É C R I T E S
SECONDE PARTIE
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SECONDE PARTIE,
Et fe trouv».
Chez Pbault, Imprimeur du Roi, qual des Auguftins , a Tlmmortalité.
1788.
-ocr page 4- -ocr page 5-DES ÉDITEURS.
Su p PO s É que cette feconde Parrie foit auffi bien accueHIie du Public quenbsp;l’a été Ia première, nous tacheronsnbsp;de nous procurer quelques-unes desnbsp;lettres que les perfonnes que nous luinbsp;avons fait connoitre ont dü s’écrirenbsp;depuis.
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CONTINUATION
ÉCRITES DE LAUSANNE.
DIX-H LT TIE ME LE T T RE.
N ous attendons votre reponfe dans u.ie jolie maifon a trois quarts de lieues de Lau-fanne , cjue l’on m’a prêree. Les étrangers quinbsp;demandoient a louer la mienne, Sc qui lontnbsp;loiie'e, etoient preiïes d’y entrer. J’y ai laiffe'nbsp;tons mes meubles; de forte que nous n avonsnbsp;, eu ni fatigue ni embarras. I! feroit poïïibi'enbsp;que la neige ne fe fondant pas, ou fe fondantnbsp;toiu-a-eoLip, nous ne puffions parrrr auffi-lót
Aiij
-ocr page 8-que nous Ie voudrions. A préfent cela m’efl: afTezegali mais au moment oü nous quittamesnbsp;Laufanne j'aurois voulu avoir plus loin a aller,nbsp;amp; des objets plus nouveaux a pre'fenter auxnbsp;¦yeux amp; a Timagination de ma fille : quelquenbsp;tendreffe qu’on ait pour une mère, il menbsp;fembloit que fe trouver towte feule avecnbsp;elle au mois de Mars, pouvoit paroitre unnbsp;pen trifte. C’eüt éte' la première fois que j’au-rois vu Cecile s’enniiyer avec moi, amp; défirecnbsp;que notre tête a tête fut interrompu. Je vousnbsp;avoue que, recloutant cette mortification,nbsp;i’avois fait tout ce que j’avois pu pour menbsp;l’e'pargner. Un porte-feuille d’eftarapes quenbsp;m’avoit prêté M. d’Ey * ^; les Mille amp; unenbsp;Nuits,Gilblas, les Contes d’HamiltonSc Zadignbsp;avoientpris les devans avec un piano-forté 6cnbsp;une provifion d’ouvrage. D’autres chofes quinbsp;n’ètoient pas dues a mes foins ontplus fait quenbsp;mesfoins. Mylord,fon parent, un malheureux
cbien,un pauvre nègre.....Mais, je veux
reprendre route notre hiftoire de plus haut.
Après vous avoir écrit,je me difpofai a aller dans une maifon ou je devois trouver tont Ienbsp;beau monde de Laufanne. Je confeillai k Cécile deny venir qu’une demi-heure après moi,
-ocr page 9-quand j’aurois offert ma malfon amp; annoncé notre depart; mais elle me dit qu’elle étoitnbsp;intéreflée a voir I’impreffion que je ferois.nbsp;Vous la verrez, lui dis-je ;il n’y aura que lanbsp;première furpnfe amp; les premières queftionsnbsp;que mon arrangement vous e'pargnera. Nonnbsp;maman, dit-elle, lai/?êz-moi voir l’impreflionnbsp;toute entière; que j’en aye tout Ie plaifir ounbsp;tout Ie chagrin. A vos cote's, appuyée contrenbsp;votre chaife , touchant votre bras, ou feule-ment votre robe, je me fentirai forte de lanbsp;plus puifTante ,comme de la plus aimable pro-tedion. Vous favez bien maman combien vousnbsp;m’aimez, mais non pas combien je vous aime ,nbsp;amp; que vous ayant, vous, je pourrois fuporternbsp;de tout perdre, amp; renoncer a tout. Allonsnbsp;maman, vous êtes trop poltronne , amp; vousnbsp;me croyez bien plus foible que je ne fuis.nbsp;Eft-il befoin , mon amie , de vous dire quenbsp;j’embralTai Cécile, que je pleurai, que je Ianbsp;ferrai contre mon fein; qu’en marchant dansnbsp;la rue, je rn’appuyai fur fon bras, avcc encore plus de plaifir amp; de tendrelTe qu’a l’or^nbsp;dinaire ; qu’en entrant dans la falie j’eus foinnbsp;avant tout qu’une chaife fut placée pour elle,nbsp;un peu derrière Ia mienné. Ah f fans doute ,
A iv
-ocr page 10-vóus imaginez, vous voyez tout cela ; maïs, voyez-vous auffi mon pauvre coufin, amp; fonnbsp;ami l’anglois, venir a nous d’un air inquiet,nbsp;«cherchant dans nos yeux l’explication de jenbsp;ne fais quoi qu’ils y voyent de nouveau amp;,nbsp;d’etrange. Mon coufin, fur-tout, me regar-dolt, regardoit Cécile , fembloit défirer amp;nbsp;craindre a la fois que je ne parlafl'e amp; l'autrenbsp;qui voyoit cette agitation , partageoir fon in-térêt entre lui amp; nous, amp;. tantót paddit ma-chinalement Ie bras autour denbsp;nbsp;nbsp;nbsp;tantót
roettüit la main fur fon épaule, comme pour lui dire je deviens vëritablement votre ami; finbsp;on vous apprend quelque chofe de facheux,nbsp;vous trouverez un ami dans un étranger cheznbsp;qui vous n’avez vu jufqu’ici que de Ia fimpa-thie, un certain rapport de caraClère ou denbsp;circonftance. Moi, qui n’avois fongé tout Ienbsp;jour a votre lettre amp; a ma réponfe , que re-lativement a ma fille , qui n’avois fonge' quanbsp;elle amp; a fes imprellions, je fus fi touchée denbsp;ce que je voyois de la paffion de 1’un de cesnbsp;hommes, de la tendre compalfion de l’autre,nbsp;du lêntiment amp; de Thabitude qui s’éloientnbsp;établis entr eux 6c nous , 6c de l’efpèce d’adieunbsp;qu’il falloil leur dire, que je me mis a pleurer.
-ocr page 11-Jugez ü cela les raflura, amp; fi ma fille fut furprife.
Notre fjlence n’e'toit plus fupportable ; Tin* quie'tude auginentoit; mon parent paüfl’oit,nbsp;Cecile prefloit mon bras amp; me difoit toutnbsp;bas: mais maman, qu’eft-ce done ? qu’avez-vous ? Je fuis folie , leur dis-ie enfin. De quoinbsp;s’agit-il l d’un voyage qui ne nous mène pasnbsp;hors du monde, pas même au bout du monde.nbsp;Le Languedoc n’eft pas bien loin. Vous, mon-fleur, vous voyagez, je puis efperer de vousnbsp;revoirjamp; vous, mon coufin, vous allez dunbsp;même cdie' que moi. Nous avons envie d’allernbsp;voir une parente fort aimable, amp; qui m’eftnbsp;fort chère. Cette parente a auffi envie de notisnbsp;voir; rien ne s’y oppofe, amp; je fuis re'folue anbsp;partir bientót. Allez mon coufin , dire a mdn-fieur amp; madame *** que ma maifon eit anbsp;louer pour fix mois.
II Ie leur dit. L’anglois s’affit.'Les tuteurs de ma fille, 6c leurs femmes, accoururent: My-lord nous voyant occuppées a leur repondre ,nbsp;s’appuya contre la cheminee, regardant denbsp;loin. Le Bernois vint nous témoigner fa joienbsp;de ce qu’il pafieroit l’ete plus a portee denbsp;nous qu’il nel'aiiroit cru ; enfuite, vinrent les
-ocr page 12-étrangers qui louèrent fur Ie champ ma mai-fbn. 11 ne reftoit que l’embarras de nous loger en attendant votre réponfe. On nous offrit unnbsp;logement dans une maifon de campagne quenbsp;des Angiois ont quitté en automne. J’accep-tai avec empreflement; de forte que toutnbsp;fut arrange, amp; devint public en un quart-«1, heure ; mais la furprife, les queftions , lesnbsp;exclamations durèrent toute la folrée. Lesnbsp;plus intérefTés a notre depart en parlèrent Ienbsp;moins. Mylord fe contenta de s’informer denbsp;la diftancede rhabhation qu’on nous donnoii,nbsp;amp; nous alTura que de long-tems la route denbsp;Lyon ne feroit praticable pour des femmes :nbsp;ii demanda enfuite a fon parent , fi au lieu denbsp;o'ïmmencer par Berne, Balie, Strasbourgnbsp;Nancy, Metz, Paris, ils ne pourroient pasnbsp;tpmmencer leur tour de France par Lyon ,nbsp;Marseille amp;TouIoufe. Vous feroit-il plus aifénbsp;alors, lui dit-on, deqiiitterTouloufequa pre-fent de n’y pas aller 1 Je ne fai, dit Mylordnbsp;plus foiblement amp; d’un air moins fignifiantnbsp;que je n’aurois voulu. Apres avoir été fix fe-maines a Paris , lui dit fon parent, vous ireznbsp;ou vous voudrez.
Cécile me pria de laffocier a mon jeu,
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difant qu’elle avoir fon voyage dans latète, de manière qu’elle ne joueroit rien qui vaille.nbsp;Après le jeu je demandai a M. d’Ey''’' qu’ilnbsp;nous pretat des eftampes amp; des livres; monnbsp;parent m’ofFiit fon piano-forte'; je I’acceptai;nbsp;fafemme n’efl: pas muficienne. Le Bernois, quinbsp;a ici fon carofle amp;. fes chevaux, me pria denbsp;les prendre pour me conduire a la campagne,nbsp;amp; de permettre que fon cocher put favoirnbsp;tous les matins, d’une laitiere qui vient ennbsp;ville , fi je voulois mefervir de lui pendant lanbsp;journe'e, Ce fera moi, dit Mylord, qui toutesnbsp;les fois qu’il fera un temps palTable , irai de-mander lesordres de ces dames amp; qui vousnbsp;les porierai. Cela ell: jufte , dit fon parent:nbsp;de pauvres etrangers n’ont a olfrir que leurnbsp;zèle. Le Bernois nous dit enfuite qu’il n’au-roit pas long-temps le plaifir de nous êtrenbsp;bon a quelque cliofe, puifqu'il alloit a Bernenbsp;pour tacher de fe faire élire du Deux-cent ,nbsp;ayant obtenu pour cela une prolongation denbsp;femeftre, Comme fon pere eft mort, amp; qu’ilnbsp;n’a point d’oncle qui foit Confeiller, on luinbsp;demanda s’il e'pouferoit une fille aBareily- Lenbsp;Deux-cent eft le Confe-ii Souverain de Berne;nbsp;le Baretly eft le chapeau arec lequel on va
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en Deux-cent, amp; on appelle fille a Baretly celie dont Ie père peut donner une place dansnbsp;Ie Deux-cent a Thomme qu’elle epoufc. Nonnbsp;aflurementnbsp;nbsp;nbsp;nbsp;, je n’ai pas un coeur a don
ner en échange d un Baretly, amp; je ne voudrois pas receyoir fans donner. On paria des elections. On s’etonna que M. de eut dejanbsp;vingr-neuf ans. II en a trente. Le Baïilif parianbsp;du Senat amp; des Senateiirs de Berne. Sénat,nbsp;Se'nateurs, mon oncle ! s’ecria le neveu; maisnbsp;pourquoi non ? On m’a dit que lés Bburgue-maitres d’Amfterdam e'toicnt quelquefois appelles confuls par leurs diens amp; par eiix-mêmes. Et vcus mon cher oncle ne feriez-vous point le pro-conful d'Afie , refidant anbsp;Athènes ? Mon neveu , mon neveu, dit lanbsp;Baülive , qui a de l’efprit, avec ces plaiian-teries-la il vous faudroit époufer deux ou troisnbsp;Baretly pour être sur de votre edeöiön. Madame de * ^, la femme de mon parent, voyantnbsp;tout Ie monde autour de nous , s’approcha anbsp;la fin , amp; s’adreffant a fon mari: amp; vousnbsp;Monfieur , puifque ces dames partent, vousnbsp;poiirrez enfin vous réfoudrc a partir; vousnbsp;cefferez d’avoir tous les jours des lettres anbsp;e'crire , des pretextes a imaginer. I! y a huit
-ocr page 15-jburs, a-t-elle ajouté , en affe(flant de rire, que fes malies font attachées fur fa voiture.nbsp;Tout Ie monde fe talfeit. Maïs tout de bon,nbsp;Monfieur, reprit-eJle , quand partirez-voiis ?nbsp;Demain , Madame, ou ce foir, dit-il en pa-lilTant, amp; courant vers la porte, après avoirnbsp;ferre la main a fon ami, il fortit de la falienbsp;amp; de la maifon. En elfet, il partit cette nuitnbsp;lïiême, éclairé par la lune amp; la neige.
Le lendemain, qui etoitlundi,amp; Ie fur-lendemain je fus en affaire, amp; ne voulus voir perfonne ; amp; mercredi dernier a midi nousnbsp;e'tions én carofTe , Ce'cile, Fanchon , Philaxnbsp;amp; moi fur lechemin de Renens.On avoir biennbsp;donne' l’ordre d’ouvrir notre appartement, denbsp;faire du feu dans la falie a manger, amp; nousnbsp;compiions faire notre diner d’uné foupe aunbsp;lait amp; de quelques oeufs. Mais en approchantnbsp;de la maifon, nous fumes furprifes de voirnbsp;dl! mouvement, un air de vie , toutes les fe-nêtres ouvertes, de grands feux dans toutesnbsp;les cfiambres qui le difputoient au foleil pournbsp;fécher amp; récliauffer Fair amp; les meubles. Ar-rivées a la porte , Mylord amp; fon parent nousnbsp;aidèrent a defeendre de carofTe , amp; portèrentnbsp;dans la maifon les boïtes 6c les paquets, La
-ocr page 16-latle etoit mife, Ie piano-forte accordë , uti air favori ouvert fur le pupitre; un coiiffinnbsp;pour le cliien aupres du feu, des fleurs dansnbsp;des vafes fur la cheminee : rien ne pouvoi^nbsp;étre plus galant ni mieux entendu. On nousnbsp;fervit le meilleur dine j nous bumes du punch ;nbsp;ou nous laifla des provifions , un paté, desnbsp;citrons, du rum, amp; on nous fupplia de per-mettre qu’on vint une foisou deux chaque fe-maine diner avec nous.Quant a prendre le thé,nbsp;Madame, dit Mylord, je n’en demande pas lanbsp;permiflion, vous ne refuferiez cela a perfonne.nbsp;A cinq heures on leur amena des chevaux, ilsnbsp;les laifsèrent a leurs domefliques, amp;. commenbsp;le temps etoit beau , qiioique tres-froid, nousnbsp;les reconduisimes jufqu’au grand chemin. Aunbsp;moment ou ils alloient nous quitter, voila unnbsp;beau chien danois qui vient a nous rafant denbsp;fon niufeau la terre couverte de neige, c etoitnbsp;un dernier effort , un monceaii de neige I’ar-rête ; il cherche d’un air inquiet, chancelle ,nbsp;amp; vient tomber aux pieds de Cécile. Elle fenbsp;baiffe. Mylord s’ecrie amp; veut la retenir; matsnbsp;Cécile lui foutenant que ce n’eft pas un chiennbsp;enrage , maisun chien qui a perdu fon maitre,nbsp;un pauvreVhien a moitie mort de fatigue, de
-ocr page 17-faint 8c de froid, s’obftine a le care/ïèr. Les laquais font envoyes a la maifon pour chcr^nbsp;eher du lait, du pain; tout ce qu’on pourranbsp;trouver. On apporie ; le chien boit amp; mange,nbsp;4St lèche les mains de fa bienfaitrice. Cecilenbsp;pleuroit de plaifir amp; de pitie. Attentive , en ienbsp;ramenant avec elle, a mefurer fes pas fur ceuxnbsp;de lanimal fatigue, a peine regarde-t-ellenbsp;fon amant qui s’eloigne; toute la foiree futnbsp;employee a rdchauffer, a confoler cet hotenbsp;fionveau, a lui cherclier un ncm , a faire desnbsp;conjeélures fur fes malheurs, a prevenir lenbsp;chagrin amp; la jaloufie de Philax. En fe cou-chant, ma fille lui fit un lit de tous les habitsnbsp;qu’elle ótoit, amp; cet infortund eft devenu lenbsp;plus heureux chien de la terre. Au lieu de rai-fonner , au lieu de moralifer, donnez a aimernbsp;a quelqu’un qui aiine; fi aimer fait fon danger, aimer fera fa fauvegarde; fi aimer faitnbsp;fon malheur, aimer fera fa conlolation : poupnbsp;qui fait aimerc’eft la feiile occupation , lanbsp;feule diftraéfion, le feul plaifir de la vie.
Voila le mercredi palfë, nous voila éta-hlies dans notre retraite, 5c lt;2ëci!e n’a pas i’air de pouvoir s’y entjuyer; elle n’a pas eunbsp;Tecours encore a la moitié de les reflources ?
les livres, I’ouvrage, les eftampes font reftés dans un tiroir.
Le jeudi vient, les fleurs, Ie cliien , Ie piano fuffifent a fa matinee. L’après - dinernbsp;elle va voir ie fermier qui occupe une par-tie de la maifon ; elle carefle fes enfans ,nbsp;catife avec fa femme; elle voit porter dunbsp;lait hoi-s de la cuifiiie , amp; elle apprend quénbsp;c’eft h un malade qu’on le porte, a un neigrenbsp;mourant de h confomption, que des Angloisnbsp;dont il étoit le domeftique ont laiffe dans cettenbsp;maifon. Ils i’ont beaucoup recommandé aunbsp;fermier amp; a la ferraiere , amp; ont laiffé a imnbsp;banquier de Laulanne l’ordre de leur payernbsp;toutes les femaines tant qu’il fera en vie unenbsp;penfion plus que fuffifante pour les mett-renbsp;en état de le bien foigner. Cécile vint menbsp;trouver avec cette information Sc. me fup-plia d’aller avec elle aupiès du nègre, de luinbsp;parler anglois , de favoir de lui fi nous nenbsp;pouvions rien lui donner qui lui fut agréable,nbsp;On m’a dit, maroan , qu’il ne favoit pas lenbsp;Francois; qui fait, dit-elle, fi ces gens, mal-gré toute leur bonne volonté, devinent fesnbsp;befoins. Nous y allames. Cécile lui dit les premiers mots d’anglois qn’eiie eut jamais pro-
noncés;
-ocr page 19-iioncé i ce que l’amour avoit fait acquérlr j i’humanité en fit ufage. II parut les entendrenbsp;avec quelque plaifir. 11 ne fouffroit pas, malsnbsp;il avoit a peine quelque refte de vie. Douxjnbsp;patient , tranquille, il ne paroiffoit pas qu’ilnbsp;fouhaitat ou regrettat rien : il étoit jeune ce-pendant. Ce'cile amp; Fanclion ne Tont prefquenbsp;pas quitté. Nous lui donnions tantót un peunbsp;de vin , tantót un peu de foupe. J étois allifenbsp;auprès de lui avec ma fille , dimanche matin ,nbsp;quand il expira. Nous reftames long-tempsnbsp;fans changer de place.
C’eft done ainfi qu’on finit, maman, dit Cécile , amp; que ce qui fent amp; parle, amp;. fe remue , cede de fentir, d’entendre , de pouvoir fe re-miier l Quel étrange fiirt ! naitre en G-uinée,nbsp;ê'.re vendu par fes parens, cultiver du fucre a lanbsp;Jamaique, fervirdes .Angiois a Londres, mou-rir prés de Laufanne ! Nous avons répandunbsp;quelque douceur fur fes derniers jours. Jenbsp;ne fuis, maman , ni riche ni habile , je ne fe-rai jamais beaucoup de bien ; mais puifle-jenbsp;faire un peu de bien par-tout oii Ie fort menbsp;conduira , afiez feulement pour que moi amp;nbsp;les autres puiffions croire que c’eft un biennbsp;plutót qu’un mal que j’y fois venue ! Canbsp;TJ Panic,nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;B
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yauVre tiëgre ! maïs pourquoi dire ce pauvns nëgre ? mourir dans fon pays ou ailleurs, avoirnbsp;•vécu long-temps öu peu de temps , avoir eunbsp;Mn pen plus ou un peu moins de peine ou denbsp;plaifir , il vient un moment ou eela eft biennbsp;egal : Ie R.oi de France fera un jour comme-cenbsp;¦ne'gre : Si moi auffi, interrompis-je , amp; toi....nbsp;amp; Mylord. Oui, dit-elle , c’eft vrai; maisnbsp;•fortons a préfent d’ici. Je vois'Fanchon quinbsp;revient de I ëglife , je Ie lui dirai. Elle alia anbsp;ia rencontre de Fanchon, amp; Tembralfa amp;nbsp;pleura , amp; revint carefl'er fes chiens en pleu-ïant. On enterre aujourd’hui Ie nëgre. Nousnbsp;avons vu dans cette occafion la mort toutenbsp;jeule, fans rien de plus : rien d’effrayant ,nbsp;rien de folemnel, rien de pathëtique. Pointnbsp;de parens , point de deull, point de regretsnbsp;feints OU fincères ; auffi ma fille n’a-t-ellenbsp;regu aucune imprellion lugubre. Elle eft re-lournëe auprès du corps deux ou trots foisnbsp;tous les jours; elle a obtenu qu’on ie laiffiitnbsp;'couvert amp; clans fon lit fans Ie toucher , amp;nbsp;que l’on continuat a chauffer la chambre. Ellenbsp;ya lu amp; travaillë, Si il m’a fallu ètre auffinbsp;iraifonnable qu’elle. Ah ! que je fuis contentenbsp;de voir quclle n’a pas cette fenfibilitë qui
-ocr page 21-fait qii’on ruit les morts, les moürans, léi ihalheureuxl Au refte, je ne lui vois pas nonnbsp;plus l’adivite' qui les cherche , amp; j’avoue quenbsp;j en füïs bien aife auffi. Je ne raimerois quenbsp;cbez une Madeleine pénitente : les Madeleines pe'cherelTes, elles-mêmes, ne devroientnbsp;faire du bien qu’a petit bruit, autrement ellesnbsp;ont l’air d’acheter du monde comme de Dieu,nbsp;non des pardons, maïs des indulgences.... Jenbsp;me tais ! je me tais ! amp; j’en ai déja trop dit.nbsp;Qu’importe aux pauvres qu’on foulage , I’airnbsp;qu’on a en les foulageant. Si quelqu’une desnbsp;fenimes dont je parle devoit lire ceci, je oi-rois ; ne faites aucune attention a mes impru-dentes paroles, ou dcnnez leur une attentioitnbsp;entière ; continuez a faire du bien , ne vousnbsp;privez pas des be'nëdidtions des malbeureux,nbsp;amp; n’attirez pas fur moi leurs malédiélions,nbsp;ni la condamnation de celui qui vous a dicnbsp;que la charité couvre une multitude de pë-chës. Je vous ai exbortëes a faire 1’aiimónenbsp;en fecret. C’eft Faumone fecretio qui eft lanbsp;plus agrëable a Dieu , amp; la plus fatisfaifantenbsp;pour notre cceur, paree que Ie motif en eftnbsp;plus fimple , plur pur, plus doux, moinsnbsp;tnêlë de eet amour-propre qui tourmente I.a
Bij
-ocr page 22-yie • mais ici l’aóïion eft plus importante que ]e motif, 6i. peut-ètie que la bonne atS'ioilnbsp;renclra les motifs meilleurs, paree que lanbsp;vue du pauvre fouffrant amp; affligé ; la vue dunbsp;pauvre foulagé amp;. reconnoiflant pourra at-tendrir votre coeur amp;. ie changer.
-ocr page 23-Monsieur,
V o u S paroiïïiéz fi trifte hier que je ne pms m’empêcher de vous demander quel lujetnbsp;de chagrin vous avez. Vous rehiferez peut-être de Ie dire, mais vous ne pourrez pasnbsp;mefavoir mauvais gré de I’avoir demande ; jenbsp;n’ai depuis hier que votre image dans l’ef-prit. Mylord vient nous voir prefque tousnbsp;les jours. H eft vrai qu’i! ne refte d’ordinairenbsp;qu’un moment. Vous parclt il qu’on y faïTenbsp;attention a Laufannej amp; qu’on puiiTe menbsp;blamer de Ie recevoir? Vous ie connolfteznbsp;autant qu’un jeune homme eft connoifTable;nbsp;vous connoifi'ez fes parens, amp;, leur fa^on denbsp;penfer, je ne doute pas que vous n’ayez lunbsp;dans Ie coeur de Cécile, dites-moi commentnbsp;je dois me conduire. Je fuis, Monfieur , votranbsp;très-humble amp;L tres-obéiflante fervanie.
Ui
-ocr page 24-VINGTIEME LETTRE.
M A D A M E gt;
I L eft vrai que fe fuis fort triüe. Je fuis fi
éloigné de vous favoir mauvais gré de vötre queftion que j’avois dëja réfolu de vous fairenbsp;nion hiftoire, mais je l’écrirai; ce fera vinenbsp;forte d’occupation amp; de diftralt;5iion, amp; lanbsp;feule dont je fois fiifceptible. Tout ce que jenbsp;puis vous dire , Madame , touchant Mylord ,nbsp;c’eft que je ne lui connois aucun vice. Je ne fainbsp;s’il aime Mademoifelle Cecile autant qu’elle Ienbsp;mérite ; mais je fuis prefque für qu’il ne regardenbsp;aucune autre femme avec intérêt, amp; qu’iln’anbsp;aucune liaifon d’une autre efpèce. II y a deuxnbsp;niois que j écrivis a fon père qu’il paroifToitnbsp;s’attacher a une file fans fortune, mais, dontnbsp;la naiflance ^ l’éducation , Ie caraélère amp; lanbsp;fgure ne laifToient rien a defirer; amp; je luinbsp;demandois s’il vouloit que fous quelque pré-texte je fifle quitter Laufanne a fon fils; caenbsp;chercher a Téloigner de vous, Madame, amp;nbsp;de Yotre file gt; c’eut été luj dire , f y a quel'
-ocr page 25-(y«e cliofe de mieux que la beauté, Ia boftteg, ïes graces, amp; l’efprit. J’avois plus de raifonnbsp;qu’un autre de ne me pas charger de eetnbsp;odieux amp; abfurde foin. Le père amp; la merenbsp;m’ont écrit tous deux que pourvu que leurnbsp;filsazmat amp;. fütaimé ,qu’il épousat paramour,nbsp;non par honneur, après que l’amour feroitnbsp;pafle', ils feroient très-contents, amp;. que de Ianbsp;fa9on dont je parlois de celle a laquelle ilnbsp;s’attachoit, amp; de fa mère , iln’y avoit rien denbsp;pareil a craindre. Ils avoient bien raifon, fansnbsp;doute ; cependant j’ai peint au jeune hommenbsp;Ia bonte, le défefpoir qu’on fentiroit en fenbsp;voyant oblige k acquitter de fens froid un engagement qu’on auroit pris dans un momentnbsp;d’yvrelTe totale ; car, de manquer a un pareilnbsp;engagement, je n’ai pas voulu fuppofer quenbsp;ceia fut poffible.
