue seule m�riterait unnbsp;voyage en Itali�. Hier nous avions vu sa gloire ext�rieure et profane,nbsp;il nous restait a contempler ses richesses intimes cach�es a l�ombre denbsp;ses nombreux sanctuaires. Sainte-Sophie eut notre premi�re visite.nbsp;Cette �glise, du xiii^ si�cle, renferme la Vierge, de Zanella; la B�po-sition de la croix, d��tienne Dell� Arzere, et la c�l�bre Decollationnbsp;de saint Paul, de Bissoni; mais un chef-d�oeuvre d�un autre genre ynbsp;attire le voyageur calholique. En 1226, saint Antoine �tablit h Padouenbsp;un couvent de Franciscaines. Au nombre des postulantes �tait unenbsp;jeune personne d�une des plus nobles families de la cit� : elle s�appe-lait H�l�na Enselmini. Sous la direction du saint ap�tre, elle devint unnbsp;ange d�oraison, de douceur, de mortification et de patience, dans sesnbsp;longues maladies et ses cruelles adversit�s. Purifi�e au double creusetnbsp;de 1�afiliction et de l�amour divin, cette �me privil�gi�e s�envola dansnbsp;le sein du c�leste �poux, laissant la terre embaum�e du parfum de sesnbsp;vertus et consol�e par ses nombreux miracles. Son corps, pr�serv� denbsp;la corruption du tombeau, repose dans un des autels de Sainte-Sophie.nbsp;Apr�s l�avoir v�n�r�, nous nous rendimes � la cath�drale.
Commenc� dans la premi�re moiti� du xvi' si�cle, sur un plan de Michel-Ange, le Duomo ne fut achev� qu�en 1756. C�est dire qu�ilnbsp;porte le cachet plus ou moins beureux de plusieurs g�n�rations d�ar-ehitectes. La coupole, ouvrage de Giovani Gloria, se distingue par sanbsp;solidit� et son �l�vation. Apr�s avoir pass� devant le superbe b�nitiernbsp;�n marbre blanc, surmont� d�une statuette de la sainte Vierge aussinbsp;en marbre blanc, on arrive, en suivant le c�t� droit, au remarquablenbsp;inaus�l�e de Sperone Speroni, grand orateur, grand philosophe, grand
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1.ES TROIS ROME.
po�te, mailre du Tasse et Tune des gloires de Padoue. La chapelle suivante ofFre, amp; la pieuse admiration du p�lerin, une vierge en demi-figure, qu�on croit du Giotto et qui aurait appartenu a P�lrarque, cha-noine de la cath�drale. Pr�s du chceur, un groupe, en marbre de Car-rare, repr�sente Benoit XIV, accordant au chapitre l�usage de la Cappanbsp;Magna, et Ie cardinal Rezzonico, �v�que de Padoue, et depuis Cl�ment XIII, qui obtint celte faveur. La gloire de l�Iialie est d��crirenbsp;ainsi sur Ie marbre ou sur Ie bronze les fails publics et particuliers.nbsp;A la sacristie des chanoines, nous vimes un grand nombre de tableauxnbsp;de m�rite, parmi lesquels une V'ierge de Sasso Ferrato, Ie peintre desnbsp;peiites madoncs, delle madonine. Mais ce qui appelle surtout la curio-sit�, c�est un �vang�lier de 1170, et un �pistolier en 1259; l�un etnbsp;l�aulre manuscrils sur parchemin, tout resplendissant de vignettes etnbsp;d'enluminures, sont d�un travail exquis et d�une conservation parfaite.
De la sacristie nous descendlmes dans la crypte. Lii repose, dans une magnilique chdsse, orn�e de bas-reliefs en bronze de Titien As-petti, Ie corps de saint Daniel, l�vite et martyr. Enfant de Padoue etnbsp;l�un des premiers ap�lres de la foi, il continue depuis buit cents ansnbsp;ii recevoir les hommages empress�s des g�n�rations pour lesquelles ilnbsp;soutint de glorieux combats (i).
Revenus a l��glise, nous visit�mes la chapelle du B. Gr�golre Bar-barigo, cardinal et �v�que de Padoue, dont Ie corps, miraculeusement conserv�, repose dans l�autel. N� en 1626 d�une noble familie v�ni-tienne, nomm� cardinal et �v�que de Padoue par Alexandre Vil, dignenbsp;de l�avoir pour ami, Gr�goire fut Ie p�re des pauvres, Ie saint Charlesnbsp;Borrom�e de la Romagne, Ie protecteur de son people centre les ravages de l�h�r�sie. Sa ville �piscopale lui doit, outre un superbe coll�ge, son s�minaire, Pornement de Pltalie, avec sa bibliolh�que et sonnbsp;iraprimerio justemcnt c�l�bres.
Le Baptist�re, ouvrage du douzi�me si�cle, voisin de la cath�drale, conserve le cachet de cette grande �poque de Part. �lev� par la prin-cesse Fina Buzzacarina, femme de Francois de Carrare-le-Vieux, seigneur de Padoue, il fut d�cor� int�rieurement et ext�rieurementnbsp;d�admirables fresques par les �l�ves de Giotto. Les peintures ext�-rieures ont p�ri; les aulres, bien conserv�es ou habilement retouch�es,nbsp;olfrent divers sujets de l�Ancien et du Nouveau Testament, la pieusenbsp;fondatrice, implorant la sainle Vierge, et plusieurs portraits desnbsp;princes de Carrare avec celui de P�trarque. Sur Faulel est un superbe
(i) Sun corps fut Irouvc en 10T3 dans 1'oratoirc de S. Prosdocimus.
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dyptique du seizi�me si�cle repr�sentant les principaux traits de la vie de saint Jean-Baptiste (i).
Le Baptist�re et Ie dyptique r�unis ferment un monument qui r�veille, dans leute sa splendeur, le souvenir de notre v�n�rable anti-quit�. D�un c�t�, le brillant �difice o� se Irouve la fontaine de vie, el dent toutes les parlies int�rieures el ext�rieures, semblables aux pagesnbsp;d�un grand livre, sur lesquelles Tart calholique avail �crit teute l�his-toire religieuse du genre bumain dans le pass�, dans le pr�sent et dansnbsp;l�avenir; de l�aulre, le dyptique, registre glorieux, dans lequel la mainnbsp;du pr�tre inscrivait le nom des citoyens successivement admis dans lanbsp;nouvelle r�publique. Remarquons en passant comme l��glise a su en-noblir, en se rappropriaht, un usage d�ja non vulgaire chez les pa�ens.nbsp;Les dypliques �taient le pr�sent favori des empereurs, des consuls etnbsp;des grands dignitaires de l�empire. Ces esp�ces de portefeuilles, dontnbsp;l�int�rieur se composait de tablettes de cire, ou de plomb, ou de papyrus, �taient orn�es de splendides couvertures de c�dre, d�ivoire,nbsp;d�argent, d�or cisel�, enrichies de bas-reliefs d�un travail exquis. Lenbsp;luxe de ces objets fut pouss� si loin, que les empereurs Valentinlen,nbsp;Th�odose et Arcade, se virent oblig�s, en 384, de d�fendre a toute per-sonne, excepl� aux consuls ordinaires, de donner des dypliques d�ornbsp;et d�ivoire (2). Ces dypliques consulaires re^urent le nom de Fastcs,nbsp;paree qu�ils contenaient la succession des consuls, ou, du moins, lenbsp;nom de celui qui en faisait pr�sent. Noble usage! que l��glise a re-marqu� et dont elle s�empare; n�esl-il pas juste en effet qu�elle ait sesnbsp;dypliques? N�a-t-elle pas � enregistrer des noms plus illustres quenbsp;eeux des Consuls et des C�sars? Des les temps apostoliques, ses artistes sont a l�oeuvre; tout ce qu�ils ont de talent el de richesse estnbsp;employ� a fabriquer les fastes immortels de la nouvelle soci�t�.
On en distingue quatre esp�ces : les dypliques des baptises; les dypliques des vivants; les dypliques des saints et des martyrs-, lesnbsp;dypliques des marts. La c�l�bralion de l�auguste Sacrifice a r�uni dansnbsp;les catacombes, autour du tombeau d�un martyr, ou dans les superbesnbsp;llasiliques de Rome et de Constantinople, les enfants de la nouvellenbsp;Jerusalem; et voila qu�un ministro sacr�, porlant en ses mains lesnbsp;iivres de vie, monte sur l�ambon et r�cite a haute voix tous les nomsnbsp;fiu�ils contiennent. Noms des n�ophyles nouvellement baptis�s; nomnbsp;du Pape, p�re commun de la grande familie; nom de l��v�que, pasteur d�une portion du troupeau; noms des pr�tres qui travaillent avec
(lt;) Niiova Gu'id.'i, etc., in Padova, p. 74.
(2) C�d. Tlicod. lib. XV, lil. ix, 1.1. de Expressie Lud.
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lui; noms des empereurs, �v�ques du dehors; nom de quelque fid�le en particulier, distingu� parmi lous les aulres; noms des martyrs;nbsp;noms des tr�pass�s dans la foi orthodoxe : noms eh�ris et glorieuxnbsp;qu�il faut invoquer, ou qu�il faut rappeler au Dieu dont la bont� mi-s�ricordieuse les a plac�s dans les fastes de l��glise militante, afin denbsp;les inscrire un jour dans Ie livre immortel de l��glise triomphante.nbsp;Jusqu�au douzi�me si�cle, l�Orient et l�Occident entendirent l��pousenbsp;de J�sus-Christ r�citer a haute voix, pendant les augustes myst�res, Ienbsp;catalogue de familie, si propre a �lever la charit� de tous ses membresnbsp;jusqu�ii Ia fraternit� (�).
Apr�s avoir, grilce aux d�tails qui pr�c�dent, admir� avec intelligence Ie Baptist�re et Ie dyptique, nous partimes pour l��glise deux fois monumentale de�l� Annunziata-nell�-Arena. Monumentale, pareenbsp;qu�elle occupe remplacement de Tamphith�atre, et pr�sente la Reinenbsp;des vierges, la m�re de la mis�ricorde, la douce Marie, honor�e aunbsp;m�me lieu que la volupt� et la cruaut� pa�enne souill�rent de tantnbsp;d�iniquit�s; monumentale, paree qu�elle est une des plus belles pagesnbsp;de Tart catholique. Assise et Padoue sont les deux immortels feuilletsnbsp;du livre �crit par Ie pinceau de Giotto. L'Annunziata fut fond�enbsp;en 1305 par Henri Serovigno, riche citoyen de Padoue : Giotto la pei-gnit en 1506. Ses vastes fresques repr�sentent les principaux traits denbsp;l'Ancien et du Nouveau Testament, et surtout 1�enfer, ex�cut�, dit-on,nbsp;d�apr�s les inspirations du Dante.
Malgr� Ie poids de cinq si�cles, cette grande composition est dans son ensemble tr�s-bien conserv�e. Quant aux d�tails, on est ravi d�ynbsp;trouver l��loquente justification de l��cole catholique. Les artistes denbsp;la renaissance n�ont cess� de lui reprocher son ignorance en fait denbsp;correction et d�ornementation. Or, les peintures de YAnnunziatd,nbsp;surtout celles de la partie sup�rieure, sont ravlssantes de grdce, denbsp;douceur et de correction dans Ie dessin, de souplesse et de naturelnbsp;dans les draperies, de beaut� dans les poses et d�expression dans lesnbsp;figures. Derri�re l�autel s��l�ve Ie magnifique tombeau en marbre dunbsp;fondateur. Au pied de sa statue, debout pr�s de la sacristie, on fit =nbsp;Propria figura Domini llenrici Serovigni mililis de Harena. L��nbsp;peintures du choeur, repr�sentant la vie de la sainte Vierge, sont denbsp;Thad�e Bartolo, �l�ve de Giotto, et prouvent, malgr� leur inf�rioriie�nbsp;qu�il ne fut pas indigne de son glorieux maitre. Sans la d�viation du
(i) Vojcz Ie pr�cieux ouvrage de Donati, De' dittici degli antichi, profani e ^ecn. In-i�, Lucques, 1755.
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xvi' si�cle, � quel degr� de perfection ne serail pas arriv� Tart ca-tholique!
II fallut dire adieu a VAnnunziata et h ses tr�sors ; Sainie-Jus-tine nous appelait pour nous montrer les siens. Le premier est l��glise m�rne. Debout au milieu du Prato della Valle, contemplez ce templenbsp;magnifique sur lequel trois si�cles ont pass� sans lui faire perdre lenbsp;brillant �clat de sa jeunesse; il lance dans les airs ses buit coupolesnbsp;� jour dont la plus �lev�e forme le pi�destal a�rien de la statue de lanbsp;sainte Titulaire; sa triple voute est support�e par une longue rang�enbsp;de pilastres composites appuy�s deux � deux sur la m�me base. Sanbsp;forme est une croix latine : 368 pieds de longueur, 106 de hauteur,nbsp;12o de largeur, telles sont ses dimensions. En y comprenant la statuenbsp;de Ia Sainte, Ia grande coupole mesure int�rieurement 133 pieds, ex-t�rieurement 176 d��l�vation. De qui est la pens�e cr�atrice de l�au-guste monument? D�un humble fr�re de Saint-Benoit, dom J�r�me denbsp;Brescia. Quel en fut I�architecte? Un enfant de Padoue, Andr� Rec-cio. Quel pinceau l�a d�cor� de ses splendides peintures? La gracieusenbsp;sainte Gertrude en extase est de Pierre Hiberi; Totila, roi des Golhs,nbsp;prostern� devant saint Benoit, appartient a Jean-Baptiste Maganza;nbsp;saint Cosme et saint Damien, sauv�s du naufrage par un ange, estnbsp;une composition pleine de feu, d�Antoine Balestra; enfin le martyrenbsp;de sainte Justine, plac� au fond du choeur, passe pour le chef-d�oeuvrenbsp;de Paul V�ron�se. Les belles stalles du choeur, orn�es de bas-reliefsnbsp;repr�sentant les divers sujets du Nouveau Testament, sont en partienbsp;I�ouvrage d�un Francais, Richard Taurigny, de Rouen, qui a fait aussinbsp;les belles stalles du d�me de Milan. Quelle est maintenant la sainte �nbsp;qui la ville de Padoue a d�di� cette magnifique �glise?
Fond� sur les monuments de l�histoire et de la tradition, Baronius compte quarante missionnaires, pr�lres ou �v�ques, dirig�s dans lesnbsp;diff�rentes parties de l�Italie, des Gaules et de la Germanic, par saintnbsp;Pierre, durant son s�jour a Rome. Dans ce nombre figure le saintnbsp;�v�que Prosdoclmus, disciple du p�cheur galil�en, envoy� par luinbsp;dans la ville de Padoue, Pan 46 de Notre-Seigneur, la quatri�me ann�enbsp;de I�empereur Claude, imm�diateraent avant l��dit centre les Juifs,nbsp;qui obligea l�Ap�tre � reprendre le chemin de I�Oricnt (i). A la voixnbsp;du saint �v�que, les yeux s�ouvrirent; on d�serta les autels des idoles.nbsp;Parmi les n�opbytes se distingua une jeune vierge nomm�e Justine.nbsp;Chose remarquable! presque partout les femmes furent les premi�res
(0 Annul. 1.1, an. 46, n. 2.
T. in. nbsp;nbsp;nbsp;12
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embrasser l��vangile; et presque partout elles soutinrent les plus nobles combats. Marie, la mere du Sauveur, sainte Madeleine et sesnbsp;eorapagnes sur Ie Calvaire, donn�rent naissance a cette g�n�rationnbsp;d�h�ro�nes qui pay�rent et d�fendirent, par la g�n�reuse effusion denbsp;leur sang, la r�habilitation de leur sexe. Justine, arr�t�e par ordre dunbsp;l)r�sident Maxime, est soumise a tous les genres de tortures; ferme etnbsp;pure corame un diamant, son ame virginale r�siste �galement aux menaces, aux promesses et aux supplices. Le glaive du confecteur metnbsp;fin i la lulte. Maxime est vaincu; Th�ro�ne a triomph�; l�idolfttrienbsp;ehanc�lle, et Padoue, purifi�e, consacr�e par le sang de la sainte vic-time, deviendra une des villes les plus religieuses de l�Italie : telle estnbsp;la glorieuse marlyre pour laquelle a �l� bdti le temple magnifiquenbsp;o� nous sommes. Elle s�y \j'ouve, du reste, en nombreuse et noblenbsp;compagnie.
Dans l�autel de la grande chapelle, ii gauche du transept, on v�n�re une partie consid�rable du corps de l�ap�tre saint Mathias, apport�nbsp;de rOrient. Derri�re l�aulel une porte colossale ouvre sur un antiquenbsp;atrium, au milieu duquel est un puits. Prosternez-vous, qui que vousnbsp;soyez, la terre que vous foulez est une terre sainte. Ce puits, appel�nbsp;desSaints-Innocents, renferme lesreliquesd�un grand nombre de martyrs, dont le sang inonda la place du Prato. Descendons maintenantnbsp;ce petit escalier sombre et tortueux, il nous conduit a une crypte, v�-n�rable berceau du christianisme � Padoue. Sous la pierre de eetnbsp;aulel o� il offrait silencieusement l�auguste victime, repose le saintnbsp;�v�que Prosdocimus. Cette vierge byzantine que vous voyez sur l�autelnbsp;fut apport�e de Constantinople par le saint pr�tre Csius. L�an 741nbsp;riconoclaste empereur, Constantin Copronyme, la fit jeter dans lesnbsp;Hammes, d�o� elle sortit miraculeusement intacte. Avant de quitternbsp;l��glise, nous vinmes, sur les pas de tant de g�n�rations, nous pros-terner au pied du maitre autel devant le corps sacr� de sainte Justine,nbsp;en conjurant le Dieu des martyrs de r�chauffer, dans les veines denbsp;leurs derniers enfants, le sang g�n�reux des premiers chr�tiens.
Le voyageur catholique n�est pas au terme de ses jouissances. L�Iia-lie compte qualre principaux sanctuaires : Piome, Lorette, Assise, sont les trois premiers, Padoue est le quatri�me. Cette ville a eu l�iu'nbsp;signe bonheur de poss�der pendant une grande partie de sa courtenbsp;vie, et de couronner, apr�s sa mort, le saint le plus populaire dunbsp;moyen Sge : j�ai nomm� saint Antoine de Padoue. II faut ajouter quenbsp;la confiance, l�amour, I�enlhousiasme des habitants, per il Santo, estnbsp;vraiment admirable : nous en jugerons par le monument que leur
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pi�t� filiale a d�di� en son honneur. Commenc�e en 1255 par Ie c�-l�bre Nicolas de Pise, et achev�e en 1307, l��glise de Saint-Antoine est un �difice gothique de la meilleure �poque et du meilleur go�t.nbsp;Les six coupoles qui la surmontent sont une r�miniscence du stylenbsp;byzantin; et ses statues, ses bas-reliefs de Donatello, ses fresques iin-niortelles de Giotto ainsi que ses quatre grands orgues, atteslenl lanbsp;r�uniou de tous les arts pour glorifier sur la terre I�humble saint dontnbsp;Ie Ciel couronne les verlus. En entrant, nous fumes tr�s-�tonn�s denbsp;voir aux portes deux chiens dalmates, de l�esp�ce des chiens bergers.nbsp;� De temps imm�morial, nous dit Ie fr�re Prosper, la garde de l��glisenbsp;est confi�e � ces fid�les animaux. De p�re en fils ils s�acquitlenl par-failement de leur devoir. Ceux que vous voyez surprirent, il y a quel-ques ann�es, �n domestique de la maison Sografi, qui �tait rest� Ienbsp;soir en pri�res apr�s la fermeture des portes; ils se plac�rent a sesnbsp;c�l�s, l�un � droite, l�autre h gauche, pr�ts a s��lancer sur lui aunbsp;moindre mouvement, et ils Ie tinrent ainsi en arr�t jusqu�au lendemainnbsp;matin. �
L��glise est un v�ritable mus�e de peinture et d�archileclure, dont la description nous entrainerait trop loin. Parmi lant de richesses onnbsp;admire, � la chapelle du Saint-Sacrement, Ie tabernacle en marbrenbsp;pr�cieux orn� de bas-reliefs en bronze, de J�r�me Campagni, c�l�brenbsp;sculpteur du xvi' si�cle, et les quatre anges, dus au ciseau de Donatello. Au choeur est Ie grand cand�labre de bronze d�Andr� Riccio, Ienbsp;Lysippe v�nitien : c�est Ie plus beau qu�il y alt au monde; il co�ta dixnbsp;ann�es de travail a l�artiste. Les quatre statues des protecteurs de Pa-doue, la Vierge el l�Enfant J�sus, sont autanl de chefs-d�ceuvre denbsp;Donatello. Apr�s avoir admir� les belles fresques du xiv� si�cle, quinbsp;d�corent la chapelle de Sainl-F�lix, on aime � s�agenouiller devantnbsp;1�autel o� repose Ie corps du glorieux martyr. Plus loin, sont deux an^nbsp;ciennes chapelles o� l�on voil de pr�cieuses peintures, ant�rieures � lanbsp;��enaissance, dont Tune repr�senle saint Antoine r�v�lant au B. Lucanbsp;Lelludi la d�livrance de Padoue de la lyrannie d�Esselin. Le corps dunbsp;liienheureux repose sous l�aulel.
Nous arriv�mes enfin il la chapelle de Saint-Antoine, une des plus Hches du monde. Je ne sais combien d�hommes c�l�bres ont Iravaill�nbsp;a la construire et a l�orner. Commenc�e en 1500 par Jean et Antoinenbsp;Minello, continu�e par Sansovino el Falconetto, elle fut orn�e de gra-Weux arabesques par Mallhieu Allio el J�r�me Pironi, el de bas-re-liefs exquis par Campagni, Tullius et Antoine Lombard. Autour de lanbsp;'bapelle sont neuf comparliments d�cor�s de bas-reliefs en marbre.
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repr�sentant les principales actions du Saint. On admire surlout Ie miracle de Ia jeune fille des environs de Padoue, �touff�e dans unnbsp;bourbier et ressuscit�e par Ie Saint; la conversion de l�h�r�tiquenbsp;Aleardino dont je parlerai plus tard; Ie Saint remeltant 5 un jeunenbsp;bomme Ie pied qu�il s��lait coup� pour avoir donn� un coup a sa m�re.nbsp;Les stucs de la voute, ouvrage de Titien Minio, sont d�une extr�menbsp;�l�gance; mais il semble que Tart se surpasse lui-m�me ii mesurenbsp;qu�il approcbe de l�autel.
Volei les superbes statues en bronze de saint Bonaventure, de saint Louis, �v�que de Toulouse, et de saint Antoine; les quatre anges quinbsp;portent Jes cand�labres, la grille de bronze et enfin l�autel de marbrenbsp;avec ses magnifiques seulptures. Dans l�autel repose Ie Saint, sur Ienbsp;corps duquel j�eus Ie bonheur d�ofirir les augustes myst�res. Telle estnbsp;l�immense popularit� de saint Antoine de Padoue, que la magnifiquenbsp;�glise, avec sa chapelle plus magnifique encore, ont �t� baties avec lesnbsp;offrandes des fid�les de toutes les nations. Une des trois superbes lam-pes en or massif, fondues en 1797 pour acquitter la contribution denbsp;guerre, �tait un pr�sent du grand Turc. De nombreux tombeaux senbsp;dressent autour de la chapelle, dans l��glise et jusque sous les cloitresnbsp;du couvent : tant est vif Ie d�sir de n��tre point s�par�, m�me apr�snbsp;la mort, de celui qu�on aima si tendrement pendant la vie! Entrecesnbsp;illustres mausol�es de patriciens, de g�n�raux, d��trangers dislingu�s,nbsp;de professeurs c�l�bres, il faut �tudier ceux d�Alexandre Contarini,nbsp;g�n�ral de la r�publique; du cardinal Pierre Bembo d�Arminius d�Or-besan, baron de la Bastide, jeune guerrier francais mort en 1595, ag�nbsp;de vingt ans. Son �l�gante inscription latine sent un peu trop la renaissance (i).
Malgr� l�affaiblissement g�n�ral de la foi, d�innombrables p�lerins arrivent encore de toutes les parties de l�Europe, surtout de l�Alle-magne et de la Pologne, au tombeau de saint Antoine. Chaque journbsp;sont envoy�s des ex-voto h sa chapelle ou des offrandes pour son tr�-sor. D�o� vient cette popularit� si constante et si universelle? L�unnbsp;des plus c�l�bres docteurs de l��glise, saint Bonaventure, r�pondait,nbsp;il y a bient�t six cents ans : Narrent hi qui sentiunt, dicant Paduam-� Demandez-le a ceux qui ont �prouv� la protection du Saint; ditesnbsp;aux Padouans de raconter ce qu�ils voient, ce que leurs p�res ont vu,nbsp;ce que virent leurs a�eux. �
(i) Gallus eram, Pata\i morior, spos una parentum; Flectcre ludus cquos, armaque cura luit:
Me quarto in lustro mihi pr.'nvia Parca pcpercit, Hic tumulus, sors lucc, pax sit utrique : vale.
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Or, dans Ie courant du mois de novembre de l�ann�e 1227, leurs a�eux virent entrer a Padoue un jeune religieux de Saint-Francois, lanbsp;t�te nue et ras�e, Ie corps couvert d�une robe de bure rattach�e parnbsp;une ceinture de cuir, les jambes nues et les pieds prot�g�s par desnbsp;sandales. Ce jeune religieux demande modestement 1�aura�ne, et sonnbsp;regard ang�lique et sa noble figure expriment �loquemment son humble et vive reconnaissance. En �change du pain qu�il rc^oit, il apportenbsp;tous les biens qu�une ville peut d�sirer ; la v�rit�, la paix. Padouenbsp;manquait de Tune et de l�autre. Ravag�e par l�h�r�sie des Manich�ensnbsp;et d�cliir�e par les guerres civiles, elle se d�battait dans les angoissesnbsp;de l�agonie. N� en Portugal, et rappel� de France o� il avait op�r�nbsp;cent prodiges, Antoine, 1�humble franciscain, accourait au secours denbsp;Padoue. II prie, il pr�che, les miracles �clatent; Padoue s��branle, lesnbsp;coeurs sont chang�s, la v�rit� brille, la paix revient : Antoine est Icnbsp;sauveur, l�ami, Ie p�re de tous.
Cependant Ie f�roce Esselin da Romano veut saccager Padoue qu�il opprime; Ie Saint marche seul au-devant de ce monstre alt�r� denbsp;sang. Par la double puissance de sa parole et de sa vertu, il Farr�lenbsp;au milieu de ses officiers, Ie confond, Ie rend immobile de terreur. Etnbsp;1�on vit Ie nouvel Attila, devenu doux comme un agneau, d�lacher sanbsp;riche ceinture, se la passer au cou et tomber amp; genoux devant Fen-voy� de Dieu en Ie suppliant de demander mis�ricorde pour lui. Padoue est sauv�e; toute Ia Romagne retenlit des louanges du vainqueur;nbsp;Ie bruit de ses miracles vole de bouche en bouche; il arrive jusqu��nbsp;Rome; Gr�goirelX veutvoir, entendre, juger l��loquent thaumaturge :nbsp;c��tait Fan 1230.
Rome est pleine d��trangers de toutes les nations venus aux saints lieux pour gagner Findulgence de la croisade. II y a des Grecs, desnbsp;Francais, des Espagnols, des Allemands, des Anglais, des Flamands,nbsp;des Suisses, des �cossais et des Esclavons. Antoine parle sa languenbsp;maternelle et se fait entendre de tous ces peuples qui ne la connais-sent pas. Un autre prodige frappe Ie vicaire de J�sus-Christ; c�est lanbsp;solidit� de la doctrine du jeune Saint, la force irr�sistible de ses rai-sonnements, la vie divine qui surabonde dans ses paroles, sa connais-sance merveilleuse de F�criture. Ravi d�admiration, Ie Pontife �l�venbsp;solennellement la voix et fait de lui eet �loge unique dans Fhistoire :nbsp;� C�est Farche des deux Testaments, c�est Farsenal des divines �cri-tures : � Area utriusque Testamenti et divinarum Scripturarum ar-marium.
Antoine retourne � Padoue et s�me les miracles sur sa route. Ses
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jours se passent a pr�cher, ^ confesser el 5 consoler; ses nulls a prier : il est par excellence Thomme public, la fontaine � laquelle chacun vanbsp;puiser. Cependant deux mois encore Ie s�parent de sa trente-sixi�menbsp;ann�e, mals dans sa courle vie il a fourni une longue et brillante carri�re ; rimmortelle couronne va reposer sur son front. Le saint estnbsp;raalade, le Saint est mourant; a ces mots, la ville et les campagnes s��-meuvenl : on pleure, on prie, on s�agile. Le Saint est couch� sur unnbsp;pauvre grabat dans Ie petit couvent de Barcella, peu �loign� de Padoue:nbsp;la foule s�y transporte; c�est le soir du vendredi 13 juin de l�an 1231.nbsp;Au milieu des sanglots universels, un chant se fait entendre, c�est lenbsp;chant du cygne; je dis mal, c�est le chant d�un ange qui relourne aunbsp;ciel, le chant d�un fils de Marie, qui pour la derni�re fois salue sanbsp;m�re sur la terre d�exil. De ses l�vres mourantes le saint missionnairenbsp;a r�p�t� sa devise cb�rie, son hymne de guerre : O gloriosa Domina,nbsp;excelsa super sidera. II est mort. Non, il vit au ciel par sa puissance,nbsp;sur la terre par ses miracles; et, apr�s plus de six cents ans, Antoinenbsp;de Padoue est encore un des saints les plus populaires en Orient etnbsp;en Occident.
De la chapelle o� repose son corps nous passamp;mes au Tr�sor de la Basilique. Parmi les nombreuses richesses artistiques et religieusesnbsp;dont il est rempli, on admire un encensoir et une navette en or, donn�snbsp;par le pape Sixte IV, de l�ordre des Minimes. L�encensoir de formenbsp;gothique repr�sente une cath�drale en miniature, avec ses clochetons,nbsp;ses ogives, ses gracieuses colonnettes et ses galeries � dentelle. La navette est digne de son nom; c�est un petit navire avec tous ses ponts,nbsp;ses m�ts, ses voiles, ses cordages et ses matelots. Pourquoi faut-il quenbsp;nos artistes ignorent l�existence de ce double chef-d�oeuvre, ou quenbsp;nos fabricants d�orf�vrerie eccl�siastique ne jugent pas � propos denbsp;reproduire ces int�ressants mod�les?
Outre une immense quantit� de reliques insignes, on conserve dans un reliquaire �tincelant de pierreries la langue du Saint. Cette languenbsp;puissante qui remua plus d�hommes el surtout plus profond�mentnbsp;que celle de D�moslh�ne ou de Cic�ron, est intacte et vermeille. Ellenbsp;fut trouv�e dans eet �lat miraculeux le 7 avril de l�ann�e 1263, parnbsp;saint Bonaventure, venu � Padoue pour pr�sider � la translation desnbsp;reliques. A la vue de ce prodige, que rendait incontestable la dissolution des autres parties du corps, le Docteur s�raphique s��cria : Onbsp;lingua benedicta, quee Dominum semper benedixisli et alios benedi-cere jecisti, nunc manifeste apparet quanti meriti exslilisli apudnbsp;Deum!
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La preuve six fois s�culaire d�un autre miracle esl a c�l� de la pr�-cieuse cassette. Je veux parler du fameux verre de Th�r�lique Aloar-dine de Salvaterra. Aloardine �tait un soldat que la curiosit� on plul�t une incr�dulit� railleuse avait amen� .a Padoue. Un jour qu�il �tait ^nbsp;table, il entendit parler des miracles de saint Antoine. II se mit a s�ennbsp;moquer, et croyant faire une plaisanterie excellente, il ajouta ; � Sinbsp;votre Antoine, que vous appelez saint et thaumaturge, emp�ehe cenbsp;verre que je liens a la main de se casser quand je le jetterai i terre,nbsp;je croirai ce que vous me dites. � L�-dessus, il se l�ve de table, ouvrenbsp;la crois�e, et de toutes ses forces jette son verre sur la place contrenbsp;une pierre, et le verre ne se brise pas. Stup�fait, interdit, Aloardinenbsp;tombe � genoux et se rel�ve catholique. Lui-m�me va rechercher sonnbsp;verre, et, en pr�sence de tous les t�moins de cette sc�ne, le portenbsp;respectueusement au tr�sor de saint Antoine, ou nous avons eu lenbsp;bonheur de le voir (i). Dans une armoire voisine on conserve les oeuvres du Saint. Ce n�est pas sans un profond respect qu�on approchenbsp;la main des sermons de I�immortel missionnaire. Quoique accompa-gn�e de corrections, l��criture du Saint est tr�s-lisible et m�menbsp;�l�gante.
On ne peut quitter ce lieu b�ni sans songer� une d�votion dont il n�est pas inutile de rappeler I�origine et la perp�luit�. Si jamais vousnbsp;avez lu le Martyrologe gallican du savant �v�que de Toul, Dussaus-saye, vous aurez vu que nos p�res s�adressaient a un saint en particulier pour chaque maladie, chaque besoin : I�ltalie, I�AHemagne, toutesnbsp;les autres parties de la catholicit� faisaient comme la France. Saintnbsp;Antoine de Padoue �tait invoqu� pour retrouver les choses perdues.nbsp;Reste pr�cieux du vaste naufrage ou le protestantisme et l�incr�dulit�nbsp;ont englouti tant de pieux usages, cette d�votion est encore pratiqu�enbsp;de nos jours; elle est m�me populaire en Orient et en Occident: voilanbsp;un fait. Respectable d�ja par sa catholicit� et par son anciennet�, cenbsp;fait le devient plus encore par son origine. Des ex�mples nombreuxnbsp;et des t�moignages incontestables consign�s dans la vie de saint Antoine de Padoue, prouvent qu�il avait regu de Dieu le pouvoir non-seulement de gu�rir les malades, mais encore de consoler les afflig�s,nbsp;en leur faisant miraculeusement retrouver les choses qu�ils avaientnbsp;perdues (a).
En sortant de l��glise, on est tellement p�n�tr� de ce qu�on vient de voir, et, quand on est chr�lien, de ce qu�on vient d��prouver, qu�il
(i) Vita di S. AnU, lib. u, p. 198.
(s) Vita di S. Ant-, lib. m, p. 266.
-ocr page 280-276 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
reste a peine assez d�attention pour jeter un coup d�ojil sur la statue �questre en bronze du grand capitaine Gualtamelata, qui d�corc lanbsp;place. Cetle statue, la premi�re qui ait �t� fondue en Itali� et cliez lesnbsp;modernes, est Ie chef-d�oeuvre de Donatello. Nous dimes un derniernbsp;adieu au bon fr�re Prosper, exil� volontaire pour 1�amour de Dieu etnbsp;du prochain; � saint .\ntoine; a Padoue; aux conservatoires de pau-vres et d�orphelins, et nous partimes pour Venise.
La route suit les bords de la Brenta, si vant�s par les amateurs de paysages et si c�l�bres dans nos fastes militaires. Au travers d�unenbsp;campagne couverte de jardins, oii Ton dirait que les statues de mar-bre croissent comme les champignons, on arrive h Mestre : iri vousnbsp;attendent les gondoliers v�nitiens pour vous conduire dans leur mer-veilleuse cii�.
II AY RIL.
Transla--Lion. �
Clocherdc Saint-Marc. � Yuc et histoirc de Venise. � �glise Saint-Marc.-tion du corps de saint Marc. � Tresor. � Place Saint-Marc. � Chevaux. -Palais du Doge. � Prisons. � Inscriptions.
Le voyageur qui entre � Venise apr�s la chute du jour, se croit trans-port� dans quelque cit� fabuleuse des Milk et Une Nuits. Une ville superbe, vaste, populeuse, assise au milieu de la mer, sans qu�onnbsp;aperQoive, pour lui servir de base, ni un pouce de terre, ni une pointenbsp;de rocher, de longs canaux bordes de maisons et de palais, dont lesnbsp;fondements sent cach�s dans les Hots, tandis que la facade, moitienbsp;europ�enne, moiti� ori�ntale, s��lance majestueusement dans les airs;nbsp;un silence lugubre que ne trouble ni le pas des chevaux, ni le mouvement des voitures, mais le bruit monotone des rames qui frappent �nbsp;coups �gaux la tranquille surface des ondes; le son vari� de nombreu-ses sonneries, les mille voix criardes de tout un peuple qui encombrenbsp;plusieurs centaines de ponts grands et petits, et passe rapidement au-dessus de votre t�te; des gondoles aux couleurs jaune et noire, quinbsp;parcourent en lout sens les longues sinuosit�s des lagunes; les falolsnbsp;de ces voitures d�eau, les r�verb�res et les torches dont la lumi�re in-certaine �claire ce singulier spectacle : tout cela �tonne, surprend etnbsp;produit une impression qui a le privil�ge de ne ressembler � nullenbsp;autre.
Pour la eompl�ter, nous voulumes, apr�s avoir vu Venise d�en bas, Ia contempler d�en haut. Le lendemain, au lever du soleil, nous �lionsnbsp;sur le eloeher de Saint-Marc. La premi�re merveille a consid�rer est
-ocr page 281-\l*E ET inSTOIRE DE VENiSE. ZL i t
ce clocher m�me, un des plus �lev�s et des plus hardis de l�Ilalie. On arrive au sommet par une rampe douce, sans degr�. De ce belv�d�renbsp;on jouit d�un point de vue qui tient du prodige. A tos pieds la mer,nbsp;Venise au sein de la mer, une multitude de d�mes, de clochers, denbsp;palais, de colonnes, de portiques, de facades grecques, arabes, byzan-tines; a l�orient, la vaste �tendue de l�Adriatique, sem�e de pelites ilesnbsp;group�es avec grftce autour de l�imposante cit�; au nord, les cimesnbsp;blancliies des Alpes du Frioul; � l�occident, les vertes campagnes dunbsp;Padouan et du Vicentin; au midi, la Brenta et ses bords si peupl�s etnbsp;si riches.
Au-dessus de ce magnilique panorama, il en est un autre plus ma-gnifique encore, et dont l��clat rayonnant sur Ie premier en expliqiie, en rehausse toutes les beaut�s : c�est, qu�on me passe l�expression, Ienbsp;panorama de Venise au point de vue providentie!. Appuy� sur la galerie a�rienne du clocher de Saint-M-irc, Tobservateur ne peut �trenbsp;mieux pour Ie contempler. Au commencement du cinqui�me si�cle, Ienbsp;monde remain, longlemps battu en br�clie par les ennemis du dehorsnbsp;et par ceux du dedans, s��croulait avec un �pouvantable fracas sous lesnbsp;coups des Barbares. Le drapeau noir d�Attila venait d��lre arbor� sousnbsp;les murs de l�antique Aquil�e; mais les habitants, conliants dans leurnbsp;courage, avaient m�pris� ce dernier signe de mis�ricorde. Quelquesnbsp;heures apr�s, Aquil�e n�est plus qu�un monceau de cendres. Cepen-dant quelques families de la cit� ont trouv� leur salut dans la fuite.nbsp;Les r�cifs de l�Adriatique leur ofirent un asile. Au milieu des lagunes,nbsp;elles se couslruisent de pauvres cabanes, vivent isol�ment, absorb�esnbsp;par le soin de pourvoir a leur subsistance.
Deux si�cles plus tard, vers l�an 097, elles se r�unissent, se donnent un chef commun et deviennent un petit �tat. Sous la protection denbsp;l�erapire d�Orient, la naissante r�publique grandit, se fortifie, et bien-t�t se d�clare ind�pendante. Au dixi�me si�cle, elle prend son essor etnbsp;vole a ses premi�res conqu�tes. Le si�cle suivant la voit mettre sur sanbsp;jeune t�te la couronne royale, marcher L�gale des grandes puissancesnbsp;deLEuropeetpartageravecG�nesLempiredes mers. Pendant cinq si�cles, elle p�se d�un poids souvent d�cisif dans les deslin�es du monde.nbsp;Enfin sa mission est remplie : gloire, richesse, puissance, liberi�nbsp;m�rae, tout lui est �t�; et la Tyr de LOccident se voit r�duite � n��trenbsp;plus dans ses vieux jours que Lagent subalterne d�un empire �tranger.nbsp;Et maintenant, quelle fut la raison providentielle de la grandeur denbsp;Venise et de sa d�cadence?
Le Dieu qui tire le bien du mal et la vie m�me de la mort, fait nai-
-ocr page 282-278 nbsp;nbsp;nbsp;I.ES TROIS ROME.
tre la puissante cil� de l�invasion des Barbares. Sous l�aile maternellc de la Providence, elle grandit rapidement en force, en richesse, ennbsp;courage ; il Ie faut ainsi, car Venise doit �lre un des plus puissanlsnbsp;auxiliaires de 1�Europe civilis�e par Ie christianisme. Arrivera l��po-que solennelle o� la barbarie musulmane, menagant d�envahir l�Occi-dent et de remplacer la lumi�re par les t�n�bres, la libert� par l�es-clavage, les peuples cbr�liens se l�veront comme un seul horame; et,nbsp;au lieu d�altendre l�ennemi, ils iront l�attaquer jusqu�au coeur de sonnbsp;empire. Mais il faut des navires pour transporter leurs arm�es; desnbsp;marins inlr�pides pour lutter contre les floltes ottomanes : Venisenbsp;rend ce double service ii la cause commune. G�nes la seconde noble-mcnt; et, sur leurs vaisseaux, la civilisation, arm�e de toutes pi�ces,nbsp;traverse les deux mers qui conduisent chez les Barbares. Tant quenbsp;durera la raison providentielle de leur puissance, G�nes et Venise res-teront au premier rang parmi les �tats europ�ens. Elles commence-ront a d�choir, lorsque leur existence n�aura plus pour objet que desnbsp;int�r�ts d�un ordre inf�rieur. Avec une pr�cision remarquable leurnbsp;histoire t�moigne de ce double fait.
Venise eut encore une autre mission. Lorsque, aux xv� et xvi� si�-cles, l�h�r�sie voulut enr�ler la vieille Europe contre la foi catholique, elle emprunta la voix infatigable de la presse pour faire retentir aunbsp;loin ses eris de r�volte. Bftle, Gen�ve, La Uaye, Amsterdam devinrentnbsp;ses redoutables auxiliaires ; Venise fut choisie pour soutenir Peffortnbsp;du combat. De ses presses immortelles sortirent d�innombrables ou-vrages destin�s � proclamer, � d�fendre et � propager les v�rit�s conservatrices de la religion et de la soci�t�. Ce double coup d�oeil jet�nbsp;sur la reine de 1�Adriatique, nous descendimes du clocher pour visiternbsp;l��glise de Saint-Marc, la merveille de Venise et l�un des plus splen-dides monuments de toule l�Italie.
M�lange d�architecture grecque, romane, gothique, mus�e de d�-pouilles opimes apport�es du P�lopon�se, de Constantinople, d�Espa-gne, de Syri�, de tous les pays enfin o� Venise voyait flotter ses pavilions, galerie magnifique de peinlures nationales, l��glise de Saint-Marc redit � sa mani�re toute l�histoire de la puissante r�publique. Lenbsp;seul inventaire de ses tr�sors serait infini. Commenc�e en 976 par Icnbsp;doge Orseolo, la Basilique fut termin�e en 1071; mais rornementationnbsp;a continu� jusqu�au xviii� si�cle. A l�exl�rieur comme a l�int�rieur toutnbsp;ce qui n�est pas or, bronze ou mosa�que est incrust� de marbre oriental. Outre ses grandes portes de bronze et ses superbes mosa�ques, lenbsp;vestibule renferme, sur Ia droite, la chapelle Zeno, dont l�autel, re-
-ocr page 283-�GLISE DE SAIST-MARC. nbsp;nbsp;nbsp;27!)
gard� comme un chef-d�oeuvre, est enrichi d�une profusion de colonnes et de statues de bronze d�un travail exquis. Au centre est Ie monumentnbsp;du cardinal Zeno, avec sa statue en bronze eouch�e sur Ie cercueil.
