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BIBLIOTHÈQUE BLEUE

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EDITION J. BUY AINÉ

BIBLIOTHEOUE BLEUE

ROMANS DE GHEVALERIE DES XIE, -XIID, XIV®, XV® ET XVI® SIECLES

PÜBllÉS, SUR lES MEIUEURS TEXTES, lUR UNE SOCIÉTÉ UE CENS 1)E LEITRES

SOUS la direction

D’ALFRED DELVAÜ

BIBLIOTHEEK DBR : UNIVERSITEIT

I UTSAËCH'^

PRÉCÉnÉS

D'UNE ÉTUDE SUR LES ROMANS DE GHEVALERIE ET SUR LES ORIGINES DE LA LANGUE FRANgAISE’

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PARIS - I860


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LÉGRIVAIN Eï TOUBON, LIBRAIRES, 10, RUE ÜIT-LE-GÜEUR

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Literatuuronderzoek aan de Rijksuniversiteit te Utrecht

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ÉTUDE

SUR LES ROIIANS DE CHEÏALERIE

ET

SUR LES ORIGINES DE L4 LANGUE FRANOAISE

A M. F. VIALAY, A PARIS, A SAINT-MANDÉ, OU DANS UN COIN QUELCONQUE DU MONDE.

OU éles-vous d cette heure, mon cher ami ? Je ne vous rencontre jamais qu'une fois l'an^ au printemps^nbsp;avec les hirondelles, et chacune de ces rencontres-ldnbsp;me porie bonheur. Si j'avais l'honneur d'êlre dansnbsp;les petits papiers du dieu Hasard, je leprierais denbsp;me ménager avec vous de plus fréquentes et de moinsnbsp;rapides entrevues. Mais je suis brouillé, depuis manbsp;naissance^ avec ceOievAdet avec quelques autres,nbsp;II faut quej’enprenne mon parti!

En quelque lieu que vous soyez, cependant, mon ami, je vous dois Ie témoignage public de ma vive etnbsp;sincère sympathie pour votre chevaleresque caractèrenbsp;et pour votre vaillant cceur. Vous qui êtes si souventnbsp;venu en aide aux autres, de toutes les faQons, vousnbsp;me permettrez bien de m'acquitter envers vous avecnbsp;la seule monnaie dontje dispose.

Ce livre est un monument. Je Ie dis avec d'autant moins de modestie qu'il n’est pas mon ceuvre propre,nbsp;puisque les maUriaux principaux m'en ont été four~nbsp;nis par d'autres écrivains, et que je n'en ai été quenbsp;Vobsaur ouvrier,c'est-d-dire Vhumble transla-teur.

Si ce livre était destiné d l'oubli, je me garderais soigncusement d'inscrire votre nom d la premièrenbsp;page. Mais il durera autant et plus que beaucoupnbsp;d autres : il est intéressant, d’abord, ensuite il estnbsp;tiréd des milliers d'exemplaires, double raison pournbsp;moi de vous Ie dédier, afin de multiplier d Vinfininbsp;les témoignages de ma reconnaissance et de monnbsp;amitié.

Adieu done, loyal et chevaleresque ami. J'espère vous serrer la main auxprochains muguets,dansnbsp;un an d'ici. Quant d moi, qui ne me suis tant exté-riorisé que pour vous saluer cordialement, je vaisnbsp;faire comme les animaux de nos forêts, qui effacentnbsp;leurs traces d la porte de leur tanière : je vais menbsp;retirer en moi.

Les Grimeiles, juin 1859.

Alfred DELVAU.

On eiiricliit les Jangues en les fouillant. JoeneRT.

Tout Ie monde n’a pas les reins assez fermes pour porter sans Iressaillementle rude fardeau denbsp;la vie. Beaucoup orient grace a mi-route, les reinsnbsp;cassés et lo cceur brisé, et se couchent tout denbsp;leur long dans Ie premier fossé venu —peur ynbsp;dormir leur somme éternel. 11 fautêtre de la taillenbsp;de Montaigne et de la santé de Gharron pour jouernbsp;utilement, durant ce voyage, de eet instrumentnbsp;dont je n’ai jamais pu trouver Tembouchure pournbsp;ma part, et qui s’appelle laPhilosophie, — «cettenbsp;science qui faict estat de sereiner les tempestesnbsp;de l ame et d’apprendre la faim et les fiebvres ènbsp;rire. »


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ETUDE

Doux oreiller, en effet, pour dormir sa vie, que la philosophic; mats, pour le Irouver tel, il fautnbsp;avoir la tele aussi bien faite que Montaigne. Et lanbsp;tête du communi martyrum est assez mal faite !

Comment se souslraire, alors, aux giboulées désastreuses de la vie ? Comment éviter les heurlsnbsp;douloureux, les contacts malsains, les trivialitcsnbsp;écoeurantes ?

En se réfugiant le plus souvent possible dans ce Paraclet qui s'apelle le Rêve, — en faisant desnbsp;Contes ou en en lisant.

« Faisons des contes, mes amis, faisonstoujours des contes. Tandis qu’on fait un conte, on est gai,nbsp;on ne songe amp; rien de facheux. Le temps se passenbsp;et le conte de la vie s’achève saps qu’on s’en apor-Coive. »

G’est Denis Diderot — un malheureux de génie — qui a dit cela. Vous voyez quo la fatigue et lanbsp;douleur ne sont pas dïnvention récente, — le malnbsp;de co siècle, corame on a voulu le faire croire. Etnbsp;avant Diderot, d’autres illustres penseurs l’avaientnbsp;dit aussi, en des langues différentes, — Job toutnbsp;le premier. N’est-ce pas Bossuet qui a parlé donbsp;« eet insurmontable ennui qui fait le fond de lanbsp;vie humaine ?»Hélas 1 l’homme est en proie i\ celtenbsp;vilaine maladie-la depuis qu’il est en proie è cettenbsp;autre maladie qui s’appelle la Vie, et dont la Mortnbsp;scule peut le guérir, L’Enfer nevoulait plus aban-donner Proserpine depuis qu’elle avait mangé lenbsp;fameux pépin que vous save? -. l’Ennui neveulpasnbsp;abandonner l’homme depuis que sa grand’mèrenbsp;Ève a mangé, elle aussi, eet autre fameux pépinnbsp;non moins diabolique que le premier. Maudits pé-pins!

Puisque le monde s’ennuie, il faut l’amuser, — bien qu’il soit aussi inamusable que ce maussadenbsp;vieillard qui s’appelait Louis XIV. 11 est vrai quenbsp;madame de Maintenon s’y prenait assez mal pournbsp;dislraire ce royal ennuyé, et que les amuseurs denbsp;la foule s’y prennent aussi mal que madame denbsp;Maintenon. A l’un les homélies du père La Chaisenbsp;et les austères entretiens de Bossuet. A 1’autrc, lesnbsp;romans obscènes et les romans bêtes.Maigrenour-riture pour des cervelles en appétit de distractions 1

II y en a une autre: les Contes et les Romans de chevalerie.

« Si Peau d'Ane m’était conté J’y prendrais un plaisir extréme.

Ainsi parlait Jean do la Fontaine, ce grand enfant qui se réfugiait dans le Bêve pour échapper ö lanbsp;Réalité, et qui s’entrelenait familièrement avecnbsp;les bêtes, —- pour n’avoir pas è causer avec lesnbsp;hommes.

Faisons-nous done conter Peau d'dne^ ó mes amisl Peau d'dne — et surtout Amadis de Gaule,nbsp;Arlus de Bretagne^ Lancelot du Lac, les Quatre pis

Aymon, Huon de Bordeaux, Mdlusine, Tristan de Léonois, Pierre de Provence, Cléomades et Clare-monde, Gérard de Nevers, Guérin de Montglave,nbsp;Flores et Blanchepeur, la Comtesse de Ponthieu,nbsp;Roland amoureux, Boolin de Mayence, Eustache-le-Moine, Ciperis de Vineaux, l'Archevêque Turpin,nbsp;Ogier-le-Banois, Fier-a-Bras, Galien Réthoré, Per-ceval-le-Galloys, Jsaïe-le-Triste, Messire Clériadus,nbsp;Gérard de Roussillon, Gyron-le-Courtois, Jehan denbsp;Saintré, Jean de Paris, Gérard d'Euplirate, Oliviernbsp;de Castille, Méliadus de la Croix, le Chevaliernbsp;Mahrian, Geoffroy d la Grandquot;dent, le Preux Mer-vin, Giglan pis de Gauvain, etc., etc., etc. Lanbsp;lisle en est longue, et je m’arrêteici pour ne pasnbsp;fatiguer le lecteur par une énumération fastidieuse;nbsp;mais je la trouve trop courte, pour ma part. Je lesnbsp;ai lus tous aux jours — lointains déjamp; — de manbsp;rêveuse enfance, et, faute d’autres, je les relis au-jourd’hui. Pourquoi n’y en a-t-il pas davantage,nbsp;hélas! je les lirais avec tant de joie jusqu’auxnbsp;heures—proches peut-être—oil la nuit descendranbsp;sur mes yeux et sur ma vie!

Ce n’est pas mon sentiment seul que je vous donne lè. C’est le sentiment de bien d’autres! Desnbsp;generations entières se sont nourries de cette lecgt;nbsp;ture — que blament les gens graves et froids, —nbsp;et ce n’est pas cela qui les a poussées plus vite dansnbsp;la tombe, oit elles sont descendues, au contraire,nbsp;sans s’en douler.

Les romans de chevalerie n’ont été dangereux pour personne, — excepté peut-être pour Paolo etnbsp;Francesca di Rimini, qui se donnèrent le baiser sa-voureux que vous savez en lisant ensemble Lancelot du Lao. Le livre tomba — et Malatesfa entra,nbsp;féroce. Mais, amp; part ce douloureux accident, lesnbsp;romans de chevalerie n’en ont jamais occasionnénbsp;d’autres. La parodie de Michel Cervantes, elle-même,nbsp;n’est pas une parodie, et son Don Quichotte est unnbsp;brave eoeur qui se battait centre des moulinsnbsp;comme il se seraitbattu contre des hommes. II n’estnbsp;pas si fou que cela, ce vaillant coureur d’aventures,nbsp;— ou, en tout cas, il a la folie des nobles coeurs,

II

Qu’est-ce, en effet, que les romans de chevalerie, s’ils ne sont pas une école de grandeur d’arae? Quonbsp;font, je vous prie, tous ces chevaliers errants,nbsp;sinon une guerre è outrance aux félons, aux mé-chants et aux laches? Le monde ne rêvaitpas, alors,nbsp;il élait en marche vers une emancipation qui senbsp;rapprochait d’heure en heure, et il fallait bien con-courir è ce glorieux travail d’affranchissement.nbsp;L’humanité commenpait è émerger de ses ténèbres!nbsp;L’ême commenpait è émerger de la raatière I « Onbsp;noble enfance de Fame, — s’écrie quelque partnbsp;George Sand, — source d’illusions sublimes et denbsp;dévouements héroïques!.. »


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SUR LES ROMANS DE CHEVALERIE.

Pour moi, — comme pour tous ceux qui ont lu les romans de chevalerie,-^les héros et los héroïnesnbsp;de ces romans-lA ont vécu d’une vie vraie, toutnbsp;aussi bien que les heros et que les héroïnes de l’his-toire et de la réalité. Ils ont vécu mieux encore,nbsp;puisqu’ils ont toujours pour nos imaginations l'êgenbsp;que leur ont donné leurs auteurs, et que jamaisnbsp;aucun d’eux ne peut vieillir.

Pour moi, ils ont toujours vingt ans, ils sont toujours beaux, toujours dévouós, toujours cheva-leresques, ces héros de romans, et je comprends ènbsp;merveille qu’ils fussent aimés, Lancelot du Lac, denbsp;la reine Genièvre, — Tristan de Léonois, d’Yseult-la-Blonde et d’Yseult-aux-Blanches-Mains, — Olivier, de Jacqueline, — Roland, de Belleaude, —nbsp;Pierre de Provence, de Maguelone, — Gérard denbsp;Nevers, d'Euriant, — Raimondin, de Mélusine, —nbsp;Urian, d’Hermine, — Guion, de Florie, — Gléoma-des, de Claremonde, — Huon de Bordeaux, d’Es-clarmonde, —Artus de Bretagne, de Jeannette, —nbsp;Arnault, de Frégonde, — Régnier, d’Olive, etc.

Sans faire lemoindretort k la Biograptiie-Michaud, il me semble que tous ces types charmants de vail-lance et de grace valent bien les personnages ènbsp;I histoire desquels on a consacré tant d’inutilesnbsp;pages et élevé tant d’inutiles colonnes,—Habacue,nbsp;Dagobert, Aboul-Hassan, Phocas, Manco-Capao,nbsp;Féodor Alexiowitz, Arsace, Artaban, Zabulon, Pa-tisilhès, Smerdis, Noureddin, Lélex, Jovien, Go-thrun, Frauenlob, Cresphontes, Bodillon, Rufm,nbsp;Joruandès, Ruben, Tetricus, Dermot, Adherbal, etnbsp;autres Josaphat. Norns historiques, tous ces noms-lèl Tant pis pour eux et pour nous, alorsl

Ils ont vécu, ils sont inorts. lis ont été cadavres, ils sont aujourd’hui poussière, ces hommes célèbreslnbsp;G’est bien la peine d’en parler, vraiment 1 Qu’ont-ils fait de bon, de beau, de grand, d’héroïque, denbsp;sublime, en leur vie? Rien. Pourquoi alors fgnt-ilsnbsp;ainsi saillie sur Ie souvenir public? Paree que Ie paganisme dure toujours, sous un aulre nom, et que,nbsp;pour rassasier l’appétit d’adoration et d’adrairationnbsp;auquel l'humanilé est en proie depuis si longteraps,nbsp;on a cru nécessaire d’inventer des hommes célèbres,nbsp;de creuser dans un Panthéon gigantesque une multitudes de petites niches pour une multitude denbsp;petits saints civils et militaires. La foule a Ie cultenbsp;des héros, de quelque nature qu’ils soieiit; ellenbsp;adore les statues et les statuettes, et paie volontiersnbsp;les frais de marbre, de bronze ou de platre, —nbsp;pourvu que ca ne coüte pas trop cher. Gela dispensenbsp;si bien d’aimer les vivants, l’amour des mortsl...

Eh bien! j’en suis vraiment faché pour la foule et pour la Biographie-Michaud, mais je n’ai pas Ienbsp;moins du monde Ie culte des héros de carton. Lesnbsp;héros, d’abord, m’en ont dégoüté, et les salons denbsp;Gurtius, ensuite. Quand j’cn aurai Ie loisir, je ferainbsp;même concurrence, k ce sujet, ö l’anglais Carlislenbsp;dont Ie livre a fait un bruit du diable, — en sonnbsp;temps. Le paganisme pur et simple vaut mieux quenbsp;ce paganisme déguisé. Ginq mille statues de Dieuxnbsp;et do Déesses ne me déplairaient en aucune fagon,nbsp;paree que les statues des Dieux et des Déessesnbsp;de la Grèce étaient trés bien fades, en trés beaunbsp;marbre et en trés beau bronze, et que cela devaitnbsp;faire un grand plaisir aux yeux de les regarder, —nbsp;surtout les statues des Déesses. Mais vos Dieuxnbsp;bourgeois, vos Dieux habillés, quel plaisir cela peut-il vous faire de les contempler? Quel orgueil avez-vous è citer les noms ridicules que j’ai cités plusnbsp;haut, et ceux, non moins ridicules, que je n’ai pasnbsp;cités du tout, é cause de leur trop grand nombre?

Ah! mes héros de romans sont préférables é vos bonshommes célèbres^ — et ils sont tout aussi célèbres, après tout. Interrogez eet enfant qui passe;nbsp;demandez-lui des nouvelles du Prime charmant ounbsp;de la Belle aux cheveux d'or, ou du Petit Poucet :nbsp;il vous en donnera avec plaisir, — car il connait lenbsp;Petit Poucet comme il connait son petit frère, car ilnbsp;connait la Belle au bois dormant comme il connaitnbsp;sa soeur ainée, car il connait Riquet a la Houppenbsp;comme il connait son papa... Interrogez ce vieil-lard—eet autre enfant — qui passe; demandez-luinbsp;des nouvelles de la Reine Genièvre, A'Yseult-auco-Blanches-Mains, de Belleaude, de Maguelone, denbsp;Mélusine, de Viviane, de cinquante autres bellesnbsp;filles et belles fées : il battra le rappel de ses souvenirs, et lui,— quinese souvient plus de rien aunbsp;monde, ni de son père, ni de sa mèro, ni de sesnbsp;fils,nide ses filles,qui tous sontmorts,—il évoqueranbsp;cette légion d’amoureuses et de charmeresses, etnbsp;son vieux coeur palpitera d’aise et frémira de vo-lupté comme autrefois, aux heures roses de sonnbsp;adolescence, quand il lisait—é deux—ces intéressants romans de chevalerie que nous réimprimonsnbsp;aujourd’hui.

II ne faut renier rien ni personne dans la vie. Ne renions done pas nos traditions. Les romans denbsp;chevalerie — les romans de la Table-Ronde prin-cipalement — ont eu une influence incontestablenbsp;sur le siècle oü ils sont nés et sur les siècles quinbsp;sont venus après. On les lisait partout oü l’on sa-vait lire, — manuscrits ou imprimés. Le savantnbsp;Sleeren disait que sans la chevalerie le Moyen-Agenbsp;aurait été vóué au mépris de la postérité : il auraitnbsp;pu dire la même chose des romans de chevalerienbsp;qui étaient le Gode par excellence,—le code dunbsp;bon ton, de la courtoisie, des grands sentiments,nbsp;de la galanterie, de la vaillance. Quand ce ne seraitnbsp;qu’è cause de cela, il me semble que ces Romans-lènbsp;ont bicii mérité qu'on les sauvat de l’oubli.

III

Ils ont un autre mérite. Ils sont, pour ainsi parler, les étapes de la langue francaise.

En effet, les premiers romans de chevalerie ne


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ETUDE

ressemblenf'pas — comme fstyle|— aux derniers. La langue s’essaye, la langue bégaye, la langue senbsp;forme, et Ton peut suivre ses progrès pas è pas,

— nbsp;nbsp;nbsp;c’est-S-dire roman k roman.

Bégaiements d’une langue géante, bégaiements prodigieux comme ceux de Gargantua qui, è sonnbsp;entrée dans le monde, « brasmoit demandant anbsp;boyre, a boyre, a boyre, » — ce qui dénotait denbsp;serieuses dispositions! Toutes les langues ne par-lent pas aussi distinctement k leur début, et oellesnbsp;qui bégaient, d’ordinaire, le font avec I’inintelligi-bilité du bégaiement. Mais la langue francaise, —nbsp;appelée Si dominer le monde, h se substituer auxnbsp;autres langues parlées, — devait avoir une enfancenbsp;virile, et elle I’a eue.

II ne faut pas aller cbercher bien loin pour en avoir la preuve : les Chansons de Geste et les Romans de la Table-Ronde la fournissent irréfutable-ment.

II n’est ici question que de la langue d’Oil,— le roman du nord, comme la langue d’Oc était lenbsp;roman du midi, G’est la langue par excellence, lanbsp;langue nationale, la langue maternelle. N’est-ce pasnbsp;la France que les trouvères ont cbanlée d’abord,nbsp;avant tout et avant toutes, quand les troubadoursnbsp;chantaient les dames, puis les dames, et encore lesnbsp;dames? Les dames, c’est intéressant i chanter,nbsp;certes, — plus intéressant encore k aimer. Mais lanbsp;France est la dame suprème, c’est le flanc qui anbsp;porté le monde, ce sont les entrailles d’oii estnbsp;sortie la Liberté, — c’est-k-dire I’lntelligence.

C’est done la France que chantent les premiers trouvères. C’est k la France que sont dédiées lesnbsp;chansons des douze pairs, les Chansons de Geste,

— nbsp;nbsp;nbsp;comme celle de Roland, par exemple.

J’ai donné trois extraits de ce merveilleuxpoëme, kla suite etk propos de Guérin de Montglavc,—oilnbsp;se trouve le récit émouvant de la défaite de Ronce-vaux. J’aurais voulu avoir la place et I’autorisationnbsp;de citer les quatre mille cinq cents vers qui le com-posent. Mais le peu que j’eu ai cité suffit ample-meiit è la démonstratioii de cette double vérité, knbsp;savoir que c’est un poëme national, un poëmenbsp;francais, et qu’il est du x* siècle, — corame lesnbsp;poëmes de Robert Wace.

Je parlais, tout k l'heure, des étapes de la langue frangaisc. II serait intéressant de les signaler une knbsp;une, certes; mais il faudraitpour cela des volumes,nbsp;et je ne dispose que de quelques pages. Et puis, lesnbsp;origines vraies d’une langue sont comme cellesnbsp;d’une nation, k peu prés indéchiffrables, et je suisnbsp;bien force de laisser de cóté cette quête des sourcesnbsp;du Nil pour commencer Ik oü commencent les auteurs de l’hisloire littéraire de la France, — c’est-k-dire aux environs du x* siècle.

Avant cette époque, il y a des ténèbres, il y a le rommum rusticum,—le roman rustique, la languenbsp;vulgaire des Gaules, forraée du celtique, du grec etnbsp;du latin; puis, après ce roman rustique, une languenbsp;qui s’est débarrassée de ses langes primitifs et k la-quelle va succéder la véritable langue roraane, lanbsp;mère de la langue francaise. Le romanum rusticumnbsp;a peu de monuments écrits; le roman du ix* sièclenbsp;en a davantage. Mais les ténèbres ne s’en font pasnbsp;moins sur ses évolutions, sur sou développement,nbsp;sur sa formation. Son travail de gestation ei de parturition s’est accompli mystérieusement, k l’insunbsp;de tout le monde : la langue romane est arrivée knbsp;terme, elle est née, — mais on ne connalt exacte-ment ni son père ni sa mère. Elle est née viable, —nbsp;voilk tout.

Le premier monument, Ie monument capital de la langue roraane, c’est le poëme sur Boèce,—surnbsp;ce grand homme qui fut persècuté si odieusementnbsp;par Théodoric, roi des Visigoths, lequel le fit mettrenbsp;k mort après l’avoir laissé en prison pendant long-temps. Boëce avait compose dans sa prison unnbsp;Traité de la Consolation de la Philosophic,- ce fut knbsp;propos de ce remarquable ouvrage que fut écrit lenbsp;poëme qui nous occupe, et oü se trouve racontéenbsp;avec éloquence I’austère vie de ce philosophe Chrétien.

Avec éloquence, ai-je dit. Permettez-moi de citer les douze premiers vers: ils ont un double intérèt,nbsp;comme pensée et comme expression. On y retrou-vera des formes tout-a-fait franQaises, des formesnbsp;grammaticales d’aujourd’hui, des idiotismes, kcóténbsp;de mots grecs, latins, celles, gothiques, et de desinences roraano-meridionales:

« Nos joveomne, quam dius que nos estam,

De gran follia per folledat parlam,

Quar no nos memora per cui viuri esperam,

Qui nos soste, tan quan per terra annam E qui nos pais que no murem de fam,

Per cui salves m’esper, pur tan qu’ell daman.

Nos jove omne menam tan mal jovent,

Que us non o preza sis trada son parent Senor, ni par, sill mena malamentnbsp;Ni lus vel l’ailre, sis fai fals sacrament;

Quant o fait, mica no s’en repent Et ni vers Deu non fait emendament...

(Nous tous, tant que nous sommes jeunes, nous ne faisons que des folies et ne coramettons que desnbsp;erreurs, et nous ne nous souvenons point de Geluinbsp;qui nous fait vivre, nous soutient pendant que nousnbsp;marchons k travers la vie, et qui nous repalt afinnbsp;que nous ne mourions pas de faim -, Gelui que j’in-voque sans cesse, et par qui j’espère mon salutnbsp;éternel.

Nous, jeunes hommes, nous raenons mal notre jeunesse. L’un trahit son seigneur, son parent, sonnbsp;père, son ami; I’autre fait méchancelés, vilenics etnbsp;faux serraents k foison, et ni I’un ni I’autre ne s’ennbsp;repentent, ni I’un ni I’autrc ne se corrigent...)

Tout cela est d’une haute éloquence et d’un austère langage. Tout cela est digne du philosoph


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SUR LES ROMANS DE CHEVALERIE. 9

a propos duquel c’est écrit. Le souffle court sur ces vers: c’est la raison qui parle èi des fous. HélasInbsp;les fous persistent, — afin de donner prétexte k lanbsp;raison de persister aussi.

J’ai soulijziié è dessein certains mots, certaines phrases. Quar est la conjonction frangaise cgtr,-pais, c’est la troisième personne de l’indicatif dunbsp;verbe fraugais rqmüre; parent est le substautifnbsp;francais parent; s’en repent est une constructionnbsp;toute frangaise; quant est l’adverbe frangais quand;nbsp;menam tan mal jovent est une forme grammaticalenbsp;toute moderne, mener mal sa jeunesse, etc., etc.nbsp;Nous n’cn finirions pas si nous voulions citer d’au-tres idiotismes, d’autres formes grammaticales pu-rement frangaises, qui se trouvent dans le courantnbsp;de ce poëme, telles que : Guérir son corps et sonnbsp;dme, faire semblant, jeter en prison, tenir pour seigneur, ne faire que mal penser, bdti de foi et denbsp;charité, se faire petit, etc., etc., etc. Je renvoie lesnbsp;curieux au manuscrit de la Bibliothèque d’Orléans.

Après le poëme sur Boëce, vient un roman com-posé par Philoména,«lequel livre contient l’histoire de la prinse des villes de Narbonne et de Carcassonne par Gharlemaigne, » — comme le dit Guillaume de Gatel, dans ses Mémoires du Languedoc.

Après le roman de Philornéna, les Chansons de Geste, les romans de chevalerie,les poëmes anglo-normands, les actes publics, les sermons. Mais lenbsp;Romanum rusticum est loin déjè, la langue d’Oil estnbsp;arrivée, dégagée k peu prés de ses broussailles la-tines, avec son corlége d’articles, de déclinaisons,nbsp;de conjugaisons, d’adverbes, avec sa physionomie,nbsp;— avec son originalité, en un mot. Sa vieille rivalenbsp;lutte encore; mais la langue romane du nord estnbsp;jeune, hardie, avenlureuse,— k elle l’averiir, è ellenbsp;le mondei Les savants seuls entendent le latin;nbsp;mais personne ne le parle plus. La langue romane,nbsp;au contraire, devient la langue de la foule, pareenbsp;qu’elle est devenue la langue des écrivains, desnbsp;poëtes, des trouveurs. Laissez-la faire, laissez-lanbsp;grandir k son aise, laissez-la se développer en li-berté, et ses allures vont prendre plus de vivacité,nbsp;plus de hardiesse, plus de grace encore : elle vanbsp;devenir la langue de Thibault de Champagne, denbsp;Guillaume de Lorris et de Joinville; puis la languenbsp;de Christine de Pisan et de Froissard; puis la languenbsp;de .Monstrelet, d’Alain Ghartier, de Charles d’Orléans et de Frangois Villon; puis la langue de Clément Marot, de Frangois Rabelais et de Mathurinnbsp;Régnier; puis la langue de Jacques Amyot, de Pierrenbsp;de Brantóme et de Pierre de Ronsard; puis la langue de Wichel de Montaigne, de Pierre Charron etnbsp;d’Etienne de la Boëlie; puis la langue de Blalherbe,nbsp;de Balzac, de Pascal, de Descartes, de Bossuet, denbsp;Corneille, de Racine, de La Fontaine, de Molière, donbsp;Mallebranche, de Labruyère, de Fénelou; puis lanbsp;langue de Buffon, de Voltaire, de Jean-Jacquesnbsp;Rousseau, de Denis Diderot; puis la langue desnbsp;deux Ghénier, de Chateaubriand, de Volney, de madame de Staël, de madame de Genlis, de Laclos, denbsp;Baour-Lormian et de Luce de Lancival; puis enfinnbsp;la langue do Victor Hugo, de Lamartine, de Béran-ger, de Paul-Louis Courier, de La Mennais, d’Ho-noré de Balzac et de George Sand.

IV

Mais comme je n’écris pas précisément l’histoire littéraire de la France, on me permettra de rovenirnbsp;è raon point de départ, — c’est-h- dire aux romansnbsp;de chevalerie.

J’y revions done.

Les romans, en général, sont beaucoup plus lus que les histoires, et leurs lecteurs sont beaucoupnbsp;plus jeunes — et plus intéressants aussi, paree quenbsp;ces lecteurs-lk sont ordinairement des leclrices.nbsp;L’Iiistoire est une pédante, mal habillée de corps etnbsp;de visage, rogue et marmiteuse, sombre et maus-sade, qui ignore la grace et qui n’a jamais su sou-rire. La Fable est une fée rayonnante de beauté,nbsp;une cliarmeresse court-vêtue, qui conduit on nenbsp;sait pas oü, dans des abimes charmants — oü Tonnbsp;oublie la vie. Pour aimer l’une, il faut n’avoir plusnbsp;ni dents, ni cheveux, ni illusions, ni rien du tout.nbsp;Geux qui aiment l’autro sont dignes d’etre airaésnbsp;eux-mêmes. Voilé toute la différence.

Viande creuse, soit. 'Mais on se contente de si peu, k virigt aiisl Vingt ans, n’est-ce pas l’age oünbsp;l’on vit « d’araour et d’eau fraiche,» — comme disent ironiquement les vieux et les vieilles qui viventnbsp;de tisanes et de racahout des Arabes? G’est unenbsp;bonne chose. Peau fraiche 1 Meilleure chose encore,nbsp;l’amour! Et les romans, done?...

Je l’ai dit en commehgant: Les contes, les romans, les rêves, sont le Paraclet dans lequel on doit se réfugier pour se soustraire aux trivialitésnbsp;écoeurantes et aux réalités monstrueuses de la vie.

II y a romans et romans. II y en a qu’on declare immorauxetqui sont innocents coinmedes agneaux;nbsp;d’autres, au contraire, sont tenus pour raoraux, quinbsp;sont malhonnêtes en diable. La morale est unenbsp;monnaie comme une autre : chaque epoque lanbsp;frappe a son effigie et lui donne un cours force, —nbsp;jusqu’au jour oü celte morale d’or, d’argent ou denbsp;cuivre se trouve démonétisée et jetée au grandnbsp;creuset du bon sens, ou placée dans un médaillernbsp;comme objet de curiosité. Qui de nous n’a, dans sanbsp;tête, une collection plus ou moins riche de morales?

II est bien entendu qu’ici je ne parle pas le moins du monde de la morale élernelle, — cette lampenbsp;sacrée qu’est chargée d’entretenir cette vestalenbsp;qu’on appelle la conscience humaine. La vraie morale n’a rien é voir Ut dedans.

Quebpies écrivains chagrins ont condamné les romans de chevalerie comme immoraux, sous lesnbsp;prétextes les plus étranges et les plus puérils, et ce


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ETUDE

n’est pas de leur faule si les manuscrits et les incu-1 nabies de la Bibliothèque impériale sont encore intacts. Les lauriers d'Omar ont dü plus d’une foisnbsp;erapècher de dormir ces sages renfrognés qui bla-nient les fruits verts paree qu’ils n’ont plus de dentsnbsp;pour mordre aprèsl

Je ne défendrai pas les romans de chevalerie — qui se défendent trés bien d’eux-mêmes. Je me con-tenterai de les annoncer—èceux qui d’aventure nenbsp;les ont pas lus —comme des romans curieux, trésnbsp;curieux, excessivement curieux è tous les titres.

Ainsi, cl coté des luttes grandioses, des combats gigantesques, des prouesses épiques, — auxquelsnbsp;prennent part tous les preux du roi Artus et tousnbsp;les vaillants chevaliers de l’empereur Charlemagne,nbsp;robustes coeurs dans de solides armures, — il y anbsp;toute une série de fées et d’enchanteurs, de bellesnbsp;filles et de nains aimables, Morgane et Obéron, Mé-lusine et Esterelle, Viviane et Merlin, fabricateursnbsp;d’elixirs de longue vie, marchandes de philtresnbsp;amoureux, sirènes et providences, abimes et paradis 1...

Pour moi, qui revois sans cesse

La lumineuse fleur des souvenirs lointains,

je ne sais pas beaucoup de livres aussi attrayants, aussi merveilleux, aussi amusants, car Ie rire s’ynbsp;mêle k la terreur, les grands coups de vin auxnbsp;grands coups d’épée, les gaberies aux maledictions,nbsp;les baisers d’araoureux aux incantations fantasti-ques, — et l’on sort de ces romans de chevalerienbsp;comrne on sort d’un rêvet...

Je n’aurais pas loin amp; aller pour chercher et trou-ver mes preuves : je n’ai qu’i tourner les feuillets au hasard, — assuré d’avance de tomber sur unenbsp;situation savoureuse é l’imagination.

Connaissez-vous, par exemple, quelque chose de plus frais, de plus gracieux, de plus poétique que Ienbsp;commencement de Guérin de Montglave: « G’étaitnbsp;k Tissue de Thiver, è cetle époque de Tannée oünbsp;commence Ie joii temps de priraavèrc, oü Ton voitnbsp;les arbres verdoyer et leurs fleurs s’épanouir, oünbsp;Ton entend les oisillons chanter si joyeusement,nbsp;que les cceurs tristes, pensifs et dolents s’en réjouis-sont eux-mêmes malgré eux, et délaissent, sans s’cnnbsp;douter, leurs fócheux pensements et leurs vilainesnbsp;songeries. »

Tout Ie roman continue sur ce ton et de ce style auquel je n’ai rien changé, par respect pour sonnbsp;éloquente simplicité. II y a Ti-dedans une vraie mèrenbsp;et un vrai père, — Mabillette et Ie vieux due Guérin.nbsp;11 faut voir comme elle pleure, la pauvre femme, aunbsp;départ de ses quatre beaux enfants auxquels sonnbsp;mari vient de reprocher rudement leur oisiveté.nbsp;Elle voudrait les garder toujours auprès d’elle,nbsp;n dans son giron, comme s’ils étaient poussins ünbsp;peine éclos. » Mais Ie vieux due, un compagnon denbsp;Charlemagne, trouve qu'il est temps « qu’ils aillent

leurs erres. » Comme il y a lü-dedans un sentiment profond de la familie 1 La mère pleure, mais elle senbsp;résigne, paree que son mari — « soiii seigneur etnbsp;maitre »—a parlé. Les quatre fils aiment leur mère,nbsp;mais ils obéissent, paree que leur père a parlé.nbsp;Bonne chance, jeunes éperviers 1nbsp;Les dernières pages de Guérin de Montglave sont,nbsp;k mon estime, un chef d’oeuvre. Elles contiennent Ienbsp;récit de la faraeuse défaite de Roncevaux,—ce Waterloo de Tempereur Charlemagne. II y a lü trois ounbsp;quatre cent lignes qui valent des volumes, et je nenbsp;connais pas d’historien qui soit jamais arrivé è cettenbsp;male éloquence, è cette grandiose poésie, qui vousnbsp;tient Ie cceur battant pendant tout Ie temps quenbsp;dure Ie récit navrant de cette sanglante bataille.

Les Sarrasins s’avancent, « menant un grand bruit.»Ils sont deux cent mille, — et Tavant-gardenbsp;de Tarmée de Charlemagne, commandée par Roland, a tout au plus vingt mille hommes. Avais-jenbsp;raison de comparer Roncevaux ü Waterloo?

Les Sarrasins s’avancent. Les compagnons de Roland, un peu effrayés par cette avalanche humaine qui les menace, Ie supplient de sonner du cor pournbsp;que son oncle vienne ü son socours.

« — Seigneurs, » — répond Théroïque Roland, — « Charlemagne est trop loin ; il ne m’entendraitnbsp;pas. Aucun de vous n’a voulu aller vers lui lorsqu’ilnbsp;en était temps encore; il s’agit de mourir debout,nbsp;comme de vaillants chevaliers que nous sommes...nbsp;Mourons done ici, compagnons, puisque c’est Ienbsp;bon plaisir de Dieu 1... »nbsp;lis meurent tous, en effet, les uns après les au-tres, — mais comme des héros, en luttant jusqu’ünbsp;leur dernier souffle, en essayant d’éclaircir, dunbsp;trongon de leurs vaillantes épées, les rangs des Sarrasins « plus nombreux que les sables de la mer,nbsp;plus nombreux que les brins d’herbe des plaines.»

II ne reste bientót plus autour du preux Roland qu’une poignée de chevaliers,—-parmi lesquels Olivier et Tarchevéque Turpin.

« Cependant, au bout de quelque temps, en face de ce sinistre champ de bataille, oü étaient couchés,nbsp;endormis pour Téternité, dix-huit è dix-neuf millenbsp;de ses compagnons, Ie brave Roland se résolut amp;nbsp;faire ce è quoi il s’était si obslinément refusé jus-que-lè : il sonna du cor.

« Le cor disait: Charles, roi Charles, empercur Charles, venez, venez, venez vitemont, car aujour-d’hui celui que vous airnez le mieux au monde seranbsp;mort!...

« Roland sonna par trois fois du cor; il en sonna avec une telle force qu’une de ses veines se rompit,nbsp;et que le sang vint écumer en une mousse rosée surnbsp;ses lèvres...

« — Compagnon, lui cria en ricanant Marsille, le roi païen, vous avez corné pour néant! »

Marsille a raison : Charlemagne n’entendra pas le son du cor, — et il ne viendra pas au secours de


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SUR LES ROMANS DE CHEVALERTE. n

ses preux. 11 faut décidément mourir IJj, et ils y meurent.

C’est d’abord Olivier, quo son fils Galien vient de retrouver.

« Galien s’apercut alors qu’Olivier changeait af-freusement de visage. De vermeil comine feu qu’il dlait d’abord, il devint tout-Si-coup vert comraenbsp;feuille, puis noir comme charbon.

« — Père! père! s’écria-t-il, vous mourez done? Ahl cher père, il faut nous quitter ici-bas, je le voisnbsp;bien... Je prie Jésus-Christ qu’il vous veuille reco-voir en sa gloire de Paradis, ear vous en êtes plusnbsp;digne que nuls au monde, vous et vos vaillantsnbsp;compagnons...

« Lors il lui prit la têfe en son giron et le baisa plus de cent fois. Olivier était mort.

« — Beau fils, dit a .son tour Roland d’une voix qu’on entendait h peine, n’oublie pas de saluer Bel-leaude en mon nom, et de lui dire que je I’ai aiméenbsp;jusqu’k la dernière minute de ma vie mortelle...nbsp;Prie-la de ne jamais se marier... Qu’elle entredansnbsp;une abbaye et y consacre sa vie au Seigneur... et ènbsp;mon souvenir... De cette fagon, peut-êtrepourrons-nous nous revoir encore quelque part... IJi oü vontnbsp;les créatures qui ont aimé et n’ont pas su haïr...nbsp;Adieu!..,

« — Sire, répondit Galien navré, ne vous inquié-tez (le rien... je ferai religieusement votre message auprès de votre mie... mais j’ai peur qu’elle nenbsp;meure de deuil en l’apprenant, car elle vous aimenbsp;de bon co^ur...

« —Ainsi soit-il 1 raurmura Roland, en se roidis-sant dans une dernière convulsion.

« Galien se pencha sur lui et le baisa au front: Roland était mort.

«II alia vers l’archevêque Turpin.

« — Beau fils, rala ce vaillant homme, n’oublie pas de saluer Charlemagne de ma part,..

« Et, cela dit, il expira. »

Est-co suffisamment éraouvant, tout cela? Ges rudes hommes d’autrefois savaient-ils mourir?

Savaient-ils aimer aussi? Ahl Jacqueline! Ah! Belleaudel répondez pour moi.

« Charlemagne se rendit au palais, oü il manda Belleaude, qui accourut. Le vieux roi l’attira sur sanbsp;poitrine, la baisa au front et lui dit:

^ « Belle amie, savez-vous de quoi je vous prie? C est de ne point vous dolenter outre mesure de cenbsp;que je vais vous apprendre...

« Et qu’avez-vous done amp; m’apprendre, Sire ?... demanda Belleaude, pale et tremblante.

« — Vous avez perdu Roland, votre ami, et Olivier voRe frère, traltreusement occis a Roncevaux 1 répondit Charlemagne, en embrassant de nouveaunbsp;belleaude.

«Quand elle eut entendu cette cruelle parole, öut le sang de son corps se changea et retourna, etnbsp;® tomba tout de son long ü terre, morte.

« — Quelle piteuse flnl murmura Charlemagne en contemplant la pauvre Belleaude. Ah! Ganelon!nbsp;Ganelon 1 comme je te ferai mourir vilainement 1...»

Voilü pour Guérin de MonUjlme. Roman « immoral, » n’est-ce pas?

II y en a encore d’autres! Mélusine, Tristan de héonois, Huon de Bordeaux, Pierre de Provence,nbsp;Ogier le Danois, etc., etc.

Mélusine est un roman fait au xiv® siècle sur la légende populaire, et il a été, pendant longtemps,nbsp;aussi populaire que la légende. Je ne sais pas si Mé-lusine est«immorale;»je sais seulement que cettenbsp;pauvre serpente m’a vmlemment intéressé dans manbsp;prime-jeuaesse, et que j’ai souvent envié le sortnbsp;de son bel ami Rairaondin, — malgré le chatimentnbsp;navrant qui punit sa curiosité.

D’abord Mélusine est fllle de fée, ce qui a son charme; ensuite elle est riche comrne il n’est permis ü personne de l’être; puis, — et c’est ce quinbsp;vaut le mieux,—elle est d’une beauté non-pareille,nbsp;qui ne se flétrit pas un seul instant, malgré les an-nées qui s’accumulont sur sa tête et malgré les en-fants qui sortent de ses flancs charmants. Elle estnbsp;grand’mère, et elle est toujours aussi belle que Ienbsp;jour OU Raimondin l’a rencontrée dans la forêt denbsp;Colombiers, prés de la Fontaine-de-Soif, par unenbsp;lune « claire-luisante, s’ébattant sur l’herbe en compagnie de deux gentes dames blanches. » Ninon denbsp;Lenclos avait trouvé le moyen d’être encore sédui-sante è quatre-vingts ans; Mélusine, plus favorisée,nbsp;trouve moyen d’être belle et jeune a l’ège oü lesnbsp;femmes sont vieilles et respectables : quoi qu’ellenbsp;fasse, elle a toujours vingt ans!

Ce roman venge Eve, Pandore, Psychó, Sémélé, — toutes les curieuses profanes et sacrées. Raimondin est heureux; il est aimè d’une femmenbsp;charmante, il est riche, il est père, il a tout cenbsp;qu’on peut désirer de bonheur en ce monde : ilnbsp;faut que la curiosité vienne le mordre au coeur 1nbsp;Pendant vingt ans, il n’a pas songé un seul instantnbsp;è s’inquiéter de ce que Mélusine pouvait faire lenbsp;samedi. Mais voilü qu’un jour le soupgon entrenbsp;dans son esprit, — « soupgon amer comme fiel,nbsp;ardent comme braise, aigu comme acier 1 » II veutnbsp;voir et savoir 1

« Raimondin, pMe et tout en sueur, regarda devant lui, par le pertuis qu’il avait fait, etil aper-gut Mélusine toute nue, blonde et merveilleuse denbsp;beauté, qui s’ébattait au soleil dans une large cuvenbsp;de marbre blanc, bordée d’arbres épais sur les ra-,nbsp;mures desquels chantait un peuple d’oiseaux ra-res... A un mouvement plein de grêce que fit Mélusine, et qui découvrit la parlie de son corps quinbsp;baignait dans l’eau de la piscine, Raimondin re-


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12

ETUDE

marqua avec étonnement que cetle partie du corps se terminait en queue de serpent... »

Hélas! voilé quel élait Ie secret de la pauvre Mélusine : femme pendant six jours de la semaine,nbsp;elle devenait serpente le septième jour, — pournbsp;expier je ne sais quelle faule commise par ellenbsp;avant son raariage.

II faut lire les mélancoliques reproches de Mélusine é Rairnondin :

— nbsp;nbsp;nbsp;«Mon doux ami, lui dit-elle, Dieu vousnbsp;veuille pardonner cette fauteque vous avez commisenbsp;au prejudice de notre mutuel repos et de notrenbsp;mutuel bonheurl... IIle peut, lui qui est omnipotent, lui qui est le vrai juge et le vrai pardonneur,nbsp;lui, la légitime fontaine de pitié et de raiséricorde...nbsp;Quant é moi, vous savez bien que je vous ai par-donna de bon coeur, puisque je suis votre femmenbsp;et votre araie... Mais, pour ce qui est de ma de-meurance avec vous, c’est tout néant: Dieu ne lenbsp;permet...

— nbsp;nbsp;nbsp;« Pour Dieu et pitié 1 s’écria Rairnondin,nbsp;veuillez demeurer, ou jamais plus je n’aurai joienbsp;au coeur...

_ « Adieu 1 adieu 1 adieu 1 répondit Mélusine

en se penchant vers Rairnondin et en 1 accolant doucement. Adieu, mon ami, mon bien, monnbsp;coeur, ma joie 1 Tant que tu vivras, j’aurai, quoi-que absente de toi, bonheur é te voir et é te ren-

dre heureux..... Mais jamais, au grand jamais, tu

ne me verras en forme de femme.....Adieu done,

raoitié de mon ame! Adieu done, moitié de ma vie 1...

« Lors done qu’il était heure de partir, malgré que tout la retint Ié, elle s’élanoa incontinent horsnbsp;de la fenêtre sous forme d’une serpente ailée, longue d'environ quinze pieds, au grand ébahisse-raent de la compagnie. »

Voila pour le roman de Mélusine, — tout aussi immoral que Guerin de Montglave, comme on voit.

Les puritains se sent escrimés surtout coiitre Tristan de Léonois et contre Lancelot du Lac, —nbsp;et, h cause de cela, je serais tenté de les préférernbsp;aux autres, s'il pouvait y avoir des préférencesnbsp;pour ces romans si pleins d’attraits, depuis le premier jusqu’au dernier 1

Les puritains en question n’aiment pas les gens qui s'airnent, — et Ton conjugue beaucoup lenbsp;verbe amare dans Tristan de Léonois et dans Lancelot du Lac. Aimez-vousl aimez-vous toujours,nbsp;jeunes hommes et jeunes femmes 1 ïoule la vienbsp;est li.

Je ne suis pas seul de mon avis a ce propos, comme bien vous pensez. M. Paulin Paris, dans sesnbsp;Notices sur les manuscrits de la Bibliothèque impériale, fait uu grand éloge du Tristan. Quant aunbsp;Lancelot, voici ce qu'en dit M. Léon Plée dans sonnbsp;excellente Introduction au Glossaire francais polyglotte : « Le Lancelot est faible d’intrigue, maisnbsp;d’un style admirable, clair, limpide, incidenté,nbsp;plein d’une foule de mots fort jobs qui font imagenbsp;et somblent tout nouveaux, soit par leur composition, soit par leur emploi, soit par leur forme elle-même. Un (rès grand nombre de sentences, d’axio-mes amoureux, ont passé de cette oeuvre dans lesnbsp;livres qui Pont snivie. Quelques passages sent im-prégnés d’un parfum de gaité qui donne la mcil ¦nbsp;leure idéé de ce que Ton nomme I’ancienne gaiténbsp;francaise. »

Quant aux reproches d’immoralité, néant!

Si ces romans de chevalerie sent licencieux, ils ne le sent qu’é la fagon des rossignols.

VI

M. Léon Plée parle du « style admirable » de Lancelot du Lac, et de la « foule de mots fort jobs » qu’on y rencontre. II a raison, et ce qu'il ditnbsp;de ce roman, i! aurait pu le dire aussi des autres.nbsp;G’est pour qu’on en püt juger é coup sur que j’ainbsp;cité quelques passages de Mélusine et de Guerinnbsp;de Montglave.

Gar, quoique ce ne soit pas le style primitif dans toute son intégrité, — style plein de saveur,nbsp;seulement pour les lettrés,—j’ai fait tous mesnbsp;efforts pour lui conserver sa naivete, sa gréce, sanbsp;bonhomie, son originalilé, en un mot. Ai-je réussi?nbsp;Les lecteurs prononceronf.

II y avaitla un ccueil. Ges romans de chevalerie sent intéressants comme fond et comme forme.nbsp;Même traduits bbrement, — comme quelques-unsnbsp;Pont été par le comte de Tressan, — ils eussentnbsp;conserve quelques-unes de leurs séductions, cellesnbsp;de leur fabulation; mais eet accent, ce parfum,nbsp;cette saveur qu’ils ont dans leur langue du xii® ounbsp;du xiv^ siècle, comment la leur conserver ?

A cela je n’ai vu qu’un moyen, é savoir de suivre pas a pas et de traduire mot k mot le manuscrit ounbsp;le roman primitifs. De cette fagon, si ce n’est pasnbsp;le vêtement exact du xii' siècle, du moins ce n’estnbsp;pas le costume du xix' siècle. Les vieilles chansonsnbsp;doivent être chantées sur de vieux airs !

Une OU deux phrases entre mille, — comme exemples:

« Quant il vist l’espée que il tenoit é si bonne, il soup re fort, puis dit; Ha espée, que ferés vous desnbsp;oresrnais! Nelepuisplus céler,jesuis vaincus.Lorsnbsp;commence é plourer trop plus durement qu’il nenbsp;fist aulrefois, et quant il a assés efforcéement pleuré,nbsp;il dit, etc., elc. «

Lesqueiles phrases j’ai traduites par :

« Quand il vit sa vaillante épée, il soupira et dit :

— « Ah ! raon épée, que ferez-vous désormais ? car, je ne le puis plus céler, ma vie est finie!...

« Lors il recommenga è pleurer plus araèrement qu’il n’avait fait jusque-lé, et quand il eut, etc. »

Le procédé est aussi simple que peu coüteux. Je


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SUR LES ROMANS DE CHEVALERIE. 13

1’ai presque toujours suivi avec la même fidélité, — excepté toutefois pour la traduction de quelquesnbsp;endroits indéchiffrables dans les manuscrits. II a eunbsp;pour moi eet avantage de me perraettre de conser-ver une foule d’expressions adorables, tombées ènbsp;tort en désuétude, et une foule de mots énergiquesnbsp;et pittoresques que je regrette de ne plus rencon-trer dans la circulation,

Ainsi, j’ai conserve : Sonnermot, pour 'parler; sous ombre de, pour sous prétexte de; souventes fois,nbsp;pour souvent; toutes et quantos fois, pour toutes lesnbsp;fois que; par ainsi, pour ainsi, par conséquent; dnbsp;l'accoutumée, pour de coutume; encore que, pournbsp;quoique; n'engendrer point de mélancolie, pour êtrenbsp;d'humeur gaie; une jeunesse, pour une jeune fiUe ;nbsp;s'entreconnaitre; entreouïr; être attaché d’une grossenbsp;chaine; Ie vouloir, pour la volonté; marmiteux, pournbsp;ennuyé; s'ébahir, pour s'étonncr; perlurber, pournbsp;occasionner du désordre; réconforter, pour réjouir;nbsp;déconforter, pour chagriner; plaisant, pour agréa-ble; mener mal sa jeunesse; tenir pour seigneur;nbsp;faire semblani; bdtir de foi et de charitó; trouvernbsp;bon; se faire petit; guérir son corps et son dme;nbsp;déambuler, pour se promencr; s’esclaffer, pour écla-ter de rire; gabeler, pour railler; remembrer, pournbsp;se souvenir; accoler, pour embrasser; bailler, pournbsp;donner; rancaur, pour rancune; et cent autres forces grammaticales qui datent des premiers joursnbsp;de la langue d’Oil, et qu’on a cru devoir remplacernbsp;depuis, — je ne sais trop pourquoi, puisque cesnbsp;formes-lk suffisaient et qu’elles disaient éloquem-nient ce qu’elles voulaient dire.

« Toutes les langues roulent de l’or, » dit trés bien M. Joubert dans sa magnifique Etude sur Ienbsp;Style. La langue romane surtout, notre langue nationale, Pourquoi la langue franpaise d’aujourd’huinbsp;est-elle moins riche que la langue franpaise d’autre-tois? Pourquoi a-t-elle cbangé son or contre dunbsp;cuivre? Ah 1 il serait bien temps, è ce qu’il me sem-hle, de la retremper aux sources fortifiantes dontnbsp;6lle s’est éloignée si dédaigneusement. « Rendrenbsp;3UX mots leur sens physiqiie et primitif, — dit encore M. Joubert, — c’est les fourbir, les nettoyer,nbsp;leur restituer leur clarté première; c’est refondrenbsp;cette monnaie et la remettre plus luisante dans lanbsp;Circulation •, c’est renouveler, par Ie type, des em-Pceintes effacées. Remplir un mot ancien d’un sensnbsp;Nouveau dont l’usage ou la vétusté l’avait vide pournbsp;ainsi dire, ce n’est pas innover, c’est rajeunir. Onnbsp;cnrichit les langues en les fouillant. II faut les trai-ter comme les champs : pour les rendre fécondes,nbsp;?uand elles ne sont plus nouvelles, il faut les remuernbsp;n de grandes profondeurs. »

^ A ces causes, j’ai respecté les vieux mots — dont caucoup sont si nouveaux 1 A ces causes, j’ai con-P^écieusement les vieilles expressions qui ontnbsp;®^®inence plus vraie que celle de beaucoupnbsp;c res expressions modernes. On ne trouvera pas, ,

dans ces romans, Ie style flévreux, exubérant, extravagant, que l’on trouve dans les romans ordi-naires; mais, tout au contraire, un style simple, naïf, — expressif comme amour et comme colère,nbsp;éloquent comme tendresse et comme fierté. Lesnbsp;beaux sentiments n’ont pas besoin d’oripeaux; lesnbsp;grandes pensées n’ont pas besoin d’être traduitesnbsp;par des phrases è grelots et è pompons, orgueilleu-ses comme des mules espagnoles.

VII

Je regrette de n’avoir pu traduire sur l’ceuvre première, sur les poëraes romans ou sur les poëmesnbsp;latins, composés longtemps avant l’invention denbsp;l’imprimerie. Je Ie regrette, paree que ces poëmes-lè sont plus beaux encore, plus grandioses, plusnbsp;éloquents, que les romans en prose. Je parlais toutnbsp;è rtioure de l’épisode de la bataille de Roncevauxnbsp;qui SC trouve dans Guérin de Montglave : c’est unnbsp;épisode émouvant, certes, et peu d’écrivains sau-raient atteindre h ce pathMique. Ge n’est rien au-près du poëme de Thurold, la Chanson de Roland /nbsp;De même pour Ogier-le-Banois, de même pour lanbsp;plupart des autres romans de chevalerie.

Mais je ne pouvais traduire des vers picards ou de la prose latino en prose francaise; cela n’attei-gnait pas Ie but que s’était proposé 1’éditeur do lanbsp;Bibliothèque bleue, qui voulait faire lire aujourd’huinbsp;les romans qui ont été lus en Europe jusqu’ê la finnbsp;du XVI® siècle, — c’est-ê-dire les romans en prose,nbsp;manuscrits et incunables. J’ai done dü traduire surnbsp;les manuscrits et sur les incunables que possède lanbsp;Ribliothèque impériale.

Les poëmes sur lesquels ont été faits les romans en prose ne remontent guère au delê du xi® siècle.nbsp;Ils ont été faits eux-mêmes sur les Chansons de Geste, — écrites en mauvais latin, puis dans les diversnbsp;idiomes qui se formaient alors, — lesquelles Chansons célébraient les gestes, les faits, les dits, les actions d’éclat, h mesure qu’ils avaient lieu.

G’était l’époque des grandes guerres et des grandes boucheries de nations è nations : c’était Ie Moyen Agel Les Wisigoths d’Alaric, les Francs denbsp;Glovis, les Huns d’Aüila, les Suèves de Radagaise,nbsp;les Vandales de Genseric, — tous les Rarbares! —nbsp;envahissaient les Gaules et s’y établissaient petit ènbsp;petit, de par la loi du plus fort. Puis Gharles-Martelnbsp;vainquait les Sarrasins, Pépin-le-Bref marchait contre les Saxons, Gharlemagne guerroyait contre lesnbsp;Lombards, Roncevaux arrivait 1 Puis encore, lesnbsp;Gascons, les Normands, les Hongrois, les Alle-mands, les Arabes, les Groisades! La terre réson-nait comme un tonnerre sous les pas pesants de cesnbsp;nombreuses armées de conquérants et de conquis l

II fallait bien chanter tout cela 1

De lê les trouvères, de lê « cette nuée de chanteurs qui, depuis Ie ix* siècle jusqu’au xvi% vont


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14

ETUDE

nous coraposant une foule de chants, d’histoires, d’épopées, — admirables inspirations de notre na-tionalité naissante, que nous avons répudiées aunbsp;XVII*, pour faire de l’antiquité grecque etlatine notre champ de culture poétique. »

De la, enfin, les romans de chevaleric.

VIII

11 y a quatre divisions importantes è établir parmi ces norabreux romans que nous rééditonsnbsp;aujourd’hui. Les uns appartiennent au cycle denbsp;Charlemagne, les autres sont les Romans de lanbsp;Table-Ronde; puis viennent les Romans des Neufnbsp;Preuoó et les Romans des Amadis.

Les premiers sont:

La Chronique de Turpin, oü Se trouvent racon-tés les exploits de Roland ét sa mort i Roncevaux.

Beuves de Hantonne, dont Taction est antérieure au règne de Charlemagne.

Les Quatre fils Aymon, qui reproduisent assez fidèlement les luttes opinidtres qui s’élevaientnbsp;entre Ie prince suzerain et ses grands vassaux, aunbsp;temps de la féodalité.

Maugis d‘Aigremont, qui est consacré au récit des mèchants tours que ce « négroraant »joue aunbsp;roi Charlemagne.

Li Reali di Francia, roman italien qui est la traduction d’un texte francais, et oü sont conte-nues les origines royales de France, et les traditions fabuleuses relatives ü Roland.

Berthe-au-Grand-Pied, qui contient Ie récit des amours de Pépin-le-Rref, père de Charlemagne.

Guérin de Montglave, qui parie trés peu de Gué-rin de Montglave, et beaucoup de ses quatre fils, Renaud, Milon, Regnier et Girard. II y a aussinbsp;dans ce roman un hors-d’oeuvre qui s’appelle lanbsp;bataille de Roncevaux, — mais ce hors-d’oeuvrenbsp;est tout simplement un chef-d’oeuvre.

La Reine Ancroia, qui fait suite ü la Chronique de Turpin, et oü Ton voit figurer pour la premièrenbsp;fois une femme guerrière, une sorte de reine desnbsp;Amazones. Ce roman pourrait tout aussi biennbsp;s’appeller Guidon-le-Sauvage, puisqu’il est beaucoup question de ce fils batard de Renaud denbsp;Montauban. II est trés curieux.

La Chroniqu£ du chevalier Mabrian qui fait suite aux Quatre (ils Aymon, et oü commenQa la fusionnbsp;des romans Carlovingiens et des romans de lanbsp;Table-Ronde.

La Conquêie du grand roi Charlemagne des Espagnes, qui est Ie récit des fails et gestes de cenbsp;puissant monarque.

La Conquête de Vempire de Trébisonde, qui est Ie même ouvrage, k peu prés, que Ie précédent.

Huon de Bordeaux, oü Ton voit apparaitre Obéron, Ie roi de Féerie.

Boolin de Mayence, oü il est encore question des querelles de Charlemagne avec ses grandsnbsp;vassaux.

Gérard d'Euphrate, qui contient Thistoire des amours et des actions d’éclat de ce fils de Doolinnbsp;de Mayence.

Ogier-le-Danois, oü il est souvent question de la fée Morgane, qui protégé comme marraine et quinbsp;aime comme femme. Ogier est une sorte denbsp;Porthos, qui accomplit vaillamment toutes sortesnbsp;de prouesses, tant guerrières qu’amoureuses. 11 y anbsp;quelque chose de trés saisissant et de trés originalnbsp;dans cette fantaisie de Tauteur, qui consiste ü fairenbsp;dormir Ogier, pendant deux cents ans, dans lesnbsp;bras de Morgane, et ensuite ü Ie laisser revenirnbsp;dans la vie, « oü il trouve bien du changement. »

Meurvin, fils de Morgane et d’Ogier-le-Danois.

GalienRethoré, qu’on devrait intituler Galien-le-Restauré, dans lequel Charlemagne arrête Ie soleil, — é Tinslar de Racchus et de Josué.

Milles et Amys, un roman charmant qui fait pMir la renommée de tous les Damon et de tous lesnbsp;Pythias de la terre; c’est Ie poëme de Tamitié.

Girard de Slaves, fils d’Amys, est la suite naturelle du précédent roman.

Jourdain de Slaves, fils de Girard, est Ia suite des deux précédents romans.

Puis viennent Théséus de Cologne, Valentin et Orson, Gériléon d'Angleterre, Ponthus, Flores etnbsp;Slanchefleur, Fier-d-Sras, Milon d'Anglante,nbsp;Richard-sans-Peur, Robert-le-Diable, Guillaume-au-Court-Nez — et beaucoup d’autres, touchant denbsp;prés OU de loin ü Thistoire fabuleuse ou véridiquenbsp;de Charlemagne, Ie grand empereur d’Occident.

Les romans dits de la Table-Ronde sont:

Le Saint-Graal, qui contient Thistoire mysté-rieuse du saint vase apporté de Rome par saint Joseph d’Arimathie.

La vie et les prophéties de Merlin, contenant les fails et gestes de cet enchanteur célèhre, fondateurnbsp;de la chevalerie de la Table-Ronde. C’est un romannbsp;trés extravagant et trés intéressant.

Percevalrle-Gallois, histoire du chevalier prédes-tiné, du Golaad vaillant et chaste, chargé d’ache* ver les aventures du Saint-Graal. G’est un des plusnbsp;curieux romans de la Table-Ronde.

Lancelot du Lac est un des romans les plus charmants de cette série. La reine Genièvre est une bien agréable maitresse 1

Méliadus de Léonois, oü se trouvent d’amples renseignements sur tout ce qui se rattache k Thistoire des chevaliers de la Table-Ronde.

Tristan de Léonois, fils de Méliadus.C’est la suite naturelle du roman précédent. J’ai donné plusnbsp;haut, ü Tappui de mon opinion, celle de MM. Pau-lin-Péris et Lèou Plée.

Isaïe-le-Triste, fils de Tristan et d’Yseult, la blonde reine de Cornouailles, Tamie de la reinenbsp;Genièvre, la rivale d’Yseult-aux-Blanches-Mains.


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SUR LES ROMANS DE CHEVALERIE. 15

G’est dans ce roman qu’il est question d’un des avatars du roi de féerie Obéron, condamné, pournbsp;je ne sais quelles peccadilles, Èi passer un certainnbsp;temps sur la terre sous des formes laides et mes*nbsp;quines. Pauvre Tronc-le*Nain 1nbsp;Le Roman fait a la perpétnation des chevaliers denbsp;la Table-Ronde. Le titre est long, raais il a 1’avan-tage de dire tout ce que l’ouvrage contient. Entr’au-tres choses curieuses ^ on y trouve les noms desnbsp;trente-deux chevaliers de la Table-Ronde, qui sont;nbsp;Le roi Artus, — Lancelot du Lac, — Hector desnbsp;Mares, son frère, Lyonnel, leur cousin, —nbsp;Gauvain d’Orcanie, — Agravain, son frère, — Galerie, son autre frère, *— Galheret, son troisièmenbsp;frère, —le roi Méliadus, Tristan de Léonois,nbsp;son fils, — Bliombérls dö Cannes, — Greux, lenbsp;sénéchal d’Artus, — Baudoyer, son connétable, —nbsp;Sègurades, — Sagremor, — Gyron-le-Gourtois, —nbsp;Galehaut-le-Blanc, fllsd’Artus, — le roi Garados,nbsp;— Hardi-lé-Laid,— le Morhoult d’Irlande,— le roinbsp;Pharamond, — Palamède de Listenois, — Mordrecnbsp;d’Orcauie, — Brandelis,— Gyster, — Dinadam,—nbsp;Amand-le-Beau-Joüteur, — Perceval-le-Gallois, -Bréüs-sans-Pitié, — le due Houel, — Kercado, sonnbsp;sénéchal, — et, enfin, Arodian de Cologne, chroniqueur, qui assistait aux combats pour les décrire.

Gette liste, je l’ai donnée è dessein : elle m’évite ninsi Ténumération qu’il me restait k faire desnbsp;nutres romans de la Table-Ronde.

Quant aux romans dits des Neuf Preux, ils se composent de :

Les Neuf Preux,- les Chroniques de Judas Macho/-béus; Hector; Alexandre-le-Grand; les Trois grands, savoir : Alexandre, Pompée et Charlemagne; lanbsp;Généalogie, avec les gestes de Godefroy de Bouillon,-etc., etc.

Quant aux romans des Amadis... Mais nous leur réservons une notice spéciale, placée en tête dunbsp;volume, également spécial, que nous préparons ennbsp;ee moment.

Bestent maintenant des romans qui ne sont amp; classer dans aucune des quatre divisions indiquéesnbsp;plus haut: Olivier de Castille, Gérard de Nevers,nbsp;w Chevaliers du Soleil, Flores de Grèce, Gérard denbsp;oussillon, Jean de Paris, Pierre de Provence,nbsp;élusine, Cléomades et Claremonde, etc., etc. Genbsp;®ent des romans de chevalerie, trés intéressants,nbsp;ndè tout, et cela sufflt pour que nous les publiions,nbsp;comme nous publierons les principaux romansnbsp;c chevalerie des différents peuples, arabes, espa-Snols, scandinaves.

IX

adr^^^* ®®nrs de cette publication, il m’a été on certain nombre de lettres dans lesquellesnbsp;de f ^^niandait les noms des auteurs des romansnbsp;6valerie, et dans lesquelles aussi on relevait

certaines erreurs d’histoire et de géographie, assez graves, commises cè et lè dans les romans.

Je dois déclarer d’abord que j’ai respecté les textes que j’avais sous les yeux, — lesquels con-tiennent une quantité innombrable d’anachronismesnbsp;et de parachronismes, de bévues historiques et denbsp;bévues géographiquesi Je n’avais pas mission denbsp;chdtier ni d’expurger en aucune fagon ces texteSnbsp;manuscrits ou imprimés : j’aurais eu trop k faire,nbsp;en vérité, — et j’aurais détruit peut-êtfe un desnbsp;attraits de ces romans, è savoir la fantaisie. Si vousnbsp;traduisiez le Paradis-Lost, de Milton, supprimeriez-vous les passages oü il est question de Partillerie?

Ainsi,—pour ne preildre quequelques exemples au hasard, — l’auteur A'Huon de Bordeaux faitnbsp;mourir violemment Gharlot, fils de Charlemagne,nbsp;et Chariot mourut tranquillement dans son lit,nbsp;en 811, trois ans avant son père. II parle, aunbsp;VIII® siècle, de l’abbaye de Cluny, qui ne fut fondéenbsp;qu’au X® siècle. II parle d la raême époque, desnbsp;Cordeliers et des Glairettes, dont l’ordre ne futnbsp;fondé que quatre cents anS après. II place, en Arable, une Babylone qui n’a jaffiais existé que dansnbsp;son imagination, car, jusqu’a présent, je n’ai connunbsp;que la Babylone de la Chaldée, sur les bords denbsp;l’Euphrate, laquelle n’existait plus au viil® siècle.nbsp;II invente un port de Tauris, ce qui est assez difficile, Tauris étant au milieu des terres, trés loin dunbsp;golfe Persique, etc., etc., etc.

Tous les romans do chevalerie fourmillent de ces erreurs volontaires ou involontaires. Je les ai lais-sées, comme on laisse auX. bouteilles de bon vinnbsp;les toiles d’araignées et les moisissures qui attes-tent leur antiquité : c’est aux lecteurs de les eu-lever en les buvant, — je me trompe, en les lisant.

Je serai plus h mon aise pour répondre au para-graphe des lettres qu’on m’a fait l’honneur de m’envoyer, touchant les noms des auteurs de cesnbsp;romans, — quoique beaucoup soient anonymes etnbsp;qu’il me semble, en outre, que les noms importentnbsp;peu aux oeuvres. SaveZ-vous qui a construit Notre-Dame de Paris? Jean de Chelles, A ce qu’on pré-tend. Oui, Jean de Chelles, — ou un autre. Qu’im-porte? Notre-Dame est un merveilleux monument;nbsp;cela suflit.

Je vais dire ce que je sais.

Mélusine est un roman du xiv® siècle, composé par Jean d’Arras.

Judas Macchabeus est de Gh. de Saint-Gelais.

Lancelot du Lac, Perceval le Gallois, Le Chevalier du Lion, sont de Ghrestien de Troyes, l’AIexan-dre Dumas du xiii® siècle.

Jekan de Saintré est d’Antoine Lasalle , mort l’année de l’avénement de Louis XI, c’est-a-direnbsp;en 1461.

Gérard de Nevers est attribué k. Gibert de Mon-treuil, qui vivait au xiii® siècle.

Anseis de Carthage est de Pierre du Ries.


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16

ETUDE SUR LES ROMANS DE CHEVALERffi.

Le Chevalier au hel Écu est de Guillaume Gier, Normand.

Mërangis de Porlesquez est de Raoul de Houdan, c’est-k-dire du xiii® siècle.

Florimont a été composé en 1188 par Aimé de Varannes.

Le SaintrGraal est attribué k Hélie de Borron, qui vivait sous Heari II d’Aiigleterre.

Tristan de Léonois est attribué k Luces de Gast, qui vivait k la même époque et k la raême cour.

Berthe-aurgrand-Pied, Buève de Comarchis et Cléomades et Claremonde sont attribués au belnbsp;Adenès, ménestrel du due de Brabant Henri III.

Garin le Loherain est de Jean de Flugy, qui vivait k la même époque qu’Adenès.

Floret de Grèce est de Nicolas d’Herberay, seigneur des Essarts, traducteur des Amadis, lequel servait dans les premières charges de Tartillerienbsp;sous FranQois I®' et Henri H.

Gériléon d'Angleterre est d’Estienne de Maison-neuve, qui vivait k Ia raême époque.

Les Chevaliers du Soleil sont de Fr. de Rosset, qui vivait au xvi® siècle.

Les Quatre Fils Aymon, Renaud de Montauban, Maugis d'Aigremont, Beuves d'Aigremont, Boolinnbsp;de Mayence, Ciperis de Vineaux, sont attribués knbsp;Huon de Villeneuve.

Quant k Artus de Bretagne, Pierre de Provence, Ogier le Danois, Flores et Blanchefleur, etc., etc.,nbsp;il serait aussi difficile de leur assigner un noranbsp;d’auteur qu’une date d’apparition. Ils sont, —nbsp;voilk tout ce qu’on en sait. Le champ des conjectures est ouvert et chacun a Ie droit d’y faire sanbsp;moisson. Maigre raoissonl

Je dois ajouter que les noras d’auteur indiqués plus haut ne sont donnés que sous toutes réserves.nbsp;II y a eu pour ainsi dire, pour un seul de ces romans de chevalerie, autant d’auteurs qu’il y a eu denbsp;manuscrits. Comment s’y reconnaitre?

Ainsi, j’ai donné Ghreslien de Troyes, Hélie de Borron, Luces de Gast, comme les auteurs de lanbsp;plupart des romans de la Table Ronde. Or, ces ro-mans-lk avaieut été écrits en lalin, quelques sièclesnbsp;auparavant, par Ruslicien de Puise, — lequel lesnbsp;avaitlui-mêmetirés des fabuleuses chroniques bre-tonnes de Melchin et de Telezin.

Ge nest pas tout. Ghrestien de Troyes était un trouvère,—c’est-k-dire qu’il n’écrivait pas en prosenbsp;comme Hélie de Borron et Luces de Gast. Or, Lancelot du Lac, Perceval le Gallois, le Chevalier dunbsp;Lion, qui lui sont attribués, sont en prose. Comment cela s’explique-t-il?« A peine, —dit M. Léonnbsp;Plée, dans sa remarquable introduction au Glos-saire francais-polyglotte, — k peine les romans denbsp;le Table-Ronde avaient-ils paru dans leur versionnbsp;en prose, que les trouvères s’abattirent sur cettenbsp;riche mine de contes et de poésies. Ghrestien denbsp;Troyes fut au premier rang parmi ceux qui versi-fièrent les chefs-d’oeuvre des Borron et des Lucesnbsp;de Gast; il rima en partie le Lancelot sous le nomnbsp;de Roman de la Charette, mais il n’eut pas le tempsnbsp;d’achever un ouvrage que termina Godefroy denbsp;Leigny; il rima aussi, sous le nom de Perceval lenbsp;G«llow,une partie du Tmia» qu’acheva Manessier.nbsp;On lui attribué aussi un roman en vers du Roi Marenbsp;et de la Reine Yseult, pris au même Tristan. 11nbsp;ajouta d’ailleurs aux romans de la Table-Ronde, lenbsp;roman d'Èrec et d'Énide, le roman de Cliget, lenbsp;roman du Chevalier du Lion ou les Aventuresnbsp;d'Ivain, fils d'Urien. On lui a attribué enfin la traduction en vers du Saint Graal et un roman denbsp;Guillaume d'Angleterre. »

Pour ne pas exposer nos lecteurs k toraher de Charybde en Scylla, je déclarerai au plus vite quenbsp;les traductions faites aujourd’hui 1’ont été, soit surnbsp;les manuscrits, soit sur les incunables que possèdenbsp;la Bibliothèque impériale, et que nous n’avons riennbsp;emprunté —que le litre—aux déplorables édi-tions de la veuve Oudot, de Troyes. Imagerienbsp;d’Épinal, littérature de Troyes, — cela se vaut. IInbsp;y a Bibliothèque bleue et Bibliothèque bleue ! Geilenbsp;que l’on a connue jusqu’ici était cornposée de romans parfailement incohérents et imprimée avecnbsp;des têtes de clous sur du papier a chaiidelles. Nousnbsp;espérons qu’on ne fera aucun de ces reproches Ik knbsp;la nótre.

Me voilk arrivé aux limites extrêmes de cette Étude; le voyage a été long— et peut-être péniblenbsp;pour ceux qui Font fait avec moi. Mais, par bon-heur, les romans sont Ik, derrière cette page, pournbsp;réconforter les lecteurs.

Tournez la page!

Comme tous les ciceroni du monde, j’ai employé votre temps et le mien k vous parler du monument,nbsp;— et a vous empêcber d’entrer dedans pour le visiter k votre aise. Et, comme tous les ciceroni, jenbsp;ne me suis apergu de ma maladresse que lorsqu’ilnbsp;était trop tard pour la réparer. II ne me reste donenbsp;plus qu’k vous demand er pardon. Mes intentionsnbsp;étaient bonnes 1...

Ahl mes amis, —connus ou inconnus,—faisons et lisons toujours des contes I Tandis qu’on fait unnbsp;conté, on est gai, on ne songe k rien de facheux.nbsp;Le temps se passe, et le conté de la vie s’achèvenbsp;sans qu’on s’cn apergoive.

Alfred DELVAU.


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ÉTUDE

SLR CETTE NÜLVELLE TRADUCTION DES

\MADIS

Voici un livre espagnol qui pourrait bien ctre francais, —c’est-èi-dire picard. Nicolas d Herberay,nbsp;sleur desEssarts, lieutenant du rol Franeoisl®'^,ennbsp;sou gouvernement de Picardie, avouait 1 avoir traduit du caslillan, — tout en faisanl ses réservesnbsp;en faveur de sa nation. D’un autre c6té, cetle sérienbsp;des Amadis a été altribuée, tantót i un Portugais,nbsp;Vasco de Lobeira, tantót a un Italien, Féralite,nbsp;disciple de Pétrarque, tantót a un Espagnol, Garcias Ordognès de Montalvo; il y a même des savantsnbsp;qui prétendent que ce curieux ouvrage a été écritnbsp;originairemenl en langue grecque.

Voila bien des raisons de croire que 1’ouvrage est picard, n’est-ce pas? Dans tous les cas, nousnbsp;avons Ie bénéfice du doute, et, è celte cause, nousnbsp;continuerons amp; croire que les Espagnols nous ontnbsp;emprunté la fable des Amadis. Quant aux pomponsnbsp;et aux afiiquets de style dont ils ont cru devoirnbsp;1’affubler, — ainsi quTls font pour leurs femmesnbsp;et pour leurs mules, — nous leur en laissons vo-lontiers la gloire et la responsabilité. Ce que nousnbsp;réclamons comme nótre, c’est purement et simple-ment l’histoire é'Amadis et de Galaor., — c’est-a-dire deux ou trois volumes sur les trente ou qua-rante qui composent celte interminable série.

Car, il faut 1’avouer a nos lectcurs, nous ne leur donnons ici que les quatre volumes in-folio de lanbsp;Bibliothèque impériale. Si nous leur avions donnénbsp;tous les volumes qui traitent des Amadis, ils au-raient pu nous trailer de bourreaux, — et avecnbsp;infiniment de raison, quoiqu’en somme, nousnbsp;n’eussions fait que notre devoir.

Mais cela ne les eut pas avancés du tout. L’histoire des Amadis a un commencement, — mais elle n’a pas de fm. Le procédé employé pour celanbsp;est aussi simple que peu coüteux. Vous preneznbsp;un homme bien constitué et vous lui failes fairenbsp;un enfant. L’homme s’appelait Périon, l’enfantnbsp;s’appellera Amadis. Amadis grandit et devientnbsp;homme : vous le faites marcher sur les traces denbsp;son père, et il a un enfant, é son tour. Le pèrenbsp;s’appelait Amadis, l’enfant s’appellera Esplandian.nbsp;Puis, de Périon en Amadis, d’Amadis en Esplan-diaii, d’Esplandian en Lisvart, de Lisvart en Amadis de Grèce, vous arrivez jusqu’au règne de


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II

ETUDE.

Louis-Philippe, — après dix-tiuit cents ans de pé-régrinations. Le voyage serait un pen long, et il pourrait vous fatiguer outre mesure.

Eh bien 1 c’est ainsi, — ou peu prés ainsi, — qu’ont procédé les auteurs, translateurs, continua-teurs et imitateurs des Amadis. Nous ne deman-dons pas la croixdela Legion-d’Honneur, pour avoirnbsp;sauve nos contemporains du danger de lire deuxnbsp;cents volumes; mais cela mérite considération,nbsp;et nous comptions sur cette bonne action, pournbsp;nous faire pardonner les défectuosités qui pourrontnbsp;se rencontrer dans cette présente traduction.

Mademoiselle de Lubert — couronnée Muse par ce galant centenaire qui avait nom Fontenelle —nbsp;avait osé aller jusqu’au deuxième livre de Ia traduction de Nicolas d’Herberay, sieur des Essarts.

M. de Tressan — ce dérangeur des romans de chevalerie — avait osé aller jusqu’au troisièmenbsp;livre.

Nous avons été plus audacieux : nous ne nous sommes arrêtés qu’au douzième.

II

Peut-être, après tout, que nos lecteurs ne nous sauront pas le moindre gré de notre audace. Etnbsp;cependant, nous n’avons été si courageux qu’ennbsp;vue de leur être agréables,

Certes, on peut reprocher aux derniers livres de ressembler aux livres du milieu, — de raêmenbsp;qu’on peut reprocher aux livres du milieu de ressembler aux livres du commencement. Ce sontnbsp;toujours des batailles, toujours des enchantements,nbsp;toujours des amours. Nous le savons bien; raaisnbsp;est-ce que la vie réelle est composée d’autrenbsp;chose? Est-ce que le canevas n’est pas toujours lenbsp;mêrae? Est-ce que la monotonie n’est pas sauvéenbsp;par la broderie?

Eh bienl la broderie existe dans cette série i'Amadis que nous faisons défiler devant vous, —nbsp;une broderie charmante, gaie et tapajeuse k l’oeilnbsp;et k l’esprit. Amadis et Galaor n’aiment pas de lanbsp;même fagon. Les combats du chevalier de l’Ar-dente Epée sont d’un autre genre que ceux dunbsp;chevalier de la Mer. II y a trop de géants pour-foüdus, — d’accord. Mais ces géants-lè vaincusnbsp;par de vaillants chevaliers beaucoup plus petitsnbsp;qu’eux, n’est-ce pas une allégorie, — celle de lanbsp;matière vaincue par l’esprit, de la force brutalenbsp;vaincue par le sang-froid et le courage? N'est-cenbsp;pas, en un mot, réternelle fable de David et denbsp;Goliath ?

Que si, d’aventure, on reprochait k ce roman la prodigieuse consommation de géants qu’il fait,nbsp;— « comme en se jouant, » — nous rappellerionsnbsp;que si l’on n’en voit plus aujourd’hui parmi nous,nbsp;race de pygmées, on en a vu beaucoup autrefois,nbsp;et nous en donnerions comme preuve le cha-pitre 1quot; du livre II de Pantagruel :

« Le premier géant fut Chalbroth,

« Qui engendra Faribroth,

« Qui engendra Hurtaly, qui fut beau mangeur de soupes et régna au temps du déluge,

« Qui engendra Nembroth,

« Qui engendra Atlas, qui, avec ses épaules, garda le ciel de tomber,

« Qui engendra Goliath,

« Qui engendra Erix, lequel fut inventeur du jeu des gobelets,

« Qui engendra Titye,

« Qui engendra Eryon,

« Qui engendra Polyphème,

« Qui engendra Cace,

« Qui engendra Etion, lequel premier eut la jaunisse pour n’avoir pas bu frais en été, commenbsp;témoigne Bertachin,

« Qui engendra Encelade,

« Qui engendra...»

Mais je vous fais grace des cinquante autres géants dont l’énumération annotée vous condui-rait jusqu’au noble Pantagruel, — le héros denbsp;maitre Frangois Rabelais. Vous êtes convaincusnbsp;maintenant, je suppose, que les Amadis n’en outnbsp;pas fait une consommation si exorbitante.

Et, pendant que je parle de l’ceuvre de l’im-mortel Tourangeau, — moins Tourangeau que Parisien, cependant, — laissez-moi signaler unnbsp;rapprochement assez curieux entre la description que fait du Valais d'Apottidon Nicolas d’IIer-beray, sieur des Essarts, et celle que fait Rabelaisnbsp;de VAbbaye des Thélémites. C’est, é trés peu denbsp;chose prés, la méme description, et qui l’a luenbsp;dans Gargantua peut s’abstenir de la lire dansnbsp;Amadis.

Lequel l’a emprunté è 1’autre ?

La Chronique gargantuine — l’embryon du Gar-gantua que nous connaissons aujourd’hui, ¦— parut en 1532. Les premiers livres de la traduction A'Amadis., par Nicolas d’Herberay, sieur desnbsp;Essarts, parurent en 1540, — huit ans après.nbsp;L’avantage de la date est pour Rabelais.

D’un autre cóté, comment admettre qu’on em-prunte si audacieusement a un contemporain?


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ETUDE. Ill

Gela se voit fréquemment aujourd’hui, je le sais bien. Mais autrefois on était plus scriipuleux.nbsp;D’ailleurs, Rabelais était un remarquable polyglotte; outre le grec et le latin, qu’il connaissaitnbsp;comme un théologien, il parlait k merveille I’ita-lien, I’espagnol, I’anglais, Tallemand, l’hébreu —nbsp;et le patois liraosin. Pourquoi n’aurait-il pas em-prunte tout naturellement sa description de \'Ab-baye de Thélème au Palais d'ApoUidon de Vasco denbsp;Lobeira ou de Garcias Ordognès de Montalvo?...

Ill

Le défaut de la cuirasse esl ailleursl

Ainsi, — malgré mon affection de parrain pour ces Amadis, — je ne puis in’empecher de conve-nir qu’il y a, dans ce voluraineux roman, de nom-breuses reminiscences de romans antérieurs, desnbsp;etnprunts volontaires ou involontaires fails anxnbsp;(Buvres J’IIélie de Borron, de Luces de Gast, d’A-denès, de Jean d’Arras, de Chrestien de Troyes,nbsp;de Guillaume de Lorris et des autres. L’auteur es-pagnol avait une mine d’or k sa disposition, — ilnbsp;1’a vaillarament exploitée. G’est ainsi qu’on peutnbsp;dire avec raison que I’original des Amadis est francais. L’auteur espagnol n’a fait que coudre desnbsp;morceaux et en composer un tout — trés curieuxnbsp;et trés intéressant. C’est comme I’habit d’Arlequin,nbsp;qui était composé de couleurs appartenant k diffè-rentes nations, — ce qui n’erapeche pas Arlequinnbsp;d’etre citoyen de Bergame.

Que I’auteur des Amadis soit ou non Castilian, il il n’en est pas moins vrai qu'il y a dans les innom-brables volumes dont se compose son ceuvre desnbsp;^mprunts évidents k nos premiers romanciers. Onnbsp;y seiitun ressouvenirde Gérard de Nevers^ deLaw-du Lac, de Guérin de Montglave, de Tristannbsp;de Léonois, des Quatre fils Aymon et de quelquesnbsp;autres. Les manuscrits de ces roraans-lk couraientnbsp;Ck etlk, en vers ou en prose, en latin ou en lan-

gue d’Oil; il était tout naturel qu’on s’en era-Parkt.

Mais laissons Ik, cette digression qui n’aboutirait pas. Il doit nous importer peu, k cette heure, denbsp;savoir quel est le véritable auteur des Amadis. Lanbsp;fccherche dela paternitè est interdite par le code.

Ce qu’il est permis de dire, c’est que ce n’est pas pour rien que ces merveilleuses aventures ontnbsp;amusé la cour galante et spirituelle de Franqoisnbsp;etde Marguerite de Valois, — comme ellesavaientnbsp;amusé, cinquante ans auparavant, la cour brillantenbsp;et spirituelle d’Isabelle et de Ferdinand. Ce n’estnbsp;pas pour rien non plus qu’elles ont eu, au xvi® siècle, cet immense retentissement et cette énormenbsp;influence.

« Dieu, ma dame et mon roi, » — des chevaliers francais tel est le caractère. On se bat vail-lamment pour faire respecter la religion et la royauté, — et surtout pour faire respecter lesnbsp;femmes. Tout ce bruit de ferraille qu’on entendnbsp;résonner depuis la première page des Amadis jus-qu’k la dernière, c’est en 1’honneur du « beaunbsp;sexe » qu’il résonnel G’est pour lui plaire que cesnbsp;jeunes seigneurs, fils de rois et d’empereurs, senbsp;déguisent en chevaliers errantset en coureurs d’a-ventures' Quelle agitation! quel mouvement! quelnbsp;remue-ménagel quel tohu-bohu fantaslique! quelsnbsp;cbamaillis féroces! quels abattis extravagants! Unenbsp;armée de médecinsetde chirurgiens ne suffiraientnbsp;pas k panser les plaies que s’y font ces rudes jou-teurs avec leurs lances et avec leurs épées, ni anbsp;rebouter les bras et les jambes qu’ils se fracturentnbsp;mutucllement, paiens et chrétiens, admajorem Deinbsp;gloriam!

Et ne croyez pas que les hommes seuls bataillent et ferraillent dans cette mêlée furieuse! Les femmes aussi s’en melent: Pintiquinestre, Galafie, Gal-dafée, Zahara, Gradasilée, des reines de Californie,nbsp;du Gaucase, des Amazones — et d’ailleurs. G’estnbsp;superbe!

Comme on sent bien l’époque ok ce roman-la a été écrit ou traduit! époque batailleuse et galante.

Ces deux faces, vousles trouvez dansrimraortel livre de Rabelais, — car le Pantagruel et Ie Gar-ganiua sont des romans de chevalerie, — et vousnbsp;les retrouvez dans la série des Amadis que nousnbsp;vous offrons aujourd’hui,

On s’y bat beaucoup, on y mange beaucoup aussi, — raais on s’y aime peut-être davautage. Anbsp;cause de cela, peut-être rencontrerez-vous gk etnbsp;la des quelques gaillardises, — j’entends des plusnbsp;céantes. N’oubliez-pas qu’au moment oü Nicolasnbsp;d’llerberay, sieur desEssarts, faisait sa traduction,nbsp;la belle Marguerite de Navarre, soeur de Francois F*', écrivait son Heptaméron. Pourquoi unnbsp;lieutenant royal serait-il plus chaste que la Marguerite des Marguerites?


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IV

ETUDE.

ly

Et puis, ce n’est pas pour rien non plus, vrai-raent, que ce roman de cape et d’épée s’appelle Amadis. Ce nom est fait sur le theme d'amaior,nbsp;amant, —et nom oblipe comme noblesse.

Aussi aime-t-on le plusqu’on peut tout le long, tout le long, tout le long de cet adorable romannbsp;de chevalerie, — et chacun k sa manière, qui estnbsp;toujours la bonne.

Amadis — premier du nom — est le type de I’a-mant et l’idéal du chevalier. 11 est epris de sa raie Oriane, comme Pétrarque de sa Laure, commenbsp;Dante de sa Beatrix, comme Michel-Ange de sanbsp;Viltoria Golonna. II est heureux de tout etde rien;nbsp;voir sa maitresse, baiser un pan de sa robe, unnbsp;bout de ses doigts, un cil de ses yeux, une tressenbsp;de ses cheveux, cela lui suflit; il emporte avec celanbsp;une provision de bonheur qui I’emparadise, —nbsp;provision facilement renouvelable, comme on de-vine bien. Aussi quel crève-cceur, quelle rnélan-colie, quelle douleur, lorsqu’Oriane I’a seulementnbsp;regardé de travers! Comme il va se chalier du caprice de sa maitresse! Comme il s’ernpresse de lanbsp;dcbarrasserde sa presence ! Comme il sehale d’ai-ler s’enterrer dans la solitude, pour pleurer sonnbsp;amour méconnu et son bonheur perdu, ce Beatenbsp;Ténébreux !

Tout au conlraire d’Araadis, son frère Galaor est plus fringant, plus cavalier envers les dames.nbsp;Il a la papillonne de Fourier. Il va de fleur en fleur,nbsp;de lèvre en lèvre, et laisse derrière lui une trainee d’Arianes soupirantes qui n’ont pas raême lenbsp;courage de le rnaudire, — tant il a été agréable-ment scélérat et aimablement perfide. Galaor estnbsp;le père de Don Juan, — qui a été le père de tantnbsp;d’autres, hélas!

Je n’ai pas a me prononcer sur les mérites res-pectifs des deux frères, d’abord paree que eest chose délicate, ensuite paree que les femmes n’oiitnbsp;eu depuis longtemps qu’une voix la-dessus — ennbsp;faveur de Galaor.

Pauvre Amadis!

Le roman commence par une scène amoureuse entre le roi Périon et la belle Elisène, dite la Dé~nbsp;vote-Perdue, — si bien qu’après Ie départ de cenbsp;prince, l’intervention de Lucine se trouve indispensable. Amadis est né.

Quand on commence ainsi, il faut continuer. L’auteur cspagnol, —ou grec, ou portugais, ounbsp;italien, ou picard, — continue done, et le romannbsp;n’est plus qu’un enchantement perpétuel. Les ra-miers et les tourterelles ne roucoulent pas mieuxnbsp;que ne font ces belles princesses et ces vaillantsnbsp;chevaliers. G’est Vubi amor par excellence, et l’onnbsp;pourrait volontiers écrire sur la couverture de cenbsp;livre : ici l’on s’aime 1 Vénus d’abord, puis Lucine,nbsp;— loujours!

Je n’ai pas besoin de dire que lè, comme ail-leurs, — c’est-è-diredans tous les romans de chevalerie que nous avons publiés, — les chevaliers sont tous des Princes Charmants et les princessesnbsp;des Belles au bois dormant. Des fees ont présidénbsp;a leur naissaitce et les ont dorés, les uns et lesnbsp;aulres, de toutes les perfections imaginables,—nbsp;lellement, qu’a première vue, ilsdeviennent amou-reux les uns des autres, irrésistiblement, fatale-ment.

Et puis, aucun d’eux ne vieillit. Amadis est grand-père sans qu’il y paraisse : il a toujoursnbsp;vingt ans pour Oriane, — qui en a toujours seizenbsp;pour lui. 11 est toujours aussi vaillant qu’elle estnbsp;belle. Les années neigent sur tout le monde, —nbsp;excepté sur eux. La mort fauche tout Ie mondenbsp;autour d’eux, et elle les respecte ; ils sontimmor-tels, ces héros et ces héroïnes dont les avenluresnbsp;nous ont si fort émus aux premières heures denbsp;notre jeunesse, — nous qui vieillissons si vite etnbsp;qui mourrons deinain ou après-demain I

Le roman se ressent lui-rnême de cette jeunesse élernelle de ses personnages, —ainsi que de leursnbsp;occii()ations agréables. 11 semble écrit avec denbsp;l’encre sympathique sur des feuilles de rose. IInbsp;s’en dégage comme des parfums et des musiqnesnbsp;qui bercent doucement l’espr.t et remueut douce-ment le coeur. Aussi les scènes amoureuses sonl-elles les mieux réussies. L’auteur avait aimé, etnbsp;il se souvenait en écrivant des adorables impressions qu ils avait ressenties. On n’est poëte qu’anbsp;cette condition-la, d’ailleurs. « Nuls hom non potnbsp;ben chanlar sans amar, » — dit Bernard de Ven-tadour, un vieux poële qui avait été un jeunenbsp;araoureux.


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V.

ETUDE.

Ghacun aime la-dedans ii sa manière, disais-je tout a riieure.

Je parlais des femmes aussi bien que dos hommes. 11 y a desGalaor et des Araadis dans les deux sexi'S. Parmi les princesses qui di'fdent dans cettenbsp;aimablc galerie sous les ycux du lecteur, il s’ennbsp;trouve qui n'exigent pas plus qu’elles ne donnent,nbsp;qui cueillcnt I’amour comme uii bouquet, lo respi-reiit, s’enivreat de son parfum et Poublientaussitotnbsp;fané. Mais ce sont les exceptions. Les aulres ai-ment moins spirituellemeut — etplus profondé-menl. Je vous recommanderai en passant une cer-taine Gradasilée, qui est le merle blanc du sexenbsp;féminin, car elle aime jusqu’au martyre un chevalier qui aime aiUeurs, et elle n’a pas le couragenbsp;de lui en vouloir, — tout au contraire. G’est vinenbsp;araoureuse plalonique qui veut « mourir vierge, »nbsp;ne pouvant mourir autrernent. Elle meurt vierge,nbsp;en effet, — et cependant, nous avons rencontrénbsp;beaucoup de ses enfants dans la littérature moderne...

La princesse de Babylone aime autrernent, je suis force d’en convenir. Elle se venge le plusnbsp;quelle peut du chevalier qui dédaigne son amour,nbsp;et ce n’estpas de sa faute s'll ne succombe pas dnbsp;la peine. Les femmes sont rancunières, aiusi quenbsp;le ditTérence,—amarcv sunt muUeres!Mes amis,nbsp;gardons-nous de la haine d’une femme avec lenbsp;même soin que du choléra 1

Mais cette princesse de Babylone forme exception dans le livre, — ainsi que la princesse Gradasilée. Toutes les autres belles amoureuscs qu’on y rencontre sont aussi dignes d’etre aimées qu’ilnbsp;est possible amp; des femmes de 1’être, paree que toutes portent gravee dans leur coeur cette devise quenbsp;portait gravee sur sa lame la bonne épée de Gyron-le-Gourtois : « Loyauté est au-dessus de tout, faus-setë honnit tout. »

On ne rencontre la dedans aucun adultère, et M. E.-J. Déiécluze, qui a éte si sévère, a proposnbsp;de cela, pour Lancelot du Lac, pour Tristan denbsp;Léonois et pour quelques autres romans de cheva-lerie, ne pourrait signaler ici la même «immora-lité, » car il n’y a aucune reine Genièvre ni aucunnbsp;roi Artus.

Il faut tout dire : on n’y rencontre pas d’adul-tère, — probableraent paree qu’on y rencontre fort pen de maris. Tons les héros sont amants etnbsp;maitresses, et ce n’est qu’ê la dernière extréraiténbsp;qu’ils deviennent maris et femmes. Ge n’est pasnbsp;eux qui s’y refusent, non, — ce sont les événe-ments!

La seule chose reprehensible dans le roman, e’est la faiblesse charmante de ces charmantesnbsp;princesses qui ne savent pas assez resister aux ar-dentes prières de leurs amants , et qui leur lais-sent cueillir « la fine fleur qui doit être cueillienbsp;seuleraent par l’époux. » Mais comme elles eu sontnbsp;punies, hélas 1 Leurs chevaliers s’en vont courirnbsp;les aventures, comme e’est leur devoir de chevaliers, et elles, les pauvrettes, s’occupeiit de preparer des layettes!

Heurcusement qu’elles out affaire a d’honuêtes chevaliers, et que ceux-ci fiuissent toujours parnbsp;épouser 1 La fin justitie les raoyens. Le pavilionnbsp;couvre la marchandise.

Voila le seul cóté reprochable des Amadis, et, a vrai dire, si ce livre n’avait pas ce défaut, il se-rait parfaitement emmyeux. La passion est le selnbsp;naturel de la vie : suppriraez-la, la vie est d’unnbsp;fade cl vous faire lever le coeur et I’esprit. La passion, n’est-ce done pas la souiTranee ? Et souffrir,nbsp;n’est-ce pas vivre ?

Or, en enlevant d’un roman les faiblesses des femmes, leurs haines, leurs trahisons, leur heroïsme, leur frénésie, — e’est h-dire les sentiments et les caractères, — on s’exposerait h fairenbsp;un livre plat comme une table et froid comme unnbsp;marbre. On n’écrit ainsi que les traités do physique et d’algèbre. Les oeuvres d’imaginationnesoatnbsp;pas des oeurres de spéculation.

D'ailleurs, que ceux ou cidles qui sont sans pêche jrttent la première pierre aux Amadis !

Moi, je fais comme Pilate aprèsla coudamuation de Jésus.

VI

On ne me rendra pas responsable des anachro-



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VI ETUDE.

nismes singuliers qui émaillent cette collection des Amadis. Les lecteurs des romans de chevalerienbsp;doivent être habitués k ces fantaisies-lè, et ils nenbsp;seront pas plus étonnés en parcourant ce volumenbsp;qu’ils ne Tont été en parcourant celui que nousnbsp;avons déja publié. Ils ne Ie seront pas moins, nonnbsp;plus, il est vrai.

L’anachronisme est en permanence dans cette série des Amadis, qui commence « quelque tempsnbsp;après la Passion de Notre-Seigneur » et oü il estnbsp;question de choses et d’événements qui se sontnbsp;passés huit ou dix siècles après.

Sans aller bien loin pour trouver de ces exeen-tricitéS'lamp;, je signalerai la prise de Constantinople, que l’auteur espagnol place tout naturellemenlnbsp;dans son livro corame ayant eu lieu « quelquenbsp;temps après la Passion, » et qui eut lieu, commenbsp;chacun sait, quatorze siècles après, — c’est-è-direnbsp;Ie 29 mai 1453.

Quant aux empereurs d’Orient qu’il prend pour ses héros, je doute qu’on les trouve parmi ceuxnbsp;qui ont été reconnus jusqu’ici pour tels, — è com-mencer par Valens et k finir par Constantin XII.

Même remarque propos des rois de Jerusalem.

Mais si l’histoire est traitée aussi cavalièrement, la géographie n’est pas mieux traitée, — ce quinbsp;fait compensation.

Ainsi, pour ne prendre qu’un exemple, l’auteur espagnol fait de la ville de Vienne un port denbsp;mer, — tout simplementl

Ab uno disce omnes.

Peut-être aussi trouvera-t-on étrange de voir des lions aux environs de Londres. Gependant, n’ou-blions pas que faction se passe « quelque temps »nbsp;seuleraent « après la Passion de Notre-Seigneur, »nbsp;et qu’alors il pouvait bien so faire que Ie climatnbsp;d’Albion fut différent de celui dont elle jouit k cettenbsp;heure. II y avait bien des tigres è 1’endroit oü estnbsp;aujourd’hui Paris, — au dire des géologues!

Mais ne chicanons pas les poëtes et les romanciers sur leurs licences, — nous aurions trop è faire.

J’ai traduit Ie plus fidèloment qu’il m’a été possible la traduction de Nicolas d’Herberay, sieur des Essarts, et des autres, — c’est-a-dire de Claudenbsp;Collet, de Jacques Gohorry, de G. Aubert, de Ga -briel Chappuys, d’Antoine Tyron, de Jacquesnbsp;Chariot et de Jean Boyron.

J’ai dü supprimer un grand nombre de pages, — qui tenaient vraiment trop de place dans Ie roman. Les auteurs des Amadis avaient trouvé unnbsp;excellent moyen d’allonger leur récit : c’était denbsp;se répéter. Ainsi, ils avaient raconté un combat,nbsp;par exemple, et Ie lecteur avait Ie droit de s’ennbsp;croire quitte. Eh bienl pas du toutl Vingt pagesnbsp;plus loin, un des acteurs du combat en questionnbsp;s’en venait Ie raconter k quelqu’un qui n’y avaitnbsp;pas assisté, — ce qui faisait, pour Ie lecteur, unenbsp;seconde édition, revue, corrigée et considérable-ment augmentée.

J’ai cru pouvoir me soustraire ü cette obligation, — et soustraire les lecteurs k ces redites continuelles. Que si, d’aventure, quelqu’un d’entrenbsp;eux aimait ces moyens de narration, je me verraisnbsp;forcé de 1’engager a recourir k la traduction dunbsp;sieur des Essarts, — et des autres Sieurs.

Quant au style, —^malgré les quelques lignes anonymes ou signées que j’ai regues dans Ie coursnbsp;de la publication des Amadis, — je persisterai knbsp;croire que je l’ai respecté, comme je Ie devais,nbsp;du reste, et que ce que j’en ai ébranché, g’a éténbsp;les brindilles folies, les ramures inextricables aunbsp;milieu desquelles Ie lecteur n’aurait pu se recon-nattre. Le livre de Rabelais et la traduction de Nicolas d’Herberay sont de la même époque, — a unenbsp;dizaine d’années prés, — et cependant Garganluanbsp;%iVantagrueHoni plus intelligibles que les Amadis.nbsp;Si j’avais réimprimé purement et simplement, onnbsp;n’aurait pas lu cette réimpression, — tant la lecture en est, en effet, pénible.

D’oü cela vient-il? Probablement de ce que Francois Rabelais était un homme de génie, et Nicolas d’llerberay, sieur des Essarts, un lieutenant du roinbsp;Frangois Iquot;. On écrit comme on peut,— non commenbsp;on veut,

D’ailleurs,le sieur des Essarts a du bon,—il faut s’empresser de le reconnaitre. Sa traduction estnbsp;une précieuse mine d’expressions pittoresques, denbsp;locutions originates, de mots k effet, qu’on emploienbsp;fréquemment aujourd’hui et qu’on croit seulementnbsp;d’hier.

Ainsi, pour ne citer qu’au hasard :

Mettre de Veau dans son vin; jouer des couteaux; se trouver en une épaisseur d'arbres; plus diablenbsp;quil n’esl cornu; trouver chaussure d sonpied; toutnbsp;éploré; nengendrer point la mélancolie; Veffort denbsp;son bras; une émeute de chiens courants; chacunnbsp;avec sa chacune; se mordre les doigts d'une chose;nbsp;un ennemi expiré; compter sans son hóte; Dieu, cenbsp;grand et puissant fabricateur de toutes choses; squot;en~nbsp;tre-connaitre; être attaché d’une grosse chaine; apai-ser ses pleurs; sonner un chant mélodieux; savoirnbsp;les bonnes parties de quelquun; se sourire d soi-même;se voirmoqué; battre le fer pendant quil estnbsp;chaud; ne faire qu aller et venir; avoir fiance;nbsp;mettre en sauveté; poursuivre sa pointe; coupernbsp;court; une maigre excuse; avoir la larme d Vceil;nbsp;par ainsi; tant plus il allait, tant plus il s’égarait;nbsp;sous couleur de...; sous ombre de...; enflambé d'a-mour; au pis-aller; nen pouvoir mais,- faire lesnbsp;jeunesses; un bruit tel quon n’eüt pas entendunbsp;Dieu tonner; eto., etc., etc.


V

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VII

ETUDE.

Pour les mots un peu lestes, pour les expressions un peu gaillardes, j’ai du les abandonner amp; ieur malheureux sort, — amp; raon grand regret, jenbsp;1’avoue. II y a longtemps qu’on I’a dit: « Les motsnbsp;nc sont pas sales, ce sent les pensées. » Je n’aimenbsp;guère la bégueulerie en fait de langage, — ou denbsp;quoi que ce soit. La chasteté est ailleurs. On nenbsp;corrompt personae en écrivant ce qui se dit par-tout, non pas dans le monde de convention, maisnbsp;dans tout le monde, dans la rue aussi bieii quenbsp;dans le boudoir, k I’atelier aussi bien que dans lanbsp;chambre i coucher.

D’ailleurs, qui corrompre? je vous le demande, avec Diderot, mon illustre raaitre. Qui corromprenbsp;et comment corrompre? Si vous êtes innocent,nbsp;vous ne me lirez pas, ou vous ne me comprendreznbsp;pas; si vous êtes coirompu, cela ne vous corrom-pra pas davantage, et vous me lirez sans consequence.

Je nempêcherai aucun écrivain, certes, de mettre la traditionnelle feuille de figuier sur sesnbsp;phrases, mais k la condition qu’elle sera deja surnbsp;ses pensées, — car autrement ce serait une hypocrisie, c’est-k-dire un vice superposé k un vice. Cenbsp;sera aussi k la condition qu’on n’empêchera aucunnbsp;écrivain de faire des statues et des phrases complé-tement nues. Les phrases sont comrae les femmes ;nbsp;plus elles sont nues, moins elles sont décolletées.

VII

Cela dit, en passant, j’ai hkte d’ajouter que je n’ai pas eu beaucoup de suppressions de ce genrenbsp;a faire dans la traduction de Nicolas d’Herberay.nbsp;Les pensées amoureuses y sont formulées, la plupart du temps, avec une grande délicatesse denbsp;style et un trés grand bonheur d’expression.

Je vous demande la permission de faire quelques citations au hasard, — è I’appui de mon dire.

Amadis de Grèce, jeune, vaillant et beau, «trai. nant tous les coeurs après soi,» a délivré la reinenbsp;Liberna de ses ennemis. La reine Liberna estnbsp;jeune el belle aussi. La reconnaissance envers sonnbsp;chevalier ne lui sera pas d’une pratique doulou-reuse, et la preuve c’est qu’elle lui offre son tronenbsp;ct sa main. Amadis de Grèce, qui ainie ailleurs, cslnbsp;trés embarrassé pour faire une réponse convenablenbsp;k ces flatteuses avances. Liberna, alors, s’irrite denbsp;cette résistance. Voici comment I’auteur peint l’é-tat dans lequel elle se trouve.

« Tout ainsi quele feu consume etbrule la chose qui lui est plus prochaine, ainsi cette belle reinenbsp;attisait peu a peu le brasier qui lui brulait le corps,nbsp;le coeur, Tame et 1’esprit. Elle ne pouvait se lassernbsp;de manger des yeux celui qui lui causait un sinbsp;doux martyre; k ce point que, si la bonte ne I’eutnbsp;pas mieux gardée que sa propre volonté, elle ennbsp;fut arrivée k faire ce que font, non pas les femmesnbsp;iinpudiques, mais les hommes, c’est-a-dire k lanbsp;violence, et elle eut contraint le jeune Amadis denbsp;Grèce, secouant ainsi I’arbre pour avoir le fruitnbsp;auquel elle n’avait pas encore goüté depuis qu’ellenbsp;était au monde, vnbsp;Voila pour la reine Liberna.

Voulez-vous savoir ce que I’auteur dit d’une autre reine, la fiére Pintiquinestre, « accoutréenbsp;d’un harnois de velours turquin k tresses d’or? »nbsp;Voici comment il dépeint son genre de beauté ;nbsp;« Sa beauté était telle que, pour la désirer, il ynbsp;avail assez de quoi faire mourir les hommes etnbsp;revivre quant et quant. »

Je n’ai pas changé un iota k cette phrase, — de peur d’en altérer la signification.

Voulez-vous encore une autre citation, — pour la dernière?

Il s’agit du jeune soudan de Babylone, lequel s’est enamouré d’Onolorie, princesse de Trébi-sonde, — mais un peu trop tard. Il apprend qu’ellenbsp;a donné a un autre son coeur, son kme, — tout 1nbsp;Désolation de ce pauvre soudan.

« Il demeura pendant une heure sans remuer piedni main, tenant sa tête appuyée sur son brasnbsp;gauche. Puis, au bout de ce temps, les parolesnbsp;commencèrent k lui sortir de la bouche, mais sinbsp;douces, si plaintives, qu’il en eut apitoyé le plusnbsp;dur rocher de la mer.

« — Ah! murmura-t-il, la triste et funeste pensée qui me glace et brule le coeur, qui menbsp;ronge Tame et I’espritl... Hélas! hélas! Qu’ai-jeanbsp;faire, maintenant?... Je suis arrivé trop tard aunbsp;jardin d’amour... Un autre a cueilli le fruit avantnbsp;même que je n’aie vu I’arbrel... Un autre en anbsp;obtenu la dépouille et l’entière richesse, et je suisnbsp;encore k jouir du moindre bien, de la plus légèrenbsp;faveur 1... Mais, alors, pourquoidone, étantcommenbsp;je suis, privé de la fleur et du fruit tout ensemble,nbsp;pourquoi est-ce que je mepassionneetsouffre ainsi?nbsp;Et pour qui?... Pour cette louve pressée qui, menbsp;dedaignaut pour serviteur et ami, a choisi Lisvartnbsp;pour s’abaiidonner k lui, pour se faire sa serve,nbsp;son esclave, perdant par ce moyen le meilleur quinbsp;éta t en cllel... Car, k bien dire, la fille vierge etnbsp;pudique ressemble k la rose sur le rosier, qui ne


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VIII ETUDE.

VIII ETUDE.

regoit d’injure ui de dommage, ni du temps, ni des hommes, ni de personne, et qui s’épanouit sous lanbsp;rosée divine de I’aube... Les jeunes amoureusesnbsp;s’en viennent la cueiilir pour en faire un bouquetnbsp;et orner leurs jeunes gorges frémissantes... Mais,nbsp;elle n’est pas plutot ravie è sa verte branche, a sanbsp;maternelle nourriture, qu’elle perd petit a petit lanbsp;grace, la fraicheur, la heauté qui la ftisaient désirernbsp;du ciel et des hommes. Semblablement la pucelle,nbsp;en laissant ravir par autrui la divine fleur de sanbsp;virginité, qu’elle döit pourtant tenir plus chèrenbsp;que sa vie propre, ravale ainsi Ie prix dont ellenbsp;était d’abord eslimée, et se fait mépriser de ceux-lèi même qui lui portaient affection et servitude...nbsp;Mais quoi?... il est vraisemblable qu’elle ne s’ennbsp;suucie guère... Ce a quoi elle tient, c’est amp; êtrenbsp;aimée de celui amp; qui elle fait une si grande libéra-lité de sa personne... Ah! Fortune cruelle et aveu-glel... Lisvartseul se meurt d’abondanced’amour,nbsp;et moi j’en meurs de nécessité!... Est-il done possible qu’Onolorie lue soit ti jamais agréable?...nbsp;Dois-je ainsi laisser périr et consumer ma proprenbsp;vie, et requérir plus longtemps une si ingrate etnbsp;si folie personne?... Non 1 non!... meurent plutótnbsp;mes jours que mon honneurl... »

VIII

Les éloges que je prends sur moi de dispenser ne sont relatifs qu’a la traduction de Nicolas d’Her-beray, sieur des Essarts, — paree qu’il me semblenbsp;que lui seul les mérite bien. Son style a unenbsp;énergie, une virilité, — même dans la douceur,—nbsp;qui se perd en mièvreries eten quintessences cheznbsp;ses rivaux et successeurs. On sent qu’il a commerce familièremeut avec notre vieille languenbsp;d’Oïl, dans Ie pays même oü elle avait poussé l Lesnbsp;autres n’ont vécu qu’en familiarité avec les femmesnbsp;de leur temps et n’ont écrit que pour les amuser.

Nicolas d’flerberay, sieur des Essarts, a traduit les huit premiers livres (1340-1036).

Le neuvième a été traduit par Claude Collet, Ghampenois (1375).

Le dixième et le onzième ont été traduits par Jacques Gohorry (1576-1577).

Ledouzième, par G. Aubert, de Poitiers (1377).

Le treizième et le quatorzième, par J. Gohorry (1576-1577).

Le quinzième, par Antoine Tyron (1378).

Le seizième, le dix-septième et ledix-huitièmei par Gabriel Chappuys (1378-1381).

Le dix-neuvième , par Jacques Chariot, (1380).

Le vingtième, par Jean Boyron (1380).

Le vingtetunième,par Gabriel Chappuys (1581).

II est curieux, par parenthèse, de voir ce que les successeurs de Nicolas d’Herberay disent denbsp;lui. II parait que les gens de lettres d’alors avaientnbsp;les mêmes procédés de médisance envers leursnbsp;confrères que les gens de lettres d’aujourd’hui.

Ainsi, pour n’en citer qu’un exemple, Claude Collet avance, danssaDédicace è monseigneur Jeannbsp;de Vilènes, conseiller du roi, — que la précédentenbsp;traduction « était mauvaise, » et que la sienne étaitnbsp;« mcilleure, » plus remplie « de devis et contesnbsp;joyeux et qulil n’a pas« desdaigné y esbaltre sanbsp;plume et employer quelques heures oysives. »

II dit mieux encore : il traite Ia traduction de Nicolas d'Herberay « de la traduction ê la haiilte mode, qu’un quidam flaman avoit arraché parcynbsp;parlci de l’Amadis espagnol. »

Le « quidam flaman » me parait assez dédai-gneux !

Claude Collet, « Ghampenois, » ne se contente pas d’etre désagréable ê son confrère, il veut encore être agréable pour lui-même, et il se fait direnbsp;une foule de choses plus flatteuses les unes quenbsp;les autres, en prose et en vers, en grec et en latin,nbsp;en espagnol et en italien, par Et. Jodelle, «Pa-risien, » par Francois Gharbonnier, « Angevin, »nbsp;par Antoine Vignon, « Gasteldunois, » — et parnbsp;trois ou quatre autres.

On n’est pas plus galant, n’est-ce pas ?

Mais laissons dormir en paix Collet, Jodelle, Charbonnier et Vignon. Ils sont heureux, — nenbsp;les réveillons pas.

IX

Je termine.

Malgré tout ce qu’oii a pu dire, malgré tout ce qu’on pourra penser de cette série de romans quenbsp;nous réimprimons aujourd’hui, il n’en est pasnbsp;moms vrai qn’Amadis est le seul livre de la Biblio-thèque de Don Quicholte que le sévère curé quenbsp;vous savez n’ait pas jeté au feu.

Pourquoi done serions-nous plus sévères que ce bonhomme?

Alfred DELVAU.


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LE CHEVALIER DE LA MER

CUAPlTlffi PREMIER.

iiuels furent les reis Garinter et Pilrion, et d’uii combat qu’eut ce dernier par cas forluit conlre deux chevaliers ctnbsp;conire un lion qui dévorail un corf.

Peu de temps après la Passion de Jésus-Christ, vivait en laPetile-Rretagneun roi nornnié Garinter,nbsp;instruit en la loi de vérité, et grandement décorénbsp;de bonnes et louables vertus, lequel eut d uuenbsp;noble dame son épouse, deux (illes.

L’ainée de ces deux pucelles se maria avec Lan-guines,roi d’Ecosse.Ou l’appelait coramunément la llaino de la Guirlande, h cause de l’arrangementnbsp;particulier de ses beaux cheveux en guirlandes denbsp;fleurs.

La puinée, nommée Elisène, de beaucoup plus belle que la précddente, était plus connue sous Ienbsp;nora de la Devote perdue, è cause de sou amournbsp;de Ia solitude et la sainteté affectée de sa jeune vie.nbsp;Quoique faite par son rang et par sa beauté pournbsp;réiat de mariage, elle avait constarament refusenbsp;les princes et les grands seigneurs qui l’avaient de-mandée amp; sou père, Ie roi Garinter.

Ge vieux monarque , que ces refus obsïmés et incompréhensbles affligeaient beaucoup, essayaitnbsp;de contenter d’autre part son esprit et prenait denbsp;temps cl autre un certain plaisir amp; la vénerie.


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BIBLIOTHEQUE BLEUE.

Une fois, entre autros, ayant fait Tassemblée prés d’une sienne ville appelée Alyma, il langa un ccrfnbsp;et lepoursuivit,tnais si longuement, si longuement,nbsp;qu’il fmit par s’égarer et k se trouver aba'ndönmi denbsp;gens et de chiens.

Lors, se recommandant k Dieu, il coramen^a au petit pas è se remettre en son adresse, et tant traversa de cóté et d’autre que, par fortune, asseznbsp;prés de Tissue du bois, il avisa deux chevaliers quinbsp;coiribattatent contre un soul. Ge dernier lui élailnbsp;inconnu; quant aux deuxautres, il les connaissaitnbsp;sibien qu’il se rctira pruderament au plus épais dunbsp;bois jtisqu’è ce qifils fussent vaincuset rnorts. Lors,nbsp;il se montra et vit venir é lui Ie chevalier vainqueur,nbsp;qui lui demanda :

— Homme de bien, quelle contrée est donccelle-, ci dans laquelle les chevaliers errants sont assaillisnbsp;par des brigands ?

— Ah! seigneur, répondit Garinler, ne vous on ébahissez point, car en ce pays comme dans lesnbsp;autres se trouvent bonnes et mauvaises gens. Lesnbsp;chevaliers qui vous ont assailli ont requ Ja recompense de nmux el d’outrages précéderament failsnbsp;a d'autres qu’é vous, mêmement a leur seigneurnbsp;et roi, lequel n’en a pu faire justice, paree qu’ilsnbsp;élaient apparentés des'meilleures maisons de cenbsp;royaume.

— Et oü pourraiS'je trouver Ie roi duquel vous parlez? dit Ie chevalier. Je suis venu pour Ie cher-cher, et je lui apporte nouvelle d’un sien grandnbsp;ami.

— Quoi qu’il en doive advenir, répondit Ie vieux Garinter, je vous en dirai ce que j’en sais. Sacheznbsp;cerlainement que je suis celui que vous demandez.

A cette parole, Ie chevalier inconnu óta son ar-met, niit bas son écu et courut embrasser Ie roi en lui disant;

— Merci Dieu! je suis aise de vous renconlrer, vous que je désirais depuis si longlemps connaitre!nbsp;Apprenez a votre tour, que je suis Ie roi Périon denbsp;Gaule.

^ Grandement furent esjouis ces deux princes pour s’être ainsi rencontrés par fortune, et ce fut ennbsp;devisant amicalement qu’ils prirent la route du boisnbsp;qui conduisait vers la ville, et dans laquelle ils pen-saient retrouver les veneurs.

Mais bientót, par cas fortuit, passa devant eux un cerf malmené et échappé des toiles, aprés lequelnbsp;il se mirenl a course de cheval, espérant Ie tuer. IInbsp;en advint autrement, car, en poursuivant cel animal, ils setrouvèrent devancés, au sortir d’un épaisnbsp;taillis, par un lion fortement échautfé, qui poursiii-vait la même proie qu’eux et Tatteignit avant euxnbsp;et en leur presence.

Le cerf éventré a larges coups de griffes, Ie lion s’arrêta un instant, se campa sur ses deux pattesnbsp;de devant et se prita rugir contre les deux princes,nbsp;en crollant sa hure d’un air menacant.

— Maitre lion , dit eu riant le roi Périon , vous ue serez pas tellement goulu que vous ne nousnbsp;laissiez pari de la chasse.

Et, tout aussitót se mettant é pied, paree que son cheval ne voulait pas approcher, il prit Tépéenbsp;au pomg et 1’écu au bras, et, malgré les cris et lesnbsp;priores du roi Garinter pour Ten détourner, ilnbsp;niarcha droit vers le fauve animal, lequel rugissait

de plus en plus et ne semblait nullement disposé a quitter les debris de sa proie.

Une fois ö quelques pas du lion, Périon leva son épée, prêt a frapper; mais son ennemi bondil, lenbsp;dépassa puis revint, rebondit encore, revinl encore, et iinaleraent une lutte corps k corps s’établitnbsp;entre eux, lulte dans laquelle le chevalier eut lenbsp;dessous.

Le peril était extréme, et le roi Garinter était bien marri d’etre ainsi empêché a secourir son aminbsp;Périon.Mais celui-ci, quiétaitun valeureuxhoinine,nbsp;ne songea pas un soul instant é s’ébahir de sa situation ; lout au contraire, il s’éveriua de telle sortenbsp;qu’il parviiit a planter son épée au veutre inêiae denbsp;la béte fauve, qui incontinent tomba rnortc devantnbsp;lui.

Ce que voyant, Garinter devint tellement énicr-veillé qu’il dit en soi même ;

— Vrairnent, celui-ci n’est pas a tort reiionnné Tun des meilleurs chevaliers du monde!

Et, sur ces entrefaites, se rassemhla la compagnie qui, pour le retrouver, s’étail mise eii quote de tous cótés, et Ton se dirigea vers la ville, oü lanbsp;reine, avertie de la venue du roi Périon, attendaitnbsp;avec grande impatience.

L GHAPITRE II

Coinment le roi Périon et la bolle Dévotc Perdue devinrent enamourós du même coup, et comment la complaisantcnbsp;Dariolette leur procure les moyens de se declarer l’un inbsp;l’autre.

leur arrivée, les deux princes trouvè-rent le diner prêt et les tables dres-sées. Par quoi, après les révérences et bienvenues laites de part ct d’'aulre,nbsp;jils s’assirent, ainsi que la reine et lanbsp;belle Elisène, sa fille.

L’amour, qui depuis un longtemps avail assailli cette belle pucelle, sausnbsp;Tavoir su vaincre, Tamour était en em-büche. 11 la vit cette fois tant a décou-vert k Taspect du roi Périon, qu’il ju-gea le moment enfin venu et devinanbsp;bien qu’elle serail enfin vaiiicue. Denbsp;mêrne pour le roi Périon, qui jusque-lé avail songé a toute autre chose : ennbsp;presence de la beauté rayonnante d’E-lisène, il se senlit remué, il rougit, senbsp;iroubla, et son cceur, jusque-lê libre, se trouvanbsp;tout d’un coup prisonnier des charmes de celtenbsp;incomparable princesse.

Aussi, tons deux, l endant le diner, ne furent occupés qu’é se regardcr du coin de Toeil et k senbsp;troubler mutuellernent par un éebange de geslesnbsp;involontaires qui trahissaient leurs secretes pensees; si bien que, lorsque les tables furent levéosnbsp;('t quo la reine voulut se relirer, Elisène, en la sui-vant, laissa tomber un anneau qu’ellc avail placénbsp;dans son sein pour laver ses mains, ct qu’elle avail-oublié lè, distraite par le nouvcl amour qui lui sur-gissait dans Tame depuis qu’elle avail vu le roinbsp;Périon. Celui-ci, en remarquant la cliule de Tan-neau, s’cmpressa de se baisser en même temps


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LE CHEVALIER DE LA MER.

qu’elle pour Ie ramasser, et leurs maiiis se rencon-trèrent.

La devote pucelle, h ce contact de main d’homrae, comraenqa a changer de couleur, ce qui ne l’em-pêcha pas de remercier, par un doux regard,nbsp;I’amoureux Périon.

— Ah 1 madame, dit-il, ce ne sera pas lèi Ie dernier service que j’espère vous faire, car tout Ie temps de ma vie sera employé a vous ohéir.

Elisène n’eut pas Ie temps de lui répondre, en-trainée qu’elle était par la reine sa mère; mais elle resta loiigtemps après sous Ie coup de cettenbsp;agréable emotion et se laissa petit è petit consumernbsp;par cc nouveau feu d’amour qui avait délogé denbsp;son ame presque toutes les ardeurs religieuses quinbsp;y avaient régné jusque-la. La larme a I’ceil et l’an-goisse au coeur, elle alia se découvrir k une sieniienbsp;fidéle demoiselle, nommée Dariolette, et elle la prianbsp;trés instamment de laconseiller en cette occurrencenbsp;et de lui dire comment elle pourrait honnêtementnbsp;savoir si Ie roi Périon n’avait ailleurs mis son amour,nbsp;et si eet affectionné semblant qu’il lui avait montrénbsp;ne lui pourrait point être venu de la force de celuinbsp;qu’elle avait nouvellement senti en son coeur.

Dariolette, effrayée de cette mutation si soudaine dans une personne si éloignée de chose semblable,nbsp;inais prenanttoutefois compassion de ses pitoyablesnbsp;larmes, lui répondit:

— Je vois bien, madame, que selon 1’extrêmo passion doet ce tyran amour vous tourmente, il n’anbsp;wisse en votre jugement lieu oü conseil et raisonnbsp;Puisscut loger. Et pourtant, suivant non ce que jenbsp;dois pour votre service, mais Ie vouloir que j’ai denbsp;vous obéir, je ferai ce que vous me commandez, parnbsp;Ie moyen Ie plus honnête que l’envie grande quenbsp;] ai de vous complaire saura Irouver...

Et, sans autre propos, Dariolette s’en alia k la chambre oü Ie roi Périon s’était retire, et, a lanbsp;porte, elle rencontra sou écuyer qui lui portait d’au-tres habilleraents pour se vêtir, iesquels elle prit ennbsp;luidisant:

~ Ecuyer, mon ami, c’est raoi qui lui ferai co Service; pour vous, allez k vos autres affaires.

L’écuyer, qui croyait que c’était la coutume, remit les vêtements et s’en alia, pendant que la sui-vante entrait chez sou maitre, pour lors couché.

— Que demandez-vous, ma grande amie? de-inanda Périon, ému a 1’aspect de Dariolette, qu’il savait appartenir a la belle Elisène, et qui, ü causenbsp;de cela, lui était chère.

Sire, répondit la demoiselle, je vous veux, s’il vous plait, bailler de nouveaux vêtements.

Jaimerais mieux, dit Périon en soupirant, ^ ™on cffiur qui, pour Ie présent, est dé-

nué et dépoudlédetout plaisir...

En quelle sorte, Sire? demanda Dariolette.

Paree que, repondit-il, quand j’arrivai en ce

J étsis librö dö toutös psssious o.t n'avciis doutG seulement que des avontures qui peuvent survenirnbsp;aux chevaliers errants... Mais maintenant, je ne saisnbsp;en quelle sorte, en entrant dans cette maison, j’ainbsp;été, par Tune de vous, mesdames, navré de plaienbsp;trop mortelle, è laquelle je vous serais bien recon-naissant, ma grande amie, de vouloir bien porternbsp;remède.

— Certes, reprit Dariolette, je me tiendrais fort heureuse de pouvoir faire service k si haut person-nage et si bon chevalier quo vous êtes, si je savaisnbsp;seulement en quoi.

— nbsp;nbsp;nbsp;Si vous me promettez comme loyale demoiselle, de ne pas me découvrir, répondit Ie roi, jenbsp;vous Ie dirai.

— nbsp;nbsp;nbsp;Dites hardiment alors, Sire; nul, hors moi, nenbsp;Ie saura.

— nbsp;nbsp;nbsp;Demoiselle, ma mie, dit Ie roi Périon, j’ai vunbsp;la belle princesse Elisène, et sa beauté a fait unenbsp;telle impression sur moi, que je considérerais lanbsp;mort comme un bienfait si, Q ici a peu, je n’ai pasnbsp;obtenu d’allégement ü mon angoisse amoureuse...

Quand Dariolette entendit cela, elle sourit et répondit :

— Sire, si vous me voulez assurer, en foi de roi, et comme chevalier loyal, de prendre ü femme madame Elisène quand Ie temps Ie requerra, je vousnbsp;Ia mettrai de brief, en lieu auquel non-seuleraentnbsp;votre coeur sera satisfait, mais Ie sien mème, quinbsp;est peut-être, autant ou plus que Ie vótre, en soucinbsp;et douleur de l’angoisse nouvelle qu’elle a repu parnbsp;ihême moyen... Si au contraire, Sire, vous ne voulez pas faire ce que je vous dis, je ne vous aiderainbsp;en rien, n’ayant plus cause de vous croire.

Le roi, auquel l’amour avait ravi la liberté, pril son épée, mit la main droite sur la croix formée parnbsp;la poignée, et dit ces paroles :

— Je jure par cette croix et sur l’épée avec laquelle j’ai reeu l’ordre de chevalerie, de faire ce que vous me demandez, toutes fois et quantes quenbsp;votre maitresse Elisène en sera avisée.

— Or maintenant, répondit Dariolette, réjouis-sez-vous, j’accomplirai aussi ce que je vous ai promis.

Et, a l’instant, elle s’en retourna vers la princesse, a laquelle elle déclara ce qu’elle avait conclu avec le roi Périon; de quoi l’arnoureuse pucelle futnbsp;si aise qu’elle en perdit teute contenance.-

— Ma bonne amie, demanda-t-elle a Dariolette en l’embrassant, quand done viendra cette heurenbsp;OU je tiendrai dans mes bras ce mien seigneur quenbsp;vous m’avez dotmé?

— Je vais vous le dire, répondit la demoiselle. Dans la chambre oü le roi Périon s’est retiré, il y anbsp;un huis du cóté du jardin, par lequel votre père sortnbsp;quelquel’ois pour s’en aller récréer, et qui est a présent cache par une tapisserie. J’en ai la clef. Cettenbsp;nuit, quand tout le monde de céaus reposera, nousnbsp;pourrons facilement y entrer sans être de nulnbsp;aperques; et, lorsque viendra 1’heure oü il faudranbsp;vous retirer, je vous irai appeler...

— Hélas! ma fidéle amie, soupira la belle Elisène, comment pourrons-nous y parvenir? Le roi monnbsp;père, a délibéré de coucher avec le roi Périon, dansnbsp;la même chambre... 11 ne pourra mauquer de nousnbsp;surprendre,et nous courrons leplusgrand danger...

— Laissez-raoi faire, reprit Dariolette, je pour-voierai aisément è tout et je m’arrangerai pour que votre père ne vous trouble pas dans vos deduitsnbsp;amour eux...

La-dessus, Dariolette s’en alia.

Après le souper, au moment oü chacuu se disposal k allea se reposer, elle aborda 1’écuyer du roi Périon et lui demanda de but en blanc quelle damenbsp;il aimait le plus parfaitement.

— Le roi mon maitre, répondit l’écuyer, aime toutes les dames en général, et je n’en connais au-


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BIBLIOTHEQUE BLEUE.

cune a (|iii il porte l’affection particulière. lt;i laquelle vous semblez faire t'illusion en ce moment.

Sur ces entrefaites survint Garinter qui, voyant Dariolette fort occupée a deviser avec l’écuyer, luinbsp;demanda quelle affaire elle avait li ce gentilhomme.

— nbsp;nbsp;nbsp;En bonne foi, Sire, répondit-elle, il me disaitnbsp;que Ie roi son maitre a l’habitude de dormir seul,nbsp;et, a ce que je vois, i! n’aime guère la compagnie...

Garinter, entendant cela, alia aussitót vers Pé-rion et lui dit:

—Monfrère, il m’estsurvenu quelques affaires, etcomme je me lèverai l'orcément a Theure de ma-tines, je juge que pour éviter de vous causer ennui, Ie mieux est de vous fausser compagnie pournbsp;lecoucber...

— nbsp;nbsp;nbsp;Seigneur, répondit Piéron, faites tout ainsinbsp;qmil vous plaira.

Cette réponse parut a Garinter conforme a ce que lui avait (lil Dariolette; en consequence, ilnbsp;commanda sur-le-champ (jne Pon ótat son lit de lanbsp;chambrc du roi Périon.

CHAPITRE III

Comment l’infanto Elisène et sa demoiselle Dariolelte s'en allèrent en la cliambre oü Ie roi Pdrion élait couchO.

enu Ie temps oü, plus com-' munément, cbacun prend re-.pos, Dariolelte, qui pour Ie f couteuteraent de sa maitressenbsp;I avait fait diligence extréme,nbsp;I accourut lui dire :

— Madame, il est saison ,(le parachever notre entre-

prise..... Allons, s’il vous

plait 1...

QuandElisèneentenditcela, crojmz qu’elle ne donna pas occasion d’etre reprisenbsp;du pêché de paresse. Tout au contraire, elle se levanbsp;hativement, jeta un manteau sur ses épaules et senbsp;mit en chemin avec sa suivante. Quelques minutesnbsp;après, toutes deux étaient au jardin.

Lo temps était alors serein et gracieux, la lunc claire et luisante, do manière ü donner lurnière ü nosnbsp;deux gentes pucelles qui raarchaient allègrementnbsp;sur la pointe du pied comrne deux linottes qui re-doutent la glu del’oiseleur et qui s’en vont ramagernbsp;1’amour dans quelque nid voisin. Mais, des deux,nbsp;une seule était sincèrement émue et contente pournbsp;son propre corapte, è savoir la princesse Elisène.nbsp;Quant ü Dariolette, elle eüt trés volontiers pris cenbsp;bien, ou un semblable, pour elle-même, si elle ennbsp;eüt eu moyen; et, malgré elle, en songeant ü 1’aisenbsp;prochain que devait avoir sa maitresse, elle ne pou-vait s’erapêcher de soupirer véhémentement, tontnbsp;ainsi que si elle eüt dü participer è ce bien fulur denbsp;la princesse Elisène.

— Hélasl ma dame, lui disait-clle, qu’heureux est lo prince par qui vous recevrez cette nuit tantnbsp;de plaisirl...

— Vous dites vrai, Dariolette, répondit Elisène. Maïs quoi. ne vous semble-t-il pas que la fortunenbsp;me soit aussi favorable qu’ti lui? Si je suis belle,nbsp;n’est-il pas, lui, l’un des plus parfaits quo Ton sa-clie, soit de persoimc, soit de boono grace ou denbsp;hardiesse?... Dariolette, ma mie, je me sens si heu-rouse, qu’il me serail impo.=sible de Têlre davan-tage... Mais, pour Dieu! lullons-nous, Dariolette,nbsp;halons-nous, je vous priel...

Et, en disant ces paroles, la belle pucelle, qui raourait d’envie de ne plus l’êlre, tremblail comraenbsp;une feuille sur Ie haut d’un arbre.

Bieiitót elle et sa suivante arrivèrent ii la porie de la chambre oü était couché Ie roi Périon, lequel,nbsp;tant pour rétrangeté de cette nouvelle flammcnbsp;amoureuse que pour Pespérance oü l’avaiL mis Dariolette, n’avait encore aucunement reposé.

ïoutefois, depuis quelques inslants, aggravé de travail et vaincu de somrneil, il comrnencait a s’as-soupir, et il était dans eet état qui pai ticipe de lanbsp;nuit et du jour, et dans lequel on n’cst ni endorminbsp;ni éveillé. Au moment même oü Dariolette et Eli-sèue ouvraient la porte, il rêvait précisémeiit qu’onnbsp;s’introduisait subrepticementchez lui par une faussenbsp;porte, et que quelqu’un, qu’il ne coimaissait pas,nbsp;venait jusqu’ü lui, meltait les mains dans sa poi-Irine, en arraebait son coeur tout sanglant et, devantnbsp;lui, Ie jetait incontinent dans la mer. «— Pourijuoinbsp;cette cruauté? » disait alors Périon, tout pantelant.nbsp;« —Ge n’est rien de ci'cil » répondait celui qui venait de lui fouiller dans les entrailles. « Ge n’estnbsp;rien, car il vous en demeurera encore un autre, quenbsp;je vous óterai outre mon gré... »

Périon, effrayé, s’éveilla en sursaut, et, se re-comrnandant a Dieu, fit Ie signe de la croix.

Elisi'me et Dariolelte entrèrent, et, sans lo vou-loir, firent un peu de bruit. Périon, enlenrlant co bruit, cut alors soupeon de Irahison, mêrncmentnbsp;pour Ie songe qu’il avait songé, et, levant la tête, ilnbsp;apercut eiitre les courtines la porte ouverte et, ü lanbsp;clarté de la lune, 1’otnbrc des deux gentes pucelles.nbsp;L’effroi Ie saisit de plus belle, il saillit du lit, pritnbsp;son épée et s’en alia droit vers la princesse et sanbsp;suivante.

— Qu’est ceci, Sire? demanda Dariolette, éton-née a bon droit de eet accueil. Tirez-vous done les armos contre nous qui sommes de si petite défense?

Périon rcconnut aussitót son erreur. II jeta son épée, se couvrit a la bate d’un manteau, et vint denbsp;grande affection vers collo qu’il aimait mieux quenbsp;soi-même, laquelle il baisa, caressa, ernbrassa,nbsp;mais sans rien plus. Ce que voyant, Dariolette, quinbsp;sentail la jalousie lui monter au cerveau, dit ü sanbsp;belle maitresse ;

— Eh bien ! maintenant vous devez être quasi-contente... et tout a l’heure il ne manquera rien ü volre bonheur a tous deux, car vous n’avez ni l’unnbsp;ni l’autre la force de vous garantir de 1’amour quinbsp;vous envabit...

Gela dit, Dariolette chorcha des yeux l’épée qu’elle avait vue l’instant d’auparavant eutre les mains dunbsp;roi Périon, et, l’ayant apergue par terre, oü il l’a-vait jetée, elle s’en empara comme du témoin dunbsp;serment qu’il avait fait relativernent è son mariagenbsp;avec Elisène. Puis, tirant Thuis après elle, Dariolette rentra au jardin.

Le roi demeura seul avec sa mie.

Périon ne pouvait se lasser de contempler EU-sène, en qui était toute la beauté du monde, et, après plusieurs amoureux embrasseinents, inflnitó


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LE CHEVALIER DE LA MER.

LE CHEVALIER DE LA MER.

ée une première nuit déjè,

(Ie baisers et execution dejouissance,ilserépuia au demeuranl plus que trop heureux de ce cjue 1’amournbsp;l’avait conduit un tel aise et èi une telle aventure.

Pendant que ces deux amants étaient encettejoie, incorporés et commc fondus ensemble, Elisène de-manda è Périon si son partement serait prochain.

— nbsp;nbsp;nbsp;Pourquoi, dame aimée, Ie demandez-vous?

— nbsp;nbsp;nbsp;Paree que, répondit-elle, eet te heureuse fortune qui a SU rnettre repos, par si grande jouissance,nbsp;cl nos ardents df^sirs, me menace déji de l’extrêmenbsp;angoisse et tristesse que je recevrai de votre absence... et je crains qu’ello ne me cause plutót unenbsp;prompte mort qu’une bien longue vie.

— nbsp;nbsp;nbsp;N’ayez crainte de cela, reprit Ie roi, car encore que mon corps se sépare de votre présencie,nbsp;mon coeur demeurera ci jamais avec Ie votre, qui anbsp;tous deux donnera effort, ii vous de souffrir et cimoinbsp;de tót revenir...

G’est en devisant uinsi, et en s’entr’accolant k chaque in.'-tant, que les deux contents atteignirentnbsp;la limite de cette nuit. D riolette, jugeanl qu’il étaitnbsp;temps de faire lever Elistme qui, en eet aise, auraitnbsp;trés bien pu s’oublier entre les bras de sou ami,nbsp;Dariolette entra en la chambre et dit assez haut:

— nbsp;nbsp;nbsp;Ma dame, je sais qu’autre fois vous avez eunbsp;ma compagnie plus agréable que nou pas maintc-nant... Pourtant il faut vous lever et nous en aller,nbsp;car l’heure nous presse.

Périon, sachant que force était d’ainsi faire, pria Darioletie d’aller au jardin pour s’assurer de quelnbsp;cóté yenait Ie vent, et, pendant qu’elle obéissait,nbsp;il prit amoureusement congé de sa gente Elisène,nbsp;et tous deux, dans ce court instant, goutèrent unenbsp;félicité que ceux qui aiment peuvent imaginer. Puis,nbsp;la baisant, il lui dit:

—Je vous assure, ma dame, que, pour l’amour de vous, je ferai en ce pays plus de séjour que vous nenbsp;pensez... Par aiusi, je vous supplie de n’oubliernbsp;point Ie retour en ce lieu...

Elisène promit en souriant, se leva, et se retira en sa chambre avec Dariolette, laissant Ie roi seul,nbsp;en grand contentement de sa nouvelle accointance.

GHAPITRE IV

Comment la belle Elisène relourna plusieurs fois encore en la chambre du roi Périon et du petitnbsp;garoonnet qui eu résulta.

érion, en se remembrant Ie songe qu’il avad eu, précisti-, ment dans la nuit oü il avaitnbsp;tenu la belle Elisène dans sesnbsp;. brfis, ne pouvait cbasser unnbsp;¦lt;%! certain épouvantement quinbsp;lui était restó de ce songe;nbsp;pour un peu, il cut tout quitténbsp;pour retourner incontinent dans sonnbsp;pays oü pour lors se trouvaient asseznbsp;i de philosophes qui se connaissaientnbsp;eu cette science des s()nges. Néau-moins, il séjourna dix jours avec Ienbsp;roi Garinter, depuis Ia jouissancenbsp;d’Eliscne, laquelle nefaillaitpasnbsp;toules les nuits a retourner aunbsp;lieu oü elle s'élait si bien Irou-

Les dix jours passés, Ie roi Périon, forijant sa vo-lonté et nonobstant les larmes et les prières d’Eli-sène, qui ne furent que trop excessives, s’en partit et, de fait, prit congé de la cour. Mais, ainsi qu’ilnbsp;voulait monter ü cheval, il s’apergut qu’il n’avaitnbsp;point sa bonne épée, ce dont il fut assez faché pareenbsp;que c’était Tune des meilleures et des plus bellesnbsp;du monde. Toutefois, il ne l’osa demander, de peurnbsp;que Ie secret de ses amours avec Elisène ne fut dé-couvert, ou que Ie roi Garinter ne se fachat conlrenbsp;quelqu’un des siens qui hantaient en sa chambre.

En telles pensées, accompagnées d’infinis regrets, Périon, saus plus de séjour, prit son chemin ennbsp;Gaule.

Au moment oü il allait disparaitre, Dariolette s’approcha de lui et Ie supplia d’avoir souvenancenbsp;de l’ennui grand dans lequel il laissait son Elisène,nbsp;Pt aussi de la promesse qu’il lui avait faite.

— Hélas! ma grande amie, lui répondit Périon, je vous prie de l'assurer qu’il n’y aura aucunenbsp;faute, et que, prochainement, je la verrai, plusnbsp;amoureux d’elle que jamais. Je vous la recommandenbsp;comme mon propre coeur...

Puis, tirant de son doi'-'t un anneau qui était semblable è uu autre qui lui demeurait, il Ie remitnbsp;è Dariolette et la chargea de Ie donner è Elisène ennbsp;souvenir de lui. Gtda fait, il s’éloigna.

Dariolette plaga au doigt de sa belle maitresse ranneau qu’elle venait de recevoir du roi Périon,nbsp;en lui rapportant frdèlement les ainoureuses parolesnbsp;qu’il avait dites sur son départ. Mais ce nouveaunbsp;présent, au lieu d’amoindnr la grande tristessenbsp;d’Elisène, ne fit, au contraire, que l’augmenter;nbsp;tenement, que si cette gente princesse n’eüt été ré-confortée par Dariolette, sans doute elle fut lorsnbsp;trépassée.

Heureusement que Dariolette était la, veillant sur elle. Cette fidéle suivante lui persuada de prendrenbsp;espérance, et, par ses remontrances aclroites, la fitnbsp;revenir un peu ü des sentiments moins apres.

Bientót Elisène se sentit grosse d’enfant, et, è cette occasion, elle perdit non-seulement Ie goütdenbsp;la viande, mais encore Ie plaisir du repos et lesnbsp;joyeuses couleurs de son clair visage. Les douleursnbsp;vinrent, et les soucis. Jamais cette gente princessenbsp;u’avait été assise en un si haut point de tristesse 1

Et il y avait d’ailleurs bien de quoi, car, en ce temps-lè, était loi inviolable que toute fille ounbsp;femme, de quelque qualité qu’elle fut, forfaisant denbsp;cette faeoii, ne se pouvait soustraire a la mort; laquelle facheuse et cruelle coutume dura jusqu’a lanbsp;venue du vertueux roi Artus.

Voilé l’ennui auquel Ie r()i Périon avait laissé sou Elisène. Comment Ie lui faire savoir? Ce jeune roinbsp;était loin, emporté par son goüt des aventuresnbsp;étranges et hasardeuses, partant difficile é trouver.

Ainsi désespérée de ce secours, Elisène n’espé-rait nul reroède é sa vie, qui ne lui coütait tant k perdre que paree qu’elle perdait en même tempsnbsp;son ami et seigneur.

Mais Ie grand et puissant fabricateur de toutes eboses ne voulait pas ce malheur, et sans doute ilnbsp;s’intéressait é cette gente créature, coupable dunbsp;doux crime d’amour.

II y avait au palais du roi Garinter une chambre voütée séparée des autres, assez prés de laquellenbsp;passait unè rivière, oü. l’on pcmvail descendre aisé-


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BIBLIOTHEQUE BLEUE.

ment par un petit huis de fer. Suf Ie eonseil de Fa-visde Dariolette, cette chambre fut demandée par Elisène au roi sou père, lant, disait-elle, pour sonnbsp;aise, que pour mieux maintenir la vie solitaire è la-quelle elle était accoutumée depuis longtemps. Et,nbsp;pour toute compagnie, elle n’exigea que Dariolette,nbsp;qui était au courant de ses pensees et de ses actes.

Cette requête lui fut octroyée trés facilement, Ie roi Garinter estimant que 1’intention de sa fdle étaitnbsp;telle qu’elle feignait de Favoir. Et, amp; cette cause, lanbsp;clef de Fhuis fut baillée amp; Dariolette, afin qu elle putnbsp;s’en servir lorsqu’il prendrait fantaisie amp; sa bellenbsp;maitresse d’aller se récréer sur Feau.

Cela se rencontrait è merveille, comme on devine bien.

Un jour, élant en eet endroit seule avec sa demoiselle, la princesse soupira, et, se mettant en propos, lui demanda ce qu’il faudrait faire du fruitnbsp;que Dieu lui envoyait.

— nbsp;nbsp;nbsp;II faut qu’il souffre pour vous racheter, ré-pondit Dariolette.

— Ah! mère pucelle! s’écria douloureusement Elisène, comment pourrais-je jamais consentir a lanbsp;mort de la pauvre creature engendrée en moi parnbsp;la personne que j’aime Ie plus au monde!...

— S’il vous faut mourir vous-même, la chose étant découverte, croyez-vous qu’on laissera vivrenbsp;eet enfant 1 reprit la demoiselle.

— nbsp;nbsp;nbsp;Mais, répoudit Elisène, si je ineurs commenbsp;coupable, est-ce la une raison pour que ce petitnbsp;innocent en souffre?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Si vous étes découverte, ma dame Elisène,nbsp;vous serez cause de la mort de trois créatures vi-vantes : vous d’abord, votre enfant ensuite, puis denbsp;Farai que vous aimez taut et qui ne pourra vousnbsp;survivre,apprenant Févénement... Si, au contraire,nbsp;vous évitez ce péril, im temps viendra ou ce princenbsp;et vous pourrez avoir ensemble assez d’autres en-fants qui vous feront oublier Faffection quo vousnbsp;portez k ce premier...

La conversation en resta lè. Seulement, comme si elle eüt été yéritablement inspirée de Dieu, Dariolette s’imagina aussitót de conslruiro de sesnbsp;mains, è Finsu même de la princesse, un coffrenbsp;propre è loger un enfant, avec ses langes et Fépéenbsp;qu’elle avait en sa possession. Lorsque les quaIrenbsp;ais eurent été assemblés, elle les joignit solide-ment avec du ciment, de fagon è ce que Feau n’ynbsp;put pénétrer, et, cela fait , elle plapa cette petitenbsp;nauf sous son lit pour Fen tirer en temps opportun.

Elisène ne tarda pas è ressentir les angoisses du' mal d’enfant. 11 se fit en ses entraillcs un travailnbsp;inaccoutumé et bien étrange pour elle, dont sounbsp;coeur fut mis en grande perplexité et amertume.

Toutefois, malgré sa douleur, la pauvrette n’o-sait autre chose faire que de se taire, de peur d’etre entendue. Peu k peu son martyre redoubla, et,nbsp;finalement, elle accoucha d’un beau garconnet quenbsp;Dariolette rcQUt dans ses bras et qu’elle plaQa ensuite dans le coffret que vous savez, après Favoirnbsp;douillettement enveloppé dans de riches draps.

— Qu’allez-vous done faire? s’écria la pairre princesse, un peu effarouchée dé ce berceau étrange.

~ le lancer k Feau dans ce coffret, et s’ll plait k Dieu, ma dame, it pourra échapper et vivre,nbsp;repondit tranquilleraent Dariolette.

.— riélas 1 murmura Elisène, les iarmes aux yeux, en contemplant le nouveau-né, cher cnfantelet,nbsp;quelle destinéesera la votre?...

Dariolette, sans s’occuperplus qu’il nefallaitdes Iarmes de sa belle maitresse, prit encre et parche-rain, et écrivit lisiblement ces paroles : Cet enfantnbsp;est Amadis, fils de roi. La lettre écrite, pliée, cou-verte et cachetée de cire, Dariolette Fattacha avecnbsp;un cordon au cou de Finnocent garponnet, avecnbsp;Fanneau du roi Périon, et plapa k cóté de lui 1’épéenbsp;dudit prince, ramassée par elle, corame on salt.

Quand tons ces préparalifs eurent été terminés, Dariolette prit le coffre et Fapprocha du lit de lanbsp;dolente mere, qui baisa le petit enfangon avec unenbsp;angoisse passionnée, en lerecommandantk la gardenbsp;de Dieu. Puis elle ouvrit la porte de fer qui fermaitnbsp;la chambre voütée, fit quelqucs pas sur la bergenbsp;avec son précieuxfardeau, et le confia auxflots ra-pides de la rivière qui passsait Ik et qui allait se je-ter dans la mer a moins d’une demi-lieue de Ik.

GHAPITRB V

Comment le petit garconnet, fruit secret des amours du roi Périon et de la princesse Elisène, abandonnd par Dariolette au fil de I’eau, fut recueilli par un gentilhommenbsp;nommd Gandalcs.

’aube du jour commeiipait alors a poindre, et la petite créature aban-donnée par Dariolette au fil de Peaunbsp;voguait k Faventure dans sa petitenbsp;nauf, ballottcc par cette vague, rc-poussée par cette autre, et saus cessenbsp;au moment d’êtrc engloutie vivantenbsp;dans les abimes de la mer ou briséenbsp;sur les rcscifs de la cote.

Mais, par le vouloir de Dieu, le-quel, selonsou plaisir, fait les impos-süulilés possibles, survint une aven-ture qui sauva cet enfantc-let des dangers de mort qu’il courait. Cette aven-ture était un navire quinbsp;faisait voile pour FEcossenbsp;dans lequel se trouvait un gentilhomme de la Petite-Bretagne, nomménbsp;Gandales, avec sa jeune, femme accou-chée d’un fils nommé Gandalin.

La matinée, pour lors, était claire et le temps calme, ce qui permit k Gandales d’apercevoir lenbsp;petit coffre dans lequel était Fenfant d’Elisène, etnbsp;qui s’en allait de ci de Ik au gré des vagucs. II or-donna aux mariniers de se diriger de ce cóté-la, afinnbsp;do s’assurer du conlenu de ce coffret.

Les mariniers obéircnt. 11s mirent un esquif a Feau, s’approchèrent du berceau, croyaut avoirnbsp;affaire k quelque objetdeprix, et le ramenèrent ennbsp;grande hate k Gandales,

Quand ce gentilhomme le tint et qu’il cut levé la couverture sous laquclle était cache Fenfant et lesnbsp;riches draps dont il était enveloppé, il cut aussitótnbsp;soüpQon qu’il venait de bon lieu, corame d’ailleursnbsp;en donnaient témoignage Fépée et Fanneau qu’ilnbsp;trouva avec le reste. Lors, le prenant dans ses bras,nbsp;il en fut si compassionné qu’il se prit a maudire la


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LE CHEVALIER DE LA MER.

LE CHEVALIER DE LA MER.

jout en cheminant pour retourner ym Gaule, le roi Périon devint biennbsp;'mélancolique a propos du délais-sement de son Eliséne qu’ilaimaitnbsp;ijbeaucoup, et du songe qu’il avaitnbsp;/fait.

Et, tout en cheminant, il finit, toujours escorte de cette tristesse, parnbsp;arriver dans sesEtats.

wn Bientüt il manda vers lui les grands segnbsp;nbsp;nbsp;nbsp;seigneurs et prélats do son royaume,

les engageant é amener avee eux les ' ^ cleres les plus érudits qu’ils avaient dansnbsp;leurs diocèses ou contrées pour oxpliquer lenbsp;songe ci-dessus.

Lorsque le bruit de son retour fut répandu, non seulement ceux qu’il avait mandés, mais tous sesnbsp;vassaux vinrent le voir et protester de leur obéis-sance; car ils l’avaient en grande amitié et respect,nbsp;ct é tout moment ils craignaient de le voir suc-coinber dans les dangers auxquels 1’honneur et lanbsp;cbevalerie Pexposaient.

Aussi leur désir était de le voir toujours parmi eux; mais cela ne pouvait être, car son coeur n’étaitnbsp;satisfait que lorsqu’il avait mis é bonne fin de grandsnbsp;et hasardeux périls.

Les princes et seigneurs assembles, le roi les entretint des affaires du royaume avee un visagenbsp;aussi triste que possible. Le songe Tattristait lounbsp;jours, au grand chagrin de tout le monde; néan-moins, aprés avoir mis ordre aux affaires, il congé-dia tout le monde.

II retint seulement trois astrologues trés experts en matière de songes-, il fit entrep ces oracles dans

maratro qui, par crainte, avait si cruellenient aban-donné cette chétive et innocente creature.

Ge ne fut pas tout; il recueillit soigneusement les petits rneubles trouvés dans Ie coffret, et, con-fiant eet intéressant gargonnet è sa femme, il la prianbsp;de Ie considérer comrae un second fils, comme Ienbsp;frère putné de Gandalin, et de leur donner indiffé-remraent ü l’un et è l’autre ses maraelles gonfléosnbsp;d’un lait fortifiant.

La femme de ce genlilhomme était aussi pitoyablc que lui. Elle s’empressa de présenter Ie bout de sonnbsp;télin a ce petit garconnet, qui s’en erapara et lonbsp;vida tout dmne haleine, tant il avait soit; de quoinbsp;Gandales et sa compagne furent trés joyeux.

Leur navire marchait toujours, et toujours Ie temps était favorable. Si bien qu’en peu de jours,nbsp;ils prirent port en Ecosse, prés d’une ville tiomméenbsp;Antallia. Et, peu après aussi, ils arrivèrent en Tunenbsp;de leurs terres, en laquelle furent nourris et élevésnbsp;Ie petit Gandalin et le garconnet trouvé dans lanbsp;mer, qu’on prit naturellement pour deux fréresnbsp;jumeaux, Gandales ayant recommandé le secret la-dessus aux mariniers.

CIIAPITRE VI

Comment le roi Périon, partant de la Pelite-Brelagne, che-minaii ayant le coeur trop rempli d’ennui et de mélan-colie.

sa chapelle et leur fit jurer et promettre, sur la sainte Eucharistie, de leur donner, quels qu’ennbsp;puissent être les résultats, l’interprétation de leurnbsp;science.

Puis il leur récita Ie songe.

L’un d’eux, nommé Ungan-le-Picard, lui ré-pondit:

—Sire, songes sont choses vaines et doivent être tenus pour tels; toutefois, puisque vous le désirez,nbsp;donnez-nous terme pour y penser.

— Soit, dit le roi, donnez-moi votre réponse sous douze jours.

Mais pour qu’ils ne pussent s’entendre, il les fit séparer et surveiller pendant ce temps.

Le jour arrivé du rendez-vous, il prit a part le premier astrologue Albert de Champagne, et luinbsp;dit :

- Vous m’avez juré et promis la vérité; décla-rez-moi votre sentiment.

— Sire, je vous le dirai devant tous les autres.

— Trés bien, dit le roi.

Et il fit appeler les deux autres oracles.

—Mon avis, Sire, dit alors Albert de Champagne, est que la chambre fermée et ce que vous vites en-Irer par la porte secréte, signifie que ce royaumenbsp;dos et bien gardé sera envahi par quelqu’un, etnbsp;votre ccBur arraché et jeté en rivière, sera uue villenbsp;ou forteresse prise d’assaut sans retour.

— Et que signiftera l’autre cceur, dit le roi, dont je restais possesseur et qu’un autre traitre me ravitnbsp;é la grande colère du premier.

— Gela veut dire, répondit Albert, qu’un second envahisseur, poussé par un étranger, vous forceranbsp;contre son gré : voilé ce que je puis vous en dire.

— Le roi pria le second astrologue nommé An-talles, de lui donner son avis.

— Sire, Albert a trés bien dit, et je partage son opinion, a cette différence prés, que ce qu’il met aunbsp;fiitur est déjé arrivé par le fait de celle que vousnbsp;aimez. Ce qui me surprertcl, c’est que votre royaumenbsp;est intact, et si vous en perdez un peu, ce ne peutnbsp;être du fait d’un ami.

Le roi secoua la tête, car il ne trouvait pas l’explication compléte.

Mais Ungan-le-Picard so prit é sourire en homme qui en sait plus long que les autres. Le roi s’ennbsp;apercut et lui dit:

—11 n’y a plus que vous, Ungan, mon ami; dites hardiment votre pensée.

— Sire, j’ai corapris des choses que vous seul pouvqz entendre; faites done retirer les autres.

A ces mots, le roi et Ungan furent laissés en tête-a-tête.

— J’ai souri, sire, a propos d’un mot d’Antalles, que vous n’avez pas relevé, et qui pourtant estnbsp;sérieux, savoir que le songe vous était arrivé déjanbsp;par la personne qui vous aimait le raieux; main-tenant je vous dirai ce que vous croyez savoir toutnbsp;seul... Vous aimez en tel lieu, vous êtes heureux,nbsp;et cello que vous aimez est excellemraent belle.nbsp;Pour la chambre oü vous étiez, vous vous rappeleznbsp;l’apparition de votre aimée par une ouverture se-crèle; les mains qui ouvrirent votre coté, sont vosnbsp;baisers amoureux; le coeur qu’on en tirait veut direnbsp;qu’il y aura fils ou tille.

— Dites done, reprit le roi, pourquoi elle le jetait dans la rivière?...


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8 BIBLIOÏHEQUE BLEUE.

— Cela ne vous concerne pas, répondit Ungan; ue vous en inquiétez done pas.

— J’exige Ie tout, quoi qu’il en advienne.

— Sire, assurez-moi que vous n’eii saurez pas mal gré k celle qui aime si loyalement...

— Je vous Ie promets, dit Ie roi.

— Le coBur que vous avez vu jeter amp; l’eau est Ie premier enfant qu’elle aura de vous : il sera aban-donné.

— Et l’autre quo je conserverai ? deraanda le roi.

— nbsp;nbsp;nbsp;C’est qu’elle concevra un-autre enfant qu’onnbsp;ravira contre la volonté de la mère, cause de lanbsp;perte du premier.

— nbsp;nbsp;nbsp;Voici un cas bien étrange, dit le roi. A Dieunbsp;ne plaise que mes enfants soient aussi malheureuxl

— nbsp;nbsp;nbsp;Aux choses ordonnées et promises par Dieu,nbsp;dit Ungan, nul ne saurait contredire, le sage restenbsp;calme fi la pensee que Dieu agit en dehors de la raison des hommes... Oubliez, Sire, oubliez ce quenbsp;votre curiosité a voulu savoir; rapjiortez k Dieunbsp;toutes ces choses, et priez-le qu’elles arrivent pournbsp;sa gloire éternelle... Voilé le parti que vous deveznbsp;prendre...

Le roi, satisfait d’Ungan, le retint auprès de lui et le combla de biens.

Or, au moment raême oü le roi quittait ses phi-losoplies, une demoiselle plus riche de vêtements que de beauté se présenta devant lui et lui dit:

— nbsp;nbsp;nbsp;Saches, roi I’érion, que quand tu recouvrerasnbsp;ta perte, la seigneurie d’Irlande perdra sa fleur...

Cela dit, elle tourna bride avant que le roi put l’arrêter.

Le bon prince sentit encore augmenter ses do-lentes preoccupations.

CHAPIÏRE Vil

Comment le Chevalier de la Mer fut élevé par Gandales, el comment la fée Urgande-la-Déconnue apparut k ce chevalier.

L’enfant que Gandales avait fait appeler Chevalier de la Mer était devenu superbe, grace aux soins qui l’entouraient: il faisait Fadmiration de tout lenbsp;pays.

Gandales, un jour, prit fantaisie de s’aller esbat-tre aux champs, et, pour ce, s’arma comme il faisait au temps des aventures courues avec le roi Languines, lequel avait discontinue les armes.

Ghemin faisant, uue demoiselle s’approcUa de lui et lui dit:

— Gandales, si ce que je sais était connu de quelques grands personnages, la tète ne serail pasnbsp;longtemps sur tes épaules!...

— nbsp;nbsp;nbsp;Et pourquoi? demanda Gandales.

— nbsp;nbsp;nbsp;Paree que tu nourris leur mort en ta maison.

Le ciievalier n’avait jamais vu cette femme.

C était celle qui avait dit au roi Périon que quand sa perte serail recouverte, la seigneurie d’Irlandenbsp;perdrait sa Beur.

Gandales parut bien élonné de ces mots dont le sens lui échappait; il la pria de lui indiquer.

— Je te dis la vérité pure, repartit-elle.

Puis elle s’enfuit, le laissant fort pensif,

Bientót il Papergut accourant en bate et appelant é son secours; elle fuyait un chevalier armé.

Piquant alors des éperons, Gandales barra le chemin au poursuivant.

— nbsp;nbsp;nbsp;Misérable chevalier mal avisé, qui vousnbsp;pousse é outfager si lachement les demoiselles?nbsp;cria-t-il.

— nbsp;nbsp;nbsp;Comment? répondit l’autre, vous la défendez,nbsp;elle qui, par troraperie, perd raon corps et monnbsp;ame?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Peu m’importe! répliqua Gandales, je la défen-drai de tout mon pouvoir, car les dames ne doiventnbsp;être jamais corrigées ainsi, bien qu’elles l’aientnbsp;mérité.

— nbsp;nbsp;nbsp;Vous Tallcz voir, dit le chevalier.

Et, tout aussitót, il retourna vers le fourré d’ar-bres oü il avait laissé une belle demoiselle, sa mie, laquelle, voyant son danger, lui tendit vitementnbsp;sou écu et sa lance afin qu’il put se défendre. Unenbsp;fois armé, il revint vers Gandales, qui l’attendaitnbsp;b/avement.

Leur choc fut violent, è ce point que leurs lances furent rompues sur leurs ecus et qu’ils tom-bèrentde cheval.

Ils commencèrent alors un merveilleux combat a pied, qui eüt fini fort mal sans I’inlervention de lanbsp;dame qui avait implore Gandales.

Elle se mit entre les deux et leur dit:

— nbsp;nbsp;nbsp;Holé, seigneurs, c’est assez bataillé.

A ces mots, le chevalier qui la poursuivait se re-tira.

— nbsp;nbsp;nbsp;Or, venez, lui dit-elle, me demander pardon.

— nbsp;nbsp;nbsp;Trés volontiers, répondit le chevalier.

Et, jetant son écu bas et son épée a terre, il vint se prosterner k deux genoux devant elle, cequi sur-prit beaucoup Gandales.

La dame dit ensuite au chevalier :

— nbsp;nbsp;nbsp;Allez dire é cette demoiselle qui est Ié -basnbsp;sous les arbres, qu’elle parte aussitót, sinon quenbsp;vous lui couperez la tête...

Le chevalier obéit sans sonner mot et s’en alia dire é cette belle inconnue, que cependant il aimaitnbsp;plus que lui-mêrae ;

¦— Traitresse femme, je ne sais comment je mo retiens de te tuer présentementl...

La pauvrette s’apergut vite que son ami était en-chanlé et qu’il n’y avait rien a répliquer; elle monta sur son palefroi et s’éloigna le eoeur tout en deuil.

Celle que Gandales défendait lui dit;

.— Vous avez tant fait pour inoi, que je ne l’ou-blierai jamais, et maintenant vous pouvez aller oü bon vous semble, car si ce chevalier m’a offenséo,nbsp;je le lui pardonne de bon emur.

— Je u’ai que faire de votre pardon, répondit Gandales; je lerminerai ce combat, ou il s’avoueranbsp;vaincul...

— nbsp;nbsp;nbsp;11 faut laisser cela, reprit la demoiselle; carnbsp;seriez-vous le meilleur chevalier du monde, que jenbsp;m’arrangerais pour qu’il vous vainiiuit...

— Vous ferez ce que vous voudrez, répondit Gan-dalcs, mais je persisterai, é raoius que vous uo mo disiez pourquoi je garde la mort de beaucoup donbsp;geus de bieii.

—Je vousledirai, dit-elle, paree que je vous aime tous deux, lui comme ami et vous comme défen-seur.

Alors, le tirant é part, olie lui dit;


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LES CHEVALIERS DE LA MER. !)

— nbsp;nbsp;nbsp;Vous me jurez, en loyal chevalier, que per-sonne autre que vous ne Ie saura jusqu’a ce que jenbsp;vous en prie; sachez done que ï’enfaiit que vousnbsp;avez trouvé dans la mer sera quelque jour la fleurnbsp;de chevalerie, et sera l’épouvante des plus forts...nbsp;II fera de tels exploits qu’ils ne pourront êlre altri-bués a un seul homme... 11 vaincra les superbes; ilnbsp;sera doux et gracieux aux bons; il aimera en hautnbsp;lieu et tiendra comme chevalier Ie premier rangnbsp;d’amour. Je vous assure qu’il est fils de roi, et cer-laineraent ce que je vous dis arrivera... Si vousnbsp;rompez Ie secret, vous en serez bien puni.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ahl madame 1 répondit Gandales, dites-moi oünbsp;je puis vous Irouver pour conférer des affaires denbsp;eet enfant?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Ni moi ni d’autres ne pourront vous l’ap-prendre...

— Au moins, que je sache votre nom, s’il vous plait...

—Vous insistezsibien, reprit la dame inconnue, que je consens ii vous l’apprendre... Je vous dirainbsp;même que ce dont je suis Ie plus affolée est ce chevalier qui vient de partir... J’en fais pourtunt cenbsp;que je veux, saus qu’il puisse se révolter...

— Ainsi, demanda Gandales, votre uora est...

— Mon nom est Urgande-la-Déconnue... vous me connaissez maintenant, n’est-ce pas?...Et, pournbsp;que vous me reconnaissiez mieux désorrnais, re-gardez-moi bien des pieds la tête, s’il vous plait.

Ge quj disant, Urgande qui, aux yeux de Gandales, avail été jusque-lli une gente pucelle de di\-huit printemps au plus. fraiche comme une aurore, lui apparut vieille, ridée, rabougrie, rataliuée,nbsp;cassée et débile, si vieille et si chétive même, qu’ilnbsp;eut peur de la voir tomber de cheval.

Mais comme les fees, après tout, sont femmes par beaucoup de cólés, et qu’elles n’aiment pas ê êtrenbsp;vues trop longtemps sous une forme abjecte et dif-forrae, Urgande tira d'uneboite qu’elle portalt con-tinuellement sur elle un onguent particulier dontnbsp;elle s’oignit vitement, et, tout aussitót, elle repritnbsp;la forme sous laquelle Gandales l’avait aperoue, lanbsp;forme séduisante.

— Eh bien 1 que vous en serable ? demanda-t~elle h Gandales, ébahi. Croyez-vous qu’il soit possible de me Irouver sans ma volonté, si vite quenbsp;vous puissiez courir? Restez tranquille, je vous Ienbsp;conse.ille: tous les vivants perdraieut leurs pas a menbsp;suivrel...

^— Sur ma foi, madame, répondit Gandales, je n’en dqute pas; je vous supplie toutefois de vousnbsp;souvenir du chevalier, qui est délaissé de tous, hor-mis de moi seul...

— Ne vous en fachez pas, dit Urgande, eet abandon lui rapportera beaucoup; je l’airae plus que vous ne croyez, il doit par deux fois me servir, et,nbsp;de mon cóté, je lui rendrai deux services ê sa grandenbsp;joie. Que cela vous sufiise... Vous me reverrez plu-tót que vous ne croyez.

Gandales qui n’avait pas encore regardé Ie chevalier son adversaire, Tapergut la tète nue : il lui parut être uu des plus beaux gentilshommes qu’ilnbsp;eüt vus. II partit, escorlant la demoiselle.

De son cöté, Gandales revint ê son chateau et rencontra la demoiselle qu’Urgande avait séparéenbsp;dg son ami; cette dolpnte femme pleurajt au bordnbsp;d’une fontaine, il en fut facilement reconnu, et ellenbsp;lui dit:

— nbsp;nbsp;nbsp;Est-il possible, chevalier, que la méchantenbsp;femme que vous avez secourue vous ait laissé la vienbsp;sauve ?

— nbsp;nbsp;nbsp;Elle n’est pas méchante, répondit Gandales,nbsp;mais sage et vertueuse, et si vous n’étiez telle, jenbsp;vous ferais déinentir cette folie parole.

— nbsp;nbsp;nbsp;Eh Dieu 1 reprit-elle, comme elle sait trompernbsp;chacunl...

— En quoi done vous a-t-elle trompee? demanda Gandales.

— Hélas! soupira-t-elle, elle m’a enlevé ce beau chevalier qui mien était, je puis l’avouer, car il menbsp;préférerait h elle; et, si je Ie puis, je me vengerai.nbsp;Du resle, souvent il arrive qu’un jugement témé-raire amèue des suites facheuses.

Gandales la laissa et continua sa route, plus oc-cupé du Chevalier de la Mer (]ue de toules ces his-toires. II se trouva bientót prés de chez lui, et Ie jeune enfant l'ayant apergu, vint ê sa rencontre etnbsp;l’embrassa tendrernent. Gandales lui rendit ses caresses en se souvenant des paroles d’Urgande qui Ienbsp;concernaient; les larraes lui vinrent aux yeux, et ilnbsp;pria Dieu qu’il deviiil ce qu’il souhaitait qu’il fiit.

Le Chevalier do la Mer avait alors environ trois ans; il essuya les pleurs de Gandales, ce qui parutnbsp;h celui-ci d’un bon augure pour riiumanité qu’il de-vait avoir et les soins qu’il pouvait attendre de luinbsp;dans l’aveitir.

Aussi en eut-il grand soin et prenait-il plaisir a lui faire exercer rare et les jeux d’enfants avec lenbsp;petit Gandalin.

Le Chevalier avait six ans, que Ie roi Iianguines et sa femme, passant par lepays, s’arrêtèrent cheznbsp;Gandales oü l’on fit des fêtes. Gandales, averti ènbsp;temps, éloigna Ie Chevalier, de peur d’enlèvement hnbsp;cause de sa gentillesse, et le relégua avec de petitsnbsp;amis dans une retraite adjacente.

Par malheur la reine, regardant un jour par une lucarne, apercut le Chevalier de la Mer tirant denbsp;l’arc avec ses compagnons; elle fut frappée de sonnbsp;adresse et de sa bonne mine, et elle pensa qu’il étaitnbsp;le fils de leur hóte.

Lors, appelant ses femmes:

— Venez voir, leur dit-elle, le plus charmant être qu’on vit jamais!

Elles accoururent toutes et furent témoins des ébats du Chevalier qui, k ce moment, vint étanchernbsp;sa soif dans l’eau d’un ruisseau voisin. 11 avaitnbsp;laissé son arc prés du but, et un de ses compagnons, plus grand que lui, s’exergait avec; ce quenbsp;Gandalin voulut empêcher. Mais, comme il était denbsp;force inférieure, il cria bientöt a haute voix :

— Chevalier de la Mer, ü mon secoursl

Le Chevalier accourut ü ces cris, et, prenant l’arc avec violence, il en frappa a la tête l’adver-saire de G mdahn son frère, cn lui disant:

— Pourquoi oulragez-vous ainsi mon frère?

Le baitu, raécontent, se jeta sur le Chevalier; ils se colli'tèrent, mais bientöt terrassé, le premiernbsp;s’enfuit juste sur les pas de leur gouverneur, quinbsp;lui dit:

— Pourquoi te sauves-tu ?...

— Seigneur, répondit-il, le Chevalier de la Mer veilt me battr^,,,


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10

BlBLIüTHEQUË BLEUE,

Mors Ie gouverneur, s’approchant du Chevalier, lui dit dun air mcnacant:

— nbsp;nbsp;nbsp;Comment! déja vous êtes en rixe avec vosnbsp;compagnons? II vous en cuira, je vous Ie prédis

Le Chevalier de Ja Mer, se voyant ainsi menace, se mit amp; genoux et répondit:

— nbsp;nbsp;nbsp;S’il faut que je sois fouetté, j’y consens plutótnbsp;que de voir outrager mon frère en ma préserice...

En disant cela, les larmes jaillirent de ses yeux, ce qui émut le gouverneur.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ne recomrnencez pas, reprit celui-ci, car jenbsp;vous ferai pleurer d’autre sorte!

La reine, qui avail vu et entendu tout ce débat, se demandait pourquoi Ton appclait ce jeune garsnbsp;ie Chevalier de la Mer.

CIIAPITRE VIII

Comme le roi Languines emmena avec lui le Chevalier de la Mer, et Gandalin fils de Gandalcs.

Pendant que la reine regardait le Chevalier do la Mer, le roi entra avec Gandales; elle demanda ènbsp;ce dernier si ce bel enfant était Je sien.

— nbsp;nbsp;nbsp;Oui, madame, répondit Gandales.

— nbsp;nbsp;nbsp;Et pourquoi le faites-vous appeler le Chevaliernbsp;de la Mer? dit la reine.

— nbsp;nbsp;nbsp;Paree que, madame, repartit Gandales, il estnbsp;né-sur la mer, au retour d’un voyage que je lis der-nièrement dans la Pelite-Bretagnc.

— nbsp;nbsp;nbsp;Vraiment? fit-elle. II vous ressemble peu...

Elle parlait ainsi paree que le Chevalier de la Mer

était d’une grande beauté et Gandales assez laid de visage, quoique trés gentil compagnon.

Pendant cette conversation, le roi jeta é son tour ses yeux sur le chevalier, et celui-ci lui faisant lanbsp;mêihe impression qu’a la reine, il pria Gandales denbsp;le faire approcher.

— nbsp;nbsp;nbsp;Et puis, dit-il, au partir de céans, je l’em-raènerai avec moi et le ferai élever avec mon fils.

— nbsp;nbsp;nbsp;En bonne foi,Sire, répondit Gandales, il estnbsp;encore bien jeune pour quitter sa mere.

Malgré cela, le jeune garponnet fut présenté au roi, qui lui demanda s’il voulait venir é la cour.

— nbsp;nbsp;nbsp;J’irai oü il vous plaira, répondit le chevalier,nbsp;si mon frère vient avec raoi.

— nbsp;nbsp;nbsp;Et moi, dit Gandalin, je ne resterai pas icinbsp;sans lui.

— nbsp;nbsp;nbsp;D’après ce que je vois, Sire, reprit Gandales,nbsp;si vous l’emmenez, il fatidra prendre I’autrc aussi.

— nbsp;nbsp;nbsp;Cela me sied, répliqua le roi.

Et appelant son fds Agraies, il lui dit;

— nbsp;nbsp;nbsp;Mon fils, je veux que vous aimiez ces deuxnbsp;gentils bouts d’homme, comme j’aime moi-mêrnenbsp;leur père...

Gandales, voyant le roi tenir il son dessein, sentit les larmes lui venir aux yeux. II souhaita au fondnbsp;de sou eoeur que les prédictions d’Urgande fussentnbsp;vraies, surtout pour les grandes inerveilles promisesnbsp;aux armes du chevalier.

Le roi, qui observait Gandales, le voyant pleurer, le plaisank, disant;

— nbsp;nbsp;nbsp;Vraiment, je n’eusse jamais pensé que vousnbsp;füssiez assez fou dc pleurer pour un enfant!...

Ah I Sire, répondit Gandales, c’est avec plus

de raison que vous ne peusez que je pleure, et, s’il vous plait de m’écouter, je vous le dirai devant lanbsp;reine...

Mors il leur raconta comment il avait trouvé le Chevalier en mer, et dans quel équipage. II cutnbsp;méme parlé des prédictions d’ürgande, n’eüt été lenbsp;serment qu’il avait fait.

— nbsp;nbsp;nbsp;Et maintenant, ajouta-t-il, ordonnez de lui cenbsp;qu’il vous plaira, car, d'après son origine, je le croisnbsp;issu de hien grand lignage...

Le roi, après ce discours, complimoata Gandales d’avoir élevé si bien un enfant trouvé, et il lui repartit :

— nbsp;nbsp;nbsp;II est bien juste, puisque Dieu l’a protégénbsp;jusqu’ici, qu’a présent nous ayons pour lui desnbsp;soins contiuués jusqu’k son établissement.

— nbsp;nbsp;nbsp;Pendant son jeune age, je !e réclame pournbsp;moi, dité son tour la reine; lorsqu’il sera devenunbsp;homme, je l’abandonnerai a votre service.

— Prenez-Ie done I répondit le roi.

Le lendemain, le roi s’en voulut aller, et la reine, se gardant d’oublier le présent qu’on lui avait fait,nbsp;prit avec elle Gandalin et le Chevalier de la Mernbsp;qu’elle recommanda comme son fils è ses serviteurs.

CIIAPITRE IX

Comment, après la mort de Garinter, le roi Périon songea a rejoindre sa mie Elisène.

Périon était arrivé en Gaule, plus pensif que jamais, et ne comprenant pas beaucoup Texplicatioii donnée é ses songes et les paroles de la demoiselle,nbsp;h savoir; qu’au temps qu’il recouvrerait sa perte, lenbsp;pays d’Irlande perdrait sa fleur.

11 était Ié depuis quelque t((mps, lorsqu’une demoiselle vint é sa cour et lui remit uno lettre d’Eli-sèiie, laquelle lui annongait la mort du roi Garin-ler, sou père, et le priait de s’intéresser é son isolement, car le roi d’Ecosse voulait la spolier do son bien.

La mort du roi Garinter n’effraya pas le roi Périon ; il ne pensa qu’a une seule chose: il allait revoir sa mie, pour laquelle il brülait toujours.

II renvoya promptement la demoiselle en lui disant:

— Annoncez é votre maitresse que je me mets en marche, sans attendro un jour, pour accourirnbsp;auprès d’elle 1...

La demoiselle s’en rctourna satisfaite, et le roi, après avoir mis ordre é ses affaires, partit en bonnbsp;équipage vers Elisène.

11 marcha si vile qu’il apprit bientót, dans la Petite-Bretagne, que le roi Languines s’était appro-prié loutes les seigiieuries, sauf les villes, laisséesénbsp;Elisène par son père Garinter.

li marcha done dircctement vers Arcata, oü Elisène s’était rófugiée.

Sa réception fut inouïe d’allégresse. Lui-mème était en grande liesse d’etre auprès de ses amours.nbsp;Après muluels embrassemonts, il annonga a Elisène qu’il venait l’épouser et qu’ello ent ii rn avisernbsp;ses parents et sujels, ce qu’ello fit avec la plusnbsp;grande héte possible et avec autant d’aise que son


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11

LE CHEVALIER DE IA MER.

cceur en put désirer, car c’était Ie comble de ses affections.

Le roi d’Ecosse arriva bienlót pour rcccvoir avec ses gentilshomraes le roi Férion, son beau-frère.nbsp;Leur entrevue se fit avec force embrassements, et,nbsp;la noce terminóe, chacun pensa è s’en retournernbsp;dans son pays.

Le roi Périon, en revenant en Gaule avec sa femme, s’arrêta prés d’un ruisseau pour se rafrai-chir; et, pendant qu’on dressait les tentes, il poussanbsp;son cheval le long de Peau, en réfléchissant comment il saurait si Elisène avait eu un enfant ainsinbsp;que les philosophes le lui avaient assure d’après lenbsp;songe.

Tout en chevauchant et en rêvant, il arriva petit cl petit jusqu’a un ermitage, oü il mit pied é terrenbsp;pour ses devotions. Le vieil ermite qui se trouvaitnbsp;Ié l’aborda, lui demandant s’il était vrai que le roinbsp;Périon ayait épousé la belle Elisène.

— Oui, vraiment, répondit le roi.

— Dieu soit loué, reprit Termite, car je sais de bonne source qu’il en est vivement aimé.

— Et d’oü le savez-YOus? reprit le roi.

— De sa bouche même, dit le bonhomme.

Le roi, violemment intrigue et désireux d’ap-prendre la vérité, se fit connaitre a ce bonhomme, et lui demanda tout ce qu’il savait, en confidence.

— Gertes, répondit Termite, je pourrais passer pour uquot; hérétique, si jevous révélais des propos denbsp;confession... Qu’il vous sufiise do vous savoir ten-drement aimé; et, puisque je vous trouve si fort anbsp;propos, sachez qu’une demoiselle ra’a raconté, énbsp;votre premier voyage dans ce pays, des chosesnbsp;assez obscures que vous interpréterez peut-.êtrenbsp;mieux que moi... Ainsi, elle a annoncé que, de lanbsp;Petite-Bretagne, s’élèveraient deux dragons qui rè-gneraient en Gaule et, de Ié, iraient dévorer lesnbsp;autres animaux des autres pays; que, vis-a-vis denbsp;certains, ils seraient farouches et cruels, el, vis-é-vis d’autres, humbles et gracieux.

Le roi, aussi étonné que Termite, ne comprit é ce moment rien é cette prophétie que Tavenir de-vait pourtant voir accomplir.

Recommandant le saint homme é Dieu, il re-tourna vers Tendroit oü il avait fait dresser ses lentes et ne paria point ü la reine de ce qui Tavait tant préoccupé dans la journée.

II dissimula jusqu’ü la nuil, et, dès qu’ils furent coucbés,il en arriva, après les embrassements habi-tuels, è lui parler de Texplicatiou du songe, lanbsp;priant affectueusement de lui avouer si elle avait eunbsp;un enfant ou non...

Honteuse et surprise, Elisène nia entièrement la vérité, de sorte que le roi ne put rien savoir et re-tomba dans ses perplexilés.

^ Le lenderaain, ils parlirenl, et, finalement, arri-VGrönt 6n uamp;ul6 ou Ift rciuo fut rc^uc avee grandö joie par tous ses peoples; ce qui allongea leurnbsp;voyage tant et si bien, (|u’au débotté la bonne damenbsp;se trouva grosse d’un hls qu’on norama Galaor, etnbsp;puis d’une fille qu’on nomina Mélicie.

Le jeune Galaor avait deux ans et demi, lorsqu’un jour, se trouvant au bord de la mer avec son père,nbsp;dans une ville appelée Orangil, et jouant avec sanbsp;mère et ses suivanles prés d’une fenctre, on vit en-trer par une poterne un énorme géant, armé d’unenbsp;lourde massue,

A eet aspect, les ferames s’enfuirent dans les bois; d’autres se jeièrent par terre pour éviler lenbsp;regard du géant qui, au lieu de s’en émouvoir, s’ennbsp;vint droit au jeune Galaor, le prit et s’en retournanbsp;par oü il était venu vers un brigantin qui Tatten-dait et qui prit aussitót le large.

Cependant la reine, oubliant toute peur, courut éplorée pour délivrer son cher fils. Mais quaud ellenbsp;vit qu’il allait disparaitre avec son ravisseur, quandnbsp;elle Tentendit crier au secours, elle sentil sa douleurnbsp;plus forte que la mort même, et, au souvenir denbsp;Tautre enfant qu’elle avait abandonné è la merci desnbsp;flots, elle tomba foudroyée par une angoisse horrible.

Le roi Périon avait suivi du regard toute cette scène, dont il se trouvait malheureusement tropnbsp;éloigné pour y intervenir. Un instant, partagé en-tre son amour pour son fils et son amour pour sanbsp;femme, ii hésita sur ce qu’il devait faire. Pourfant,nbsp;s’armant de courage, il courut a la reine, lui fit dunner des soins et s’en occupa si bien qu’elle finitnbsp;par recouvrer ses sens.

Elisène, désespérée, s’abandonna aux larmes. Celte perte inattendue, cette perte irreparable lanbsp;navrait. Elle émut de pitié tous les assistants, et cenbsp;ne fut qu’au bout d’une heure que le roi parvint anbsp;la calmer, en lui disant:

— Madame, il faut louer Dieu de tout, même de cette douloureuse aventure; car le songe dont jenbsp;vous ai parlé se réalise en ce moment Galaor estnbsp;le dernier coeur qui devait nous être enlevé contrenbsp;notro gré... Quant au premier, vous pouvez me ré-véler ce qu’il en est advenu... Je suis pret k tout.nbsp;D’ailleurs, dans Tétat oü vous étiez alors, on nenbsp;peut vous blamer de son abandon.

A cette parole, Tinfortunée Elisène se sentit si troublée par le reraords, qu’elle se laissa aller ü ra-conter è Périon une parlie de la vérité, le suppliantnbsp;de Jui pardonner ce crime qui veuait de la craintenbsp;de la mort ignominieuse a laquelle, suivant les loisnbsp;du pays, elle se serait expcsée en s’avouant merenbsp;avant d’être femme.

— Soyez assurée, madame, répondit gravement le roi, que je ne vous en voudrai jamais... Et, pournbsp;que vous ayez, comme moi, confiance dans le sortnbsp;qui attend nos enfants, disons-nous bien que s’ilsnbsp;nous causent aujourd’hui ces amères angoisses, ilsnbsp;nous vaudront plus tard d’heureux jours.

Cette conversation en resta lü.

Le géant qui avait ernporlé Galaor était du pays de Léonois, prince d’une ile nommée Gandalan,nbsp;munie de deux places fortes.

D’un naturel assez paisible, Toffense le rendait furieux et cruel... II revint a force de voiles dansnbsp;le lieu qu’habitaient des chrétiens, et il remit Ten-fant a un ermite de tres sainte vie auquel il recom-manda de Téleyer en chevalier, Tassurant qu’il étaitnbsp;fils de roi et reine.

— Ah! dit Termite, pourquoi ayez-vous commis cette cruaute de Tenlever a sa familie?...

— Jevousledirai, reprit le géant. Vous devez savoir qu’ayant enlrepris de combattre le géant Al-daban, qui tua lachement mon père, et qui me re-tient oncore aujourd'hui le rochcr de Galtares, mon fief, j’ldais embarqué déja, lorsqu’une demoiselle vint vers moi et me dit: « Tu. t’abuses, car cenbsp;que tu attends doit être Toeuvre du fils du roi Pé-


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n BIBLIOTHEQUE BLEUE.

n BIBLIOTHEQUE BLEUE.

sit Ie,

rion de Gaule, qui aura beaucoup plus de force et do courage que tu n’en as toi-mêine. Tu senlirasnbsp;cette vérité au moment oü les deux branches d unnbsp;arbre, séparées aujourd’hui, se rejoindront... »

Puis, cette menace faite, elle m’indiqua l’endroit oü je trouverais celui que je vous confie aujourd’hui... Voila loutl...

G’est ainsi que Ie jeune Galaor demeura sous la conduite du saint hornme et y resta si longtempsnbsp;qu’il n’en sortit que juste au moment d’êlre recunbsp;chevalier.

CHAPITRE X

Comment Ie roi Lisvart, naviguant par mer, prit \ port en Ecosse, oü il fut grandement honorcnbsp;I et accueilli.

^ n ce teraps-la régnait en la Grande-J-'Bretagne, un roi nommé Hanga-/ ris qui, mort sans enfauts, laissa i-lü'ritier un sien frère nomrné Lis-J varl qui venait d’épouser Brisène,nbsp;’¦'*~fille du roi de Danemark, la plusnbsp;belle dame qui fut alors dans toutnbsp;lo septenlrion.

f* Bien qu’elle eüt été demandéo par raaiïits gentilshommes, elle étaitsansnbsp;mari, son père craignant, en la donnantnbsp;a l’un, de déplaire a l’autre.

Voulanl en finir avec eet état, elle choi-,e jeune prince Lisvart qui lui faisail la cour et dont elle crannaissait 1’esprit et Ie cceur.

Hangaris mort, les princes de la Grande-Breta-gne sachant que les droits de Lisvart lui donnaient Ie royaume, quoique élranger, lui envoyèrent desnbsp;ambassadeurs pour l’inviter a prendre possessionnbsp;du royaume et des sujels.

Le roi Lisvart, obéissant au désir de ses sujets, fit voile pour la Grande-Bretagne, et passant de-vant l’Ecosse, il s’arrêla chez Languines, roi de cenbsp;pays, qui le rcQut magnifiquement.

Lisvart voyageait avec sa femme et sa jeune fille nomraée Oriane, alors ègée de dix ans et d’unenbsp;grande beauté, ce qui l’avait fait surnommer Unique. La mer l’avait fatiguée beaucoup, et son père,nbsp;inquiet, la confia au roi d’Ecosse jusqu’a ce qu’il lanbsp;fit reprendre ; puis il revint chez lui assez ü tempsnbsp;pour réduire quelques rebelles.

La jeune fille resta done avec le roi et la reine d’Ecosse, se reposant et s’égayant jusqu’a ce quenbsp;son père l’envoyat quérir.

La reine lui dit un jour:

— Ma mie, je veux désorraais que Ie Chevalier de la Mer vous serve, et soit vótre.

Oriane accepta volontiers, et le chevalier se prit tout-a-coup d’un grand amour, qu’il fit partagernbsp;bieiitóta la jeune priucesse. Toutefois, le chevaliernbsp;se jugeant indigne de cette faveur, ue monlrait pasnbsp;toute sa passion, et de son coté, la jeune fille évi-tait de faire soupQonner Ia sienne.

Mais eet amour se reflétait dans le langage de leurs yeux sans que leur bouche en fut l’inter-prète.

chevglier niédjla de se faire recevoir chevalier

afin de commencer sa réputation et il en paria au roi Languines; celui-ci lui répondit ¦

— Comment, Chevalier de la Mer, vous vous croyez déja assez solide pour soutenir une pareillenbsp;charge. Recevoir l’ordre est aisé, mais différez encore quelque temps afin d’etre ü la hauteur de cettenbsp;dignité.

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, repartit le Chevalier de la Mer, si jenbsp;n’avais la résolution de faire tout ce qui appartientnbsp;a chevalerie, je n’eusse pris la hardiesse de vousnbsp;présenter ma requête; daignez me I’octroyer, sansnbsp;quoi je chercherai, hors de votre service, meilleurnbsp;accueil.

Le roi lui promit alors de s’occuper de sa reception ; il l’invita a faire préparer ses armes et accoutrements; puis il en avertit Gandales qui en fut trés aise.

Ce dernier dépêoha même une demoiselle appor-tant l’épée, I’anneau et la lettre scellée trouvés dans le berceau du chevalier sur la mer.

Lorsqu’on vint avertir Ie chevalier de ce message, Oriane et lui devisaient d’amour et Ia jeune prin-cesse exigea qu’on fit entrer l’étrangère pour sa-voir d’elle le but de sa mission.

La demoiselle remit de la part de Gandales, les objets qu elle apportait, et le roi d’Ecosse étantnbsp;survenu, les regarda avec attention, le chevaliernbsp;adrnirait l’épée dont le fourieau manquait et le roinbsp;se prit a leur dire ;

— nbsp;nbsp;nbsp;Vous voulez être regu chevalier; en aveznbsp;vous bien le droit ? Sans plus tardcr, je vais vousnbsp;dire ce que j’en sais.

Et il lui raconta comment il avait été trouvé sur sur les flots avec cette épée et un coffret contenantnbsp;un anneau.

^— Je crois, dit le Chevalier de la Mer, que vous m’avez fait lè une histoire, et cette demoiselle, ennbsp;disant qu’elle m’apporte ces objets de la part denbsp;raon bon ami Gandales, a voulu dire rnon père.nbsp;Mais si vous avez dit vrai, si je suis sans parents, je ne m’en eslime pas moins getilhomme,nbsp;car mon coeur me le dit. II faut, è plus forte raison, que je sois chevalier, afin de m’acquérirnbsp;l’honneur et le nom dont j’ai été déshérité ennbsp;naissant.

Le roi l’estima beaucoup de cette fermeté, et jugea qu’il serail un chevalier d’honneur et denbsp;grand courage.

Comme ils devisaient, on avertit le roi de l’arri-vée de Périon, son frère. Ce dernier, menacé par le roi d Irlande et Daganil, son roi, avait déjanbsp;abandonné è leurs armes la ville qii’il hahitait, etnbsp;venait chercher l’aide de ses amis, dont il avaitnbsp;grand besoin.

Languines lui promit son appui, et Agraies de-manda la permission d’etre du nombre des guer-

ners, ce qui lui fut accordé.

Le Chevalier de la Merdésira encore plus d’etre recu; il souhaitait de recevoir l’ordredes mains denbsp;Périon, dont il avait entendu vanter les prouesses;nbsp;il s’avisa de prier la reine d’etre son intermédiaire,nbsp;mais il la voyait si triste qu’il songea ü Oriane.nbsp;Pour la première fois, il lui deraandait une grace,nbsp;et Oriane I’accueillit avec une vive émotion.

Le Chevalier paria de son indignité d’etre écouté par la jeune piincesse, mais il en dit assez pournbsp;faire accepter ses services; ii attesla même les pU'


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LE CHEVALIER DE LA MER. 13

LE CHEVALIER DE LA MER. 13

i'oles de la reine, qui 1’avait fait accepter comme servant.

Oriane répondit qu’elle lui savait gré d’avoir pris au sérieux ce qui s’était passé alors, et qu’ellenbsp;en agissait de inême.

Le Chevalier de la Mer ne put trouver une parole a cette déclaration, et Oriane le quitla pour revenir bicntnt lui conFier la cause du chagrin denbsp;la reine; c’ét iit 1’invasion du roi d’Irlande dans lesnbsp;Etats de ht Gaule habitcs par sa sceor.

Oriane mit dansses intéréts l’infanteMabile, qui estiraaii beaucou]) le Chevalier, et elles complotè-rent de faire habiller le Chevalier et placer dansnbsp;la chapelle au milieu de leurs femmes (4 dans leurnbsp;compagnie ; el, lorsque le roi Périon serail prêl anbsp;s’en retourner, cfles I’enverraientdemanderetob-tiendrait facilemenl de sa bonté la reception dunbsp;Chevalier.

Le Chevalier, élant averti, alia trouver Ganda-lin et le, pria de porter secrèlement ses armes dans Ia chapelle de la reine, paree qu’il devait ctre faitnbsp;chevalier dans la nuit; il lui dcraanda s’il le sui-vrait, en cas de voyage.

Gandalm promit de ne pas abaiuloniier le Chevalier et s’occupa de tout préparer.

Après souper, le Chevalier se rendit a la chapelle, s(‘, lit accoutre!', sauf les mains el la tcte,et, en attendant les dames et le roi Péi ion, il pria Dieunbsp;de l’aiuer non-seulement dans ses armes, maisnbsp;aussi dans son amour.

La nuit venue, la reine se relira dans ses appar-tements.

Alors les princesses Oriane et Mabile, et leurs datiies, entrèrent dans la chapelle oü était le Che-valii'r, et, au moment oü le roi Péiion enfourclniitnbsp;son cheval, Mabile, I’envoya supplier de la visiternbsp;avant son départ.

Le roi se rendit prés de Mabile, qui le pressa d’accorder a Oriane ce qu’elle allait lui demander.

Lors, Oriane, montrant le Chevalier a genoux devant l’aulel, pria Périon de lui octroyer 1’oidrenbsp;de chevalerie.

Périon, ébloui de la beauté d’Oriane, s’avanga prés du Chevalier et lui dit :

— nbsp;nbsp;nbsp;Mon ami, voulez-vous recevoir l’ordre denbsp;chevalerie.

— Oui, Sire, s’il vous plait, répondit le Chevalier.

— De -par Dieu soitl dit le roi, et faites qu’il s’é-lève aut tnt que votre valeur le pourra.

Puis il lui chaussa Léperon droit, lui ceignit 1 épée, ajoiitant ;

— nbsp;nbsp;nbsp;Maintenanl, vous êtes chevalier, mais j’auraisnbsp;voulu plus d’eclal a votre réception; voire renom-inée suppléera a ce qui manque aujourd’hui commenbsp;représentation et appareil.

Puis le roi Périon prit congé des dames, qui le remercièrent grandemenl, et il se mit en cherainnbsp;pour retourner en Gaule, recommandant a Dieunbsp;son nouveau chevalier.

Comment le Chevalier de la Mer débuta dans les armes par une victoire.

ur le print d’entrer en campagne, le Chevalier voulut preudre secrètemimt congénbsp;d’Oriane. Celle-ci, qu’uiinbsp;départ aussi précipité ren-dait plus amoureuse en sounbsp;Arae, couliut pourtant lesnbsp;battements de sou pauvre emur; ellenbsp;dit au Chevalier ;

— Avant votre départ, je vous prie de me declarer si vous êtes filsnbsp;de Gaiid-'les; si j’en crois mon juge-ment, vous devez être de meilleurenbsp;souche.

Le Chevalier de la Mer lui raconta ce qu’il tenait du roi Latiguines; ellenbsp;en fut siiigulièremeiit ravie, et lenbsp;laissa parlir, le recommandant anbsp;Dien.

Gandalin atlendait son Chevalier, tenant en laisse un chi'val solide etnbsp;porlant les ai mes di* son mailre. Lesnbsp;deux cavaliers quiltèreut la ville anbsp;la pointe du jour, saus être vus, etnbsp;gagnèrent une, immense forrt, qu’ilsnbsp;traversèrent en pai lie jusqu’au soir. La faim les fitnbsp;s’arrèter pour manger ies vivres que Gandalin portalt avec lui.

Ils entimdirent prés d’cux une voix plaintive vers laquelle le chevalier dirigea son cheval. Deuxnbsp;cavaliers étaient éteiidus sur 1’herbe, l’un mort etnbsp;I’antre prêt de l’être; sur ce dernier, une femmenbsp;accroiipio déchirait les plaies avec ses maius pournbsp;hater le trépas du moribond.

Lc Chevalier, iiidigné, la chassa avec mépris et donna des soins au blessé, dont la voix revint peunbsp;a peu.

Ce malheureux raconta au Chevalier que la femme qui fuyait était la sienne, qu’il 1’avaii trou-vée couchée avec le cavalier trt'passé, dont il s’était vengé, et sa femme, craignant d’être aussinbsp;l’objet de sa fureur, avait cherché, profitant de sanbsp;faiblesse, a amener sa mort en plongeant ses mainsnbsp;dans les blessures qu’il avait regues de son adver-saire.

11 demandait en grace au Chevalier de le faire transporter a hermitage prochaiu, afin qu’il putnbsp;sauver sa pauvre ame a defaut de son corps.

Le Chevalier, érau de compassion, le conlia a Gandalin, qui le transporta a l’ermitage.

Pendant ce temps, la femme disparut.

Cette cqquine, ayant prévu les suites de sa conduite, avail prié trois de ses frères de venir au devant d’elle dans un champ voisin; elle lesrejoignit


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bientót et leur cria, aussitót qu’elie les apergut :

— Pour Dieu, secourez-moi! Volei deux brigands : l’un a tué Ie cavalier qui est éteridu la, et 1’autre a mis mon mari a toute extrémité ; iis sontnbsp;aussi coupables l’un que l’autre, ne leur fades au-cun quartier.

Elle espérait, par cette tromperie, sauver les ap-parences de sou crime.

Au memo instant, Ie Chevalier de la Mer reve-nait de l’ermitage oü il avail quitté Ie cavalier óva-noui.

Les trois fières lui coururent sus, bien certains de sa félonie, et Ie menacèrent de mort.

— nbsp;nbsp;nbsp;Par Dieu 1 dit Ie Chevalier de la Mer, pail-lards, vous mentez, et je saurai bien me défendrenbsp;de tiaitres pareils a vous,

11 avait, beureusement pour lui, l’écu levé, la lance bien en main et l’armet lacé; il fondit, sansnbsp;prévenir, sur Ie premier, qu’i! démonta ainsi que Ienbsp;second, pergant Ie bras d’outre en outre a fun ctnbsp;meurtrissant 1’épaule de l’autre.

Puis il attaqua Ie troisième, auquel il donna un si vigoureux coup sur l’armet, que Ie pauvre gen-tilhomme,voulaijt se retenir au cou de son clieval,nbsp;perdit 1'équilibre et roula par terre.

La mauvaise femme qui avait araené ses frères prit la fuite; ce que voyant Ie Chevalier, il cria hnbsp;Gaudalin de l’arrêter.

Le cavalier démonté Ie dernier se releva et dit au Chevalier :

— Seigneur, nous ignorons si co combat est lé-gitime ou injuste.

— II est fort injuste, répondit le Chevalier, a moins que je n’aie eu tort de secourir le mari denbsp;cette .coijuine qu’elle achevait de faire mourir avecnbsp;cruauté.

Les trois chevaliers coraprirent par ces paroles que leur soeur les avait abuses. Ils racontèrent aunbsp;Chevalier^de la Mer ie récit mensonger de leurnbsp;soeur, et s’excusèrent d'avoir engagé avec lui un sinbsp;méchant combat dont ils étaient punis de reste.

— En bonne foi, leur dit le Chevalier de la Mer, vous saurez toute la férocité de cette femme en in-terrogeant son mari que j’ai fait transporter pros-que mort a eet ermitage.

— nbsp;nbsp;nbsp;Puisqu’il en est ainsi, répondirent les troisnbsp;frères, disposez de nous qui sommes a votre meroi.

— Je ne vous laisserai parlir, iusista le chevalier, qu’après m’avoirjuré de mener cette femme et sou mari vers le roi Languines, et la, eu leurnbsp;presence, vous raconterez tout ce qui est arrivé;nbsp;vous lui direz aussi que vous avez été conlrainls anbsp;cela par un chevalier nouveau parti comalin rnémenbsp;de sa cour; que ledit chevalier supplie le roi Languines de juger ce méfait ainsi qu’il lui plaira.

Après avoir jure et promis de tout exéciiter, ils quittèrent le chevalier, qui continua sa route aprèsnbsp;leur avoir souhaité bon voyage.

CHAPITRE XII

Comment Urgandc-la-Déconnue apportaunc lance au Chevalier de la Mor, et comment il s’ógara, avccunc demoiselle, par suite do la malignité d’iin écuyer qui voulait Ic voirnbsp;combaltre.

ne Ibis cette querclle dó-mêlée avec les trois clie-vahers,le Chevalier de Ia ¦Mor reprit sa voie. II avaitnbsp;cl peine cheminé, qu’il vitnbsp;venir a lui, par deux sen-tiers différents, deux gen-1 es demoiselles,dont urnenbsp;porlait une lance aunbsp;poing.

— Seigneur, dit cette dertiière, prenez cettenbsp;lance que je vous donnenbsp;el dont vous aurez grandement besoin d’ici Iroisnbsp;jours, et qui vous servira a délivrer de péril denbsp;mort la maisoii dout vous étes issu.

— nbsp;nbsp;nbsp;Comment, demoiselle, peut vivre ou mourirnbsp;une roaison ? deraanda le chevalier.

— nbsp;nbsp;nbsp;II en sera ainsi que je vous dis, répondit lanbsp;demoiselle. J’ai voulu vous faire ce présent pournbsp;commencement de recompense de deux plaisirs quenbsp;j’espère savoir de vous...

Ge disant, la demoiselle chassa rudement son pa-lefi'oi ct passa outre.

L’autre demoiselle, se voyant ainsi abandonnée de sa compagnie, déhbéra de demeurer pour quel-ques jours avec le Chevalier de la Mer, pour voir cenbsp;qu’il ferait.

— Seigneur, encore que je sois étrangèrc, je demeurcrais bien volonlicrs avec vous pour quel-que temps, si cola vous était agréable, et jc ditïé-rerais un voyage que j’ai a faire...

— De quelle terre êtes-vous, s’il vous plait? deraanda ie cticvalicr.

—De Dancmark, répondit-elle.

— Si vous voulez rne suivre, reprit alors le chevalier, je vous promets, demoiselle ma mie, de vous garder è mon pouvoir... Mais, dites-raoi, con-naissez-vous cette dame qui vient de m’octroyernbsp;Cette laiice?...

— Jamais je ne l’avais vue avant de la rencon-trer dans ce cliemin qui nous a condiiitcs toutes deux vers vous...Ëllc et moi nous devisames, etnbsp;elle in apprit qu’elle portail une laucc au mcilleurnbsp;chevalier du monde... C’était vous, è ce qu'il paruit... Elle vous aime beaucoup, el s’appellenbsp;Urgande-Ia-Déconnue,

— Ah! s’écria le elievalior, je suis mal fortum' de ne l’avoir pas su plus tot 1... Groyez bien que sinbsp;je ne me lance point a cette bcurc sur ses traces,nbsp;c’est paree que je sais que ce serait inutile, étaiitnbsp;eonlre sa volonté...

G’est en devisaut ainsi quo le Chevalier de la Mer et sa gente compagnc prirent chemin, un pennbsp;a raventure. Lanuit les surprit avant qu’ils eussentnbsp;sou gé a SC procurer un gite. Ileureusement que,nbsp;de fortune, passa par la un (icuyer qui leur demandanbsp;0(1 ils coraplaient si (ard s’héberger.


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LE CHEVALIER DE LA MER. 15

LE CHEVALIER DE LA MER. 15

— nbsp;nbsp;nbsp;Oü uous pouri'ons, répondit Ie Ghevaliev denbsp;Ia Mer.

— nbsp;nbsp;nbsp;'Alors, seigneur, si vous voulez trouver logis,nbsp;il faut délaisser la route que vous suivez lèi, etnbsp;prendre celle que je vais vous iudiquer et qui vousnbsp;conduira au chÉiteau de mon père, lequel vous fet anbsp;tout l’honneur et bon traiteraent qu’il pouvra.

Le Chevalier de la Mer accepta, et l’écuyer, qui avait son intention, le conduisit, aiusi que sa coiinnbsp;pagne, a son propre logis, oü ils passèrent tousnbsp;trois la nuit. Le Icndeniain, ils se remirent ennbsp;route, et l’écuyer, sous prélexle de le guider, lesnbsp;conduisit dans un chateau qui n’était pas celuinbsp;dont il leur avait parlé la veille. Cette l'orteressenbsp;était en une assieltc plaisante et solide. Tout anbsp;I’entour, en effet, courait une eau roide et profonde,nbsp;et il n’y avait, pour y arriver, d’autre passage possible qu'un long pont-levis, au bout duquel étaitnbsp;une tour belle et haute poiir le dél’endre.

— Marchez devant, dit le Chevalier de la Mer a récuyer.

L’écuyer passa devant, la gente demoiselle le suivit, et le Chevalier de la Mer suivit la demoiselle, en songcottaat a sou Oriane. 11 n’avait pasnbsp;fait deux pas qu'il entendit un grand vacanne quinbsp;était groduit par six hallebardiers arniés araeutésnbsp;autour de la jeune pucelle. Ils voulaient la lorcernbsp;de faire serment de n’avoir jamais amitié pour sonnbsp;ami, s’il lie lui proniettait d’aaler au roi Abiesnbsp;contre le roi Périon. Maïs la demoiselle rel'usait,nbsp;et, au moment oü le chevalier relevait la tête et lanbsp;tournait de son cóté, elle lui cria qu’on la voulaitnbsp;OU trager.

A cette clameur, le Chevalier de la Mer s’élanca au bout du pont et, s'adrcssaiit a ces paillards, ilnbsp;dit:

— Traitres vilains, qui vous a permis de jiortcr Ia main sur cette demoiselle qui est en ma conduite?...

Et, tout en disaut cela, il s’appvocba incontinent du plus grand des six hallebardiers, lui arra-cha hrusquement sa hachc et lui en bailla un si rude coup qu’il rabaltil. Lors, les cinq camaradesnbsp;de ce paillard tournèreiit ensemble leur rage contre lui, résolus a tirer vengeance du meurtre qu’ilnbsp;veiiad de commetlrc. Mais le Chevalier de la Mernbsp;évitafassaut etse mit a faire jouer sa hache aunbsp;milieu d’eux cl’une si api'e faqon qu'il parvint a senbsp;débarrasser de trois d’eulre eux. Ceux qui vestment,nbsp;voyant leurs compagnons si mal accoutres, jugè-reul alors prudent de s’eiifuir.

Blarchez hav.iimcnt mainteuaut! cria Ie che-vaher a la (Icmoisclle, a demi-rassurée.

hlie obéit et s’avaiiQa, mais ce fut pour reculer Dientot, a cause des rumours qu’elle venait d’en-tendie en s approchantdela forleressequi, en elTct,nbsp;elait a cette heure en proie a une grande emotionnbsp;et a un grand tumulte de geus.

— Ah 1 s'écria-l-ellc, Chevalier, il se passe céans quelque horrible chose 1 Armez-vous, chevalier,nbsp;armez-vous 1nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;’

— Marchez, marchez, et n’ayez peur! répondii tranquillement le Chevalier de la Mer. N’ayoz peur,nbsp;vous dis-je, ear li» oü les demoiselles, qui parloutnbsp;doivent ètre respectées, son't mallraitées,ü ne peutnbsp;y avoir homme ([ui vaille!...

Ils passèrent outre et entrereut dans le chateau, a I’entree duquel ils reiicontrèrent uu écuyer quinbsp;s’ea retouriiait, et, eu cheminaut, pleurait amère-ment, disant saus intervalle :

— Hé Dien! comme ils meurtrissent saus occasion le meilleur chevalier du monde !... Hélas! ils le veulent forcer de promettre ce qu’il lui serailnbsp;impossible d’accqmplir!...

Le Chevalier dé la Mer allait arreter eet homme pour lui deraander Fexpiieation de sa douleur,nbsp;lorsqu’il avisa le roi Périon, trés mal mené par deuxnbsp;chevaliers qui, abiés de dix hallebardiers, 1’avaieulnbsp;acculé de toutes parts et lui disaient;

— Jurez ! jurez 1 ou vous êtes mort!...

Le Chevalier de la Mer, iiidigné de voir taivt de geus outrager le roi Périon, leur cria :

— Traitres paillards, qui vous meut done de vous adresser si lachemcnt au meilleur chevalier dunbsp;monde? Par Dieu ! vous en mourrez tous, pour eetnbsp;outrage 1...

L’un des chevaliers, devant cette menace, prit avec lui cinq hallebardiers et, accourant sus aunbsp;vaillaut jeune homme, il lui dit

— II convient que vous juriez vous-même, qui parlez si haut et si fort; sinon vous ne nous échap-perez pas plus que les autres!..,

Tout aussitót, les portes du chateau fureut fer-mées de faqon è couper la retraite, et le Chevalier de la Mer coraprit qu'il élait saison de se défendre.

CHAPITRE XIII

Comment le Chevalier de la Mer, conduit maligncment par un écuyer dans une fortoresse, prolégea le roi Périon.

e Chevalier de la Mor, sansmarchan-der une soule minute, courul le plus roide qu’il put contre 1’hommc qui venait de parler, et il le chargea de lelienbsp;sorte qu’il le reiiversa par dessus lanbsp;croupe de son cheval, mort ou ii’ennbsp;valant guère raieux. Puis, sans s’arrê-ter aux hallebardiers, il selauqa incontinent sur le second chevalier avec'nbsp;qui le roi Périon se mesurait en cenbsp;moment, et bientot, inalgrél’écu et lenbsp;haubert dont il était recouvert, ilnbsp;Feiivoya tenir compagnie anbsp;son camarade sur le sol.

Ainsi secouru si fort k ’propos et si vailiamrneut,nbsp;Ie roi Périon sentit le camrnbsp;lui croitre, et il s’éveiluanbsp;plus gaimciit qu’auparavaiit contre lenbsp;reste de cetto canaille; tellement que,nbsp;aidé du Chevalier de la Mer, il iiettoyanbsp;rapidement la place a coups d’épée.nbsp;Ceux qui n’élaitmt pas raoi ts s’enfuirent en escala-dant les murailles.

Lo Chevalier de la Mer, échauffé par cette lutte, ne voulut la cousidérer comme terminée que lors-(|u’il ne verrait plus un seul de ces misérables vi-vauts. lis fuyaierrt, il se mit a les poursuivre. Beau-coup, qui croyaieiit avoir le lomps d’escalader lesnbsp;tiiiirs, ne le puren! et retombèrent meuriris sur lenbsp;sol, entamés p;ir la lance du Chevalier de la Mer.


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II en reslciit encore deux, cepeiidant, qui, de vitesse, eiitrèrent en une salie oü ils perisaient êtrenbsp;al’abri de la colère de leur impétueux eimemi. Ilsnbsp;se Irorapaient comrae les aulres : Ie Chevalier denbsp;la Bier entra sur leurs talons, et se trouva quant etnbsp;quant eux devantnn vieillardgisant dans un lit.

— Laches peudards! cria ce vieux hotnme avec toute l’énergie qui lui restait, laches pendards!nbsp;devant qui fuyez-vous ainsi, comine de misérablesnbsp;lièvres effrayés d(! leur oinbre ?...

—Devantunchevalilt;'rqui fait la-bas diablerie?... répondit un des deux soudards. 11 a tué vos deuxnbsp;neveux et tous nos compagnons.

— Paillard ! dit alors Ie Chevalier de la Mor en intervenantbrusquement et en saisissantl’hommenbsp;qui venait de parler, paillard! dis-moi oü est Ienbsp;seigneur de céans, rinon c’eu est fait de toi!...

Le pauvre diable en peril montra du doigt Ie vieillard couché.

— Comment? s’écria le Chevalier de la Mor, étonnc a l’asj'ect de ce vieillard déorépit, comment 1nbsp;faux chevalier, tu as la mort ent re les donts, ot tunbsp;song(‘,s a maintenir la méchanle coutume de céans?nbsp;Par le Diou vivaut! remercic ton age de t’excusernbsp;de ne plus porter arraes, car préseiitement je tenbsp;ferais coniiaitre en quel mépris je te tiens...

— Lal lal seigneur 1 Lpargnez-moi, je vous en supplie 1 mnrmura le vieillard véritablementnbsp;effrayé.

— nbsp;nbsp;nbsp;ïu es mort, reprit le chevalier, ot mort sausnbsp;remission si tu ne me jures que désormais, toi vi-vant, tu ne consentiras a ce qu’on fasse trahisonnbsp;céans ou ailleurs!...

— Je le jure, répondit le vieillard.

— Or, maintenant, dis-moi pourquoi tu as fait ci-devant établir la méchante coutume que je tenbsp;reproclie?...

— C’est, répondit le vieillard, pour 1’amour du roi Abies d’Irlande, qui est mon neven. Ne pou-vant le secourir de ma personne en la guerre oünbsp;il est, je voulais au moins lui aider en forgant anbsp;tenir pour lui les chevaliers errants qui passaientnbsp;par ici.

— Faux vilain 1 reprit avec colère le Chevalier de Ia Mer.

Et, poussant rudement le Ut dans lequel se trouvait ronde du roi Ahies, il le renversa, et lenbsp;vieillard avec, sans plus de souci que s’il se tutnbsp;agi d’un nioucheron. Puis le recommandant a tonsnbsp;les diables, ses parents probables, il s’cn retournanbsp;en la cour, prit 1’un des clicvaux de ceux qu’il avaitnbsp;occis et le mena su roi Périon, en lui disant :

— nbsp;nbsp;nbsp;Montez, Sire, car pen me plait le séjour ennbsp;ce chéteaii, et encore moins me plaisent ceux quinbsp;Lhabitent...

Périon monta ü cheval, et tons deux, suivis de la demoiselle que vous savez, sortirent aussitètnbsp;du chateau, sans quo le Chevalier de la Mer cutnbsp;oté un seul instant son armot, de peur d’etre re-conmi. Toutefois, coinme ils cheminaient sansnbsp;parler, le roi Périon jugea bon de rompre cc silence.

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire chevalier, demanda-t-il, vous qui m’a-vez garanti si a propos de la mort, ne pourriez-vous me dire ejui vous êtes? il m’importe beau-coup de le savoir, car vous vous êtes vaillammentnbsp;conduit en cette occurrence, non-seulement a monnbsp;prolit, mais encore a celui des chevaliers errantsnbsp;et des demoiselles ayant amis, qui pourraient passer de ce cóté et demandcr asilc a ce chateaunbsp;inhospitalier... Quant a moi, je veux bien que vousnbsp;sachiez que je suis le roi Périon.

— Sire, répondit le Chevalier de la Mer, je ne suis, moi, qu’un chevalier qui a bonne envie denbsp;vous faire service.

— Par Dieu I je m’en suis bien apercai déja, car a grand’peine eussé-je pu trouver meilleurnbsp;secours en un autre... Toutefois, je ne vous laisse-rai pas que je ne vous connaisse mieux.

—Cela ne peut protiter ni a vous ni a moi, Sire, di le Chevalier de la Mer.

— Par courtoisie, persista a dire le roi Périon, je vous prie de vouloir bien eter votre armet.

Mais le jeune homme, au lieu d obéir ü cette prière, baissa la tète plus bas encore. Le roi, alors,nbsp;s’adressa a la demoiselle et la supplia (i’obleuir cenbsp;qu’il n’avait pu obtenir lui-même. La demoisellenbsp;prit la main du chevalier et lui fit la demandc quenbsp;lui faisait si vainemeut Ie roi depuis (luelques instants.

Le Chevalier de la Bier, cédant a ses aimables importunités, óta son armet, et Pi'rion recomiutnbsp;en lui le jeune homme qu’il avait fait chevalier anbsp;la requête des demoiselles. Lors, il vint l’embras-ser et il lui dit :

— nbsp;nbsp;nbsp;Je sais maintenant qui vous êtes, et cela menbsp;contente.

— Sire, répondit le damoiseau, moi je vous ai reconnu tout do suite, en entrant dans ie chateaunbsp;dont nous venons de sortir, comme celui qid m’a-vait donné riionneurde la chovalerie, avec Icquel,nbsp;s’il plait a Dien, je vous servirai tant que i'ureranbsp;votre guerre de Gaule... Je vous demanderai ennbsp;grace, Sire, de me permettre de rester inconnunbsp;pendant toute cette guerre...

— nbsp;nbsp;nbsp;Vous avez déjii tant fait pour moi, reprit lenbsp;roi, que je m’en tiendrai votre obligé tout le tempsnbsp;de ma vie... Si, comme vous ditos, vous venez ennbsp;Gaule, vous augmenterez d’autant cette grandenbsp;obligation. Bénie soit l’heure oü je fis un si vail-lant chevalier 1

Ainsi parlait le roi Périon, qui ne se doutait guère que des Hens autres que ceux de Ia reconnaissance 1’attachaient a ce beau jeune homme sinbsp;plein de vaillance, de force et de dévoüment.

Bientot ils se séparèrent, en se promettant de se revoir en Gaule.

Quant a la demoiselle qui les avait jusiiue-lii suivis, elle dut bientot aussi prendre congé dunbsp;Chevalier de la Mer, ce qu’elle fit en ces tenues :

— nbsp;nbsp;nbsp;Seigneur, je vous remercie de votre aide etnbsp;de votre doucc compagnie; mais il est saison quenbsp;je vous quitte pour aller remplir ma mission au-près de la dame vers laquellc on m’envoie, c’est-a-dire l’infantc Oriane, tille du roi Lisvart...

A co noni, le Chevalier de la Mer sen lit son coeur tressauter dans sa poitrinc, et, si Gandalinnbsp;n’était accouru a temps pour Ic recevoir dans sesnbsp;liras, Ic pauvre amoureux füt tombé lourdemontnbsp;a terre, tant son émotion avait été forte.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ah 1 le coeur me défaille 1 murmura-t ilnbsp;pamé.

La demoiselle, cause involontaire de cettc pa-moison, voulut le faire désarmer, pensant que son


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17

LE CHEVALIER DE LA MER.

i alaor avait été enlevé et baillé ^ en garde a un ermite, commenbsp;vous l’avez déja entendu.

A dix-huit ans, il avait si bien profité en croissance et ennbsp;force de membres, que c’étaitnbsp;vraiment merveille de Ie voir.

Gependant ce beau jouven-ceau languissait. Son seul amusement consistait en lanbsp;lecture d’un livre écrit a lanbsp;¦ main, que Ie bonhomme ermite lui avait confié, et quinbsp;traitait des fails d’armes d’au-cuns chevaliers anciens.

Un instinct naturel et la répétilion quotidienne de ces fails et gestes d’hommes chevaleureux,pous-sèrent bientót Galaor a vouloir être chevalier,nbsp;quoique, de vérité, il ne süt pas si, de droit, unnbsp;tel honneur lui appartcnait. II pria instamment Ienbsp;bon ermite de 1’éclairer a ce sujet; mais ce saintnbsp;homme, qui savait certainement qu’aussitót qu’ilnbsp;serail chevalier il se mettrait au hasard de com-battre Ie géant Albasane, lui répondit, les yeuxnbsp;en larines ;

— Mon cher tils, ()lutót que de songer a vous mettre en l’ordre de la chevalerie, laquelle est denbsp;grand travail a maintenir, il serail meilleur que |nbsp;vous prissiez un chemin plus sur pourvotresalut.

— Monseigneur, répliqua Galaor, je suivrais nialaiséinent l’état que je prendrais centre ma vo-lonté... tandis que celui que mon coenr me choi-sit, si Dien me donne bonne aventure, je Ie pas-serai en son service... llorsceliii-la, jenevoudraisnbsp;pas que Ia vie me demeurat, car je ne saurais au-trement Temployer...

— Gertes, mon enfant, reprit Ie bon ermite, puisque vous êtes déterminé a suivre les armes,nbsp;je vous puis bien ussurer que vous ne faillircz })asnbsp;a etre homme de bien, étaut hls de roi et denbsp;reine... Toutefois, gardez-vous bien de faire voirnbsp;au géant qne je vous en ai averti...

Galaor fut heureux d’apprcndre tont cela, et Ie bon ermite, devant cette joie, compril qu’il n’a-vail plus autre chose a faire qu’a informer Ie géantnbsp;de la vérité, c’est-a-dire des dispositions de sonnbsp;jeune élève.

Le géant, prevenu par lui, arriya done un matin en grande hate ct se mit a interrogcr et a examiner Galaor plus attenliveraent qu’il n’avait

mal venait d’une blessure recue dans les précé-dents combats. Mais Ie Chevalier de la Mer, reye-nant soudaiii a lui, s’y opposa en disant qu’il n’en était nullement besoin et que ces défaillances-lanbsp;lui survenaient assez fréquemment.

Maintenant, nous laisserons la ces personnages pour revenir a Galaor.

GHAPITRE XIV

Comment Galaor, enlevé par un géant, fut élevé par un bon ermite, et demanda, lorsqu'il mt en ige, a être armé chevalier.

jamais fait; et, en le voyant si beau, si cru, si dispos, il lui dit:

— Fils, j’ai SU que vous vouliez suivre les armes et être chevalier. Vraiment vous le serez et vien-drez quant et moi... Puis, quand il en sera temps,nbsp;je ferai en sorte que votre vouloir soit satisfait.

— Mon pore, répondit Galaor, en cela est le comble de mes désirs.

Sans plus tarder, le géant recommanda le bon ermite a Dieu et emmena Galaor, qui ne quittanbsp;qu’a regret le saint homme qui l’avait si douce-ment traité.

— Bénissez-moi, mon père, lui demanda-t-il en s’agenouillant devant lui.

L’ermite l’embrassa en pleurant et le bénit, comme il le voulait. Puis Galaor montaa cheval etnbsp;suivit le géant, qui le mena en un sien chateau,nbsp;oü, pour quelque temps, il le fit adextrer au combat de toutes armes, piquer chevaux et les biennbsp;dompter; de sorte que, au bout d’un temps, cenbsp;jouvenceau étant digne, a son avis, de recevoirnbsp;l’honneur de la chevalerie, il en disposa commenbsp;vous pourrez ci-après entendre.

GHAPITRE XV

Comment le Chevalier de la Mer combattit centre les gardes du chateau de Galpan, et puis conlre ses frères, et, fina-lement, avec Galpan lui-même.

Le Ghevalier de la Mer chemina deux jours en-tiers sans rencontrer aventure. Vers le milieu du troisième jour, il arriva prés d’une forteresse quinbsp;lui parut trés bien batie et qui appartenait it unnbsp;gentilhomme nommé Galpan.

Ge Galpan était le plus vaillant et adroit chevalier qui se trouvatdans le pays, et pourtant il était trés redouté de tous ses voisins.

A l’abri de son fort et è l’aide de son audace, il se livrait a des brigandages qui relevaient biennbsp;plus du diable que de Dieu.

11 abusait des dames et des demoiselles traver-sant le pays, après les avoir attirées chez lui el leur avoir fait jurer qu’elles lui appartiendraientnbsp;pendant le reste de leur existence. Si el les refu-saient, il les faisait mettre a mort cruellement.

II forgait tous les chevaliers arrètés a cornbattre un par un centre deux de ses frères, et, en casnbsp;de défaite des siens, il prenait leur place.

Galpan était de force remarquable, et souvent renvoyait les chevaliers é pied, dépouillés denbsp;leurs bagages, leur enjoignant de s’appeler lesnbsp;vaincus de Galpan, autrenient il leur ótait la vie.

Mais Dieu, fatigue des excès de ce paillard, voulut qu’en peu de jours cette manière de vivrenbsp;fut chatiée d’une faQon salutaire.

Le Ghevalier de la Mer rencontra pres de cette forteresse une belle demoiselle trés affiigée, es-cortéc seulement d’un écuyer et d’un page; ellenbsp;s’arrachait les cheveux en poussant des plaintesnbsp;dolenles, et le chevalier, curieux de savoir lanbsp;cause de sa douleur, l’aborda et lui dit :

— Demoiselle ma mie, quel est done votre ennui? Si je puis y donner allégement, je le ferai de bien bon coeur.


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18 BlBLlOTHEgUE BLEUE.

18 BlBLlOTHEgUE BLEUE.

Ve-

— Seigneur, répondit-elle, je m’en alluis, d’a-près Fordre de ma niaitre?se, vers un jeune chevalier, 1’iin des meilleurs qui soit a présent, lors-que quatre brigands m’ont emmenée, centre nion gré, dans ce chateau et livrée a un traitre, lequelnbsp;in’a forcée et fait Jurer que je n’aurais autre aminbsp;que lui tant qu’il vivra.

be Chevalier de la Mer resta pétrifié de eet attentat et lui dit :

— Or, me suivez, car cette injure vous sera ré-parée, si je puis.

Alors la demoiselle Ie suivit; chemin faisant Ie Chevalier voulut savoir vers qui elle allait, et ellcnbsp;lui promit de Ie dire lors ju’elle serait vengée.

Causant ainsi, ils arrivèrent prés des quatre brigands que la dame montra au Chevalier; celui-ci leur cria ;

— Méchanfs traltres, pourquoi avez-vous fait mal a cette dame?

— nbsp;nbsp;nbsp;Paree que nous n’avons pas eu peur de vous,nbsp;et si vous attendez quelque peu, il vous arriveranbsp;pire encore, répondirent-ils.

— Eh bien, nous allons Ie voir k l’instant, ré-piiqua Ie Chevalier.

Ce disant, il s’approcha l’épée au poing et donna a l’un d’eux, qui avaitlevc une hache pournbsp;Ie recevoir, un si rude coup, qu’il lui coupa Ienbsp;bras, puis il partagea la figure dun autre d’unnbsp;revei-s de son arme.

Les deux derniers prirent la fuitc, et Ic Chevalier, les laissant aller, se contenta d’essuyer sou épée et d’aller vers la demoiselle.

— nbsp;nbsp;nbsp;Passons outre, lui dit-il.

— nbsp;nbsp;nbsp;Seigneur, répondit-elle, j’ai vu deux chevaliers armés gardant une porte ici prés.

— nbsp;nbsp;nbsp;Nous allons bien les voir, répliqua-t-ib

Lc Chevalier de la Mer entrait dans la cour basse, lorsqu’un cavalier sortit du do.ijou tontnbsp;armé. La herse se baissa derrière lui, et il vintnbsp;droit au Chevalier en lui disant :

— nbsp;nbsp;nbsp;Pauvre chétif, lu viens a propos pour recevoir home et déshoneeur.

— Déshoiineur, répondit lc Chevalier, ce sont paroles, Dieu seul dispose des événements; maisnbsp;dis-moi done si c’est toi qui as forcé cette demoiselle?

— Non, reprit Ie cavalier, et quand ce serait moi, qu’arriverait-il?

—11 arriverait vengeance de ma main, i'épliqua Ie Chevalier de la Mer.

— Or sus, voj ons un peu comment tu saurais user de vengeance!

Ce disant, Ie cavalier donnant des épcrons a son cheval fondit Ie plus raide qu’il i)ut sur Ie Chevalier qu’il n’atteignit pas. Ce dernier lui porta ennbsp;face un tel coup de lance en l’écu, (juc Ie fcrnbsp;passa saus résistance k travers les épaules, et quenbsp;ce fanfaron tomba.mqrt sur la place.

Puis lc Chevalier s’avanca vers un autre venant au secours (lu premier. Le fer de cc nouveaunbsp;combattai.t s’engagea dans l’écu du Chevalier qui,nbsp;lihre de sou armeHi^i sauter l’annet entier etnbsp;1(! désarqonna.

ïrois halle'gt;ardilt;'rs vinrent alors et, entourant h' Ch 'vali r, lui tucrent sou cheval. Mais c lui-ci,nbsp;debout aussitöt, se mit k trapper et fendre l’un denbsp;ces vilains, si bien que les deux autres lachèrentnbsp;pied et appelèrent è leur secours, criant :nbsp;iiez tót, no'is sommes défaitsl

Le Chevalier de la Mer prit le cheval du premier vaincu, etsesyeux s’arrètèrent sur une porte l)ar laquelle un gentilhonime sans armes le re-gardait.

— nbsp;nbsp;nbsp;Qui vous pousse a venir ainsi tuer mes gens?nbsp;lui dit eet homme.

— nbsp;nbsp;nbsp;Rien autre chose, répondit le Chevalier, quenbsp;1’envie de venger cette demoiselle, si lachementnbsp;outragée.

La demoiselle s’était approchée, et avait re-connu dans eet homme le seigneur du lieu qui l’avait forcée.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ahl bon chevalier, gardez qu’il ne vousnbsp;échappel c’est celui qui m’a déshonorée! dit-ellsnbsp;a son défenseur.

Le Chevalier s’approcha de la porto et s’écria :

— nbsp;nbsp;nbsp;Inlarae rufnan, tu paieras ta déloyautél Vanbsp;t’armer, si tu ne veux que je te luc sans armes,nbsp;corame un coquin indigne de pitié.

Mais la demoiselle criait de plus belle ;

— nbsp;nbsp;nbsp;Tiuiz, tuez le trallre! Empcchez-le de continuer ses méfaits contre moi etconlre les autres,nbsp;car autreraent on vous reprocherait d’avoir man-qué l’occasionl

Le chatelain provoqué se retira en fureur, et parut quelque peu après dans la cour monté surnbsp;un cheval blanc.

— nbsp;nbsp;nbsp;Mal t’a pris de rencontrer cette demoiselle,nbsp;dit il au Chevalier, cela vale coüter la tète.

— nbsp;nbsp;nbsp;Que chacun défende la sienne, répondit cenbsp;dernier; qui ne le pourra Ia perdra.

Alors ils laissèrent courir, et s’abordèrent si ru-dement que les lances furent rompucs, traversè-rent leurs écus et entrèrent dans leurs chairs; ils SC prirent a bras le corps si lourdement, qu’ils tom-bèrent de cheval lous deux. Mais le Chevalier senbsp;rcleva plus vite que Galpau.

Le sang teignil bientót le sol oü ils combaltaicnt corps a corps; chaque coup d’épée faisait volernbsp;une pièce d’armure et l’armc attaquait ia chairnbsp;vive. Gaipan fut atteint en plcine visière, et lenbsp;sang lui coulait sur les yeux, cc qui le décida anbsp;s’éloigner pour s’essuyer.

— Comment, Gaipan, dit le Chevalier, oü vas-tu? Oubües-tu que tu combats pour la téte? Si tu la gardes mal, tu la perdras.

— Attends un peu, répondit Gali)an, que nous reprenions haleine! Le temps ne nous presse pasnbsp;autant!

— Pas de halte 1 reprit le Chevalier. Je ne combats point avec toi pour gloire ou courtoisie, mais pour venger le déshonneur que tu as causé a cettenbsp;demoiselle.

Et, ce disant, il appliqua sur la tète de Gaipan un beau coup d’épée qui lit ploycr les genoux denbsp;celui-ci; toutefois, se rerncttant un peu, Gaipannbsp;essaya de continuer le combat, mais le Chevaliernbsp;lui trancha le roste de sou écu prés de la main,nbsp;etil ne trouva d’autre ressource que dans la lüite.

Lc Chevalier lui coupa la retraite prés d’une tour garnie de geus d’armes prct.s a le proterger,nbsp;et, lc prenant par l’arraet trés rudernent, il l’ennbsp;dépouida complétement.

Alors il lui doana sur le col un tel coup d’épéc que la tète fut separée du tronc.


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LE CHEVALIER DE LA MER. 19

LE CHEVALIER DE LA MER. 19

grande, aussi grande que la bonté de votre man.

— Ah! genlil chevalier, coaihicu je vous ai d’obligation, et combie.i vous èies ’ ’ ’

Se tournant alors vers la demoiselle :

— nbsp;nbsp;nbsp;Ma mie, lui dit-il, vous pouvezdès mainte-nant choisir uii autre ami, car celui a qui vousnbsp;avez promis vous délie de votre promesse.

— nbsp;nbsp;nbsp;Grace en soit a vous et a Dieu! répondit-ellc.

Le Chevalier de la Mer monta Ie chcval de Gal-pan, et proposa a la demoiselle de quitter eet en-droit.

¦— Sire Chevalier, dit celle-ci, s’il vous plait, j’emporterai cette tete, et a celui qui m’attend lanbsp;préseuterai de votre part.

— C’est trop de poiue, répondit le Chevalier, fuites seulement emporter le heauine de Galpan.

La demoiselle fit ainsi et ils partirent saus em-pèchement, les fuyards ayant laissé les portos ou-vertes.

Le Chevalier Ia pria, en route, de s’acqiiitter de sa promesse de lui dire le nom du chevalier versnbsp;lequel elle allail.

— G’est raison, dit-clle, done sachez que c’est Agraies, fils du roi d’Ecosse.

— nbsp;nbsp;nbsp;Dieu soit loitél répondit le Chevalier dc lanbsp;Mer, c’est bien le ineilleur gentilhomme qui soit.nbsp;Bon retour, ajouta-t-il; dites a Agraies qu’un denbsp;ses compagnons se recommande lui, et qu il lenbsp;trouvera en guerre de Gaulc s’il y vient.

7- Sire chevalier, reprit la dame, pour que quittes nous soyons, dites-moi Ic nom dont onnbsp;vous appdle?

— nbsp;nbsp;nbsp;Ceux qui me comiaissent, fit le Chevaliernbsp;avec beaucouj) d’hésitation, me nomment le Chevalier de la Mer.

.Et, piquant son cheval, il s’cloigna au plus vite, laissaul la demoiselle enchantée de conuaitre lenbsp;nom de son dèlenseur.

Mais les blessures qu’il avail regues dans cette lutle prolongée laissaient échapper beaucoup denbsp;sang. Son cheval en était rougi en bien des places,nbsp;ce qui atlira les regards d’un gentilhomme nonnbsp;armé qui sortait d’uu chateau-fort voisin et venaitnbsp;a sa rencontre.

— nbsp;nbsp;nbsp;Apprenez-moi, seigneur, dit cc gentilhomme,nbsp;qui vous a mis en eet élat?

— nbsp;nbsp;nbsp;Ce sont des pillards honteux que j’ai chatié.snbsp;en un chateau pres d’ici; ce chcval, je l’ai prisnbsp;pour remplacer le mieu tué dans cette affaire, ró-pondit Ie Che.valier. Galpan a supporté assez bien

cette perte, et, de plus, il s’est laissé óler la tète par moi.

Le gentilhomme désarmé, en entendant ces mots, voulut embrasser les genoux du Chevaliernbsp;de la Mer qui s’y opposa; toutet'üis il püt serrernbsp;sur son coeur le bas du haubert du Chevalier et luinbsp;dit;

- ici bienvenu, car par vous je viens de rctrouver mou honneur.

— nbsp;nbsp;nbsp;Laissons ce propos, répondit le Chevalier,nbsp;et dites-moi oü je pourrai aviser a iaire pans'.'rnbsp;mes plaies.

— nbsp;nbsp;nbsp;Eu ma maison, proposa le gentilhomme;nbsp;vous trouverez la uiie nièce a moi qui vous gué-rira mieux que qui que ce puisse ètre.

Et, tout en devisant, ils arrivercut au chateau.

Alors le seigneur tint l’étrier au Chevalier de la Mer, et le meiia au donjon en grande révérence.

En marchant, il raconta au Chevalier comment Galpan l’avait empêché do prendre les armes pendant une année, comment il lui avail fait changernbsp;de nom, et jurer que tant qu’il vivrait il s’appel-lerait le vaiiicu de Galpan.

— Mais maintenant, dit-il, grace a Dieu et a vous, puisqu’il est mort, je suis remis en monnbsp;honneur.

Les écuyers vinrent prendre les armes du Chevalier de la Mer et son hóte le mena dans line charnbre richement tapissée, oü, sur uii Ut, la demoiselle vint panser ses plaies.

Celle-ci lui assura qu’il n’en avail pas pour long-tomps, s’il suivait avec exactitude ses prescriptions. Ce qit’il promit entièrement.

ClIAPITRE XVI

Commenl, le troisième jour après que le Chevalier de la Mer fut parli de la cour du roi Languines, arrivèrent les troisnbsp;chevaliers qui menaient dans uiie lilière un chevalier na-vré el sa döloyale femme.

Trois jours après le départ de Chevalier de la Mer, arrivèrent k la cour du roi Languines les troisnbsp;chevaliers, leur beau-frère navré et Ia déloyalenbsp;femme dout il a été précédemraent question. Ilsnbsp;se présentèrent incontinent devant le roi, et, aprèsnbsp;lui avoir fait entendre la cause de leur venue, ilsnbsp;lui livrèrent leur prisonnière, pour en ordonnei*nbsp;comme il lui plairait.

Languines, ctoniié de la déloyauté de cette ri-baude, s’adressa au chevalier de la litière :

— nbsp;nbsp;nbsp;II me scinhlc, lui dit-il, qu’une si malhon-nètc femme que Ia vótre 11e mérite pas de vivre!..

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, répondit le chevalier, vous en ferez cenbsp;qu'il vous plaira... Quant è moi, je ne consentirainbsp;jamais que la chose que j’aime ie plus meure...

Cela dit, les trois chevaliers prirent congé et ranienèrent leur beau-frère dans sa litière, laissaiitnbsp;leur soeur pour qu'il en föt fait telle justice qu’a-viserait Ie roi, lequel, après leur parlement, la fitnbsp;veiiir et lui dit :

— nbsp;nbsp;nbsp;Femme, en bonne foi, votre mahee a éténbsp;iissi je veux quo voiig serviez dósoz’mais d’exem-ple a tontes celles qui vous ressemblent. Ribaudenbsp;et meurlrière, vous serez brülée vive!

Ce qui fut, en effet, imraédiatement exécuté. Ainsi doivent mourir les mauvaises femmes.

Cette exécution faite et parfaite, le roi se mit a songer au chevalier qui avail euvoyé V(‘rs luinbsp;cette ribaude, sou mari et ses frères, afin que justice fut rzmdue è ce propos, et il se demanda quelnbsp;il pnuvait bien étre, saus réussir ü trouver.

Comme le roi Languines songeait tout bant, il fut entendu dc l’écuyer qui avail précédemmentnbsp;hébergé Ic Chevalier quot;dc la Mer et sa compagne denbsp;route, et les avail conduits au chèteau oü il ynbsp;avail CU si Apre combat.

— Sire, dit-il au roi, si vous le pérmettez, je cher-cherai avec vous lo nom de ce chevalier, afin de

vous aiilcr a trouver..... A mou sens ce pourrait

bien ètre ce jouvenceau avec lequ d la demoiselle de Danemarck et moi nous avons cheminé pendant


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20 BIBLIOTHEQUE BLEUE,

20 BIBLIOTHEQUE BLEUE,

quelques jours, et que nous avons quitté pour nous en venir ici oü nous appelait notre devoir.

— Ainsi tu ne sais pas son nom?...

— Je l’ignore, sire... Tout ce que je sais, c’est qu'il est trés jeune et excessivement beau. Ennbsp;outre, c’est Ie plus vaillant cceur que je eonnais-

sc..... Je l’avais attiré inalgré moi, pour Ie voir

eombattre, surlechemin d’une forteresse remplie de hallebardiers et autres gens d'annes... II s’ennbsp;est tiré merveilleuseinent, et de telle fagon que,nbsp;s’il vit, il fera, inon jugement, Tundesmeilleursnbsp;chevaliers du monde...

Le roi, entendant cola, sentit sa curiosité redouble!’ d’inteusité et il deinanda a l’écuyer tous les détails qu’il pouvait avoir a lui comrouniquernbsp;touchant ce valeureux inconnu.

— Sire, répondit récuyer, je vous ai dit tout ce que j’en savais... La demoiselle de Danemark,nbsp;venue vers madame Oriane, en sait probablementnbsp;plus que moi, car je l’ai rencontrée avec lui.

Cette demoiselle fut appelée, raais elle n’eut guère è ajouter i ce qui avait été dit déjii, et,nbsp;comrae l’écuyer, elle déclara ne pas savoir ie nomnbsp;du chevalier qui lui avait fait escorte et compagnie depuis sa rencontre avec Urgande.

Oriane seule le savait, ce qui ne l’empêchait nullement d’êtremélancoiique, paree qu’elle claitnbsp;fort amoureuse et qu’elle se voyait éloignée denbsp;celui que tant elle aimait.

Ginq ou six jours après ces choses, le roi Lan-guines était occupé a deviser avec son fils Agraies, lequel était sur son partement pour aller en Gaulenbsp;secourir le roi son oncle, lorsqu’entra une demoiselle qui, se mettant k genoux, adressa en ces tormes la parole au fils du roi :

— nbsp;nbsp;nbsp;Mon seigneur, un mot, s’il vous plait, ennbsp;présence de votre auguste père et de toute la compagnie!...

— nbsp;nbsp;nbsp;Parlez, madame, répondit courtoisementnbsp;Agraies.

Avant de continuer son propos, l’inconnue se relcva, alia prendre un armet que portalt derrièn;nbsp;elle un écuyer, et l’offrit au jeune prince, ennbsp;disant:

— Voici un armet chamaillé et elTondré, comme vous pouvez voir, lequel je vous présente, au lieunbsp;de la tête de Galpan, de la part d’un nouveaunbsp;chevalier auquel,selon mon jugement, il appartientnbsp;mieux qu’ii nul autre de porter les armes... II vousnbsp;l’envoie paree que Galpan avait vilainé une demoiselle qui venait vers vous pour quelque affaire.

— Comment! s’écria Languines, Galpan a été défait par la main d’un seul homme? Gcla n’estnbsp;guère croyable, et vous nous dites 1amp; merveülcs,nbsp;demoiselle!...

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, répondit la demoiselle, le vaillant chevalier dont je vous parle Ta défait do sa main... IInbsp;Ta tué, après avoir fait subir le même sort k tousnbsp;ceux qu’il avait rencontrés dans la forteresse denbsp;Galpan. J’espérais vous apporter la tête de ce rudenbsp;homme, si épouvantable au pauvre monde d’alen-tour; mais le valeureux chevalier au nom de qui jenbsp;viens, craignant la corru|)tion, a pensé qu’il sufli-sait de vous apporter Tarmet que voici, si pcunbsp;entier qu il soit.

Ce chevalier-lamp;, dit alors le roi émerveillé, ne peut être que celui dont nous cherchons le nom

sans pouvoir le découvrir..... Le sauriez-vous par

hasard, demoiselle?

— Sire, répondit cette dernière, je Tai su par la plus grande importunitédu monde, car, autrement,nbsp;jamais il ne Teüt dit è personne.....

— nbsp;nbsp;nbsp;Pour Dieu! demoiselle, dites-le-nous donenbsp;vite, afin de nous óter de soucü...

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, il se nomme le Chevalier de la Mer...

En entendant ce nom, le roi Languines devint

fort ébahi, et ceux qui Tentouraient pareillement,

— nbsp;nbsp;nbsp;Sur ma foil s’écria-t-il, celui qui Ta fait chevalier n’a pas eu tort.....Depuis longtemps il m’en

avait prié, et j’avais différé cette cérémonie pour

quelque occasion..... Je le regrette.....Je me suis

privé lè d’un grand honneur, puisque chevalerie est en lui si accomplie...

— Et, gente demoiselle, dit a son tour Agraies, ne pourriez-vous nous indiquer le lieu oü nous lenbsp;rencontrerons, ce précieux et vaillant Chevalier denbsp;la Mer?...

— Mon seigneur, répondit la demoiselle, il se recomraaude humblement è votre bonne grèce etnbsp;vous mande par moi que vous le Irouverez en lanbsp;guerre de Gaule, si vous y êtes...

— nbsp;nbsp;nbsp;O les bonnes nouvelles que vous rn’apporteznbsp;lè! s’écria Agraies. Plus que jamais j’ai envie denbsp;partir, puisque je suis assure de rencontrer ce vaillant chevalier dans la guerre de Gaule!... Une foisnbsp;que je Taurai vu et embrassé, je ne me séparerainbsp;jamais de lui de mon propre gré...

— nbsp;nbsp;nbsp;Et vous aurez raison, mon seigneur, car ilnbsp;vous aime fort, reprit la demoiselle.

Quelques jours après, Agraies partait avec son armée pour s’acheminer en Gaule vers le roi Périou.

CHAPITRE XVII

Comment le roi Lisvart envoya quérir la princesse Oriane, sa fille, qu’il avait longtemps laisséenbsp;en la cour du roi Languines, lequel la luinbsp;envoya accompagnée de l’infante Mabillc, sanbsp;fille unique, et d’un nombre suffisant de chevaliers, dames et demoiselles.

ix jours après le départ d’A-graics et de sa troupe, trois navires de la Grande-llretagnenbsp;lirirent port en Ecosso; ilsnbsp;étaient raontés par Gaidar denbsp;Rascuit, accompagné de centnbsp;chevaliers du roi Lisvart, et de plusieurs dames etnbsp;demoiselles qui venaient quérir Oriane.

Le roi Languines regut fort bien tout le monde, principalement Gaidar de Rascuit, sage et bon chevalier; lequel, après Tavoir remercié, au nom dunbsp;roi Lisvart, de Thumain traitement qu’il avait faitnbsp;è la princesse sa lille, le pria de youloir bien la luinbsp;rendre, et, en outre, de consentir a ce qu’elle futnbsp;accompagnée dans son voyage de retour par Tin-fante Mabille.

Languines fut tres joyeux de cette dernière proposition, et il annonga aux deux jeunesscs qu’il 1'allait qu’elles se tinssent prêtesè jiartir.

Mabille et Oriane firent en consequence leurs préparatifs et mirent en ordre leurs menus meubles.


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LE CHEVALIER DE LA MER. 21

LE CHEVALIER DE LA MER. 21

Pendant cette occupation, Oriane trouva entre ses ioyaux la cire qu’elle avait enlevée au Chevalier de la Mer : alors elle eut, a ce moment, unnbsp;tel souvenir de lui, une si véhémente remembrancenbsp;de sa personne, que les larmes lui en vinrent auxnbsp;yeux, et, dans l’exaKation de son amour... la cirenbsp;qu’elle tenait se rompit, et Oriane apercut Ie par-chemin qui se trouvait dedans, lequel elle déployanbsp;aussitót, et, lisant 1’écriture, y trouva ces mots:nbsp;« Cet enfant est Amadis, fils du roi. »

Oriane, étonnée de la découverte qu’elle venait de faire, en perdit presque contenance, et peu s’ennbsp;fallut qu’elle ne se pamat de joie. II y avait certcsnbsp;de quoi : apprendre ainsi, tout d’un coup, quenbsp;celui qu’elle croyait ètre, pour Ie plus, fils d’unnbsp;simple gentilhomme,ou peut-être demoinsencore,nbsp;inconnu de nom et do parents, était fils de roi etnbsp;se nommait Amadis!

Sans plus tarder, la belle amoureuse appela la demoiselle de Danemarck, en qui elle avait unenbsp;entière fiance, et elle lui dit;

— nbsp;nbsp;nbsp;Ma mie, je veux vous confier une chose quinbsp;ne doit être sue que de mon coeur et de vous... Anbsp;cause de cela, h cause de moi et du meilleur chevalier du monde, gardez-moi done ce secret, jenbsp;Vous prie 1

— nbsp;nbsp;nbsp;Sur ma foi, madame, répondit la demoiselle,nbsp;puisqu’il /ous plait de me faire tant d’honneur,nbsp;J’aimerais mieux mourir que de faillir a ce secret

que vous me voulez confier.....Vous pouvez ètre

assurée que tout ce qu’il vous plaira de me décla-ver sera entièrement tenu couvert et exécuté a mon pouvoir...

— nbsp;nbsp;nbsp;Ma mie, reprit Oriane, il faut que vous allieznbsp;chercher Ie Chevalier de la Mer, lequel vous trou-

verez en la guerre de Gaule..... Si vous y arrivez,

d’aventurc, avantlui, vous l’attendrez... Aussitót que vous l’aurez joint, vous lui baillerez cettenbsp;letlre et lui direz que dedans se trouve son nom

écrit du jour oü ou Ie jeta en la mer.....Vous lui

direz, ensuite, que je sais qu’il est fils de roi, ce qui lui doit donner meilleure envie d’augmenter lanbsp;série de prouesses coramencées par lui... Vous luinbsp;direz encore que rpon père rn’a euvoyée quérir etnbsp;que je fais mes préparalifs de retour en Ia Grande-

Bretagne..... Vous lui direz enfin que je l’aiine

toujours, et ^ue, aussitót la guerre oü il est finie, je compte qu’il s’en reviendra de mon cóté...

^ demoiselle de Danemarck assura de nouveau Oriane que tout cela sera fait et exécuté avec lanbsp;plus grande célérité et la meilleure discrétion dunbsp;moiiUe, et, incontinent, elle prit congé ets’embar-qua pour la Gaule.

Quant a Oriane et a Wabille, les préparatifs de leur depart une lois terminés, elles s’embarquèrentnbsp;également avec leur compagnie. Leur navire cutnbsp;vent en poupe,ct si a propos que, quelques heuresnbsp;après, les belles princesses prirent port en lanbsp;Grande-Bretagne, oü elles furent magnjfiquementnbsp;revues.

GHAPITRE XVIII

Comment Ie Chevalier de la Mer, suivi du seul Gandalin, s’en

alia il travers forel, songeant a ses amours, et des rencontres qu’il y fit.

OUS revenons au Chevalier de la Mer.

On se rappelle qu’il était resté au chateau du vaincu denbsp;Galpan, avec une demoisellenbsp;qui lui pansait ses plaies, les-quelles, au bout de quinzenbsp;jours, avaient été presque tou-tes guéries. Un peu ennuyé dunbsp;séjour et de son oisiveté, il se décida unnbsp;dimanche matin a prendre congé de sonnbsp;hóte et de celle qui l’avait soigné. Lesnbsp;adieux faits, il monta a cheval et partit,nbsp;accompagné du seul Gandalin, qui avaitnbsp;juré de ne jamais l’abandonner.

Bientót ils entrèrent en une grande forêt.

G’était aux environs dumoisd’avril. Les oiseaux se dégoisaient et ramageaieut gai-ment; les arbres, lesfleurs et les herbesnbsp;verdoyaient allégrement, comme pour an-noncer la venue du Renouveau. Cela fit rêver Ienbsp;Chevalier de la Mer; il se ressouvint plus aprementnbsp;de la mie qui, sur toutes les autres, fleurissait ennbsp;excellente beauté, et pour laquelle, abandonnant sanbsp;liberté, amour l’avait rendu captif.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ah! murmura-t-il alors; pauvre Chevalier donbsp;la Mer, sans parent, sans avoir, sans feu ni lieu,nbsp;comment as-tu osé mettre ton coeur si haut quenbsp;d’aimer justement celle qui préexcelle toutes lesnbsp;autres en beauté, en bonté et en lignage?... O ché-tif que tu es! la grandeur de ces trois choses, parnbsp;lesquelles elle est parfaite et non-pareille, auraientnbsp;du te faire comprendre que Ie meilleur chevaliernbsp;du monde lui-mêmenepouvait prétendre ü raimerlnbsp;Et toi, téméraireet pauvre inconnu, tu t’es engagénbsp;dans un labyrinthe de folie, aimant el mourant,nbsp;sansseulement l’oser dire!...

Tout en disant cette complainte, Ie Chevalier de la Mer cheminait, la tête basse et les yeux a lerre,nbsp;Ie long de cette forêt peuplée d’oiselets joyeux quinbsp;faisaient contraste, par leur ramage, avec les do-lentspensementsdu jouvenceau. Au bout d’un asseznbsp;long temps de ce cheminement, il apergut, a travers Ie bois, un chevalier bien monté et en bonnbsp;équipage, qui longuement l’avait cótoyé pournbsp;mieux entendre cette complainte.

— nbsp;nbsp;nbsp;Pardieu 1 chevalier, s’écria ce gentilhommenbsp;en accostant Ie Chevalier de la Mer, il me serablenbsp;que vous aimez plus volre mie qu’elle ne vous aime,nbsp;puisque, pour la louertant, vous vous dépriseznbsp;vous-même... Apprenez-moi done qui elle est, afinnbsp;que je la serve moi-même!...

— Sire chevalier, 1'aimer ne pourrait vous en rapporter aucun fruit...

— Vous vous trompez : servir une si belle dame est un trop glorieux travail pour ne porter point ennbsp;soi sa récompense... Arrêtez-vous done, je vousnbsp;prie, car il faut que par amour ou par force vousnbsp;me disiez ce que je vous demande...


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22 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

— nbsp;nbsp;nbsp;Si Dieu m’aide, il n’en sera pas ainsi.

— Or, sus 1 défendez-vous \

Incontinent, tous deux lacèrent leurs heauraes et prirent leurs lances et deus. Ils s’éioignaientnbsp;pour prendre champ et revenir l’un centre l’autre,nbsp;lorsque survint une demoiselle qui leur dit:

— Chevaliers, avant de combattre, dites-moi, si vous Ie savez, une chose pour laquelle j’ai fait hate,nbsp;ne pouvant remettre , pour I’apprendre, la fin denbsp;votre bataille.

— nbsp;nbsp;nbsp;Qu’est-ce done? demandèrentles deux chevaliers en s’arrêtant d’un comraun accord.

— nbsp;nbsp;nbsp;Je voudrais bien, répondit la dame, savoirnbsp;nouvelles d’un chevalier nouveau appelé Ie Chevalier de Ia Mer.

— Et que lui voulez-vous? demanda celui qui était précisément celui dont on parlait.

— nbsp;nbsp;nbsp;Je veiix, reprit la demoiselle, lui donner nouvelles d’Agraies, üls du roi d'Ecosse.

— nbsp;nbsp;nbsp;Atteiidez un peu, dit Ie Chevalier de la Mer.

Durant leur propos, Ie chevalier de la forêt, im-

patienté de la longueur du causeraent de son ad-versaire avec la demoiselle inconnue, lui cria de prendre garde, et lout aussitót fondit sur lui avecnbsp;impétuosité; mais Ie Chevalier de la Mer, quoiquenbsp;pris tl l’improviste, n’en fit pas moins bonne conte-nance , si bien même que de sa lance il Ie désar-Qonna et l’envoya rouler sur Ie gazon.

— nbsp;nbsp;nbsp;Seigneur, lui dit-il en descendant de chevalnbsp;et en l’aidant è remonter sur Ie sien , n’ayez plusnbsp;désormais envie de savoir ce qu’on ne peut pasnbsp;vous dire ; cela porte malheur.

Le chevalier de la forêt, confus de cette lecon méritóe, s'inclina et se retira sans plus sonner mot.

— nbsp;nbsp;nbsp;Maintenant, reprit le Chevalier de la Mer ennbsp;revenant auprès de la pucelle qui l’avait précé-demment interrogé, maintenant, dites-moi si vousnbsp;connaissez celui après lequel vous courez de la partnbsp;d’Agraies?...

— Je ne l’ai jamais vu, répondit la demoiselle, mais Agraies rn’a assuró qu’il se ferait connattre anbsp;moi aussitót que je me serais annoncée comme ve-nant de sa part...

— II a dit vrai... Je suis celui que vous chcrchoz, répondit le Chevalier de la Mer en délagant sounbsp;heaume.

— Ah! je le crois, s’écria la demoiselle émer-veillée, car on ma parlé de votre grande beauté, et il est impossible qu’il y en ait un second commenbsp;vous quelque part.

— Or ga, reprit le Chevalier, oü avez-vous laissé Agraies?

— Prés d’une rivière qui n’est pas loin, ou il est arrêté avec sa troupe, attendant un vent favoral)lonbsp;pour passer en Gaule...

_ t^raiment?... Alors, allez devanl et me con-duisez.

La demoiselle obéit, et tous deux se mirent a cheininer jusqu'a ce qu'ils fussent arrivés en vuenbsp;de 1’endroit oü étaient carapés Agraies et ses gens.nbsp;Au moment oü ils s’approcbaient, une voix crianbsp;derrière eux;

— Arrètez! chevalier, arrèlezl Je veux savoir co que vous tenez tant ii rne céler!...

Le Chevalier de la Mer se retourna, et il reconnut celui qu’il avait précédemment désargonné lors denbsp;1’intervention de la raessagère d’Agraies. Seule-ment, cette fois il était accompagné d’un autrenbsp;chevalier,

Le Chevalier do la Mer prit ses armes, fit voUe-face a ses deux eimemis, et la lutte s’engagea, au SU et vu de l'armée d’Agraies, campée a quelquesnbsp;pas de Ja. Les deux chevaliers vinrent sur lui ünbsp;course de chevaux et rompirent ensemble leursnbsp;lances sur son écu et sur sou haruois. L’écu en futnbsp;faussé, mais non le harnois qui était roide et fort.

Ce fut au tour du Chevalier de la Mer de se dé-fendre, et il le fit avec succès. D’abord, le chevalier de la forêt fut renversé de cheval, et si lourdement,nbsp;qu’en tornbant il se rompit le bras et demeura surnbsp;place comme mort. Quand le daraoiseau se vitnbsp;désempêché de celui-la, il mit l’épée au poing et ennbsp;adressa un apre coup sur 1’arraet de sou secondnbsp;adversaire, lequel tomba, étourdi et perdant sonnbsp;sang, k quelques pas de son compagnon. Cela feit,nbsp;Ie Chevalier de Ia Mer s’en alia, suivi de la demoiselle , vers les tentes du prince Agraies, lequel,nbsp;ayant assisté de loin a ce touruoi, était curieux denbsp;savoir quel était ce vainqueur qui s’en veuait denbsp;son cóté. Quand il reconnut le Chevalier de la Mer,nbsp;ce fut unejoieè ne pas décrire tant elle était grande;nbsp;joie qui fut partagée par tout le monde.

Le lendemain , on monta a cheval et l’on alia gagner Palingues, trés bonne ville frontière et dernier port d’Ecosse, oü on trouva nefs et barquesnbsp;en quantité suffisante pour passer en Gaule. Agraiesnbsp;et ses gens s'effibar(|uèrent avec un vent propice,nbsp;et tant cinglèrent qu en peu de jours ils entrèrentnbsp;au hóvre de Galfrin. De lü, marchant en bon ordre,nbsp;ils arrivèrent sans maleneontre au chateau de Balduin , oü le roi Périon était assiégé, ayant perdunbsp;déja bon nombre de ses gens.

Quand le roi Périon apprit le secours qui lui ar-ï'ivait la, vous pouvez eslimer s’il en fut aise. De même pour Ia reine Elisène, laquelle, sachant cettenbsp;venue, envoya prier sou neveu Agraies de se rendrenbsp;incontinent auprès d’elle, ce qu il fit, accompagnénbsp;du Chevalier de la Mer et do deux autres chevaliersnbsp;sans plus de suite.

Quand Périon apergot de prime face le vaillant Chevalier, il nele reconnut pas lout d’abord; ce nenbsp;fut qu’au bout de quelqne temps qu’il se rappelanbsp;que c’était celui qu’il avait fait chevalier et qui,nbsp;depuis, l’avait secouru si fort ü propos au chateaunbsp;du Vieillard.

—^Mon cher ami,lui dit-il alors en l’embrassant, soyez le trés bien veim en ce paysl votre présencenbsp;me donno une telle süretó que Je ne songe plus ünbsp;la guerre qui m’entoure... Vous êtes avec moi: jenbsp;serai vainqueur 1...

— Sire , répondit le Chevalier de la Mer, qiie Dieu me fasse la grace de pouvoir vous èire vérita-blement utile, comme j’en ai la grande envie! Jenbsp;me suis promis que, tant que durerait la guerre, jcnbsp;ne m’cpargnerais en aucune fagon pour vous rendi’onbsp;service.

— Madame, reprit Périon en prenant le Chevalier de la Mer par la main et en le présentant a la reine Elisène; madame, voici le bon chevalier quinbsp;me tira du plus grand peril que je conriis jamais...nbsp;A cause de cela, je vous pne de veiller ê ce qu’ilnbsp;ne soit rien épargiié céans pour lui, et je vous de-mande de lui faire votre plus bienveillant accueil.

Ce qu’enteudant, Elisène s’avangait pour em-


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LE CHEVALIER DE LA MKR. 23

LE CHEVALIER DE LA MKR. 23

brasser Ie vaillant chevalier, lorsque celui-ci, rnet-lant les genoux en terre, lui dit:

— Madame, je suis Ie serviteur de la reine votre Bceur; c’est vous dire que je veux vous servir etnbsp;vous obéir comme a elle-même.

La bonne dame, au son de cette voix, fut remuéo d’une douce emotion. Elle ne pouvait se rassasiernbsp;de rogarder ce beau jeune homme qu’on disait sinbsp;chevaieureux, et, quoiqu’elle ue se dout^t pas Ienbsp;moius du monde A quel titre il lui était si cher, unnbsp;instinct naiurel la porta a lui vouloir plus de biennbsp;qu’a nul de farinée du prince Agraies. Involontai-remo'nt inêrae, A force de Ie contcrapler et de l’ad-mirer, ellese rait a songer aux deuxenfants qu’ellenbsp;avait eus, et en constatant qu’il avail k pen présnbsp;leur age, elle fut prise d’une mélancolie navrante,nbsp;et deux grosses larrnes coulèrent Ie long de sesnbsp;joues.

Le Chevalier de ia Mer, la voyant ainsi pleurer, et estimanl que c’était h l’occasion de la guerrenbsp;commcncée, lui dit •

— Madame, j’espère qu’avec l’aide de Dien, du roi et du nouveau secours qui vous arrive k cettenbsp;lieure, vous recouvrerez vitement votre joic... Et,nbsp;pour ma part, croyez que je ferai tout ce qui dé-pendra de moi pour terminer glorieuseinent etnbsp;avantageusement cette guerre qui vous cause an-goisse.

— Dieu vous entende 1 répondit Elisène. Mais, seigneur, puisque vous êtes chevalier de ma soeur,nbsp;je ne souifrirai pas que vous preniez d'autre logisnbsp;que céans, oü vous aurez tout ce dont vous aureznbsp;besoin.

CIIAPITRE XIX

Comment le Clicvalicr de !a Mor, une fois A la cour du roi Pdrion et de la reine Elisène , ent occasion de lómoignornbsp;de sa haute vaillance.

bies d’Irlande otDaganil son cousin, en apprenant le secours arrivé au roinbsp;Périon, s’empressèrent de réunir lesnbsp;plus sages d’entre les chevaliers Icursnbsp;compagnons, pour prendre conseilnbsp;sur la uiarche it suivre.

Le roi Abies était renomraé comme le plus vaillant d’entrc les vaillauls,nbsp;et il avait bate de se mesurer avee lenbsp;roi Périon.

— Si le roi Périon est a ce point geiitil compagnon de songer a nousnbsp;veiiir voir, s’écria-t-il, je voudraisnbsp;bien qne ce fut aujourd’hui plutótnbsp;que demain.

— Oh! il n’est pas si hatif que vous Ic pense'/;, répondit Baganil; ilnbsp;vous redoide beaiicoup, quoiqu’ilnbsp;n’enaitpasl’air...

— Savez-vous, dit a sou tour le due GalVm do Normandie, savez-vous par quel moyen nous pou-vons le contraindre a engager vitement I’aclion?nbsp;Faisons une embuseade , composih» do la plusnbsp;grande panic de cette armee, laquelle demeureranbsp;avec le roi Abies dans la forct de Galpan... Dagaud

et moi, nous irons, avec le reste de Parmée, nous présenter a Fi-ube du jour devanl la ville... Alors,nbsp;iios ennemis nous apercevant en petit norabre etnbsp;supposant que nous formons a nous seuls Farmée,nbsp;viendront iufaillihlomentsur nous, dans Fespérancenbsp;de nous exlerminer. Nous feindrons d’avoir peurnbsp;et nous prendrons la fuite vers la forêt oü sera Ienbsp;roi avec lo gros de Farmée, et oü nos ennemis,nbsp;nous poursuivant, trouveront la mort.

— G’est trés bien avisé 1 répondit le roi Abies. Due Galliu, ordonnez cette embuseade vous-mêrne,nbsp;et que tont s’arrange selon que vous Firaagine-rezl...

Alors vous eussiez vu soudards se raouvoir, gens d’armes monter a cheval. tambourins bruire, trom-pettrs retentir, oscadrons s’organiser; si bien que,nbsp;ie soir même, tont était disposé dans Fordre imagine par Ie due de Normandie, et que, au point dunbsp;jour, une petite armee se présentait sous les mursnbsp;(le la ville du roi Périon.

Ge prince, en ce momont-la, était loin dese dou-ler de ce qu’on tramait contre lui. II n’ctait occupé qii’a bien fêter son vaillant hóle, le Chevalier de lanbsp;Mer. Comme Farmée comrnandée par Daganil et lenbsp;due de Normandie s’approchait de la place, il senbsp;rendait, lui, avec la reine Elisène, en la chambrenbsp;oü logeait le beau chevalier, et oü ils Ie trouvèrent,nbsp;se lavant les mains.

Le Chevalier de la Mer avait les yeux rouges, enflés, et encore pleiqs de larnms. Le roi et lanbsp;reine jugèrent qu’il avait assez mal reposé durantnbsp;la nuit, comme jl était vérité, car il n’avait pas unnbsp;snul instant cessé de penser A celle qu’il aiinait tantnbsp;et si vainement.

La reine done, désireuse de savoir la cause de cette trislesse qui apparaissait sur le visage du jou-venceau, tira Gandalin a part et lui dit:

— Mon ami, votre maitre porte au visage quel-que facherie ; lui aurait-on donné céans sujet de mécontentemeiit?...

— Non, madame, répondit Gandalin; il areou beaucoup d’honneur do votre grace... Si vous lenbsp;voyez aiiisi raarmiteux, c’est qu’il a coutume de rê-ver, et, quand il rève, il se tourmente outre ine-sure, comme il vous est loisible d’en juger par s(?snbsp;yeux rougis et sa face déconüte.

Gandalin achevait a peine ces mots, que le guet vint avertir Ie roi Pénon tiue les ennemis étaientnbsp;sous les murs de la ville. Lors, on fit sonnernbsp;promptement l’alarme, et en un clin d’ceil, chacunnbsp;fut pret, armé et A cheval.

Périon et le Chevalier de la Mer chevauchaient les premiers. En arrivant aux portes de la ville,nbsp;ils trouvèrent le prince Agraies qui se débattnitnbsp;(Fune véhémente facori, paree qu'on tardait trop Anbsp;les lui öuvrir. Agraies était uu des plus hardis chi;-valiers, et s’il eüt eu la sagesse a commandementnbsp;c/oimne il avait le courage, il n’y eu eüt guère eunbsp;de semblables au monde'.

Les portes de la ville s’ouvrirent enfin, et les Gaulois purent sortir. Lorsqu’ds apergurent lesnbsp;g(ïns d'armes eommamlés par Daganil et le due denbsp;Normandie, ils l'ureiit étonnés de leur grand nom-hre, bien qnc toiito Farniée du roi A!)ies n’y futnbsp;pas, (il la plupart d’etitre eux 1'urent d’avis de n’al-Icr pas plus avant, estiinant (Mre témérité d’assaü-, lir puissance tant iuégale.