Je ne crois pas, Madame, qu’on trouve rien d’étrange a fes vifites ; il les avoit an-noncées avant votre depart devant tout lenbsp;monde. On le voit affidu a fes legons, amp;.nbsp;prefque tous les foirs en compagnie de femmes.nbsp;J’ai re^u de Lyon des nouvelles de votramp;nbsp;parent : il ne lui étoit rien arrivé de fa—nbsp;cheux quoiqu’il fut allé nuit amp; jour , amp;. qu.^
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-ocr page 26-les chemins folent couverts de nelge comtns ils ne lont jamais e'té dans cette faifon. linbsp;n’eft pas heureux,
3e me mettrai a écrire des ce foir peut-être» J’ai Ihonnenr d’etre, Madame, amp;.c.,, amp;c.,nbsp;William ***.
-ocr page 27-M ON hiftoire efl: romanefque , Madame , autant que trifle , amp; vous allez être deTagréa-fclement furprife en voyant des circonftancesnbsp;a peine vraifemblables ne produire qu’unnbsp;Iiomme ordinaire.
Un frere que j’avois amp; moi naquimes pref-qu’en même-temps, amp; notre nailTance donna la mort a ma mère. L’extrême afRiélion denbsp;mon père , amp; Ie trouble qui régna pendantnbsp;quelques inftans dans toute notre maifon fitnbsp;confondre les deux enfans qui venoient denbsp;naitre. On n’a jamais fu lequel de nousnbsp;deux e'toit l’aine'. Une de nos parentes a tou-jours cru que c’e'toit mon frère-, mais fansnbsp;en être sure, amp; fon têmoignage n’etant ap-puyé ni contredit par perfonne , a produitnbsp;une forte de préfomption , amp;. rien de plus ;nbsp;car l’opinion qu’on avoit congue s’evanouif-foit toutes les fois qu’on en vouloit examinernbsp;Ie fondement, Elle fit une le'gère imprefquot;nbsp;lion fur moi, mais n’enfit jamais aucune furnbsp;mon frère. II fe promit de n’avoir rien qu’ennbsp;commun avec moi; de ne fe point marier d
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Je me mariois. Je me fis amp; a lui la mèmè promelTe; de forte que n’ayant qu’^une famillönbsp;entre nous deux, ne pouvant avoir que lesnbsp;mêmes he'ritiers, jamais la loi n’auroit eu 'anbsp;decider fur nos droits ou nos pretentions.
Si le fort avoit mis entre nous toute 1’egalite pofllble, il n’avoit fait en cela qu’imiter lanbsp;nature • I’education vint encore augmenter amp;nbsp;affermir les raports. Nous nous reflemblionsnbsp;pour la figure amp; pour I’humeur, nos goutsnbsp;etoient les mêmes, nos occupations nousnbsp;etoient communes ainfi que nos jeux j 1’un nenbsp;faifoit rien fans I’autre , amp; Tamitie entre nousnbsp;etoit plutot de notre nature que de notrenbsp;choix; de forte qu’a peine nous nous en ap-percevions ; e’etoient les autres qui en par-loient, amp; nous ne la reconnumes bien quenbsp;quand il fut queftion de nous feparer. Monnbsp;frère fut defliné a avoir une place dans lenbsp;Parlement, amp; moi a fervir dans Tarmee;nbsp;on voulut I’envoyer a Oxford, amp; me mettrenbsp;en penfion chez un Ingenieur ; mais le mo-moment de la feparation venu , notre trif-tefle amp; nos prières obtinrent que je le fuivroisnbsp;a rUniverfitêj amp; j’y partageai toutes fes etudesnbsp;commelui toutes les miennes. J’appris avec luinbsp;le droit amp; I’hiftoire , amp; il apprit avec moi le.s:
-ocr page 29-matliëmatiques 6c Ie génie; nous aimions toU5 deux la litte'rature amp; les beaux arts. Ce futnbsp;alors que nous appréciames avec enthoufiafmenbsp;Ie fentiment qui nous lioit; fi eet enthou-fiafme ne rendit pas notre amitié plus fortenbsp;ri plus tendre, il la rendit plus produdbivenbsp;d’aélions, de fentimens, de penfëes; de fortenbsp;qu’en étant plus occupe's nous en jouiffionsnbsp;davantage. Caftor amp; Pollux, Orefte amp; Pilade,nbsp;Achille amp; Patrocle , Nifus amp; Euriale, David.nbsp;amp; Jonathan furent nos He'ros. Nous nousnbsp;perfuadames qu’on ne pouvoit être lache ninbsp;vicieux ayant un ami, car la faute d’im aminbsp;rejailliroit fur l’autre ; il auroit a rougir , ilnbsp;fouffriroit} amp; puis quel motif pourroit nousnbsp;entramer a une mauvaife aelion I Sur l’un denbsp;l’autre, quelles richellès , quelle ambition ,nbsp;quelle maitrelTe pourroit nous tenter alTez pournbsp;nous faire devenir coupables ? Dans 1’hiftoire ,nbsp;dans la fable, par-tout nous cherchions'l’amitie,nbsp;amp; elle nous paroifloit la vertu amp; le bonheur.
Trois ans s’etoient ëcoulés, la guerre avoir commence en Amerique : on y en-voya le re'giment dont je portois depuis long-temps Tuniforme. Mon frère vint me lap-prendre , amp; parlant du depart Sc du voyage ^
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Je fus furpris de lui entendre dire nous au liet» de toi; je ie regardai. Avois-tu cru que je tenbsp;laiflerois partir feul, me dit-il ? amp; voyant quenbsp;je voulois parler : ne m’objeóle rien , s’écria-t-il, ce feroit Ie premier chagrin que tunbsp;m’aurois fait, épargne Ie moi. Nous allamesnbsp;palier quelques jours chez mon père , qui, denbsp;concert avec tous nos parens, prefTa monnbsp;ftère de quitter Ion bizarre projet. II fut ine'-branlable, amp; nous partimes. La premièrenbsp;campagne neut rien que d’agrèable amp; dhonorable pour nous, LTn Sous-Lieutenant denbsp;ia compagnie ou je fervois ayant eté tue»nbsp;mon frère demanda amp; obtint fa place. Ha-billes de même, de même taille, ayant prefquenbsp;les mémes cheveux amp; les mèmes traits onnbsp;nous confondoit fans ceife quoiqu’on nousnbsp;vit toujours a cóté l’un de l’autre. Pendantnbsp;1’hiver nous trouvames Ie moyen de continuer nos etudes, de lever des plans, de def-üner des cartes, de jouer de la harpe, d«nbsp;luth amp; du violon , tandis que nos camaradesnbsp;perdoient leur temps au jeu amp; avec des filles,.nbsp;Je ne les condamne pas. Qui eft-ce qui peutnbsp;ne rien faire amp; n etre avec perfonne ?
Au commencement de la feconde camr
-ocr page 31-pagTO.... Mais a quoi bon vous detailler cè qni amena pour moi Ie plus afFreiix des malheurs ? II fut blefle a mes cótés : pauvrenbsp;William, dir-il, pendant que nous l’empor-tions, que deviendrez-vous ? Trois jours jenbsp;vècus entre la crainte amp; l’efpérance; troisnbsp;jours je fus te'moin des douleurs les plusnbsp;vives amp; les plus patiemment foulFertes; enfinnbsp;Ie foir du troifième jour , voyant fon e'tatnbsp;empirer de moment en moment : fais unnbsp;miracle, o Dieu, rends Ie moi! m’écriai-je.nbsp;Daigne toi-mème Ie confoler , dit mon frèrenbsp;d’une voix prefqu’e'teinte : il me ferre foible-ment la main amp; expire.
Je ne me fouviens pas diflinélement de ce qui fe pafTa dans Ie temps qui fuivit fa mort.nbsp;Je me retrouvai en Angleterre; on me menanbsp;a Briflol amp; a Bath. J’étois une ombre errante,nbsp;amp; j’attirois des regards de furprife amp; de com-paffion fur cette pauvre, inutile moitie d’exif-tencequime reftoit. Un jour j’étois affis furl’unnbsp;des bancs de la promenade , tantot ouvrant unnbsp;livre que j’avois apporté; tantot Ie repofantnbsp;a cüté de moi. Une femme que je me fou-vins d’avoir déja vue, vint s’afTeoir a l’autrenbsp;exti'êmité du même b„nc; nous reftames
-ocr page 32-long-temps fans rien dire, je la remarqtmis h peine ¦, je toiirnai enfin les yeux de forinbsp;cote, amp; je re'pondis a quelques queftions qu’ellenbsp;rii’adrelTa d une voix douce amp; difcrette. Jenbsp;crus ne la rartiener chez elle , queltjues mo-mens apres, qite par reconnoilfance amp;nbsp;politefle; mais le lendemain amp; les joursnbsp;fuivans je cherchai k la revoir, amp; fa doUcenbsp;converfation, fes attentions careilantes menbsp;la firent Lienfót pre'ferer k mes trifles reveries , qui etoient pourtant ition feul plai-fir. Califte, c’eft le nom qui lui e'toit reftenbsp;dll role c|u’ellamp; avoit joue avec le plus grandnbsp;applaudiffement la premiere amp; unique foisnbsp;qu’elle avoit parn fuf le theatre, Caliile etoitnbsp;d’une extraélion honnête , 6c tenoit k desnbsp;gens riches j mais une mere deprave'e amp; tom-bee dans la misère , voulant tirer parti denbsp;fa figure, de fes talens, 8c du pins beau forinbsp;de voix qui ait jamais frappé une oreille fen-fible, I’avoit vouee de bonne heure au métier cle Comedienne, 8c on la fit debuter parnbsp;le role de Califte, dans T/te fair penitent'',nbsp;Au fortir de la Comedie , un homme confrnbsp;derable I’alla demander a fa mere , I’achetanbsp;pour ainfi dire, amp; dès le lendemam partii
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1*Vec elle pour Ie continent, Elle fut miie k Paris , malgre' fa religion , dans ime Abbayenbsp;dillinguee fous Ie feul nom de Califte fillenbsp;de condition, mats dont on cachoit Ie nomnbsp;de familie par des raifons importantes.
Elle fut adoree des Religieufes amp; de fes compagneSj.Sc Ie ton qu’elle auroit pu con-irader avec fa mère la de'celoit fi peu qu’onnbsp;la crut fille du Due de Cumberland, amp; confine par confequent de notre Roi; amp; cjuandnbsp;on lui en parloit, la roiigeur que lui donnoitnbsp;Ie fentiment de fon ve'ritable etat fortifioit Ienbsp;foupjon, aulieu de Ie detruire. Elle fit bientotnbsp;tous les ouvrages de femme avec une adredenbsp;etonnante.EIle commen^a a defilner amp; a pein-dre ; elle danfoit dej'a afiez bien pour que fanbsp;mèreeütpenfe a en faire une danfeufe; elle fenbsp;perfedionna dans eet art fi fediiifant; ellepritnbsp;auffi des le9ons de chant amp; de clarecin. J’alnbsp;toujours trouvé qu’elle jouoit amp; chantoitnbsp;comme on parle ou comme on devroit par-ler, amp; comme elle parloit elle-même. Jenbsp;veux dire qu’elle jouoit amp;. chantoit, tantutnbsp;de genie , tantot de fouvenir, tont ce qu’onnbsp;lui deroandoit, tout ce qu’on lui prefenioir,nbsp;fe lailTant interrompre amp; recommenfant mille
-ocr page 34-fois, fe livrant rarement a fes propfes iitt--preffions, amp; prenant flir-tout plaifir a faire triller Ie talent des autres. Jamais il ne futnbsp;une plus aimable mulicienne 5 jamais talentnbsp;ne para tant la perfonne. Mais ce degre denbsp;perfection amp; de facilité , ce ne fut pas a Paris qu'elle 1’acquit , ce fut en Italië ou fonnbsp;amant pafl'a deux ans avec elle , uniquementnbsp;occupé d’ellq, de fon inflrudion amp; de fonnbsp;plaifir. Après quatre ans de voyages, il la ra-mena en Angleterre , amp; demeurant avec elle ,nbsp;tantdtcliez;Iui a la campagne, tanrót a Londresnbsp;chez Ie General D^, Ion oncle. II eut encorenbsp;quatre ans de vie amp; de bonheur; mais Ienbsp;bonheur amp; l’amour ne fle'clulTent pas la mort:nbsp;une inflammation de poitrine l’emporta. Jenbsp;ne lui lalde rien, dit-il a fon oncle, un moment avant de mourir, paree que je n'ai plusnbsp;rien; mais vous vivez, vous êtes riche, amp;nbsp;ce qu’elle tiendra de vous lui fera plus honorable que ce qu’elle tiendroit de moi : a eetnbsp;egard je ne regrette rien, amp; je meurs tran-quiüe.
L’oncle, au bout de quelques mois, lui donna , avec une rente de quatre cent pieces,nbsp;cette maifon a Bath, oii je la voyois. 11 y
venoit
-ocr page 35-renoit pafler quelqucs femaines toutes les anne'es, amp; quand il avoit Ia goutte il Ia fai-foit venir chez lui. Elle vous relTemble, Ma^nbsp;dame , ou elle vous reffembloit, je ne fai le-quel des deux il faut dire. Dans fes penlees,nbsp;dans fes jugemens, dans fes manières, ellenbsp;avoit comme vous je ne fai quoi qui négli-geoit les petites confiderations pour allernbsp;droit aux grands intéréts, a ce qui caraéfèrifenbsp;les gens amp; les chofes. Son ame amp; fes dif-cours, fon ton amp; fa penfée étoient toujoursnbsp;d’accord : ce qui n’étoit qu’ingénieux ne l’in-téreflbit point , la prudence feule ne Ia dé-termina jamais , amp; elle difoit ne favoir pas
bien.ce que c’étoit que la raifon, maïs ellequot; devenoit ingénieufe pour obliger, prudentenbsp;pour épargner du chagrin aux autres, amp; ellenbsp;paroiffoit la raifon mème quand il falloitnbsp;amortir des impreffions facheufes amp; ramenernbsp;Ie calme dans un coeur tourmenté, ou dansnbsp;un efprit qui s’égaroit. Vous êtes fouvent gaienbsp;amp; quelquefois impétueufe , elle n’étoit jamaisnbsp;ni l’un ni l’autre. Dépendante, quoiqu’ado-rée , dédaignée par les uns tandis qu’elle étoitnbsp;fervie a genoux par d’autres, elle avoit coH'.nbsp;traélée je ne fai quelle re'ferve trifle qui le-Part, IInbsp;nbsp;nbsp;nbsp;C
-ocr page 36-nolt tout enfemble de la fierte amp; de TefFroi i amp; fi elle eut été moins aimante elle eut pünbsp;paroitre fauvage amp; farouche, ün jour Ianbsp;voyant s’e'loigner de gens qui 1’avoient abor-dée avec empreflement, amp; la oonfidéroientnbsp;avec admiration , je lui en demandai la raifon*'nbsp;Rapprochons-nous deux , me dit-elle ;ils ontnbsp;demandé qui je fuis, vous verrez de quelnbsp;air ils me regarderont! Nous fimes leflai:nbsp;elle n’avoit deviné que trop jufle , unelarmenbsp;accompagna Ie fourire amp; Ie regard par lequelnbsp;elle me le’fit remarquer. Que vous importe,nbsp;lui dis-je ? Un jour peut-être cela m’impor-tera, me dit-elle en rougiflant. Je ne l’enten-dis que long-temps après. Je me fouviensnbsp;qu’une autrefois, invitee chez une femmenbsp;chez qui je devois aller, elle refufa. Maispour-quoi, lui dis-je l cette femme, amp; tous ceuxnbsp;que vous verrez chez elle ont de l’efprit amp;nbsp;vous admirent. Ah ! dit-elle, ce ne font pasnbsp;les de'dains marques que je crains Ie plus,nbsp;j’ai trop dans mon coeur amp; dans ceux quinbsp;me dédaignent de quoi me mettre a leurnbsp;niveau j c eft la complaifance, Ie foin de nenbsp;pas parler d’une Comédienne, d’une fillenbsp;entretenue, de Mylord, de fon oncle. Quand
-ocr page 37-Je vols Ia bonte' amp; Ie me'rite fouffrir pour moi, amp; oblige' de fe contraindre ou de s e*nbsp;tourdir , je foufFre moi-même. Du vivantnbsp;de Mylordla reconnoiïïance me rendoit plusnbsp;fociable, je tachois de gagner !es cceurs pournbsp;qu 'on n’affiigeat pas Ie fien. Si fes domefti-ques ne m’euflent pas refpedfee, fi fes parensnbsp;OU fes amis m’avoient repouiTe'e , ou que jenbsp;les. euffe fui, il fe feroit brouille avec tout Ienbsp;monde. Les gens qui venoient chez lui s’e'-toient fi bien accoutumes a moi, que louventnbsp;fans y penfer ils difoient devant moi lesnbsp;chofes les plus olFenfantes. Mille fois j’ainbsp;fait (ïgne ^ Mylord en fouriant de les laiflernbsp;dire; tantöt j’étois bien aife qu on oujjliat cenbsp;que j’etois, tantót flattée qu’on me regardatnbsp;comme une exception parmi celles de manbsp;forte, amp; en effet ce qu’on difoit de leur ef-fronterie, de leur manege, de leur aviditénbsp;ne me regardoit aflurément pas. Pourquoi nenbsp;vous a-t-il pas epoufe'e , lui demandai- jeinnbsp;ne m’en a parlé qu’une feule fois, me re'pon-dit-elle; aiors il me dit : Ie mariage entrenbsp;nous ne feroit qu’une vaine ce'rémonie quinbsp;n’ajouteroit rien a mon refpedl pour vous ,nbsp;ni a l’inviolable attachement que je yous ai
voué j cepetidant fi j’avois un tróne k voui donner ou feulement une fortune paflable jenbsp;n’héfiterois pas; mais je fuis prefque ruiné,nbsp;vous êtes beaucoup plus jeune que moi, quenbsp;ferviroit de ,vous laifler une veuve titrée fansnbsp;bien! Ou je connois mal Ie public , ou cellenbsp;qui n’a rien gagné a ètre ma compagne quenbsp;Ie plaifir de rendre I’homme qui l’adoroit Ienbsp;plus heureux des mortels, en fera plus refpec-tee que celle a qui on laifleroit un nom amp;nbsp;un titre ( ^ )•
Vous êtes etonnéepeut-être , Madame ,de l’exadlitude de ma me'moire, ou peut - êtrenbsp;me foup^onnerez-vous de fupple'er amp; d’em-bellir. Ah! quand j’aurai acheve' da vousnbsp;faire connoitre celle de qui je rapporte lesnbsp;paroles, vous ne Ie croirez pas, amp; vous nenbsp;ferez pas furprife non plus que je me fou-vienne fi bien des premières converfationsnbsp;que nous avons eues enfemble. Depuis quel-que temps (ur-tout elles me reviennent avecnbsp;un détail e'tonnant; je vois l’endroit oh elknbsp;parloit, amp; je crois l’entendre encore. Je re-
() II connoiflbit aial Ie public amp; railönnoit mal.
-ocr page 39-viens, pour yous la peindre mieux, aux com-paraiTons que je n’ai celTe de faire depuis le premier moment ou j’al eu le bonheurnbsp;de vous voir. Plus filentieufe que vousnbsp;avec les indiferens, auffi aimante que vous,nbsp;amp; n’ayant pas une Cécile, elle étoit plusnbsp;carelTante, plus attentive, plus infinuan-te encore avec les gens quelle aimoit; fonnbsp;efprit n’etoit pas auffi hardi que le vdtre,nbsp;mais il e'toit plus adroit; fon expreffion étoitnbsp;moinsvive, mais plus douce; dans un paysnbsp;ou les arts tiennent lieu d’une nature pit-lorefque, qui frappe les fens amp; parle aunbsp;coeur , elle avoir la même fenfibilité pour lesnbsp;ims que vous pour I’autre. Votre maifon eftnbsp;ftmple amp; noble, on eft chez une femme denbsp;condition peu riche ; la fienne étoit ornéenbsp;avec gout amp; avec e'conomie, elle epargnoitnbsp;tout ce quelle pouvoit de fon revenu pournbsp;de pauvres filles quelle faifoit élever, maisnbsp;elle travailloit comrae les fees, amp; chaquenbsp;jour fes amis trouvoient chez elle quelquenbsp;chofe de nouveau a admirer, ou dont onnbsp;jouifloit. Tantot c’etoit un meuble commodenbsp;qu’elle avoit fait elle-même ; tantdt un vafenbsp;dont elle avoit donné le deffin, amp; qui fai-
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-ocr page 40-foil la fortune de l’ouvrier. Elle copioit des portraits pour fes amis, pour elle-même desnbsp;tableaux des meilleurs maitres. Quel talent,nbsp;quel moyen de plaire cette aimable fille n’a^nbsp;voii - elle pas!
Soigné , amufé par elle, ma fa ité re-vint; la vie ne me parut plus un fardeau fi pefant , fi iafipide a porter , je pleurai enfinnbsp;mon frère, je pus enfin parler de lui; j’ennbsp;pai 'ui; lans celTe. Je pleurois amp; je la faifoisnbsp;pleiner. Je vo's , dit-elle un jour, pourquoinbsp;voii' êies tendre, doux, amp;. pourtant un homme.nbsp;La plupart des hommes qui n’ont eti que desnbsp;camarades ordinaires amp; de leur fexe , ont peunbsp;de delicatelfe amp; d'aménité , amp; ceux qui ontnbsp;beaucoup vécu avec des femmes,plus aimablesnbsp;d’abord que les autresi mais moins adroits,nbsp;moins hardis aux exercices des hommes , de-viennent fedentaires, amp; avec Ie temps pufil-lanimes , exigeans, egoïftes amp;. vaporeuxnbsp;comme nous. Vos courfes, vos jeux , vosnbsp;exercices avec votre frère vous ont rendu ro-bufte amp; adroit , amp;. avec lui votre coeur na-turellement fenfible eft devenu délicat amp;nbsp;tendre. Qu’il e'toit heureux, s ecria-t-elle unnbsp;jour que Ie cosur plein de mon frère j’en avois
-ocr page 41-long-temps parlé ! heureufe Ia femme qui reffl* placera ce frère che'ri! amp; qui m’aimeroitcommenbsp;il m’aimoit, lui dis-je. Ce n’eft pas celanbsp;qu’il feroit difficile de trouver , me repondit-elle en rougiflant. Vous n’aimerez pas unenbsp;femme autant que vous I’aimiez, mais fi vousnbsp;aviez feulement cette tendrefle que vous pou-vez encore avoir, fi on fe croyoit ce quenbsp;vous aimezlemieux a preTent que vous n’aveznbsp;plus votre frère.... Je Ia regarde, des larmesnbsp;Gouloient de fes yeux. Je me mets a fesnbsp;pieds jje baife fes mains. N’aviez vous pointnbsp;vu , dit-elle, que je vous aimois ? Non, luinbsp;d.is-je , amp;. vous etes la premiere femme quinbsp;me fafle entendre ces mots ü doux, Je menbsp;fuis dedommagee, dit-elle, en m’obligeantnbsp;a m’affeoir, d’une longue eontrainte amp; dunbsp;chagrin de n’être pas devinee ; je vous ainbsp;aime dès le premier moment que je vous ainbsp;vu, avant vous j’avois connu la reconnoif-fance amp; non point I’amour, je le connois anbsp;prefent qu’il eft trop tard. Quelle fituationnbsp;que la mienne ! moins je mérite d’etre ret-peélée , plus j’ai befoin de letre. Je verroisnbsp;une infulte dans ce qui auroit été des marquesnbsp;d’amour jaumoindre oubli de la plus févèrQ
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decence, effrayee , humiliée , je me rappelle-rois avec horreur ce que j’ai été, ce qui me rend indigne de vous a mes yeux amp; fansnbsp;doute aux vótres, ce que je ne veux, ce quenbsp;je ne dois jamais redevenir. Ah ! je n’ai con-nu Ie prix d’une vie amp; d’une reputation fansnbsp;tache que depuis que je vous connois. Com-bien de fois j’ai pleuré en voyant une fille,nbsp;Ia fille la plus pauvre, mais chafte, ou feu-lement encore innocente ! A fa place je menbsp;ferois allé donner ^ vous , je vous aurois con-facré ma vie, je vous aurois fervi a tel litre,nbsp;a telle condition que votts auriez voulu; jenbsp;n’aurois été connue que de vous, vous aurieznbsp;pu vous marier, j’aurois fervi votre femmenbsp;amp; VOS enfans , amp; je me ferois enorgueillienbsp;d’etre fi complettement votre efelave , de toutnbsp;faire amp; de tout fouffrir pour vous. Mais moi ,nbsp;que puis-je faire ! que puis-je offrir I connuenbsp;amp;. avilie je ne puis devenir ni votre égale, ninbsp;votre fervante.Vous voyez que j’ai penfé ^ tout;nbsp;depuis fi long-temps je ne penfe qu’a vousnbsp;aimer, au malheur amp; au plaifir de vous aimer;nbsp;niille fois j’ai voulu me fouftraire i tous lesnbsp;maux que je prévois; mais qui peut échap-per a fa deAinée ? Du moins en vous difant
-ocr page 43-combien je vous aime , me fuis-je donnée un moment de bonheur. Ne prévoyons pointnbsp;de maux; lui dis-je , pour moi je ne prévoisnbsp;rien; je vous vois, vous m’aimez. Le pré-fent eft trop de'licieux pour que je puifle menbsp;tourmenter de I’avenir, amp; en lui parlant je lanbsp;ferrois dans mes bras. Elle s’en arracha. Je nenbsp;parlerai done plus de l’avenir , dit-elle: je nenbsp;faurois me réfoudre ï tourmenter ce quenbsp;j’aime. Allez a préfent,laiffez-moi reprendrenbsp;mes efprits; amp; vous, refléchilTez a vous amp; anbsp;moi, peut - être ferez vous plus fage que moinbsp;amp; ne voudrez-vous pas vous engager dansnbsp;nne liaifon qui promet fi peu de bonheur.nbsp;Croire que vous pourrez toujours me quitternbsp;amp; ne pas être malheureux, ce feroit vousnbsp;tromper vous-même; mais aujourd’hui vousnbsp;pouvez me quitter fans être cruel. Je ne m’ennbsp;confolerai point, mais vous n’aurez aucun re-proche a vous faire. Votre fante' eft re'tablie,nbsp;vous pouvez quitter eet endroit. Si vous re-venez demain ce fera me dire que vous aveznbsp;acceptd mon eoeur , amp; vous ne pourrez plus jnbsp;fans éprouver des remords, me rendre tout anbsp;fait malheureule : penfez-y, dit-elle en menbsp;ferrant la main , encore une fois vous pouveznbsp;partir, votre fanté eft rétablie. Oui, dis-je,
-ocr page 44-maïs c’eft avous que je la dois, amp;je m’en allai. Je ne delibe'rai, ni ne balangai, ni ne com-battis, amp; cependant comme fi quelque chofenbsp;m’avoit retenu, je ne fortis de chez moi quenbsp;fort tard Ie lendemaio; Ie foir fort tard j,enbsp;me retrouvai a la porte de Califte fans quenbsp;je puibTe dire que j’eulTe pris Ie parti d’y re-tourner. Ciel ! quelle joie je vis briller dananbsp;fes yeux ! Vous revenez, vous revenez !nbsp;s’e'cria-t-elle. Qui pourroit, lui dis-je , fe dé*nbsp;rober a tant de fe'licité ! après une longue nuitnbsp;l’aurore du bonheur fe remontre a peine,nbsp;pourrois-jemy de'rober amp; me replonger dansnbsp;cette nuit lugubre! Elle me regardoit, amp;nbsp;ailife vis-a-vis de moi, levant les yeux aunbsp;ciel, joignant les mains , pleurant amp; fou-riant a la fois avec une expreffion célefte,nbsp;elle répétoit, il eft revenu ! Ah ! il eft revenu ! la fin, dit-elle, ne fera pas heureufe. Jenbsp;n’ofe au moins l’efpe'rer , mais elle eft e'Ioigne'enbsp;peut-étre. Peut-être mourrai-je avant de deve-nir miferable, Ne me promettez rien , maisnbsp;recevez Ie ferment que je fais de vous aimernbsp;toujours. Je fui? sure de vous aimer toujours,nbsp;quand même vous ne m’aimeriez plus je ne cef-ferois pas de vous aimer. Que Ie moment oiinbsp;vous aurez a vous plaindre de mon cceur foit
-ocr page 45-Ie dernier de ma vie ! Venez avec moï, VC-nez vous affeoir fur ce mème banc ou je vous parlai pour !a première fois. Vingt foisnbsp;déja je m’e'tois approche'e de vous ; je n’avoisnbsp;ofe vous parler. Ce jour-la jefus plus hardienbsp;Béni foil ce jour! bénie foit ma hardielTe !nbsp;be'ni foif Ie banc amp; 1’endroit ou il fut pofé Inbsp;Jy planteral un rofier, du chèvre-feuil amp;nbsp;du jafmin. En effet elle les y planta, lisnbsp;croilTent, ils profpèrent, c’eft tout ce quinbsp;refte d’heureux de cette liaifon li douce.