Lorsqu�on franchit Ie seuil du temple, on �prouve un sentiment analogue � celui de la reine de Saba, l�moin des magnificences de Salomon. A la vue de ces vo�tes d�or, de ce pav� de jaspe et de porphyre,nbsp;de ces cinq cents colonnes de marbre pr�cieux, de bronze, d�albftire,nbsp;de vert antique et de serpentine, de ces bas-reliefs en bronze, chefs-d�oeuvre de Sansovino, de Titien Minio, de Zuccato, de Pietro Lombardo, on reste �bahi, silencieux, immobile. Le demi-jour qui �clairenbsp;toutes ces magnificences, ajoute � l�impression et porte au recueille-ment. On se prosterne, on prie, on est heureux de voir les plus richesnbsp;creatures r�unies au g�nie de Phomme pour chanter la gloire dunbsp;Cr�ateur.
Le b�nitier de porphyre a pour base un autel antique de sculpture grecque, orn� de dauphins et de tridents. La raosa�que des fonts, repr�sentant le Bapt�me de Notre-Seigneur, est un ouvrage du xiP si�clenbsp;plein de verve et de chaleur. Au transept brille le magnifique Ora-toire de la Croix. 11 affecte la forme d�une petite tribune soutenue parnbsp;six riches colonnes, au-dessus desquelles on admire la c�l�bre mosa�-que du Paradis. Lb se trouve la plus belle des nombreuses colonnettesnbsp;de Saint-Marc ; elle est de porphyre noir et blanc. Je ne puis qu�indi-quer les deux chaires de marbres pr�cieux, support�es par des colonnes d�un grand prix, qui s��l�vent � 1�entr�e du choeur; les stallesnbsp;orn�es de marqueteries; les bas-reliefs et les figures de bronze quinbsp;d�corent les balustrades, ainsi que les orneraents en marbre et la porienbsp;en bronze de la sacristie, chefs-d�oeuvre de Sansovino, qui lui cout�-rent vingt ans de travail. Quatre colonnes de marbre grec orn�es denbsp;bas-reliefs soutiennent la Confession de Saint-Marc, et au-dessus denbsp;1�autel on voit la fameuse Pala d�oro, ou Icons Byzantine. C�est unenbsp;niosa�que en �mail sur lame d�or et d�argent rehauss�e de ciselures,nbsp;de perles, de cam�es et de pierres pr�cieuses. Elle offre, dans unenbsp;suite de compartiments sym�triques, les principaux fails de l�Anciennbsp;et du Nouveau Testament, de la vie de saint Marc, des Ap�tres, desnbsp;Proph�tes, avec des inscriptions grecques et latines. La Pala d�oro,nbsp;ex�cut�e � Constantinople, est un ancien monument de Part en Orient,nbsp;vers la fin du x� si�cle.
Mais pour qui sont r�unies tant de riebesses? Quel est eet �difice en faveur duquel Venise met � contribution l�Orient et l�Occident, lanbsp;�ature et le g�nie? Comme tous les grands peuples ont �t� des peoples
-ocr page 284-280 I.ES TROIS ROME.
religieux; ainsi leurs plus beaux monuments sonl les monuments sacr�s. Tel est celui qui nous occupe et dont il faut expliquerl�origine.nbsp;Dans tout Ie moyen Sge, les nations de l�Occident montr�rent unenbsp;ardeur extr�me h rapporter de l�Orient les corps des martyrs. Auxnbsp;yeux de leur foi si pure, paree qu�elle �tait si ardente et si simple,nbsp;les reliques d�un saint �taient un tr�sor plus pr�cieux que Tor et lesnbsp;pierreries. Leur propre int�r�t se combinait avec une impulsion mys-t�rieuse de la Providence. L�Orient devait finir par tomber sous Ienbsp;joug mahom�tan; et Dieu ne voulait pas abandonner les ossementsnbsp;sacr�s de ses Ap�tres et de ses martyrs aux profanations des Infid�les.nbsp;Dans cette chasse aux reliques, pour employer l�expression d�un auteur contemporain, les Francais, fils ain�s de l��glise, tenaient Ienbsp;premier rang (i). L�Italie et Venise surtout brulaient du m�me z�le.
Or, en 826, six vaisseaux de cette r�publique stalionnaient au port d�Alexandrie : les Sarrasins �taient maitres de la ville. N�anmoins lesnbsp;marchands de Venise avaient la libert� d�y entrer pour leur commerce.nbsp;Quelques-uns d�entre eux visitaieut assid�mcnt l��glise o� reposait Ienbsp;corps de saint Marc, Ie disciple de saint Pierre et l�ap�tre de l��gypte.nbsp;Un religieux et un pr�tre veillaient a la garde de son tombeau; maisnbsp;cbaque jour expos�s aux avanies des Tures, ils craignaient de voirnbsp;briser la tombe du saint �vang�liste et ses cendres jet�es aux flammes.nbsp;Leurs larraes et leurs inqui�tudes ne furent pas longtemps un myst�renbsp;pour les marchands v�nitiens. Ceux-ci n�h�sil�rent pas it leur deman-der Ie corps de saint Marc, afin de Ie mettre en lieu de s�ret�. Lesnbsp;gardiens s�y refus�rent d�abord; enfin, apr�s bien des difficult�s d�unenbsp;part, et des pri�res de l�autre, la concession fut promise. Le supplicenbsp;d�un religieux qui avait soustrait un monument sacr� a la brutalit�nbsp;des Sarrasins, en hi\ta I�accomplissemcnt. Extrait du tombeau par lenbsp;religieux Stauratio et le pr�tre Th�odore, le corps sacr� fut mis, envelopp� de soie, dans un long panier, sous une �paisse couche de l�-gumes et de viande de pore, dont les Mahom�tans ont horreur. Lesnbsp;V�nitiens resolvent le pr�cieux d�p�t et se dirigent vers leurs vaisseaux. Chemin faisant, ils sont arr�t�s par les Infid�les, qui demandentnbsp;a voir ce qu�ils portent. A la vue des viandes immondes, les Turesnbsp;leur crachent au visage et s��loignent en criant : Canzir, canzir :nbsp;� Du cochon, du cochon. � Rendus ii leurs bords, les pieux V�nitiensnbsp;enveloppent les saintes reliques dans les voiles du navire et l�ventnbsp;l�ancre en toute h�te.
(i) Francos... sanctorum corporum cupidissimos venari, ctc. Vid. Bar. an. 826, n. 53, l. IX.
-ocr page 285-TRANSLATION DU CORPS DE SAINT MARC. nbsp;nbsp;nbsp;281
Bient�t elles sont transport�es sur Ie tillac et d�pos�es dans une �l�gante chapelle. Autour du corps brulent nuit et jour des flambeauxnbsp;et des parfums. Pendant toute la travers�e, deux religieux, Slauratio,nbsp;l�un des gardiens, et Dominique, p�lerin de J�rusalem, psalmodientnbsp;des bymnes et des pri�res, tandis que d��clatanls miracles signalcntnbsp;la pr�sence de l�Ap�tre. Enfin on arrive dans les eaux de Venise. In-form�e de l�heureuse conqu�le, toute la ville accourt sur Ie port;nbsp;l��v�que, en habits pontificaux, accompagn� de tout Ie clerg� et dunbsp;s�nat, rejoit les pr�cieuses reliques et les porte solennellement aunbsp;palais du Doge. Aussit�t on se met a l�oeuvre pour b�tir un templenbsp;digne de l�Ap�tre de J�sus-Christ : Saint-Marc s��l�ve, resplendissantnbsp;de dorures et de mosa�ques, de marbre et de peintures. Mille fois plusnbsp;glorieux dans sa vie et dans sa mort que C�sar ou Alexandre, Ie con-qu�rant �vang�lique est d�pos� dans la splendide Basilique. � Mais,nbsp;' ajoute rhistorien, les V�nitiens, jaloux de poss�der un si grand tr�sor,nbsp;prirent toutes sortes de pr�cautions pour emp�cher qu�il ne leur futnbsp;enlev�. Sachant que les Francais �taient tout-puissants en Occident,nbsp;et d�une avidit� extr�me de corps saints, qu�ils allaient chercher par-tout, ils d�pos�rent les reliques de saint Marc dans la Basilique �lev�enbsp;en son honneur, mais dans un lieu inconnu des �trangers (i). �
De l��glise, nous passames au Tr�sor. C�est un des plus riches et des plus vastes reliquaires du monde. L�, sont des vases sacr�s, desnbsp;pat�nes, un devant d�autel couvert de pierres dures orientales; plu-sieurs morceaux de la vraie croix, un clou, l��ponge, Ie roseau, Instruments de la Passion du Sauveur; Ie couteau qui servit au Fils denbsp;Dieu lors de la G�ne et sur Ie manche duquel on distingue quelquesnbsp;lettres h�bra�ques tellement effac�es que Montfaucon ne put les lire;nbsp;enfin, deux cand�labres, chefs-d�oeuvre de l�orf�vrerie byzantine, quinbsp;m�riteraient seuls qu�on visitat Ie Tr�sor.
En traversant la place Saint-Marc et la Piazzetta, nous salu�mes les quatre fameux Chevaux de Corinthe, plac�s sur Ie vestibule denbsp;l��glise, les deux piliers apport�s de Saint-Jean-d�Acre et couverts denbsp;caract�res cophtes : enfin, Ie Lion de Saint-Marc, embl�me nationalnbsp;de l�ancienne puissance de Venise, replac� sur sa colonne apr�s avoirnbsp;orn� Ie quai des Invalides. De la, au palais du Doge, il n�y a qu�un pas.
Cet imposant �difice, avec ses hautes murailles, ses galeries orientales, son aspect sombre et s�v�re, son escaller des G�ants et son pont des Soupirs, repr�sente assez bien Ie gouvernement et la double vie
(i) Baron. Ann. 826, n. 33, t. ix. � Ce lieu fut d�couvcrt en 1094. Voyez Boldelli, Osservaz., etc. lib. i, 649, p. 509.
-ocr page 286-282 nbsp;nbsp;nbsp;LES TIIOIS ROME.
de Ia piiissante r�publique. Palais, tribunal, prison, il inspire je ne sais quel sentiment de terreur qu�exag�rent encore les r�cits menson-gers de plusieurs �crivains. Heureusement qu�on se rappelle et lesnbsp;�loges donn�s par Comines au gouvernement v�nitien, et Ie jugementnbsp;du grand comte de Maislre : � A l��gard des cruaut�s reproch�es aunbsp;Tribunal des Dix, j�ai, dit-il, Ie malheur de n�y pas trop croire.nbsp;Comme ITnquisition religieuse d�Espagne, ITnquisition publique denbsp;Venise pourrait fort bien avoir r�gn� sur les imaginations, par je nenbsp;sais quelle terreur adoucie, toute compos�e de souvenirs fantastiques,nbsp;qui n�avaient d�autre effet que de maintenir I�ordre en �pargnant Ienbsp;sang (i). Du reste, nous visilftmes en d�tails les Plombs et les Puits,nbsp;sauf h voir demain la partie brillante du palais.
Les Plombs, devenus c�l�bres par Ie r�eit de Silvio Pellico, sont des prisons plac�es dans les combles du chateau, dont la toiture est ennbsp;plomb. Sans doute Ie d�tenu devait y souffrir; n�anmoins il y a entrenbsp;Ie plafond des cellules et Ie toit de l��difice un grenier et un courantnbsp;d�air suffisant pour temp�rer l�exc�s de la cbalenr. Du c�l� de la mernbsp;la vue est ravissante. Les Plombs �taient vides de prisonniers, et dansnbsp;la chambre de Silvio nous trouvames un locataire ais� qui pr�f�raitnbsp;eet appartement �lev� a beaucoup d�autres plus �l�gants peut-�tre,nbsp;raais d�une salubrit� moins parfaite.
Les Puits sont les prisons basses. Ils formaient plusieurs �tages dont deux subsistent encore. Nous parcour�mes ces anciens cachots,nbsp;et n�en d�plalse aux romanciers, ils ne sont point plac�s sous Ie canal,nbsp;et Pon n�a jamais navigu� sur la t�te des coupables. Ces cachots, ennbsp;fortes pierres de taille, r�v�lent ra�me une pens�e d�humanit� qu�onnbsp;ne trouve pas toujours dans les prisons modernes. La plupart sontnbsp;garnis de madriers de ch�ne et d�une couchette �lev�e au-dessus dunbsp;sol, afin de pr�venir 1�humidil�. Ajoutez qu�aucun prisonnier n�y futnbsp;jamais charg� de chaines, sorte de privil�ge peut-�tre unique dansnbsp;l�histoire des prisons. Ajoutez, enfin, que sur la grande galerie quinbsp;communique aux Puits et sur laquelle passaient et repassaient chaquenbsp;jour Ie doge, Ic s�nat, les inquisiteurs, est la bulle si louchante d�Ur-bain VIII qui accorde de grandes faveurs spirituelles i tous ceux dontnbsp;la charit� soulagera, m�me faiblement, les prisonniers. Rappelez-vousnbsp;que ces magistrals �taient des cbr�tlens anim�s de la foi du moyennbsp;�ge, et vous pourrez al�irmer, sans crainte d�erreur, que les Puits denbsp;Venise furent un peu moins horribles que les autres prisons du m�menbsp;temps.
(i) Lettrc IIsur VInq. p. �6.
-ocr page 287-PRISONS. nbsp;nbsp;nbsp;283
Le t�moignage au moins n�gatif de ceux qui les habit�rent semble confirmer cette induction. A la lueur d�une torche nous lumes unenbsp;foule d�inscriptions trac�es amp; la craie rouge sur les parois des cachots.nbsp;Bien qu�elles manifestent, avec une libre �nergie, les dispositionsnbsp;personnelles de leurs auteurs, il n�en est aucunequiexprime la plainte.nbsp;La r�signatioD, la prudence, le courage, la d�fiance des hommes,nbsp;telles sont les qualit�s que se recommandent les uns aux autres lesnbsp;habitants de ces sombres demeures (i).
12 AVRIL.
Suite du palais du Doge.�Peintures. � Bibliolh�que.� Palais des Beaux-Arls.�
� nbsp;nbsp;nbsp;�cole v�nitienne. � Palais Barbarigo. � Grimani. � Buste do Beatrix. � Arsenal.
� nbsp;nbsp;nbsp;Le Bucentaure.
(t La gloire et la splendeur pass�es de Venise �clatent de toute part au palais du Doge : d�immenses tableaux du Titien, du Tintoret, denbsp;Paul V�ron�se et d�autres habiles maitres, rappellent les grandes actions de son histoire; une sorte de patriotisme respire dans ces bellesnbsp;peintures. Venise y parait toujours comme l�embl�me de la force, denbsp;la grandeur et de la beaut� : elle est une d�esse puissante qui brisenbsp;des chaines, ref-oit les hommages des villes soumises; elle est dans lenbsp;ciel au milieu des statues des saints et des saintes; on la volt entre lanbsp;Justice et la Paix; elle est entour�e des Vertus, couronn�e par la Vic-
(t) Voici quelques-unes de ces maximes. Dans le cachot n� V, au rez-dc-cbaussee on Ut:
Maledictus homo qui confidit in homine.
Soli Deo honor et gloria.
Dans le cachot n� IX, au rez-de-chauss�e :
Non ti fidar d'alcuno pensa, e tact Sefuojr vuoi dei spioni insidie, e lacinbsp;ll pentirti, il penlirti nula giova.
Ma ben del valor tuofa vera prova.
De chi me fido guardami Iddio;
De chi no me fido me guardaro io.
Vn parlar poco ed un Negar pronto ed unnbsp;Pensar il fine pot dar la vitanbsp;A noi allri meschini. 1605.
-ocr page 288-284 LES TROIS ROME.
toire, OU elle apparait dans les nues au milieu de la foule des divini-t�s : l�all�gorie perd de sa froldeur ordinaire, puisqu�elle y devient l�expression d�un sentiment d�orgueil et d�amour de la cit�. �
Apr�s celte appr�ciation g�n�rale, nous examin�mes en particulier les peintures de la salie du grand Conseil. A droite, en entrant, estnbsp;l�immense tableau de la gloire du Paradis, ouvrage de la vieillesse dunbsp;Tintoret. Malgr� l�esp�ce de confusion qui semble r�gner dans lesnbsp;innombrables figures, il est encore un chef-d�oeuvre de premier ordre.nbsp;Les peintures qui couvrent enti�rement les murs et Ie plafond, ind�-pendamment de leur beaut�, offrcnt un grand int�r�t sous Ie rapportnbsp;historique, puisqu�elles repr�sentent les fastes de la r�publique v�ni-tienne et les �v�nements religieux, politiques ou militaires qui eurentnbsp;Ie plus d�inlluence sur les destin�es des nations eui�op�ennes. On re-raarque, entre autres, Ie Retour du doge Andr� Contarini apr�s lanbsp;victoire remport�e sur les G�nois, et l�Apoth�ose de Venise, doublenbsp;chef-d�oeuvre de Paul V�ron�se; la Premi�re Conqu�te de Constantinople par Dandolo, de Palma Ie jeune; et Ie combat naval dans lequelnbsp;Othon, fils de l�empereur, fut fait prisonnier par les V�nitiens, denbsp;Dominique Barbare.
La salie du grand Conseil est aujourd�hui la Biblioth�que de Saint-Marc. Jamais livres ne furent plus magnifiquement log�s, si ce ne sont ceux du Vatican. P�trarque et l�illustre cardinal Bessarion furent,nbsp;l�un Ie fondateur, Tautre Ie bienfaiteur Insigne de la Biblioth�que denbsp;Venise, qui compte environ soixante-dix mille volumes. Le Prince denbsp;1��glise donna sa riche collection de livres grecs et latins, afin que sesnbsp;malheureux compatriotes non moins que les Europ�ens pussent ennbsp;tirer des fruits abondants.
Les voeux du bienfaisant cardinal n�ont pas �t� st�riles. Non-seule-ment Venise se distingua longtemps par son amour des lettres et des sciences, mais encore elle fit participer 1�Europe cnti�re amp; ses richesnbsp;tr�sors. Les travaux des trois Aide, premiers imprimeurs de livresnbsp;grecs, et la multiplicit� de leurs �ditions, ont �tendu le bienfait denbsp;Bessprion : les �ditions d�Alde Panelen ont l�autorit� des manuscrits.nbsp;Afin de rendre a chacun ce qui lui appartient, il est juste de direnbsp;qu�il fut, ainsi que ses descendants, noblement encourag� par les Sou-verains Pontifes, notamment p.ar Paul IV et Cl�ment VUL Le premiernbsp;chargea Paul Manuce d�imprimer les oeuvres des saints P�res, et luinbsp;confia 1�imprimerie du Capilole; le second, remit � Manuce le jeune lanbsp;direction de l�imprimerie du Vatican. II n�est pas un progr�s utile ennbsp;t�te duquel on ne trouve la papaut�. Deux manuscrits fix�rent surtout
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notre attention : un �vang�liaire, qui conipte pr�s de mille ans, et les Actes du Concile de Chalc�doine, manuscrit in-folio du xivquot; si�cle,nbsp;provenant du cardinal Bessarion.
Nous donnitmes Ie reste de la journ�e � la visite des Galeries, des Mus�es publics et particuliers, et de l�Arsenal. Dans rimpossibilil�nbsp;de d�crire tous les objels d�art qu�ils renferment, je me contenterainbsp;de dire que Venise est pour l�artiste une mine d�une vari�t� et d�unenbsp;richesse in�puisable. Toutefois, a part les mosa�ques de Saint-Marc etnbsp;les peintures de plusieurs �glises, la plupart des ouvrages appartien-nent � la renaissance. II faut encore excepter Ie palais Manfrin quinbsp;conserve, dans une galerie s�par�e, les ceuvres des anciens peintresnbsp;Cimabue, Giotto, Montagna. Mals l��cole V�nitienne, repr�sent�e parnbsp;les fr�res Gentile et Giovanni Bellini, Ie Giorgione, Ie Titien, Ie Tin-toret, Paul V�ron�se, fut, sans contredit, la premi�re pour Ie colorisnbsp;et par Ie faire tout ensemble �nergique, noble et s�v�re. A l�Acad�mienbsp;des Beaux-.\rts on remarque surtout saint Mare op�rant un miraclenbsp;pour d�livrer uc esclave, tableau classique du Tintoret; les Noces denbsp;Cana, Ie plus bel ouvrage de Padovanino; la sainte Vierge sur un tr�nenbsp;avec l�Enfant J�sus, de Paul V�ron�se. Le palais Barbarigo offre lanbsp;c�l�bre Madeleine du Titien; et le palais Manfrin, la Descente de Croixnbsp;du m�me peintre. Une Galerie de familie peinte par le Titien et Paulnbsp;V�ron�se, avec un Mus�e rempli de statues antiques, d�inscriptions etnbsp;de bronze, rendent le palais Grimani digne de Rome et de Naples.nbsp;Pr�s de la place Saint-Marc, Ia Piscina de san Mos�, demeure dunbsp;comte Cicognara, poss�de le buste de laB�atrix du Dante, chef-d�oeuvrenbsp;de Canova.
Venise, qui venait de se montrer si gracieuse, si brillante, si riche dans SOS galeries, ses mus�es et ses palais, nous apparut puissante etnbsp;formidable dans son antique arsenal. Void, � 1�entr�e, les deux lionsnbsp;gigantesques en marbre du Mont Ilym�te, enlev�s d�Ath�nes par Mo-rosini, surnoram� le P�lopon�sien. Au-dessus de la porte est la gracieuse statue de sainte Justine, monument de la victoire navale rem-port�e sur les Turcs par les V�nitiens, le jour de Ia glorieuse martyre,nbsp;en 1371. Dans les salles, parfaitement tenues, le voyageur francaisnbsp;consid�re avec une respectueuse �raotion l�armure de Henri IV, dontnbsp;Je bon roi fit pr�sent amp; la r�publique, le jour o� il fut admis au nombrenbsp;des nobles V�nitiens. Le chr�tien s�arr�te devant les casques des crois�snbsp;eompagnons du c�l�bre Dandolo, et devant les longs et brillants �ten-dards pris sur les Turcs a Ia bataille de L�pante. Enfin, nous exami-Dftmes avec une vive curiosit� le petit mod�le du Bucentaure, qui rap-pelle la f�te la plus brillante et Ia plus populaire de Venise.
-ocr page 290-286 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
Reine de Ia mer, Venise, au temps de sa splendeur, renouvelail chaque ann�e, aux yeux de l�Eiirope enti�re, la cons�cration de sounbsp;empire. Le Doge �pousait la mer : mariage tout a la fois militaire etnbsp;religieux, qui produisit, durant de longs si�cles, de glorieux fruits denbsp;salut pour les nations occidentales. II ne faut pas l�oublier, c�est denbsp;l�arsenal de Venise que sortirent les nombreuses flottes qui, s�oppo-sant � l�invasion toujours menagante des Turcs, sauv�rent la civilisation de ritalie. Venise fut sur mer pour le midi de l�Europe, ce quenbsp;Ia Pologne fut sur lerre, pour les contr�es du Nord. L�alliance de lanbsp;religion avee le courage de son peuple, telle fut la cause de sa puissance. Quoi de plus juste qu�elle la reconnut et en renouvelamp;t les conditions dans une f�te solennelle (i)! Le Bucentaure servait � la c�r�monie. C��tait une magnifique gal�re, �tincelante de dorures, de centnbsp;sept pieds de long sur vingt-deux et demi de large. Le jour de l�As-cension �tait choisi pour les �pousailles de la mer. Sur le premiernbsp;pont du navire on comptait cinquanle-deux rames, vingt-six de chaquenbsp;c�t�; tandis que le deuxi�me pont formait une vaste salie, orn�e denbsp;sculptures dor�es d�un bout ii l�autre, tapiss�e de velours et ferni�enbsp;par de belles glac�s. Les sculptures repr�sentaient les attributs desnbsp;Vertus et des Saisons : �loquente r�union qui indiquait l�empire de lanbsp;religion sur la nature et les �l�ments. Au fond de la salie s��levait lenbsp;fauteuil du Doge, brillant de dorures et environn� des si�ges des s�-nateurs et des minislres �trangers. Au son des cloches et au bruit dunbsp;canon, aux fanfares de la musique, aux acclamations de tout le peuple,nbsp;le Bucentaure sortait de l�Arsenal la veille de l�Ascension, et se met-tait h Tancre devant la place Saint-Marc, en attendant la c�r�monie.
D�s le lendemain, tous les navires du port, richement pavois�s, entouraient le Bucentaure, et formaient un brillant cort�ge. Le Pa-triarche de Venise, le Doge, tous les s�nateurs, en grand costume,nbsp;monlaient sur le royal vaisseau, qui s�avangait en pleine mer, a quel-que distance du Lido. La, au milieu des chants du clerg�, aux yeux denbsp;tous les ambassadeurs, qui semblaient, par leur pr�sence, reconnaitrenbsp;cette prise de possession, le Doge s�avangait majesiueuseraent sur Ienbsp;pont, et �pousait la mer en y jetant un anneau d�or et en disant:nbsp;({ Nous t��pousons, notre mer, pour marque de la v�ritable et perp�-'nbsp;tuelle domination que nous avons sur toi. � Des acclamations unaninies
[i) La c�r�monie des �pousailles fut �tablie en 1273, a la suite de quelqucs contestations entre les Bolonais et les Anconitains d'une part, et les V�nitiens de l�autre. Ces dorniers, vainqueurs de leurs rivaux, voulurcnt constater, par unec�r�monie annuelic,nbsp;leur souverainet� sur l�Adriatique.
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saluaient Ie renouvellementderalliance. Huit jours apr�s la c�r�monie, lo Bucentaure rentrait dans TArsenal. L�histoire de Venise est pleinenbsp;de fails �clatants qui raontrent avec quelle g�n�reuse fid�lit� les �pouxnbsp;de l�Adriatique gard�rent leur central. Si la m�moire manque aunbsp;voyageur, il peut nous suivre domain dans la visite des �glises. II ynbsp;verradesesyeux lesnombreuxmonuments qui redisent Ie m�le couragenbsp;et les utiles exploits des nobles V�niliens centre Ie plus formidablenbsp;ennemi de la civilisation europ�enne, l�Islamisme.
13 AVRIL.
EgUses della Salute, � Dei Frari, � Ae Saint-Pierre. � Souvenirs de saint Laurent-Justinien. � Idee du gouvernement v�nitien. � Saiuts-Jean-et-Paul. � Monument de Marc-Antoine Bragadino. � Saint-Georges-Majeur. � Maitre autel. � Inscriptionnbsp;relative a une indulgence. � Souvenir de Pie VII. � Monument du doge Micbeli. �nbsp;Chapelle des Cordeliers. � Souvenirs de Saint-Marc.
Venise poss�de tant de belles �glises et de superbes mausol�es que je n�en dirai presque rien. L��glise de Samle-Mzrie-della-Salute, voi-sine du s�minaire patriarcal, int�resse bien moins par ses cent cin-quante statues et son grand cand�labre de bronze, Ie plus beau denbsp;1��tat v�nitien apr�s celui de Padoue, que par les trois sublimes tableaux du Titien : la Mort d�Abel, Ie Sacrifice d�Abraham et Davidnbsp;tuanl Goliath. A l��glise du R�dempteur brille Ie g�nie de Valladio, Ienbsp;Vitruve des temps modernes et Ie restaurateur de l�architecture ennbsp;Itali�. Sainle-Marie-tfet-Fran poss�de plusieurs magnifiques mausol�es;nbsp;entre autres celui du g�n�ral Benoit Pesaro; celui du doge Francoisnbsp;Foscari, mort en 14S7; du brave S�bastien Veniero, un des trois ami-raux qui commandaient � L�pante; Ie monument Orsini, d�une �l�gante et noble simplicit�, et celui de Canova. Dans la vaste et anciennenbsp;�glise de Saint-Pierre, on voit Ia chaire de marbre, en forme de fauteuil, que la tradition dit avoir servi a saint Pierre, � Antioche; et Ienbsp;roagnifique tableau de Bellucci montre saint Laurent-Justinien quinbsp;d�livre Venise de la peste.
Tout parle encore, a Venise, de ce grand Saint, l�ornement de 1��piscopat et la gloire de sa patrie. La premi�re pens�e du voyageurnbsp;caiholique est pour Pimmortel patriarche, comme une de ses premi�res d�marches est la visite de son tombeau. En parcouranl lesnbsp;fuelles, les ponts et les lagunes, on croit apercevolr, � chaque pas,nbsp;cette grande et douce figure devant laquelle s�arr�tait, silencieuse, la
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foule bruyante et agit�e; on croit entendre ce noble enfant des Gius-tiniani, couvert de la robe de bure des religieux de Saint-Georges, demandant l�aum�ne a ceux qui nagu�re l�avaient vu parcourant Ienbsp;grand canal sur les gondoles dor�es de son illustre familie; on Ie voit,nbsp;s�arr�tanl au seuil du palais maternel, priant les domestiques de sonnbsp;p�re de donner au pauvre de J�sus-Christ les restes de la table. A lanbsp;voix de son fils, la pieuse m�re sentait ses entrailles �mues, et ordon-nait de lui donner tout ce qu�il demanderait et m�me au-dela; maisnbsp;Ie jeune Saint ne recevait que deux pains. Apr�s quoi il souhailait lanbsp;paix ^ ceux qui l�avaient assist� et se retirait comme s�il e�t �t� unnbsp;�lranger.
Devenu, malgr� ses protestations et ses larmes, �v�que de Venise, il fut tout amp; la fois Ie Vincent de Paul et Ie Charles Borrom�e de sonnbsp;si�cle. Pour honorer tant de vertus, Ie pape Nicolas V attacha la di-gnit� patriarcale au si�ge de Venise. Toujours humble sous la pourpre,nbsp;toujours pauvre dans l�abondance, Laurent sauva sa patrie par la puissance de ses pri�res; et lui laissa, en mourant, un de ces exemplesnbsp;sublimes qui valent mieux pour la prosp�ril�des �tats que d��clatantesnbsp;victoires. � Que voulez-vous faire? dit-il � ses domestiques tout occu-p6s � lui pr�parer un lit moins dur que Ie grabat dont il se servait.nbsp;Vous perdez votre temps, mon Seigneur est mort �tendu sur unenbsp;croix. Ne vous rappelez-vous pas que saint Martin disait, dans sonnbsp;agonie, qu�un chr�tien doit mourir sur la cendre et Ie cilice? � Et ilnbsp;voulut mourir coucb� sur un peu de paille. Quant a son testament,nbsp;comment Ie faire, il ne poss�dait rien? Pourtant il voulut tester; cenbsp;fut pour l�guer sa belle arae � ses dioc�sains, en les exhortant tous �nbsp;la vertu; et son corps au couvent de Saint-Georges, ordonnant de l�en-terrer comme celui d�un simple religieux.
Les Giustiniani, qu�on croit descendre des empereurs Justin et Jus-linien, �taient une des quatre families v�nitiennes appel�es �vang�-listes. Ce nom extraordinaire r�v�le l��conomie profond�ment catholl-que du gouvernement de Venise. Ce gouvernement �tait une monarchie �lective. Investi pour la vie du pouvoir de d�cider la guerre ou la paixgt;nbsp;de commander les arm�es, de nommer aux fonctions publiques et denbsp;pr�sider Ie s�nat, Ie Doge �tait nomm� par la noblesse. Celle-ci se di-visait en quatre classes : la premi�re, compos�e des families qui des-cendaient des douze tribuns par lesquels Ie premier Doge fut �lunbsp;en 709, et qui, par une esp�ce de prodige, subsist�rent jusqu�� la fif^nbsp;de la r�publique. Voici leurs noms glorieux dans les fastes religieux etnbsp;militaires de l�Europe ; Contarini, Badoera, Morosini, Gradenigo.
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Tiepolo, Micheli, Sanudo, Memo, Faliero, Dandolo, Polano, Barozzi. Ces premi�res families �lectorales �taient compar�es aux douzenbsp;Ap�tres.
Dans cette classe il y avail encore quatre families, compar�es aux quatre �vang�listes. Presque aussi anciennes que les pr�c�dentes, ellesnbsp;sign�rent avec elles la fondation de la grande �glise de Saint-Georges-Majeur, Tan 800. Ce sont : les Giustiniani, les Cornaro, les Bragadinonbsp;et les Bembo.
La seconde classe se composait des families dont les noms se trou-vaient inscrits dans Ie livre d�or ou regislre de la noblesse, dress� Pan 1289.
La troisi�me �tait form�e de ceux qui, post�rieurement a cette �poque, avaient achet� leurs litres de noblesse cent mille ducats. Ainsi, a Venise comme dans notre ancienne monarcbie, tout Ie monde pouvaitnbsp;devenir noble. II suflisait d�avoir acquis l�ind�pendance doracstiquenbsp;et montrer que d�sormais on �tait en �tat de se d�vouer au servicenbsp;public de la soci�t� : quoi! �tait-il rien de plus moral? Dans cette flat-teuse recompense Ie citoyen trouvait une prime d�encouragement a lanbsp;vertu, a la bonne conduite, au travail, � l�esprit de sacrlQce. De sonnbsp;c�t�, cette longue �preuve offrait � la soci�t� des garanties pr�cieusesnbsp;de noblesse de sentiments, de probit� et de d�sinl�ressement dans ceuxnbsp;qu�elle admettait a la gestion des emplois publics.
La quatri�me classe comprenait ceux qui avaient �t� agr�g�s au s�nat de Venise.
Dans Ie corps de la noblesse �taient pris les six Sages qui �taient comme les ministres de la r�publique. Ils rappelaient les sept diacresnbsp;primitifs de J�rusalem et les diacres r�gionnaires de Rome. Cettenbsp;belle et forte hi�rarchie � laquelle Venise dut douze cents ans de glo-rieuse existence, p�rit sous les coups de la r�volution frangaise. Ennbsp;apprenant la mort du capitaine de vaisseau Laugier, Bonaparte s��taitnbsp;�cri� : � La R�publique V�niticnne a v�cu. � Le 10 mai 1797 un denbsp;ses lieutenants, Ie g�ncral Baraguay-d�IIilliers entra dans la ville, etnbsp;d�barqua sur la place Saint-Marc. On br�la publiquement Ie Livrenbsp;d�Or et tous les insignes du pouvoir renvers�.
A Saint-Pierre succ�da Saints-Jean-et-Paul. Ce temple superbe, vaste Basilique du moyen �ge, aux vitraux a la fois �clatants et som-Ijres, toute resplendissatite des peintures du Titien, de Vivarini, denbsp;Bellino, de Corona, et des sculptures de Pietro Lombardo, de Barlhel,nbsp;de Grapiglia, de Taglia Pietra de Torreto, maitre de Canova, est unnbsp;monument national rempli des magnifiques mausol�es des doges, des
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s�nateurs et des grands hommes de Venise : c�esl Ie Saint-Denis de la r�publique. On remarque, d�abord, les monuments des doges Pierrenbsp;et Thomas Monnigo, sous lesquels Venise parvint a l�apog�e de sa puissance; celui du doge L�onard Loredano qui institua Ie Conseil des Dixnbsp;et les Inquisiteurs d��tat; celui du g�n�ral Pomp�e Giustiniani, mortnbsp;sur Ie champ de bataille en 1616; ceux des doges Thomas et Jean Monnigo, du XV' si�cle, chefs-d�oeuvre de go�t et d�ex�cution; enfin, Ienbsp;plus beau, Ie plus �l�gant et Ie plus riche de tous les mausol�es denbsp;Venise, celui du doge Andr� Vendramini, mort en 1479.
II est un autre tombeau devant lequel on s�arr�le avec un saisisse-ment religieux, comrae on ferait devant Ie loculus d�un martyr ; c�est celui de Marc-Antoine Bragadino. Depuis trois mois, Ie brave capi-taine, a la t�te d�une garnison de sept mille hommes, d�fendait Fama-gouste contre toute l�arm�e otlomane : c��tait en 1571. Dans les premiers jours de mai une mine, creus�e par les Turcs, �clate subitement,nbsp;�hranle toute la ville et renverse une partie des murailles. Les assi�-geants tentent un assaut g�n�ral; mais ils �chouent. Cinq fois, pendantnbsp;six semaines, ils reviennent � la charge, et cinq fois ils sont repouss�s.nbsp;Malheureusement la garnison se voit attaqu�e par un ennemi contrenbsp;lequel toute bravoure est impuissante : la famine.Bragadino se r�signenbsp;a capituler.
Mustapha Pacha, qui commande Ie si�ge, lui accorde les conditions les plus honorables, et lui t�moigne toute son admiration pour sa g�-n�reuse d�fense : mais ces hypocrites d�monstrations ne durent pasnbsp;longtemps. Le barbare fait garrotter Ie vaillant g�n�ral, et ordonne,nbsp;pour le moment, de lui couper le nez et les oreilles. Dix jours apr�s,nbsp;il le fait promener ignomiuieusement dans les rues de cette ville qu�ilnbsp;a si glorieusement d�fendue. Enfin, arriv� sur la place publique, ilnbsp;est attach� a un poteau, puis couch� a terre et �corch� vif. Sans laissernbsp;�cbapper aucune plainte, Bragadino r�cite le Miserere au milieu denbsp;ses affreuses tortures; et en pronon^ant ce verset; � Accordez-moi,nbsp;Seigneur, un coeur pur, � ce grand homme exhale son dernier soupir-Non content de ce supplice horrible, Mustapha, dans sa sauvage f�ro-cit�, ordonne que le corps du h�ros soit �cartel� et que sa peau soitnbsp;remplie de foin pour �tre promen�e d�risoirement sur une vache dansnbsp;le camp et dans les rues de la ville. Cette noble d�pouille est ensuitenbsp;pendue � la vergue d�une gal�re, envoy�e au sultan et expos�e dans lenbsp;bagne de Constantinople a la vue des esclaves chr�tiens. Mais cesrestesnbsp;pr�cieux furent rachet�s du vil Pacha, et plac�s dans le tombeau qnnbsp;est devant nous. Je laisse a penser quelle �motion fait �prouver la pr�-
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sence de la relique du h�ros de Venise et de I�inseription qui rappelle son horrible supplice (i).
De Saints-Jean-et-Paul nous passamp;mes � Saint-Georges-Majeur. Noble ouyrage de Palladio, celte �glise forme une grande croix latine,nbsp;orn�e de onze autels. Ses principales richesses sont les deux magni-fiques colonnes en marbre grec vein� qui d�corent la porte d�entr�e;nbsp;un Crucifix de bois, donn� par Cosine de M�dicis, pendant son exil;nbsp;six tableaux du Tintoret : Ie Martyre de quelques saints, Ie Couronne-ment de la Sainte-Vierge, la C�ne, la Manne dans Ie d�sert, la R�sur-rection et Ie Martyre de saint �tienne. Le maitre autel, ex�cut� parnbsp;Campagna sur les dessins de l�Aliense, est un monument du premiernbsp;ordre. Quatre statues en bronze, repr�sentant les qualre �vang�listes,nbsp;soutiennent un globe sur lequel s��l�ve l�Agneau dominateur dunbsp;monde, belle et harmonieuse composition qui exprime noblement lenbsp;triomphe de l��vangile : � chef-d�oeuvre de Part, compar� au Jupiternbsp;Olympien de Phidias, et plac� avec raison au-dessus de la chaire denbsp;saint Pierre, du Bemin. �
Non content d��tre artiste, le voyageur, dont je viens de citer l�o-pinion, veut �tre th�ologien. A propos d�une inscription grav�e sur un des pilastres, il d�coche la tirade suivante contre la papaut� : � Cettenbsp;inscription semble porter bien loin la doctrine des indulgences, puis-qu�elle dit : Le pardon de tous les crimes est accord� d celui quinbsp;visitera celte �glise; Inscription �loquente, contemporaine de lanbsp;Saint-Barlh�lemy, et qui ne respire que trop l�esprit pontifical dunbsp;temps (2). � Une erreur, une absurdit�, une calomnie, une insinuationnbsp;perfide : voili ce qu�on trouve dans cette d�clamation �loquente, contemporaine de Voltaire, et qui ne respire que trop Vesprit philoso-phique du temps.
Une erreur; ilest faux que 1�inscription de Saint-Georges porte plus loin que les autres formules pontificales de tous les temps, la doctrinenbsp;des indulgences. Loin de promettre le pardon de tous les crimes,nbsp;comme l�auleur le pr�tend, elle ne promet le pardon d�aucun crime.nbsp;Elle promet seuleinent la remise de la peine temporelle due au p�ch�,nbsp;oe qui est bien diff�rent. En effet, comme condition de l�indulgencenbsp;fiu�elle annonce, elle stipule, avant tout, l�expiation du p�ch�.
Une absurdit�; traduite par l�auteur, l�inscription veut dire : Celui qui aura expi� ses p�ch�s recevra le pardon de tous ses p�ch�s en
(0 Suivant r.abb� Mariti, dans son Voyage de Cliypre, la d�fense de Faniagouste aux Tures soixantc-quinze mille bommes.
W Voyage en Itali�, par M. Val... 1.1, liv. vr; t. xv, p. 336.
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visitant cette �glise. Comment l�auteur, qui se donne Ia peine de rap-porter l�inscription tont enti�re, a-t-il pu tomber dans un pareil nonsens? Peut-on ignorer a ce point la langue de l��glise, ou se laisser entrainer, contre l��vidence et l�int�r�t de sa r�putation, au plaisir denbsp;lancer un trait contre la papaut�?
Une calomnie; est-il permis, en plein xix� si�cle, a un biblioth�caire royal, d�imputer a la religion, au pape et a ses doctrines Ie massacrenbsp;de la Saint-Barth�lemy? Est-ce de la science et de la philosophic contemporaine?
Une insinuation perfide; cette inscription, dit l�auteur, ne respire que trop Vesprit pontifical du temps. Ou cette phrase n�a pas de sens,nbsp;ou elle veut dire qu�au xvi� si�cle Ia papaut�, domin�� par Ie g�nie denbsp;Tambition, encourageait les massacres des h�r�tiques, la r�volte desnbsp;sujets contre les princes ennemis de l��glise, et les crimes qui sont lanbsp;suite ordinaire des perturbations sociales, en promettant Ie pardon denbsp;tous les crimes, a la condition de visiter telle ou telle �glise. Yoilanbsp;pourtant de quelle mani�re un trop grand nombre de voyageurs ennbsp;Itali�, Ie sachant ou sans Ie savoir, travestissent, les uns sur un point,nbsp;les autres sur un autre, les actes pontificaux, livrent la religion au m�pris, r�pandent et fortifient contre elle de haineux pr�jug�s (i).
Si I�artiste entre avec amour dans Saint-Georges-Majeur, Ie chr�tien n�y p�n�tre qu�avec un profond sentiment de respect, de reconnaissance et d�admiration. G�est ici Ie temple �ternellement glorieux o�nbsp;fut renou�e, contrairement a toutes les pr�visions humaines et a toutesnbsp;les pr�dictions de l�impi�t� triomphante, la chaine interrompue desnbsp;Souverains Pontifes. Pie VI �tait mort amp; Valence; et la philosophie an-
(i) Afin de mettre les pi�ces du proc�s sous les yeux du lecteur, je vals Iranscrirc rinscripUon telle qu�elle est, et telle que l�auteur lui-m�me la rapporte ;
Qiiisquis criminibus expiatis Slalas precans preces.nbsp;ad
XII Kal. aprilis jEdes liasce supplexnbsp;inviseritnbsp;Is
Yeniam scelerum Maximam consequulurumnbsp;se sciat
Gregorius XIII Pont. max.