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24 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

A cette cause, il y eut grandes contestations; ce que connaissant Agraies, il donna des éperons amp;nbsp;son cheval, et cria amp; haute voix

— Maudit soit qui plus tardera 1 Voilli ceux con-tre qui il faut débattre, et non pas entre nous!

Et, cela dit, il piqua droit aux ennemis, suivi du Chevalier de la Mer et d’un certain nombre de gensnbsp;d’armes.

La mêlée commenga apre et sanglante. Le premier que le Chevalier de la Mer rencontra fut le due de Normandie; il le chargea si viveraent que, rom-pant sur lui, il renversa homme et cheval par terre.nbsp;Le due de Normandie en eut la jambe rompue.

Le Chevalier de la Mer se vit aussitót entouré par une nuée de soudards, dësireux de venger Ia chutenbsp;du due Gallin; mais c’était nuée de moucherons :nbsp;il la dissipa a coups d’épées, et passa outre pournbsp;s’attaquer fi des adversaires plus dignes de lui. Ce-pendant, la foule des gens d’armes se faisaitnbsp;d’instant en instant plus compacte autour du Chevalier de la Mer, il est probable qu’il eüt fini parnbsp;être abattu, sans Tinlervention du vaillant Agraies.

Agraies, séparé de son ami, avait vudeloin quel péril il courait, et il s’était dirigé de son cóté,nbsp;renversant tout ce qu’il rencontrait, démembrantnbsp;l’un, échinant l’autre, tellement que tous lui firentnbsp;voie et qu’il put arriver jusqu’au Chevalier de lanbsp;Mer. Une partie de sa troupe le suivait.

A son arrivée, vous eussiez vu lances se briser, heaumes tomber, écus voler, hauberts se fracas-ser : les Irlandais perdaient l’avantage!

Ge qui compliqua la situation,'pour les gens de Daganil et de Gallin, ce fut l’intcrvention du roinbsp;Périon en personne. Le Chevalier de Ia Mer,nbsp;Agraies, le roi Périon 1 Les Irlandais commeneaientnbsp;i se débander, malgré les exhortations de Daganil.nbsp;Les Gaulois, au contraire, allaient en avant, exci-tés au courage par l’exemple du roi Périon et parnbsp;la voix d’Agraies, qui leur criait, en leur désignantnbsp;le Chevalier de la Mer :

— Suivons, mes amis, suivons le plus vaillant chevalier du monde!...

Lors, Daganil, jugeant que le pire était de son cóté, et s’apercovant que Ie dommage principalnbsp;venait des coups que portalt le Chevalier de la Mer,nbsp;délibéra en soi de lui tuer son cheval, et par ainsinbsp;de le faire tomber en la presse. Mais il ne le put:nbsp;le Chevalier de la Mer, au contraire, se rua surnbsp;lui, frappa un rude coup sur son armet et le lui fitnbsp;voler hors de la tête. Go que voyant, le roi Périon,nbsp;voulant parfaire l’oeuvre du Clievalier de la Mer,nbsp;s’approcha a son tour de Daganil désarmé et luinbsp;donna un tel coup d’épée que le cerveau en futnbsp;entr’ouvert et que la eervolle en jaillit Qci et !amp;.

II y eut alors une déroute compléte parmi les Irlandais, qui gagnèrent é Ia hate la forêt oü senbsp;tenait le gros de l’armée du roi Abies, et oü lesnbsp;poursuivit le roi Périon.

Mais le roi Abies n’avait pas attendu qu’ont vint le réclamer dans son embuscade : il était déjènbsp;parti, ü la tète d’une partie de son armee, pournbsp;porter secours ü son cousin et s’emparer do la villenbsp;du roi Périon. Aussi son apparition, avec desnbsp;troupes fraiches, causa-t-elle un certain éinoi parminbsp;les gens d armes du roi Périon, harassés, au contraire, de fatigues et de blessures. Pour un peu,nbsp;raème, le désarroi se füt mis parmi les Gaulois :

heureusement, le Chevalier de Ia Mer était lal

— Mes compagnons et amis, leur cria-t-il, ayons bon coeuri Que chacun fasse connaitre ici sanbsp;vertu 1 Que chacun se souvienne de l’honneur quenbsp;les Gaulois ont acquis par leurs armes 1 Allons,nbsp;mes compagnons, allons 1... Nous avons affaire ünbsp;des gens étonnés et a demi-vaincusl... N’allonsnbsp;pas changer de róle avec eux, prendre leur couar-dise et délaisser notre victoirel... Allons, mes compagnons, allons 1 Dieu nous aide!

A cette male parole, les plus découragés repri-rent courage, résolus a combattre virileraent leurs ennemis, qui, un peu aprés, revinrent plus furieu-sement que jamais sur eux.

La mêlée recommenca done avec un acharne-ment qu’elle n’avait pas encore eu, ü cause sur-tout du roi Abies, qui était un hardi chevalier, et qui donnait un fier exemple a son armée, ayant anbsp;venger la mort du due de Normandie et de Daganil. Aussi, malgrc les efforts surhumains du roinbsp;Périon, d’Agraies et du Chevalier de la Mer, pournbsp;rallier honorablement leurs gens, il y eut une pa-nique générale, et chacun chercha a gagner lanbsp;ville pour se mettre ü couvert.

Gomme le roi Abies poursuivait les Gaulois qui fuyaient, éperdus, un chevalier lui dit en lui mon-trant le Chevalier de la Mer, qui harcelait de sesnbsp;exhortations les gens du roi Périon :

— Sire, celui-ia que vous voyez, monté sur un cheval blanc, a mis a mort, de sa propre main, lenbsp;due de Normandie et votre cousin Daganil!,..

Le roi Abies, entendant cela, poussa son cheval du cóté du Chevalier de la Mer, et il lui cria :

— Chevalier, vous avez mis a mort I’hornme que j’aimais le plus au monde... Je veux le venger 1

— Vous avez troupe trop fraiche pour la notre, répondit le Chevalier de la Mer. Toutefois, si,nbsp;comme chevalier, vous voulez venger celui quenbsp;vous dites et montrer le grand courage que la re-nommée vous accorde, choisissez parmi vos gensnbsp;ceux qui vous plairont le mieux; de mon cóté, s’ilnbsp;plait au roi, je choisirai les miens : ainsi égaux ennbsp;nombre, nous pourrons combattre, ce qui seranbsp;plus honorable pour vous que votre invasion in-juste en ce pays.

— Vraiment, chevalier, vous parlez bien 1 s’é-cria le roi Abies. J’acceptel Fixez vous-mème le nombre, petit ou grand, des personnes qu’il faut.

— Puisque vous me laissez ce choix, reprit le Chevalier de la Mer, et que vous me paraissez sinbsp;bicn disposé, je vais vous proposer un parti meil-leur encore... Je suis votre ennemi a cause de cenbsp;que j’ai fait; vous etes le mien a cause du mal (luenbsp;vous faites a ce royaume que vous avez injuste-monl envahi. Par ainsi, puisipie nous avons unenbsp;colére personnelle, il n’est pas juste quo d’autresnbsp;on souffrent... Que la bataille soil entre vous etnbsp;moi seulementl Cela vous convient-il ?...

— Je le veux trés bien 1 répondit le roi Abies.

Lors il choisit dix chevaliers pour garder le camp, et invita son adversaire h en faire autant.

Le Chevalier de la Mer alia incontinent vers le roi Périon, i qui il demanda son autorisation.nbsp;Périon et Agraies furent un peu durs ü lui consen-tir ce combat, tant pour la consequence dont ilnbsp;était, que paree que le Chevalier de la Mer étaitnbsp;las et travaillé d’ennuis. Ils lui demandérent de


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LE CHEVALIER DE LA MER. 25

différer au moins jusqu’au lendemain cette entre-prise si pleine de périls; mais sa soif de vaincre était si grande, si grande aussi était son envie denbsp;voir cette guerre terminée afin qu’il put retourncrnbsp;vers sa mie tant aimée, qu’il obtint du roi Périonnbsp;l’autorisation sollicitée. II fut ordonné pour com-battre, et, comme il avait été fait pour Ie roi Abies,nbsp;on lui bailla dix chevaliers destinés h la garde et amp;nbsp;la süreté du camp.

GHAPITRE XX

Comment Ie Chevalier de la Mer combattit Ie roi Abies; sur Ie différend de la guerre qu’il menait en Gaule.

La bataille entre Ie roi Abies et Ie Chevalier de la Mer ayant été convenue, les seigneurs des deuxnbsp;cótés arrêtèrent qu’elle aurait lieu Ie lendemain,nbsp;pour laisser les champions se rafraichir et pansernbsp;même les blessures regues dans les rencontres pré-cédentes.

Le bruit des ’exploits du Chevalier s’était pro-pagé i l’entour, et tout le monde priait Dieu de lui faire accomplir les grandes choses qu’il avait ennbsp;train.

Dès le matin, le roi avait prié la reine de désar-mer elle- même le chevalier en sa charabre, et une demoiselle était allée le prévenir.

Le Chevalier ne put s’en défendre, et lorsque la reine lui óta son haubert, elle vit qu’il était toutnbsp;meurtri et le montra au roi qui lui représenta qu’ilnbsp;n’avait pas pris un délai assez long pour sa bataille.

Le Chevalier assura que ce n’était pas dange-reux, et les chirurgiens furent d’avis que ces blessures étaient seulement longues h se fermer.

Gependant le souper arriva, et les affaires de la journée menèrent la conversation jusqu’au cou-cher.

Le lendemain, chacun fut ouïr la messe, après laquelleleroi donna au Chevalier les armes les plusnbsp;riches et les plus solides qu’il fut possible de ren-contrer. Lui-mème porta 1’armet du chevalier,nbsp;Agraies se chargea de son écu; un autre princenbsp;prit sa lance, et ainsi chargés, ils s’élancèrent dansnbsp;la campagne oü le roi d’Irlande attendait, armé etnbsp;inonté sur un grand cheval noir.

Tout é l’entour une foule de peuple s’était ap-prochée pour être témoin de la tin du combat.

Abies avait combattu autrefois un géant auquel d avait tranché la tête, et portait sur son écu cenbsp;combat représenté fidélement.

A nbsp;nbsp;nbsp;les deux champions furent en face Fun

ue 1 autre, ds s’apprêtèrent a donner la mesure de leurs moyens, et sans trop attendre, ils baissèrentnbsp;les vues de leurs armets, et, se recommandant iinbsp;I)ieu, donnèrent des éperons é leurs chevaux etnbsp;s’abordèrent si furieusement que leurs lances furentnbsp;rompues et qu’ils tombèrent tous deux par terre.

Mais leur courage et le désir de vaincre les lit promntement se relever; ils arrachèrent les tron-gonsde lance qui les meurtrissaient, et, Fépée ü lanbsp;main, ils engagèrent un combat dont les assistantsnbsp;frémirent tant il fut acharnè et effrayant.

Le Chevalier de la Mer était bieu pris et de rai-sonnable taille.

Mais le roi Abies était fort grand et n’avait rencontré jamais d’adversaire qu’il ne dépassèt d’un pied; il était si fort qu’il pouvait passer pour unnbsp;colosse, aussi ses sujets l’estimaient beaucoup pournbsp;ces dons naturels, qui lui donnaient un peu de va-nité.

Les deux chevaliers, animés d’une ardeur parelde, tant pour leur honneur particulier que pour les conséquences du combat, se frappaient sansnbsp;interruption et faisaient un tel bruit de coups qu’ilnbsp;eüt paru que vingt personnes se tenaient assaut.

La terre était couverte de sang, si peu ils se mé-nageaient; des morceaux d’écus, des lames de har-nais volaient autour d’eux, chaque coup portait, et souvent atteignait le vif sans qu’ils parussent lenbsp;remarquer.

Tous deux conservaient une contenance si brave, que 1’on ne pouvait prévoir lequel aurait le dessus.

Mais vers trois heures après-midi, le soleil devint si chaud qu’ils s’affaiblirent peu è peu, et le roinbsp;Abies rompit en disant au Chevalier de la Mer:

— Je te vois presque vaincu, et je suis hors d’ha-leine; s’il te semble bon, reposons-nous un peu, car nous pourrons continuer plus aisément ensuite;nbsp;je veux bien t’avouer que tu me parais digne denbsp;combattre avec moi, mais je veux venger la mortnbsp;de 1’ami qui m’était le plus cher, et je ne tarderainbsp;pas èi le faire en présence de nos deux camps.

— Roi Abies, répondit le Chevalier de la Mer, je vois que tu tiens bien plus é ma perte qu’aunbsp;succès de tes troupes en ce pays, et comme on nenbsp;ressent pas le mal dont on est 1’auteur, je veux tenbsp;faire repentir de ta cruauté envers les habitants denbsp;ce pays; tu n’auras pas le loisir de respirer, défends-toi contre un chevalier vaincu, comme tu dis.

— Que ton audace soit punie, fit le roi Abies en reprenant son épée et le reste de son écu, et qu’ilnbsp;t’en coüte la tête.

— Fais ton possible, reprit le Chevalier, car je ne te laisserai pas de repos jusqu’a ce que toi ounbsp;ton honneur soyez détruit.

Et leur combat recommenga de plus belle; mal-gré 1’adresse du roi Abies, ê qui un long exercice avait appris 1’attaque et la defense, il perdit lenbsp;reste de son écu, grace ê la promptitude et a la légé-reté du Chevalier de la Mer.

Abies, poursuivi avec acharneraent, couvert de sang et presque hors de combat, réfléchit qu’il luinbsp;fallait faire un dernier effort pour vaincre ou mourir.

II prit alors son épée è deux mains et se rua si fort sur le Chevalier, qu’il engagea dans 1’écu denbsp;de celui-ci son épée sans pouvoir la dégager.

Ce que voyant le Chevalier, d'un revers lui coupa la jambe gauche; Abies tomba sur h place. Lenbsp;Chevalier se jeta sur lui, et lui arrachant sonnbsp;heaume :

— Rends-toi, lui dit-il, ou meurs.

— Vraiment! répondit le roi, je suis mort, mais non vaincu; quoi qu’il advienne, ceci est de manbsp;faute; permets ê mes soldats de me transporternbsp;chez moi, afin que je satisfasse ê mes devoirs envers Dieu et les hommes, je rendrai è Périon ce quinbsp;est a lui; je ne regrette pas de finir de la main d’unnbsp;brave chevalier comme toi, je te pardonne, continue tes exploits et souviens-toi de ma personne.

Le Chevalier de la Mer se sentit navré de la position d’Abies, qu’il eüt pu mettre en plus mauvais


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état encore. Les assistants s’approchèrent, et Abies fit remeltre a Périon ses conquètes de Gaule. Losnbsp;Irlandais eraportèrent leur roi, qui mourut peunbsp;après avoir terminé ses affaires.

Le roi Périon, Agraies, et les seigneurs de Gaule vinrent prendre le Chevalier, qui regut les honneurs dus non-seuleraent anx vainqueurs, mais tinbsp;ceux qui délivrent leur palrie de la servitude.

Or, la demoiselle de Danemark, envoyée au chevalier par Oriane, était arrivée èi la cour denbsp;Périon peu avant le combat; avant de s’annoncer,nbsp;elle attendit le résultat el prit amp; part le Chevaliernbsp;pour lui remettre une letire d’Oriane.

Le Chevalier, transported de joie, faillit s’éva-nouir et laissa toraber cette lettre que la demoiselle releva. La demois lle pria le Chevalier de partirnbsp;pour la Grande-Bretagne oü se Irouvait Oriane;nbsp;son nom lui était révélé par la lettre qui était cellenbsp;trcuvée avec lui dans son berceau; il vit qu’il s’ap-pelait Amadis.

— II me faut, dit la demoiselle, retourner au plus tét vers Oriane; j’attemls vos ordres.

— nbsp;nbsp;nbsp;Demeurez , répondit le Chevalier, deux ounbsp;trois jours ici, et ne me qudtez pas; je vous con-duirai ensuite oü vous voudrez.

— nbsp;nbsp;nbsp;En vous obéissant, fit la demoiselle, je croirainbsp;complaire amp; ma dame Oriane.

Le Chevalier relourna vers le roi, et, sur son passage, le peiqile criait:

— nbsp;nbsp;nbsp;Béni soit le brave chevalier qui nous a rendunbsp;la liberté et l’honneur !

La reine et ses dames requreiit le Chevalier, lui ötèrent ses armos et firent visiter ses plaies par lesnbsp;chirurgiens, dont l’avis fut qu’il ne courait aucunnbsp;danger.

Le Chevalier se retira dans sa chambre avec la demoiselle, refusant le souper du roi pour causernbsp;de ses peines d’amour; et il lui plut tant de tenirnbsp;compagnie avec elle, qu’il oubliait ses blessures etnbsp;se promenail constamment, en devisant avec ceuxnbsp;qui le visilaient. II lui tardait de pouvoir re-prendre ses armes.

Sur ces entrefaites, il survint un événement qui prolongea sou séjour en Gaule plus qu’il ne voulait;nbsp;de sorte que la demoiselle retourna seule versnbsp;Oriane.

GHAPITRE XXI

CommeTil le Chevalier de laMer est reconnu par le roi Pi'rion, son père, et par la reine Elisène, sa mère.

Périon, étant en la Petite-Bretagne, avait donné a la reine Elisène un anneau en tout pared a celuinbsp;(pi’ll portalt ordinairement. Cet anneau avait éténbsp;attaché au cou du Chevalier de la Mer lorsqu’il avaitnbsp;été abandonné sur 1’eaii, et Gandales le lui avaitnbsp;renvoyé p'us tard avec 1’épée et le sceau caclu'lé.

Plusieurs fois le roi avail demandé a la reine cc qu’ctait devenu cet anneau. D’abord, (die avaitéviténbsp;de n'pnndre; puis elle lui avoua qu’il était perdu.

Un jonr quigt; le Chevalier se pronnuiait avec Oriane, Mélieie, flile du roi Périon, courut è lui ennbsp;[jleurant, et lui conta qu’e.lte avait égaré 1’anneaunbsp;que son père lui avait contlé pendant qu’il se repo-sait.

Le Chevalier, Grant celui qu’il avait au doigt, )a pria de se consoler.

En voyant cet anneau, la jeune fille pensa que c’était celui qu’elle avait perdu, et elle dit au Chevalier ;

— nbsp;nbsp;nbsp;Que je suis aiso que vous l’ayez trouvé 1 Jenbsp;1’ai cherché bien longuement.

— nbsp;nbsp;nbsp;Comment, répondit le Chevalier, l’avez-vousnbsp;pu chercher, puisque ce n’est pas le vótro?

— nbsp;nbsp;nbsp;II lui ressemble si bien, fit 1’enfant, qu’il seranbsp;pris pour celui que j’ai égaré.

Le roi s’était éveillé, et, prenant des mains de sa fille l’anneau qu’elle lui donnait, il le mit a son doigtnbsp;comme le sien; puis, en passant dans les galeries,nbsp;il Irouva celui que sa fille avait perdu, et les com-para tous deux. 11 se ressouvint alors que 1’un desnbsp;deux devait être celui qu’il avait donné k la reine.

II demanda ü Mélicie oü elle avait trouvé cet anneau. L’enfant, n’osant menlir, raconta qu’elle le tenait du Chevalier.

Un souppon (raversa l’esprit du roi : il se figura que cet anmmu était un présent fait paria reine aunbsp;Glmvalier, dont la beauté lui parut significative. IInbsp;monta chez la reine, et, sans dire un mot, viiitnbsp;s’asseoir a ses cólés, les yeux immobiles.

— nbsp;nbsp;nbsp;Je ne suis plus ótonné, madame, lui dit-llnbsp;avec effort, de votre embarras toutos les fois quenbsp;je vous ai rappelé l’anneau que je vous donnai ennbsp;Bretagne. Vous l’aviez déposé dans un endroit quenbsp;vous vouliez me cacher; mais une affection estnbsp;toujours découverte par les gages ((u'on cm donne.nbsp;Le Chevalier de la Mer l’a donné inconsidérémentnbsp;k Mélicie, ne sachant pas qu’il venait de raoi. J’ainbsp;SU ainsi cc que tous les deux vous aviez iiitérêt anbsp;me céler.

La reine, s’étant aper^uo au visage du roi qu’il éfait anéanti, résolut de lui découvrir la vérité;nbsp;elle lui conta sa grossesse, son enfantement, (!tnbsp;comment la crainte du poi son père et la sévériténbsp;dos lois du pays favaient contraiute a exposer sonnbsp;fils sur la mer.

Le roi resta émerveillé de ce récit, qui Jui donna a penser que le Chevalier pourrait bien étro sonnbsp;premier enfant, préserve par Dien d’un sort funeste ; il fit a la reine part de ce pcns(;r.

— nbsp;nbsp;nbsp;Allons a sa rencontre! répondit lo roi.

La reine et le roi se rendirent k la chambro du Chevalier, qui dormait. Le roi s’approcha sans bruitnbsp;et prit sur le lit l’épée qu’il reconnut avoir illus-trée dans maintes rencontres.

— Sur ma foi! dit-il k la reine, voici l’épée qui me fut dérobée lors de notre première enlrevuenbsp;chez le roi votre père; votre dire me paralt prendre une tournure do vérité.

La reiiie dout le coeur était haletant d’anxiété, révcilla le Chevalier, qui, la voyant pleurer, lui dit:

— Madame, d’ou viennent vos larmes ? Mon bras pcut-il en faire cesser la cause.

— Mon ami, répondit la reine, uii mot de vous peut les sécher : diles-nous seuh'mentdc qui vousnbsp;(Mes fils.

—¦ Dieu m’assiste, fit le chevalier, si je le sais! Je fas irouvé sur la mer d’line facon étrange.

La reine fut si heureuse de cette declaration qii’elle ne put ajouter im mot; le sentiment de lanbsp;vie I’abandoiina tout-k-coup, et (»lle tomba danslesnbsp;bras du chevalier.


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LE CHEVALIER HE LA MER. *7

— nbsp;nbsp;nbsp;Je. sais mieux que vous qui vous etes, dit-ellonbsp;en reprenant la parole. Ah 1 nion fils, je puis main-tenant vous embrasser a mon aise, après avoir etcnbsp;si longtemps privée fie votre vue et de vos nou-velles. 11 a plu a Dieu de réparer ma faute; voidnbsp;le père qui vous eiigendra.

Le chevalier se jeta, les yeux en pleurs, aux pieds du roi et do la reine, et tous les trois remer-ciercnt Dieu de ce dénoüment, particulièrement Ienbsp;Chevalier, qui, après avoir échappé a de grandsnbsp;dangers, relrouvait en même temps ses parents etnbsp;des honneurs auxquels il n’aurait osé prétendre.

La reine lui deraanda s il avait un autre nom que celui dont on I’appelait.

— nbsp;nbsp;nbsp;Oui, madame, répondit-il, mais il n’y a pasnbsp;trois jours que je le connais. Au sortir du combatnbsp;oil Abies aètévaincu, une demoiselle m’a apporténbsp;une lettre scellée que j’avais suspendue a mon counbsp;lorsque je fus trouve sur la mer; j’ai coanu parnbsp;celte lettre que mon nom est Amadis.

La reine recommt la lotlre écrile par Dariolette, ot exigea du chevalier qu’il portal le nora d’Amadis,nbsp;au lieu de son premier nom.

Depuis ce moment, i! garda le nom d’Amadis; on I’appela aussi quelquefois Amadis de Gaule.

Tout le monde apprit avec joie la nouvelle; Agraies ne fut pas des derniers a s’en rtqouir, ilnbsp;deveuaif cousin germain du Chevalier de la Mer,

La demoiselle de Danemark insista auprès d’A-inadis pour porter è Oriane le recit de cet événement dont elle ctait si heureuse ; elle lui fit com-prendre qu’il ne pourrait do sitót accomplir son voyage et relrouver I’idole de son creur, qu’il serail a Oriane une compensation en rabseace de sanbsp;personne, d'avoir de ses bonnes nouvelles.

Amadis la laissa partir, rassurant de son prochain voyage ; il lui dil qu’il arriverait vers Oriane porlant les armes qu’il avait en combattant le roinbsp;d’lrlande, qu’elle le reconnaitrait ainsi facilement.

Agraies, voyant quo son cousin Amadis prolon-geait son sejour en Gaule, voulut partir; il lui de-manda son congé, ne pouvant dilTérer plus long-temps de retrouver celle qui commaudait de prés eu de loin ii son coeur.

— nbsp;nbsp;nbsp;C’est Olinde, fille du roi Vanain de Norvége;nbsp;elle m’a fait prior, par la demoiselle qui m’apportanbsp;1’armet de Galpan, de la rejoindre au plus lot; jenbsp;ne puis désobéira cetordre et suis conlraint de menbsp;séparer de vous.

Ce fut a 1’époque oil Galvanes, frère du roi d’E-eosse, emmena en Norvége son neven Agraies, que ce dernier s’éprit d’01inde,a laquelle il futloujoursnbsp;fidele et obifissant.

V..O nbsp;nbsp;nbsp;n’avait rcQu en apanage qu’un pau-

y e cnateau ; son argent avait servi a cquiper et en-tretenii quelques gontiishommcs, ct on le surnom-niait Galvanes-sans- lerre a cause de cela.

Agraies, en quiltant Amadis, lui demanda oil ils se retroiiveraiont au retour do la Norvége.

—' J’espère, mon cousin, répondit Amailis, aller d ici a la cour du roi Lisvart, oil les chevaliers fontnbsp;meilleure figure qu’en niillo autre maison d’empe-reur ou de roi.

Remerciez, a Toccasion, le roi votre père ct la reine des soins dont ils out enlouré ma jeunessc;nbsp;(htes-leur que je suis pret, pour eux et pour vous, .nbsp;a entreprendre ceque je pourrai pour leur service, j

Agraies se mit en route, reconduit hors de la ville par le roi Périon et les seigneurs de sa cour.

Aiissitot que le roi Périon fut en pleinc campagne, il vit venir a lui une demoiselle qui prit avec autorité la biide de son cheval ct lui dit;

— nbsp;nbsp;nbsp;Te souviens-tu d’avoir été pnivenu par unenbsp;demoiselle que, lorsqiie tu recouvrerais ta perte, lanbsp;scigneurie d’lrlande perdrait sa fleur? Vois si ellenbsp;a dit vrai ; tu as retrouvé ton fils, que tu croyaisnbsp;mort, et Abies, qui fut la fleur d'lrlaude, est tré-passé.

•—Lo pays d'lrlaude ne rctrouvera le pared d’A-bies qu’ii la venue du frère de la dame, lequel mourra de la main d’un gentilhomme, après avoirnbsp;conquis par force d’armes le tribut d’autres pays.

Et il en arriva ainsi par Marlot d’lrlande, frère de la reine d’lrlande, que Tristan de Léonois occitnbsp;en defendant le tribut qu’on demandait au roi Marcnbsp;de Cornouailles, son oncle.

Trislan lui-merne mourut pour I’amour qu’il j)or-tait a la reine Yseult.

— nbsp;nbsp;nbsp;Qu’il t’en souvienne 1 dit la demoiselle au roi,nbsp;c’est Urgande, ma maitresse, qui te mande cesnbsp;choses.

En entendant prononcer le nom d’Urgande, Amadis prit la parole et dit amp; la demoiselle.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ma mie, je vous prie de dire a celle qui vousnbsp;aenvoyée que le chevalier h qui elle donna Ja lancenbsp;se ;recommande è sa protection; qu’il reconnaitnbsp;qu’elle a dit vrai en lui assuraut qu’a I’aidede cettcnbsp;lance il délivrerait la maison dont il était le premiernbsp;issu. Cela est arrivé, car j’ai sauvé mon père, sansnbsp;le counaitre, au moment oil il allait succomber.

La demoiselle tourna bride, et le roi reprit avec Amadis le chemin de la ville.

Pour célébrer la reconnaissance de son fils, le roi Périon fit commencer des joules, des tournoisnbsp;merveilleux dans lesquels Amadis fut reconnu parnbsp;tous comme un des plus adroits chevaliers.

Amadis fut averti sur ces entrefaites de l’enlève-ment do son frère Galaor par le moyen d’un géant, cl il prit le parti de le rechercher et secourir parnbsp;la force des armes ou autrement.

Toutefois, ayant au cceur le désir de voir celle qui I’attendait, il pria un jour le roi son père denbsp;lui dormer comté d’aller en Grande-Bretagne cher-clier des aventures, craignant de rester oisif en unnbsp;pays délivré de ses ennomis.

Le roi et la reine ne l’approuvèrent pas, mais ils lui permirent seulernent un voyage en ce pays,nbsp;après qu’il cut beaucoup insisté. L’affeclion qu'ilnbsp;portait è Oriane était telle, qu'il ne pouvait se ré-soudre è demeurer plus longtemps.

Amadis prenant les armes dont il avait parle a la demoiselle de Danemar k, partit un matin et fitnbsp;chemin jusqu’au port de mer le plus voisin, ou ilnbsp;Irouva il prtqios un batiment qui lo débarqua ennbsp;peu de jours è Bristoye, ville importante oil il ap-pi’it que le roi Lisvari, tenait sa cour a Vindilisore.

11 se dirigeait vers cette dernièro ville, lors-qu’nne demoiselle lui demanda si Bristoye était encore loin ct s’il y avait dans le port un navire pret il aller en Ganle.

— Quelle affaire vous y conduit ? lui fit Amadis.

— nbsp;nbsp;nbsp;j’y vais, répondit la demoiselle, pour Irouvernbsp;un chevalier nommé Amadis et quo le roi Périon anbsp;depuis peu reconnu pour son fils.


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28 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

28 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

Amadis, étonné qu’elle süt de si récentes nou-velles, s’informa de qui elle les tenait.

— nbsp;nbsp;nbsp;Je les sais, repartit-elle, d’une personne amp; quinbsp;les plus grands secrets sent découverts, d’Urgande-la-Déconnue. Elle a, en ce moment, grand besoinnbsp;d’Amadis, qui seul peut lui faire retrouver ce qu’ellenbsp;craint de perdre.

— nbsp;nbsp;nbsp;Demoiselle, n’allez pas plus loin. Je suis heu-reux d’etre appelé par celle dont tout Ie monde anbsp;besoin, répliqua Amadis : celui que vous chercheznbsp;est devant vous, pret èi vous suivre oü il vous plaira.

— nbsp;nbsp;nbsp;Or, suivez-moi, je vous conduirai, dit la de-mmiselle, la oü vous attend ma maitresse impa-tiente.

Et Amadis suivit incontinent Ie chemin que lui montra la demoiselle.

GHAPITRE XXII

Comment Ie géant, menant Galaor au roi Lisvart pour Ie faire chevalier, rencontra Amadis, et comment Galaor voulutnbsp;l’être de ia main de son frêre, et non d’autre.

e géant, qui prenait soin de Galaor et l’initiait atout ce que comporte la che-j/alerie, Ie trouva, en moins d’un an,nbsp;'si accompli, qu’il lui demanda par quinbsp;il voulait ètre chevalier.

Déja Galaor avait résolu de choisir Ie roi Lisvart, tenu et réputé gentilnbsp;roi et trés bon chevalier; de sorte que,nbsp;Ie géant l’ayant approuvé, ils se mi-rent en route munis des accoutrements nécessaires.

Après cinq jours de marche,ils ar-¦ rivèrent en vue d’une place nommé Bradoit, construitenbsp;I sur Ie versant d’une mon-tagne, dont Ie pied étaitnbsp;un raarécage traversé denbsp;courants d’eau salée. Une chausséenbsp;assez étroite conduisait au fort, a travers ces marais, et un pont-levis gar-dait l’entrée. Vis-a-vis Ie pont, deuxnbsp;onnes prêtaient leur ombrage a deux demoiselles etnbsp;un écuyer; avec eux, un chevalier montant un che-valblanc, et portant un écu peint a lions rampants,nbsp;appelait les gens du fort pour abaisser Ie pont-levisnbsp;et laisser entrer les voyageurs.

Du cóté du chateau, deux chevaliers armés, sui-vis de dix hallebardiers, demandèrent au chevalier ce qu’il voulait.

— Je veux entrer oü vous êtes, répondit-il.

— Gela ne se peut, fit 1’un des deux chevaliers, qu’après avoir combattu.

— Qu’a cela ne tienne, répliqua Ie chevalier, faites 'abaisser Ie pont, et venez au combat.

L’un des chevaliers du chateau, précédant sou compagnon, vint au galop de son cheval contrenbsp;celui qui voulait entrer, mais fut re^u si rudementnbsp;qu’hornme et cheval furent renversés.

Le second chevalier sou tour, voulant venger son ami, après un combat corps èi corps, glissa dansnbsp;l’eau et se noya.

Le chevalier des Lions passa outre.

Derrière lui les hallebardiers levèrent le pont. Alors les demoiselles poussèrent des cris, le priantnbsp;de retourner; mais lui voyait venir è lui trois autresnbsp;chevaliers bien armés, qui le menaoèrent de le noyernbsp;comme il avait fait de l’un des leurs. II les regutnbsp;tous les trois ensemble; au premier choc, il futnbsp;blessé en deux endroits, mais il en joignit un auquelnbsp;il laissa dans le corps un trongon de sa lance.

Puis, mettant l’épée h la main, il poursuivit les deux autres; il donna a l’un de ces chevaliers unnbsp;tel coup au bras droit que l’épée et le bras tombè-rent ensemble. Alors ce miserable courut vers lenbsp;chciteau en criant;

— nbsp;nbsp;nbsp;^a, venez ü l’aide de votre seigneur que l’onnbsp;tue!

Le chevalier des Lions entendant qu’il était seigneur du lieu, le rejoignit et lui fit sentir au cóté letranchant de son épée, puis, lui arrachant sonnbsp;heaume, il l’empêcha de fuir comme le troisième etnbsp;le menaga de mort s’il ne se rendait.

Le seigneur demanda merci et s’avoua vaincu.

A ce moment, une troupe de chevaliers et gens de pied armés sortirent du chateau pour secourirnbsp;leur seigneur, mais le chevalier, lui mettant l’épée anbsp;la gorge, lui dit;

— Gommandez ü ces gens de retourner ou je vous achève.

Le seigneur fit signe de le laisser, et ils obéirent.

— Ge n’est pas tout, faites baisser le pont, ajouta le chevalier des Lions.

Gela fut exécuté; alors le chevalier et sa capture franchirent la chaussée oü les demoiselles les atten-daient.

Quand le seigneur reconnut Urgande-la-Décon-nue, il implora la protection du chevalier des Lions contre elle, qui lui voulait la mort, disait-il.

— Je ferai plutót, répondit le chevalier, ce qu’elle ordonnera de vous. Et s’adressant a Urgande :

— Voici, madame , le seigneur de ce chüteau; que vous plail-il qu’il en soit fait?

— nbsp;nbsp;nbsp;ïranchez-lui la tête, fit Urgande, ü moinsnbsp;qu’il ne nous rende mon ami et la demoiselle quinbsp;l’amena, lesquels sont en prison contre le droit.

^ Le chevalier des Lions brandit son épée sur la tête du seigneur, qui consentit a rendre les prison-niers, et appela un des hallebardiers du chateaunbsp;pour qu’il eüt a prévenir son frère , s’il le voulaitnbsp;voir en vie, de les relacher au plus vile.

Le valet fut prompt, et la demoiselle parut ac-compagnée du chevalier; celui des Lions invita ce dernier k remercier Urgande et a l’aimer commenbsp;une libératrice, mais Urgande prévint cette démarche et d’elle-même donna l’accolade au chevalier.

— Que ferons-nous de la demoiselle ? demanda a Urgande le chevalier des Lions.

— II faut qu’elle rneure, répondit Urgande, pour la chatier de sa bassesse.

A l’instant, cette pauvre demoiselle, subitement fmchantée, se vautra dans les marais comme unnbsp;porc; elle allait disparaitre dans la rivière sans l’iu-tervention du chevalier des Lions, k qui Urgandenbsp;accorda pour cette fois une grèce a condition denbsp;laire prornettre k la demoiselle de ne plus recom-mencer.

Le seigneur du chèteau voyant que la demoiselle


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29

LE CHEVALIEH DE LA MER.

®tait sauvée par la parole du chevalier des Lions, lui demanda sa liberté, ayant satisfait aux conditions qui lui avaient été imposées.

Urgande Ie pria de partir, ce dont il ne se fit faute. Le chevalier des Lions, fort surpris de ce qui étaitnbsp;arrivé è la demoiselle, lui demanda ce qui l’avaitnbsp;poussée è entrer dans ces bourbiers.

— II me semblait être brülée, lui répondit-elle, par des torches ardentes, et pour les éteindre, jenbsp;me suis jetée a l’eau.

— Gela vous apprendra, fit le chevalier, è vous en prendre èi plus fort que vous.

•1 j ’ Galaor avait été témoin de tous ces faits, et il dit au géant;

Sire géant, je désirerais fort que ce gentil-homme rne fit chevalier; leroi Lisvart est renommé pour ses possessions, mais celui-ci mérite de l’êtrenbsp;pour sa force et son adresse.

I ^^'^^.^PProuve, répondit le géant, allez a lui et 1 en priez, et s’il vous refuse, ce sera sa pu-mtion.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;^

A 1 instant, Galaor parlit avec quatre écuyers et deux demoiselles pour aborder le chevalier desnbsp;Lions qu’on apercevait sous les orraes.

II fut regu avec courtoisie par le chevalier des Lions k qui il demanda l’octroi de la chevalerie.

serai ainsi dispensé d’aller trouver le roi Lisvart, comme j’en avais le projet, ajouta-t-il.

—Mou ami, répondit le chevalier des Lions, vous auriez grand tort de préférer au plus illustre roinbsp;du monde un pauvre chevalier comme moi.

““¦Seigneur, reprit Galaor, la grandeur du roi me touche moins que le combat oü je vous ai vu si re-öoutable tout a l’heure. S’il vous plait, ne repous-sez pas ma reqnête.

Je préférerais, répliqua le chevalier, vous oc-troyer tout autre don.

Ainsi qu ils devisaient, parut Urgande, qui, s’a-dressant au chevalier, lui demanda ce qu’il pensait de Galaor.

G est, lui répondit-il, le plus beau gentil-flomme que j’aie vu, mais il me demande une cnose qui ne convient ni a lui ni a moi. II veut quenbsp;je 1 arme chevalier sur l’heure, et pourtant il s’ennbsp;allait prier le roi Lisvart de le faire.

. ~ nbsp;nbsp;nbsp;pouvez le refuser, reprit Urgande,

I il vaut mieux que cela soit fait tót que tard, car je vous assure qu’il tiendra l’honneur de la cheva-rie aussi bien qu aucun des Isles de la mer, cx-cepte un.

chevalier, ainsi

Aliens en quelque église faire la vigile.

Galaor, j’ai entendu la messe cc «laUn et fait la communion.

Et 1 nbsp;nbsp;nbsp;chevalier,

chercham nbsp;nbsp;nbsp;l’^peton droit, puis l’embrassa,

Ure-anri nbsp;nbsp;nbsp;devait lui ceindre.

nrendw nbsp;nbsp;nbsp;s’avanga, et elle conseilla de

rne« et nbsp;nbsp;nbsp;'quot;^yait pendue a 1’un des or-

cérémome P^^'^issait la rneilleure pour cette

assistants ne distinguaient aucune épée

suspendue,cequifitrireUrgMde. ^

nnipT nbsp;nbsp;nbsp;apparnt une épée superbe, toulo

monté nbsp;nbsp;nbsp;Paurreau de soie richement

’ brillante que si elle eüt été neuve.

Le chevalier des Lions Ia prit, en ceignit Galaor, et lui dit:

— nbsp;nbsp;nbsp;Une si belle épée convient a si beau chevalier, vous pouvez vous croire 1’ami de celle quinbsp;vous en gratifie.

Galaor reinercia avec chaleur le chevalier et Urgande ; il prit congé d’eux se disant fort pressé et attendu. II pria le chevalier de lui fixer un rendezvous.

— nbsp;nbsp;nbsp;Nous nous trouverons ensemble a la cour dunbsp;roi Lisvart, répondit celui-ci. J’ai besoin, étantnbsp;nouvellement chevalier, de me faire un nom,nbsp;comme il vous le faudra aussi.

— nbsp;nbsp;nbsp;Gertes, reprit Galaor, j’y serai bientót. Je menbsp;tiens, ajouta-t-il a Urgande, pour votre chevalier,nbsp;pret a vous obéir quand il vous plaira me commander.

Et il fut retrouver le géant qui s’était caché au bord de l’eau.

Mais une des demoiselles de la suite de Galaor avait appris d’une de celles d’Urgande que le chevalier des Lions était Amadis, et qu’Urgande l’avait employé pour armes; son ami ayant été en-chanté par une dame aussi savante qu’elle, la vic-toire par les armes seule pouvait le sauver; cenbsp;qui s était accompli.

Aussitót le départ de Galaor, Urgande demanda au chevalier s’il connaissait celui qu’il venait denbsp;recevoir. Le chevalier l’ignorait.

— nbsp;nbsp;nbsp;II faut pour tous deux que je vous dise quenbsp;vous êtes frères de père et de mére. Le géant em-pqrta votre frère è 1’age de deux ans et demi, jenbsp;lui ai conservé 1 épée avec laquelle il dépasseranbsp;tout ce qu’on a fait en Grande-Bretagne.

Amadis pleura de joie è cette nouvelle; il voulut courir après Galaor, mais Urgande lui dit qu’il étaitnbsp;dans leur destinée de ne pas encore se connaitre,nbsp;pnis elle prit congé d’Amadis et partit avec son ami.nbsp;Amadis snivit la route de Vindelisore oü le roi Lisvart séjournait en ce moment.

GHAPITRE XXIII

Comment Galaor, sur les suggestions du géant Gandalac, alia combattre le géant Albadan et le vainquit.

gt;alaor, enchanté d’avoir été ^armé chevalier par Amadis,nbsp;revint promptement auprès dunbsp;géant Gandalac.

— Mon père, lui dit-il, vien-nent k présent les aventures 1 Plus elles seront périlleuses,nbsp;'et plus je me sens Ie désir etnbsp;Ia force de les éprouver.

I ^ —Mon fils, répliqua le géant j,d’un air soumis, j’ai pris soinnbsp;de votre enfance, et vous aveznbsp;jsurpassé tout ce que j’atten--nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;dais du sang dont vous êtes

iié... J espère en recevoir le prix et je vous requiers un don.

•— Ah 1 dit le jeune Galaor, ordonnez, ordonnez! Et croyez que je vous regarderai toujours commenbsp;mon père...

Eh bien! mon lils, vous m’avez vu souvent


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BIBLIOTHEQUE BLEÜE.

pleurer la mort de mon père, lué en trahisou par Ie féroce Albadan, pour s’emparer de la roche de Gal-tare qui in'appartient... Je vousdemande de tn’ap-porler sa tète, et, par ainsi, de me remettre en possession de la seigneurie qu’il m’a usurpée.

— Conduisez-moi, s’écria fièrement Galaor, et que mon premier exploit soit une dette de reconnaissance acquittée!...

Le géant, voyant briller dans les yeux de Galaor tout le courage de son ame élevée, n’hésita pas ènbsp;se meltre en chemin avec lui vers la roche de Gal-tarc. Au bout de quelque temps de cherainement,nbsp;ils furent arrêtés tous deux nar ürgande, qui lesnbsp;avait suivis par des sentiers détournes.

— Galaor, dit-elle au jouvenceau, apprends quelle est ton illustre origine! Tu as pour mère la reinenbsp;Elisène, pour père le roi Périon, et pour frère lenbsp;célèbre Amadis, lequel t’arma chevalier... Mainte-nant que je t’ai annoncé une partie de ta destinée,nbsp;je m’en vais, ahn de te laisser accomplir l’autrcnbsp;partie... Va vers la gloire qui t’attend, vaillant hlsnbsp;de roi!...

Urgande s’éloigna, et Galaor, enflambé plus que jamais de gloire, reprit sa route avec ardeur, impatient d’en venir au combat avec Albadan.

Bientót, sur son chemin, il rencontra deux gentes pucelles qui s’arrétèrentdevant lui, émerveillées denbsp;sa jeunesse et de sa beauté. Galaor, quoique biennbsp;jeune encore, fut émerveillé lui-mème et fort émunbsp;de la grace et de la gentillesse de l’une de ces deuxnbsp;pucelles, et, sans trop savoir encore è quel pointnbsp;une jeune demoiselle peut être utile h un chevaliernbsp;errant, il entra viternent (m propos avec elles etnbsp;leur demanda quel était le but de leur voyage.

— nbsp;nbsp;nbsp;On nous a dit, répondit la plus gente desnbsp;deux pucelles, qu’un chevalier se préparait è com-battre le redoulable géant de la roche de Galtare...nbsp;G’est une folie donl nous voulons être téraoins.nbsp;Pauvre chevalier t il court è une perte certainel...

— Je vais précisément oü vous allez, reprit en riant Galaor. De cette fapon, nous ne nous quitte-rons pas, si vous y consentez toutefois.

Los deux pucelles y consentirent de bon coeur, encouragées è cela par la bonne mine du chevaliernbsp;qui leur parlait, par sa candeur, par sa franchise,nbsp;par sa galanterie un peu sauvage, mais cependantnbsp;trés agréable é celles qui en élaient l’objet.

On se remit done cn marche, en devisant de choses et d’autres, et déja les deux jeunesses et leurnbsp;compagnon étaient les meilleurs ami du monde. 11nbsp;s’inléressait a elles, ot elles s'intcrcssaient é lui.

Mais que devinrent-elles, lorsqu’étant arrivées j)rès du chilteau de Galtare, elles virent le jeun(;nbsp;chevalier s’approcher de la sentinelle d’un air denbsp;défi!

— nbsp;nbsp;nbsp;Cours avertir ton maitre, cria Galaor, qu’ünnbsp;chevalier se présente pour le combattre et Ic punirnbsp;de ses forfaits!...

— nbsp;nbsp;nbsp;Ahl seigneur, seigneur! dit la plus gente desnbsp;deux pucelles, que prétendez-vous done faire la?...nbsp;Dix chevaliers tels que vous ne viendraient pas ènbsp;bout d’un pared monstre!... Vous allez è la mort,nbsp;et é la plus horrible de toutesl...

— Ras^irez-vous, ma mie, répondit Galaor en souriant. Rassurez-vous, et, pour élre hors de danger pendant le combat (pii va avoir lieu, retirez-vous dans cette cabane voisine... L’honncur denbsp;triornpher d’Albadan devant vos beaux yeux menbsp;donnera plus de force et plus de courage encore 1...

Les deux pucelles obéirent en tremblant; elles se rctirérent les larmes aux yeux.

— Un si beau chevalier! murmura la plus jeune en le regardant une dernière fois.

Bientót le géant sortit du chdteau, le corps couvert do fortes lames d’acier, et tenant è la main une lourde massue hérisséc de longues pointes.

— nbsp;nbsp;nbsp;Que viens-tu faire ici, raoitié d’homrae?...nbsp;cria-t-il é Galaor d’un air méprisant. Le idche quinbsp;t’envoie aurait bien dü empruntcr ton audace, ounbsp;te preter au moins sa lourde et difforme struc -ture!...

— Tais-toi, vilain! répondit Galaor. Les plus redoutables hommes ne sont pas toujours les plusnbsp;gros et les plus grands!... Rappelle-toi Goliathnbsp;vaincu par David!...

Gela dit, et sans plus attendre, le bouillant jeune homme courut sur le géant et lui envoya un si fu-rieux coup de lance qu’il lui en tit ploycr les reins.nbsp;Albadan voulut en vain lui porter un coup de sanbsp;massue, il ne put le frappor, et la force do ce coupnbsp;terrible ne trouvant rien qui l’arrètat, retomba surnbsp;les flancs du cheval que montait le géant, et 1’unnbsp;et I’autre tombèrent avec fracas. Une fois a terre,nbsp;Albadan chercha è se relever, mais sans y parve-nir; Galaor le renversait fi chaque instant et ren-dait nul chacun de ses efforts. Cependant, si cettenbsp;lulte se lüt prolongée, peut-être que le jeune chevalier eüt fini par avoir le dessous. Aussi, compre-iiant le peril de sa situation, Galaor se jeta rapi-deraent èbas de sou cheval et, d’un revers de sonnbsp;épée, il abattit la téte d’Albadan et la porta è Gan-dalac qui, dans sou premier transport, baisa aveonbsp;effusion ses mains victoriouses.

Un chêne séculaire, attaqué par la rude cognée des bücherons, ne fait pas en tombant un bruitnbsp;plus épouvantable que celui que venait de faire lenbsp;géant Albadan. Aussi, h ce bruit, accoururent lesnbsp;seiviteurs et les gens d’armes du clultoau. Ennbsp;voyant le corps de leur maitre sur la poussière, ilsnbsp;n’eurent pas une seule larme de regret, et, toutnbsp;au contraire, reconnaissantdins GanUalac leur legitime seigneur, ils s’ernpressèrcnt de lui rendrenbsp;hommage.

ClIAPITRE XXIV

Comment Galaor, après avoir vaincu le géant Albadan, reijut

de la belle princesse Aldène, pour prix de cette victoirc,

la plus agréable des récomjtenses.

Satisfait d’avoir prouvé sa reconnaissance a celui qui l’avait élevé, Galaor prit congé de lui et courut vers la gente pucelle qui lui portait un si ten-dre intérét et qu’il trouva trerablante corame unenbsp;feuille.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ahl seigneur, lui dil-clle en soupiraut et cnnbsp;buissant les yeux, un prix plus glorieux et plusnbsp;doux doit être celui de volre victoire...

Ges mots a peine prononcés d’unc voix émue, olie entra incontinent dans une route de la forèt ounbsp;Galaor la suivit avec empressement.

.— Attendez-moi trois jours dans cette ibrêtl ajouta-t-elle avec le plus airnable des souriresclennbsp;lui faisani un geste pour I’empeciier de Ia suivrenbsp;plus loin.


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LE CHEVALIER DE LA MER. 31

Galaor, un pou iuterdit par cette defense, rcsla quelques instants k la mème place, regardant fuirnbsp;cette gracieuse pucelle a travers les halliers ennbsp;fleurs. Puis, ne la voyant plus, il vouliit la voir encore et se prccipita sur ses traces. Mals elle avaitnbsp;de l’avance sur lui, et ce ne fut qu’au bout d’unenbsp;heure de recherches, et guidé par ses cris per-Cants, qu'il parvint a la retrouver. Elle se débattaitnbsp;entre les mains d’un nain suivi de cinq chevaliersnbsp;arm és.

Galaor, indigné, courut sus au nain et, d’un coup de lance, Ie ren^ersa de sou cheval, en lui criant :

— Monstre abominable, oses-tu done outrager la beauté!

Les cinq chevaliers s’avancèrent et l’attaquèrent avec furie, si bien que l’un d’eux lui tua son che-val. Galaor, toujours courageux, mit l’épée a Ianbsp;rnain, et s’escrima du mieux qu’il put. Deux chevaliers furent bientót hors de combat; Galaor re-raonta sur l’un de leurs chevaux, tua un troisièmenbsp;chevalier et mit les deux autres en fuite.

La gente pucelle, si heureusement délivréo, vint remercier son libérateur.

— Seigneur, lui dit-elle Ie sein battant, les yeux humides, nous n’avions A craindre que ce raéchantnbsp;nain, dont la maligne curiosité semblait avoir pé-nétré Ie secret de rna maitresse... Maintenant qu’ilnbsp;est en fuite, je vais aller vers elle et lui présenternbsp;Ie héros vainqueur du géant Albadan.

Tout en disant ces mots, la gente pucelle reprit sa marche, et Galaor la suivit.

Ds arrivèrent ainsi ^ la porte d’un beau chateau qui dominait sur la vide de Grandares. La jeunenbsp;fdle laissa Galaor seul un instant, et, en revenantnbsp;vers lui, elle était accompagnée d’une demoisellenbsp;quot;ui demanda au jeune homme s’il était bien Galaor,nbsp;Is de Périon, roi de Gaule. Galaor l’en assura parnbsp;serment.

— Suivez-moi done, reprit la demoiselle.

Galaor suivit cette demoiselle aussi docilement qn’il avait suivi Paulre. Elle lui fit traverser denbsp;riches apparternents, l'introduisit dans une chambrenbsp;plus riche encore, et Ie présenta é une gente pucelle qui ressemblait ii Tune des Graces, assise surnbsp;Ie bord de son lit et occupée déméler sa bellenbsp;cheyelure blonde dont les opulents anneaux cou-vraient A demi sa gorge de lis et de roses.

En apercevant Galaor, cette ravissante beauté se leva, prit une couronne de fleurs et vint, en rougis-sant, la lui poser sur la tète.

, Seigneur, dit alors la pucelle, qui avait élé temoin de la victoire de Galaor sur Ie géant Albadan, je vous avais annoncé un prix plus doux quenbsp;m Ree vous espériez tirer de votre victoire sur

in n nbsp;nbsp;nbsp;de Gidtare, et vous voyez que

je ne me suis pas trompée et que je ne vous ai pas tioinpe... Vous receyez cette couronne des mainsnbsp;de la prmcesse Aldene, fille du roi de Sérolis etnbsp;nièce du due de Rristoie... Quant A vous, madame,nbsp;apprenez que Ic chevalier que vous venez de cou-rouner est Ie fils du roi Périon, qu’ürgande vous anbsp;si souvent annoncé... Vims 6tes tons deux jeunesnbsp;et beaux. c’est-A-dire faits pour vous aimer...

^ Puis, sans atlemlreune réponse, la gente pucelle séloigna en souriant, suiviede sa com[)agne.

Les deux jeunes gens reslèrent seuls. ”

D’abord trés ernbarrassés de leur personne, ils

ne surent quelle parole dire, quel geste fiire. Le silence le plus profond régnait dans cette plaisautenbsp;chambre, pleine d’agréables parfums; si bien qu onnbsp;entendait distinctement le bruit de la respiration denbsp;Galaor et de sa belle amie. Puis, peu A peu, sansnbsp;s’en douter, tous deux se rapprochèrent, se souri-rent et, tinalement, se prirent les mains, Le silence,nbsp;alors, fut rompu, et si quelqu’un avait écouté auxnbsp;portes, il cut entendu trés distinctement le bruit denbsp;deux baisers, I’un donne et I’autre rendu. Ge qu’ilnbsp;cüt entendu encore, nous rignorons. Ge que nousnbsp;pouvons dire, e’est que cet entretien, commencénbsp;au jour, ne prit fin qu’avec la nuit.

Le lendemain, A raube, les suivantes de la prin-cesse Aldènc entrèrent sur la pointe du pied pour jirévenir nos deux amants qu’il était prudent de senbsp;séparer. Elles les trouvèrent tendrement enlacés, Ienbsp;sourire aux lévres, comme s’ils étaient sous l’im-pression du plus délicieux rêve,

II fallut se réveiller et se quitter, avec promesse de se revoir Ie soir même et les soirs suivants. IInbsp;fut convenu que Galaor irait attendee dans la forêtnbsp;prochame Theure lortunée oü il serait réuni denbsp;nouveau a sa chère maitresse; et, en conséquence,nbsp;OU Ie fit sortir du chAteau par une poterne depuisnbsp;longtemps hors d’usage.

Malheureusement Ie nain avait eu des souppons et les avait éclaircis. Aussi, au moment oü Galaornbsp;sortait, l’oeil brillant de plaisir, en songeant auxnbsp;enivrements des nuits qui allaient suivre, une troupenbsp;de gens d’armes, embusqués IA par les soins de cenbsp;méchant nain, fondit sur lui comme une troupenbsp;d’éperviers sur un roitelet.

Galaor se remit bientót de I’émotion qu’il avait éprouvée en se voyant ainsi troublé A l’improvistenbsp;dans ses songeries amoureuses; bientót les satellites du nain furent taillés en pièces par sa valeu-rense épée, et Ie nain lui-même aiirait péri commenbsp;ses compagnons, s’il n’avait eu l’habileté de s’en-fuir aux premiers horions.

Le due de Bristoie, prévenu par ce dróle, lit sortir cent de ses chevaliers pour aller s’emparernbsp;(Ie l’amant de sa nièce. Gelui-ci, qui s’éta t rappro-ché du chAteau, apergut A une fenêtre la bellenbsp;Aldène toute en larmes, et lui faisant avec sonnbsp;mouchoir les signes les plus éloquents pour le priernbsp;de s’éloigner vilement. Galaor dut obeir, non parnbsp;crainte, mais par respect.

Les cent chevaliers du due, après une battue qui dura toute la journée, rentrèrent entinau chAteau,nbsp;mais saus leur proie, et le due, furieux, fit enfermernbsp;les deux suivantes de la princesse dans une tournbsp;obscure, en attendant qu’il eüt assez de preuvesnbsp;pour les faire condamner au dernier supplice.

GIIAPITRE XXV

Comment Amadis, dgaré dans une forêt, demanda l’hospi-talitó ê un chêlcau, oü on la lui refusa; comment il apprit le nom du chütelain et songea ü en tirer justice.

Pendant ce temps Amadis, s’éfant separé d’Ur-ganile, avait repris le cliemin de Vimlisilore. Gomme Galaor, occupé de son amour, il s’égaranbsp;(lans un bois, oü la nuitle surprit. Bientót la pluie,nbsp;Ie froid et robscurilé le coiitraignirent A cherchernbsp;un asile; il espéra en trouver un en apercevant au


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32 BIBLIOTÏÏÉQUE BLEUE.

milieu du bois un chateau dont les fenêtres resplen-dissaient de lumières. II s’avanga et entendit des bruits d’iiistruments qui lui persuadèrent que lesnbsp;maitres de ce chateau étaient en train de se gaudir.nbsp;Lors il frappa, sans qu’on lui répondït. II refrappa,nbsp;plus fort cette fois; une fenêtre s’ouvrit et il ennbsp;sortit une voix rauque qui cria :

— nbsp;nbsp;nbsp;Qui es-tu done pour venir me troubler è pa-reille heure?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Je suis, répondit l’amant d’Oriane, un chevalier égaré qui demande a recevoir céans 1’hospitaliténbsp;pour quelques heures.

— nbsp;nbsp;nbsp;Un chevalier ! reprit la voix. Parbleu! tu menbsp;parais avoir de bonnes raisons pour fuir la lumière,nbsp;et peut-être que tu n’oses marcher Ie jour, de peurnbsp;d’être obligé è combattre.

— nbsp;nbsp;nbsp;Qui que tu sois, reprit Amadis indigné denbsp;cette injure, tu ne mérites pas en effet l’honneurnbsp;que je voulais te faire en entrant dans ton chateau.nbsp;Mais, toi qui paries du courage des autres, oseras-tu bien me dire ton nora?...

— Oui, répondit la voix, raais a condition que lorsque tu me reiicontreras, tu ne refuseras pas denbsp;roe combattre?...

— Qu’a cela ne tienne! Je te combattrai.

— nbsp;nbsp;nbsp;Frémis done, malheureux, de Fengagementnbsp;imprudent que tu viens de prendre!... Je suisDar-dan, entends-tu, Dardan! Et Ie jour oü nous nousnbsp;rencontrerons sera plus facheux pour toi que nenbsp;sera facheuse la nuit que tu vas passer dans lesnbsp;boisl...

— Ah! s’écria Amadis, furieux de cette insolence. Sors I Fais apporter des flambeaux par tes gens, et je t’apprendrai alors quelle reception onnbsp;doit aux chevaliers,..

— Oh! oh! répondit Dardan en ricanant, Dieu me préserve de faire brüler des flambeaux pournbsp;punir un hibou de ton espèce! Bonsoir... La pluienbsp;augmente, il ne fait pas bon rester ainsi aux fenêtres... Je vais me remettre a table...

Dardan se retira en effet et Amadis dut s’eloigner, en se promettant bien de se venger de cette gaberie malplaisante un jour ou I’autre. II marcha,nbsp;et, au bout de quelque temps, il rencontra deuxnbsp;demoiselles k cheval qui se hataient de regagner lesnbsp;lentes qu’elles avaient fait dresser dans la forêt.nbsp;Surprises de trouver un chevalier couvert d’arroesnbsp;brillantes au milieu de cette forêt, elles se dou-tèrent bien qu’il s’était égaré et elles Ie prièrent denbsp;venir passer la nuit sous leurs tentes. A.nadis leurnbsp;conta son aventure avec Dardan.

— G’est Ie plus insolent, Ie plus présomptueux et Ie plus injuste des hommes 1... répondirent-elles.nbsp;Et son audace s’est augraentée depuis qu’une demoiselle a été assez lache pour l’aimer, a la condition de la mettre en possession des biens d’unenbsp;riche veuve, sa parente, et de se présenter a lanbsp;cour du roi Lisvart, pour soutenir Ia justice denbsp;cette usurpation, en offrant Ie combat ê celui quinbsp;voudra soutenir les intéréts de cette veuve... Dardan est trés redouté, la veuve est peu connue, etnbsp;nul ne se soucie de combattre Dardan pour elle.

A ce récit, Amadis devint pensif, et Tune des demoiselles lui ayant demandé ce qui l’occupait, ilnbsp;répondit:

Je pense que voici Ia meilleure occasion de faire un acte de justice et en mêine temps de punir

une insolence... Gardez-moi, je vous prie, Ie plus absolu secret: je combattrai Dardan!

Les demoiselles promirent de garder Ie secret qu’il leur demandait, tout en essayant doucernentnbsp;de Ie dissuader d’une telle entreprise. La nuit senbsp;passa ainsi. Le lendemain Amadis se remit en routenbsp;vers la cité de Vindisilore.

II chevaucha et arriva bientöt a l’extrémité d’un bois qui couronnait une montagne d’oü 1’on décou-vrait en entier la ville et la plaine envirounante oünbsp;l’on avait dressé la lice oü Dardan devait attendrenbsp;pendant trois heures le champion de la veuve.

GHAPITRE XXVI

Comment Amadis, monté sur un cheval blanc, combattit Dardan en présence de la belle Oriane.

Suivant la promesse qu’il en avait faite a la demoiselle de Dannemark, messagère d’Oriane, Amadis était couvert des mèmes armes et montait Ie même cheval blanc dont il s’était servi pour combattrenbsp;Abies. Son écu seul était fortement bossué par lesnbsp;derniers combats qu’il avait soutenus en chemin, etnbsp;l’on y distinguait i peine les deux lions d’azur.

Le roi Lisvart, les princesses Oriane et Mabille, avaient déjè pris place au balcon qui avait été ap-pareillé poureux au meilleur eiidroit de la lice. Lesnbsp;jeunes princesses formaient les voeux les plus ar-dents pour qu’il se présentat quelqu’un d’assez cou-rageux pour défendre les droits de la veuve, la-quelle était Ié, pleurant et se désolant, tandis quenbsp;Dardan, suivi de sa maitresse, insultait é son malheur en se promenant fièrement dans la lice oü per-sonne ne paraissait.

Amadis, arrêté au sommet de la montagne, rê-vait amoureusement é la belle princesse Oriane, et déjé était écoulée Ia première heure de station quenbsp;devait faire Dardan. Le bruit des trompettes, ananbsp;nonQant la seconde heure, le tira de sa songerie : ilnbsp;descendit rapidement de la montagne, suivi du fidéle Gandaliu, et vola vers la lice dont les barrièresnbsp;s’ouvrirent incontinent pour le recevoir,

— Madame, dit-il en s’inclinant devant la veuve, voulez-vous bien m’accepter pour votre défen-seur?

— Ah! seigneur! répondit la veuve, toutejoyeuse de savoir enfin défendue, je vous accepte avec grandnbsp;merci comme un ange tutélaire onvoyé è mon se-cours par l’Etre des êtres, qui ne veut pas qu’unenbsp;injustice se commette irapunément euvers une pau-vre veuve!...

Amadis poussa alors son cheval avec grace vers le balcon royal, et salua respectueusementle princenbsp;et les princesses, mais sans oser lever les youx surnbsp;Oriane, de peur d’en ressentir un trouble facheuxnbsp;pour ce qu’il allait faire.

— Dardan, cria-t-il é son adversaire, j’ai la parole de la veuve qui rn’avoue pour son défenseur, et je viens tenir celle que je t’ai domiée cettenbsp;nuit...

— Parbleu! répondit Dardan, je crois le recon-naitre k ta voix... Mais tu risques plus ici que tu n’aurais risqué cette nuit, car cette nuit j’étais ennbsp;train de m’aniuser, et a présent je vais agir sérieu-sement... Tu as été mouillé par la pluie, je vais tenbsp;mouiller avec ton propre sang...


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LE CHEVALIER DE LA MER. 33

LE CHEVALIER DE LA MER. 33

- Les trompettes sonnèrent et les deux chevaliers allèrent prendre champ pour revenir l’un sur l’au-tre avec impétuosité.

— Laissez aller les combattantsl cria un héraut d’armes.

Amadis et Dardan, enfongant leurs éperons dans les flancs de leurs chevaux, s’avancèrent l’un con-tre l’autre avec uue furie sans pareille. Du premiernbsp;coup, Dardan fut renversé; mais, comrae il étaitnbsp;d’une force herculéenne, il n’avait pas compléte-menl perdu les étriers et avait pu se remettre ennbsp;selle, aidé des rênes que sa main avait saisies. II re-vint, l’épée haute, sur Amadis.

Ge combat, l’un des plus mémorables qui se fut donné jusque-la a la cour du roi de la |Grande-:Bre-tagne, dura prés de deux heures. Les deux adver-saires étaient épuisés. Leurs chevaux fumaieut,horsnbsp;d’haleine aussi. Dardan proposa de descendre et denbsp;continuer la lutte k pied, comptant sur sa force etnbsp;sur sa vigueur, mais ignorant de celle du redouta-ble Amadis.

Les deux corabattants descendirent de cheval et mirent l’épée a la main. Amadis attaqua vigoureu-sement son ennemi et Ie forQa de battre en retraitenbsp;jusque sous 1’échafaud qui portait Ie balcon royal.

— L’orgueillepx Dardan est perdu 1 s’écrièrent quelques dames.

Involontairement Amadis leva les yeux vers Ie balcon d’oü était partie cette exclamation, et il aper-Qut Oriane. A l’aspect de cette mie tant aimée, il senbsp;troubla, enivré par cette vue si chère, et sou épéenbsp;lui tomba des mains.

Dardan profita vitement de eet avantage inespéré; mais les coups qu’il portait sur les armes d’Amadis,nbsp;presque sans defense, firent revenir ce héros qui,nbsp;alors, s’élauga sur lui, Ie terrassa et lui arracha sonnbsp;casque et son épée.

— Tiens-toi pour vaincu, lui cria-t-il, ou sinon je te tranche la tête!...

— Je te demande merci, répondit Dardan, et je renonce a mes pretentions sur les seigneuries de lanbsp;veuve...

Dardan achevait é peine ces mots, que la maitresse, pour laquelle il venait de combattre si dpre-ment, s’avanqa avec colère vers lui et lui dit:

— Dardan, tu peux aussi renoncer pour toujours a moi... car je ne veuxplus aimer ni voir de ma vienbsp;Ie lache chevalier qui a si mal défendu mesnbsp;droits 1...

— Ah! cruellc, s’cdria Dardan, qu’Amadis venait de relever en lui rendant son épée, est-ce la Ie prix de tant d’araour, de mon honneur et de ma vio,nbsp;que je viens d’funployer pour vous ?...

La demoiselle ue lui répondit que par un regard nouvellos olfcuses. Alors sounbsp;61- de douleur, s’écria en

Ah! perfide ®tcruelie maitresse! Que tamort serve d epouvantail h toutes celles qui te ressem-blentl...nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;^

Et, ces mots è peine dits, la tête de la demoiselle volait au lom sous l’épée du chevalier son amantnbsp;qui, retournant son arme contre lui-mème tom-bait aussitót expirant sur Ie corps de sa maitressenbsp;et mêlait son sang au sien.

Amadis fut vivement ému par Ie spectacle de cette double et pitoyable fm; mais, comme il ne

voulait pas être connu h la cour du roi Lisvart, il profita du trouble survenu a ce propos pour sortirnbsp;de la lice et regagner Ie bols oü Gaiidalin lui avaitnbsp;dressé uue tente.

GHAPITRE XXVII

Comment Oriane et Amadis, tous les deux trés amoureux, trouvèrent moyen de se voir et dc se parler è. 1’insu dunbsp;roi Lisvart.

i n chercha partout Ie vainqueur pde Dardan, mais sans Ie trou-ver. Le roi Lisvart regretta denbsp;ne pouvoir lui rendre tous lesnbsp;honneurs qu’il méritait, et il cé-lébra hautement, en presencenbsp;de sa cour, la valeur et la gé-nérosité dont Amadis avait usénbsp;envers un ennemi superbe etnbsp;insolent.

Oriane, éraue du douloureux spectacle dont elle venait d’etrenbsp;témoin, s’était retirée en sanbsp;chambre avec Mabile et la demoiselle de Danemark.

Cette dernière avait soup-conné que le vainqueur de Dardan pouvait bien être Amadis, é cause de son cheval et de ses armes. Mais unenbsp;chose l’avait arrètée dans ses soupgons, c’était l’ab-sence des deux lions qu’Amadis portait peints surnbsp;son écu, et qui avaient été effaces par les norabreuxnbsp;coups de lance et d’épée regus par eet écu. Gepen-dant elle reprit confiance en apprenaiit que lenbsp;vainqueur s’était soustrait aux félicitations légiti-mes que tout autre, a sa place, n’aurait pas nianquénbsp;de rechercher.

— Madame, vint-elle dire é la princesse Oriane, je connais et vous connaissez aussi le vainqueurnbsp;de Dardan... II n’y a que famarit le plus passionnénbsp;qui puisse éprouver un trouble assez violent pournbsp;laisser échapper sou épée, et rester pétritié au moment le plus décisif du combat, après avoir seule-meiit élevé les yeux vers vous...

— ïu te trompes sans doute, répondit Oriane en rougissant de plaisir de voir que ses soupgons anbsp;elle se trouvaient ainsi confirmés. Tu te trornpes...nbsp;Ce chevalier, quoique vaillant, ne peut être le Chevalier de la Mer... Et cependant, je l’avoue, aunbsp;moment oü il levait la lête de mon cöté, je n’ai punbsp;m’emjwcher de tressaillir et de frémir, craignantnbsp;que Dardan ne prolitat du trouble de ce chevaliernbsp;pour rabattre...

Le lendemain de cette aventure, Gandalin vint au palais du roi Lisvart, auquel il annonga qu’il ar-rivait d’Ecosse et qu’il était chargé de commissionsnbsp;de la reine de ce pays pour Oriaue et Mabile. Lisvart l’envoya aussitót chez ces princesses.

En apercevant Gandalin et en i’entendant parler, Oriane rougit jusqu’au blanc des yeux. Elle devi-nait sou message secret sous sou message apparent,nbsp;mais sans oser faire voir qu’elle le deviiiait. Ma-hile, eii üdèle amie, le devina pour elle, et ellenbsp;pria Gandalin de la suivre.


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BIBLIOTHËQUK BLËUE.

vous

pcctueux et soumis... Si jc mc suis illuslró par tant de combats, si je eomptc m’ilhisircr encorenbsp;par tant d autres, c’est pour eu ranportor toute lanbsp;gloire é vous seiile...

II3 allèreiit tous deux dans la chanibre d’Oriaiie, elle l’interrogea avcc uiie iiisistaiicG ])arliculière önbsp;laquelle Gandaliii céda voluutiers. Lors, Orianenbsp;elle-même les rejoignit bieutót, et Ie fidéle compagnon d’Amadis apprit a ces deux aitnables pucellesnbsp;que son ami, après avoir vaincu Dardan, s'était retire dans ie bo s voisin, et qu’il favait laissé tout ennbsp;larmes et dans fincerlitude mortelle de savoir sinbsp;Oriane lui permettrail do paraitrc h ses yeux.

— nbsp;nbsp;nbsp;Une pareille crainte, dit Oriane d’un air douxnbsp;et modeste, eüt pu convenir au Chevalier de lanbsp;Mer; raais !e fils du roi Périon, eet Amadis couvertnbsp;de gloire, ne peut qu'honorcr par sa présence lanbsp;cour des plus grands rois du monde...

— nbsp;nbsp;nbsp;Ah! madame, s’écria Ie fidéle Gandalin, n’au-rai-jedonc rien autre chose a répondre a cecheva-leureux prince que chacun prise tarit?...

Oriane baissa les yeux, quclques larmes coulé-rent sur ses joues de roses; elle n’eut que la force de tirer un anneau de son'doigt, en disant h Gandalin :

— nbsp;nbsp;nbsp;Voici pour Amadis!... Maintenant, je vousnbsp;laisse avec la princesse Mabile, ma bonne arnie...nbsp;Elle connait les plus secrets sentiments de monnbsp;Coeur, et ce nu’elle me dira de faire en cette occurrence, je Ie lerai les yeux fermés et avcc la plusnbsp;grande joic...

Oriane se retifa, laissant Mabile et Gandalin en train de deviser. 11 fut alors convenu que, la nuitnbsp;prochaine, Amadis viendrait se cacher dans un verger sur lequel la salie de bain de la princessenbsp;Oriane avail une fenètre grillée, et, pour raieux assurer 1’entrée et la sortie de eet araoureux chevalier, Gandalin regut une clef du verger et l’ordrcnbsp;d’y conduire son ami vers Ie milieu dé la nuit.

On imagine sans peine avec quelle joie Amadis regut Fanneau do la princesse, sa mie, et avecnbsp;quelle impatience il attendit Fheure qui devait son-tier son bonheur!

Enfin cette heure arriva,et Amadis fut introduit dans Ie verger, dovant la fenètre grillée. Mais ilnbsp;eut beau se rappeler Ie temps oü Oriane et lui, 6I0-vés ensemble, jouaient dans la plus douce des fa-miliarités, il ne put tout d’abora parler autrementnbsp;qu’avec ses soupirs, sa langue étant collée a sounbsp;palais par excés de timidité.

Ce fut Oriane qui nrit la première la parole.

— Seigneur, lui tlit-elle de sa voix divine, Fa-mitié qui nous a unis dans notre enfaiice ne s’est point éteinte en mon emur... J’ai cru, saus man-quer a mes devoirs, pouvoir jouir la première dunbsp;plaisir de revoir Ie Chevalier de la Mer, de Ie féli-citer sur sou bonheur d’avoir rctrouvé sou pèrenbsp;dans un grand roi, et de lui dire toute la part quenbsp;je prends la gloire dont il s’est couvert...

— Ah 1 madame! répondit Amadis avcc enlhou-sla-'ine, c’est par vous, c’ost pour vous seulc (jue jc respire et que j'agis.., Lo premier sentimentnbsp;fonué par moi au temps regrette de ma primc-jeunosse, a été de vous consacrer ma vie et mesnbsp;adorations... Si j'ai jamais désiré être né daas unnbsp;rang qui me rapprochat du votre, c’est pour quenbsp;’ eussiez pas a rougir de volre amant res-

— nbsp;nbsp;nbsp;Seigneur, reprit Oriane, je ne fais nul doutenbsp;que vous m’aimiez, taut pour les pcines uue vousnbsp;avez. prises pour moi que pour ce que vous me di-tes; et quand même je ii’en aurais nul eiiseigne-tiient de parole ni de fait, je suis trop heureuse denbsp;Ic croire pour songer un seul instant a en dou-ter...

— nbsp;nbsp;nbsp;Madame, reprit Amadis, j’ai tant de félicitó é

vous entendre, que je me trouve sans force pour soutenir Ic poids d’un si grand coiitenicment...nbsp;Amour est maladie; favorable ou contraire, il nenbsp;peut être sans passion, c’est é-dire sans trouble...nbsp;Vous me parlez plus doucement que je n’eusse jamais osé Fespérer, et, a cette cause, je me sousnbsp;tout défailli de bonheur... •nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;_

— Bien dites-vous, mon ami, répondit Oriane; vous êtes un apprenti en Fart de la félicilé... Jenbsp;souhaite de toute mon ame que vous y devenieznbsp;rnaitro, c’est-a-dire quo vous vous accoutumiez knbsp;êtreheureux... Je vous promets de vous y aider denbsp;tout mon pouvoir...

— Ahl madame 1 s’écria Amadis, Fespórance de cette divine journée mc fera prendre en patiencenbsp;cette péniblc viel... Pour Fainour de vous je sup-porterai les peines intérieuros Ie plus couverte-ment que je pourrai; quant ii celles dU dehors, jenbsp;les eiitrcprendrai Ie plus courageusement qu’il menbsp;sera possible... Mais, cette bienheureusc journée,nbsp;je vous supplie de me dire quaiid elle arrivera...

— Elle est déja commeuccc, mon anii, répondit Oriane qui souriait dans Fombre, mais votro oeilnbsp;ébloui ne la voit point...

Lors, Amadis devint pensif et tint ses yeux arrê-tés sur sa mie, (jui Ie regardait elle-même avide-ment a travers les losanges du treillis. Puis, quclques instanis après, elle lui tendit sa petite main blanche, en siguc d’amitié et comrac gage de lanbsp;sincérité de sa parole. Amadis s’en empara et senbsp;rnit è la baiser mille et mille fois sans sonner mot,nbsp;non plus qu’elle.

Mabile, voyant qu’ils restaient ainsi Fun ct Fau-tre plongés dans leur béalitude, oublieux du monde et de la vic, les rappela è la réaliló do leur situation.

— Seigneur, dil-cllo a Amadis, combien de temps avez-vous résolu do rester en la cour du roi Lis-vart?...

— Autant de temps qu’il plaira a madame Oriane, répondit Ie chevalier.

— Ce sera done toujours, dit amoureusement la princesse.

Leurs mutuels devis allaient recommencer, lors-que Gandalin, qui faisait Ic guet, viut prévciiir Amadis quo Faubc du jour apparaissait. Amadisnbsp;était bieii disposé a nc tenir nul compte do cetnbsp;avertissement, tant il Irouvait do cbariiie a resternbsp;dans l’atmosphère oü vivait sa mie adorée. Mais sanbsp;mieadorée, s’apercevant quo Gandalin disail vrai,nbsp;ct craiguant d’etre surprise eu cette conversationnbsp;avec sou amant, lui dit:

— Mon seigneur, allez-vous-cn, s’il vous plait... Gar il eu est temps... Allez-vous-eu pour nwenirnbsp;bieutót... Nous nous sommes vus de nuit, il faudranbsp;bien nous voir de jour... Nos amours étant de cesnbsp;choses qui s’avoucuL hautemont...

AmaUis nrit doiochef Ia belle main blaiichc que lui teudait Oriane, y déposa Ie plus long et Ie plus


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LE CHEVALIER DE LA MER. 35

LE CHEVALIER DE LA MER. 35

savoureux baiser du monde, et se retira, suivi du fidéle Gandalin.

GHAPITRE XXVm

Comment AmacUs se f5l connaitre au roi Lisvart, aux princes et aux grands seigneurs de lanbsp;cour, desqncls il fut haulemenl regu et fes-loyé.

ans Ie courant de la journée qui siiivit l’entrevued’Orianenbsp;et d’Amadis, celui-ci sarina,nbsp;monta h cheval, et quilta janbsp;forèl pour venir è la ville,nbsp;^.accompagné des deux demoi-

selles qui lui avaient précédemmenl donné l’hospi-talité avant son combat avec Dardan.

Une fois entrées avec lui dans la ville, ces deux demoiselles Ie conduisirent directement au logis denbsp;la veuve que vouluit dépouiller Dardan, laquellenbsp;ötait leur cousiiie.

¦— Monseigneur, dit cette veuve en voyant en-trer chez elle son libérateur, et en se prosternant ^vec empressement devant lui, tout ie bien que j’ai

celie lieure, c’est vous qui me l’avez donné, je Ie fiens de voos et nou d’aulres ; faites-en done ccnbsp;fiue vous voudrez...

— Dame, répondit Amadis, ce n’est point pour cela que je viens cóans... Je viens vous cberchernbsp;pour vous conduire devant Ie roi, afin qu’il vousnbsp;tienne quitte et que je m’en puisse aller la oü j’ainbsp;affaire...

La veuve voulait tout ce que voulait lui-même son sauveur. Elle s’appareilla done et sortit avecnbsp;mi, qui, au préalable, se désarraa de son heaunie.

En cliemiu, Ie peuple se pressa sur leur passage. 11 reconnaissait ia veuve et son vaillant chevalier,nbsp;vamqueur do Dardan, et, cola étant, il inenait uiinbsp;itaiii du (liable pour leur témoigner k tous deuxnbsp;ses sympathies et son admiration. Si graml fut Icnbsp;même, qu’ii monta jusqu’aux oreilles du roi,nbsp;fiui voulut en connaitre la cause. On la lui (ionna,nbsp;a son tour, il alia avec empressement au de-d® ce chevaleureux hornme si jeune encore etnbsp;déja si célèbre.

• Chevalier, lui dit-il, vous êtes céans Ie bien-y nbsp;nbsp;nbsp;attendu...

Amadis, en face de ce bienveillant accueil, s’em-y répondre, de meltre ungenou en terre. iüurmura^t''d^^ donne bonne et longue vie, Sire!

ami nbsp;nbsp;nbsp;même soubait k votre profit, mon

amu reprit Ie roi »u releva„i Ie chevalier.

Voiiv n/.. ’ Amadis coiifus, je suis venu vers

St frSslrér.“‘^''® ’ nbsp;nbsp;nbsp;*

vniir nbsp;nbsp;nbsp;I® f»'. « n cause de

] i ajoutc encore des seigneuries k celles oui

et vont lui être restituées sur

/ Grand merci, Sire, dit Amadis. Maintenant,

ip nbsp;nbsp;nbsp;d® i“®nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;a inoitis que

ne puisse vous faire service, cas auquel je de-plu'’^^b^'’ nbsp;nbsp;nbsp;prince a qui je désire Ie

— Mon ami, répondit Ie roi, plus votre parte-nient sera retardé, plus mon plaisir sera grand... Restez céans Ie plus longtemps possible si vousnbsp;voulez me mettre en contentement véritable...

— Je feral ce qu’il vous plaira, Sire...

— Pour commencer, mon bel ami, vous allez vous désarmer... Ge harnois de guerre doit peser anbsp;vos jeunes épaules plus que de besoin...

Amadis s’inclina et s’en alia dans une chambre voisine avec Ie roi Arban de Norgalh s et Ie comtenbsp;de Glocester, pour lui tenir compagnie.

Lors, Ie roi Lisvart manda la reine, qui arriva aussitót et k laquelle il raconta comment il avait re-tenu Ie chevalier vainqueur de Dardan.

— Et savez-vous son norn? demanda la reine.

— Non, certes, répondit Ie roi •, par discrélion, je n’ai pas osé Ie lui demander...

— Peut-être est-ce Ie fils du roi Périon de Gau-lel... Mais il est quelqu’un qui pourraitnous ren-seigner Ik-dessus: c’est l’écuycr qui nous a apporló des nouvelles d'Ecosse...

Incontinent, Ie roi fit appeler Gandalin, et, sans lui rien declarer, il lui fit signo de ie suivre, en luinbsp;disant seulement :

— nbsp;nbsp;nbsp;Venez!... Et dites-moi, en voyant un chevalier que je vous raontrerai, si vous Ie connaissez...

Gandalin Ie sulvit, et tous deux entrèrent Ik oü était Amadis.

¦— Ahl mon seigneur! s’empressa de dire Gandalin, en mettant un genou en terre devant son inaitre, j’ai eu main te peine a vous trouver depuisnbsp;inoii depart d’Ecosse!...

— nbsp;nbsp;nbsp;Gandalin, mon ami, soisle bienvenu 1... Quel-les nouvelles m’apportes*tu?...

— De trés bonnes, Dieu merci, monseigneur, de trés bonnes 1 Tous vos amis se portent bien et senbsp;recommandent k votre bonne grace... Mais, monseigneur, désormais i! n’est plus besoiii de célernbsp;votre état... Gar, ajouta Gandalin en se tournantnbsp;vers Ie roi Lisvart, ce chevalier quo voici est Ie filsnbsp;du vaillant roi Périon de Gaule; pour tel Ie con-nut son père, lorsqu’il mit k mort, en cornbat singulier, Ie puissant roi Abies dTilande, par quoinbsp;Périon recouvra enlièrement les pays qu’il avaitnbsp;perdus...

Amadis était désormais connu. On ne l’aima que davantage. Auparavant, c’était a cause de sa vail-lance; maintenant, c’étail a cause de sa vertu elnbsp;de sa haute naissance.

11 se retira avec Ie roi de Norgalles, k qui Lisvart Ie recoinmanda spócialement, pour qu’il ne rnanquat d’aucune distraction pendant tout Ienbsp;temps qu’il rcslerait en sa cour.

Le lendemain, Amadis, qui avait son but, vint prendre congé du roi.

— Mon ami, répondit Lisvart, je suis marri de cette annonce... Vous m’cussiez fait grand plaisirnbsp;de ne pas partir si tót... Toutefois, comme j’en-tends vous être agréable et non vous tj ranniser,nbsp;jc ne m’oppose en rien k ce que vous avez résolu,nbsp;supposant, outre que je n’cn ai pas je droit, quenbsp;vous avez vos raisons pour en agir ainsi... Parteznbsp;done, mon ami; mais, avant de partir, voyez s’ilnbsp;vous plait la reine, qui désire vous entrelenir...

Amadis s’inclina Qa signe d'acquiescement, et, le prenaiit par la main, le roi Lisvart le conduisitnbsp;vers la reine, a qui il dit:


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36 BIRLIOTHÈQUE BLEUE.

36 BIRLIOTHÈQUE BLEUE.

madis

Galaor était parti de la maison du due dc Bris-toie, qü Ie nain lui avait donué taut d'ennuis. II ebemina tout Ie jour, égaré dans les méandresnbsp;broussailleux de la forêt d’Ariuide, sans trouvernbsp;homme qui Ie redressat en sa bonne route. Gepen-

— nbsp;nbsp;nbsp;Ma dame, voici Ie fils du roi Périori de Gaulenbsp;qui vous veut faire sa révérence.

— nbsp;nbsp;nbsp;Vraiment, repoiidit la reine, il me fait IJinbsp;grand plaisir.

Lors, Amadis se mit k genoux devanl elle et voulut lui baiser les mains; mais elle s’y opposanbsp;avec bonté et Ie pria de s’asseoir auprès d’elle.

En se relevant, Amadis s’aperQut que Ie roi Lis-vart n’était plus la, ni aucun des seigneurs de sa suite, ct qu’il était entouré de dames et de demoiselles qui toutes Ie regardaient curieusement, anbsp;cause de sa renommée et dc sa belle figure.

Tant d’yeux féminins braqués sur lui commen-Qaient a Ie troubler. Que devint-il, lorsqu’il entcn-dit la reine dire a sa fille Oriane, qu’il ne savait pas êlre Ici ;

— nbsp;nbsp;nbsp;Ma mie, ne reconnaissez-vous point Ie fils dunbsp;roiPérion, qui vous a si bien servie lorsqu’il étaitvo-tre écuyer, et qui vous servira encore, s’il lui plait,nbsp;maintenant qu’il est chevalier?... En bonne foi, ilnbsp;faut bien que vous m’aidiez toutes a Ie prier, afinnbsp;qu’ilm'octroye ce que je lui demanderai...

— Qu’est-ce done, ma dame? demanda Amadis.

— nbsp;nbsp;nbsp;Seigneur Amadis, Ie roi desire grandementnbsp;que vous demeuriez avec lui... II vous l’a demandé,nbsp;mais sans 1’obtenir, a ce qu’il me parait, puisquenbsp;vous êtes venu aujourd’hui céans pour prendrenbsp;congé de lui... Nous allons voir qui Temportera ennbsp;cette occurrence, des dames ou des hommes... Ennbsp;conséquence, seigneur Amadis, nous vous prionsnbsp;d’etre Ic chevalier de ma fille Oriane, de moi etnbsp;semblablement de celles que vous voyez en notrenbsp;compagnie... Si vous y consentez, vous nous évi-terez Ie souci de clierchcr notre appui en un autrenbsp;qui ne nous serait peut-être pas aussi agréable,nbsp;sachant bien que, si vous êtes Ie notre, il nousnbsp;sera aisé de nous passer de ceux du roi.

Toutes les demoiselles présentes, a qui on avait fait la locon, l’entourèrent comme un essaim denbsp;fauvettes et se mirent a lui faire la même demandenbsp;que la reine. Amadis, fidéle a son role qui lui com-mandait provisoirement la dissimulation, allait refuser, lorsqu’il surprit un clignement d’oeil de sanbsp;mie Oriane, qui lui lit compreudre qu’il était tempsnbsp;d’accepter.

— Madame, répondit-i! a la reine, qui done oserait ne pas faire votre voloaté, surtout lorsqu’ilnbsp;est si doux de s’y soumeltre?... Je suis content denbsp;demeurer avec vous et de vous servir, madame,nbsp;ainsi que ma dame Oriane... A une condition sou-Icment, si vous Ie permettez, c’est quo si je faisnbsp;quelque service au roi, ce sera comme votre et nonnbsp;comme sien.

— Et pour tel nous vous acceptonsl dit la reine.

CHAPITRE XXIX

Oü l'auteur sc lalt, pour Ie présent, des fails et gestes d’A-)Our reprendre )e propos de Galaor.

dant, a la vesprée, il aperqut de loin venir vers lui un écuyer, monté sur un trés bon cheval.

Or, a ce moment, Galaor cornmenqait a souffrir outre mesured’une plaie qui lui avait précédemmentnbsp;été .aite, en combattant conlre les gens d’armes dunbsp;due de Bristoie, embusques par Ie nain fi Tissue denbsp;la poterne du chateau. Par quoi, se sentant mal, ilnbsp;dit é eet écuyer qui venait :

— nbsp;nbsp;nbsp;L’ami, sais-tu oü je pourrais être médicinénbsp;d’une plaie que 3’ai?

— nbsp;nbsp;nbsp;Oui bien, répondit Técuyer, mais tels couardsnbsp;que vous n’y veulent pas aller volontiers, pareenbsp;que communément ils n’en sortent pas sans rece-voir bonte et dorumage...

— Laissons cela , reprit Galaor, et dis-moi seu-lement si j’y trouverais quelqu’un qui me guérit ma plaie?...

— Vous y trouverez plutót quelqu’un qui vous en fera d’autres...

— Monlre-moi Ie chemin, et je m’assurerai par moi-même de la vérité de ce que tum’annonces...

— Je ne Ie ferai que si cela me plait...

— Tu Ie feras de gré ou de force, mais tu Ie fe-ras, je t’en réponds 1...

— Par force? dit Tccuyer. Graintepourrait-elle jamais me forcer k faire plaisir k un chevalier aussinbsp;léche et aussi recru que tu parais Têtre 1...

En entendant parler si audacieusement eet homme, Galaor tira vitement son cpée et fit minenbsp;de lui en fendre la tête.

— Par Dieu 1 rustre, tu me conduiras la oü tu dis , et je conduirai ton üme aux enfers, son futurnbsp;logisl...

L’écuyer eut peur. II répondit:

— Puisque vous m’y forcez, je vais vous con-duire la oü votre folie sera bientot chètiée et oü sera vengó Toutrage que vous venez de me faire.

Ce disant, Técuyer se mit a marcher devant Galaor, et, quand ilseurent ainsi cheminé pendant un assez long temps, une lieue environ, ils arrivèrentnbsp;prés d’une forteresse assise Ie long d’un plaisantnbsp;val et bien peuplée d’arbres.

— Laissez-moi aller maintenant, dit Técuyer a Galaor, car voilé Ie lieu oü j’espère être vengé denbsp;Tinjure que vous me faites...

— Va-t-en è tous les diables 1 répondit Galaor. Je ne suis pas assez satisfait de ta compagnie pournbsp;te retenir plus longtemps.

— Si vous n’êtes pas satisfait de moi, vous Ie se-rez encore moins de ceux que vous allez trouver l lui cria Técuyer en s’esquivant.

Galaor haussa tranquillement les épaules et plus tranquillement encore se dirigea vers Ie chateau, anbsp;la porte duquel veillaient un chevalier armé, monténbsp;sur son cheval, et cinq hallebardiers équipés pournbsp;défendre Tentrée de la place.

— N’est-ce pas vous, demanda Ie chevalier ü Galaor, qui avez tout ü Theure contraint notrenbsp;écuyer ?

—¦ Je ne sais qui est votre écuyer, répondit Galaor, k moins que ce ne soit Ie paillard que j’ai forcé a me conduire ici, lequel est bien Ie paillardnbsp;Ie plus rogue et Ie plus audacieux de la chrétienté!...

'— Cela peut être... Mais enfin, que demandez-vous, céans!...

— Seigneur, je suis blessé et je cherche qui me secoure.


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LE CHEVALIER DE LA MER. 37

— nbsp;nbsp;nbsp;Entrez, alors!...

Galaor enlra sans defiance aucune. Mais il eut k peine fait quelques pas que Ie chevalier et les hal-lebardiers l’assaillirent tous les six a la fois. Lors,nbsp;il se retourna , s’empara de la hallebarde de l’unnbsp;d bux, et, avec cette arme, cassa la tête au chevalier pour Ie punir de sa traitrise. Puis, entrantnbsp;parmi les autres, il les chargea si rudement qu’il ennbsp;tua trois; les deux qui restaient s’enfuirent clopinnbsp;dopant vers Ie chateau.

Galaor allait les poursuivre, lorsqu’il entendit son écuyer qui lui cria de loin ;

— nbsp;nbsp;nbsp;Seigneur, seigneur, prenez vos arnies, car ilnbsp;y a céans une émeute de gensi...

Galaor s’arrêta coi et retourna s’armer.

— nbsp;nbsp;nbsp;Par Dicul reprit Fécuyer, je prendrai cettenbsp;hache pour vous secourir, si besoin est, centre cesnbsp;pendards.

Et il prit la hallebarde et l’écu de l’un des morts.

— nbsp;nbsp;nbsp;Pour Ie moins , ajouta-t-il, je ferai monnbsp;épreuve contre cette canaille; car pour ne pasnbsp;perdre chevalerie avant de l’avoir regue, je ne veuxnbsp;pas mettre la main sur un chevalier de peur denbsp;1’outrager!...

— Sois assuré, dit Galaor, qu’aussitót que j aurai retrouvé celui qui me conféra h moi-même eet hon-Peur, tu scras chevalier 1...

Gela dit, Galaor et son écuyer passèrent outre. Deux chevaliers vinrent vers eux, puis dix soudards,nbsp;qui ramenèront devant eux les deux qui fuyaientnbsp;devant Galaor.

— Tuez-le! tuez-le! criait de toutes ses forces Ie couard écuyer de tout k 1’heure, lequel se trou-vait pour Ie moment a une des fenètres du chateau,nbsp;ïuez-le 1 tuez-le I mais épargnez son cheval qui menbsp;pourra servirl...

Galaor, en reconnaissant ce miserable qui 1’avait si traitreusement dirigé , sentit Ie coeur lui enflernbsp;do telle sorte qu’il courut sus aux nouveaux arri-vants et les chargea avec une rare impétuosité. Sanbsp;lance s’en brisa contre Ie premier des deux chevaliers , et il dut employer son ópée pour se défairenbsp;du second, qu’il jeta a bas de son cheval. Lors,nbsp;poursuivant sa pointe, sans s'arrêter pour souffier,nbsp;d se mêla parmi les gens de pied, et coiistata avecnbsp;plaisir que son écuyer en avaitdejii dépèché deux.

— G'esttrèsbien comraencé, mon ami! lui cr:a-t'il pour lui augmeiiler Ie coeur. Achevons, main-lenant, achevons 1 Que nul de ces paillards n’en fechappe ! Aucun d’eux n’est digne de vivre.

Le traitre écuyer, qui était A la fenêtre, voyant ce conflit, monta hativernent par un escalier aunbsp;uaut (1’une tour, et cria tant qu’il put:

~ Seigneur, arinez-vous, siuon vous êtes mor tl...

11 cria niême si fort, ce rnisérable, que Galaor

I nbsp;nbsp;nbsp;entendit et jugea a propos d’aller au-devant. Mais

II nbsp;nbsp;nbsp;n avail point fait trois pas qu’il apercut un chevalier armé de toutes pièces et un cheval qu’on luinbsp;tenait tout pièi au pied de la montée. Galaor sautanbsp;legèrement sur ce cheval destine k un autre.

— Damp chevalier, dit-il au mailre présumé de ce cheval, il faudra dorénavaut meiiler de meilleurenbsp;heure, si vousne voulez pas voir votre destrier oc-cupé. Je l’ai, je le garde 1...

— Qui êtes-vous done? demanda le chevalier étonné, car il n’avait pas encore eu le temps d’aper-cevoir Galaor, tant il avait faitvite. Etes-vous celui

qui a tué mes deux neveux et les gens d’armes de ce chateau ?

— nbsp;nbsp;nbsp;Je ne sais de qui vous parlez, répondit Galaor,nbsp;mais je vous assure que j’ai trouvé céans la pirenbsp;canaille de la terre.

— nbsp;nbsp;nbsp;Pardieu 1 s’écria le chevalier, ceux que vousnbsp;avez tués valaient mieux que vous, je vais vous lenbsp;prouverl...

Ils mirent alors la main aux épées, et le combat commenpa aprement.

Le chevalier, maitre du chateau oü se trouvait Galaor, était un vaillant homme, et s’il y avait eunbsp;Ik les témoins ordinaires des tournois, il y eüt eunbsp;des applaudissemeuts pour la fagon brillante dontnbsp;il portait ses coups a Galaor.

Mais Galaor était Galaor. Son adversaire ne put supporter plus longtemps Telfort de son bras vic-torieux : il dut fuir. Galaor le poursuivit, et de sinbsp;prés, qu’ayant gagné un portail et voulant sauternbsp;par une fenêtre basse pour de Ik gagner les derrières du chateau, il tomba et se fracassa la tête surnbsp;un amas de pierres.

Quand Galaor s'en vit débarrassé, ils’en retourna maudissant le chateau et les habitants. En s’en al-laiit, il entendit, en passant, une voix dolento quinbsp;appelait k Taide.

II s’approcha et pria le plaignant de lui ouvrir la porte.

— Je ne puis, étant attaché par une énorme chaine, lui répondit-on.

Galaor supposant que c’était quelque prisonnier, donna du pied si rudement dans la porte qu’il lanbsp;fit sortir des gonds.

II apercut alors une belle demoiselle, la chaine au cou, qui lui dit:

— Seigneur, que sont devenus le seigneur de ce chateau et ceux de sa suite?

— Ils sont tous morts de ma main, répondit Galaor, après m’avoir attaqué lorsque je demandais aide et soius pour mes blessures.

— Dieu soit loué, fit la demoiselle; ótez-moi ces chaines et bientót je vous aurai délivré de vos souf-frances.

Galaor rompit la chaiae et s’en fut avec la demoi-S(‘lle, qui prlt la précaulion d’emporter deux boiles d’ongueiits que le seigneur du chateau gardait pré-cieusemetit.

En passant dans Ia cour, Galaor vit remuer encore le premier chevalier vaincu; mais pour ne pas le laisser languir en souffrance, il lui passa tant denbsp;fois sur le ventre, au galop de son cheval, qu’il luinbsp;fit rendre Tame.

Puis Galaor escorta la demoiselle, k qui il tint de beaux propos d’araour.

La demoiselle avoua qu’elle lui devait une grande reconnaissance de Tavoir sauvée si brave-ment, et elle lui assura qu’elle lui appartenait eunbsp;tout ce qu’il pourrait souhaiter.

lis entrèrent si avant dans les serments d’amour que Texecution s’en suivit et qu’ils goütèrent ensemble le fruit tant aimé des favoris de dame Vénus.

Par bonheur, ils avaient trouvé un pavilion de chasseurs qui les abrita pendant cette nuit, de sortenbsp;que Galaor fut non-seulement guéri des plaies d(inbsp;sou corps, mais soulagé aussi des blessures qu’a-mour lui avait faites précédemment.

La dame raconta k Galaor qu’elle était fillc de


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38 nittLIOTHEQUE BLEUE.

38 nittLIOTHEQUE BLEUE.

stances multipliées que les dames

IIP

Thélois Ie Flatnant, devenu comte de Clave par la volonté du roi Lisvart et d’une dame qu’il avait tenue longtemps pour sa mie.

— Mais un jour, dit-elle, quej’étais au monas-tère voisin avec ma mère, je fus demaudée en ma-riage par celui que vous venez de tuer; ayant etc refusé, il profita d’une occasion et m’enleva parnbsp;force au milieu de mes compagnes de jeu, il m’em-mena la oü vous m’avez sauvée.

11 me lia dans cetto prison que vous avez vue, en me disant que j’y resterais jusqu’ci ce que mes parents vinssent Ie supplier de me prendre pournbsp;sa femme. II voulait ainsi se venger de mes dédainsnbsp;pour sa main et ses hauts faits.

Je priai Dieu de lui faire Ie plus de mal possible, et préférai attendee ce jour de vengeance plulotnbsp;que de commencer avec luiune captivité éternelle.

— Vous êtes pleine de raison, répondit Galaor; mais di(es-moi oü vous allez en me quiltant, je nenbsp;puis m’arrêter longteraps ici et je doiite que vousnbsp;vouliez m’accompagner.

'— Gonduisez-moi, reprit-elle, au monastère oü j’ai été enlevéo, ma mère s’y trouve, elle me sauranbsp;délivrée è sa grande joie.

Galaor approuva ce dessein, ettous deux montant a clieval ils prirent la route du monastère, oü ilsnbsp;arrivèront ü la nuit tombante, entourés de la récep-lion la plus cordiale.

La demoiselle raconta les prouesses de Galaor,

. qui, malgré sou désir de ne pas séjöur-V,/ j ner’longtemps, ne sut résister aux in-

firent pour Ie garder prés d’ellcs pmi-' dant quelques jours.

CHAPITRE XXX

Comment Amadis, ayant la faveur du roi Lis-vart, entendit parlor de son fröre Galaor.

madis, aprés avoir défait Ie redoutable Dardan, etnbsp;^su prendre une bonne po-

'V nbsp;nbsp;nbsp;iii /' 'lAi'jii p o-J'sition ü la cour de Lisvart,

! 1 nbsp;nbsp;nbsp;innbsp;nbsp;nbsp;nbsp;l^rnvait été nommé cheva

lier de la reine.

Or, un jour qu’il était en compagnie dc dames, unc demoiselle entra chez la reine et lui de-manda s'il y avait a la cour un chevalier portant des lions a ses armes.

La reine, voyant qu’il s’agissait d’A-madis, lui dit:

— Que voulez-vous a ce chevalier, —Madame, je lui apporte, répondit-elle, des nouvelles d’un chevalier ^uinbsp;a fait Ie plus beau commencement d’armes qn’onnbsp;ait encore vu.

— nbsp;nbsp;nbsp;Vous dites beaucoup, reprit la reine ; peut-être ignorez-vous cc qu’ont fait tous les autres.

— nbsp;nbsp;nbsp;Néanmoins, répliqua la demoiselle, je croisnbsp;que vous penserez comme je dis lorsque voussau-rez ce qu il a accompli. Je désirerais vous Ie direnbsp;en présence du chevalier, a qui j’ai d’autres nouvelles encore a donner.

La reine lui montra Amadis, en I’invitant ü s’ex-pliquer viternent.

— nbsp;nbsp;nbsp;Madame, dit la demoiselle, je vous crois. —nbsp;Sachez done, monseigneur, dit-elle a Amadis, quenbsp;Ie gentilhorame que vous avez fait chevalier, lorsque vous prltes Ie seigneur de Baldoit et délivrütesnbsp;l’ami d’Urgande, vous envoie ses respects et vousnbsp;regarde comme sou seigneur.

II vous assure qu’il deviendra grand chevalier et homme de bien, ou qu’il mourra en chemin.

Amadis s’émut beaucoup a ces paroles qui lui rappelaieiit son frère; les dames en furent étoii-nées, surtout Oriane,

Cependant la reine brülait du désir de savoir la suite, et la demoiselle conliriua ;

— Son premier fait d’armes a été en la roche de Galtare, oü il a combattu Ie terrible géant Alba-dan, lequel, en rase campagne, seul a 'seul, il a dó-fait et tué.

Puis elle entra dans les détails de ce combat, au-quel elle avait assisté.

La reine s'infonna du chemin qu’avait pris cc chevalier; la demoiselle raconta qu’une dame étaitnbsp;venue Ie chercher de la part de sa maitresse, quinbsp;désirait Ie connaitre.

— nbsp;nbsp;nbsp;Que vous semble de co chevalier ? dit la reinenbsp;k Amadis; Ie connaissez-vous ?

— Je Ie connais et l’ai vu, répondit Amadis; pas assez sans doute, mais, d’après ce que m’a dit Ür-gande, il doit être mon propre frére.

— nbsp;nbsp;nbsp;Votre destinée (ïst bien extraordinaire! repritnbsp;la reine. Vraiment, c’est miracle que vous ayez rc-trouvé vos parents, et eux vous. II me plairait denbsp;voir k la cour du roi ce chevalier valeureux.

Oriane, trop éloignée de Ia reine pour avoir pu connaitre la cause de l’émotion d’Amadis, Ie fit ap-procher et Ie félicita des nouvelles que sa jalousienbsp;supposait être celles d’une dame inconnue. Maisnbsp;lorsqu’Araadis lui eut raconté la vérité, elle futnbsp;ohligée dese faire pardonner cette supposition.

Oriane et Amadis conemrent Ie projet de faire venir Galaor ü Ia cour, et Amadis demanda ü lanbsp;reine son bon plaisir.

— Vous serez agréable au roi, dit la reine, en allant chercher ce chevalier.

Amadis parlit avec Gandalin, et Ie premier jour ne rencontrèrent aucune aventure.

Lelendemain, ils traversèrent une forêt et apcr-qurent une dame accompagiiée de deux demoiselles et_ de quatre écuyers. Ces gens, tout en larmes,nbsp;suivaient une litière occupée par un chevalier.

Amadis étoniié leur demanda d’oü vt'naicnt leurs larmes et quel personnage sc trouvait être dansnbsp;cette litière.

— G’est, dit la dame, toute ma douleur et toute mon affection, mon seigneur et mari.

Amadis s’approcha pour rogarder quel personnage c’était.

11 vit un chevalier assez grand, dont Ie visage était eriflé et tont tailladc ; et, comme il était incapable de répondre a ses questions, Amadis s’en-qnit auprès de la dame, qiii lui raconta (pie, Ie journbsp;même, ils traversaient un pont, lorsqii’nn chevalier l(!s pria de rebrousser chemin, s’ils étaient aunbsp;roi Lisvart; il ajoutait qu’il tuerait Ie roi, s il Ienbsp;prenait, paree qne ce dernier avait é sa cour unnbsp;chevalier meurtricr de Dardan, son ami.


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LE CHEVALIER DE LA MER. 39

— nbsp;nbsp;nbsp;Mon mari, continua la dame, fatigué de cesnbsp;menaces, lui répondil qu’il était sujet et vassal denbsp;Lisvart, et qu’il ue Ie nierait fi personne. Alors Ienbsp;cbevalier du pont commenpa a charger mon mari,nbsp;qui, a la fin, succomba sous des coups multiplies.nbsp;L’homme du pont l’a cru mort et nous a crié denbsp;faire porter ft la cour du roi Lisvart sa dépouille,nbsp;pour Ie narguer.

—Dame, dit Amadis, faites-moi montrer Ie che-min par un de vos écuyers; je dois venger votre mari, car c’est ft cause de moi qu’il a été mis ennbsp;eet état.

La dame Ie fit accompagner, et Amadis fut en peu de temps arrivé au pont, prés duquel Ie chevalier jouaitaux tables avec un compagnon.

Ge dernier, en apercevant Amadis, quitta Ie jeu, et, montant son grand ebeval blanc, il cria :

— nbsp;nbsp;nbsp;Holfi-bolal je vous defends d’aller plus loin, sinbsp;vous ne faites un serment.

— nbsp;nbsp;nbsp;Et lequel? répondit Amadis.

— nbsp;nbsp;nbsp;Que vous n’êtes pas de la maison du roi Lisvart; sans ctda, je vous promets malheur 1

— nbsp;nbsp;nbsp;Je ne sais ce que vous ferez, reprit Amadis,nbsp;mais je suis chevalier de la reine, femme de Lisvart; je fis dernièrement rétablir les droits d’unenbsp;demoiselle déshéritée.

— nbsp;nbsp;nbsp;Par ma tète, répliqua Ie chevalier du pont,nbsp;,je vais vous óter la vie, car vous avez tué 1’un denbsp;mes meilleurs parents.

Et il vint fi toute vitesse sur Amadis, qui partit en inême temps. Leur rencontre fut terrible : lances et ecus furent brisés, et Ie chevalier fut surprisnbsp;de se trouver couché par terre.

Mais vVmadis était en train de relacer son armet, prêtfi tomber; ce qui permit au chevalier de re-monter en selle et de doniier de sou épée a sonnbsp;adversaire. Amadis, aussitót qu’il eut sou arme anbsp;la main, découpapar derrière l’armet du chevaliernbsp;et lui trancha si bien la tète, qu’elle pendait surnbsp;ses épaules; il rendit fame fi l’instant.

Les hommes du pont prirent aussitót Ia fuitc. Amadis ne voulut pas les poursuivre et pria 1’c-eujor d aller raconter fi sa dame quelle vengeancenbsp;il ayait tiré pour son mari. Puis il continua fi travers la lom, si bien qu’il atteignit une plaine cou-verte de fluurs o iorantes dont la vue lui rappelanbsp;son Or.ane.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;^ ‘

Pendant qu il rêvait ft sa belle, il apercut un nain trés contrefait monié sur un paicfroi; il l’in-lerrogea sur la route qu’il avail faite.

nnr, V. 'iecs de la maison du comte de Claire, ré-Pondit ce nain.

chevaTiA..Amadis, un nouveau cnmiier nommé Galaor?

ie nmirrai nbsp;nbsp;nbsp;trois jours,

nmai- A nbsp;nbsp;nbsp;mouircr Ie mcillour chevalier qui

jamai, porta lance ,q urmurc. nbsp;nbsp;nbsp;‘

'Pic c’était sou frère dont unc UAmnicAu’nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;i s’arrêtèront chez

iL l..nH..ii.n'n nbsp;nbsp;nbsp;rensant toiijnurs It Oriane.

Lelendem.iin, vers midi, ils virent un chevalier qm combatlait contre deuxnbsp;nbsp;nbsp;nbsp;cncvaiiei

cetomtal’. nbsp;nbsp;nbsp;la «usa (Ie

A IT nbsp;nbsp;nbsp;'leux, que ce chevalier se

prétend aussi fort que nous deux ensemble.

— nbsp;nbsp;nbsp;Votre difl'érend est bien mince, dit Amadis,nbsp;car la force de l’un ne diminue pas celle de l’autre.

Alors ces chevaliers firent la paix; ils demandè-rent ft Amadis s’il connaissait Ie chevalier qui était cause de la mort de Dardan; qu’ils désiraient Ienbsp;rencontrer. Amadis leur dit qu’il 1’avait vu fi lanbsp;cour du roi Lisvart; puis il les laissa.

II n’était pas encore éloigné d’eux qu’il les en-tendit venir k sa suite en courant; Ie nain propo-sait de fuir, mais Amadis prit soa armet et son écu.

Les chevaliers arrivés teut prés de lui, deraan-dérent qu’il leur accordkt une faveur, savoir oü ils pourraient rencontrer Ic raeurtner de Dardan.

— nbsp;nbsp;nbsp;Gest moi, répondit Amadis, et vraiment j’hé-sitais ft l’avouer de peur de faire mon élpge.

Alors les chevaliers l’appelèrent trattre et fon-dirent Ikchement sur celui qui venait de les récon-cilier. Mais Amadis les rembarra vivement; l’un eut 1’épaule coupée et fut jeté k bas de sou cheval, Ienbsp;second perdit son armet et eut la gorge fendue.nbsp;Quant au dernier il prit la fuitc, et Amadis craignitnbsp;d’etre trop mal moiité pour lui faire poursuite.

Gandalin, en revoyaut son maitre, Ie félicita, et bientót ils purent se reposer dans un ermitage.

Le lendemain, vers trois heures, Ie nain indiqua k Amadis, au fond d’un vallon riant, trois piusnbsp;élevés sous lesquelsétait k cheval un cavalier; toutnbsp;prés, deux chevaliers désarmés couraient aprèsnbsp;leurs chevaux; un peu plus loin so reposait un chevalier entouré de lances fichées en terre; deuxnbsp;chevaux prèis k monter attendaient.

Le nain ineiiqua a Amadis le chevalier couché cornme celui qu’il avait premis de lui montrer, et ilnbsp;l’appela Angriote d’Estravaux; il lui raconla en-suite que ce chevalier aimait une dame voisiuenbsp;qu’il avait dérobée k ses parents par force d’armes ;nbsp;que la dame, ue voulant pas I’aimer, puisqu’ellenbsp;n’était point sieime de son vouloir, lui donna pournbsp;condition d’amoiir qu’il arrêterait aux trois pins,nbsp;tous les chevaliers erranls qui passeraient. Il pou-vaits’adjoindre son frère, et, dans le cas ou ce dernier serait occis, il n’aurait qu'une aunée k continuer seul cet engagement,

— Ils se retirent la nuit dans le chateau voisin et sent ici toiite la journöc, ajouta le nain. Depuisnbsp;trois mois qu’ils out pris ce postc, Angriote n’a pasnbsp;encore mis 1'ópée a la main; son frère a défait tousnbsp;les chevaliers qui se sent présentés.

— J’ai eutendu parler de cela, répondit Amadis, par un chevalier qui, en effet, trouvait cette damenbsp;plus belle quo sa niie; ne s’appel!e-t-elle pas Gro-venèse.

Le nain confirma ce norn et voulut entrainer Amadis dans un autre chernin, mais Amadis donnanbsp;des éperons k son cheval et passa devant; il senbsp;trouva bientót au vallou dont un écuyer gardaitnbsp;l'entrée.

— Seigneur, lui dit cet écuyer, ue passez pas outre si vous u’avouez q'ue la mie du chevaliernbsp;couché sous ce pin, cst plus belle que la vótre.

— Dicu m’assiste, répondit Amadis, si je pro-férerai jamais pared inensonge, k moins de force et extréme contrainte.

— Or, retournez done, reprit I’ccuyer; autre-ment, il vous faudra corabattre contre les deux chevaliers que vous voyez Ik-bas.


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40 OIBLIUTHEQUE BLEUE,

40 OIBLIUTHEQUE BLEUE,

H.

,n voyant Amadis poursuivre sa route, Ie frère d’Angriote lui dit;

— Vous êles fou de refuser ma de-mande, car il vous faut combattre centre moi.

— Ge combat, répondit Amadis, m’est _ plus agróable qu’un mensonge horrible.nbsp;Et tons les deux s’engagèrent rudement dansnbsp;leurs ecus; Ie chevalier fut désarqonné et garda lesnbsp;rènes de son cheval jusqu’a ce que Ie cheval les fitnbsp;rompre en Ie trainant; il resta évanoui sur la

vous valez mieux

— S’ils ra’assaillent, répliqua Amadis, je me dé-fendrai seloii mon pouvoir.

Et il continua son cliemin sans dire un mot de plus.

CHAPITRE XXXI

Comment Amadis combattit centre Angriote et son frère, qui gardaient Ie passage du val.

place.

Amadis descendit de cheval, et levant l’armet, s’aperQut qu’il n etait que pamé. II Ie remua et ilnbsp;reprit ses sens.

— Vous êtes mort, lui dit Amadis, si vous ne vous rendez.

Le chevalier voyant une épée nue suspendue sur sa tête se rendit.

Angriote pendant ce temps se disposait è venger son frère; il envoya une lance è Amadis par un denbsp;ses écuyers.

Les lances se brisèrent a la première rencontre, sans qu’il y eüt blessure cependant, et tous deuxnbsp;reprirent carrière.

Déjè Amadis avait saisi son épée, mais Angriote lui dit, se croyant trés fort sur cette arme.

— Ne vous pressez pas, joutons avec les lances jusqu’a ce que l’un de nous soit a bas.

— Chevalier, répondit Amadis, je ne puis resler ici longtemps, je suis altendu.

— Comment, reprit Angriote, vous vous croyez déja hors de mes mains, rompons encore une lancenbsp;s’il vous plait.

Amadis y corisentit. Les deux combattants se choquèrent si fort qu’Angriote fut renversé sousnbsp;son cheval; le cheval d’Amadis s’embarrassa etnbsp;tomba de l’autre cóté, de tello sorle qu’un tronconnbsp;de lance, resté dans son écu, lui entamalégèrementnbsp;te corps.

Mais il se releva fièrement comrne il convenait au soutenant d’honneur et de beauté de damenbsp;Oriane.

Ayant enlevé le trongon, il marcha sur Angriote l’épée au poing.

Ce dernier lui renouvela, comme h un enfant, de déclarer sa mie plus belle entre toutes; maisnbsp;Amadis répondit par une attaque si furieuse, ilsnbsp;se battirent avec une telle rage que les assistantsnbsp;et eux-mèmes sentirent qu’il y aurait bientót unnbsp;résultat.

Amadis, résolu de faire triorapher la beauté de sa dame, s’éleva è un tel point de force et d’a-dresse, qu Angriote, couvert de horions, quilta lenbsp;combat.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;^

Certes, dit-il a Amadis qu’on ne croirait a vous voir. ’

— nbsp;nbsp;nbsp;Rendez-vous, lui répondit Amadis, car sinbsp;vous prolongez le combat, il finira avec votrenbsp;existence, et j’en serais faché, car vous êtes unnbsp;chevalier brave et courtois.

— nbsp;nbsp;nbsp;Alors, Angriote reprit; Je crois convenablenbsp;de me rendre au meilleur chevalier que j’aienbsp;rencontré, et tout le monde en doit faire autant; jenbsp;ne regrette que d’avoir perdu ce que j’aimais lenbsp;plus au monde.

— Espérez, répliqua Amadis, que votre dame récompensera un jour la courtoisie que vous luinbsp;avez gardée, je ferai ce que je pourrai afin quenbsp;vous soyez heureux.

Et prenant congé d’Angriote qui voulait l’héber-ger en son chateau, Amadis parlit avec le nain, el. pendant cinq jours, leur route ne fut traverséenbsp;d’aucun incident.

CHAPITRE XXXII.

Comment Amadis, toujours la recherche de Galaor, enira dans le chiUeau de ï’enchanteur Arcalaüs, et ce qui s’eii-suivit. •

Heureux d’avoir fait triompher la beauté d’0-riane, mais affligé de voir son espérance trompée dans la recherche de Galaor, Amadis suivit le nainnbsp;auquel il avait promis un don. Le sixième jour,nbsp;ils arrivèrent en vue d’une forteresse qui parais-sait inhabitée.

— Seigneur, dit le nain, c’est ici le chateau de Valderin, et celui qui le possède est le plus redou-table que je connaisse. Hélas! j’avais un maitrenbsp;aussi brave qu’aimable; il vint prés de ce chateau;nbsp;le traitre qui l’habite l’atlaqua, aidé de plusieursnbsp;satellites; mon maitre fut vaincul... Depuis sixnbsp;mois je lui cherche un vengeur... Tous les chevaliers que j’ai conduits ici pour punir son lachenbsp;meurtrier, out perdu la vic ou la liberté...

— Tu fais acte de bon serviteur, lui dit Amadis, seulement tu devrais prévenir les gens des dangers qu’ils courent, Quel est done ce seigneur sinbsp;redoulable.

— Seigneur, répondit le nain, c’est l’enchanteur Arcalaüs. Mais retirons-nous, car la nuit vient, etnbsp;si Arcalaüs me savait amener centre lui des chevaliers il me pourrait nuire.

Animé par le récit du nain et par la certitude que la cour de la Grande-Rretagne n’avait pas denbsp;plus mortel ennemi que eet enchanteur, Amadisnbsp;n’hésita pas une seconde a pénétrer dans la secondenbsp;cour du chateau. Nul être vivant ne s’olfrit è sanbsp;vue, et le même silence régna dans eet endroitnbsp;jusqu’a deux heures avant la nuit.

Le nain, qui commengait è prendre effroi, lui cria vainement:

— Seigneur, sortons d’ici, je vous rends votre parole 1...

— Non, répondit Amadis, je ne sortirai point sans avoir connu 1’intérieur de ce chateau.

Et, se défiant un peu da nain, il chargea Ganda-lin de s’assurer de sa personne et de le forcer è Ie suivre. Lors, il descendit de cheval et parcourutnbsp;les deux cours.

On ne pouvait entrer dans le chateau ([ue par deux porles de fer, qu’il était impossible de forcer.


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LE CHEVALTER DE LA MER. 41

Apercevant une voüle obscure qui paraissait ou-verte, Amadis n’hésila pas a s'y avcnturer et èi des-cendre I humide escalter qui conduisait dans ce souterrain.

II y marchait a peine depuis quelques minutes qu’il entendit un bruit de chaines et des cris la-mentables. II s’avanga vers Ie lieu d’oü partaientnbsp;ces bruits, autant qiie les ténèbres dans lesquellesnbsp;il se trouvait pouvaient Ie lui permettre^Tout-A-coup, une voix rauque s’écria :

— Lève-toi!... prends ces fouets et va-t-en faire crier d’une autre sorte ces misérables qui osentnbsp;troubler mon sommeil!...

Amadis tira alors son épée et s’avanqa, résolu. La lumière d’une larape lui fit découvrir une troupenbsp;de gens armés dont quelques-uns dormaient, etnbsp;dont Ie plus grand nombre veillaient.

Amadis les enjamba après avoir pris une de leurs baches i mais ils furent éveilléspar d’autres plaintesnbsp;qu’ils firent taire en menaQant l’auteur de coups denbsp;verges.

L’un d’eux se leva même et trouva devant lui Amadis dont il eut grande peur.

— Qui va Ifi, dit-il, qui t’a permis de franchir ce séjour?

— Moi seul, répondit Amadis.

— Taut pis pour toi, reprit Ie garde, tu vas gros-sir Ie nombre des malheureux dont tu entends les pleurs.

Et il enferma Amadis dans Ie souterrain, puis avertit ses compagnons. Le geólier voulut se charger d’Amadis et le vint harceler, aidé d’un garde;nbsp;mais il requt un coup de poing qui lui brisa la ma-choire et Amadis lui trancha la tête.

Tous les gardes se ruèrent alors contre lui, mais il en mit quatrehors de combat et les deux derniersnbsp;se rendirent.

II se fit ouvrir les prisons avec les clefs que portalt le geólier è sa ceinture, et délivra une jeune femme recluse dont les vêtements étaient pourris.

^ —Je suis fille de roi, lui dit-elle, et c’est A cause d’un roi que je suis ici.

— Prenez courage, lui dit Amadis, je suis sur que votre pauvreté se changera bientót en richessenbsp;et votre douleur en joie.

11 üt mettre a cette demoiselle le raanteau d’é-carlate qu’Arcalaüs avait donné récemment A sou geólier, puis la conduisit dehors, l’assurant que, luinbsp;vivant, elle ne rentrerait pas dans ce lieu do sup-plice.

Permettez, lui dit Amadis, que mon écuyer 'TOUS tieune compagnie tandis que j irai délivrer vosnbsp;compagnons de captivité.

i ®t'bent alors sous la voute d’entrée, et il sur-Amad'is nbsp;nbsp;nbsp;denianda a celui qui éclairait

~ Mon maitre, Arcalaüs, veut savoir si le che-vaner qui vient d’entrer est mort ou en prison.

Le garde luissa tomber les chandelles tant il fut ellrayc, maïs A.inadis lui dit;

Que crains-lu sous ma protection? Marche oevant sans inquietude.

Ils arrivèrent enfin dehors, la nuit était fort avancée. Amadis ne vit ni le nain, ui Gaudalin : ilnbsp;SU vu un jieu uii hruit de voix et les apercut tonsnbsp;ueux attacliés A des poteaux au-dessus tl’un feu;nbsp;il accourut pour les délivrer et les ramena au

chateau avec la demoiselle et les deux gardes.

La porte du chateau e^tait fermée, ils se retirè-rent dans iiu coin de la cour et Amadis, ayant ap-pris de Gandalin qu’un cheval était dans une écurie voisine, enfonga la porte, prit la bete toute sellée,nbsp;la monta et altendit Arcalaüs dont 1’arrivée étaitnbsp;connue de Gandalin et du nain.

En attendant, Amadis devisait avec Ia demoiselle dont Arcalaüs avait causé le malheur en la ravissant h celui qii’elle adorait. Arcalaüs était l’enrieminbsp;jure de ce roi, et il ne craignit pas d’employer lesnbsp;ressources de 1’enchantement peur arriver h sesnbsp;fins.

Amadis sut que ce roi était Arban de Norgales dont il était fort l’ami; il en félicita la demoiselle.

Le petit jour commengait li poindre, car la nuit s’était écoulée pendant ces événements, et Amadisnbsp;n’attendait plus que le lever du soleil pour sortirnbsp;de ce chateau, lorsque tout-é-coup une fenêtrenbsp;s’ouvrit, un homme d’une grande taille y parut, et,nbsp;s’adressant A l’amantde Ia belle Oriane, il lui cria:

— Est-ce toi, malheureux, qui a osé massacrer la garde de mon chateau ?

— Si tu veux descendre, répondit Amadis, je te rendrai compte de ce que j’ai fait et je te dirai cenbsp;que j’ai dessein de faire...

— Attends-moi done! reprit 1’homraeala haute taille, dun air furieux et menagant.

— La fenêtre se referma, et, quelques minutes après, une des portes de fer s’ouvrit pour livrernbsp;passage a un chevalier d’une forte encolure. G’étaitnbsp;Arcalaüs.

Get enchanteur avait une taille de géant et une vigueur propqrtionnéeasa taille. 11 s’imagina avoirnbsp;facilement raison de ce chevalier qui avait osénbsp;franchir l’enceinte de son chateau lorsque tantnbsp;d’autres avaient été si cruellement punis de cettenbsp;témériló. Mais Amadis n’était pas un chevalier ordinaire ; il avait en outre le bon droit et la justicenbsp;pour lui. Devant les coups tenibles qu’il porta ónbsp;Arcalaüs, et dont le dernier le désarma, eet enchanteur dut prudemment battre en retraite denbsp;peur de pis.

Amadis Ie suivit. Arcalaüs franchit l’escalier et, en quelque honds, arriva dans une chambre oünbsp;soudain une femme lui présenta une épée pournbsp;remplucer celle qu'il venait de laisser tomber.nbsp;G’étuit pour lui une occasion nouvelle de combat-tre : il se présenta ü la porte de la chambre, etnbsp;défia Amadis qui s’y était courtoisement arrêté,nbsp;par respect pour la dame, qu’il venait d’apercevoir.nbsp;Arcalaüs oidonna ü cette dame de se retirer etnbsp;insulta Amadis par les plus grossières injures, ennbsp;le defiant de passer le seuil de la porte.

— Füt-ee aux enfers, répondit alors Amadis, j’irais attaquer un moiistre tel que toi!

11 dit el s’élanga dans la chambre; mais ü peine avait-il fait un pas, qu’il tomba sur le sol, évanoui.

Arcalaüs le désarma aussilót, et, appelant la dame de tout-ó-l’heure, il lui dit;

— II me serail facile de doniier la mort h eet ennemi que voici; mais je scrai mieux vengé parnbsp;la prison cruelle è laquelle je le condamne et parnbsp;le projet que je vais exécuter... Je le laisse pro-visoirement sous votre garde!...

Ayaut dit cela, Arcalaüs so désarma, se couvrit des armes d’Amadis, s’empara de sa redoutable


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42 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

42 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

épée et monta sur son cheval qu'il trouva broutant l’herbe maigre qui croissait ea et Ik dans la cour.

En s’en allant, il fit mettre Gandalin et Ie nain en prison. Gandalin ne voulait pas survivrc k sonnbsp;maltre et priait qu'on Ie tukt plutót que de Ie mettre au cachot; il insultait Arcalaüs sur sa trattrisenbsp;et lacheté, afin qu’on se débarrasskt de tui. Maisnbsp;Arcalaüs Ie laissa dire, et Ie fit trainer par les chenbsp;veux et jeter dans un pul de basse fosse.

— Si je te faisais occire, lui dit-il, tu serais hors de peine, tandis que Ik tu souffriras mille fois plusnbsp;que la mort même.

Puis Arcalaüs, monté sur Ie cheval d’Amadis et suivi de trois écuyers, se dirigea vers la cour dunbsp;roi Lisvart.

A \)eine était-il sorti que la dame, sous la garde de laquelle il avait laissé Amadis, vit eutrer, dansnbsp;la salie ou elle se tenait, deux demoiselles char-gées de douze flambeaux qu’elles allumèrent etnbsp;placèrent tout autour de la salie. Bieniöt une troi-sième dame, d’une taille plus imposante que lesnbsp;deux premières, entra, tenant d’une main un petitnbsp;rechaud et de l’autre un livre écrit en signes par-ticuliers, et suivie de six demoiselles qui portaientnbsp;des harpes.

La dame, qui paraissait la maitresse des autres, versa alors quelques aromates et quelquos hcrbesnbsp;odoriférantes sur gon rechaud et Ie promena autournbsp;d’Amadis, toujours évanoui. Pendant que ces parfums se répandaient en nuages bleus dans la salie,nbsp;et que les harpes préludaient harmonieusement,nbsp;elle lut quelques phrases dans Ie livre myslériouxnbsp;qu’elle tenait k la main, et plusieurs voix lui ré-pondirent dans la langue inconnue qu’elle parlaitnbsp;en lisant ce livre. Tout-a-coup, s’approchant denbsp;celui qu’on croyait mort, elle Ie prit par la main ennbsp;lui criant d’une voix vibrante ;

— nbsp;nbsp;nbsp;Amadis, réveillez-vous 1 La Gloire, Oriane etnbsp;votre amie ürgande vous appellent k la viel...

Amadis se réveilla, en effet, etreconnut sa pro-tectrice Urgande, aux pieds de laquelle il se jota.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ah! madame, lui dit-il, que ne vous dois-jenbsp;pas?

— nbsp;nbsp;nbsp;Ne perdons point de temps, répondit ürgande;nbsp;il s’agit de prévenir les suites funesles de la noirenbsp;trahison d’Arcalaüs... II a pris vos armes, et senbsp;flatte de parailre corame votre vainqueur... Gou-vrez-vous des siennes et volcz pour dóraentir knbsp;temps Ie faux récit qu’il ne manquera pas de fairenbsp;de sa victoire et de votre mort.

Amadis obéit, et, ne voulant pas porter plus loin sa vengeance, en consideration de la femme d’Ar-calaüs, laquelle était une pitoyable dame, tendrenbsp;aux affligés et douce aux capti'fs, il so couvrit denbsp;Tarmure de l’enchanleur, monta sur son cheval, etnbsp;sortit du chateau. II était suivi par Gandalin, Ienbsp;iimn, Grir.daloïa et les autres prisonniers d’Arca-laüs, parmi lesquels se trouvait Ie célèhre chevalier Briiiflaboias, dont Lisvart et sa cour regret-taient depuis trois ans la perte.

GHAPITRE XXXIV

Comment Arcalaüs, couvert de 1’armure d’Amadis, se pré-senta amp; la coar du roi Lisvart, et de TefTet désastreux qu'il produisit; comment, eosuite, la joia revint, lorsqu’onnbsp;connut la véritd.

aisant diligence pendant ce temps, Arcalaüs était arrivé knbsp;Vindisilore, au moment memonbsp;oü les princesses Oriane et Ma-bille prenaient Ie frais a leurnbsp;fenêtre.

— Ahl cousine, s’écria Oriane en ariercovant Arcalaüs, couvert de l’armura d’Amadis, qu’on est heureux de revoir cenbsp;qu’on aime!

Et, entrainant Mabile, elle courut avec elle dans la chambre de la reine, aprèsnbsp;avoir pris lo temps de nouer et de rclevernbsp;ses beaux choveux.

^ Corame elles étaient la toutes deux, dans l’attente de voir paraitre Ie plus vaillantnbsp;et Ie plus beau des chevaliers, olies virent entrer Ienbsp;roi, tout en larmes, qui s’écria d’une voix entre-coupée :

— nbsp;nbsp;nbsp;Ah! madame, quel coup affreux! Le bravonbsp;Amadis n’cst plus!...

La reine Brisène aimait son chevalier comme son propre lils. En eutendant ainsi annoncer sanbsp;mort, elle jeta un cri douloureux et tomba sausnbsp;eonuaissance. Oriane et Mabile vonlurents’avancernbsp;pqur la secourir; inais la tendre Oriane, cédant aunbsp;désespoir qui s’était einparé de sou amo amou-reuse, s’évanouit (’galemcnt et tomba sur ses ge-noux comme foudroyée. On la transporta dans sanbsp;chambre.

Les soins de Lisvart et des dames dii palais ayant fait revenir k elle la reine Brisène, elle voulul avoirnbsp;de plus arniiles détails sur la catastrophe, et le roinbsp;les lui donna ttds qu’il les teiiait de la bouche per-üde d’Arcalaüs. Amadis était venu le défier dansnbsp;sou chateau dq Valderin, (d les conditions du combat avaient été que le vainqueur se couvrirait desnbsp;armos du vaincu, après I’avoir tué, et irait k la cournbsp;de Lisvart remdre compte de ce combat. Puisquonbsp;Arcalaüs était vivant cl couvert de Farmure d’A-raadi.s, ce dernier était morti

Pendant que Lisvart faisait ce lamentable récit k la reine, le irailre Arcalaüs était remonté a chevalnbsp;et était sorti du palais, chargé des imprecations denbsp;tons ceux qui regrettaient Amadis, c’est-k-dire denbsp;tout le monde.

Oriane était toujours évanouie. Los ollbrts les plus grands étaient fails, mais en vain, pour la rap-peler a la vic. Au hout de deux heures seuleraent,nbsp;(“11e comraenca a s’agiter; deux ruisselets de lartrnisnbsp;jaillirent de ses beaux yeux comme de deux sources trop pleincs.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ah! chore Oriane, lui dit Mabile en l'ernbras-sant tendri'nieut, reven(‘z k la vie et k la raison 1,..nbsp;Non, il n’cst pas possible (|u’Amadis ait pu succorn-ber sous los coups du lache et perfide Arcalaüs...


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LE CHEVALIER DE LA MER. 43

G’est un mensonge que ee monstve a fait lil... ' Nous reverrons Amadis, chère Oriane, nous Ie re-verrons!...

— Hélas! ma mie, murmura Oriane, ne me dé-tournez pas du cherain de la mort si vous dósirez mon repos, et cotisontez que j’aille bioutót retrou-ver eii 1’autre monde celui que j’aimais et qui m’ai-mait tant lui-même qu’il n’eüt pu vivrc un journbsp;sans moi t...

En proférant ce mot, la dolente amoureuse so prit tellement ii pleurer que e’était grand’pitié denbsp;la voir.

Puis, reprenant haleine, elle ajouta :

— Ahl fleur et miroir de cfievalerie! \’otre mort est une si grave chose, quo non-seulement moi,nbsp;votre mie, mais encore Ie reste du monde doit ynbsp;avoir regret, puisqu’en vous perdant Ie monde anbsp;perdu ce qui 1 honorait Ié plus en bonté, en prudence, en hardiesse, en beauté... Toutefois, moitiónbsp;de ma vie, si, Lt oü vous êtes, vous avez encorenbsp;quelque sentiment, je suis sure que vous n’avez,nbsp;vous, aucun regret h la vie perdue, excepté è causenbsp;de moi, quo vous savez si affligce; car vous aveznbsp;laissé taut d’honneur en ce monde, tant acquis donbsp;réputation en ce pen de temps que vous y avez été,nbsp;qu’on peut dire, en comptant d’après vos mérites,nbsp;que vous ètes mort vieux 1...

Oriane allait poursuivre, lorsqu’olle fut inter-rompue par la reine Brisène qui accourait, la joic sur Ie visage, suivie d’uno jeune dame et d’un chevalier, tous deux inconnus d’Oriane.

— Grdce au ciel, s’ecria la reine, Amadis est vi-vantl Amadis est toujours victorieux!... G’cst un mensonge qu’est venu nous faire ce matin Ie ISichenbsp;Arcalaüs. N’est-ce pas, chovalier Brindaboias?nbsp;N’est-ce pas, belle princesse Grindaloia?...

Le chevalier et la jeune princesse racontèrent alors ce qui s’était passé au chéteau de Valderin,nbsp;en ajoutant qu’ils avaient été séparés d’Amadis sansnbsp;le savoir, mais qu’on ne tarderait sans doute pas hnbsp;le revoir.

A ce récit, si différent de celui d’Arcalaüs, les roses du teint de la tendre Oriane se ranimèrent.nbsp;Presque aussi peu maitresse de cacher sa joie quenbsp;sa douleur, elle s’écria ;

— Ah! madame, vous faites renaitre le bonheur dans eette cour, par votre présenco et par lesnbsp;bonnes nouvelles que vous nous apportez!... Grandnbsp;merci de touto mon ame!...

Puis elle se jota dans les bras de la jeune prin-ces^e de Sorolis et lui jura Tamitié la plus vive. s’nfinbsp;nbsp;nbsp;nbsp;^ son tour cette princesse en

an nbsp;nbsp;nbsp;U reine, puisque ce jour est consacré

smiffrenf nbsp;nbsp;nbsp;songer k ceux qui

soutlrent encore lom de nous et dont la dnnlenr

conügt;aste.avec notre joio lldfne ,“nlce du du de Bnstoie , est pnsonmère de son oncle, qui ennbsp;use tres mal avec elle, a cause d’un chevalier qui anbsp;voulu la délivrer.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;^

— Le due de Bristoie est vassal du roi Lisvart répondit vivement la reine; nous allons lui en-voyer l’ordre de remettre Aldéne en liberlé et denbsp;1 enyoyer ici pour vous retrouver... Nous allonsnbsp;aussi, chère princesse, prévenir le roi Arban denbsp;iNorgates de votre presence ici...

Ah 1 madame, murmura Gnndaloïa en rou-gissant, que de bontés !...

CHAPITRE XXXV

Comment Amadis , toujours en quétc de son frère Galaor, finit par le renconlrer aprfts un combat acharné avec lui,nbsp;combat amené par les suggestions d'une fausse nonnain.

Amadis, tranquillo sur la supercherie qu’Arcalaüs s’était préposé de faire è la cour de Lisvart, et jugeant que 1’arrivée de Brindaboias el de la princesse de Sorolis suffisait pour en empêcher l’effet,nbsp;s’était remis plus vivement que jamais a la quêtenbsp;de son frère, et il n’imagina point de le cherchernbsp;dans une abbaye de femmes,

Galaor y était cependant, et il s’y trouvait même trés bien, ce qui ne I’empecha pas, au bout denbsp;quiiize jours de cette existence charmarile, denbsp;prendre la clef des champs, II n etait pas soul dansnbsp;sa fuite : une des aimables demoiselles qui l’avaientnbsp;aidé è se guérir l’accompagnait, heureuse de Temnbsp;lever a ses compagnes.

Amadis continuait sa quête de sou frère , et il était arrivé, è force de chevaucher, jusqu’è la forêtnbsp;d’Angadeuse, lorsqu’il y rencontra un grand chariot couvert d’oü il lui sembla qu’il sorlait desnbsp;plainlos. II demanda poliment a celui qui condui-sait l’escorte nombreuse dont ce chariot était en-touré, ce qu’il contenait, et posirquoi des gémisse-menls en paraissaient sortir. On ne lui réponditnbsp;qu’en l’attaquant,

Amadis était sorti victorieux de trop de combats pour ne pas sortir de même de celui-ci. En effet,nbsp;malgré le nombre des assaillants, le valeureuxnbsp;amant d’Oriane fit bientót rnordre la poussière auxnbsp;misérables qui l’avaicnt aussi discourloisement attaqué; ceux qui ne furent pas tués prirent la fuite.

S’approchant alors du chariot, et levant un cóté des draperies qui le couvraient, il vit un richenbsp;cercueil écussonnó, deux femmes en deuil et unnbsp;vieux chevalier dont la barbe fleurie blanche des-cendait jusqu’au nombril.

— Que signifie tout cela ? demanda Amadis étonné, au vieillard.

— Vous ne pouvez l’apprendre, répondit ce dernier, que de Ia dame du chéteau voisin, si toutefois vous osez m’y suivre.

Après un pared propos, Amadis n’eüt pas ba-lancé d’entrer dans ce chüteau, quand même la curiosilé ne l’y eütpaspqussédéja : en conséquencenbsp;il suivit le chariot qui venait de reprendre sanbsp;marche. Mais, è peine y fut-il entré, que la portenbsp;du chAteau se relerma et qu'on arrêta Gandalin etnbsp;le nain qui l'avaieiit suivi. Puis oii Fassaillit denbsp;toutos parts.

Quoique fatigué du premier combat qu’il avail livré, Amadis se fit bientót un rempart du corps desnbsp;plus audacieux qui l’altaquèrent; mais, le nombrenbsp;des assaillants augmentant sans cesse, il eüt trésnbsp;certainernent soccombé, si, dans ce m^oment, unenbsp;jeune demoiselle en deud, presqu’aussi bollenbsp;qu’Oriane, suivie d’une dame plus agée, n’eut ou-verl une fonölre et, par son autorité, fait cessernbsp;eet inégal combat.

— Que vous ai je fait, seigneur chevalier? ajou-ta-t-elle d’une voix douce, Pourquoi me venir at-


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44 BIBLIOTHÈQUE BLEUE.

taquer jusque dans mon chateau, lorsque les lois de la chevalerie et votre honneur devraient plutótnbsp;vous engager amp; m’accorder votre appui?...

Touché de la jeunesse, de la beauté et de la grace avec laquelle cette demoiselle s’exprimait,nbsp;Aniadis s’empressa de lui raconter en quelquesnbsp;mots son aventure, pour lui prouver que les tortsnbsp;de Tagression n’étaient pas de son cóté. Le vieuxnbsp;chevalier è la barbe fleurie blanche, paraissantnbsp;alors sur le balcon, confirma la véritéde son récit.

— Ah 1 seigneur chevalier, reprit alors la gente dame, combien j’ai regret de Ia brutalité de mesnbsp;gens I Combien aussi je me réjouis de l'avoir ar-rolée au moment oü elle pouvait vous devenir funeste ! Mettez-moi vitement, je vous prie, a porteenbsp;de réparer eet attentat, et venez apprendre de moi-même la cause de ma douleur et de ce que vousnbsp;avez vu dans la forêt.

On se fie aisément a la parole d’une gente pu-celle, dont la candeur égale la beauté ; Amadis ne balanga pas. II délaga son heaume, et, abordantnbsp;son hótesse avec le plus de courtoisie possible, ilnbsp;s’excusa de nouveau sur la nécessité oü ses gensnbsp;l’avaient mis de se défendre. La jeune fille, en lenbsp;voyant si beau, devint toute rougissante et ne putnbsp;sonner mol pour lui répondre. Ge'fut la vieille damenbsp;qui le fit pour elle.

— Seigneur chevalier, lui dit-elle, ce qui vient de se passer sous nos yeux nous prouve qu’aucunnbsp;chevalier n’est plus capable que vous de soutenirnbsp;les intéréts de ma nièce... Mais il serait oiseux denbsp;vous raconter nos malheurs, si vous ne nous pro-mettez d’essayer de les adoucir...

— Ah! madame, répondit Amadis, quel chevalier serait assez lache pour se refuser a défendre Ia jeunesse, l’innocence et la beauté?... Oui, madame,nbsp;je vous promets de vous servir de tout mon pou-voir : puisse la parole que je vous en donne ici vo-lontairemcnt et sincèrement, me mcriter votrenbsp;confiance 1...

— Cette enfant que vous voyez céans, reprit alors la vieille, est fille d'un roi puissant et équi-table, qu’uu frère a osé massacrer de sa main pournbsp;s’emparer de ses Etats : c’cst le corps de ce mal-heureux prince que vous avez vu dans le chariotnbsp;couvert... Depuis sa mort, un vieux chevalier de sanbsp;cour, dont le courage nous a sauvées de la harba-rie du tyran, fait promener deux fois par rnois cenbsp;cercueil, sous escorte, dans l’espérance de trouvernbsp;enfin quelque vaillant chevalier disposé a prendrenbsp;la défeuse de ma nièce... Mais le traitre Abiséos,nbsp;c’est le nom du fratricide, est d’autant plus redouté,nbsp;qu’il est soutenu dans sa réputation d(ï férocité parnbsp;ses deux fils Dorison et Dramis, lesquels sout mal-heureusement aussi forts que méchants... lis outnbsp;juré de se soutenir mutuellemeut tous les trois etnbsp;de combattre ensemble... Votre bras seul ne pour-vait même nous suffire, et nous n’osons croire quenbsp;nous rencontrerons un jour trois chevaliers pournbsp;épouser noire querelle et vaincre Abiséos et sesnbsp;deux fds.

Madame, répondit Amadis, jamais cause ne fut plus juste que la votre et celle de cette bellenbsp;priucesse, et je m’engage k trouver dans le [dusnbsp;bref dé,ai deux autres chevaliers aussi disposés que

moi ü combattre pour vous.....Tous les deux me

toucheiit d assez prés par les liens du sang et du coeur pour que j’ose vous en répondre ; je ne de-mande que le temps nécessaire pour les joindre.

— Si vous faites cela, seigneur chevalier, dit k son tour la jeune fille de sa voix la plus melliflue,nbsp;Briolanie, légitirae héritière du royaume de So-bradise, vous en aura une éternelle reconnaissance...

— Je n’en exige pas tant, madame, répondit Amadis en s’inclinaiit. Mes deux compagnons et moinbsp;nous sommes chevaliers du roi Lisvart et de lanbsp;reine Brisène; c’est vous dire que notre devoir estnbsp;de combattre jusqu’è la mort pour la sainte causenbsp;de Ia justice et de l’innocence persécutées.

On apporta bientot les tables, qui furent cou-vrrtes avec abondance et avec magnificence : il s’agissait de fêter dignement ce vaillant hóte 1

Amadis s’était désarmé et avait revêtu un riche manteau qui rchaussait encore sa bonne mine etnbsp;sa fiére prestance. Les deux dames Tadmirèrentnbsp;beaucoup ; il leur parut être le plus parfait chevalier qu’elles eussent vu de leur vie. Do son cóté,nbsp;Aniadis, quoiqu’il fut insensible a toute autre beauténbsp;qu’a celle de l’^ncomparable Oriane, ne put s’em-pêcher de rernarquer les charmes, la grace, l’espritnbsp;et la modestie de la princesse Brioianie, et il s’ennbsp;entretint mèrae assez ionguement avec Gandalin,nbsp;après le diner, lorsqu’ils se furent retirés tous deuxnbsp;dans la chambre qui leur était destinóe.

Le nain, compagnon de Gandalin, en entendant ainsi Amadis parler de l’héritière du royaume denbsp;Sobradise, en conclut qu’il en était amoureux,nbsp;d’autant plus volontiers qu’il lui semblait, en effet,nbsp;impossible qu’un chevalier jeune, ardent et beau,nbsp;ne devint subiternent épris des charmes de toutenbsp;sorte quipomposaient la beauté de Briolanie.

Le lendemain, de bonne heure, Amadis prit congé des deux dames dont il avait regu l’bosjti-talité, et il leur renouvela sa promesse. La jeunenbsp;princesse de Sobradise lui préseiila alors en rou-gissant et d’un air qui fut remarqué par le nain,nbsp;une trés belle épée ayantappurtenu au feu roi sounbsp;pAre. Amadis la regut avec courtoisie et jura denbsp;l’employerutilemeul ü sou service, pro|»os qui futnbsp;également remarqué par le nain, lequel, s’appro-chant de Briolanie, lui dit tout bas ;

— Madame, vous avez conquis dés aujourd’hui le plus .vaillant et le plus beau chevalier qui soitnbsp;au monde...

Briolanie rougit de nouveau et ne répondit rien, ce ([ui contirma le nain dans son opinion.

— nbsp;nbsp;nbsp;Us s’aiment tous deux 1 pensa-t-il.

Aniadis sortit done du chateau et reprit sa

route, toujours suivi de Gandalin et du nain mal-avisé.

II venait de quitter la forêt d’Angadeuse et al-lait prendre une route qui la cótoyait, lorsqu'il vit veoir a sa rencontre un chevalier bien armé suivinbsp;d'unc demoiselle. 11 n’en était plus ([u’a vingtiias,nbsp;lorsque ce chevalier se précijiita, l’éiiée é la main,nbsp;sur le malheurcux nain et lui porta un revers quinbsp;lui eüt décüllé net la tête, si Ie nain ne se tut jeté anbsp;teni()s entre les jambes de sou cheval, en criantnbsp;au secüurs.

— nbsp;nbsp;nbsp;Arrêtcz, chevalier! dit Amadis é I’inconnu,nbsp;qui se disposait fi chatier de nouveau Ie nain.nbsp;Que peut done vous avoir fait une si chetive créa-


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LE CHEVALIER DE LA MER. 45

LE CHEVALIER DE LA MER. 45

ture, pour que vous vous portiez onvers olie è une lelie violence?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Hélasl rien du tout, avoua l’inconnu. Ce quenbsp;j’en ai fait, g’a été pour obéir a cette maligne pii-celle qui me suit, laquelle m a ensorcelée parsesnbsp;beaux yeux, bien qu’elle sorte d’une abbaye. Ellenbsp;vient de me demander la tête de ce iiain, et commenbsp;un courtois chevalier ne sait rien refuser unenbsp;gente pucelle, je me suis mis en devoir de luinbsp;obéir... Par aitisi, ne vous oppose?, plus, je vousnbsp;prie, a ce que j’obéisse jusqu’au bout... Elle veutnbsp;la lète de ce nain, elle l’aura !...

— Cortes, répondit Amadis, ce ne sera pas du moins tant qu’il sera sous ma protection !...

II ne fallut pas, on Ie comprend, d’autre défi pour determiner ces deux chevaliers k courir l’unnbsp;contquot;e l’autre, et l’atteinte fut si violente que tousnbsp;les deux en furent cgalement renversés.

Tons les deux, se relevant, se chargèrenl h coups d’épée avec une égale furie. Mais bientot, surprisnbsp;de la resistance qu'ils s’opposaient Lun a l’autre,nbsp;ce qui n’était pas dans leui s mutuelles habitudes,nbsp;ils suspendirent un moment Ie combat pour senbsp;considérer avec plus d’attention.

— Vaillant chevalier, dit enfin l’inconnu , lais-sez-moi satisfaire Ie caprice de cette nonnain en-diablée qui m’a assez donné de preuves d’aniqur pour que je lui donne cette preuve de reconnaissance!... Laissez-moi prendre la tête de ce miserable nam qui ne vaut certes pas la peine quenbsp;deux chevaliers comme nous s’échauffent èi sonnbsp;propos!...

— nbsp;nbsp;nbsp;Parbleu! répondit Amadis, je vous ai déjènbsp;dit qu’il étail sous ma protection... Et, qu’elle soitnbsp;de peu OU de beaucoup de valeur, sa tête sera res-pectée, ou vous y perdrez la vótrel...

Aprés eet échange de paroles, la lutte re{)rit, ydus terrible et plus dangereuse que jamais, üéj^nbsp;Ie sang de tous les deux s’écoulait par une inliniténbsp;de blessures, lorsqu’un chevalier, attiré par Ienbsp;bruit des coups sonnant sur les armures, arrivanbsp;sur Ie lieu du combat, el s’informa auprès de lanbsp;demoiselle de ce qui l'avait fait nailre.

— nbsp;nbsp;nbsp;Dieu merci! répondit la fausse nonnain, c’estnbsp;moi qui les ai mis en lutte; j’espère bien que tousnbsp;les deux y périront, ou que j’aurai du moins lanbsp;vie de l’un d’eux!

— Qui êtes-vous done, pour former un pareil souhait? demanda Ie chevalier, surpris d’une mé-chauceté si apre.

la niêce d’Arcalaüs, répondit-elle; jetais dans une abbaye, lorsque j’appris par monnbsp;vpn .Anbsp;nbsp;nbsp;nbsp;‘^bpses doiit je lui promis de Ie

laissai enlever du monastère par étonrm ‘'®%'fhevaliers, Ie plus jeune el Ie plus

.....^ nbsp;nbsp;nbsp;corps, mais Ie diable aura

sou aine, car il sappelle Galaor et va tuer son Irere Amadisl...

— Ah! créature perverse! s’écria Ie chevalier indigné. Vit-on jamais une aussi diabolique machination 1... Mais ce sera la dernière que tu feras,nbsp;pucelle impure, nonnain de l'enfcrl...

, 7- Et, en disant ces mots, Ie chevalier lira son epee el décolla d’uii coup rapide la tête de lanbsp;lausse nonnain qui alia tomber entre les deuxnbsp;combattants...

Amadis 1 Amadis 1 cria-t-il ensuite. Amadis,

c’est Galaor, votre frère, que vous avez en face de vous 1

L’effet de cette parole ne se décrit pas. Les deux IVères s’arrêtèrent, leurs épé(fs h'ur tombè-rent des mains, et ils se jetèrent avec empresse-ment dans les bras l’un de l’autre, après avoirnbsp;délacé leurs heaumes.

CHAPIÏRE XXXVI

Comment Galaor, en voulaiit venger un clievalier mort, s’éloigna de son frère Amadis, et de l’aventure amoureusenbsp;qui en fut la suite.

elui qui avail séparé Amadis et Galaor avail nom Balais; il étaitnbsp;seigneur du chateau de Garsantes,nbsp;dont on entrevoyait Ie donjon anbsp;travers les arbres. 11 emmenanbsp;vitement les deux frères en sonnbsp;chateau, oü sou premier soin futnbsp;de faire mettre un appareil ê leursnbsp;blessures, dont, fort heureusement,nbsp;aucune ne se trouva être dangereuse.nbsp;Ge fut alors qu’il leur appril qu’il étaitnbsp;l’un des chevaliers délivrés par Amadisnbsp;des prisons de l’enchanteur Arcalaüs.

Amadis ne pouvant aller lui-rnême en ce moment annoucer au roi Lisvart et ènbsp;la reine Brisène la bonne nouvelle de sa rencontrenbsp;avec Galaor, crut pouvoir envoyer Ie nain en sonnbsp;lieu et place; el Ie nain s’acquitta aussitótde cettenbsp;commission qui combla de joie la cour de lanbsp;Grande-Bretagne oü venaient précisément d’arri-ver Agraies, frère de labile et amant de la bellenbsp;Olinde; et Angriote, parent du roi de Norgales.

Peu de temps après, les blessures des deux frères se trouvant guéries, ou h peu prés, ils quitlèrentnbsp;Ic chateau de Garsantes, suivi de Balais, qui n’avaitnbsp;pu se decider A les laisser parlir seuls.

lis élaient arrivés A un carrefour de la forêt, lorsqu’ils apercureut au pied d’un arbre Ie cadavrenbsp;d’un chevalier dont un tronpon de lance Iraversaitnbsp;la gorge. Galaor, se doutait bien que quelque per-sonne de la ftmille de ce chevalier l’avait exposé IAnbsp;pour animer ceux qui Ie rencontreraient du désir

Galaor revint bienlót au carrefour sans avoir rencontré ame qui vive. Ses compagnons n’y étaientnbsp;pas encore revenus: il les attendit. II ii’était pasnbsp;IA depuis dix minutes qu’il entrevit une gente pucelle qui s’avanpait Ie long des arbres, d’un airnbsp;furlif et effarouché, quoiqu’elle fut suivie de quel-ques varlets.

— nbsp;nbsp;nbsp;Avancez, demoiselle, et n’ayez crainte, luinbsp;dit Galaor de sa voix la plus engageante. Je vousnbsp;jure, si vous vous conliez A moi, de vous prendrenbsp;sous ma garde et protection.

— nbsp;nbsp;nbsp;llélas 1 seigneur chevalier, répondit la gentenbsp;pucelle, A demi rassurée et en lui montrant Ie cadavre du chevalier au pied de l’arbre, ceci est Ienbsp;corps de mon père, Ie malheureux Anthebon!...


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lUBLIOTHEQUE BLEUE.

— J’ea ai entendu maintes fois parler, dit Galaor. G’ctait un vertuoux homilie et ua vaillaiit chevaliec.nbsp;Qui done a coinrais ce crime affreux de vous privernbsp;dun père et la chevalerie de son meiüeur appui?

—G’est Fodieux Palinques, seigneur chevalier!.. Palinques était Ie voisin de mon père... Après avoirnbsp;déshonoré sa vio par mille actions criminelles, ilnbsp;avait rassemblé dans sa forteresse plusieurs misé-rables comme lui, et 1^, depuis un an, ils désho-noraient los tilles les plus nobles qu’ils avaient en-levées aleurs families. La désolation était extréme

aux alentours..... Alors mon père, aidé de

plusieurs seigneurs ses voisins, vint faire Ie siége

de ce repaire et veuger 1'huraanité outragée.....

Hélas! firapunité semble acquise aux monstresl Tons les amis de mon père tombèrent dans lesnbsp;piéges que leur tendit Palinques, lous furent mas-sacrés, et mon père paitagea leur sorll... J’ai faitnbsp;exposer son corps Ift oü vous Ie voyez, dans l’espé-rance d'exciter la pitié et la colère des chevaliersnbsp;er rants...

Ge matin, nous étions venues, mes deuxeousines et moi, apporter comme a notre ordinaire Ie corpsnbsp;de mon père, et nous nous croyions a I’abri desnbsp;insultes de son lècheraeurtrier, lorsque tout-a-coui)nbsp;nous I’avons vu sortir de l’épaisseur de la forét

suivi de deux de ses complices.....J’ai élé assez

heureuse pour me derober a sa poursuite; mais mes malheureuses cousines sont certainement de-venues la proiede ses compagnons...

Pendant tout ce récit de la fille du chevalier Anthebon, Galaor I’avait considérée avec une attention qui s’était aisément changée en enthousiasme. Ses longs voiles noirs, dcchirés par lesnbsp;broussailles de la forêt, faisaient en effet mieuxnbsp;ressortir encore la blancheur de neige du visagenbsp;et du cou de cette gente pucelle; et son jeune coeur,nbsp;qui battait sous saguimpe comme celuid’un oiseletnbsp;sous la main de l’oiseleur, accusait si bien sesnbsp;formes divines, que Galaor, trés Mand de cesnbsp;beautés secrètes, ne pouvait porter sa vue ailleurs.

Gependant, quoiquo déja trèsépris, Galaor jugea que Ie moment était assez mal choisi pour avouernbsp;a la gente pucelle l’effet produit par elle sur sonnbsp;coeur.

— Ordonnez h vos gens, lui dit-il avec courtoisie, derelever Ie corps de ce chevalier, votre père, et permettez-moi de vous reconduire è votre ché-teau; après quoi vous me donnerez un hommenbsp;pour me conduire en vue de la forteresse denbsp;Palinques. Je me charge de venger Ie vertueuxnbsp;Anthebon!...

La jeune fille obéit, non saus remercier d’avancc son libérateur par un regard d’une eloquence tellenbsp;que, pour en mériter un second, il eüt accomplinbsp;1’impossible.

Quand Galaor 1’eut reconduite, il so fit è son tour conduire en vue du chöteau de Palinques, oünbsp;il arriva avant la nuit. Prolitant alors du reste dunbsp;jour, il se rnit ü examiner la forteresse et sesnbsp;almitours, ses tenants et ses aboulissants.

Pendant qu’ii allait et venait, observant tran-1^. place, il remarqua un chasseur, charge de gibier, qui montait au chateau par unnbsp;chemin tournant et entrait dans son enceinte parnbsp;une poterne qu il n avail pas apergue jusqu’alorsnbsp;dans ses investigations.

— Boni se dit Galaor. Get homme vieut de m’indiquer ce que j’ai è faireI...

Dès que la nuit fut venue, il suivit Ie chemin tournant qu’il avait vu prendre par Ie chasseur, etnbsp;se tapit dans une anfractuosité de ce senlier, horsnbsp;de vue, de la poterne, attendant quo quelqu’unnbsp;sortit du chateau par cette issue, la seule aborda-ble. II attendit ainsi toute la nuit.

Au lever du soleil, Palinques, inquiet de l’absence prolongée de ses deux compagnons de la veille,nbsp;fit sortir par la poterne quelques gens d’armesnbsp;pour aller è la découverte.

Galaor, au premier bi uit, s’était relevé, 1’épée amp; la main. La poterne ouverte, il y courut, terrassanbsp;les soudards qui se disposaient a sortir, et se frayanbsp;un passage dans l’inlérieur du chateau, malgré lesnbsp;efforts des autres satellites de Palinques, lesquels ilnbsp;terrassa comme il avait terrassé les piemiers. G’estnbsp;ainsi qu’il arriva üla chambre du meurtrier d’Anthebon.

— Trailre 1 lui cria-t-il d’une voix terrible, mon épée serail souillée si je la trernpais dans Ie sangnbsp;d’un lache tel que toil...

En disant cela, Ie vaillant Galaor se jeta sur Palinques, l’élreignit de ses bras vigoureux, l’enleva el l’alla jeter dans Ie torrent dont la forteresse élailnbsp;entourée. Puis il descendit dans les souterrains, senbsp;fit ouvrir les portes des cachots et rail dehors tousnbsp;les malheureux qui s’y trouvaient.

Parmi ces derniors, il y en eut un qui courut sur-le-champ au chéteau d’Anihebon annoncer sanbsp;délivrance et raconter par qui olie avait été opérèe.nbsp;Aussitót la gente pucelle, suivie de quelques parentes et de ses serviteurs, se rendit toute joyeusonbsp;au devant du vainqueur de Palinques, pour lequelnbsp;elle avait ardemment prié Dieu toute la nuit.

Galaor fut amené en Iriomnhe dans Ie chateau dont il avait vengé Ie maltrc. Un serviteur Ie sui-vait, portant au bout d’un épicu, comme on faitnbsp;d’une tête de béte fauve, la tètc du féroce Palin-(pjes, laquelle fut posée comme un trophée auxnbsp;pieds du cercueil du vertueux Anthebon.

Le frère d’Amadis, animé par l’éclatante victoire qu’il venait de remporter, n’en parut que plus beaunbsp;lorsqu’il eut délacé son heaume, et chacun fut sur-l)ris de trouver un héros sous le visage d un adolescent.

11 s’approchait courtoisement de la gente demoiselle qu’il venait de venger, et il s’apprêtait a lui baiser la main, lorsqu’emportée par la reconnaissance, et peut-être aussi par un scntimenl plusnbsp;tendre, elle attira son beau visage cf.nlic le sien etnbsp;1'embrassa è plusieurs reprises. Galaor lui rendit,nbsp;sans marchander, ces lendres caresses, les premières qu’eile donnait et recevait.

Get échange de baisers en ainena naturellemeut un autre, non pas sur le moment, mais le lendo-main et les jours suivants. Ge n’est pas pour riennbsp;que deux belles et fraiches bouches se joignent 1

A quinze ans, 1’innocente et pudique Anthebon ignorait qu’il y eüt danger ü rester seule pendantnbsp;de longues heures avec un chevalier encore dansnbsp;l’adolescence, et qu’elle trouvait assez beau puurnbsp;pouvoir le regarder comme une do ses compagnes.nbsp;llétaitsidoux, sicaressantetsirespectueuxl Aussi,nbsp;dès lendemain, ne craignit-elle point de se trouver


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LE chevalier de LA MER. 47

LE chevalier de LA MER. 47

plus

seule avec lui el de parcourir, mollement appiiyóe sur son bras, uu jardin d’ombrapes mystérieux.

Au bout de quelques tours de promenades, ils s’arrèlèrent d’un coiuniun accord sous un dome denbsp;feuillage formé par rentrecoisement de plusieursnbsp;arbrisseaux. L’lierbe croissait bi épaisse et drue, etnbsp;formait coinmc un siége naturel, invitant au repos.nbsp;Les deux jeunes geus s’y assirent, sans sonnernbsp;mot. Leurs coeurs seuls parlaient, et assez haul,nbsp;puisqu’on les entendait battre.

Pendant qu’ils étaient b'i, immobiles et mucts, regardant vaguement devant eux pour fuir Ie perilnbsp;de leurs mutuels regards, deux oiseaux vinrenl senbsp;poser sur une ramure voisitie et commencèreut cenbsp;manége amoureux, si plein de grace et de coquet-terie, qu’on leur connait. D’abord, Ie regard de lanbsp;gento pucelle, un peu elïarouché, voulut fuir conbsp;spectacle contagieux, et, pour Ie fuir, se tourna dunbsp;cóté de Galaor, dont Ic regard avail pris la mêraenbsp;direction.

— nbsp;nbsp;nbsp;llss’aimentl murmura Ie beau chevalier ennbsp;soupirant. Ils sont heureuxl

— Que vous manque-t-il done pour l’être, chevalier? deraanda la jeune lille en baissant inyolon-tairement les yeux, de peur de lire une réponse trop expressive dans ceux de son compagnon.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ce qui rne raanque? répéta Galaor en entou-rant de sm bras Irernblaut Ie corsage de la gentenbsp;pucelle, de facon a sentir son ceeur de quinze ansnbsp;palpiter sous sa main. Ce qui me raanque? Ahl sinbsp;j’étais oiseau, rien nememanquerait a cette heurol

La jeune fllle ne répondit rien, mais elle n’op-posa aucuiie resistance au bras de son nudacieux compagnon qui cherchait a l’attirer petit h petitnbsp;sous ses baisers. Bientót mêrae, cédanl a la mapionbsp;de ce contact viril qu’elle subissait pour la premierenbsp;fois desa vie, elle s’abandonna tout-fi-fait, et ii luinbsp;sembla, en ce moment, que les deux oiseaux, leursnbsp;voisins, chantaieut plus tendrement encore, commenbsp;pour I’inviter a chanter comme eux. Elio se fitnbsp;oiselle et Galaor se lit oiseau...

Au bout de quelques heures, les deux jeunes gens sortaient de cette retraite orabreuse, ou ilsnbsp;ayaient ccouté avec tant de plaisir la voix des licen-cieux rossignols.

— Ilelas! dit la jeune fille a Galaor, en lui servant tendrement la main, peut-être vais-je vous perdrenbsp;bientoll... Vous m’oublierez, tandis que le souve-

mr de ce moment sera roccuuation etcrnelle do niaviel...

Galaor voulut la rassurer par de nouvelles caresses...

mêmes caresses qui me font •.Qi.ija murmura tendrement sa belle et amou-e compagne. Je ne piiux penser, sans tristesse,nbsp;que vous les prodiguerez peut-èlrebientótcid’autresnbsp;quémoi!...

— nbsp;nbsp;nbsp;Nou, belle et tendre amie, répondit Galaor,nbsp;je vous airaerai toujoursl...

Galaor étaitde bonne foi, k ce momenl-lS, comme la plupart des amoureux. L’Amour qui le connais-sait mieux qu’il ne seconiiaissaitlui-mème, écoutaitnbsp;on riant ses serments; mais il lui permit de lesnbsp;repeter bien souvent encore pendant les trois joursnbsp;qu il s’arrèta au chateau d’Antbebon.

Ge ne fut pas sans regret qu’au bout de ces trois jours Galaor apprit l’arrivée d’Amadis et de Balaisnbsp;de Carsantes, avec les deux cousines qu’ils avaientnbsp;rencontroes dans la forêtet délivrées des mains desnbsp;complicesdePalinques;lesquelles cousines n’avaientnbsp;pas d’aussi bonnes raisons de regretter leurs chevaliers que celle dont Galaor était forcé de senbsp;séparer.

GHAPITRE XXXVII

ComTnent Galaor, Amadis et Balais quittèreiit le chateau d’Anthebon, le premier avec regret, le second avec plaisir,nbsp;et ie troisième avec indifférerice.

Amadis, qui n’avait pas les mêmes raisons que son frère de rester au chateau d’Anthebon, pressanbsp;le depart le plus qu’il put, et, quelques jours après,nbsp;Galaor, Balais et lui, arrivèrent a la cour du roinbsp;Lisvart.

Ou devine I’accueil qui fut fait au preux des preux et a ses compagnons. On devine rémoliohnbsp;qui s’erapara d’Araadis et d’Oriaiie lorsqu’ils senbsp;revirent

— nbsp;nbsp;nbsp;Ce chevalier, madame, dit Amadis it la reine,nbsp;en lui présentantson frère Galaor, désire partagernbsp;avec moi fhoiineur de vous servir.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ah! madame, dit it son tour le roi eu s’empa-rant du bras droit de Galaor, je compte trop surnbsp;votre justice et sur voire amitié pour craindre quenbsp;V0U3 me fassiez le tort de I’accepter... Quo vousnbsp;reste-t-il it desircr, quand vous avez Amadis pournbsp;chevalier? Ne m’otez pas la gloire et le bonheurnbsp;d’acquérir Galaor pour le mien...

Durant ces propos, Orianc, Olinde et Mabile s’étaient écartées pour deviser entre elles. Elios au-raient bien voulu pouvoir deviser avec Amadis;nbsp;mais comment faire? Amadis était dans le cercle denbsp;la reine, avec Galaor et son cousin Agraies, et ilnbsp;racontait quelques-unes de ses aventures. Lors,nbsp;Blabile, en fille avisée, devina bien qu’en attirantnbsp;a elle son frère Agraies, Amadis, son atm, in sui-vrait, ce qui arriva. Oliiide et Oriane pureul enfmnbsp;contempler amp; leur aise leurs amants.

— nbsp;nbsp;nbsp;Quoique je sois it présent entre les quatre

personnes que j’aimele mieux au monde, ditbientot Mabile en riant, il faut que je les quitte uii moment..... J’espère qu’elles me pardonneront dit les

laisser ensemble...

Agraies et Olinde, Amadis et Oriane restèrent done seuls. Une fois reunis, ils ne songèrent plusnbsp;qu’au plaisir qui naissait de leur reunion, sausnbsp;vouloir s’occuper d’autre chose; si bien que, quoi-que a quelques pas les uns des autres ces quatrenbsp;amants n’eurent d’oreilles que pour ce qui lesnbsp;concernait personnelleraeiit. Olinde et Agraie.snbsp;causaient d'un cóté, Amadis et Oriane devisaii nt donbsp;I'anlre.

_Ahl cher Amadis! murmura tendrement la

fille du roi Lisvart, que le perfide Arcalaüs m’a fait vevser de larrnesl Sans votre aimable cousinenbsp;Mabile, qui ra’assurait que vous viviez encore pournbsp;m’aimer encore, depuis longtemps je ne vivraisnbsp;— Ahl chère Oriane! murmura Amadis, si votre


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BIBLIOÏHÈQUË BLEUE

divine image n’avait pas été sans cesse présente raon souvenir et è mon cceur, je serais mort, moinbsp;aussil... Mais, hélas! que me scrt de vous revoir?nbsp;et ne vais-je pas mourir chaque jour de mille morts,nbsp;en me voyant toujours aussi loin de la seule espé-rance qui puisse me rendre la vie plaisante?

— Ah ! mon ami, réponditOriaue, les joues bril-lantes de ce feu dont l’amour se sert pour embellir la jeunesse, Ie temps de notre reunion definitive,nbsp;c’est-èi-dire de notre bonheur, ne sera peut-ètrenbsp;pas si éloigné que vous Ie croyez... Je sens que je

ne peux plus vivre, moi aussi, sans m’assurer de votre amour par Ie don mutuel de noire foi... Oui,nbsp;doux arni, je me sens capable de tout braver, jus-qu’a la colère du roi mon père, pour trouver l’oc-casion de recevoir vos serrnents et volre mainl.....

Et en disant cela, Oriane pressa doucement, du bout de son joli pied, Ie pied d’Amadis, qui ennbsp;tressaillit d’aise et répondit amp; cette agréable pres-sion par une autre.

A partir de ce jour-lè, Arnadis et Oriane passè-rent de bien douces heures.


Mik


»¦ iHBp. de BflY alrjé, boalcvart WuBt(;arnesse, Oi.

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LE BEAU TENÉBREUX

CEIAPITRE PREMIER

Comment Amadis cl Galaor 1'urent rcquis dc vcnir au sc-cours d’unc dame , cl comment ils en furonl récom-pensés.

Vindisilore, qu’habitait la familie royale, fut bicntot abaudonné, Ie lomps ctant arrivé oü lanbsp;cour de Lisvart dcvait aller babiter Londres pournbsp;s’occuper d’objets plus séricux que des fêles, Lenbsp;retour s’effectua done, et bicntot les bords de lanbsp;Tamise furent couverts de tentes brillantes.

Les pavilions dressés pour le roi, la reine, les princesses et leur suite, avaient unc grande enceinte enrichie d’arbustes, de parterres, de fleursnbsp;et do fruits. Les jardiniers s’aperQurent bientótnbsp;lU’Ainadis y cueillait souvent des guirlandes pournbsp;Oriane, et ils se plaignirent a plusieurs reprisesnbsp;des degats qu’y commettait le volage Galaor avecnbsp;ses airaables cousines. Des illuminations, des fèlesnbsp;sur la ïainise, des carrousels, furent le préludenbsp;des tournois 'et des banquets royaux qui devaientnbsp;leur succeder.

Pcude jours après le retour de Vindisilore, plusieurs seigneurs des pays voisins se firent annon-ccr i la cour de Lisvart; entre autres, Barsinan, seigneur de Sansuègne, lequel venait la commenbsp;outil du traltrc Arcalaüs, qui lui avail promisnbsp;Oriane et le royaume de la Grande-Bretagne...

Le lendetnain, au moment oü toiite la jeunesse SC rasserablait autour des tentes royales avec eet airnbsp;, riant et animé que donne l’attente du plaisir, on vil

Série. — 1


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BIBLTOTHEQUE BLEUE.

arriver une dame, couvertc de longs vêlements do deuil, qui se jeta incontinent aux pieds du roi onnbsp;lui demandant justice.

— Qu’est-cc done, madame? lui demanda Lis-vart en la relevant avec bonté.

— Sire, répondit-olle, une dame de mon voisi-nagc avait pour chevalier un jeune homme plein d’arrogance, qui, plusieurs fois, avait outrage donbsp;paroles mon oncle et mon père. II fut appelé aunbsp;combat par eux, et il pérdit la vie... Sa maitresse,nbsp;qui est d’un lignage supérieur au mien, a fait ar-rêlcr, a cause de cela, mon oncle et mon pèrenbsp;qu’elle retient dans une odieuse prison... Tout ccnbsp;que j’ai pu obtenir d’elle a été ccci : elle me lesnbsp;rendra, si vous permettez que votre chevalier otnbsp;celui de la reine viennentlui demandcr leur grace,nbsp;et si vous lui nommez un chevalier en remplacement de celui qu’elle a perdu...

A ces mots, la dame en deuil quitta les genoux du roi pour se jeter aux genoux de la reine, a quinbsp;elle répóta la mème prière en redoublant scs sau-glots, ct on levant ses yeux pleins de larmes versnbsp;la belle Oriane, comrae pour provoquer sa pitié.

Lc roi, consultant la reine du regard, rópondit qu’il ne s’opposorait point a la bonne volonté desnbsp;deux chevaliers s’ils voulaient libreinent la suivre.

Cela intéressait Amadis et Galaor. Cc dernier nc demandait pas raieux que d’etre Ie chevalier de lanbsp;dame on question, pourvu qu’elle fut jeune ctnbsp;belle. Quant a Amadis, il ne voulait pas s’éloignernbsp;de sa chore üriaiic saus sou autorisation. Orianenbsp;lui fit un signc qu’il comprit : il offrit sur-le-champ a la dame en deuil de la suivre.

— Partons, madame, dit Galaor qui airaait trop son frère pour 1’abandonner un seul instant, partons .' car je brüle, pour ma part, dc dégager votrenbsp;parole et de reveuir promptcnicnt prendre part auxnbsp;letcs que vous nous obligcz de quitter...

La dame en deuil, s'atisfaite d’avoir obtenu ce qu’clle demandait, fit son rcmcrcicmcnt ct se re-tira, suivie d’Amadis ot dc Galaor.

Tout Ie roste du jour fut employé ii inarclier. A la nuit fermée, ils arrivèrent è dc riches pavilionsnbsp;que la dame en deuil leur dit avoir fait dressor pournbsp;les recevoir, ayant toujours ospéréde leur généro-sitc qu’iis ne lui refuseraient pas leur concours.nbsp;Quclques minutes aprés, ils desoendaient de chc-val ct ils ctaient entourés par un grand nombrenbsp;d’écuyers, dc varlets ct de jeunes demoiselles, quenbsp;Galaor trouvait trés appétissantes, et ([ui s’cmprcs-saient a les désarmcr et é les servir.

On soupa. II y eut mets et vins a foison. Vers la fin du repas, vingt hommes armés de pied cn caj)nbsp;entrèrent brusquement sous les pavilions oü rnan-geaient et buvaient tranquillcment Amadis ct Galaor, ct ils leur crièrent d’unc voix terrible :

— Rendez-vous, ou vous êtes morts!

_— Nous nc nous rendons jamais a des traitres! répondirent les deux frères en se levant ct cn senbsp;precipitant sur les premiers hommes pour s’ein-parer dc leurs épées. Mais, malgré leur héroïsme,nbsp;lis eussent été massacres, étant^ a jicine vêtus, sinbsp;1 ordrc exprès n'avait été donné aux vingt hommesnbsp;d armos dc ne les point frapper.

Une dame jeune ct belle parut alors.

Rendez-vous, leur cria-t-ellc, nc me forccz point a vous faire donner la mort!...

— nbsp;nbsp;nbsp;Par saint Denis! dit Galaor h son frère, cettenbsp;dame est trop belle pour être cruclle... Je consensnbsp;volontiersh être son prisonnier, pourvu qu’elle menbsp;garde longtemps dans scs bras... Qu’en dites-vous,nbsp;mon frère^? Nc vous convient-il pas de lui donnernbsp;notre parole?

— nbsp;nbsp;nbsp;J’y consens comme vous, mon frère, répon-dit Amadis, quoique i regret. Madame, ajouta-t-il,nbsp;nous nous rendons a vous, comme vos prisonniers.

GIIAPITRE II

Comment Amadis ct Galaor, lonibês au pouvoirdelacoiisinc do Dardan, sortirent dc sos mains.

adasimeétaitlcnom do cette jeune damenbsp;qui venaitainsi d’in-tervenir. Elle étaitnbsp;la cousine dc Dardan, ct comme ellenbsp;savaitque sonmeur-trier appartenait ènbsp;la cour du roi Lis-vart, elle avait voulu scvenger, ct, ennbsp;consequence, elle avait envoyé lanbsp;dame cn deuil que 1’on connait main-tenant. Mais elle ignorait encore Ienbsp;nom de scs deux prisonniers. II luinbsp;suffisait d’avoir fait cnlcver, sous lesnbsp;yeux du roi, deux dc scs chevaliersnbsp;qu’cllc destinait a une prison perpé-tuclle.

Après avoir annoncé aux deux frères Ie sort ([ui les attendait, elle voulut lesnbsp;faire charger do chaioes; mais Amadis et Galaor luinbsp;dcclarèrent qu’ils préféraient la mort a rignominienbsp;d'etre touchés par des soudards.

— Ge n’cst que de votre main, madame, dit cour-toisement Galaor, que nous pouvons recevoir des chaines!...

A ces mots, il remit ses mains dans les blanches mains dc Madasime, cn la regardant avec des yeuxnbsp;si expressie qu’ellc se troubla ct que, prêtc a lesnbsp;serrer, elle se contenta dc les attacher légèrementnbsp;avec un ruban dc ses cheveux. Amadis, è son tour,nbsp;vint lui présenter les siennes, ct il regutle mêmcnbsp;traitement que son frère.

Madasime s’étant éloignée un moment pour donner quclques ordres, la dame cu deuil qui avait amené les deux frères en prolita pour s’approchcr.nbsp;Son père, vieil et loyal chevalier, avail recoununbsp;Amadis et Galaor ct il lui avait fait les reprochesnbsp;les plus apres d’avoir trempé dans une si noirenbsp;trahison qui pouvait priver la Grandc-Bretagne denbsp;scs deux plus vaillants chevaliers. Lors, pour répa-rcr cette fautc, cite était venue pour avertir Amadis qu’il obtiendrait facilemeut sa liberté de Madasime, a la condition assez douce dc la servir commenbsp;chevalier et comme amant.

L’amantd’Orianc aurait pu acccjiler la première partic de la condition; mais la secon lc lui fit horreur, et il la repoussa comme il convenait. Maisnbsp;Galaor, qui n’ctait engage nullc part ct qui ne


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LE BEAU-TENEBREUX. 3

demandait fi l’amour que les emotions passa gères qu’il accorde si facilement, et non les emotions pro-fondes qui durent vie d’homme, Galaor ne balanganbsp;pas h accepter cette seconde par tie de la condition.

— Qu’il est doux, madame, de vous être soumis I dit-il a Madasime lorsqu’elle reparut. Ce faiblc ru-ban, un seul de vos regards suffisent pour cnchai-ner a jamais un cceur tendre... Mais, belas! quenbsp;peuvent done espérer de malhcurcux chevaliersnbsp;que, jusqu’è ce moment, vous avez l’air de regar-der comme vos ennemis?...

— nbsp;nbsp;nbsp;II lie liendrait qu’fi vous de cesser bientót denbsp;Tètre, rèpondit Madasime; mais je vous crois tropnbsp;attachés è l’injustc Lisvart pour ne pas craindre denbsp;vous voir bientót les arraes a la main pour l’aidernbsp;k me déposséder...

— nbsp;nbsp;nbsp;Ahl madame, reprit Galaor, quoique chevaliers de Ia cour duroi Lisvart, nous nc sommes pasnbsp;a sa solde et nous ne prêtcrons jamais notre brasnbsp;ó l’injustice.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ge n’en est point assez, rópliqua Madasimenbsp;que Galaor continuait a regarder avec ses jeux ar-dents d’amour. Non, vous ne serezlibrcs tous deuxnbsp;que lorsque vous ra’aurez juré de me secourir con-tre Lisvart lui-mème, s’il m’attaquc et si je vousnbsp;rappelle auprès de moi...

Amadis eut bien de la peine i se résoudre a prêter ce serment contre Ie père d’Oriane, maisnbsp;enfin il s’y déekla dans la craintc d’etre trop Ionp-temps séparé de sa mie par une odieuse captivite.

Quant a Galaor, il prêla Ie sien avec tant d’en-thousiasme, il baisa si tendrement les belles mains qui dénouaient lentement Ie rnban qui relcnait lesnbsp;siennes attacbces, cpie Madasime finit par abandoa-ner tont projet de vengeance pour so livrer toutnbsp;entière a un sentiment qui venait d’envahir sonnbsp;ame.

II était tard. Madasime flt rendre aux deux frères leurs arraes et leurschevaux, et, saüsfaitedes’êtrenbsp;assure leur concours, Ie cas échéant, ello montanbsp;sur une haquenée et les conduisit ellc-mcme aunbsp;chateau d’unc dame de son lignagc, pour y passernbsp;la uuit.

Getto dame rcQut les nouveaux arrivants avec au-tant de grace quo de magniücence. Ello féliciti Ma-dasirae sur l’acquisition qu’elle venait de faire de deux chevaliers qui, ayant dclacé leurs heaumes,nbsp;lui parurent charmants.

Lo souper fut cc qu’il devait être, abondant el cnoisi. Mets et vins 1'urent servis é foison; si bicunbsp;que te couir de Galaor fut compléteraent incendié,nbsp;ainsi que celui de Madasime.

Ho nbsp;nbsp;nbsp;^^'^jl'sjcuait do rcnouveler Ie serment

'quot;is '¦gt;

J)lo a cote d olie, s ccria vivemcnt •

— Nonl^ ce nest point assez 'd’un seul voeu. l uissent s accomphi tous ceux que je fais nournbsp;elle!...nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;‘

Et, en disant cela, Galaor chorchait, Irouvait et pressait doucement un petit pied qu’on ne rctiranbsp;pas. Un regard charmant, accompagné d’uii ado-cable sourne et d’uno roirgeur significative, furonlnbsp;la réponsc au voeu particulier quo veuait de formernbsp;1 amoureux chevalier.

Quant a Amadis, distrait par Ie souvenir incessant de l’incomparalfie Oriane, il ue songea pas un seul instant !j oiïrir a la dame du chateau autre

chose que son bras et son épée, c’est-è-dire les deux seules choscs dont ello n’eüt pas besoin pour Ienbsp;présent. Aussi, piquée de l’indifférence d’Amadis,nbsp;et peut être jalouse de ce qu’elle prévoyait pournbsp;Madasime, feignit-il d’etre indisposée et d’avoir besoin de repos.

Ge fut Ie signal de la retraite générale. Amadis et Galaor se retirèreiit dans la charabre qui leur étaitnbsp;destince, et Madasime alia coucher seule dans unenbsp;autre chambre située au bout d’un long corridor.nbsp;Bientót, Ie silence se fit dans Ie chateau ; chacunnbsp;dormait ou essayait do dorrair. Seuleraent, vers Ienbsp;milieu de la nuit, Amadis, en se révcillant, s’aper-Cut que sou frère n’était pas la. II l’appela : on nenbsp;rèpondit pas. Etonné d’abord, il allait se lever pournbsp;savoir ce que cela sigiiifiait; mais, après avoir ré-fléchi un instant, il se mit a sourire et il se rendor-mit en songeant a Oriane.

Aux premières clartés de l’aube, comme Amadis craignait que leurs hótesses rie cherchassent quel-que prétexte pour l’arrêtcr plus longtemps auprèsnbsp;d’elles, ainsi que sou frère, il s’arma cl descenditnbsp;dans la cour, oü il fit préparer les chevaux. Galaor Ic rejoigiiit. Ils reprirent Ie chemiii de Loiidrcs.

GAAPITRE III.

Comment un chevalier ü Ia barbe fleurie-blancbo s'cn vint un malin réclamer du roi l.isvart un dépot qu’il lui avaitnbsp;confic, et, nc Ie rctrouvant pas, emporta Oriane commenbsp;otage.

Le leudemain du jour oü Amadis et Galaor quit-taient la cour du roi Lisvart, un vieux chevalier y arrivait.

Deux raois auparavant, ce vieux chcvelier avait apportc au roi, dans uu coffre de bois de santal,nbsp;une couronne d’or enrichie dc pierreries, et, a lanbsp;reine, un riclie ct précieux inanleau oriental. Onnbsp;avait voulu le payer, quoique ce fut Ut un présentnbsp;inappreciable, mais il avait declare qu'il revien-drait au bout dc deux mois, soit pour rcprcniirenbsp;la couronne et Ic inanteau, soit pour en recevoirnbsp;le prix qu’il fixerait lui-mêrac. Le roi ct la reinenbsp;avaient consenti.

Or les deux mois étaient ccoules ct le chevalier a labarbe fleurie-blanche revenait. Hclas 1 couronnenbsp;et maiiteau avaient préciséraent été enlevés la veillenbsp;par une main raystérieuso, sans que les recherchesnbsp;les plus actives eussent pu mettre sur la trace dunbsp;ravisseur ; ce dont la reine et le roi, d’abord affli-gés, s’étaiciit consolés en pensant qu’ils étaient assez riches pour en fournir le prix qu’on leur de-raandcrait.

— Sire, ditle vieux chevalier en venant se jeter aux pieds dc Lisvart, je m’étonne que, dans cesnbsp;graiids jours de fête, vous aycz dédaigné de porternbsp;la couronne brillante que j’avais déposéc entre vosnbsp;mains... Et vous, iiiadaine, ajouta-Gil en se tour-naiit vers Brisène, comment se fait-il que vous nenbsp;soyez jias paree du plus beau inanteau que jamaisnbsp;reine puissc porter?

Le roi et la reine, embarrassés, baissèrent les yciix sans rien répondre.

—• Que signifie ce silence? reprit le vieux che-*


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BIRLIOTHEQUE BLEUE.

valier effrayé. Ah 1 Sire, ma tèt edépend de ces deux riches joyaux ; il faut que je parle, que je lesnbsp;rende ou que j’en rapporto Ie prix!... Et ce prixnbsp;sera peut-être tel, que vous refuserez de me Ienbsp;donner, malgré la parole royale que j’ai recuo denbsp;vous...

— nbsp;nbsp;nbsp;Ne craignez rien, chevalier, répondit Lisvart.nbsp;J’atteste Ie ciel que je perdrais plutöt ma couronnenbsp;et ma vie que de manquer a la parole que je vousnbsp;ai donnéel... Dites done hardiment quel prix vousnbsp;exigez de la couronne et du manteau qu’il n’estnbsp;plus en raon pouvoir de vous remettrel...

Pendant cette espècede débat, une grande parlie de la cour s’était rassemblée autour de Lisvart etnbsp;du chevalier amp; la barbe blanche. Ce dernier, bai-sant les pieds du roi, avec Pair de la plus grandenbsp;reconnaissance, lui dit;

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, je ne parlerai point que je n’aie parolenbsp;que personne de votre cour ne mettra d’obstacle hnbsp;l’elfet de celle que vous m’avez donnée...

Le roi lit alors publier hautement que personne n’eüt a s’opposer a tout ce qu’il était oblige, parnbsp;son sermeiit, d’accorder au chevalier a la barbenbsp;fleurie-blanche.

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, poursuivit ce dernier en pleurant, puis-quo le sort-a voulu que vous ayez perdu la couronne el le manteau que j’avais mis. en depót entrenbsp;VOS mains, il faut que vous me remettiez votre fillenbsp;ainee, la princesee Oriane, ou que je perde la têtenbsp;et que vous manquiez k votre parole...

A cette conclusion inaltendue, la reine et la cour avec ellc élevèrent un cri de surprise et d’indigna-lion. Le roi, appuyant sa main sur ses yeux, restanbsp;dans la consternation et dans le silence...

— Quelle reponse, Sire, recevrai-jc do vous? reprit le vieux chevalier d’une voix ferrne et ennbsp;relevant fièreraent la tête, malgré les mineurs me-nagantes de la cour. Votre réputation et ma lêtonbsp;en dependent...

— Ma réponse n’est pas douteuse, répondit Lis vart, faisant un violent effort sur lui-même pournbsp;dissirauler sa suprème douleur. Prends Oriane,nbsp;barbare, prends rnon bien Ic pluscher, après l’hon-neur! Ah 1 que ne m’as-tu plutót demandé la vie?.

La reine, en entendant cette réponse, jeta un cri et s’évanouit; on l’eraporta.

Alors le roi so rendit chez Oriane, suivi du vieux chevalier.

— Ahl ma fille, s’écria-Lil en la serrant avec passion dans ses bras tremblants, et en versant unnbsp;torrent de larmes, que puis-je, hélas! si ce n’estnbsp;de tenirma promesse et d’en mourir de douleur?...

— Ah! ma miel ma mie! s’écria ó son tour Ma-bile en se jetant au cou d’Oriane, on veut vous en-lever è notre amiiié!... Mais on m’arrachera plu tót la viel...

— Ah! cher Amadis 1 murmura Oriane en tom-bant sans connaissance aux pieds de son père.

— Prends ta victime! reprit cc dernier d’unc voix désespérée. Prends ta victime! Mais permetsnbsp;au moins, pour rendre moins apre sa séparationnbsp;d’avec nous, que cette demoiselle, son ainic, l’ac-oorapagne...

Jy consens, répondit le vieillard; de plus, elle sera cscortée par deux chevaliers et deuxnbsp;ccuyers.

Quelquos instanls après, Oriane et la demoiselle de Danemark quittaient la cour attristée.

Blabile, atterrée d’abord de co départ, revint bientèt a elle, et, apercevant Ardan, le nain d’A-madis, monté sur un bon coureur ;

— Cours vers ton raalheureux maitre, lui cria-t-elle. Fais tout au monde pour le trouvcrl Ap-prends-lui qu’on enlève Oriane! Lui seul peut la secourirl...

Le fidéle Ardan, h ces mots, enfonca ses éperons dans les flancs de son cheval et te lanqa sur le che-min qu’il savait devoir être pris par Amadis et parnbsp;Galaor. Pendant ce temps, eeux qui s’étaient cm-parés d’Oriane marchèrent en diligence et s’enfonnbsp;cèrent dans les profondeurs de la forét.

CHAPIÏRE IV.

Comment une perfide demoiselle, abusant de la géuérosild du roi Lisvart, le lit combaltrc centre Ie cousin du traitrenbsp;Arcalaüs, et comment ce malheureux prince fut emmenénbsp;prisonnicr par les ravisseurs de sa Alle Oriane.

ons les chevaliers de la cour du roi Lisvart n’avaient pu appren-dre l’enlèvement de I’incompa-rable Oriane, sans en êlre in-dignés et sans essaycr de s'ynbsp;opposer. Par ainsi, beaucoupnbsp;d’entre eux s’étaient armés a lanbsp;hate et s’étaient lancés sur lesnbsp;traces des fugitifs.

Le roi Lisvart, k son tour, roide dans ses serraents et dans leur par-faite exécution, en apprenant le départ de ses mcilleurs chevaliers et lanbsp;raison de ce départ, voulut s’y opposer, dans l’intérêt de son honneur etnbsp;desa loyautó. II partit a Ia hale, comme eux, maisnbsp;sans prendre d’armes.

Comme il chevauchait, l’ame mélancolieusc, le coeur plein d’aprp soucis, il vit venir h lui, sur lanbsp;lisiére de la forêt, une demoiselle qu’il reconnutnbsp;pour ctre celle k laquelle il avail promis un donnbsp;quelque temps avant sen départ de Vindisilore.

Ellc portait a son cou un écu d’acicr poli, avec une riche épée, et tenait en sa main une lanconbsp;dorée.

— Sire, dit-olle ii Lisvart, je viens voir si vous savez exécuter d’aussi bon ceeur vos promesses,nbsp;que vous avez l’air de les faire...

— Ah 1 répondit le roi navré, quel temps pre-nez vous, grands dieux 1 pour me demander de les ac-complirl N’importcl je veux que vous soyez sürcnbsp;que mon courage et ma fidélité a ma parole sontnbsp;au-dessus de roes malheurs... Parlez done : qu’cxi-gez-vous (le moi ?

— Sire, un barbare cbatelain a massacre mon père qui s’opposait a l’outrage qu’il me voulaitnbsp;faire... Depuis ce temps, il roste impuni, Arcalaüsnbsp;son i)arent lui ayant assuré qu’il ne pouvait périrnbsp;de la main d’aucun chevalier, k moins que le plusnbsp;vertueux d’entre ceux de la Grande-Bretagne nenbsp;le frappe de cette lance ou de cette épée que je luinbsp;ai dcrobécs et que je remets entre vos loyalesnbsp;mains... 11 ignore que ces armes ne sont plus en sa


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LE BEAU-TENEBRETJX

possession, et, sur de rimpunité,ü se promène souvent dans cette forêt, pour braver les chevaliers que j’engagerais venger mon père... Tout hnbsp;rheure, je l’ai aper^u a peu de distance d’ici, etnbsp;si vous vouUez me suivre, nous Ie rencontrerionsnbsp;aisément...

— Conduisez-moi, réponditleroi, qui portait un vaillant coeur, en s’emparant des armes de Ia demoiselle.

Gelle-ci ne se Ie fit pas dire deux fois. Elle mar-cha devant lui et Ie conduisit dans Ie chemin que venaient de prendre préeisémeut les ravisseursnbsp;d’Oriane. A peine eurent-ils fait cinq cents pas,nbsp;qu’ils aperQurent un chevalier couvert d’arinesnbsp;vertes.

— Sire, voila Ie meurtrier de mon pèrel s'écria la demoiselle en simulant l’effroi.

Lisvart dèfia Ie chevalier aux armes vertes, et, incontinent, s’élanga sur lui, la lance en arrêt, la-quelle, a son grand ébahissement, se brisa commenbsp;verre jusqu’i Ia poignée en Ie touchant. Son ébahissement redoubla lorsqu’ayant tiré l’épée, il lanbsp;vit se briser, comme la lance, au premier coupnbsp;qu’il porta h son ennerai. On Tavait trahi 1

Lisvart ne savait pas reculer. Quoique désarmé, il pouvait lutter encore. Lors, il saisit son ennerai

Kar Ie miheu du corps et I’cnleva de sa selle. Mal-eureusement Tautre l’enlraina dans sa chute.

— Aecourez, accourez 1 seigneur Arcalaüs, cria alors la perfide demoiselle. Accourcz ou votre cousin est mort.

Arcalaüs, qui ródait dans les alentours, fondit comme un vautour sur Ie lieu du combat, suivinbsp;d’une dizaine de soudards ii ses ordres. Le roinbsp;Lisvart regut un coup de lance, puis on le couvritnbsp;de chaines, on l’attacha solidement sur un chevalnbsp;et on l’enleva.

— Gonduisez ce mediant roi dans mes prisons de Daguanel, dit Arcalaüs a la moitié de sa suite;nbsp;moi, je vais conduire la belle Orianc dans monnbsp;chateau du Mont-Aldin 1 Et vous, ajoiita-t-il ennbsp;s’adressant li 1’un de ses satellites, courez h Lon-dres, oü setrouveBarsinan, etdites-lui quejetiensnbsp;ünane et Lisvart en ma puissance, et qu’il estnbsp;temps qu’il agisse pour 1’exécution du projet quenbsp;nous avons arrêté.

Puis ces misérables s’éloignèrent, et la forêt re-jpnt son silence accoiitumé qui ne fut trouble qu’aii bout de quelques heures par le bruit du galop denbsp;trois chevaux. G’étaient Amadis, Galaor et Ganda-m qui accouraient è toute bride, après avoir élénbsp;Inbsp;nbsp;nbsp;nbsp;Ardan et après avoir traversé

oar tl nbsp;nbsp;nbsp;arrêter. Gandalin soul, reconnu

tancp de nbsp;nbsp;nbsp;P'issait è quelque dis-

I nbsp;nbsp;nbsp;«’^ait fait une halte de quel

______— xjv 'JU s était paS“

see la courte lutte que nous venons de racontcr, Amadis et Galaor apergurent sur la terre les tron-gons d’une lance fraichement brisée. Quelquesnbsp;pasleurs qui se irouvaient \h leur apprirent qu’unnbsp;chevalier de haute taille, qu’ils avaient entendunbsp;appeler Arcalaüs, avait attaqué dans ce bois unnbsp;vieux chevalier mal armé, 1’avait fait lier sur unnbsp;cheval par ses gens et leur avait donné l’ordre denbsp;le conduire en prison dans 1’une de ses fortcresscs,

tandis qu’il enlevait lui-même deux femmes, dont Tune était d’une raerveilleuse beauté 1

— Nous sommes sur les traces des misérables ravisseurs d’Oriane et de son père! dit Amadis ènbsp;son frère. Ils ont passé par ici 1 Mais quel cheminnbsp;ont-ils pris? La route ici se bifurque... Ont-ils prisnbsp;le sentier de droite ou le sentier de gauche?...

Lors, après avoir réfléchi pendant quelques instants, Amadis pria Galaor de prendre la route de droite, et, quant a lui, il prit celle de gauche et s’ynbsp;engagea avec une impétuosité et une rage indes-criptibles.

GHAPITRE V.

Comment Amadis, laned sur la piste de sa mie Oriane, finit

par la rctrouver et l’arracher A ses ravisseurs, et comment

il en fut récompensö.

Si bier» courut Amadis que, vers la fin de la jour-née, il atteignit un chateau oü le bruit des servi-teurs lui apprit que le maitre venait d’arriver.

Amadis se retira, pour passer la nuit, dans uu coin du bois qui environnait ce chateau, et, auxnbsp;premières heures de 1’aurore, il était debout, attendant.

Son attente nefut pas de longue durée. La porte de la forteresse s’ouvrit, et Arcalaüs sortit, suivi denbsp;plusieurs hommes d’armes et de deux écuyers quinbsp;tenaient fortement embrassées la belle Oriane et lanbsp;demoiselle de Danemark.

A cette vue, le sang d’Amadis fit trois tours, et s’il n’avail été solidement assis sur ses étriers, il senbsp;fut baissé choir sur l’herbe, par suite de 1’émotionnbsp;immense qu’il ressentait. II se continttoutefois, et,nbsp;dévorant sa rage, il se plaga en embuscade dans unnbsp;fourré assez épais qui bordait la route et qu’al-laient certainement prendre les ravisseurs d’Oriane.

II s’approchèrent, en effet, et prirent la route oü se trouvait caché Amadis, laquelle conduisait anbsp;un autre chateau plus sur que celui qu’ils quit-taient. Au moment oü les deux écuyers passèrentnbsp;devant le fourré, chargés de leur précieux fardeau,nbsp;Oriane murmura:

— Amadis 1 cher Amadis ! je ne te reverrai done plus!...

Ge mot fut le signal de l’attaque préméditée par le vaillant Ills de Périon.

— Gaule! Gaule 1 Gaule l s’écria-t-il d’unc voix tonnante en se précipitant comme une avalanchenbsp;sur la troupe d’Arcalaüs.

L’altaque était imprévue : elle jeta une certaine perturbation parmi les ravisseurs d’Oriane, et cenbsp;moment d’effroi décida, pour Amadis, du succèsnbsp;de falTaire. Les deux écuyers laissèrent lè Orianenbsp;et la demoiselle de Danemark, et, se jetant ü basnbsp;de leurs chevaux, gagnèrent prudemment les pro-fondeurs de la forêt. Quelques hommes d’armes,nbsp;moins couards, essayèrent bien de résister, maisnbsp;cette résistance leur coüta la vie.

Restait Arcalaüs, Ie plus intéressé de tous ü res-ter lü pour défendre sa proie. II porta deux ou li-ois coups formidables, qui eussent assomménbsp;Amadis, si Amadis les avait requs. Mais a la forcenbsp;ce chevalier joignait l’adresse, et il évitait autant


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BIBLIOTHEQUE BLEUF.

de horions qu’il en doniiait aux autres. Arcalaüs, a son tour, rccut Tcpaule un coup d’épée qui luinbsp;démontra clairement, a ce qu’il parait, Tinutilitcnbsp;d’unc plus longue resistance, car il en laissa tom-ber de douleur'”sa belle épée, et gagna rapidementnbsp;les fourrés voisins pour se mettre fi l’abri, coramenbsp;avaient fait ses sages écuyers.

Amadis était trop occupé de fuir lui-mcme avec sa chère Oriane pour songer a poursuivre ee chevalier félon. Ils s’éloignèrent done rapidement denbsp;eet endroit, lui, Oriane et la demoiselle de Dane-mark, qui venait de lui remettre l’épée abandonnéenbsp;par Arcalaüs et qu’Amadis reconnut pour celle quenbsp;eet enchanteur lui avait prise.

Pendant qu’Amadis l’emportait, palpitante d’a-mour et de joie, dans ses bras vigoureux, si rudes aux méchants, Oriane dclaca son heaume et lonbsp;donna ü la demoiselle de Danemark; puis, passantnbsp;son beau bras autour du cou de son amant, ellenbsp;ne put s’empêcher d’appuycr sa bouche charmante sur Ie front brülant de son défenseur. Heu-reusement qu’a ce moment ils étaient loin du lieunbsp;du combat, dans une clairière, surun épais gazon,nbsp;car, sous l’impression de eet eriivrant baiser,quot;Amadis se sentit défaillir, ses bras se détendirent; ilnbsp;lacha Oriane, qui toraba sur l’herbe molle sansnbsp;se faire aucun mal. Amadis tomba a cóté d’elle,nbsp;pamé. Jamais il n’avait regu une pareille faveur 1

L’évanouissement d’Amadis dura peu. II rouvrit les yeux et regarda Oriane avec une tendresse dontnbsp;elle fut touchée jusqu’aux larmes.

— Lumière de ma vie! soleil de mon ame 1 murmura l’amoureux chevalier en couvrant denbsp;baisers ardents les blanches mains de sa bellenbsp;mie...

Gandalin et la demoiselle de Danemark n’avaicnt rien a faire pour Ie moment auprès de ces deuxnbsp;beaux amoureux qui brülaient de chanter leurnbsp;hymne a deux voix et a deux coeurs, l’hymne divin,nbsp;l’hymne du bonheur!

Gandalin et la demoiselle s’cloignèrent.

L’heibe était douce; les arbres formaient autour un rideau de verdure impénétrable aux rayons dunbsp;soleil et de la euriosité; les oiseaux chantaient ennbsp;sautillant de branche en branche; la forêt, encorenbsp;humide despleurs de l’aurore, exhalait d’apres etnbsp;fortilianles odeurs; tout conviait a la songerie, ünbsp;ï’amour, au bonheur.

Amadis et Oriane élaient trop jeuncs, trop beaux, trop méritants, pour ne pas répondrenbsp;comme ils Ie devaient ü cette invitation de la nature...

CHAPITRE VI

Comment Galaor, Gaillan-lo-Pen.sif ct Ladasin dèlivrèrcnt Lisvart, et s’cn revinrent avec lui è Londres, menaede dunbsp;pillage et de l’incendie.

Galaor,après avoir pris la route que lui avait in-diquéesonfrère, avait mis son cheval au galop, dans 1 espórance d’aüeindro les ravisseurs d’Órianc ounbsp;les ravisseurs de Lisvart.

J.l chevauchait ainsi, menant grande erre, lors-qU il lut apergu par un chevalier errant qui, s’i-maginant amp; sou train qu’il s’enfuyait, se mit ü Ie poursuivre pour lui proposer de rompre une lanco.nbsp;Mais Galaor allait comme Ie vent etil n’avait pas lonbsp;temps de s’arréter pour si peu de chose, ayant hnbsp;reraplir un devoir plus impérieux.

Cette obstination a fuir exaspéra Ie chevalier qui Ie poursuivait, lequcl, mieux monté que ne l’étaitnbsp;Galaor, Teut bientót atteint et dépassé. Jusqu’iinbsp;trois fois, ce chevalier courut sur lui, la lance ennbsp;arrêt; mals Galaor, aussi adroit quo brave, lui litnbsp;manquer les trois atleintos et se contenta de Ienbsp;plaisanter sur sa maladressc. L’autrc, piqué denbsp;cette goLiaillerie qu’il jugeait intempestive, Juranbsp;de Ie suivro jusqu’i ce qu’il on eüt tiré raison.

Chomin faisant, Ie chevalier qui poursuivait Galaor fut distrait de cette poursuite par l’appari-tion d’un sien cousin qui courait après sou cheval.nbsp;II s’arrêta alors, et lorsque son cousin cut repris sanbsp;monlure, il lui demanda pourquoi il l’avait rencontré ainsi désargonné.

— Mon cousin, répondit l’autre, on ii’a que trop raison dom’appeler Guillan-le-Pensif... Cette sou-gerie continuelle dans laquelle je vis me jouo ünbsp;chaque instant de nouveaux tours. Ainsi, tout ünbsp;riicure, chevaucliant ü travers la forêt, uniquementnbsp;occupé de la duchesse de Rristoio, que Ie Irailrcnbsp;souverainde cc pays m’a cnlevéc,jo ne me suis pasnbsp;apergu qu’un chevalier courait contre moi, et jenbsp;me suis vu désargonné par un coup de laucc avaiitnbsp;d’avoir compris pourquoi ni comment... Commejonbsp;me relevais, furieux, l’épéc ü la main, mon adver-saire s’est éloigné en riant, ct en me disant: « Ap-prenez k répondre ü eeux qui vous saluent et vousnbsp;parlentl... »

— Vraiment, répliqua Ie cousin do Guillan-le-Pensif, vousmériticz bien cette petite correction... Mais j’aurais mieux aimó trouver Ie maudit gabcurnbsp;qui vous a désargonné en riant, que 1’indigncnbsp;couard qui m’évite depuis uneheure... Je n’ai pasnbsp;encore rencontré de chevalier moins sensible auxnbsp;injures ni plus adroit li esquiver ratleinte d’unenbsp;lance... J’ai juré de Ie suivre jusqu’è ce que jo l’aio

cotinu..... Suivez-le avec moi, amusons-nousdesa

terreur; son cheval m’a paru trop fatigué pour qu’il ne nous soit pas facile de lo rejoindre.

Guillan-le-Pensif y consentit, bien résolu, pour maintenir Fhonneur de la clievalerie, de désarmernbsp;un chevalier assez couard pour refuser une joutc.nbsp;Les deux cousins, alors, allêrcnt grande erre pournbsp;rejoindre Galaor. Comme ils étaient arrivés au som-met d’une colline, ils Fapergurent qui la dcscendaitnbsp;sur son cheval prés de tomber ü cbaquo pas. Nenbsp;doutant pas qu’ils ne 1’atleignissent aisément dansnbsp;la plaine, ils descendirent au pas cette colline es-carpée, par im sonticr tournant et baitu.

Bientót, enlendant un bruit sonore comme celui que produit l’eutreclioquement des armes, les deuxnbsp;cousins coururent pour assistcr au combat qu’ilsnbsp;devinaient, et leur étonnement fut extréme ennbsp;voyant Galaor., dont ils avaient suspecte la vaillance,nbsp;tenant toto ü une troupe do gons mieux armés etnbsp;mieux montés que lui.

Déjii quatro hommes étaient tombés sous les coups du clievaleurcux Galaor; mais, comme, èconbsp;moment, les autres se réunissaient pour l’assaillirnbsp;tous ü la Ibis, Guillan-lc-Pcnsif et son cousinnbsp;Ladasin, indigncs, seliMércntd’aller Iison secuurs.


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LE BEAU-TENÉBREUX.

CHAPIÏRE VII

Comment Amadis, averti par Gandatin de ce qui se passait ^ Londres, s’arracha des bras dc l’incomparable Oriane jiouVnbsp;voler au secours de la reine Brisène.

Sc laiiQant tous deux. au galop de leurs chevaux sur Ie lieu de la lutte, ils y arrivèreat comme Ie chevalnbsp;de Galaor tombait percé de coups, et, tombant surnbsp;les assaillaiits de co vaillant homme, ils lui permi-rent ainsi de s’cmparcr d’une autre monlure et denbsp;faire face, non-seulement a ses énnemis de tout linbsp;l’heure, mais encore a d’autres qui arrivaient fi lanbsp;rescousse des premiers.

Le combat devint alors plus apre et plus sanglant. Bientót, cependaut, le courage déployé par Galaor,nbsp;par Guillan et par Ladasin, et le grand norabrcnbsp;d’enuemis abattus par cuï, cornmeneant ti metlrenbsp;11 peur au ventre des autros soudards, Furi de cesnbsp;derniers s’ccria ;

— Massacroz le prissouuier 1 massacrez le pri-soiinier!...

Leprisonnier, c’était un homme agé, d’unefièrc mine et d’un bon courage, malgré qu’il fut liénbsp;comme un larron sur un maigre cheval; lequel pri-sonnier avatt été amenó par la seconde troupenbsp;venue a la rescousse de la première.

Deux de ces misérablesse détachèrentpour obéir è l’ordre féroce qui venait do leur être donné; raais,nbsp;au même moment, le prisonnier, brisant ses liensnbsp;et ramassant l’épée d’un des combattauts morts,nbsp;s’en servii pour fendre la tcte du premier soudardnbsp;qui s’approcha. Lors, Guillan-le-Pensif, considérantnbsp;ce courageux homme avcc plus d’atlention, s’écrianbsp;touba-coup.

— Cousin! cousin! eest le roi Lisvart!

Et, en disant cola, il sc próeipita tètc baissée, la lance aupoing, au secours du vaillant prince, qu’ilnbsp;couvrit centre une nouvelle attaque, tandis quenbsp;Galaor terrassaitle chef de cette troupe detraitres,nbsp;dont Ic reste prit aussitot la fuite.

—Epargnez-le! épargnez-le! cria le roi ii Galaor, qu’il voyait prèt d’achever le misérable qu’il avaitnbsp;sous sou genon.Epargnez-le, i’ai besoin d’apprendrcnbsp;de lui les fils do cette abominable trahisonl...

Galaor releva son épée qu’il avait abaisséo sur la gorge de sou ennemi, et il lui arracha sounbsp;heaume.

— G’est le neven d’Arcalaüs! s’écria le rol avec mépris.

— Sire, dit alors le trailre qui avait peur de

mourir, je vais tout vous dire.....G’est mon oncle

Arcalaiis qui a machine tont cela avec Barsinan, que vous avez accueilli si généreusementa Londres,nbsp;OU il se trouve en ce moment...

Lisvart cornprit qu’il n’y avait pas un moment ét perdrc pour vqlor au secours de Londres et de lanbsp;reine. En consequence, il rcnionta ti cheval, suivinbsp;CIC utilsor et des deux chevaliers c[ui venaient denbsp;lui rendre sa liberté; et, en cheinin, ils s’arrètèrcntnbsp;au chateau de Ladasin, cousin de Gnillan, qui scnbsp;trouvait a portee, et oü ils déposèrent le i;evcunbsp;d’Arcalaüs fortemont cnchainé.

ublieux, mais non oubliés, (Amadis et Oriane sc répélaientnbsp;pour la centièmo fois les scr-ments d’amour étcrnel les plusnbsp;arderits, lorsque Garidalin, quinbsp;avait jugé a propos de poussernbsp;une reconnaissance jusqu’anbsp;Londres pour avertir la reinenbsp;Brisène que sa fillc était rc-trouvéc, Gandalin revint ennbsp;grand émoi.

— Sire chevalier, dit-il en Ycnant iiiterrompre Amadis aunbsp;moment le plus inopportun, lanbsp;reine Brisène réclame le secours de votre bras, pour ellenbsp;ct pour sa villo, menacée donbsp;destruction... Depuisl’enlèvc-ment de madame Oriane et dcnbsp;monscigucur sou père, tous les chevaliers sc sontnbsp;mis è hi poursuite de leurs ravisseurs, ct Barsinan,nbsp;aidé de scélérats è sa solde, a profité du désordrcnbsp;([uc eet événement a amoné pour s’emparer dc lanbsp;citadclle... 11 attend les troupes que, d’un instantnbsp;aPaulro, doitlui envoyer le traitre Arcalaüs... Sinbsp;vous ne vencz pas, Londres brülera, et vous nenbsp;trouverez plus que des cendres...

— Partons! s’écria Amadis, rendu au sentiment de son devoir par cette sinistre nouvelle.

Gomrnc le Ills dc Périou et la belle Oriane s’cn revenaient, ils furerit rencontrés par un gros dc.nbsp;chevaliers co/nmaudés par le fidéle Grumedan, unnbsp;ancien. Amadis confia Oriane è la garde de Gru-nicdan ct ne s’arrèla plus que dans le palais inêracnbsp;du roi, oüil trouva Brisène, éploréc.Pcu d’instanlsnbsp;apresson arrivéc, entra l’écuycr de Galaor, venantnbsp;rendre comple a la reine de 1’houreuse délivranccnbsp;du roi.

— Ah! mon eber fils! s’écria Brisène en ombras-sant Amadis, nous sommes sauvés! Vous voilal...

Amadis nepuljouirquc quelques instants dubon-beur d’être traité comme un Ills par la mèro de I’incomparablc Oriane. Une rumeur soudainc,nbsp;cxcitce par la fuite et les cris d’un grand nombrenbsp;de citoyens etfrayés, I’obligea do reprendre sonnbsp;heaume et dc volcr oü ces cris 1’appelaicnt. IInbsp;descciidit, écarla la foulo des fuyards et arrivmnbsp;avcc pcine ü !a porto principale de Londres, oü lenbsp;roi Arban de Norgalcs, entonré de morts ct denbsp;mouranls, et couvert lui-mêmo de sang, s’opposaitnbsp;presqiie soul a l’cffort dc Barsinan de Sansuègne,nbsp;qui venait de s’cinparer de la première barrière.

Cc traiire, complice servile de l’odieux Arcalaüs, rcconmit bicntöt Amadis aux coups qu’il lui vitnbsp;porter, et I’amaut d’Oriane, couvrant de son écu lenbsp;vaillant roi de Norgalcs, dontle bras appesanti nenbsp;portalt plus sou épée qu’avec peine, s’élangacontrenbsp;la tête de la colonne qui s’efforcait de s’einparcr de


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BIBLIOTHÉQUE BLEUE.

cetle porto; et semant répouvante et la mort dans les premiers rangs, il fit reculer ceux Tattaquaient.

Cependant, malgré son courage surhumain, Amadis eüt fini peut-être par être accablé par !enbsp;nombre de ses ennemis éxcités par Barsinan, si,nbsp;dans ce moment, Ie prince Agraies, suivi de plu-sieurs chevaliers arrivant de la quête du roi Lisvart,nbsp;n’eüt attaqué brusquement la troupe de soudardsnbsp;commandée par Ie comtede Sansuègne

Cette attaque inopinée décida sur-lc-champ du sort de cette bataille. Barsinan, se jugcant perdu,nbsp;voulut se dérober par la fuite au chatiment quinbsp;l’altendait; mais Amadis Tarrêta, lui prit sou épéenbsp;qu’il brisa, foula ce traitre aux pieds, et Tenvoyanbsp;dans Je cachot même oü Lisvart, qui renirait hnbsp;l’instant par une autre porte, faisait conduire Icnbsp;neveu d’Arca'aüs.

Lisvart était déjJi dans les bras de la reine Bri-sène. Amadis, Galaor et lo roi de Norgales, jouis-saient èi leurs genoux du bonheur de leur avoir sauvé la vie, lorsque Ie bon et vieux chevaliernbsp;Grumedan survint donnant la main a la bellenbsp;Oriane.

— Prince de Gaule, dit-il en, entrant, c'est vous qui m’avez confié l’incomparable princesse Oriane;nbsp;c’est h vous qu’elle doit l’honneur et la liberté :nbsp;c’est entre vos mains que je la remets...

Oriane n’eut Pair d’écouter Grumedan que par un regard bien tendre qu’elle jeta sur Amadis, etnbsp;elle courut se précipiter aux genoux de sa mère. ^

Le leiidemain, tons ceux qui n’avait pas expió leurs forfaits par l’épée d’Amadis ou par celle denbsp;d’Agraies, ou par celle de Norgales, périrent dansnbsp;les supplices, et l’on pense bien que Barsinan etnbsp;le neveu d’Arcalaüs ne fuient pas oubliés dansnbsp;cette répartition de chatimenfsl...

CHAPITBE VIII

Comment, au milieu de la joie qui rdgnait ü la cour du roi Lisvart, Amadis songea tout-ft-coup h la promesse qu’ilnbsp;avait faitc, un au auparavant, i la belle Briolanie, princesse de Sobradise, et comme il partit avec Galaor clnbsp;Agraies.

Après ces événements la cour du roi Lisvart reprit ses allures joyeuses et son train brillant.

La duchesse de Bristoie et la belle Aldéne, sa soeur, arrivèrent bienlót, sous la garde du vieuxnbsp;Grumedan, qui avait été les quérir toutes deux denbsp;la part de la reine Brisène. La duchesse de Bristoienbsp;était veuve. Le due avait été loyalement tué parnbsp;Olivas qui l’avait accusé de trahison et avait sou-tenu son dire par les armes.

L’arrivée d’Aldène et de sa soeur fut une nouvelle occasion de fète. Guillan-le-Pensif, libre d’offrirnbsp;une seconde fois son cceur et sa main it cello quinbsp;avait constamment occupé ses pensees, ccssa denbsp;móriter ce surnom pour en mériter un autre quonbsp;lui donna la belle duchesse de Bristoie. Quantnbsp;Galaor,il ne revit pas saus plaisir la belle Aldène,nbsp;qui, de spil cöté, ne le revit pas saus émot on, cenbsp;qui fit nailre qa et la quelques jalousies.

Maïs bientèt fut trouble le bonheur dont jouis-saient plusieurs beautés de cette cour. Amadis se rappela qu il avait promis a la jeune et belle

Briolanie, reine de Sobradise, de revenir avec deux autres chevaliers pour venger la mort de sonnbsp;père et corabattre l’usurpateur Abyséos et sesnbsp;deux fils. Cette promesse était sacrée, il y avaitnbsp;un an qu’il l’avait faite : Amadis résolut de partir,nbsp;malgré les larraes, les prières et les soupQons ja-loux de la belle Oriane, qui voulait êlre seule itnbsp;posséder eet incomparable chevalier.

Agraies et Galaor s’ofl'rirent être ses compagnons, et ils se préparèrent ci le suivre, malgré, pour l’un, les larmes de la belle 01inde,et malgré,nbsp;pour l’autre, les caresses savoureuses de trois ounbsp;quatre belles, parmi lesquelles Aldène...

Les trois chevaliers partirent. Ils n’étaient encore qu’it une demi-lieuc de leur point de départ, lorsque Amadis, s’apercevant qu’il avait oublié d’em-poricr les débris de l’épée quo lui avait donnécnbsp;Briolanie, envoya incontinent son nain a Londresnbsp;pour les chercher.

Le nain revint h toute bride, prit les débris de l’épée, et il allait remonter è cheval, lorsqu’en passant sous les fenêtrcs d’Oriane, cette intéressantenbsp;princesse l’aperqut et lui demanda pourquoi il étaitnbsp;revenu sur ses pas.

— C’est pour chercher ces fragments d’épée que raon maltre avait oubliés, répondit le nain.

— Et quel prix ton maitre peut-il attacher a ces inutilesdébris? demanda Oriane.

— Celui qu’on peut attacher aux présents d’une main qui nous est chère, répondit malicieusementnbsp;le nain.

— Et quelle est done la main dont Amadis a regu cette épée? reprit vivement Oriane, dont la jalousienbsp;s’éveilla pour nc plus se rendormir.

— Celle de la jeune princesse pour laquelle il va combattre, répondit le méchant bout d’hommc; etnbsp;je ne doute pas, ajouta-t-il, d’après les quelquesnbsp;propos qu’ils ont tenus la dernière fois qu’ils senbsp;sont vus, que mon maitre ne se soit offert et n’aitnbsp;été accepté pour être désormais son chevalier...

A ces mots, le malicieux nain grimpa sur son cheval, lui donna deux coups d’éperon et disparutnbsp;aux regards effarés de la pauvre Oriane, qu’il venaitnbsp;de frapper au coeur.

Un quart d’heure après, il avait rejoint les trois chevaliers et, en remettant è Amadis les débris denbsp;son épée, il se garda bien de lui parler des questionsnbsp;quo lui avait adressées è ce sujet sa maitresse (t,nbsp;encore moins, des réponses qu’il lui avait faites.

Comme ils chevauchaient a travers la forêt, ils virent venir è eux un chevalier qui leur parut êtrenbsp;d’une taille avantageuse, maniant son cheval. avecnbsp;grace et ferme sur ses argons. II leur proposa danbsp;rompre une lance.

— Je ne désire que l’honneur de jouter avea vous, ajouta-t-il, et j’espère que nulle espèce donbsp;ressentiment ne vous animera ti vouloir cornbatlronbsp;è coups d’épée, au cas oü je remporterais un premier avantage...

Agraies, a qui ce chevalier inconnu semblait plus particulièrement porter la parole, sesentittrèsnbsp;piqué de ce qu’il paraissait trop présumer de sonnbsp;adresse, et, pour toute réponse, il lui cria do .scnbsp;défendre, courut sur luietfutdésargonné. Son cheval, é[)ouvanté par la violence avec laquelle les lances s’étaient bnsées, se mit a fuir dans la forêt.

Galaor se présenta pour venger Agraies; mais


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LE BEAU-TENEBREUX.

son cheval n’étant pas de force è résisler amp; celui de l’inconnu, roula dans la poussière avec son mailre,nbsp;sans que celui ci put Ie faire relever.

Amadis, s’approchant aussitót, 'modéra la colère de Galaor qui demandait Ie combat amp; Tépée, et, önbsp;son tour, il se présenta pour jouter contre l’in-connu. Cette course fut la plus violente des trois;nbsp;les lances furent brisées jusque dans les ganteletsnbsp;des combattanls, et les deux chevaliers s’étantnbsp;heurtés mutuelleraent en passant, leurs chevauxnbsp;tombèrent de la force du choc, sans qu’aucun desnbsp;deux eüt perdu les rênes. Mais Ie cheval d’Amadis,nbsp;ayant eu la cuisse cassée, ne put se relever, et l’in-connu s’élanca légèrement sur Ie sien, qui n’avaitnbsp;été qu’étourdi par cette rencontre.

Ge fut en vain que les trois chevaliers provcquó-rent l’inconnu amp; se battre a pied, et a l’épée; il leur répondit, en les saluant courtoisement:

— Heureux, seigneurs chevaliers, de vous avoir résisté dans un combat que je ne regarde quenbsp;conime une légère épreuve, nul motif ne me forcenbsp;^ vous considérer tous trois cornme ennemis. Cha-cun de nous a fait son devoir ; n’est-cepasassez?...

Cela dit, l’inconnu s’éloigna, en prenant une route assez frayée, et laissa les trois compagnonsnbsp;déraontés au milieu de la forêt.

Amadis et son cousin Agraies rirent volontiers de cette aventure. Mais il n’en fut pas de même denbsp;Galaor, qui avait sa chute ti coeur. 11 prit Ie chevalnbsp;d’un écuyer et s’élanga a Ia poursuite du chevaliernbsp;qui l’avait nargué par sa générosilé.

Amadis et Agraies durent continuer leur chemin sans Timpétueux Galaor, et ce fut sans lui aussinbsp;qu’ils entrèrent dans Ie chéteau de ïhorin oü lanbsp;belle Briolanie les attendait, ainsi que sa tante Gro-vanèse, et oü ils passèrent quelques jours pournbsp;laisser Ie temps ü la princesse de Sobradise de fairenbsp;avertir de leur arrivée Abyséos et ses deux fds.

CHAPITRE IX

Comment Galaor, s’étant éloigné dc son frère et de son cousin a la poursuite d’un chevalier inconnu, fit rencontre d une genie pucelle qui lui tourna Ia tcte, et commentnbsp;1 ayant suivie, il combattit a outrance Florestan, son second frère.

alaor avait poursuivi pendant un long temps Ie chevalier inconnu,nbsp;sans pouvoir Ie rejoindrc, a causenbsp;de sa monture qui était médiocre.

„„Wr. nbsp;nbsp;nbsp;tnbsp;nbsp;nbsp;nbsp;lasser de cette vaine pour-

suite, il s etait arrele un instant pour laisser souf-fler sa bete, lorsqu une gente pucelle vint h passer par la. Galaor 1 arreta en la priant de lui donnernbsp;si elle en avait, des renseignements sur Ie chevaliernbsp;qu’il poursuivait.

— nbsp;nbsp;nbsp;Jeleconnais, répondit la pucelle; c’est unnbsp;chevalier fort courtois, qui, depuis quinze jours,nbsp;garde la principale route de cette forêt, et ne per-met pas qu’on passe sans avoir rompu une lancenbsp;avec lui ..

— nbsp;nbsp;nbsp;Pourriez-vousrae conduire vers lui? demandanbsp;Galaor, qui trouvait la pucelle de plus en plus sa-voureuse et qui était trés heureux de l’avoir pournbsp;conductrice.

— Volontiers, dit-elle.

Et elle se mit ü marcher devant, et bientót elle prit un chemin qui éloignait considérablement Galaor de celui qu’avait dü prendre son frère.

—Et vous, belle enfant, qui êtes-yous? demanda l’indiscret Galaor qui eütbien volontiers délacé sonnbsp;heaurae pour embrasser a son aise sa conductrice.

— Moi, seigneur chevalier, je suis une des demoiselles de la belle Gorisande, souveraine d’une ile voisine, et amoureuse du chevalier que vousnbsp;poursuivez. Elle Ie retient depuis plusieurs joursnbsp;dans des chaines de fleurs, et ne lui permet pas denbsp;s’éloigner d’elle plus qu’il ne 1’a fait ce matin...nbsp;Quant au nom de ce chevalier, la belle Gorisande,nbsp;seule, Ie connait, ainsi que Ie mystère de sa nais-sance...

— Est-ce que c’est la belle Gorisande qui lui a interdit de jouter a l’épée avec les autres chevaliers?...

— Oui, c’est elle... Elle lui a fait jurer qu’il n’en viendrait jamais au combat k coups d’épée, k moinsnbsp;que ce ne soit dans son ile, oü plusieurs chevaliersnbsp;ont déjk passé pour Ie combattre , mais dont ils nenbsp;sont ressortis qu’après avoir perdu leurs chevauxnbsp;el leurs écus...

Le désir de s’épvouver contre ce chevalier mys-térieux, peut-être aussi l’espérance enivrante que lui donnaient les beaux yeux noirs de sa com-pagne de route, déterminèrent Galaor k ne la pasnbsp;quitter...

G’est ainsi qu’après avoir cheminé pendant quelques heures, ils arrivèrent sur le rivage, en vue de 1 lie de Gorisande qui, fort heureusement, n’étaitnbsp;pas trop éloignée.

Le trajet s’effectua en trèspeu de temps, et Galaor étant descendu sur le rivage, entendit annon-cer son arrivée par le son des trompettes qui re-tentit sur le donjon du beau chateau qui dominait cette ile.

— Apprêtez-vous k combattre 1 lui dit la gente pucelle qui l’avait accompagné. Hélasl chevalier,nbsp;j’ai bien peur que le maitre de ce chateau n’ob-tienne de vous l’écu que vous portez, pour le join-dre k tous ceux que vous voyez attachés a ces po-teauxl...

Galaor n’eut pas le temps de répondre k cette plaisanterie ; la porte du chateau s’ouvrit, et il ennbsp;sortit un chevalier de la plus belle taille, et d’unenbsp;figure charmante, suivi deux jeunes filles, portant.nbsp;Tune son heaume et Bautre sa lance. Une jeunenbsp;femme, d’une irrésistible beauté, venait ensuite,nbsp;tenant une couronne de lauriers et de myrtesnbsp;qu’elle semblait lui destiner, en le regardant d’unnbsp;air tendre.

Le bel inconnu, s’avanQant vers Galaor, lui dit courtoisement:

— Ghevalier, vous avez su par celle qui vous a conduit dans cette ile, les conditions du combatnbsp;que vous venez me livrer... Je vois que vous vousnbsp;obstinez k me connaitre autant que je m’obstine,nbsp;moi, k caclier mon nom jusqu k ce que je l’aie rendunbsp;digne de ceux auxquels je tiens par les liens dunbsp;sang... Si j’osais vous les nommer, je suis sur quenbsp;vous m’approuveriez...

Quoique Galaor sentit naitre en son ame une


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madis et Agraies, eu effet, ay ant at-tendu Galaor pendant cinq ou six jours au ebateau de Thorin, etnbsp;voyant que le terrijts marqué pournbsp;le combat était pret de s’écouler, ilsnbsp;s’avancéront avec Briolanie et sanbsp;tante Grovanèse vers Sobradise; et,nbsp;SC croyant assez forts pour combat-tre Abyséos et ses deux fils, ils ü-rent tendre leur» pavilions dans unenbsp;prairie voisine de cette capitale, etnbsp;Briolanie envoya dire a son mortelnbsp;ennemi que, suivaut les conditionsnbsp;arrêtces, ello avait amoné avec ellenbsp;les champions qui devaient soutenirnbsp;sa querelle.

Le combat fut fixé au lendcraain matin.

sympathie vraie pour Ic chevalier iiiconnu, Ie souvenir do l’espèce d’outrage qu’il croyait en avoir repu dans la forêt, Ie matin, en présence d’Araadisnbsp;et d’Agraies, ne lui permit pas de se livrer k ce sentiment.

— Rien ne pourra m’empêcher d’avoir raison de votre outrecuidence! répondit-il. Jc ne suis venunbsp;ici céans que pour celal...

Le chevalier inconnu ne répliqua pas. II mit son hcaurae, s’einpara de sa lance, monta a cheval etnbsp;prit du champ pour revenir sur Galaor, qui Timila.nbsp;Dès la première passe, les deux lances furont hri-sées. Lor», les adversaires mirent I’epcc h la mainnbsp;et le combat öpied coramenpa.

11 fut long et terrible; si long et si terrible quo Galaor n’imagina pas en avoir essuyé de pared de-puis celui qu’il avail eu centre Amadis, et Gori-sande, épouvantée, profita d’un instant oü tous lesnbsp;deux rcprenaient haleine pour tachcr de les sépa-rer. Mais Galaor, plus animo que jamais par Ianbsp;longue résistance qu’il venait do rencontrer, etnbsp;aussi par son sang qu’il voyait coder, ne voulutnbsp;plus écouter aucune proposition jusquA ce que lenbsp;chevalier inconnu consentit h lui dire son nom.

Le combat devint done plus terrible et plus san-glant encore k cette seconde attaque. Les debris de lours armos couvraient le sable, I'un d’eux allaitnbsp;certainement succomber... Gorisande , yoya)itnbsp;chanceler un moment son amant, ne put resisternbsp;a la douleur qui la poignait, et, courant se jeternbsp;entre les combattants, elle cria a Galaor!

— Arrête, cruel!... Arrache-moi la vie plutot que de répandre un si prccieux sang!,,. Arrête,nbsp;te dis-je! Et si ma prière ne peut te toucher, bar-bare, crains la vengeance d’Amadis et de Galaor!...

— Quedites-vous, grands dieux? s’ecria Galaor, en abaissant vivement son épée.

— Non, non, reprit Gorisande, non, mon cher Florestan, il n’est plus temps de cacher votro nomnbsp;ni votre naissance... Sachez done, ajouta t-elle ennbsp;se tovirnant de nouveau vers Galaor, sachez donenbsp;que celui quo vous voulez tuer est le lils du roinbsp;Périon et le frère des deux plus redoutabies chevaliers de I’univers!..,

Levant cet aveu, Galaor, éperdu, jetant loin do lui son épée et délacant son heaume, se jeta dansnbsp;les bras de Florestan.

— Ah! mon frère, s’ccria-t-il, rcconnaissez Galaor k sa douleur et a sa tendresse!...

— J’aurais du bien plutot le rcconnaitre a sa vaillance et a la viguour de scs coups, réponditnbsp;Florestan, en repondant par d’autros caresses anbsp;l’étreinte passionnée de son frère.

La joie de Florestan fut grande; cclle do Galaor ne le fut pas moins, paree qu’il espérait pouvoirnbsp;se remettre dès le lendemaiu en marche avec luinbsp;pour relrouver Amadis et Agraies. Mais lour joie anbsp;tous deux cessa quand ils s’aperpurent, an nombrenbsp;de leurs plaies, qu’ils ne pourraient être en santénbsp;et en vigueur avant un mois.

Nops n’arriverons jamais a temps pour aider notre Ircre! murmuvail Galaor, attristé.

GIIAPITRE X

Comment Amadis et Agraies combattirent centre Abyséos et ses deux fils et les vainquirent, et eomme, ensuitc, its scnbsp;réunirent a Galaor et a Florestan.

f)

Au lever du soleil, Amadis et Agraies se présen-tèrent dans la place oü devait avoir lieu ce combat, ct Abyséos et ses deux fils ne tardèrent pas a paraitre. Mais, ne trouvant que deux adversairesnbsp;la oü ils s’aftendaient a en trouver trois, ils dc-mandèrent pourquoi ce troisièinc ne se prósentaitnbsp;pas.

Amadis, impatient de combatlre, répondit au héraut d’Abyséos :

Ydi dire k tes mailres que leur cau.se i!si si mauvaise, que le plus faible de nous deux sufünütnbsp;pour que la justice celeste les punit de hmr or-gueil et de leur Irabison, et quo la légilime reinenbsp;(Ic Sobradise se soumet ü tout si nous sommesnbsp;raincusl...

Riem n’arrêlant plus le combat, Abyséos et Dra-inis coururent tous les deux sur Amadis, et brisè-rent lours lanccs sur ses armos, sans l’éln'anlcr; ce premier eboe rétabhl 1’égalité dans Ie combat,nbsp;Amadis ayant percé d’oulro en outre Dramis, quinbsp;tomba en versant dos Bots de saug sur la pous-sière.

Dorison ct Agraies se cbargcant avec une égale fureur, leurs clievaux nc [)iircnt snpjeorler 1’im-pétuosité de leur clioe et roulèrent tous deux surnbsp;leurs maitres. L’un ct l’autrc, alors, égalomentnbsp;prompts è se relover, s’attaqnèi'ent a coups d’c-pée, ct bientót le sang couhi do leurs l)lessiircs.nbsp;Mais Agraies ayant vu son cousin Amadis fendrenbsp;d’un seul coup la tcle d’Abyséos, fut hoateux quenbsp;Dorison luidisputat si longtcmps la victoire. 11 s’c-hinca sur lui, le saisit par lo heavune, lui tranebanbsp;le chef et Falla déposcr aux pieds de la princossenbsp;Briolanie, qui avait siiivi, toule balclante, les diversos peripeties de cette tragédie.

La mort de l’usurpatcur et de scs deux fds dé-cida du sort du rovaumc de Sobradise. Les cor[)S de ses ennemis vaiuens furent traiiiés hors de lanbsp;licc, au milieu des acclamations des sujets de Brio-lanic.

Getto belle princessc sentit peut-êtro moins do


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LE BEAU-TENEBREUX. 11

plaisir encore a remonter sur Ie trone de ses pères, qu’a penser qn’elle pouvait offrir a son liberateurnbsp;cle Ie partager avec cllc.

Les blessures qn'Amadis et Agraies avaient re-Cues dans cc combat les ayant arretés pendant quelque temps k Sobradise, Briolanie ne put s’ern-pêclier do laissqr pénétrer ses sentiments. Maisnbsp;Amadis, trop fidéle pour en être touché, trop loyalnbsp;pour vouloir feindre, n’hésita pas é lui faire entendre qu’il n’était plus Ic maitre de son coeur; elnbsp;Briolanie, étouffant ii regret une passion qui nenbsp;pouvait être quo mallieurcuse, la plus tendre reconnaissance et la plus fidéle amitié furent lesnbsp;sculs sentiments qui lui restèrent désormais pournbsp;Amadis.

Bientót Galaor ct Florcsian rejoignirent leur frère. Amadis ne put se résoudreagrondor Galaor,nbsp;a cause de la Joie qu’il ressentait de la presencenbsp;de Florestan. 11 sc conlcnta de lui dire, devant lanbsp;princesse Briolanie, qu’il devait bien regretter ennbsp;ce moment de n’avoir pas partagé Ic bonheur denbsp;la vcngcr...

Cc scul mot, qu’un regard de cetlc belle reine reiidit encore plus frappant pour Galaor, Ie fitnbsp;roupirer ct tomber dans de mélancoliques pense-mc'ds. Et, dés cette heure, Agraies fit remarquernbsp;a Amadis que la gaité de Galaor semblait s’allérernbsp;de jour en jour, ct qu’il paraissait inême voir avecnbsp;indifference les jeuncs beautés qui ornaient la cournbsp;de Briolanie, Icsqucllcs, au contraire, Ic regar-daieiit avec Ic plus tendre intéröt.

CIIAPIÏRE XI

Comment fut conslruilc, en 1’IIc Ferme, la voute cncliantéc pour dprouver la loyauló des clievaliers ct la fidélité desnbsp;maitresses.

, cent ans avant les événcmenls quo ? nous venous de racoiiter, il y avüitnbsp;eii Grécc un roi qui, marié avec lanbsp;— smur de rempereur de Constantinople, eut deux tils reraarquables de corps ct d’es-prit, surlout Apolliiion, qui ctudia spécialement lanbsp;nccromancic et s’y fit une grande reputation.

Le roi de Gréce sentant sa fm approclier, vou-lut disposer de ses Etats et prevenir aiiisi toute discussion aprés son trépas.

Apollidon, comme alnó, rcQut la couronne et les mens, et l’autre les trésors ct les livres, parminbsp;esquels il s en trouvait de trés rares; ce dernier

SC piaigmt k son père d’etre presqitc déshéritc par cepartage.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;*nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;‘nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;*

e père en avertit Apollidon qui, pour conserver la bonne haimonic, proposa un échane’e, se tenantnbsp;pour satistait de la part de son frère.

La joie que la bonté d’Apollidon causa a ce père provoqua une crise suprème, etil s’en alia laissantnbsp;les deux frères unis comme il le désirait.

Aussitót après les futiérailles du roi défunt, Apollidon fit équiper quelques vaisscaux et, suivinbsp;de plusieurs gentilshommes ses arais, il s’éloignanbsp;de tirece avec les premiers vents favorables.

1 arlis sans but, ils s’abandonnèrent au basard, qui les mena sur la cóte d’Itaüe.

L’empereur Suidan ayant appris 1’arrivée d’A-pollidon, le pria de venir a Rome oü le plaisir qu’il y troiiva le retiiit longtemps. II prouva qu’il étaitnbsp;excellent chevalier et il sut plaire a la sceur unique de l’empereur, nommée Grimanèse, la plusnbsp;belle dame de la terre.

Son amour était partagé, mais il avait des en-traves bien dures pour arriver a satisfaire réelle-ment la passion qui le brülait.

Enfin, Grimanèse accepta de se faire cnlever la nuit sur un vaisseau, et ils parlirent, mettant lenbsp;cap sur file Ferme, habitée alors par un géant, ccnbsp;qu’Apollidon ct ses amis ignoraient.

Aussitöt a terre, ils s’arrangcrent, en gens pleins de sécurité; Grimanèse, habitude a uu repos pleinnbsp;de délices, était épuisée de fatigues; cllc s’aban-donna au sommeil.

Vers le milieu de la unit, le géant, qui les avait découverts, se moiitra si brusquement, qu’Apollidon n’cüt pas le temps de s’armer et que Grimanèse s’évanouit de frayeur.

Le géant s’approcha de Grimanèse et, lui pre-nant la main, il pria Apollidon d’accepter un combat dont le vainqueur aurait pour réeompense la plus belle dame qu’il eüt vue.

Apollidon accepta, et, en un tour de main, jefa par terre le géant ct lui trancha la léto.

Les gens du paysvinrcnt en foule se mettre a son service et I’acclamdrent avec enthousiasme pournbsp;leur maitre, On lui fit voir les forteresses de 1’ilenbsp;et il en augura qu’il pourrait bien h 1’occasion senbsp;défendrc, si on voulait le punir du rapt de la sceurnbsp;de l’empereur.

II fit édificr pour Grimanèse un admirable palais, tenement rernpli de raétaux précieux que, dans toutes les iles de I’Océan, aucun prince n’eütnbsp;pu en faire construire un semblable.

Quinze ans plus tard, son oncle, l’empereur de Gonslanlinople étant mort, les grands lui offrirentnbsp;la couronne qu’il accepta. Grimanèse, désolée denbsp;laisser un séjour si enchanleur, fit promettre a sonnbsp;époux qu’il n’y laisserait pénétrer jamais qu’unnbsp;chevalier de sa valeur, et Apollidon jura qu’il em-pêchcrail toute dame d’y entrer si elle n’était aussinbsp;belle et parfaile que Grimanèse.

On érigea une voüte sur laquelle un homme en bronze tenait une Irompe de chasse. Sur la portenbsp;du palais, on placa les statues de Grimanèse ctnbsp;d’Apollidon trés ressemblantes toutes deux, et,nbsp;vis-ii-vis, une colonne de jaspe, le tout ferme jus-qu’au jardin d’un perron de fer de cinq coudéesnbsp;de hauteur.

Apollidon expliqua a sa femme qu’un homme in-fidèlc en amour no pourrait passer la voiite, car 1’homme do bronze sonnerait un bruit épouvanta-ble et jelterait flararncs et fumécs sur lui en le re-poussant dehors. Mais si un loyal amant ou une fidéle mailresse se présentait, lo cor rendrait unnbsp;chant d’amour et l’un ou l’autre pourraient entrernbsp;et voir les portraits et les noms d’Apollidon et denbsp;Grimanèse inscrits sur le jaspe.

— Si vous voulez, ajouta Apollidon, nous essaie-

rons cette rnerveille... nbsp;nbsp;nbsp;_nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;_

Et ils cnlrèrent sous la voute qui résonna d’une douco musique; puis ils virent, nouvellemcnt graves sur la colonne, leurs deux noms inseparables,

lis engagèrent quelques dames et quelques gen-


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unique touché dessoinsde labelleBriolanie, Amadisnbsp;nepouvaitéloignerde sonnbsp;esprit Tirnage d’Oriane.nbsp;— II devint au bout de peunbsp;de temps si inquiet, si désireux de lanbsp;retrouver, qu’il décida ses compagnons a prendre comme lui le cheminnbsp;de la cour du roi Lisvart.

A peine étaient-ils en chemin qu’ils firent rencontre d’une demoiselle sui-vie de dames et d’écuyers.

Amadis leur demanda s’ils allaient comme lui ü la cour du roi Lisvart;nbsp;la demoiselle lui annon^a qu’ello al-lait en l’Ile Ferme dont le gouverneur était son père et que cette ile valait, pour desnbsp;chevaliers errants, la peine de s’y rendre pournbsp;éprouver leur chevalerie.

tilshommes tenter l’aventure; raais h peine ceux-ci élaient-ils entrés qu’un vacarriie affreux retentit et qu’ils furent refoulés au dehors avec force tour-billons.

Grimanèse s’amusa beaucoup de cette invention qui faisait plus de peur que de mal; elle remercianbsp;Apollidon, puis elle s’informa de cequ’il arriveraitnbsp;de la chambre oü ils avaient laissé Ie souvenir denbsp;leurs amoureuses caresses, des plus agréables,nbsp;ajouta-t-elle, puisque ce furent les premières.

Apollidon fit mettre un perron en marbre devant la chambre, et, cinq pas de celui-ci, un autre ennbsp;cuivre.

— Aucun chevalier, dit-il ensuite, n’entrera ici, ni aucune dame, a moins qu’ils ne nous égalent,nbsp;vous et moi, en chevalerie ou en beauté.

Et il fit écrire cela sur les tables, en y ajoutant les diverses épreuves que subiraient les chevaliersnbsp;désireux d’éprouver leur courage ou leur loyauténbsp;d’amour.

Le nom de ceux ou de celles qui seraient re-poussés, serait inscrit avec le nombre de fautes commises. Mais aussitót que l’homme attendu senbsp;présenterait, aussi brave chevalier qu’Apollidon,nbsp;touscesenchantemenfs et épreuvesdisparaitraient.nbsp;De même pour la belle maitresse re?ue par l’é-preuve ; elle affranchirait toutes les autres.

Cela fait, Apollidon mit un gouverneur chargé de recueillir les revenus, en attendant Theureuxnbsp;chevalier couronné, et il prit quelques vaisseauxnbsp;sur lesquels il arriva bientót amp; Constantinople, oünbsp;l’attendait une magnifique réception.

Maintenant que iious avons fait connaitre le temple d’Apollidon, reprenons le récit des aventu-res de iios héros et de nos héroïnes; revenons ünbsp;Amadis que nous avons laissé, en compagnie de sesnbsp;frères et de son cousin, a la cour de la belle reinenbsp;de Sobradise.

CIIAPITRE XII

Comment Amadis, Galaor, Florestan ct Agraies furent conduits en I’lle Ferme, pour dprouvernbsp;]a voute des lovaux amants.

— nbsp;nbsp;nbsp;Tous n’en sortent pas aussi joyeux qu’ü l’ar-rivée, ajouta-t-elle.

— nbsp;nbsp;nbsp;Je sais, répondit Amadis, qu’il y a lü de fortesnbsp;épreuves ü subir; je regrette de ne pas m’y êtrenbsp;exposé déjü; le chemin est par ici, ü gauche, a deuxnbsp;journées de marche, n’est-ce pas?

Agraies, le premier, voulut incontinent marcher vers eet endroit et proposa ü la demoiselle de luinbsp;tenir escorte.

— nbsp;nbsp;nbsp;Si vous pouvez franchir la voute enchantée,nbsp;lui dit celle-ci, vous verrez toutes les autres mer-veilles de eet endroit, les statues d’Apollidon et denbsp;Grimanèse, et votre nom gravé sur le jaspe parnbsp;une main invisible. Jusqu’ici il n’y a eu que deuxnbsp;noms...

— Eh bien 1 répondit Agraies, le mien fera le troisième.

— Mes amis, reprit Amadis, nous ne pouvons laisser Agraies partir seul, et, quoiqu’il soit le plusnbsp;amoureux de nous tous, nous devons faire commenbsp;lui.

Galaor fut de eet avis, et tous ensemble suivirent la demoiselle.

Floreslan qui n’avait jamais ouï parlor de l’Ilo Ferme, interrogea Amadis, qui lui raconta qu’Ar-ban de Norgales y était allé et en était revenu avecnbsp;sa courte honte. La demoiselle raconta ü son tour,nbsp;dans le plus grand détail, toutes les épreuves, et,nbsp;de propos en propos, la compagnie arriva au cou-cher du soleil, prés d’une prairie oü des pavilionsnbsp;dressés abritaient une troupe de chevaliers.

La demoiselle reconnut les gens de son père ct, prenant l’avance, elle alia avertir de l’arrivée desnbsp;chevaliers qui l’avaient suivie pour essay er lesnbsp;aventures de l’Ile Ferme.

Le gouverneur roQut somptucusement les arri-vants et, jusqu’au soir, on s’entretint des dames ct chevaliers qui s’étaient présentés sous la voute.

Le lendemain, tous se mi.rent en marche jusqu’a une chaussée étroite, entourée d’eau ü droite et anbsp;gauche, au bout de laquelle ils trouvèrent rilonbsp;Ferme.

Le palais d’Apollidon resplendissait, les portos étaient grandes ouvertes, et lorsqu’ils en furentnbsp;tout prés, ils virent une panoplie de cent targesnbsp;ou écus fixés sur des poteaux ü des hauteurs diffé-rentes.

Le gouverneur expliqua a Amadis que l’élévation des targes indiquait le degré d’honneur des chevaliers et les épreuves qu’ils avaient pu soutenir.

Amadis tacha de rcconnaitre les écus, dont cha-cun avait un écriteau portant le nom et les armos de son maltre. II reconnut celui d’Arcalaüs et celui du roi d’lrlande, qui était venu s’essayer deuxnbsp;ans avant^qu’Amadis ne le défit en Gaule.

Le plus élevé des écus était celui de Quadrayant, frère du roi Abies d’lrlando, qui avait approché lenbsp;perron de marbre; il cherchait Amadis pour ven-ger la mort de son frère.

Les amis se préparèrent aux épreuves. Agraies, pressé de connaitre son sort, doubla le pas et arriva sous la voute, en disant:

— Amour, si je vous ai toujours été fidéle, ne m’oubliez pasl...

Et la voute reridit un son mélodieux. Agraies la franchit et se trouva bientót au palais. II vit Apol-


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lidon et Grimanèse reproduits d’une facon merveil-leusc, et, sur Ie jaspe, deux lignes creusées.

La première contenait : Madanil^ jils du dm de Bourgogne, a passé sous la voute des loyaux amantsnbsp;et accompli les épreuves.

L’autre ligne disait : C'est Ie nom de Don Bruneo de Bonnemer, fils de Vallades, marquis de Trocques.

Mahadil airaait Aguindes, comtesse dcFlandre; et Don Bruneo, Méïicie, fillc du roi Périon denbsp;Gaulc.

A peine Agraies avait-il lu, qu’une troisièrue ligne apparut :

C'est Ie nom d'Agraies, fils de Languines, roi d'E-cossc.

Amadis, voyant Ie succes d’Agraies, iuvila ses compagnons è Ie suivre. IIs s’excusèrent sur Ie peiinbsp;de passion qu’ils entretenaient è ce moment; denbsp;sorte qu’il les laissa Ifi et s’avanga seul sous lanbsp;voute.

L’image de bronze rendit Ie son Ie plus harmo-nieux qu’on eüt encore entendu, et sa trompe, au lieu de fumée et de flammes, inonda l’lierbe denbsp;fleurs suaves.

Amadis vit les statues qui paraissaient animées, et il rejoignit Agraies, avec lequelil visita Ie palais.

Florestan et Galaor se firent indiquer la Gham-bre-Défendue. Florestan seul eut l’envie de l’éprou-ver; il s dvaiiga résolüment, traversa Ie perron de cuivre et s’abattit au perron de marbre, terrassénbsp;par une quantité de coups d’estoc et de taille invisibles qu’il ne pouvait rendre. 11 se crut mort surnbsp;1’heure, et il perdait connaissance lorsqu’uue forcenbsp;rnystérieuse Ic rejeta brutalement au dehors...

Galaor, indigné de eet accueil fait a Florestan, prit ses armes et s’avanga vers la Chambre pour Ienbsp;venger.

Mais, a son tour, il fut assailli par une grêle de coups mieux fournis qu’il n’eüt suppose, et sa co-lère, devenant furieuse è mesure que la résistancenbsp;augmentait,il assiégea rudementle perron de marbre, qui fut vigoureusement défendu par des forcesnbsp;supérieuies toujours invisibles. Galaor fut plusnbsp;meurtri que Florestan.

Pendant ces escarmouebes, Amadis ct Agraies yirent une inscription nouvelle paraitre sur Ienbsp;jaspe ;

Lelui-ci est Amadis de Gaule, Ie loyal amant, fils du roi Périon.

A ce moment, Galaor fut lancé au dclci des perrons, et sou nain se prit è cricr ;

'Jésusl mon seigneur Galaor est mort!

-Agraies accoururent a eet appel et par terre, Florestan ct Galaor,nbsp;nernbsp;nbsp;nbsp;nbsp;sirompus, qu’ils nc pouvaient son-

Agiaies crut qu il aurait les honneurs de la Ghambrc comme il avait eu ceux de la voute. Lais-saut done 1^ les trois chevaliers, il s’arma, clnbsp;après poir passé Ie perron de cuivre, il fut’ re-^nbsp;poussé sur celui de marbre de si belle fagon, qu’ilnbsp;n’avait rien è rcprocher aux autres...

Amadis, quoiqu’il rcgreltat la temérité de ses compagnons, ne put s’cmpèchcr de dire a Galaor .

Par Dien, mon frère, dussé-je y succomber, il me taut y aller aussil...

Monseigneur, répondit Galaor, (pic notre cx-périence vous suffise 1 II vous arrivera mal de ces diableries-Ial...

— nbsp;nbsp;nbsp;Advienne que pourral répondit Amadis. Jenbsp;suis déshoré si je n’y vais.

Alors, bien garanti par son écu, et l’épce nue, il ajouta :

— nbsp;nbsp;nbsp;O chère dame Oriane! tout mon courage etnbsp;toutc ma force me sont venus de vous jusqu’anbsp;cette heure... Ayez aujourd’hui mémoire de celuinbsp;qui vous implore!...

Puis, avec rapiditc, il s’avanga vers la Chambre, oü, une fois, il lui sembla avoir affaire a plus de mille chevaliers ensemble. Mais Oriane Ie con-duisait sürement, car son courage Ie débarrassanbsp;des lutins et démons qui lui faisaient rude guerre,nbsp;et il gagna enfin 1’entrée de cette chambre mys-térieuse, oü une main l’attira. Bientót il entenditnbsp;une voix qui criait :

— Sois bienvenu, brave chevalier qui surpasses en vaillance et en amour Ie créateur de céans! La seigneurie de cette ile t’appartient comme aunbsp;plus digne!...

La main, qui paraissaitflétrie et d’unc personne fort agéc, disparut, et Amadis resta aussi reposenbsp;que s’il n’cut rien combattu. Otant alors sou écu,nbsp;et remettant son épee au fourreau, il remercianbsp;Oriane, a qui il rapportait tout l’honneur qu’ilnbsp;avait eu.

Les habitanls de File avaient été témoins de la conduite d’Amadis; ils avaient vu la main qui l’a-vait accueilli, et la voix annongant sa victoire s’é-tait fait entendre partout. 11 fut mis en possessionnbsp;de File, a la grande joie de Galaor et de ses compagnons, cent ans après qu’Apollidon y eüt misnbsp;ces enchantements...

CHAPITRE XIII

Commenl Durin partit pour aller trouver Amadis, auquel il présenta les lettres d’Oriane, et du mal qu’il en advint.

a princesse Oriane se lamentait de ne jplus revoir Amadis. Elle se crut ou-(oliée de eet ingrat; elle lui écrivitnbsp;une lettre pleine de doléances, luinbsp;donnant congé de son amour et Ienbsp;priant de ne jamais plus s’occupernbsp;d’ellc, dont Famour s’était changé ennbsp;haine jusqu’ü la mort... \

Cette lettre écrite, elle pria Durin, frère de la demoiselle de Danemark,nbsp;d’aller en pourvoir Amadis chez lanbsp;reine deJSobradise.

Examine bien, ajouta-t-elle, la contenance d’Amadis a la lecture de cette lettre, dont je ne veux pasnbsp;avoir de réponse...

Durin s’en aha yitement chez la reine Briolanie, oü il apprit qu’Amadis élait parti depuis deux jours pournbsp;la Grande-Bretagne et qu’il avait touché a File Ferme.

Durin, saus s’arrêter, prit Ie chemin do File; il


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y arriva Ie jour mème oü Amadis passait sous la voüte des loyaux amants.

Durin voulait abarder Amadis; mais Gandalia l’en empêcha, siipposant avcc raison qu’il portaltnbsp;un message d’Oriane qui pourrait retarder l’é-preuve de la Chambre.

Lorsque Amadis eut été reconnu roi, Durin lui fut annoncé, et il lui raconta comment sa maitresse l’avait cbargé de lui faire tenir une lettre.nbsp;Amadis s’en empara avec empressement, lut ennbsp;se retournant; mais il se prit fort a pleurcr ennbsp;lisant Ie congé d’Oriane; et, arrivé la deruièrenbsp;phrase ; « Celle qui ne regretiera en mourant quenbsp;d'avoir vécu pour vous,» il jeta un soupir a fendrenbsp;l’aine et perdit aussitót connaissance...

Durin, désolé de ce rósultat, fut sur Ie point d’appeler a l’aidc. II se contenta de relever Amadis. Ce pauvre amant s’écriait:

— nbsp;nbsp;nbsp;Voilü done la récompense de la fidélité!nbsp;Celle pour qui j’aurais soutfert mille morts m’a-bandonne saus raison!... Comment Dieu permet-il que je sois ainsi foudroyé saus l’avoir mérité?...

11 rait la lettre sur son sein et proposa a Durin d’emporter une réponse; mais celui-ci refusa denbsp;se charger, suivant l’ordre d’Oriane, de quoi quenbsp;ce fut.

— nbsp;nbsp;nbsp;Je vois bien, murmura alors Amadis, navré,nbsp;que mon malheur est sans remède et que je n’ainbsp;plus qu’a mourir!...

II se leva en chancelant, alia laver ses yeux, rouges do larmos, a l’eau du ruisseau voisin. Puisnbsp;il envoya querir Ie gouverneur Isanie et sou fidélenbsp;Gandalin; au premier, il fit promeltre de gardernbsp;Ie secret de ce qu’il verrait, jusqu’au londcmainnbsp;matin é l’heure de la messc; au second, il ordonnanbsp;d’aller l’attendre è la porto du chateau avec sounbsp;cheval et ses armes.

Peu de temps après, il les rejoignit, et tous trois se mirent a cheminer é l’aventure jusqu’a un ermitage dédié a la vierge Marie.

Amadis, se jetant a genoux, implora mentalc-ment la grande consolatrice des affligés. Puis, at-tirant Gandalin a lui, il l’embrassa étroitement en disant :

—Ami, lo inême lait nous a nourris tous deux... J’ai été sauvé de la mor par ton père... Je veuxnbsp;aujourd’hui m’acquilter en vers toi... Comme tonnbsp;dévouement, que je n’espérais pas récompensernbsp;sitót, m’est devenu inutile, nous allons nous sc-parer... Je tedonne Pile Ferme... Isanie, qui ennbsp;est Ie gouverneur, t’obéira comme a moi, et il or-donnera ^ mes sujets, devenus les tiens, do t’obéir

aussitót que Ie bruit de ma mort sera connu.....

Ton père et ta mère, qui out eu taut de soin de moi, en jouiront duront durant leur vie; tu pren-dras ensuite leur succession... Quant a vous, Isa-nic, avec Ie produit (pic vous retircrez de cettenbsp;ile, vous fercz constniirc une abbayc pour treidcnbsp;rcligieux, et voiH Ia consacrcrcz è la Vierge Marie...

Amadis dit et se tut.

Gandalin voulait suivre son mailro, et Isanie lui-méme ne voulait j)as abandonner sou roi. Maisnbsp;Amadis refusa avec autorité; il donna a Gandalinnbsp;ses armes, Ic priant de se faire recevoir chevaliernbsp;par Galaor, auquel il Ie priait de s’altaclier commenbsp;a lui.

— Disè Ga’aor, ajouta-t-il, qu’il prenne a sou service Ardan, mon nain, et recommande è cc

dernier d’etre fidéle et diligent.....Maintenant,

puisque je n’espère plus vous revoir, priez Dieu pour moi, et, sur votre ame! je vous défends denbsp;me suivre...

En parlant ainsi, Amadis avait les yeux pleins de larmes. II rcmonla a cheval, partit au galop,nbsp;sans lance, sans écu et sans armet, et entra ennbsp;pleine montagne, laissant aller son cheval a l’a-venture.

Vers Ie milieu de la nuit, Ic cheval rencontra un ruisseau ou il hut; puis, en reprenant course,nbsp;Amadis fut choqué ruderacnt par des branchesnbsp;d’arhres, cc ([ui Ic tira de sa préoccupation. 11 re-garda autour de lui : Ie gazon était épais, Ie hoisnbsp;touffu; il pensa qu’il était hors de vue, et, aprèsnbsp;avoir attaché son cheval, il s’étcndit pour réver ;inbsp;sou aise. Mais Ie sommeil Ic plus profond ne tardanbsp;pas è venir réparcr les fatigues de son corps et denbsp;son cerveau.

CIIAPITRE XIV

Commcnl Gandalin ct Durin portèrcnt fi Amadis ses armes, qu’il avait oubliécs, et comment co dernier combattit con-tre un chevalier qu’il vainquil.

andalin ct Durin, après Ic tristc depart d’Amadis, vou-lurcnt lui porter ses armes.nbsp;Drenant congé d’Isanie, ilsnbsp;suivirent, autant qu’ils jugè-rent, la rnêine direction, et,nbsp;après une bonne marche, ilsnbsp;¦entendirent hennir Ic chevalnbsp;d’Amadis, qui sentait appro-cher les deux autres.nbsp;Gandalin pensa ([u’Araadisnbsp;, n’était pas loin.—11 s’avanganbsp;^discrètcment sous les brati-^ches et rapergut éndorminbsp;sur Ie bord d’uu ruisseau. Amadis se révcilla bien-tüt et SC leva comme un homme surpris; puis ilnbsp;se rassit sur l’herbc ct commenga a gémir è hautenbsp;voix sur sa situation.

II passa en revue sa vie, ses combats, les honneurs (ju’il avait regus, toutes choses périssablcs qui ne valaicnt pas 1’amour d’Orianc. Gandalin ctnbsp;Durin plcuraient fort a cc récit,(pi’ils cnlendaientnbsp;sans être vus.

Lors s’avanga de leur cóté un chevalier qui chantait ses amours. 11 disait, tlans sa romance :

Amour, amour, je vous suis redevable Bien plus que nul gentilhomme vivanl.

Vu que loujours vous me rende/, uimablc Envers la dame oü jc suis poursuivant.

Temoin cn est la reine Sadamire Que jaimai tant d'une amilic profondc.

Comlnc, it prdsent, d’elle jc me retire,

J’aimc la lille au mcillcur roi du monde :

C’cst Oriano, oü grand’bcaulc se range.

La nompareille ici-bas, la plus bolle !... lleurcux me sous de chanter sa louangc,

1’lus beureux suis d’etre taut aimé d’cllc !...


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LE BEAU-TENEBREUX. 15

Lorsqii’il cut fini sa romance amourcuse, co. chevalier se retira sous uii arbre, pensant y passernbsp;Ie veste de la nuit. Mais il lui arriva pire qu’ilnbsp;n’attondait, car Gandalin, au nom d’Oriane, dit iinbsp;Durin ;

— Notre seigneur n’a pas entendu celtc chanson ; il i'aut que je sachc dc lui cc qu’il faut faire...

IN il cnlra dans Ie fourré. Amadis, (jui clicr-chaitson cheval, fut surpris dc cette apparition, a laquclle il cria dc s’arrêtcr.

— Je suis Gandalin, nion seigneur, dit celui-ci, ct, nialgrê votre defense dc vous accompagner,nbsp;j’ai voulu vous deinandcr cc qu’il peut penser desnbsp;sols propos d’un chevalier (jui est ici prés...

— Je l’ai fort bien entendu, répondit Amadis, ct ne m’cn inquiètc pas. Je suis si désolc, que jenbsp;n’ai ni emur ni force pour rclcver la moindrc ou-trecuidancc...

— Seigneur, reparlit Gandalin, faites-moi la grace dc penser a mieux vous defendre, ainsi quenbsp;Yotre dame, d’autant jiliis que Durin, qiii in’a ac-compagné, fera Ic roeit dc celtc aventure a cellenbsp;que vodis airac/laiit.

Amadis, yaincu par celtc prière, s’appvocba du chevalier.

— Miserable coureur! lui cria-t-il, il te sied bien dc «diantcr des amours quo tu n’as jamaisnbsp;cues ni jamais méritécs 1 Je tc Ic prouverai en tenbsp;taillant en pieces!...

— Grois-tu, répondit Ie chevalier, quo si j’ai été aimé, je ne sois pret ii Ie soutenir?. ..

— Je pretends, reprit Amadis, qu'il y a en amour plus dc raai que de bien, ct je veux voir si Ie bon-heur dont tu te flaltes est h la hauteur de mes in-fortuneii...

Le chevalier se mit en selle et prépara ses armes •, puis tournant bride, il dit avec mépris ;

— Tu es indigno de te mesurcr avec moi, puis-qu’xVniour t’a banni en raison de ta vilenie!

— Goquin, lui répondit Amadis, tu cros dé-fendre tes amours avec ton bec au beu dc les dé-fendro avec tes armes; cc serail unc retraile Irop commode, en véritól...

¦— ïu as raison, rêpliqua le chevalier; je veux bien, malgré ta bassessc, terompre latète, puisquenbsp;tu parais le désircr absolument...

La-dessus ils foudirent l’uu sur l’autve, et si for-tement que les lances furent rompues, faussant leurs ecus de part en part; les armures, bien trem-pees, arrêtèrcnt les Ivon^ons. Un instant désar-Conne, le chevalier inconnu, aidé des rênes, qu’ilnbsp;arait conservées, se releva.

Vraiment, chevalier, lui dit Amadis, Amour a mal choisi j»our d(qecseur si vous no le sou-tenez jms inieux a 1 épée qu’ii la lance!...

Le chevalier, sans ètro trouble, attaqua Amadis 1 épee a la main. Maïs Amadis, se dressant sur sesnbsp;élriers, lui fendit rarmet, ct du mème coup cn-tama Ic clioval qui renversa sous lui son cavalier.

— nbsp;nbsp;nbsp;Gcntil amoureux, lui dit Amadis, je vousnbsp;conseillodc faire toujoursdcparcillcs prouosses aunbsp;service d’Amour, dont vous chantez si bien les

louangesQuant a moi, je vais ailleurs chcrclier aventure...

Puis, s appi'ocbant de Gandalin ct Durin , il dit a ce dermer:

— nbsp;nbsp;nbsp;Va, rctouruc vers ta maUressc qui t’a cuvoyénbsp;pour rnon malheur!... La mort seule pourra fmirnbsp;les tourments que j’endure... Salue de ma part lanbsp;princesse Mabile et la demoiselle de Danemark...nbsp;Annonce-leur raon trépas prochain.. Plaise iiDieunbsp;qu’avaut de mourir, je puisse leur rendre les biensnbsp;ct faveurs que j’en ai requsi...

Les larmes i’empêclièrent de continuer. Durin avail le eoeur si brisé qu’il ne trouva rien a ré-pondre.

Amadis l’embrassa en le recommandant a Dien.

L’aube commenqait a poindre k cc moment. Amadis aperqut Gandalin é ses cótes et il lui dit:

— nbsp;nbsp;nbsp;Si tu as résolu dc m’accompagncr, jure dc nenbsp;me détourner de rien, soit en paroles, soit en actions, sinon prends un autre chemin, quo je ne tenbsp;voie plus I...

— nbsp;nbsp;nbsp;Sur mon honneur, répondit Gandalin, je ferainbsp;co que vous ordonnerez !...

Alors Amadis lui fit preudre ses armes et reli-rer do son écu l’cpéc du chevalier amoureux, a qui cllc fut rendue.

GHAPIÏRE XV

Quel (jtait le chevalier vaincu par Amadis et cc qui lui clait adveiiu avant de combaltre centre lui.

Ge chevalier s’appelait Le Patin, Irère de Sidon, alors erapereur de Rome. On le respeclait partout,nbsp;paree qu’il était chevalier rcdoutable, et, de plus,nbsp;paree que son frère, trop agé pour avoir descendance, devait lui laisser ses Ltats.

Le Patin tenait un jour devis d’amour avec la reine de Sardaignc, nominee Sadamire, et mutuel-lement ils se louaient de lours atlraifs. Le Patin,nbsp;enivré de eet oneens, projet a incontinent d’allcr ennbsp;Grande-Bretagne disputcr pour Sadamire contrenbsp;Ui iaue le prix dc beauté.