Que ne puis-je , Madame , vous peindre toute fa douceur, amp; Ie charme inexpri-mable de cette aimable fille J Que ne puis-jenbsp;vous peindre avec quelle tendrefle , quellenbsp;de'Iicatefle, quelle adrefle elle oppofa finbsp;long-temps l’amour a l’amour; maitrifant lesnbsp;fens par Ie cceur, mettant des plaifirs plusnbsp;doux a Ia place de plaifirs plus vifs, me fai-fant oublier fa perfonne a force de me fairenbsp;admirer fes graces, fon efprit amp; fes talens Jnbsp;Quelque fois je me plaignois de fa retenue,nbsp;que j'appellois durete' amp; indifference , alorsnbsp;elle me difoit que mon père me permettroitnbsp;peut-être de 1’epoufer; amp; quimd je vouloisnbsp;partirpour demanderle confentement de mon
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pèfe: tant que vous ne l’avez pas demandé, difoit-elle, nous avons Ie plaifir de croirenbsp;qu’on vous laccorderoit. Bercé par l’amoufnbsp;amp; I’efpérance, je vivois aiiffi heureux qu’onnbsp;peut letre hors du calme, amp; quand toutnbsp;notre coeur eft rempli d‘une paffion qu’onnbsp;avoit Icng-tems regardee comme indigne d’oc-cuper Ie coeur d’un Thomme. Oh mon frère!nbsp;mon frère! que diriez-vous? m’écriois-jenbsp;quelquefois; mais je ne vous ai plus, amp; quinbsp;étoit plus digne qu’elle de vous remplacer !
Mes jours ne s’écouloient pourtant pas dans une oihveté entière. Le Re'giraent ou je fer-vöis ayant èté enveloppé dans la difgrace denbsp;Saratoga , il eut falu ü on eut voulu me ren-voyer en Amérique me faire entrer dans unnbsp;autre corps; mais mon père d’autant plusnbsp;défolé d’y avoir perdu uh fils qu’il n’approu-voit pas cette guerre, jura que l’autre n’ynbsp;retourneroit jamais, amp; profitant de cette cir-conftance de la capitulation de Saratoga ilnbsp;prétendit que ma mauvaife fanté feule m’ayantnbsp;fe'paré de mon régiment, je devois être re-gardé comme appartenant encore a une armee qui ne pouvoit plus fervir coutre lesnbsp;Amériquains; de forte qu’ayant en quelque
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fagan quitté Ie fervice, quoique je n’eufle pas encore quitté i’uniforme ni rendu monnbsp;brevet, je me préparois a la carrière du Parlement amp; des emplois, amp; pour y jouer unnbsp;róle honorable, je réfolus en même-temps quenbsp;j’e'tudierois les loix amp; l’hiftoire de mon pays,nbsp;d’apprendre a me bien exprimer dans ma lan-gue. Je définiflois Téloquence, Ie pouvoirnbsp;d’entrainer quand on ne peut pas convaiacre,nbsp;amp; ce pouvoir me paroiflbit néceflaire avecnbsp;tantde gens, amp; danstant d’occafions que jenbsp;crus ne pouvoir pas me donner trop de peinenbsp;pour l’acquérir. A l’exemple du fameux Lordnbsp;Chattam, je me raïs k traduire Cicéron , amp;nbsp;fur-tout Démoftène, brülant ma traduflion.nbsp;amp; la recommen9ant mille fois. Califte m’ahnbsp;doit a trouver les mots amp; les tournures,nbsp;quoiqu’elle n’entendlt ni Ie grec ni Ie latin ;nbsp;mais après lui avoir traduit linéralement monnbsp;auteur je lui voyoisfaifir fa penfée fouventbeau-coup mieux que moi, amp; quand je traduifoisnbsp;Pafcal OU Bofluet, elle m’étoit encore d’unnbsp;plus grand fecours.
De peur de négliger les occupations que je m’étois prefcrites, nous avions réglé Tem-ploi de ma journée, 8c quand, m’oubliant
-ocr page 48-auprès d’elle, jen avois pafTe' une dont je ne devois pas êtfe content, elle me faifoit payernbsp;«ne amende au profit de fes pauvres protegees. J’étois matineux : deux heures de manbsp;matine'e étoient confacre'es a me promenernbsp;avec Califte. Heures trop courtes, promenades délicieufes oii tout s’embellifToit SCnbsp;s’animoit pour deux coeurs a I’unifTon, pournbsp;deux coeurs a la fois tranquilles amp; charmés,nbsp;car la nature eft un tiers que des amans peu-vent aimer, amp; qui partage leur admirationnbsp;fans les refroidir l’un pour l’autre. Le reftenbsp;de mon temps jufqu’au diné e'toit employé anbsp;l’étude. Je dinois chez moi, mais j’alloisnbsp;prendre le café chez elle. Je la trouvois ha-billée; je lui montrois ce que j’avois fait,nbsp;amp; quand fen étois un peu content, aprèsnbsp;Tavoir corrigé avec elle, je le copiois fousnbsp;fa diéfée. Enfuite, je lui lifois les nouveautésnbsp;qui avoient quelque reputation, ou quandnbsp;ïien de nouveau n’excitoit notre curiofité , jenbsp;lui lifois Roufleau , Voltaire, Fénélon, Buf-fon , tout ce que votre langue-a dc meilleurnbsp;amp; de plus agréable. J'allois enfuite a la falienbsp;publique, de peur, difoit-elle, qu’on ne criltnbsp;que pour me garder mieux elle ne m eut en-^
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que
terre. Après y avoir pafle ime heure ou deux, il m etoit permis de revenir amp; de ne Ia plusnbsp;quitter. Alors, felon la faifon, nous nous pro-menions ou nous caufions, amp; nous faifionsnbsp;nonchalamment de la mufique jufqu’au fou-per, excepté deux jours dans la femaine otinbsp;nous avions un ve'ritable concert. J’y ai enten-du les plus habiles muficiens Anglois amp;nbsp;étrangers de'ployer tout leur art amp;. fe livrernbsp;a tout leur genie. L’attention amp; la feufibilité*nbsp;de Califte exeitoient leur emulation plus quenbsp;Tor des grands. Elle n’y invitoit jamais per-fonne, maïs quelquefóis des hommes de nosnbsp;premières families obtenoient la permiffionnbsp;d’y venir. Une fuis des femmes firent denbsp;mander la même permiffion, elle les refufa.nbsp;Une aiitre fois de jeunes gens entendantnbsp;de la mufique s’avisèrent d’entrer. Califlenbsp;leur dit qu’ils s’étoient mépris fans doute ,nbsp;qu’ils pouvoient refte- pourvu qu’ils oblèr-vaffent Ie plus grand filence, mais qu’elle lesnbsp;prioit de ne pas revenir fans 1’en avoir pré-venue. Vons voyex. Madame, qu’elle favoifnbsp;fe faire refpeder, amp; fon amant même n etoitnbsp;que Ie plus foumis comme Ie plus enchanténbsp;de fes admirateurs, O femmes ! femmes ,
II. Part, nbsp;nbsp;nbsp;*
-ocr page 50-vpus êtes mallieureufes, qiiand celui que vous aimcz fe fait de votre amour un droit denbsp;vous tyrannifer, quand au lieu de vous placer 'aflez haut pour s’lionorer de votre preference il met fon honneur a fe faire craindranbsp;amp;,a vous voir ramper a fes pieds!
Après Ie concert tious donnions un fouper a nos muficiens amp; a nos amateurs. II m’etoitnbsp;permis de faire les frais de ces foupers, 8amp;nbsp;c’etoit la feule permiffion de ce genre quenbsp;f’eufle.. Jamais il n’y en eut de plus gais. An-glois, Aliemands, lialiens, tous nos Vir-tuofes y mêloient bizarrement leur langage,nbsp;leurs pre'tentions, leurs pre'jugés, leurs habitudes , leurs faillies. Avec une autre que Califtenbsp;ces foupers euffent e'te' froids, ou auroient de-ge'néré en orgies ; avec elle ils étoient décens.
gais,
charmans.
Califte ayant trouvé que l’heure qui fuivoit Ie fouper étoit, quand nous étions feuls , Ianbsp;plus difficile a pafler , a moins que Ie clairnbsp;de lune ne nous invitat a nous promener, ounbsp;quelque livre bien piquant a en achever lanbsp;letftüre, imagina de faire venir dans ces oc-cafions-la un petit Violoncel, ivro^ne , craf-feux, raais très-habile, Un figne imperceptible
fait
-ocr page 51-fait a fon Laqnais evoquoit ce petit gnome. Au moment ou je le voyois fortir comme denbsp;defTous terre je commengols par le maudirenbsp;amp;. je faifois mine de m’en aller, mais un regard ou un fourire m’arrêtoit, amp; fouvent lenbsp;chapeau fur la téte, amp; appuye' contre lanbsp;porte, je reftois immobile a e'couter les chofesnbsp;cliarmantes que produifoient la' voix amp; lenbsp;clavecin de Califte avec I’inftrument de momnbsp;mauvais ge'nie. D’autres fois je prenois ennbsp;grondant ma harpe ou mon violon, amp; jenbsp;jouois jufqua ce que Califte nous renvoyatnbsp;Tun amp; 1’autre. Ainfi fe pafserent des femaines,nbsp;des mois , plus d’une annee , amp; vous voyeznbsp;que le feul fouvenir de ce temps delicieux anbsp;fait briller encore une etincelle de gaieténbsp;dans un coeur navre de triftefle. ‘
A la fin je regus une lettre de mon pere : on lui avoir dit que ma fame, parfaitementnbsp;remife , ne demandoit plus le féjour de Bath,nbsp;il me parloit de rèvenir chez 1 ui amp;. d epoufernbsp;une jeune perfonne, dont la fortune , lanaif-fance amp; 1’education e'toient telles qu’on nenbsp;pouvoit rien demander de mieux ; je repon-dis qu’effedlivement ma fanté étoit remife ,nbsp;amp; après avoir parlé de ceile a qui j’en avoisnbsp;n Partktnbsp;nbsp;nbsp;nbsp;D
-ocr page 52-( 50 5
robligation, 8c que j’appellai fans détour Ia maitreiTe de feu Lord L , je lui dis que jenbsp;ne me marierois point a moins qu’il ne menbsp;permit de 1’epoufer ; amp; Ie fuppliant de n’écou-ter pas un prëjugé confus qui pourroit faire re-jetter ma demande, je Ie conjurai auffi de s’in-former a Londres, a Eath, par-tout, du carac-tère amp; des mosurs de celle que je voulois luinbsp;donner pour fille. Gui de fes ma:urs yxé^éxois-je, amp; fivous apprenez qu’avantla mort defonnbsp;amant elle ait jamais manqué a la dëcence, ounbsp;qu’après fa mort ells ait jamais donné lieanbsp;a la moindre tëmérité, ü vous entendeznbsp;fortir d’aucLine bouche aiitre chofe qu’unnbsp;éloge OU une bénedidlion, je renonce a monnbsp;efpërance la plus chère, au feul blen qui menbsp;falTe regarder comme unbonheurde vivre , amp;nbsp;d’avoir confervé ou recouvré la raifon. Voicinbsp;la rëponfe que je re^us de mon père.
« Vous êtes majeur, monfils,amp; vous pou-vez vous marier fans mon confentement : quant a mon approbation vous ne l’aurez jamais pour Ie mariage dont vous me parlez , amp;nbsp;fi vous Ie contratflez je ne vous reverrai ja-niais. Je n’aipoint defiré d’illuftration, amp; vousnbsp;favez quej’ailailfë la branche cadette de notre
-ocr page 53-familie folllciter amp; obtenir un titre, fans faïfé la moindre tentative pour en procurer un anbsp;la mienne ; mais I’honneur m’eft plus cbernbsp;qu’a perfonne, amp; jamais de mon confente-ment on ne portera atteinte a mon honneurnbsp;ni a celui de ma familie. Je fremis a I’ide'enbsp;d'une belle-fille devant qui on n’oferoit par-ler de chaftete , aux enfans de laquelle jenbsp;ne pourrois recommander la chaftete fansnbsp;faire rougir leur mere. Et ne rougiriez-Vous pas aufti quand je les exhorterois anbsp;pre'ferer I’honneur a leurs paflions, a nenbsp;pas fe laifter vaincre amp; fubjuguer par leursnbsp;paflions ? Non mon fils , je ne donnerainbsp;pas la place dune femme que. j’adorois knbsp;cette belle-fille. Vous pourrez lui donnernbsp;fon nom, amp; peut-être me ferez-vous mou-rir de chagrin en le lui donnant , car monnbsp;fang fre'mit a la feule ide'e ; mais tant que jenbsp;vivrai elle ne s’afleyera pas a la place de votrenbsp;mere. Vous favez que la naiflance de mesnbsp;enfans m’a coute' leur mere ; vous favez quenbsp;I’araitie' demes fils I’un pourl’autre m’a coutenbsp;Pun des deux, c’eft a vous a voir ft vousnbsp;voulez que le feul qui me refte me foit dtenbsp;par une folie paifion, car je n’aurai plus de
femme ».
Califte me voyant revenir chez elle plus tard qu’a l’ordinaire , amp; avec un air trifle amp;nbsp;de’faii, devina tout de fuite la leltre; m’ayantnbsp;force a la lui donner, elle Ia lut, !k je vis chaquenbsp;mot entrer dans fon cceur comme un poignard.nbsp;Ne defefpérons pas encore tout-a-fait, menbsp;dit - elle , permettez-moi de lui ëcrire de-main ; a prëfent je ne pourrois; amp;. s’étantnbsp;affife fur Ie canapé , a cóté de moi, elle fenbsp;penclia fur moi, amp; elle me careffoit en pleu-rant avec un abandon qu’elle n’avoit jamaisnbsp;eu. Elle favoit bien que j étois trop affligënbsp;pour en abuler. J'ai traduit de mon mieux lanbsp;la lettre de Califte , amp; je vais la tranfcrire. ,
« Soiiffrez, Monfieur, qu’une maibeureufe femme en appellecle votre jugement a vous^nbsp;même, amp; ofe plaider fa caule devant vous.nbsp;Je ne fens que trop la force de vos raifons ,nbsp;mais daigncz confidérer, Monfieur , s’il n’ynbsp;en a point auffi qui foyent en ma faveur, amp;nbsp;qu’on puiffe oppofer aux confiderations quinbsp;me réprouvent. Voyez d’abord fi Ie denouement Ie plus entier , la tendreflé la plus vive,nbsp;la reconnoiffance la mieux fentie ne pèfent
-ocr page 55-rien dansla balance que je voudrois que vous daignalHez encore tenir, amp; confulter dansnbsp;cette occafion. Daignez vous demander finbsp;votre iils pourroit attendre d’aucune femmenbsp;ces fentiroens au degré ou je les ai, amp; lesnbsp;aurai toujours , amp; que votre imagination vous-peigne s'il fe peut tout ce qu’ils me feroientnbsp;faire amp; fupporter ; confidérez enfuite d’autresnbsp;mariages, les mariag.es qui paroilToient lesnbsp;mieax afi'ortis amp; les plus avantageux , amp; fup-pofe' que vous voyez dans prefque tons desnbsp;inconve'niens amp; des chagrins encore plusnbsp;grands amp; plus fenfibles que ceux que vousnbsp;redoutez dans celui que votre fils defire ,nbsp;n’en fupportereZ'Vous pas avec plus d’indul-gence la penfee de celui-ci, amp; n’en defirerez^'nbsp;vous pas moins vivement un autre ? Ah!.nbsp;s’ii ne falloit qu’une naiffance honorable,nbsp;une vie pure , une reputation intadie pournbsp;rendre votre fils heureux ; fi avoir ete' fagenbsp;e'toit tout; fi I’aimer paffionnement, unique-mentn’e'toit rien, croyez que je ferois alTez.nbsp;genereiile , ou plutot que je I’aimerois afieznbsp;pour faire taire a jamais le feul defir, lanbsp;feule ambition de mon cosur.,
Vous me trouvez fur-tout indigne d’etre
D üj
la mere de vos petits-enfants. }e me foumets en ge'miflant a votre opinion , fonde'e fansnbsp;doute fur celle du public. Si vous ne con-fultlez que votre propre jugement j fi vousnbsp;daigniez me voir , me connoitre , votre ar-rêt feroit peut-être moins févère j vous ver-riez avec quelle docilité je ferois capable denbsp;leur répéter vos le9ons , des lemons que jenbsp;n’ai pas fuivies, mais qii’on ne m’avoit pasnbsp;donrtées , amp; fuppofé qu’en pafl'ant par manbsp;boucbe elles perdilTent de leur force , vousnbsp;verriez du moins que ma conduite conflantenbsp;ofFriroit Texemple de I’lionnetetquot;. Toute avilienbsp;que je vous parois, croyez , Monfieur, qu’au-cune femme de quelque rang , de quelqu’étatnbsp;qu’elle puifle être n’a e'té plus a' l’abri quenbsp;mol de rien voir ou entendre de licencieux.nbsp;Ah Monfieur ! vous feroit-il difficile de vousnbsp;former une idee un peu avantageufe de cellenbsp;qui a fu s’attacher a votre fils d un amour finbsp;tendre ! Je finis en vous jurant de ne confen-.nbsp;tir jamais a rien que vous condamniez ^nbsp;quand même votre fils pourroit en avoir lanbsp;penfee j mais il ne peut l’avoir , il n’oublieranbsp;pas un inftant Ie refpeéb qu’il vous doit.nbsp;Daignez permeitre, Monfieur, que je par-^
-ocr page 57-tage au moins ce fentiment avec lui, 6c n’erj rejettez pas de ma part rhumble amp; fmcèrenbsp;afllirance ».
En attendant la réponfe de mon père, toutes nos converfations roulèrent fur les parens de Califte , fon education, fes voyages,nbsp;fon hiftoire en un mot. Je lui fis des quef-tions que je ne lui avois jamais faites. J’avoisnbsp;ëcartë des fouvenirs qui pouvoient lui êtrenbsp;facheux; elle m’óta mes craintes amp; mes më-nagemens. Je voulus tont approfondir, amp;nbsp;comme fi cela eüt du favorifer notre deffein ,nbsp;je me plaifois a voir combien elle gagnoit anbsp;être plus parfaitement cönnue. Hëlas ' cenbsp;n’e'toit pas moi qu’il falloit perfuader. Elle menbsp;dit que par un effet de l’extrême délicateflenbsp;de fon amant, perfonne, ni liomme ninbsp;femme , dans aucun pays, ne pouvok afiir-mer qu’elle etit ëté fa maltrelfe. Elle me ditnbsp;n’avoir pas effuyë de fa part uh feul refusnbsp;im feul inftant d’humeur ou de mécontente-ment, OU même de negligence. Quelle femmenbsp;que celle qu’un homme, fon amant, fonnbsp;bienfaiteur, fon maitre pour ainfi-dire , peutnbsp;trailer pendant buit ans comme une divinite' l'nbsp;Je lui demandai un jour fi jamais elle n’avois;
)
eu Ia penfée de Ie quitter. Oui, dit - elle, je l’ai eue une fois, mais je fus fi frappée denbsp;1’ingratitude d un pareil defTein que je ne vou-lus pas y voir de la fagefTe : je me crus Ianbsp;dupe d’un fantóme qui s’appelloit la vertu,nbsp;amp; qui e'toit Ie vice, amp; je Ie repoulTai avecnbsp;horreur.
Pendant trois jours que tarda la lettre de inon père , j’eus la permiffion de lailTer-la mes livres amp; Ie public. Je venois cheznbsp;elle dès Ie matin ; Ie chagrin nous avoit rendus plus familiers fans nous rendre moinsnbsp;fages. Le quatrième jour Califte re^ut cettenbsp;réponfc. Au lieu de la tranfcrire ou de Ianbsp;traduire, Madame, je vous l’envoye , vous lanbsp;traduirez ü vous voulez que votre parent lanbsp;life iin jour : je n'aurois pas la force de lanbsp;traduire.
M A D A M.E,
« Je fuis fache' d’etre force de dire des cliofes defagréables a une perfonne de voire fexe, amp;¦nbsp;j’ajouterai de votre mérite ; car fans prendrenbsp;des informations fur votre compte, cef quinbsp;feroit inutile , ne pouyant être determine' par
-ocr page 59-les chofes que j’apprendrois ] j’ai entenda dire beaucoup bien de vous. Encore une fois, jenbsp;fuis facbé d’etre oblige de vous dire des chofesnbsp;défagreables, mais laitTer votre lettre fansnbsp;réponfe feroit encore plus défobligeant quenbsp;la rëfiiter. G’efl: done ce dernier parti que jenbsp;me vois force de prendre. D’abord , Pda-dame, je pourrois vous dire que je n’ai d’autrenbsp;preuve de votre attachement pour mon lilsnbsp;que ce que vous en dites vous-mème, amp; unenbsp;liaifon qui ne prouve pas toujours un biennbsp;grand attachement j mais en Ie fuppofant auffi.nbsp;grand que vous Ie dites, amp; j’avoue que je fuisnbsp;porté k vous en croire, pourquoi ne penfe-rois-je pas qu’une autre femme pourroit aimer mon fi!s autant que vous 1'aimez, amp;nbsp;fuppofé même qu’une autre femme qu’il cpoii-feroit ne l’aimat pas avec ia même tendrelTenbsp;ni avec un grand dëvouement, eft - iinbsp;bien sur que ce dégré d’attachement futnbsp;un grand bien pour lui, amp; trouvez - vousnbsp;apparent qu’il ait jamais befoin de fortnbsp;grands facrifices de la part dun femme?nbsp;Mais, je fuppofe que ce foit un grand bien ,nbsp;eft-ce tout que eet attachement ? Vous menbsp;parlez des chagrins quon voit dans la plu-
-ocr page 60-part des ménages; mais feroit-ce une bien bonne manière de raifonner quede fe réfoudrenbsp;a foufFrir des inconvéniens certains, pareenbsp;qu ailleurs il y en a de vraifemblables ? denbsp;pafTer par deflus des inconvéniens qu’on voitnbsp;diftinéiement pour en éviter d’autres qu’onnbsp;ne peut encore prévoir , amp; de prendre unnbsp;parti de'cide'ment mauvais , paree qu’il y ennbsp;auroit peut-être de pires ? Vous me deman-dez s*il me feroit difficile de prendre bonne opi-nipn de celle qui aime mon fils ¦, vous pouvieznbsp;ajouter amp; qui en eft aimée. Non fans doute,nbsp;amp; i’ai ü bonne opinion de vous que je croisnbsp;qu’en effet vous donneriez un bon exemplenbsp;a vos enfans, amp; que ioin de contredire lesnbsp;felons qu’on pourroit leur donner , vous leurnbsp;donneriez les mèmes legons, amp; peut-êtrenbsp;avec plus de zele amp; de foins qu’un autre.nbsp;Mais, penfez-vous que dans mille occafionsnbsp;je ne croirois pas que vous fouffrez de cenbsp;qu’on diroit ou ne diroit pas a vos enfansnbsp;amp; touchant vos enfans, amp; fur mille autresnbsp;fujets ? Et ne penfez-vous pas auffi que pipsnbsp;vous m’intéreffietiez par votre bonté, votrenbsp;bonnêteté amp; vos qualités aimables, plus jenbsp;fouffiirois de voir , d’iataginer que vous fou£-
-ocr page 61-frez, amp; que vous n’êtes pas auffi lieureufe,, auffi confidérée que vous mériteriez a beau-coup d egards de l’être ? En vérité , Madame»nbsp;je me faurois mauvais gré a moimrèrne denbsp;n’avoir pas pour vous toute la 'confideration.nbsp;amp; la tendrelTe imaginables, amp; pourrant iinbsp;me feroit impoffible de les avoir, fi ce n eftnbsp;peut-être pour quelques momens quand je nenbsp;me fouviendrois pas que ceite femme belle,nbsp;aimable amp; bonne eft ma belle-fille; maisnbsp;auffi tót que je vous entendrois nommernbsp;comme j’entendois nommer ma femme amp;nbsp;ma mère , pardonnez ma fince'rite, Madame ,nbsp;mon cceur fe tourneroit contre vous , jenbsp;vous haïrois peut-être d’avoir été fi aimablenbsp;que mon fils n eut voulu aimer amp; époufernbsp;que vous; amp; fi dans ce moment je croyoisnbsp;voir quelqu’un , parler de mon fils ou denbsp;fes enfans , je fuppoferois qu’on dit c’eft Ienbsp;mari d’une telle, ce font les enfans d’unenbsp;telle. En vêrité, Madame, cela feroit iiwinbsp;fupportable, car a préfent que cela n’anbsp;rien de reel, l’idée rn’en eft infupporta-ble ; ne croyez pourtant pas que j’aye au-cun mépris pour votre perfonne, d feroijnbsp;trés-injufte d'en avoir je fuis difpcfé a ua
-ocr page 62-fentiment tout contraire. Je vous ai oBIiga4 tion , S^c’eAfans rouglr de vous avoir obligation , de la promeffe que vous me faites anbsp;Ia tin de ^jotre lettre. Sans bien favoir pour-quoi j’y ai une foi entière. Pour vous payernbsp;de votre honnêteté amp; du refpedl que vousnbsp;avez pour Ie fentiment qui He un tils a fonnbsp;père je vous promets , ainfi qu’a mon tils, denbsp;ne rien tenter pour vous féparer . amp; de neluinbsp;jamais reparler Ie premier d’aucun mariage,nbsp;quand on me propoferoit une PrincetTe pournbsp;belle-fiile, maïs a condition qu’il ne me re-parle jamais non plus que vous du mariagenbsp;en queftion. Si je me laitTois flécbir je fensnbsp;que j’en aurois Ie regret Ie plus amer, amp; tinbsp;je réfiflois a de vives foHcitations , commenbsp;je ferois sürement, outre Ie deplaitir d’affli-ger un Hls que j’aiine tendrement amp; qui Ienbsp;me'rite, je me pre'parerois p.eut-être des regrets pour laveniry car un père tendre tenbsp;reproche quelque fois contre toute raifon denbsp;n’avoir pas ce'de aux inftances les plus de-raifonnables de fon enfant; Croyez, Madame,nbsp;que ce n eft déja pas tans douleur que jenbsp;vous afflige aujourd’Hui I'un amp; I’autre ».