Sacro cam diplomate tribuit.
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lichr�tienne avait entonn� l�hymne fun�bre de la papaut�. Devant les bataillons r�volutionnaires, tous les membres du Sacr� Coll�ge s��-taient dispers�s ; maitres de l�Italie, les Francais rendaient Ie conclavenbsp;impossible. Et voili� que la Providence saisit d�une main Ie jeunenbsp;guerrier dont la pr�sence g�ne son action, et Ie jette aux extr�niil�snbsp;de 1�Orient; de l�autre, elle am�ne les Anglais et les Russes qui chas-sent les troupes frangaises de l�Italie. Un �clair brille entre deux ora-ges; et eet instant suffit � FArbilre Supr�me pour accomplir sonnbsp;oeuvre : Pie Vil �st sacr� a Saint-Georges. Reviennent maintenant etnbsp;Ie consul Bonaparte et ses l�gions victorieuses, qu�importe? l��glise anbsp;un chef; l�oeuvre divine est sauv�e, sauv�e malgr� tous les calculs,nbsp;tous les d�sirs, toules les fureurs de l�iniquit�. Le portrait de Pie VII,nbsp;plac� a Saint-Georges, redit dans toute son �tendue ce drame m�-morable.
Le tombeau du doge Dominique Micheli, le saint Bernard et le Godefroy des croisades v�nitiennes, en rappelle un autre. On diraitnbsp;que la Providence a voulu rapprocher ces deux souvenirs dans unnbsp;m�me lieu, pour faire briber avec plus d��clat son action perp�tuellenbsp;sur F�glise. A la t�te de ses deux cents navires, Micheli, vainqueurnbsp;de Jaffa, conqu�rant de Tyr et d�Ascalon, la terreur des Grecs, fut unnbsp;des principaux instruments dont Dieu se servit pour repousser lanbsp;barbaric musulmane, dans la grande lutte du moyen age.
Notre p�lerinage finit amp; Saint-Frangois-c^eZZa-Ffi/wa. Cette vaste �glise poss�de dix-sept chapelles dont la plus riche est la chapellenbsp;Giustiuiani, toute rev�lue de sculptures en marbre. Plusieurs mauso-l�es du xv� et du xvF si�cle, ainsi que la Resurrection et Ia Sainle-Vierge, de Paul V�ron�se, forment la principale richesse de cetienbsp;grande Basilique. La petite chapelle de Saint-Marc, silu�e dans lenbsp;jardin du couvent voisin, occupe, suivant Ia tradition, la place m�menbsp;o� saint Marc, se rendant de Rome en Egypte, s�arr�ta et entendit unenbsp;voix divine qui lui disalt : Pax tibi, Marce, Evangelista mens, quenbsp;les V�nitiens adopt�rent pour devise (i).
(1) Que saint Marc ait pr�clic l��vangile a Aquilee, ofi il eut pour successeur le glorieus martyr Hermagoras, c�est un fait altest� par la tradition constante; qu�il ait pass� en se rendant en Egypte par les Lagunes ou Yenise est batie, 1�inspection desnbsp;lieux rend vraisemblable un fait que la tradition donne pour certain. Yoyez Bar. An.nbsp;1.1, an. 46. Mamacbi, Orig. etc. t. ii, lib. n, 244.
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U AVRIL.
Cliaril� v�nitienne. � La I'iti�. � Spedalctto. � Saint-Jcr�me-Emiliani. � Casa di Ricovero. � Casa d�Industria. � Aum�nes annuelles. � Ile de Murano. � Glac�s. �nbsp;Perles. � Clou de Ia Passion. � lie Saint-Lazare.� M�chitaristes. � D�part denbsp;Venise. � Phosphorescence de la mer. � Dernier reflet de la gloire de Venise.�nbsp;Plotte et bataillc de Lepante.� Noms des vaisseaux.
En baptisant une nation, Ie christianisme lui imprime trois carac-t�res ; la force, l�intelligence et la charit�. La plus puissante des r�-publiques niodernes, Venise, porta, d�s l�origine, cette glorieuse au-r�ole. Ses victoires en Europe et en Orient nous ont t�moign� de sa valeur; son intelligence brille encore dans ses �glises, dans ses mu-s�es, dans ses galeries et dans ses souvenirs historiques. Sous ces deuxnbsp;premiers rapports, la reine del�Adriatique est d�chue desa splendeur;nbsp;niais la charit� lui reste, et ce divin flambeau, qui r�pandit un douxnbsp;�clat sur sa prosp�rit�, embellit encore d�un noble reflet les d�bris denbsp;sa grandeur effac�e. II est consolant de contempler cette gloire qu�onnbsp;n�a pu lui ravir. D�ailleurs si Thistoire religieuse et charitable desnbsp;pays qu�il parcourt fut, dans tous les temps, Ie but Ie plus noble etnbsp;Ie plus utile du voyageur, aujourd�hui de nouveaux motifs doivent Ienbsp;rendre sacr�. D�une part, rindiff�rcnce religieuse et la philanlhropie,nbsp;qui menaeent de tout envahir et de tout mat�rialiser; d�autre part, Ienbsp;progr�s du paup�risme, parall�le a celui de l�industrle, et les id��snbsp;qui fermentent parnii les peuples, cr�ent une situation grave, pleinenbsp;de menaces et de p�rils. La charit� seule peut la conjurer et venir ennbsp;aide a la soci�t�. Faire connaitre ses ceuvres, ses secrets, ses admira-bles inventions est done un service d�autant plus utile que, sous cenbsp;rapport, nous avons beaucoup amp; apprendre. Cette pens�e, qui m�a faitnbsp;indiquer ou d�crire, dans chaque ville, les institutions charitables, menbsp;d�termine a faire aujourd�hui l�esquisse de la charit� v�nitienne,nbsp;comme je Ie ferai bient�t pour Milan et pour Turin.
Des richesses que la valeur et l�habllet� de ses navigateurs faisaient refluer vers ses iles, la reine de l�Adriatique fit toujours une belle partnbsp;aux pauvres, et nul genre de mis�re ne fut d�laiss�. Au x' si�cle Ienbsp;saint doge Pierre Orseolo construisit un h�pital, en face de son palaiSinbsp;pour les innombrables p�lerins de la Terre-Sainte; un si�cle plus tard,nbsp;il s�en �levalt un autre sous Ie patronage des saints Pierre et Paul, oUnbsp;trouv�rent acc�s, non-seulement les p�lerins, mais encore les bless�snbsp;a quelques nations qu�ils appartinssent; Ie xiii� si�cle vit biUir, par Ie
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fils du doge Pierre Ziani, Ie magnifique hospice des Arni�niens qu�ad-ministrent encore les M�chilaristes de Saint-Lazare.
Au xiv� si�cle, Venise fut t�moin d�une aulre raerveille. Le tumulte des arrnes, le concours d�une multitude d��trangers, avaient produitnbsp;dans l�opulente cit� un grand relAchement de moeurs. Les naissancesnbsp;ill�gitimes se multipliaient, et les abandons aussi. C�est alors que vintnbsp;pr�cher, dans cetle ville, un religieux franciscain, Pierre d�Assise,nbsp;homme d�un z�le apostolique et d�une charit� ardente. Ses verius etnbsp;son �loquence ne tard�rent pas � le faire ch�rir des V�nitiens. II ron-conlrait souvent, dans les rues, des enfants expos�s, et les cris de cesnbsp;pauvres petitsluid�chiraient l�Ame. Neprenantconseil que de sa tendrenbsp;compassion, ilr�solut, lui�lranger et indigent, deleurcr�erunrefuge.nbsp;11 en demande l�autorisation au magistrat, puis il se rend de maisonnbsp;en maison faisant retenlir celte seule invocation : Pi�ta! Pi�ta!
II n�en fallut pas davanlage; les portes et les bourses s�ouvrirent. Bient�t des centaines d�orpheiins �taient affranchis de la mort : a leurnbsp;sauveur demeura le surnom de Petit Fr�re Pierre de la Piti�. Sousnbsp;sa direction, deux confr�ries d�homraes et de femmes s�organisent; lesnbsp;hommes vont par les rues a la recherche des enfants, les recueillent,nbsp;les portent eux-m�mes � l�asile pr�par�, o� les femmes leur prodi-guent de tendres soins. Lorsque Pierre mourut, en 1553, son pieuxnbsp;�tablissement, fond� depuis sept ans, �tait consolid�, et le Doge ennbsp;acceptait le patronage � perp�tuil�. Jusqu�en 1797, les plus haulsnbsp;patriciens se firent honneur de l�administrer. Les Souverains Ponlifesnbsp;avaient attach� des b�n�dictions sp�ciales a celte ceuvre ; le jour desnbsp;Rameaux le s�nat, pr�c�d� du Doge, allait solennellement visiter l��-glise pour gagner l�indulgence et d�poser une riche aum�ne : unnbsp;Foscarini laissa un legs de cent mille ducats. Les orphelins recevaienlnbsp;1�inslruction religieuse et apprenaienl un m�tier. Les gargons demeu-raient dans la maison jusqu�� 18 ans et �taient ensuile conli�s a desnbsp;patrons qu�on choisissait de pr�f�rence parmi ceux qui n�avaient pasnbsp;d�enfants. On gardait les lilies jusqu�a ce qu�elles trouvassent un hon-n�te �tablissement. Le mailre de la chapelle du Doge les formait a lanbsp;musique vocale et instrumentale : des talents tr�s-dislingu�s sont sortisnbsp;de cette heureuse alliance de la charit� avec les arts.
Sous l�influence de saint Laurent-Justinien, le xv� si�cle fut un des plus brillants dans l�histoire de la charit� v�nilienne. Le pr�curseurnbsp;de saint Vincent de Paul r�chauffa lez�le de ses compatriotes, soutintnbsp;les oeuvres existantes et en pr�para de nouvelles. On les vil �clore aunbsp;si�cle suivant. En 1527 la famine d�solait la Lombardie; le s�nat de
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Venise avail suffisamment approvisionn� la cit�; mais celte .sage pr�-voyance y fit refluer une multitude d��trangers affam�s, qu�on vit bient�t se trainer par les rues, h�ves, maladifs, �puis�s, ayant a peinenbsp;la force de tendre la main. Les entrailles de quelques hommes pieuxnbsp;s��raurent; ils improvis�rent au Busaglio un vaste li�pital temporaire,nbsp;pour offrir a ces mallieureux des lits, des soins, des aliments. D�snbsp;l�ann�e suivante la charit� entendait perp�tuer son oeuvre du moment,nbsp;et comme gage de dur�e y fondait une chapelle. On r�solut de I�affec-ter aux orphelins de p�re et de m�re. Alors vivait a Venise un richenbsp;patricien, J�r�me �miliani. II avail port� les armes avec honneur etnbsp;exerc� de grands emplois; mais hient�t son ambition s��lait tourn�enbsp;au soin des abandonn�s et des veuves. II accourt au Busaglio, se d�-pouille d�un magnifique patrimoine; et, apr�s ses biens, voue sa per-sonne au service de ces pauvres enfants, se faisant leur cal�chiste etnbsp;leur nourricier, leur chef d�atelier et Ie patron de leur apprentissage.nbsp;Pendant leur s�jour h Venise, saint Ignace de Loyola et ses premiersnbsp;compagnons furent les auxiliaires de saint J�r�me �miliani. Cettenbsp;maison, qu�illustrent de si touchants souvenirs, subsiste, gr�ce � sesnbsp;propres ressources et it une subvention municipale : les orphelins etnbsp;les orphelines y sont confi�s a deux congregations diff�rentes. Quandnbsp;vous irez a Venise ne manquez pas de visiter lo SpedalcUo.
Pendant que des saints illustres fondaient au Busaglio ce pr�cieux asile pour l�enfance, une grande p�cheresse fondait, sur un autre pointnbsp;de la cit�, un refuge pour les lilies expos�es. Non contente de se livrernbsp;a une p�nitence austere, pour effacer quelques ann�es de sa jeunesse,nbsp;V�rouica Franco voulut �viter a d�autres les �cueils qu�elle avail tropnbsp;connus. Le Soccorso casa Pia, situ� sur la paroisse Saint-Raphael, re-cevait les personnes qui ne trouvaient pas un abri sullisant dans lenbsp;monde et celles que ramenait le repentir. De nombreuses sympathiesnbsp;lui vinrent en aide, el le grand Conseil s�y associa, par un d�cretnbsp;solennel, en 1593. Le reglement voulait que les repenties ne pussentnbsp;sortir que pour embrasser la v'ie religieuse ou pour se marier. Partout,nbsp;en Itali�, on voit la charit� s�occuper eflicacement de l�avenir des enfants et des personnes abandonn�es.
Vers le m�me temps on fondait, a Saint-Lazare, un d�pot de men-dicit� qui fut plus tard transport� dans le voisinage des Saints-Jean-et-Paul. Un riche marchand, Bontempio, y consacra 30,000 ducats do son vivant, et 100,000 apr�s sa mort. On y joignit un oratoire musical qui devint c�l�bre et donna lieu a un usage touchant. Chaquenbsp;dimanche une foule nombreuse s�y portait, et apr�s les devoirs pieuX
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accomplis, tous descendaienl au d�p�l ; palriciens, marchands, bourgeois, faisaient Ie cat�chisnie aux vieillards et les servaient a table.
Grace a saint Ga�tan de Tienne et a saint J�r�me �miliani, les incurables eurent aussi leur asile : la vieillessc ne fut pas oubli�e. Nous visitAmes avec bonheur la Casa di liicovero, qui revolt quatre centsnbsp;vieillards des deux sexes dans des balinients s�par�s. Les malades etnbsp;les pauvres sont royalenient trait�s a Venise. Cette ville poss�de deuxnbsp;magnifiques h�pitaux, l�un militaire, pouvant recevoir mille malades,nbsp;l�aulre civil, pouvant en recevoir qualorze cents. L�h�pilal des Fr�resnbsp;de Saint-Jean-de-Dieu renferme deux cents lits affect�s i la cliniquenbsp;chirurgicale. On y regoit encore sept cents ali�n�s. Gette maison sub-siste, en partie, par la lib�ralit� du dernier doge de Venise, Marini.nbsp;Mort de douleur, apr�s la chute de la r�publique, eet homme charitable donna un dernier t�moignage d�attachement a sa patrie par unnbsp;splendide legs de 100,000 ducats A partager �galement entre un asilenbsp;d�ali�n�s et un asile d�enfants orphelins ou abandonn�s. L�hospice desnbsp;Convalescents, alia Croce, complete ce syst�me de charit�.
II nous restait a voir la Casa d�industria, ou Atelier libre de travail. Fond�e en 1812, cette maison occupe environ cinq cents indi-gents. V�ritablement industrielle, elle confectionne des tapis, des nattes, du pain, tient un atelier de buanderie. Elle a, en outre, l�en-treprise du balayage des rues et de leur �clairage A Fhuile. Tout pau-vre sans emploi y est admis avec un certificat du cur� et du commis-saire de ch.arit�.
L�hospice des Enfants-Trouv�s m�rite encore Fattention par 1�ordre et l��conomie qui Ie distinguent. Quatre mille enfants, dont pr�s denbsp;la moiti� a �t� expos�e, y sont annuellement admis. Tous sont occup�snbsp;a la campagne, A l�exception de deux cents, qui restent dans la maison.nbsp;Les filles, en se mariant, refoivent une couverture de laine et 9o li-vres 75 centimes d�Italie.
Pour compl�ter cette esquisse de la charit� v�nitienne, il aurait fallu parler de maintes oeuvres de d�tail, de fondations r�panduesnbsp;dans presque toutes les iles qui entourent les lagunes, de maisons denbsp;retraite annex�es A la plupart des paroisses, des soixante-douze confr�ries pour Ie soulagement des indigents de chaque paroisse, de lanbsp;grande confr�rie qui fournissait a tous gratuitement les soins m�di-caux et les rem�des, des commissions vou�es sp�cialement aux pauvresnbsp;honteux. Ces confr�ries et ces commissions ont �t� r�unies, en 1814,nbsp;sous une direction centrale appel�e Puhlica Beneficenza. Les revenusnbsp;fond�s, les dons annuels mettent a la disposition de la direction une
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somme de 3 millions 400 mille francs, somme magnifique pour une ville de 114,000 ftmes, et qui est employee en distributions de v�te-ments, decouchers, de chauffage, d�aliments, et m�dications gratuites.nbsp;De plus, les indigents re^oivent personnellement 15, 20, 30 centimesnbsp;par t�te, et davantage encore, selon les besoins constat�s. A Paris l�Ad-minislration des Hospices n�alloue, pour Ie service des Bureaux denbsp;Bienfaisance, que 1,700,000 francs (i).
Apr�s les �tablissements de cbarit� vient une autre gloire de Venise, et celle-ci fut longtemps un privll�ge exclusif : je veux parler de la fabrication des glac�s. Aujourd�hui les diff�rentes villes del�Europe luinbsp;font une redoutable concurrence, et produisent des glac�s plus grandesnbsp;que celles de Venise. N�anmoins ces derui�res conservent, dit-on, unenbsp;sup�rioril� incontestable. Toules les glac�s de Venise sont souffl�es,nbsp;tandis que les belles glac�s de Paris sont coulees. De l� 1��norme difference de beaut� qui existe enlre les premi�res et les secondes. Lesnbsp;premi�res sont plus �gales, plus unies, et ne sont pas, comme les secondes, sujettes a renfermer des bulles d�air, ni a faire paraitre unenbsp;figure plus longue ou plus large ou plus courte et m�me difforme,nbsp;ce qui arrive quelquefois dans nos glac�s coul�es, par suite des partiesnbsp;plus ou moins �paisses ou in�galement �tendues. L�inf�riorit� actuellenbsp;des glac�s v�nitiennes tient amp; leur petitesse comparative. Les plusnbsp;grandes n�ont gu�re que trois pieds et demi de hauteur sur deuxnbsp;pieds et demi de largeur. C�est, nous dit-on, tout ce que Ie soufile denbsp;riiomme peut produire de plus �lendu.
L�ile de Murano, o� se trouvent ces ateliers si renomm�s, nous offrit aussi la fabrication des perles. On a peine it concevoir comment onnbsp;peut donner ces jobs petits objets a si bon marclie ; d�crire les proc�d�s de fabrication est peut-�tre un moyen de r�soudre Ie probl�me.nbsp;On commence par m�ler diverses couleurs avec les �l�ments ordinalresnbsp;du verre. Quand la mati�re est en fusion, un verrier plonge un longnbsp;tube OU chalumeau dans Ie four. II en retire un morceau de mati�renbsp;qu�il pr�sente au chalumeau d�un autre ouvrier; les deux verriersnbsp;soufflent chacun de leur c�t�, et la mati�re, travers�e par l�air, formenbsp;une esp�ce de manchon. Aussil�t deux enfants s�emparent des chalu-meaux et s��loignent en courant, chacun dans un sens oppos�. La mati�re vilreuse, qui est molle, s�allonge ind�finiment, sans se rompre,nbsp;jusqu�a ce qu�elle se refroidisse; et l�air introduit dans Ie tube, se
(i) Nous devons la plupart des d�tails qui pr�c�dent, aux m�moires iii�dits d�un V�nitien, et dont un excellent recueil, les Annales de la Charit�, vient de donner unnbsp;extrait. 31 oct. 1843, p. 633.
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dilatant � mesure que la mati�re s�allonge, conserve Ie vide qui est au milieu de chaeun de ces tubes.
A cette premi�re op�ration succ�de Ie coupage. Tous ces tubes de mille couleurs sont d�abord cass�s � des longueurs de deux ou troisnbsp;pieds. On les porie ensuite � des ouvri�res qui, avec un couteaunbsp;fix� a une banquette, les coupent en petits morceaux de quelquesnbsp;lignes. Tous ces morceaux torabent dans des paniers qu�on verse dansnbsp;un grand bassin rerapli d�une terre calcaire r�duite en poudre el quinbsp;se durcit au feu. On xemue Ie tout de mani�re i fermer les petitsnbsp;trous prallqu�s dans les perles. Jusque la, les perles sont encorenbsp;d�in�gale longueur, les bouts �raill�s et raboleux. Pour les polir et lesnbsp;rendre de grandeur uniforme, on les jetle, pleins de terre, dans unenbsp;vaste chaudi�re lournante, semblable a une vis d�Archim�de. Les perlesnbsp;expos�es a un feu tr�s-ardent se ramolllssent, et Ie frottement centrenbsp;les parois de la chaudi�re les polit, les arrondit et les ram�ne � unenbsp;forme et a des dimensions �gales. On les retire, on les passe au criblenbsp;pour les d�gager de la terre, on les lave, on les trie, et ces jolis riensnbsp;fabrlqu�s avec une rapidit� et une pr�cision merveilleuses, partent parnbsp;milllers pour tous les coins du monde, o� ils se changent, sous desnbsp;doigts habiles, en objets pleins de grace et de vari�t�.
De 1�ile de Murano nous partimes pour File Saint-Lazare. C�est la qu�est situ� Ie c�l�bre couvent des Arm�niens. Embarqu�s pour unenbsp;travers�e de quelques milles, nous nous mimes � prier, conform�mentnbsp;a 1�usage des anciens navigateurs de FAdriatique. Entre les millions denbsp;navires plus ou moins c�l�bres qui ont sillonn� cette mer, il en est unnbsp;plus glorieux que tous les autres, dont Ie souvenir ne peut �chappernbsp;au voyageur chr�tien. C�est la gal�re qui ramena de J�rusalem Fim-p�ratrice sainte H�l�ne avec une partie des instruments de la Passion.nbsp;Enlr�e dans la mer Adriatique, fameuse par ses naufrages, Fillustrenbsp;voyageuse est assaillie d�une violente temp�te. Ellese souvient du Dieunbsp;dont la voix calma les flots; et prenant un des clous qui avaient perc�nbsp;ses membres sacr�s, elle Ie plonge dans la mer, qui s�apaise aussit�t,nbsp;et qui cessa, d�s lors, d��tre la terreur des nautonniers. Jadis, en m�-moire de ce fait, tous les �quipages qui entraient dans les eaux denbsp;FAdriatique, meltaient chapeau bas, se prosternaient, entonnaient desnbsp;hymnes sacr�s et se livraient i� de pieux exercices. Pendant une longuenbsp;suite de si�cles, les rivages de cette mer sanctifi�e retentirent de leursnbsp;pri�res solennelles (i). Ce n�est pas Ie seul spectacle vraiment chr�-
(i) Sandini, [list. Famil. sacrce, p. 231.
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tien dont l�Adrialique fut t�moin. II en est un autre non inoins solennel, dont je parlerai apr�s avoir visit� Saint-Lazare, o� nous abordons.
Repr�sentez-vous une petite ile aiix contours gracieux, li la surface uniforme, couverte de jardins parfaitement cultiv�s, au ^milieu des-quels s��l�ve un vaste bdtiment dont les murs, peints en rouge, envi-ronnent plusieurs larges cours d�une elegance et d�une propret� re-marquables; voyez, sous les longs portiques, se promener des religieuxnbsp;v�tus de noir, k la d�marche grave, au type oriental, amp; la longue barbenbsp;noire, aux mani�res pleines de grace et de dignil�, parlant votre languenbsp;maternelle, vous accueillant comme des fr�res,bien qu�ils nevous aientnbsp;jamais vus, et vous aurez une id�� du couvent arm�nien de Saint-Lazare. Mais pourquoi ces fils de l�Orient se trouvent-ils ici?
L�Arm�nie avail subi Ie joug musuiman; la derni�re �tincelle de la foi �lait menac�e de s��teindre dans la patrie de saint Gr�goirenbsp;Ie Thaumaturge. Un religieux, M�chitar de Petro, n� a S�baste, availnbsp;demand�, pour lui et pour ses fr�res, un asile aux V�nitiens, alorsnbsp;inaitres de la Mor�e. Sa demande fut accueillie; mais Venise perditnbsp;bienl�t ses possessions d�outre-mer. En se repliant sur elle-m�me, ellenbsp;n�oublia point ses h�les de l�Orient; elle leuraccorda g�n�reusementnbsp;et � perp�tuit� l�ile de Saint-Lazare pour retraite. Que font-ils dansnbsp;cette solitude plac�e sur les fronti�res des deux mondes? Ils prientnbsp;pour leur patrie; ils transmettenl la foi, seul espoir de l�Arm�nie, auxnbsp;jeunes compatriotes qui leur sont adress�s, et qui repartent ensuitenbsp;pour la communiquer a d�autres; ils puisent aux sources de l�Occi-dent la science qu�ils rev�tent du costume arm�nien pour l�envoyer anbsp;rOrient, puis ils nous donnent les monuments de la science ori�ntalenbsp;qu�ils rendent acc^ssibles en les traduisant dans les diverses languesnbsp;europ�ennes : telle est leur mission. Si done elle n�a plus Ie pouvoirnbsp;de repousser par les armes la barbarie musulmane, Venise conservenbsp;la gloire de la combattre par les lumi�res de la science et de la foi.
L�abb�, qui parlait tr�s-bien frangais, vint nous recevoir. 11 nous conduisit d�abord a l��glise qui est petite, mais parfaitement tenue.nbsp;Les religieux �laient � Toliice; nous relrouv�mes avee bonheur Ie ritnbsp;et Ie costume plein de dignit� que nous avions admir�s � la Propa-gande. L�office termin�, nous fumes entour�s par les bons religieuxnbsp;qui s�empress�rent de nous parler de la France et de nous montrernbsp;leur biblioth�que, riche en manuscrits fort anciens et fort rares, leurnbsp;belle imprimerie et les divers ouvrages polyglotles qui en sont sortis.nbsp;Depuis l��glise jusqu�au r�fectoire, partout nous d�mes admirer, sansnbsp;restriction, l�ordre, l�intelligence, Ie travail qui r�gnent dans cette
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PHOSPHORESCENCE DE L\ HEIt.
maison, capable de ramener Fennemi Ie plus eniport� des instilu�ons mouastiques.
Le temps avail fui; et quand nous partiines de Saint-Lazare les der-niers feux du jour �clairaient les eaux agit�es des lagunes. Venise, le palais ducal, F�glise Saint-Marc, FArsenal et le Lido commen�aient anbsp;reprendre les sombres voiles dans lesquelles nous les avions trouv�snbsp;envelopp�s cinq jours auparavant. La gondola corriera nous altendailnbsp;avec ses gondoliers v�tus de jaune, pour nous transporter a Meslre :nbsp;il �tait huit heures du soir.
Pendant la travers�e nous fumes t�moins d�un curieux ph�nom�ne, la phosphorescence de la mer. Cheque coup de rame laissait apr�s luinbsp;une longue train�e de feu qui dissipait les t�n�bres dans lesquellesnbsp;nous retombions un instant apr�s; le _m�me spectacle continua deuxnbsp;heures enti�res. Quelle en est la cause? Faut-il Fattribuer, comme Icnbsp;veulent quelques savants, a Fagilalion de pelits animalcules dou�s denbsp;la ra�me propri�l�que les vers luisants? L��lectricit� peut-elle en re-vendiqucr la gloire? En attendant les solutions de la science, le voya-geur chr�tien qui part de Venise, aime a contempler un autre spectacle qui, pour la puissante cite, fut le dernier, mais brillant rayonnbsp;de sa gloire : la vue de FAdriatique lui en rappelle vivement le souvenir.
Enhardie par la prise de Constantinople, la puissance oltomane �tait devenue plus redoulable que jamais. Tandis que ses arm�es me-nagaient le nord de FEurope, ses flottes envahissaient les iles de lanbsp;Gr�ce et emportalent Fun apr�s Fautre les postes avanc�s de la civilisation : la croix reculait devant le croissant. Des hauteurs du Vaticannbsp;le grand pontife saint Pie V a vu le danger. Senlinelle vigilante, ilnbsp;pousse le cri d�alarme; FEurope m�ridionale entend sa voix. Unenbsp;floUe de deux cent irente-huit voiles se r�unit a Messine, sous le com-mandement de don Juan d�Autriche : Venise y compte pour sa partnbsp;cent vingt-cinq navires. Au moment de lever Fancre, toute Farm�e senbsp;confesse; on �loigne tout ce qui pourrait �tre une occasion de p�ch�;nbsp;le blasph�me est d�fendu sous peine de mort : le Nonce apostoliquenbsp;b�nit solennellement la Hotte, et ces milliers de braves, assur�s de lanbsp;protection du Ciel, font voile vers FOrient.
Toutefois, ce n�est ni le spectacle que je viens de d�crire, ni le r�-sultat de Fexp�dition, la victoire de L�pante, c�est-a-dire, la plus grande victoire navale qui ait jamais �t� remport�e, qui me frappa lenbsp;plus dans ce souvenir solennel ; ce sont les noms des vaisseaux quinbsp;composaient la Hotte chr�tienne. Plus �loquemment que les exercices
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religieux de la vaillante armee, ils montrent l�esprit qui, alors encore, dorninait les id��s et les habitudes g�n�rales de l�Europe. J�ai vu lanbsp;liste de tous les navires espagnols, g�nois et v�nitiens qui combatlirentnbsp;^ L�pante : tous portent des noms de saints ou de saintes, � peinenbsp;quelques-uns des noms nationaux, pas un seul nom d�une divinitcnbsp;pa�enne (i). Que diraient ces braves marins si, revenus au monde, ilsnbsp;voyaient les nations de l�Europe affubler presque tous leurs vaisseauxnbsp;de noms pa�ens; et au lieu de meltre leurs flottes sous l�invocation denbsp;tous les saints et saintes du Paradis, les conGer au patronage desnbsp;dieux et des d�esses de l�Olympe? Ce choquant usage, centre lequelnbsp;r�clament �galement Ie bon gout et la religion, serait pour eux, commenbsp;il est pour tout observateur r�fl�chi, un signe trop certain de l�affai-blissement de la foi, et de Penvabissement du paganisme dans l�Eu-rope chr�tienne depuis la Gn du xvi' si�cle. II n��tait pas inutile de Ienbsp;rappeler aux optimistes, qui pr�tendent que les tendances des tempsnbsp;modernes sont des tendances �minemment chr�tiennes.
15 AVRIL.
Tr�vise : Souvenirs de BenoU XI et de Totila. � Vicence ; Theatre olympique. � Hadona-del-Monte. � Montebello, Arcolc : Souvenirs.� Anecdote. � V�rone ; Amphitheatre. � Souvenirs de l�empereur Philippe et de Pie VI. � Grands hommes. �nbsp;Cath�drale. � Saint Z�uon. � Miracle.� San Firmo.� Lac de Garde. � Rivoli :nbsp;Souvenir.�Trait de courage.�Peschicra, Altila, saint L�on ;Desenzano, la B. Ang�lenbsp;Merici. � Brescia : Statue de la Victoire. � Cath�drale. �� Deux reliques. � Martyrs.nbsp;� Saint Gaudens. � Fontaines. � Souvenir de Bayard. � Bergamo : Batiment de lanbsp;foirc. � Saint-Alexandre. � Sainte Ast�rie. � Sainte Eus�bie. � Sainte Grata.�nbsp;Grands hommes. � Coll�oni. � Calepin. � Passage de 1�Adda. � Vaprio.
II �tait nuit lorsque nous passimes h Tr�vise. Ne pouvant voir qu�imparfaitement les richesses de celte ville, nous nous contenlamesnbsp;de les rappeler � notre m�moire et de saluer les personnages qui Tontnbsp;rendue fameuse. Le Duomo, construction gothique du xv� si�cle, int�resse beaucoup moins par ses admirables chapelles des Lombardi, sesnbsp;superbes mausol�es du pape Alexandre Vlll, chanoine de cette �glise,nbsp;et de l��v�que Zanelti, ses tableaux de Bordone, et sa magniGque An-nonciation, du Tilien, que par sa crypte de Saint-Rib�ral, vastenbsp;�glise souterraine dans laquelle repose, depuis des si�cles, le corpsnbsp;du h�ros chr�tien, mod�le et protecteur de la cil�. Saint Nicolas, dunbsp;commencement du xiv� si�cle, rappelle tout it Ia fois Ie puissant g�nie
(t) Tous les vaisseaux tures portent des noms nationaux.
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de saint Dominique et les lib�ralit�s du pape Benoit XI. Ce pontife est une des deux grandes figures qui semblent attendre Ie voyageur auxnbsp;portes de Tr�vise. Fils d�un berger, Nicolas Bocasini entra de bonnenbsp;heure dans l�ordre de Saint-Dominique, dont il devint g�n�ral. Nonce,nbsp;Cardinal, l�gat a latere, pape sous Ie nom de Benoit XI, il fut Ie bien-faiteur de l�Europe et l�ap�tre de la Concorde. II pacifia la France etnbsp;FAngleterre, la Hongrie, Venise et Padoue, Ie Danemark et l�Italie.nbsp;Tr�vise devait au monde une pareille compensation. A c�t� de la doucenbsp;et rayonnanle figure du pontife apparait celle du farouche Totila, eetnbsp;autre enfant de Tr�vise qui porta la guerre partout o� il porta ses pas,nbsp;ravagea 1�Italie et fit deux fois Ie sac de Rome.
Quelques heures apr�s avoir quitt� 1�antique Tarvanum, Ie voyageur qui se dirige sur Milan rencontre Vicence. Cette ville, de buit mille ames, situ�e dans une position avantageuse, travers�e par deuxnbsp;rivi�res et tout �maill�e d��glises et de palais, rappelle en m�menbsp;temps les Gaulois s�nonais qui la fond�rent, les Romains qui la pri-rent, Alaric et Attila qui Ia saccag�rent, Fr�d�ric Barberousse, puisnbsp;Napol�on qui tour � tour en firent la conqu�te. Singuli�re destin�e denbsp;ITtalie! II n�est pas une ville de ce pays providentiel qui n�ait �t� Ienbsp;th��tre de quelques-uns des grands �v�nements dont se compose lanbsp;trame g�n�rale de l�histoire. Cela tient i ce que Fantique Ausonie futnbsp;Ie plus brillant satellite de Rome, astre immense qui entraine tous lesnbsp;autres dans son orbite. Au milieu de tant de r�volutions, Vicence anbsp;conserv� Famour des arts et Ie culte filial de Marie. Le roi de Farchi-tecture moderne, Palladio, a sem� dans sa ville natale les cr�ations denbsp;son g�nie. Outre le Palais de Justice, la Ragione, dont Ia grande salienbsp;rappelle le salon de Padoue; del Capitanio, de Chievicati, de Barba-rano et de Franceschini, o� les diff�rents styles r�unissent leursnbsp;beaut�s et leurs richesses, on cite le Th�cUre Olympique, ce vastenbsp;�difice dont la grande salie, environn�e de quatorze rangs de gradins,nbsp;pr�sente un diam�tre int�rieur de 102 pieds sur une hauteur denbsp;52 au-dessus du pav�. Qui n�a pas visit� les th�dtres d�Herculanum etnbsp;de Pomp�i, peut les voir ii Vicence.
La calh�drale, de style gothique, offre une crypte fort curieuse et une belle Adoration des Mages, de Paul V�ron�se; mals ce qui atliranbsp;notre attention, c�est la Madona-del-Monte. Aux por!es de Vicence,nbsp;s��l�ve un are de triomphe d� au g�nie de Palladio. Ce monument,nbsp;chef-d�oeuvre des belles proportions, sert de vestibule au Portique ounbsp;chemin couvert qui conduit au sanctuaire de Marie. Cette galerie,nbsp;semblable � celle de Bologne, a un mille de longueur; clle serpente
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gracieusement sur les c�t�s verdoyants d�une colline, et, commenc�e par un are de triomphe, elle se termine par une magnifique �glise.nbsp;Du haut de son temple a�rien, la Reine des Anges et la M�re desnbsp;hommes, la douce M�dialrice entre Ie ciel et la terre domine au loin etnbsp;la cit� vicentine et les campagnes populeuses qui l�environnent.
De tous les points de l�horizon, l�oeil aper^oit Ie brillant sanctuaire, et il nous fut doux de contempler les norabreux p�lerins que la reconnaissance et l�amour conduisaient au pied du tr�ne de celle qu�onnbsp;n�invoqua jamais en vain. La statue de Marie est un ouvrage grec d�unnbsp;grand m�rite artistique; elle brille au milieu des pierreries, des do-rures et des chefs-d�oeuvre, double hommage de la pi�t� et du talent.nbsp;On est altendri i� la vue de la belle composition de Carpioni, representant l�Esp�rance introduisant au sanctuaire de Marie une foule denbsp;pauvres, de femmes et d�enfants. Dans Ie r�fectoire du couvent, voisinnbsp;de l��glise, est un autre chef-d�oeuvre �galement du amp; l�inspirationnbsp;chr�tienne : c�est Ie merveilleux tableau de Paul V�ron�se, repr�sentant Ie Fils de Marie sous les habits d�un voyageur assis it la table denbsp;saint Gr�goire. Honneur done au sanctuaire du Monte Berico! J�susnbsp;et Marie, Ie p�re et la m�re du monde r�g�n�r�, y sont repr�sent�snbsp;dans l�accomplissement des actes de bont� et de charit� qui traduisentnbsp;si parfaitement 1�esprit de l��vangile.
Continuant � traverser les riches campagnes du Vicentin, si juste-ment nomm�es Ie jardin de Venise, la route, unie comme une glace, conduit au bourg de Montebello. Ce n�est pas ici, comme dit un voyageur, que Ie mar�chal Cannes conquit son titre historique. Le Montebello, th�atre de sa gloire, est un village situ� � quelques kilom�tresnbsp;de Voghera, dans les �tats sardes. L�illustre guerrier, a la t�te d�unenbsp;poign�e de braves, y mit en d�route une colonne autrichienne,nbsp;le 8 juin 1800, six jours avant la bataille de Marengo.
Mais nous saluames bient�t, sur la gauche, un autre lieu, th�atre r�el d�un glorieux combat. L�Alpon et l�Adige, qui coulent dans lanbsp;plaine, Arcole et son pont c�l�bre se dessinaient dans le lointain.nbsp;Quand on passe par l�, il semble encore entendre le bruit de ce canonnbsp;r�publicain qui �branlait l�Europe; on voit Augereau et Napol�on,nbsp;prenant tour a tour un drapeau cribl� de balles, et s�avan^ant, 5 lanbsp;t�te des grenadiers d��lite, jusque sur les batteries autrichiennes, sansnbsp;r�ussir a les emporter. On assiste h des pr�tiiges de valeur; puis onnbsp;ne voit plus que des tourbillons d�une fum�e de salp�tre; la terre anbsp;dispara sous des monceaux de cadavres; enfin on entend la chute denbsp;plusieurs milliers de braves qui tombent, renvers�s du haut du pont
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fatal. Napol�on lui-m�me, emport� par son cheval, dont il n�est plus le mailre, est pr�cipit�, de toute la hauteur du pont, dans la fangenbsp;sanglante des marais. L�intr�pide B�liard I�a sauv� : et, en le sauvantnbsp;deux fois en un quart d�heure, a d�cid� deux fois le sort de l�Europe.
Cependant, le lendemain 17 novembre, la bataille est gagn�e; mais tous sont harass�s de fatigues, tous se livrent au repos. Napol�on seulnbsp;ne dort pas : il veille a la s�ret� de ses l�gions. Nous le voyons, dansnbsp;la nuit du 17 au 18, parcourir son camp sous le costume d�un simplenbsp;officier, pour voir par lui-m�me si l�exc�s de la fatigue ne diminue pasnbsp;la vigilance des sentinelles : il en voit une endormie a son poste. Sou-dain il s�approche ii petits pas, retient son haleine de peur de l��veil-ler, lui prend doucement son fusil, et continue la faction du dormeur.nbsp;Au bout de quelques instants, le soldat s��veille, ouvre les yeux etnbsp;s��crie, elfray� ; Je suis perdu! En elfet les lois de la discipline autorisent Napol�on i lui passer son �p�e au travers du corps : Rassure-toi, lui dit avec douceur le g�n�ral en chef, apr�s tant de fatigues, ilnbsp;est permis d un brave tel que toi de s�abandonner au sommeil; mais,nbsp;une autre fois, choisis mieux ton temps (i). Comrae monument de lanbsp;bataille d�Arcole, il reste une pyramide a moiti� ruin�e!
Rien de plus gracieux que le paysage de Montebello amp; V�rone. La route est bord�e de canaux ou coule doucement une eau limpide, el lanbsp;campagne couverte de muriers. De tous c�t�s s��l�vent des treillesnbsp;colossales qui, passant d�un arbre ^ l�autre, ferment des guirlandesnbsp;de verdure, dont l�aspect charme la vue, tandis qu�une chaine continuenbsp;de petites montagnes tr�s-bien cultiv�es �tend l�horizon jusqu�auxnbsp;Alpes tyrolicnnes.
V�rone, ville de guerre, de science et de pi�l�, nous montrait ses formidables remparts, son bastion d�Espagne, ses beaux ponts surnbsp;1�Adige, ses larges rues, la plate-forme a�rienne de son amphith�fttre, lenbsp;Hiieux conserv� d�Ilalie, et les d�mes �lanc�s de ses nombreuses �glises.nbsp;Dien qu�elle ait courb� sa noble t�te sous vingt sceptres diff�rents, lanbsp;fille des Gaulois est rest�e frangaise par le caractore et par le ceeur.nbsp;Elle �crit notre langue sur ses magasins, elle la parle dans ses salons,nbsp;tandis qu�apr�s une domination de trente ans, l�Autricbe n�y parlenbsp;qu�un idiome incompris ; preuve �vidente que le vainqueur n�a pointnbsp;encore impos� sa pens�e au vaincu.
Notre premi�re visite fut pour ramphith��tre. Nous y retrouvAmes Ja miniature parfaitement intacte du Colys�e ; m�me disposition,
(i) V�ir Troph�es des arm�es ffang., t. ii, p. 151.
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m�me usage, m�mes souvenirs. Le magnifique edifice, qui date du r�gne de Trajan, est bAti en gros quartiers de marbre, compte qua-rante-cinq rangs de gradins, et contient vingt-deux mille places. C�eslnbsp;dans son voisinage que fut tu� l�empereur Philippe, l�Arabe, et quenbsp;le sceptre du monde passa aux mains du cruel D�cius, son meurtrier.nbsp;Ce souvenir vous saisit �i 1�approcbe du monument; car l�assassinat denbsp;Philippe pesa d�un grand poids sur les destin�es de 1'Erapire, dont ilnbsp;pr�cipita la chute en lui donnant un tyran de plus, et a 1��glise unnbsp;de ses plus violents pers�cuteurs : ce meurtre fut commis en 249.nbsp;Quinze si�cles plus tard, Pie VI, passant a V�rone, h�nissait, du hautnbsp;du sanglant amphith��lre, vingt mille chr�tiens triomphants au lieunbsp;m�me oii leurs p�res avaient combattu.
En nous rendant de 1�amphilh��tre a la calh�drale, nous saludmes les grands hommes que V�rone a produits ; Catulle, Cornelius Nepos,nbsp;Pline l�Ancien, San-Micheli, Ie savant marquis Scipio Maffei, Paulnbsp;V�ron�se, Bianchini, les illustres fr�res Ballerini, Onuphre, Pindemonte, ferment Pimmortelle aur�ole de la cit� qui leur donna le jour.nbsp;V�rone ne brille pas seulement par ses illustres morts; elle peut encore pr�senter des gloires contemporaines. Nous fiimes heureux d��irenbsp;re^us par le v�n�rable abb� Zamboni, c�l�bre dans 1�Europe savantenbsp;par l�invention de la pile s�che appliqu�e aux horloges. Si la douceurnbsp;du caract�re, la modestie du maintien, la simplicit� de la parole,nbsp;l�am�nit� des mani�res, sont autant de caract�res incommunicables dunbsp;vrai m�rite, j�affirme que l�illuslre physicien est un grand homme.