— Je soutiendrai, disait-il, votre beauté seul contre les deux meilleurs chevaliers qui diront lenbsp;cqniraire... Si je suis vaincu, jc veux que Ie roinbsp;Lisvart me tranche la tête...

— Je ne suis pas de eet avis, réjiondit la reine. II y a d'tiutres nioyens de prouver sa chevalerie.

— J’ai juré de prouver que vous êles aimée du raeilleur chevalier de la terre, et je poursuivrai monnbsp;dessein, repartit Le Patin.

En eiïet, pen de temps après ii se rendit a la cour du roi Lisvart. Et comme son train était plusnbsp;riche quo l’ordinairc des chevaliers orranls, le roinbsp;le prit a part afm de connaitre son iiom el lui fairenbsp;l’hoimeur qu’il mérilait.

— Sire, r(‘pondit Patin , je nc suis pas venu ici ])Our cacher mon nom, imis ;iu contraire pour menbsp;faire connaitre dc vous et de vos seigneurs... Jenbsp;suis Lc Patin, frère de I’cmpercur de Rome... Jcnbsp;vous en dirai davantagc ajjrès avoir vu madamenbsp;Oriauc, votre fillc...

Lc roil’cmbrassa commo sou cousin, s cxciisanl do 110 l’avoir rcconnu plus lót. A souper, les ri-cliesses des apparlcments ct lc norabre des seigneurs lui firont parattre incsquin lc train de sonnbsp;frère.

Le lendeniain, la reine le rcQiit avec Oriane, qui lui parut si belle qu'il Iransporta tout son amour


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10

RIIILIOTIIEQUE BLEUE.

pour Saclamire dans son regard. Pourtant Oriane était palie par sa Jalousie a rencontre d’Amadis!...

Le Patin fut si fort enamouré qu’il résolut de demander Oriane en mariage, pensant qu’on lanbsp;lui accorderait facilement a cause de sa naissance.

Après le diner, comme il devisait avec le roi de choses et d’autres, il aborda ce sujet inattendu.

— Sire, dit-il, maintenant que j’ai vu votre fille Oriane, je vous demande sa main... Par mon frère,nbsp;je serai un jour empereur de Rome, et, dès au-jourd’hui, je ne connais prince qui ne m’eraployalnbsp;de préférence amp; tout autre. J’ai fait une route sinbsp;longue pour vous prier de m’accorder eet honneurnbsp;de me prendre pour gendre.

— Mon cousin, répondit Ie roi, la reine et rnoi avons résolu de nous fier au choix de notre fille...nbsp;Je lui ferai votre proposition qui nous honore tous,nbsp;croyez-le.

Le roi n’en souffla mot k Oriane, mais répondit au Palin qu’elle avait refuse de s’établir encore sinbsp;tót.

Le Patin demanda a Oriane si elle approuvait l’avis de son père; elle assura que de tout tempsnbsp;elle avait été soumise a ses moindres volonb's.

11 se tint pour accepté de la princesse et résolut d’aller éprouver sa vaillance contre les chevaliersnbsp;errants.

Le roi lui représenta tous les dangers qui l’at-tendaient contre des hommes habitués a toutes les armes, mais il ne put le détourner du déiir denbsp;faire entendre parler de ses prouesses. Le Patin par-tit done après avoir compose la chanson qui soutintnbsp;son courage jusqu’tt sa rencontre avec le désolénbsp;Amadis.

Durin, quittant Amadis pour retourner vers Oriane, passa prés du chevalier blessé qui l’appelanbsp;pour se laire panser dans les environs.

— II n’y a qu’un endroit convenable, dit Durin, mais on y est en ce moment si affligé du départ denbsp;celui qui l’a gagné qu’on ne vous répondra pas.

— II me semble, fit Le Patin, que ce lieu gagné doitêtreTlle Ferme. Elle estdéjé gagnée? j’en suisnbsp;faché, car je me proposais de le tenter.

Durin lui répondit en souriant:

— Sur ma foi, au lieu d’honneur il vous serait arrivé bien de la honte, é moins que vous n’ayeznbsp;quelque prouesse cachée supérieure é ce que vousnbsp;nous avez montré.

Le Patin, furieux, voulut chatier Durin, mais il fut curieux de connaitre l’auteur de la conquète denbsp;File, el lui demanda son nom.

— Après avoir entendu le vótre, répondit Durin.

Le Patin lui apprit qu’il était le frère de I’em-pereur de Rome.

— J’en suis bien aise, répliquaDurin, mais je vous vois aussi fort de lignage que faible sous lesnbsp;armes et grossier en langage, d’après les proposnbsp;que vous avez tenu tout a l’heure au chevalier quonbsp;vous désirez connaitre , qui est celui-la même quinbsp;vous a mis en bon état. Vous m’accordereznbsp;aisément qu’il est mieux que vous digne de cettenbsp;conquète.

Ge disant, il donna des éperons è son cheval sur la route de Lqndres, avec la résolution de raconternbsp;è madame Oriane toutes les paroles et les hauls failsnbsp;d’Amadis.

CHAPIÏRE XVI

Comment Galeor, Florcstan el Agraics enlre-prirent la recherche d’Amadis qui, laissanl I ses armes et son nom, s’était retiré pour vivrenbsp;avec un crmiie.

t

-.n quittant rilc-Ferme, Amadis { n’avait prévenu ni Galaor, ninbsp;•^Florestan , ni Agraies; Isanienbsp;ƒ avait jure de garder le secret denbsp;son départ.

Le lendemain, privés de leur ami, ils le réclamèrent au gou- ,nbsp;verneur qui,leslarmes aux yeux,nbsp;leur raconfa tout ce qui s’était passé.

Ils furent contristés de tous ces détails navrants.

Galaor s’écria que, malgré touto defense, il rechercherait son frère, et qu’il le venge-rait OU mourrait it la peine.

Isanie pria Galaor de se charger du nain Ardan que lui laissait Amadis.

Le pauvre nain s’arrachait les cheveux et parlait de se tuer si son maitre était défunt; enfin, pendant quelque temps ce ne furent quo lamentationsnbsp;et sanglots.

Florestan prit la parole le premier, et dit:

— Laissons lè les pleurs qui vont bien aux femmes et agissons de suite, car le temps passe etnbsp;le seigneur Amadis s’éloigne a chaque minute.

Ils montèrent a cheval sous la conduite d’Isanie jusqu’a l’endroit oü Amadis I’avait laissé, puis ilsnbsp;continuèrent jusqu’a ce qu’üs trouvèrent Le Patinnbsp;blessé è qui ses écuyers faisaient une litière avecnbsp;des branches.

Ils le saluèrent en passant et lui demandèrent qui l’avait ainsi outrage. Mais il fit signe que sesnbsp;écuyers répondraient pour lui. Galaor apprit quenbsp;c’était de la main d’un chevalier venu de l’Ile-Ferme, qu’il avait été si mal habillé.

— Et qu’est devenu ce chevalier? fit Galaor.

— Nous ne le savons point, rópondirent les écuyers; nous étions loin d’ici pendant le combat;nbsp;nous pensons l’avoir rencontré en venaiit; il cou-rait a travers la forêt en poussant des plaintes, etnbsp;suivi d’un écuyer en deuil portant ses armes et sonnbsp;écu k deux lions de sable.

— G’est celui que nous cherchons, ditFlorestan.

Les écuyers indiquerent la route que prirent les chevaliers au galop.

Les chevaliers marchèrent longtemps et s’arrê-téreut a un carrefour oü ils décidèrent de se sépa-rer pour se retrouver, ü la Saint-Jean suivanto, è la cour du roi Lisvart.

Leurs adieux furent déchirants, et leurs recherches infructueuses au milieu d’un dcdale d’aven-tures et de dangers.

Amadis , après avoir renvoyé Durin, langa son cheval ii fond de train et arriva a un.torrentnbsp;qui coupait une vallce. Cc lieu étant trés retiré, ilnbsp;s’y arrêta etGandalin l’y rejoignit.

— Prends ces deux chevaux et me laisse, lui dit-il; fatigue ou repos ne peuvent soulager monnbsp;mal, je ne pensc plus qu’a mourir.

— Ecoutez-moi, répondit Gandalin, votre dame


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T.E BRA U-ïfi NR BREU X.

a dü recevoir quolque faux rapport sur vous, car ' elle na pu changer ainsi subitement amour ennbsp;haine sans cause ni raison; la vérité se fera con-naitre, et ne uésespérez pas de la voir proclameenbsp;par celle mêrne qui cause vofre malheur aujour-d’hui.

—Tais-toi, répliquax\madis; enmourant, j obeis amp; ma dame, s’il lui plait m’octroyer eet ordre; si jenbsp;n’attribuais tes paroles a I’interet que tu as pournbsp;moi, je te décollerais la tète.

Puls il se leva égaré et coloya Ie torrent._

Gandalin ne voulut pas Ie suivre; accablé de fatigue, il s’endormit profondément.

Amadis, en revenant, l’aperc.ut, ne Ie rcveilla pas, mais alia prendre et seller son cheval; puis,nbsp;cachant les harnais de celui de Gandalin dans lesnbsp;buissons, il gagna Ie haul de la monta^ne.^

11 marcha jusqu’au lendemain et sarrêla a la fontaine nommée du Plein-Ghamp, pour faire ra-fraichir son cheval.

En s’approehant, il aperqutun rcligieux fort ögè qui faisait boire son ane,

Amadis Ic salua et lui demauda s’il était prêtre.

— Oüi, certes, répondit Ie vénérable vieillard , il y a plus de quarante ans que je Ie suis; si vousnbsp;avez quelque péché a confesser, je vous en donnenbsp;1’occasion.

Amadis se jeta a ses genoux et lui fit Ie récit de ses aventures.

— Je vois, dit a la fin Ie rcligieux, que vous êtes de haute lignée; oubliez ces chagrins causes parnbsp;unc femme dont Ie coeur se prend vite et oublienbsp;plus vite encore. Eloignez-vous désormais de ccsnbsp;occasions qui déplaisent a Dieu et aux personnesnbsp;de vertu.

— Ah! mon père, répondit Amadis, j’en suis arrivé a détester la vie, et je vous supplie, au nomnbsp;de votre Dieu, de me recevoir en votre compagnienbsp;et consoler ma pauvre ame bientót veuve de uionnbsp;miserable corps'.

Dés a présent, je quitte harnais et chevaux pour vous suivre a pied et faire telle pénitence qu’il vousnbsp;conviondra de m’infliger; sur votre refus, j’irai me

perdre k travers ces bois sans absolution et vous cn serez coupable.

— Croyez-rnoi, repartit 1’ermite, un pared dés-ppoir ne convientpas ti un chevalier commo vous; les femmes se fient bien plus aux rapports qu’onnbsp;leur fait qu’a la vertu do leurs amants, vous Fé-pvouvez vous-même en cc moment : soyi*z fermenbsp;dans la Constance et la vertu, ct puisqueDieu vousnbsp;a cree hls de roi, vous gouvernerez un jourlc mondenbsp;OU il vous faut retounier.

, nbsp;nbsp;nbsp;« on père, répliqua Amadis, Ic soin de mon

ame me preoccupe par-dessus tout, accentez-moi comme sociéle ou bien je me laisserai occire parnbsp;les bètes (Ie cette forèt.

A cette obstination, Ie vieillard répondit par des larmes arnères; sa longue barbe blanche on étaitnbsp;inondée, il continua pourtant;

— Ilèlas! raion enfant, la vie austere que je mène et Ie lieu que j’habite ne vous conviennent guèro.nbsp;Mon ermitage est au sommet (i’un rocher silué amp;nbsp;sept lieues cu mer; on n’y peut arriver qu’au commencement du prinlcmps; malgré cela, Dieu m’ynbsp;conserve depuis trente ans a 1’aidc des aumónes denbsp;quclques bonnes geus d ici.

— nbsp;nbsp;nbsp;Je vous assure, fit Amadis, qne cela corablenbsp;mes désirs; je vons supplie derechef, pour Famournbsp;de Dieu, de m’emmener avec vous.

L’crrnite, attendri par cette insislance, consenlit cl Ie prendre chez lui.

Amadis lui balsa les pieds, implorant une pénitence; Ie saint horame récita les vèpres, après les-quelles il tira de sa besace une croüte de pain et un poisson cuit au soleil, et pria Amadis de partagernbsp;avec lui.

Quoiqu’il n’cütrien pris depuis trois jours, Araa-dis refuse.

— nbsp;nbsp;nbsp;Mon fils , lui dit 1’ermitc, vous avez proraisnbsp;de m’obéir, raangez; si vous mouriez en ctat donbsp;rébellion, votre ame serail perdue.

Amadis se conlraignit h manger quelques micttes, son coeur éclalait en soupirs. Après cette collation,nbsp;Fermite étendit son mantcau, se coucha dessus etnbsp;se roposa. Amadis se tint a ses pieds et tacha donbsp;s’endormir; raais Ie sommeil ne s’empara de luinbsp;qn’après bien des agitations, et il rêva qu’il étaitnbsp;entermé dans une piece obscure sans issue; Mabilenbsp;et ja demoiselle de Danemark Fy venaient visiter,nbsp;pri'cédéc's d’un rayon de soleil. Elles Feramenaicntnbsp;ensuito vers un palais.

A peine ctait-il dehors qu’il vitOrianc envclop-pcc de feu, ct il sc mit ii crier;

— Jésus! secourez madame Oriancl

Et lui-mème se jeta au feu pour la sauver, la prit entre ses bras et Femporla sur une pelousc toutenbsp;fraiche et verte.

Au cri que poussa Amadis, Ie bon ermite s’éveilla et lui en demanda la raison.

—Mon père, répondit Amadis, je viens d’éprou-ver en dormant un malaise tel que je m’étonne d’etre encore en vie.

— Votre declamation Fa assez prouvé, répliqua Fermite; mais levons-nous, il est temps de parlir.

Et il inonta sur son ane, suivi d'Amadis; tons deux prirent Ie chetnin de Fermitage, et en devi-sant Amadis pria son compagnon de lui accordernbsp;une grace, ce qui lui fut promis.

— Je vous supplie, dit Amadis, de nedire a per-sonne qui je suis; eommcz-moi comme il vous plaira; quand je serai mort, vous avertirez mesnbsp;fibres (Ie venir prendre mon corps pour lui donnernbsp;la sépulture en Gaule.

— Votre mort et votre vie, répondit Fermite, sont a Dieu; vous Foffensez en parlant ainsi; ai-incz-le pour ciu’il vous aide. Quel nom toutefoisnbsp;vonlez-vous porter?

— Celui qui vous plaVa, fit Amadis.

El tont en cheminant, Fermite examinait Ama-dis qui lui paraissait de plus en plus beau, mais il lo voyait si désolé (ju’il s’avisa de lui donner unnbsp;nom conforme a sa mélancolie.

— Mon fils, quoique vous soyez jiumc et de belle taille, lui dit-il, votre ennui pourtaut rend votrenbsp;existence ténébreuse; c’csl pour.pioi je vous donnenbsp;Ie nom do Beau-Ténébreux.

Ge nom pint ii Amadis, car il indiquait de la jiart de Fcrmilc une l:iiilaisi(3 intelhgente.

Ils arrivérent ;'i Ia unit pres de la mer, oü une barque les mena fi la Rochc-Vauvre, nommée ainsinbsp;a cause de la slcrilité du lieu.

L’crmile reprit la conversation cl confia a Amadis son nom qui était Andahod; il avail été dans Ic-

2” Série. — 2


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18 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

monde et connai^sait les sciences, niais Dien lui conseilla un jour de se retirer dans ce pauvre en-droit, oü il demeurait depuis Irente ans, sans ennbsp;ctre sorti, excepté la veille de sa rencontre avccnbsp;Amadis, pour assister aux obsèques d’une de sesnbsp;soeurs.

Le Beau-Ténébreux fut ravi de se trouver dans un endroit oü bientót la mort finirait ses ennuis.nbsp;11 passa ses jours en pleurs, dédaignant son an-cienne gloire et méprisant toutes les vanités.

Le dépit d’une faible femme l’avait rendu misanthrope, et il n’avait pas óté plus invulnerable qu’une infinité do grands personnages de l’anciennbsp;temps.

Au lieu de les prendre pour exemple, il eüt dü éviter leurs fautes, co dont il ne s’avisa point.

Gandalin, en s’évcillant, se trouva seul et ap-pela Amadis. L’écho seul lui répondit et il supposa la vérité.

Toutefois, résolu de cbercher son rnaitro, il s’apergut qu’il n’avait ni bride ni selle; il les trouvanbsp;enfin ainsi que le cheval, et, s’ctant mis en selle,nbsp;il no sut de quel cótó s’avancer; il marcha cinqnbsp;jours de village en village, s’informant d’Amadis.

11 deboucha un jour dans la prairie oü Amadis avait laissé ses armes et vit un pavilion abritantnbsp;deux demoiselles.

— Avez-vous vu, leur dit-il, passer un chevalier portant écu d’or a deux lions de sable.

— Nous avons trouvé 1’écu et le roste de son hariiois, répondirent-elles, quant a lui, nous nenbsp;le vimes pas.

— Ah! viergeMarie, s’écria Gandalin, eest fait de lui, lasl quel malheur! Le meilleur chevaliernbsp;du monde est-il ainsi perdu 1

Sa douleur était vraiment affreusc et navrante.

— Comment, disail-il, ai-je pu vous garder si mal, négliger mes devoirs envers vous qui étiez lenbsp;rempart de tous les misérables, o mon seigneur.nbsp;Et je vous ai laissé parlir au moment oü je devaisnbsp;le plus m’atlacher a vous.

Le pauvre Gandalin se laissa choir de son che-val tant il était érau.

Alors les demoiselles s’écrièrent:

— Jésus, cel écuyer est morll

Elles coururent a lui el le firent revenir ü la raison.

— Mon ami, lui dirent-elles, votre mailre est peut-êlre vivant; au lieu de vous désespérer, pre-nez courage pour tenter de le retrouver.

Gandalin se rendit a ces raisons et il résolut de faire tant de démarches, qu’il aurait enfin des nou-velles d’Amadis.

Les demoiselles lui raconlèrent qu’étant en la compagnie de don Guillan-le-Pensif, qui les avaitnbsp;délivrées de la prison do Gardinos-lc-Félon, ellesnbsp;s’étaient arrêtées dans la prairie et qu’elles ynbsp;étaient depuis quatre jours.

Don Guillan avait reconnu les armes d’Amadis et les avait pendues a im arbre, jurant qu’elles ap-partimaient au premier chevalier du monde : qu’ilnbsp;lui fallait, sans tarder, aller è sa recherche.

— II nous a cqnfié la garde dc ces armes, et depuis Irois jours il esl revenu le soir sans succès; ce matin il a cmporlé i’écu du chevalier perdu,nbsp;en disant:

— nbsp;nbsp;nbsp;Gerles, écu, vous faites un mauvais échangonbsp;de votre maitre amp; moi.

— nbsp;nbsp;nbsp;Don Guillan doit porler ce Irophée a Ia cournbsp;du roi Lisvart, afin qu’on pleure le défunt; nons-mêmes nous devons informer la reine Briseno donbsp;ce que Guillan a fait pour nous.

Gandalin les recomraanda Dieu, les assurant qu’il continuerait, jusqn’a ce que mort l’empêchat,nbsp;do chcrcher celui duquel dépendait son repos.

CIIAPITRË XVII

Comment Durin retourna vers Ja princesse Oriane, porteur des nouvelles d'Amadis et dcnbsp;la douieur qu'elle conout en apprenant sonnbsp;désespoir.

urin, en laissant Le Patin dans la forét, se pressa sinbsp;fort pour retrouver Oriane,nbsp;qu’cn dix jours il arriva anbsp;Londres.

Oriane, en l’apcrcevant, sc rait ^ trembler si fort, qu’elle ne put parlor etnbsp;qu’elle pria la demoiselle do Danemark de le fairenbsp;enlrer dans sa chambre, oü elle voulait roster settlenbsp;avec Durin.

Durin se mit a genoux et Oriane lui dit:

— nbsp;nbsp;nbsp;Mon ami, raconte-moi sincèrcmont en quelnbsp;état tu as trouvé Amadis, la contenanco qu’il a enenbsp;en lisant ma lettrc et ce quo tu penses de la reinenbsp;Briolanie.

— nbsp;nbsp;nbsp;Madame, répondit Durin, quelqu’incroya-ble que vous paraitra la vérité je vais vous la dire.

Durin raconta toules les circonstances de son voyage jusqu’a l’lle Ferme et en vint aux épreiivesnbsp;de loyauté d’araour épuisées par Amadis.

Une gracicuse rongeur embellit le pMe visage d’Oriane a cette nouvelle qui l’cmpêchait de soup-Qonner la lidélité de son chevalier.

— Madame, continua Durin, mon seigneur Amadis a franchi ensuite le seuil de la chambrenbsp;enchantée et gagné la couronne de file Ferme,nbsp;disputéo depuis cent ans par les meilleurs clteva-liers. Nous avons pu visiter toutes les richesses denbsp;cc palais qui n’a d’égal en aucun lieu du monde.

— Vraiment, Durin, fit Oriane, la fortune lui a cté bien favorable.

— nbsp;nbsp;nbsp;Sans doutc, répondit Durin, mais hien ri-goureuse aussi. Plüt ü Dieu qu’un autre quo moinbsp;lui eüt porté votre lettre.

— Comment, reprit Oriane, dis-moi ce qu’il fit en la lisant?

— nbsp;nbsp;nbsp;Ma dame, cette facheuse lettre, répliqua Durin, les larmes aux yeux, a causé la mort du seigneur Amadis. Vous avez forgé le glaive que j’ainbsp;porté 1 Nous sommes tous les deux coupables d’ho-miridel

Durin entra dans tous les détails du départ d’A madis, des adieux qu’il avait fails, de son combatnbsp;avec Le Patin. 11 était aussi désolé qu’Oriane, dontnbsp;le cceur se soulevait comme une nier furieuse; lanbsp;pauvre dame finit par ne plus écouter et s’éva-iioait...

Durin appela Mabile et la demoiselle de Danemark.


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LE BEAU-TÉNÉBREUX, 19

LE BEAU-TÉNÉBREUX, 19

on Guillan-le-Pensif, après avoir quitté la fontaine oü ilnbsp;avait trouvé les armes d’A-madis, se mit a cheminernbsp;pqur gagner la cour du roinbsp;•Lisvart. Il portaltordinaire-

— nbsp;nbsp;nbsp;Secourez dame Oriane, dit-il, qiii est frappéenbsp;d’un mal auquel il n’est pas de reraède. Si elle anbsp;failli, Ie chètimeiit lui est justement revenu.

Oriane revint a elle après une longue pamoison, elle soupira et dit d’unevoix faible et dolente :

— nbsp;nbsp;nbsp;Que je suis malheureuse d’avoir fait mourirnbsp;celui que j’airaais Ie plus au monde; ó inon ami!nbsp;puisque je ne puis réparcr Ie mal dont je suisnbsp;cause, acceptez Ie sacrifice de ma vie. Mon ingra-tilude sera ainsi punie etvoiroloyauté reconnue...

Elle voulait continuer, mais sa voix s’éteignit.

Les dames qui l’entouraient voulaient appeler Durin pour connaitre la raison de son délirc, maisnbsp;Mabile déla^a Oriane et lui donna tant de soinsnbsp;qu’clle reprit connaissance.

— nbsp;nbsp;nbsp;Plüt a Dieu que je fusse morte, dit la bellenbsp;éplorée, d’avoir cause a mon seigneur Amadis,nbsp;chagrin de mort.

— nbsp;nbsp;nbsp;Croyez-vous, répondit Mabile, que mon cousin, s’il est parti, comine a dit Durin, a un autrenbsp;motif que celui de faire passer sa rnélancolie ennbsp;attendant que son innocence soit reconnue. Ecri-vez-lui de venir vous trouver amp; Mirefleur, oünbsp;vous l’attendez pour avoir pardon de votre faute.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ah! cousinc, fit Oriane, pensez-vous qu’ilnbsp;daigne jamais me regarder, ni faire un pas pournbsp;moi?.,,

— nbsp;nbsp;nbsp;L’amour qu’il a pour vous, reprit Mabile,nbsp;dépasse Ie chagrin que vous lui avez causé; lors-qu’il apprendra votre regret, il oubliera d’avoir éténbsp;Kialtraiié. II faut que la demoiselle do Danemarknbsp;se charge de Ie trouver, il la connait et a confianccnbsp;en elle.

— Eh bien I soupira Oriane, que Dieu l’accompa-gne et la ramène ici.

La lettre fut ècrite ii 1’instant par Oriane et remise è la demoiselle de Danemark, qui partit pour I Ecosse oü Amadis dcvait, suivant ces dames, s’ê-tre retiré avec Gandalin.

Dour colorer ce voyage, on fit entendre a la reine que Mabile envoyait quérir en Ecosse desnbsp;oouyelles de sa mère par la demoiselle de Dane-mark qui partit avec Durin sou frère, et Enil,nbsp;cousin de Gandalin.

Les voyageurs arrivèrent bientot a Vegil, port qui separe la Graiide-Bretaghe du royaurne d’E-

n Ds étaient a Poligez, oü ils verent Gandales qui s’en allait en^chasse.nbsp;ripc r.*!- ^PPritque deux princesses envoyaient

ceLesTm^!^ nbsp;nbsp;nbsp;d’Ecosse; que ces prin-

bien. nbsp;nbsp;nbsp;Oriane et Mabile, qu’il connaissait

écuvers^averlrp^)???*®®*’® nbsp;nbsp;nbsp;Danemark et ses

lais^ Duis lPur yS nbsp;nbsp;nbsp;^quot;ns son propre pa-

La demoiselle fut bien surprise de s’être ainsi

pondit qu on ne 1 avait pas revu a la cour denuis son depart pour venger Briolanie.

— On croit qu’il est venu vous voir en Ecosse la reine et ses parentes, et 1’on m'anbsp;charge de lettres pour lui.

AmadisX*^^**^^'*^ nbsp;nbsp;nbsp;P®^’’ empêcher

des nouvelles d’Orianl!*^'* supposerait avoir II y a loiigtenips, dit Gandales, que je desire

revoir Amadis, plüt a Dieu que vous l’eussiez rencontré ici.

Pendant trois jous on fèta les voyageurs, et Ie quatrième, la demoiselle remit a la reine d’Ecosse les lettres et présents que Brisène lui envoyait.

CHAPITRE XVIIl

Comment don Guillan-le-Pensif en portant en la cour du roi Lisvart les armes d’Amadis, qu’ilnbsp;avait trouvées, ent maille amp; partir avec quel-’i-^ques chevaliers ennemis de son seigneur.

ment a son cou l’écu du vaillant fils de Périon et ne l’ótait de la que lorsqu’il avait a combattre,nbsp;cas auquel il prenait son propre écu, craignantnbsp;d’offenser l’autre.

II y avait bien six jours qu’il cheminait ainsi, dolent et pensif, lorsqu’il fit rencontre de deuxnbsp;chevaliers, cousins d’Arcalaüs, lesquels reconnais-sant la targe d’Amadis etsupposant naturellementnbsp;que c’était a ce vaillant homrne qu’ils avaient anbsp;faire, délibérèrent entre eux de l’assaillir.

— Nous porterons la tête de ce paillard a notre oncle Arealaüs I ajoutèrent-ils un peu haut.

Guillan entendit cela, et, la colère lui montant au visage, il leur répondit ;

— Par Dieu ! mes pnillards, vous comptez bien lü sans votre héte... Apprenez, s’il vous plait, quenbsp;jamais les traitres ne m’ont épouvanté, et vousnbsp;êtes des trailres, puisque vous êtes parents d’Arcalaüs 1...

Lors, baissant la tête et couchant sou bois, il donna au travers d’eux comme une cornedle quinbsp;veut abattre des noix, et il en abattit un du premier coup, bien que ces cousins d’Arcalaüs fiis-sent jeunes et roides. Quant au second, voyantnbsp;bien que Ie mème sort lui était réservé, il s’en-fuit sans demander son resle.

Guillan-le-Pensif ne se souciait pas Irop, d’ailleurs, de Ie poursuivre, étant un peu blessé.nbsp;11 reprit done sa route sans plus de souci et, surnbsp;Ie soir, comme il se faisait tard, il s’arrêta cheznbsp;un sien ami, qui lui donna volontiers l’hospitalité.nbsp;Le lendemain, dés l’aube, il allait déloger, lors-que son héte, s’apercevant qu'il n’avait plus denbsp;lance, le pria d’en accepter une, ce qui lui agréa.nbsp;Puis il se remit en route.

Vers le milieu du jour, il arriya prés d’un fleuve, appelé Guynon, sur lequel était assis unnbsp;pont large seulement pour passer deux chevauxnbsp;de front. En s’approchant de plus prés, Guillannbsp;avisa un chevalier qui portaitun ecu vert ü bandenbsp;d’argent, et dans lequel il reconnut son cousinnbsp;Ladasin. Ladasin se disposait ü passer le pont;nbsp;mais, de l’autre cóté, il y avait un chevalier, lanbsp;lance en arrêt, qui lui défendit do passer outrenbsp;sans avoir rompu une lance avec lui.


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20 BIBLIOTHÈQUE BLEUE,

— Je ne m’arrête pas pour si peu de chose 1 ré-pondit dédaigneusement Ladasiii.

Et, dormant des éperons a son cheval, il s’clauQa pour passer. Autant en fit celui qui gardait Ie passage, lequel était monté sur un grand cheval bainbsp;et portait un heaurne noir et un écu d'argent amp; unnbsp;lion de sable. Leur choc fut si violent qne Ladasinnbsp;tomba dans Ie fleuve, oü, sans doute aucim, il senbsp;fut noyé, tant a cause du poids de ses armos qu’anbsp;cause de la hauteur d’oü il était chu, s’il n’eüt parnbsp;bonheur rencontré quelques débris de bois aux-quels il se harpa.

Pendant que celui qui Favait abattu retournait tranquillement a sa place, a Fextrémité du pont.nbsp;Don Guillan-le-Pensif courait au secours de sounbsp;cousin et Ie tirait k bord.

— Par Dieu I cousin, lui dit-il, sans ces rames vous étiez noyél... Par ainsi, les chevaliers étran-gers commc vous et moi devraient se raéfier desnbsp;joutes sur de tels ponts, car ceux qui les gardentnbsp;y ont leurs chevaux faits et adextrés de longuenbsp;main, avec lesquelsils acquièrent plus que par leurnbsp;vaillance propre, honneur et reputation au prejudice de chevaliers qui valent cependant mieuxnbsp;qu’eux... Quant a moi, je serais un jour entiernbsp;sans jouter avant que de me mettre en tel hasaid,nbsp;et je me retirerais de ce moment si je n’avais a vousnbsp;venger du bain que vous venez de prendre centrenbsp;votre grél...

Gela dit, Guillan-le-Pensif s’assure sur ses étriers, mit sa lance en arrêt et courut sus aunbsp;chevalier èi 1’écu d’argent, lequel en faisait autantnbsp;de son cóté.

Guillan fut plus heureux que son cousin, et ce fut ]ui,.cette fois, qui eiivoya son adversaire dansnbsp;la rivière, avec son cheval. Tous deux nagèrent,nbsp;Ie chevalier du cóté de son bord, son cheval dunbsp;cóté oü se tenaient les écuyers de Ladasin, dont Ienbsp;cheval, toutal’heure, avait fui sur Ie bord oppose;nbsp;ce qui amena, tout naturellement, une demandenbsp;d’cchange.

— Comment?... répondit Ie chevalier au heaurne noir ü 1’éciiyer qui était vénu réclamer Ie clievalnbsp;do Ladasin et aussi celui de Guillan qui s’étaitnbsp;échappédu cóté de ce chevalier. Comment?... Pen-seiit-ils done échapper aussi facilement de mesnbsp;mains?

— Oui bien, répondit Fécuycr, car ils ont fait au passage tout ce que la coutume requiert.

— Non, pas encore, reprit Ie chevalier au heaurne noir, puisque nous sommes tombés tousnbsp;deux... 11 faut qu’ils gagnent leur droit dc passagenbsp;avec l’épée.

Et, sans plus discourir, il s’avanpa incontinent vers Guillan-le-Pensif, et, Ie prenant a parti, il luinbsp;Jit:

— nbsp;nbsp;nbsp;Chevalier, vous avez fait longuement parlernbsp;votre ambassadeur... A votre tour maintenant ;nbsp;otes-vous vassal du roi Lisvart?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Pourquoi me demandez-vous cela? réponditnbsp;Guillan-le-Pensif.

— nbsp;nbsp;nbsp;Plut a Dieu que je Ie tinsse lui-même ennbsp;votre lieu et place, car, par ma tête! il ne régne-rait plus un seul jour de sa vie 1...

— Si Ie roi Lisvart, mon seigneur, était a ma place, je suis sur qu’il vous ferait vite repenlir denbsp;cette extravagance... Mais, comme il est absent, etnbsp;que je sais Ie mal que vous lui voulez, je vnis Ienbsp;remplacer du mieux qu’il me sera possible, d’au-tant mieux que j’ai en ce moment la plus grandenbsp;envie de combattre que j’aie jamais eue !

— Nous verrons bien 1... Avant qu’il soit rai-jour, je vous mettrai en tel état, que vous lui em-porterez de mes nouvelle 1... Mais, avant que vous ne receviez Ie traiternent que vous méritez si bien,nbsp;je veux que vous sachiez qui je suis et qiielsprésents j’enverrai par vous a votre roi Lisvart.

Bien que ces propos du chevalier au heaurne noir déplussent considérableraent a Guillan-le-Pensifnbsp;et qu’il eüt ü chaqne instant la demangeaison denbsp;commencer Ie combat, il se contint, pour apprendrenbsp;Ie nom de eet outrccuidant personnage.

— Sachez done, reprit ce dernier, que j’ai nom Gandalod, et que je suis Ie fils de Bersiiian, jadisnbsp;seigneur de Sansuègne, qui fut si méchammentnbsp;mis a mort par Ie roi Lisvart en la ville dc Lon-dres... Les présents que je lui enverrai sont,nbsp;d’abord, les têtes des quatre chevaliers de sa mai-son que je tiens prisonniers, et dont 1’un estnbsp;Giontes, sonneveu; ensuile votre main droitc, quenbsp;je pendrai a votre cou après vous 1’avoir coupée etnbsp;séparée du bras.

— Par Dieul traitre, s’écria Guiilan-le-Pensif, si tu en sais faire autant que tu te vantes, ce seranbsp;beaucoup; mais je crois que tu mentiras 1...

Ce disant, Ie brave Guillan viut se ruer sur Ie fds de Barsinan, et alors commenqa entre eux unnbsp;combat apre et cruel, car, saus reprendre haleinenbsp;un instant, ils se pressaient tant et si fort Funnbsp;Fautre, que Ladasin et les écuyers présents nenbsp;pensaient pas que Fun des deux püt échapper denbsp;mort.

Néanmoins, ils se maintenaient si bien quo 1’on n’eüt pu juger quel était Ie meilleur. Tous deux,nbsp;en effet, étaient prompts chevaliers, hardis, rompusnbsp;aux armes, si bien rompus même que, raalgré lanbsp;rnulliplicité et la violence des coups qu’ils s’adres-saient rautuellement, pen d’entre ces coups les en-dommageaient jusqu’ü la chair vive.

Au plus fort de leur combat, un bruit de cor se fit entendre, veiiant de la tour voisine. Guillannbsp;s’en étonna, pensant que c’était Ie signal d’un secours qui arrivait a son ennemi, qui s’en étonnanbsp;également, pensant que c’était Ie signal de la révolte de ses prisonniers. A cette cause, chacun desnbsp;deux fit plus d’elTorts que devant, afin de vaincrenbsp;sou compagnon avant 1’arrivée du sccours annoncé.nbsp;Gandalod se lanca sur Guillan, croyant Ie désar-gonner du coup; mais Guillan Ie serra si fortementnbsp;qu’ils tombérent tous deux a torre, roulant 1’unnbsp;sur Fautre, sans toutefois que les épécs leur sortis-sent dos poings, et, si bien s’y prit Guillan qu’ilnbsp;gagna Ie dessus.

Une fois debout, Fépée haute, Guillan ne se fit faute de Fabaisser sur son adversaire, qui regut llinbsp;cinqoü si grands coups qui Fétonnèrentplus que denbsp;raison et Faffaiblircnt plus fju’il n’eüt voulu : unnbsp;dernier coup, plus apre q^uc les autres, Facheva ennbsp;lui détachant Ie bras de 1 épaule.

Lors, se relevant comme par ressort, sous Fim-pression de sa violente douleur, Gandalod se mil k fuir dans la direction de la tour en poussant unnbsp;horrible cii. Mais Ie vaillant Guillan Ie devanga,nbsp;et, Fempoignant par Ie heaurne, il Ie tira si rude-


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21

LE BEAUT-ENEBREUX.

ment qu’il Ie lui arracha de la tète. Puis, lui met-tant l’épée en la gorge, il lui dit:

— nbsp;nbsp;nbsp;Par Dien! traitre, üls de traitre, c’cst vousnbsp;qui irez vers Ie roi Lisvart lui présenter d’autresnbsp;tèles que celles que vous lui avicz dédiées, et sinbsp;voiis ne me voulez obéir, la vótre m’en fera raisoii.

— nbsp;nbsp;nbsp;Hélas, répondit Gandalod, j’airne encorenbsp;mieux m’en rapporter A la miséricorde du roi quenbsp;de inourir présenteraent...

Lors, il bailla sa foi k Guillan, et tous deux re-montèrent ti cbeval, ainsi que Ladasin, éraerveillé de la vaillance de sou cousin, lequel, cependant,nbsp;était habitué a en témoigner souventes fois.

Au mêine instant, ils entendirent uno grande ruineur du cóté de la tour, et ils en virent sortirnbsp;un garde, qui se rait a fuir. lis Farrètent pournbsp;savoir de lui la cause de sa fuite et de cette ru-meur.

— Les prisonniers se sont révoltés, répondit-il d’un air effaré... Ils sont sortis de la fosse oü onnbsp;les tenait, puis se sont arrnés et ont fait un massacre des gardes mes compagnons...

Gommo il finissait de parler, Guillan et son cousin virent sortir de la tour, d’abord un chevalier que poursuivaient trois ou quatre prisonniers, puisnbsp;sept hallebardiers qui s’enfuireiit vers Ie bois voi-sin.

Mais Guillan et Ladasin ne les laissèrent pas s’enfuir ainsi : ils leur coururent sus, en tuèrentnbsp;quatre et s’emparèrent du chevalier que poursuivaient les prisonniers.

Ces derniers, heureux d’avoir reconquis leur liberté, s’en vinrent saluer Guillan-le-Pensif, qu'ilsnbsp;reconnurent tous.

— Mes seigneurs, leur dit ce vaillant homme, je ne pais longuement demeurer avec vous, car jenbsp;suis force d’aller Irouver Ie roi Lisvart... Mais monnbsp;cousin Ladasin vous fera compagnie... Lorsquenbsp;vous serez rafi aichis, venez, je vous prie, a la cour,nbsp;et araenez quant et vous ces deux chevaliers quenbsp;je vous baille en garde jusquA ce que Ie roi Lisvartnbsp;en ait ordonné selon sa justice... 3e demanderai ennbsp;outre a l’un de vous de demeurer pour garder celtenbsp;place, jusqu’a ce que j’y aie pourvu.

Les chevaliers promirent. Alors, les recomman-dant a Dieu, Guillan-le-Pensif retira sou écu de son cou, Ie bailla en garde a l’un de ses écuycrs,nbsp;m, en repreuant celui d’Amadis, ainsi qu’il ennbsp;m'T»nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;larmes lui vinrent aux yeux

de ^ nbsp;nbsp;nbsp;compagnons s’élonnaient

leur nbsp;nbsp;nbsp;cbanger d’écu, avec ce regret, il

•inrpc nbsp;nbsp;nbsp;de placer a mon cou,

phpvdii'r u ote Ie mien, est celui du meilleur

vaillaut et incomparable Amadis de Gaule.

Pensif repritsen cheinin, et, au bon de quelques journées, il arriva en la cour

n lor Lisvart saus avoir eu d’autres aventures.

GHAPITRE XIX

Comment üriane et la reine Brisêne recurent don Guillan-le-

Pensif, qui leur apportait les armes du vaillant Amadis

de Gaule.

On savait déja, a la cour de Lisvart, que Ie vaillant Amadis de Gaule avait mis fin a toutes lesnbsp;aventures de t’Ile Ferme, gagné la seigneurienbsp;d’icelle, et qu’il s’en était allé secrètement, avecnbsp;une grande tristesse, on ne savait pas oü ni pour-quoi.

Guillan-le-Pensif entra dans la salie portant toujours a son cou l’écu d’Amadis, et il alia fairenbsp;sa révérence au roi.

— Quelles nouvclles avez-vous d’Amadis 1 de-raanda Lisvart.

— Sire, répondit Guillan, je n’en sais nulles, ïoutefois, s’il vous plait, je vous réciterai devantnbsp;la reine comment j’ai trouvé ses armes et son écunbsp;que voici.

— Vraiment, reprit Ie roi, j’en suis trés content; puisqu’il était son chevalier, c’est raison qu’elle sache la première ce qu’il est devenu...

Ge disant, le roi prit Guillan-le-Pensif par la main et le conduisit auprès do la reine.

— Madame, dit alors Guillan en s’agenouillant, il y a quelques jours, en quote du vaillant Amadis,nbsp;je passais auprès d’une fontaine que Ton nominenbsp;la fontaine de Plein-Ghamp : j’y trouvai toutes les

armes de cet incomparable chevalier..... Je vous

les apporte, madame, afiii que vous les fassiez mettrc en un lieu éminent, oü cbacun les puissenbsp;voir, OÜ cbacun puisse, en les contemplant,nbsp;prendre exemple sur celui a qui elles furent,nbsp;lequel, par sa liaule cbevalerie, a acquis le premier rang entve tous ceux qui jamais portèrentnbsp;cuirasse au dos...

— Quel doramage que la perte d’un si bon chevalier! s’écria la reine, toute dolente. Beau-coup de vivants y perdeut leur soutien, leur pro-tecleur, leur ami!... Et je vous sais trés boii gré,nbsp;seigneur Guillan, de ce que vous avez fait pournbsp;lui et pour moi tout ensemble... Je vous prornetsnbsp;que ceux qui, comme vous, voudront se rneltrenbsp;en quête pour le trouver, me donnei’ont occasion,nbsp;et a toutes autres dames, de leur vouloir du biennbsp;pour I’amour de celui qui élait taut a leur corn-mandement.

Aiiisi se mauifesta le chagrin de la reine et du roi. 11 ne fut rien au prix de celui qui s’emparanbsp;de la belle et malheureuse Oriane. Car si, aupa-ravant, elle avait, eu des angoisses pour la grandenbsp;faute qu’elle avait faite, maiutenant ces angoissesnbsp;redoublèrent avec une mélancolie si grande qu’ilnbsp;lui flit impossible de demeurer la plus Iqngteraps.

Elle courut dans sa chambre, et, se jetant sur sou lit, elle se prit a crier ;

—Ah! malheureuse 1 malheureuse que je suis?.. Je puis bien mainteuant dire que toute la féliciténbsp;que j’eus jamais est un vrai fantome et mon tour-

inent iiiie pure vcritc.....Gar si j’ai quelque con-

tcntcmeut, c’cst sculcment jiar les songes qui me solücilcut la unit... Gar, en veillaiit, toute austé-rité afiligc mon pauvve esprit, de sorte que, autant


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BIBLIOTHÈQUE BLEUE.

Ie jour ra’est martyre, autant la nuit m’est bon-heur, paree qu’en dormant je me vois souvent devant mon ami..... Mals Ie réveil 1 Ie réveil, quinbsp;me privé de tant d’aise, combien il est cruel 1...nbsp;Abl mes yeux, non plus yeux mais ruisseaux denbsp;larmes, vous êtes bien abusés, puisqu’étant closnbsp;vous voyez celui seul qui vous contente, et que,nbsp;ouverts, tous les ennuis du monde viennent vous

offusquerl..... Par boiiheur, la mort, que je sens

prochaine, me délivrera de cette anxiété, et vous, amant cher, vous serez vengé de la plus ingratenbsp;qui fut jamais!...

Alors, corame furieuse, Oriane se leva, résolue a se précipiter du liaut en bas de ses fenctres.nbsp;Mais, au moment oü elle allait accomplir ce funestenbsp;dessein, Mabile, qui l’avait suivie, épiée et en-tendue, se précipita sou enconlre, Tarrcta et luinbsp;reprèsenta l’infamie qu’elle acquerrait, si seulo-ment on apprepait qu elle eüt eu ce vouloir. Ellenbsp;ajouta, après lui avoir parlé du retour probablenbsp;d’Amadis :

— Comment, chère Oriane, oü est done cette Constance de fdle de sang royal? Oü est cette prudence dont on vous loue tant ? La raoindre nouvellenbsp;vous met la tête et Ie coeur ü l’envers, et les plus

fausscs sont les mieux accueillies..... Je ne vous

reconnais plus, mignonne..... Avez-vous déjü

oublié Ie mal qui faillit vous advenir il y a un an, par les fausses nouvelles qu’Arcalaüs apportanbsp;a la cour?... Et maintenant, paree que Guillan-le-Pensif a frouvé Jes armos de mon cousin Amadis,nbsp;vous allez vous imaginer qu’il est mort! Croyc?-moi plutöt que de croire les nouvelles menson-

gères.....Vous reverrez votre ami, je vous Ie pro-

raets..... Vous Ie reverrez avarit peu... lorsqu’il

aura vu vos lettres... lorsqu’il aura appris la peine oü vous êtes.

Ce discours fut appuyé de tant de raisons persuasives et de tant de.caresses plus persuasives encore, qju’Driaue sentit une partip de son tourmentnbsp;s’apaiser.

Sur ces entrefaites, on leur vint dire, a Mabile et a ejle, que les chevaliers et demoiselles quenbsp;Guillap-le-Pensif avait délivres de prison éfaientnbsp;arrivés. Mab.de entraina aussilót sa belle compagnenbsp;vers la salie, oü, en effet, Guillan présentait au roinbsp;les deux chevaliers prisonniers amoqés par lesnbsp;chevaliers délivrés. Ces derniers racontèrent coip-rnent Ie combat s’était fait, quels propos Gandalodnbsp;avait tenus a Guillan, et aussi comment, durantnbsp;leur mclée, les chevaliers qui étaient aqx bassesnbsp;fosses de la tour avaient trouvé moyen de senbsp;délivrer.

— Est-il vrai? dit Ie roi k Gandalod. Je fis, il n’y a pas longteraps, briiler ton père en cette ville anbsp;cause de sa grande trahison, et tu y seras pendunbsp;avec ton compagnon, paree que tu avais machinenbsp;pia mort...

Tout aussilót, Lisvart ordonna qu’on les allat attacher aux créneaux de la ville, vis-ü-vis du lieu

oü Bersinan avait été brülé, co qui fut incontinent executé.

CHAPITRE XX

Comment Corisande, k Ia recherche de son ami Florestan , s'en vim i la Roche-Pauvre oü Ie Beau-Tdnébreux se trou-vail avec Permile, et ce qu’il leur advint.

n jour que Ie Beau-Té-nebreux était assis prés de Termite ü la porte denbsp;leur celluie, Ie vieillardnbsp;Iqi dit:

— Racontez-moi, mon fils, Ie songo que vousnbsp;fit(3S dans la forêt.

Le Beau-Ténébreux Ie lui raconta, en taisant lenbsp;nom des demoiselles, etnbsp;lui demanda ce qu’il ennbsp;_nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;pensait sérieusement.

L’ermite se init a sourire et lui assura qu’il avait lieu d’être satisfait de ce que le songe lui paraissaitnbsp;sjgnifier.

— La chambre obscure est Ia fribulation oü vous ctos, dit-il; les demoiselles sont de vos amies etnbsp;elles parlent de vous a celle que vous aimez, ellesnbsp;vous tireront de ce lieu. Le rayon de soleil signilienbsp;une lettre de reconciliation qui yous séparera denbsp;raoi. Le feu dont cette dame élait entoqrée, c’estnbsp;l’amour et le chagrin de votre separation. La pe-louse verte oü vous Pemportates (!st la joie quenbsp;vous aurez a vous retrouver ensemble.

Ge que je vous dis, conlinua I’ermite, ne con-vient ni ü mon age, ni a mon élat, mais jp crois servirDieu pn consolant une personne aussi désoléenbsp;que vous êtes.

Le Beau-Ténébreux lui baisa les pieds et le rc-mercia de le réconforter ainsi, il pria Dieu d'gc-complir ce qu’il veiiait d’cnlendre.

L’ermite expliqua encore au Beau-Ténébreux un songe précédent; il sut le distraire un j)eu en )enbsp;faisant pêcher avec ses nevpux quj visitaient lanbsp;Boche-Pauvre.

Le Beau-Ténébreux allait souvent ü l’écart sous des arbres, d’oü Pop apercevait la terre ferme; ilnbsp;aspirait les senteurs venant d’un paysoü la fortunenbsp;l’avail couronné, et il pensait au tort que lui faisaitnbsp;Oriane, saus qu’il l’eül offensée.

— Las ! disait-il, qi-je mérité d'etre banni sans avoir failli! Certes, amie, si ma mort vous étaitnbsp;agréable, vous pouviez me la donner plus tót aunbsp;lieu de me faire laiiguir ainsi. Le seul refus devotrpnbsp;accueil, le jour oü vous m’acceptates pour votrenbsp;chevalier, eüt sufti alors pour me faire mourir millenbsp;niorls!...

Chaque jour le Beau-Ténébreux se plaisait ii rap-peler ses pcines; il passait quelquefois la nuit sous les arbres, et il lui arriva de composer dans un moment de calme la chanson suivante:

Puisqu’ü grand lort la victoire Méritöc on me dénie,

Lorsque finie est la gloire,

Gloirc est do finir la vie!

Et que de la méme mort Meurent mes üpres malheurs ,

Mon espoir et mon confort,

Amour mêrae et ses chaleurs.


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LE BEAU-TENEBREUX. 23

Mais toujours j’aurai mémoire D’un perpétuel dmoi;

Car pour fin mettre ii ma gloire On ineurtril ma gloire el moi!

Ainsi passait Ie temps Ie Beau-Ténébreux, attendant que mort on meiUeure fortune Ie missent hors de Ia misère en laquelle il vivait.

II advint qu’une nuit, versie point dn jour, élant couché sous les arbres, comme il en avait coutumo,nbsp;il entendit prés de lui les sons d’un trés mélodieiixnbsp;instrument, auxquels il prit tant de plaisir qu’il lesnbsp;écouta tont du long.

Etnerveillé cependant, et curieux de savoir d’oü ces soins pouvaient venir, connaissant Ie lieu desert, il seleva et s’approcha saris bruit du cöté d’oünbsp;il les entendait venir.

11 vit alors deux demoiselles chantant sur Ie lulb, prés d’une fontaine; il se tint coi de peur de lesnbsp;effaroucher, et les écouta quelque temps ; puis ilnbsp;se montra ü elles et leur dit:

— nbsp;nbsp;nbsp;Votre musique m’a fait pcrdre aujourd’hqinbsp;raatines, demoiselles, et j’en suis bien féchél...

Les demoiselles furent effrayées de cette apparition. La plus courageuse se décida cependant ü parler.

— nbsp;nbsp;nbsp;Nous ne pensions pas, dit-elle, vous déplairenbsp;en nous ébattant ainsi, mais vous nous obligerieznbsp;de nous dire qui vous êtes et comment se nommenbsp;eet endroit inhabitable.

— Eu vérité, répondit Ie Beau-Ténébreux, ce lieu s’appelle la Boche-Pauvre; il y a la-haut unnbsp;ermite que j’accompagne eu puuiliou de mes pé-chés.

— nbsp;nbsp;nbsp;Mon arai, firent les demoiselles, ne pourrions-nous Irouver une retraite ici pour une dame richenbsp;et puissante, si mal trailée d’amour qu’elle en estnbsp;presqu'au rnourir ?

— nbsp;nbsp;nbsp;U n’y a d’autres logis iei, repartit Ie Beau-Ténébreux, que la cliambrette oü se retire rormitenbsp;et Ie repaire oü je dors quelquefois; si l’ermitonbsp;consent a vous Ie prèler, j irai coucher è la bellenbsp;étoile comme je fais souvent.

Les demoiselles Ie reraerciéront et allèrent é un pavilion oü Ie Beau-Ténébreux apergut une trésnbsp;belle dame couchée.

II cornprit que c’était celle dont on lui avait parlé.

Plus loin, il avisa quatre hommes armés faisant Ie guet, cinq autres se reposant et un baliinent denbsp;bonne mine ü 1’ancre ü peu de distance.

Le soleil se levait quand la cloehette de l'ermi-

®PPöla le Beau-Ténébreux-, l’crmitc voulail ceiebrer la messe.

ditTo^ d’arriver des étrangers h la Roche,

tendrelanS?'’''quot;'quot;''’

1’ermite, j’attendrai leur pré-

Mais comme il descendait, il rencontra les chevaliers apportantla dame-, il sehatadonc d’habiller 1 ermite et la messe commeiiga.

Le Beau-lénébreux, au milieu de ces dames, se rappela la cour du roi Lisvart et la joie qu’il avaitnbsp;oiiY Y ^ Onane; les l-armes lui vinrent si fortnbsp;demoiselles s’en apergurent.

nóphdB nbsp;nbsp;nbsp;‘diet ü la contrition de ses

pechés, et apvès le sewiee s’en vinrent aborder

I’ermite pour lui demander quelque chambrette pour leur maitresse, fort malade de la mer et denbsp;peines extremes.

— nbsp;nbsp;nbsp;En vérité, mesdames, dit Termite, il p’y a icjnbsp;que deux petites cellules; je me tiens dans Tunenbsp;oü, si je puis, jamais femme n’entrera, et dansnbsp;Tautre, ce pauvre homme se retire quelquefoisnbsp;pour dormir; je serais laché de Ten voir chassé.

— nbsp;nbsp;nbsp;Père, dit le Beau-Ténébreux, que cela nenbsp;vous empêche d’etre agréable ü ces dames, je menbsp;contenferai bien des arbres pour refuge.

— nbsp;nbsp;nbsp;Eh bien 1 dit Termite, de par Dieu, soitl...

Le Beau-Ténébreux conduisit les demoiselles é

sa cabane, oü bientót la dame fut déposée sur un lit richemeut dressé; il remarqua les gestes donbsp;celle-ci, car on lui qvait dit qu’elle souffrait d’amour.

II s’informa auprès des demoiselles quelle était Ia cause de tant de mal que portait leur maitresse.

— nbsp;nbsp;nbsp;Mon ami, lui dit-on, vous la trouverez encoronbsp;tros belle, quoique son mal Taitchangéebeaucoiip;nbsp;elle n’a ni irêve ni repos a cause d’un chevaljernbsp;qiTelle va chercher ^ la CQur du roi Lisvart; sinbsp;Dieu n’allége pas la passion qu’elle a poqr ce chevalier, il est irnpossible qqe sa vie puisse êtrenbsp;longue.

Au nom du roi Lisvart, le Beau-Ténébreux fon-dit en larmes; il désira encore plus coqqaitrc le nom du chevalier et le demanda avec prières.

—11 n’estpas de ce pays, dirent les demoiselles, et vous ne pouvez le connallre...

¦— Oblige'z-moi pourtant de me dire soq nom.

— nbsp;nbsp;nbsp;Le chevalier qu’aime celle dame, annonganbsp;Tune d’elles, a nom Florestan, frére du bon chevalier Amadis de Gaule et de dpn Galaor.

— nbsp;nbsp;nbsp;Vous dites yrai, |lt le Beau Ténébreux, etnbsp;nq pourriez dire de lui aiitant de bieii qu’il en mérite.

— nbsp;nbsp;nbsp;Vous le connaissez done? repartjt la démoi-selle.

— Je Tai vu récemment, reprit le Beau-Téué-breux, dans la maison de la reine Briolanie pour laquelle Amadis son frère et son cousin Agiaiesnbsp;battirent Abyséos el ses deuxfils. II arriva ciuelquesnbsp;jours aprés le combat. G’est é mon avis Tun desnbsp;rneilleurs chevaliers du moude, Votre dame a nomnbsp;Gorisande ?

— Vous dites vrai en cela; mais ü votre tour, donnez-nous votre nom.

— Mcsdemoiselles, dit le Beau-Ténébreux, je suis uu chevalier qui paie ü present, par dure pé-nilence, les trop graudes fortunes et vanités qu’ilnbsp;cut autrefois.

— Sur mon éme, répondit une demoiselle, vous avez choisi la meilleure voie pour faire votre salut.nbsp;Nous vous laissons pour aller dislraire noire maitresse avec la musique que vous avez ouïe cenbsp;matin.

Le Beau-Ténébreux se retira de son cóté, mais il fut rappelé pour dire ü Gorisande cc qu’il savaitnbsp;de Florestan.

Au récit de ses demoiselles, cette dernière avait dit:

— Mon ami, mes femmes disent que vous connaissez et aimez Florestan, racontez-moi ce que vous en savez.

Le Beau-Ténébreux lui donna tons les détails de


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24 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

rile Ferme , ce qui fit supposer amp; Corisande qu’il élait de la parente de son arni. Elle se retira, unnbsp;peu consoléed’avoir eu des nouvelles de son amant,nbsp;et convaincue que Ie jeune ermite qu’elle avait vunbsp;était d’un rang et d’une uaissance illustres.

GHAPITRE XXI

Comment Corisande quitta la Roche-Pauvre pour aller è. la cour du roi Lisvart quérir des nouvelles de son aminbsp;Floreslan.

Corisande remonta dans son vaisseau après avoir fait de vains eiforls pour engager Ie Beau-ïéné-breux a quitter cetle solitude et a s’embarquer avecnbsp;elle. Un vent fra's la porla en quelques jours dansnbsp;Tembouchure de la ïamise, et la reine Brisène, sanbsp;cousine, ayant appris sou arrivée, envoya sa damenbsp;d’honneur et une suite nombreuse pour l’amenernbsp;en son palais.

Lisvart reQut Corisande avec loute la cordialité qu’il devait tl une dame de son lignage, élevée dansnbsp;sa cour. Lorsqu’il lui demanda s’il pouvait la servirnbsp;en quelque chose, Corisande, ne lui célant pas plusnbsp;longtemps ses liaisons avec Florestan, se plaignitnbsp;de ne pas Ie rencontrer dans sa cour.

— Ah ! répondit Lisvart, Florestan est accablé

du même malheur qui nous afflige tous..... Nous

ignorons si son frère Amadis vit encore , et c’est cetle ignorance oü nous sommes amp; son endroit quinbsp;fait a tous notre peine... Personne ne peut nousnbsp;en donner des nouvelles... Guil!an-le-Pensif estnbsp;venu, il y a quelques jours, nous rapporter lesnbsp;armes de ce valeureux chevalier... Florestan etnbsp;plusieurs chevaliers de ma cour sont partis pournbsp;faire sa quête, et moi-même, s’il m’avait éténbsp;permis de m’éloigner de mes Etals, j’aurais éténbsp;de bon coeur a sa recherche , car la perte d’Amadis est une calamité publique, et nous ne pouvonsnbsp;prendre joie ni repos sincères que nous ne l’ayonsnbsp;retrouvé...

— Vos paroles m’effraient, sire, s’écria Corisande grandement émue en cffet; je coiinais la tendresse fraternelle de Florestan : il ne pourraitnbsp;survivre au malheur d’avoir perdu Amadis 1... Onbsp;inon Dieul mon Dieu! faites qu’Amadis vive!...

Oriane et Mabile survinrent a ces mots. Lours ainicales caresses chassèrent les vilaiiis pressenli-inents de I’ame de Corisande, et runioii la plusnbsp;délicate et la plus intiine s’établit entre ces troisnbsp;princesses, si dignos en effet de s’aimer.

11 n’esl point d’ame bien éprise qui ne soit oc-cupée a faire nailre les occasions de rappeler l’ob-jet aimé. Le nom seul de ce qu’on aime cause une emotion inexprirnablelorsqu'il est prononcé par lanbsp;bouche d’une amie. Ainsi de Corisande et d’Oriane.nbsp;Corisande ne prononeait jamais le nom de Florestan sans qu'Oriane n’eüt Tart de la faire parlernbsp;d’Aniadis.

G’est tl la suite d’une de ses coiiversations-la que Corisande eut occasion de raconter tout ce qu’ellenbsp;avait vu et entendu pendant soa séjour a la Roche-Pauvre. Elle poignit le Reau-Ténébreux avec desnbsp;traits SI justes qu’Oriane et Mabille furent commenbsp;frapp^’ÊS de la re.sseinbhu;ce qui existait entre cenbsp;jeune ermite par amour et ce vaillaut Amadis dontnbsp;elles déploraient si amèrement la perte.

— Ah! n’en doutons, chère Mabile, c’est Amadis 1... s’écria Oriane éplorée. C’est lui, le héros, l'ami que j’ai si odieusement soupponné, dont j’ainbsp;causé tous les malheurs... C’est lui qui croit é monnbsp;abandon après avoir tant cru amp; mon amour 1... G’estnbsp;lui qui va mourir de langueur sur la Roche-Pauvre!...

— Je le pense comme vous, ma chère cousine, répondit Mabile. ïranquillisez-vous done, manbsp;mignonne 1 Tout vient é point et é souhait lors-qu’on sait attendrel... Attendez! Attendez! Amadis vit, je vous en donne l’assurancei... Amadisnbsp;vit... il vous aime toujours... Vous le reverrezl...

— Ah! comment 1’espérer? reprit Oriane. La demoiselle de Danemark a pris la route de l’E-cosse, et Burin est parti pour le chercher dans lanbsp;Gaule...

— Je ne peux pas dire, ma mignonne, qu’Amadis me soit ahsolument tout aussi cher qu’é vous, ré-pliqua Mabile en souriant; mals, en vérité, il anbsp;place dans mon cceur a cóté de mon frèrenbsp;Agraies... Et, pour vous le prouver, si, dans quinzenbsp;jours, nous n’avons pas repu de nouvelles positivesnbsp;do ce cher vagabond, je prendrai le prétextenbsp;d’aller en Ecosse yoir la reine ma mère, et denbsp;m’einbarquer peur faire ce voyage plus commodé-ment... Alors, une fois en route, je m’arrangerainbsp;pour que le pilote de mon navire me conduiseversnbsp;la Roche-Pauvre... Gela vous convient-il, ma mi-gnonue?...

— Ahl ma mie, répondit Oriane en se jetant dans les bras de Mabile, comme vous savez biennbsp;faire la clarlé dans les ténèbres de mön pauvrenbsp;cocur I... Sans vous, je mourrais!...

GHAPITRE XXII

Comment la demoiselle do Danemark, au moment oü eile croyait faire naufrage, aborda ü la Roche-Pauvre et remitnbsp;au Beau-Töiiéhreux une leltre qui lui fit jeter la bure auxnbsp;orties.

La demoiselle de Danemark avait presque perdu 1’espérance de retouver Amadis. Elle n’avait touchénbsp;qu’a la première ile des Orcades, et cetle ile étaitnbsp;inhabitée; ce n’était qu’un vaste rocher hanté parnbsp;de gros oiseaux de mer qui veiiaient y faire leiirsnbsp;pontes.

Cette fidéle demoiselle sc proposait de pém'lrer plus avaul dans l’archipel de ces lies sauvages,nbsp;lorsqu’un apre vent du nord la repoussa le long dosnbsp;rivages d’Ecosse, et le même vent, continuantnbsp;plusieurs jours, porta son navire dans unerner in-connue, oü la teinpête qui s’élcva la miten dangernbsp;do périr, corps et biens. La demoiselle do Danemark passa toute la nuit entre la vie el la mort,nbsp;recommandant a chaque instant son ame au grandnbsp;fabricateur des mondes.

Ucureusement qu’an point du jour, le pilote, apcrccvaut unc sorte d’écueil énorme qui iaisaitnbsp;saillie au milieu des flols, cut l’adrcsse de tenirnbsp;barre vors eet endroit et de s’en approeber asseznbsp;prés pour s’cn faire un abri contre les colèresnbsp;de.s vagues, Puis la tempete s’apaisa peu a peu, et


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LE BEAU-TENEBEIEUX 25

Ie pilote comprit qu’il était aisé d’aborder sur eet écueil, devenu ainsi un havro de grace, d’autantnbsp;plus qu’il présentait sur l’un deses cötésuu rivagenbsp;dépourvu de roebes dangereuses.

Cependaut, raalgrétous les avantages d’une des-cente, ui Ie pilote, ni sou équipage, ui la demoiselle de Dauemark n’eussent songé a refl'ectuer, la jugeant inutile, si les sous d’une cloche ne leurnbsp;eussent fait espérer de trou’ver lèi Ie repos el losnbsp;secours dont ils avaient besoin.

La demoiselle de Danemak, accompaguée du pilote, desceudit terre, et les sons de la clochenbsp;les guidant, ils découvrireut bientót un sentiernbsp;qu'ils suivirent, se doutant bien qu’il les conduiraitnbsp;vers rhabitalion,

G’était ii la Roche-Pauvre qu’avait abordé la demoiselle de Dauemark 1

En suivantle chemin qui conduisait a l’ermitage, elle rencontra un jeune serviteur du vieil ermilo,nbsp;revenant de lui porter ses provisions. Elle l’inler-rogea : il lui rópondil que ce vieillard allait direnbsp;sa messe. La demoiselle de Danemark, Ie pilote elnbsp;les quelques passagers qui l’avaieut suivie, se hatè-rent de se rendre a la chapelle pour rcmercier Ienbsp;grand fabricateur des mondes de les avoir sauvés dunbsp;naufrage.

Le Reaii-ïénébreux, a genoux et Ie dos tourné vers les assistants, se préparail 5 servir a l’autelnbsp;son vieux compagnon. ïoujours dans les larmes etnbsp;dans l’amertume, le teint brulé par les rayons dunbsp;soleil, amaigri, abattu par les jeünes, par les macerations, par la souffrance, tout le rendait mécen-naissable. Vers la fm de la messe, il jeta les yeuxnbsp;sur les assistants et reconnut la demoiselle denbsp;Danemark. Pour lui, c’était un reflet d'Oriane!nbsp;G’était un souvenir de ce passé brülant auquel ilnbsp;essayait cbaque jour d’écbapper, sans pouvoir ynbsp;réussir!... Son état de faiblesse ne lui permit pasnbsp;de soutenir la vive emotion qu’il ressentit alors, et,nbsp;poussantun sourd géinissement, il toraba pamé surnbsp;le sol.

L’ermite vint a son secours et le fit transporter dans la chambre lustique qu’il occupait.

— Quel est done ce compagnon de votre solitude sur lequel vous versez en ce moment des pleurs comme s’il était votre fils? demanda la demoiselle de Danemark, étonnée de la douleur dunbsp;bonhomme.

— Ilélasl répondit le vieil ermite, c’est un chevalier qui accomplit ici la plus apre des penitences pour se punir des fautes de sa maitresse... •,nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;celte roebe déserle pour se séparer a

jamais des hommes et se rapprocher de plus en p us üu Lréaieur des choses et des êlresl...

La üemoiselle de Danemark, apprenant cela,

ïiavire tous les secours (|ui pouvaic etre necessaires, et, voulant procurernbsp;elle-meme les plus presses, elle enira dans lanbsp;chambre rustique, souleva doucement la tête dunbsp;Beau-Ténébreux et lui fit respirer un vulnérairo

Amadis revint lentement a la vie. Muis. le sentiment de sa situation lui revenant aussi, ii comprit qu’en se faisant connaitre^ il désobéirad peut-ètrenbsp;aux ordres d’Oriane qui l’avait a jamais banni denbsp;sa presence, et, en consequence, il continua de fermer les yeux. Quelque chose que la demoiselle denbsp;Danemark put lui dire, elle ii’en put tirer autre

chose que des soupirs, Alors, imaginant que l’air lui ferait du bien, elle courut ouvrir la fenètre, etnbsp;les rayons du soleil tombèrent sur le visage pale etnbsp;couvert de larmes du Beau-ïénébreux.

— Ahl Dieuxl s’écria-t-clle avec émotion, en reconnaissant sur son front la cicatrice bien coniine d’une blessure qu’il avait rcQue d’Arcalaüs.nbsp;Ahl Dieux 1 vous êtes done celui qui nous fait versernbsp;taut de larmes! celui que je cherche k travers tantnbsp;de dangers, et qne je n’espérais plus retrouver !...nbsp;Hélas! vaillant et généreux Amadis! c’est a vous anbsp;présent de pardonner a votre bien cbère et biennbsp;malheurense Oriane, qui voudrait effacer de tontnbsp;son sang la cruelie leltre qui fait votre malheur!nbsp;Amadis, tendre et fidéle Amadis I ce qu’une lettrenbsp;a fait, ime autre lettre peut le défaire! La mainnbsp;qui vous a blessé peut et veut vous guérir! Tenez,nbsp;voici ce que vous écrit de nouveau la pauvre Oriane.nbsp;Lisez-la vite, et partons plus vite encore pour nousnbsp;rendre a Mirefleur oü l’amour vous attend pournbsp;nous réunirl...

Amadis, éperdu, pouvant ti peine en croire ses orcilles et ses yeux, serrait les mains de la demoiselle de Danemark sans lui répondre autrement,nbsp;prenait pour la lire et la relire, la baiser et la rc-baiser, cette lettre guérissante de l’incomparablenbsp;maitresse qu’il croyait avoir perdue en ce monde etnbsp;dans l’autre.

— O vous qui me rendez plus que la vie par cette divine leltre 1 s’écria-t-il enfin, plein d’amournbsp;ct de joie, en levant ses yeüx attendris vers lanbsp;bonne demoiselle de Danemark; comment pourrai-je jamais reconnaitre tont ce que je vous dois?...

Un sang plus doiix, plus vif aussi, coulait dans les veilles du Beau-Ténébreux. Les coulcurs et lesnbsp;forces de la jeunesse lui revenaient. 11 se leva sansnbsp;y etre aidé, et le moment de son départ fut le premier projet qu’il concerta avec sa libératrice.

II ne put prendre congé de ferniite sans être jirofondément remué par les regrets. Les soinsnbsp;délicats et dévoués de ce bon vieillard l'avaientnbsp;sauvé de sa propre fureur, en cabnant par degrésnbsp;son (lésespoir; c’était a ce saint homme qu’Orianenbsp;devait son amant 1

L'ermite, en face du bonheur qui rayonnait sur le visage de sou jeune compagnon, ne songea pasnbsp;un seul instant a le retenir. Tont au contraire, ilnbsp;fembrassa et lui dit :

— Partez, mon cher fiis! La solitude n’est sa-lutaire qu’aiix vieillards comme moi, qui ai de-puis longtemps renoncé aux fallacieuses voluptés de la vie et qui n’atlend plus que fheure bénie oiinbsp;je pourrai clore enfin, pour l’éternité, mes yeuxnbsp;attristés par la bataille humaine... Mais pour lesnbsp;jeunes ames comme la vótre, la solitude est mal-saine, a cause des révoltes de la chair, accoutuméenbsp;a plus de mollesse, et des révoltes de fesprit, ac-coutumé il plus de satisfactions... Partez done,nbsp;mon cher fits, et que le ciel vous protégé, commenbsp;vous le méritez si bien!...

11 dit et, malgré sou grand age et 1’épuisement de ses forces, il voulut acconijvagner le Beaii-Té-nébreux jusqu’au rivage, afin de le bénir au moment oü il montait sur le navire qui le ramenaitnbsp;vers le bonheur.


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BIBLIOTHÈQUE BLEUE.

^^alaor, Agraies et Florestan, * qiie Ie rapport d’Isaiiie, goii-)verneur de l’Ile Ferme, availnbsp;Yivement affligés, et qui s’é-laient mis eii quête d’Amadisnbsp;dans presque tous les pays de

GHAPITRE XXllI

CQrnment Galaor, Agraies et Florestan s'gn revinrent de leur quête iijutile a la cour du roi Lisvart; el comment Oriane,nbsp;pour fuir les émotions et ne penser quA son atnant, s’ennbsp;alia amp; Mircfleur ayec la princesse Mabille.

„ l’Europe.seretrouvaientdans un ermitage prés de Londres,nbsp;ig^lieu de leur rendez-vous, pen-dant que Ie Beau-Ténébi euxnbsp;^faisait voile vers la terre bé-:nip oü l’altendait Ie bonheur.

Ils revinrent tous trois ii la cour du roi Lisvart, tristes denbsp;leur inutile quête. Lisvart nenbsp;fut pas moins triste qu’eux, et sa peine redoublanbsp;en apercevant Florestan, qui avait avec son frèrenbsp;une ressemblauce merveilleuse.

Florestan fléchit un genou devant Ie roi, et il voulut lui baiser la mam; mais Lisvart, loin denbsp;Ie souffrir, 1’embrassa tendrement, en lui disant :

— Je reconnais en vous Ie sang de mon arni Ie roi Périon, et je suis pénétré do joie de recevoirnbsp;dans ma cour un de ses lils que la renommee rondnbsp;déja l’égal de ses frères...

La reine Brisène, apprenant ]e retour de Galaor et d’Agraies, s’empressa de les voir et viut, sui-vie de quelques dames, parmi lesquelles étaitnbsp;rheureuse Olinde, la mie du prince Agraies.nbsp;Olinde savait déjci que C3 prince avait passé sousnbsp;Fare des loyaux amants, et elle iie Feu aimait quenbsp;davantage,

Quant k Gorisande, elle ne s’informa point si Florestan avait franchi ce passage, qu’elle edtnbsp;peut-être redoute pour elie-mênae. Gontente denbsp;retrouver son atnant, elle ne s’occupa que dunbsp;bonheur de lire dans ses yeiix tout ie plaisir qu'ilnbsp;avait a la revoir. Tous les deux étaient libres, per-sonne n’avait intérét a les épier, et Fun et Fautronbsp;semblaient se dire, en se regardant avec des yeuxnbsp;agrandis par Ie désir, qu’ils attendaient la nuitnbsp;avec impatience...

Mabile, après avoir embrassé son frêre Agraies, courut chez Oriane pour lui faire part do 1’arrivéenbsp;des trois princes.

— Ahl murmura Oriane avec amertume, Araa-dis n’est pas avec eux!,..

Mabile, pendant un long temps la pressa de paraitre ;

— Eh 1 Ie puis-je, répondit-elle, dans 1 état oü je suis?,., j’ai les yeux rouges, Ie coeur gros denbsp;larroes... j’étouffe... jeme ineurs... Pourquoi irais-je attristerpar mamélancolie la joie desautres?...nbsp;Olinde a son ami Agraies... Gorisande a son aminbsp;Florestan... Moi seule n’ai pas mon ami Aniadisl

— Console/,-vous, mignonne, consolez-vous! Vous connaissez Amadis : peut-être que ses compagnons, en quote de lui, Fauront trouvé sans Ienbsp;reconnaitre, et, voulant leur cacher Ie sujet de sanbsp;douleur, il n’aura pas voulu paraiire ü leurs yeux...nbsp;Mais, soyez-en sure, la demoiselle de Danemarknbsp;aura été plus heureuse... Les femmes saventnbsp;mieux que les hommes trouver ce qu’elles cher-chont... Elle aura vu Amadis, lui aura parlé, Fauranbsp;canvaincu : elle va revenir avec lui, mon coeurnbsp;me Ie ditl...

— nbsp;nbsp;nbsp;Le ciel vous enlende!... murmura Oriane.

Lors, 1'aisant un effort sur elie-même, et es-

suyant avec soin ses beaux yeux, afin qu’on ne put s’apercevoir quMle avait pleuré, elle passanbsp;chez le roi son pére.

Galaor alia avec empressement au devant d’elle et lui baisq dévoternent la main.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ne trouvez-vous pas ma fille changco? luinbsp;demanda Lisvart.

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, répondit Galaor, je la trouve un peunbsp;raaigre... Ah! madame, ajouta-t-il en regardantnbsp;Oriane avec des yeux bien expressifs, qu’il me se-rait doux de pouvoir contribuer a vous rendre lanbsp;santé!

Oriane ne put s’empêcher de sourire de la cha-leur que Galaor venaitde meltre dansFexpressiou de son souhait.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ma santé reviendra bien vite, dit-elle. Plütnbsp;au ciel que vous pussiez retrouver de même lenbsp;li'ère que vous avez perdu et qui, dans ce moment,nbsp;serait si nécessaire au service du roi monpère!...

En disant ces mots, Oriane tourna la tête et apergut Florestan qui s’avaiigait de son cóté pour lanbsp;saluer. La ressemblance de ce prince avec Amadisnbsp;fit naitre une vive émotion dans le coeur d’Orianenbsp;et pensa lui devenir funeste. A peine put-elle luinbsp;parler; ses genoux tremblaient, et ce ne futnbsp;qu’avec Faide de la fidéle Mabile qu’elle put senbsp;retirer dans sou appartement.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ma chore Mabile, lui dit-elle en versant denbsp;nouvelles larmes, vous voyez que chaque jour m’ap-porte ici de nouveaux tourments... Vous voyeznbsp;aussi tont ce qu’il m’en coüte pour les cacher... Jenbsp;n’ai point ü prendre un meilleur parti que de cher-cher la retraite et d’obtenir de mon père la permission d’aller habiter pendant quelque temps lenbsp;chêleau do Mirefleur oü j’espère que vous voudreznbsp;bien m’accompagner... La du moins je serai anbsp;1’abri de ces horribles secousscs, de ces cruellesnbsp;émotions qui m’arrivcnt ici presque ü chaque instant, et qui, rèpétées plus longtemps, me tue-raient... Et je ne veux pas mourir avant d’avoirnbsp;re vu Amadis!...

La princesse Mabile aimait trop sa cousine pour lui refuser ce qu’elle lui demandait : elle en pré-vint Agraies. Oriane, dés le jour même, obtint denbsp;son père Fautorisation d’aller se inettre au vert itnbsp;Mirefleur, et le depart fut fixé au lendemain.


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LE BEAU-TENEBREUX. 27

LE BEAU-TENEBREUX. 27

GHAPITRE XXXIV

Comment, mi jour que Ie roj Cisvart élait amp; table, il recut un défi au nom de cm(j geants qui voulaiciit venger lanbsp;mort du roi Abies.

ien, d’ailleurs, ne coövenait inieux a Orianc, que dc s’éloi-gner d’une cour eu proie main-' ) tenant aux soucis et aux préoc-/ cupations d’une guerre. Cilda-\ ^dan, roi d’Irlande, refuiait denbsp;\ payer Ie ti ibut auquel sonnbsp;royaunie était assujeltidepuis lanbsp;\ défaite d’Abies, et il avait en-Xnbsp;nbsp;nbsp;nbsp;voyé na de ses hérauls d armes

détier !e roi Lisvart, en lui pro-, ( posaiit un combat de cent che-valiors de chaque pays. f§ Lisvart rassemblait Ie nom-_ bre de chevaliers ct la têle des-fl IAnbsp;nbsp;nbsp;nbsp;1 ^ quels il devait combattre contre

^ nbsp;nbsp;nbsp;\ ) Ie roi Cildadan, et il regreitait

‘ nbsp;nbsp;nbsp;. vivement qu’Araadis ne lüt pas

,de ce nombre, bien qu’il eüt déja avec lui Galaor, Agraies etnbsp;Florestaii.

Uuelques jours après Ie depart d’Oriane pour Mirefleur, Lisvart se trouvait a table avec ses chevaliers, lorsqu’on annoiica uu chevalier élrangernbsp;qui lui présenta respectueusemcnl mie iettre scel-16e de cinq sceaux et lui denianda permission de lanbsp;lire.

— nbsp;nbsp;nbsp;Faites votre charge, lui répondit Lisvart, quinbsp;se doutait bien que ce chevalier était porteur d unnbsp;nouveau cartel.

Lors, Ie nouveau venu, qui jusque-la s etait tenu Ie geiiou droit è terre, se releva, ouvrit Ie par-chemin et lut d’une voix forte :

« Roi Lisvart,

« Je te déüe, ainsi que tous tes allies, de la part des hauls et puissants princes Famongomad, géantnbsp;du lacBoulant, Gartadague, géant de la Montagne-Gélóe, Maiidasabul, géant de la Tour-Vermeille,nbsp;Quadragant, géant, frère du feu roi Abies, el aussinbsp;de la part de l’enchanteur Arcalaüs. lis te raan-dent, par moi, qu’ils ont jure ta mort, et, qu’h eetnbsp;effet, ils seront tous les cinq coinpris dans Ie nora-bre des cent chevaliers du roi d’Irlande Cildadan.nbsp;Gependant, Ie redoutable Famongomad olfre de tenbsp;raénager la paix, si tu veux doiiner ton hérilièrenbsp;üriane pour seryir de demoiselle a Madasime, sanbsp;tille, qui la mariera dans la suite avec Basigant,nbsp;lequel mérite bien de devenir maitre de les Elats. »nbsp;— Chevalier, dit Lisvart avec un rire méprisant,nbsp;lorsque Fenvoyé eut lini sa lecture, ceux qui vousnbsp;ont donné celte commission ont bien compté surnbsp;ma moderation... G’est les armes a la main que jenbsp;leur portera! ma dernière réponsel Mais puis-jenbsp;compter de même sur leur loyaulé lorsqu’un chevalier de raa cour leur portera celle que je vals fairenbsp;k ce défi?

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, répondit Ie chevalier, je me charge denbsp;Ie conduire moi-raême h Montgase, chez Quadragant, oü ces princes Boat tous rassemblés. Je suis

Landin, neveu de ce dernier prince, et, comme lui, je brüle de venger la mort du roi Abies.nbsp;Puissé-je me trouver a portee de punir celuinbsp;qui la lui donna!... Mais, par malheur, on m’anbsp;assure qu’il était absent de votre cour, et je doutenbsp;qu’il choisisse, pour y revenir, Ie temps oü vousnbsp;él es pret é combattre les ennemis redoutables quinbsp;désirent aussi vivement que moi sa mortl...nbsp;Florestan, a ce propos, ne put se contenir.

— Chevalier, dit-il avec colère au neveu de Quadragant, je ne suis pas Ie vassal du roi Lisvart;nbsp;mais, s’il m’ost permis de parler cn sa presence etnbsp;devant lant de braves chevaliers, ses compagnonsnbsp;d’armes, je veux vous apprendre que j’ai nom Florestan, et que je suis Ie frère ,du vaillant Amadjs,nbsp;que vous devriez respecter et non braver; etnbsp;j ajoute qu’en son absence, je pie fais sa caution etnbsp;son représentant et que je défie vous et les vótres,nbsp;que je punirai des propos que vous osez tenirnbsp;contre lui!...

— Chevalier, reprit Landin, les lois de la che-valerie vous devraient êlre mieux connqes.,. Vous voyez bien que je ne peux plus disposer de moinbsp;qu’après Ie combat général... Nous nous y rencon-Irerons, peut-être; en tons cas, si nous y survi-vons 1’un et l’autre, j’accepte votre défi que je vousnbsp;rappellerai.

Landin, a ces mots, présenta son gage k Florestan, qui lui remit Ie sien.

Le roi Lisvart congédia Ie neveu de Quadragant, en lui adjoignant, pour porter sa réponse a Mont-gasc, un de ses meilleurs chevaliers. Et, pour dis-siper les idéés sombres que ce nouveau déti sem-biait avoir apportées dans sa cour, il inanda lanbsp;jeune princesse Léonor, sceur cadette d’Oriane,nbsp;iaquelle arriva, suivie d’une troupe de gentes pu-celles de son age, ü la mine éveillée, aux lèvresnbsp;roses, toutes vêtues de blanc et couronnées denbsp;fleurs.

Ges charmantes petites pucelles, en entrant dans la chambre oü se tenait le roi, chantaient en choeurnbsp;une chanson qu’Amadis avait faile six mois aupa-ravaut pour la jeune Léonor, doiit il s’était déclarénbsp;le chevalier.

Cette chanson disait:

Léonor, douce rosette,

Blanche et ravissante fleur,

Bosette fraiche et doucette.

Pour vous suis en grand'douleur.

Je perdis ma liberté Quand me misnbsp;A regarder la clarténbsp;Qui soumis

M'a au mal qu’ont vos amis;

Lequel pour grand bien j’acceptc,

L’ayant pour telle valeur.

Rosette fraiche et doucette.

Pour vous suis en grand’douleur.

De teute autre que je puls voir N'ai vouloir,

Etant seulement è vous;

Mais bien vois que mon devoir Est d’avoir

Soviïrance par-dessus tous.

Qu’amour soit done en courroux,

Et, s’il veut, trés mal me traite,

Son mal prendrai pour bonheur.

Roaette fraiche et doucette,

Pour vous suis en grand’douleur.

En tore que mon mal se montre A vou», dame.


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28

BIBLIOTHEQUE BLEUE.

C’es( en aulre qu’il rencontre Et réclame

L’occasion de sa flamme;

Elle seulc a la recette De m’óter de ce malheur.

Rosette fraiclie et doucetle Pour vous suis en grand’douleur.

GHAPITUE XXV

Comment, au moment oü elle regrettait Ie plus l'absence du Ileau-Ténéhrcux, Orianc recut la nouvelle de son arrivdenbsp;par la bonne demoiselle de Danemark.

)findalin s’en alia a Mirefleur porter a Oriane la nouvellenbsp;du défi de Landin, et, plusnbsp;. que jamais, cette intéressantenbsp;princesse regretta l’absencenbsp;de son amant Amadis.

— S’il était ici, murrnurait-»elle, il défendrait mon père!..

— Abl madame, lui dit .Gandalin, cette mauvaise nou-!,veile que je viens de vous up-' porter a son bon cóté, croyez-)'noi! Ce défi de Landin n’estnbsp;- 'que la seconde partie du déiinbsp;de Gildadan... Or, il est impossible que Ie vaillantnbsp;Amadis, mon maitre, n’ait pas eu vent de ces bruitsnbsp;debataillel... 11 est impossible aussi, quen ayantnbsp;eu vent, il ne s’empresse pas d’accourir pournbsp;mettre une fois de plus sa lance et son épée au service du roi votre pèrel...

Oriane était prète a dire;

— nbsp;nbsp;nbsp;Ahl Gandalin, croyez-vous done que votrenbsp;maitre ne voudrait combattre que pour Ie seul service du roi Lisvart?...

Lorsqu’une jeune demoiselle de sa suite accou-rut pbur lui dire:

— nbsp;nbsp;nbsp;Ah! madame! madame! que je suis aise!nbsp;Gomrae j’étais k ma fenêtre, tout a I’lieure, j’uinbsp;a[)erou ma bonne amie la demoiselle deDanemark,nbsp;qui descendait de sa haquenée...

A cette nouvelle, Oriane palit, ses yeux se fer-mèrent, ses jambestremblèrent, elle tomba, pamée, sur un lit de repos.

Gandalin, presqu’aussi impressionné (pt’eljc par I’annonce de cette arrivée, qui pouvait si^nitier unnbsp;surcroit de malheur tout aussi bieu qu’un grandnbsp;bonheur, Gandalin chancela : il voulut courA au-devant de la demoiselle de Danemark pour sayoirnbsp;plus vite son sort, il ne Ie put pas, cloué qu’il étaitnbsp;au sol par l’émotioa. Heureusement que la demoiselle de Danemark, qui accourait aussi de son coté,nbsp;entra h ce moment dans la charnbre.

— Ah ! d'vine princesse, s’écria-t-elle en allant embrasser les genoux d’Oriane, comme vous etosnbsp;aimée 1... Amadis vit!... -Ie vous leramène!.. Voicinbsp;une lettre de lui I...

— Oü est-il? demanda Oriane, qui voulait re-paitre ses yeux des traits aimés du vaillant Amadis. Oü Cst-il ?... W’a-t-il pardonnée ?

— Ah I madame, répondit ia sceur de Duriii, pouvez-vous êtro inquiète des sentiments de l’amantnbsp;Ie plus soumis el Ie plus üdèle?.., 11 u’a jamaisnbsp;cessé de penser a vous, de vous aimer, de vousnbsp;chérir, de vous adorer comme une sainte 1...

— nbsp;nbsp;nbsp;Mais encore une fois, oü cst-il? N’esl-ce pasnbsp;un mensongc, une vision de mon esprit?

— nbsp;nbsp;nbsp;Voici une lettre qui vous rassurera ü eetnbsp;égard, princesse... Quant au lieu oü se trouve Ienbsp;seigneur Amadis, vous pensez bien que je ne vou-lais pas vous tuer en Tamenant a vee raoi... Comment auriez-vous supporté sa presence?... II fallaitnbsp;vous préparer d’avance ü cette joie suprème, afinnbsp;qu’elle ne vous fit pas de mal... G’est ce quej’ainbsp;klit... m’en voulez-vous?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Non, chère et üdèle amie, non! Mais oü est-il? Oü est-il? Oü est-il?

— Dans une abbaye voisine, avec mon cousin Enil, que Ie hasard a amené ié fort heureusementnbsp;pour distraire Ie Beau-Ténébreux...

— Alors, demanda Oriane en rougissantun peu, ton frère Durin pourra, dès ce soir, lui porter unenbsp;lettre de moi dans laquelle je lui dirai plus denbsp;choses qu’il n’en pourra lire?...

— Mon frère Durin est k votre service, princesse,..

— Mabile survint, sur ces entrefaites, et cc fut alors une joie a n’en plus ünir. Los deux cousinesnbsp;se jetaient tour ü tour dans les bras l’une de l’autrenbsp;en s’einbrassant, et elles ne se quittaient que pournbsp;se jeter ensuite dans hts bras de la bonne demoiselle de Danemark qui jouissait en silence desnbsp;heureux qu’elle avait fails.

Quant k Gandalin, il était descendu danslejardin pour pleurer tout a son aise.

Oriane écrivit une longue, bien longue lettre, dans laquelle elle dernandait pardon au Beau-Téné-hreux des misères auxquelles ellel’avait exposé parnbsp;suite d’une jalousie mal fondée a l’égard de Brio-lanie, reine de Sobradise, dont il avait refuse Ienbsp;cceur et Ie tróne, Oriane Ie savait maintenant.

Le soir menie, Durin, jirévenu par sa sceur, se mit en route avec cette lettre pour l’abbaye oü étaitnbsp;le Beau-Ténébreux.

CIIAPIÏBE XXVT

Comment le Beau-Ténébreux, en se rendanl secrètemenl fi Mirefleur, oü Tattonclail la bolle Oriaiie, reiicontra sur sonnbsp;ebemin le géanl puadragant (ju’il n’alteudait pas.

En l’absence de la demoiselle de Danemark, le Beau-Ténébreux avait dit un soir a son cousinnbsp;l’écuyer Enil, qui cornmencait ü soupQonncr que cenbsp;froc d’ermite cachait quelque grand personnage .-— Mon cher Enil, ce harnois-ci me pèse; j’ainbsp;grande envie de savoir si je pourrais encore porternbsp;des arines, et vous me iéroz grand plaisir d'allernbsp;dernain a Londres et de m’en rapporter les meil-leures que vous pourrez trouver... Quant ii l’écu,nbsp;je désire qu’il soit vert, semé de lions d’or!

Enil était parti, avait fait diligence et était revenu ü l’abbaye au moment même oü y entrait Durinnbsp;avec la lettre de la belle Oriane.

Durin, après avoir inslruit le Beau-Ténébreux des pi’écaulions qu’il avait ;i [ireridro pour péiiétrernbsp;dans le chateau de Mirefleur, oü Fatteudait si im-patiemmeut 1’amoureuse Oriaue, Fiulbrma


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LE BEAU-TENEBREUX. 29

graics, Florestan et Galaor étaient la cour de Lisvart, en atlendant Ie combat centre Eildadan. IInbsp;ne lui cacha pas Tinfolent cartel que Landin avaitnbsp;remis, ce que Famongomad avait osé propo-ernbsp;centre la divine Oriane, et la colère avec buiuellenbsp;Florestan avait répondu, lorsque Landin avait eunbsp;1’audace do parler d’Amadis.

Le Beau-ïénébreux embrassa mille fois Durin, et, animé par l’enivrante espérance de revoir sanbsp;bien-aiinée, il s’élanga légèreineut sur le vigoureuxnbsp;clieval que Durin avait su bien choisir. Et I’eton-nement d’Euil redoubla lorsqu’il vit celui qui venaitnbsp;de quitter la buro d’ermite, faire botidir et passagernbsp;ce cheval avec une adresse et une vigueur rares.

Couvert de sou beaume peur n'être pas reconnu, le Beau-Ténébreux clierninait depuis un jour avecnbsp;Enil et Durin, lorsqu’il fut arrêté par un chevaliernbsp;d une haute taille et d’une puissante encolnre, quinbsp;lui cria :

— Chevalier, je défends ce passage jusqu'a cc que je so;s inlorrné par vous de ce que je veux sa-vüirl...

Le Beau-Ténébreux ayant examine le boueber de eet inconnu, qui porlait d’azur a trois trèflesnbsp;d’or, il le reconnut incontinent pour èlre le menienbsp;que celui qu’il avait vu dans ITle Ferme, au-delanbsp;de l’arc (ies Loyaux-Amants, oü les boucliers denbsp;ceux qui l’avaient passé étaient attachés en hon-neur de leur loyauté. 11 se souviut memo f[ue cenbsp;bouclier était surmonté du nom de don Quadra-gjjut; et, tout cela réuni, le prévint en faveur dunbsp;chevalier qui s’opposait li soa passage.

, II faut, reprit Quadragant, que vous me disiez SI vous êtes de la cour du roi Lisvart.

Dourquoi? demanda Ie Beau-Ténébreux.

Paree que je suis soa ennemi mortel et de tous ceux qui tieaneat son parti, répondit Quadragant.

. A.h 1 dit le Beau-Ténébreux, quoique votre haute naissance et votre haute renomméc soientnbsp;cgalement illuslres, je vous trouvo bien imprudentnbsp;ue vous declarer rennerni d un si grand roi et denbsp;ant de yaillants chevaliers qui lui sont attachés 1nbsp;Uuoique je sqis le plus humble d’entre eux, je suisnbsp;(ia?t ^nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;cette quorellc... 11 me serail cepen-

Uott ^ iigcéable d’etre votre ami que de com-

battre contre vous...

sa.,T ‘i nbsp;nbsp;nbsp;avez-vous done, vous qui unis-

sez taat de courtoisie a laat d’audace?

noim m o* nbsp;nbsp;nbsp;*^st pas connu... Oa m’ap-

enrp nbsp;nbsp;nbsp;buébreux, et ce nom ae mérite en-

core .mcuue illustration...

ScoS'.rüS!'f “

Ils coururent lun contre Taulro avec une écale unpetuosite. Le Beau-Ténébreux renversa Quadragant, qui le bicssa légèremeat. Le combat se con-Rnua a coups d’épée, et il se prolongea assez pournbsp;endrol issue de I’affaire incertaine. Mais enlia , lenbsp;saisissant d’un bras victorieux,

enversa pour la seconde fois et lui cria :

aiix dpMY nbsp;nbsp;nbsp;n^ejurez d’obéir

u^deux conditions que j’exige de vous 1

incontinent

Qiadicigant, je ne cède du moins qu’au plus vail-lant chevalier de l’univers... Je jure done d’obser-ver fidèlement ce que vous me prescrirez...

— nbsp;nbsp;nbsp;Eli bieal reprit le Beau-Ténébreux, rendezvous é la cour du roi Lisvart; dites-lui que vousnbsp;venez de ma part vous rendrc é lui, que vous aban-donnez la querelle de Gildadaii pour devenir un denbsp;ses chevaliers, et jurez, en présence de tous lesnbsp;chevaliers de sa cour, que vous pardonnez la mortnbsp;de votre frère Abies i celui qui corabattit loyale-ment contre lui...

— nbsp;nbsp;nbsp;Gps conditions sont bien dures, répondit Quadragant, mais j’ai protnis d’avance d’y souscrire : jenbsp;les remplirai.

— J’espère quo nous nous retroiiverons, dit alors le Beau-Ténébnmx en relevant son adver-saire et en lui tendant les mains; et la haute estimenbsp;en laquelle je vous tiens, pourra dans la suite menbsp;mériler votre amitié!...

— nbsp;nbsp;nbsp;Ohl répondit Quadragant, quel que vous puis-siez être, le Beau-Ténébreux peut, être assuré quonbsp;je ne serai jamais son ennemi 1...

Le Beau-Ténébreux continua sa route, apics l’avoir remis entre les mains de ses écuyers.

Enil disait tout bas a Duria, en suivant eet incomparable chevalier :

—-Tudieu! mon cousin, quel ermitel Son bras et son épéo seraieat encore plus utiles a notre roinbsp;queses oraisons, pourle combat qu’il est pres denbsp;livrer.

CIIAPITRE XXVTI

Comment le Ceau-Ténébreux, avanl d’arriver k Mireflcur, eut (livers assauts a soutenir conlre des amis ct conlrc desnbsp;eunemis, el comment il cn sortit.

A la pointe du jour, le londemaiu, le Beau-Ténébreux sc remit en route, dans l’espéranco do pouvoir arriver vers le soir a MireBenr.

La journée s’était passéc a chevaucher, et il tou-ebait é une colline derrière laquelle était le but do sou voyage, lorsqu’il aperput dans la prairie avoi-sinante, a quelques pas d’une riviere qui serpen-tait lit a travers les Beurs, un certain iiombro donbsp;riches pavilions. Tout amour allaient ct venaientnbsp;des groupes de jeunes filles, sous la protection donbsp;dix chevaliers bien armés.

Lc Beau-Ténébreux nc douta point que ces gentes persoimes, si agréablement occupées a deviser et !i cueillir des bouquets, ne fusent de lanbsp;cour do la reine Brisène, et, craignant d’etre dé-couvert on retardé dans sa marclie, il remontait lenbsp;long (le la riviere pour la passer un pen plus haut,nbsp;lorsqu’il fut signalé par les chevaliers. L'un de cesnbsp;derniers se détacha sur-le-champ et accourut versnbsp;iui.

— Chevalier, cria-t-il au Beau-Ténébreux, igno-rez vous done les us et coutumes de la Grande-Bretagne, et croyez-vous done pouvoir passer im-punément ici sans rompre une lance en I’honneur des dames que vous voycz ia ?...

—• Vraiincnt, n'pondit le Beau-Ténébreux, vous aimez a prendre votre avantage 1 Vous me voyeznbsp;arriver sur uii cheval f(3urbu de fatigue, et vousnbsp;(jui avez une monturc fratche, vous venez ni’arrêter


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BIBLIOTIIEQUE BLEUE.

pour me faire une proposition que j’accepterais vo-fontiers en toute autre occurence!... Que ferie?-VOU3 è ma place, chevalier?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Si j'avais aussi peur que vous de perdre monnbsp;cheval i la joule, peut-être ferais-je ce que vousnbsp;htites, répliqua Ie chevalier;

Amadis, qui craignait d’être détouraé du projel qui reraplissait son coeur, ajoula :

— nbsp;nbsp;nbsp;Ne trouvez done point étrange si je vous quittenbsp;si tot...

Et, ces mots achevés, il s’éloigna.

Mais les gentes dames, croyant a sa timidité, el peut-être ê sa couardise, résolurent incontinent denbsp;s’eu arauser! et Tune d’elles, se détachant dosnbsp;groupes , accourut auprès du Beau-ïénébreux ,nbsp;qu’elle arrêta en lui disant:

— nbsp;nbsp;nbsp;Sera-t-il pissible, chevalier, que vous refu-siez une joute en l’honneur de la princesse Léonor,nbsp;fillc du roi Lisvart, et que vous lui donniez mau-vaisc opinion de votre courtoisie et de votre courage?...

— Non, de par saint George 1 répondit Amadis impatienté. Qu’ils viennent deux, trois, quatre, et,nbsp;puisqu’ils m’y forcent, il ne sera pas dit que j’ainbsp;perdu une occasion de chatier leur outi'ecuidancenbsp;et de dis},raire la jeune et charmante princesse aunbsp;nom de laquelle vous me parlezl...

Et, sans attendre davantage, il courul vitement contre Ie chevalier qui l’avait tont a rheure provo-qué, et Ie désarconna comnic il eüt fait dun enfant, sans rompre sa lance. Les neuf autres chevaliers se succédèrent pour l’éprouver, ct chacunnbsp;d’eux subit Ie même sort.

Selon les lois de la joute, les chevaiix des dix chevaliers que venait de désargonrier Amadis luinbsp;appartenaient. II les envoya tous a la princesse,nbsp;Léonor, en lui faisant dire quo Ie Beau-Ténébreuxnbsp;se mettait h ses pieds, et que, désirant plus vive-ment que persoune la servir, il serail bieu fachénbsp;de démonter les chevaliers commis a sa garde; qu’ilnbsp;la priait seulemcnt de leur coiiseiller d’être plusnbsp;courtois envers les chovalicrs étrangers, et dc senbsp;tenir mieux ê cheval une autro fois.

Puis il se remit en route.

EchaufTé par les précédentes joules, il s’arrêta bientót au bord d’une fontaino, h quelques pasnbsp;d’un ermitage, pour se rafraichir pendant quebpienbsp;temps, après avoir debridé son cheval. II cornplaitnbsp;attendre la nuit dans ce lieu solitaire , pour scnbsp;rendre plus secrètement é la fontaiiie des ïrois-Canaux oü Burin devait venir lui donner dos nou-velles de ce qui se passait k Miredeur. Tout-a-coup il entendit des voix de femmes, voix dolciih'snbsp;ct affligéeS : il remonta k cheval et coiirut versnbsp;l’endroit d'oü lui semblaient veuir ces plaintes.

Le Beau-Ténébreux fut bieii cbahi de se trouver en présence d’un grand char sur lequcl élaient dixnbsp;chevaliers enchainés, sans heaume et saus écu,nbsp;avoc plusieurs jeunes lilies qu’il crut rcconnaitrcnbsp;pour los cornpagnes de la princesse L 'onor, qu’ilnbsp;avail rencontrées k un quart de lieue de la.

— Ah ! s’écria-t-il, c’est servir Ia divine Oriane que de secourir sa soeur 1

Alors il s’avanga vers le char et cria iinpericu-rieusemciit, k coux qui Ie couduisaiciit, de s’ar-rêter.

Un géaiit vint k la rencontre d’Amadis en lui disant d’iin air furieux:

— nbsp;nbsp;nbsp;Vil mortel, oses-tii hicu t’exposer k Ia plusnbsp;cruelle des morts en t’opposant un moment k lanbsp;volontc du puissant Fa?nongomad?...

Ce nom, loin de mettre en effroi le Beau-Ténébreux, lui causa, au contraire, une violente colcre, paree qu’il se ressouvint de co que lui avail raconténbsp;Burin et de l’insoleut message que ce géant availnbsp;envoyé au roi Lisvart. Pour toute reponse done, ilnbsp;courut contre lui la lance en arrêt avec une lelienbsp;violence que ni l’écu ni Ic haubert du góant ne pu-rcnl riisistor ct qu’il roula sur la poussière, pcrcénbsp;d’oulre cn outre.

Le géant, lui, avail porté sou coup trop bas, ct, au licu d’atteinilre le Beau-Ténébreux, il n’avaitnbsp;atteint que sou cheval. Amadis, alors, sautant lé-górement k terre, courut sus k Famongomad, le-quel faisait des efforts inouïs pour sc rclever, ennbsp;criant •

— nbsp;nbsp;nbsp;Mon Ills Basigant, venez k moti secoursl...

A cc cri, le Beau-Ténébreux fut attaqué par un

second géant qui paraissait encore plus grand et plus redoutable que le premier. Ge géant voulutnbsp;fiire passer son cheval sur lo corps dn Bean-Té-nébreux et le fendre en deuX d’iin coup dc ha-ebe; mais Amadis esquiva Tune et l aulrc attoiiite,nbsp;et, coup int les jarrets du Cheval dc sou ennerai,nbsp;il obligea le colosse k se jeter k terfe.

Basigant, animo par les cris dc doulciir ct dc rage de son père expirant, s’en vint la hachenbsp;haulevers le Beau-Ténébrenx, comptantbien 1’a-battre d’un seal coup. Mais il rencontra l’écu dcnbsp;son adversaire, sa hache s’y enfonca profondé-ment, Cf, pendant qu’il essayait de la retircr,nbsp;Amadis lui traversa la gorge d’un coup d’ópéc :nbsp;Basigant tomba, versant un torrent de sang,aprèsnbsp;avoir chancelé pendant quelques pas qui le rap-prochèrcnlde son père. L’un et l’autro expirèrentnbsp;bientót, après avoir maudit lenrs dienx, qui lesnbsp;avaient laissé vaincre par un seul chevalier.

Le Beau-Ténébreux, s’cmparant du cheval de Famongomad, s’clanga dessus, mit en fuitc lesnbsp;conducteurs du char, ct, s’approchant de la jeunenbsp;princesse Léonor, qui avail passé par toutes lesnbsp;angoissos de la peur et dc l’espérauce pendant cenbsp;double combat, si inégal cn apparcncc, il lui dit;

— Madame,retournezen triomphc k Londres... J’espèrc que vos chevaliers j)erdroiit l’opinion (pic,nbsp;d’abord, ils out euc dc moi; qu’ils se souvicndronlnbsp;(|ue, dans le même jour, je leur rends deux foisnbsp;Icurs chevaux, el qu’ils voudront présenter au roinbsp;les cadavres dc ces deux géauts, de la part dunbsp;chevalier qui n’a d’autre nom ([uc celui du Bcau-Tenébreux. A votre égard, madame, croycz quonbsp;je répandrais dc grand coeur tont raou sang pour

vous et pour tout cc qui vous est cher.....Lc roi

votre père aura ces deux ennemis de moiiis dans son combat contre Cildadan; ils racrilaient bic.i

d’ètrcpnnis dc I’insolcncc de leur message!.....

Bites au roi votre p''rc,jc vous pric, ((ue, pour toute grace, jc lui demande dc nio cornprendronbsp;dans le norafirc des chevaliers qui doiveut com-hattre sous ses ordros, ct (pic jc me rendrai knbsp;temps au()rcs dc lui pour cc combat!...

Cos mots dits, il s’éloigua, laissaut Léonor ct



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LE BEAU-TENEBREUX. 31

ses chevaliers dans radmirat'Oii de sa courtoisie et de son courage.

— nbsp;nbsp;nbsp;Cc chevalier soul pourrait égaler Ie redoa-tablc Amadis! s’écria la princésse.

— nbsp;nbsp;nbsp;Parbleu 1 répondit Galaor, je suis bien en-nuyé d’entendre comparer cc Ileau-Ténébreux finbsp;mon frére Amadis, et je me propose bien de m’ó-prouver avec lui et d’en faire connaitre la difference !

Galaor oiibliait déja qu’il avait rompu unfe lance avec Ie Bcau-Ténébreux, et tpie ce dernier l’avaitnbsp;di'sargonné, tout comme ses neuf aiitres compagnons.

GlIAPITRE XXVllI

Comment Ie Beau-Tdnébreux arriva enfin fi I’ab-baye de Mirefleur, et de 1’cntrevue qu'il y eut avec son incomj)arable mie, la princesse Orianc.

uand Amadis eut priscongé de la princesse Léoïiov,quinbsp;s’cii alia vers la cour dis-pnséo a chanter monts ctnbsp;Jracrvcillcs du Ucau-Tcué-br.'ux, il chemina grand’erre ct arrivanbsp;prés de la foniainc des Ïrois-Canaux.nbsp;L'it, prenant pretexte de ses arinesnbsp;presque toutes brisées dans les combats (ju’il avait précédemment livrés,nbsp;il envoya 1 ecuyer Enil amp; Londres, ennbsp;lui rccommandant de lui faire faire denbsp;.nouvelles armos absolument sembla-blcs a celles qu’il avail, et do les luinbsp;apportcr dans huil jours, sur Ie bordnbsp;de cette même fontaine des Trois-Ganaux.

Le soleii enfin se coucha. Amadis, riieureux Amadis, Irouva Durin etGandalin au rendez vousnbsp;qu’ih lui avaient donné. Burin prit son clicval, ctnbsp;Gandalin le conduisit en silence vers iine petitenbsp;porte dont il avait reQu la clef...

Qui pourrait exprimer l’émotion de la princesse Orianc en entendant cette clef lourner dans la ser-rure? Et les cieux ouverts auraient-ils pu causernbsp;un ravissement pareil a celui d’Amadis,lorsqu’unnbsp;reste de lumière lui permit d’cntrevoir Orianc,nbsp;dès que cetle porto fut ouverte?...

Amadis se précipita aux genoux de sa mie tanl airaée. Orianc le relcva, passa tendrement sesnbsp;beaux bras autoiir de son cou etbaignason frontnbsp;de ses douces larmes.

— nbsp;nbsp;nbsp;Me pardonnez-voiis? se dirent-ils tous lesnbsp;deux d’une voix entrecoupée.

Ghaque assurance de cc pardon mutucl élait un baiser, et cette même question se répétail sansnbsp;cesse...

— nbsp;nbsp;nbsp;Ehl oui, oui, vous vous pardonnez! s’écrianbsp;Mabile, irapatientée. Levez-vous done, mon cher

cousin, ajouta-t-elle, que je puisse vous embras-ser aussi.

^ Nos deux amants, einparadiscs dans les bras l’un de l’autre, s’aperQurcnt cnfiu que Mabilenbsp;était avec eux, el ils s’cmpressérenl auprès d’elle.

Mabile, prenant leurs mains, les unit dans les siennes, et ce.s heureux amants, revenus de leurnbsp;première émotion, commencaient a se raconternbsp;toutes les peines qu’ifs avaient souffertes depuisnbsp;leur séparation. Mais bientêt Mabile, plus impa-tientée que jamais, mit sa maiu sur leur bouchenbsp;pour les faire taire.

— Vous n’êtes pas raisonnable, chére Oriane, lui dit elle, de laisser Amadis se rappeler des malheurs dont vous etes la cause... Et vous, mon cousin, vous l’ètes eiicorc moius de laisser Oriane sinbsp;longtemps exposée aux fraicheurs du soir... Allonsnbsp;prornptement dans sa chambre, oii vous aureznbsp;tous les deux le temps de parler de tout ce quinbsp;vous touche...

Ce conseil était bon. Amadis, donnant le bras aux deux amies, pria Mabile de les guider, carnbsp;eet amant rcspcctueux n’osait pas en pressernbsp;Orianc, el il portalt ses soins délicats et charmants jusqu’/i l’air de croirc qu’il l’entrainait a lanbsp;suite (Ie Mabile.

Cette dernière les conduisit d’abord dans sa cliambrc, dont une porte coïnmuniquait dans cellenbsp;d’Orianc, ct cette jiorte, au signal qii’elle fit, futnbsp;ouverte par la demoiselle de Banemark, dont lesnbsp;soins avaient écarlé fout ce qui pouvait troublernbsp;ces deux amants dans l’expansion inevitable denbsp;leur reunion.

—Vous pouvez maintenaiit causer a votre loisir, leur dit Mabile en riant. Mais, comme je menbsp;doute bien que vous allez vous répéter ce quo y’ainbsp;cent fois entendu de votre bouche, ct que votrenbsp;causerie m’intércsse beaucoup moins que vous, jenbsp;vous demande la permission de ne pas passer manbsp;nuit a vous écouter...

— Ma foi, madame, vous avez bien raison, dit a son tour la demoiselle dé Banemark. Je pensenbsp;de la memo facon que vous lê-dessus, ct le.s plain-tes de la princesse Oriane m’ont trop souventnbsp;tciuie éveillée pour que je iie profile pas de cettenbsp;unit, oü j’espère qu’elle ne se qucrellera pas...

Et, tout en disant ces mots, la suiur de Burin sorlit, accornpagnée de la princesse Mabile.

Amadis était alors assis; Oriane, qiii était de-bout, te r((gardait avec des yeiix plcins de ten-dresse. Amadis, inaitre des bolles mains de sa maitresse, les tenait toutes deux dans les siennesnbsp;ct les baisait avec passion. Puis, au fur et a mesure, il devenait plus tendre, plus pressant, plusnbsp;éloquent. Oriane,baissant lesyeux,hü dit, commenbsp;uu doux reproche :

— 0 mon amr! sont-ce Pi les lec-ons que vous avez reQues de 1’ermitede la Roche-Pauvre?...

Amadis ne répondit rien, mais son trouble, qui augracntait d’instaut on instant, son trouble répondit i)Our lui, ct sa réponsc fut si élo(juente,nbsp;qu’a soa tour, troubléc, émüe, enfvrée, Oriane senbsp;laissa choir pamée entre les bras dc son amant.


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BlULl. THÈQUE BLEUE.

CHAPIïRE XXIX

Comment la fólicitó sans pareille dont Amadis ct Oiiane jouissaient Mirclleur fut troublée par nne nouvelle quenbsp;leur apporta Gandalin, au sujet d’unc double cprcuyc pro-poséc a la cour du roi Lisvart par Ie neveu d’Apollidon.

1 y avait quatre jours qu’Amadis était a Mirefleur, heureux par Oriane, qui ótaitnbsp;heurcuse par lui,lorsqu’iin gentilhommcnbsp;arriva a la cour du roi Lisvart, au moment mêrae oü ce prince sortait denbsp;table.

Ge gentilhommo, qui avait la tète clienue, comme la barbe, se mit aux ge-noux de Lisvart ct lui dit en langucnbsp;grégeoisc ;

— Sire, après avoir parcouru vainc-ment FEuropc et l’Asie, Ie fils du roi Ga

--------- ~ nbsp;nbsp;nbsp;-------j nbsp;nbsp;nbsp;~nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;-

I nbsp;nbsp;nbsp;nor, qui était frère du cclèbre Apolli-

II nbsp;nbsp;nbsp;don, vient ft vos pieds pour vous priernbsp;( de mettre tin a ses peines ct de pormet-

tre qu’il éprouve si, dans cette cour cé-lèbre par Ie nombre et la renommee des chevaliers qui la composent, il n’ennbsp;pourra pas trouver un qui mette fin a sanbsp;peine...

Ayant dit ces mots, lo vieillard ouvrit un riche coffre de jaspe, dans baiucl onnbsp;vit une épée d’une merveilleuse beauté,nbsp;dont un coté de la lame brillait du feunbsp;Ie plus vif au travers du fourreau transparent qui la renfermad.

— Gette épée, ajouta-t-il, ne peut être tirée que par Ie plus loyal des amants,nbsp;et cc n’est que de sa main qu’il m’est permis denbsp;recevoir l’ordrede la chevaleric.

Luis il rctira du même coffret un chapeau formé de flcurs inconnues, dont la moitié brillait desnbsp;plus vives couleurs ct dont l’autrc moitié parais-saitflétrie.

— Ces fleurs desséchées, dit-il encore, ne pour-ront reprendre leur premier éclat que lorsque la dame la plus tendre, la plus fidéle, la mieux ai-mée, en couvrira sa lête...

Non-seulement Ie roi Lisvart accorda au vieux gentilhommc la permission de faire fépreuve qu ilnbsp;demandait, mais encore, pour donner rcxemplc finbsp;sa cour, il voulut qtie la reine Brisène et lui-même fussent les premiers ft la faire.

Eu conséquence, prenant l’épée merveilleuse, il la tira a demi de son fourreau; mais les flam-mes qui s’élancèrent aussitót dc la tame ne luinbsp;permirent pas de faire de plus longs elforts. Unenbsp;partie des flcurs flétries reprit sou premier eclatnbsp;et sa première fraicheur sur la tête de la reine;nbsp;mais il en resta quelques-unes dc sèches...

—Ilèlasl dit alors Ie vieux gentilhommc, quoique personne n’ait encore été plus prés de linir eetnbsp;enchantement, fépreuve est manquée 1... -ie m’ar-rcterai done encore quelques jours dans cette cournbsp;pour voir si je ne rencontrerai pas quelque chevalier OU (juelque dame qui puisse mener a bonne finnbsp;cette avenlurel...

Et il se retira.

Gandalin, qui setrouvait préciséraent la, comme témoin de cette double experience manquee, s’ennbsp;revint incontinent vers Amadis et lui raconta cenbsp;qui s’était passé h la cour du roi Lisvart.

Co récit fit tomber Ie Beau-Tónébreux dans une profonde songerie. Quoiqu’il eüt passé sous farenbsp;des loyaux amants et qu’il eüt conquis la chambrenbsp;délendue, il ne put s’empècher de désirer de donner a la divine Oriane cetle nouvelle preuvedc sonnbsp;amour et de sa loyauté. Ne doutant nullcmenl quenbsp;les fleurs fanées du chapeau ne reprissent toutenbsp;leur fraicheur en touchant les beaux cheveuxnbsp;d’Oriane, il lui proposa de venir, Ie visage couvertnbsp;d’un voile, a la cour du roi son père, pour fairenbsp;ensemble la double épreuve.

Quelque effroi que put avoir la belle Oriane, d’oser ainsi paraitre ö la cour de son père, quel (juenbsp;fut Ie danger pour elle d’être reconuue, elle nenbsp;juit refuser Amadis, qui, sur-Ie-champ, envoyanbsp;Gandalin demander a Lisvart süreté pour Ie Beau-Ténébreux et une demoiselle inconnuc qui dési-ra'ent se présenter a fépreuve.

Gandalin parlit, et, Ie lendernain, il revint avec la parole royale qui garantissait au Beau-Téné-breux et a sa belle compagne que leur incognitonbsp;serait respecié, qif Amadis ne serait pas obligé denbsp;lever la vjsière de son heaume et qu’Oriane ne serait pas forcée de lever son voile.

Toutes leurs précautions prises ü eet effet, Amadis et Oriane quittèrent Mirefleur et se ren-dirent k la cour du roi Lisvart.

GHAPITRE XXX

Comment Amadis et Oriane, inconnus, sortirent viclorieiix

do 1’épreuve proposéc par Apollidon, et comment, a leur

retour il Mirefleur, ils furent arretés par Arcalaüs.

Amadis était attondu avec impatience k la cour du roi Lisvart. 11 fut annoncé fi ce prince par lesnbsp;acclamations du peuple qui déjé rcconnaissait ennbsp;lui, Ie Beau-Tónébreux, Ie vainqueur de Famon-gomad, de Basigant et de Qnadragant.

Lisvart, qui sortait de table, s’empressa d’allcr au devant de ce vaillant chevalier inconnu auquclnbsp;il devait tant, ct il Ic requt avec les plus grandsnbsp;honneurs, s’opposaut ft cc qu’il embrassat ses ge-noux comme il voulait Ie faire par courtoisie etnbsp;par respect.

Quant a la reine Brisène, elle suivit, a fégard d’Oriane, fexernplc que venait de lui donner sonnbsp;mari, et elle lui rendit les memos honneurs avec Ienbsp;meme empresscracnt.

Lc neveu d’Apollidon était lè, avec son coffret, PJusieurs chevaliers et plusieurs dames tentèrentnbsp;les éprenves, mais sans pouvoir réussir.

Amadis, invité par Lisvart a se présenter, s’ap-procha d’Oriano, tontc émuc, ct, lui serrant la main a f insii de tont Ie monde, il lui dit tout bas ;

— Ah! divine maitresse, si la lopulé la plus pure suffit pour conquèrir cette épée, j’ose élrcnbsp;siir de fapporlcr a vos pieds comme un témoi-gnage de mou ardent amour!...

Lors il s’cmpara de 1’épée par la poignéo, la tira


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LE BEAU-TENEBREUX. 33

sans eiï'oi't de son fourreau, et, en raême temps qu'clle rendait en sortant une lumière resplendis-santé, les deux cótés de la lame devenaient cgaux.

— Ahl bon chevalier, s’écria Ie vieux gentil-homme transporté de joie, c’est a vous que je dois la 11 n de mes peines!...

A ces mots, il se jeta aux genoux du Beau-Téné-breux et lui demanda la colée, qu’Amadis lui donna siir-le-champ du plat même de la merveilleuse épéenbsp;qu’il venait de conquérir.

Oriane, heureuse du triomphe de son amant, et cncouragée par lui, s’avanqa èi son tour vers Icnbsp;chapeau de fleurs, Ie prit d’une main assurée et Ienbsp;posa sur sa tête. A peine Ie chapeau l’eut-il touchéenbsp;que toutes les fleurs sèchesparurentaussi fraiches,nbsp;aussi éclatantes, aussi parfumées que les autres.nbsp;Le vieux gentilhomme, armé chevalier par Amadis,nbsp;vint incontinent ployer les genoux devant 1’incqm-parable Oriane, et, lui présentant son épée, il lanbsp;supplia de la lui ceindre.

Gette double victoire, remportée par deux in-connus, excita vivement la curiosité de la cour, Galaor surtout mourait d’envie de trouver unnbsp;moyen d’éprouver si le Beau-Ténébreiix seraitnbsp;aussi brave en se servant de l’épée merveilleuse,nbsp;qu’d s’étidt montré loyal amant en la tirant de sonnbsp;fourreau, ce que nul n’avait pu faire, Galaor encore raoins que les autres. II n’eüt peut-être pasnbsp;été faché, non plus, de savoir si la dame qui venaitnbsp;de conquérir le chapeau était assez jol ie pour avoirnbsp;du mérite ti la fidélité dont elle venait de fairenbsp;montre, Amadis rit sous son heaume, et Oriane sousnbsp;son voile, de toutes les mines que leur fit a ce propos Galaor qui ne requt d’eux que des plaisanteriesnbsp;délicates, ingénieuses et trop courtoises pour qu’ilnbsp;put décemment prendre prétexte de f!icheriegt;

Pour le roi Lisvart, fidéle a sa parole, il serra dans ses bras le Beau-Ténébreux, sans lui faire au-cunc instance pour se laisser connaitre; et, pré-sentant la main a la dame inconnue, il la conduisitnbsp;a son palefroi dont il tint les rênes jusqu’au moment oü les deux amants, se courbant sur lesnbsp;argons de la selle, prirent congé de lui.

Amadis et sa chère Oriane s’éloignèrent et prirent un chemin de traverse pour dépister les curiositésnbsp;qu lis avaient pu mettre en éveil. Tous deux, ennbsp;chevauchant ainsi dans la direction de Mirefleur,nbsp;s’applaudissaient de leur double triomphe dont ilsnbsp;s attribuaient l’un i l’autre tout le succès et toutnbsp;1 honneur.

— Si je n’adorais pas Oriane, je n’aurais pas con-quis cette merveilleuse épéel s’écriait Amadis d une voix haute.

Si j eusse été plus sévère, je n’aurais pas ce merveilleux chapeau de fleurs! disait la tendrenbsp;Oriane u un ton plus bas, en regardant amourcuse-ment son vadlant compagnon.

Ils furent interrompus dans leur mutuclle con-teniplation et dans leur inutuel bonheur par l'ap-parition d’un écuyer qui, sans les saluer, dit d’un ton brusque au Beau-Ténébreux ;

— Arcalaüs mon maltre vous ordonne de lui condmre sur-le-champ cette demoiselle... Obéisseznbsp;viiement, si vous ne préferez qu’Arcalaüs nenbsp;vienne vous enlcver a tous deux la têtel...

— Ah! ah! répondit Amadis, monirez-moi done, s’il vous platt, le seigneur Arcalaüs, qui a de pa-reilles fantaisies?...

— Le voici, dit l’écuyer en désignant deux chevaliers de taille gigantesque qui étaient arrètés sous un bouquet d’arbres.

Oriane, effrayée, pensa se laisser choir du haut de sa haquenée.

— nbsp;nbsp;nbsp;Quoi! ma chère Oriane, lui dit Amadis, lors-que vous êtes sous la garde de mon amour vousnbsp;pouvez avoir peur d’un lache comme Arcalaüs!...

Puis se retournant vers l’incivil -écuyer ;

— Va dire a ton mailre, ajouta-t il, que je le connais trop et que je le méprise trop pour luinbsp;obéir.

L’écuyer alia vers son maitre. Mais Arcalaüs, quoique doué d’uiie force prodigieuse , évitait vo-lontiers les occasions de la déployer, de peur s tnsnbsp;doute de l’user.

— Mon beau neveu, dit-il au chevalier qui l’ac-compagnait, allez done prendre ce beau chapeau de fleurs que je vois la-bas sur la tête de cette péron-nelle, et me l’apportez pour que j’en fasse don ènbsp;ma niècc Madasine... Si son compagnon faisait parnbsp;hasard mine de vous résister, tranchez-lui sansnbsp;plus de faqon la tête et pendez-la par les cheveux knbsp;eet arbre que voici!...

Le chevalier aiiquel Arcalaüs venait de parler, lequel avait nom Liiidoraque et était fits de Garta-daque, géant de l’lle-Défendue, s’avanga pour exé-cuter l'ordre de son oncle.

— nbsp;nbsp;nbsp;Arrête! lui cria Amadis d’une voix raena-gante. Arrête! Ou prends garde amp; toi!...

L’un et l’autre, a ces mots, coururent et Icurs lances furent brisées. Mais celle du Beau-Ténébreuxnbsp;traversant l’armure et la poitrine de Lindoraque,nbsp;celüi-ci fut désargonné par la force de cette at-teinte; il fit de vains elforts pour se relever, et ennbsp;retombant, enfonga plus avant l’arme qu’il avaitnbsp;dans le corps. Une minute après, il expirait.

Arcalaüs, furieux de la mort de son neveu, et remarquant surtout qu’Amadis n’avait plus donbsp;lance, fondit sur lui dans l’espérance d’en avoirnbsp;bon marché. Mais le Beau-Ténébreux, évitant lenbsp;fer d’Arcalaüs, lui porta en passant un coup d’épéenbsp;avec lant d’adresse qu’il lui détacha de la main lanbsp;poignée do sa lance qui tomba sur le sable avecnbsp;une partie de cette main. Arcalaüs n’attendit pasnbsp;son reste et dévala vitement, en poussant un longnbsp;cri de douleur.

Amadis, toujours inconnu pour Enil qui le sui-vait en qualité d’écuyer, lui dit de prendre la tête de Lindoraque et les doigts d’Arcalaüs, et de lesnbsp;porter au roi L'syart de la part du Beau-Ténébreux.nbsp;Puis, après le départ de ce messager, il reprit avecnbsp;Oriane, ie chemin de Mirefleur, oü ils arrivèrentnbsp;mourant de faim.


2* Série. — 3

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BfRrJOTHÈOÜK BLEUE.

GHAPITRE XXXI

(’.oiiimcnt eut lieu enfin Ie, combat ,des cent cheyaliers de Lisvart contre les cent chevaliers d’lrlande, et qüelles fu-rent les pertes éprouvées de part et d’aulre.

isvart avait a peu prés rassemblé Ic nornbre des chevaliers q,ui devaieplnbsp;combattre avec lui. II lui eu yiiitnbsp;d’autres encore, parrai lesqucls Bru-neo de Bonneiner et Bruusil sounbsp;frèrc. Brunpo de Bonnemer ptait cenbsp;luyal et vaillant chevalier, amant denbsp;Midicie, soeur d’Amadis, doiit cenbsp;dernier avait lu Ie nom dans Ie temple d’Apqllidon.

Cc tnêrtie jour, Lisvart requt uiie lettrc par laquelle Arban de Nor-gales et Angriote d’Estra-vaux lui mandaient qu’é-Uant tombés par surprisenbsp;fau pouvoir do la cruellenbsp;Grómadase, teuve du géautnbsp;Famongoraade, ellé leste-nait dans les cbaines, leur faisant su-bir chaque jour de nouveaux sup-plices. Lisvart, dans l’impossibilité oünbsp;il élait deles secourir avant la ba-taille, les fit assurer cjue son premier soin, aprèsnbsp;la défaite de Cildatlau, serait de voler a leur secuurs.

Le jour de cel te fameuse bataille arrjva enfin. Le Beau-Téiiébreux, ayant pris congé d’Oriane,nbsp;toute .en larmes,, et ayant armé, chevalier sonnbsp;écuyey Euil, qui avait sollicité eet honneuf, parlitnbsp;de Mirefle.ur k la pointe du jour, et viiit joindre lenbsp;roi Lisvart qui faisail ses dispositions pour combattre.

Eu voyant le Beau-Ténébreux, .ce prince l'em-brassa tendvement, lieureux d’aypir, en rabsence d’Amadis, un chevalier de sa valour, 'et le pria denbsp;clioisir le poste (pu lui conviendraif. ,

— Ge sera, répoiidit Amadis, celui (l’oü je pour-1 ai sans c.essc veiller sur votr.e têle sacrép^

, Lisvart barangua eqsuite ses chevaliers; Gilda-(iau eii fit aidant de son cólé, etbientót.le son aigu des trompetles annonpa rfieure. de la fiièléCj. L(;snbsp;chevaux couruj-erit, les lanpes se choqü'èrent, lesnbsp;arihures reteiitirent : le combat commenpait 1

Plusieurs valeureiix chevaliers p'erdirent la vie (lans cettepreniiéreiencontre; plusieurs aussi,{|uinbsp;s’étaient élancés, tout vénustes el tout brandifs.nbsp;tombèrimt sur la lice, aiïolés dé coups et furentnbsp;loul'és. aux pieds avant de pouvoir reraonter surnbsp;lours chevaux. Le Beau-Ténebfeux fit mohire lanbsp;poüssière a tous camx qui s’exposèreht téraéraire-menté ses coups. Quant é Galaor, jaloux pour lanbsp;^u'enüèi'e fois des vaillantises de sou frére, qu’il nenbsp;savait pas si prés de lui, il voulut les surpasser et,nbsp;)gt;our cela faire, il fondit conme un lion sur l’esca-oron oü plusieurs géants du parli de Cildadan s’é-laient rassemblés dans rintention de s’emparcr dunbsp;roi Lisvart.

GaitadaqiK’,, seigneui' d(i Pile Défonduo, était le plus rodmuablc do cdi li,,.,,,..nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;n'i,.

restan I’etit blèssé, il avait déja renversé deiix clie-valiivrs qui servaient de boucUers vivants h leur roi, lorsque Galaor, l’atlaquant avec furie, le lrappanbsp;sur son heautiie avcic une violence telle qu’il b.inbsp;on décdlla 1’oreille, et du même coup, fit sauternbsp;do sa main la pesauto hache dont il élait armé.nbsp;Cartadaqüe, rugissant, saisit Galaor entre ses br.isnbsp;!nusculcux,renlevade sos arpoiis, ctil 1’eüt étoulTénbsp;si Galaor, a coups de pommeau d’épée, ne l’eütnbsp;assez ('t nrdi pour le faire toriiber de son choval,nbsp;pnis, (lé.:agcant son bras droit, ne lui éüt enfoncénbsp;la pointe de son arme dans la figure, a travers lanbsp;visière de sou heaume.

11 élait teriips, car, épuisé par lemombat ct par le sang qu’il perdait, Galaor sentit bientót sesnbsp;mains se détendre,. ses youx s’cutémébrer, et ilnbsp;resta pamé sur le champ de bataille, sans avoir eunbsp;le temps de retirer son épée de la face du géantnbsp;Cartadaqüe...

Pendant ce temps, le roi Lisvart faisait rage, raais sans parvenir a éclaircir d’iinc manière sa-lisfaisante les rangs des Irlandais ses ennemis. IInbsp;n’avaitplus aütour de lui que trois on fjuatre chevaliers blessés, parmi lesquels le vieux Crumedau.nbsp;Ce dernier, (|ui défendait de sou mieux la baunit'rcnbsp;royale A moitiécoupée et dépenadlée, fut attaquénbsp;par le géant Alandasabul qui commandait le corpsnbsp;de réserve, et, (jU voltapt imprudemmeul, il laissanbsp;s(qu s()uv.erain face é face avec son formidablenbsp;enuemi. Mandasabul renversa le cheval de Lisvart,nbsp;saisit iCC [i.rincc, l’enleva des arcons, et, sorlantdenbsp;la mèlée, ii Temport,ut comme otage du cóté desnbsp;galères, lorsriue. heurcusement, il futapercii parnbsp;le Bcau-ïénébreux quivcmiit de remonter sur unnbsp;cheval frais que, Gandalin vonait de lui amciier.

Elfrayéabon (Iroit du péril que courait le père de la divine Oriane, le vaillant Amadis tombanbsp;comme la, foudre sur lp géant .^landasahul, et, luinbsp;portant uii coup terrible, il le sépara presque ennbsp;deux moyceaux de la. têtp au ventre, malgré sonnbsp;ai'inure. ,l*ar majheur, Tepée d’Amadis, en glis-salit, descendit irop bas et blcssa le roi Lisvart,nbsp;quetenait le géant, et (lont le sang rough ausshótnbsp;Ie sol! Mandgsabul éla'l mort, raais, comme qiiel-ques-uns de ses tenanfs arrivaiciit pour reb'vcrnbsp;sou (mrps et poiir le vengcr, le Beau-Ténebreux,nbsp;couvranlde son écu Ic roi Lisvart pour lui permettrenbsp;de remonter a cheval, se mit a crier :

— Gaulé t Gaulc 1 Gaule! 'Victoire 1 Victoirc 1 Je suis Aniadisl Fuyez, trailrcs, fuyezl...

A eet appel, fi ce nom conuu et redouté, les IrUmda'S, clfrayés allaienl tonrnef bride ct abvo-Icr, lorsfjüo le brave géant Graiidacuriel, les ral-liant de sa voix de stentor, les ramena au combatnbsp;pleins d’une nouvelle ardenr. Amadis soutintnbsp;presqiic seul rcllbrt ilc ce nouveau combat, lesnbsp;chevaliers de Lisvart étant alors occu|)és du salutnbsp;de cc prince, blessé, et. a peine rernonlé sur lenbsp;cheval qiicvcnait de lui donner Florestan. Mais ccnbsp;dernier s’aperput du peril de son frèrc, ct il senbsp;précipila pour le secourir, au moment mème oünbsp;Grandaeuriel s’élancait sur le roi Lisvart jioiirnbsp;veiigpr la,défaite de Cildadau qu’il voyait assuréc.nbsp;Amadis, nlors, deviuanl ce de.ssein, le suivil avecnbsp;lamènicvitesse el lui porta sur le heaume, un coupnbsp;fnrieux; les attaches se roinpirent, le heaume dunbsp;g.'-a t Ion;! a el l,jisvart, qui s’étah mis eu (hdeuse.


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LE BEAU-TENEBHEUX.

lui fendit la tête du tranchaut de sou epéè. Grau-dacuriol fül Ie dcruier du parti de Cildadan qui périt en combMtlaut: Ie roste se tumultua et pritnbsp;ia fuite vers les galères, en abandonhaat Ie roinbsp;Cildadan étendu parmi les marts, ainsi quenbsp;Galaor.

Lisvart, pénétré de reconnaissance pour Amadis, s’avangail pour Ie rernerc'er et l’embrasser commenbsp;un héros auquel il devait la vic. Mais il Ie trouvanbsp;dans Ie désespoir.

— Mon frère! riinn pauvre frère est niort! s’é-criait Amadis en versant des larriies comrilo une femme.

Amadis, en effet, n’avait pas aperqu Galaor de-puis qu’il l’avait vu tomber, et il Ie croyait mort, puisqu’il avait cessé de combaltre, Florestan etnbsp;Agraies s’offrircnt a lui pour l’aidcr a Ie clierchernbsp;parmi les morts. Gene fut pas sans peihe qu’ils Ienbsp;trouvèrent, couvert de sang et de blessitres et nenbsp;donnant plus aucun signe de vie; amp; (jüelques pasnbsp;de lui et dans Ie même état que lui était Ie roinbsp;d’Irlande Cildadan. ïous les trois se disfiosaient anbsp;faire emporter ces cadavres, lorsqu’ariivèrent doüzenbsp;demoiselles, suiviesde quatre ècüyers, dont la plusnbsp;apparente leur dit:

¦— Ces deux princes soht èn cë monient perdiis pour voiis, mais ils fespireht encore; donnez-nous

les...

¦— Que je vous donne mon frère? s’écria Amadi'.

— Si ses jours vous sont chers, laissez-nous-le emporter, reprit la demoiselle qui avait déjk parlé.

Amadis se ressoiiviiit alors de la protection d’Ui -gande. 11 couvrit de larraes les joues prësque fi'oides de son frère Galaor, et Ie laissa relever denbsp;terre, airisi que Ie roi Cildadan, par les douze demoiselles et par los quatre écuyers, quiposètentlesnbsp;deux cadavres sur des lits couverts de pourpre, etnbsp;les eniportèrcrit dans urio galère somplucusemeiitnbsp;amarrée au rivage.

Amadis et Florestan, après Ie départ de cette treupe, s’en allèrenl relever et secourir Ie vieuxnbsp;géanl Gandalac, qui, pour yenger Galaor, sonnbsp;presque fds, avait luttè courageusemeiil jiendantnbsp;une heiite avec nii autie géant, du parti de Cildadan, le^uel l’avëit blessé d’un coup de massue etnbsp;avait eté tué par Gandalac quelques minutes après.

GHAPIÏRE XXXII

Coinmoni Galaor, que Pon croyait mort, revint ^ la vic pa'' les soms d'Urgande, sa protectricc.

Galaor ne reprit point connaissance tant qii’il Kit sur la galère dans laquclle les douze deiiioisellcsnbsp;l’avaient placé après 1’avoir enlevé du champ denbsp;bataille. Lorsqu’il rouvrit les yeux, il se trouva surnbsp;un lit dans ün salori hvagnifiquemcnt orné, clèvc donbsp;trente pied? sur qüatre gros piliers de rriarbre, etnbsp;situé dans un jardin tont en tleurs; tandis que Cildadan, au contraire, eii repfënant sès sens, se trouvanbsp;sous une voute dans une tour b^tie sur une rochcnbsp;isolée que la uier batfait de toutes parts do, sos va-guesturnullueusos.

G 'pciidaut les soitis que l’uii et l’aulre rocurent fureht les mêraes. Cildadan vit biëritót arriver iiiienbsp;derhoiselle respectable par son age et piir son niain-tien, siiivie do deux chevaliers, laqiielle versa surnbsp;ses blessures un baume salutaire qui lui procuranbsp;mi sommeil reparateur. Galaor hit traité de memonbsp;|!;ir utië demoiselle ehtre deux Ages; niais, cettenbsp;I'oi.s, la yieille deinoiselle ëtait assistce de deuxnbsp;geiiles pucolles qui portaient chacühe de petitesnbsp;boites de jaspe remplies du baume le plu^préciimx.nbsp;Le baume fit son eifet; mais les geriles pucollesnbsp;firent rnéillëür effet encore, ce qüë rerharquant lanbsp;vieillo dciiioiselle, elle les laissa auprès de Galaor,nbsp;en leur reconimandant d’etre attentiomiéës de leurnbsp;mieux. Cildadan s’etait endormi; Galaor, aü cori-Iraire, restaconslaminenl ëveülé, a cause du jilai-sir qu’il ressentait A deviser de choses ët d’aufresnbsp;avec les deux gentes pucelles qui savaient, cn oiitre,nbsp;les plus jobs cohtes du moiide, et qiii les lui rcci-taient de leur plus douce voix.

Qiiahd la vieille demoiselle revint le leiidemain auprès de Galaor, et qii’elle eut levé le premiernbsp;appareil qu’elle avait mis sur ses blessures, ellenbsp;lui fit espérer qil’au bout de hiiit jpiirs il airaitnbsp;recouvre une bonne ])artie de sa sahie.

— Ne mettrez-vous pas le comble A vos bien-faits en me procurant la liberté? domanda alors le blessé. Je tieiis a la liberté comme a la vie. Si cettenbsp;grace n’est pas en votre pouvoir, je vous conjurenbsp;do faire avertirdeina situation madameUrgande...

La demoiselle se prit A rire.

— Ah! ah I dit-olle, voiis ave/. done beaucoiip de coiiliance dans le pouvoir d’Urgande?... ^

— Co.mment ii’ën aurais-je pas, répondlt Galaor, dans ma première bienfaitrice, pour laquelle jenbsp;vmidrais exposer mille fois ina vie?...

— Puisque vous pensez ainsi, je suis assez de ses amies pour vous promettre de sa part la guérisonnbsp;et la libërté, pourvu que voiis m’accördiez poiirnbsp;elle ÜQ don qu’elle vous rappellera eu temps etnbsp;lieu, quahd elle aiira besoiii de vous...

Galaor n’hésüa pas A faire cette promesse, et la vieille demoiselle se retira en le laissant dans lanbsp;mcine compagnie qne la veille.

he troisième joiir, quand elle reparut, I’uiie des deux gentes pucelles accourut vers elle et lui dit .-

— nbsp;nbsp;nbsp;fen DieuI ma tante, je suis bien inquiètenbsp;aiijourd’hui siir le compte du chevalier blessé... Ilnbsp;a parii ce matin plus tourmenté qu’A Tordinaire;nbsp;il me prenait la main, il semblait implorer monnbsp;secours, et j’ai bien regretté de h’étre pas aussinbsp;savanie que vous, ma tante : j’aurais riioi-rnêmenbsp;applique du baume nouveau siir ses blessures...

— Eh bleu 1 répondit la vieille demoiselle, soyez atlentive A ce quo vous me verrez faire, et s’il re-tombait dans le rricrae état, vous pburrëz më rem-placer.

Cela dit, elle s’approcha du lit du chevalier blessé.

— Quoil Galaor, reprit-elle, est-il possible que VOIIS puissiez méconnaltre votre meifieure amielnbsp;Croyez -vous done qu’une autre qu’Urgande etit punbsp;vous saiiver la vie?...

Galaor vouliit faire un effort pour embrasser les genoux de sa proteclrice. Mais Urgande, I’arrctant:

— nbsp;nbsp;nbsp;Toute espèce d’agitation, lui dit-elle, poiq-rait vous ètre hnisiblc. Lorsque les premiers huitnbsp;jours seronl p'asscs, soyez assure que je vous


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36 BIRLIOTHÈQUE BLEUE.

donnerai de nouvelles marques de mon araitié.

Urgande se mit aussitót en devoir de découvrir les blessures du tils de Périon, et sa jolie niecenbsp;Juliandc s’appliqua soigneusement a voir comment elle s’y prenait pour les panser. Galaornbsp;n’avait requ que des blessures honorables dans Ienbsp;mémorable combat qui s’était livré quatre joursnbsp;auparavant; presque toutes avaieiit porté sur sonnbsp;sein. Aussi Juliande futbien attendrie en Ie voyantnbsp;ainsi maltraité, et jamais elle n’avait été aussinbsp;attentive que dans ce moment aux lemons de sanbsp;tante Urgande; ses mains blanches sepromenaientnbsp;de blessure en blessure et levaient les appareilsnbsp;avec une précaution et une douceur infinies; ellenbsp;cherchait avec inquietude s’il en était échappénbsp;quelqu’une a sa tante, qui souriait de eet examennbsp;et qui, finalement, jugea è propos de l’interromprenbsp;en touchant légèrement Ie front de Galaor, quinbsp;s’endormit aussitót.

— Maintenant, tillettes, sortez de céansl ajouta-t-elle en emmenant avec elle Juliande et sa com-pagne.

Quand Galaor revint de son assoupissement, il trouva devant lui Gasuval, son écuyer, et Ardan,nbsp;sou nain, qu’Urgande avail substitués par prudence a ses deux trop aimables nièces...

CHAPIÏRE XXXIII

Comment Galaor el Cildadan, durant une ab.sence de Ia fde Urgande, passèrent lont leur temps avec Juliande et Solise,nbsp;el'ce qu’il en advint.

Cildadan n’avait pas été traité avec moins d’hu-mauité que Galaor, nous l’avons dit. Mais il n’avait pas eu, il faut l’avouer, les tendresses dont cenbsp;dernier avait été l’objet : Cildadan, après tout,nbsp;u’était pas Ie protégé ite la fée Urgandel

Urgande avait laissé croire au roi d’Irlande qu’il avait perdu pour toujours la liberté, et, lorsqu’ellenbsp;lui donna quelque espérance de sortir de sa prison,nbsp;ce lie fut qu’après Favoir amené petit è petit a luinbsp;promettre que désormais tout ressentiment seraitnbsp;éteint dans son c®ur contre Ic roi Lisvart et sesnbsp;chevaliers, et que, non-seulement il se soumettraitnbsp;sans murmurer a lui payer Ie tribiit accoutumé,nbsp;mais encore a devenir désormais son allié Ie plusnbsp;fidéle.

Quelques jours après que Cildadan eut prêté Ie serment qu’exigcait Urgande, celle-ci s’absenta denbsp;son ile et se rendit chez Ie sage Alquiffe pour prendre avec lui des mesures sur les grands événementsnbsp;qu’elle prévoyait ètre déjti proenains. Au momentnbsp;de partir, elle se plaignit devant ses nièces denbsp;Pembarras oü elle était de n’être plus a portée denbsp;prendre soin des deux chevaliers blessés.

— Ah! chère tante, lui dit Juliande avec empres-sement, ma soeur et moi nous avons été tellement alteutives a vous voir soigner leurs blessures, quenbsp;vous pouvez de confiance nous envoyer a leurs se-

..... Pour moi, ajouta-t-elle avec plus d’em-

presseinent encore, je me chargerai volontiers de Galaor, et vous verrez a votre retour que vousnbsp;S6TBZ S3tislaite de mes soins et de mon adresse...

Urgande fut un instant sans répondre.Puis,fixant un long regard sur ses deux jolies nièces, ellenbsp;murmur a :

— nbsp;nbsp;nbsp;On ne peut fuir sa destinéel... Allez donenbsp;trouver nos blessés, mes chèrcs enfants, et rassurez-les sur mon absence que je ferai la plus couricnbsp;possible...

Urgande partit, h ces mots, sur un char trairié par deux dragons, et disparut bientót dans les airs.nbsp;La soeur ainée de Juliande, qui se nommait Solise,nbsp;alia incontinent vers Cildadan, et, remarquant quenbsp;les deux vieux chevaliers commis par sa tante aunbsp;service de ce prisonnier s’apprêtaient a la suivre,nbsp;son bon petit coeur de fillette lui fit imaginer quenbsp;leur présence ne pourrait être que nuisible a lanbsp;guérison de son malade : elle les congédia sous Ienbsp;premier pretexte venu, ce dont les deux vieuxnbsp;chevaliers furent fort aises. Quand ils eurent cis-paru, elle courut sur Ie rocher qui servait de prisonnbsp;au roi Cildadan.

— Ahl s’écria ce prince en la voyant enlrer, j’espère tout maintenant, puisqu’une divinité bien-faisante daigue venir a mon secoursl...

Solise, s’approchant d’un air pitoyable, lui dit:

— nbsp;nbsp;nbsp;Je regrette bien de n’avoir pas suivi ma tantenbsp;dans les premières visites qu’elle vous a faites : jenbsp;ne connais point encore vos blessures... Mais soyeznbsp;assuré que je ferai de mon raieux en son absencenbsp;pour la remplacer sans trop de désavanlage...

— nbsp;nbsp;nbsp;Ahl répondit Cildadan, qui était encore jeunenbsp;et encore beau, je sens déjè que votre présence menbsp;rappelle a la vie et è l’espérance d’un sort plusnbsp;heureuxl...

De son cóté, Juliande n’avait pas perdu de temps, et, pendant que sa soeur ainée se hatait vers Cildadan, elle se hatait, elle, vers Galaor.

— nbsp;nbsp;nbsp;Quoil c’est vous, belle Juliande? s’écria eetnbsp;amoureux chevalier en la voyant entrer scule et onnbsp;la voyant fermer avec soin la porte afin de n’êlrenbsp;pas interrompue ni distraite dans un travail qu’ellenbsp;sentait mériter touteson attention. Quoil c’est vousnbsp;qui venez aujourd’hui pour me secourir? Ah! com-bien je vous remerciel

Juliande lui fit alors part des raisons qui venaient de forcer Urgande a partir, et ces raisons parurentnbsp;de si bon aloi è Galaor qu’il en trouva bientótnbsp;d’aussi bonnes pour envoyer Ardan rassurer sonnbsp;frère Amadis sur son état présent. Quand a Gasuval,nbsp;il lui ordonna de parcourir sur-le-champ Filenbsp;d’Urgande pour lui trouver un cheval propre è porter un chevalier, espérant êti e bientót en état denbsp;s’en servir. Ardan et Gasuval s’empressèrentd’obéir,nbsp;et Galaor, en voyant Juliande s’approcher timide-ment de son lit, sentit quechaque pas qu’elle faisaitnbsp;semblait hater sa guérison...

Ses blessures étaient déjk presque toutes refer-mees. Il haisa les jolies mains blanches qui s’occu-paient, en tremblant un peu, k les découvrir pour les panser. Galaor avait un air si tendre, si recon-naissant, il était en outre si jeune et si beau, (juonbsp;Juliande en fut apitoyée au-dela de ce qu’on pourrait dire.

— nbsp;nbsp;nbsp;Vos blessures vont trés bien... balbutia-t-clle.

Mais..... n’auriez-vous pas, d’aventure, un peu

de fièvre?... Je vois dans vos yeux un feu qui m’inquiète...

Galaor la rassura. Sa poilrine était déja décou-


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LE BEAU-TÉNÉBREUX. 37

LE BEAU-TÉNÉBREUX. 37

verle, et Ie p;iuvi'c blessé, prenant la main de Juliande, Ia posa sur son cceur.

—Ah! dieuxl s’écria-t-e!le en rouaissant, comme il bat!...

L’effroi de la gonte pucelle fut extréme. Elle ignorait encore les inoyens de calmer une agitationnbsp;qui ne s’était jamais rnanifestée devant sa tante,nbsp;(tont elle oubliait précisément les legons en cenbsp;moment lA

— nbsp;nbsp;nbsp;Mais... ajouta-t-elle, tout interdite, je crainsnbsp;que vous ne soyez plus mal que ces derniers jours...

Galaor ne répondit rien, et Juliande fut encore bien plus effrayée lorsqu’ello crut qu’un transportnbsp;violent mettait ses jours en danger. Elle en lit unnbsp;cri de surprise et de douleur, auquel succéda unenbsp;exclamation de joie lorsqu’elle fut rassurée en Ienbsp;trouvant un peu mieux.

La petite boite de jaspe futemployéeasontour, et les cicatrices vermeilles qui tranchaient si biennbsp;sur la poitrine blanche de Galaor furent douce-ment étuvées avec Ie même baume qui les avaitnbsp;fertriées. Elles parurent en si bonne voie de gué-lison a l’innocente Juliande, qu’il ne lui resta plusnbsp;d’inquiétude que pour Ie retour de ce transportnbsp;qui l’avait effrayée au point de la mettre horsnbsp;d’elle; mais Ie blessé la rassura en souriant... Plusnbsp;tranquillo alors, il embrassa tendrement Juliandenbsp;en la remerciant de lui avoir sauvé la vie, et il lanbsp;conjura de ne pas Ie laisser seul pendant rabsencenbsp;de son écuyer...

— nbsp;nbsp;nbsp;Ahl certes, lui répondit la pucelle, je m’ennbsp;gardera! bien !... Si ces mêmes accidents allaientnbsp;vous reprendre?... Et que dirait ma tante si ellenbsp;qpprenait que j’ai négligé les moyens de vous ennbsp;guenr avant son retour?...

Galaor 1 assura qu’il courait en effet les plus grands risques sans sa présence et sans ses soins as-sidus. Alors Juliande,prenantun petitair grave, luinbsp;présentade sa main cequ’Urgande lui faisait prendre tous les jours; elle l’arrangea bien dans sou litnbsp;qt lui prescrivit de se livrer au sornmeil pendantnbsp;quelques heures... Puis elle reprit un air plus ten-

ana de ce pas rejoindre sa soeur, qui revenait uré-cisement de chez Gildadan.

Toutos deux, en se retrouvant, ne purent s’em-pecner de rougir. Solise, en sa qualité de soeur ai-nee, lut la première è relrouver sa langue pour questionner Juliande sur Ie traitement qu elle avaitnbsp;*ait subir a son chevalier...

— nbsp;nbsp;nbsp;Et vous, ma soeur? répondit Juliande d’unnbsp;assez embarrassé.

quelques momenls, les deux gentes im-sans ‘^‘V^Lnuerent a s’interroger mutuellement santnbsp;nbsp;nbsp;nbsp;^ ^ ronfiancese rétablis-

ler toiitff nbsp;nbsp;nbsp;pGes se mirent a se racoii-

dans nbsp;nbsp;nbsp;^ ^nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;s’élait passé

Des ri?p« ‘quot;’portante qu elles venaient de faire, récifnbsp;nbsp;nbsp;nbsp;i'iterrompirent cent fois leur

ouUie de 1 autre pour se faire ecouter ; et ce ne ¦') après s etre presque battues et entre-baiséesnbsp;('nie'^r moments qu elles s’aiiprircnt mutuellementnbsp;t m. Pn?nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;‘'o loars visiles, fi quelques pe-

mème nbsp;nbsp;nbsp;jirès, avait été absolument Ie

Les trois jours pendant lesquels la fee Urgande fut absente furent si bien employés, les deux jeu-nes soeurs furent si doucement occupées a calmernbsp;les légers accidents que leur tante n’avait pointnbsp;connus, qua son retour ils ne reparurent plus, dunbsp;raoins en sa présence. Urgande ent l’air d’etrenbsp;trés satisfaite des soins de Solise et de Juliande ;nbsp;elle eut aussi celui de croire tout ce que Gildadannbsp;et Galaor lui dirent de la reconnaissance qu’ilsnbsp;leur devaieut. Mais, comme aucune fée ne savaitnbsp;lire aussi bien qu’elle dans Pavenir, dés ce moment elle eut soin de s’assurer de deux excel-lentes nourrices.

GHAPlïRE XXXIV

Comment Oriano faillit se facher avec Mabilo, a propos de la reine de Sobradise.

prés la guérison des blessures qu’il avait recues, Lisvart s’élait rendunbsp;dans la ville de Fernèse, oü sa familienbsp;et sa cour s’étaient rassernblées. Orianenbsp;et la leine Briolanie, arrivée depuisnbsp;peu, ressentirent une joie presquenbsp;égale en y voyant arriver Amadis a lanbsp;suite du roi; mais l’une ne donnaitnbsp;déja plus qu’a la reconnaissance cenbsp;que l’autre donnait è l’amour.

Oriane, cependant, ne pouvait se défendre d’une certaine inquiétudenbsp;toutes les fois que Briolanie devisaitnbsp;avec son défenseur. Gelte belle reine,nbsp;faisant un jour des questions sur Pllenbsp;Ferme et sur les merveilles qu’ellenbsp;renfermait, Amadis peignit celles denbsp;la Ghambre-Défendue avec tant d admiration, quenbsp;Briolanie ne put s’empêcher de lui demander lanbsp;permission d’en faire 1’épreuve. Amadis répondit anbsp;la reine de Sobradise, avecsa courtoisie ordinaire,nbsp;qu’elle était trop en droit do tenter cette épreuvenbsp;av('c conliance pour la différer.

Cette réponse suffit pour rallumer les soupQoiis éteiuts de la princesse Oriane relativement é lanbsp;princesse Brioianie. Elle se leva sans regardernbsp;Amadis, et s’en alia porter ses doléances auprès denbsp;sa fidéle amie labile, amp; qui elle raconta tout.

labile se douta bien que la jalousie d'Oriane lui faisait dénaturer Ie vrai sens de la réponse d’A-madis. Comme elle était vive et qu’Oriane, en senbsp;dolentant, se portalt a l’aprelé, elle se facha sé-rieusement.

— Vous êtes incorrigible, lui dit-elle, et mon róle auprès de vous commence a me devenir pé-

nible.....Une fois déja, par votre injustice et vos

soupoons exagérés, vous avez failli araener la mort de mon malheureux cousin... Vous savez quenbsp;sa vie ou sa mort dependent absolument de vous...nbsp;et, puisque vous avez l’ingratitude de vous livrernbsp;encore i des soupQons que tant de raisons doiventnbsp;bannir è jamais de votre ame, je ne veux plus ennbsp;être témoin, et je vais prier Ie prince Galvanes,nbsp;mon oude, dc me raraener en Ecosse avec lui...

Oriane, alors, fondant en larnies, se précipita


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38 BlBLiqTHEQUS BLEUE.

38 BlBLiqTHEQUS BLEUE.

(jai^s }ls Lras (je sa cousine, en lui demanclant par-uoh'et en convenant de tons ses torts.

Le raêipe joyr, Briolanie et les dames de Ia cour pressèrent vainement Amadis de leur djre le nopinbsp;de la dame qui l’accQmpagnait, voilée, lors de l’é-preuve de lepée merveilleuses. Amadis mit tantnbsp;d’adresse dans sa réponse, qu’il sut les cqntenternbsp;saps leur riep apprendre. Oripne proüla de cellonbsp;occasion pour lui prouver que la Iranqpijlité denbsp;son iime lui pennettait de lui faire des plaisante-rips, et elle le pressa si vivement de lui dire lenbsp;nom de cptle dame, ou du moins de }a lui peindre,nbsp;qu’Amadis nc put se tirer d’embarras qu’en luinbsp;(lisant :

— nbsp;nbsp;nbsp;Madame, pendant tout le temps que je fusnbsp;avec elle, je n’ai pu voir que ses cheveux, et j’ainbsp;cté surpris de les tfouver presque aussi beaux quenbsp;les vótres...

Les dames ne s’arrêtent point si aisément dans leurs questions. La reine et son entourage allaientnbsp;rccominencer les leurs, pour se distraire et em-barrasser Amadis, lorsque, fort heureusement, cenbsp;discrct amant fut appelé auprès du roi, qui avaitnbsp;avöc lui Quadragant, lequel, en apercevant Amadis,' alja sur-le-cliamp d lui les brqs ouverts.

— nbsp;nbsp;nbsp;Chevalier, lui dit-il, sous le nopa du Beau-Ténébreux, yops in’uyez laissé la vie sauve et faitnbsp;proinotlre de me remlre a la cour du roi Lisvart;nbsp;vous m'avez fait jurer, outre, de ne plus porternbsp;les armes cpptre Iqi, d’attendre Amadis én sa cour,nbsp;et de rerioncer è tout ressentiment de la mort denbsp;mon frèrq Abies... J’ai rempli ma promesse... Maisnbsp;qu’ïi son tour }e Beau-Ténébreux lienne sa parole

et me fasse connpiire le vaillant Amadis.....Soyez

assez généreux pour m’obtenir son amifié et pour lui demaiifjer do me recovqir au iiombro cjc sesnbsp;frères d’armes et de me permettrp de lui 'demeurernbsp;attaché lp reste do sa vie...

La réponse d’Amadis fut d’accourir Quadragant, de I’embrasser et de lui jurer pour toujours ceite fraternité d’armes si sacrée dont les clieva-liers étaient a bon droit si fiers.

Landin, le neveu de Quadragant, témoin de cette nouvelle alliance, s’avauQa veré' Flprcstan d’un airnbsp;noble et riant.

—Brave chevalier, lui dit-il, je venais pour rem-plir uia proniesse et pour vous combattre; mais j’espère que vous serez apssi généreux qu’Araadis,nbsp;en receyqnt cette épée h' la place du gage que jenbsp;vous avajs'femis.

— Je ne l’accepte, brave Landin, réponditFlo-restan,qu’a la condition quo vous recevrez la mienne et le mêine serment que mon frère vient de fairenbsp;tl votre onclo.;.

CHABITUE XXXV

Comment la fCe tlrgande vint h la cour du roi Lisvart pour y faire des predictions navranles.

lorostan, Amadis et leur cousin Agraies allaient partir pour eber-cher Galaor, lorsiju’un' évène-nVént, qui,d’abo!'dieffraya toutenbsp;la courHes ar'féia.

|jisyart, en se promenant vers la fih du jour sur le bord de lanbsp;rner,'vit'deux pyrarnides de feu,nbsp;dont ruqc s’élevait jusqu’anxnbsp;nues et paraissait sgyBr sein dés eaux.nbsp;Trop intrèpitje popr en êtrè effrayé, Lisvartnbsp;s’avanpa, süiyj qes deux frères et d’Agraies,nbsp;et bientpt Üs distiuguèreut, au milieu desnbsp;flammc§ qui semblajent lui faire cortégejnbsp;une galère 'dorée qüi porfait des voiles denbsp;ponrnre. Qes gons hariiionieux se firent en-IcnÜre, ef douze dcnioiselles, vêtues penbsp;blanc el cnguirlandécs 'do flcufs, parurenl sur losnbsp;bords de cptte galére.

— nbsp;nbsp;nbsp;P’‘est la sage Ürgande qui nops arrive en eetnbsp;équipage! s’écrja le ról en allaut avpp pmpressc-ment au devaut d’elle.

ürgande tenait dans ses maiqs un coffret d’or, elle èil'lira' incontinent une petite circ 'alluméenbsp;qn’ellc jefa darts la mer, et, sur-le-cliainp, les colonnes de feu disnarure'nt.

Amadis, qni'amp;ét'ait'avancé vers elle en piême Icinps que le roi, voulut baiser le bas de sa robe;nbsp;mais ürgande, rórnbriinsant, lui dit';

— nbsp;nbsp;nbsp;Vous jriez valnëihént la recherche de vofrenbsp;frère Galaor...' 11 èst'dans ihon ile,'invisible pournbsp;tons les mortels... Gependant, rassiirez-vous surnbsp;son état; jamais il ne s’est mieux pórló.....' 11 estnbsp;toujours le rhéme, ajon(a-t-eIle en riant, et bientótnbsp;vous le revèrre? plus beau, plus brave, maisnbsp;moins digne qüe jamais 'des prix qni sont dus anbsp;votre fidélité!...

Lisvart conduisit Ürgande è son palais, oü Bri-sène, Oriane et Briolanie la repurent avec le plus lendre empressement et la firent asseoir au milieunbsp;d’elles. Son arrivée et les bonnes nouvelles qu’ellcnbsp;avait données de Galaor, ayant arrétéles chevaliersnbsp;qui se disposaient ti partir pour sa recherche, lesnbsp;dames furent trés aises de n’être point abandon-nées, et la joie se relablit dans cette cour.

— Japiais elle n’a étó si brillante, dit ürgande h Lisvart, et nul soqyeraiu ne peut ra'ssembler un

aussi grand nombre de chevaliers renommés.....

tant qu’ils serpnt avec vous, 6 roi Lisyarl! nul no pourra résister ii la force de vos armes, jusqu’icinbsp;victorieuses. Mais, fiélas 1 je crains biep que la fortune ne se fatigue è vous favoriser ainsi saus re-lache, et qu’cuorgueilli par vos succes et trompénbsp;par de laches fiatleurs, vous np vous prépariez lesnbsp;plus mortels phagrinsl... Madame, ajoula ürgandenbsp;qu s’adressapt 0 Brisène, si la plus rare vaillnnconbsp;illustre les chevaliers du roi, la plus rare beauténbsp;pare votre cour... Les événeincnts qui vionnent denbsp;so passer sous vos yeux vous prouvent que les



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LE BEAU-TÉNERREUX. 39

LE BEAU-TÉNERREUX. 39

monta, les deux pframides de feu se rallvuuè-renf pour s’éteindre bientót ayec elle.

V'Tlus et la loyauté des dames qui la coinposent sent égales S leurs charmes : la eonquête du chapeau d(i fleurs est la plus honorable et la plus hril-lante qu’aucune dame put jamais faire!...

Orianp rougit ti ces mots, ct sachant que riej! ne pouvait échapper a la sagace Urgande, elle craignitnbsp;quh'lle ne révélat qnelque chose qui put la fairenbsp;coimailre. Mais Amadis la rassura de sou rnieux ennbsp;lui disant tout bas quo la prudence d'Urgande éga-lait sa perspicacité. II en était si persuadé qu’il osanbsp;méme presser Urgande de' nommer celle dont onnbsp;cherchait si vainenient i connaitre Ie nom.

—¦ Vraiment, lui répÓndit-elle, c’est è vous que je m’adresserais pour Ie savoir puisque c’est vousnbsp;(lui l’avez emmenée après son triornphe, et que,nbsp;uaventure, vous l’avez délivrée des insullés denbsp;Lmdoraque et dés piéges d’Arcalaüs! Mais je croisnbsp;que nous n’en savons Ih-dessus ni plus ui moinsnbsp;1’un que l’autrcj'et, tout ce due je peux dire denbsp;plus, c’est que vous vous trqmpèz tous si vous vousnbsp;imaginez que ce soit uile demoiselle qui ait Ie chapeau de flour's, car j’ai quélques raisons de suppo-ser que c’ést, au contraire, la plüs belle et la plusnbsp;parfaite de toutes les dames...

Amadis rougit alprs è sop tour. Urgande sourit fineraent. et les questions cessérent. Urgande futnbsp;trés aimaijle pendant toute Ipsoipép qui suivit ceftcnbsp;conversation. Sensmle aux caresses d'e'quot;la hel)enbsp;Oriane, elle demanda ti passer fa nuit ayec elle', etnbsp;loi’sque les dames de la cour se retirérént, elle fufnbsp;conduite d^ns la eliambre de cette princésSe ófinbsp;Mabile et Briolanie occupaient un lit, et cette ai-inable fee partagea celui d’Oriape. De qui ellcsnbsp;s’cnlrctinrcnt pendant les Ipngues heures (Ic ce|lenbsp;veillée, on Ie devine.

Le leudemain, avant de prendre congé, Urgande passa chez Lisvart, oü se trouyaient (féja Amadis,nbsp;Agraies et Florestan.

— Vous avez connu déji la vérité de ipes predictions, leur dit-elle. Je vais vous qn faire de nou-velles; mais piles sont si compliquéea, que vous vous tourmenteriez en vain pour les expjiquer...nbsp;Hien des orages, bien des combats, bien du sangnbsp;répandu vont bientót troubler la paix de cette hep-eeuse cour... Et vous, Amatjis, vous serez bientótnbsp;oblige do regretter d’ayoir fait la eonquête de 1'épéenbsp;merveillcuse, et fussiez-vous seigneur de ja mppiénbsp;dn monde, vou^la doimeriez iice moment-lk de bonnbsp;l^^ur pour que petfe épép soit abinpée au fond d’un

Amadis avait l’ame trop haute pour être trouble V®'quot; 1 annonce d’un péril, quelquo grand qu’il fut.nbsp;ƒ ^ssaierai du moins, dit-il, de ne rinn perdrenbsp;d.oe j’ai en le bonheur d’acquérir, el ie ne

_ Y * l’oor ma vie.

mip lp nbsp;nbsp;nbsp;Urgande, un aussi robiiste coeur

vnirn Ufut tóut surmobter, je le sais... .Mais

re niagnanimiié, Amadis, subira dé criielles

Gela dit, Urgande prit conge et var Lisvart jusqu’Ji sa galêre, toojomsji^ii^ c ..nbsp;1‘Hle monla. les óp»'- .........

CHiPITRE XXXVI

Comment, après te dèpart d’Urgande, arriva è la cour du roi Lisvart une demoiselle gèante qu'on appela la Demoisnbsp;selle Injurieiise , laquelle provoqua Amadis ii un combatnbsp;conlre Ardan Canille.

ne heure après le depart d’Urgabde une der'ndi-sélle assez belle, maisnbsp;d’uhe taille géante, de-inanda audience au roi,nbsp;qui la lui donna. Tirantnbsp;alors d’un riche portefeuille une lettre scelicenbsp;dé deux sceaux, elle luinbsp;dit:

— Avant de I’ouvrir, puis-je sayoir si celui quinbsp;se faisait appeler leBeau-Ténébreux est dans cette cour?

— G’est inqi, noble demoiselle, répondit Amadis, et je suis lout a votre service...

¦^Vous? s’écria la (Jemoiselle en accablanl l’amaut d’Orjane de noms si oulrapeapts qu'a pqr-tir de pefte heure elle pe fuf plus appelóe que ianbsp;Demoiselle Iqjprieu^e. Vpqs? voos n’osercz seule-ineut pas répondre g )a lettre que je vjens de re-meftre a votrq maitre!...

Ainadis se contenfa de soprire, et il pria le roi de lui perrapttre de fajrp |ui-mêrne la lecture denbsp;ce inpssagc, lequel porfaii qqe Grdtfamasè, lanbsp;géante du lac Jlrülaut, ct sa filfe ilat|asime, dési-raut épargner le sang ife feurs spjets et même'denbsp;Lisvart, proposaieii^ de'feirjefti'e la possessiqn denbsp;cette souverairielé, et lp dèlivrance d’Aiigriote .efnbsp;d’Arban de Norplps au sort d'uii combat cnlr'enbsp;Amadis et le retiqutahle Ardan'Canille. Get Arciaiinbsp;Gaiiille était unè facpn de morislre, de la taillenbsp;tj’un géant, d’une tigiire horrible et d’une force sinbsp;prodigieuse que, depuiscinq anS, |)ersónne n’avaitnbsp;üsé \c combatfre.

Lorsqne la lecture de la lettre futterrainée, la Demoiselle Iniuriëuse's’êcria :

— Amadis f aUends-joi, si lu n’acceptes pas cc combat, a recovoif bientót on présent les lêfesnbsp;des ilciix chevaliers qii'c tu regardés'commd tésnbsp;compagnons!

Amadis ne ypulut pas laisser au roi le spin de répondre p ce uouvcl outrage.

— Üiil, j’acioptc Ce combat, dit-il. Mais quelle sürclé jüradam'ase dqnnera-t-elle de I’accomplis-sciiiènt des propositions qu’ellé fait dans sa Icltrc?

— Je crois , répondit lp Demoiselle Injuriepse, qu’cllc risque si peu dans l’evénement d’un combat conlre Voiis, que j’óffi e de sa part de remettrenbsp;la belle Madasime sa ülle en otage entre les mainsnbsp;du roi Lisvart, aveedix chevaliers et autant de demoiselles de haut parage... Ön amè'nera même lesnbsp;dciix prisonniers pour qu’üs soiënt témoins dunbsp;combat ct qu’on puisse leür trancher la tète ounbsp;moment oü I on verra lornber la vótre...

Briineo de Jionnemer ainiail trop Amadis pour entendre sans indignation les propos de la Demoi-I selle Injurieuse.


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40 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

— Sachez, lui dit-il, que quel que puisse êlre Ardan Ganille, sa présomption et sa force iie Ienbsp;garanliront pas du sort qui l’altend en osant senbsp;mesurer avec Ie vaillant et incomparable Amadis Inbsp;Et, pour ma part, je désirerais beaucoup quenbsp;votre Ardan put ametier avec lui un second lui-tnême pour me mettre en posture de Ie corn-battre.

— Ah 1 vraiment, répondit la Demoiselle Inju-rieuse en ricanant, je ne comptais que sur la tête d’Amadis; mais puisque vous êtes si fort son ami,nbsp;je me sens assez Ie désir de voir aussi tomber lanbsp;vótre, pour vous promettre de vous amener monnbsp;frère, qui se chargera de ce soin.

Sur ce, Bruneo présenta son gage k la Demoiselle Injurieuse, qui Ie rcQut et alia Ie porter au roi Lisvart avec une attache de pierreries, priantnbsp;ce prince de garder les deux gages jusqu’après Ienbsp;combat.

La coutume était alors de bien accueillir les en-voyés, porteurs de déti. Amadis, voulant voir si la Demoiselle Injurieuse soutiendrait toujours Ienbsp;même ton et lemême caractère, s’approcha d’ellenbsp;et la pria de reposer dans son palais.

— Tous les lieux me sont égaux, lui répondit-elle, et je n’imagine point de raison de vous refuser... Je suis si contente, d’ailleurs, de vous voir, contre mon attente, accepter un combat que Ienbsp;sentiment de votre conservation devait vous fairenbsp;éviter, que je me plais a contempler plus Iqng-temps la victirae qu’Ardan Ganille sacrifiera bien-tót aux manes de Famongomade et deBarsinanl...

Ayant dit cela, ellelui présenta la main d'un air plus rnéprisant que jamais, et Amadis la conduisitnbsp;dans son palais, oü il init tout a sa disposition. Lè,nbsp;il la laissa seule pendant quelque temps avec unenbsp;demoiselle qui l’avait suivie.

La chambre dans laquelle la Demoiselle luju-rieuse venait d’être conduite était prccisément celle qu’occupait d’ordinaire Amadis. Lorsqu’ellenbsp;fut seule, elle se mit a examiner ga et la, et bieutótnbsp;elle apergut, accrochée au mur, la merveilleusenbsp;épée que Tarnant d’Oriane avait conquise commenbsp;Ie prix de son amour et de sa loyauté. La Demoiselle Injurieuse s’en empara, en laissant toutefoisnbsp;Ie fourreau, et elle put la dissiniuler, grace i sesnbsp;amples vêtements et a sa taille géante. Puis, commenbsp;cette épée aurait pu finir par la gêner, elle sortit,nbsp;sous prétexte de parler aux écuyers qui 1’avaientnbsp;accompagnée, et elle la remit k I’un d’eux avecnbsp;ordre de la porter ü son navire et de l’y tenir biennbsp;scellée. Puis elle revint, joycuse, prendre part aunbsp;somptueux gala qu’Ainadis avait fait préparerasonnbsp;intention.

Mais, on Ie comprend, elle abrégea saus peine un repas que rieu ne rendait agréable par l’hu-meur querellante et maussade qu’elle y portaitnbsp;sans cesse. El, se hatant de relourner a son navire,nbsp;elle partit, trés satisfaite de son message et trésnbsp;aise d’avoir privé son eunemi de l’épée dont lesnbsp;géants ses oncles avaient éprouvé rexcellence.

GHAPIÏBE XXXVII

Comment eut lieu Ie combat entre Ardan Candle et Amadis, et comment il se termina a grande colère de la Demoiselle Injurieuse etnbsp;a la grande joie d’Oriane.

ientót arrivèrent Angriole et Arban de Norgales, Ma-dasime et son cortége, Ardan Ganille et la Demoisellenbsp;Injurieuse. Madasime, fian-cée d’Ardan , faisait desnbsp;voeux pour Ie succès desnbsp;armes d'Amadis, dont elle n’avait pasnbsp;oublié l’aimable frère. La Demoisellenbsp;Injurieuse, seule, faisait des voeux pournbsp;Ie succès d’Ardan Ganille.

Le jour du combat fixé, chacun des deux combattants parut, assisté de sesnbsp;seconds.

Amadis vint d’abord, un peu attristé par l’ab-sence de son épée, qu’il ne pouvait parvenir é s’ex-pliquer.

Peu après survint Ardan Ganille, monté sur un gros roussin. II avait au cou un écu de fin acier,nbsp;reluisant comme un miroir. A son cóté pendait lanbsp;bonne épée d'Amadis, et, dans sa main, il tenaitnbsp;une double lance qu’il brandissait que c’était mer-veille.

Oriane et les dames, en rai)crcevant si orgueil-leux, furent saisies de craintc pour les jours d’A-madis.

— Quo Dien ait pitié d’Amadis 1 fit Oriane.

Mabile lui representa qii’il fallait faire bonne contenanee pour ne pas augmenter la conliancenbsp;d’Ardan.

Les trompettes se firent entendre. Alors Amadis, aprés avoir regardé Oriane, s’élanga sur Ardan, etnbsp;ils brisèreiit du coup leurs lances; le cheval d’Ardan inourut sur place et celui d’Amadis fut blessénbsp;a l’épaule.

Amadis, dont le haubert tralnait un trongoïi de lance, se releva promptemcnt et marcba l’épéenbsp;haute sur Ardan Ganille qui se soulevait avecnbsp;peine; il mettait en place son heaume; néan-nioins, ils s’entreprirent rudement, les étincellesnbsp;jaillirent des ariniires et le combat annongait unenbsp;rancune terrible.

Ardan paraissait avoir le dessus avec l’épée d’Amadis, que la Demoiselle Injurieuse lui avaitnbsp;doiinée ; les assauts d’Amadis répouvanlaient, ilnbsp;lui semblait qu’a mesure qu’il s’affaiblissait, l’au-trc reprenait de nouvelles forces. Enfin, se eou-vrant hien de sou écu, ii se jcta sur Amadis dontnbsp;les armes étaient en morceaux; tout le monde lenbsp;crut vainqueur.

Madasime faillit se trouver mal, car elle préfé-rait perdre sa terrc ct elle-même que de l’é-poiiscr.

Oriane, de sou cèté, s’apergut de la mauvaise situation d’Amadis, dontle Imrnois était démailbij;nbsp;elle devint blêine toiit-a-coiip, ce quo voyant Mabile, elle lui dit:


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LE BEAU-TENEBHEUX. 41

— nbsp;nbsp;nbsp;Madame, il ne faut pas ainsi vous détournernbsp;d’Ainadis, vous allez causer sa perte, gardez aunbsp;moins votre visage devant lui si vous iie pouveznbsp;l’encourager des yeux.

Amadis était alors si pressé par Ardau, que Mrandayras, Tuu des juges, disait a don Grumedannbsp;et a Quadragant:

— nbsp;nbsp;nbsp;Chevaliers , Amadis est en grand [)éril, sonnbsp;harnois s’en va, son écu se détache et sou haubertnbsp;ruiné Ie couvre a peine.

— nbsp;nbsp;nbsp;C’est vrai, répondit Grumedan, et jen ainbsp;grand souci.

— nbsp;nbsp;nbsp;Par Dieul fit Quadragant, j’ai lutté a armesnbsp;courtoises avec Amadis, mais plus il combat, plusnbsp;il devient roide et dispos, les forces semblentnbsp;lui arriver d’heure en heure. G’est Ie contrairenbsp;pour Ardan, que vous voyez déj^i rompu et qui nenbsp;tardera pas a l’être davantage a l’instant.

Oriane et Mabile enleiulirent ce propos, qui les réconforta.

Amadis avait vu Oriane s’éloigner de la fenêtre cotnrae si elle avait hate de lui voir réduire Ardan.nbsp;II se rua alors avec son épée sur Ardan qu’il fitnbsp;ployer; maisl’épée se rorapit en trois morceaux, Ienbsp;plus petit lui resta dans la main.

Les juges et les assistants Ie crurent vaincu. Ardau levant Ie bras, s’écria trés baut de facon que chacun l’entendit:

— nbsp;nbsp;nbsp;Regarde, Amadis, la bonne épée que tu asnbsp;conquise pour en recevoir mort honteusel... Demoiselles, montrez-vous toutes aux. fenêtres, pournbsp;voir si ma dame Madasimo est assez vengée et si jenbsp;suis digne de son amour 1...

Lorsque Madasime entendit ces paroles, croyant au triornphe d’Ardan, elle courut se jeter aux piedsnbsp;de la reine, la suppliant d’empêcher son niariagenbsp;avec Ardan; elle indiqua Ia raison é invoquer pournbsp;eet effet. Ardan lui avait dit qu’il serait moins longnbsp;é vaincre Amadis qu’un valet Jt faire une demi-iieuenbsp;ut il y avait quatre heures que Ie cotnbat durait.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ma mie, lui répondit la reine, je ferai ce quinbsp;sera raisonnable.

Amadis, reslé sans défense, se souvint des paroles d’Urgande « que s’il était seigneur de la moi-V'ü du monde, il la donnerait a condition que sou u|gt;ee fut abimée au fond d’un lac. »

II regarda Oriane qui s’était retournée vers lui peur lui donner du coeur, il se lanca sur Ardan avecnbsp;tant de légèreté qu’il lui enleva l’écu du cou. Puis,nbsp;ramassant un trongon de lance, il voulut crever unnbsp;a Ardan. Mais celui-ci recula en donnant unnbsp;r tort coup d’épée, qu’elle entra dans l’écu la lon-rrl’une palme. II essayait de l'en dégagernbsp;frinn^ .quot;“‘‘‘dis la lui lit lèclier tout-é-fait, cn lui

1’épée en remerciant Dien de ce se-toiirs inesperé.

Ja chance tourner ainsi, appela ^‘'^uspérée, s’était jetée sur un lit en

erchant quelle, serait la mort la plus prompte, si Amadis etait vaincu.

dit-elle, venez voir, Dieu nous • te, Ardan est sur Ie point de succornber.nbsp;TiifAnt^Anbsp;nbsp;nbsp;nbsp;Jat a Ui fenêtre et elle vit com-

pnim n”' • donna sur Tépaule d’Ardan un si rude

voulut fuli^^ nbsp;nbsp;nbsp;séparé, et qu’Ardaii

Amadis l’avait encore au bout de son épée, et Ie fit reculer jusqu’au sommet d’un rocher surplora-bant la mer.

Ardan Gaiiille se trouvait entre deux exlrémités : d’un cöté l’abime oü il pouvait linirses jours, et denbsp;l’autre, la pointe de l’épée d’Amadis.

Amadis ne Ie laissa pas choisir; il se jeta sur lui, arrachant farmet qu’il avait encore et levant Ienbsp;bras, il Ic meurtrit tellement, qu’il tomba du hautnbsp;de la roche dans la nier et disparut pour toujours.

Le roi Arban de Norgales et Angriote d’Eslri-vaux, qui avaient beaucoup désespéré de la cause d’Amadis, vinrent le féliciter.

Amadis, après avoir essuyé son épée, salua le roi et les chevaliers; on le conduisit chez lui avecnbsp;pompe, ayant a ses cótés ceux qu’il avait déüvrés,nbsp;Arban et Angriote.

Et comme ces derniers avaient perdu en prison leurs couleurs et leur santé, Amadis voulut lesnbsp;en consoler en les traitant chez lui; et lorsque lesnbsp;médecins et chirurgiens les jugèrent convalescents, ils s’en retournèrent oü les appelaient leurnbsp;destinée.

GIIAPIÏRE XXXVIII

Comment Bruneo de Bonnemer, combattit Madamain 1’Ambi-tieux, frère de la Demoiselle Injurieuse, et le jeta dans la mer, ainsi qu'Amadis avait fait d’Ardan.

ne fois le combat d’Ania-dis et d’Ardan terrniné, la Demoiselle Injurieusenbsp;.vint se présenter devantnbsp;le roi, le suppliant denbsp;mander celui qui devaitnbsp;combat! re son frére.

— Gar, ajoula-t-elle, encore que mon frère soitnbsp;vainqueur, il ne pourranbsp;cependant prendre laotnbsp;de vengeance sur son cn-nemi que les amis d’Ar-dati soient satisfaits de sa mort; toutefois ce leurnbsp;sera quelque consolation.

Or Bnneo était présent; lequel, sans répondre aux téméraires paroles de cette folie, dit au roi:

— Sire, je suis celui doiit elle parle, et puisque son frère se trouve en cette compagnie, comme ellenbsp;dit, si c’est votre plaisir et qu’il le veuille, nousnbsp;saurons jtrésentement s’il est aussi gentil compagnon qu’elle I’annonce.

Le roi accorda cela, et chacun d’eux alia s’arnier et furent, pen après, conduits au camp pard’au*nbsp;cuns chevaliers leurs amis. Ruis la trompette sonnanbsp;et le combat commenca.

Les deux adversaires baissèrent leurs lances et, dounant des éperons a leurs chevaux, il coururentnbsp;l’un coiitre l’autre de si grande roldeur, que leurnbsp;bois vola eu éciats; puis, se joigiianl d’écus et denbsp;corps, Madamain perdit les étners et fut jeté parnbsp;ti^rre. Quant è Bruneo, il était blessé au cöté gauche...

Quoique blessé, ce dernier, ayant parfait sa ear-


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42,

lUKLfOTHEQUE BLEUE.

! peipe la reine Briqfpnie jfut-elle parti'é de la cournbsp;fde Ia Grande-Bretjignc,nbsp;qu’il sembla què'la fpr-ttupè voulut apipher lanbsp;‘’ruïne de ce royaunie, quinbsp;jendant si longtemps ayalt éiénbsp;i'eureux.

rière, revraa Ipour charger Madaraaiii, lorsquece-lui-ci lui cria :

— Chevalier, mettez pied amp; terre, ou je vais tuer votre chevall...

— Vraiment, répondit Bruneo, je vous balije Ie choix, car il ra’est d’autant de vous vaincre è piednbsp;üuacheval...

Madamain, qui se sentait plus fort a lepée que sou enuemi, qui ctait petit, tandis qu’il avait, lui,nbsp;presque la taijle d’un géjint, jut trés aise de yojrnbsp;qu’il Jui laissait airsi Ie clipix.

— Descetitiez ajors, lui cria-t-il, ej essayez de faire ce dont vous vous vantcz...

Bruneo mit pied k terre, embrassa sou écu, mit l’épée la main et s’approcba de Madamain, jequelnbsp;Ie regut hgrdjment conime un preux et bon cbeva-lier. Lors ils commencèrent a se charger l ün 1’au-tre, prétendanf tops dpux a uue mêfne chose, quinbsp;étaitla victoire.

II my eut si fort harnois qu’ils ne détranchas§ept h ce jeu; si bien que lp champ fut en quelques instants couvert des pieces de leurs écus et de leursnbsp;hauberts.

D’un autre cóté, leurs chevaux, ne voulant pas rester inactifs pendant que leurs maitres s’échi-naient, s’étaientempoignés l’un l’aulre, et, è coupsnbsp;de pieds et a coups de dents, se couplèrent de tellcnbsp;fapon que Ia plupart des assistants furent plus at-tentifs au combat des deux bètes qu’h celui desnbsp;chevaliers a qui elles étaient. Finalement, ce fut Ienbsp;cheval de Madamain qui dut cédér Ié pas aü chevalnbsp;de Bruneo, en fuyant par delh les barrières, d’oünbsp;Ton augura que celui-ci obtiendrait aussi la victoirenbsp;que sa monture avait obtenue, ce qui se vérifia.

Madamain, poursuivi fle prés par Bruneo, hors d’haleine et de forces, lui dit;

— Je crois, Brupep, a la colère que tu témoi-gnes, que tu espères gagner avant la ün de la jour-née... Néanmoins, si tu regardes tes armes, les-quelles sont quasi loules déclouées, tu trouveras saus doute qu’il te siérait rnieux de te reposer, aunbsp;lieu de ra’assaillir aussi furieusement que tu Ienbsp;fais... Bepreuds haleine, et nous recommeoceronsnbsp;après, et beaucoup mieux que devant.

— Vraiment, répondit Bruneo, tu me declares en bon lapgage ce qui t’est nécessaire!... Tu nonbsp;marques pas d’adresseè ce jeu de la langue... Mais,nbsp;je t’en prie, beau sire, continue et ne m’épai'gncnbsp;pas... Ignores-tu done l’occasion de notre combat,nbsp;pour pous demanded de soulfler un instanf l’un etnbsp;1’autro? Ne sais-tu done pas que ce combat ne doitnbsp;avoir de cesse que lorsque la tête ou la miennenbsp;sera tombée?... je ne suis pas d’humeur a entendrenbsp;plus longtemps tes sermons... Par ainsi, aviso ii tenbsp;mieux défendre que tu ne I’as fait jusqu’ici, si tunbsp;ne vpux pas bientot mourif de ma main...

Et, sans plus contester, flruneo se mit k charger de nouveau Madamain; mais celui-ci, qui deveuaitnbsp;de plus en plus affaibli, se retira petit k pefit annbsp;sommet de la roche, an dgoit du lieu ou Ainadisnbsp;avail jeté en mer le corps d’Ardan. Lorsque Bru-ueo le vit arrivé la, il jugea le moment opportuiinbsp;pour s en débarrasser, et, le poussant rudement, ilnbsp;1 ^(jvoya se sépulturer dans les ondes.

La Uemqiselle lujqrieu^e, en voyant cela, entra en une telle furie, qu’èlle courut comme une for-penee an Ijeu ou Ardan et son frère avaient été pré-c idles, criant de fagon a ètre enlenduc de tout unnbsp;chacun ;

— Puisqno Ardan, le parapgon de cheva]erie, et mon frère Madamrin, ont élu leur sepulture ennbsp;cette mer impétueuse, je vpiix aller leur teiür compagnie!...

Et elle se jela en effet, presqu'cn raêfue femps que son frère, si vitement après lui, pièine, qu’ennbsp;lorabant elle repcontra Pépée de Madamain, de ja-quelle elle se donna au beau milieu dps tétips.

Quand elle eut disparu, Ijfuneo, remontant a cheval, fut conduit par le ról et raaints autresnbsp;chevaliers, au Ipgis d’Armichs, ou il voulut deraeu-rer ppurtepir CQinpagpi.e a celui en Phonneur dq-quel il avait combaltu.

Sqr ce, la reine Briqlanie, voyant bien qu’Ama-dis pe serail pas de silóf guéri, el que, ^ ppr conséquent, il ne pourjait veiiirnbsp;A I avec elle, comme il lui avait prorpis,nbsp;I \V. congé de lui pour aller vpir lés sin-) l/Tj gularités de 1’lle Pepme.

GBAPITP XffXIX

Comment d’apciins ennemis duvaillant Amadis imaginèrent centre lui unc accusation qiii nenbsp;röussit quo trop.

Lisvart, oubliant les services d’Ama-dis, ceux de 's'es parents et les avis d’Urgande, écouta deux flatteurs de sanbsp;maison, parasites du roi Flanpris, sounbsp;frère, ruit, qui s’appelait Brocadau,nbsp;y l’aujre, Gandavidel.

¦, Gandandel avait deux ft Is, chevaliers de répufalion qu’éclipsait la rènomniéenbsp;d’Aipadis. II résolut de miner fhon-neur d’Amadis ef eejui de ses ami^. Pour cola, ilnbsp;feignit (je repfocher au roi son indifference au §u-iet de fa sotlyefaibefé de la Gaulc et-de la Grapde-Bretagne.

— Quoique cela spit depuis longtemps assoupi, il m’est fivjs qu’en cp moment ou réveille, ajoufa-l-il, les courages etles tlésirs dcvengeance. Ainadis,nbsp;seion pioi, n’est venu en cp pqys que pour soudoyernbsp;des soldats imi pourronj vous causer beaucoupnbsp;d’cmbarras. Gelui donf je vous jiarle et cppx denbsp;son alliance, ont fait ii moi et k mes enfants beaucoup (je bien, mais vous êtes mon seigneur, et je nenbsp;tlpis épargner, pour votre repos, pi ami ni pnfaptnbsp;inêmé. Vous avez regu Amadis avec uue suite sinbsp;nombreuse, qu’elle est prescjue supérieure k la yó-tre; avanf que le feu soit alluroó, il serail bon denbsp;prendre un parti.

Gandandel dopnn ao roi un grand sujel de con-trariété. Èn effet, ce dernier avail jugé Amadis si brave et honnète qu’il ne ppuvait l’accuser de l;j-ebeté. Le flaltcur insista en donnant h la générosité


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Lii UKAU-TE:NEni{EUX.

cL aux services d’Amadis ure caiiicur de Jrahison.

De pius, jl séduisit Brocadaii, lui assurant qu’a-près Ie depart d’Amadis tous deux gouverneraient Je roi et Ie royauine.

Le roi finit par accepter ces delations et en vint a se détourner quand jl apercevait AmadiS ou unnbsp;des siens. Ceiix-ci furenl consternés de ne plus re-cevoir Ja visite de Lisvart jusqu'ci i’euvoi d’un message, leur disant que si, dans huit jours, l’jle denbsp;Montraze ue lui était rendue, suivant leur promesse, iJ leur i'erail couper la tête aussitót.

Madasiiue'fut effrayée de cet|,e menace qui la laissait, en tous cas, déshérijée de ses biens; ellenbsp;s’abaridonna aiix larmes les plus amères.

Andangel le yieux góant se prpposa au roi pour aller dernanderè Janière de Madasime la restitutionnbsp;dos pays et pbicos qu’il attondait.

Lisvart y cónsentit et l’envoya avec |e conite |^a-tin. Madasime et ses femmes furent reconduiies pn prison par plusieurs gcnlilslioinmes qu’eJles emu-rent de compassion, surlout dón Galvanes, qui prê-tait son bras k Wadasiine ; il la regardjiit araoureu-sement et osa |ui dire :

— Madame, si vpus mp detnandipz au gt;’oi pour époux, il vous rendrait le (Jroit que yous protendeznbsp;avoir en votre pays. Je suis frère du roi d’Hcossenbsp;et puis maicher de pair avec vous. iVü denieurant,nbsp;soyoz assureè'des égards que vous niéritez.

Madasime savait Galvanes un bon clipvatjcr •, elle accopta soa olfrc, cl, leur accord fyiit, Galvanesnbsp;prépara son plan.

11 confia lo lout a Amadis et sps anus, qui en ri-i'eiit beaucoup, car Galvanes n’ctait pas de pre-oiière jeunpsse pour êtie aussi chaud amoureux.

¦—Mon bneJe, lui dit Agraies, je sais qu’amour n’épargne ni vieux ni jeune, mais tacbez de vousnbsp;montrer gentil compagnon, si nous obtenons dunbsp;roi la main de votre amie. Madasime est femme étnbsp;ne pas se coutenter d’cmbrassadcs.

Amadis prorait sa protection k Galvanes pour ac-tiver sou affaire de mariage.

Gandandal allait voir sournoisement Amadis conune un arai; il lui dit un jour ;

— Monseigneur, il y a longlemps que vous n’a-vu le roi?

— Pourquoi done ? fit Arpadis.

— A sa mine, il semble qu’d a quclque mauvais vouloir contre vous, iiisiuua Gandandel. ^

— Je ne sais, répondif Amadis, si je l’ai offense

sans le vouloir.

üne aulre fois, le traitre revint dire k Amadis d un air joyeux.

— Je voqs ai dit déjii qpe lp foi ipe paraissqit se reiroidir contre vops; iqais aujourd hui, en raisonnbsp;tics obligations que ^^0, pt jes miens vous avons, jenbsp;vops avertis de pourvoir a votre sürelc, car il vousnbsp;niauvais cell.

Amadis commenpa b soupponner quclque sourde menée, et il riposia un jour a un avertissementnbsp;sernblable de Gandandel.

— Pourquoi done me parler sans cesse de la co-lère du roi? Je n’ai peur lui quo du dévoümcnt, et J'i serais surpris qu’un prince aussi vertueux senbsp;tromptit si grossièrement. Ne me rompez plus lanbsp;tete avec ces sornettes.

Amadis, étaiit guéri, s’en vint amp; la cour avec ses aims i maïs le voi délourna sou regard et passa ou

tre. Gandandel se jeta au cou q'Amadis et le loua de sa bonne naine, lont en se disant faché de l’ac-Lisvart qu’il lui avait annoncé.

Amadis ne répoiidit pas, inajs rejojgnit Angriptc et Brutieo, § qui il insinua que le ro'i éfait peut-êtrenbsp;rêveur et n’avait pas pris garde i eux.

— II nous faut relourner, ajouta-t-il, et parler au roi de l’affaire de Galvanes.

Ils s’approchèrent, et Amadis dit au roi ;

— Sire, les services que je vous ai rendus, bien qu’insufftsanis, rn'enhardissentavous demanderunnbsp;don qui ne peut que vous honorer en l’octroyant anbsp;ceux qui i’attendent peur leur bonheur; c’est denbsp;donner au seigneur Galvanes l’ile de Montgase, denbsp;laquélle il vouS fera foi et hommage en épousantnbsp;Madasime. Ce faisant, Sire, vous enrichirez unnbsp;prince pen fortune, et sauverez une des plus geii-lilles femmes du monde.

Brocadan et Gaudandel fjrent sigiie aji roi de refuser.

Le roi répondit :

— Gelui-la est mal avisé, qui deiuando pe qu’il ne saurait avoir; je le (lis ppur vous, seigneur Amadis, qui mé demandez une ile dont j’qj fait présenfnbsp;il y a plus de cipq jours a ma fille Léonor.

Agraies, voyant que ce refus était composé,mur-mura que les services n’étaient pas si bieu recon-rms qu’on dut les continuep. Galvanes applaudit aux paroles de sou neveu, mais Amadis leur répl'i-qua :

— Messeigneurs, ne nous étonnons pas de ce que le roi ne peut aceprder ce qq’il a deja (fonné,nbsp;IJeraandons seulement la main de Alacjasime pournbsp;Galvanes, et, en attendant Ips faveurs ifu roi, Jenbsp;donnerai riJe-jferme aux anaopreux.

— Madasime est ma prispnnjère, fit le roi, et si, (lans uu mois, elje ne m’a rendu la terpc en litige,nbsp;je lui fais tranpher ia tete.

— Slip mpa ante, reppit Amacljs, yous npus con-naissez (jpuG bieu peu, que vous nous parjez avec si mauvaise grace?

— nbsp;nbsp;nbsp;Le jnonde est gssez grand, répliqua le roi,nbsp;pour trouver ailleprs qu’ici'ineilleur accueil.

Le roi envoya cette bpptade insolentc sans penser (juc d’uii mot naissait sopvent la perte (1’un roi etnbsp;d’un royaume.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;*

— nbsp;nbsp;nbsp;Sipe, je vpus croyais expprt pp pppneup, luinbsp;dit Amadis, je vois maintenapt le eputpaire, et,nbsp;puisque vous avez cbangó de conseil, moi et mesnbsp;amis irons chercher nouvelle fortune.-

— nbsp;nbsp;nbsp;Fades k voire Yolpnté, répondit le poi; lanbsp;inienne vous est coppue.

Et il alia trouver la reine, k qui il pacpnta lp congé qu’il venait de donner i Amadis et a sesnbsp;compagnons, ep témoignapt la jpic qp’il pprouyaitnbsp;d’en être débarrassé.

— Sire, lui dit la reine, prenez garde de dé-plorer plus tard ce qui vous plait a faire aujour-d’hui. Tant que ces seigneurs vous out servi, vos affaires out prospérp, et vous ne leur deviez pasnbsp;d’insulle. Si, dans l’avenir, il yous survenait desnbsp;(lifticullés, ils ne seront pas si tous que de vousnbsp;secourir.

— nbsp;nbsp;nbsp;No m’en parlez pliis, repondij, le roi, c’esfnbsp;fait; mais, s’ils s’en plaignent il vous, djles-leurnbsp;que j’ai dunné depuis longtemps il votre fille Léonor la terre qu’ils m’ont demandée.


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BIBLIOTHEQUE BLEUE.

valiers.

— Je Ie ferai, puisqu’il vous plait ainsi, reprit la reine, et Dien veuille que tout vienne è bien.

Amadis et ses compagnons quiltèreiit Ie palais et résolurent de ne rien dire jusqu'au lendemain, oünbsp;ils réuniraient tous leurs arnis pour aviser.

A I’instant, il envoya Durin diiaï a Mabile qu’il voulait parler la nuit suivante ii Oriaiic d’une affairenbsp;trés importante nouvellement arrivée.

CHAPlTRfi XL

Commeul Amadis alia passer une dernière nuit avec sa mie Oriane, h qui il avoua les raisons de son d6j)art.

Ainsi se passa Ie jour, ainsi arriva la nuit, vêtue de son manteau de ténèbres. Lorsque chacun^ futnbsp;au plus fort de son sommeil, Amadis appela Gan-dalin et s’en vint en un lieu par lequel il entraitnbsp;ordinairement en la chambre d’Oriane.

Gette princesserattendait,prévenue qu’elle avait été par Durin. Mabile et Ia demoiselle deDanernark,nbsp;qui avaient désir de dormir, ou qui, plutót, ne pou-vaient être impunément témoins des baisers et desnbsp;embrassements ardents avec lesquels ces deuxnbsp;amants se festoyaient; Mabile et sa compagne,nbsp;done, leur dirent :

— nbsp;nbsp;nbsp;11 est tard; couchez-vous, s’il vous plait, etnbsp;devisez après ainsi que vous l’entendrez 1...

Puis elles s’éloignèrent toutes deux, laissant Ié Oriane et Amadis.

— Ma dame, dit Amadis, leur conseil est bon !

— II vaut done raieux les croire, répondit-elle.

Et, de fait, n’ayant sur elle qu’un manteau de nuit, Oriane s’alla rnettre entre deuxdraps.

Coinme elle se couchait, Amadis la joignit de si prés, qu’aussitót que Ie rideau fut tiré, étant en lanbsp;chambre seulement allumé un mortier de cire, ilsnbsp;se mirent a s’entre-baiser et é s’entre-caresser,sansnbsp;sonner mot; tant et si bien, que, de ce grand aise,nbsp;leurs esprits requrent double plaisir par les fesloio-ments que leurs ames transies se donnaient I’linenbsp;a l’autre sur l’extrémité de leurs lévres.

Versje milieu de Ia nuit, la demoiselle de Dane-mark, estiraant qu’Amadis devait être endormi, vint, et, s’apercevant qu’il était hors du lit, dévèlu,nbsp;elle Ie tira par sa robe, en luidisaiit ¦

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire chevalier, vous pourriez bien prendrenbsp;froid ; couchez-vous, s’il vous plait!...

Amadis jeta alors un haut soupir, comrne s’il fut sorti depamoison,

— nbsp;nbsp;nbsp;Mon aini, lui dit la princesse, ne seriez-vousnbsp;done pas mieux k l’aise couché prés de moi qu’anbsp;vous travailler hors du lit comrne vous êtes ?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Ma dame, répondit-il, puisqu’il vous plait denbsp;me Ie commander, j’userai done de cette grandenbsp;privauté envers vous ?

Et, i peine eut-il achevé ce mot, qu’il se jeta entre les bras de la princesse; et alors recomraeii-cèrent leurs baisers et leurs amoureux plaisics,nbsp;donnant peu après contentement k la chose oilnbsp;chacun prétendait Ie plus.

Au bout d’une heure, nos deux amants, saus cesser de s’entr’aceoler, se mirent è deviser denbsp;choses et d’autres.

— nbsp;nbsp;nbsp;Poun|uoi, mon ami, demandaOriane, m’avez-vous mandé par Durin que vous aviez chose denbsp;grande importance é me dire?-..

— nbsp;nbsp;nbsp;C’est chose de grande importance, certes,nbsp;madame; mais ennuyeuse et pénible aussi... Lcnbsp;roi, votre père, nous a fait entendre hier, a Agraies,nbsp;h Galvanes et a moi, un propos par lequel il nous anbsp;trop fait connaitre Ie peu de bien qu’il nous veut...

Lors, Amadis récita mot k mot k sa mie tout ce qui était arrivé. II reprit:

— nbsp;nbsp;nbsp;Le roi nous a dit que Ie monde était asseznbsp;grand pour que nouspussions aller trouver ailloursnbsp;qui mieux nous connüt que lui... On n’oublie pasnbsp;(le telles paroles, rna dame. Aussi sommes-nousnbsp;forces de partir, paree qu’en demeurant contre sounbsp;gré, nous ofi'enserions notre honneur. G’est pour-quoi je vous supplie, dame, de vouloir bien menbsp;permettre de m’éloigner de vous pour quelquenbsp;temps...

— nbsp;nbsp;nbsp;Ah! dieux! Que me diti's-vous Ié! s’écrianbsp;Oriane, consternée. Vous avez grand tort de vousnbsp;plaindre ainsi de mon père!.. Vous partez! Ah!nbsp;mon père, en vous perdant, connaitra vite, par lenbsp;peu qui lui restera, ce qu’il aura perdu en vous!...nbsp;Hélas 1 mon ami, partez done, puisqu’il le faut!

— nbsp;nbsp;nbsp;Aidez-moi le plus que vous pourrez de vosnbsp;nouvelles, reprit Amadis, et tenez-moi toujours ennbsp;votre bonne grace, cornme celui qui ne naquit quenbsp;pour vous obéir et servirl...

— nbsp;nbsp;nbsp;Je vous le promets, cher Amadis, réponditnbsp;Oriane en contenant ses sanglots.

Amadis prit congé d’elle en la baisant douce-ment, et, remarquant que le jour allait venir, il se hata de déloger, laissant la sa mie pleine d’amer-tume.

GHAPITRE XLI

Comment Amadis, après avoir passé ime dernièro nuit avec Oriane et pris congé d’elle, s'cn alia, lc cceur navré, re-joindre ses compagnons.

e roi Lisvart, on le sail, n’avait pas froissé seulement Amadis; il avaitnbsp;froissé aussi ses amis, ses compagnons, ses frères en cbevalerie. Amadis s’était décidé k partir, ([uoi qii’ilnbsp;lui en coütat de s’éloigner d’Oriaiie,nbsp;et il pensait que quelques-itns desnbsp;chevaliers de la cour du roi Lisvartnbsp;partiraient avec lui.

De la chambre d’Oriane, Amadis se rendit chez lui, oü bientót arri-vèrent Agraies et Galvanes.

Lors, il sortit avec cttx et les mena daas un grandnbsp;cbainp, oü se trouvaicnlnbsp;déjé (juelqucs autres ebe-, et oü il leur lint un longnbsp;discours qui était I’exnose do leursnbsp;mutuels griefs coutre le roi.

Les chevaliers qui ètaient la prè-seiils, ayant ainsi entendu parler Aitiadis, furent


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LI5 BEAU-TENEBREUX.

trés ébahis, el firent cette judicieuse réflexion que si les graiids services d’Amadis et de scs frèresnbsp;étaient aussi mal reconnus et recompenses, lesnbsp;leurs propres, beaucoup moindres, ne leseraicntnbsp;probablement jamais. Par ainsi, ils délibérèrentnbsp;d’abandonner Ie roi et d’aller cherclier fortunenbsp;ailleurs.

Angriote d’Estravaux, surtout, fittous ses efforts pour convaincre ses compagnons de cctlc nccessilónbsp;et pour les pousser k suivre Amadis.

— Jles seigneurs, leur dil-il, il n’y a ])as un trés long temps que je connais Ie roi; mais Ie peu quonbsp;j’en connais me suffit pour Ie déclarer Ie prince Ienbsp;plus sage, Ie plus vertueux et Ie plus tempéré quinbsp;soit. II faut done qu’il ait été induit a tenir Ie propos qu’Amadis lui rcproche si justement, par quel-que méchant envieux. Ge n’est saus doute pas pournbsp;rien que Gandandel et Bracadan Pont souvent en-tretenu... II leur aura prêté une oreille trop com-plaisante... J’ai grande onvie d’aller demandcr Ienbsp;combat contre cuxl...

— Ah! seigneur Angriote, répondit Amadis, je serais trop marri de vous voir mettre ainsi voircnbsp;corps en hasard pour chose si incertaine! Si ceuxnbsp;que vous dites, lesquels m’ont toujours montrénbsp;visage d’amis, ontétéassez mallieureux de me jouernbsp;en arrière faux bond, soyez assure qu'a la longuenbsp;leur méchancelé sera découverte et leur méritenbsp;recompense. Alors vous aurez raison de vous atla-quer k eux, et moi tort de les excuscr...

— Eh bien 1 répliqua Angriote, encore que ce soit contre mon vouloir, je suis content do dif-fcrer; et croyez qu’avec Ie temps je me saurainbsp;plaindre et vengcr d’eux.

— Au derneurant, mes grands amis, dit Amadis, s’il plait au roi cl k la reine dc me daigner voir, j’ai résolu d’allcr dc ce pas prendre congénbsp;d’eux et de me rctirer en l’Ile Ferme : eeux quinbsp;voudrontme suivre la auront part entièremeut aunbsp;bien et au plaisir que j’y aurai. La contrée, commenbsp;vous Ie savez, est plaisanle et opulente, soit ennbsp;helles femmes, en forêts et en ruisseaux propres a

chasse et k la pêche; k cause de cela nous se rons beaucoup visités tant de nos voisins que desnbsp;étrangers. Puis, au besoin, si nous avions affairenbsp;quot;6 secours, et que Ie roi Lisvart voulüt fairenbsp;duelque entreprise contre nous, nousaurions l'aj)-Pui de mon père Ie roi Périon, memement dunbsp;•’oyautue de Sobradise, lequel la reine Briolanicnbsp;Bous niettra entre les mains toutes les fois qu’ilnbsp;Bous plaira.

^^uisque vous êtes en ces tormes, répondit yuadragant, maiiitenant vous pourrez connailrenbsp;eux qui aimcront votre compagnie ou non.

1 ar ma foi, dit Amadis, je ne suis pas d’avis dBC ceux qui aiment leur profil particulier ahan-onnent Ie roi pour moi; mais ceux qui me sui-sonn^ ” euront ni pis ni inieux que ma propre per-

, Comme ils allaient parlir, Ie roi survint en

eeile prairie, accompagné de Gandandel et de

oniints autres chevaliers. En voyant Amadis et ses

ompagnons ainsi réunis, il passa outre sans faire

dp u- m •*' nbsp;nbsp;nbsp;Pour témoigner même plus

1p« 1^. . nbsp;nbsp;nbsp;déchaperonner deux émérillons et

il nbsp;nbsp;nbsp;Blouette, el, ipiclque temps ajirès,

B rentra dans la ville. ’ nbsp;nbsp;nbsp;’ 'nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;‘ i i ’

CHAPITBE XLIl

Comment Oriane, se sentanl grosse, ayisa aux moyens dc de célcr son élat, et, A ce propos, prit conseil de ses deuxnbsp;amics Mabde el la demoiselle de Danemark.

Oriane, fille du roi Lisvart, ne pouvait se consoler du départ de sou bel ami Amadis, et elle avail d’autant plus raison d’etre mélancolieuse etnbsp;dépitée de ce parlement, que, depuis quelquenbsp;temps, elle sentail remuer dans ses entrailles quelque chose d’inaccoutumé. Bientót la vive couleurnbsp;de son visage commenca k diminuer et k se flétrir,nbsp;elle perdit T’appétit et Ie sommeil. Lors, Ie dontenbsp;qu’elle avail se changea en certitude : elle étailnbsp;grosse des oeuvres d’Amadis!

Un jour qu’elle était retirée en sa chambre avec Mahile et la demoiselle de Danemark, qu’ello csti-mait comme les vraies trésorières de son secret,nbsp;elle leur dit, la larmckroeil etl’amerlumeaucoeur:

— Ilélas: mes amies, je vois bien raainteiiant que fortune me veut dc tout point ruiner!... Vousnbsp;savez ce qui est arrivé a la personne que j’aimc Ienbsp;mieux au monde; aujourd’hui, c’est mon tour: jenbsp;suis grosse, et ne sais comment je pourrai fairenbsp;pour céler eet état k tous les yeux.

Bien ébahies furent les demoiselles a eet aveu. Toutefois, sages et bien avisées, elles ne laissèrenlnbsp;rien parailre de leur étonnement.

— Ne vous mettez point en peine, madame, lui dit iMabile; Dieu pourvoiera k cela s’il lui plaitl...nbsp;Mais, par ma foi! ajouta-t-elleen riant, je me dou-lais bien qu’k tel saint viendrait telle olTrande 1...

Oriane i.e put s’empêcher de sourire de la grkce que Mahile eut a dire cette joyeuse parole.

— Dour 1’bonneur de Dien, répondit-elle, avisez k me donner remède k Fembarras oü je me trouve,nbsp;et, après cela, vous verrez si je sais vous rendre lanbsp;pareille! Quant a moi,il me semble que nous fe-rions bien de nous retirer k Mirefleur, ou ailleurs,nbsp;hors do la cour en tout cas, attendant lo moment oünbsp;il idaira au Seigneur de me regarder en pitic, carnbsp;je sens bien mon ventre enfler et mon visage s’a-maigrir...

— Madame, dit la demoiselle de Danemark, quand on prévoit de loin, on remédie plus aisé-ment aux inconvénients... Allons done k Mirefleur.

— Je vous dirai, reprit Oriane, de quoi je me suis aviséc. II faut nécessairement que vous, demoiselle,nbsp;vous hasardiez votre vic pour la conservation dcnbsp;mon honneur... Vous voyez par Ik que je me lienbsp;plus en vous qu’cn nulle autre personne qui vive...

— nbsp;nbsp;nbsp;Madame, répondit la sceur deDurin, vous de-vez assez me connaitre pour savoir que ma vlo etnbsp;mon honneur sont k votre service. Ordonnez done,nbsp;je vous prie : je suis prête k tout pour vous arrq-cher a vos soucis.

— nbsp;nbsp;nbsp;Je Ic sais, ma bonne, je Ic sais en effet, ditnbsp;Oriane, et aussi vous pouvez vous tenir assuréc quenbsp;si Dieu me prête vie et sauté, je reconnaitrai gran-doment, comme faire je dois, ce dévoüment a manbsp;personne. Par ainsi, partez de céans demain matinnbsp;et allez a Mirefleur... Quand vous serez k 1’abbaye,nbsp;Irouvez moyen de parler seule k seule avec l ab-


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BIRLIOTHEQUE BLEUE.

besse et déclarez-lui que voiis êtes grosse, la itriaiil d’avoir volre secret aussi ch('r et aussi crlé (juc Ienbsp;Ie sien propre... Quahd vous lui aurez dit cela, vousnbsp;la prierez eii outre qu’elle vous fasse ce bien denbsp;Irouver quelque fenime pour nourrir 1^ fruit quenbsp;Dien est sur Ie point de vous envoyer, lequei fruitnbsp;vous ferez pörter a l’eiitrée de soa église comtiienbsp;chose trouvee d’aveuture... Je suis sure qu'elie, vousnbsp;aime autant et plus que femme qui vive et que, vo-Ipntiors, elle vous reridra ce boa oflice... Paralnsi,nbsp;ma mie, moa honneur sera gardé et lö vótre jlèunbsp;cndommagé...

— Reposez-vous-eii sur moi, répondit la demoiselle de Danemark; je contreferai trés bien ce per-sonnage. Quant é vous, iiia datiie, arraiigez-vous pour avoir voire congé de monseigneur votrc pèrenbsp;et pour me suivre. :

Tels furenf les propos d’Öriane et de ses compa-gnes, lesquelles nous laisserons h préséiit poür re-tourner au roi Lisvart.

CHAPItilE XLIII

Comment Ic roi Lisvart voulut faire moürir Madasime et en fut empéclié par Gruraedan d’abord, et (mijuile par Sar-quile, neven d'Angriote, Icquei. Jui dévoila unc conspii a-tion de Gandaudel el de Brocadaii.

Lisvart avait rcQu la visite du comte Latin, leqiiel lui avait dóclaré que Gromadase, la vieille géante,nbsp;n'élait plus décidée a rehdre Ie Lac-Ardeiit ni lesnbsp;Irois aütres fortes places. Lors, obéissant au con-seil de Brocadan et öandandel, il manda Madasime,nbsp;a laquelle il dit:

— nbsp;nbsp;nbsp;Demoiselle, vous savez comment vous et vosnbsp;feinmes êtes entrees en mes prisons, c’est-é-direnbsp;que si vótre mère ne me rendait ni Pile do Mont-gase, ni Ie Lac-Ardeiit, ni les places qui en dependent, vos têtés lii’en fcpóndraient... On m’appreudnbsp;que Gromadase ne veut pas tenir sa parole; je valsnbsp;vous rhohtrer de (juelle importance esl de ne pasnbsp;tenir ii iih roi ce qu’on lui proihet: vous mourreznbsp;toutes I

Quand la pauvre Madasime entendit eet arrêt ri-goureux, la vermeille couleur de sou visage se cbahgea aussitót en pMissure et en jaunissc. Elle senbsp;jeta aux pieds du roi eh lui disant:

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, ld inort que vous me signiliez troublenbsp;lant mori esprit, que je n’ai riioyen ni faculté de voiisnbsp;savoir pü podvoir répondre. Mais s’il y en a aucunnbsp;en cé.tie compagnie qui ait pitié de douzé pauvfesnbsp;demoiselles, je Ie süpplie trés humblement denbsp;prendre la querélle pour nous... Gar, si je suis entree en vos prisons, Sire, p’a été par Ie commande-inent de ma mère, et mes demoiselles pour m’o--bcir... Si, d’avehture, nods ne fencontrons pas icinbsp;de défenseur, quoiqu’il y ait gentilhoinmes a foisoii,nbsp;il vous plaira bien, Sire, de nous écoutor en nosnbsp;justifications, ainsi cjüe la raison Ie veut...

— Sli'Ö, è’êcria Gandahdel avec vivdcité, n’écbu-tez pas ces tediinesl Si vous rie vous lidtcz de les faire niouHr, cliai-ün vmidra faire cornme olies, etnbsp;1’oii iie tieiidra pliis désórmais les {ironiesses quenbsp;l’on vous aura faites... Ces tVanmo.s sont eutrêes ennbsp;otages, non ignorantes de la condition : jiourqupinbsp;done, puisque cette condition est que leurs têtesnbsp;tornberont, leurs têtes ne tornberaient-elles pas?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Seigneur Gandandel, dit alors Ie bon chevalier Gfuinedai), j’esjière bien que Ie röi ne fera pasnbsp;cc ([ue vous Kii conseillez la. car la miscricorde estnbsp;plus louable que la cruauté... Vous savez cotnnionbsp;moi, d’aüledfs, que ces pauvres ihiioceutes orit éh-eontraiutes et forcées, et qu’eljes ne soiit vós pri-soiinières que pour avoir Irop fidèleiheiit obéi a uiinbsp;commandeinent saiis réplique, celui de mere é eii-fants... Et do même due Ie Seigneur Died aime etnbsp;protégé ceux qui sont humbles et obéissants, Ie roi,nbsp;qui est sou ministre, les doil protéger aussi. J’ajou-(erai, pusqd’cnfin vous m’y forcez, que j’ai éténbsp;averli pour certain, quo d’aucuns cHevaliers sontnbsp;déja partis de 1’lle Ferme pour venir soutenir et rc-montrer Ie droit qu’elles ont... Par ainsi, seigneurnbsp;Gandaudel, si vousou vos enfaiits osez maintoiiir Ienbsp;coiiseil que vous vciiez de donner au roi notre Sire,nbsp;vous vous en trouverez peut être mal...

Gandandel, amp; ce moineiil,, eüt bien votilu ravalcr sou discours et sou cohscil qu’il avait si légêrementnbsp;doiiiié pour bón d sou ihaitré. Mais il élait tfopnbsp;tai’d : la parole éiait lancée. Lors done, pour saü-ver son hofiiieur, il réiiiindit ii sod adversaire :

— nbsp;nbsp;nbsp;Doil Grumodiln,_ voüs me faites la dóplaisirnbsp;saus que je l’aie mérité Cii quoi ipie cc soit. Quant hnbsp;co qni e.st dé mes Dis, il n’est personne éii cetlenbsp;compagnie qui ne les coniiaisse pour preux et har-dis chevaliers; ils sóutiendroiit devaiit tons et epn-Ire tous que cc que j’ai dit au roi nótrc Sire, éstnbsp;seloii Dieu et raison I...

— nbsp;nbsp;nbsp;Nous Ie verrons bien, dit Gruraedan. Tant ilnbsp;y a que, sur mon ame, je ne vous veux ancun mal,nbsp;sinon d’autaiit ()u’il me semblc que vous conseilleznbsp;au roi centre son honneur.

— Grumedan, demahda Ie roi, quels soul done CCS chevaliers qui vienhent pour Madasime?...

Grumedan les lui nomnia tous Tuu aprés i’autre.

— Vraiment, répondit Lisvart, jioiir une petite troupe, il y a ld geus de bien et gontils chevaliers.nbsp;Gela medonne d réfléchir, Gandiindel, savez-voiis?

Gandandel essaya un sourire qui se terinina eii grimace; puis il s’inclina et sortit poiir aller rejoiii-dre sori complice Brocadan.

II avait d peine monlré les talons, que survenait aussitót un jeune chevalier, Icuuel avait nom Saf-quile ct était neveu d’Angriote u Estravaux. Ainou-renx de l’uiie des nièccs de Brocadan, et en trainnbsp;de deviser tendrement avec elle dans un retraitnbsp;voisiii de la chainbre oü ce fourbe tenait scs conférences avec Gandaudel, il avait surpris, Ie matinnbsp;rnêine, une conversation dangcrcusc qu’il vcmiitnbsp;raconter au roi.

— Sire, lui dit-il en so présenlant devant lui, armé de toutes piècés, Sire, je ne suis ni votre sujet ni votre homme-lige; inais, én reconnaissancenbsp;do róducation que j’ai jirise en votre cour, je menbsp;suis oblige a garder l’honneur de votre majoslé...nbsp;G’est pourquoi, Sire, je vous avise que ce matin,nbsp;de bonne neure, je me suis trnuvé en un lieu oünbsp;j’ai entendu Brocadan et Gandandel conspircr lanbsp;plus grande traliison du monde coiitrc votre ma-jeste... D’abord, ils veulent vous noussér é rncltrenbsp;il mort Madasitiie et ses dimioisclles, ce iiui est mienbsp;cruauté inutile donl tont rodioiix rctomberail sur


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LE BEAU-TEXËr.REUX. Al

LE BEAU-TEXËr.REUX. Al

^ ,]out songenr ciail resté Ie roi his-vvart, après Ie depart du jeune 'Sarquile. 11 s’était mis a pcusnrnbsp;aiix services que lui avail reridusnbsp;j Amadis et aussi aux einbarras quenbsp;'projelaienl de lui susciler Gan-daiidel et Broc,'idan; et, en^ su:-0 vanl ia pente de ses qogitatibns iuac-% coutuméé.s, il qn élait arrivé ij^rccon-jiailrb qu’il avail eu tori d’oltcjiser avoQnbsp;tapt de préci|)lta'iou Ie vaillaiil nis du ndnbsp;Périon. Mfiis Ic mal était fait; Lisvartnbsp;croyait sa dignilé. engagée-éu sücucé ; ilnbsp;SC tut et no fit ricu pbur rappeler Amadis

vous, (J'wiqu’ellc \oiiS ait étó lt;iéj^ probablement coiiso.illée par Brocadati ou p:tr Ganinmlel...

— nbsp;nbsp;nbsp;Piir Gandandel, ditle roi. Poursuivbz, chevalier.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;.

— nbsp;nbsp;nbsp;Quanl au reste, Sire, v»gt;pnl Sarquile, j’espèvenbsp;qu'avant qu’il soit dix jours uassfes, leur rnéchan-cl'ié vous sera corupléteinent avtiri^e... Et c’est pournbsp;choyi'r de iels paillards, Sire, c|ue vous avez lia-puère chassé de voire compa'ptiib Amadis et plu-sieurs auires bons chevaliers?... Ah! perihettez-moi de prendre congé de vous ht d’alh'r rëjoiudrenbsp;moii oude Augriote, Icqücl voiis re,Yerrez, s’ii plait

Dien, avant peu, et inoi avec lui, pour punir de leur conspiration les deux Iraijres qiit! je viens denbsp;vous siaii der coriune vipéres réctiaüHées on vblrenbsp;sein...''

— nbsp;nbsp;nbsp;Dieu vous conduise, chevaliep, puisque vousnbsp;avez si grande hdle ! lui dit Ie rdi.

Sarquile SC retira incontinent, laissant Ie roi tout pensif.

CHAPlïllE XLIV

Commt'iil douze chevalirrs de 1'lle Ferme s’eii vinrent leii-dre leurs pavilions ^ur les hords de la Taraise et ddlicr douze chevaliers de la cour du roi Lisvart; et comment,nbsp;au lieu de combaltre, iis furent témoins d’un combat entrenbsp;Augriote el Sarquile et les trois lils de Gandandel el denbsp;brocadan.

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f

auprésdelui.

Gependanl rhounêle dénouciation du jeune Sar-fi’iile amoua changement dans les projels du roi de la Grande-Rretague relalifs i\ Madasime el *a sesnbsp;bompagnes. Lorsque Gandandel et Brocadan osè-rent encore Ie presser de faire Irancher la lêle ë cesnbsp;innocentos captives, il vie les écouta qu’avec un mépris mèlé d’indignation et leur dit de penser a senbsp;défendre eux-mêines des accusations qu’on allaitnbsp;hientót porter contre eux.

Sur ces entrefaites, on avertit Lisvart que douze blvevaliers de i’llc Ferme venaient d’arriver et denbsp;faire tendro lours pavilions sur Ie bord de la la-feise, a uuo demi-lieue de Londres, et qu’Yinosil,nbsp;frère du due de Bourgogne, dcinandait ë lui parlornbsp;^u nom de ses compagnons.

Lisvart Ie requt avec courtoisie et parut touché de ce qu d Un dit en faveur des otages.

— Vous dovez savoir, Sire, ;i.|oula Ymosil, t}uo Mv.dusune n’c t pa;-, dans Ie cas d óli C c.oiid.uniiée,nbsp;d’abord paree qu’elle a été violimtée par sa merenbsp;pour sorvir d’otage, ensuité paree que les lois de lanbsp;Graiide-Bretagne ue puiiissent les femmes tie mortnbsp;que daiis Ie cas d’adultère ou de haute Irithison...nbsp;Si quehjues,chevaliers de votre cour, Sire, osentnbsp;soiilcnir Ie contraire, qii’ils Ie disent ; nous sommes parlis a douze de I’llo Forme pour débvrer Ma-(lasilnc et ses demoiselles. Üh chevalier par victim o, 1

Toiil en sontarit ii riiorveille la justice do la reclamation d’Yniosil, Ie roi voidut ccpeiidant avoir Fair tie ne se rendre qu’a l’avis de son conseil, etnbsp;il Ie fit incontinent assembler.

Le jugement n’était pas douteux, malgré Pin-flueiice de Gandandel et de Brocadan ; il fut tont en faveur des otages, et Lisvart, le confirmant, 1’an-nonca lui-ihèine aux douze chevaliers qui vinrentnbsp;lui rendre leurs respects.

Ymosil nb se seiitait qu’5 irioltié satisfail de ce jugement, et, continuant a parler au norit de sesnbsp;compagnons ;

— Sire, dit-il h Lisvart, ail nom do récjuitó doiit vous avez été pendant si Ibngtenips 1’austère rcjiré-sentant, je. vo\is supplic de he point désliériter Ma-dasime qui, dans ce moment mêine, devient souve-rairie de file de Moritgase, par suilc de la inbrt denbsp;sa mère, qu’hn nqus a apprise ce matin. Vous luinbsp;dvoz rendu la liberlé, c’cst beaucoup, raais cen’estnbsp;pas encore assez, sire, puisqü’il vous restc ?i luinbsp;rendre son avoir 1...

Cotte demahdb étail de,toüle justice, car, en son]me,Madasirne ne devait pas souffrir des fautesnbsp;do sa mère. Mais Lisvart, craignatit de montrernbsp;tro]) dc faiblesse, en accordant celte seconde de-mandequeles douze chevaliersdel’IleFermeavaieiitnbsp;fair de lui faire a main armee, répondit avec uncnbsp;hauleiir rojiale:

— C’est beaucoup, c’est assez, a nión sens, d’a-voir rendu è Madasime la vib et la liberlé... ,lo ne révoquerai pas le don que j’ai fait de file de Mont-gaso et de ses dépendances è Léonor, ma bien-ai-iriéo iille...

Galvaries, 1’amant de Madasirae, ne put entendre sans impatience cetlc réponse.

— Par saint Georges! Sire, lui dit-il brusque-hieiit, puisque nous ne pouvons recevoir aucune justice de, vous, je saurai m’adresser k tel qui iric lanbsp;fera rendre t...

Lisvart, qui comprit bieh que Gaivanes voulait alors parler d’Amadis, et ne pouvaiit supporternbsp;f ombre d’une menace, répondit avec colère :

— nbsp;nbsp;nbsp;Je ne sais ft qui vous vous adresserez, rnaisnbsp;cela m’importe peul Je vous préviens sculemeutnbsp;que les audacieux qui tenteront d’attaquer file denbsp;Montgase y Irouveront la inort la jilus iguoini-nieuse 1...

Agraies, it son tour, vivcmeiit ému d’eutendre ainsi menacer Amadis et scs compagnons, dit anbsp;Lisvart avec aprete :

—Songez, Sire, que celui qui conqiiit pour vous file de Monlgase la pourra reprendre plus facile-ment encore sur vous 1...

Brian d’Espagne, voyant qu’Agraics s’écliauff.iit, finterrompit et, prcnaiil la parole,;

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, dit-il, avez-vous done oublié tous lesnbsp;services tpie vous avez requs d’AmadiS et de sesnbsp;pntclie.-;? No r.'flechisscz vous done pas qu’ils ne


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BIBLIOTHEQUE BLEUE

vous étaient ricn? Aiiiadis est Ie fils d’un grand roi qui vous égale par Ia naissance et par Ie pouvoir,nbsp;songez-y bien!...

—Don Brian, répondit Lisvart, je vois qiievous aimez Amadis plus que moi... A votre aisel...nbsp;Seulement, il m’avait seniblé jusqu’ici qua Ie roinbsp;d’Espagne, votre honoré pére, ne vous avait pasnbsp;cnvoyé h ma cour pour m’yman (uer de respect?...

—quot;Je n’en dois qua votre ftge! répliqua vive-mentdon Brian. Lorsque je suis venuti votre cour, c'était uniquement pour y chercher inon cousinnbsp;germain Amadis, et recevoir de ce héros les leQonsnbsp;et les exemples propres afaire de moi un chevaliernbsp;accompli.

Pendant cette vive contestation qui tournait a l’aigre de plus en plus, Angriot'e d’Estravaux ctsonnbsp;neveu Sarquile, qui venaient d’arriver, parurcntnbsp;tout-ti-coup sans se faire annoncer.

— Sire, dit Angriote, nous vous supplions de faire sur-le-champ comparoir céans les deux mé-chants vieillards ayanl noms Gandandel et Broca-dan, pour que je declare a toute votre cour la noirenbsp;trahison qu’il vous ont faite et sur laquelle Sarquile et moi nous les défions. Aquot;ous avez été pré-venu et vous avez pardonné; nous, nous ne par-donnons pas, et c’est pour Ie prouver que nousnbsp;venons céans... Si ces deux misérahles s’excu-saient, d’aventure, sur leur age, ce sera alors anbsp;leurs fils, qui se piquent d’etre valeureux, de sou-tenir la cause injuste de leurs indignes péres.

Gandandel, qui était la, so leva et répondit:

— Sire, voila un outrage que vous ne pouvez laisser irapuni!... Si vous laissiez ainsi insulternbsp;vos gentilshommes, Amadis viendrait bientót lui-méme vous insulter au milieu de votre cour!...

— Silence! cria Lisvart, je ne souffre ni les in-sultes ni les trahisons de personne ! Si vous ne Ie saviez, Gandandel, vous I’apprendrez... Chevalier,nbsp;ajouta Ie roi en setournant vers Sarquile, dites de-vant tous ce que vous m’avez dit une fois déja a moinbsp;seul...

Sarquile paria, et toute la cour de Lisvart fut iiidignée coutre Gandandel et Brocadan, par Ienbsp;rapport fidéle que fit, de la conspiration qu’il avaitnbsp;surprise, Ie courageux neveu d’Angriote, lequelnbsp;finitpar offrir de soutenir son accusation les armesnbsp;é la main, avec son oncle, contre les trois fils denbsp;ces traltres.

Ces trois jeunes gens, é ces mots, fendirent la presse, et, se raettant é genoux devant Lisvart, ilsnbsp;lui dirent;

— Sire, nous soutenons, au nom de nos péres respectifs, les seigneurs Gandandel et Brocadan,nbsp;qu’Angriote d’Estravaux et Sarquile son neveu ennbsp;ont menti par la gorge, et que toutes les fois qu’ilsnbsp;ticndront pareils propos, ils raentiront lachement...nbsp;Et voici nos gages 1...

Lisvart ne crut pas devoir leur refuser ce combat, quoiqu’il lui parut inégal, a cause du nombre trois contre Ie nombre deux. Mais Angriote, avec unnbsp;air de mépris, s’écria :

— Que n’est-elle tout entiére ici. Ia couvée de ces vipéraux 1 Je la détruirais d’un scul coup etnbsp;purgerais ainsi la Grande-Bretagne des traitres quinbsp;souillent son sol et déshonorent l’ordre de chova-lerie !... Deux vaillants valent plus que trois fils denbsp;laches... Vous voyez bien que si Ie combat est inégal, c’est en notre faveur !...

Le vieux Grumedan, qui Ie premier avait osé prendre la défense de Madasime et de ses compa-gnes, fut chargé par le roi de faire preparer les licesnbsp;pour le combat, qui fut decide pour le leudemain.nbsp;Gela lui valut un échange d’apres paroles avec Gandandel etBrocadan,auquel illinit par dire avec l’au-dace d’un bon coeur :

— Tenez ! nous sommes tous les trois du même age, rien ne s’oppose done é ce que nous nous bat-tions ensemble... Je serai seul contre vous deux,nbsp;et ce sera assez pour me procurer le plaisir de vousnbsp;faire pendre tous les deux au bout de la lice, aprèsnbsp;vous avoir forcés d’avouer votre trahison 1...

Les raéchants sont laches. Gandandel et Brocadan refusèrent.

— Faites votre office, bonhomme, répondirent-ils a Grumedan; nous nous en remettons a nos fils du soin de défendre notre honneur outragé...

Le combat eut lieu le Icndemain en présence des douze chevaliers de File Ferme, et le peu de ceuxnbsp;qui restaient encore a la cour du roi Lisvart. Désnbsp;la première atteinte, Angriote transperga d’outrenbsp;en outre 1’un des deux adversaires qui couraientnbsp;sur lui; les deux autres tombèrent sous ses coupsnbsp;et sous ceux de Sarquile. Lors, on tralna par lesnbsp;pieds les catlavrcs des vaincus et on los pendit incontinent aux fourches préparées a eet effet, tamlisnbsp;que Gandandel etBrocadan s’enfuyaicntpour éclnp-per a la fureur du populaire indigné de leur four-berie et de leur lacheté.

Angriote d’Estravaux, Sarquile et les douze chevaliers de File Ferme, uui se trouvaient trés outr.i-gés de Ia réception et des propos de Lisvart, par-tirent il Fissue du combat, sans meme daigner prendre congé de ce prince.


Parit. •» Imp. de BUY ainé, boulovart Montparnasse, BI.

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LE

CHEVALIER DE LA VERTE EPEE

GHAPITRE PREMIER

Comment Amadis regut un envoyé du roi Lisvart, chargd de menaces pour lui el ses compagnons de l’lle Ferme, elnbsp;quelle rdponse il Ie cliargea, son tour, de rapporler aunbsp;père d'Oriane.

Madasime et ses chevaliers élaient k Beine arrivés dans l’lle Ferme, qu’Amadis vint au devant d’eux

a Ia tète de deux mille chevaliers, que sa renommee et Ie bruit de sa querelle avec Ie roi Lisvart availnbsp;déjk rassemblés sous sou élendard,

Mais a peine aussi avait-il eu Ie temps de rendre k Madasime les honneurs qui étaient dus a son sexe,nbsp;k son rang, k ses malheurs, qu’on lui annongait lanbsp;résence dans i’üe d’im envoyé, du roi de la Grande-iretagne, ayant nom Gódil do Ganoltes,

— Seigneur, lui dd ce chevalier en Tabordant les larmes aux yeux, j’ai k m’acquilter envers vous

Série. — 1


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BIBLIOTHEQUE BLEUE.

d’un dur message, de la part du roi mon maitre, et c’est avec regret que je Ie fais.

Amadis fit alors avancer les chevaliers de sa suite qui formèrent eerde auteur de Gédil, lequel reprit :

— Voici, seigneur Amadis, les propres paroles demon roi, après Ie depart des douze chevaliersnbsp;que vous lui aviez envoyes et qui 1’avaient, parait-il, mécontenté... «Partez, m’a-t-il dit, pour filenbsp;Ferme, oü vous trouverez Amadis; vous lui direznbsp;que j’ai pris la résolutioa d’aller moi-inême m’em-parer de 1’ile de Montgase, que c’est 1amp; que je l’at-tends avec tous ceux qui se sont rangés sous sanbsp;bannière, et que je désire qu’ils osont s’y trouvernbsp;pour lespunir de leur audace dansleurs propos etnbsp;de 1’infidélité qu’ils out montrée en quittant monnbsp;service... «J’ai dit, vaillant Amadis, en vous demandant pardon de m’être si fidèlement acquitté denbsp;mon pénible message...

Les chevaliers de la suite d’Amadis ne purent entendre sans indignation Ie défi mêlé de menaces outrageantes que venait de leur porter Cédil de Ga-nottes, de la part de Lisvart. Amadis, seul, l’écoutanbsp;sans en être ému.

— Mon cher Cédil, dit-il au messager, je ne vous en veux pasd’avoir rempli votre devoir... Je vousnbsp;tiens niême grand compte du soin que vous aveznbsp;pris de nous exprirnervos regrets... Cela me prouvenbsp;(]ue Ie souvenir de ce que j’ai fait n’est pas mortnbsp;danstoutes les mémoires, ce dont je suis fort aise...nbsp;Vous me permeltrez done de vous retenir un peunbsp;afin de vous trailer comme vous méritez del’être...nbsp;Gandalin va d’abord vous montrer les merveillesnbsp;de noire ile, que l’on ne connait pas assez... Aprésnbsp;cela, vous vous en revieudrez céans, et nous sou-perons ensemble de bonne amitiél... Cela vouscon-vient-il ainsi ?

Gédd de Ganottes s’inclina et remercia. Et pendant que Gandalin 1’emmenait pour lui faire admirer cerlaines parlies de file Ferme, et plus encore pour lui faire connailre toutes les forces et les dé-fenses qui la rendaient inattaquable, Amadis ras-sembla Ie conscil des plus anciens chevaliers. II futnbsp;décidé que Sadamon, l’un des plus sages et desnbsp;plus accoraplis, partirait dés Ie lendeinain avecnbsp;Gédil pour répondro au défi du roi Lisvart et l’as-surer qu’ils passeraient au plus tót dans file denbsp;Montgase pour Ie contraindre h la remeltre a Ma-dasirae.

— Sadamon, dit en particulier Amadis é ce chevalier, diies h Lisvart, je vous prie, qu’il doit me trop bien connaitre pour croire que ses menacesnbsp;puissent jamais m’ébraiiler... Mais ajoutez que,nbsp;malgré tout, je ne ferai point partie de l’expéditionnbsp;que se proposent de faire les vaillants chevaliersnbsp;de cette ile, paree que je regarde comme indignenbsp;de moi de reprendre une souveraineté que je doisnbsp;au sang que j’ai versé pour lui... Assurez en outrenbsp;la reine Brisène que je m’honorerai jusqu'h la mortnbsp;du titre de son chevalier, et que j’ai Ie plus vif regret de tout ce qui se passe et pourra encore senbsp;passer...

Agraies, ci son tour, s’adressant i Sadamon, lui dit:

— Assurez de ma part la reine Brisène et la

princesse Oriane de mes profonds et sincères respects. Comme chevalier, je leur dois fidéiité et hommage; mais, comme frère, en face de ce quinbsp;arrive, je ne dois pas permettre que m i sofiur Ma-bile reste dans leur cour, oü elle serail inaintenantnbsp;déplacée. Je m’en rapporte ü vous, mon cher Sadamon, pour faire cette délicate commission avecnbsp;tous les ménagements voulus...

Amadis souffrit beaucoup intérieurement en en-tendant Agraies redemander Mabile, qu’il savait être Ia seule consolation de sa chère Oriane; mais ilnbsp;n’osa rien dire qui put Ie faire connaitre. 11 se con-tenta de nommer Gaudalcs pour accorapagner Sadamon, et il lui donna scs secrètes instructions pournbsp;parler ü la princesse Mabile et, s’il était possible, ünbsp;la princesse Oriane.

Gandales et Sadamon partirent.

CHAPITRE 11

Comment Sadamon et fiandales s’acquittèrent de leur double message, l’un au roi Lisvart, 1’autre aux princesses Orianenbsp;et Mabile.

ne fois arrivés amp; la cour de Lisvart, les deux am-bassadeursdel’Ile Fermenbsp;s’acquitlèrent de leurnbsp;commission, et ils Ie fi-rent avec autant de noblesse que de ferineté.nbsp;’Lisvart s’altcndait ü desnbsp;menaces outiageantes en réponse aux siennes : ilnbsp;n’entendit que des paroles respectueuses.

Gependant, quand ils arrivérent ü ce qui con-cernait personncllement Amadis, c’esi-ü-üire ü la résolulion qu’il avait prise de ne pas faire partienbsp;de fexpédition tentée sur 1’ile de Monfgase par lesnbsp;chevaliers de file Ferme, Ie roi montra un certainnbsp;dédain (jui venait précisément du dépit qu'ilnbsp;éprouvait ü se voir vaincu en générosité parnbsp;Amadis.

— II m’est fort égal, répondit-il, qu’Amadis vienne ou ne vienne pas k Montgase, k Ia suite denbsp;ses chevaliers. Je ne vois dans cette abstentionnbsp;qu’un signe de plus du mépris qu’il fait de moi etnbsp;de mon autorité... Le parii qu’il prenil de m’évi-ter me Ibrcera ü aller le chereher moi-même dansnbsp;son ilel

Giontes, neveu de Lisvart, et Guillan-lc-Pensif furent trés affligés d’entendre une pareille réponse , Guillan-le-Pensif surtout. Ge brave chevalier n’avait pas suivi Amadis lorsqu’il s’était éloi-gné de la cour du roi Lisvart, et Amadis, qui savaitnbsp;pourquoi, lui avait aisément pardonné. Guillan-le-Pensif était toujoursamoureux de la belle duchessenbsp;de Brisloie, dont le deuil allait bienlót fmir, et, anbsp;cette cause, il avait demandé a Amadis la permission de rester auprès d’elle. D’autant plus qu’a sonnbsp;avis la fócherie qui existait entre le vaillant amant


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LE CHEVALTER DE LA VEHÏE EPÉE,

d’Oriane et Ie père de celle-ci, ne pouvait être de longue dnrée, ne reposant pas sur des assises biennbsp;serieuses. II avait (‘S[)éré, ainsi quo Giontes, ti ou-ver bienlót une occasion favorable pour rappro-cher les esprits. Mais, en presence de la réponsenbsp;que Lisvart venait de faire k Gandales, leur espé-rance de conciliation s'évanouit. Ils connaissaientnbsp;trop, fun et l’aulre, Ie grand coeur d’Amadis pournbsp;croire qu’un prince d'un si haut rang s'abaissAt anbsp;tenter une seconde dérnarcbe auprès de Lisvart,nbsp;après l’avoir vu répondre si mal a celle qu'il venaitnbsp;de tenter.

Gandales s’inclina devant lo roi et se rendit incontinent chex la reine Brisène pour s’acquitter des ordres dont Amadis l’avait chargé pour elle.nbsp;LA, il reQut meilleur accueil. Geile bonne ])rin-cesse ne init, ne voulut ])as mème lui cacher l’es-time et 1’amitié dont elle était pénétrée pour Ienbsp;généreux et chevaleurcux Amadis, dont elle n’avaitnbsp;pas oublié les loyaux ol’nces.

Mais Gandales, sans Ie savoir, mit Ie poignard dans Ie coeur d’Oriane Irrsqu’il redemanda la prin-cesse Mabile de la part d’Agraies, son frère. Orianenbsp;ctMabile. fondant en larrnes, allèrent embrassernbsp;les genoux de Brisène pour la supplier d’empêchernbsp;c!t(e cruelle separation.

— Ehl madame, dit Gandales a Mabile, pour-quoi done craignez-vous de quitter cette cour ? Vous savez quelle est la liaine qui sépare Ie roi denbsp;votre frère Agraies et de votre oude Galvanes;nbsp;pourquoi ne viendriez-vous pas è la cour du roinbsp;Périon, OU vous trouveriez une seconde inère dansnbsp;la reine Elisène, et la sceur la plus aimable dansnbsp;votre cousiue Mélicie ?...

— Seigneur Gandales, interrompit vivement Oriane, je n’oublie point les marques d’amitié quenbsp;J’ai roQues de vous dans votre chateau, mais, aunbsp;nom du ciel, ne vous obstinez plus A me percer Ienbsp;coeur 1... N’influencez pas ma cousine Mabile; ellenbsp;seule sait ce qu'e'le döit faire, nul ne peut lui im-poser de conduite qu’ellc-méme... Son frère n’anbsp;uulbi autorité sur elle, et la reine ma mère l’airnenbsp;Goj) tendrement pour s’en séparer, k moins qu’ellenbsp;'le Ie veuille, et elle ne Ie voudra pas, j’eu suisnbsp;sure

7— Non! non 1 ma cbèfe Oriane,.je ne vous 'l'dlterai jamais ! s’écria Mabile en serrant I’inté-fessante princesse dans ses bras. Partez, ajouta-

partez, seigneur Gandales ^ etditesk mon irerpnbsp;nbsp;nbsp;nbsp;gerait m’arracher la vie que de m’ar-

racher k ma cousine... Nous autres femmes, nous ne nous occupons pas de vos grandes affaires aunbsp;üout desquelles il y a toujours du sang de ré-Pnndu... Nous vivoiis dans une almospbère de senti-meats plus tendre.s, plus humains, plus dignes denbsp;noire ^xo... Vos querelles ne nous regardeiit pas:nbsp;nous aimotis qui nous aime, vOila tout!... Orianenbsp;m auneet je 1’aime : nous ne nous séparerons pas!nbsp;Allez dire eela A Amadts et a Agraies !...

Le roi entra en ce moment. II fut touché du

que montrait la princesse Ma-

éiirni!!!?'-?' nbsp;nbsp;nbsp;nt poür Üriauc. Ét puis, il

rel'iis^^io o .“^nnret plaisir a braver Agraies en reliant de lui rendre sa soeur.

Ous voycz ce qui ce nbsp;nbsp;nbsp;chevalier, dit-il

A Gandales, vous en parlerez k qui de droit... Quant a moi, je vous declare que j’ai trop d’estime pournbsp;Mabile pour forcer sa volonlé... Par ainsi, elle nenbsp;sortira pas de ma cour, oü elle se trouve bien ,nbsp;pour vous suivre Ik oü elle serait sans doute mal...

Le sage Gandales fut attendri. II n'insista pas davantage et promit a Mabile de faire approuvernbsp;par Agraies son séjour auprès de la belle Oriane,nbsp;laquelle, courant aussitól k sa chambre, en rap-porta de riches lablettes émaillées et ganiies denbsp;pierreries qui tragaient son cbilTre.

— Vertueux Gandales, dit-elle, acceptez ces ta-blettes en souvenir de mon amitié pour vous et dc celles que vous avez su si bien conserver...

Oriane rougit en prononeant ces dereiers mols qui avaient une signification si intime. Gandalesnbsp;ne l’en troiiva que plus belle, et ce quo ce peu denbsp;mots lui fit enirevoir ne la lui rendit que plus intéressante et plus cbère.

— N’oubliez rien, ajouta Oriane, de ce que vous avez vu et entendu dans crjtte cour... Dites k monnbsp;cousin Amadis que sa cousine Oriane le regretle,nbsp;et que Ie plus heureux jour de ma vie sera celui denbsp;sa paix avec le roi mon père...

Lor», Mabile, avec cette grace et cette gailé qu’elle mettait en toutes ses actions, pril le vieuxnbsp;Gandales sous le bras.

— Ne soyez pas scandalisées, dit-elle aux dames de la reine, de me voir emmencr ce chevalier dansnbsp;ma chambre... j’ai besoin de le séduire un peunbsp;pour qu’il fasse ma paix avec mon frère Agraies,nbsp;et, devant vous, je n’oserais pas 1...

Gandales se laissa done eramener par celle pé-tulanto princesse qui, cn effet, écrivit devant lui une lettre fort gaie et fort lendre k sou frèr.j, etnbsp;dans laquelle, sans s’expliquer avec lui, e'le luinbsp;faisait enlenflre que les raisons les plus fortes lanbsp;relenaient auprès d’Oriane. Elle en remit en raêmenbsp;temps k Gandales une autre, beaucoup plus longue,nbsp;pour Amadis.

— Et rnaintenant, seigneur Gandales, reprit-elle avec enjouement, allez, et que le ciel vous conduisei...

Gandales rejoignit Sadamon, ét tous deux re-partirent pour I’lle Ferme.

ClIAPITRE III

tlommenl Amadis, au retour de Gandales et de Sadamon, coneut le projet d’aller en Gaule il la cour do roi Périonnbsp;son père.

Pendant l’absence de Gandales et dc Sadamon, un grand nombre de chevaliers de l’lle Ferme senbsp;préparaient a passer dans celle de Montgase. lisnbsp;apprirent par Sadamon que Lisvart y mafebait ennbsp;personne, suivi de plusieurs chevaliers renom-més qui l’étaient vènus joindre depuis peu.


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BIBLIOTHÈQUE BLEUE.

Le plus illustre de tqus ces nouveaux défenseurs du roi do la Grande-Bretagne était le vaillantnbsp;Gasquilan, roi de Suesse. Ce prince, vivemenlnbsp;frappé de la haute réputation d’Amadis, availnbsp;la noble émulation de I’égaler, et, sans avoirnbsp;aucun autre motif, il s'était rangé sous la ban-nière du roi Lisvart, par le seul espoir de com-battre Amadis et de le vaincrc. Gasquilan a%it faitnbsp;ses premières armes dans le Nord, oü nul chevalier n’avait pu lui résister. 11 n’était encore connu,nbsp;parmi les chevaliers de 1’Ile Ferme, que de Licto-ran de la Tour-Blanche, qui fit les plus grandsnbsp;éloges de lui, et paria du tournoi oü ils s’étaieutnbsp;essayés 1’un et l’autre sans avantage comme sansnbsp;désavantage. Tout ce que Lictoran leur racontanbsp;du roi de Suesse prévint tellement Amadis on faveur de ce prince, qu’il regretta de l’avoir pournbsp;ennerni.

— Si je suis force de Ie combattre, dit-il h Lictoran de la Tour-Blanche, puisse le sort des combats m’accorder une double victoire en me mettant amp; portée de lui deraander son amitié 1...

Les chevaliers de file Ferme étant partis dès le lendemain avec Madasime pour file de Montgase,nbsp;Amadis resta avec Bruneo de Bonnemer, suivantnbsp;la parole qu’il en avail fait porter par Gandales aunbsp;roi Lisvart.

II avait la plus vive impatience de voir en particulier le père de Gandalin, qui avait été le sien et qu’il aimait toujours de l’amitié la plus tendre. IInbsp;avait mille questions ü lui faire!

Gandales avait attendu qu’il fut seul a seul avec lui pour lui remettre la lettre de la princesse Ma-bilc. Quelques mots de la main d’Oriane frappèrentnbsp;ses yeux en ouvrant cette lettre; ses larmes et sesnbsp;baisers furent le premier hommage qu’il rcndit auxnbsp;traces de cette main si chore.

Comme Gandales, qui croyait que cette lettre élait en entier de la main de Mabile, manifestaitnbsp;quelque étonnement, Amadis s’écria:

— Ah! mon père, pardonnez-moi de ne pas vous décoiivrir en ce moment les secrets de mon ame;nbsp;cachez le trouble oü vous me voyez jusqu’ü ce quenbsp;je puisse vous confier mon inqulétude et mes pei-nes; Ia vie du malheureux que vous avez reQu dansnbsp;votre sein aux premières heures de sa vie, dependnbsp;en entier d’un secret qu’une autre partage avecnbsp;moil...

Gandales, embrassant tendrement Amadis, lui jura tout ce qui pouvait le rassurer. Amadis pour-suivit done sa lecture...

Mais qui pourrait expriraer l’agitation de son amei lorsqu’il apprit de la main do Mabile que sanbsp;bien-aimée Oriane portait dans son sein le fruit denbsp;leur union secrète!... Sa joie fut d’abord immense.nbsp;Oriane et lui allaient revivre dans une frêle creature, née de leurs embrassementsl Puis l’incjuié-tude et l’angoisse lui vinrent en songeant a 1 em-barras mortel dans lequel devait se trouver sanbsp;maitresse. Plus cruelles eussent été ces angoissesnbsp;et ces iuquiétudes, s’il n’eüt regu, par Ia raêmenbsp;lettre de Mabile, l’assurauce que tout était prévunbsp;relativeinent au sort d'Oriane et ü celui de l’enfantnbsp;qu elle allait mettre au monde.

C est alors que le vaillant Amadis sentit son malheur d’être en querelle avec le roi Lisvart, le père de son Oriane. Si cette querelle s’éternisait, quenbsp;deviendraient Oriane et son enfant? D’un autrenbsp;cóté, les chevaliers qui l’avaient suivi étaient tropnbsp;indigués contre le roL de la Grande-Bretagne pournbsp;qu’Amadis püt leur proposer aucun moyen d’ac-commodement. Comment faire?

La perplexité d’Amadis était grande. Pour en sortir, il imagina d’allcr trouver le roi Périon, sonnbsp;père, et de le prier de s’interposer afin d’amenernbsp;une paix honorable pour tout le monde. Dès cenbsp;jour mêrae, il proposa en conséquence ii Bruneonbsp;de Bonnemer de venir en Gaule avec lui, ce quenbsp;Bruneo accepta avec un empressement joyeux, cenbsp;voyage le rapprochant de la jeune Mélicie qu’ilnbsp;adorait plus que jamais.

Amadis fit sur-le-champ équiper un vaisseau. II laissa Gandales pour gouverner l’Ile Ferme avecnbsp;Ysanie, et s’embarqua bientót, suivi de Gandalinnbsp;et de Lasinde, et accompagné de son ami Bruneo,nbsp;qu’il regardait déjü comme son frère.

CHAPITBE IV

Comment Amadis, pendant la traversée, fut poussd par Ic vent sur la cóte del’Ilc Tristc.ovi il fut forcé de combattrenbsp;le géant Mandraque.

Pendant deux jours, les vents furent assez favo ¦ rabies ü Amadis et a ses compagnons. Mais, le matin du troisième jour, une violente tempête s’étantnbsp;élevée, ils durent mettre barre sur une ile voisinenbsp;qui, de loin, leur parut agréable. Le pilote n’y con-sentit qu’avec répugnance, et, jusqu’au moment oünbsp;l’on aborda, il ne cessa de les dissuader dans leurnbsp;projet do descente, en leur paria nt de cette ilenbsp;comme d’un endroit trés dangereux, malgré sesnbsp;apparences engageantes.

— nbsp;nbsp;nbsp;G’est File Triste, leur dit-il, et elle est la biennbsp;nommée, car, depuis longtemps, aucun de ceuxnbsp;que leur mauvaise étoile a conduits lü n’en estnbsp;sortil...

Le pilote ne connaissait pas Amadis et Bruneo. L’idée d’un grand péril eüt suffi pour animer leurnbsp;courage et les déterminer a descendre dans cettenbsp;ile; de plus, ils se trouvaient assez fatigués de lanbsp;mor pour vouloir prendre quelque repos. La descente s’effectua.

Amadis et Bruneo s’armèrent, montérent a che-val, et, suivis de Gandalin et de Lasinde, ils s’aven-turèrent résolüment dans 1’lle Triste. Après en avoir parcouru une partie, ils parvinrent enfin surnbsp;unecolline qui dominait une plaine défendue parnbsp;une forteresse dans laquelle ils distinguèrent unnbsp;trés beau chêtcau. Ils s’avangaient pour le recon-naitre lorsqu’ils entendirent le son éclatant d’unnbsp;cor.

— nbsp;nbsp;nbsp;Par Dieul s’écria Bruneo, nous pouvons nousnbsp;attendre ü combattre; mais je crois que d’autres



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LE CHEVALIER DE LA VERTE EPEE.

nous ont préeédés, car Ie pilote m’a dit que l’on ne sonne ce cor que pour appeler Ie redoutable géantnbsp;Mandraque, seigneur de ce chateau, lorsque lesnbsp;gens de sa garde ne se trouvent pas en nombrenbsp;suffisant pour résister a ceux qui les attaquent...

Ils entendirent, en effet, Ie moment d’après, un grand bruit d’armes, et bientót ils apergurent deuxnbsp;chevaliers, dont les chevaux avaient été tués, les-quels se défendaient avec peine au milieu d’unenbsp;troupe nombreuse de gens armés, et allaient bientót etre encore attaqués par un géant qui sortaitnbsp;du cMteau pour toinber sur eux et achever leurnbsp;défaite.

Amadis et Bruneo couraient ü leur secours, lors-qu’un nain, qu’ils crurent être Ardan, vint vers Amadis, qu’il venait de reconnaitre, en criant:

— nbsp;nbsp;nbsp;Monseigneur 1 monseigneur! secourez votrenbsp;frère Galaor et son ami Ie roi Cildadan... lis n’ennbsp;peuvent plus

Les deux chevaliers n’eurent pas plutót entendu eet appel, qu'ils volèrent, la lance en arrêt, au secours de leurs amis menacés.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ah! mon cher Bruneo, dit Amadis, courez h.

mon frère.....Moi, je me charge d’arrêter Man

draque 1...

Ge disant, Amadis'se lanca sur ce géant, qui ar-riva sur lui furieux de voir qu’un seul chevalier osait l’attaquer. Mais sa fureur ne lui servit de riennbsp;centre la force et l’adresse de son adversaire, dontnbsp;la lance lui fit plier les reins jusque sur la croupenbsp;de son cheval; et ce mouvement lui ayant fait ti-rer irop fortement les rênes, sa monture se renversa sur lui, et Mandraque eut la jambe cassée.

Amadis, Ie voyant horsd’état de combattre, cou-rut alors au secours de son frère. Galaor venait d’abaltre Ie neveu de Mandraque, ets’élait emparénbsp;de son cheval, pendant que Gandalin, descendantnbsp;du sien, forgail Cildadan a monter dessus. La par-tie redevenait aitisi égale; si bien égale même,nbsp;qu’au bout de quelques instants, les assaillauts denbsp;tout é l’heure devinrent les assaillis, et, pour nenbsp;pas succomber, prirent prudeminent la fuite.

Mandraque restait tonjours étendu saus defense sur la poussière. Galaor et Cildadan allaient courirnbsp;sur lui pour lui donner la mort, lorsqu’Amadis, senbsp;ffppelant que ce géant était Ie père du vaillantnbsp;quot;Usquilan, roi de Suesse, s’élanoa pour les en em-Pêcher, et s’avanqa seul, 1’èpée haute.

— nbsp;nbsp;nbsp;Mandraque, lui dit-il, ta vie est entre mesnbsp;fflains, tu Ie vois; mais, eii faveur de ton vaillantnbsp;“tSi je te l’octroyerai, si tu veux me jurer que dé-sormais tu n’attaqueras ni chevaliers ni dames quenbsp;*6 nasard conduira dans ton ile 1

Le géant, touché de la générosité de son en-nemi, lui répondit:

Oui que tu sois, toi qui connais mon lils et roe panes de lui, j’avoue que je te dois la vie etnbsp;que ma conduite méritait la mort... Je te prometsnbsp;One d accomplir ce que tu me prescriras... Mais,nbsp;^ donné la vie, conservc-la moi, ennbsp;linn secourir et en me procurant la consola-tp rppLanbsp;nbsp;nbsp;nbsp;dans mon chAteau, donttu dois

g dor raaintenant «omrae Ie maltre !.,.

Amadis mit aussitót pied è terre et aida Mandraque a s’installer sur Ie brancard que venaient de faire Gandalin et Lasinde. Puis on se mit en marchenbsp;pour la forteresse, oü, S peine arrivé, Ie géant or-donna k ses gens de remettre les cleft è Amadis etnbsp;de lui obéir comme k lui-même.

Tous les prisonniers qui gémissaient dans les prisons de Mandraque furent délivrés. II s’ennbsp;trouva quelques-uns du royaume de Sobradise,nbsp;qu’Amadis envoya a la reine Briolanie de Ia partnbsp;du chevalier de l’Ile Ferme, qui venait de retrou-ver son frère Galaor et Ie menait dans la Gaulenbsp;avec lui.

Mandraque regut les soins les plus délicats et les plus touchants des chevaliers qu’il avait voulunbsp;mettre k mort. Sa férocité ordinaire était vaincue.

11 n’en fut pas de même de sa soeur, de la vieille géante Andadoue. Gette cruelle et dangereusefille,nbsp;quoiqu’elle fut k moitié couverte de cheveux blancsnbsp;hérissés, était d’une force extraordinaire. Plus legére k la course que les cerfs qu’elle poursuivait,nbsp;armee de son arc et de ses flèches aiguës, elle nenbsp;manquait jamais sa proie, et elle prenait uiie vo-lupté sauvage k la dévorer presque vivante. N’osantnbsp;attaquer Amadis en présence de son frère, dontnbsp;elle redoulait Ie pouvoir et la loyauté, la mécliantenbsp;Andadoue guelta Ie moment de son départ, et senbsp;cacha sur un rocher que Ie navire de l’amant d’0-riane était forcé de ranger, en sortant du port,nbsp;pour regagner la pleine mer.

Amadis et ses compagnons prirent enfin congé de Mandraque, qui était en bonne voie de guérisonnbsp;et qui leur renouvela les serments qu’il avait fails,nbsp;lis venaient k peine de mettre Ie pied sur leur navire, et ils louvoyaient Ie long de l’ile, lorsqu’ennbsp;passant prés du rocher oü s’était embusquée Andadoue, une flèche siffla k leurs oreillps, et Bruneonbsp;de Bonneraer poussa un cri de douleur. II venaitnbsp;de recevoir cette flècho en pleine cuisse, et si apre-ment, qu’elle s’en Irouvait clouée a la paroi du navire sur laquelle il s’appuyait.

On regarda de tous cólés pour savoir d’oü ce trait pouvait venir, et on apergut la vieille géante,nbsp;que son empresseraent a tirer avait précipitée dunbsp;haut de son rocher dans la mer, oü elle nageaitnbsp;comme un poissou, essayant de regagner la live.nbsp;On lui laiiga quelques flèches qui rebondirenl surnbsp;la peau d’ours dont elle était couverte; et, pendantnbsp;qu on s’empressait autour de sa viclime, elle fen-dait les flols d’un bras nerveux, et regagnait Ie rocher d’oü elle s’était laissé choir. Lk, elle s’arrêtanbsp;un instant, regarda Amadis et ses compagnonsnbsp;avec une joie feioce, et leur cria d’une voix rauqiienbsp;et terrible :

— Nous nous reverrons, mes fils I Car je ne me reposerai contente que lorsque je vous aurai donnénbsp;la mort k tousl...

Puis elle disparut dans l’intérieur de l’Ile Triste.


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BIBLIOTHEQUE BLEUE.

CHAPITRB V

Comment Amadis, Galaor, Bruneo de Bonne-mer et Cild^dan, arrivèreiit anprès du roi Pérjon, dq la reipe Eljsène ef dq la princessenbsp;Mélicie.

'runeo de Bonnemer, se-couru par un de ses coiTi-pagnons, expert en Fart de ' guérir, sup porta assez biennbsp;le voyage, qui se passa heu-reusemeiit. Le navjre qui lenbsp;portaitaborda dans un portnbsp;voisin d’un chateau ou lenbsp;roi Périon habitait alors avec Elisènenbsp;etsa fille Mélicie ; c’était celui oü Galaor avait été élevé dans soa enfancenbsp;par le géant Gandalac.

I Périon, ayant aper^u ce navire, qui venait de jeler 1’ancre, envoya «avoirnbsp;quels étaient les passagers qui le niontaiont.

Amadis, qui désirait présenter lui-mêtne Galaor amp; sa mère, qui ne Favait pas vu depuis son enlève-ment, répondit:

— Bites, s’il vous plait, au roi Périon, que les priticipaux passagers de ce navire sont le roi d’Ir-lande Gildadan et Bruneo de Bonnemer, qui dési-ront lui rendeleurshommages, comme faire se doit.

Quand on rapporta cette réponse amp; Périon, il fut trés aise, paree qu’il espera apprendre par eux desnbsp;nouvelles de ses enfants; et il les pria de voulomnbsp;bien se rendre éi son chateau. Mais Gildadan y parut seul, et excusa son compagnon en racontantnbsp;1’état dangereux oü il se trouvait. Périon envoyanbsp;chercher Bruneo, en recoramandant a ses gens lesnbsp;plus grandes précautions, et quand ils le lui eurentnbsp;amené,il Fassura qu’il ne pouvaitrecevoir de meil-ieurs secours que de sa (ille Mélicie, qu’une siennenbsp;gouvernante avait rendue experte dans les cas denbsp;maladies comme celui de Bruneo. Ge chevaliernbsp;s’eslima dés lors heureux d’avoir été blessé, puis-que des mains siehères étaient chargées de le rap-pcler tl la vie.

Pendant qu’on transportait Bruneo de Bonnemer, Amadis s’était rendu, suivi de Galaor, ^ la chambre de la reine Elisène.

.—^Ahl men cher Amadis! s’écria cette bonne princesse en courant erabrasser ce fds dont ellenbsp;avait pleuré la mort.

Toute occupée de la joie de revoir Amadis, Elisène ne s’apercevait pas qu’un chevalier plus jeune, plus beau qu’Amadis, était a ses genoux, h snbsp;yeux pleins d’une respeclueuse tendresse, et lesnbsp;bras tendus vers elle...

— Galaor! mon cher Galaor!..... s’écria-t-cllc,

é; erdue, en reconnaissant son second fils. Ah ! au-jourd’hui surtout, je suis heureuse d’èlre mère!

Galaor, se relevant, se précip.fa dans les bras de la reine, que 1’exeès de sou Imnheur fit choir,nbsp;pamee, a la reuverse. Mélicie accourut a son secours, et, trpuvant Gglaor Iq têfe^appuyée sur lesnbsp;Tenoux de sa inèrp, elle alia ^ la bale vers lui, Fac-cola en Fappelaut du nom si deux et si chaste denbsp;'rèpe.

Elisène, en reprenant peu a peu connaissance, et en se voyant entourée de ses trois enfants, quinbsp;formaient de leurs bras comme une grappe vivantenbsp;dont elle eüt été Ie ceps, elle les couvril de ses caresses passionnées en les enveloppant tons lesnbsp;trois d’un seul et mêrne regard.

— Ah! Périon, mon cher Périonl murmura-t elle. Périon, viens parlager mon bonbeurl Viens êlre le plus heureux des pères, comme je suis lanbsp;plus heureuse des rnères 1...

Périon survint, et ce spectacle lui’fit goütcr une seconde fois les dcliccs de la paternité. 11 élaitnbsp;heureux et il élait fier. Mélicie était belle, maisnbsp;Amadis et Galaor étaient des héros!...

Gildadan, qui le suivait, se garda bien d’inler-rorapre les premiers traiisporls de cette heureuse familie. 11 Ia regardait les larraes aux yeux, sausnbsp;oser se mèler a elle. Enfin il alia erabrasser ton-dreraent le roi Périon, en lui disant:

— Seigneur, le ciel est juste, et nos coeurs lui doivent de noiiveaux vceiix et de nonveaux sacrifices, quand il récompense la vertu!

Quelques mots aprés, Gildadan le fit souvenir de Bruneo de Bonnemer. La jeune Mélicie devintnbsp;d’une paleur morfelle en apprenant qu’il étaitnbsp;dangereusement blessé; mais les roses de sou (emtnbsp;redevinrent bien vives, lorsque Périon la pressanbsp;lui-même d’cn prendre soin, et qu’Eliséiic, s’ap-puyant sur son bras, la conduisit k la chambre oünbsp;Fon avait transporté ce chevalier.

Galaor les suivit, et, ne sachant rien encore des secrels sentiments de Mélicie, il redoublait 1’em-barras de sa jeune soeur, en lui faisant Féloge do,nbsp;son ami, qu’il Fassuraitèlro digne des sninsqu’ellenbsp;allait prendre. Hélas! elle le savait bien, pus-qu’elle Faiinait.

La flèche de la méchante Andadoiie avait percé d’üutre en oiiire la cuirasse de Bruneo, dont lenbsp;premier apparcil avait arrêté le sang avec peine.nbsp;Les transports que sentit ce vaillant chevaliernbsp;lorsqu’il vil approcher la mie pour laqiielle il avaitnbsp;mérité de passer sous Fare des loyaux amanis, cenbsp;premier moment, ce bonheur inespéré, ce secoursnbsp;qu’unc main adoróe était prête fi lui donner, tontnbsp;cela fit bouillonner avec force ce qui lui rostait denbsp;sang et le fit coulcr dc nouveau.

Elisène s’en aperqut au moment oü Bruneo per-dait connaissance; elle n’hésifa pas ü le secourir elle-même; et Mélicie, aiiisi autorisée par Fexem-plc de sa mère, profita de l’évanoiiissement de sounbsp;amant pour fi'rmer sa doublé blessure, sur la-qiielle elle versa im élcetuaire précieiix, de fafounbsp;cl ne plus craindro un pareil accident.-Puis elle at-tendit le réveil, pendant que sa mère, rassurce, senbsp;retirait avec Galaor.

Lorsque Bruneo rouvrit les yenx, ils renconfrè-rent ceux de sa chore Mélicie 11 lui sourit tendre-ment, et, s’apercevant que les bolles mains blati-clies dc sa raie élaieiit encore rougies de son sang, d poncha ia téte et les attira respectueusementnbsp;jusque. sur ses lèvres.


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LE CHEVALIER DE LA VERTE EPEE.

— Ahl murmura-t-il, qu’il m’est doux et bon de devoir la vie d celle qoi me la fait aimer 1

Mélic'e, quoique atlendrie, eut encore la force de fermer de sa main la bouche de son amant etnbsp;de Ie menacer de s’éloigner s’il sonnait mot plusnbsp;longtemps. Cctte menace, quelqu’invraisemblablenbsp;qu’elle fut, suffit pour contenir Ie besoin d’expan-sion qu’éprouvait Bruneo en face de sa maitressenbsp;tant aimée : il se tut, et bienlót même, engourdinbsp;par son état physique et son état moral, il fermanbsp;les yeux et se mit a rêver. Mélicie alors, profUantnbsp;d’un moment oü personne ne pouvait la voir, senbsp;pencha rapideraent sur Bruneo et Ie baisa tendre-ment au front k plusieurs reprises. Bruneo iressail-lit, rougit sous sa paleur, mais ne se réveilla pas.