Je trouvai Calitte atfife a terre , la léte;
-ocr page 63-(Si gt;
sppuyee centre le marbre de fa ckeminee. Cert la vingtième place que j’ai depuis unenbsp;fieure , me dit-elie , je men tiensa celle-cinbsp;paree que ma tête bride. Elle me montra dunbsp;doigt la lettre de mon' père qui etoit ouvertenbsp;fur le canape'. Je m’affis, amp; pendant quenbsp;je lifois, s’etant un peu tournee elle appuyanbsp;fa tête contre mes genoux. Abforbe dans mesnbsp;penfe'es , regretiant le pade , deplorantnbsp;I’avenir amp; ne sachant comment difpofernbsp;du preTent, je ne la voyois amp; ne la fen~nbsp;tois prefque pas. A la fin je la foulevai amp;nbsp;je la fis adeoir. Nos larmes fe confondirent.nbsp;Soyons au moins 1’un a I’autre autant quenbsp;nous y pouvons être, lui dis-je fort bas, amp;nbsp;comnie fi j’avois craint quelle ne m’enten-dit; je pus douter qu’elle m’eut entendu ;nbsp;je pus croire qu’elle confentoit, elle ne menbsp;re'pondit point, amp; fes yeux etoient fermes.nbsp;Changeons ma Califte ^ lui dis-je , ce moment fi trifle en un moment de bonlieur.nbsp;Ah , dit-elle en r’ouvrant les yeux , amp; jettantnbsp;fur moi des regards de douleur amp; d’edfoi,nbsp;it faut done redevenir ce que j’etois. Non ,nbsp;lui dis-je apres quelques mo’mens de fiience ,nbsp;il ne faiit rien, j’avois cru que vous m’ai-
rnsez. Et je ne vous aime done pas, dit - elle en paflant a fon tour fes bras autoiir denbsp;moi, je ne vous aime done pas ! Peignez-vous s’il fe peut, Madame, ce quife pafToitnbsp;dans mon coeur. A la fin je me mis a fesnbsp;pieds, j’embraifai fes genoux. ; je lui de-mandai pardon de mon impétuofite'. Je fainbsp;que vous m’aimez , lui dis-je, je vous ref-pedie, je vous adore, vous ne ferez pournbsp;moi que ce que vous voudrez. Ah ! dit-elle ,nbsp;il faut, je Ie vois bien , redevenir ce qu’iinbsp;me feroit affreux d etre , ou vous perdre , cenbsp;qui feroit mille fois plus alfreux. Non , disje, vous vous trompez, vous m’offenfez :nbsp;vous ne me perdrez point, je vous aimerainbsp;toujours. Vous m’aimerez peut être , reprit-elle , raais je ne vous en perdrai pas moins.nbsp;Et quel droit aiirois-je de vous conferver Inbsp;Je vous perdrai, j’en fuis fure, amp; fes lar-mes etoient prètes a la fulFuquer; maisnbsp;de peur que je n’appellalTe du fecours, denbsp;peur de n’être plus feule avec moi, elle menbsp;proroit de faire tous fes efforts pour fe calmer , amp; a la fin elle re'uffit. Depuis ce moment Caiiffe ne fut plus la même s inquiètenbsp;quand elle ne me voyoit pas, frémiffant
-ocr page 65-quand je la quittois, comme fi elle eut craint de ne me jamais revoir; tranfpor-tëe de joie en me revoyant; craignant tou-jours de me déplaire , amp; pleurant de plaifirnbsp;quand quelque chofe de fa part m’avoit plu,nbsp;elle fut quelque fois bien plus aimable , plusnbsp;attendriflante, plus raviflante qu’elle n’avoitnbsp;encore été , mais elle perdit cette férënité ,nbsp;cette égalité, eet a propos dans toules fesnbsp;aélions qui auparavant ne la quittoit pas, amp;,nbsp;qui l’avoit fi fort diflinguëe. Elle cherchoitnbsp;bien a faire les mêmes cliofes , $c c’ëtoientnbsp;bien en elfet les mêmes chofes qu’elle fai-foit; mais, faites tantót avec diftradbion , tan-tót avec paffion, tantót avec ennui, toujoursnbsp;beaucoup mieux ou moins bien qu’auparavant,nbsp;elles ne produifoient plus Ie même elFet furnbsp;elle ni fur les autres. Ah! ciel, combien jenbsp;la voyois tourmentëe amp; combattue! Emuenbsp;de mes moindres carelfes qu’elle cherchoitnbsp;plutót qu’elle ne les e'vitoit , amp; toujours ennbsp;garde contre fon dmotion, m’attirant parnbsp;une forte de politique, amp; de peur que jenbsp;ne lui e'chapalfe tout-a-fait , fe reprochant denbsp;m’avoir attiré , amp; me repouflant douceroent,nbsp;fachée Ie moment d’après de m’avoir repouf-
-ocr page 66-fë; TefFroi amp; Ia tendreflè, Ia paflion amp; Ia reteniie fe fuccédoient dans fes mouvemensnbsp;amp; dans fes regards avec tant de rapidité qu’onnbsp;croyoit les y voir enfemble. Et moi tour-a-tour embrafé amp; glacé , irrité, charmé , at-tendri; Ie dépit , l’admiration , la pitié m’é-nrouvant toiir-a-tour me Jaiffoient dans unnbsp;trouble inconcevable. FinilTons, lui dis-je unnbsp;Jour, tranfporté a la fois d’amoiir amp; de co-lère , en fermant fa porte a la clef, amp; fem-portant de devant fun clavecin. Vous ne menbsp;ferez pas violence, me dit-elle doucement,nbsp;car vous êtes Ie maitre. Cette voix , ce dif-cours m’ótèrent tout mon emporteraern, amp;nbsp;je ne pus plus que l’aiïeoir doucement furnbsp;mes genoux , appiiyer fa tête conire monnbsp;épaiile , amp; mouiller de larmes fes belles mainsnbsp;en lui demandant mille fois pardon , amp; ellenbsp;me remercia autant de fois d’une manièrenbsp;qui me prouva corabien elle avoit réellementnbsp;eu peur ] amp; pourfant elle m’aimoit paffion-némem amp; foiifFroit autant que moi, amp; pour-Tnnt elle auroit voulu être ma maitrelTe. Unnbsp;jour je lui dis, vous nepouvez vous réfoudre anbsp;vous donner amp; vous voudriez vous êtes don-née. Ccla elt vrai, dit-elle, eet aveu ne me
fit
-ocr page 67-lit nefl obtenir ni même rlen entreprendrei Ne cfoyez pourtant pas, Madame, que tousnbsp;nos momens fulTent cruels, amp; que notre fi-'tuation n’eüt encore des charmes, elle ennbsp;avoit qu’elle tiroit de fa bizarrerie même amp;nbsp;de nos privations. Les plus petites marquesnbsp;d’amour confervèrent leur prix. Jamais nousnbsp;he nous rendimes qu’avec tranfport Ie pluSnbsp;léger fervice. En demander un étoit Ie rtloyennbsp;d’expiet une offenfe, de faire óublier unenbsp;querelle; nous y avions toujours recours,nbsp;amp; ce ne fut jamais inutilement. Ses careffesnbsp;a la vérité me faifoient plus de peur quenbsp;de plaifir, mais Ia familiarité qu’il y avoit -entre nous e'toit délicieufe pour Tun amp; pournbsp;l’autre. Traité quelquefois cotnme unfrère,nbsp;öu plutót comitie une foeur; cette faveurnbsp;hi’étoit prècieufe amp; chère.
Califte devint fujette , amp; cela ne voüs fur-Iprendra pas , a des infomnies cruelles. Je m oppofai a ce qu’ellé prit des remèdes quinbsp;euffent pu déranger entièrement fa fanté, amp;:nbsp;je voulus que tour-a-tour fa Femme-de-Chambre amp; moi nous lui prócuraffions Ienbsp;fommeilen luifaifant quelque lefture. Quandnbsp;iious la voyions endormie, moi, tout aulïinbsp;Partx II,nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;E
!i
-ocr page 68-ïcrupuleufement que Fanny, je me retiruU te plus doucement poffible, amp; Ie lendemainnbsp;pour récompenfe j’avois Ia permiffion denbsp;nte coucher a fes pieds, ayant pour chevetnbsp;fes genoux, amp; de m’y endormir quand jenbsp;Ie pouvois. Üne nuit je m’endormis en li-fant a coté de fon lit, amp; Fanny appor-»nbsp;tant comme a l’ordinaire Ie déjeuner de fanbsp;Maiirefle a la pointe du jour , on abrégeoitnbsp;les nuits Ie plus qu’on Ie pouvoit, s’avan9anbsp;doucement amp; ne me révellla pas tout de fuite.nbsp;Le jour devenu plus grand j’ouvi’e enfin lesnbsp;yeux amp; je les vols ire fourire. Vous voyez,nbsp;dis-je k Fanny j tout eft bien refté commenbsp;vous Tavez laifle , la table , la lampe, le livrenbsp;tombé de ma main fur mes genoux. Oui,nbsp;c’eft bien, me dit-elle, amp; me voyant em-barralïe de fortir de la maifon , allez feule-»nbsp;ment, Monfieur, amp; quand même les voifinsnbsp;vous verroient, ne vous mettez pas en peine.nbsp;Ils favent que Madame eft malade, nousnbsp;leur avons tant dit que vous viviez commenbsp;frere amp; foeur, qu’k préfent nous aurionsnbsp;beau leur dire le contraire ils ne nous croi-roient pas. Et ne fe moquent-ils pas de moi ?nbsp;lui dis-je. Oh non, Monfieur, ils setonnem
-ocr page 69-Je voila tout. Vous êtes aimës amp; refpeiïlei' i’un amp; l’autre. Ils s’ëtonnent Fanny, repris-je,nbsp;ils ont vraiment raifon ! Et quand nous lesnbsp;étonnerions moins , cefleroient-ils pour celanbsp;de nous aimer? Ah ! Monfieur, cela devien-droit tout différent. Je ne puis Ie croire , Fan^.nbsp;ny , luï dis-je, mais én tout cas s’ils lïgno-roient.... Ces chofes-la , Monfieur , me dit-elle naïvement, pour être bien cachées nenbsp;doivent pas êtré. — Mais. — II n’y a point denbsp;mais, Monfieur ^ vous he pourriez vous ca-cher fi bien de James amp; de moi que nous nenbsp;vous devinaffions. James ne diroit rien , maisnbsp;il ne ferviroit plus Madame comme il la fert,nbsp;comme la première DuchelTe du royaume ,nbsp;ce qui prouve toujours qu’on refpeéle fa mai-treffe, amp; moi je ne dirois rien, mais je nenbsp;pourrois refter avec Madame, car je penferois,nbsp;ft on Ie fait un jour , cela me fera reprochénbsp;tout Ie refte de ma vie; alors les autres Do-meftiques qui m’ont toujours entendu louehnbsp;Madame foupfonneroientquelqué c}iofe,amp; lesnbsp;voifins qui favent combien Madame eft bonnenbsp;amp; aimable foup9onneroient auffi, amp; puis ilnbsp;viendroit une autre Femme-de-Chambre quinbsp;n’aimeroit pas Madapie autant que je 1’aime,
Eij
-ocr page 70-8c bientót on parleroit. II y a tant de lafl* gues qui ne demandent qu’k parler! Quelleanbsp;ioiient OU blament , c’eft tout un, poufvunbsp;qu’elles parlent. II me femble que je les en-tends. Vous vojyei^, diroient-ils* Etpuis fie^~.nbsp;vous aux aupparences. Cétoit un fi belle ré-forme ! Elk donnoit auxpauvres, elk alloit anbsp;VEglife. Ce qu’on admire a préfent feroit peut-êtrealors traite' d’hipocrifie; mais, Monfieur ,nbsp;on vous pardonneroit encore moins qu a Madame ; car , voyant combien elle vous aime,nbsp;on trouve que vous devriez l’e'poufer , Senbsp;l’on diroit toujours que ne Tepoufoit-il \ Ah !nbsp;Fanny , Fanny, s’e'cria douloureufement Ca-lifte, vous ne dites que trop bien. Qu’ai-jenbsp;fait ? dit-elle en fran9ois. Pourquoi lui ai-jenbsp;laiiïé vous prouver que je ne puis plus changer de conduite, quand mêrae je Ie voudrois !nbsp;Je voulus répondre, mais elle me conjura denbsp;fortir.
Ün Marchand du voilinage, plus matineux que les autres, ouvroit déja fa boutique. Jenbsp;palTai devant lui tout expres pour n’avoir pasnbsp;l’air de me fauver. Comment fe porte Madame ! me dit-il. Elle ne dort toujours pref-qne point, lui repondis-je. Nous lifons tout
-ocr page 71-ïes foirs Fanny Sc moi pendant une heure ou deux avant de pouvoir l’endormir, amp; elle fenbsp;réveille avec l’aurore. Cette nuit j’ai lu ünbsp;long-temps que je me fuis endormi moi-même. Et avez-vous déjeüné , Monfieur,nbsp;me dit-il I Non, lui répondis-je. Je comptoisnbsp;me jetter fur mon lit pour elTayer d’y dor-mir une heure ou deux. Ce feroit prefquenbsp;dommage , Monfieur , me dit-il. II fait fi beaunbsp;temps, amp; vous n’avez point l’air fatigue' ninbsp;aflbupi. Venez plutót de'jeuner avec moi dansnbsp;mon jardin. J acceptai la propofition , me flat-lant que eet homme-la feroit Ie dernier dénbsp;tous les voifins a me'dire de Califte , amp; il menbsp;paria d’elle, de tout Ie bien qu’elle faifoit amp;nbsp;qu’elle me lailToit ignorer avec tant de plaifirnbsp;amp; d’admiration , que je fus bien payé de manbsp;complaifance. Ce jour-la même Califte re^utnbsp;one lettre de Tonele de fon amant, qui Ianbsp;priolt de venir inceftamment a Londres. Jenbsp;re'folus de pafler chez mon père Ie tempsnbsp;de fon ab/ence, amp; nous partimes en même-temps. Vous reverrai-je, me dit-elle? Eft-ilnbsp;sur que je vous revoye 1 Oui, lui dis-je , amp;nbsp;tout aufli-tót que vous ]e fouhaiterez , a moins.nbsp;que je ne fois mort. Nous nous promimes de
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nous écrlre au moins deux fois par femaine ^ ^ jamais promefle ne fut mieux tenue. Lusjnbsp;ïie penfant amp;. ne voyant rien qu’il n’eut vouliinbsp;Ie dire ou Ie montrer a 1’autre, nous avionsnbsp;de la peine a ne pas nous ëcrire encore plusnbsp;fouvent,
Mon père m’auroit peut être mal re^u s’il neut ëté tres - fatisfait de la manière dontnbsp;j’avois employé mon temps. II en étoit inf-truit par d’autres que par moi, amp; heureu-fement il fe trouva chez lui des gens ca-pables felon lui de me juger , dont jenbsp;gagnai Ie fulFrage.On trouva que j’avois acquisnbsp;des connoifTances amp; de la facilité a m’expri-ïner amp;c on me prédit des fuccès qui flattèren.tnbsp;d’avance ce père tendre amp; difpofé pour moinbsp;a une partialité favorable. Je fis corinoifTancenbsp;avec la maifon paternelle que je n’avois revuenbsp;qu’un moment depuis mon depart pour 1 Aztjg-rique , amp; dans un temps ou je ne faifois attention a rien. Je fis connoifTance ayec lesnbsp;amis amp; les voifins de mon père. Je chafTainbsp;amp; je courus avec eux, amp; j’eus Ie bonheurnbsp;de ne leur être pas défagréable. Je vous ainbsp;vu a YOtre retour d’Amérique, ms dit un desnbsp;plus apciens ainis de notre familie , fi votre
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père doit a une femme leplaifir devous revolt tel que vous êtes a préfent, II devroit bien parnbsp;reconnoiflance vous la lailTer dpoufer. Les femmes que j’eus occa/Ion de voir me firent unnbsp;accueil flatteur. Gombien il étoit plus aifénbsp;de re'uflir auprès do quelques -unes de cellesnbsp;que moH père hönoroit Ie plus , quauprèsnbsp;de cette fille fi dédaigne'e! Je ravouerai,nbsp;mon ame avoit un fi grand befoin de reposnbsp;que dans certains momens toute manière denbsp;m’en procurer m eut paru bonne , amp; Califtenbsp;s’etoit montre'e fipeu difpoféea la jaloufie quenbsp;l’ide'e que je pourrois la cbagriner ne me fe-roit peut-être pas venue. Je ne fentois pasnbsp;que toute diftraétion eft une infidélité; amp;nbsp;ne voyant rienqui lui fut comparable , il ne menbsp;vint jamais dans l’efprit que je pufle lui devenirnbsp;véfitablement infidèle ; mais je dirai auffi awenbsp;toutes les autres manières, de me diftraire menbsp;paroiflbient préfe'rables a celles que m’offroientnbsp;les femmes. II me tardolt quelquefois de fairenbsp;de mes facultés un plus noble amp; plus utilenbsp;ufage que je n’avois fait jufqu’alors. Je nenbsp;fentois pas encore que Ie projet du bien public n’eft qu une noble chimère; que la fortunsj,nbsp;les circonlrances, des évènemens que per'.
fonne ne prëvoit amp; n’amène changent nations fans les améliorer ni les empirer, amp;nbsp;qne les intentions du citoyen Ie plus vertueuxnbsp;n’ont prefque jamais influé fur Ie bien êtrenbsp;de fa patrie; je ne voyols pas que 1’efclavenbsp;de 1’ambi'tion eft encore plus puerile amp;. plusnbsp;ma’heureux que l’efclave d’une femme. Monnbsp;père exigea que je me prëfentalTe pour unenbsp;place dans Ie Parlement a la prernière election , amp; cbarme' de pouvoir une fois lui com-plaire , j’y confentis avec joie. Califte m’écri-voit.
« Si je fuis pour quelque cbofe dan' vos pro-» jets, comme j’ofe encore men flatter, vous » n’en pouvez pas moins entrer dans un ar-.nbsp;» rangement qui vous obligeroit a vivre anbsp;» Londres. Un oncle de mon père qui anbsp;» voulu me voir vient de me dire que je luinbsp;» avois donné plus de piaifir en liuit jours,
que tous fes colate'raux amp; leurs enfans en » vingt-ans, amp; qu’il me laifferoit fa maifon 8cnbsp;» fon bien ; que je faurois rëparer amp; erabellirnbsp;» Tune amp; faire un bonufage de I’autre, au lieunbsp;gt;gt; que Ie refle de fa parente ne feroit que dé- 'nbsp;» molir amp; difliper plattement , ou épargnernbsp;» yilainement. Jevoas rapporte tout celapouc
-ocr page 75-Sgt; que vous ne me blamiez pas de ne m’être » point oppoiee a fa bonne volonté ,i’ai d’ail-»nbsp;» leurs autant de droit que perfonnne a eetnbsp;» he'ritage ^ amp;, ceux qu’il pourroit regarder nenbsp;» font pas dans Ie befoin. Mon parent eft richanbsp;jgt; amp; fort vieux ; fa maifon eft très-bien fituéenbsp;» pres de Whitehall. Je vous avoue que l’ide'enbsp;» de vous y recevoir ou de vous la prêter m’anbsp;gt; fait grand plaifir. S’il vous venoit quelquenbsp;» fantaifie difpendieufe, ü vous aviez envienbsp;» d’un tres- beau cheval ou de quelque tableau,
je vous prle de la fatisfaire , car Ie teftament » eft fait , amp; Ie teftateur ft opiniatre qu’il n’ennbsp;» reviendra surement pas. De forte que je menbsp;» compte pour riche dès a préfent, amp; je vou-» drois bien devenir votre créancière ».
Dans une autre lettre elle me difoit:
« Tandis que je m’ennuie loin de vous, » que tout ce que je fais me paroit inutile amp;nbsp;» inftpide, a moins que je ne puifle Ie rappor*nbsp;» ter a vous d’une manlère ou d’une autre . jenbsp;» vois que vous vous repofez loin de moi. D’unnbsp;» cóte', impatience amp; ennui de l’autre faiis-» facftion amp; repos , quelle difference ! Je nenbsp;» me plains pas cependant. Si je m’aftligeoisnbsp;^ je n’oferois Ie dire. Suppofe que je viflè une
-ocr page 76-9 femme efttre vous amp; moi je m’affligerofs; » bien plus, amp; cependant je ne devrois Ssnbsp;» n’oferois jamais Ie dire ».
Dans une autre lettre encore elle difoit :
« Je crois avoir vu votre père. Frappé de » fes traits qui me rapelloient les vótres, j®nbsp;» fuis reftée immobile a Ie confidérer. C’eü-» surement lui, amp; il m’a auffi regardée ».
En efFet, mon père , comme il me l a dit depuis, l'avoit vue par hafard dans une courfenbsp;qu’il avoit faite a Londres. Je ne fai oii il lanbsp;rencontra, mais il demanda qui ëtoit cettenbsp;belle femme, Quoi , lui dit quelqu’un , vousnbsp;ne connoillèz pas la Califte de Lord L. 6e.nbsp;de votre fils ! Sans ce premier nom , me dit-il, 6t il s’arrêta. Malheureux, pourquoi Ienbsp;pronon§kes vous!
Je commenfois a être en peine de la ma-nière dont je pourrois retourner a Bath, Ma fanté n’étoit plus une raifon ni un pre'-texte , amp; quolque je n’eufle rien a faire ail-leurs, il devenoit bizarre d’y commencer unnbsp;nouveau fe'jour. Califte Ie feniit elle-même , amp;nbsp;dans la lettre par laquelle elle m’annonfa fonnbsp;de'part de Londres elle me témoigna fon inquietude la - delTus. Dans cette même lettre 3
-ocr page 77-elle me parloit de quelques nouvelles coftnoif-fances qu’elle avoit faites chez Tonde de My-lord L. amp; qui toutes parloient d’aller h Bath. II feroit affreux, ajouta-t-elle, d’y voir tout.nbsp;Ie monde , excepté la feule perfonne du monde que je fouhaite de voir, Heureufement,
ill
( alüi's du moins je croyois pouvoir dire que c’étoit heureufement ) mon père curieuxnbsp;peut-être dans Ie fond de Tame , de connokrenbsp;celle qu’il rejettoit, d’entendre parler d’elfenbsp;ayec certitude amp; avec quelque détail, peut-être auffi pour continuer a vivre avec moinbsp;fans qu’il m’en coütat aucun ficriflce ; peut-être auffi pour rendre mon féjour a Bathnbsp;moins étrange , car tant de motifs peuvent fenbsp;réunir dans une feule intention , mon père,nbsp;dis-je, annonga qu’il palTeroit quelque moisnbsp;a Bath. J’eus peine a lui cacher mon extrémenbsp;jpie. Ah ! ciel , difois-je en moi-même, fi jenbsp;pouvois tout réunir, mon père, mes devoirs,nbsp;Califte, fon bonheur amp; Ic mien ! Mais, knbsp;peine Ie pro jet de mon père fut il connunbsp;qu’une femme , veuve depuis dix-huit moisnbsp;d’un de nos parens, lui écrlvit que , defirantnbsp;d’allef a Bath avec fon fils, enfant de neuf anbsp;dix ans, elle Ie prioit de prendre une naai-
fon oü ils puflent demeurer enfeniHe. Les idees de mon père me parurent derangeesnbsp;par cette propofition , fans que je puffe dé-jnêler fi elle lui étoit agréable ou défagréa*nbsp;ble. Quoiqu’il en foit il ne pouvoit que l’ac-cepter, amp; je fus envoyé a Bath pour arrangernbsp;un logement pour mon père, pour cette cou-fine que je ne connoiflbis pas, pour fon filsnbsp;amp; pour moi. Califte y étoit déja revenue.nbsp;Charmee de faire quelque chofc avec moi,,nbsp;elle dirigea amp; partagea mes foins avec un zèlenbsp;digne d’un autre objet, amp; quand mon père 8cnbsp;Lady Betty B. arriverent ils admirèrent dansnbsp;tout ce qu’ils voyoient autour d'eux une elegance, un gout qu’ils n’avoientvu, difoient-ils,,nbsp;nulle part, amp;me témoignèrent une reconnoif-fance qui ne m’etoit pas due. Califte dans cettenbsp;occafion avoir travaille centre elle ; car, cerlai-nement. Lady Betty dès ce premier momentnbsp;me fuppofa de vues que fa fortune, fa figure amp;nbsp;fon age auroient rendus fort naturelles. Ellenbsp;s’e'toit mariée très-jeune, amp; n’avoit pas dix-feptnbsp;anslors de lanaiflance de Sir Harry B. fon fils.nbsp;Je ne lui reproche done point les idees qu’ellenbsp;fe forma , ni la conduite qui en fut la con-fequence. Ce qui ra’etonne e’eft I’inipreffioa
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que me fit fa bonne volonté. Je n’en fus pas bien flatté, mais j’en fus moins fenfihle anbsp;l’attachement de Califte. Elle m’en devintnbsp;moins précieufe. Je crus que toutes les femmesnbsp;aimoient, amp; que Ie hafard, plus qu’aucunenbsp;autre chofe, déterminoit Tobjet dune paf-fion a laquelle toutes e'toient difpofe'es d’avan-ce. Califte ne tarda par a voir que j etois change----Change ? non, je ne I’etois pas. Ce mot
dit trop , amp; rien de ce que je viens d’expri-iner n etoit diftinftement dans ma penfee ni dans mon cceur. Pourquoi etres mobiles amp; in-confequens que nous nous fommes, eflayons-nous de rendre compte de nous memes I Jenbsp;ne m’apper^uspoint alors que j’euffe change,nbsp;amp; aujourd’hui pour expliquer mes diftratftions,nbsp;ma fe'curite, mamolle amp; foible conduite j’af-figne une caufe a un changement que je ne
fentois pas.