Avant d�entrer au Duomo, nous jeldmes un coup d�oeil sur la biblioth�que du chapitre, la v�ritable bibliolh�que de V�rone. Fond�enbsp;vers 1�an 830, elle est riche en manuscrits dont plusieurs remontentnbsp;au IV'* si�cle. P�trarque y Irouva les �pUres famili�res de Cic�ron, etnbsp;le cardinal Mai les Anciens Interpr�tes de Virgile. Mais la plus c�l�brenbsp;d�couverte est celle des Institutes de Ga�us. Vers 1820 un diplomatenbsp;danois, Niebuhr, reconnut ces manuscrits couverts de la poussi�re desnbsp;si�cles. Tomb� sur un Palimpseste en grand et beau papier, il s�aper-5Ut qu�a la premi�re �criture on avait ajout� \es �pitres de saint Js-r�me, et, entre ces deux copies, intercal� quelques m�ditations dunbsp;m�me docteur. Ayant fait disparaitre, apr�s en avoir pris copie, le*nbsp;�critures surajout�es, il arriva au texte primitif; ce lexte �lait celuinbsp;des Institutes de Ga�us. Jurisconsulte c�l�bre, Ga�us, contemporain denbsp;Marc-Aur�le, compl�te le Droit romain, en nous faisant connaiire lesnbsp;doctrines des jurisconsultes ant�rieurs 5 Justinien et ii Th�odose. Sounbsp;manuscritest tr�s-bien �crit et tr�s-bien conserve; seulement Pop�ra-
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lion du grattage a enlev� plusieurs membres de phrase donl la restitution exercera longtemps la patiente sagacit� de nos professeurs de droit.
La cath�drale dale de la fin du x� si�cle. Ses mille figures symboli-ques de lions, d�oiseaux, de griffons, de proph�ies et de guerriers, offre une ample moisson l�arch�ologue. UAssomption, du Tilien,nbsp;int�resse le peintre; et la gijpsse ar�te de poisson, instrument de sup-plice pour les martyrs, gard�e dans la cbapelle de la Sainte-Vierge,nbsp;excite la v�n�ralion du chr�lien. V�rone compte, en effet, un bonnbsp;nombre de martyrs dont les plus illustres sont les saints Z�non, Fir-mus et Rusticus. Glorieux privil�ge de l�h�ro�sme chr�tien, le premiernbsp;est eneore, apr�s quinze si�cles, parfaitement populaire dans la villenbsp;dont il fit la noble conqu�te par l�effusion de son sang et qu�il prot�g�nbsp;par la puissance de son intercession. La reconnaissance des V�ronaisnbsp;c�l�bre, chaque ann�e, trois f�tes en son honneur. La premi�re a pournbsp;objet sa nativit�, la seconde son Ordination et la troisi�me la Translation de ses reliques. Avant d��tre honor� dans l��glise actuelle, le corpsnbsp;du glorieux Pontife reposait dans uue anclenne Basilique, sur les bordsnbsp;de 1�Adige, hors les murs de V�rone. En 589, l�anlique �glise fut t�-moin d�un �clatant miracle que saint Gr�goire rapporte en ces termes :
� Pendant que le Tibre d�bord� couvrait de ses eaux une partie consid�rable de Rome, la ville de V�rone fut submerg�e par l�Adige.nbsp;Le peuple courut en foule a l��glise de Saint-Z�non; on vit les eauxnbsp;en respecter les portes, s��lever a la hauteur des fen�tres sans entrernbsp;dans l��glise, et rester suspendues comme celles du Jourdain, lors dunbsp;passage des Isra�lites. Le peuple resta vingt-quatre heures en pri�res,nbsp;apr�s quoi le fleuve rentra dans son lit. � Ce miracle, dont tous lesnbsp;habitants de V�rone furent t�moins oculaires, joint a plusieurs autresnbsp;qui s�op�r�rent dans la suite, augmenta beaucoup la v�n�ralion qu�onnbsp;avait d�j� pour le Saint (i).
Sur les pas de tant de g�n�rations nous alMmes rendre nos hommages a rimmorlel pontife. Tout ce que Part et la pi�l� peuvent pro-duire de beau et de touchant, se trouve r�uni pour embellir son �glise et sa tombe. Monument du ix� si�cle, l��glise offre ses portes de bronzenbsp;couvertes de figures syraboliques, la statue du Saint en marbre rouge,nbsp;le jour sombre et le recueillement pieux des sancluaires golhiques etnbsp;romans. Celui-ei m�rite d��tre �tudi�, car il a �cbapp� aux ravagesnbsp;des resta�rations. La crypte o� repose le saint Martyr t�moigne par
(i) Dialog, lib. iu,c. 19.
-ocr page 312-508 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
sa richesse de la pieuse lib�ralil� des fid�les. II nous e�l �l� bien agr�able, si Ie temps l�avait permis, de visiter en artistes et en chr�-tiens les autres �glises de V�rone, si nombreuses, si magnifiques et sinbsp;riches de souvenirs. Notre derni�re station fut a San-Firmo, antiquenbsp;�glise, c�l�bre par ses tombeaux des Turriani, les Hippocrates de l�Italienbsp;au XVI� si�cle, et des Alighieri, descendants du Dante. La reposent lesnbsp;restes pr�cieux des saints Firmus et Rusticus, nobles fils de V�rone,nbsp;martyrises Fan 503 sous 1�empire de Diocl�tien. Apr�s avoir salu� etnbsp;ces glorieux t�moins de notre foi, et les vingt-trois �v�ques v�ronaisnbsp;places sur les autels du monde catholique, et toutes ces g�n�rationsnbsp;de vierges, glorieuses enfants n�es du sang des martyrs, nous dimesnbsp;un dernier adieu a la cit� gauloise en lui promeltant une seconde visite pour �tudier ses Mus�es, sa Biblioth�que capitulaire et ses oeuvresnbsp;de Charit�. Plaise au Ciel qu�il nous soit donn� de tenir un jour notrenbsp;promesse!
En approchant du lac de Garda, un des plus beaux de l�Italie, nous salu�mes, sur la droite, sans pouvoir Ie consid�rer, Ie champ de ba-taille de Rivoli. L��cho des montagnes semblait nous apporter Ie motnbsp;fameux de Napol�on qui appela et fit appeler, par Farm�e tout en-ti�re, Mass�na, VEnfant gdt� de la victoire. Le lac de Garda nousnbsp;redisait une autre circonstance incroyable, et pourtant vraie, de cenbsp;m�morable combat. Cinquante hommes de la dix-huiti�me demi-brigade' firent dix-huit cents prisonniers. Le chef de ces braves, lenbsp;capitaine Ren�, raconte ainsi, dans une lettre a son p�re, eet �v�nement singulier. � Le 25 au matin, le g�n�ral Monnier me demanda sinbsp;je voulais rester au village de Garda avec cinquante hommes, pournbsp;surveiller le lac et favoriser un d�barquement. J�acceptai. Environ anbsp;quatre heures, au moment o� je visitais un petit poste que j�avais placenbsp;en avant, sept Autrichiens parurent ; nous les fimes prisonniers.nbsp;Craignant d��tre attaqu�, je me dispose h prendre une position avan-lageuse; mais a cinquante pas, quelle ne fut pas ma surprise, de ren-contrer une colonne autrichienne, que je n�aper^us qu�i vingt pas,nbsp;paree qu�il y avait un tournant! Le commandant m�ordonne de metirenbsp;bas les armes, que je suis prisonnier. � Non, Monsieur, r�pondis-je,nbsp;eest vous; fai d�jd d�sarm� votre avant-garde, vous en voyez unenbsp;partie; bas les armes! ou point de quartier. Mes soldats, excit�s parnbsp;mon exemple, r�p�tent ce cri.
Les prisonniers, voyant qu�au premier feu ils seraient tu�s, criaient de toutes leurs forces � leurs camarades de se rendre. Tout ce tapaganbsp;�tonna roflicier ennemi : il veut parler. Nous ne r�pondons qu�en re-
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p�lant : Bas les armes! II propose de capitiiler. Non! lui dis-je, bas les armes et prisonniers. �Mais, Monsieur, si je me rends, n�aurai-jenbsp;pas de mauvais traitemcnts d �prouver? Je lui r�pondis que non,nbsp;lt;1't, sur ma parole d�honneur, il �le son chapeau, s�avance, et me pr�sente son �p�e; toute sa troupe met bas les armes. Je n��tais pas a monnbsp;aise; je craignais qu�ils ne s�aperQussenl enfin du peu de monde quenbsp;j�avais; je les fis r�trograder. Un grand nombre refuse de marcher; jenbsp;sentis Ie danger extr�me o� j��tais, surtoiit en entendant un capitaincnbsp;leur dire : Attendons encore. � Qtiappelez-vous, Monsieur? luinbsp;dis-je d�un ton ferme, o� est done Vhonneur? N��tes-vous pas pri-sonnier? m�avez-vous rendu vos armes? ai-je votre parole? Vousnbsp;�tes officier, je compte sur votre loyaut�: pour preuve, je vous rendsnbsp;votre �p�e, et faites marcher votre troupe; sans quoi je me vois forc�nbsp;de faire agir contre vous la colonne de six mille hommes qui me suit.nbsp;Le mot honneur, et surtout, sans doute, cette colonne imaginaire, Ienbsp;d�cid�rent; et nous arriv�mes au camp sans f�cheuse rencontre (i). �
Rivoli a vu deux grandes puissances se disputer avec acharnement une victoife dont quelques villes, quelques provinces devaient �tre lenbsp;prix : humble village, lu seras immortel. Or, nous arrivons sur unnbsp;nouveau champ de bataille bien autrement c�l�bre. Ici se rencontr�-rent les deux souveraines du monde, la civilisation et la barbarie; lanbsp;premi�re personnifi�e dans saint L�on, la seconde dans Attila. D�unnbsp;c�t�, le Pontife arm� de Ia Croix, et suivi de quelques pr�tres; denbsp;l�autre, le guerrier farouche, la terreur de l�univers, le fl�au de Dieu,nbsp;couvert de sa redoutable armure, et environn� de ses hordes sauva-ges ; l�avenir sera le prix du vainqueur. Cela se passait au bord dunbsp;lac de Garda, sur les rives du Mincio, au lieu m�me o� nous sommes,nbsp;pr�s de la petite ville de Peschiera, mille fois travers�e par les voya-geurs, sans qu�aucun ait daign� se rappeler l��v�nement immense dontnbsp;elle fut le theatre.
Au printemps de l�ann�e 432, Aquil�e, Milan, toutes les villes de la haute Itali� tombaient avec un horrible fracas sous les coups press�snbsp;des Barbares ; le retentissement de leur chute troublait les conseilsnbsp;des empereurs remains, et leurs l�gions elfray�es, n�osaient plus sou-tenir le regard du farouche vainqueur. Le torrent d�vastateur se pr�-cipitait sur Rome avec une rapidit� toujours croissante. Saint L�onnbsp;Ifouve dans sa foi le courage de lui opposer une digue. II part; Romenbsp;^�accompagne de ses pri�res; le M juin 432, il arrive au camp d�Attila.
23 niv�se (14 janvier 1797).
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En pr�sence du pape, Ie Barbare reste immobile, muet, et ne relrouve la parole que pour dire amp; ses officiers qu�il a vu, debout � c�l� dunbsp;Pontife, un a�tre Pontife, plein de majest�, qui Ie mena^ait de mort,nbsp;s�il n�ob�issait L�on. Et Atlila, �pouvant�, fait sonner la retraite.nbsp;Rome est sauv�e : Ia civilisation chr�tienne a remport� un triomphenbsp;plus glorieux que ses victoires de l�ampbith�fttre (i). Tel fut, d�s l�ori-gine, Ie r�le de T�glise, des papes et des Saints. Ap�tres de la civilisation et protecteurs de la libert� humaine, ils d�fendent Tune etnbsp;1�aulre centre leurs plus fiers ennemis, et jamais les droits les plusnbsp;sacr�s de la soci�t� n�ont trouv� de champions ni plus intr�pides uinbsp;plus pers�v�rants : ITtalie est pleine de pareils souvenirs.
Avant la nuit nous travers�mes Desenzano, gros bourg connu des touristes par Pexcellence de ses vins, et du voyageur catholique parnbsp;la Sainte illustre dont il fut Ie berceau. La bienheurcuse Ang�le M�-rici, fondatrice des Ursulines, m�rite la reconnaissance des sledes.nbsp;Humble enfant, n�e en 1506, elle voit aujourd�hui sa familie r�panduenbsp;dans toutes les contr�es de Tanden et du nouveau monde. La soci�t�nbsp;lui doit des millions d��pouses vertueuses, et T�glise des millions denbsp;vierges, sa gloiro et sa couronne.
La liieur des r�verb�res �claira notre passage i Brescia ; toutefois Tantique Brixia n��tait point endormie. Une foule de promeneursnbsp;sillonnaient ses rues et ses places, les fid�les sortaient des �glises oUnbsp;Ton venalt de chanter les gracieuses litanies de la Madone. Auxiliairenbsp;de Vespasien dans sa guerre centre Vitellius, Brixia vit s��lever dansnbsp;son enceinte un temple d�di� au vainqueur. D�couvert depuis quelquesnbsp;ann�es, eet antique monument suffit presque a lui seul pour peuplernbsp;Ie mus�e public. II a donn� entre autres la fameuse statue en bronzenbsp;de la Victoire ou de la Renomm�e, Tune des plus belles qu�on con-naisse. Les inscriptions anciennes sont tr�s-nombreuses a Brescia, quinbsp;est, apr�s Rome, la ville aux belles fontaines. On en compte plus denbsp;dnq cents publiques ou particuli�res. L�ancienne cath�drale Duornonbsp;Vecchio, �difice lombard du vn'= si�cle, renferme deux reliques d�unnbsp;grand prix. La premi�re est une crolx que la tradition dit contemporaine de celle qui apparut a Constantin dont elle reproduit les proportions. La seconde est Toriflamme qu�Albert, �v�que de Brescia, plantanbsp;de sa main sur les murs de Damiette dans la croisade de 1221. Lesnbsp;autres �glises de Brescia en poss�dent de plus riches encore: les corpsnbsp;sacr�s de vingt-deux �v�ques, les p�res et les bienfaiteurs de la cite.
(i) Bar. an. 452, t. v, p. 135, n. 3, 4, 5.
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niis au nombre des saints; Afra, noble h�ro�ne qui souffrit sous Adrien; les illustres fr�res Faustinus et Jovila �galeinent honor�s de lanbsp;palme du marlyre sous Adrien, ainsi que leur fils spirituel Calocerus;nbsp;enfin Clateus, un de ces nombreux �v�ques missionnaires envoy�s� lanbsp;conqu�te de ritalie par saint Pierre, et dont le sang vers� par A�ronnbsp;cimenta les fondements de l'�glise naissante de Brescia.
II serait long d��num�rer toutes les gloires chr�tiennes de cette heureuse cit�; mais il en est une qu�on ne peut passer sous silence.nbsp;Le voyageur chr�tien a nomm� saint Gaudens, le p�lerin de I�Orient,nbsp;qui regut des mains des propres soeurs de saint Basile une portion desnbsp;reliques des quarante martyrs de S�baste, qui les rapporta dans sanbsp;patrie ou elles resolvent encore les hommages erapress�es des fid�les;nbsp;l�ami de saint Ambroise a qui la crainte de l�excommunication futnbsp;seule capable de faire accepter l�honneur de l��piscopat; le championnbsp;de la foi et la gloire des docteurs de son si�cle. L�esprit chr�tien, r�-chauff� d�i�ge en �ge par tant de saints �v�ques, s�est traduit � Brescia,nbsp;comme dans les autres villes d�Italie, en oeuvres de charil�. Je citerainbsp;seulement la pieuse raaison de la Congr�gation apostoUque, institution que la France doit envier et qui a pour but de secourir les families honn�les lomb�es dans le besoin. II serait difficile de trouvernbsp;Un z�le plus d�sint�ress� et plus aclif, une charit� plus d�licate etnbsp;plus ing�nieuse h secourir sans offenser. On est lier vraiment d�ap-parteniriune religion qui se manifeste par de semblables institutions.
Nous quittdmes Brescia en regrettant de ne pas voir les nombreux et tr�s-remarquables tableaux du Titien, de Civerchio et du Moretto,nbsp;qui d�corent les charmantes �glises de la ville. Sur la grande placenbsp;uous donnt�mes un souvenir i� Bayard dont la conduite a Brescia luinbsp;fait autant d�honneur que sa bravoure sur les champs de bataille. Sinbsp;la seconde lui m�rite le titre de chevalier sans peur, il doit a la pre-Uii�re le titre non moins glorieux de chevalier sans reproche.
Le voisinage des Alpes Trentines, qu�on c�toie de Brescia a Ber-game, avait rendu le froid tr�s-piquant. On ferma soigneusement les Porti�res, en sorte que c�est � travers un carreau de vitre que j�ai punbsp;'^oir la campagne : elle me parut peupl�c et tr�s-fertile. Ce que jere-^'aarquai le plus, c�est l�admirable sysi�me d�iri�gaUdn, employ� dansnbsp;Ce beau pays comme dans le reste de la Lombardie : j�en parlerai plusnbsp;lard. Apr�s quelques heures de marche, nous passames 1 Oglio, quinbsp;�eri du lac d�Is�e, et nous entr�mes dans une campagne merveilleuse-'^'ent cultiv�e. Sur un gracieux coteau, encadr� par deux rivi�res, lenbsp;fltemho et le Serio, s��l�ve en amphilh�atre l�antique Bergame, le
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Bergomum des Romains. Ses murailles, ses bastions, ses fosses, sa ci-tadelle qui couronne Ie Monte-Virgilio, lui donncnt un aspect severe et quelque peu menagant. L�inl�rieur de la ville offre un gracieuxnbsp;contraste, et donne au voyageur satisfait mille moyens de modifier sanbsp;premi�re impression.
L��difice qui s�offrit d�abord ii nos regards fut Ie batiment de la Foire. C�est un vaste parall�logramme, avec quatre grandes salles auxnbsp;quatre angles, destin� a la foire c�l�bre qui fait la richesse du pays.nbsp;Sur les c�l�s on compte plus de cinq cents boutiques �l�gantes; aunbsp;milieu du champ, jaillit une superbe fontaine dont les eaux limpidesnbsp;alimentent plusieurs canaux destines � entretenir la fraicheur et lanbsp;propret�. Vers la fin d�ao�t, Ie caravans�rail se peuple, s�anime; desnbsp;tentes aux diverses couleurs sont tendues de toutes parts; des milliersnbsp;d��trangers, surtout de Suisses et d�Anglais, viennent enlever les drapsnbsp;de Como et les soieries de Lombardie. Comme tant d�autres, la foirenbsp;de Bergame doit son origine a de pieux p�lerinages : elle existait d�janbsp;en 915.
Ajoutons que les quatre portes de la ville d�sign�es par des noms de saints, les nombreuses �glises, les convents et les institutions denbsp;charit� attestent �loquemment Ie passage et l�empire de l'esprit chr�-tien. Chose remarquable! les villes d�Occident qui ont regu la foi d�snbsp;les temps apostoliques, et qui ont �t� arros�es du sang des martyrs,nbsp;conservent plus abondamment la s�ve primitive. La belle �glise denbsp;Saint-Alexandre, qui apparaissait ii nos regards, nous rappelait que,nbsp;sous ce rapport, Bergame n�est pas moins heureuse que les autresnbsp;cites d�Italie. Soldat de la l�gion Th�baine, Alex-andre avait pr�c�denbsp;ses glorieux compagnons dans la route du martyre. Bergame fut Ienbsp;lieu de son triomphc, et Bergame est devenue la cit� qu�il prot�g�nbsp;encore par ses pri�res et qu�il enrichit par la pr�sence de son corpsnbsp;sacr� : on Ie v�n�re dans un magnifique tombeau. Avant Ie soldat denbsp;Maximien, une jeune vierge avait soutenu, dans Bergame, un illustrenbsp;combat. Ast�rie, couvaincue d��tre chr�tienne, s��tait vue l�objet de l3nbsp;fureur infernale d�Aur�lien, pr�fet de l�empereur Val�rien. Des sup'nbsp;plices exquis, endur�s avec un courage h�ro�que, rendirent �galementnbsp;immortelles et la gloire de la victime et la cruaut� du bourreau. E�'nbsp;s�bie, digne �mule d�Ast�rie, se pr�sente avec elle a la v�n�ration dunbsp;voyageur catholique; viennent ensuile les saints Dominion et Jeati,nbsp;qui par leurs combats h�ro�ques assur�rent Ie bonheur de la cit� ennbsp;affermissant Ie r�gne de l��vangile.
Non loin de Saint-x\lexandre s��l�ve une autre �glise qui rappelle un
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nom b�ni dans I�histoire, et plus glorieuxaBergame que ceus duTasse, de Calepin ou de Colleoni : je veiix parler de sainte Grata. Mod�le denbsp;toutes les verlus sodales et domestiques, cette sainte veuve, dontnbsp;I�heureuse influence fut pour sa patrie un immense Lienfait, voit hnbsp;son tour la reconnaissante pi�t� des habitants honorer ses vertus dansnbsp;une �glise toule resplendissante d�or, de marbre et de peintures ex-quises. Bergame n�a pas oubli� ses autres gloires. Pres de Sainte-Marie-Majeure est le mausol�e du g�n�ral Colleoni, Ie premier qui fitnbsp;usage de fartillerie de campagne et qui inventa les affuts de canons.nbsp;Le guerrier est monte sur un grand cheval de bois dor�, environn�nbsp;de statues et de bas-reliefs, outrages plus ou moins parfaits, maisnbsp;pr�cieux pour I�histoire de fart au xvi� si�cle. Le Tasse, dont le p�renbsp;�tait de Bergame, domine la grande place du Palais de Ju.stice : sanbsp;belle statue en marbre de Carrare t�moigne du patriotisme des habitants. Dans l��glise des Augustins est le tombeau d�un homme quenbsp;nous avons tons connu dans notre enfance : Ambroise Calepin, I�au-leurdufameux dictionnaire en sept langues, repose ici. Que Dieu fassenbsp;paix au bon religieux dont le p�nible labeur contribua puissammentnbsp;au progr�s des lettres dans Ie seizi�me si�cle!
Descendus de Bergame, nous ne lardSmes pas a franchir PAdda �sur le pont de Vaprio, c�l�bre par sa Vierge gigantesque, de L�onardnbsp;de Vinei ; quelques beures plus tard, nous entrions ii Milan.
IG AVRIL.
Milan. � Reflexions.�La catlicdralc. � Coup d�oeil g�n�ral sur Milan. �Visite d�-taill�e. � Sacristie de Saint-Satyre. � Imago miraculeuse de la sainte Vierge.� Saint Nazaire. � Tomboaux des Trivulce. � Saint-Laurent. � D�tails sur l�archilec-turc. � Saint-Alexandre. � Richesses du niaitre aulel. � Saint-Eustorge. � Chairenbsp;de saint Pierre, martyr, � Son tombeau, ses rcliques, son histoire.
Le voyageur qui a parcouru I�ltalie, �clair� du double flambeau de la science et de la foi, a vu I�liistoire du monde moderne se d�roulernbsp;a ses regards dans leurs drames les plus solennels. Dans I�ltalie m�ridionale, i Rome surtout, il a vu le catholicisme triomphant du paganisme ct baptisant Constantin; il I�a vu dans I�ltalie ori�ntale, hnbsp;Denise en particulier, triompher de I�islamisme et noyant dans lesnbsp;Hots de Lepante la puissance ottomane; il I�a vu dans I�ltalie septen-tfionale, � Pcschiera, triompher de la barbaric et repoussant Attila;nbsp;puis, dans toutes les parlies de la giorieuse Peninsule; il I�a vu, in-
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spirateur des beaux-arls, semant partout des milliers de chefs-d�oeuvre, et, ce qui vaut rnieux encore, cr�ant d�innombrables institutions o�nbsp;la charit�, victorieuse de T�go�sme, �l�ve la nature huniaine au plusnbsp;haut degr� de la perfection et de la gloire. II a vu toutes ces chosesnbsp;dans leur cause, la divine parole; dans leurs moyens, Ie sang f�condnbsp;des martyrs et les exemples non moins f�conds des grands saints, n�snbsp;de cette semence divine.
Et il a b�ni la pi�t� des habitants qui rendent � leurs bienfaiteurs un culte filial. Et l�Italie, malgr� les d�fauts ins�parables de la naturenbsp;humaine, lui est apparue comme une terre �videmraent privil�gi�e :nbsp;privil�gi�e paree qu�elle re^oit plus imm�diatement les influences sa-lutaires de Rome, la t�te et Ie cceur du catholicisme. Ce spectacle,nbsp;chaque ville en offre la miniature plus ou moins orn�e, plus ou moinsnbsp;compl�te. Or, parmi les cites d�Ilalie, il en est une qui semble r�fl�-chir plus parfaitement toutes les gloires, et ressentir plus efficace-ment toutes les influences de la ville ra�re et maitresse de toutes lesnbsp;autres : j�ai nomra� Milan. Avant de prouver par les faits l��loge quinbsp;pr�c�de, il convient de reprendre Ie r�cit de notre voyage.
A neuf heures du matin, par un temps superbe, mais un peu froid, nous entrSmes dans la capitale du royaume Lombardo-V�nitien. Anbsp;mesure qu�elles se rapprochent de nos fronti�res, les villes italiennesnbsp;prennent une physionomie plus frangaise. Les grandes rues de Milannbsp;ressemblent aux boulevards de Paris : m�me alignement, m�me hauteur de facade; seuleraent les magasins sont moins nombreux, la circulation moins active. A l�h�tel Reichmann, nous resumes une hos-pitalit� tout a la fois allemande, italienne et fran^aise. Je donne cenbsp;d�tail, pour rappeler un m�lange, aussi rare que pr�cieux, de bonhomie, d�attention et de politesse. Notre premi�re visite fut pour Ienbsp;Duomo, la merveille de la cit�.
Qu�on se figure une montagne de marbre blanc taill�e, sculpt�e, cisel�e, ouvr�e, dans toutes ses parties, comme une dentelle de Valenciennes, OU un point d�Angleterre. Voyez s��lancer autour de cettenbsp;montagne cent douze clochetons sveltes et gracieux, qu�on prendrait,nbsp;si ce n��tait la couleur, pour une plantation d�arbres verts sur lesnbsp;flancs d�une colline. Un people de statues anime cette for�t; troisnbsp;mille sont d�j� plac�es, il doit y en avoir quatre mille cinq cents. Paenbsp;la position plus ou moins �lev�e qu�elles occupent, par les saints etnbsp;les saintes qu�elles repr�sentent, elles offrent aux regards de la terrenbsp;l�image brillante de la hi�rarchie c�leste. Toute cette cour immortellenbsp;semble n�avoir qu�une voix pour exalter l�auguste Vierge, dont la
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statue de bronze dor� domine la plus haute aiguille de la coupole. Quand le culte de Marie n�aurait inspir� que la cathedrale de Milan,nbsp;il devrait �tre en b�n�diction aupr�s de tout�s les g�n�rations d�ar-tistes.
Magnifique dans son ensemble, le somptueux �difice porie, princi-palement sur la facade, les traces des diff�rents styles d�architecture qui ont tenu le sceptre depuis l��poque de sa fondation. Commenc�enbsp;en 1386, elle n�est pas encore termin�e : chaque ann�e, la Cour d�Au-Iricbe d�pense une soinme consid�rable pour continuer les Iravaux.nbsp;A rarchiteclure primilif et a ces tailleurs en pierre, grands hommesnbsp;inconnus qui lui succ�d�rent, les artistes de la Renaissance ont ajout�nbsp;leur faire, On leur doit, entre autres, la crois�e carr�e surmont�enbsp;d�un attique, dont la pr�sence d�ligure le portail. N�anmoins lenbsp;Luomo de Milan passe pour la plus belle gloire de l�Ilalie, apr�snbsp;Saint-Plerre de Rome : il fallut toute l��nergie des si�cles de foi pournbsp;enlreprendre une pareille construction. Le vaisseau a 449 pieds denbsp;longueur, 275 de largeur dans le transept, et 238 de hauteur sous lanbsp;coupole, 147 dans la nef, 110 dans les bas c�t�s. La hauteur ext�rieurenbsp;de la coupole, avec couronneraent, est de 370 pieds.
L�int�rieur donne lieu aux m�mes observations que la fagade ; le style n�est pas uniforme. On regrette de ne pas y trouver le na�f et lenbsp;fouill� du xm� si�cle. N�anmoins, quand on a franchi le seuil de lanbsp;Basilique par une des cinq grandes portes qui correspondent aux cinqnbsp;nefs, on �prouve la religieuse impression dont il est impossible de senbsp;d�fendre dans nos �glises gothiques. Cinquante-deux colonnes de mar-bre, de 84 pieds d��l�vation sur 24 de circonf�rence, souliennent l��di-fice. Les deux monolilhes en granit rouge, qui ornenl int�rieuremenlnbsp;la porie principale, sont peut-�tre les plus hauls qui aient jamais �t�nbsp;employ�s dans aucune construction. Un nouveau people de statues denbsp;�iarbre, plac� dans une longue ceinture de niches, anime l�int�rieurnbsp;et forme le cort�ge du Dieu qui repose sur raulel. Nous remarquSmes,nbsp;entre autres, celles de saint Ambroise, de saint Charles, du Pape Martin V, de Pie IV. Le baptist�re est forni� d�un grand bassin de por-phyre, qui passe pour avoir appartenu aux Thermes de Maximiennbsp;Hercule.
Le choeur, ferme par une superbe grille, s��l�ve de plusieurs degr�s au-dessus de la nef. II est entour� de stalles dont les sculptures repr�-sentent Ia vie de saint Ambroise et d�autres archev�ques de Milan ;nbsp;clles sont regard�es comme un chef-d�oeuvre. Au-dessus du maitre au-tcl brille le riche tabernacle o� l�on conserve le Santo Chiodo, clou
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de Ia vraie Croix, port� en procession par saint Charles pendant Ia terrible peste de 1576. Derri�re Ie choeur est la statue colossale denbsp;saint Barlh�leray. On sait que Ie glorieux Ap�tre fut �corch� tout vif;nbsp;c�est dans eet �tat qu�il est repr�sent�; cette sorte de r�alit�, renduenbsp;par un tr�s-habile ciseau, est horrible. La sacristie nous offrit des ca-lices et des pat�nes d�un travail exquis, Ia belle statue de Notre-Sei-gneur li� a la colonne et les deux statues en argent de saint Atnbroisenbsp;et de saint Charles.
Nous terminilmes cette visite par la chapelle souterraine de saint Charles. A la vue de ce mot : Humilitas, devise du grand archev�quenbsp;et de son illustre familie, qui brille sur Ie magnifique tombeau d�unnbsp;saint devant lequel Ie monde lui-m�me reste muet d�admiration, 1�nbsp;chr�tien se rappelle la promesse du Divin Maitre : Qui se humiliave-rit, exaltabitur : � Celui qui s�humilie sera �lev�. � La chasse estnbsp;d�argent, avec des panneaux en cristal de roche et des moulures ennbsp;vermeil; Ie saint archev�que est rev�tu de ses habits pontificaux, en-richis de diamants; sa t�te, orn�e de la mitre, repose sur un coussinnbsp;d�or. En contemplant les traits de cette grande figure qui dominanbsp;Ie xvi� si�cle et qui domine encore Ie clerg� moderne, on b�nit la Providence, toujours fid�le a veiller sur l��glise; et on lui demande denbsp;tirer de ses tr�sors quelqu�un de ces grands Saints dont les besoinsnbsp;actuels r�clament si imp�rieusement la puissante activit�.
Au faite du Duomo, debout sur la coupole de ce temple merveil' leux qui �l�ve jusqu�aux nues la gloire de Ia Soeur et de la M�re donbsp;genre humain, il nous fut donn� de contempler un des plus vastesnbsp;panoramas d�Italie : une grande ville arros�e par deux rivi�res, l�Addanbsp;et Ie Tessin, majestueusement assise au milieu d�une plaine immenso�nbsp;�maill�e de villes, de villages, de villas somptueuses, coup�e par miH�nbsp;canaux qui ajoutent la fertilit� et la gr�ce aux travaux d�une intelligente culture, et termin�e par les sommets neigeux des Alpes et d�nbsp;l�Apennin.
Oii trouver un belv�d�re plus favorable pour contempler Ie panorama historique de la cit� milanaise? Regardez ; voici venir tour ^ tour, du haut des Alpes et du fond de la plaine, se renversant les unSnbsp;les autres, les Gaulois, les Remains, les Goths, les Huns, les Lombard�-les Francais, les Espagnols et vingt autres peuples qui se disputent lonbsp;possession de cette terre promise. La victoire reste aux Roraains,nbsp;Milan devient Ie s�jour de quelques-uns des maitres du monde. Lo�nbsp;autres se plaisent a y laisser des monuments de leur puissance. Cesnbsp;seize colonnes que vous admircz pr�s de P�glise de Saint-Laurent-
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proviennent des Thermes somptueux �lev�s par Maximien, Ie grand pers�cuteur du christianisme.
Mais voici bien d�autres conqu�rants : il ne s�agit plus de la possession de la lerre et de la domination des corps, mais de l�empire des ames. L�ami de saint Paul, celui que les habitants de Lystre pre-naient pour Jupiter lui-m�me, saint Barnab� arrive a Milan. II arrhenbsp;la ville pour son Divin Maitre, et vole a de nouvelles conqu�tes. Per-p�tue, dame romaine, �pouse d�un officier de N�ron, a �lev� dans lanbsp;foi son jeune fils Nazaire. 11 part pour Milan, continue Fosuvre de Barnab�, associ� a ses travaux Celse, jeune enfant de la cil� : tout ce qu�ilnbsp;y a de plus faible contre ce qu�il y a de plus fort! Le sang des jeunesnbsp;martyrs, exprim� de leurs veines par d�horriblcs tortures, cimenleranbsp;les fondalions de l��glise milanaise, dont les murs seront compos�s dunbsp;sang el des ossements des illuslres martyrs Fauste, Calim�ne, Nabornbsp;et F�lix, Gervais et Protais; et qui aura pour clef de vo�ie, saint Am-broise; pour colonnes, trente-trois �v�ques inscriis au catalogue desnbsp;Saints; pour enfant, Augustin, le docteur des docteurs; et pour restaurateur, saint Charles, FAthanase du xvi� si�cle.
Tant de victoires devaient �tre r�compens�es par un glorieux triom-phe. N�ron, Antonin, Commode, Aur�lien, Maximien, ont �mouss� leur hache contre les martyrs milanais; elle est lomb�e de leurs mainsnbsp;d�sormais impuissantes : et dans les mains de leurs successeurs, as-sembl�s sur le th�Atre m�me du combat, voycz la plume qui signe lenbsp;trait� de paix, et declare le monde vaincu par la Croix. Salut! �glisenbsp;de Milan! voici la page la plus solennelle de ton histoire. Au commencement de Fann�e 313, deux empereurs romains, Constantin et Lici-nius, arrivent a Milan. L�empire a les yeux Cx�s sur leurs d�marches,nbsp;il attend avec anxi�t� le r�sultat de leurs secretes d�lib�rations. Enfin,nbsp;peu de jours avant les calendes d�avril, vers F�poque o� le Christnbsp;sorlit glorieux du tombeau, un �dit parait, qui annonce Ia fin de lanbsp;lutte trois fois s�culaire du paganisme contre le christianisme; quinbsp;permet a F�pouse de FHomme-Dieu de sortir des t�n�breuses galeriesnbsp;des catacombes, lui accorde pleine libert� d�exercer au grand jour elnbsp;son culte majestueux et sa mission bienfaisanie, ordonnant, en outre,nbsp;de lui rendre, sans exiger aucune rangon, tous les biens que la pers�-cution lui a ravis (i).
Le glaive imp�rial ne fera plus de martyrs, mais Fh�r�sie fera des apostats. Milan devint le th�Atre d�une nouvelle lutte. Auxence est
(i) Euseb. Ilist. lib. x, c. 5; Bar. an. St�, t. m, p. 74, n. 1-8. T. lU.
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vaincu par saint Ambroise; la v�rit�, qui remporte un nouveau triom-phe, pr�pare ceux de la verlu. Pour n�en citer qu�un seul, cette mon-tagne de marbre, cette �glise merveilleuse, au faite de laquelle nous sommes assis, quelle en fut la pens�e cr�atrice? Quel souvenir redit-elle aux g�n�rations qui la contemplent? Au xiv� si�cle, vivait, a Milan,nbsp;un de ces bommes de fer, comrae l�Europe d�alors en comptait desnbsp;milliers. Gal�as Visconti, due de Milan, s��tait empar� par trabison denbsp;la personne de son oncle et du patrimoine de ses cousins. Mais Ie re-mords vivait dans son ame cupide, comme il vivait au coeur de la so-ci�t� contemporaine. En expiation de son double crime, il fit b�tirnbsp;deux magnifiques �glises en l�honneur de Marie, que tous les si�clesnbsp;appellent Ie Refuge des p�cheurs. Ces deux merveilles sont la Catb�-drale de Milan et la Chartreuse de Pavie. Le prince p�nitent donna,nbsp;outre des sommes consid�rables, une carri�re de marbre blanc d�unenbsp;puret� admirable : c�est la carri�re de Candoglia, pr�s du lac Majeur.
Apr�s ce coup d�oeil d�ensemble, nous descendimes du Duomo pour commencer la visite d�taill�e de la cil�. La sacristie de l��glise denbsp;Saint-Satyre, en forme de petit temple octogone, offre amp; l�admirationnbsp;de l�artiste son architecture du Bramante, et ses sculptures grandiosesnbsp;du Caradosso. Elle attire aussi le p�lerin catholique par sa madonenbsp;miraculeuse du xi*^ si�cle. Cette image de la sainte Vierge est une desnbsp;plus v�n�rables de l�Italie. Au portail de Saint-Nazaire nous vimes lesnbsp;buit sarcophages de la familie Trivulce. Singulier spectacle que cesnbsp;grands cercueils de pierre suspendus au-dessus de votre t�te! On s�ar-r�te �inu et silencieux devant celui de Jean-Jacques Trivulce, le c�l�-bre mar�chal, cr�ateur de la milice frangaise et le bras droit denbsp;Louis Xll. Son caract�re semble peint dans l��pitaphe qu�il se fit �nbsp;lui-m�me ; � Joannes-Jacobus TrivuUius, Antonii filius, qui nun-quam quievit, quiescit. Tace.�Jean-Jacques Trivulce, fds d�Antoine, qui jamais ne se reposa, repose. Silence. � Saint-Nazaire, fond�nbsp;en 382, rappelle une gloire bien sup�rieure h celle des conqu�rants.nbsp;Les autels, les murs de l�antique sanctuaire redisent encore les nomsnbsp;immortels des glorieux martyrs de Milan, les saints Nazaire et Cclse;nbsp;et du grand ap�tre de la cit�, saint Ambroise, qui vint, il y a quinzenbsp;si�cles, d�poser leurs reliques dans ce v�n�rable sanctuaire.
A l��glise Saint-Laurent, rebalie par saint Charles, on admire le g�nie si hardi et si f�cond des architectes italiens. II ne s�agit plus denbsp;crolx latine, de croix grecque, ni m�me de rotonde; v.oici un �dificenbsp;octogone dont quatre c�t�s dispos�s en demi-quarts de eerde presen-lent dans leur enfoncement deux rangs de colonnes, l�un sur 1 autre.
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qui servent de galeries tournanles. Les aulres c�l�s en ligne droile n�ont qu�un seul rang de colonnes; mais ces colonnes ont deux fois lanbsp;hauteur des premi�res, et soutiennent la coupole. Plusieurs tableauxnbsp;distingu�s d�Hercule Procaccini, d�Aur�le Luini et de Vimercali,nbsp;ajoutent leurs graces brillantes aux formes extraordinaires de l��difice.
Si l��glise di San Lorenzo est une des plus curieuses de Milan par son architecture, celle de Saint-Alexandre est peut-�tre une des plusnbsp;remarquables par ses richesses. A la voute, et dans les dilT�rentes parties de ce temple magnifique, brillent les excellentes peintures denbsp;Fr�d�ric Bianchi, de Philippe Abbiati, de San Agostino, dont les unesnbsp;repr�sentent les principaux traits de I�Ancien Testament, et de la vienbsp;du glorieux titulaire. Le maitre autel resplendit sous sa ricbe garniture de lapis-lazuli, de jaspes sanguines, d�agates orientales et aulresnbsp;pierces pr�cieuses.
Saint-Eustorge a de quoi salisfaire l�arch�ologue et le chr�tien. Au premier, elle offre deux monuments remarquables : la chaire � pr�-cher et le tombeau de saint Pierre, martyr. II est int�ressant de voirnbsp;quelle �lait la forme de nos chaires chr�tiennes au moyen ftge, et denbsp;connailre les peoples rest�s lid�les aux formes primitives de Part, etnbsp;ceux qui s�en sont �loign�s. Les ambons, les jub�s des premiers tempsnbsp;furent remplac�s par des chaires. En Suisse et en Italic, la chaire ac-tuelle, ou lepalco, est une esp�ce d�estrade ou de tribune oblonguenbsp;sur laquelle le pr�dicateur peut � son aise aller et venir, et conservernbsp;la libert� de mouvement, la grdce et la dignit� de mainlien qui con-vient i l�orateur ; telles �taient aussi les chaires du moyen age.
Celle de saint Pierre, martyr, forme une esp�ce de grosse tribune en pierre, d�oii l��loquent Dorainicain pouvait, en allant d�une extr�-mii� a l�autre, faire entendre � son immense audiloire la d�fense denbsp;la foi qu�il devait un jour signer de son sang. Quelle diff�rence enlrenbsp;cette tribune si noble, si commode, si respectable par sa forme primitive, et cette boite de sapin suspendue aux piliers de nos �glises, sinbsp;mesquine, si �lroite, si �trange quelquefois de forme et d�ornementa-lion, dans laquelle le pr�dicateur, emprisonn� et ii moiti� cach�, senbsp;courbe et s�agile, condamnc a des mouvemenls sans gr�ce et sans dignit�. Le tombeau de saint Pierre, martyr, est uu chef-d�oeuvre denbsp;Part au xivquot; si�cle, de cel art naturel et vrai paree qu�il est profond�-ment religieux. II faut surlout remarquer les cariatides gothiques repr�sentant les verlus du Saint et qui soutiennent tout P�difice.
Mais quel est ce saint donl la chaire est un objet de v�n�ration; ce Saint dont les arts ont consacr� la m�moire, et dont la l�te, constam-
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ment environn�e par de pieux p�lerins, repose dans un reliquaire d�or et de cristal? C�est un de ces hommes puissants en oeuvres et ennbsp;paroles, qui sauv�rent la civilisation de l�Europe en sauvant la foi;nbsp;bienfaiteurs de I�humanile dont Ie mat�rialisme moderne a oubli� Ienbsp;nom tout en jouissant du fruit de leurs labours, mais que la reconnaissance calholique continue d�invoquer et de b�nir. Tandis quenbsp;dans ritalie ori�ntale saint Antoine de Padoue met en fuite par l��clatnbsp;de ses miracles Terreur et la tyrannic, saint Pierre, martyr, fait pal-piter sous les coups de la grilce victorieuse le reste de la P�ninsule.nbsp;Impossible de compter les brebis qu�il arrache aux griffes du mani-ch�isme. Tel est Tenthousiasrae et la v�n�ration qu�il inspire, que lesnbsp;populations enti�res vont au-devant de lui avec la croix, la banni�re,nbsp;les trompetles et les tambours. Souvent on est oblig� de le porter surnbsp;une lili�re, de peur qu�il ne soit �cras� par Ia foule. Cependant Ianbsp;iiaine des manich�ens �gale Tamour des catholiques. Elle s�accroit aunbsp;point qu�ils le font assassiner entre Come et Milan. Avant de mourir,nbsp;le Saint r�cite le Symbole et prie pour ses meurlriers. Sa pri�re estnbsp;exauc�e; son assassin entre chez les Dominicains de Forli en qualit�nbsp;de fr�re convers, et l� expie son crime dans les larmes de la plusnbsp;aust�re p�nitence ; voilamp; le moyen flge. Nous �tions agenouill�s de-vant le tombeau du Martyr, six cents ans apr�s sa mort, arriv�e lenbsp;6avrill252.