Au bout de quelques jours, Bruneo de Bonne-mer était hors de danger.

Bildadan et Galaor sè ressoufinrent alors des eneagemenis qui les rappelaient ci Londres, présnbsp;de Lisvart. Gddadan, par suite des conventions denbsp;la bataille qu’il avait perdue contre Ie roi do lanbsp;Grande-Bretagne, était oblige de Taller servir ennbsp;personne avee un certain nombrc de chevaliersnbsp;irlandais. Quant k Galaor, oomme il avail accepténbsp;Ie litre de cheva'ier de Lisvart, il ne pouvaitnbsp;abandonner Ie service de ce prince sans avoirnbsp;pr.s congé de lui.

L’un et Tautre firent done part a Périon de leur position présente, et de la cruelle position oü ilsnbsp;élaient de quitter Amadis pour aller joindre unnbsp;prince dont d avail lieu de se plaindre. Elisène etnbsp;Périon voulaient d'abord les en détourner; maisnbsp;co roi gént'reux, se représentant que Ie sang de lanbsp;maisou de Gaule était si pur que la plus légère ap-parence d'une infidólité nedevait jamais Ie tacher ;

— Le roi Lisvart est trop juste, leur dit-il, pour ne pas vous metlre bienlót ü portée do rum prenbsp;honiiêteraent aveclui... Reraplissez maintenant cenbsp;que vous croyez lui devoir, et laissez au temps etnbsp;surtout ü sou ingratitude le soiii de vous donnernbsp;uiie occasion de Tabandonner pour venir iious re-joiniire. La vie n’est pas fade (pie de bouheurs fa-ciles, mes chers amis, il faut savoir passer parnbsp;toutes ses éiamines : eest en se laissant ainsinbsp;éprouver sans ccsse par le sort qu’on prouve sonnbsp;excellence et sa valeurt...

. Ln reine Elisène, frappée de Tlionnêleté et de la justice qui régnaient dans la réponse de Périon, senbsp;rendit, (luo qne eu soupirant, et, dés U lenJen)am,nbsp;Galaor et Cildadau s’embarquèreut pour retouruernbsp;dyns la Grande-Brelagne.

GHAITniE VI

” Cildadan et Galaor, revenus en la Grande-Dretagne 'ppnrent ce qui sc i)assait; et comment, en rejoignantnbsp;’ * *’®”®‘U’jr(irent douzo chevaliers cl douze domoi-Noranddnbsp;nbsp;nbsp;nbsp;prince, pour lui remetlre le jeune

Cildadan et Galaor étaient fi peine arrivés sur le sol de la Graiide-Bretagno, qu’ils apprirent de fa-cheuscs nouvelles pour lours cceurs. Galvanes,nbsp;Agraios et Floreslan, ü la tête d’un grand nombrenbsp;des chevaliers partis de THe Ferme, avaient abordénbsp;File Montgase et s’en étaient emparés,après avoirnbsp;battu Tarmée que Lisvart avait envoyée dans cettenbsp;ile sous la conduite du roi Aiban de Norgales et denbsp;Guillan-le-Pensif. IIs apprirent en même lerapsnbsp;que le père d’Oriane, furieux de cette defaite,nbsp;avait pris la resolution d’aller lui-même altaquernbsp;cette ile ü la tête d’une nouvelle armée.

Ainsi Galaor et Cildadan, rigoureux observate.urs de Ia loi de l’honneur et du devoir, allaient êtrenbsp;bientot forcés de se trouver armés en face de pro-ches et d'araisl

Ils reprirent leur route, consternés, pour joindre le roi Lisvart. Quelque temps après ils firent rencontre de douze chevaliers et de douze demoiselles, les uns richement armés, les autres riche-ment accoutrées. Au milieu de cette troupe bril-lante était un jouvenceau d’une figure charmante,nbsp;et dont la ta lie et Tallure annongaient qu’il était,nbsp;quoique jeune, en état de porter vaillamment lesnbsp;arraes.

Les demoiselles, ne doutant pas qne Cildadan et Galaor n’apparlinssent ü la cour de la Grande-Bre-tagne, les abordèreut incontinent.

— Sires chevaliers, dit l’une d’elles au nom des autres, nous sommes étrangères et chargées d’unenbsp;commission iniéressante pour le roi Lisvart qu’oiinbsp;nous a dit devoir être en cette forêt, en train denbsp;chasser avec quelques dames de sa cour. Vous quinbsp;le connaissez, sans nul doute, ne pouvez-vous nousnbsp;inettro sur sa voie, et nous présenter ü lui?...

— Demoiselles, répondit Galaor avec sa courtoisie ordinaire, nous sommes heureux, mon compagnon et inoi, do Toccasion que vous nous otïrez de vous servir. Si vous voulez bien nous suivre, nousnbsp;allons vous guider dans vos recherches et vousnbsp;conduire vers le roi Lisvart.

Les demoiselles et les chevaliers acceptèrent, bien entendu, et mirenl leurs chevaux ü Tunissonnbsp;de ceux de Cildadan et de Galaor. Bientót ce dernier, frappé de la bonne mine et de la fiére pres-tance du jouvenceau qui se trouvait au milieu desnbsp;demoiselles, leur demanda quelle était sa nais-sance.

— Sire chevalier, répondit la demoiselle qui s’é lait adressée tont ü Tlieure ü Galaor, nous n’avonsnbsp;pas le droit de vous répondre en ceci. Tont co quenbsp;nous pouvons vous dire, c’est que ce jouvenceaunbsp;est d’extraction royale, tant de père que de mère.nbsp;Tont ce que je puis ajouter aussi, c’est que nousnbsp;vous supplions de nous aider a presscr lo roi Lisvart a le rccevoir chevalier, même avant que je nenbsp;lui aie romis uii message qui ne peut que lui causer une douce emotion...

Galaor et Cildadan promirent de s employer a eet etfet. Lors, la demoiselle, faisant faire halte ünbsp;la Iroupe qu’elle conduisait, suivitces deux princesnbsp;auxquels ie son du cor ct les aboiernonts desnbsp;chiens annongaieut que la chasse s'ajiprochait.

Un quart d'heure après, ils étaient arrivés a un carrefour oü s’élait arrêlé le roi Lisvart, lequel, en


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BIBLtOïHEQUE BLEUE.

les apercevant, s’iniagitia qu’ils allaient demander la joute et leur dépêcha Ie vieux Grumedan.

— Sire chevalier, cria Galaor, en voyant venir a lui Ie vieux compagnon de son frère, venez-vousnbsp;pour me provoquer au combat?

— C’est selon, répondit Grumedan. Mais, jus-qu’ici, je n’ai d’autre dessein que de savoir qui vous êtes.

— Ma foi, répondit Galaor avec gaité, je suis l’homme Ie plus content de pouvoir embrasser son,nbsp;vieux et excellent amil...

Et, levant la visière de sou heaume, Galaor em-brassa Grumedan, que cette rencontre combla d’aise.

— Mon cher Cildadan, reprit Galaor avec en-jouement, en présentant Ie roi d’lrlande é Grumedan, voici Ie vaillant chevalier qui portait la ban-nière royale Ie jour de la bataillel

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, dit Grumedan en s’inclinant devant Ienbsp;roi vaincu, il me souviendra toujours de la peinenbsp;que j’eus a la garder, lorsque vous la fendites ennbsp;deux entre mes bras!...

— nbsp;nbsp;nbsp;Parbleu! seigneur Grumedan, répondit Cildadan, s’il vous en souvient il m’en souvierit denbsp;même, et, s’il vous en a cuit, il m’en cuit a moi biennbsp;davantage, puisque mon corps porte encore lanbsp;marqué de volre épee, si vaillante k défendre cettenbsp;noble bannièrel.. Mais nous étions ennemis, alors;nbsp;aujourd’hui, nous sommes amis, si vous Ie voiilez,nbsp;toutefois.

Et, ce disant, Cildadan ouvrit ses bras au vieux Grumedan, qui s’y jeta de bon coeur.

Tous les trois, après cela, s’en allèrent vers Ie roi Lisvart qui fut aussi surpris qu’enchanté de revoirnbsp;Galaor et Cildadan. Le premier, il tendit la main knbsp;sou ennemi vaincu.

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, lui dit-il, oublions nos anciens dissenti-ments, comme nous oublions les neiges d’antan...nbsp;Je vous tiens bien volonliers quitte, des engagements que nous avions pris récipro(|uement avantnbsp;notre combat : c’est k votre araitie seule que jenbsp;veux devoir les services que je vous demande...

Cildadan fut trés sensible au noble procédé de Lisvart et il répondit avec autant d’aü'ection quenbsp;de courtoisie.

Les princesses Oriane et Mabile, qui étaient venues, la veille, de l’abbaye de Mirefleur, pour voir le roi avant son départ, et qui suivaient la chassenbsp;avec lui, eurent la joie la plus vive de rejoindrenbsp;Galaor. Les dames de leur compagnie n’eurent pasnbsp;une joie moins vive que la leur, mais elle futmoinsnbsp;manifestée : elles se contenlèrent de laisser leursnbsp;coeurs battre sous leurs gorgerins, et leurs lèvresnbsp;rouges murmurer les unes aux autres :

— Le voilk! le voilkl... C’est luil c’est luil... II nous est rendu!...

Galaor les remercia toutes par un aimable sourire qui en fit rougir d’aise quelques autres, lequelnbsp;sourire voulait dire :

— Cbacune de vous mérite d’etre adorée, et je vous aimerai toutes aussi souvent et aussi longtempsnbsp;que vous voudrezl Je ne me suis guéri que pournbsp;revenir mourir d’arnour k vos pieds et dans vosnbsp;bras!...

La demoiselle amenée par Galaor et par Cildadan fit alors son message. Mais le roi, qui s’était faitnbsp;une loi de n’armer aucun chevalier de sa proprenbsp;main, k moins qu’il ne fut de la plus illustre lignée,nbsp;hésitait k répondre, lorsque Galaor l’assura que lenbsp;jouvenceau, pour lequel on réclamait eet honneur,nbsp;était d’extraction royale. Le portrait qu’il en fitnbsp;intéressa toutes les dames présentes, toujours dis-posées k s’interposer en faveur des vaillants et desnbsp;beaux, et elles pressèrent Lisvart de céder et denbsp;faire venir ce jouvenceau k ses genoux, afin de luinbsp;donner la colée.

Lisvart y consentit. La demoiselle s’en retourna chercher le beau jouvenceau, quivintsuivides douzenbsp;chevaliers ses compagnons. Après avoir salué lesnbsp;dames d’un air fort respectueux et fort tendre, quinbsp;provoqua leur admiration, il s’agenouilla devantnbsp;Lisvart, qui l’arma chevalier avec tout le cérémo-nial accouturaé.

Cela fait, le roi l’invita k choisir parmi les dames présentes celle qui devait lui ceindre l’épée. Lenbsp;jouvenceau désigna Oriane, qui rougitde cette distinction, et qui se sentit remuée par un sentimentnbsp;indéfinissable en face de ce bel adolescent qu’ellenbsp;voyait cependant pour la première fois.

La demoiselle qui avaitarrété Galaor danslaforêt et qui, parson intermédiaire, était parvenue k par-ler au roi Lisvart, s’approcha alors discrètementnbsp;de ce prince et lui dit a voix basse :

— Sire, je retourne de ce pas rendre compte de ma commission k celle qui m’en avait chargée...nbsp;Vous lirez cette lettre; elle vous apprendra mieuxnbsp;que je ne saurais le faire moi-même, tous les droitsnbsp;que vous avez sur ce nouveau chevalier que manbsp;maitresse vous prie de garder k votre service, ainsinbsp;que les douze chevaliers qui l’accompagnent.

Ayant dit, la demoiselle tira sa révérence au roi et prit congé de lui, en emmenant les onze demoiselles avec lesquelles elle était venue.

Quand Lisvart fut seul, il brisa le scel qui fer-mait cette lettre mystérieuse et un tremblement délicieux s’empara de son être, quand il apprit quenbsp;ce jouvenceau était le fruit deses passagèresamoursnbsp;avec l’infante Célinde, pour laquelle il avait jadisnbsp;combattu et vaincu Antiphron!

— Norandel! s’écria-t-il, le coeur battant.

Le jeune chevalier s’approcha. Lisvart, troublé par sa ressemblauce avec sa mère, la reine d’Hégide,nbsp;allait lui ouvrir ses bras et rappcler son füs. Maisnbsp;il réfréna aussitót cette velléité paternelle k causenbsp;de Brisène. II résolut d’attendre que le jeune Norandel se fut distmgué par quelque action d’éclatnbsp;pour le reconnaitre publiqueraent. Ce fut au seulnbsp;Galaor qu’il ouvrit son coeur en lui donnant k lirenbsp;la lettre de CéJinde.

— Galaor, lui dit-il tout haut en lui désignant Norandel, qui venait de s’approcher, je vous confienbsp;ce jouvenceau ; qu’il soit votre compagnon pendantnbsp;la première année qu’il portera les artnes.

— Ah! seigneur! s’écria Norandel, puissé-je mêriter de ï’êlre toute ma vie!

Lisvart permit k Galaor de mettre Oriane dans sa confidence, et cette princesse fut charmé d’avoirnbsp;pour frère ce jouvenceau de si bonne mine et de sinbsp;vaillante apparence.


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LE CHEVALIER DE LA VERTE EPEE.

CHAPITRE VII

Comment Durin et sa soeur, chargés de 1’cnfan-telet d’Oriane, se rendirent dans une petite vallée sauvage oü vivait un saint homme; etnbsp;comment, au moment oü ils s’y attendaient Ienbsp;moins, une lionne vint qui emporta eet enfantnbsp;dans sa gueule.

eux jours après la réception de Norandelcomme chevalier,nbsp;Ie roi Lisvart s’embarquaitnbsp;avec son armee pour File denbsp;Moutgase, alors en la posses-^sion des chevaliers de Filenbsp;Ferme. Le siége devait durer longtemps, heureu-sement pour Fintéressante Oriane.

Car, on ne Fa pas oublié, Oriane était grosse des oeuvres d’Amadis, et le terme approchait oü il nenbsp;lui serail plus possible de dissimuler son élat. Lanbsp;guerre entreprise par Lisvart centre Amadis et sesnbsp;compagnons, bien que douleureuse pour le coeurnbsp;d’Oriane, avail toutefoisce bon cóté qu’elle éloigriaitnbsp;pour un lemps assez long le seul témoin dont ellenbsp;redoutat les investigations, c’est-ü-dire son père.nbsp;Lisvart parti, Oriane alia s’enterrer ü Fabbaye denbsp;Mirefleur, d’oü elle ne sortit que délivrée.

La demoiselle de Danemark, chargée de jouer son róle de mère, ainsi qu’il avail été convenu,nbsp;s’empara done de Fenfant que venait de mettre aunbsp;monde Oriane, et elle fut ébahie en apercevantnbsp;sur le corps de cette frêle créature plusieurs ca-ractères écrils sur son sein, les uns en rouge, lesnbsp;autres en blanc, mais les uns et les autres en unenbsp;langue inconnue d’elle. Son étonnement une foisnbsp;passé, elle s’en alia trouver Fabbesse de Mirefleurnbsp;qu’elle croyait devoir être accessible ü la pitié etnbsp;dont elle espérait obtenir Fautorisation d’exposernbsp;Fenfant a la porte de 1'église.

Mais la dame abbesse fut inflexible, probable-ment paree qu’il s’agissait d’une faute charmante qu’elle n’était plus, hélas! dans Fage de commet-tre. Elle paria de Faustérité de sa régie, qui ne per-ïuettait pas le scandale de ces expositions-la,et, fi-iialement, elle contraignit la pauvre demoiselle denbsp;Danemark ü chercher un autre moyen, et h le cher-cher promplement, car il y avait péril en la de-meure.

Pür bonheur, Durin, son frère, n’était pas parti avec l’armée de Lisvart. Elle le fit prévenir d’avoirnbsp;a se trouver le soir même sous les murs de Fabbaye, avec deux chevaux. Durin fut exact ci ce ren-dez-vous, et, ü Fheure dile, au signal convenu,nbsp;1 enfant d’Oriane fut descendu par la fenêtre, dansnbsp;une coibeille, avec toutesles precautions imagina-bles ; puis, cl son tour, la demoiselle de Danemarknbsp;rejoignit Durin, monta ü cheval, et tous deux s’é-loiguèrenl rapidement dansla direction de la forêt.

Ils chevauchèrenl ainsi toute la uuit, et s’éloi-gnerent assez pour n’avoir plus rien a craindre de

ux qui pouvaient alors les rencontrer. Aux premières clartés de Faube, ils arrivèrent au bord d’une fontaine qui tombait en cascades d’un rocher,nbsp;et qui coulait et s’enfoncait dans une vallée pro-fonde, couverte de buissons épineux et de roebesnbsp;sauvages oü le soleil n’avait jamais pénétré. Ilsnbsp;apergurent bientót, è Fentrée de cette petite valléenbsp;un ermitage, et Durin se rappela gue depuis unnbsp;long temps cette retraite était habitée par un saintnbsp;homme, du nom de Nascian, lequel, par une protection spéciale de la Providence, régnait comraenbsp;un maitre sur les fauves dont les repaires avoisi-naient son ermitage. Une lionne, entre autres, s’é-tait si bien accoutumée ü le voir, qu’elle ne man-quait pas un jour de venir chercher auprès de luinbsp;une partie de sa nourriture, et Nascian, de sonnbsp;cóté, ne craignait pas d’aller dans l’antre de cettenbsp;bete féroce, jouer avec ses petits lionceaux, qui, ènbsp;Fexemple de leur mère, rentraient leurs griffes acé-rées chaque fois qu’il les touchait. Oh 1 le grand etnbsp;puissant ordonnateur de toutes choses a bien su cenbsp;qu’il faisait en créant Fhomrae amp; son image :nbsp;Fhomme règne commo lui, mais seulement quandnbsp;il lui ressetnble. Le jour oü il cesse d’être homme,nbsp;ce jour-la les bètes féroces le dévorent sans pitié,nbsp;et encore sont-elles moins féroces que lui!

Cette lionne, ce même malin, s’étant approchée de la fontaine au bord de laquelle Durin et sa soeurnbsp;s’étaient arrêtés, fit des rugissements épouvanta-bles. Le cheval que montail la demoiselle de Danemark prit eflroi et 1’emporta dans la vallée, èi travers roebes et halliers. Le cheval de Durin, débar-rassé de son cavalier qui venait de descendre pournbsp;aller puiser de Feau a la fontaine afin d’en mettrenbsp;quelques gouttes dans la bouche de Fenfant quinbsp;criait dans ses bras, le cheval de Durin s’échappanbsp;également, effrayé comme Fautre.

Durin, entendant les cris d’appel de sa soeur, posa doucement Fenfant sur le gazon pour volernbsp;plus vitement ü son secours. La demoiselle de Da-nemaik était tombée dans un inextricable buisson:nbsp;il Fen retira, quoiqu’ü grand’peine, et, voyant ènbsp;quelque distance le cheval embarrassé aussi dansnbsp;un fourré épineux, il le joignit, le dégagea et le ra-mena a sa soeur. Tous deux, alors, se mirent ennbsp;devoir de revenir auprès de Fenfant que Durin avaitnbsp;laissé prés de la fontaine.

Quel fut leur désespoir, lorsqu’ils ne le retrou-vèrent plus sur le gazon, et que Durin apergut a quelques pas de la, sur le sable, les traces récentesnbsp;ae la lionne 1

— Elle Fa emporté! s’écria la demoiselle de Danemark, plus pale a cette pensee que tout a Fheure aux rugissements de Fanimal sauvage...nbsp;Que dira la princesse Oriane ?

Dans son désespoir, elle se füt sans aucun doufe arraché ü la vie, si son frère n’eüt fait renaitre Fes-pérance en son coeur en lui citant plusieurs histoi-res d’enfants enlevés, comme celui-ci, par desnbsp;bêtes féroces et que la Providence avait rairacu-leusement conservés. Ils résolurent Fun et Fautrenbsp;d'etre quelques jours sans retourner auprès d’Oriane, de ne rien lui dire qui put 1’alarmer sur lenbsp;sort de son fils, et de ne confier les détails de cenbsp;funeste événement qu’è la princesse Mabile dont ilsnbsp;connaissaient 1’esprit et la prudence.


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BIBLIOTHEQUE BLEUE.

CHAPITRE Vin

Comment Amadis, Florestan et Pdrion résolurent d’aller, iii' connus, au gecours du roi Lisyart.

runeo de Boriiienier étalt puéri. Quelque épris qu’ii füt de Méli-cie, quelque heureux qu’il frttnbsp;en passant ses journces auprèsnbsp;d’elle, quoiijue affligé de se sé-parer d’Amadis, il crut que sonnbsp;lonneur ne lui permettait pasnbsp;de Gomeurer plus lonptemps A la cour de Périon.

Amadis aimait trop Bruneo pour s’opposerö son dessein. II Ie conduisit chez Périon, pour qu'il prilnbsp;congé, et il Ie vit avec plaisir les larmes aux yenxnbsp;lorsqu’il allait rcndre les inêrnes devoirs fi sa sceur.

— Belle Mélicie, dit Bruneo en fléchissant un genou devant cetle intéressante princesse. Je yousnbsp;doislavie... Je vous l’avais déjamp;consacrée, et, quoi-qu'il en coüle k mon cceur, je pars pour travaillernbsp;è rillustrer.., Ce n’est qu’en marchaiit sur les tra-tps de vos cheraleureux fréres, que je peux espé-rer de me rcndre digne de vous... Ah! belle etnbsp;chore Melicie, souvenez-vous quelquefois de Bruneo, qui ne veut vivre que pour vous adorer 1...

Bruneo parti, Amadis tomba dans la pluspro-fonde mélancolie. Ne point voir Orianc et vivre dans rinaction 1 Deux causes de tristesse pour sa grandenbsp;ème, en effet. lleureuseraent il fut bientót üré denbsp;eet étatpar l’événement Ie plus embarrassant pournbsp;lui, dans la position ou il se trouvait vis-a-vis dunbsp;roi Lisvart.

II requt une lettre d’Oriane qui lui rendaitsa li-berté et l’autorisait h quitter la Gaule, c’est-a-dire amp; aller oü ses intéréts personnels et son honneurnbsp;1’appelleraient. Elleluiapprenaiten outre, d’abqrdnbsp;la prise de 1’ile de Montgase par l'armée de Lisvart, Ie don que ce prince en avait fait k Mada-sime qui alor.s avait épousé Galvanes; ensuite lanbsp;guerre qu’il allait avoir h soutenir centre Ie roinbsp;Aravigne, lequel, aidé de plusieurs souverains etnbsp;surtout d’Arcalaüs, rassemblait une armée formidable dans l'ile Léonile, pour venir 1’attaquer.

Le même jour, alors que transporté de joie d’a-voir la liberté, Amadis se proposait de partir pour rile Ferme, il se promenait avec le roi Périon, de-visant de choses et d’autres. lis virent arrivor unnbsp;chevalier dout la moniure harasséc, et doiit lesnbsp;armes a demi brisées témoignaient éloquemmentnbsp;qu’il avait livré quelque violent combat. Ge chevalier, reconnaissant Amadis, delaqa promplcmcntnbsp;son heanme, et accourut, les bras élcndus.

— Amadis 1,.. s'écria-t-il.

— Florestan! répondit Amadis.

Ils s’embrassèrcnt; puis, s’apercevant que son fn re, interdit en présence du roi Périon, ne son-nait plus mot, Amadis ajouta :

— Quoi! mon frère, ne connaissez-vous done pas encore le roi de Gaule?...

Florestan ne répondit qu’en jetant un cri; et, se précipitant aux genoux de Périon, qu’il serraitnbsp;avec tendresso :

— nbsp;nbsp;nbsp;Ah! seigneur, s’écria-t-il, daigncrez-vous re-connailre Florestan, qui ne s’est pas encore rendunbsp;assez digne de vous ?

Périon savait par ses deux antres fils combien celui-ci, qu’il avait eu autrefois de la comtesse denbsp;Salandrie, était digne de faire partie de sa familie.

— nbsp;nbsp;nbsp;Oui, mon cher fds, dit-il, c’est avec la joie lanbsp;plus vive que votro père vous récoanait et vousnbsp;reqoit dans ses bras.

Et, tout aussitot, il le conduisit auprès de la reine Elisène, qui, inslruite de toutes les circonstancesnbsp;de la naissance de Florestan, ne pouvait baïr en luinbsp;le fils d’une rivale. Elle le requt avec cette bien-veillance qui rendies femrneAsi irrésistibleS.

Bientót, en présence de son père et de son frère, Amadis paria de la position oü se trouvait lenbsp;roi Lisvart et des moyens k employer pour le se-courir,

— nbsp;nbsp;nbsp;Le secourir! s’écriaFlorestan. Pourquoi cela ?nbsp;II vous a injustement proscrit, vous, mon frère; ilnbsp;a fait une guerre sans excuse aux chevaliers denbsp;1’lle Ferme, paree qu’ils étaient rangés sous votrenbsp;bannière.,. 11 a repris Montgase, pour le rendrenbsp;b:entDt ü Madasiine, il est vrai, rnais il n’a pasnbsp;raoins fait acte d’inutiles rigueurs, et s’il ne s’i'taitnbsp;pas souvenu, après la balaille, que j'avais été unnbsp;instant maitre de sa vie, il ne m’aiirait pas donné lanbsp;liberté ainsi qu’ü Quadragant, prisonnier et blessé

cornme raoi!.....Je ne sais pas oublier si vite les

outrages, surtout ceux qui sont faits aux gens que j'aime... Co que jene pardonno pas a Lisvart,c’estnbsp;d’avoir écouté la voix de Gandandel et de Broca-dan plutót que celle del’équité, Ces deux traitresnbsp;ont été démasqués, et il ne vous a pas rappèlé pournbsp;reconnaitre loyalement son erreurt... Par aitisi,nbsp;loin de songer ti le secourir en cette occurrence, jenbsp;propose que nous nous joignionsü ses ennerais!...

Amadis nc répondit rien, voulant savoir ce que pensait le roi Périon avaut de se déclarer.

Resleznoutres, mes Cbfants, d t ce prince. On n’a rien a gagner a se meier centre le gré des gensnbsp;ü leurs querelles. Puisque Lisvart ne vous appeJlenbsp;point, c’est qu’il croit que vous lui êtes inutiles.nbsp;Soyez done spectatcurs, non acteurs, dans ceitenbsp;guerre qui se prépaie...

— Mon père, et vous mon frère, dit alors Amadis, je ne puis partager votre manière de voir. J’ai parlé tout ü l’heure des moyens de secourir le roinbsp;Lisvart; je veux vous en parler encore, afin denbsp;vous convaincre mieux. Nous ne poiivons nousnbsp;venger plus noblemcnt des dógoüts qu’il a fmi parnbsp;nous dormer qn’en allant è son secours, et j’en de-mande la permission au roi notre père... Mais, pournbsp;que le roi Lisvart n’en puisse tirer aucun avantagenbsp;sur nous, et qu’il no présume pas que nous cher-ebions un moyen de nous réconcilier avee lui, jenbsp;saurai me déguiser dc faqon ü n’eiro pas connu; et,nbsp;quand memo je lui saiiverais la vie et contribueraisnbsp;a lui faire remportcr la victoire, il ne saura jamais


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LE CHEVALIER DE LA VERTE EPÉE. 11

LE CHEVALIER DE LA VERTE EPÉE. 11

nu

que celui qui sortit méCDjitent de sa cour a employé son eras h son service...

Horestan était d’un sang trop généreux pour rie pas revenir sur-le-champ amp; l’avis do son frère :

— L’offense cruelle qu’il yous a faite, lui dit-il, me détorrainait seule amp; prendre les armos contrenbsp;lui... J’admire etaimetrop mon illustre frère pournbsp;ne pas Ie suivre, et je jure ici d’cmployer mon brasnbsp;et mon épée è la defense du roi Lisvartl...

A ces mots, Périon, serrant ses deux fils dans sesbras, leur dit ;

— Mes chers enfants, je n’aurais pas osé vous indiquer cotte voie quo vous prenez de vous-mê-mes : c'est la meilleure et la plus noble... Vous pé-nétrez mon cceiir de joie et d'admiration... Je suisnbsp;fier de vous avoir pour fils 1’un el l'auti e... Galanrnbsp;seul raanque é celte reunion, rnais, quoique absent, je suis assure qu’il fait son devoir de chevalier... Ne voyons dans Lisvart qu’un grand roi ennbsp;lutte centre un raauvais prince, Ie roi Aravigne. Jenbsp;suis si houreux de vous voir vous associer è sanbsp;cause, que je m’y veux associer avec vous... Par-tons tous trois ensemble... aliens partager les raè-mes perils et la mème gloirel...

— Ah 1 s’écria Amadis en baisant, ainsi que son frère, les mains du roi Périon, qui pourrait nousnbsp;résister et nous vaincre, maintenant que nous com-battrons sous vos yeux 1

Lors Périon mena Florestan et Amadis dans la salie d’armes de sou palais, afin d’essayer quelquesnbsp;armures. lis cboisirent cbacun un heaume, unenbsp;colte do mailles, une épée et écu, Le heaumenbsp;choisi par Périon était blauc comme argent; celuinbsp;choisi par Amadis était jaunc comme or; celuinbsp;choisi par Florestan était vert comme émeraude.nbsp;Leurs ttois ecus étaient d’argent, semés de scrpenisnbsp;dor. Ces armures reluisaient merveilleusi'ment aunbsp;soleil; l’épée d’Amadis surtout, la flamboyantenbsp;épée qu’il avait conquise, et qui, chaque fois qu’ilnbsp;s’en servait, jetait des éclairs aveuglants.

CIIAPIïRE IX

Comment Amadis, Florestan et Pdrion comlmlti-rent incognito cn faveur du roi Lisvart, et dé-cidèrcnt du succès de la bctaille ; puis s'en retournèrent après sans vouloir se faire con-naitre.

iielques jours après, Pè-lion et ses deux fils abor-jdaient sur les cóles de la ¦jGrande - Bretagne , dansnbsp;Hes environs du camp dunbsp;i Lisvart, et è peu de distance aussinbsp;de l’endroit oü sc tenaient, prêts finbsp;combatlre, Aravigne, Arcalaüs et lesnbsp;^ souverains leurs allii'S.

Le lendemain,(iès la pointe dn jour, 1 ils viretit la petite arméc de Lisvartnbsp;s ebraider et s’avancer cn bon ordrenbsp;\dans la direction de celle d’Aravigne,nbsp;iaquelle était beaucoup plus considé-rable. La lutte s’engagea aussitót, et

l’avant-garde du roi de la Grande-Bretagne, com-mandée par Briant etpar Galaor,chargea aveefurie les premières lignes d’Aravigne, commandées el-les-rnêmes par les rois Targadan, Absadan et Bru-taxar.

La reine Brisène, la princesse Mabile et la prin-cesse Oriane assistaient, du baut d’un donjon, é tous ces mouvements de troupes.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ah! si Amadis était Ih 1 raurmurait la reine.

— nbsp;nbsp;nbsp;Pourquoi n’est-il pas la? soupirait Oriane.

— nbsp;nbsp;nbsp;Peut-ètre est-il Ihl... disait la princesse Mabile, qui n’osait pas croire é ce qu’elle disait, maisnbsp;qiii voulait essayer de leurrer d'espérance le eoeurnbsp;d’Oriane et celui de la reine Brisène.

Mabile devinait juste. Amadis était embusqué dans un bois voisin avec son père et son frère Florestan. Au moment oü s’avangait l’avant-gardenbsp;d’Aravigne, tous trois sortirentde leur embuscadenbsp;et fondment comrne des éperviers sur Targadan,nbsp;Absadan et Brulaxar, qu’ils blessèrent moitenement dès leur première atteinle. Puis, tirant leursnbsp;redoutables épees, ils se jelèrent en pleiue méléenbsp;et y portèrenl le désordre et la mort.

Galaor, Gddadan et Lisvart fureiit dans l’admira-tion et la surprise des exploits surnaturels accom-plis par les trois chevaliers aux Serpents, ainsi qu’ils les désignaient, a cause de leurs écus. Par-tout, dans les rangs ennemis, je désarroi le plusnbsp;complet, l’effroi le plus intense.

— Ah 1 s’écria Lisvart enlhousiasmé, ou ce sent trois fiinlómes, ou ce sont trois Amadis 1... Tenez,nbsp;Galaor, voyez celui-ci surtout, ce chevalier dontnbsp;l'épée flamboyante lance de si veris éclairs au contact des armures eunomies, ne dirait-on pas Amadis lui-même?...

— Hélas 1 ce n’est pas lui 1 répondit Galaor, qui avait regu précédemmeiituii message de sou frère,nbsp;lequel lui avait appris, ü dessein. qu’il était reslénbsp;en Gaule avec Florestan et avec Périon. Ah 1 quenbsp;n’est-il ici 1 ajouta-t-il.

— Mais, reprit Lisvart, quels que soient ces vaillanls hommes qui nous aideiit si puissammeut,nbsp;quel que ce soit surtout ce chevalier ü la verte épéenbsp;qui fait une si belle tuerie de nos ennemis, allonsnbsp;oü ils vont, k la gloire ou k la mort!...

Galaor, Cildadan et Lisvart piquiVerit leurs che* vaiix, qui se jetèrentavec impéiuosité au milieu denbsp;1’armée d’Aravigne, laquelle ne tarda pas k se dé-bander dans toules les directions, malgré les ef-forls de son chef.

— Sauve qui peut I s’écria le traitre Arcalaüs, en donnant le premier l’exeraple de la couardise.

— Sauve qui peut 1 dit alors Aravigne, cn 1’imi-lant prudemmeiit.

Targadan, Absadan et Brulaxar morts, Arcalaüs ct Aravigne en fuite, la bataille était perdue pournbsp;les ennemis du roi Lisvart, qui, bienlót, resla mat-tre du champ de bataille.

— Oü sont les chevaliers aux Serpents? oü est Ic chevilier a la Verte Epée? demauda-t-il en cher-chaiit des yeux les trois vaillanls compagnons quinbsp;avaient si puissammeut conti ibué k son succès.

Personne ne put lui répondre, et toutes les recherches furent vaines ; Amadis, Florestan et Pé-


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12 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

rion avaient profité du désordre et de la confusion qui réonaieut dans les deux arraées, pouv se relirernbsp;dans l’épaisseur du bois et regagner les bords de lanbsp;mer.

CHAPITRE X

Comment les trois chevaliers aux Serpents furent arrêtés en chemin par la tempête et rejetés sur les cótes de la Grande-Bretagne, oü ils tombèrent bientót dans une embüche.

Périon et ses deux fils regagnèrent tranquille-ment Ie navire qui les avait araenés sur les cótes de la Grande-Bretagne, et qui était resté cache soi-gneusement, durant tout Ie temps de leur séjoiirnbsp;h terre, dans une petite anse a ce favorable, lisnbsp;espéraient faire un trajet aussi heureux que lors-qu’ils étaient venus au secours du roi Lisvart;maisnbsp;un vent assez violent sétant élevé, ils ne furent

Elus maitres de la direction de leur navire, qui fut ienlót rejelé sur les cótes de la Grande-Bretagne,nbsp;h quinze lieues environ de l’endroit d’oii ils ve-naient de parlir.

Lors ils passèrent la nuit sur leurs ancres, k l’a-bri d’un cap, trés tourmentés par Ie roulis de leur navire. Le lendemain-matin, Ie même vent continuant avec plus d’èpreté encore, ils se décidèrentnbsp;k prendre terre, assurés qu'ils étaient d’etre asseznbsp;éloignés du roi Lisvart pour ne pas craindre d’etrenbsp;reconnus par les gens de la suite de ce prince.

Ils marchèrent quelque temps le long des rochers qui bordaient le rivage, et arrivèrerit enfin dansnbsp;une verdoyante prairie oü ils aperQurent une bellenbsp;personne dans tout le prinlemps de son kge, quinbsp;chassait au faucon, suiviede pages, d’écuyers el donbsp;demoiselles.

D’abord prise d’effroi è la vue des trois chevaliers inconnus pour elle, cette belle personne se rassura petit a petit, et finit même par s’enhardirnbsp;au point de s’approcher d’eux, qui la saluèrent avecnbsp;la plus exquise courtoisie. Elle les salua ü son tournbsp;et leur fit comprendre, par ses gestes animés,

au’elle était muette, ce qui ne rempèchait pas ’être heureuse de leur donner riiospitalilé dansnbsp;un chateau qu’elle leur montra du doigt.

Les trois princes étaient harasses de fatigue : ils acceptèrent l’offre de cette gente demoiselle et lanbsp;suivirent en la remefciant avec des signes éloquents. Une fois arrivés au chkteau, ils furent conduits par elle ü la chambre qu’elle leur deslinait,nbsp;et oü elle les alda de ses belles mains k se désar-mer, ce qu’ils lirent sans la moindre défiancc. Unnbsp;festin soraptueux fut préparé ; on se mit a table etnbsp;1’on manstea de trés bon appétit au son d'instru-ments délicieux maniés par de belles filles de lanbsp;suite de la demoiselle muette. Puis on alia se cou-cher, assez tard.

Quand les trois princes furent dans leur chambre, lts la visitèrent avec soin, de crainte d’embü-ches, en poussèrent les verrous, s’assurérent que leurs armes étaient toujours Ik, et, toutes ces pré-cautions prises, se couchèrent dans le grand lilnbsp;préparé la k leur intention, et s’endormirent dunbsp;sommeil des justes.

Quand ils se réveillèrent, ils furent tous les trois bien étonnés de ne pas voir clair.

— nbsp;nbsp;nbsp;Nous avons cependant dormi notre grassenbsp;nuit, et il doit faire jour k cette heure! s’écria lenbsp;roi Périon.

— nbsp;nbsp;nbsp;A moins que nous ne soyons devenus subi-tement aveugles tous les trois, répondit Amadis,nbsp;il y a quelque trahison sous roche.

— Vous avez raison, mon frère, nous sommes trabis 1 s’écria k son tour Florestan, qui avait faitnbsp;en tatonnant le tour de la chambre sans rencon-trer aucune issue. Nous sommes enfumés coramenbsp;des reuards dans leur terrier! En prison 1 En prison 1...

Au même instant, une ouverture pratiquée dans la voute de cette chambre s’ouvrit, et une voixnbsp;rauque cria :

— Ah 1 vous voilü pris, déloyaux chevaliers aux Serpents, qui avez secouru le méchant roi Lisvartnbsp;contre le magnanime roi Aravigne! Vous voilknbsp;pris, chevalier de la Verie Epée, qui avez faitnbsp;tantde massacres de nos amis 1... Ah 1 vouspaiereznbsp;de vos têtes maudites ces abominables forfaits 1...nbsp;Pourquoi le couard et déloyal Amadis n’est-il pasnbsp;avec vous! je serais si heureux de lui couper lenbsp;nez et les oreilles avantde lui arracher le cceurl..

La demoiselle qui, la v(?ille, avait si bien contre-fait la muette, parut alors devant le soupirail et dit k la voix qui venait d’annoncer leur sort auxnbsp;trois vaillants princes;

— Mon onclo, vous saurez bientót quels sont les trois chevaliers qui sont mainteuant en votrenbsp;puissance, car on vient d’arrêter un nain et deuxnbsp;écuyers qui demandent des nouvelles d(‘s chevaliers aux Serpents, et vous saurez les forcer, ennbsp;leur faisant subir la torture, a vous declarer lenbsp;nom de leurs maitres.

— Ahl dit Florestan, pour une jeune fille, voilk de bien vilains sentiments.

Arcalaüs, car c’était lui, se retira avec sa niéce pour aller interroger les prisonniers qu’on leurnbsp;amenait; mais réfiéchissant que le temps ne luinbsp;manquerait pas pour eet office, il préféra revenirnbsp;vers les trois princes, afin de les gaber sur leurnbsp;lamentable position.

— Mes amis, lui dit-il en ricanant, je pense que, depus le temps que vous avez mangé, votrenbsp;appétit doit être ouvert ? A quelle heure voulez-vous qu'on vous serve?

— Puisque vous nous offrez ce secours si nécessaire, répondit Périon, prenant la parole au nom de ses deux fils, nous vous prions de ne pas dilTé-rer... Mais, de grkce, commencez par nous mettrenbsp;k même d’apaiser la soif horrible qui nous tour-raentel...

— J’y cours, répondit Arcalaüs avec un gros rire ironique.

Quelques instants après, tombait par le soupirail un morceau de viande rance trempee de sel.

— Rafratchissez-vous, mes bons amis, dit Area-


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LE GHEVALIER DE LA VERTE EPEE.

laüs, et faites bonne chère en attendant que j’en-voie vostêtesau magnaiiime roi Aravignel...

GHAPITRE XI

Comment les trois chevaliers aux Serjicnts, prisonniers d’Ar-calaüs et de sa nièce Dinarde, furent secourus k temps et d’une manière efficace par Dariolette.

Araadis et Florestan, onbliarit leur propre situation en ces cruels moments, n’étaient touchés que de celle de Périon, qu ils vénéraient doublementnbsp;comnie roi et comme père, tandis que Périon, denbsp;son cölé, oubliait sa propre misère pour ne songernbsp;qu’Ji celle de ses deux eiifants.

En attendant qu’on les interrogeat, les deux écuyers et Ie nain qu’on avait arrêtés et emprison-nés dans un cachot situé au-dessous de celui desnbsp;trois princes, recevaient d’une demoiselle Ie painnbsp;et l’eau qui leur élaient destines. Cette demoisellenbsp;n’avait pu voir, sans en être émue de pitié, l’étatnbsp;cruel oü les trois chevaliers aux Serpents étaient ré-duits.

— Ne soyez point surpris de tout ce qui est arrivé a vos raaitres, dit-elle Ie lendemain au nainnbsp;et aux deux écuyers. La perfide demoiselle quinbsp;contrefaisait si bien la muelte est la fille d’Ardannbsp;Ganille, dont elle a juré de venger la mort sur tousnbsp;les chevaliers de la cour de Lisvart, dans l’espé-rance d’en trouver un qui soit de la parente d’A-madis... En les reconnaissant avant-hier dans Ianbsp;prairie pour los trois chevaliers aux Serpents quinbsp;se sont si vaillamment cVduits l’autre jour, elle lesnbsp;a amenés dans ce chéteau sous ombre d’hospita-lité... Après souper, elle les a conduits elle-mêmenbsp;^ la chambre qui leur avait été préparée... Leur litnbsp;reposait sur une partie de charpente coupée dansnbsp;Ie plancher; ils se sont couchés sans défiance, et,nbsp;pendant leur sommeil, Ie lit est descendu dans Ienbsp;cachot qui se trouve au-dessous. Le secret de cenbsp;jnanége. Je le connais, paree que, pour mon mal-heur, je suis céans depuis un assez long temps, en-levée que j’ai été par Arcalaüs dans une de sesnbsp;courses... Mais serons-nous assez forts, vous etnbsp;^ei, pour parvenir amp; remonter ce pesant écrou? Jenbsp;n ose l’espérer!

Nous essayerons, dit Gandalin, qui, nourri 9^ même lait qu’Araadis, était presque d’une forcenbsp;cg^e a la sienne.

. nbsp;nbsp;nbsp;essayerons, dit aussi son camarade,

qui n etait pas dépourvu de toute vigueur.

Nous essayerons, dit a son tour le nain d’un ir piteux, car il savait combien il était incapablenbsp;Q essayer.

Restez tranquilles jusqu’a ce que tout repose reprit la demoiselle. J'ai toutes lesnbsp;nartp « celle odieuse prison... Je vais descendre.nbsp;Ftnbsp;nbsp;nbsp;nbsp;^pclques provisions a vos rnaitres.

troiivprliRn^ nbsp;nbsp;nbsp;venue. Je reviendrai vous

un que vous m’aidiez a remonter leur lit

dans la chambre supérieure, d’oü l’on n’a point encore enlevé leurs armes....

La demoiselle dit et s’en alia.

Le soir, quand elle supposa que tous les habitants du chateau, horrais les prisonniers, donnaient leur somme, elle descendit vers les écuyers.

Périon et Florestan, qui avaient rriangé de bon appétit les provisions que leur avail jetées Ia demoiselle, avaient tini par s’cndormir, pleins d’espé-rance. Amadis seul, qui soiigeait a Oriane et a sonnbsp;enfant, Amadis seul ne dorraait pas...

Quelle fut done sa surprise en s’apercevant que le lit sur lequel il était, ainsi que Périon et Florestan, s’élevait lentement de terre et semblait ren-trer dans le plafond de leur cachot 1... Bientót il senbsp;trouva a la hauteur du plancher de la chambre supérieure. Lors, un rayon de lune, penetrant dansnbsp;cette chambre, fit comprendre aux trois prisonniers qu’ils venaient d’etre réintégrés dans l’en-droit oü ils s’étaient endormis l’avant-veille.

— Nous sommes sauvésl s’écria Florestan en reconnaissant ses armes et celles de ses compagnons ü la place méme oü ils les avaient mises.

lis étaient sauvés, en effet, ou ü peu prés sauvés, puisqu’ils avaient reconquis leurs armes. Pournbsp;cornble de bonheur, la porte de cette chambrenbsp;était ouverte : ils s’élanccrent au dehors en pous-sjfi^tous trois le cri redoutsble et redouté :

— Gaule ! Gaulol Gaulel s’écria Périon.

— Gaule! Gaule! Gaule'. répéta Amadis.

— Gaule! Gaulel repéta a son tour Florestan.

Le chateau fut bientót en éveil. Les hommes d’armes accoururent, mais pour être renversés parnbsp;les trois valeureux chevaliers qui, surtout dans cenbsp;moment-lè, n’y allaient pas de main morte.

— Par ici! par icil s’écria la demoiselle, indi-quant ü Amadis et a Gandalin, qui était délivré aussi, le chemin de la chambre d’Arcalaüs.

Hélas! le couard enchanteur, au bruit terrible que faisaient les chevaliers aux Serpents et leursnbsp;buyers, venait de se réveiller et de se sauver parnbsp;un passage connu de lui seul.

Dinarde elle-mêrae, sa nièce Dinarde, réveillée comme lui, s’était comme lui sauvée, et toutes lesnbsp;recherches pour les retrouver l’un et l’autre furentnbsp;vaines.

Les trois princes montèrent alors ü cheval et s’éloignèrent de ce lieu maudit, suivis de leursnbsp;écuyers, de leur nain et de leur libératrice.

Gette dernière avait entendu crier Gaule! et ce cri lui était connu si les chevaliers qui le poussaientnbsp;lui élaient encore inconnus. Elle eüt bien souhaiténbsp;de voir leurs visages au grand jour; mais ils avaientnbsp;pris leurs heaumes au moment oü le jour commen-qait k poindre, et, de cette faQon, il lui avait éténbsp;impossible de s’assurer d’une chose qu’elle soup-Oounait en trerablant de joie.

— Sire écuyer, demanda-t-elle ü Gandalin avec l’acceut de la prière, dites-moi, je vous en conjure,nbsp;si l’un de ces trois vaillants chevaliers n’est pasnbsp;1'illustrc Amadis?...

On devait trop de reconnaissance a cette bonne demoiselle pour songer è se cachfir d’elle.

— Le chevalier au heaume d’or et ü la verte épée, répondit Gandalin, a nom Araadis de Gaule...nbsp;Gelui qui porte un heaume d’argent est le roi Périonnbsp;lui-mêaie...


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BmLIOTHEQUE BLEUE

g temps

X-1 Tarrivée du roi Périon, l'd’Arnadis, de Florestan etnbsp;do Dariolette fut uiie joienbsp;peur la reine Elisène et sanbsp;cour, l’arrivée de Galaornbsp;et de Norandel ne fut pasnbsp;raoins bieii accueilbe.

— Vous cherchiez les

A cette révólation, la demoiselle poussa un crij et, allant se jeter aux pieds d’Ainadis, qui s’arrêtanbsp;étonné, elle lui dit avec des larmes de joie dansnbsp;les yeux ;

— nbsp;nbsp;nbsp;Ahl seigneur Araadis, je vous revois enfin 1...nbsp;Ët c’est moi qui ai eu !e suprème bonheur de vousnbsp;sauver!... Le ciel me devait bien ce dédommage-raent pour m’enlever le remords de vous avoir exposé, enfant, sur les eaux de la merl... Me par-clonnerez-vous, seigneur Amadis!... Ale pardon-nerez-vous aussi, seigneur Périon 1...

Pèrian, reconnaissant alorsdaiis cettedemoiselle la bonne Dariolette, la prolectrice de ses amoursnbsp;avec Elisène, descendit incontinent de clieval etnbsp;s’en alia sans, plus de fapou 1’embrasser cordiale-rnent, après s’êlre débarrassé de sou beaume.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ma bonne Dariolette, répondit Amadis, monnbsp;noble père vient de vous répondre pour moi ennbsp;vous embrassant comme je vais le faire a mon tour.nbsp;Nous n’avons rien è vous pardonncr; nöus avons,nbsp;au contraire, a vous remercier de nous avoir sauvénbsp;la vie a tous les trois, et nous vous remercions denbsp;grand coeur 1...

Cela dit, Amadis enleva è son tour sou beaume et accola tendrement la bonne Dariolette qui ne senbsp;sentait plus de joie d’être ainsi fêtee.

Puis L,n se remit en route, et quelqnes jours après toute cette compagnie abordait en Gaule ennbsp;möme temps et dans le inème beu que Galaor elnbsp;son jeune ami Norandel, chargés par Lisvart d al-Ier a la quêle des chevaliers aux Serpents.

Comment Galaor et Norandel se trouvèrent a la cour du rol Périon et oblinrcnt de lui lesnbsp;aimur'és dos chevaliers aux Serperits qu’ilsnbsp;Vf. rapporlèrent au roi Lisvart.

chevaliers aux Serpents? dit Périoii k sou fils ct k celui de Lisvari. Sinbsp;vous ne les trouvez pas céans, jenbsp;crois que vous ne les trouverez nullenbsp;part ailleurs!...

“ Comme Galaor, étonné, ouvrait la bouche pour répondre, le roi denbsp;G mie lui moutra de la main les troisnbsp;armuresen quête desquelles il était.

Galaor ct Norandel, voyant ces arraures bossuées de coups, et re-connaissaut les serpents d’or ciselésnbsp;sur le fond d’argeiit des écus, senbsp;précipitèrent aux geiioux du roi etnbsp;lui buisèrent les mams :

— Abi Sire, s’écria Galaor, j’au-rais dü devluer, en effet, que vous trois, seuls, Amadis, Florestan etnbsp;vous, pouviez porter ces armures invinciblesl Ah!nbsp;notre quête est tenninée, et j’en suis doubtemenlnbsp;aise, puisqu’elle aboulit ici!...

Norandel, k sou tour, s’écria ;

— Octroyez-moi ces trois reiloulables armures, Sire! laissez-raoi les porter au roi Lisvart, monnbsp;noble père, afin qu’il n’ignore pas plus longnbsp;quelle est la reconnaissance qu’il vous doif!...

Périon, aussi modeste que vaillant, se laissa longteinps presser pour octroycr ces armes. Maisnbsp;enfin, il se rendit.

Quelques jours après, Amadis, satisfait de voir sa mere et sou père enlourés de personnes qui leurnbsp;étaient chèrcs, saisit ce temps pour prendre congénbsp;d’eux et aller a la recherche d’aventures dignes denbsp;sou courage. Florestan eüt vivemeiit souhaité denbsp;le suivre : Amadis s’y opposa, ne voulaiit pas laisser partager a son frère les perils et la gloire qu'ilnbsp;all lit chereber; puis il s’embarqua, n'ayant avecnbsp;lui que le nain Ardan et sou fidéle Gandalin.

Le lendemain de son départ eut lieu celui de Galaor et de Norandel, qui retournorent vers le roinbsp;L'svart, avec les armures invincibles des trois che-va'iers aux Serpents. Ou s’étnnna, a bou droit, knbsp;la cour de ce prince,de leur subil retour.On croyaitnbsp;qu its avaient reiioncé k leur quête.; les armuresnbsp;répondirent pour eux.

— Je rcconnais bien ces armes qui out déeidé du succès de la bataille! s’écria Lisvart; mais,nbsp;ajouta-t-il, j'ignore les noms des chevalcureuxnbsp;hommes qui les portaient...

— Ah 1 Sire, ue put s’empêcber de répondre Galaor, si votre coeur n’était pas si ferme pour mes proclies, vous devinerie?: saus peine les noms desnbsp;vaillants chevnliefs aux Serpents 1... 11 faut done,nbsp;sire, que ce soit moi qui vous apprenne que cenbsp;beaume d'argent était celui du roi Périon; que cenbsp;beaume vert était celui de l'loreslan, ct qu’eufiu,nbsp;c’est sous ce heatlme d’or qu’Amadis, mon illustrenbsp;frère, s’exposait aux plus grands périls pour votrenbsp;service et pour votre gloire 1...

Lisvart^eut presque autant de peine quo la tendre Orlane a caoher 1’émotion qui 1’agita dansnbsp;ce moment. Mais il en ciit trop coülé k sou anciennbsp;ressentiment pour s'ótcndre sur la louange d’Amadis, il préféra en doimer de plus complèies au roinbsp;Périon. II dit a Norandel qu’il regreltait beaucoupnbsp;de ne connaitre ce prince que par sa valour et denbsp;ne l'avoir jamais vu qu’armé.

— Ab! Sire, répondit Norandel avec enthousiasme, k tonles les grandes qualités que vous lui connaissez, Périon joint la figure la plus belle etnbsp;la plus raajestueuse... Ge vaillant prince possèdenbsp;de vastos Flats, cl commande k la nation la plusnbsp;brpe et la plus indépendante... Quant k la reinenbsp;Elisène, elle joint k la beauté les graces et les ver-tus les plus touclumles; et ce qui met le comblenbsp;au boiiheur de ceUe reine et de ce roi, c’est qu’ilsnbsp;ont dans leurs fils des héros dignes d’eux !...

Lisvart ne répondit rien; muis Oriane vint em-brasser son frère, et, quoiqu’elle 1'a inat tendre-menl, ce iie fut peul-ètre eu eet instant qu'k celui qai louait Amadis qu’elle doniiait cette marque denbsp;tendresse.


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LE CHEVALIER DE LA VERTE EPEE. 15

LE CHEVALIER DE LA VERTE EPEE. 15

CHAPITRE XIII

. Comment Amadis, en quêle d’avenlures, ar-, riva en Bohème, oü il se fit connaitre et / admirer sous Ie nom de chevalier de la Verte-Epée

f

^ nbsp;nbsp;nbsp;n sortant de la Gaule, Amadis

laissa son navire courir a Taven-¦ture, abordant tantêt ici, lanlót J lö, et parcourut différentes cou-* trees , loujours revêlu d’arinesnbsp;simples, saus devise sur sou écu,nbsp;mais aussi toujours 'avec sa mer-veilleuse et flamboyante épée quinbsp;v , 1 / jetait des lueurs si verles.

C’est ainsi qu’il arriva jusque dans la Bohème, oü il fut reneoniré sur Ie bordnbsp;d’un fleuve par Ie roi Taffinor, souverainnbsp;de ce pays. Ge prince, alors sans suite et sansnbsp;armes, hésita d’abord a l’aspect de ce chevaliernbsp;inconuu, dont l’allure lui paraissait si ferme et sinbsp;bardie; mais bientöt, reconiiaissanten lui Ie chevalier de la Verte-Epée, dont la réputation élaitnbsp;venue Jusqu’ü lui, escortèe d’acclamalions enthou-siastes, il alia vers lui fort courtoisement: -— Chevalier de la Verte Epée, lui dit-il, Ie bruitnbsp;de vos glorieux exploits est venu jusqu’ü mor, et,nbsp;sans que je vous eonnaisse sous un autrê nom, jenbsp;serais heureux de pouvoir vous reienir dans mesnbsp;Etals durant quelque temps...

— Je suis peu do chose, Sire, répondit Amadis avec modestie; mais tel que je suis et tel que jenbsp;vaux,je me mets volontiers ti votre service..,

Cela dit, il suivit Ie roi de Bohème dans son palas, oü ce prince lui fit rendre les honneursnbsp;qu'il méritait, et oü il Ie présenta h son Ills Gra-san lor, pour loquel Ie chevalier de la Verte Epée senbsp;seniit pris cl’une vive affection. Grasandor s’élaitnbsp;déjir rendu recommandablc par de belles actions;nbsp;son humeur égale, sa courtoisie, sa générosité luinbsp;gagnaienl facilement les coeurs. Au bout de quel-ques jours de relations amicales, Ie chevalier denbsp;ja Veite Epée apprit de lui certaines choses relatives au chevalier Le Patin. Le Patin, blessénbsp;hans un combat, avail élé Ibrcé de renoncer pournbsp;fluelque temps a ses pretentions outrecu danlesnbsp;sur la princesse Oriane; il s’était fait transporternbsp;Home pour se réiablir, et, pendant ce temps,nbsp;empereur son frère élant mort, il lui avail suc-®de, au grand regret de beaucoup de gens,

I nbsp;nbsp;nbsp;Grasandor, é peine sur le tróne,

e l atin a commis le plus d’injuslices possible...

^n're aulres choses, que mon père le 1 de Boheme lui payal un tr.but annuel, pré-ntion exorbitante, mon père n’ayant jamais,nbsp;il .|®hiais, relevé de I’empire... Ce|)emlantnbsp;Pg V'^niteslé trés obstiriément ses pretentionsnbsp;miPiü'!. ’nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;nous atleadons cliaque jour a

^ F nbsp;nbsp;nbsp;violence de sa part...

nu’u*n^ch*p^’ul^ tendemain , o» annooQa ü taffinor quun chevalier ayant nom Garadan, proche parent de l’empercur, venait d’arriver, suivi de douzenbsp;autres chevaliers, et demandait a être introduitnbsp;prés de lui. Tafiinor, qui connaissait de longuenbsp;main 1’arrogance de eet envoyé, refusa d’abord denbsp;le recevoir : le chevalier de la Verte Epée le dé-cida a l’écouter.

Lors Garadan, introduit, s’en vint fiérement de-vant Taffinor, sans plier legenou, et lui dit;

— nbsp;nbsp;nbsp;Ro’telet de Bohème, remjvereur mon mattrenbsp;dispose d’armées sulfisantes pour réduire en pous-sière des Etats comme Ie tien... Mais, comme ilnbsp;ne veut pas exposer pour si peu le précieux sangnbsp;de ses loyaux et fidèles sujels, il a décidé que lanbsp;question se viderait entre douze chevaliers ro-mains et douze de tes chevaliers, a toi, si toute-fois tu peux en rassembler douze assez téméraii esnbsp;pour oser combattre contre l’etnpereur I

— Voilü bien des paroles pour bion peu de chose, répondit dédaigneusement le chevalier denbsp;la Verte Epée. Le Patin détie, le roi de Bohèmenbsp;accepte. Pour ma part, je suis pret : Pétes-vous,nbsp;vous qui parlez si haut et avec si peu de courtoisie?...

Garadau regarda d’un air étonné celui qui lui parlait ainsi. Il étaitsi tier de ses forces, qu’il avaitnbsp;souvent éprouvées, qu’il ne comprenait pas qu’onnbsp;osét se mesurer avec lui.

— Prenez garde, chevalier! répondit-il. Vous jouez gros jeu en jouant contre moi, je vous ennbsp;avertis I...

— nbsp;nbsp;nbsp;Oü serait done la gloire si Ton n’avait affairenbsp;qu’ade peiits adversaires'. répliqua en souriantlenbsp;chevalier de la Verte Epée.

— nbsp;nbsp;nbsp;Alors, reprit Garandan, je demande le combat immédiat!...

— nbsp;nbsp;nbsp;C’est accordé, si toutefois le roi de Bohèmenbsp;y consent!..,

— nbsp;nbsp;nbsp;J’y consens de tout mon ccBur, vaillant compagnon, répondit Taffinor, fier de posséder en sanbsp;cour le chevalier de la Verte-Epée.

Les douze chevaliers remains venus en ambassade avec Garadan, et parmi lesquels. se trouvait Arquisil, aussi parent de Terapereur, voulurentnbsp;protester contre ce combat.

— nbsp;nbsp;nbsp;Seigneur Garadan, dit Arquisil, vous outre-passez les ordres de l’empercur notre maitre, ennbsp;voulant remettre le sort de ce combat au hasardnbsp;de votre brasl... Quelque valeureux qu’il soit, ilnbsp;ne doit pas assumer sur lui toutes les consequences de cette affaire... L’empereur a formellementnbsp;déclaré que ce serait une lulte de douze contrenbsp;douze, el non un combat d’un contre un, ce quinbsp;n’est pas préeisémeut la mème chose...

— nbsp;nbsp;nbsp;Qu’ü cela ne tienne, s’i'cria le chevalier (Je lanbsp;Verte Epée. Laissez-raoi d’abord vider ma que-relle avec 1’impétueux Garadan; vous prendreznbsp;après le parli qui vous conviendrai...

— nbsp;nbsp;nbsp;Nous y consentons, reprit Arquisil, mais tou-jours sous la condition que ce combat ne sera pointnbsp;décisif et que si, par impossible, Garadan suc-combe, les onze autres seront les maitres de sou-teiiir la mème querellel...

— nbsp;nbsp;nbsp;Accordé 1 répondit le chevalier de la Vertenbsp;Epée.


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16

BIBLIOTHEQUE BLEUE.

Le lendemaiti, Amadis et Garadan étaient en présence. A la deuxième passe, l’ambassadeur denbsp;Le Patin avait mordu la pnussière. Lors Arquisilnbsp;demanda incontinent que les conditions du combat fussent remplies. Les chevaliers bohémiensnbsp;étaient prêts, ayant a leur tête Grasandor, le va-leureux fils de Tafiinor : ils s’élancèrent dans lanbsp;lice a la rencontre des chevaliers remains.

Ges derniers auraient pu vaincre, aniraés qu’ils étaient par la défaite de Garadan. Mais ils avaientnbsp;contre eux, non-seulement des hommes qui lesnbsp;valaient hien, mais encore le chevalier de la Vertenbsp;Epée, qui, è lui seul, en valait quatre. Sa redouta-ble épée fit rage. Malgré les efforts héroïques dunbsp;jeune Arquisil, les représentanls de l’empereurnbsp;furent mis hors de corahat; lui-raême allait êtrenbsp;tué par le chevalier de la Verte Epée, après lequel,nbsp;du reste, il s’était acharné, lorsque celui-ci, sonbsp;ravisant, so contenta.de le désarmer et de lui criLirnbsp;merci.

— Chevalier de la Verte Epée, dit Arquisil, je suis vaincu et je ne rougis pas de l’avoir été parnbsp;une aussi vaillante main que la vótre! Mais, per-mettez-moi de faire relever les corps de mes compagnons morts et de porter secours a ceux quinbsp;peuvent vivre encore... Les coeurs comme le vótrenbsp;sont accessihles a la générosilé : ma voix no senbsp;perdra pas dans le désert, j’en suis sur...

— nbsp;nbsp;nbsp;Vous avez raison do croire en moi, paree quenbsp;moi aussi je crois en vous, répondit le chevalier denbsp;la Verte Epée. J’ai vótre parole, cela me suffit :nbsp;faites en paix vótre oeuvre d’humanité... Quandnbsp;vous aurez fini, vous pourrez retourner lihrementnbsp;ü Rome... Promettez-moi seulement de revenir ici,nbsp;OU ailleurs, lorsque vous en serez requis au nomnbsp;du chevalier de la Verte Epée, qui est le miennbsp;comme vous savez.

Arquisil promit et partit.

Peu de temps après, le chevalier de la Verte Epée, voyant que Taffinor et son fits étaient è l’ahrinbsp;d’attaques du genre de celle qu’il avait été appelénbsp;a réprimer, songea è se rapprocher d Oriane dontnbsp;il n’avait pas regu de nouvelles. Ses adieux avec lenbsp;roi de Bohème furent touchants : il quittait desnbsp;coeurs faits pour comprendre le sien. Aussi Taffinornbsp;et Grasandor firent-ils, jusqu’au dernier moment,nbsp;tous leurs efforts pour le retenir auprès d’eux, maisnbsp;sans pouvoir y réussir.

— nbsp;nbsp;nbsp;Je vois bien, seigneur, lui dit Taffinor, quenbsp;des intéréts bien chers vous appellent ailleurs : jenbsp;céde ècette impérieuse loi de la nécessité, je con-sens i regret èi me séparer de vous... Puisse la fortune la plus heureu.se remplir vofre espoir ! Vousnbsp;êtes né pour le bonheurl... Mais, seigneur, avantnbsp;de nous quitter, ne voudrez-vous point nous ap-prendre le nom de celui è qui nous devons tant?...nbsp;Vons me l’avez célé jusqu’ici et j’ai respecté votrenbsp;incognito... Gependant, je vous en conjure, ache-vez de m’attacher a jamais Si vous, donnez-moinbsp;cette marqué suprème de confiance de m’avouernbsp;qui vous êtes... Sur mon honneur, votre secret seranbsp;bien gardé 1...

Je vous crois et je me rends, répondit 1'a-raant d Oriane. Apprenez done que je suis Amadis, nis au roiPéi'ion de Gaule, etle plus malheureuxnbsp;chevalier qui fut j amais 1...

— Ah l s’écria Taffinor, je m’en étais déja douté! mais je me refusais a croire qu’un si cheraleureuxnbsp;prince put être si longtemps absent de la cour dunbsp;roi son père, et de celle du roi Lisvart...

Amadis lui raconta alors la plus grande partie de ses démêlés avec le roi de la Graiide-Bretagne,nbsp;et la perspective oü il se trouvait d’une guerrenbsp;prochaine avec lui pour la defense de I’lle Ferme.

— Acceptez done mon secours, dit Taffinor; je vous le dois et je vous 1’offre de grand coeur... Jenbsp;vous promets de vous envoyer félite de mes troupes, commandées par mon fils Grasandor, dés quenbsp;vous me le demanderez, soit au nom du chevaliernbsp;de la Verte Epée, soit au nom que vous avez rendunbsp;si glorieux et si redoutable!...

Amadis embrassa Grasandor, qui venait de sur-venir.

— Mon cher prince, lui dit-il, nous nous disons adieu, mais cela vent d're au revoir... Car j’cspèrenbsp;bien que la malefortune cessera de me persécuternbsp;comme elle le fait, et que nous nous reverrons ennbsp;des-heiires plus prospères... Notre amitié ne seranbsp;pas ébréchée par I’absencc, j’en suis sür... Je nenbsp;dois pas vous avoir trouvé pour vousperdre, je nenbsp;veux pas vous avoir rencontré pour ne plus jamaisnbsp;vous revoir... Notre séparation sera de courle du-rée... En attendant 1’heure de la réunion, penseznbsp;a qui vous aime, è ce pauvre chevalier de la Vertenbsp;Epée qui n’a pas encore, parait-il, le droit pré-cieux de se reposer dans le bonheurl... Aimez-moi, aimons-nous, mon cher prince... Les souvenirs qu’on arrose de larmes de regret sont toujoursnbsp;verts et parfumés!...

Taffinor et son fils embrassèrent de nouveau Amadis et, les larmes aux yeux, le reconduisirentnbsp;jusqu’a 1’esquif qui devait Ie conduire a vingt lieuesnbsp;de la, en pleine mer.

— Adieu 1 cria-t-il au moment de disparaitre, en agitant les bras vers eux.

—¦ Adieu 1 répondirent-ils en répondant è ses gestes par d’autres, non moins éloquents.

GHAPITRE XIV

Comment le roi Lisvart, en chassant le eert' dans la t'orêt de Windsor rencontra deux enfants, deux chiens et unenbsp;lionne, et voulut savoir d’un ermite pourquoi il les availnbsp;rencontrés.

Pendant que le malheureux chevalier de la Verte Epée erraitde royaumes enroyaumes, éloignénbsp;de toute joie comme de tont espoir, le roi Lisvart,nbsp;cause première de sa misère, vivait tranquille dansnbsp;ses Ëtats, sans plussonger au vaillant coeur qui luinbsp;ét lit venu en aide. Sa cour était redevenue lloris-saute, et, chaque jour, de nouvelles fètes et denbsp;nouveaux plaisirs, des joutes et des parties denbsp;chasse, y attiraient un grand nombre de chevaliersnbsp;étrangers.


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LE CHEVALIER DE LA VERTE EPEE. 17

Ou était au mois de septerabro-. Lisvart était depuis quelque temps dans la forêt de Windsor,nbsp;oü il avail un chateau charmant, et oü il venait denbsp;passer la belle saison. II chassait. Un jour, un cerfnbsp;de (aille mcrveilleuse franchit des toiles dresséesnbsp;a son intention, et s’échappa, suivi de quelquesnbsp;chiens. Le roi, vivement animé k la poursuite denbsp;eet animal, se trouva bientöt seul è l’extrémité denbsp;la forêt.

Son ardeur ii’avait pas été vaine; le cerf, trés malmené, était presque aux abois, lorsque Lisvartnbsp;apergut devant lui deux beaux enfants de six anbsp;sept ans, dont l’un tenait en laisse une grandenbsp;lionnc. Get enfant, voyant passer prés de lui lenbsp;cerf trés échauffé, lacha sa lionne en l’excitant denbsp;la voix, ce qui n’était guère nécessaire, car en deuxnbsp;bonds la fauve béte avail alteint le pauvre bra-meur et lui chantait un hallali dans les eritrailles,nbsp;a coups de griffes. Les deux enfants accoururent,nbsp;l’un fit la curée, l’autre sorina du cor, el deuxnbsp;petils chiens accouiurent pour prendre leur partnbsp;du festin. La curée finie, ils remirent la lionne ennbsp;laisse, couplèrent les deux chiens, et reprirent lenbsp;chemin par lequel ils étaient venus.

Lisvart, que ce speclaclc avail fortement ébahi, et qui s’élait dérobé pendant un instant derrièrenbsp;un bouquet d’arbres, sorlit alors de sa cachette etnbsp;appela celui des deux enfants qui tenait la lionne,nbsp;lequel vint vers lui d’un air assure.

— nbsp;nbsp;nbsp;Mon jeune ami, lui demanda-t-il, nepour-riez m’apprendre qui vous êtes?

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire chevalier, répoudit l’enfant, j’ai éténbsp;nourri et élevé jusqu’ici par un saint homme quinbsp;anomNascian,etjene connais que lui pour père...

Le roicontinua amp; être ébahi, nonplus de ce qu’il voyait cello Ibis, mais de cc qu’il entendait. Lanbsp;reputation du vieux Naseian était connue, c’étaitnbsp;un saint homme et un vieil homme incapablenbsp;d’avoir personnellement un enfantelet de l’ége denbsp;pelui qui parlait a Lisvart dans ce moment-la. Dé-sireux d’être mieux instruit, il se fit conduire ènbsp;1’ermilage, oü il trouva Naseian en prières.

— nbsp;nbsp;nbsp;Mon père, lui dit-il, j’ai quitté ma chassenbsp;pour suivre ce bel enfantelet qui conduisait sinbsp;naerveilleusement cette lionne en laisse... Sa phy-sioiiomie, son allure, m’a frappé... Tous les enfantsnbsp;|*’ont pas ce regard, celte martialité précoce...nbsp;Lvidernment, ce jeune arbuste vientd’uue illuslrenbsp;souche... G’est un surgeon d’arbre géant...

Pendant que Lisvart parlait, Naseian, qui le re-Burdait altentivement, le reconnut pour son roi.

¦—¦Pardon, Sire, de ne pas vousavoir tout d’abord econnu, lui dit-il en se jetant è ses genoux.

,^®’^,père, répoudit Lisvart en le relevant vee bonté, puisque vous me connaissez, j’espérenbsp;que yous ne refusercz pas de débrouillcr i)our nioinbsp;es tenebres (^ui enveloppent la naissaucc de eetnbsp;entantelet... Vous supposez bien que ma curiosilé

tqu’elle ne peut être que favorable a votre petit protégé...

‘‘epartil le bonhomme, que due je le nourris, je l’aime et lenbsp;M-iis ^uinme il s’élait sorti de rnes entrailles...

envové nbsp;nbsp;nbsp;^ c est un enfant que m’a

y Providence. La lionne que vous venez

de voir l’avait trouvé et l’emportait toute joycuse dims sa gueule, sans doute pour réjouir ses lion-

ceaux..... Les bêtes ne sont pas si féroces que le

croient et que le disent les hommes. Elles aimeut qui les aime et tuent qui les veut tuer. La lionnenbsp;et moi nous vivions en bons voisins. Je lui deman-dai l’enfant, elle me le rendit; je voulus qu’il lanbsp;tétat comme faisaient ses lionceaux, elle s’y prêtanbsp;avec une bonté toute maternelle qui m’arracha lesnbsp;larmes desyeux, et c’est ainsi qu’il fut sauvél... Jenbsp;n’ai plus rien k vous dire sur son compte mainte-nant, Sire, sinon que, dés le premier jour, en lenbsp;prenant dans mes bras pour l’examiner de plusnbsp;prés, j’apergus sur sa poitrine divers caractéresnbsp;blancs et rouges quo je déchiffrai péniblement...nbsp;Quelques-uns de ces signes combinaient le mot

Esplandian, ce fut le nom quo je lui doniiai.....

Voilé, Sire, tout ce queje sais sur eet enfant... Sou camarade, plus agé que lui d’une année, est le filsnbsp;de ma soeur et du chevalier Sergil...

— Mon père, dit le roi de plus en plus émerveillé, cette aventure n’intéresse singulièrement... Nousnbsp;ne pouvon's douter que eet enfant ne soit protégénbsp;parleciel,puisqu’il a été si miraculeusement sauvénbsp;d’un péril de mortod tout autre eüt infailliblemeiitnbsp;succombél... Je veux continuer voire oeuvre, vé-

ncrable erinite.....Par ainsi, je vous prie de vous

trouver demain matin a la foutaine des Sept-Hêtres avec eet enfant et son compagnon, le petit Sergil, qui m’est cher aussi, puisqu’il est votrenbsp;neveu et le fils d'un brave chevalier qui m’a servinbsp;avec loyauté...

—Je serai Ié, Sire, avec mes jeunes compagnons, répondit Naseian.

11 était heure de midi. Lisvart prit congé du bonhomme et retourna au chateau, oü l’on com-meiiQait a prendre inquiétude de son absence tro[)nbsp;prolongée.

CHAPITRE XV

CommciU, il sou relour, le roi Lisvart trouva chez lui unc Icttrc d’Urgande qui concordait avec la préeédcnte rencontre, et comment il se rendit le lendemain a la foutainenbsp;des Sepl'llêtres.

rencontre du roi. Ils se joi-gnirent a l’entrce de la forêt.

— Sire, dit le vieux chevalier, madame la reine com-mengait é être inquiète de volre longue absence... Nous avonsnbsp;supposé que vous vous étieznbsp;obsliné é courre le cerf quinbsp;avait franchi les toiles, et quenbsp;^vous étiez parvenu a raltem-. dre... Quoi qu’il en soit, ma-i^dame la reine a pris inquietude et m’a envo}é é votrenbsp;3® Série. — 2


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18 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

quête; d’autant plus qu’elle a è vous remettre une lettre qui vient de lui être apportée par une demoiselle richeraent vêtue, montée sur un fort aubinnbsp;et conduite par un nain...

Lisvart pressa Ie pas et, suivi de Grumedan, il arriva bientót au chateau de plaisance oü l'attendaitnbsp;la reine. Lamp;, aprcs avoir tendreraent accolé Brisènenbsp;et Oriane, accourues a la nouvelle de son arrivée,nbsp;il demanda la lettre annoncée. On lui remit unnbsp;parcbemin ferme par une belle éraeraude montéenbsp;en or, sur laquelle étaient graves ces mots : « Scelnbsp;d’Urgande-la-Déconnue. »

II ouvrit ce parcbemin avecempressementet lut ce qui suit ;

« Trés haut et trés puissant prince,

« Urgande-la-Déconnue, qui vous aime, vous avertit que Ie jouvenceau allaité dc trois différen-tes nourrices doit vous être bien cber.11 est appelé,nbsp;non-seulement é vous sauver de la plus périlleusenbsp;aventure, mais encore é assurer votre gloire etnbsp;votre repos, c’est-é-dire votre paix avec Ie vaillantnbsp;Amadis de Gaule. Ge jouvenceau est de lignéenbsp;royale par son père et par sa more; il surpasseranbsp;en vaillance et en grandeur les chevaliers les plusnbsp;renommés de son temps. Il tiendra des trois nourrices dont il a pris Ie lait; il aura la force, Ienbsp;courage et la góncrosité de la lionne, les moeursnbsp;douces et bieni'aisantes de la brebis, la grace, Gesprit, la séduction, la vertu de la troisième nourriconbsp;qui lui donna son sein.

« J’ai dit. Vous connaissez trop, Sire, Ie savoir de celle qui vous est tendreraent atlachée, pournbsp;hesiter a la croire.

« UnGANDE-LA-DÉCONNUE. »

Lisvart avait, en effet,pleine confiance en la fee Urgande; il ne douta point qu’elle n’eüt voulu luinbsp;parler de l’enfant é la lionne qu’il venait de ren-conlrer dans la forêt de Windsor. II étonna beau-coup la reine en lui disant :

— Je suis sür maintenant, madame, que j’ai vu il y a une heure l’enfant que m’annonce Urgandenbsp;dans sa lettre, et que demain vous aurez la memenbsp;conviction et Ie meme plaisir que moi lorsque vousnbsp;verrez cette charmante creature.

II raconta alors la rencontre qu’il avait faitc du petit Esplandian, et tout ce qu’il en avait apprisnbsp;de la bouche do bonhomrae Nasciaii.

Galaor et Oriane étaient présents a ce récit.

— Pour ma part, Sire, dit Ie premier, quoiqu’il me soit difiicile de rien comprendre é cette aventure, j'ai une telle confiance en madame Urgande-la-Déconnue, et je suis si bien assuré qu’clle nenbsp;peut se tromper, que déja eet enfant m’est eber,nbsp;paree que j’en espère la réunion de la Gaule et donbsp;la Grande-llretague, d’Amadis et du roi Lisvart.

Quant è Oriane, son trouble, son émotioii, en entendant ce récit, ne sauraient se décrirc. Depuisnbsp;Pf'u de temps, précisément, elle avait appris donbsp;Mabiio, qui tenait eet aveu de la soeur de Durin,nbsp;quel avait éui lu sort de son enfant. Elle avaitnbsp;plcurc bien des lai mes amères, elle avait cii a sou-temr cqntre elle-miuno, c’est-a-dire contre sounbsp;desespoir, des luttes bien api-es, d’autant plus aprcsnbsp;qu’elles avaient étó contenues et célées (i tout Ienbsp;monde. Maintenant, comme les naufragés qui senbsp;raccrochent avec énergie é la plus faible planche,nbsp;au plus petit brin d’herbe, elle se raccrocha avecnbsp;passion k cette espérance qui lui était jetée lii aunbsp;moment même oü son courage allait sombrer. Getnbsp;enfant qui s’annoijgait si merveilleusement, c’étaitnbsp;Ie sien, elle n’en doutait plusl...

Le lendemain, au lever de l’aurore, tout Ie monde était en route pour la forêt, et bientót on arrivait énbsp;la footaine des Sept-Hêtres, oü étaient déji tendusnbsp;de riches pavilions. La reine fitrelever les courtinesnbsp;du sien; et la tendre Oriane, il demi soutenue parnbsp;sa fidéle labile, et contraignant k grand’peine lesnbsp;mouvements impétueux de crainte et d’espérancenbsp;qui se partageaient son ame, avait sans cesse losnbsp;yeux fixés sur la route de la forêt qui conduisait énbsp;1’ermitage.

Enfin Nascian parut, suivi de deux vavasseurs de sa familie et des deux petits enfants. Esplandian, beau comme I’amoiir, porlait sur sou dos unnbsp;lièvre de bonne taille et, dans ses mains, deuxnbsp;perdrix tuées par lui ii coups de flèches. Sergil,nbsp;lui, menait la lionne en laisse. Quant aux vavasseurs, ils portaient sur un lit de branchages lenbsp;grand cerf de la veillc; et les deux petits ebiensnbsp;couples le suivaient, tout en folatrant de gueulcnbsp;et de pattes autourde la lionne, qui laissait faire.

Le roi alia au devantdu vieil ermitc, l’cmbrassa cordialement et, prenant le jeune Esplandian parnbsp;la main, il le vint présenter a la reine.

— Volei, madame, dit-il, le plus beau jouven-ccau que nous ayons jamais vu paraitre en notre cour.

— Sire, dit Esplandian avec une grace et une noblesse au-dessus de son age, daignez acceptornbsp;lachasse queje viensdc faire k votre intention...

— Non, cher mignon, répondit le roi, il faut que vous lassiez vous-même le partage... J’accep-terai quclque chose, mais je ne peux accepternbsp;tout...

Esplandian troublé de voir tons les regards fixés sur lui, surtout ceux d’Orianc qui le dévo-raient tendrement, Esplandian rougit beaucoup.nbsp;Gependant, reprenant assurance, il dit ;

— Sire, ce beau cerf est le plus noble des ani-maux que j’apporte : il est bien juste qu’il vous appartienne... Je supplie madame la reine dc vou-loir bien accepter ce lièvre... Et je meurs d’envicnbsp;d’ofl'rir ces deux perdrix a cette belle demoisellenbsp;que j’ai tant de plaisir é voir.'..

Et, en disant ccla, le jouvenceau tendait ses bras vers Orianc, toutc palpitanle d’émotion ctdcnbsp;bouheur. Elle allait se trabir, lorsquc, fort heu-reusement pour elle, son père interrompit Esplandian en lui disant:

— Mon doux ami, si vous nous donnez tout ainsi, vous n’aurcz plus ricn é donner aux autresnbsp;personnes de ma cour?...

— Ahl Sire, répondit I’enfant, n’est-ce pas de votre main que ceux qui vous siiivcnt doivent re-covoir dcs graces, et ce grand cerf no suflira-t-ilnbsp;pas pour celles que vous voudrez lour faire,?...

Le roi, surpris et charmé de cette réponse, cm-


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LE CHEVALIER DE LA VERTE EPEE. 19

brassa de nouveau Esplandian. Puis, se tournant vers Ie bonhomme Nasciau, qui contp.mplait toutenbsp;cette scène d’un air attendri, il lui dit:

— nbsp;nbsp;nbsp;Mon père, Ia Providence a ses vues... Ellenbsp;vous a confié d’abord eet enfant, mais pour qu’ilnbsp;me flit confié un jour è moi-mème... Je veux aebe-ver dignement 1’ceuvre que vous avez si biennbsp;corameneóe... Je vous demande done ces deux en-fanls, Esplandian et Sergil... lis seront élevés dansnbsp;ma cour, comme mes enfants propres, atin qu’ilsnbsp;deviennent dignes de la destinée qui m’a été an-noncée pour eux par Urgande-la-Déconnue...

Nascian remit alors les deux enfants entre les mains du roi, et, avant de les quitter, il se jeta ènbsp;genoux, leva les bras vers Ie ciel, comme pournbsp;1’implorer.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ghers agnelets qui allez bientèt mangernbsp;l’herbe amère de la vie, leur dit-il avec mélanco-lie, laissez-moi vous bénir, moi pauvre pécheur,nbsp;laissez-moi appeler sur vos jeunes lêtes la clómencenbsp;ineffable et les précieux bienfaits de Féternel etnbsp;glorieiix Fabricateur des monclesl... Aimez quinbsp;vous aimera, mes agneaux, et ne haïssez que Ienbsp;mal, sans jamais haïr les raauvais, qui sont de chairnbsp;et dos et faits de passions comme vous... La tolé-rance est la première et la plus belle des vertusnbsp;huraaines... Soyez bons et doux, vous sereznbsp;grands et forts... Allez votre voie, mes chers enfants, et que Dicu vous garde!...

A ces mots les deux enfants, qui se tenaient dans Ie giron de la reine, s’élancèrent vers Ie saintnbsp;homme qui les avait élevés et ils erabrasjèrent sesnbsp;vieilles mains tremblantes, qui avaient guide leiirsnbsp;premiers pas dans la vie. Nascian lesattira sur sounbsp;coeur, les baisa tendreraent sur leurs belles jouesnbsp;roses, en pleurant k la dérobée; puis il les re-poussa doucement en répétant;

— Allez votre voie, mes enfants, et que Dieu vous garde!...

La reine alors se levant, dit au bon ermitc :

¦— Mon père, je vous remercie pour ma part de *ious avoir accordé ces deux belles créatures quenbsp;Vous avez élevées. G’est devant vous que je veuxnbsp;aire leur partage: j’adopte votre neveu, et, commenbsp;*0 premier mouvement du petit Esplandian a éténbsp;pour ma fille, la princesse Üriane, c’est k elle quenbsp;conlie... Approuvez-vous ce choix, mon

^®®oian, les yeuxmouillés de douces larmes, ne deva'nf^*^^''-*^ s’inclinant respectueuseraent

enH^'^u^ ^ Oriane, éperdue, presque folie de joic palpiter et vivre en son giron cel en-pi lt;101 en était sorii, elle ne sut rion dirc,nbsp;fto ’’'^Poudre. Elle avait retrouvé son fils, Ie tils

desoii Cher Amadisl

GHAPITRE XVI

Comment Ie chevalier de Ia Verte Epée, toujours en quote d’aventures, arriva en Romanie i la cour de la belle Gras-sinde, qui devint amoureuse de lui.

était-il, pendant ce temps, Ie père d’Esplandian?

Le chevalier de la Verte Epée, en sortant de la Bohèmenbsp;et de Ia cour de ïaffinor pournbsp;se rapprocher un pen de lanbsp;Grande-Bretagne, se trouva unnbsp;jour sur les confins de la Bo-manie, pres d’un port de mernbsp;tirant son nom de la ville denbsp;Sadine, une des plus agréablesnbsp;üu monde tant pour sa silua-tion que pour sa forme élagée.nbsp;En tournant autour de cettenbsp;j)inbsp;nbsp;nbsp;nbsp;ville hatie en amphitheatre,

dans laquelle il ne voulait en-trer que de unit, le chevalier _nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;de la Verte Epée se trouva

tout-k-conp en face d’une troupe aussi nombreuse que brillantc, coraposée de jeunes dames et denbsp;fiers chevaliers qui chevauchaient dans la prairie.

Amadis tenait beaucoup k n’être pas remarqué, paree qu’il tenait beaucoup aussi k s’embarquer lenbsp;soir même, k Finsu de tont le monde. II cnerchanbsp;done k fuir ces inconnus et ces inconnues. Mais,nbsp;par malheur, il avait été vu, et force lui fut do ré-pondre courtoisement k une demoiselle qui s’étaitnbsp;détachée du groupe pour venir vers lui.

— nbsp;nbsp;nbsp;Chevalier, lui dit-elle, ma belle maitresse, lanbsp;princesse Grassindo, que vous voyez Ik-bas au milieu de mes compagnes, éclatante de blancheur etnbsp;de beauté, comme un lis au milieu de violettes,nbsp;vous fait prier de venir lui parler 1..

— nbsp;nbsp;nbsp;Demoiselle, répondit Amadis, il est dansnbsp;mon destin de ne pas m’arrèter, même pour causer

avee les plus belles princesses de la terre.....J’ai

1’amo noyée de mélaticolie, et je ferais un bien mauvais compagnon.

— nbsp;nbsp;nbsp;Chevalier, dit alors d’une voix rude un desnbsp;seigneurs qui avait accompagnéla demoiselle, vousnbsp;savez mal recevoir les gracieuscs invitations qu’on

vous fait 1'honneur de vous adresser.....Tant pis

pour vous!... Mais, bgue ou raisin, de gré ou de force, vous viendrez parler k la belle princessenbsp;Grassinde, notre maitresse.

— J’auraispu, répondit froidement Amadis, j’au-rais pu me rendre a la prière faite d’une voix polie par cette jolie bouche que voici... Mais, du moment que vous ordonnez, comme je ne sais pasnbsp;obéir aux voix brutales, je m’absliens, et plus quenbsp;jamais je refuse...

— Par Dieu ! s’écria le chevalier, c’est ce que


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BIBLIOTHEQUE BLEUE.

nous allons voir 1 Brandafidel salt punir les tómé-

raires qui Ie refusent..... Par ainsi, mon pentil-

hoinme, je vous ordonne... vous m’entendez bien ? je vous ordouiie de descendre de cheval d’abord,nbsp;puis d’y remonter, la tète tournee du cóté de lanbsp;croupe et tenant la queue de votre monture ennbsp;guise de bride... G’est dans eet état qu’il ine plaitnbsp;que vous vous présentiez devant Tincomparablenbsp;princesse Grassinde 1...

— G’est vous qui vous presenterez devant elle en celte ignominieuse position, répliqua Amadisnbsp;en faisant voller son cheval et en revenant surnbsp;Brandafidel, la lance au poing.

Brandafidel, fier de sa force et sur de la vic-toire, prit du champ et revint a son tour sur Ie chevalier de la Verte Epée; sa lance se hrisa con-tre I’écu de ce dernier, qui en reput un éclat dansnbsp;la gorge, ce qui ne 1’empêcha pas de faire vider lesnbsp;étriers amp; son outrecuidant adversaire.

— Ghevalier! cria Amadis a Brandafidel, qui venait de rouler tout étourdi dans la poussière;nbsp;chevalier, vous êtes mort si vous ne consentez anbsp;votre tour k subir 1'humiliante condition que vousnbsp;avez osé me proposer!...

Le présomptueux Brandafidel fut un instant sans répondre. Wais l’épée d’Amadis, qui le meiiapait,nbsp;lui fit comprendre qu’il devait se decider et se ré-signer.

— nbsp;nbsp;nbsp;J’accepte, murmura-t~il d’une voix étoufféenbsp;par la honte ; j’accepte et vous demande merci!...

Lors Amadis le laissa se relever, et il attendit, calrae et sourieur, qu’il fut remonté a cheval, lenbsp;visage tourné du cóté de la croupe, et la queue denbsp;l’animal entre ses mains.

— nbsp;nbsp;nbsp;Maintenant, dit-il, rejoignons votre incomparable maitresse 1

La helle Grassinde, cousine de Taffinor, roi de Bohème, avait trop entendu parlor du chevalier denbsp;la Verte Epée pour ne pas favoir immédiatementnbsp;reconnu a celle qui brillait a son cóté, et surtoultinbsp;la fdQon dontil s’en était servi centre Brandafidel,nbsp;qui passait pourlant pour le plus redoutahlc chevalier de la contréc. En voyant le sang qui coulaitnbsp;en abondance de la gorge d’Amadis, elle le ramenanbsp;vitement a son palais, oii maitre Hélisabel, expertnbsp;chirurgieii, fut aussitót mandé. Hélisabel sonda lanbsp;plaie faite par l’éclat de la lance de Brandafidel,nbsp;et la trouva assez profonde et assez dangercusenbsp;pour declarer a Amadis que la cure en serait longue, et qu’il ne serait pas avant un mois en état denbsp;porter ses armes.

Amadis se résigna difficilement. II avait espéré pouvoir s’embarquer le soir méme et se rappro-cher ainsi petit a petit de sa chèro Oriane. Tout aunbsp;contraire, il lui fallait retarder son partemcntd’unnbsp;mois 1 Son chagrin fut extréme, raalgré la hien-veillante et tendre hospitalité de la reine Grassinde.

Gar cette belle et intéressante princesse n’avait pu le vüir sans 1’aimer, tant ci cause de sa m.ilenbsp;beauté qu’a cause de sou male courage. Les femmes ne savent pas toujours faire d’excellents clioixnbsp;en amour, et les plus vaillanlcs se donnent souvent aux plus couards. Grassinde, avait été frap-pée aux yeux et au cceur par la fiére mine du chevalier de la Verte Epée. Mariée h dix-huit ans,nbsp;veuve a dix-neuf, elle croyait qu’elle ne retrouve-rait pas, parmi les hommes, la perle rare qu’ellenbsp;avait perdue, et elle s’était bien jure a elle-inêmenbsp;de rester maitresse et de n’accepter jamais denbsp;maitre.

Hélas 1 la femme propose et l’amour dispose 1 Grassinde était sérieusement enaraourée d’Amadis,nbsp;dont elle ne connaissait que le surnorn de chevalier de la Verte Epée. Pas un jour ne se passaitnbsp;qu’elle ne vint en personne savoir des nouvellesnbsp;de son cher malade, et alors elle restait avec luinbsp;de longues heures, qui disparaissaient comme au-tant d’éclairs, toujours prête a lui ouvrir son cceur,nbsp;exclusivement rempli de lui. Mais, chaque fois, Ienbsp;calme, la réserve, la froideur méme d’Amadis, lanbsp;rembarraient et rencognaient son amour bien loin.

— nbsp;nbsp;nbsp;Il ne m’aime pas I murmurait-elle en soupi-rant.

Un mois s’écoula ainsi. Le chevalier de la Verte Epée, guéri de sa blessure, songea au départ, et ilnbsp;supplia la reine Grassinde de lui permettre de lanbsp;quitter pour aller a Ia cour de fernpereur d’Orient.

— nbsp;nbsp;nbsp;Seigneur, répondit Grassinde, pale et attris-tée de cette nouvelle, il me serait doux de vousnbsp;retenir plus longtemps céans; mais vous en décidez

autrement, je m’incline devant votre volonté.....

Allez done oü le devoir vous appelle!... Avant votre départ, cependant, je désirerais obtenir de vous une grace...

—¦ Ah 1 madame, dit vivement Amadis, ordon-nez! II n’est rien que je ne doive et que je ne veuille faire pour vous prouver ma reconnaissance.

— nbsp;nbsp;nbsp;Eh bien! seigneur, reprit Grassinde, j’ai iinbsp;vous confier le secret le plus important de ma vie;nbsp;mais il m’en coüterait trop de vous ouvrir monnbsp;cceur en ce moment... Partez done, et revenez-nonsnbsp;vite !... Le meilleur navire de ma flotte vous portera en Grèce; Hélisabel ne vous quittera point. Jenbsp;connais trop h quel point votre courage peut vousnbsp;exposer, pour que son sccours ne vous soit pasnbsp;précieux. Tout ce quo j’ose exiger de vous, c’est denbsp;revenir me voir, a votre retour de Grèce, avantnbsp;qu’une année soit expiréel...

Le chevalier de la Verte Epée le lui promit, lui baisa courtoisement la main, ce qui la fit tressail-lir, et prit enfin congé d'elle, cc qui la plongea dansnbsp;la plus noire mélancolie du monde.


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LE CHEVALIER DE LA VERTE ÉPÉE. 21

LE CHEVALIER DE LA VERTE ÉPÉE. 21

ainsi désespérer et la

bors, maitre Hélisabel, un peu moins épouvanté que ses compagnons, prit la jiarole et répondit:nbsp;—Seigneur, cette ile, oii notre malechancenousnbsp;jetes, était possódée, il n’y a pas longtemps, parnbsp;grand tyran ((ui fiit en toutes cesnbsp;'tntn ,'hnel avait k femme une honorable dame,nbsp;et fnbsp;nbsp;nbsp;nbsp;‘^1' ’vertueuse qu’il était mécbant

• H lui engendra une fille nominee Brau-

CHAPIÏRE XVII

Comment, en quiUant la princesse Grassinde, lo chevalier de la Verte Epée fut porté par la tempète sur les cótes denbsp;1’ile du biable, dont on lui raconta la sinistre histoire.

yant done les mariniers dressé leurs voiles pour tirer la voie denbsp;Constantinople, ils perdirent bien-tot de vue les cotes de la Romanie.

I, Bientót aussi la mer s’éleva, et fut si grande la tempête, que quelquenbsp;ordre que sussent mettre les mariniers a gouverner Ie vaisseau quinbsp;portait Amadis et sa fortune, ils li-nirent par désespérer de sortir denbsp;cette passe. Huit jours durant,quasinbsp;désespérés de salut, n’attendant plusnbsp;rien que la miséricorde de Uieu, ilsnbsp;ne surent en quel lieu ils étaient, ninbsp;oil ils allaient, ni comment ils ennbsp;sortiraient. L’orage, ia grêle, lanbsp;pluie étaient si épais et si conti-nuels, que Ie ciel, la terre et lanbsp;mer semblaient conjurés centre cenbsp;pauvre navire et les gens qu’il contenait. Enfin ilnbsp;fut poussé èi teire vers deux heures de la matinee,nbsp;par si grande force qu’on Ie crut ouvert de toutesnbsp;parts.

Lorsque Ie jour fut tout-a-fait venu, les passa-gers, qui s’étaient réjouis d’avoir enfin quelque part oü aborder, tombèrent dans un aulre elTroi,nbsp;plus grand peut-être que Ie premier ; ils avaientnbsp;abordé en l’ile du Diable, laquelle était habitéenbsp;par un étrange rnonstre! Peu s’en fallut mèmenbsp;fiue, pour échapper a ce peril effroyable, la plupartnbsp;ne se rejetassent au parfond des ondes.

— nbsp;nbsp;nbsp;Qu’avez-vous done pour vous mouvoir ainsi?nbsp;leur demanda Ie chevalier de la Verte Epée.

— nbsp;nbsp;nbsp;Hélas ! seigneur, répondirent les mariniers,nbsp;nu pensez-vous done avoir abordé ? Quel goufi're,nbsp;fipel naufrage nous eiit pu advenir pire (jue celui-ni?... Nous voila au pouvoir du diable ([ui, sousnbsp;lorme de rnonstre, a ruiné cette He qui était une

es contrées les plus fertiles et les mieux habitées

nn mondei...

— nbsp;nbsp;nbsp;Mais, reprit Ie chevalier, je n’ai encore riennbsp;Ie 'nus autorise i vous effrayer ainsi (lue vous

Dites-moi done un peu quel diable

nu quel rnonstre vous fait tquot; ' nbsp;nbsp;nbsp;'

meriter?...

daginde, qui fut en son temps une des plus gentes pucelles de la terre, a ce point que maints grandsnbsp;seigneurs et hauts hommes l’eussent volontiersnbsp;requise en mariage. Néanraoins, la cruauté dunbsp;géant était si extréme, qu’aucun de ces amoureuxnbsp;n’osait la demander pour femme, et que lui-même,nbsp;d’ailleurs, repoussait obstinément toutes les pré-tentions de cette nature. Cette gente pucelle crois-sait pendant ce temps en age et en beauté, en ar-deur et en désir d’expérimenter quel bien on peutnbsp;avoir avec les hommes; ce désir lui crut si forte-ment dans Ie sang, que, connaissant la repugnancenbsp;de son père amp; ladonner é qui que ce fut, elle fitnbsp;tant, par blandissement et incestueuses caresses,nbsp;qu’clle l’attira a l’amour d’elle et eut sa compagnienbsp;charnelle...

— nbsp;nbsp;nbsp;Cette histoire est horrible ! s’écria avec dégout Ie chevalier de la Verte Epée.

— nbsp;nbsp;nbsp;Nous ne sommes pas au bout, répondit Héli-sabel. Elle avait comraercé charnellement avec sonnbsp;propre père, ce qui était déji suffisamment horrible, en effet... Mais Ic crime a ses pentos et sesnbsp;échelons : on ne s’arrête pas lorsqu’on a commencé,nbsp;il faut toujours aller, toujours descendre 1 Branda-ginde machina la mort de sa propre mère, afin denbsp;vivre plus a son aise en Terreur de son inceste, cenbsp;A quoi Ie }ière donna son prompt consentement.nbsp;Lors, un jour, comme elle était grosse, elle senbsp;promenait avec sa mère dans un verger; ellesnbsp;arrivèrent prés d’un puits trés profond : Branda-ginde fit- un mouvement un peu rude, et sa mèrenbsp;alia se rompre Ie cou au fond de ce puits...

— nbsp;nbsp;nbsp;Horrible 1 horrible 1 répéta Ie chevalier de lanbsp;Verte Epée avec indignation.

— nbsp;nbsp;nbsp;Le peuple murmura de eet événement, repritnbsp;Hélisabel; le géant, qui n’aimait pas les murmures,nbsp;dit a son peuple qu’il avait appris par trois denbsp;ses dieux, Tun liguré en leopard, Tautre en lion etnbsp;le troisième en homme, que de lui et de sa fille de-vait naitre une creature destinée è être si redou-table dans toute la conlrée, qu’aucun de ses voi-sins n’oserait plus jamais entreprendre de guerrenbsp;contre lui... Sous cette couleur il épousa publique-ment sa malheurcuse fille, laquelle, peu après,nbsp;enfanta un rnonstre dont je vais essayer de vousnbsp;faire la description. Ainsi, il est plein de poils parnbsp;le visage, les pieds et les mains, si plein de poilsnbsp;qu’il en ressemble a un ours. Le reste de son corpsnbsp;est couvert d’écailles si fortes et si dures qu’il n’ynbsp;a pas de flèche, si acérée, qui le put jamais per-cer... En outre, il a des ailes d'une si grandenbsp;envergure qu’elles lui passent le dessus du dos, cenbsp;qui fait ([u'il s’en couvre comme d’un bouclier.nbsp;Dessous ces ailes, sortent pieds, bras et mains,nbsp;avec ongles tranebants comme ceux d’un lion...nbsp;Ses yeux ont Téclat féroce de deux eharbons ar-dents, è ce point que, dans la nuit, rouges et lui-sants, on les prend parfois pour deux étoiles. Sesnbsp;dents sont si longues et si aiguës qu’il en tranche-rait volontiers les plus solides harnais. Au rnoyennbsp;de quoi il a rendu cette ile complètement inhabitable... Quandil court et s’irrite contre un obstaclenbsp;quelconque, bomme ou animal, la fumée lui sortnbsp;des narines avec une llamme qui brüle, corromptnbsp;et empoisonne lont... Les mariniers ipii fréquententnbsp;conlre leur gré cette mer, Tappellent commune-


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BIBLIOTHÈQUE BLEUE.

meDt Endriague, lequel est tenu et réputé par eux plus pour Ie diable lui-même' que pour monstrenbsp;produit par nature...

—Pourquoi l’a-t-on laissé régner, eet Endriague? demanda, tout ébahi, Ie chevalier de la Vertenbsp;Epée.

— nbsp;nbsp;nbsp;Eh 1 seigneur, répondit Hélisabel, commentnbsp;aurait-on pu l’en empêcher? Six semaines après sanbsp;naissance, ce monstre surpassait en hauteur Ienbsp;géant son père. Sa mere voulut Ie voir, aussilótnbsp;qu’elle eut fait ses relevailles; elle alia dans la tournbsp;oü jusque-hi il avait été enfermé. A peine eut-ilnbsp;apercu I’incestueuse Brandaginde, que i’Endriagucnbsp;s elanga sur elle, lui déchira Ie sein de ses grillesnbsp;aiguës, et lui dévora Ie cceur... Le géant son pèrenbsp;voulut alors le punir de ce matricide abominable,nbsp;et, pour cela faire, il lui jeta avec colère son épéenbsp;au travers de son corps : la pointe s’en_ émonssanbsp;sur la p au squammeuse du monstre, puis, rebon-dissant aussitêt, s’en revint percer la poitrine denbsp;celui qui l’avait lancée... L’Ëndriague, ainsi dc-venu libre, s elanga hors de la tour, déploya sesnbsp;vasles ailes et s’envola sur la cime d’un rocher, oünbsp;il fixa son airecomme un vautour humain qu’il est,nbsp;et d’oü il fond't sur les malheureux habitants denbsp;cette ile maudite, qu’il mangea jusqu’au dernier.nbsp;Voilü 1 histoire de Ine du Diable et de son uniquenbsp;habitant. Trouvez-vous, seigneur chevalier, quonbsp;les mariniers aient raison de regrelter d’avoirnbsp;obordé ici?...

— nbsp;nbsp;nbsp;J’excuse leur effroi, maitre Hélisabel, mais jenbsp;ne le partage pas, repartit Ic chevalier de la Vertenbsp;Epée. Puisqu’il existe dans cette ile un monstre telnbsp;que vous le dépeigncz, il faut en purger la terre lenbsp;plus vitement possible. G’est mon devoir de chevalier, et je vais le remplir.

— nbsp;nbsp;nbsp;Dieu vous assiste, seigneur chevalier, s’écrianbsp;le pilote qui avait enteiidu la resolution que venaitnbsp;de prendre Araadis; mais, pour nous, iioüs n’ironsnbsp;pas plus loin. C’est déja trop que de nous ètrenbsp;approchés ü ce point de cette He maudite.

— Je ne force personne è me suivre, reprit le chevalier de la Verte Epée. Les meilleures actionsnbsp;sont celles qui se font spontanément, sansconlrainlenbsp;aucune.... D’ailleuis, il n’est pas besoin de tant donbsp;monde, malgré les perils de cette aventure : on jenbsp;réussirai seul, ou j’échouerai soul.

— Dieu vous assiste 1 répéta le pilote en se si-gnant.

CHAPITRE XVllI

Comment, malgré les prières des mariniers , le chevalier de la Verte Epée descendit dans l’ilc du Diable, ct y lutlanbsp;corps i corps avec l'Endriague, qu'il vainquit.

Lors, sans tenir le moindre comjde des exhortations et des prières des mariniers qui lui ahir-maient, sur leur amp;me, qu'il courait ü une mort cerlame,le chevalier de la VerteE[)éese lit descen-dre h terre avec le lidèle Gaudatin, Hélisabel etnbsp;son nain.

Une fois dans l’ile, il n’y avait plus k reculer. Outre qu’Amadis n’en avait nulle envie, il étaitnbsp;déjli en vne de I’antre fait de rochers noirs oünbsp;rËndriague gitait k la manière des animaux fé-roces.

— nbsp;nbsp;nbsp;Mes chers amis, dit-il alors a ses trois compagnons qui le priaient, les larraes aux yeux, denbsp;renoiicer ü cette téméraire entreprisc, je ne veuxnbsp;plus entendre vos dolcances qui sont peut-êtrenbsp;fort scnsécs, mais qui répugnent ü mon tempérament. Pour ne les plus entendre, je vous con-vie a entrer dans cette anfracluosité que je voisnbsp;\k, ct ü vous y cacher le plus soigneusement possible... Je ne sais pas aller en arrière, surtoutnbsp;lorsqu’il s’agit de venger Fhumanité ontragée ennbsp;supprimant un monstre tel que celui dont vousnbsp;venez de me parler... Je vais done marcher au de-vant de l’Endriague... Advienne quepourra ! j’au-rai du moins fait mon devoir 1...

Puis, prenant son écuyer ü part, il lui dit, non sans émotion :

— nbsp;nbsp;nbsp;Mon cher Gandalin, quoique mon courage nenbsp;soit pas entamé d’un félu ü l’heurc oü je te parle,nbsp;nonobstant je sens bien qu’il s’agit ici pour moinbsp;d’une lutte terrible dont il se peut que je ne sortenbsp;pas vainqueur... Get instant est done solennel pournbsp;moi: je songe aux absents... Si je succombe, aminbsp;cher, promels-moi quo lu porteras mon anneau anbsp;ia princcsse Oriane, et que tu lui diras que la mortnbsp;la plus affreuse m’a paru encore plus supportablenbsp;qu’une absence comme celle ü laquelle son père ra’anbsp;condamné...

— nbsp;nbsp;nbsp;Je vous le promets, répondit Gandalin en san-glottant. Mais, 6 mon cher maitre, puisque vousnbsp;pressentez un si funeste dénouement a cette péril-leuse aventure, pourquoi la tentez-vous?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Paree que dans cette vie, mon cher Gandalin,nbsp;il fauttoujours faire son devoir, quoi qu’il en coüte!..

Et, cela dit, le chcvalierde laVerteEpée s’avanga, la lance en arret, dans la direction des rochersnbsp;noirs oü il supposait que TEndriague s’était gité.

Bionlót, en elïet, un sifflement aigu et quelques tourbillons de fumée tui prouvórent qu’il nc s’étaitnbsp;pas trompé et que le monstre était proche. Sonnbsp;cheval, effrayé, se cabra ct refusa d’avancer.nbsp;Amadis alors descendit, et, s’emparant de sa lancenbsp;pour parer le premier choc, il alia tranquillementnbsp;è la rencontre dd’homicide hls de Brandaginde...

Tout en avangant, le vaillant chevalier se disait, en ses cogitations, que ce monstre, tont invulnerable qu’il parut êlre au premier ahord, devait otrenbsp;cepcnclant vulnerable par quclque cöté; et, suppo-santqueses deux yeux féroccs, rouges comme sang,nbsp;brillants comme flamme, ardents comme braise,nbsp;devaient ctro précisément eet endroit vulnerable,nbsp;il en choisit nn pour but ü son premier coup denbsp;lance, et il eut le bonheur de réussir.

L’Endriague, en sentant entrer le fer dans son oeil droit, poussa un rauque cri do douleiir dontnbsp;1’écho se répercuta de rochers en rochers jus(pi’auxnbsp;oreilies des mariniers qui, en ce moment, prièrentnbsp;pour 1’Mne des quatretéméraires compagnons. Maisnbsp;hientót, faisant taire sa douleur, le monstre dé-


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LE CHEVALIER DE 1,A VERTE EPEE. 23

LE CHEVALIER DE 1,A VERTE EPEE. 23

ploya ses ailes sinisti es et s’élanoa sur Ie chevalier, qui'lui porta sa laiice a la gueule. L’Endriague lanbsp;brisa comme verre avec sa formidable inachoire, etnbsp;en rejeta Ie bols, tout en en gardant Ie Ier qui luinbsp;déchira la gorge et lui fit vomir des torrents d’unnbsp;sang noir et impur.

11 n’était pas vaincu pour cela. Amadis s’en aper-gut, et il s’escriraa de la plus apre fagon avec sa vaillante épée, qui, malheureusement, rebondissaitnbsp;sur Ie corps squammeux de 1’Endriaguc commenbsp;s’il eüt frappé sur une enclume. II l’attcignitnbsp;cepcndant dans les naseaux, et ce nouveau coupnbsp;auginenta de beaucoup l’effusion de sang quinbsp;commengait a letouffer.

Un instant Ie chevalier de la Verte Epée espera en venir a bout; mais il dut bientót abandonnernbsp;cetle folie espórance. L’Endriague, malgré lesnbsp;blessures qu’il avait regucs, parvint ti Ie saisirnbsp;mitre ses griffes cruelles qui firent craquer ses osnbsp;après avoir brisé les mailles de son haubert. Arnadisnbsp;se sentit perdu; une sueur froide lui courut surnbsp;tout Ie corps; il ferma les yeux malgré lui, etnbsp;murmurant:

— Mourir sans t’avoir revue!..... Oriane!.....

Oriane!...

Ge souvenir amoureuxsemblaluiporterbonheur. L’Endriague, étouffé par sou propre sang, détenditnbsp;ses griffes, tomba comme une masse sur Ie dos, etnbsp;expira en vomissant un torrent de feu et de fuméenbsp;ompoisonnée...

Le chevalier de la Verte Epée, s’étant relevé, fit quelques pas en chancelant. Heurcuseraeivt,nbsp;Hélisabel et Gandalin, inquiets, s’étaient avancésnbsp;a la di'couverle : ils accoururent a son secours.nbsp;Gandalin délaga viternent sou heaume et. s’apergutnbsp;qu’il respirait encore.

— Mon cher maitre! s’écria-t-il, Dieu soit loué 1 vous vivrez.

— Je vais mourir, murrnura Amadis, déja, en effet, couvert de la pAleur verdatre des moribonds.nbsp;Je vais mourir, mon cher Gandalin : rappcllc-tui

ja promesse que tu m’as faile..... Tu joindras i

l^anneau que je t’ai chargé de remettre a la divine Oriane, ce coeur qui n’a jamais cessé de battre pournbsp;^lle et qui, a cette heure suprème oüfon ne songenbsp;Dieu, est uniquement occupé d’elle...

. Gandalin, ü demi-mort lui-mêrno de douleur, se J6ta en sanglot sur le corps quasi inanimé du ebe-valier de la Verte Epée. Hélisabel, qui venait de luinbsp;verser sur les lèvres quelques gouites d’un cordialnbsp;PU'ssaut, et qui épiait sur sou visage décoloré lenbsp;P us léger signe d’un retour a la vie, Hélisabel

fflpressade couper court fi cette desolation.

. jTT ^®'gneur, dit-il, Gandalin avait raison tout'd- nbsp;nbsp;nbsp;• ^ous vivrez! G’est moi qui vous le dé-

lt;Jre. Vous vivrez pour jouir de volre triomphc et recevoir les acclamations de vos admirateurs!...

En effet, bientót le chevalier de la Verte Epée

omrneriga a reprendre ses sens et ses forces. La visage disparut pour fairenbsp;fhon P^löur rosée. Les yeux, d’oü tout-i'i-leuréclatnbsp;nbsp;nbsp;nbsp;s’être retirée, reprirent de

Mais eet effort amena un flux de sang que Héli-sabel put arrêter a temps, fort heureusement; si bien qu’au bout de quelques instants, il jugea quenbsp;son blessé était en état d’etre transporté.

Lors, Gandalin, tout joyeux, sonnaplantureuse-ment du cor, ainsi qu’il avait été convenu eritre lui et les mariniers, et eeux ei accoururent, émer-veülés de celte victoire, moitié pour féliciter lenbsp;chevalier de la Verte Epée et le remercier d’avoirnbsp;délivré la terre d’un monstre, et moitié pour voirnbsp;de prés, sans danger aucun, eet Endriague si re-douté. Quand ils arrivèrent et qu’ils apercurentcetnbsp;inccstueux fils de Brandaginde, dont le cadavrenbsp;occupait sur Ie sol une large surface, ils ne purentnbsp;s’erapêchcr de tressaillir d’horrreur et de crainte,nbsp;bien qu’il leur fut a peu prés prouvé qu’ils n’avaientnbsp;plus rien a redoutor de lui. Puis, quand leur peurnbsp;fut partie, ils donnèrent toute leur attention etnbsp;toute leur admiration -au vaiüantchevalier qui venaitnbsp;d’accomplir cette héroïque action.

Ils lendirent avec empressementun pavilion sous lequel Amadis fut porté et oü il regut les soins lesnbsp;plus délicats de la part de tous ces rudes hommesnbsp;de mer qui retenaient leur soufflé pour ne pasnbsp;troubler Ie repos dans lequel le cordial d’IIélisabelnbsp;1’avait plongé.

Le second jour, maitre Hélisabel déclara amp; Amadis qu’il était désormais sauvé, mais que lanbsp;perte abondante de sang qu’il avait faite, rendraitnbsp;sa guérison un peu longue.

— Hélas! murmura le blessé, encore un retard. Le ciel ne veut done pas que je revoie Ia princessenbsp;Oriane.

— Seigneur, lui dit maitre Hélisabel, je vais, si vousIepermettez,écrireala princesse Grassinde etnbsp;k l’empereur de Grèce peur leur annoncer eetnbsp;heureux événement.

— Oui, répondit Amadis d’une voix faible, écrivez h l’empereur quo file du Diable est délivréenbsp;a tout jamais de 1’Endriague, et que le chevaliernbsp;de la Verte Epée la remet sous sa puissance, maisnbsp;quo, blessé dans le combat, il est hors d'état denbsp;pouvoir aller lui embrasser les genoux.

GHAPITRE XIX

Comment Ic chevalier de la Verte Epée fut tranporté ti la cour de 1’cmpereur de Grèce, et de l’impression profondenbsp;qu'il fit sur les yeux et sur le coeur d'uno gente pucellenbsp;ayant nom Léonorinc.

n messager fut done en-voyé par maitre Ilélisa-belaucomtedeSalcuder, frère de la bolle Grassinde, pour quo ce princenbsp;présentat k l’empereurnbsp;d’Orient la lettre dansnbsp;laquelleétaient contenusnbsp;les détails dePévénementnbsp;que 1’on sait.

La surprise et Paclmi-ration de Pempereur fu-rent extremes, en appre-


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24 BIBLIOTHÈQUE BLEUE,

iiaiit la fm de l’horrible monstre qui lui avait tué tant de braves chevaliers de ses Etats.

Dans son enthousiasme pour la valeur sans pareille du chevalier de la Verte-Epée, il vou-lut voler amp; sou secours; raais son Sge et les pricrcsnbsp;de Timpératrice Ie retinrent, centre son gré. Lorsnbsp;il députa vers ce héros Ie prince Gastilles, son neven, avec Ie comte de Salender, qu’il chargea denbsp;lui rendre les plus grands honneurs et de l’amenernbsp;Ie plus tot possible dans sa cour. En même tempsnbsp;qu’eux, il envoya un dessinateur avecordre de por-traiturer l’Endriague, afin de pouvoir élever unnbsp;monument dans sa capitale et dans File, oü l’onnbsp;vcrrait en bronze, de grandeur naturelle, ce mons-tre effroyable et Ie vaillant chevalier qui l’avait ter-rassé.

Quelques jours après, Ie navire qui ramenait Ie chevalier de la Verte-Epée, fut signalé dans lesnbsp;eaux de la flotte impériale, qui tout aussitót ar-bora ses pavilions d’honneur pour Ie recevoir.nbsp;L’empereur lui-même alia au dcvant d’Amadis,nbsp;l’embrassa tendrement et Ie fit conduire a son palais dans une riche et moelleuse litière qu’il avaitnbsp;fait préparer exprès. L’impératrice ne tarda pas ènbsp;paraltre.

— nbsp;nbsp;nbsp;Madame... essaya de prononcer Amadis, ennbsp;tachant de se lever pour se mettre k ses genouxnbsp;et lui baiser la main.

— nbsp;nbsp;nbsp;Nous sommes vos obligés, chevalier de lanbsp;Verte-Epée, répondit cette princesse avec bcau-coup de grace, en I’empechant de s’agenouiller etnbsp;Ie faisant asseoir h cóté d’elle. Nous vous devonsnbsp;tout: agissez done envers nous en bienfaiteur...

La jeune reine Menoresse, qui suivait l’impéra-trice, cherchait en vain k démêler les traits du chevalier. Deux ans auparavant, dans uti voyagenbsp;qu’elle avait fait, elle avait été altaquée par des ro-beurs et défendue courageusement par Galaor dontnbsp;elle avait conserve un trés aimable souvenir, dunbsp;reste comme presque toutes les femmes protégéesnbsp;par eet amoureux chevalier. Enapercevant Ie vain-queur de l’Endriague, elle fut frappée de la res-semblance qui exislait entre lui et Galaor.

— Sire, dit-elleè voix basse li l’empereur, ce chevalier de la Verte-Epée cache certainement unnbsp;prince de la meilleure lignée du monde, après lanbsp;vótre, toutefois, et je ne serais pas étonnée qu’ilnbsp;fut de l’illustre race des princes de Gaulel...

—Quel que puisse être ce chevalier, madame, répondit l’empereur, nous devons respecter l’inco-gnito dont il s’enveloppe. Essayer de soulever un pan de son voile pour déchiffrer son véritable nom,nbsp;serait un crime de lèse-hospitalité que je n’excu-serais dans personne de ma cour. Tout ce qu’ilnbsp;iraporte de savoir et de dire, c’est que Ie chevaliernbsp;de la Verte-Enée honore ceux qui Ie reQoivent.nbsp;Heureux sera Ie souverain qui l’acquerra pour gen-dre OU pour beau-frèrel...

Les dames présentes se disposaient a demander au chevalier de la Verte-Epée les détails émouvantsnbsp;do SOU combat périlleux avec Ie monstre de 1’lienbsp;du Diable, et elles s’apprêtaient a frissonner donbsp;leurs plus voluptueux frissons, lorsque parut unenbsp;gente pucelle égéo seulement de buit printemps.nbsp;G etait la pnneesse Léonorine, fille unique de l’em-pereur de Grèce. Deux jeunes filles de son ége lanbsp;suivaient: c’élaient les deux filles du roi de ïlon-grio.

Léonorine aurait pu être prise pour la déesse de la Beauté, et adorée comme telle. Elle n’avait riennbsp;de torrestre, rien de charnel. Ses yeux étaientnbsp;bleus comme Ie ciel et transparents comme l’caunbsp;d’une source : on lisait son ame candide au travers.nbsp;Ses joues roses avaient Ie duvet des fruits aux-quels aucune main profane n’a touché. Ses lèvres,nbsp;rouges comme la pulpe d’une grenade, faisaientnbsp;ressortir encore l’éclatante blancheurdeses dents.nbsp;II y avait, dans toute sa petite personne, unenbsp;grace, une onction, une suavité, un parfum quinbsp;faisait involontairemcnt ployer les genoux.

En la voyant, Amadis crut voir Oriane aux premières heitres de son amour [tour elle, c’est-è-dire lorsqu’elle lui apparut pour la première fois a lanbsp;cour du roi d’Ecosse. Ge ressouvenir d’uiie joienbsp;lointaine, a laquelle avaient succédé d’autres joiesnbsp;moins chastes, puis des douleurs, celle de la sépa-ration, ce ressouvenir jeta fame du chevalier de lanbsp;Verte Epée dans un trouble indéfinissable ; il ou-blia en quel lieu il se trouvait, il se crut seul etnbsp;pleura de chaudes larmes sur ces heitres éva-nouies...

Chacun sc regarda, surpris. On commencait même it trouver étrange cette distraction d’un sittt-ple chevalier en face de rimpératrice et de l’em-pereur, lorsque celui-ci, devinant bien qu’unenbsp;passion profonde seule était capable d’absorber knbsp;cc point Ie vainqueur de I’Endriague, vint douce-ment Ie prendre par la main et lui dire ;

— Seigneur chevalier de la Verte Epée, voici ma fille qui vient vous féliciter sur votre victoire...

Amadis releva vivement la téte et rougit en com-prenant ti quelle songerie intempestive il s’était laissé aller.

— Seigneur, lui dit la jeune Léonorine avec une grace charmante, en lui présentant deux cou-ronnes, voici deux couronnes dont 1’cmpcreurnbsp;mon père m’a fait présent pour en disposer h monnbsp;gré... Toutes deux viennent tb; mon bisaïeul Apol-lidon qtii les fit faire avec dix autres pour I’incoin-parable Grimanèse... J’attendais pour les offrir hnbsp;qui les méritat. Vous êtes ventt, votis avez vaincunbsp;Ie monstre qui avait dépeuplé une 11e et remplinbsp;d’elfroi la mer Egée, c’est fi vous que ces couronnes reviennent de droit, et je suis heureuse denbsp;vous les offrir, mais sous quelques conditions quonbsp;je vous prie d’accepter avant qtte je ne vous lesnbsp;déclare.

— Ah ! madame, s’écria-t-il, je n’cn imagine aucune qui puisse m’empêcher de vous obéir.

— Eh bien I seigneur, dit Léonorine avec uit air d’embarras qui parut animer les roses de sou teint,nbsp;j’exige que vous donniez Tune de ces deux eouron-nos tl la demoiselle qui vous sernblera la plusnbsp;belle; vous réserverez l’autre pour la dame qui anbsp;SU Ic miciix toucher votre cocur et vous nous direznbsp;Ic sujet de vos larmes ti mon apparition.

Amadis rougit ti cette troisième demande, il lui fallait dévoiler Ie secret de sou time. Se remettantnbsp;enfin ;

— Madame, dit-il, la plus brillante couronno


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LE CHEVALIER DE LA VERTE ÉPÉE. 25

LE CHEVALIER DE LA VERTE ÉPÉE. 25

de l’univers scrait encore au-dessous de cello que inéritent vos charmes naissants : permettez-moinbsp;de vous la rendre et d’en couronner vos cheveuxnbsp;adorables. Je réserve la seconde è une dame par-faite en vertus et en perfections; la première 1'oisnbsp;que je la vis, elle avait votre age. Ahl madame,nbsp;vous rappelez dans mon ame ce moment décisif denbsp;ma vie avec tant de vérité, que mes larmes m’ontnbsp;trahi : je vous conjure de ne pas m’en demandernbsp;davantage.

— nbsp;nbsp;nbsp;Vrairaent, fit l’empereur, laissons ce propos,nbsp;chère mignonne, car nous n’en savons pas plusnbsp;que si Ie chevalier n’avait rien dit et nous devonsnbsp;nous excuser de l’avoir mis a cctte épreuve.

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, répondit Amadis, je me trouverai ré-compensé largement si je dcmeure en votre bonnenbsp;grace et votre souvenir.

— nbsp;nbsp;nbsp;Seigneur chevalier, acceptez eet anneau denbsp;ma main,'’hasarda Léonorine.

Amadis mit un genou en terro et baisa la main que lui présentait Léonorine; la bague valait lanbsp;peino d’etre remarquée, elle était en'tout semhla-ble kcelle de la couronne de beauté et venait d’unnbsp;roi indieii nommé Filipane, qui en avait fait hommage a Apollidon, aïeul de Tempereur.

— Si vous vous en séparez, dit l’empereur, que ce soit en faveur d’un parent, pour ce que, si lanbsp;fortune Ie conduit en ces contrées, il puisse con-uaitre et servir la demoiselle qui vous Ie donne.

— J’ai souvent ouï parler d’Apollidon, qui édi-fia l’arc des loyaux amants en file Ferme, répondit Amadis; en traversant cctte lie pour aller ennbsp;Grande-Bretagne, j’ai vu sa statue et celle de lanbsp;belle Griraanèse et toutes les merveilles de eet en-droit.

— Vous connaissez probablement, reprit l’cm-pereur, Ie chevalier qui a conquis Ie palais en-ebanté, j’en ai beaucoup ouï vantcr Ie courage.

— Sire, répliqua Amadis, je lui ai parlé maintes fois, il se nomme Amadis, fils du roi Périon denbsp;Gaule; enfant, il fut trouvé sur la mer, plus tardnbsp;après avoir vaincu en plein champ Abies d Irlando,nbsp;il fut reconnu par ses parents.

Par mon ame, fit l’empereur, si je supposais qu’un si grand seigneur se résolüt è faire un sinbsp;grand chemin, je croirais que vous parlez de vous-inème, et j’bésite a ne pas 1 affirmer.

Amadis se tut; l’empereur ne sut rien, et se contenta de traiter magnifiquement son höte pen-^.fmt les six jours qu’il demeurait encore è Constan-tmople un pcu contre ce qu'il avait décidé ; ennbsp;6net, lorsque Ie chevalier de la Verte Epée voulutnbsp;retournervers Grassinde, Tempereurledécida è luinbsp;recorder trois jours, et la princesse Léonorine

ayant fait mander prés d’elle, Ie fit entourer de

t dames en manière de jeu, mais dans Ie but d en obtenir cinq jours de plus.

Pendant ce délai, les dames lui donnèrent beu qe racqnter tous les enchantements de l’Ile Ferme;nbsp;b üecrivit la cour de Lisvart et les contrées qu’il

vait parcourues; Ie brillant entourage de ces

nimi curicuses et folatres l’enivrait au point

ripn nbsp;nbsp;nbsp;presence d’Orianene laisseraii

iienaajouterason bonheur.

G pensee 1 attrisla jusqu’au depart. La reine

Menoresse qui lui portait une amitié contonue, comprit la nécessité d’une separation ; elle fit ap-porter six épées trés riches qu’il devait offrir a sesnbsp;amis de la part de la reine; il promit d’envojer aunbsp;palais un sien parent, chevalier de mérite et quittanbsp;ce séjour en toute hate.

CIIAPITRE XX

Comment Ie chevalier de la Verte Epée revint en Romanie auprès de la reine Grassinde, pour tenir la parole qu’ilnbsp;lui avait faite; et comment cette princesse 1’obligea a lanbsp;conduire en la Grande-Bretagne, pour étre déclarée lanbsp;plus belle.

e chevalier de la Verte-Epée embar-flué et sorti du port de Gonslantino-[ple, ainsi qu’il vient de vous êtro dit, ent si bon vent, qu’en moins de vingtnbsp;jours il arriva au lieu oü Pattendaitlanbsp;belle Grassinde.

Malgré qu’il fut assez loin de la Grandé-Bretagne, néanmoins en senbsp;sentant approcher petit a petit dunbsp;lieu oil son camr prenait vie, il senbsp;trouVa tant délibéré, que rien ne luinbsp;parut plus impossible. A mesnre qu’ilnbsp;allait, il lui semblait res-pirer fair que devait res-pirer Oriane qu il n’avaitnbsp;pas vue depuis si longuesnbsp;annéesl... Et ces bonnesnbsp;senteurs du retour dont il remplissaitnbsp;imaginairement son ame et ses pou-mons, lui ramenaient une infinité denbsp;souvenirs et de projets; il songeaitnbsp;par avance aux moyens qu’il emploierait pour voirnbsp;Oriane, et aux discours qu’il lui ferait lorsqu’il I’au-rait vuel...

La reine Grassinde, sachant I’arrivee du chevalier de la Verte Epée, sur Ie compto duquel on lui avait dit moots et merveilles, vint le recevoir lenbsp;plus araoiireusement qu’elle put, accompagnée denbsp;maints chevaliers, dames et demoiselles de sonnbsp;pays. Puis, I’ayant accolé, elle le conduisit en sonnbsp;palais, en I’cntretenant des propos les moins en-nuyeux qu’elle put imaginer, afin de le distraire etnbsp;de le récréer.

— Croyez, lui dit-clle, chevalier de la Verte Epée, croyez que si j’ai eu par le passé bonne es-time de vous, je I’ai è présent meilleure encore,nbsp;puisque vous avez si fidèlement tenu la promessenbsp;que vous m’aviez faite de revenir céans avant I’ex-piration de l’année...

— Madame, répondit Amadis, a Lieu ne plaisc que je sois de ma vie ingrat on voire endroitl...nbsp;Car, vous m’avez tant rendu votre obligé, que jenbsp;ne tiens la vie, après Dieu, que de maitre Ilélisa-bel qui m’accompagna par votre commandement.


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26 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

Par ainsi disposez de moi è votre convenance : je vous apparliens.

— Vraiment, reprit Grassinde, heureuse de l’en-tendre parler aiiisi, vraiment, s’il vous a fait ce service, je Ie répute mien et lui en sais aussi bon gré que si c’était en ma propre personne...

Et, corame il^ était heure de souper, et que la chaleur avait été grande tout Ie jour, elle coni-manda de dresser les tables sous une trés plaisautenbsp;treille, Ie long du verger Ie plus gai qu’il fiit possible de voir. Lamp; furent servies les viandes les plusnbsp;exquises et los plus abondantes. Puis, les nappesnbsp;otées, on alia se promener Qh et la dans Ie verger,nbsp;et si longuement que la nuit vint sans qu’on sennbsp;apergüt.

Avec la nuit vint aussi lo sommeil, et la princesse Grassinde conduisit elle-même Ie chevalier de lanbsp;Verte Epée a la charnbre qu’elle lui avait fait preparer d’une fagon digne de lui.Elleauraitbienvoulunbsp;ivster quelquesheures pour deviser; mais elle com-prit qu’elle serail importune, ti cause de la fatiguenbsp;qu’il devait éprouver, comme suite naturelle denbsp;son voyage, et elle so retira, après lui avoir donuénbsp;Ie bon soir.

Le chevalier de la Verte Epée se coucha, Mais, au lieu de s’endormir, il entra en sa mélancolienbsp;accoutumée, et, comme si Oriane eüt été présente,nbsp;il se prit a murmurer :

— nbsp;nbsp;nbsp;Ahl ma mie, ma longue absence de votrenbsp;divine personne m’a tant donné dc douleur que,nbsp;n’eüt été la crainte de vous olTenser par ma mort,nbsp;je serais depuis longtomps déjé sous terre!

A cette parole, Gandalin, qui s’était endormi, se réveilla en sursaut et luidemanda s’il lui plaisaitnbsp;quelque chose.

— Ami Gandalin, répondit Amadis, ne prcnds point garde a mes lamentations. Ce sont lamentations ei’amour: j’en soulïre, mais j’en suisheureux...

— Vous êtes un étrange personnage, dit Gandalin, d’ainsi vous affliger, lorsque vous devriez le plus vous réconforter et prendre coeur; car, nenbsp;sommes-nous pas en voie pour retourner versnbsp;Oriane, qui vous cause toutes ces maladies? II menbsp;semble, sauf erreur, que vous feriez tout aussi biennbsp;de vous distrairede ce pensement... Vous tombereznbsp;malade, si vous continue/., et cela juste au momentnbsp;oil vous allez avoir lo plus besoin de toute votrenbsp;santé!... Je vous conseüle, quant a cette heure,nbsp;le repos le plusprofond...

— nbsp;nbsp;nbsp;Ebl comment done veux-tu que je premienbsp;repos, s’écria Amadis, lorsque je songe que inanbsp;parole m’éloigne d’Orianc, puisqu’elle m'enchalnenbsp;céansl... Oriane m’appelle, Grassinde me rclient!..

— nbsp;nbsp;nbsp;savez-vous?.. Cequiparaitleplusvousnbsp;éloigtier sera peut-ètre ce qui vous rapprochera lenbsp;mieux. Co qui parait le mieux vous retenir seranbsp;peut-être ce qui vous éloi^nera le plusl... La vienbsp;est pleine dc lénèbres et d incertitudes, mon chernbsp;lïiaitre. On sait bien ce qu’il y a dans le passé, onnbsp;ignore cc qu’il y a dans 1’avenir... Pour le présent,nbsp;je crois que nous ferions bien de dormir...

-y-Dormonsl soupira le chevalier de la Verte Epee.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;'

Le lendemain, il était déjé haute heure lorsqu’il se leva et s cn vmt trouvev les dames qui l’atten-daient pour ouïr la messe, laquelle étant para-chevée, Grassinde lo prit par la main et lui dit, énbsp;voix basse :

— nbsp;nbsp;nbsp;Chevalier, un an avant que vous ne vinssiez

en ce pays, je me trouvais en une asserablée cliez le due dc Basile... Mon fiére, Ie marquis de Salin-der, que vous connaissez bien, et cn la gardenbsp;duquel j’ëtais alors, se mit é dire a haute voix, jenbsp;ne sais pourquoi, devant toute Tassistance, quenbsp;ma beauté était d’une excellence telle, que millenbsp;autre de la compagnie ne se devait en rien comparer a moi..... 11 ajouta que s’il y avait chevalier

qui voulüt soutenir le contraire, il était pret é le combatlre... Soit que mon frère fut redouté, soitnbsp;que ce qu’il venait de dire fut Lopinion de l’assis-tance, nul ne le voulut coatredirc; au moyen denbsp;quoi j’eraportai honneur sur toutes les belles damesnbsp;de Romaiiie. .Ie ne ra’eii suis tant réjouio, chevalier, que depuis que j’ai eu le plaisir de vous

rencoutrer sur mon chemin.....Et si, par votre

moyen, je pouvai.s parvenir k ce que mon cceur, depuis ce moment, a tant désiré, je ra’estimcraisnbsp;la plus heureuse des femmes de ce monde...

— nbsp;nbsp;nbsp;Madame, répondit Amadis, commandez-raoinbsp;ce qu’il vous plaira... S’il est en mon poiivoir donbsp;l’exéculer, vous sorez promptement obéie.

— Monseigneur, reprit Grassinde, je me suis laissc diro qu’en la maison du rol Lisvart sont lesnbsp;plus belles tillos que l’oii sache... S’il vous plaisaitnbsp;de m’y conduire et de faire en sortc, par arm esnbsp;OU autrement, que j’aie lo pas sur ellos comme jenbsp;l’ai eu jusqu’ici sur toutes les autres, je serais plusnbsp;tenue a vous qu’h tous les autres chevaliers de lanbsp;terre... Voilhle don que j’ai toujourseu en vouloirnbsp;do vous demander, vous priant affectueusementnbsp;do me l’octroyer... Je partirai aussitót que vous lenbsp;voudrez, et mènerai avec la plus grande et lanbsp;raeilleure compagnie, afin de faire honneur ti unnbsp;chevalier tel que vous êtes. Une Ibis que nousnbsp;sorons arrivés en presence du roi de la Grande-Bretagne et de tous ceux et de toutes celles de sanbsp;cour, V0U9 maintiendrez que la dame que vousnbsp;conduisez, qui sera moi, est plus belle quo nulle donbsp;toutes les pucelles que iious y trouvorons; et s’il ynbsp;a quelqu’un d'asscz mal aviso pour diro autrement,

vous l’en fcrez dédire é force d’armes.....Je vous

supplie égaleraent, mon cher chevalier, de rno mener en l’Ile Ferme, oii il y a, parait-il, unenbsp;certaine charnbre enchantée, cn laquelle aucunenbsp;dame ou demoiselle ne peut entrer si elle n’excêdenbsp;en beauté rincomparable Grimanèsel... Par ainsi,nbsp;chevalier de la Verte Epée, avisez en vous-mèmenbsp;si vous devez me refusez ou non.

Quand le chevalier ent entendu ce discours, pro-noncé tout d’uno traite, il changea de couleur.

—¦ Hélas! madame, lui répondil-il, qui vous ai-je done meffaitpour que vous exigiez de moi pareillesnbsp;choses? C’est me demander ma mort, toutsimplc-ment!...

Amadis songeait au tort qu’il ferait é Oriane, aux mépris qu’il s’attirerait, aux chagrins qui ennbsp;seraient la suite, et cela le rendait malneureux parnbsp;avance. D’un autre cóté, cn considérant tous lesnbsp;bons traitements qu’il avait regus do la reine Grassinde, et la promesse par laquelle il s’était volon-


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LE CIIEVALTER DE LA VERTE EPÉE. 27

tairement obligé a la servir, il se disait ingrat ot discourlois au possible.

Dans celte cruelle perplexité, il eüt voulu ii’être pasné; il maudissait la fortune qui lui élait contraire, ce qu’il lui semblait du moins, lorsque,nbsp;soudain, il s’avisa d’une chose ; c’était qu’Orianenbsp;n’était plus fille, mais femme parfaite, ayant eunbsp;enfant, et qu’ainsi celui qui la voudrait raaintcnirnbsp;plus belle fille que Grassinde n’élait belle femme,nbsp;auraittort, et, par raison, ilpourraitlecombaltre...nbsp;G’était la une sublilité qu’il se proposait de fairenbsp;entendre amp; sa chère princesse, soit avant, soitnbsp;après, selon Ie temps et l’occasion qu’il en aurait.

Alors, comrae s’il fut sorti d’une ténébreuse prison, Amadisrelevajoyeusementla têle et reprit;

— nbsp;nbsp;nbsp;Madame, je vous supplie de me pardonner la

faute que j’ai commise envers vous.....Mon cceur,

qui a toute puissance sur raoi, me voulait d’abord faire aller ailleurs que Iti oü vous voulez aller, et j’ynbsp;sorais certainement h cette heure peut-être, n’eütnbsp;clé Tobligation que je vous ai pour tant d’honneurnbsp;et debontraitement... Par ainsi, sans avoir égard,nbsp;madame, fi l’indiscrèle parole que j’ai dite, vousnbsp;voudrez bien me considérer comine votre serviteurnbsp;Ie plus obéissant...

— En bonne foi, répondit Grassinde qui n’était pas encore bien rassurce, en bonne foi j’ai óté biennbsp;ébahie, chevalier, on voyant votre propos sitótnbsp;change; je ne comprenais guèrc comment vous menbsp;refusiez chose qui ne peut que tourner t» votre

honneur et a ma gloire.....Mais, puisque vous ètes

maintenant en si bonne délibération, je vous prio de la continuer, étant assurée que par votre moyennbsp;j’aurai, sur les lilies de la Grande-Bretagne, Ie pasnbsp;que j’ai cu sur les dames de Romanie; ce qui menbsp;perraettra de porter les deux couronnes, cominenbsp;ayant conquis lo iircmier lieu de beauté...

— nbsp;nbsp;nbsp;Madame, reprit Ie chevalier de la Verte Epée,

la route que vous allez faire est longue..... Nous

aurons h passer par tant de pays étrangers que cela pourra bien vous fatiguer et ennuyer... Peut-ètre memo que ce merveilleux embonpoint, cesnbsp;vivescoulcurs, qui soutune partic de vos charmes,nbsp;s en trouveroiit quelque peu amoindris. Ce quenbsp;vous gagnerez au bout de votre voyage, vous vous

exposerez a Ic perdre en route..... Par ainsi,

•nadarne, pensez-y avant que d’en venir au repentir...

— Chevalier, répondit Grassinde, Ie conseil en

®st pris et ma resolution certaine..... Pour chose

fiAi rne puisse advenir, je ne ditïérerais point de partii', sans épargner argent, peine ou dangernbsp;fiuelconque. Quant h ce que vous me dites qu’ilnbsp;'lous faudra traverser main les terres étrangères, lanbsp;ffipv nous pourra rclevcr de cette peine, ainsi quenbsp;J ai Slide maitre Hélisabel.

— Puisqu’il en est ainsi, madame, dit Amadis, resigné, faiths done donner ordre h vos affaires etnbsp;partons quand il vous plaira.

— Ce sera Ic plus tót que je pourrai... En atten éant, chevalier, je vous supplie de ne pas vous

ennuyer..... Essayez de passer Ie temps Ie plus

qu il vous sera possible... J’ai oiseaux, pnbsp;nbsp;nbsp;nbsp;veneurs pour vous donner du plaisir.

quoi je suis d’avis que vous alliez aujourd’hui

courre Ie cerf ou Ie chevreuil, comme vous avise-rez...

GIIAPITRE XXT

Comment, en attendant l’lieure du départ de la reine Grassinde, ie chevalier de la Verte Epde sc mit ti chasser; et comment, dans t une de ces cliasses, il fit rencontre denbsp;èrunco dc Bonnemer et d’Angriote d’Estravaux avec Ics-quels il partit pour la Grande-Bretagne.

.n attendant done les apprêls du depart de la reine Grassinde, Ie chevalier de ianbsp;Verte Epée s’en alia, accompagné denbsp;plusieurs gentilshommes, en la forètnbsp;voisine oü ils trouvèrent maintes bètesnbsp;sauvages sur lesquelles furent lancésnbsp;^^ÉHlant de cbiens courants, qu’en peunbsp;d'heuivs dies furent aux abois.

En poursuivant un cerf éebappé des toites, Amadis et Gandalin s’égarèrent, et si avant dansnbsp;la forèt, que, la nuit étant venue, ils s’apercurentnbsp;qu’ils altaient être forcés de la passer Ih, èi la lueurnbsp;des étoiles. Ils lenlèrent cependant de s’orienter,nbsp;et, tont en ebeminant, ils arrivèrent prés d’nnenbsp;fontaine entourée d’arbres épais, oü ils nrent boirenbsp;leurs chevaux et oü ils débbérèrent d’attendre Ienbsp;jour.

Pendant que Gandalin s’occupait de choses et d’atitres, Amadis se mit a se promener sous cesnbsp;beaux arbres, en attendant que Ie sommeil luinbsp;viiit. II n’avait pas fait vjngt pas qu il apergut surnbsp;Ie gazon un cheval blanc, couché mort, et couvertnbsp;de blessures fraichement regues; puis il entenditnbsp;une voix d homme dolente et pleurarde, sans pou-voir comprendre d’oü elle venait. Amadis s’appro-cha Ie plus qu'il put dans la direction supposéenbsp;de cette voix, et, au bout de quelques instants, ilnbsp;entendit les paroles suivanles, toujonrs dolente-inent proférées.

— Ahl chélif, triste et infortuné Bruneo de Bonnemer l force t’cst maintenant de finir tes jours

avec tes affections!..... Ahl vaillant Amadis de

Gaule, mon bon seigneur, vous ne verrez plus jamais volre loyal compagnon Bruneo... Gar, en vous cherchant, comme Ie lui avait commandé Mélicie,nbsp;votre soeur bien-aimée, il est tombé aux mains denbsp;Iraitres qui Ie font mourir sans qu’il puisse rccevoirnbsp;aide ni secours de nul de ses amis!... Ahl... fortune ennemic de mon beur, tu m’as si bien éloi-gné de tont remède que je n’ai seulement pas moyennbsp;de faire entendre mon désastre a aucun pour m’ennbsp;venger, ce qui me serait un tel réconfort, quenbsp;mon esprit partirait plus content de ce misérablenbsp;monde 1... Hélas! Mélicie, fleur et iniroir de toutesnbsp;los parfaites beautés de ce monde, vous perdez aujourd’hui Ie plus loyal serviteur qu’eut jamais damenbsp;OU demoiselle, car il ne pensa en sa vie qu’ü vousnbsp;obéir, complaire et servir... Sur mon óme 1 ó Mé-


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BIBLIOTHÉQUE BLEUE.

liciel si vous considérez bien, vous trouverez peut-être que cette pertc est extréme pour vous; vous n’en retrouverez jamais un autre qui soit tant tinbsp;vous coinme était üruneo, lequel sent déja la lu-mière de sa vie s’cteindre, et sou coeur navré perdrenbsp;ses forces et son espoir...

Bruneo de Bonnemer se tut un instant, puis il soupira et reprit:

— nbsp;nbsp;nbsp;Ah! mon grand ami Angriote d’Estravaux, oünbsp;êtes-vnus maintenant!... Comment m’avez-vousnbsp;abandonné?... Nous avions longtemps poursuivinbsp;cette quête ensemble, et, quand il s’agit surtout denbsp;rester, vous me laissez sans aide ni secours quel-conque ! Ah 1 je ne vous blame pas, ami Angriote,nbsp;puisque c’est moi qui ai été aujourd'hui la cause de

notre séparation, qui sera désormais éiernelle.....

Je ne vous en blame pas, inais j’en souffre bien 1 ...

Lors les sanglots étouffèrent sa parole.

Le chevalier pleurait aussi; il s’approcha de Bruneo et lui dit:

— nbsp;nbsp;nbsp;Qui vous afflige ainsi, quel malheur vous anbsp;ainsi abattu ? prenez courage, je vous en supplie;nbsp;Dieu m’a envoyé pour vous aider.

Bruneo croyait entendre son écuyer Lasinde qu’il avait envoyé quérir un religieux pour se confesser,nbsp;il continua :

— nbsp;nbsp;nbsp;Mon ami Lasinde, tu as bien tardé, car je m’ennbsp;vais trépasser sur l’heure; aussitöt que je le serai,nbsp;tu rapporteras i Mélicie sept lettres qui sont dansnbsp;mon pourpoint.

— Mon ami, répondit le chevalier de la Verte Epée, je ne suis pas Lasinde, mais Amadis, et jenbsp;vais vous mener amp; guérison, je l’espère.

Bruneo, sans parler, reconnaissant Amadis a la voix, l’embrassa doucement, et tous deuxrestèrentnbsp;quelque temps mêlant ensemble les larmes de leursnbsp;yeux.

Gandalin s’approcha au bruit qu’ils faisaient, et il aida Amadis h déshabiller Bruneo, puis il partitnbsp;chercher mailre Hélisabel et une litière pour enle-ver Bruneo.

Hélisabel arriva bientót avec Gandalin et récon-forta Bruneo avec quelques puissants ongueuts; pendant le sommeil qui suivit ce pansement, ilsnbsp;apergurent un cavalier armé d’une hache teinte denbsp;sang; deux têtes de chevaliers pendaient è Targonnbsp;de sa selle.

A la vue d’un rassemblement de personnes, le cavalier s’arrêta et eut peur; mais le chevalier denbsp;la Verte Epée, reconnaissant Lasinde, écuyer donbsp;don Bruneo, vint au-devant de lui avec Gandalin.

Lasinde s’enfuit au galop craignant de tomber en un guet-apens; Amadis eut beaucoiip de peinenbsp;il le rainener, eu lui criant de loin qu’il était unnbsp;ami.

— Mon'pauvre maltre est trépassé en allant aux avenlures pour votre recherche, dit Lasinde ras-suré.

— II n’ost pas trépassé, Dieu merci 1 puisque nous voilii! répondit Amadis. Mais dis-moi, aminbsp;Lasmde, pendant que ton mattre dort, quels mal-neurs lui sont arrivés et quidles sont ces deux

tetss sanglantes qui pendent il l’argon de ta selle?...

Lors, eet écuyer raconta que Bruneo de Bonnemer s’étant écarté d’Angriote d’Estravaux, son compagnon, avait été surpris par six robeurs quinbsp;lui avaient tué d’abord sou chezal et l’avaient tuénbsp;oü è peu prés tué lui-même ensuite; qu’Angriotenbsp;étant accouru dans le moment oü Bruneo tombaitnbsp;il avait couru sus a ses meurtriers; c’étaient ceuxnbsp;dont il avait les têtes. Quant aux autres, Angriotenbsp;avait tenu é les poursuivre afin de lestuerjusqu’aunbsp;dernier. De la son absence.

Pendant qu’Hélisabel, aidé de Gandalin et de Lasinde, faisait un brancard de feuillage pournbsp;transporter le blessé, Amadis, qui avait toujoursnbsp;1’oreille au guet, entendit ii quelque distancenbsp;comme un bruit de ferraillement. II s’y rendit vi-teinent et se trouva en présence du vaillant Angriote qui, le dos appuyé centre un chêne se dé-l'endait comme un liou centre huit hommes armés.

Ge secours venait a temps. Angriote abattit un de ces misérables; Amadis en faucha deux autresnbsp;du revers de sa terrible épée; puis, chargeantlesnbsp;cinq autres avec une fureur suns pareille, il lesnbsp;forga a fuir, après avoir encore laissé un des leursnbsp;sur le terrain.

Lors, revenant vers son ami Angriote, qui croyait devoir ce secours efficacc a Bruneo do Bonnemer,nbsp;le chevalier de la Verte Epée leva la visière de sonnbsp;heaurae et se fit reconnailrm Angriote et lui s’em-brassèrent, et, tout en devisant, rejoignirent l’en-drqit de la forêt oü était Bruneo, Hélisabel, Gandalin et Lasinde. De nombreux embrassementsnbsp;eurent lieu, et de li on regagna doucement lenbsp;palais de la reine Grassindc qui, préciséraent, nenbsp;voyant pas revenir son chevalier, avait envoyé a sanbsp;recherche dans toutes les directions.

Les soins los plus assidus et l’habileté reconnue de maitre Hélisabel réussirent a remettre Angriotenbsp;et Bruneo en état de sortir. Dés qu’ils purent s’ar-raer, Grassinde s’embarqua avec eux et le chevalier de la Verte Epée sur un navire richementnbsp;appareillé qui fit voile pour le royaume de lanbsp;Grande-Bretagne.

Ge fut pendant le trajet, qui fut assez long, mais sans accident aucun, qu’Amadis entendit parhu'nbsp;pour la première fois du jeune Esplandian, Angriote , en causant avec lui do tout ce qui s’étaitnbsp;passé depuis son absence a la cour de Lisvart, luinbsp;raconta comment le bonhoinmo Nascian avait rc-mis entre les mains de ce prince ce bol enfantnbsp;dont on ignorait la naissance, et dont les premiersnbsp;jours avaient été marqués par des événements aussinbsp;raervcilleux. Angriote ajouta que Lisvart avaitnbsp;donné le petit Esplandian sa fille Oriane avecnbsp;Ambor son fils, ce dont il était presque faché,nbsp;paree qu’Ambor, quoique bien fait et grand pournbsp;son age, paraissait bien laid auprés d’Esplaudian.

— N’importe, mon ami, dit Amadis, il ne peut sortir rien que de bon et d’estimablc d’un aussinbsp;preux chevalier; et, dans le desscin oü je suisnbsp;d’armer mon cher et brave Gandalin, qui devaitnbsp;1’étro avant Eiiil, si vous voulez me le conlier pournbsp;quelques années, il remplacera Gandalin des quonbsp;nous serons arrivés dans file Ferme.

Angriote d’Eslravaux acci'pta cette ofl're avec reconnaissance.

Mais il est temps que nous parlions de la cour


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LE CHEVALIER DE LA VERTE ÉPEE. 29

du roi Lisvart ct des ambassadeurs de rem])Preur Patin, la reine Sardamire, Ie princ gt;, Saluste Guide,nbsp;due de Galabre, et l’archevêque de Calabre, chargés de faire en son nora la demande de la mainnbsp;d’Oriane.

CHAPITRE XXll

Comment la reine Sardamire vint ^ la cour du roi Lisvart pour en ramener Oriane, et ce qu’il advint ii des chevaliersnbsp;roraains qui insullèrent un chevalier errant.

Le roi Lisvart regut avec honneur les ambassadeurs de l’empereur Patin, et leur assura qu’ils retourneraient avec ce que leur maitre désirait.

Oriane avait fui la cour et s’était rctirée ct Mire-fleur, pour se dérober aux yeux des ambassadeurs par une feinte maladie. Le souvenir d’Amadis luinbsp;était plus cher que tous les récils fabuleux denbsp;Rome, et elle n’écouta qu’avec indifference lesnbsp;exhortations de la reine Sardamire.

Or, la chaleur était grande ce moment; la reine descendit au bord d’un ruisseau avec sesnbsp;dames et üt dresser ses tentes oü elle s'entoura desnbsp;seigneurs et chevaliers des environs. Le vieux gen-tilhorame Grumedan I’accompagnait de la part dunbsp;roi.

Parmi les chevaliers de cette petite cour impro-visée, cinq jeunes Remains pendirent leurs écus hors des tentes, leurs lances appuyées contre, cenbsp;qui était un défi pour s’essayer enlre chevaliersnbsp;errants, avant de passer outre; leur desir était denbsp;rencontre!’ des chevaliers de la Grande-Rretagnenbsp;auxquels ils se croyaient supérieurs.

— Nous verrons, marmottait le vieux Grumedan , comme vous vous en tirerez; il pourrait arriver quelqu’un qui vous donnerait beaucoupnbsp;d’affaires.

A ce moment venait de loin Florestan, le gentil chevalier, cherchant son 1'rère Amadis; ayant ap-pris l’arrivée des chevaliers remains, il espérait ennbsp;^voir des nouvelles a la cour du roi Lisvart. Ennbsp;^Percevant les tentes, il se dirigea vers la premièrenbsp;les dames devisaient entre elles, et, s’appuyantnbsp;^ur sa lance, il les regarda fixement.

L’une de ces dames se leva avec dépit et l’inter-

Gertes, chevalier, vous ctes mal avisé d’af-ironter ainsi des dames sans leur avoir fait aucune leverence; q yous siérait bien mieux de vousnbsp;aaresser amp; ces écus pendus qui vous appellenlnbsp;pour reniplir envers leurs maitres les devoirs quenbsp;vous oubliez envers nous.

bonne foi, mademoiselle, répondit Flo-pn nbsp;nbsp;nbsp;^'f^hgeandement raison; mes yeux,

trouvant si belies touies ensemble, onl tixé mninbsp;nbsp;nbsp;nbsp;®nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;l'acullés; pardonnez a

bounces gr”'* nbsp;nbsp;nbsp;^ obtenir par unc penitence vos

— nbsp;nbsp;nbsp;Le pardon viendra après Tarnende payee, fitnbsp;la dame.

— nbsp;nbsp;nbsp;Sur mon Dieu, reprit Florestan, j’écoute,nbsp;surtout s’il s’agit de jouter contre ces chevaliers,

;i moins qu’ils no préfèrent retirer leurs ecus.

— nbsp;nbsp;nbsp;Groyez-vous done qu’il soit si facile de retirer ces écus ? répliqua la dame; leurs maitresnbsp;ont bien la pensée d’en conquérir d’aulres sur lesnbsp;chevaliers errants, et les emporter a Rome pour ennbsp;tirer vanité; je vous conseille de vous écarter sinbsp;vous nevoulez leur donner Tétrenne.

—Votre conseil etla honte que vous m’anuon-cez, fit le brave Florestan, prouventque vous igno-rez mon nom et mon cceur; au lieu de mon écu, les leurs iront en compagnie de plusieurs autresnbsp;erabellir le palais de Tile Ferme.

Puis il se dirigea vers les autres pavilions.

Grumedan avait tout entendu; il espéra voir ra-baisser Toutrccuidance des Remains par ce chevalier qui lui parut être un parent d’Amadis. En sor-tant de sa tente, il vit Tinconnu toucher Tun après Tautre les écus du fer de sa lance pour appeler leursnbsp;maitres au combat, et traverser ensuile le ruisseaunbsp;pour attendre les champions.

Les cinq chevaliers remains montèrent k cheval, et, furieux, voulurent fondre fpus ensemble surnbsp;Florestan, lorsque Grumedan les arrêta et leurnbsp;dit :

— La coutume n’est pas ici d’aller k cinq contre un seul chevalier; que chacun a son tour passe lenbsp;ruisseau dans Tordre oil les écus ont été touchés.

Le premier chevalier assura qu’il allait faire prendre a Tinconnu la mesure de son corps sur lenbsp;pré; il disposa d’avaiice pour lui de Técu, et pournbsp;Gradamor du cheval qui avait une belle taille, etnbsp;passa le russeau.

Florestan et lui se rencontrèrent d’écus et de corps si rudement que le Remain fut descendu avecnbsp;un bras rompu.

Lors Florestan le voyant anéanti de cette chute, cria k ses compagnons de retenir le cheval qui s’é-chappait, et de pendre Técu k un arbre qu’ilnbsp;mon tra.

Puisil reprit sa place d’arrêt, attendant le second chevalier qui fut démoli mieux que le premier : cavalier, selle, écu, haubert, chair même furent enlevés en un moment; Florestan lui dit knbsp;haute voix ;

— Par Dieu 1 votre cheval m’appartient, mais je vous laisse la selle k condition quo vous irez fairenbsp;publier vos prouesses au Capitole de Rome.

Grumedan et les dames entendirent cette injure; le vieux chevalier voyait avec un sourire son sou-hait se réaliser, il conseilla k Gradamor le Remainnbsp;de relever bien vitc la partie s’il ne voulait voirnbsp;tous leurs écus orner Tarc des chevaliers vaincus.

Gradamor promit k Grumedan de le faire repentir de ses paroles avant la nuit.

Le troisième chevalier s’avanga contre Florestan avec grand bruit de bois de lance et la plus fiérenbsp;contenance qu’on put voir, mais Florestan Tattei-gnit dc si droit fil en Tarmet, qu’il le lui fit volernbsp;au loin, puis, du bois de sa lance, il lui chamaillanbsp;tant le nez, qu’il le contraignit k tomber sur le sol


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30 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

30 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

Le quatrième chevalier ne s’entira pasmicux, car il eut la jambe brisce.

II ne restait plus que Gradamor, qui disputait encore avec Grumedan.

¦— Soyez prêt ti me répondre, lui disait-il, aussi-tót que j’aurai fait de ce chevalier, dont vous avez prononcé l’éloge toute cette journée; si je ne vousnbsp;en fais dédire, je ne veux donner de ma vie coupnbsp;d’éperon k un cheval.

— nbsp;nbsp;nbsp;Quand je l’aurai vu, répétait Grumedan, je lenbsp;c'foirai, mais je nedoute pas que vous alliezgrossirnbsp;les prises de ce chevalier inconnu.

Gradamor traversa le ruisseau en criant ci Flo-restan de prendre garde è lui.

Florestan courut è,sa rencontre, et leur choc fut si rude que Gradamor, pris au découvert, fut j(iténbsp;dans une mare pleine de fange. Florestan eut sounbsp;écu percé de part en part.

— nbsp;nbsp;nbsp;Par ina foi, dit Grumedan a la reine, j’aurainbsp;le temps de prendre haleine avant que Gradamornbsp;aitessuyéses armes ettrouvé une autre monture.

— Gertes, répondit la reine, il est bien punides propos qu’il vous a tenus; vous devez étre indulgent maintenant.

Gradamor faillit sè noyer dans la boue infecte de la mare; il eut voulu étre mort du coup; ilnbsp;s’essuya avec dégout; Florestan lui dit ironiquo-ment;

— Chevalier, qui menacez si bien les incqnnus, si vous n’êtes pas plus fort a 1’épée qu’a la iance,nbsp;vous n’emporterez pas mon écu a Rome, ainsi quenbsp;vous 1’avez dit.

— Par Dien 1 fit Gradamor, mon bras est sain et mon épée assez cfttière pour tirer vengeance de toi;nbsp;mais que ce soit a la mode du pays, c’est-d-direnbsp;que tu me rendes mon cheval, ou quetu mettesnbsp;pied i terre pour vcnir au combat a armes égales,nbsp;le vainqueur fera de son ennemi comma il avisera,nbsp;sans avoir pitié de lui.

— Vraiment, répondit Florestan. J’y conseris, quoique je doute qu’è ma place tu en fisses au-tant; mais comme un si beau chevalier remain nenbsp;peut monter un cheval si crotte que le tien, je des-cendrai du mien selon ta prière.

Ge disant il mit pied h terre et, se couvrant de son écu, marcha centre Gradamor qui espérait biennbsp;venger sa honte.

Un engagement terrible commenga entre eux, mais dura peu a cause de Fbabileté incroyable denbsp;Florestan. Gradamor rompit pied è pied, jusqu’au-près du pavilion de la reine ou il tornba étourdi.

Florestan le tratna par une jambe jusque dans la fange d’oüil était sorti, et la fraiebeur lui renditnbsp;la parole. En se voyant fi cette extrémité, Gradamornbsp;implora le pardon de Florestan, appelant la reinenbsp;a son aide, mais Florestan lui rappela qu’il était tinbsp;sa merci suivant leur convention, et que sa vie dé-pendait de Faccomplissement de deux ordres.

—Ecris d’abord, dit Florestan, de ton propre sang sur ces ecus, ton nom et ceux de tes compagnons, et je te diraile reste ensuite.

'’°y®nt l’épée prête a tomber sur sa tete, ut venir un stylet et obéit au coininanderaentnbsp;de riorestan.

Florestan lui ordonna ensuite de demander sa vie au chevalier Grumedan qu’il avait injurié. Grumedan pria Florestan de pardonner de sa part S eetnbsp;orgueilleux si abaissé en ce moment.

— Seigneur Grumedan, dit Florestan, vous pou-vez me commander, et puisque vous voulez qu’il vive, vous serez obéi. Et vous, chevalier romain,nbsp;ajouta-t-il en se tournant vers sa victime, remer-ciez-le, et n’oubliez pas a votre retour é Rome denbsp;raconter au sénat l’avantage que vous avez eu au-jourd’hui sur les chevaliers de la Grande-Bretagne;nbsp;parlez-en souvent amp; votre empereur, cela lui seranbsp;agréable. Pour moi, je raconterai aux chevaliersnbsp;de File Ferme comment les chevaliers do Romenbsp;donnent facilement leurs armes, chevaux et ecus anbsp;des inconnus, quand ils ne peuvent les défendre.nbsp;II ne vous reste plus qu’a aller sous Fare des loyauxnbsp;amants voir si vous avez autant d’amonr quo denbsp;prouesses.

Grumedan ne se contenait pas de joie d’assister a Fabaissement des Romains, du fait d’un soul chevalier; il fit cependant transporter sous une desnbsp;tenles Gradamor, dans un état déplorable. Flo-resUm voulut lui cacher sou nom, que le bravenbsp;chevalier désirait connaitre; il voulut attendre lenbsp;pardon de la reine et des dames avant do se fairenbsp;connaitre. Grumedan Fassura qu’il était pret fitoutnbsp;pour l’amour de lui, et qu'il obtiendrait Fagrémentnbsp;de Ia reine.

Florestan Finlerrogea sur Amadis, mais ou ne Favait pas vu dans ce pays depuis son depart pournbsp;la Gaule.

Grumedan s’cn retournait vers les dames lors-qu’un écuyer de Florestan le rejoignit, lui offrit (le la part de son raailre le cheval de Gradamor, etnbsp;le pria de présenter les quatre autres amp; la dame quinbsp;avait interpelé son maitre ti son arrivóo.

La dame accepta avec plaisir ce cadeau, et Grumedan fut on ne peut plus flatté d’avoir le cheval de son insulteur.

— Je suis bien fachée, dit la dame è Fécuycr, de lui avoir ebt chose déplaisante, ii cause de sa grandenbsp;prud’homie, ct je vous prie de lui dire que je Feunbsp;dédornmagerai quand il lui plaira.

L’écuyer revint vers Florestan et lui raconta ces propos; puis, ils chargèrent les ecus des Romainsnbsp;et s’abritèrent dans Ferraitage voisiu, décidant denbsp;ne passer qu’un jour de plus avant d’arrivcr ennbsp;1’Ile F(!rme, ou se trouvait Galvanes, gouverneurnbsp;pour Amadis, et a qui devaient (itre laissées les-armes des Romains, corarne Florestan le leur avaitnbsp;pro mis.

Aussitót après le depart de Fécuycr, Grumedan vint cl la reine Sardamire lui demander, pour Florestan, pardon, et lui annoncer cpFil était frérenbsp;d’Amadis; ce qu’il avait su de Fécuyer.

—G’est Ie plus hardi chevalier qu’il y ait, ajouta-t-il.

— Je le sais, répondit la reine, mais paree qu’il est frére d’Amadis on n’ose en parler devant Fem-pereur,qui s’est vu ()ter la conquête do File Fermenbsp;sur laquelle il avait des prétentions.

L’einpereur Patin s’était en effet, fit Grumedan, réservé eet exploit; je crois, enlrc nous, qu’Amadis lui a épargué une defaite, ct par aiiisi il


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LE CHEVALIER DE LA VERTE EPEE. 31

dovrait l’airner d’autant inieux. 11 a, du roste, une raisoii de froideur quo soul je connais enlre eux;nbsp;c’est une avenlure oü 1’empereur, chantant utienbsp;romance d’amour, rencontra Ie seigneur Amadisnbsp;qui mélancolisait sous un arbre ; ils eurent en •nbsp;semble un engagement assez sérieux.

— U’après cela, sc dit la reine, la raison est plus grave que je ne supposais.

GHAPIÏRE XXllI

Comment la reine Sarclamire pria Floreslan de la conduire k Mirofleur vers Oriane, lui tenant escorte au lieu des chevaliers qu’il avait si maltraitds.

Sardamiro dissimula ce qu’elle pensait de l’in-juste haine de Patin. Mais, comme elle avait un secret désir de revoir Florestan, dont la fiére prestance 1’avait frappée, et dont elle admirait de bon coeurnbsp;la vaillance, elle dit it Grumedan :

— nbsp;nbsp;nbsp;Seigneur, il rne vient en ce moment une idéénbsp;que je souhaite fort de voir approuvée par vous.nbsp;Mon escorte est mainlenant hors d’état de servir,nbsp;et je serais fachée que Florestan put conserver unenbsp;mauvaise opinion de la courtoisie romaine.Ordonc,nbsp;j’ai bien envie de lui faire savoir parson écuyer quenbsp;je Ie prie de me venir accompagner avec vous jus-qu’èi MireReur.

Grurnedau était vieux, mais il avait élé jeune, c’est-a-dire aimable. 11 savait en outre, ou croyaitnbsp;savoir, ce que parler veut dire. II lut dans les yeuxnbsp;de la belle Sardamire des sentiments bien tendresnbsp;pour Florestan, et dont il eüt fait volontiers sounbsp;orgueil et son profit au temps évanoui de sa prime-jeunesse.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ahl madame, lui dit-il, rien n’est mieuxnbsp;bnaginé que d’obliger Florestan ci vous servirnbsp;d’escorte. V’^ous Ie punirez en même temps de sonnbsp;premier tort et de la défaite de vos chevaliers. Maisnbsp;•ie doute que Florestan regarde un ordre parednbsp;Comme une punition... Je Ie sais trop courtois etnbsp;^rop admirateur de la vraie beauté pour supposernbsp;'Rï seul instant qu’il n’éprouvera pas un immensenbsp;Plaisir h so rapprocher de vous et è vous étre utilc.

sue d'aise sous mon vieux harnois, moi, a cette ^gréable pensee : jugez done de ce que cela seranbsp;poiir lui qui est jeune et plein d’ardeur 1...

Sur ce, Sardamire envoya Tune de ses demoiselles avec l’écuyer de Florestan, pour faire ce Riessage. Florestan surpris, mais enchanté ainsinbsp;due l’avait prévu Ie vieux Grumedan, reprit incon-hnent ses armes, inonta h cheval et suivit avecnbsp;einpressement la demoiselle qui Ie conduisit d’a-oord au pavilion du vieux chevalier.

Les deux vaillanls hommes s’embrasscrent avec uue joie bien vive, et Florestan raconta h Grumc-pen de mots, les aventures qui lui étaientnbsp;leur separation.

e ne sais coiiuueul iinira cellc-ci, dit en riant

Grumedan; Ie commencement en estbien glorieux, la fm pourrait bien en étre agréable !...

Puis il Ie mena a la tente de la belle Sardamire, qui ne put s’empêcher de tressaillir en l’aperce-vant.-

— nbsp;nbsp;nbsp;Madame, dit Florestan en ployant Ie genounbsp;et en lui baisant la main, Ie hasard seul vous anbsp;portee me demander de vous servir: je remercienbsp;Ie hasard... Puissé-je, par ma souraission a vosnbsp;moindres ordres, madame, mériter Ie bonheiir denbsp;vous servir Ie roste de ma vic!

Grumedan fit préparer les équipages, et 1’on se mit en .route pour MireReur.

Oriane était prévenue de l’arrivée de la reine Sardamire; mais, quoique l’objet de son messagenbsp;fiit odieux et désespérant pour elle, elle ne lui fitnbsp;pas voir dans ce premier moment. Tout au contraire, l’attrait, la grace, la suavité de ses manièresnbsp;onvers elle, tout prévint si bien Sardamire en faveur d’Oriane, que, dés lors, elle s’attacha a cettenbsp;malheureuse princesse, dont bientót elle plaignitnbsp;la deslinée dans son cceur.

Oriane 1'ut trés aisc de revoir Ie frère de son cher Amadis.

— nbsp;nbsp;nbsp;Seigneur, lui dit-elle avec mélancolie, l’ab-sence do votre vaillant ct redoutable frère, ainsinbsp;que la votre, out fait bien du tori a eeux et a celles

qui sont venus pour implorer votre secours.....

Gombion de fois n’avez-vous pas été regrettésl... Vous Fêtes en ce moment par une pauvre demoiselle que l’on veut déshériter, que 1'on veut con-traindre a quitter sa patrie et ses affections, et quinbsp;bientót n’aura plus d’autre ressource que lanbsp;mort...

Florestan, attendri, et sachant bien qu'Oriane voulait parler d’elle-mêrae, lui dit du ton du plusnbsp;vif intérêt:

— nbsp;nbsp;nbsp;Rassurez-la, madame; vous devez savoir quenbsp;mon frère et moi nous sommes toujours prêts ènbsp;répandre notre sang pour les demoiselles qu’onnbsp;persecute et pour les dames qu’on afflige... Je puisnbsp;vous assurer qu’Amadis est en bonne santé, qu’ilnbsp;s’est couvert de gloire en des pays assez éloignés,nbsp;ct que peut-être même cette demoiselle en peinenbsp;Ie verra bientót venir a son secours...

— nbsp;nbsp;nbsp;Vous venez de parler Iti d’Amadis bien im-pruderament, répliqua la reine Sardamire, car ilnbsp;ne ferait pas bon pour lui a se trouver dans Ie voi-sinage de l’empereur qui uourrit contre lui unenbsp;hainé profonde... A vrai dire, je nesais pas exac-tement, a cette heure, lequel lui est Ie plus odieux,nbsp;ou du vaillant Amadis, ou d’un autre non moinsnbsp;vaillant chevalier (jui a nom Ie chevalier de lanbsp;Verte Epée... Ge dernier, non-seulement a tuénbsp;Garadan, procho parent de l’empereur, dans unnbsp;combat particulier, mais encore, par la victoirenbsp;qu’il a remportéc sur onze chevaliers romains, ilnbsp;a fait triompher Tal'fmor, roi de Bohème, dont lesnbsp;Etats, que Fempereur avait quasiment conquis, outnbsp;été ainsi délivrés de toute sujélion...

Oriane, qui venait de recqnnaitre sou amant dans Ie chevalier do la Verte Epée , conduisit Sardamire dans une chambre magnifiquement appa-reillée, oü elle la laissa pour se relirer dans la


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BIltLfOTHEQUE BLEUE.

sienne et causer cn liberté avec Mabile et la fidéle demoiselle de Danemark.

Quelque temps après, elle manda Ie vieux Gru-incdan, dont elle connaissait la prud’homie, et Ie pria de s’employer de loutes ses forces auprcsnbsp;du roi Lisvart, pour lui représenler qu’en la li-vrant aux Romains et en la privant d’hériter dunbsp;rayaume de la Grandc-Brelagne, il coramettait lanbsp;plus grande detoutes les injustices.

— Je ferai de mon mieux, madame, répondit Grumedan; mais j’ai grand’peur de ne pas réussirnbsp;dans cette mission, oü d’aulres, plus éloquents quenbsp;moi, ont déja échoué, entre aulres Galaor, quinbsp;yient de s’ernbarquer pour la Gaule, désespéré...

Malgró ces navrantes paroles du vieux chevalier, un rayon d’espérance ne cessa pas d’illumi-ner Ie cceur d’Oriane. Aussi, Ie lendoma n matin, a la seconde entrevue qu’elle eut avec la reine Sar-damire, celle-ci la trouva plus belle encore que lanbsp;veille. Sardamire saisit vainement quelques occasions de parlor ti Oriane de tous les honneurs quinbsp;raltendaient a Rome et de la gloire qu’il y avaitnbsp;pour elle a monter sur Ie premier tróne de l’uni-vers: Oriane rejeta toujours cette idee avec dédain, en ayant soin de faire remarquer é Sardamire qu’elle n’en avait que pour des offres qui lanbsp;blessaient, et que tout ce qui lui venait d’ellenbsp;personnellement ne poimit que lui ctre agréable.

Oriane, sachant que Florestan ne voulait point paraitre devant Ie roi Lisvart, dont il connaissaitnbsp;la haine pour lui coraine pour son frère, ne putnbsp;cependant s’empêcher de lui demander de ne pasnbsp;l’abandonner a sa malheureuse destinée.

— Ne redoutez jamais mon abandon, madame, lui dit Florestan avec chalour. Et si Ie sort nousnbsp;privait encore longteraps du bras d’Amadis, croyeznbsp;que Floreslan et tous les chevaliers de File Fermenbsp;répandraient tout leur sang plutot que de ne pasnbsp;s’opposer k la plus odieuse de toutes les injustices... Je compte être (lemain é File Ferme, madame... J’y trouverai certainement Agraies, Qua-dragant et maints bons chevaliers qui ne souffri-ront point qu’on attente h votre liberté!...

Et, en effet, Ie jour même, Florestan s’embar-quait pour File Ferme.

CHAFITRE XXIV

Comment, en arrivant en Grande-Bretagne , Amadis rencontra, sans se faire coriiiaitre,nbsp;deux chevaliers de l’Ile Ferme qui lui appri-rent Ie mariage de la princesse Oriane; etnbsp;comment, alors, il songca a 1’empêclier.

,-*n méme temps que Florestan / partaitpour File Ferme, Amadisnbsp;-i—arrivail dans la Grande-Breta-/ gne avec la belle Grassinde ctnbsp;'ses amis Angriote et Bruneo.nbsp;Comme il ne voulait pas être rc-vj, connu, et que ses armes eussentnbsp;Zquot;* pu Ie trahir, il les quitta ct prianbsp;~rj la reine Grassinde de ne plus Fappelernbsp;que Ie chevalier Grec.

vT nbsp;nbsp;nbsp;Grec, soit! répondit la

belle princesse avec enjouernent. Que

vous soyez chevalier Grec ou chevalier de la Verte Epée, vous serez toujours ponr moi Ie plus vaillantnbsp;et Ie plus aimable des chevalicrsl...

Amadis s’inclina pour remercier.

Au moment oü Ie navire qu’il montait eutrail a pleines voiles dans Ie port, une petite nauf y en-trait aussi et y jetait rapidement I’ancre. ilélisabelnbsp;s’étant informé de quel pays venait celtc nauf, lesnbsp;mariniers lui répondirent qu’elle venait de 1’Ilenbsp;Ferme et portait deux des chevaliers de cette ilenbsp;célébre.

Amadis ressentit la joie la plus vive cn apprenant qu’il allait revoir deux de ses anciens compagnonsnbsp;d’armes.

— nbsp;nbsp;nbsp;Mon eber Bruneo, dit-il a 1’amant de Mélicie,nbsp;mon cher frère, comme je ne veux pas être reconnunbsp;et que ma voix, malgré son emotion, Ie serait faci-lement par ces chevaliers, je vous supplio de leurnbsp;parler, vous, et de savoir d’eux quebjucs nou-velles.

— nbsp;nbsp;nbsp;Volonliers, répondit Bruneo.

Lors il s’avanqa sur Ie bordage du navire, et, apercevant les deux chevaliers sur Ic tillac de leurnbsp;petite nauf, il cria : Gaule!

— nbsp;nbsp;nbsp;Vous êtes Amadis? demandèrent tout joyeuxnbsp;ces deux chevaliers, quo Bruneo reconnut pournbsp;ètre Enil et Dragonis.

— nbsp;nbsp;nbsp;Hélas! non, répondit Bruneo. Je ne suis quenbsp;son ami.

— nbsp;nbsp;nbsp;Nous sommes les sieus aussi, reprit Euil.

— nbsp;nbsp;nbsp;Pourriez-vous nous donner quelques nou-vellessur ce qui se passe é la cour du roi Lisvart?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Nous savons peu de chose, comme vous de-vez penser, répondit Enil, car nous ne nous inté-ressons guère a la cour d’un prince qui depuisnbsp;lougtemps nous a traités en ennemis. Nous ncnbsp;sommes venus sur cette cóte que pour apprendrc,nbsp;s’il est possible, quelques nouvelles sur ce qui nousnbsp;intéresse Ie plus au monde, ü savoir sur notre incomparable Amadis. Oü est-il? Que fait-il? Est-ilnbsp;vivaut? Est-il mort?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Pour mort, il no Ie doit pas être, dit Bruneo,nbsp;car nous 1’avons rencontré il y a pen de temps ennbsp;Roraanie oü il s’était fait coimaitre et admirer parnbsp;de grandes avenlures. II se proposait de revenir anbsp;File Ferme. Je l’y croyais. Mais votre quèto mcnbsp;prouve que je me suis trompé, et cola inc fachenbsp;beaucoup.

— nbsp;nbsp;nbsp;Nous sommes aiscs cFapprendre cette nouvelle de sou retour, reprit Dragonis. Quand il re-viendra ü File Ferme, il y trouvera rassemblésnbsp;tous les chevaliers ses compagnons. Nous y avonsnbsp;vu arrivqr, hier même, Ie prince Florestan qui s’ennbsp;retouruait de la Grande-Bretagne, aprés avoir bicunbsp;rabaltu l’orgueil des chevaliers romains attachésnbsp;a Fambassade qui vient chcrchcr la •princessenbsp;Oriane...

Getto revelation fit tressaillir Amadis jusqu’au fond du coeur.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ah! cher Bruneo, dit-il a voix hasse ct an-goisscuse h son ami, je nressens des malheurs tor-rihlesl... Mais je veux boire loute la lie de cetienbsp;mauvaise nouvelle... Priez ces chevaliers de vousnbsp;donner des détails sur cette navrante affaire.


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LE CHEVALIER DE LA VERTE EPEE. 33

— nbsp;nbsp;nbsp;Ayez foi en Dien I lui répondit Bruneo en luinbsp;serrant la main.

Puis, se touruant de nouveau vers Enil et Dra-gonis :

— nbsp;nbsp;nbsp;Ne pourriez-vous, leur demanda-t-il, me ra-conter ce que vous savez de cette ambassade ro-maine?

— nbsp;nbsp;nbsp;Ah! volontiers... Mais ces détails se bornentnbsp;è ceux que nous tenons de la bouche de Florestan.nbsp;G’est par lui que nous avons appris que Ie roi Lis-vart est dans la ville de Tagades; que Ie princenbsp;Salluste, due de Calabre, la reine Sardaraire etnbsp;l’archevêque de Tarente, sont arrivés dans ce portnbsp;avec une armée navale; que leur commission estnbsp;de demander, au nom de l’empereur Patin, la prin-cesse Oriane, et que Ie roi Lisvart parait déterminénbsp;è la remettre entre lears mains. Florestan a ajouténbsp;qu’il doutait que ces ambassadeurs romains vins-sent facilement ci bout de leur entreprise, sachantnbsp;de bonne source que la princesse Oriane se don-nerait la mort plulót que de consentir fi ce ma-riage... Sur ce qu’il nous en a dit a tous en arri-vant, nous avons pris Ie parti de nous opposer èinbsp;cette violence et d’atlaquer les Romains s’ils osaientnbsp;enlever la princesse Oriane sans son consente-ment...

Enil etDragonis se turent. Lors, Amadis navré, tirant i part soa fidéle Gandalin, lui dit :

— nbsp;nbsp;nbsp;Ami Gandalin, tu vas prendre sur-le-champnbsp;congé de la reine Grassinde, et lui annoncer quenbsp;tu yas passer dans 1’Ile Ferme avec ces deux chevaliers, pour avoir des nouvelles plus positivesnbsp;d’Amadis de Gaule. Quand tu seras arrivé, tu ferasnbsp;promptement armer tout cc que tu pourras assembler de navires, et tu prieras de ma part les chevaliers de 1’lle Ferme de se tenir prèts pour unenbsp;expédition importante, en les assurant que, dansnbsp;peu de jours, je serai au milieu d’eux pour parta-gor avec eux les périls et la gloire de cette expédition...

Amadis, sachant aussi qu’Ardan, son nain, éfait J^pnnu Si la cour de Lisvart, Ie fit partir avec Ganda-t*n, en lui donnant pour unique instruction d’exé-cuter les ordres de eet écuyer et de ne pas sortirnbsp;de l’Ile Ferme.

La nauf d’Enil et de Drag^onis accosta alors tout-quot;¦‘ait Ie navire de la reine Grassinde ; Gandalin et Ardan y montèrent, et aussitót la nauf repartitnbsp;pour 1’lle Ferme. Ce que voyant, Amadis fit re-j^ettre a la voile Ie navire qu il montait, et, deux

eures après, il abordait au port de Tagades.

CHAPITRE XXV

Comment la reine Grassinde envoya une demoiselle auprès du roi Lisvart, pour lui demander tournoi en faveur denbsp;son chevalier Grec, défen.seur de sa beauté, ce que cenbsp;prince accorda volontiers.

I rassinde, aussitót arrivée, dé-puta prés du roi Lisvart une deses demoiselles, en laquellenbsp;elle avail grande fiance, avecnbsp;une lettre qu’elle ne devaitnbsp;remettre a ce prince qu’aprèsnbsp;certaines formalités dont ellenbsp;'Out soin de l’instruire.

Bruneo, désirant avoir des .nouvelles plus particulièresnbsp;gt;de cette cour, fit déguiser La-sinde, son écuyer, et lui re-^commanda de suivre cettenbsp;-^demoiselle sans qu’elle put

s’en douter, puis, une fois a la cour du roi Lisvart, de savoir exactement tout ce qui s’y pas-serait.

Lasinde et la demoiselle partirent done, l’une devant l’autre. Lorsque cette dernière fut auxnbsp;portes du palais, elle s’inlorma comment elle pour-rait obtenir de parler au roi. Le hasard ayaiitnbsp;amené prés d’elle le jeune Esplandian, eet aimablenbsp;enfant lui présenta la main et s’oiTrit de la conduircnbsp;lui-même.

Ils allèrent done. Bientót ils rencontrèrent Lisvart qui se promenait dans une galerie. La demoiselle,'se mettant alors èi ses genoux, le supplia d’écouter Ie message dont elle élait chargée.

— nbsp;nbsp;nbsp;Parlez, ma gente enfant, dit Lisvart en la relevant. '

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, répondit la demoiselle, celle qui m’en-voie m’a trés expressémeut ordonné de ne parlernbsp;qu’en présence de la reine, et ce ne doit être quenbsp;de son aveu quo je vous supplierai de m’accordernbsp;toute süreté pour ceux qui désirent paraitre devant vous.

— nbsp;nbsp;nbsp;Qu’a cela ne tienne 1 dit Lisvart.

Et, incontinent, il envoya prier la reine de passer un moment dans la galerie, ce que Brisène s’empressa de faire.

— Madame, dit a cette princesse la demoiselle de la reine Grassinde en se mettant A genoux, votrenbsp;cour est renommée par la bienveillante hospitalilénbsp;que vous accordoz è tous Iqs étrangers... J’espèronbsp;que vous m’accueillerez de mêrae et que vous nenbsp;serez point blessée de la lettre dont vous allez entendre lecture.

— Faites librement votre message, ma mie, répondit la reine.

La demoiselle présenta A Lisvart la lettre de Grassinde. Lisvart lut ce qui suit:

Série. — 3


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34 BIBLIOTHEQÜË BLEUE.

ff Trés haut et trés magnanime prince,

ff Moi, Grassinde, belle entre toutes les belles dames de la Romanie, j’ai rhomieur de vous don-ner avis que je suis arrivée depuis peu de joursnbsp;dans vos Etats, sous la garde d’un chevalier grec.nbsp;Fiére d’avoir remporté la palme de la beauté dansnbsp;les plantureuses contrées de la Romanie, j’ai dé-siré jouir du même honneur au delé des mers.

ff Je sais, Sire, que les plus charraantes demoiselles, et les plus braves chevaliers rendent votre cour la plus célébre de l’univers; j’avoue que, nenbsp;prétendant rien disputer aux dames bretoimos, j’ainbsp;I’ambitiou de remporter la victoire sur les demoiselles dont les chevaliers voudront éprouver ia va-leur du mien; et si votre majesté permet que jenbsp;fasse publier oe döfi, je la prie de m’accorder unnbsp;sauf-conduit pour moi, pour mon chevalier et pournbsp;ma suite. »

— nbsp;nbsp;nbsp;Trés volontiers, dit Lisvart a la demoiselle,nbsp;je vais faire publier Ie sauf-conduit que votre maitresse desire; et si personne ne se présente pournbsp;lui disputer Ie prix, j’espére qu’elle sera contentenbsp;d’ailleurs des égards que I’oii aura pour clle.

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, ajouta la demoiselle, deux compagnonsnbsp;du chevalier grec Tont suivi dans cette cour; tousnbsp;les deux sont amoureus... Ils se présenteront aussinbsp;prêts é combattre contre ceux de vos chevaliers quinbsp;oseront soutenir que d’autres beautés que les dames de leurs pensees méritent la préférenee.

— J’y consens, répondit Lisvart en souriant, et vous pouvez dire h votre maitresse de se présenternbsp;avec ceux qui I’accompagneat.

— Sire, dit la demoiselle, ils se trouveront tous demain daas Ia belle prairie voisine de cette ville.

La demoiselle ayant rapporté la réponse favorable de Lisvart, Amadis et Grassinde envoyérent tendre de riches pavilions dans la prairie pour s’ynbsp;reudre au lever du soleil.

A peine la demoiselle de Grassinde eut-elle pris congé de Lisvart, que Ie prince Salluste Guide s’a-vanpa suivi de plusieurs chevaliers remains; ilsnbsp;fléchirent uu genou devautleroi, et Salluste prit lanbsp;parole au nom de tous :

— Sire, dit-il, nous vous requérons un don qui ne peut que faire honneur a votre cour.

— Gertes, répondit Ie roi, dans les termes oü je suis avec vous, j’aurais mauvaise gréce h ne pasnbsp;vous Taccorder.

— Eh bien 1 reprit Salluste, il nous sera done permis de soutenir la querelle de tant de belles demoiselles ici présentes; je crois que nous y réussi-rons mieux que ne pourraient faire les chevaliersnbsp;de votre cour; d’ailleurs, nous connaissons la faponnbsp;de combattre des Grecs, et eombien Ie seul nom denbsp;Romain leur inspire de crainte.

Le bon vieux Grumedan, qui ne pouvait souffrir Salluste ni les Remains, ne perdit pas cette occasion de mortllier leur amour-propre.

Sire, dit-il, quoique de semblables combats musirent touyours de grandes cours, la vótre peutnbsp;nsquer devoir diminuer son ancien lustre; le chevalier Grec et ses deux compagnons peuvent êtrenbsp;plus redoutables que ne le pensent les Roinains;nbsp;et quoique ia querelle des dames bretaunes ne soitnbsp;pas soutenue par des chevaliers de votre cour, ilnbsp;vous serait trés désagréable qu’elles essuyassentnbsp;une espéce de déshonneur en votre presence. Pour-quoi votre majesté ri’attendrait-elle pas plutót cinqnbsp;OU six jours? Galaoret Norandel seront alors de retour, Guillan-le-Pensif sera guéri de ses blessures,nbsp;et vous serez alors plus certain du succés.

— II n’est plus temps, répondit Lisvart, puis-que je viens d’accorder ce combat au prince Sab luste.

— A la bonne heure, reprit vivement Grumedan, mais votre majesté n’a pas consulté les demoiselles, et je doute qu’aucune d’elles voulüt re-raettre aux chevaliers roraains le droit de déteudre leur beauté.

— Seigneur Grumedan, interrompit Salluste, qui n’osait montrer tout le dépit qui l’agitait, vousnbsp;direz tout ce que vous voudrez, mais j’espére biennbsp;soutenir avec gloire Thonneur de ces demoiselles...nbsp;Et, lorsque j’aurai vaincu ce chevalier Grec, quenbsp;vous estimez tant, je serai fort aise de combattrenbsp;aussi ses deux compagnons... Je vous combattrainbsp;vous-même, s’il vous en prend envie, pourvu quenbsp;deux de mes chevaliers rendent la parlie égale...

— Par Dieu ! s’écria Grumedan, je l’accepte dc tout mon coeur, tant pour moi que pour ceux quinbsp;voudront être de mon cóté.

Lors, tirant un aniieau de son doigt, Grumedan le présenta li Lisvart, en disant:

— Sire, recevez mon gage. Le prince Salluste, pour me braver, a demandé lui-même ce combat:nbsp;il ne pourrait plus raainteiiant s’en dódire sausnbsp;bonte et sans s’avouer vaincu.

—¦ Ahl s’écria Salluste, les mers se sècheront avant qu’un Romain rétracte sa parole!... Grumedan, je n’ai plus de pitié de votre vieillesse, et vousnbsp;méritez d’etre chêtié pour avoir conservé la témé-rité de votre prime-jeuuesse.

Grumedan rêpliqua avec aigreur, et, la querelle s’échauffant, le roi Arban de Norgales et trentenbsp;chevaliers bretons se levèrent en disant qu’ilsnbsp;épousaiont tous la cause de leur vieux compagnonnbsp;d’armes, et qu’ils ne souffriraient pas que les Ro-mains osassent, en leur présence, tui manquer denbsp;respect. Lisvart fut obligé de se lever aussi pournbsp;imposer silence et empêcher tous oïs chevaliersnbsp;échauffés d’en venir aux mains dés ce moment. IInbsp;sépararassemblóe et se relira dans sa chambre, oünbsp;l’attendait le comle Argamon pour lui faire denbsp;nouvelles representations sur le mariage d’Oriane.

— Vous risquez, lui dit le comte, de la rendre la plus malheureuse prineesse du monde, Songeznbsp;que si l’empereur meurt avant elle, Oriane se trou-vera sans Etats et dans la dépendance des Remains.nbsp;De quel droit la privez-vous done des ropumesnbsp;dont elle doit hériter? D’ailleurs, en bon père, nenbsp;deviez-vous pas consulter son coeur, et rompre unnbsp;mariage qui ne s’acbévera probablement pas etnbsp;qui pourra lui coüter la vie.

Le roi Lisvart avait l’obstination de sa race : il écouta son oncle, le comte Argamon, sans l’inter;nbsp;rompre, en respectueux neveu qu’il étail, mais ünbsp;ne céda pas.


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35

LE CHEVALIER DE LA VERTE ÊPÉE.

CHAPITRE XXVI

Comment lo prince Sallusle comballit centre Ie chevalier Grcc qui Ic vainquit, pour I’lionneur de la reine Gras-sinde.

Lorsqu’Amadis apprit par l’éeuyer de Florestan ce qui se passait et allait se passer, il alia priornbsp;Grassinde de Ie raettre Ie plus tót possible 5 porteenbsp;d’eu venir aux mains avec les chevaliers de l’em-pcreur Patin.

Grassinde, alors, agréablement paree de tout ce qui pouvait encore rehausser sa beauté vraimentnbsp;remarquable, et Ie front orné de la couronne bril-lante qu’elle avait remportée sur les dames do lanbsp;Rotnanie, se mit en marclie, suivie du plus brillantnbsp;cortege. A’Uadis iiiarchait èi coté d’elle; Bruneo denbsp;Boiinemer portait sa iance, et Angriote d’Estra-vaux portait son bouclier.

Etant arrivés dans la prairie, ils apercurent les grands échafauds qu’on avait préparés pour lanbsp;cour, avec Ie perron de marbre quo Lisvart avaitnbsp;fait élever, et sur lequel Ie chevalier qui se pré-senterait pour conibattre, devait poser quelque ra-meau, ou une pièce de son armure.

Lisvart et la reine Brisèue ne tardèrent pas amp; paraltre, suivis d’un grand nombre de demoiselles,nbsp;plus parées encore de leur jeunesse et de leurnbsp;beauté que des perles et des fleurs qui festonnaientnbsp;leurs vètoraents. Geile que Ie vaillant Agraies ado-rait, la gente Oliiide, se faisait remarquer au milieu de cette troupe brillante par I’clegancc de sanbsp;taille et 1’éclatante blancheur de son teint.

Lc prince Salluste Guide, couvert d’arracs écla-tantes et monté sur un superbe coursier, parut bientót a la tê'.e des chevaliers remains et alia scnbsp;ranger sous Péchafaud sur lequel les dames étaientnbsp;iissises. Araadis, alors, prenant la couronne quinbsp;couvrait la tête de Grassinde, alia la poser sur Icnbsp;perron de marbre, et, s’avaiiqant avec grace etnbsp;‘I'cc courtoisie vers Ic roi Lisvart:

Sire, lui dit-il en langage grégeois, si je eusse été prévenu par Ics Roraains, raon respectnbsp;cl nion admiration pour vous m’auraicnt porte hnbsp;veus oftVir mes services... Mais, puisque Ic sort ciinbsp;^decide autrement, ordonnez. Sire, quele chevaliernbsp;cjui se présentera pour combattre, demandc 5 cellcnbsp;doat d t'era choix la couronne qu’elle porto et qu’dnbsp;la pose sur le perron 5 cóté de cello de la bellenbsp;Lrassinde, sous la condition que cos deux coiiroii-des apparliendront tv la dame du chevalier qui seranbsp;vainqueur.

Ces mots dits, Atnadis s’inclina profondément, b taisaut passager avee grace son cheval, il alia scnbsp;dnger a cóté de la reine Grassinde.

maino? nbsp;nbsp;nbsp;langage grégeois;

p\nlimi:4 nbsp;nbsp;nbsp;Argamon, qui 1 entendail, ayant

P d ' ut haut ce que le chevalier Grec venait

de dire, le prince Salluste s’avanga vers Techa-faud, et, s’adressant 5 la gente Olinde :

— Madame, lui dit-il, j’espère que vous voudrez bien me coiifier la couronne que vous portez, pournbsp;quelques moments; je compte biea vous eii présenter tout h I’heuie ufie seconde, comme a lanbsp;dame dont j’ai fait choix pour lui faire partager lenbsp;rang etles honneurs dont je jouis auprès de I’cm-pereur des Romains.

Olinde, trés choquée des propos que Salluste osait lui tenir saus sou aveu, ne lui répondit quonbsp;par un regard méprisant, et, détournant la têtenbsp;avec affectation, elle se mit k deviser avec une denbsp;scs voisines.

Salluste, voyant cela, reprit d’un air piqué:

— nbsp;nbsp;nbsp;Vous devriez, ce me serable, être plus sensible è la gloire du sort que je vous destine et anbsp;l'honneur que je va'S vous faire remporter aujour-d’hui, en terrassant a vos yeux ce faible enneminbsp;que je voudrais trouver plus digne de moi...

Lisvart, craiguant do méconteiiter les Romains, prit Ie parti de lever en riant la couronne d’Olindenbsp;de dossus sa tête, et la remit enire les mains denbsp;Salluste, qui alia la poser sur lo perron de marbre.nbsp;Puis, s’emparant d’une forte lance et la brandissantnbsp;avec menace, il revint vers Lisvart.

— nbsp;nbsp;nbsp;Vous allez voir, Sire, lui dit-il, quelle est lanbsp;force et Ie courage des chevaliers romains... Puis-scut les deux compagnons de ce chevalier, quonbsp;vous verrez tout a 1'heure étendu sur la poussière,nbsp;cssayer de Ie venger! je vous apportcrai bientótnbsp;leurs têtes en guise de couronnesl...

— Seigneur Salluste, lui cria Ie vieux Grumc-dan, impatienté, n’eraployez done pas ainsi toutes vos forces... Réservez-en pour Ie combat que nousnbsp;devons avoir ensemble...

— II ne m’en restera toujours que trop contre vous, lui dit Salluste d’un ton plus arrogant quenbsp;jamais!...

Lors, baissant la visière de son heaurae, il cou-rut se placer k rextrémité de la lico, pour revenir bientót au sou des trompettes, contre Ie chevaliernbsp;Grec.

Les deux lances portèrent également et sc bri-sèrent eq échts. Geile de Salluste perqa I’écu d’Amadis sans parvenir k ébranler cc héros, qui,nbsp;a la seconde passe, étendit son adversaire sur lanbsp;poussière.

— Geutil chevalier, lui dit-il d’un ton gouail-leur, la demoiselle dont vousavez pris la couronne vous doit peu de reconnaissance, avouez-!e, puis-qu’il faut que vous perdiez votre tête ou que vousnbsp;me cédicz cette couronne pour que j’aille la déposernbsp;aux pieds do Grassinde!...

Salluste, moulu par la violence de sa chute, no répondit rien. Le chevalier s’avauea vers Lisvart.

— Recevez, Sire, lui dit-il, ce chevalier vaincu que je vous otfre, ou trouvez bon que je poursuivenbsp;ma victoire...

Lo roi, ble^sé daiis lc fond de son coeur de l’es-pèce de déshonneur qu’i! s’imaginait partager avec Salluste, nc voiilut rien répondre. Amadis, alors,nbsp;mettant pied 5 lorre et tirant son épée, courut versnbsp;soa adversaire, lui eideva sou hciumc, et il fai-


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3() BIHLIOTHEQUE BLEUE.

sait mine de lui couper la tête lorsque Lisvart, elTrayé, cria qu’il acceptait Salluste vaincu.

Amadis marcha droit au perron, y prit les deux couronnes, les porta è la belle Grassinde, et, arménbsp;d’une nouvelle lance, il alia se placer au bout de lanbsp;lice, attendant. Aucun cbevalier remain ne vintnbsp;pour succéder ^ Salluste, de peur, sans doute,nbsp;d’avoir Ie mêrae sort. II envoya vers Lisvart lanbsp;raême demoiselle qui avait déja parlé èi ce prince.

— Sire, dit-elle, Ie cbevalier Grec qui, dans son ca3Ur, vous est attaché, vous supplie d’ernpêchernbsp;vos chevaliers de se mêler d’une querelle qu’il desire terminer centre les Romains seuls.

— Assurez Ie cbevalier Grec de ma part, répon-dit Ie roi, que la haute idee qu’il vient de me don-ner de sa valeur me fait regrelter qu’il ne soit pas du nombre de mes sujets, dont aucun ne se présentera contre lui 1

La demoiselle ayant rapporté cette réponse k Amadis, ce vaillant chevalier dit a la reine Grassinde ;

— Madame, je vois que personue n’ose plus vous disputer la palme de la beauté. Ces deux couronnes sont done a vous; recevez-les, madame,nbsp;comme lo don qui m’acquitte en vers vous...

Heureux d’etre enfin fibre de se consacrer exclu-sivement aOriane, Amadis, pour continuer l’muvre qu’il avait si bien commencée, alia porter son écunbsp;sur Ie perron de marbre.

— Puisque personne, dit-il d’une voix haute, ne se présente plus pour disputer Ie prix amp; la bellenbsp;Grassinde, voyons si je trouverai des Romains as-sez braves pour toucher k eet écu... Je défie lesnbsp;deux plus renoramés d’entre eux d’oser s’y hasar-der en me présencel...

Ce défi ne pouvait manquer d’exciter une grande rumeur parmi les chevaliers romains. Cependantnbsp;ils reslèrent longtemps indécis. Gradamor, Ie plusnbsp;vain d’entre eux, remis a peine de son combatnbsp;contre Florestan, entraina Ie jeune Lasanor, etnbsp;tous deux, sorlant fièrernent des rangs, s’avancè-rent vers I’écu d’Amadis. Lasanor se contenta denbsp;Ie toucher léj^èrement du fer de sa lance; maisnbsp;Gradamor, plein d’audace et de colère, frappanbsp;dessus de toutes scs forces et Ie mit en raorceaux.

Le chevalier Grec, outré de cette insulte, ne sc donna pas raême le temps de prendre un nouveaunbsp;bouclier. II fondit sur les deux Romains la lancenbsp;en arrêt, requt leur atteinte sans perdre les ar-poas, enleva de sa selle Lasanor qu’il atleignit, et,nbsp;poursaivant Gradamor h grands coups d’épée, ilnbsp;i’étourditpar leur pesanteur et leur continuité, aunbsp;point de le forcer a tomber évanoui sur le sable...nbsp;Puis, comme le jeune Lasanor commengait a se rc-lever, il courut sur lui et I’etendit auprès de Gradamor; et, les saisissant tous les deux de sa mainnbsp;puissante, il leur arracha leurs heaumes et fitnbsp;mine, comme tout k l’heure avec Salluste, de leurnbsp;doaner la mort du même coup...

Lors, le jeune Esplandian, qui s’était avancé pour voir ce combat, fut vivement impressionnénbsp;par le spectacle de ces deux chevaliers mcnacés denbsp;mort.

— Ahl sire chevalier, s’ècria-t-il en tendant les bras vers Amadis, accordez-moi la vie de ces deuxnbsp;chevaliers qui vous crient merci!...

La beauté d’Esplandian, le son de sa voix, un tressaillement étrange que ressentit en ce momentnbsp;Amadis, suspendirent le coup qu’il s’apprêtait knbsp;donner.

— Gher enfantelet, lui répondit-il, je vous ac-corde leur vie, puisque vous me la demandez d’une voix si douce... seulement en échange, vous menbsp;direz qui vous êtes, n’est-cepas?...

Esplandian, qui ne se connaissait pas lui-même, était trés embarrassé de répondre , lorsque lenbsp;comte Argamon s’avangant, prit la parole pour lui,nbsp;et, se servant du langage grégeois avec Amadis,nbsp;qu’il croyait n’en pas connaitre d’autre, il lui ra-conta tout ce qu’on savait k la cour de Lisvart surnbsp;eet enfant. Amadis désira voir les caractères im-primés sur sa petite poitrine, et son étonnementnbsp;fut extréme en les apercevant. Pressé de retour-ner aupi’ès de Grassinde, il serra tendrement Esplandian dans ses bras, en priant le ciel de yeillernbsp;sur tous les jours desa vie comme il avait veillé surnbsp;ceux de son enfance.

La princesse Grassinde était satisfaite, Amadis fit replier les pavilions, et reprit avec elle et sanbsp;suite le chemin de leur navire, mais en ayant soinnbsp;de laisser Ik Angriote et Bruneo pour soutenir lenbsp;vieux Grumedan contre les attaques des Romains,nbsp;qui restèrent cois.

GHAPITRE XXVll.

Comment le roi Lisvart envoya quérir Oriane pour la livrer aux Romains, et de ce qu’il arriva.

riane était k Mirefleur, on le sait. Son père, qui voulait lanbsp;livrer aux Romains, envoyanbsp;pour la quérir Gionles son neven et deux autres chevaliersnbsp;avec lui, en leur recomman-daiit, sur leur vie, de ne lais-

________ ser personne lui parler en quoi

que ce fut.

Par quoi Giontes, exécutant le commandement du roi, era-mena avec lui Sadocc et Lasanor, lesquels, arrivés k Mire-fleur, firent apprêter une litièrenbsp;pour transporter Oriane, tautnbsp;cette princesse était faible d’avoir pleuré et veillé.

Lors, on se remit en chemin ^ pour revenir a la cour du roi.nbsp;Oriane allait devant, accompagnée de la, reinenbsp;Sardamire et de plusieurs autres demoiselles.nbsp;Giontes, Sadoce et Lasanor cbeyauchaient pk et la.nbsp;lis étaient sur le point d’alteindre Tagades, et


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LE CHEVALIER DE LA VERTE ÉPÉE. 37

approchaiefit d’une trés bello fontaine qiii soiir-(iait d’entre une infinite d’arbrisseaux, loivqu’ils aperQurent dans letaill s un chevalier pret a com-battre. II portait l’écu de sinople et une lance ennbsp;laquelle pendait une banderoüe de serablable couleur.

— nbsp;nbsp;nbsp;Va dire A ceux qui gardent madame Oriane,nbsp;cria-t-il ü son écuyer, que je les prie, par courtoisie, de me laisser Tentretenir quelques instants.nbsp;Aulrement, je ferai malgré ce que je ne .puis fairenbsp;de bon gré!...

— nbsp;nbsp;nbsp;Ami, retourne dire au chevalier qui t’envoienbsp;qui ni lui ni personne ne peut parler a madamenbsp;Oriane, et que s’il passe outre cette défense, il s’ennbsp;trouvera cerlainement mal.

Oriane avait entendu. Elle dit a Giontes :

— nbsp;nbsp;nbsp;Eh ! beau sire, que vous importe done quonbsp;ce chevalier me parle ? Peut-ètre m’apporte-t-ilnbsp;nouvelle agréable.

— nbsp;nbsp;nbsp;Madame , répondit Giontes , Ie roi nous anbsp;commandé, sur notre vie, de ne laisser approchernbsp;amequi vive de votre personne avant que vous nenbsp;soyez arrivée auprès de lui.

Au raêiiie moment, Ie chevalier inconnu, a qui son écuyer avait porto la réponse de Giontes,nbsp;sortit en campagne et donna des épérons a sanbsp;monture qui arriva commele vent sur Ie neveu dunbsp;roi Lisvart. Ils se chargèr»?nt l’uri raulre avecnbsp;grande roideur, leurs lances volèrent en eclats, et ^nbsp;bientót Ie cheval de Giontes tomba a terre et son -1nbsp;maitre sous lui.

— nbsp;nbsp;nbsp;Me laisserez-vous mainlenant parler ii lanbsp;princosse Oriane? demanda Ie chevalier Vert anbsp;son adversaire, qui essayait de se retirer de dessous son cheval.

— nbsp;nbsp;nbsp;Par ma foi, répondit Giontes, si vous le faites,nbsp;ce sera bien malgré mol et par 1’inforlune seulenbsp;arrivée é rnon cheval...

Gomrac il finissait ces mots, Sadoce, son compagnon, cria au chevalier Vert -.

— nbsp;nbsp;nbsp;Gardez-vous de moi, é présent, beau chevalier indiscretl...

Le chevalier Vert fit de celui-ci'ce qu’il avait faitdu précédent; il le désaroonna. Ce que voyantnbsp;Lasanor, pensant venger ses deux compagnons, ilnbsp;concha sa lance contre I’incoiinu, espérant le sur-prendre. Mais gauchissant au coup 1 un de I’autre,nbsp;lls se chargèrent avec si grande force, que Lasanornbsp;se ronipit le bras ct demeura lout ctourdi sur sonnbsp;lt;^lmvai qui continua é courir.

Le chevalier Vert se prit ii rirc, ct s’approcha d Oriane qu’il salua humblemeiit.

Oriane, qui pensait avoir affaire A Araadis, se leva de sa liiiore et fit bon visage au vaiiiqucur denbsp;ses trois couducleurs.

Madame, lui cl,t-il en lui présentant une lettre, Agraies et Florestan se recommandent bien hum-blement a votre bonne grace. 11s m’ont envoyé versnbsp;vous pour vous faire tenir cette lettre ctvoiis dc-mander si vous avez quelque chose A leur dire...nbsp;gt;ie m eu retourne vers eux avee la plus grande di-Ji'fnbsp;nbsp;nbsp;nbsp;fioe je suis que, malgré mon peu

^oront besom ue moi avant que leur

entrepriseprenneliii.

— nbsp;nbsp;nbsp;Vous faites inutilement do la modestie, chevalier, car vous venez précisément de nous donnernbsp;de belles preuves de votre vaillance. Aussi suis-jenbsp;désireuse de savoir votre' nom, afin que je m ennbsp;souvienne et vous sache gré chaque fois que celanbsp;viendra a propos.

— nbsp;nbsp;nbsp;Madame, répondit. le chevalier Vert, j’ai nomnbsp;Garnate du Val-Craintif. J’ai toute ma vie desire denbsp;vous faire service, I’occasion s’en présente, j’ennbsp;suis heureuy... Sur ce, madame, permettez-moinbsp;de prendre congé de vous.

Et il s’éloigna, pendant que les trois conducteurs d’Oriane s’en revenaient vers elle clopin-clopant.

On reprit le chemin de Tagades. Oriane fit en-trer Mabile en sa litière pour lui tenir compagnie et surtoiit pour lire avec elle la lettre de Florestan. Celui-ci lui mandait que Gandaliii et Ardan-le-Nain étaient arrivés en file Ferme, oü se devaitnbsp;trouver leur maitre dans buit jours, et oü il allaitnbsp;lui-méme attendre, avec maints autres chevaliers,nbsp;1'heure de son embarquement ponr Rome, rheurenbsp;qui serait fatale a ses ravisseurs. Florestan la priait,nbsp;on conséquence, de prendre courage ct de senbsp;réjouir.

Cette lettre fut lue et reine cent fois en chemin par les deux princesses. Mais, quand elles se vi-rent prés du logis du roi, nouvel ennui maitrisa lanbsp;grande aise qu elles ressentaient, paree qu’ellesnbsp;s’imaginaient que les chevaliers de l'Ile Ferme nenbsp;se tireraient peut-être pas bien de leur entreprise.

Oriane, une fois a terre, se retira en sa chambre sans aller vers celle de la reine comme elle en avaitnbsp;coulumc, et prétexta pour cela qu’elle avait mal.nbsp;De quoi Ie roi averti la vint trouver, accompagnénbsp;seulement du roi Arban de Norgales.

Quand Oriane ent apergu son père elle se le.va et, se jetant a ses genoux, elle s’écria dolentement:

— Hélasl Sire, pour riionneur de Dien, regar-dez un peu en pitié votre lant désoléc fille! Ne lui soyez pas moins favorable que vous n’êtes eiiversnbsp;les plus simples demoiselles de votre royaumeinbsp;Est- il possible qu’oubl,ant votre vertu familiére, lanbsp;bonté, vous voulez me faire pA que vous ne fitesnbsp;jamais a personne?... J’ai su que vous me youlicznbsp;envoyer vers 1'cmpereur dc Rome pour être sanbsp;femme. Mais si vous me contraignez é cela, vousnbsp;forez trés grand péclié, car cc S(;ra malgré moi, etnbsp;d'aiileurs je serai morte avant l’heure de cetodieuxnbsp;sacrifice 1... Vous aurez cté homicide de votrenbsp;propre saugl...

— Ma mie, répondit Ic roi, les pèros savent mieux que les filles ce qu’il convient de faire ennbsp;telle occurrence. Vous pleurez aujourd’hui, vous menbsp;renuircicrez demain.

Et il s’en alia. II avait a peine eu Ie temps de disparaitre, et Arban de Norgales se df-posait ünbsp;l’imiter, lorsque Oriane tomba évanouio sur lenbsp;plancber.

— Sire! Sire! cria Arban de Norgales.

Lisvart revint a contre-cocur. II n’aimait pas ces momeries de jeune fdle. Mais quand il vit Orianenbsp;étendue sur les dalles de la chambre, quasi morte,nbsp;il comprit que l’alTaire, était sérieuse, el il s’em-pressa aulour d’elle, avec Mabile, pour la relever.


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38 BIBLIOTHEQÜE BLEUE.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ma mie, ma mie! lui dit-il. Revenezjivousl...nbsp;Parlez-moii...

Mais Oriane ne remuait ni pied ni main. Toute-fois, k force de vinaigre et d’eau froide, on lui fit revenir Ie coeur.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ayez pitié de moi, Sire, ayez pitié de moi!nbsp;murmura-t-elle en rouvrant les yeux et en aperce-vant son père.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ma mie, vous m’embarrassez... Que voulez-vous done que je vous fasse?...

— Sire, avisez vous-même... Mais je vous jure que jamai%Rome ne me verra... Je me jeltcrainbsp;dans la nier avant d’y srriver... Vous serez ainsinbsp;cause de deux maux ensemble ; Ie premier, denbsp;rinobédience que je commettrai envers vouscoriirenbsp;mon gré; l’autre, de rhomicide que votre fille feranbsp;en sa propre personne. Par ainsi, vous qui êtesnbsp;renommé par tout Ie monde comme prince beninnbsp;et raiséricordieux, vous serez tenu désormais pournbsp;Ie roi Ie plus cruel et Ie plus impitoyable quinbsp;soit!...'

— Ma mie, répondit Lisvarf, vous êtes une personne sage et vous finirez par comprendre vos intéréts... Votre mère vous dira ce que j’ai résolu de faire... Par ainsi ne vous déconforlez done pasnbsp;comme vous faites en ce moment... Faites bonnenbsp;chère et menez grande joie, au contraire!... Jenbsp;travaille pour votre bonheur : ne travaillez pas,nbsp;vous, pour ma bonte!... Quand je vous dis quenbsp;vous aurez peut-être ce que vous demandez, colanbsp;dort vous suffire, il me scmble!...

Le roi ne lui fit celte dernière promesse que paree qu’il avait Ie coeur navró ct si serré de piliénbsp;qu’il ne pouvait plus parler.

La reine survint sur ces entrefaites, et fut bien ébahie de voir sa fille en eet état. Elle le fut davau-tage encore, lorsqu’Oriane, impressionnéc par sonnbsp;arrivée, s’évanouit derechef, ce qui permit i'i Lis-vart de se retirer, laissant les femmes autour d’ellc.

La dolente Oriane, a la voix de sa mère, recou-vra la parole et, ouvrant sesyeux gonflés de grosses larmes, elle se prit è regarder Brisène d’un air at-tristé.

— Qu’avez-vous done, chère fille? Comment vous trouvez-vous?,.. lui deraanda la reine, in-quiète.

— Hélas! madame, répondit Oriane, le portc-ment que j’ai est meilleur qu’il ne serait besoin.... La mort est maintenant tont ce que je désire...nbsp;puisque je suis abandonnée du roi et de vous, denbsp;mon père et de ma mère, c’est a-dire des seules pcr-sonnes qui devraient me protégerl...

— Ma mie, reprit la reine, le roi vous aimo laat qu’il ne pense qu’è votre bien. Pourquoi done vousnbsp;tourmentez-vous ainsi?

—¦ Vous trouvez done, madame, ce baunissc-lï^ent a mon avantage? demanda Oriane. Pour([Uoi dites-vous que le roi m’aime, puisqu’il se montrenbsp;nnpitoyable envers moi et veut me faire épousernbsp;coiUre !e gré de mon coeur?...

CHAPITRE XXVllI

Comment les plaintes d’Oriane, propos de son manage avec 1’empereur Patin, forQaient tout le monde ii s’occu-per d’elle.

Pendant que la mère et la fille devisaient ainsi ensemble de la chose qui leur tenait le plus aunbsp;coeur, le roi causait de cette mème chose avec sonnbsp;oncle Argaraon, en se promenant avec lui de longnbsp;en large dans le jardin du palais.

Argaraon, une dernière fois, voulut tenter de ramener son neven a des sentiments plus conforraesnbsp;a sou état de père. Mais Lisvart, pour la dernière,nbsp;lui dit :

— Mon oncle, co propos a été assez démené; n’en parlez plus, si vous voulezrae faire plaisir.

Et, lui tournant le visage, il le laissa seul pour aller vors Sallustc Guide et Brandadel qui surve-naient.

— Or ca, leur dit-il, ma fille est arrivée, mais elle SC trouve un peu mal... Vous la verrez dernainnbsp;en bonne santé.

— Sire, demanda Brandadel, quand vous plaira-t-il de nous la livrer pour l’ammener a notve maitre?

— La semaine proebaine, répondit Lisvart.

Et sur Fheure ils allèrcnt se raettrc li table.

Pendant le repas,.ceux qui voulaient combattre Gnmiedan se présentèrent en disant au roi:

— Sire, vous connaissez les propos qu’a tonus cc vieux rèveur de Grumedan ; nous venons vousnbsp;prior de nous octroyer de présenter le combatnbsp;pour tlemain, car nous avons hate de pimir cesnbsp;injures.

Grumedan rougit de colcre en enteiidant ces paroles ct voulut répondrc, mais le roi Ten erapêcha en lui disant a Ini-même :

— Grumedan, vous vous êtes toujours montré sage et prudent dans vos paroles; je vous prio,nbsp;dissimulcz pour eet instant et répondez seulcmentnbsp;au combat que demandent ces chevaliers.

—. Sire, répondit Grumedan, je fcrai comme il vous plaira, et dernain je scrai au camp, pret anbsp;venger 1’insulte qui m’est faite en votre présence.

Le roi se leva de table, et demanda a Grumedan quels étaient ceux qu’il avait choisis pour être desnbsp;sions.

— Sire, répondit le vieux chevalier, j’ai d’abord mon droit; si Galaor arrive dernain, nous serousnbsp;deux; mais s’il ne vient pas, je les combaltrai tousnbsp;trois 1'un après l’autre.

— Gela no peut ctre, dit le roi, le combat annoncé est de trois contre trois; ils sont forts ct jeunes, et vous déjti caduc et sans vigueur, ce quinbsp;me fait craindre pour vous.nbsp;j — Sire, répliqua Grumedan, Dieu y pourvoira,


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LE CHEVALIER DE LA VERTE EPEE. 39

LE CHEVALIER DE LA VERTE EPEE. 39

lui qui hait la présomption dont sont habillés ces chevaliers, et au pis aller j’ai deux parents qui nenbsp;reluseront pas de mourir en m’aidant centre eux.

— Ecoulez, fit Ie roi, je me déguiserai etferai votre second; è neus deux neus en viendrons amp;nbsp;bout. Vous avez hasardé votre vie pour moi, il estnbsp;juste que je vous rende la pareille; mon bras estnbsp;assez raide pour soutenir votre querelle.

Mais Grumedan ne consentit pas amp; ce dévouemerit du rqi, et fit avertir ses deux parents qui Ie re-mercièrent attectueusement de l’honneur qü’ilnbsp;leur fesait, en les choisissant pour compagnonsnbsp;centre les trois Remains.

Grumedan demeura en oraisons jusqu’au lende-main, et coramenea't a s’anner lorsque survint la demoiselle de Grassinde, qui portait Tune des plusnbsp;belles épées du monde; elle salua Grumedan etnbsp;lui dit :

— Voici, de Ia part du chevalier Grec, qui vous aime et estime, une épée déjk teinte du sang desnbsp;Romains; acceplez de plus l’aide de deux amis denbsp;ce chevalier, sans en prendre d’autres, car il vousnbsp;les adresse, les connaissant pour les meilleurs quinbsp;soient.

Grumedan ceignit aussilót l’épée, reraerciant le chevalier Grec de sa bonté.

— Les deux compagnons vous attendent, dit la demoiselle, prêls ii combatlre quaud il vous plaira;nbsp;ne tardez guère, car les trois chevaliers romainsnbsp;out Fair de vouloir montrer touteleur science.

Grumedan enfourcha le cheval que Florestan lui avait donné et se rendit au lieu du combat; ilnbsp;trouva les deux chevaliers, qu’il salua, en leurnbsp;disant ; ,

— Je ne sais qui vous Ates, mais ce que vous faites pour moi m’oblige h vous esiiraer comme mesnbsp;meilleurs amis tant que je vivrai.

Tout-amp;-coup ils virent entrer au camp les trois Romains avec troinpettes ct clairons, 1'aisant unnbsp;bruit fi tout romp re.

Le roi monta sur une estrade et apergut Gru-medan ainsi que la demoiselle, mais il ne reconnut pas les deux chevaliers qui se présentaient de lanbsp;part de son ami. II appela la demoiselle (jui luinbsp;‘¦^nnonca qu’ils etaient amis du chevalier Grec, ctnbsp;fiue Grumedan ne les avait connus qu’au momentnbsp;elle les avait arnenes pour lui servir d’aide.

— Vraiment, dit le roi, le chevalier Grec a beaucoup fait pour lui.

Alors les trois chevaliers romains crièrent a “ante voix prés de I’estradenbsp;. ^ Sire, ne soyez pas méconteut si nous avonsnbsp;_ ‘^’ornporter a Rome lés têtes des Irois che-n *'nnbsp;nbsp;nbsp;nbsp;veulent combattre, spécialement

ceile de don Grumedan, ou priez-le Ue se dédire on ayouant que nous, Romains, sommes les meil-eurs chevaliers du monde.

—- baites, répondit le roi, et que le vainqueur raito son ennemi ainsi que bon lui semblera.

Les chevaliers partirent et les dames arrivèrent passe-temps, accompagnéesdeGuillau-o-Pensil et Gendil-deltk,, ‘nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;'

ianotte, tous deux h peine aiguaitpour Grumedan nne mauvaise

valides La reine cr;

fortune, Guillan la rassura, et lorsque le combat commenga, elle aurait volontiers assuré la défaitenbsp;des Romains.

Or, il advint dans cette rencontre ce qu’on n’avait pas encore vu é la cour du roi Lisvart, carnbsp;les trois Romains furent désargonnés sans que nulnbsp;des aulres perdit I’etrier.

Rruiico de Ronnemer, Grumedan et Angriotte mirent pied a terre, et, se couvrant de leurs écus,nbsp;fondirent sur les Romains. Angriotte les plaisantanbsp;durement, et a leur allure on voyait la colère pré-cipiter leurs mouvements.

Grumedan était au milieu de Faffaire portant de beaux horions, mais convert de blessures; il fitnbsp;reculer los Romains avec ses deux amis, si bien quenbsp;Maganil toinba hla renverse.

Bruneo lui arracha Farmet qu’il jeta au pied de Festrade d’oii la reine et les dames regardaient;nbsp;lors Maganil commenga é crier demandant pitie anbsp;son vainqueur qui feignait de ne pas comprendre.

—Je ferai, seigneur, disait Maganil, ce que vous voudrez et suis pret é confesser que j’ai menti. Lesnbsp;chevaliers romains ne sont enlt; rien comparables énbsp;ceux de la Grande-Bretagne.

La reine et Guillan entendirent ces paroles et prièrent le chevalier Grec de pardonner.

Lors Bruneo se leva de dessus Maganil et courut vers Grumedan qui avait abattu le second et luinbsp;avait fait promettre soumission.

Le troisieme Remain avait tant perdu de sang qu’Angriotte, son adversaire, le vit choir a sesnbsp;pieds privé de vie. Angriotte le prit par la jambenbsp;et le traina hors du camp.

Cependant Grumedan remonta é cheval, et se retira dans son logis pour faire panser ses plaies.

Bruneo et Angriotte, sans oter leurs armets, craignant d’être reconnus, allèrent devant le roinbsp;et lui dirent:

— Sire, nous prendrons congé de vous pour re-tourner en la compagnie du bon chevalier Grec; s’il vous plait de lui mander quelque chose, nousnbsp;le lui dirons de bien bon coeur.

— Dieu vous conduise, répondit le roi, vous avez montré que vous n’étiez pas apprentis en telsnbsp;combats, et Grumedan vous est grandement obligé

La demoiselio pria le roi de lui accorder de lui parlor é lui soul, et elle commenga A prendre lanbsp;défense d’Oriane et implorer la clémence du roinbsp;pour cetle pauvre princesse affiigée de toutes lesnbsp;fagons.

Le roi ne put s’empecher de trouver raisounable le discours de la demoiselle, ^ui partit avec lesnbsp;deux chevaliers vers la mer, oil un brigantin, en-voyé par Grassinde, les attendait.

Ayant su que Lisvart voulait liyrer sa fide aux Romains sous sept jours ou buit, ils se hatèrentnbsp;de retrouver le chevalier Grec pour le lui ap-prendre.

Agraies, Florestan et autres chevaliers vinrent au port de File Ferme les recevoir avec grandenbsp;demonstration de joie, Amadis surlout, que sesnbsp;amis avaieiit rejoints en route, regut des marquesnbsp;d’alfcction telles que Grassinde ne savait qu’ennbsp;penser. Amadis ful obligé de lui dire :

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40 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

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— Madame,ne?oyezpasmécontentc si je vous ai célé raon nom jusqu’ici. Je me nomme Amadis denbsp;Gaiile. Vous m’en avez parlé quelquefois. ïousnbsp;ceux-ci sont mes parents, mes amis, tous commenbsp;moi a votre service.

— G’estk moi de s’expuser,fit Grassinde, d’avoir , traité én simple chevalier errant un prince aussinbsp;célèbre qiievous. Ma's c’est un peu de volre faute.

On entra au palais d’Apollidon oü les tables étaient dressées. Angriotte raconta Ie combat avccnbsp;les Remains, et avertit Amadis que Ie roi avaitnbsp;résolu de livrer sa fille aux ambassadeurs de Romenbsp;sous trois jours.

Amadis fut trés ému k cette nouvelle, craignant de n’être pas assez pret pour la secourir ou d’etrenbsp;laissé seul dans une affaire centre Ie roi Lisvart.nbsp;R en paria d’une facon délournce pour connaitrenbsp;les dispositions de ses amis, et ajouta :

— Vous devez vous souvenir du serment que nous fit faire la reine Brisène dans l’assembléenbsp;qui fut tenue en la viiie de Londres. Nous juramesnbsp;tons de ne souffrir aucun tort fait a dame ou demoiselle qui nous en instruirait. Pouvons-nousnbsp;laisser enlever ou bannir des dames? Je veux, ennbsp;ce qui me regarde, occuper monbras et mes vais-seaux a délivrer ces pauvros demoiselles, entrenbsp;lesquelles je n’en sais de plus dolentes qu’Oriano,nbsp;Olinde a qui on veut donner Salluste Guide pournbsp;mari, et raême ma cousine Mabile qui devait êlrenbsp;la compagnie d’Oriane et non exilée amp; Rome.

Agraies,qui portalt unvéritable amour k Olinde, répondit :

—Je ne sais qui peut retarder une aussi gentille entreprise, car depuis longtemps nous trouvonsnbsp;que Ie roi Lisvart méconnait tous les devoirs quenbsp;sa fortune lui commande. Pourquoi a-t-il envoyónbsp;ma sffiur en pays étranger? Le-royaume d'Ecossenbsp;n’est-il pas assez grand pour la recevoir? Par Dieu,nbsp;cette fagon d’agir est si hors de raison qu’il estnbsp;temps de se venger.

— Seigneurs, fit Quadragant, je suis quant k moi prêt k partir quand il plaira k la compagnie;nbsp;car si nous hasardons quelquefois nos vies pournbsp;peu d’occasion, nous avons aujourd’hui bien raisonnbsp;de ne pas nous épargner; n’est-il pas vrai, mosnbsp;amis?

Chacun alors voulut raourir pour cette cause, et 1’on s’occupa de pourvoir a garder Ie détroit de lanbsp;mer Méditerranée pour empêcher Ie passage desnbsp;Remains.

— Embarquons-nous demain, s’écria Amadis, et prenons les devantsl...

Cette resolution fut prise de suite, Grassinde présente; elle pensa élever encore leur couragenbsp;en disant;

— Sur mon Dieu, votre entreprise est grande et louable, car outre Ie bien que vous ferez k cellesnbsp;quamp; vous allez secourir, vous montrerez la routenbsp;lt;gt; tous les autres bons chevaliers qui ne permet-tront plus que l’on fasse tort k dame ou demoiselle quelconque. Toutes celles qui viendront d’icinbsp;k cent ans et plus devront vous savoir gré de volre

Madame, répondit Amadis, Dieu nous fasse la grace d exécuter notre entreprise comme nous

Ie désirons,et,s’il vous plait, pendant notre absence, restez ici en compagnie d’Isanie, gouverneur denbsp;celte ile, qui vous obéira comme a moi-même.

— Monseigneur, réparlit Grassinde, vous | ouvez disposer de moi et des miens ainsi que bon vousnbsp;semblera.

Amadis la remercia bumblement, et commanda que cbacun se tint prêt pour entrer Ie leodernainnbsp;dès l’aube du jour aux navires qu’Agraies et Flo-restan avaient fait armer, suivant ce qu’il leurnbsp;avait commande par Gandalin.

Le jour suivant, tout Ie monde élant embarqué, les vaisseaux déployèrent leurs voiles el dispa-rurent bientót dans la direction de la Grande-Bretagne.

CIIAPITRE XXIX

Comment le roi Lisvart, après une dernière tentative, livra aux ambassadeurs de 1’empereur sa fille Oriane et autresnbsp;demoiselles pour les conduire h Rome.

e jour était enfin venu oü le roi Lisvart devait livrer sa fille auxnbsp;envoyés romains pour qu’ils lanbsp;conduisissent k l’empereur Patin.nbsp;R persislait dans cette résolutionnbsp;sans qu’il füt possible a personnenbsp;de l’en distrairc. Ni rimportunilénbsp;de la reine, ni les remontrances de sesnbsp;chevaliers, ni la propre pitié qu’il res-sentait pour la douleur fausse ou vraienbsp;d’Oriane, rien u’avait fait. Cependant,nbsp;pour avoir raison du refus obstiné denbsp;cette dernière, il se résolut k aller lanbsp;trouver dans sa chambre.

— Ma mie, lui dit-il en la prenant par la main et en la faisant asseoir auprès de lui, jusqu’k cenbsp;dernier événement, vous vous êtes toujours mon-trée obéissante a mon vouloir : pourquoi ne conti-nuez-vous pas cette excellente tradition d’obé-dience? Vous vous mélancolisez hors de propos, knbsp;ce que je vois, sur le mariage que je vous ai préparé, ce dont je m’ébabis fort... Groyez-vous donenbsp;quo je voulusse vous forcer jamais k une chose quinbsp;ne tournat pas k votre profit et k votre honneur ?nbsp;Me supposez-vous done de mauvaise nature enversnbsp;vousl... Je vous jure ma foi que l’amitié que jenbsp;vous porte est si certaine, que j’ai encore plus denbsp;regret a votre éloignernent que vous n’en aveznbsp;vous-raême... Par ainsi, ma mie, faites done rneil-leur visage et meilleur coeur... Réjouissez-vous,nbsp;comme faire vous devez, d’etre la femme du plusnbsp;grand prince du monde... Si vous faites cela, outrenbsp;1’estime qui en rejaillira sur vous, vous réjouireznbsp;d’autant votre père qui est si triste de volre ennui !...

Mais, durant ce propos, Oriane avait le cceur si



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LE CHEVALIER DE LA VERTE EPEE. 4t

serré qu’elle n’eüt pu faire sortir une seule larme de ses yeux. Comme une femme outrée de sonnbsp;mal, et voyant qu’il n’y avait plus de remède, ellenbsp;répondit bienlót au roi, d’une parole hardie et as-surée :

— Sire, vous avez, fi ce que je vois, résolu d’une manière irrévocable inon manage avec l’empereurnbsp;de Rome... Permettez-moi done de vous dire quenbsp;vous avez fait If» Tune des plus grandes fautes quenbsp;prince terrestre saurait faire; car, premièrement,nbsp;je n’aimerai jamais de ma vie, au grand jamais, Ienbsp;mari que vous me donnez la contre Ie gré de monnbsp;esprit. Je croyais vous l’avoir fait suffisamment entendre l’autre jour; il parait que je me suis trompee...nbsp;je Ie regrette, paree que cela me force amp; me répéter et a me Irouver une seconde fois en désaccordnbsp;avec vous, qui êtes mon père... Je vous Ie répètenbsp;done ; jamais Rome ne me verra, paree que j’ainbsp;l’intention de me jeter en chemin dans la mer, ai-mant mieux me livrer ainsi k la merci des poissonsnbsp;que de me livrer è un mari pour lequel je ne menbsp;sens dans l’^me nulle affection , malgré Ie com-mandement que vous rn’avez fait A ce sujet... Je nenbsp;sais vraiment pas, k dire tout, ce qui a pu vous in-duire a fabriquer ce mariage qui a toules mes ré-pugnances, é moins que ce ne soit pour en avan-tagér d’aulant ma soeur Léonore, et par Ie désirnbsp;que vous avez d’en faire votre unique hérilière...nbsp;(Juoi qu’il cn soit, Sire, Dieu qui est juste ne per-metira pas que vos intentions k eet égard viennentnbsp;^ effet, OU c est qu’alors ma mort sera décidée parnbsp;lui, dans une mystérieuse vue devant laquelle jenbsp;m’inclme respectueusement d’avance, paree quenbsp;Dieu est Ie père infaillible, et que lui seul a Ie droitnbsp;d’exiger des sacrifices comme celui-lJi...

Lisvart, en entendant sa fillelui tenir eet élrange discours, se sent t partagé entre la pitió et la co-lère mêlées ensemble. Ge fut la colère qui I’em-porta.

— nbsp;nbsp;nbsp;Vous faites la folie, ma fille! s’écria-t-il. Maisnbsp;si vous persistez longtemps encore dans cette ir-févérence d l’égard de mon vouloir, au lieu de vousnbsp;uiarier a l’empereur de Rome, je vous ferai épouscrnbsp;Une tour oü vous ne verrez de votre vie ni soleil ninbsp;luüe 1...

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, répondit Oriane avec fermeté, vous nenbsp;sauriez me donner une prison qui me füt plus dé-Plaisante que la cour de Rome, et ce sera me fairenbsp;^*ue grande grèce, je vous jure, que de me confiner

la tour que vous dites. A cela, je suis prête, non ®u mariage...

Dors se leva Ie roi, fort irrité, et il s’en alia trouwer la reine amp; laquelle il dit;

¦r~.Madame, allez, je vous prie, vers votre fille t laites-lui une bonne fois entendre raison, car jenbsp;’CUx qu’eile m’obéisse. Votre parole aura sans nulnbsp;Uoute plus de succès que la mienne.

La reine, malgré qu’elle connüt l’iniitilité de cette tentative, alia vers Oriane qu’elle trouva plusnbsp;conlnstée et plus éplorée qu on ne saurait dire.

Ma mie, lui dit-elle doucement, Ie roi est ires courroucé contre vous i cause de votre déso-pfr^^p^^^^.V^^öcdres... Obéissez-lui, ma mignonne,nbsp;otnbsp;nbsp;nbsp;nbsp;certainement a votre avantage

et pour votre unique bien...

— Ah 1 madame, répondit Oriane de plus en plus dolenfe, je sons bien qu’il faut que je vous perde...nbsp;Ma mort est prochaine, j’en suis assurée mainte-nant... Adieu, madame ma more...

Disant cette parole, la pauvre Oriane tomba évanouie sur Ie plancher, et la reine en fit autantnbsp;par la douleur que cela lui causait. Les demoiselles,nbsp;k cette double chute, se mirent ïi pousser des crisnbsp;pergants, si bien que Ie roi survint, pensant que sanbsp;lille s’était tuée. Mais, la trouvant en eet état, ilnbsp;jiigea que c’était Ie moment de la faire enlever etnbsp;porter au navire, ce qu’d ordonna incontinentnbsp;sans avoir égard aux lamentations des femmes.

Oriane fut en consequence enlcvée par des bras robustes qui la rnenèrent, toujours pamée, dans Ienbsp;navire qui devait la conduire a l’empereur Patin,nbsp;et sur lequel montèrent bientót les envoyés de cenbsp;prince, avec les demoiselles qui devaient prendrenbsp;soin de la rnalheureuse princesse.

GHAPITRE XXX

Comment Amadis et se.s compagnons, après un üpre combat avec les envoyés romains, leuren-levèrenl la princesse Oriane et les demoisellesnbsp;qui l’accompagnaienl.

one, une fois en mer, les envoyés du roi Patin se réjoui-rent d’avoir enfin réussi dans leur ambassade, et il se fé-licitèrent miituellement surnbsp;’habileté qu’ils avaient dé-ployée en cette grave et délicate occurrence.

Ils naviguaient tranquillement en pleine mer, et il y avait un assez long temps qu’ils avaient perdunbsp;de vue les cötes de Tagades, sans qu'Oriane s’ennbsp;fut apergue, lorsquequot; bien lót vinrent droit sur euxnbsp;une grande quantité de navires. Ils pensèrent d’a-bord que c’étaient des naufs marchandes et n’ennbsp;lircnt pas d’autre cas. Mris, remarquant que cesnbsp;navires se séparaient en trois bandes et s’appro-chaient d’eux a force de rames, ils jugèrent prudent de se préparer a la defense. Les trompeltesnbsp;sonnèrent et l’atlaque commenga. Le navire oünbsp;étaient Agraies et Quadragaiit coupla ü force denbsp;crocs celui du prince Salluste Guide, et ils entrè-rent dedans. Amadis en fit autant de la nauf denbsp;Brandajel. Florestan et Garnate du Val-Graintif lesnbsp;irnitèrent k propos de la nauf oü étaient le marquisnbsp;d’Ancóne et l’arclievèque de Tarente.

— nbsp;nbsp;nbsp;Gaule 1 Gaule! criaient les compagnons d’A-raadis.

Les Romains furent aprement menés. Beaucoup furent tués, les autres furent blessés.

— nbsp;nbsp;nbsp;Oü est madame Oriane ? demanda Amadis,nbsp;l’épée levée sur Brandajel.

— nbsp;nbsp;nbsp;Seigneur, vous Ia trouverez en cette chambrenbsp;avec madame Mabile.

Amadis n’cn voulait pas savoir davantage. Le


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navire sur lequel il se trouvait était débarrassé ou amp; peu prés; il alia droit la chainbre qui lui étaitnbsp;indiquée, en ouvrit la porie et tomba aux genouxnbsp;de sa maitresse tant aimée. Oriane, alors, surprisenbsp;d’une joie extréme, lui tendit les bras, l’accola avecnbsp;une énergie sans pareille, et colla ses lèvrescontrenbsp;les siennes de fagon k en palir de bonheur et é s’ennbsp;trouver quasiment comme pamée.

— Ah 1 mon ami, mon doux ami, mon tendre ami, murmura-t-elle sans pouvoir se decider li Ienbsp;lécher; puisque vous voilé, je n’ai plus é craindrenbsp;d’etre emraenée par ces odieuses gens é leur odieuxnbsp;empereurl...

— Madame, répondit Amadis, Tune des plus grandes faveurs que Ie ciel m’ait jamais faites estnbsp;celle-ci...

II allait continuer; Mabile survint effarée ;

— Mon cousiri, vos compagnons sont en mau-vaise passe; allez done les secourirl

— Allez leur aider, dit Oriane, allez, mon ami, et revenez-moi bien vite!

Amadis sortit de la chambre et s’en alia sur Ie pont du navire pour voir oü en étaient les choses,nbsp;après avoir prié Angriote d’Estravaux de veillernbsp;sur sa chère Oriane.

Agraies, Quadragant, Landin de Fajarque et quelques-uns de ses compagnons, luttaient encorenbsp;contre un navire remain, sur lequel se trouvait Ienbsp;prince Salluste, qui combattait vaillamment. Amadis fit approchér son navire de celui-lè et sautanbsp;sur Ie tillac, é deux pas de Salluste, qui tombanbsp;sous ses coups; Agraies, qui lui en voulait, sacliantnbsp;qu’il cmmeiiait sa mie Olinde avec d’autres damesnbsp;de la suite d’Oriane, Agraies se pencha sur lui, luinbsp;arracha son armet et lui traiicha la tête d’un coupnbsp;d epée. Les autres Romains furent terrassés de lanbsp;même lagon.

La victoire était décidément du cóté des chevaliers de file Ferme, dont Ie premier soin, on Ie comprend, fut d’aller délivrer les dames prison-niéres, lesquelles tremblaient comme la feuiücnbsp;sur 1’arbre, Olinde entre autres. Olinde fut si aisenbsp;de revoir Agraies, qu’elle lui sauta au cou et fem-brassa de bon coeur, ce dont ce chevalier, surprisnbsp;autant que joyeux, la remercia en lui faisarit la révérence et en lui disant;

— nbsp;nbsp;nbsp;Madame, je vous supplie de me pardonnernbsp;Ie tort que j’ai fait au prince Salluste, qui vousnbsp;avait si bien choisie pour sa mie, en me vengcantnbsp;de lui au tranchant de mon épée.

— nbsp;nbsp;nbsp;Mon ami, répondit Olinde, je ne sais pas cenbsp;qui Ie mouvait é m’aimer tant, vu que jamaisnbsp;homme ne m’inspira moins d’amilié que lui... S’ilnbsp;est mort, tant pis pour lui, je n’espère pas avoir Ienbsp;temps de Ie pleurer cette année...

'Le combat étant terminé, Amadis donna l’ordre qu’on relournat en 1’Ile Ferme, oü Oriane deman-dait é être conduite, pour altendre sa réconciliatioiinbsp;avec Ie roi son père.

CHAPITRE XXXI

Du grand deuil que fit la reine Sardamire, après la mort du prince Salluste Guide; et de l’arrivée de la princessenbsp;Oriane en l’Ile Ferme.

Pour qui a lu les précédenls livres, traitant de ces aventures extraordinairos, il y a souvenir denbsp;ce qui arriva ü la princesse Oriane, laquelle futnbsp;livrée par Ie roi Lisvart, contre Ie gré et fopinionnbsp;des princes et seigneurs de son royaume, aux ambassadeurs de 1’empereurde Rome. On se souvientnbsp;aussi qu’Oriane,et les dames qui 1’accorapagnaient,nbsp;furent délivrées par Amadis, 1’armée des Romainsnbsp;délruite, Rrandajel de Roques fait prisonnier, ainsinbsp;que Ie marquis d’Ancóne, 1’archevêque de Tarentenbsp;et plusieurs autres.

Cette déroute fut si compléte, que tout Ie monde y Irouva la mort ou latiaptivité.

Mais après Ie conflit passé, Amadis, pour couvrir ses amours avec Oriane, rentra discrètement surnbsp;son navire; il visita les autres vaisseaux et arrivanbsp;é celui d’Agraies oü les Romains pleuraient lanbsp;pertedu prince Salluste Guido, sans qu’il fut possible deles apaiser.

Amadis fit mettre en un cercueil la dépouille de ce prince, en attendant que la sépulture put luinbsp;étre donnée ü terre.

Les Romains se prirent a pleurer de plus belle, au point que la reine Sadamire les entendit, et senbsp;rait a déplorer leur malheur qui 1’atteignait aussi;nbsp;elle donna un fibre cours ü sestristes reflexions.

Mabile, qui avait conservétoutesonénergie, vint trouver la reine et la consola de son mieux.

— Fortune est changeante, lui dit-olle, et s’il estadvenu que 1’armée de ferapereur soit défaito,nbsp;et vous a présent ès-mains des chevaliers de 1’llenbsp;Ferme, s’ensuit-il que vous deviez vous abaiulon-ner au désespoir?Le prince Sallusteestmort, maisnbsp;vos pleurs ne Ie peuvent rarnener a vie; cc sontnbsp;la choses communes ü la guerre.

— Si vous sentiez la doulour qui me presso, lui répondit la reine, vousinc plaiiulriez plus quevougnbsp;ne faites; je vois bien que vous dites la vérité,nbsp;mais il m’est impossible de me commander é moi-mêmc (jui suis imparfaite; aidez-moi ainsi que lesnbsp;autres dames a plaindre mon malheur irréparablc.

— Madame, reprit Mabile, si vous deviez être cousolée par noire doulcur, toutes nous nous ynbsp;emploierions; mais de grace, metlcz fin é vospleiirsnbsp;que Ie temps et la raison fcront cesser par leurnbsp;jiuissance.

La reine apaisa son chagrin peu é peu; Amadis ordonna de hausser les voiles, pour tirer droit surnbsp;1’lle Ferme oü ils arrivèrent Ic troisième jour.

Gandalin s’en fut averlir Grassinde monté sur un bateau.

Grassinde fut enchautéc de toutes ces conquéles.


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LE CIJEVALIER DE LA VERTE EPEE. 43

surtout decelle d'Oriane qu’elle désirait connaitre par (iessus lout. Elle mit ses plus beaux atours etnbsp;vint au devant de la flotle sur mie nacelle.

—Quelle est done celte damequi s’en vient vers nous? demanda Oriane fi Bruneo.

— nbsp;nbsp;nbsp;Je pense, répondit Bruneo, que c’est Gras-sinde, celle qui a obtenu par Ie seigneur Amadisnbsp;Ie prix de beauté sur toutes les belles filles de lanbsp;cour du roi volre père. C’est la plus sage dame quenbsp;j’aie connue de ma vie. Elle nous a comblés donbsp;soins pendant notreséjour en son pays.

A ce moment, Grassinde abordait Ie vaisseau; Angriote l’aida h monter, et la présent ant é Oriane:

— nbsp;nbsp;nbsp;Bladame, void celle de qui mon seigneurnbsp;Amadis, Bruneo et moi tenons la vie.

A cette parole, la princesse Oriane et Grassinde se firont la révérence et s’embrassèrent, puis ayantnbsp;(lébarqué, elles prirent Ie chemin du palais d’Apol-lidon, montées sur des haquenées richement har-nachées, sous l’escorte des chevaliers.

En ebeminant, elles s’entretinrent du nouvel honneur qu’Amadis avait eu sous Ie nom du chevalier Grec a la cour de Lisvart, et Oriane ne putnbsp;s’empécher de dire :

— Je vous promets, madame, que si j’en eusse été avertie j’eusse pris part ii votre bonne fortune,nbsp;mais je ne Ie connus qu’après révéneraent.

— nbsp;nbsp;nbsp;La fortune m’a servie en cela, répondit Grassindo, car votre préscnce ra’cüt ravi la couronnenbsp;qu’Amadis a couquise pour moi en votre absence.

Amadis s’élait si fort approclié pendant cette conversation, que Grassinde eut peur de l’avoirnbsp;olïénsé en parlant ainsi; elle s’excusa en lui disant;

— Mes yeux ne virent jamais objet plus parfait qu’Oriane, c’est pourquoi je viens de parler d’ellenbsp;avec aulant d’affection et d’éloges.

Amadis sourit avec satisfaction et répliqua ;

— Je serais mal venu de prendre en mauvaise part rhoiineur que vous faites a madame Oriane,nbsp;car elle ie mérite è cause de son incomparablenbsp;vertu.

Griane, un peu honteuse de si grande louange, ’’c put empêcherson visage desecolorer vivement,nbsp;Jpais la condition oü elle se trouvait lui fit dire h

. '— J’acceptc Ie bien que vous ditos de moi, mais

vous assure quo je désirerai toute ma vie votre honheur, autant que peut Ie faire une simple de-rnoiselle déshéritée, comme vous me voyez.

lis arrivèrent ainsi au palais d’Apollidon, ou la pcincesse Oriane fit son eutrée en grand appareil.

CIIAPIÏRE XXXII

Itescripiion de 1 ignographie el plan du palais qu’Apollidon avait fait construirc en l’lle Ferme.

Le plan de ce inaguifique palais, ainsi que du

jardin qui y attenait, était quadrangulaire. II con-tenait en longueur six cent vingt-cinq toises, et, en largeur, trois cent soixante et quinze, è prendrenbsp;la toisepour six pieds, le pied de douze pouces, etnbsp;le pouce de six grains d’orge. II était clos d’unenbsp;haute muraille de marbre iioir, avec colonnesnbsp;doriques de marbre blanc.

Au fond de ce plan était assis le palais, qui avait en son carré cent quarante et une toises. Auxnbsp;quatre coins étaient élevées quatre grosses lours,

1 une de pierre d’azur, I’autre de pierre d’iris, la troisième de grisolite, et la quatrième de jaspe,nbsp;lesquelles avaient en leur diamètre buit toises,nbsp;deux pieds, trois pouces. En chacune de ces toursnbsp;il y avait deux chambres, quatre garde-robes ctnbsp;autant de cabinets, en ce compris la Chambrenbsp;Défendue.

Celte dernière, la plus excellente de toutes, avait le lambris de licorne é culs de lampe, renforcé denbsp;baume et de cèdre, le tout fait en mannequinagenbsp;de fin or et en fleurons diversifiés par plusieursnbsp;series d’émaux. Le pavé était de grisolite en lacsnbsp;d’amour, enrichi de corail et de cypres taillé ennbsp;éeaille, avec des filets d’or. Les portes et les fenê-tres d’ébéne étaient enchéssées de moulures d’ar-gent, avec les vitres de cristal. Les cloisons étaientnbsp;élofféesd’agathestaillées emlosanges, et représen-taient une infinitè de figures d’animaux. Au plafondnbsp;pendaient deux lampes d’or enchassées d’escar-boucles qui donnaient une telle clarté amp; cettenbsp;Chambre qu’il n’était besoin d’aucune autre lu-mière.

Mais toutes ces richesses n’étaient rien auprès d’un miroir de saphir blanc, le plus oriental quenbsp;l’on vit jamais, lequel était assis sur une lame d’or,nbsp;toute bordée et garnie de gros diamants, émerau-des, rubis et perles.

Entre ces quatre tours se trouvaient quatre grands corps d’hótels d’un seul étage, faits ennbsp;plateforme, de six toises de largeur, et tout ennbsp;pierre de porphyre, avec colonnes doriques h cha-piteaux dor et é soubassement de bronze. Lesnbsp;architraves étaient de porcelaine, et les frisesnbsp;d’ivoirc, avec une série de devises en marqueterienbsp;de topazes et de turquoises.

Vis-a-vis du portail de ce palais, Apollidon avait primitivement fait construire les perrons dont ilnbsp;vous a été parlé au début du second livre, lesquelsnbsp;joignaient l’arc des loyaux amants.

En passant outre, on entrait dans une belle cour de cinquante-trois toises carrées, pavée de jaspe,nbsp;en carreaux brisés a la mosaïque. Ld se trouvaitnbsp;un donjon de cinquante toises, au milieu duquelnbsp;était une vis double de neuf toises de diamètre.nbsp;Tout a l’entour se voyaient quatre autres somplueuxnbsp;corps d’hótels de vingt toises de profondeur,nbsp;séparés de tours non inoins belles que les premières.

Ce donjon avait quatre étages sous une plateforme oü étaient sei* grandes sallqs. Le premier étage était de calcédoine, enrichi de colonnesnbsp;d’aibétre. Le second étage était de marbre vertnbsp;d’Alexandrie, avec colonnes de topaze. Le troisièmenbsp;était de marbre rouge grivelé, d colonnes d’ivoire.nbsp;Le quatrième était de jacinthe, avec colonnesnbsp;d’émeraude. Les planchers de ces étages étaient


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BIBLIOTHEQUE BLEUE.

de porcelaine, de cèdro, de cyprès, de céthiu et aiitres bois incorruptibles. Chaque portail étaitnbsp;d’albatro, avec moiilures, tympanset froniissonnesnbsp;d’ambre et d’agathe, oü ólaient repré.-entées inaiii-tes batailles et hautes actions, tant des Grees etnbsp;des Romains que des Gaulois. Et, au-dessus, senbsp;trouvaient les images de Priape, de Bacchus, denbsp;Mars, d’A()«llon, aiiisi que celles de Véuus, denbsp;Gérès et de Minerve, exécutées en inarbrc d’unenbsp;excessive blancheur. Les moulures de chaquenbsp;portail etaient d’aimant, et les poi tes d’acier, afinnbsp;que ces dernières pussent se referraer d’clles-raêmes paria vertu de cette pierre.

Puis venaitua jardin spacieux, planté par nature de toutes sortes de fleurs et bonnes het bes, aunbsp;milieu desqiielles était placée une fontaine doritnbsp;1’eau jaillissait des seins d’une Vénus d'agathe,nbsp;pour retomber dans une vasque de pierre d’azur.nbsp;Cette Vénus, si bien sculpt'^e qu’on 1’eüt crue vi-vante, tenait en sa main droite la raême poinmenbsp;qui avail été adjugée h cette déesse par Ie bergernbsp;PAris, sur Ie rnont Ida, et d’oü élait sortie la lamentable guerre de ïroie. Cette pomme filialenbsp;avail été dérobée h Vénus, sur Pinstigation denbsp;Junon, par Ie moyen du jaloux Vulcain, et, parnbsp;dépit. donnée a Agamemnon; puis, d’Agamemnon,nbsp;elle était tombée de main en main jusqu’a Apol-lidon, qui I’avait Irouvée dans le tré.-or du roi sonnbsp;père, avec la perle de Cléopatrc. Cette perle étaitnbsp;attachée a Poreille gauche de la statue d’agathe,nbsp;avec un tel art qu’ellene pouvait lui étreenlevéenbsp;avant que la belle, destinée ft enlrer dans lanbsp;Chambrc Défendue, eutbu de I’eaude cette clairenbsp;fontaine. A I’autre oreille de la statue pendaitnbsp;I’anneaudePyrrhuSjdont Vespasien faisaitsi grandnbsp;cas.

Ce jardin était clos de galeries doubles, de dix toises et demie de large, souienues par arceauxnbsp;sous grosses colonnes doriques de calcédoine etnbsp;d’améthyste de trente pieds de haul.

Xles galeries étaient ornées de peintnres excel-lentes représentant toutes sortes de vénerie, chasse et fuuconnerie, ainsi qu’un certain nombrenbsp;de gentilshommes, de dames et de demoiselles,nbsp;couchés sur 1’heibe fraiche et devisant ensemblenbsp;en attendant le rapport du veneur que l’on voyaitnbsp;dans le lointain rctourner sur la brisée du cerfnbsp;avec seslirniers. Puis étaient peints en mannequi-nage les autres chiens de la meute, et lespiqueursnbsp;courant a bride avalée, et tenant de si bonnenbsp;grace leurs trompes centre leurs bouches que l’onnbsp;se persuadait quasi entendre 1’air retenlir. Puisnbsp;encore, on voyait le cerf sorlantde son fort, brossant les haies et les buissons, traversant la lande,nbsp;la tête haute et la langue baissée, gaguant ennbsp;diligence la source prochaine, tandis que lesnbsp;chi('ns sent en défaut par les ruses et les sautsnbsp;qu’il a fails. Puis encore, on voyait ce noble animal sortir de l’étang, mis aux abois, les chiensnbsp;lui pendant aux fesses, et linalement, en fiii^antnbsp;curée. Puis enfin, a quelques |)as de lü, élait peintenbsp;une laic qui venait d’abandoiiner sa bange, ira-vers^ant la forêt h travers lesfourrés et les lévriers,nbsp;ronfiant, grognant el jetant par terre tont cenbsp;quelle renconirait, et, linalement, alleiiite parnbsp;1 epieu du grand veneur.

11 y avait d’autres peintures encore, ceites, et non moins excellenles. Mais les racontor nousnbsp;fnénerait trop loin. Nous signalerons seulement:nbsp;les balailles de Sémiramis et de Ninus ; la dé-faitcnbsp;d’Astiages par les Perses; la mort de Marchésie,nbsp;reine des Amazones au pays d’Asie; la déconfiturenbsp;de Cyrus par la reine Thomiris; les assauts d'IIer-cule centre Anlroge et Olrera; la fuite de Vexores,nbsp;roi d’Egypte, et infinilés d’aulres combats digncsnbsp;de perpétucllc mémoire.

En sortant de la, on entrait dans le pare alte-nant au palais, lequel avait environ trois cents arpents d’étcnduc, avec montagne et vallon, etnbsp;était planté de pins, de cyprès, de houx francs,nbsp;de pa'miers, de lauriers, d’orangers, de grenadiers, de citronniers et de myrtes, ornés des plusnbsp;doux fruitages qui se puisse imaginer. Une infiniténbsp;de petits ruisseaux serpentaient de ci de la, donbsp;manière a entretenir dans ces quincoiices unenbsp;fraicheur permanente favorable au développementnbsp;de la végéta'ion, et dont, parliculièrcmenl, senbsp;trouvaient trés biiui los violettes, les margueriles,nbsp;les muguets et autres fleuretles odoriférautes.

Lè venait jardiner chaque année, au mois de mai, le Phénix, qui prit un lel plaisir a ce lieunbsp;qu’è la parfiu les plumes lui en muèrent cl furentnbsp;précieusement recueillies par Apollidon, qui lesnbsp;appropria è un éventail composé d’un diamantnbsp;assez largo pour servir de 'miroir, ainsi que d’unnbsp;rub s et d’uno émeraude d’unc prodigieuse gros-seur. Cet éventail était une des singularités denbsp;rile Ferme ; Amadis la donna a Oriane le jour oünbsp;elle se désembarqua.

Et afin que ce lieu si plaisant demeurat embelli de lout .ce qu’il était possible, Apollidon y avaitnbsp;laissé deux licornes qui vivaient encore au momentnbsp;oü était venu Amadis et qui devaient vivre plusnbsp;longtemps encore. Puis d’aulres animaux moinsnbsp;rares, mais également intéressants, leis que ci-vctles et muses, qui parfumaient l’air, et, a foison,nbsp;cerfs, daims, chevreuils, lièvres et lapins. Quantnbsp;aux oiseaux, il est inutile d’eir parler; il y ennbsp;avait la des milliers qui s’y branchaient, y pon-daient, y ramageaient de si bon eoeur que c’étaitnbsp;chose divine de les entendre dégoiscr, spécialc-ment Ie rossignol et le passcreau. La cigogne ynbsp;venait quolquefois aussi y construire son airo et ynbsp;couver ses cigognets et ses cigognettes.

Au milieu de ce pare délcciable, se trouvail un lac, alimenté par un ruisseau venanl d’un haulnbsp;rocher, et oü le castor aimait è battre de la queue,nbsp;en compapiie d’une infinité de cygnes, et autresnbsp;oiseaux d’eau; cequi ne contribuait pas pen ènbsp;égayer le paysage. Mais cc (pii l’égayait biennbsp;dayantage encore, c’était la presence d’une gentenbsp;Sirene, laquellc on entendait continuellementnbsp;chanter, et de si doux chants que les oiseaux s’ar-rélaient parfois pour 1’écouler et tfichcr de rama-ger conime olie, sans pouvoir y réussir, bieii entendu.

De ce lac sortaient une infinité do ruisseaux qui, par leurs méandres caiiri. ieux, arrivaient è formernbsp;des ilols de verdure. L’un do ces ilots élait un dé-dale de quatre arpents carrés, jilanfé du plus pré-cieux baurne qui crüt en Angady, lequel elait


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45

LE CHEVALIER DE LA VERTE ÉPEE.

sonna mot; il trouvait 1;

UU8 la^np^'^v’ nbsp;nbsp;nbsp;d’aulre plaisir e

Sa mie nbsp;nbsp;nbsp;d’Oriane; mais, pour l’honneur de

’ ’’ouvait raisonnable d’acquiescer ü catte

gardé par deux serpents de la race qui avait gardé les pommes d’or du jardin des Hespérides. Droit aunbsp;milieu de ce dédale était un colosse de bronzenbsp;doré, de la hauteur de vingt-six coudées, tenantnbsp;en la main gauche, élevée au-dessus de sa tète,nbsp;une lanterne de crislal, et, au devant, la vergenbsp;brülante encore avec laquelle Proméihée avaitnbsp;gardé Ie feu dérobé au ciel par lui. Ge fanal ren-dait tant de clarté, jour et nuit sans diminuer, quenbsp;de cent licues amp; la ronde les mariniers y prenaientnbsp;leuradresse, commeils faisaientau phare d’Alexan-drie.

Toutes ces choses, et d’autres que nous ne men-tionnons pas pour ne pas surcharge!' l’esprit des lecteurs, avaient été merveilleusement ordonnéesnbsp;par Apollidon, lequel était un des plus grands cn-chanteursdu monde. Mais tous ses enchantemenisnbsp;devaient finir au moment même oü la belle entre-rait dans la Ghambre Défendue...

Or, maiutenant, gentils lecteurs, jugez done si I on pourrait facilonieut trouver aujourd’hui unnbsp;palais comme celui oü se logea Oriane, avec sesnbsp;demoiselles, Ie jour même de son arrivée dans ITlenbsp;Ferme 1 Elle avait été éblouie en entrevoyant cesnbsp;spletideurs et ces merveilles : elle n’cn putnbsp;dormir de la nuit.

Ge qui ajouta encore a son insomnie, cc fut la peusée qui lui vint du mal qui pouvait résulter denbsp;1 eiitreprise d’Amadis. Aussi, dés Ie lendemain matin, envoya-t-el!e dire a son amant et a ses chevaliers qu’elle avait a les entretenir sérieusement.nbsp;Et, cornme tous ces vaillauls hommes-lü n’avaientnbsp;d’autre désir que celui de la bien servir et ho-norer, ils s’en vinrent incontinent a son mandement. La révérence faite, de part et d’autre, Qua-dragant pritla parole.

— nbsp;nbsp;nbsp;Madame, dit-il, vous avez témoigné l’envienbsp;de nous entretenir : nous voici. Qu’avez-vous ünbsp;noiis commander, pour que nous nous empressions

— nbsp;nbsp;nbsp;Eu bonne foi, répondit Oriane, je devraisnbsp;humblement supplier, car il me siérait mal d’usernbsp;de commandement envers ceux de qui je suis pri-sonnière.

Madame, reprit Quadragant, vous dircz ce qu il vous plaira, mais j’ai l’honneur de vous dé-ciarer qu’il n’y a pas un seul de nous, céans, quinbsp;se considère comme Ie plus humble et Ie plusnbsp;^®voué de vos serviteurs...

Oriane rcracrcia trés afï'ectueusement.

.. Je vous supplie done, dit-elle, de vouloir en perniettrc que, duraut notre séjour céans,nbsp;es temmes et moi soyons séparées de toute autrenbsp;. ™Psgnie... Ensuite de nous promeltre que nulnbsp;conbsp;nbsp;nbsp;nbsp;i^ous verra sans notre

onge et permission. Gela est de toute nécessité pour sauvegarder notre honneur amp; toutes.

sotT nbsp;nbsp;nbsp;répondit Quadragant, nous ne

rez nbsp;nbsp;nbsp;pour vous obéir; vous ne trouve -

derezT nbsp;nbsp;nbsp;panni nous lorsque vous commau-

la séparation en ce monde

dure condition, qui ne concernait que Ie jour pour lui.

CHAPITRE XXXIII

Du consei! que tinreiit les chevaliers de 1’Ile Ferme, el de leur délibération.

marlis, heureux posse.sseur de la prin-cesse Oriane, prévoyait qu’il apaiserait difficilement la colère de Lisvart etnbsp;celle de l’empereur.

D.ins la pensée qu’il aurait peut-être 'maülc ü partir avec eux, résolu denbsp;mourir plulót que de se séparer de sanbsp;vie, qui était Oriane, il tint conseil avecnbsp;E^graies et Quadragant pour reraellrenbsp;Oriane en bonne grace aiiprès du roinbsp;SOU père, et rompre l’alliance que cenbsp;dermer avait faite avec Patin,nbsp;Quadragant conclut ü une assem-blée générale des chevaliers, pour lesnbsp;avoir tous décidés si l’on adoplait lanbsp;guerre qui lui paraissait non-seule-inent forte et dure, mais inevitable.

Le lendemain fut pris pour rendez-vous, et comme Quadragant 1’avait proposé, tous les compagnons se trouvèrent réunis.

Amadis s’étant placé au milieu d’eux, leur dit;

— Messeigneurs, madame Oriane a envoyé vers moi pour rae prier de la remettre en la bonne gracenbsp;du roi sou père, lui ötant, s’il est possible, la fan-taisie qu’il a de la marier avec le prince du mondenbsp;a qui elle porto le moins d’amitié; car autrement lanbsp;mort lui sera plus agréable. II m’a semblé bonnbsp;d’avoir è ce propos votre avis général, car puisquenbsp;nous avons été compagnons pour la mettre ennbsp;liberlé, nous devons l’être aussi pourl’y maintenir.nbsp;Je vóus rappellc avec orgueil loutes vos prouesses,nbsp;et les hautes chevalories que vous avez faitesnbsp;centre les rois, les princes, et les chevaliers denbsp;tous pays, sans épargner le sang de vos propresnbsp;corps. La glorieuse vicloire que uous avons rem-portée sur les deux plus grands princes de la chré-tienté, pour secourir la plus sage et veriueusenbsp;dame de la term, montre que nous sommes lesnbsp;soutiens des affligés. Or, que l’empereur et le roinbsp;Lisvart s’en courroucent, si bon leur semble!nbsp;puisque nous avons le droit, Dieu, qui est juste,nbsp;sera pour nous aussi, et s’ils nous forcent, je croisnbsp;que nous résisterons tellement qu’il en sera mé-moire lant que^ le monde sera monde. Faut-ilnbsp;parachever la guerre commencée, ou négocier lanbsp;paix, rendant madame Oriane au roi son père ainsinbsp;qu’elle le désire? Je ne veux que ce qui vousnbsp;plaira, car je vous connais tels et de si grandenbsp;vertu que, pour votre vie, vous ne voudriez endu-rer chose dont notre honneur fut abêtardi.


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46 BIBLIOTHEQUE BLEUE,

Cette tant humble et gracieuse allo3ution laissa tous les esprits enchantés.

Lors Quadragant, au nom de tous, répondit a Amadis :

— Seigneur Amadis, la guerre faite a l’erape-reur ne l’a point été par inimitié, mais pour gar-der la foi que porte tout bon chevalier a secourir les personnes affligées ti tort, spécialcment lesnbsp;dames, desquelles nous tous devons être protec-teurs. Mon avis est d’envoyer au roi Lisvart, avantnbsp;la guerre, Texplication de notre luttc avec les Ro-mains. S’il est mécontent, on l’apaisera en lui rc-montrant avec toute gracieuseté Ie tort qu’il fais iitnbsp;tl madame sa fille en la déshéritant, sous couleur denbsp;Ia marier avec un prince étranger, ce que Dieunbsp;et ses sujels réprouvent; on Ie priera de la recevoirnbsp;en sa bonne grace, oubliant tous griefs contre clle :nbsp;olïrant sous cette condition de la lui rendre et nonnbsp;autrement. S’il refuse ou dédaigne nos propositions, déclarons résolüment que nous Ie redoutonsnbsp;peu, et que s’il nous fait la guerre, nous sommesnbsp;prêts a nous défendre. Je crois qu’il préférera lanbsp;paix, mais en attendant, allons dépêcher vers nosnbsp;amis et allies pour les prier de nous secqurir, quandnbsp;nous lesappellerons.

Telle fut la réponse de Quadragant; tous les chevaliers présents l’approuvèrent.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;»

11 fut résolu aussitót qu’Araadis enverrait vers Ie roi Périon de Gaule, Agraies en Ecosse, Brunconbsp;au marquis son père, et Quadragant vers la reinenbsp;d’Irlande. On en instruirait Oriane, comme denbsp;raison.

Quelques chevaliers devisaient aux fenetres après cette délibération; ils purent voir arriver Brian denbsp;Moniaste, fils de Lazadan, roi d’Espagne, armé denbsp;toutes pèces et suivi de cinq écuyers. 11 cherchaitnbsp;Amadis et fut bien surpris de Ie voir venir a sa rencontre; par quoi mettant pied ci terre, il couriitnbsp;1’embrasser en lui disant:

— Par Dieu, monseigneur, je vous vois plus tót que je n’espérais, et comme il me semble, en trésnbsp;bonne santé.

— Mon cousin, répondit Amadis, vous arrivez en temps et lieu oü il est besoin de vous.

Amadis raconta 5i Brian tous les événemcnls nouveaux, lui expliqua laprésence de tous ces chevaliers, la victoire, Tenlèveraent d’Oriane, el Ienbsp;projet qui venait d’être forme. 11 Ie pria d’accom-pagner Agraies et Florestan qui devaient rendrenbsp;compte tl Oriane de ce que 1’on avait decide.

Oriane, en apercevant Brian, qu’elle n’avait pas vu depuislongtemps, lui fit la révérence et lui dit:

—¦ Mon cousin, vous venez bien a propos pour défendre la libcrté d’unc demoiselle qui a bien besoin d’un aide comme Ie vótre.

— Madame, lui répondit Brian, aussitót après la défaite des sept rois en Grande-Bretagne, je revinsnbsp;prés du roi mon père, ét j’allai ea Afrique soutenirnbsp;ses armos; j’appris Ia dispariliou de mon cousinnbsp;Amadis, comme Ia guerre finissait, et j’entreprissanbsp;quête pour I’amitie que je lui porie. A peine sortinbsp;d’Espagne, je Ie retrouve ici, Dieu merci, avec des-seiu de lui rendre service, et a vous aussi, madame,

Oriane Ie remercia affectueusement et Ie pré-senta a la reine Sadamire; puis elle recut la communication d’Agraies ct de Florestan, leur assu-rant qu’elle désirait fort, s’il était possible, de faire sa paix avec Ie roi son père.

Agraies resta è l’écart avec Oriane et reput ses confidences les plus secrètes; il résista beaucoupnbsp;a ses conseils de faire aussi soumission au roinbsp;Lisvart et oubiier ses injustices, car il gardait unenbsp;bonne rancune è ce monarque qui avait rofusénbsp;1’ile de Montgase pour son oncle Galvanes.