Le fils de Lady Betty, ce petit gar^on d’environ dix ans, e'toitun enfant charmant amp; il reffembloita monfrere. II me le rappelloit fi vi-vement quelquefois, amp; les jeux de notre en-»nbsp;fance, que mes yeux fe remplilToient de larmesnbsp;en le regardant. li devint mon élève, mon cama-rade , jene me promenois plus fans lui, amp; jenbsp;le menois prefque tous les jours chez Califte
-ocr page 80-Un jour que j’y étois allé feul, je trouval cliez elle un gentiihomme campagnard denbsp;très-bonne mine qui la regardoit deffiner. Jenbsp;cachai ma furprife amp; mon déplaifir. Jenbsp;voulus refter après lui, mais cela fut impolli-We, il lui demanda 'a fouper. A onze heures jenbsp;pre'tendis que rien ne fincommodoit tant quenbsp;de fe coucher tard, j’übligeai mon rival,nbsp;oui, c’étoit mon rival, 'a fe retirer auifi biennbsp;que moi. Pour la première fois les heuresnbsp;ni'avoient paru bien longues chez Califte. Lenbsp;nom de eet homme ne m etoit pas inconnu.nbsp;C’étoit un nom que perfonne de ceux quinbsp;1’avoient porté n’avoit vendu brillant; mais fanbsp;familie etoit ancienne, amp; confidérée depuisnbsp;long-temps dans une province du Nord denbsp;l’Angleterre. ConnoilTant Tonele de Lord L'*'’',nbsp;amp; ayant vu Califte avec lui k l’Opéra ^ il avoitnbsp;fouhaité de lui être préfenté, amp; avoit deman-»nbsp;de' la permiftion de lui rendre vifite. II futnbsp;chez elle deux ou trois fois, amp; crut voir ennbsp;réalité les mufes amp; les graces qu’il n’avoitnbsp;vues que dans fes livres clafliques. Après fanbsp;troifième vifite , il vint demander au Generalnbsp;des informations fur Califte , fa fortune amp; fanbsp;familie. On lui répondit avec toute la vériténbsp;polfibie, Vous étes honnête homme j Mon-
-ocr page 81-ïïcur , dit alors Tadmirateur de Califte , me confeillez - vous de l’époufer ? Sans doute ,nbsp;iui fut-il repondu, fi vous pouvez Tobtenir.nbsp;Je donnerois Ie même confeil a mon fils , aunbsp;fils de mon meilleur ami. II y a un imbecilenbsp;qui Tainie depuis long - tems, amp; qui n’ofenbsp;ie'pouler, paree que fon père, qui nofe Ianbsp;voir de peur defe lailTer gagner ne veut pasnbsp;y confentir. Ils s’en repentiront toute leurnbsp;vie j mais dépechez-vous, car ils pourroientnbsp;changer.
Voila rhomnie que j’avois trouvé chez Califte. Le lendemain je fus chez elle denbsp;très-bonne heui e , amp; je lui exprimai mon de-plaifir amp; mon impatience de Ia veille- Quoi Inbsp;dit-elle, cela vous fait quelque peine ! autre-fois je voyois bien que vous ne pouviez fouf-frir de trouver qui que ce foit avec moi, pasnbsp;même un artifan ni une femme • mais depuis quelque tems vous ne ceflez de inenernbsp;avec vous le petit Chevalier, j’ai cru quenbsp;c’etoit expres pour que nous ne fuffions pasnbsp;feuls enlemble. Mais, dis-je, c’efl: un enfant.nbsp;II voit amp; entend comme un autre , dit-elle.nbsp;Et fi je ne 1 amène plus, repris-je , ce/Terez-vous de recevoir l’homme qui m'importuna
-ocr page 82-^üer ? Vous poirvez raméner toujöufs, dit:-elle, mals moi je ne puis renvoyer l’autre j tant que perfonne ii’aura fur moi des droitSnbsp;plus grands quen’en amon bienfaiteur, quim’anbsp;fait faire connoiffance avec lui, amp; m’a pridènbsp;de Ie bien recevoir. 11 efl: amoureux de vous ^nbsp;lui dis-je, aprèsm’étre promenéquelque temsanbsp;grand pas dans la cliambre, il n’a point de père,
ilpourra.....Je ne pus achever. Califle ne me
répondit rien, on annonfa Thomme qui me tourmentoit, amp; je fortis. Peu après je revins;nbsp;Je réfolus de m’accoutumer a lui, plutót quënbsp;de me laifler bannir de chez moi, car c’étoitnbsp;cbez moi. J’y venois encore plus fouvent qu’anbsp;l’ordinaire amp; j’y reftois moins long-temps.'nbsp;Quelquefois elle étoit feule, amp;. c’e'toit unenbsp;bonne fortune dont tout mon être e'toit ré-joui. Je n’amenois plus Ie petit garqon, quinbsp;au bout de quelques jours s’en plaignit amè-rement. Un jout, en préfence de Lady Betty,nbsp;il adrefla fes plaintes a mon père , amp; Ie fup-plia de Ie mener chez MiftrilT Califta, puif-que je ne l’y menois plus. Ce nom, la manièrénbsp;de Ie dire firent fourire mon père avec unnbsp;mélange de bienveillance amp; d’embarras. Je n’ynbsp;vais pas moi-mérae, dit-il a Sir H^rry. Eft-ce
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0ue votre fils ne veut pas voiis y mener gt; reprit I entant ? Alt I {1 vous aviez y ete quel-quefois vous y reiourneriez tous les joursnbsp;comme lui. Voyant mon père ému amp;attendri,nbsp;je fus fur Ie point de me jetter a fes pieds,nbsp;jnais la prëfence de Lady Betty ou ma maigt;quot;nbsp;vaife étoile, ou plutót ma maudite foiblelTenbsp;me retint 1 Oh Califte combien vous aurieznbsp;éte' plus coiirageufe que moi ! Vous aurieznbsp;profitë de cette occafion prëcieufe ; vous auriez tentë amp; rëuffi , amp; nous aurions paflénbsp;enfemble une vie que nous n’avons pu ap-prendre a palTer l’un fans 1’autre. Pendantnbsp;qu’incertain , irrëlolu je laifl’ois échapper cenbsp;nioment unique, on vint de Ja part de Ca-Jide, a qui j’avois dit les plaintes de Sirnbsp;Harry , demander a Mylady que fon fils putnbsp;diner chez elle. Le petit gar^on n’attenditnbsp;pas la rëponle , il courut fe jetter au cou denbsp;James amp; le pria de lemmener. Le foir , lenbsp;lendemain , les jours fuivans il paria tant denbsp;ma maiirelTe qu’il impaiienta Lady Betty Scnbsp;commen9a tout de bon a intërelTer mon père.nbsp;Qui fait ce que n’auroit pas pu produire cettenbsp;efpèce d’interceffion ? Mais mon père fut obli-gë d’aÜer pafler quelques jours chez lui pournbsp;II Parcle^nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;F
-ocr page 84-des affaires preffantes, amp; ce mouvement dè bonne volonté une fois interrompu ne putnbsp;plus être redonnë.
Sir Harry s’e'tablit fi bien chez Califte que je ne la trouvois plus feule avec fon nouvelnbsp;amant. II fut je penfe aulfi importune' de l’en-fant que je pouvois l’ètre de lui. Califte dansnbsp;cette occafion déploya un art amp; des reflourcesnbsp;de génie, d’efprit amp; de bonté que j’étois biennbsp;éloigné de lui connoitre- L’habitant de Norfolk ne pouvant i’entretenir vouloit au moinsnbsp;qu’elle Ie charmat comir.e a Londres par fa voixnbsp;amp;. fon claveffin , amp;. demandoit des ariettesnbsp;franfoifes , italiennes, des morceaux d’opéra;nbsp;mais Califte trouvant que tout cela feroit vieuxnbsp;pour moi, amp; ennuyeux pour Ie petit gargon ,nbsp;amp; que je me foucierois peu d’ailleurs d’alder anbsp;l’effet en I’accompagnant comme a mon ordinaire , fe mit a imaginer des romances dontnbsp;elle faifoit la mufique , dont elle m’aidoit anbsp;faire les paroles , qu’elle faifoit cbanter parnbsp;l’enfant, amp; juger par mon rival. Elle chantanbsp;amp; jüua, amp; parodia , la cliarniante romancenbsp;Have you feen my Hanna, de manière anbsp;m’arraclier vingt fois des larmes. Elle voulutnbsp;auffi que nous appriflions a deffiner aSir Harry,
-ocr page 85-gt pour pouvoir fe refufer fans rudeiTe a cette niufique perpëtuelle, elle fe procura quel-ques-uns de ces tableaux de Rubens amp; denbsp;Snyders, ou des enfans fe jouent avec desnbsp;guirlandes de fleurs, amp; les copiant k l’aidenbsp;d’un paiivre peintre fort habile , que Ie hafardnbsp;lui avoit aniené , dont elle avoit démêlénbsp;Ie talent elle en entoura fa chambre , laiffantnbsp;entre eux de l’efpace pour des confoles fur lef-queües devoient être place'es des lampes d’unenbsp;forme antique, amp; des vafes de porcelaine ; cenbsp;travail nous occupoit tous , amp; fi 1’enfant feulnbsp;étoit content, tout Ie monde e'toit amufë.nbsp;Surpris moi-même de TefFet quand l’apparte-ment fut arrange , amp; trouvant qu’eÜe n’avoitnbsp;jamais eu autant d’aëfivitë ni d’invention, j’eusnbsp;la cruauté de lui demander fi c’ëtoit pournbsp;rendre a M.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;fa maifon plus agre'able.
Ingrat ! dit-elle. Oui , m’écriai-je, vous avez raifon , je fuis un ingrat, mais auffi quipour-roit voir fans humeur des talens, dont on nenbsp;jouit plus feul, fe de'ployer tous les jours d’unenbsp;fagon plus brillante ? C’eft bien , dit-elle, denbsp;leur part Ie chant du cigne. On entendit heur-ter a Ia porte. Frëparez-vous a voir, dit Ienbsp;petit Harry , comma s’il y avoit entendu li-
snefiè , notre ëternel Monfieur de NorfóIK.* C’e'toiilui en efFet.
Nous menames encore quelques jours ia même vie, mais ce n’ëtoit pas linten-tion de mon rival de partager roujours Ca-iifte avec un enfant amp; moi. II vint lui direnbsp;lin matin, que d’après ce qu’il avoir apprisnbsp;d’eile par Ie Ge'nerai D. amp; Ie public,nbsp;mais fur-tout d’après ce qu’il en voyoit lui-mème, il étoit réfolu a fuivre Ie pen^.hantnbsp;de fon cceur amp; a lui ofTrir fa main amp; fa fortune. Je vais, dit-il, prendre une connoif-fance exatSfe de mes affaires, afin de pouvoirnbsp;vous en rendre conipte. Je veux que votrenbsp;anii, votre proietfieur a qui je do.s Ie bonheurnbsp;de voiis connoitre, examine amp; juge avec vousnbsp;fi mes offres font dignes d’etre acceptëes ; maisnbsp;quand vous aurez tout examine , vous êtes tropnbsp;généreufe pour we faire aJtendre une réponfenbsp;décifive , amp; fi je vous trouvois enfemble ilnbsp;ne faudroit que quelques momens pour decider de mon fort. Je voudrois être moi-mémenbsp;plus digne de vos offres, lui dit Califte, aufïïnbsp;troubiëe qui fi elle ne s’étoit pas attendue anbsp;fa de'claration i allez, Monfieur, je fens toutnbsp;1’Konneur que vous me faites. J examinerainbsp;avec moi-mêine fi je dois l’accepter, amp; après
-ocr page 87-votre retour je ferai bientót dëcidée. Sir Har* ry amp;• moi la trouvames une heure après linbsp;pale, fi cbangée qu’elle nous efFraya. Eft-ilnbsp;croyable que je ne me de'cidai pas alors ? Jenbsp;r’avois certainement qu’un mot a dire. Jenbsp;paflai trois jours prefque du matin au foirnbsp;ctiez Califte a la regarder, k rêver, a héfiternbsp;amp; je ne lui dis rien. La veille du jour oijnbsp;fon amant devoit revenir, j’allai chez ellenbsp;Faprès-diner, je venois feui. Je favois que fanbsp;Femme-de-cbambre ëtoit allez cliez des parens a quelques milles de Baih , amp; ne devoitnbsp;revenir que Ie lendeinain matin. Califte tenoitnbsp;une cafiette remplie de petits bijoux, denbsp;pierres grave'es, de miniatures qu’elle avoitnbsp;apporte'es d’Italie, ou que Mylord lui avoitnbsp;données. Elle me les fit regarder amp; obfervanbsp;lefquelles me plaifoient Ie plus. Elle me msEnbsp;au doigt une bague que Mylord avoit toujoursnbsp;portee , amp; me pria de la garder. Elle ne menbsp;difoit prefque rien. Elle m’étonna amp; me parutnbsp;différente deile-même. Elle étoit careffanle,nbsp;amp;. paroiffoit Irifte amp; réfignée. Vous n’aveznbsp;rien promis a eet bomrae , lui dis je l Rien,nbsp;dit-elle , amp; voila les feuls mots que j aye panbsp;aw rappeller d une foirée que je me fuis rap».
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pellee milled mille fois. Maïs je n’ouMierai dè ma viela manière dont nous nous féparames. Jenbsp;regardai ma montre. Quoi, dis-je, il eft déjanbsp;ïieuf heures ! amp; je voulus m’en aller. Reftez,nbsp;me dit-elle. II ne m’eft pas poffible, lui dis-je,nbsp;mon père amp; Lady Betty m’attendent. Vousnbsp;fouperez tant de fois encore avec eux, dit-elle. Mais, dis-je, yous ne foupez plus!
¦— Je fouperai. —¦ On m’apromis des glacés.
'— Je vous en donnerai (il faifoit exceffive-ment cbaud. ) Elle n’étoit prefque pas ha-billée, Elle fe mit devant la porte vers la-quelle Je m’avangois; je I’embraflai en l’ótant un peu de devant la porte. Et vous ne laiffe-rez done pas de pafler , dit-elle. Vous êtesnbsp;cruelle, lui dis-je , de m’ëmouvoir de la forte !nbsp;-— Moi , je fuis cruelle ! j’ouvris la porte,nbsp;je fortis, elle me regarda fortir, amp; je lui entendis dire en la refermant , e'e/i fait. Cesnbsp;mots me pourfuivirent. Après les avoir millenbsp;fois entendus, je revins au bout d’une denii-heure en demander l’explication. Je trouvainbsp;fa porte fermëe a la clef. Elle me cria dunnbsp;cabinet, qui étoit par de-la fa chambre, qu’ellenbsp;s’e'toit mife dans Ie bain , amp; qu’elle ne pou-Yöit m’owvrir n’ayantperfonne avec elle. Mafej
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5i5-je , s'il vous arrivoit quelque chofe !ll né ni airivera rien , me dit-elle. Eft-il bien sur,nbsp;lui dis-je , que vous n’ayez aucun deffein ü-niftre. Très-siir, me rëpondit-elle ; y a-t-ilnbsp;quelqu’autre monde ou je vous retrouvafle Inbsp;Mais je ra’enroue, amp; je ne puis plus parler.nbsp;Je m’en retournai chez moi un peu plus tran-quille, mais c'ejl fait ne put me fortir denbsp;l’efprit amp; n’en fortira jamais, quoique j’ayenbsp;revu Califte. Le lendemain matin je retournainbsp;cliez elle. Fanny me dit qu’elle ne pouvoit menbsp;voir; amp; me fuivant dans la rue , qu eft-il donenbsp;arrivé a ma maitrefle, me dit-elle ? Quel chagrin luiavez-vous fait ? Aucun, lui dis-je , quinbsp;me foit connu. Je I’ai trouvée, reprit-elle dansnbsp;un éiat incroyable. Elle ne s’eft pas couchéenbsp;cette nuit.... Mais je n’ofe m’arrêter plusnbsp;long'temps. Si c’eft votre faute, vous n’aureznbsp;point de repos le refte de votre vie. Elle rentra , je me retirai très-inquietj uneheure aprèsnbsp;je revins: Califte étoit partie. On me donnanbsp;la caflette de la veille amp; une lettre que voici:
« Quand j’ai voulu vous retenir hier je n’ai » pu y réulTir. Aujourd’hui je vous renvoye, amp;nbsp;» vous obéilTez au premier mot. Je pars pou?nbsp;» vous epargner des cruautés qui empoifoa-»
F ÏK
-ocr page 90-neroient Ie re/le cle votre vie fi votjs venie^ » un jour a les fentir. Je m’ëpargne a motnbsp;» Ie tourment de contempler en detail un mal-» heur amp; des pertes d’autant plus vivementnbsp;» fenties que je ne fuis en droit de les repro-» cher a perfonne. Gardez pour l’amour denbsp;» moi ces bagatelles que vous admirates bier ,nbsp;Sgt; vous Ie pouvez avec d’autant moins denbsp;» fcrupule que je fuis reTolue a me réferver Ianbsp;» propriëté la plus entière de tout ce que jenbsp;» tiens de Mylord ou de fon oncle ».
Comment vous rendre compte, Madame, du flupide abattement oü je reflai plongé ,nbsp;amp;, de toutes les puëriles, ridicules, maisnbsp;peu diftinéJes confide'raiions auxquelles fenbsp;torna ma penfëe comme ü ie fufTe devenunbsp;incapable d’aiicune vue faine, d’aucun raifon-rement ? Ma lethargie fut-elle un retournbsp;du derangement qu’avoit caufé dans monnbsp;cerveau Ia mort de mon frère 2 Je vou-drois que vous Ie cruffiez, autrement comment aurez-vous la patience de continuernbsp;cette ledJure 2 Je voudrois parvenir fur-toutnbsp;a Ie croire moi-même, ou que Ie fouvenirnbsp;de cette journée put s’anëantir. II n’y avoitnbsp;pasune demie-heure qu’elie ëtoit partie , pour*
-ocr page 91-ijHoI ne Ia pas fuivre , qu’eft-ce qui me retint? S’il eft des intelligences tëmoins de nos pen-fëes, qu’elles me difent ce qui me retint ? Jenbsp;m’allis a Tendroit ou Califte avoit ëcrit, jenbsp;pris fa plume, je la baifai, je pleurai; je croisnbsp;que je voulois écrire ; mais bientót importunenbsp;du mouvement quon fe donnoit autour denbsp;moi pour mettre en ordre les meubies amp; lesnbsp;hardes de ma maJtreffê , je fors de fa maifon ,nbsp;je vals errer dans la campagne, je reviensnbsp;enfuite me renfermer chez moi. A une hsurenbsp;après minuit je me couche tout habillé ; jenbsp;m’endors, mon frère, Califte, mille fantómesnbsp;lugubres viennent m’alTaillir; je me réveillenbsp;en furfaut tout couvert de fueur; un peu remisnbsp;je penfe que j’irai dire a Califte ce que j’ainbsp;fouffertla veillejamp;la frayeurque m’ont caufénbsp;mes rêves. A Califte? Elle eft partie; c’eftnbsp;fon depart qui me met dans eet état affreux :nbsp;Califte n’eft plus a ma portee , elle n’eft plusnbsp;a moi, elle eft a un autre. Non, elle n’eft pasnbsp;encore a un autre , amp; en méme-temps j’ap-pelle , je cours, je demfinde des chevaux ;nbsp;pendant qu’on les mettoit a ma voiture j’allainbsp;éveiller fes gens amp;leur demander s’ils n’avoientnbsp;ïien appris de M.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;Ils me dirent qu’ii
^toit arrivé a huit heures du foir, amp; qu’il avoit pris a dix Ie chemin de Londres. A I’inflant manbsp;têie s’embarrafla , je voulus m’óter Ia vie, jenbsp;méconnus les gens amp; les objets, je me per-fuadai que Califte étoit morte j une fortenbsp;faignée luffit a peine pour me faire revenirnbsp;a moi, amp; je me retrouvai dans les bras denbsp;mon pere qui joignit aux plus tendres foinsnbsp;pour ma fanté celui de cacher Ie plus qu’ilnbsp;fut poffible l’étatoü j’avois été. Funefte pre'-caution! Si on I’avoit fu il auroit efFraye peut-être, amp; perfonne n’eut voulu s'alTocier a monnbsp;fort.
Le lendemain on m’apporta une lettre. Mon pere qui ne me quittoit pas me pria denbsp;la lui laifler ouvrir ; que je voye une fois,nbsp;me dit-il, quoiqu’ii foit trop tard, ce qu étoitnbsp;cette femme. Lifez , lui dis-je, vous ne ver-rez certainement rien qulne lui fade honneur.
« li eft bien sur a prefent que vous ne » m’avez pas fuivie. II n y a que trois heuresnbsp;» que j’efpe'rois encore. A prefent je menbsp;» trouve heureufe de penfer qu’il n’eft plusnbsp;» poffible que vous arriviez , car il ne pour-» roit en refulter que les chofes les plus fa-» neftes, mais je pourrois recevoir une lettre.
-ocr page 93-» II y a des inftans oü je m en flatte eti-^ xgt; core L’habitude e'toit ü grande , amp; il eftnbsp;» pourtant impofïible que vous me haïffiea,nbsp;» OU que je fois pour vous comme une autre-agt; J’ai encore une heure de liberté. Quoiquenbsp;» tout foit pret, je puis encore me de'dire ;nbsp;3gt; mais fi je n’apprends rien de vous, je nenbsp;» me dédirai pas. Vous ne voullez plus denbsp;» moi, votre /ituation auprès de moi étoitnbsp;» trop uniforme ; il y a long-temps que vousnbsp;» en êtes fatigue. J’ai fait une dernière tenta-t» tive. J’avois prefque cru que vous me re-*nbsp;» tiendriez ou que vous me fuivriez. Je ne menbsp;» ferai pas honneur des autres motifs qui ontnbsp;» pu enfrer dans ma re'folution, ils font tropnbsp;» confus, jc’eft pourtant mon intention denbsp;agt; chercbier mon repos amp; Ie bonheur d’autruinbsp;» dans mon nouvel etat, amp; de me conduirenbsp;» de fagon que vous ne rougiffiez pas de moi.nbsp;» Adieu, rheure s’e'coule, amp; dans un inftantnbsp;» on viendra me dire quelle eft paffee; adieu,nbsp;» vous pour qui je n’ai point de nom , adieunbsp;jgt; pour la dernière fois». La lettre ëtoit lacbe'enbsp;de larmes, celles de mon père tombèrent furnbsp;les traces de celles de Califte, les miennes,. ..nbsp;Je fais la lettre par coeur, mais je ne puis plas
-ocr page 94-Ia lire. Detix jours après, Lady Betty tetianr Ia gazette, lut a I’artkle des mariages , (Charlesnbsp;M* ** of Norfolk , with. Maria Sophia**nbsp;Oui, elle lut ces mots; il fallut les entendre.nbsp;Ciel ! avec Maria Sophia !,.. Je ne puis pasnbsp;accufer Lady Betty d’infenfibiüté dans cettenbsp;occafion. J’ai lieu de croire qu’elle regardoitnbsp;Califte comme une fille honnête pour fonnbsp;e'tat, avec qut j’avois vecu , qui m’aimoit encore quoique je ne rainiafle plus, qui voyantnbsp;que je m ëtois détaché d’elie, Sc. que je nenbsp;1 epouferois jamais, prenoit avec chagrin Ienbsp;parti de fe marier, pour faire une fin honorable; certainement Lady Betty n’attribiioitnbsp;ma triflefle qu a la pitië ; car , loin de m’ennbsp;favoir mauvais grë , elle en eut meilleur opinion de mon coeur. Toute cette manière de
juger ëtoit fort naturelle amp; ne differoit de Ia vëritë que par des nuances qu’elle ne pouvoitnbsp;deviner.
Huit jours fe pafsèrent, pendant lefquels il me fembloit que je ne vivois pas. Inquiet,nbsp;ëgaré, courant toujours comme fi j’avois cher-Chë quelque chofe . ne trouvant rien, ne cher-chant mêrne rien , ne voulant que me fuir moi-mêine , amp; fuir fucceffivement tous les objets
-ocr page 95-t 95 )
qui frappoient mes regards! Ah ! Madame t ijuel étal! amp; faut-il que j eprouve qu’il en eftnbsp;un plus cruel encore ! Un matin, pendant Ienbsp;déjeuner, Sir Harry s’approchant de moi, menbsp;dit : je vous vois fi trifte , j’ai toujours peurnbsp;qui vous ne vous en alliez auffi, II m’eft venunbsp;«ne idee. On parle quelquefois a maman de fenbsp;remarier, j’aimerois mieux que ce fut vousnbsp;que tout autre qui devinfiez mon père ; alorsnbsp;vous refteriez auprès de moi, ou bien vousnbsp;me prendriez avec vous, fi vous vous en alliez. Lady Betty fourit. Elle eut l’air de pen-fer que fon fils ne faifoit que me mettre furnbsp;les voies de faire une propofition a laquellenbsp;j’avois penfé depuis long-temps. Je ne rëpon-dis rien, Elle criit que c etoit par embarras,nbsp;pat timidite'. Mais mon filence devenoit tropnbsp;long. Mon père prit la parole: vous avez-lanbsp;une très-bonne idee mon ami Harry, dit*il,nbsp;amp; je me flatte qu’une fois ou 1 autre tout Ienbsp;monde en jugera ainfi. Une fois ou l’autre Jnbsp;dit Lady Berty, Vous me croyez plus prudenbsp;que je ne luis. 11 ne me faudroit pas tant denbsp;lems pour adopter une idee qui vous feroitnbsp;agrëable , ainfi qu’a votre fils amp; au mien. Mortnbsp;père me prit par la main, amp; me fit fortir.
-ocr page 96-Ne me puniflez pas, me dit-il , de n’avoir pas fu faire céder des confidérations qui me pa-roiflbient viélorieufes a celles que je trouvoisnbsp;foibles. Je puis avoir été aveugle, mais jenbsp;n’ai pas cru être dur. Je n’ai rien dans Ienbsp;monde de fi cher que vous. Méritez jufqu’aunbsp;bout ma tendrefle; je voudrois n’avoir pointnbsp;exigé ce facrifice, mais puifqu il eft fait,nbsp;rendez Ie méritoire pour vous amp; utile anbsp;votre père i montrez-vous un fils tendre amp;nbsp;généreux en acceptant un mariage qui paroi-troit avantageux a tout autre que vous, amp; don-nez-moi des petits fils qui intéreffent amp; amu-feut ma vieillefTe, amp; me de'dommagent denbsp;votre mère, de votre frère amp; de vous , carnbsp;vous n’avez jamais éte' 6c ne ferez peut-êtrenbsp;jamais a vous , a moi, ni a la raifon.