17 AVRIL.
Saiut-Ambroisc. � Souvenirs de Th�odose. � Tombeau de Stilicon.� Mosalque.� Corps de saint Ambroisc, � des SS. Gervais et Protais, �de sainte Marcelline.�nbsp;Lit de saint Satyre. � Crucifix de saint Charles. � Baptist�re. � Souvenir de saintnbsp;Augustin. � Souvenirs de la Peste de Milan.� Saint Charles el Calvin! � RitAm-brosien. � �cole de Saint-Ambroise. � Lazaret. � Monza. � �glise. � Peinlure. �nbsp;Tr�sor. � Couronne de fer. � Anecdote. � S�minaire des Philosophes. � Retour anbsp;Milan.
J�eus la consolation de dire la messe dans Ia crypte o� repose saint Ambroise avec les saints Gervais et Protais. J�aurais d�sir� de Toffrirnbsp;surle corps m�me du grand docleur; mais un r�glement qu�on nousnbsp;fit voir a la sacristie d�fend de c�l�brcr les saints myst�res sur eetnbsp;autel, si ce n�est selon le rit arabrosien. L��glise de Saint-Ambroise,nbsp;dont la fondalion remonte a Tan 587, est un des plus anciens monuments de Tantiquit� chr�tienne. Avant d�entrer on trouve le portiquenbsp;quadriforme qui en isolant T�glise du bruit et du tumulle, servait denbsp;station aux premiers ordres de p�nitents. Voici le seuil sacr� sur lequel
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saint Ambroise arr�ta Tli�odose. Ces picrres que voyez de vos yeux, que vous foulez de vos pieds, ont vu Ie maitre du monde, environn�nbsp;de tout l��clat de la pompe imp�riale, se pr�senter a celte �glise apr�snbsp;Ie massacre de �hessalonique. Si elles pouvaient parler, elles vous re-diraient les sublimes paroles qu�elles ont entendues de la bouche dunbsp;Pontife : � Seigneur! il scmble que vous ne sentez point encore l��nor-mil� du crime commis par vos ordres; que l��clat de la pourpre nenbsp;vous emp�che point de reconnaitre la faiblesse de ce corps si magni-fiqueraent couvert. Vous �tes p�tri du m�me limon que vos sujels ;nbsp;il n�y a qu�un maitre du monde. Oserez-vous, en priant, lever vers luinbsp;ces mains encore teintes d�un sang injustement r�pandu? Retirez-vousnbsp;done et n�allez pas aggraver par un nouveau crime celui dont vousnbsp;�tes coupable. � Mais David a p�ch�, r�pondit Ie prince en s�excu-sant. � Puisque vous l�avez imil� dans son p�ch�, lui dit Ambroise,nbsp;imitez-le dans sa p�nitence. � L�empereur se sourait et resta huit moisnbsp;exclu de la participation aux saints myst�res.
Saint Ambroise arr�tant Th�odose, saint L�on arr�tant Attila, saint Basile arr�tant Valens, o� trouver quelque chose de plus sublime etnbsp;de plus social dans les annales des peuples? Chose remarquable! cesnbsp;grands e,xemples de protection du faible coiitre Ie fort, du droit contrenbsp;l�injustice, de la v�rit� contre Terreur, ne se rencontrent ni dansnbsp;Thistoire des sacerdoces pa�ens, ni dans celle des �glises h�r�tiquesnbsp;OU schismutiques : h T�glise catholiquo Thonneur exclusif de les don-ner au monde! En dire la raison serail inutile : quand les termesnbsp;d�un probl�me sont si neltement pos�s, Ie premier venu peut d�gagernbsp;Tinconnue.
Les principaux monuments de la Basilique ambrosienne sont : Tan-tique tribune ou chaire en marbre blanc d�o� saint Ambroise, stii-vant la tradition, voyait Ie jeune Augustin parmi ses auditeurs les plus assidus; Ie fameux serpent d�airain, �lev� au milieu de la nel',nbsp;que les uns ont pris pour Esculape, les autres pour celui que Mo�senbsp;�leva dans Ie d�sert; Ie tombeau de Stilicon et de sa femme S�r�na.nbsp;Le maitre aulel resplendit sous son fameux Paliotto d�or, chef-d�oeuvre d�orf�vrerie du x�gt; si�cle; et Tabside du choeur attire les regards sur sa belle raosa�que du ix�. A la partie sup�rieure, le Sauveurnbsp;est assis sur un tr�ne d�or, �tincelant de pierreries, ayant it ses c�t�snbsp;saint Gervais et saint Protais. Non loin de lit parail saint Ambroise,nbsp;a qui Dieu r�v�la, dans un myst�rieux sorameil, le lieu ou reposaientnbsp;les corps des deux martyrs. A ce propos, un voyageur francais qui senbsp;pique d��rudition, mais it qui le sens chr�tien manque trop souvent.
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se scandalise et s��crie ; � Saint Ambroise s�endort en disant la messe, tandis qu�un sacristain lui frappe sur l��paule pour Ie r�veiller et luinbsp;inontrer Ie peuple qui attend. Singulier moment choisi par l�artistenbsp;dans la vie de ce grand Saint! On savait que F�nelon s��tait endorminbsp;au sermon; saint Ambroise, dormant debout a I�autel, est encorenbsp;moins �difiant. � C�est ainsi qu�on �crit I�bistoire.
An fond du Presbyterium est la chaire pontificale de saint Ambroise, en marbre blanc, simple el sans sculptures. Pr�s de la on v6-n�re le crucifix avec lequel saint Charles benissait le peuple pendant la peste. Dans la cbapelle, qui porte son nom, repose sainte Marcelline, digne soeur de ses deux fr�res, Ambroise et Satyre, dont elle futnbsp;I�aiinable institutrice. La m�me Basilique renfermait aussi le corps denbsp;saint Satyre, transporl� depuis a Saint-Victor; mais elle conserve tou-jours le lit qui fut it son usage. A la vue de ces colonnes torses en bois,nbsp;de ces ais deux fois v�n�rables, le chr�tien �prouve ce que le touristenbsp;lui-m�me serait hcureux et fier d��prouver, s�il voyait la toge de Ci-ceron ou la chaise curule de C�sar.
Nos impressions furent d�aulant plus vives, qu�un �v�nement de la vie de saint Satyre redit it toutes les g�n�rations et la foi ardente desnbsp;premiers chr�tiens et I�amour indissoluble qui les unissait an Dieunbsp;R�dempteur. Satyre s��tait embarqu� pour I�Afrique, afin de recou-vrer qtielques biens qu�on retenait injustement b son fr�re. Le vais-seau fit malheureuseinent naufrage : Satyre n��tait encore que cat�-chum�ne. II prie les fid�les quiportaientrEucharistie avec eux,suivantnbsp;I�usage, de lui remettre une hostie consacr�e. II I�enveloppe dans sonnbsp;oratorium, esp�ce de mouchoir que les Remains portaienl � leur cou.nbsp;Muni de ce sacr� d�p�t, il se jette a la mer, sans attendee de planchenbsp;pour se soutenir ; il nage et arrive a terre le premier. Pour t�moignernbsp;it Dieu sa reconnaissance, il se fait baptiser et meurt bient�l apr�s,nbsp;entre les bras d�Ambroise et de Marcelline.
Au sortir de la pieuse Basilique, nous visitames le Baptist�re � jamais c�l�bre, o� le grand Augustin devint l�enfant de cette �glise calholique dont il devait �tre la plus brillante lumi�re. C��tait le buitnbsp;des Calendes de mai, 23 avril de l�an 387, la veille de P�ques fi); dansnbsp;cette nuit solennelle le Baptist�re, resplendissant de lurai�res, �tailnbsp;rempli de cat�chum�nes aux longs v�tements blancs. Un peuple immense assi�geait les portiques; les hymnes sacr�s s��levaient vers lenbsp;ciel avec la fum�e de 1�encens. Rev�tu de ses habits pontificaux. Ara-
(f) Possidius, Vit. August, n. 42; Ambros. epist. ai JEmilium.
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broise arrive conduisant par la main Ie fds de Monique, Ie professeur d��loquence de la grande Rome, Augustin, sa noble conqu�te : il Ienbsp;plonge dans la fontaine sacr�e. Suivant la tradition de l��glise de Milan, c�est apr�s la troisi�me immersion qu�Ambroise, dans Tenthou-siasme de l�amour et de la joie, entonne Thymne sublime Te Deum,nbsp;qu�Augustin continue avec lui en improvisant alternativement chacunnbsp;des versets. Y a-l-il de la t�m�rit� it d�fier l�artiste chr�tien, Ie voya-geur quel qu�il soit, de rester sans �motion en visitant ce Baptist�renbsp;immorlel el de ne pas murmurer I�liymne d�aclions de graces?
Cependant l�heure avanc�e nous appelait a la calh�drale : nous vou-lions assister a la grand�messe c�l�br�e suivant Ie rit Ambrosien. 11 serail hors de propos d�expliquer ici la raison des nombreuses transpositions dans l�ordre des c�r�monies. Je me contenterai de les signaler, en ajoutant qu�on y voit briller les usages v�n�rables de notre an-liquit� chr�lienne. La messe commence par Vlnlroibo snivi dunbsp;Confitemini Domino quoniam bonus; Ie Kyrie ne se dit qu�apr�s Ienbsp;Gloria in excelsis. L��vangile se lit sur une esp�ce de pupitre ounbsp;d�ambon fort �lev�, afin qu�il puisse �tre entendu de tout Ie peuple;nbsp;la lecture est suivie du Kyrie, eleison. Le c�l�branl ne se lave lesnbsp;mains qu�imm�diateraent avant la cons�cration; en recevanl la communion chaque fid�le r�pond Amen; la messe finit par un troisi�menbsp;Kyrie, eleison.
Mais de toutes les c�r�monies, celle qui rappelle le plus distincle-ment les usages de la primitive �glise, c�est l�oflrande du pain et du vin. Au moment de l�Offertoire le C�l�brant descend a l�entr�e dunbsp;chueur, o� Ie pain et le vin lui sont pr�sent�s par V�cole de Saint-Ambroise. On donne ce nom � dix vieillards et � dix femmes �g�esnbsp;enlretenus aux frais de l��glise. Deux de ces vieillards, rev�lus d�habitsnbsp;parliculiers, pr�sentent le pain et le vin. Le premier vieillard pr�sentenbsp;trois hosties, et l�autre une burette d�argent pleine de vin. Deuxnbsp;femmes viennent � leur tour pr�senter le pain el le vin : tous, hommesnbsp;et femmes, sont suivis du reste de l��cole qui va successivement fairenbsp;l�oblation des syraboles eucharistiques. Et eet usage vous reporte anbsp;dix-huit si�cles, aux Basiliques de Constantinople et aux catacombesnbsp;de Rome; et le sacrifice vous apparait ce qu�il est dans sa r�alit�,nbsp;l�oeuvre commune de tous les membres de 1 �glise, du clerg� aussinbsp;bien que du peuple : meum ac vestrum sacrificium.
En attendant le d�part des wagons qui devaient nous conduire a Monza, nous sortimes des barri�res pour visiter le lazaret, devenu sinbsp;fameux par la peste de Milan. Cel �difice du xv� si�cle a 1200 pieds
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sur �-liaque face, enlour� d�un porlique ouvert et spacieux donl les arcades s�appuient sur des colonnes en granit d�une seule piece. Chaque pestif�r� avail sa chambre. Au milieu de la vaste pelouse, renferm�enbsp;dans les porliques, s��l�ve une chapelle o� l�on disait la messe pour lesnbsp;raalades. II semble voir a l�autel saint Charles Borrom�e offrant l�au-
I
guste Viclime pour les quaranle mille peslif�r�s qui encombraient, pendant l��pid�mie, ce s�jour de la douleur et de la mort.
Deux voix, qui retenlissaient a la m�me �poque, semblent encore frappcr volre oreille. La premi�re est cclle du saint Arcbev�qiie di-sant aux pr�trcs milanais, dont son exemple animail Ic courage : � Lesnbsp;plus tendres soins dont Ie meillenr des pcres doit entourer ses enfantsnbsp;dans ces temps de desolation, l��v�que doit les prodiguer � ses ouaillesnbsp;par son z�le et par son minist�re, aGn que lous les autres bommes,nbsp;enflamm�s par son exemple, cmbrassent loutes les couvres de la cba-rit� cbr�lienne. Quant aux cur�s et a tous ceux qui ont charge d��tmes,nbsp;loin d�eux la pens�e de priver du plus petit service leur troupeau,nbsp;dans un temps o� ils lui sont n�cessaires; mais qu�ils prennent la determination Gxe de tout braver de bon coeur, m�me la mort, plut�t quenbsp;d�abandonner, dans eet extr�me besoin de toutes series de secours, lesnbsp;Gd�les conG�s � leurs soins par Ie Sauveur qui les a rachet�s de sonnbsp;sang (i).�
De l�autre c6t� des Alpes, entendez la voix des ministres protestants qui, interrog�s par Ie conseil de Gen�ve, ne craignent pas de r�-pondre : � A la v�rit�, il serail de noire devoir d�aller consoler lesnbsp;pestif�r�s, mais aucun d�enlre nous n�a assez de courage pour Ie faire.nbsp;Nous prions Ie conseil de nous pardonncr notrc faiblesse, Dieu ne nousnbsp;ayant pas accord� la grftce de vaincre et d�affronter Ie p�ril avec l�in-tr�pidit� n�cessaire, a la r�serve de Matlhicu Geneston, lequel offrenbsp;d�y aller, si Ie sort tombe sur lui. � En se reiirant, ils disaient entrenbsp;eux : � Nous irions plut�t au diable (2). � Au lieu d�encourager sesnbsp;digiles pr�tres, rarchev�que de Gen�ve, Calvin, se fit d�fendre d�allernbsp;visiter Th�pital pestilenliel. Entre deux religions qui inspirent desnbsp;sentiments si diff�rents, il est facile de d�cider quelle est la bonne.
La cloche de Tembarcad�re vlnt nous lirer du lazaret : en moins d�une heure nous fumes h Monza. L�anlique Modoetia, silu�e � douzenbsp;milles de la capitale, nous appelait pour nous monlrer les riches tr�-sors de sa Basilique. La tradition redit ainsi l�origine de Monza :
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Condt. Wed. v, c. 4, p. n.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Exir. des regislrcs du conseit d'�lat de la republique de Gen�vc, 17�5 4nbsp;fragm. l�i- raai ISr�, p. 10.
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Th�odelinde fut inspir�e de balir une �glise; mais elle ne savait o� Ja placer. Un jour que, faligu�e de la chasse, elle se reposait sous lesnbsp;grands arbres de Monza, une colombe s�approche el lui dit : Modo,nbsp;� Tout de suite; � et la reine r�pond ; Eliam, � Oui. � Et sur-le-champ elle fit mettre la main a l�ceuvre, et Modoetia, nom latin denbsp;Monza, r�p�le de g�n�ration en generation les deux paroles cr�atrices.
C�est dans l��glise coll�giale de Saint-Jean-Baptiste que se conserve, enlre autres reliques insignes, la fameusc Couronne de Fer, dont ilnbsp;faut raconter 1�origine et 1�usage. L�an 325, sainte H�l�ne, visitant lanbsp;Palestine, trouva non-seulement la Croix du Sauveur, mais encore lesnbsp;qualre clous avec lesquels Ie Roi des rois fut attach� au tr�ne de sonnbsp;amour. La pieuse imp�ratrice voulut que ces insignes de la royaut�nbsp;divine servissent d�ornement et de d�fense ii l�empereur, son fils, elnbsp;aux C�sars, ses successeurs. Un des clous fut plac� dans Ie diad�me denbsp;Constantin; un aulre dans Ie frein de son cheval de bataille. Cesnbsp;clous furent religieusement gard�s k Constantinople, o� ils �taient encore au milieu du vi� si�cle. En 530, on voit Ie Pape Vigile jurer, surnbsp;ces monuments v�n�rables, en pr�sence de l�empereur Justinien, denbsp;condamner les �crils de Th�odore de Mopsueste. Trenle-six ans plusnbsp;lard, ils quittaient l�Orient avec saint Gr�goire, pour venir augmenternbsp;1�immense tr�sor de reliques et de monuments sacr�s que Rome for-mait avec tant de pers�v�rance, qu�elle conserve avec lant de soin, etnbsp;qu�elle montre avec un orgueil si l�gitime � ses amis comme � sesnbsp;ennemis.
Pendant que saint Gr�goire s�asseyait sur la chaire de Pierre, o� ses vertus et ses talents l�avaient �lev�, non loin de Rome une jeunenbsp;reine montait sur Ie tr�ne redout� des Lombards ; c��tait Th�odelinde.nbsp;Fille du roi de Bavi�re, �pouse d�Agilulfe, elle fut en Itali�, pour sonnbsp;mari et pour son peuple, ce que Clolilde fut dans les Gaules pournbsp;Clovis et ses Francs, Adelberge en Angleterre et Ingonde en Espagne :nbsp;c�est-ii-dire, Tap�lre de sa nation qu�elle eut Ie bonheur de ramcnernbsp;de l�arianisme � la vraie foi. En t�moignage de sa paternelle satisfaction, saint Gr�goire fit pr�sent a la pieuse reine du clou renferm� dansnbsp;Ie diad�me de Constantin. Th�odelinde Ie plaga, avec un morceaunbsp;consid�rable de la vraie Croix, envoy� par Ie m�me Pontife, dansnbsp;I��glise de Monza.
A cette �poque, Monza n��lait qu�un simple chateau o� les rois lombards, dont Pavie �lait la capilale, venaient passer la belle saison. De-puis qu�il fut enrichi de lant de tr�sors divins, ils Ie regard�rcnl comme Ie palladium de leur empire. Ce que Ie tabernacle de l�Arche
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d'alliance �lait pour les Isra�lites, Monza Ie devinl pour les Lombards. De la Ie nom de Palladium et A'Oraculum qu�il porte dans leursnbsp;Charles. En mourant, Th�odelinde donna toutes les richesses donl jenbsp;viens de parler, et d�autres encore, a la Basilique de Monza, balie parnbsp;ses soins. L�acle ou la copie de l�acle de donalion se trouve sur lanbsp;couverlure d�or d�un manuscril conserv� a Monza, et que Mabillon anbsp;publi� dans son Iter italicum : de chaque c�t� on lil l�inscriptionnbsp;suivante :
EX. DONIS. DEI. DEDIT.
TREODELENDA. REG.
IN. BASELECA. QVAM. FVN-DAVIT. IN MODOECIA.
JVXTA. PALATIVM. SVVM.
Afin de perp�tuer l��loquent usage auquel Tirap�ratrice sainle H�l�ne destina Ie clou qui avail perc� Ie Roi des rois, Agilulfe etnbsp;Th�odelinde Ie firent placer dans la couronne des rois lombards, etnbsp;les premiers, ils voulurent porter sur leur front ce diad�me sacr�. Anbsp;partir de cette �poque, on voit leurs successeurs et ensuite les empe-reurs d�Allemagne venir prendre ii Monza la Couronne de Fer, et re-cevoir, en la prenant, Ie litre de rois dTtalie. Le premier empereurnbsp;dont la t�te fut orn�e de ce diad�me auguste, c�est Charlemagne, etnbsp;ravant-dernier. Napol�on (i). La c�r�monie du couronnement se faitnbsp;toujours par l�archev�que de Milan. Les anciennes annales disent qu�ilnbsp;tient ce privil�ge du Pape saint Gr�goire lui-m�me.
Deux obstacles retard�rent, pendant quelque temps, la visite du Tr�sor. A notre arriv�e, on faisait le Cal�cliisme de Pers�v�rance;nbsp;l��glise �lait pleine de monde. L�ofiice termin�, il fallut avoir les clefsnbsp;de la sainte chapelle, qui, d�pos�es entre pliisieurs mains, furent dif-ficilementr�unies. Ce retard nous permit de visiter l��glise dans toutesnbsp;ses parties. La fagade est orn�e de deux statues de saint Jean-Baptistenbsp;et de deux m�daillons en marbre repr�sentant Th�odelinde et Agilulfe-Tout 1�int�rieur est peint h. fresque. La chapelle, ^ gauche du maitrenbsp;autel, poss�de un tableau du xv� si�cle (lAM), qui repr�sente des cof-fres pr�cieux ouverts en pr�sence de la reine Th�odelinde et de sonnbsp;fils, le roi Adwald, de l�archev�que de Milan, et d�un grand nomhrenbsp;de pr�lats et de seigneurs de la Cour. Quelques-uns des personnages
(0 Carolum Magnum, viclo Desiclerio rcge, Modoetia; per archiepiscopum Mediola-nensem Corona Ferrea redimi voluisse, alque, ut ita apud posteros obseryaretur, instituissc. � Sigon. De regno Dal. lib. iv.
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portent dans leurs mains des vaisseaux sacr�s et la Croix; a leur t�te marche saint Gr�goire Ie Grand tenant une couronne royale serablablenbsp;� la Couronne de Fer. Ce tableau traduit et compl�te un monumentnbsp;pr�cieux que nous avions vu i la m�tropole de Milan. Je veux parlernbsp;de la mosa�que du ix' si�cle, plac�e sur Ie c�t� gauche de la grandenbsp;abside, et qui repr�sente l�archev�que donnant la Couronne de Fernbsp;aux rols lombards. Ces deux peintures constatent d�une inani�re au-thentique et l�origine et l�histoire et l�usage de la Couronne de Fer.
Enfin les clefs arriv�rent. Au Tr�sor de la sacristie nous vimes Ie manuscrit dont j�ai parl�, la magnifique coupe en onyx, don de saintnbsp;Gr�goire, et la plus grande qu�on connaisse; Ie superbe peigne ennbsp;ivoire de Th�odelinde, enchftss� dans un ornement en filigrane d�ornbsp;enrichi d��meraudes; enfin, Ie bassin de bronze dor�, nontenant unenbsp;poule entour�e de sept poussins en vermeil, embl�me de la bienfai-sante princesse, occup�e du bonheur des sept provinces qui compo-saient son royaume. Deux aulres objets encore plus v�n�rables attir�-rent notre attention. Le premier est la Lettre autographe de saintnbsp;Gr�goire le Grand � Th�odelinde, dans laquelle le Souverain Pontifenbsp;d�taille a la princesse les reliques qu�il lui envoie par Jean son l�gat.nbsp;Cette lettre est sur papyrus et a deux colonnes s�par�es par une guirlande de petites fleurs. L� second est la Croix del Regno, qu�on sus-pendait au cou des rois lombards lorsqu�on c�l�brait leur couronne-ment. C�est une croix grecque en or, dont les branches longues denbsp;deux pouces sont enrichies de pierres pr�cieuses et r�unies par unnbsp;magnifique saphir.
De la sacristie on nous conduisit a l��glise. C�est dans la chapelle, a droite du maitre autel, qu�on garde la Couronne de Fer avec plu-sieurs reliques insignes : le pr�cieux tr�sor est renferm� dans une superbe armoire plac�e au-dessus de l�autel. La Couronne de Fer senbsp;compose de deux parties ; l�une int�rieure et l�autre ext�rieure. Lanbsp;premi�re est le clou m�me de Ia Passion. Ce clou est aplali et formenbsp;une lame circulaire d�environ six lignes de largeur et d�une longueurnbsp;suffisante pour entourer une t�te d�homme; la seconde est le diad�menbsp;proprement dit. Le clou est ench�ss� dans une couronne d�or enri-chie d��maux et de vingt-deux pierres fines de diff�rentes couleurs; sanbsp;hauteur est d�environ vingt lignes; elle forme un simple eerde onnbsp;bandeau sans bandelettes pour l�attacher, sans rayons ni cimier a lanbsp;partie sup�rieure : trois signes de haute antiquit�. En y regardant denbsp;pr�s, on est frapp� du poli et de la puret� du fer int�rieur, exemptnbsp;de la moindre tache de rouille, bien que la Couronne ait �t� souvent
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et quelquefois longtemps cach�e dans des lieux huniides, pour la sous-iraire aux ravages et aux profanations, suites in�vitables des guerres nombreuses qui ont d�sol� l�Italie.
En regardant une derni�re fois cette pr�cieuse relique plac�e entre un morceau considerable de la vraie Croix, une partie du roseau, denbsp;l��ponge, de la colonne et du saint s�pulcre, on se demande pourquoinbsp;les rois et les empereurs ont voulu a lout prix orner leur front de cettenbsp;antique Couronne dont la magnificence est loin d��galer celle desnbsp;modernes diad�mes? L�homme raisonnable est forc� de r�pondre :nbsp;Que tous les si�cles ont rcconnu dans la Couronne de Monza quelquenbsp;chose de sacr� et de divin; que les chefs des nations chr�tiennes ontnbsp;regard� corame un honneur insigne de porter sur leur t�le, m�me unnbsp;instant, Ie diad�me sanctifi� par Ie sang du Roi des rois; que la Religion a voulu, en leur accordant ce glorieux privil�ge, leur rappeler etnbsp;l�origine du pouvoir et l�usage qu�ils en doivent faire et Ie complenbsp;qu�ils en rendront. De son c�t�, dans la conduite humainement inexplicable de tous ces monarques qui prennent pour leur couronne unnbsp;instrument de supplice, Ie chr�tien ne peut s�emp�cher d�admirer unenbsp;preuve de plus de la divinil� de celui qui a chang� les id��s, lesnbsp;moeurs, les lois et les pr�jug�s de l�univers (i).
Comme nous sortions de l��glise, nous trouvames sur la place un groupeconsid�rable debourgeois et d�hommes du peuple qui causaientnbsp;ensemble. Dans la foule �tait un vieillard encore vert qui vint droil, �nbsp;nous et nous dit en bon frangais : � Salut ii mes compatriotes. � Vousnbsp;�tes done Francais?� Oui.� Que faites-vous dans ce pays?�Jenbsp;vis doucemenl de mes petites rentes. � Depuis quand avez-vous quitt�nbsp;la France? � J�habite Monza depuis quarante ans. Je faisais partie denbsp;l'arm�e d�Italie; j��tais ii Marengo; je fus bless�; je suis resl� dans Ienbsp;pays et j�y suis �tabli; mais parlez-moi de la France! � En disant cesnbsp;mots, il nous tendit affectueusement la main; son visage s��panouis-sait, se colorait � chacune de nos paroles; enfin deux grosses larraesnbsp;lui tomb�rent des joues et il nous dit en nous serranl de nouveau lanbsp;main : � Vous Ie voyez, je suis devenu Italien sans cesser d��trenbsp;Francais!
� \ tous les coeurs bien n�s, que la palrie est chore! �
(0 Voir, sur la Couronne de Fer, la savante dissertation de Fontanini, pr�lat domes-tique de Cl�ment XI. Rome, 1717. Cet ouvrage, conlre lequel viennent se briser les raisonnements de M. Robulziano Gironi, commence par ces mots:� Quid adhuc quajrisnbsp;� examen, quod jam factum est apnd Apostolicam Sedem, � et finit par ccux-ci :nbsp;� Desinat incesscre novitas velustalem. �
-ocr page 333-RIZI�RES. nbsp;nbsp;nbsp;320
Nous visit�mes ensuite Ie petit S�minaire. A la difference des autres dioc�ses d�Italie, Milan r�unit dans des maisons s�par�es les th�olo-giens et les philosophes. Comme edifice T�tablissement de Monza estnbsp;tr�s-beau et passe pour tr�s-remarquable sous Ie rapport des �tudes.nbsp;Par un sysl�me qui ressemble un peu a celui de Mettray ou de Petil-Bourg, les dortoirs servent en m�me temps de salles d��tude. Nousnbsp;�nissions de les parcourir, lorsqu�on vint annoncer Ie d�part du con-voi de cinq heures : 11 fallut descendre en toute hdte a l�embarcad�re.nbsp;Je Ie dis a regret: lorsque les cheinins de fer seront ctablis, Ie clas-sique voiturin n��xistera plus; on ira de G�nes Ji Venise en une jour-n�e; les mille beaut�s de la nature et des arts passeront devant lesnbsp;yeux comme des ombres cbinoises; on voyagora, non pour voir, maisnbsp;pour arriver : c�en sera fait du voyage d�Italie.
18 AVRIL.
Rizi�res. � Pavie. � Pont. � Corps de saint Augustin. � �niversit�. � Coll�ge Dorromce. � Champ de bataille. � Chartreuse.
A cinq heures du matin nous partimes pour Pavie. Une plaine monotone, d�environ six lieues de longueur, s�pare Milan de l�ancienne capitale des Lombards. On la parcourt sur une superbe route quinbsp;c�toie conslamment Ie Naviglio, grand canal de communication enlrenbsp;Ie Milanais et l�Adriatique. Au milieu des arbres et des champs cul-tiv�s se dessinent de norabreuses rizi�res : c��tait Ie moment des se-mailles. Des hommes portant en sautolr un sac de riz, la t�te couvertenbsp;d�un large chapeau de paille et les jambes nues, jetaient la semencenbsp;dans un terrain profond�ment humect� et m�me couverte de quelquesnbsp;pouces d�eau. �tait-ce pour ob�ir a la prescription du Chantre desnbsp;G�orgiques : Nudus ara, sere nudus? Je 1�ignore; ce qui parait infail-lible, c�est qu�une pareille op�ration doit amener Ie r�sultat indiqu�nbsp;par la fin posthume du vers virgilien : Ilahehis frigora, febres. Quoinbsp;qu�il en soit, la culture du riz est une des principales richesses de Ianbsp;Lombardie et du Pi�mont. L�Europe en est, 'dit-on, redevable ii unnbsp;Hollandais revenu des Grandes-Indes. L�ltalie en profile largement,nbsp;grice a son intelligent syst�me d�irrigation.
Cette culture est, d�ailleurs, la plus simple de toutes; Ia terre, apr�s la moisson, est priv�e d�eau jusqu�au printemps. On y s�me alors Ienbsp;riz sur un seul labour et sans autres pr�paralions. Lorsque la plantenbsp;a quelques pouces d��l�vation, on baisse les �cluses pour inonder Ie
-ocr page 334-330 nbsp;nbsp;nbsp;LES TUOIS KOME.
sol. Le riz-croit comme une plante marine dans une terre constamment submerg�e. On ne rel�ve les �cluses que vers l��poque de la maturit�,nbsp;afin de. donner au sol le. temps de se dess�cher, et aux moissonneursnbsp;la possibilil� de couper la r�colte. Elle se lie en petites gerbes qu�onnbsp;laisse quelque temps enlass�es avant de les batlre. On cullive cetienbsp;plante trois ann�es de suite dans le m�me terrain; on n�y met pointnbsp;d�engrais pendant tout ce temps, � cause des eaux qui en neutralise-raient l�effet; et puis on laisse la terre deux ans inculte ou en pr�s naturels. Pendant cinq ans on ne fume la terre qu�une fois. Le produitnbsp;d�une mesure de riz est estim� le double de celle d�un bl� d��galenbsp;beaut� (i). Toutefois h c�t� des avantages sont les inconv�nients : lesnbsp;eaux stagnantes des rizi�res causent souvent des fi�vres et d�autresnbsp;maladies.
Le principal motif de notre p�lerinage amp; Pavie �tait d�offrir les saints rayst�res sur le corps de saint Augustin. Nous avions pri� au Baptis-t�re de Milan qui fut son berceau, il �tait juste de nous prosterner surnbsp;sa tombe. Mais avant de nous rendre a l��glise, le temps nous permitnbsp;de Jeter un coup d�oeil sur la ville. B�tie sur les bords du Tessin, aunbsp;milieu d�uue campagne si fertile et si gracieuse qu�elle partage avec lanbsp;marche d�Anc�ne le glorieux surnom de Jardin de l�Italie, Pavie, lenbsp;Ticinum des Remains, doit son origine aux Gaulois dont elle fut unenbsp;des principales forteresses. Le d�mon y r�gnait en maitre absolu, aussinbsp;bien que dans le reste du monde, lorsque les p�cheurs de Galil�e vincent �branler ses autels. La grande ombre des saints Juvenlius et Sy-rus semble encore planer sur cette ville, conquise amp; la foi par leursnbsp;p�nibles luttes. Envoy�s par saint Herraagore, disciple de saint Marc,nbsp;ils plant�rent l��tendard victorieux de la croix non-seulement ^ Pavie,nbsp;mais dans les cit�s voisines (2). Pour prendre racine et d�velopper sesnbsp;rameaux protecteurs, l�arbre de la vraie libert� demandait du sang : ilnbsp;en fut arros�. En t�te des martyrs de Pavie marchent les saints �v�-ques Dalmase et F�lix; leur courage, devenu le palrimoine de leursnbsp;successeurs, continua de briller dans les luttes acharn�es quoique nonnbsp;sanglantes de Terreur centre la v�rit�. Quatorze �v�ques, form�s surnbsp;leur mod�le et plac�s comme eux sur les autels du monde chr�tien,nbsp;sont les chefs de la glorieuse arm�e dont Tintelligenle valeur sul con-server a Pavie le tr�sor de la foi.
(1) Voyez, Lettres sur l�Itali�, par M. de Chflteauvieux, p. 580. t*) Bar. Annot. ad Martyr. scpl.
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Les arts et les sciences brill�rent aussi d�un vif �clat dans la capitale des Lombards. Le roi Luitprand, guerrier, l�gislateur, auxiliaire denbsp;Charles-Martel dans la d�fense de la civilisation europ�enne contre lesnbsp;Sarrasins; Bo�ce, minislre de Th�odoric, savant, orateur, philosophe,nbsp;po�te, martyr du bien public, ont laiss� des noms immortels; mais lanbsp;tour o� Bo�ce fut enferm�, et dans laquelle il composa son livre de lanbsp;Consolation, n�existe plus. Fond�e par les Souverains Pontifesnbsp;en 1360, FUniversit� de Pavie continue glorieusement la chaine de lanbsp;tradition scientifique. Entre les illustres �l�ves qu�elle vit � ses cours,nbsp;le voyageur chr�tien n�a garde d�oublier saint Francois de Sales.
L�aspect de Pavie n�a rien de remarquable; les rues sont g�n�rale-ment �troites et malpropres; les �difices publics, quclques-uns ex-cept�s, d�une m�diocre �l�gance : la Strada Nuova m�rite seule d��tre parcourue. Cette rue large, bord�e de magasins, traverse toute lanbsp;ville et ab�utit au superbe pont du Tessin. Ce monument du xiv� si�clenbsp;atteste la puissance de l�art et Ia grandeur des �difices publics, � unenbsp;�poque longtemps accus�e de barbarie. II a trois cents pieds de longueur sur douze de largeur. Cent colonnes de granit soutiennentnbsp;F�l�gante toiture dont il est couvert, ainsi que la pieuse chapelle b^tienbsp;vers le milieu.
Parmi les �glises, Saint-Michel offre de curieux resles de sculpture romane. Grace ii plusieurs restaurations maladroites, la cath�drale nenbsp;conserva qu�imparfaitement son caract�re gothique; mais elle a plusieurs bons tableaux de Sacchi, de Zingaro et d�Antoine Rossi. Lenbsp;Saint Syrus de ce dernier est une oeuvre capitale; mais la v�ritablenbsp;richesse de ce temple, le noble objet de la pieuse curiosit� du voyageur, c�est le tombeau de saint Augustin.
L�illustre �v�que d�Hippone repose dans le maitre autel. L�art tout i la fois si patient et si po�tique du xiv� si�cle s�est, en quelque sorte,nbsp;surpass� pour orner la tombe de l�immortel Docteur. La descriptionnbsp;de cette �pop�e en marbre nous entrainerait trop loin; je me conten-terai de dire que quatre cent quatre-vingts figures d�un travail exquis,nbsp;d�corent les parois du mausol�e.
' Ce que peut �prouver un pr�tre catholique offrant l�adorable Vic-time sur le corps de saint Augustin, les pens�es qui lui viennent au souvenir du Ills de Monique, les sentiments que lui inspirent Ie voisi-nage, le. contact du gigantesque athl�te de la foi, du g�nie le plusnbsp;vaste et en m�me temps du coeur peut-�tre le plus aimant qui ait ho-nor� 1��glise et l�humanit�, sont des choses qu�on ne peut redire,nbsp;m�me lorsqu�on a eu le bonheur de les �prouver.
-ocr page 336-33:2 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS rome.
Ma�s comment ce pr�cieux d�pot se troiive-t-il a Pavie? Dcpuis onze cents ans l�histoire n�a jamais vari� dans sa r�ponse. A la fin du v� si�cle, Trasamond, roi des Yandales, pers�cuta violemment l��glise d�A-frique. Tons les �v�ques dont Ie glaive ne termiiia pas la glorieusenbsp;carri�re, fureiit rel�gu�s en Sardaigne. En parlant pour l�exil, les g�-n�reux confesseurs emport�rent avec eux les ossements des martyrs elnbsp;en particulier Ie corps sacr� d�Augustin, leur p�re et leur mod�le :nbsp;c��tait l�an 403, sous Ie pape Symmaque. Trois cents ans plus tard,nbsp;vers Pan 774, la crainte des Sarrassins fit transporter Ie pr�cieux d�-p�t Ji Pavie, o� loutes les g�n�rations chr�tiennes n�ont pas cess� unnbsp;instant de venir lui rendre leurs hommages (i). Or, savez-vous ennbsp;quels termes un francais, dont l�ouvrage est entre les mains de la plupart des p�lerins d�Italie, parle de ce fait incontestable et incontest�?nbsp;Pr�tez l�oreille ; � Parmi cette foule de d�bris mensongers qui abon-dent en Itali�, Pavie en montre peut-�tre deux des plus brillants etnbsp;des mieux imagines. Le premier est Ie pr�tendu et grandiose tombeaunbsp;de saint Augustin {a). � Un fait public, trait� de fable; les auteursnbsp;contemporains accuses de fourberie ou d�ignorance; onze si�cles, denbsp;superstition; les papes, de jonglerie; voila une partie du venin ren-ferm� dans ces phrases que rendront a jamais inexcusables et la fid�-lit� del�historien et la probit� de Phonn�te homme; jusqu�ici pourtantnbsp;on a voyag� en Itali� avec de pareils guides!
Apr�s un frugal repas, nous visitames l�Universit�. Ce vaste �difice, situ� dans la Strada Nuova, offre i l�admiration de l��tranger sa richenbsp;fagade et ses trois cours environn�es d�un p�ristyle a doubles colonnes.nbsp;Dans l�int�rieur on trouve une biblioth�que d�environ cinquante millenbsp;volumes, un beau cabinet de physique et d�histoire naturelle et des
(!) Vid. S. Fulgent, ep. Rusp.; Oldrad. cp. Mediol. Epist. ad Car. Magn.; Francis. Fara. de Rebus Sardois, etc., etc.; Bar. An. t. ix, an. T2�; Paul. diacon. de Gestis Lon-gobard, lib. vi, c. U; Sigonius, de Reg. Italice; Ado Viennens. In chronic, an. 717. Deuxnbsp;t�moins illustres, contemporains de la seconde translation, s�cxpriment ainsi; � Luit-� prandus audiens quod Sarraceni, depopulala Sardinia, eliam loca fcedarent illa ubinbsp;� ossa sancti Augustini episcopi propter vastationem Barbarorum olim translata etnbsp;� honorilice fuerunt condita, misit, et dato magno pretio accepit, et iranstulit ca innbsp;� Ticinum, ibique cum debito tanto Patri honore recondidit. � Beda, lib. de Sex. eetat.nbsp;in fine. � Le fait que le V. B�de raconte cn pcu de mots, Oldrade, archev�que dc Milan,nbsp;le d�crit en detail dans sa lettre a Charlemagne. Cette piece capitale, que je regrctienbsp;de ne pouvoir rapporler, se trouve tout enticre dans Baronius, Ann. t. ix, an. 7d3,nbsp;n. 2 et suiv.; on y voil el la reception magnifique faite par Luitprand el par son peuplcnbsp;au corps de saint Auguslin, et les miracles par lesquels le saint r�compensa la pi�tenbsp;publique, enfin la deposition de ses restes sacr�s dans 1�cglise de Saint-Pierre in cielonbsp;d'oro.
(s) Cet auteur est M. Valeri, dans ses Voyages prclendus historiques cn Itali�.
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salles superbes destin�cs a renseignement. Les �tudes, dont Ie programme est aussi vari� qu�en France, s�y font avec un succ�s �gal, sinon sup�rieur, grace a la libert� de l�enseignement. On n�y s�me pasnbsp;du grec et du latin pour r�colter des bacheliers, ma�s on y r�pandnbsp;Finstruction pour obtenir de la science.
Le Coll�ge Borrom�e, voisin de l�Universit�, est une des magnlfi-ques cr�ations de saint Charles. L�illustre Archev�que voulut que Ia jeune noblesse du Milanais puis�t � des sources pures la science quinbsp;fait les citoyens utiles, tandis qu��lev�e sous la m�me discipline, dansnbsp;la m�me province et dans le m�me �tablissement, elle se formerait anbsp;des moeurs chr�tiennes et conserverait avec fid�lit�_ l�esprit national,nbsp;pr�cieux h�ritage des families, et garantie d�honneur et de prosp�rit�nbsp;pour les �tats. Avec l�intelligence et le z�le des grandes choses quinbsp;caract�risent les saints, le g�n�reux Cardinal s�empressa de mettre lanbsp;main a l�ex�cution de son projet; l��nergie de sa volont� et Ia bont�nbsp;de son coeur le conduisirent a tenue dans le court espace de quelquesnbsp;ann�es. Pavie fut dot� d�un monument, dont l�imposante facade, l��-l�gante architecture, les vastes portiques, les fresques brillantes et lanbsp;splendide chapelle, sont l�orgueil de la cit� et la gloire immortelle dunbsp;fondateur. Fid�le a l�esprit du saint Cardinal, la familie Borrom�enbsp;continue encore aujourd�hui d�entretenir � ses frais et le Coll�ge et lesnbsp;trente �l�ves qui le composent.
Les Saints, bienfaiteurs du monde, tel fut le sujet de la conversation pendant le trajet que nous fimes a pied jusqu�a la Chartreuse, distantenbsp;de Pavie d�environ six milles. A moiti� chemin, sur la gauche, onnbsp;montre l�endroit pr�sum� o� Francois F' perdit Ia c�l�bre bataille.nbsp;Le champ fameux porte encore le noin de Ripentita; c�est dans Ienbsp;pare de la Chartreuse que le monarque francais rendit sa noble �p�enbsp;et devint prisonnier. La tradition du couvent porie que la premi�renbsp;chose qui frappa ses regards fut Finscription suivante : Bonum mihinbsp;quia humiliasti me, ut discam justificationes tuas : � C�est un biennbsp;pour moi. Seigneur, que vous m�avez humili�, afin que j�apprenne �nbsp;connaitre vos adorables jugements. � A la vue de ce texte divin, Ienbsp;prince se mit h genoux, le r�p�ta avec d�volion et �crivit ii sa m�re :nbsp;Tout est perdu. Madame, fors l�honneur. A vingt minutes de la route,nbsp;au milieu d�une plaine couverte d�arbres fruitiers, se dessine la Chartreuse. Que dire de cette merveille? Sinon qu�elle est la digne seeurnbsp;de la Chartreuse de Naples. Sur l��l�gante facade, orn�e de peinturesnbsp;exquises, de bas-reliefs, de m�daillons et de colonnes en marbre denbsp;Carrare, brille au loin Finscription suivante, �crite en grandes lettres
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d�or : Virgini Marice, Filiw, Matri et Sponsw Dei: � A la Vierge Marie, fille, m�re et �pouse de Dieu. )gt; Mis�ricorde pour Gal�as Visconti, dont Ie repentir a �lev� ce magnifique sanctuaire.