Durant ces propos, Agraies avait continuello-ment l’oeil tourné vers Olinde, qu’il aimait de tout son cop.ur, et uniquement, comme il l’avait prouvénbsp;en passant sous 1’arc des loyaux amants; mais ilnbsp;dissimula sagemcnt son émotion et prit congé d’Oriane ainsi que Florestan et Brian.

— Recommandez-moi, avait dit Oriane en les quitlant, a la bonne grace de tous vos compagnons.

Mais Amadis, qui avait toutes les grandes vertus qui font les véritables héros, venait de s’apercevoirnbsp;que l’engagementpris par Agraies coütait Irop a sonnbsp;coeur. Il eut la prudence de proposer aux chevaliers de rile Ferme de changer la disposition dunbsp;conseil et d’envoyer au roi Lisvart Brian et Quadragant, pour lesquels co prince avait souvent té-moigné de l’amitié. Ge changement fut accepté denbsp;part et d’autre.

ClIAPITRE XXXIV

Comment Brian de Moniaste ct Quadragant dcliouèrent dans leur mission auprès du roi Lisvart, et s'en rctournèrcnt iinbsp;rilc Ferme avec une réponse navrante.

isvart, en co moment, était encore sous l’impression de fureur que luinbsp;avaient causée la défaite des Romains,nbsp;la mort de Salluste et I’cnlevemcntnbsp;d’Oriane. II se trouvait mortellementnbsp;offensé par l’entreprise des chevaliersnbsp;de rile Ferme, et malgré les repré-sentations de la reine Brisène, il ju-rait d’en tirer vengeance, ct vengeance éclatante.

— Souvenez-vous, Sire, lui disail pour Ie calmer cette sage priiiccssc,nbsp;sou venez-vous que lorsqucnbsp;vous n’ èticz encore que chc-ivalier errant, vous n’cus-Isicz point hésité a voler aunbsp;sccours d’uue princessenbsp;dans la situation oü votrcnbsp;fille Oriane s’est tronvéc. Croycz biennbsp;que cc n’est pas pour vous braver qu6nbsp;• les chevaliers de l’llc Ferme routen'nbsp;levée aux Romains, ct qu’ils n’ont étenbsp;entralnés k eet acte que par Ie respect ct 1’obéis-


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LE CHEVALIER DE LA VERTE ÉPÉE. 47

sance qu’ils doivent auK lois de la chevalerie...

Pour la première fois de sa vie, Lisvart répondit aprement a Brisène, doat les yeux se remplirentnbsp;aussitót de larmes.

— Ah! Sire, murmura-t-elle, vous allez trop loin dans votre colère 1 Vous oubliez que vousnbsp;parlez è uue reine, uiie femme, a uae mere 1 Jenbsp;songe pour vous a notre flllo, nou pour la blainernbsp;mais pour la plaindre.

Grumedan et Arban de Nor gales, qui survinrent en ce moment, voyant que la reine se pamait denbsp;chagrin, s’empressèrent de la soutenir et, sur sanbsp;prière, de la conduire chez elle, oü ellc se ren-ferma pour pleurer è son also.

Mais elle avait encore bien des larmes ci verser! Ge fut Duriu qui se chargea de lui mouiller lesnbsp;yeux en lui présentanl la Icttre d’Oriane.

Tout cc que la tendresse la plus vive, tout ce que la douleur la plus navrante peuvent cxprimernbsp;de touchantremplissait cette lettre, oü Orianepei-gnait, avec autant de feu que devérité,son amournbsp;respectueux pour la plus tendre des mères.

Brisène fut touchée plus qu’on ne saurait dire. Mais ce n’était pas la première fois qu’elle avaitnbsp;gémi de ne pouvoirque pleurer des malhenrs qu’ellenbsp;se sentait impuissante h terminer.

—Burin, mon pauvre Duriu, retourne prés d’0-rmne, lui dit-elle en soupirant. Dis-lui que je n’ai rien en ce momeiit-ci h lui répondre, sinon que jenbsp;suis toujours sa mère, que je 1’aimo toujours dunbsp;mênie amour, que j’ai déja fait tous mes effortsnbsp;pour adoacir les résolutions du roi, que j’en ferainbsp;de nouveau et que j’espère réussir cette fois, sur-tout lorsque Ie roi aura requ les ambassadeurs denbsp;rile Ferme.

Quadragant et Brian de Moniaste venaient pré-cisément d’arriver. lis s’étaient arrêtés dans un faubourg de Londres pour savoir a quel momentnbsp;Lisvart voudrait les recevoir.

Leur presence fut annoncée ü ce prince par un de leurs écuyers qui vint lui de mander süreté ennbsp;*®ur nom, ce qu’il accorda k regret, mais enfin cenbsp;f'j’il accorda, ne pouvant faire autreraent.

Quadragant ctBrian parurent done après Ie diner du roi, devanttoute la cour attentive.

- Sire, dit Quadragant, nous nous présentons ®vant avec d’autant plus de confiance et denbsp;®^ènité, que nous venons remplir une mission pa-mque et que nous sommes forts de notre con-^ lence quant k ce qui regarde les événements. Ennbsp;lovaT’ savonsdevant qui nous parlons, k quelnbsp;yui prince nous nous adressons, et, k ces causes,nbsp;dp Lnbsp;nbsp;nbsp;nbsp;assures d’une honorable réception,

uon augure pour Ie résultatde notre mission... a pnneesse Oriane, votre bien-aimée fille, Sire,nbsp;. ^nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;''otre autorité : elle s’est soustraiteseu-

mariage qui lui faisait effroi. Elle nirera chez vous, Sire, k cette condition seulenbsp;np i7’^P?|^*i®'^dreztoute votre affection, que vousnbsp;enntn. • jnbsp;nbsp;nbsp;nbsp;un mot que vous ne la

commp*!?’'^^ nbsp;nbsp;nbsp;^ mariage dont elle a peur

uommcduneealaraité.

Chevaliers, répondit Lisvart avec hauteur.

je n’aime pas les conditions et j’ai peu de goüt k rendre des comptes... Comme vous ne me.persua-derez jamais que cc soit la justice et la magnani-mité qui aient été Ie mobile de l’entreprise desnbsp;chevaliers de Pile Ferme; comme je continue kynbsp;voir, au contraire, un orgueil prodigieux et unnbsp;oubli complet des égards qui m’étaient dus, je n’ainbsp;d’autre réponsek vous faire que celle-ci ; rendez-moi ma fille et donnez-moi réparation immediatenbsp;et éclatante de l’injure que vous avez osé menbsp;faire... Jusque-lk, pas de traité, pas d’arrangement,nbsp;rien 1

— Sire, reprit k son tour Brian de Moniaste avec la plus grande fermeté, nous ne nous atten-dions point k cette réponse, formulée ainsi d’unnbsp;ton qui en double 1’apreté et la rend de plus ennbsp;plus insoutenable. Dieu seul sait quels sentimentsnbsp;nous ont fait agir dans cette entrepriso : c’est knbsp;Dieu seul que nous nous en rapportons pour Tissuenbsp;qu’elle doit avoir, fatale ou non. Nous aurons faitnbsp;notre devoir.

Gela dit, ils sc levèrent, saluèrent la compagnie et regagnèrent leur navire, accompagnés du vieuxnbsp;chevalier Grumedan.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;.

— Oh ! par Dieu, mes chers seigneurs, leur dit-il, j’ai bien du regret de cette nouvelle facherie. J’aime Ie roi Lisvart depuis son enfance... J’aimenbsp;également Ie vaillant Amadis, dont la bonté m’estnbsp;connue... Je sais ce que je dois au prétendu chenbsp;valier Grec... Quant k la princesse Oriane, par saintnbsp;Georges! elle a bien fait!...

— Ainsi, demanda Quadragant, vous connaissez co chevalier Grec qui fit triompher la bonté denbsp;Grassinde ?

/ —Oui, certes, répondit Grumedan , je rccon-naitrai toujours Amadis aux coups qu’il porte. Nul comme lui n’eüt pu faire ce qu il a fait contre lesnbsp;chevaliers remains, soit dit sans vous offenser.nbsp;Mais, k votre tour, cher Quadragant, ne sauriez-vous pas me dire quels étaient les vaillants chevaliers qui voulurent bien être les compagnons dunbsp;pauvre et vieux Grumedan?...

— Digne et respectable chevalier, s’écrièrent k la fois Brian de Moniaste et Quadragant, ce furentnbsp;Angriote d’Estravaux et Bruneo de Bonnemer !...nbsp;Et, depuis ce combat, croyez-nous, il n’est aucunnbsp;de nous qui n’envie Thonneur qu’ils ont eu d’ètrcnbsp;vos seconds 1...

Grumedan les remerciachaudement, et, plus que jamais, il regretta la division qui existait entre Ienbsp;roi Lisvart et les chevaliers de Tlle Ferme. Aunbsp;moment oü il allait prendre congé d’eux, ils apcr-Qurent Ie jeune Esplandian qui revenait de la chasse,nbsp;son émérillon au poiug.

— Quel estce charmant enfant ? demanda Brian de Moniaste k Grumedan.

—Ge pourrait bien être, répondit Ie bonhomme, Ie fils de eet autre enfant qu’on appelle TAmour...nbsp;Faute d’autre indication sur son origine, on luinbsp;donne parfois ce nom, et je Tai entendu appelernbsp;Ie Prince de TAmour... Mais, quel qu’il puissenbsp;être, ce ne peut être un enfant ordinaire, k en ju-ger par les soins dont la Providence a entouré sanbsp;uaissance... Jouvenceau! jouvenceaul cria Gru-


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48 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

medan k Esplandian, gui s’éloignait, voici les compagnons de ce chevalier Grec qui vous accorda la vie des deux Romains terrassés amp; ses pieds.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ah ! seigneur, dit alors Esplandian aveefeu,nbsp;je vous conjure de dire ci ce noble chevalier que Ienbsp;jeune Esplandian est a lui depuis ce raoment-lè, etnbsp;qu’il n’aspire plus qu’au jour oü il sera jugé dignenbsp;de recevoir de sa main victorieuse l’ordre de che-valerie...

— nbsp;nbsp;nbsp;Aimable jouvenceau, reprit Quadagant, ap-prenezquece chevalier Grec n’est autre que l’il-lustre Amadis de Gaule.

— Amadis de Gaule! Amadis de Gaule!... ré-péta Esplandian. Ah! que je me trouve hcureux de l’avoir vu et d’en avoir obtenu cette grace...nbsp;Ah ! comme je vais travailler i mériter que ce nenbsp;soit pas la dernière!...

Brian et Quadragant embrassèrent ce fils de l’amour et prirent aussitót congé de lui et du vieuxnbsp;Grumedan.



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LES

PRmCES DE L’AMOUR

CIIAPITRE PREMIER

t

Comment, en rcvenunl de leur ambassade,Brian de Moniaslc ct (Juadraganl rcncontrörcnl la reine Briolanic, cl, aprtsnbsp;un combai conlrc Tiron, son cousin, raincncrcnl a 1 uonbsp;Ferme oü ellc sc dirigcail d’abord.

Pendant que lo roi Lisvart se prépavait k la guerre tonire les cRovalicrs de File Eernio, ct dé-pêdiail des iiiessagers ii I’cmpereur rles Roiuaius,nbsp;i Gildadan ctn Gasquilau, roi de Suessc, pour leurnbsp;dcraaiidcr leur concours; pendant qu’Arcalaüs for.*nbsp;malt Ic projet de proüter de ce trouble survenunbsp;eiitro Ainadis et Lisvart, ses deux euiieinis; Briannbsp;et Quadragant s’en revenaient trisleinenl versHlcnbsp;Ferme. Leur navirc faisait force de voiles, car ilnbsp;s’agissait pour cux de ne point iterdre de tempsnbsp;pour prévenir les défenseurs decetteile, lorsqu’ilsnbsp;apercurent, a uiic petite distance d’eux, un navirenbsp;qui louvoyait, hesitant sur la route a suivre. lisnbsp;1 envoyèrent reconnaitre, et, apprenant alors quenbsp;ce vaisscau portait la reine de Sobradise, ils senbsp;rapprocbèrent de lui, raccostèrent ct passéren! sur

Série. — 1


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BIBLIOTHEQUE BLEUE.

son bord, après s’êtfe fait reconnaitre de la belle Briolanie.

Gette princesse, heureuse de cette rencontre imprévue, devisait avec les deux chevaliers denbsp;rile Ferme du plaisir qu’elle allait éprouver a re-voir ses anciens amis, lorsque, tout-a-coUp, troisnbsp;navires de guerre furent signalés.

— Je leg Wtonnais a leurs flamniës! s ecria Sd-bradise. Ce Sönt Feux de Tiron, lilöli parent et ld troisièitie fils d’Aijyséös. II aura appflS que j’élaisnbsp;partie sails eScdHè pout File Ferme^ ët 11 veut s’op-poser ii eé qtie j’j' arrive...

fifiail dë Möiiiaste et Quadragant, s’apetcevant en effet que tiron avait des velléités d’attaqüè aunbsp;sujet dü navire de la reine de Sobradise^ Ie qulttè-rent aussitót pöur regagner Ie leur, a l’aide dü-quel ils iië craignire'nt pas de s’avancer cbritre lëSnbsp;trois autres. Le coinbaC fut long ; mais ravantagënbsp;resta aüx deux chevaliers de file Ferme. Deux desnbsp;navires de Tiron furent pris; Tirdti lui-mêtüë,nbsp;terrasSê par Quadragant après Tabordage des navires, fut cobdtlit ènchainé aux pieds de fitiolanie.

— nbsp;nbsp;nbsp;Mon cousitl, lui dit-elle, vous mérite.riez lanbsp;mort, certes, puisque vous avëi si cruelieitiehtnbsp;poursuivi la mierine... Mais je n’ai déja que tropnbsp;vu couler ie sang dë vos pröches... Vöüs sentez-vous assez géhëreüx, assëz ioyal, poiir meltre iib anbsp;iios qUefelles et accepter aveë recotinaissarice lanbsp;vie, la liberté ët la sOüVërdiuëté de Palomir qüe jënbsp;vous oifre pour la joindre èi la vötrb?

— nbsp;nbsp;nbsp;Ab l madame, répondit Tiron, attendri parnbsp;cette magnanimité, pardonnez h un jeune princenbsp;qu’ön a élevé dans la baine contrë vous et dans lanbsp;vengeance de soil pête i... J’ai obéi a ces inauvaisnbsp;sentimëiiiS-lJt... j’ai haï... j’ai voulu venger monnbsp;père... contre une femme! Ah! si vous consenteznbsp;a me pardóiiner, j’en serai bien heureux, etjepuisnbsp;vous jüret, dès cette lieure, la fidélité et le respectnbsp;le pluS profond...

— nbsp;nbsp;nbsp;J’ai tout oublié, reprit Briolanie. Je ne menbsp;souviens plus que d’une chose, c’est que vous êtesnbsp;du même lignage que moi... Venez done; je veuxnbsp;vous présenter demain au vaillant Amadis de Gaule,nbsp;comme un chevalier que j’amène a sa défense...

Dès que Briolanie eut abordé è File Ferme, Quadragant én fit averlir Amadis, qui accoutut incontinent pour retevoir cette aimable princesse, et aussi pour embrasser Brian de Moniaste, blessénbsp;dans la rencontre qui venait d’avoir lieu.

— Seigneur Amadis, dit la reine de Sobradise, qüand j’ai su que vous aviez délivré Fincompara-ble Oriane et qu’elle était ici, ma reconnaissancenbsp;pour vous et mon tendre attachement pour elle nenbsp;m’ont pas permis de différer un seul instant k\e-nir céaus. Me voilïi; bientót viendra Tanbiles, h lanbsp;tête de mes troupes, pour me rejoindre et vous aider dans la guerre injuste qui vous est faite.

Amadis, vivement touché de la marque d’amitié que lui donnait cette belle reine, la conduisit lui-uiême au logis d’Oriane. II espérait proliter denbsp;uette occasion pour pénétrer dans Fespèce de retraite qu’elle s’était imposéc: mais Mabilo, 1’arrê-tant sur le seuil, lui dit ;

bien qu’aucun homme ne peut v le cet asile..... je vous anathematise si vous osez Fentreprendre!... Par ainsi, retirez-vousnbsp;vitemeht!...

— nbsp;nbsp;nbsp;Ab 1 méchante cousine, repartit Amadis ennbsp;1’embrassant, comme vous savez bien profiter denbsp;VÖS pantagesi Pour vous cn punir, puisse Famournbsp;en donner bientót sur Vous au plus aimable et aunbsp;plus loyal des Chevaliers!...

— Je me range du cote de la princessé Mabile, seigneur Amadis, dit aussitót Briolanie. Je veux, ènbsp;mon tour, jouir lOute seule de la présëncc de lanbsp;princesse Öriane, et je Connais assez votce raodes-tie pour que je dêsire m’entretenir b mon aise avecnbsp;elle de vous ët de vos pltis fécefits exploits...

A ces mots, Anladisfdt coflgédié doucement, et ce ne fbt qü’ë i’tiëüfe mërquée pour tons les autresnbsp;bhevaliers qu’il fdt adtnis au milieu de celles quinbsp;toutes Ibi dCvaient oil l’hönneur ou la vie.

Dans cet intervalle, Quadragant lui renditcompte dës dispositions de LisVaCt Ct du peu d*espérancenbsp;qtil lui restait d’évitër tifië guerre ouverte avec lui.

AgraieS, en apprefiant Cette issue de la négocia-tion, ne siit pas dissimtller la joie qU’il en ressen-tait, a cause de sd haine contre le roi Lisvart.

— nbsp;nbsp;nbsp;Par Dieu 1 rhon cousin, dit-ii d Amadis, vousnbsp;ti’fen avez que trop fait jusqu’ici,d ce qu’il me sem-

blë! tJne plus longue patience serait insensée.....

Vous ne pouvez plus éviter de prouver au roi Lis-vdrt quels coeurs il a osé méconnaitre et blesser 1... Bloh avis est, puisqu’il veut en venir aux mains, denbsp;lUi èpargriërle chemiti et de devancerson attaque,nbsp;ii’abord de la Grande-Bretagne est aisé, ct lesnbsp;Èrëtons soiit si pleins de confiance eii leur supério-rité, qu’ils dèdaigneht dë défbndrë leurs fronliè-rës... Nous les vaincronsl Je ne Sefdi Content etnbsp;satisfait, pour ma part, què lorsque je verraile roinbsp;Lisvart, humilié, reconnaitre ses torts et son injustice au milieu même de Londres I...

Amadis, qui ne mettait pas a haïr Lisvart la même passion qu’Agraies, ne put cependant s’em-pêcher de convenir qu’il voyail juste dans la situation, et il fut résolu qu’on traverserait la mor etnbsp;qu’on irait porter la guerre en pleine Grande-Bretagne.

GHAPITBE It

Comment Grasandor, tils du roi ïaffmor, vinl a Ia lóte do ses chevaliers au secours d’Amadis, ct comment, cn visitant le palais d’Apollidon, il passa avec la princesse Mabile sous l’arc des loyaux amants.

Imminente ètait done la guerre. Les alliés quë les deux partis avaient envoyé quérir se disposaientnbsp;dl’appel qui leur était fait.

D’un cóté, Hélisabel avait rempli sou message auprès de Grassinde et de l’ernpereur de Grèce.nbsp;Gandalin avait rempli le sieu aUprès du roi Périon,nbsp;qui avait donné congé è Norandel et n’avait pasnbsp;voulu qu’on prévint Galaor, encore malade de sesnbsp;blessures. Lasinde, écuyer de Bruneo, avait décide


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LES PRINCES DE L’AMOUR.

ïaffinor, roi de Bohème, i cnvoyer au secours d’Amadis la meilleure partie de ses chevaliers,nbsp;commandés par Ie prince Grasandor, son fils 'nbsp;unique.

B’un autre cóté, I’empereur Patin, prévenu par Guillan-le-Pensil', et toujours decide a épousernbsp;Oriane, de gré ou de force, se disposa a partir a lanbsp;tête d’une formidable armee. Et, de tous ceux quenbsp;Lisvartfit sommer de venir sc joindreii lui commenbsp;étant ses grands vassaux, Galvanes eut seul Ienbsp;courage de Ic refuser et de motiver sou refus.

La quantité de troupes et la diligence avec la-quelle Lisvartles rassemblait fit perdre aux chevaliers de rile Ferme l’idée d’opérer une descente sur les cótes de la Grande-Bretagne. lis se n'so-lurent, au contraire, a rester chez eux eth formernbsp;un camp retranché hors des murs de leur forlc-resse, pour disputer l’ahord de 1’ile aux ennemisnbsp;qui n’allaient pas tarder fi Fattaquer.

Oriane ne pouvait voir sans larmes tous les pré-paratifs d’une guerre si cruelle It son coeur, de 1’un et de 1’autre cóté. lei c’était son amant, Iti c’étaitnbsp;son père! Araadis tdehait de la consolér et de lanbsp;distraire, bien que la chose fut assez malaisée. IInbsp;avail fait preparer un balcon qui dominait sur Ienbsp;camp, afin que les princesses pussent s’y inoiUrcrnbsp;pour assistelt;’ a 1’arrivée de chacun de ses allies. IInbsp;ne doutait point, Ie vaillant amoureux, que la vuenbsp;d’Oriane ne produisit sur les autres Ie même effetnbsp;que sur lui, et qu’un seul de ses regards ne suffitnbsp;pour élever leur courage et les animer è la dé-fendre 1...

^ Oriane et Mabile étaient sur ce balcon loi'sque Grasandor débarqua avec les chevaliers du roi denbsp;Bohème, son père. Amadis, en Ie reconnaissant,nbsp;courut audevantde lui et Ie serra tendrement dansnbsp;ses bras.

— Quel est done, demanda Mabile, ce jeune

chevalier qu’Amadis repoit av6c tant d’amitié?.....

Ne serait-ce point quelque Galaor,ouquelque autre

du même sang et de la même vaillance?.....Mais,

chère cousine, regardez-le done I Quelle noblesse! quelle grêcel quellejeunessel Je souhaiterais qu’ilnbsp;tutaussi bon chevalier qu’il me parait aimable.

. nbsp;nbsp;nbsp;sen nom, répondit Oriane, mais il

laut qu’il soit Ie fils de quelque puissant souverain, puisque je vois Amadis Ie forcer a prendre la droitc

sur lui, et que toutes les bannières se baissent pour ic saluer.

nregarder i'cgarder tout b son aise Ic jeune fils

do Taffirior.

Quelques minutes après, Amadis entrait, tenant cc prince par la main.

quot;T ^^^^dame, dit-il b Oriane, voici Ic prince Grasandor, ills unique du roi dc Boliêmc et mon ami. L est un héros en herbe que j’anièlie a vos genoux.

lait est une bonne garantie de ce qu’il pnno'‘jnbsp;nbsp;nbsp;nbsp;cause de moi, je vous prie, et b

dis r ^di-ioême... Glière cousine, ajouta Ama-raimo. tournant en souriant vers Mabile, vous volonticrs qu’une autre, i’en suis

vótre^ nbsp;nbsp;nbsp;gam que la

nine c r comme vous, il est capable de la luus solide amit'é.

Puts il s’éloigna, laissant son compagnon aveb les deux princesses.

Oriane et Mabile connaissaient Ié prince Grasandor par tout ce qu’Amadis leur avail raconté de sa valeur et de ses vertus aimables. Elles Ie com-blèrent de prévenances auxquelles il répondit denbsp;Fair Ie plus respectueux et Ie plus galant. II sutnbsp;rappeler délicatement Tétat cruel oü il avait sur-pris souvent Ie chevalier de la Verte Epée, pendant Ie séjour de celui-ci chez Taffinor.

— Gombien je Ie plaignais, dit-il, lorsque je l’en-tendais soupirer et que je Ie voyais, triste ct do-lent, pleurer comme un enfant au souvenir de ce qu’il avait laissé dans un autre coin de la terre etnbsp;de ce qu’il regrettait si óprement!... Mais, ajoutanbsp;Grasandor en regardant tendrement la princesse

Mabile, peut-être ne Ie plaignais-je pas assez?.....

On conQuit mal les maux dont on n’a pas encore

fait soi-même la douce ct cruelle expérience.....

Peut-être que Ie sort m’en réserve de semblables... Ah ! je lebénirais, si je les soulfrais a jiropos d’iinenbsp;dame do la beauté, de la grace et de la perfectionnbsp;dc madame Oriane!...

Mabile rougit et ne sonna mot. Grasandor, qui croyait avoir été trop loin, garda Ie même silencenbsp;embarrassant pour tous deux, et ce fut Oriane quinbsp;SC chai'gea de Ie rompre, en demandant au fils dunbsp;roi de Bohème s’il voulait visiter les merveilles dunbsp;palais d’Apollidon.

Grasandor accepta et suivit les deux princesses. Après avoir parcouru quelques-unes de Ces racr-veilles, ils arrivèrent ii Fare des loyaux amants.

Oriane s’en était toujours écartée, non que son coeur redoutat cette épreuve, mais paree que si Ienbsp;passage de 1’arc eüt prouvé la loyauté de cetlenbsp;princesse, il eüt égaleinent prouvé sa sensibilité.nbsp;Mabile Favait toujours raillée a ce sujet. Quant ünbsp;elle, süre de sa propre indifférence, elle n’avaitnbsp;pas craint de se présenter plusieurs fois a Fentréenbsp;dc eet arc^ et, chaque fois, la statue avait répandunbsp;sur elle des lis et des roses blanches.

Oriane fit part de ces tentatives è Grasandor.

— Si j’en ci'ois, seigneur, lui dit-clle, tout Cé qu’Ainadis m’a raconté de vous, vous éprouverieznbsp;Ie même sort que nia cousine en vous présentantnbsp;ü ce passage...

Mabile, qui sentit ïa valeur du rcproche, et qui en éprouva un secret embarras, voülul, pour Ienbsp;raieux céler, appuyel' la plaisanterie d’Oriane.

— Essayez-en vons-même, seigneur, dit-elle de sa voix la plus tendre b Grasandor, éinu commenbsp;elle; vous ne courez aucun risque : vous sercz repousse..... mais bien doucement, b ce quo nous

croyons, d’après tout ce que nous savons dc vous...

— Ahl madame, s’écria Grasandor avec cha-leur, pourquoi ne raériterais-je pas d’y passer dès ce moment mèmef... Le litre de yotro chevaliernbsp;ne m’assurerait-il pas de cette gloire, si vous menbsp;permeltiez de le porter?...

A ces accents chaleureux et couvaincus, Mabile deviut verineille comme une rose.

— Ah! ma chèré cousine, dit malicieusement Oriane, pourriez-vous refuser au prince Grasandor le litre de volre chevalier? Vous n’en avez


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BIBLIOTHEQUE BLEUE.

’amour

cm jc (fnitoc uzetsancior, apres avuii ujjtcuu j «luiuui ia princesse Mabile, obtiiit I’amilid du prince Agraios,nbsp;frere.

point encore voulu accepter, et nul no me parait plus digne que lui de remplir auprès de vous cenbsp;précieux emploil...

— Le prince m’honore trop, répondit Mabile, de plus en plus embarrassée. Je n’ai nulle raisonnbsp;de le refuser pour mon chevalier... et puisque l’u-sage a réglé qu’une princessé peut accorder ce ti-tre sans conséquence, le prince Grasandor auraitnbsp;beu de se plaindre de moi si je lui refusals un nomnbsp;qu’Amadis regut de la reine Brisène...

— Ahl divine princesse, s’écria Grasandor dans un transport dont il ne fut pas le maitre, commen-cez done par vous intéresser amp; celui que vous ho •nbsp;norez de ce nom, qu’il ne perdra qu’avec la vie 1...nbsp;Daignez me conduire vous-même a eet are desnbsp;loyaux amants, si redoutable pour les cceurs mau-vaisl... L’indilférencedu vótre vous a seule empê-ché de franchir cé passage, et vous ne courez d’au-tre risque, hélas! que d’éprouver encore lesmêmesnbsp;obstacles...

Toute la vivacité d’esprit de Mabile lui raanqua dans ce moment-la pour répondre. Et Oriane, quinbsp;n’ctait pas fachée de rendre a sa cousine une partienbsp;des petites malignités qu’elle lui avait fait endurer,nbsp;Oriane reprit en riant;

— nbsp;nbsp;nbsp;Ohl pour le coup, ma mignonne, je vousnbsp;tiensl... Vous vousètes cachée de moi pour éprou-ver celte aventure, et je ne perdrai certes pas cetlenbsp;occasion de voir comrnent les indifférentes en sontnbsp;repoussées...

— nbsp;nbsp;nbsp;Eb bienl ma cousine, répondit Mabile avec unnbsp;peu de dépit, puisque vous le voulez, je vais donenbsp;encore éprouver les mêmes obstacles; mais ce nenbsp;sera qu’en me faisant précéder par le prince, etnbsp;avec Ia promesse que vous éprouverez le passagenbsp;^ votre tourl...

— nbsp;nbsp;nbsp;Je ne promels rien, dit Oriane, riant toujours,nbsp;que je n’aie connu le danger de cette épreuve.

Tous trois alors s’avancèrent vers l’arc des loyaux amants. Grasandor n’hésita pas un seul instant ; il marcha droit devant lui, franchit sans effort le passage, ramassa les fleurs que lui jetait lanbsp;statue et les présenta h Mabile, en l’appelant pournbsp;les recevoir.

Mabile, hors d’elle-même è ce spectacle, ne put s’empêcher de s’avancer un peu. Sans s’en douternbsp;elle s’ayanga davantage encore, puis davantage encore : elle était déja sur leseuil, lorsqu’elle s’aper-qut qu’elle n’éprouvait plus d’obstacles... Elle tres-saillit et voulut se retirer vitement; mais le mêmenbsp;pouvoir invisible qui, les autres fois, l’avait repous-sée, Tempêcha de reculer, lui fit franchir le passage de 1 are des loyaux amants et la porta jus-qu’aux pieds des statues d’Apollidon et dc Grima-nèse, oü Grasandor se trouvait dans le mêmenbsp;instant. Un coup de tonnerre, suivi d’une lumièrenbsp;brillante, retentit dans tout le palais!...

Oriane, plus prudente que Mabile, s’assit sur le gazon, sans oser s’approcher du passage que sanbsp;charmante cousine avait franchi quasiment contrenbsp;son gré et son vouloir. Quand Grasandor et Mabilenbsp;P ‘‘^••^.’goVent, ils étaient tous les deux bion rou-tromblants. Mais leur rougeurnbsp;fle dmix 'ILrT '^^v.f^asle, leur emotion rien quenbsp;s’aimaientfnbsp;nbsp;nbsp;nbsp;rien qued’agréable lis

CHAPITRE III

Comment le prince Grasandor, apres avoir obtenu l’f

de la nrinr.ORSf* Mnhür» nl-tiinl nbsp;nbsp;nbsp;rln TyrinP.P. Acf

son

e roi Périon venait de débarquer a Ia tête de trois mille chevaliers gaulois,nbsp;ayant chacun ciiiq hommes a sa solde, ce qui meltait le secours appqrténbsp;a Amadis par son père a quinze millenbsp;combattants, et lui permettait, ainsinbsp;qu’aux chevaliers de l’Ile Ferme, denbsp;résister aux forces réunies du roinbsp;Lisvart et de l’empereur Patin.

Périon avait le plus grand désir de voir Tincornparable Oriane. Lenbsp;prince Agraies, qui ne l’avait pasnbsp;A quitté depuis son débar-quement, vint de sa partnbsp;dernander k cette princesse k quel moment ellenbsp;voudrait bien le recevoir.

,— Mon cousin, répondit Oriane, la reconnaissance que je dois Ji cenbsp;vaillant roi, père de sivaillants fils,nbsp;le rend maitre de venir dés ce moment mêmè... Mais, avant que vous ne retournieznbsp;lui porter ma réponse, je veux vous faire connaitrenbsp;le tils unique du roi de Bohème, peur lequel jenbsp;vous demande votre amitié.

— nbsp;nbsp;nbsp;Madame, répondit courtoisement Agraies,nbsp;tout ce que la renommee public du prince Grasandor me fait depuis longtemps desirer Ia sienne, etnbsp;je suis heureux qu’elle me soit offerte par votre en-tremise, ce qui en rehaussera le prix peur moi.

Lors, Grasandor, a peine remis de son emotion ct de sa rougeur, s’avanpa avec erapressement versnbsp;Agraies, et tons deux s’embrassèrent. Mabile, attentive, cherchait k lire dans les yeux d’Agraiesnbsp;l’impression que Grasandor avait produite sur lui:nbsp;elle ent lieud ctre satisfaite. Elle Ie fut davantagenbsp;encore lorsqu’Oriane reprit, en s’adressant auxnbsp;deux chevaliers;

— nbsp;nbsp;nbsp;Princes, puissiez-vous désormais vous regar-der comme frères!... Mes veeux les pinschers sontnbsp;que le'noeud de l’amitié, qui sc ferme en ce moment en vous, serre de plus en plus chaque jour 1...

^ — Ah! madame, répondit Agraies, j’en acccptc d’avancetous les rnoyens...

— Alors, moncher cousin, dit Oriane, apprenez que votre sceur Mabile, mon aimablo et fidéle com-pagne, qui jusqu’Ji présent n’avait point voulu accepter dc chevidier, s’est départie ce matin dc sonnbsp;indifference è eet endroit en faveur du fils du roinbsp;Taffinor, qui s’est offert courtoisement. Je l’ai ac-cepté pour elle, assurée d’avance quo vous nc menbsp;désavoueriez pasl...


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LES PRINCES DE L’AMOUR.

d’Arcalaüs. Balais de Garsantes avait Anbsp;nbsp;nbsp;nbsp;sa bannière pour venir servir

Amadis; il lui apprit que l’empereur Patin, ü la Gas armee, avait joint celle de Lisvart, quenbsp;tous^e'^'^’n^* de Suesse, s’était uni ü eux, et quenbsp;donbsp;nbsp;nbsp;nbsp;proposaient de marcher en peu

öe jours pour attaquer File Ferme.

— nbsp;nbsp;nbsp;Vous avez bicn pensé, madame, répliquanbsp;Agraies en souriant. Seigneur, ajouta-t-il en senbsp;tournant vers Grasandor, Thonneur que vous fadesnbsp;a ma bien-aimée soeur sera sans nul doute aussinbsp;cher au roi notre père qua moi-même... Permet-tez done que je vous embrasse une seconde foisnbsp;comme son chevalier.

Grasandor, transporté de joie, s’écria :

— nbsp;nbsp;nbsp;Seigneur, votre aveu comble ma plus doucenbsp;espérance, et c’est aux genoux de ces belles princesses que je vais renouveler en votre presence Ienbsp;serment de les servir toute ma vie!...

Et, incontinent, il s’y jeta. Oriane lui laissa bai-ser sa main de 1’air de la plus tendre amitié. Ma-bile, autorisée par l’exemple d’Oriane, ne put Ie lui refuser : Grasandor baisa cette seconde mainnbsp;avec tant de grace et d’enthousiasme que la bellenbsp;princesse ne put cacher Ie trouble oü cela la met-tait, et, voyant sa cousine et son frère sourire ennbsp;l’examinant, elle baissa la tête et voulut s’enRiir.nbsp;Oriane, alors, courut a elle, la relint et lui pritnbsp;doucement la tête dans son giron, oii elle put cacher amp; son aise la rougeur de ses belles joues et Ienbsp;feu de ses beaux yeux.

Agraies et Grasandor, apercevant Amadis et Flo-restan qui s’avauQaient, escortant Ie roi Périon, ils coururent au devant d’eux. Périon allait fléchir unnbsp;genou devant Oriane, par suite d’une habitude denbsp;courtoisie que 1’age n’avait pu lui óter; mais, Ienbsp;prévenant et l’embrassant, cette princesse lui dit;

— Ge serait a moi, au contraire, de rendre eet hommage au grand roi qui vient me protéger etnbsp;qui, dans raon enfance, me combla de marquesnbsp;d’araitié.

— Madame, répliqua Périon, vous me rappelez la un de mes meilleurs souvenirs et je vous en saisnbsp;un gré infini..,Je me reporte au temps oü vousnbsp;étiez un des plus beaux ornements de ma cour, ünbsp;1’heure oü, sur votre priére, j’armai chevalier Ienbsp;damoisel de la mer, mon fils...

Dans ce moment, Périon, Amadis, Oriane, se regardèrent les yeux pleins de larmes, mais bril-lants d'une joie si vive et si pure, qu’il ne leurnbsp;cut pas été possible d’exprimer plus tendrementnbsp;tous les sentiments qui remplissaient leur ame.

Cetle situation, si pleine de charmes pour eux, pour leurs amis et leurs proches, fut troublée parnbsp;arriyee de Balais de Garsantes, l’ami et Ie cheva-ler Q Amadis depuis que ce héros l’avait délivré des

CHAPITRE IV

Comment Arquisil, neven de l’empereur Patin, rappeló A sa promesse de fidélitd envers Amadis, vint A 1’Ile Ferme,nbsp;puis s’en retourna rejoindre l’armée de son oncle,

On doit se souvenir que 1’lle Ferme portait ce nom, précisément paree qu’elle tenait au continentnbsp;par une langue de terre défendue par une triplenbsp;enceinte. Périon ayant appris que, pour éviter d’ar-mer la multitude de vaisseaux nécessaires pournbsp;porter une armée aussi formidable, les souverainsnbsp;leurs ennemis dirigeaient leur marche de faqon ünbsp;les attaquer par la terre ferme, il crut devoir éloi-gner la guerre du centre de 1’ile et des yeux desnbsp;princesses qui s’y trouvaient réunies. Voulant, denbsp;plus, prévenir les ennemis, il laissa des ehevaliersnbsp;de confiance, avec une forte garnison, dans lesnbsp;trois enceintes fortifiées. Quant a lui, portant sonnbsp;armée au delü de la langue de terre qui faisait denbsp;File une presqu’ile, il assit son camp sur un terrain avantageux, oü ses deux ailes étaient défen-dues par la mer, et son centre appuyé par la communication conservée dans 1’Ile Ferme.

Amadis n’avait point oublié que, dans Ie combat qu’il avait eu en Bohème, sous Ie nom de Chevaliernbsp;de la Verte Epée, avec Garadan et onze autresnbsp;chevalier.s remains, il avait donné la vie et la li-berté au jeune Arquisil, dont la valeur et la beauténbsp;Favaient touché. Arquisil, propre neveu de Patin,nbsp;s’était engagé envers Amadis a se rendre ü sa première réquisilion ; Amadis lui dépêcha en consé-quence Enil pour Ie summer de teiiir sa parole etnbsp;d’exécuter Fengagement pris.

Enil fit son message, et Ie loyal Arquisil, pour qui la question d’honneur passait avant la questionnbsp;de familie, déclara a Fempereur son oncle qu’ilnbsp;était oblige d’obéir aux ordres d’Amadis. Patin luinbsp;répondit brusquement, suivant son habitude, qu’ilnbsp;était libre de faire co qui lui plairait, et, par lanbsp;même occasion, s’adressant ü Fenvoyé des chevaliers de 1’Ile Ferme, il s’emporta jusqu’ü proférernbsp;contre Amadis les outrages les plus odieux et lesnbsp;menaces les plus atroces.

— Vous devriez, lui dit Enil indigné, respecter un peu plus ce grand et vaillant prince, et vousnbsp;souvenir de la facon plus que généreuse dont ilnbsp;vous traita lorsque vous n’étiez que chevalier errant. Il vous fit grace de la vie : il eut tort, certes!nbsp;Groyez que le' prince de Gaule aura aujourd’huinbsp;aussi facilement raison de Fempereur... Vous nenbsp;sortirez pas avec plus d’honneur de celte guerrenbsp;que vous n’êtes sorti ce jour-lü de voire combatnbsp;particulier avec lui.

Lisvart, craignant que Patin ne se laissat em-porter ü la colère, se mit entre eux deux.

— Aliens diner, seigneur, dit-il ü Patin, et lais-sons cet envoyé jouir du droit des gens et remplir son office!...


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BIBLIOTHEQÜE BLEUE.

'II

Cela dit, Lisvart et Patin tournèrent discourtoi-semeiit Ie dos k Enil qui s’en revint a File Ferme, suivi du loyal Arquisil.

Amadis requt ce chevalier avec force amitiés. 11 lui fit voir une partie des merveilles du palaisnbsp;d’Apollidon, et ne nrgligea pas de lui faire examiner en détail les formidables remparts de Filenbsp;Ferme , ainsi que Ie camp qui était chargé de lanbsp;défendre. Arquisil fut Irès bien traité par tous lesnbsp;chevaliers et même par toutes les dames. La noblesse de sa figure, la grace de ses discours inté-ressèrent tout Ie monde è sa personne. Plein denbsp;vaillance ct d’honneur, ce jeune prince ne putnbsp;s’empêcher de parler devant Amadis de tout ce quenbsp;son inaction lui faisait souffrir dans une occasionnbsp;d’acquérir de la gloirc. Amadis, applaudissant dansnbsp;son coeur aux sentiments d’Arquisil, lui dit;

— J’airaerais niieux, certes, que nous pussions combattre cóte a cote, comme deux compagnons,nbsp;coinjne deux amis... Mais je vois bien que cela nenbsp;pourra arriver que plus tard. Partez done, prince,nbsp;retournez a Farmée de Fempereur votre onclc, etnbsp;suivez votre carrière avec la gloire qui vous appar-tient... Tout ce que je vous demandc, c’est de menbsp;venir trouyer dix jours après labataille qui va avoirnbsp;lieu, quelle qu’en puisse être Fissue...

Arquisil, pénétré de reconnaissance, jura non-seulement d’obeir a ses ordres, mais d,e conserver toute sa vie le souvenir do sa généro-Q sité; puis il partit ct alia rejoindre Farmée etc Lisvart.

CHAPITRE V

Comment, aprfes bicii des lepteurs , les deux armdes ennemies entamèrent la balaillc quinbsp;fut sanglantc , ct comment Ic roi Lisvart tutnbsp;fored do demander une trêve pour ensevelirnbsp;ses morts.

i vant de quitter File Ferme ia la tête de son armee,nbsp;I Périon, enebanté de lanbsp;fprincesse Oriane , avaitnbsp;1 envoyé Gandalin en Gaulenbsp;^pour chercher sa flllo Mé-licie, dont il désirait la préscncenbsp;presque aussi ardemment quenbsp;Bruneo de Bonnemer. II désirait aussinbsp;celle de la reine Elisène •, mais le moyennbsp;. I qu’elle quiltat Galaor toujours conva-r h lescent 1

' nbsp;nbsp;nbsp;Mélicie quitta done sa mere et son

1 frère, et, suivie d’une cour de jeunes [ demoiselles, elle se rendit aux ordresnbsp;,, dc Périon, sous la conduite du fidélenbsp;' Gandalin, qui avait bate de reveiiirnbsp;avant tont engagement d’action, pour se faire armer chevalier par le vaillant Amadis.

Périon était parti lorsqu’arriva Mélicie, qu’Oriane ct Mabile recurent comme leur propre soeur.nbsp;toutes trois jeunes, belles, tendres, aimaient etnbsp;etaient aimées; tes mêmes intéréts les unissaient:nbsp;la plus constante amitle s’ctablit eiitre elles.

Gandalin fut trés affligè de no plus trouver

Amadis et Périon au palais d’Apollidon. Mais comme il voulait être armé chevalier avant la ba-taille, de la main même d’Amadis, suivanl la promesse que celui-ci lui en avait faite, il prit incontinent congé des princesses, qu’il savait en süreté,nbsp;et se mit en route. II marcha nuit et jour, jusqu’Anbsp;ce qu’enfin il ent rejoint le vaillant prince aux có-tés duquel il tenait tant è combattre.

— Seigneur Amadis, lui dit-il, j’ai rempli la mission dunt le roi Périon avait bien voulu menbsp;charger, et j’accours vous prier de pie conférernbsp;Fordre de chevalerie... Soyez assure que si j’avaisnbsp;pensé vous être plus nécessaire la-bas qu’ici, je nenbsp;serais point venu... Mais la princesse Oriane est ennbsp;süreté. Par ainsi, je vous en conjure, no dilféreznbsp;plus a m’accorder Fhonneur de combattre a vosnbsp;cótés...

— Ah ! Gandalin, mon cher frère! s’ccria Amadis qui se souvenait d’avoir partagé le lait de la mère de Gandalin, votre naissance et votre valeurnbsp;vous rendent depuis longtemps digne d’etre chevalier. G’est l’envie que j’avais de ne pas me sépa-rer de vous qui m’a fait différer jusqu’aujourd’huinbsp;de vous rendrc cette justice que vous me deman-dez. Nous allons rejoindre le cainp du roi monnbsp;père, et je le prierai de vous Gonférer Fordre dontnbsp;vous méritez si bien de faire partie...

— Groyez-vous done, répliqua vivement Gandalin , que je yoiilusse être armé chevalier d’une autre main que la votre?... Quant aux armos,nbsp;votre frère Galaor m’a confié les siennes , qu’il nonbsp;peut encore porter, et j’espère, en le rcmplapantnbsp;auprès de vous le jour de Ia bataille, ne pas luinbsp;donner de regrets de me les avoir conliées...

ïandis que Gandalin demandait k Amadis cette précieuse grace, Lasinde obtenait la même de Bruneo de Bonnemer. Ges deux braves êcuyers lirentnbsp;ensemble la veille des arrnes, et, dès le lever dunbsp;soleil, Amadis et Bruneo leur donnèreut la colée.nbsp;Périon ceignit Fépée a Gandalin, Lasinde regut Icnbsp;même honneur du prince Agraies, ct, croyant nenbsp;pouvoir faire un meilleur usage de deux des sixnbsp;épées qu’il avait regues de Finfante Léonorine,nbsp;Amadis les leur donna en les embrassant tendre-ment.

Cette cérémonie était è peinc terminée, que Pc-rion fut averti par les troupes légères qu’il avait en avant, que Farmée enneraie approchait. II fit sor-tir la sienne de son camp, la mit en bataille ennbsp;parcourut les rangs, au galop de son cheval, suivinbsp;d’Amadis, d’Agraies, de Florcslan et de Bruneo denbsp;Bonnemer.

— Gaulois ! cria t-il d’une voix sonore, songez que le vainqueur du rol Abies est avec vous: c estnbsp;vous dire que la victoire vous attend Bi-bas, dansnbsp;les rangs de nos ennemis, que vous culbutereznbsp;biciitót! on a voulu la guerre, on Fa; on comptenbsp;sur le triomphe, on ne 1’aura pas. L’cquité et lanbsp;vaillance sont dc notre c5ló ; double raison denbsp;vaincre pour nousl...

— Gaule! Gaule! Gaule 1 répondit Farmée d’une seule voix. Vive Périon! vive Amadis! vive Flores-tan ! Gaule! Gaule! Gaule!...

Ges acclamations furent enthousiastes et éner-giques : on dut les entendre üi Favant-gardc enne-


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LES PRINCES DE L’AMOUR.

mie. Si bien que Lisvart, dont l’arraée campait, en ordre de bataille, a une lieuo environ de celle dunbsp;roi Périon, eut grapd’peine a eoqtenir rimpatiencenbsp;de ses chevaliers, et que quelques légères esear-TOouches eurent beu et Va contve son gré etnbsp;coutrc ses ordrcs.

Les deux armées passèrent la nuit dans cotte • position. Lisvart et Périon furent avertis presqu’ennbsp;raême temps, aux premières lueurs del’aube, quenbsp;les coureurs enyoyés a la découverte venaient denbsp;reconnaitre, au delk des mpntagnes, une nom-breuse armee au milieu de laquelle ils avaient dis-tinguélabannière du roi Aravigne- Cepriqce avaitnbsp;k coBur de 5e venger de Ia dernière bataille qu’ilnbsp;avatt perdue, et sa présence, en face ,des deux ar-raèes de Lisvart et de Périon, s’expliauait par lanbsp;haine qu’il leur portalt et qui était doublée de cellenbsp;que lui avait soufflée dans l’esprit l,e perfide Arca-laüs. Aravigne, en se tenant ainsi k portee, ,espé-rait profiler du moment oü les deux armées enne-raies seraient épuisées par la lutte, pour les attaquernbsp;avec la sienne et les inettre eu pièc,es. Sqn espé-rance allait plus loin encore, puisqu’il son gepit knbsp;s’emparer non-seulement de l’Ile Ferpie et des ri-chesses y contenues, mais encore des Jïtals du roinbsp;Lisvart. Au cas oü il en aurait eu detrop, Avcalaüsnbsp;était lü pour partagcr avec lui...

Cette nouvelle contraria Périon et Lisvart. In-certains du parti que prendrait Ie roi Aravigne, ils disposèrent Paile de leur arpiéc la plus rapprocheenbsp;des montagnes, de fpcou ,a ponvoir lui résister, et,nbsp;en tons cas, k prèvenir Ie désastre d'une attaquenbsp;imprévue.

Les mouvements que nécpssita ce cbangement de position retinrent les dpux armées et retardè-rent la bataille qn’elles étaient sur lo point d’enga-ger. Jusqu’au iendemain, on se contenta de s’observer rautuellement, prêt k profiter du moindrenbsp;prétexte pour copimencer 1’aclion.

Les premiers rayons du soleil furent Ie signal de cctt,c bataille, dont les premières charges furentnbsp;pnglantes; Amadis s’élapca impétueusement dansnbsp;m mêlee, k la rencontre de Gasqnilan, roi denbsp;Suesse, qyj pavait envoy,6 défier la veille par nunbsp;héraut, et, malgré les ennemis qui les entouyaientnbsp;de part et d’autre, ils purent lutter ensemble unnbsp;assez long temps. Gasqnilan perdit pied bientöt etnbsp;roula parmi les morts et les mourants du champnbsp;de bataille ; ce que voyant, I’erapereur Palin com-manda a dix de ses chevaliers remains d’aller en-'ever Amadis et de Ie lui amener mort QU vif.

Amadis, ernporté par son courage, frappait aveu-g-ement de ci de Ik, fauchant de son épéc, comme n moissonneur les blés, tous les chevaliers quinbsp;¦ approcPaigj^l; (jg luj. ij jjp voyait pas ceux quenbsp;pait envoyés pour s’emparer de lui, et ilnbsp;aaau etre enveloppé, lorsque Ie fidele Gandalin,nbsp;vp tnbsp;nbsp;nbsp;nbsp;vaillamment ü ses cótés, eut

m', nbsp;nbsp;nbsp;et la déjoua. Au moment

do od’etre renversé par Ie coup mainc r ' ^l'eval de ces dix chevaliers ro-misór’mnbsp;nbsp;nbsp;nbsp;londit comme un épervier sur cos

de sa”trois, et, descendant viternent prendr^'^r^l''’^'’nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;^matlis k la

dis ainci Sö P^issa rapidc comme 1'éclair. Ama-1 dsi releve, n’en fut que plus terrible, et les

coups qu’il porta n’en furent que plus mortels. II semblait qu’il füt invulnérable, protégé qu’il étaitnbsp;par sa propre vaillance et par celle du fidéle Gandalin, qui s’était emparé d’un autre cheval, et quinbsp;ne Ie quittait pas d’un seul instant, de peur qu’il nenbsp;lui arriyat malheur.

Les charges continuèrent, sanglantes et mul-tipliées; Ie succès en fut longtemps indécis, et des chevaliers en grand nombre des deux cotés virentnbsp;leur dernier jour.

Ge fut dans une des plus furieuses que Ie prince Agraies reconnut Lisvart. Lors, courantnbsp;avec fureur sur lui:

— Roi Ie plus ingrat qui respire, dit-il, recon-. nais Agraies devenu ton plus mortel enne'rai 1...

A ces mots, tous les deux se chargèrent avec fureur; mais, ne pouvant entamer leurs fortesnbsp;armes par Ie tranchant de leurs épées, ils se sai-sirent au corps.

Amadis, s’aporcevant du peril que courait Lisvart, ne put Ie voir plus longtemps en danger de succomber sous un bras qu’animait la vengeance;nbsp;et, se porlant entre Agraies et Lisvart, commenbsp;pour s’opposer au corps formidable de Romainsnbsp;prêts k les joindre, il les sépara, donnant Ie tempsnbsp;a Lisvart de rentrer dans Ie gros de sa troupe, etnbsp;priant Agraies, qui murmurait d’avoir été séparénbsp;de son ennemi, de venir k son secours.

Amadis chargeant les Romains aype fureur, Ie prince Floyan, parent de l’empereur, fut Ie premier qui tomba sous ses coups.

L’empereur Patin , qui vit rouler la tête de Floyan ü ses pieds, fondit plein de rage sur Amadis, en cherchant a Ie percer au défaut de sou ar-muré; mais Gandalin veillait sur une vie sichèye,nbsp;il détourna Ie fpr de la lance•, et Ie redontablftnbsp;Amadis, s’élevant sur ses étriers, porta sur l’é-paule de Patin un coup si terrible, que l’épaulenbsp;tomba sur Ie sable avec Ie bras passé dans sounbsp;bouclier...

Cette plaie horrible et les tlots de sang qui s’en élancèrent, ne laissèrent qu’un instant de vie knbsp;I’empereur, et découragèrent tenement les Romainsnbsp;qu’ou les vit fuir de toutes parts. Lisvart voulutnbsp;en vain les rallicr en faisant ferme mine avec Grii-medan, Cildadan et les chevaliers bretons; mais ilnbsp;comprit que la terreur des Romains avait plus denbsp;force que ses reproches, el il fut contrain.t de senbsp;replier cn arrière en faisant sonner la retraite.

Agraies voulait poursuivre la victoire et charger Lisvart dans sa retraite; mais I’amant d’Orianenbsp;dcroba encore son père aux coups de son cousin,nbsp;en engageant Périon k lui commander de fairenbsp;halte, sous Ie prétexte que la nuit commencant,nbsp;Pon ne pouvait plus distinguer les siens des ennemis. Agraies obéit en murmurant, jusqu’a dire anbsp;son cousin:

— Nevous lasserez-vous done pas do faire grace au plus ingrat de tons les prince!...

La nnit fut tumiiltueose, et personne n’osa quitter les armes; mais le jour ne paraissait pas encore, lorsque Lisvart envoya demander une trêve ct prior Périon de lui renvoyer le corps de I’empe-reur, .pour lui faire des funérailles dignes d unnbsp;aussi grand prince; ce qui lui ful accordé.


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BIBLIOTHEQUE BLEUE,

II profita’de ce|temps pour.haranguer les chefs des Remains, leur rappelerla gloire dont ils s’é-taient couverts autrefois, et les engager èi s’unirnbsp;plus étroitement que jamais ^ lui pour tenter Ienbsp;sort d’une seconde bataille.

Arquisil, depuis la mort de Tempereur, devenait Ie chef de son armée , comme étant son plusnbsp;proche parent et Ie plus prés du tróne par sa nais-sance. Ce jeune prince crut avec raison qu’il étaitnbsp;de sa gloire de suivre Lisvart et de faire de plusnbsp;heureux efforts pour rclever l’honneur du nomnbsp;romain : il était eslimé autant qu’aimé des troupesnbsp;qui venaient de perdre Patin, aussi tons les chefsnbsp;lui firent de grand coeur serraent de lui ohéir etnbsp;de servir son allié Lisvart avec Ie même zèle.

CHAPITRE VI

Comment, pendant que Ie sang coulait sur Ie champ de bataille, Ie bonhomme Nascian prit Ie parti d’aller trouver Oriane pour l’engager amp; user de son influence sur Lisvart,nbsp;afin d’amener la paix.

'andis que Ie sang coulait de part ^et d’autre è torrents, que les cra-'nes s’entr’ouvraient sous Ie tran-chant des épées, que les entraillesnbsp;jse décousaient sous Ie fer acérénbsp;^/ des lances, Nascian , en saintnbsp;homme qu’il était, ne songeaitnbsp;remplir sa mission de charité etnbsp;ft| d’amour; tandis que Périon et Lisvartnbsp;faisaient la guerre, il s’occupait dunbsp;soin de ramener la paix.

La nouvelle du manage prochain de l’empereur de Rome avec la princessenbsp;Oriane étant parvenue jusqu’é lui, il nenbsp;crut point que cc mariage put s’exé-

cuter.

Le jour oü Lisvart chassait dans la forêt de Vin-disilore, Nascian ayant conduit le petit Esplandian avec sa lionne aux pavilions que ce prince availnbsp;fait tendre pour la reine Rrisène et les princesses,nbsp;Oriane, vivement émue en voyant ce bel enfantnbsp;qu’elle soupponnait être son fils, avaitprié Nasciannbsp;de l’entendre en confession, et lui avait révélénbsp;tous les secrets qu’elle renfermait dans son ame.

Nascian, sachant par Taveii d’Oriane qu’Amadis avait recu sa foi le jour oü il la délivra des mainsnbsp;d’Arcalaüs; espérant aussi que le ciel avait requnbsp;leurs serments saus en être irrité, puisqu’un hlsnbsp;dont il était prédit de si grandcs choses était lenbsp;fruit de cette union, rie put croire qu’Oriane, aunbsp;mépris d’uu héros et de ses serments, put donnernbsp;sa main a l’empereur.

Aussi, dés qu’il eut appris la suite des événe-menls, U violence de Lisvart contre Oriane, l’en-levement de cette princesse, et la guerre cruelle prete a commencer entrc Idsvart joint aux Ro-mains et les chevaliers dél’Ile Ferme secourusparnbsp;le roi Périon, il crut devoir s’entremettre pour ennbsp;arrêter la suite et l’effusion du sang que les nations chrétiennes étaient prêtes ü répandre. II lenbsp;pouvait sans peine, en déclarant le mariage d’Oriane et la naissance d’Esplandian; mais n’ayantnbsp;appris ces secrets qu’en confession, il ne pouvaitnbsp;les dévoiler sans crime, ü moins qu’il n’y fut auto*nbsp;risé par la permission d’Oriane.

Nascian ne désespéra pas de l’obtenir, et, pre-nant sa besace et son baton, il s’achemina vers File Ferme avec toute la diligence que son grandnbsp;dge et sa faible monturo purent lui permettre.

Après plusieurs jours de marche bien fati-gantes, Nascian arriva prés d’Oriane qui fut émue en le voyant; elle le fit aussitót entrer dansnbsp;son cabinet ;

— Ah! mon père, lui dit-elle, je suis encore plus malheureuse que je ne Fétais la dernière foisnbsp;que je vous vis. La guerre, 1’animositè deviennentnbsp;de jour en jour plus fortes entre Amadis et monnbsp;père; des combats sanglants ont déja coüté la vienbsp;fi beaucoup de chevaliers, et dans ce moment jenbsp;frémis qu’il ne s’en donne de nouveaux.

— Ma fille, lui répondit Nascian, il vous eüt été possible de Fempêcher, en déclarant votre mariage et la naissance d’Esplandian. Je connais 1’é-tat de votre conscience, et je vous déclare quenbsp;vous vous rendriez coupable du sang qui seraitnbsp;désormais versé, si vous différiez plus longtempsnbsp;a découvrir vos secrets les plus cachés au roi votrenbsp;père.

— Hélasl mon père, répondit Oriane en versant un torrent de larmcs, exigerez-vous de moi quenbsp;j’ose faire un pared aveu?

— Non, ma chère fdle, dit Nascian attendri, pourvu que vous me permettiez de le faire pournbsp;vous. Ce que vous m’avez dit en confession m’estnbsp;sacré; mais si vous in’accordez la permission denbsp;parler au roi votre père, j’espère, avec le secoursnbsp;de la grace divine, changer son coeur, 1’attendrirnbsp;pour vous, lui faire approuver votre union jusqu’icinbsp;secrète avec Amadis, et rétablir la paix entre deuxnbsp;grands princes qui doivent s’aimer et se soutenirnbsp;mutuelleraent aujourd’hui.

— Ah! j’y consens de toutc mon ame, lui dit Oriane; je ne peuxplus soutenir ma situation présente et tous les maux dont je suis cause; je remets mon sort entre vos mains, et jo vous conjurenbsp;de parler au roi mon père le plus tót qu’il vousnbsp;sera possible.

— La résolution que vous prenez la, ma fdle, dit Nascian, est d’une belle ame et d’un bon cceur.nbsp;Cela vous sera compté, je vous assure, en cenbsp;monde et dans I’aulre : en ce monde, oü vous se-rez heureuse des heureux que vous aurez faits; ennbsp;I’aulre, oü vous screz récompensée des dots denbsp;sang dont vous aurez empêché Feflusion. Le cielnbsp;vous protege et vousbénisse, ma lille!... Je neluinbsp;demande plus, pour moi, quo la force tl’arrivernbsp;auprcs du roi votre père avant ((ue la trève ne soitnbsp;expirée.


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LES PRINCES DE L’AMOUR.

CHAPITRE VII

Comment Ic bonhomme Nascian, fort de l’autorisation d’0-riano, se rendit auprès du roi Lisvart auquel il dévoila Ie secret de la naissance d’Esplandian ct les mystères de l’a-mour d’Amadis et d'Oriane.

^ascian, allègre et content, se donna amp; peine Ie temps denbsp;prendre un frugal repas, et,nbsp;remontant sur son öne, il senbsp;rendit dès Ie même soir aunbsp;pavilion du roi Lisvart.

Ce prince fut trés étonné de voir paraitre Ie saint er-mite, qu’il reconnut k l’in-

stant.

— Saint homme, lui dit-il en l’embras-sant, venez-vous pour rae consoler?.... Ilélas! mon ame en ce moment est déclii-rée par Ia douleur-, mais votre voyage,nbsp;votre présence m’annoncent que vous de-vez avoir des choses importantes a menbsp;dire... Homme de Dieu, parlez!

— Ilélas! Sire, répondit Nascian, que n’ai-je pu faire une plus grande diligence?nbsp;•Ie n’aurais peut-être pas la douleur denbsp;voir ces campagnes couvertes de sanginbsp;Souvenez vous, Sire, que vous êtes chrétien, etnbsp;que Ie pouvoir des plus grands rois doit céder anbsp;celui du grand fabricateur des êtres et des choses...nbsp;Craignez de l’avoir offense en voulant déshériternbsp;votre fille ainée, et la forcer a donner son coeurnbsp;ut sa main ft l’empereur, contre la foi jurée desnbsp;premiers serments.

—^Ehl grand Dieu, que me dites-vous? inter-rompit Lisvart. N’était-ce pas faire pour Oriane tout ce qu’un père peut faire de mieux pour sanbsp;Vnbsp;nbsp;nbsp;nbsp;ue l’élever sur Ie premier tróne de l’uni-

vers Et eet hymen ne devait-il pas être agréable u Ires-Haut, puisque l’alliance avec ce grand

meltait en état de faire fleurir sa oainte religion?

AT '. décrets sont souvent caches, lui répondit nascian. Apprenez, Sire, qu’il avait depuis long-serments d’Oriane, et que des nceudsnbsp;prince de Gaule du journbsp;Arcalaü^ ^ heros la déli\ ra des mains du perfide

^e grand age affaiblis-fabio ^ nbsp;nbsp;nbsp;Nascian, il ne lui contait qu’une

nri« apparence. 11 Ie regardait d’un air sur-Pris, lorsque Nascian reprit ;

conniit^^^^^’ M nbsp;nbsp;nbsp;secrets m’étaient

de lS crlrSic' nbsp;nbsp;nbsp;sous Ie sceau

preL5 nbsp;nbsp;nbsp;P'*’’ princesse votre fille... Ap-

fut cnn«.A nbsp;nbsp;nbsp;agréable au ciel

consacre par la naissance d’un fils dont plu-sieurs prédictions annoncent la haute destinée. Oui, Sire, ce jeune Esplandian, eet enfant si cher,nbsp;que la Providence jeta dans mes bras et que vousnbsp;élevez dans votre cour, Esplandian est ce gagenbsp;précieux de l’hymen d’Oriane. Je ne pouvais vousnbsp;ie révéler sans sa permission; je viens de l’oble-nir, et Ie ciel m’a donné la force pour vous annon-cer, de sa part, cju’il exige que vous approuvieznbsp;cette union, et, qumnsi qu’il l’a prédit, Esplandiannbsp;soit celui qui vous unisse et vous réconcilie avecnbsp;Amadis...

Lisvart baissa la tête et fut quelques moments sans parler. Tout ce qu’Amadis, tout ce que cenbsp;héros et ses frères avaient fait pour lui, tout cenbsp;que son aimable et malheureuse fille avait dü souf-frir lui revint en mémoire, et bientót de grossesnbsp;larmes coulèrent sur ses joues...

— Ah! mon père, s’écria-t-il en se jetant au cou de Nascian, quel cruel mystère! et qu’il coüte denbsp;sang et de malheur!... Ah! que n’ai-je su plus tótnbsp;quels étaient les noeuds et les sentiments d’Orianenbsp;et d’Amadis! Pouvais-je faire un meilleur choixnbsp;que celui de l’héritier de la Gaule, et surloutnbsp;quand j’ai dü plusieurs fois a ce prince et la vie etnbsp;la victoire? Ah! mon père, dès que vos forces vousnbsp;Ie permettront, retournez au camp de Périon etnbsp;d’Amadis, rétablissez vivement une paix si désira-ble; dites-leur que la force n’eüt jamais abattunbsp;mon courage, mais que l’union secrète d’Amadisnbsp;et la naissance d’Esplandian rouvrent mon coeur ünbsp;l’amour, ü la reconnaissance que je lui dois, etnbsp;qu’en l’unissant avec Oriane, que je déclare dès cenbsp;jour mon hérilière, je Ie laisse Ie maitre de toutesnbsp;les conditions de la paix...

— O prince heureux! s’écria Nascian en se jetant aux genoux de Lisvart, TEternel met dans votre üme son esprit de sagesse! Votre justice, vosnbsp;sentiments, l’amour de votre familie et de vos su-jets, vont remplir vos jours d’une vraie gloire etnbsp;d’un vrai bonheurl...

A ces mots, l’un et l’autre se levèrent et vinrent retrouver les chevaliers de la cour qui furent sur-pris de voir Lisvart les yeux encore rouges desnbsp;larmes qu’ils avaient versées, mais brillant de lanbsp;joie la plus vive.

Le jeune Esplandian entra dans ce moment; il venait de Vindisilore de Ia part de la reine Bri-sène, pour savoir des nouvelles de Lisvart. Quoi-que Esplandian fut beaucoup grandi dans sept ansnbsp;d’intervalle et qu’il fut déja presque de force a re-cevoir l’ordre de chevalerie, le bonhomme le reconnut a l’instant et lui tendit les bras.

Esplandian demeura quelques moments interdit, mais dès qu’il eut, lui aussi, reconnu le saintnbsp;homme, il courut embrasser ses genoux. Lisvartnbsp;cut bien de la peine ü contenir les tendres sentiments qui l’agitaient, en songeant que c’était sonnbsp;petit-fils même qu’il voyait dans ce bel enfant,nbsp;qu’il avait toujours si tendrement aimé; il prit denbsp;sa main la leltre de la reine Brisène, et, se reti-ranta I’extremile du pavilion, il la lut avec Nas-ciau. Cette sage reine pressait dans sa letire le roinbsp;sou époux de conclure la paix, et de se réconciliernbsp;avec Périon et les princes de la Gaule.

— Ne semble-t-il pas, dit-il a Nascian, qu’elle


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10 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

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ien ne saurait rehdre la joie du bonhomme Nascian qui venaitnbsp;ainsi de réussir dans Ia partienbsp;la plus délicate de sa mission.nbsp;^Tout n’était pas terminé, certes;nbsp;^mais Ie plus difficile était fait.

\ A son sons, le roste devait aller y tout seul.

En conséquence, il remonta sur son ane, et, suivi des deuxnbsp;/ adolescents qu’il aimait, moiitésnbsp;sur des chevaux qu’ils condui-. saiont comme des hommes, ilnbsp;? prjt le chemin du camp d’Ama-) dis, oü tous tpois arrivèrent lenbsp;lendemain matin.

y /% ) Le prince de Gaule, qui n’a-^ ^ ’ vait fait qu’entrevoir une fois Esplandian,ne Ie reconnutpoint;nbsp;mais Quadragant qui 1’avait vunbsp;peu de temps auparavapt, cou-rut l’embrasser :nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;*

— Mon mignon, Ini dit-il, voila ce chevalier Grec qui, le jour oii il combattait pour Grassinde,nbsp;vous donna la vie de deux chevaliers roraains.

Esplandian, assure d’etre en presence d’Ama-dis, courut baiser ses mains, comme au meillcur chevalier du monde et celui dont il désiraitle plusnbsp;recevoir l’ordre de chevaleric.

Amadis, ému par 1’actionct par les graces de cet enfant, 1’embrassa tendrcmcni et lui demanda parnbsp;quel hasard Lisvart 1’avait laissc venir prés de lui.

— Seigneur, lui répondit-il, voici le hou ermitc Nascian qui vous fapprendra.

Le prince de Gaule connaissait la reputation de sainteté de Nascian il savait par Oriane que cetnbsp;homme aimé du ciel avait les respects et l’ainour

nous devine? Ahl mon père, ne différez pas, je vous en conjure, i terminer votre ouvrage. Le cielnbsp;Ie veutl Le ciel le Vjeut!...

Nascian, qui regardait la vue d’un fijs si cher pour Amadis coranje une recompense des mauxnbsp;injustes que ce prince avait soufferts, pria le roinbsp;de lui permettre d’emmener avec lui le jeune Es-plandian et son neyeu Sergil, pour l’aider dans sonnbsp;voyage. Lisvart y consentit d’autant plus volon-liers qu’il gentait bien que la presence prolongéenbsp;de eet adolescent qu’il aimait tant lui ferait trahirnbsp;devant toute sa epur les sentiments qu’il éprouvaitnbsp;pour lui.

CHAPITRE VIII

Comment Ic bonhomme Nascian, heureiix d’avoir réussi dans la moilié de sa mission, se remit en route pour essayer denbsp;réussir dans i’aulrc moitié; et comment il fut accueilli,nbsp;ainsi que le jeune Esptandian, par le vaillanf Amadis denbsp;Gaulc.

des gens de bien; il lui demanda pardon de ne l’avoir pas recu d’abord comme il raéritait denbsp;1’être.

— Vous honorez trop, lui dit Nascian, un pauvre pécheur; nous le sommes tous, et la gloire et lanbsp;sagesse du monde ne sont que de faibles étincellesnbsp;vis-a-vis de cette lumière éternelle qui Tuit parnbsp;elle-raême, et qui féconde et tient en équiliprenbsp;avec eux-mêmes tous les grands ouvrages du Créa-teur!... C’esten son nom, seigneur Amadis, quenbsp;l’humble Nascian, ermitc de soixante ans, et tou-chant presque i sa dernière heure, ose venir vousnbsp;parler...

Amadis, pénótré de respect pour Nascian, fit re-tirer tons ceux qui l’entouraient.

— Parlez, dit-il, mon père, et soyez sur d’etre écouté par un homme qui vous est déjk soumis.

— Souvenez-vous, lui dit Nascian avec une force au-dessus de son age, des soins paternels quenbsp;la divine Providence a pris de vos jours 1 Sauvé denbsp;la fureur des flots, fi laquellevouséiiezabandonné;nbsp;vainqueur du redoutable Abies, reconnu par unnbsp;grand roj pour être son fils, couvert de gloire ennbsp;cent combats mémorables, heureux époux d’Oriane,nbsp;père d’un jeune prince auquel les plus grandesnbsp;destinées s’annoncent de toutes parts : tel est lenbsp;sort d’Amadis, tels sont les bienfaits que 1’Etre suprème semble se plairo k répandre sur luil O monnbsp;cher Amadis) ó mon fils! pardonnez ce nora a lanbsp;vieillesse d’un ministre du Seigneur, votre cop.urnbsp;n’est-il pas touché d’une vivè reconnaissance?nbsp;N’est-il pas ouvert ti 1’amour de la paix que je viensnbsp;vous offrir ?

— Ahl mop père, répondit Amadis en lui ser-rant les mains, quelles que puissent être les conditions de cette paix, je les accepte, puisqiio c’est vous qui me les apportez; mais, comme fils, je doisnbsp;h Péripn de lui faire hommage de mes volontés;nbsp;venez, de grace, lui faire partager tous ces sentiments dont vous pénétrez mon arae !...

Amadis ennduisit sur-le-champ Ic saint homme au pavilion du roi son père.

Périon, en les voyant entrer suivis d’Esplan-dian, fut si frappé de la beauté de ce jeune da-moiseau, qu’il débuta par demander è Termite s’il élait sou père?

— Je ne le suis, répondit Nascian, que par los soins que j’ai pris de sa première enfance et par lanbsp;tendresse que j’ai conservée pour lui. Non, Sire, cenbsp;jouvenceau n’est point le fils d’un pauvre ermite;nbsp;il vous sera plus cher que vous ne le pensez, quandnbsp;vous le connaitrez...

S’occupant alors de Tobjet de sa mission toute chrétienne, le saint homme représenta forternent ènbsp;Périon tons les avantages qu’il devait retirer de lanbsp;paix, si bien qu’il famena a la souhaiter aussi vive-raent que lui-meme.

— Ah! Sire, lui dit-il, les hommes n’ont déja que trop d’occasions et de prétextes pour s’entre-éétruirc ; point n’cst besoin de leur en fournir!nbsp;Ces tueries sanglantcs ne sent pas si inevitablesnbsp;qu’on veut bien le faire croire : ie monde ti’a pasnbsp;été créé par un Dien charitable et bon, pour servirnbsp;de theatre continuel a ces horribles abattis d lioin-mes... La vie humaiue est chose sacrée, et, quand


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LES PRINCES DE L’AMOUR. 11

LES PRINCES DE L’AMOUR. 11

on a charge d’fimo, comme ont les princes de la terre, on doit être avare du sang des autres dont

on repond devant le prince du ciel.....Je ne sais

point parler, et peut-elre ne sais-je point convain-cre... Cependant, Sire, quelque chose me dit qu’en vous parlant ainsi que je le fais, mon humble parole a du retentissement dans votre grand coeurnbsp;qu’emeuvent les misères d’ici-bas. Les méchantsnbsp;seuls sent sourds 1...

Périon avait, en effet, le coeur a la hauteur de cette grave situation. L’éloquente parole du pauvrenbsp;erraite n’eutpas de peine a le convaincre. 11 assem-bla sur-le-champ le conseil de ses premiers baronsnbsp;et leur fit part de tout ce que Nascian venait de luinbsp;dire, en les priant de lui communiquer leurs impressions et de donner leurs avis sur cette questionnbsp;de paix.

— Seigneurs, dit Angriote d'Estravaux, nous avons assez fait pour qu’on n’attribue pas fi la peurnbsp;une demarche dans le sens qui vient d’être indi-qué... 11 n’y a que les forts qui sachent être pacifi-ques et doux. La guerre prouve souvent 1’injustice.

On no se bat que pour étourdir sa conscience.....

Par ainsi, je propose qu’on envoie au roi Lisvart deux d’entre nous, par exemple Quadragant etnbsp;Brian deMoniaste...

Angriote d’Estravaux jouissait parmi ses pairs d’une grande autorité, è cause de son courage, denbsp;ses moeurs et de son esprit: I’avis qu’il venait d’ou-''rir fut couvert de rapprobation générale, et lesnbsp;deux chevaliers qu’il venait de désigner durent senbsp;disposer a se rendre en ambassade auprès du roinbsp;de !a Grande-Bretague.

CIIAPITRE IX

Comment, sur I'indication du jeune Esplandian, Amadis ct quelqucs-uns de ses compagnonsnbsp;allèrenl au secours du roi Lisvart, menacé parnbsp;I’amide du roi Aravigne ; ct comment, unenbsp;Ibis cctle armöe cn déroute, Amadis el Lisvartnbsp;se rdconcilièrenl.

' e son cóté, Lisvart avait reuni les princes les plus puissantsnbsp;et les chevaliers les plus re-nommés de son parti, afin denbsp;les consultor sur la conduite amp;nbsp;; tenir, et leurs avis se trouvè-¦^ont conformes au sien. De même que Quadragantnbsp;^t Brian de Moniaste avaient été choisis pour in-birmediaires par Périon, Arban de Norgalos etnbsp;buillan-le-Pensif furent élus pour nller dresser lesnbsp;nicies de la paix avec Angriote, et les prclimitiai-^ prudence cxigeait. Le premier de cesnbsp;I •^“^*‘^?ii‘es fut d’engager Périon et Lisvart ènbsp;armées dans les vingt-quatrenbsp;Serrtnbsp;nbsp;nbsp;nbsp;^ qu’ellcs fussent h la distance de

P ties les unes des autres, ce qui fut execute.

Périon se replia de quatre lieues, sur I’lle Ferme; Lisvart fit retirer son armee sur la ville de Luba-nie, qui se trouvait a la même distance du derniernbsp;champ de bataille, et oil il coraptait demeurer pendant le temps des conférences.

Ce prince avait done disposé sa marche sur plu-sieurs colonnes; deux lieues ctaient fades lorsqu’il apergut quelques corps de troupes légères qui pa-raissaient sur la montagne et dont quelques-unesnbsp;même s’apprètaient a descendre. Dans le rnêmenbsp;temps, Esplandian, comblé des caresses de Périonnbsp;et d’Amadis, qui, cependant, n’avaient point voulunbsp;I’instruire encore sursa naissance, regagnait avecnbsp;son jeune compagnon Sergil le roi de la Grande-Bretagne, lorsqu ils apergurent, eux aussi, lesnbsp;troupes inconnues qui commengaient a se former.

Esplandian avait souvent entendu la reine Bri-sène parler de la haine invétérée que le roi Aravigne, Barsinan et I’enchanteur Arcalaiis nourris-saient contre Lisvart. II avait appris dans le camp dc Périon qu’Aravigne, k la tète d’une formidablenbsp;armée, n’attendait que le moment d’écraser ou Lisvart ou Périon avec avantage. Cejouvenceau,dontnbsp;I’esprit et le coeur avaient pris de I’avance sur lesnbsp;autres enfants de son age, imagina qu’Aravigne,nbsp;craignant l’armée victorieuse de Périon, allait senbsp;porter sur celle de Lisvart, qui semblait se livrer anbsp;ses coups en se retirantdaris la ville de Lubanie.

En conséquence de ce, Esplandian, au lieu de poursuivre sa route et de rejoindre Lisvart, re-tourna promptement sur ses pas, e’est-a-dire versnbsp;Amadis, k qui il raconta son impression è proposnbsp;du mouvement de troupes qu’il avait remarqué ennbsp;chemin.

Amadis admira la sagacité de l’avis que lui don-nait ce jouvenceau, et, sou amour pour Oriane ne lui laissant voir dans Lisvart qu’im prince que,nbsp;plus que jamais, il devait secourir, il remontanbsp;incontinent a cheval et partit après avoir fait aver-tir le roi Périon du parli qu’il prenait. Florestan,nbsp;Grasandor, Quadragant, Garnates et quelques chevaliers l’accompagnaient.

Gette petite troupe arriva fort è point. Aravigne avail déja commence son attaque, et I’annoe denbsp;Lisvart, au moment de rentrer dans Lubanie, af-faiblie, épuisée, déconragée, ne se défendait quenbsp;mollement, malgré l’énergie que tléployait le roinbsp;afin de la rallier. Sou arrière-garde, seule, mainte-nue dans le devoir par son héroïque exemple, fai-sait courageusement face a I’ennemi, qui la harce-lait de toutes parts.

C’est dans ce moment si périlleux pour sa vie et pour son tróne que survinrentle vaillant Amadisnbsp;et scs non moins vaillants compagnons.

L’amant d’Oriane avait fait halte pendant quelques instants avant d’attaquer Aravigne. II com-manda è sa petite troupe de se former compacte afin d’être irresistible, et cria : Gaule! Sa petitenbsp;phalange s’ébranla alors et fondit sur Tarmée d’A-ravigne qu’elle troua et dans les rangs de taquellonbsp;elle porta l’épouvante en même temps que la mort.

Les chevaliers du roi Lisvart, cn entendant ce cri terrible, qui leur était hostile quelques joursnbsp;auparavant et qui mainlenant leur était ami, sen-tirent leur courage renaitre avec leurs forces.


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12 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

12 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

S'

— Ahl compagnons! s’écria Ie vieux Grumedan, ui portait la banniére royale. En avant I en avant Inbsp;e par Dieu et de par Amadis, en avant!...

Norandel, Cildadan, Guillan-le-Pensifrelevèrent aussitot leurs épées et, criant: Gaule! amp; leur tour,nbsp;ils se précipitèrent comme une avalanche sur l’ar-mée d’Aravigne, qui se débandait déjci sous lesnbsp;coups impitoyables et irrésistibles de la troupenbsp;d’Amadis.

Le combat se soutint pendant quelque temps a cette porte de la ville, sur laquelle le centre etnbsp;l’aile gauche d’Aravigne avaient porté leurs effortsnbsp;réunis. L’aile droite, commandée par ce roi et parnbsp;Arcalaüs, avait embrassé la partie méridionale denbsp;Lubanie. Ne trouvant la qu’une légère résistance,nbsp;ils s’étaient emparés des barrières et des avant-postes de cette cité; en se formant en colonnesnbsp;dans les principales rues, Aravigne espérait cou-per ainsi toute retraite au roi Lisvart, le prendrenbsp;et le mettre a mort au moment oü sa ressource se-rait de se retirer dans le centre de cette ville.

Arcalaüs, entendant encore le bruit des armes retentir vers la porte de la ville oü le centre denbsp;l’armée attaquait Lisvart, envoya Barsinan, suivinbsp;d’un gros détachement, pour marcher de rue ennbsp;rue vers cette porte, et prendre Lisvart par derrière.

Au moment même oü Barsinan arrivait a l’en-droit désigné, Amadis y arrivait aussi avec Lisvart et ses chevaliers. Le fils de Périon, un pen surprisnbsp;de rencontrer lü de nouveaux ennemis, ne perditnbsp;pas un moment ü les charger, et le cri redoute de :nbsp;Gaule! retentit pour la seconde fois. Alors, ef-frayées, les troupes de Barsinan plièrent et s’en-fuirent en désordre, jetant leurs armes pour allé-ger leur inarche. Barsinan, désarfonné, cria mercinbsp;et se jeta è genoux prés du cheval d’Amadis qui lenbsp;donna en garde au vieux Grumedan, et se préei-pita en avant dans la ville pour achever sa vic-toire. Après avoir fait un horrible massacre de toutnbsp;cequi s’opposait è son passage, il arriva aux portesnbsp;méridionales de Lubanie, fit fermer les barrières etnbsp;cerner la maison oü Aravigne s’était retire dunbsp;combat avec Arcalaüs.

Lisvart, vainqueur de tous cótés, ignorait encore quel bras l’avait secouru si a propos. II le de-manda ü ses chevaliers.

— Eh! quoi, Sire, répondit le bon Grumedan, n’avez-vous done pas entendu crier: Gaule!... Eh!nbsp;quel autre qu’Amadis aurait pu nous sauver la vicnbsp;et la liberté?...

Amadis, i]ui arrivait sur ces entrefailes, enten-dit Lisvart s’écrier :

— Ah! Grumedan, je croisbien Amadis capable d’une aussi généreuse action; mais je n’ose croirenbsp;qu’il ait pu oublier si vite toutes mes injustices ünbsp;son égard et a l’égard de ses chevaleureux compagnons.

— Oui, Sire, oui, répondit le vieux Grumedan avec feu, j’ose vous en repondre comme de moü...nbsp;II n’est aucun acte héroïque et vertueux que monnbsp;Amadis ne soit capable de faire...

^ Vous ave?, bien raison, cher Grumedan, de m appeler yotre, dit alors Amadis en abaissant vi-tement la visiere de son heaume, car personne ne

vous respecte et ne vous aime plus que moi... Mais, Sire, dit-il ü Lisvart, ne jouirai-jc done jamais du bonheur de vous entendre dire aussi monnbsp;Amadis, en parlant de 1’homme qui vous est le plusnbsp;attaché qui soit au monde?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Ah I dès ce moment, répondit Lisvart attends, en lui tendant les bras, dès ce moment, monnbsp;cher Amadis!... Ah! mon ami,que la vainc gloirenbsp;et 1’injustice m’ont coüté cher, et quel nouveaunbsp;triomphe pour vous! Quel nouveau mérite n’avez-vous pas ü oublier!...

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, dit Amadis, je ne me souviens que desnbsp;hontés et de la confiance dont vous m’avez sinbsp;longtemps honoré... Je regarde comme malheu-reux tous les jours que j’ai passés dans votre disgrace, et comme le plus beau de ma vie celui oünbsp;vous daignez me rendre votre amitié!...

CHAPITRE X

Comment, la paix étant faito rntrn Lisvart ot Amadis, on songca i\ faire le bonlieur do tous les princes amouroux.

Tout était fini, ou a peu prés. Le roi Périon ne tarda pas a arriver avec ses principaux chevaliers,nbsp;et principalement Agraies, qui haïssait si fort Lisvart, comme on sait, mais seulement ü cause d’A-madis.

Du moment qu’Amadis élail réconcilié avec Lisvart, Agraies ne se voyait plus de raison de facherio avec ce roi. Chacun s’embrassa et se réconcilia : cenbsp;fut une fête a laquelle manquaient bien des gens,nbsp;que l’on s’empressa de prévenir, Oriane, Mabile,nbsp;Brisène, Elisène, Galaor.

Mais auparavant il fallait faire justice. Amadis et Périon allcrent trouver Aravigne, Barsinan etnbsp;Arcalaüs, gardés tous trois a vue.

¦—Me reconnais-tu, perfide Arcalaüs? demanda Amadis en entrant.

— nbsp;nbsp;nbsp;Je ne pense pas t’avoir jamais vu, réponditnbsp;1’cnchanteur en le regardant avec dédain.

— nbsp;nbsp;nbsp;Tu portes cependant des marq^ues qui de-vraient te faire connaitre Amadis de Gaule! repritnbsp;Amadis en lui indiquant sa main mutilée.

— nbsp;nbsp;nbsp;C’est ü ta conduite que je pourrais te recon-naitre, murmura Arcalaüs d’un air sombre.

— Mérites-tu done qu’on te pardonne? demanda Amadis. Et si j’avais cette faiblessc, en devien'nbsp;drais-tu plus homme de bien ?

— Fais ce que tu voudras, répondit arrogain-ment Arcalaüs; jc suis bien éloigné de te rien prO' mettre... Et jc ne désespère pas de te faire encorcnbsp;du mal, beaucoup do mal avant ma mort... Jenbsp;suis pas pour rien l’enchanteur Arcalaüs • tu 1’ap'nbsp;prendras a tos dépens!...

Amadis et Périon, indignés, firent enfermer ce traitre dans une cage de tér. Quant ü Aravigne etnbsp;a Barsinan, comme ils avaient abusé odieusemenl


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LES PRINCES DE L’AMOUR. 13

de leur pouvoir, comme ils s’étaient déshonorés, et qu’ils n’étaient plus dignes d’etre ni chevaliersnbsp;ni souverains, Amadis et Périon les condaranèrentnbsp;a être dégradés de ce double litre, on célëbra surnbsp;sur eux Poffice des rnorls, comme s’ils eussentnbsp;vraimenl cessé de vivre, on les rasa ignominieuse-ment et on les conlina dans une abbaye. Quant anbsp;leurs Etats, on remit au jour de la célébration desnbsp;noces d’Amadis pour en laire la distribution.

Gar ces noces ctaient niaintenant résolues entre Périon et Lisvart. Le mêmc jour et dans Ie mêmenbsp;beu, c’est4-dire a l’Ile Ferme, devaientse consom-mer également les épousailles de Grasandor et denbsp;Mabile, du nouvel empereur Arquisil avec Léonore,nbsp;d’Agraies avec Olinde, de Bruneo de Bonnemernbsp;avec Mélicie, de Quadragant et de Grassinde, denbsp;Flqrestan et de Sardamire, et mème de Galaor avecnbsp;Briolaniel...

Quoique Oriane eüt été prévenuc par un message de son amant de 1’hcureuse issue de la guerre et des divers événements qui en avaient été la suite,nbsp;cela n’empêcha pas son saisissement d’êlre extréme en revoyant Amadis. Mais ce saisissementnbsp;fut délicieux.

— nbsp;nbsp;nbsp;Madame, lui dit ce prince rayonnant de bon-heur, je viens renouveler mes serments k vos ge-doux... Bégncz a jamais en souveraine sur cc coeur,nbsp;qui vous est soumis.

— nbsp;nbsp;nbsp;Cher Amadis, répondit Oriane, il m’cst donenbsp;enfin permis de vous appeler du doux nom d’é-Pouxt G’est b moi de vous être soumise...

Devons-nous done changer d’existence? s’é-eria tendrement Amadis. Le pourrais-je, divine Oriane? et puis-je ambitionner jamais d’autresnbsp;droits que celui de vous prouver jusqu’k mon der-uier soupir l’amour et la fidélité que je vous ainbsp;^oués?...

. L’empereur Arquisil arriva dans ce moment dé-si longtemps par ces heureux amants, ct il lut dans leurs yeux le tort qu’il avait eu de 1’interrom-Pfe. Lors Amadis, le conduisantvers Oriane, dit;nbsp;.. —Je vous présente, madame, cc digne ebeva-'er auquel vous donnerez bientót un nom qui luinbsp;jera plus doux quele titre auguste qui vient d’êtrenbsp;p recompense de scs vertus. Autant l’empereurnbsp;dlin, son oncle, nous était hostile a tons deux,nbsp;utant l’empereur Arquisil nous sera frater nel...nbsp;Q r~ Je connais le cceur de ma soeur Léonore, ditnbsp;^ lane, je suis sure qu’il méritera votre attaebe-

les d ’ nbsp;nbsp;nbsp;Lisvart seront

deux plus heurcuses princesses de la terre.

^tr^-^h' madame, répondit Arquisil, ce nc peut du en imitant ce héros que je peux mériter lenbsp;de frère que je dois Ji son amitiél...

vie nbsp;nbsp;nbsp;dn des moments les plus heureux de sa

PnR ld courage, sa bonté, son amour, recevaient

ddfin leur recompense.

be bonheur de son père ne fut pas moins grand, rio^ ^^.dd ami, mon vaillant compagnon, dit Pé-qup -^di survint quclques instants après Arquisil,nbsp;est't ^ dmbrasse encore 1... Notre bonheur a tousnbsp;Unnbsp;nbsp;nbsp;nbsp;'^'d as agi comme un roi, comme

tasaiYPcciquot; ^d mérites bien que je m’inclinc devant droits Ant dddime devant ta vaillance. Je remets mesnbsp;mre tes mains : partage entre tes amis les

Etats que nous venons de conquérir... Fais plus encore pour eux .- lis dans leur ame quelle femmenbsp;peut les rendre heureux; dispose de ta soeur Mélicie... Je me refuse le droit de te désigner un chevalier qui m’est cher : c’est de ta bouche qu’il doitnbsp;apprendre son sort...

Amadis, pénétré de reconnaissance, serra et baisa les mains de Périon.

— nbsp;nbsp;nbsp;Accours, cher Bruneo, s’écria-t-il, viens auxnbsp;genoux de mon père donner ta foi et recevoir cellenbsp;de Mélicie!...

Périon vit ci l’instant même Oriane, Bruneo, Amadis et Mélicie erabrasser ses genoux.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ah! mes chers enfants, s’écria ce bon roi ennbsp;étendant les mains sur ces quatre têtes si diguesnbsp;d’amour, puisse le Très-Haut vous bénir comme je.nbsp;le fais en ce moment!

Quclques jours après, arrivaient a file Ferme la reine Elisène et le beau Galaor, presque rétabli etnbsp;toujours amoureux.

CIIAPITRE XI

Comment Urgande-la-Déconnue, a laqucllc on ne songeait pas, prouva qu’elle songeait k ses protégés en survenantnbsp;la veille des noces.

La veille du jour oü tant d’heureux devaient être faits, pendant que la population tout entière denbsp;rile Ferme se réjouissait par avance des fêtes quinbsp;allaient avoir beu, des acclamations enthousiastes,nbsp;parties du port, annoncèrent l’arrivée de la Bottenbsp;de la Grande-Bretagne, amenant le roi Lisvart, lanbsp;reine Brisène et la jeune princesse Léonore.

Au moment oü chacun des princes qui habi-taient le palais d’Apollidon s’empressait de venir ü la rencontre do Lisvart et des deux princesses,nbsp;les cris d’une multitude effrayée se firent entendre.nbsp;Le people courait de toutes parts, en fuyant lesnbsp;bords de la mer sur laquelle on apercevait unenbsp;montagne de feu qui paraissait s’avancer vers l’llenbsp;Ferme et n’en devoir faire bientót qu’un monceaunbsp;de cendres. Les dames se réfugièrent promptementnbsp;dans le palais; mais les chevaliers ne craignirentnbsp;point de s’avancer vers le port, pour observer eetnbsp;effroyable phénomène.

Lorsque le rocher de feu ne fut plus qu’è environ cinq cents toises de la rive, il se fendit subite-ment en deux avec un fracas terrible; les deux moitiés s’abimèrent dans la mer et laissère/it voirnbsp;un monstrueux serpent qui se mit a fendre Tonde,nbsp;en étendant deux ailes gigantesques en guise denbsp;nageoires. La téte de ce montre, plus haute quenbsp;les mats les plus hauls, vomissait de sa gueule desnbsp;torrents de flammes qu’acconipagnaient d affreuxnbsp;mugissements. Les chevaliers de 111e herme, mal-gre leur intrépit^lit^ ordinaire^ furent sur le point denbsp;prendre peur; mais, animés par la présence denbsp;Périon, de Lisvart et des princes qui les accompa-


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BIBLIOTHEQUE BLEUE.

Je

gnaient, ils s’avancèrent courageusement, prêts a braver tout, même la mort.

Leur étonnement fut extréme, lorsque tout-Ji-coup ils aperQurent Ie monstre battre des ailes et s’élever, s’élever encore, en cessaat de mugir et denbsp;lancer des flamines. Puis un navire doré, couvertnbsp;de fleurs et de pierreries, avec des voiles de pour-pre, s’avanga majestueusement vers Ie rivage, aunbsp;son harmonieux des instruments que douze jeunesnbsp;¦et belles nymphes faisaient retentir au loin.

— C’estUrgande-la-Déconnuel s’écrièrentAma-dis et les deux rofe.

Lors, suivis du noüvel empereur Arquisil, ils s’avancèrent.

C’était la fée Urgande, en cffet. Ordinairement elle ne se montrait que sous les formes les plusnbsp;étranges, et souvent les plus hideuses, pour inspi-rer la terreur. Mais, cette fois, comme elle se trou-vait au milieu de ses amis les plus chers, elle parut sous sa Sgure naturelle qui avait la jeunesse etnbsp;la beauté du printemps, avec la sérénité et la ri-chesse de l’été. Lisvart et Périon lui donnèrent lanbsp;main pour descendre de son navire. Arquisil, quinbsp;ne la connaissait point, se retira discrètement ènbsp;l’écart.

Ge fut précisément vers Arquisil qu’elle vint, aussitót qu’elle eut mis pied k terro.

— Seigneur, lui dit-elle de sa voix qui sonnait comme du cristal, quoique vous n’ayez pas 1’air denbsp;me connaitre, je suis dcpuis longtemps de vosnbsp;amies... L’alliance que vous allez contractei', etnbsp;que j’avais prévue, augmente encore mon amitiénbsp;pour vous. Une immense distance sépare l’ile quenbsp;j’habite de la capitale du monde oü vous rcgneznbsp;comme successeur de l’empereur Patin, et cepen-dant moins d’un jour me suftit pour me rendre aü-près de vous. L’impératrice que vous allez faire ennbsp;1’associant i votre sort m’est si chère que je veuxnbsp;sauver de la mort Ie premier fruit de son union avecnbsp;vous, et que je veillerai sur Ie bonheur de vosnbsp;jours et sur celui de votre postérité.

Arquisil, baisant courtoisément la main d’Ür-gande, lui répondit :

—L’univers sait quel est votre poüvoir, madame; Lisvart, Périon et leurs erifants m’ont appris quellenbsp;est votre bonté.

Urgande, alors, embrassant Amadis, lui dit:

— Vaillant Amadis, vous avez enfin ce que vous désiriez Ie plus au monde... Get amour heureux nenbsp;laissera point languir votre valeur. Les hérosnbsp;comme vous ne laissent point tomber leur épée ennbsp;quenouille. Les combats, les victoires remplirontnbsp;jusqu’au bout votre glorieuse vie 1

— Madame, répondit Amadis, je iie demande plus au ciel que de me conserver Oriane et votrenbsp;amitié.

Avant de suivre les deux rois au palais d’Apolli-don, Urgande-la-Déconnue se fit amener deux jou-venceaux qu’elle avait laissés sur son navire. ïous deux étaient beaux, gracieux et vêtus splendide-ment. Les dames iie tirent qu’un cri d’admiralionnbsp;en les apercevant.

mignon, dii Urgande au jeune Esplan-dian, je vous araène deux beaux compagnons di-gnes de vous. Ils vous seront utiles et vous jouirez de bonne heure avec eux des charmes d’une ten-dre amitié. Voici Manéli et voici Talanque : aimez-les pour l’amour do moi.

Pendant qu’Esplandian embrassait ses jeunes amis, Urgande se toiirnait vers Oriane et l’embras-sait en lui disant:

— nbsp;nbsp;nbsp;Belle Oriane, un amour heureux et tranquillcnbsp;va récompcnser votre coeur de sa longue attente...nbsp;Ne soyez pas ingrate envers les peines qu’il vous anbsp;coütées et qui ont été mêlées de si agréablesnbsp;plaisirs...

Urgande caressa tour è tour los jeunes beautés que cette grande cour rassemblait. 11 n’en fut au-cune a laquelle elle ne dit quelque chose de particulier sur ses secrets les mieux célés, il n’eii futnbsp;aucune ii qui elle ne promit ses secours et sonnbsp;amitié.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ah! divine Urgande, ne put s’empêcher denbsp;lui dire tout bas l’aimable Briolanie, servez-vous,nbsp;je vous en conjure, de tout votre pouvoirpour quenbsp;Galaor me soit fidele.

— G’est laseule chose que je ne puisse vous pro-mettre, ma mignonne, répondit Urgande en sou-riant; mon pouvoir échoue Bi. G’est vous seule que cela regarde... Mais je m’étonne que vous ayez denbsp;semblanles craintes avec des yeux comme les vó-tres. Soyez assurée que Galaor vous aimera tou-jours... Et d’ailleurs, les petits Galaors dont il vousnbsp;dotera seront lè pour vous consoler, pour Ie casnbsp;improbable oü il cesseraitde vous être fidéle...

Urgande engagea les deux rois ü ne pas dilïérer Ie bonheur de tant d’illustres amants. Et non-seu-leraent, elle suppléa par son pouvoir k ce qui n’é-tait pas encore préparé pour cette grande fête, maisnbsp;elle suty faire paraitre tout ce qui pouvait en aug-menter 1’éclat, la galanterie et la dignité.

CHAPITBE XII

Comment les noces d’Amadis et d’Oriane, et celles des autres princes et James, furent cdlébrées ennbsp;rile Ferme, Ie jour raémO oü fut dprouvd 1’arcnbsp;des loyaux amants.

uand fut venu Ie jour oü les chevaliers devaient re-cevoir de leurs dames ai-mées Ie doux fruit denbsp;leur attente, Ie saintnbsp;homme Nascian se prépara pour cé-léhrer spirituellement leurs noces,nbsp;qui eurent lieu en grand appareil.

Au sortir de la messe, Amadis dit ü Lisvart :

— Seigneur*, je vous pric bien hum-blement de m’octroyer un don, quo raisonnablement vous ne pouvcz refuser...

— Mon fils, mon ami, répondit lo roi,jc vous 1’accorde de grand occur !nbsp;vous supplie done, Sire, de commander a


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LES PRINCES DE L’AMOUR. 15

madame Oriane, votre fille, qu’elle éprouve, avant de nous meltre k table, l’arc des loyaux amants etnbsp;la Chambre Défendue... Élle n’a pas voulu jus-qu’ici, quelque prière que nous lui ayons faite...nbsp;J’ai une telle fiance en sa loyauté et en son excellente beauté, que je suis assuré de la vöir arrivernbsp;lel oü, depuis cent ans et plus, aucune dame ninbsp;demoiselle n’a pu parvenir...

— Mon fils, répondit Lisvart, il ne tiendra pas k raoi. Toutefois, je crains beaucoup que cette en-treprise n'apporte quelque trouble en si bonnenbsp;compagnie...

— Sire, reprit Amadis, mon coeur me dit que la lin de tout ceci sera conforme tl mon désir et aunbsp;vótre. Rassurez,-vous 1

Lors, Lisvart appelant Oriane, que les rois Pé-rion et Gildadan menaient par la main, il lui dit :

— Ma mie, votre mari me demande un don que je lui ai accordé, raalgré mon vouloir et ma raison... Mais il a ma parole ; avisez done a faire cenbsp;dont je vais vous prier.

Oriane, trés aise d’entendre son père lui parler si familièrement, fit une grande révérence et répondit ;

— Sire, commandez-moi tont ce qu’il vous plaira pour vous obéir...

— Ma mignonne, reprit Ie roi, il faut done que devant que de nous mettre ii table, vous essayieznbsp;1’aventuro de l’arc des- loyaux amants et de lanbsp;Gbainbre Défendue: c’est la Ie don que j’ai accordé

Amadis.

Oriane, entendant cela, rougit jusqu’au blanc des yeux, ce qui la rendit plus belle encore et plusnbsp;digne de triompher de Grimanèse. Elle ne put refuser son père ni la première grace que lui dc-mandait Amadis. Olinde et Mélicie, par attacho-ment pour Oriane, et peut-êlre un pen jalouses ennbsp;Secret de la gloire que cette princesse allait acqué-Dr, s’olïrirent et furent acceptées pour l’accompa-gner dans cette épreuve.

A^graies et Bruneo ne purent voir leurs raaitres* s’exposer ainsi sans en concevoir quelquenbsp;^tarine. Mais ils aimaient 1

Pour Mabile, elle était trop sensée pour tenter Cette épreuve.

quot;• Je passerais encore plus aisément que jamais Sous Pare des loyaux amants, dit-elle a Grasandor,nbsp;^,‘lue je sens et n’ai jamais senti que pour vousnbsp;^ Cfi est un sur garant... Mais je coniiais trop lanbsp;quot;upériorité des charmes d’Oriane pour lui disputer

Psinie de la beauté...

g nbsp;nbsp;nbsp;du moins, lui répondit tendrement Gra-

^ndor, nulle ne vous la disputera jamais dans oen coeur, et la conquête de la Chambre Défendue

c pourrait vous donner plus de charmes a mes youx...

, Les trois princesses s’étant prises par la main, ^ avancèrent vers l’arc des loyaux amants et Ie pascent sans obstacle. Jamais la statue qui Ie sur-ttorn o’iivait répandu tant de beurs, jamais sanbsp;Lp5 pc o’avait reiidu des sous aussi mélodieux.nbsp;rem , ^oes d’Apollidon et de Grimanèse frappè-rp,‘Ucoc® regards. La beauté de cette dernièrenbsp;R Onane assez confuse; elle SC repentit d’a-voir osé se soumettre è l’épreuve de la Chambrenbsp;Défendue.

— Mais, du moins, dit-elle tont bas dans son coeur, nulle aiitre ne sera plus heureuse que moi.

Comme elle levait les-'yeux sur la table de jaspe, ainsi que ses deux compagnes, elles y lurent d’abordnbsp;les noras de Briolanie et de Mabile. Bientót un traitnbsp;de lumière parcourut cette table et grava leursnbsp;trois noras et ceux de leurs amants é cóté de tonsnbsp;ceux qui étaient inscrits Ik depuis un fort longnbsp;temps. S’étant ensuite séparées pour observer lanbsp;quanlité de merveilles dont était enrichi l’espacenbsp;qui renfermait Pare, Oriane s’approcha d’uiie fon-laine dont la vasque, relevée sur un massif de co-rail et de roseaux, était formée comme une conquenbsp;marine. G’était la fontaine de la Vénus d’agalhe,nbsp;dont nous avons précédemment parlé. Oriane ayantnbsp;plongé sa main dans Ie bassin pour y puiser denbsp;l’eau, la statue avanga son bras vers elle et lui présente la pomme offerte jadis par Ie berger Paris;nbsp;puis, de son autre main, détachant l’anneau pré-cieux qui pendait k son oreille, ellel’offrit de mêmenbsp;k la fidéle maitresse d’Amadis, toute étourdie denbsp;ces merveilles.

Olinde et Mélicie, voydnt qu’il pleuvait de pareils présents dans les mains de leur araie, Se rappro-chèrent aussitót d’elle et la suivirent Ik oü elle allait. Et bieii leur en prit, car au moment oü ellesnbsp;allaient toutes deux, la devangant, franchir unenbsp;porte, deux dragons affreux firent mine de se jeternbsp;sur elles, et ils n’y eussent pas manqué si Orianenbsp;n’eüt tout-a-coup parü. Lors, ils baissèreht leursnbsp;têtes radoutables et les trois amies purent passernbsp;et arriver enfin au dédale que nous avons décrit ennbsp;temps et lieu.

Pendant que ces belles princesses employaient un temps assez long k visiter les merveilles dunbsp;palais d’Apollidon, Grassinde, fiére de lavictoirenbsp;que ses charmes avaient remporlée dans la Romanic et dans la Grande-Bretagne, ne douta pointnbsp;un seul instant qu’elle ne put faire la conquête denbsp;la Chambre Défendue, en y précédant Oriane,nbsp;qu’elle crut retenue pour quelques heures dans Ienbsp;labyrinthe oü brillait, on s’en souvient, la vergenbsp;de Prométhée. Sans done consulter Amadis, Qua-dragaut, ni les deux rois, ni personné, Grassindenbsp;s’avanga, la tête haute et ses beaux cheveux aunbsp;vent, vers fare des loyaux amants, oü elle regutnbsp;lapluie de beurs a laquelle elle avait certes droit.

Get are une fois passé, Grassinde s’arrèta devant les statues; son nom se grava sur la table de jaspe.nbsp;Encouragée par ce premier succès, elle marcha versnbsp;Ie premier perron par lequel on allait k la Chambrenbsp;Défendue. Elle ne Ie moiita qu’avec peine, quoiquenbsp;ses genoux ne sentissent encore qu’une mollenbsp;resistance. Maïs lorsqu elle voulut monter Ia première marchedu second perron, une force irrésis-tible, inconnue, la renversa et la repoussa dis-courtoisement jusque sur Ie seuil de l’arc desnbsp;loyaux amants.

G’est alorsque Ie roi Périon l’apergut.

— Ami Quadragant, cria-t-il, cours done vite au secours de ta belle maitresse que voilk paméenbsp;sur Ie sol!

— Laissez, laissez, répondit tranquillement


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BIBLIOTHEQUE BLEUE.

Quadragant; il n’est pas mauvais qu’cllc soit un tantinet chatiée dans sa chère petite vanité!... Ennbsp;vérité, dame Grassinde tire trop d’avantages de sanbsp;beauté : cela ne convient père k la compagnenbsp;d’un ancien guerrier de race de géant comme moi...nbsp;Elle était un peu dedaigneuse avec moi : elle vanbsp;me revenir douce comme une agnelle, j’en suisnbsp;assuré.

Périon ne put s’empêcher de sourire des bonnes raisons que Quadragant lui donnait Ei. Einalernentnbsp;il courüt l’aider remporter Grassinde, qui senbsp;contenta de dire en reprenant connaissancc ;

— nbsp;nbsp;nbsp;Ah! mon cher Quadragant, si mon aventurenbsp;ne me rend pas moins belle k vos yeux, je n’ai riennbsp;perdu!...

Quadragant la rassura par les caresses les plus tendres.

— nbsp;nbsp;nbsp;Gettepalme de la beauté, luidit-i!,n’a deprixnbsp;que celui qu’y met l’amour-proprc... Soyez sensible a l’araour que j’ai pour vous, et, chaque jour,nbsp;mes soins, mes désirs, mon dévoüment vous ennbsp;feront cueillir une plus précieuso et plus durable!..

Agraies et Bruneo virent avec crainte Olindc et Mélicie sortir du labyrinthe et s’avancer pour von-ger Grassinde. L’une et l’autre montèrent presquenbsp;sans opposition les trois marches du premier perron; mais Olinde fut enlevée de la première marchenbsp;du second perron, et BIélicie de la seconde; Tunenbsp;et l’autre furent emportées les yeux fermés sur lesnbsp;fleurs dont la statue avait jonché Ie seuil de l’arcnbsp;des loyaux amants. Bientótlesnouvelles fleurs quinbsp;tombaient sur elles les firent revenir et leur fitnbsp;voir Agraies et Bruneo è leurs genoux.

Oriane était restée seule dans l’enceinte qui ren-fermait les perrons. Amadis s’approcha d’elle les yeux pleins d’amour.

— nbsp;nbsp;nbsp;Divine Oriane, lui dit-il, cette pomrae d’ornbsp;que vous avez déjè reQue vous est Ie gage d’unenbsp;victoire que vous seule pouviez remporter... Alleznbsp;sans crainte maintenant ouvrir celte porte si re-doutable pour toutes les autres beautés, et triom-phez des charmes de Grimanèse aussi facilementnbsp;que vous avez soumis k jamais Ie Chevalier de lanbsp;Mer.

Oriane, ainsi encouragée, s’éleva légèremcnt sur, Ie premier perron. Elle monta les deux premièresnbsp;marches, puis la troisième... La méme main qu’onnbsp;avait vue paraitre lorsqu’Amadis avait franchi lesnbsp;perrons, se saisit doucement de celle d’Oriane etnbsp;l’attira dans la Ghambre Défendue, dont les portosnbsp;d’or, restant alors ouvertes, laissèrent voir l’inté-rieur de cette Ghambre resplendissant de lumière.nbsp;Mille voix s’en élevèrent alors, des voix de cristal,nbsp;sonores et harmouieuses, disant:

~—Vive l’incomparable Oriane! Son ame et sa beauté surpasïent encore celles de Grimanèse!...nbsp;Qu’elle règne a jamais sur nous, et qu’elle fassenbsp;toujours Ie bonheur du parfait chevalier reconnunbsp;déja comme supérieur au grand Apollidon!... Vivenbsp;Oriane, la belle des belles! Vive Amadis, Ie loyalnbsp;des loyaux!...

_ Bsanie, ancieik gouverneur de l’Ile Ferme, s ayancant alors ctmoiilant librement sur Ic derniernbsp;perron, élcva sa voix pour declarer que la conquetenbsp;de la Ghambre Défendue, faile par Amadis et

Oriane, en rendait 1’accès libre, et détruisait tout ce qui n’était que l’ouvrage des enchantementsnbsp;dans Ie palais d’Apollidon. II y restait d’ailleursnbsp;tant d’ornernents précieuxettant de beautés réelles,nbsp;que l’on regretta peu ce qui n’avait été jusqu’alorsnbsp;que reffet d’un prestige et de l’illusion.

Ysanie fit préparer Ie lit nuptial d’Amadis dans la Ghambre Défendue. Un festin oü chaque chevalier répéta, sur un paon couronné, les mêmes ser-ments que Ie ciel avait requs, suivit Ie triomphenbsp;d’Oriane. Ce festin durajusqu’au coucher du soleil.nbsp;La nuit délicieuse qui devait Ie suivre ne pouvaitnbsp;être Irop longue pour tant d’heureux amants : lesnbsp;bons rois Pamp;ion et Lisvart, égayés par les vinsnbsp;capiteux de la Grèce et de la Gaule, s’emparèrentnbsp;Tun d’Elisène, l’autre de Brisène, et, tout en chan-tant, ils se retirèrent chez eux pour en donnernbsp;l’exemple a leurs enfanis...

Des fêtes merveilleuses eurent lieu les jours suivants dans lo palais d’Apollidon, devenu celuinbsp;d’Amadis. La fée Urgande y assista. Quand elle futnbsp;sur Ie point de partir, elle profita d’un moment oünbsp;elle était seule avec Cildadan et Galaor pour leurnbsp;recommander spécialement, au premier, Ie jeunenbsp;Maneli, au second, Ie jeune Talanque.

— Aimez-les bien, dit Urgande en souriant, car ils vous ressemblent un peu... Ce sont mes neveux,nbsp;puisqu’ils sont les fils de mes nieces... Vous savez,nbsp;mes belles et pauvres nièces?... Juliande et Solisenbsp;vous lèguent ces deux charmants fruits de vosnbsp;éphémères amours... Oubliez les mères, il Ie faut;nbsp;mais aimez les fils; il Ie faut aussi. Adieu...

Et la fée Urgande disparut.

GHAPITRE XIII

Comment, quelque temps après ces divers événements, la fée Urgande apparutdc nouveau pour faire armer chevaliernbsp;Ie jeune Esplandian, elle metlre k même d’entreprendrcnbsp;la quête de son a'icul Lisvart.

Arquisil et Léonore, suivis de Florestan et de Sardamire, élaient repartis; Périon et Elisenenbsp;aussi; Galaor, Quadragant, Agraies et Angriotenbsp;avaient accompagné Bruneo dans son expeditionnbsp;pour conquérir Ie reste des états d’Aravigne, dontnbsp;une partie était limitrophe avec lo royaume denbsp;Sobradise. Amadis resta dans TIlc Ferme avecnbsp;Oriane et sa cour.

Un jour que Ie prince de Gaule se promenait sur Ie rivage avec sa chère aimée, une grande femmenbsp;en longs habits de deuil vint se jeter a ses pieds.

— Seigneur, s’écria-t-elle d’unö voix dolente et lamentable, ayez pitié de mon malhcureux sort!---Jamais dame n’implora vainement votre généro-sité... Non, seigneur, je ne me rclèverai pas de vosnbsp;genoux que vous ne m’ayez accordé un don... A®nbsp;craignez rien, madame, ajouta-t-cllc en se touriiannbsp;vers Oriane, je ne viens pas vous cnlevcr encorenbsp;votre mari... Le don quo je lui demande est en sa


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LES PRINCES DE L’AMOUR. 17

puissance, cl je vous conjure, par 1’arnoiir quivous unit S ce héros, d’iniercédcr auprès de lui pournbsp;obtenir la grace que j’implore...

Les jannes de cettc affligée émurent Ie cceur sensible d’Oriane. Etlc fit a Arnadis Ie signenbsp;convcnu enlre eux pour accorder une pareille de-inande.

— nbsp;nbsp;nbsp;Relevoz-vous, madame, dit Arnadis, Ie donnbsp;que vous me demandez vous estaccordé.

Cette dame, se relevant aussitót et relevant en même temps sou voile, dit d’un air fier :

— nbsp;nbsp;nbsp;Arnadis, reconnais en moi la femme d’Arca-laüs. Je t’ai épargné la vie dans Ie chateau denbsp;V'^alderin : tunefais aujourd’huique me rendrelanbsp;pareille. Arcalaüs est librel

Arnadis et Oriane claient indignés de voir avec quelle audace et quelle adresse la femme d’Arca-laüs leur avail arraché ce don. Mais Arnadis availnbsp;promis, el sa parole était sacrée.

— nbsp;nbsp;nbsp;Suivez-moi, madame, dit-il a la femme d’Arcalaüs.

Ils allèrent tous trois au palais d’Apollidon, vers Ie perron dans lequel était enclavée la cage de ternbsp;qui renfermait Ie perfide enchanteur.

— nbsp;nbsp;nbsp;Eh bieri, Arcalaüs, lui dit Arnadis, quelle estnbsp;la disposition présente de ton ame?

— nbsp;nbsp;nbsp;De brayer ta vengeance et d’attendre pa-tieminent Ie jour de la inienne, répondit l’enchan-teur d’une voix sombre et féroce.

— Mais quels sentiments aurais-tu, repartit Arnadis, si, pour l’amour de ta femme, je te ren-üais présentement la liberté?...

— Je pourrais en être touché, si c’était toi qui

1 cusses appelée prés de moi.....Mais comme je ne

dois qii’i son adresse Ie don qui te force é briser les fers dont tu m’as chargé dans Lubanie, menbsp;crois-tu done assez lache pour te remercier et nenbsp;pas perséverer dans les sentiments de haine et denbsp;'^engeance qui m animent contre toi?...

— Val répondit Arnadis, si tu pouvais raériter ^uelquc estime, j’en accorderais k ce libre aveu;nbsp;wais ce nest point la fermeté d’dme quite Ie dicte,nbsp;iVk*^ cette rage intérieure qui te dévore, et lanbsp;ache espérance de venger par un crime heureuxnbsp;lt;^elui qui n’a pas réussi.

, Arnadis s’éloigna avec Oriane, et, quelques 1’d'^^^ apres, Arcalaüs et sa compagne quittaientnbsp;Ferme sous la conduite d’une forte escortenbsp;les accompagner jusqu’au chateau de

roAt 9'^elques temps de Ei, Arnadis apprit quo Ie Risvart avait été enlevé par trois demoiselles,

bördsAf s’élait égaré en chassant sur les us Ue la iner.

p’^^èvement de cc prince, ayant été su, en Êrun^ ^®®lgt;s, par tous les souverains voisins,nbsp;p|. Quadragant, Brindaboias accoururent anbsp;brasnbsp;nbsp;nbsp;nbsp;vinrent offrir Ie secours de leurs

datw ,'-'’'‘^ne, et la conjurer de prendre espérance Père ^ ‘‘eeherche qu’ils aüaient faire du roi son

ap^'rut'^i?^ ‘^f.eelle désolation générale, Urgande lui servaiinbsp;nbsp;nbsp;nbsp;Graude-Serpente qui

— Ne vous avais-je pas assuré, dit-elle a Ama-dis, que vous mereverriez lorsqu’il en serait temps, et que celui d’armer Esplandian et ses compagnons

serait arrivé?..... Je cours embrasser et rassurer

Oriane.... Vous, rassemblez promptementEsplandian, Ie jeune roi de Dace, Talanque, Maneli, Ambor, tils d’Angriote, et vos principaux chevaliers,nbsp;et apprètez-vous a me suivre tous dans la Graude-Serpente, oü les cinq damoiseaux seront armesnbsp;chevaliers. Apprenez que c’est a eux qu’est réscr-vée la recherche dé Lisvart et la gloire de ienbsp;délivrer, et que c’est en vain que vous parcourrieznbsp;toutes les mers du monde pour Ie découvrir...

Arnadis et les chevaliers defile Ferme obéirent. Quelques heures après, tous ceux qu’avaient de -mandés Urgande se trouvaient sur ce singuliernbsp;navire qui avait la forme d’un gigantesque serpent,nbsp;oü les cinq jouvenceaux passèrent leur veillée desnbsp;armes. Le Iendemain,de bon matin, on vit paraitrenbsp;Urgande portantunecotte de mailles noire, sa niècenbsp;Solise un heaume de même couleur, et son autrenbsp;nièce Juliande un bouclier pared.

— Bienheureux jouvenceau, dit la fée au jeune Esplandian, bien que la coutume soit de donnernbsp;des armes blanches aux nouveaux chevaliers, j’ainbsp;voulu que les vótres fussent un signe de votre situation présente, et du deuil que la caplivité dunbsp;roi votre aïeul doit porter dans votre arne.

Gela dit, Urgande et ses deux nieces armèrent de pied en cap le fils d’Arnadis.

— Que dites-vous de ce jouvenceau ? demanda la fée a Arnadis.

— Madame, répondit le prince de Gaule, je crois qu’il saurait bien attaquer et sc défendre s’il avaitnbsp;une épée...

— Ne savez-Yous pas mieux qu’un autre, reprit Urgande, qu’il en existe une merveilleuse, qui de-puis longlemps lui doit être réservéc ? G’est ü luinbsp;d’en faire Ia conquête...

Les demoiselles d’Urgande apportèrent a 1’in-stant de riches armes blanches, et quatre bou-cliers pareils, portant unecroix noire, et les quatre compagnons d’Esplandian s’en couvrirent.

— Maintenant, vertueux Balan, dit Urgande k un grave chevalier, ami d’Arnadis, qui se trouvaitnbsp;lè, approchez; c’est vous qui devez armer chevalier le jeune Esplandian : I’estime et famitié qu’A-madis a pour vous, la générosité de votre bellenbsp;ême, vous acquièrent cethonneur.

Balan, par modestie, voulut, dans le premier moment, s’en défendre. Mais les instances d’Ama-dis et d’Orianc le déterminèrent.

— Du moins, seigneur, dit-il, prêtez-moi cetie épée si redoutable entre vos mains.

Alors, tirant celle d’Araadis, il donna la colée au jeune Esplandian, lui chaussa 1’épcron droit etnbsp;1’embrassa tendrement.

— Maintenant, reprit Urgande, chevalier Esplandian, conférez üvos jeunes compagnons fordreque vous venez de recevoir ; ils n oublierqnt jamaisnbsp;qu’ils tiennent eet honneur de votre main.

Ge spectacle attendrissait tous les spectateurs. Mais Urgande interrornpit l’attcntion qu’ils y por-taient en disant ü Arnadis:

4' Série.— 2


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BIBLIOTHÈQUE BLEUE.


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— Vous n’avez pas un instant S perdre pour donner vos derniers ordres h votre fils.

A ces mots, elle les fit entrer l’un et l’autre dans un cabinet qu’elle ferma sur eux. Esplandian senbsp;mit incontinent è genoux pour recevoir les ordresnbsp;de son père.

— Mon fils, lui dit-il, lorsqu’après avoir tué l’Endriague, je m’arrêtai quelque temps a la cournbsp;de l’empereur de Grèce, je promis k la princessenbsp;Léonorine, sa fille, et, è 1’aimable reine Ménoresse,nbsp;que si je ne pouvais retourner auprès d’elle, jenbsp;leur enverrais un chevalier de ma race pour lesnbsp;servir. Je vous remets eet anneau que je regus denbsp;la charmante Léonorine. Elle est de votre kge; eetnbsp;anneau vous servira pour lui faire connaitre quenbsp;vous êtes celui que j’ai choisi pour acquitter manbsp;promesse et se rendre k ses ordres. J'exige donenbsp;de vous que, dès que vous aurez délivré votre aïeulnbsp;Lisvart, vous vous rendiez k Constantinople; Ienbsp;ciel prendra soin de votre deslinée.

Amadis et son fils ayant rejoint Urgande, tout-k-coup les demoiselles de sa suite formèrent un concert de flutes, dont les sons tendres et voluptueux, accompagnés par ceux de plusieurs harpes, firentnbsp;tomber toute la cour dans une douce rêverie quinbsp;fut bientót suivie d’un profond sommeil. Lorsqu’ilsnbsp;se réveillèrent, ils furent bien émerveillés de senbsp;trouver tous rassemblés dans Ie palais d’Apollidon.nbsp;Esplandian et ses quatre jeunes compagnons iic senbsp;trouvaient plus avec eux.

EHAPITRE XIV.

Comment Esplandian, IWré fi lui-méme, combattit un dragon, et se tira de ce mauvaig pas.

Esplandian avait cèdé a un sommeil irrésistible, provoqué par les accords mélodieux que les demoiselles d’ÜPgande avaient tirés de leurs harpes;nbsp;k son réveil, il se trouva seul; les princesses et lesnbsp;chevaliers de file Ferme 1’avaient abandonné.

II ne douta point qu’Urgande ne feut voulu ainsi pour Ie mettre en état d’entreprendre seul de plusnbsp;grandes aventures, puisqu’il venait de recevoir denbsp;la main du vertueux Balan, 1’ordre de chevalerie;nbsp;aussi se consola-t-il facilement de cette solitudenbsp;qu’on lui avait faite, en réfléchissapt aux moyensnbsp;d’égaler Ie renom de ses compagnons.

Son grand désir était d’arriver k aider la déli-vrance du roi Lisvart son aïeul.

^ 11 parcourut les vastes appartements de la Grande-Serpente, mals n’y rencontra personne.

Ouvrant enfin la porie de la chapelle, il apergut ^ergil endormi entre deux vieillards vêtus k lanbsp;iurque; il les réveilla tous trois avec peine.

Sergii, qu’iin si long sommeil avait presque aoru I, ne le reconnut qu’après un certain temps,nbsp;et tous ueux essayèrenl d’adresser aux vieillardsnbsp;plusieurs questions; mais ceux-ci indiquèrent parnbsp;force signes qu’ils étaient muets.

Esplandian et Sergil, que ce long sommeil avait mis en grand appétit, cherchèrent longtemps etnbsp;sans succès quelques vivres dans eet endroit; lesnbsp;deux muets les tirent passer dans une salie oü lanbsp;table la raieux servie et le buffet le plus confor-table leur annonga qu’Urgande veillait toujoursnbsp;sur eux.

Dès ce moment, Esplandian s’abandonna sans inquietude k tout ce que cette sage fée déciderait.

En quittant la table, les deux convives virent que les grandes ailes de la Serpente étaient bais-sées, et qu’elle restait immobile prés d’unc mon-tagne rocheuse trés élevée et environnée par lanbsp;mer.

Le récit qu’Esplandian avait entendu faire par Amadis et par Grasandor, de la forme et des mer-veilles de 1 ile de la demoiselle enchanteresse, luinbsp;fit juger que c’était cette même ile qu’il avait de-vant les yeux; et bientót, voyant les deux muetsnbsp;jeter un esquif k la mer, il s’y élanga sans hesitation, suivi de Sergil.

Les muets abordèrent file en peu d’instants, et Esplandian gravit le sentier tortueux qu’il recon-naissait d’après la de^ription que son père lui ennbsp;avait faite; Sergil, s’apercevant qu’il n’avait pasnbsp;d’épée, le forga de s’armer d’un des avirons dunbsp;bateau dans lequel restèrent les muets.

Après trois heures d’une raontée fatigante, Esplandian, parvenu au sommet de ia montagne, fut surpris d’entendre k cette elevation des sifflementsnbsp;aigus; il jugea qu’il y avait Ik quelques bêtes dan-gereuses k combattre, et, se retournant vers Sergil,nbsp;qui le conjurait de ne pas aller plus loin, il lui dit:

— Laisse-moi continuer sans ta compagnie, tu n’es pas armé et ta vie m’est trop chère pour quenbsp;je l’expose avec la mienne.

Esplandian ne fut pas long k connaitre le péril auquel il s’exposait; s’arrêtant un moment sur Ienbsp;plateau de la roche pour reprendre haleine, le premier objet qui frappa sa vue, fut un petit templenbsp;d’Hercule, dont les deux battants de la portenbsp;étaient traversés et retenus par une riche épéenbsp;enfoncée jusqu’a la garde dans le granit dont cettenbsp;porte était faite.

Le désir de s’emparer de cette épée le fit avancer avechardiesse; maïs bientót un dragon monstrueuxnbsp;sortit d’entre les roches et s’élanga sur lui en pous-sant d’horribles sifffements.

Esplandian le frappa vainement entre les deux cernes aiguës dont sa têle hideuse était armée; lenbsp;monstre, que co coup avait k peine ébranlé, reii-versa le chevalier en cherchant k briser ses armesnbsp;avec ses griffes tranchantes.

L’intrépide Esplandian sc dérobait aux replis de la queue du dragon avec peine, il réussit k le saisii’nbsp;au défaut des ailes et le fit tomber avec lui dansnbsp;une élreinte affreuse, sans pouvoir s’en débarras-ser; réuriissant tout ce qu’il possédédait de resolution, il 1’entraina avec lui prés de la porto, ctnbsp;saisissant l’épée avec l’énergie du désespoir, il conbsp;frappa le dragon.

A l’instant même, un effroyable coup de tonnerre


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LES PRINCES DE L’AMOUR.


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retentit dans Tintórieui’ du temple, qui s’était ou-vert, et ie monstre tombamort.

La commotion fut si terrible qu’Esplandian fut renversé et resta privé de sentiment jusqu’è lanbsp;nuit.

En reprenant ses esprits, il rit Ie dragon étendu sans vie et Ie temple ouvert, dont l’intérieur bril-lait d’une lumière éclatante.

Arme de sa riche épée, il franchit Ie seuil de ce temple, qui contenait un mausolée brillant de lanbsp;splendeur du soleil, sur lequcl un grand lion d’ornbsp;paraissait reposer; cc lion tenait d’une patte Ienbsp;riche et brillant fourreau de l’épée si vaillammentnbsp;conquise; de l’autre, il montrait un rouleau quinbsp;contenait ces mots écrits en langue étrangère:

« Lorsquo doux récit et vive peinturc exciteront la grande eontrainte en toi, chevalier, que fortunenbsp;conduit surpasser tout autre renom que celui quenbsp;tu dois acquérir, force te sera de revenir en cenbsp;memo lieu pour y conquérir Ie trésor auquel en cenbsp;moment il l’est dófendu de prétendre. «nbsp;Esplandian, regardant celte espèce d’oraclenbsp;comme un ordre de la sage Urgandc, s’y soumit,nbsp;el so contenta de retirer de la paltc du lion, lonbsp;riche fourreau de son épée,

II descendit aussitót pour rejoindra Sergil qui fi'émissait des périla que sou cher Esplandian n’a-vait pas permis qu’il partageat, et tons les deuxnbsp;regagnèreut l’esquif ou les deux muets les atteu-daient,

^ Ils abordèrent en quelques coups de rames h la Lrande-Serpente; Sergil s’y élanèa suivi d’un desnbsp;muets, mais avant qu’Esplandian fut débarqué,nbsp;laulremuet, d’un coup d’aviron, fit eloigner l’cs-quif, et Ie faisant voguer avec la rapidité d’uiicnbsp;flèche, ü eraporta au large Esplandian, auxyeuxnbsp;de son écuycr désespéré de sc voir ainsi enlevernbsp;soa maitre sans p.ouvoir partager sa fortune.

CHAPITRE XV

Conimenl Esplandian, aprfes avoir combaltu. des gdanls el tult;5 ‘®.perfide Arcalaüs, arriva enfin jiisqu’hla prison ou gc-’’^issaii ie roi Lisvart.

Après dlx jours de mer, ia nbsp;nbsp;nbsp;(fe bois

Esplandian aborda une ^ des plus et de jardms, et prèsenlant 1 aspect unbsp;beaux pays de Vunivers.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;la

Esplandian descendit sur Ie nbsp;nbsp;nbsp;endroit

c6to idans 1’espèrancc de trouver nbsp;nbsp;nbsp;f ®nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;j-s en

IwWtt; il se trouva bienlót en faMƒ» omplüthéatre formant une oaoutsgno ’nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;^

fonnée par un trés grand chateau dètendu par lortes eourlines et de grosses tours.

Esplandian ne put croire nbsp;nbsp;nbsp;dans

l’eul conduit ii ce chateau-, plem.de eon ^ nbsp;nbsp;nbsp;^

la sagöÊrgande, et se croyant mvmeible i bonne épée, il chereba parmi ces roebes av

de soin, qu’il découvrit un petit sentier qui paraissait aboutir au sommet de la montagne,

Après une heure de chemiu il n’avait franchi que Ie tiers de ce sentier, etse trouvait sur un plateau oü il vit un ermitage.

A l’aspect d’une croix surinontant la toiture de cette cabane, il en chercha l’hóte avec empresse-nient.

L’ermite revenait d’une fontaine voisine, et fut trés surpris de voir un chevalier Ie saluer et luinbsp;dire :

— nbsp;nbsp;nbsp;Mop pére, bénissez-raoi, comme je vous bénisnbsp;au nora du Sauveur.

— nbsp;nbsp;nbsp;Depuis longtemps, répondit l’ermite, nul habitant de ces pays ne me fit un semblablc salut;nbsp;votre langage, vos arrnes, me foraient croire quenbsp;vous êtes natif de Grande-Bretagne; mais parquelnbsp;accident vous trouvez-vous dans Ie lieu Ie plus dati-gereux pour votre vie ou volre liberté ?

— Ne craignez rien pour moi, reprit Esplandian, je suis en état de punir quiconque oserait attaquernbsp;rune OU l’aulre; c’est la Providence qui m’amènenbsp;dans cette ile, et je brüle d’impatience de connailrenbsp;ce que me deslinent ses décrets.

— Hélasl lit Perinite, je suis comme vous, né sujet du roi Lisvart, et je l’eusse servi toute manbsp;vie, si je n’eusse été séduit par une niècc d’Arca-laüs qui me promit un riche établissement dansnbsp;ses Etals. Je venais de perdre raon épouse; j’avaisnbsp;une fille au berceau, elle me jura de l’élever commenbsp;r-oii enfant: je la suivis; mais, quel fut mon dèses-poir lorsque, passé dans cette ile, je perdis toutnbsp;espoir d’en sorlir jamais, surtout en voyant cellenbsp;qui m’avait abuse, renongant au culte de-ses pères,nbsp;se livrer amp; une perversité de moeurs et de religionnbsp;abhorrée de tont chrétien!.

Esplandian crut pouvoir so confier a Termite, et lui fit partdcTenlèvementdu roi Lisvart, de la dou-leur de tons les chevaliers de sa cour et de ceux denbsp;Tlle Ferme qu’une paix heureuse avail réunis.

II lui découvrit qu’un pouvoir surnaturel sem-blait Tavoir dirigé vers cette ile; un frêle esquif et un muet seul ayant suffi pour lui faire traversernbsp;des raers iraraeuses.

— Vos paroles, lui dit Termite, font naltre en moi un violent supgon; ma fille me vint voir, il y anbsp;quelques jours, et me dit que sa m.aitresse venaitnbsp;d’arriver pleine de joie de la Grande-Bretagne, etnbsp;qu’elleavaitdit en entrant, aux géaiits qui gardeiitnbsp;ce chateau, que non-seulement elle avait délivrénbsp;son frère, mais qu’elle avait eu Tart d’enlever unnbsp;grand prince qu’elie allait enferraer dans leur prison. Ce nionarque est peut-être Ie roi Lisvart.

— Ah I s’écria Esplandian, ce que vous ditesme Ie fait penser; dés demain j’entreprends sa déli-vrance.

— Mon cher lils, reprit Termite en considérant sa jeunesse et sa beauté, gardez-vous d offenser Ienbsp;ciel par une entreprise tenement au-dessus de vosnbsp;forces : Tabord de ce cl)êtquot;au, notniné la Montagnenbsp;Défendue, est inaccessible, et les trois géavits quinbsp;ie gardent suffiraient pour raettre unearmée entièrenbsp;en déroule. D’ailleurs, si Ieprisonnier nest pas Ienbsp;roi Lisvart, quel inlérètpreiidriez-vous au sort d’unnbsp;inconnu?


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20

BIBLIOTHEQUE BLEUE.

— Ne me suffit-il pas, répliqua Esplandian, quc cc soit un chevalier malheureux, et l’ordre de che-valerie ne rae prescrit-il pas de Ie secourir?nbsp;Accordez-moi seulernent Thospitalitc cette nuit; etnbsp;demain, au lever du soleil, daignez m’indiquer lanbsp;route que je dois suivre pour monter ce chateau.

Le feu qui brillait alors dans les yeux d’Esplan-dian, fit croire ii Termite que ce jeune chevalier agissait par une inspiration divine : il le prit parnbsp;Ia main, sans insister davantage, et partagea avecnbsp;lui ses provisions frugales.

L’ermite passa la nuit en prières; le matin il aida Esplandian ci bien altacher ses armes, et le condui-sarit è travers les roches jusqu’au sentier taillénbsp;dans Ia pierre vive, qui montait au chateau, il lenbsp;bénit et Tembrassa en versant un torrent denbsp;larmes.

Esplandian monta les degrés qui conduisaient a la plate-forme sur laqueile Ie chateau s’élevait aunbsp;milieu des larges fosses qui Tentouraient; uii seulnbsp;Dont conduisait a la porte de fer qui paraissait êtrenbsp;Tuniqueentrée; elle était défendue par une espècenbsp;de géant qui, loin de la fermer, s’avaiiQa sur lui lanbsp;hache levée, en lui criant de rendre son épée s'ilnbsp;voulait éviter la mort.

— II vaut beaucoup mieux, lui dit Esplandian, que tu me mènes ci tes maitrcs, armé comme je suis,nbsp;et si tu le veux, je suis prêt h te suivre.

_ — Ah! ah! dit ce géant, tu fais le raisonneur ? J’ai regret do gater tes armes, elles sont neuves etnbsp;bolles ! Vois pour la dernière fois si tu veux paisi-blementmelesremettre; peut-être pourrais-jc t’ad-mettre a Thonneur de me servir.

Esplandian, irapatienté, marcha sur lui avec un airmenagant; Tautre, croyant Tanéantir d’un coupnbsp;de hache, le lui porta et le vit i'ebondir sur sounbsp;bouclier. Esplandian lefrappa a son tour d’un coupnbsp;de pointe, et Tépée de la demoiselle enchanteresse,nbsp;pergant le géant d’outre en outre, Esplandian iltnbsp;un suut en arrièrc pour n’être point souillé dunbsp;sang que son ennemi répandait a gros bouillon ennbsp;cxpirant.

—Ah! malheureux, s’écria de loin un géant couvert d’armes vertes, encore plus grand que le premier. Comment le redoutable Argantes a-t-il pu tomber sous les coups d’une aussi vile créature 1

A ces mots, il court sur Esplandian qui fait la moitié du chemin, et qui vole sous une voiitc aunbsp;devant do lui; une herse de fer, pesant dix mille,nbsp;tombe derrière lui; son unique ressource alors estnbsp;de vaincre et de punir le discourtois chevalier quinbsp;Tinsulte, et, de part et d’autre, le combat commencenbsp;avec fureur. Celle du géant augmente encore ennbsp;voyant couler son sang, et celle d’Esplandian dc-vient extréme lorsqu’il croit reconnaitre le traitrenbsp;Arcalaüs, a sa main gauche mutilée et au son rauquenbsp;de sa voix.

_ —Perfide enchanteur, lui cria-t-il, apprendsciue c’cst le fris d’Amadis que le ciel vengeur des crimesnbsp;envoie pour te punir 1...

— Ah! que u’est-il ici lui-même, dit Arcalaüs; mars du moins je vais me venger sur toi de la

ngue el dure prison qu’il ra’a fait subir I

maisLspldudun esquive cecoup qui nc frappe que

Tair; il presse, il blesse Arcalaüs, il le fait reculer jusqu’a Textrémité de la voute qui aboutit a Ten-trée du chateau. G’est la quo, le frappant de deuxnbsp;coups mortels, il le fait tomber expirant et noyénbsp;dans son sang a la vue des habitants du chateau,nbsp;préparantdéjè des chaines pour le prisonnier qu’ilsnbsp;attendaient de la main de leur maitrc.

Un jeune géant désarmé s’avance pour donner du secours a Arcalaüs.

—Ah! mon oncle, s’écria-t-il, dans quel état vous vois-je réduit ?

Esplandian, genéreux comme toute sa race, sc retire deux pas en arrière, et, baissant la pointenbsp;de son épée, il ne veut point poursuivre sa victoircnbsp;contre un ennemi qu’il voit sans défense.

Ge géant, nommé Furion, délace le casque d’Arcalaüs, qui rend le dernier soupir en criant :

— Venge ma mort sur le üls d’Amadis et sur sa race I...

G’est ainsi qu’Arcalaüs regut la punition de ses crimes par la main du Ills d’Amadis.

Furion, dés qu’il le vit expire, s’élanga dans une salie, en criant qu’on apportat ses armes. Esplandian ne le poursuivait point, et, voyant une yieillcnbsp;dame qui paraissait être la maitresse de ce chateau,nbsp;il s’avanga prés d’elle d’un air respectueux.

— Je regrette, lui dit-il, madame, quc ceux qui vous obéissent m’aient force de combattre et denbsp;leur donner la mort. J’ignore moi-même oü je suis;nbsp;mais je ne peux douter qu’un pouvoir surnaturelnbsp;ne m’ait conduit jusqu’ici pour délivrer un grandnbsp;roi retenu dans vos prisons. Rendez-lui la liberlé,nbsp;madame, et je cesserai de troubler les lieux quenbsp;vous habitez.

— Va, lui dit-elle, je ne pense qu’a te voir plus malheureux encore que lui! Le sang de mon froronbsp;Arcalaüs que tu viens de répandre me demande lenbsp;tien; apprends qu’Arcabone, mère de Furion et denbsp;Matroco, nc craint point ta race, etqu’clle ne pensenbsp;qu’a Tanéantir!...

Esplandian dédaigna de répondre i cette vieille mégère, et passa dans une grande cour pour éviternbsp;ses injures et son odieux aspect.

Peu de moments après, une grande porte s’ou-vrit, et Furion, couvert d’armes ctincelantcs, en sortit, le cimclerre a la main. En entrant dansnbsp;cette cour, il alia d’abord mettre un genou en terrenbsp;devant Arcabone:

— Venez jouir, lui dit-il, du plaisir de voir venger votre frère Arcalaüs et votre neveu le brave Argantes. Mais comme je veux que mon bras semnbsp;sacrifie cc téméraire k Icurs manes, permettez qu®nbsp;je dólende a lous ceux de votre suite de se présenter dans cette cour, quel quc puissc être TévénC'nbsp;mout.

Furion ferma lui-même toutes les portos, ct nc laissa d’ouverte que celle d’oü sa mère pouvait vounbsp;le combat.

Les deux adversaires s’attaquèrent avec uno égale fureur, et Furion, de deux pieds plus haulnbsp;qu’Esplandian, paraissait avoir un grand avantagnbsp;sur lui; mais les armes noires qu’Esplandian ayanbsp;regucs d’Urgande résistaient aux coups terriblcsnbsp;Furion, et Tépée de la demoiselle enchanteresse



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l.ES PRINCES DE L’AMOUR. 21

trancliait celles de Furion, dont Ie sang avait déja rougi Ie pavé blanc de cette cour.

Arcabone, voyant que son fils commenoait s’af-faiblir, voulut courir pour séparer les combattants, mals, avantqu’elle put en approcher, Je coup mortel était porté. Furion ne jeta qu’un grand cri,nbsp;tomba mort aux pieds d’Esplandian, et sa mèrenbsp;évanouie fut einportée par ses ferames.

Esplandian, toujours occupé de la délivrance du roi Lisvart, la suivit; raais, respectant la douleurnbsp;d’une mère, il s’arrêta sur Ie seuil de la porto ennbsp;attendant qu’elle eüt repris ses esprits.

— Gruel! s’écria-t-elle en rouvrant les yeux et en voyant Esplandian couvert du sang de son fils,nbsp;cruel chevalier, viens-tu m’arracher les restes d’unenbsp;vie que tu rends si malheureuse? Que veux-tu denbsp;moi? Je vais le faire délivrer mes trésors et toutesnbsp;les richesses de ce chateau.

— Non, madame, lui répondit Esplandian, je ne pretends h rien de ce que vous possédez, et c’estnbsp;è regret que je fais couler vos larmes; mais rendez-moi sur-le-champ le roi que vous détenez prison-nier, et ne résistez plus vaineraent a la volonté dunbsp;ciel.

— Viens done, barbare, lui cria cette perfide en-chanteresse, et je vais te remettre la clef de sa prison.

Arcabone, en l’appelant, ne doutait point qu’Ës-plandian ne cédat au charme attaché au seuil de la porte, pour priver de la connaissanco ceux qui lenbsp;passaient, mais Tépée lumirieuse garantissait celuinbsp;qui Ia pqrtait de tout enchantement, et ce fut avecnbsp;la plus vive douleur qu’Arcabone reconnut que lesnbsp;siens étaient inutiles, et qu’elle vit Esplandian s’ap-procher d’elle en baissant la pointe de son épée ;

— Ah! s’écria-t-elle, tu trioinphes! ou plutót, le pouvoir de mon ancienne ennemie Urgande triom-phe par toi I

Furieuse, elle se leva :

—- Suis-moi, lui dit-elle, et viens toi-même bri-cheH nbsp;nbsp;nbsp;captivité me coüte si

Fsplandian la suit avec précaution dans les dé-•Jurs tortueux d’une voute souterraine. Arcabone spere s’échapper a la faveur des ténèbres et luinbsp;_ udre de nouveaux piéges; mais Esplandian dé-

uvrant le fourreau de sou épée, la lumière qu’il le e 1 I'Oute espérance a l’enchanteresse, quinbsp;Tnbsp;nbsp;nbsp;nbsp;unlin au sombre cachot ou le malheureux

de fers, altendait et désirait la

GHAFITllE XVI

‘F'livrö son aïoul Lisvarl, verlitnbsp;nbsp;nbsp;nbsp;mosurer avec Malroco lo géanl., qu’il con-

^ splandian, sans se faire connaitro de son aieul Lisvart, alia verslui avec empres-senient et le dégagea de ses fers. Alorsnbsp;a yieillc Arcabone, désespérée, tira unnbsp;inbsp;nbsp;nbsp;nbsp;frapper; mais Esplan-

’ arrachant et prenant la main

de Lisvart, le conduisit par les mêmes détours pour le ramener a la lumière. Arcabone les suivit ennbsp;proférant mille imprecations sur eux, et se plaignitnbsp;de ce que son fils Matroco ne pouvait la défendre.

Ce Matroco, 1’ainé des géants qu’Arcabone avait pour fils, était le plus redoutable de tous; cepen-dant ses moeurs n’avaient rien de féroce; il s’étaitnbsp;embarqué depuis peu de temps pour aller visiternbsp;line ile de ses Etats, et sa mère l’attendait de journbsp;en jour.

Les deux princes étaient remontés dans la salie dont les fenêtres donnaient sur la mer. Le premiernbsp;objet qui frappa leursyeux, fut uneflotte qui jetaitnbsp;l’ancre dans le port. La vieille Arcabone, la recon-naissant, courut hl’instant dans la chambre voisinenbsp;oü, s’asseyant dans un fauteuil, une machine anbsp;contre-poids la descendit en deux minutes au piednbsp;de la Roche Défendue. Arrivée Ifi, elle jeta denbsp;grands cris en appelant Matroco, et courut le re-cevoir a la descente d’une chaloupe.

Lisvart, cependant, priait son libérateur, avec les plus vives instances, de se faire connaitre.

— II n’est pas encore temps, seigneur, lui ré-pondit-il; mais sachez que, quand je répandrais la moitié de mon sang pour vous, je ne ferais que conbsp;que je dois.

L’un et l’autre étaient passés surun balcon, d’oü Matroco, les apercevant, cria d’une voix forte :

— Rends grace a ce haut rocher comme aux épaisses murailles qui te renferment; mais jc nenbsp;sortirai jamais d’ici sans te prendre et me vengernbsp;detoil...

— nbsp;nbsp;nbsp;Géant, liU répondit Esplandian, me crois-tunbsp;capable do me servir d’un pared avantage? Choisisnbsp;toi-méme, ou de m’attendre pour te combattre aunbsp;bord de la mer, ou de venir sur ma parole dans lanbsp;cour de ton chateau,pour m’attaquer, situ Loses!

Matroco, ne pouvant redouter un seul chevalier, brulant de se venger de lui, et voyant qu’en lenbsp;combattant dans son chateau c’était le moyen donbsp;s’en rendre plus promptement le maitre, n’hésitenbsp;plus Ö monter, et le vainqueur de Furion va I’at-tendre dans cette cour oii son frére est encorenbsp;étendu baigné dans son sang.

Le premier objet qu’apercut Matroco sous la première voute fut le corps de son cousin Argantes. Il lui donna quelques larmes; mais quelle fut sa ragenbsp;et sa douleur en voyant un peu plus loin le corpsnbsp;d’Arcalaiis, et quelques-uns des gens du chateaunbsp;lui montrant do loin celui de son frére étendu dansnbsp;la cour.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ah! traitre, s’écria-t-il en apercevant Esplandian a l’extrémité de la cour, faut-il que lu n’aiesnbsp;qu’uno vie, et peut-elle me payer de celles que tunbsp;me coides ?

Dans ce moment, Arcabone, qui, par le moyen de sa machine, était déjé remontéedans sa chambre, accourut, fondant en larmes :

— nbsp;nbsp;nbsp;Ahl mon cher lils! s’écria-t-elle, ne t’exposesnbsp;pas h combattre le destructeur de notre race, etnbsp;songe qu’il ne me resie que toi pour protéger etnbsp;soutenir ma vieillesse.

— nbsp;nbsp;nbsp;Madame, lui répondit Matroco, ceux que vousnbsp;et moi pleuroiis sont morts en braves chevaliers;


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BIBLIOTHEQUE BLEUE.

leur sang et l’honneur m’orclonnenfc égaiement d’en tirer vengeance.

— Prends garde de t’abuser, lui ditEsplaiidian, sols plus sensible aux larmes de ta mère! Geux quinbsp;sont tombés sous mes coups m’ont attaqué; monnbsp;pro,jet est rempli, puisque je leur ai repris celuinbsp;oue je venais délivrer ; reprends done possessionnbsp;de ton chateau que je t’abandonne; tout ce quenbsp;j’exige de toi, c’est que tu embrasses la foi du Dieunbsp;qui rn’a conduit ici pour punir les forfaits d’Arca-laüs, délivrer Lisvart, et pour t’éclairer.

— nbsp;nbsp;nbsp;Je ne te blame point, lui répondit Matroco, tunbsp;te comporles en brave chevalier, mais tu me paraisnbsp;trop enthousiaste pour me persuader. L’honneurnbsp;me pre.scrit de venger mes proches; ce qui te paruit vrai n’est encore que trés douteux pour moi, etnbsp;conviens avec moi qu’un chevalier de ma force, etnbsp;toujours vainqueur dans les combats qu’il a livrés,nbsp;ne doit pas te craindre : c’est au sort des armes énbsp;décider entre nous 1

A ces mots, il vint l’épée haute sur Esplandian, qui se mit en état de l’attaquer comme de se dé-fendre.

Les deux premiers coups qu’ils se portèrent fu-rent terribles; ils les regurent tous deux sur leurs boucliers ; celui d’Esplandian ne fut point entamé ;nbsp;l’épée enchautée emporta Ie tiers de celui de Matroco.

Ces deux coups furentsuivis deplusieurs autres, que la colère qui s'allume dans les combats renditnbsp;plus précipités. Malgré la bonté des armes d’Esplandian, son sang coula bientót de plusieurs blessures; mais celles dont Matroco fut couvert, aprèsnbsp;un combat de deux heures, l’affaiblirent et Ie firentnbsp;désespérer de remporter la victoire.

Matroco, pour la première fois de sa vie, recula de deux pas et s’appuya sur Ie pommeau de sonnbsp;épée. Esplandian, quoique couvert de son proprenbsp;sang, était encore en état de poursuivre sa vic-loire; mais son zèlc et sa générositö l’emportérentnbsp;sur Ie désir d’achever de vaincro son ennemi.

— nbsp;nbsp;nbsp;Le Dieu qui m’éclaire te poursuit par manbsp;main, dit-il k Matroco; ce n’est point a moi que jenbsp;le conjure de te rendre, c’est au Dieu vivant, quinbsp;te trouve digne d’etre au nombre de ses enfants I...

Matroco, touché, resta plongé dans une meditation profonde; il ne relevait plus son épée pour combattre, lorsque sa mère, effrayée, accourutnbsp;toute en larmes entre les deux combattantspour lesnbsp;séparer. L’on et l’autre, par respect pour elle, vou-jurent reculer encore de quelquespas; mais Matroco, affaibli par la quantité du sang qu’il avaitnbsp;perdu, tomba sur ses genoux ;

— nbsp;nbsp;nbsp;Dieu des chrétiens, s’écria-t-il, tu triompbes 1nbsp;O grand Dieu que je reconnais, prends pitié denbsp;moi 1

A ces mots, abandonnantson épée, et s’appuyant sur sa main gauche, il trapa sur le sable une croixnbsp;de sa main droito, et se prosterna pour 1’adorer.

A ces signes éclatants de la grace céleste qui se manitestait dans Matroco, Esplandian se jeta a geil lui dit' ' P'^'^^^'^tant son épée par le pommeau.

Ah 1 digne chevalier, recevez celie épée comme

un gage de la victoire que vous remportez sur vous-même...

Esplandian et Lisvart, s’apercevant que le sang de Matroco continuait è cooler, et qu’il s’affaiblis-sait de moments en moments, le prirent dans leursnbsp;bras et l’emportèrent doucement dans la chambrenbsp;de sa mère, qui remplissait l’air de ses cris. Lenbsp;premier soin de Matroco fut d’envoyer sa flottenbsp;pour délivrer les prisonniers chrétiens qu’il avaitnbsp;sur ses vaisseaux, et qu’il regardait dès lors commenbsp;ses frères.

CHAPITIVE XVII

Comment maitre llélisahel, délivré par les onlrcs du géaiil Matroco, Ie secourut de sa science.

aitre Hélisabel était du nombre des prisonniers que Matroco venait de donnernbsp;l’ordre de délivrer.nbsp;11 reconnut, en ar-rivant, le roi Lisvart, et courut senbsp;jeter è ses pieds. Cenbsp;prince I’embrassa, lui montralegéantnbsp;blessé, et le conjura d’employer lontnbsp;sou art pour lui sauver la vie. Esplandian, que persorme ne cor.naissait encore que sous le nom de Chevaliernbsp;Noir, oublia dans ce moment qu’ilnbsp;^ était blessé lui-même, pour ne s’oc-cuper que de Matroco.

Tout ce qu’Hélisabel put faire, cc fut d’arrêter son sang et de pansernbsp;légèreraent dos plaies qn’il jugea mortelles. L’épuisement et les soins dTIélisabel pro-curant un profond sommeil au blessé, itreabonenbsp;resta scute prés de son lit, et le Chevalier Noir, ti-rant è part Hélisabel, s’cn fit recoimaitre, en luinbsp;défendant expressément de le noramer; il lui ditnbsp;de veiiir le trouver le plus prompteraerit qu’il luinbsp;serail possible è l’ermitage, et, protitant d’un moment d’absence de Lisvart, il sortit du chateau etnbsp;retourna chez Termite, qu’il trouva seul avec sounbsp;rauet.

Lisvart fut trés affligé de ne plus trouver le Chevalier Noir, dont il demanda vainement des nou-velles è maitre Hélisabel, qui fut fidéle aux ordres qu’il avait rcQus.

Lisvart et Hélisabel parcoururent le chateau ct firent eiilever les corps, parmi lesquels ils recon-uurent celui d’Arcalaüs. Areabone, en les voyantnbsp;passer, sortit en gémissant pour embrasser les res-tes défigurés de sou fils et de son frère; elle ro-doubla ses imprecations contre Lisvart, qui cher-chait en vain a la consoler, et qui ne put s’einpêcher


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LES PRINCES DE L’AMOUR. 23

LES PRINCES DE L’AMOUR. 23

de lui deraander par quelle fureur obstinée elle lui donnait tant de preuves de sa haine.

— Roi malheureux, lui répondit-ellc, peux-tu me Ie demander ? N’as-tu pas fait ton gendre de cenbsp;Beau Ténébreux qui donna la mort a mon fils Lin-doraque et qui blessa mon frère pour défendre unenbsp;demoiselle? Mon mari Gartadaque n’est-il pas tombénbsp;sous les coups du même chevalier dans la bataillenbsp;que tu donnas è Cildadan ? Oui, j’ai fait tout aunbsp;monde pour me venger d’Amadis et de toi; maisnbsp;mon ennemie, la fée Ur^ande, avait pourvu Ie premier d’un anneau qui la défendu de mes enchan-teraents. J’espérais du moins me venger de toi, jenbsp;n’attendais que Ie retour de Matroco pour te sacri-fier aux manes de Gartadaque : belas 1 je perdsnbsp;tout dans un jour, et je...

Elle fut interrompue par des cris de femmes qui l’appelèrent dans la chambre de son fils; elle Ienbsp;trouva presque expirant, et Matroco voyant accou-rir Hélisabel èt son secours, lui dit:

— Mon ami, Ie plus grand et Ie seul bien que je jmisse recevoir de toi, c’est l’eau salutaire du bap-tème, que je te demande au nom du Dieu que nousnbsp;adorons1

Hélisabel n’hésita pas li Ie satisfaire, et Lisvart, entrant dans ce moment, vit Matroco lever les yeuxnbsp;vers Ie ciel; mais, dans 1’instant, il les ferma pournbsp;toujours, et sa tête retomba sur son oreiller.

Lisvart, tout en larmes, se jeta a genoux prés du lit et se pencha pour baiser la main de celuinbsp;qa’il regardait comme un prédestiné.

La vieille Arcabone, furieuse, et ne se connais-sant plus en voyant expirer son fils, sauta sur son épée qu’elle trouva prés de son lit, et voulut ennbsp;frapper Lisvart. Hélisabel la désarma et essaya ennbsp;vain de la calmer; elle jeta un cri, s elanga vers lanbsp;fenêtre qui donnait sur la roer baltant au pied dunbsp;rocher et s’y précipita.

Les mariniers de la flotte de Matroco, voyant toinber Arcabone, se jetèrent dans leurs chaloupesnbsp;pour lui sauver la vie, mais ils ne retirèrent desnbsp;eaux qu’un corps froid et inanimé.

Celui qui commandait cette flotte , sachant déj^ qu Argantes, Arcalaüs et Furion étaient morts, etnbsp;q^e Matroco touchait a son dernier moment, nenbsp;aouta plus, au désespoir d’Arcabone, que ce der-unJf Tnbsp;nbsp;nbsp;nbsp;1 ffiisant lever l’ancre, il em-

pona Ie corps d’Arcabone , fit mettre k la voile et rpaidp la Roche Défendue, dont Ie conquérant

la Ie paisible possesseur.

GHAPITRE XVIII

Comment Hélisabel, en rotournant 4 1'ermitage oü était Esplandiaii, lui fit un portrait si vif de lanbsp;princesse Léonorine que ce jeune priuce en devintnbsp;épcrdument amoureux.

endant que Lisvart, épuisé ‘' par sa longue prison, se fai-sait servir par les gens dunbsp;chéteau qui, voyant leur mai-tre mort, venaient de lui prê-ter serment de fidélité, Hélisabel était descentlu vers l’er-mitage, dont Ie maitre voulut d’abordnbsp;lui refuser 1’entrée; mais Esplandiannbsp;ayant entendu sa voix, se releva denbsp;dessus son lit de feuilles, et courut Anbsp;I lui les bras ouverts. Hélisabel ne luinbsp;I trouva que des blessures légères, dontnbsp;^ .. sur-le-champ il apaisa la douleur.

' nbsp;nbsp;nbsp;quot;quot;(T) Esplandian l’ayant questionné

'“¦^sur les événements qui l’avaient rendu prisonnier de Matroco, Hélisabel lui raconta qu’après Ie long sorameil dontnbsp;ils avaient été tons saisis dansla Grande-Serpente,nbsp;après avoir vu Balan farmer chevalier, il s’étaitnbsp;trouvé prés de Quadragant et de Grassinde dansnbsp;les Etats de cette princesse; que Grassinde l’ayantnbsp;envoyé prés de son frère Ie comte de Salender, Anbsp;Gonstantinople, pour lui faire part de son managenbsp;avec Ie due de Sansuègne, il avait passé quelquenbsp;temps dans cette cour, et qu’A son retour un cor-saire de la flotte de Matroco l’avait fait prisonnier.

La curiosité d’EspIandian fut bien viveraent ex-citée par ce récit; il se souvenait des derniers ordres de son père Amadis, et ce fut avec une secrete agitation qu’il demanda des nouvelles de lanbsp;cour de Constantinople.

— L’empereur, dit Hélisabel, et sa charmante fille Léonorine m’ont marqué Ie même empresse-ment que vous pour connailre tous les détails denbsp;la conquête et des meryeilles de file Ferme.nbsp;Nous savons bien, m’ont-iis dit, que c’est Amadis, ce héros que nous ne connaissons encorenbsp;que sous Ie nom du chevalier de la Verte Epée,nbsp;qui s’cn est rendu Ie maitre-, vous nous appreneznbsp;aujourd’hui que Ie roi Lisvart l’a pris pour sounbsp;gendre; mais quelque grand, quelque puissantnbsp;qu’Amadis puisse être aujourd’hui, nous ne Ie con-naitrons que sous Ie nom de chevalier de la Vertenbsp;Epée, jusqu’a ce qu’il se soit acquitté envers nousnbsp;de la promesse qu’il nous a faite do revenir sousnbsp;ce nom dans cette cour ou de nous envoyer A sanbsp;place Ie chevalier de sa race qui lui sera Ie plusnbsp;proche. J e n ai pas oublié, continua Hélisabel, de leurnbsp;raconter les prodiges de votre naissance, de volrenbsp;education et des lettres que yous portez écrites surnbsp;votre sein. Quoi! m’a dit vivement la jeune Léonorine, Ie tils d Amadis est ce beau damoisel Es-


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BIBLTOTHEQUE BLEUE.

plandian, dont mon cousin Gastilles m’a dit taut de bien ? Ahl que je suis curieuse de savoir s’il estnbsp;en effet aussi digne de tout ce qu’on en raconte, etnbsp;s’il est Ie vrai flls d’Amadis!...

La plus vive rougeur colorait les joues d’Esplan-dian pendant ce récit; il Ie prolongea par les ques* tions multipliées qu’il fit sur tont ce qui regardaitnbsp;la jeune Léonorine. Soit que cette belle princessenbsp;eüt fait une forte impression sur Hélisabel, soitnbsp;qu’Urgande l’inspirat alors, Apelles et Protogènesnbsp;réunis n’eussent pu faire un portrait plus sédui-sant quo celui qu’Hélisabel fit de la charmantenbsp;Léonorine.

O puissance de l’amour! les dieux ne nous ont-ils donné des sens que pour ta gloire ? II n’en est done aucun qui ne puisse recevoir tes douccs impressions ! Cnaque trait du portrait de Léonorinenbsp;se gravait dans Ie cceur d’Esplandian a mesurenbsp;qu’n était tracé par Hélisabel; lesyeux d’Esplandiannbsp;n’eussent pu porter un feu plus rapide et plus vifnbsp;dans son Éime que tont ce qu’il entendait, que toutnbsp;ce qu’il se plaisait h se faire répéter.

— Que serait-ce, grand Dieu! si je la voyais, di-sait-il en lui-inême, puisque je sens déja que je

l’adore?..... Ahl mon cher Hélisabel, ajouta-t-il,

cèle mon nom plus soigneusement que jamais! Tu sais que je dois aller, par les ordres de mon père,nbsp;a la cour de l’empereur. Hélas! qu’ai-je fait encore pour me rendre digne de paraitre aux yeux denbsp;Léonorine?

Hélisabel, jugeant qu’il était temps qu’il retour-nat prés de Lisvart, convint avec Esplandian qu’il tairait son nom, et qu’il s’échapperait tous lesnbsp;jours pour venir le voir jusqu’a ce qu’il fut guérinbsp;de ses blessures et qu’il flit en état de porter lesnbsp;armes.

Puis il prit congé de lui.

CHAPITRE XIX

élisabel s’en retourna au-près de Lisvart, oii il trouva la jeune Carmelle,nbsp;fille de Termite.

\ Carmelle , sentant la nécessité de se soumettrenbsp;C au vainqueur de Furionnbsp;et de Matroco, s’é-tait jetée aux ge-noux de Lisvart;nbsp;elle lui raconta comment Arcabone Ta-vait amende de lanbsp;Grande - Bretagne,nbsp;dés son enfance, etnbsp;linit par lui rendre

sous sa protection. Lisvart la regut avec bonté et lui promit de la ramener au service de la reinenbsp;Brisène, dès qu’il retournerait dans la Grande-Bretagne.

Carmelle descendit sur-le-champ it Termitage pour faire part amp; son père de ce que Lisvart venaitnbsp;de lui promettre; mais elle ne put voir sans unenbsp;vive douleur les corps de Furion et de Matroconbsp;qu’on venait d’ensevelir, et le balcon d’oii sa maitresse s’était élancée dans la mer.

Carmelle, spirituelle, aimable et d’un caractère doux et riant, ayait toujours été trés bien traitéenbsp;par Arcabonne et ses deux fils; ceux^ci mèmenbsp;avaient souvent désiré de lui plaire; et, quoiqu’ellenbsp;eüt été toujours insensible h leur amour, eet amournbsp;n’ayant jamais rien eu d’offensant pour elle, Carmelle n’avait pu s’empêcher de leur savoir gró desnbsp;sentiments qu’ils avaient eu pour elle, et de n’avoirnbsp;jamais parlé comme des raaitres en les lui faisantnbsp;connaitre. Elle ne put leur refuser des larmes, etnbsp;sentit naitre en son ame la haine la plus violentenbsp;pour celui qui leur avait donné la mort.

Elle arriva chez son père dans un moment oü eet ermite était descendu avec le muet d’Esplandian pour aller chercher dans Tesquif ce qui pou-vait être ulile au blessé. Esplandian , que le récitnbsp;d’Hélisabel avait empêché de dormir pendant toutenbsp;la nuit, s’était assoupi le matin; il ne se réveillanbsp;point lorsque Carmelle entra dans sa charabre, ninbsp;même lorsqu’elle ouvrit la fenêtre pour y donnernbsp;du jour.

Carmelle, voyant prés du lit les armes noires dont Esplandian était couvert en combattant lesnbsp;deux géants, et son épée encore tcinte de leurnbsp;sang, un mouvement de fureur la saisit, elle pritnbsp;cette épée et s’avanqa pour venger la mort de sesnbsp;maitres par celle de leur meurtrier.

Sans réfléchir davantage, elle marcha Tépée haute prés du lit, et voyant que les draps couvrentnbsp;la tête de celui dont elle veut la mort, elle les tirenbsp;doucement pour lui découvrir la gorge et frappernbsp;un coup plus certain. Mais quel changement subitnbsp;Tamour ne tit-il pas dans le coeur de Carmelle,nbsp;lorsqu’un rayon qui donnait sur le visage d’Esplandian , lui fit voir une figure céleste dans celuinbsp;qu’elle voulait immoler 1

Esplandian, dans ce moment même, rêvait qu’il était aux genoux de Léonorine; la paleur de sonnbsp;teint était animée, un mouvement involontairenbsp;acheva de découvrir son cou d’albétre; ses yeuxnbsp;noirs si beaux, quoique fermés, sa bouche ver-meille qui s’entr’ouvrait, sou cceur palpitant parnbsp;Tagitation de son rêve, soulevait un sein si beau,nbsp;que Carmelle ne put se résoudre é le percer; unnbsp;second mouvement d’Esplandian lui fit étendre lesnbsp;bras vers elle.

Amour 1 Amour! quel asile, quels obstacles, quelles réflexions peuvent délendre de tes coups?nbsp;Get ermitage oü tout respirait la penitence, liinbsp;longue insensibilite de Carmelle, le souvenir donbsp;ses maitres, leur sang qui dégouttait encore denbsp;Tépée qu’elle tenait dans sa mam, rien ne put cni-pêcher cette gente pucelle de recevoir dans sonnbsp;cceur la passion la plus vive ; rien ne put TernpC'nbsp;cher de s’approcher assc'/. doucement, assez prés


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LES PRINCES DE L’AMOUR.

raême, du beau visage d’Esplandian, pour que les soupirs qu’il poussait alors vinsscnt porter sur sesnbsp;lèvres une chalcur si douce, qu’emporlée par sanbsp;passion naissaute, elle les unit un moment a cellesnbsp;de ce charmant chevalier.....

L’instant d’après, confuse de ce qu’elle venait de faire, et craignant quo Ie chevalier ne s’éveillat,nbsp;elle se retira sans faire de bruit, mais ce fut ennbsp;soupirant, en Ie regardant toujours, et portant aunbsp;fond de son coeür un trait fatal qu’elle ne put jamais arracher.

L’ermite et Ie muet étant revenus peu de temps après, Esplandian se réveilla. Leur suprise a tousnbsp;trois fut extréme en ne revoyantplusl’épée; ils lanbsp;cherchèrent vainement: Esplandian qui connais-sait sa bonté la regretta ; mais bicntót il ne pensanbsp;qu’aux moyens d’en conquérir unc autre.

GHAPITRE XX

Comment la pauvre Carmellc, enamourée du bel Esplandian, lui demanda la permission d'etre son esclave.

Garmelle étant retournée prés de Lisvart , Ie trouva plus empressé que jamais a questionnernbsp;Hélisabel qui se défendait adroitement de lui don-ner aucune notion certaine sur ce que Ie chevaliernbsp;Noir était devenu. Garmelle attendit que ce derniernbsp;füt sortit et dit a Lisvart:

— Sire, je peux vous promettre de vous faire trouver Ie chevalier que vous cherchez, mais j’osenbsp;en rnême temps vous supplier de l’engager k m’oc-troyer un don, sanslequel je sens que je ne peuxnbsp;plus vivre.

Lisvart Ie lui promit; et Garmelle, pour lui prquver qu’elle pouvait tenir sa promesse, Ie con-duisit dans sa chambre et lui fit reconnailre 1’épéenbsp;de son sauveur, qu’elle avait emportée, teinte encore du sang de ses ennemis.

7— Ah I ma chère Garmelle, s’écria Lisvart, con-duis-moi promptement prés de lui, et je te jure de te faire accorder Ie don que tu demanderas.

Garmelle, ne voulant pas faire connaitre Ie dé-tour cache qui conduisait li l’ermitage, fit amener deux chevaux, et coaduisit Lisvart par un cheminnbsp;lacile, mais intiniment plus long.

. ^ Ils étaient en bas de la montagne, lorsqu’uu ecuyer accourut a Garmelle avec un air effrayé :nbsp;x Ah 1 dit-il, courons vite avertir Furion etnbsp;Matroco que leur oncle Vindoraque est attaquénbsp;dans la plaine par deux chevaliers couverts d’armesnbsp;blanches, et portant des croix noires sur leursnbsp;boucliers; ils ont déjé mis é mort les chevaliersnbsp;jioi Ie suivaient, et Vindoraque est prés de succom-ber sous leurs coups!...

Lisvart dit a Garmelle de rester avec eet écuycr, tirn f dans la plaine pour voir ce combat quinbsp;clmliinbsp;nbsp;nbsp;nbsp;fidoique Vindoraque eüt tué Ie

d un des chevaliers, et faussé leurs armes

en plusieurs endroits a coups de massue, Ie sang qu’il versait lui laissait è peine la force de la re-lever.

Lisvart, qui reconnut alors deux des quatre compagnons d’Esplandian ii leurs armes, eut Ienbsp;plaisir, en les joignant, de voir Ie géant tombernbsp;sous leurs coups.

Ces deux chevaliers, reconnaissant aussi Lisvart, qui n’était point armé , delacèrent promptementnbsp;leurs casques, et allèrent se jeter k ses genoux;nbsp;c’était Talanque, fils de Galaor, et Ambor, fils d’An-griote d’Estravaux.

Lisvart les einbrassa tendrement et leur ra-conta tout ce que Ie chevalier Noir avait fait pour sa délivrance.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ne doutez point, lui dirent-ils, que Ie chevalier Noir ne soit votre petit-fils Esplandian!

— nbsp;nbsp;nbsp;Ah ! plaise au ciel que ce soit lui, dit Lis -vart ? Suivez-moi, mes chers enfants, je vais vousnbsp;conduire a son asile!...

Lisvart, reprenant Ie même chemin par lequel il était descendu, rejoignit bientót Garmelle qui futnbsp;d’abord effrayée de ie voir accompagné de deuxnbsp;hommes armés. Lisvart l’ayanl rassurée, elle lesnbsp;conduisit è l’ermitage, en les précédent de quol-ques pas.

— nbsp;nbsp;nbsp;Mon père, dit-elle a l’ermite, je vous amènenbsp;Ie roi Lisvart et deux chevaliers de sa cour, compagnons du chevalier blessé...

L’ermite se léve, reconnait son souverain, em-brasse ses genoux, et Ie conduit a la chambre du blessé.

Esplandian, presque déja rétabli de ses blessures, était alors assis sur Ie bord de son lit; il voulut senbsp;lever, mais il fut retenu par Lisvart qui Ie serraitnbsp;déjé dans ses bras.

— Ah! mon cher enfant, lui dit-il, que ne te dois-je pas!...

AmboretTalanque partagèrent ses transports en retrouvant leur compagnon; ils lui racontèrentnbsp;leur combat et la mort de Vindoraque, et Ie pres-sèrent de quitter hermitage pour venir achever sanbsp;guérison dans Ie beau chateau de l’IIe Défenducnbsp;dont il était Ie maltre.

Ils envoyèrent Garmelle au chateau pour faire préparer une chambre. Gette pauvre demoisellenbsp;n’avait pu, sans en être frappée corame d’un coupnbsp;de foudre, apprendre que celui qu’elle adorait étaitnbsp;un grand prince, fils d’Amadis; elle vit è l’instantnbsp;la distance qui les séparait, et 1’itnpossibilité denbsp;s’unir au chevalier qui captivait son ame.

En entrant dans sa chambre, lorsqu’ellc vit l’é-pée qu’elle avait emportée la veille, son premier mouvement fut de s’en percer Ie coeur, mais unenbsp;réflexion secrète l’arrêta :

— N’est-ce done rien que d’aimer, se dit-elle? N’cst-ce done rien que de voir sans cesse et de ser-vir ce qu’on adore, même sans espérance?

Quiconquo a bien connu Ie pouvoir de l’amour, peut avoir éprouvé Ie sentiment dont Garmelle étaitnbsp;alors pénétrée. Quoiqu é chaque instant on sentenbsp;la cruauté du trait qui dechire Ie coeur, on l’enfoncenbsp;plutüt encore que de faire des efforts pour l’arra-cher; une douce illusion se répand quelquefois sur


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tous les sens, rimagination s’épre, elle nous abuse, et ces instants d’un état moins malheureux,nbsp;nous attachent et nous consulent de la certitude donbsp;devenir plus malheureux encore.

Garmetle devait obtenir un don de l’aimable Es-plandian; l'ainour fixases idees, dicta sa demande, et courant éperdue, les joues couvertes de moments en moments, ou d’une paleur mortelle, ounbsp;d’une roügeur extréme, elle enlra dans la cham-bre oü les chevaliers venaient d’arriver; c’est 1amp;nbsp;que, vaincue par la force de sa passion, elle dit:

— nbsp;nbsp;nbsp;Ah 1 Sire, plaignez unevictime infortunée denbsp;l’amourl Vous m’avez promis de m’obtenir un donnbsp;d’Esplandian, votre petit-fils; hélasl qu’il menbsp;l’accorde, ou je vais expirer ^ vos piedsl...

Esplandian, embarrassé, hésitait è répondre a Carmelle, lorsque cette gente pucellc poursuivitnbsp;ainsi:

— nbsp;nbsp;nbsp;Je vous aime... mais je vous aime saus nulnbsp;espoir... Je ne demande, je ne désire rien que denbsp;vous être attachée jusqu’au dernier soiipir, de nenbsp;vous quitter de ma vie, de vous servir sans cesse,nbsp;de ne m'occuper que de votre gloire et de votre

bonheur.....Oui, la malheureuse Carmelle vous

aime au point de se sacritier elle-m6me h votre fé-licité! Oui, je Ie jure èi vos genoux, si vous aimez jamais, je serai la première esclave de celle quinbsp;saura vous rendre heureux! Ou donnez-moi lanbsp;mort, OU jurez-moi que Carmelle ne s’éloignera jamais de vous!...

Esplandian fut trés touché do l’amour éperdu, quoique désintéressé, de la jeune Carmelle; maisnbsp;celui dont il se sentait épris pour Léonorine l’ein-pêchait de lui répondre, lorsque ses deux compagnons et Lisvart, émus jusqu’aux larmes de l étatnbsp;de cette malheureuse amante, joignirent leurspriè-res è la sienne. Alors, vaincu par l’amour et la gé-nérosité des sentiments de Carmelle, il lui promitnbsp;qu’elle ne Ie quitterait de sa vie.

Elle reQut cette promesse comme une grace, et, dés ce moment, s’aveuglant elle-même sur tout cenbsp;qu’elle aurait è souffrir, captivant, éloignaut mêmenbsp;en elle jusqu’aux plus légers désirs, la certitudenbsp;de voir, de servir sans cesse ce qu’elle aimait,nbsp;remplit son ame de la joie la plus vive et la plusnbsp;pure. Carmelle prit les mains d’Esplandian, lesnbsp;couvrit de larmes, et renouvela les mêmes ser-ments qu’elle venait de faire.

Elle repassa dans sa chambre pour se reraettre un peu du trouble qui l’agitait; et, ne voulant plusnbsp;rien prévoir de tout ce qui devait souvent porternbsp;Ie poignard dans son cceur, Carmelle ne s’occupanbsp;plus que des moyens de se rendre agréable et denbsp;]our en jour plus utile k celui qu’elle avait choisinbsp;pour être Ie maitre de ses volontés et de sa vie!...

Tandis qu’Esplandian, Lisvart et les deux chevaliers causaient ensemble de l’amourde Carmelle nt du pouvoir irrésistible qui l’avait entrainée, Ienbsp;son d’une harpe frappa leurs oreilles, et bientótnbsp;ds entendirent la lendre et malheureuse Carmellenbsp;chanter ces paroles :

Te voir, t’aimor sans te Ie dire,

Pourra sufflre a mon bonheur :

Je saurai cacher un martyre Uue lu plains au fond de ton cceur.

Les mauK que fait soutfrir l’absence,

Seraient les plus mortels pour moi :

Je Grains moins ton indifférence,

Que d’allor languir loin de toi...

Si l’image charmante qu’Esplandian s’était faite de Léonorine, d’après Ie récit d’Hélisabel, ne l’eütnbsp;pasoccupé toutentier, il eüt étésans doute encorenbsp;plus sensible aux sentiments que Carmelle expri-mait dans cette chanson, dont ses compagnons etnbsp;lui s’aperQurent quelesderniers chauls avaientéténbsp;interrompus par des sanglots. Cependant il sentitnbsp;naitre dans son cceur une tendre ainitié pour elle;nbsp;et, s’il était possible qu’un siècle d’amitié put payernbsp;un instant tfe véritable amour, Carmelle aurait punbsp;se consoler de ne pouvoir trouver que ce sentiment en sen ème.

Le jeune Talanque ne pouvait gu’être trés sur-pris de Tinsensibilité de son cousin : ce qu’il pen-sait, ce qu’il sentait, en voyant couler des larmes arrachées par l’amour, et qui donnaient de nou-veaux charmes h Carmelle, était aussi digne dunbsp;fils de Galaor, que les sentiments d’Esplandiannbsp;l’étaient du fils d’Amadis et d’Oriane. II ne putnbsp;s’empêcher d’en plaisanter sou cousin; mais la mo-destie de celui-ci ne lui permit que de rougir sansnbsp;lui répondre.

Atnbor et Talanque rendirent compte a Lisvart de tout ce qui leur était arrivé (Jgpuis que, pendant son sommeil, ils avaient été tirés de la Grande-Serpente, et s’étaient trouvés dans une barque quinbsp;les avait portos sur les cótes de la Norvége, oü Icnbsp;roi de ce pays, père de la belle Olinde, était présnbsp;d’etre détróné par deux des ses neveux. Sachantnbsp;qu’Agraies, comme époux d’Olinde, devait lui sue-céder, ils avaient formé une faction pour conservernbsp;ce royaume dans leur maison. Amhor et Talanquenbsp;avaient été conduits depths sur les bords do I’lle denbsp;la Jlontagiie Défendue.

CIIAl'ITUE XXI

Comment, au moment oü lo roi Lisvart songeait ü rotounier dans SOS Etats, apparut une messagère de la fóe Urgnnde,nbsp;apportant ü Esplandian des armes de toute beauté.

endremeul occupé de la parfaite guérison d’Esplandian, Lisvartnbsp;passa quelques jours dans le chateau de cette ile; mais, dés qu’ilnbsp;vit sou petit-fils en état de monster ücheval, le souvenir de Bri-sène, et le désir de rctournernbsp;dans ses Etats, coniraencèrent ünbsp;l’agiter. L’esquif d’Esplandian nenbsp;pouvait contenir que deux per-soiines, et celui d’Ambor avait dis-paru de Ia cóte pendant une nuitnbsp;qu’il rêvait aux moyens de sortir denbsp;cette ile.

^ nbsp;nbsp;nbsp;Les sons d’une harmonie guer-

rière vinrentse mêler au bruit des vents qhi souf-


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LES PRINCES DE L’AMOUR. 27

LES PRINCES DE L’AMOUR. 27

son amour pour

flaient avec violence, et des vagues agitées qui frappaient Ie rocher. Lisvart se léve, réveille lesnbsp;jeunes chevaliers; ils courent au balcon, et bien-lót ils reconnaissent la Grande-Serpente qui vientnbsp;s’ancter sur Ie rivage; ils attendent que ie journbsp;paraisse, et descendent pour savoir ce que la sagenbsp;Urgande cxige d’eux, en leur cnvoyant ce singuliernbsp;vaisseau.

En arrivant au port, ils virent un esquif s’en approcher; il était sorti de dessous les ailes de lanbsp;Graude-Serpente : une demoiselle Ie montait. Es-plandian lui donna la main pour en dessendre, etnbsp;vit qu’clle porlait dans ses bras un gros paquet enveloppé d’un salin blanc richemenl brodé.

— Sire, dit-elle 4 Lisvart, votre bonne amie Urgande-la-Déconnue regrette de n’avoir pu senbsp;rendre elle-même prés de vous; raais dans cc moment, Tempereur Arquisil, votre gendre et l’iin-péralrice Léonore, votre fille, out besoin de sa pré-sence et de tout son pouvoir. Gentil chevalier,nbsp;ajouia-t-elle en s’adressant au jeune Esplandian,nbsp;quittez ces armes noires, symbole du deuil que lanbsp;prison de volre aïeul portait dans l’éme de ses en-fants et ses amis ; recevezces nouvellcs armes, quinbsp;vous presagent des aventures bicn brillantes etnbsp;bien douces pour vousl...

A ces iiiols, découvrant Ie satin, Esplandian trouva Tarmure la plus belle, ainsi que ce qui de-vait couvrir un cheval de bataille. Le tout étaitnbsp;blanc comme neige, enrichi de perles et de dia-mants, et semé de couronnes d’or.

— Allez rernplir votre grande destinée, ajouta la demoiselle d'Urgande; et vous, Sire, laissez icinbsp;Talanque, Ambor et Lisbée, pour garder la Montague Dél'endue, et embarquez-vous dans la Ser-penle avec Esplandian, Sergil et maitre Ilélisabel;nbsp;Urgande approuve ce que vous préméditez, vousnbsp;en avez fait assez pour acquérir une renommeenbsp;immortelle: le temps de la pbilosophie et du reposnbsp;est arrivé pour vous.

Lisvart fut trés étonné qu’Urgande eüt déja connu le projet qu’il avait d’élever Amadis et sa fillenbsp;sur le tróne de la Grande-Bretagnc, et do consa-ci'er le reste de sa vie a la retraite.

Ils prièrent tous la demoiselle d’assurer la sage Urgande de leur tendre reconnaissance et de leurnbsp;obéissance entière a ses ordres. Ils la virent s’em-barquer sur l’esquif d’Esplandian avec les deuxnbsp;bluets, et remontèrent au chateau pour se prépa-4 partir le lendeinain dans la Grande-Serpente,nbsp;OU la demoiselle assura qu’on trouverait un superbe cheval de bataille pour Esplandian.

GHAPIÏRE XXII

Comment Esplandian, avant de partir avec son aïeul Lisvart Grande-Bretagne, chargea Carmelle d'une com-quot;ission bien douloureuse pour elle.

Lsplandian, vivement occupé de

Léonorine, eüt désiré que Lisvart le dispensêt dele suivre dansla Grande-Brelague. Gependant toutlenbsp;rappelait dans les bras d’Amadis et d’Oriane; ilnbsp;était bien honorable et bien doux pour lui de rem-plir ce devoir, lorsqu’il leur ramenait Lisvart, aprèsnbsp;une victoire qui déjk l’égalait presque 4 son père.nbsp;Mais, quoiqu il neut point encore vu Léonorine,nbsp;l’idée qu’il s’en était formée d’après le portraitnbsp;qu’Hélisabel lui en avait fait, le captivait au pointnbsp;qu’il crut ne devoir pas laisser ignorer plus long-temps 4 cette princesse que le fils d’Amadis brüla'itnbsp;d’impatience de se trouver 4 ses pieds, d’acquitternbsp;la promesse de son père, et d’obtenir d’elle le titrenbsp;de son chevalier,

L’amour nous aveugle encore plus souvent qu’il ne nous éclaire. Esplandianconnaissaittoutl’esprit,nbsp;toute I’adresse de Carmelle; il était sur du pouvoirnbsp;qu’il avait sur son coeur, et, sans réfléchir qu’ilnbsp;allait le percer en le soumettant 4 la plus cruelle denbsp;toutes les épreuves, il se leva la nuit et alia trouver Carmelle dans sa chambre.

Elle sommeillait alors. Hélas!... qui pourrait exprimer ce qu’elle éprouva 4 son réveil, lorsqu’elle vitEsplandian entrer et s’approcber d’elle! Endy-mion parut inoins charmant 4 Diane; Pélée n’eutnbsp;pas I’air si séduisant pour ïhétis, qu’Esplandiannbsp;pour la pauvre Carmelle!

— Que voulez-vous de moi, seigneur? lui dit-elle d’une voix tremblante, mais avec des regards trés expressifs, pour ne pas lui laisser juger qu’ellenbsp;ne craignait que son indifterence?

Esplandian ne voulut et ne put lire dans lesyeux de Carmelle, que I’expression d’une araitié 4 toutenbsp;épreuve.

Ah! qu’il fut cruel en ce moment, sans pouvoir même s’en douter!

Plein du sentiment qui I’agitait, i! ouvrit son coeur 4 Carmelle, dont une douleur profonde saisitnbsp;alors tous les sens, et ne lui laissa la force ni denbsp;se plaindre, ni de I’interrornpre. 11 eut tout lenbsp;temps de lui raconler 1’aventure d’Amadis 4 la cournbsp;de I’empereur de Grèce, les ordres qu’il eii avaitnbsp;reC'US d’aller acquitter sa parole; mais le coup lenbsp;plus mortel pour Carmelle, ce fut la peinture qu’ilnbsp;lui fit, d’après Hélisabel, des charmes de Léonorine... L’amour d’Esplandian embellit encore cenbsp;portrait qu’il faisait avec un feu qui l’embellissaitnbsp;fui-même.

Carmelle, éperdue, -abimée dans sa douleur, pencha sa tête pour cacher son trouble...

— Qu’avez-vous done, ma chère Carmelle? lui dit Esplandian.

—Ahl cruel, s’écria-t-elleen appuyant son front sur sa main qu’elle baignait de larmes, ordonnez 4nbsp;votre esclave. Que voulez-vous de moi? demanda-t-elle une seconde fois en gémissant. Düt-il m’ennbsp;coüter la vie, je suis prête 4 vous obéir.

— Vous ne courez aucun risque, lui répondit-il, en suivant toujours son idéé; vousnepouvez qu’ê-tre bien reQue dans la cour la plus polie de l’uni-vers, et surtout en y portant des nouvelles du chevalier de la Verie Epée, et de la délivrance du roinbsp;Lisvart.

Alors, continuant 4 parler avec plus de feu que jamais, Esplandian oönjura Carmelle de voir Léo-


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BIBLIOTHEQUE BLEUE.

norine en particulier, de lui peindre la passion que son portrait avait allumée dans son ame, et Ie regret qu’il avait de ne pouvoir se rendre en ce moment a ses pieds, pour obtenir d’elle d’être è jamais son chevalier.

— Puisque votre bonheur en dépend, lui dit Garmelle en se sacrifiant et s’élevant au-dessusnbsp;d’elle-même, puisque vous Ie voulez, seigneur, jenbsp;vous obéirai; je partirai dès deraain pour Constantinople, je verrai Léonorine, je lui dirai... oui...nbsp;jelui dirai que vous l’aimez. Ah! qu’il me seranbsp;facile de lui dire aussi que vous Ie méritezl...nbsp;Mais vous partez demaiti avec Lisvart... Je vaisnbsp;me séparerde vous... Oü la malheureuse Garmellenbsp;pourra-t-elle done vous retrouver?...

Esplandian, persistant a ne sentir que Ie plaisir de voir Garmelle prête a faire tout ce qu’il dési-rait, lui dit que dès qu’il aurait rendu Lisvart fi sanbsp;cour, il reviendrait sur-le-champ a la Montagnenbsp;Défendue pour l’attendre... Puis embrassant ten-drement Garmelle, que l’amour Ie plus passionnénbsp;faisait frémir d’un plaisir trouble par Ie désespoir,nbsp;Ie tranquille Esplandian, croyant avoir tout faitnbsp;pour une amie, s’éloigna d’elle, et retourna dansnbsp;sa chambre.

CHAPITRE XXIII

Comment Esplandian, en revenant avec son aïeul Lisvart, retrouver Amadis et Oriane, a oceasion d’exercer sa vad-lance naissante centre quatre chevaliers, parmi lesquelsnbsp;se trouve son oncle Galaor.

isbée, établi gouverneur de la Montagne Défendue, ayant fait preparer pour Garmelle une barque légere, el'enbsp;partit Ie lendemain pour Constantinople ; et Lisvart, accompagné d’Es-plandian, de Sergil et de maitre Hé-lisabel, monta dans la Grande-Ser-penle ft qui ses ailes servaient denbsp;voiles, et ils arrivèrent rapidement anbsp;rile Ferme. *

On imaginera sans peine quels fu-rent les transports de joie d’Oriane et d’Amadis en revoyantnbsp;Ie roi Lisvart, dont la déli-ivrance était due a la valeurnbsp;Ide leur cher Esplandian.nbsp;lis eurent peine a croire Ienbsp;récit que leur fit Lisvartnbsp;des combats furieux que Ie jeunenbsp;chevalier avait essuyés, et les chevaliers de rile Ferme ne purent s’em-,,nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;. pêcher de croire que lo vieux Lisvart

gloire de son petit-fils. plusieurs chevaliers partirent aussitot

r lini nbsp;nbsp;nbsp;retour de Lisvart a

la reine Bnsène, et, quelques jours après, ce

prince et toute sa familie se rembarquèrent dans la Grande-Serpente, pour repasser dans la Grande-Bretagne.

Dès qu’ils y furent descendus, Esplandian, couvert des riches armes qu’Urgande avait envoyées par la demoiselle, monta sur lo superbe chevalnbsp;blanc qui lui avait été annoncé, et l’heureusenbsp;Oriane ne se lassait point d’admirer l’air noble clnbsp;la grace avec laquelle il maniait son cheval, en ca-racolant autour de la litière dans laquelle clle voya-geait avec Ie roi sou père.

Ils n’étaient plus qu’ii deuxlieues de Vindisilore, ils étaient même déja entrés dans la grande routenbsp;de la forêt oü Lisvart aimait ü chasser, lorsqu’ilsnbsp;apergurent a deux cents pas quatre chevaliers ar-més de toutes pièces qui semblaient barrer lanbsp;route. Une demoiselle qu’ils avaient a leur suitenbsp;s’avanga seule vers Esplandian et lui dit :

— Damp chevalier, ces quatre chevaliers m’en-voient vous dire qu’ils sont surpris que vous osiez porter d’aussi riches armes, dont les couronnesnbsp;d’or qui les couvrent sont l’emblème d’une gloirenbsp;et d’une toute-puissance h laquelle il est difficilenbsp;que vous parveniez.

Esplandian, surpris d’un pared message, lui ré-pondit avec modestie :

— Demoiselle, dites-leur que ce n’est point moi qui me les suis choisies; mais qu’en l’honneur donbsp;celle qui m’en a fait don, je les défendrai comme jenbsp;Ie dois, si quelqu’un ose m’attaquer.

— Vraiment, dit la demoiselle, je crois que vous seriez plus sage de les quitter ou de prendre unnbsp;autre chemin, que de risquer de vous les voir cn-levcr paria force.

— Parbleu! demoiselle, dit Esplandian impa-tienté, je croyais les routes de cette forêt fibres, surtout en escortant ceux qui me suivent; mais,nbsp;quoique mon intention ne fut point de combatlre,nbsp;assurez-les quo je ne me détournerai pas d’un pasnbsp;pour leur rencontre.

La demoiselle ne put s’empêcher de sourire, re-joignit los chevaliers, et, sur-lc-champ, l’un des quatre chevaliers se présentant vis-a-vis d’Esplan-dian, lui cria de se mettro en defense.

Esplandian, animé par Ie désir de se venger de cette espèce d’insulte, et de se distinguer aux yeuxnbsp;d’Amadis et d’Oriane, courut sur ce chevalier qu’ilnbsp;renversa sur la poussière; un second s’étant présenté pour venger son compagnon, Amadis envoyanbsp;Sergil porter sa lance a son hls , qui, cette Ibis,nbsp;renversa Thoinmc et Ie cheval; Ie troisième ayantnbsp;éprouvé Ie même sort, Agraies et Lisvart s’écriè-rent qu’ils n’avaient jamais vu de plus beauxnbsp;coups de lance. Le quatrième chevalier s’approchanbsp;d’Esplandian, pendant que celui-ci demandait unenbsp;quatrième lance.

— En vérité, damp chevalier, lui dit-il, je trouve comme vous que mes compagnons ont fait unenbsp;grande folie en vous attaquant; mais metlez-vousnbsp;è ma place, vous voyez que Fhonneur ne me per-met pas de me retirer sans les venger et in’éprou-ver centre vous.

— Ghevalicr, répondit Esplandian, je ne cherche ni n’cvitc de pareilles rencontres; je me serais


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LES PRINCES DE L’AMOUR.

trés bica passé de celle-ci; niais, puisque vous voulez essayer de venger vos compagnons, je n’ainbsp;rien a vous refuser.

A ces mots, se saisissant d’une forte lance que Sergil lui présenta, ils coururent et se rencon-trèrent avec une si furieuse force que leurs lancesnbsp;s’étant brisées jusque dans les gantelets , leursnbsp;boucliers et leurs casques même se choquèrent, etnbsp;Ie quatrième chevalier fut renversc sous son clie-val. Esplandian l’eüt été pareillement s’il n’cütnbsp;einbrassé Ie cou de son ebeval qui l’eraporta trésnbsp;loin, tout étourdi d’une pareille atteintc.

Esplandian ayant repris ses esprits, arrêta son cheval et fut trés surpris en se retournant d’en-tendre des éclats de rire, et de voir Lisvart,nbsp;Amadis et Agraies, d pied, qui s’occupaient dé-lacerles heaumes des quatre chevaliers qui s’étaientnbsp;relevés avec beaucoup de peine. Esplandian futnbsp;bien plus surpris lorsqu’il reconnut dans les troisnbsp;premiers Garnates, Angriote d’Estravaux et Gal-vanes.

Presque honteux d’une victoire remportée sur d’anciens chevaliers qu’il respectait et qu’il aimaitnbsp;tendrement, il était pret i leur faire ses excuses,nbsp;lorsque Ie dernier s’étant enfin débarrassé de sonnbsp;casque, que Ie choc avait un peu faussé, Esplandian reconnut son oncle Galaor, auquel Amadisnbsp;disa it en iiant:

— Eh! depuis quand, mon frère, êtes-vous de-venu quêteur de grand chemin ?

Esplandian, confus et croyant avoir manqué de respect èi son oncle, sauta promptement de chevalnbsp;et courut h ses genoux; Galaor 1’embrassa tendre-ment et lui dit:

— Ma foi, mon cher neveu, ma curiosité méri-tait bien cette punition qui me plait encore plus qu’une victoire. Je me souviens encore d’avoir éténbsp;rudement menc par votre père Amadis, Ie .journbsp;que nous combattions ensemble par la ruse d unenbsp;nièce d’Arcalaüs; mais cette fois-ci, je me trouvenbsp;heureux de n’avoir pas éprouvé Tusage que vousnbsp;savez faire de votre épée, et je vois que la sagenbsp;Urgande a raison lorsqu’elle dit que vous nous sur-passerez tous.

Esplandian fut également loué par les quatre chevaliers; ils Ie placèrent au milieu d’eux malgrénbsp;mi , et Ie conduisirent corame leur vainqueur jus-fiu’auprès de la reine Brisène qui venait au-devantnbsp;roi son époux.

Comment, aprös avoir dósaroonnó les quatre chevaliers qui voulaicnt l’éprouvcr, Esplandian eut k soutenirune nouvelle épreuve contre son pèrenbsp;Amadis.

es fétes les plus brillantes signalèrent la délivrance denbsp;Lisvart et Ie triomphe d’Es-plandian; mais ces fétes n’eu-rent bientót plus rien qui putnbsp;plaire a ce jeune prince qui.

tel qu’Amadis, ne pouvait plus s’occuper que de son amour. Prévoyant que Carmelle aurait eu Ienbsp;temps de faire son message, et qu’elle serait bientót de retour la Montagne-Défendue, ni la ten-dresse de toute sa familie, ni les prières de Brisènenbsp;et d’Oriane ne purent Ie relenir. Amadis fut bientót obligé de lui permettre de partir, et nousnbsp;sommes forcés de dire que, malgré tout ce qu’A-madis avait dü connaitre de la force et de la va-leur de son fils, il eut l’imprudence de ne vou-loir s’en rapporter qu’i lui-même et de vouloirnbsp;l’éprouver.

Pour eet effet, s’étant couvert d’armes noires, il précéda son fils au passage d’un pont qu’il feignitnbsp;de lui défendre. Tous deux brisèrent leurs lances,nbsp;et leurs chevaux tombant sur leurs jarrets les for-ccrent de combattre ti pied.

Amadis regut sur son bouclicr les deux coups que lui donna Esplandian, et sentant son bras eu-gourdi de la pesanteur du dernier coup, mais n’cnnbsp;voulant point porter a son fils, il s’élanga sur luinbsp;pour l’empècher de redoubler; et tous deux se saisissant au corps, ils firent pendant plus d’une heurenbsp;des efforts pour se renverser. Esplandian fut Ie premier a dire :

— Chevalier, quittons cette espèce de combat auquel nous nous eprouvons inutileraent; repre-nons nos épées pour Ie poursuivre.

— Ma foi, lui répondit Amadis, je crois qu’il vaut mieux pour moi que je vous cède Ie passagenbsp;du pont, que de m’exposer une seconde fois è lanbsp;pesanteur de vos coups.

Esplandian fut trés surpris d’eutendre parler ainsi Ie défenseur du pont, ayant bien connu dansnbsp;cette longue lutte que ce chevalier surpassait ennbsp;force tous les géants qu’il avait combattus. Jugeantnbsp;done aussitót que ce n’était que par courtoisie quenbsp;son adversaire lui cédait Ie passage.

— Sire chevalier, lui dit-il, me croyez-vous assez présomtueux pour oser maintenant passer ce pontnbsp;autrement que par votre permission? L’amour etnbsp;l’impatience de hater mon voyage me la font vive-ment désirer; mais je ne la regarderais que commenbsp;un bienfait qu’il m’est honorable et cher de rece-voir de vous.

— Ahl mon cherfils, s’écria vivement Amadis, reconnais ton heureux père, et pardonne-lui cettenbsp;épreuve dont il ne devait pas avoir besoin pour tenbsp;connaitre.

Amadis ne put empêcher Esplandian de se jeter è ses genoux en versant un torrent de larmes; cenbsp;moment fut bien doux pour un père aussi tendre.

Esplandian fit la confidence 'a son père du message dont il avait chargé Carmelle, et de l’impres-sion durable que Ie portrait de la belle Léonorine avait faite sur lui.

Son père ne voulant pas l’arrêter plus longtemps, ils se séparèrent, après être convenus que désor-mais les chevaliers de l’Ile Ferme et ceux de lanbsp;Montagne Défendue se regarderaient comme frères,nbsp;et voleraient au secours les uns des autres contrenbsp;quiconque oserait désormais les attaquer.

Esplandian poursuivit son chemin, et Galaor, lorsqu’Amadis, de retour a Vindisilore, lui contanbsp;son aventure, assura son frère qu’il était heureux


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d’en avoir été quitte k si bon marché, et qu’il n’eüt pas été mal qu’Esplandian l’eüt puni de sanbsp;curiosilé.

CHAPITRE XXE

Comment Ie jeune roi de Dace etMancli, Hls de Cildadan, eurent occasion de protéger la féeCrgande, leurprotectrice.

Pendant Ie cours de ces aventures, Ie jeune roi de Dace et Maneli, fils de Cildadan, en éprouvaientnbsp;de bien étranges. Les deux jeunes compagnonsnbsp;d’Esplandian, après avoir regu de sa main 1’ordrenbsp;de chevalerie, s’étaient endormis comme tous ceuxnbsp;qui se trouvaient alors dans la Grande-Serpente;nbsp;ils furent bien étonnés èi leur réveil de se trouvernbsp;dans une barque qui, saus voiles et sans matelots,nbsp;voguait avec rapidité, et qui vint aborder d’elle-même sur une cóte qui leur était inconnue.

Un grand feu qu’ils apergurent au loin, leur fit juger qu’ils étaient prés de quelque habitation.

Un brouillard épais les empêchant de distinguer les objets, ils marchaient vers ce feu; ils virentnbsp;qu’une femme, tenant un enfant au maillot entrcnbsp;ses bras, en était entourée; dix hommes, armés denbsp;toutes pieces et l’épée a la main, paraissaient êtrenbsp;retenus par ces dammes qu’ils n’osaient franchir.

La dame qui en était environnée, reconnut aus-sitót Ie roi de Dace et Maneli, et se fit reconnaitre au son de sa voix, en leur criant:

— Secourez-moi, mes chers enfantsl

— Ahl eest ürgande qui nous appelle, s’écria Maneli.

Les deux chevaliers a l’instant coururent l’épée a la main vers Ie feu. La, Ie chef de ces dix chevaliers leur dit :

— Venez-vous pour nous aider k nous venger de cetfe méchante sorcière?

— Quiconque, dit Maneli, parle ainsi de cette sage et illustre fée, en a menti par la gorge, etnbsp;nous sommes prêts k te Ie prouver!...

A ces mots, les dix chevaliers tournèrent leurs armes contre ces braves jeunes gens qui, sansnbsp;s’effrayer du nombre de ces ennemis, portcrent denbsp;si terribles coups, qu’ils commencèrent a les fairenbsp;reculer, lorsqu’Urgande, peur terminer ce combatnbsp;inégal, enveloppa les combattants d’un nuage.nbsp;Alors, prenant Ie roi de Dace et Maneli par la main,nbsp;elle les conduisit dans Ie plus épais de la^ forèt,nbsp;tandis que les dix chevaliers contjnuaient a com-battre les uns contre les autres, sans pouvoir senbsp;reconnaitre.

Lorsqu’Urgande fut éloignéed’eux, elle leurra-ronta que Ie chef de ces chevaliers qui leur avait parlé, était Ie fils de Garande, ce présomptueuxnbsp;chevalier remain tombé sous les coups d’Amadis,nbsp;mrsque ce prince était chez Ie roi de Bohème.

« traitre dexenufurieuxde la mort de Patin, Arquisil élevé sur Ie tronenbsp;p tnbsp;nbsp;nbsp;nbsp;^trouvéle moyen des’emparer de 1’en-

fant dont l impératnee Léonore venait d’accoucher;

il l’enlevait, et ce malheureux enfant, privé de tout secours, eütété la victime de la vengeance denbsp;ce scélérat, si je n’eusse volé pour Ie secqurir.nbsp;Ayant pris la figure d’une pauvre femme, J’ai jointnbsp;les ravisseurs de l’enfarit dans cette forêt; et, lesnbsp;voyant importunés par ses cris, je me suis offertenbsp;pour Ie porter, ce qu’ils ont accepté.... Dés quenbsp;j’ai tenu l’enfant dans mes bras, continua-t-elle,nbsp;je me suis fait entourer par un feu violent qui lesnbsp;a fait reculer; vous avez vu la fin de cette aveii-ture, et c’est par mon pouvoir que la barque vousnbsp;a conduits k portee de me secourir. Adieu, mesnbsp;chers enfants, irerabarquez-vous; armez-vousd’unenbsp;Constance égale a votre courage pour accoraplirnbsp;les aventures qui vous sont réservées; je n’ai plusnbsp;besoin que de moi-mêrac pour reporter l’cnfant amp;nbsp;sa raèro Léonore...

ïous les deux vinrent lui baiser les mains, et virent Si l'instant deux énormes dragons s’avan-cer, l’un clroite, Tautre k gauche, et la suivro desnbsp;deux colés de son palefroi.

G’est sous la garde de ces dragons qu’ürgande s’avanqait prés de Rome, lorsque Ie roi de Sardai-gne, Florestan, aperput et reconnut l’enfant amp; sesnbsp;langes, sur Ie.squels les armes de l’empire étaientnbsp;brodées; et voyant qu'il était tenu par une femmenbsp;qui marchait entre deux dragons, il s’availQa l’é-pée a la main, pour les combatlre et s’emparer denbsp;l’enfant dont il avait juré de faire pendant un annbsp;la recherche. II fut trés ctonné de voir tout-a-coupnbsp;disparaitre les deux dragons.

— Eh quoi! lui dit Urgande, Ie roi Florestan ne veut done pas reconnaitre son ancientie amic?nbsp;Puisque je suis maintenant sous sa garde, je menbsp;tiens plus en süretó que sous celle des monstresnbsp;les plus redoutahles.

Urgande, a ces mots, lui présenta l’enfant afin qu’il achevat de Ie reconnaitre, et tous les deuxnbsp;rejoignirent bientót Léonore et l’empereur, quinbsp;passèrent de la douleur la plus amèrp a la joie lanbsp;plus vive, lorsqu’Urgande remit un enfant si chernbsp;entre leurs bras.

CHAPITRE XXVI

Comment Garinter et Maneli eurent occasion de connattre la belle Carmelle et de combaltro Ie fameux Fraiidalo , quinbsp;1’avait enlevöe.

peine ie jeune Garinter, roi do Dace, et Maneli, fils de Cildadan, se furent-ils rembarqués, après avoir pris congénbsp;d’Urgande, que leur barque fut era-l^porlée par les vents avec rapidité. Nenbsp;' pouvant gouverner cette nauf, elle futnbsp;poussée et se brisa sur les rochersnbsp;d’une grande ile. Co ne fut qu’avecnbsp;peine qu’eux et leurs écuyers purentnbsp;en gravir les bords cscarpés.

S’étant dispersés dans cette ile pour ^y chercher quelque habitation, ils cu-\rent tour è tour S corabattre des oiirsnbsp;et des singes de la grande cspèce qu’ilsnbsp;tuèrent ou mirent en fuite. Mais unnbsp;ennemi plus redóutable commencait anbsp;les attaquer depuis trois jours; ils n’a-


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LES PRINCES DE L’AMOUR. 31

vaient apaisé leur faim que par quelques rayons de miel sauvagje, que les ours et les singes conti-nuaient tl leur disputer. Ils désespéraient de leurnbsp;sort, lorsqu’un gros vaisseau s’approcha et jetanbsp;l’ancre pramp; de l’ile.

Le roi de Dace et Maneli, couverts de leurs ar-mes blanches que Ie soleil rendait plus brillantes encore, firent des signaux qui furent apergus, carnbsp;bientöt une barque fut mise ti la mer, et quelquesnbsp;gens armés s’approchèrent è portéede leur parler.nbsp;Maneli les pria de les venir prendre, et leur de-manda de quelle nation était le maitre du vaisseau :

— nbsp;nbsp;nbsp;Nous I’ignorons, dirent-ils; maïs il est l’en-nenai de toutes, et bientót vous serez soumis a sonnbsp;pouvoir. On le nomme communément le Diablenbsp;marin ; raais son vrai nom est Frandalo...

Les deux chevaliers connaissaient Frandalo pour être le pirate le plus redouté. L’empereur denbsp;Grèce avait souvent envoyé des vaisseaux pour lenbsp;combattre; mals le redoutable Frandalo les avaitnbsp;détruils tous, et il continuait a faire les plus grandsnbsp;ravages dans toutes les lies de 1’Archipel.

Leur position devenait si cruelle et si pressante qu’ils demandèrent k lui parler, lorsqu’un hommenbsp;de la chaloupe, considérant leurs boucliers, et ennbsp;remarquant les croix noires, retourna vers le vaisseau, que quelques moments après ils virent s’ap-procher d’eux. Le terrible Frandalo, dont la taillenbsp;approchait de la taille d’un géant, leur cria alors :

— nbsp;nbsp;nbsp;Traitres, je vous tiens, et vous m’allez payernbsp;bien cher la mort de mon cousin Vindoraque 1...

^ — Prends garde, lui répondit Garinter; et si ce n’est pas le dessein formé de nous chercher unenbsp;mauvaise querelle, sois sur que nous n’avons jamais connu ce Vindoraque et que nous n’avonsnbsp;aucune part Ji sa mort...

— nbsp;nbsp;nbsp;Pardieu! dit Frandalo, bien léches doiventnbsp;être ceux qui n’osent avouer leurs actes ; venez,nbsp;demoiselle, s’écria-t-il en appelant une jeune fillenbsp;captive sur son vaisseau; ne reconnaissez-vousnbsp;pas en ces deux chevaliers ceux qui mirent a mortnbsp;Vindoraque dans File de la Montagne Défendue?

Ce sont bien Ik, dit-elle, les mêmes armes 9u’ils portaient, et plaise au sort que ce soit eux,nbsp;1® ne serais pas longtemps captive!

Le roi de Dace et Maneli, qui commencaient a c douter que Vindoraque était tombé sous lesnbsp;oiips de Talanque et d’Ambor, délacèrent leursnbsp;asques, en disant k Frandalo :

01 ~i nbsp;nbsp;nbsp;cberebons pas k te dissuader de ce

q e tu nous imputes, car il nous imporle pen que k nous croire vainqueurs dc ton cou-; nous désirons même quo, tu sois assez bravenbsp;pour chercher k venger sa mort, et nous te décla-[ons que nous prenons parti pour ceux dont il 1’anbsp;‘‘cpue.

fb! seigneurs, s’ccria la demoiselle, si vous hia défe*^^ Esplandian et ses compagnons, prenez

~Et oil lesavcz-Youslaissés, deraanda Garinter? Lisvarfnbsp;nbsp;nbsp;nbsp;répondil-elle. est parti avec

la Montagne liSdu?^ ^

Pendant que la demoiselle et les compagnons d’Esplandian s’expliquaient ensemble, Frandalonbsp;descendit dans une chaloupe, et se fit conduire knbsp;terre.

— Jeunes pages, dit-il d’un ton arrogant aux deux chevaliers, je viens vous chercher pour menbsp;servir; je veux bien croire que vous n’avez pointnbsp;eu de part k la mort de mon cousin Vindoraque;nbsp;mais, puisque vous dites être les amis de ceux quinbsp;Font vaincu, ce que je peux faire de mieux pournbsp;vous, c’est de vous mettre au nombre de mes es-claves...

Les deux chevaliers se continrent, dans la peur que Frandalo ne vint pas jusqu’k File; raais, dèsnbsp;qu’ils le virent descendre, Maneli, remetlant sonnbsp;casque, alia au devant de lui:

— Frandalo, lui dit-il, tu passes parmi les chevaliers pour être brave et généreux; crois-raoi, quitte un genre de vie qui t’avilit, et qui n’estnbsp;point fait pour toi; remets cetle demoiselle entrenbsp;nos mains, et conduis-nous k la Montagne Défendue pour y rejoindre nos compagnons.

— Je le ferais, dit Frandalo, si j’avais 1’espé-rance de vous combattre tons les quatre ensemble; mais dans Fincertitude oiije suis de les join-dre, je ne perdrai pas Foccasion de m’assurer de vous...

— Parbleu! dit Maneli, qnoiquejene m’estiine pas autant qu’un des deux autres, je vais éprouvernbsp;ce que tu sais faire, et je te défie sous les conditions de te laisser raaitre de mavie, si je succombe,nbsp;on d’être maitre de ton sort et de ton vaisseau, sinbsp;je suis vainqueur.

Frandalo fut trés étonné de Irouver tant de courage dans un jeune chevalier dont il ne pou-vait craindre la force; il s’élan^a pour le saisir :nbsp;Maneli, saulant en arrière, lui présenta la pointenbsp;de son épée et lui cria de se mettre en défense.nbsp;Frandalo crut Fabaltre du premier coup; maisnbsp;Maneli lui fit bientót connaitre qu’il aurait besoinnbsp;de toutes ses forces pour lui résister.

Pendant que le combat s’engageait entre eux et devenait terrible, le roi de Dace sauta dans lanbsp;barque et forqa les matelots k le conduire au vaisseau ; celui qui le commandait en second fut trésnbsp;aise de le voir venir de lui-même se livrer auxnbsp;chaines qu’il lui préparait, et le laissa tranquille-ment monter sur le pont; mais k peine Garinter ynbsp;fut-il arrivé que, s’élancant sur ce lieutenant, il lenbsp;terrassa, lui criant qu’il était mort s’il appelait sesnbsp;gens k son secours et s’il n’attendait pas, pournbsp;prendre un parti, de voir quel serait Fissue dunbsp;combat de Frandalo contre son compagnon.

Le combat eut été plus long si les armes de Maneli n’eusgent été supérieures a celles de Frandalo. Celui-ci, convert de blessures, fut oblige denbsp;se rendre; et Maneli, suivant la générosité desnbsp;chevaliers de File Ferme, courut k son secours etnbsp;Ferabrassa dès qu’il eut requ sa parole.

Frandalo cria sur-le-champ k ceux de son vaisseau d’obéir aux ordres que les deux chevaliers leur doiineraient. Une barque yint chercher lesnbsp;combattants, et Garinter et Maneli furent si contentsnbsp;de la franchise et des sentiments d’honneur quenbsp;leur moiitrait Frandalo, que, de ce moment, unenbsp;(tendre araitié les unit avec lui.


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BIBLIOTHEQUE BLEUE.

La demoiselle, délivrée par Ia victoire de Blaneli, vint pour remercier ses bienfaiteurs; elle ne dou-tait point, h leurs armes, qu’ils ne fussent Ambornbsp;et Talanque. Aussi sa surprise fut-elle extréme,nbsp;leurs heaumes ótés, en ne les reconnaissant point.nbsp;Alors elle s’excusa devant eux d’avoir confirmé cenbsp;qu’un écuyer de Vindoraque avait dit du combat etnbsp;de la mort de ce géant.

Ce fut alors aussi que Garinter et Maneli furent informés de la conquête qu’Esplandian avait faitenbsp;de laMontagne Défendue, de la mort de Furion etnbsp;de Matroco, et de la déyvrance de Lisvart. La demoiselle leur apprit qu’elle avait nora Garmelle, etnbsp;elle leur confla les ordres dont Esplandian l’avaitnbsp;chargée, lesquels ordres elle allait exécuter lorsquenbsp;Frandalo l’avait enlevée.

Garinter et Maneli prirent aussitót Ie parti de la conduire eux-mêmes ti Constantinople avant quenbsp;de retourner k la Montagne Défendue.

Frandalo frcmit lorsqu’il leur vit prendre celtc resolution, sachant que 1’empereur, outró des pi-rateries qu’il avait exercées dans les iles de Grèce,nbsp;avait jure sa mort. Mais Maneli lui promit de fairenbsp;sa paix avec ce prince, l’assurant que son compagnon et lui Ie prenaient sous leur sauve-garde. Ilsnbsp;ordonnérent done au pilote de faire voile pournbsp;Constantinople, et Ie quatrième jour ils entrèrentnbsp;dans Ie port de cette belle capitale de l’empirenbsp;d’Orient.

ClIAPITRE XXVII

Comment Ie jeune roi de Dace Maneli, Frandalo et Carmelle arrivèrent a la cour dc 1’cmpercur de Grèce, et commentnbsp;ils en repartirent pour aller au secours de la Montagnenbsp;Défendue.

Les deux chevaliers, en descendant de leur vais-seau, se firent conduire au palais de l’empereur, et Frandalo les suivit.

L’empereur étant alors a la chasse, ils furent regus par Léonorine, dont la beauté les surprit,nbsp;quoiqu’ils eussent déjti vu dans File Ferme Oriane,nbsp;Olinde et Briolanie.

Léonorine joignait ^ tous les dons de plaire cette politesse noble, cette urbanité qui rendit la Grècenbsp;Ie modèle de toutes les nations policées.

Les chevaliers lui présentèrent Frandalo. Maneli, ne parlant qu’avec ihodestie de sa victoire, ne s’occupa qua persuader Léonorine qu’un chevalier aussi grand marin que Frandalo deviendraitnbsp;trés utile a l’empereur en Tattachant a son service;nbsp;puis ils présentèrent aussi Carmelle qui, pensivenbsp;et les larmes aux yeux, ne pouvait s’empêchernbsp;uadmirer Léonorine, et qui, dans les premiersnbsp;nioments, eut besoin de toute sa Constance pournbsp;surmonter sa douleur et s’acquitter de la commis-on dont Esplandian I’avait chargée.nbsp;e jeune Garinter et Maneli s’étant retirés, Carmelle resta seule auprès de la princesse. Flécliis-sant alors un genou devant elle, elle lui dit:

— nbsp;nbsp;nbsp;Reconnaissez, madame, cet anneau que vousnbsp;donnates au chevalier de la Verte Epee, que vousnbsp;connaissez aujourd’hui sous le nom d’Amadis.

Léonorine, examinant I’anneau, dit è Carmelle qu’en effet elle I’avait donné dans son enfance aunbsp;meilleur des chevaliers de la terre.

— nbsp;nbsp;nbsp;Madame, dit Carmelle, celui qui vous I’envoicnbsp;l’égale dès aujourd’hui; e’est Esplandian, e’est lenbsp;fils du grand Amadis, qui brule du désir d’etrenbsp;honoré du titre de votre chevalier.

Léonorine rougit; elle hésitait a répondre, lorsque I’empereur arriva de la chasse et monta chez elle, suivi des deux chevaliers. Léonorine fit partnbsp;è I’empereur du message d’Esplandian; et Carmelle, s’étant remise de son premier trouble, ra-conta tous les combats qu’Esplandian avait es-suyés pour se rendre maitre de la Montagnenbsp;Défendue, celui de Talanque et d’Arabor entrenbsp;Vindoraque, et celui de Maneli lorsqu’il I’avait dc-livrée de Frandalo.

L’empereur, prevenu déjè par Gastilles de toutes les merveilles qui signalaient la naissance, l’édu-cation et le commencement des actes de la vienbsp;d’Esplandian, tit son cloge avec chaleur, et senbsp;plaignit a Carmelle que ce jeune prince ne flit pasnbsp;vena pour présenter lui-merne I’anneau qu’Amadisnbsp;avait regu de Léonorine.

— Seigneurs chevaliers, dit-il, je ne le tiens point quitte, et, comme ses compagnons, vous menbsp;répondez de lui. Donnez-moi done votre parole,nbsp;leur ajouta-t-il en leur tendant la main, que vousnbsp;resterez en ótage dans ma cour, jusqu’a ce qu’ilnbsp;Vienne s’acquitter lui-même.

Frandalo n’essuya que quelques légers reproches de la part de I’empereur, qui le retint k son service , et lui donna des marques publiques de sonnbsp;estime en recevant son serment de fidélité.

Léonorine et Carmelle étant restées seules, la jeune princesse saisit ce moment de faire quelquesnbsp;légères questions au sujet d’Esplandian.

On se plait èi parler de ce que l’on aime, et la réponse de Carmelle fut de peindre ce jeunenbsp;homme avec les traits de feu qui le gravaient dansnbsp;son ame; le plaisir qu’elle sentait k parler de sanbsp;beauté , de son courage, de tout ce qui Ie reudaitnbsp;si cher k son coeur, l’empêcha de s’apercevoir denbsp;toute l’impression qu’elle commengait a faire surnbsp;Léonorine. Cette impression fut égale k celle qu’Esplandian avait regue du récit d’Hélisabel; et lorsque Carmelle lui dit en soupirant et le coeur serré,nbsp;qu’Esplandian n’était occupé que d’elle, depuisnbsp;qu’Hélisabel en avait fait un portrait si fidéle,nbsp;Léonorine soupira, baissa les yeux, et serra pendant quelque temps les mains de Carmelle sansnbsp;lui répondre.

— Demoiselle, lui dit-clle enfin, je sens que je serais la plus ingrate princesse de la terre, si jenbsp;n’étais pas sensible k fhommage du prince quinbsp;vous envoie-, dites-lui que je me fais honneur denbsp;1’accepter pour chevalier, et portez-lui pour gagenbsp;de ce premier lien cette agrafe que Grimanèse,nbsp;raon aïeule, donna pour présent mon aïeul Apol-lidon.


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LES PRINCES DE L’AMOUR.

Carmelle regut cette agrafe en soupirant et Ia mit dans son sein avec un secret et douloureuKnbsp;sentiment qui I’empecha d’étre sensible au magni-fique présent qu’elle regut pour elie-même de lanbsp;belle Léonorine.

Le roi de Dace et Maneli, quoique traités avec distinction dans cette cour, regreltaient déj^i d’etrenbsp;si longtemps séparés de leurs compagnons, lors-qu'on vit arriver une frégate portant le pavilion denbsp;Gaule; et l’écuyer de Talanque en étant descendu,'nbsp;vint se jeter aux pieds de Tempereur de la part donbsp;son maitre et d’Ainbor, pour lui demander du se-cours contre le redoutable Armato, roi de Turquie,nbsp;qui, sans respecter la foi des trêves qu’il avait ju-rées avec les puissances voisines, était venu pournbsp;former le siege de la Montagne Défendue avec unenbsp;flotte de trois cents voiles, se croyant en droit denbsp;s’en emparer depuis la mort de Furion et de Ma-troco.

Si quelqu'un eüt pu former quelques prétentions sur cette ile, c’eüt été l’empereur comme étantnbsp;seigneur suzerain de toutes celles de 1’Archipel. IInbsp;assura done l’écuyer de Talanque qu’il regardaitnbsp;l’entreprise d’Armato comme une injure qui lui de-venait personnelle.

^ —Frandalol dit-il en appelant ce chevalier, je t’estime asse? pour croire que tu saisiras avec em-pressement cette occasion de réparer tes anciensnbsp;torts. Rassemble au plus lót les vaisseaux et les ga-lères de mes ports, le plus en état de mettre anbsp;la voile; va porter un premier secours a la Mon-tagne Défendue, en attendant que je rassemble desnbsp;torces assez grandes pour marcher moi-même etnbsp;Punir Armato de sa témérité. Chevaliers, dit-il aunbsp;roi de Dace et a Maneli, je ne vous retiens plus, etnbsp;je ne sens que trop que l’honneur et l’amitié vousnbsp;appellent au secours de vos amis.

Garinter et son compagnon le remercièrent, et lorsque la flotte que faisait équiper Frandalo futnbsp;Prète, ils s’embarquèrent suivis de Carmelle.

CHAPITRE XXVfll

t^orament Esplandian, en reprenant le chemm de la Mon-lagne Défendue, rencontra la Grande-Serpente qui ic con-'luisitau secours de Gandalin et deLasinde; et comment, après avoir joint son oncle Norandel, il se dirigea vers

Conslanlinople.

Esplandian s’était séparé d’Amadis et avait repris 1^ ohemin de la Montagne Défendue, en compagnienbsp;maitre HéAisabel et de sou écuyer Sergil.

, La nauf qu’ils montaient était sur le point d’a-border, lorsque tout-i-coup ils apergurent, immobile devant eux, la Grande-Serpente, le bizarre i^avire de la fee TIrgande.

Ne doutant point un seul instant que cette bien-veiiiante fée n’eüt envoyé Ih la Grande-Serpente ans quelque secret dessein devant lequel il devaitnbsp;o prosterner et obéir, Esplandian aborda ce bizarre navire qu’il trouva sans pilote et sans matelots , mais, en revanche, richement paré et muninbsp;de provisions de toute espèce. Puis il attendit quenbsp;la Grande-Serpente s’ébranlat d’elle-même.

Ce ne fut que sur Ie soit’ que, déployant ses grandes ailes, elle fendit la mer avec rapidité, etnbsp;vogua pendant cinq ou six jours sans s’arrêter.

Au bout de ce temps, elle aborda doucement dans une anse qui s’enfongait dans une belle prairie, et ploya ses ailes d’une fagon significative.

Esplandian, a ce signe, jugea qu’Urgaude l’ap-pelait sur cette cóte, et descendit h terre.

Deux géants redoutables étaient les raaitres de ce beau pays; ils habitaient un fort beau chateau,nbsp;bati sur des souterrains immenses, oü le plus vieuxnbsp;des deux géants sc plaisait a tourmenter les chevaliers qui tombaient en sa puissance. Souventnbsp;même il sacrifiait a ses dieux ceux qui restaientnbsp;fidèles è leur foi. Sou fils avait enlevé tous ceuxnbsp;que leur raalheureux sort avait conduits dans cenbsp;pays.

Bientót il parut pour combattre Esplandian.

Le vainqueur de Furion et de Matroco le fut aussi de ces deux géants; il délivra les prisonniersnbsp;qui gémissaient dans leurs chaines, et sa joie futnbsp;extreme en reconnaissant Gandalin et Lasinde,nbsp;qui devaient être sacrifiés le lendemain, en leurnbsp;double qualité de chevaliers de l’Ile Ferme, et denbsp;fidèles serviteurs d’Amadis.

Esplandian les retint avec lui; les autres prisonniers délivrés, ayact repris leurs armes, furent en-voyés par lui aux pieds de la princesse Léonorine, avec ordre de lui dire que le chevalier qui les avaitnbsp;délivrés , brülait d’iinpatience de se trouver bieu-tót è ses pieds. II leur fit aussi remarquer ses ar-raes, pour qu’ils pussent en rendre corapte è cettenbsp;princesse.

Esplandian reprenait déja le chemin de la mer, lorsqu’il rencontra sur sa route un chevalier d’unenbsp;haute apparence qui I’aborda poliment, et lui de-raanda s’il n’avait point appris quelques nouvellesnbsp;du roi Lisvart :

— Sire chevalier, répondit Esplandian, je pour-rais vous eii donner de bonnes, si vous vouliez vous faire connaitre...

.— Ah! seigneur, s’écria l’inconnu en ótant sou heaume, tachez de rassurerle fils de Lisvart sur lenbsp;sort de ce prince!...

Esplandian, reconnaissant aussitót son oncle Norandel, courut l’embrasser, et lui racontanbsp;tous lesevénements de la délivrance de Lisvart, etnbsp;de la conquête de la Montagne Défendue. Norandel fut encbanlé de ce récit:

— Mon cher neveu, lui dit-il, vous ne savqz peut-être pas que vous êtes a portée d’acquérirnbsp;une nouvelle gloire? Deux géants terribles qui senbsp;sont rendus les tyrans de ce beau pays, retien-nent dans les fers uu grand nombre de chevaliersnbsp;chréliens; je venais seul pour les combattre; maisnbsp;vous rendez la partie plus égale, et nous agironsnbsp;de concert pour les attaquer.

— Ma foi, seigneur Norandel, dit Gandalin on riant, vous arrivez trop tardl 11 est difficile de pré-céder Amadis ou sou fils, dans les occasions d’ac-quérir de la gloire ; les deux géants sont tombés

Série. — 3


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34 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

sous les coups d’Esplandian, et c’est è lui que nous devons notre délivrance...

Norandel, plein de surprise et d’admiraüon, dit è son neveu que, n’ayant plus rien a faire pournbsp;la délivrance de Lisvart et des chevaliers chrétiens,nbsp;ce qu’il désirait Ie plus était de Ie suivre. Ils re-prirent done ensemble Ie chemin de la mer, etnbsp;montèrent dans la Grande-Serpente qui déployanbsp;ses ailes dès qu’elle les eut regus dans ses flancs.

Cette navigation futheureuse et rapide comme les précédentes, et la Serpente s’arrêtant dans Ienbsp;port de 1’ile oü l’affreux Endriague avait succombénbsp;sous les coups d’Amadis, Gandalin conduisit Es-plandian au superbe monument que l’empereurnbsp;de Grèce avait fait élevor en mémoire de cettenbsp;victoire.

Après avoir admiré la valeur et la force d’Araa-dis, et visité cette ile célèbre, ils se rembarquè-rent. Le second jour, sur l’heurc de midi, la Grande-Serpente s’arrêta d’elle-méme une demi-lieue d’une ville immense qui s’étendait en formenbsp;de croissant sur le bord de la mer et que maltrenbsp;Hélisabel reconnut aussitót pour être la capitalonbsp;de rOrient.

GHAPITRE XXIX

Comment Esplandian, au moment d'aborder 4 Constantinople , fut forcé de s’en éloigner et de retourner è la Mon-lagne Défcndüe oü 11 vainquil l’armée qui l'assiégeait; el comment, après cela, il résolut d’aller en Turquie.

Une fois cette distance de Constantinople, la Grande-Serpente refusa d’avancer plus prés et senbsp;tint immobile sur les flots.

Esplandian, qui avait hate d’arriver, commen-gait a s’irnpatienter de cette immobilité. Au moment oü il nianifestait le plus hautement son impatience, la Grande-Serpente se mit ü relever la tète, a lancer des torrents de feu et k pousser d’é-clatants ru^issements. La mer devint orageuse;nbsp;les flots, sélevant et s’entrechoquant avec violence, blanchissaient d’écume, et ne laissant nulnbsp;moyen d’aventurer un esquif pour s’approcher denbsp;la cóte.

On fut d’abord trés effrayé dp ce spectacle dans Constantinople, et la consternation commengaitnbsp;même ü se répandre dans la cour de l’enipereur,nbsp;lorsque Gastilles, son neveu, le rassura. Mais, ennbsp;même temps, quel trouble ne jeta-t-il pas dans lenbsp;coeur de Léonorine, lorsqu’elle l’entendit dire ênbsp;l’empereur que la Grande-Serpente était le vais-seau qu’Urgande avait fabriqué pour Esplandian,nbsp;et qubl ne doutait plus que ce chevalier n’y futnbsp;alors!...

L’empereur et toute sa cour étant accourus sur le rivage, ils furent témoins des efforts que ceuxnbsp;qui montaient la Sorpeate faisaient en vain avecnbsp;de longues rames pour la faire approeber du port.

Gastilles ossaya vaineraent de s’en approcher dans un esquif. La mer s’éleva plus haut encorenbsp;qu’elle n’avait fait jusqu’alors , et les vagues irri-tées repoussèrent la nauf de Gastilles jusque surnbsp;le rivage.

Léonorine, no pouvant croire qu’uno puissance empêchat la Grande-Serpente d’aborder, s’indi-gnait de ce long retard, et même elle avait l’injus-tice d’en accuser Esplandian qui se désespéraitnbsp;sur le tillac du vaisseau, et qui se fut précipiténbsp;dans la mer malgré la tempête, pour aborder aunbsp;rivage, si Gandalin ne l’eüt retenu. Leurdésespoirnbsp;ü tons deux fut extréme, lorsque la Grande-Serpente, redoublant ses feux et ses mugisseraeiits,nbsp;étendit ses grandes ailes, et, partant avec la rapi-dité de la foudre, passa le Bosphore, et disparutnbsp;aux regards de l'empereur et tie la triste Léono-norineT...

Norandel et Gandalin curent bien de la peine k calmer Esplandian, en lui représentant que la sagenbsp;Urgande l’aimait trop pour l’avoir éloigné sansnbsp;motif de Constantinople. Esplandian ne se calmanbsp;un peu que le second jour de cette navigation Ibr-cenée, en reconnaissant l’ile de la Montague Dé-fendue, et la flotte de Frandalo mouillée k l’abrinbsp;d’un promontoire, et prêtc ü altaquer celle d’Ar-mato, lorsqu’elle s’approcberait de l’ile pour lenbsp;débarquement.

Frandalo commengait ü se mettre en défense k l’approche du raonstrueux vaisseau qu’il croyaitnbsp;venir pour le submerger, lorsque le roi de Dacenbsp;et Maneli le rassurèrent, en reconnaissant avecnbsp;joie leur compagnon Esplandian. Tons trois alors,nbsp;s’erabarquant dans un esquif, nagèrent vers lanbsp;Grande-Serpente qui cessa de jeter des feux et denbsp;mugir, et qu’ils abordèrent avec facilité.

La joie d’Esplandian fut bien vive en revoyant ses compagnons; elle redoubla lorsque, parle récitnbsp;qu’ils lui firent de leurs aventures, il apprit qu’ilsnbsp;avaient délivré Garmelle. Sou premier soin fut denbsp;l’envoyer chercher ; et, pendant le temps employénbsp;pour les deux trajets, Esplandian fit connaissancenbsp;avec Frandalo, et lui tint les propos les plus hono-rables et les plus flatteurs.

Garmelle regut avec transport l’ordre d’aller trouver Esplandian; il n’est aucun sentiment douloureux qui puisse troubler le premier moment denbsp;revoir co que l’on aimel Esplandian tendit la mainnbsp;è Garmelle pour 1’aider amp; monter sur le vaisseau, unbsp;lui serra la sienne, il l’embrassa tendrement; niaisnbsp;les premiers mots qu’il lui dit, furent pour lui de--mander comment 1 empereur et Léonorine avaiemnbsp;regu son message. Garmelle l’assura que tous ini’nbsp;deux le désiraient vivement dans leur cour.

— Je ne peux vous cacher, ajouta-t-elle en pirant, que la princcssc Léonorine se plaint de cnbsp;que vous avez été si longtemps sans e^écuteinbsp;ordres d'Amadis; mais j’ai lu dans sesyeux, coinnnbsp;je lis faciieraent dans mon coeur, qu il vous senbsp;bien facile de faire votre paix avec elle...

Leur conversation fut interrompue ment par le retour d’uné frégatc quenbsp;nbsp;nbsp;nbsp;qo

sait tenir en avant pour lui donner des nouv la flotte eunemie. Le commandant de cette gnbsp;leur rapporta qu’une division considerable de een


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LES PRINCES DE L’AMOUR.

flotte s’était détachée, et faisait voile vers les cótes orieutales, pour aller recevoir des troupes et dosnbsp;vivres, et qu’il paraissait régner assez peu d’ordrenbsp;et de precautions dans Ie reste de la flotte, pournbsp;qu’il fut aisé de la détruire, en attendant la première pointe du jour pour la surprendre et l’atta-quer.

Esplandian et Frandalo suivirent eet avis, et l’orient coinrnengait a peine a se colorer, qu’ilsnbsp;sortirent de Taiise qu’un long promontoire cou-vrait. La Graude-Serpente, prenant d’elle-mêmenbsp;la tête du vaisseau de Frandalo, les rugisseinentsnbsp;et les feux qu’elle lanqait portèrent une telle épou-vanto dans la flotte turque, qu’elle fut entièrementnbsp;défaite, sans presque avoir fait de resistance.

Esplandian et Frandalo descerrelirent dans l’ile de la Montagne Défendue avec leurs compagnons,nbsp;en forgant un des quartiers de l’armée qui l’assié-geait. Ainbor et Talanque, qui depuis un moisnbsp;avaient résistè courageusement a toutes les attaques, rendirent compte de leurs manoeuvres, etnbsp;conduisirent Esplandian sur une tour, pour lui fairenbsp;voir la disposition des lignes dans lesquelles Ar-mato s’était posté pour envelopper la forteresse, etnbsp;diriger plusieurs attaques différenles.

Les resolutions les plus fortes et les plus coura-geuses sont toujours les premières qui se présen-tent au véritable heroïsme. Esplandian, ses compagnons et Norandel éprouvèrent une indignation secrète a se savoir entourés par une armée d’inli-dèles, et è rester enfermés entre des murailles ennbsp;leur presence. Ce fut après avoir bien observé lesnbsp;dispositions du camp d’Armaio, et surtout Ie quar-lier de ce.soudan, qu’ils rcconnurent a la hauteurnbsp;des pavilions surmontés d’un croissant; ce fut,nbsp;dis-je, après s’être concertes ensemble, qu’ils réso-lurent de faire une sortie dès la nuit suivante, etnbsp;d’aller altaquer Armato jusque dans son camp.

Getto sortie, faite avec autant de prudence quo de courage, réussitparfaitement. Des flots de sangnbsp;inondèrent bientót Ie camp des Tures. Lc vaillaiit'nbsp;Esplandian et Frandalo, pènétrant jusqu’aux tentesnbsp;d Armato, ce fut en vain que ce soudan voulut ró-sister : Esplandian Ie saisit entre ses bras nerveux;

1’enlevant tandis que ses compagnons assuraient sa retraite, it Ie porta jusqu’h la poternc de la cita-delle oü Gandalin Ie regut de ses mains, et Ie pritnbsp;sous sa garde. Puis Ie hls d’Amadis retournanbsp;Pi'oraptemcnt pour achever la défaite des Tures,nbsp;Gpouvantés par la prise de leur soudan : elle futnbsp;ontière; des richesses immenses qu’ils laissèrentnbsp;oans leur camp, furent la proie des habitants dontnbsp;a valeur avait secondé les premiers elforts d’Am-^Or et de Talanque.

Le jour ayant éelairé la fuitc des troupes d’Ar-mato, dont le plus petit nornbre se sauva sur quel-ques vaisseaux qui leur restaient, Armato ne put ^Pprendre sans indignation que Frandalo, qu’ilnbsp;avait protégé longtemps, était au nornbre de sesnbsp;nnerais. Ses chalnes ne purent rien diminuer denbsp;a tierté et de ses menaces ; ellcs irritèrent Esplan-nmtnbsp;nbsp;nbsp;nbsp;prendre larésolution de

d’ali ^unes au emur des Etals d’Arraato, et ^.P'aofer le signe révérédes chréliens sur le

l’èiLÜ*^ a gi'ande mosquée oü l’on voyait flotier ondard de Mahomet.

L’exécution de ce grand projet lui devint encore plus facile par l’arrivéc de Gastilles, neveu de l’em-pereur.

GHAPITRE XXX

Comment le rol Lievart, se senlant vieux, résolut de meUre sa couronne sur la töte d’Amadis.

omme ces divers événemenls s’ac-complissaient, un autre événement, non moiiis important, se préparait a la cour de la Grande-Bretagne,

Un grand nornbre de chevaliers avaient déserté cette cour pournbsp;aller seconrir Esplandian dans sonnbsp;eiilreprise contre Armato, dont ilsnbsp;avaient eu des nouvelles. Cette déser-tion, qui formaitainsi de grands vides,nbsp;atlristait de jour en jour le vieux roinbsp;Lisvart, bien qu’clle fiit extremementnbsp;honorable.

Ge prince se sentait plus isolé que .jamais. Puis lage venait, et, avec 1’age, le besoin de repos.

II commengait done k devenir chagrin et mélan-colique. 11 n’avait plus aucun goüt pour aucun plaisir, soit de chasso, soit de fauconnerie, soitnbsp;d’armes ou de chevaux.

Dans la crainte de la mort, il prit en telle horreur les eboses passces, présentes et futures, values et transitoires, qu’il lui arriva fantaisie do se démettro du gouvernement de son royaume et denbsp;passer le reste de sa vie dans la solitude et la religion, en méditant sur les grands perils auxquvlsnbsp;il avait pu échapper et surtout a sa dernière et en-nuycusc prison.

Toutefois il dissimula pendant quelques jours sa resolution, jusqu’a ce qu’une nuit, étant cou-ché avec la reine et dovisant avec elle de la mobi-lité de la fortune, il lui découvrit entièrement sanbsp;volonté. 11 délibéra de faire couronner son filsnbsp;Amadis roi et gouverneur cle son peuple, afin denbsp;poiivoir se retirer ensuite plus librement en sonnbsp;chateau de Mirofleur oü, avec l’aide de Notre Seigneur, il gagnerait lc paradis.

La reine, qui était une des plus sages et des plus doctes femmes de son temps, le confnma si biennbsp;dans son oigt;inion, qu’ils resolurent ensemble denbsp;retourner è Londres pour inettre leur désir ü exé-cution.

En effet, lc jour suivant, ils partirent de Mire-fleur, accoinpagnés d’Amadis, de Grasandor et d’autres. llsarrivèrenten la ville, oUj après quel-que séjour, la reine inanda tous ses hauts barons.

Aussitót arrivés, elle lit dresser au lieu le plus éminent do Londres, un haut tribunal au devant


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duquel s’assembla tout Ie peuple. Le roi et la reine, assis chacun sur un tróne séparé, étaient vêtus denbsp;leurs habits royauK. Amadis se tenait un peu plusnbsp;bas ^ clroite, et Oriane [i gauche.

Le héraut cria : « Silence! » par trois fois; puis le roi, avec une grande fermeté, adressa en cesnbsp;termes la parole a son peuple ;

« Bons vassaux et amis, je veux être le premier cl vous faire entendre pourquoi j’ai voulu vousnbsp;mander ici. Je vais vous rappeler une partie desnbsp;fortunes et dangers oü j’ai dü me trouver depuisnbsp;la mort de mon frère, le feu roi deFalangris, alorsnbsp;qu’il plut a Notre Seigneur de me nommer au gouvernement de vous et de ce royaume.

« II y a encore beaucoup d’entre vous qui pour-raient se souvenir du danger oü moi et mes sujets faillimes tomber, quand, par le moyen et la subti-lité d’Arcalaüs l’enchanteur, je fus mis au pou-voir de ceux qui, longtemps auparavant, avaientnbsp;conspire ma mort, dont mon fils Amadis me déli-vra. Néanmoins, guidé par de raauvais conseüs,nbsp;je soutins centre lui forte et dure guerre, laquellenbsp;ayant été apaisée comrae chacun sait, fut tou-jours, la fortune, ennemie de mon repos. Sansnbsp;le secours d’Amadis, je devenais prisonnier du roinbsp;Aravigne, et j’étais perdu pour jamais.

« Ce qui m’a encore le plus étonné, c’est qu’ü l’heure oü je m’estimais certainement hors de tousnbsp;ces malheurs, un autre, pire que les autres, m’estnbsp;adveuu, lequel, vu le lieu oü je fus conduit, devaitnbsp;être la consommation de mes ennuis et de ma vienbsp;ensemble.

« Toutefois, Notre Seigneur, me regardant en pitié, adressa mon petit-fils Esplandian en ma tristenbsp;prison, d’oü il m’a délivré, ainsi que vous tous ennbsp;avez pu être avertis.

« Vous me voyez aujourd’hui vieux et blanchi par l’age, ayant déja atteint ma soixante-dixièmenbsp;année; ce qui m’avertit qu’il est désormais saisonnbsp;que j’oublie les choses du monde pour retourner ünbsp;Dien qui m’a si souvent protégé.

« Aussi j’ai résolu de vous laisser désormais pour votre roi, mon fils Amadis, auqnel dés a présentnbsp;je donne ma couronne, mon sceptre et le droit quenbsp;j’ai en ce royaume, vous priaiit tous, autant qu’ilnbsp;m’est possible, de lui être dévoués et obéissantsnbsp;comme vous l’avez été envers moi.

« Bien qu’il soit l’épouse de ma fille, si je le croyais indigne de vous, croyez, mes amis, quenbsp;j’aurais choisi, pour me succéder, un autre quinbsp;m’eüt été moins que lui. Mais il n’est personnenbsp;d’entre vous qui ignore ses mérites, et la lignéenbsp;dont il est descendu, qui peut se nommer aujourd’hui l’une des plus nobles et heureuses de tout lenbsp;monde, car il descend des Troyens dont la mé-moire ne périra jamais. II est fils do roi, héritiernbsp;du royaume de Caule, et, ü présent, votre princenbsp;et seigneur.

.« Je vous le laisse avec ma fille, votre reine et princesse légitime. Je ne retiens pour moi que lenbsp;chêteau de Mirefleur, o-ü, Dieu aidant, sculs, lanbsp;reine et moi, finirons nos jours religieusement,nbsp;servant Notre Seigneur comme nous sommes tenusnbsp;de le servir... »

Ainsi paria le vieux roi Lisvart.

Alors il fitvenir ü lui Amadis, et, lui donnarit son manteau royal, il l’en revêtit aussitót. Autant ennbsp;fit la reine a Oriane.

Pendant cette cérémonie, le silence était si grand, qu’on n’entendait sur la place autre chosenbsp;que les pleurs et les soupirs du peuple ému denbsp;pitié et de compassion devant la résolution de leurnbsp;bon prince, qui, couvert d’un simple vêtement denbsp;drap noir, prit son fils, la reine sa fille, et les as-sirent chacun sur leur chaise royale. Puis, ennbsp;la presence de tous, leur mirent a chacun la couronne sur la tête, les faisant proclaraer par les hé-rauts, roi et reine de la Grande-Bretagne.

Get acte une fois accompli, tout le monde se re-tira, les uns pleurant, les autres plus aises en vue des faveurs qu’ils espéraient de ce nouveaunbsp;roi, qui dés ce jour commenga ü gouverner sounbsp;royaume avec tant de prudence, que jamais princenbsp;ne fut plus aimé ni mieux obéi.

Qu’il vous sufflse de savoir que, peu de jours après, le roi Lisvart se retira a Mirefleur, commenbsp;il l’avait résolu, accompagné seulement de la reinenbsp;et de Grumedan.

Ils y vécurent austèrement, assistant a tous les offices comme le dernier des pères qui étaient éta-blis lü pour administrer les religieuses du monas-tère de la dévote abbesse Adalasta,

GIIAPITRE XXXI

Comment le nouveau roi de la Grande-Breliigne, Amadis, ayant eu vent de l’entreprise de son lilsnbsp;Esplandian, résolut d’aller sa rescousse.

land Ie nouveau roi Ama-Jis se vit ü même de récom-penser ceux dont il avait regu quelques services ounbsp;plaisirs pendant ses jeunesnbsp;années, il voulut commencer ses largesses par Arban de Norgales, auquelnbsp;il fit présent d’une des plus belles ilesnbsp;de son royaume; il donna a GanJalesnbsp;des terros du duché deBristoie; ü Gan-dalin absent, de celles d’Arcalaüs l’en-chanteur. II nomma Angriote d’Ëstra-vaux, son grand écuyer; Guillan-le-Pensif son grand-maitre; Ardan, lenbsp;nain, son premier tranchant, et murianbsp;hautcuient la demoiselle de Danemark.

Or, peu après, la reine donna le jour üun trés beau fils et a une plus belle fille, qu’elle eut tousnbsp;deux d’une même couche; le Ills fut nommé Périonnbsp;et la fille Brisène.

Ges naissances causèrent une grande joie dans tout le royaume et spécialement ü Londres, oü ar-riva le jour même l’un des écuyers do Norandel,nbsp;qui raconta au roi Amadis comment son maitre etnbsp;Esplandian s’étaient rencontrés k Almaignes, oü le


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Glles

. —, avec sa flotle, ])arlirail Ie soir mème, co-yant Ie pays et se cachant Ie plus qu’il lui serait *nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;afin de suvprendre Ie port; qu’ils mar-

ocraient de leur cóté pendant toute la nuit, de orte qu’ils pourraient, en une meme heure, as-•^ger la ville par mor et par terre, et y pénélrernbsp;'ift que les Tures en fusseid. avertis.

^irent iramédiatemenl a exéculion Ic plan P* ds venaient d’arrétcr.

fcignant dc vouloir rctournor a Goii-coni *'*^*^1 f’¦ nbsp;nbsp;nbsp;a la nuit tornbante. Or,

tót ’ fi'isait clair de luim, il commauda aussi-everles ancres et de faire voile. Aprés avoir

jour précédent Esplandian avait mis a mort deux géants et tiré de prison Gandalin avec plusieursnbsp;autres chevaliers, ecuyers, dames et demoiselles.

— Sais-tu, dit Ie roi, quel chemin ils ont pris depuis ?

— Sire, répondit l’écuyer, ils paraissaient aller a la Montagne Défendue, secourir ceux du dedans,nbsp;qui sont en trés grande nécessité.

Ge qu’ayant entendu, Ie roi manda incontinent les pilotes qu’il put trouver, fit fréter et armer ennbsp;toute hate Ie plus grand navire dont il disposaitnbsp;pour faire voile du cóté du Levant, vers son filsnbsp;qui, pendant ce temps, conseilló par Frandalo,nbsp;partit du chateau de Matroco, avccFarmée de l’em-pereur de Constantinople, pour entrer enTurquie,nbsp;ainsi qu’il sera présentement déclaré.

CHAPITRE XXXII

Comment Esplandian et ceux de sa compagnie résoluvent de prendre d'assaut la ville d’Alfarin en Turquie, et commentnbsp;Frandalo iil prisonnière la belle Hdliaxc, femme du roinbsp;Alforax.

Peu de temps après que le siege de la Montagne Défendue fut levé et que Gastilles fut arrivé aunbsp;port, selon qu’il a été dit, Frandalo fut avertinbsp;par Belleris son neveu, qui revenait de la Turquienbsp;pour épier Ie pays, qu’Alforax était sorti d’Alfarin.

Alforax était fils du roi Armato et gouverneur de la grande ville de Tésifante. Ayant appris I’cm-prisonnement de son père et la défaite de l’arméenbsp;turque, il était sorti d’Alfarin, oü il avait laissé lanbsp;belle Héliaxe sa femme, lille du roi Amphirio dcnbsp;Méde, pour aller en toute diligence rétablir l’ordrenbsp;^ans son royaume, et rassembler ses geus, afin denbsp;résister aux entreprises des chrétiens, s’ils pas-®aient outre. Ge qui, ayant été entendu par Es-Pl'indian, Gastilles, Ambor, Maneli et Ic roi denbsp;Dace, ils dclibérèrent d’entrer dans Ie pays.

Frandalo les y persuadait par dc nomhreuses et f^oniies raisons, en leur mettant devant les yeuxnbsp;les moyens qu’ils avaient d’assiéger Alfarin,nbsp;n’était quA deux petites journées de la, matnbsp;Pourvue de vivres et sans nullc garnison.

pourquoi il fut arrêté entre eux que Gas-vogue pendant quelque temps, il manda ses prin-cipaux officiers et leur découvrit son entreprise-Ils retournèrent aussitót, et, poussés par Ie vent de ponant, ils parcoururent la route délibérée.

De son cóté, Frandalo ne dormait pas, car aussitót qu’il avisa Ie moment favorable, il averfitnbsp;tons les soldats de sa place, qu’il voulait marchernbsp;toute la nuit; ils sortirent en campagne, portantnbsp;chacun pour quatre jours de vivres.

Ils cheminèrent tant, qu’au point du jour ils vinrent en une grande forêt, oü ils se tinrent ca-chés jusqu’üla nuit tornbante. Ils en sortirent alors,nbsp;et vers les trois heures, ils se trouvèrent sur unenbsp;route fourchée, oü Frandalo les fit tous arrêter.nbsp;Puis, appelant Esplandian, il lui dit:

— nbsp;nbsp;nbsp;Chevalier, je suis d’avis que vous et raoi, sansnbsp;autre compagnie,prenionsé gauche, et queBelIeris,nbsp;mon neveu, conduise Ie reste de cette troupe jus-qu’ü la montagne de Garebreh, d’oü ils pourrontnbsp;voir aisément si notre arraée de mer est prés d’Alfarin OU non. Puis, selon qïils trouveront 1’entre-prise disposée, ils assiégeront fortement la placenbsp;qu ils demeureront cachés jusqu’a ce que l’occa-sion les appelle ; vous et moi suivrons cette route ,nbsp;qui nous guidera a la Fontaine Avenlureuse, quinbsp;touche au grand chemin de Tésifante, oü survien-nent d’ordinaire d’étranges aventures. Si la fortune voulait que nous rencontrassions la princessenbsp;Héliaxe, quidevait partir hier, comme j’ai su, pournbsp;aller trouver son marl, nous ne perdrions pas notrenbsp;peine.

— nbsp;nbsp;nbsp;Allons, répondit Esplandian.

Ainsi se séparèrent Belleris avec sa bande et Frandalo, Esplandian , Sergil et la demoiselle denbsp;Danemark d’un autre cóté, qui arrivèrent au pointnbsp;du jour ü la Fontaine Aventureuse, oü s’élevaientnbsp;quatre grands perrons de cuivre doré, et sur chacun une table d’attente avec écriteaux, tels qu’ilnbsp;sera déclaré, ainsi que l’occasion pourquoi on les ynbsp;avait attachés.

Les deux chevaliers virent d’assez loin une clarté provenant d’un pavilion do sole tendu sur Ie bordnbsp;de l’eau. Ils s’en approchèrent Ie plus discrètementnbsp;possible, ct virent une tres belle demoiselle pei-gnant sa chevelurc, ct, un peu a cóté, vingt chevaliers armés de toutes pièces faisant Ie guet. Aunbsp;milieu d’cux était un écuyer tenant un palefroinbsp;houssé et enharnachè cVun drap d’or.

Frandalo et Esplandian, a peine arrivés, fureiri dceouverts par la garde. Toutefois, pensant quenbsp;I’emhuscado était plus forte, la meilleure partienbsp;d’entre eux perdirent courage et coramencérent denbsp;fuir eu déroute.

Ge que voyant les deux chevaliers, ils cntrèront pêle-mèle el en lerrassèrent quatre ou ciuq ü leurnbsp;arrivée, contraignant les derniers è tourner visage.

Alors commencaun combat sanglant etmerveil-Icux, car ceu);,qui avaient d’abord pris la fuite, voyant par derrière quo deux chevaliers seulementnbsp;leur donnaient ralarme, en curent tant de hontenbsp;qu’ils revinrent au sccours de leurs compagnons.nbsp;Et toutefois, sans refTort dc Irois géants qui fai-saient epaule aux autres, ils ciissent été vaincusnbsp;par Esplandian et Frandalo; mais ces trois géantsnbsp;combattoient si brusquement, que les deux cheva-


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38 BIBLIOTUEQUE BLEUE.

liers se trouvèrent flans un danger plus que jamais imminent.

Tel on voit d’ordinaire Ie sanglier poursuivi s’a-dosscr coutre quelque arbre, et k coups de dé-fenses rompre les jacquets et déchirer les plus hardis lévriers et autres chiens qui l’assaillent;nbsp;tels étaient Frandalo et Esplandian au milieu denbsp;ceux qu’ils avaient attaqués, frappant droite etnbsp;è gauche avec une telle rage, qu’en un instant lesnbsp;deux principaux de leurs ennemis furent désar-Connés et mis amp; mort, en sorte qu’il ne demeuranbsp;au combat qu’un soul géant, auquels’attacha Frandalo, tandis que son compagnon poursuivait lesnbsp;autres qui se prirent è fuir raieux qu’auparavant.

Le géant auquel s’était attaché Frandalo eut alors crainte de mourir, et se tirant de cólé, il ditnbsp;è son ennemi :

— Damp chevalier, vous et moi avons été compagnons en plusieurs hautes entreprises, je vous prié me faire la courtoisie de me prendre amp; merci,nbsp;autrement vous en pourriez être blamé parmi ceuxnbsp;qui vous connaissent : car je suis votre cousinnbsp;Foron.

Bien ébahi fut Frandalo en l’entendant parler ainsi, et ci peine le pouvait-il croire quand il le prianbsp;d’óter son heaumc.

— S’il est vrai, répondit-il, que tu sois Foron, je te traiterai en ami et en parent.

A ces mots le géant se désarma de la léte, et Frandalo l’ayant reconnu le vint cmbrasser, cenbsp;dont s’étonnait grandement Esplandian, qui n’a-vait point entendu leurs propos precedents. G’cstnbsp;pourquoi il s’approcha deux et s’enquit d’oü pro-cédait tant d'amitié,

Frandalo lui raconta tout, le priant qu’il voulüt bien, lui aussi, le prendre ii merci, ce qu’Esplan-dian lui accorda volontiers.

Lors, ils retournèrent tous trois ensemble au pavilion dcvant lequel ils trouvèrent la demoisellenbsp;devisant avec Carmelle, et aussi peu ernue de lanbsp;défaite de ses gens que si cllc les eüt vu tour-noyer è plaisir.

Cette demoiselle était parée d’un accoutrement tout couvert de profilure damasquinéc, de perlcsnbsp;etpierreries. Frandalo la rcconnut pour celle qu'ilnbsp;avait vue souvent, le jour entre autres de son manage avec Alforax, oü il tournoya et fit do sinbsp;grands fails d’armes quelle le retint pour sonnbsp;chevalier. G’est pourquoi il mit pied è terre etnbsp;otant son lieaume de la tète, il la salua humble-rnent.

Deson cote Héliaxe, étonnée de voir celui qu’ellö avait estimé tout autre se comporter ainsi avec sanbsp;garde, lui dit:

— Comment, Frandalo, est-ce lè le service quo je devais attendre de mon chevalier ? II est mal-heureux d’avoi-ti soi de tels serviteurs, puisqu’unenbsp;si grande löcheté, centre celle qui jusqu’è présentnbsp;vous a tenu pour un des plus galants guerriersnbsp;quijamaisceignirentl’épée,a puserendremailressonbsp;de votre cqeur. Maisaujourd’hui je metrouvebiennbsp;degue, car j’eusse cru tout autre que vous capablenbsp;cie ce lait, dont je ne puis trop raetonner...

—t Madame, repomlit Frandalo, depuis que je lïlG clonnlt;ii a vous üu dcruicr loumoi, uii uuLrc plusnbsp;grand seigneur m’a retenu i son service. Je le ser-virai toute ma vie, car il m’a fait beaucoup denbsp;bien. Assurément, si vous le connaissiez commenbsp;moi, vous m’estimeriez heureux et non laclie etnbsp;inéchant, comme il vous plait de le faire.

— nbsp;nbsp;nbsp;Et quel cst-il, sur votre foi?

— nbsp;nbsp;nbsp;G’est Jésus-Ghrist, répondit Frandalo, et,nbsp;toutefois, il n’est pas d’lionneur et de service quenbsp;je n’essaie vous rendre, dès a présent, pourvunbsp;que mon compagnon y consente, car sans lui je nenbsp;puis rien.

— Seigneur Frandalo, dit Esplandian, vous avez puissance de me commander, et moi grandnbsp;vouloir de vous obéir. Dar ainsi, ne différez pas denbsp;faire toute la courtoisie qu’il vous plaira h cetlcnbsp;dame, si vous en avez envie.

Dien humblement le remercia Frandalo et dit è Héliaxe.

— nbsp;nbsp;nbsp;Madame, puisqu’il lui plait, je vous supplienbsp;de mettre désormais vos affaires entre mes mains,nbsp;je veillerai pour vous. Montez sur votre palefroi,nbsp;afin que je vous conduise en lieu oü vous pourreznbsp;voir de plus beaux tournois que ceux qui furentnbsp;entrepris le jour de vos noccs... Puis, s’il plait iinbsp;Dieu de guider notre entreprise è bonne fin, vousnbsp;connaitrez en quelle estimc et souvenance j’ai encore les faveurs que vous m’avez accordées, lorsquenbsp;vous étiez dame puissante pour commander, et moinbsp;encore simple chevalier; car jamais princesse nenbsp;fut plus honorée parmi les siens que yous le sereznbsp;an milieu do ceux veps qui je vous guiderai, ce quinbsp;pourra servir d’exemple aux rois et seigneurs aux-quels Dieu a donné autorité et puissance. Avertisnbsp;du noble et loyal accueil qui vous sera fait, ilsnbsp;mettront leur bonheur dorénavant ü trailer les pe-tits comme les grands, considérant le pen donbsp;stabilité de la fortune, par 1’exemple quo vous leurnbsp;offrez aujourd’hui.

— Frandalo, répondit-elle , faites-moi aulant d’excuses et de promesses que vous voudrez, maisnbsp;vous ne pourrez vous empêcher d’avouer que vousnbsp;m’avez fait tort. Toutefois, en faisant ce dont vousnbsp;vous vantoz, votre réputation augmentera dans lenbsp;monde, d’autant que votre foi est alfaiblie envoi’snbsp;nos dieux. Maintenant, allons oil il vous plaira...

Alors elle monta sur son palefroi. Frandalo, tele nue, la conduisit par les rones, jusqu’ü ce qu’ilsnbsp;fijssent prés de lavilled’Alfarin, oüils entendirentnbsp;une grande rumour qui fit penser aux chevaliers,nbsp;oil que leur entreprise était découverle, ou biennbsp;que leurs gens donnaient I’assaut ii la ville.

Graignant qii’ils n’eussent été repousses, ijs commencèrent ü se repentir du long séjour qu’ilsnbsp;avaient fait auprès de I’infanle, è laquelle Frandalonbsp;dit gracieusement :

— Madame, ne vous plait-il pas, tandis que nion compagnon et moi ferons un tour cn la ville, denbsp;nous aitendre ici avec cette demoiselle et nionnbsp;cousin Foron.

— Oui vraiment, répondit Héliaxe, et je n en parlirai pas avant d’avoir eu de vos nouvclles.


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LES PRINCES DE L’AMOUR. 39

LES PRINCES DE L’AMOUR. 39

u* .d eux n’osait en vcnir au combat de la main ;

. siquelqu’un s’avauQaitpour montrer saprouesse, jj^^*'*^‘^evait la mort ou était renversé du haul en

Sur ces enlrefaites, Norandel et ses compagnons, donnbsp;nbsp;nbsp;nbsp;Esplandian et Frandalo dans cc

P^f tous les moyens possibles, Mai«nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;^nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;rompre les portes.

daionf en vain; ceux du dedans les defence nsdo'^w nbsp;nbsp;nbsp;bouillantc, büches et tron-

blés Pt vc *'‘^^*emont que plusieurs fiireiit acca-s et y tinirent piteusement leurs jours.

GUAPITRE XXXIII

Comment Frandalo et Esplandian, après avoir fait prisonniöre la princesse Ildliaxe, se jetèrent en plcine mêlée au se-cours de leurs compagnons; et comment la ville d’Alfarinnbsp;('ut enfin conquise.

randalo et Esplandian, quittant Héliaxe, partirent a bride abat-tue et vinrent oü leurs gens com-battaient ceux d’Alfarin. Parminbsp;euxélaient ïalanque, Amber, Ienbsp;rei deDace.Gandalin etLasinde,nbsp;qui avaient dressé une forte es-carmouche,pensantamuserceuxnbsp;de la ville, tandis que l’artnée denbsp;mer assaillaitleport; mais ils furent décou-verts trop tót, tt tel point qu’ils trouvèrentnbsp;unc forte resistance de part et d’autre.

De leur cólé, Norandel et Belleris avaient gagné les barrières, et repousse les ennemisnbsp;jusqu’aux fosses. Ce que voyant Esplandiannbsp;_ et Frandalo, ilsniirentpied nerre, et, cou-’ verts de leurs écus, tenant leurs épées aunbsp;poing, ils Iraversèrent la foule.

La tuerie fut grande , car les Alfarins, pour dé-fcndre leur lerre, sortirent a la file, et les chré-tiens, pour la conquérir, faisaient choses admi-rables.

Mals Ie lieu était si peu spacieux qu’ils ne pou-vaient attaquer leurs ennemis comme s’ils eussent ótó en pleine campagne. De telle sorte qu’Esplan-dian et Frandalo, voulant vaincre ou mourir, etnbsp;poursuivant les Alfarins en la ville, ils se trouvè-cent eux deux souls enfermès au milieu de leursnbsp;6nnemis,et si avant que,sansFrandalo, Esplandian,nbsp;1'd ne laisait que tuer et abattre, était entouré denbsp;cótés, quand il Ie retira un peu du cóté dunbsp;Portail.

Les deux chevaliers connurent bien Ie danger danslequel ils étaient. G’estpourquoi, gagnant pe-“t a petit les degrés par lesquels on montait k lanbsp;Wuradle^ ils soutinrcnt maints durs assauts, sausnbsp;qu on püt leur nuire, bien qu’on leur lanpét sansnbsp;^Gsse lances, pierres, javelols et tout ce qui pou-

ait touiber entre les mains de leurs ennemis. Car

Pendant qu’ils combattaient ainsi de part et d’autre, survint lèi un chevalier armé de toutesnbsp;pièces venant du havre, qui s’écria tant qu’il put:

— nbsp;nbsp;nbsp;Courage, enfants, courage 1 Défendez bien cenbsp;quartierl Nos ennemis de mer n’oiit encore trouvénbsp;moyen de raettre un seul homme a terre, et il leurnbsp;en est déjti mort plus de deux cents.

— nbsp;nbsp;nbsp;Par nos dieuxl répondit l’un d’entre eux, jenbsp;n’en vois ici nul qui s’épargne, et nous ne pouvonsnbsp;pourtant nous rendre maitres de ces deux chevaliers.

— nbsp;nbsp;nbsp;Comment? dit l’autre.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ils sont entrés ici pêle-mêle, et il y a plus denbsp;deux heures que nous sommes après eux pour lesnbsp;vaincre. Mais eest folie, car Ie plus jeune combatnbsp;si brusquement que nous n’en osons approcher. Cenbsp;qui plus est, lui et son compagnon ont gagné mal-gré nous cette montée, ou ils tiennent fort et sinbsp;bien, que nous ne pouvons trouver moyen de lesnbsp;en chasser, encore quebeaucoup des nótresy aientnbsp;été tués OU blessés.

— Je suis d’avis, dit Ie chevalier, qu’on les prenne è merci, car ils sont peut-être tels, que,nbsp;pour les rendre Ji ceux du dehors, nous recouvre-rons Ie roi Armato, ct les ferons retourner.

A ce conseil, tous prêtèrent l’oreille, et s’avanga Ie chevalier qui avaient proposé eet avis, faisantnbsp;signe èi Esplandian qu’il voulait parlementer. L’as-saut fut suspendu quelque peu.

— Ecoutez, chevaliers, dit celui qui avait proposé de parlementer, vous voyez bien qu’il vous est impossible d’échapper, et serait dommage quanbsp;deux guerriers si preux mourussent si jeunes et anbsp;la fleur de leur age... Void ce que nous vous pro-posons: rendez-vous, et nous vous sauverons lanbsp;vie !...

— Damp chevalier, répondit Esplandian, si nous mourons a cette heure, nous en serons quittesnbsp;pour une autre fois... Nous avons Ie cceur si bon,nbsp;et telie conliance en Jésus-Cbrist, pour la foi du-quel nous combattons, qu’il nous donnera moyen,nbsp;non-seulement d’échapper a ce péril, mais encorenbsp;de saccager la ville et de vous emmener tous cap-tifs. Ainsi, prenez pour vous-mêmes ce conseil, etnbsp;rendez-vous los premiers avant que la fureur denbsp;Dieu vous y force plus aigrement...

Quand ceux qui étaient k l’entour entendirent ces paroles, depuis Ie petit jusqu’au grand, ils s’é-crièrent k haute voix :

— A mort Ie méchant!... Qu’il meure sans plus tarder!...

Alors ils les assaillirent si rudement, que les deux chevaliers furent contraints de se retirer aunbsp;plus haut des degrés. Mais, peu après, ils les rc-poussèreut è leur tour si vivement è coups denbsp;de pierres, dont ils trouvèrent quantité au portail,nbsp;que dès lors ils perdirent 1’envie de les tourmenter.

Aussitótque Norandel et ceux du dehors entendirent cette rumeur mêlée ft Ja voix de leurs compagnons, qu’ils croyaient d’abord morts ou pris, ils s’avisèrenl de meltre feu aux portes et de les brh-ler, tandis que les autres donnaient eet assaut.

Et de fait, cJiacun courut au bois, ce dont les Alfarins s’aperQurent. Toulefois, ils n’eurent pas


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BIBLIOTHEQUE BLEUE.

moyens de les en empêcher. Aussi Ie pont-levis, les herses, furent entièrement embrasés.

Ce spectacle leur affaiblit taut Ie coeur, que la plupart se mit en fuite vers Ie grand temple do Jupiter, qui était Ie principal fort de leur ville.

Les autres demeurèrent en ferme délibération de mourir plutót que de laisser pénétrer les en-nemis.

Ceux-ci, voyant la porte abattue, allèrent tant quérir d’eau, qu’ils purent, pen après, donner parnbsp;eet endroit un assaut qui dura jusqu’ci la fin dunbsp;jour. Et eneore ne seraient-ils point entrés dansnbsp;la ville, tant était grande la resistance, si les deuxnbsp;chevaliers qui étaient au haut du portail ne lesnbsp;eussent si fort ondommagés h coups de büches etnbsp;de cailloux, que nul d’eux n’osait quasi se montrer.

Parainsi, leschrétiens demeurèrent vainqueurs et maitres de la ville. Un grand nombre de peuple,nbsp;tant hommes que femmes, passèrent par Ie glaive,nbsp;et plus eneore fussent demeurés sur Ie champ denbsp;bataille sans les ténèbres de la nuit, même du cóténbsp;du port, oü Gastilles et ses gens étaient entrés aunbsp;milieu et au plus fort de la raêlée. Toutelois, cenbsp;dernier, craignant que les Alfarins ne se rallias-sent en la place, et qu’ils ne fussent repoussésnbsp;pendant l’obscurité, commanda de sonner la retraite, assure d’avoir la ville è sa discrétion aussi-tót que Ie jour paraitrait. G’est pourquoi il env'oyanbsp;incontinent vers l’armée de terre, afin que de leurnbsp;cóté ils en fissent autant.

Sur ces entrefaites, chacun se retira, mettant gros guet aux lieux les plus nécessaires.

GHAPITRE XXXIV

Comment, après 1’assaut d’Alfarin, Esplandian et Frandalo envoyèrent Gandalin et Lasinde vers la reine Héliaxe etnbsp;Ie géant Foron.