Je rentrai dans la chambre. Pardonnez mon peu d’éloquence, dis-je a Mylady, amp; croyeznbsp;que je fens mieux que je ne m’exprime. Sinbsp;vous voulez me promettre Ie plus grand fe-cret fur cette affaire , amp; permettre que j’ailknbsp;faire un tour 'a Paris amp;. en Hollande, je par-tirai dès demain, amp; reviendrai dans quatrenbsp;inois vous prier de réalifer des intentions quinbsp;me font fi honorables amp; fi avantageufes. Dans
-ocr page 97-'quatre mois! dit Mylady; amp; il faudroit m’en* gager au plus profond fecret ? Pourquoi cenbsp;fecret, je vous prie ? Seroit-ce pour ménagernbsp;la fenfibilité de cette femme ? n’importe mesnbsp;motifs, lui dis-je j mais je ne m’engage quanbsp;cette condition. Ne foyez pas fache', dit Sirnbsp;Harry, maman ne connoit pas Miftrifs Ca-lifta. Je t’épouferai toi, mon cher Harry , finbsp;J’époufe ta mere, lui dis-je-en I’embralTant.nbsp;C’eft bien auffi toi que j’e'poufe, 5c je tenbsp;jure tendreffe amp;fidélité.Madame efl: trop raigt;nbsp;fonnable , dit avec gravite mon père, pour nenbsp;pas confentir au fecret que vous voulezqu’onnbsp;garde ; mais pourquoi ne pas vous marier fe-crettement avant que de partir ? J’aurai dunbsp;plaifira vous favoir marié; vous partirez auffi-tót qu’il vous plaira après la celebration, Denbsp;cette manière on ne foup9onnera rien, amp; finbsp;Ion parloit de quelque chofe , VOtre departnbsp;détruiroit ce bruit. Je comprends biennbsp;comment vous avez envie de faire un voyagenbsp;de garqon , c’eft-a-dire, fans femme. II futnbsp;queftion de vous envoyer voyager avec votrenbsp;frère au fortir de l’univerfité , mais Ia guerrenbsp;y mit obftable. Lady Betty fut fï bien ap-paife'e par Ie difcours de mon père qu elle
-ocr page 98-¦confentit a tout ce qu’il vouloit j amp; trouva plairant que nous fuffions maries avant unnbsp;certain bal qui devoit fe donner peu de joursnbsp;apres. L’erreur oil nous verrions tout lenbsp;monde, difoit-elle, nous amuferoit elle amp;nbsp;mois. Avec quelle rapidite je roe vis enframe 1nbsp;Je connoiffois Lady Betty depuis environ cinqnbsp;mois. Notre mariage fut propofe , traité amp;nbsp;conclu en une heure. Sir Harry etoit fi aifenbsp;que j’eus peine a me perfuader qu’il put êtrenbsp;dilcret. II me dit que quatre mois etoientnbsp;trop longs pour pouvoir fe taire, mais qu’ilnbsp;fe tairoit julqua mon depart fi jepromettcisnbsp;de le prendre avec rooi.
Je fus done roarié, amp; il n’en tranfpira rien, quoique des vents contraires amp; unnbsp;temps tres-orageux retardaflent mon de'partnbsp;de quelques jours qu’il etoit plus naturel denbsp;paffer n Baih qua Harwich. Le vent ayantnbsp;change je partis laiflant Lady Betty grofTe.nbsp;Je parcourus en quatre mois les principalesnbsp;villes de la Hollende , de la Flandre amp; dunbsp;Brabant; amp; en France , outre Paris, je vis lanbsp;Normandie amp;, la Bretagne. Je ne voyageainbsp;p?s vite a caufe de mon petit compagnon denbsp;voyage j mais je reftai peu par-tout oil je fus,
-ocr page 99-amp; je ne regrettai nulle part de ne pouvoir y refter plus long-temps. J'étois li mal difpofénbsp;pour lafociété, tout ce que j’appercevois denbsp;femmes me faifoit ft peu efperer que je pour-rois être diftrait de mes pertes , que par-toutnbsp;je ne cherchai que les edifices, les fpec»nbsp;tacles, les tableaux, les artiftes. Quand jenbsp;voyois Qu entendois quelque chofe d’agréable,nbsp;je cherchois autour de moi celle avec quinbsp;l’avois fi long-temps vu amp; entendu, celle avecnbsp;qui j’aurois voulu tout voir amp; tout entendre ,nbsp;qui m’auroit aide a juger, amp; m’auroit faitnbsp;doublement fentir. Mille fois je pris la plumenbsp;pour lui e'crire , mais je n’ofai ecrire ; amp; com’nbsp;jnent lui aurois-je fait parvenir une lettrenbsp;telle que j’eufte eu quelque plaiftr a Te'crire^nbsp;amp; elle a la recevoir 1nbsp;Sans le petit Harry je me ferois trouve' feulnbsp;dans les villes les plus peuplées, avec lui jenbsp;n’e'tois pas tout-'a-fait ifolé dans les endroit»nbsp;les plus écartés. II m’aimoit, il ne me fut jamais incommode , amp; j’avois mille moyeninbsp;de le faire parler de Miftrifs Califta, fansnbsp;en parler moi-même. Nous retournames eHnbsp;Angleterre ; d’abord a Bath , dela chez rnonnbsp;père, amp; enfin a Londres, ou mon mariage
devint public lorfque Lady Betty jugea qii'il étoit terns de fe faire préfenter a la cour. Onnbsp;avoit parlé de moi amp; de mon fiére commenbsp;d’un phénomène d’amitiéj on avoit parlé denbsp;moi comme d’un jeune homme rendu inté-rellant par la paffion d’une femme aimable,;nbsp;les amis de mon. père avoient prétendu quenbsp;je me diftinguerois par mes connoiflances amp;nbsp;mes talens. Les gens a talens avoient vanténbsp;mon gout amp; ma fenfibilité pour les arts qu’ilsnbsp;profefloient. A Londres, dans Ie monde , onnbsp;ne vit plus rien qu un homme trifle, filentieux.nbsp;On s’e'tonna de la pallion de Calixle amp; dunbsp;choix de Lady Betty; amp; fuppofé que les premiers jugemens portés fur moi n’eulTent pasnbsp;été toui-a-fait faux, je conviens que les der-niers étoiStit du moins parfaitement naturels,nbsp;fit j’y étois peu fenfible ; mais Lady Bettynbsp;s’apperccvant du jugement du public, l’adoptanbsp;infenfiblement, amp; ne fe trouvant pas autantnbsp;aimée qu’elle croyoit Ie mériter , après s’êtrenbsp;plainte. quelque tems avec beaucoup de viva-cité, chercha fa confolation dans une efpècenbsp;de dédain qu’elle nourriflbit, amp; dont elle s’ap-plaudiflbit. Je ne trouvois aucune de fes impref-fions alTez injufte pour pouvoir m’enofFenfer
-ocr page 101-OU Ia combattre. Je n’auroisfu d’ailleurs comment my prendre,amp; j’avoue que jen’y prenois pas un intérct aflez vif pour devenir la-deffusnbsp;bien clairvoyant ni bien ingénieux, encorenbsp;moins poi r en avoir de I humeur; de fortenbsp;qu’elle fit toutce qu’elle voulut, amp; elJe voulutnbsp;plaire Schriller dans Ie monde , ce que fa jolienbsp;figure,la gentillefle Sc eet elpritde re'partie,quinbsp;réufllt toiijours aux femmes, lui rendoit fortnbsp;aifé. D'une coquetterie ge'ne'rale , elJe en vintnbsp;a une plus particulière , car je ne puis pasnbsp;appeller autrement ce qui la détermina poucnbsp;1’homme du Royaume avec lequel une femmenbsp;pouvoit ètre Ie plus flattée d’etre vue, maisnbsp;Ie moins fait, du moins k ce qu’il me fembla,nbsp;pour prendre ou infpirer une paffion. Je parus ne rien voir , Sc ne m’oppofai k rien , amp;nbsp;après la naiCance de fa fille , Lady Betty fenbsp;livra fans réferve a tous les amufemens quenbsp;la mode ou fon gout lui rendirent agre'able.nbsp;Pour Ie petit Chevalier, il fut content denbsp;moi, car je m’occupois de lui prefqu’unique-ment, auffi me rella-t-il fidelle, Sc Ie feulnbsp;veritable chagrin que m’ait fait fa mère c’eftnbsp;d’avoir voulu obftinement qu’il fut mis en
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petifion a Weftminfter lorfqu’après fes couches nous allames k la campagne,
Ce fut vers ce temps-la que mon père m’ayant mené promener un jour a quelquenbsp;diftance du chateau , me paria a coeur ouvertnbsp;du train de vie que prenoit Mylady, amp; menbsp;demanda fi je ne penfois pas a m’y oppofernbsp;avant qu’il ne devint tout-a-fait fcandaleux.nbsp;Je lui re'pondis qu’il ne m’e'toit pas poffiblenbsp;d’ajouter a mes autres chagrins celui de tour-menter une perfonne qui s’étoit donnde a moinbsp;avec plus d’avantages apparens pour moi quenbsp;pour elle , amp; qui dans Ie fond avoit a fenbsp;plaindre.il n’y a perfonne, lui dis-je, au coeur,nbsp;a l’amour-propre amp; a Tadlivité de qui il nenbsp;faille quelqu’aliment. Les femmes du peuplenbsp;ont leurs foins domeftiques, amp; leurs enfans,nbsp;dont elle font obligees de s’occuper beaucoup;
les femmes du monde quand elles n’ont pas un mari dont elles foyent Ie tout, amp; qui foitnbsp;tout pour elle, ont recours au jeu, a la galanterie OU a la haute devotion. Mylady n’aimenbsp;pas Ie jeu, elle efl d’ailleurs trop jeune encorenbsp;pour jouer, elle eft jolie amp; agréable, ce quinbsp;arrive eft trop naturel pour devoir s’en plain-
-ocr page 103-dre, amp; ne me touche pas afTez pour que j'e veuille m’en plaindre. Je ne veux me dü«necnbsp;ni l’humeur, ni Ie ridicule d'un mari jaloux.nbsp;fi elle étoit fenfible, fe'rieufe, capable en unnbsp;tnot de m’ecouter amp; de me croire ; s’il ynbsp;avoit entre nous de veritables rapports de ca-radJère , je me ferois peut-être fon ami,nbsp;amp; je Texhorterois a éviter l’eclat amp; 1’inde-cence pour s’epargner des chagrins, amp; nenbsp;pas aliéner Ie public; mais comme elle nenbsp;m’ecouteroit pas, il vaut mieux que je con-ferve plus de dignité , amp; que je laifle ignorernbsp;que mon indulgence eft re'flechie. Elle ennbsp;fera quelques ëcarts de moins fi elle fe flattanbsp;de me tromper. Je fai tout ce qu’on pourroitnbsp;me dire fur Ie tort qu’on a de tole'rer Ie dë-fordre, mais je ne fempêcherois pas, a moinsnbsp;de ne pas perdre ma femme de vue. Or, quelnbsp;cafuifte aflez fe'vère pour ofer me prefcrirenbsp;une pareille tache 1 Si elle m’étoit prefcritenbsp;je refuferois de m y foumettre , je me lailfe-rois condamner par toutes les autorite's, amp;nbsp;j’inviterois l’homme qui pourroit dire qu’il nenbsp;tolère aucun abus, foit dans la chofe publi-que, s’il y a quelque diredlion , foit dans fanbsp;maifon, s’il en a une, ou clans la conduite
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de fes enfans s’11 en a} foit, enfin , dans la fienne propre ; j’inviterois, dis-je, eet hom-me-la a me jetter Ia première pierre.
Mon père, me voyant fi determine, ne me rëpliqua rien. II entra dans mes intentions,nbsp;amp; vécut toujours bien avec Lady Betty i amp;nbsp;dans Ie peu de tems que nous fumes encorenbsp;enfemble, il n’y eut point de jour qu’il nenbsp;me donnat quelque preuve de fon extrémenbsp;tendrelTe pour moi. Je me fouviens que dansnbsp;ce tems-la un Evêque, parem de Lady Betty,nbsp;dinant chez mon père avec beaucoup de monde , fê mit a dire de ces lieux commons moi-lié piaifans, moitié moraux , fur Ie mariage,nbsp;l’autorité maritale, amp;c., amp;c. qu’on pourroitnbsp;appeUer plaifanteries ecclcfiaftiques, qui fontnbsp;de tous les tems, amp; qui dans cette occafionnbsp;pouvoient avoir un but particulier. Après avoirnbsp;laifle ëpuifer a neuf ce vieux fujet, je dis quenbsp;cetoit k la loi amp;a la religion ,ou 'a leurs Mi-niftres a contenir les femmes, amp; que fi on ennbsp;chargeoit les maris, il faudroit au moinsnbsp;vine difpenfe pour les geus occupe's, qui alorsnbsp;auroient trop a faire , amp; pour les gens douxnbsp;amp; indolens qui feroient trop malheureux. Sinbsp;on n’avoit cette bonté peur nous, dis-je avec
-ocr page 105-une forte d’emphafe , Ie manage ne convien-droit plus qu’aux tracaffiers amp;. aux imbeciles , a Argus, amp; 'a ceux qui n’auroient point d’yeux.nbsp;Lady Betty rougit. Je crus voir dans fa fur-prife que depuis long-tems elle ne me croyoitnbsp;pas affez d’efprit pour parler de la forte. Hnbsp;ne m’auroit peut-être fallu pour rentier en fa-veur auprès d’elle dans ce moment que les.nbsp;pre'fe'rences de quelque jolie femme. Un malnbsp;entendu, qu’il ne vaut pas la peine de rappeller me Ie fit preTumer. II faut que dans Ienbsp;fond , quoiqu’il n’y paroiffe pas toujours, les,nbsp;femmes ayent une grande confiance au juge-ment amp; au gout les unes des autres. Unnbsp;homme eft une marchandife , qui en circu-lant entre leurs mains, haulTe quelque temsnbsp;de prix , jufqua ce qu’elle tombe tout-a-coup
dans un décri total, qui n eft d’ordinaire'que trop jufte.
Vers la fin de Septembre je retournai k Londres pour voir Sir Harry. J’efpérois auflinbsp;qu’y étant feul de notre familie dans une fai-fon OU la ville eft de'ferte, je pourrois allernbsp;par-tout fans qu’on y prit garde, amp; trouvernbsp;enfin dans quelque café, dans quelque taverne , quelqu’un qui me donneroit des nou-
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-ocr page 106-vellës de Califtci II y aVoit un an amp; quelquês jours que hoUs nous étions féparés. Si aucunenbsp;de ces rentatives ne m’avoit réufll je feroisnbsp;allé chez Ie Généïal D ^nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;, ou chez Ie vieux
oncle qui vouloit lui laifler fon bien. Je ne pouvois plus vivre fans favoir Ce qu’elle fal-foitgt; amp; Ie vuide qu’elle m’avoit laifle fe fai-foit fentir tous les jours d’une maniére plusnbsp;cruelle. On a tort de penfer que c’eft dansnbsp;les premiers tems qu’une veritable perte eftnbsp;la plus douleureufe. II femble alors qu’on ne
foit pas encore tout-a-fait für de fon malheur. On ne fait pas tout-a fait qu’il eft fans re-mede gt; amp; Ie commencement de la plus cruellenbsp;féparation n’eft que comme une abfence. Maisnbsp;quand les jours, en fe fuccédant, ne ramè*nbsp;nent jamais la perfonne dont on a befoin , ilnbsp;femble que notre malheur nous foit confirménbsp;fans ceffe, amp; a tout moment Ton fe dit c’eftnbsp;done pour jamais !
Le lendemain de mon arrivée k Londres j après avoir pafle le jour avec mort petit ami,nbsp;j’allai Ie foir feul a la Comédie, croyant ynbsp;rêver plus a mon aife qu’ailleurs. II y avoitnbsp;peu de monde même pour le tems de l’année,nbsp;paree qu’il faifoit très'-chaud , amp; Ie ciel me-
-ocr page 107-na^oit d’orage. J'entre dans une loge. J'etois diftrait, long-tems je m’y crois feul. Je voisnbsp;enfin une femme cachée paf nn grand chapeau qui ne s’ëtoit pas retournëe lorfque j’etoisnbsp;entrë) amp; qui paroifloit er.fevelie dans la rêverie la plus profonde ; je ne fai quoi dans fanbsp;figure me rappella Califte, maïs Califte menéenbsp;en Norfolfshire par fon mari, amp; dont per-fonne a Londres n’avoit parlé jufqu’au milieunbsp;de rëté, devoir être fi loin dela, que je nenbsp;m’occupai pas un inftant de cette penfëe. Onnbsp;commence Ia piece, il fe trouve que c efl:
fair penitent. Je fais une efpèce de cri de furprife. La femme fe retourne. C’étoitnbsp;Califte ; qu’on juge de notre étonnement, denbsp;ïiotre emotion, de notre joie •, car tout autrenbsp;fentiment céda dans l’inftant menie a Ia joienbsp;de nous revoir. Je neus plus de torts, je n’eusnbsp;plus de regrets, je n eus plus de femme , ellenbsp;n’eut plus de mari, nous nous retrouvions ,nbsp;amp; quand ce n’eut été que pour un quart-d’heure, nous ne pouvions fentir que cela.nbsp;Elle me parut un peu pale amp; plus ne'gligée ,nbsp;jnais cependant plus belle que je ne Tavoisnbsp;jamais vue. Quel fort, dit-elle , quel bonheur !nbsp;J’etois venue entendre cette niême pièce, qui
-ocr page 108-fuf ce même Theatre décida de ma vie, C’eft la première fois que,je viens ici depuis cenbsp;jour-la. Je n’avols jamais eu Ie courage d’ynbsp;revenir, a prëfent d’autres regrets m’ont ren-due itifenfible a cette efpèce de honte. Je veneis revoir mes commencemens, amp; méditernbsp;fur ma vie, amp; c’eft vous que je trouve ici,nbsp;vous , Ie veritable, Ie feul intërêt de ma vie ,nbsp;Tobjei conftant de ma penfée, de mes fouve-nirs, de mes regrets, vous que je ne me flat-tois pas de jamais revoir. Je fus long-temsnbsp;fans lui rëpondre. Nous fumes long-tems anbsp;nous regarder, comme fi chacun des deuxnbsp;eüt voulu s’alTurer que c’ëtoit bien l’autre.nbsp;Eft-ce bien vous ? lui dis-je enfin. Quoi,nbsp;c eft bien vous! Je venois ici fans intention ,nbsp;par deTceuvrement, je me ferois cru heureux
dapprendre feulement de vos nouvelles apres milles recherche que je me propofois de faire,nbsp;amp; je vous trouve vous-même, amp; feule, amp;nbsp;nous aurons encore au moins pendant quel-ques heures Ie plaifir que nous avions autrefois a toute heure, amp; tous les jours! Alorsnbsp;je Ia priai de trouver bon que nous fiffionsnbsp;tous deux l’hiftoire du tems qui s’étoit paffe depuis notre féparation, pour que nou*
-ocr page 109-puflions enfuite nous mieux entendre amp; par» Ier plus a notre aife. Elle y confentit, me ditnbsp;de comtnencer amp; m’ecoutafans prefque m’m-terrompre-feulementquand je m’accufois^ ellenbsp;m’excufoit ; quand je parlois d’elle , elle menbsp;fourioit avec attendrilTement; quand elle menbsp;voyoit malheureux, elle me regardoit avecnbsp;pitie, Le peu de liaifon quelle vit entre Lady Betty amp; moi ne parut point lui faire denbsp;plaifir , cependant elle n’en afFeöla point denbsp;chagrin. Je vois, dit-elle , que je n’ai jamaisnbsp;ëte' entièrement dëdaignée ni oubliée ; c’eftnbsp;tout ce que je pouvois demander. Je voiis ennbsp;remercie, amp; je rends grace au ciel de cenbsp;que j’ai pu le favoir. Je vais vous faire auffinbsp;rhiftoire de cctte trifle armee. Je ne vousnbsp;dirai pas tout ce que j’eprouvai fur la routenbsp;de Bath a Londres, treflaillant au moindrenbsp;bruit que j’entendois derrière moi , n’ofantnbsp;regarder, de peur de m’affurer que ce n’etoitnbsp;pas vous; eclaircie enfuite malgre' moi, me
flattantde nouveau ,de nouveau défabufëe.....
C’eft aflez: fi vous ne fentez pas tout ce que je pourrois vous dire, vous ne le compren-driez jamais. En arrivant a Londres j’apprisnbsp;que I’oncle de mon pere etoit mort il y avoit
-ocr page 110-quelques jours, amp; qu’il m’avoit lailTe fon tien, qui, tous les legs paye's , tnontoit,nbsp;outre fa maifon, 21 prés de trente millenbsp;pieces.
Cet e'venement me frappa, quoique la mort d’un homme de quatre-vingt-quatre ans foitnbsp;dans tous les inftans moins étonnante que fanbsp;vie, amp; je fentis une efpèce de chagrin dontnbsp;je fus quelque tems a démêler la caufe. Jenbsp;la démêlai pourtant, J’avois une obligation denbsp;plus a ne pas rompre mon mariage. Avoirnbsp;^ écouté auparavant M. M'*'^ , amp; Ie rejetternbsp;au moment oii j’avois quelque chofe a donnernbsp;cn échange d’un nom , d’un etat honnéte , menbsp;parut prefqu’impoffible. II en feroit réfulténbsp;pour moi un genre de déshonneur auquel jenbsp;n’étois pas encore accoutumee. II arriva Ienbsp;lendemain, me montra un état de fon bien ,nbsp;auffi clair que Ie bien même , amp; un contratnbsp;de mariage tout drelTé, par lequel il me don-noit trois cens pieces par an pour ma vie ,nbsp;amp; outre cela un douaire de cinq mille pieces.nbsp;II ne favoit rien de mon heritage; je le luinbsp;appris. Je refufai la rente mais je demandainbsp;que fuppofé que le mariage fe fit; phrafenbsp;que je répétois fans celTe j je confervafle la
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jouiflance amp; la propriété de tout CC que j e tenois amp; pourrois tenir encore des bien-faits de Tonele de Lord L., amp; je priai qu’onnbsp;me regardat comme abfolument libre juf-qu’au moment ou j’aurois prononcé oui ^nbsp;TEglife. Vous voyez , MonEeur, luidis-je,nbsp;combienje fuis troublee, je veux que jufquesnbsp;la mes paroles foyent pour ainfi dire comp-tees pour rien , amp;. que vous me donniez votrenbsp;parole d’honneur de ne me faire aucun re-proche fi je me dédis un moment avant quenbsp;la cérémonie s’achève. Je Ie jure, me répon-dit-i!, au cas que vous changiez de vous-même; mais ü un autre venoit vous fairenbsp;changer , il auroit ma vie ou mol la Eenne.nbsp;Un homme qui vous connoit depuis Ci long-tems, amp; n’a pas fu faire ce que je fais nenbsp;mérite pas de m etre préféré. Après ce mot,nbsp;ce que j’avois tant fouhaité jufqu’alors ne menbsp;parut plus que la chofe du monde la plus anbsp;Craindre. II revint bientót avec Ie contratnbsp;changé comme je Tavois demandé mais ilnbsp;my donnoit cinq mille guinées pour des bijoux , des meubles on des tableaux qui m’ap-partiendroient en toute propriété. Le Miniftre
-ocr page 112-étoit averti, la licence obtenue , les témoins trouvës. Je demandai encore une heure denbsp;folitude amp;. de liberté. Je vous écrivis, je don-nai ma lettre au fidelle James. II n’en vintnbsp;point de vous. L’heure ëcoulée nous allamesnbsp;a l’Eglife 6c on nous maria. Laidez-moi ref-pirer un moment, dit-elle, amp; elle parutnbsp;ëcouter les adteurs amp; la Califle du Theatre ,nbsp;qui rendirent affez naturels les pleurs que nosnbsp;voifins lui voyoient verier. Enluite elle reprit : quelques jours après, les affaires quinbsp;regardoient I héritage étant arrangées, amp; monnbsp;mari ayant été mis en poffeffion du bien, ilnbsp;me mena a fa terre; Tonele de Lord L.nbsp;m’avoit fait promettre quand je lui dis adieunbsp;de venir Ie voir routes les fois qu’il Ie de-manderoit. Je fus parfaitement bien re^uenbsp;dans Ie pays que j’allois habiter. Domefliques ,nbsp;Vaflaux , amis, voifins, méme les plus fiers,nbsp;OU ceux qui auroient eu Ie plus de droit denbsp;Têtre, s’emprefsèrent a me faire ie meilleurnbsp;accueil, amp; il ne tint qu’a moi de croire qu’onnbsp;ne me connoiffoit que par des bruits avanta-geux. Pour la première fois je mis en doutenbsp;ü vütre père ne s’e'toit pas trompé, amp; s’il
-ocr page 113-etoit bien sur que je portafTe avec moi le deshonneur. Moi, de mon cote je ne né-gligeai rien de ce qui pouvoit donner du plai-fir , ou compenfer de la peine. Mon anciennenbsp;habitude d’arranger pour les autres mes actions, mes paroles, ma voix, mes geftes ,nbsp;jufqu’a ma phifionomie me revint , amp; menbsp;fervit fi bien que j’ofe aflurer qu’en quatrenbsp;mois M. M * n’eut pas un moment qui futnbsp;défagréable. Je ne pronon9ois pas votre nom;nbsp;les habits que je portois,la mufique que je jouoisnbsp;ne furent plus les mêmes qu'a Bath. J’étoisnbsp;deux perfonnes, dont Tune n’etoit occupéenbsp;qu’a faire laire I’autre amp; a la cacher. L’amour ,nbsp;car mon mari avoit pour moi une veritablenbsp;paffion , fecondant mes efforts par fes illufions,nbsp;il parut croire que perfonne ne m’avoit étênbsp;aufli cher que lui. II méritoit fans doute toutnbsp;ee que je faifois amp; tout ce que j’aurois punbsp;faire pour fon bonheur pendant une longuenbsp;vie , amp; fon bonheur n’a dure' que quatre mois.nbsp;Nous e'tions a table chez un de nos voifins.nbsp;Un homme arrive de Londres paria d’un manage célébré déja depuis long-terns, maisnbsp;devenu public depuis quelques jours. II ne fenbsp;rappella pas d’abord votre nomj il vous
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comma enfin. Je ne disrien, mais je tombai évanouie , amp; je fus deux heures fans aiicunenbsp;connoiffance. Tous les accidens les plus ef-.nbsp;frayans fe fuccédèrent pendant quelques jours,nbsp;amp; finirent par une fauffe-coucbe, dont lesnbsp;fuites me mirent vingt fois au bord du torn-beau. Je ne vis prefque point M. M *nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;*¦.