L��glise, m�lange d�architecture gothique et grecque, forme une croix latine, dont la longueur est d�environ deu.x cent trente-cinqnbsp;pieds, et la plus grande largeur de cent soixante-cinq. Elle a troisnbsp;nefs, quatorze chapelles, sept de chaque c�t�, sans compter les deuxnbsp;du transept et Ie maitre autel. Tous les murs ext�rieurs sont orn�s denbsp;sculptures et de colonnes en marbre blanc, aussi bien que Ie d�me, dontnbsp;la forme est de la plus grande �l�gance. L�int�rieur du temple r�pondnbsp;5 l�ext�rieur. Du pav� jusqu�^ la voute, tout est or, marbre et pein-ture. Cbaque autel, surmont� d�un tableau, olfre amp; l�ceil �bloui l�as-semblage des marbres les plusrares incrust�s ordinairement de pierresnbsp;flnes. Lesprincipales fresques sont de C�sar et de Camille Procaccini, denbsp;Macrino d�Alba, d�Antoine Busca et de Daniel Crespi. La sainte Vierge,nbsp;avec Notre-Seigneur, Saint Pierre et Saint Paul, par Ie Guercbin, etnbsp;la Sainte Vierge entour�e d�Anges qui adorent l�Enfant J�sus, par Ienbsp;P�rugin, sont deux admirables chefs-d�oeuvre de grftce et d�expression.nbsp;L�habile ciseau d�Amedei et d�autres sculpleurs c�l�bres a peupl�nbsp;toutes les parties de P�dilice de statues dont la beaut� rivalise avecnbsp;celle des peintures. Que dire de la grille en fer du chceur, avec desnbsp;montanls en marbre, des ornements et des figures en bronze dor�,nbsp;sinon qu�elle est peut-�tre la plus belle qui existe? Dans Ie transeptnbsp;s��l�ve Ie raausol�e en marbre de Gal�as Visconti, fondateur de l��glise.nbsp;Ce monument est couvert de sculptures exquises repr�sentant les actions de Gal�as, dont Ie corps n�a jamais repos� dans ce superbe tom-beau, achev� cent soixante ans seulement apr�s sa mort.
Qui n�a pas vu Ie chceur et Ie maitre autel ne peut se former une id�� de leur magnificence. La �tincellent de toutes parts, les mosa�-ques les plus fines et les plus brillanles, l�albatre d�coup� comme unenbsp;dentelle, Ie bronze anira� par Ie ciseau de Brambilla, Ie lapis-lazulinbsp;formant partout de gracieux dessins et faisant briber, sur son fondnbsp;d�azur, une multitude de pierres pr�cieuses, semblables aux �toilesnbsp;qui scintillent h Ia voute du ciel. Le Lavabo des religieux, les deuxnbsp;sacristies sont autant de bijoux. Dans le premier, la grande vasque ennbsp;marbre, les figurines qui lancent de Peau, le puits en marbre, sem-blent Ie dernier effort de Part, tant on y trouve d��l�gance et de d�licatesse. Par leur grandeur et leur richesse, les deux sacristies r�pon-dent � ce qu�on a d�jii vu. La neuve est un mus�e de peinture; etnbsp;Pancienne poss�de un ouvrage unique au monde : c�est un coffre orn�
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de bas-reliefs en dents d�hippopotarae, et repr�sentant leute l�histoire de l�Ancien et du Nouveau Testament.
En sortant de l��glise, neus enlrAmes dans Ie Portique de la Fontaine. Ce lieu rappelle \'Atrium des anciens. Au centre jaillit une source limpide, et, sur les c�t�s, r�gne un portique �l�gant en terrenbsp;cuite, avec plafond peint en azur el or, et dont les sculptures rivali-sent avec les plus beaux ouvrages en raarbre. De l�, nous passAmesnbsp;dans un autre cloitre plus vaste, mais non moins riche. Le milieu,nbsp;couvert de gazon, est le cimeti�re des Chartreux, dont les cellules s��-l�vent sym�triquement au-dessus du toit avanc� qui couvre le portique. Telle est l�imparfaite esquisse de cette merveille de Tart. Lenbsp;repentir d�un prince l�avait commenc�e, l�ausl�re frugalit� des Chartreux l�avait achev�e; un prince jans�nisle, Joseph II, l�a spoli�e, etnbsp;le Directoire franqais l�a expos�e A une ruine compl�te en enlevant lesnbsp;plombs qui la couvraient. Amour et admiration, horreur et piti� : telsnbsp;sont les sentiments qu�inspirentl�hisloire et lavuede la Chartreuse (i).
19 AVRIL.
Un sermon. � Bibliolli�que. � Galerie. � �ibllolli�que ambroisienne. � Leonard de Vind. � Sainle-Marie-des-Gr5ces.� Fresque de la C�iie. � Are de Ia paix. � Cirque.
� nbsp;nbsp;nbsp;Grand Seminaire. � Palais archi�piscopal. � Premi�re maison d�orphelins.�nbsp;Grand h�pilal. � Fr�res de Saint Jfean-de-Dieu. � Salles d�asile. � Oratoire de Sain t-Charles. � Pieux institut de Sainle-Marie-de-la-Paix. � Coll�ge militaire. � Hospicesnbsp;Martinclli, �de Sainte-Marie-deWa-SieHa, � di Loreio, �delta Vergine Addolorata.
� nbsp;nbsp;nbsp;Pia cas(f d�industria.
En passant pr�s de l��glise de Saint-Fid�le, nous fumes attir�s par la voix d�un pr�dicateur qui, je ne sais A 1�occasion de quelle f�te,nbsp;pr�chait sur la Sainte-Vierge. L�auditoire �tait nomhreux et tr�s-
(i) Le moyen 5ge avec sa foi, ses faiblesses et son h�ro�que penitence, respire dans Facte de Ibndalion. � Le buit octobre de 1�an de Fincarnation mil trois cent qualre-vingt-seize, Jean Gal�as Visconti posa la premi�re pierre de F�dificc, et trois ans apr�snbsp;vingt-cinq chartreux vinrent s�y �lablir. Le due leur assigna pour dotation divers lioXixnbsp;aux environs, dont ils retir�rent un revenu consid�rable, lequel nc fit que s�accroilrenbsp;par Ia culture. Jean Gal�as, dans son testament l'ait a Jliligno, le 21 ao�t 1402, imposanbsp;aux religieux 1�obligation d�employer une somme fixe et aunuellc a finir cette con-s'.ruction, et ce jusqu�a son plein et entier ach�vemenl; apr�s quoi, la m�me sommenbsp;devait �tre distribu�e aux pauvres chaque ann�e, ce qui ne put avoir lieu qu�en Fan-n�e 1342, F�difice n�ayant �t� enti�rement lini qu�a cette �poque. Mais le reliquat deve-nant tous les ans plus consid�rable, il donna le moyen aux religieux, tout en salisl'ai-aant 4 Faum�ne prcscrite, de continuer a embcllir et a enrichir le superbe monument. �nbsp;Caval. Malespina di Sannazaro, Descriz. della Certosa dl Pavia.
-ocr page 340-�o6 nbsp;nbsp;nbsp;l�S TUOIS IU)ME.
recueilli. Suivant l�usage d�Italie, l�oraLeur allait et venait librement sur Ie Palco, distribuant aux fid�les les tr�sors de sa pi�t� et de sonnbsp;�loquence : il ne manquait ni de Tune ui de l�aulre. Sa parole vive etnbsp;figur�e, sou ton de voix onctueux, ses gestes pittoresques, Ie laissernbsp;aller de ses pensees et de ses sentiments, convenaient on ne peutnbsp;mieux au caract�re de l�assembl�e. En g�n�ral, j�ai remarqu� dans lesnbsp;predications italienncs beaucoup plus d�abandon et de naturel quenbsp;dans les n�tres. La m�thode sym�trique, la froide unite, toutes cesnbsp;choses de Tart humain, que nous devons, en partie, a notre �duca-tion classique, la chaire italienne est loin de les admettre au m�nienbsp;degr�. II en r�sulte que la pr�dication atteint mieux son but, c�est-a-dire qu�elle est ensemble plus populaire et plus ulile.
De Saint-Fid�le nous nous rendimes a la Bibliolh�que. Ici, comine dans la plupart des grandes villes d�Ualie, la Biblioth�que est un palais et un tr�sor. Deux beaux escaliers de marbre conduisent dans denbsp;vasles salles orn�es de boiseries d�licatement travaill�es. Environ centnbsp;soixante mille volumes et mille manuscrits sont rang�s dans de superbes armoires; puis vient Ie Cabinet des m�dailles et l�Observa-toire, un des plus remarquables de l�Europe. Ce dernier a �t� illustrcnbsp;par un des meilleurs astronomes des temps modernes, l�abb� Oriconi,nbsp;qui Ie dirigea pendant cinquante ans. Apr�s avoir refus� d��tre s�na-teur de l�Empire, rhumble et pieux eccl�siastique mourut en 1832-Dans Ie m�me batiment se trouve la galerie. Comme tout Ie monde,nbsp;nous y vimes avec bonheur Ie Mariage de la Sainte- Vierge, ouvragenbsp;plein de grdce de la jeunesse de Raphael, et YAgar renvoy�e pufnbsp;Abraham, du Guerchin ; ce tableau produit une vive impression;nbsp;Saint Pierre et Saint Paul, par Ie Guide; Saint Mare pr�chant dansnbsp;Alexandria, par Gentile Belini; la Madeleine aux pieds de Notre-Seigneur, Sainte Familie, parrAlbane; plusieurs autres compositions, de Gaudence Ferrari, de Bernardino Luini, du Bramantino,nbsp;sont autant de chefs-d�oeuvre de go�t, de na�vet�, d�expression et denbsp;perspective.
Si Ia galerie de Milan tient une place distingu�e parmi les galeries de l�Europe, la biblioth�que ambrosienne figure en premi�re lignenbsp;parmi les tr�sors litt�raires de l�Italie. Due en partie a la munificencenbsp;de saint Charles, elle compte environ soixante mille volumes et plu�nbsp;de dlx mille manuscrits. Nous vimes quelques Palimpsestes d�unnbsp;grand int�r�t. Je citerai entre autres celui des Plaidoyers de Cic�ronnbsp;pour Scaurus et Flaccus, sur lesquels on avait �crit les vers de S�du-lius notre po�te chr�tien du vi� si�cle. Celui des Lettres de Mare-
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Aur�le et de Fronton, retrouv�es sous une hisloire du Concile de Chalc�doine : cette double d�couverle est due au cardinal Mai, quinbsp;semble avoir re^u la mission de faire � l��gard des vieux manuscrits,nbsp;ce que Cuvier a fait b l��gard des fossiles. Les ouvrages de Jos�phe,nbsp;�crils sur papyrus, sont un des manuscrits les plus pr�cieux qu�onnbsp;connaisse : ce manuscrit date de douze si�cles au moins. Une salienbsp;magnifique contient plusieurs chefs-d�oeuvre de peinture; tels sont Ienbsp;Christ, du Guide et V�cole d�Ath�nes, de Raphael.
L�onard de Vinei ne doit pas �tre oubli�. Peintre, litt�rateur, m�ca-nicien, ing�nieur, architecte, l�ami de Francois 1� conduisant de front tous les arts, et dans tous il laissa les traces lumineuses du g�nie. Lenbsp;p�re des lettres eut pour ce grand bomme plus que de l�admiratlon;nbsp;il l�honora d�une constante amiti�. Ayant appris que L�onard denbsp;Vinei �tait mourant a Fontainebleau, le roi vint le voir et le soutintnbsp;sur son s�ant pendant qu�on lui faisait prendre un bouillon. �ant denbsp;bont� excita la surprise d�un courtisan : � Sachez, lui dit le roi, quenbsp;je puis faire des grands seigneurs tous les jours, mais Dieu seul peutnbsp;faire l�homme que je perds. �
La C�ne passe pour le chef-d�oeuvre de L�qnard de Vinei. Elle fut faite pour le r�fectoire des Dominicains de Notre-Dame-des-Gr4ces, etnbsp;on nous dit que la t�te seule de Notre-Seigneur avait occup� l�artistenbsp;pendant troisans. Cette fresque admirable est malheureusement perduenbsp;OU b peu pr�s. En 1796, les Francais, devenus maitres de Milan, pro-fan�rent l��glise des Dominicains et cbang�rent le r�fectoire en �curie.nbsp;L�humidit� et le salp�tre se communiquant aux murs, r�duisirentnbsp;bienl�t l�immortelle composition amp; l��tat d�plorable o� nous l�avonsnbsp;vue. II n�en resterait pas de vestige si un jeune olEcier, visitant lesnbsp;casernes, n�avait fait imm�diatement retirer les chevaux et pourvu,nbsp;autant qu�il �tait encore possible, it la conservation du chef-d�oeuvre.
Au sortir de Notre-Dame-des-Gr�ces nous saluames l�Arc de la Paix commenc� par Napol�on, et le Cirque achev� par ce m�me conqu�rant.nbsp;Ce Cirque moderne imite parfaitement les anciens, et sert comme euxnbsp;aux courses de chars et aux naumachies; il peut contenir trente millenbsp;spectateurs. On dirait que dans ce beau pays d�Italie les monumentsnbsp;sortent de dessous terre et ne coutent rien ii construire, tant Ie nom-bre en est consid�rable. Les ponts, les �glises, les palais, les statues,nbsp;les arcs de triomphe, les portiques, les fontaines, qu�on rencontre dansnbsp;les moindres villes, sont d�une perfection admirable et d�une solidit�nbsp;qui d�fie les si�cles. L�amour des arts est la gloire des Italiens, elle ennbsp;vaut bien une autre; celle-lii du moins ne fait pas de malheureux.
-ocr page 342-338 LES TROIS ROME.
Le grand s�minaire et Ie palais archi�piscopal sont deux autres monuments qui honorent la cil� qui les poss�de et le grand saint qui en fut le fondateur. D�une architecture noble et s�v�re, ils r�fl�chissentnbsp;le g�nie de l�illustre cardinal et indiquent le but auquel ils sont des-tin�s. Les vastes salons de l�arehev�ch� autrefois tendus de riches ta-pisseries, en furent d�pouill�s par saint Charles, pour habiller sesnbsp;pauvres dioc�sains pendant la peste; on les a laiss�s dans le m�me �taf.nbsp;La nudit� de ces grands murs a je ne sals quoi de saisissant qui de-vient de T�loquence, lorsqu�on la contemple en se rappelant le faitnbsp;dont Je viens de parler.
R�chauff� par saint Charles, l�esprit de charit� continue d�inspirer les Milanais. II faut dire � leur gloire, que le premier �tablissementnbsp;r�gulier, en faveur des enfants abandonn�s, prit naissance dans leurnbsp;ville. L�honneur en revient i un saint pr�tre nomm� Dath�us, digni-taire de l��glise de Milan; voici l�acte m�me de cetle fondation m�mo-rable qui eut lieu en 787 : � Moi Dath�us, pour le salut de mon amenbsp;et celui de mes concitoyens, j�ordonne qu�on fasse de la maison quenbsp;j�ai achet�e et qui est contigue ii l��glise, un hospice pour les enfantsnbsp;trouv�s. Je veux qu�aussit�t qu�un enfant sera expos� dans l��glise, �nbsp;soit regu par le pr�pos� de Fhospice et confi� a la garde et aux soinsnbsp;des nourrices qui seront pay�es pour cela... Ces enfants apprendrontnbsp;un m�tier, et lorsqu�ils seront parvenus � l�age de dix-huit ans, je veuxnbsp;qu�ils soient d�gag�s de toute servitude et libres d�aller et de demeu-rer o� il leur plaira (i). �
II serait agr�able de suivre a travers les si�cles cette longue chaine de bienfaits publics, dont r�tablissement de Dath�us fut comme lenbsp;premier et brillant anneau. Si les hornes d�un voyage nous interdisentnbsp;un semblable travail, elles permettent au moins de l�esquisser rapide-ment; je dirais volontiers qu�elles le commandent: en g�n�ral, l�Italienbsp;charitable est trop peu connue. Toutefois, en pr�sence du paup�rismenbsp;qui envahit les soci�t�s modernes, en face de ce formidable probl�menbsp;dont la solution tourmente l�Europe actuelle, a la vue du malaise etnbsp;de la fermentation qui travaillent les classes inf�rieures et qui peut,nbsp;dans un moment donn�, �tablir un duel ^ mort entre celui qui nenbsp;poss�de pas et celui qui poss�de : n�est-ce pas un devoir imp�rieux de
(i) Muratori, Antiek, ital. l. iv, 37. � L��pUaphe de ce saint pr�tre est simple el sublime comme sa vie :
Sancie, memento, Deus, quia condidit isle Dathajus Hanc aulam miseris auxilio pueris.
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GRAND H�PITAL.
rechercher comment la plus ancienne, la plus parfaite des soci�t�s, l��glise catholique, a pr�venu la cause et paralys� les effets de ce terrible antagonisme? Or, peut-�tre nulle part son esprit ne s�est faitnbsp;sentir plus vivement qu�en Itali�; et le voyageur qui r�v�le h son paysnbsp;quelques-unes de ses inventions salutaires, m�rite presque une cou-ronne civique. Mieux vaut mille fois publier une bonne oeuvre que denbsp;decrire une statue; d�ailleurs il est juste de faire pour Milan ce quenbsp;nous avons fait pour le reste de I�ltalie : tels sent les motifs qui, con-trairement a nos projets, retard�rent notre depart de vingt-quatrenbsp;heures.
Notre premi�re visite fut pour le grand H�pital: c�est le plus beau palais de la ville. Les marbres, les colonnes, les ornements d�architec-ture y sont prodigu�s. Bati par le due Francois Sforza, il a �t�, depuisnbsp;son origine, consid�rablement augment�. II contient buit cents lits,nbsp;sans rideaux, et qui me parurent trop rapproch�s. On y regoit sansnbsp;distinction tous les pauvres malades. Outre les ra�decins et les chirur-giens ordinaires, des professeurs y enseignent Tart de gu�rir � denbsp;nombreux �l�ves qui joignent constamment la th�orie amp; la pratique. IInbsp;n�y manque qu�une chose : nos soeurs de Saint-Vincent de Paul. Puissenbsp;1�lieureuse contagion qui de G�nes les a fait passer a Plaisance gagnernbsp;bienl�t le Milanais! Les soins mat�riels y sont donn�s avec tout Ie z�lenbsp;et rintelligence qu�on peut attendee d�infirmiers et de femmes anbsp;gages; s�il y a un peu d�encombrement, la propret� des vastes sallesnbsp;ne laisse rien � d�sirer. II en est de m�me des secours spirituels. Sousnbsp;ce dernier rapport, les h�pitaux d�Italie sont des mod�les qu�on nenbsp;saurait trop �tudier.
La charit� milanaise a bati pour le pauvre malade un autre palais moins somptueux que le premier, mais il est administr� avec un d�-voueraent plus sublime. Dans la rue Fate-ben-Fratelli, vous voyez unnbsp;grand �difice, dont le vestibule est orn� d�une belle statue, en marbrenbsp;blanc, de saint Jean-de-Dieu. C�est la que les dignes enfants du saintnbsp;Vincent de Paul de l�Espagne et de l�Italie soignent paternellementnbsp;quatre-vingt-dix malades. Comme le coeur des bons religieux, lesnbsp;portes de leur maison restent toujours ouvertes : quel qu�il soit, l�in-firme peut entrer, certain d��tre regu avec un empressement cordial;nbsp;voila pour les malades.
Mais l�enfance, la pauvret�, la vieillesse, de quelle mani�re la charit� milanaise vient-elle a leur secours? Ici, comme partout o� il r�gne, le c.atholicisme produit des miracles, et embrasse toutes les mis�resnbsp;humaines, depuis le berceau jusqu�ii la tombe. Outre un grand nom-
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bre d��coles gratuiles, Milan poss�de, pour une population de 148,000 �mes, sept ou buit salles d�asile. Elles doivent leur existence a l�excel-lent abb� Aporti. La m�thode est la m�me que chez nous ; et la tenuenbsp;ne laisse rien a d�sirer. L�Oratoire de Saint-Charles regoit, les diman-ches et jours f�ri�s, de jeunes apprentis auxquels on fait passer Ienbsp;temps en exercices religieux et en divertissements honn�tes. Le pieuxnbsp;Institut de Sainte-Marie-de-la-Paix �l�ve les enfants incorrigibles denbsp;dix � quatorze ans. Un des grands moyens d�am�lioralion, c�est le silence auquel il est oblige pendant toule la dur�e du travail. Lorsquenbsp;nous le visitames, l�Institut venait d��lre fond�; n�anmoins il comptaitnbsp;d�ja bon nombre d�enfants, et le vertueux directeur s�applaudissaitnbsp;des r�sultats obtenus.
Louis XIV �tablit l�H�tel des Invalides, o� les braves sont nourris dans leur vieillesse, et soulag�s dans leurs infirmit�s aux frais de lanbsp;patrie, pour laquelle ils ont vers� leur sang et perdu leurs membres;nbsp;Napol�on fonda la Maison imp�riale de Sainl-Denis pour les filles desnbsp;L�gionnaires; et toute l�Europe applaudit � ces nobles institutions. Hnbsp;restait une lacune ; l�empereur d�Autriche l�a combl�e. Milan poss�denbsp;un Coll�ge militaire, deslin� aux enfants des soldats des huit r�gi-ments italiens ; nous y trouvaraes trois cents �l�ves. Les services, lesnbsp;blessures, la mort des p�res sur Ie ehamp de bataille, sont les litresnbsp;d�admission pour les enfants. On nous dit qu�il existe cinquante Insti-tuts semblables pour les autres r�giments de l�arm�e autrichienne. IInbsp;est facile de comprendre combien ces institutions de bon sens et denbsp;charit� doivent attacher le sous-officier et le soldat a son drapeau,nbsp;puisqu�en son absence l�abandon et le besoin ne menacent plus sa familie.
Mais l�enfant du simple ciloyen � qui la mort ravit les auteurs de ses jours, que devient-il? La charit� lui ouvre ses bras et lui tient lieu denbsp;m�re. Son coll�ge a elle, c�est l�liospice des Orphelins, appel� Marli-netti, du nom de son fondateur. Dans cette belle et vaste maison, nousnbsp;trouvaraes environ deux cents enfants au teint rose, a la figure �pa-nouie. Ils y sont re�us de l�fige de sept A treize ans, et y restent jusqu�anbsp;dix-huit ans. On les forme pour les professions industrielles, et on lesnbsp;envoie en apprentissage chez les meilleurs artisans; ils s�habiluentnbsp;ainsi peu a pcu a la vie de l�ouvrier. C�est le syst�me tout Ji la fois �co-nomique et paternel de l�hospice romain Tata Giovanni. La eondilionnbsp;essentielle de succes se trouve dans le choix des mailres. Les avantagesnbsp;que l�hospice Martinetti procure aux orphelins, les jeunes orphelinesnbsp;en jouissent dans la maison de Sainie-Mamp;rie-della-Stella, vis-a-vis de
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Notre-Dame-des-Gr4ces. Fond� par Ie cardinal Borrom�e, cel asile re-foit de trois � quatre cents orphelines. Elles y entrent depuis sept ans jusqu�� dix, pour n�en sortir qu�� vingt-un. Sous Ie rapport de la religion , des bonnes moeurs et du travail, leur �ducation ne laisse riennbsp;� d�sirer. Aussi les Stellines sont-elles recherch�es en mariage par lesnbsp;artisans honn�tes. Quand elles s��tablissent on leur fait une dot denbsp;trois cent treize francs. Ne trouvent-elles ni amp; se marier, ni � se placer? Sainte-Marie-di-Loreto leur ouvre ses portes; la elles peuvent passer leur vie au sein de la paix et de l�innocence. A l��poque de notrenbsp;visite, Sainte-Marie-della-SfeHa comptait trois cent quarante orphelines; nous en trouvilmes cent vingt au Loreio. On Ie voit, Ie syst�menbsp;d�une double adoption se pratique h Milan comme dans la plupart desnbsp;autres villes d�Italie; rien n�est plus moral et peut-�tre plus �conomi-que. Je ne r�p�terai pas ce que j�ai dit ailleurs sur Ie ra�me sujet.
Milan se distingue encore par l�aum�ne favorite de la charit� ro-maine. Sur Ie revenu de plusieurs fondations, on y dislribue annuel-lement plus de mille dots, et chaque semaine des secours individuels pour plus de trenle mille livres italiennes. La v�n�rable congr�gationnbsp;de Santa-Corona fait soigner gratuitement les malades � domicile.nbsp;La pieuse Union visite les malades du grand h�pital, prend soin desnbsp;femmes et des filles en danger, cherche a les marier ou ^ les placer;nbsp;dirige Ie Refuge de la Beata-Vergine-Addolorata; y revolt les jeunesnbsp;filles nubiles .%�es de moins de vingt ans, les entretient jusqu�� vingt-six, et leur fait une dot � leur sortie. Elle dirige aussi Ie Refuge des-tin� aux jeunes filles de cinq � douze ans. Elles y restent jusqu�� vingtnbsp;ans et n�en sorlent que pour �lre femmes de chambre ou maitressesnbsp;d��cole : si elles se marient, elles regoivent une dot de deux centsnbsp;francs. II existe encore it Milan plusieurs autres associations charita-bles, entre les diverses professions. Je me conlenterai de citer Ie pieuxnbsp;Institut de secours pour les m�decins, Ie pieux Instilut philharraoni-que, Ie pieux Institut typographique, Ie pieux Institut pour les cha-peliers; c�est ainsi que dans tous les pays caiholiques on lutte par desnbsp;associations pieuses el char�ables contre I�individualisme qui produitnbsp;l��go�sme d�abord, puis Ie paup�risme. Mals pour �tre utiles, c�est-�-dire morales et durables, les associations doivent �tre fond�es sur Ienbsp;double lien de l�int�r�t du temps et de Tint�r�t de r�ternit� : c�estnbsp;dire assez qu�elles sont impossibles en dehors de l�inspiration chr�-lienne.
Mais la gloire de la charit� milanalse est la Pia Casa d�Industria. La visite de cel �tablissement mod�le lermina notre longue et riclie
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journ�e. Emp�cher les pauvres de mendier, mais aussi de souffrir, sans porter atleinle a leur libert�; ainsi se pose au point de vue de r�cono-miste Chr�tien Ie grand probl�me de l�extinction de la mendicit�. Or,nbsp;il nous semble trouver ici sa v�ritable solution. La Pia casa emp�chenbsp;les pauvres de mendier, c�est-a-dire qu�elle ne leur laisse aucun pr�-texte de Ie faire. On a dit aux pauvres : Ou vous �tes valides ou vousnbsp;ne l��tes pas. Si vous �tes valides, travaillez chez vous ou chez les par-ticuliers; si l�ouvrage vous manque, venez h la Pia casa, elle vous ennbsp;donnera, quels que soient votre �ge, votre sexe ou vos forces. Quandnbsp;l�ouvrage reviendra chez vous ou chez les particuliers, vous aurez toutenbsp;libert� de Ie reprendre. Si vous �tes invalides, vous serez secourus inbsp;domicile; mais dans aucun cas il ne vous sera permis de mendier. Sinbsp;vous Ie faisiez, malgr� tous les moyens de ne pas Ie faire, vous com-mettriez un d�lit �galement contraire ii l��vangile qui d�clare indignenbsp;de manger celui qui refuse de travailler, et � la loi civile qui doit r�-primer la fain�antise, m�re de tous les vices. Coupables, vous serieznbsp;punis par la r�clusion, dans une maison d�arr�t ou un d�p�t de mendicit�.
Ce qui pr�c�de montre que la Pia Casa emp�che aussi Ie pauvre de souffrir, en lui procurant toujours de l�ouvrage �i lui, a sa femmenbsp;et a ses enfants. Non-seulement elle lui assure Ie salaire exig� pour lanbsp;suhsistance de sa familie; elle respecte encore sa libert�. Le pauvrenbsp;arrive le matin a son ouvrage; on lui vend, s�il le d�sire, une excellente soupe au prix de neuf centimes la ration de vingt-huit onces; etnbsp;de cinq centimes la demi-ration. 11 peut acheter au dehors ce qu�il luinbsp;convient d�y ajouter, et peut m�me prendre ses repas en ville avec sanbsp;femme et ses enfants; car, chaque jour, il a, comme l�ouvrier ordinaire, une heure le matin el une heure le soir dont il peut disposer.nbsp;Sa journ�e Unie il se reirouve le soir avec sa familie, et sa conditionnbsp;ne diff�re en rien de celle de l�artisan. Quelle dif��rence entre la Pianbsp;Casa et nos d�p�ts, et surlout les work-houses de l�Angleterre, o� lanbsp;libert� du pauvre et lesjoies de la familiesont si horriblementsacrifi�es!nbsp;Mais aussi quelle diff�rence dans les r�sultals! Ici, le pauvre b�nitnbsp;l�autorit� et la richesse; li�, il les maudit. Ici, le pauvre conserve sanbsp;dignit� et son honneur en conservant sa libert�; la, il s�abrutit ennbsp;perdant l�un et l�autre. Ici, la lutte entre le pauvre et le riche serailnbsp;difficile � provoquer; I�, elle ne semble attendee qu�une occasion pournbsp;�clater en sanglantes repr�sailles, en d�sordre, en anarchie.
La Casa d�lndustria, �tablie en 1784, sous la d�nomination de Maison de Traveil libre, vit en 4815 une succursale se former � l�au-
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tre exlr�mit� de la ville, pr�s de l��glise Saint-Marc. L��tablissement regoit des internes ricoverati et des externes intervenienti. Les premiers sont a demeure; mais ils sont libres de quitter l��tablissementnbsp;quand ils veulent, et sans �tre astreints � justifier de leurs moyensnbsp;d�existence ; ils travaillent a la journ�e ou a forfait. Leur salaire estnbsp;de quarante centimes pour les hommes, et de trente pour les femmes.nbsp;Celui des seconds n�est que de trente-cinq centimes pour les hommes,nbsp;vingt-cinq pour les femmes; mals ils y joignent tout Ie produit du travail qu�ils peuvent faire en sus de leur tache. Par ce moyen leurnbsp;journ�e est loin d��tre mauvaise. Quelques individus sont ii leursnbsp;pi�ces et peuvent gagner jusqu�� deux francs par jour. Les enfantsnbsp;n�ont aucun salaire; leur travail est accept� pour leur nourrilure quinbsp;se compose de soupe, pain et vlande; deux fois la seraaine on y ajoutenbsp;du vin.
Les hommes et les femmes travaillent dans des salles s�par�es; et il y a de l�ouvrage pour tout Ie monde. Le tissage de la toile et desnbsp;�toffes accompagn� de loutes les op�rations qu�il suppose, tels quenbsp;carder, filer, blanchir, teindre, etc., avec la fabrique de naties denbsp;jonc, dont il se fait une grande consommalion dans le Milanais, ferment les deux principales occupations de la Pia Casa. Le nombre desnbsp;internes est d�environ cinq cents; celui des externes varie de cinqcentsnbsp;� mille, suivant les saisons, l�activit� des travaux et la chert� des vivres.nbsp;� Ajoutons que l��tablissement fournit du travail ii domicile h quatorzenbsp;mille personnes environ chaque ann�e. Toutefois, grdce � la sp�cialit�nbsp;de ses produits, il ne fait aucune concurrence ruineuse � l�ouvriernbsp;libre, ni a l�industrie priv�e. C�est ainsi que Ie syst�me milanais r�-sout le probl�me de l�extinction de la mendicit�, el concilie les int�r�ts de tous : ceux de la soci�t� en d�truisant la plaie du vagabondage; ceux du pauvre, en lui offrant un asile, tout en lui laissant etnbsp;sa dignit�, et sa libert�, et sa familie; ceux de Touvrier libre, en diri-geant les travaux du refuge de mani�re � �viter une concurrence nui-sible il son industrie. En sortant de la Pia Casa, on ne peut que r�p�ter aux �conomistes le mol de B�con aux P�dagogues de son temps :nbsp;� Vous cherchez des syst�mes d��ducation; voyez les �coles des J�-suites, c�est tout ce qu�on a r�alis� de meilleur (i). �
(i) Consule Jesuilaruni scholas; bis enim quod in usura venit nihil melius. De aug, scient.
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20 AYRIL.
D�part de Milan. � Syst�me d'irrigation. � Pont du Tessin. � Anecdote. � Novare. �
Djptique consulaire.� Baptistcre. � Saint-Gaudence. � Souvenirs.�Saint-Laurent.
� nbsp;nbsp;nbsp;Le Pi�mont. � Verccil. � Souvenirs de Marius et de saint Eus�be. � Cathcdrale.
� nbsp;nbsp;nbsp;Tombeau du B. Am�dce,� de saint Eus�be. � Manuscrit de saint Marc. � �glise
de Saint-Andr�. � Tombeau de Thomas Gallo.
Nous quittames la capitale de la Lorabardie par une belle journ�e de printemps. Les cullivaleurs �taient dans les campagnes; ici on en-semeng-ait les rizi�res; li on fauchait les luzernes. Les oiseaux revenusnbsp;de leurs migrations lointaines, r�jouissaienl par leurs chants les nom-breux travailleurs et de grands troupeaux de boeufs bondissant aulournbsp;de nous, animaieni le paysage. De toutes parts, des canaux gracieuse-ment trac�s porlaient dans tous les h�ritages le riche tribui de leursnbsp;eaux limpides. On ne peut qu�admirer I�inlelligence avec laquelle lanbsp;science des eaux et de l�architecture hydraulique est employ�e dansnbsp;ce charmant et fertile pays. De grands r�servoirs sont �tablis sur lenbsp;flanc �loign� des montagnes, de mani�re � m�nager un niveau sulEsantnbsp;pour l�irrigation de la plaine. L�eau descend par des canaux qui lanbsp;divisenl en circulant autour des propri�t�s. De distance en distancenbsp;sont des retenues el des empellements destin�s ii la faire d�border surnbsp;le sol; de lelie fagon qu�aucuue partie de la surface ne puisse �chappernbsp;au bienfait. L�onard de Vinei n�est pas, comme on l�a cru, l�inventeurnbsp;de ces canaux; on ne lui attribue que l�invention des �cluses.
Outre ces rigoles, qu�on prendrait � leur couleur argent�e pour les mailles d�un vaste r�seau �tendu sur le vert gazon, Milan poss�denbsp;deux grands canaux qui ferment sa v�ritable richesse : celui du Tessin,nbsp;fini en 1271 et celui de l�Adda creus� en 1457. Venus de points op-pos�s, ils se r�unissent dans la ville, I�embellissent, la rafraichissent,nbsp;en fertilisent les jardins, l�unissent � TAdriatique, dont ils allirent lenbsp;commerce, et la mettent en communication avec les contr�es voisinesnbsp;et avec les vall�es du lac Majeur. C�est de la qu�ils apportent, ii desnbsp;prix tr�s-mod�r�s, les vivres, les charbons, les bols de chauffage et denbsp;charpente, les mat�riaux de tout genre, mais principalement le mia-rolo, superbe granit dont sont faites les cinq ou six mille colonnes quinbsp;ornent la royale cit�.
Adieu au Milanais! Adieu aux belles eaux qui fertilisent le sol; aux bonnes oeuvres qui f�condent les ftmes de la Gaule cisalpine! Adieunbsp;bienl�t ^ ITtalie. D�jii nous avons pass� Magenta, la Maxentia desnbsp;Piomains, gros bourg, plac� au milieu des vertes campagnes commenbsp;une brillante oasis : nous voici sur les bords du Tessin. A l�auire
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extr�mit� du pont, Ie plus beau de l�Italie, nous ne vimes que par les yeux de l�imagination Annibal et ses �l�phants, descendu des Alpesnbsp;et se pr�parant � franchir Ie fleuve, malgr� la d�fense de l�arm�e ro-maine; ce que nous vimes des yeux du corps, c�est la douane pi�mon-taise, rang�e en ordre de bataille et nous attendant de pied ferme. IInbsp;fallut subir sa visite, exhiber les passaporti et remplir pour la cin-quanti�me fois les formalit�s d�usage. On daigna nous trouver ennbsp;r�gie, et la permission de trotter vers Novare nous fut donn�e par �crit.
Dans la voiture prit place un chanteur bergamasque, qui venait amp; Turin; son voeu Ie plus ardent �tait de franchir les Alpes avec nous etnbsp;de voir Paris. � J�ai I� un compatriote, ajoutait-il, je serais heureuxnbsp;de Ie revoir. � Quel est son nom? � Vous ne Ie connaissez pas; maisnbsp;toute l�Europe Ie connait, c�est Rubini. � 11 est de Bergame? � Cer-tainement, et nous sommes n�s dans la m�me rue. II n��laii pas riche,nbsp;Ie brave gar^on, mais il avail une jolie voix. Pour aider sa vieille m�renbsp;il curaulait les fonclions de choriste et celle plus lucrative de garjonnbsp;tailleur. Un jour, comme il �tait all� essayer des pantalons � Nozari,nbsp;notre excellent Virtuoso Ie regarda fixement et lui dit avec bont� : �nbsp;II me semble, mon gar^on, l�avoir vu quelque part? � C�est possible.nbsp;Monsieur, vous m�aurez vu au ih��tre, o� je fais ma partie dans lesnbsp;choeurs, � As-tu une bonne voix? � Pas fameuse. Monsieur, je montenbsp;avec peine au sol. � Voyons, Gt Nozari en s�approchant du piano :nbsp;commence-moi la gamme. � Le jeune choriste ob�it; mais arriv� aunbsp;sol, il s�arr�ta tout essoufll�. � Donne le la, voyons!... � Monsieur,nbsp;je ne puis. � Donne le la, malheureux. � La, la, la. � Donne le si.nbsp;� Mais, Monsieur... � Donne le si te dis-je, ou sur mon �me... � Nenbsp;vous f�chez pas. Monsieur, j�essaierai ; la, si, la, si, do. � Tu voisnbsp;bien, dit Nozari d�une voix triomphante! et maintenant, mon gar?on,nbsp;je nete dis qu�un mot : Si tu veux travailler, tu deviendras le premier t�nor d�ltalie. Nozari ne s�est pas tromp�; le pauvre choriste,nbsp;qui, pour gagner sa vie, raccommodait des culottes, poss�de aujour-d�hui deux millions de fortune et s�appelle Rubini (i). �
A quoi tient la r�putation! Et le chanteur, Ger de son compatriote, se mit � nous parler de Donzelli, de Crivelli, de L�odaro, de Bianchi,nbsp;de Mari, de Dolci, et de toute cetle vol�e de rossignols partis denbsp;Bergame, � dont les accents onl charm� tour � tour les capitales denbsp;I�Europe. �
Cette conversation mondaine venait de Gnir, lorsqu�S l�extr�mit� d�une plaine grasse el fertile, coup�e par le Terdoppio et le canal denbsp;Sforzesca, nous d�couvriroes, assise sur un monticule, l�antique No-(0 Celle anecdote a �l� depuis racont�e bien des fois, cnlre aulres par Fiorcnlino.
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vare. Son vieux cMteau, ses remparts, ses grosses portes lui donnent un aspect menagant ; on dirait de loin un donjon du moyen Age. Lanbsp;Novaria des Romains conserve plusieurs monuments curieux de leurnbsp;domination. La religion du peuple-roi se trouve dans les nombreuxnbsp;aulels votifs, rang�s vers l�ancien porlique de la cath�drale. Sonnbsp;amour pour les jeux publics, est rappel� dans un dyptique consulairenbsp;de Ia sacristie de Saint-Gaudens. Sur ce libretto d�ivoire sont sculpt�snbsp;deux consuls donnantle signal des spectacles. Ces diff�rentes reliquesnbsp;composent, avec bon nombre de pierres s�pulcrales, d�urnes et d�in-scriptions romalnes, un mus�e fort curieux; mais Ie principal objet denbsp;notre attention fut Ie superbe columbarium chang� en baptist�re : unnbsp;s�pulcre pa�en devenu Ie berceau des fid�les! voili un de ces beaux etnbsp;puissants contrastes dont l�Italie poss�de si blen Ie secret, et dont lanbsp;vue produit toujours une vive impression. Quelques bonnes toiles d�-corent la cath�drale, et les archives du chapitre conservent un desnbsp;manuserits les plus anciens de toute l�ltalie : c�est la Vie de saintnbsp;Gaudens et d�autres saints de Novare, �crite en 700. La Basilique d�-di�e au saint �v�que est Ie plus bel �difice de la ville. Les brlllantesnbsp;et gracieuses peintures du Moncalvo, de Brandi, de Gaudens Ferrari,nbsp;de Stephano Legnani et des meilleurs maitres de l��cole milanaise,nbsp;resplendissent a la coupole et dans les chapelles, tandis que Ie maitrenbsp;autel �blouit par ses marbres et ses bronzes. Toutefois la magnificencenbsp;de l��glise Ie c�de a celle du tombeau, un des plus splendides de l�Ita-lie. Quel �tait done ce Pontife dont Ie corps est environn� de tant denbsp;gloire?
Comme un ouragan formidable, l�arianisme soutenu de la puissance imp�riale mena^ait de renverser, de d�raciner sur toute la face dunbsp;globe l�arbre encore jeune de la vraie foi. D�jii l�Afrique, l�Asie, unenbsp;partie m�me de l�Europe �branl�e jusque dans leurs fondements, senbsp;couvraient de ruines sanglantes; les t�n�bres de Terreur s��tendaientnbsp;comme de sombres nuages sur les chr�tient�s les plus brillantes; Ienbsp;monde descendait peu ii peu dans la nuit de Th�r�sie pour retombernbsp;ensuite dans Tabjection pa�enne. Mais la Providence veille sur sonnbsp;oeuvre. Alhanase en Orient, Hilaire, Martin, Ambroise en Occident,nbsp;luttent au nom des peuples centre la violence de la temp�te. Ils sau-vent T�glise, et avec elle la foi, la civilisation, la libert� du monde; etnbsp;toutesles g�n�rations reconnaissantes proclament depuis quinze si�clesnbsp;leur courage et leurs vertus. Tels sont les litres que saint Gaudens,nbsp;�v�que de Novare, pr�sente ^ Ia v�n�ration et h Tamour de son peuple.nbsp;Disciple de saint Laurent martyr, et digne de son maitre, Gaudensnbsp;est sacr� �v�que de Novare par saint Simplicien de Milan. Un amour
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plus fort quo la mort l�attache � saint Martin de Tours, la colonne de la v�rit� en Occident; et quand il voit saint Eus�be de Verceii, sonnbsp;coll�gue et son voisin, partir pour l�Orient, il se fait Ie compagnonnbsp;de son exil, et se d�voue � toutes les rigueurs imp�riales pour conser-ver intact dans son coeur et dans Ie coeur de ses enfants Ie tr�sor denbsp;la foi (i).
Honneur a ces enfants qui n�ont jamais oubli� leur p�re! Dans une commune v�n�ration ils confondent saint Gaudens et Ie saint martyrnbsp;Laurent, cette autre gloire de la cit�. Laurent �tait un pr�tre de IXo-vare, d�vou� k l��ducation des enfants. Irrit�s de ses succ�s, les pa�ensnbsp;des environs se jettent tout a coup sur Ie saint inslituteur, et Ie met-tent en pi�ce avec ses jeunes chr�tiens. Leur sang f�conde la semencenbsp;de la foi, et Novare prie encore aujourd�hui devant les ossements sa-cr�s de ses nouveaux bienfaiteurs. Pour les glorifier aux yeux de tousnbsp;les si�cles, Ie Dieu des martyrs fait sortie de leur tombeau une liqueurnbsp;miraculeuse qui gu�rit les malades (a). Apr�s avoir d�pos� nos hommages aux pieds de ces v�ritables grands hommes dont la pr�sencenbsp;fait plus de bien que la vue des ruines et des chefs-d�oeuvre de Tart,nbsp;nous nous remimes en marche pour Verceii.