La ville ainsi conquise, comme vous avez en-lendu, et Ie peuple retiré au grand temple de Jupiter, Esplandian, ne voulant pas perdre la belle Héliaxe ni Ie géant Foron, que lui et Frandalonbsp;avaient laissés avec la demoiselle Garmelle, prianbsp;Gandalin et Lasinde de les aller quérir, et envoyanbsp;avec eux Sergil, son écuyer, pour les guider.

Ils parlirent done lous trois, et tant ils cheminè-rent, qu’ils trouvèrent Ie géant et la princesse au-tour d’un grand feu que Foron avait alluraé. Aiors ils mirent pied a terre, et, saluant Héliaxe, Gandalin lui dit :

— Madame, monseigneur Esplandian vous prie de venir oü il vous attend.

¦— Mes amis, répondit-elle, je ne sais qui est celui duquel vous me parlez. Bien est-il vrai quenbsp;j’ai été ainenée ici par deux chevaliers, Fun des-(lucls est Frandalo, que je connais de longtcmps;nbsp;quant a l’autrc, je ne Fai jamais vu, que je sache.

Madame, dit Garmelle, c’est Ie fils du bon

chevalier Amadis de Gaule, tant renommé par Ie monde.

— Vraiment? répondit Héliaxe. J’ai quelquefois ouï par Ier de lui.

—' Et aussi, comme je crois, dit Garmelle, de monseigneur Esplandian, son fils; car lui, sansnbsp;autre aide, s’est emparé de la Montague Défendue,nbsp;a pris dernièrement le roi Armato, votre beau-père. 11 passe, je puis vous Fassurer, pour Fun desnbsp;plus gracieux chevaliers que Fon sache 1...

— Je m’ébahis done, répondit-elle, comment il s’est monlré si mal appris h mon endroit. Il ne m’anbsp;pas dit une seule parole tant que j’ai été en sanbsp;compagnie... Il me semble toutefois qu’étant sanbsp;prisonnière, il- ne pouvait raoins faire envers moinbsp;que de me réconforler ou de promesses ou par denbsp;belles paroles, ce dont il s’est si mal acquitté, qu’ilnbsp;ne sera jour de raa vie que je ne m’en plaignenbsp;grandement...

— Madame, dit Garmelle, vous le prenez le plus mal du monde, car s’il a différé de vous parler, qanbsp;été seuleraent pour la connaissance que Frandalonbsp;vous montra... 11 est ami si particulier du chevalier, qu’il a bien voulu lui octroyer cet honneur.

— Vous en direz tout ce que vous voudrez, répondit Héliaxe; néanmoins, s’il n’a autre excuse que celle que vous dites, il ne perdra de sa vie lanbsp;réputation qu’il a acquise ü mon endroit.

— Madame, dit ü son tour Gandalin, je suis sür qu’il amendera cette faute tout ainsi que vous

voudrez..... Avisez, je vous prie, h ce qu’il vous

plait de faire, car il nous a commandé do vous obéir entièrement...

— Mes amis, répliqua Héliaxe, je dormirais vo-lontiers en attendant le jour, puis j’irai oü il vous plaira; mais, auparavant, je vous prie de me direnbsp;ce qu’était cette rumeur que j’eiitendais tout anbsp;l’heure vers la ville?

— nbsp;nbsp;nbsp;Madame, répondit Lasinde, elle a été prisenbsp;d’assaut il n’yapas eneore trois heures...

— Ah 1 dieux! dit-elle, quel malheur pour ce pauvre peuple 1 Je crois que tout a été mis ii mort.

— nbsp;nbsp;nbsp;Non pas, madame, répondit Lasinde; la plupart se .sont sauvés dans le temple de Jupiter... Semnbsp;lement, je crois qu’ils pourront s’y garantir Speinenbsp;demain, vu qu’on a parlé d’y mettre le feu...

— nbsp;nbsp;nbsp;S’il en est ainsi, dit Héliaxe, que Frandalonbsp;use de quelque moyen envers ses compagnons, etnbsp;que celui qui vous envoie vers moi soit assez hu-

main pour épargner ces malheureux..... J’ai espé-

rance qu’ils en prendront pitié et auront égard a Ia demande que je leur ferai, et, afin que ce nenbsp;soit- pas trop tard, délogeons de céaiis, je vousnbsp;prie, dès que nous y verrons assez clair pour nousnbsp;conduire.

Et, se couchant sur un manteau, Héliaxe passa cette nuit assez mal ü son aise.


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LES PRINCES DE L’AMOUR.

éliaxe, qui n’avait au-

c tant lui était dure la perlc d’Alfarin, proprenbsp;) apanage d’Altbrax, sonnbsp;mari, la contréela plusnbsp;plaisante et déli-cieuse de toute lanbsp;Turquie; Héliaxe,nbsp;voyant 1’aube dunbsp;jour ^apparaitre,nbsp;éveilia les deuxnbsp;chevaliers et leurnbsp;demanda si ellenbsp;pouvait arrivernbsp;avant la ruine dunbsp;temple.

CHAPITRE XXXV

Comment Gamlalin et Lasinde conduisirent l’infante Héliaxe ct Ie gdant Foron en la ville d'Alfarin, \ers Esplandian etnbsp;Frandalo, et de Fhonnêle et bon traiteraent que ces chevaliers lui firent.

Elle espérait que Ie peuple serait sauvé par les prières et humbles supplications qu’elle adresse-Fait pour lui, tant èi Esplandian qu’éi Frandalo.

Lors, ils montèrent tous amp; cheval et firent telle diligence, qu’ils entrèrent dans la ville au momentnbsp;oü chacun se meltait en équipage pour donnernbsp;Passant è la forteresse.

Frandalo aperqut Héliaxe d’assez loin; il piqua vers elle, et lui donna Ie bon jour; puis il prit sonnbsp;palefroi par les rênes, et, ayant la tête nue, il lanbsp;eonduisit oü étaient Esplandian et ses compagnons,

, Tous lui firent trés bon acciicil, sachant qu’elle nlait fille et femme de rois.

— Lequcl d’entre ces chevaliers est Esplandian? demanda la princesse Héliaxe amp; Frandalo.

~7 Madame, répondit-il en Ie lui montrant, Ie voici prêt ü vous faire service, ainsi qu’il m’a as-suré.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;^

..Q'^and Héliaxe vit Esplandian si jeune et si beau, 'n fut ébabie et s’émerveilla de ce que la naturenbsp;avait pourvu de tant de perfections, et principa-Igdient de cette force et prouesse sans pareille quinbsp;Fecommandait même parmi les plus valeureux.nbsp;Ede dit fi Frandalo ;

]• En bonne foi, je 1’ai ouï estimer en plusienrs em ^nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;meilleurs chevaliers du monde. J’ai

nieridu dire a sou propos des clioses que je n’eussc Pdnsées de lui, vu Ie peu d’ége qu’il a. Denbsp;armnbsp;nbsp;nbsp;nbsp;courtoisie lui est aussi facile que les

tilh nbsp;nbsp;nbsp;beauté, je crois qu’il doit être Ie geii-

ce nbsp;nbsp;nbsp;accompli qu’on puisse souhaiter;

pourrai me convaincre présentement s’il m^cordecequejelui demanderai...

^ a anie, répondit Esplandian qui ne put

s’empêclier de rougir des louanges qu’elle lui don-nait, vous seriez bien la première que j’aie refusée de ma vie. Comment ne serais-je pas prêt c\ vousnbsp;obéir, a vous qui êtes si belle et si gracieuse ?.....

— Je vous supplie done, chevalier, dit Héliaxe, de pardonner a ce peuple qui est au temple et denbsp;me rendre la liberté afin que je puisse l’envoyer oünbsp;bon me semblera.

— Madame, répondit Esplandian, vous ne serez pas refusée pour si peu. Je ferai en sorte auprèsnbsp;de ces chevaliers pour qu’ils vous accordent cornmenbsp;moi votre demande, c’est-a-dire votre liberté etnbsp;même celle de Foron, pour vous conduire oü ilnbsp;vous plaira... Pour 1’amour de nous, avisez, s’ilnbsp;vous plait, è nous commander autre chose : nousnbsp;vous obéirons de trés bon coeur.

Bien humblement les remercia la princesse Héliaxe, et, s’adressant é Frandalo, elle lui dit:

¦— Sire chevalier, Ie bien que vous et vos compagnons me faites ne sera jamais par moi mis en oubli. Aussi essaierai-je tót ou tard, par tous lesnbsp;moyens, de Ie reconnaitre... Et, pour Dieu! faites,nbsp;s’il vous plait, retirer vos gens, afin que ces pau-vres misérables puissent sortir ainsi que vous m’a-vez accordé. Pendant ce temps, je m’en vais lesnbsp;réconforter, car je me doute bien que presque tousnbsp;sont plus morts que vifs...

Lors elle pria Carmelle de l’accompagner, et toutes deux , sans autre compagnie, vinrent a lanbsp;porie du temple qu’elles trouvèrent bien close etnbsp;remparée.

Héliaxe appela longtemps. Personne ne vint lui répondre; mais jamais pauvre homme ramené dunbsp;gibet par grace du prince ne fut plus aise que cenbsp;peuple quand il reconnut la princesse, pensantnbsp;aussitót que Ie roi Alforax avait fait quelque accord avec ses ennemis. Par ainsi, les assiégés ou-vrirent un petit guichet par oü les deux demoiselles entrèrent dans Ie temple.

Cela fait, ils demandèrent a la princesse comment elle élait venue si a propos secourir ceux qui n’attendaient pour toute miséricorde qu’unenbsp;mort cruelle.

— Mes amis, répondit Héliaxe, j’ai tant fait avec les chrétiens par Ie moyen de Frandalo que jenbsp;connais de long temps, qu’ils vous laissent sortirnbsp;les vies sauves et aller oü bon vous semblera, ainsinbsp;que moi qui étais aussi cornme vous tombée entrenbsp;leurs mains... Voyez si vous voulez me suivre anbsp;Tésifante oü monseigneur Alforax est a présent,nbsp;lequel, pour l’amour de moi, vous fera autant denbsp;gracieuseté qu’il lui sera possible.

Quand ces pauvres gons éperdus entendirent Ie pacte qu’on leur présentait pour l’amour de leurnbsp;dame, ils s’accordèrent tous d’aller avec elle etnbsp;de ne l’abandonner jamais, la remerciant trésnbsp;humblement du bien qu’elle leur aurait procuré.

— Or, qu’ils se désarment done ceux qui ont harnais, ajouta Héliaxe, et qu’ils s’en viennentnbsp;tous avec moil...

Lors, ainsi accompagnée, elle s en retourna vers Esplandian , et lui montrant grand nombre denbsp;femmes ct de petits enfants ((u elle avait autournbsp;d’ellc, elle lui dit:


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42 BIBLIOTHÈQUE BLEUE.

42 BIBLIOTHÈQUE BLEUE.

Comment la princesse Héliaxe, ayanl pris congé de Frondalo, se mit en chemin pour joindrè son mari qu'elle rencontranbsp;aux environs de la Fontaine Aventureuse ; et comment conbsp;prince fut étonné de la revoir en vie, en honneur cl ennbsp;beauté.

Frandalo n’avait pas voulu laisser pai tir ainsi belle princesse Iléliaxe sans lui faire conduite,nbsp;HU moins pendant quelques lieues. Mais au boutnbsp;^nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;temps, elle Ie renvoya fort gracieuse-

— nbsp;nbsp;nbsp;Seigneur, contemplez Ie bien clont vous étesnbsp;cause, et songez au dommage que c’eüt été si cenbsp;petit peuple eüt souffert la mort pour chose nonnbsp;offensée... Quand vous n’auriez fait de votre vienbsp;d’autre bien que celui-lamp;, oui, vous êtes digne denbsp;grand mérite 1 Et toutefois, dit-elle en souriant, ilnbsp;ne sera jour de ma vie que je n’aie grande occasion de me plaindre de vous, vu Ie peu d’estimenbsp;que vous avez fait de moi quand Frandalo et vousnbsp;êtes venus me trouver devant mon pavilion, aprèsnbsp;la défaite de mes chevaliers...

— nbsp;nbsp;nbsp;Comment, madame? demanda Esplandian.

— Je m’étonne, répondit-elle, pourquoi vous

me faites telle demande, attendu que vous pouviez soupconner l’ennui qui me dévorait alors ; etnbsp;néanmoins, vous n’avez quasiment pas daigné menbsp;saluer ni me parler... En bonne foi, c’était mal hnbsp;vous!...

— Madame, répondit Esplandian, je vous sup-plie trés humblement de me pardonner; car Ie péché que j’ai commis en eet endroit ne fut pas parnbsp;ignorance... Mais je craignais mettre Ie seigneurnbsp;Frandalo en quelque jalousie, Ie voyant si alTec-tionné é vous faire service, et remarquant Ie bonnbsp;visage que vous lui montriez malgré la perte denbsp;vos gens.

— Cette excuse n’est pas raisonnable, répliqua Héliaxe : aussi ne vous sera-t-elle pas remise sinbsp;aisément.

— Madame, dit Esplandian, je suis tout pret ii porter la penitence de celte faute.

— La penitence que vous en aurez, répondit la princesse, sera que, suivant la gréce que vous aveznbsp;faite é ce muvre peuple et a moi aussi, vous nousnbsp;donnerez la liberté de nous retirer en la villc denbsp;Tésifante, vers mon mari, qui vous en saura trésnbsp;bon gré.

— Madame, dit Esplandian, vous avez déjh entendu Ie vouloir de nous tons; vous pouvez aller librement en quelque lieu qu’il vous plaira, oünbsp;inoi-même je vous conduirai si vous l’avez pournbsp;agréable.

Sur ce, Héliaxe fit de grands mercis é ces cour-tois chevaliers,prit incontinent congéd’eux et s’en alia vers Tésifante, suivie de Foron et d’une in-finité do peuple.

CHAPITRE XXXVl

— 11 vous faut retourner vers vos amis, lui dit-elie; vous êtes blessé, fatigue, etj’aurais remords de vous harasser davantage. Et puis, bien que,nbsp;commo bon chevalier, vous ayez Ie pouyoir denbsp;me servir et de nous sauver, moi et les miens, ilnbsp;pourrait arriver que je n’aurais pas Ie moyeii d’ennbsp;faire autant pour vous, si vous tombiez entrenbsp;les mains de monseigneur Alforax, qui, coraraenbsp;je Ie pense, aura été averti de ma mauvaise fortune , par quelques-uns des chevaliers qui ontnbsp;dü fuir. Aussi, je ne doute pas qu’il ne soitnbsp;déjé en campagne avec grosse troupe de geusnbsp;pour venir a mon secours. S’il en était ainsi, jenbsp;ie connais si peu patient que s’il vous reuconlrait,nbsp;ému comme ü doit être de la perte d’Alfarin et denbsp;l’injure qu’ont repue mes chevaliers, ainsi quenbsp;moi-même, Ie plaisir que vous voulez me fairenbsp;tournerait au danger de votre personne et a uitnbsp;grand ennui pour moi-même. Par ainsi, je vousnbsp;prie de ne pas passer outre et do vous en retourner ..

Frandalo connut qu’Héliaxe Ie conseillait pru-demment, et, é cetle cause, il la recoramanda é Dien, la latssa en la garde de Foron et reprit Ienbsp;chemin oü il avait laissé scs compagnons.

II était déjü tard; Héliaxe, en s’approchaiit de la Fontaine Aventureuse et y trouvant encore sonnbsp;pavilion tendu, délibéra de n’en partir que Ie leu-demain matin, qu’ellc se mitdirectement en routenbsp;pour Tésifante.

Ayant cheminó jusque vers l’heure de midi, elle rencontra Ie prince Alforax avec un grandnbsp;nombre de chevaliers qui, toute la nuit, avaientnbsp;été sur les hauteurs de la Montagne Défendue,nbsp;pensant que ceux qui avaient pris sa femme 1’ynbsp;conduiraient pour la garder plus sürement.

Telle était fopinion de ceux qui avaient apporté ü Alforax la nouvelle de son infortune; mais ninbsp;lui, ni sa troupe n’avaicnt rencontré un seulnbsp;homrao, et ils s’en retouriiaient tont dolents a lanbsp;Fonlaine Aventureuse quand ils apercurent la princesse Héliaxe.

Alforax courut l’embrasser et, en la baisant, il lui demanda comment elle s’était ainsi échap-pée ?...

— Sire, répondit-elle, aprés que je vous l’aurai bien raconté, penserai-je encore qu’il vous seranbsp;malaisé de Ie croire. A dire vrai, il scmhlc que lanbsp;fortune ait pris plaisir ü me faire connaitre en unnbsp;même jour tout Ie bien et tout Ie mal qu’elle peutnbsp;en mou endroit.

Alors, Héliaxe commenoa a raconter la défaite do ses chevaliers, les projtos que Frandalo et Esplandian lui avaient tenus, et enfin riionnèle trailc-ment dont ils avaient use envers elle.

— Vraimonl, madame, dit Alforax, c’est bien un cas étrange, et je ne puis concevoir commentnbsp;ces chréliens, ayant pris d’assaut ma ville d’Alfarin, ont use de telle humaniténou-sculcmcntenversnbsp;mon peuple, mais encore envers votre honneur,nbsp;vous qui êtes si belle I 11 faut croire ciuc nos dioux,nbsp;ayant eu pitié do moi, vous ont gardée comme 1hnbsp;chose que j’aime et eslime lo plus. Et toutefois, sinbsp;je vis un an, je vous jure et proincts de réunir tantnbsp;de gens que la cite de Constantinople et son pai’-


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LES PRINCES DE L’AMOUR. 43

jure empereur en souffriront tellement qu’il en sera mémoire mille ans après ma mort 1...

Héliaxe Ie voyant entrer ainsi en colère, lui ró-pondit pour Ie modérer quelque peu :

— Seigneur, vous pourrez Ie faire quand il vous plaira, mais je vous supplie de parler un peu fi cenbsp;peuple désolé et de Ie réconforter Ie moins mal quenbsp;vous pourrez, car il a mis toute sa confiance ennbsp;vous.

Alforax comprit qu’en effet il devait du récon-fort amp; tous ces malheureux. II les fit tous appro-cher et leur tint des propos encourageants, après quoi ils s’en retourncrenl amp; ïésifante.

CHAPITRE XXXVII

Comment Gaslilles prit congn d’Esplandian, puis fit voile vers Constantinople pour voir l’empereur; de I’arrivdc denbsp;Palomir, Branfil ct autres chevaliers de la Gando-Bretagnenbsp;en la viUe d’Alfarin.

ne fois la ville d’Alfarin mise au pouvoir des chevaliers de la Montagnenbsp;Défendue, Gastilles fit sesnbsp;préparatifs pour retour-ner h Constantinople;nbsp;quand ils furent termi-nës, il vint trouver Es-plandian et lui paria denbsp;cette manière:

— Chevalier, lorsque je laissai l’empereur, ilnbsp;me commanda fort ex-pressément de l’avertir Ie plus tót possible de cenbsp;qu’il me serait survenu afin qu’il avisat ou de ve-nir en personne, si la nécessité y était, avec l’ar-mée qu’il assemble de jour en jour, ou de la ren-voyer, car 1’hiver commence déji k nous meiiacer.nbsp;Comme, grdces ci Dieu, je vois les affaires en trésnbsp;bon train, je suis résolu, sous votre bon plaisir, denbsp;Partir demain et de retourner vers l’empereur,nbsp;afin qu’ayant entendu par moi comment Ie toutnbsp;®’ost passé, il n’entre pas pour cette année en plusnbsp;grande dépense... .Ie Ic lui eusse déja fait savoir,nbsp;je n’eusse attendu Tissue de cette entreprise,nbsp;fi.rfi est achevée enfin comme nous Tavions dé-siré.....

— Chevalier, répondit Esplandian, puisque Tem-percur aura plaisir et profit h votre retour ainsi que vous dites, vous ferez bien d’aller Ie trouver.nbsp;'•e vous supplie d’unc chose, c’est de lui présenternbsp;'^^es trés humbles recommandations ii sa bonnenbsp;gpace, et de Tassurcr qu’il n’a dans son royaumenbsp;JU gentilhomme ni chevalier plus dévoué que moi.nbsp;Uuant au surplus, comme vous avez vu et su lanbsp;plupart de nos affaires, et que vous entendez Tétatnbsp;OU olies sont, vous pourrez Ten avertir. Ainsi, jenbsp;lais garder Ie roi Armato en attendant que Temp'c-

•cur en ordonne, puisqu’ilest son prisonnier.....

our la Montagne Défendue, je Tai conquise sous /; ^'’®ur de la princesso Léonorine, et je ne lanbsp;sfrluinbsp;nbsp;nbsp;nbsp;fiu’ti titre de son chMelain et

ileur, lel que je serai toute ma vie. Mais s’il

lui plaisait de donner è Frandalo la ville d’Alfarin, tant pour lui augmenter son bon vouloir que pareenbsp;qu’il mérite davantage, il me semble qu’il feraitnbsp;trés bien en regardant au service et fidélité quenbsp;Frandalo a toujours eu lieu de montrer... Vous luinbsp;direz aussi que, suivant Ie commandement que m’anbsp;fait mon père, je compte bientót aller è Constantinople, et lel me présenter a lui et Ji la belle Léonorine, ainsi que je les fis avertir naguère par Ianbsp;demoiselle Carmelle, dont il peut vous souvenir...nbsp;Je vous prie, cependant, de m’excuser euvers euxnbsp;d’avoir tant différé; vous savez ti peu prés, je crois,nbsp;ce qui en a été cause...

— nbsp;nbsp;nbsp;Chevalier, répondit Castilles, Tempereur monnbsp;oncle vous désire tant en sa compagnie, que jenbsp;n’ai jamais vu un homme plus attristé, ni madamenbsp;ma cousine même, quand ils ont vu Ie navire de lanbsp;Grande-Serpente s’ébranler et traverser Ie détroitnbsp;du Bosphore. Je leur dirai tout ce dont vous menbsp;chargez et demain, dés Ie point du jour, je pren-drai la route de la Grèce.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ne voulez-vous pas, auparavant, dit Esplandian, voir Frandalo, Maneli et les autres qui sontnbsp;au lit, blessés, et savoir d’eux s’ils ne veulent riennbsp;demander k Tempereur ?

— nbsp;nbsp;nbsp;Oui bien, répondit Gastilles.

— nbsp;nbsp;nbsp;Allons! je vous tiendrai compagnie, dit Esplandian.

Ils vincent au logis de Frandalo, oü ils ne furent pas plutót arrivés, que ceux qui faisaient Ie guetnbsp;sur la tour du port découvrirent environ k troisnbsp;milles en mer un grand navire qui, é pleincs voiles,nbsp;tirait droit êi Alfarin. lis s’en vinrent incontinentnbsp;avertir Gastilles de ce fait. Celui-ci fit partir surnbsp;Theure deux brigantins, pour aller s’assurer sinbsp;c’était des amis ou des ennemis.

Mais ils revinrent peu après avec ce vaisseau, sur lequel naviguaient Palomir, Branfil, Hélian-le-Délibéré, Garnates du Val-Craintif, et Bravor, lilsnbsp;du géant Balan, que Ie roi Amadis avait fait chevalier depuispeu, Ymosel de Bourgogne, Ledarin denbsp;Frajarijue, Listoran de la Tour Blanche, Trion,nbsp;cousin de la reine Briolanie, ïentilles-le-Superbc,nbsp;Guil-lc-Bien-Estiraé, avec Grodonan, frère d’An-griote d’Estravaux, et les deux fils d”i’sanie, gouverneur de Tlle Ferme, et beaucoup d’autres ensemble qui s’étaient ernbarqués en la Grande-Bre-tagne pour venir au secours d Esplandian.

En cótoyant la Montagne Défendue, ils avaient su par des pècheurs la défaite de Tarmée d’Armato,nbsp;sa captivité, ainsi que la prise d’Alfarin. lis eurentnbsp;un plaisir sans pared de cette agréable nouvelle,nbsp;surtout quand ils se furent assurés par les gens denbsp;Castilles qu’aucun de leurs compagnons n’étaitnbsp;mort lt;1 ce cruel assaut de la ville.

Arrivés au port, ainsi qu’ils prenaient terre, Esplandian et plusieurs autres, avertis de leur venue, vinrent au devant d’eux pour les recevoir, et llieu sait les caresses, embrassements et bonnesnbsp;chères qu’ils se firent les unsaux autres.

Puis Esplandian les mona en son logis, oü ils se rafraichirent environ deux heures. Après quoi,nbsp;comme il leur parlait avec chaleur de Frandalo,nbsp;ils lo prièrenl tous de les conduire oü gisait Ic ma-lade; ce qu’il fit volontiers.


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BIBLIOTHEQUE BLEUE

Mais qnancl Frandalo sut qui ils étaient, il fut presque honteux de les voir taet s’humilier devantnbsp;lui; il ne savait bonneraent que leur dire.

Corame il souriait a l’un et ci l’autre, Palomir lui paria de telle sorte :

— Sire chevalier, mes compagnons et moi nous vous avons ouï tant estimer en haute chevalerie,nbsp;qu’il ii’y a personue d’entre nous qui ne voulütnbsp;vous faire service et vous obéir dorénavant commcnbsp;il leur chef et capitaine... Par ainsi, guérissez-vousnbsp;vite, afin que nous puissions bientót guerroyernbsp;sous votre conduite 1...

—Messeigneurs., répondit Frandalo, pardonnez-inoi, je vous supplie; je sais assez combien je suis moindré que vous ne ine faites, et indigne de l’hon-

neur que vous me portez..... Je n’ai jamais fait

chose qui mérite louange que par Ie moyen de monseigneur Esplandian... ïoutefois, j’espère, sinbsp;Uieu me prête longue vie et santé, de m’employcrnbsp;désormais de telle sorte que chacun connaitra Ienbsp;désir que j’ai de faire service il la chrétienté, et ilnbsp;vous tous particulièrement.

—Mon compagnon, dit Esplandian, mettez-vous, je vous prie, en peino de vous rétablir; puis nousnbsp;deviserons ensemble du reste. Et, comme ces chevaliers sont las et fatigués de leur long voyage,nbsp;donnez-leur congé pour aujourd’hui; domain, nousnbsp;viendrons vous revoir.

II disait ainsi, craignant que Ie trop parler ne causat quelque accident de fièvre a Frandalo, carnbsp;Gastilles avait été auparavant plus de deux heuresnbsp;devisant avec lui des propos qu’il avait tenus avecnbsp;Esplandian sur son retour vers l’empereur.

Les chevaliers nouvellement arrivés lui donnè-rent done Ie bonsoir et sortirent de sa chambre.

Le lendemain, ii l’aube du jour, Gastilles prit congé de ses amis et compagnons. Ses vaisseauxnbsp;étaient prèts, il s’embarqua.

cev

CIIAPITRE XXXVIII

Comment Gastilles, neveu de l’empereur, arriva tl Constantinople et rendit compte des divers dvönements que nous venons de raconter; et comment la princesse Ldonorinenbsp;se mutina centre Esplandian, qui n’arrivait pas assez vilenbsp;il son grd.

uit jours a prés son dé-part d’Alfarin, Gastilles entrait dans le port denbsp;Constantinople.

L’empereur le vintre-oir jusque sur la grève,puis le mena en son palais,nbsp;s’informant de luinbsp;avec une grandenbsp;affection, comment il avait exé-culé son voyage,nbsp;et si Armato s’é-^^ytait retiré ou non.nbsp;\nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;—Seigneur, ré-

pondit-il, lo bon

chevalier Esplandian et ceux de sa compagnie se recommandent tous trèshumblemcnt a votre bonnenbsp;grace, et principalement Frandalo, qui est, je puisnbsp;bien vous l’assurer, l’un des raeilleurs serviteursnbsp;que vous eütes jamais.

11 disait ces mots, lorsque survint l’impératrice, accompagnée de l’infante Léonorine, de la reinenbsp;Slenoresse, et d’autres dames et demoiselles. Gastilles leur fit sa révérence; et, pendant qu’il s’a-musait a faire les recommandations d’Esplandian hnbsp;la princesse Léonorine, l’empereur lui dit:

— Vraiment, mon neveu, vous achèverez le ré-cit de votre entreprise, puis vous gouvernerez les dames, si bon vous semble... Commencez par nousnbsp;déduire le menu tout ce qui vous est advenu en cenbsp;voyage.

— Sire, dit-il, nous eümes si bon vent au sorlir de ce port, que, sans aucun détour, nous arriva-mes en la Montague Déferidue; et, toutefois, nousnbsp;ne sümes faire tant de diligence, qu’Esplandian,nbsp;avec son navire de la Grande-Serpente, et l’équi-page de Frandalo, n’eussent déja mis a fondpartienbsp;des vaisseaux de vos ennemis, et donné la chassonbsp;au reste, jusque bien au dedans de la ïurquie.nbsp;Mieux encore . ii la nuit tombantc, le roi Armatonbsp;fut pris, et son armée mise en déroute.

Gastilles raconta ensuite lacolère du roi turc,les menaces et propos qu’il lui tint, et puis la défaitenbsp;des vingt chevaliers a la Fontaine Aventureuse, lesnbsp;escarmouches et assauls d’Alfarin, le danger oünbsp;Esplandian et Frandalo se trouvèrent, la prise denbsp;la ville, celle d’Héliaxe, sa délivrance, celle du peu-ple, qui s’éfait sauvé dans le temple de Jupiter, etnbsp;comment, avant son embarquement pour retour-ner vers lui, était arrivé de la Grande-Bretagne uiinbsp;navire avec plusieurs chevaliers, qu’il nomina tousnbsp;par noms et surnoms.

— Au reste, ajouta-t-il, Sire, le bon chevalier Esplandian m’a prié de vous dire qu'il fera gardernbsp;Ie roi Armato jusqu’a ce qu’il Fait livré enlre vosnbsp;mains, ou a qui il vous plaira; et semblablement lanbsp;ville d’Alfarin; mais qu’il ne rendra la Montagnenbsp;Défendue é autre qu’ci madame Léonorine, sous !cnbsp;nom de laquelle il l’a conquise, et espère la dé-fendre comme son chatelain, serviteur, et non au-trement.

— Quand l’aurons-nous ici? dit Fempercur.

— Ce sera le plus tot qu’il lui sera possible, é cc qu’il m’a assure, dit Gastilles. En bonne foi, jenbsp;voudrais que ce fut aujourd’hui, plutót que de-main, tant j’ai bonne voionté de le connaitre, pournbsp;les hautes verlus chevaleresques qui augmententnbsp;en lui de jour en jour; au point que, si le chevalier de la Verte Epée a été estimé le meilleur dunbsp;monde, son fils, aujourd’hui, lui óte une grandenbsp;parfie de eet honneur. Aussi, tout considéré, jenbsp;crois qu’Amadis n’a pas plus fait en dix ans qu’Esplandian en dix semaines.

— nbsp;nbsp;nbsp;Mais, beau sire, Frandalo fait-il bien son devoir, corame vous m’assurez?

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, répondit Gastilles, il n’est possible denbsp;faire mieux. Le seigneur Esidandian m’a prié denbsp;vous faire entendre que, pour l’cntretenir en cettenbsp;bonne voionté, il est d’avis que vous lui fassiez


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LES PRINCES JDE L’AMOUR. 45

présent de laville d’Alfarin; il ne salt homineplus digne de la garder que lui.

— nbsp;nbsp;nbsp;Par Dien, dit l’empereur, Esplandian et sesnbsp;compagnons Tont conquise, ils en ordonneront ainsinbsp;qu’il leur plaira. Toutefois, s’il ne tient qu’èi monnbsp;consentement, je suis bien de eet avis, et je nenbsp;me lasserai pas de lui faire du bien s'il continuenbsp;ainsi qu’il a commence. Et vous, ma fille, dit-il anbsp;rinfante Léonorine, que répondez-vous a ce quenbsp;votre cousin assure, qu’Esplandian ne relient lanbsp;Montagne Défendue pour autre que pour vous?

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, répondit-elle, je ne sais comment vousnbsp;ni tant d’autres pouvez l’avoir en si bonne estimc,nbsp;vu Ie peu d’obéissance qu’il porie a son père; carnbsp;s’il était tel que chacun Ie renomrne, il seraitTenunbsp;ici depuis longtemps pour acquitter ce a quoi ilnbsp;est oblige; ce qui me donne juste occasion de penser que les propos que vous tint Carmelle de sanbsp;part, el serablablement tout ee qu’il vous a mandénbsp;par mon cousin sont paroles feintes, pour ne pasnbsp;dire davanlage... Aussin’ai-je pas délibéré, encorenbsp;qu’il se dise mien, de l’accepler pour chevalier,nbsp;et moins encore de lui pardonncr avant (juc lui-même vienne s’excuser en personae : j aviserainbsp;alors ce que j’aurai a faire.

L’empereur, qui voyait sa fille parlcr en colère et rougir plus que de coutume, ne put se tenir denbsp;rire et lui dit:

— Comment, ma mignonne, refusez-vous Ie service du meilleur chevalier du monde?

— Oui, Sire, répondit-elle, et ainsi Ie doit faire tout maitre envers son serviteur, quand il fuit sanbsp;presence et n’obéit pas ci ses commandements...

— Et vrairacnt, ma mignonne, reprit l’empe-reur, je vous en sais bon gré. Plüt Dieu que la nature vous eüt donné un corps semblable é votrenbsp;coeur; elle vous eüt fait homme parfait et non pasnbsp;femme comme vous êtesl... Or, mon neveu, vousnbsp;critendez la réponse de ma fille; je vous prie de lanbsp;faire parvenir au bon chevalier Esplandian, afinnbsp;lu’il se dépêche de venir, s’il ne veut pas du toutnbsp;Perdre sa bonne grace...

,, Ificn que I’erapereur tint ces propos en sourianl, f^splandiaii les prit tout autremcnt, quand il ennbsp;•^nt les nouvelles par un écuyer, que Gastilles luinbsp;*^’^pédia Ie jour suivant.

GHAPITRE XXXIX

Frandalo, accompagné de qualre-vingts chevaliers, fi’p- ^’Alfarin pour aller courir vers Tésifante; de la prisenbsp;capiiaine de laville.

Grande-Bretagne arrivè-PrHnn 'i^^ ia ville d’Alfarin, comme il a etc dit, dnaalq et les aulres, guéris de leurs plaies.nbsp;decnbsp;nbsp;nbsp;nbsp;qui travaillait incessamment pour avoir

d’Alforax, fut averti par ses espions, ordinairement en la grande ville denbsp;ceux-P*^^^’ ^nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;Branfil et a quelques autres;

ment' p nbsp;nbsp;nbsp;du repos, prièrent affectueuse-

Pusspnt nbsp;nbsp;nbsp;cacher en bon lieu oü ils

siens. nbsp;nbsp;nbsp;Alforax, ou quelques-uns des

Erandalo, leur voulant complairc en tout ce qui lui était possible, leur accorda, avec Ie bon plaisirnbsp;d’Esplandian, de partir la nuit suivante et denbsp;mener avec eux quatre-vingts chevaliers. Esplandian approuva Ie projet et il voulut être lui-mêinenbsp;de la partie.

En consequence, ceux qui furent ordonnés pour cette affaire se trouvèrent prêts, et sortirent ü lanbsp;tombée du jour afin de n’être point découverts.

Belleris et Erandalo connaissaient Ie pays; si bien que, sans avoir d’autres guides, ils mar-chèrent droit ü ïésifante. Ayant cheminé jusquenbsp;sur les onze heures du soir, ils se trouvèrent ennbsp;un chemin fourché, oü Erandalo fut d’avis de sépa-rer leur troupe en deux, avertissant les chevaliersnbsp;qui ne s’étaient point encore mêlés avec les Tures,nbsp;de se tenir serrés.

— Car, disait-il, la guerre de ce pays se conduit tout autremcnt que dans la Grande-Bretagne... Lünbsp;ils vont presque toujours seuls, et bien qu’ils soientnbsp;en compagnie, ils s’écartent 1’un de l’autre pournbsp;la moindre occasion qui peut leur survenir ; maisnbsp;ici, ceux qui hantent les armos marchent toujoursnbsp;en si gros nombre que les combats qui s'y fontnbsp;sqnt des combats, non pas des rencontres. II y anbsp;bien pis encore : si trois cents Tures peuvent sur-prendre cent, trente, vingt même de leurs enne-mis, moins encore, ils se font une gloire de lesnbsp;raettre ü mort, préférant leur vengeance a unnbsp;honneur qui se garde, comme j’ai entendu, dansnbsp;les pays de l’occident, oü l’on combat presque toujours en nombre égal. Ainsi, mes amis, que nul denbsp;vous ne s’écarte, marchez en troupe; je vousnbsp;assure qu’au lieu oü nous aliens, nous ne marique-rons pas de tvouver assez contre qui employernbsp;nos armes. Je sais qu’ü un demi-mille de Tési-fantc, Alforax couche souvent en un palais nomménbsp;Gruobinahc, qu’il a fait batir. Nous pourrons 1’ynbsp;Irouver, si la fortune nous favorise quelquo peu.nbsp;G’est pourquoi je me suis avisé qu’il vaut mieuxnbsp;nous séparer en deux troupes; mon neveu, Belleris, prendra a gauche et se liendra caché prés lanbsp;bourgade de Jentinoraêle, d’oü il verra aisémentnbsp;sorlir ceux Tésifante ; moi, avec Esplandian et lanbsp;raoilié de vous, nous suivrons cette route, qui con-duira prés Gruobinahc, dans une vallée oü nousnbsp;nous tiendrons ü couvert pour secourir Belleris,nbsp;et lui nous, si besoin était.

Les chevaliers adoptèrent ce plan; mais leur entreprise se trouva par Irop hasardée, ainsi qu’ilnbsp;sera dit.

Bellens done et sa troupe, ayant laissé Erandalo, cheminèrent tant, qu’environ deux heures avant Ienbsp;jour ils rencontrèrent six soldats, que Bellerisnbsp;salua en langue arabique, leur demandant oü ilsnbsp;allaient.

— Seigneur, répondirentles aulres, nous vou-drions bien être en la ville de Srasse.

— Mes amis, dit-il, nous en sommes sortis cette nuit, et nous aliens a Tésifante, avertir Ienbsp;prince Alforax du grand dommage qu’ont fait depuis deux jours ces chiens de chrétiens a tout Ienbsp;peuplc d’alentour; car ils sqnt sortis d’Alfarin, ilsnbsp;ont pillé, saccagé tout ce qu’ils qnt pu rencontrer,nbsp;et ils sont en ce moment dispersés dans les champs,nbsp;continuant de mal en pis... Toutefois, s’il vous plaitnbsp;de nous donner quelque peu d’aide, nous savons


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46 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

Ie lieu de leur retraite, et nous les pourrions en-tourer sans qu’il s’en sauvêit un seul...

— Qui êtes-vous, vous qui nous dites ces nou-velles ? demandèrent les soldats.

— Compagnons, dit Belleris, je suis Roussan, cousin d’Eiraca, grand capitaine deïésitante.

— Nous vous dirons done bonnes nouvelles de lui, répondirent les autres, et chose qui vous seranbsp;agréable. Sachez qu’il n’est pas loin d’ici; il estnbsp;parti de la ville avec deux cents chevaliers pournbsp;venir se jeter dans Falandie et la gardcr mieuxnbsp;qu’on n’a fait d’Alfarin. Mais corame il nous anbsp;coinmandé de marcher devant nous, nous nc vousnbsp;tiendrons è présent plus long propos...

Cela dit, ils les commandèrent a Dieu et s’éloi-gnèrent.

— Mes amis, dit Belleris, quo Ic bonjour que je vous désire vous soit donrié!...

Ainsi passèrent outre les soldats. lis ne s’éloi-gnèrent guère sans que Belleris envoyat aprèseux. Craignant qu’ils ne découvrissent son entreprise, ilnbsp;les fit tailler en piéces.

II envoya aussitót un de ses écuyers qui con-naissait les chemins pour avertir Frandalo que los ennemis étaient en campagne avec une fortonbsp;troupe, et qu’il fallait a tout prix se rassembler.

L’écuyer fit grande diligence.

Néanmoins,avant que ces nouvelles fussent venues è Frandalo, Belleris rencontra Eiraea et ses gens, quasi devant Jentinomèle. lis les joignirentnbsp;avant qu’ils eussent Ie temps de lacer leursnbsp;heaumes.

La, Ie capitaine de Tésifante montra bien qu’il n’était pas apprenti é se trouver en telles affaires;nbsp;car en veritable preux et vaillant champion, il senbsp;mêla parmi les chrétiens, et, suivi des siens, ils senbsp;defendirent h merveillc. Bientot dix des plus braves d’entre eux furent désargonnés et renversésnbsp;parterre. Etcomme Eiraea se mêlait dans la presse,nbsp;Norandel et lui se chargèrent avec une tclle impé-tuosilé, que 1’un fut fortement blessé au brasnbsp;gauche, et l’autre, perdant les étriers, fit’ un sinbsp;grand saut, qu’il deineura étendu de son long sansnbsp;remuer ni pied ni main.

Les Tures firent de tels efforts pour relirer leur capitaine de la foule, qu’ils renversèrent quatrenbsp;chevaliers de Ia Grande-Bretagne, qui toutefoisnbsp;se relevèrent promptement, nnrent la main auxnbsp;épées, donnant fortement aux jarrets et aux flancsnbsp;de leurs chevaux, en sorte qu’en moins de rien,nbsp;plus de vingt Tures leur tinrent compagnie et bcau-coup y perdirentla vie.

Dans cette charge, Enil et Gavarte furent griève-ment blessés; les autres furent si mal traitamp; que, sans la troupe de Frandalo qui survint, ils eussentnbsp;été complétement battus...

Si la troupe de Frandalo avait si longtemps tardé, c’est que l’écuyer que Belleris envoya vers ellenbsp;n’avait pu 1’attcindre que dans la vallée oü ellenbsp;devait se rendre. Et, bien qu’elle entendit retentirnbsp;les coups du combat, elle ne se douta pas de cettenbsp;rencontre jusqu’è ce que l’écuyer eüt apporté sonnbsp;message.

Alors les gens de cette troupe coururent tous ci oü Belleris et ses compagnonsnbsp;n Q haleme ne faisaient plus que reculer et pa-rer aux coups des autres , qui en auraientmis plu-sieurs a mort, si Ie capitaine de Tésifante n’eütnbsp;voulu qu’ou les mendtvivants au prince Alforax.

Toutefois, Frandalo, Esplandian et ceux de leur troupe lui firent changer d’opinion-,: car aussitótnbsp;qu’ils virent leurs compagnons si mal menés parnbsp;les ennemis, ils entrèrent avec une telle rage dansnbsp;la mêlée que sans Eiraea, qui ce jour-la fit armesnbsp;non-pareilles, ils leur eussent passé sur Ie ventrenbsp;de pleine arrivée.

Par la grande résistance d’Eiraca, Ie combat dura encore plus d’une grosse demi heure, durantnbsp;laquelle il se raaintint si courageusement, qu’Es-plandian ne püt le faire rendre qu’il ne I’eutnbsp;abattu et désarmé de son lieaume; il se mit alorsnbsp;a merci.

Pendant ce temps, Frandalo et les siens, mélés aux autres, frappaient ü droitc et k gauche, tuantnbsp;les chevaux, arrachant les ecus et faisant taut donbsp;prouesses que c’était chose admirable. Malgré tousnbsp;CCS efforts, les Turcs nc se montraient point éton-nés ni effarouchés.

Ils combaltirent do la sorte jusqu’ii ce qu’ils virent leur capitaine prisonnier; ce qui fut cause qu’ils prirent presque tous la fuite et tournèrentnbsp;dos; il en demeura plus de cent cinquante sur Icnbsp;champ de bataille, les autres se sauvèrent a lanbsp;faveur de la nuit qui était trés obscure.

Or, il pouvait être encore une heure avant le jour. Frandalo craignait quo ceux de Tésifante,nbsp;sachant cetto affaire , ne sortissent pour venir leurnbsp;couper passage. G’est pourquoi il fit promptementnbsp;reraonter le capitaine Eiraca d cheval, ainsi quenbsp;tous les chrétiens qui avaient été abattus. Puis, ilsnbsp;reprirent le chemin d’Alfarin, non pas celui parnbsp;lequel ils étaient venus, raais plus d 1’écart, le longnbsp;d’un petit sentier, qu’ils suivirent si longueinentnbsp;qu’au point du jour ils entrèreut en un grand hois,nbsp;oil ils descendirent pour repaitre eux et leurs chevaux.

Ils n’y séjournèrcnt pas longtcraps pour n’être point surpris; de sorte qu’en faisant bonne diligence ils arrivèrent d la ville au soleil couchant.

Quand on regut d Tésifante la nouvelle do cc dé-sastre, Alforax en fut tellement désespéré qu’il laillit en mourir.

Nous avons assez longuement parlé de la guerre, main tenant I’Amoiir viendra enjeu; I’Amourqui,nbsp;voulant donner quclque soulagcraent a I’iufantenbsp;Léonorine, laquelle vivait en une étrange peinenbsp;en attendant l’arrivée de son ami Esplandian, lenbsp;lit partir d’Alfarin, pour venir la voir a Gon-stanliuople, ainsi qu’il sera (lit au chapitre siii-vant.

GHAPITRE XL

Du grand ennui qu'cut Esplandian, ayant su, par Ic message!’

do (iaslilles, to mdconlenleincnt qu’avait contre lui la prin-

cessc Léonorine.

Vous avez naguère appris comment Gastilles ra-conta d 1’empereur tout cc qu’Esplandiaa lui mau' dait, ainsi qu a la princossc Léonorine, ctla répoiisenbsp;dc ccllc-ci que Gastilles écrivit d EspJaudiau parnbsp;un éciiyer qu’il lui onvoya expres, suivaut leconm


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LES PRINCES DE L’AMOUR. 47

que nbsp;nbsp;nbsp;______ ___________

que toute ma gloire depend de vous... — De moi, interrompit Esplandian.

je me vcuille restreindre sous cette loi.

mandement do l’empereur, afin de lui donner oc- | casion de venir Ie plus tót qu’il pourrait a Constantinople.

Get écuyer fit grande diligence et arrive k Alfa-rin Ie ciiiquième jour après la prise du capitaine de Tésifaute. Rencontrant Garrnelle a fentrée denbsp;la ville, il s’enquit auprès d’elle s’il trouverait Es-plandian è propos, pour lui reineltro une lettre quenbsp;Gastilles lui envoyait.

Carmelle, sage et prudente, soupgonnant qu’il apportait des nouvelles de 1’infante Léonorinc,nbsp;capables d’émouvoir outre mesure Esplandian,nbsp;qui était mal disposé, lui répondit :

— Ecuyer, mon ami, vous pourriez ó peine lui parler a cette heure. Mais suivez-moi et me don-nez la lettre, je la lui présenterai, puis je vous ferainbsp;donner réponse.

L’écuyer la crut et vint au logis avec Carmelle, qui, entrant a la ctiambro d’Esplandian,le trouvanbsp;sur son lit devisant avec Ie roi de Dace.

Lors, elle lui donna la lettre de Gastilles qu’il coramenga ii lire. A mesure qu’il la lisait les larmesnbsp;lui vcnaient aux yeux. Aussitöt après, il jeta unnbsp;profond soupir en disant:

— Ah l mon Dieu l

La demoiselle, qui Ie regardait attentiveraent, se douta aussitót de ce qu’elTe avait pensé et lui de-manda s’il se trouvait mal.

— Mal? répondit'il, oui, et tantque je voudrais ètreraortl Voyez vous-mêmesi j’en ai 1’occasion...

Alors, il tendit Ie bras et donna la lettre è Carmelle. Puis, tournant aussitót Ie visage d’un aulre cölé, il se init è faire Ie plus grand deuil du monde.

Carmelle, après avoir lu ce que contenaitce message, n’en lit nul cas, et paria ainsi è Esplandian :

— Comment, chevalier, vous étonnez-vous de si peu'? Par mon ame, je vois bien maintenant quenbsp;1’affection et l’amour des hommes sont bien différents des souffrances que nous autres simples pe-tites femmes cndurons, quand nous torabons ennbsp;cette extrémitél

— En quoi cela ? demanda Esplandian abattu.

— Vous, hommes, reprit Carmelle, vous pronez communément plaisir ó manifester ce que vousnbsp;Mincz, soit par paroles, soit par contenance, et,nbsp;nien souvent, vous feignez plus qu’il n’y en a; cenbsp;qui pis est, tant plus la dame ou demoiselle aiinéenbsp;est (ie maison, ou de grand mérite, tant plus vousnbsp;Pcenez de gloire a ce qu’on connaisse, non-seule-*uetjt que vous lui portez affection, mais que vousnbsp;ctes aimés et préférés d’elle sur tous les autres.nbsp;^cci est bien Ie contraire du naturel des femmes,nbsp;1 entends de celles qui peuvent se nommer sages

prudentes, car plus elles sont hautement appa-rentes et plus elles ont de crainte que l’on cqn-^aisseleurs passions amoureuses... De sorte qu’cl

uient ordinairement de paroles ct de gestes ce qu elles portent dans leur coeur, et non sans cause,

Itendu que ce qui vous tourne a louange, leur ^PPorte unecertaine tache hleur honneur, laquellenbsp;^he, bien souvent après, elles nc peuvent plusnbsp;^«acer... Par ainsi done, il est plus que nécessairenbsp;^ conserver en nous cette randestie et Constance;

— De vous, reprit Carmelle. Telleraent que je ne desire 'plus d’autres biens en ce monde, sinonnbsp;que l’amour et la servitude que je vous porte soientnbsp;publiés en tous endroits, afin que ceux qui aurontnbsp;connaissance de votre grande valeur el de mon peunbsp;de mérite, apprennent Ie bonheur que je ressensnbsp;d’etre pour vous ce que je suis... Ainsi, chevalier,nbsp;il me semble que vous devez prendre en bonnenbsp;part, et grandement a votre avantage, les proposnbsp;que, suivant Gastilles, dame Léonorine aurait tenusnbsp;sur vous devant l’empereur; car je vous répon-drai, sur mon honneur, que vos deux affectionsnbsp;sont réciproques, et qu’elle a trés sagement agi ennbsp;usant d’une tclle dissimulation... Je ne dis pasnbsp;qu’elle n’ait aucune occasion d’etre raécontente,nbsp;vu les paroles que je lui ai autrefois dites de votrenbsp;part; mais cela est aisé a arranger. Et quand biennbsp;même l’amitié qu’elle vous porte depuis si long-temps serait brisée tout-a-fait, ni plus ni moinsnbsp;qu’un are rompu et ressoudé est plus solide aunbsp;lieu de la soudure qu’a un autre endroit, ainsi,nbsp;vous présent et en sa compagnie, vous rassemble-rez ce que vous trouverez cassé et la rendrez plusnbsp;votre qu’elle ne fut Jamais... C’est pourquoi je vousnbsp;conseille de lui obéir et d’aller vers elle, dés de-inain s’il vous est possible...

— Hélasl Carmelle, répondit Esplandian, quel bien, quel service luiferai-je désormais, après luinbsp;avoir refusé la moindre grace pour une infinitenbsp;d’autres qu’elle m’a octroyées, même d’après vous ?nbsp;Si done elle a juste occasion de courroux enversnbsp;moi, 1’ayant tant offensée, dois-je espérer autrenbsp;chose d’elle, sinon un dédain et une haine éter-nelle?...

— Seigneur, dit Carmelle, je suis femme, et connais ihieux la nature des femmes que vous nenbsp;Ie faites, ainsi que tous les hommes du monde ensemble... Je vous supplie de me croire et d’aller lanbsp;voir, quclque mauvais accueil qu’elle vous fasse...

— Surma foi, mon compagnon, dit Ie roi de Dace h Esplandian, Carmelle vous conseille si pru-demment que vous devez y ajouter foi, ou alorsnbsp;éloigner de tout point cette fantaisie de votre esprit.. . Considérez, comme il est vraisemblable, que,nbsp;bien souvent, tant plus 1’ardeur de la femme quinbsp;aime est extreme et tant plus tót elle est éteinte etnbsp;amortie; car son inconstance est telle, que pournbsp;la moindre occasion du monde elle aime tropnbsp;promptement et oublie aussi inconsidérément...nbsp;Non que je veuille accuser madame Léonorine denbsp;si grande légèreté; mais, pour parler yéritablementnbsp;des choses, je ne sais sur quelle opinion vous vousnbsp;fondez, pour faire ainsi état de son amour, attendunbsp;qu’elle ne vous a jamais vu, ni vous elle... Parnbsp;ainsi, vous vous êtesréciprqquementaimés, grace ènbsp;une certaine renommée qui a proclamé vos perfections. Ge qui, a mon avis, n’est qu’un feudepaille,nbsp;aussitót mort qu’allumé...

Le roi de Dace s’arrêta un instant, croyant qu'Epslandiau allait protester. Mais Esplandiannbsp;sonna mot. Lors, le roi de Dace reprit :nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;^uel

— Ainsi done, ne vous étqnnez pas a: inon-madame Léonorine se trouve si peu amo; vous aujourd’hui. Les femmes qui aimr jusqu’aunbsp;tombent souvent en telle ingratitude et cnbsp;prit, qu’elles dédaignent, ou pour le meiJoche do


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BIBLIOTHEQUE BLEUE.

en oubli en un instant celui qu’elles ont tant aimé, et qui, pour l’amour d’elles, s’expose a des dangers sans uombre... N’avez-vous jamais connu Ienbsp;bon tour que fit Briséide a Troïlus après la ruinenbsp;d’IIion?... Elle l’aimait tant, qu’elle pensa mourirnbsp;cntre ses bras, lorsqu’elle fut contrainte de l’aban-donner. Les Grecs pensaient qu’elle voulait se dé-truire... ïoutefois, èi peine fut-elle hors de Troie,nbsp;qu’elle oublia son Troïlus, et reporta tranquille-ment sur Diomède, roi de Thrace, Ie violent amournbsp;qu’elle avait eu jusqu’alors pour Troïlus, fils denbsp;Priam et d’Hécube. Troïlus était mort et Diomèdenbsp;ëtait vivant!...

O Dieul quelle inconstanco superbe et quelle merveilleuse légèreté! Quel sable mouvant que Ienbsp;coeur de cette belle Briséïde !... Rappelez-vous :nbsp;elle avait entre autres- ornements que lui avaitnbsp;donnés son ami Troïlus, une paire de gants parfu-més d laquelle, lui vivant, elle avait fait serablantnbsp;de tenir beaucoup... Eh bien! ce gage d’amour,nbsp;elle en fit présent h son nouvel ami Diomède,nbsp;comme signe de l’ardente passion qu’elle ressen-tait pour lui!... Hélas! qu’eüt dit co pauvrenbsp;Troïlus, s’il était revenu? Eüt-il jamais pu croire anbsp;ce promptrevirement du coeur de sa mie?... Non,nbsp;il n’eüt pas voulu Ie croire 1... Le tour était bon;nbsp;raais il y en a d’autres encore, par exemple celuinbsp;que joua a son mari Agamemnon, le roi des rois,nbsp;1’infame Glytemnestre... Pendant qu’il était aunbsp;siége de Troie, oü il resta peut-être un peu tropnbsp;longtemps, elle s’enamoura d’Egisthe, fils denbsp;Thyeste et de Pélopée; et, comme Agamemnonnbsp;pouvait les gêner dans leurs amours, ils projetè-rent tous deux de l’assassiner, ce qui eut lieu ennbsp;effet. Voulez-vous en savoir davantage? Ah! lanbsp;liste est longue de toutes ces folies amoureuses...

Le roi de Dace ouvrait la bouche pour lui reciter une infinité d’autres histoires de ce genre, si peu é la louange des dames, lorsque Esplandiannbsp;f’interrompit pour lui dire;

— Mon grand ami, je vous prie de ne pas faire ce tort A madame Léonorine ; conseillez-moi seule-ment sur la fa^on dont je dois me gouveriier désor-mais pour lui satisfaire?

— Allez la voir, répondit le roi deDace, et, s’il vous plait, je vous tiendrai compagnie.

— Et je laisserais nos compagnons? dit Esplandian. Ah! je préférerais mourir plutot que d’agir ainsi.

— Pourquoi? demanda le roi deDace. Frandalo, Maneli et les autres ne sont-ils pas suffisants pournbsp;garder la place pendant votre absence?... Je suisnbsp;d’avis que vous les mandiez aujourd’hui, et leurnbsp;fassiez entendre que, pour quelques nouvelles quinbsp;vous sont arrivées, vous êtes contraint de les laisser huit ou quinze jours. Par le même moyen,nbsp;dépêchez I’ecuyer de Gastilles, et lui écrivez quenbsp;vous le remerciez de la bonne souvenance qu’il anbsp;devous.— Vous enverrez aussitót I’liomme versnbsp;éppereur avec la réponse a co qu’il vous a faitnbsp;les

rencOi inessagnbsp;Alorsnbsp;bride alnbsp;hors d’t

savoir. Pendant ce teraps-lé, moi je donnerai des ordres afin que nous ayons un navire tout pret,nbsp;pour nous porter en la Montague Défendue oünbsp;nous nous embarquerons sur le navire do lanbsp;Grande-Serpente, qui ne manquera pas, comme jenbsp;pense, de nous conduire a Constantinople. Voyeznbsp;seulement qui vous désirez prendre avec vousnbsp;pour vous tenir compagnie?

— Mon grand ami, dit Esplandian, faites tout ce qu’il vous plaira! Je mets complétement manbsp;vie entre vos mains.

— nbsp;nbsp;nbsp;Il suffit, répondit le roi de Dace; mais parleznbsp;a nos compagnons et renvoyez l’écuyer.

Esplandian demanda de I’encre et du papier et écrivit a Gastilles, comme le roi de Dace le luinbsp;avait conseillé.

Le lendemain, Frandalo et les autres le vinrent voir a son lever, ainsi qu’ils en avaient coutume,nbsp;et, tout en devisant ensemble de plusieurs propos,nbsp;Esplandian leur dit:

— nbsp;nbsp;nbsp;Mes amis, je suis contraint de vous abandon-ner pour quinze jours ou trois seraaines, et donbsp;m’embarquer dans une affaire qui m’impoCte gran-dement... J’emmènerai avec moi mon frère le roinbsp;deDace, Gandalin, Enil et la demoiselle de Dane-mark, sans plus de monde. Je vous prie de ne lenbsp;point trouver mauvais; car si je n’étais forcé denbsp;le faire, je vous jure ma foi que je m’en excusc-rais volontiers...

II n’y eut personne, en toute la compagnie, qui lui osat demander oü il comptait aller, lis lui ré-pondirent seulement qu’il fit ce que bon lui sem-blerait, et que quant a eux, ils garderaient trésnbsp;bien la place jusqu’a son retour, füt-il un an absent.

Get assentiment obtenu, Esplandian préparait petit a petit son voyage, pendant que le roi’ denbsp;Dace faisait calfreter, radouber et fréter le vais-seau sur lequel ils devaient naviguer du couchantnbsp;au levant.

Lors, étant en bon équipage, un lundi de grand matin, Esplandian et ceux qu’il avait désignésnbsp;s’embarquèrent pour tirer droit vers la Montagnonbsp;Défendue.

Mais comme ils atteignaicnt ü peine la haute mer, elle se leva si impétueuse par la contra-riélé des vents, qu’il ne resta plus ni voiles, ninbsp;cordes entières. On navigua cependant; maisnbsp;durant dix jours etdix nuits, ni le patron, ni lesnbsp;nautonniers, excepté le conducteur du cadrau,nbsp;n’eussent su dire oü ils étaient; car, durant cenbsp;temps, le brouillard et les nuages rendaient fair sinbsp;obscur, que ceux du vaisseau se voyaient ü peinenbsp;et qu’ils s’attendaient, sans la miséricorde denbsp;Dieu, a ctrebrisés sur un rocher...

Cela faillit leurarriver, au moment oü ils abor-daient la roche de la Demoiselle Enchanteresse, OÜ ils furent poussés vers les trois heures aprèsnbsp;minuit. Lors les mariniers jetèrent promptementnbsp;les ancres, et Ton prit terre en attendant le jour.


P«rit. M Imp. de BHT alné, boaltvart Montparnasse, 81.

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LES

CHEVALIERS DE LA SERPENTE

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CIIAPITRE PREMIER

quot;nmcnt Esplandian et ccux de la compagnie montèrent palais ruiné de la Demoiselle Enchanteresse, et desnbsp;•^erveilles qu’ils y trouvèrent.

(j J^sp'aadlan et ceux de sa compagnie, une fois a Icrre, ignorant Ie lieu oü Ie navirenbsp;feu ¦nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;s’cmpressèrent d’allumer un grand

dor ¦ duquel ils se couclièrent tous, pensant

Bientót ils entendirent au haiit de la roche un tel bruit et hurlement qu’ils s’en réveillèrent épou-vantés. Les vents commencèrent a s’apaiser, la raernbsp;èi devenir oalme; Ie ciel devint si étoilé que,nbsp;grdce a la clarté de la lune, il faisait clair coramenbsp;Ie jour.

G’est pourquoi Esplandian, voulant savoir quel bruit ce pouvait être, résolut d’escalader la mon-tagne.

II en fut retardé par ses compagnons jusqu’au lendemain matin.

Reconnaissant alors qu’il était sous la roche dc

Série, — 1


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BIBLIOTHEQÜE BLEUE.

la Demoiselle Enchanteresse, Esplandian dit au roi de Dace:

— nbsp;nbsp;nbsp;Mon grand ami, je pense que c’ctait autrefois ici et que c’est encore Ie lieu oü Ie navire denbsp;la Grande Serpente ra’a porté Ie jour rnême oü j’ainbsp;recu l’ordre de la chevalerie, ce qui me donnenbsp;trés bon espoir pour Ie voyage que nous avonsnbsp;entrepris.

II raconta alors au roi de Dace comment il avait conquis I’épée qu’il portait, la mort du dragonnbsp;et tont ce qu’il avait vu de smgulier.

— nbsp;nbsp;nbsp;Et c’est ici, ajouta-t-il, qu’cst la roche de lanbsp;Demoiselle Enchanteresse.

— nbsp;nbsp;nbsp;Par Dieul répondit Gandalin, vous ditesnbsp;vrai, seigneur, car ilme souvicntqu’un jour, pour-suivant un chevalier qui emmenait par force unenbsp;demoiselle, je trouvai ici Amadis, votrc père, etnbsp;Grasandor, celui-la rnême que je cherctiais, cachesnbsp;la-haut dans les ruines du hMiment.

Gandalin lui raconta a son tour, de point en point, comment Ie tout lui était advenu, et 1’amournbsp;extréme que ce chevalier portait ü celle qu’il avaitnbsp;enievée malgré elle.

— Mais, ajouta Gandalin, avantdenousséparer, la demoiselle s’accorda a lui, et ils se promirentnbsp;rautuellement mariage, bien qu’auparavant ellenbsp;Peut en haine, plus que chose du monde... Ge re-virement était venu de ce qu’ayant su que Ia violence qu’il lui faisait était causée sealement parnbsp;son trop d’amour, elle avait oublié sa conduite, etnbsp;converli son inimitié en une grande amitié...

— nbsp;nbsp;nbsp;En bonne foi, répondit Garmelle, h ce que jenbsp;vois, nul ne doit désespérer de chose qu’il entre-prend... Aussi ne ferai-je jamais autrement de manbsp;vie...

Garmelle disait cela pour Esplandian, qui, avec Ie temps, la pourrait aimer et oublier tout-a-faitnbsp;Léonorine.

Ils continuèrent tant et tant leurs propos, que l’aube du jour apparut.

Alors Esplandian dit au roi de Dace :

— Mon compagnon, je vous prie de ra’altendre ici, tandis que je monterai la-haut; car je ne vèuxnbsp;que Gandalin et Enil pour me suivre. Je les mè-nerai avec moi, non par crainte d’un danger quinbsp;pourrait me survenir, mais seulement aün qu’ilsnbsp;m’aident a soulever la tombe dont je vous parlaisnbsp;naguère.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ghevalier, répondit Ie roi de Dace, je vousnbsp;supplie de ne pas me faire ce tort : je ne vousnbsp;abandonnerai que pour mourir... Du reste, j’ainbsp;une singuliere envie de voir ce lieu que je n’ai ja -mais vu...

— nbsp;nbsp;nbsp;Puisqu’ainsi il vous plait, répliqua Esplandian, allons 1 Alors que nos ccuyers se chargentnbsp;des vivres, si nous voulons nous nourrir pendantnbsp;notreséjour.

Les écuyers furent prompts ü obéir a ce com-mandement, et l’on commenga ü gravir la rnonta-gne de la Roche.

A la fm du jour, Esplandian et ses compagnons pénétrèrent dans l’ermitage oü élait la grandenbsp;idole, dont ci-devant il a élé parlé, et lü ils passè-rent la nuit.

Le lendemain ils rcprircnt leur route, et arrivé-rent jusqu a un lac qui sc trouvait en iace du palais ruiné. Gomme le soleil commengait fort a bais-ser, ils ne voulurent pas marcher plus avant. D’ailleurs ils étaient trop fatigués : double raisonnbsp;pour eux de se reposer.

Tant que dura la nuit, les serpents, qui aban-donnaient leurs cavernes pour venir boire au lac, ne cessèrent de siffler, passer et repasser devantnbsp;les compagnons d’Esplandian pour les assaillir ;nbsp;ce qu’ils eussent fait, sans la vertu de l’épée d’Esplandian dont nulle chose venimeuse ne pouvaitnbsp;approcher...

Malgré cette merveilleuse épée, Esplandian et ses compagnons reposèrent trés mal, et aussitótnbsp;qu’il fit jour, ils s’empressèrent de se remettre ennbsp;route. Puis, traversant les ruines, ils viurent aunbsp;palais de la Demoiselle Enchanteresse, et trouvé-rent les portes fermées.

Esplandian, sans plus de fagon, les poussa rude-ment du pied : elles s’ouvrirent. Ils entrèrent tous et apergurent la tombe luisante et le lion dessus.

Lors Esplandian dit aux chevaliers:

— Par üieu, caraarades, quand je suis venu ici ü mon précédent voyage, je n’ai pu hiver cettenbsp;lame : que chacun de vous essaie do le faire, jenbsp;vous prie... Après, je vcrrai si je ne suis pas de-venu plus fort des reins que je n’étais alors...

A cette parole, le roi de Dace s’avanga. Mais, malgré les efforts qu’il fit, il ne put remuer la lame.

— Gandalin et Enil essayèrent comme lui, mais ils n’en firent pas davantage.

Esplandian nt, et saisissant la lame par ses deux coins, il la leva aussi aisémcnt qu’il eüt fait d’unnbsp;bois de sapin, bien qu’elle fut d’un cristal épais denbsp;trois doigts, et longue de dix ü douze pieds!...

Les chevaliers apergurent alors dessous une pierre d’azur, la plus belle et la mioux oricntéenbsp;que l’on eüt pu voir, laquelle couvrait ua coffrenbsp;de cédre flairant bon comme baume.

Ce coffre était ferme par une scrrure d’émeraude ü clef de diamant, pendue avec une petite chainonbsp;d’or firi; le tout d’une merveilleuse beauté.

La pierre levée et le coffre ouvert, ils virent couchce dedans, la statue de Jupiter en or massifnbsp;et enrichie deperles, rubis et autres bagues d’ines-timable valeur. On remarquait surtout la couronnenbsp;qui environnait la tête de ce dieu ; des escarbou-cles, en forme de lettres grecqucs, y étaient en-chüssces et formaient ces mots ;

Jupiter est le grand dieu des dieüx.

II tenait en sa main droite une tablette, portaiit cette prophétie ;

« Au temps a venir, quand mon grand savoir sera perdu, le serf de la serve enfcrmé ici dedans,nbsp;el la vie restituée par qui la mort est causée, lesnbsp;ouailles grecques, nourries longuement en douxnbsp;paturages, sc nourriront d’unc herbe plus amèronbsp;que le hel, par la grande contraintc que leur ferontnbsp;les loups-marins affamés. Le nombre de cesnbsp;raonstres sera si grand, qu’ils couvriront la niernbsp;en pliisieurs lieues; de sortc que ces pauvres brC'nbsp;biettes seront enfermécs dans leurs grandes forcts,nbsp;et plusieurs de leurs agneaux morts et déchires--Le pasteur, qui aura perdu toute espérance de ic^nbsp;conserver, pleurera leur fiii mallieurcuse avec an'nbsp;goisse de cceur et d’esprit. Alors surviendra ic


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LES CHEVALIERS DE LA SÉRPENTE.

faon du bravo lion, par Ie moyen duquel cetle troupe de loiips sera chassée et défaite... II of eranbsp;au grand pasteur sa puissance et la plus clière denbsp;ses ouailles, de laquello il se saisira, tellement quenbsp;ses fortes dents et ses ongles aigus péne^trerontnbsp;jusqu’a son cceur, et même dans ses entrailles...nbsp;Le reste du troupeau deraeurora en son pouvoirnbsp;eten celui de sa fiére compagnie. II adviendra peunbsp;après que la Grande-Serpente, l’épée enchantéenbsp;et cette haute roche s’abimeront au fond de lanbsp;mer Pontique 1... »

Pion qu’Esplandian comprit trés b:en la langue grégeoise, il ne put donner un sens é cette pro-phi'tie, ni ses compagnons non plus. Aussi ne s’ynbsp;arnusèrent-ils pas lohgternps; mais ils furent at-tentiPs a regarder les pierreries et les richessesnbsp;qu'ils trouvèrent dans la tombe, et qu’ils délibérè-rent d’emporter avec enx et de relouriier é b'urnbsp;naviro, sans attendee davantage, car lours vivresnbsp;commongaient a diminuer.

Esplandian, qui partageait cette opinion, cora-manda a Carmelie de prendre le lion. Quant é lui et au roi de Dace, ils se chargèrent de la lame denbsp;cristal; Gandalin et Enil prirent celle d’azur, et lesnbsp;écuyers prirent le coffre de cédre avec le Jupiternbsp;qui était dedans.

En eet équipage, ils sortirent du palais, descen-dirent la roche et arrivèrent é l’ermitage üi la nuit close.

Le lendemain, reprenant le chemin par lequel ils étaient venus, ils Prent en sorte d’arriver é leurnbsp;navire un peu avant le coucher du soleil.

Gomme Esplandian ne voulait pas être vu a Constantinople, sans le vaisseau de la Grande-Serpente, il commandaau pilote do reprendre leurnbsp;route vers la Montague Défendue; ce qu’il üt.

Après avoir navigué deux jours au plus, comm.c le roi de. Dace devisait avec Esplandian de la lettronbsp;pu’on lui avait ccrite, il lui demanda s’il ne seraitnbsp;point d’avis qu’il fit un voyage vers la princesscnbsp;Léonorine pour savoir franchement oü il en étaitnbsp;ce ses bonnes grdces.

¦— Car, ajoutait-il, peut-être que Gastilles a Cial entendu, ou que 1’empereur même lui a cora-^candé de vous donner eet ennui, afin que vousnbsp;'’cus hatiez de venir le trouver. Pour le moins jenbsp;®aurai d’elle comment il lui plait de vous voir.

— Oh! mon grand ami, répondit Esplandian, ^ous me touchez dircctement au mal qui ra’inté-^•’sse le plus. Si vous vouliez me faire ce bien-lé,nbsp;yous m’obligeriez grandement!... J’irai vous at-•‘•^dre au golfe oü je vous ai trouvé avec Frandalo,nbsp;yuand nous avons levé le siége de la Moutagne Dé-'Cndue.

j. .7~ Soyez assuré, dit le roi do Dace, qu'il en sera ainsi que vous le désirez, et ü votre pleine sa-«sfaction;

Ou avait attaché au navire une petite barque ^Ue ic patron faisait mener derrière I’esquif pournbsp;siens, si quelque naufrage lesnbsp;ynbsp;nbsp;nbsp;nbsp;mari-

conduire, et, preiiant congé d’Es-oon nbsp;nbsp;nbsp;P‘'quot;^'8'^*‘rent vers l’Orient avec un si

viie nbsp;nbsp;nbsp;d’heures ils se perdirent de

CIIAPITRE II

Comment le roi de Dace s’élanl embarqué a part, avec quel-ques mariniers, pour aller auprès de la princessc Léono-rinn, en fut empêché par une tempête, et des aventures qui lui arrivèrent.

spérant remplir sa mission délicate, le roi de Dace ré va it aux moyen s a employer pour la mener a bonne fin et ü lanbsp;satisfaction de sou ami Esplandian,nbsp;lorsquo, tout-a-coup, survint unenbsp;épouvantable tempête.

II faisait nuit noire, et les vagues déferlèrent avec tant d’apreté sur la petite barque, que lenbsp;pilote qui la dirigeait no sut plus quelle routenbsp;jtrendre ni è quel saint se vouer: il abandonna Ianbsp;nauf, et ceux qui la montaient, a la merci des flolsnbsp;en furie, et se recommanda ü la miséricorde denbsp;Dieu.

Cette tempête dura pendant 1’espace de qua-rantc jours.

1! serait trop long de raconter toutes les aventures qui arrivèrent au roi de Dace et a ses compagnons, pendant tout ce temps. Nous sortirions du but que nous nous sommes propose, et nenbsp;pourrions pas donner fin ü notre histoire.

Qu’il sul'fise de savoir qu’étant au bout de leurs vivres, ils descendirent dans l’ile du géaiit Dra-pbion, oü le roi de Dace et sou écuyer perdirentnbsp;{'entendement par la vertu del’eau qu’ils burent ünbsp;une fonlaine d’oubliaiice qui prenait sa sourcenbsp;dans ce pays.

lis furent pris et erifermés dans une cruelle prison dont ils sortirent par le moyen d’une demoiselle qui alma le roi, lui fit recouvrer santé, armes, ebevaux, vaisseau avec tout ce qui était nécessairenbsp;pour lui et son écuyer, puis s’embarqua avec eux.

En cótoyant la Marebo Trévisane, ils vinrent aborder en une certaine ile oü l’on voulait brülernbsp;une gentille femme, paree qu’elle n’avait pas denbsp;chevalier qui osét soutenir sa querelle.

Le roi la défendit, vainquit celui qui I’accusait, emmena celte demoiselle, et prit le large ennbsp;mer.

Six jours après, passant le long d’une plage, il vit une trés belle fdle dans une tour, oü la tenaitnbsp;prisonnière un seigneur du pays. Par une fenêtrenbsp;qui avait vue sur la mer, ellc put dire cela au roinbsp;do Dace qui, pour l’amour d’elle, descendit ü terre,nbsp;combattit le seigneur et delivra la pauvre cap tive...

Telles furent les aventures du roi de Dace, ra-contées au long dans les grandes chroniques que maitreHélisabelécrivit peu après le couronnementnbsp;d’Eplandian. II y a scmblablemcnt rédigé et misnbsp;en ordre les entreprises et prouessses des chevaliers de la Grande-firetagne demeurés ü Alfarin.

Contentez-vous, pour cette heure, de savoii* comment Esplandian cl la princessc Léonorine se


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BIBLIOTHEQUE BLEUE.

virent; comment Urgande vint k Constantinople; comment se battirent cruellement les rois du Levant et du Gouchant.

Maïs ayant plusieurs choses amp; décrire, avant que d’aborder ces sujets, nous retournerons a Esplan-diau qui s’étonnait de jour en jour et de plus ennbsp;plus de ne point recevoir des nouvelles de sounbsp;compagnon, qui I’avait laissé comrae il vous a éténbsp;dit.

GlIAPITRE III

Comment Esplandian, ayant attendu en vain Ie retour do Ga-rinier, roi de Dace, pendant 1’espace de deux semaincs, et voyant qu’il n’en avait nulles nouvelles, ddlibdra, parnbsp;Ie conseil de Carmelle, d’aller en personne i Constantinople.

prés que Garinter, roi de Dace, eut pris, comme il vous a été dit, ianbsp;route de Constantinople, Ie navirenbsp;d’Esplandian navigua vers Ie golfe,nbsp;oü il avait dü l’attendre.

II demeura la a l’ancre pendant deux semaines, sans qu’Esplandiannbsp;put avoir des nouvelles de ce qu’ilnbsp;désirait Ie plus. II s’imagina alors,nbsp;OU que Ie roi de Dace avait péri, ounbsp;que la tempête avait écarté son vais-seau.

II songea en conséquence è en-voyer unde ses mariniers pour s’en-quérir de lui. Toutefois il voulut au-paravant en prévenir Carmelle.

Aprés l’avoir menée ii l’écart, Esplandian dit é cette gente pucelle:nbsp;— Ma grande amie, vous con-naissez la raison pour laquellc Ie roi de Dace nousnbsp;laissa dernièrement, l’entreprise de son voyage, etnbsp;la promesse qu’il me fit de s’en revenir incontinent. Néanmoins nous n’en avons eu depuis ninbsp;vent, ni voix; ce qui me fait penser assurément,nbsp;OU qu’il est mort, ou que la tourmente 1’aura lancónbsp;dans un si lointain pays qu'il n’a pu satisfaire ni anbsp;son intention ni tt la raienne... G’est pourquoi jenbsp;vous prie de vouloir bien me conseiller sur ce quenbsp;je doisfaire; car ceux qui sont passionnés de sem-blable mal que Ie mien, encore qu’ils aient I’en-tendement sain en beaucoup de choses, il leur faitnbsp;ordinairement défaut quant èi ce qui les touchenbsp;sur ce point.

— Monseigneur, répondit Carmelle, puisqu’il vous plait d’user de mon conseil, je vous dirai lidè-lement ce quej’en pense... Tant il y a que si vousnbsp;ayiez cherché dans tout Ie monde, é peine trouve-riez-vous personnage qui piit m’égaler pour jugernbsp;de la passion dont vous vous plaigncz, car elleestnbsp;en moi comme en vous !... Je la sens comme vous,nbsp;et peut-être davantage... Néanmoins l’aise et Ienbsp;grand contentement que je reoois de votre pré-sence apportent tant de remède, que je prendsnbsp;plaisir é mon mal et ne vis que pour Ie faire du-rer... Or, au moment oü vous m’avez entamé Ienbsp;sujet du roi de Dace, je pensais sur mon atne h sanbsp;longue absence. Par ainsi il me semble, pour Ienbsp;mieux, que nous devons faire voile vers Constantinople, vous assurant que j’ai un moyen de vousnbsp;adresser a madameLéonorine... En sorte que vousnbsp;pourrez la voir et lui parler sans être connu d’au-tres que d’elle, si bon lui semble... Pour yparve-nir, une fois arrivés au port, il sera nécessairenbsp;que tous ceux de ce navire soient avertis de dire,nbsp;si l’on vous demande, que vous êtes resté en lanbsp;Montagne Défendue... Pendant ce temps, vousnbsp;vous tiendrez caché au fond du vaisseau... Ganda-lin, Enil et moi, nous irons trouver l’empereur,nbsp;auquel je ferai entebdre que vous m’envoyez versnbsp;madame Léonorine, pour lui présenter de votrenbsp;part ce que vous avez conquis en la Roche de lanbsp;Demoiselle Enchanteresse... Pour Ie surplus, lais-sez-moi faire...

Esplandian ayant écouté attentivement Carmelle, demeura tout pensif, puis dit;

— Ma grande amie, je ne crains ni ne redoute la mort, elle no saurait être plus aigre et plusnbsp;cnnuyeuse que la vie que je souffrel... Mais jenbsp;crains Ie déshonneur de madame Léonorine etnbsp;l’injure que je pourrais faire a l’empereur, qui anbsp;tant obligé mon pére que j’en serais blamé toutenbsp;ma vie... Toutefois, je me soumettrai a tous lesnbsp;hasards qu’il vous plaira.

— II suffit, répondit Carmelle, je vous prie de vous réjouir et de faire grande cbère, car si jamaisnbsp;femme vint ü bout de chose qu’elle enlreprit, jenbsp;viendrai a bout de celle-ci!

Carmelle laissa done Esplandian, et mandant Ie patron du navire, elle lui commanda de faire voilenbsp;vers Constantinople. A quoi il pourvut si diligem-ment, que Ie troisième jour d aprés ils enlrèrentnbsp;au port.

La, Esplandian déclara a ses gens ce qu’il avait résolu avec Carmelle, leur defendant expressémentnbsp;de dire é créature vivante qu’il fut ailleurs qu’en lanbsp;Montagne Défendue.

—Car, ajoula-t-il, je ne suis pas encore en mosure pour me présenter devaiit un tel et si grand prince que l’empereur... Et afin qu’on ne vousnbsp;trouve pas mensongers, je me tiendrai au fond dunbsp;navire tant que nous demeurerons ici.

Alors lui, Carmelle, Gandalin et Enil parlérent ensemble, et la demoiselle commenpa è déclarernbsp;longuement la manière dont elle ontendait don-ner fin a cette entreprise.

— Je ferai, dit-elle, dresser présenlcment sur Ie tillac la tombe que nous avons apporlée de lanbsp;Roche de la Demoiselle Enchanteresse, ni plus ninbsp;moins que nous la vimes ia première fois. Puisnbsp;j’irai vers l’empereur et lui dirai que j’ai en ce navire une des plus belles choses qui existent. Jenbsp;trouverai moyen de Ie faire dosccnclre jusqu’ici, oünbsp;je lui montrerai Ie Lion, Ie Jupiter et tout Ie resle.nbsp;Lorsqu’il aura tout visité, je lui dirai que vousnbsp;envoyezle tout ü madame Léonorine... Quand ilnbsp;sera retourné en son palais, vous entrercz dans Ienbsp;Cüffre de cèdre; je vous ferai porter, dans cettenbsp;tombe oü vous serez enfermé, dans Ia cliambre denbsp;la princesse que j’avertirai secrètement. Par ce


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LES CHEVALIERS DE LA SERPENTE.

moyen vous pourrez vous parler comme bon vous senibiera, elle et vous...

— nbsp;nbsp;nbsp;Oui; raais Ie moyen d’en sorlir? demandanbsp;Esplandian.

— nbsp;nbsp;nbsp;Je la prierai, dit-elle, de me donner Ie coffrenbsp;de cèdre pour inhumer Ie corps de Malroco, quinbsp;raourut en bon cbrélien. Je vous en ferai alors sor-tir immédiatement.

— nbsp;nbsp;nbsp;Par Dieu 1 répondit Gandalin, voilii Ia plusnbsp;ingénieuse invention du monde, et je contessenbsp;maintenant que je n’ai jamais été qu’une béte, aunbsp;respect que je dois a Garmelle 1...

— nbsp;nbsp;nbsp;Ne vous mêlez, dit celle-ci, que de fairenbsp;bonne mine. Remettez-moi Ia boite, et commen-Cons immédiatement.

Alors Esplandian descendit au fond du navire et ordonna qu’on exécutat tous les ordres de la demoiselle.

Puis Carmelle, Gandalin et Enil mirent pied a terre, vinrent trouver l’empereur qu’ils saluèrentnbsp;trés humblement, k l’exception do Carmelle; car,nbsp;ainsi que je vous ai dit, il n’était pas homme vi-vant, si grand prince ou seigneur qu’il fut, qu’ellenbsp;eslimSt autant qu’Esplandian.

CIIAPITRE IV

Comment Carmelle et Gandalin s’en allèrent trouver 1'empc-rcur, et comment il fut convenu avec ce prince qu'on transporterait ii terre Ie fameux coffre en bois de cèdrenbsp;dont Esplandian faisait présent it la belle Léonorine.

jandalin et Carmelle étaient trés conrms a Constantinople,nbsp;*a cause du long séjour qu’ilsnbsp;y avaient fait autrefois. Aussinbsp;ï’emnereur regut-il Gandalinnbsp;trés numainement.

— Gandalin, mon ami, lui ,dit-il en souriant, bien quenbsp;volre présence m’apporte unnbsp;ennuyeux déplaisir, lorsquenbsp;:^je me souviens vous avoir vunbsp;au-del^ de la mer avec lanbsp;\personne de la chrétienténbsp;'^que j’aime Ie plus et que jenbsp;n’espcre pas revoir, soyeznbsp;Pourtant Ie bienvenu et dites-moi, pour Dieu,nbsp;onament se porte Ie chevalier de la Verte Epée?

• jr., fö» répondit Gandalin, il y a longtemps que ¦' i^‘^issé pourvenirici... Je sais toutefois quenbsp;pariout oü il est vous avez en lui un prince aussinbsp;ewue que vous pouvez Ie désirer...

foi, dit l’empereur, je Ie crois et je

fait^n 1 nbsp;nbsp;nbsp;^nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;éié

mie o ® Lisvart, qui s’est volontairement dé-'^le sa couronne en sa faveur...

vou^ i’óe^’ nbsp;nbsp;nbsp;Enil, c’est chose vraie, je puis

il a été comme celui qui était présent quand

ut Ie monde, certainement, selon les

gestes et humble contenance du bonroi Lisvart, je nepus alors me tenir de pleurer, tant il excitait lanbsp;pitic du peuple qui Ie regardait.

— nbsp;nbsp;nbsp;Je vous prie, chevalier, dit l’empereur, denbsp;me raconter comme cela advint, car tous les preuxnbsp;sont obligés, non-seulement de connaitre les chosesnbsp;vertueuses, mais encore de les imiter autant quenbsp;possible.

Alors Enil commenca k raconter tout au long co que vous avez entendu ö ce propos.

Sur quoi l’empereur, tenant la tête baissée, rêva longuement, puis il dit tout haut:

— nbsp;nbsp;nbsp;Je crois en vérité que bien des années s’é-couleront avant que l’on trouve un meilleur princenbsp;que Ie roi Lisvart, un prince qui ait passé sa jeu-nesse avec plus de prudence, de magnanimité etnbsp;de courage. Aussi, d’après ce que j’en ai pu connaitre, la fortune et la vertu lui ont été favorables.nbsp;La fortune, en lui donnant la force pour vaincre etnbsp;obtenir la victoire sur plusieurs malheurs qu’elle-même lui préparait; la vertu, en ce qu’elle Ie metnbsp;sur la fm de ses jours sur la voie du paradis...

En achevant cette parole, l’empereur s’adressa fi Carmelle, fi qui il demanda, en souriant, si ellenbsp;était aussi passionnée de l’amour d’Esplandiannbsp;qu’elle avait habitude de 1’être.

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, répondit-elle, depuis que j’ai eu l’hon-neur de vous voir, s’il y a quelque chose de changenbsp;en moi, c’est que l’amour, la servitude et 1’affectionnbsp;que je porte k celui k qui je suis, sont de beaucoupnbsp;augmentés et s’accroissent tous les jours...

Chacun se prit a rire de ces paroles.

— nbsp;nbsp;nbsp;En bonne foi, dit l’empereur, nous pouvonsnbsp;biencroire que vous n’êtes pas venue en cette cournbsp;pour convertir quelqu’une de nos demoiselles, biennbsp;qu’il vous l’eüt expressément commandé...

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, vous jugez suivant la raison; toutefoisnbsp;je prends un si grand plaisir èi Ie servir en tout cenbsp;qui Ie contente, que je ne veux rien en excepter...nbsp;A parler véritablement, mon arrivée vers vous estnbsp;pour vous demander un don, non pas d’or ni d’ar-gent, mais un autre plus précieux encore. Je désirenbsp;seulement qu’il vous plaise de descendre jusqu’aunbsp;port, voir un présent que monseigneur Esplandiannbsp;envoie a madame Léonorine, comme son chevalier.

— Par Dieu! ma mie, s’écria l’empereur, vous nous demandez la une chose dont nous devrionsnbsp;nous-même vous prier 1...

— Venez done présenteraent, sire, dit Carmelle, car mon séjour dansce pays ne peut pas être long.

Alors l’empereur, accornpagnéde ses chevaliers, sortit de son palais...

Arrivés sur la grève, ils montèrent sur Ie navire de Carmelle, qui montra la tombe de cristal, cellenbsp;de pierre d’azur, et enfin la statue de Jupiter.

L’empereur s’arrêta a cette derniére plus qu’è nulle desautreschoses; non tant pour ses richessesnbsp;que pour lire la prophétie qu’elle contenait, la-quelle il voulut lire et dont il fut trés étonné.

Co que connaissant, Carmelle lui dit:

— Sire, tout ce que vous vqyez la est demeuré deux cents ans etplus aupalaisruiné delaDemoisellenbsp;Enchanteresse. Toutefois, pendant ce temps, nulnbsp;chevalier, quelque preux et vaillant qu’il ait été,nbsp;quelque effort qu’il y ait mis, n’a pu non-seulement


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DIBLIOTHEQUE BLEUE,

Ie coiiquérir, raais inêrae Ie voir. Monseigneur Es-plandian est arrivé, et s’eii est rendu maitre et possesseur, comme vous voyez...

— Vraiment, répondit-il, voici Ie plus beau présent que je vis jamais! II est digne de la plus grande admiration, car s’il est d’une richesse sónsnbsp;pareille, je ne 1’estime rien en respect de savoirnbsp;qu’il appartient è celle qui nous a fait tant de menaces, comme il est aisé de Ie voir par la tablellcnbsp;ci-contre. Dieu veuille que tout aille mieux quenbsp;je ne l’espère!...

— Sire, répondit Carmelle, bien qu'il soit tel, je Grains que madame votrefdle ne l’ait tant amp; gré,nbsp;qu’elle veuille, en recompense, relever Ie bon chevalier Araadis, et celui fi qui je suis, de la promessenbsp;qu’ils lui ont faite.

— Je ne sais pas cela, répondit I’empereur, raais je suis plus qu’assuré que nul trésor lemporel nenbsp;peut égaler Ie bien et les vertus qui sont en volrenbsp;maitre. Aussi ne consentirai-je jamais que Léono-rine fasse eet échangc, airaant bien mieux avoirnbsp;Esplandian en ma compagnie que tous les trésorsnbsp;de la terrö dans mes coffres!... Ainsi done, rorn-portez votre présent, si bon vous semble, car Es-plandian ne peut nous êlre agrcable que par sanbsp;presence...

— Sire, répliqua Carmelle, j’ai commanderaent de Ie laisser tout de même Ji madame Léonorine;nbsp;et, s’il vous plait, puisqu’elle n’est pas ici avecnbsp;vous, je Ie ferai porter dans sa charnbre.

— Carmelle, répondit I’cmpereur, ma fille est allee avec rimpératrice, a un mille d’ici. Lors-qu’elle sera de retour, vous pourrez Ie lui présenter, et je crois qu’elle ne Ie refusera pas, non pasnbsp;tant pour la valeur que pour Ie bien que je veux ènbsp;celui qui Ie lui cnvoic.

En disant ces mots, l’empereür laissa Carmelle, retourna titerre etprit Ie chemin de son palais.

II devisa beaucoup avec ses genlilshommes de la beauté do cetto tombe. Plus ils en parlaient,nbsp;plus ils en reconnaissaient la valeur; de sortenbsp;qu’ils avouèrent publiquement n’avoir jamais vunbsp;de leur vie un présent si richc et si extraordinaire.

CHAPITRE V

Comment Esplandian fut mis dans Ie coffre de cÈdre, et portó dans la chambre de la princesse Léonorine ; ct comment,nbsp;une fois lii, ces deux amants eurent ensemble los plusnbsp;doux entrctiens.

Après que cette troupe se fut relirée, Carmelle fitvcnir Esplandian, qui s’étaitcouché dans Ie fondnbsp;du navire, et elle lui i aconta comment leur entre-prise avait été exécutée, et les entrclicns de I’empereur avec Gandaliii et Euil.

— Sur mon Sme, répondit Esplandian, jc ne fiis jamais en telle peine 1 Jc ne savais que penser ennbsp;vous entendant tous parlcr, hors madame Léoiio-rme; ct j’ai été trés soulagé quand l’empereurnbsp;VOUS a aihrmc qu elle n’était pas dans la ville...

— nbsp;nbsp;nbsp;N’ai-je pas bien joué mon róle? demanda Carmelle.

— nbsp;nbsp;nbsp;Oui, Ie mieux qu’il est possible, répondit Es-plandiau; et, s’il est vrai que bien coramencernbsp;fait quasi toujours bien fmir, je me tiens assurenbsp;que je surmonlerai mes malheurs!...

Pendant qu’Esplandian s’entretenait ainsi avec Carmelle, Gandalin et les autres, la nuit survint, etnbsp;rimpératrice s’en revint des champs.

Ce qu’ayant appris Carmelle, elle fit aussitót coucher Esplandian dans Ie coffre, de manière i cenbsp;qu’il eüt de l’air de tous les cótés; puis elle Ie cou-vrit des lames de cristal et d’azur. Quant a Gamla-lin, a Enilet h leurs écuyers, ils prirent la tombe,nbsp;et, accompagnés de Carmelle, ils sortirent de lanbsp;nauf et viiirent au palais.

Léonorine était avertie du beau présent que lui envoyait Esplandian. Aussi attendait-elle Carmellenbsp;avec impatience, car on lui avait dit que, vers Icnbsp;soir, Ie présent lui serail apporlé. Aussi, désnbsp;qu’ello lo vit, elle vint au devant, accompagnée denbsp;beaucoup de dames ct de demoiselles qui élaientnbsp;curieuses de voir cel te tombe.

Carmelle, en apercevant Léonorine, s’approcba d’elle, et, lui faisant une grande révérence, ellenbsp;lui dit;

— Madame, Ie bon chevalier Esplandian vous envoie ce présent; il fa enlevé dopuis pen denbsp;temps sur la Montagne de la Demoiselle Enchantc-rosse. II vous Ie reraet expressément pour vousnbsp;faire coiinaitre de plus en plus Ic grand désir qu’ilnbsp;a d’etre votre dévoué chevalier, Toutefois, avantnbsp;que de passer outre, il faut que vous me promcltieznbsp;deux choses : la première, que vous ni personne nenbsp;regarderez dedans la tombe jusqu’h demaiu matin,nbsp;oü je reviendrai vers vous avec la clef pour ouvrirnbsp;un coffre de cèdre que vous y trouverez... La se-cosde chose, c’cst qu’après que vous aurez ouvertnbsp;Ie coffre, vous m’en ferez présent pour Ie porternbsp;au lieu oü mon père est érmite, et, la, inhurner lesnbsp;os de Matroco, lequcl mourut en bon Chrétien,nbsp;comme vous savez.

— Carmelle, ma mie, répondit l’infante, je vous promettrai bien cela... Gependant, je m’étonne dunbsp;retard qu’Esplandian met a venir voir l’empcreur.

— Madame, répondit Carmelle, vous Ie saurez domain; et, en attendant, avisez oü il vous plaitnbsp;que nos gens se débarrassent de leur lardeau.

— En cette grande salie, répondit Léonorine, de manière ü ce que mes ferames puissent Ic voir hnbsp;leur aise.

— Par ma foi, madame, vous me pardonnerez, dit Carmelle : cc lieu est trop comrauii pour y laisser une chose aussi précicuse. Je ne dis pas quenbsp;vos dames ne puissent Ie vo:r; mais, aussitót aprés,nbsp;vous ferez mieux de la meltrc dans votre garderobe, dont vous seule aurez la clef.

Quelques moments après, ceux qui portaient la tombe 1’entrérent dans la salie et la déposèrent aunbsp;milieu, en attendant que Léonorine et les autresnbsp;l’eussent regardée et contemplée è leur aise.

L’enthousiasme fut trés grand, et, sans la presence de Carmelle, cette nierveilleusc chose eut été bien mieux visilée. Mais Carmelle ne voulutpasnbsp;partir de lü avant qu’elle fut eufennée plus secre-tenienl.


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LES CHEVALIERS DE LA SERPENTE.

Piüs elle prit congé.

En sortant, elle tira k part la princesse, et, lui donnant la clef du coffre dans lequel était Esplan-dian, elle lui dit:

— nbsp;nbsp;nbsp;Madame, je vous laisse dans cette tombe,nbsp;deux Irésors d’inestimable valeur, bien que la difference en soit grande, comme vous pourrez ennbsp;juger lorsque vous serez seule... Sous cette clef gitnbsp;la chose que vous avez Ie plus ardemment souhai-tée en votre compagnie...

Et, sans attendre la réponse de Léonorine, Car-melle sortit de la chambre, et retonrna avec Gau-dalin et les autres sur son navire, laissant la princesse dans une grande anxiété au sujet des paroles précédentes.

Léonorine se mit telleraentdans l’esprit que c’é-tait Ie corps d’Esplandian qui était dans ce colfre, qu’elle fut contrainte de f iire sortir toutes ses demoiselles, hors la reine Ménoresse, qui demeuranbsp;pour lui tenir compagnie.

Alorselle sejetasurson lit en fondant en larmes.

La reine Ménoresse, étonnée de ce prompt changement, ne savait que penser. Remarquant que d’uii moment ?i l’aulre sa douleur augmentait, ellenbsp;s’approcba d’elle et lui dit :

— nbsp;nbsp;nbsp;Madame, ne me cachez pas plus longtemps,nbsp;je vous supplie, la cause de votre tristesse - car jenbsp;vous jure ma foi que, si j’y puis apporter remède,nbsp;je Ie ferai comme pour moi-mêmel...

Léonorine, qui soupirait sans cesse, ne lui fit aucune réponse... Mais, enfin, iraporlunée davan-tage, elle lui répondit;

—• Hélas 1 ma mie, pour Dien, laissez-moi en

paix!.....Qu’il vous suffise de savoir que j’ai au-

jourd’hui un aussi grand désir de mourir que j’ai pu désirer de vivre !...

— nbsp;nbsp;nbsp;Comment, madame, dit la reine Ménoresse,nbsp;ne me direz-vous pas autre chose?

— Non, répondit Léonorine.

— En bonne foi, reprit la reine, vous m’attrisle-rez beaucoup, et j’aurai raison de penser que l’a-milié que vous me montriez par Ie passé était feinte; ce dont je me plaindrai toujours... J’ai éténbsp;felle a votre égard, que j’eusse hasardé pour vousnbsp;non-seulement ma vie, mais mon honncur et monnbsp;¦'•me... Etc’est ainsi que vous agissezl...

Üuand Léonorine 1’entendit parler avrc telle affection, elle se rassura un peu et lui répondit ;

— Puisque vous avez envie de Ie savoir, vous Ie saurcz, a Ia condition que vous m’aiderez é avancernbsp;mes jours, car j’ai délibéréde mourir... Or, il peutnbsp;encore bien vous souvenir de la première Ibis quenbsp;Larmelle vint ici apporter des nouvelles d'Esplan-dian, fils du bon chevalier de la Verle Epée. Es-plandian, disail-elle, avait commandemeut de sounbsp;pere de se retirer vers nous pour nous servir fi «anbsp;place, suivant la promesse qu’il nous avait failenbsp;pendant qu’il était k celte cour. Carrnelle feigiiitnbsp;qu’Esplandiau I’envoyait a Constantinople pournbsp;eette seule raison, afm do le faire entendre a I’ern-mmeur et k nous toutes. Mais il y avait une autre

eguilje sous roche : Carrnelle venait exprès pour

e prier d’ayoir compassion de son mallre, qui f],, ef désirait tellement me voir, qu’il vivaitnbsp;ni'iP effroyable langueur... II adviut de celanbsp;4 gt; par une infinite de coniidences qu’elle

me fit, je renfermai dans mon Sme ce que la re-nomraée m'avait déjé appris de lui.

— nbsp;nbsp;nbsp;Léonorine! Léonorine 1... raurmura la reinenbsp;Ménoresse.

— nbsp;nbsp;nbsp;Je n’ai jamais de ma vie pensé commettrenbsp;avec Esplandian une faute qui put entacher monnbsp;honneur, reprit la leune princessc; je me faisaisnbsp;gloire seulement dVvoir un si noble chevaliernbsp;pour me servir... Hélas! mamie!... ce feu s’estnbsp;accru; de sorte que je ne puis penser é autre qu’dnbsp;Esplandian, dont 1’amour me tourmente tellementnbsp;que sa longue absence a pensé me faire mourir...nbsp;Néanmoins l’espérance que j’avais de le voir denbsp;jour en jour me donnait I’effort de supporter monnbsp;mal avec assez de patience pour que persoune nenbsp;se doutat de ce qui se passait en moi. Tel le nau-tonnier qui, traversant les fiots pendant forage,nbsp;s’efforce de faire diligence pour arriver au portnbsp;et rencontre un écueil qui arrête son vaisseau ctnbsp;lui fait faire naufrage; telle moi, pauvre infortu-née, pensant être au bout de mes malheurs par Ianbsp;presence de celui que j’attendais, je suis tombéenbsp;tout è 1’heure dans le gouffre du désespoir en en-tendant Carrnelle me dire : Madame, je vous laissenbsp;en cette tombe deuxtrésors, doiit 1’un est la chosenbsp;du monde que vous avez le plussouhaitée en votrenbsp;vie. Ce qui me fait penser que ce ne peut êtrenbsp;autre que le corps dEsplandian. Hélas! il a sansnbsp;doute ordonné avant de mourir qu’on 1’apportétnbsp;ici pour qu’il fiit plaint et pleurè, ce que je ferainbsp;pendant toute ma vie, qui ne sera pas longue, s’ilnbsp;plait é Dieul...

Léonorine poussa un grand cri en disant ces mots, et elle tomba évanouie dans les bras de lanbsp;reine Ménoresse.

Gelle-ci, trés étonnée d’entendre celte princesse fenir des discours si éloigués des précédents, nenbsp;savait comment la conseilier et la consoler.

Cependant, dans fextrémité oü elle se trouvait, elle alia chercher de f eau froide qu’elle lui jeta surnbsp;le visage.

Quand Léonorine eut repris ses sens, la reine Ménoresse lui dit:

— Comment, madame! vous jetez le manche après la cognée?... Vous voulez done perdre votrenbsp;reputation dans le monde?... Oü est done cettenbsp;Constance, celte sagesse qui vous étaient jadis sinbsp;familières?... Faut-il vous oublier ainsi pour unenbsp;parole mal entendue ?... Quand il serait vrai qu’Es-plandian fut mort, votre passion pourrait-elle lenbsp;reiidre k la vie ?... Carrnelle vous a dit que la chosenbsp;quo vous désiriez le plus posséder est enforméenbsp;dans cette tombe, y aurait-il quelque chose d’extraordinaire ü ce qu’Esplandian y soit vivant?nbsp;Scrait-ce le premier ami qui aurait fait semblablenbsp;eulreprise pour f amour de celle qu’il aime ?...

— Hélas 1 ma cousine, répondit Léonorine, as-surez-vous s’il est mort, et, s’il en est ainsi, je lui liendrai compagnie avant que le jour n’arrivel...

— Soyez calme, je vous en prie, dit la reine Ménoresse, et laissez-moi faire...

— Tenez done, répondit Léonorine, voilü la clef que rn’a laissée Garmelle...

Ménoresse prit cette clef, entra dans la garderobe oil était la tombe, leva la première lame de


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BIBLIOTHEQUE BLEUE.

cristal et demanda assez haut s’il y avait quelqu’un dedans.

Espiandian, a qui une heure avait paru plus longue qu’un an, entendant parler la reine, ré-pondit aussitot;

— nbsp;nbsp;nbsp;Oui, madame...

— nbsp;nbsp;nbsp;Et qui êtes-vous? dit Ménoresse...

— nbsp;nbsp;nbsp;Madame, réporidit-il, je suis l’heureux Espiandian qui me suis enferraé dans cette tombe,nbsp;prêt a recevoir la vie ou la mort, suivant qu’ilnbsp;plaira lt;1 madame Léonorine d’user erivers moi denbsp;pitié OU de rigueur...

— Etes-vous, dit la reine, Espiandian, fils du bon chevalier de la Verte Epée, qui nous a tantnbsp;de fois promis par messages de venir nous ser-vir?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Oui, madame, répondit-il, c’est moi qui,nbsp;pour accomplir ma parole , me suis fait apporternbsp;ici comme vous voyez...

— Si vous voulez me promettre, dit la reine, et me jurer de ne pas transgresser ce que je vous or-donnerai, je vous ferai voir et parler ^ celle quenbsp;vous désirez tant servir...

— Je vous promets cela et tout ce qu’il vous

Elaira, répondit Espiandian, pourvu que madame léonorine Ie veuille et soit contente...

— 11 suffit, dit la reine Ménoresse.

En conséquence, Ie vaillant fils d’Amadis leva la seconde lame, ouvrit Ie coffre et en sortit, ennbsp;faisant une grande révérence a la reine Ménoressenbsp;qu’il ne connaissait pas encore.

Elle lui dit aussitot:

— Sire chevalier, peut-être avez-vous ouï parler de moi quelquefois ; je suis la reine Ménoresse qui, pour vous aélivrer de la peine, ai ouvert votrenbsp;prison... Je vous prie cependant de rester ici et denbsp;m’y attendee...

En disant ces mots, Ménoresse quitta Espiandian et s’en vint trouver Léonorine qui tremblait commenbsp;une feuille.

— Madame, lui dit-elle avec gaité, quand l’hiver a été dur et long, on dit que l’élé en parait plusnbsp;beau. Après une grande tristesse survient unenbsp;grande joie I Vous avez pleuré Espiandian commenbsp;mort; maig je n’ai jamais vu de mort plus beau ninbsp;mieux portant que celui qui était eiifermé dansnbsp;cette tombe 1 Venez vous assurer si je rêve ou non!nbsp;Venez 1 venez 1...

Quand Léonorine entendit Ménoresse parler ainsi avec joie d’Esplandian, elle cut un tressail-lement d’allégresse, et, se levant de son lit sausnbsp;dire un seul mot a la reine, elle courut droit a lanbsp;garde-robe é l’entrée de laquelle elle vit celuinbsp;qu’elle aimait tant.

Espiandian mit aussitot les genoux en terre pour lui baiser les mains; rnais Léonorine ne luinbsp;laissa pas Ie temps de Ie faire; oubliant alors sanbsp;modestie accoutumée, sa gravité, sa pudeur ordinaire même, et ne pouvant plus se commander anbsp;clle-möme, elle se jela dans les bras d’Esplandiannbsp;nt 1’embrassa avec une extréme ardeur comme sinbsp;edele connaissait depuis longtemps...

Je crois ceriainement que, si la reine Ménoresse letiinbsp;nbsp;nbsp;nbsp;et répréiiendée doucement sur sa

de^bonh’ nbsp;nbsp;nbsp;amants enivrés seraient morls

Ce n’étaient pas deux corps, mais bien deux araes qui se mariaient. Espiandian et Léonorinenbsp;s’approchaient leurs bouches et se caressaient l’unnbsp;l’autre jusqu’è rextrémité des lèvres... Pour unnbsp;peu ils eussent passé outre , oublieux des lois dunbsp;monde et fidèles serviteurs de la loi de nature...

Je ne dis pas que la reine eut raison de les sé-pérer comme elle Ie fit et de les rappeler aux exigences décevantes de la réalité. Si quelqu’un s’avisait, comme elle, d’acuser Léonorine de folienbsp;ou d’inconstance, je lui répondrais, qu’elle étaitnbsp;très-excusable. Car, bien qu’elle ne connüt pasnbsp;Espiandian, et que la raison semble dire qu’ellenbsp;aurait dü mieux Ie connaltre avant de lui donnernbsp;de si grandes marqués d’amitié, il faut bien avouernbsp;que l’arnour l’avait si bien gravé et empreint dansnbsp;son coeur, qu’elle Ie voyait depuis un long tempsnbsp;avec les yeux de l’esprit...

C’est pourquoi il ne faut pas s’étonner si elle fit si bon accueil amp; sonami, cette première fois qu’ellenbsp;Ie vit corporellement, attendu la peine et Ie longnbsp;tourment qu’elle avait souffert depuis Ic jour oünbsp;Garmelle lui en avait apporté les premières nou-velles...

Ges deux amants étant dont emparadisés l’iin devant l’autre, se trouvaient tellement heureuxnbsp;que la reine Ménoresse dit a Léonorine;

— Madame, il me semble que vous feriez bien de commander au chevalier de se lever. Vous pour-riez Ie mener dans votre chambre et deviser ten-drement avec lui pendant toute la nuit, si vous Ienbsp;trouvez bon...

— Ma grande amie, répondit Léonorine, il nous a fui pendant plus de deux ans; maintenant jenbsp;veux Ie tenir de si prés qu’il n’aura pas la possi-billité de nous échapper!...

Alors elle prit Espiandian par la main, et voulut Ie faire lever, mais lui, s’y refusant, dit è Léonorine :

— nbsp;nbsp;nbsp;Madame, Gastilles me manda naguère ènbsp;Alfarin que vous me portiez quelque mau-vais voiiloir; je vous supplie de m’en dire lanbsp;cause... Si j’ai jamais fait une faute, j’ai péchénbsp;alors par amour pour vous... Si vous croyez cela,nbsp;j’aitrop présumé, pardonnez-moi et m’en donneznbsp;telle pumtion que bon vous sernblera...

— nbsp;nbsp;nbsp;Mon belami, répondit Léonorine, votre longue absence m’acausétant d’ennuis, que je vousnbsp;prie et commande de ne plus vous éloigner ainsinbsp;de moi... Voilé votre punition !...

— Madame, dit Espiandian, j’ai encore un voyage é faire vers mes compagnons, qui pour-raieiit mal penser de moi, pour les avoir laisséshi-bas, tandisque je prenais mon plaisir céans... Jenbsp;vous jure que je ne vous offenserai jamais pournbsp;une semblable cause ni pour aucune autre quinbsp;puisse survenir.

— Je vous accorde cela, dit-elle, pourvu que vous soyez bientót revenu. Du reste, je veux quenbsp;dorénavant vous m’aimiez assez pour que per-sonne autre que moi n’ait puissance sur vous etnbsp;que vous soyez mon chevalier. Or, maintenant,nbsp;levez-vous et je vous dirui co que je désirenbsp;encore...

Espiandian se leva.

Léonorine, Ie prenant par la main droilc, m


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LES CHEVALIERS DE LA SERPENTE. 9

conduisit dans sa chambre, Ie fit asseoir sur son' lit et prit place a coté de lui.

La, les yeux sur les yeux, les mains dans les mams, ils se raconlèreiit les peines qu’ils avaienlnbsp;endurées; comment leur amour avail pris nais-sance ; ce qui en avail été la cause... Ils parlèrentnbsp;ensuite de leur futur mariage, et, en devisantnbsp;ainsi, ils s’excitèrent tellement l’un 1’autre que sinbsp;la reine Ménoresse n’eüt été témoin de l'ardeurnbsp;qui les dévorait, je ne sais si, en attendant Ie mariage et ses droits consacrés, ils ne se fussent riennbsp;prêté.

Les deux amants passèrent ainsi la nuit, jus-qu’au lever de l’aurore.

Ce que voyant, la reine Ménoresse s’approcha de Léonorine et lui dit:

— Madame, les plus courtes folies sontles meil-leures... II est déjci grand jour: Timpératrice pourrait envoyer quelques-unes de ses femmesnbsp;OU venir elle méme póur voir comment vous vousnbsp;portez... Car, hier soir, trés tard, on lui a dit quenbsp;vous vous trouviez mal. Pour Dieu 1 donnez congénbsp;é ce gentil chevalier dont votre coeur est si alfolénbsp;et renfermons-le de peur que nous ne soyonsnbsp;surprises...

Ces paroles furent peu agréables é Esplandian qui eüt voulu que cette nuit-la s’éternisat. Ellesnbsp;ue Ie furent pas davantage S Léonorine. Cepeii-dant, quoiqu elle en eüt, prévoyant Ie danger quinbsp;pourrait advenir si on les trouvait ensemble, ellenbsp;dit a son bel amant:

— Mon doux ami, cette nuit bien heureuse ''öus fera souvenir de la promesse que vous m’a-^'ez faite; je désire vous revoir Ie plus tót quenbsp;vous pourrezl

Comme elle achevait ces mots, la reine Ménoresse qui élait aux écoutes, enlendit quelqu’un monter les degrés de la chambre. Elle en aver-tit Léonorine. Esplandian se retira trés preste-ment, sans prendre un plus long congé de sa dame,nbsp;et disparut dans son coffre de cèdre...

Cependant Léonorine ne put s’empêcher de Ie baiser avant que de l’enfermer...

Comme elle achevait de mettre la lame de cris-sur la tombe, Carmelle frappa é la porte, ^ecompagnée de Gandalin, d’Enil et de ses com-gnons.

La reine Ménoresse leur ouvrit aussitót...

Carmelle, en entrant dans la chambre, dit a Ceonorine, en lui souhaitant Ie bonjour :

, ¦ Madame, j’ai commandement de celui qui m envoie vers vous, de ne pas faire un plus longnbsp;®ejüur dans ce pays. Vous plait-il de me donnernbsp;ongé et de me faire délivrer Ie colfre que vousnbsp;'bavezpromis?..,

~~ .C^^^moiselle, répondit Léonorine, je vous l’ai 1 romis, et je tiendrai ma promesse, bien que j’ai-^iasse mieux tout garder avec moi que de m’ennbsp;•jparer... Vous pourrez Ie prendre quand il vousnbsp;P aira; vous Ie trouverez ü la inêine place quenbsp;''ous aviez choisie hier.

nrinrf^ moment les dames et les demoiselles de la averties que Léonorine était levée,nbsp;Lénrw'^ ® chambre. Elles empêchèrentnbsp;coSrnbsp;nbsp;nbsp;nbsp;separément a Carmelle,

mmc elle eut bien voulu Ie faire. Seulemeiit

Léonorine lui rendit la clef du coffre qui fut retiré de la tombe. Puis Gandalin, Enil et deux écuyersnbsp;Ie prirent avec eux et I’emportbrent, pendant quenbsp;Léonorine disait a Carmelle:

— Remerciez de ma part, je vous prie, Ie chevalier qui a eu si bonne souveiiance de moi. Et trouvez moyen que, suivant ce qu’il a si souventnbsp;mandé a I’empereur et a nous, il vienne nous voirnbsp;Ie plus tót qu’il Ie pourra...

— Madame, répondit Carmelle, je Ie ferai de trés bon cceur, comme celle qui désire vousnbsp;obéir...

— N’y manquez done pas, dit la princesse et sur ce, que Dieu veuille vous conduirel...

Alors Carmelle suivit ceux qui emportaient Esplandian, laissant Léonorine joyeuse et triste.nbsp;Joyeuse, paree qu’elle avail enfin pu voir celuinbsp;qu’elle tenait plus cher qu’elle même; triste, ènbsp;cause de son départ précipité.

Toutefois, 1'espérance qu’elle avail de son prompt retour, lui modéra grandement son ennui.nbsp;Pendant toute cette journée et celles qui suivirent,nbsp;elle resta toute songeuse, sans qu’on put soupgoïi-ner pourquoi.

— Ah! si Ménoresse n’avait pas été Ié!... mur-murait-elle. Au moins nous nous serions possédés l’un et l’autre, et nous n’aurions pas é cette heurenbsp;la crainte de n’être jamais l’un a l’autre, malgrénbsp;1’envie que nous en avons... La vie a tant denbsp;périls et de séparations... et l’amour doit avoirnbsp;tant d’enivrementsl... Ah! si la reine Ménoressenbsp;n’avait pas été Ié!... Comme Ie regard de monnbsp;douxamime transpergait agréablement l’amel..nbsp;Comme j’étais tentée é chaque minute de tombernbsp;pamée entre ses bras!... Sa bouche brülait lanbsp;mienne, mais ce feu était plein de charmes, etnbsp;mon cceur s’y sentait lentement fondre commenbsp;neige au soleil... Ah! si Ménoresse n’avait pas éténbsp;lal...

Carmelle ayant achevé son entreprise ainsi que vous venez de voir, et ne voulant rien oubliernbsp;de ce qu’on élait convenu de faire, envoya, pournbsp;éloigner tout soupgon, Gandalin et les autres aunbsp;navire, et revint trouver l’empereur qui, déja levé,nbsp;se promenait sur les galeries.

Aussitót qu’il la vit entrer, il lui demanda si Ie présent qu’Esplandian envoyait é sa fille étaitnbsp;encore dans Ie navire.

— nbsp;nbsp;nbsp;Non, Sire, répondit-elle, je l’ai fait porternbsp;hier dans la soiree chez madame Léonorine, ainsinbsp;que je vous l’avais promis, et je lui ai tout laissé,nbsp;horrais ce que j’ai eu pour ma part.

— nbsp;nbsp;nbsp;Et quoi? dit l’Empereur.

— Le coffre de cèdre, répondit Carmelle, dans lequel je ferai, s’il plait a Dieu, inhumer le corpsnbsp;de Matroco, qui repose dans Fermitage de monnbsp;pére... Mais comme je dois parlir ce matin pournbsp;laMonlagne Défenduevers celui é qui je suis, jenbsp;demande qu’il vous plaise de me donner congé.

— nbsp;nbsp;nbsp;Demoiselle, répondit l’empereur, j’ai mandénbsp;dernièreraent par vous é Esplandian le grand plai-sir qu’il me feraitde venir nous voir. üites-le-luinbsp;de nouveau, Fassurant qu’il aura de moi et desnbsp;miens tout Fhonneur possible...

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, dit Carmelle, que Dieu vous donnenbsp;longue vie!


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10 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

10 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

Et prenant congé de l’empereur, elle retourna au vaisseau oü l’attendaient Esplandian et scsnbsp;compagnons.

CHAPITRE VI

\ Comment Esplandian fit meltre a la voile, pensant relacher prés de la Montagnc Dé-fendue, et des aventures qui lui advinrent.

splandian élantrelourné sur son ƒ vaisseau, et Carmelle l’ayant re-résolurent de ne pas fairenbsp;/ un plus long séjour dans ce pays,nbsp;‘ ‘de peur d’etre découvcris.

Aussi ils comraandèrenl de lever les ancres, de bisser les voiles f * et de prendre route vers la Mon-tagne Défendue. Mais la (empète lesnbsp;poussa malgré eux Ie long de la cóle d’Al-farin.

La, comme Ie vent s’apaisait et qu’ils

.......... presque la terre, ils apergurent sur un

rocher des gens de pied et de cheval qui combat-taient l’un centre l’aulre avec grande furie.

Esplandian, étonné, dit k Gandabn et a Enil;

— nbsp;nbsp;nbsp;Puisque nous voila arrivés en co lieu, aliensnbsp;voir, je vous prie, quelle est la raison qui leurnbsp;met les armes a la main, et aidons ceux ptour quinbsp;sera Ie bon droit 1...

— nbsp;nbsp;nbsp;Allons, répondirent les deux chevaliers.

Ils descendirent aussitót a terre et, montant sur leurs destriers, ils commandèrent leurs mariniers de los attendre; puis ils coururent h bridenbsp;abattue la oii se faisait Ie combat.

En approebant de plus prés, ils reconnurent leurs compagnons aux croix blanches qu’ils por-taient.

Comme ils étaient en danger et enfermés do tous les cótés par un grand nombre de Tures, Esplandian piijiia son ebeval, et, franebissant les roebersnbsp;et les cailloux, il se langa dans la mêlée.

Grandaliti et Enil Ie secondèrent si bien, qu’avec l’aide des premiers assaillis, malgré la resistancenbsp;des autreSj'il les enfermèrent et leur passèrentsurnbsp;Ie ventre.

Ceux qui avaient été secourus ne savaient qtie penser, ui a quoi attribuer l’arrivée de ces troisnbsp;nouveaux cbevaliers; mais quand ils les eureiitnbsp;connus, ils louèrent grandement Ie Seigneur dunbsp;bien qu'il leur avait fait.

Es[)landian leur demanda comment ils en ctaient venus Ié.

— nbsp;nbsp;nbsp;Seigneur, répondit Elian-le-Délibéré, mesnbsp;compagnons et moi avons tant importuné Bellerisnbsp;de nous mener a la guerre, que nous sommes sortisnbsp;ceite nuit, sous sa garde, de la ville d’Alfarin pournbsp;surprendre celle de Galatieclui est sur Ie rivagedenbsp;cetti'. rner, assez prés d ici. Nous nous y sommesnbsp;eneffet longuemeut tenus en ernbuscade ; mais, anbsp;la un, craignant d’etre découverts, nous voulionsnbsp;nous relirer au petit pas : malheureusement nous

avons été si bien cernés que, sans la grSce de Dien et votre secours, nous étions impitoyablementnbsp;battus.

— nbsp;nbsp;nbsp;Par la foi que je dois a la cbevalerie, dit Esplandian, si vous aviez su dans quel pays d’infi-dèles nous sommes, et combien Ia perte d’un seulnbsp;d’entre nous est irreparable, vous n’auriez pasnbsp;voulu tant basarder notre salut. Mais ce qui estnbsp;fait est faitl Et afin qu’il ne nous survienne rien denbsp;désagréable, retournons sur mon navire qui nousnbsp;attend Ih-bas.

— nbsp;nbsp;nbsp;Seigneur Esplandian, répondit Belleris, l’oc-casion est bonne et a tort celui qui la refuse quandnbsp;elle se présente... La défaile des ïures est telle,nbsp;qu’il n’est pas, je pensc, resté un seul horame eunbsp;la ville. Par ainsi, je suis d’avis que nous en repre-nions Ie chemin, Ie plus secrètcment possible.nbsp;Puis, si nous en trouvons Ie moyen, nous donne-rons k travers les portes, et y pénetrerons sansnbsp;aucune résistance. Néanmoins, envoyez au navirenbsp;un de vos écuyers pour dire a vos gens qu’ilsnbsp;tirent droit k Alfarin, ou qu’ils ne bougent pas denbsp;ié sans avoir de nos nouvelles.

L’avis fut trouvé bon et on l’accepta.

Alors Belleris marebadevant; Esplandian et les autres Ie suivirent lo long du ebemin, d’oü ils apergurent d’assez loin un personnage assis sur un roenbsp;pointu.

Ce fantóme était d’une laideur repoussaute.

Ils galopèrent tous vers lui pour savoir ce que c’élail et ils virent une femme si vieille, si caduquenbsp;et si ridée, que sesdeux mamelleslui descendaientnbsp;jusqu’au nombril. Son vêtement était composenbsp;d’une grande peau d’ours, sur laquelle pendaientnbsp;ses cheveux longs, blancs et bérissés comme desnbsp;crins.

Ceite femme vivait dans les roebers depuis six fois vingt ans passés, exposée aux tempêtes, é Ianbsp;pluie et au vent, Aussi k voir son corps nu, on cütnbsp;dit que c’était l’écorce de quelque orme ou de quel-que vieux cbêne.

Tous les cbevaliers se mirent é rire, et ils de-mandèrent a Belleris s’il n’avait jamais entendu parler d’elle?

—• Oui, certes,répondit-il, car elle est si proebe parente du roi Armaio, qu’elle est soeur germainenbsp;de sou bis'iïeul... Et bien que, pendant sa jeuncsse,nbsp;elle ait été douée d’une beauté parfaite, elle nenbsp;voulut jamais se marier, quelques prières qui luinbsp;fussent faites par ses parents é ce sujet. Elle s’estnbsp;tidlement adonnée a la magie et aux seiiuices sur-iiaturellcs qu’il n’y en a pas une seconde commenbsp;elle dans son art. Elle a prédit depuis longlornpsnbsp;que Fon verrait avant sa mort ce grand royaumenbsp;de Turquie passer sous Ic joug des élrangers;nbsp;c’est pourquoi elle a fait crciiser cc roe, et balii’nbsp;au dessous une ou deux cbambres voülées, oii ellenbsp;Si! tiont ordinairement, accoutrée comme vous lanbsp;voyez... U’après ce que Fon dit partoiit, elle j-assenbsp;Fdge do neuf fois vingt ans, et approebe de sanbsp;deux centième année. Puur que vous la connaissieznbsp;mii'ux, je vous dirai que c’esl elle qui a fait meltre,nbsp;é la Fontaine Aveatureuse, les piliers dorés et lesnbsp;tablettcs que vous avez pu voir, seigneur Esplandian , quand vous avez trouvé la belle Iléliaxe etnbsp;défait les cbevaliers qui la gardaient...



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LES CHEVALIERS DE LA SERPENTE. 11

LES CHEVALIERS DE LA SERPENTE. 11

— nbsp;nbsp;nbsp;Vraiment? dit Esplandian; inais je voudraisnbsp;bien savoir a quoi elle passe Ie temps pour de-meurer ainsisolitaire?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Seigneur, répondit Belleris, aucun liomme vi-vant n’a encore pu Ie savoir. Toutcfois, on tientnbsp;pour certain qu’elle a porté dans celte caverne unnbsp;grand nombre de livres qu’elle prend un certainnbsp;plaisir lire.

— nbsp;nbsp;nbsp;Je m’élonne, répondit Esplandian, que per-sonne n’aitpénélré la dedans.

— nbsp;nbsp;nbsp;II y en a eu, répondit Belleris, mais ils ontnbsp;été si peu heureux dans leur entreprise, qu’ils sontnbsp;morls au sortir de la caverne.

— nbsp;nbsp;nbsp;Parlons-lui, dit Esplandian, peut-être nousnbsp;dira-t-clle quelque chose.

Ils s’approchèrent de plus prés; mais Ia vieille SC leva aussitot du lieu oü elle était assise, et s’en-fuit vers son trou, a l’entrée duquel elle s’arrctanbsp;pour dire Esplandian :

— nbsp;nbsp;nbsp;Chevalier 1 plus de cent ans avant que tu nenbsp;fusses né, j’avais prédit Ia destruction do ce paysnbsp;par toi et par les tiensl... C’est pourquoi j’ai pré-féré trainer cetie vie apre et misérable que de tora-ber captive dans tes mains 1

Ces mots dits, la vieille prophétesse s’enfonga dans son trou et dis()arut saus qu’on put savoirnbsp;ce qu’elle devint.

Ge qui lit rire les chevaliers.

Mais sans s’amuser plus longtemps de ce qu’ils venaient d’entendre, ils suivirent leur chemin surnbsp;lequel ils aperQurent bientól venir vers eux, d’as-sez loin, soixauteou quatre-vingts chevaliers prètsnbsp;a coinbatlre.

Se doutant que ce pouvait bien ctre de nouveoux ennemis, ils se rnirent en ernbuscade et envoyèrentnbsp;en avant Enil et Belleris pour savoir ce qu’il ennbsp;était.

Ces derniers se rnirent amp; couvert sous une toulTe de jeunes arbres qui se trouvaient Et et atten-dirent.

Un homme de la troupe portail un drapeau de htfletas rouge, sur lequel était brodée une grandenbsp;‘^foix blanche... Enil et Belleris n’eurent pas denbsp;peine a reconnaltre Frandalo qui marchaith la têtenbsp;de ses gens; ils revinrent en prévenir leurs compagnons qui, transportés de joie, s’emprcssèrent anbsp;'^her a leur rencontre.

Comine les deux troupes arrivaient en vue Tune 1 autre, Frandalo, pensant ètre surpris, com-jnanda amp; ses gens de se lenir serrés et, pour niieuxnbsp;fis aliirer au combat, il leur en envoya deux ounbsp;[ois des raieux montés pour les escarmoucher.nbsp;-‘Cux-ci reconnurent ’d leurs croix blanches Bellerisnbsp;ei leurs compagnons qu’ils venaient chercher.

Ce qu ayant vu Frandalo, il piqua son cheval et Hccourul, tout heureux de revoir Esplandian, qu’ilnbsp;emhrassa affeclueusement et auquel il raconla sesnbsp;^Ventures.

CHAPITRE VII

Comment Frandalo et la troupe des chevaliers chrétiens pri-rent d’emblée la ville de Galalie, et de la dépêche de Gan-dalin vers 1’empereur de Constantinople, pour en avoir secours.

Lorsque ces chevaliers chrétiens '’urent assembles, Esplandian demandanbsp;Frandalo pourquoi il s’était mis ennbsp;campagne avec une si forte compagnie.

— Seigneur, dit-il, j’ai été avorti cc matin que Belleris, mon neven,nbsp;était forli la nuit passée avec d’autresnbsp;chevaliers poijr courir sur nos ennemis; craignant qu’ds ne tomhassentnbsp;dans une ernbuscade ou qu’ils n’eus-sert aH'airc a plus nombreux qu’eux,nbsp;je l’ai aussitot fait savoirnbsp;nu seigneur Norandel, vo-tre oiicle, par l’avis et Ienbsp;commandementdiiquelj’ainbsp;pris Ie chemin que vousnbsp;voyez. Toutefois, puisque, pas plusnbsp;que vous, nous n’avons rien Irouvé ftnbsp;combaUre, nous relouruons vers Al-farin... Mais vous, chevalier, parnbsp;quelle aventure vous trouvez-vous ici?

— nbsp;nbsp;nbsp;Nous pensions, répondit Esplandian, nousnbsp;pensions, Gandalin,Enil et moi, faire voile vers lanbsp;Montagne Défendue. Le vent a poussé malgré nousnbsp;notre navire sur cette cóte, oü nous avons pu voirnbsp;a l’ceil nu Belleris et ses compagnons aiix prisesnbsp;avec un grand nombre d’ennemis qu’ils avaientnbsp;repoussés contre ces rochers. A'ous sommes descen-dus ü terre et avons pénétré si avant dans la mèlée,nbsp;quelavicloireest restéeentrenosmains... Mainle-nant, d’après l’avis de votre neven, nous aliions anbsp;Galatie qui, d’après ce qu’il dit et ce que nous avonsnbsp;déja fait, se rendra sans resistance.

— nbsp;nbsp;nbsp;Certainement, répondit Frandalo, cela pour-rait bien arriver, et puisque la fortune aide losnbsp;aiulacienx, passons outre et suivez-moi!... Je con-nais un chemin par lequel je vous conduirai sausnbsp;être découvrrts.

— Allons done, dit Esplandian.

Alors ils suivirent tons Frandalo, marchant ü ¦petit pas, et arrivèrent au haut d’un tertre, a unnbsp;petit mille de Galatie, d’oü ils purent voir ü leurnbsp;aise ceux qui y entraient ou qui en sortaient.

Ils remarquèrent une multitude de gens, tant a pied qu’ü cheval, qui, avertis de Ia défaite essuyéenbsp;par leurs compagnons, allaient ü leur secours,nbsp;pensant encore Irouver les chrétiens sur le lieu clunbsp;combat; mais ils leur tournaient le dos.

Ce que voyant, deux chevaliers éclaireur.s cou-rurent a bride abatlue pour en avertir Frandalo et sa troupe. Celui-ci, joyeux de celte bonne nouvelle, vint au grand galop et, suivi de ses gens, ilnbsp;attaciua rudenient les postes, tua ceux i(ui los gar-


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12 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

daient, et se rendit maitre de la place, dans laquelle il ne troiiva que des gens impotents ou débiles.

Ge fait accompli, ils levèrent les ponts et se tin-' rent aux aguets pour voir ce que feraient leurs ënnemis lorsqu’ils apprendraient cette nouvelle...

Ils ne tardèrent pas ci l’apprendre, car un paysan se jeta du haut des murailles et courut les ennbsp;avertir.

11 est aisé k penser s’ils furent douloureuse-ment surpris de cette nouvelle; car, outre Ia perte de leurs biens, ils avaient encore a déplorer cellenbsp;de leurs femmes et de leurs pelits enfants, qu’ilsnbsp;pensaient déjJi voir esclaves dans un pays étran-ger.

Cependant un des chevaliers, homme d’un grand courage, honteux de cette désolation générale,nbsp;sut tellement les animer et leur donner du coeur,nbsp;qu’ils résolurent de mourir ou de reprendre ce quinbsp;leur avait été enlevé.

Sur ce ils rebroussèrent chemin, se jetèrent sur la ville et l’a'.taquèrent k leur tour si rude-ment, qu’une grande partie d’enlre eux y laissa lanbsp;vie, OU fut repoussée etchassée dans Ie plus grandnbsp;désordre.

Frandalo, Esplandian, Enil, Gandalin, Elian, Tiron et dix autres des principaux augmenlèrentnbsp;si fort la terreur des Galatiens, qu’ils en tuèrent anbsp;eux seuls un trés grand nombre.

De mêrne qu’un chat enfermé et poursuivi essaie, avant de se mettre en défense, de fuir parnbsp;tous les moyens possibles Ia fureur de Thomme,nbsp;puis, se trouvant privé de cachette pour s’y ré-fugier, devient alors si furieux qu'il attaquenbsp;celui qu’il fuyait auparavant et Ie blesse griève-ment; ainsi ce pauvre peuple, ayant devant lesnbsp;yeux la mort qui Ie menagait, poursuivi k outrancenbsp;par les dix chevaliers chrétiens, et désespérant denbsp;toute miséricorde, eut recours aux armes et, vou-lant venger Ie sang répandu, retourna a la chargenbsp;avec un si grand courage, que Frandalo fut ren-versé. Quant a Esplandian et aux autres, ils furentnbsp;cerncs et si maltraités que, sans Ie secours denbsp;leurs compagnons, ils eussent pu expier leur vic-loire.

La nuit survint et les sépara.

Les chrétiens se retirèrent dans la ville, et les autresprirent Ie chemin de Tésifante, vers Ie princenbsp;Alforax, qui, averti de leur infortune, leur dit pournbsp;toute consolation :

— Mes amis, je suis désolé de votre perte, que je vengerai avec tant d’éclat qu’il en sera mémoirenbsp;a jamais!... J’espère, non-seulement chasser lesnbsp;larrons qui sont entrés dans nos pays, niais encorenbsp;aller moi-mêrae, en personne, piller, raser et dé-truire la ville de Constantinople, son mécbant em-pereur et l’empire des chrétiens!... Sachez quenbsp;pour réaliser ce projet, j’ai envoyé depuis long-temps mes ambassadeurs auprès de mes amis etnbsp;allies... Tous ra’ont promis d’y employer leursnbsp;forces, et déja ils sont réunis è ïënédos, oü nousnbsp;devons tons nous rassembler... En attendant quonbsp;jelrouve Ie moyen de faire mieux, je vais doniiernbsp;ordre qu’on vous distribue quclque argent, pournbsp;vousenlretenir...

Les citoyens de Galatie remercièrent trés hum-blement Alforax et restèrent a Tésifante, pleurant chaquejour leurs malheurs.

De leur cóté Esplandian, Frandalo et les autres, qui étaient maitres de la place, considérant qu’ilnbsp;leur serait impossible de garder tant de pays avecnbsp;si peu de gens, résolurent d’cnvoyer Gandalin inbsp;Gonstantinople, vers l’empereur, pour lui annen-cer qu’ils venaient d’affaiblir de nouveau Alforax,nbsp;en lui enlevant Galatie, qui était l’un des meil-leurs ports du Levant. A cette cause, Gandalin de-manderait a l’empereur d’envoyer Gastilles, ounbsp;autre, avec quelques secours; faute de quoi, ils senbsp;voyaient contraints d’abandonner cette nouvellenbsp;conquête, ou Alfarin, vu Ie peu de monde qu’ilsnbsp;avaient pour garder ces deux villes et les conti-nuelles alarmes que leur suscitaient les ennemis.nbsp;Enfin, pour quel’empereur füt plus porté a exaucernbsp;leur demande, ils lui envoyèrent une grande partienbsp;des bijoux pris dans Ie pillage de Galatie.

Or, corarae ils n’avaient a leur disposition ni bateau ni barque, il leur fallut avoir recours au navire d’Esplandian, qui par bonheur était ii l’ancre dansnbsp;Ie port, attendant.

Sergil eut ordre d’aller quérir son maitre. Gandalin arrivé, Esplandian Ie tira ii part et lui dit:

— nbsp;nbsp;nbsp;Gandalin, raori ami, vous avez été pendantnbsp;toute votre vie fidéle a mon père, ce qui me fournitnbsp;l’occasion de me confier i vous plus qu’ii toutnbsp;autre. Vous verrez madame Léonorine, é laquellenbsp;vous présenterez mes trés humbles recomraanda-tions é ses bonnes graces, 1’assurant que je nenbsp;manquerai pas, bientöt, d’accomplir ce que je luinbsp;ai promis. Vous lui présenterez aussi les deux bellesnbsp;esclaves que j’ai prises; je les lui envoie pour Ianbsp;servir, et afin que leur présence lui donne quel-quefois souvenance de moi, son troisième esclave,nbsp;et Ie plus soumis; et, comme jesais que vous n’ètesnbsp;pas novice en ces sortes de messages, je vous prienbsp;de vouloir bien vous employer efticacement pournbsp;mencr mes espérances é bonne réalisation...

— nbsp;nbsp;nbsp;Chevalier, répondit Gandalin, je prie Dieunbsp;qu’il me seconde; je réussirai a vous faire service!

— nbsp;nbsp;nbsp;Allez, mon ami, allez! Et revenez-nous vite-ment!... répliqua Esplandian en l’erabrassant.

Gandalin, sans plus tarder, monta sur son navire, oü étaient embarquées les deux esclaves qu’Esplandian envoyait ü Léonorine, et donna l’or-dre qu’on levatl’ancre. Les voiles s’enflérent et lanbsp;nauf partit!...

GIIAPITRE VIII

Comment Gandalin s’en alia vers I’emporeur, :\ Conslantino-ple, pour lui demander renfort, et comment il sut entre-tenir en secret la belle princesse Léonorine.

Le vent était si bon, que, peu de jours aprés son départ de Galatie, le brave Gandalin arrivait anbsp;Constantinople.

line fois débarqué, il chargea deux esclaves des


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LES CHEVALIERS DE LA SERPENTE.

présents qu’il avait h offrir a l’empereur, puis il se dirigea vers Ie palais oü son arrivée élait déja an-noncéc.

— Oü ^vez-vous laissé Ie boa chevalier Esplan-dian? lui demanda l’empereur en Ie reconnaissant et en l’embrassant. Ne Ie verrons-ncftspas bientótnbsp;céans?...

— Sire, répondit Gandalin, Ie seigneur Esplan-dian se recomraande a votre bonne grace. II m’a chargé de vous avertir que, depuis quinze jours,nbsp;lui, Frandalo, et quelques-uns des nótres sont en-trés dans la ville de Galalie.

— Galatie? dit l’einpereur, étonné.

— nbsp;nbsp;nbsp;La ville de Galatie, oui, Sire 1

— nbsp;nbsp;nbsp;Par la foi que je dois ü Dieu, voila une bonnenbsp;affaire! répondit l’ernpereur. Trés bonne affaire,nbsp;en vérilé!... D’après ce que Ton m’a assuré autrefois, Galatie a été et est encore une des plus gran-des et des plus importantes villes de la ïurquie.

— nbsp;nbsp;nbsp;La plus grande et la plus importante, en ef-fet, répliqua Gandalin.

— nbsp;nbsp;nbsp;A cause de cela, reprit l’empereur, je ne saisnbsp;vraiment pas si Ie bon chevalier Esplandian pourranbsp;lagarder... 11 ne sufiit pas de conquérir, il fautnbsp;encore conserver 1

— nbsp;nbsp;nbsp;Oui bien, Sire, dit Gandalin, Esplandian etnbsp;ses compagnons pourront conserver Galalie, pourvunbsp;que votre bon plaisir soit de leur envoyer quelquesnbsp;secours; autrement ils seraient contraints de l’a-bandomier a la longue, pour garder Alfarin, ou denbsp;laisser Alfarin pour garder Galatie; ce qui seraitnbsp;Une bonte pour eux, un grand doramage pour vousnbsp;et toute la chrctienté.

— nbsp;nbsp;nbsp;Y ont-ils pris de grands butins? demandanbsp;1 empereur, ont-ils perdu beaucoup de gens?

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, répondit Gandalin, tous les ennemis ont

été tUGS.

II lui raconta alors comment tout était arrivé; puls, faisant ouvrir les caisses qui renfermaient lesnbsp;présents, il lui montra, entre autres, l’efflgie ennbsp;Lronze de Nabuchodonosor, roi des Assyriens,nbsp;lt;^elle du grand Alexandre, et, ce qu’il cstima Ienbsp;plus, ce fut Ie vrai portrait d’Hector-le-Troyen,nbsp;^•quot;nié comme lorsqu’il combattait contre les Grecs.

L’empereur eut raison d’en faire un aussi grand car Agamemnon s’en contenta comme Ie plusnbsp;Precieux butin qu’il eüt du sac de ïroie. Ce por-rait avait été sculpté par un excellent artiste, surnbsp;^principale porte d’Ilion. Plusieurs siècles après,nbsp;u? était torabée entre les mains des rois de Tur-dp rnbsp;nbsp;nbsp;nbsp;voulu la placer sur la grande place

® fgt;alatie, sur un support de rnarbre vert. G’est co ai^enbsp;nbsp;nbsp;nbsp;Gandalin ü l’erapereur, qui en fut trés

YéTf serais pas plus lieureux de la prise de -Jenbsp;nbsp;nbsp;nbsp;que je Ie suis de ce beau présent!

'oie^nT^*'^*^ grandement les chevaliers qui me l’en-

répondit Gandalin, aussi ont-ils pensé fm,.*nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;serait plus agréable que les vases d’or

que renferme cette caisse.

claves nbsp;nbsp;nbsp;faisant approcher les deux es-

Lénnrvn- ^’’P'undian, il les i)résonta ü la princcsse

!! M lui disant :

chant nbsp;nbsp;nbsp;chevalier Esplandian, ue sa-

s faire offre de chose plus grande que

ces deux belles filles, vous les envoie comme esclg-ves, afin que tout Ie monde sache que, de même que vous êles la plus belle fille en perfection, denbsp;même il n’y a personne qui soit plus digne denbsp;commander aux autres que vous : faites-lui donenbsp;la grace de les accepter; il sera très-heureux denbsp;cette faveur...

Léonorine, qui savait déguiser ses affections, répondit :

— Sire chevalier, il faut que vous me croyiez bien légère pour me parler ainsi 1 Si Esplandiannbsp;m’airaait comme vous Ie dites, il y a longtempsnbsp;qu’il serait ici. Qu’il vienno voir l’empereur, puisnbsp;je croirai ce que vous me dites...

L’empereur prit grand plaisir a entendre parler sa fllle aussi franchement, et il lui dit:

— nbsp;nbsp;nbsp;Ma mignonne, que va penser Gandalin denbsp;vous voir si peu gracieuse envers celui qui vousnbsp;aime tant? Je vous prie, ma belle mignonne, denbsp;raodérer un peu vos propos. Prenez ce qu’Esplan-dian vous envoie; car si vous Ie refusez, il auranbsp;grande occasion d’être mécontent... Gependantnbsp;vous voyez que, pour l’amour de vous, il fait tantnbsp;de prouesses que jamais Ie chevalier de la Vertenbsp;Epée ne l’égala!...

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, répondit Léonorine, il égale son pèrenbsp;en prouesses, mais non en galanterie...

— nbsp;nbsp;nbsp;Madame, répondit Gandalin, si vous Ie con-naissiez comme moi, vous Ie loueriez de cc dontnbsp;vous Ie blamez Ie plus. En effet, s’il a tant altendunbsp;dquot;, venir vous voir, c’est qu’il a pensé qu’il n’avaitnbsp;pas assez mérité eet insigne honneur, bien qu’ilnbsp;passe aujourd’hui pour Ie premier chevalier de lanbsp;chrétienté... Toutefois, puisque vous l’accusez denbsp;fioideur, je vous réponds sur mon honneur qu’ilnbsp;viendra vous retrouver dés que je serai de retour,nbsp;pour vous obéir en tout ce qu’il vous plaira luinbsp;commander.

— nbsp;nbsp;nbsp;Gandalin, répondit la princesse, ne penseznbsp;pas que j'éprouve Ie moindre plaisir ou déplaisirnbsp;de sa présence ou de son absence. Je l’estime pareenbsp;que 1’^empereur mon père l’a pris en affection ènbsp;cause du roi Amadis son père. Néanmoins, puis-qu’il plait a mon seigneur, je prendrai lo présentnbsp;qu’il me fait, sous la condition expresse que vousnbsp;me proraettrez de Ie faire venir chez nous aussitótnbsp;que vous serez arrivé ü Galatie...

Gertes, Léonorine jouait merveilleusement soa róle; car, personne ne se fut douté de leur mutuelnbsp;amour devant la reine Ménoresse, et Gandalin lui-même, qui avait porté Esplandian dans la garderobe de Léonorine, ne savait plus a quoi s’eiUenir.

L’empereur lui demanda quel séjour il pensait faire a Constantinople.

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, répondit Gandalin, Ie plus court que jenbsp;pourrai : car il me serait mal séant de demeurernbsp;dans Ie repos, tandis que mes compagnons sont ünbsp;travailler. C’est pourquoi je vous supplie de vou-loir bien me donner congé Ie plus tót possible.

— Gandalin, dit l’empereur, jemanderai aujourd’hui mon amiral, et je ferai lever une armée en tclle diligence que, d’ici ü cinq ou six jours, vousnbsp;pourrez vous ernbarquer ensemble...

En disant ces mots, il sortit de sa chambre, et il alia se promener dans Ie jardin oü ses dames Ienbsp;suivirent.


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14

BIBLIOTHEQUE BLEUE.

Alors Gandalin, voyant Léonorine toute pensive, se promener seule Ie long d’une allée plantée denbsp;myrtes, il s’approcha d’elle et lui dit:

— Madame, monseigneur Esplandian m’a com-mandé de vous faire entendre que, depuis Ie jour qu’il vous laissa et qu'il reQut tant de faveurs denbsp;vous, soa coeur, qui vous appartient entièrement,nbsp;l’a si peu éloigné de vous, qu’il a pensé mourirnbsp;mille fois du regret de votre absence... J’ai connunbsp;beaucoup d'hommes passionnés d’amour; mais jenbsp;crois qu’il n’en fut jamais de semblable au sien, ninbsp;de plus mystérieux que son secret. 11 est impossible, vu ce qu’il endure et Ie peu de consolationsnbsp;qu’il regoit, qu’il ne meure pas bientót: ce qui se-rait un grand malheur pour la chrétienlé, èi causenbsp;de sa valeur qui fmira par Ie rendre Ie premiernbsp;chevalier du monde. Comme j’ai toujours été ser-viteur du père, et que je connais Ie naturel du üls,nbsp;je vois mieux que personne Ie danger pressantnbsp;dans lequel il se trouve, si vous n’avez pitié denbsp;lui... Je me suis enhardi èi vous dire ses douloursnbsp;paree que son seul désir est de demeurer avecnbsp;vous... ïoutefois, voyant les dangers auxquels sesnbsp;compagnons sout continuellement exposés jour etnbsp;nuit, il ne sait comment il pourra honnêtementnbsp;les laisser... G’est pourquoi je vous prie d’imputernbsp;son absence a la fatalité et non a sa foute; il nenbsp;vit que pour vous plaire et pour vous ohéir 1...

Gandalin était si triste en parlant amsi, que Léonorine se sentit émue jusqu aux larmes.

— Gandalin, mon arni, répondit-elle, je ne sais plus que faire pour lui... N’ai-je done pas asseznbsp;faitdéja?... Pourquoi me dites-vous que je cher-che a Ie faire mourir? Si je Ie savais seulementnbsp;malade, je ne me sens ni assez forte ni assez cou-rageuse pour conservt-r la vie, tellement j’en au-rais Ie désespoir!... Par ainsi, jujez de mon indifference pour luil... Apprenez, Gandalin, que jenbsp;ne veux appartenir qu’a lui, et ne Irouvez plusnbsp;étrange désormais, si devant l’empereur ou en public, je tiens des discours si peu a son avantage etnbsp;si en désaccord avec mes propres sentiments...nbsp;Pour rien au monde je ne voudrais qu’on connütnbsp;une seule étincelle de la flamme dont mon coeurnbsp;brüle pour lui jour et nuit 1...

— nbsp;nbsp;nbsp;Madame, dit Gandalin, je suis sür qu’il auranbsp;un plaisir extréme d’entendre ces bonnes paroles,nbsp;et qu’il laissera tout au monde pour venir vousnbsp;voir a la cour.

— nbsp;nbsp;nbsp;Oui, je l’en prie, répondit Léonorine; qu’ilnbsp;fasse a ce sujet tout ce qui sera en son pouvoir!..

Pendant eet entretien, l’amiral arriva avec son amiral 'Tartarie, ainsi nommé de la nation dans la-quelle il prit naissance. Tartarie était issu d’unenbsp;pauvre familie, mais il était en grande autorité anbsp;cause de son bon sens et de son courage; de sortenbsp;qu'il commandait dans toutesles mers de l’empire.

L’empereur l’entretint fort au long de ce que lui avait dit Gandalin au sujet du secuurs k envoyer anbsp;Galatie; il lui commanda d'armer en toute batenbsp;Ireiue galères et de lever deux mille hommes,nbsp;choisis parmi les meilleurs guerriers qu’il pourraitnbsp;rouver, pour les amencr avec lui.

au vouloir de l’cmpereur, exccuta ses ordres, de telle sorte que, six jours

après, il fut pret a faire voile avec tont son nom-breux équipage.

GIIAPlTilE IX

Comment Urgando-la-Di5connuo arriva a Galalie, et comment elle fit retrouver Ie roi de Dace blessé, avec Esplandian et ses compagnons.

lirlarie et Gandalin ayant pris fcongé de l’empereur, passèrentnbsp;'le détroit de Constantinople, et,nbsp;sans malencontre, arrivèrent anbsp;jGalatie, avant que la semaine nenbsp;'fut écoulée. S’ils furent bien re-Cus des chevaliers chrétiens, ilnbsp;Test vraisemblable, car le nombre denbsp;ces derniers était si petit et ils étaientnbsp;si dispersés qu’ils désespéraient denbsp;pouvoir garden celte place avec Alforinnbsp;et la Montagne Defendue. Mais ce ren-fort les réconforta, et ils s’erapressèrentnbsp;de distribuer les deux mille hommes denbsp;Gandalin et de Tartarie oü besoin ennbsp;était.

Esplandian avait un merveilleux désir de savoir de Gandalin s’il avait parlé a Léonorine et commentnbsp;elle se portaif, et, aussitót qu'il en trouva 1’occa-sion, il le retira avec lui dans sa chambre, pournbsp;deviser seuls a seuls.

Gandalin lui raconta fidèlement tous b's propos qu’il ava.t eus avec Léonorine, devant l’ernpereurnbsp;CU seul avec elle dans le jardin.

— nbsp;nbsp;nbsp;Sur ma foi, seigneur, ajouta-t-il, il me sem-ble que vous lui foites tort, vu le moyen que vousnbsp;avez de lui satisfoire et è vous pareillemeut...nbsp;Quelque chose que vous puissiez mettre en avantnbsp;pour votre excuse, vous n’êtcs pas tellement pressénbsp;que vous ne puissiez trouver le temps d’aller fairenbsp;un tour vers elle, ce dont elle vous supplic.

— nbsp;nbsp;nbsp;Je le ferai, répondit Esplandian, mais il foutnbsp;aviscr comment?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Pensez-y, dit Gandalin, et me laissez allernbsp;coucher, car jamais je n’eus aussi grande envie denbsp;dormir que ce soir...

— nbsp;nbsp;nbsp;Allez, mon cher Gandalin, ct soyez ici domain de bon matin.

Gandalin s’en alia ct Esplandian demeura, tout pensif, ne sachaut vraiment quel moyen honnêtenbsp;employer pour laisser ses compagnons en telle né-cessité.

Toutefois, Dien y pourvut; car, celte nuit-fo même, uno heure aVant le jour, comme Espbiu-dian commencait a sommeiller, on entendit Ie sonnbsp;le plus mélodieux du monde, lequel venait du na-vire de la Grande-Serpeiitc qu’il avait laissé k lanbsp;Montague Dé.fendue et qu’d ne soupeonnait pas sinbsp;proche. Gette mélodie continua une demi-beurenbsp;encore; puis on entendit un tel bruit dc trompet-


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LES CHEVALIERS DE LA SERPENT E.

^'dUs

«lour

tes et de clairons, mêlé a une telle résonnance de fifres et de tambours, que les soldals du guet soup-Conuèrent que Fannée de mer de leurs ennemisnbsp;pouvait bien êlre arrivée la pour les surpreiidre.nbsp;A cette cause ils seinèrent l’alarrae dans la ville, etnbsp;coururent tous aux murailles pour essayer de dis-tinguer dans les ténèbres d’oü pouvaient venir cesnbsp;bruits ctranges.

Ce ne fut qu’une demi-heure après, c’est-a-dire au jour, qu’ils aperqurent ie graad navire d’Ur-gaude équipe de baudriers et de banderolles.nbsp;Esplandian, réjoui, dévala au port, avec quelques-uns de ses compagnons, Talanque et Manelinbsp;entr’autres, et monta aussitót sur un vaisseau pournbsp;s’assiirer dequi était dans celui de la fée Urgande.nbsp;Ils l’aperQurent elle-même, qut les atlendait sur Ienbsp;tillac.

— nbsp;nbsp;nbsp;Mes ainis, leur cria-t-elle d’assez loin en leurnbsp;tendant les bras, soyez les bicnvenus et monteznbsp;sur ce navire afin que je vous erabrasse.

Lors Esplandian s’avanca etentra Ie premier de tous sur la Grande-Serpente. Gorame il saluaitnbsp;TJrgande-la-Déconnue, elle se prosterna jus(]u anbsp;terre pour lui baiser Ie pied, ce dont il fut toutnbsp;honteux.

— nbsp;nbsp;nbsp;Madame, lui dit-il en la relevant, je n’eussenbsp;jamais pensé que vous pussiez prendre plaisir anbsp;vous moquer de moi, car je m’esliinerai loute manbsp;vie votre trés humble oblige. PourDieu! si je vousnbsp;ai offénsée, chatiez-moi une autre fois d’une autrenbsp;nianière.

— nbsp;nbsp;nbsp;Bienhenreux chevalier, répondit-elle, 1’aidonbsp;que j’attends de vous, d’ici a peu de jours, m’anbsp;dicté ce que j’avais d faire; aussi prenez-le ennbsp;bonne part, je vous priel...

En disant ces mots elle l’cmbrassa, ainsi que Talanque, Maneli et les autres chevaliers, qui.tousnbsp;lui fireiit un excellent accueil, la suppliant hum-blement de leur faire connaitre Foccasion de sonnbsp;arrivée si inattendue.

— nbsp;nbsp;nbsp;Mes amis, dit Urgande, vous Ie saurez unnbsp;autre jour, lorsque j’en aurai Ie loisir. En attcn-Qant, je vous avise qu’il est nécessaire d’aller incontinent 5 Constantinople, oü vousentrerez armésnbsp;ct vêtus de la même parure que je vous apporte; ilnbsp;''ous serail trés préjudiciable k tous de différer cenbsp;''oyage jusqu’k une prochaine saison. C’est pournbsp;3uoi je vous engage k Ie faire dés les premiersnbsp;•lours de la semaine prochaine, et je vous assurenbsp;que l’empereur vous recevra avec un honheurnbsp;extréme, et Ie plaisir que vous aurez avec lui du-

Cfa jusqu’k ce que la roue mobile de la fortune, |*'sant sou tour, vous amènera une suite incroyablenbsp;souiïrances, de travaux et d’enuuis. El, pournbsp;^ous {ji'ouver que tout ce que je vous prédis estnbsp;l^cilable, je vous préviens que je dois moi-mème

rnber duns Ie plus grand danger que j’aie jamais

uru de ma vie. Le mal est que, selon les desti-je ne puis donner aucun ordre pour éviler cc nÜ! *1^' «10 poursuit, bien qu’il soit sur lenbsp;* «'f de m’arriver...

Madame, dit Esplandian, pour ce qui doit survenir, tenez-vous tranquille, car nousnbsp;'ons tons avant que le mal ne s'accomplisse!nbsp;destinoofjint, répondit Urgande, il faut que lesnbsp;‘«ees des personnes aient leurs cours... Maïs

changeons de conversation, je vous prie, car cette pensée me plonge trop dans la mélancolie.

— nbsp;nbsp;nbsp;Madame, dit Maneli, ne vous plait-il pas denbsp;descendre dans la ville?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Oui, répondit-elle, et je voudrais aussi quenbsp;Fon me fit venir Norandel qui est demeuré, coramenbsp;je sais, h Alfarin; et quand vous serez tous présents,nbsp;je jouirai d’un grand bonheur, car je vous amènenbsp;en ce vaisseau le roi de Dace, blessé dans un combat qu’il a souteuu contre Garlante, seigneur denbsp;File de Calafre, qui voulait lui óter par force deuxnbsp;demoiselles. Et bien que Garlante soit estimé unnbsp;chevalier preux et hardi, le roi de üace Fa tenement rameué k la raison, qu’il lui eüt coupé la tétenbsp;sans le pardon qu’il lui a demaiidé el qui lui a éténbsp;accordé, k condition que jamais de sa vie il ne feraitnbsp;tprt ni injure a aucun chevalier, Garlante le lui anbsp;jure et promis en ma presence, car j’arivai Ik parnbsp;hasard et j’entendis leurs discours. Le roi de Dacenbsp;était en danger de sa personne : jiï ne voulusnbsp;point 1’abandonner et le Os entrer dans la meilleurenbsp;cliambre de mon vaisseau, oü il est k cette heurenbsp;presque guéri de ses nombreuses plaies.

— Dieu I quelles bonnes nouvelles! s’écria Esplandian; sur ma foi, je craignais vivement de ne plus le revoir, et pour Dieu, madame, permetteznbsp;quo je le voiel...

Urgande les conduisit a Fendroit oü le roi de Dace était couché. Lorsqu’ils s’entrevirent, Esplandian ne put se contenir de larmoyer, tant étaitnbsp;grand son bonheur. Toutefois, ils n’eurent pasnbsp;ensemble pour le moment un long entrelien; Urgande craignant qu’uue trop vive emotion no futnbsp;fatale au roi de Dace, qui élait encore faible, nenbsp;voulut point le permettre.

G’étad prudemment agir. En conséqu'^nce, elle pria Eplandian et ses compagnons de sortir avecnbsp;elle, ce qu’ils firent incontinent. Peu après, mon-tant sur la frégate qui les avail amenés, ils retour-nèrerit au port de Galatie et conduisirent Urgandenbsp;dans la plus belle maison de la ville, en lui rendantnbsp;les honneurs réservés d’ordinaire aux reines Bri-séne ct Oriane.

CommenlUrgande-la-Déconnue, en se promcnanl avec ses chevaliers, rencontra Mélye l’enchan-teresse, et de latrompcrie que lui tit cette der-niöre.

cax jours après, Esplandian, touché de compassion k lanbsp;vue d’un grand nombre denbsp;femmes et de petits enfantsnbsp;qui ctaient veiius le trouvernbsp;—nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;—y le jour de la prise de la ville,

jiigea mcillimr de leur donner la libcrlé plütotqiie de les garder, ce qui aurait occasionné de fortesnbsp;dépensi'S.

— Les charger de fer et les réduire en servitude ne serait pas bien, dit-il a. ses compagnons; Notre


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16 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

Seigneur Jésus-Christ en serait mécontent. Par ainsi, pour qui voudra me croire, je suis d’avisnbsp;qu’usant envers eux de miséricorde on les envoienbsp;fous a Tésifante pour êlre présentés de notre partnbsp;a la princesse Héliaxe, qui nous en saura trés bonnbsp;gré; ce qui du reste nous déchargera d’autant...

Tousles chevaliers adoptèrent cette opinion, et Garmelle fut chargée de la délicatte mission d’ac-compagner les prisonniers auprès de la princessenbsp;Héliaxe.

Certes, bien dur eüt été Ie coeur de celui qui n’eüt pas été érau è la vue de ce peuple nombreux,nbsp;de cette multitude de femmes et d’enfants quinbsp;pleuraient araèrement de se voir ainsi bannis denbsp;leur propre patrie!...

Mais laissons-les aller, et revenons au danger dans lequel se trouva Ie lendemain Urgande-la-üéconnue.

Elle avait été si bien regue par les chevaliers, qu’elle prenait un singulier plaisir a leur ouïr ra-conter leurs exploits et leurs aventures dans Icnbsp;pays de ïurquie depuis la prise d’Alfarin. Et ennbsp;conversant ensemble sur ce dont ils se souvenaientnbsp;d’avantage, Esplandianserappela la vielle sorciérenbsp;qu’ils avaient rencontrée sur les rochers oü ellenbsp;faisait sa résidence, ce qui Ie fit sourire.

Urgande surprit son rire et lui en demanda la cause.

— Madame, répondit Esplandian, je pensais a la beau!é d’une jeune pucelle que mes compagnons et moi nous avons rencontrée il y a peu denbsp;temps, assez prés d’ici... Pour vous la depeindrenbsp;au naturel, je puis vous affirmer, k ce que dit Bel-leris, qu’ily a quelques buit ou neuffois vingt ansnbsp;qu’elle sait parler... Elle a une peau si fraiche etnbsp;si rosée que je ne saurais mieux la comparer qu’anbsp;l’écorce d’un de ces grands ormes qui prêtent com-munément leur abri et leur ombrage aux carrefoursnbsp;des villages de la Grande-Bretagne... Au reste, sesnbsp;cbeveux sont blancs comme neige, et si mal pei-gnés, qu’ils semblent collés ensemble. En outre, ilsnbsp;tombent en corde raide sur une peau d’ours quinbsp;lui sert d’unique vêteraent.

Urgande avait entendu plusieurs fois parler de cette vieille folie, et elle désirait vivement la voirnbsp;a cause de sa renommée. C’est pourquoi elle dit anbsp;Esplandian:

— En bonne foi, je la connais mieux que vous ne pensez, et je sais qu’elle a été pendant sa jeu-nesse 1’une des plus belles créatures de sonnbsp;temps... Elle est fille, soeur et tante de roi, et senbsp;nomme Mélye... Elle a tellement voulu apprendrenbsp;et se forlilier dans l’arl de la nécrornancie, quenbsp;son mépris pour Ie monde augmenta de jour ennbsp;jour; elle s’est réfugiée dans Ie fond d’une rochenbsp;sous laquelle elle a lait construire une caverne oünbsp;elle jouit de la plus profonde solitude... Je vousnbsp;jure sur ma foi qu’il y a vingt ans et plus que j’ainbsp;Ie désir de la voir; mais des affaires me concernantnbsp;pe m’ont pas encore permis de mettre mon désirnbsp;ü execution.

— Madame, répondit Esplandian, puisque vous en ètes si prés, accomplissez-le maiutenant; nousnbsp;vous y conduirons tous et uous vous servirons d’es-corte...

— Je vous en prie, dit-elle, nous irons aussitót que nous aurons diné.

Les tables ayant étélevées, chacun, curieux de voir chose si étrange, se tint prêt pour accompa-gner Urgande.

Esplandian toutefois en choisit seulement un certain nombre qui, accorapagnés d’Urgande, sor-tirent de Galatie bien armés et bien montés. Bel-leris les conduisait.

Comme ils approchaient de la caverne oü habi-tait Mélye, ils l’apergurent assise les jambes croi-sées sur la pointe d’un rocher.

Urgande pria les chevaliers de s’arrêter afin qu’elle put parler ü Mélye en particulier. Puis, piquant son cheval, elle s’approcha d’elle et lui dit:

— nbsp;nbsp;nbsp;Madame, je vous prie de ne pas trouver mau-vais si je viens vous visiter et vous offrir mes services.

— nbsp;nbsp;nbsp;Qui êtes vous? demanda Mélye.

— nbsp;nbsp;nbsp;Je suis Urgande-la-Déconnue, et de toutnbsp;temps j’ai eu Ie désir de vous voir.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ah! vous êtes cette Urgande, la plus savantenbsp;cntre les savantes? répondit Mélye. Votre visitenbsp;m’cst graadement agréable... Venez ici afin quenbsp;nous puissions deviser ensemble des choses quenbsp;vous et moi avons pris Ia peine d’apprendre...nbsp;Bien que vous soyez dans Ie camp des chevaliersnbsp;chréliens qui font taut de mal ü notre pauvre pays,nbsp;je vous excuse; je comprends la fidélite que vousnbsp;devez a votre religion... G’est pourquoi je vousnbsp;prie d’approcher et de venir a moi...

Urgande voyant Mélye si caduque et si débile fit ce qu’elle désirait. Elle espérait la retenir jus-qu’a ce que les chevaliers fussent arrivés, afin denbsp;la leur livrer et de l’emmener a Galatie.

Mais la vieille devina ce dessein, et, se relirant è l’entrée de sa caverne, elle lui dit:

— nbsp;nbsp;nbsp;Urgande, je serais contrariée que notre en-tretien fut entendu par ces chevaliers!... Entronsnbsp;ici, s’il vous plait...

Urgande nefit aucune difficulté et s’ayanga.

Alors Mélye, s’élangant sur elle, l’empoigna ü la gorge et la lui serra si étroitement, que lanbsp;pauvre fée ne put crier au secours...

Les chevaliers, cepcndant, se doutant de ce qui se passait, se hatèrent d’accourir et de forcernbsp;l’eutrée de la caverne, ayant h leur tele Talanquenbsp;et Maneli.

Mais aussitót qu’ils y eurent pénétré, ils reculé-rent, saisis d’un grand étonneraent, et y fireut un bond si gigantesque en poussant un cri si prodi-gieux, qu’Esplandian, qui les suivait d’assez loin,nbsp;les entendit et devina ü peu prés ce qui se passait-

II portait avec lui Ie remède efiicace centre cys merveilleuses aventures; c’était sa bonne épóe,nbsp;centre laquelle tous los enchanteraents venaientnbsp;échouer, ainsi qu’i! 1’avait expérimenté une pi’^^'nbsp;mière fois lorsqu’il était entré dans la chainbf'tnbsp;d’Arcabone, rnère de Matroco.

Esplandian, sachant ses douze compagnons ei lelie nécessité, se fut volontiers amuse de leunbsp;frayeur, s’il n’eüt vu Mélye qui tenaitnbsp;sur ses genoux, tachant de l’étrangler parnbsp;les moyens possibles.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;,

Mais Ie cas était grave et pressant; Mélye n vait pas l’air de plaisanler. Esplandian s avai g


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LES CHEVALIERS DE LA SERPENTE. 17

LES CHEVALIERS DE LA SERPENTE. 17

done pour secourir Urgande et raenaga Mélye d’une cruellereprésaille si elle lui faisaitdumal...

Mélye ne tint nul compte de ces paroles; il fal-lut qu’Esplandian menagat de la frapper de son épée... Mors elle s’enfuit, espérant se réfugier ènbsp;temps dans sa chambre, oü étaientréunisses charmes et ses enchantements... Au moment ou ellenbsp;approchait de la porte', Esplandian la saisit par sanbsp;peau d’ours, et Tarréla de fagon qu’elle ne putnbsp;passer outre.

II étendait déja Ie bras pour lui donner la mort, lorsqu’il s’arrêta, pensant qu’il serait honteux a unnbsp;chevalier de frapper une femme faible et sans defense. Cela lui fit modérer sa colère et il se décidanbsp;seulement a retirer Mélye de sa caverne. La pre-nant alors par Ie poil, il commenga par la secouernbsp;avec énergie.

En ce moment il apergut un grand singe ridé, qui ouvrait deux grands yeux étincelants commenbsp;deux charbons allumés, et qui s’élanga sur lui pournbsp;Ie défigurer. Par bonheur Esplandian put lui donner un si fort coup de poiog, qu’il l’élendit raidenbsp;mort. Puis il passa outre, emmena Mélye hors denbsp;sa caverne, la laisa k la garde de Frandalo et re-tourna savoir si Urgande était vive ou non. II lanbsp;trouva faisaiil une telle grimace qu’il crut quenbsp;1’éme allait lui sortir du corps.

II eneut pitié, Ia pritentre ses bras et 1’emporta au grand air. II en fit autant pour Talanque etnbsp;pour Maneli, qui, un quart d’heure après, ne senbsp;ressouvinrent plus de rien et furent aussi sains etnbsp;saufs qu’auparavant.

Après cela ils remontèrent tous a cheval, emme-nant avec eux Mélye, que Sergil mit en croupe avec lui et qu’il tint étroitement serrée de peurnbsp;qu’elle n’échappat.

Dieu sait si en cheminant Urgande les entretint 'iela peur qu’elle avail eue.

— J’ai ponsé moarirl dit-elle en frissonnant encore.

Bientót ils entrèrent dans la ville, i une heure Bès avancée du jour.

GIIAPITRE XI

g,®Carmolle arriva h Tdsifante vers Hdliaxe et Alforax, s acquitta de la mission qu’on lui avail confide relati-'neni aux femmes elaux enfanls pris k Galatie.

se hMa tcllement d’accomplir sa mis-netif nbsp;nbsp;nbsp;arriva bienlót a Tésifante avec les

tf ®‘'wnts et les femmes de Galatie. Les unes fiuinbsp;nbsp;nbsp;nbsp;pères et les autres leurs maris,

Je sauvés comme il vous a été dit. sentirp^nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;douleur ils reset friiat -nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;quand ils se vireut ainsi exilés

hornmn a nbsp;nbsp;nbsp;Gertes, il n’y a pas

vovant^ nbsp;nbsp;nbsp;larmes

y I ces pauvres gens environnes de leurs

petits enfants, sans ressources et ne pouvant pres-que leur donner è boire ni a manger!

Alforax sut leur arrivée, et les voyant en si grande doléance, il paria si haut que chacun putnbsp;entendre ces paroles:

— nbsp;nbsp;nbsp;Dieux immortelsl il faut done que moi ounbsp;les miens nous ayons commis quelques grandsnbsp;raéfaits pour avoir ainsi a déplorer une si cruellenbsp;guerre et une ruine si désastreuse de notre pays I...nbsp;Apaisez-vous, puissants dieux I et, dans votrenbsp;infinie bonté, permettez que tout Ie mal quenbsp;vous faites peser sur des têtes innocentes, retombenbsp;sur moi seul qui vous ai irritésl Ou plutót, faitesnbsp;que pour votre gloire, je puisse chasser cette mau-uite secte des chrétiens, ennemis de vos saintesnbsp;loisl... Je vous jure que j’en ferai un tel carnage,nbsp;que vous aurez occasion de vous apaiser, si vousnbsp;êtes irrités du peu d’ardeur que j’ai mis k les chasser de cette terre qu’ils souillenti...

Alforax s’informa ensuite auprès des nouveaux arrivés comment ils avaient pu s’échapper.

— Sire, répondit celui qui lui avail apporté la nouvelle de leur arrivée, une demoiselle asseznbsp;belle, noinmée Garmelle, ainsi que j’ai entendu,nbsp;les a amenés ici. Elle désire vous parler, aiusinbsp;qu’k madame Héliaxe.

— nbsp;nbsp;nbsp;Madame, connaissez-vous Garmelle? dit Alforax k sa femme.

— nbsp;nbsp;nbsp;Oui, Sire, répondit Héliaxe, c’est elle qui menbsp;tenait compagnie Ie jour oü je tombai dans lesnbsp;mains de Frandalo. Je puis vous assurer qu’ellenbsp;s’efforgait de me rendre tous les services dont ellenbsp;pouvait s’aviser. Aussi je vous prie de commandernbsp;qu’on lui fasse l’honneur et l’accueil qu’ellenbsp;mérite. '

— nbsp;nbsp;nbsp;Ma mie, dit Alforax, ceci me plait beaucoup.

On se hata de chercher la demoiselle qui, aussi-

tót arrivée, s’adressa d’abord k Héliaxe et, sans la saluer autrement, lui dit;

— Madame, vous connaissez Ie maitre et Ie seigneur k qui je suis, lequel a seul puissance sur moi ; ne trouvez done pas étrange si je m’humilie si peunbsp;devant la majesté du prince Alforax, ni devant lanbsp;votre... Et afin, madame, que vous sachiez la causenbsp;de ma venue ici, je crois ne rien vous dire de nouveau en vous apprenant la prise de Galatie dont lesnbsp;chevaliers chrétiens sont maltres aujourd’hui. Ilsnbsp;ont conquis la ville sur vos gens, sans y trouvernbsp;autre garnison que ces femmes et ces petits enfants,nbsp;que monseigneur Esplandian et ses compagnonsnbsp;vous envoient pour en ordonner ainsi que bonnbsp;vous semblera. Je vous assure que, Ie devoir denbsp;leur religion k part, ils ont désir de vous faire plai-sir et service autant qu’k princesse de la terre...

— Garmelle, répondit 1’infante, ce n’est pas Ie premier bien qu’ils m’ont fait. Je me tiens si fortnbsp;obligée envers eux, que soit dans l’adversité ou Ianbsp;prospérité, il ne sera jamais jour de ma vie oü jenbsp;n’aie Ie désir de Ie reconnaitre... Je saisbien, toute-fois, que je n’en ai et n’en aurai jamais Ie raoyen,nbsp;k moins que la fortune inconstante ne doiine unnbsp;si grand tour k sa roue, qu’elle les abaisse d’autantnbsp;qu’ils sont élevés maintenautl... Hs connaitrontnbsp;alors en quelle estime j’ai leur vertu, et comme jenbsp;sais récompenser les faveurs qu’ils m’ont dis-pensées....

Série. — 2


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18 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

18 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

no this de retour k Galatie, Carmelle fit devant tous la narration de sonnbsp;voyage et répéta les propos quo Ie prince Alforax lui avait tenus ennbsp;prësence de la princessenbsp;Héliaxe.

— Carmelle, dit Alforax, ne vous ont-iU rien coramandé de rne dire?

— Non, Sire, répondit-elle; mais jo vous avise qu’ils vont bientót venir vous voir en tel équipage,nbsp;que vous n’aurez certes pas lieu de vous en con-tenter.

— Partous mes dieux! s’écria Alforax, je les reléverai de cette peine, s’ils ne font extrémenbsp;diligence, car tant ae gens sont en chemin pournbsp;me secourir, que Je passera! par Constantinople,nbsp;je ruinera! sou raécliant empereur et toute la chré-tientél... Alorsil sera facile k ma femme, si bonnbsp;lui semble, de reconnaitre les services qu’ils luinbsp;ont rendus, comma elle Ie ditl...

— Sire, répondit Carmelle, les projets ont souvent unetoute autre fin que cellequ’ou avait d’abord pu prévoir... Dieu, qui est au-dessusde tout, commando toutes clioses selon son bon plaisir et nonnbsp;pas è la volonté des personnes... Or, comme j’ainbsp;maintenant satisfait au coramandement de ceuxnbsp;qui m’ontenvoyée vers madame, dit-clie cilléliaxe,nbsp;je la prierai de me faire conduire en lieu de sü-reté.

— Sire, dit la princesse i Alforax, faites-lui, je vous prie, cette courtoisie, car je serais trop mar-rie qu’elle reedt Ie plus peut ennui...

Cette demande lui fut accordée. Héliaxe fit en outre présent k Carmelle d’une de ses plus richesnbsp;toilettes; puis elle la fit conduire par vingt chevaliers jusque prés de Galatie.

Lorsque ces vingt chevaliers lui eurent aiusi fait, ils lui demandèrentla permission de prendre congénbsp;d’elle, ce qu’elle accorda volontiers, étantdésormaisnbsp;en süreté.

GHAPITRE XII

Comment, après Ie retour de Carmelle k Galatie, Esplandian, Frandalo, Gandalin et Enil, relournèrent a la cavernc denbsp;Mélye et firent rencontre de trois géants et de douze chevaliers tures qui leur livrèrent combat.

«— Par ma foi! dit alors Urgande, Alforax, en parlant ainsi, a suivi la pente de son naturel or-gueilleux et téméraire... Je sais par les livres dunbsp;destin, que de grandes choses lui sont réservées;nbsp;et, comme elles ne peuvent tarder k lui arriver, jenbsp;m’en tairai pour cette heuro. En attendant, je vousnbsp;prie de me rendre Ie service de retourner 4 la ca-verne do Mélye pour chercher les livres que nousnbsp;Quand ces livres soront en manbsp;uliles, ainsi qu’èi

Esplandian voyant Urgande parler avec tant do feu, et connaissant ledésir qu’elle éprouvait de re-couvrer ses livres, lui répondit;

— Madame, avant que je ne dorme, je me met-trai en peine de vous obéir.

Et, sans plus différer, il pria Enil, Frandalo et Gandalin de lui tenir compagnie. Tons quatre allè-rent s’armer immédiatement et, montant k cheval,nbsp;suivis seulemeut de leurs écuyers, ils sortirent denbsp;la ville, laissant Urgande avec Norandel qui étaitnbsp;nouvellement arrivé a Alfarin.

Ges quatre chevaliers cheminèrent jusqu’a ce qu’ils fussent arrivés au roe de Mélye, prés duquelnbsp;ils aperqurent d’assez loin trois géants et douzenbsp;chevaliers, a I’entrée de la caverne do Mélye.

Les bergers qui gardaient les Iroupeaux avaient été témoiiis de l’enlèvement de cette vieille dans lanbsp;direction de Galatie, et ils s’étaient empresses d’ennbsp;aller répandre la nouvelle.

Voilé pourquoi ces trois géants et ces douze chevaliers étaient la; ils voulaient savoir si les bergers leur avaient meiiti ou non.

Esplandian et ses trois compagnons virent bien que c’étaient des ennemis; aussi, ils résolurent denbsp;les atlaquer, bien qu’ils fussent en plus grand nom-bre qu’eux.

En effet, couverts de leurs écus et tenant leurs épèes en avant, ils fondirent sur ces nouveaux ve-nus. Esplandian rencontra Ie premier des géants,nbsp;Frandalo Ie second, Gandalin et Eml Ie troisième.nbsp;Esplandian porta un formidable coup au sien etnbsp;lui lit faire un bond simerveilieux que Ie cavalier etnbsp;Ie cheval restèrent sur la place sans remuer ninbsp;pieds ni mains..

II en advint tout autrement aux deux autres. Ayant rompu leurs bois contre Frandalo, Gandalinnbsp;et Enil, leurs chevaux mal embouchés les empor-tèrent k un grand mille de Ié, avant qu’ils pussenlnbsp;les arrêter. Au même instant, les quatre chevaliersnbsp;ebrétiens furent enveloppés par les douze chevaliers tures, dont trois furent mis é mort dés la première charge.

Alors commenga une mêlée cruelle et sanglante, et telle qu’avant Ie retour des deux géants, cinqnbsp;autres des leurs se sentirent si mal traités, que Ienbsp;plus sain d’entre eux était trés grieveraent blessé.

Comme il n’en rcstaitplus que trois, Esplandian et Frandalo les laissèrent se démêler avec Gandalinnbsp;et Enil pour aller au-devant des deux géants qmnbsp;venaient au grand galop secourir leurs compagnons.

Une fois rencontrés, personne ne vit jamais plus beau combat. Esplandian, au souvenir de Léouo'nbsp;rine, ne donnait coup d’épée qu’il ne lit sortir lenbsp;plus pur sang du corps de celui auquel il s’adres-sait; tellement, que le roclier en était tout reugi-

Cependant, il trouva un homrae é lui rendre ü fortes secousscs. Son écu fut dctailló en un instantjnbsp;et mis en tant de piéces, qu’il ne lui demeura anbsp;poing quo les courroies.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;,

Esplandian on ent un tel déplaisir que, se suui ' vant sur ses élriers, il donna é son enneini nnnbsp;coup sur sa coilfe de fer ot parvint ainsi a lo “f® .nbsp;mer. Lesyeux du géant commeiicèrent a lui enbsp;celer si fort, qu’ü baissa locou jusque sur la crime


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LES CHEVALIERS DË LA SERPENTE,

pendanl qu'ils songeaient retourner d Galatie.

de son cheval et laissa tombor amp; terre l’épée qu’il tenait.

Aussitót, Esplandian Ie rechargea avec une extréme adresse entre Ie haubert et Ie heaume, au point qu’il lui enleva la tête. Le cheval et Ie corpsnbsp;s’enfuirent a travers les rochers.

Pendant ce temps, Prandalo combaltait brave-ment 1’autre géant, et le tenait pressé et hors d’ha-leine.

Gandalin et Enil, d’un autre eóté, ne faisaient pas de nioindres efforts. Leur courage étaitsi grandnbsp;que, quoique entourés de quatre ennemis, ils abat-tirent les deux plus adroits. Mais les deux autresnbsp;tenaient toujours bon, et ils faisaient seinblant denbsp;fuir, quand ils virent Esplandian piquer droit a eux.nbsp;Toutefoisquot;, il s’arrêta tout court quand il vit ceuxnbsp;qui étaient tombés se relever et prendre les armes.nbsp;Lors, il tourna bride; mais mal lui en advint, carnbsp;son cheval, ayant mis le pied dans une ornière, ilnbsp;tomba sur le flanc, laissant Esplandian dans unnbsp;trés grand danger de mort.

Ses ennemis, joyeux de cette déconfiture, 1’en-virounèrent a l’instant en poussant des cris de triomphe, et ils levèrent leurs épées pour les luinbsp;plonger sous le haubert jusque dans les entrail-les!...

G’eüt été pour eux chose aisée et facile, si Notre-Seigneur Jésus-Christ n’y eüt pourvu par sou intervention manifeste. Le cheval eut la force de se relever, et son maitre avec. Esplandian, alors, senbsp;voyant libre et l’épée au poing, fut si terrible qu’ilnbsp;ne laissa en vie aucun de ceux qu’il put atteindre.

Sur ces entrefaites, les deux ennemis auxquels Gandalin et Enil avaient encore èi faire, s’enfuirentnbsp;par les montagnes, comme si le diable les eüt em-portés. lis se sauvèrent ainsi sans étre longtempsnbsp;poursuivis...

Le géant demeura pour gage. Frandalo lui ac-nordalavie, tant pour la pitié qu’il excita en lui demandant son pardon, que paree qu’il ne valaitnbsp;Snère mieux que s’il était mort.

CIIAPITRE Xlll

t-omment Esplandian entra dans Ia cavernc de Mélyo, et du d'alïn nu’il düt essuyer, ainsi que Frandalo, Enil cl Gan-^ Le combatterminé,ainsi quevous l’avezenlendu,nbsp;deun fit bander ses plaies du mieux qu’il put.nbsp;^^Pld’adian entra dans la caverne de Mélyenbsp;dan**^ prendre les livres qu’il cherchait; il vintnbsp;ser'^ une chambre oü le lierre avait crü en tapis-^p^?;.0uatre lampes, qui brülaient jour et nuit,nbsp;uaient aux quatre coins de la voute. Leurs flam-séteignaient jamais, tant l’enchanteresse

endroit.

dYisa iintf ^^l'l'^’ddian regardait de toutes paris, il Pldnlénbsp;nbsp;nbsp;nbsp;au milieu dc laquelle était

et nbsp;nbsp;nbsp;massif a sept branches,

fel os nainbeaux de cire vierge qui brülaient

constamment. A cóté était une table de cyprès, et, au-dessus, les livres de Mélye, les uns couverts denbsp;lames d’or et taillés 1) la damasquine, et les autresnbsp;d’argent fin émaülé de plusieurs sortes d’cmaux.

Esplandian prit ces livres, les emporta avec lui hors de la caverne, les remit a son écuyer, et re-monta a cheval avec sa compagnie.

Ils reprirent le chemin par lequel ils étaient venus, pensant retourner ii Galatie. Mais ils furentnbsp;arrêtés plutót qu’ils ne le pensaient.

Les Tures qui avaient pris la fuite, comme vous avez vu au enapitre précédent, avaient en fuyantnbsp;donné l’alarme amp; une petite ville voisine, d’oünbsp;étaient sortis vingt hommes a cheval et quarante ünbsp;pied, qui, ayant appris que quatre chevaliers chré-tiens seulement avaient fait cette charge a leursnbsp;gens, étaient accourus au galop pour les cerner...

Frandalo et ses compagnons les aperqurent d’as-sezloin. Ils ne pouvaient pas aisément fuir le combat, sans s’exposer a quelquo honte. G’esl pourquoi Esplandian futd’avis de se fier S la fortune et d’en-voyer immediatementun de leurs ccuyersh Galatienbsp;pour avertir ceux de leurs gens du danger dansnbsp;lequel ils se trouvaient, afin d’en avoir dusecours.

Frandalo s’opposa k cet avis, exposant le grand travail qu’eux et leurs chevaux avaient souffertnbsp;pendant toute la journée, et le grand nombre desnbsp;ennemis qu’ils avaient en face d’eux.

—Tellement,|ajouta-t-il, que, si nous nous achar-nons a soutenir leur choc, je crains beaucoup que, tout en pensant acquérirgloire et chevalerie, nousnbsp;nc tombions en danger de passer pour fous, pré-somptueux et téraéraires 1...

— Quoidonc! répondit Esplandian, voulez-vous endurer la honte defuir?... Jamais, compagnons!nbsp;Quant a moi , j’aime mieux prendre le hasarddenbsp;mort ou de vie, tel qu’il pourra venir 1...

— Void ce que nous allons faire, si vous y con-sentez, dit Frandalo. Mon écuyer courra k Galatie avertir Talanque et les autres, comme nous venonsnbsp;de l’arrêter... Quant è nous, je connais un pontnbsp;assez prés d’ici, oü nous nous retirerous et oü nousnbsp;nous défendrons jusqu’h l’arrivée du secours de-mandé. Nous ne pourrons du moins étre attaquésnbsp;qu’en unlieu étroit et de prise difficile...

— Allons done! répondit Esplandian.

Aussitót, laissant le chemin a droite, ils priront sur la gauche, en suivant Frandalo qiii les guidait.

Ils cheminèrcnt si longtemps quils trouvèrent enfin une petite rivière assez creuse, et un poutnbsp;dessus. lis avaient k peine eu le temps de s’y re-connaitre, qu’ils étaient chargés par leurs ennemis,nbsp;et surtout par un Turc, brave et mieux monte quenbsp;les autres...

Ge Turc était le capitaine de la troupe. Il bran-dissait une grosse lance, et, en fondant sur les Chretiens, il cria en languc arabique fi Esplandian et ü scs compagnons:

— Canaille I vous fnyezl... Mais, par nos dieuxl vous allez mourir i I’instant I...

Enil, qui entendit le premier cette menace, tourna visage, et, donnant des eperons a son cheval, il chargea le Turc, ct si rudement, qu’il lenbsp;laissa raide mort. Quant ^ lui, il en fut quitte pournbsp;avoir le bras droit percé.

Get échec irrita telleraeiU les Turcs, qu’Enil


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failiit être entouré par eux. II put, fort heureuse-ment, regagner Ie pont.

Certes, qui eüt vu alors les prouesses et les hauts faits de ces quatre champions, eut eu raisonnbsp;de les estimer tels qu’ils étaient. Esplandian senbsp;distingua par des coups superbes. Quelque peunbsp;nombreux qu’ils fussent, ils auraient certainementnbsp;défait les geus a cheval si les compagnons h piednbsp;de ces gens n’eussent pas été la pour les secourir.

Qu’on ne s’étonne pas devoir un si petit nombre d’hommes tenir tête k un si grand nombre. Lesnbsp;quatre chevaliers chréliens étaient de rudes hommes, nourris d’exercices depuis leur enfance. Lesnbsp;Turcs, au contraire, du moins la plupart d’entrenbsp;ceux qui étaient Ik, étaient des gens efféminés,nbsp;plus coutumiers des plaisirs de la table et desnbsp;femmes que des fortifiants délassements de lanbsp;lance ou de l’épée. C’est pourquoi les quatre chevaliers leur portèrent grand doramage en moinsnbsp;d’un quart d’heure. Bientót, ni les gens de pied ninbsp;les gens de cheval n’osèrent plus s’aventurer a en-trer sur Ie pont.

Un d’eux cependant s’avisa de tenter Ie gué afin de les prendre en flanc, s’il était possible.

Celui dont je vous parle avail nom Tluacara, horame adroit et courtois chevalier, ce qu’il fit biennbsp;connaitre avant la fin du combat. Gar bien quonbsp;l’eau fut haute et qu’il füt malaisé d’aborder l’autrenbsp;rive, il la franchit cependant et y transporta anbsp;plusieurs reprises jusqu’a huit de ses soldats.

Devant cette menace sérieuse, Frandalo et ses compagnons furent contraints de se séparer pournbsp;mieux faire face; Esplandian et Enil demeurèrentnbsp;au lieu oü avait commencé Ie combat, Frandalo etnbsp;Gandalin entreprirent de garder I’autre cóté dunbsp;pont.

Dieu sait si alors ils eurent k faire!... Tluacam voulait vaincre ou mourir, et, s’étant saisi d’unenbsp;autre lance, il chargea Gandalin de si droit fil,nbsp;qu’il pensa renverser homme et cheval par terrenbsp;et qu’il en brisa son bois. 11 mit aussitót la main anbsp;son épée, frappa k droite et k gauche, et, pensantnbsp;être suivi des siens, il piqua son cheval avec unenbsp;tellc force que, de gré ou non, il fut emporté parnbsp;lui jusqu’au milieu du pont, oü voulant Tarrèter,nbsp;il glissa, tomba dans l’eau et se noya...

Les Turcs, k cette vue, poussèrent des cris k étoulfer la voix du tonnerre 1 La rage les prit aunbsp;ventre en guise de courage ; ils baissèrenl tous lanbsp;tête et fondirent avec impétuosité sur les quatrenbsp;chevaliers chrétiens, qui soutinrent ce choc si cha-leureusement, que leurs ennemis furent obligés denbsp;reculer, laissant neuf morts sur Ie champ do ba-taille...

Cependant Esplandian et les siens étaient si fa-tigués qu’ils n’en pouvaient quasi plus. En regardant pa et Ik, ils aperpurent alors des hommes qui arrivaient k leur secours k bride abattue.

— Ils arrivent tard, mais ils arriventl... mur-mura Esplandian, satisfait.

Voici pourquoi ce secours ’avait tant tardé a arriver.

. Frenaca, écuyer de Frandalo, qui était allé qué-rir Maneli et les autres, espérait encore, en reve-son mallre et ses compagnons oü il les avait laissés. Ne les y trouvant point, il se de-manda oü ils pouvaient être, et chercha. Puis,nbsp;bientót, se doutant qu’il en aurait peut-être desnbsp;nouvelles au pont, il y alia avec Maneli et les autres, et, de fait, ils arrivèrent au moment oü Frandalo et ses trois compagnons allaient être déconfits.

Quand ces derniers reconnurent leurs amis, jamais prisonniers mis en liberté ne furent plus aises, ni les Turcs plus étonnés. Les Turcs se serrèrentnbsp;cependant, résolus k venger leur mort plutót quenbsp;de se rendre. Mais les chevaliers de Galatie leurnbsp;passèrent sur Ie ventre, sans qu’il en put échappernbsp;un seul pour aller porter la nouvelle de leur mortnbsp;k leurs amis.

Enil avait été rudement blessé au commencement, ainsi qu’il a été dit: c’est pourquoi lui et les autres blessés firent sonder leurs plaies*, puis ilsnbsp;reprirent Ie chemin de Galatie, se contentant pournbsp;ce jour de la victoire que Ie Seigneur venait denbsp;leur envoyer.

En arrivant k la porte de la ville, ils y Irou-vèrent Urgande qui les attendait et qui, sachant par eux comment tout s’était passé, et Ie dangernbsp;qu’Esplandian venait de courir, lui dit en manièrenbsp;de jeu;

— Par ma foi, chevalier, si j’eus belle peur de mourir, quand je tombai dans les mains de Mélye,nbsp;je crois que vous ne l’avez pas eue moindre depuisnbsp;quelques heures...

— Madame, répondit Esplandian, je sais bien que je suis mortel, et que ma vie et ma mort sontnbsp;dans les mains de Dieu quand il luiplaira... Je vousnbsp;avoue de bonne grace que, si nous n’avions pas éténbsp;secourus, nos affaires auraient pu k la longue malnbsp;se porter; néanmoins, je m’assure bien quo nousnbsp;avions assez abattu d’ennerais pour cette fois 1...

Urgande vit bien k cette réponse qu’Esplandian avait mal compris sa penséc. Elle lui dit done :

— Chevalier, je vous supplie de me pardonner : il faut excuser 1’indiscrétion des femmes, rnênicnbsp;celle que je viens de me permettre...

— Madame, répondit Esplandian, vous pouvez me prendre comme bon vous semblera ; vous aveznbsp;tout pouvoir sur moi k ce sujet...

En devisant ainsi, ils descendirent au logis d’Ur-gande, oü maitre Hélisabcl, nouvelleraent arrivé d’Alfarin, les attendait pour visiter et soigner leursnbsp;blessures.

CHAPITRE XIV

Comment les chevaliers de la Grande-Brctagne, qui étaienl h Galatie, s’embarquèrcnt avec Urgande sur Ie navire dcnbsp;la Grandc-Serpente, pour aller a Constantinople, d- ^nbsp;qui leur advint.

Quinze jours entiers, les chevaliers qui avaien été blessés dans cette dernière rencontrenbsp;contraints de garder la charabre et d’attcndrcnbsp;guérison de leurs plaies. Durant lequel temps u 'nbsp;gande - la - Décounue s’occupait, pour se distrair i


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LES CHEVALIERS DE LA SERPENTE. 21

h lire les livres de Mélye, qu’Esplandian lui avait envoyés.

Urgande trouva dans ces lectures de si singu-lières conjurations etautres enseignements en Tart de nécromancie, qu’elle s’étonna en pensant quenbsp;la demoiselle qui les avait eues en sa possessionnbsp;n’en savait pas davantage, quoiqu’elle en süt déjlinbsp;beaucoup plus que personne en ces sortes de dro-gueries.

Or, Ie temps approchant oü Esplandian et ses compagnons devaient faire Ie voyage de Constantinople, Urgande les réunit tous dans une grandenbsp;salie et leur tint ce langage :

_— Mes amis, comme je sais une partie des pros-pérités et des infortunes dont vous menacent les influences célestes, je me suis mise en cheminnbsp;pour venir voir Esplandian et vous, ses compagnons, ce dont je suis aise, car cela m’a permis denbsp;constater Taraitié que vous vous portez mutuelle-ment tous, et Ie désir que vous avez d’accomplirnbsp;1’ordre de chevalerie, non pour recevoir gloire etnbsp;recompense en ce monde qui est trompeur, maisnbsp;seulement pour la propagation de notre foi et Ienbsp;service de Dieu qui vous en saura un gré infini.nbsp;Afin que vous puissiez continuer avec plus denbsp;fruit co bon vouloir, j’emploierai désormais, non-seulement Ie travail de ma personne, mais encorenbsp;Ie savoir qu’il a plu au Seigneur de me prêter, et hnbsp;l’aide duquel vous pourrez faire fleurir et augmen-ter votre renommee dans toutes les parties dunbsp;monde... Pour commencer, je suis d’avis oue vousnbsp;vous embarquiez tous avec raoi sur la Grande-Serpeiiie et que nous allions k Constantinople,nbsp;vers 1’empereur, sans lequel il est impossible quenbsp;votre grande entreprise se parachève.

Chacun de la compagnie était tout oreilles h ce discours d’Urgande-la-üéconnue. Quand elle eutnbsp;parlé, Esplandian prit la parole au nom de tousnbsp;ses compapons, et assura A Urgande qu’il n’ynbsp;avait nul d’entre eux qui ne fut pret li lui obéir etnbsp;^ aller oü il lui plairait.

— Mes amis, reprit Urgande, faites done passer üemain vos chevaux sur mon navire. Quant ft vosnbsp;armes, n’en prenez nul souci : j’y pourvoirai sinbsp;'^^en, quo chacun en sera content. Embarquez-'^ous seulement et faites voile incontinent; Ie restenbsp;Rie regardel...

Gn conséqucnce de ce, Ie lendemain, les chc-].? pde la Grande-Bretagne s’embarquèrent sur a (jrande-Serpente, menant avec eux Frandalo,nbsp;ton ^ Ie capitainc de Tésifante, pris quelquonbsp;ups auparavant, comme vous avez pu entendre,nbsp;nav” gt; furent tous arranges et appareillés, Ienbsp;,t' i*quot;® s’ébranla de soi-mêmo et prit Ie cheminnbsp;a Montagne Défendue.

sranrt 'i harent en vue de cette montagne, Ur-quérf I 9°™naanda de s’arrêter et d’y envoyer

OP o Armato et les ifeux capitaines tures; ^e qui fut fait.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;’

suivant, la Grande-Serpento elle s^ar^rêlTnbsp;nbsp;nbsp;nbsp;*^'^®i-raille de Constantinople,

nois^ou’ilnFI*^'^® nbsp;nbsp;nbsp;armer ses chevaliers des har-

Wancs avant Hp*quot; apportés, lesquels étaient qui leur donn^^fdevant une croix vermeillenbsp;donnait la ineilleure grftce du monde, lis

étaient au nombre de quarante, ces chevaliers de la fée Urgande, et voici leurs noms, dans l’ordrenbsp;mênie oü leur furent distribués cesharnois ;

Esplandian;

Frandalo;

Norandel;

Talanque;

Maneli-le-Sage;

Ambor de Gandel;

Garnate-du-Val-Craintif;

Gandalin;

Enil;

Trion, cousin de la reine Briolanie;

Bravor, tils du géant Balan;

Belleris;

Elian-le-Délibéré;

Licoran de la Tour-Blanche;

Listoran du Pont-d’Argent;

Landin de Sariaque,

Ymosil de Bourgogne;

Ledadrin de Ferraque;

Sarquiles, cousin d’Angriote;

Palomir;

Branfil;

Tantiles-le-Superbo;

Galbion, fils d’Ysamel;

Carpin, son frère; nbsp;nbsp;nbsp;i

Carin de Garante;

Attalio, fils d’Olivas;

Bracèle, fils de Brandoyas;

Garamante, fils de Norgales;

Amphinio d’Allemagne;

Brandonie de Gaule;

Pénatrie d’Espagne;

Flamène, son frère;

Culspicio de Bohème;

Amandario de la Pelite-Bretagne;

Silvestre de Hongrie; ,

Manlie de Suesse;

Galfarie de Romanic;

Galiot d'Ecosse;

Amandalie, son frère;

Calfeur-l’Orgueilleux.

QuanJ de la ville de Constantinople on eut aperQu la Grande-Serpente, on supposa que celuinbsp;qui y naviguait ordinaireraent s’y trouvait ce jour-Ift aussi, et on s’empressa sur la grève pour Ie voirnbsp;descendre.

Le bruit que fit Ie populaire en courant vers Ie navire arriva aux oreilles de 1’empereur, qui, pré-cisément, était en train de deviser avec les damesnbsp;de sa cour. 11 est inutile d’ajouter que Léonorine,nbsp;qui se trouvait Ift, eut si grande joie de cette nouvelle, qu’elle se leva et alia vitement pour saluernbsp;do son regard amoureux son bel ami Esplandian.

Malheureusement la Grande-Serpente était un peil trop loin du port et il ne se mouvait nullementnbsp;pour en approcher. Léonorine, alors, craignantnbsp;d’être décue comme les autres fois, c’est-ft-direnbsp;craignant que ce navire contint tout autre que sonnbsp;doux ami, mua subitement de couleur ; de rosenbsp;elle devint lis. Ce qu’apercevant la reine Méno-resse, elle lui dit, par manière de moquerie :

— Madame, cette yilaine moue que vous faites lü est-elle pour déguiser votre aise, ou par crainte


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22 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

que je ne suborne celui qui nous vient voir?

— Bla cousine, répondit Léoïiorine, depuis quand vous mêlez-vous de gaber? Je n’ai pasnbsp;pensé a la première de ces deux choses, et encorenbsp;moins è la séconde... Vous savez tout ce que jenbsp;sais la-dessus... Ce navire de la Grande-Serpente,nbsp;qui est la-bas au large, est un décevant navire, etnbsp;je suis habituée h ses deceptions...

Comme Léonorine achevait ces mots, mêlés comme on Ie devine d’un grain d’amertume, lanbsp;Grande-Serpente s’ébranla et s’en vint jusqu’è unnbsp;trait d’arc du port. L’on put voir alors distincte-ment l’un de ses flancs s’ouvrir pour donner passage ft un esquif, monté par Garmelle et deux au-tres demoiselles, lesquelles se mirent a sonner fortnbsp;mélodieusement d’instruments qu’elles portaient,nbsp;et ne cessèrent cette musique qu’en mettant Ie piednbsp;è terre.

Garmelle avait été aisément reconnue par l’em-pereur, qui augura bien de sa visite, paree qu’il es-péra que cette fois elle venait lui annoncer cello d’Esplandian. Aussi s’empressa-t-il d’aller au do-vant.

Garmelle lui fit la révérence ni plus ni moins que les autres fois, et lui dit:

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, monseigneur Esplandian, que vous aveznbsp;tant souhaité en votre compagnie, est présenle-ment arrivé en ceport, sur Ie navire de la Grande-Serpente, avec bon nombre de chevaliers, ses compagnons et amis, et même avec Urgande-la-Décon-nue.., lis vous supplieut de vouloir bien les ad-mettre ft vous faire leur révérence...

— nbsp;nbsp;nbsp;Vraiment, Garmelle, s’écria l’erapereur, jenbsp;n’ai jamais do ma vio regu message qui tant menbsp;plüt!... Qu’ils viennent done, et tju’ils viennentnbsp;vite!... Je regrette seulement de navoir pas éténbsp;prévenu a temps : je leur aurais fait l’honneurnbsp;qu’ils méritent...

— nbsp;nbsp;nbsp;II suffit, répondit Garmelle. Nous allons, mesnbsp;compagnons et moi, retourner vers les chevaliersnbsp;pour les assurer de votre bienvcillant accueil et denbsp;votre bon vouloir.

— Ailez, ma mie, allez I dit I’empereur, joyeux. £t assurez-les qu’ils seront ici, tous, les trés bien-venus!...

Garmelle s’en retourna avec les deux autres demoiselles.

Pendant ce temps, qui eüt pris garde ii Léonorine, eüt aisément deviné la joie de son cceur a I’altération de son visage. Sans la reine Ménoresse,nbsp;qui lui tenait la bride, elle eüt peut-être fait chosenbsp;désavantageuse fi sa dignité de princesse et é sonnbsp;honneur de femme, en voulant forcer l’impératricenbsp;sa mère ü aller au devaiit d’Esplandian, dont l’ab-sence lui avait été si apre et si douloureuse. Maisnbsp;la reine Ménoresse, sage et discrète, quoi(|uenbsp;femme et belle, fit tant, qu’elle attira Léonorinenbsp;dans une embrasure de fenêtre oü elle put, a sonnbsp;aise, dissimuler les changements de son visage.

GHAPITRE XV

Comment Esplandian et ses compagnons furent accueülis par I’cmpereur, et quel jeu joua la belle Léonorine enversnbsp;son bel ami.

Garmelle n’avait pas tardé ft rejoindre la Grande-Serpente, oü elle avait rapporté la réponse plai-sante de i’empereur et les dispositions de bienveil-lance qu’on avait fi sa cour ft 1’égard des chevaliers compagnons d’Esplandian.

Deux barques sortirent des flancs du navire et servirent d’abord ü transporter a terre quelquesnbsp;chevaux. Puis elles retournèrent quérir les chevaliers et ceux qui voulurent sortir, entre autres sixnbsp;demoiselles qui sonnaient alternativement du haut-bois et du luth, de la facon la plus plaisanto dunbsp;monde.

G’cst en eet équipage que les chevaliers firent leur entree dans Constantinople. Devant eux mar-chaient les six demoiselles jouant de la musique,nbsp;deux des Tures pris au siége de la Montague Dé-fendue, Ie capitaine de Tésifante, Ie roi Armato,nbsp;et l’infante Mélye, revêtue de la robe d’ours qu’ellenbsp;avait Ie jour do sa prise. Eux venaient ensuite deuxnbsp;a deux, accoutrés, ainsi que leurs chevaux, denbsp;semblable parure. Au milieu d’eux était Urgandc-la-Déconnue, devisant avec Esplandian et avec lonbsp;roi de Dace.

Au moment oü cette troupe allait arriver au palais, l’empereur, l’impératrice et les dames de la cour vinrent la recevoir, et, s’adressant plus par-ticulièrement é Urgande, l’empereur lui lit autantnbsp;d’honneur que si elle eüt été la plus grande reinenbsp;de la terre.

Esplandian, alors, s’approchant respectueuse-mont do Léonorine, mit Ic genou en terre et vou-lut lui baiser les mains. Maïs elle Ie refusa, ce qui fit penser a teut un cbacun qu’elle était malcontente de lui, a cause du long temps qu’il avait misnbsp;ü venir ü la cour.

L’empereur, voyant cela, ne put s’erapêcher dc riro. II dit fi Léonorine;

— Comment, ma fille, c’est lü Ie bon accueil quo vous faites a votre chevalierl G’est la Ie gré quenbsp;vous lui savez pour la poine qu’il a prise do venirnbsp;dc si loin, expressémenl pour vous servir ? Souve-nez-vous, je vous prie, qu’il mérite de votre partnbsp;un autre visage, ne fut-ce que pour l’amour de sonnbsp;père, fi qui vous êtes tant obligéel...

— Seigneur, répondit Léonorine, c’est précisé-ment ce qui me rend plus malcontente de lui---Car s’il ressemblait au chevalier de la Verte Epee aussi bien en courtoisie qu’en visage, il n’eüt pasnbsp;tant ditféré d’obéir au commandement qu’il en availnbsp;recu et aux prières que vous et moi lui avons laites


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LES CHEVALIERS DE LA SERPENTE. 23

LES CHEVALIERS DE LA SERPENTE. 23

de venir par Tintermédiaire de Carmelle et d’au-tres, commevous savezl...

— Par Dieu, ma mie, vous dites vrai! reprit l’empereur. Toutefois, je n’eusse pas pensé quenbsp;vous lui eussiez tenu si longtemps rigueur, attendunbsp;Ie nombre et Ia valeur des présents qu’il vous anbsp;envoyés... Madame, ajouta-t-il en se tournant versnbsp;Urgande, vous voyez combien est grande la colèrenbsp;d’une petitefillel...

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, répondit Urgande, la raison est de sonnbsp;cóté; Esplandian aurait dü obéir a son père et venir tout droit ici, au lieu de s’attardcr dans dosnbsp;aventures périlleuses, oü il eüt pu laisser sa vie...nbsp;Mais tl cause de ces perils, belle madame Léono-rine, il mérite tout votre pardon, et je vous prienbsp;de Ie lui octroyer.

— nbsp;nbsp;nbsp;Madame, dit-elle a Urgande, puisque vousnbsp;trouvez bon que je lui remette sa faute, je la luinbsp;rcmettrai, a condition que s’il oublie dorénavantnbsp;coinme il a fait dans Ie passé, c’est vous qui porte-rcz pour lui la pénitencede son démérite...

Lors elle alia vers Esplandian et lui prit la main d'un air en apparence indifférent; puis on chan-gea de propos.

— nbsp;nbsp;nbsp;Mon Irère, dit rerapereur en allant embras-ser Armato, qu’il n’avait pas encore aper^u, je vousnbsp;prie biende me pardonner si, tout d’abord, je nenbsp;vous ai pas fait l’accueil que je vous dois ; je nenbsp;vous avais point encore remarqué dans la foule denbsp;Ces vaillants et loyaux chevaliers.

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, répondit Armato, je suis raaintenant,nbsp;par un jeu de la fortune, en beu oü vous pouveznbsp;nie commander... Je vous supplic cependant denbsp;vous souvenir quelquefois de ce que j’ai été et d’a-gir envers moi corame vous voudriez que j’agissenbsp;en vers vous en pareil cas. Ges malheurs-lü peuventnbsp;arriver a tous les princes; je suis vaincu aujour-d’bui, ce sera peut-être votre tour demain...

L’empereur sourit et conduisit Armato a l’ira-pératrice; puis, revenant du cóté oü était Fran-dalo, il lui dit;

— Seigneur Frandalo, pour vous donner a con-eaitre combien me sont agréables les services que Vous m’avez rendus, je veux et j’entends que dé-^errnais vous portiez l’enseigne de mon empire,nbsp;dont je vous fais maréchal...

Frandalo s’inclina et remercia tres bumbleraent * enipereur, se tenant hcureux d’etre parvenu a cenbsp;degré d’honncur ct d’autorité.

CHAPITRE XVI

Comment Norandel et la reine Ménoresse furent amoureux 1’un de l’autre, et des propos qu’ils eurent ensemble.

’empereur était au milieu des chevaliers, leur faisant la meilleure reception possible.

Il advint, sur ces entrefaites, que la princesse Léonorine et la reinenbsp;Ménoresse, voyant Ie roi de Dace etnbsp;Norandel ensemble, mandèrent Carmelle, pour lui demander qui ilsnbsp;ctaient.

—Madame, répondit-elle, vous avez pu voir autrefois celui qui a Ie moinsnbsp;de barbe; c’est Ie roi de Dace, qu’anbsp;amené ici Frandalo. L’autre, c’est Norandel, filsdunbsp;roi Lisvart, qui passe pournbsp;l’un des plus adroits chevaliers que l’on puisse trou-ver...

— Faites-les done approcher, je vous prie, dit Léonorine, afin quonbsp;nous leur parlions.

Carmelle alia vers Norandel et Ie roi de Dace et les amena. Quand ils furent devantnbsp;les princesses, ils contemplèrent avec admirationnbsp;leur beauté. Et ils avaient raison, car, après Léonorine, il eüt été difficile de trouver une femmenbsp;plus merveilleusement belle que Ménoresse. Ellenbsp;était surtout remarquable parsagrüce et Ie charmenbsp;de ses manières.

Mais si la nature avait été prodigue de ses dons ü I’égard de ces deux princesses, deux perles denbsp;beauté, elle ne s’était pas montrée plus avare envers les deux princes que Carmelle venait d’allernbsp;quérir, envers Norandel surtout.

Ce qui ajoutait encore au piquant de ce rapprochement, c’est que Norandel, tout comme la belle reine Ménoresse, n’avait pas encore, jusque-lü,nbsp;senti Ie moindre aiguillon d’amour entrer dans sonnbsp;coeur, vierge d’émotions tendres autres que lesnbsp;émotions d^mitié. Hélas 1 ce grand enfanlelet denbsp;Cythère se venge sur qui Ie fuit, et il a, dans sonnbsp;carquois d’or, des fléches empennées et barbeléesnbsp;qui savent atteindre les plus éloignés et percernbsp;d’outre en outre les plus cuirassés. Cette Ibis, ilnbsp;voulut faire une économie et n’employer qu’unnbsp;seul trait pour deux coeurs ; Norandel et la reinenbsp;Blénoresse furent traversés ensemble. Une doucenbsp;chaleur ernplit leur être; ils se sentirent troublésnbsp;jusqu’ü la moëlle d’une emotion qui, jusque-lü,nbsp;leur avait été inconnue; ils eurent des frémisse-ments, des rougeurs, des pülissures subites, dontnbsp;ils ne connaissaient pas la cause; si bien que Léonorine et Ie roi de Dace s’étaient déjü éloignés de-puis quclques instants, sans qu’ils s’aperqussent.


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BIBLTOTHEQUE BLEUE.

autrement qu’5i leur trouble, qu’ils étaient seuls k seuls.

— Comment trouvez-vous la princesse Léono-rine? demanda la reine Ménoresse, pour sortir d’embarras.

— Madame, répoiidit Ie fils de Lisvart, bien que je l’eusse entendu estimer une des plus bellesnbsp;femmes du monde, Je n’eusse jamais perisé que lanbsp;beauté même fut si belle que je la vois en elle...nbsp;Cependant vous lui en devez si peu sur ce point,nbsp;que je m’estimerais heureux d’avoir été endormi Ienbsp;jour oüje vins dans ce pays..,

— Pourquoi? dit la reine. Vous a-t-on faitun mauvais accueil?...

— Non, madame, répondit Norandel, mais on m’y a dérobé ce que j’avais soigneusement con-servé pendant toute ma vie...

La reine ne sachant ou ne voulant pas savoir, plutót, ce qu’il voulait dire, parut trés étonnée denbsp;ces paroles, et elle lui demanda fort naïvement sinbsp;elle connaissait Ie larron.

— Oui, madame, répondit-il, et c’est bien è vous de me rendre justice, car c’est vous seule, etnbsp;non personne autre au monde, qui détenez ce qu’onnbsp;m’a dérobé...

— En bonne foi, vous me pardonnerez, répondit la reine, car je n’ai rien a vous, que je sache.

— Madame, répondit Norandel, depuis Ie temps que je me connais, j’avais gardé ma liberté en-

tière, sans la sacrifier k personne..... En entrant

ici, aussitót que mes yeux se sont portés sur vous, de libre et franc que j’étais, je me suis trouvé serfnbsp;et captif de votre beauté et de votre grace, que jenbsp;vous supplierais trés humblement, si j’osais, denbsp;me laisser adorer, en récompense de ma liberténbsp;que vous m’avez ravie...

— Vraiment, chevalier, répondit Ménoresse, vous vous fourvoyez grandement pour ce coup I Sinbsp;vous aviez pris la peine de me regarder, commenbsp;vous deviez, vous ne m’eussiez pas trouvée tellenbsp;que vous dites, et vous eussiez réfléchi k deux foisnbsp;avantde me tenirce propos 1... Néanmoins, commenbsp;vous êtes étranger, je ne les prendrai pas de vousnbsp;en si mauvaise part que mon nonneur me Ie com-manderait... Je crois, du reste, que vous parleznbsp;tout autrement que votre coeur ne pense...

Ménoresse, on Ie devine, disait ces mots pour sender Norandel et savoir si ses paroles étaientnbsp;vraiesou fausses, ce qu’il lui importait beaucoup denbsp;savoir.

Norandel, entendant cette facheuse réponse, se trouva grandement étonné. Mais comme l’amour Ienbsp;pressait, il ne craignit pas de répondre :

— Madame, pardonnez-moi foffense que j’ai commise euvers vous... Par la foi que je dois a lanbsp;chevalerie, je vous ai entiérement ouvert monnbsp;éme!... Et, si vous ne voulez m’en croire, j’espérenbsp;k l’avenir faire lelie chose que vous vous aperce-vrez bien de l’envie que j’ai d’etre votre chevalier,nbsp;si toutefois vous voulez me prendre pour tel.

Quand la reine Ménoresse Ie vit si ferme, elle unit par croire k son dire, et elle lui répondit ;

Seigneur Norandel, si vous faites ce que vous promettez, je croirai ce que vous dites... Quant k

chevalier, il me scmble que je me ferais tort de refuser telle faveur d’unnbsp;aussi gentil personnage que vous êtes... Par ainsi,nbsp;je vous accorde cette faveur, k laquelle vous pa-raissez si fort tenir, bien que je ne sache pas tropnbsp;pourquoi, attendu qu’il y en a de plus dignes d’a-mitié que moi k cette cour et ailleurs.

En disant ces mots, Ménoresse tira de son doigt une petite bague qu’elle portalt ordinairement, etnbsp;la donna k Norandel en témoignage de leur nouvelle alliance. Et si ce n’eüt été que l’empereurnbsp;voulait se mettre k table pour souper, ces deuxnbsp;nouveaux amants n’eussent pas sitót mis fm k leursnbsp;propos. Mais rimpératrice se retira, et la reinenbsp;Ménoresse fut contrainte de la suivre et de menernbsp;avec elle Mélye et Carmelle, auxquelles elle fit Ienbsp;plus charmant accueil.

GHAPITRE XVll

Comment, après I’entrcticn amoureux de la reine Mdnoresse et du prince Norandel, Léonorine tira il part sa cousinenbsp;pour 1’interroger i ce propos; et comment, une fois cou-chée, la reine Ménoresse se retourna plusicurs fois dansnbsp;son lit en songeant i la bonne mine de son clievalier.

prés Ie souper, Léonorine, qui s’était bien aperque des menées et des chu-^chottements mutuels de Norandel etnbsp;V de la reine Ménoresse, sedouta qu’il ynbsp;Aavait quelque anguille sous roche, et,nbsp;f-^pour sen assurer, elle alia vers sanbsp;cousine, l’attira dans une embrasurenbsp;de fenêtre et lui dit;

— Ma cousine, je crois que ce chevalier qui vous a si longtemps entre-tenue vous comptait quelques nouvcl-les de la Grande-Bretagne ou chose iqui vous plaisait grandement. Je vousnbsp;en prie, belle dame, dites-moi ce qu’ilnbsp;vous disait, car vous paraissiez trésnbsp;attentive k l’écouter.

— Comment, madame, répondit-elle, depuis quand ovez-vous appris k vous mo-quer?

— Plüt k Dieu,dit la princesse, que la moquerie que je pense de vous put vous arriver ainsi que jenbsp;vous Ie désire! J’aurais alors autant d’avantagesnbsp;sur vous que vous en aviez eu sur moi jusiju’au-d’hui; ce dont je serais grandement aise, non tantnbsp;pour que nous souffrions ensemble Ie même mal,nbsp;que pour vous rendre en pared change ce quenbsp;vous m’avez prêté lorsque je vous ai appris mes

amours avec Ie bon chevalier Esplandian.....G’est

pourquoi ne craignez pas de me découvrir cc qui en est; autrement, je vous tiendrai suspecte k l’a-venir pour tout ce que j’ai fait et voudrai faire.

— Madame, répondit la reine Ménoresse, je vais vous dire ce que j’aurais voulu cacher k ma chemise elle-même. Le chevalier dont vous parlez, jenbsp;ne sais par quel malheur, s’est tellemcnt emparenbsp;de mon kme, que je ressens en moi ce que je n ai


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LES CHEVALIERS DE LA SERPENTE. 25

jamais ressenti jusqu’ici... De même que ceux qui sont brülés par une iièvre ardente prcfèrent unenbsp;goulte d’eau pour apaisor leur soif a 1’espérance denbsp;la vie, ainsi, moi qui avais l’habitude de méprisernbsp;noTi-seulement Ie pouvoir de l’amour, mais encorenbsp;de blêmer ceux qui tombaient dans ses filets, jenbsp;suis tellement prise, que, si Dieu n’y pourvoit pasnbsp;bientót, jamais femmelette n’aura couru, je crois,nbsp;un si grand danger de succomber...

— Comment, ma cousine, dit Léonorine, Ie seigneur Norandel serait-il si dépourvu de sens, qu’il voulüt dédaigner l’amour d’une dame aussi bellenbsp;et aussi honnête que vous?... Avez-vous remarquénbsp;qu’il eüt une autre affection ailleurs ?...

— Non, répondit-elle,il s’est déqlaré tout k moi, au contraire... II n’a rien eu que Ie titre de monnbsp;chevalier...

— Vraiment, dit Léonorine, j’en suis trés aise I., Et si vous eussiez fait aulrement, il eüt eu grandenbsp;occasion de se plaindre, et vous une plus grandenbsp;encore de refuser un tel bien, quand il se présentenbsp;loyalement... Par ainsi, je vous conseillo de biennbsp;trailer Norandel désormais, vous assurant que jenbsp;vous seconderai autant qu’il sera en mon pouvoir,nbsp;corame vous avez fait pour moi...

Les deux fgt;rincesses devisèrent ainsi un long temps ensemble. L’cmpereur et sa compagnie,nbsp;étant sorlis de table, vinrent de leur cóté et lesnbsp;empêchèrent de causer plus intimement. Ni Léonorine ni la reine Ménoresse ne purent, ce soir-la,nbsp;parlcr h leurs chers amants autrement qu’avec Ienbsp;regard; ce qui, quoique insuffisant, ne manquanbsp;pas de procurer encore quelque soulagement knbsp;•eurs coeurs passiounés. Et puis, Ie langage desnbsp;yeux a une telle éloquence, qu’il peut aisémentnbsp;Suppleer k tout autre langage; il a même eet avan-fage sur un autre, qu’il n’est compris ni entendu,nbsp;pour ainsi dire, que de ceux auxquels il s’adressenbsp;^Pécialement, et que les indiscretions des tiers nenbsp;®®rit pas possibles.

L’heure du coucher arriva, et chacun se retira son logis, les uns avee leurs femmes et les au-^res tout seuls.

.La reine Ménoresse fut du nombre de ces der-|®rs; Quand elle fut couchée, elle ressongea avec P disir et émotion aux lendres discours que luinbsp;^ ait tenus Ie beau Norandel, et, en songeant anbsp;ct se trouvant seule, elle soupira forlement etnbsp;chnbsp;nbsp;nbsp;nbsp;dans son lit comme si elle eüt élé cou-

com nbsp;nbsp;nbsp;d’épines. N’était-elle pas, au

iraire, sur des roses, les roses du désir ?...

(jhj. ^*®'®rirs Ibis, elle essaya, mais vainement, de f’image de son chevalier et d’éloigner denbsp;gés '‘^s amoureux propos qu’il avail éclian-del Ltoujours Ie souvenir de Noran-dj^Q ‘I revenait 1 toujours les paroles qu’il lui availnbsp;C(igt;yj.^®‘^^^‘ent agréablemcnt k son oreille et k son

plus ' rourmurait-clle, y a-t-il cu constance Laut-if 2!^°nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;que j'ai eue jusqu’a présent ?

passé lam o uinsi, après avoir soutenu par Ie '’audrait ^nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;cruels assauts? Je crois qu’il

^^losi cnttim'*^^^ recevoir guérison que de brüler jecéde k inbsp;nbsp;nbsp;nbsp;^nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;quoi?... Si

servitu(w2‘^f‘^1®*‘'’ P‘ii^'’ï’otte que je suis ! je vois et lo danger qui vont m’environncr

pendant toute ma vie!... AliensI il vaut mieux me vaincre moi-même et commander k ce qui menbsp;commande, que de faire une chose dont je pour-rais après me repentir...

Puis elle se taisait, et se tournant de tous les cótés, comme une personne travaillée de corps etnbsp;d’esprit, elle n’avait pas plutöt résolu une chosenbsp;qu’aussitót sa résolution s’évanouissait, tant étaitnbsp;grande son inconstance.

Toutefois, après avoir pesé et soupesé tous les plaisirs et déplaisirs qui se présentaieut k ses yeux,nbsp;elle finit par dire ;

—Je ne sais ce qu’il en adviendra, mais l’Amour me promet de grandes choses... si je m’oubliaisnbsp;dorénavant, ce n’est pas moi qui en supporterai Ienbsp;blame, ce sera lui qui m’aura tenu en sa puissance...

Elle s’endormit dans cette pensée.

Le lendemain, Norandel et Ménoresse se retrou-vèrent ensemble. Ils confirmèrent leur amitié et résolurent de la cimenter plutöt avec la prudencenbsp;qu’avec la passion; ce que doivent imiter ceux etnbsp;celles qui sont dans une position semblable, pournbsp;parvenir k ce moment d’heureuse jouissance, qu’onnbsp;nomme ordinairement le gi'acieux don de merci...

GIIAPITRE XVllI

Comment ürgande-la-Déconnue déclara ft l’empereur Ia pro-plidtie qui avail élé trouvée en la tombe.

______1^

entendu ci-devant comment Carmelle montra knbsp;. l’empereur la tombe qu’Es-j [tlandian avail conquise sur Ianbsp;Montagne Défendue, la statue de Jupiter ct la propheticnbsp;qu’elle portait sur elle.

' Cette vue l’avait frappé tellement qu’il ne pouvaitnbsp;passer un jour sans y ponser.nbsp;Aussi, le lendemain de l’ar-rivée ,de la noble compagnie k Constantinople,nbsp;pensant qu’il n’y avait personne au monde de plusnbsp;digne qu’Urgande pour expliquer ce dont il se dou-tait, il la fit appeler dans un retrait oü se troii-vaient seulement 1’impératrice, Léonorine et lanbsp;reine Ménoresse. ïous les cinq, une fois réunis,nbsp;l’cmpereur fit apporter la statue de Jupiter, ct ditnbsp;a Urgande ;

— nbsp;nbsp;nbsp;Madame, je vous pric de vouloir bien ra’ex-pliquer, si c’est possible, le contenu des lettresnbsp;qui sont gravées sur cette statue...

Urgande lut récriturc, et, après y avoir quel-ques instants pensé, elle repondit k l’empereur.-

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, le grand secret que cette idole renfermenbsp;est perdu pour l’avenir, car la prophétie est déjk


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26 BIBLIOTHÈQUE BLEUE.

26 BIBLIOTHÈQUE BLEUE.

iCndant ce temps, la Fortune ourdissait petit ü petit sa toilenbsp;dans laquelle elle voulaitnbsp;prendre, comme mouche etnbsp;moucheron, 1’empereurctsosnbsp;compagnons.

A uu mille de la ville, ce prince avait fait bétir un somptueuxnbsp;palais, appelé Vaelbeniatnof, é peunbsp;d , prés sur le plan de celui qu’Apolli-^ don avait fait construire en 1’lle Ferme.nbsp;Ce palais était accompagné d’unnbsp;pare fourni abondamment de tout ce

accomplie... Comme vous Ie savez, ja puissance de Jupiter et des autres fausses divinités a étó écra-sée et anéantie par la venue de Notre-Seigneurnbsp;Jésus-Christ... Et quant a ces mots : « Le serf denbsp;Ia serve aura ici sépulture, et la vie restituée seranbsp;par qui souffre la mort 1 » ce sont terraes difficilesnbsp;et trés obscurs. Toutefois, je vous les expliquerainbsp;du moins mal qu’il me sera possible...

Léonorine et la reine Ménoresse supposèrent qu’Urgande voulait parler d’Esplandian, lequelnbsp;avait été mis dans le coffre de cèdre conime vousnbsp;avez vu. A cause de ce, surprises d’une crainte non -pareille, elles commencèrent k se regarder Tunenbsp;l’autre plus mortes que vives.

Mais Urgande, devinant bien le sentiment qui les froublait, fes rassura en continuant son propos denbsp;la sorte :

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, cette propbétie fut faite pour Matroco,nbsp;seigneur de la Montagne Défendue, lequel, commenbsp;vous savez, fut païen jusqu’é son dernier jour, oünbsp;il fut forcé de reconnaitre Jésus-Christ. Par ainsi,nbsp;il demeura longtemps serviteur de la serve, c’est-a-dire de l’idolatrie, religion fausse et esclave.nbsp;Puis Esplandian, témoin de sa repentance, permitnbsp;qu’on l’inhumèt en l’ermitage oü est présentementnbsp;le père de Garmelle, laquelle a tant (enu é horiorernbsp;depuis le corps du géant, qu’elle a mcme ensevelinbsp;ses os dans Ie coffre de cèdre que vous devez con-naitre, belle princesse Léonorine...

Léonorine rougit malgré ellc.

Urgande-la-Déconnue continua :

— Ces autres paroles : » La vie sera restituée par qui souffre Ia mort, » cela se doit entendrenbsp;également de Matroco, car, en perdant cette vionbsp;transiloirc, il en a retrouvé une autre éternelle etnbsp;glorieuse dans le sein d’Abraham, grace é la passion soufferte en vue de notre rachat a tons parnbsp;notre vaillant Seigneur Jésus-Christ... Voilé, Sire,nbsp;lout ce que je puis présentement tirer de cettenbsp;propbétie...

— nbsp;nbsp;nbsp;Mais, deraanda l’empcreur, que deviendra lenbsp;demeurant?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, répondit Urgande, quant a cela, je nonbsp;saurais pas plus vous le dire que ne le pourraientnbsp;elles-mêmes madame votre fille ou madame lanbsp;reine Ménoresse... Tout ce que je puis vous declarer, c’est que cela s’accomplira prochainement,nbsp;et que, en ce qui vous touche, vous en retirereznbsp;plus de gloiro éternelle que de gloire mondaine.

— Tant mieux, dit I’empercur; pourvu que mon ame s’en trouve bien, je ra'occupe peu des misèresnbsp;de mon corps...

Lors, laissant la Urgande avec l’impératrice, fempereur s’en vint en sa salie oü Tattcndaient ennbsp;grand nom,bre chevaliers et gentilshommes avecnbsp;lesquelsil passa Ie reste du jour en tous los passc-teraps que Ton peut imaginer.

CHAPITRE XIX

o Comment Urgande-la-Déconnue fut emportée par J deux dragons, ainsi que Mélye et Ic roi Armato,nbsp;' au grand étonnement de tout Ic monde.

qui était nécessaire au plaisirde rhomme. L’emporcurrésolut d’ynbsp;mener les dames avec Esplandian et sa compagnie, ct mcmenbsp;le roi Armaio, pour leur faire la meilleure distraction qu’il lui serait possible.

Et, de fait, le troisième tour en suivant, ils dé-logèrent tous et toutes de Constantinople, et vin-rent ü Vaelbeniatnof. Au moment oü ils entraiont par la porie du pare, ils aperqurent la, ranges pournbsp;les recevoir et leur faire accucil convcnable, lesnbsp;veneurs et les limiers attitrés du bois, lesquels,nbsp;incontinent, lanccrent un grand cerf a andouillersnbsp;magniflques.

Les gentishommes se rairent é galoper a la pour-suite de eet animal, qui fit Ic plus de roses et de détours qu’il put, mais qui, linalement, vint mou-rir quasi entre les dames. Ils passèrent outre etnbsp;rencontrèrent bientót un sanglicr fort cchaulféparnbsp;la chasse que lui donnait Ie vautroi depuis un bonnbsp;bout de temps, ct qui, se jugeant a peu prés perdu,nbsp;s’accula alors le long d’un gros arbro et se mit ounbsp;devoir de découdre a coiqis do boutoirs les plusnbsp;teméraires lévriers; un des veneurs, pour fairenbsp;cesser son agonie et le massacre des cliiens, s’e»nbsp;vint braveraent a lui, et, lui boutant un coup denbsp;coutclas en pleine gorge, rabaltit sur le flanc,nbsp;rouge de sang et blanc d’écume.

Ce plaisir dura assez longtemps ; si bien mêipc que, lorsqu’il fut terminé, on jugea qu’il étadnbsp;heure d’aller souper. En conséquence, dames ctnbsp;chevaliers s’en revinrent vilement vers Ie palu^inbsp;oü ils trouvèrent les nappes mises ct le repas pi’^Lnbsp;Ghacun but et mangca de fort bon appétit.

Le souper fini, les tables enlevées, le bal coiU' menca avec une ardeur fort comprehensible,nbsp;on songe ü ce qu’il y avait Ié de belles lilies et dnbsp;beaux garqons qui nc demaudaient pas mieux qd^nbsp;de se serrer mutuellement les mains et d’échangnbsp;des regards et des sonpirs au son des instrumennbsp;et é la faveur du clésordrc inseparable denbsp;les fètos de ce genre. Mais, ü la fm, la fatigue s en


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para de toutes ces jambes alertes, et Ie sommeil descendit sur tous ces yeux éveillés; chacun songeanbsp;amp; se retirer, mais en se promettant bien, de partnbsp;et d’autre, de recommencer Ie lendemain et lesnbsp;jours suivants.

Le lendemain, eneffet, sur la vesprée, ces princes et chevaliers, dames et demoiselles, s’ébat-taient sur l’herbe du pare, les uns devisant avecles unes, les autres courant, folatrant, riant, cueillantnbsp;des fleurs, battant les buissons, chantant des chansons, lorsque Mélye, qui jusqu’alors n’avait pasnbsp;sonnémot, dit tout-4-coup h Urgande, devanttoutnbsp;le monde :

— nbsp;nbsp;nbsp;Je m’étonne, madame, sachant de quelle pou-voir vous disposez, que vous ne songiez pas è dis-traire un peu la compagnie par votre art merveil--leux...

— nbsp;nbsp;nbsp;Mélye, répondit Urgande, Ih oü vous serez,nbsp;je n’enlreprendrai rien devant vous... G’est vousnbsp;qui, au contraire, devez nous montrer les merveil-les de votre science, assurée, comme vous l’êtes,nbsp;du gré que vous en saura l’empereur...

— nbsp;nbsp;nbsp;S’il lui plait, reprit Mélye, j’en suis contentenbsp;et je le vais satisl'aire, a la condition qu’après moinbsp;vous ferez comme moi et même mieux...

— Vraimeot, dit l’empereur, ce parti est rai-sonnable, et je vous en prie toutes deux...

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, dit Mélye, commanriez done amp; Urgandenbsp;qu’elle me prête un livre que j’espérais avoir, surnbsp;lequel est l’efflgie de Médée, et son nom écrit au-dessous... Vous pourrez alors juger d’une partienbsp;de mon art, et si Urgande ne l’a pas su compléte-inent jusqu’ii présent, elle l’apprendra de moi...

— En bonne foi, répondit Urgande, je ne m’y refuse pasl...

Et aussitót, appelantune deses femmes, elle lui commanda d’aller quérir le livre demandé.

Pendant ce temps, Mélye, comme si elle eüt voulu parler d’affaires avec le roi Armato, le pritnbsp;par la mam et 1’emmena promener cA et \h avecnbsp;elle. La demoiselle d’Urgande revint peu après,nbsp;^Pportant le livre demandé, que Mélye alors s’em-Pressa d’ouvrir, en élevant les yeux au ciel et ennbsp;laisant certains gestes convenus. Urgande, qui senbsp;eoulait de la finesse que Mélye lui préparait, vininbsp;Se ranger a son cóté, tandis qu’Armato se venaitnbsp;anger du sien, de sorte qu’elle se trouvait eutre

* et la vieille sorcière.

Melye avait commencé ii feuilleter lentement cgjj ® eabalistique. Mais, h mesure qu’clle avan-

t, elle accélérait son mouvement, et bientót elle „i ^ tourner les pages avec une rapidité presti-lenbsp;nbsp;nbsp;nbsp;ePacun fut ébloui. Puis, ci un instant,

cii‘/1 nbsp;nbsp;nbsp;d’une nue opaque et de forme

iets ^ nbsp;nbsp;nbsp;brouillard épais voila tous les ob-

alors^ , retour de cette nécromancienne. La nuit ej. j ® entr’ouvrit et deux dragons gigantesqueSnbsp;rètpr 1nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;tralnant un chariot qui'vint s ar-

d’Armat^^”/ ^'’g^ede, et dans lequel Mélye, aidée PuistA Peussa malgré ses protestations...

Les H montèrent après elle. dans lp^''’aient leur charge : ils s’élevèrentnbsp;fiuelesLi^Hm une hauteur prodigieuse, si biennbsp;tótd’ètrp ^';gande-la-Déconnue cessèrent bien-

Esplandian, Talanque, Ambor, Maneli et les autres chevaliers, accourus, mais trop tard malheu-reusement, pour secourir leur protectrice en péril, furent bien désappointés et bien marris quand ilsnbsp;s’aper^urent qu’elle disparaissait tout-a-fait k leursnbsp;yeux dans les vastes plaines du ciel. Lors ils jurè-rent de ne plus jamais s’arrêter qu’ils ne l’eussentnbsp;reconquise, et, pour cela faire, ils s’apprêtèreiit knbsp;s’embarquer sur le navire de la Grande-Serpente.

Avant de prendre un congé définitif de la cour, Esplandian s’approcha mélancoliquement de lanbsp;belle Léonorine.

— nbsp;nbsp;nbsp;Madame, lui dit-il tout bas d’une voix tendrenbsp;et respectueuse, j’ai fait un serment, celui de nenbsp;pas m arrêter que je n’aie reconquis la fée Urgande,nbsp;ma bienfaitrice et celle de ma familie : ce serment,nbsp;je dois le tenir, et je le tiendrai... Pour cela faire,nbsp;il faut que je vous quitte, et cela me navrenbsp;l’éme... Je vous supplie done, pour ne pas aggra-ver encore l’amertume de l’absence oü je vais être,nbsp;de ne pas prendre en mauvaise part l’entreprisenbsp;quo mes compagnons et moi nous allons faire;nbsp;vous promettant qu’aussitót que nous en auronsnbsp;nouvelles, nous reviendrons vitement a Constantinople...

— nbsp;nbsp;nbsp;Mon doux ami, répondit Léonorine, il menbsp;somble que vous auriez pu tenter cette grave en-treprise un peu plus ü loisir et un peu plus müre-ment, et non aussi vitement et aussi chaudementnbsp;que vousvenez de le faire... Cependant, commenbsp;c’estune louable chose, et qu’en outre c’est vousnbsp;qui le voulez, je me tais et m’incline devant votrenbsp;vouloir comme devant celui de mon seigneur etnbsp;mailre... Tout ce que j’exige de vous, mon douxnbsp;ami, c’est que vous nous reveniez bien portant etnbsp;bien amoureux le plus tót possible...

Esplandian le promit, comme bien on le pense: il le promit d’autant plus aisémeiit que son bon-heur n’était qu’auprès de Léonorine, sa mie adorée.

Norandel eut bien voulu en dire autant a la reine Ménoresse, qui eüt bien voulu en entendre autant.nbsp;Mais ses compagnons s’embarquaient, il ne pou-vait les faire attendee dans une entreprise commenbsp;celle-la, oü il s’agissait d’aller k la quête d’une noble fée qui avait été la protectrice des chevaliersnbsp;chrétiens en général, et du roi Lisvart, son père,nbsp;en particulier.

Worandel se décida done, le copur gros, ü partir sans avoir baisé de ses lèvres amoureuses le boutnbsp;de ses beaux doigts blancs, le bas de sa robe denbsp;drap d’or... II s’en alia, et, avant de disparaitre, ilnbsp;se retourna plus de cent fois, pour tacher d’aper-cevoir encore la reine Ménoresse... Hélas! la reinenbsp;Ménoresse, dont le cceur crevait de chagrin, a ellenbsp;aussi, s’était empressée d’aller dans sa charabre,nbsp;d’en fermer la porte, et de se jeter sur son lit ennbsp;sanglotant.

La Grande-Serpente ayant k son bord tous ses chevaliers, se mit ü voguer d’elle-raême, et bieii-tót elle eut disparu ü tous les yeux.

Quelques jours après, elle prenait port è la Moiitagne-Dèfendue.


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BIBLIOTHEQUE BLEUE.

IfF

GHAPITRE XX

Comment les deux dragons porlèrent Urgande, Mélye et Armato au beau milieu de la yillenbsp;de Tés'fante; et de la grande arméé que Ienbsp;roi Armato fit mettre sur pied pour marchernbsp;sur l’empereur de Constantinople.

insi done, malgré ses cris, ses protestations, ses gestes, ses paroles, la bonnenbsp;fée Urgande-la-Déconnuenbsp;avait été enlevée par l’ar-tifice de la plus ^ue cente-naire Mélye, qui n’aiinait pasnbsp;les gens qu’Urgande aimait, etnbsp;tout au contraire, se plaisait anbsp;protéger de ses voeux et de ses enchan-teinents les chevaliers idolatres.

— Lk! la! ne criez pas ainsi, ma mie! disait-elle en chemin amp; Ia fée desnbsp;chrétiens. Outre que c’est inutile, celanbsp;nous assourdit... Sur terre, passe encore ; les bruits de toute sorte qu’on ynbsp;entend permettent h la voix huraainenbsp;de s’élever jusqu’aux suprèmes limites de 1 extravagant, sans que cela contrarie trop aprement lesnbsp;oreilles... Mais ici, dans ces régions de 1’air, oünbsp;n’arrivent plus les bruits terrestres, et oü l’onnbsp;n’entend seulement que la respiration barmqnieusenbsp;des atomes qui dansent leurs rondes invisibles;nbsp;ici, ma mie, la voix doit se faire humble comraenbsp;1’esprit... De quoivous plaignez-vous, d’aillcurs?nbsp;Mon tour vaut mieux que lesvótres? Mes enchaii-tements sent de meilleur aloi que votre nécroman-cie ordinaire? G’est bien cela que vous pensez,nbsp;avouez-le, et votre orgueil ne veut pas s’humiliernbsp;devant ma supériorité?... Allez, je vous devine!...nbsp;Eh bien! mais ce n’est qu’un juste échange 1 Vousnbsp;servez de votre petit pouvoir des gens que je hais etnbsp;qui ruinent ma religion et les gens de ma religion...nbsp;N’est-il pas naturel, que pour vous empêcber denbsp;nuire ü ceux que j’entends servir ü mon tour, jenbsp;nuise a vos amis en les privant du secqurs de votre art?... Rassurez-vous, toutefois, si vous aveznbsp;des craintes personnelles ; il ne sera fait de malnbsp;qua vos amis, qui sont nos ennemis I...

Gomme Mélye cessait de parler, les deux dragons qui conduisaient Ie chariot enchanté, cessèrent denbsp;planer dans les hauteurs oü ils s’étaient tenus jus-que-la. Leur vol se ralentit, ils s’abaissèrent, etnbsp;bientót Urgande put se convaincre qu’elle élaitnbsp;tombée eritre les mains des ennemis d’EspIandian.nbsp;Elle était arrivée sur Thippodrome même de ïési-fante, en presence du prince Alforax et de sesnbsp;principaux chevaliers, étonnés en memo tempsnbsp;qu’heureux de voir descendre du chariot, outrenbsp;Urgande-la-Lécounue et la vioillo Mélye, Ie roinbsp;Arrnato, père d’Alforax!...

-— Mes neveux, dit la vieille sorcicre en s’adres-sant aux deux princes qui s’einpressaicnt autour d’elle, mettez-vous incontinent en état de vousnbsp;venger et de porter la guerre et la destructionnbsp;dans Ia Grèce et surtout dans la Montague Défeu-due !...'•

— J’y songeais, madame, au moment de votre chère et inespérée arrivée, répondit Alforax. Jenbsp;m’occupais ü mettre ïésifante en défense, en attendant les nombreux secours qui doivent bientütnbsp;me former une armée et me permettre d’attaquernbsp;mes odieux ennemis...

— Urgande, reprit Mélye en s’adressant è la bonne fée des chevaliers chrétiens, je te Ie répète :nbsp;je ne t’ótcrai point la vio, paree que je me souviensnbsp;des bons traitements que j’ai rcQus de toi lorsquenbsp;j’étais ta prisonnièrel... Mais comme ton pouvoir,nbsp;quoique inférieur au mien, peut être d’un grandnbsp;concours ü nos ennemis, je veux et j’entends ennbsp;neutraliser les effets en te retenant prisonnièrenbsp;élernellement.,.

Gela dit, Mélye entraina Urgande dans une forte tour, malgré ses touchantes représentalions. La,nbsp;clle se mit ^ faire un certain nombre de conjurations diaboliques, si bien qu’a partir dece momentnbsp;la tour qui devait servir de prison li la pauvro Urgande fut enveloppée d’un nuage opaque qui onnbsp;dérobait la vue et en défendait l’accès ü tout Ienbsp;monde, excepté au seul Armato.

Sa vengeance ainsi parachevée, la méchante Mélye revint sur Thippodrome do ïésifante, pritnbsp;congé de ses neveux et de leur cour, remonla surnbsp;son chariot enchanté, dit quelques mols, en languenbsp;inconnue, ü ses deux dragons, et disparut avec lanbsp;rapidité de l’éclair.

Oü allait-elle ainsi, cette méchante sorcière?

Elle retournait ü sa caverne, d’oü elle aurait bien dü ne pas sortir!...

Armato n’abusa pas du 'pouvoir qu’il avait sur la fée Urgande, de par la grace de Ia vieille Mélye,nbsp;sa parente. Tout au contraire, il s’arrangea denbsp;faqon ti ce qu’elle ne souffrit pas trop de sa prison,nbsp;et illui donna même toutce qu’elle lui domandait,nbsp;hormis la liberté.

11 fut quelques jours sans rien entreprendre de bien positif, paree (ju’il ne se sentait pas encorenbsp;de force a reprendre les villes d’Alfarin et de Ga-latie, toutes deux trop importantes pour être as-siégées avec une armée insuflisantc. 11 envoya, ennbsp;consequence, courriers sur courriers, messagesnbsp;sur messages, ü tous les princes du Levant, ses al-liés naturels, en les conjurant deréunir au plus lótnbsp;leurs forces et d’accourir fi ïésifante, non-sculc'nbsp;ment pour chasser a tout jamais les chrétiens de Innbsp;ïurquie, mais encore pour aller ravagin' la Gréccnbsp;et planter l’étendard de Mahomet au milieu mêmenbsp;de Gonstantinoplcl...


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LES CHEVALIERS DE LA SERPENTE.


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CHAPITRE XXI


Comment les jeunes ïalanque el Maneli, en errant l’avcn-ture, aperQurent deux jeunes pucelles qui s’égayaicnt dans l’eau, et comment l'envie leur prit d’en faire autantnbsp;qu’elles.



lOiis 1’avons dit, Esplandian était arrivé ti la Montagnenbsp;Défendue, avec ses compagnons, eiix et lui, grace ci lanbsp;Grande-Serpente.

Maitre d’Alfarin et de Ga-latie, deux des plus fortes villes de la Turquie, il fit ennbsp;diligence les préparatifs nécessaires pour aller assiéger Tésifanle,nbsp;oü quelque chose lui disait qu’il auraitnbsp;des nouvelles de sa bienfaitrice la féonbsp;Urgande. En attendant, chaque jour ilnbsp;envoyait Qè et fit quelqucs-uns de sesnbsp;chevaliers pousser des reconnaissances,nbsp;afin d’etre mis au courant des inenéesnbsp;de ses ennemis qui étaient aussi ceuxnbsp;d’ürgande-la-Dcconnuc, et qui avaientnbsp;intcrêt ti l’avoir fait enlever.

lln Jour, les jeunes Talanque et Maneli, Ie premier, fils de Galaoret de Ju-liande, Ie second, fils de Gildadan et de Solise, s’é-taient aventurés dans les alentours de la ville de Tésifante, accompagnés de Belleris, pour fairenbsp;fiuelques prisonniers qui pussent les instruirc denbsp;1’état de la place.

^ Le hasard voulut qu’ils s’approchassent de la Fontaine Aventureuse. Pendant trois jours ils s’é-tjarèrent dans le bois enchanté qui enceignait cettenbsp;*lt;^ntaine, et furent le jouet de visions élranges. Lenbsp;Pi'etnier jour, ce furent des chevaliers orgueilleuxnbsp;ïes attaquèrcnt, et, quand ils songèrent a senbsp;défendre, ils ne frappèrent que des ombres quinbsp;s pvanouissaient pour se reformer aussitót plusnbsp;‘oin. Le second jour, ce furent des monstres auxnbsp;pueules béanles qui les enveloppèrent; ils s’y lais-serent prendre encore et se défendirent vaillara-^6nt, mais toujours centre des vapeurs qui senbsp;^cformaient èi mesure qu’ils avanpaient. lis n’eus-®ent pas fait une plus grande dépense d’énergie etnbsp;courage contre des ennemis et des monstres vé-Rables, et si, au sortir de ces luttes imaginaires,nbsp;s n étaient pas blessés, du moins ils étaient trésnbsp;Parassés.

1 Tout ceci est l’oeuvre de Penchanteresse Mé-ye. leur dit Belleris. 11 faut songer a nous désen-

^ventu**’ 1^ nbsp;nbsp;nbsp;parages de la Fontaine

rónl* ?®®ayèrent de sortir du bois, et crurent y avoir Com^*^* le matin du troisiéme jour.



'^omnie ils cbevaucbaient tous trois termos sur leurs ètriers 1’orcille au guel, Pépée a la main, etnbsp;surtout les yèux grands ouverts pour mieux discer-


ner les visions de la réalité, ils aperpurent, au bout d’une clairiére, deux belles pucelles d’environnbsp;quinze ans qui s’égayaient dans Peau d’un étang,nbsp;parmi les joncs et lesnénuphars en fleurs.

Talanque et Maneli, qui étaient jeunes et qui se sentaient poussés par Pardeur de leur sang,nbsp;s’avancèrent dans la direction de eet étang, pournbsp;jouir de plus prés de ce spectacle charmant, etnbsp;pour s’assurer qu’ils n’étaient pas encore le jouetnbsp;d’un enchantement de la méchante Mélye.

Quant tl Belleris, qui avait de Pexpérience et Pac-quit de la vie, il secoua la tète et n’en avanpa point d’un pas plus vite pour cela.

Talanque et Maneli ne s’étaient pas trompés. G’étaient bien deux créalures humaines, et desnbsp;plus séduisantes, qui s’ébatlaient ainsi dans Peaunbsp;de Pétang. Elles avaient toules deux un corps blancnbsp;comme la neige, plein de courbes adorables etd’in-flexions irrésistibles. Leurs longs cheveux blondsnbsp;inondaient leurs épaules et s’éparpillaient follc-ment, dans un désordre provoquant, sur leurs seinsnbsp;ronds et fermes comme le marbre, qu’ils accusaientnbsp;au beu de voiler. Les rayons d’or au soleil levantnbsp;jouaient amoureusement sur leurs croupes arron-dies et faisaient étinceler comme autant de perlesnbsp;les gouttes d’eau dont elles étaient humides. Etnbsp;puis, comme si ce n’eüt pas été encore assez de cesnbsp;séductions-la, il y avait de plus deux visages fleuris comme le printemps, joyeux comme Paurore.nbsp;avec des lèvres pleines d’appels et des yeux pleinsnbsp;de promesses....

Talanque, le premier, se sentit troublé et brülé jusqu’é la moëlle par le spectacle de ces deux beauxnbsp;corps nus, si appétissants pour le regard. Talanquenbsp;n’était p is pour rien le fils du sensible Galaor ; ilnbsp;avait la même ardeur amoureuse que lui. Aussi,nbsp;pour Péteindre, se débarrassa-t-il de son heaume,nbsp;de sa cotte de mailles et du reste de son armure,nbsp;et se glissa-t-il, plein d’émotion, dans les eauxnbsp;froides de Pétang, èi la rencontre des deux bellesnbsp;filles, dont les ébats alors recommencèrent avecnbsp;plus de grace que jamais.

Maneb, quoique plus réservé que Talanque, paree qu’il était fils de Gildadan, ne put résister anbsp;l’envie qui le possédait d’imiter son bouillant compagnon. Comme lui, il se dévêtit de son baubertnbsp;et de son heaume, et, comme lui, se glissa en ser-pentant parmi les joncs de Pétang.

— Ce sontdes syrènes, prenez garde! leur cria, mais inutilcment, le prudent Belleris, qui étaitnbsp;tombé dans trop de piéges, durant sa vie, pour nenbsp;pas les redouter désormais, pour lui et pour lesnbsp;autres.

Mais les deux jeunes enamourés n’y prenaient pas garde; leur jeunesse les menait, et ils suivaientnbsp;leur jeunessel

Quand ils furent au milieu de Pétang, les deux séduisantes filles qui s’y ébattaient, leur ouvrirentnbsp;leurs bras roses, coname pour les engager ft s’ynbsp;précipiter, ce a quoi ils ne manquèrent pas. Talanque, tout haletant, s’approclia, se pencha, etnbsp;ses lèvres ardentes cueillirent un de ces baisersnbsp;savoureux dont la trace dure longtemps après.nbsp;Maneli en fit autant et cueillit le même baiser, nonnbsp;pas sur les mêmes’,lèvres, mais sur celles de 1’autrenbsp;jeune fille.


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Au moment oü ces deux chevaliers, tressaillant d’aise, avangaient eux-mêmes leurs bras pour em-plir leurs mains tremblautes de cette chair si fermenbsp;et si nacrée, les deux jeunes filles s’abaissèrentnbsp;rapidement et disparurent coinme par enchante-ment sous les eaux, parmi les roseaux...

Talanque et Maneli avaient suivi malgrè eux Ie mouvement de ces deux décevantes créatures, et,nbsp;comme elles, ils avaient plongé dans l’eau de l’é-tang. Quand ils se relevèrent, ils tenaient chacunnbsp;a Ia main deux grosses carpes dorées qui se mirentnbsp;aussitöt b frétilier pour leur échapper. lis les re-jetèrent d’eux-mêmes parmi lesjoncs, avec stupeurnbsp;et avec dégout...

Au même instant, parmi les roseaux, et dans les profondeurs du bois qui entourait l’étang, on eii-tendit retentir une avalanche d’éclats de rire, quinbsp;ressemblaient èi des clochettes de cristal mises ennbsp;branie par des lutins invisibles...

Belleris fit chorus, et rit comme il n’avait pas ri depuis longtemps...

— Des choses étrangeshantentdécidément cette fontaino 1 murmura Talanque, un peu confus ennbsp;sorlant de l’étang et en remettant a la hdte sonnbsp;heaume et son haubert.

— Bien étranges, certes! répéta Maneli, non moins confus, en imitant son compagnon.

Belleris riaittoujours, et l’écho lui répondait, ce qui ajoutait encore au dépit et k la honte que res-sentaient les deux jeunes gens, qui s’étaient si biennbsp;léché les lèvres par avance, du bonheur qu’ilsnbsp;comptaient trouver dans l’étang.

—11 y en a d’autres, plus étranges encore, leur dit-il. II ne faut pas vous en étonner; c’estMélyenbsp;qui les a ordonnées...

— Que Ie diable emporte Mélye 1 s’écria Talanque avec mauvaise humeur.

— Passous outre 1 passons outre 1 s’écria Maneli avec une égale mauvaise humeur.

— Aliens 1 ce sera done pour un autre coup, dit Belleris, toujours se gabant.

Lors, ils tirèrent k main gauche, cétoyant tpu-jours Ie chemin de Tésifante.

Après avoir cheminé environ pendant cinq milles du pays, ils firent rencontre de dix hommes amp;nbsp;cheval, non armés, conduisant deux demoiselles,nbsp;dont Tune était assez belle et assez bien vêtue;nbsp;lesquels, apercevant nos trois compagnons, eurentnbsp;si grande peur, qu’ils abandonnèrentles femmes etnbsp;se sauvèrenten un taillis prochain, oü ils ne furentnbsp;aucunement poursuivis.

Talanque et Maneli, quoique un peu rebutés ü l’endroit des femmes par leur dernière mésaven-ture, ne s’en avancéren! pas moins vers les deuxnbsp;nouvelles venues. Belleris les suivit, espérant avoirnbsp;par elles des nouvelles de ce qui les intéressait sinbsp;fort tous trois.

— Rassurez-vous, gentes pucelles, dit Talanque en prenant la main de la plus belle, et dites-nous,nbsp;s’il vous plait, ce que l’on dit du roi Armato... Est-d encore prisonnier ?

, —Seigneurs, répondait-elle, Ie roi Armato s’est echappé il y a quelques jours des mains des chré-tiens, et il est venu ü Tcsifanle avec Mélye, qui anbsp;Urgande-la-Déconnue dans une tour biennbsp;h ee, a OU elle ne pourra partir sans son congé...

—¦ Voilü qui va bien, dit Belleris. Et qu’a fait Ie roi Armato depuis son retour? Neparle-t-il pointnbsp;de se venger un peu de ceux qui Font retenu prisonnier pendant un si long temps?

— Oui, pour certain, répondit la gente demoiselle, car tous les rois, soudans, califes et amiraux de la loi païenne lui out promis de venir en armesnbsp;a Constantinople et de ruiner la chrétienté... Etnbsp;déjk, comme il en est bruit, la plupart sont arrivés en File deTénédos...

— Ma foi, dit Belleris en se tournant vers scs deux compagnons, attendu ce que ces deux char-mantes demoiselles nous disent lü, je suis d’avisnbsp;que nous ne nouschargions pas plus longtemps denbsp;leur conduite et que nous retournions immédiate-ment sur nos brisées...

— Get avis est bon, dit Maneli, et quoique les dix hommes qui servaient d’escorte ü ces deux pucelles ne soient pas de grands braves, leur nombrenbsp;doit cependant nous rassurer un peu; elles vontnbsp;les rejoindre et continuer ü se faire accompagnernbsp;par eux. Notre temps est trop précieux, d’ailleurs,nbsp;pour que nous songions k faire des excès de courtoisie...

Tous trois ainsi d’accord, ils donnèrent congé aux deux pucelles, et se mirent incontinent ennbsp;route pour leur destination. Ils firent si bonne diligence que, sur les deux heures du soir, ils arri-vèrent k la Montagne Défendue, oü ils racontèrentnbsp;k leurs compagnons les merveilieuses aventuresnbsp;qui leur étaient survenues aux environs de la Fontaine enchantée, ainsi que la rencontre qu’ilsnbsp;avaient faite des deux pucelles de Tésifante.

CHAPITRE XXII

Comment Ie oorsairc CresceVm, neven de l'amiral T.irtarie, apporta Esplandian certaines nouvelles de la grandenbsp;armde de mer que préparaienl les seigneurs du Levantnbsp;peur venir k Constantinople.

Peu de jours après, abordait a la Montagne Défendue un écumeur de mer connu sous Ie nomnbsp;de Grescelin-le-Corsairo.

Grescelin était un homme de courage et de témé-rité, qui avait voulu se signaler k Fadmiration de tons par des actes d’audace et d’intrépidité, et scnbsp;faire pardonner ainsi par Fcmpcreur, k force denbsp;gloire, Ie mépris qu’il avait fait de son autorité ennbsp;exergant sans son aveu Ie métier de corsaire.

— Seigneur, dit-il k Esplandian quand il fi**' introduit prés de lui, j’ai nom Groscelin-le-Cor-saire... Je suis neveu de Fancien grand amiral donbsp;Grèce, Tartarie, que vous devez connaitre. Em-porté par la fougue de raon age et de raon sanginbsp;j’écume depuis nu an les mers, pour tAcher de re-cueillir un peu de gloire sans l’assentimciit denbsp;Ferapereur, mon maitre. Les Tiircs savent bien cenbsp;que je vaux, et c’est paree que je vaux quelquenbsp;chose, qu’en apprenaiit ce qui se passait, je suis



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LES CHEVALIERS DE LA SERPENTE. 31

LES CHEVALIERS DE LA SERPENTE. 31

Co

venu en grande hate vers vous, pour vous prier d’intercéder pour moi auprès de l’empereur, quinbsp;aura bientót besoin du dévoüment de tous sesnbsp;sujels, car il est menacé de loutes parts... Le roinbsp;Armaio, qui ne peut vous pardonner, ainsi qu’anbsp;lui, les conquêtcs que vous avez faites et la gloirenbsp;dont vous vous êtes couvert, a envoyé de tous cólésnbsp;des messagers chargés de réveiller de leur paressenbsp;tous les princes du Levant... Geux-ci ont répondunbsp;a son appel, et, chaque jour, h chaque heure, desnbsp;renforts nombreux lui arrivent... Ils sont concen-trés pour le moment prés de l’ile de Ténédos, et,nbsp;si nous n’y meltons bon ordre, ils seront sous peunbsp;de temps a Constantinople.

— Je sais votre courage, Grescelin, répondit Esplandian. L’empereur le connait aussi, et, amp;nbsp;cause de cela, je ne doute pas qu’il ne vous par-donne et qu’il n’accepte votre concours. Je vaisnbsp;vous donner une lettre pour lui...

— J’ai dix galères bieu armées, reprit Grescelin, et si vous voulez ra’adjoindre des compagnons, jenbsp;les conduirai a port sur...

Cette proposition fit réfléchir un instant Esplandian. II fut d’avis d’envoyer Frandalo et les autres chevaliers de la Grande-Bretagne a Constantinoplenbsp;avec Grescelin pour aider a l’empereur.

— Quant k moi, ajouta-t-il en se tournant vers Ses compagnons, ainsi que le roi de Dace, Ganda-l*n et Enil, nous attendrons, avec la garnison denbsp;eéans, ceux qui sont allés a ïénédos. Lorsquenbsp;dous les aurons vus, ou nous y demeurerons tout-^'fait, ou nous irons vous rejoindre aussilót.

Quelle que fut l’opinion particulière de chacun ues chevaliers ainsi désignés, ils comprirent tousnbsp;Qu’il lallait se ranger au vouloir d’Esplandian.nbsp;Sans, done, faire un plus long séjour en la Mon-tagne Défendue, ils s’embarquèrent.

Le même jour, Esplandian envoya Enil Rome, avertir l’empereur son oncle du péril que couraitnbsp;^ chrétienté. En passant sur les cótes de Sardaigne,nbsp;Enil devait faire part des mêmes nouvelles au roinbsp;^lorestan.

Ce fut le fidéle Gandalin qu’Esplandian choisit Pour 1'envoyer dans la Grande-Bretagne et dansnbsp;^ Gaule. II savait k quel point ce vaillant servi-ótait cslimé dans ces deux cours, et de quellenbsp;^C^n il serait serait reQu d’Amadis et d’Oriane.

. Candalin devait aussi aller vevs Galaor, Bruneo ® Bonnemer, Grasandor et Quadragant, pour lesnbsp;I lerde reprendre les arraes qu’ils avaient si long-porlées avec tant de gloire, pour venirnbsp;.^•endrg la Gréce de l’irruption prochaine des

Anatoliens.

Candalin s’embarqua.

GHAPITRE XXIII

et ses compagnons arrivèrent i Constan-belle nbsp;nbsp;nbsp;Caccueil qui leur fut fait; comment aussi la

do .^lénoressü rdsolul un instant denrouvorl’amour son ami.

envoyés par Esplandian a Con-ple, eurentun si bon vent, qu’ils arrivèrent

h destination le septiéme jour après leur départ.

L’empereur, averti, fut trés aise de leur arrivée, et il s’en vint au port pour leur faire accueil etnbsp;les embrasser les uns après les autres. L’absencenbsp;d’Esplandian le chagrina : il demanda pourquoi ilnbsp;ii’était pas Ik; et les chevaliers lui racontèrentnbsp;l’avertissement de Grescelin, le grand appareil quenbsp;faisaient les rois du Levant pour leur courir sus,nbsp;et, finalement, comment Esplandian était resté ennbsp;la Montagne Défendue avec le roi de Dace, Ganda-lin et Enil.

Au premier abord, l’empereur fut un peu ébahi de celte entreprise. Toutefois, en prince sage, ilnbsp;dissimula ce qu’il en pensait, et, quelques joursnbsp;après, il donna des ordres précis pour que Constantinople et les autres villes et places de son empirenbsp;fussent approvisionnées des vivres et des munitions nécessaires; puis il envoya partout des messagers, afin que ses capitaines réunissent les gensnbsp;d’armes de ses Etats et se tinssent prêts pour lesnbsp;prochaines éventualités.

Pendant que l’empereur songeait ainsi k la guerre, Norandel songeait a l’amour. II était revenu avec grande joie k Constantinople, paree quenbsp;Ik était sa belle mie, la reine Ménoresse, et il espé-rait, celte fois, obtenir d’elle un peu plus de récon-fort qu’elle ne lui en avait octroyé jusque-lk.

De son cóté, la belle reine Ménoresse, par un de ces caprices fémiuins qui ne sont pas asseznbsp;rares, voulut éprouver son amant comme onnbsp;éprouve l’or k la fournaise, afin d’en connaitre lesnbsp;partiespures etles scories. Ellel’abordadoncun journbsp;avec un visage plus froid que de coutume, et comme,nbsp;étonné, il la priait de lui en dire la cause, elle senbsp;fit un peu prier pour répondre, puis, finalement,nbsp;elle lui avoua qu’on lui avait appris qu’elle avaitnbsp;une rivale, laissée par Norandel en la Grande-Bretagne...

Une rivale 1 Norandel n’en pouvait revenir, lui qui, jusqu’k la reine Ménoresse, avait été de glacenbsp;pour toutes les femmes 1...

II s’excusa du mieux qu’il put, et avec toute l’éloquence de l’innocent calomnié. Mais, tant plusnbsp;il aflirmait son innocence, et tant plus la reine Ménoresse croyait ou affectait de croire k sa culpa-bilité. Alors, perplexe, chagrin, poussé k bout, lenbsp;pauvre amoureux s’écria:

— Ah 1 madame, je vois bien que vous voulez que je meurel... Car le mal que vous me faites ennbsp;me soupQonnant ainsi, est si grand, si grand, sinbsp;grand, qu’il ne se pourrait comprendre si j’es-sayais de le raconter aux autres!... En m’éloignantnbsp;de vos bonnes graces, c’est éloigner la vie et lenbsp;soleil de moi, c’est me condamner k mourir 1... Jenbsp;n’y aurais nul regret vraiment, si, en mourant, jenbsp;ne perdais pas le moyen de vous faire service,nbsp;comme votre loyal chevalier...

En disant cela, Norandal était emu au delk du possible : les larmes lui torabaient des yeux grossesnbsp;comme des pois.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;,

La reine Ménoresse comprit qu elle avait été Irop loin, et qu’elle avait outrage son amant parnbsp;d’odicux souppoiis.

— Mou doux ami, lui dit-elle, le visage rayon-nant de contentement; mon doux ami, je vous supplie de me pardonner mon indiscrétion... Tout


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BIBLIOTHEQUE BLEUE.

ce que j’en ai fait et dit n’a été que pour vous éprouver et pour vous montrer par avance Ie visagenbsp;que je vous ferais si pareille déloyauté arrivait denbsp;votre cóté... Encore une fois, je vous en prie, monnbsp;doux ami, pardounez-moi...

Lors, se penchant rapidement sur Norandel, pendant qu’elle était seule avec lui, elle posa sanbsp;bouche sur sa bouche et tous deux, pendant unnbsp;moment, restèrent comme pamés et emparadisés.nbsp;Heureusement, ou malheureusement, quelqu’unnbsp;survint. Lors, Ménoresse, reprenant un peu de sonnbsp;assiette et se remettant peu è peu de son trouble,nbsp;dit Ji son amant;

— Mon doux ami, nous venons d’etre impru-dents : tÉichons de ne plusl’être, dorénavant, bien que cette imprudence soit pleine de voluptés...nbsp;Souvenez-vous désormais combien la dissimulationnbsp;est requise et nécessaire entre ceux qui sont ma-lades de notre maladie... J’entends dissimulation,nbsp;non pas devous ci moi... O Dieu! nonl non!..maisnbsp;devant les geus, les inconnus, les indifférents, lesnbsp;indiscrets, qui seraient si heureux de savoir ce quenbsp;nous faisons, pour Ie salir et Ie calomnier...

— Madame, répondit Norandel, je ne vous ferai jamais de ma vie aucune faute... Je sens ma con-stance si forte, qu’il est impossible fi mon coeur denbsp;se distraire de vous aimer, servir et hoiiorer surnbsp;toutes choses, dussiez-vous, même, exercer enversnbsp;lui toutes les cruautés dont peuvent ètre punisnbsp;ceux qui aiment et ne sont pas aimés 1...

Quant ciLéonorine, qui jalousait Ie bonheur de sa cousine, elle feignit la colère devant les compagnons d’Esplandian, et se plaignit assez apre-ment de ce qu’il n’avait pas daigné venir avec eux.nbsp;Mais lorsqu’ils lui eurent appris que toute l’Ana-tolie était en armes et prête a foudre sur la Grècenbsp;et sur la Montagne Défendue, qu’Esplandian con-servait pour elle, comme Ie premier don qu’cllenbsp;eüt regu de lui, Léonoriue ne put leur montrernbsp;que sa vive inquiétude des perils oü peut-être ilnbsp;allait être exposé.

Ces perils étaient, en effet, trés sérieux; si sé-rieux même que l’empereur, ayant appris que l’armée turque, assemblee prés de Tériédos, s’ap-prêtait a meltre Ie cap sur Constantinople, etnbsp;qu’une autre armée s’avangait vers Abydos, fitnbsp;tendre une grande chaine qui ferma Ie port denbsp;Constantinople. II conlia les portes du Dragon anbsp;Frandalo, celle d’Elporso ê son neveu Gastilles etnbsp;la tour Aquiline a Norandel. Talanque et Manelinbsp;furent chargés de défendre lesdeuxfortes redoutesnbsp;oü la grande chaine du port était attachée. Quantnbsp;au corsaire Grescelin, il l’envoya avec Belleris ü lanbsp;Montagne Défendue.

GHAPITRE XXIV

Comment Gandalin arriva a la cour du roi Amadis, et du mariage qu’on crut devoir lui faire contractor avec Ianbsp;demoiselle de Danemark, pour Ie récompenser de sonnbsp;dóvoüment.

andalin, nousl’avons dit, s’é-lait embarqué pour aller por-, nbsp;nbsp;nbsp;—-..x^ter a Amadis la nouvelle des

événementsquisepréparaient.

Un vent favorable Ie porta jusqu’aux caps de l’Europe etnbsp;2nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;^ 'de l’Afrique : il passa heurcu-

sement Ie détroit. Quelqucs 'jours après, il découvrail lesnbsp;cótes blanches de la grandenbsp;ile d’Albion, et son navire en-trait ê pleines voiles dans Ianbsp;ïamise.

Gandalin s'arrêla d’abord ü Mirefleur, pour présenter sesnbsp;hommages au vieux roi découronné, Lisvart, et ênbsp;sa fidéle compagne, l’ancienne reine Brisène, aux-qucls il raconta l’objet de son voyage.

— J’irai! s’écria Lisvart, en retrouvant son énergie d’autrefois. J’irai, puisqu’il s’agit de secourir mon petit-fils et surtout de corabatlre les ennemisnbsp;de mon Dieu 1 Le harnois ne pèsera pas trop surnbsp;mes épaules de vieillard, vous verrez, Gandalin,nbsp;vous verrez 1...

Brisène soupira, mais elle ne sonna mot, par dé-férence pour son vieux mari qu’elle s’était habi-tuée a respecter dans toutes ses volontés.

Gandalin, heureux de cette promesse, prit aus-silót congé de Lisvart et de Brisène, et quitta Mirefleur pour s’acheminer cn toute diligence vers Londres, oü était Amadis avec sa cour.

L’accueil qu’il regut la, vous le devinez bien. Le grand coeur du vaillant Amadis fut vivementnbsp;impressionné par le récit que lui fit Gandalin de lanbsp;situation de son cher fils Esplandian et de l’empe-reur de Grèce. Le coeur maternel d’Oriane ne futnbsp;pas moins vivement touché : de plus, elle eutnbsp;des angoisses que son mari eut grand peine ü dis-siper.

Pour mieux arriver ê chasser les idéés noires de la tête et du coeur d’Oriane, Amadis irnagina denbsp;donner une fête merveilleuse en l’honneur de Gan-dalin, et il y réussit. II y réussit si bien, même,nbsp;que la reine Oriane, redevenue confiante en 1’ave-nir et dans le succes des armes de son fils, songeanbsp;a mettre a exécution un projet qu’elle avait münnbsp;pendant longtemps...