Une femme qui écouiamon hiftore, amp; plaignit ma fituation, Ie tint éloigné de moi pournbsp;que je ne viffe pas fon chagrin, amp; n’enten-difie pas fes reproches ; amp; dans Ie mèmenbsp;tems elle ne négligea rien pour Ie confoler ,nbsp;ni pour l’appaifer: elle fit plus. Je m’étois mifenbsp;dans l’efprit que vous vous étiez marië fe-erettement avant que j’eufle quitté Bath; quenbsp;vous étiez déja engage avant d’y revenir ;nbsp;que vous m’aviez trompee en me difant quenbsp;vous ne connoiffiez pas Lady Betty j que
vous m’aviez laiffé arranger l’appartement de ma rivale , amp; que vous vous étiez fervi denbsp;moi, de mon zèle, de mon induftrie, denbsp;mes foins pour lui faire votre cour; quenbsp;lorfque vous m’aviez témoigné de l’humeurnbsp;de trouver chez moi M.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;vous étiez
déja promts, peut-être déja marié. Cette femme me voyant m’occuper fans celfe de
toutes
-ocr page 115-toutes ces douloureufes fuppofitions, amp; reve-nir mille fois fur les plus de'chirames images , s’inforina fans m’en avertir de Timpreffionnbsp;qu’avoit fait fur vous mon depart, de la conduite de votre père, du moment de votrenbsp;mariage , de celui de votre depart retardénbsp;par Ie mauvais tems; de votre conduitenbsp;pendant votre voyage, amp; a votre retour.nbsp;Elle fut tout approfondir, faire parler vosnbsp;gens amp; Sir Harry , amp; fes informations ontnbsp;€te bien juftes , car ce que vous venez de menbsp;dire y répond parfaitement. Je fus foulagée,nbsp;je la remerciai mille fois en pleurant, ennbsp;baifant fes mains que je mouillois de larmes.nbsp;Seule la nuit, je me difois, je n’ai pas du moinsnbsp;a Ie me'prifer ni a Ie haïr ; je n’ai pas été Ienbsp;jouet d un complot, d’une trahifon prémëdi-tée. II ne s’eft pas fait un jeu de mon amournbsp;amp; de mon aveuglement. Je fus foulagëe. Jenbsp;me rëtablis aflez pour reprendre ma vie ordinaire , amp; j’efpe'rois de faire oublier a monnbsp;mari, a force de folns amp; de prevenances,nbsp;l’affreufe impreffion qu’il avoit regue. Jenbsp;n’ai pu en venir a bout. L’éloignement,nbsp;fi ce n’eft la haine , avoit fucce'de' a 1’amour.nbsp;Je l’intërelTois pourtant encore, quand desnbsp;Parr. 11.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;H
-ocr page 116-retours mon indifpofition fembloient me-nacer ma vie; mais des que je me portois mieux, il fuyoit fa maifon , amp; quand en ynbsp;rentrant il retrouvoit celle qui, peu aupara-vant la lui rendoit délicieufe , je Ie voyoisnbsp;trefl'alllir. J’ai combattu pendant trois moisnbsp;cette mallieureufe difpofition, amp; cela biennbsp;plus pour 1’amour de lui que pour moi-même.nbsp;Toujours feule, ou avec cette femme quinbsp;m’avoit fecourue, travaillant fans ceife poufnbsp;lui ou pour fa maifon, n’écrivant amp; ne re-cevant aucune lettre, mon chagrin, mon humiliation , car fes amis m’avoient tous aban-donne'e , me fembloient devoir Ie toucher,nbsp;mais il etoit aigri fans retour. II ne lui échap-pa jamais un mot de reproche ; de forte que jenbsp;n’eus jamais l’occafion d’en dire un feul d’ex-cufe ni de juftification. Une fois ou deux jenbsp;voulus parler, mais il me fut impoffible denbsp;proférer une feule parole. A la fin , ayantnbsp;regu une lettre du General, qui me di-foit qu’il e'toit malade, amp; qu’il me prioit
de Ie venir voir feule, ou avec M. M
• •
je la mis devant lui. Vous pouvez aller, Madame , roe dit-il. Je parfis des Ie lendemain, amp; lailfant Fanny j pour n’avoir pas fair de
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dléferter la maifon, ni d’en être bannie . je lui dis de laiffer mes armoires amp; mes caf-fettes ouvertes, a portee de rexamen denbsp;tout le monde, mais je ne crois pas qw’onnbsp;ait daigné regarder rien , ni faire la moindrenbsp;queftion fur mon compte. Voila comme ellnbsp;revenue a Londres celle que Mylord a tantnbsp;aimëe, amp; qu’une fois vous aimiez; amp; au-joLird’hui je me revois ici plus malheureufe amp;nbsp;plus delailTee que quand je vins jouer fur cenbsp;même Theatre, Öc que je n’appartenois anbsp;perfonne qua une mere qui me donna pournbsp;de 1’argent.
Califte ne pleura pas après avoir fini fon recit ; elle fembloit conlïdérer fa deftinéenbsp;avec une forte d’e'tonnement, mêle' d’horreur ,nbsp;plutot qu’avec triilefle. Moi, je reftai abiménbsp;dans les plus noires reflexions. Ne vous af-fligez pas , me dit-elle en fouriant ; je n’ennbsp;vaux pas la peine. Je le favois bien que lanbsp;fin ne feroit pas heureufe, amp; j’ai eu des mo-mens fi doux! Le plaifir de vous retrouvernbsp;ici rachetteroit feul un fiècle de peines. Quenbsp;fuis-je au fond, qu’une fille entretenue quenbsp;vous avez trop honorée ! Et d’une voix , fitnbsp;d’un air tranquille, elle me demanda des
Hij
-ocr page 118-nouvelles de Sir Harry, amp; s’il careilóit fa petite foeur. Je lui parlai de fa propre fanté.nbsp;Je ne fuis point bien , me dit-elle, amp; je nenbsp;penfe pa5 que je me remette jamais, mais jenbsp;fens que Ie chagrin aura long tems a fairenbsp;pour tuer töut-a-fait une bonne conftitution.nbsp;Nous parlames un peu de l’avenir. Feroit-ellenbsp;bien de chercher a retourner a Norfolk oiinbsp;fon devoir feul, 1'ans nul penchant, nul at-trait,nulle efpe'rance de bonheur, la feroitnbsp;aller ? Devoit-elle engager Tonele de Lord L.nbsp;a la mener pafler Thiver en France ? Si ellenbsp;amp; moi pallions Thiver a Londres pourrions-nous nous voir, pourrions - nous confentir anbsp;ne nous point voir? La piece finie nous for-times fans être convenus de rien , fans favoirnbsp;oil nous allions, fans avoir penfe a nous fe-parer, a nous rejoindre, a refter enfemble.nbsp;La vue de James me tira de cet oubli de tour.nbsp;Ah James! m’ecriai-je.— Ah , Monfieur , e’eft:nbsp;vous! Par quel hafard , par quel bonheur ?..,nbsp;Attendez. .1 appellerai un fiacre au lieu de cettenbsp;chaife. Ce fut James qui decida que je feroisnbsp;encore quelques momens avec Califte. Oilnbsp;voulez vous qu il aille , lui dit-il ? au pare S.nbsp;James, dit-elle apres m’avoir regarde'. Soyons
-ocr page 119-«ncore un moment enfemble, perfonne ne Ie faura. C’eft Ie premier fecret que James aitnbsp;jamais eu a me garder; je fuis bien surenbsp;qu’il ne Ie trahira pas, amp; li vous voulez qu’onnbsp;n’en croye pas les rapports de ceux qui pour-»nbsp;roient nous avoir vus a la Comedie , ou qu’onnbsp;ne fade aucune attention a cette rencontre,nbsp;retournez a la campagne cette nuit, ou de-main] on croira qu’il vous a été bien egalnbsp;de me retrouver puifque vous vous éloigneznbsp;dc moi tout de fuite. C’eft ainfi qu’un peunbsp;de bonheur ramène I’amour de la dicence ,nbsp;le foin du repos d’autrui, dans une ame géné-reufe amp; noble. Mais, ecrivez-moi , ajouta-t-elle , confeillez-moi, dites-moi vos projets.nbsp;II n’y a point d’inconve'nient a pre'fent que jenbsp;receive de terns en terns de vos lettres. J’ap-prouvai tout. Je promis de partir amp; d’ecrire.nbsp;Nous arrivames a la porte du pare. II faifoitnbsp;fort obfeur , amp; le tonnerre commen9oit anbsp;gronder. N’avez-vous pas peur? lui dis-je.nbsp;Qu’il ne tue que moi, dit- elle, amp; tout feranbsp;bien. Mais s’il vaotmieuxnepas nous eloignernbsp;de la porte amp;. du fiacre , alTeyons-nous ici furnbsp;unbanc;amp; aprèsavoir quelque temsconfiderénbsp;le ciel, alTurément perfonne ne fe promène ^
^it-el!e , perfonne ne me verra ni ne m’ecou-tera. Elle coupa prefqu’k tatons une toufFe de mes cheveux, qu’elle mit dans fon fein, amp;.nbsp;pafTant fes deux bras autour de moi, elle inenbsp;dit, que ferons-nous l’un fans 1’autre ? Dansnbsp;«ne demi heure je ferai comme il y a un an,nbsp;comme il y a fix mois, cómme ce matin :nbsp;que feiai-je, fi j’ai encore quelque tems anbsp;vivre ? Voulez-vous que nous nous en allionsnbsp;enfemble l N’ayez-vous pas affez obéi a votrenbsp;père l N’avez-vous pas une femme de fon.nbsp;choix amp; un enfant ? Reprenons nos véritablesnbsp;liens. A qai ferons-nous du mal ? mon marlnbsp;mehait, il ne veut plus vivre avec moi; votrenbsp;femme ne vous aime plusAh ne rëpon-dez pas, s’écria-t-elle en mettant fa main furnbsp;ma bouche. Ne me refufez pas, amp; ne confenteznbsp;pas non plus. Jufqu’ici je n’ai été que mal-heureufe, que je ne devienne pas coupable;nbsp;|e pourrois fupporter mes propres fautes,nbsp;mais- non les vótres; je ne me pardonneroisnbsp;jamais de vous avoir degrade ! Ah combiennbsp;je fuis malheureufe , amp; combien je vous aime 1nbsp;Jamais homme ne fut aimé comme vous l amp;nbsp;me tenant e'troitement embrafle , elle verfoitnbsp;«n torrent de larmes. Je fuis ilne ingrate^ dit-
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'elle un inftant après, je fuis une i ngrate de dire que je malheureufe ; je ne donneroisnbsp;pour rien dans Ie monde Ie plaifir que j’ainbsp;eu aujourd’hiii, Ie plaifir que j’ai encore dansnbsp;ce moment. Le tonnerre étoit devenu efi-frayant, amp; le ciel étoit comme embrafé : Ca-lille fembloit ne rien voir amp; ne rien entendre jnbsp;mais James accourant, lui cria, au nom du cielnbsp;Madame venez ! voici la grêle. Vous avez éténbsp;fi malade ! amp; la prenant fous le bras dès qu’ilnbsp;put l’appercevoir , il l’entraina vers le fiacre ,nbsp;Ty fit entrer amp;, ferma la porfiere. Je reftainbsp;feul dans l’obfcurité ; je ne l’ai jamais revue.
Le lendemain, de grand matin , je repartis pour la campagne. Mon père étonné de mortnbsp;retour amp; du trouble oü il me voyoit, me fitnbsp;des queftions avec amitié. II s’étoit acquis desnbsp;droits k ma confiance, je lui contai tout. Anbsp;votre place , dit-ilj mais ceci n’eft pas parlernbsp;en père, a votre place je ne fai ce que je fe-rois. Reprenons, a-t-elle dit, nos véritablesnbsp;liens. Auroit-elle raifon ? mais elle ne voudroitnbsp;pas elle-même.... Ce n’a été qu’un momentnbsp;d’égarement, dont elle eft bientot revenue. Jenbsp;me promenois a grands pas, dans la galerie outnbsp;nous étions. Mon père , penché fiir une table ^
Hiv
-ocr page 122-avolt fa tête appuyée fur fes deux mains ; du monde que nous entendimes mit fin a cettenbsp;étrange fituation.
Mylady revenoit d’une partie de chafle; elle craignit apparemment quelque chofe de fa-cheux de mon prompt retour, car elle cbangeanbsp;de couleur en mevoyant; mais je palTai a cóténbsp;d’elle amp; de fes amis fans leur rien dire. Je n’eusnbsp;que Ie tems de m’habiller avant Ie diner, amp; jenbsp;reparus atableavec mon air accoutumé. Toutnbsp;ce que je vis m annon^a que Mylady fe trou-voit heureufe en mon abfence , amp; que les retours inattendus de fon mari pouvolent nenbsp;lui point convenir du tout. Mon père en futnbsp;fi frappé, qu’au fortir de table il me dit, ennbsp;me ferrant la main avec autant d’amertumenbsp;que de compalïïon, pourquoi faut-il que jenbsp;vous aye óté a Califte ! Mais , vous, pourquoinbsp;ne mel’avez-vous pas fait connoitre ! qui pou-voit favoir, qui pouvoit croire qu’il y eutnbsp;tant de difference entre une femme amp; unenbsp;autre femme , amp; que celle-la vous aimeroitnbsp;avec une fi veritable amp; fi conftante paffion Jnbsp;Me voyant entrer dans ma chanibre il m’ynbsp;fuivit, amp; nous reftames long-tems affis l’unnbsp;vis-a-vis de l’autre fans nous rien dire. Un
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bruit de caroilê nous fit jetter les yeux fur J’avenue. C etoit Mylord ^ * ,le père du jeunenbsp;homme avec qui vous me voyez. II montanbsp;tout de fuite chez moi, amp; me dit auffi-tot,nbsp;voyons fi vous pourrez , fi vous voudrez menbsp;rendre un grand fervice. J’ai un fils uniquenbsp;que je voudrois faire voyager. II eft tres-jeune; je ne puis I’accompagner , paree quenbsp;ma femme ne peut quitter fon père, amp; qu’ellenbsp;mourroit d’inquie'tude 8c d’ennui s’il lui fal-loit être a la fois privee de fon fils amp; de fonnbsp;mart.Encore une fois, mon fils eft ti'ès-jeune,nbsp;cependant j’aime encore mieux I’envoyernbsp;voyager tout feui, que de le confier a quinbsp;que ce foit d’autre que vous. Vous n’êtes pasnbsp;trop bien avec votre femme , vous n’avez éténbsp;que quatre mois hors d’Angleterre; mon filsnbsp;eft un bon enfant, les frais du voyage fenbsp;payeront par moitie. Vo3rez. Puifque je vousnbsp;tronVe avec votre père , je ne vous laiffe anbsp;tous deux qu’un quart-d heure de re'fiexion. Jenbsp;jette les yeux fur mon père. II me tire a 1 ecart.nbsp;Regardez ceci, mon fils, dit-il, comme unnbsp;fecours de la providence contre votre foi-bleffe, amp; contre k mienne. Celle qui eft
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pour ainfi dire chafTee de chez fon mari ^ amp; qui fait a Londres les delices d’un vieil-lard , fon bienfaiteur, pourra refter a Londres.nbsp;Je vous perdrai, mais je I’ai mérité. Vousnbsp;rendrez fervice a un autre père amp; a lin jeunenbsp;homme dont on efpere bien; ce fera unenbsp;confolation que je tacherai de fentir. J’irai,nbsp;dis-je en me rapprochant de Mylord, mai*nbsp;a deux conditions, que je vous dirai quandnbsp;j’aurai pris fair un moment. J’y foufcris d’a-vance, dit-Il en me ferrant la main , amp; jenbsp;vous remercie. C’eft une chofe faite. Mesnbsp;deux conditions etoient Tune, que nous com-men9affions par Tltalie, pour que je n’euflenbsp;encore rien perdu de mon afcendant fur lenbsp;jeune homme pendant le féjour que nous ynbsp;ferions; I’autre qu’apres une année, contentnbsp;ou mecontent de lui, je pufte le quitter aunbsp;moment ou je] le voudrois fans defobligernbsp;fes parens. Cette nuit même j’écrivis a Califtenbsp;tout ce qui s’étoit pafte. J’exigeois qu’elle menbsp;repondit, amp; je promis de continuer a luinbsp;ecrire. Ne nous refufonspas, lui difois-je,nbsp;un plaifir innocent, amp; le feul qui nous refte.
Je fus d’avis que nous fiftjons le voyage
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par mer, pour avoir cette experience de plus. Nous nous embarqiiames a Plymouth;nbsp;nous debarquames a Lisbonne. De-la nousnbsp;allames par ferre a Cadix, puis par mer anbsp;Meffine oii nous vimes les affreux veftigesnbsp;du tremblement de terre. Je me fouviens,nbsp;Madame, de vous avoir raconte cela avecnbsp;detail, amp; vous favez comment apres unenbsp;anne'e de fejour en Italic, patTant le montnbsp;S. Gotard , voyant danS le Valais !es glaciersnbsp;amp; les bains, au fortir du Valais les falines ,nbsp;nous nous fommes trouves au commencementnbsp;de rhiver a Laufanne, oii quelques traits denbsp;reffemblance m’attacherent a vous, ou votrenbsp;maifon me fut un afyle, amp; vos bontes unenbsp;confolation. II me refte a vous parler de lanbsp;rnalheureufe Califte.
le requs fa reponfe a ma lettre un moment avant de m’embarquer. Elle plaignok fon fort , mais elie approuvoit ma conduite , nvon voyage , amp; faifoit raille veeux pournbsp;qu’il fut heureux. Elle ecrivit auffi a monnbsp;pere pour le remercier de fa pitie , amp; luinbsp;demander pardon des peines dont elle e'toitnbsp;la caufe. L’hiver vint. L’oncle de Lord L,
-ocr page 126-ïie fe rëtabliflant pas tien de fa ffoutte eTIe fe dëcida a refter a Londres. II fut mêmenbsp;malade pendant quelque tems d’une ma-nière aflez fërieufe, amp; elle pafTa fouventnbsp;les Jours amp; la moitië des nuits a Ie foigner»nbsp;Quand il fe portoit mieux, il vouloit l’amu-fer amp; s’ëgayer lul-méme, en invitant clieznbsp;lui la meilleure compagnie de Londres eitnbsp;hommes. C’ëtoient de grands dines ou desnbsp;foupës alTez bruyans, après lefquels Ie jeunbsp;duroit fouvent fort avant dans lanuit, amp; ilnbsp;aimoit que Califte ornat la compagnie juf-qu’a ce qu’elle fe fëparat. D’autres fois il l’en-gageoit a aller dans Ie monde, lui difant qu’unenbsp;retraite abfolue lui donneroit 1’air de s’être attire la difgrace defon mari, amp; que lui-mêmenbsp;jugeroit d’elle plus favorablement s’il apprenoitnbsp;qu’elle ofoit fe montrer amp; qu’elle étoit par-toutnbsp;bien regue. C’en étoit trop , que toutes cesnbsp;différentes fatigues pour une perfonne dontnbsp;la fantë, après avoir re9U une fecoulTe violente, étoit fans celTe minëe par Ie chagrinnbsp;(qu’on me pardonne de Ie dire avec unenbsp;efpèce d’orgueil que je paye alfez cher)nbsp;par Ie chagrin , par Ie regret continuel
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vivre fans moi. Ses lettres toujours remquot; plies du fentiment Ie plus tendre ne menbsp;lailToient aucun doute fur 1’invariable conf-tance defon attachement.Vers leprintems ellenbsp;m en écrivit une qui me fit en même-tempsnbsp;un grand plaifir amp; Ia peine la plus fenfible.nbsp;» Je fus hier a la Comédie, me difoit-elle ; jenbsp;» m’étois afiure'e une place dans la même logenbsp;» du mois de Septembre. Je crois que monnbsp;» bon ange habite eet endroit-lL A peinenbsp;» étois-je affife que j’entends une jeune voixnbsp;» s’écrier : ah voici ma chère Miftrifs Ca-» lifta ! Mais combien elle a maigri. Voyez-» la a préfent, Monfieur. Votre fils ne vousnbsp;y a jamais mené chez elle , mais vous pou-y vez la voir a préfent. Celui a qui il parloitnbsp;» étoit votre père. II me falua avec un airnbsp;» qu’il ne faut pas que je cherche a vousnbsp;y peindre , fi je veux que mes yeux menbsp;y fervent a écrire, auffi bien feroit - il dif-» ficile de vous rendre tout ce que fa phi-» fionomie me dit d’honnête, de tendre amp;nbsp;» de trifle. Mais, qu’avez-vous fait pour étrenbsp;y li maigre l me dit Sir Harry. Tant de chofesnbsp;» moix ami i lui dis-je. Mais vous, you?
-ocr page 128-» avez grandi, vous avez l’air d’avoir été tou-» jours hien lage amp;bien heureux. Jefuispour-» tant extrêrncment faché , m’a-t-il répondu, » de n’être pas avec notre ami en Italië , amp; ilnbsp;» me femble que j’avois plus de droit d êtrenbsp;» avec lui que Ion coufiiij mais j’ai toujoursnbsp;» foupfonne maman de ne l’avoir pas voulu,nbsp;» car ce fut auffi elle qui voulut ablolumentnbsp;» que I’on me mit a Wellminfter, pour luinbsp;» il m’auroit gardé volomiers , amp; s’ofFioitnbsp;» a me faire faire toutes mes le9ons , ce quinbsp;ïgt; auroit étéplus agréable pourmoi que l’écolenbsp;» de Weftminfter, amp; nous aurions fouventnbsp;» parlé de vous.. II y a fi long-teras que jenbsp;» ne vous ai vue , il faut que je vous parlenbsp;» a cosur ouvert! Tenez , j'ai fouvent cru quenbsp;» de vous avoir tant aimée , amp; d’avoir été finbsp;» trifle de votre depart ne m’avoit paS fait
» grand bien dans l’efprit de raaman; mais » je n’en dirai pas davantage, car elle menbsp;» regarde de la loge vis - a - vis, amp; ellenbsp;» pourroit deviner ce que je dis a mon air.nbsp;» Vous jugez de l’efFet de cbacune de cesnbsp;» paroles. Jen’ofóis, a caufe des regards denbsp;» Lady Betty, avoir recours a mon flacon ,
-ocr page 129-¦» amp; Je refpirois avec peine. Mais vous » n etes pas pale au moins, dit Sir Harry ,nbsp;» amp;.je me flatte, a caufe de cela, que vousnbsp;» n’êtes pas malade. C’eft que j’ai du rouge ,nbsp;» lui dis-je. — Mais vous n’en mettiez pointnbsp;» il y a dix-huit mois. Enfin , votre père luinbsp;» dit de me lailTer un peu tranquille, amp;nbsp;» quelques momens après me demanda ünbsp;» j’avois de vos nouvelles, amp; me dit Ie con-» tenu de vos dernières lettres. Je pus refternbsp;» a ma place jufqu’au premier entr’ade;nbsp;» mais les regards de votre femme , amp; denbsp;ïgt; ceux qui l’accompagnoient, toujours atta-» che's fur moi, m’obligèrent enfin a fortir.nbsp;» Sir Harry courut chercher ma chaife amp;nbsp;» votre père eut la bonté de m’y conduire ».
Vers Ie mois de Juin on lui confeilla Ie lait daneffe. Le Géne'ral voulut que cenbsp;fut chez elle qu’elle le prit, s’afl’urant qu’ellenbsp;n’auroit qu’a fe montrer a eet bommenbsp;qu’il avoit vu fi paffionné pour elle, amp;nbsp;qu’il reprendroit les fentimens qu’elle mé-ritoit d’infpirer. C’eft moi, dit-il, en quel-que forte qui vous ai mariée, je vous ramè-nerai chez vous, 6c nous verrons ft on ofenbsp;vous y mal recevoir. Califte obtint la permif-
-ocr page 130-fion d’en prevenlr fon mari, mais non celle d’attendre fa réponfe. En arrivant die trouvanbsp;cette lettre. « M. Ie Ge'néral a parfaitemenrnbsp;» raifon , Madame , amp; vous faites très-biennbsp;» de venir chez vous. Tachez d’y rétablirnbsp;» votre fanté, amp; foyezy maitrelTe abfolue.nbsp;» J’ai donné a eet egard les ordres les plusnbsp;» pofitifs quoiqu’il n’en fut pas befoin , carnbsp;» mes domelliques font les vótres. Je vousnbsp;» ai trop aimée, amp; je vous eflime trop pournbsp;» ne pas me flatter de pouvoir vivre encorenbsp;» lieureux avec vous; mais dans ce momentnbsp;» J’imprelïïon du chagrin que j’ai eu eft tropnbsp;» vive encore, amp; malgré moi je vous la laif-» fercis trop voir. Je vais faire , pour ta-» cher de la perdre entièrement, un voyagenbsp;» de quelques raois dont j’efpère d’autant plusnbsp;» de fuccès que je ne fuis jamais forti de mon
» pays. Vous ne pouvez m’e'crire ne fa-V chant oii m’adrelTer vos lettres , mais je » vous écrirai , amp; Ton verra que nous nenbsp;» fommes pas brouilles. Adieu Madame , c’eftnbsp;5) bien fincèrement que je vous fouhaite unenbsp;» meilleure fanté ,¦amp; que je fuis faché d’avoirnbsp;» te'moignë tant de chagrin d’une chofe in-
» volontaire ,
-ocr page 131-» volontaire , amp; que vous avez fait tant d’ef-
V nbsp;nbsp;nbsp;forts pour réparer, mais mon chagrin alor$nbsp;» étoittrop vif. Témoignez biende l’amitié anbsp;» M''®. Elle l’a blen mérite, amp; je lui rendsnbsp;» a préfent juftice. Je ne pouvois croire qu’il
V nbsp;nbsp;nbsp;n’y eüt point eu de correfpondance fecret-» te, aucune relation entre vous amp; I’heureuxnbsp;» homme auquel votre coeur s’étoit donné,nbsp;gt; elle avoit beau dire que votre furprife ennbsp;» étoit la preuve, je n’écoutois rien »,
Le depart de M. nbsp;nbsp;nbsp;ayant fait plus
d’imprellion que fes ordres, Califte fut d’abord alTez mal Te9ue, mais fon protedeur le pritnbsp;fur un ton fi haut, amp; elle montra tant denbsp;douceur, elle fut fi bonne, fi charitable,nbsp;fi jufte, fi nuble que bientót tout fut a fesnbsp;pieds, les voifins comme les gens de la mai»nbsp;fon, amp; ce qui n’eft pas ordinaire chez desnbsp;amis de campagne, ils furent auffi difcretsnbsp;qu’emprefles; de forte qu’elle prenoit fonnbsp;kit avec tous les ménagemens amp; la tran-quillité qui pouvoient dépendre des autres.nbsp;Elle m’e'crivit qu’il lui faifoit un peu de bien,nbsp;amp; que l’on commengoit a lui trouver meilleurnbsp;vifage , mais au milieu de fa cure le Généralnbsp;tomba malade de la longue maladie dont ilnbsp;Pan, II.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;1
-ocr page 132-tfl: mort. II fallut retourner a Londres; 8c leS peines, les veilles, le chagrin porterent ^nbsp;Califte une trop forte amp; dernière atteinte.nbsp;Son conftant ami, fon conftant protedieur amp;nbsp;bienfaiteur lui donna en mourant le capitalnbsp;de fix cens pièces de rentes au trois pournbsp;cent, a prendre fur la panic de fon bien lanbsp;moins cafuelle , amp; d’apres I’eftimation qiii ennbsp;feroit faite par des gens de loix,
D’abord apres fa mort elle alia habiter fa maifon de Whitehall qu’elle s’etoit déja amu-fe'e a reparer I’hiver pre'cedent. Elle continuanbsp;a y recevoir les amis de Lord L. amp; de fonnbsp;oncle, amp; recommenga a fe donner chaquenbsp;femaine le plaifir d’entendre les meilleursnbsp;muficiens de Londres, amp; c’eft prefque direnbsp;de I’Europe. Je fus tout cela par elle-meme.nbsp;Elle m’ecrivlt auffi qu’elle avoir retire cheznbsp;elle une Chanteuie de la comédie qui s’etoitnbsp;de'goutee du theatre, amp; lui avoit donne de quoinbsp;époufer un Muficien très-honnête homme. « Jenbsp;» tire parti de Tun amp; de I’autre , diloit-elle,nbsp;» pour faire apprendre un peu de mufique anbsp;» de petites orphelines a qui j’enfeigne moi-» même a travailler, amp; qui apprennent cheznbsp;» moi une profeffion. Quand on m’a dit que je
-ocr page 133-» les préparois au me'tier de courtifanne ; fai » fait remarquer que je les prenois très-pauvresnbsp;» amp;i tres joIieSjCequi, joint enfembleamp; dansnbsp;» une ville comme Londres, mène a une pertenbsp;» prefquesüre amp; entière, fans que de favoirnbsp;» un peu chanter ajoute rien au peril, 8c j’ainbsp;y même ofe dire qu’après tout il valoit en-» core mieux commencer amp; finir commenbsp;» moi, qu’arpenter les rues amp; périr dans unnbsp;» hopital, Elles chantent les choeurs d’Efthernbsp;» amp; d’Athalie que j'ai fait traduire, amp; pournbsp;» lefquels on a fait la plus belle mufique ; onnbsp;» travaille a me rendre Ie même feryice pournbsp;» les Pfeaumes cent trois amp; cent quatre. Celanbsp;» m’amufe, Sc. elles n’ont point d’autre recréa-» tion. » Tous ces details ne devoient pas,nbsp;vous l’avouerez Madame , me preparer a i’aamp;nbsp;freufe lettre que je re5us il y a huit jours.nbsp;Renvoyez la moi, amp; qu’elle ne me quittenbsp;plus jufqu’a ma propre mort.