Le Pi�mont se d�roulait devant nous avec ses rizi�res, ses prairies et ses montagnes; tout annonce la fertilit� du sol et le calme heureux desnbsp;habitants. C�est qu�en effet ce petit royaume est un mod�le, une oasisnbsp;de paix au milieu de l�Europe agit�e. La religion honor�e, pratiqu�e,nbsp;aim�e comme le tr�sor public, y fait sentir sa douce influence. Le roinbsp;lui-m�me est un fervent chr�lien; puissent tons ceux qui l�approchentnbsp;partager sa foi sinc�re et son respect pour l��glise! On dit que lanbsp;chenille de l�impi�t� moderne a sali par-ci par-la quelques fleurs; onnbsp;dit que, malgr� les lignes douani�res, nos mauvaises productions p�-n�trent dans le royaume; on dit que l�esprit r�volutionnaire fait tournee certaines t�tes. Pourtant, que manque-t-il au Pi�mont pour �trenbsp;heureux? Les lois sont sages et paternelles; les institutions de charit�nbsp;nombreuses et bien entendues; les imp�ts presque nuls; les sciencesnbsp;th�oriques et pratiques, les arts m�mes sont en honneur. Une des
(1) nbsp;nbsp;nbsp;Bar. An. 597, t. v, n. 52.
(2) nbsp;nbsp;nbsp;Void 1�aniique inscription grav�e sur le tombeau de marbre rempli de leurs os-sements :
ASPICIS HOC MARMOR TVMVLl DE MORE CAVATVM,
Id SOLIDVM est INTVS, RIMA NEC VLLA PATET,
VnDE QVEAT TELLVS OCCVLTAS MITTERE LYMPHAS :
MaNAT AB INGESUS OSSIBVS ISTE LlQ�OR.
Si DVBITAS, MEDIO SVD.ANTES TOLLE SEPVLCRO ReLLIQVIAS, disces VNDA SALVBRIS VBl EST.
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plaics les plus dangereuses ouverles par iiotre Code civil a �l� ferm�e. On sail quels ravages produit chez nous la loi ridicule et funeste quinbsp;aulorise un la�que ceint d�une �charpe, a prononcer ces graves paroles : Au nom de la loi, je vous unis. lei on ne peut contracter mariagenbsp;que devant Ie pr�tre rev�tu en celte circonstance de pouvoirs religieuxnbsp;et civils.
Puisse la rivalil� qui existe entre G�nes et Turin ne jamais devenir un ferment de discorde! puisse la fi�vre d�innovation ne pas substituernbsp;de fatales utopies � un syst�me de gouvernement �prouv� par l�exp�-rience et sanctionn� par l�approbation des hommes sages et d�sint�ress�s !
En devisant ainsi sur Ie royaume de Sa Majest� Sarde, nous arri-vftmes en vue de Vereeil. L�antique Vercellw, fond�e par Ie Gaulois Bellov�se, l�an 603 avant J�sus-Christ, est assise sur une riante col-line au confluent du Cervo et de la Sesia. Dans la plaine voisine appa-rait l�ombre de Marius, non pas triste et humili�e comme 5 Minlurne,nbsp;mais imposante et glorieuse; on entend lecliquetis des armes, lescrisnbsp;des mourants : c�est ici que Ie grand capitaine tailla en pi�ces cesnbsp;myriades de Cimbres et de Teutons, tomb�s sur ITtalie comme unenbsp;avalanche du sommet des Alpes. Si Ie voyageur, en traversantle champnbsp;de bataille, admire une fois de plus la valeur romaine, il s�inclinenbsp;aussi devant la Providence, dont il voit la main puissante �carter tousnbsp;les obstacles humains i l�agrandissement de la Ville �ternelle. Sous cenbsp;rapport les plaines de Vereeil tiennent une large place dans la tramenbsp;g�n�rale de l�hisloire ant�rieure au ebristianisme.
Quand aux luttes du fer centre Ie fer succ�dent les combats plus importants des id��s centre les id��s, Vereeil brille avec non moinsnbsp;d��clat. Dans les murs de l�antique cit�, un nouveau guerrier, �gale-ment venu de Rome, met en fuite la formidable h�r�sie d�Arius : cettenbsp;seconde victoire n�est pas moins providenlielle que la premi�re. II nousnbsp;tardait de nous prosterner devant Ie tombeau du h�ros qui la rem-porta. J�ai nomm� saint Eus�be, �v�que de Vereeil, l�ami de saint Ara-broise, Ie d�fenseur de saint Athanase, la terreur de Constance, Ienbsp;glorieux martyr du Verbe consubstantiel qui, train� de prisons ennbsp;prisons, depuis Vereeil, en Palestine, en Cappadoce, dans les d�sertsnbsp;de la Haute-�gypte, donna au monde entier Ie long spectacle de sonnbsp;h�ro�que fermet�.
Notre premi�re visite fut pour la catb�drale, o� repose Ie corps de l�immortel Pontife. Le Duomo est un majestueux �difice, rebftti aunbsp;VI� si�cle sur les dessins du c�l�bre Pellegrini de Bologne. Deux cha-pelles fixent principalement l�attention. La premi�re est d�di�e au
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B. Am�d�e de Savoie. Le corps de ce prince, dont la couronne tempo-relle s�est chang�e en couronne �ternelle, repose dans un tombean d�argent, donn� par un de ses descendants, le roi Charles-F�lix. Denbsp;cette tombe semble sortir encore la parole vraim�nt royale du Bien-beureux. A la valeur d�un h�ros, le due joignait loutes les verlus chr�-tiennes, et en particulier une tendresse paternelle pour les pauvres :nbsp;� Seigneur, lui dit un jour son intendant, vos aum�nes �puisent vosnbsp;tr�sors. � Eh bien! r�pondit le prince, voici le collier de mon ordre,nbsp;qu�on le vende et qu�on soulage mon peuple. � La seconde chapelle,nbsp;plus v�n�rable encore que la premi�re, est celle de Saint-Eus�be.nbsp;A la vue de la magnificence qui entoure le corps du Martyr, au souvenir des nombreux miracles qu�il op�re, on ne peut retenir la plaintenbsp;sublime du Proph�te : Seigneur, c�est trop d�honneur et de puissancenbsp;pour vos amis.
De cette tombe, arros�e de tant de larmes brulantes, couverle de tant de baisers, parfum�e de l�encens de tant de pri�res, nous des-cendimes au Ir�sor de la cath�drale. Peut-on passer k Verceil sansnbsp;voir le c�l�bre manuscrit de l��vangile de saint Marc, copi� de lanbsp;main de saint Eus�be? Que sont devenues les lames d�argent dont lenbsp;roi B�renger le fit couvrir, il y a pr�s de neuf cents ans? Demandez-lenbsp;aux Vandales modernes. C�est par la crainte d�une nouvelle spoliationnbsp;que les boiseries du choeur, v�ritable. chef-d�oeuvre de sculpture, ontnbsp;�t� refaites, il y a quelques ann�es, de mani�re � pouvoir �tre d�mon-t�es en un jour.
La vaste �glise de Saint-Andr�, surmont�e de qualre clochers, rap-pelle un autre grand souvenir. L�an 1230, au moment o� saint Thomas illustrait, par son enseignement, les Universit�s de Naples et de Paris,nbsp;un autre docteur, prenant pour guide saint Denis l�Ar�opagite, expli-quait avec un immense succ�s la Th�ologie mystique dans le conventnbsp;de Saint-Andr� de Verceil : ce maitre s�appelait Thomas Gallo. Parminbsp;ses disciples s�asseyait un jeune religieux de Saint-Frangois qui devaitnbsp;remplir le monde du bruit de son nom et de l��clat de ses miracles ;nbsp;c��tait Antoine de Padoue. Une fresque de 1��poque, plac�e sur le tom-beau du professeur, le repr�sente assis dans sa chaire de th�ologie, etnbsp;parmi ses �l�ves on voit saint Antoine de Padoue, la t�te environn�enbsp;d�une aur�ole. Un bas-relief, qui d�core la partie inf�rieure du mausol�a, indique la source o� le docteur puisait son admirable science.nbsp;Thomas est � genoux devant Notre-Seigneur et la sainte Vierge, tandisnbsp;que saint Denis, debout, lui pose affectueusement la main sur la t�te.nbsp;Il serait difficile de trouver quelque chose de plus int�ressant, sous le
15.
-ocr page 354-350 nbsp;nbsp;nbsp;LES Tnois ROME.
double rapport de 1�art et de la pi�t�, que cette tombe \raiment monumentale.
21 AYRIL.
Vue de Turin. � Pinacoth�que. � Bibliolh�que. � Musce grec et remain. � Table Isiaque. � Mus�e �gyptien. � Instruments aratoires. � Armes. � Statues. � Lesnbsp;saints martyrs Octave, Solutor, Adventor. � Saint Maxime.� Cath�drale.�Chapellenbsp;du Saint-Suaire. � Palais du roi. � Audience.
Apr�s avoir voyag� une partie de la nuit, nous arrivSmes en vue de Turin, au lever du soleil. Le P� qui coule a pleins bords dans la vastenbsp;plaine, les d�mes et les campanili �tincelants aux premiers feux dunbsp;jour, l�ancienne capitale de la Ligurie avec ses larges rues lir�es aunbsp;cordeau, ses places superbes si elles �taient finies, ses �difices auxnbsp;brillanles facades, les monlagnes voisines, dont la base est �maill�enbsp;de riantes villas, tandis quelesommet�l�ve jusqu�auxnues la splendidenbsp;�glise de la Superga: tout cela forme un ensemble plein de grandeurnbsp;et qui saisit, m�me apr�s avoir vu l�Italie. Du milieu de Piazza Gastello on jouit d�un coup d�oeil unique : quatre rues se coupant � anglenbsp;droit partagent la ville enli�re et, du centre, laissent apercevoir lesnbsp;quatre extr�mit�s. Afin d��viter les r�p�titions, je ne m�arr�terai pointnbsp;a d�crire les uombreux et remarquables tableaux des �coles flamandenbsp;et hollandaise que nous vimes � la Pinacotheca du Cb�teau; lesnbsp;aquarelles de Bagetti passent pour des chefs-d�oeuvre; il en est denbsp;m�me du Saint Jean N�pomuc�ne, de Murillo. Le Saint est au con-fessionnal, ayant, d�uu c�l�, Tlmp�ratrice, de l�autre, un paysan, imagenbsp;de l��galit� �vang�lique devant ces tribunaux qui justifient ceux quinbsp;s�accusenl. Parmi les manuscrits de la Bibliolh�que, il faut remarquernbsp;VEpitome de Lactance, unique en Europe; et VImitation de J�sus-Christ, qu�on croit du xiv� si�cle.
Le Mus�e grec et remain offre peu d�int�r�t, apr�s ceux de Rome el de Naples. La fameuse table Isiaque elle-m�me a perdu son prestigenbsp;d�antiquit�, depuis qu�elle passe, parmi les savants, pour dater seule-ment du r�gne d�Adrien. II n�en est pas de m�me du M�daillier, unnbsp;des plus riches de l�Europe. Sous les porliques de PUniversit� se conserve, entre autres bas-reliefs, le Voeu de Q. Visquasius. On voit unnbsp;homme conduisant un char attel� de deux mules et charg� d�un tonneau. Le char et le tonneau sont parfaitement semblables a ceux dontnbsp;on se sert encore aujourd�hui dans le pays (i). Dans le mus�e de Na-
(i) On sait quo ce furent les Gaulois qui enseign�renl aux Romains � faire les ton-neaux.
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pies, vingt objels diff�rents nous avaientaussi donn� lieu de remarquer la t�nacit� des habitudes populaires.
Mais la gloire de Turin, c�est Ie Mus�e �gyptien, Ie premier de TEu-rope. Je ne sais quel saisissement on �prouve au milieu de ce monde �teint depuis trois ou quatre mille ans. Les statues des rois et desnbsp;dieux; les fresques et les peintures des tombeaux qui rcpr�sentent lesnbsp;usages de la vie intirae, militaire et agricole; des eharrues, un jougnbsp;pour les boeufs, des fl�ches, un casque, un cimeterre de bronze, deuxnbsp;petits chiens d�ivoire, dont un conserve encore Ie lil qu�il devidait ilnbsp;y a trente si�cles; des souliers en cartonnage de toile; les momiesnbsp;qui vous montrent des pr�tres, des rois, des princes auxquels il nenbsp;manque, pour �tre vivants, que Ie mouvement et la chaleur : tout celanbsp;fait admirer la science d�un peuple sans rival dans Tart d�imprimer anbsp;ses oeuvres les plus simples, comrae les plus gigantesques, Ie cachetnbsp;de l�immortalit�.
Toutefois, amp; ce premier sentiment succ�de bient�t une profonde piti�. Voyez les dieux devant lesquels se prosternait la plus savantenbsp;des nations! Embaum�s, comme leurs adorateurs, ces dieux mortelsnbsp;sont des b�tes de toute esp�ce; des ibis, des chacals, des cynoc�phales,nbsp;des �perviers, des poissons, des crocodiles, de jeunes taureaux portantnbsp;sur Ie front Ie signe caract�ristique du boeuf Apis. Qu�est-ce done quenbsp;l�homme abando�nn� � lui-m�me? Des nombreuses statues les plusnbsp;magnifiques sont celles d�Osymandias, haute de plus de quinze pieds;nbsp;et du grand S�sostris haute de six i� sept pieds. La derni�re, en basaltenbsp;noir h taches blanches, passe pour Ie chef-d�oeuvre de Tart �gyptien.nbsp;Assis sur son tr�ne en habit militaire, Ie roi tient amp; la main un sceptrenbsp;recourb�. Sa physionomie est douce et fi�re; la pose pleine de dignit�;nbsp;les mains sont parfaites et les pieds d�une juste proportion. Turinnbsp;doit cette immense collection � Tun de ses enfants, le chevalier Dro-vetti, longtemps consul au Caire : honneur � son intelligent et g�n�-reux patriotisme!
On ne peut sortir du Mus�e �gyptien sans se rappeler la grave r�-flexion d�uii voyageur. � J�avoue, dit-il,qu�en trouvant entass�s au pied des Alpes tous ces d�bris poudreux ou mutil�s de la plus anciennenbsp;civilisation du globe, peut-�tre qu�un jour, me disais-je, nos propresnbsp;d�bris, tous nos monuments de marbre et de bronze, tons ces magnifiques t�moignages de notre puissance et de notre gloire, seront expos�s dans le mus�e de quelque peuple aujourd�hui sauvage, dans unnbsp;d�.sert encore inconnu, pr�s d�un lac ignor�, au sein de quelque im-p�n�trable et sombre for�t, ou de quelque haute montagne a peinenbsp;d�couverte. Les Sacy, les Akerblad, les Yong, les Champollion, les
-ocr page 356-5o^ nbsp;nbsp;nbsp;LES rnois rohe.
Sail, les Seyffarlh, les Pfaff d�un aulre monde feront a leur tour des dissertations, ils d�fendronl opinifttr�ment leurs diff�rents syst�mes.nbsp;Louis XIV, avec son si�cle brillant et ses vastes travaux, sera commenbsp;Ie grand Bams�s, comme Ie S�sostris de ces temps lointains; et nosnbsp;r�centes conqu�tes, si rapides, si passag�res, seinbleront de la fablenbsp;apr�s l�histoire. �
L�habitant de Turin qui visite son Mus�e ne doit pas d�penser toute sa compassion pour les �gyptiens, il doit en r�server une partie pournbsp;lui-m�me, lorsqu�il songe aux dieux qu�adoraient ses anc�tres: la m�menbsp;disposition doit �tre celle de tout voyageur, � quelque nation civilis�enbsp;qu�il appartienne. Mais comment Turin a-t-elle �t� tir�e de l�idolfttrie,nbsp;quels sont ces hommes au sang desquels l�antique Ligurie est redeva-ble de la foi, et de la civilisation fille de la foi ? Par quelles mains Ienbsp;salutaire flambeau a-t-il �t� tenu constamment allum�dans ce religieuxnbsp;pays, malgr� les temp�tes de la pers�cution et de l�h�r�sie? Les an-nales de Turin nous raconlent l�histoire de ces v�ritables p�res de lanbsp;patrie et la reconnaissante pi�l� de leurs fils.
L�antique Bodincomagus, fond�e par les Gaulois, dont elle adora les dieux cruels, fut saccag�e par Annibal, conquise par les Remainsnbsp;qui lui donn�rent Ie nom de Colonia Julia, et embellie par Auguste,nbsp;dont Ie surnom devint pour elle un tilre de gloire : Augusta Tauri-norum. En recevant Ie joug, elle regut les dieux des vainqueurs ; avecnbsp;Teutat�s elle adora Jupiter. Elle les adorail encore, lorsque saintnbsp;Barnab�, suivi bient�t des saints Ap�lres de la Ligurie, Celse et Na-zaire, vint lui pr�senter Ie flambeau de la v�rit� : Turin Ie re?ut. Lanbsp;divine semence ne tarda pas � lever dans cette terre f�conde commenbsp;dans les autres parties de la Gaule cisalpine (i). Pour la conduire �nbsp;maturit� deux choses �taient n�cessaires : Ie feu de la pers�cution etnbsp;la ros�e du sang; ces deux conditions furent remplies. Par ordre denbsp;Maximien, Octave, Solutor et Adventor, tous trois soldats de la l�gionnbsp;Th�baine, re^urent it Turin Ia palrae du martyre, et devinrent les pr�-fflices de la riche moisson que YAugusta Taurinorum pr�parail aunbsp;P�re de familie (�).
La culture de ce pr�cieux h�ritage fut confi�e dans la suite des si�cles � d�intelligents laboureurs. Au premier rang brille saintnbsp;Maxime, la gloire non-seulement de Turin, mais de l��glise enti�re.nbsp;Ge grand �v�que assista aux conciles de Milan en 451, et de Romenbsp;en 465; d�fendit vigoureusement l�int�gril� de la foi, dota Ie monde
(i) S. Barnab�, Bar. 52-54; Ughelli, t. iv, 830.
(�) Taurini ejusdem Icgionis nobilissimi milites Octavius, Solutor et Adventor, glo rioso rearlyrio ercxere troplia;a victoriae. � Bar. An. 297, t. ii, n. 15.
-ocr page 357-CnAPELLE DU SAINT-SL'AIBE. ooo
d��loquenls �crits, et maintint la ferveur primitive parmi ses ouailles. P�n�tr� de confiance pour les trois martyrs dont Ie sang avail cimenl�nbsp;les fondements de son �glise, il disait a son peuple : � Honneur a lousnbsp;les martyrs, mais honneur surtout � ceux dont nous poss�dons les re-liques! Ils nous assistent par leurs pri�res; ils nous prol�gent parnbsp;leur pr�sence durant cette vie, et nous re^oivent dans leurs bras quandnbsp;nous partons pour l��ternit�. � A. tous ces saints qu�elle aime et qu�ellenbsp;honore comrae ses p�res, ses bienfaileurs et ses patrons, la pieuse cil�nbsp;a bati cent dix �glises, comme on sait les bdlir en Itali�.
La plus remarquable est Ie Duomo, d�di� a saint Jean-Baptiste. Elle offre i l�artiste une Sainte Vierge, d�Albert Durer, les statues denbsp;sainte'Christine et de sainte Th�r�se, de Legros, les sculptures dunbsp;maitre aulel en marbre, la vaste tribune de l�orgue charg�e de dorures.nbsp;Mais lout cela est �clips� par la splendide chapelle du Saint-Suaire,nbsp;situ�e derri�re Ie maitre autel. Repr�sentez-vous une rotonde tr�s-�lev�e, environn�e de colonnes group�es de marbre noir poli, dont lesnbsp;bases et les cbapileaux sont de marbre dor�. Sur ces colonnes s�ap-puient six grandes arcades qui ferment les fen�tres, dont l�entablementnbsp;soutient la coupole. Gelle-ci se compose de plusieurs vo�tes en marbrenbsp;perc�es � jour, plac�es les unes au-dessus des autres, et dispos�es denbsp;mani�re � laisser voir au sommet de d��difice une couronne de marbrenbsp;en forme d��toile, qui semble suspendue en l�air, bien qu�elle reposenbsp;sur ses rayons. L�autel en marbre noir supporte une champ;sse d�argent,nbsp;orn�e d�or et de diamanls et mise sous verre : elle renferme Ie saintnbsp;Suaire. Cette pr�cieuse relique apporl�e d�Orient au temps des croi-sades par GeofFroy de Charny, chevalier champenois, rappelle Ie voeunbsp;de Francois Iquot; avant la bataille de Marignan; apr�s la vicloire on vitnbsp;Ie prince se rendre a pied de Lyon � Chamb�ry, o� �tait alors Ie saintnbsp;Suaire, pour y rendre hommage de ses succ�s au Dieu des batailles.nbsp;Si 1�on ajoute qu�au-dessus de l�aulel brille une grande croix de cristalnbsp;soutenue par un groupe d�anges, et que Ie pav� est en marbre violet,nbsp;sem� d��toiles d�or, on aura un sanctualre d�une beaut� s�v�re, ma-jestueuse et parfaileraent en harmonie avec sa destination.
La chapelle est contigue au palais du Roi; une porte de communication s�ouvrit et nous fumes dans les appartemenls du souverain. Plusieurs personnes attendaient dans une vaste salie : c��tait jour d�au-dience. Deux fois par semaine et pendant plusieurs heures, les riches et les pauvres ont leur libre acc�s aupr�s du prince. Tous sont admisnbsp;�d�poser dans son coeur leurs plaintes, leurs demandes, leurs mis�res,nbsp;leurs projets, les peines intimes de leur vie publique ou priv�e. Le lloinbsp;�coute, encourage, console, secourt, prot�g�; en un mot, rempUt avec
-ocr page 358-354 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
intelligence et d�vouement tons les devoirs d�un p�re. Faut-il s�en �ton-ner? Charles-Albert est Ie plus fervent chr�tien de son royaume, Ie saint Louis du dix-neuvi�me si�cle. Tous les matins il entend la messe,nbsp;et ehaque dimanche il a Ie bonheur de s�approcber de la sainte table.
P�n�tr�s de v�n�ration pour ce Iloi si digne du tr�ne, nous descen-dimes � la Consolata, la plus belle �glise des couvents, o� Ie voyageur catholique est attir� par I�image miraculeuse de la sainte Vierge. IInbsp;faut p�n�trer dans Ie sanctuaire de la Consolata resplendissant d�ornbsp;et de marbre; il faut contempler les mille t�moignages de confiancenbsp;et d�amour donn�s � la Reine des Grftces, pour connaitre la pi�t� desnbsp;habitants de Turin ; nous verrons domain que cette pi�t� n�est pasnbsp;st�rile.
22 AVRIL.
ȧVise-della-gran-Madre-di-Dio. � Chateau de Slupinigi. � Superga. � Grand h�pilal. � Salles d�asile. � OEuvre de Sainl-Louis do Gonzague. � H�pilal de la Cliaril�. �nbsp;Institutions pour les orphclins et les orphelines. � Les Rosines. � La petite Maisonnbsp;de la Providence. � Silvio Pellico. � D�part do Turin. � Les Vaudois. � Suze.
Les environs de Turin pr�sentent trois monuments que nous ne pou-vions oublier. D�s Ie matin, longeant une belle rue orn�e de portiques et traversant une magnifique place circulaire, nous arriv�mes au piednbsp;d�une d�licieuse eolline par�e de la premi�re verdure du printempsnbsp;et toute scm�e de blanches villas. Devant nous se pr�sentait. Imposantnbsp;et magnifique, Ie temple della gran Madre di Dio. On ne se lassenbsp;point de contempler cet �difice, copie du Panth�on. Ses formes pleinesnbsp;de noblesse et ses proportions colossales rappellent les monumentsnbsp;remains, tandis que sa fondation proclaine la pieuse gratitude de lanbsp;ville de Turin envers Marie. Ce temple est un ex-voto des d�curionsnbsp;de la cit�, en reconnaissance du retour du roi Victor-Emmanuel.
Portant notre curiosit� sur un autre point, nous saluAmes le chAteau de Stupinigi, avec son toit pittoresque surmont� d�un grand cerf denbsp;bronze. Ce rendez-vous de chasse de la cour de Turin passe, dans sonnbsp;genre, pour 1��dilice le plus magnifique de I�Europe. Au loin, sur lenbsp;plateau d�une haute montagne, on voit s��lancer les royales constructions de la Superga : cette �glise de forme octogone, port�e par denbsp;grandes colonnes de marbre, enrichie de superbes chapelles, est aussinbsp;un ex-voto. En 1706, le roi Victor-Am�d�e et le prince Eug�ne cau-saient ensemble sur cette montagne, observant les mouvements de I�ar-m�e frangaise qui assi�geait Turin. Le Roi, d�sesp�rant de sauver sanbsp;capiiale, tombe a genoux, expose A Marie sa confiance et ses craintes,nbsp;et lui promet, si le si�ge est lev�, de faire bAtir au lieu m�me o� il prie
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une �glise en son honneur. La Superga est Ie Saint-Denis des rois du Pi�monl; leurs tombeaux sont peut-�tre plus brillants que ceux denbsp;nos princes, mais ils me semblent par la m�ine manquer de tristessenbsp;et de majest�.
Rentr�s en ville, nous consacrftmes Ie reste du jour � visiter d�aulres monuments moins connus des voyageurs, et pourtant plus glorieux elnbsp;plus dignes de leur attention ! Gr�ce i son voisinage de la France, Turin poss�de nos Dames du Sacr�-Coeur et nos admirables Soeurs denbsp;Saint-Vincent de Paul. Les premi�res �l�vent la jeunesse, les secondesnbsp;soignent les malades : c�est dire avec quelle intelligence et quel d�voue-ment sont accueillies les g�n�rations qui entrent dans la vie et les g�-n�rations qui sortent de ce royaume de douleurs. Le grand h�pitalnbsp;Saint-Jean comple cinq cents lits. D�puis les derni�res r�volulions, lanbsp;charit� publique fqurnit une grande parlie des sommes n�cessaires hnbsp;son entretien. Inutile de dire que l�ordre et la proprel� rcgnent dansnbsp;les salles, comrae l�attention et l��conomie dans le service : eet �logenbsp;convient amp; tous les hospices tenus par nos religieuses. Fond�, en 1794,nbsp;par le.saint pr�tre Barucchi, cur� de la ciladelle, Fh�pital Saint-Louisnbsp;passe pour un mod�le d�archileclure, de propret�, de salubrit� et denbsp;bon go�t. Turin poss�de aussi une vaste maison d�ali�n�s, une �cole denbsp;Sourds-Muets, plusieurs salles d�asile, dont l�origine est due a unenbsp;Dame frangaise qui entretient, dans sa propre maison, un de ces douxnbsp;et joyeux hospices de Fenfance. La reconnaissance publique a nomm�nbsp;madame la marquise de Bar..., chez qui nous fumes re^us avec unenbsp;bont� dont le souvenir ne s�effacera jamais.
Avec quel bonheur le voyageur francais rencontre dans les rues nos Fr�res des �qoles chr�liennes! lei, comme partout, lours �tablis-sements sont florissants. Ils tiennent, en outre, aux frais de la ville,nbsp;une Ecole sup�rieure, o� 1�on poursuit les �tudes commenc�es dans lesnbsp;classes �l�mentaires, et o� 1�on apprend la langue frangaise. Au sortirnbsp;de 1��cole, les enfants des pauvres subissent un examen, el les plusnbsp;forts sont admis � l�OEuvre royale, o� ils reQoivent gratuitement unenbsp;instruction professionnelle.
Le christianisme a toujours aim� et propag� les lumi�res; aussi le d�veloppement de Finslruction publique est une des gloires du Pi�-mont. Mais si le catholicisme est une religion de v�ril�, il est encorenbsp;une religion de charil�; car Dieu est l�un et l�autre. Un volume entiernbsp;ne suffirail pas pour d�crire toules les oeuvres de mis�ricorde dont ilnbsp;couvre le pays o� nous sommes. Une foule d�associations d�hommes etnbsp;de femmes donnent des secours � domicile; elles pourvoient sp�cia-lement aux besoins d�une classe de pauvres qui m�rite les plus grands
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3�6 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
�gards, et qu�il est difficile de d�couvrir, celle des pauvres honteux. La Congr�galion de Saint-Paul charge douze de ses membres de lesnbsp;chercher et d�en prendre soin dans les diff�rents quartiers : elle faitnbsp;aussi trailer les malades pauvres domicile. L�OEuvre de Sainl-Louis-de-Gonzague, diverses Associations de Dames dans les paroisses, assistent les indigents incapables de travail, � raison de leurs inlirmit�s.nbsp;Les pauvres valides sont regus ii l�H�pital de la Charit� : on en comptenbsp;plus de mille. Pour les occuper, on a form� diverses manufactures; lanbsp;fabrication des �toffes de laine, des draps ordinaires, des tapis de pied,nbsp;des toiles, des cotonnades, emploie Ie plus grand nombre de bras.nbsp;II y a aussi diff�rents m�tiers et m�me une �cole de musique, o� Ienbsp;Roi prend des sujets pour sa chapelle. Nous y trouvAmes un grand ordre,nbsp;UD air g�n�ral de satisfaction sur tous les visages, et une s�parationnbsp;d��ge et de sexe convenablement Irac�e et r�guli�rement maintenue.
Mais qui dira tout ce que la charit� pi�montaise fait pour les en-fanls? Substitu� a l�ancien couvent de Salnt-Michel, l�hospice des Enfants-Trouv�s regoit ceux qui sont n�s ii la Maternit� ou qui ontnbsp;�t� expos�s. Le Pi�mont compte trente-deux hospices du m�me genre,nbsp;o� ces petites cr�atures sont environn�es de toutes les sollicitudesnbsp;maternelles de la charit�. Un nombre au moins �gal de pieuses institutions regoit les orphelins et les orphelines : les aum�nes et les fon-dations des fid�les en font presque tous les frais. h'Albergo Regio dinbsp;Virt� nous montra ses cent cinquanle jeunes gens de families pauvres,nbsp;gaiment appliqu�s � une foule de m�tiers. Depuis deux si�cles ce pr�-cieux �tablissement est en possession de donner au Pi�mont les oii-vriers les plus instruits, les plus estimables et les plus habiles.
Quant aux jeunes fdles pauvres qui ne trouveraient pas dans leurs families des garanties suffisantes contre le danger de la corruption,nbsp;la Casa del Soccorso leur ouvre un doux et sur asile. Ont-elles perdunbsp;leurs parents? T�tablissement des Pauvres Orphelines, fond� au milieu du xvP si�cle, les regoh �l��ge dehuit a douze ans. A vingt-cinqnbsp;elles ont la facult� de quitter la maison pour se marier, ou pournbsp;prendre le voile. Celles qui renlrent dans le monde rcQoivent le bien-fait d�une seconde adoption : elles sont cautionn�es par des personnesnbsp;honn�tes qui r�pondent de leur subsistence, qui les prot�gent et lesnbsp;surveillent. Ce patronage, si �minemment chr�tien, porte avec lui sanbsp;r�compense. Les orphelines en g�n�ral font honneur � leurs parentsnbsp;adoptifs. Elles aiment le travail, sont bonnes ouvri�res, modestes, so-bres et d�une excellente conduite; aussi elles sont recherch�es par lesnbsp;les families les plus estimables.
Parmi tant d�institutions, o� respire l�esprit de la plus g�n�reuse el
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de la plus inlelligeute charil�, il en esl deux qu�on ne peut oublier. Je ne sais si le christianisme a jamais op�r� de plus touchants miracles : je veux parler de I'OEuvre des Rosines et de la Petite Maisonnbsp;de la Providence. En 1716 naquit a Mondovi une jeune lille nomm�enbsp;Rosa Corona. Orpheline des I�enfance, d�laiss�e, sans appui, pauvrenbsp;des biens de ce monde, riche seuleraent d�une tendre compassion pournbsp;le malheur, elle voulut consacrer sa vie et son coeur � aider ses cora-pagnes d�inforlune. Ce qu�il lui fallut d�abn�gation et de peine on lenbsp;devine vaguement, Dieu seul le connait. Quant aux succ�s de son z�le,nbsp;tout le monde peut les admirer et les b�nir. Huit �tablissements ennbsp;Pi�mont, servant de refuge aux jeunes filles de treize � vingt ans,nbsp;doivent leur origine amp; la pers�v�rance de son d�vouement. Du nomnbsp;de leur bien-aim�e fondatrice, les diligentes �l�ves, sont appel�esnbsp;Rosines; et, depuis un si�cle, on les voit r�pondre admirablement �nbsp;ses instructions et ii ses exemples, par leur ardeur pour le travail, etnbsp;par leur douce et solide pi�l�. Toutes sont v�tues uniform�ment d�unenbsp;robe violette avec une petite coiffe d�indienne; le tout fort simple etnbsp;cependant de bon go�t. Elles peuvent rester dans l��tablissement toutenbsp;leur vie, et ne sortent jamais en viile, amp; moins d�une permission etnbsp;seulement pour affaires.
La seule maison de Turin contient trois cents jeunes filles. C�est l� que repose la bonne Rosa dont la modeste tombe pr�sente une inscription, touchaiile histoire de sa vie et de la tendresse de ses enfants.
QUl GIACE
ROSA GORONADI MONDOVI,
CHE DALLA GIOVINEZZA DEDICATASI A DIO,
PER LA Dl LUI GLORIA INSTlTui, ERESSE
IN PATRIA, Q�i E IN ALTRE CITTA RITIRI Dl ABBANDONATE FANCIULLEnbsp;PER FARLE SERVIRE A DIOnbsp;CON DAR LORO OTTIME REGOLEnbsp;PER GUI s�lMPlEGANO NELLA PI�TA, E NEI LAVORI.nbsp;NEL SUO GOVEBNO Dl ANNI PI� Dl TRENTAnbsp;DIEDE PROVE COSTANTInbsp;d�esimia CARITA e d�invitta FORTEZZA,nbsp;PASSO all� ETERNO RIPOSO al Dl -28 FEBRAROnbsp;l�anno 1770, Dell� eta s�a oo.
LE FIGLIE GRATE ALLA BENEFICA MADRE HAN POSTO QUESTO MONUMENTO.
L�autre merveille de Turin est la Petite Maison dela Providence. A quoi tiennent les plus grandes choses! Un diacre de Rome apergoitnbsp;en traversant le march� quelques esclaves en vente; il est frapp� de
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leur bonne mine; il en prend piti� : et de ce mouvement prompt comme l��clair naitra la conversion de la Grande-Bretagne. lei, quoi-que dans un ordre diff�rent, m�me principe et m�me succ�s.
A l�entr�e de l�hiver de 1828, une Frangaise, accompagn�e de son mari et de ses cinq enfanls, traversait Turin pour se rendre a Lyon.nbsp;Cette femme, enceinte de sept mois, tombe subitement malade; on lanbsp;pr�sente � la porte de tous les h�pitaux; aucun ne s�ouvre pour la re-cevoir, sous pr�lexte qu�elle n�est pas dans les cas pr�vus par les r�-glements. A peine de retour dans la petite auberge o� elle est des-cendue, cette pauvre femme meurt entre les bras du pr�tre qui estnbsp;venu l�administrer. Ce pr�tre �tait Ie chanoine Cottolengo. Une m�renbsp;de familie, une �trang�re, une malade repouss�e de tous les hospicesnbsp;et mourant, peut-�tre, faute de quelques soins donn�s i temps! cenbsp;spectacle �meut profond�ment Ie bon pr�tre. Son coeur a con�u l�id�enbsp;d�une maison destin�e � pr�venir Ie retour de semblables malheurs :nbsp;il n�y aura d�exclusion pour personne : pour avoir droit d�entr�e,nbsp;il sullira d��tre repouss� partout. Mais il n�a pas de ressources! Est-ce que la Providence ne nourrit pas les petits oiseaux? Riche seule-raent de sa charii� et de sa confiance en Dieu, Ie v�n�rable abb� placenbsp;d�abord quatre grabats dans les petites chambres d�une pauvre maison, situ�e dans un des quarticrs Ie plus populeux de la ville. Lenbsp;nombre des admis s�accroit rapidement; deux pieuses lilies en pren-nent soin. La charit� leur donne de nouvelles compagnes; c�est Ienbsp;noyau d�une congr�gation digne de saint Vincent de Paul.
A l��poque du chol�ra, on oblige le chanoine Cottolengo h transporter son hospice dans un autre emplacement. Apr�s bien des recherches, il trouve un local dans un des faubourgs. Ce d�placement pouvait faire p�rir l�oeuvre encoreau berceau, il fut l�occasion de son d�-veloppement. La charit� s��meut, on vient en aide au pieux fondateur;nbsp;et l��tablissement, qui, en 1829, recevait quatre malades, en comptenbsp;aujourd�hui quatorze cents. II s��tend chaque jour, car il ne refusenbsp;personne; tout ce qui ne peut trouver asile dans les autres institutionsnbsp;de charit� est re^u de droit it la Petite Maison de la Providence.nbsp;L�orphelin, l�enfant abandonn�, le sourd-muet, l�idiot, l��pileptique,nbsp;l�incurable, le cul-de-jatte, 1�inlirme, le malade, la pauvre lille d�-laiss�e, l�indigent et l��tranger, tous, jusqu�aux malheureuses victi-mes de la d�bauche, peuvent venir frapper i la porte de l�hospice,nbsp;certains qu�elle s�ouvrira.
Mais qui donne Ia nourriture i toutes ces bouches, des rem�des � toutes ces maladies? Chose prodigieuse, miracle inou� de confiancenbsp;d�une part, de protection divine de 1�autre! eet �tablissement colossal
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PETITE MAISON DE LA PROVIDENCE.
n�a ni biens-fonds, iii rentes, ni dotations, ni secours r�guliers; il de-mande � Dieu d�abord, puis h la cbarit� publiquc, la nourriture de chaque jour : et le pain quotidien n�a jamais manqu�; mais les aumd-nes, toujours suffisantes pour les besoins du moment, ne les ont jamaisnbsp;d�pass�s. La Providence laisse a son oeuvre cette existence pr�caire quinbsp;fail briber le caractcre vraiment divin d�un �difice b�li, pour ainsinbsp;dire, en Pair, sans fondements et sans appui, et qui croulerait amp; I�in-stant ra�me si la main qui le soutient venait a se retirer. Mais aussi lanbsp;modeste �glise de I�hospice retentit nuit et jour de supplications et denbsp;pri�res ; chacune des nombreuses families de la maison passe it sonnbsp;tour une heure au pied de I�autel.
O� est le noviciat des fr�res et des soeurs qui soignent tant de pau-vres et de malades? II est dans la maison. Quelle en est la p�pini�re? Les orpbelins et les orphelines qui viennent y chercher un asile. Outre les m�tiers et les professions utiles auxquels on les applique, onnbsp;les exerce a la noble vocation de servir les pauvres. Les orphelinesnbsp;apprennent a soigner les malades, et quelques-unes se pr�parent it de-venir Soeurs de Cbarit� : une partie des orpbelins se dispose aux fonc-tions d�infirmiers; les uns et les autres instruisent et soignent lesnbsp;petits enfants indigents qui viennent du dehors passer la journ�e dansnbsp;la maison. .4dmirable combinaison qui de l��ducation donn�e par lanbsp;cbarit�, fait naitre pour la charit� de nouvelles g�n�rations de minis-tres d�vou�s (i)! L�ltalie nous avail habitu�s aux miracles; mais j�avouenbsp;qu�elle nous reservait le plus grand de tous pour le dernier.
Au sorlir de ce lieu ou la charit� de J�sus-Christ vous p�n�tre de ses flammes et se montre aussi vive, aussi pure, aussi �tonnante quenbsp;dans les plus beaux jours de l��glise, nous nous rendimes chez M�*' la
marquise de B....., I�aimable et pieuse b�tesse de Silvio Pellico. L�il-
lustre prisonnier du Spielberg, a qui nous �tions adress�s, nous refut avec une al�abilil� parfaite. Quand on nomme un conspirateur, unnbsp;carbonara, un criminel de l�ze-majest�, I�imagination se repr�sentenbsp;involontairement un homme aux traits diirs, au regard farouche, a Pairnbsp;sombre et m�cbant, aux formes plus ou moins athl�tiques, h la voixnbsp;criarde ou retenlissante : quel fut done noire �tonnemenl! je diraisnbsp;noire indignation, en voyant un pelil homme qui alteint � peinenbsp;quatre pieds et demi de hauteur, amp; la complexion d�licate, au visagenbsp;doux et riant, aux mani�res affables, au maintien simple et modeste;nbsp;un homme qui ne parle de ses prisons que pour b�nir la Providencenbsp;et excuser ses bourreaux; qui joint a l�humilit� d�un enfant, la pi�t�nbsp;d�une jeune fille, et le courage patient d�un solitaire! Pour d�couvrirnbsp;(i) Voyez Instituti di bencficenza a Torino, par M. Sacchi.
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un conspirateur digne du carcere duro, dans une semblable cr�ature, il faut avoir les yeux de la police autrichienne : tel fut Ie premier motnbsp;qui s��chappa de toutes les bouches en sortant de rh�tel.
L�heure du d�part �tait arriv�e. G�est avec bonheur que nous primes place dans la voiture, dont Ie dernier tour de roue devait s�arr�-ter sur Ie sol de France. En sortant de Turin par la porte de Suze, on s�inclinedevant la pyramide de Beccaria; puis, entrant dans une plainenbsp;richement cultiv�e, on laisse Ji gauche Pignerol et Fenestrelles. Lanbsp;premi�re rappelle au voyageur Ie myst�rieux Masque de fer, et Fou-quet et Lauzun, prisonniers de Louis XIV, et Ie v�n�rable cardin,alnbsp;Pacca, prisonnier de Napol�on. La seconde redit Ie passage de 1�arm�enbsp;fran^aise en 1316, glorieux pr�lude de 1�escalade du Grand-Saint-Ber-nard. Au fond des vall�es voisines subsistent depuis sept cents ans lesnbsp;restes des Vaudois. Ges h�r�tiques, si redoulables et par leurs exc�s etnbsp;par leurs doctrines subversives de tout ordre religieux et civil, fermentnbsp;eux-m�mes une soci�t� et une religion qui compte environ vingt millenbsp;adeptes. Ils sont en g�n�ral agriculteurs et bergers, ils vivent de lanbsp;culture de leurs vall�es et du produit de leurs troupeaux. Ils ont desnbsp;temples et des ministres appel�s mod�rateurs ou barbes, communi-quent peu avec les pays voisins et se montrent tr�s-attach�s � leursnbsp;erreurs.
Sur la route, voici Bivoli dont Ie chateau servit de prison � Victor-Am�d�e II; plus loin, on aper^oit � travers les plants press�s de m�-riers, Ie gracieux village d�Avigliano, renomm� par ses soieries ; deux lieues au del�, pr�s du bourg Saint-Ambroise, s��l�ve sur Ie sommetnbsp;pyramidal du Saint-Michel, un convent de B�n�dictins, qu�on pren-drait pour un donjon mena?ant du moyen �ge. Enfin, c�toyant lesnbsp;Lords escarp�s de la Doire, et contemplant une derni�re fois la vignenbsp;mari�e � l�ormeau, nous arrivAmes a Suze. Salut h la jolie petite ville!nbsp;Salut � son Pas, si difficile et si fameux dans les annales de nos guer-res! Salut a son Arc de Triomphe en marbre d�di� a Auguste, et dontnbsp;la frise a�rienne ofire l�image sculpt�e d�un triple sacrifice ; partoutnbsp;o� Ie peuple-roi laissa des monuments de sa puissance, il grava unnbsp;hommage a la religion. La nuit vint nous surprendre dans ces Ther-mopyles de ITtalie, mais elle ne devait pas nous arr�ter. Tandis quenbsp;nous devisions assis autour d�un large foyer, on transportait la caissenbsp;de la voiture sur un traineau, seul moyen de continuer Ie voyage aunbsp;milieu des neiges.