Vous avez lu, au commencement de notre hiS' toire, les services quo la demoiselle de DaneraarKnbsp;avait reiidus a Amadis eta Oriane, soit seule, suitnbsp;avec le concours du fidéle Gandalin. Amadis jU'nbsp;geait raisonnable que Gandalin et la demoiselle de


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LES CHEVALIERS DE LA SERPENTE. 33

LES CHEVALIERS DE LA SERPENTE. 33

Comment la reine Califie vint au secours des payens, et du merveilleux assaut qui fut donné en la ville de Constantinople.

de

Partir.

Uanemark, ayant été participants h leur jeunesse et A leurs folies, Oriane et A lui, ils Ie fussentnbsp;aussi a leurs prospérités. Oriane pensait de mêrae,nbsp;et, souvent, elle avait arrêté dans son esprit Ienbsp;mariage de ces deux fldèles serviteurs.

Lorsque Gandalin vint è la cour d’Amadis, envoyé par Esplandian, la reine Oriane songeanbsp;plus que jamais è ce mariage, et elle fit part de sesnbsp;idéés lè-dessus a son mari.

Amadistrouva d’abordla chose peu convenable, d’autant que la demoiselle de Danemark était déjanbsp;flétrie, et que Gandalin était de moyen age et fortnbsp;gaillard. Néanmoins, commetoutes les femmes denbsp;bon esprit finissent toujours par en arriver oü ellesnbsp;veulent, Oriane trouva moyen d’amener Amadis knbsp;condescendre ü ce qu’elle avait résolu de faire;nbsp;tellement, qu’aussitöt que ce pauvre Gandalin futnbsp;de retour de Mirefleur, oü il avait été présenternbsp;ses devoirs au vieux roi Lisvart, Amadis Ie tira anbsp;part et lui dit:

— Gandalin, la reine désire grandement de vous arrêler définitivement auprès de moi, tantnbsp;pour 1’arnitié qu’elle sait que je vous porte, quenbsp;pourlebien qu’elle-mème vous veut!... A celtenbsp;cause, elle voudrait que vous eussiez a femme lanbsp;demoiselle de Danemark, qu’elle aime, et qu’ellenbsp;avantagera de beaucoup, si vous consentez a l’é-pouser... Vous la connaissez : c’est une personnenbsp;sage et vertueuse... Quant a moi, je vous en prienbsp;Gt je vous Ie conseille...

Gandalin sen füt volontiers excuse, et, ü dire ¦veai, il n’eüt peut-être pas eu tort, car Ie pour-Point était trop neuf pour houppelande si uséel.,.nbsp;Gependant, Gandalin avait appris, dés son jeunenbsp;age, a n’avoir d’autre volonlé que celle d’Amadis;nbsp;11 trouva sou conseil bon, et parfaite l’olïre denbsp;madame Oriane. De sorte que son mariage avec lanbsp;ilemoiselle de Danemark fut célébré en moins denbsp;jfois jours. La demoiselle de Danemark dut êlrenbsp;men heureusel

kour laisser ü ces nouveaux épousés Ie temps de savourer leur lune de miel, Amadis remit è un denbsp;gentilshommes, nommé Handro, les lettres etnbsp;iistructions qu’Esplandian avait chargé Gandalinnbsp;® porter è Gasquilan et è Don Bruneo.nbsp;j.Ga semaine suivante, Ie bon Gandalin, plusnbsp;®voué serviteur d’Esplandian que de sa femme,nbsp;pus tendre au devoir qua l’amour, s’en parti;nbsp;l^^'^ment pour aller en Gaule vers Ie roi Périon,nbsp;dem •nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;^ Sobradise, pour y trouver Galaor. La

^ mpiselle de Danemark, que Gandalin avait eu cou ^6 temps de dédemoiseller, soupira beau--1- P’ en vain: Gandalin partit, trés content

matgt;io^ ^ smis qui ne sont pas faits pour Ie j. “ge, que voulez-vous!

les ,^^'ï‘^^®sallées et venues, Amadis manda tous et pilotes de la Grande-Bretagne, etnbsp;Cenbsp;nbsp;nbsp;nbsp;au roi Arban de Norgales d’aviser ü tout

vo\rt' a®^ait nécessaire pour l’entreprise d’un tel vaisseaux.

étaipnt nbsp;nbsp;nbsp;les affaires de cette guerre

tonp t démenées en la plus grande partie de l’Eu-Petit ü p^etit nbsp;nbsp;nbsp;Levant s’assemblaieut

G est a ces derniers que nous aliens retourner.

GHAPITRE XXV

Le bruit de cette guerre entreprise par les rois, taborlans, soudans, califes et seigneurs dominants des marches de Tartarie, Inde, Arabic etnbsp;autres pays du Levant, a l’encontre de l’empereurnbsp;de Gonslantinople, était arrivé jusqu’aux oreillesnbsp;de la puissante reine Califie.

Califie était reine de la Galifornie, pays trés opulent et trés fertile, qui confine le fleuve Borys-Ihène, prés la descente des montages Riffées.nbsp;Cette contrée dont je vous parle avait été autrefoisnbsp;peuplée de bons chevaliers et autres gensde grandenbsp;quaiité; mais les femmes, par une cerlaine malice,nbsp;avaient trouyé moyen de les faire mourir tons,nbsp;établissant loi entre elles seules, ne reconnaissantnbsp;d’autre roi qu’une reine, choisie naturellemeiitnbsp;dans leur nombre, et se gouvernant, flnalement,nbsp;ni plus ni moins que les amazones. Par suite denbsp;celle exclusion qu’elles avaient faite du sexe male,nbsp;il ne leur était permis de banter les hommesnbsp;qu’une fois par an, en la saison et au jour fixés,nbsp;oü, alors, elles sortaient irapétueusement de leursnbsp;limites et appelaient leurs voisins. Dieu sait sinbsp;elies trouvaient moyen de faire payer l’usure dunbsp;temps perdu! Tellement même, que la plupartnbsp;s’eii retournaient enceintes.

Ge fut done avec un troupeau de ces farouches guerrières, qui égorgeaient leurs enfants méles etnbsp;brulaient la mamelle droite de leurs filles, que lanbsp;reine Califie résolut ü venir se meier a la guerrenbsp;entreprise contre les chrétieiis, non pas qu’cllenbsp;leur en voulüt, mais paree qu’elle était désireusenbsp;de savoir s’ils méritaient vrairaent leur reputationnbsp;de chevalerie.

En même temps qu’elle, arriva aussi Rodrigue, soudan de Liquie, ü la tête d’une grosse armee;nbsp;et, avec Califie et Rodrigue, arrivèrent les soudans,nbsp;rois et princes du Levant, alliés et amis du roinbsp;Armato.

Le jour de la bataille se leva enfin; les deux années ennemies étaient prêtes; Amadis, Lisvart,nbsp;Périon et les autres étaient ü leur poste, avec leursnbsp;bataillons. Armato engagea faction sur mer; lanbsp;reine Califie et Rodrigue de Liquie l’engagèreotnbsp;sur terre. Constantinople ne pouvait ainsi inan-quer d’etre prise I

Eh bienl Constantinople fut sauvée, par la protection efficace du Dieu des armées, et aussi par le courage de ses généreux défenseurs.

Mais, hélasl que de sang et de larmes cela coüta! La reine Califie fut prise, Alforax fut lué,nbsp;et, avec eux, des milliers de palens; mais aussi,nbsp;du cóté des chevaliers chrétieiis, on eut ü déplorernbsp;la perte de bien des vaillants hommes! Les roisnbsp;Périon et Lisvart, les deux cbevaleureux rois,

Série. — 3


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34 BIBLIOTHÈQUE BLEUE.

34 BIBLIOTHÈQUE BLEUE.

Grumedan Ie bon vieillard, Balan, Hélyan, Enil, Polymnir, et maints autres preux chevaliers trou-vèrent la mort en combattant, cette journée-lamp;,nbsp;pour soutenir la lol de Jésus-Ghrist!...

Les navires captures furent ramenés dans Ie port, et les morts fureiit enterrés. Les païens furent guéris pour longtemps de Teiivie de recom-mencer une pareille lutte; si elle avait coüté chernbsp;aux chrétiens, elle leur avait coüté plus cher encorenbsp;a eux, les assaillants.

CHAPITRE XXVI

Comment, après que les palens furent cliassés de Constantinople, l’empereur, rcnonoant li son empire, en investit Esplandian qu’il maria avec sa fille Léonorine.

ne fois que furent fai-tes les lunérailles des rois, princes, seigneursnbsp;etautres qui avaientsuc-combé en cette glorieusenbsp;journée, l’empereur denbsp;Constantinople, appre-nant qu’Amadis et lesnbsp;autres voulaient retour-ner en leurs pays, lesnbsp;assembla et leur dit;

— Mes frères, sei-_ nbsp;nbsp;nbsp;gneurs et bons amis,

mon obligation envers Dieu est grande, certes, puisqu’il m’a fait triompher de mes ennemis...nbsp;Mais mon obligation enversvousne 1’est pasmoins,nbsp;puisque vous m’avez si vaillamraent aidé dans cenbsp;triomphe... Or, me voil^ sexagénaire, tont chenunbsp;et tout caduö, amp; cause des peines que j’ai souf-lertes en mes jeunes ans en suivatit la carrière desnbsp;armes... Je n’en puis plus, je Ie sens bien... IInbsp;me faut faire place a d’autres plus jeunes et plusnbsp;vigoureuxque moi... J’ai une seule fille, Ie batonnbsp;et respérance de ma vieillesse: j’ai délibéré, sinbsp;toutefois vous approuvez Ie choix, de la donnernbsp;en mariage au bon chevalier Esplandian, el de lesnbsp;faire tous deux roi et reine de mes Etats en manbsp;place et en celle de Pirapératrice ma compagne...nbsp;G’est h vous particulièrement que je m’adresse,nbsp;seigneur Amadis: l’affaire volts touche corame denbsp;pèreafils...

— nbsp;nbsp;nbsp;Seigneur, répondit Amadis, mon fils fera cenbsp;que vous lui commanderez...

— nbsp;nbsp;nbsp;Je dois vous dire, reprit l’enipereur, que jenbsp;me souviens d’une prophétie qui me parait conforme è nos volontés et h nos désirs mutuels...nbsp;Esplandian doit avoir sur lui quelques caractèresnbsp;niystérieux oü son nom est manifesté, et d’aütresnbsp;qui ne peuvent être déchiffrés que par la femmenbsp;qhi lui est destinée... Si vous Ie voulez bien, nousnbsp;ailons Yoir si c’cst ma fille ou non.

1 empereur envoya quérir Léonorine, qui vini, accompagnée de rimpératrice et d’lm grandnbsp;nombre de dames et de demoiselles. Quand ellenbsp;fut arrivée tout-h-fait prés de son père, celui-cinbsp;pria trés affectueusement Esplandian dese dépouil-ler pour montrer les caractères mystérieux qu’ilnbsp;avait apportés tracés sur lui, en venant au monde!

Esplandian obéit et óta sa chemise. Ghacun put alors voir aisément les caractères blancs formant Ienbsp;mot E. S. P. L. A. N. D. I. A. N.; mais , quantnbsp;aux rouges, on n’y put rien comprendre.

C’est pourquoi I’empereur, faisant approcher sa fille, lui en demanda rexplication, si celaétait possible.

— Sire, répondit Léonorine en rougissant, un peuavant que Mélye ne trompat Urgande, élle senbsp;trouvait avec moi dans ma ctiambre, et elle rnenbsp;montraitun de ses livres, couvert d’une lame d’or,nbsp;oü étaient représentés, cntre autres choses, les ca-racléres que je reraarque sur Esplandian. Au-des-sous, si je me souviens bien, est la traduction denbsp;ces caractères mystérieux.

— 31a fille, dit l’empereur, si vous avez encore Ie livre, je vous prie de Ie faire apporter céans.

Léonorine obéit. Quelques instants après, el!e ouvrit Ie livre enchanté, et montra ü son pèrenbsp;l’endroit que 3Iélye lui avait lu.

II y avait:

«Le bienheureux chevalier qui conquêteral’épée et le grand trésor enchanté par moi, apportera,nbsp;dès le ventre de sa raère, sou nom empreint onnbsp;caractères blancs, et celui de sa future femme onnbsp;sopt caractères rouges; lesquels seront si dilficilesnbsp;a entendre, que nul vivant, pour sage ou savantnbsp;qu’il soit, ne les pourra exprimer, sans voir conbsp;livre, qui enseignera que ces sept caractères signi-fient : Léonorine fille du grand empereitr denbsp;Grèce.

— Voilü qui est merveilleux, s’écria l’empereur, réjoui de cette prophétie. Eh bien, ma fille, puisque les destins le veulent, vous serez bien un peunbsp;forcée de le vouloir aussi... Qu’en dites-vous?...

— J’obéirai au destin, répondit la belle Léono-rine en rougissant beaucoup.

Ainsi fut fait mari et empereur le bon chevalier Esplandian qui, dans sa joie, maria le jeune ïa-lanque ü la reine Galifie, qui était jeune et belle,nbsp;quoiqü’elle eüt la mamelle droite brülée par suitenbsp;do la coutume de Californie. Norandel et la reinenbsp;3Iénoresse ne furent pas oubliés, comme on pousenbsp;bien; Esplandian los maria aussi ct leur donna l3nbsp;Montagne Défendue et les Villes d’Alfarin et denbsp;Galatie.

Quant a Urgande-la-Déconnue, qUi était tou-jours en prison a ïésifante, retenue par les enchaU' tements de l’abominable Mélye, son échaimc fq*'nbsp;propose è Armato contre Rodrigue, soudan cle L*'nbsp;quie.

Armato consentit, après avoir toutefois consult*^ Mélye.


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LES CHEVALIERS ÜE LA SERPENïE. 35

CIIAPITRE XXVII

Commoht Urgande-la-Déconnue envoya pricr Ie roi Amadis, )’cmpcreurEsplandian,don Galaor, roideSobradisc, el lesnbsp;autres chevaliers, dc se iroiiver dans 1 Ile Ferme, et desnbsp;merveilleux cnchanlements qu’ellc fu sur eux.

rgaiide s’étant relirée dans son ile, prenait plainbsp;sir ^ lire les livres donbsp;Mélye; son experiencenbsp;et ses connaissances dansnbsp;son art lui apprirent quonbsp;les rois et les princesnbsp;qu’elle aimait Ie plus de-Ivaient mourir prochaine-ment.

Elle en cut du regret __nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;en pensant que les vers

, nbsp;nbsp;nbsp;allaient se nourrir d’une

chair précieuse; elle résolut doncd’y apporler un prompt reinède. A eet effet, elle s’embarqua, ac-cornpagnée de ses deux nièces Juliande et Solise,nbsp;et de plusieurs autres demoiselles, et vint dansnbsp;File Ferme.

Dès qu’elle y fut arrivée, elle envoya vers Fcra-poreur Esplaudian, Amadis, Galaor, Florestan, Agraies et Grasandor, en les priant affectiieuse-tnent de venir la trouver au palais d’Apollidon,nbsp;pour leur plus grand intérét. Autrement elle leurnbsp;ht dire qu’ils se tinssent assurés qii’ün malheurnbsp;leur arriverait avant peu de jours. Elle priait, ennbsp;'^utre, maitre Ilélisabel d'appovter avec lui Ie livrenbsp;®ur lequel il avait écrit leS aventures des chevaliersnbsp;^u'il connaissait... Chacun d’cux devait amener sanbsp;*•'10106, Ardan-le-Nain, Garmellc, Gandalia et lanbsp;oemoiselle de Danemark.

, Ces princes sc rendirent Ie jour móme aux desirs q Urgaude, et partirent tous pour I’lle Ferme, oünbsp;‘'s furent regus par eye avec mi visage nioins riantnbsp;celui qu’ellc avait d’habiludc, mais, au con-‘^O’e, avec les larmes aux youx.nbsp;dé 1nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;stupéfaits la suppliewent de leur

g la cause de ce chagrin; mais elle ne put ' ustaire 5 leur demande, tellement elle avail Icnbsp;cauir serré.

après avoir repris du courage, elle

a nbsp;nbsp;nbsp;Ainis, comme il est vrai quo tout ici-bas

gi^ . ,yFé6 par la puissance et par Ia bonté do Dien, et ’ u ^ que tout cc qui CSt temporcl passenbsp;_ s eteigne par uno mort différente pour chacun,nbsp;con* o 'nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;P’^or tons dans ses résultats. Ce que

les grands hommCs travaillaienl jadis aup61 ^ *®or vic, pour laiSset aprés leur mort quel-Igi ^Faces de leur passage sur la terre. Ils ne vou-Oi- P^q^'Fsevelirleur renommee avec leur corps,nbsp;est nrphu?® certain quö Ia Ön dé voS joursnbsp;P chame; c est poufquöl il ést Urgent quö

vous soyez constants et que vous restiez dans Ie présent et l’avenir, ce que vous avez été dans Ienbsp;passé. Cependant, avant que la mort ne vienue vousnbsp;surprendre, je tiens a vous raontrer encore unenbsp;fois l’amour que je vous ai porté; je ferai lant,nbsp;avec 1’aide de Dieu, que saus mourir vous demeu-rerez endormis jusqu’au temps oü un de vos descendants viendra vous délivrer de ce sommeil etnbsp;vous rendra tels que vous fütes jadisdansvos pays.nbsp;Soyez assurés que sans cela vous seriez morts dansnbsp;six mois, et que vous devieudrïez la paturedes vers.nbsp;Que chacun done me dise sa volonté. Je pourvoirainbsp;au reste!...

Ge discours et cette menace de mort leur fut si dure 5 appvendre qu’il n’y eut personne parmi euxnbsp;qui ne changeat de couleur etne fut dévoré par unnbsp;chagrin secret.

Pendant qu’ils se regardaient les uns les autres, Ie roi Amadis, qui se moutrait Ie nioins étonne denbsp;tous, répondit a Urgaude :

— Madame, nous savons certainement que personne au monde mieiix que vous ne peut con-naitre ce qui nous est nécessaire. C’est pourquoi disposez do nos personnes comme bon vous scui-blera; nous vous obéirons 1...

— II suffit, dit Urgaude. Arraez-vous done tous ni plus ni moins que si vous alliez corabatlre, quenbsp;chacun de vous tienne au poing sou épéc nuc.

Puis, elle les fit entrer dans la Chambre Défen-due, et les fit asseoir sur leurs chaisés royales, a cóté de leurs femmes.

Aussitót les deux nièces d’Urgande, Juliande et Solise leur apportèreutdans deux bassins d’or unenbsp;certaine composition, avec laquelle ils se lavèrentnbsp;Ie visage. En un instant la beaulé que 1’age et Ienbsp;temps leur avait enlevé leur revint, plus parfaitenbsp;qu’elle n’avait jamais été.

Ce prodigeétonna merveilleuseraent les dames, qui regardaient avec un bonheur iiiouï leurs marisnbsp;et leurs amis.

Alors Urgaude manda maitre tlólisabel, Ie pi'it par la main, Ie conduisit dans la chambre voi-sine, Ie fit asseoir et lui mettant dans les mains Ienbsp;livrc qu’elle avait apporté, elle fit signe ;i Gnnda-lin et a la demoiselle dc Danemark de la suivre.nbsp;Ils passèrent sous Pare des amants fldèles oü étaientnbsp;les statues d’Apollidoii et de Griuianèse; ellenbsp;les fit asseoir sous ce porlique ü coté d’Ardan-lc-Nain.

Puis, elle leur dit ;

— Mes amis, les loyaux et vrais amants ont été dignesde Voir ces statues avant l’arc désenchanté-,nbsp;aussi méritez-vous cette faveur en récompense denbsp;l’amour et dc la loyautó dont vous nous avez de-puis longleraps voulu donner des preuves. Aitneznbsp;toLijours vos maitres et gardez-vous bien, quoiquenbsp;vous puissiez voir et entendre, dc vous dopartirnbsp;pour l’avenir de cette ligne do conduite.^

Elle retourna alor.s oü elle avait laisso 1 empe-rour et, prenaut Carmolle par la main, olie lui dit devant tous :

— Carmelle, vous étiez de basse condition, mais la noblesse et la générosité dc votro eoeur vousnbsp;annoblissent. Aujourd’hui vous serez done présemnbsp;tcea l’empercur pour rendre veritable la promesse


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36 BIBLIOTIIEQUE BLEUE,

que vous lui avez faite, de ne jamais rabaiidoiiner volontairement.

Puis, elle s’adressa au roi Amadis et aux autres princes et princesses, les priant de ne pas bougernbsp;jusqu’kce qu’elle retournat vers eux.

Elle monta sur Tune des tours du palais, portant sous son bras Ie principal des livres de Médée quenbsp;Mélje avait pris des mains de la demoiselle en-chanteresse.

Arrivée au plus haut, elle óta sa coiffure et resta la tête découverte et les cheveux épars.

Elle se mit li lire certaines conjurations; et les tournant vers les quatres parties du monde elle fitnbsp;des signes et des caraclères avec les doigts...

A voir la rougeur de son visage on aurait dit que Ie feu lui sortait des joues.

II survint alors un grand tremblement de terre. Un violent orage mêlé d’éclairs et de ton-nerre éclata avec tant de violence qu’il semblaitnbsp;que les éléments voulussent comballre les unsnbsp;cóntre les autres.

Cette tempêtedural’espacedetroisquartsd’heure pendant lesquels ceux qu’ürgande avait fait as-seoir dcmeurèrent sans connaissance, anéantis,nbsp;comme s’ils eussent été sans ames. üne nuée obscure survint, elle enveloppatout Ie palais; de sortenbsp;qu’il ne fut vu depuis par aucune creature vivantenbsp;jusqu’a ce que Lisvart de Grèce, fils d'Esplandian,nbsp;donnat fin a tous ces enchantements, avec l’épéenbsp;qu’il conquit, comme nous allons leraconter. Alors,nbsp;rnais seulement alors, tous ces princes et toutesnbsp;ces dames encliantées s’éveillèrent.

L’empereur Esplandian avait un fils agé de huit ans, nommé Lisvart comme son aïeul; Ie roi Amadis, un fils nommé Périon et une fille noinmée Pri-sène, qui fut mariée au fils amé de l’empereurnbsp;de Rome; Ie roi Galaor, deux fils, Périon et Garin-ter, dont il a été parlé plus haut; Ie roi de Sardai-gne, Florestan, deux fils, l’un nommé Florestannbsp;comme son père et qui fut son successeur, l’autre,nbsp;Palmineau-l’Alleraand, comme son bisaïeul ; Ienbsp;comte de Salandrie Agraies, deux fils, Languinesnbsp;etGalmenez; Ie roi don Bruneo, un fils nomménbsp;Vaillades, et une fille Hélisène, qui fut mariée avecnbsp;Ie fils de Quadragant, qui portait Ie mêrae nom quenbsp;son père; Ie roi Cildadan avait deux fils, l’ainé scnbsp;nommait Abies d’Irlande comme son aïeul qu’A-raadis mit a mort Ie jour oü il regut l’ordre de lanbsp;chevalerie.

11 n’y eut aucun de ces princes qui prit Ie titre de roi pendant l’absence de leurs pères qui étaiontnbsp;morts pour ainsi dire, puisqu’ils étaient endormis.nbsp;Ils espéraient les voir revenir un jour ou l’aulre,nbsp;et, en les attendant, ils croissaient tous en force etnbsp;en beauté. Lorsqu’ils eurent alteint Page voulunbsp;pour porter les armes, ils passèrent tous en Irlandenbsp;pour recevoir l’ordre de la chevalerie de la mainnbsp;du roi Cildadan, qui était alors trés vieux. Puisnbsp;ils s’en allèrent chercher les aventures et courirnbsp;les hasards de la vie, comme nous allons vous Ienbsp;raconter, si vous voulez bien continuer è lire.

CIIAPITRE XXVIIl

Comment Périon de Gaule, second hls d’Amadis, partil de Londrcs avec sept autres jeunes princes pour aller en Irlande recevoir 1’ordrc de chevalerie du vieux roi Cildadan.

a nouvelle de I’encbantement de ces princes et seigneurs, dames et demoiselles, en rile Ferme, fut incontinent connue du petit Périon denbsp;Gaule, fils d’Amadis, qui avait éténbsp;laissé par son père dans la Grande-Bretagne, sous Ie gouvernement dunbsp;bon vieillard Arbaii, roi de Norgal-les.

Ce jeune prince, alors agé de douzc é treize ans, avait déja prisnbsp;une certaine resolution dans son esprit de ne recevoir l’or-dro de chevalerie de per-sonne autre que de sonnbsp;frère l’empereur Esplandian : ma;s se voyantnbsp;frustré dans son attente, il temporisa jusqu’a la quatrième année sui-vante, époque é laquelle deux desnbsp;fils du roi de Sardaigne, don Florestan, vinrent Ie voir a Londres.

L’un d’eux avait nom Florestan comme sou père et l’aulre Parmenir. Ils étaient accompagnésnbsp;de Vaillades, fils du roi Aravigne, de don Bruneo, de Languines et de Galvanes, enfants d’A-graies, roi d’Ecosse, Abies d’lrlande, fils du roinbsp;Cildadan, et Quadragant, seigneur de Sansuegue,nbsp;qui étaient partis de leurs terres et contrées avecnbsp;l’espérance d’etre faits chevaliers par la mainnbsp;mênie de celui dont Périon recevrait eet honneur.

Le jeune prince les accueillit avec beaucoup d’améiiité; et après qu’ils lui eurent fait connai-tre le but de leur voyage, ils résolurent de partirnbsp;pour rirlande vers 'le roi Cildadan : car ils nenbsp;connaissaient pas un prince qui fut plus digne denbsp;suppleer k l’espérance qu’ils perdaient par Tab-sence de l’empereur Esplandian.

Or, Périon était résolu, aussitót qu’il serait apte h porter les armes, de chercher les aventuresnbsp;étranges, et d’imiter son père en proucsses ct clicquot;nbsp;valerie : c’est pourquoi, désiraut avoir Yrguiaiunbsp;fils de Gandalin, pourécuyer, il dépêcha un de sesnbsp;gentilshommes vers Gandales, qui habitait alor®nbsp;le chdteau d’Arcalaüs l’enchanteur qu’Amadis mnbsp;avait donné, le priant affectueusement de le innbsp;donner. Gandales y consentit.

Yrguian étant arrivé, et ces jeunes princes s e^ tant pourvus de tont ce qui leur étaitnbsp;pour le voyage, ils prirent congé du roi Arbannbsp;allèrent droit au port de Fenuse, oü ils s emünbsp;quèrent.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;,

Comme ils étaient en plcine mcr, ils decor rent une barque ü quatre rames vertes coainie


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LES CHEVALIERS DE LA SERPENTS. 37

LES CHEVALIERS DE LA SERPENTS. 37

Coin

émeraudes, quo quatre singes manoeuvraient, ayant avec eux une belle demoiselle richement vêtue.

Les princes suivirent ces barqiierots, les joigni-rent et prircnt terre ensemble.

Gomme Périon etceux de sa tronpe étaientprcts h meltre Ie pied amp; l’étrier, la demoiselle étrangèrenbsp;s’avanQavers eux. Elle portalt, suspendue èi sonnbsp;cou, uneépée, garnie trés excellemment, et, h sonnbsp;poing, un écu iioir au milieu duquel était peintenbsp;une sphère d’or.

Elle s’adressa alors Périon et lui dit, en flé-chissant les genoux :

— nbsp;nbsp;nbsp;Gentil damoisel, Dieu ne permeltra pas quenbsp;je me relève avant que vous m’ayez octroyé Ie donnbsp;que je vais vous réclamer.

Périon, a qui elle plut assez, lui répondit vive-ment:

— Demoiselle, demandez, et rien ne vous sera refuse...

— nbsp;nbsp;nbsp;Certes, répondit-ellf*, je n’espérais pas moirisnbsp;de votre bonté.

Et, se levant de terre, elle Ie tira a part :

Ils devisèrent si longtemps en se promenant, qu’ils joignirent la barque dans laquelle se trou-vaient les singes. La demoiselle pria Périon d’y en-trer seul.

Périon vit bien que pour avoir trop légèrement promis, il allait perdre sa compagnie. II en fut trésnbsp;faché, car cette aventure retardait son voyagenbsp;d’Irlande. Néanmoins, comprenant que son bon-peur serait entaché s’il n’accomplissait ce a quoinbsp;il s’était volontaircment obligé, il passa outre,nbsp;inanda ses compagnons, leur aitce dont la demoiselle l’avait requis, la cause pour laquelle il la sui-vait et les pria trés affeclueusement de l’excuser.

S’ils en lurent contraries, vous pouvez Ie penser : mais voyant qu’ils ne pouvaient y remédier, ds Ie recommandèrent h la garde du Seigneur,nbsp;l’assurant qu’ils n’auraient pas plutót été regusnbsp;chevaliers, qu’ils se metlraient en raarche pour Ienbsp;ceirouver, en quelque part qu’il fiit.

Gonanae les compagnons de Périon achevaient de ^aire cette promesse, la barque sur laquelle il étaitnbsp;®cbranla, les singes qui la conduisaient se mirentnbsp;quot; pamer avec vigueur, et, en moins de rien, il per-quot;^dsesamisdevue.

Laissons-le done voguer au gré des flots, des ^Cfits et du destin, et revenons, pour l’heure pré-^ ses compagnons.

GHAPITRE XXIX

après que Ie jeune Périon eüt été enlevé par la 'eur°routenbsp;nbsp;nbsp;nbsp;verts, ses compagnons reprirent

Périon, les autres leureru Pccsistèrent pas moins è poursuivre

Plus tarS.quot;leur^chemi?''quot;quot;“'

Bientót ils arrivèrent Ji la cour du vieux Gilda-dan, qui, sachant leur arrivée, les vint recevoir trés honorableraent, et, après un court séjour dansnbsp;Ie pays, leur conféra l’ordre de la chevalerie.

lis prircnt alors congé de lui, et, retournant sur leur vaisseau, ils firent voile vers Gonstanti-nople, oü ils trouvèrent Lisvart, fils d’Esplandian,nbsp;qui était alors estimé pour l’un des plus beaux etnbsp;des plus valeureux princes de la chrétienté.

Levied empereur qui, pendant l’absence de son gendre, avait laissé la vie solitaire et repris Ie gouvernement de la Thrace, sachant qu’ils étaient arrivés dans Ie port, descendit et leur fit la bienve-nue. II les conduisit ensuite dans sou palais, oünbsp;ils furent fêtés pendant douze jours par Ie jeunenbsp;Lisvart et par son grand-père.

Le jeune prince ayant appris la perte de son on-cle Périon et le désir qu’avaient les nouveaux chevaliers d’allerle chercher n’importe oü, résolut de leur tenir compagnie.

En effet, le Ireizième jour, au moment oü 1’em-pereur sorlait de table, il se prosterna trés hum-blement ü ses genoux, le suppliant de lui oclroyer une faveur.

Le bonhomme le releva, leslarmes aux yeux, et lui promit de lui accorder tout ce qu’il demande-rait:

— Sire, dit-il, j’ai su par ces chevaliers, que mon oncle Périon de Gaule a été emmené par unenbsp;demoiselle étrange on ne sait oü; vous plaira-t-ilnbsp;que je me motte en campagne pour aller le trouver?nbsp;car j’ai toujours eu le désir d’etre créé chevaliernbsp;par lui soul. Je suis assure que je ne pourrai pasnbsp;ambitionner un plus grand boiiheur, puisqu’il estnbsp;fils du roi Amadis, père de mon père, qui a sur-passé tous les autres chevaliers en courage et ennbsp;prouesses.

— Mon fils, répondit l’empereur, ce départ me sera facheux, car votre presence consolait mesnbsp;vieux ans de l’absence de vos parents. Néanmoins,nbsp;puisque je vous ai promis de vous accorder ce quenbsp;vous demanderiez, je veux que votre désir soit accompli.

A ce temps-lè, Lisvart pouvait avoir atteint la seizième année de sou age; toutefois, il était sinbsp;grand et bien formé, qu’oa lui en eüt doimé plusnbsp;de viiigt.

Ayant done la liberté de faire ce qu’il voulait, il pourvut en toute diligence ü fréter el ü équipernbsp;trois gros navires : il monta sur l’un d’eux, accom-pagné de Florestan, Parmenir son frère, et Galva-nes, frère de Languines. Sur l’autre, s’embarquè-rent Vaillades et Quadragant. Sur le troisième,nbsp;Languines avec Abies.

Puis, ayant pris congé de Tempereur, ils flrent lever les aiieres et bisser les voiles, et, voguantnbsp;vers la haute mer, en peu d’heures ils perdirentnbsp;de vue la grande cité.

Retournons ü Périon, et aux aventures qui lui arrivèrent, et laissons les autres pour le moment.


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BIBLIOTiJEQUE BLEUE.

CHAPITRE XXX

Comment la demoiselle conduisit Périon de Gaule en lieu oü il reent 1’ordro de clievalerie et de ce qui lui advint.

Périon navigua une semaine et plus dans la barque des singes, avec la demoiselle étrangère.

Le septième Jour suivant, ils vinrent aborder Ie long d’une plage dans le plus beau pays qu’il étaitnbsp;possible de voir.

Lk ils prirent terre, et, aussitót, la demoiselle, nommée Alquife, lira de ses coffres un harnaisnbsp;noir, semé do sphères semblables a celles de l’écunbsp;qu’elle portait. Puis elle dit k Périon :

— Gentil damoisel, avant de passer óutre, il convient que yous vous armiez de ces armes : carnbsp;voici le lieu oü il vous faut commencer l’accomplis-sement de la promesse que vous m’avez ociroyée.

— Et k quoi me servira Ia cuirasse et l’écu, n’é-tant pas encore chevalier? demanda Périon.

— Vous le serez quand Dieu et le temps le per-mettront, dit-clle. G’est pourquoi ne diflérez pas.

Le jeune Périon obéit ; il revêtit le haubert et le reste du harnais, hors le heaume, que la demoisellenbsp;prit entre ses bras, et après être sortis de la barque, ils niontèrent les hauteurs de 1’ile jusqii’a cenbsp;qu’ils trouvèrent une grande plaine.

Périon lui demanda alors dans quel pays ils étaient; mais elle ne lui répondit rien autre chose,nbsp;si ce n’est qu’il le saurait plus tard.

En devisant ainsi, ils découvrirent une grande ville, dont le circuit paraissait embrasser plus dcnbsp;trois lieues ; plus ils en approchaient, plus Périonnbsp;trouvait la place admirable, soit par la hauteur donbsp;ses murs, la grosseur de ses tours et la splendeurnbsp;de ses boulevarts.

II eüt volontiers pressé la demoiselle de lui dire le nom de la ville ; mais la première réponse qu’ellcnbsp;lui avait faite lui interdisait une seconde question;nbsp;de sorte qu’il se tut sur ce point.

Quand il fut entré dans les murs, il vit que la beauté du dehors n’était rien comparativernent anbsp;cello de l’intérieur; il admira tant de bolles mai-sons, tant do palais dorés, tant de peuple et lantnbsp;de temples magnifiques, tant de Golysécs et tantnbsp;de choses d'antiquité qu’il ne savait qu’en penser.

Ce que voyant, la demoiselle lui dit:

— Pour voire profit et honneur, il faut qu’il ne sorte de votre bouche aucune parole k n’importonbsp;quel homme avant que je vous le commande, au-Irement il pourrait vous en advenir malheur.

Périon répondit:

—Mademoiselle, je me tairai done, puisqu’il vous plait.

En devisant ainsi, ils se trouvèrent k l’entrée du plus beau palais de la ville. Plusieurs personnesnbsp;et Leaucoup de chevaliers se promenaient devantnbsp;le monument.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;*

Voyant Périon et la demoiselle étrangère en gra-vir les degrés, ils les suivirent pour voir ce qui al-lait se passer.

Ils entrèrent dans une grande salie d’apparat, et aperqurent, sous un immense voile de drap d’or,nbsp;un vieillard vénérable, portant sur sa tête unenbsp;couronne d’empereur.

Autour de lui se tenaient, dans l’attitude du respect, des rois, dues, comtes et barons.

Alquife, tenant Périon par la main, s’avauga vers lui, et, mettant les genoux k terre, elle lui dit :

— Trés haut, excellent et redoute empereur, mon père, votre humble serviteur, baise les mainsnbsp;de votre majesté et vous supplie que, sans différer,nbsp;vous confériez la clievalerie k ce jouvenceau : carnbsp;il l’emploiera aussi bien que lé plus valeureuxnbsp;parmi les braves.

L’empereur reconnut aussitót la demoiselle qu’il voyait souvent avec le nécromancien Alquif sonnbsp;père; aussi il lui fit un trés bon accueil.

11 examina Périon. II lui semblasi beau ot d’unc si belle taille, qu'il ne put s’empccher de pronon-cer tout haut ces paroles :

— Vraiment, je crois saus peine qu’un si noble personnage n’accomplira jamais que des ocuvresnbsp;chevaleresques ; aussi, demoiselle, je yais salis-faire k votre désir, puisque votre père m’en prie.

Et s’adressant k Périon, il lui demanda d’oü il était, mais suivant co qu’il avait promis, Périon nenbsp;répondit rien.

Alquife, prenant la parole pour lui, dit k l’em-pereur ;

— Sire, je vous, supplie de lui pardonner, car sans fausser sa foi, i! ne peut mainteuant vous purler ni a personne de votre cour.

— Eh bien, répondit-il, ce sera pour une autre fois. Cependant conduisez-Ie vers ces dames, afinnbsp;qu’elles le voient, et domain, après la veillce desnbsp;armes, je lui donnerai l’ordre de chevalerie.

Alquife se leva, et fut conduite avec Périon dans la chambre de 1’impératrico ; elle la salua avecnbsp;grace et lui dit :

— Madame, raou père vous envoie ce jouvenceau pour que vous le receviez comme il le mérite. II est issu d’un lignage trés recommandó parmi lesnbsp;meilleurs chevaliers du monde.

Alors Périon s’avanca et lui biisa la main.

— Sur mon Dieu, répondit l’impératrice, si son courage est égal k sa beauté, il sera certainementnbsp;le chevalier le plus accompli qui ait été depuis centnbsp;ans.

Périon, sans profcrer un seul mot, leur fit un salut trés respectueux.

A ce moment entrèrent Onolorie et Gricileric; filles de l’empereur, qui passaient pour les plusnbsp;belles, les plus gracieuses et les plus admirablesnbsp;demoiselles de toute l’Asie. Périon émerveillé dcnbsp;leur beauté, ot frappé surtoutdo cello de GricileriG^nbsp;ne pul s’cmpêcher de se dire en lui-mème:

— Vrai Dieu, mesdames, que la nature a óon^ pris plaisir k vous faire belles! Garjcn’ai jamai»nbsp;vu chez les autros demoiselles ce que je vois aunbsp;jourd’hui en vous deux.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;„

Alors il fut pris d’uu si violent amour, il chang tollemcnt de couleur qu’Alquilé s’en apercut.

G’esl pourquoi adressant la parole k Grienen i qui était la plus jeune, elle lui dit ¦


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39

LES CHEVALIEHS DE LA SERPENTE.

comme j’ai mission de vous en supplier hurable-raent.

— En bonne foi, répondit l’empereur, je Ie veux bien.

— Or done, madame, dit Alquife, faites ce qui est de votre devoir.

A ces mots Gricilerie, prenant l’épée, la mit au cólé du damoisel, en lui disant:

— Ainsi que je vous regois pour mon chevalier, Dien vous fasseheureux et guerrier!

— Madame, répondit Alquife, puisqu’il a regu un tel hommage de vous, il est bien raisonnablenbsp;qu’il Ie reconnaisseè l’instant.

Alors tirant un gros diamant, elle Ie donna a Périon.

— Présentez-lui, dit-elle, cette bagiie en témoi-giiage de Ia servitude que vous lui devez désormais et pour qu’elle ait souvenance de vous.

Périon obéit è son commandement, et Gricilerie Ie regut de trés bon eoeur, et Ie mit a son doigt.

Puis, sorlant de la chapelle, le nouveau chevalier fut conduit dans la grande salie du palais, on les nappes élaient mises pour le diner. Périon otnbsp;I’empereur s’assiront vis-a-vis des deux princesses.

On ne saurait croire le uombre de mets qui fu-rent servis pendant le repas; et cependaut le jeune chevalier raangea trés peu; il était assez nourrinbsp;par la beauté de sa mie qui 1’entretenait viveraentnbsp;espérant tirer delui quelques paroles. Elle neputnbsp;y arriver; ce qui la cliagrina beaucoup. Heureuse-ment Alquife apaisa tout pour le mieux , do sortonbsp;que leur affection ne fit qu’augmeiiter. .

pee, il commanda

, (gt;

— nbsp;nbsp;nbsp;Madame, mou père vous mande par moi,nbsp;qu’il vous a élu ce jouvenceau pour vous servir denbsp;chevalier; il vous conseille de Ie recevoir et de l’ac-cepter pour tel, car il vous obóira ainsi que votrenbsp;grandeur mérite.

Elle touchait droit au mal de cette princcsse, car l’amour l’avait è l’instant liée nar la presencenbsp;de Périon. De sorte qu’elle répondit h Alquife;

— nbsp;nbsp;nbsp;Votre père m’avait depuis longtemps faitnbsp;cette iJromesse. Je Ie croirai et suivrai son avis,nbsp;nuisqu’il plut a l’empereur de me Ie commandernbsp;te jour même qu’il prit congé de lui et qu’il m’as-sura, comme je Ie vois, qu’il serait Ie plus beaunbsp;damoisel du monde.

Périon ne répondit rien k ces paroles, mais sou regard lui servait d’interprète. II lui offrait lesnbsp;remerciments les q)lus éloquents. Toutefois cesnbsp;gentes pucelles s’étonnaient de Ie voir ainsi muet.nbsp;Onolorie surlout, qui était jalouse du bien de sanbsp;soeur, dit è Alquife :

— Je vous en prie, demoiselle, avertissez votre père que ma soeur serait trop difficile si elle re-fusait Ie present qu’il lui a envoyé par vous ; jenbsp;n’en suis pas facliée, mais je voudrais bien qu’ilnbsp;eüt aussi bonne souvonauce de moi qu’il a eunbsp;d’elle, bien que Ie jouvenceau ne peut s’excusernbsp;de la rigueur dans laquelle il nous tient en nedai-gnant pas seulement nous parler.

— Madame, répondit Alquife, ceci lui est dé-feiidu quant k présent, plus tard il amendera cette faute; pour ce qui regarde mon père, il sait ce quinbsp;vqus est nécessaire: aussi il m’a chargée de vousnbsp;dire qu’il en garde un tel que vous lui en saureznbsp;gré toute votre vie. Dientót il vous sera amenénbsp;par lui.

— II sera Ie bienvenu, répondit-elle.

Pendant ces gracieus propos, l’ainour gagnait du terrain petit a petit dans les coeurs de Périonnbsp;et de Gricilerie. II s’en empara tellement, et lesnbsp;unit par des liens si forts qu’on ne vit jamais surnbsp;terre deux amants plus parfaits, ainsi que vous Ienbsp;^errez plus tard.

Ij’empereur entra alors dans !a charabre; après 3voir longtemps devisé avec les dames, do ce quenbsp;'ui mandait Alquife, père de la demoiselle, eu cenbsp;hui concernait Périon; sacbant les fatigues qu’ilnbsp;\enait d’essuyer pour venir tout armé depuis Ienbsp;rivage de la mer jusqu’en son palais, il manda unnbsp;ue ses maitres d’liótel, auquel il commanda de Ienbsp;'uire rafraicbir; ce qui fut fait.

, Vers Ie soir, tous les chevaliers Ie conduisirent Uüiis la chapelle, oü il voilla suivaut ia cout\iraenbsp;jusqu au lendemaiii matin.

Alors I’empereur viut Ic voir, accompagné d(! uupératrice, des deux princesses Onolorie etnbsp;icilerie^ et d’un grand nombre de chevaliers,nbsp;cppT*. demoiselles. Après que la messe futnbsp;I empereur s’approcha de lui et luinbsp;'Lera l’ordre dechovalorie.nbsp;ö apercevant qu’il était armé de toutes les piè-

tGS nbsp;nbsp;nbsp;____ ....... * -

-uosiioi qu on allat querir 1'une dcs sieunes. Mais Alquife, qui tenait celle qu’elle avait toujoursnbsp;portee avec 1’ecu, lui dit:nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;.

— Sire, mon père lui a dédié celle-ci, qui lui sera ceinte, s’il vous plait, par madame Gricilerie,

GHAPITRE XXXI

Comment Pdrionde Gaule vainquit Alpatrasic, due d’Orcalie, qui mainlenait que sa mie était plus belle que toutes lesnbsp;aiUres dames ou demoiselles du monde.

Lo diner achevé, et pendant que Ton otait les nappes, il entra dans la salie un chevalier armé denbsp;toutes pièces, hors les mains et la téte.

Il était grand outre mesure : dix chevaliers, vingl écuyers et une fort belle demoiselle le sui-vaient. Il portaitsuspendu è son cou un trés richenbsp;écvi au milieu duqiiel était le portrait d’une damenbsp;de Ires excellente beauté. Arrivé devant I’empe-reur, il mit ungenou a terre. Tous les assistantsnbsp;1’eiitourèrent pour entendre ce qu’il allait dire.

11 paria ainsi:

— Trés puissant emperour de Trébisqnde, dominant une grande partie dcs Palus-31éotides, la cause qui me fait raainlenant présenter devantnbsp;voiro majesté est pour vous faire entendre quenbsp;moi qui suis due d’Oroalie, nommé Alpatrasie, aimenbsp;une demoiselle qui a nom Dialestne, bile d’unnbsp;clievalier grand seigneur mon voisin.

lit, bien que je lui aie prouvé dans pliisieurs circonstances le bien que je lui veux, elle m’anbsp;assure qu’elle n’aurait foi en moi avant que je ne


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40 BIBLIOTHEQUE BLEUE,

sois allé dans toutes les cours des rois et des princes d’Asie pour maintenir que sa beauté dépasse celle de toutes les autres dames ou demoiselles dunbsp;monde; si quelqu’uii me contredit, qu’il touche knbsp;Timage peinte sur eet écu, 3e Ie corabattrai et Ienbsp;mènerai k telle raison que je Ie rendrai prisonniernbsp;de ma dame vers qui je doisle conduire. Si Ie bon-heur veux que Je sois vainqueur de tous eeux quinbsp;combattront avec moi, j’aurai son amour alors, etnbsp;non avant. Et afin qu’elle soit plus certaine de cenbsp;qui adviendra, elle a cbargé cette demoiselle,nbsp;nommée Estreleine, de me suivre pour lui ennbsp;faire un rapport loyal. Or j’ai déja traversé biennbsp;des pays lointains et vaincu plus de cinquante chevaliers que je lui ai envoyés. J’espère, Sire, que jenbsp;ne serai pas moins heureux dans cette cour quenbsp;dans celles que je viens de parcourir. S’il y avaitnbsp;ici quelqu’un qui veuille contredire la beauté denbsp;ma dame, qu’il vienne présenteinent toucher 1’écunbsp;et qu’il se prépare pour Ie combat...

Le chevalier se tut, regardant la contenance de ceux qui l’écoutaient; mais nul ne fut assez hardinbsp;pour répondre un seul mot, bien que la plupartnbsp;eussent devant les yeux celles qu’ils avaient pournbsp;dames ou pour amies; mais la grandeur de ce chevalier leur faisait perdre emur, parole et devoir.

Périon porta ses yeux sur l’infante Gricilerie et voyant qu’elle le regardait comme si elle lui eütnbsp;demandé du secours, épris d’un violent désir de luinbsp;êlre agréable, il oublia complétement la promessenbsp;qu’il avait faite ^ Alquife de ne parler qu’avec sanbsp;permission.

II s’approcha done du due d’Orcalie, tira si fort son écu qu’il le lui arracha du cou, et le langanbsp;centre terre avec une telle raideur qu’il le brisa ennbsp;mille morceaux en disanttoulhaut:

— nbsp;nbsp;nbsp;Par mon chef, damp chevalier, c’est avoirnbsp;déji trop blasphémé devant une si noble compagnie. A Dieu ne plaise qu’une telle injure soit faitenbsp;]ci tant que je pourrai 1’en défendre...

II dit ces paroles avec tant de courage que Périon plut k tous ceux qui l’entendirent et plus encore a celle pour l’araour de laquelle il les avait pro-noncées.

Toutefois Alpatrasie répondit assez modeste-meut:

— En bonne foi, chevalier, vous êtes si peu poli que vous devez en être blémé grandement;nbsp;mais comme je vais avoir tout k 1’heure le moyennbsp;d’apaiser votre colère en plein champ de bataille,nbsp;je me dispenserai pour l’instant de vous dire cenbsp;que j’en pense.

Périon se tut, car Alquife le reprit aigrement d’a-voir parlé contre sa déren se.

— nbsp;nbsp;nbsp;Néanmoiiis, dit-elle, puisque vous avez sinbsp;bien oublié mes ordres, achevez ce que vous aveznbsp;commencé et avec l’aide de Dieu vous en sortireznbsp;k votre honneur.

— nbsp;nbsp;nbsp;Pourtant, Sire, dit-elle k l’empereur, qu’ilnbsp;vous plaise de lui donnerune monlure, car jel’ainbsp;amené ici pied, comme vous savez.

— Vraiment, dit l'empereur, ceci est trés rai-sonnable, attendu qu’il veut aujourd’hui défendre nneur de toutes les dames qui sont ici.

des meni(Mfr”^a^ ^c'iyer qu’on lui amenat un des meilleurs destriers de ses écuries.

Le due descendit et se tint prêt pour combattre; presqu’aussitót Périon fut conduit au camp par lesnbsp;dues d Ortilense et de la Toube.

L’empereur, accompagné des dames, se mit aux fenêtres; et comme les corabattants furent prèts ^nbsp;faire leur devoir, les trompettes sonnèrent.

Ils s’élancèrent l’un contre l’autre avec tant de raideur, que le due brisa sa lance contre le nouveau chevalier qui esquiva le coup. Mais en repas-sant, le due et lui se choquèrent de corps et denbsp;tête avec une telle force que chevaux et cavaliersnbsp;tombèrent comme morts étendus sur le sol.

Ce que voyant, Gricilerie en devint trèstriste; les larraeslui sortaient déjJi des yeux lorsqu’elle vitnbsp;Périon se relever tout honteux de ce malheur.

11 embrassa légèrement son écu, tira son épée et marcha droit èi son ennemi qui était déja sur pied.

Alors commenQa entre eux un combat fort cruel, durant lequel ils se conduisirent si bien, que, pendant plus d’une heure, on ne pouvait sérieusementnbsp;prévoir k qui devait rester la victoire.

Mais bientót la chance tourna contre le due, car il commenga k être plus lourd, tandis que le nouveau chevalier se montrait plus léger et plus adroitnbsp;qu’auparavant. II fallait voir alors la joie de Gricilerie. Son visage rendait assez témoignage du bon-heur que ressentait son ame de voir son ami pretnbsp;idemeurer vainqueur. Périon, relevant la tête, lanbsp;choisit parmi toutes les autres. Ge regard lui redouble ses forces, de telle sorte qu’il atteignit lenbsp;due au-dessus de l’armet et le frappa si fort ti lanbsp;tête qu’il tomba évanoui. II s’élanga sur lui, luinbsp;rompit le laz, le désarma, et allait lui donner lanbsp;mort, quand Estreleine, entrant dans le camp, vintnbsp;se jeter è ses genoux, le suppliant d’avoir merci dunbsp;due. Périon feignait de ne pas l’entendre; alors,nbsp;dans sa douleur, elle s’adressa a Alquife, la suppliant k mains jointes qu’elle parlat pour elle. Cenbsp;qu’elle ne lui refusa pas. Elle dit au vainqueur :

— Chevalier, contentez-vous de cette victoire, et, pour 1’amour de moi, sauvez le due.

A ces paroles, Périon se retira en arrière, es-suya son épée sur l’herbe verte et la remit dans le fourreau.

— Allez, dit Alquife k Estreleine, faites panser votre chevalier, car je crois qu’il en a besoin.

La demoiselle étrangèrc la remercia hurable-ment et le cheval de Périon lui fut amené a l'in-stant. Lorsqu’il y fut monté et qu’il fut sorti du camp, Alquife lui dit tout bas :

— Sire chevalier, il convient que, sans plus tar-der, nous retournions dans notre barque , de la-quelle, si vous me tenez promesse, ne sortirez jamais contre mon gré ; dorénavant vous serez nommé chevalier deï’Espérance; car celui qui vousnbsp;a envoyé par moi les armes que vous portez a misnbsp;toute sa confiance en vous. G’est pourquoi, a l’en-tree de cette cour, je vous défendis de parler k êmenbsp;qui vive, de peur que vous ne soyez arrêté et quenbsp;mon entreprise en soit retardée; ainsi done ne se-journons plus par ici et prenons le chemin de lanbsp;raer.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;. p;.

En disant ces mots, elle chassa sou palefroi. ' ' rion la suivit avec grand regret. IInbsp;quitter silot sa nouvelle amie, de laquelle u .nbsp;moyen d’avoir autre congé, sinon que, pas


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LES CHEVALIEHS DE LA SERPENTE. 41

vis-fi-vis de la fenêtre oü elle était avec sa soeur, il la regarda d’un air si mélancolique, qu’elle put ai-sément connailre la tristesse qui Ie dévorait.

Périon et Alquife cheminèrent jusque vers la barque dans laquelle ils entrèrent. Les singes com-mencèrent aussitót a rainer.

L’empereur et sa cour, étonnés de leur depart précipitc, ne savaient d’abord que penscr. Consi-dérant néanmoins que tout était fait par l’avis dunbsp;sage père d’Alquife, ils ne s’y arrêlèrent pas.

Sur ces entrefaites, Ie due fut emporté hors du camp; il ne voulut pas faire un plus long séjournbsp;dans un pays oü il avait été si maltraité; il repritnbsp;done avec sa troupe, Ie chemin par oü il était venu,nbsp;friste et souffrant jusqu'a désirer la mort.

Gricilerie, de son cóte, ne souffraitpas moins de l’absence de son ami: toutefois, pour cette heure,nbsp;nous ne lui donnerons d’autre remède que l’espé-rance de le revoir avec le temps.

A ce propos, nous changerons de discours et vous dirons quelles aventures il advint a ceux quinbsp;étaient sortis du port de Constantinople pour allernbsp;Ü la recherche de Périon, leur compagnon.

CHAPITRE XXXII

Comment Quadragant et Vaillades furenl jetds par la tempöle vers Tile de la Feuille Blanche, oü ils combatlirent conlrenbsp;le géanl Argamont.

ous avez, pu lire naguère comment Lisvart, florestan, Parmenir etnbsp;Galvanes s’élaieiit embarqués surnbsp;un navire, pendant que, d’autrenbsp;part, s’embarquaient Vaillades etnbsp;Quadragant, Languines et Abies d’lrlande.

Aussitót que Vaillades et Quadragant eurent pris Congé de I’empereur de Constantinople, ils firentnbsp;hisser les voiles et lever les ancres. Mais a peinenbsp;3vaient-ils gagné la pleine mer qu’il survint uuenbsp;telle tempête que pilotes, nochers, comites et mariniers pensèrent y périr. Il ne leur resla rien ;nbsp;''niles, irinquet, arbre, timon, tout fut mis cnnbsp;pieces.

Parainsi, ils selrouvérent perdus, pendant Irois ^ctnaines, et n’eurent plus d’autre espoir que denbsp;conlier aux vents et aux Rots le soin de les guidernbsp;Cd bon leur semblerait.

Pendant cette longue transe, le navire que mon-aient Vaillades et Quadragant arriva ü la pointe du Jour sur les cotes d’une trés belle ile, que les ma-jdns connurent aussitót pour être Tile de la Feuillenbsp;quot;'«nche, dont Argamont-le-Fort, un des plusnbsp;cfuels géants du monde, était le seigneur.

01 ’ Argamont avait une lille nommée Dardadie, 1 Ardan-Canile avait trés bien connue. G’est cet

Uan-Canile, ainsi que vous I’avez lu précédem-qui avail été vaincu par Amadis de Gaule «ansla vdle de Fenuse.

Voici, dirent les mariniers, comment il avait connu cette demoiselle... Un jour qu’il allait dansnbsp;tous les pays pour chercher des aventures étrangesnbsp;et donner des preuves de courage, il arriva dansnbsp;cette ile ou il corabattit centre le géant Gandandel,nbsp;père d’Argamont. Mais ü I’instant même ils devin-rent grands amis, si grands amis, que le géant,nbsp;tendant son épée a Ardan, lui donna toutVhonneurnbsp;dela victoire. Le chevalier refusa. Pendant qu’ilsnbsp;discutaient pour savoir h qui devait rester la victoire, ils arrivèrent au chateau de la Feuille Blanche, 0Ü Argamont, père de la demoiselle dont jenbsp;parlais tout-ü-Fheure, leur fit un trés bon accueil.nbsp;Trois jours après, il advint que Gandandel rnourutnbsp;des suites des blessures qu’Ardan lui avait faites.nbsp;Cette mort plongea ce dernier dans la plus vivenbsp;douleur, tant pour I’estime qu’il professait pournbsp;Gandandel que pour 1’affection qu’il portait h lanbsp;fille d’Argamont. Il s’en éprit tellement, qu’ou-bliant I’honneur et les liens de parenté qui les unis-saient, ils accordèrent si bien leur désir qu’ils eurent 1’un de 1’autre ce que nous nommons Je donnbsp;d’amoureuse merci: tellement que neuf mois aprèsnbsp;cette demoiselle accoucha d’un fils, qui eut nomnbsp;Ardadil-Ganile, ainsi nommé pour 1’amour de sonnbsp;père. Et sachez, ajoutèrent les mariniers, que cetnbsp;Argamont et son petit-fils passent aujourd’huinbsp;pour les plus vaillants et les plus cruels chevaliersnbsp;de la terre; aussi n’arrive-t-il personne dans cettenbsp;ile qui ne soit mis ü mort ou fait prisonnier parnbsp;eux...

— Par Dieu, répondit Quadragant, cela ne nous empechera pas de les aller trouver I

— Aliens, dit Vaillades.

Quadragant commanda aussitót qu’on tirat le navire a bord, ce qui fut exécuté, non sans crainte et sans terreur de la part des mariniers.

Les deux chevaliers s’armèrent des pieds ü la fete, et, faisant sortir leurs chevaux hors du vais-seau, ils prirent leur chemin ü travers les arbres.

Après (juelques recherches, ils se trouvèrent ü l’entrée d une grande plaine, d’oü ilspurent aper-cevoir le chateau de la Feuille Blanche. Ils enten-dirent aussi le son du cor qui résonnait au haut denbsp;la tour du géant.

G’étaitle signal qui l’avertissait de l’entrée d’un navire étranger dans un de ses ports.

Argamont sortit aussitót de son fort, et, armé d’une lauce de fin acier, et monté sur un grandnbsp;destrier, il vintau devant des chevaliers.

Dès qu’il les apergut :

—Pauvreschétifs! leurcria-t-il audacieusement, pourquoi osez-vous apparaitre devant moi 1 Ben-dez-vous mes prisonniers et contentez-vous d’etrenbsp;follement entrés dans mon royaume les armes a lanbsp;rnainl...

Quadragant fut irrité de s’entendre parler ainsi. II lui répondit done ;

—Par mon chef! grand vilain, tues bien loin de compte! car nous pensons, au contraire, avoirnbsp;bientót I’honneur de te rornpre la tète, après t’a-voir terrassé comme tu le mérites. Si le malheurnbsp;nous en veut, nous préférerious mourir 1’épée è lanbsp;main que d accepter la proposition que tu nousnbsp;fais... Par ainsi, oublie ces menaces et tache de


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BIBLIOTHÈQUE BLEUE,

raénager plus utilement ton temps au lieu de Ie perdre en paroles folies comme tu Ie fais!...

Pendant ce discours, Ie géant contemplait la corpulence de Quadragant, qui lui semblait un beau chevalier, admirablement pris.

Get examen apaisa un peu sa colère.

— Vrairaent, lui dit-il, je crois que tu es un homme courageux... Toutefois, tu peuxbienvoirnbsp;que ta force n’est pas comparable a la mienne :nbsp;pour vous Ie prouver, venez tous les deux ensemble et vous connaitrez par vous-mêmes l’honneurnbsp;que vous en retirerezl...

En achevant ces paroles, il leva une lourde masse qu’il tenait, pour Ia laisser retomber sur Quaclra-gant.

Vaillades, qui se tenait assez loin derrière, devi-nant la pensée d’Argamont, coucba son bois, et, donnant des éperons h son cheval, il chargea Ar-gamont si brusquement qu’il l’ébranla. Mais au passer, Ie géant lui asséna un coup de masse, qui,nbsp;malgrélui, l’étendit parterre.

Quadragant, irrité, voulant venger son ami, cou-rut droit è Argamont et rompit sur lui sans lui faire aucun mal,

Le géant, fier de ce succès, s’écria du bout de la carrière ;

— Eb bien! chevalier, ton compagnon n’eüt-il pas gagné h se rendre mon prisonnier au lieu cVat-tendre i’honneur que je lui ai fait?

— Si mon compagnon, répondit-il, a été maltraité par toi, tu vas éprouver a ton tour si je sau-rai le venger 1...

Et ce disant, Quadragant vola sur Argamont, et le frappa rudement sur l’oreille. Comme celui-ci pensait lui donner sa revanche, il brandit sanbsp;masse et la laissa retomber avec une si grande violence que, s’il eüt atteint son ennemi, il l’aurailnbsp;infailliblement tué. Mais Quadragant évita le coupnbsp;en s’inclinant è gauche, et, è son tour il atteignitnbsp;foreille du destrier d’Argamont, l’étourdit et lenbsp;renversa avec son cavalier. Le géant en éprouvanbsp;une telle douleur, qu’il fut oblige de combattre anbsp;cloche-pied ou bien assis sur l’autre jambe.

Vaillades alors se releva; ce qui fit grand plaisir tl Quadragant qui le croyait mort. Voyant qu’il étaitnbsp;sain et sauf, il eut bon espoir d’avoir raison de sonnbsp;ennemi. Tous deux coururent aussitot sur lui.

Comme la massue venait de lui écbapper des mains, Argamont prit un énorme cimeterre et, fai-sant bonne contenance, il se mit en devoir do, senbsp;défendre. Mais Vaillades le prit ti découvert et luinbsp;enfonca 1’armet en pleine poitrine. Le géant ennbsp;fut d’autant plus terrassé, que le sang commenganbsp;tl obscurcir ses yeux.

II arrive souvent qu’un malheur en accompagne un autre. En effet, au moment oü, pour se vengernbsp;et atteindre celui qui l'avait outrage, le géant le-vait sou cimeterre, il fit un faux mouvement et sonnbsp;arme s’abattit malheureusement sur un énormenbsp;rocher qui la brisa jusqu’ti la garde.

Dés lors les deux chevaliers se tinrent assurés de la victoire. ïls environnèrent Argamont, le pres-sèrent, ct de si prés, qu’ils le mireiit hors d’lia-leine; puis le saisissant au collet, ils lui arracbè-rent le heaume de la tête.

ïu es mort, dit Vaillades, si tu ne te tiens

pas pour vaincu, et si tu ne proraets pas de faire nos volontési...

— nbsp;nbsp;nbsp;Mort 1 oui, si vous voulez, répondit Argamont, mais vaincu, non!... Car celui-la seul estnbsp;vaincu qui, faute de courage, forfait a son devoir;nbsp;tu dois savoir si je me suis épargné tant que la fortune m’en a donné le moyen... Quant è l’accom-plissement de vos volontés, j’obéirai en cela de bonnbsp;coeur, pourvu que mon honneur ne doive pas ennbsp;souffrir...

— nbsp;nbsp;nbsp;Gertainement, reprit Quadragant, tu pariesnbsp;comme un vrai chevalier. Nous te sauverons la vie,nbsp;et ce que neus te demanderons t’honoreraet agran-dira la réputation de par le monde.

— S’il en est ainsi, répondit le géant, je vous obéirai.

— Ge qu’il faut que tu fasses, dirent les chevaliers, c’estqu’oublianl ta foi idolatre, tu croiesdo-rénavant é Jésus-Cbrist, vraiDieu fait homme qui, peur l’amour de toi et de neus tous, a regu la mortnbsp;et est ressuscité trois jours après. En outre, tunbsp;feras obéir ton fils Ardadil a cette croyance-, vousnbsp;irez ensemble trouver l’erapereur de Constantinople, vous lui raconterez ce qui vient de so passer; et dés lors vous deviendrez leur ami el lenbsp;nótre.

— Seigneurs, répondit Argamont, je vous pro-mets de faire ce que vous me demandez Iti...

— Tu proraets en ton noin et au nom d’Ardadil?

— En son nom ct au mien.

— Promesse sincere?

— D’autant plus sincère qu’il y avait longtemps que j’avais le désir de me convertir è cette foi, quinbsp;est ia votre.

Sürs désormais de la sincérilé de cette promesse, Quadragant et Vaillades prirent Argamont chacunnbsp;par un bras et le conduisirent vers sa forteresse.

CHAPITRE XXXm

Comment, aprè.slcur combat avec lo gitant Argamont, Qua-dragant et Vaillades arrivörcnt il lo convertir, ainsi qu'AI-matraso, sa femme.

omrae Quadragant et Vaillades, teut en le souteiiant, conduisaieiitnbsp;le géant Argamont, i!s firent rencontre d’Almatrase, S3 femme, quinbsp;venait préciséracnt implorer leurnbsp;pitié en sa faveur.

— Grands dioux 1 s’ócria-l-elle. Est-il done blessé a mort?

— Non, répondit Argamont; non, gréce a Jésus-Cbrist, en qui je crois etnbsp;croirai désormais, avec tous ceux qult;nbsp;rn’aimm'onl...

— O Jupiter ! s’éeria la géantcscaU' ,nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;dalisée, qu’est-ce ceci ?... Quoi, VOUS

voudriez perdre les vótres si léchoment?...


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LES CHEVALIERS DE LA SERPENTE. 43

LES CHEVALIERS DE LA SERPENTE. 43

songeuse.


— nbsp;nbsp;nbsp;Ma femme, répondit Ie géant, vous serez lanbsp;première m’obéir. Puis, ceux de cette fle vousnbsp;obéiront et croiront au Dieu que j’adore mainte-nant...

— nbsp;nbsp;nbsp;Et k quelle occasion ? demanda Almatrase.

— nbsp;nbsp;nbsp;Je viens de soutenir un combat centre cesnbsp;deux chevaliers; un combat dont je croyais sorlirnbsp;aisément vainqueur... Or, j’ai vu que leur Dieu estnbsp;ie vrai Dieu, et que les nótres ne sont que faux etnbsp;mensongers. Qu’il vous suffise de savoir cela, sansnbsp;vous en occuper davantage.

Almatrase ne répliqua plus rien et devint toute

En co moment, ils entrèrent au chateau. Le géant fut conduit dans sa cliambre et étendu surnbsp;un iit. xMinatrase, qui connaissait Tart de guérir lesnbsp;plaies, soigna les siennes. Elle y rait tant de dé-voüinent qu’elle put l’assurer de sa prompte gué-rison. C’cst pourquoi elle pria affectueusement lesnbsp;deux chevaliers de ne pas l’abandonner de quel-ques jours.

— Je vous promcis, leur dit-elle, pendant votre séjour ici, un traitement égal ti votre mérite.

'Cette offre arriva bien k point pour Vaillades et son compagnon, qui étaient fatigues de la longuenbsp;tourmente qu’ils venaient d’essuyer.

Ils envoyèrent done chercher leurs mariniers qui furent trés heureux d’apprendre la nouvellenbsp;de la victoire obtenue sur Argamont.

Quadragant et Vaillades, qui étonnaient tout Ic monde par leur prouesse, demandèrent ii leurnbsp;hóte oü était son petit-lils Ardadil-Ganile.

— Seigneurs, répondit-il, le grand soudan de Eiquie me dépêcha naguèreun gentilhomme chargénbsp;de lettres pressantes, dans lesquelles il me priaitnbsp;de lui envoyer Ardadil, pour le faire lieutenant-gi'méra] de larmóe qu’il léve, de concert avec lesnbsp;soudans de Perse, d’Allape, de Babylone et de plu-sieurs autres pays. II espérait ruiner l’empereur etnbsp;1’empire de Constantinople. Ils ont appris qu’Ama-dis de Gaule, l’un des meilleurs chevaliers dunbsp;monde, Esplandian son fils, et un grand nombrenbsp;R autres chevalierschrétiens parlesquels la Thracenbsp;mt secourue lors de notre fatale entreprise, étaientnbsp;•‘ötenus quelque part, enchantés. Maintenant quenbsp;^*^t Amadis et les siens sont si bien cmpêchés, ilnbsp;certain que l’empire pourra être aisément sub-Jugué et l’empereur emmené captif. G’est dans eetnbsp;^spoir que les rois païens lèvent de si fortes ar-IP'^cs pour se réunir bieniót dans le port de Téné-. os, en Phrygie. Mon tils Ganile doit y être arrivé,nbsp;Jo Pense, avec ceux de l’Asie-Mineure et quelquesnbsp;® chevaliers des pays voisins. Vu les lointainsnbsp;l^oys qu’ils doivent parcourir, il n’est guére possi-

® ^o’ils soient réunis avant la fin du mois d’aoüt.

'-•1 n était alors qu’au commencement du mois de t('nll^‘ pourquoi Quadragant et Vaillades, en-j maant ces nouvelles, résolurent d’aller secourirnbsp;empereur de Constantinople s’ils ne retrouvaientnbsp;1 ieur compagnon pendant le mois de juillet.nbsp;g|l oe pas trop nous éloigner de celui qu’ilsnbsp;^^'orcher, nous les laisscrons avec le géantnbsp;vonenbsp;nbsp;nbsp;nbsp;l^üptiser avec toute sa familie et nous

ou’pIi nbsp;nbsp;nbsp;‘loi arriva a Alquife et au chevalier

'10 elle conduisait.

CHAPITRE XXXIV

Comment labarque dans laquelle naviguaientPérionde Gaule, surnommé le chevalier de la Sphère, et Alquife, vint abordernbsp;sur les rives d’une trés belle ile, et des aventures qui luinbsp;advinrent.

ous avez déjè su comment le chevalier de la Sphère et sanbsp;demoiselle rentrèrent dans lanbsp;barque des singes.

Pendant les buit premiers jours ils ne trouvèrent pasnbsp;id’aventures; mais le neuviè-rae,le vaisseau mouilla aunbsp;pied d’un rocher élevé, aunbsp;bas duquel serpentait un sen-tier qui conduisait au sommet

do la montagne.

Alquife le montra è Périon, et lui dit:

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire chevalier, je vous prie, par la foi que vousnbsp;dovez a Dieu et a celle que vous aimez, de prendrenbsp;ce chemin. II vous conduira au bant de ce rocher,nbsp;oü vous trouverez un pays plat, et une grande fon-taine au milieu. Vous m’atlendrez \k et vous n’ennbsp;sortirez sous aucun prétexte sans avoir regu de mesnbsp;nouvelles. Qu’il vous souviennetoujoursde la promesse que vous m’avez faitel...

— nbsp;nbsp;nbsp;Demoiselle, répondit Périon, soyez sure quenbsp;je mourrai plutót que de transgressor vos ordres.

Aussitót il descendit a terre, monta sur son destrier et gravit le rocher jusqu’ü ce qu’il eüt rencontré la plaine qu’Alquife venait de lui signaler,

Déja le soleil était couché, et, comme il faisait presque nuit, Périon résolut de ne pas aller plusnbsp;avant ct d’attendre Ia le lenderaain.

En conséquenc, il descendit de cheval, mangea les provisions qu’il avait eu soin d’eraporter avecnbsp;lui et s’endormit jusqu’au lever de l’aurore.

L’auroro venue, il remonta sur son destrier et se mit a chevaucher k l’aventure. II avait déja marchénbsp;jusqu’au milieu du jour, lorsqu’il apergut la fon-taine dans le lieu le plus charmant et le plus pit-toresque que l’on put imaginer.

L’eau sortait par douze canaux k travers un pi-lier sur lequel était élevée la statue d’un chevalier. Sauf le heaume et le gantelet, ce chevalier étaitnbsp;armé de toutes pièces; il tenait dans sa main gauche une couronne d’cmpereur et dans la droitenbsp;une plaque de cuivre doré sur laquelle étaient gra-vés en latin les mots suivants :

« Lorsque cette couronne sera exposee aux plus grands dangers, lorsque les cris bombies et lesnbsp;hurlcments elfroyables s’apaiseront, alors Beu-rira la fl(‘ur de la chevalone, alors elle viendra icinbsp;pour abaisser rorgueil d un grand nombre avec lanbsp;nouvelle épéc qu’elle aura conquise. »

Périon éprouvait un grand plaisir a lire et ü re-


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44 BIBLIOTHEQUE BLEUE

lire cette prophétie’, et Si admirer l’antiquité de cette stalue. 11 se souvint, amp; ce propos, avoir entendu dire au roi Arnailis son père, qu’il y en avaitnbsp;une semblable a Constantinople sur la porie dunbsp;puits qu’on attribuait a Apolliclon.

Pendant que Ie chevalier de la Spbère admirait cette merveille, il reraarqua que deux des singes denbsp;la barque l’avaient suivi, et lui dressaient unenbsp;tente, dans laquelle ils dépnscrent une telle quan-tité de viande, qu’elle sulflsait pour Ie nourrir pendant plus de quinze jours.

Au mème instant, il entendit un hennissement de chevaux qui lui fit lourner la tête de toutes partsnbsp;pour voir ce que c’était. Bientot apparut dans Ienbsp;lointain un géant a cheval, tenant en son poingiinnbsp;fort épieu. Dix hommes bien armés Ie suivaient aunbsp;pas. Ils conduisaient un chariot trainé par quatrenbsp;chevaux, sur lequel était lié et garrotté un vieillardnbsp;a barbe blanche. Derrière lui étaient assis deuxnbsp;chevaliers encore couverts de leurs armes, les piedsnbsp;et les mains chargés de fers.

Le géant ne put voir Périon qu’h une distance assez longue; mais, aussitöt qu’il Tapergut, il luinbsp;cria en brandissant sou épieu :

— Ghétive créature 1 quel est le diable qui t’a conduite ici pour y finir si malheureusement tanbsp;vie?...

Le chevalier de la Sphère, sans s’étonner ni s’é-mouvoir de cette menace, agita rapidement sa lance et lui répondit:

— Par mon chef, grand vilainl tu choisis mal le moment dem’insulter. Jésus-Christ, mon guide,nbsp;fatigue de la tyrannic dans laquelle tu passes tanbsp;vie, va me donner le courage de venger tes victi-mes en envoyant ton ame a ce diablequot; dont tu menbsp;paries!...

Le géant fut tellement irrité de cette réplique, qu’il piqua son cheval pour courir sus au chevaiiernbsp;de la Spère.

Mais celui-ci le prévint et lui donna un tel coup de lance é l’épaule droite, que la douleur le forganbsp;de lacher l’épieu. Le géant, toutefois, saisit rapidement une massue de fer qui pendait a Targonnbsp;de sa selle, et, pendant qu’ils tournaient bride aunbsp;bout de la carrière pour se rejoindre, le cheval dunbsp;païen mit le pied dans une ornière et renversa sonnbsp;maitre si lourdement, qu’il lui rompit lecou.

Le chevalier de la Sphère, voyant cela, mit aus-sitót pied a terre, vola a lui, lui coupa la tête et remonta aussitêt è cheval. II venait d’entendrenbsp;ceux qui conduisaient les prisonniers crier a hautenbsp;voix :

— Traltres! trattresl vous mourrez tous sans rémission, et rien ne saurait vous sauver!...

A ces mots, Périon vit venir a son secours trois chevaliers qui galopaient vers lui h bride abattue.nbsp;lis portaient tous un écu d’or au milieu duquelnbsp;était peinte une croix rouge comme du sang. Cesnbsp;trois guerriers, voyant que ce combat de dix centrenbsp;un allait être inégal, résolurent de porter sccour.snbsp;au plus faible. Aussitót, baissant la visière de leursnbsp;casques, ils se précipitèrent contre les gens dunbsp;géant, et, du premier coup, en terrassèrent trois.

. Ce chevalier de la Sphère, stupéfait d’un sccours ^ prompt et si inespére, voulut prouver a sesarriisnbsp;q pretendait ^ une part du gateau. Aussi tousnbsp;quatre se mirent tellement en mesure de tenirnbsp;tête a leurs ennemis, qu’en quelqucs instants tousnbsp;les dix étaient morts...

Les trois croisés désiraient ardemment connaitro quel pouvait être ce chevalier si valeureux qu’ilsnbsp;venaient de secourir. lis cruijent un instant quenbsp;c’était Amadis ou Esplandian son fils; mais ilsnbsp;changèrent d’avis, lorsqu’ils se rappelèrent qu’ilsnbsp;étaient encore enchantés.

— Peut-ètre est-ce Norandel ou Frandalo, di-saient-ils; cependant, quelque valeureux qu’ils soient, ils n’égalent pas eet étranger.

Ils s’adressèrent done é lui et le prièrent cour-toisement de leur dire son riom.

— Seigneurs, répondit-il, la croix que vous por-tez, votre tilre de chrétien et le bon secours que j’ai regu de vous m’engagent é me rendre votrenbsp;priére. Mon nom, tant qu’il plaira a Ia demoisellenbsp;qui m’envoie ici, est le chevalier de la Sphère; maisnbsp;ceux qui me connaissent me nominent Périon denbsp;Gaule, fils d’Amadis de la Grande-Bretagne...

II n’avait pas achevé ces paroles, que les trois chevaliers I’embrassaient en bénissantnbsp;f Dieu de cette bonne rencontre.

CHAPITRE XXXV

Comment, après avoir étd secouru dans sa lutto contre le gdant et ses gens par troisnbsp;chevaliers inconnus, Pdrioti apprit d'euxnbsp;leurs noms et leur sexe.

i le chevalier de la Sphère fut heureux et étonné, ilnbsp;ne faut point le demandcr.nbsp;Ges trois vaillgnts chevaliersnbsp;Ie connaissaient, mais il nonbsp;les connaissait en aucunenbsp;fagon.

— Comment 1 leur dit-il après les premiers embrassements,nbsp;nous ne sommes pas ètrangers lesnbsp;uns aux autres ?...

—Ètrangers? répondit l’un d’eux. Ètrangers? Y songez-vous bien ?nbsp;Mais, peur ma part, je suis votrenbsp;cousin ïalanque, puisque je suis Ienbsp;fils du vaillant Gulaor, lequel est lenbsp;frère du roi votre père ; celui-ci senbsp;nomme Maneli, chevalier des plusnbsp;eslimés parmi les plus valeureux.

— Gette aventure, dit Périon, est pour moi une des plus agréablcsnbsp;que j’eusse pu souhaiter. Mais, di-tes-moi, je vous prie, quel est cenbsp;troisième personnage ?

— Chevalier, répondit Talanque, c’esl Ia reine Galifie que je dois epou-ser. .le n’eusse jamais pensé, sur ma foi, que» dannbsp;une poitrine de femme, batlit un emur si génereux»nbsp;Talanque alors lit venir la reine et lui dit:

— Madame, vous avez dans vos mains le tre du prince chrétien quo yous baïssez le pm inbsp;comme vous me l’avez dit si souvent...


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LES CHEVALIERS DE LA SERPENTE. 45

ïaianque plaisantait en disant ces mots, car la reine de Galilornie publiait souvent, et partout oiinbsp;elle se trouvait, qu’elle tenait plus h I’empercurnbsp;Esplandian qua tous les hommes du monde, tanlnbsp;en souvenir de la noble et loyale reception qu’il luinbsp;avait faite a Constantinople, quo paree qu’il luinbsp;avaitdonné un raari vertueux et plein de prouesse.

G’est pourquoi, sachant qu’elle ctait devant Pé-rion, elle leva la visière de son heaume, et, met-lant un genou en terre, elle voulut lui baiser les mains. Périon la releva et lui dit:

— nbsp;nbsp;nbsp;Comment, madame! est-ce ainsi que l’onnbsp;accueille en Californio eeux que l’on bait pour l’a-mour de leurs parents?...,

— nbsp;nbsp;nbsp;Chevalier, répondit la reine, les femmes sontnbsp;souraises a la vonté de leurs maris; soyez assurénbsp;que, sans lui, vous ne sortiriez pas de mes mainsnbsp;sans souffrir la mort ou tout au moins une longuenbsp;etcruclle prison 1...

Chacun sc prit a rire de la gracieuse naïveté avec laquelle la reine prononga ces paroles.

Pendant qu'ils s’entretenaient de la sorte, les prisonniers qui étaient lies dans Ie chariot trouvè-rent Ie moyen de couper leurs cordes et de venirnbsp;au devant du chevalier de la Sphère. Celui-ci s’a-dressa au vénérable vieillard qui marchait au devant d’eux et lui dit.

— nbsp;nbsp;nbsp;Seigneur, quelle infortune vous réduisit a unnbsp;^ge si avancé dans une aussi profonde misère ?

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, répondit Ie vieillard, je bénirai toutcnbsp;JRa vie Ie Seigneur et vous, qui m’avez délivré denbsp;|a mortl... Avant que je vous en dise davantage,nbsp;je vous supplie, en 1’honneur de Dien, de m’oc-troyer un don qui vous coütera peu et que vous nenbsp;nie refuserez pas, jecrois, sij’enjuge par la bonténbsp;qui est peinte sur volre visage et par la misèrenbsp;dans laquelle je vis depuis longtemps.

— nbsp;nbsp;nbsp;Père vénérable, dit Ie chevalier, je vous ac-eorderai tout ce que vous désirerez.

. —• Ge que je requiers de vous, reprit Ie bon-homme, c’est que vous me laissiez on liberté et ‘1^6, pour Ie moment, vous ne vous informiez pasnbsp;davantage de moi. Je rcconnaitrai longtemps celtenbsp;gi'ace signalée...

— Cortes, dit Périon, puisque vous voulez ainsi d'is cacher de moi, j’y consens volontiers.

demanda alors aux deux autres par qui ils été enchainés; mais ils étaient tellementnbsp;j . ades, qu’ils ne purent d’abord recounaitre ce-pj* hui leur parlait, bien qu’ils fussent è sa recher-^ e avec Lisvart. Du roste, comme ils étaient cou-Ij., ^ .dö leurs heaumes el que leurs visières étaient

|ssées, il n’était pas étonnant que Périon lui-

*^^0 ne put les reconnaitre.

^ Après qu’ils eurent repris leurs esprits, ils pa-ent se réveiller d’un songe, et, levant leurs bras quot;quot;quot;quot;'eCiiss'écrièrent:

Dieu 1 qu’est-ce ceci ? Est-ce possible ? Nos Deus tromperaient-ils, par hasard ?nbsp;et snbsp;nbsp;nbsp;nbsp;ces mots, ils otèrent leurs heaumes

Celm ..®'®®drent pour baiser les pieds de Périon. Knoiie'^ï’ ’’^^^P'aaissant en eux deux de ses compare Ips’ ^^•^g'^ines et Abies d’lrlande, fut si heureuxnbsp;''aliers^c/^'*^’nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;embrassant il dit aux che-

— nbsp;nbsp;nbsp;Mes amis, si vous saviez qui sont ces gentils-horames, vous partageriez mon bonheur 1

11 leur raconta alors comment ils étaient partis ensemble de la Grande-Bretagne et par quellenbsp;aventure ils avaient été séparés.

Pendant que Talanque, Maneli et la reine Califie s’émerveillaient grandement de ce récit, Ie chevalier les conduisit tous dans sa tente. ïoutefois,nbsp;avant qu’ils n’y arrivassent, Ie vieillard se dérobanbsp;a leur vue, monta sur un des chevaux qui venaientnbsp;de perdre leurs maitres, et s’enfuit au grand galopnbsp;a travers la forêt.

Le chevalier de la Sphère se prit a rire de cette fuite soudaine et dit a ses compagnons ;

— nbsp;nbsp;nbsp;Je crois quece bonhomme pense être encorenbsp;poursuivi par le géant. Voyez, je vous prie, si lanbsp;peur lui donne des ailes. Je le lui pardonnerais denbsp;meilleur coeur si je savais son nom. Mais vous quinbsp;avez été avec lui, dit-il a Languines et è Abies,nbsp;vous pourriez bien, je crois, me donner ce rensei-gnement.

— En bonne foi, répandit Languines, nous le connaissons aussi peu que vous... car sachez qu’anbsp;peinc sorlis, mon compagnon et moi, du port denbsp;Constantinople, oü nous nous étions embarquésnbsp;pour aller è votre recherche, il s’éleva une tellenbsp;tempête, qu’au bout de trois semaines nous nousnbsp;trouvames en Palestine, tout prés de Jaffa, oünbsp;nous descendimes pour faire radouber nos vais-seaux et prendre de Peau douce qui venait de nousnbsp;manquer. Nous fimes sortir nos chevaux du vais-seau, puis, armés de toutes pièces, nous allamesnbsp;visiter la contrée. Le hasard nous conduisit dansnbsp;un bosquet sous lequel coulait en murmurant unnbsp;petit ruisseau. Après avoir bu de cette eau, nousnbsp;nous en lavaraes les mains et le visage. Par malheur, pendant que nous nous rafraichissioiis, nousnbsp;fumes chargés et surpris par quinze chevaliersnbsp;qui sortaient d’un épais taillis, et centre les-quels nous nous défendiraes longtemps. Gepen-dant, nous voyant condamnés h mourir, nous lais-sames nos armes et nous rendimes,après avoir tuénbsp;cinq des leurs. Les dix autres auraient eu beau-coup a faire pour nous réduire, si le géant qui gitnbsp;mort dans cette prairie ne fut arrivé en conduisantnbsp;dans un chariot le vieillard qui vient de fuir. Toutenbsp;résistance devenait inutile et dangereuse. Nousnbsp;nous rendimes et nous laissames enchainer, ainsinbsp;que vous venez de nous voir tout ü I’heure.

— Par mon chefl répondit Périon, je n’ai jamais OUÏ parler de si grande merveille. Le meilleur est, Dieu merci 1 que 1’issue en est bonne.

Comme ils n’avaient pas mangé de tout le jour, Périon leur fit apporter les mets que les singesnbsp;avaient déposés dans la tente. Ils s’en nourrirent,nbsp;non sans regretter Lisvart et leurs autres compagnons, qui étaient le jouet de la tempête, commenbsp;vous allez le voir tout a I’heure.


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46 BIRLIOTHEQUE BLEUE.

GIIAPITRE XXXVI

Comment Ie vaisseau sur lequel élaient Lisvart, Florcslan, Parmcnir, et Galvanes, fut lancé sur Ia cótc, prés la grandenbsp;cité de Trébisonde ; et des propos qu’ils curcnt avcc l’em-pereur et les dames.

Le destia porsécuta si souvent ceux qui allaient a Ia recherche de Périon, que leurs vaisseaux, sé~nbsp;pares dans diverses circoustances, tinirent par senbsp;perdre de vue.

Le vaisseau que montaient Parmenir, Galvanes, Lisvart et Florestan vint, après avoir échappé anbsp;plusieurs naufrages, entrer dans le port de ïréhi-sonde. Ils y trouvèrent un navire vénitien chargénbsp;de raarchandises, qui n’attendait qu’un bon ventnbsp;pour faire voile vers I’Italie.

Les chevaliers s’informèrent auprés des mariniers du vaisseau des coutumes du pays et des nou-velles qui y circulaient.

— nbsp;nbsp;nbsp;Seigneurs, répondirent les marchands, nousnbsp;y avons entendu, il y a quelques jours, le roeitnbsp;d’uiie merveilleuse aventure.

— nbsp;nbsp;nbsp;Laijuelle? dit Lisvart. Veuillez, je vous prie,nbsp;êtro assez courtois pour nous en faire part.

— Sachez, répondit l’un deux, que I’empereur était dans son palais avec 1’impératrico et ses deuxnbsp;filles, lorsqu’une demoiselle élégamment vêtue,nbsp;portant au cou un écu et une épée trés richemontnbsp;garnie, y entra au milieu de la foule étonnée. Getlenbsp;dame conduisait par la main un noble et beaunbsp;jouvenceau, tout armé; il avait la tête nue et pa-raissait d’une extréme jeunesse.

11 raconta alors ce qui était arrivé ii Périon de Gaule et a Alquife. Les chevaliers reconnurent ai-séraent le compagnon qu’ils clicrchaient dans lenbsp;portrait que leur en tracèrent les marchands; maisnbsp;ils lie pouvaientexpliquer toutcl'ois par quelle aventure il était arrivé dans ce pays, lis résolurent donenbsp;de mettre pied é terre et d’allcr trouver l’empe-reur, qui pourrait leur donner des nouvelles denbsp;Périon.

Les chevaliers et surtout Lisvart, qui était un des plus beaux hommes que l’on put trouver, s’é-quipèrent de leur mieux. lis montérent a cheval,nbsp;entrèreiit dans la villo et vinrent au palais, oü ilsnbsp;descendirent. Sans s’arrêter au dehors, ils passè-rent outre et entrèrent dans une salie oü élaitnbsp;I’empcrcur, entouré de beaucoup de chevaliers etnbsp;de dames.

Leur entrée fut trés solennelle; on les laissa ap-procher de l’empereur, auquel Lisvart s’adressa en ces termos ;

— Sire, votre haute renommee s’étend dans toutle monde; votre bonté est connue de tous :nbsp;eest elle qui nous amène ici, mes compagnons et

présenter nos hommages vnirnbsp;nbsp;nbsp;nbsp;majestó, mais aussi pour rece-

ouvelles de celui que naguère vous avez

armé chevalier, k la demande d’unc demoiselle qui l’amenait dans ce pays. Et, corame je n’ai jamaisnbsp;eu d’autrc désir quo celui d’etre fait chevalier de sanbsp;main, je vous supplietrès humblement de me direnbsp;ce qu’il est devenu, afin qu’après l’avoir trouvé,nbsp;j’obtienne de lui ce que je souhaite si ardemment.

L’empereur, toujours gracieux, répondit amica-lement ü Lisvart:

—Vous et les chevaliers vos compagnons, soyez ici les bienvenus! Quanta celui que vouscherchez,nbsp;je 11’en ai pas de nouvelles; ce qui m’attriste, cirnbsp;je l’aimais par-dessus tout, ü cause de son grandnbsp;courage. II est parti de cette cour d’une fa^on sinbsp;étrange, que'je crois rover quand j’y pense.

— Sire, je dois vous déclarer (ju’il est lils de la belle Oriane et du preiix chevalier Amadis denbsp;Gaule, roi de la Grande-Bretagne.

— Par ma couronne! je suis émerveillé d’ap-prendre que celui que j’ai fait chevalier est le tils du plus célèbre prince de la terrcl Surma foi,j’é-prouve il présent un immense dés'ir de le recouvrer,nbsp;et si jamais il revient ici, je lui ferai expier sonnbsp;peu de courtoisie.

II regarda alors plus attentivement Lisvart et lui dit:

— Je crois que vous devez étre son parent, car vous lui ressemblez beaucoup.

— Sire, répondit Lisvart, jusqii’ii co que Dicu m’ait rendu dignede nommcrceux dont je descends,nbsp;je desire rester inconnu.

L’empereur n’insista pas davantage. II nianda le due de la Fonte et lui ordonna de le conduirc, ainsinbsp;que les autres étrangers, vers l’impératrice.

Le ducobéit, et prenant Lisvart par la main, il le présenta a l’impératrice : Lisvart lui baisa lanbsp;main; l’impératrice lui rendit un baiser en luinbsp;disant:

— Beau damoiscl, soyez le bienvonu, et vous aussi, nobles étrangers!

Lisvart avisant les deux infantes Onolorio et Gri-Cilerie, leur ht un salut trés respectueux. Le due do la Fonte leur dit alors que l’empereur le leurnbsp;envoyait.

— En bonne foi, répondit Gricilerie, il a raison de vouloir que j’accueille gracieusement ce damoi-sel, car outre qu’il est beau, je le crois descendunbsp;d’un puissant lignagc; je ne sache pas avoir jamaisnbsp;rencontré personne qui ressemblat davantage anbsp;mon chevalier 1 aussi, beau damoiscl, nous vousnbsp;prions de nous dire le nom de celui que vous cher-chez, de co noble inconnu qui a gardé un silencenbsp;absolu malgré nos supplications.

Pendant que Gricilerie pronongait ces mots, 1’Amour, qui ne pardonue a personne, perga lenbsp;cceur de Lisvart et celui d’Onolorio d’unmèinetraifnbsp;Leurs yeuxse donnerentimmédiatement un reinèdcnbsp;k cette adorable blessure, et se promirent k l’instuntnbsp;la guérison et le bonheur.

Lisvart déguisait avec peine ce sentiment en rc-pondant ü Gricilerie :

— Madame, le chevalier qué vous désircz coi -haitreestlelilsdu roi Amadis de Gaule, ctsenomi Périon. Ge serait [lerdrc le tonips que denbsp;dire davantage. La renomméo universelle du p 'nbsp;rejaillit noblemont sur la tête du nis, ijui a i Jnbsp;prouvé avec bonheur qu’il est digne de sou sanj,-


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LES CHEVALIERS DE LA SERPENTE. 47

LES CHEVALIERS DE LA SERPENTE. 47

lui oclroya A la Idgöre.

—Beau sire, dit Onolorie, est-ce seulement pour relrouver Périon que vous êtes veim amp; la cour ?

— Oui,madame, jusqu’aujpurd’hui, répondit-il; mais désormais je prévois que j’aurai d’autres raisons poury revcnir, si elles pouvaient vous êlrcnbsp;agréables.

Onolorie Ie remerciatrès affectueusement, et, pour mieux déguiser sa pensée, elle lui dit:

— Vous avez été bien inspiré de venir céans pour avoir promplement des nouvelles de votre compagnon, car la demoiselle qui l’amena nous est tresnbsp;dévouée, et il ne se passera pas longtemps avantnbsp;qu’elle ne soit de retour.

Onolorie parlait ainsi pour pouvoir arrèter plus longtemps Lisvart auprès d’elle.

Prés d’elle se tcnait Griliano, fille du due d’Or-tilense. Elle avail soigneusement observé la phy-sionomie -des deux amants, et avail facilement deviiié ce qui se passait en eux. C’est pourquoi,nbsp;pensant leur êlre agréablc, elle dit A Onolorie :

— Madame, trouveriez-vous mauvais de prendre ce beau damoisel pour votre gentilhornme, car jenbsp;ne vis jamais homme plusdigne de servir une aussinbsp;belle demoiselle que vous.

Ces mots iirent monter au visage de rinfanto une légère reugeur qui augmenta sa beauté et quinbsp;cnhardit Lisvart A répondre :

— Madame, je vous rcmercie trés bumblemcnt dlt;« bien que vous me voulez ; toutefois, comme jenbsp;n’ai encore rien fait pour me rendre digne d’elle,nbsp;a Dieu ne plaise que j’osc me nommer son gen-tilhomme, car s’il lui plaisait de m’accepter pournbsp;tel, je m’estinierais Ie plus heureux mortel de lanbsp;terre.

— Oui vraiment, dit Onolorie, je vous accepte, et dorénavant je vous prie do vous considérernbsp;comme tel.

Lisvart mit alors un genou en terre et lui baisa les mains.

^ Sur ces entrefaites I’empereur entra, et après s èlro longtemps ciitretenu avec les dames, il mandanbsp;'Ri de ses msitres d’hótel et lui ordonna do conduirenbsp;®es geiitilshorames dans Tune des rneilleurescham-®fes du palais. Puis il les envoya chcrcher quaiulnbsp;soiinn l’heure du repas, et leur lit avec une ania-I *ldé parfaite les honneurs du festin qui se pro-engca jusque bien avant dans la nuit.

Lisvart reposa tres peu. II ne cessa de soupirer pi'ès celle qui teiiait a l’accepter pour son service.

ussi il se disail, tout en s’ontretenant avec lui-luöiTie :

„ r~ Malheureux Lisvart, que va-t-il t’arriver 1 1 espères-tul pretends-lu égaler les vertus et lesnbsp;de ton père et eeux de ton aïeul Amadisnbsp;Toi*' fcndre digne d’uno si haute faveur 1...nbsp;jig 1*1^1 n’es pas même chevalier tu portos les re-Non I ^nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;n’osèrenl jamais lever les leurs!

^ te * nbsp;nbsp;nbsp;toi-niéme; apprends done

^var nbsp;nbsp;nbsp;1® nioyen de te retirer

M-• nbsp;nbsp;nbsp;plus avant dans ce labyrintlie!...

soi-m ** ’,1 ®Langeait tout aussitót de resolution, de Onol*^ • savait A quoi s’arrêter.nbsp;flantnbsp;nbsp;nbsp;nbsp;^®*'® ”® ®®ssa de soupirer pen-

les vptiY it I *^'1® constamment devant Pour luinbsp;nbsp;nbsp;nbsp;nouvel ami, el brülait

ue llainme qui lui était encore inconnue.

G’est ainsi que ces deux amants passèrent la nuit.

Le lendemain, Lisvart, Parmenir, Galvanes et Florestan se préparérent A partir et allèrent trouvernbsp;les dames A la cnapelle.

Ils y virent Onolorie qui ressemblait A une divi-nité. Ses beaux cheveux blonds étaient entourés d’une brillante couronne d’or enrichie de perlesnbsp;fines. Un voile de soie dorée était attaché A son front.nbsp;Sa beauté éblouit Lisvart, muet d’admiration!

Auprès d’elle était agenouillée Gricilerie, qui ne le cédait en rien A sa soeur, de sorte qu’en les comparant on n’aurait pu savoir A laquelle des deuxnbsp;l’Amour avait donne ses plus beaux et ses plus ravissants attraits.

Griliane, Bridelnie et plusieurs autres dames et demoiselles ontouraient les deux célestes créatures.nbsp;Gelui qui eüt alors demandé a Florestan et A Galvanes ce qu’ils pensaient de ces deux dames, eutnbsp;incontestablement appris la préférence de Florestannbsp;pour Griliane et celle de Galvanes pour Bridelnie.

Je vous laisse A penser maiutenant avec quelle devotion ces chevaliers entendirent la messe. Ilsnbsp;adressèrent sans doute leurs piières A ces char-mantes divinités, et ils eussent volontiers sacrifié,nbsp;,]C crois, leur part du paradis celeste pour possédernbsp;un seul instant une part du paradis terrestre pro-inis par ces suaves beautés.

Le prètre ayant achevé l’office, l’empereur se leva. Lisvart et ses compagnons vinrentlui souhaiternbsp;lo bonjour, et on descendit dans une salie oii lesnbsp;couverts étaient dressés.

GHAPITRE XXXVII

Comment une demoiselle étrangöre vint vers I'empercur de Trébisonde el demanda un don A rinfaute Onolorie, qui lo

Au moment oü cetle noble compagnie de seigneurs et de dames s’ébauilissait le plus et le mieux, au moment oü les violons commenqaient Anbsp;sonner la sortie de table et l’entrée en danse, sur-vint une demoiselle grande outre mesure, mais, aunbsp;demcurant, la plus belle du monde.

Elle était vêtue d’un sami blanc, découpé et attaché avec boutons d’or et chatons de pierrres oriontales; sur sa tête elle portait une guirlandenbsp;de Beurs, sous laquelle se montrait force cheveuxnbsp;blonds, soyeuxet déliés; enfm, elle avail un ensemble d’atlraits et de perfections tel, qu’elle nenbsp;pouvait manquer d’inspirer le désirauxplusfroidsnbsp;et aux plus avcugles.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;.

A cóté d’elle, marchaient deux vieillards, ayant une longue barbe fleurie blanche, laquelle étaitnbsp;tressée bien proprementavee cordonnets de soie etnbsp;d’or; et, derrière ees deux vieillards et cette demoiselle, setenaienttrois chevaliers armésde toutesnbsp;pieces.

En demoiselle bien apprise, I’inconnue s’avanca


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BIBLIOTHEQUE BLEUE.

vers l’empereur de Trébisonde et s’apprêta a mettre les peuoux en terre pour lui baiser les mains. Maisnbsp;lui, a cause d’elle et de son bon équipage, la re-leva fort gracieusement, et lui deraanda ce qu’ellenbsp;souhaitait.

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, répondit-elle, votre grande bonté, sinbsp;connue partout, m’a enhardie a sortir de mon paysnbsp;et h venir en cette cour, pour y chercher remèdenbsp;a une affaire d’importance.

— nbsp;nbsp;nbsp;Vous pouvez librement deraander cc qu’ilnbsp;vous plaira, dit Terapereur, j’y satisferai dans lanbsp;mesure de mon possible.

La demoiselle remercia trés humbleraent et reprit :

— nbsp;nbsp;nbsp;Puisquevous me faites tant de grcice, Sire,nbsp;permettez-moi done de demander un doii é madamenbsp;Onolorie, votre fille, et priez-la, s’il vous plait, denbsp;vouloir bien me Toclroyer.

— Ma fille ne sera pas a votre endroit moins libérale que moi, dit l’empereur.

La demoiselle inconnue s’avanea vers Onolorie et lui dit, avec une humble contenance :

— Trés vertueuse et trés excellente princesse, je vous prie de ne pas trouver inauvais si je m’a-dresse é vous comme é la plus belle et a la plus gra-cieuse créature qqi soitaujourd’hui cntrelesvivants,nbsp;pour oblenir un don qui vous coülera peut-être unnbsp;peu. Si j’y tiens si fort, c’est que ma vie en depend.

— Demoiselle, ma mie, répondit la princesse, vous aurez de moi tout ce qui est en ma puissance.nbsp;Que souhaitez-vous ?...

— Princesse, dit Tinconnue, je souhaitc que vous ordonniez ti ce beau jouvenceau assis auprèsnbsp;de vous, de me suivre, lui seul et sans plus tgrder,nbsp;en quelque lieu que je Ie voudrai conduire, assuréenbsp;que je suis qu'il vous obéira en tout 1

Onolorie comprit aussitót quelle faute elle avait commise en s’engageant aussi témérairement.Ellenbsp;devint toute pensive, navrée au fond et en grandenbsp;perplexité a propos de cette. demande inatlendue,nbsp;qui ne consistait en rieh moins qu’èi lui enlever Ienbsp;senl bien qu’elle aimat vraiment au monde... Ellenbsp;chercha dans son esprit Ie moyen de tourner Ia dif-ficulté.

— nbsp;nbsp;nbsp;En bonne foi, demoiselle ma mie, répondit-elle, ce jouvenceau est si nouveau en cette cour,nbsp;j’ai si peu fait pour lui, que j’ai grand’peur de nenbsp;pas réussir dans cette proposition... Le plus sur,nbsp;a ce qu’il me paratt, est que vous l’en priiez vons-même : peutêtre vous I’accordera-t-il... Quant énbsp;moi, je n’ai aucun droit sur lui, et je serais indu-bitabiement réfusée...

Mais Lisvart, la voulant assurer du contraire, se leva soudain, et, mettant le genou en terre, il luinbsp;dit:

— Madame, puisque vous avez octroyé un don a cette demoiselle, il vous plaira sans doute d§nbsp;m’en octroyer un aussi ?

— Beau jouvenceau, répondit doucement Onolorie, je le veux trés bien...

— nbsp;nbsp;nbsp;je vous supplie done, madame, reprit Lisvart,nbsp;de satisfaire é ce dont elle vous a requis, et de menbsp;permetlre de la suivre oü elle voudra me conduire...

Assiégée ainsi de tous cótés, Onolorie comprit qu’elle ne pouvait pas reculer.

— Allez done, et que Dieu vous conduisel dit-elle en étouffant un gros soupir.

— Je suis prêt h vous suivre, demoiselle, dit Lisvart a l’inconnue, après avoir saluc et remercicnbsp;bien humblement l’infante.

— Ce sera done dés maintenant, répondit 1’in-counue.

Et, de ce pas, prenant l’un et l’autre congé de la cour, ils délogèrent, suivisdes deux vieillards etnbsp;des trois chevaliers armés de toutes pieces.


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I.IÏEGMIER^:

AMADIS

LES

HÉRITIERS D’AMADIS

Coi

CllAPlTRE PREMIER

. fnent, après Ie depart cic Jdsvart ct de la demoiselle Vnbsp;nbsp;nbsp;nbsp;un écuyer viut apprendro ft Icinpcreur la iiou-

p ‘e du désasire du due Dardarie ; ot comment Florestan, ^a'vaties rdsolurent d’allcr au secours do

?»'• (Icmoiselle incoiinue avaient a

itivson?* V nbsp;nbsp;nbsp;éciiycr

entd tievant I’cmpcrcur dc Trébisondc ct lui

— Sire, Ie due Dardarie a été défait par Ie roi de la Rreigiie, et il est présentenieiit assiégé parnbsp;lui en la villc d’Autiisque, oü il succombera sinbsp;vous ne vous hatcz pas de lui envoyer les secoursnbsp;nécessaires.

Gette nouvelle consterna grandement la cour, et, incontinent, il t'nt commandé au due d’Orti-lense de prendre avec lui dix mille hommes de che-val et vingt mille hommes de pied, et d’aller ennbsp;toute diligence pour faire lever ce siégc.

De leur cóté, Parmenir, Florestan et Galvanes, compagnons dc Lisvart, délibérèrent, en atten-

Série.—1


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BIBLIOTHEQUE BLEÜE.

aiasi, nous

dant son retour, de se mêler k celte eutreprise. En consequence, ils prièrent 1’empereur de Trébi-sonde de leur dire k quelle occasion cette guerrenbsp;avait été commencée entre lui et Ie roi de lanbsp;Breigne.

— nbsp;nbsp;nbsp;Mes amis, répondit Tempereur, il s’est ré-bellé contre moi, m’a usurpé et pris par Irahisounbsp;les villes de Breigne et de Térédie, pret a faire pisnbsp;encore, si je Ie lui permettais.

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, dit alors Florestan, mes compagnons etnbsp;moi, pour vous faire service, nous serous de cenbsp;voyage contre votre ennemi, et nous obéirons anbsp;tout ce que votre lieutenant nous eornmandera.

— nbsp;nbsp;nbsp;Je vous en sais bon pé, répondit l’empereur.

— nbsp;nbsp;nbsp;Nous faisons notre devoir de chevaliers, pu-rement et simplement, dit Parmenir; par ainsinbsp;nous n’avons nul besoin qu’on nous en remercie.

Les trois chevaliers s’inclinèrent, disposés a prendre incontinent congé.

Mais l’empereur de ïrébisonde, les retenant courtoisement, leur dit :

— Ne voulez-vous done point prendre congé des dames et des demoiselles de notre cour? Si vousnbsp;refusez mes remerciments, vous ne refuserez sausnbsp;doute pas les leurs...

Les trois chevaliers s’inclinèreut et s’en allèrent dans la salie oü se tenaient les dames.

— nbsp;nbsp;nbsp;Madame, dit Florestan en s’adressant k Ono-lorie qui devisait avec Griliane, madame, en attendant Ie retour du beau jouvenceau, notre ami,nbsp;que la demoiselle inconnue vieut de nous enlever,nbsp;voulez-vous m’autoriser aller en guerre avee Ienbsp;titre de votre chevalier?...

— Soyez mon chevalier, beau sire, répondit Onolorie en regardant malicieusement Griliane.

— A une condition, cependant, reprit Florestan.

— Ah 1 il y a une condition, et c’est vous qui me l’imposez!...

—A condition, madame, que lorsque notre vail-lant ami sera de retour vers vous, vous me rendrez a madame Griliane, h qui j’ai l’honneur d’etre, etnbsp;h qui vous me permettrez de laisser mon coeur ennbsp;étage, pour qu’elle en dispose comme il lui plaira.

Ünolorie et Griliane se prirent alors é sourire. Files s’apprêtaient é répondre Tune et l’autrenbsp;quelque chose de tendre h Florestan, lorsque l’im-pératrice intervint. Onolorie se contenta de luinbsp;dire :

— Je souhaite, seigneur, que vous reveniez tous céans en bonne santé et Ie plus tót possible!...

Pendant ce court entrelien de Florestan et d’Onolorie, Galvanes s’était approché tout douce-rnent de Bridelnie. 11 lui disait avec une grandenbsp;tendresse dans Ie regard et dans la voix :

— nbsp;nbsp;nbsp;Madame, je vous en supi)lie, commandez-moi done de m employer en cette eutreprise commenbsp;votre, afin qu’en souvenance de vous et des Hensnbsp;qui alors nous uniraient, comme ils unissent d’or-dinaire un chevalier a sa dame, je puisse plus aisé-ment surmonter les perils et vaincre vos ennemis,nbsp;qui som devenus les miens 1...

., fhitte requête est trop honorable pour vous

re refusec, répondit Bridelnie en rougissant. Fous men pnez, et moi je Ie voulais. Par ‘nbsp;döVlons nous entendre.

Et, tirant une bague de son doigt, elle la passa au sien, en tremblant un peu et en continuant anbsp;rougir...

— nbsp;nbsp;nbsp;Ahl s’écria Galvanes, transporté d’aise, jenbsp;vaincraü... Je veux revenir auprès de vous, pournbsp;vous mieux mériter encore par mon dévoüment etnbsp;par mon amour, si toutefois vous ne vous y oppo-sez pasl...

— nbsp;nbsp;nbsp;Get anneau n’est-il pas la confirmation denbsp;l’alliance de coeur et de corps que nous avonsnbsp;désormaiscontractée ensemble? répondit tendre-ment Bridelnie. Vous êtes mien et je suis votre :nbsp;cela vous sufnt-il?...

Galvanes, plus que jamais enamouré, allait se livrer èi de nouvelles protestations, plus chaudesnbsp;encore que les précédentes, lorsqu’il fut empêché,nbsp;dans la manifestation de son enthousiasme, parnbsp;l’arrivée d’un nain, difforme au possible.

CHAPITRE II

Comment un nain, envoyé par Mélye, apporta une lettre psr laquelle l'empereur dcTrébisonde élait prévenu que Constantinople allait clre mis a leu et i sang.

Ce nain difforme, sans plus se préoccuper des gens de qualité qui étaient réunis Ih, sans saluernbsp;rien ni personne, présenta une lettre scellée denbsp;soixante-sept sccaux, laquelle futdécachetéeetluenbsp;devant toute 1’assistance.

Voici ce qu’elle contenait:

« Mélye, dame excellenie entre toules les ma-giciennes, ennemie jurée de la foi et du Dieu des chrétiens, et désireuse d’augmenter de jour ennbsp;jour la loi de nos dieux, te fait savoir ce qui suit,nbsp;è toi, empereur de ïrébisonde :

« Constantinople sera bientót assiégée par soixante-sept princes de loi païenne; je rn’y trou-verai raoi-même en personne, afin de voir brülernbsp;de mes yeux ce repaire et eet espoir des chré-tiens et de la chrétienté...

«11 en sera ainsi, fol empereur, paree que celle è qui ta fille a livré Ie jouvenceau que tu sais, 1 ^nbsp;remis en mon pouvoir, et que je Ie garde en licu sinbsp;sur, que ni Amadis son aïeul, ni Esplandian sonnbsp;père n’auront pas moyen do Ie secourir etdélivrei’?nbsp;1'ussent-ils même désenchantés de leur enebante-ment!...

« Mais ce n’est pas encore assez que j’aie celui' la : mon appétit de vengeance veut d’autrcs vic-limes pour être salisfait. Petit h petit je couipt®nbsp;avoir Ie reste de vous autres, pour en disposenbsp;selon mon vouloir et mon plaisir, c’est-a-dire ponnbsp;les converlir k notre religion, de gré ou de fore •

«J’ai dit, empereur de ïrébisonde, et crqis-m gt; tout arrivera sans difliculté ainsi que je viensnbsp;te l’annoncer.

« Mélye. «

Cc message était incontestable ; il avait Ie sccl


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LES HÉHITIEHS D’AMADIS.

ordinaire de celte magicienne du diable, c’était bien elle qui l’avait écrit. Or comme elle ne faisaitnbsp;jamais de menaces en vain, l’erapereur fut cha-griné de ce qu’elle lui aimoncait. Toutesa cour Ienbsp;fut aussi.

Ge qui augmenta Ia trislesse de plusieurs, ce fut Ia perte de Lisvart, lequel, sous ombre d’équité,nbsp;s’en allait gaimeiit a la mort, oü Ie conduisait lanbsp;demoiselle inconnue, complice de la magiciennenbsp;Mélye.

Onolorie, surtout, fut affligée au dela du possible. Elle se héla de se retirer eu sa charabre, et, se jetant sur un lit, elle coiumenoa a mener Ie plusnbsp;grand deuil du monde, avec force sanglots et forcenbsp;soupirs ;

— nbsp;nbsp;nbsp;O Seigneur des petits et des grands 1 O Dieunbsp;des affligés et des heureuxl Comment avez-vousnbsp;pu permettre que je fusse ainsi la cause de Ianbsp;perte de mon ami, et aussi de la perte de toute lanbsp;chrétientél... Hélas! mort cruelle, pourquoi per-mettez-vous done que je vive, moi par qui voninbsp;mourirtant de personnes innocentesl...

Comme Onolorie disait ces mots, l’ame navrée, Criliane survint, la prit affectueuseraent entre sesnbsp;bras et essaya de la consoler,

— nbsp;nbsp;nbsp;Madame, ma chère dame, pourquoi tant denbsp;désolation?... Est-ce done vous, d’ordinaire sinbsp;sensée, qui attachez tant d’importance aux fauxnbsp;propos d’une fausse devineresse

— nbsp;nbsp;nbsp;Ilélas! ma mie, la crainte que j’ai rend monnbsp;c®ur douteur...

“Madame, en votre qualité de grande prin-cesse, vous ne devez pas avoir les travers et les faiblesses desautres femmelettesl... Que lesautresnbsp;s’affligcnt a tort, passe 1 mais vous, flile de prince,nbsp;rous n’en avez pas Ie droit...

Finalement, la bonne Griliane fit tant ct tant, fiue la douleur exagérée d’Onolorie s’en apaisanbsp;peu, et que ses lannes en coulèrent moins aboii-^amment.

.. Pendant ce temps, I’empereur réfléchissait è armée qu’il allait envoyer au secours de Goustan-!*iopie. (.g q^’jl retarda jusqu’au retour dunbsp;d’Ortilense, lequel délogea Ie même jour etnbsp;jj** catnper fi une journée de la ville d’Autusque.nbsp;^ ® 4uoi averti, Ie roi de la Breigne leva son siége,nbsp;accompagné de quinze mille hommes de chevalnbsp;, ''ingt mille hommes de pied, marcha droitnbsp;Ie combattre.

Vep^5^^***e, qui était assiégé, en eut aussitót iiou-bcause, laissant bonne garnison iigjjjj il s’en alia sur les derrières do sonen-essaycr de lui couper loutes les com-

GIIAPITRE lil.

Comment Ie due d’Ortilimse livra uno bataille au roi de la Breigne, et de ce qu’il en advinl.

archant fort avant dans Ie pays, Ie duenbsp;d’Ortilense rencontra Ie roi de la Breigne. Les espions desnbsp;deuxarméesleurap-prirent que de partnbsp;et d’autre on avaitnbsp;intention de livrernbsp;une bataille. G’e.st pourquoi Ie roi denbsp;la Breigne leva son camp en toute balenbsp;i et marcha contre sou ennerai.

Le due, nevoulant pas être surpris, divisa ainsi ses troupes:

II confia a Florestan et h Galvanes son avant-garde, avec quatre millenbsp;hommes a cheval, ethuit mille a pied.nbsp;II garda pour lui et le comte d’Allas-tre, gentil chevalier, le centre de I’anueenbsp;compose de trois mille cavaliers et denbsp;six mille soldats d’élite. II róserva I’arrière-garde,nbsp;qui cornptait trois mille gens d’armes, et six millenbsp;aventuriers courageux, aParmenir et a Alarind’Or-tilcane, son fils, auquel I’empereur de Trébisondenbsp;avait conféré l’ordre de la chevalerie le jour denbsp;son depart.

Ainsi équipes et divisés, ils inarchèrent au petit pas contre le roi de la Breigne.

Celui-ci avait semblablenient séparé son armee en trois escadrons:

Son fils Groter commandait le premier; il s’était réservé le second et avait conlié le troisième aunbsp;comte d’Alinge.

lis vinrent camper a deux lieues d’un petit village OU le due d’Ortilense s’ëtait arrêté. lis firent pendant toute la nuit bonne garde de partet d’autre,nbsp;sans s’inquiéter davantage de la position,

Le lendernain matin, le roi manda au due, par im trompette, qu’avant midi il lui ferait sentir qu’ilnbsp;avait Irop téraérairement entrepris de venir k sanbsp;rencontre. Le trompetle arriva au camp enneminbsp;pendant que le due était au milieu des siens, lesnbsp;exhortant, en général et en particulier, k znontrernbsp;au grand jour leur foi et leur bravoure. Pour niieuxnbsp;les exciter au combat, il leur meitait devant lesnbsp;yeux la trahison du roi qui avait entaché son bon-neur en se revoltant contre son prince et son seigneur légitime.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;. ,

Le due ayant appris 1’arrivee du trompette ct l’objet de sa niission, I0 retivoya avec cette ré-ponse :

— Trompette, dis a ton maitre que s’il avait au-Unt de loyauté que d’orgueil, je l’estimerais pour un des plus gentils chevaliers du monde! maisnbsp;comme il ne pourra jamais sc justifier de sa tra-


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BIBLIOTHEQUE BLEUE.

du due d’Ortilensc. Lorsqu’il eut recu

HU uuL- u v_/i Liioiiat;. uui i3i.|u n

darie, il dépêcha immédiatement un genu . vers 1’empereur, qui lui apprit la bonne

qui venait de leur arriver.

Mais retournons ü présent vers Lisvart. . -gi^t L’infante Onolorie et sa socur Gncilerie eia

hison envers son seigneur et maitre, je méprise tenement ses menaces, que j’espère ie tenir ennbsp;mon pouvoir, si Dien Ie veut, avant l’heure qu’ilnbsp;me mande lui-même 1

Gomme Ie trompette tournait bride pour re-prendre son chemin, Florestan, qui était cóté du due au moment oii il faisait cette réponse, Ie rap-pela et iui dit;

— nbsp;nbsp;nbsp;Trompette, dis a ton maitre que,sile due eütnbsp;deviné ma pensee, il ne t’aurait donné aucuiie réponse pour lui, car un homme qui comme lui estnbsp;accuse de trahison, ne mérite que Ie mépris et lanbsp;bonte. S’il te demande qui je suis, dis-lui que j’ainbsp;nom Florestan, chevalier audacieux et bien résolunbsp;de lui casser la tête comme a tous les méchants quinbsp;lui ressemblent.

Le trompette répondit qu’il porterait fidèlement son message. II remarqua Florestan a la cottenbsp;d’armes qu’il portait et êi son turquin fort azuré,nbsp;semé de fleurs d’or.

Le trompette se hata de retourner vers le roi auquel il rapporta tout ce que vous avez enlendu.nbsp;II en futtellement irrité qu’il envoya, sur-le-champ,nbsp;ordre a son fils de faire avancer l’avant-garde. Ennbsp;quelques heures, les deux camps se rapprochèrentnbsp;l’un de l’autre i la distance d’une lance. Groternbsp;alors envoya un héraut pour demander Florestan.nbsp;Gelui-ci se présenta pour entendre le messager.

— nbsp;nbsp;nbsp;Seigneur, dit le héraut, le chef de cette avant-garde, Groter, fils du roi de la Breigne, désireraitnbsp;éprouver si votre bonté égalera vos injures. C’estnbsp;pourquoi, avant d’en venir aux mains, il vous propose un combat singulier.

— nbsp;nbsp;nbsp;Mon ami, répondit Florestan, qu’il fasse re-culer ses gens, j’en ferai autant de mon cóté. Puisnbsp;qu’il vienne si bon lui semble, II Irouvera peut-étre ce qu’il ne cherche pas.

Le héraut se hata de porter cette réponse a Groter, qui, quelques instants après, sortit de ses rangs au-devant de Florestan, qui en avaitdéjèi fait autant.

Groter, en couchant son bois, blessa le cheval de Florestan a l’épaule; mais ce dernier fatteigrutnbsp;si rudement, qu’il lui perga l’écu et le haubert.nbsp;Gomme il avait parcouru la carrière et qu’il voulaitnbsp;faire retourner son destrier, l’animal blessé mourutnbsp;enfre ses jambes, et dès lors il dót combattre anbsp;pied. Florestan mitaussitót l’épée èla main et, s’ap-prochant de Groter, il eut avec lui un combat desnbsp;plus acharnés. Ils étaient courageux tous les deux,nbsp;et d’une égale intrépidité. Aussi Groter lui dit ennbsp;p’aisantant:

— Par Dieu, chevalier aux fleurettes, si le malheur tombe sur moi aussi bien par 1’épée que par la lance, je suis un homme perdu.

Ge mot pint telleraent a Florestan, que longtemps après il portait encore ce nom que lui avait donnénbsp;son ennemi. ïoutefois il ne lui répondit pas, maisnbsp;tenant son écu fortement serré, il se mit en devoirnbsp;de le vaincre. Groter avait bonte de la longue ré-sistance que lui opposait son ennemi. Aussi il levanbsp;son épée, et il la laissa retomber sur lui avec unenbsp;telle force, que, si Florestan n’eütparéle coup avecnbsp;son écu, sa vie eüt été en trés grand danger. Vou-dir se venger de cette attaque, il leva le bras sur

quot; nbsp;nbsp;nbsp;®nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;si rudement, qu’il tomba

mort baigne dans soa sang.

Les Breignois, a cette vue, marchèrent la tète baissée centre les ennemis, et Florestan était anbsp;peine remonte a cheval, quo les deux arrnées senbsp;rencontraient. Au premier choc, plus de mille sol-dats restèrent sur le champ de bataille. A cettenbsp;charge, Galvanes et l’un des cousins du roi rom-pirent une lance ensemble. Cc dernier eut le corpsnbsp;traversé par son adversaire.

Le roi, qui coramandait pendant le combat, voyant son avant-garde ébranlée et prêtc a prendre la fuite, fit avancer sou corps d’armée et sonnbsp;arrière-garde. Le due d’Ortilense, de son cóté,nbsp;imita ce mouvement.

Vous eussiez vu alors une foule de chevaliers mordre la poussière et so rouler dans le sang, a cóténbsp;des cadavres de leurs ennemis.

Galvanes, Florestan et Parmenir allaient de rang en rang, en exhortant les soldats et stimulant leurnbsp;courage. Le due d’Ortilense et son hls se distin-guaient par une bravoure digne des anciens héros.

D’autre part, le roi de la Breigne et le comte d’Alinge, chef de son arrière-garde, marquaient'nbsp;leur passage par des ravages effrayants.

Le comte d’Alastre rencontra le tils du comie d’Alinge et le tuad’un coup de lance. A cette vue,nbsp;le père de la victime et dix de ses chevaliers vo-lèrent sur le comte et 1’environnèrent après favoirnbsp;désargonne et terrassé. Mais Florestan vint è sonnbsp;secours avec une forte troupe et le sauva, non sansnbsp;peine. Le comte d’Alinge donna un tel coup d’épéenbsp;è Florestan qu’il lui fit étinceler les yeux; mais aunbsp;même instant il lerrassa son adversaire, en luinbsp;portant un terrible coup de inassue sur la tête. Lenbsp;roi de la Breigne vint de son cóté pour le délivrer,nbsp;et le due d’Ortilense, suivi des siens, se précipitanbsp;dans les rangs pour le faire prisonnier. Alors lenbsp;combat recomraenga avec un tel acharnement quenbsp;les chevaux marchaient dans le sang jusqu’auxnbsp;paturons, et que les deux arrnées prétendaient s’ar-racher la victoire. Mais le due de Dardarie, quinbsp;pendant toute la nuit avait suivi les Breignois avecnbsp;ses soldats, voyant le moment favorable pour dunner, se langa sur le flanc ennemi, et répandit uncnbsp;telle panique dans ses rangs que la fuite devint sonnbsp;unique ressource.

Leroi delaBreigno, qui sobatlaitavec une rage concentrée contre le due d’Ortilense pour se yon-ger de lui, perdit la vic sur le champ de bataiu,®’nbsp;car, comme il traversal les rangs frappant h droijnbsp;et ü gauche, il rencontra par hasard le due qu 'nbsp;invita au combat. Ge dernier, quoique brisé P‘ ;nbsp;l’age, faccepta. A dire vrai, la partie n’eütnbsp;égale sans I’arrivée de Florestan, qui se üt unnbsp;voir de secourir le père de la dame è laquelle nnbsp;vait sa liberté.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;, , p

II se mit entre eux deux, et d’un coup d ep blessa le roi, puis lui óta la vie.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;, j^e

Les soldats effrayés se miront è fuir en des dans la forêt voisine. Le plus grand nombre ' jrnbsp;rut sur le champ de bataille, qui resta au p


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LES HERITIERS D’AMADIS.

LES HERITIERS D’AMADIS.

- uiuyei

1 es païens et le plus sur rempart de la Thrace, elle '’Uit résolu de le faire mourir.

T ^ arriver, elle envoya done Gradasilée A . disonde, et la pria de le lui amener, tout en luinbsp;que c’était pour le faire mourir.nbsp;j.inbsp;nbsp;nbsp;nbsp;ne permit pas que cette supercherie

l’aim. Gradasilée s’éprit tellement de lui et jour passionnément, qu’elle 1’avait présentnbsp;cesso ? *^'^**^nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;esprit, et qu’elle rèvait sans

jusnu’^ du faire son époux. Ils arrivèrent ainsi q au camp du roi Armato sans que Lisvart süt

en proie a une grande tristesse, depuis que leurs amis étaient absents.

GIJAPITRE IV

Comment Lisvart fut conduit versMélye la magicienne, ctdu mauvais iraitement qu’elle lui fit.

quot; nbsp;nbsp;nbsp;I \7 J J

^n a lu précédemment quelle tristesse causèrent h l’infantenbsp;Onolorie Ia lettre que la magicienne Mélye euvoya a l’empe-reur par l’entremise du nain,nbsp;et Ie depart de Lisvart qu’ellenbsp;aimait passionnément.

Maintenant je crois devoir vous apprendre qui e^lait cellenbsp;qui l’emmena, et quelle était Ienbsp;but de celte ruse infame.

La nouvelle de l’entreprise des soixante-sept rois païensnbsp;conlre l’empire et la ville denbsp;Gonstanlinople fut tellementnbsp;répandue, que Ie roi de filenbsp;Géante résolut d’en faire par-tie.

Co n’cst pas la haine contre l’empereur qui Ie poussait a comballre, mais bien Ie désir qu’il avaitnbsp;que sa fille unique apprit de Mélye la science qu’ellenbsp;possédait A un si ha ut degré. 11 voulut done la luinbsp;présenter.

Gette demoiselle dont je vous parle était si belle, qu’il n’y avait aucune femme dans les iles voisinesnbsp;qui put lui être comparée. Elle se nommait Gra-dasilée. Le roi de File Géante, accompagné de sanbsp;'die, sortit de son royaume suivi de deux millenbsp;Yievaliers. II chemina tant qu’il arriva en trés peunbsp;dö temps vers le roi Armato et Mélye. 11 fut trésnbsp;dien accueilli par eux. La magicienne, voyant lanbsp;deauté de Gradasilée, résolut soudain de mettre anbsp;d^écution son projet touchant la prise de Lisvart.nbsp;rj!,d /ut cette Gradasilée qui l’enleva de la cour denbsp;t i'ébisonde, comme il vous a été déclaré.

Mélye n’eüt certainement jamais trouvé messager P'us fidéle pour accomplir cette trahison, car sanbsp;eauté et son élotiuence subjuguaient tous les coeursnbsp;lui soumettaient toutes les volontés.

^ R faut que vous sachiez que Mélye ayant appris, Jduyen de ses enchantements et de ses secretsnbsp;dg dmiques, que ce jeune Lisvart devait ^re ia ruine

OU il allait. Le roi fut trés heureux de le voir, car Mélye lui avait appris combien son existence étaitnbsp;dangereuse pouf les païens. Gomme Gradasilée lenbsp;lui présentait, la magicienne impatiente et cruellenbsp;survint, le fit saisir immédiatemenf par quatrenbsp;bourreaux, et lui fit mettre au cou un gros carcannbsp;de fer en lui disant ces mots •

— Méchanfr pendart, vous aurez désormais ce qOe vous méritez, car je vais vous loger en unnbsp;lieu oü je pourrai répondre de vous quand il menbsp;plaira.

Lisvart, étonné de ces caresses, regardait Gradasilée d’un ceil inquiet et lui dit:

— nbsp;nbsp;nbsp;Mademoiselle, je n’eusse jamais pensé qu’é-tant si belle' vous pussiez concevoir une penséenbsp;de trahison; mais, puisque la félonie vous estnbsp;aussi facile, je ne me fierai jamais A aucune créa-ture.

Gradasilée ne put répondre un seul mot; elle était si affligée de ladouleur de son amant qu'ellenbsp;aurait voulu en mourir. Voyant qu’elle ne pouvaitnbsp;le sauver que par des prières et des supplications,nbsp;elle se jeta en pleurant aux pieds du roi et luinbsp;dit:

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, je vous supplie trés humblement de nenbsp;faire aucun mal A celui qui s’est confié a moi, carnbsp;vous me ferez tort et m'exposerez A être accuséenbsp;de trahison, ce qui souillerait pour jamais notrenbsp;lignage.

Le roi, sans lui répondre, tourna la tête d’un autre cpté et ordonna d’enfermer Lisvart dans unenbsp;basse fosse.

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, dit-elle, je ne me relèverai jamais denbsp;vos pieds si vous consentez A un tel outrage.nbsp;Faites-moi la grace au moins de lui donnerpournbsp;prison un lieu moins infect et de lui épargner lesnbsp;fers dont on charge les voleurs, sinon je menbsp;plaindrai de vous pendant toute ma vie et partoutnbsp;oü je me trouverai.

Sur ces entrefaites, le père de Gradasilée arriva, et, voyant sa fille toute éplorée, et après avoirnbsp;appris l’injure qu’on faisait A Lisvart, lui dit brus-quement co qu’il en pensait.

Aussi Armato, craignant de le facher, consentit A la demande de la jeune fille.

— Je vous accorde celte faveur, dit-il, contre toute raison, car si vous saviez de quelle importance nous est la vie de ce paillard, vous lui don-neriez immédiatement la mort.

Lisvart fut déchainè et enfermé dans une grosse tour dont Mélye avait la clef. Armato commit ennbsp;outre trente chevaliers pour sa garde, dont quinzenbsp;devaient le veiller le jour et l’autre moitié la nuit.

Lc gentilhomme envoyé de la part du due d'Or-tilense vers l’empereur, arriva a Trébisonde et raconta tout au long la bataille qui avait eu lieunbsp;ontre son armee et celle du roi de la Breigne, lanbsp;mort decelui-ci et de son fils, et, fmalement, lanbsp;défaite des ennemis.

Ce dont l’empereur loua grandement notre Seigneur. II en fut même tellement aise, qu il fit ra-conter plusieurs fois au messager ce récit intéressant, d’abord devant lui, puis devant les dames. Et, comme bien vous pensez, ce messager n’oublianbsp;pas les hautes prouesses de Florestan, de Galvanesnbsp;et de Parmenir.


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BIBLIOTHEQUE BLEUE.

re-,

Griliane et Bridelnie furent aux anges de ces nouvelles, car elles avaient ces chevaliers en ro-commandation comme leur ame jfropre. Aussi, senbsp;retirant bientót en la charnbre d’Onolorie, elles senbsp;mirent a deviser sur ce sujet et s’échauffèrent anbsp;seule fin de se prouver mutuclleraent laquellenbsp;était la raieux aimée. Get amoureux débat duranbsp;tant, que Bridelnie, plus gaie et plus délibéréenbsp;qu’aucune d’elles, s’empara d’un oreiller et, denbsp;gaieté de cceur, Ie jela h la tête de Griliane, ennbsp;disant:

— Mon chevalier est Ie meilleur des chevaliers... II m’aime mieux que ne vous airaent les vótres; je vous Ie prouverai tant que vous voudrez,nbsp;è coups de masse 1...

Griliane, voyant cela, s’empara, comme Bridel-nie,^ d’un oreiller qui se trouvait la, et Ie lui jeta a la tête, ainsi qu’elle venait de faire elle-même.

— Mon chevalier, dit-elle son tour, est plus amoureux, plus galant, plus vaillant, plus ardentnbsp;que les vótres!... Je vous Ie prouverai comme ilnbsp;vous fera plaisirquejevous Ie prouve, ma mie!...

Le combat, ainsi commence, ne pouvait que continuer. II continua, en effet, et assez êprement,nbsp;a coups de langues et d’oreillers, non sans prêtornbsp;a rireauxplus mélancoliques. 11 durerait encorenbsp;si Gricilerie ne s’était interposée en riant et n’avaitnbsp;inisfin h cetournoi féminin. Griliane et Bridelnienbsp;étaient hors d’haleine!...

Nous les laisserons reposer et nous retourne-rons tl Périon de Gaule, duquel nous nous sommes óloignés un assez long temps.

CHAPITRE V

Comment Pdrion de Gaule rencontra 1’infante Tiriaxc, et de maintes belles aventures qui lui advinrcnt.

1 vous en souvient, nous avons laissé Périon avec Languines, Abies d’Irlandenbsp;et les trois chevaliers croisés, se rafrai-chissant sous la feuillée que leur avaientnbsp;préparée les singes de la barque d’Al-quife.

Gomme ces chevaliers devisaient de leurs fortunes passées, Périon demandanbsp;a Talanque s’il avait des nouvelles denbsp;Garinter et de son frère, lesquels avaientnbsp;été armés chevaliers de la main mèmenbsp;d’Esplandian.

— Seigneur, répondit Talanque, nous les avons laissés menant dure et fortenbsp;guerre centre un roi mon voisin, et ilsnbsp;ont déjti couquis sur lui mainte bonnenbsp;place.

— Et quelle aventure vous amena en ces marches ? demanda Périon.

— La renommee de cette fonlaine, ou l’on pretend qu’advient souventes foisnbsp;des aventures merveilleuses!... réponditnbsp;Talanque. Notre intention était de re-tourner incontinent en Galifornie; maisnbsp;puisque nous avwis eu la bonne chancenbsp;(te vous rencontrer, nous ne vous quitte-j \ rons pas, si vous le pcrmcttez...

Par Dieu 1 vovis nie fcrez plaisir,

prit Périon. Je ne puis m’éloigner de ce lieu avant que celle qui m’y a amené ne m’y vienne quérir,nbsp;comme je m’y suis engagé. Aussitót qu’elle seranbsp;de retour, ou je la saivrai, ou je m’arrangerai pournbsp;qu’elle me donne congé d’aller avec vous.

Périon achevait ó peine cette parole, que Ton vit arriver, blessé, un cerfque poursuivaitun jouven-ceau ayant au coutrompebien garnie, et, entrelesnbsp;jambes, cheval turc courant a merveille. Un autrenbsp;jouvenceau le suivait de prés, semblablement ha-billé, mais non pas droitement si brave. Ils pi-quaient tous deux si raide après le cerf, qu’ils lenbsp;tuèrent avant de s’être seulement aperg.us de Ianbsp;présence des chevaliers.

Le premier jouvenceau venait de mettre pied é ter re ; il avait tiré son couteau et s’apprêtait h en-lever la ramure de la bete expirée, lorsque son ca-rnarade apergut Périon et sa troupe. En remar-quant les signes de chrétiens qu’ils portaient surnbsp;leurs harnoïs, il piqua droit vers eux, et, s’adres-sant é la reine Galifie, qu’il prenait pour un chevalier, il lui dit:

— nbsp;nbsp;nbsp;Ah l bon chevalier, ayez pitié de moi et menbsp;sauvez!... Je suis de la même loi que vous et j’oiinbsp;suis heureux...

— nbsp;nbsp;nbsp;Damoisel, répondit la reine, il n’estpersonnenbsp;en cette compagnie qui ne vous fasse volonticrsnbsp;service et plaisir. .

Lc jouvenceau qui dépecait le cerf, entendaitt cela, laissa la bete et se disposa é remonter a cheval, pour s’enfuir. Mais il fut empêché par sonnbsp;compagnon qui lui dit:

— VOUS' serez è cette heure mon prisonnier comme j’ai été le vótrel...

Pendant que l’un meltait son effort é s’échappcr et l’autre a l’arrêter, sortirent tout-a-coup de l’é-paisseur du bois six chevaliers armés de toutesnbsp;piéces, suivis par huit gentilshommes sans harnois,nbsp;qui conduisaient une pucelle belle en perfection,nbsp;laquelle était elle-mème accompagnéo de deuxnbsp;femmes, montées etparées comme lilies de grandsnbsp;seigneurs qu’elles étaient.

En apercevant de prime abord Périon et sa troupe, eten reconnaissant é leurs cottesd’armesnbsp;qu’ils étaient chrétiens, ces six chevaliers étran-gers abaissèrent lavuede leurs armets, et crièrcntnbsp;é haute voix :

— Mécréants, vous êtes mortsl

— Je ne sais ce qu’il en adviendra, répondit tranquillement Périon, mais pour 1’instant je nenbsp;vois encore nul de nous malade, Dieu merci 1

Et, sans plus attendee, lui et ses compagnons se mirent en devoir d’attaquer les païens a grandsnbsp;coups de lance; si bien, qu’en moins de rien, lesnbsp;six chevaliers étrangers furent terrassés. Ge quenbsp;voyant, les huit gentilshommes désarmés qui lesnbsp;avaient suivis, s’empressérent de prendre la fuitenbsp;pour échapper é cette vilainc fm. Périon les laissanbsp;courir.

La belle pucelle et ses deux riches compagncs étaient restées sans defense et sans escorte.^

— Gente pucelle, dit le chevalier d(3 la Sphere, je dois vous avouer que je n’ai jamais fait, jusqu iCLnbsp;conquête qui me plüt autant que la vótrel... vounbsp;êtes ma prisonnièro, mais je m’empresse de vonbsp;assurer que vous n’aurez d’autre prison que ma


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LES HERITIERS D’AMADIS.

tente et que je m’emploierai è vous faire service, comme c’est ma coulume ordinaire envers toutesnbsp;les belles filles qiü vous ressemblentl...

En entendant cela, la pucelle, qui avait nom Tiriaxe, se mit b pleurer bien fort, et, tout en sou-pirant, elle répondit;

— Hélas! qu’il me plaise ou non de l’être, je suis votre prisonnière, et cela me poigne... Toii-tefois, j’espère beaucoup de votre honnêteté... Jenbsp;n’aurai, je pense, nul déshonneur a craindre avecnbsp;vous...

— nbsp;nbsp;nbsp;Vous pensez bien, de penser ainsi! repritnbsp;Périon. Je metlrais ma vie en péril de mort pournbsp;empêcber qu’on vous fit vilenie! Par ainsi, n'ayeznbsp;nulle peur et me suivez, je vous prie, vous et vosnbsp;deux compagnes.

t Cela dit, il prit les rênes du palefroi de la demoiselle, et Ia conduisit a la feuillée.

'Comme elle passait par l’endroitoü avait eu beu Ie premier combat, Tiriaxe apergut Ie géant et lesnbsp;autres étendus sur l’herbe,

— Hélas! cria-t-el!e toute dolente. J’estime ma vie moins qu’auparavant, quand je vois Bruiillon-le-Fort et ses chevaliers défaits et mortsl...

— Demoiselle, répondit Périon, ce sont lü des hasards et des fortunes qui arrivent a ceux qui lesnbsp;cherchent...

En eet instant, les chevaliers croisés amenèrent les deux jouvenceaux qui, tout-a-l’heure, pnur-siiivaient Ie cerf. Périon, alors, laissant Tiriaxenbsp;avec Galifie, tira part l’ainé des deux, et lui de-manda qui il était, et la demoiselle aussi.

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, répondit-il, elle et celui qui a été prisnbsp;quant et moi, sont enfants du roi de Jerusalem,nbsp;lequel, pour leur procurer plaisir, les avait en-voyés h la Fontaine, sous la conduite de Brutillon-le-Géant, pour voir les merveilles qui y advien-nent de jour en jour...

— Ah! vraiment?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Oui, seigneur. Et, puisque vousm’interrogeznbsp;avec cette bonté, je crois de mon devoir de vousnbsp;Riee qu'uu trop long séjour en ce lieu vous pour-vait tourner a gros danger; car Ie roi de Jérusa-’6m n’est qu’a une demi journée d’ici, il ne peutnbsp;aianquer de recevoir bientót nouvelles, par lesnbsp;’’•yards, de l’infortune arrivée è ses enfants, et ilnbsp;''audra incontinent s’en venger sur vous... II en anbsp;‘|’•^‘tes, Ie moyen; il pourra se faire accompagner

force gens d’arraes, memo de trois redoutables ?®anis, frères de celui que vousavez tué, lesquelsnbsp;” a fait venir des déserts de Libye, pour 1’accom-Pagner au siege de Constantinople, que tons legnbsp;minces d’Asie, grande et petite, voire d’au-dePi lenbsp;de^H*^’ ^’^.’•’^nse et l’Arménie-la-Majeure , ont jure

detruiro et de raser. Par ainsi, si vous êtes bien

nseillc, vous aviserez a vous retirer avant qu’il

Vous advienne pis...

Et vous, etes-vous lour parent? demanda le '^nevalier de la Sphere.

roi ri ’'‘’Pd’i'l't *0 jouvenc^au, je suis fils du p,A^^'iples... Je fus pris, il n’y a pas longtemps,nbsp;^ lanbsp;nbsp;nbsp;nbsp;qni ecumaitla mer, comme j’allais

chasse, accompagné de six de mes chevaliers.

causT,u quot;quot; moment pensif ot rnarmiteux, a ’•n 1 entreprise des palens sur la Thrace.

Tontefois, il n’en temoigna rien, et s’en alia en la ramée avec les autres.

Peu après, y vint Alquife qui, tout aussitot, se jeta aux pieds de Périon pour les lui baiser. Maisnbsp;le chevalier de la Sphère, la relevant doucement,nbsp;lui dit:

— nbsp;nbsp;nbsp;Soyez la bienvenue, demoiselle 1

— nbsp;nbsp;nbsp;Bon chevalier, répondit Alquife, mon père senbsp;recommande humblement a votre bonne grèce,nbsp;comme celui qui vous est le plus obligé au monde.

— nbsp;nbsp;nbsp;Votre père? reprit Périon. Mais je ne le visnbsp;jamais, que je sache...

— nbsp;nbsp;nbsp;C’est le vieillard qui était lié en la charrette,nbsp;et qui serait mort si prochainement si vous n’étieznbsp;venu è son secours... Vous 1’avez délivré du plusnbsp;cruel tourment qu’endura jamais homme de sonnbsp;Age... Par son grand savoir, il avait prévu toutenbsp;son infortune, A laquelle il ne pouvaitêtre apporténbsp;remède que par I’un des fils d’Amadis de Gaule.nbsp;Il me commanda, en consequence, de vous allernbsp;chercher, et de faire tantettant, queje vous ame-nasse en ce lieu, au jour et a Vheure oh vous 1’avez trouvé...

— nbsp;nbsp;nbsp;Pourquoi ne s’est-il pas fait connaitre anbsp;nous?...

— Vous le verrez quelque jour plus A loisir, sire... Tant il y a, qu’il m’a commandé de vousnbsp;dire qu’il s’en va on File des Singes, qui est sienne;nbsp;mais, qu’en quelque part qu’il soft, vous avez ennbsp;lui un servileur dévoué et reconnaissant du biennbsp;qui lui vient par vous... Quant A la promesse quenbsp;vous m’aviez faite, elle est si bien acquittée, quenbsp;vous pouvez aller désormais oü bon vous semble-ra...

— Demoiselle, répondit Périon, si j’eusseconnu votre père, je vous prornets que, pour l’amour denbsp;vous, je lui eusse fait l’honneur qu’il méritait... Cenbsp;sera done pour une autre fois, quand il lui plaira...nbsp;Et, puisque vous me donnez mon congé, demain,nbsp;s’il plait k Dieu, je .me mettrai en voio pour allernbsp;retrouver la compagnie oü j’étais lorsque vous m’a-vez vu premièrement...

CHAPITRE VI

Comment Ic chevalier de la Sphftre et ses compagnons ren-contrhrent le soudan de Liqnie, et du combat qui ent lieu entre cux.

ant devisèrenl Périon et Alquife, qu’aussitót après avoir soupé, ilsnbsp;s’endormirent, et semblablcmenlnbsp;tous les autres, jusqu'au lende-niain matin.

Le lendemain, tout en s’équi-, pant pour monter A cheval, le chevalier de la Sphère demanda anbsp;Langtiines et A Abies d’Irlande quelnbsp;chemin ils prendraient.

—Seigneur, répondit Languines, il me semblepourlemieuxqu’Abiesnbsp;et moi tirions vers Constantinoplenbsp;pour secourir l’emperenr...

— Je suis aussi de eet avis, dit


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BIBLIOTHÈQUE BLEUK.

Périon. Et vous, ajouta-t-il en se tournant vers les croisés, serez-vous de la partie?

— Non, répondirent-ils; pour cette heure, nous prendrons la route de Californie, et la, nous ras-seniblerons Ie plus de gens que nous pourrons,nbsp;pour venir vous trouver et vous aider dans les tra-vaux du siege, s’il plait è Dieu.

— J’y serai, dit Périon, et je compte vous y re-voir.

Lors, ils montèrent k cheval et prirent Ie che-min de la mer.

Au bout de quelque temps de ce cbeminement, ils entendirent un hennissement de chevaux, et,nbsp;bientót après, ils virent sortir du bois dix chevaliers bien montés et bien armés, devant lesquelsnbsp;marchait un onzième chevalier, plus grand denbsp;beaucoup que nul des autres. Gelui-ci tenait fi sonnbsp;poing une lance fort grosse et fort raide, alaquellenbsp;pendait une trés belle banderolle. Ses armesnbsp;étaient toutes noires, fors que les lames tenaient ènbsp;gros clous d’or émaillés de diamants et de maintesnbsp;pierres précieuses. Sa contenance était celle d’unnbsp;grand seigneur, chef des autres.

II prit au chevalier de la Sphère grand désir de savoir son nom. La reine Califie, qui avail eu occasion souventes fois de rencontrer ce chevalier,nbsp;assura h Périon que c’était Radiare, grand soudannbsp;do Liquie.

— nbsp;nbsp;nbsp;C’est avec,lui, ajouta-t-elle, que j’entrai ennbsp;camp de bataille lorsque nous étions devant Constantinople.

— nbsp;nbsp;nbsp;Par Dieul s’écria Périon, cela medonne meil-leure envie de me mesurer avec lui.

Et, incontinent, laqant son heaume et prenant sa lance, il s’avanga^l’encontredu soudan, lequelnbsp;lui cria d’assez loin ;

— nbsp;nbsp;nbsp;Chevalier k armes noires comme moi, avantnbsp;que nous commencions la lutte, je te prie de menbsp;dire ton nom et ton pays.

— nbsp;nbsp;nbsp;Je ne te refuserai pas si peu 'de chose, répon-dit Périon. Mon pays est la Grande-Bretagne, etnbsp;je sers aujourd’hui Ia plus belle dame du monde,nbsp;dont j’ignore Ie nom...

— Par mon chef, dit Radiare, je suis fort aise d’avoir rencontré si amp; propos chevalier d’un paysnbsp;qui en fournit communément de si vaillants... Sinbsp;tu veux me suivre et être mien, je te constituerainbsp;capitaine general de 1’armée que j’ai rassembléenbsp;pour marcher centre Constantinople... Mais si tunbsp;me refuses, tu mourras présentement par mesnbsp;mains 1...

— Voila qui va mal! repartit Périon. Apprends que tu n’as pas au monde de plus mortel enneminbsp;que moi!

— nbsp;nbsp;nbsp;Est-il possible? s’écria le soudan. Alors, gar-de-toi done, car nous aliens t’assaillir, mais seulnbsp;fi seul, par courtoisie, et non tons centre toi...

Lors, Radiare commanda a I’un de ses compagnons de s’avancer sur Périon et de le mener a entrance, ce que Ie païen fit, mais maladroitement pour lui, car, ala première rencontre, il fut désar-Conné et demeura étendu tout de son long, ne re-muant ni pied ni main.

Gelui-i^ défait, Radiare en fit avancer un autre ^ même sort que le précédent, puis unnbsp;autre encore, et ainsi de suite jusqu’au huitième.

Radiare s’apergut qu’il avait compté sans son hóte, et il fut grandement étonné, car il croyaitnbsp;avoir amené avec lui la fleur de Ia cbevalerie denbsp;son pays. Sept chevaliers mis parterre par un seul,nbsp;cela lui paraissait exorbitant; il commanda aunbsp;huitième, auquel il se fiait beaucoup, de vengernbsp;ses compagnons.

Ce huitième chevalier alia un peu plus apremeut cjue les précédents. Périon et lui rompirentl’un surnbsp;1 autre, tellement que les lances volèrenten éclats,nbsp;et, au passer, ils se rencontrèrent d’écus, de corpsnbsp;et de têtes si rudement, que le païen en tombanbsp;étourdi sur la place.

La reine Califie, voyant cela, ne put se tenir de rire, et elle dépêcha Alquife auprès de Périon avecnbsp;sa lance, pour remplacer celle que ce vaillant chevalier venait de rompre.

Le neuvième compagnon de Radiare eut Ie sort des huit autres. Tandis que Périon restait impavidenbsp;sur son cheval, son ennemi tombait mort sur le sol,nbsp;le trongon de la lance dans le ventre.

— Par mes dieux, s’écria la reine Califie k ïa-lanque, je n’ai jamais vu une plus belle joute!... Puisque le chevalier de la Sphère vient de laissernbsp;dans le ventre de son ennemi la lance que je luinbsp;avais envoyée, il lui en faut une autre... Par ainsi,nbsp;je vous prie de lui porter la vótre, afin qu’il para-chève sa glorieuse entreprise.

ïalanque s’inclina, et pendant qu’il confiait sa lance a Alquife, en la priant d’aller la porter a Périon, celui-ci avait raison du dixième chevalier quinbsp;s’en allait rouler dans la poussière a cóté de sesnbsp;compagnons.

Alquife arriva auprès de lui et lui fit son message de la part de la reine Califie.

— nbsp;nbsp;nbsp;Demoiselle, répondit Ie chevalier de la Sphèrenbsp;en prenant la lance, assurez qui vous envoie que jenbsp;vais faire tous mes efforts pour mériter l’estime énnbsp;laquelle on me tient... Ou je mourrai k la peine,nbsp;OU j’aurai le soudan pour prisonnierl

Voilé ce que disait Périon. Mais Radiare pensait bien autrement. II faisaitétat de venger la mort denbsp;Grimante, le dernier païen abattu par Périon, et ilnbsp;jura par son grand dieu que le chevalier de lanbsp;Sphère porterait pénitence de ce péché.

— Chevalier, lui dit-il en s’approchant de lui, j’ai occasion de te haïr plus qu’homme que je con-naisse... Néanmoins, é cause de la grande prouesscnbsp;qui est en toi, je suis forcé de t’estimer et de tenbsp;porter honneur... Par ainsi, si tu veux suivre Isnbsp;parti que je t’ai proposé tout-é-l’heure, j’oublicrainbsp;les raisons de raneoeur que j’ai centre toi; je ferainbsp;plus, je te donnerai de grands biens 1...

— J’ai un meilleur conseil k te donner, répondit Périon, et je t’engage fortement a le suivre.

— Comment cela ? demanda Radiare.

— nbsp;nbsp;nbsp;Laisse Ié ta folie et fausse croyance, repritnbsp;Périon, abandonne tes vilaines idoles et tes vilaiusnbsp;diables, et reconnais Jésus-Christ pour ton seulnbsp;Dieu... Au lieu de nuire é I’empereur do Constantinople, comme tu as projet de le faire, viens-lui ennbsp;aide de tout ton pouvoir... Alors nousserons ainis,nbsp;toi et moi; mais seulement alors!...

Si Radiare fut enflambé de colère, en entendant cette proposition, it ne faut pas le dernander.

— nbsp;nbsp;nbsp;Pourquoi donnes-iu done conseil é qui ne t en


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LES HERITIERS D’AMADIS.

(lemande pas? lui cria-t-il. Penses-tu done me dompter en faisant ainsi Ie cafard!... Non!... non!..nbsp;Avant que tu ne m’échappes, je te chatierai denbsp;faqon èi ce que tu ne sois plus jamais tenté de pa viernbsp;aussi témérairement a raoi ni a d’autres commenbsp;moi 1... Toutefois, avant que nous n’entrions en lanbsp;mèlée, écoute les conventions que j’ai coutume denbsp;présenter ceux contre lesquels je me bats... Sinbsp;elles te semblent raisonnables, bon; sinon je lesnbsp;remets a ta discretion.

— nbsp;nbsp;nbsp;Dis ce que tu voudras, j’écoute.

— Le vaincu sera esclave du vainqueur et lui obéira en toutes choses, quoi qu’il lui soit com-mandé... Vois si tu veuxy consentir...

— nbsp;nbsp;nbsp;Tu paries en i)rince de grand cceur, et jenbsp;loue cette coutume. Je me soumets a cette condition: vaincu, je t’appartiendrai; vainqueur, tunbsp;m’appartiendras...

— nbsp;nbsp;nbsp;Allons, alorsl...

Les deux champions s’éloignèrent un peu l’un de l’autre pour prendre du champ; puis ils don-nèrent carrière è leurs chevaux, et s’en vinrent ènbsp;leur mutuelle rencontre avec impétuosité. Lesnbsp;lances volèrent en éclats, et les deux ennemisnbsp;furent renver^és de leurs monlures. Mais, tousnbsp;deux aussitót, comme s’ils n’eussent enduré ninbsp;coup ni buffe, se relevèrent légèrement, et mar-chèrent fièrement l’un contre l’autre, l’épée è lanbsp;main.

Le combat recommenqa plus apre et plus fu-fieux. Tant plus ils allaient, tant plus il semblait qu’ils reprissent des forces. L’herbe s’empourpranbsp;de leur sang, et le pré se couvrit des pièces de leursnbsp;hauberts démaillés. On croyaitque l’un d’eux allaitnbsp;bientót mourir, ne pouvant tenir plus longtemps.nbsp;Cependant ils se maintinrent en eet état, sansnbsp;prendre haleine,jusqu’a environ l’heure de nones,nbsp;moment oü le soudan, tiraiit un peu è cóté, dit anbsp;Périon :

— Chevalier, il me semble qu’au lieu d’imiter la cruautè des bêtes brutes, qui s’acbarnent sansnbsp;•¦epos ni treve Tune sur l’autre, nous ferions biennbsp;de suivre la commune facon de faire des gens vail-i^ants comme nous le sommes ; prenons haleine,nbsp;Pdis nous recommencerons le combat quand il tenbsp;Plairal...

J’y consens volontiers, répondit Périon, non pas que je cherche le repos et que j’aie besoinnbsp;dne trêve pour me réconforter et prendre denbsp;^ouvelies forces; mais tu t’es montré si courtoisnbsp;dvers moi en defendant k tos chevaliers de m’at-aqüer tous ensemble, qu’il ne sera jour de manbsp;® que je ne t’cn sache gré.

Lela dit, les deuxadversaires demeurèrent cois, appuyant sur le pommeau de leurs épées.

Au bout de quelques instants ils reprirent leur I ^ition agressive et se chargèrent l’un l’aulrenbsp;mux encore qu’auparavant. Cette fois, le soudannbsp;Ier 1*^ Périon de si pres, que le sang se mit k cou-l’h(Mnbsp;nbsp;nbsp;nbsp;parts, ce dont Périon se vengea sur

érwip f donnant un si furieux coup, que son Puis 1 ^nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;paume dans l’écu.

niain’o ^1 ’^®P''unt aussitót et la prenant a deux ®elanls

’ *^^mdiare qui se prit k chanceler. Périon

le saisit au collet et le poussa par terre si lourde-ment que son heaumeen fut arraché.

Radiare, presque évanoui, se mit k respirer bruyamment en sentant 1’air lui arriver sur lanbsp;face.

— Comment! dit le chevalier de la Sphère, le courage te manque-t-il pour si peu de chose?...nbsp;Oü est maintenant cette gloire et cette vaillanccnbsp;dont tu es renommé en tant de lieux?...

Le soudan, levant les yeux, apergut l’épée de Périon levée sur lui et le menacant de promptenbsp;mort. Mais, sans trop s’émouvoir, il lui répondit:

— La magnanimité dont tu paries est au cceur du soudan de Liquie, d’oü elle ne pourra jamaisnbsp;partir, quelque péril qu’il adviennel...

— Bien, reprit le chevalier de la Sphère; mais te souvient-il de la convention jurée entre toi etnbsp;moi?

— Je n’oublie jamais rien de ce que j’ai pro-mis! j’aimeraismieux perdre dixvies, si jelesavais, que de faillir une seule fois k ma parole... Parnbsp;ainsi, use de moi comme de ton serf: je suis pretnbsp;k tout endurer.

— Vraiment, dit Périon, tu te montres bien tel que ta renommee t’a fait!... Aussi en userai-jenbsp;avec toi avec la réserve et l’honnêteté que tu mérites. Or done, lève-toi et remonte k cheval; norsnbsp;aviserons du surplus en chemiri.

Lors s’approchèrent les chevaliers croisés et la reine Califie. Celle-ci, s’avancant la tête nue versnbsp;le soudan, l’embrassa et lui dit :

—Seigneur Radiare, puisque vous et moi avons si bien éprouvé l’effort des chréliens, vous deveznbsp;voir comme moi qu’ils sont soutenus, outre leurnbsp;courage, par un Dieu qui vaut mieux que lesnbsp;nótres. Par ainsi, ce serait folie k vous, qui êtes ‘nbsp;pourtant un vaillant homme, de vous croire au-dessus de ce chevalier, qui est frère de l’empereurnbsp;Esplandian et fils du trés renommé Amadis denbsp;Gaule...

— Madame, répondit le soudan, si j’ai fait folie, je l’ai grandement expiée !... Mais, quoique la fortune me soit contraire, c’est avec grand plaisir quenbsp;je vous rencontre et vous vois en bonne santé, menbsp;souvenant encore des fortunes que nous avonsnbsp;passéesensemble, au dernier voyage de la Thrace.

ClIAPITRE VII

Comment, aprfts son combat avec le soudan de Liquie et ses compagnons, le chevalier de la Sphère envoya Alquifc iinbsp;la cour d’Onolorie, en compagnie des prisonniers qu’ilnbsp;avait fails.

Périon et ses compagnons, nbsp;nbsp;nbsp;' arrivee

du roi de .Térusalera, reprirent k la hkte le chemm de la mer oü ils retrouvèrent leurs vaisseaux, amsinbsp;uue cS d^Abies d’Irlat.de et de Languines, surnbsp;lenuel le chevalier de la Sphère s’embarqua.

Alquifei voulait relourner vers son père, qui rattendait, comme vous savez, k Tile des Singes,


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10 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

supplia humblement Périon de lui donner congé.

Ma grande amie, lui répondit-il, je prie Dieu qu’il vous conduiseI... Mais, auparavant, Je vousnbsp;prierai de m’octroyer un don qui peu vous coütera,nbsp;et qui fera qu’il ne se passera pas un seul jour denbsp;raa vie oü je ne sois pret a vous obéir...

— nbsp;nbsp;nbsp;Doutez-vous done de moi a ce point, dit Al-quife, que vous puissiez croire que je vous refuse-rais une ebose que vous me demandez?... Parleznbsp;done, je vous en prie.

Lors, Périon, la tirant h part, lui dit en soupi-rant;

— nbsp;nbsp;nbsp;Cbère Alquife, j’espérais bien prendre unnbsp;autre ebemin et retourner vers madame Gricilerie,nbsp;pour la servir comme celle a qui mon coeur s’estnbsp;tenement affectionné, que, pensant a elle, je meurs,nbsp;et, n’y pensant point, je ne puis vivre!... Dieunbsp;veuille que Ie commencement premie la fin que jenbsp;désire, et que madame Gricilerie me fasse la joienbsp;de me noramer sienl... G’est pourquoi j’ai snngénbsp;h lui envoyer par vous l’infante Tiriaxe, son frèrenbsp;et Ie soudande Liquie. Emmenez-les, et offrez-los-lui de ma part, car il est bien naturel que les ebosesnbsp;miennes et que j’ai conquises la servent et soientnbsp;siennes aussi... Vous lui direz, s’il vous plait, quenbsp;mon retour a Trébisonde sera Ie plus prochainnbsp;qu’il me sera possible, et que, durant ce tempsnbsp;court OU long qui me séparera encore d’elle, je nenbsp;donnerai pas un seul coup d’épée, pas un seul coupnbsp;de lance, que ce ne soit 4 sa gloire et pour l’a-raour d’elle...

— Seigneur, répondit Alquife, je vous obéirai en ces recommandations Ie plus fidèlement dunbsp;monde... J’espère être assez bien votre interprètonbsp;pour que vous en soyez content.

Cela dit, Ie chevalier de la Sphere s’approcha du soudan de Liquie, qui étaiten train d’entretenirnbsp;Tiriaxe de son infortune, et de se plaindre a ellenbsp;de ce que c’était en allant voir Ie roi son père qu’ilnbsp;était tombé entre les mains de ses ennemis.

Périon interrompit leurs propos.

— Suivant raa volonté, seigneur, dit-il au soudan, vous vous en irez aveevos chevaliers, et vous, madame, avec votre frère et vos femmes, lli oünbsp;cette demoiselle vous conduira et oü vous sereznbsp;trés bien accueillis pour l’amour demoi...

Tiriaxe, entendant cela, senlit redoubler ses larraes. Elle répondit piteu.sement ;

— Sire chevalier, je suis en votre pouvoir, je Ie sais; raais j’ai tant d’ennui de la vie que je vou-drais déjü être mortel...

— Madame, dit Périon, j’espère que vous aurez de ce voyage plus de réconfort que vous ne pen-sez... Quant a vous, seigneur lladiare, jo veuxnbsp;que, suivant nos conventions, une fois arrivé lü oünbsp;je vous envoie, vous dépêchiez aussitót deux denbsp;vos gens pour aller avertir vos sujels qu’ils aient hnbsp;ne tenter rien de facbeux conlro l’erapercur denbsp;Constantinople, et que, tout au contraire, ils luinbsp;viennent en aide.

— Pardonnez-moi, répondit Radiare, mais ma parole a ce sujet est engagée a un autre qu’a vous,nbsp;antérieureraent ü vous. Vous pouvez me comman der tout ce qu’il ptaira ü rooi-mème, c’est-Ji-dire anbsp;ma personne, mais non pas ü ma foi, laquelle n’anbsp;rien üe common avec ma personne... Or, j’ai juré

au roi Armato do Ie secourir en tout et partout, et, comme je vous l’ai dit, ma vie peut mourir, nonnbsp;ma foi 1... Par ainsi, seigneur, je vous supplie denbsp;ne pas me conlramdre davanlage h une chose amp;nbsp;laquelle répugne ma conscience...

— Vrairnent, repartit Périon, ainsi ferai-je. Je serais trop malheureux qu’un aussi grand seigneurnbsp;que vous eüt sa parole faussée ü cause de moi...nbsp;Suivez la demoiselle que je vous demande de sui-vre, et que Dieu vous protégé 1

Lors, Ie soudan, Tiriaxe et les autres prirent congé du chevalier de la Sphère, lequel, entrantnbsp;dans la barque d’Alquife, lui dit:

—Jevous prie,demoiselle,de saluer humblement de raa part la princesse Onolorie et toutes les autres dames de la cour. Reraettez, je vous prie,nbsp;ajouta-t-il plus bas, remettez cette lettre ü madame Gricilerie, et l’assurez de mon ardent dévoü-raent è sa personne...

Périon avait h peine terminé ces mots que Ie vent enflait les voiles de son navire, et que les singes senbsp;mettaient ü ramer dans la direction qu’ils connais-saient.

CHAPITRE VllI

Comment Ie chevalier de la Sphère, Abies cl’lrlande el Lan-guines arrivèrcut è Constantinople, et du bon accueil que leur fit I’empercur,

ecoramandant done a Dieu ceux deses compagnons qui voulaient

Lretourner en Galifornie, Ie chevalier de la Sphère vogua vers Constantinople, oü il arriva Ienbsp;\ vhuitième jour en compagnie d’A-V \) B 1 \ d’Irlande, de Languines ctnbsp;y du fils du roi de Naples.

L’empereur, averti, s’en vint les recevoir.

Pendant que Périon, Abies et Languines faisaient la révérencenbsp;a ce prince, Frandalo s’appro-cha du fils d’Aniadis, et, l’ein-brassant, il lui dit:

— Sire chevalier, je suis td' lernent vótre, que vous pouveznbsp;i me commander comme a cclu*nbsp;qni désire vous obéir pour l’hon-near du roi Amadis et de rem-poreur Esplandian votre frère,nbsp;desquels je suis ratni ct Ie serviteur dévoué...

Le chevalier de la Sphère n’avait jamais vu Fran-dalo. Aussi 1’emperour, s’apercevant de son cin-baras, lui dit :

— Mon fils, vous avez dü entendre quelquetoi parler du comte Frandalo ? G’est lui qui, en ce mo-ment, vous présente son service. II est envers v =nbsp;amis tel qu’il s’est dit...nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;.

— En bonne foi, seigneur, il dolt alors avoir moi co qu’il plaira, car ses proucsses et son excel-

A

Pi


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LES HÉRITIEBS D’AMADIS. 11

lence Ie recommandent si fort de par Ie monde, que je ne peux que me tenir heureux de son ac-cointance...

— Sur mon arae, reprit Frandalo, je puis, en vous embrassant, me vanter que j’ai entre les brasnbsp;Ia vraie effigie et portraiture de la fleur de Ia che-valcrie!...

Périon ressemblait, en eftet, tellement a Esplan-dian, son frère, que l’empereur en fut frappé au ccEuv, et que de grosses larmes lui tombèrent desnbsp;yeux.

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, dit Ie chevalier de la Sphère en présen-tant Ie prince Adariel, voici Théritier du roi denbsp;Naples qui, s’il plait amp; Dieu, vous fera quelque journbsp;service.

L’enfant mit un genou en terre pour baiser les mains del’empereur; mais celui-ci, Ie relevant avecnbsp;bonté, Ie pria de Ie suivre, ainsi que ses compagnons, au palais.

— nbsp;nbsp;nbsp;Madame, dit-il en entrant ^ l’impératrice, ennbsp;lui présentant Ie chevalier de Ia Sphère, voici votrenbsp;gendre de retour... Quant a votre fille, nous l’au-rons avec Ie temps.

— nbsp;nbsp;nbsp;Sur mon Dieu 1 dit Timpératrice en baisantnbsp;tendrement Périon, vous m’avcz bien amené lanbsp;chose que je désirais Ie plus voir au monde, et sinbsp;je ne savais pas, comme je Ie sais, que mon filsnbsp;est enchanté, aucune puissance humaine ne m’em-pêcherait de croire que voilk Esplandian lui-’cême...

Puis l’impératrice baisa également Adariel, Languines et Abies d lrlande.

L’heure du diner arriva. L’empereur ordonna qu’on dressat Ie couvert en la grand’salle, voulantnbsp;ce jour-lk manger en public, par amitié pour lesnbsp;chevaliers survenus nouvellement.

Comme on levait la desserte, un tourbillon de Jent s’engouffra par les fenèlres, avec tonnerre,nbsp;mrnée et puanteur sulfurée qui n’annonQait rien denbsp;; si bien que tous les assistants crurent leurnbsp;cernier jour sonné. Au bout dun quart d’heure,nbsp;‘CS ténèbres commencèrent a se dissiper, et alorsnbsp;^Pparut au milieu de la salie, une épée flamboyante, teinte de sang, a la pointe de laquellenbsp;Pctidait un cartel de parchemin, scellé d’un grandnbsp;^cel

^-'’empereur fit incontinent rompre ce scel, Ie •j^cchemin fut déplié, et l’on trouva ces mots écritsnbsp;oessus :

ti quot; ^clye, Ia plus cruelic ennemie de Ia Chrd-pt ü. ^ *oi, empereur de Constantinople, ruine nialédiction 1

^PPi'cnds que tu seras bientót, par mon fait, léon 1 ^ au malheur Ic plus navrant qui soit aunbsp;tnort car tu assisteras, de tes propres yeux, a lanbsp;iitartnbsp;nbsp;nbsp;nbsp;Ia destruction de tes Etats et au

plu étrange de Ia personne que tu aimes Ie

en riv ^ monde. Finalement, ta vic s’écroulera * oiiseresl

cp'l’air nbsp;nbsp;nbsp;de quoi cette épée demeurera

Phétie H’jusqiiA ce qu’une pro-cffetl. ^b'PCu'uon, qui reste k accoraplir, sortisse

'^cinoura^abbk-*^ C'G cartel une fois achevée, chacun cuatn, surtout lorsqu’ou vit 1’épée flamboyante et sanglante s’élever en contremont etnbsp;s’en aller en Pair comme une vraie comète.

A peine cette rumeur était-elle apaisée, qu’on en entendit une autre par la ville.

CHAPITRE IX

Comment, pen après 1’arrivée i Constantinople du chevalier de la Sphère et de ses compagnons, arrivèrent a leur tournbsp;deux gèants et une gdanlc suivis do vmgt chevaliers.

Cetlc rumeur qui succédait k l’apparition de 1’épée de Mélye, était produite par l’arrivée de deux géants et d’une géante richement vêtue d’or et dcnbsp;pierreries d’une inestimable valeur, ayant sur lanbsp;tête un cercle d’or d’un travail exquis.

Ges deux géants étaient armés de toutes pièces, excepté d’armet et de gantelet. Ils étaient aceom-pagnés de vingt antres chevaliers en pared équipage, ce qui était assez menagant.

L’empereur, prévenu de cela, et croyant k une trahison quelconque, ordonna qu’on courüt auxnbsp;armes, et il y courut lui-même tont Ie premier. Unnbsp;certain nombre de gentilshommes, l’épéeaupoing,nbsp;Ie manteau autour du bras, se placèrent k l’entréonbsp;du palais pour en défendre l’accès.

Peu après arrivèrent les géants k leur suite, équipes comme nous avons dit. Le plus vieux d’en-tre eux, faisant dessignes de paix, rtemanda k êtrenbsp;conduit, ainsi que ses compagnons, vers la ma-jesté impériale ; ce qui fut fait iramédiatement.

— Trés puissant empereur, dit le vieux géant, en ployant les gerioux devant ce prince, cette damenbsp;que je conduis est ma femme : elle a nom Alma-trase. Get autre est mon petit-fils, le fils de manbsp;fille, il a nom Ardadil-Ganile. Autrefois nous ado-rions les fausses idoles et les mauvais dieux : au-jourd’hui, nous ne croyons plus qu’en Jésus-Christ,nbsp;grace k deux vaillants chevaliers, avec lesquels j’ainbsp;eu combats sur les frontières de Tile de la Feuille-Blanche...

— Et vous les nommez?

— L’un a nom Quadragant et l’autre Vaillades, répondit Argamont. Ils se sont conduits fort cour-toisement avec moi en m’accordant la vie sauve,nbsp;sous condition que j’obéirais k leur bon plaisir.

— Et oü les avez-vous laissés? demanda l’em-percur.

— Sire, répondit Argamont, aussitót après avoir pansé mes blessures, ils me prièrent de les yenirnbsp;attendre céans, et, sur l’heure, ils s’embarquérentnbsp;pour aller k la quête d'un chevalier dont ils regret-taient fort kprement l’absence, en m|assuTaiit tou-lefois que si, au bout de quatre mois de recherches, ils n’en avaient pu obtenir aucune nouvelle,nbsp;ils reviendraient me joindre ici pour attendre lenbsp;siége des princes païens... Si vous voulez accepternbsp;nos services dans cette entreprise, k mou petit-filsnbsp;et k moi, vous aurez en nous, Sire, de loyaux etnbsp;dévoués serviteurs. Nous vous le promettons


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12 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

12 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

en

de rendre

comme nous avons fait fi Vaillades et ii Quadra-gant.

Comme Ie vieux géant finissait de parler, on ap-porta è l’empereur la nouvelle que les palens étaient déj^ rassemblés en grand nombre en l’ilenbsp;de Ténédos, d’oü ils se proposaient de déloger Ienbsp;mois suivant.

Lors, l’empereur assemble son conseil, et il fut arrêté que l’on dépêcherait des courriers en Sicile,nbsp;en Sardaigne, è Rome, en Espagne, en Gaule,nbsp;même en Grande-Bretagne; puis d’autres aussi hnbsp;Quadragant et k Cildadan, de Bohème, pour lesnbsp;avertir de l’entreprise du röi Armato, et les supplier atfectueusement, en l’honneur de Dieu, d’en-voyer Ie plus grand nombre de vaisseaux possiblenbsp;au secours de la Thrace qui, autrement, allait senbsp;perdre h vue d’oeil. Et, comme ces différents voyages devaient prendre un assez long trait, il fut decide, en outre, que Frandalo se retirerait dans Ienbsp;port de la Montagne Défendue, avec Ie roi Noran-del, et qu’k eux deux ils s’opposeraient au passagenbsp;de tout navire marchand ou autre, pour couper lesnbsp;vivres aux ennemis.

Les courriers partirent Ie jour même, avec lettres trés pitoyables, tant de l’empereur que du chevalier de la Sphère, de Languines, d’Abies dTr-lande et autres.

Mais avant de dire Ie fruit de leurs messages, je veux raconter les aventures qui survinrent a Garin-ter et iiPérion, fils de Galaor.

GHAPITRE X

Comment Garinter et Pc^rion combaUirent centre lo roi de Sibernie et ses neveux, qu’ils vainquirent en plein camp.

ous avez vu précédemment I comment Garinter et Périon,nbsp;[fils de Galaor, avaient requnbsp;’ordre de cbevalerie des pro-Ipres mains d’Esplandian.^

' Ils s’étaient embarqués et \avaient abordé en Californienbsp;,oü ils avaient longuementnbsp;guerroyé centre certains en-vvahisseurs, notamment con-'tre Ie roi de Sibernie, qu’ilsnbsp;avaient chassé jusqu’en la principale ville de soanbsp;royaume.

Ils l’y tenaient assiégé lorsque Talanque, Maneli et la reine Galiüe arrivèrent en Californie, euxnbsp;aussi, de retour du voyage oü ils avaient trouvénbsp;Périon de Gaule, ainsi qu’il a été dit. La reine nenbsp;voulut ni passer outre, ni aller a ce siége. Mais Talanque et Maneli, sans plus de séjour, vinrent senbsp;loindre ti Garinter et é Périon, faisant grand effortnbsp;de parachever leur entreprise.

Le plaisir qu’eurent ces quatre jeunes chevaliers de se trouver ainsi réunis, ne se pourrait que mal-aisément raconter. Talanque et Maneli arrivaientnbsp;precisément k temps pour assister au combat quinbsp;était accordé entre Périon, Garinter et deux de leursnbsp;gens, contre le roi de Sibernie et trois de ses neveux.

— nbsp;nbsp;nbsp;Quelles sont les conditions de ce combat?nbsp;demanda Talanque.

— nbsp;nbsp;nbsp;Si la victoire demeure au roi de Sibernie, ré-pondit Garinter, sou pays lui demeurera sembla-blement, comme avant la guerre. Si, au contraire,nbsp;il est vaincu, il nous l’abandonnera sans plus jamaisnbsp;y prétendre en aucune facjon. Or, nous savons qu’ilnbsp;est bon chevalier et que ses trois neveux sont esti-raés les plus adroits de la contrée... S’il vous plai-sait d’etre de la partie, je crois qu’avec l’aide denbsp;Dieu la fortune nous serait entièrement propice.

— Volontiers, dirent Talanque et Maneli. II nous tarde que le jour en soit venu!...

— nbsp;nbsp;nbsp;Ce sera demain, répondit Garinter. Par ainsi,nbsp;reposez-vous lous deux, afin d’etre plus frais etnbsp;dispos pour cette entreprise.

Le lendemain matin, un trompette amena les otages du roi de Sibernie. Les serraents et les cérémonies usitées en pared cas suivirent de part etnbsp;d’aulre; puis ceux qui étaient ordonnés pour corn-battre entrèrent au camp.

Le roi de Sibernie s’avanqa é la rencontre de Périon, et de telle sorte, que, sans l’aide que celui-ci troüva au cou de son cheval, il était par terre.

Mais il arriva pis au roi, car Périon le désarconna et le jeta bas, étendu tout de son long.

Autant en fit Garinter k l’un des neveux du roi. Autant en firent Talanque et Maneli.

Toutefois, aucun de ceux qui venaient de vider ainsi les arqons ne se montra étonné et découragé.nbsp;Tout au contraire, se relevant légèrement, le roinbsp;de Sibernie et ses neveux se précipitèrent, l’épéenbsp;é la main, sur leurs adversaires toujours èi cheval.

La-bataille fut dure et cruelle... Périon et ses amis furentconlraints de mettre pied k terre, pournbsp;éviterune chute immanquable, le roi et ses neveuxnbsp;se préparant k couper les jarrets des chevaux.

Elle dura quatre heures, sans qu’on püt savoir de quel cóté penchait la balance. Peut-être que lenbsp;roi de Sibernie eüt remporté la victoire, a voir lesnbsp;vaillants coups qu’il portait. Mais Périon, é qui bnbsp;venait de faire ployer pour la deuxiéme fois le ge'nbsp;nou sur I’lierbe, Périon se releva, l’ceil étincelantnbsp;de colère, prit son épée è deux mains et l’abaltunbsp;sur le roi, entre les épaules et le cou, si bien et sinbsp;adroileraent que Ia blessure fut mortelle.

Talanque ne s’endormait pas non plus. A force de lutter avec son adversaire, il finit par trouvernbsp;propos le défaut de son gantclet et il lui sépara icnbsp;main du bras. Ainsi blessé, cc chevalier poussa unnbsp;cri de douleur navrant et chercha son salut dannbsp;la fuite. Mais Talanque le poursuivit, l’atteignit enbsp;le tua d’un autre coup d’cpée dans les reins.

Le neveu du roi de Sibernie qui s’était attaq

é Garinter lui résistait assez vigoureusement. s’efforqa bientót de telle sorte que, d’un plem cnbsp;d’estoc, rué a plein bras, il lui traversa maiHnbsp;haubert, lui enfonga son épée è trois doigtsnbsp;avant dans le corps et le forga ainsinbsp;l’ême.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;, pr

il en advint semblablement au quatriènie a saire, celui contre lequel Maneli s escrirnainbsp;mieux qu’il pouvait. Maneli n avait pas altai


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LES IIEIIITIERS D’AMADIS. 13

LES IIEIIITIERS D’AMADIS. 13

ïies noiT,!Elorestan, Parmenir et Galva-

ouv’crto n nbsp;nbsp;nbsp;desquels I’emitereur tint cour

'crie pendant six iours cnliers

un rnanchot, mais ce neveu du roi de Sibernie n’a-vait pas non plus affaire un endormi. Maneli Ie lui prouva bien en lui Irancbant la lèle au défautnbsp;de l’annet, dun coup aussi habile qu’inattendu.

Ainsi fut tenniné ce combat.

Garinler et ses compagnons se retirèrent alors sous leurs tentes, laissant les gémissements et lesnbsp;larmes è ceux qui se sentaient endommagés, tantnbsp;de la perte de leurs amis que de la perte de leurnbsp;ville, laquelle fut rendue et remise au pouvoir denbsp;Périon, suivant les conventions jurées.

Lelendemain, de l’aviset consenteraent de tous, Garinter fut élu et couronnc roi de cette ville,nbsp;mais en se rcservant toutefois la facilité d’y laissernbsp;Polinas pour gouverneur, afin de suivre les aven-tures étrangères. En vertu de quoi, aussitót aprèsnbsp;avoir reQu les hommages et les serments de lidé-litc de ses sujels, il s’en alia avec ses compagnonsnbsp;en 1’ile Galifornie, oü la reine lui fit trés agréablenbsp;accueil.

Mais ils ne firent pas lè un long sèjour. Aussitót que furent prêts gens et vaisseaux, ils s’embarquè-rent pour aller au secours de Constantinople.

Pendant queDieulcs conduit, retournons au due d'Ortilensc.

CHAPIÏRE XI

Comment Ic due d'Orlilcnse, ayant ddconfit Ie roi de la Brci-gne, leiourna amp; Trébisonde, el de l'arrivée d’Alquii'e il la cour dc 1’empereur.

.( /Zn se rappelle qu’après la tuerie Qdes gens du roi de la Breigne,nbsp;^ lesquels fuyaient èi vau denbsp;route, Ie due d’Ortilense et sanbsp;troupe etaient retournés aunbsp;camp.

La nuit était venue trop tót, et il avait été impossible denbsp;compter les morts et derelevernbsp;les blessés, ce qu’on fit Ie len-deraain matin, au point dunbsp;jour. On trouva alors sur Icnbsp;champ de bataille, parmi lesnbsp;décontits. Groter, fils du roi denbsp;la Breigne, blessé de dix coupsnbsp;mortels, et tellemont fouló auxnbsp;])ieds des chevaux, qu’il n’avaitnbsp;j,nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;quasi plus forme de visage. Un

plus loin, é main droitc, était aussi Ie roi son

ce d qu’on les considérat pour des traitres, s deux corps morts furent séparés des autres elnbsp;quot;fvelis fort honorablement.nbsp;dp r i'ecueilli et Ie pays réduit é l’obéissancenbsp;pritnbsp;nbsp;nbsp;nbsp;Trébisonde, Ie due d’Ortilense

lórt nbsp;nbsp;nbsp;vers son mailre, qui Ie recut

Gomme on Ie devine, cette fête a leur propos permit aux trois amoureux chevaliers d’entretenirnbsp;leurs dames, qui, de leur cóté, ne se firent pasnbsp;faute de leur prouver, par effets certains, quelnbsp;plaisir leur causait leur retour au milieu d’elles.

Une seulede toutes se montramorne et pensive. G’était la pauvre Onolorie, qui mourait cent foisnbsp;par heure en songeant è la captivité de son douxnbsp;a mi.

Elle dissimulait sa peine, cependant, et Ie plus qu’elle pouvait. Mais Amour la pressait de si prés,nbsp;que Toeil ne lui séchait non plus quo fait Ie canalnbsp;par lequel la fontaine vive prend son cours!...

Ge qui rengrégea plus encore sou martyre, ce fut Farrivée d’Alquife avec les prisonniers que Périon envoyait è Onolorie.

Alquife, se présentant é l’empereur è Tissue du diner, lui fit les trés humbles recommandations dunbsp;damoisel inconnu qu’il avait armé chevalier.

— Ah! ah! dit Tempereur. Demoiselle, ma mie, dites-moi, je vous prie, oü vous Tavez laissé, et sinbsp;vous croyez qu’il réparera bientót Ie tort qu’il m’anbsp;fait, en secélantde moi...

— Sire, répondit Alquife, s’il vous a fait quelque tort, ce n’a pas été de son bon gré, je vous assure,nbsp;et en cela il est grandement excusable... S’il vousnbsp;plait d’en savoir davantage sur son état, permettez-moi d’accomplir ce qu’il m’a commandé auprès denbsp;madame Gricilerie, votre fille...

— Oui, vraiment, dit Tempereur.

Lors, Alquife, s’adressant a la princesse, lui dit:

— Madame, votre chevalier, qui surpasse tous les autres en prouesse et en grande excellencenbsp;d’armes, vous salue par ma bouche comme cellenbsp;qu’il desire servir toute sa vie; en témoignage denbsp;quoi il vous envoie ce qu’il a conquis depuis Ienbsp;jour oü il a pris congé de vous, a son bien grandnbsp;regret...

Cela dit, Alquife présenta a Gricilerie Ie soudan de Liquie et les deux enfants du roi de Jérusalem.

— Ge gentilhomme, ajouta-t-elle, est un prince trés redouté parmi les rois païens, et a bon droit.nbsp;11 commandait aux pays de Liquie, ni plus ni moinsnbsp;que Tempereur votre pèro fait aux siens. Ces deuxnbsp;jeunes gens sont les enfants du roi de Palestine,nbsp;frère et smur, lesquels votre chevalier vous prienbsp;de recevoir comme votre propre chose. Ils vousnbsp;appartiennent désormais... Votre chevalier m’anbsp;chargé de vous assurer qu’en les traitant gracieu-sement, comme il Tattend de la bonté et de la noblesse de votre cceur, il en éprouvera un singuliernbsp;plaisir...

Puis Alquife raconta ü la 'princesse tout ce qui était arrivé, et termina en lui disant que son chevalier s’était embarqué avec ses compagnons pournbsp;aller au secours de Constantinople.

— L’honneur qu’il me fait est si grand, dit Gricilerie, que je ne puis que lui vouloir du bien... Mais il a tort d’entreprendre un si long voyagenbsp;avant de venir vers moi, s’il est autant mien qu ilnbsp;se vante d’être... II est une chose que jenelui par-donnerai jamais jusqu’è ce qu’il vienne en personnenbsp;m’en demander Ie pardon, et encore peut-être luinbsp;sera-t-il relüsé...

— Madame, reprit Alquife, vous Ie verrez pro-chaineinent, il me Ta promis. Car, ce qu’il désire


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14 BIBLIOTHEQUE BLEUE,

14 BIBLIOTHEQUE BLEUE,

pay^ Fonte, tit

Cortes, en voyant sortir du port cette llotille armée en guerre, on eüt pu juger aisément de la

Ie plus en ce monde, c’est votre présence et votre bonne grace.

Puis, s’adressant b Timpératrice et a la prin-cesse Onolorie, elle s’acquitta envers elles du message de Périon.

Si Florestan et ses compagnons se trouvèrent aises d’entendre de si bonnes nouvelles de celuinbsp;qu’ils cherchaient, il ne faut pas Ie demander.nbsp;Mais leur plaisir n’était rien au prix de celui quenbsp;ressentaitGricilerie, laquelle, toute la sainte jour-née, ne cessa d’entretenir Alquife, tant en publicnbsp;qu’en particulier; si bien même que cette dernièrenbsp;trouva moyen de lui bailler la lettre du chevaliernbsp;de la Sphère.

Cette lettre portalt en substance :

« Ma dame,

« Je ne sais comment je pourrai jamais satisfaire au grand bien que vous m’avez octroyó Ie journbsp;inoubliable oü vous m’avez accepté pour votre,nbsp;attendu que Ie meilleur chevalier du monde seraitnbsp;encore indigne de servir une aussi noble dame etnbsp;une aussi belle princesse que vous êtes. Etmoi,

3ui alors pauvre muet, sans avoir fait un seul acte e chevalerie, suis venu b tel honneur, est-ce mer-veille si mon coeur a desire entreprendre chosenbsp;méritoire qui me permette de demeurer en si hautnbsp;lieu?... J’ai éloigné de moi, dans ce but, toutenbsp;crainte vaine et tout péril de mort par la souvc-nancecontinuelleque j^ai euede votre bonne grace,nbsp;laquelle a tellement captivé ma liberté, que mesnbsp;yeux sont demeurés enchalnés aux liens de votrenbsp;heureuse presence, du jour même oü ils ont eu lenbsp;bonheur ineffable de contempler la resplendeur denbsp;votre divine face!...

« L’envie que j’ai de vous obeir et de vous servir me rend ces chaines prècieuses; par ainsi, ma dame, commandez-moi, je vous prie, tout cenbsp;qu’il vous plaira, et, prenant pitié du pauvre esclavenbsp;qui ose vous parler ici, daignez dire votre voulojrnbsp;a la demoiselle fidéle qui vous remet cette lettre ennbsp;mon nom.

« Be la part de celui qui haise les mains de votre grandeur en toute humilité. »

En lisant cette lettre, Gricilerie mua de couleur trois ou quatre fois, non par déplaisir, mais aunbsp;contraire par une force irrésistible d’amour. Lenbsp;plaisir fut si vif qu’elle s’évanouit entre les brasnbsp;d’Alquife, qui Fembrassa et lui demanda quellenbsp;fajblesse venait de lui prendre.

— Ah! ma grande amie, raurraura Gricilerie, quand done verrai-je celui qui endure tant pournbsp;moi, et que vous m’avez choisi entre les meilleursnbsp;chevaliers du monde?...

—Madame, repondit Alquife, mon père,qui vous 1’avait promis, trouvera moyen de vous lerenvoyernbsp;aussi quand il sera temps... En attendant, et sansnbsp;vous passionner autrement que bien ü point, failes-lui souvent tenir de vos cheres nouvelles... Son absence vous paraitra moins apre, et la votre lui pa-raitramoins cruelle...

j .^'.9'^‘^‘^^bait entrer avec la princesse dans des fletails plus confidenliels, lorsqu’une demoisellenbsp;leur Vint dire que l’impératvice les demandait.

CHAPITRE XII

Comment I’empereur de TriSbisonde s’embarqua pour aller contre ic roi Armato, et de la descente des paiens amp; Constantinople.

’Empereur ayanteu avertissement certain, par un brigantin venitien, que l’armée des palens cbtoyait I’Anatolienbsp;avec plus de mille vaisseaux, tirant aunbsp;detroit du Propontide, fit aussilót ras-sembler son armée, avec dessein de lanbsp;commander en personne.

Quand cette armee fut rassembléc; quand les navires qui lui étaient destines, galères, flutes, brigantins, barques, furent en bon équipage de gucr-re,tbien ^frétés et calefrétés; quandnbsp;Dardarie, due d’Anlille,nbsp;eut été établi lieutenantnbsp;général de Fempereur, onnbsp;s’embarqua, le vent ctantnbsp;d’ailleurspropre üdéloger.nbsp;Ghacun, suivant Favisdes patrons etnbsp;des comites, entra en son vaisseau;nbsp;et Fempereur lui-même, ayant eiu-brassé Fimpératrice et laissé ses paysnbsp;ü la garde de Dien et du due de lanbsp;lever les ancres; on partit!

puissance de ce prince.

La mer était quasi couvertc des vaisseaux (lai portaient Farmée, laquelle était composée, dcnbsp;compte enlier, de soixante mille hommes de chevalnbsp;et de cinquante mille soldats de pied. Ghacuii denbsp;ces navires était orné de bannières, de fanons, denbsp;banderolles, et 11 en sortait des bruits de tant denbsp;trompes, de clairons, de fifres et de tambourins,nbsp;que c’était chose merveilleuse ü entendre et é voir.

Le même jour du partement de Fempereur, Alquife prit congé de Fimpératrice, et s’en relourna vers le chevalier de la Sphère, chargée pour luinbsp;d’une letlre fort tendre de la princesse Gricilerie.

Laissons-la done voguer, el revenons aux cour-riers chargés d’avertir les princes chrétiens du siégo de Constantinople.

L’empereur de Rome, le roi de Naples et Ics autres ne tardèrent pas a se rendrc a l’invitatiounbsp;pressante qui leur était faile. Chacun d’eux armanbsp;un certain nombre do vaisseaux, et ils se rendirentnbsp;tous en plus ou moins de temps, et non sa*isnbsp;grand travail, en la Montague Iléfendue, ou ie»nbsp;attendaient le comte Frandalo et Norandel, avenbsp;eur équipage.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;-

En ce même temps, lo roi Armato, accompagn d’Almirix, frère du soudan de Liquie, du roi onbsp;Jerusalem, des soudans de Perse, d’Alap, de Baoy-one, des califes d’Egypte, Taborlanes et mamtsnbsp;autres grands seigneurs du Levant, partit de ip-nèdos avee une teUe quantité de navires, de nri-


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15

LES HERITIERS D’AM A DIS.

gantins, de flutes et de galères, qu’il semblait pro-prement que la mer en fiit couverte.

Mals rnalgré leur diligence, les païens ne surent pas prendre l’enipereur au dépourvu. lis Ie trou-vèrent accompagné de plus de trente mille hommes de cheval et de cinquante mille hommes por-tant armes.

Toutefois, en voyant approcher si prés de sa grande ville uii tel nombre d’ennemis, il en éprouvanbsp;quelques inquiétudes qu’il dissimula dumieux qu’ilnbsp;put. Pour mieux rassurer ses gens, raême, il futnbsp;d’avis que l’on empêchét l’armée d’Arinato denbsp;prendre terre et qu’on lui donnét alarmes conti-nuelles, pour l’ennuyer et la travailler. A quoi fu-rent employés Ie chevalier de la Sphere, Langui-nes, Abies d’Irlaude, Argamont et son fils, avecnbsp;dix mille chevaux et vingt mille soldals.

Ges derniers, ayant eu vent du lieu oü Armato comptait opérer sa descente, sortirent de la villenbsp;en fort bon équipage et, Ie jour même, ils décou-vrirent l’avant-garde des païens, conduite par Ienbsp;roi de Jerusalem, accompagnés de trois géants,nbsp;frères de celui que Ie chevalier de la Sphère avaitnbsp;mis a mort é la Fontaine prés de laquelle il avaitnbsp;délivré Alquif, père de la Demoiselle.

Les chrétiens s’embusqucrent pour attendee Tissue des projets des païens, lesquels ne tardèrent pas a jeter planches et a descendre leurs bateletsnbsp;pour permeltre a leurs gens de se répandre dansnbsp;Ie nays et Ie ravager comme sauterelles.

•Ie crois bien que ceux qui furent les plus diligents ne furent pas les mieux traités, car Périon et sa troupe leur coururent sus et en défirent unnbsp;grand nombre avant qu’ils pussent être secourus.nbsp;Mais ce secours leur arriva, et Périon et ses compagnons durent faire retraite, a leur tour, pournbsp;n’êlre pas écrasés. Les trois géants, avec grossenbsp;compagnie de Palestiiis, s’avancéren! avec une tellenbsp;hardiesse, qu’on devinait bien qu’ils avaient envienbsp;Qe faire leur devoir.

^ Toutefois, ils trouvèrent chaussure a leur pied, cest-a-dire que Périon et Argamont, avec leur es-cadron, leurtinrent vigoureusementtête, quoiqu’ilsnbsp;jassent en nombre inférieur. Beaucoup de com-^attants perdirent la vie en eet endroit, d’auiantnbsp;P'V® que, d’heure en heure, les païens se renfor-de recrues nouvelles et qu’ils gagnaient du

^ Chevalier, dit Argamont, il faut pourvoir au Ij cil qui uous menace, en prenant retraite du cóténbsp;j uóires, mais eu tournant toujours notre poi-

ac du coté de nos ennemis.

’-‘Ola dit, Argamont, en sage et avisé capitaine, amrnenea k se retirer, soutenaut toujours Tescar-forte et rude.

ej ® ^u’apprenant, Ie calife d’Egypte s’avanga,

Yg’j, .leant plus avant dans la presse qu’il ne Ie de-

coui’ 1 ?,*' rencontre de Périon, qui lui donna tel

C’un 1 nbsp;nbsp;nbsp;qu’il lui sépara la tête en deux.

fut si Slants du roi de Jérusalem, qui Ie suivait,

dans nbsp;nbsp;nbsp;cela, qu’il leva son épée é deux mains,

Mais A nbsp;nbsp;nbsp;de rendre la pareille é Périon.

^ans loif ‘^'’Isant Ie coup, Ie para de son écu

Ce uiii -f nbsp;nbsp;nbsp;®“f*'a d’un demi pied,

plus tin nbsp;nbsp;nbsp;d’Argamont étant du

on acier qu on püt voir.

Comme Ie géant essayait de dégager son arme, Argamont lui donna un rude coup d’un levier qu’ilnbsp;portait, si rude même qu’il en baissa de force lanbsp;têle eontre Tarqon; il se releyait, lorsque Périonnbsp;lui sépara Tépaule d’avec les cótes, ce dont il mou-rut incontinent sans avoir Ie temps de souffler.

Golfon, frère de ce géant, Ie suivait é quelque distance. Quand il Ie vittomber, il rugit et s’avanqa,nbsp;raenaqant. Jamais sanglier acculé des chiens ne futnbsp;plus embarrassé que ne Ie fut Argamont, que Golfon venait de choisir pour hut de ses attaques etnbsp;pour objet de sa vengeance. Heureusement qii’Ar-dadil-Canile se Irouvait la ; au moment oü Goltbnnbsp;levait sa terrible masse sur la tête d’Argamont, ilnbsp;lui passa son épée au travers du corps.

Que voulez-vous que je vous dise encore? Dicu raontra bien, en ce jour-lé, qu’il voulait aider auxnbsp;chrétiens, et, sinon préparer leur triomphe, dunbsp;moins empêcher leur perte.

Les païens étaient nombreux, et chaque heure en voyait naitre de nouveaux escadrons épres aunbsp;carnage. Ils poursuivaient les chrétiens jusque dunbsp;coté des tranchées de leur ville, avec Tespérancenbsp;d’y entrer avec eux et de la mettre é feu et k sang.nbsp;Mais si les chrétiens rompaient, cédant devant denbsp;trop gros bataillons, ils ne fuyaient pas comme desnbsp;laches; ilS' se trouvaient toujours visage a visagenbsp;avec leurs ennemis.

La chasse fut rude, et les troupes alliées de Tem-pereur furent décimées comme les épis d’un champ pendant la moisson. Douze ou quinze mille chré •nbsp;tiens perdirent la vie en cette journée, mais aussi,nbsp;pour cette journée, Thonneur fat sauf.

Abies d’Irlande et Languines, blessés assez grièvement, purent néanmoins regagner la ville,nbsp;grace k la protection efficace du chevalier de lanbsp;Sphère, qui se multipliait avec une ardeur sans pa-reilte.

Les païens juraient et sacraient de voir ainsi leurs rneilleures proies leur échapper. Ils fau-chaientbeaucoup d’épis vulgaires,lafoule des épis ;nbsp;mais ceux qu’ils voulaient abattre, les épis orgueil-leux, qui dépassaient les autres de toute leur taillenbsp;et de tout leur courage, ils ne pouvaient les atlein-dre. Ge n’était pas assez pour eux qu’Abies d’Ir-lande et Languines fussent blessés, ils voulaient lanbsp;vie du vieil Argamont, et surtout celle du jeunenbsp;Périon, qui occasionnaient de si terribles ravagesnbsp;dans leurs rangs.

Argamont, je Tai dit, avait manoeuvré avec adresse et avec prudence, et s’était rapproché peunbsp;a peu de la ville, pour y trouver refuge, sansnbsp;cesser pour cela un seul instant de protéger de sanbsp;haute taille et de sa force prodigieuse Ie vaillantnbsp;chevalier de Ia Sphère, que sou ardeur exposaitnbsp;beaucoup.

A un moment, même, comprenanttout Ie danger que courait Périon en restant plus longtemps dansnbsp;la mêlée, il Ie prit avec autorité dans ses bras etnbsp;Tenleva a la barbe des païens, qui jouissaient parnbsp;avance de leur victoire.

Le chevalier de la Sphère regimba bien un peu eontre eet acte de violence amicale ; mais le géantnbsp;Argamont le serrait dans ses bras comme dans unnbsp;étau, et Périon dut se résigner et se laisser sauver.


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Argamont ut lui franchireiit les dernières tran-chees et eulrèrent dans la ville.

Us étaient sauvés.

GHAPITUË Xüf

Comment 1 eiichanteresse Mölyc proposa clc brülor Ie jeune Lisvart, qu’avait amené Gradasiléc, fille du vieux roi denbsp;l’ile Gdante.

Devant les Iranchces qui défendaient la ville, et qui pouvaient être comnie autant de tombeauxnbsp;pour eux, les païens s’arrêtèrent inalgrc leur ar-deur, et ils se décidèrent a regret ti tourner bridenbsp;et a revenir vers leur camp.

G’était, du reste, la volonté de reiichaiiteresse Mélye, dont la parole était écoutée avec respectnbsp;et les ordres suivis avec la plus grande obéissaucc.

Mélye commandait la comme un général d’ar-mée. Elle ordonna la retraite, et les païens dissé-minés autour de la ville, dans les embuscades et ailleurs, se rallièrent au son des trompettes et vin-rent camper autour des feux allumés a la bate etnbsp;dans les tentes dressées lè par précaution.

La nuit était venue.

— Vous allez fortifier votre camp, dit Mélye aux principaux chefs des païens, et vous allez attendeenbsp;Ie moment de tenter l’assaut de cette ville mauditenbsp;qui nousappartiendra bientót, je vous Ie promets.nbsp;II n’y a, jusqu’ici, qu’un obstacle sérieux a la réussite de nos projets, c’est Lisvart, ce raécréant dontnbsp;la vie est si précieuse pour l’empereur de Gonstan-tinople, car tant que Lisvart sera vivant, l’empe-reurde Constantinople sera invincible.

— A mort Lisvart! a mort Lisvart! s’écrièrent des voix furieuses.

— Je pense comme vous, reprit la vieille Mélye, et, comme vous j’ai hate de me débarrasser de cenbsp;chien dechrétien... Cen’est pas pour rien, commenbsp;bien vous pensez, que j’ai dépêché vers lui Grada-silée. Gradasilée a conquis notre proie précieuse etnbsp;elle nous l’a amenée... Lisvart est ici... Qu’on Ienbsp;fassevenir!...

On alia incontinent chercher Ie jeune Lisvart et Gradasilée, la fille du roi de l’ile Géante.

Lisvart parut, calme, indifférent, superbe de jeunesse et de fierté.

— nbsp;nbsp;nbsp;Tu vas mourir 1 lui dit Mélye avec un ricanc-raent joyeux.

— nbsp;nbsp;nbsp;Jem’y attendais et je suis pret! réponditnbsp;tranquillement Lisvart. Faites vite, s’il vous plait;nbsp;c’est tout ce que je vous deraande.

— nbsp;nbsp;nbsp;Nous agirons a notre heure et non ïi la tienne,nbsp;dit Mélye, que Ie calme du jeune chevalier irritait.

Le conseil était assemblé; on n’avait plus qu’ii discuter le genre de mort réservé ü Lisvart; Gradasilée et son père, le vieux roi de l’ile Géante,nbsp;assistaient a la deliberation .

— Mon père, munnura Gradasilée a 1’oreille du

vieux paien, usez de toute votre autorité, je vous en prie, pour sauver la vie de ce jeune homme...

— Mais n’est-ce done pas toi qui l’as amené? répondit le roi sur le même ton, et assez surprisnbsp;de cette subite sensibilité de sa fille.

— C’est moi, sans doute, reprit Gradasilée, tou-jours a voix basso ; mais j’ai eu la main forcée dans cette affaire, et je me repens ti cette heure d’avoirnbsp;contribué si efficacement è la perle de ce jeune etnbsp;intéressant chevalier, qui no m’a jamais'fait denbsp;mal.

— II est un peu tard pour te repentir, ma fille, dit le vieux paien; mais enfin, puisque tu souhaitesnbsp;que je parle en sa faveur, je jiarlerai.

— Je vous remercie, rnon père.

Ges paroles échangées, Gradasilée alia prendre place a cóté de la vieille enchanteresse.

— Comme il faut qu’il ne reste rien de ce chrétien, dit Mélye, je propose le moyen le plus siïr, a savoir le bücher. On le brülera jiisqu’a ce qu’il nenbsp;reste plus rien de lui que des cendres, et ces cen-dres-lti seront jetées aux quatre vents du ciel pournbsp;être dispérsées a tout jamais! Lisvart mort, Constantinople est a nous, et ce nid de chrétiens s’ef-fondrera comme une ruine I...

— Brülons-le 1 brülons-le ! dirent les voix des principaux chefs.

— Pourquoi le brüler 1 Pourquoi le faire mou-rir? objectalc vieux roi de file Géante. Nepouvons-nous lé garder étemellement dans une prison bien siïre, oü il finira par mourir de sa belle mort unnbsp;jour OU l’autre ?

Ghacun regarda le vieux païen avec un étoniio-ment assez facile k comprendre.

— nbsp;nbsp;nbsp;Les prisonniers sortent, dit Mélye, et quandnbsp;ils sont sortis, ils se vengent... Les morts, au contraire, ne reviennent jamais et ne peuvent jamaisnbsp;se venger.

— Bien dit I s’écria un soudan.

— A mort Lisvart 1 A mort 1 s’écrièrent les autres.

— G’est un crime inutile que vous allez corn-mettre-la, objecta de nouveau le père de Gradasilée.

— nbsp;nbsp;nbsp;Un crime inutile 1 répéta ironiquement lanbsp;vieille enchanteresse. II n’y a pas de crimes imi-files... Tout sert k quelque chose en ce monde, etnbsp;si nous mettons èi mort ce chevalier chrétien, c esnbsp;pour que, de ce petit mal, il ressorte un graet*nbsp;bien.

— nbsp;nbsp;nbsp;Vous vous en repentirez peut-être un jounnbsp;dit le vieux roi de l’ile Géante pour l’acquit de snbsp;conscience, car il voyait sa cause perdue.

— nbsp;nbsp;nbsp;Vous radotez, vieillard ! répondit Mélyenbsp;mépris. Or done, ajouta-t-elle, Lisvart sera brunbsp;au point du jour, au su et au vu de toute |.nbsp;ennemie... Pour cela faire, on va, dés eetnbsp;préparer un bücher du meilleur bois qu’onnbsp;trouver, un bois llambant clair et vite...

il sera construit, on y placera ce chrétien mau qui n’est qu’un vil obstacle a nos projets, et anbsp;gnal que je donnerai, on mettra le feu dessous,nbsp;beau feu de joie, mes amis!...nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;«. ite

Ghacun appl^ludit, et Mélye ordonna nbsp;nbsp;nbsp;.-t

chevaliers qui vcillaient nuit et jour sur L de le recouduirc sous la tente qui lui serva


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LES HËRITIERS D’AMADIS. 17

prison, et de faire bonne garde sur lui jusqu’a 1’aube.

Lisvart suivit ses gardiens sans sonner mot; mais, avant de disparaltre, il enveloppa ses jugesnbsp;d’un’regard d’un souverain mépris, dont Gradasiléenbsp;se sentit remuée jusqu’aux entrailles.

GIIAPITRE XIV

Comment, par Ie moyen de Gradasilde, fille du vieux roi de l’ile Géantc, Lisvart out la vie sauve et rentra è Constantinople.

radasilée se retira, emportant dans son coeur, comme unnbsp;trait de feu, Ie regard de mépris que lui avait jeté, commenbsp;aux autres, Ie jeune gt intéressant chevalier chrétien.

— Puisque mon père n’a r ji'-nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;sauver, et que chacun

ASsr.désire sa mort, je vais m’employer é Ie rendre a lanbsp;vie et la liberté 1 dit-ellenbsp;en s’éloignant de la tente oünbsp;s’était tenu Ie conseil.

Mais comment faire? Ie prisonnier était trop biennbsp;gardé pour qu’elle put espérer qu’il s’évadat faci-lement. Gorrompre les chevaliers qui avaient chargenbsp;de veiller sur lui, il n’y fallait pas songer. Outrenbsp;que ces trente chevaliers, païens jusqu’au boutnbsp;des ongles, n’étaient pas fachés de voir rotir unnbsp;Chrétien, il était peu probable que, malgré lesnbsp;cffres les plus brillantes, tous consentissent ci senbsp;'aisser corrompre. Un, deux, trois, peut-êtrenbsp;guatve; mais trente ?...

Gradasilée dut rejeter ce moyen et en chercher ^n autre.

Ge temps pressait, la nuit s’avanqait, et, avec les premières lueurs de l’aube, allaient venir les pre-’^‘crs apprêts du suplice.

Ges diverses pensées poignaient Gradasilée. Elle ^egrettait si éprement d’avoir consenti èi aller eberker Lisvart a Trébisonde que, pour un peu, etnbsp;l^purse chatier de cette condescendance fatale, ellenbsp;^ cut pashésité a otfrir sa virginitéen holocauste,nbsp;lie^ ‘^prrqmpre aiusi les trente gardiens du cheva-g^.cnrétien. Mais, outre que ce moyen lui répu-lér ••nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;ü devait, il lui paraissalt, non trop

mp *^/due, mais trop en désaccord avec les senti-nts de tendressc qu’elle éprouvait pour Lisvart,

ïquot;^gdueèsoninsu.

Prép-a ^ nbsp;nbsp;nbsp;comme elle avait rejeté Ie

contra nbsp;nbsp;nbsp;'riit en quote d’un autre qui ne lui

pas autant.

Gradacu^*^ chercher, on finit bien par trouver. cn soiini^^ remarqué, et elle se rappelait celanbsp;et beau ''Irn ^‘^quot;rGien Lisvart était jeune, élégantnbsp;ocau. Llle conqut alors Ie projet de lui faire

passer des vêtements de femme, et, è l’aide de ce déguisement, de Ie soustraire a la vigilance de sesnbsp;gardiens.

Sans plus tarder done, elle fit un paquet de hardes a 1’usage de ses suivantes, et, Ie dissimulant Ie plus qu’elle put, elle se dirigea vers la tentenbsp;qni servait de prison a Lisvart.

Les premiers païens qui gardaient l’entrée la laissèrent passer sans opposition, car ils la con-naissaient, et ils ne pouvaient s’iraaginer que cettenbsp;princesse, qui s’était donné la peine d’aller h Trébisonde chercher leur prisonnier, venait lè pour Ienbsp;délivrer.

Elle passa done, pleine d’émotioii et de batte-ments de coeur. Sur Ie seuil de la tente, couebés en travers, deux chevaliers ronflaient d’une faconnbsp;sonore. Gradasilée enjambapar dessus, souleva lesnbsp;courtines du pavilion et se trouva en présence denbsp;Lisvart, tranquillement couché sur Ie sol, et attendant la mort avec cette fiére insouciance des jeu-nes gens, amoureux de l’inconnu.

Le coeur de Gradasilée battit plus fort que jamais.

— nbsp;nbsp;nbsp;Chevalier, murmura-t-elle d’une voix trem-blante!

— nbsp;nbsp;nbsp;Qui me vient troubler a cette heure? de-manda dédaigneusement Lisvart, en se soulevantnbsp;sur son coude.

— nbsp;nbsp;nbsp;Parlez plus bas, au nom de votre liberté,nbsp;parlez plus bas 1 répondit Gradasilée.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ahl c’est vous! reprit le jeune homme avecnbsp;une voix que le mépris rendait plus vibrante etnbsp;plus claire.

— nbsp;nbsp;nbsp;G’est moi, seigneur chevalier, oui, c’est moinbsp;votre amie, si vous le permettez...

— nbsp;nbsp;nbsp;Singulière amie, en vérité! Ne venez-vousnbsp;pas m’annoncer que l’heure de mon supplice vanbsp;sonner?

¦— L’heure de votre supplice va sonner bientót, en eCfet, et c’est pour cela qu’il faut vous faire etnbsp;revêtir amp; la bate ces vêtements de femme que j’ainbsp;apportés a votre intention...

— nbsp;nbsp;nbsp;Qu’est-ce que cela signifie? demanda Lisvart,nbsp;sérieusement étonné de ce revirement si soudainnbsp;dans la conduite de Gradasilée.

— nbsp;nbsp;nbsp;Vous n’avez pas besoin de comprendre, pournbsp;le moment, répondit cette dernière. J’ai été vousnbsp;chercher é Trébisonde et je vous ai amené ici, pournbsp;vous exposer a la plus cruelle des morts... Mais jenbsp;suis femme, et je ne veux pas avoir è me repro-cher plus longtemps une si horrible trahison...nbsp;G’est pour cela que j’ai résolu de vous sauver.

— Me sauver? vous? répéta Lisvart, de plus en plus étonné.

— Oui, et c’est pour cela que je vous prie de revêtir ces habits, sans perdre une seule minute...nbsp;Les moments sont précieux. Tout-a-l’lieure il nenbsp;serait plus temps 1... Dépêchez-vous, je vous ennbsp;supplie, dépêchez-vousl... Et, si vous ne le faitesnbsp;pas pour vous, faites-le pour moi, qui me suis ex-

posée ü la juste colère de Mélye...

Cette raison décida tout-è-fait Lisvart, qui se sentit au coeur une apre soif de vivre, lui qui, tout-è-rheure, était si bien décidé è mourirl...

En un clin d’oeil, il eut endossé le barnois fé-minin qu’avait apporté la fille du vieux roi de l’ilc

Série. — 2


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18 BIBLIOTHÈQUE BLEUE

18 BIBLIOTHÈQUE BLEUE

eieux.

Géante^ et, pour I’ceil Ie plus exercé, il ressemblait ainsi èi une suivante accorte et avenante plutotnbsp;qu’a uu guerrier chevaleureux et batailleur.

•—Vous êtes aussi belle ainsi, que vous étiez beau sous votre accoutrement de cbevalier 1 ne putnbsp;s’erapêcher de dire Gradasilée, avec une admiration bien naturelle.

Ils sortirent dé la tente. Les deux pSïens couches en travers du seuil ronflaient toujours avec lanbsp;même sonorité. Les autres dormaient moinsnbsp;bruyamment. Geüxqul ne dormaient pas, en aper-cevant les deux femmes, les saluèrent fort cour-toisement, assures qu’ils saluaient Gradasilée etnbsp;une de ses femmes.

Ce danger une fois évité, il y en avait d’autres encore a courir, car ils étaient toujours I’un etnbsp;I’autre dans le camp des païens; et d’ailleUrs^ unenbsp;fois hors de ce camp^ il allait leur falloir entrernbsp;sans obstacle dans la ville assiégée.

Ils traversèrent les postes sans encOmbre, toujours reconnus et toujours respectés, pour la même raison. Quand ils furent en deqa des tran-chée^, sous les murs de la ville, Gradasilée s’arrêta.

— Mon role de guide est terminé, dit-elle en soupirant. Maintenant, c’est a vous de faire le reste^nbsp;Cela vous sera facile; vous allez être chez vosnbsp;amis, parmi vos compagnons...

‘— Venez avec moi, dit Lisvart en sé débarras-sant de ses robes de femme. Vous méritez d’être récompensée, et je vous promets que vous le sereznbsp;suivant vos mérites..i

— Je ne puis, répoudit Gradasilée, en continuant amp; soupirer. Qu’il vous souvienne seulement dunbsp;danger que j’ai consenti h courir pour l’amour denbsp;vous, et du bien que vous avez requ de moi.

— Ahl madame, s’écria Lisvart, plein de reconnaissance, je sais bien et je n’oublierai jamais qu’a-près Dieu c’est de vous que je tiens ma vie et ma liberté... Aussi vous pouvez être assurée que vousnbsp;aurez toujours en moi un esclave prêt è vous obéirnbsp;et a vous servir!

Lors, Gradasilée, n’y pouvant plus tenir, em-brassa Lisvart avec passion et s’en alia la larme a l’oeil, après l’avoir recommandé ci Ia garde de sesnbsp;dieux.

Lisvart la regarda s’éloigner; puis, quand il la supposa hors do tout péril, il s’avanqa rapidementnbsp;el se trouva bientót devant une poterne oü veillaitnbsp;une sentinelle.

— Qui passe ici k cette heure? demanda ce sol-dat en apercevdfit une ombre s’approcher.

Comme Lisvart, préoccupé de l’aventure qui venait de lui arrivef, ne songoait pas a lui répon-dre, la sentinelle reprit, d’une voixplus énergique:

— Qui que tu sois, retire-toil ou je vais t’en-voyer des miches de notre couvent 1...

— Ami, répondit alors Lisvart, fais-moi ouvrir la porte, je te prie, et tu t’en trouveras bien, carnbsp;je t’assure quel’empereur aura plaisira ma vue!.,.

La sentinelle reconnut aisément que celui qui lui parlait ainsi était du pays de ïhrace.

7- II m’est impossible de te faire entrer av'ant qu ü ne soit jour, répondit-elle d’un ton plus gra-•Pourquoi cela, Varai? demanda Lisvart.

¦ farce que le chevalier de la Sphere a pardc-vers lui la clef de cette poterne, attendu qu’il est chef du quartier dont je fais partie et pour lequelnbsp;je fais a cette heure bonne garde, a cause des surprises de ces païens lieffés...

— nbsp;nbsp;nbsp;Va quérir cette clef, je te prie...

— Impossible 1... Le chevalier de la Sphèro ne

la baillerait pas é homme vivant... Lui seul pour-rait venir ouvrir...

— Va le quérir lui-même, alors 1

— Non point!... II a fait sa ronde de nuit et sommeille a cette heure... Je ne le réveillerais pasnbsp;pour tout Tor du monde...

— Je te prie, mon ami, de me dire quel est ce chevalier de la Sphère dont tu me paries la?...

La sentinelle, ennuyée de toutes ces questions, répondit:

— Est-ce done è vous que je dois rendre de tols comptes? Vous êtes un facheuxet un importun,nbsp;l’ami, entëndez-vous? Jen’aideqa quetrop discourunbsp;avec vous!... Par ainsi, gagnez done le large, etnbsp;promenez-vous en attendant le jour; sinon, il pour-rait vous en cuirél.i.

Le guet avait entendu eet échahge de paroles. II s’en émut, et ün sergent survint qui demandanbsp;ce que c’était.

— Gapitaine, répondit la sentinelle, un homme est la-bas, en dehors de la poterne, (pii voudraitnbsp;bien être céans... II m’a rompu la têto a force donbsp;me demander de lui ouvrir...

—^ Quel est-^il ?...

— Je ne sais, mon capitaine... J’ai crainte que ce ne soit quelque ródeur de fosses, quelque espiopnbsp;déguisé... Parlez-lui, si bon vous semble... Maisnbsp;quant é moi, m’est avis qu’il vaudrait mieux centnbsp;fois, pour le faire taire, lui dépêcher quelques traitsnbsp;dans le corps...

— Mais enfin, t’a-t-il dit le pourquoi de sa presence ici, a celte heUre singulière ?...

— Non, mon capitaine... Seulement il prétend que I’empereur no sera pas faché de le voir...nbsp;Comme si sa majesté impériale avait souci de voirnbsp;un ródeur de nuit!...

Le sergent du guet se pencha en dehors des murs et cria h Lisvart:

- nbsp;nbsp;nbsp;Ami, vous ne pouvez entrer céans... Ayez mnbsp;patience d’attendrejusqu’au jour, qui est prochain-

— Gapitaine, répondit Lisvart, si I’empereur sa-vait ma venue, il serait peut-être plus aise qp® vous no pensez... Par ainsi, ayéz la courtoisienbsp;d’aller le prévenir que je lui apporte dés iiouvellesnbsp;qui le réjouiront grandement.

Le sergent de bande,- entendant cela et cher-chant h reconnaltredans les ténèbres un pen claires celui qui lui parlait ainsi, ne put s’empêcher inbsp;s’ecrier:nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;^

Ou votre parole me déqoit, ou vous êtes n ' tre prince Lisvart?...nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;_

— Ami, dit Lisvart, parlez plus bas, je vous ^ supplie, sans me nommer davantage, car je suisnbsp;éffet celui que vous dites, et il y auraitnbsp;qu’on le sut du cóté oü je suis... Vous le direznbsp;haut lorsque je serai ü l’abri derrière des muinbsp;les... Pour l’instaut, je suis en peril...nbsp;allez au plus vite vers 1’einpereur, afin que

porte me soit ouverte... ... nbsp;nbsp;nbsp;, d-oupZ

— Abt seigneur, soyez le bienvenul... Preuc*


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LES IIÉRITIERS D’AMADtS. 19

LES IIÉRITIERS D’AMADtS. 19

radasilée, après avoir mis Lisvart en sauveté, était revenue vers la tente de son père.

Le vieux roi de 1’ile Géante était éveillé, contrairement anbsp;Armato et tt Mélye, qui dor-' maient a leur aise, confiantsnbsp;'dans la bonne garde desnbsp;trente chevaliers.

il se reprochait précisé-gt;ment en ce moment la con-descendance qu’il avait mon-)trée pour les désirs de sa Title Gradasilée, contrairement ct ses propres sentiments. Au fond, ce vieil

autre coté.

tbtcs-moi, je vous prle, mon oncle, demanda svart, quel est ce chevalier de la Sphère dont onnbsp;chonbsp;nbsp;nbsp;nbsp;^ poterne? Ce n’est pas un

gt;,a„''?Cer vulgaire, a en juger par la fiance qu’on ^ avoir en lui...

sourit et apprit a son neveu pourquoi ce Sesnbsp;nbsp;nbsp;nbsp;été donné. Puis il raconta, a son tour,

passées, sous la conduite de la de-‘^oiselle Alquife.

encore un peu patience, s’il vous plait : je ne fais qu’aller et venif.

^ En eITet, Ie sergent, sans plus tarfïer, se rendif d’un pied léger auprès du chevalier de la Sphércnbsp;qu’il trouva endormi, mais qu’il ne craignit pasnbsp;d’éveiller, pour lui dire:

— nbsp;nbsp;nbsp;Seigneur! seigneur! Lisyart, voire neveu, estnbsp;présentement arrive au pied des murailles, et il de-mande qu’on tui doime accès dans Ia ville...

— nbsp;nbsp;nbsp;Comment? s’écria Ie chevalier de la Sphère.nbsp;Mon neveu Lisvart?... Tu rêves, sans doute^ monnbsp;pauvre gars!...

— nbsp;nbsp;nbsp;Seigneur, répondit Ie sergent, vous savéz quenbsp;j’ai été élevé dès ma prime-jeunesse dans Ie palaisnbsp;même de l’empereur?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Oui; eh bien ?

— nbsp;nbsp;nbsp;Eh bien 1 j’ai été h même de cónnattré vötrenbsp;névéu Lisvart... L’homme qui m’a parlé tout-a-l’heure, en dehors de la poterne dont vous aveZ lanbsp;clef, c’est lui, c’est lui, vous dis-je!...

Périon n’hésita pas un plus long temps é croire a la parole du sergent du guet. II se leva, Jeta sonnbsp;haubert sur ses épaules, prit les clefs de ld poterne, qui étaient sous son chevet, ets’en alia hati-vemént vers l’endroit oü était Lisvart.

Après quelques mots écbangés entre eux deux, il ouvrit la poterne et regut Lisvart h l’entrée. Lors,nbsp;ils s’embrassèrent l’un et l’autre avec grande arai-tié, Périon s’étant aussitót fait connaitre en disantnbsp;a Lisvart qu’il était sou oncle et Ie fds d’Amadis.

— Ah! seigneur, s’écria Lisvart, je suis plus aise de vous avoir retrouvé que d’avoir retrouvé ma li-bertéi...

— Mon cher neveu, répondit Périon, je suis d’a-vis que nous nous en allions en mon log'is pour attendee Ie réveil de I’erapereur, qui vous revevra avec un vif plaisir...

— Aliens, dit Lisvart.

Lorsqu’ils furent tous les deux seuls, Lisvart lui jj'conta cc qui lui était arrivé depuis sou départ denbsp;Constantinople jusqu’i celte dernière aventuvenbsp;Gradasilée.

,. — Votre Mélye est une sorcière bien maligne et hien mauditel s’écria Périon. Elle voulait votrenbsp;^ort, qu’elle nous avait prédite Ie jour oü elle cn-\oya une comète enflaramée au-dessus de cottenbsp;Votre Gradasilée me féconcilie un peü avecnbsp;Païennes-la, cepéndant... G’est la lance d’A-hille, dónt un cóté gucrissait les blessures quenbsp;laisait 1’..,,.—^

Lis

CHAPITRE XV

Commont Mélye ct Armato apprirent lc( disparilion dc Lisvart, et dü déplaisir q^i'ils en enrönt Tune et l’autre.

hoinme était trés païen et il lui en coütait beau-coup de solliciter pour qu’on ne grillat pas un Chrétien.

Aussi sa coïère fui-elle grande lorsque Gradasilée, sans lui faire connaitre les motifs secrets qui l’avaient poussée ü agir ainsi, lui apprit la dispari-tion du prisonnier.

Le roi, bien ébahi, et encore plus malcontent, sortit presque de sou lit pour oulrager sa fille dunbsp;tranebant de son épée, non sans cause, car, parnbsp;cülte folie de Gradasilée, Tentreprise des seigneursnbsp;du Levant sur Constantinople était désormais rom-puel En outre, lo vieux roi deJ’ile Géante avait éténbsp;chargé de Lisvart, nonobstant les trente chevaliers,nbsp;et il avait promis de Ie livrer quand on lo deman-dcrait.

Lors, Gradasilée, le voyant si animé contre elléy ne sut trouver de plus beau remède pour l’apaisernbsp;que de se jeter ct ses piods et de lui Remandernbsp;pardon.

— Eneóre, dit-eile, Sire, que je ne pense pas avoir fait offense en sauvantla vie a celui qui ii’a-vait pas mérité la mort... Songez done! Je 1’avaisnbsp;amcné de Trébisonde sous ombre de bonne fui ? sinbsp;j’avais su ce qui l’attcndait ici, jel’aurais laissé Ifi-

bas... Ear ainsi, Sire, je ne suis pas coupable.....

D’ailleurs, ju suis prête ü souffrir, en son lieu et place, la mort a laquelle il avait été condamné, sinbsp;cela peut vous être agréablc, mon père...

— Abl mauvaise gareel s’écria le vieux roi, tu me ruines et me tues aujöurd’bui. Aussitót qu’Ar-^nbsp;mato sera aVerli de la fuito de son prisonnier, ilnbsp;ne manquera pas do me ravir ma terre et ma vienbsp;tout ensemblel... Et il aura raison, je le confesse.

— Sire mon père, réplifjua Gradasilée, Armato n’en saura rieii, paree qu il apprendra par moinbsp;qu’il n’y a pas de.votre faute en tont ceci, attendunbsp;que moi seule, ainsi que je le lui confesserai libre-nient, ai mis fin ii cette entrepriso des prinees dunbsp;Levant sur Constantinople... Partant, qu’il fasse dc


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20 BIBLIOTHÈQUE BLEUE,

20 BIBLIOTHÈQUE BLEUE,

len pensaient.

«n gens sages eCbien avisés qu’ils élaient, et, par de belles paroles, its Irouvèvent moyen d’apaisernbsp;Armato et Mélye, en leur mettaut devant les yeux

moi comme il lui plaira : la mort, au pis aller, me délivrcra de tout tourment qu’il me saurait préparen...

Gradasilée sut si bien mitiger la colère du rei par de douces paroles entremêlées d’abondantesnbsp;larmes, que, finalement, il s’en tut, et, jelant unnbsp;manteau sur ses épaules, il s’eu vint au pavilionnbsp;oü dormait Armato.

— Quelles bonnes nouvelles m’apportez-vous done, pour me réveiller de si grand matin ? de-manda Armato.

— Ah 1 seigneur, répondit tristement Ie roi de l’ile Géante, demandez-moi plutót quelle infortunenbsp;j’ai cl vous déclarerl...

— Une infortune? qu’est-ce done? s’éeria Armato, ne comprenant pas eneore de quoi il était question.

Le roi de l’ile Géante lui conta alors la perte de Lisvart et toute l’entreprise de Gradasilée.

— O dieux! s’écria Armato, je vous ai done bien gravement offensés, que vous m’envoyez une pa-reille punition 1...

Puis, se tournant avec une extréme colère vers le vieux roi de File Géante, un peu interdit :

— Fuis, méehant 1 lui cria-t-il; fuis, traitre! Ah! notre affaire est belle, è cette heurel... Nousnbsp;sommes tous perdus, parta faute, vilainl... Aucunnbsp;de nousne sortira d’iei!... Tués oueselaves, voilamp;nbsp;notre lot futur, graee i toi, perfide....

Armato se démena tant et lant, que Mélye, eou-ehée en un pavilion tout joignant, entendit le raf-fut qu’il faisait contre le pauvre vieux roi de l’ile Géante, se leva hativement en chemise, sans senbsp;pourvoir d’aucun autre vêtement, et vint savoirnbsp;d’Armato pourquoi il poussait des éclats de voixnbsp;si désolés.

Armato lui en dit la cause. Alors vous eussiez pu connaitre de quelle inconstance usent commu-nément les femmes, je dis les folies, quand il leurnbsp;advient quelque ennui qui les touche d’un peunbsp;prés.

Geile dont je vous parle, ayant appris la fuite de Lisvart, le précieux prisonnier, le seul gage de lanbsp;victoire des païens sur les chrétiens, celui qu’ellenbsp;voulait faire brüler, ne sut pas tenir d’autre con-tenance, sinon de s’arracher les cheveux, de dé-chirer sa chemise et même sa chair propre.

Qui a jamais vu un chatlié par la queue et pendu en 1’air, se raordre et se rendre ainsi cruel contrenbsp;lui-même. Ainsi faisait Mélye ! Elle gesliculaitnbsp;d’une manière désordonnee et criait comme si ellenbsp;eüt déja eu les pieds au feu.

II advintnalurellementqu’en entendant ce bruit strident, tout un chacun s’éveilla en sursaut, et,nbsp;pensant être surpris par les ennemis, cria: Alarme 1nbsp;alarme 1 alarme i...

Tenement qu’en moins de rien le camp fut en grande rumeur, sans qu’on sut trop pourquoi; etnbsp;cette rumeur était si grande qu’on n’eüt pas eu-tendu Dieu tonner 1

Les soudans de Perse et d’Alap, arrivés les premiers, ayant appris d’Armato de quoi il s’agissait, dissmulèrent soigneusement cequ lis ennbsp;le découragement qu’ils communiqueraient a leurnbsp;armée en gardant plus longtemps ce maintiennbsp;maussade et ce visage marmileux.

— Puisque c’est le vouloir de nos dieux, ajou-taient-ils, que voulez-vous y faire? Voulez-vous vous irriter contre Jupiter, è qui il a plu que lesnbsp;choses allassent ainsi?... Peut-être l’avons-nousnbsp;öffensé par quelque faute que nous ignorons ; peut-être se venge-t-il è cette heure, et devons-nousnbsp;1’apaiserpar une conduite meilleure!... Retirons-nous done vers lui, et téchons de l’apaiser par nosnbsp;prières, sans Firriter davantage par nos sanglotsnbsp;et nos gémissements...

— Vous en prêcherez ce qu’il vous plaira, répondit Armato; mais le paillard qui avait notre prisonnier en garde en mourra, ainsi que la gareenbsp;qu’il apcurfillel...

— Seigneur, répliqua le soudan de Perse, vous avez affaire d’hommes, non de femmes. Ce paillardnbsp;dont vous parlez est venu de pays lointain, et ilnbsp;s’est employé comme chacun a vu, quand il Fanbsp;fallu... Peut-être que, lorsqu’on 1’aura entendunbsp;s’expliquer, on le trouvera plus innocent qu’il nenbsp;le parait en eet instant... Par ainsi, avant de lenbsp;mettre en jugement, laissez-le se justifier... Au-trement, il se pourrait bien qu’il y eüt mutinerienbsp;entre les soldals a ce propos, car, comme vous lenbsp;savez, ni lui ni nous ne sommes vos justiciables...nbsp;S’il est prouvé qu’il a failli, il sera alors puni parnbsp;les princes du camp, et peut-être par ses gensnbsp;propres 1...

Ges seigneurs d’Alap et de Perse mirent en avant tant d’autres remontrances de la même éloquence,nbsp;qu’Arraato et Mélye finirent par se rapaiser unnbsp;peu.

GHAPITRE XVI.

Comment I’emperetir et 1’impdratrice furent lieurcux do rc-trouver leur dier Lisvart, et comment celui-ci demancla a son oncle do l’arraer chevalier.

Au point du jour, on eut vent, dans Constantinople, des raenées des païens et du bruit qu’ils (aisaient entre eux. De peur qu’ils n’échellassent etnbsp;ne surpnssent la ville , Fempereur et le chevaliernbsp;de ia Sphère firent mettre tout le monde en artnos,nbsp;jusqu au moment oü on vint leur annoncer que lesnbsp;païens commenQaient ê se retirer vers leur camp-L empereur ne savait encorc rien du retour denbsp;son fils. Périon le lui amena bientót, en lui disantnbsp;avec une bonne grèce parfaite :

— Sire, j’ai pris cette nuit eet espion... Que vous plait-il qu’on en fasse ? Faut-il le pendre ounbsp;le brüler?

Le bon prince fut bien aiso et bien ébahi, comme on peut croire. De grosses larmes lui tornbaientnbsp;(les yeux en embrassant Lisvart, qui se mit a ses

genoux ct lui baisa les mains,

Surcesentrefaitessurvinront Languines et Abies


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LES HERITIERS D’AMADIS. 21

LES HERITIERS D’AMADIS. 21

d’Irlande, lesquels, émerveillés de celte bonne aven-ture, s’avancèrent a bras tendus vers celui qu’ils ne comptaient plus revoir.

— Quel bon ange nous l’a done rapporté? de-tnanda Languines.

— Foi de raon corps, dit l’empereur, je suis si ravi de Ie voir, que je n’ai pas encore songé, ennbsp;effet, k m’enquérir de cela auprès lui...Oroa, monnbsp;ills, dites-nous done d’oü vous venez et commentnbsp;vous êtes entré céans.

Lisvart raconta tont. Puis, lorsqu’il ent tont ra-conlé, il ajouta:

— Me voila sain et sauf, grace a noire Seigneur Dien, et pret amp; vous faire service, Sire...

— Savez-vous pourquoi cette alarrae que nous avons surprise dans l’armée des païens?...

— Cette alarme vient uniquement de ma dispa-rilion... Mélye leur avait dit que la prise de Constantinople et votre mine è tons dépendait de ma mort... Comme je suis vivantet bien vivant a cettenbsp;heure, ils sont contraries 1...

— O mon enfant, reprit l’empereur, combien 1’impératrice sera aise d’entendre ces bonnes nou-vellesl... Aliens la trouver au plus tot, pour luinbsp;óter la mélancolie qu’elle a eue tous ces derniersnbsp;jours...

Ce que disant, l’empereur prit la main de Lisvart el Ie conduisit vers la cbambre de l’impératrice,nbsp;qui, précisément, se disposait a aller ö la messe.

— Madame, lui demanda l’empereur en souriant, connaissez-vous ce gentilhomme?...

L’impératrice fut plus émerveillée que si des cornes lui fussent venues. Elle demeura pendantnbsp;quelques instants sans pouvoir répondre une seulenbsp;parole, ce qui fit sourire de nouveau l’empereur.

— C’est bien votre Ills, oui, c’est bien lui, dit-il; regardez-le bien, car vous avez failli ne plus jamais avoir a Ie regarder... 11 vient d’écbapper ènbsp;1’une des plus dangereuses aventures de sa vie...nbsp;^ voilti maintenant assuré contre Ie péril : il estnbsp;invulnérable comme Achille, plus invulnerable encore, méme, n’est-ce pas, mon eber fds?...

— Oui, Sire, je I’espere, répondit Lisvart en souriant.

— II y a dans son aventure, reprit rerapereur, 1^0 vêtement de femme qui a joué un róle impor-lant, Ie plus important et Ie plus respectable peut-ctre qu’ait jamais joué robe do femme depuis quenbsp;monde est monde et que les femmes s’babil-^cot!... Car, c’est sous cette couverture qu’il anbsp;passé amp; travers lo camp de nos ennemis, qui onteunbsp;écH dont vous avez pu entendre quelques

.Béni soit Ie nom de Dieu 1 répondit l’impéra-tice en baisant Lisvart mille et mille fois avec une ® ^qj'ossc passionuée, et sans vouloir Ie lacher.

Elle Ie garda airisi accolé, dans ses bras, sur sou ° jusqu’a l’heure du diner.

Rendant Ie repas , Lisvart n’eut pas Ie temps npp Pouche pleine, car ce fut a qui 1’interro-ses^^ r Pcor lui faire raconter pour la dixième foisnbsp;Imi-même avait aussi h interroger,nbsp;Onnbsp;nbsp;nbsp;nbsp;s’était passé en son absence, et

VfiT-siQ courant du mieux que l’on put.

^ M^l^'^^serte, il dit au chevalier de la Sphere ; on oncle bien-aimé, je suis parti do cette

ville, comme chacun sait, pour commencer votre quête, Ie bruit ayant couru que vous étiez perdu.nbsp;Le motif principal de mon entreprise, je vous Ienbsp;confesse, c’étaitque je voulais être armé chevaliernbsp;de votre main... Aussi vouscherchais-je aprement,nbsp;car c’était chez moi un furieux désir. II me sem-blait que, frère de mon père et fds du bon chevalier Amadis, vous ne pouviez que me porter double-mentJ)onheur en me conférant de vos mains l’or-dre de chevalerie... Par ainsi, puisque nous nousnbsp;sommes retrouvés, mon bien-aimé oncle, je vousnbsp;supplie humblement de m’armer chevalier demainnbsp;raême, devant la poterne par laquelle je suis entrénbsp;cette nuit, afin que nos ennemis en aient plus tótnbsp;connaissance. Par ce que j’ai appris moi-même, aunbsp;milieu d’eux, c’est precisément ce qu’ils redoutentnbsp;le plus, et ce dont ils recevront le plus d’ennui.

— Mon cher neveu, répondit Périon, Ik oü est l’empereur, je m’abstiens et suis excusé de m’ab-stenir. Adressez-lui done votre requête.

— L’empereur ine pardonnera, s’il lui plait, dit Lisvart, je le supplie humblement de m’aider aunbsp;contraire k obtenir de vous que vous me fassieznbsp;eet honneur.

— Je vous en prie, dit l’empereur en se tour-nant vers le chevalier de la Sphère.

— Puisque cela plait a tous deux, cela me plait aussi, répondit ce dernier. Demain matin done, jenbsp;ferai ce qui sera en mon pouvoir de faire h ce propos. Par ainsi, beau neveu, tenez-vous pret, et fai-tes la veille des armes comme il en est coutume.

Lisvart remercia bien humblement Périon, et, lorsque la nuit fut venue, il entra, accompagné denbsp;maints prud’hommes, dans la chapelle, oü il demeura en oraison jusqu’au soleil levaut.

CHAPIïRE XVII

Comniant Lisvart 1'ut armé clievalier par son oncle Périon de Gaule, ills du grand Amadis, el des cUoses merveil-leuses qui advinrenl i ce propos.

u point du jour, Périon alia chercher Lisvart pour le préparer k la cérémonie qui devait avoir lieu publi-quement, en face de l’armée enne-mie, suivant son propre désir.

Lisvart se lava le visage et se laissa couper les cheveux; puis ilnbsp;entra au bain pour se purifier,nbsp;comme il convenait, en vue d’une sinbsp;solennelle cérémonie. On le fit en-suite coucher quelques instants surnbsp;un lit préparé k eet effet, pour sym-boliser le repos qui attend, au boutnbsp;de leur carrière, ceux qui ont employé leur vie k secourir les faiblesnbsp;et k venger les opprimés.

Après ce repos de quelques instants, Lisvart dut revêtir une chemise blanche, comme avertissement


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22 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

de l’état de pureté dans lequel il devait désormais tcnir son eorps et son éme.

Par-dessus cette ehemise blanciie, Lisvart en-.do^ga pf).e robe épqrlate, destinée a I’avertir qu’cn sa qualité de cheyalier \\ devait dorénavant êtrenbsp;pret ep toute occasiop p répapdre sqp sang ppurnbsp;Dien et 1’Eglise, JLes J^pttes brqpes qu’on lui fqnbsp;cbausser deyaipot lui fapppler contiiiuellepientnbsp;qu’i|l étaitvenu de la terre et qu’il deyait y retour-ner un jour ou 1’autre, Quant la c.eiuture dontnbsp;on entoura ses reins, bbe symbolispit Ie cpurn^cnbsp;dont il devait s’enviropper, aiusi que la chastblénbsp;qn’il était tenu d’obgeryer.

Lorsqu’il en fut la, Périop Ie prit par Ia Jnaifi, et tousdeux, suivis du géant Argainont et de son pe.-tit-fils Ardadil, s’en allcreut au lieu marqué pour lanbsp;cérémonie.

Un grand théatre avait été rapidement élevé a Textérieur de la poterne, de fagon q ce quo lesnbsp;païens pussent voir a leur aise ce qui allait se passer; et, pour les contenir dans Ie respect, l’empe-reur fit sortir une viuglaine de mille de gensnbsp;d’arraes, pour sa süreté personnelle et celle desnbsp;personnes (|ui devaient se trouver avec lui sur l’é-chafaud, cest-è-d»re Lisyart, Périon, les deuxnbsp;géaiits et maints autres seigneurs de sa cour.

Quant aux dames, naturellement Mandes de ce spectacle, des places leur avaient été ménagées,nbsp;non sur eet échafaud, oü eiles eussent élé trop ex-posées, mais sur les murailles mêmes de la ville.nbsp;La place était mervcilleusement choisie, car ellesnbsp;pouvaient tont voir sans danger, et la cérémonie,nbsp;et les mouvements de troupes des païens, et l’in-térieur de Ia ville.

Les precautions de l’empereur furent inutiles. Les païens, ébahis, ne songèrent pas un seul instant a courir sus aux gens d’armes des chrétiensnbsp;aventurés hors des murailles; ils ne firent aucunenbsp;démonstration hostile, et se contentèrent d’assisternbsp;de loin au spectacle de l’ordination de Lisvartnbsp;comme chevalier, spectacle placé Ié è leur intention et comme une bravade aux enchantements denbsp;la vieille Mélye.

Lors done, l’empereur parut, ayant è ses cótés Lisvart et Périon, et les applaudissements reten-tirent.

Lisvart se mit é genpux, et Périon lui donna la colée, en lui disant :

Souvenez-vous, chevalier, de la colée que recut Ie grand martyr Jésus-Christ : eest en sonnbsp;nom et en sonhonneurqueje vous la donne... Sou-yciiez-vous égalemeqt, chevalier, que vous ne deveznbsp;jamais rien dire centre la vérité et contre volrenbsp;conscience... N’oubliez jamais d’entendre la messo,nbsp;de jeüner tous les vendredis en souvenir de lanbsp;passion de Jésus-Christ, et, enfin, de venir en aidenbsp;h toute dame ou demoiselle qui en aurait hesoin :nbsp;c’est ie plus sur raoyen d’acquérir de l’estime et denbsp;la gloire...

— J’cntendrai la messe, répondit Lisvart, je jenqerai ton» les vendredis, je ne ferai aucunnbsp;mensonge, j’honorcrai les dames et je ne craiudrainbsp;faügu^'^^ soutonir, d’essuyer les plus grandes

31 Lisvart n qvait pas eu Fopprit si préoccupé de la princesse Onplprie, jl eüt entendu Ie murmuronbsp;flatteur qui accueilfit ses paroles, lequel murraurenbsp;venait, comme bien Ton imagine, du cóté desnbsp;murailles pij étaient les dames de la cour pt l’im-pératrice elle-mème.

Mais Lisvart ne songeait ep ce moment qu’a la princesse Oaolorie, et c’était a propos d’elle suivnbsp;tout qu’il venait de faire ce veeu et de prendre eetnbsp;engagement si vivement applaudi.

Après la colée, Périon chaussa l’éperon droit au nouveau chevalier, eu lui disant:

— Chevalier, voici quelle est la signiflance de ces éperons attachés é vos talons, lesquels sontnbsp;destinés é faire obéir votre cheval é tous vos vou-loirs : ce sont les élans intérieurs de votre amenbsp;qui l’exciteront é aimer Dieu profondément et anbsp;défendre sa loi avec courage.

— Je m’en souviendrai, répondit modestement Lisvart.

II s’agissait maintenant de lui ceindre l’épée.

On chercha partout; elle avait été oubliéc!

G’était un contre-teraps facheux. Déjé on se disposal é Taller quérir au palais, lorsque Tempe-reur, qui ne voulait pas qu’il y eüt, é cause do cela, retardement é la cérémonie, commanda aus-sitót au géant Argamont, a cause de sa grandenbsp;taille, de décrochor Tópée qui se trouvait au-des-sus du portail.

_ C’était Tppée du feu roi Lisvart, si regrelté, que Tempereur avait fait mettre, en mémoire de lui,nbsp;au poiog d’üne vieille statue d’ApolIidop qui senbsp;trouvait précisépient Ié tout expres pour cela.

Argamont, sans plus tarder, obéit au comman-dement de Tempereur, et, en consequence, il se Iiaussa pour atteindre nette épée. Mais, au momentnbsp;oü il allait y atteindre et s’en emparer, un éclairnbsp;déchira la nuo, Ie tonnerre gronda avec un fracasnbsp;horrible, et la statue tomba, brisée en plusieursnbsp;morceaux...

Chacun était déjé terrifié ; on Ie fut bien davan-tage, lorsqu’on vit sortir des débris de cette statue d’Apollidon un lion do grandeur surnalurelle, 1’ceil furieux, les narines dilatées outre mesure, lanbsp;crinière hérissée, et les flancs traverses d’une raer-veilleuse épée dont Ie poinmeau, formó d’unc es-carboucle, étincelait comme feu.

Ce fut bien pis encore lorsqu’on vit ce lion mar-chant droit vers Lisvart en poussant de rauques e terribles rugissements. Beaucoup de gens se sau-vèrent et beaucoup de femmes s’évanouirent. SeulSinbsp;Tempereur et ses compagnons d^estrade ne bou'nbsp;gerent pas, quoique trés étnerveillcs, comme tonbsp;ie monde, de ce spectacle inattendu.

Au meme moment tomba du cicl un petit cothc d’émoraude qui renfermait une leltre oü so tronbsp;vaient écrits cos mots:

« JjC grand, Ie sage Apollidon a forgé de sa p o pre main Vépée que celle héle prêsenle aunbsp;valicr qui, au lomps ou elle apparailra^ seranbsp;de la main du fils du brave lion.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;^

« Que nul autre que lui nes avenlureal en ev il cn adviendrail mal. »

Cela dqvenait de plus ou plus merveilleux et


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LES HERITIERS D’AMADIS. 23

LES HERITIERS D’AMADIS. 23

mystérieux, comme oii voit. Chacun s’interrogeait pour savoir ce que cela voulait dire, et auisi pournbsp;savoii ce qu’il y avait h faire en cette occurence,nbsp;lorsque Tempercur, qui ne voulait pas que cettenbsp;situation se prolongeöt, prdgnna que l’on passatnbsp;outre.

Lisvart alprs, se recommandant mentalement k la belle princesse Onolorie, s’avanca vers Ie lion,nbsp;qui rugissait toujoufs formidablement, il y portanbsp;courageusement sq main sur l’épée au pommeaunbsp;d’escarboucle.

Tout-k-coup, la terre trembla, Ie tonnerre re-commenea amp; gronder, une fumée épaisse sembla sortir de partout, et l’on vit flamboyer dans l’air,nbsp;au-dessus delaville de Constantinople, l'épée me-nacante de l’enchanteresse Mélye... Puis , aprèsnbsp;avoir tournoyé comme une comètc sur la citénbsp;épouvantée, cette épée décrivit une courbe fulgu-rante et vint s’abattre avec un sifflement horriblenbsp;sur la tête de Lisvart, qui tomba foudroyé k cóténbsp;du lion...

Des cris d’elfroi retentirent de tous les cötés. L’impératrice, surtout, en voyant ainsi son chernbsp;Lisvart frappé, ressentit une douloureuse commotion de ce coup fatal, amp; l’endroit du coeur; ellenbsp;crut sa dernière heure arrivée, et cllo s’óvanouitnbsp;entre les bras de ses femmes en recommandantnbsp;son ame ^ Dieu.

Mais bientót Ie calme se rétablit, Ie ciel s’éclair-cit, les éclairs cessèront, Ie tonnerre ne gronda plus, la fumée se dissipa, et l’on aperput Ie jeunenbsp;chevalier Lisvart étendu, dans rirnmohilité la plusnbsp;compléte et tenant au poing l’épée merveillouso,nbsp;auprès du cadavre de l’affreuse Mélye, lequel puaitnbsp;dejé oomme une véritable charogne.

On crut Lisvart mort, on s’empressa autour de lui: il n’était qu’évanoui, fort heureusement.

L’empereur ordonna qu’on l’emportèt au palais et qu’on lui otM l’épée qu’il tenait, jusqu’é ce qu’ilnbsp;eut recouvré sar.té. Et, comme on en était la, unnbsp;chevalier apporta Ie fourreau et la ceinture sur la-quelle il y avait, tracés, plusieurs caractères indé-ehitfrables pour 1’heure présente. II avait trouvénbsp;Ces deux objels parmi los débris de la statue d’A-Pollidon.

Lisvart une fois mis en son lit, l’erapereur as-®0fiibla ses chevaliers pour délibérer au sujet du Ciidavre de Mélye. Quelques-uns furentd’avis de Ienbsp;cenvoyer ii Armato; mais ie plus grand nombre, énbsp;^®use de la mort qu’elle avait décidéó é l’endroitdenbsp;lo plus grand nombre opta pour qu'ellenbsp;^üt brüléo publiquement, et ses cendres jetées au

CHAPIÏUB XVIII

Comment les païens, après ces divers dvénements, reprirent cependant courage, surtout lorsque des renforts leur arrj-vèront, et comment, au moment oü ijs comptaient Ienbsp;mieuxprepdreCon^lapiinppLe, une flottp arrivqau secoursnbsp;de cette yille,

es païens furent bjen ébahis, comjae on suppose, de toqs cesévénepients.nbsp;Ils étaient navrés et découragés, mal-gré les remontraijces que poqyajentnbsp;leur faire leurs chefs.

Deux cliQses, cependant, finirent par les réconforter, Lq premièpe, cenbsp;fut Ie secours que leur apportèrentnbsp;Grifilant, roi de l’ile Sauvagine, etnbsp;Pintiquiiiestre, reine des qinqamp;oiies,nbsp;’’un avec, cinq mille sauvages, Tau-Ire avec six mille femmes gucrjières.

Le second réconfortement leur vint de l’espérancenbsp;qu’ils eurent de conquérirnbsp;Constantinople avec cenbsp;double secours, et de lanbsp;piller, saccager, brulqr et yioler,nbsp;PintiquinestFC et Grifilant soUici-tèrent d’Armato et des quires 1’hon-neur du premier .assaet, ce qu’on leurnbsp;accorda aisément.

En conséquencG, ils ordonnèrent qux capitaines qu’ils avaient amenés de tenir leurs gens prêtsnbsp;pour faire leur devoir aussitót qu’il leur serqjt com-mandé.

D’un autre coté, ceux de la ville continuaient k Ia remparer, k faire les tranchées, les plateformesnbsp;nécessaires a la défense, bien décidas k combattrenbsp;jusqu’k la dernière extrémité plutót quC de toipbernbsp;entre les mains des païens.

Aussitót que l’aube du jour parut, Grifilant et Pintiquinestre s’approchèrent des murailles avecnbsp;leurs gens, lesquels poussèrent leur cri accoutuménbsp;qui los faisait ressembler a une troupe de geaisnbsp;et de pies agacés, et, la tète baissée, montèreut fu-ricusement k l’assaut.

Mais les archers et les arbalétriers étaient k leur porie, sur le rempart: ils tuèrent un grand noin-bre d’assaillants parma lesquels beaucoup d’qma-zones et de sauvages.

Malheureusement, les gems de Pintiquiecstre et de Grifilant passèrent outre, et entrèrent dans lanbsp;ville. Ce fut alors un combat corps k corps, mainnbsp;a main, oü les chrétiens n’eurent pa« toujours 1’a-vantage. Les sauvages tiraient si dru leurs flèchcs,nbsp;que les ecus des assiégés en étaient couverts et bé-rissonnés,

La reine Pintiquinestre, voulant témoigner de sa vaillance, s’avanea, une corsfegue an poing, k lanbsp;rencontre du chevalier de la Sphere, qui, sans res-jiect pour son sexo, l’eüt volontiefs abattue si ses


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24 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

amazones ne fussent venues amp; temps pour la lui arracher.

— Ville gagnéel ville gaguée! crièrentces guer-rières forcenées en forgant les chrétiens è rompre devant leur charge impétueuse et furibonde.

Elles se trompaient: la ville n etait pas encore gagnée pour elles. Argamont, Lisvart et Ie chevalier de la Sphère, repoussés d’abord, voulurentnbsp;jouer quitte OU double, et ils revinrent a vee apreténbsp;sur leurs ennemis. Ceux-ci perdirent bientót leursnbsp;avantages, non, cependant, sans causer de grandsnbsp;dégéts aux chrétiens, car ces sauvages et ces amazones se battaient bien, il fautl’avouer.

Pendant ce temps, Armaio et les califes, qui as-saillaient les autres endroits de la ville, n’épar-gnaient pas non plus leurs personnes afin de clon-ner è leurs gens 1’exemple du courage et de l’hé-roïsme. Ils échellaient et faisaient tout ce ^ue gens de cceur devaient faire en pareille occurrence. Mal-heureusement pour eux, après quelques avantagesnbsp;qui leur permettaient d’en espérer de plus grands,nbsp;ils se rencontrèrent face èi face avec les princesnbsp;Saluder et de Brandalie, lesquels les regurent plusnbsp;vivement qu’ilsne Ie pensaient, tellementque plusnbsp;de dix mille Tures et Perses furent renversés morlsnbsp;par terre.

Toutefois, il dire vrai, pendant quelques heures, il fut assez impossible de juger k qui allait appar-tenir Ie succès définitif de cette journée. Deux ta-borlans amenèrent gens frais h la rescousse desnbsp;païens, et Ie soudan d’Alap, en personne, vint amp; lanbsp;tête de quarante mille hommes, pour conquérir lanbsp;place, qui fut alors sur Ie point d etre conquise.

Si la pauvre cite était ainsi tourmentéepar terre, elle ne 1 etait pas moins par mer.

Le guet du roi de Bougie venait de signaler en la voie de la Montagne-Défendue une puissantenbsp;flotte qui s’avangait, sans aucun doute, au secoursnbsp;des chrétiens. On en avertit ceux qui assaillaient lenbsp;port, et le roi de Gilofle dépêcha un brigantin pournbsp;aller reconnaitre cette flotille et juger de ses intentions.'

Le brigantin obéit, et, presque sans coup férir, il captura un petit navire qui servait d’avant-gardenbsp;aux autres. Tournant voile alors, il ramena sanbsp;prise vers le roi de Gilofle et le roi de Bougie.

— nbsp;nbsp;nbsp;D’oü veniez-vous et oü alliez-vous ? demandanbsp;le roi de Bougie au patron du navire capture.

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, répondit eet homme, nous allions avecnbsp;les autres pour faire lever le siége de Constantinople. Au moment oü Ton nous a pris, mes compagnons et moi, nous allions faire de l’eau douce.nbsp;G’est ainsi que nous n’avons pu éviter votre brigantin.

— nbsp;nbsp;nbsp;Etes-vous beaucoup?

— nbsp;nbsp;nbsp;Oui, Sire, beaucoup plus que vous ne pensez.

— nbsp;nbsp;nbsp;Et de quelle contrée ?

— nbsp;nbsp;nbsp;De partout, Sire.

— nbsp;nbsp;nbsp;Mais encore?

— nbsp;nbsp;nbsp;De Rome, de Sobradise, d’Espagne, de lanbsp;Grande-Bretagne, d’Irlande, d’Ecosse,de Norvége,nbsp;de Sansuègne,de Bohème,de Montgaze,de Suessenbsp;et de Tésifante.

— nbsp;nbsp;nbsp;Vraiment, voila belle compagnie!

T^l^elle el bonne compagnie, en effet, Sire.

Maïs attendez, je n’ai pas encore tout dit...

— nbsp;nbsp;nbsp;11 y a encore quelque chose?

— nbsp;nbsp;nbsp;Oui, Sire.

•— Dites, alors.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ces jours passés, l’empereur de Trébisondenbsp;et les rois de Californie et de Sibernie se sontnbsp;joints ü nous, et je puis vous assurer que celui quinbsp;a vu cette assemblée de vaisseaux a le droit de senbsp;vanter d’avoir vu la plus belle chose du monde...

Les rois de Bougie et de Gilofle ne perdirent pas un moment pour avertir Armato de ce qui se pas-sait, et des dangers sérieux qui les menagaientnbsp;dans un temps prochain.

Mais, malgré leur diligence et leurs precautions, la nouvelle de l’arrivée de la flotle chrétienne senbsp;répandit avec la rapidité de l’éclair dans rarmécnbsp;des païens, qui commencèrent h perdre cceur et anbsp;se retirer petit k petit de la presse.

Les assiégés, étonnés de cette volte-face, ne sa-vaient déja plus quoi penser, et ils ne comprirent que lorsque l’un d’eux, en faisant le guet au bantnbsp;dun clocher, vint avertir l’empereur de Tarrivéenbsp;de la flotte ü voiles deployées.

Je vous laisse è penser si cette nouvelle fut bien regue!

L’empereur, ne pouvant en croire ses oreilles, voulut du moins en croire ses yeux, et il s’en vint,nbsp;accompagné d’aucuns des siens, vers le port, d’oünbsp;il apergut ce secours tant espéré.

Devant la flotle des navires alliés marchait une caraque, grande au possible, sur laquelle, en guisenbsp;de pilotes, de mariniers et de soldats, on ne voyaitnbsp;autre chose que singes plus verts qu’émeraudes, tenant chacun un arc bandé.

Tant plus cette caraque approchait, tant pins les assiégés la trouvaient admirable, et non sansnbsp;cause, car, outre 1’étrangeté que présentaient lesnbsp;bêtes qui la montaient, elle était encore batie selonnbsp;le dessin et portrait de I’lle Ferme.

Cette caraque prit terre; les ancres furent je-tees, les planches aussi, et Ton vit alors apparaiti’C Alquife, accompagnée de neuf autres demoiselles,nbsp;toutes vetues de tafl’etas cramoisi, et portant, cha-cune d’elles, une harpe dont elles sonnaient divi-nement.

Et les suivait de prés, le trés puissant Amadis, roi de la Grande-Bretagne, tenant par la mainnbsp;reine Oriane, vètue d’un drap d’or historié.

Derrière Amadis et Oriane venaient Urgaride-la-Deconnue, I’empereur Esplaudian et i’impéra-trice Léonorine, puis Carrnelle, et, tout joignant, don Galaor, Briolanie, le roi Florestan et sa feram®’nbsp;le roi Agraies et Olinde, le roi de Bohème, Gi’S'nbsp;sandor, Mabile, puis Gandalin et sa femme.

Enfin, tout derrière, marchaient mailrc llélisü' bel et Ardan-le-Nain, portant Tarraet d’Amadis etnbsp;l’écu vermeil que lui avait donné Alquife. . ,

Or, sachez que cet étrange vaisseau avait aUciiü la flotte chrétienne, il n’y avait pas encore uncnbsp;heiire, et devancé, ü force de rames, lous lesnbsp;tres navires, galores, flutes, etc., sans qu auCJ*nbsp;capitaine ou patron eüttrouvé rnoyen de 1 aborunbsp;pour savoir quels passagers ils conduisaient...

Avant que je ne continue, it me semble que vous devez entendre comment les seigneurs et danics


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LES IIEIUTIERS D’AMADIS. 25

de rile Ferme furent tires de leur enchantèment, comment ce vaisseau leur fut baillé si fort a proposnbsp;pour venir au secours de l’erapereur.

CHAPITRE XIX

Comment les rois et rcines, dames et demoiselles, seigneurs et cbevalicrs enchanlés en l'Ile Ferme, se réveillèrent.

’était Apollidon, Ie premier de tous en magie et en astrologie,nbsp;-qui, prévoyant les affaires qui de-vaient advenir au vicil empereurnbsp;de Constantinople, avait préparénbsp;I’enchantement du lion et de Té-pée conquise par Ie jeune Lisvartnbsp;au moment de son ordination commenbsp;chevalier.

Apollidon avait si bien ouvré eet enchantement que d’autres devaient Ienbsp;suivre,et qu’a riieureoiicetteinerveil-i L I leuse épée serait tirée des flancs de cenbsp;\nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;lion, Ie sommeil des seigneurs de l’Ile

Ferme serait aboli.

Quanta Mclye, qui ne s’était conservée si vieille au'delk des lirnites fixées par Ia nature que grdcenbsp;è son art nécromancien, son lieure était arrivée, dnbsp;elle aussi, puisque sa vie était subordonnée A lanbsp;mort de Lisvart. Lisvart continuant è vivre, Mélyenbsp;devait cesser de vivre : son corps devint cendre,nbsp;et son ame fut portée a Lucifer, comme lui reve-nant de droit.

Or, a 1’heure même oü les choses que nous avons lacontées se passaient on Thrace, Ie roi Arban denbsp;Norgales arrivait en l’Ile Ferme, oü il était déjünbsp;venu plusieurs Ibis peur conjurer Ie Seigneur Dieunbsp;de rendre ü la vie et a la lumière tous les princesnbsp;et princesses qui étaient retenus enchanlés dans Ienbsp;palais d’Apollidon, lequel était si bien couvert denbsp;nuages, depuis 1’heure oü Urgande y avait fait sesnbsp;conjurations, qu’on n’y voyait pas apparence denbsp;lourailles.

Arban fut bien ébahi, cette fois, lorsque la nuée ohscui'c, qui couvrait ce palais, tomba comme unnbsp;l^rouillard. Petit ü petit, cette maison superbe re-conquit sa première forme et sa première splen-*^0110, ce qui permit ü Arban de s’y aventurer sansnbsp;erainte.

II viut done en la Chainbre Défendue, oü il aper-5ot Ainadis endormi, tenant encore son épée nue poiiig. II Ie tira paria main, et si fort, qu’Ama-révcillé en sursaut, lui demanda avec colèrcnbsp;co qu’il voulait.

— Sire, répondit Arban, il y a dix ans et plus *loe vous vous êtes ainsi oublié... Pour Dieu! sor-foz de cette misère!...

Xi-je done taut dormi? demanda Amadis, otonné.

— Oui, certes, répondit Arban. Et tenez, voyez

encore madame Oriane et les autres, quelle conte-nance ils ont I...

Amadis, de plus en plus étonné, s’approcha d’Oriane, la secoua et la réveilla.

— Ma dame, lui dit-il, vous avez trouvé Ie repos aussi bon que moi, a ce qu'il parait... Mais c’estassezdormi, ce me semble.

Oriane, qui croyaitvraiment qu’il n’y avaitqu’un jour qu’Urgande 1’avait assise en sa'chaire, demanda ü Arban comment il en était autrement.

Arban lui raconta comment tout s’était passé.

— Voyez encore ces autres dames et ces autres seigneurs, ajouta-t-il, ils dorment d’un sommenbsp;plus profond que je ne saurais dire.

— Sur mon Dieu, répondit Oriane, Urgande nous avait bien déQusl...

Oriane alia alors a Galaor, ü Esplandian et è tous les autres, qu’elle éveilla, et auxquels elle racontanbsp;ce que lui avait raconté ü elle-même Arban de Norgales.

Jamais gens ne furent plus étonnés. A peine pouvaient-ils croire ce que leur en disait la reinenbsp;Oriane, et ce ne fut qu’en apercevant et en enten-dant Ardan-le-Nain ronfler comme un bienheu-reux, qu’ils commencèrent a soupeonner la vérilé.

Ghacun éclata de rire, et Amadis, donnant un coup de pied ü Ardan, lui dit;

— Ardan, mon ami, tu rêves trop longlemps 1... Va seller et brider mon cheval!...

Ardan-Ie-Nain tout étourdi, et du coup de pied, et de la présence de tout ce monde qui lui riait aunbsp;nez, se leva machinalement pour obéir k son mai-tre, et, croyant trouver la porte, il se mit a courirnbsp;tout autour de la chambre, comme un homme ivre.

La risée générale s’en angmenta d’autant, comme bien on pense, et semblablement, quand on en-tendit ronfler aussi maitre Hélisabel, tenant encorenbsp;en mains Ie livre qu’Urgande lui avait baillé dixnbsp;ans auparavant.

— En bonne foi, maitre, lui cria Esplandian en Ie tirant rudement par la manche, c’est tropnbsp;songél... Vous avez pris, parail-il, tant de plaisirnbsp;k ce livre que vous vous êtes endormi dessus etnbsp;pendant un long temps... Réveillez-vous, beaunbsp;sire, et dites-nous ce que vous avez trouvé de nouveau pendant votre rêverie...

Maitre Hélisabel, ébahi comme s’il venait de tom-ber des nues, ouvrit les yeux, et, se trouvant en tel état, il répondit ü 1’empereur :

— Sur mon Dieu, Sire,^ je n’ai jamais si long-temps au poing livre que j’étudiasse moius que j’ai fait decelui-cil... Tout ce que je merappelle, c’estnbsp;que de l’heure oü Urgande me l’a mis entre lesnbsp;mains, je me suis endormi...

Lorsque tous furent ainsi réveillés de leur co-pieux sommeil, Ie gouverneur de l’Ile Ferme s’en vint dire a Amadis que deux vaisseaux étaient arrivés au port.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;„

— Dans 1’un, ajouta-t-il, se trouvé Urgande-la-Déconnue, et dans l’autre, une demoiselle qui ii’est accompagnée, en fait de pilotes et de mate-lots, (|UG dc siiigGs vfirts conitno éruGraudps; sonnbsp;vaisseau est Ie plus beau et Ie inieux équipé du

monde... nbsp;nbsp;nbsp;. ,

Le gouverneur ava't a peme fait ce message, qu’Urgande ciitra.


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26 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

26 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

Chacun, alors, d’aller la recevoir et de l’accoler avec force démonstrations d’amitié.

— nbsp;nbsp;nbsp;Quaqd je vous ai enchatités ici, leur dit-ellenbsp;en souriant, mon intention n’était autrc que depro-longer votre vie et de laisser couler les périls etnbsp;dangers de mort qui vous fussent indubitablementnbsp;survenus sans Ie dormir qui vous a tant duré. Or,nbsp;il a plu au Seigneur de vous rappeler au monde desnbsp;éveillés et des vivants par la conquête qu’a faitenbsp;votre fils Lisvart, mon cherEsplandiaij, d’une épéenbsp;qui lui était depuis un long temps destinée parnbsp;Apollidon... J’ai ti vous annoncer présentementnbsp;qu’Alquif, Ie plus grand magicien du monde, vousnbsp;envoie sa fille, avec la caraquo et les singes qui lanbsp;montent, laquelle caraque vient d’arriver au portnbsp;pour vous prendre tons et vous mener ^ Constantinople, que les païens ont de rechef assiégée.

— nbsp;nbsp;nbsp;Que s’est-il done passé durant notre som-meil? demanda Amadis.

— nbsp;nbsp;nbsp;Je ne vous ferai pas, répondit Urgande, unnbsp;long récit des choses survenues depuis Ie jour oünbsp;je vous ai enchantés céans... Je me contenterai denbsp;vous conseiller de vous embarquer incontinent, etnbsp;de suivre la demoiselle Alquife lè oü ellq vous con-duira.

Alquife survint préciséraent sur cette parole.

— Princes et princesses, dit-elle après avoir fait une grande révérence amp; Amadis et a sa compagnie, Alquif mon père vous prie,par mabouche,nbsp;pour votre bien et celui de la chrétienté, de venirnbsp;vous embarquer dans ma caraque, qui vous con-duira en un lieu oü vous aurez certamement hon-neur et plaisir...

Chacun n’liésjta pas a obéir cette requête, et Urgande ayant conseillé de s’embarquer sans plusnbsp;tarder, seigneurs et princesses descendirent versnbsp;Ie port et montèrent dans Ie navire conduit par lesnbsp;singes verts,

Ils arrivaient en Thrace Ie jour même oü la flotte chrétienne s’approchait de Contantinople.

CHAPITRE XX

Comment Ie vieil empereur de Constantinople reent Amadis et ses compagnons, sans publier Ardan-lc-Nain.

n imagine aisément la joie qu’il y eut de part et d’autre, au débat que-ment do la caraque dans la rade denbsp;Constantinople.

L’empereur courut, les bras étendus, vers Amadis et son fils Esplandian, les accola et leurnbsp;dit, la larme ti Toeil :

— Mon frère, que Ie Seigneur soit loué etre-mercié è cause de votre retour tant désirél... Hélasl je n’eusse jamais osé espérer qu’un telnbsp;bontieur düt m’advenir avant l’heure de ma mort!..

— Mon 1'rère, répondit Amadis, celui qui n’ou-blie jamais ceux qui ont confiance en lui, savait bien ce qui était nécessaire è vous et è nous... S’ilnbsp;nous a tirés des ténèbrcs dans lesquelles nous

étions endormis depuis de si longues années, q’a été pour que nous pussions venir vous aider èt pur-ger la terre chrétienne de cette gent maudite, quinbsp;vous a causé tant d’ennuis...

Oriane s’avanqa a son tour vers l’empereur, qui la baisa gracieusement et lui dit:

— Par rua foi, madame, je reqonnais ti présent surtout que je n’ai jamais été aussi heureux quenbsp;je Ie suis, ayant si bel et si bon secours qu’est Ienbsp;votre!...

— Seigneur, répondit Oriane, k cause de votre équité, de votre sagesse et de votre bonté, lesnbsp;femmes doivent, aussi bien que les hommes, venirnbsp;a votre secours: c’est pour ccla que je suis venue.