« C’eft bien a préfent mon ami que je puis y vous dire ce/1 fait. Oui c’eft fait pour tou-y jours. II faut vous dire un étemel adieu. Je nenbsp;y vous dirai pas par quels fymptómes je fuisnbsp;» avertie dune finprochaine; ce feroitme fa-y tiguer a pure perte, mais il eft bien sur que
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» Je ne rous trompe pas, amp; que je ne mé » irampe pas moi-même. Votre père m’eftnbsp;» venu voir hier : je fus extrêmement touchéenbsp;5gt; de cette bonte. II me dit : fi au printems,nbsp;» Madame , fi au printems.... ( il ne pouvoitnbsp;» fe réfoudre a ajouter) vous vivez encore,nbsp;» je vous menerai moi-même en Provence ,nbsp;» a Nice ou en Italië. Mon fils eft a préfentnbsp;» en Suifle, je lui écrirai de venir au devantnbsp;» de nous. II eft trop tard, Monfieur , lui disnbsp;jgt; -je, mais je n’en fuis pas moins touchêenbsp;de votre bonté. II n’a rien ajouté , maisnbsp;» c’étoitpar mênagement, car i! fentoitbiennbsp;» des chofes qu’il auroit eu du penchant a dire.nbsp;5gt; Je lui ai demandé des nouvelles de votre fille,nbsp;» il m a dit qu’elle fe portoit bien , amp; qu’il menbsp;» l’auroit de'jaenvoye'e ft elle vous reflembloitnbsp;» un peu; mais, quoiqu’elle n’ait que dix-huitnbsp;» mois, on voit déj^ qu’elle reftemblera a fanbsp;» mère. Je l’ai prié de m’envoyer Sir Harry,nbsp;» amp; lui ai dit que par fes mains je lui feroisnbsp;» un préfent que je n’ofois lui faire moi-même.nbsp;» II m’a dit qu’il recevroit avec plaifir de manbsp;» main tout ce que je voudrois lui donner ;nbsp;» la-deflus je lui ai donné votre portrait, quenbsp;» vous m’avez envoyé d’Italie; je doimerai a
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V nbsp;nbsp;nbsp;Sir Harry la copie que j’en ai faite, mais jenbsp;» garderai celui que vous m’avezdonné lepre-» mier, amp; je dirai qu on vous le remette aprèsnbsp;» ma mort.
» Je ne vous ai pas rendu heureux, amp; je vous
V nbsp;nbsp;nbsp;lailTe malheureux, amp; moi je meurs; cepen-5» dant je ne puls me réfoudre a fouhaiternbsp;» de ne vous avoir pas connu : fuppofé quenbsp;» je duflè me faire des reproches^ je ne Ienbsp;y puis pas] mais Ie dernier moment oii jenbsp;» vous ai vu m’ell quelquefois revenu dans Tef*nbsp;» prit, amp; j’ai craint qu’iln’y aiteu unecertainenbsp;» audace impie dans eet oubli total du dangernbsp;» quipouvoit menacer vous ou moi. C’eftcelanbsp;» peut-être qu’on appelle braver Ie cieljmaisnbsp;9 un atóme,,un peu de pouffière peut-il bravernbsp;» 1 etre tout puilTantlPeut-il’en avoir la penfée?nbsp;» amp; fuppofé que dans un moment de délirenbsp;9 on put'ne compter pour rien Dieu amp; fesnbsp;» jugemens,Dieu pourroit-il s’en irriteriSi
V nbsp;nbsp;nbsp;pourtantje t’ai offenfé, père amp;maitre dunbsp;9 monde, je te demande pardon pour moi amp;nbsp;9 pour celui a qui j’infpirois le même oubli, la
même folie amp; téméraire fëcurité.Adieu mon 9 ami,écrivez-moi que vous avez re9u ma let»nbsp;» tre, Rien que ce peu de mots; il y a peu d’ap»
I jij
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» parence qu’ils me trouvent encore en vie^ » mals fi je vis aflezpour les recevoir, j’aurainbsp;» encore une fois !e plaifir de voir de votrenbsp;» écriture ».
Depuis cette lettre, Madame, je n’ai rien recH. C’eft trop tard , elle a dit c’eft trop tard.nbsp;Ah ! malheureux j ai toujours attendu qu’il futnbsp;trop tard , amp; mon père a fait comme moi.nbsp;Que n’a-t-elle aimé un autre homme, amp; quinbsp;eut eu un autre père ? elle auroit vécu, elle nenbsp;ïnourroit pas de chagrin.
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-ocr page 137-VINGT-DEUXIEME LETTRE, Madame,
J E n’ai point encore re9U de lettres. II y a des inftans ou je crois pouvoir encore efpé-rer. Mais non, cela n’eft pas vrai. Je n’efpe'renbsp;plus. Je Ia regarde déja comme morte , amp; jenbsp;me défole. Je m’étois accoutumée a fa mala-die comme a fa fagefle, comme a fon amant.nbsp;Je ne croyois point qu’elle fe marieroitj jenbsp;n’ai point cru qu’elle put mourir, amp; il faut quenbsp;je fupporte ce que je n’avois pas eu Ie couragenbsp;de prévoir. Avant que Ie dernier coup foitnbsp;porté,oudu moins tandis que jel’ignore, je vaisnbsp;profiler d un refte de fang froid pour vous direnbsp;«ne chofe qui peut-être ne fignifie rien, maisnbsp;qu’il me paroit que je fuis oblige de vous dire.nbsp;Depuis quelques jours, tout entier k mes fou-venirs que l’hiftoire que je vous ai faite a rendus comme autant de cliofes préfentes, je nenbsp;parloisplusa perfonne, pas même a Milord.nbsp;Ce matin je lui ai ferré la main quand il eftnbsp;venu demander fi j’avois dorrai, Sc au lieunbsp;de repondte : jeune homme, lui ai-je dit, ê
-ocr page 138-Jamais vows intéreffêz Ie coeur d’une femme vraiment tendre amp; fenfible, amp; que vous nenbsp;fentiez pas dans Ie vótre que vous pourreznbsp;payer toute fa tendreffe , tous fes facrifices,nbsp;eloignez-vous d’elle , faites-vous en oublier,nbsp;OU croyez que vous l’expofez a des malheursnbsp;fans nombre, amp; vous même a des regrets af-freux amp; éternels. II eft refté penfif auprès denbsp;nioi, amp; une heure après me rappellant ce quenbsp;j’avois dit un jour des diifërentes raifons quenbsp;votre fille pouvoit avoir de ne plus vivre avecnbsp;nous dans une efpèce de retraite, il m’a de-mandé fi je croyois qu’elle eut du penchantnbsp;pour quelquhin. Jelui ai répondu que je l’avoisnbsp;foupfonné. II m’a demandé li c’étoit pour lui.nbsp;Je lui ai répondu que quelquefois je l’avoisnbsp;cru. Si eek eft, m’a-t-il dit, c’eft bien dom-mage que Mademoifelle Cécile foit une fillenbsp;fi bien nee, car de me marter a mon %e onnbsp;n’y peut pas penfer. Encore une fois eek nenbsp;ftgnifie rien. Je n’ai jamais rien dit ni rien pen-fé de pareil , j'aurois en tout tems préférénbsp;Califte a ma liberté comma a une couronne ,nbsp;amp; cependant qu’ai-je fait pour elle ? Souventnbsp;on a tout fait pour celle pour laquelle onnbsp;croyoit qu’on ne feroit rien.
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VINGT-TROISIEME LETTRE.
u E L intërêt pouvez-vous prendre , Madame, au fort de l’homme du monde Ie plus malheureux en effet, mais Ie plus digne denbsp;fon malheur ! Je me revois fans celTe dans Ienbsp;paflë, fans pouvoir me comprendre. Je ne fainbsp;fi tous les malheureux dëchus par degré denbsp;la place ou Ie fort les avoir mis, font commenbsp;moi; en ce cas-lk je les plains bien. Jamaisnbsp;i’e'chalFaut fur lequel pe'rit Charles premier nenbsp;m’a donnë autant de pitie' pour lui que la com-paraifonque j’ai faite aujourd’hui entre lui Sc.nbsp;moi. II me femble que je n’ai rien fait de cenbsp;qu’il auroit été naturel de faire, J’aurois dünbsp;1’e'pouferfansdemander un,confentement dontnbsp;je n’avois pas befoin. J’aurois du l’empêchernbsp;de promettre qu’elle ne m’épouferoit pas fansnbsp;ce confentement. Si mille efforts n’avoientnbsp;pu fléchir mon père , j’aurois du en faire manbsp;maitrefle , amp; pour elle amp; moi ma femmenbsp;quand tout fon coeur Ie demandcit malgrénbsp;elle, Sc que je Ie voyols malgré fes paroles.nbsp;J’aurois du l’entendre lorfqu’ayant écarté toutnbsp;Ie monde, elle voulut ra’eropêcher de la quit-
ter. Revenu cliez elle, j’aurois du brlfer {a porte; Ie lendemain, la forcer a me revoir,nbsp;OU du moins courir après elle quand ellenbsp;jn’eut écliappé. Je devois refter libre amp; nenbsp;pas lui donner Ie chagrin de croire que j’avoisnbsp;donné fa place d’avance; qu’elle avoir été tra»nbsp;hie, OU qu’elle étoit oublie'e. L’ayant retrou-vée j’aurois du ne la plus quitter j être aunbsp;moins auffi prompt, auffi zelé que fon fidelenbsp;James, peut-être ne faurois-je pas laiifé for-tir feule de ce carroffe; peut - ètre Jamesnbsp;m’auroit-il cache auprès d’elle; peut-êtrenbsp;l’aurois-je pu fervir avec lui; j’e'tois inconnunbsp;a tout Ie monde dans la maifon de fon bien-faiteur. Et cette automne encore , amp; eet hi-ver.... Je favois que fon mari l’avoit fui; quenbsp;n’allois-je, au lieu de rêver a elle au coin denbsp;votre feu, foigner avec elle fon protedfeur ynbsp;foulager fes peines, partager fes veilles; lanbsp;faire vivre a force de carefles amp; de foins,nbsp;OU au moins pour prix d’une paffion fi longuenbsp;amp; fi tendre , lui donner Ie plaifir de me voirnbsp;en mourant, de voir qu’elle n’avoit pas aiménbsp;un automate infenfible; amp; que fi je n’avoisnbsp;pas fu l’aimer comme elle Ie méritoit, jenbsp;faurois la pleurer J Mais c’eft trop tard, mes
-ocr page 141-regrets font auffi venus trop tard, fit elle les ignore. Ellesles a ignores, faut-il dire : il fautnbsp;bien avoir enfin le courage de la croire morte;nbsp;s’il y avoit eu quelque retour d’efpérance ,nbsp;el!e auroit voulu adoucir I’impreffion de fanbsp;lettre, car elle, elle favoit aimer. Me voicinbsp;done feul furh terre, Ce qui m aimoit n’eftnbsp;plus. J’ai été fans courage pour prevenir cettenbsp;perte ; je fuis fans force pour la fupporter.
-ocr page 142-VINGT-QUATRIÈME LETTRE. Madam e,
AlYANT appris que vous comptez partu dernain , je voulois avoir Thonneur de vousnbsp;aller voir aujourd’hui pour vous fouhaiter ,nbsp;ainfi qua Mademoifelle Cécile, un heureuxnbsp;voyage , amp; vous dire que Ie chagrin de vousnbsp;voir partir n’eft adouci que par la ferme ef-^nbsp;férance que j’ai de vous revoir Tune amp; Tautre,nbsp;mais je ne puis quitter mon parent, Timpref-fion que lui a fait une lettre arrivée ce matinnbsp;a été fi vive, que M. Tiflbt m’a abfolumentnbsp;défendu de Ie quitter, ainfi qua fon Domef-tique. Celui qui a apporté Ia lettre ne Ie quitte
pas non plus, mais il eft prefqu’au/E affligé que lui, amp; je crois qu il fe tueroit lui - menienbsp;plutót qu’il ne I’empecheroit de fe tuer. Jenbsp;vous fupplie , Madame , de me conferver desnbsp;bontés dont j’ai fenti Ie prix plus encore peut-être que vous ne l’avez cru, amp; dont ma re-connoilTance ne finira qu’avec ma vie.
J’ai I’honseur d’etre, amp;c,
r
Edouard * *,
-ocr page 143-VINGT-CINQÜIEME LETTRE.
Cl E L L E qui vous aimoit tant eft morte avant hier au foir. Cette manière de la défignernbsp;n’eft pas un reproche que je lui fais: il y avoirnbsp;long-temps que je luiavois pardonne, amp; dansnbsp;le fond elle ne m’avoit pas offenfe, II eft vrainbsp;qu’elle ne m’avoit pas ouvert fon cosur , je nenbsp;fais fi elle I’auroit du , amp; quand elle me I’auroitnbsp;ouvert il n’eft pas bien sur que je ne Teufle pasnbsp;dpoufee , car je I’aimois paffionnément. C’eftnbsp;la plus aimable, amp; je puis ajouter qu’a mesnbsp;yeux, amp; pour mon coeur, c’eft la feule ai-mable femme que j’aye connue. Si elle nenbsp;m’a pas avert!, elle ne m’a pas non plusnbsp;trompe , mais je me fuis trompe moi-xneme, Vous ne I’aviez pas e'poufe'e; letoit-il croyable quc’ vous aimant elle n’eut pas fanbsp;ou voulu vous determiner a I’epoufer ? Vousnbsp;favez Ians doute combien je fus cruellementnbsp;défabufé ; amp; quoiqua prefent je me repentenbsp;d’avoir témoigné tant de reffentiment 6e denbsp;chagrin ; je ne puis mème encore aujourd’huinbsp;m’etonner de ce que perdant a la fois la per-fuafion d’en être aime', amp; I'efpe'rance d’avoir
-ocr page 144-on enfant dont elle auroit ëté la mere, j’ai manqué de moderation, Heureufement, il eftnbsp;bien sürque ce neftpas cela qui Ta tuée. Cenbsp;n’eft certainement pas moi qui fuis caufe denbsp;fa mort, amp; quoique j’aye ëté jalonx de rousnbsp;j’aime encore mieux a prëfent être a ma placenbsp;qua la vócre. Rien ne prouve cependant quenbsp;Vous ayez des reproches a vous faire, amp; jenbsp;vous prie de ne pas prendre mes paroles dansnbsp;ce fens-la. Vous me trouveriez, amp; avec rai-fon, injufte amp;, témeraire auffi bien que cruel,nbsp;car je vous luppole très-afflige'.
Le mêrae jour que nbsp;nbsp;nbsp;vousëcrivit fa
dernière lettre, elle m’ëcrivit pour me prier de la venir voir. Je vins fans perdre un inftant; jenbsp;trouvaifamaifon comme d’une perfonne qui fenbsp;porte bien , amp; elle-même alTez bien en appa»nbsp;rence, exceptë fa maigreur, Je fus bien aife denbsp;pouvoir lui dire qu'elle ne me paroilToit pasnbsp;aufli ma' qu’elie le croyoit; mais elle me ditnbsp;en luuriaiU que j’ëtois trompë par un peu denbsp;rouge qu’elle mettoit dès le matin, amp; quinbsp;avoit déja épargné quelques larmes a Fanny,nbsp;amp; quelques foupirs a James. Je vis le foir lesnbsp;petites fUes quelle fait élever; elles chantè-rent, üc elle les accompagna de 1’orgue :nbsp;c’e'toit une mufique touchante, amp; telle a-peu-
-ocr page 145-pres que j’en ai entendu en Italië dans quelque* Eglifes. Le lendemain matin elles chantèrentnbsp;d’autres hymnes du même genre , cette mu-(ique finilToit amp; commengoit la journée. En-fuite M“. M ^ ^ me lut fon teftament, menbsp;priant, fi je voulois qu’elle y changeat quelquenbsp;chofe de le lui dire librement, mais je n’ynbsp;trouvai rien a changer, Elle donne fon biennbsp;aux pauvres, de cette manière. La moitié , quinbsp;eft le capital de trois cent pièces de rente,nbsp;fera k perpétuité entre les mains des Lordsnbsp;Maires de Londres, pour faire apprendre anbsp;trois petits gar9ons, tires chaque année denbsp;rhópital des enfans trouve's, le me'tier de pilote , de charpentier ou d’ébénifte. La premièrenbsp;de ces profeffions, dit-elle, fera choifie par lesnbsp;plus hardis, la feconde par les plus robuftes ,nbsp;la troifième par les plus adroits. L’autre moitiénbsp;de fon bien fera entre les mains des Evêquesnbsp;de Londres, qui devront tirer chaque anne'enbsp;deux filles de l’hópital de la Madeleine, amp; lesnbsp;alTocier k des marchandes bien e'tabliés ennbsp;donnant k chacune cent cinquante pièces anbsp;mettre dans le commerce auquel on les af-fociera ; elle recommande cette fondaiionnbsp;a la piété amp;. a Ia bonté de l’Evêque, de fa
-ocr page 146-femme amp; de fes parentes. Sur les cinq mille pieces dont je lui avois fait préfent, elle n’anbsp;vouiu difpofer que de mille en faveur de Fanny , amp; de cinq cent en faveur de James; ce-pendant Ie bien de fon oncle qu’elle m’a ap-porté en mariage vaut au moins trente-cinqnbsp;mille pièces.
Elle m’a prié de garder Fanny, difant que je lui ferois honneur par la auffi bien qu’anbsp;une fille qui mëritoit eet honneur, amp; quinbsp;n’ayant jamais fervi a tien que dhonnête,nbsp;ne devoit pas être foup5onnée du contraire.nbsp;Elle donne fes habits amp; fes bijoux a Miftrifsnbsp;^ ^ de Norfolk, fa maifon de Bath, amp; toutnbsp;ce qu’il y a dedans, a Sir Harry B. Elle veutnbsp;que fes funerailles payees, fon argent comp-tant, amp; le refte de fon revenu de cette annëenbsp;foit diftribuë par ëgales portions aux petitesnbsp;Elies amp; aux domeftiques qu’elle avoit outre
James amp; Fanny. S ëtant alTuree quil n’y avoit rien dans ce teftament qui me fit de la peine,nbsp;ni qui fut contraire aux loix, elle m’a fait pro-mettre, ainfiqua deux ou trois amis de Lordnbsp;L. amp; de fon oncle, de faire enforte qu'il futnbsp;pondluellemcnt exëcutë; après cela elle a continué a mener fa vie ordinaire autant que fes
forces,
-ocr page 147-forces, qui diminuoient tous les jours pou-* voient le lui permettre, amp; nous avons plusnbsp;caufe enfemble que nous n’avions jamais faitnbsp;auparavant. En vérité , Monfieur , j’auroisnbsp;donne tout au monde pour la conferver , lanbsp;lenir en vie, fut-ce dans Tetat ou je la voyois,nbsp;amp; pafler le refte de mes jours avec elle.
Beaucoup de gens ne vouloient pas h croire aufll malade qu’elle l’étoit ^ amp; onnbsp;continuoit k lui envoyer, comme on avoitnbsp;fait tout rhiver, beaucoup de pieces en versnbsp;qui lui etoient adrellees , tantot fous le ncmnbsp;de Califte, tantot fous celui d’Afpafie i maisnbsp;elle ne les lifolt plus. Un jour je lui parloi*nbsp;du plaifir quelle devoit avoir en fe voyantnbsp;eftimee de tout le monde. Elle m’alTuranbsp;qu’ayant été autrefois fort fenfibie au mé-»nbsp;pris, elle ne letoit jamais devenue a I’eftime,nbsp;Mes juges ne font, dit-elle , que des hommesnbsp;amp; des femmes ; c’eft-a-dire , ce que je fui*nbsp;moi-meme, amp; je me connois bien mieux qu’ilsnbsp;ne me connoiflent. Les feuls eloges quinbsp;m’ayent fait plaifir font ceux de I’oncle dcnbsp;Lord L. II m’aimoit fur le pied d’une perfonnenbsp;telle que felon lui on devoit être, amp; s’i!nbsp;avoit eu k changer d’opinion cda lauroitnbsp;Fartie II,nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;K
-ocr page 148-foft derange. J’en aurois étë fachée comme de mourir avant lui. II avcit befoin en quel-que forte que je vëculTe , amp; befoin de m’eC*nbsp;timer.
On ne l a jamais veille'e. J’aurois voulu cou-cber dans fa cliambre, mais elle me dit que cela la gêneroit. Le lit de Fanny n’étoit fë-paré du fien que par une cloifon qui s’ouvroitnbsp;fans effort amp; fans bruit : au moindre mou-\'ement Fanny fe rëveilloit amp; donnoit a boirenbsp;I fa maitrefle. Les dernières nuits je prisnbsp;fa place, non qu’elle fe plaignit d’etre tropnbsp;fouvent réveillée , mais paree que Ia pauvrenbsp;fille ne pouvoit plus entendre cette voixnbsp;C affoiblie, cette baleine ü courte fans fon-dre en larmes. Cela ne me faifoit cerialne-ment pas moins de peine qua elle; mais je menbsp;contraignois niieux. Avant bier , quoiquenbsp;M'b quot;quot; fur pi'»* opprelTée , amp; plus agitëenbsp;qu’auparavant, elle voulut avoir fon concertnbsp;du mercredi comme a I’ordinaire; mais e!Jenbsp;ne put fe mettre au clavefïïn. Elle fit exë-cuter des niorceaux du Meffiah de Hendel,nbsp;d’un Mifercre qu’on lui avoit envoyë d’Italie»nbsp;amp;. du Stabat Mater de Pergolefe. Dans unnbsp;interralie elle óu une bague de fon doigt,
-ocr page 149-Zc el!e me la donna. Enfuite elle fit appeller James, lui donna une boire qu’elle avoit tiréènbsp;de fa poche, 8c lui dit portez-Ia lui vous-même, amp; s’il fe peut reftez a fon fervice,nbsp;C’eft la place, amp;. dites Ie lui James, que jajnbsp;long-temps ambitionne'e pour moi. Je m’ennbsp;ferois contentée. Après avoir eu qaelquesnbsp;momens les mains jointes amp; les yeux levésnbsp;au ciel elle s’eft enfoncée dans fon fauteuil,nbsp;amp; a ferme les yeux. Je lui ai demande', lanbsp;voyant très-foible , fi elle vouloit que je fifenbsp;ceder la mulique, elle m’a fait fgre qirc non,nbsp;amp; a retrouvé encore des forces pour me re*nbsp;mercier de ce qu’elle appeiloit mes bontés.nbsp;La piece finie, les muficiens font fonts furnbsp;Ia pointe des pieds, croyant qu’elle dormoit,nbsp;xnais fes yeux e'toient fermés pour toujours.
Ainfi a fini votre Califte; les uns diront comme unepayenne, les autres comme unenbsp;fainte; niais les cris de fes Domeftiques,nbsp;lespleurs despauvres, la conflernation de tousnbsp;Ie voilinage, amp; la douleur d’un raari quinbsp;croyoit avoir a fe plaindre, difent mieux quenbsp;des paroles ce qu’elle étoir.
En me forfant, Monfieur , a vous faire ce técit ü trifte, j’ai cru en quelque forte Isji
-ocr page 150-complaire amp; lui obéir; par Ie tnême motif, par Ie même tendre refpeél pour fa mé-moiré , fi je ne puis vous promettre denbsp;l’amitié, j’abjure au moins tout fentiment denbsp;haine.
Fin de la feconde Partie.
-ocr page 151-JTage 8,, Hgne i8 , circonflance; circonftances. *
Page 2 3 j ligne 2, plus de raifon ; plus de raifons.
Page 26, ligne 9, les rapports, üfeT;^ ces rapports.
Page 31, Hgne , du Due de Cumberland , Ufe^ du feu Due de Cumberland.
Page 32 j ligne 13, amp; demeurant avec elle tantót chez lui a la campagne, tan tót a Londresnbsp;ebez Ie General D ** fon oncle. 11 eut encor©nbsp;quatre ans de vie amp; Ie bonheur; UJe^ fon oncle,,nbsp;il eut encore, amp;c.
Page 3 2 gt; ligne 16, Inflamation; infla-mation.
Page 3 3, ligne derniere, contraélée, life^ contraélé.
Page 43, ligne 5, mettez un point après hardie.
Page 44, ligne 8 , d’un rhomrae; li/e^ d’un homme.
-ocr page 152-Page 49, Hgne 15 , Dénioftene; Dé-mofthene.
Page 4p, ligne 6, chapeau; l\fe^ chapeau fans accent circonflexe.
Page 51, ligne 15 , d’une fetnme; d’une femme.
Page 5 3 , ligne 11, fuppofe que vous voye's; life^ voyiez.
Page yy, ligne 2 3, d’un femme 3 Hfe^ d’une femme.
Page 68 , ligne 6, aux aupparences, Ufe:^ aux apparences.
Ibid, un Ü belle re'forme; Ufe^ une fi belle.
Page 76, lig. 20, me fuppofa de vues; HJex^ des vues.
Page 77, lig. 13, que nous nous fommes; UJe:!^ que nous fommes.
Page So, lig- 8, ^ grand pas, Ufe^ a grands
pas.
Page 8 r, lig. 2, fi vous avies y été; life^ £1 vous y avies étd.
Page 85 , lig. 4, que je ne me dtódai pas; que je ne me fois pas decide.
Idib. ligne 11, Je favois que fa femme de chambre e'toit allez; Uje^ dtoit allee.
-ocr page 153-Page 93 , ligne 9, devinfiésj
Page 96, ligne 6 , elle amp; mois; li/e:^ elle amp; tnoi.
Page 106, ligne 19, milles recherche; mille recherches.
Page 13 ¦; , hgne 5 , Je ne me fuis accoH-» tvimée; accoutumé,
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i^fiojsrijji ‘Ti 5 or '.-nïfif . gt;1nbsp;•-iior-'s sit.'i ü-iai :?rj V. ,-^ -T/ra-l' lt;; gt; ï •.'•'{nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;.-
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