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ADIE�X A L ITALI�.
25 AVRIL.
Adieux a l'Italie. � Plateau du Mont-Cenis. � Hospice des Pclerins. � Lans-Ie-Bourg. � Route des Atpcs. � Saint-Jean-de-Maurienne. � Aiguebelle. � Chamb�ry. � Passage des �chelles. � Pont de Beauvoisin. � Lyon. � Retour a Nevers.
La lueur douteuse de nos lanternes ne nous permit pas de voir remplacement du fort de la Brunette; mais Ie voyageur chr�tien et francais ne peut oublier Ie brave chevalier de Belle-Isle, p�re de l�excel-lent mar�chal de ce nom, qui mourut ici en 1747, victime de son courage. II est done dit qu�on ne peut faire un pas, n�iniporte dansnbsp;quelle partie de ritalie, depuis les Alpes jusqu�aux Abruzzes, sansnbsp;heurter du pied des ossements francais. G�nie, or, sang, courage,nbsp;nous avons tout d�pens� pour conqu�rir un pays o� jamais nous n�a-vons pu asseoir notre domination, et dans lequel aujourd�hui nous nenbsp;poss�dons pas m�me un pouce de terrain : Mysl�re !
Les premiers feux du jour �clairaient l�horizon, lorsque nous arri-v�mes � l�auberge de la Grande-Croix. Pendant la halte oblig�e des traineaux, nous jetftmes un dernier regard sur l�Italie, i laquelle nousnbsp;fimes nos souhaits et nos adieux. Je ne sais, mais il semble qu�aunbsp;sommet des Alpes, �t six mille pieds d��l�vation au-dessus de la mer,nbsp;au milieu du silence de la nature, Ie spectateur s'isole plus facilementnbsp;de ses pr�jug�s, Ie regard devient plus p�n�trant, Ie jugement plusnbsp;calme; l�esprit s�agrandit avec l�borizon, Ie coeur se dilate, les sentiments arrivent plus vifs et plus purs; on voit mieux la grandeur ou lanbsp;petitesse des hommes, la r�alit� ou Ie n�ant des choses; il se faitnbsp;comrae un triage du bien et du mal, qui permet d�appr�cier les vraiesnbsp;conditions de la gloirc, du bonheur et de la vie des nations.
Brillante Ausonie, qui resplendit, parmi les peuples, comme Ie diamant au front des monarques, tu fus la m�re incomparable des grands capitaines, des grands po�tes, des grands navigateurs, des grands artistes : Alma Parens, magna vir�m. Le marbre, Ie bronze, les m�-taux pr�cieux, anim�s au souffle de ton g�nie, s��l�vent en statues, ennbsp;temples, en palais, en fontaines, en arcs de triomphe, en ob�lisques,nbsp;en monuments de tout genre, et couvrent ton sol privil�gi�, magnill-ques et nombreux comme les sapins s�culaires qui couronnent lesnbsp;cimes a�riennes des Alpes et de l�Apennin. La terre semble, pour toi,nbsp;avoir �chapp� � la mal�diction primitive; docile a ta main, elle pro-duit avec abondance non-seulement le pain qui entretient la vie denbsp;l�homme, le vin qui r�jouit son coeur, la soie qui lui donne un v�le-ment royal; mais encore les fruits les plus d�licieux � son gout, lesnbsp;fleurs les plus douces ii son odorat el les plus agr�ables a sa vue.
-ocr page 366-362 nbsp;nbsp;nbsp;LES TROIS ROME.
Gracieusc comme la ceinture nuptiale de la jeune vierge (i), une mer d�azur entoure tes rivages et t�apporte les productions les plusnbsp;rares des pays lointains; telle est l�heureuse temp�rature de ton cli-mat, que des milliers de malades viennent de tous les points du globenbsp;lui deniander la gu�rison; tandis que ton ciel, presque toujours sansnbsp;nuage, semble jaloux de faire briber d�un �clat immortel toutes lesnbsp;nuances de tes graces et de ta ravissante beaut�. Brillante Ausonie,nbsp;r�jouis-toi; tu pourras perdre, tu as perdu peut-�tre d�autres sceptres;nbsp;mais tant que l�amour des merveilles de la nature et de Tart vivranbsp;dans Ie coeur de rhomme, tu seras Ie premier objet de son ardentenbsp;curiosit� et Ie terme final de sa l�gitime admiration.
�outefoisun esprit calme et p�n�trant voit-il dans tous ces avantages Ie veritable principe de la gloire et du bonheur de l�Italie? H�las! cesnbsp;biens apparents sont plut�t une cause de ruine qu�une source de pros-p�rit�. N�est-il pas connu que la richesse du sol est la compagne ordinaire de la mollesse des moeurs; que la mollesse des mceurs engendrenbsp;la corruption des coeurs, et que la corruption conduit d�un pas plusnbsp;OU moins rapide, mais toujours infaillible, a la destruction des soci�-t�s? Et puis, quoi de plus propre 5 provoquer des invasions d�sas-treuses que tant de biens r�unis dans ce pays enchanteur? C�est aunbsp;point qu�en parcourant les annales trente fois s�culaires de la P�nin-sule, on est forc� de s��crier : � Malheureuse Itali�, d��tre si belle etnbsp;d�exciter, de si�cle en si�cle, la convoitise de tous les Barbares! � Lenbsp;principe de sa vie, Paine de sa gloire, c�est la religion. Elle fit sa forcenbsp;avant 1�Evangile, et lui donna l�empire du monde : Nulla unquamnbsp;(civitas) nee major, nee sanctior. Depuis l��vangile, elle la maintientnbsp;sur le tr�ne de l�intelligence, et la fait r�gner sur les peuples, commenbsp;le soleil sur les astres du firmament, pour leur communiquer la lu-mi�re, r�gulariser leurs mouvements, et, les entrainant dans son or-bite, maintenir Pharmonie universelle.
Rechercher partout ce principe vital, le d�voiler aux regards de ceux qui viendront apr�s nous, tel a �t� l�objet de notre long p�leri-nage. Ce principe nous est apparu dans le d�cret particulier de lanbsp;Providence, qui a choisi 1�Itali� pour le centre de la foi; il nous estnbsp;apparu dans les tombes des martyrs, dont le sang continue de f�condernbsp;cette terre qu�il d�trempa jusque dans ses profondeurs; dans les Basi-liques des Saints, que la pieuse Itali� environne d�un culte si magni-fique, si filial et si tendre; dans les p�lerinages si nombreux, dans lesnbsp;d�votions si na�ves � la Vierge M�re de Dieu, protectrice de l�innocencenbsp;et refuge des p�cheurs; dans les institutions de charit� si intelligentes
(�) J�r�mie, vi, 11,32.
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el si vari�es, qui portent la vie dans toules les veines du corps social avec plus d�abondauce et de bonheur que les mille canaux d�irriga-tions dans les plaines de la Toscane on de la Loinbardie; dans le respect pour l�autorit� paternelle; dans l�ob�issance g�n�rale aux raagis-Irats et aux souverains; dans la foi en Dieu, a T�glise, au pape et �nbsp;sa parole souveraine.
Les gloires ext�rieures de 1�Itali� ne sonl qu�un reflet de cette lu-mi�re cach�e, la manifestation multiple de ce principe vital. Puissent les voyageurs le bien comprendre, et ne plus provoquer par leursnbsp;sarcasmes, leurs faux jugements, leurs railleries, les populations ita-liennes au m�pris des seules et v�ritables garanties de leur existencenbsp;et de leur prosp�rit�! Puisse l�Italie elle-m�me repousser comme lenbsp;pi�ge le plus dangereux, le r�ve, aujourd�hui si chaudement caress�,nbsp;d�une r�publique, d�une conf�d�ratipn, que sais-je? d�une unit� chi-m�rique qui r�unirait toutes ses provinces sous un sceptre comraun!nbsp;N�e dans les loges t�n�breuses du carbonarisme, propag�e par l�espritnbsp;mauvais qui souffl� aujourd�hui sur le monde, d�sir�e par ceuxquin�ontnbsp;vu que de loin la pr6tenduelibert�,la pr�tendue grandeur, lapr�tenduenbsp;f�licit� des soci�l�s la�ques. Pour l�Italie, cette utopie rec�le dans sonnbsp;sein la guerrecivile,lapertedela libert� etla spoliation du Saint-Si�ge.
La guerre civile. Quelle sera la capitale de la nouvelle r�publique? L�Italie fut-elle jamais habit�e par un peuple homogene? Son histoirenbsp;n�est-elle pas le r�cit continuel des sanglantes rivalit�s des �trusquesnbsp;et des Samnites, des Volsques et des Latins, des Grecs et des Gauloisnbsp;�tablis sur son territoire? Le Toscan et le Pi�montais, le Lombard etnbsp;le V�nitien, le G�nois et le Parmesan, le Remain et le Napolitain,nbsp;n�ont-ils pas h�ril� de I�anlipathie et des pr�tentions de leurs a�eux?nbsp;Vouloir composer de tant d��l�menls contraires, un tout homog�ne capable d�union; vouloir faire c�der a des int�r�ts poliliques de pareillesnbsp;r�sistances provenani de la diff�rence des races ; el des cinq capitalesnbsp;italiennes en obliger qualre 5 renoncer a leurs pr�tentions pour re-connaitre la supr�malie d�une de leurs rivales, c�est une tentative impossible en elle-m�mc et qui ne tarderail pas amp; devenir sanglanle.
La perte de la libert�. Si la libert� n�est pas la licence; si la libert� implique le droit reel et-pratique d�agir sans entrave dans la sph�renbsp;o� la Providence a plac� chaque ville, chaque province, chaque individu; le droit de manifester sa pens�e quand elle est juste, noble,nbsp;bienfaisante; le droit de parvenir aux dignit�s el aux honneurs quenbsp;m�ritent le travail, la science, la verlu, le g�nie; le droit de faire r�-parer les torts et les injustices dont on peut �lre la viclime dans sanbsp;personnc, dans son honneur ou dans sa fortune; en un mot le droit
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pour chacun de remplir facilement ct sans crainte les devoirs de la double soci�l� humaine et divine : I�histoire pass�e et pr�sente d�posenbsp;que ritalie, Rome surtout, jouit d�une plus grande somme de liberl�nbsp;que tont autre pays du monde. Que deviendrait celle liberl� dansnbsp;rhypoth�se del�iinit� mat�rielle, de la centralisation et du gouvernementnbsp;repr�sentatif? Un cri g�n�ral ne s��l�ve-t-il pas du sein des peuples quinbsp;en ont essay�, contre un syst�me qui confisque, au profit d�un �tre id�al,nbsp;collectif, et forc�ment irresponsable, �lat, Gouvernement, Chambre,nbsp;quel que soit son nom, l�intelligence, l��ducation, la fortune, la liberl�nbsp;des villes, des provinces, des parliculiers, transform�s en automates?
La spoliation du Saint-Si�ge. Voila Ie dernier mol de la r�volulion, non-seulement en Itali�, mais dans Ie reste de l�Europe. A qui fera-t-onnbsp;croire que les ap�lres de la jeune Ausonie travaillent h metlre entrenbsp;les mains du Pape Ie sceptre de la P�ninsule? Quand tel serail leurnbsp;but, la r�alisalion de leur projet serail encore un malheur. Autant ilnbsp;convient au vicaire de J�sus-Christ d��tre mat�rielleraent ind�pendant,nbsp;autant il lui si�rait mal d��tre souverain d�un grand empire? Dans lesnbsp;jours d�orages o� nous vivons, son tr�ne temporel ne serait-il pas unnbsp;obstacle permanent au libre exercice de son pouvoir spirituel? Nenbsp;voyez-vous pas la jalousie des puissances, les intrigues de la diplomatie, la d�fiance d�s peuples, la haine peut-�tre 1�assi�ger jour etnbsp;nuit et faire disparaitre Ie P�re et Ie Pontife sous Ie visage d�figur� dunbsp;nionarque? Mais c�est trop longlemps discuter une supposition �vi-demment chim�rique. Dans Ie plan r�el de la future r�publique, lesnbsp;�tats Pontifleaux ne seraient qu�une province de second ordre, lelienbsp;par exemple que la Lombardie et la Toscane, et Ie Saint-P�re Ie iribu-taire et Ie vassal de l��tat. Mais alors que devient 1�ind�pendance mat�rielle du chef de l��glise? que devient l��glise elle-m�rae? quenbsp;deviennent l�enseignement de la religion et la foi des peuples, et Ienbsp;gouvernement de la grande soci�l� r�pandue aux quatre coins dunbsp;monde? que deviennent, en derni�re analyse, la liberl� et la civilisation? Ce que deviendrait l�harmonie des cieux si vous parveniez inbsp;enchainer Ie soleil.
En jetant un dernier regard sur l�Italie, toutes ces pens�es venaient en foule se pr�senter ^ mon esprit. C�est qu�en parcourant les diversesnbsp;parties de eet heureux pays, quelques bruits sourds parviennent iinbsp;1�oreille du voyageur altentif. Un feu souterrain br�le dans les entrail-les de la terre, il pourrait un jour faire explosion. Puisse Ie Dieu denbsp;toute bont� qui prot�g� si manifestement l�Italie, �teindre Ie volcan!nbsp;Si la P�ninsule doit �tre punie, qu�elle Ie solt par la perte des biensnbsp;If-mporcls qui l�cnrichissent, mais que jamais sa foi, ni sa pi�l� ne
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PLATEAU DO MOXT-CENIS.
s�aU�rent. Pourvu qu�elle conserve intact ce double tr�sor, f�t-elle d�pouill�e de lout Ie reste, elle sera toujours assez riche, assez puis-sanle, assez heureuse. Elle aura Ie principe immortel qui fit de Romenbsp;la reine �lernelle du monde, et de la brillante Ausonie, sa fille de pr�-dilection ; Nulla unquam civitas nee major, nee sanelior, nee bonisnbsp;exemplis ditior fait.
Cependant l��quipage convenablement chauff� se remit en marche, et nous fumes bienl�t sur Ie plateau du Mont-Cenis. Le vert gazonnbsp;donl il est couvert pendant l��t�, les narcisses, les renoncules, lesnbsp;violeHes, les mille fleurs qui le tapissent et qui I�embaument, avaientnbsp;disparu sous des monlagnes de neige. Leurs flancs, entr�ouverls parnbsp;la main des hommes, nous offrirent un �troit mais long passage enlrenbsp;deux hautes murailles dont la solidit� d�pendait uniqueraent de quel-ques degr�s de plus ou de moins dans le thermom�tre. Bien nous pritnbsp;de voyager par un temps sec et un ciel serein; car un d�gel, unenbsp;bourrasque pouvait nous ensevelir comme taut d�autres sous les avalanches. Afin de porter secours aux malheureux p�lerins de ces mon-tagnes surpris par la temp�te, la charil� catholique a bAli au milieunbsp;de la plaine un de ses avant-postes. Trois quarts de lieue au deli denbsp;VHospiee des P�lerins, on commence h descendre. Une route en zignbsp;zag qui semble tomber de pr�cipice en pr�cipice conduit Lans-le-Bourg. On est agr�ablement surpris de trouver, au sortir de ces solitudes sauvages, un petit village tr�s-vivant, tr�s-anim� : Lans-le-Bourgnbsp;est le point de rencontre des voyageurs d�Ilalie et de Savoie. Aussi lenbsp;confortable n�y est point inconnu ; t�raoin le diner qui nous fut servinbsp;au Lion-d�Or, et que nous primes avec un app�tit savamment aiguiscnbsp;par le grand cuisinier du pays, l�air des Alpes.
Enrichie d�un rliume de premi�re qualit�, que notre excellent conducteur essaya vainement de fondre ii la chaleur d�un vieux Bordeaux, notre caravane reprit son mouvement de descente par une route si-nueuse, trac�e sur les bords escarp�s de l�Arque, entre deux alTreusesnbsp;chaines de montagnes rocheuses. De profonds abiraes, de sombres fo-r�ls de sapins, des torrents qui se pr�cipitent avec fracas; des pyra-mides de granit qui surplombent au-dessus de votre l�te, des quartiersnbsp;de rochers d�tach�s du tlanc de ces masses giganlesques, des cavernesnbsp;b�antes, repaires des loups et des ours, redoulables seigneurs de cesnbsp;montagnes : tel est le gracieux spectacle qui se prolonge, sauf quel-ques l�g�res vari�t�s, pendant l�espace de ireize lieues, de Lans-le-Bourg � Saint-Jean-de-Maurienne.
Pourtant, s�il faut en croire l�histoire, c�est par ce chemin aujour-d�hui infiniraent moins difficile qu�il n��lait il y a un si�cle, qu�\nnibal
T. lil. nbsp;nbsp;nbsp;10
-ocr page 370-3�6 nbsp;nbsp;nbsp;les TROIS ROME.
franchit les Alpes avec des chevaux, des �l�phants et tout I�embarras-santattirail d�une armee d�invasion. Le passage du Grand-Saint-Bernard par Napol�on fut-il plus glorieux? C�est unjoli th�me de rh�torique.
A Saint-Jean-de-Maurienne, la vall�e commence h s�ouvrir; on aper-goit g� et la quelques coins de terre v�g�tale. On se souvient de Charles le Chauve mourant ici empoisonn� par son m�decin juif; on g�mit � lanbsp;vue des goitres et des cr�tins; on salue le champ de bataille pr�sum�,nbsp;o� Annibal battit les Allobroges et perdit son arri�re-garde; puis lanbsp;vue se repose sur le village d�Aiguebelle, sur la jolie �glise de la Trappenbsp;qui ne saurait �tre mieux plac�e; puis on quitte la vall�e de Mauriennenbsp;dont Aiguebelle est la clef. Autant la population de ces montagnesnbsp;solitaires est pauvre, autant elle est laborieuse et morale. De toutesnbsp;les provinces du Pi�mont el de la Savoie, la Maurienne est la seule quinbsp;n�ait pas d�hospice pour les enfanls trouv�s : elle n�en a pas besoin.
Salut mainlenant it 1�Is�re, moiti� savoyarde et moiti� frangaise; salut it Montm�lian, � ses jolis c�teaux plant�s de vigne, it ses fortifications en ruines, qui jadis arr�l�rent Louis Xlll et sa brave arm�e.nbsp;Nous voici ii Chamb�ry, la capilale de la Savoie. Sur les noirs pav�snbsp;de ses rues �troites, Toreille du p�lerin croit entendre les pas raesu-r�s des l�gions de C�sar, descendues des Alpes pour faire la conqu�tenbsp;des Gaules; puis, sous les votites de la pieuse cath�drale, la voixnbsp;ch�rie de saint Frangois de Sales, l�ap�tre de ces montagnes. A quelquenbsp;distance, Toeil rencontre deux illustres berceaux, celui du grandnbsp;corate de Maistre, et celui du g�n�ral de Boigne. Honneur, reconnaissance, immortalit�, au g�nie dont la main puissante saisit Voltaire etnbsp;brisa le colosse au pied d�argile; dont le regard �lev� presqu�it l�inlui-tion divine, sonde avec la m�me facilit� les myst�res de la Providencenbsp;et les profondeurs de l�avenir, et dont la parole parfaitement originalenbsp;se grave dans les coeurs comme la pointe du burin sur le cuivre ounbsp;sur l�acier. Honneur, reconnaissance, immortalit� au guerrier g�n�-reux, deux fois digne de ce nom, qui, apr�s avoir, au prix de son sang,nbsp;vaincu les ennemis de sa patrie, remporta une victoire plus noble encore, en versant son immense fortune dans le sein des pauvres.
Admirons maintenant l�industrie huraaine, qui ii force d�audace et d�opini�tret� a ouvert la belle route sur laquelle nous sommes, ennbsp;pergant et en faisant sauter pendant une demi-lieue des rochers gigan-tesques dont la masse effraie l�imaginalion. Ce n�est pas d�hier quenbsp;l�irapossible lui sourit et qu�elle aime ii le tenter. II y a vingt si�cles,nbsp;Horace lui en faisait le po�tique reproche : Nil intentatum reliquit,nbsp;audax Japeli genus. Si on les interroge, ces roes disloqu�s, entr�ou-verts par la mine, r�pondront que leurs fr�res ou leurs a�eux vol�rentnbsp;en �clats � la vapeur du vinaigre br�l� par Annibal. 11 est probable
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RETOUR A NEVERS.
que c��lait du vinaigredesquatrevoleurs; l�histoire n�en dit mot; mais on affirmequ�il seraitplus facile aujourd�hui que jamais des�en assurer.
Apr�s Ie bourg des �chelles, on traverse Ie Giers, esp�ce de torrent qui mugit au fond d�un ravin dont la pente d�une �l�vation prodi-gieuse cache ses ondes �cumantes. Bient�t il se montre sous la formenbsp;d�une petite rivi�re calme et inoffensive, faible barri�re qui s�pare lanbsp;France de la Savoie : nous entrons sur Ie Pont de Beauvoisin. Adieunbsp;au costume Savoyard, italien, napolitain, autrichien; adieu � la Do-gana, aipassaporti, alia buona mano. Tout change; voici l�uniforraenbsp;francais, Ie frac vert liser� bleu; voici la douane et les passe-ports etnbsp;les plorabs de s�ret�. On nous fouilla consciencieusement et presquenbsp;poliment; puis, nxpyennant cinquante centimes on nous plomba dansnbsp;toutes les r�gies, et quelques heures apr�s la diligence Bonafous nousnbsp;d�posait sur Ie pav� de Lyon : Ie eerde de nos p�r�grinations �tait fini.
Trois jours furent donn�s au repos et � l��tude fort int�ressante des �tablissements qui font la gloire de la ville des Aum�nes. Fourvi�res,nbsp;avec son d�vot p�lerinage, Saint-Jean, si heureux de poss�der Ie coeurnbsp;de saint Vincent de Paul; les Chartreux et leur belle �glise, Saint-lr�-n�e, la Prison de saint Pothin et de sainte Blandine, les ossements desnbsp;dix-neuf mille martyrs; Ainay, jadis si redoul� des po�tes et desrh�-teurs; Ie pieux Cimeti�re de Saint-Just; la Charlt�, avec son peoplenbsp;de vieillards et ses molles couchettes pour les petits enfanls expos�s,nbsp;une foule d��gllses brillantes d�oeuvres et d�institutions de charit�,nbsp;tout ce spectacle de pi�t�, de foi, de luxe catholique, renouvela quel-ques-unes des impressions �prouv�es au-del� des monts. Elles nousnbsp;furent bien douces; car, � partir des fronti�res de France, les croix,nbsp;les madones, les oratoires, les signes religieux qui couronnent lesnbsp;montagnes et qui bordent les chemins d�Ilalie avaient disparu. Plusnbsp;de po�sie pour Ie coiur, plus de charmes divins au p�lerinage : par-toul la froide image d�un mat�rialisme monotone.
Le 27, a midi, nous arrivions sains et saufs au point du d�part. Ai-je besoin de dire que la vue de Kevers �mut d�licieusernent notre ftme etnbsp;appela sur nos l�vres la pri�re par laquelle, six mois auparavant, lenbsp;voyage avait commenc�? � O Dieu! protecleur des enfants d�Isra�l,nbsp;qui leur avez fait traverser la mer Rouge � pied sec, qui avez indiqu�nbsp;aux Mages, par la lumi�re d�une �toile, le chemin qui conduisait �nbsp;vous : daignez nous accorder un voyage heureux, un temps serein,nbsp;afin que sous la conduite de vos saints Anges nous arrivions au lieunbsp;o� nous allons, nous revenlons sains et saufs � celui d�o� nous par-tons, et qu�ensuite nous parvenions heureusement au port du salutnbsp;�ternel. Amen. d Puisse-t-il en �tre ainsi!
ris DU TOME TROISI�ME.
-ocr page 372-CONTENUES DAKS LE TOME TROISI�ME.
Pages.
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Fevrier. Voyage a Mugnano. Cenietino. Calacombes. Eglise. Christ de Constaulin. Insiruiiients de marlyre. Grotle de Saint-Felix.nbsp;Fourclies-Caudiues. Mugnano.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;S
� Champ de hataille de Cannes. Marche d�Annihal. Nolo. Saint Paulin. Auguste. Les cloches. Retour a Naples.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;11
28 � Preamhule. Anecdote sur saint Alphonse de Liguori. Nocera. Fr�re Philippe. Chamhre de saint Alphonse de Liguori. D�tails surnbsp;sa mort. Son portrait. La Cava. La hihlioth�que. Retour a Naples.nbsp;Pr�dicateurs dans les rues.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;15
Mars. Ischia. Procida. Vepres Siciliennes. Grotte d�Azur. Capri. Souvenirs de Tih�rc. Monte Solaro. Souvenirs des Frantais. Sa-lerne. Toinhcau de saint Malthieu, de saint Gregoire VII. Amalfi.nbsp;Cathedrale. Souvenirs historiques. Atrani. Portes de San-Salvatore.nbsp;Sorento. Le Tasse. Quisisana. Castellaniare. Vierge de Pozzano.nbsp;Barque marchande. Pieux usage.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;25
� nbsp;nbsp;nbsp;Depart de Naples. Ohservatioiis sur le peuple Napolilain. Capoue.
Anecdote. Calvi. Ponte-Storto. nbsp;nbsp;nbsp;29
� nbsp;nbsp;nbsp;Ai �ce. Arpino. Souvenirs de Ciceron et de Marius. Aquino. Sou
venirs de saint Thomas, Rocca-Sccca et le P. San Germane. Ce-prano. Frosinone. Fcrenlino. Souvenirs profanes. Prison de saint Amhroise. Angelus du soir. L�auherge de la Fontaine.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;41
� nbsp;nbsp;nbsp;Anagni. Villa de Ciceron. Cathedrale. Crypte. Tomheau de saint
-� C�r�moine de la Rose d�or. Charite romaine dans I�ordre moral. Catcchisme. Archiconfr�rie de Sainte-Maric-del-P/anto. Fete imp�riale. Retraite de premi�re Communion. Sainte-Lucie-in-Trastewre.nbsp;Saint-Vit sur l�Esquilin.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;-nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;40
� nbsp;nbsp;nbsp;Visite a Owerheck; d�tails sur eet artiste. Ce que fait Rome pour
preparer aux Paques. Pr�dication. Satations. Cal�chismes. Retraites. Pompes religieuses. Remarques d�un protestant.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;55
� nbsp;nbsp;nbsp;Ce que Rome fait lous les dimanches pour entrelenir la vie mo-
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-ocr page 373-TABLE DES MATIEKES. 569
Tiiges.
rale. Instructions paroissiales et particuli�res. Mission urbaine. Exercices de Saint-Vil et de Sainte-Marie-in-Copeiia. Interpretationnbsp;de rEcriture. Cheniin de la Croix au Colis�e. Saint du Saint-Sacre-ment. Tons les jours de la seniaine, instructions et pratiques ennbsp;rhonneur de Notre-Seigneur et de la sainle Vicrge. Enterrement.
9 nbsp;nbsp;nbsp;Mars. Sainte Frangoise, Romaine. Oratoires nocturnes. Le Caravita.nbsp;Ecoles du soil'.
10 nbsp;nbsp;nbsp;� Exposition et adoration perpetuelle du Saint-Sacremcnt. Cultenbsp;perpetuel de .Marie.
� Neuvaine a Saint-Joseph. Preparation aux fetes. Ce que Rome fait chaque jour de la semaine pour entretenir la vie morale. Predication aux juifs.
� nbsp;nbsp;nbsp;Messe a Saint-Nicolas-in-Carccrc. Association de Saint-Louisnbsp;de Gonzague. OEuvre delle Pericolanli. R�floxions. Statistique morale.
� nbsp;nbsp;nbsp;Messe a Saint-Stanislas-Kostka. Cliaritc romaine pour rendrenbsp;la vie morale. Prisonniers. Visile au Chateau Saint-Ange, au Capi-tole, aux Tliermes de Diocl�lien. Archiconfr�rie de Saint-J�r�me.nbsp;Prison de la Via Giulia.
� nbsp;nbsp;nbsp;Saint-Pierre-in-.Montorio. Visite au P�nilencier des jeunes d�-tenus. Association de la Piti� des Prisonniers. Saint-.Michel. Autres
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oeuvres en faveur des d�lenus. Les Irlandais a Sainte-Agathe-aHa-Subura.
� Visite a l�Eglise de Sainl-Aiigustin. Bibliotlicque Angelica. Refuges de la Croix de Lorette, de Sainlc-Marie-Mi-Tras(ewre, de la Divine-Cl�mence. Reflexions.
� Une fete au Palais Massimi. L�Apollinaire. L��niversitc. Le College roraain. Les Bibliotb�ques.
1� � Les villas. Villa Albani. Inslitut de M. Campa. Villa Ludovisi. Borgh�se. Pampbili.
18 � Pyr.amide de Cestius. Explication archcologique de ce monument. Dictionnaire des Sigles. Combien il est uiile au xmyagcur en Itali�.
� Porte Trigemina. Chapelle de l�Adien. Sainl-Paul-Aow-te-murs. Saints-Viucent-et-Anastase. Saint-Paul-Trou-FontaincA.
� DimancheS des Raraeaux; Anecdote. Arc de Drusus. Voies Romaines. Voie Apienne. Basilique de Saint-S�bastien. Souvenirs.nbsp;Inscription. Villa de Maxence. Temple el Cirque de Romulus,nbsp;�ombeau de Cmcilia Meialla. Eglise du Donmie, quo vadis? Parolesnbsp;de saint Ambroise et de Suarezr.
21 nbsp;nbsp;nbsp;� Frascati. Villas. Lc cardinal Micara. Tusculum. Grotia Ferrata.
22 nbsp;nbsp;nbsp;� Palestrine. Souvenirs do Pie VI. Subiaco. Tivoli. Cath�drale.nbsp;Souvenirs de sainte Symphorose. Temple de Vesta, de la Sibylle.nbsp;Villa de M�c�ne. Les Cascatelles. Villa de Varrus ou Madona delnbsp;Quinligliolo. Grotte des Sirenes. Villa d�Estc. Villa d�Adrien. Tom-beau de la familie Plautia. La Solfatare. Ponte Mammolo. Rentreenbsp;a Rome.
23 nbsp;nbsp;nbsp;� Eglise de la M.adeleine. Saint-Caraille de Lellis. T�n�bres a lanbsp;Chapelle Sixline. Difficult� d�y assister. Idee g�n�rale de rofflcc.nbsp;Peifitures de la chapelle. Chant des Psaumes et des Lamentations.nbsp;Miserere de Baini, de Bai, d�Allegri. Jugement de M^' Weisman.
21 � Messe a la chapelle Sixtine. Offertoire de Palestrina. Procession
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a la Cliapelle Pauline. Lavement des pieds. Table de la G�ne. Fonc-tions du grand Penitencier. T�n�bres. Lavement de I�aulel a Saint-Pierre. Reposoirs. Sermon de la passion a Saint-Andre-rZeHa-VaHe.
23 Mars. Vendredi Saint. Coup d�oeil sur Rome. Veneration des reliques a Sainte-Croix-en-Jerusalem. Office a la Cliapelle Sixtlne. Adoration de la Croix. Tribut royal. Exposition de la vraie Croix. T�n�bres. Veneration des reliques a Saint-Pierre. Les trois heures d�a-gonie. Le Chemin de la Croix. L�heure de Marie d�sol�e. Office �nbsp;selon le rit Grec.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;L�academie desnbsp;nbsp;nbsp;nbsp;Arcades.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;160
26 nbsp;nbsp;nbsp;� Cliapelle Sixtine. Chant de VExsuUet, des Proplieties et desnbsp;Litanies solennelles. Messe du pape Marcel. Riograpliie de Pales-
. trina. Chant du Gloria in Excelsis. L�Alleluia. Visite au tombeau de Palestrina. Aspect de Rome. Messe arm�nienne. Couronnementnbsp;de la salnte Vierge. La Trinit� des P�leriiis. Le Colisee au clair denbsp;la lune.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;161
27 nbsp;nbsp;nbsp;� Paques. Vue de Rome et de Saint-Pierre. Entree du Pape.
Messe. Vue de la Place Saint-Pierre. R�n�diclion solennelle. Fete dans les families. Illuminationnbsp;nbsp;nbsp;nbsp;dunbsp;nbsp;nbsp;nbsp;Vatican.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;172
28 nbsp;nbsp;nbsp;� Adieux a Rome pa'ienne. Feu d�ariifice du Chateau Saint-Ange. R�flexions sur les solennit�s romaines de la Semaine Sainte
et de Paques. nbsp;nbsp;nbsp;177
29 nbsp;nbsp;nbsp;� Adieux a Rome chr�tienne et a Rome souterraine. Cliaine denbsp;saint Paul, a Sainl-fml-hors-des-murs. Cliaine de saint Pierre, anbsp;Saint-Pierre-m-FincoZi. Paroles de saint Clirvsostome.
50 � Cliambre de saint Louis de Gonzague. Adieux a saint Pierre et
k saint Paul. Portraits des deux Apotres. Adieu final.
� Depart de Rome. Civita-Castellana. Souvenir de Macdonald. Otricoli. Narni. Catli�drale. Tombeau de saint Cassius. Souvenirnbsp;de I�empereur Nerva. Terni. Souvenir de Tacite. Combat du general Lemoine. Martyrs. Cascade dclle Marmore. La Somma. Spolette.nbsp;Souvenirs paiens et clir�tiens. Foligno. Casa-Pia. Catli�drale. Lenbsp;saint martyr F�licien.
1�'' Avril. Saint FranQois d�Assise. Spello. Sainte-Marie-des-Anges. Indulgence de la Porziuncula. Fete. Assise. Eglise et convent denbsp;Saint-FranQois d�Assise. Retour a Foligno.
2 � Tolentino. Saint-Nicolas. Napol�on. Murat. Macerata. Recanati. Lorette. Porte de la Ville. Rue. Place. Ilistoire de la sainte Maisonnbsp;de Nazareth.
5 � Impression. Messe � la Sainte-Cliapelle. Description de I�Eglise. Du monument qui entoure la Sainte-Chapelle. De la Sainte-Cha-pelle. La sacristie. Le Tresor. Le palais apostolique. La Pharmacie.nbsp;Les Dames du Sacr�-Coeur.
� nbsp;nbsp;nbsp;Messe a 1�autel de 1�Annonciation. Arriv�e des P�lerins. Lesnbsp;Dalmates, leurs pri�res. Nouveau Vetturino. Contrat. Depart denbsp;Lorette. Ancone. Arc de Trajan. Catli�drale. Sarcopliage de Corco-nius. Histoire et conversion de la jeune Annina Costantini.
� nbsp;nbsp;nbsp;Sinigaglia, sa foire. Fano. Fossombrone. Souvenir d�Asdrubal.nbsp;Pesaro. Cath�drale. Souvenirs de Rossini, de Raphael et du Bramante. R�publique de San-Marino. Organisation civile et judiclairenbsp;des Etats pontificaux. La Cattolica. Souvenirs des P�res de Rimini.nbsp;Rimini. Arc d�Auguste. Eglises. Martyre de saint Gaudens. Tableaunbsp;de Paul V�ron�se.
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6 nbsp;nbsp;nbsp;Avril. Tribune de C�sar. Chapelle du Miracle. Saint Antoine de Pa-doue, son discoursaux poissons. Conversion deBonvillo. Porte Saint-Julien. Pont d�Auguste. Passage du Rubicon. Cervia. La Pignata.nbsp;Monast�re de Classe. Mosa�que. Saint Romuald. L�einpereur Oihon.nbsp;Ravenne.
7 nbsp;nbsp;nbsp;� Ravenne. Sainte-Marie-de-la-Rotonde. Palais de Th�odoric. Tom-beau du Danlc. Egtise de Saint-Vital. Tombeau de Galla Placidia.nbsp;Eglise de Saint-Romuald. Calh�drale. Cycle pascal. Cbaire de Saint-Maxirain. Bibliolh�que. Souvenirs. Saint-Gerniain d�Auxerre. Colonne des Frangais. Anecdote. Etat de la Roniagne.
8 nbsp;nbsp;nbsp;� Ferrare. Chateau. Cath�drale. Sainle-Marie-dci-Fado. Hymne :
O gloriosa Domina. Biblioth�que. Manuscrits du Tasse, de l�Arioste, de Guarini. Prisons du Tasse. H�pital. Douane aulrichienne. Rapports de rAutricbe avec Ie Saint-Si�ge. Rovigo.
� Padoue. Ilistoire. Universil�. Palais de Justice. II Salone. Pierre de l�opprobre. Chute des Anges. Caf� Pedrocchi. Vralo-della-Yalle.nbsp;Maison du comte Louis Cornaro. Souvenirs.
10 nbsp;nbsp;nbsp;� Sainte-Sophie. La B. H�l�ne Enselmini. La Calh�drale. Viergenbsp;de Giotto. Saint Dani�l. Le B. Gr�goirc Barbarigo. Le Baptist�re.
Le diptyque. Corps de saint Mathias. Crypte de saint Prodocimus. Vierge byzantine. VAnnunziala. Peintures de Giotto. Sainte Jus-line. D�tails hisloriques. Saint Antoine. Chapelle de ce saint. Po-pularit� du saint. Tr�sor. Encensoir el navette golhiques. Languenbsp;de saint Antoine. Verre d�Al�ardin. Ses sermons. Statue de Gutta-melata. Bords de la Brenta. Venise.
11 nbsp;nbsp;nbsp;� Clocher de Saint-Marc. Vue el histoire de Venise. Eglise denbsp;Sainl-Marc. Translation du corps de saint Marc. Tr�sor. Placenbsp;Saint-Marc. Chevaux. Lion. Palais du Doge. Prisons. Inscriptions. 276nbsp;� Suite du palais^ du Doge. Peintures. Bibliolh�que. Palais desnbsp;Beaux-Arts. Ecole V�niiieniie. Palais Babarigo. Grimani. Buste denbsp;Beatrix. Arsenal. Le Bucentaure.
13 � Eglises della Salute, Dei Frari, de Saint-Pierre. Souvenirs de saint Laurent-Justinien. Idee du gouvernement Venitien. Saints-Jean-et-Paul. Monument de Marc-Antoine Bragadino. Saint-Geor-
fes-Majeur. Mailre autel. Inscription relative a une indulgence, ouvenir de Pie VIL Monument du Doge Miclieli. Chapelle des Cordeliers. Souvenirs de Saint-Marc.
li � Charit� v�nilienne. La Piti�. Spcdaletlo. Saint-J�r�me-Emi-liani. Casa di Ricovero. Casa d�Induslria. Aumones-annuelles. He de Murano. Glac�s. Perles. Clous de la Passion. He Saint-Lazare.nbsp;M�chitaristes. D�parl de Venise. Phosphorescence de la nier. Dernier reflet de la gloire de Venise. Flolte et balaille de L�pante.nbsp;Noms des vaisseaux.
� Tr�vise; souvenirs de Benoit XI et de Totila. Vicence ; Theatre olympique. Madona-del-Monic. Montebello, Arcole : souvenirs.nbsp;Anecdote. V�ronc: Aniphith�atre. Souvenirs de l�ernpereur Philippenbsp;el de Pie VI. Grands hommes. Cath�drale. Saint Z�non. Miracle.
San Firmo. Lac de Garde. Rivoli: souvenir. Trait de courage, Pes-chiera, Altila, saint L�on : Desenzano. La B. Ang�le Merici. Brescia : Statue de la Victoire. Calh�drale. Deux rcliques. Martyrs. Saint Gaudens. Fontaines. Souvenir de Bayard. Bergameibalimentnbsp;de la foire. Saint Alexandre, Sainte Asl�rie. Sainte Eus�bie. Sainte
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37-2 TABLE 1)ES MATIEBES.
Pagi's-
Grata. Grands hommes. Collconi. Calepin. Passage de I�Adda. Vaprio.
16 Avril. Milan. Reflexions. La Cath�drale. Coup d�ceil general sur Milan. Visite d�taill�e. Sacristie de Saiut-Satyre. Image miraculeuse de lanbsp;sainte Vierge. Saint-Nazaire. Tombeaux des Trivulce. Salnt-Lau-rent. D�tails sur rarcbitecture. Saint-Alexandre. Richesses dunbsp;inaitre autel Saint-Eustorge. Chaire de saint Pierre, martyr, sonnbsp;tombeau, ses reliques, son histoire.
� Saint-Ambroise. Souvenirs de Theodose. Tombeau de Stilicon. Mosa�que. Corps de saint Ambroise, des SS. Gervais et Protais, denbsp;sainte Marcelline. Lit de saint Satyre. Crucifix de saint Charles.nbsp;Raptist�re. Souvenir de saint Augustin. Souvenirs de la pesle denbsp;Milan. Saint Charles et Calvin. Rit Ambrosien. Ecole de Saint-Ambroise. Lazaret. Monza. Eglise. Peinturc. Tr�sor. Couronne denbsp;fer. Anecdote. Semitiaire des Philosopbes. Retour a Milan.
� Rizi�res. Pavie. Pont. Corps de saint Augustin. Universite. College Borromee. Champ de bataillc. Chartreuse.
� Un sermon. Biblioth�que. Galerie. Biblioth�que Ambrosienne. Leonard de Vinci. Sainte-Marie-des-Graces. Fresque de la C�ne.nbsp;Arc de la Paix. Cirque. Grand Seminaire. Palais archiepiscopal.nbsp;Premi�re Maison d�orphelins. Grand bopital. Fr�res de Saint-Jean-de-Dieu. Salles d�asile. Oratoire de Saint-Charles. Pieux institut denbsp;Saiute-Marie-de-la-Paix. Coll�ge militaire. Hospices Marlinelli, denbsp;Sainle-Marie-della-Slella, di Lorelo, della Verginc Addolorala. Pianbsp;Casa d�lndustria.
� Depart de Milan. Syst�me d�irrigation. Pont du Tessin. Anecdote. Novare. Diptyque consulaire. Baptist�re. Saint-Gaudence. Souvenirs. Saint-Laurent. Le Pi�inont. Verceil. Souvenirs de Marius et de saint Eus�be. Cath�drale. Tombeaux du B. Am�d�e, denbsp;saint Eus�be. Manuscrit de saint Marc. Eglise de Saint-Andr�.nbsp;Tombeau de Thomas Gallo.
� Vue de Turin. Pinacolh�que. Biblioth�que. Mus�e grec et ro�-inain. Table Isiaque. Mus�e �gyptien. Instruments aratoires. Armes. Statues. Les saints martyrs Octave, Solutor, Adventor. Saint Maxime.nbsp;Cath�drale. Chapelle du Saint-Suaire. Palais du roi. Audience.
� Eglhc-della-gran-Madre-di-Dio. Chateau de Stupinigi. Superga. Grand hopilal. Salles d�asile. OEuvre de Saint-Louis de Gonzague.nbsp;Hdpital de la Charite. Institutions pour les orphelins et les orphe-lines. Les Rosines. La petite Maison de la Providence. Silvio Pel-lico. Depart de Turin. Les Vaudois. Suze.
� .\dieux a I�llalie. Plateau du Mont-Cenis. Hospice des P�lerins. Lans-le-Bourg. Route des Alpes. Saint-Jean-de-Maurieiiue. Aigue-belle. Chamb�ry. Passage des Echelles. Pont de Bcauvoisin. Lyon.nbsp;Retour a Nevers.
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FIN I)E I.A TABLE DU TOME TROISIEME.
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