Les autres rois, seigneurs, dames et demoiselles de la troupe d’Amadis s’en vinrent a leur tournbsp;auprès de l’empereur pour lui faire leur révérence, et, pendant qu’ils s’acquittaient de cettenbsp;cérémonie, surviprent Ie chevalier de la Spbère etnbsp;Lisvart.

L’oncle et Ie neven, faisant une grande révérence ü Amadis, voulurent lui baiser les mains, ce a quoi Amadis se refusa, sans trop savoir li qui ilnbsp;refusait cela, car il n’avait encore regardé Périonnbsp;et Lisvart que de profil et il ne les avait pas re-connus.

Le vieil empereur, remarquant cela, ne put s’empccher de rire.

— Ne les avez-vous done jamais vus ? deraanda-t'il a Amadis.

— Par mon Dien 1 non, que ie sache, répondit le roi. Mais, considérer la couleur de leurs hau-berts, ils donnent bien ü entendre qu’ils sontnbsp;hardis et preux aux armes.

— Vous dites juste, reprit le vieil empereur. Vous pourriez ajouter qu’ils ressemblent aux filsnbsp;des meilleurs chevaliers de la terre, car cela estnbsp;aussi. Savez-vous desquels je veux parler?.,.

— Non, en vérité, répondit Amadis.

— Eb bien! reprit l’empereur en désignant Périon, ceiui-ci est le fils du chevalier de la Vertenbsp;Bpée, qui défit I’Endriague, et de eet autre estnbsp;mère ma fille Léonorine qui me le laissa sur lesnbsp;bras plus amoureux de la tette que des armes...

A cette parole, il y eut une explosion dc cris et de joie et un bruissement agréable dc baisers.nbsp;Oriane et I’imperatrice Léonorine coururent ein-brasser, Tune Périon et l’autre Lisvart, quasinbsp;ravies d’une si grande aise que de grosses larmesnbsp;leur tombaient des yeux.

— Sur mon érnc, dit le vieil empereur, en s a--dressant a Oriane et ü Léonorine, je m’applaudis de les avoir eus tons deux... Leur présenee a sinbsp;fort contribué au succès do nos armes, que Coii'nbsp;stantinople peut se dire heureuse de les avoir eusnbsp;pour ses défeiiseurs... II est cerlain que, vu umunbsp;vieil agc, je n’cusse pu résister au travail quj ulaiinbsp;requis pour supporter les malheurs et les misèresnbsp;qui m’ont assaüli depuis Ic jour oü vous mave^nbsp;abandonné, et que j’ai dü reprendrc le gouvernement de eet empire, aux lieu et place de mon bieu'nbsp;airné fils Esplandian 1...nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;. . p

Pendant que ce bon vieillard parlait ainsi, ua-laor remarqua qu’il était encore armé , et mè'”. qu’il y avait d’aucuues pièces de son liarnois qnbsp;porlaient dos traces toules fraiches de sang,


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LES HERiTlERS D’AMADIS. 27

qui prouvait qu’il s’était mêló Taction contre les palens, tont comrae les jeunes.

— Par raon Dien, Sire, lui dit-il, bien mal avisé scrait celui qui prétendrait quo vous avez dorminbsp;durant toutes ces affaires, car ces armes dorit vousnbsp;êtes couvert prouyent éloquemment que vos vieuxnbsp;ans n’ont pu amoindrir Teffort de votre courage,nbsp;comme vos ennemis en ont fait Texpérience.-. Jenbsp;regrette beaucoup, je vous jure, de n’avoir pas éténbsp;èi vos PÓtés durairt les heures d’apre combat; jenbsp;vous aurais prouvc, èmon tour, Ie désir que j’ai denbsp;vous servir...

— Seigneur Galaor, répondit Ie vieil empereur, nos ennemis ne se sont pas encore tellement éloi-gnés, qu’il y ait impossibilité i ce qu’ils nous re-viennent voir avant la nuit... Maïs puisque Dieu anbsp;eu assez de souvenance de moi pour vous ramenernbsp;ici, j’espère que Ie malheur tombera sur eux, nonnbsp;sur nous... J y compte d’autant plus, ajouta ga-lamment Ic vieil empereur en embrassant la reinenbsp;Briolanie et les autres dames, que nous sommesnbsp;accompagnés de ces anges qui, è eux seuls, suf-firaient pour chasser tousles diables de ce monde,nbsp;s’ils étaient tous sorlis d’enfep pour venir habiternbsp;parmi nous.

— Ah! Sire, répondit Briolanie, si c’est par les femmes que doivent être chassés les païens quinbsp;sont venus endommager la Thrace, je serai la première a prendre la lance et Ic haybert pour leurnbsp;rompre la têtei.,,

B empereur sourit de eet accès d’enthousiasme et rernercia affeclueusemont. Puis il alia embrassernbsp;Florestan, qui init Ie genou en terre pour lui baisernbsp;les mains.

— Parmon chef, bon roi Florestan, lui dit-il en Ie relevant, vos proucsscs fleurissent comme votrenbsp;nom, et c’est probablcment pour les augmentcrnbsp;encore que vous avez pris la peine de veuir au se-coursdece bon vieillard, quasi sec et caducl...

-—Sire, répondit Florestan, pour votre service, je serai toujours vert et fleuri.

— Dieu vqus en sacbe gré, comme moi, dit Tempereur.

Buis, avisant ti quelques pas de la Mabile, Olinde ot la reine Sqrdamyre, il les baisa avec courtoisie,nbsp;Blinde surtout, a qui il dit:

Madame, ceux qui ont fréquenté lés Espagnes jn’ont autrefois assuré que votre nom, en cettenbsp;'3ögue, signifm Beauté,.. Je Ie crois d’autant plusnbsp;^olonliers aujourd’hui, en vous contemnlant et ennbsp;^ous admirant... Si la beauté se perdait, d’aveuture,

la retrouverait en vous.

Blinde rougit, et Agraies, preuant alors la pqrole pour elle, répondit a Tempereur:

Sire, si madame Oliiide a pris ainsi cc bon vi-que vous lui trouvez, c’ost pour se présenter pOvant vous, comme ont fait ces autres dames,nbsp;mutes aussi agréables qu’elle, sinon davantage.

„ Mon cousin, reprit Tempereur, vous avez tant '3it pour moi, qu’il me sera difficile de Ie recon-*^3itre cornme vous Ie mèritez,

hela dit, Ie vieil empereur tourna ses regards ^otre cóté, et il apergut Grasandor, roi denbsp;^nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;jugque-lti s etait tqnu A Técart.

le ^ nbsp;nbsp;nbsp;grand ami, lui dit-il gfacieusement,

jv lö 6U16 pa^ étonué de vous voir en cette grave occurrence!... Vous êtes toujours Ih quand il y anbsp;montre de dévouement et de vaillance êifaire..,

— J’ai toujours, Sire, Ie même désir de vous servir, répondit Grasandor; et voici mgdame ür-gande qui vous en jurery peur moi.

— Ah! madame, dit Ie vieil empereur qui n’avait pas encore apergu Urgande, vous m’avez fait tortnbsp;de votre présence... J’espère bien que vous Ie ré^nbsp;parerez en demeurapt longterops céans.

Sire, répondit-elle, ce que j’ai fait jusqu’ici Ta été en bonne part, comme vous pouvez en juger,nbsp;puisque je vous amène des amis et des défenseurs...

— Je vous crois et vous remercie, madame.

Ainsi regut tout Ie monde, ce bon vieillard, leur faisant a tous Thonneur qu’ils méritaient. Gandalin,nbsp;la demoiselle de Danemarck, Carmejle, maitre jlc-lisabel, ne furent pas oubliésI...

Ardan -le-Nain seul Ie lut, è cause de sa pelite taille, qui ne permettait pas de Ie découvrir parminbsp;la foule. Mais lui, voulant réparer eet opbli, sortitnbsp;des rangs et aha tirer la robe de Tempereur, en luinbsp;disant ;

— Eh deal Sire, je suis venu k votre service comme les autres... Pourquoidonc ue serais-jepasnbsp;embrassé comme eux?...

— Par mon chef 1 tu as raison, Ardan, mon ami 1 Mais tu te montrais si pen entre tant de hauts per-sonnages, que je ne t’apercevais vraiment point!

— Sire, reprit Ie nain, j’ai Ie corps petit, mais, pour vous servir, j’ai Ie vouloir grand outre mesure, tout comme et mieux qu’un géant même 1

Chacun se mit a rire de la quasi colère avec la-quelle Ardan disait cela. Mais Tempereur ne Ten embrassa pas moins, comme les autres, et Ie pau-vre nain fut trés heureux d’etre embras^ par Tempereur, plus heureux peut-ètre que les autres.

Durant ces propos, Alquife avait fait amener de son vaisseau maints beaux destriers et plusieursnbsp;haquenées.

— Sire chevalier, dit-elle au chevalier de la Sphère, Alquif mon père, votre trés humble ser-^nbsp;viteur, vous envoie ces raontures qu’il vous prienbsp;d’ofl'rir tant au roi votre père qu’è madame Orianenbsp;et aux autres dames qui lui ont si longtemps tenunbsp;compagnie en la chambre d’Apollidon.

Périon, embrassant Alquife, la rernercia, non pas tant seulement è cause du présent qu’elle fai-sait qu’è cause des bonnes nouveiles qu’il espéraitnbsp;d’elle touchant la mie bien-airaée a laquelleil pen-sait jour et nuit. Mais Alouife, en fille sage et biennbsp;avisée, dissimula ce qu’elle en pensait.

— Demoiselle, ma mie, lui dit Périon, ce n’est pas lè Ie premier bien que j’ai regu du sage Alquif.nbsp;S’il plait cl Dieu, j’aurai quelque jour Toccasionnbsp;de lui rendre quelque bon service.

—Seigneur, répondit Alquife, mon pèrea pourvu ces chevaliers d’armes que je leur ai présentéesnbsp;de sa part avant qu’ils nes’embarquassent... Main-tenant il vous prie, comme je vous ai dit, de leurnbsp;donner è chacun Tune de ces raontures, ainsinbsp;qu’aux dames, auxquelles il se recommande lium-bleraent.

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, dit alors Périon a Amadis, vous cuten-dez la requête de pelte demoiselle ; dois-je la re-poussev OU y faire droit?

— nbsp;nbsp;nbsp;La repQusscr, cc serait lui faire tort, répon-


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BIBLIOTFlËQUE BLEUE.

dit Amadis, ainsi qu’fi son père Alquife qui i.ous a voulu tant de bien.

— nbsp;nbsp;nbsp;Puisqu’il en est ainsi, reprit Périon, répar-tissez done vous-meme, Sire, Ie présent qu'ellenbsp;vous envoie; madame Oriane en fera autant desnbsp;haquenées envers ces dames.

Aussitót après, Alquife fit retirer d’une caisse que deux écuyers portaient sur leurs épaules, unenbsp;tente d’une inestimable valeur.

— nbsp;nbsp;nbsp;Bienheureux chevalier, dit-elle en la présen-tant a Lisvart, mon père vous salue en toute hu-milité et vous envoie cette tente, la plus bellenbsp;de toute l’Asio, en laquelle ii vous prie de vous lo-ger, tant que durera cette guerre, avec Ie roi Amadis votre père et ces autres seigneurs qui étaientnbsp;enchantésen 1’Ile Ferme, comme lui. II vous mandenbsp;en outre par moi, que Ie jour oü vous Ie reiicon-trerez, vous serez plus content que si vous con-quêtiez la moitié de l'Europe.

— nbsp;nbsp;nbsp;Demoiselle, répondit Lisvart, je n’ai jamaisnbsp;vu celui dont vous parlez, que je sache, mais j’ainbsp;Ie plus vif désir de Ie rencontrer pour Ie remer-cier des présents et des promesses que vous menbsp;faites de sa part.

Le bruit et l’enthousiasme qu’excitaient les nouveaux arrivés, c’est-a-dire Amadis et ses compagnons, parvinrent jusqu’è 1’avant-garde de l’ar-mée de mer, commandée par Brian de Moniaste,nbsp;roi d’Espagne, don Brunéo, roi d’Aravigne, Qua-dragant, prince de Sansuègne, et Gasquilan, roi denbsp;Suesse, lesquels, aussitót, s’en vinrent aborder.

Après avoir ordonné b leurs gens d’armes de demeurer enbataille sur la grève, ils se dirigèrentnbsp;vers le palais et embrassèrent Amadis et les autres,nbsp;heureux de cette rencontre.

CHAPITRE XXI

Comment tons les princes chrétiens, se trouvant réunis, s’entrelinrenl fort agréableraent desnbsp;choses qui les intéressaient.

urant ce temps, l’empereur de Trébisonde et son arméenbsp;abordaient au port, aprèsnbsp;avoir longtemps navigué surnbsp;la mer de Pont, et, pour sü-reté, évité les cótes de l’A-natolie et gagné l’entrée du détroit, a un millenbsp;environ du lieu oü les forces des rois de Gilofle etnbsp;de Bougie étaient concentrées.

L’empereur de Constantinople, ayant nouvelles de cette arrivée, résolut d’aller au devant, avecnbsp;Amadis etquelques autres,pendant que les dairiesnbsp;se retireraient en la ville. Blais, malgré leur diligence, les deux ernpereurs nese rencontrèrent quenbsp;lorsque celui de Trébisonde était déjèi hors de sanbsp;galère, accotnpagné du jeune Florestan, de Galva-nes, de Parmenir et de Dardarie, roi de laBreigne.

L honneur que so Brent ces deux illustres vieil-lards et les amitiés qu’üs échangèrent ne se pour-raient rendre par écrit. De même pour la grace que rerapereur de Constantinople avait h s'bumi-lier devant celui de Trébisonde, pour le remerciernbsp;du secours qu’il lui amenait.

— nbsp;nbsp;nbsp;Je ne sais par quel moyen, Sire, lui dit-il lanbsp;larme a l’ceil, je pourrai jamais reconnaitre la peinenbsp;que vous avez prise de venir pour tirer hors denbsp;misère ce pauvre vieillard assailli de tous cótés,nbsp;quasi sur le point de tomber en ruines... Sur monnbsp;Dieu, Sire, votre presence me donne plus de joienbsp;et de réconfort que je ne saurais dire; vous menbsp;faites ainsi le plus heureux malheureux qui soitnbsp;jamais sorti du ventre de mèrel...

— nbsp;nbsp;nbsp;Je n’ai fait que mon devoir, mon frère, répondit Femporeur de Trébisonde, car nous sommesnbsp;nalurellement tenus de nous entr’aider et secourirnbsp;l’un l’autre... De plus, mon frère, votre sagessenbsp;et votre vertu, tant renornmées, oblige tous lesnbsp;princes, qui ont moyen, h vous favoriser dans vosnbsp;entreprises contre les ennemis de notre foi...

Comme l’empereur de Trébisonde achevait ces aroles, il aporput Lisvart et le chevalier de lanbsp;phère tout auprès de lui.

— Chevalier, dit-il è Lisvart, j’ai le plus grand plaisir è vous voir vivant et en bonne santé, a causenbsp;des méchants propos que la raalheureuse Mélyenbsp;nous a mandés depuis votre parlement... Maisnbsp;quant a vous, ajouta-t-il en riant, et s’adressant hnbsp;Périon, il ne sera jour de ma vie que je ne menbsp;plaigne du tort que vous m’avez fait le jour oünbsp;vous êtes parti de ma cour, sans daigner me parler,nbsp;h moi ni a personne autre... Aussi est-ce ii causenbsp;de cela, en partie, que je me suis mis en quête,nbsp;pour vous découvrir et me venger.

— Sire, répondit le chevalier de la Sphère, je vous supplie trés humblement de me pardonner:nbsp;je suis prêt ü en souffrir telle punition qui vousnbsp;plaira, bien qu il n’y ait aucunement de ma fautenbsp;dans cette affaire, ainsi que vous pourrez en con-naitre quand vous saurez véritablemcnt commentnbsp;tout s’est passé.

11 se faisait tard. L’empereur de Constantinople pria celui de Trébisonde de venir loger en son pa'nbsp;iais, ce ii quoi ce prince se refusa, ne voulant pas,nbsp;disait-il, rentier en ville avant que les ennemisnbsp;ne fussent chassés de Thrace. Et ü cette cause,Ünbsp;commanda qu’oa dressat ses lentes et ses pavü'nbsp;lons.

Amadis le pria tant et tant qu’il consenlit loger en .celui qu’Alquife avait donné è Lisvart.

Après un long entretien, les deux vieux ernpO' reurs, se donnant mutuellement le bonsoir, se sC'nbsp;parèrent. L’un retourna garder sa ville; 1’a'iD^nbsp;demeura au camp, oü Amadis et eeux denbsp;Ferme lui tinrent compagnie.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;.

Auparavant, cependant, ces derniers voulurcn faire un tour a Conslantino|)le, et une visite ü lanbsp;vieille impératrice qu’ils trouvèrent encore sous enbsp;coup de rémotion que lui avait causée la yue u ^nbsp;sa bien-aimée lille, crue rnorte pendant si loog'nbsp;temps et pleurée comme telle. Ellc embrassa sonbsp;i'cndre avec joie, et, après mille caresses, ellenbsp;renvoya doucement a sou devoir.

En consequence, Amadis et ses compagoon , prenant un respectueux congé de cettenbsp;priucesse, s’en retournérent vilement au camp


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LES HERITFERS D’AMADIS. 29

LES HERITFERS D’AMADIS. 29

l’crapereur de Trcbisonde, lequcl les attendait avec grande impatience et les revit avec grandnbsp;plaisir.

CIIAPITRE XXII

Comment Ie clievalier de la Sphfcre prit Alquifc en particulier pour avoir d'elle des détails qui l’intéressaient fort, au sujet de la belle Gricileric.

Périon, avec tont cela, n’avait pas trouvc moyon de se rencontre!’ seul è seul avec la bonne demoiselle Alquife, pour I’entretenir do la seule chosenbsp;qui I’interessatviolemment et passionnément, asa-voir de la belle princcsse Gricilerie

Que faisait-elle ? A qui pensait-elle? Avait-elle toujours conservé son souvenir? Savait-elle biennbsp;jusqu’a quel point extreme il I’airaait, et de com-Irien de dévouement son amour pour elleétait fail.?nbsp;Les femmes sent si légères, si ondoyantes, si chan-geantes,si indécises, qu’un rien, moins qu’un rien,nbsp;peut ebasser de leur mémoire et de leur coeur 1’i-mage d’un amant respectueux et tendre, dont Ienbsp;seul tort est d’etre absent de leurs yeux? Car, loinnbsp;des yeux, loin du coeur 1...

Aiusi pensail Ie chevalier de Ia Sphere, en se re-tirant avec Ie jeune Lisvart, son neveu, dans les quartiers qui leur avaient été assignés.

Le jeune Lisvart, de son cóté, faisait des reflexions analogues èi celles de Périon, touchant la taut gracieuse princesse Onolorie.

Ils en étaient lè, lorsque la bonne demoiselle Alquife, qui avait, comme on se le rappelle, unenbsp;mission d’amour i remplir, s’en vint trouver lenbsp;chevalier de la Sphère, pour lui donner les nouvellesnbsp;qu’il attendait si impatiemment.

Mais en remarquant qu’il était avec le jeune Lis-yarl, elle se tint dans la réserve et dans la banalitó. Elle devisa devant les deux chevaliers de choscsnbsp;d’autres, peut-êlre fort intéressantes, mais quinbsp;leur semblèrent pas telles a cause de l’uniquenbsp;preoccupation de leur esprit et de leur coeur.

1‘érion, qui finit par deviner ce qui mettait ob-®fiicle h ce qu’Alquife parlat librement, lui dit:

— Chère demoiselle, vous avez assurément des Rouvelles précieuses a me donner, et vous n’osez,nbsp;''etenue que vous êtes par la présence de mon beaunbsp;•^cveu Lisvart... Ne craignez rien et dites-moi, jenbsp;J'^ous prie, tout co que vous pouvez avoir k me dire,nbsp;sans rien oublicr, devant lui comme devantnbsp;moi... Lisvart connait au raieux I’etatdemon coeur,nbsp;^emme je crois connaitre l’état du sien, a cause desnbsp;Confidences mutuelles que nous nous sommes faitesnbsp;sujet de nos amours... Par ainsi, bonne demoi-sclle Alquife, dites, jevous en supplie, tout ee quenbsp;'ous savez de la belle princesse'Gricilerie, dont jenbsp;heureux d’entendre parler, que je me réde i ”om cent fois le jour ct la nuit, a causenbsp;quot; m grande douceur que j’y trouvc...

^1-1 cst ainsi, répondit Alquifc, je vais 1 Tier hbrement... Mais, de prime-abord, lisez

cette lettre que la princesse Gricilerie m’a remise a votre intention. Après que vous en aurez prisnbsp;connaissance, je vous donnerai de vive voix lesnbsp;détails que je dois vous donner de sa part pournbsp;compléter son message.

Cela dit, Alquife tendit k Périon une lettre pliee menue, menue, menue, de facon sans doute é 6lrenbsp;dérobée aux investigations et aux indiscretions dunbsp;regard.

Le chevalier de la Sphère la prit, la baisa k plu-sieurs reprises avec une ferveur qui aurait mis I’eau c! la bouche de Gricilerie, si elle avait été la,nbsp;el, Fayant ainsi dévotement baisée, il la déplia etnbsp;la lut.

Void ce qu’elle contenait:

« Tout nous sépare cruellement en ce moment, ct cela m’afflige plus que je ne saurais vous le dire,nbsp;a cause de 1’araité que vous me semblez avoirnbsp;pour moi, et de celle que j’ai et que je ne cesserainbsp;jamais d’avoir pour vous. Mon ame est veuve etnbsp;conime dépareillée, par suite de cette absence quinbsp;se prolonge outre mesure, contrairement amp; mesnbsp;souhaits et a mes espérances.

« Heureusement que s’il y a des choses éternel-les, a savoir les sentiments que nous éprouvons Fun pour Fautre, il y en a d’autres qui durent unnbsp;moins long temps: je veux parler do ia guerre ac-tuelle et de son issue. Il y a certes des ténèbresnbsp;et du doute la-dessus, et je ne puis dire quand jenbsp;vous reverrai; loutefois, j’ai bon espoir au sujetnbsp;de cette grave entreprise. Les pa'i ms ont peut-êtrenbsp;le nombre, mais les chrétiens ont la vaillance; vousnbsp;etes parmi eux, avec de nobles chevaliers qui vousnbsp;ressemblent: ce sont la des garanties de succès.nbsp;Je compte done sur une prompte issue k cette affaire, et sur votre prompt retour parmi nous.

« Je vous supplie de vous tenir le plus prés possible de Fempereur mon père, lequel vous aime sans doute déjk, mais qui vous aimera plus tardnbsp;davantage , je Fespère aussi. Tenez-vous toujoursnbsp;prés de lui, afin qu’il vous ramène auprès de moinbsp;quant et lui, une fois les affaires terminées.

« J’aurais, certes, beaucoup d’autres choses k vous dire; mais je les réserve pour le jour bien-heureux et bien appelé ou je vous verrai. En attendant, veillez sur vous et sur mon père ; vos deuxnbsp;existences me sont précieuses.

« 11 en est une troisième qui m’est également devenue précieuse; e’est celle du beau damoiseaunbsp;Lisvart, dont ma soeur Onolorie est amoureuse.nbsp;Veillez sur lui et tirez-le du danger, pour Famournbsp;d’elle et pour Famour de moi.

(( Je prie Dieu qu’il vous ait en sa sainte et digne garde.

« Gricilerie. »

Le chevalier de la Sphère devint tout songeur, apres la lecture de cette tendre missive qui lui ennbsp;disait plus qu’il n’eiit osé en souhaiter, puisqu’ellenbsp;lui faisait clairement entendre que la belle princesse Gricilerie avait pour lui les sentiments qu’ilnbsp;avait pour elle. Mais le bonheur est compose denbsp;taut d elements, il touche de si prés parfois amp; lanbsp;douleur, que, sans s’en douter, Périon devint tout-


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30 BIBLIÖTHEQUE BLEÜE,

30 BIBLIÖTHEQUE BLEÜE,

èi-coup mélancolique. Pour un péu, même, il eüt pleuré.

Ce qué Voyant Lisvarf, qui avait avec soft oncle la familiarité qu’ont entre eux deux chevaliersnbsp;jeunes et amoureux qui se sont confiés leurs secretsnbsp;de coeur, Lisvart Ie railla douceraent et amicale-ment ;

— Eh! quoi, dit-il, chévaliér, vötis avez Ié su^ prêmc bonheur de recevoir de votre maitressenbsp;adorée les nouvelles que vöus atteudiez avec tantnbsp;de fièvre, et vous êtes triste comme si elle vousnbsp;eüt aprris elle-mème sa mort, ou la mort de sounbsp;amour pour vous! Laissez cette tristesse auxchétifsnbsp;et aux humbles, et montrez-vous bon amoureüxnbsp;comme vous vous moutrez bon chevalier!...

Pour toute réponse, Périon tendit a son neveu la précieuse leltre qu’il venait de recevoir de Gri-cilerie, parl’intermédiairedela demoiselle Alquife.

Lisvart la prit et la lut. Quand il fut arrivé au passage qui Ie concernait et qu’il eüt compris lesnbsp;angoisses qu’éprouvait a cause de lui la gente prin-cesse Onolorie, ila lettre lui glissa des mains, et,nbsp;comme Ie chevalier de la Sphère tout-a-Pheure,nbsp;il tomba dans une tristesse profonde.

—Onolorie m’aime et souffre a cause de moi!... murraura-t-il.

Alquife, les voyant ainsi mélaneolisés, songea è les réconforter par de bonnes paroles.

— Voilamp;, leur dit-elle en riant, de la tristesse dépensée bien mal ü propos!... Réservez-la donenbsp;pour une occasion meilleure qui ne raanquera pasnbsp;d’arriver un jour ou 1’autve, croyez-le, car, si lanbsp;joie n’arrive pas toujours, les causes de chagrin nenbsp;mauquent jamais d’arriver, ellesl.....Jamais che

valiers ne furentplus aimés que vous ne 1’ètes l’un et l’autre, vous de la princesse Gricilerie, fille denbsp;l’empereur de Trébisonde, el vous de la princessenbsp;Onolorie^ sceur de Gricilerie... Par ainsi, il n’y anbsp;la dedans que sujet de réjouissement et non de mé-lancolie..-. II ne faut pas ainsi intervertir les roles!... G’est aux non aimés a pleurer, et non auxnbsp;tendrement aimés comme vous I’êtes des plus belles princesses de la terre...

Ges paroles réconfortèrent en effet les deux chevaliers, qui alors ne tarirent plus de questions sur leurs mies adorées. II fallut que la bonne Alquifenbsp;leur répétat cent fois la même chose. Ia chosenbsp;qu’ils savaient Ie mieux maintenant, mais qu’ilsnbsp;éprouvaient Ie besoin de s’entendre confirmer ünbsp;satiété, tenement cette confirmation leur chatouil-lait agréablement Ie coeur.

Quant a vous, reprit Alquife en s’adressant au chevalier de la Sphère, il faut renfermer précieu-sement vos sentiments dans votre ame et ne pasnbsp;en répandre la manifestation au dehors comme unnbsp;vasetropplein... Jesaisbien qu’ilestmalaiséd’etrenbsp;heureux comme vous l’êtes sans Ie témoigner hau-

tement aux autres..... Toutefois, ainsi Ie veut la

prudence : rèpliez les ailes a vos espérances, con-tenez-vofus!... En outrö, vous qultterez les armos que Yoi’s portez; j’en ai d’autrCs pour Vous, sem-blabies a cèllcs du roi Affladis et des autres sei-

«lue j’ai rameftés de 1’lle Ferme' dans ma Caraqiiè;

obéirai, dcinoisellö Alquife, je vous obcirai, répondit Ie chevalier do la Sphère. Et jenbsp;vous remercie bien affectueusement de songer,nbsp;ainsi que vous Ie failes, è tout ce qui nous interesse tant, nous qui oublions volontiers, occupésnbsp;que nous sommes d’une seule chose au monde, ünbsp;savoir notre amour !...

Puis ils se mirent è deviser tant et si bien, qu’il était petit jour avant qu’ils eussent songé a dorrnir.

CHAPITRE XXIII

Comment los princes païens nnvoyèrcnt un ddfi atix princes clirdtiens, par lequel ils pro])osèrent combat de Irois con-Irc trois pour clore la querelle.

^2lt;,yandis qu’Amadis, rctiré sous sa tente avec les principaux chefsnbsp;de I’armée chrélienne, s’apprè-tait è diner, on introduisit unenbsp;demoiselle, armee de toutes pieces, laquelle portait en sa main

_ un are d’if, et, au c6té, un Irous-

(*lt;9ki»seau de flèches bien garni.

• nbsp;nbsp;nbsp;-- Lequel d’entre vous, demanda-

t-elle sans saluer personne, est l’empe-reur de Trébisonde? Lequel, Amadis, roi de Gaule et de Grande-Bretagne?...nbsp;Ges deux princes lui furerit montrés.

— ïenez, dit-elle fièrement, prenez cc cartel, et tachcz d’y faire réponse digne denbsp;de vous (

Puis, s’adressant ü la reine Califio :

— Madame, ajouta-t-ellc, faccoutrement que vous portez m’a assez enseigné qui vous êtes. Li-sez dofte Ie contenu de ce papier, car c’est vousnbsp;qu’il concerne, et non autfé.

Les trois cartels furent lus par qui de droit.

Voici ce que contenait celui qui était adressé h I’empereur de Trquot;ébisonde :

« Armato, roi de Perse, itiórtel ennemi des chrétiens, serviteür des vrais dieui et principalnbsp;protécteur de leurs lois, a toi, empereur de Tré-bisoude, Salüt!

« J’ai voulu et jé véux éneore avoir a ma discretion la cilé de Constantinople, avec Ie pays en dependant. C’est pour cela que je suis venu ac-compagné d’une si formidable armee. Conlm'ei’ainbsp;appris que, de ton cóté, tu étais arrivé nouvelle-ment pöur secourir mon ennemi, j’ai songé ü t’en-vopr présenter Ie combat, a töi qui és Ie principalnbsp;défenseur de Tempire grec, conlré moi qui en suisnbsp;Ie principal ennemi.

« Ne t’éxCusés pag suf tés vieux ans, ce serait une vilainè excuse, car si tu as alteint Fan öctantenbsp;de ton Sge, j’avais déja, moi, a 1’heure oü tü na-quis, la connaissance de la tetlo do ma nourricc.nbsp;Par ainsi, nous nous valons.

« Le combat què je pretends avoir avec toi est seulement pour acquérir honneur et éprouver, a


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LES HERITIERS D’AMADIS. 31

coups de lance et d’épée, lequel sera Ie plus favo-risé de nous deux par la Fortune.

« En conséquence, avise a faire réponse qui soit honorable.

« Armaio. »

— nbsp;nbsp;nbsp;En bonne foi, dit Ie vieil empereur, ie voisnbsp;qu’Armato désire Ie combat : il l’aura. Mais telnbsp;croit venger sa honte, qui 1’accroit. 11 s’apercevra,nbsp;a la rigueur de mon bras, qu’il est encore plusnbsp;raide qu’il ne Ie suppose.

— nbsp;nbsp;nbsp;Seigneur, dit Amadis, il est clair que cesnbsp;païens veulent nous excuser du pêché de paresse,nbsp;comme j’en puis connaitre par ce cartel.

Et Amadis lut;

« Grifllant, seigneur do File Sauvagine, serviteür des grands dieux de la mer et mortel ennemi desnbsp;chnitiens, dont foi, Amadis, es Ie protecteur aroué,nbsp;te fait savoir ceci :

« Comme je suis sorti do mes Etats aussi bien pour secourir Ie puissant roi des Turcs que pournbsp;acquérir louange et reputation par les armes, etnbsp;que la Fortune m’a assez favorisé pour m’araenernbsp;en temps et lieu oü je te puisse combattre, je Ienbsp;supplie d’etre mon adversaire, t’assurant que sinbsp;mrs dieux m’octroient la victoire, je m’estiraerai Ienbsp;plus heureux des chevaliers, puisque je t’aurainbsp;vaincu, toi qui es Ie premier d’entre eux; vaincu,nbsp;au contraire, par toi, je n’en rcCevrai nulle honte,nbsp;faisant nombre ainsi avec tous ceux, et des plus cé-lèbres et des plus redoutes, qui fout reconnu pournbsp;leur vainqueur.

« Au pis aller, la mort honorable que je recevrai me sera en grand repós d'espoir, assure que jenbsp;suis que ma vio ne peut durér, ayant delibéré denbsp;n’épargner d’aücune sorte ma personne aux rencontres et combats qui se feraient dorónavant entrenbsp;nos gens et les vólres.

« Octroie-moi done ce que je te demande, et pour ton honneur etpourmoi.

« Grifilant. »

— Par mon Dieul s’écria Amadis, je n’ai jamais ^onnu ce Griülant, mais il doit être un gentilnbsp;prince; du moins, ce qu’il m’écrit m’en donne té-l^oignage 1... Et vous, madame, ajouta Ie roi denbsp;^'iule en se tournant vers la reine Galifie, vousnbsp;Prm-t-on d’amour ou de guerre, par la lettre quenbsp;'quot;'^os a remise cette messagère?...

Vous allez Ie savoir, repondit Galifie.

Et elle lut cè qui suit:

” Pintiquinestre, reine de la geiit qui n’a pas de niamelles, amp; toi Galifie, reine de Galil'ornie, salut 1

” J’ai abandonné mon pays pour faire connaitre Prouesse èi ceux qui font métier ordinaire denbsp;porter les armes, ét je suis venue en ce camp oünbsp;J appris ton arrivée dans Ie but de soutenir cenbsp;que nous voulons précisément détruire.

quot;^omme tu es estimée adroite et vaillante au nat, autant et plus même que Ie meilleur chevalier du monde, je me suis persuadée que sinbsp;je pouvais te vaincre, eet honneur me serait im-mortel.

n Or, il me semble que, de femme ü femme, prétendantes toutes deux a une même chose, amp; savoir la gloire et Ie renom de prouesse, la partienbsp;peut s’engager sans inconvénient.

« Par ainsi, vois si tu veux éprouver ta force centre la mienne, afin que, d’après Ie résultat, onnbsp;sache et dise qui de nous deux a meilleur droit anbsp;porter la couronne de reine.

« PiNtiquiNestrè. »

Certes, qui eüt alors regardé avêc attention la messagère de ces trois cartels, qui se tenait fière-ment campée pendant Ie temps de leur lecture,nbsp;l’eüt proprement estimée une seconde Pallas. Toutnbsp;prètaitace rapprochement: 1’excellence du harnoisnbsp;qu’ellc avait endossé, la grace avec laquelle ellenbsp;portalt son arc et son carquois, et surtout la grandenbsp;beauté dont Ia nature l’avait douée dans un journbsp;de largesse.

Gasquilan, roi de Suesse, n’y put fenir plus longtemps.

— Par monDieu! s’écria-t-il, vous n’avez pas besoin, demoiselle, d’arc ni de flèches pour combattre et vaincre lesmeilleurs chevaliers de céans!..nbsp;Car je ne connais pas un seul de nous qui ne senbsp;tint pour vaincu d’avance, en voyant les perfectionsnbsp;dont vous êtes armee et qui vous sontpluspropresnbsp;ü vaincre les hommes que les flèches les plus ai-guës de la création I... Tout chevalier qui vous re-garde est mort, si vous ne vous y opposez pas tou-tefois, guérissant ainsi vous-mêmes les blessuresnbsp;que vous avez faites...

Ghacuii se mit è rire de cette exclamation d’cn-thousiasme échappée è Gasquilan, et les rires re-doublèrent lorsqu’Amadis lui dit :

— Je crois bien, en effet, seigneur Gasquilan, qu’elle vous coinbattrait mieux toute nue en un lit,nbsp;au doux jeu d’amourettes, avec plus de facilité quenbsp;vous ne feriez vous-même, armé de toutes pièces,nbsp;du plus hardi Turc qui se voudrait présenter!... Etnbsp;ce serait la, je Ie comprends, une honte biennbsp;agréable, d’etre vaincu par une aussi gente pu-celle!...

— Ge n’est pas la ce qu’il m’importe d’entendre, dit froidement la messagère. Je vous prie, seigneurs, de me déclarer siyous aeceptez ou refuseznbsp;les offres qui vous sont faites dans les trois cartelsnbsp;que je viens de vous présenter?..

— Demoiselle, répondit 1’empereur de Trébi-sonde, nous enverrons 1’un des nótres vers eux avant que Ie jour ne soit écoulé. Par ainsi,nbsp;vous pouvez vous en retourner quand bon vousnbsp;semblera. Nul ne vous retient iei, oxcepté Gasquilan peut-étre...

La gente pucelle se retira incontinent, reuiohta sur son palefroi, et s’en retourna vers Ie lieu öünbsp;l’atlendaient Armato, Grifilant et Pintiquinestre.


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BIBLIOTHEQUE BLEUE.

CFIAPITRE XXIV

Comment, en réponsc aux cartels des païens, Carmclle fut chargée de leur porter un cartelnbsp;common aux deux princes cliréiicns et d lanbsp;reine Califie.

uelque temps après Ie dé-y part de la messagère des • princes païens, conseil futnbsp;Jnenu par les princes chré-^liens, et, bientótaprès, onnbsp;inanda Carmclle pour porter la ré-ponse qu’ils venaient de décider ; unenbsp;femme était venue, une femme devaitnbsp;retourner.

Carmelle, prompte et sage, monta ?i clieval et s’en alia. Comme elle ap-prochait du camp des Turcs, elle futnbsp;varrêtée par Ie guet qui la mena versnbsp;'Armato, lequel était alors en unenbsp;grande tenle, tenant conseil avec lesnbsp;principaux de l’armée.

Ges seigneurs, avertis qu’une demoiselle messagère leur apportait des nouvelles des chrétiens, commandèrent aussitöt qu’on la fit venir.

Carmelle entra done en la tente, sans saluer personne, suivant sa coulume qui était de ne porter révérence a nul autre qu’ci Esplandian, et pré-senta Ie cartel suivant:

« Nous, par la grace deDieu, empereur de Tré-bisonde; Amadis, roi de Gaule et de la Grande-Bretagne, et Galitie, reine des iles de Galifornie, oü l’or et les pierres précieuses sont en grande abondance, répondant ensemble aux trois cartels quenbsp;vous nous avez envoyés, vous faisous savoir ceci:

« Notre voyage en ces Marches de Levant a été occasionné par Ie désir de défendre et d’accroitrenbsp;la loi de Jésus-Christ, en qui nous croyons, etnbsp;aussi dans Ie but d’anéantir les gens qui sont con-traires è cette loi.

« Par ainsi, après avoir reQu vos cartels, nous avons résolu de vous accorder Ie combat que vousnbsp;demandez, avec telles armes que vous choisirez.nbsp;Quant au camp, nous entendons qu’il soit choisinbsp;devant cette grande cité que vous voulez vainementnbsp;prendre, espérant que notre Dieuseul, Ie Dieu desnbsp;légitimes victoires, nous la fera remporler surnbsp;vous, k la confusion de vos idoles et au grandnbsp;déshonneur de vos personnes.

« La demoiselle qui vous présentera cette ré-ponse a charge et pouvoir de notre part d’arrêter avec vous les détails et Ie surplus. Nous vous ju-rons et promettons, foi de rois, que, durant Ienbsp;combat, nul de notre camp ne sortira pour vousnbsp;i'oire, pourvu que vous en observiez autant denbsp;votre cóté. »

Lorsque cc cartel eut été lu devant toute l’as-®^^^quot;'^c,uArmato, prenant la parole pour tous, dit

— Demoiselle, nous nous attendions bien a n’a-voir pas d’autre réponse que celle-ci, connaissant de longue main ceux auxquels nous nous sommesnbsp;adressés, bien que nous ne les ayons jamais vus.nbsp;Vous pouvez les assurer, sur raon honneur, quenbsp;durant Ie combat, il ne sera fait aucune demonstration soit contre eux, soit en notre faveur, quenbsp;la victoire leur demeure ou les fuie 1...

Pendant qu’Armato parlait ainsi, Carmelle, qui se trouvait en face du roi Grifilant, ne pouvaitnbsp;s’empêcher de Ie regarder et de l’admirer, tant ilnbsp;lui paraissait grand et bien formé. Elle songeaitnbsp;encore è lui en regagnant Ie camp des princesnbsp;chrétiens qu’elle trouva réunis comme è son dé-part.

Lors, une fois arrivée, elle leur raconta son ambassade, les gestes et contenances du roi Armato, les discours qu’il lui avait tenus, et fmalement,nbsp;l’engagernent qu’il avait pris relativement au combat et a son issue.

— Carmelle, demanda Amadis, quel homme est-ce done que ce Grifilant contre lequel je dois cora-battre?

— Sire, répondit Carmelle, a Ie voir il doit être preux et hardi aux armes... La chair est bonne, ennbsp;tout cas, et Ie coeur doit être bou aussi... Je n’ainbsp;jamais vu, je Ie confesse, de contenance plus superbe, jamais, non plus, de chevalier plus grand...nbsp;C’est un fier géant que ce Grifilant!... Je crois quenbsp;vous trouverez chaussure ii votre pied, encore quenbsp;voussoyez estimé Ie parangon de chevalerie...

Amadis ne put s’empêcher de sourire de l’enthou-siasme avec lequel Carmelle parlait du roi Grifilant.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ma grande amie, lui répondit-il, soyez surenbsp;que Ie Seigneur sera toujours plus volontiers dunbsp;cóté de ses serviteurs que du cóté de ses ennemisnbsp;et des contempteurs de sa loi... Ge qui me donuenbsp;grande espérance de rendre Grifilant, avant qu’ilnbsp;ne m’échappe, plus diable qu’il n’est cornu, dunbsp;moins si son ame prend Ic chemin qu’elle doit 1...

Ge fut au tour do la reine Califie d’interroger Carmelle.

— nbsp;nbsp;nbsp;Avez-vous vu Pintiquinestre? lui demanda-t-elle.

— nbsp;nbsp;nbsp;Oui, madame, répondit Carmelle.

— nbsp;nbsp;nbsp;Quelle femme est-elle, a votre jugement?

— nbsp;nbsp;nbsp;A mon jugement, madame, c’est une desnbsp;plus belles femmes que j’aie vues de ma vie, et lanbsp;plus gaiel... Elle se vantebeaucoupde vous frotternbsp;de la belle manière et de vous cbatouiller saus vousnbsp;faire rirel...

— nbsp;nbsp;nbsp;Nous verrons demain si elle a raison ou tort,nbsp;répliqua la reine Califie.

Gela dit, ils sortirent de la tente oü iis avaient demeuré tout Ie jour, et montèrent ü cheval pournbsp;aller voir les dames que l’empereur de ïrébisondenbsp;n’avait pas encore vues.

En entrant au palais, ils furent requs par les deux impéralrices, mère et lille, par la reinenbsp;Oriane et par toutes les autres, et bieutót on senbsp;mit ü deviser de choses plus ou moins intéres-santes.

Involontairement, Gildadan et Ic roi de Ilongne, qui entretenaient la reine Oriane, s’en viurent anbsp;parlor devant elle du combat qui devait avoir hou


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33

LES HERITIERS b’AMADIS.

Ie lendemain. La boïine dame en fut si fort émue, qu’en moins de rien elle chan^ea trois ou quatrenbsp;fois de couleur, k cause du péril oü elle compritnbsp;que s’engageait son seigneur et mari.

— II sied bien aiix jeunes de faire les jeunesses, s’écria-t-elle, éplorée et avec une certaine amer-tume; mais cela est réprouvable chez ceux aux-quels l’age commande d’user de plus de raison 1nbsp;Le roi Amadis a des fds, et des fils de ses fils, pournbsp;tenir désormais ce rang de coureur de hasards pé-rilleux... II a assez fait par le passé pour être ex-cusé de ne plus faire aujourd’hui...

Les deux rois furent bien féchés d’avoir ainsi fait lever ce facheux liévre, a cause du raauvais elfetnbsp;que produisait la révélation qu’ils venaient de fairenbsp;i Oriane. Mais, quoi qu’ils en eussent, il leur étaitnbsp;impossible de revenir sur leurs pas: la pierre étaitnbsp;écnappée de la main, la parole était proférée ctir-rèvocable.

Ils firent les bons compagnons.

— Par ma foi, madame, dit Gildadan k Oriane, je vois bien maintenant que l’ainour de la femmenbsp;pour son mari excède de beaucoup l’amour de lanbsp;mère pour ses enfants... Par ainsi, vous voudrieznbsp;que Périon et Lisvart payent en la place de monseigneur Amadis, et lui excusé de cette mêlée?

— Je le voudrais vraiment, répondit Oriane. Amadis n’a-t-il pas fait assez par le passé, je vousnbsp;le deraande? Quel besoin a-t-il maintenant de prou-ver sa vaillance, lui qui l’a prouvée si souvent?...nbsp;Quoi qu’il en soit, aujourd’hui il se fait tort, etanbsp;moi aussi.

CHAPITRE XXV

Comment Amadis, l’empereur de Trébisonde et la reine Ca-lifie combattirent Grililant, Armato et la reine Pintiqui-nestre.

^ ^ nbsp;nbsp;nbsp;^ après', l’empereur

de Trébisonde et ceux qui l’accompagnaient,nbsp;,ayant donné le bonsoirnbsp;aux dames, se retirèrentnbsp;\nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;leurs pavilions, dans

) nbsp;nbsp;nbsp;combat pro-

Aucun d’eux ne dormit de cette nuit-la, qu’ilsnbsp;passèrenten dévotes orai-sons.

j. nbsp;nbsp;nbsp;___^ nbsp;nbsp;nbsp;* A l’aube du jour, Ama-

•s inanda les capitaines'de l’armée et les pria de lenir leurs gens en bataille, pour montrer tête auxnbsp;®*iiiemis, dans le cas oü ils feraient semblant de senbsp;mouvoir.

léi^a 3près, la messe fut trés dévotement cé-m?’ n patriarche de Constantinople, et, lors-A ^7*^“tparachevée, Alquife donna k cliacun des dnnt ^?,^quot;^*^tants chrétiens ua harnois pared a ceux

Ainsi armés, les deux princes et la reine de Ca-lifornie montèrent sur leurs destriers et furent conduits au lieu assigné pour le combat.

Le vieil empereur de Constantinople portalt la lance du vieil empereur de Trébisonde, et Esplan-dian son armet.

Arquisil, empereur de Rome, portait Ia lance d’Amadis, et Galaor son heaume.

Lisvart portait la lance de la reine Califie, et le chevalier de la Sphère son casque.

Ainsi équipés et accompagnés d’un grand nombre de rois et de preux chevaliers, ils entrèrent au campnbsp;assis devant la ville, sur les remparts de laquelle senbsp;tenaient les dames, moitié pour juger des coups,nbsp;moitié pour entendre les propos échangés entrenbsp;les combattants.

Les trois païens suivirent de prés, bien accompagnés comme les autres.

Ce jour-lk, Armato portait un harnois de couleur sombre, chevauchant un grand destrier noir, ennbsp;térnoignage de l’ennui qu’il avait de la mortdel’en-chanteresse Mélye, sa smur. Les soudans d’Alap etnbsp;de Perse lui servaient d’écuyers, l’un tenant sanbsp;lance et l’autre son armet.

Le roi Grifilant, tout au contraire, avait revêtu des arraes vertes, semées de serpents k deux têtesnbsp;séparées des corps, et il chevaucnait un grand coursier alezan, le plus fier que l’on vit jamais. Cesnbsp;armes, il les portait ainsi, en souvenir d’un combatnbsp;contre un serpent monstrueux dont il avait débar-rasSé le pays qu’il habitait.

Almirix, frère du soudan de Liquie, s’était chargé de la lance de Grifilant, et le roi de Jérusalem denbsp;son heaume.

La reine Pintiquinestre, accoutrée d’un harnois de velours turquin k tresses d’or, portait en écharpenbsp;un écu peint en azur d’Acre, au milieu duquel étaitnbsp;figur’é un géant mort, représentant la victoire qu’ellenbsp;avaitremportéeautrefois sur un sien voisin, 1’hommenbsp;le plus grand de son temps. Cette reine avait sinbsp;fiére mine k cheval, si vaillante prestance, qu’onnbsp;1’eüt prise pour un trés adroit chevalier, non pournbsp;une femme, lorsqu’elle avait 1’armet en tête. Mais,nbsp;le visage découvert, sa beauté était telle, que, pournbsp;la désirer, il y avait assez de quoi faire mourir lesnbsp;hommes et revivre quant et quant.

Le vieux roi de file Géante lui portait sa lance, et Gradasilée lui tenait son armet, le mieux empa-naché qu’il füt possible.

Ainsi entrèrent au camp ces bons combattants, et aiissitöt on entendit une fanfare de trompettesnbsp;qui donna le signa! du combat.

Ils s’entrecoururent sus avec une simerveilleuse raideur, que, sans faillir d’atteinte, leur bois volanbsp;en éclats.

La reine Califie, seule parmi les six, gauchit un peu k ce choc formidable. Mais elle se remit promp-tement, et, au passer, ferme sur sa selle, elle donnanbsp;du tronQon de sa lance en plein dans 1 écu d’azurnbsp;de sa belle ennemie, la reine Pintiquinestre, quinbsp;ne la ménagea pas non plus.

Cette fois, le vaillant Amadis ne put éviter un coup terrible du roi Grifilant, lequel lui entra cenbsp;qui restaitde sou glaive dans son écu, qu’il traversanbsp;de part en part.

Ghacun crut le roi de la Grande-Bretagne blessé

6' Série. — 3


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34 BIBLIOTHEOUE BLEUE.

a mort. La bonne reine Oriane le crut plus que personae, et elle se pama dans les bras des dames qui I’entouraient en murmurant:

— nbsp;nbsp;nbsp;0 Ainadis! Amadis! Je I’avais bien prévunbsp;Pourquoi avez-vous eu la lémérité d’accepter ccnbsp;funeste combat?...

— Madame Oriane, lui dit une de ses dames, iie vous lamentez pas ainsi, car vous vous lamen-teriez inutilement... Monseigneur Amadis ést biennbsp;loin d’être mort... II est au contraire bien vivantl...nbsp;Regardezl...

Oriane, a cette voix, rouvrit ses yeux languissants qui se voilaient déj^ des ombres du trépas, et elle apergut en effet son chevaleureux compagnonnbsp;d’amour, qui, rerais sur ses pieds, s’avangait bra-vement a la rencontre de son ennerni.

Gelui-ci était en train de se désempétrer des rênes et des étriers de son destrier, d’ou l’avaitnbsp;précipité la violence de sou choc centre Amadis,nbsp;qu’il croyait mort comme tout le monde. Aussi,nbsp;dans cette créance, n’en prenait-il qu’ti son aisenbsp;dans son désempétrement, comme un homme prudent, qui sait qu’en pareil cas la vivacité n’est pasnbsp;de raise.

Durant le temps qu’il eraploya a cette occupation, Amadis put échanger quelques paroles avec sonnbsp;amie la reine Galifie, qui venait de faire vider lesnbsp;étriers ci la belle reine Pintiquinestre.

— nbsp;nbsp;nbsp;Je Yous ai cru mort, seigneur Amadis, luinbsp;dit-elle, et je vous vois avec grand plaisir en passenbsp;de combattre longtemps encore... Ne souffrez-vousnbsp;pas de votre blessure?...

— nbsp;nbsp;nbsp;La blessure est de peu d’importance... ré-pondit Amadis. Le plus grièvement endomrnagé, cenbsp;n’est pas moi, c’est mon écu, et oependant il feranbsp;son service jusqu'au bout, commes’il était entier.,.nbsp;je n’ai pas le loisir d’en choisir un autre...

— nbsp;nbsp;nbsp;Voulez-vous le mien ? 11 vous préserveranbsp;mieux...

— Sans doute... Mais comme le mien, aussi, vous pourrait être fatal, a cause de la brèche énorme qu’y a faite la lance de Grifilant, vous me per-mettrez de le garder pour moi, tout en vous re-merciant de grand coeur de votre oö're, vaillante etnbsp;belle Calitie!...

Amadis avait a peine prononcé ces mots, que son adversaire, surpris et furieux de le voir surnbsp;pied, s’avanga vers lui avec irnpétuositó.

Force fut alors de iouer des couteaux.

La reine Galifie s’éloigna d’Amadis pour rejoin-dre la reine Pintiquinestre, et, comme cellc-ci avait perdu sa monture, elle descendit de la sienne pournbsp;rétablir l’égalité entre elles.

Pendant ce temps, les deux vieux adversaires, le roi Armato et 1’empereur de Trébisonde s’escri-maient de leur mieux tout comme de jeunes lut-teurs. Ils s’escrimaient si bien, même, que lenbsp;champ était couvert tout autour d’eux de débris denbsp;heaumes, de hauberts et d’autres pièces de leurnbsp;harnois. L’herbe verte, foulée pareux, se rou-gissait d’instant en instant de leur sang chaud etnbsp;clair. G’était un spectacle fait pour causer fadrai-ration et en même temps la pitié, que de voir cesnbsp;deux vieux hommes si Apres a la lutte, inalgré lanbsp;taiDlesse des ans et les infirmités naturelles denbsp;leurs corps. A ce point qu’il serablait, h chacun denbsp;ceux qui étaient témoins de cette lutte, qu’au sor-tir do k le plus sain des deux champions ne pour-rait vivre un jour entier. lis avaient fair de senbsp;donner amp; chaque instant le coup de grace !

Mais, malgré l’intérêt queprésentaient ces deux vali'ureux vieillards, Amadis et Grifilant en pré-senlaient un plus grand encore.

Tous deux dans touto la force de l’age, Grifilant surfout, étaient animés des niêmes sentiments amp;nbsp;rencontre l’un de l’autre. lis ne combattaient pasnbsp;seulement pour l’amour de la gloire, pour 1’aug-mentation de leur mutuelle renommée, par vail-lantise et par prouesse; ils combattaient, fun aunbsp;nom de ses faux dieux, fautre au nom du Dieunbsp;unique, le vrai Dieu du ciel et de la terre : c’étaitnbsp;tout un monde que chacun d’eux représentait 1

Aussi y allaient-ils avec une énergie sans égale, Comme deux forgeronsqui prenneiit plaisirèbalfrenbsp;amp; coups redoublés et sonores un fer chaud sur i’en-clume, tous deux semblaient prendre plaisir ê fairenbsp;rctentir sur leurs armures les coups inorbes et pe-sants qu’ils s’entredonnaient. G’était merveilleuxnbsp;è voir et ti entendre.

Grifilant, avec sa vigueur sans pareille et sa taille degéant, comiiiengait é se fatiguer, etils’étonnaitnbsp;de rencontrer une résistance aussi prolongée cheznbsp;son adversaire, qu’il savait vaillant, mais pas h cenbsp;point.

L’étonnement de Grifilant se comprenait. Au bout d’une heure de cette lutte acharnée, Amadisnbsp;était aussi agile, aussi dispos, aussi solide qu’aunbsp;début. ll semblait que tant plus il allait, et tantnbsp;plus il était frais et vigoureux, tout au contrairenbsp;de ce qui se passe en pareil cas chez les autres.

Cela devenait si étrange, aussi bien pour Grifi-lant, dont la sueur ruisselait, que pour les spec-taleurs de ce merveilleux combat, que ces der-niers ne s’occupaient plus des autres corabattants. Les deux reines elles-mêmes, lassées d’ailleurs,nbsp;s’étaient arrêtées pour prendre haleino et pournbsp;contempler, appuyées toutes deux sur leurs épées,nbsp;Amadis et Grililant en train de se chamaillernbsp;aprement.

Toute l’attention était portée sur eux, i\ l’exclu-sion des autres. A chaque coup qu’ifs se donnaient, des cris d’admiration partaieut de tous les pointsnbsp;é la fois, ainsi que des cris d’effroi.

Périon et Lisvart, qui n’avaient jamais vu cornquot; battre Amadis, n’avaient pas assez de bravos pournbsp;applaudir sa vaillance non-pareille.

— nbsp;nbsp;nbsp;Seigneur, demandaient-ils a Galaor, qui étaitnbsp;auprès d’eux, monseigneur Amadis est aujour'nbsp;d’hui d’une ardeur incomparable...

— nbsp;nbsp;nbsp;11 est toujours ainsi, mes beaux neveux,nbsp;répondit Galaor, émerveilló lui-même de la haut®nbsp;valeur de sou frère.

— nbsp;nbsp;nbsp;ïoujours ainsi?... II est done invincible?

— nbsp;nbsp;nbsp;Invincibl-e? Je le crois comme vous,nbsp;beaux neveux!... C’est le parangon de la cheva-leriel... G’est la fine fleur des chevaliers!.. Hnbsp;aujourd’hui ce qu’il a été autrefois... L’age ne lujnbsp;a rien óté de son énergie et de sou adresse... Unbsp;n’est pas, comme moi, rouillé par foisiveté... Ah'nbsp;si j’avais été é sa place, j’aurais mordu la pous-sière depuis longtemps! J’ai valu quelque choae,nbsp;certes, mais jc n’ai jamais valu Amadis! C est i


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LES HERITIERS D’AMADIS. 3^

LES HERITIERS D’AMADIS. 3^

celui qu’il redoutait plus que nul autre vivaiit, se piaignit de la sorte ii son adversaire Ic vicil oiii-

pereur de Trébisonde.

Vüudriez pas, je pense

quun second moutragc^t, a '

chevalier par excellence... Et si je suis fier d’être son frère, jugez quel orgueil doit être Ie vótre, Ètnbsp;vous qui êtes ses fllsl...

Grifllaut perdait son sang par maint endroit, et il était visible qu’il faiblissait de moment ennbsp;moment. Mais, malgré cela, il tenait bon. Quoiquenbsp;païen, il se battaitvaillamment encore, et il est probable que s’il n’eüt pas été blessé, Amadis n’en eütnbsp;pas eu aussi bon marclié. 11 voulait lutter jusqu’anbsp;I’extrémité, jusqu’au dender souffle, on Ie com-prenait bien, au raidissement de ses efforts, a 1’em-portement qu’il mettait dans les rares coups qu’ilnbsp;portait tl son adversaire. Mais son corps criblénbsp;trahissait son vouloir: il était vaincu paria nature.

Amadis, Ie voyant prés de rendre les abois, ne voulut pas abuser plus longtemps de ses avan-tages.

— nbsp;nbsp;nbsp;Roi Grifilant, lui cria-t-il, aie pitié de toi-même! ne sois pas cruel envers ta propre per-sonne 1 S’il y a lacheté è s’avouer vaincu lorsqu’onnbsp;n’a pas encore été entamé par Ie fer de son ennemi,nbsp;il y a devoir, pour un homme de ta valeur, denbsp;crier merci lorsqu’on n’en peut plusl... Tu t’esnbsp;bravement battu, je te ferai grace volontiers...

— A quelles conditions?,., demanda Grifilant en ralant.

— nbsp;nbsp;nbsp;baisse la tes faux dieux et tes vaines idoles,nbsp;répondit Amadis; fais-toi chrétien, d^paieu que tunbsp;es!... Et, au beu de marcher contre fempereur denbsp;Constantinople, ligue-toi avec lui contre ses en-nemis qui sont ceux de Jésus-Christ...

— Par Mercurei... s’écria Grifilant en se redres-sant dans un superbe effort. Par Mercure 1 c’est asscz cafarderl... Reprends tes offres, je n’ennbsp;veuxpas... Je garde mafoi, garde latienne... Tunbsp;ne me vaincras pas plus avec ta parole qu’avecnbsp;ton épée!,..

Bt, cela disant, Ie roi païen prit son arme a deux mains et en assóna un coup terrible sur Ie heaumenbsp;de sou adversaire...

Si Amadis, en vue de cette convulsion do Grifilant, ne s’était pas prudemment jeté de cóté, il avait la tête fendue jusqu’au menton.

Comptenant alors qu’il n’avait plus rien de bon ^ attondre de ce païen endurci, qui voulait mourirnbsp;dans 1’impénitence finale, il leva son épée de lanbsp;main drcite, et, de la gauche, empoignant vigou-ceusement l’épaule de Grifilant, il lui entra Ie fernbsp;dans la gorge, entre Ie heaume et Ie haubert.

Grifilant tomba lourderaent sur Ie sol, sans Pousser un cri.

II était mort.

Geile chose faile avec la rapidité de 1’éclair, Ie chevaleureux Amadis se dirigea du cóté de 1’em-pereur de Trébisonde, èi qui Ie roi Arrnato doniiaitnbsp;uue forte tablature.

— Hoi, lui cria-t~il, tu mourras présentement par mes iiiaius, car il y a trop longtemps que tunbsp;i'ègnes et eiidommages ce pays!...

Armaio, effraye de s’eiileiidre ainsi menacer nar celuinbsp;nbsp;nbsp;nbsp;'nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;1nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;• *

emporeur, aü mépris des conven

tions fades entre nous?... Perniettre cela, ce serail faire lache a votre honneur de gentilhornme.

— A Dieu ne plaise! répondit I’enipereur de Trébisonde.

Et, sur-le-champ, il pria Amadis de se retirer, ce qu’il fit.

Le combat, alors, recommenga plus acharné entre Armaio et fempereur de Trébisonde.

Quant aux deux reines, il faut dire que Pintiqui-nestre, témoin de la mort du roi Grifilant, et voyant Amadis s’adresser ainsi a Arrnato, elle craignitnbsp;qu’il ne s’adressét pareillement Ji elle, prenantnbsp;ainsi fait et cause pour la reine Califie.

Lors, le prévenant, elle marcha droit vers lui et lui dit:

— Sire, j’ai été témoin de votre valeur, ct ce qu’on m’en avail dit me parait au-dessous de cenbsp;que j’en ai vu... On n’est pas aussi fort que vousnbsp;1’êtes, sans raison... Quelqu’un de supérieur vousnbsp;protégé bien certainement... Cela me convainc...nbsp;Je ine rends au Dieu qui vous protégé aussi effica-cement... Par ainsi, je réclame le baptéme, a cettenbsp;condition que, la guerre linie entre les païens etnbsp;fempereur de Constantinople, vous me donnereznbsp;en mariage é quelqu’un des vótres, aussi bravenbsp;que vous 1’êtes, si c est possible... Jusquc-la vousnbsp;me perraettrez de vous accompagner et de vousnbsp;servir commele dernier de vos chevaliers...

Amadis, entendant cela, fut plus aise que s’il eüt conquis la meilleure cité d’Asie.

— Madame, lui répondit-il, je puis me dire le plus heureux chevalier de la chrétienté, puisquenbsp;j’ai obtenu ce résultat précieux, è savoir de retirernbsp;du chemiri de perdition une aussi belle personnenbsp;que vous... Quant a ce que vous me demandez,nbsp;cela vous est acquis d’avance... Ghacun de mesnbsp;chevaliers voiidra étre votre raari, et vous n’aureznbsp;que 1’erabarras du choix... Vous me proposez denbsp;m’accompagner : j’en suis fort hoiioré, je favoue,nbsp;car c’est moi qui serais heureux de me dire votrenbsp;chevalier...

— Sur ma foi, répliqua la reine Pintiquinestre, c’est a bon droit que vous étes lenu pour le plusnbsp;courtois et Ie plus vaillant chevalier de la chrétienté : je ne me repens pas de ce que j’ai fait!

Et, tout en disant cela, Pintiquinestre mit uii genou en terre pour rendre hommage ii Amadis.nbsp;Mais celui-ci, la relevant gracieusement, 1’em-hrassa de boniie amitié.

Quand la reine Califie vit en quels termes ils étaient fun et fautre, elle délaga soudain sounbsp;heaume, le jeta a terre, et, prenant son épée parnbsp;la pointe, elle en présenta le pommeau ii la reinenbsp;Pintiquinestre, en lui disant:

— Puisque vous vous avouez vaincue, vous qui étes indubitableraentuue des plus vaillantes parminbsp;les plus vaillants chevaliers de la terre, il est justenbsp;que je vous rende f honneur que vous méritez,nbsp;moi qui ii’eusse pu vous résisler plus longtemps,nbsp;saus fiiitervcution de uionseigueur Amadis...

— Ahl madame, répondit Pintiquinestre, vous fades ce que je voudrais, ee que j’aurais dü fairenbsp;moi-mème...

Comme elles conlestaient entre elles a qui rece-vraill’épée l’uiie do 1’aulre, Amadis interviut pour


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36 BlBLIOTIlEyUE BLEUE.

les mettre d’accord. II les embrassa toutes deux et leur dit;

— Vcus, madame la reine de Californie, prcnez, je quot;vousprie, l’épée de la reine Pintiquinestre... etnbsp;elle la volre... Ainsi sera l’honneur égal...

Amadis n’avait pas plutót dit ces mots, qu’Armaio, qui depuis quelques instants se défendait mal contre Ie vieil empereur de ïrébisonde, tom-bait i terre, frappé a l’épaule pauche. Le sangnbsp;bonillonna et sortit en une si grande abondancenbsp;qu’en moins de rien I’arne s’envola et Armato de-meura en la place oii il était tombé.

Ce qui mit une telle joie parrai les chrétiens, que chacun se mit a louer le seigneur, principalementnbsp;Oriane et les autres dames.

Les trompeltes et les clairons commencèrent a sonner fanfares et allégresses, et les chevaux desnbsp;vaincusfurent amenés en trioraphe aux vainqueurs,nbsp;lesquels, montant dessus, reprirent le chemin denbsp;leurs tentes.

CHAPITRE XXVI

Comment les princes païeiis, leurs deux champions morts, envoyèrent demander trêve aux princes chrétiens, qui lanbsp;leur refusèrent.

rifilant et Armato morts, le camp des Tures fut trouble outre mesure.nbsp;^C’était, en effet, d’un bien mauvaisnbsp;’pronostic pour Tissue de la guerre.

_ Lors, les principaux d’entre eux

s’assemnierent et il fut résolut qu’on enverrait vers les chrétiens pour leur demander une trêve denbsp;quinze jours, nécessaire pour rendre les honneursnbsp;des funérailles aux deux défunts et pour envoyernbsp;leurs corps en Asie afin d’y être enterrés.

Les délégués qu’ds envoyèrent furent requs par Amadis, lequel, après les avoir entendus, commu-niqua leur demande aux autres princes ses compagnons. Ceux-ci, a leur tour, reconnaissant sanbsp;prud’homie égale ê sa vaillance, exigéreut cour-toisement qu’il se prononqat avaut eux en cettenbsp;occurrence, ce qu’il lit de la sorte :

— II est certain que cette gent maudite et ré-prouvée est descendue en ses Marches beaucoup plus pour offenser notre religion que pour ravagernbsp;la Thrace. Par ainsi, sans nous arrêter d’autresnbsp;considérations, il me semble qu’il est de notre devoir de repousser cette canaille jusqu’au fin fondnbsp;de la Tartarie, et au-dela même, saus lui donnernbsp;le temps de respirer... Point de trêve done!...nbsp;Pourquoi donner a ses ennemis le temps de se ré-conforter , de reprendre de nouvelles forces et unnbsp;nouveau courage?... Si nous leur accordions cenbsp;qu’ils nous demandent la, ils feraient autant élatnbsp;de nous que de poules baignées ou de paillardesnbsp;® , ntées et pusillanimes i... Par ainsi, je le répèle,nbsp;m est avis que nous devrions aller les relancer jus-Inurs cabanes, et saus plus tarder 1...nbsp;ueite opinion d’Auiadis eul Tassentiment denbsp;toute Tassemblée, Tellement que, sur Theuro, ounbsp;répondit aöx ambassadeurs des païens :

— Seigneurs ambassadeurs, vous n’aurcz point de trêve a vee nous... Tout au contraire, avisez anbsp;sortir de la Thrace dès demain, ou sinon nous vousnbsp;en chasserons, Tépée dans les reins!...

Les ambassadeurs se retirèrent, Toreille basse et Tesprit chagrin, et allèrent porter aux princesnbsp;païens la réponse qu’on venait de faire h leursnbsp;propositions.

Ges derniers furent irilés de cette réponse, et, quoique la raortalité et le décourageraent se fussentnbsp;eraparés de leur armée pour la décimer, ils réso-lurent de Trapper un grand coup et de se tenirnbsp;prêts a attaquer leurs ennemis au soleil levant.

Malheureuseraent pour eux, ils ne purent tenir leur determination si secrète que Tempereur denbsp;Constantinople n’en eüt connaissance par ses espions et n’en prévint les princes ses allies, qui senbsp;mirent dès-lors sur leurs gardes.

Pour que rien ne manquat é cette entreprise, et qu’affaire de telle importance fiit exécutée par raison, il fut décidé que la garde de la ville seraitnbsp;laissée fi Tempereur de Constantinople, en compagnie de Quadragant, d’Arban de Norgales, d’An-griote d’Estravaux, de Bruner, fils du géant Balan,nbsp;et de Gasquiles, roi de Suesse, avec un nombrenbsp;suffisant de gens de pied et de gens de cheval.

Quant au «este de Tarmce, on arrêta qu’elle for-merait un seul escadron, amp; Texception du roi don Florestan et de Tempereur de Rome, qui se tien-draient séparés avectrente mille chevaux et soixantenbsp;mille hommes de pied, pour se ruersur le bagagenbsp;des ennemis et les mettre en désordre, s’il étaitnbsp;possible, OU bien les charger par les flancs, suivantnbsp;ce qui leur semblerait le mieux.

Et, quant a ce qui concernait Ia marine, le roi Norandel, Frandalo et Ie comte d’Alastre, suivisnbsp;par le comte d’Ortilense, avec leur équipage, de-vaieritpasser leBosphore, etchercherasurprendrcnbsp;les rois de Bougie et deGiloflc, quiavaient récem-ment abandonné la cóte d’Anatolie pour se retirernbsp;le long de la Thrace, afin de protéger la retraitenbsp;de leurs gens en cas d’échec.

CHAPITRE XXVII

De Ia crucllc bataille qui eut lieu entre les chrétiens cl païens, tant par mer que par Icrrc, ct dc ce qui sen'nbsp;suivit.

Ges dispositions ainsi prises de part et d’autrc, d’un cóté pour donner la camusade aux chrétiens,nbsp;de Tautre pour expulser violemment au loin lenbsp;païens, le jour arriva.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;, -i

Le soleil commea?ait a étendre ses rayons, et donnait cóté de Tarmée chréüenrie, ce qoi 'nbsp;sait raerveilleusement reluire les arines et les oanbsp;nois.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;^

La partie s’cngagea avec le meme entrain deux cotés.


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LES HERITIERS D’AMADIS. 37

Tout ainsi que l’on voit, par un temps d’orage, l’éelair et la grosse grêle s’accompagner, l’un of-fensant lesyeux, l’autre faisant bruit sur les mai-sons couvertes de fine ardoise, ainsi, h cette première rencontre, les coups de lances brisées surnbsp;les hauberts ou sur les armets donnaient tel son etnbsp;telles étincelles que c’en élait chose pitojable anbsp;regarder.

Plus pitojable et plus triste encore élait d’en-tendre les plaintes douloureuses de ceux qui tom-baient, les uns blesses k mort, les autres, plus ou moins grièvement, aux jambes, aux bras, h la têtenbsp;et au reste.

Amadis, Esplandian, Périon et Lisvart, les premiers au combat, s’élancérent sur quatre rois païens, auxquels ils firent incontinent mordre lanbsp;pcussière; puis, entrant en pleine mêlee, suivis denbsp;rnaints bons chevaliers, ils commencèrent a fairenbsp;merveilles.

Les païens, quoique nombreux, étaient assez mal armés. La plupart ne portaient pour tout har-nois que l’écu et la zagaie, ou l’arc, avec Ie cirne-terre : aussi furent-ils aisés è enfoncer et amp; mettrenbsp;en déroute.

Toutefois ils assaillirent assez bravement, de prime abord, et menant un tel bruit qu’on n’eütpasnbsp;entenclu Dieu tonner, ce qui n’effraya pas Ie moinsnbsp;du monde les chrétiens, gens aguerris a ces crisnbsp;d'oiseaux de proie etfagonnés k tous ces épouvan-tements barbares.

Trente mille personnes restèrent sur Ie champ de bataille, dès ce premier conflit.

La triompha Ie chevalier de la Sphère, qu’irnitè-rent bientót ses compagnons.

Les deux reines, Califie et Pintiquinestre, ne faisaient pas moins de leur cóté, taillant, tuant etnbsp;renversanttous ccux qu’elles rencontraienten leurnbsp;voie.

Quant amp; Amadis, au plus fort dc la bataille, il aperput cinq géants, cinq grands diables d’enfernbsp;qui s’en donnaient a coeur joie sur Ie dos des chrétiens, comptant ainsi venger Ia mort du roi Grifi-|ant, lequel les ava t fait venir de leur pays pournbsp;Icsattacher a sa personne. Ces cinq grands païensnbsp;’ïe donnaient pas un seul coup d’épée sans que lanbsp;mort ne s’ensuivit; ce quoi Amadis, a juste titrenbsp;Warri, voulut mettre un terme, en compagnie denbsp;t^alaor, de Florestan, d’Argaraont et d’Ardadil-Ca-quot;de, lesquels coururent sus aux géants et rompi-^(int sans les mouvoir de la selle.

La tuene fut grande de part et d’autre.

Amadis, suivi de dix ou douze mille chevaliers m ufencontra avec les soudans de Babyionenbsp;pf ^J^A.lap, suivis eux-mêmes de trente mille Turcsnbsp;^ t ai tares ; et Dieu sait combien les premiersnbsp;epssent eu k soulfrir des seconds si Brian de Mo-jjaste ne fütvenu a leur secours a la tête d’un grosnbsp;* Espagnols, de Bretons et d’Ecossais, qui forcè-les païens a reculer.

Comme Amadis, enflammé, s’acharnait a leur poursuite, un vieillard k barbe chenue, tombantnbsp;J^usqu a la ceinture, l’arrêta par la manche et luinbsp;ruderaeut :

va^c^unff ’ nbsp;nbsp;nbsp;1^ cette chasse et

car ils som

ont en danger de mort!...

Ce qu’ayant dit, Ie vieillard disparut et s’éva-nouit dans ia mêlee, comme un rêve.

Le conseil élait bon cependant, sinon S suivre, du moins a vérifier. Amadis, ébahi, jeta ses regardsnbsp;autour de lui et apercut Gandalin qui portail sonnbsp;enseigne, laquelle était si fort en lambeaux que lenbsp;plus grand morceau n’eüt pu lui couvrir la tête.nbsp;Auprès de Gandalin était Yrguian son fils, arménbsp;chevalier dès le matin même par le roi Amadis.

Ge dernier s’approchait du père et du fils pour leur demandernouvelles des siens,lorsque Yrguian,nbsp;le prenant lui-même par la main, et lui désignantnbsp;le chevalier de la Sphère et Lisvart qui s’èscri-maient bravement k quelque distance de la,lui dit:

— Sire, allons secourir ceux que vous voyez 1amp;-basl... Ils sont en danger mortel 1...

Et brochant le cheval des éperons, Yrguian fen-dit la presse a coups d’épée, et, dans son chemin, rencontra Galaor, Cildadan, Quadragant, ïalanque,nbsp;Garinter et rnaints autres chevaliers, auxquels ilnbsp;cria :

— Seigneurs! Pour Dieu, secourons Périon et Lisvart qui sont Pi-bas assiégésl

Ge disant, il passa outre, suivi de ceux auxquels il venait de faire appel, et arriva vers Périon etnbsp;Lisvart, raalgré la resistance des païens, au momentnbsp;oü ces deux chevaliers venaient d’avoir leurs che-vaux tués sous eux. Auprès d’eux, Galifie et Pintiquinestre venaient d’etre abattues et réduites ennbsp;une trés grande extrémité.

Toutefois, elles et eux, tous les quatre, s’étaient fort heureusement relevés a temps, et ils combat-taient a pied si vaillarament que ni Turc, ni Arabe,nbsp;n’osaient en approcher, de peur d’être entamésnbsp;trop profondement par leurs épées qu’ils faisaientnbsp;tournoyer a plaisir.

G’est alors que dix géants les entourèrent.

Leur parli allait devenir mauvais, malgré leur grand courage, et bien certainement leurs effortsnbsp;réunis n’eussent pu les preserver de la mort quinbsp;les menapait, lorsque Amadis apparut, furicux denbsp;voir ses fils en ce danger. Avec Amadis arrivèrentnbsp;Cildadan, Bruneo, Ga'rvate, Brian, Maneli, Listo-ran, Florestan, Languines, Abies, Talanque, Agraiesnbsp;et rnaints autres.

Périon et Lisvart furent sauvés, ainsi que les deux reines Califie et Pintiquinestre, non sans pertenbsp;sérieuse de part et d’autre, k ce point que les che-vaux avaient du sang jusques au-dessus des patu-rons.

Si la nuit n’était pas survenue et n’eüt pas sé-paré les combattants, il est probable qu’il n’en fut pas réchappé un seul.

Pendant ce temps, le roi de Jérusalem, avec sa troupe , faisait tous ses efforts pour emporter lanbsp;ville d’assant. Résolu qu’il était a vaincrc ou anbsp;mourir, il avait d’abord mis en ordre ses éléphants,nbsp;puis il était venu, è la tête de cinquante millenbsp;hommes, pour écheller les murailles et mettre lenbsp;feu aux portes.

Mais il fut repoussé avec perte par Gasquilan et un grand nombre de chevaliers qui le firent pri-sonnier, après avoir abattu dix éléphants et mis onnbsp;pieces sept ou buit mille échelles.

Restait un autre cóté des murailles oü tenaient bon les païens, Ils étaient même parvenus a ébran-


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BIBLIOTBEQUE BLEUE.

Ier et i faire tomber un enorme pan de fortifications, k grands renforts de moutons, de balistes et d’autres machines. Ce pan de muraille, en tom-bant, écrasa bon nombre d’assiégeants qui ne s’ynbsp;attendaient guères, si bien que les autres, voyantnbsp;cela, commencèrent k perdre coeur et ti prendrenbsp;peur pour leur peau. D’autant qu’on leur appritnbsp;au même instant la prise du roi de Jerusalem, leurnbsp;chef. Ils se disposaient, en consequence, h aban-donner Ie siége, et fuyaicnt dans la direction denbsp;leurs vaisseaux, lorsque l’un des principaux Ta-borlans, accompagné de dix mille hommes, les fitnbsp;retourner k Ia besogne, è grands coups d’épée dansnbsp;les reins.

Alors la pauvre ville se trouva en grand branie et en grand peril. Les ennemis entrèrent tumul-tueusement sur Ie rempart et combattirent longue-ment corps k corps, main a main avec les assiégés,nbsp;raettant ceux-ci quasi hors d’haleine.

L’empereurarriva, rallia sesgens et ne tarda pas a arrêter les païens sur cul.

Voiia pour la bataille de terre.

II me reste maintenant a vous dire comment se portaient les affaires de raer.

Norandel et Ie comte Frandalo, avec leurs gcns, s’étaient approchés, dès Ie point du jour, des roisnbsp;de Bougie et de Gilofle, et avaient donné Ie signalnbsp;de I’attaque. Le vent leur était venu si a propos,nbsp;que, d’arrivée, ils avaient porté le plus grand dom-mage aux Turcspar leurs lances a feu, grenades etnbsp;autres engins, avec lesquels cinquante vaisseauxnbsp;furent embrasés en moins de rien.

En même temps les dues d’Ortilense et d’Alastre monlraient bien I’affection et le dévoüment qu’ilsnbsp;portaient leur mattre. Et aussi les singes de lanbsp;grande caraque, lesquels, au nombre de deux mille,nbsp;s’éverluaient si agilernent et si a propos, tirant dunbsp;haut des gabies, du tillac et des rambades, que lesnbsp;ennemis croyaient a une grêle tombée du ciel, unenbsp;grêle de flèches fort désagréable en vérité!...

Mais pourquoi m’amuserais-ie davantage ê ra-conter ceüe longue escarmouclie? La iin en fut telle, qu’en moins d’une heure, plus de cinq centsnbsp;vaisseaux ennemis furent submerges; et, ce quinbsp;plus encore étonna les païens, Norandel et Eran-dalo, montés sur deux fortes galêres, vinreiit, knbsp;force de chiourme, jqindre un énorme navire, lenbsp;plus apparent de tous, dans lequel combattaientnbsp;les rois de Bougie et de Gilofle. Ceux-ci furentnbsp;assaillis rudemèiit, en poupe et en proue, et lesnbsp;chrétiens, entrant dedans pêle-même, passèrentnbsp;au fil de fépéc tous ceux qu’ils y trouvèrent, sansnbsp;épargner personne, ni roi ni roe, mais non toute-fois sans grosse perte de plusieurs chevaliers etnbsp;autres gens de bien.

La déroute des païens fut compléte, aussi bien sur mer que sur terre. Dans le désordre de leurnbsp;fuite, et dans les ténèbres de la uuit, quelquesnbsp;milliers d’entre eux se noyèrent en essayaiitde re-gagnerala nage les vaisseaux qui n’avaicnt paséténbsp;orülés.

Beu en réchappèrent.

Ainsi se trouva alors justifiée l’écriture que Ie chevalier de la Sphere avait trouvéc sur le rouleaunbsp;de cuivre doré, k la fontaine oü Alquife l’avait faitnbsp;vemr, comme il a étéprécédemmentdit.

CIIAPITRE XXVIII

Comment, une fois la guerre faite, les princes chrétiens re-tournèrent en leurs pays; et comment Lisvart, ayant rc(;u une lettre d’Onolorie, partit secrètement de Constantinople,

aite et parfaite était la guerre: les princes chrétiens durertnbsp;songer, les uns après les an-tres, a retourner chacun dansnbsp;son pays, heureux de cetteissuenbsp;glorieuse. Les blessés seulsnbsp;retardèrent le moment de leurnbsp;départ jusqu’a entière guéri-son.

Un soir, comme le chevalier

;'^l de Ia Vraie Groix, c’est-k-dire Lisvart, de-' I visait avec Amadis, un page vint l’avertir qu’un écuyer demandait ê lui parler.

Lisvart suivit le page et trouva l’écuyer d’Onolorie, qui lui remit une lettre de Ianbsp;de cette belle princesse.

En prenant cette missive, le chevalier de Ia Vraie Croix changea de couleur, et ce fut d’unenbsp;voix pleine de trouble qu’il dit au messager :

— Mon ami, je te priode ra’attendre ici quelque temps; je vais voir ce quo me mande madame Ono-lorie et j’y ferai réponse...

Cela dit, Lisvart s’éloigna en grande bate, tant il lui lardait d’être soul, dans un endroit secret,nbsp;pour lire cette lettre de la dame qui lui était plusnbsp;chère que ebose qui fut au monde.

Une fois dans sa cbambre, done, il rompit, tout tremblant, le cachet et lut:

« Chevalier, et le plus ingrat qui soit parmi los vivants, votredéloyauté êraon endroit s’est si biennbsp;manifestce, et elle a si peu d’excuse, que je vousnbsp;défeiids désormais, sur votre vic, de vous trouvernbsp;Ié oü je pourrais vous roncontrer, ou seulementnbsp;avoir nouvelics de vous.

« Ge n’élait pas k moi, qui suis de haute maison, que vous deviez vous adresser pour jouer cettenbsp;coraédie de dissimulation, mais bicii ii de simplesnbsp;demoiscllettes, de peu de rang et de peu d’esprit,nbsp;Icsquelles auraient pu s’intéresscr é vous plusnbsp;longtemps que riiouncur ne me coramande de Ienbsp;faire.

« Epargnez-moi done la misère d’avoir désormais a m’occuper de votre chétive personne. »

Lisvart avait k peine lu ce fafal papier, qu’il se senlit pris d’une angoisse navrante au possible, etnbsp;qu’il tomba tout de son haut comme mort.

Au bout (l’un peu de ternps il recouvra ses esprits, et commenca k maudinj sa vie et sa fortune. Toutnbsp;en soupirant, il soiigea é plusieurs reprises é senbsp;frapper le coeur de sa dague ; mais foujourg il tut


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LES HERITIERS D’AMAÜIS. 39

retenu par Ia crainte de perdre son ame en perdant son corps.

Go qui ajoutait naturellement a sa peine, c’est qu’il ignorait pourquoi Onolorie lui avait écritnbsp;cefte lettre, qu’il n’avait méritée en aucune facon.

Que lui avait-il done fait ? Que lui avait-on rap-porté contre lui ? Pourquoi ce dur congé et ces cruelles paroles ?

G’était un supplice pour Ie pauvre chevalier ; il était trop grand, trop au-dessus de sos forcesnbsp;pour qu’il n’essayétpas de s’y soustraire en fuyantnbsp;loin, Dien loin, \h oü sa dame, ni personne autre,nbsp;ne pourrait Ie soupeonner d’étre.

Done, essuyant ses yeux humides des larmes que cette fatale lettre venait de lui faire verder, ilnbsp;fit appeler l’écuyer d’Onolorie et lui dit:

— nbsp;nbsp;nbsp;Mon ami, il faut quetu me Irouves un cheval,nbsp;que tu mèneras cette nuit hors la ville, h la portenbsp;de l’Aigle...

— nbsp;nbsp;nbsp;J’y serai, seignpur chevalier.

— nbsp;nbsp;nbsp;Une fois !amp;, reprit Lisvart, tu fcras en sortenbsp;qu’on nete remarquepas trop, ettu ra’attendras...

— nbsp;nbsp;nbsp;Je vous attendrai.

— nbsp;nbsp;nbsp;Va, mon ami, je compte sur ta discretion etnbsp;sur ta diligence km’obcir... Ge sera obéir a tanbsp;maitresse, la princesse Onolorie.

L’écuyer salua et prit congé du chevalier de la Aiaie Groix, qui, alors, retourna au logis de l’em-pereur, oü il trouva Ie chevalier de la Sphere, sonnbsp;oncle, avec Florestan et plusieurs aptres de sesnbsp;compagnons.

Geux-ci, remarquant sa paleur et la tristesse qui était répaisdue sur sop visage, youlurent l’interro-ger pour en savpir la cause et y remédier, si possible était.

Mais, hélas 1 c’était impossible ! Lisvart était blessé au cceur, et la blessure qu’il avait recue,nbsp;de la main la plus chère qui füt au monde, étaitnbsp;préciséraent de celles que Ie temps seul guent,nbsp;quand il les guérit.

Lisvart remercia done affiectueusement ses compagnons, et, tout eu leur assurant qu’il n’avait rien d’intéressant amp; leur confier au sujet de la imvnbsp;lancolie de son visage, il prit toutefois occasion denbsp;leur réunion ja pour leur soubaiter a tous un heu-reux voyage.

Le chevalier de la Sphere, Florestan et les au-Jres devaient en effet partir prochainement pour Trébisonde.

— nbsp;nbsp;nbsp;N’y venez-vous pas avec nous? lui demandanbsp;florestan.

. — Je le voudrais, mais je ne le puis, répondit le .]6une chevalier de la Vraie Groix, chez qui cettenbsp;deniande, si naturelle, produjsit 1’,effet d’un fernbsp;ï’ouge appliqué sur une plaie viye.

— nbsp;nbsp;nbsp;On peut toiijours lorsqu’on veut, reprit Flo-1‘ostan en souriant. Venez, beau chevalier, veneznbsp;avec nous 1... La cour de l’empereur de Trébi-sonde est un pnrterre de jolies fienrs qui ne de-o^andent qu’a se laisser respirer et cueillir parnbsp;o aussi courtoiscs mains que les vótres... Volrenbsp;cceur trouvera la d’agréablcs occupations, je vousnbsp;m promets...

Vous mel’assurez en vain, seigneur, répondit

mélaneoiiquement Lisvart. Pour ma part, avee Gesprit que je me connais, je ferais la une bieii triste figure...

— nbsp;nbsp;nbsp;Vous n’en auriez que plus de suceès alors 1...nbsp;Les femmes raffolent et s’enamourent volontiersnbsp;des chevaliers en peine, surtout lorsqu’ils sontnbsp;jeunes et beaux, paree qu’elles savent bien quenbsp;c’est une peine amoureuse, et qn’elles ont l’or-gueil de posséder un baurae souverain contre oesnbsp;chagrins-bi...

— N’insistez pas, je vous prie, répliqua Lisvart, cela serait inutile.

Florestan se tut et ses compagnons imitèrent sa réserve a 1’endroit du mystère que semblait eachernbsp;la physionornie du chevalier de la Vraie Groix.

Ge dernier leur renouvela ses souhaits de bon voyage etse retira.

Lorsque vint 1’heure du coucher, et qu’il se trouva avec Périon, il lui demanda la permissionnbsp;de l’embrasser,

— Faites, beau neveu, répondit le chevalier de la Sphere.

— J’espère que eela me portera bonbeur, reprit Lisvart après avoir donné 1’accolade é Périon.

— Vous en avez done besoin ?

— Grand besoin...

— Pourquoi cela?.,.

— Je pars cette nuff..,

— Vous partez ?... Ahl c’est done 1^ ce que vous nous taisiez tantót... Auriez-vous appris denbsp;quelque beu, nouvelle affiigeante?...

— Non pas tout-a-fait... Mais le devoir m’ap-pellc ailleurs, et je dois partir pour quelque affaire qui n’a rien en soi de bicn intéressant pournbsp;voug être contée...

— nbsp;nbsp;nbsp;k votre guise, beau neveu 1... Toutefois, si,nbsp;dans ce voyage que vous entreprenez la, vousnbsp;aviez envie d’un compagnon, vous n’ignorez pas,nbsp;je pense, que je suis pret vous en servir?...

— Je le sais, mon oncle, et vous en remercie... Mais, véritablement, l’.affaire qui m’est survenue,nbsp;et qui me fait ainsi vous fausser compagnie, n’estnbsp;pas, je le répète, d'ma importance telle que jenbsp;doive déranger un aussi yaillant chevalier que vous,nbsp;qui serez bien plus utile ici, ou a Trébisonde...

— Je n’ai rien ü ajouter, mon beau neveu 1... Em-brassoDS-nous done derechef, ear deux accolades en pared cas valent mieux qiu’une, et que le Seigneur vous protégé!...

Et, en disant eela, le chevalier de laSphère souleva dans ses bras robusles le tils d’Esplandian, et l’embrassa le plus cordialement du monde.

Lisvart, ému, se retipa aussitót pour lui caeher les larmes dont son cceur éjtait plein et qui com-raen^aient h mouiller ses yeux.

En quittant Périon, il alia sans plus tarder en la maison d’un vieux chevalier de sa connaissance,nbsp;qui lui fit un paternel accueil.

— Ghevalier, lui demanda Lisvart aprés les premières salutations d’usage, j’aurais besoin, pour une ontreprise queje yais tenter, d’un barnois différent de celui que j’ai présenlement, afin de n’être


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pas reconnu... Pouvez-vous me fournir cette ar-mure?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Mon enfant, répondit Ie vieux chevalier, jenbsp;ne sais h vrai dire quelles armes vous donner... amp;nbsp;moins que vous ne consentiez èi endosser celles denbsp;mon fils...

— nbsp;nbsp;nbsp;J’y consens d’autant plus volontiers qu’il doitnbsp;être k peu prés de ma taille et de ma corpulence,nbsp;et que je chercheraisprobablementlongtemps avantnbsp;d’en trouver qui m’allassent aussi bien que lesnbsp;siennes...

— nbsp;nbsp;nbsp;G’estaffairefaite, alors... Attendez-moi céansnbsp;un moment, et je vais aller vous les quérir et jenbsp;reviensaussitót...

Le vieux chevalier disparut un instant, puis il revint, tenant le harnois de son fils.

— nbsp;nbsp;nbsp;Voici, dit-il.

Lisvart le remercia et s’arina devant lui.

Gomme il allait prendre congé :

— Mon enfant, lui demanda le vieux chevalier qui le regardait faire avec attendrissement, monnbsp;enfant, permettez-moi de vous offrir le secours denbsp;mon bras, s’il peut vous être utile... Je vous ai vunbsp;grandir et je vous aime. II est de mon double devoir d’ancien et d’ami de vous protéger dans lesnbsp;passes difficiles... Peut-être que la oü vous allez,nbsp;vous rencontrerez des obstacles qu’il vous seranbsp;malaisé de vaincre tout seul... J’ai l’expérieucenbsp;pour moi, si vous avez l’audace pour vous, et l’ex-périence n’est pas a dédaigner, mon cher enfant...nbsp;La ville et ses alentours ne sont pas tellement pur-gés de païens qu’il n’en reste encore ck et Ik quel-ques débris malfaisants... Si vous alliez tombernbsp;dans une embuscadel...

G’était la seconde proposition de ce genre qui était faite k Lisvart dans k même soiree, proposition dictee par la sollicitude et l’amitié. II en futnbsp;extrèmement touché.

— Je vous remercie du fond du coeur, répondit-il au vieux chevalier. Votre loyal caractère m’est connu... Votre offre ne m’étonne point, raaisje nenbsp;la puis accepter... Lk oü je vais, jedois être seul...nbsp;G’est une affaire vulgaire, pour laquelle il n’estnbsp;pas besoin de déranger un homme de votre kge etnbsp;de votreutilité... Les jeunes sont fantasques, vousnbsp;le savez...

— Fantasques et imprudents, oui, interrompit le vieillard, qui songeait sans doute k quelque imprudence qui avait coüté cher k son fils.

— Adieu!... dit Lisvart.

— Dieu vous garde, mon enfantl dit le vieux chevalier en le reconduisant hors de son logis.

lis se séparèrent.

Lisvart sortit delacité sans être reconnu. Quand il fut k la porte de 1’Aigle, il aperQut dans 1’ombrenbsp;deux formes vivantes qu’il jugea être celles de l’é-cuyer d’Onolorie el du cheval qu’il lui avait dit denbsp;lui préparer.

^ Un hennissement prolongé lui apprit qu’il ne s était pas trompé, du moins en partie.

— Est-ce vous, seigneur chevalier? demanda une voix dans l’obscunté.

Lisvart reconnut celle de 1’écuyer.

II s’avanQa.

— nbsp;nbsp;nbsp;Je vous ai obéi, seigneur chevalier, ditle ser-viteur, en reconnaissant k son tour l’amant d’Onolorie. Voici la monture que vous m’avez deman-dée...

— nbsp;nbsp;nbsp;G’est bien, je te remercie, mon ami, réponditnbsp;Lisvart en montant sur le cheval.

— Dois-je vous suivre?...

— Non... Tu vasme quitter, au contraire, pour retourner vers celle qui t’a envoyé vers moi. ïunbsp;lui diras que je lui ai obéi, et que je suis parti pournbsp;aller oü elle m’a commandé...

— Je le lui dirai, seigneur chevalier... Mais, n’avez-vous rieii d’autre chose k lui mander?...

— Rien... Gela suffit... Seulement, c’est pour elle seule que je te dis cela... Sur ta vie, que nulnbsp;autre quelle ne lesache 1...

— Nul autre ne le saura, seigneur chevalier, je vous en donne l’assurance...

— Bien, mon ami...

Et, recommandant 1’écuyer k la garde de Dieu, Lisvart le quitta. Son cheval était vivement épe-ronné : bientót il fut en pleine forêt.

Quand il fut la, il laissa aller son cheval au petit pas, sans plus s’occuperdu chemin qu’il prendraÜ,nbsp;pourvu qu’il s’éloignat de la cité, et il se mit k rê-vasser au sujet de sa fuite.

II soupirabeaucoup, comme un homme quin’es-père plus aucune joie en ce monde, et il pleura si fort que le devant de son harnois fut bientót counbsp;vert d’eau.

— Ah! chère et cruelleprincessel..._ murmura-t-il. Pouvais-je croire que vous, qui étiez la joie de mes yeux et de mon coeur, vous seriez si vitenbsp;un sujet de larmeset de tristesse?... Que vous ai-je done fait pour me traiter avec cette incom-préhensible rigueur?... J’interroge ma conduite etnbsp;je n’y vois rien qui soit contraire aux sentimentsnbsp;que je vous avais voués, k l’ardente amour que jenbsp;me faisais gloire d’éprouver pour vous... Onolorie 1nbsp;Onolorie! chère et cruelle princesse 1... L’exil oünbsp;vous me renvoyez sera éternel comme votre souvenir dans mon krael... Je ne voulais vivre quenbsp;pour vousprouver mon dévouement; je ne vivrainbsp;désormais que pour vous prouver 1’obstination etnbsp;la sincérité de mon amour pour vous!... Onolorie!nbsp;Onolorie! Onolorie!

Ainsi soupirant, pleurant et rêvassant, Lisvart passa sa nuit dans cette épaisse forêt, sans songernbsp;k autre chose qu’k son amour perdu, k sa vienbsp;troublée k jamais, k son bonheur changé en unenbsp;immense tristesse de par le caprice d’une jeunenbsp;fille.

Nous le laisserons Ik un instant, si yous le per-mettez, pour revenir k Périon qu’il venait de quitter.

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LES HÉRITIERS D’AMADIS. 41

LES HÉRITIERS D’AMADIS. 41

Sa fortune Ie protégera bien, reprit-elle. II

CHAPITRE XXIX

Comment Périon et les autres furent trés étonnés '/ \ et trés chagrins de nepasvoir revenir Lisvart,nbsp;etcommcnt ils résolurentde se mettre tisare-I cherclie aussitót leur voyage é Trébisonde.

¦.n embrassant son neven et en lui /souhaitant bon voyage, Périonnbsp;i-l’avait fait en souriant, imaginantnbsp;ƒ bien qu’il ne s’agissait en cettenbsp;'occurrence que de quelque amourette pour laquelle il ne voulaitnbsp;pas ètre indiscret.

Mais, Ie lendemain matin, voyant encore les armes de Lisvart pen-dues au croc, fors son épée, il commenganbsp;k ne plus rien comprendre.

Puis, vint l’heure du diner : Lisvart n’était pas encore revenu.

— nbsp;nbsp;nbsp;Que signifie cette longue absence? se deman-da-t-il.

Mors des doutes étranges lui vinrent en Ia cer-velle touchant cette fugue du jeune cbevalier de la Vraie Croix.

Toutefois, il se garda bien de communiquer ses craintes k qui que ce fut de ses amis et compagnons,nbsp;de peur qu ils ne s’alarmassent mal k propos.

Mais, lorsqu’k l’heure du souper la place de Lisvart se trouva vide, centre la coutume, Périon ma-nifesta tout haut sa surprise, qui fut partagée par Araadis.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ou done est Lisvart? demanda ce dernier.

— nbsp;nbsp;nbsp;Je ne sais, vraiment, répondit Périon. II m’anbsp;quitté cette'nuit pour une affaire peu importante...nbsp;j ai voulu 1’accompagner... il a prétendu que c’étaitnbsp;inutile... qu’il serait de retour la pointe du jour...nbsp;Nous voici au soir, et il n’est pas revenu!...

. II lui sera arrivé quelque aventure facheuse, dit un chevalier.

Gela se pourrait, certes, cela sa pourrait, reprit Périon inquiet.

Ghacun alors partagea ses inquiétudes ii l’endroit de ce pauvre amoureux, qui cheminait k traversnbsp;ia forêt sans se douter des alarmes qu’il laissaitnbsp;derrière lui. A ce point, que la plupart des chevaliers présents résolurent de se mettre en quêtenbsp;de Lisvart, au cas oü il ne serait pas de retour Ienbsp;iendemain.

Vous auriez lort, leur répondit Urgande-la-iJeconnue.

— nbsp;nbsp;nbsp;ïort?... Pourquoi cela? lui demanda-t-on,nbsp;dii peu étonné.

ebéit en ce moment è sa destinée... h’en ayons pins cure ni souci... nous saurons, plus tard, quandnbsp;^ sera temps, pourquoi il s’est absenté...

I ia nbsp;nbsp;nbsp;assurance d’ürgande, 1’absence de

vart contrista grandement ses amis, et Périon jura qu’après avoir fait un voyage k Trébisonde,nbsp;vers Gricilerie, il se mettrait en quête de son neven et ne se donnerait nulle cesse qu’il ne l’eütnbsp;retrouvé.

Si Périon et ses compagnons étaient chagrinés par la fuite mystérieuse du chevalier de la Vraienbsp;Croix, nul n’avait autant d’ennui è ce propos que lanbsp;pauvre Gradasilée, prisonnière de 1’erapereur denbsp;Constantinople avec son père et Ie roi de Jérusa-Icm, prisonniers comme elle, non en prison fer-mée, mais en prison libre, et sur leur parole seu-leraent.

Elle aimait Lisvart, on l’a deviné, et son absence lui meurtrit beaucoup Ie emur. Aussi, résolut-ellenbsp;de ne pas abandonner riinpératrice qu’il ne fut denbsp;retour.

Le jour venu, chacun prit congé du vieil et du nouvel empereur de Constantinople, et des princesnbsp;et seigneurs de la Thrace. L’empereur de Trébisonde monta sur son navire, accompagné du chevalier de la Sphère, de Florestan, de Parmenir sonnbsp;frère, de Galvanes, d’Abies d’Irlande, de Vaillades,nbsp;de Quadragant et de Lan^ines, lesquels étaientnbsp;trés contents de ce voyage. En outre, ils comptaientnbsp;bien tous, après leur séjour d’un mois ou de sixnbsp;semaines a Trébisonde, se mettre en quête pour re-trouver le jeune Lisvart, malgré les conseils con-traires que leur avait avait donnés Urgande-la-Dé-connue.

Nous revenons présentement vers eet araou-reux cbevalier.

CHAPITRE XXX

Comment Lisvart, en cheminant, guidé par la fortune, eut bientót occasion de combattre des chevaliers qui médi-saient des femmes et de 1’amour...

Le chevalier de la Vraie Groix cheminait done, sans savoir oü, dans la nuit et dans la forêt,nbsp;l’amour en tête et le chagrin au cceur, tournantnbsp;le plus possible le dos ü Constantinople.

II chemina ainsi toute la nuit et toute la journée du lendemain, sans s’arrêter pour prendre nour-riture ni pour la faire prendre èi son cheval, quinbsp;cependant devait en avoir besoin.

Sur le soir, se trouvaiit 'enfin las et travaillé par le besoin, il s’arrêta, mit pied a terre, óta le freinnbsp;k sa monture et lui permit d’aller paitre oü ellenbsp;voudrait.

II était sorti de la forêt, et était arrivé au bas d’une montagne, au milieu d’un bouquet d’arbres.nbsp;II s’assit, et, comme il lui était impossible de son-ger h autre chose qu’i ses malheurs et ü sonnbsp;amour repoussé, R retomba tout naturellementnbsp;dans sa mélancolie de la veille. Son désespoir lenbsp;poigna tenement, qu’k bout de courage, il se réso-lut cl laisser Ik ses armes et la gloire et la cheva-


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lerie, et k se retirer dans iin ermitage pour servir Dieu Ie reste de sa vie, se sentant trop faible pournbsp;suivre Ie monde, étant ainsi défavorisé de sa mie.

Comme il en était 1amp;, il entendit touM-coup résonner dans Ie silence du soir une voix qui luinbsp;sembla venir d’en haut et qui lui cria :

— Lisvart! Lisvart! oublie ce souvenir, et suis Ie train de la ehevalerie, vers laquelle tues appelénbsp;par droit de naturel... Autrement, tu ne feraisnbsp;pas oeuvre agréable i Dieu t...

En s’entcndant ainsi nommer, Lisvart avait en-levé son heaume et s’était levé sur la pointe de ses pieds pour tacher d’apercevoir la personne qui luinbsp;parlait.

II ne vit rien.

Lors, il se rassit, pensant avoir rêvé.

La voix se fit entendre de nouveau.

Etonné, il se leva de nouveau, et se mit a chercher dans toutes les directions. Au bout denbsp;quelques instants il remarqua, ci la elarté do lanbsp;lune, une femme qui se tenait au haut d’un arbre.

— Chevalier infortuné, lui dit cette femme, garde-toi bien de mettre k execution ton projet...nbsp;Ce n’est pas a ton age qu’on s’enterre et qu’on renonce ainsi la gloire et au bonheurl... Dieu nenbsp;t’a pas donné la force que tij as, pour Ia dépensernbsp;dans une sterile oisivelé... Retiens ma parole etnbsp;suis mon conseil... II y a eu de plus grands mal-heureux que toi, qui, finalement, en sont venusnbsp;leurs intentions. Le courage et la pcrsévérancenbsp;forcent la main i la fortune... II faut un peu senbsp;protéger soi-même lorsqu’on veut être protégé parnbsp;elle 1...

Vision OU réalité, la femme entrevue par Lisvart disparut après avoir dit cela, ce dont il resta aussinbsp;émerveillé qu’épouvanté.

Cette apparition porta ses fruits et son esprit. Au point du jour, il reprit ses armes, remonta surnbsp;son destrier et cbemina travers la forêt, le plusnbsp;couvertement qu’il put, sans choisir aueune voienbsp;OU sentier plutót qu’un autre,

II en résulta que soncheval, étant entré dansun taillis, se mit h brouter les branches folies qui senbsp;trouvaient a sa portée, et, sür de n’être pas répré-hendé par son maitre, en prit k son aise, marchantnbsp;et s’arrêtant lorsqu’il lui convenait.

Survint un chevalier, lequel, remarquant que c’était le cheval qui conduisait Lisvart, et nonnbsp;Lisvart qui conduisait son cheval, pensa a part luinbsp;qu’il était fol ou ivre. Mais il n’eut pas fait vingtnbsp;pas avec lui qu’il sut a quoi s’en tenir, Lisvartnbsp;s’ctant mis k dire tout haut en soupirant:

— nbsp;nbsp;nbsp;Hélas l chére et cruelle maitresse I commenbsp;vous avez mal récompensé mon amour et manbsp;fidélitél...

— nbsp;nbsp;nbsp;A ce que je vois, damp chevalier, dit alorsnbsp;l’inconnu, vous êtes la victirnede 1’amour?...

Lisvart, sortant de sa rêverie, jeta un regard distrait et languissant sur le chevalier qui lui par-lait ainsi et qu’il n’avait point encore apergu.nbsp;Puis, sans lui répondre, il chercha a prendre unnbsp;autre sentier.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;^

Mais 1 inconpu, arrêtant sou cheval paria bride, lui dit encore ;

— Par Dieu! damp chevalier, vous demeurerez avec moi, que vous le veuillez ou non... je veuxnbsp;connaitre la cause de votre folie...

— Comment 1 répondit Lisvart. Me voulez-vous done contraindre li iaire ce qu’il ne me plait pas?

— Oui, repartit l’autre.

— Et pourquoi cela ?

— Paree que je n’eusse jamais pensé rencontrer un homme assez fou pour se marteler 1’esprit anbsp;propos d’un sexo aussi faux et aussi malicieux quenbsp;Pest le sexe féminin.

— Par ma foi 1 s’écria Lisvart, si vous étiez aussi courtoi^ que vous êtes mal appris, vous cesserieznbsp;cette importunité quimeblessc, et que je pourraisnbsp;bien punir si je n’avais l’esprit aussi préocciipé,nbsp;si j’étais plus è moi-même que je ne suis... Vousnbsp;n’avez ni drojt ni raison de jeter ainsi le blame surnbsp;un sexe que vous êtes indigne de servir, car unenbsp;femme, quelle qu’elle soit, vaut plus ê elle seulenbsp;que tous les hommes ensemble 1...

— VoiIamp; qui va bien, répliqua le chevalier in-connu. Mais il me semble, rami, que vous devriez vous contenter d’être fou, sans chercher encore finbsp;être sot... Et, si Dieu me prête assistance, je défienbsp;bien toutes les femmes, et celle qui vous traitre sinbsp;mal tout comme les autres, de m’empêcher d’avoirnbsp;le coeur net de vos balivernes 1...

Lisvart, courroucé de plus en plus, mit aussifót l’épée ê la main, et donna un coup si prompt et sinbsp;violent sur le bras gauche do son adversaire qu’ilnbsp;le lui sépara des cótes.

— Paillard! infame! s’écriait-il en continuant A frapper, Voihi le salaire de tes raéritesl... Voifonbsp;qui l’apprendra i outrager de ta langue de vipèrenbsp;la dame que j’aime et qui est sans seconde aunbsp;monde!..,

Le chevalier inconnu n’attendit pas son reste. II s’enfuit, lout sanglant, en poussant des cris lamen-tables.

Lisvart croyait en être quitte. Au bout d’un quart d’heure, il vit arriver k bride abattue surnbsp;lui le même chevalier, plus deux autres, armés denbsp;pied en cap, lesquels.lui crièrent:

— Par Dieu 1 méchant, vous allez payer sur I’heure routrage que vous venez de faire k notrenbsp;campagnon, lequel n’en pouvait mais, en somme,nbsp;de 1’infidélité de votre maitresse, et de la folienbsp;amour qui vous tourmente !

Pour toute réponse, L’svart brocha son cheval des éperons, et, se couvrant de son écu, alia a lanbsp;rencontre de ces nouveaux ennerais, lesquels, aunbsp;bout de quelques passes, furent fort mal menés parnbsp;lui. L’un fut tué; l’autre blessé grièvement, et lenbsp;troisième eu train de l’être.

Au même moment sortirent du bois voisin six vilains, embStonnés de haches et couverts de cape-lines defer.

Ces vilains, voyant trois chevaliers mal-meiiés par un seul, trouvêrent tout simple de courir sus anbsp;ce dernier,et ils lui auraient fait un mauvais parU,nbsp;si Lisvart n’avait jouc du couteau avec agilite.nbsp;Trois de ces agresseurs-la furent tués comme usnbsp;méritaient de l’être. Les autres prirent la tuite.


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LES HERITIERS D’AMADIS. 43

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Lisvart les aurait volontiers poursuivis, mais son cheval avait repu un coup de hache qui lui avaitnbsp;ouvert Ie ventre; il fut force de mettre pied i terrenbsp;et de s’arrêter.

II avait chaud, il sortit du bois et alia vers une fontaine qui coulait dans la vallée, une fontainenbsp;oinbragde de quelques abrissaux.

Comment Ie chevalier de la VraieCroix, s'dtant endormi sur Ie bord d’une fontaine, cnlanditnbsp;la voix dun bel enfant qui lui indiqua cenbsp;qu’il avait i faire.

ituée dans un endroit charmant, on entendaitnbsp;cette fontaine faire son petit murmure sur un lit denbsp;cailloux blancs comme nei-p ge etreluisantscommeaciernbsp;I Son aspect rafraichissaitnbsp;'d’avance les gens altérés etnbsp;défatiguait les gens fatigues.

Lisvart, qui s’était vaillarament battu contre les trois chevaliers fé-lons et contre les vilains k capelinesnbsp;de fer, avait une soif ardente, et ilnbsp;éprouvait dans tous les membresnbsp;une lassitude extréme.

Joignez é cela qu’il n’avait pas mangé depuis son depart de Constantinople , et vous comprendreznbsp;sa joie lorsqu’il aperqut cette fontaine orabragée d’arbres : il allaitnbsp;enfin pouvoir se reposer !

II sapprocha done, óta son gan-telet, se débarrassa de son heaume, et, puisant é plusieurs reprises sanbsp;main dans Tonde transparente, ilnbsp;,nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;étancha la soif qui Ie poignait si vio-

lömment k la gorge.

Pendant ce temps, survinrent trois pasteurs, fa-hgués et altérés, eux aussi. lis n’avaierit pas, de prime abord, apergu Ie chevalier de la Vraie Groix,

ils s’étaient avancés sans défiance. Mais, en Ie ’rpyant, ils tressaillirent d’effroi et firent mine denbsp;s enfuir.

Lisvart, en se retournant, se trouva en face ^ eux.

, — Pourquoi me fuyez-vous? leur demanda-t-il he sa voix la plus douce.

Les trois pasteurs furent toutd’un coup rassurés, autant par Ie son de sa voix que par la jeunesse etnbsp;Pfr Ja beauté de son visage. Il les avait effrayésnbsp;f ’ puree qu’il était armé et que sou harnoisnbsp;_nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;désordre, par suite du combat acharné

4 1 venait de soutenir. Maintenant ils étaient

complétement revenus de leur première et fdcheuse impression è son endroit.

Lors done, ils s’approchèrent de lui, s’assirent au bord de la fontaine, sur Ie gazon, et, tirantnbsp;quelques viandes fumées de leurs pannetières, ilsnbsp;se mirent en devoir de manger avec un appétit ai-guisé par leur fatigue de la journée, et aussi par lanbsp;peur qu’ils venaient d’éprouver.

Lisvart les regarda faire, et, malgré la violence de sa passion pour Onolorie, il s’apergut qu’il n’avait pas mangé depuis prés de quarante-huitnbsp;heures.

Le regard d’involontaire convoitise qu’il jeta sur les pasteurs fut une révélation pour ces bravesnbsp;gens.

— Voulez-vous bien, seigneur chevalier, par-tager notre repas? lui demandèrent-ils, un peu honteux d’avoir mangé si goulument, sans songernbsp;qu’il y avait é c6té d’eux un chrétien qui avait peut-être faim.

— De grand cceur, mes amis, répondit Lisvart.

On fouilla dans les pannetières, et on choisit les meilleurs morceaux pour los lui offrir.

II dina ce jour-lè de fort bon appétit. L’eau de la source lui parut plus savoureuse encore qu’au-paravant.

Quand il eut fini, Lisvart remercia de nouveau les pasteurs, et, tout en échangeant quelques paroles avec eux, il ne put s’empêcher de s’étendrenbsp;sur le gazon pour défatiguer un peu ses membresnbsp;brisés.

Quelques minutes après, il dormait k poings fermés, du même appétit dont il avait diné.

Les pasteurs, qui avaient terminé leur modeste repas et que les soins de leur office appelaient ail-leurs, se relevèrent sans bruit et s’éloignèrent,nbsp;après avoir jeté un regard pitoyable sur le jeunenbsp;chevalier endormi, et Tav oir recommandé k lanbsp;bonne garde du Seigneur.

Au bout de quelques instants, ils avaient dispara dans les profondeurs de la vallée.

Lisvart dormait toujours, et Ton n’entendait plus que le va-et-vient régulier de sa respiration, qu’in-terroinpait parfois un soupir.

II songeait sans doute la belle et cruelle Onolorie.

Tout-è-coup, au beau milieu de son sommeil, c’est-è-dire de son rève amoureux, unevoix résonnanbsp;il ses oreilles, une voix claire, sonore et harmo-nieuse comme du cristal ébranlé.

— Lisvart!... Lisvart!.,. Lisvart!... cria la voix.

Le chevalier de la Vraie Croix, s’entendant ainsi nommer, se réveilla en sursaut, et regarda d’unnbsp;air effaré tout autour de lui.

D’abord il ne vit rien. Puis, peu k peu, les brouil-lards du sommeil se dissipapt, il apergut k deux pas de lui, calme, rose, souriant, beau comme lenbsp;jour, nu comme la vérité, un jeune enfant qui lenbsp;regardait le plus gentiment et le plus doucementnbsp;du monde.

Involontairement, Lisvart prit peur, lui si vail-lant d’ordinajre.


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44 BIBLIOTHEQUE BLEUE,

44 BIBLIOTHEQUE BLEUE,

— Qui es-tu ? deraanda-t-il en cherchant k s’é-loigner.

— Je suis celui qui est, répondit I’enfant de sa voix résonuaute et harmonieuse. Je viens vers toinbsp;pour te consoler et te guider... Les jeunes hommesnbsp;comme toi ne doivent pas se décourager ainsi quenbsp;tu Ie fais... 11 y a dans ce monde des baumes pournbsp;toutes les blessures, des consolations pour toutesnbsp;les douleurs... Les vieux seuls ont Ie droit de senbsp;désespérer, paree qu’au-delJi de la vieillesse, il n’ynbsp;a rien que Ia mort... Tu as un large avenir devantnbsp;toi, et si tu rencontres des ronces sur ton chernin,nbsp;c’est pour te faire mieux seutir la beauté des fleursnbsp;que tu auras k cueillir...

— Que dois-je faire? deraanda Lisvart éperdu, ne comprenant rien a cette apparition.

— Tu vas déloger de céans, oü il ne fait pas bon a rester pour toi... Tu prendras Ie chemin dunbsp;cloltre que tu vois lit-bas; il te mènera jusqu’amp; unnbsp;rocher derrière lequel tu trouveras un ermitage...

Une fois IJi ?...

— Une fois la, tu sauras ce que tu as h faire...

— Mais encore?...

Lisvart interrogeait encore, que Tenfant avait disparu.

II se frotta les yeux a plusieurs reprises, croyant a un rêve, et fort émerveillé de cette seconde vision, parente de celle qu’il avait eue la nuit précé-dente dans la forêt.

Toutefois, rêve ou réalité il résolut de suivre l’indication qui venait de lui être donnée, d’autantnbsp;plus qu’il n’avait rien autre chose a faire qu’a allernbsp;devant lui. II ne voyait pas ce qu’il avait a gagnernbsp;en restant couché au bord de cette fontaine; et ilnbsp;comprenait, au contraire, qu’il ne pourrait trouvernbsp;de distractions a sa peine araoureuse que dans unenbsp;agitation du corps et de l’esprit.

En conséquence, il se leva, non sans avoir re-gardé soigneusement autour de lui pour s’assurer qu’il était bien seul, et que l’enfant qui lui avaitnbsp;parlé ne s’était pas réfugié, pour l’épier, dans Ienbsp;voisinage.

La plusprofonde solitude régnait dans l’endroit de la vallée oü il se trouvait en ce moment. Le seulnbsp;bruit qu’on entendit était des ramages d’oiseauxnbsp;dans les ramures de la forêt prochaine.

Lisvart soupira derechef en songeant au bonheur de ces oiseaux et de ces oiselles qui ramageaientnbsp;ainsi paree qu’ils s’aimaient, et il se rait a chemi-ner droit devant lui.

II rencontra bientót le sentier de droite que lui avait indiqué l’enfant. II le prit et s’y engagea ré-solüment, quoi qu’il dut lui arriver.

Ce sentier était un peu raontueux.^ II le suivit sans se préoccuper de la difficulté de 1’ascension.

Quand il fut au bout, c’est-ê-dire lorsqu’il eut atteint le rocher qui lui avait été annoncé, il com-inenca acomprendre que l’enfant était une réalité,nbsp;puisqu’eti sornrae il n’était jamais venu dans eetnbsp;endroit, et n’avait pu soupeoiiner la presence decenbsp;rocher dominant ainsi la vallée.

Ge qa’il vit le confirma dans cette créance.

11 était arrivé sur une sorte de plateau au milieu duquel s’élevait un ermitage, l’ermitage dont luinbsp;avait parlé l’enfant.

— II y a dans tout ceci. murmura-t-il, un mys-tére qui m’émerveiüe... Je ne rêve pas, puisque je me sens marcher et que j’ai parfaite consciencenbsp;de mes actions... Je crois reconnaitre en toutesnbsp;ces choses la main du sage Alquif... G’est lui qui,nbsp;sous des formes différentes, m’a parlé cette nuit etnbsp;rn’a conseillé tout-a-l’heure!... G’cstlui... je n’ennbsp;don te plus!...

Comme il disait ces mots, il aperqut devant lui un poteau auquel étaient attachées des armesnbsp;noires, et un parchemin sur lequel étaient tracéesnbsp;quelques lignes.

II s’approcha de plus prés, et Int :

« Ces armes noires sont pour toi. Tu as bien fait de suivre les conseils qui font été donnés. Tu ferasnbsp;bien encore de suivre les présentes indications.

« Au revers de cette montagne, derrière l’ermi-tage, il y a un sentier qui dévale jusqu’ê Ia rner. Prends ce sentier, suis-le bardiment. Quand tunbsp;seras arrivé sur la grêve, tu trouveras une barque;nbsp;tu monteras dedans, et...

« Que le ciel te conduise et te protégé!...»

Le chevalier de la Vraie Groix conamenca h se senlir réconforté en pensant qu’une puissance in-connue s’occupait ainsi de sa vie. 11 en augura biennbsp;pour le succes futur de son amour, bien qu’il luinbsp;semblat difficile de faire revenir la princesse Ono-lorie sur le cruel arrêt qu’elle avait prononcénbsp;centre lui.

II se dépouilla des armes qu’il portait, revêtit les armes noires suspendues au poteau, et, celanbsp;fait, il tourna autour de l’ermitagepour découvrirnbsp;le sentier dévalant.

Lorsqu’il l’eut découvert, cache dans un bouquet de ronces sauvages, il en écarta les branches et s’ynbsp;engagea courageusement.

Une demi-heure après, il se trouvait au bas de la montagne, sur la grêve, le long de la mer.

II ne lüt pas longlemps sans apercevoir la barque.

CHAPITRE XXXII

Comment le chevalier de la Vraie Croix entra dans une barque, et, après quatre jours de navigation, fit rencontre do chevaliers corsaires qui enlevaient Alquife.

ne fois dans la barqne» Lisvart se mit k naviguernbsp;en pleine mer, laissant Icnbsp;vent souffler dans ses

voiles, sans plus s’embar-

rasser d’oü il venait, du nord OU du midi, denbsp;droite ou de gauche, assure qu’il était raamte-

nant qu’il ne pouvaitque le conduire a bonnesnbsp;aveutures.

11 fut quatre jours et


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autant de nuits a crrer ainsi fi la merci des vents et des flots, abaiidonnant loujours Ic vaisseau è sanbsp;propre impulsion, comme s'il se fut agi de toutnbsp;autre que de lui-même. Persomie ne Ie rencontranbsp;et il ne rencontra personne, d’oü il résolut de s’ap-pelcr désormais Ie Chevalier Solitaire.

Le cinquième jour, il apergut venant k lui, une grande barque a voiles déployées, dans laquellenbsp;dtaient quatre chevaliers armés de toutes piècesnbsp;f t unederaoiselle que ces quatre chevaliers teuaientnbsp;liée par une grosse chaine.

Ces chevaliers, Lisvart ne les connaissait pas. Hlais cette prisoiinière qu’ils emraenaient ainsi, ilnbsp;la reconnut parfaitement, lorsqueles deux, barquesnbsp;se furcnt ra[tprochées.

C’était Alquife, la fille du sage Alquif.

— nbsp;nbsp;nbsp;Damp chevalier aux armes noires! lui criè-rent les corsaires, rendez-vous ci merci, et vousnbsp;aurcz la vie sauve... Sinon, la mort!...

— nbsp;nbsp;nbsp;Dieu me garde, répondit Lisvart, de tombernbsp;entre vos mains!... Car si vous traitcz ainsi lesnbsp;femmes, comment me traiterez-vous done, moi,nbsp;pauvre chevalier?...

Les corsaires, enlendantcela, jetèrentles agrafes pour haq)per le navire de Lisvart et le coller aunbsp;leur. Puis, mettant Fépée la main, ils sautèrentnbsp;tous quatre, et se trouvèrent en face du jeune che-Valier de la Vraie Croix.

Alors commenga un combat apre et sanglant, et en tous cas, assez inégal, Lisvart étant seul contrenbsp;quatre.

Pendant que les corsaires et lui s’escriraaient, frappant d’estoc et de taille, Alquife, ti genoux surnbsp;le pont de son navire, priait Dieu avec grande fer-veur pour qu’il donnat la victoire au Chevaliernbsp;Solitaire.

Celui-ci, malgré sa vaillance et son habileté, auraitcertainement succombé. Déjk l’un des quatrenbsp;eorsaires venait de lui donner sur l’armet, amp; l’en-droit de la nuque, un coup qui eüt pu être mortel,nbsp;si Lisvart n’avait fait un mouvement adroit. Aunbsp;lieu d’etre tué ou blessé, il ne fut qu’étourdi, etnbsp;encore seuleraent l’espace d’un éclair.

Se redressant alors, furieux, il fit vitement porder au coupable pénitence de ce pêché en lui cou-pant, d’un revers de sa bonne épée, haubert et oiaille, chair et tout.

Le corsaire tomba mort aux pieds de ses compagnons qui reculèrent, un peu chagrinés de cette jnort; et, dans ce recul, l’un des trois qui res-‘¦nieiit, se penchant trop vivement en arrière,nbsp;tomba dans Peau, au fond de laquelle il fut porténbsp;tout naturellcmeiit par Ia pesanteur de ses armes.nbsp;Poissons aussi squammeux nagent mal, en effet?

Lestaient deux corsaires, lesquels, ébahis de la perte de leurs compagnons, jugèrent prudent denbsp;plier le genou et de demander leur pardon.

— Cela ne me regarde pas, leur répondit rude-ï^ont Lisvart. C’est 1 atïaire de cette dempiselle que ''ons emmeniezsi indignement enchainée... II fautnbsp;fio elle se prononce... si elle veut votre mort, vousnbsp;mourrez sans remission; si elle veut votre grace,

vous 1’accorderai, quoique a contre-eoeur, car 'ous me faitps 1’effet de paillards bien endurcis 1...

Demoiselle, ajouta-t-il en se tournant vers Alquifc’ que faut-il faire de ces corsaires? Prononcezl...

Alquife avaitététémoin de la prouesse du Chevalier Solitaire, et elle désirait au fond de son ame que ce füt Lisvart ou Périon, sans penser qu’ellenbsp;püt être si prés de la vérité.

Elle répondit:

— Hélas! scimeur, puisque j’ai le bonheur de rencontre!’ un chevalier qui secourt si courageu-sement les demoiselles en peril, je ne sais pasnbsp;avoir d’amertume contre ceux qui ont agi tout aunbsp;contraire de lui... Par ainsi, je vous supplie denbsp;leur octroyer la vie, k la condition qu’ils me con-duiront oü je voudrai aller...

— Condition fort douce I dit Lisvart. Vous êtes en vérité beaucoup trop bonne 1...

Alquife reprit:

— II me semble juste qu’ils me conduisentdans mon vrai chemin, puisqu’ils m’en ontdétournée sinbsp;mal k propos...

— Quel était ce chemin, demoiselle? demanda le chevalier de la Vraie Croix.

— C’éfait, reprit Alquife, un voyage fait en vue de deux excellents chevaliers, lesquels, lorsqu’ilsnbsp;vous connaitront un jour, vous remercieront cer-tainement du service que vous leur aurez rendu ennbsp;me secourant...

— Seigneur, dirent les deux pirates, toujours a genoux; seigneur, nous vous obéirons, ainsi qu’knbsp;cette demoiselle... nous vous le promettons etnbsp;jürons par le Dieu vivantl... Ordonnez done l’unnbsp;ou 1’aulre.

Lisvart avait reconnu Alquife, nous l’avons dit. II se doutait bien, surtoiit d’après ce qu’elle venaitnbsp;de lui répondre, qu’elle revenait de Trébisondenbsp;vers lui et Périon, de la part de Gricilerie et d’0-nolorie...

A cette pensée, un tremblement dont il ne fut pas maitre s’empara de lui. II se sentit pahr etnbsp;rougir cent fois dans une minute.

— Je suis Lisvart 1... allait-il lui crier.

Alais il se contint et retint, de peur que la bonne Alquife, sachant qu’il était Lisvart, ne lui racontat,nbsp;de la part d’Ouolorie, quelque nouveau dédain,nbsp;plus cruel encore, de cette maitresse tant aimée.

II se tut done lamp;-dessus. 11 arrêta les battements de son coeur et l’aveu qui allait lui sortir des lèvres.

— Demoiselle, se cqntenta-t-il de répondre, je vous prie de vouloir bien nie dire, si toutefois ilnbsp;n’y a pas quelque indiscretion a cela, quels sontnbsp;les deux chevaliers qui faisaient l’objet de votrenbsp;voyage?...

— Sire chevalier, répondit Alquife, ils sont en-fants du roi Amadis et de l’empereur Esplandian, estimés aujourd’hui entre les plus preux de lanbsp;terre...

— Et vous alliez vers eux ?

— J’allais vers eux pour une affaire qui leur est d’importance...

— A tous deux?

— A tous deux...

II y eut un silence de quelques secondes. Puis, la bonne demoiselle reprit :


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46 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

46 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

— J’étais descendue en une ile que j’avais ren-contrée sur ma route, afin d’y prendre quelque ra-fraichissement... Je metiouvai tout-^-coup cernée et saisie par ces pirates...

— Les misérables paillards I...

— nbsp;nbsp;nbsp;Je me hate d’ajouter, seigneur chevalier,nbsp;qu’ils ne m’ont pas fait d’autre mal que celui dontnbsp;Yous avez été témoin...

— nbsp;nbsp;nbsp;G’est heaucoup tropl... Un tel déplaisir mé-riterait un chatiment... Mais, puisque vous leurnbsp;avez pardonné, je n’ai plus rien èi faire qu’è menbsp;taire et a vous prier de continuer...

— nbsp;nbsp;nbsp;Je n’ai plus qu’li vous supplier, seigneurnbsp;chevalier, de leur commander de me conduire lènbsp;oü je veux aller, suivant la promesse qu’ils m’ennbsp;ont faite tout-tt-l’heure...

— nbsp;nbsp;nbsp;Et oü Youlez-vous aller, demoiselle ?

— nbsp;nbsp;nbsp;A Constantinople.

— nbsp;nbsp;nbsp;Et une fois lü?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Je serai è hon port et n’aurai plus hesoinnbsp;d’eux. lis pourront alors prendre congé et aller oünbsp;hon leur semblera...

— nbsp;nbsp;nbsp;Demoiselle, ma mie, soyez assurée que je desire grandement connaitre, pour les servir,les deuxnbsp;fils de prince dont vous venez de me parler...

—11 ne tient qu’ü vous, seigneur chevalier, et ü votre prouesse ainsi qu’ü votre courtoisie, je peuxnbsp;vous répondre d’avance qu’ils voustrouverontdignenbsp;d’êtreleur compagnon...

— Mais, c’est assez vous retenir, demoiselle !.,

11 est temps que vous alliez oü vous appelle votre office... Adieu done, et que Dieu vous ait en sanbsp;sainte et digne garde, comme vous Ie méritez !...

— nbsp;nbsp;nbsp;Et vous pareillement, seigneur chevalier.

Les agrafes qui retenaient les deux navires furent

enlevéespar les deux pirates, devenus aussi obéis-sants et attentionnés qu’ils étaient outrecuidants une heure auparavant.

— nbsp;nbsp;nbsp;Vous savez oü vous devez conduire cette demoiselle ? leur répéta Lisvart pour la dernière fois.

— nbsp;nbsp;nbsp;Oui, seigneur chevalier : tout droit ü Constantinople 1...

— Soyez courtois et respectueux envers elle, je vous y engage, si vous tenez a conserver votre têtenbsp;intacte sur vos épaules.

— nbsp;nbsp;nbsp;Nous serons respectueux et courtois, nousnbsp;vous Ie promettons.

Lisvart crut ü leur sincérité, et il leur abandonna volontiers Alquife. S’il eüt douté un seul instantnbsp;d’eux, il eüt préféré la conduire lui-même, malgrénbsp;l’envie qü’il avait de s’éloigner de Constantinople.

Chacun, done, étant dans son vaisseau, Alquife avec les corsaires, et Lisvart tout seul, la bonnenbsp;demoiselle s’avisa de lui demander son nom.

— nbsp;nbsp;nbsp;J’ai hesoin de Ie savoir, ajouta-t-elle, afin quenbsp;je puisse vous faire remercier un jour par ceuxnbsp;auxquels vous avez fait plaisiren m’en faisant... Et,nbsp;afin que je vous puisse désormais reconnaitre, ótez,nbsp;jevous prie, votre heaume qui me dérobe Ie visagenbsp;d un loyal chevalier...

— Demoiselle, répondit Lisvart, tout co que je jfjuis vous (lire, c’est que j’ai nom Ie Chevalier Solitaire... Quant ü ce qui est d’óter raon armet afinnbsp;de vous laisser voir mon visage, outre que cela nenbsp;vous satisferait que rnédiocrement, je ne Ie puisnbsp;avant d’avoir accompli Ie voyage oü je suis présen-tement engage...

Lisvart avait ü peine fait cette réponse, que les voiles de la barque qu’il montait s’enflèrent etl’en-trainèrent en pleine mer, du cóté opposé ü la routenbsp;que devait suivre la barque d’Alquife, c’est-ü-dire ünbsp;l’opposite de Constantinople.

Ainsi navigua-t-il pendant un, deux, trois, qüa-tre, cinq jours encore, et autant de nuits, sans rencontrer aucune aventure. La mer était pour luinbsp;un desert liquide.

Quant a l’état de son esprit et de son cceur, il était ü peu prés Ie même, a savoir que l’amour l’en-vahissait tout entier.

Parfois, songeant aux paroles d’Alquife et a l’objet de sa mission ü Constantinople, de la partnbsp;de la princesse Gricilerie et de sa soaur Onolorie,nbsp;i! se disait :

— Si c’était mon pardon qu’elle portait lü !... Hélas! douce amiel Quel tourment vous me causez,nbsp;sans sujet I Peut-être qu’ü quelque jour, je mourrainbsp;sans vous avoir revue 1...

Ainsi se plaignait Ie chevalier Solitaire.

Le sixième jour de sa navigation, il arriva en Pile des Serpents.

CHAPIÏRE XXXIII

Comment 1’empereur de Tróbisonde, avec sa tlolle, prit port en ses pays, ot des propos qu’eut la princesse Gricilerienbsp;avec la demoiselle Alquife.

écemment on a raconté, s’il vous en souvient, qu’en même tempsnbsp;que Lisvart sortait de Constan-j tinople, en sortaient aussi, ennbsp;v^grande partie, les princes venusnbsp;\ rau secours de la Thrace, et en ¦nbsp;I j tr’autres l’empereur de Trébi'nbsp;7 sonde, accompagné duchevaliefnbsp;sA. de la Sphere, de Floresfan et denbsp;PjGalvanes.

Les vents leur furent con-traires. Peu s’en fallut que leurs ! navires, le jouet des flots, n®nbsp;'s’allassent briser sur les cótes,nbsp;etsurlosrécifs dontelles étaientnbsp;bordées. Tantót les flots s’apai-saient, et alors chacun se mettaiinbsp;a espérer de plus belle, se pro-‘mettant par avance toutes les

_____ nbsp;nbsp;nbsp;joies du retour, les mères a em-

brasser, les amis k revoir, los maitresses k recon-forter, et les mille aulres choses dont se compo' sent les félicitós humaines, petites ou grandes.



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LES HERITIERS D’AMADIS. 47

Tantót, au contraire, la bonasse disparaissaitpour raontrer l’inanité des espoirs des hommes, et fi celtenbsp;bonasse succédait une épouvanlable tempête, ton-nerre, éclairs, pluie, grêle, et Ie reste, toutcela aunbsp;milieu des ténèbres, sur un sol qui sc déchirait énbsp;chaque instant et ouvrait de larges gueules commenbsp;pour engloutir les vaisseaux et les gens qu’ils por-taient.

Ces alternatives de soleil et d’orage, d’angoisses et d’espérances, durèrent un mois entier, au boutnbsp;duquel, ünalement, l’ernpereur et sa suite prirentnbsp;port a Trébisonde.

Si les voyageurs furent heureux d’être arrivés au terme de leur voyage et de leurs peines, il uenbsp;faut pas Ie demander.

Mais aussi, leur bonheur trouva son pared parmi les gens qui les attendaient. L’impératrice et lesnbsp;autres dames de la cour furent fort aises dc ce retour tant souhaité et si vainement attendu pendantnbsp;un si long temps.

Les autres dames, a l’exception de la belle et malheureuse princesse Onolorie.

Elle avait écrit é sou ami une lettre bien duro, bien cruelle, et surtout bien imméritée, maisnbsp;qu’elle avait cru de son devoir de maitresse outra-géed’écrire et d’envoyer é Lisvartpar son écuyer.nbsp;Mais, au fond, cette manifestation de la jalousienbsp;extravagante lui avait coüté, et, par moments,nbsp;elle regrettait de s’y être laissé eraporter, trouvantnbsp;dans son cceur et dans son amour des excuses, desnbsp;faux-fuyants, des attenuations au crime de lèse-fidélité qu’elle se croyait autorisée a reprocher aunbsp;chevalier de la Vraie Groix.

Le retour de l’empereur de Trébisonde, son père, avec son cortege de chevaliers qui, tous,nbsp;avaient une affection a sa cour, la poigna plusnbsp;douloureusement encore.

Lisvart n’était pas parmi les chevaliers qui re-venaient.

Aussi, pendant que toutes les dames ét demoiselles de la suite de sa mère et d’elle-même, se livraient, hauteraent ou en particulier, au plaisirnbsp;de retrouver leurs amis, sains etsaufs, et toujoursnbsp;amoureux, après une si longue absence, Onolorienbsp;seule s’affligeait, et avec raison. C’est si triste denbsp;voir les autres se réjouir, surtout lorsqu’on a déjanbsp;des raisons particulières de pleurer 1

Onolorie ne voulut done prendre aucune part, tnais aucune, si minime qu’elle put étre, a l’allé-gresse générale et aux fètes splendides qui se don-iièrentpour faire accueil au vieil empereur de Tré-hisonde et é ses vaillanls compagnons. Elle boudanbsp;tant et si bien, que sa mère, malgré sa joie et l’oc-Cupation que lui donnaient ces fêtes, finit parnbsp;Pcendre alarme et par s’inquiéter affectueusementnbsp;du visage pale et amaigri de sa fdle Onolorie.

Mais, il toutes ses questions, cette malheureuse princesse se contenla dc répondre d’un air qui dé-^runtait beaucoup ses paroles:

— Je n’ai rien, madame, absolument rien, je t^ous jure.

Oourquoi alors cette paleur et eet air navré?...

Je suis pale et navrée sans cause, madame,

comme sont toutes les jeunes filles k de certaines heures, é ce qu’il parait...

C’était une réponse comme une autre, et certes rimpératrice eüt préféré que sa fille lui donnat denbsp;meilleures raisons. Toutefois, en l’absence de cesnbsp;raisons-la, elle fit semblant d’en croire Onolorie etnbsp;de ne pas attacher plus d’importance qu’elle-mêmenbsp;é ses allures mélancoliques; mais, a part soi, ellenbsp;se promit de la surveiller aussitót que les fêtes se-raient passées.

Si Lisvart n’était pas la, Florestan, Galvanes et le chevalier de la Sphere y étaient, et leur pré-sence réjouissait grandement leurs mies, qu’ils en-fretenaient le plus souvent possible de l’affeclionnbsp;qu’ils leur portaient, et de la servitude en laquellenbsp;l’amour les tenait.

On en était lii, enpleines réjouissances publiques et particulières, lorsque huit jours après l’arrivéenbsp;de l’empereur et de ses compagnons a Trébisonde,nbsp;la demoiselle Alquife demanda k être introduitenbsp;auprès de lui.

Elle parut, accompagnée de quatre hommes qui portaient solennellement la tête d’un monstrueuxnbsp;serpent.

— Sire, dit Alquife après avoir fait la révérence qu’elle devait, je vous apporte céans nouvellesnbsp;toutes fralches du meilleur chevalier de la chré-tienté...

— Et quel est-il done? demanda le vieil empereur. Est-ce que je le connais ?...

— On le nomme le chevalier Solitaire, répondit Alquife; voila tout ce que je sais de son nom.nbsp;Quant a ses actions, c’est autre chose, car je l’ai vunbsp;a l’oeuvre et je vous promets qu’il travaille bien. 11nbsp;m’a une première fois sauvée des mains de quatrenbsp;corsaires... Puis, comme je m’en revenais, j’ai éténbsp;assaillie par une tempète qui m’a jetée loin de manbsp;route, sur la cóte de l’ile Serpente, oü j’ai été faitenbsp;prisonnière, et d’oü j’ai été délivrée, ainsi quenbsp;Gastilles et Tartarie, par le même chevalier quinbsp;était venu aborder la... Voila la tête du serpentnbsp;monstrueux qu’il a tué; vous jugez que cela n’anbsp;pas dü être une petite besogne... De plus, il a misnbsp;hors d’état de nuire le géant, roi de cette ile, aprèsnbsp;un combat oü cent autres que lui auraient éténbsp;vaincus 1...

— Pourquoi ne vous a-t-il pas accompagnée céans?...

—Son devoir 1’appelait ailleurs... Je crois, Sire, que ce n’est pas le devoir, mais l’amour qui lenbsp;mène... Etre si vaillant et être si malheureux ennbsp;femme, cela n’est pas équitable 1...

— Je suis de Yotre avis, demoiselle.

Ge récit fit impression sur tout le monde, et principalement sur Périon, qui supposa que cenbsp;chevalier Solitaire ne devait être autre quo son beaunbsp;neveu Lisvart.

L’empereur remercia Alquife, et, après avoir grandement admirélatête monstrueusedu serpent,nbsp;il la fit clouer sur la principale porte de son palais,nbsp;avec une fresque pointe tout autour et représentant le combat tel qu’il avait eu lieu d’après le récitnbsp;d’Alquife.

Dans la soirée, Périon et cette dernière se ren-


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48

BLBLIOTHEQDE BLEUE.

contrèrent ft part. Lors, Alquife demanda au chevalier de la Sphère quel traitement il recevait de la princesse Gricilerie.

— Sans vous, ma grande amie, répondit-il, je crois que raon affaire irait de mal en pis, car sonnbsp;amitié pour moi décroit de jour en jour...

Le propos en resta lè.

Le lenderaain, Alquife ne raanqua pas de s’a-dresser secrèlement è Gricilerie, el de s’enquérir auprès d’elle de l’accueil qu’elle avail fait è Périonnbsp;depuis son arrivée.

— Ahl ma grande amie, répondit la princesse, pire que moii coeur ne le desire, car je n’ai pasnbsp;encore eu l’occasion de I’entretenir en particulier,nbsp;ni de lui dormer aucun témoignage d’amitié...nbsp;L’impératrice ne me quitte pas, et aussi ma soeur.

— Eu bonne foi, madame, vous avez lort... On dit que nécessité estmère des arts... Mais l’araournbsp;vrai est encore plus ingénieux. Si vous aviez voulu,nbsp;vous auriez bien pu inventer un moyen de commu-niquer en particulier avec votre bel ami... II vousnbsp;était aisé, ce me semble, de le faire venir la nuitnbsp;par le jardin sur lequel donnent vos fenêtres, etnbsp;la deviser avec lui aussi librement qu’il vous eütnbsp;convenu.

— Vous dites tres bien, répondit la princesse, et je ne m’étais pas encore avisée de ce moyen...nbsp;Mais puisque vous me l’indiquez, j’enprofiterai...nbsp;Par ainsi, trouvez, je vous prie, le chevalier, etnbsp;faites-lui entendre que la muraille de ce verger estnbsp;basse et que la fenêtre de ma chambre est d’un

accès facile ; je ne manquerai pas de m’y trouver ce soir, sur ie minuit... Pour Dieu! ma grandenbsp;amie, persuadez-le tantct si bien. qu’il vionue !...

— Laissez-moi faire, dit Alquife, je vous le pro-mets pour lui.

La-dessus clle quitta la princesse et alia retrou-ver le chevalier de la Sphère.

Celui-ci gucttait son retour avec une impatience que comprendront les amoureux.

— Eh bien? demanda-t-il.

— Eh biem! chevalier, répondit Alquife, vous avez le bonheur que vous inéritez d’avoir... J’ainbsp;plaidé votre cause auprès de la gente princessenbsp;Gricilerie, et, je dois vous l’avouer, je n’ai pas eunbsp;grande peine a la gagnerl... Vos qualités ont éténbsp;vos raeilieursavocals, elles ontparlé plus éloquem-raent que moi aux oreilles, aux yeux et au coeur dénbsp;votre mie...

— nbsp;nbsp;nbsp;Finalement ? dit Périon, qui grillait dans sanbsp;peau.

— nbsp;nbsp;nbsp;Finalement, répondit Alquife, Gricilerie vousnbsp;attend ce soir, a minuit, dans le verger sur lequelnbsp;donne sa chambre ècoucher... Le mur n’estpasnbsp;haut... Vous pourrez l’escalader facilement...

Alquife parlait encore, que le chevalier de la Sphère ne l’écoutaitplus : il était déji parti,l’heurenbsp;du rendez-vous s’approchant!

La bonne demoiselle Alquife, voyant cela, ne s’en scandalisa pas. Tout au contraire, clle souritnbsp;et comprit...



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LE

CHEVALIER DE L'ARDENTE EPEE

CHAPITRE Iquot;

Comment Ic chevalier de la Sphère s’en alia au rendez-vous qu’Alquise avail obtenu pour lui de la princcsse Gricilerie,nbsp;et du plaisir qu’ils en curent l’un et l’autre.

Périon couchait d’ordinaire avecFlorestan. Bien ‘ï'i jls fussent grauds amis, il ne jugea pas a propos,nbsp;jour-la, de Ie ineltre au courant de sou expedition nocturne.

Done, lorsqu’il supposa qu’il était suffisamment endormi, il se leva a pas deloup, prit son épée, senbsp;couvrit d’un raanteau d’écarlate brun, sortit se-crètement de son logis et s’en vint au jardin dontnbsp;il franchit lestement la muraille. .

Au même moment une l'enêtre s’ouvnt sans bruit. Périon Ie coeur battant d’aise, s vitemcntnbsp;et apercut la princcsse seule, et semblable, pour Ienbsp;costume, Diano surorise par Acteon.

Le chevalier do la Spliére, quoiqu il eut dos yeux aussi clairvoyants que ce chasseur païen, ne fut ce-nendant pas change cii cerf comme lui. 11 ne luinbsp;‘nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;T” Série. — 1


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BIBLIOTHEQUE BLEUE.

poussa aucune corne sur Ie chef, mais I’emotion qu’il ressentit h celte vue fut si vivo, qu’enthou-siastné, il se sentit pret a en;lurer la mort pour sanbsp;belle maitresse, et, après cette mort, utie aulre, sinbsp;possible était de mourir deux fois.

Quoique tremblant comme une feuille, Périon eut assez de présence d’esprit pour ne pas trop senbsp;pamer d’aise et pour se servir óloquemment de sanbsp;parole.

— Madame, dit-il a Gricilerie en lui faisant une profonde révérence, je puis m’estimer Ie plus heu-reux chevalier du monde, ayant regu de vous cettenbsp;faveur suprème, qui m’est plus chère que la vie...

— Mon ami, lui rópondit-elle de sa voix la plus melliHue, vous devez en savoir gré a vous-même etnbsp;non a moi... car Dien et la nature vous ont pourvunbsp;de tant de perfections, que vous savez forcer hbre-ment les dames... Par aiusi, mon doux ami,jenbsp;vous supplie de garder mon honneur et de vousnbsp;contenter des plus modestes larcins d’amour, etnbsp;non des grands, qui engagent trop... Si vous m’o-béissez, mon bel ami, je vous promets de cherchernbsp;et de trouver fréquemment des occasions pareillesnbsp;a celle-ci, afin de donner jouissance mon cceurnbsp;comme au vótre...

— Ahl madame, s’écria l’amoureux chevalier, je vous remercie de ce que vous m’accordez, et denbsp;ce dont je me reconnais indigne, tellement c’estnbsp;précieuse faveur et suave félicité... Néanmoins,nbsp;ajouta plus tendrement encore Périon, mis en ap-pétit par les trésors de beauté que Gricilerie étalaitnbsp;imprudemment devant elle; néanmoins, madame,nbsp;s’il vous plaisait de me permettre de baiser vosnbsp;belles mains blanches comme neige, et doucesnbsp;comme velours, vous rendriez bien plus grandenbsp;Fobligation que je vous ai, et vous combleriez lanbsp;niesure de ma béatitude.

— Mon ami, répondit Gricilerie, vous ne serez pas refusé, car mon coeur étant vótre, Ie reste denbsp;mon corps doit étre vótre aussi...

Lors, Gricilerie avanga sa main droite a travers la grille de la fenêtre, et pendant que Périon senbsp;penchait pour la baiser, elle se servit de son autrenbsp;main pour I’attirer plus prés encore d’elle, et pournbsp;le baiser, vaincue par I’amour. Elle s’y prit si fortnbsp;a propos, que leurs deux boucbcs se joignirent, etnbsp;si étroitement, et si savoureusement, que, n’eussentnbsp;été leurs bras retenus par la grille. Pun et 1’autrenbsp;fussent tombés pamés.

Périon, pour sa part, se mit ci trembler de telle sorte, qu’il en perdit la parole, et que le seul motnbsp;qu’il put prononcer, fut recueilli avec son soufflenbsp;par les lévres avides de la princesse Gricilerie.

Toutefois, au bout de quelques minutes de cette pamoison mutuelle, Périon, bien qu’il en regutnbsp;grande aise, se retira doucement en soupirant, denbsp;peur de s’être montré trop téméraire envers Gri-cilerie pour la privauté dont il avait use enversnbsp;elle.

-- Madame, lui dit-il a voix basse et emue, je vous supplie trés humblemcnt de ne point trouvernbsp;mauvais si je me suis oublié envers vous avec telnbsp;avantage, et de n'imputer cette faute, non k monnbsp;irreverence, mais a raon excès d’amour pour vous...nbsp;Di mcme vous jugoz que cette désobéissance aunbsp;respect que je vous dots mérite chatiment quel-conque, je suis pret a I’endurer, pourvu cependantnbsp;que vous ne me condamniez pas m’éloigner denbsp;vous 1...

— Mon doux ami, répondit la princesse d’une voix aussi frémissante de jouissance regne quepou-vait l’ètre celle du chevalier de la Sphere- monnbsp;doux ami, le chatiment que j’entends vous imposernbsp;sera de m’aimor le mieux et le plus longtemps quenbsp;vous pourrez, et surtout de ne pas vous éloignernbsp;de cette cour sans mon ordre formel, car le chagrin OÜ j’ai été pendant votre absence a failli menbsp;faire raourir... Gombien de fois, mon doux ami, jenbsp;me suis enquise des pays oü vous,pouviez être, desnbsp;mers sur lesijuelles vous pouviez naviguer, ne son-geant peut-être guèrehmoi, qui songeais tant cinbsp;vous 1 Gombien de fois j’ai fait venir céans les pilotesnbsp;les plus expérimentés pour savoir d’eux quels pé-rils vous raenagaient sur la route oü vous pouvieznbsp;être!... Gombien de fois des larmes abondantesnbsp;sont sorties de mes yeux et tombées sur mes jouesnbsp;en voyant la mer agitée, le ciel troublé, l’oragenbsp;prochain, la terapête menagante, et en pensant quenbsp;votre navire arrivait en ces moments terribles oünbsp;sombrent les équipages, oü s’engloutissent corpsnbsp;et biens 1... Sur mon Dieu, doux ami, la crainte denbsp;vous perdre m’a appris ü plaindre toute ma vienbsp;les pauvres femmes qui sont malades au même en-droit que moi, de la maladie que je n’ai pas cessénbsp;d’avoir depuis le jour oü vous avez eté armé chevalier en celte cour!...

Ainsi devisèrent nos deux amants pendant un bon bout de temps. Puis, insensibleinent, et denbsp;propos en props, ils en vinrent a parler de Lisvartnbsp;et d’Onolorie.

— Lisvart, dit Gricilerie, a eu tort de s’adresser a ma soeur, pour lui faire le lache tour dont il estnbsp;accusé...

—Comment, madame ? demanda Périon, étonné. Votre soeur s’est done trouvée offensée du tropnbsp;d’amour qu’il apour elle? Gar je ne lui connaisquenbsp;ce crime sur la conscience...

— Je ne sais pas comment vous prenez cette amitié, répliqua Gricilerie; il ne saurait être excu*nbsp;Sé d’avoir causé tort a Onolorie, je vous le répéte,nbsp;vu les promesses qu’il lui a faites avant son parlement...

Alors Gricilerie raconta ü Périon que Lisvart ayant étésecouru par Gradasilée, comme on l’a vunbsp;précédemraent, on n’avait attribué ce dévouementnbsp;qu’a une passion mutuelle, et que, le bruit en étantnbsp;venu aux oreilles d’Onolorie, elle était devenuenbsp;jalouse de Gradasilée.

— Ab 1 s’écria Périon, je comprends maintenanf pourquoi Lisvart s’en est allé saus me dire oü dnbsp;allaitl... II s’est exilé pour n’avoir pas ü souffri-rnbsp;par le spectacle du dédain que lui aurait manifestenbsp;votre soeur 1... Pauvre enfant, dont le seul crime,nbsp;je vous le répète, a été et est encore d’aimer tropnbsp;passionnérnent Onolorie!... Ah! je me porte sanbsp;caution, madame! Si la loyaulé d’amour se per-dait jamais sur terre, on la retrouverait en luil...

— Hélas! répondit Gricilerie, ce que vous me dites lü, mon ami, me comblo d’aise et d ennui...nbsp;D’aise, paree que je vois bien que le chevalier unbsp;la Vraie Groix est innocent... D ennui, paree qunbsp;je devine aussi que ma soeur mourra de douleu ,


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LE CHEVAIJER DB L’AHDENTE EPEE. S

LE CHEVAIJER DB L’AHDENTE EPEE. S

grande reuommée. Madame, dit

empereur, le chevalier de la

en pensant qu’elle a condamné injustement son ami ii l’exil et peut-être a la mort!...

— Madame, pvoposa Périoii, s’il vous plait de me donner congé, j’irai h sa quête et Je Ie ramè-nerai joyeux et anioureux aux genoux de votrenbsp;cruelle socur?... Je vous Ie ramènerai, ouje mour-rai h la peine!...

— Je vous en prie, répondit Gricilerie, pour ma sopur et pour moi. Vous lui rendrez Ie bonheurnbsp;qu’cllo a perdu, et vous doublerez Ie micnl...

L’aube du Jour commenpit a paraitre. Périon el Gricilerie se quitlèrcnt, é regret, en se promettantnbsp;de se revoir au mênie lieu 'a la troisième nuitéonbsp;suivante. La princesse rentrant dans sa chambre,nbsp;alia se glisser, toute frémissaiite encore des baisersnbsp;de Périon, sous ses draps parFuinés, pendant quenbsp;son amant, également ému des énivrautes caressesnbsp;qu’il avait reques d’elle, allait reprendre sa placenbsp;auprès de Florestan, son compagnon, lequel ncnbsp;s’était pas réveilló.

GIIAPIÏRE 1

Comment une fort gcnlo pucelle, en deuil, s'en vint a la cour tlo i'empcreur dc Tnlbisoiidenbsp;])our réclamer sccours d’un chevalier coulrenbsp;ses onclc.s, et comment Ie chevalier de lanbsp;Sphère dut parlir avec elle.

1u lendemain dn ce rendezvous , Ie chevalier de la Sphère se trouvait ti dinernbsp;ia la table de I’erapereurnbsp;|do Trébisonde, et je vousnbsp;laisse a penser s’il man-l \nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;occasion de dire

)^ ' avec ses yeuxa ceuxde la princesse Gi'icilerie, placée précisémeut en face de lui, combien il avait été heu-reux la veillo et combien il espérailnbsp;l’être encore dans deux jours.

Le diner élait torminé, les nappes étaient levées, et les valeis apporlaientnbsp;des aiguièrespleines d’eau pour que lesnbsp;{j /r nobles convives pussent se laver, lors-qu’on introduisit auprès de I’empereurnbsp;une trés gente pucelle, que de riches accoutrements de deuil faisaient paraitre plus belle encore.

Elle s’avanga, soutenue par un vieillard tl la barbe fleurie blanche, et suivie par douze demoiselles, vingt chevaliers et autant d’écuyers.

Ellesejetaen entrantauxpiuds du vieilempereur, pourmieux implorersa protection; mais ce prince,nbsp;ia relevant avec bonté, lui demanda ce qui l’amo-hait a sa cour et quel était le sujet de sou deuil.

— Sire, répondit-elle, avant de vous répondre, perraettez-moi do vous demander des nouvelles dunbsp;chevalier de la Vraie Groix, du chevalier do lanbsp;Sphèr(gt;, OU du chevalier Solitaire, tons trois de

raie Groix est absent (tour un temps dont j’ignore

la durée... Quant au chevalier Solitaire, je ne l’ai jamais vu, bien que, dopuis peu, j’aie beaucoupnbsp;entendu parler de lui, et fort avantageusement...

— nbsp;nbsp;nbsp;Mais le chevalier de la Sphère?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Gelui-la, c’est différent... Je peux vous ennbsp;donner nouvelles, car il est céans...

Périon s’avanqa et salua courtoisement la gente pucelle.

— nbsp;nbsp;nbsp;G’est moi qui suis le chevalier de la Sphère,nbsp;dit-il.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ah 1 seigneur chevalier, s’écria la noble demoiselle, j’ai entendu vantor vos prouesses... Jenbsp;sais que vous êtes aussi vaillaut que courtois etnbsp;que vous n’hésitez pas è prendre Ja defense desnbsp;femmes lorsqu’elles sont persécutées.

— nbsp;nbsp;nbsp;G’est en effet inon devoir de chevalier, répondit Périon, et, a cela faire, je n’ai pas grand mérite puisque tons les chevaliers en font autant...

— Tous, sans douto, reprit ia gente pucelle, mais non pas de la même faqon que vous. Vousnbsp;n’étes pas renommé pour rieu parmi les plusnbsp;preux et les plus hardis, et eest il cette cause quenbsp;je suis venue céans pour implorer votre secours...

. — Ge qu’il me sera possible de faire, je le ferai, dit Périon. Mais, ajouta-t-il, puis-je savoir aunbsp;moins en quoi vous éntendez utiliser mon bras?...

— Je suis, répondit la pucelle, fille du due d’Autricbe, lequel est mort il y a quelques annéesnbsp;me laissant héritière de son duché, mais, vu monnbsp;bas Sge, sous la tutelie de deux oncles plus avaresnbsp;que de raison... Pendant quelques années, cela anbsp;bien été; mais quand, grande fille, j’ai prétendunbsp;tout haut è mon bien paternel,k mon légitime avoir,nbsp;mes oncles s’en sont emparés en vertu de je nenbsp;sais quel droit...

— Du droit du plus fort, interrompit l’empe-reur. Gontinuez, madame.

— Je me retirai, reprit la jeune duchesse, les laissant tons deux dans Viemie, la principale citénbsp;dc mon heritage. Des seigneurs prirent mon sortnbsp;en pitié et ma cause en défense. Ils vinrent assiégernbsp;mes oncles, qui tinrent bon. Mais le siége se pro-longeant outre mesure, cela les a enuuyés, et biennbsp;que Vienne soit imprenable, ils ont résolu d’ennbsp;linir avec mes défenseurs et ils leur ont faitnbsp;savoir que si je pouvais trouver chevalier asseznbsp;hardi pour oscr se battre seal coutre eux deux, etnbsp;assez fort pour les vaincre, ils me restilueraientnbsp;mon héritage et se relireraient eu étranger pays...nbsp;G’est alors' qu’on ma parlé de trois vaillanls etnbsp;chevaleureux hommes, qui sont le chevalier de lenbsp;Vraie Groix, Ie chevalier de la Sphère et le cheva-vaber Solitaire, coinine les seuls qui pussent menbsp;tirer d’embarras en acceptant la proposition de mesnbsp;deux oncles... Voila, seigneur, pourquoi je suisnbsp;venue h la cour du glorieux empereur do lYébi-sonde, oü 1’on m’a assure que je trouverais lesnbsp;trois chevaliers que je viens do nommer... Desnbsp;trois, un seul se présente... G’est amp; vous, chevaliernbsp;do la Sphère, que je m’adresso; c’est è votre courtoisie et è votre bravoure que je lais appel...nbsp;Serai-je écoutée ou ropoussée?...

La jeune et belle duchesse d Aulncho se tut et olie attendit la réponse de Périon.

Celui-ci comprit qu’il s’était beaucoup trop engage envers elle, a cause de la promesse qu’il avait


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BIBLIOTHEQUE BLEUE.

faite, Ja nuit précédente, a Gricilerie, de ne point quitter Ia cour de Trébisonde saus son congé. Dansnbsp;son embarras, que cependant il ne voulait pasnbsp;laisser voir a la jeune duchesse d’Autricbe, ilnbsp;tourna ses yeux vers Gricilerie, qui comprit a mer-veille tout ce qu’il voulait, et qui lui dit en sou-riant :

— Chevalier de- la Sphère, veus hésitez a oc-troyer k cette dame ce qu’elle vous demande ?

— Je n’hésite pas, madame, répondit avec em-pressement Périon, qui vit bien que Gricilerie approuvait son départ.

Puis, se tournant vers la jeune et belle duchesse d’Autriche, il lui dit:

— Madame, je suis prêt... Quand vous plait-il que nous partions?...

— Sur-le-champ, répondit-elle.

Périon tressaillit. II songea au rendez-vous qu’il devait avoir deux nuits après ce jour avec sa chèrenbsp;mie, rendez-vous dont il s’était promis d’avancenbsp;tant de bonheur, et cela lui fit quelque chose d’ynbsp;renoncer aussi vite. Mais il était chevalier, il avaitnbsp;donné sa parole, son devoir passait avant sa félicité.

— nbsp;nbsp;nbsp;Parlons done, madame, dit-il jeune duchesse d’Autriche.

— nbsp;nbsp;nbsp;Partons, répéta celle-ci,,heureuse de sa con-quête.

Lors, Ie chevalier de la Sphère prit respec-tueusement congé de l’ernpereur de Trébisonde, et, plus respectueusement encore, de la belle etnbsp;appkissante princesse sa fille, laquelle lui lanpa,nbsp;au moment oü il allait disparaitre, un de ces regards qui lui promettait Ie paradis h son retour.

Son écuyer amena son destrier, etil s’embarqua aussitót avec la jeune duchesse d’Autriche et sanbsp;suite.

CHAPITRE III.

Comment Périon et lajeune duchesse d'Autriche, en se ren-danl sur les cótes d’Allemagne, furent témoins d’un combat entre un géant et un chevalier que Périon reconnut pour être son cousin Garinter.

lis naviguèrent pendant un jour et une nuit, Périon songeant beaucoup plus au bonbeur qu’ilnbsp;quittait qu’K la gloire qu’il allait acquérir, et Ianbsp;belle duchesse songeant beaucoup plus é Périonnbsp;qu’a toute autre chose.

—¦ 11 est de belle mine et de fiére prestance 1 murraurait-elle en Ie regardant a la dérobée, avecnbsp;une admiration qu’elle ne prenait pas la peine denbsp;se dissimuler èi elle-rnême. C’est un vaillaut compagnon que j’aurai la!... Je ne doute pas qu'il ne soitnbsp;yainqueur de mes oncles... S’il est vainqueur,nbsp;i’aurai double plaisir è lui offrir ma personne etnbsp;mes Etalsl...

Ainsi pensait-elle, délicieusement chatouillée au eoeur par cette pensée.

Dórinn rqu’elle rêvait ainsi et que, de son cóté, ’nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;q'iö vous savez, la mer

S enfla et devmt funeuse... Après avoir élc ballotté

pendant quelques jours parlesvagues en courroux, ie navire qui les portait fut jeté, un vendredinbsp;matin, sur une cóte qu’ils ne connaissaient pas.

Devant eux s’étendait une belle et vaste plage, au milieu de laquelle s’élevait une riche cité, em-rnuraiilée et embastionnée é plaisir. Sur les toursnbsp;de cette cité étaient bon nombre de belles damesnbsp;et de belles demoiselles qui semblaient attendrenbsp;quelque spectacle qui tardait a se montrer. Parminbsp;ces dames, on en remarquait une, plus belle etnbsp;plus richement accoutrée que les autres, dont ellenbsp;semblait être la maitresse.

Au même instant sortit de la cité un géant armé d’une feuille d’acier, monté sur un grand chevalnbsp;bai, et tenant au poing une lance dont Ie fer aigunbsp;et luisant pouvait bien avoir une brasse de longueur.

11 s’avanoa au petit pas de son cheval vers un pavilion tendu sur la grève, et dont bientót sortitnbsp;un chevalier de belle taille, monté sur un chevalnbsp;alezan, avec armes vertes et un écu sur lequelnbsp;était peint un lion avec la tête mi-partie. II étaitnbsp;suivi de maints autres chevaliers dont on voyaitnbsp;les tentes éparses autour du pavilion.

Périon comprit qu’il y allait avoir bataille entre ce chevalier et ce géant. II Ie dit a la jeune duchesse d’Autriche, quicommanda aux mariniers denbsp;jeter les ancres afin qu’elle put, ainsi que son compagnon, jouir de ce combat.

La lutte ne fut pas longue. D’abord Ie chevalier cut Ie désavantage et chacun crut Ie géant vainqueur. Mais bientót sa longue lance fut brisée, etnbsp;il roula sous son cheval, non sans avoir désarcoiinénbsp;pareillement son adversaire. Tous deux alors, ainsinbsp;mis a pied, se relevèrent et marchèrent avec fureurnbsp;l’un centre l’autre. Quelques minutes après, Ienbsp;géant tombait lourdement sur Ie sable, les tripesnbsp;coupées de part en part par l’épée du chevaliernbsp;son ennemi.

Gelui-ci, sür de sa victoire, se jeta alors a ge--noux et remercia Ie ciel avec une ferveur qui prouva é Périon que c’était un chevalier chrétien.

La dame qui se trouvait avec sa suite sur lehaut de l’une des tours de Ja cité, voyant son géantnbsp;mort, n’en fit nul cas, et, tout au contraire, s’eiinbsp;vint sur la grève, avec son cortege, pour feliciter Ienbsp;chevalier aux armes vertes, et l’emmener avec elle.

Gomme ce chevalier venait de se débarrasser de son heaume pour mieux respirer, Périon poussanbsp;un cri de surprise qui fut entendu de tout Ienbsp;monde.

— Abordezl abordezl dit-il vitement aux mariniers.

Les mariniers abordèrent. Périon, alors, sauta sur la grève et courut vers Ie chevalier aux armesnbsp;vertes qu’il embrassa avec effusion.

11 venait de reconnaitre en lui Garinter, roi de Jugurte, qu’il n’avait pas vu depuis un assez long

temps. * nbsp;nbsp;nbsp;.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;4nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;1,

Garinter raconta a Périon qu’il ayait entenau proclamerquel’Istrie, reine de la cité oü its etaieut,nbsp;appartiendrait è quiconque la débarrasserait onbsp;géant Gudulphe, et qu’il était venu pour Ie cqm-battre comme avait vu Ie cbevalier de lanbsp;nbsp;nbsp;nbsp;*

Garinter était amoureux de la belle dame de 1 Is-trie, qui, de son cóté, était amourcuse de


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LE CHEVALIER DE L’ARDENTE ÉPÉE

Elle fit Ie meilleur accueil aux deux chevaliers, dont elle ne connaissait pas les noms, et elle dit,nbsp;devant Périon, è celui qui venait de la débarrassernbsp;de Gudulphe :

— Sire chevalier, je ne sais qui vous êtes, mais vous avez la meilleure fagon du monde, et vousnbsp;venez de me débarrasser d’uu géant ennuyeux quinbsp;avait la prétention de m’épouser malgré moi etnbsp;celle d eloigner, en les tuant, tous les prétendantsnbsp;?i ma main, plus jeunes et plus beaux que lui. S’ilnbsp;vous plait de vous mellre sur les rangs, j’en serainbsp;trés heureuse, et vous accueillerai de préférence ènbsp;tout autre...

— Madame, répoudit Ie chevalier aux armes vertes, je suis Garinter, roi de Jugurte. G’est vousnbsp;dire que je ne suis pas indigne de briguer 1’hon-neur d’etre votre mari...

^ — Sire, reprit l’Istrie, flattée d’apprendre cela, s’il vous plait de me faire l’honneur de m’accepternbsp;pour femme, avec ce royaume qui est de grandenbsp;clendue,j’auraiatteint la perfection de mes désirs.

Getto parole, proférée si gracieusementpar cette belle et sage priiicesse, enflarama de plus en plusnbsp;Ie coeur de Garinter, qui lui répondit en lui bai-sant la main :

— Je serais, madame, bien malaisé amp; contenter, et bien dépourvu de sens, si je n’acceptais avecnbsp;empressement et reconnaissance la grace que vousnbsp;me présentez la!...

Le chevalier de la Sphère fut trés aise de ce dé-noüment, é cause du bien qui en résultait pour son cousin.

Los noces furent célébrées avec grandes cérémonies, et Périon y assista avec la jeune duchesse d’Aulriche, qui souhaita en soupirant d’assisternbsp;bientót aux siennes propres avec le vaillant che-lier de la Sphère.

Puis, Garinler, une fois couronné roi des iles Cythérées et de l’lstrie, Périon et la duchesse pri-rent congé et se remirent en route.

CHAPIÏRE IV

Comment le clievalicr do la Sphère, en allant è Vienne, en Aulriche, avec la jeune duchesse, oc-cupa les loisirs de la traversée.

gt;; érion et la jeune duchesse cétoyèreiit longuement lesnbsp;Allemagnes avant d’arrivernbsp;en Aulriche, et, pour passernbsp;,nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;, le temps, ils jouèrent beau-

coup aux échecs, jeu auquel i . prenait un vif plaisir la jeune

r, ,, I princesse, é cause de 1’amour qu’elle ressenlait pour son compagnon et dunbsp;, besoin tju’elle avait de se trouver tou-jours avec lui.

Car eet amour, au lieu de diminuer, n’avait fait que s’accroiire dans la solitude oü ils élaient l’un et l’au-)tre. On ne vit pas impunémentnbsp;ctHe a cóte avec un chevaliernbsp;.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;vaillant et beau, quand on est

soi-meme pucelle et belle. nbsp;nbsp;nbsp;I

Pucelle, la jeune duchesse 1’était, ce dont au fond peut-êtreelle enrageait; tellement, qu’un soir,nbsp;ayant prolongé le jeu des échecs outre mesure, etnbsp;ses femmes étant couchées, elle résolut d’avoirnbsp;raison de Tindifférence de Périon é son égard et denbsp;lui déclarer entièrement sa pensée amoureuse.

Et de fait, perdant le voile de honte dont s’ac-coutrent d’ordinaire les femmes d’honneur, elle ouvrit Ia bouche pour dire au chevalier de Ianbsp;Sphère combien elle Paimait. Mais, au momentnbsp;d’entamer son propos, elle se trouva si émue, sinbsp;décontenancée, qu’elle commenga épalir et ^trembler...

Périon, étonné, lui demanda si elle avait quelque chose qui lui causat malaise.

— Hélas! chevalier, répondit la gente pucelle en soupirant et en regardant Périon avec une ten-dresse éloquente. Hélas! malheureuse fut pournbsp;moi la journée oü je vous ai vu pour la premièrenbsp;foisl... Car, pour recouvrer ma terre, je me suisnbsp;moi-rnême perdue!... Ayez pitié de moi, chevalier,

je vous en conjure 1..... Laissez mes pays prison-

niers de mes oncles, si vous voulez, mais rendez-moi ma libertél... Autrement, vous ferez mal, et vous tomberez en danger de recevoir blérae, quandnbsp;on saura que, sous couleur de pourchasser monnbsp;bien, vous avez ruiné ma vie 1.....Amour a telle

ment embrasé mon coeur et mon corps de votre beauté, chevalier, que si vous n’avez pitié de moi,nbsp;il est impossible que je dure...

Et, disant cela, la pauvre pucelle, qui ne voulait plus l’ètre, se renversa, pamée et toute enflam-bée, les bras étendus et les seins battants, sur lanbsp;poitrine de Périon, de plus eu plus étonné et denbsp;plus en plus embarrassé.

II y avait de quoi l’ètre, en effet. La jeune du-chfisse d’Autriche était merveilleusemeut belle, surtout dans ce désordre amoureux qui mettait ünbsp;découvert, et a la merci des mains et des lèvres dunbsp;chevalier, la gorge la plus blanche, la plus ronde,nbsp;la plus ferme, la plus appétissaute du monde.

Malgré cela, malgré ces séductions quasi irrésis-tibles, faites pour allumer le désir dans une statue de marbre, Périon allait héroïquement résister, ennbsp;souvenir et en honneur de sa mie, la belle prin-cessi! Gricilerie, lorsque la gente duchesse d’Autriche, voyant qu’il ne se décidait pas assez vite aunbsp;gré de ses sens en feu, l’attira doucement versnbsp;elle, bouche contre bouche, et lui donna un de cesnbsp;baisers arabroisiens qui vous feraient marchernbsp;nuds pieds sur des fers rouges.

Périon, je le confesse, Périon n’y tint plus. 11 oublia sa mie, il oublia son devoir, sa sagesse, sanbsp;chevalerie, sa vertu, tont, et rendit avec usure lenbsp;baiser de miel qu’il venait de recevoir de la bouchenbsp;de cette ardente pucelle qui se tordait sur sa pqi-trine comme une couleuvre dans une jatte de lait.nbsp;Ue sorte que bientót, après les lèvres, Penon futnbsp;en possession de la gorge, puis du surplus, cest-ü-dire du meilleur qui était en elle, et il la renditnbsp;sur riieure abondainmeut maitresse d un ouvragenbsp;oü elle n’avait pas encore eu de commencement

d’apprenlissage. nbsp;nbsp;nbsp;¦ . ^ ^nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;,

Ainsi passèrent-ils quasi toute la nuit dans ce doux jeu d’amour, plus agréable encore mille foisnbsp;que le noble jeu d’échecs, et oü Périon et sa mai-


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6 BIBLtOTHÈQUE BLEUE.

tresse improvisée s’ëvertiièrent ü prouver qu’ils étaient beaux joueurs.

Ils ne cessèrent leur partie qu’aux premières clartés de l’aurore, lassés mais non rassasiés, et Ienbsp;chevalier de la Sphère se retira en sa chambretle,nbsp;laissant la duchesse entre les mains de ses femmes,nbsp;lesquelles ne s’apergurent de rien, ou du raoinsnbsp;firent semblant de n’avoir rien remarqué.

Le soir, la partie d’écbccs recommenga entre Ie chevalier et sa friande compagne, puis, comme lanbsp;veille, il fut délaissé pour Tintéressant jeu d’amournbsp;que l’aube seule put interrompae.

Ges agréables parties durèrent autant que le voyage, et avec le même succes de part et d’autre,nbsp;c’est4-dire sans qu'aucun des deux joueurs pütnbsp;parrenir a faire l’autre échec et mat.

_ Mais hélas 1 tout prend fin en ce bas monde 1 L’amoureux commerce de Périon et de la gentenbsp;duchesse dut forcément cesser avec le voyage. Lenbsp;navire qui les portalt découvrit uii matiu Ié paysnbsp;d’Autricho et entra dans le port, devaut la grandenbsp;citi', pour rheurc assiégce.

CHAPIÏRE V

Comment les deux oncles dc la belle duchesse d’Autriche, ayaui menti k leur parole, Pdrion, pour les punir, usanbsp;d’mie ruse qui rcnjit la citd de Vienne enlrc les mains denbsp;sa maitresse.

La belle duchesse d’Autriche fut rcQue avec enthousiasme par ses sujels, ainsi que le chevalier qu’elle amenait avec ello.

Le jour mêrne, sur l’avis de Périon, un ancien chevalier, nommé Rriantes, fut envoyé vers Berlinnbsp;et Alintes, les deux oncles en question, pour leurnbsp;annoncer l’arrivéc de leur nièce et du championnbsp;qu’elle entendait leur opposer.

Alintes et Borlin, apprenant cela, n'en firent que rire.

— nbsp;nbsp;nbsp;L’ami, dirent-ils i Brianles, retournez versnbsp;votre maitresse, et diles-lui quo ce serail grandenbsp;folie a nous d’aventurer nos vies pour hasarder cenbsp;que nous tenons pour stir... Que si elle a pris beau-coup de peine pour trouver ce chevalier, son travail nous est plaisir, et sa peine est perdue!...

— nbsp;nbsp;nbsp;Ahl seigneurs, réfxmdit Briantes, vous nonbsp;serez pas loués des sages et des honnetes, denbsp;rompre ainsi votre parole et de mentir ainsi a votrenbsp;foijurcel...

¦—Allez, bonhomme, reprit Bortin en conge-diant le vieux chevalier; allez, bonhomme, et nc cause?, plus tant: ce sera sans profit pour vous!...

. Briantes, triste au possible, s’en reviiit vers la jeuneduchessequirattcndaitimpatiemmeiit.Qinndnbsp;ello cut appris la réponso de scs oncles, elle fatnbsp;uesespcrce. Heurcusement que le chevalier de lanbsp;Sphère était la pour la réconforter.

—Madame, lui dit-il, croyez bienque ces Inches paillards auront le loyer de leur impudence!...nbsp;Pour ma part, je vous jure bien que je ne partirainbsp;pas d’ici avant que la ville ne vous soit reudue etnbsp;Ics clefs remises entre les mains...

La jeune duchesse remercia chaudement Périon de celte assurance qui lui apportait tant de récon-fort; et, è partir de ce moment, il ne cessa de son-ger aux moyens de venir hbout de son entreprise.

Voici quelle ruse il imagina, car, pour prendre la ville de force, il n’y fallait pas compter ; ellenbsp;était imprenable.

Périon manda auprès de lui tons les capitaines pour savoir d’eux-mêmes comment ils étaient attachés k la duchesse, si peu ou si beaucoup, en gé-néral et en particulier. Après les avoir bien écoutésnbsp;tous, ainsi que les soldats, il leur dit;

— nbsp;nbsp;nbsp;Mes amis, la lune tarde présentement, 1’ob-scurité de la nuit est fort grande... ïenez-vonsnbsp;armés, et portez votre chemise blanche pardessusnbsp;le harnois afin de vous entrereconnaitre... Vousnbsp;avez en ce camp, k ce que j’ai appris, un grandnbsp;nombre d’échelles propres k i’assaut des murailles.nbsp;Je partirai sur les neuf heures et trouverai moyennbsp;d’entrer seul dans la ville... Aussitót que vous en-tendrez rurneur, laquelle sera provoquée par moi,nbsp;ne manquez pas de venir aux portes et de yous ennbsp;emparer, ce qui vous sera lacile, puisque je don-uerai d’un autre cótó de la tablature k ceux quinbsp;sont chargés de les défendre... Surtout, soycz diligents !...

Get avis, loué des uns et désapprouvé des autres, fut néanmoitis exécuté avec obéissance.

Aussitót l’heure venue, le chevalier de la Sphère prit ses armes et s’en alia au pied desnbsp;fausses brayes.

— Qui va Ik ? deraanda la sentinelle.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ami, lui répondit Périon, allez dire au duenbsp;Bortin et k sou frère Alintes, je vous pric, qu’il estnbsp;nécessaire que je leur [)arle, pour chose qui leurnbsp;importe grandeinent...

Ceux qui faisaient la ronde s’approchèreiit alors. L’un d’eux sc chargea de la commission, et, bien-tót après, il reviiit et dcscendit une échelle pournbsp;que Périon püt monter.

— nbsp;nbsp;nbsp;Gar, dit-il, on n’ouvrira pas aujourd’hui lesnbsp;portes, et le due desire vous entretenir au plusnbsp;tót...

— nbsp;nbsp;nbsp;G’est bien, répondit Périon, j’obéis k sounbsp;commandement.

II monta done l’èchelle et entra dans la villc par le rempart, d’oii quelques soldats, se détachantnbsp;aussitót, lui firent escorte jusqu’au palais oü ilnbsp;trouva Alintes et Bortin.

Le chevalier de la Sphère dèbuta par une pro-fonde révérence.

—L’arai, dit Bortin, ótez votre heaurne et parlez-nous en toute sürelé.

—Seigneurs, répondit le chevalier de Ia Sphèro, j’óterai mon armot quand il vous plaira, pourvu quonbsp;vous soyez tous deux seiils, car je n enteuds pasnbsp;être connu d’autres que de vous...

— Soit 1 répondit Alintes.


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LE CHEVAirER DE L’ARDENTE EPEE.

Lors, ils commandèrent k tous ceux qui étaient la de se retirer et de fermer la porte en sortant.

Les deux dues n’avaient pas Ie moindre soupgon des intentions du chevalier de la Sphère. Quand ilsnbsp;fureut seuls avec lui, ils lui dirent:

— nbsp;nbsp;nbsp;Or, maintenant que nous voilSi seuls tous lesnbsp;trois, vous pouvez parler k votre aise, l’ami... Parnbsp;ainsi, débarrassez-vous de votre heaume.

— nbsp;nbsp;nbsp;II ne m’embarrasse pas, au contraire, ïraitresnbsp;que vous ètes 1 répondit Périon en se précipitantnbsp;l’épée k la main sur Bortin, et en lui fendant la têtenbsp;jusqu’aux épaules.

II allait en faire autant k Alintes. Mais cclui-ci, auquel la peur donnait des ailes, avait déjk ouvertnbsp;la porte et il dévalait les dégrés en criant;

— nbsp;nbsp;nbsp;Alarme l Alarme l On tue votre seigneur!

Le chevalier de la Sphère ne jugca pas k propos de Ie poursuivre. Ilresta dans la chainbre pour ennbsp;garder l’entrée, et, pour augmenter encore le tu-multe qui commengait k se faire, i! cria lui-mèmenbsp;par les fenctres, afin d emouvoir les gens de la citénbsp;et de retirer les soldats des murailles.

La rumeur gagna part out en elfet. On accourut en foulc vers le palais, dans I’esperance de prendrenbsp;le meurtrier et de le tailler en pièces. Mais la portenbsp;dtait étroite, et forte était la muraille. Tout lenbsp;monde voulait entrer k la fois, pour venger Bortin,nbsp;ce qui permit a Périon d’abattre une douzaine desnbsp;plus imprudents, sans avoir regu seulement unenbsp;égratignure.

Cependantrémeutese renforgaitdeplusen plus, et, de plus en plus aussi, devenait menagante. Lesnbsp;uns accouraicut avec de lourds marteaux pournbsp;abattre le palais, et ensevelir Périon sous les dé-combres; les autres accouraient avec d’éiiormesnbsp;bouchons de paille pour incendier la maisoii et ynbsp;enfumer le chevalier de la Sphère comrae un re-nard. Ceux-lk mêmc qui faisaient la ronde sur lesnbsp;remparts, supposant que les ennemis pouvaientnbsp;avoir forcé quelque endroit des murailles, abandou-nèrent leur guet et vinrent se ranger en bataille surnbsp;le marebé...

Pendant ce temps, les sujets de la duchesse d’Au-triebe, fidèles au róle que leur avait tracé Périon, dressaient sans empêcbement leurs echelles, esca-Jadaient les murs, descendaient dans la ville, ennbsp;brisaient les portes pour permetlre au reste denbsp;1 arméo d’y passer, et, cela fait, semettaient a tuernbsp;ot a foudroyer tout ce qui leur faisait resistance.

La panique fut considérable, comme bien on pense. Périon put alors quitter la chambre oü onnbsp;•avait assiógé jusque-la, et se meier aux troupesnbsp;de la duchesse.

Alintes était parmi les fuyards. Mais, reconnu au détour d’une rue, il fut aussitót signalé k la vengeance dos assiégeanis, qui se gardèrent bien denbsp;•ui faire le moindre (juarlier.

GHAPITRE VI

Comment, après avoir remis la cité de Vienne entre les mains de la gente duchesse d’Autriche, le chevalier de lanbsp;Sphère jugea prudent de s’enfuir secrètement.

ieiine était reprise. Les troupes de la belle duchesse d’Au-triche étaient victorieuses. Le sang coula abondamment,nbsp;certes, k cause du désordrenbsp;inseparable d’une pareillenbsp;surprise dans un parcil moment, c’est-k-dire en pleinenbsp;obscurité.

Ce conüit eüt pu être plus cruel encore, si le chevaliernbsp;de la Sphère, par humanité, n’eüt commandénbsp;qu oncessat la tuerie, qu’on épargnat ceux des soldats qui tenaient encore pour Alintes et pour Bortin, et qu’on prit tous les ciloyens k merci.

La Jeune et belle duchesse apprit vitement cette bonne nouvelle, et elle arriva plus vitement encorenbsp;pour recevoir les serments de fidélité des habitantsnbsp;de la cité reconquise, et aussi pour féliciter sounbsp;vaillant amant 4® son esprit et de sou courage.

11 était grand jour lorsqu’elle, eiitra dans Vienne. Après les premiers baise-raains d’usage, elle s’en-quit du chevalier de la Sphère, et on lui réponditnbsp;qu’il était occupé k faire éteindro l’ineendie du palais.

On se rappelle que, daas les premiers moments du désordre provoqué par le meurtre de Bortin,nbsp;les défeiiseurs de ce due étaient accourus avec desnbsp;inarteaux et avec des torches pour enfoncer lesnbsp;portes de la chambre oü se ten ai t Périon, et, en casnbsp;de résistance, pour 1’enfumer Ik comme un renardnbsp;dans son terrier. G’est ainsi qu’un commencementnbsp;d’incendie s’était déclaré dans cette parbe du palais ; puis, de la, le feu s’était communiqué rapi-demeiit aux autres parties du monument qu’il me-nagait de réduire en cendres en trés peu de temps.

Grace aux efforts de la foule, encouragée par rexomple et l’aclivité du chevalier de la Sphère, lenbsp;feu fut circonscrit dans de raisonnables limites :nbsp;On lui donna uneproiea dévorer pour qu’il n’ennbsp;dévorAt pas de lui-mème une plus grande. Quandnbsp;la duchesse d’Autriche fut entree dans la cité, Pin-cendie n’avait plus de menaces graves, la moiliénbsp;seule du palais était consumée, mais on n’avait plusnbsp;k craindre pour le reste do la ville.

La duchesse fut de plus en plus lieureuse d’ap-prendre tout cela. On vint lui dire qu un certain nombre de partisans des dues Bortin et Alintes s’é-taient réfugiés dans une forteresse voisine du palais, et qu’ils demandaient k parleraenter, assurésnbsp;qu’ils étaient de la miséneorde de leur dame etnbsp;princcsse légitime.

Celle-^i leur fit grkce, comme k tous autres rebelles. Sou contentement était trop grand pour qii’elle songeat k user de rancune contre ceux qui


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BIBLIOTHEQUE BLEUE.

avaient (''té ses eiinerais volontaires ou involon-taires.

Avaiil midi, tont était fini, l’ordre était rétabli, la tranqiiillité avait reparu dans tous les cceurs.nbsp;Les soldats avaient quitté la ville, les citoyensnbsp;étaient rentrés dans leurs raaisous, il n’y avait riennbsp;de change, sinon qu’il y avait pour gouverner unenbsp;jeune et belle duchesse au lieu de deux vieux etnbsp;vilains dues. On avait crié : « Vive Bortin etnbsp;Alintes !... » On en fut quitte pour crier : « Vivenbsp;Ia duchesse d’Autriche ! » Et les affaires reprirentnbsp;leur cours, ni plus ni moins qu’auparavant.

Get heureux résultat était dü au chevalier de la Sphere, la duchesse ne l’oubliait pas. Aussi, chaquenbsp;jour, OU plutót chaque nuit, elle festoyait plus atn-plemont celui dont elle avait requ taut de bien etnbsp;tant de plaisir tout ensemble. Et elle avait h colanbsp;un double intérêt, Périon étant un aussi vaillantnbsp;compagnon d’atnour que de bataille.

Elle songea Me relenir, h Ie fixer auprès d’elle, et, pour cela faire, elle employa tous lesmoyens ennbsp;son pouvoir.

II y en avait un qui réussissait toujours et qui eüt réussi de la même faqon pendant de longuesnbsp;années; je veux parler des parties d’échecs pro-longées fort avant dans la nuit, et remplacées parnbsp;des parties d’amour prolongées jusqu’au jour. Périon ne se lassait pas de jouer, et la jeune duchessenbsp;encore moins. Tous deux avaient l’ardeur, l’insa-liabdité de leurs jeunes années, et leur beauténbsp;mutuelle était un condiment de plus destiné é avi-ver cette ardeur et è aiguillonner leur appétit.

Périon ne voyait rien au-delamp; de cette savoureuse félicité qui l’emparadisait chaque soir dans les brasnbsp;de la belle duchesse d’Autriche. II oubliait toutnbsp;volontiers, et il eüt ainsi oublié jusqu’au jour denbsp;sa mort, probablement, si Ie souvenir de la prin-cesse Gricilerie n’était venu traverser son espritnbsp;et sou ccEur, conime un reproche aigu.

II se réveilla alors comme en sursaut. Sa loyauté naturelle lui fit comprendre qu’il avait pris adleursnbsp;des engagements de c(£ur qu’il devait tenir, sousnbsp;peinc de forfaire ü la foi jurce : il résolut denbsp;parlir.

Certes, cette résolution lui coüta! Jamais la jeune duche.sse n’avait été plus belle, plus avenante,nbsp;plus amoureuse. La veille même du jour oü cenbsp;ressouvenir de Gricilerie avait traversé l’esprit denbsp;Périon, sa séduisante maitresse lui avait proposénbsp;d’unir publiquement leurs deux existences, uniesnbsp;secrètement, et de Ie faire proclamer due d’Autri-che, ce qui était un honneur fort enviable.

Ilélas! malgré ces avantages, malgré surtout Ia beatitude qu’il goütait a son aise auprès de sanbsp;belle maitresse, Périon comprit que son devoirnbsp;l’appelait ailleurs. II résolut done, quoique a regret,nbsp;de s'éloigner pour toujours.

En conséquence, un soir, comme elle et lui se trouvaient seuls, après un souper délicat qu’ilsnbsp;avaient fait ensemble, il lui dit, non sans emotion :

— Ma belle amie, je vais vous prier de m’accor-der congé de vous quitter...

Me quitter?... s’écria la jeune duchesse en pMissant.

•„.T nbsp;nbsp;nbsp;temps seuiement, se hata d’a-

jouter Penen.

— Et pourquoi cela, grand Die.u?... Que vous ai-je done fait, mon doux ami, pour quo cette abominable pensee vous soit venue ? Etes-vous donenbsp;la.ssé de mon amour?... Ai-je vieilli?... suis-je de-venue laide sansm’en apercevoir?...

— Vous êtes toujours aussi jeune et aussi belle qu’hier, répondit Périon, un peu embarrassé. Maisnbsp;je m’étais engagé, Ie jour oü j’ai eu Ie bonheur denbsp;vous voir ü la cour de l’empereur de Trébisonde,nbsp;je m’étais engagé a aller ü la quête d’un amicher...nbsp;Je dois tenir ma parole...

— Je ne veux pas que vous me quittiezl s’écria la jeune duchesse avec un geste de délicieuse autorité. Je ne veux pas, répéta-t-elle en jetant sonnbsp;bras blanc autour du cou de son amant et en l’at-tirant amoureusement sur sa poiirine nue et bon-dissante.

Périon allait répliquer. La bouche de sa compa-gne se colla sur la sienne et fempècha de parler.

Cette nuit-lamp;, Périon ne put parlir.

Mais il fallait qu’il partit. La duchesse ne lui donnait pas congé, il Ie prit.

Le lendemain, ü la nuit tombante, un cheval tout harnaché l’attendait hors des murs de la cité.nbsp;Périon sortit secrètement du palais sans ètre apergunbsp;de personne, alia vers l’endroit oü se trouvait sonnbsp;cheval, rnonta dessus, l’éperonna et s’éloigna ra-pidement de Vienne.

Quand la duchesse sut lacruelle vérité, elle faillit en rnourir de douleur. Elle s'arracha quclques brinsnbsp;de ses beaux cheveux, elle rneurtrit légèrement sesnbsp;beaux seins blaiics et pleura toutes les larmes denbsp;sa tête.

Une seule chose parvint Ma réconforter, cepen-dant. Elle était enceinte!

— Hélasl murmura-t-elle avec une douce mé-lancolie, puisquej’ai perdu le père, je le retrou-verai dans son fils, qui sera désormais mon unique joie et mon uniqne consolation.

Et de fait, au bout de neuf mois, l’intéressante duchesse d’Aulriche accoucha d’un beau garqon quinbsp;ressemblait ê s’y méprendre è Périon, et qu’ellenbsp;nomma Fonelus. 11 fut depuis un des meilleursnbsp;chevaliers de la terre.

GHAPITIIE VII ^0 Comment, après niaintes nventures, le clievaliernbsp;t#/ (le la Vraie Croix renconlra le chevalier de lanbsp;Sphère, avec Icciucl il out combat, ni l’un ninbsp;'autre ne s’étant reconnus.

urantune année,Lisvart avait erré qS et la, combattant etnbsp;combattu, rencontrant chevaliers discourtois et géanlsnbsp;félons, et’sortantpresque toujours vainqueur des luttes

entreprises. nbsp;nbsp;nbsp;.

Durant toute cette année, jamais on ne 1 avait vu rire, jamais on ne l’avait vu faire même seni-blant de s’égayer de ce dont les autres se gaudis-


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LE CHEVALIER DE L’ARDENTE EPEE.

saient Ie plus volontiers. 11 songeait toujours et sans ccsse è sa mie Onolorie, se iiourrissant obs-tinément la cervelle et Ie coeur de cette viandenbsp;creuse, el résolu de iie, jamais se faire connaitre önbsp;quicon™e jusqu’k l’heure de sa mort, qu’il appe-lait parfois de tous ses vceux.

Or, la renommee avail déji proclamé en tous lieux sa prouesse et son mépris de la mort, sansnbsp;qu'il songeat a en tirer gloire ou profit.

II s’était égaréunsoirdansune forêtfort épaisse. Ne pouvant faire autrement, il s’était résigné anbsp;passer sa nuit dans un Liillis, a quelques pas d’unenbsp;source dont il entendait distinctement Ie inurmurenbsp;sourd dans Ie silence général. II óta son beaume,nbsp;but un peu d’eau et se coucha sur l’herbe pour ynbsp;prendre repos.

Malgré sa fatigue du jour, il ne put dormir, tant il était préoccupé du souvenir de sa mie.

Comme il rêvassait a Onolorie, il entendit bien-tot un hennissement de cheval, et, quelques minutes après, grace a la blonde clarté de la lune, il aperQut un chevalier armé de toutes pieces, lequelnbsp;mil pied h terre sur Ie bord de la source, óta Ienbsp;fre.in de son cheval pour lui donrier la liberté denbsp;paitre, puis s’assit sur l’herbe oü, tout commenbsp;Lisvai t, il se mit rèvasser et k soupirer.

— nbsp;nbsp;nbsp;O amour! amour! murmura-t-il, vous m’aveznbsp;mis en si hautlieu de félicité et de jouissance, quenbsp;je puis bien m’estimer Ie plus heureux chevaliernbsp;de la terre, Ie plus heureux paree que Ie mieuxnbsp;aimé de la plus belle princesse de la terre 1...nbsp;O madame, souvenez-vous de votre serviteur qui,nbsp;nuit et jour, n’a plaisir qu’a louer vos merveil-leuses perfections!...

— nbsp;nbsp;nbsp;Par mon chef murmura Ie chevalier Solitairenbsp;entre ses dents, voilé contre madame Onolorie unnbsp;blaspheme que je ne saurais endurer plus long-tempsl... Mais, ajoula-t-il,peut-êire est-ce d’elle-mème qu’il parle!... Peut-être en est-il aiméi...nbsp;En tous cas, il ne peut l’aimer de la mème faqonnbsp;et de la même force que moil...En tout cas aussi,nbsp;il n’a pas Ie droit de s’en vanter tout haut, ainsi

au’il Ie fait... Par ainsi, je vais lui apprendre a mo-érer son enthousiasme et é mettre un frein k sa folie amoureuse...

^ Lors, Lisvart reprit son armet, Ie remit sur sa tete et s’avanca dans ia direction du chevalier in-connu.

— Qui va la?... demanda ce dernier.

— Je suis, répondit Lisvart, un chevalier qui veut sayoir de vous Ie nom de cqlle que vous aimez etnbsp;fiui n’a pas sa pareille, a ce que vous prétendez dunbsp;TOüins...

— Et quel profit en aurez-vous, lorsque vous Ie saurez?... demanda l’autre.

¦—Un profit qui vous tournera é dommage, paree que je n’endurerai jamais qu’on l'asse cette injurenbsp;a ma dame, répondit Ie chevalier Solitaire.

-—Comment! reprit l’inconnu, vous avez done 'a prétention de placer votre amie au rang de cellonbsp;fiue, ni vous ni elle, ne seriez digne de servir?...nbsp;E’est la de routrecuidance, cl je vois qu’il faut quenbsp;vous apprenne la modestie et la sagesse!...nbsp;Ess’entrecoururent sus tous les deux, k la lueurnbsp;fles eitoiles, et ils se Iraitèrent si êprement, et en sinbsp;peu d espace, (jue jours ecus et leurs hauberts en

furent décloués et rompus. Néanmoins ils semain-tinrent assez bien l’un l’autrc, tellement qu’ils furent prés de deux heures sans reprendre haleinenbsp;el sans pouvoir se dire lequel des deux était Ienbsp;meilleur ou Ie pire.

Cela donna quelque ébahissement au chevalier Solitaire, qui n’avait de sa vie trouvé champion sinbsp;brusque et si adroit, bien qu’il eüt eu raaintes etnbsp;maintes fois affaire k géants redoutables. Aussi ré-solut-il de tenter fortune par un autre moyen.

II laissa pendre son épée è une chainette qu’il avail au poing, et, saisissant sou ennemi bras knbsp;bras, il fit son effort pour Ie ruer par terre. Maisilnbsp;trouva chaussure a son pied et malice k son aune.

A cette cause, ils reprirent derechef leurs épées, et un nouveau combat recommenga, quoique I’unnbsp;ct I’autre fussent si gravement blessés qu’ils nenbsp;pensaient pas pouvoir aller bien loin sans tombernbsp;morls.

Aucun d’eux ne montrait un seul point de couar-dise. Tout au contraire, le courage leur croissait de plus en plus, au fur et k mesure que s’éteignaientnbsp;leurs forces et que s’écoulait leur sang.

— Ghevcilier, cria Lisvart, je crois qu’k cette heure vous allez payer la menterie que vous aveznbsp;faite k Tendroit de ma dame!...

Le chevalier inconnu fut si dépité de cetle menace, qu’il en haussa son épée et en donna un tel coup au chevalier Solitaire, que, le voulut-il ou non,nbsp;ce dernier fut obligé de ployer les genoux et denbsp;laisser tomber sa propre épée. Mais, se relevantnbsp;aussitot avec une ag\lité surprenante, Lisvart senbsp;langa au collet de sou ennemi et lui cria:

— Maintenant fniiront votre gloire et votre vie tout ensemble!...

Pendant les derriières convulsions de ce combat, le jour était venu. Lisvart, en essayant de mettrenbsp;k exécution la menace de mort qu’il venait de pro-férer,.apergut une sphere peinte sur l’écu de sonnbsp;adversaire.il reconnut alors qu’il venait de s’escrl-mer contre son oncle, et que, deux secondes encore,nbsp;il allait lui percer la gorge d’outre en outre.

— Ah! perverse fortune!... s’écria-t-il en jetant au loin son épée. Ah! misérable fortune! commenbsp;eu toutes choses tu ra’es contraire I...

Lors, se mettant vitement et respectueusement k genoux, il óta son heaume et dit k Périon ;

—Mon oncle,pardonnez-moi,jevousenprie 1... Certes, j’aurais dd vous reconnaitre k votre prouessenbsp;et ne pas m’aventurcr, ainsi que je I’ai fail, biennbsp;que j’en aie éte chatié assez pour m’en souvenirnbsp;toule ma vie, car je me sens blessé a mort...

Périon, tout ébahi de retrouver si vite et si étrangement celui pour lequel il s’était mis ennbsp;quête, n’avait rien répondu de prime abord. Il s’était contenté de pleurer de joie.

— Ma foi,beau neveu, lui dit-il en I’embrassant, jo dois convenir que le jour est arrivé fort k propos pour moi..... Gar si vous ne ni’aviez pas re-

connu, ma dernière heure sonnait...

Comme ils en étaient en cos termes, survint la bonne demoiselle Alquife, laquelle cheminail elle-méme depuis un long temps, par raonts et parnbsp;vaux, a la recherche du jeune et mélaucolique Lis-vart.

En apercevant les deux compagnons s’embras-


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!0 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

!0 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

sant, désamés, Ie heaume enlevé, mais tout san-glants,et rougissant de minute en minute la place oü ils se tenaient, elle s’écria ;

— Sainte Marie, aidez-moi 1... Quelle aventure est celle-ci?... Les deux meilleurs chevaliers dunbsp;monde, et les plus grands amis, s’entre-rencon-trantpar Ie pérd de leur viel...

Alquife, s’apercevant qu’ils chancelaient tous deux, autant sous ie poids de leur émotion quenbsp;sous Ie poids de leur douleur physique, descenditnbsp;vitement de cheval, s’en vint prés d’eux, les saluanbsp;et chercha un moyen d’étaueher leurs plaies, quinbsp;coulaient comme fontaines.

Ce moyen fut de déchirer sa capeline et d’en faire autant de bandes et de compresses quellenbsp;put, avec quoi leurs blessures furent provisoire-ment bridées. Puis, ce premier pansement opéró,nbsp;elle les aida l’un et l’autre a remonter a cheval, etnbsp;elle les coriduisit ensuite dans un chéteau voisin,nbsp;oü elle avait précédemment requ fhospitalité, etnbsp;dont Ie seigneur leur fit gracieux accueil, une foisnbsp;qu’ils lui eurent raconté leur aventure.

CHAPITRE VIII

Comment Lisvart et Pdrion, une fois gu(5ris, reprirent lo chemin de Trébisonde, ct comment Alquite alia annoncernbsp;leur arrivée aux deux jeuncs princesses.

i rfice aux soins et fe la science gt; de la femme de leur höte, Lis-)vart et Périon furent bientótnbsp;en état de reprendre Ie- coursnbsp;de leur voyage.

Lisvart voulait s’enfoncer ^ dans les forctspoury vivre ennbsp;' loup, loin des hommes et desnbsp;'femmes. Mais son oncle et Alquife 1’en dissuadèrent en luinbsp;;^faisant comprendre ce quinbsp;¦l’altendait élacourdeTempe-reur de Trébisonde.

— Vous y trouverez bien des cbangements, lui dit ianbsp;bonne demoiselle. L’empereur a marié Griliaiienbsp;avec le roi de la Breigne, qu’ont accompagtie, a

cette occasion, Florestan, Parmenir et autres.....

Quant aux belles princesses Gricilerie et Ütiolorie, si la première n’a pas change de manière de voir anbsp;I’endroit de quelqu’un que je connais, sa soeur, aunbsp;contraire, a moditie de beaucoup ses sentiments...nbsp;Est-ce un bien? est-cc un mal?... Ce sera ü vousnbsp;d’apprécier, chevalier de la Vraic Croix...

Lisvart rougit et détourna la tête. II en savait assez pour vouloir desirer le retour prochain anbsp;Trébisonde.

Leur parlement ainsi arrêté, ils remercièrcnt leur hole des bons traitemenls qii’ils avaient reQusnbsp;e UI et de sa femme, et reprirent leur cheminnbsp;pour aller retrouver la barque du chevalier Solitaire, qui, de ce moment, reprit son nom de chevalier de la Vraie Groix.

Quelque temps aprés, les vents étant favorable, nos voyageurs arrivèrent k deux milles de Trébi-sonde. Mais, avant que de prendre terre, Périon etnbsp;Lisvart tirèrent Alquife en particulier, et lui de-mandèrent ce qu’ils avaient é faire.

— nbsp;nbsp;nbsp;Seigneurs, leur répondit-elle, il me semblenbsp;que, pour le mieux, j’aille faire part de votre arri-

vée aux princesses Onolorie et Gricilerie.....Selon

ce qu’elles vous manderont, vous vous gouverne-rez é l’avenir.

Les deux chevaliers y consentirent.

Lors, Alquif entra dans une petite nauf et alia aborder, peu aprés, au port même de Trébisonde,nbsp;OU la première personne qui la vit fut Bridelne,nbsp;laquelle, saus lui parler, courut vitement au palaisnbsp;pour avertir les deux princesses.

Ces dernières étaient pour lors é la chapelle avec rirnpéralrice, ce qui n’empêcha nullement Bridelnenbsp;de s’approcher d’elles pour leur communiquercettonbsp;nouvelle.

Certes, jamais timide bergère trouvant un serpent dans un buissou n’eut le coeur plus émo-tionné, plus tremblant, plus angoisseux que ne fut celui d'Ünolorie et de Gricilerie en apprenant lenbsp;retour des deux chevaliers. Cela les tint si fort,nbsp;même, que, contrairement a leur habitude et knbsp;leur devoir, elles laissèrent l’impératrice priernbsp;toute seule, et s’en allérent au devant d’AIquife,nbsp;les joues empourprées par !e désir.

Gricilerie, plus hardie que sa sceur, interrogea Alquife, qui lui répondit:

— nbsp;nbsp;nbsp;Trés bonne madame, votre chevalier et lenbsp;sien sont lü-bas, attendant votre commande-ment...

A cette parole. Onolorie fut prise d’une joie inaccoutumée, et elle so trouva en une tel Ie per-plexité, qu’elle faillit tomber de son haul. Heureu-sement que Gricilerie se trouvait la : elle élenditnbsp;le bras et retint sa socur, en lui disant tout bas :

— Contenez-vous, ma chère sceur, je vous cu supptie, par respect pour vous etpourmoi... Votrenbsp;attitude pourrait tourner en conséquence, si ellenbsp;était remarquée...

— nbsp;nbsp;nbsp;Ah 1 ma soeur, répondit Onolorie, si vous sa-viez l’injure que j’ai faite a celui qui a taut soulfertnbsp;par mon occasion!

— Madame, dit Alquife, Icbon accueil que vous lui ferez ett’acera tont ce passé, si bien qu’il nenbsp;s’en souviendra pas... Mais, je vous prie, que dois-je leur maiider a l’un et k l’autre de votre part?..-

— II est besoin, répondit Gricilerie, que l’em' pcreur notre père sache lui-même leur retour, carnbsp;ii ne manquera pas de les envoyer prior de venirnbsp;vers lui aussitót... Toutefois, ditos a Périon qu’ilnbsp;araène demain soir son neveu é la fcnètre du jar-din, oü nous les attendrons, ma soeur et moi.nbsp;Quand il seront lü, et nous aussi, nous dcviseronsnbsp;ensemble des ctioses passées et des choses ünbsp;venir...

Comme Gricilerie achevait ces mots, on Ia vint avertir que Fimperatricc allaitsortir del’cglise, carnbsp;vepres étaient parachcvécs. Lors, les deux princesses qniltèrcnt Alquife, qui, avant d’allcr rejoin-


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LE CHEVALIER DE L’ARDENTE ÉPÉE 11

LE CHEVALIER DE L’ARDENTE ÉPÉE 11

dre Lisvart et Périon, jugca propos d’aller les antioncer au vieil empereur de Trébisonde.

GHAPITRE IX

science. L’impératrice et l’empereur étaient si prés de leurs filles, qu’elles n’eussent su dire une parolenbsp;qui n’eüt été entendue...

Vint le diner, qui fut somptueux, en l’honneur des deux nouveaux débarqués, lesquels, tout lenbsp;temps qu’il dura, furent distraits par la pensée dunbsp;rendez-YOus qu’ils avaient obtenu.

Comment Lisvnrt et Périon furent accueillis de l’empereur de Trébisonde et des dames de sa cour.

GHAPITRE X


Lisvart et Périon dormirent trés mal cette nuit-IS, tt cause des promesses de la nuit suivante qui lestinrent en éveil d’une assez agréable fagon.

Lc lendemain done, ilse rendirentau palais, et se rencontrèrent avee Ie vieil empereur de Trébisonde qui venait précisément au-devant d’eux, ac-cornpagné du roi de la Breigne, du due Alafonte,nbsp;du due d’Ortilense et de maints autres princes etnbsp;chevaliers.

Grande fut la bienvenue et Ie bon accueil qui furent fails aux deux chevaliers. Geux-ci s’apprè-taient S baiser les mains de l’empereur; mais lui,nbsp;les empêchant, les accola, la larme ö l’oeil, tant ilnbsp;était heureux de les voir de retour. Puis il lesnbsp;conduisit au palais, oü déja l’impératrice, averse, se tenait sur Ie seuil avec ses dames, pournbsp;les recevoir.

— Madame, lui dit l’empereur, je vous amène ces deux gentilshommes qui ont autrefois rompunbsp;Cos prisons, comme vous savez... Je les laisse ennbsp;votre garde, et pour plus grande süreté, nos fillesnbsp;en seront chargées...

Quand les deux chevaliers eurent fait révérence i 1’inipératrice et aux dames, ils se rairent a deviser de choses et d’autres.

Gricilerie et Onolorie, qui, depuis qu’ils étaient lc, avaient mué cent fois de couleur, passant dunbsp;clanc au rouge avec vine promptitude sans exem-Ple, Onolorie et Gricilerie, done, se rapprochèrentnbsp;lout-a-fait d’eux, et cette dernière se hasarda anbsp;dire è Périon:

— Je croyais, seigneur, qu’en votre qualité de ^on chevalier, j’avais quelque autorité sur vous...nbsp;jccis vous m’avez bien prouvé Ie contraire... Car,nbsp;‘Orsque vous avez quitté cette cour pour aller ennbsp;Autriche, vous ne deviez quasi pas séjourner, etnbsp;dependantily a longlempsquevousêtesabsent!...nbsp;.. Madame, répondit Périon un peu confus, carnbsp;1 ®^'^cit oü Ie bat Ie blessait; madame, la vie d’unnbsp;nevalier errant est mclée d’avcnlures qui ne luinbsp;Parmettent pas toujours de revenir ü heure fixe...nbsp;ainsi, je vous supplie de m’excuser...

, — Le seigneur Lisvart, dit ü son tour Onolorie, c oseraitpas répondre ainsi de lui-même, je crois...nbsp;l^cr il sait combien il a déja failli...

7“ Madame, répondit Lisvart, ü mal fait ne git dpamende... Je sais bien que j’avais intentionnbsp;accompagner l’empereur au partir de Constantinople, mais Dieu sait qui m’en détourna...nbsp;v- , os ces propos étaient terms entre eux si cou-p foent, que, pour déguiser leurs pensées, ilsnbsp;1 taient par moments centre leur propre con

Comment Lisvart et Périon se rendirent dans le verger, dc-vant la fenétre treillissée des princesses, et ce qui en résulta.

e soir, k l’heure fixée, pendant que presque tont le monde dormait dansnbsp;Je palais et aux alentours, Périon etnbsp;Lisvart quittèrent secrètement leurnbsp;logis et s’en vinrent franebir la mu-raiile qui les séparait du jardin. Unenbsp;fois dans le jardin, ils s’orientèrentnbsp;aisément, ets’approchèrentdes fenê-tres auxquelles Périon avait dejS goüténbsp;de célestes jouissances en picorantnbsp;les lèvres de sa mie et en se laissantnbsp;becqueter les siennes par elle-même.

Comme ils arrivaient tont contre, ils entendi-rent comme un gazouille-ment d’oiselles sous desnbsp;ramures: c’étaient les deuxnbsp;princesses qui se parlaient

tout bas.

Alors Périon gratia légèreraent le long du bois, pour les avertir de leurnbsp;présence.

Gricilerie se présenta aussitót, et, k travers les mailles assez espacées de la grille, leur donna knbsp;chacun un baiser qui fit surtout tressaillir Périon,nbsp;auquel elle dit en souriant:

— Je vous fais ce bon accueil, a cause du compagnon que vous m’avez arnené, et que je veux prier d’oublier le mal que ma sceur lui a fait invo-lontairement et dont elle se repent beaucoup knbsp;cette heure... Onolorie vous supplie, chevalier,nbsp;ajouta Gricilerie en s’adressant k Lisvart, de luinbsp;pardonner... Ce faisant, elle viendra vous parlernbsp;céans... Sinon, elle n’osera jamais se trouver ennbsp;votre présence.

_ Madame, répondit Lisvart, elle sait que je suis son humble serviteur etsonesclave obéissant.nbsp;G’est k elle de me commander tout ce qu’ellenbsp;voudra, et non pas de me demander pardon, knbsp;raoi qui l’ai offensée.

— Chevalier, reprit Gricilerie, prenez le cas que vous criez merci a qui vous a courroucé, et quonbsp;vous portez la penitence du mal d’autrui... Je saisnbsp;bien comment les choses vont, et que ma soeur anbsp;failli vous faire injustement mourir... Toutefois,nbsp;oubliez le fruit amer : il vient d’une tant doucenbsp;racinel...


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12 BIBLIOTHEQUE BLEUE

— nbsp;nbsp;nbsp;Ahl madame, répondit Lisvart, pour Dieulnbsp;ne parlez jamais tel langage... G’est moi qui suisnbsp;cause de tout!.,. G’est moi qui ai fait Ie mal...nbsp;C’est moi qui l’ai offensée ! G’est moi qui vous sup-pliede faire raon accord avec ellel...

— A ce que je vois, dit Gricilerie, il sera aisé a vous accorder... Or, attendez un peu et vous ennbsp;aurez des nouvelles...

Gricilerie disparut un instant pour reparaitre avec Onolorie, laquelle, pour mieux complaire anbsp;son ami, s’était étudiée a se parer, è se faire plusnbsp;séduisante encore. Et par IS, je n’entends pas par-ler d’accoutrements semblables S ceux que lesnbsp;hautes et nobles dames comme elles portaient auxnbsp;festins et aux assemblees. Non! Onolorie avaitnbsp;seulement un mantelet de taffetas cramoisi, anbsp;cause de la chaleur, qui était grande. Sur sa jolienbsp;tcte, elle avait un petit voile de crêpe, voletant aunbsp;moindre vent. Gela lui donnait si bonne grace,nbsp;qu’elle semblait ainsi avoir en elle plus de diviniténbsp;qu’auparavant.

Gomme elles’approchait de Ia fenêtre, Gricilerie dit S Lisvart:

— nbsp;nbsp;nbsp;ïrouvez-vous que ma soeur soit digne denbsp;pardon et qu’elle mérite que vous lui rendiez biennbsp;pour mal?.,.

Le chevalier de la Vraie Croix mit incontinent Ie genou en tcrre et baisa les mains de sa mie lenbsp;plus doucement du monde. Mais, au même instant,nbsp;Onolorie, sans proférer une seule parole, l’attiranbsp;vers elle, joignit sa boucbe S la sienne, et leursnbsp;lèvres en deineurèrent si bien collées que, pendantnbsp;un long espace, ni I’un ni l’autre n’eurent quasinbsp;moyen de respirer...

Au bout de quelques minutes de cetle béatitude, avant-courière d’une plus grande, Lisvart mur-mura :

— nbsp;nbsp;nbsp;Madame, la grace que vous me faites la estnbsp;telle, que si toutes les vertus qui se trouvent épar-pillées entre les meilleurs chevaliers se trouvaieiitnbsp;reunies en moi seul, je n’oserais pas encore menbsp;réputer digne de si haute faveur... Je ne sais vousnbsp;dire autre chose sinon que je ne suis né que pournbsp;vous servir, obéir et complaire, vous jurant parnbsp;vous-mème que si quelque chose de moi pu vousnbsp;offenser dans le passé, g’a été centre le gré de monnbsp;cceur...

— nbsp;nbsp;nbsp;Ah! rnon doux ami, répondit Onolorie, jenbsp;ne sais vraiment oü j’avais l’esprit quand je vousnbsp;envoyai par mon écuyer la vilaiue lettre qui vous anbsp;cause tant de chagrins!... Ahl si vous savicz corn-bien de fois j’en ai maudit l’heure !... Combien denbsp;fois je m’en suis mordu les doigtsl... Combien denbsp;fois je m’en suis voulu du mal amoi-mêmel... Lenbsp;repentir en arriva trop tard; en tout cas, il m’anbsp;appris a être désormais raoins facile au soupQon,nbsp;moins légere, plus sage... Car j’ai tant souffert,nbsp;mon doux ami, que je puis téinoigner par épreuvenbsp;qu ;1 n’est pas vrai que l’on meure pour tropnbsp;aimer... Si l’on mourait de trop aimer, il y a long-temps déja que je serais pourrie en terre, ayantnbsp;demeuré 1’espace d’un au et plus sans que l’oeilnbsp;me soit sécbé, sans que mon cceur ait passé une

sans soupircr et plaindre la faute que j’a-commisc a voire égard, laquelle je vous sup-

plie d’oublier et de me pardonner du meilleur de votre ame...

Tout en disant cela, les larmes lui tombaient des yeux, ce qui mit Lisvart en telie peine qu’il pensanbsp;en trépasser. Néanmoins, reprenant courage, il ditnbsp;a Onolorie ;

— Madame, vous me faites tort, et je ne sais vraiment comment ni pourquoi vous vous plaiseznbsp;cl vous mettre ainsi en peine, en ma présence,nbsp;d’une chose oü, sauf votre grace, il n’y a propos,nbsp;car c’est bien moi qui ai failli et vous ai autoriséenbsp;a la jalousie, en montrant ü Gradasilée plus denbsp;privauté que je ne devais... Par ainsi, laissons cenbsp;propos, s’il vous plait, et permettez-moi seulement de baiser ce que le vent, pour me porter plusnbsp;de faveur, m’a présentement voulu faire voir.

Lisvart disait cela paree que, pendant que la belle princesse Onolorie se larnentait ainsi, sonnbsp;manteau de taffetas cramoisi s’élait entr’ouvert, etnbsp;l’amoureux chevalier avait pu juger, ü travers lanbsp;transparence de sa blanche chemise de tin lin, denbsp;la rondeur provocante et de la perfection divinenbsp;de sa jeune gorge.

Cela l’échauffa tellement, cela lui mit si bien l’eau ü la bouche, que, sans idéé de licence cepen-dant, il étendit le bras droit et pla^a sa main fré-missante sur cette chair d’albatre, frémissantenbsp;aussi.

Onolorie le repoussa un peu, si peu, que sa main cbercheuse, ne fit que se déplacer et allernbsp;-d’une rose a l’autre rose.

Pendant ce temps, Périon et Gricilerie s’occu-paient du lieu et des moyens qu’ils pourraient imaginer pour se voir plus intimement, sans grillenbsp;et sans empêchement d’aucune sorte; et tout ennbsp;cherchant ces moyens-la, ils n’en perdaient pasnbsp;pour cela une bouchée de leur amoureux déduit,nbsp;se becquetant du bout des lèvres avec une onction,nbsp;une lenteur qui prouvaient éloquemment rintérêtnbsp;qu’ilsprenaienttousdeux ècette occupation. Leursnbsp;mains se liaient comme leurs lèvres, et ne vou-laient pas se séparer. La seule chose dont ils senbsp;plaignirent, ce fut de la venue du jour, qui se ma-nifesta plus clair et plus tót qu’ils n’eussent voulu.

Ils furent done, tous quatre, contrainls de se quitter; mais, avant dele faire, Lisvart, qui s’aper-cevait qu’en sornme il n’avait reQu que la menuenbsp;monnaie de son amour et qui voulait recevoir 1^nbsp;tout, Lisvart dit è Onolorie ;

— Madame, je vous supplie de ne pastrouver mal si je prends a cette heure la hardiesse de vous declarer ce que raon coeur vous a tenu secret jusqu’ènbsp;présent... Amour, qui commando aux dieux et auxnbsp;hommes, me fait peut-étre abuser de ia privauténbsp;que vous avez bien voulu me laisser prendre surnbsp;votre personne, la plus belle qui soit au monde..-Mais je n’y tiens plus!... Je me sens mourir a petitnbsp;feu sur le gril du désir... Je vous supplie^ done,nbsp;mon cher bien, ma seule espérance, de m’accoi-der la vie en m’accordant la possession de votrenbsp;divin corps, après m’avoir accordé cello devotienbsp;précieux cceur... Si vous ii’avez pitié de moi, madame, je suis perdu 1...nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;,nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;,

Lisvart prononcait ces paroles avec de gfoss larmes dans les yeux. Onolorie, assez ebahie,

I répondit :


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LE CHEVALIER DE L’ARDENTE ÉPÉE. 13

LE CHEVALIER DE L’ARDENTE ÉPÉE. 13

— nbsp;nbsp;nbsp;Que vous ai-je done fait, mon doux ami,nbsp;pour aiusi vous plaindre?... Croyez-vous done quenbsp;je pourrais jamais vous refuser chose que vous menbsp;demanderiez, pourvu toutefois qu’il n’y eüt pasnbsp;d’atteinte k mon honneurl...

— nbsp;nbsp;nbsp;Madame, reprit Lisvart, votre honneur m’estnbsp;autant en recommandation que ma propre vie....nbsp;Ce dont je vous supplie êi cette heure, c’est qu’a-près m’avoir accepté pour ami, vous consentiez ennbsp;outre è m’accepter pour mari... Vous savez lanbsp;niaison dont je suis... En me faisant cette faveur,nbsp;vous m’obligerez de plus en plus a vous honorer,nbsp;aimer et servir...

— nbsp;nbsp;nbsp;Oui, mais, mon doux ami, comment Ie pour-rai-je faire saus Ievouloir de l’empereur? demandanbsp;naïvement Onolorie.

— nbsp;nbsp;nbsp;Madame, répondit Lisvart, votre consente-raent suffira... Si vous trouvoz bon ce que je vousnbsp;propose, madame Gricilerie votre soeur ne voudranbsp;pas trailer moins gracieusement raon onele Pé-rion, vu Famitié qu’ils ont ensemble.

— nbsp;nbsp;nbsp;En bonne foi, reprit Onolorie, si elle est denbsp;eet avis, je suivrai sou opinion...

— nbsp;nbsp;nbsp;Pour Dieu, madame, reprit Lisvart, sachons-le, s’il vous plait, lout présentement.

Lisvart avail la bouche fraiche : il lui eausait amour avec une telle facilité et une telle abondance,nbsp;qu’il disait mieux èi 1’improviste, aiiisi, que s’il eütnbsp;toute sa vie étudié sa legon.

Gricilerie, consultée, se laissa convaincre, et si bien, qu’il fut convenu que, la nuit suivante, lesnbsp;grilles seraient supprimées, c’est-a-dire que lesnbsp;deux princesses descendraient au verger, et qu’alorsnbsp;ils exécuteraient tous quatre effectivement ce önbsp;quoi la bouche et Ic coeur donnaient consente-inent.

Les coqs du'voisinage annoncèrent pour la seconde fois la venue du jour. Les deux amoureux chevaliers prirent, è leur grand regret, congé denbsp;leurs dames aimées, et s’en retournèrent dans leurnbsp;chambre sans être apertjus.

GHAPITRE XI

Cointneni Lisvart et Périon, 5 leur second rendez-vous avec j^es deux princesses de Trébisonde, goütèrcnt la plus par-'aile des t'élicitós humaines.

. Périon et Lisvart dormirent k poings fermés Jusque vers les dix heures, oü 1’on vintles averlirnbsp;que 1’empereur de Trébisonde était k la raesse. Ilsnbsp;* allèrent trouver.

. Tout Ie reste du jour se passa a bailer et a de-^iserdechoses plus ou moins intéressantes. Lisvart Périon étaient sur les charbons ardents de l’iin-b^tience. Pour enx, la journée s’écoulait avec unenbsp;Odeur désesj)érante.

„ La nuit vint enün! Chacun se retira pourdormir. la V chevalier de la Sphère et Ie chevalier denbsp;® vraie Groix, quiavaient la puce al’oreiüe, nc se

couchèrent point. Ils attendirent impatiemment l’heure promise pour Fexécution deleur entreprise,nbsp;etquand Ie sablier eüt marqué cette heure-Ri, c’est-a-dire vers la mi-nuit, ils partirent de leur logis etnbsp;s’en vincent au jardin du palais.

Les deux princesses y étaient déjü depuis quel-ques instants. Et, en attendant leurs amis, elles s’étaient réfugiées a I’abri d’une coudraie trésnbsp;feuillue.

Le rossignol triomphait k dégoiser son ramage. Le temps était gracieux et serein, et la lune étaitnbsp;un pcu trouble, corame si elle eüt étó la complicenbsp;de nos quatre amoureux, et qu’elle eüt voulu lesnbsp;favoriser en ne les éclairant pas trop violemment.

Lisvart et Périon raarchaient pas ü pas, avec d’extrêmes precautions, pour n’être pas reconnusnbsp;et trabis. Gricilerie, qui avail 1’oeil au guet, lesnbsp;apergut, et, comme ils passaient devant la coudraienbsp;oü elle était cachée avec Onolorie, toutes deux sor-lirent précipilamment de leur cachette, el s’ennbsp;allèrent les surprendre par derrière, en leur disantnbsp;de leurs voix argenlines :

— Deraeurez, chevaliers!... vous êtes nos pri-sonniers I...

Périon et Lisvart mirent les genoux en terre et baisèrent dévotement les belles mains de leursnbsp;belles maitresses.

Mais elles, plus hardies ou forcées d’amour, leur tendirent spontanéraent les bras, les accolèrent etnbsp;les baisèrent le plus savoureusement du monde.

Périon se retira avec Gricilerie, laissant Lisvart, lequel, tenant toujours Onolorie tendrement em-brassée, murmura bouche k bouche avec elle :

— Madame, le bonheur que je ressens a cette heure est tel, que mon coeur ne peut quasi le cora-prendre... Je suis trop heureux pour savoir parler...nbsp;Excusez done, je vous prie, mon silence, qui estnbsp;de Fadmiration...

— Mon doux ami, répondit Onolorie, mettons-nous sur cette herbe; nous y serons plus è notre aise. Et, puisque je me suis tanl oubliée, me trou-vant dans un lieu si suspect è mon honneur, je menbsp;lie en vous pour le surplus... Gette familiarité pi-toyable que j’ai en votre faveur ne doit pas aller au-dela des choses permises.... Vous êtes un loyalnbsp;amant...

Tandis qu’Onoloric préparait cette honnête excuse è sa défaillance, Lisvart, enflambé d’amour, gagnait petit ü petit du terrain. Ses lèvres ardentesnbsp;devenaient de plus en plus goulues et se voulaientnbsp;de plus en plus repaitre de cette chair blanche etnbsp;ferme qu’elles avaient a leur portee. II allait passernbsp;outre : Onolorie Farrêta doucement en lui disantnbsp;d’une voix qn’on entendait k peine, tant elle availnbsp;de langueur:

— Ahl mon ami, mon tendre ami, contentez-vous de prendre sur m.oi autant que moi-même ai commandement, qui est de voir et toucher manbsp;personne, sans vous mettre en peine de m óter cenbsp;que ni vousnid’autresnesauriez me rendreaprès. ..

— Madame, répondit Lisvart, vous savp depuis combien de temps je uavigue en cette mer d amour...nbsp;Maintcnant que je suis prés d’entrer au doux portnbsp;de merci, pour Dieu! nem’y soycz pas nuisantel...

__ Mon ami, reprit Onolorie, ne vous doit-il pas sufilre que je sois votre, et jouir de 1’extérieur,


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BIBLIOTHEQUE BLEUE.

qui est Ie propre fruit des amoureux, saus vouloir tendre encore k un plaisir sitót passé et qui n’ap-porte, dit-on, que tristesseavec soi ?... Lebon pasteur tond son ouaille; inais aussi il la sauve de danger !e moins raai qu’il peut: faites done aiiisi quenbsp;lui et me traitez doucement, s’it-vous-plait!...

Mais, tant plus Onolorie proférait ces mignardes excuses, et tant raoins Tainoureux et affólé Lis-vart se persuadait d’y ajouter foi. Bien loin de Bi,nbsp;il s’aventura a cueillir la première fleur du rosier,nbsp;lequei, pour Ie commencement, .se trouva épi-ueux. Toutefois; avantcju’ils ne se fussent séparés,nbsp;la terre fut si bien cultivée, qu’elle se rendit fertile et aisée, au contentement del’un et de l’autre.

Quant è Périon et a Gricilerie, ils faisaient leurs besognes tout a loisir. J’ignore s’ils avaient faitnbsp;l’un et l’autre les mêmes fagons qu’Onolorie et Lis-vart; en tout cas, la fin du jeu se tourna en promesses et en serraents. II fut bien convenu qu’onnbsp;se retrouverait chaque nuit au inême lieu, témoinnbsp;d’une si vive et si compléte beatitude.

A quoi ils s’exercèrent pendant une sernaine en-tière, trouvant chaque jour, et part et d’autre, un nouvel attrait a ce tendre passetemps.

GHAPIÏRE XII

Comment vint a la cour de l'empereur de Trébisonde un clie''alier chargé de lui demander un sauf-conduit pour Ienbsp;roi de la Sauvagine et sesdeux frèrcsqui venaient lui demander combat.

1 nbsp;nbsp;nbsp;quelque temps de la, Ie vieil empc-

reur de Trébisonde tenait cour plé-nière.

Unjour, un chevalier deliaute taille If^et de mine arrogante se présenta, de-' raandantè parler au prince comme en-Yoyé du roi de la Sauvagine.

—Parlez, chevalier, répondit Ie vieil empereur.

— Sire, diUl alors d’une voix haute et sonore, Ie roi de la Sauvagine, monnbsp;rnaltre, et ses deux freres, sont dansnbsp;votre port, prêts a prendre terre... Ilsnbsp;m’envoient vers vous pour vous direnbsp;qu’ils sont venus en ce pays tout ex-prés pour exiger Ie combat entro euxnbsp;(rois ettrois chevaliers de la cour d’A-

raadis...

— nbsp;nbsp;nbsp;A prmos de quoi ce combat? demanda Tem-pereur de Trébisonde.

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, répondit l’envoyé, Ie roi de la Spva-gine a fait rencontre en chenain du roi Amadis quinbsp;s’en retournait en ses Etats après l’affaire de.Cons-tantinople, avec madame Oriane et les gens de leurnbsp;suite. Le roi de la Sauvagine avait avec lui unenbsp;troupe norabreuse : il aurait pu attaquer et mettrenbsp;« mort le roi de la Graude-Bretagne et ses compagnons de route. 11 a préféré demander a Amadisnbsp;de lui designer trois chevaliers de sa cour et et delesnbsp;lui envoyer en tel endroit qu’il désignerait pour com-batlre lui et ses deux frères... Amadis voulait étrenbsp;de la partie, mais comme il n’était pas entièrementnbsp;remis des blessures qu’il a regues, madame Orianenbsp;s’y est opposée, et le roi de la Gaule et de la Graude-Bretagne a alors désigné le chevalier de la Sphère,nbsp;le chevalier de la VraieCroix et un autre... Le roinbsp;de la Sauvagine a laissé le roi Amadis continuernbsp;sa route... Puis, comme il a appris que les troisnbsp;chevaliers désignés étaient dans cette cour, il estnbsp;venu avec ses deux frères. Par ainsi, dotmez-leur,nbsp;Sire, une süreté, atin qu’ils puissent débarquernbsp;sans obstacle et arriver jusqu’é vous... Une fois lenbsp;combat accordé, ils espèreiit bien le parachever anbsp;leur gloire.

L’envoyé du roi de la Sauvagine se tut, et cha-cun garda le silence, attendant que l’empereur de Trébisonde se prononQat. Onolorie et Gricilerie,nbsp;qui étaient présentes, avaient le coeur batlant d’in-quiétude, et si elles avaient osé, elles auraientnbsp;conseillé tout haut k leur père de renvoyer le roinbsp;de la Sauvagine et ses acolytes dans leur ile.

Mais l’empereur n’eüt pas entendu de cette oreille-lè.

— nbsp;nbsp;nbsp;Chevalier, dit-il è l’envoyé, j’accorde k votrenbsp;maitre, h ses deux frères et è leur suite la süreténbsp;qu’ils me demandent. Je les recevrai volontiersnbsp;demain.

Le chevalier s’en alia incontinent avec la rai-deur méprisante qu’il avait montrée dés Ie début, et s’en alia porter au roi de la Sauvagine la réponsenbsp;que venait de lui faire le vieil empereur de Trébisonde.

— nbsp;nbsp;nbsp;Oh 1 ma soeur, murmura Onolorie Ji 1’oreillenbsp;de la princesse Gricilerie, nous sommes bien mal-heureuses 1... Bien rnalheureuses sojjimes-nous 1...nbsp;Voilé nos deux amants de nouveau exposés auxnbsp;plus grands dangers, eux que nous aimons tant,nbsp;eux dont depend notre vie !... Nous ne pourronsnbsp;done jamais les posséder tranquillement?... Leursnbsp;chères existences seront done ainsi continuelle-raentala merci des premiers païens venusI... C’estnbsp;leur vaillance qui nous les a fait estimer et pré-férer é tant d’autres; c’est leur vaillance qui nousnbsp;les enlèvc... Faibles et incounus, on ne songeraitnbsp;pas a eux et nousles aurionsen entier... Ma soeur,nbsp;nous sommes bien rnalheureuses 1

— nbsp;nbsp;nbsp;N’ajoutez pas votre tristesse k la mienne, manbsp;soeur, répondit Gricilerie en embrassant la mie dunbsp;chevalier de la Vraie Groix.

Malgré le réconfort que leur donnèrent k toutes deux, ce soir-la, leurs amants toujoursplus amoureux, les deux belles princesses passèrent unenbsp;vilaine nuit. Elles avaient raison de craindre, carnbsp;elles savaient bien tout ce qu’elles perdraient ennbsp;perdant Lisvart et Périon...

GIIAPITRE XIII

Comment le roi de la Sauvagine et ses deux nbsp;nbsp;nbsp;^rent

ro(;us nar lempercur, cl des i)ropos qu ils eurenl ave trois chevaliers qu’ils venaiont comoallre.

Le Icndemain les trois étrangers débarquèrent,


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LE CHEVALIER DE L’ARDENTE EPEE. 15

munis du sauf-conduit do l’empereur de Trébi-sonde. Ils débarquèrent, suivis de vingt chevaliers du même pays qu’eux.

Averti, 1’einpereur envoya au-devant d’eux, pour leur faire un acciieil digue de lui, Ie roi de lanbsp;Breigne, Ie due d’Ortilense et Ie due Alafonte,nbsp;chargés de Ie représeiiter.

Les trois frères et les trois représentants de l’einpereurse rencontrèrent k mi-cherain et revin-rent ensemble vers vers Ie palais, excitant partoutnbsp;oü ils passaient une curiosité mêlee d’un peu d’ef-froi.

Le rui de la Sauvagiue et ses deux frères avaient, en effet, une physionornie peu rassurante pour quinbsp;les voyait pour la première fois, tant ils étaientnbsp;grands et velus. Le roi de la Sauvagine, surtout,nbsp;ayait un aspect féroce ; il ressemblait a tout plu-tót qu’a une creature humaine.

Le roi de la Breigne, le due d’Ortilense et le due Alafonte, jugèrent, 5 part eux, que leurs troisnbsp;amis auraient fort a faire contre ces trois géanlsnbsp;farouches, et, pour la première fois peut-être, ilsnbsp;doutèrent du succès.

Les étrangers et leurs conducteurs arrivèrent au palais, oü ils produisirent le même étonnement etnbsp;le même effroi que sur leur route. Toutefois l’em-pereur de Trébisonde leur fit l’accueil hospitallernbsp;qu’it savait faire a tous ceux qui veaaient ü sa cour.nbsp;II se laissa même baiser sans dégout ses mains vé-nérables par le roi de la Sauvagine, qui semblaitnbsp;jouir en dessous de la terrifiante inopression qu’ilnbsp;produisait sur les dames de la cour. G’est si agréa-nle d’effrayer les femmes dont on sait qu’on ncnbsp;pourrait pas se faire aimer!

Lisvart était è quelques pas de l’empereur. Le roi de la Sauvagine devuia que c’était lui, ü l’amitiénbsp;dont chacun faisait montre k son en droit.

— Chevalier, lui dit-il avec un ricanement, tu es un de ceux que je cherche !...

— Gela doit être et je ra’en honore, rêpondit Iranquillement Lisvart.

— Tu es le chevalier de la Vraie Croix?...

— nbsp;nbsp;nbsp;-Te suis le chevalier de la Vraie Croix.

— nbsp;nbsp;nbsp;Bien que tu aies tué mes deux oncles, biennbsp;fine tu aies pris mon chéteau de la Roche, biennbsp;fiue tu aies ravagé moii pays et mis a mort quan-bté de nos geus, je ne puis m’erapêcher de te direnbsp;6n quelle estime je t’eusse tenu, i cause de ta vail-jance... Mais j’ai délibéré de me venger sur toi, etnbsp;Ja seule courtoisie que tu doives attendee présen-JGinenl de ma part, c’est la tête mise au bout de

lance et emportée comrae un trophée dans mon royaume 1...

Chacun tressaillit de cette menace qui n’avait '1011 d exagéré, vu Ia férocité et la haute taille dunbsp;roi de la Sauvagine. Onolorie faillit se pêmer denbsp;douleur.

Le jeune et courageux chevalier de la Vraie '^i’oix, seul, se montra impavide et souriant.

— Hoi de la Sauvagine, répondit-il, si ton effet aussi brave que ta parole, nul doute que je nenbsp;iccombe dans le combat que tu viens cherchernbsp;^aiis... Mais j’ai vu trop de vantards de ta taillenbsp;par des eiifants de ma sorte, pour res-Pris* i ^nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;peur de ta fanfaroimade, (jue je

1* se a sa juste valeur en la raéprisaiit, comme faire je dois... Gela m’ómeut si peu, ce que tu me disnbsp;Ik, que c’est moi qui espère, au contraire, te don-ner le traitement dont tu me menaces si impudem-ment, pour effrayerles femmes sans doute.

Graftante, l’alné des deux frères, sentant le roi de la Sauvagine injurié par cette réponse de Lisvart, dit ü ce dender d’un ton de profond mépris :

— Chevalier, tu enfles maladroitementta petite voix, et tu hausses mal k propos ton petit corps...nbsp;Je te crois, pour ma part, plus apte a gouvernernbsp;les pucelles, kfaire le douceret etle mignonnet avecnbsp;elles, qu’a te raesurer avec des hommes tels quenbsp;nous... Tu es plus fait pour l’alcóve que pour lenbsp;champ-clos, plus pour l’amour que pour la guerre,nbsp;plus pour l’aimable déduit que pour les rudesnbsp;joutes, plus pour la cotte de taffetas quo pour lanbsp;cotte de mailles... Certes, auxeombats féminins,nbsp;le noble roi mon frère aurait du pis, mais au vrainbsp;combat qu’il vient vous proposer, je crois que vousnbsp;aurez lieu de vous repentir d’avoir si audacieuse-parlé de lui 1

— Quand nous en serons Ik, reprit le chevalier de Ia Vraie Croix, nons verrous bien 1...

— S’il ne vous tuo pas du premier coup, mon mignon, c’est qu’il aura pitié de votre jeune age etnbsp;de votre faiblesse...

— Jelui conseillerai grandement de ne pas m’é-parguer, car moije ne 1’épargnerai pas, je vous le proraets...

— Quoi 1 s’écria Bostroffe, Ie deuxième frère, c’est done Ik l’adversaire de mon noble frère le roinbsp;de la Sauvagine ?

— Lui-même.

— Nous a-t-on done fait venir pour combattre des femmes?... Pourquoi ne nous a-t-on pas pré-venus alors?... J’aurais, pour ma part, apporlé unenbsp;quenouille, au lieu d’èpée, pour chatier mon ad-versaire...

— Votre adversaire, chevalier, répliqua Lisvart avec colère, a cassé la tête a de plus grands quenbsp;vous, et il la cassera k bien d’autres 1...

— Jeune fanfaron I s’écria Bostroffe en s’avan-Qant d’uu air furieux vers le chevalier de la Vraie Groix, qui resta immobile et dédaigneux.

— Lk 1 la! dit le vieil empereur de Trébisonde qui voyait les affaires s’embrouiller.

Lisvart fit un pas et dit d’un ton ferme :

— Comme le roi de la Sauvagine s’est adressé de prime-abord a moi et m’a menace, il convientnbsp;que ce soit a moi qu’il ait affaire.

— Bienvolontiers 1 répoiiditlegéant, qui haussa les épaules de pitié, croyant déja avoir avalé Lisvart.

— L’empereur approuve-t-il ?

— J’approuve, rêpondit le vieux prince.

Lisvart reprit en désignant sou oncle, le chevalier de laSphère:

Ce chevalier, qui n’est pas une femmelette, vous pouvez m’en croire, sera pour Graffante, qui estnbsp;1’ainé des deux, k ce qu’il me paralt...

— Volontiers, rêpondit Graffante en roulant un oeil terrible, qui brilla comrae un charbon ardentnbsp;dans le trou profond oü la nature 1 avait placé.

— J’accepte, rêpondit Périon avec calme.

— Quant k vous, seigneur Bostroffe, reprit Lisvart en indiquant Olorius, voici un chevalier qui


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niBLIOTHEQUE BLEUE

fera a mervoille votre affaire, car il est de ceux qu’on ne traite pas avec une quenouille, mais avecnbsp;une bonne et solide épëe... Je vous engage h fairenbsp;visser la votre h votre poignet, si vous ne vouleznbsp;pas Ia voir choir dès la première passe...

— nbsp;nbsp;nbsp;Par ma foil s’écria Bostroffe, que ces ironiesnbsp;exaspéraient, il me tarde de m’essayer avec lui et

aussi avec vous!..... Et, si je ne me retenais, je

commencerais dès è présent...

L’empereur jeta pour la seconde fois son hola entre les trois frères etleurs adversaires.

— nbsp;nbsp;nbsp;Lè ! lèl seigneurs! dit-il. Ge n’est céans ni Ie

lieu ni l’heure de se chamailler ainsi I.....Puisque

les róles sont disiribués, et que chacun sait dès a présent è qui il aura affaire, il n’est pas besoin donbsp;se menacer comme dogues au chenil... Gonserreznbsp;votre ardeur guerroyante pour demain, les uns etnbsp;les autres, car c’cst demain qu’aura lieu Ie combat, el non avant... Jusque-lè, remettez done vosnbsp;épées et vos colères dans leur étui, je vous y engage et vous en prie...

Gela dit, l’etnpereur de Trébisonde coramanda qu’on conduisit Ie roi de la Sauvagine et ses deuxnbsp;frères au logis qu’on leur avail déjè préparé par sesnbsp;ordres.

Les trois géants se retirèrent lentement, non sans jeter des regards de haine sur leurs chétifsnbsp;adversaires.

Quand ils eurent disparu, chacun commenpa seuleinent è respircr.

Comment, après Ie flépart du roi de la Sauvagine el de ses frères, Gricilerie et Onolorie allèrentnbsp;s’enfermcr dans leur chambre pour pleurcr.

e tons les spectateurs do Ia aiW. scène qui venait d’avoir lieunbsp;entre les trois géants et lesnbsp;trois chevaliers de la cour dunbsp;roi Amadis, aucun n’avait res-^ senti, malgré que Ie malaisenbsp;?énéral eüt été grand, autant de douleur que losnbsp;ieux jeunes et intéressantes princesses Onolorie etnbsp;Gricilerie.

Tout ce qu’elles venaient de voir et d’entendre avail été autant de coups frappés sur leur coeur.nbsp;Malgré les raisons qu’elles avaient d’espérer, ellesnbsp;se laissèrent déconforter, au contraire, comme desnbsp;enfants, et peu s’en fallut qu’elles ne crussent déjanbsp;leurs amants morts.

Aussi, pour cacher a tous lesyeux les larmes'qui emnlissaient les leurs, pour mieux céler, en unnbsp;mot, l’émolion qui les envahissait, elles se retirè-rent précipitamment dans leur chambre.

^ Lk, se jetant toutes deux dans les bras l’une de l’autre, elles se mirent è pleurer a chaudes larrnesnbsp;lt;ït k sanglotter k leur aise sur Ie péril imminentnbsp;Pr^aré i Lisvart et k Périon.

Ah 1 ma soeur, murmura Onolorie en tressaillant, cette abominable figure du roi de la Sauvagine me poursuit et me navrel...

— nbsp;nbsp;nbsp;Geile du hideux Graffante ne me poursuit pasnbsp;moins, répondit Gricilerie en tressaillant comme sanbsp;soeur.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ils sent plus diables qu’hommes! reprit Ianbsp;mie do Lisvart en se serrant instinctivement dansnbsp;Ie giron de Gricilerie.

— nbsp;nbsp;nbsp;Plus diables qu’hommes, vous dites vrai, manbsp;soeur, tant ils sont gros, grands, hideux, noirs etnbsp;velus 1...

— nbsp;nbsp;nbsp;Est-il possible qu’il y ait au monde des créa-tures pareilies!...

—Quelle mere a pu leur donner issue de ses en-Irailles?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Quelle mère? répéla Gricilerie en frisson-nant. Ah 1 ma soeur, vous me faites songer la è uiienbsp;chose qui me rendrait bien heureuse eu tout autrenbsp;temps... Mère! si nous allions Ie devenir ?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Gela ne me chagrine pas, répondit Gricilerie,nbsp;paree que Ie chevalier de la Sphere a 1’amilié denbsp;l’empereur et qu’il obtiendra, j’espère, sou con-

sentementa notre mariage.....Mais ce qui m’é-

pouvante, ma soeur, c’est la pensée que je puis être veuve et mère avant d’etre femme!... Com-prenez-vous ce que cette pensée a d’épouvantablcnbsp;et de navrant?. .

— Si je Ie comprends! s’écria Onolorie. Mais notre position n’est-elle pas la même, ma sceur?...nbsp;Nos joies ont été les mêmes, nos douleurs sont lesnbsp;mêmes aussi...

Pendant qu’elles étaient ainsi en train de se déconforter, la bonne demoiselle Alquife entra.

Alquife avail assisté a I’entrevue du roi de la Sauvagine et de ses deux frères avec fernpereurnbsp;de Trébisonde. Elle avail rcQu de leurs féroces visages la même impression de terreur que les aulresnbsp;dames, et, involontairement, en regardant les deuxnbsp;jeunes princesses Onolorie et Gricilerie, elle availnbsp;compris a quel épouvantement elles devaient étrenbsp;en proie. Aussi, è peine avaicnt-elles disparu,nbsp;qu’Alquife les avail suivies, sans avoir fair de rien,nbsp;pour lacher de mettre du baume dans leur sang etnbsp;du réconfort dans leur esprit.

— Eh bien 1 dit-elle en entrant, vous voila toutes deux en larines, comme deux Madeleines 1

— Bonne Alquife, répondit Gricilerie en soupi-rant, vous savez bien oü Ie bêt nous blesse !...

— Je Ie sais, je Ie sais, sans doute, répondit Alquife. Mais vous me serablez exagérer commo «nbsp;plaisir votre mal, et agrandir outre mesure voti’enbsp;plaie... Ne dirait-on pas que tout est perdu, pareenbsp;que les chevaliers que vous airaez vont lutter avecnbsp;d’autres chevaliers!...

— Mais leurs adversaires sont des diables 1 s c-cria piteusement Onolorie. nbsp;nbsp;nbsp;,

— Ils en ont fair, j’en conviens, mais ils ne l sont peut-être pas autant qu’ils Ie paraissent... Enbsp;puis, d’ailleurs, les diables sont aussi niortels qnnbsp;les anges... Seulcraent les uns vont en enfer etnbsp;autres en paradis... Lisvart et Périon en seronbsp;quittes pour envoyer en enfer les amca ue leinbsp;eiinemis, si toutefois ils ont une ainc, ce qui

^'quot;Ü.^ vJus’en devisez b'. bien it votre aise, demoi' selle Alquife, réi)li([ua Onolorie avec unc soi


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LE CHEVALIER DE L’AROENTE ÉPÉE, 17

LE CHEVALIER DE L’AROENTE ÉPÉE, 17

ais.

raertume. Vous ne tremblez pas, corame nous, pour les jours des chevaliers qui ont notre foi!....

— Me YoilJ\ bien ébahie, en vérité, de vous en-lendredire cela! répondit Alquife en s’animant. Quoi 1 avez-vous done oublié les merveilleuscs

prouesses du chevalier de la Sphère?.....Fant-il

done que ce soit moi qui vous fasse remembrance des hauls fails de chevalerie du seigneur Lisvart,nbsp;vaillant fils du vaillant empereur Esplandian, etnbsp;petil'lils du trés renommé et trés chevaleureux roinbsp;Amadis, Ie preux des preux?... Ge n’est pas pournbsp;rien qu’il est connu et redouté en Orient et en Occident sous Ie nom du Chevalier Solitaire 1 Ne

savez-vous done plus qu'il y a sur la principale porte du palais de votre père une monstrueuse têtenbsp;de serpent?... Et ce serpent, n’a-t-il pas été tuénbsp;par lui?... Ne vous souvient-il done plus du miracle qui asignaléson ordination commechevalier?...nbsp;Ne savez-vous done pas qu’il porte l’épée merveil-leuse tirée des flancs du lion?... Ahl mesdames,nbsp;Périon et Lisvart ont passé par trop de hasards, etnbsp;des plus lerribles, pour redouler celui de dernain...

Groyez-m’en ; ils vaiucront Tun et Tautre!.....

Vous assisterez é leur triomphe et amp; la confusion du roi de la Sauvagine et de ses liideux frères 1.....

On croit aisément ce qu’on desire. La parole de la demoiselle Alquife entra comme baume dans Ienbsp;copur chagriné des deux jeunes princesses. Eliesnbsp;adressèrent une devote oraison au ciel et s’endor-m rent plus calmes que la veille.

CHAPIÏRE XV

Comment Ie roi de la Sauvagine et ses deux frères combatli-rent Lisvart, Périon et Olorius, et ce qui en résulla.

Ie lendemain, les transesdesdeuxnbsp;princesses recom-inencèrent de plusnbsp;helle, et tant plusnbsp;Ic moment de lanbsp;lutte approchait etnbsp;tant plus elles ou-hl ia ie ut les excel-Icnlcs raisousde réconfortet detran-quillité que leur avait données lanbsp;bonne demoiselle Alquife.

Le vieil empereur de Trébisonde avait fait préparer, en dehors desnbsp;murs, une lice bien entourée et trésnbsp;convenable de toules les facons.

Sur l'un des cótés de cette lice, et la dominant grandement et belle-ment,il avait fait élever un splendidenbsp;échafiiud lendu de courtines de soienbsp;l^'t de flammos de mème étoffe, destine é sa cour etnbsp;tui-mème. Ce fut sur eet échafaud que vinrenl

prendre place les deux amoureuses princesses avec leur mère rimpératrice, et maintes autresnbsp;dames et demoiselles de leur suite.

Comme le coeur leur battit quand elles virent entrer les champions dans la lice 1 Avec quels fré-missernents elles contemplèrent leurs amants, fiersnbsp;et superbes sur leurs destriers 1

Périon, Lisvart et Olorius entrèrent les premiers.

L’empereur portait l’armet du chevalier de la Vraie Groix, et Ie roi de la Breigne portait sa lancenbsp;forte et raide.

Le due d’Ortilense portait le heaume du chevalier de la Sphère, et le prince d’Alafonte sa lance.

Le comte d’Alastre portait le heaume d’Olorius, et Alarin sa lance.

Ge fut dans eet ordre qu’ils viiirent prendre place a 1’tine des extrémités de la lice.

Outre qu’ils avaient tous trois passé une partie de la nuit en devotes oraisons, et c^u’ils avaientnbsp;assisté, une heure auparavant, avec r empereur denbsp;Trébisonde, k la messe solennelle dite en vue denbsp;ce combat et du succes des armes chrétiennes, nosnbsp;trois chevaliers, Périon et Lisvart surtout, étaientnbsp;soutenus par la presence de leurs bien-aimées. Mou-rir sous les yeux de ce qu’on aime, c’est déjci unenbsp;apre volupté. A plus forte raison, vaincre sous lesnbsp;yeux de sa maitresse! Et les trois chevaliers chré-tiens complaient bien sortir victorieux de cettenbsp;lutte.

Les deux princesses de Trébisonde ne partagè-reiit pas cette espérance, lorsqu’elles apergurent le roi de la Sauvagine et ses deux frères.

Ges trois chevaliers, revêtus d’armes noires, et tenant au poing leurs lances, dont le fer aigu avaitnbsp;une brasse de longueur, s’avancèrent avec une ou-trecuidance d’allures qui témoignait assez quellenbsp;contiance ils avaient en eux, et la certitude oü ilsnbsp;étaient do tuer Périon, Lisvart et Olorius.

— Ah! ma soeur, ma soeur 1 murmura Onolorie en palissant et en se penchant sur le sein de Grici-leric. Ahl masmur, combien j’ai le coeur serré!...nbsp;Pour un peu j’étoufferais 1...

Gricilcrie ne répondit rien : elle était fout en-tière è co qui allait se passer.

— Ah I ma soeur, ma soeur 1 reprit Onolorie avec amertume, vous n’aimez pas comme moi I...

Onolorie se trompait: Gricilerie aimait et souf-frait autant qu’elle, seuleraent toute son arae, en cc moment, s’était réfugice dans ses yeux, qui nenbsp;quiltaient plus le chevalier de la Sphère.

Radiaxe et Tartarie, juges du camp, s’approchè-rent bientót et placèrent les combattants 1 un de-vantl’autre, Lisvart devant Sulpicie, roi de la Sauvagine, Périon devant Graffante, Olorius devant Bostroffe.

Quand cela fut fait, les troinpettes ct les clai-roris sonnèreut leurs plus éclatantes fanfares, et les hérauts d’armes crièrent;nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;,nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;. ,nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;,

— Gombattants, faites votre devoir 1 combattants, faites votre devoir! combattants, faites votre

devoir! nbsp;nbsp;nbsp;,nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;^nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;,

Les chevaux, rudement eperonnes, se lancereiit avec iinpétuosité, brülaiit le sol de leurs sabots.

Olorius ct Bostrolfe s’entreprirent les premiers, et ils le firent si aprement, qu’ils s’en eiitrefaussè-

Sme. — 2


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18 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

rent leurs écus, leups hauberts et leurs mailles. Le cheval d’Olorius en fut mêrae violemment épaulé.

Pénen et GrafFante ne firent pas moins, et Graf-fante comprit vite qu’il n’avait pas en face de lui une demoiselle, un porteur de quenouille, commenbsp;il 1’avait cru teut d'abord. Périon lui fit voir qu’ilnbsp;ne redoutait pas beaucoup sa longue lance; il luinbsp;aurait même fait voir autre chose, si son chevalnbsp;n’eüt recu, en plein chanfrein, un coup qui l’a-battit mort.

Lisvart et Sulpicie se présentèrent. Ils vinrent avec une telle force l’un sur 1’autre, que Sulpicienbsp;faussa l’écu du chevalier de la Vraie Groix en luinbsp;mettant la lance une brasse i travers le gousset,nbsp;saus lui faire cependant autre mal.

Lisvart rencontra mieux, car il perpa écu et harnois, et, sans une lame de fer que le roi de lanbsp;Sauvagine portalt sous son haubert, il était mortnbsp;sans faute \ il en fut quitte pour aller rouler deuxnbsp;OU trois tours sur terre.

Qui y eut pris garde, eüt pu voir, ci la conte-nance d’Onolorie, combien co beau coup lui était agréable, surtout quand elle entendit le soudannbsp;de Liquie dire au roi de la Breigne qu’il n’avaitnbsp;jamais assisté a un si bet emploi de la lance.

Or, Lisvart et Bostroffe étaient demeurés tous deux amp; cheval. Mais, pour satisfaire aux conventions arrêtées, ils mirent soudain pied i terre, ainsinbsp;que les autres champions, et alors commenQanbsp;entre eux six un rude et cruel combat.

Bien que plusieurs estirnassent la partie mal faite, le chevalier de la Vraie Groix et ses compagnons donnèrent a entendre, par leur adresse etnbsp;la vivacité de leur courage, qu’ils n’étaient pas unnbsp;seul brin étonnés ni démoralisés. lis y allèrent sinbsp;valeureusement, au contraire, que fherbe dunbsp;champ changea de couleur en moins de rien, parnbsp;le sang répandu de leurs ennemis, entremêlé dunbsp;leur propre.

Onolorie et Gricilerie, qui tremblaient comme la feuille poussée sur l’arbre au soufflé du zéphire,nbsp;faisaient vceux et dévotes prières a Dieu, pour lenbsp;salut de leurs amis.

Le combat dura un si long temps, que Bostroffe et Olorius furent contraints de s’appuyer sur leursnbsp;épées et de reprendro haleiiie, ainsi que Périon etnbsp;Graffante. Lisvart et le roi de la Sauvagine, seuls,nbsp;ne prirent pas repos, car ceux-ligt;, lant plus ilsnbsp;allaient en avant et tant plus ils montraientnbsp;de grand courage-, ce dont Sulpicie, courroucé,nbsp;voulut embrasser Lisvart pour le ruer par terre.nbsp;Mais, k bien assailli bien défendu : Lisvart étaitnbsp;fort de reins au possible, et il le prouva a sonnbsp;adversaire ébahi.

Déjk s’étaient repris Périon et Graffante, et, sernblablement, Olorius et Bostroffe. Si Oloriusnbsp;faisait connaitre parsavaillance le grand désir qu’ilnbsp;avait de parvenir k la victoire, Périon en faisaitnbsp;plus encore, car son amie venait de le regardernbsp;d’un tel ceil, qu’il sentait redoubler ses forces etnbsp;que sa lassitude s’en allait rapidement.

II pouvait être l’heure de midi. Le soleil était si ^pre, que le moins vêtu brülait de chaud; si biennbsp;I® sang qui sortait du corps de Sulpicie figeanbsp;en telle abondance sur son harnais noir qu’il ennbsp;devint quasi vermeil, ainsi que celui de Lisvart.

Sulpicie, alors, voulant en finir, prit sou épée k deux mains et s’etforga d’en briser la tête de sonnbsp;ennemi. Mais celui-ci, parant de son écu, le coupnbsp;tomba sur l’armet diamantin et se rompit en troisnbsp;parts.

Lisvart, un instant courbé sous la violence du choc, se releva bieiitót, et, se lancant contre lenbsp;roi de la Sauvagine, qui était maintenant sansnbsp;armes, il lui dit d’une voix haute ;

— Roi, recounais maintenant la différence du mal parler au bien faire!... Rends-toi, si tu nenbsp;veux mourir!...

— Lisvart! Lisvart! Je veux venger la mort de mes oncles! répondit le roi de la Sauvagine en es-sayant de jouer du tronpon de sou épée.

Mal lui en prit. Lisvart l’atteignit rapidement k fépaule et le forca d’ouvrir le poing et de lachernbsp;son troncon, ce qu’il fit en poussant une exclamation de douleur.

— Roi convaincu, reprit Lisvart, tu voulais porter ma tête au chkteau de la Roche... G’est moi qui vais prendre la tiennel...

Et, en disant cela, Ic chevalier de la Vraie Groix frappa Sulpicie d’un dernier coup qui le guérit donbsp;tous ses maux.

Ah 1 quelle grande aise et quel conteutement furent ceux d’Onolorie, et combien ello rendit gracenbsp;au ciel 1...

Quand Olorius apercut le roi de la Sauvagine plier le jarret, encore qu’il eüt fort k faire de ré-pondre k celui qui l’assaillait, il ne se put tonirnbsp;de lui dire en riant :

—Ehbion! Bostroffe,ton frère a-t-il trouvé la demoiselle k laqnelle il croyait avoir affaire, en lut-tant avee Lisvart ?... Gelui-ci y a été bien douce-ment, n’est-ce pas ? J’y vais aller plus doucement encore, moi, et te trailer tout-k-fait eii favorite...

Bostroffe, ébahi et démonté outre mesure par la mort du roi de la Sauvagine, en eut le coeur sinbsp;lécbe, qu’il commenca a dédaigner sa vie et a dé-sircr la tin de ses ans. ïellement, qu’au lieu de senbsp;soiistraire aux coups que lui portalt Olorius, il s’ynbsp;offrit volontaireraent, ce qui lui fit doiiner du neznbsp;en t(',rre et rcndre vitement l’esprit.

Graffante, k son tour, Jyt bieq étonné, et plus découragé encore. Périoq, du roste, n’y allait pasnbsp;de main morto. Tout au ^U’aire, mis en vigueurnbsp;par la presence et les regqyds dg sa mie, ain^i quenbsp;paria victoirede sescotnp,ksno;is, IHVaupait commenbsp;marleau sur encluine; si^ien, que Graffante nenbsp;tarda pas a chanceler, pq^s k toinber, fépéc denbsp;Péi’ion dans la gorge, au grand conten|ement denbsp;Gricilerie et de tons les assistants.

Lors, lestrompettes et les clairons résonnérent de plus belle, et les juges du camp ainenèrenl des mori-tures aux vainqueurs qu’ils conduisirent triomp’na'nbsp;lement en leurs logis, oii maitre llélisabol les prij-en garde, assurant l’pmpereur, après avoir visitenbsp;leurs plaies, qu’ils en auraient prochaiuc guórison.


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LE CHEVALIER DE L’ARDENTE EPÉE. 19

LE CHEVALIER DE L’ARDENTE EPÉE. 19

è nbsp;nbsp;nbsp;^ science

/ \ nbsp;nbsp;nbsp;de rnailre Ilélisabel, grace

surtout a leur ‘qmqur et a l’envie qu’ils av^ienl do senbsp;retrouver avec leur^ mies,nbsp;^nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;Lisvart fureRt bien-

- ' nbsp;nbsp;nbsp;Ibt gucris, ainsi qu’Olorius.

princesses ne purent J^onne detnoisellenbsp;AlquifeIe put, et elle ne sennbsp;fit pas faule,racontanI chequenbsp;jour u Gricileriö et a Onolorienbsp;ce que pensaient Lisvart etnbsp;et, dun autre cóté,nbsp;rapportant k Périon et a Lisvart ce quo Gricilerie et Onolorie pensaient elles-mêmcs.

Fiiialement jls guérjrent.

L’empereur de Trébisonde, prince aimable.no sachant quel plaisir leur procurer, pour les (Ic-dommager vm peu, s’avisa uq jour de les emrnenernbsp;ebasser dans uiie forèt assez proobe la ville.

Et- dn fait.- V avant onvriv^p lt;;ns vnnpiipï

CHAPITRE XVI

Comment l’empereur do Trébisonde, Lisrart et Olorius, chassant un jour en forêt, rencontrèront uno demoisellenbsp;cn larmes, et ce qu’il en advint.

Et, de fait, y ayant envoyé sos veneurs, il se trouva Ie lendeinain aux toiles, avpc les vainijueprsnbsp;du roi de la Sauvagine.

Les limiers et les chiens courants venaient de charger nu grand cerf, L’empereur et Périop, senbsp;trouvant en nn relais, attendant, virent töut a-coup déboucher devant eux un ours de helle taillp.nbsp;G’était une proie comme une autre : ils délaissèrentnbsp;Ie cerf et poursuiyirent Tours, qui fut bientèt atteintnbsp;et mis fi mort.

Ils venaient de Ipi porter Ie dernier coup, lors-qu’ils entendirent, du cóté de lamer, comme une voix douloureuso qui se plaignait.

Ijs se dirigèrent inconlinent de ce cóté, et, apros uvoir loiiguement cheminé, ils se trouvèrent ennbsp;presence d’urie demoiselle qui pleurait è chaudesnbsp;jarmes, regrettant un chevalier mortè ses pieds,nbsp;mquel, armé encore detoutes pieces, avgjt reen Jenbsp;coup supTême dans la gorge.

Le vieil empereur et Périon, saisis de compassion pour cette femme, belle et de bonne grace, s enquirent naturelleraent auprós d’elle du pour-quoi de sa douleur et de ses lamentations, la priantnbsp;ac s’apaiser un peu et de ne pas se contusioqnernbsp;®cmrne elle faisalt.

Mais leurs prières fureqt perdqes. Cette belle mconnue continua a pleurer et elle ne voulut pasnbsp;nettre paix a la guerre commencée entre ses on-g es et son visage; tellement qu’elle ne tarda pas anbsp;mre toute en sang.

Périon, ébahi de cette merveille, deseendit glors de oheval, s’approcba do Iq demoiselle eijnsistanbsp;pour savoir d’elle la cause de ses larmes.

La demoiselle, a sa parole, relevant la tête et Ie regardant, soupira et lui dit;

— nbsp;nbsp;nbsp;Pour Dieu 1 chevalier, ne me pressez pas da-vantage.., Vous me faites crever le coeur..,

Périon, voyant que ses saqglots recommencaient de plus belle, insista de nouveau, avec plus denbsp;douceur encore que la première fois.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ilólas I sire chevalier, réponditrelle, laissez-moi en paixl...

— nbsp;nbsp;nbsp;Ou doit seeours et consolation a eeux quinbsp;souffrent, répliqua Périon, J’insisterai de la sortenbsp;jusqu’h ce que vous m’ayez dit la cause de votrenbsp;chagrin afin que j’y porte remède, si je le puis.,.

— Si vous me promettez un don, reprit la demoiselle, je vous raconterai ce que vous désiroz si fort entendre...

Périon, prompt a promettre, lui aecarcia aisé-mentco qu’elle demandait.

— Puisqu’il en est ainsi, dit alors la demoiselle, armez-vous des armos de ce chevalier mort, quinbsp;est mon père, et suivez-moi a quatre millos d'ici,nbsp;dans une ile oü s’est retiré le paillard qui a été sonnbsp;meurlrier, et qui a jure do m’attendra si je voulaisnbsp;lui amener un chevalier pour le combattre... Pournbsp;le surplus, je vousle réciterai a loisir dès que nousnbsp;serons embarqués...

Périon avait la bonne volonté de faire ce voyage. 11 demanda a Tempereur s’il ne lui plaisait pas,nbsp;auparavant, qu’il le reconduisit jusqu’au prochainnbsp;rendez-vous de chasse.

—r Non, réponditle vieux prince. Je vpus aeeom-pagnerai, puisque Tilo est prochaine, et, de cette fagon-lh, j’aurai le passertemps du combat...

— Au nom de Dieu, soitl dit Périop.

Et incontinent, il s’arma du harnois du mort. Puis, quand il fut pret, il suivit la demoiselle in-connue, ainsi que Tempereur, et tous trois entrè-rent dans une barquette ancrée sur le rivage.

Lors, la demoiselle se mit h voguer si habile-ment qu’en moins de rien ils eurenl perdu la terre de vue.

GIIAPITPE XVII

Comment Lisvart pt Olorius, en qaêtc fle ffmpcreur et Jo Périon, rencontrèront et suivirent deux'demoiselles qui clc-vaient leur on donner nouvelles.

Pendant que la demoiselle inconnue emmenad Périon et le vieil empereur de. Trélnsonde, ainsinbsp;que vous venez de le lire, Lisvart, Olorius et lesnbsp;autres cbassaient en la forèt.

Après s’ètre chargés abondamraent de venaison, etvoyantla nuitapprocher, ils firentla plus grandenbsp;diligence pour retrouver Périon et le vieil empereur, sou compagnon. Mais ils n’en purent aTOirnbsp;nouvelles.


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20 BIBLIOTIIEQUE BLEUE.

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)i

vl'S

reur de Trébisonde avant que ce prince, ébahi, songé ü faire résistance.

— nbsp;nbsp;nbsp;Je les ai vus tanlót passer au galop de leursnbsp;chevaux, dit un valet de pied.

— nbsp;nbsp;nbsp;Et oil allaient-ils? dans quelle direction? de-manda Lisvart.

— nbsp;nbsp;nbsp;Dans ce chemiii oü s’élait engagé un ours,nbsp;après lequel ils couraient, répondit Ie valet, en in-diquant Ie chemin pris en effet par les deux chasseurs.

On s’y engagea et l’on trouva la béte morte.

— nbsp;nbsp;nbsp;Voilk bien Tours, reprit Lisvart; mais Tem-pereur ? mais Ie chevalier de la Sphère?...

Personne ne put répondre. Seulement, au moment oü Lisvart demandait cela, on entendit Ie hennissement de deux chevaux, a quelque distancenbsp;de lü.

G’éaient les chevaux des deux chasseurs, les-quels étaient débridés et paissaient k Taventure.

Le chevalier de la Vraie Groix et sescompagnons s’engagèrent du cóté d’oü partaient ceshennisse-ments, et, quand ils arrivèrent, ils apergurent unnbsp;esquif dans lequel se trouvaient deux demoisellesnbsp;et deux matelots.

Lisvart les salua gracieusement et leur dit:

—Mesdemoiselles, j’altends une grace de vous...

— nbsp;nbsp;nbsp;Laquelle, beau chevalier?

— nbsp;nbsp;nbsp;Ne pourriez-vous nous donner nouvelles', sinbsp;vous en savez, de deux chevaliers. Tun fort vieux,nbsp;et Tautre assez jeune, qui nous ont perdus en chas-santdans cette forêt?...

— Parlez-vous, demandèrent les demoiselles, de Tempcreur de Trébisonde et de celui qui Taccom-pagne?

— Oui, certes, répondit Lisvart; c’est précisé-ment d’eux qu’il s’agit. Dites-nous, s’il vous plait, ce qu’ils sont devenus 1...

— Vous y tenez beaucoup?...

— Beaucoup, certes, beaucoup...

— Eh 1 bien, si vous avez envie vraie de les trou-ver, entrez avec nous dans cette petite nauf, et nous vous conduirons volontiers vers eux...

— Oh 1 nous vous en saurons un gré infini!...

— Pourvu cependant, reprirent les demoiselles, que vous nous accordiez un don...

— Un don?...

— Oui... Autrement, tenez peur certain qu’ils sont Tun et Tautre perdus pour vous et que vousnbsp;ne les reverrez pas do longtemps...

Lisvart, qui désirait beaucoup sorvir Tempereur de Trébisonde, pour Tamour de sa dame, octroyanbsp;volontiers aux deux demoiselles ce qu’elles requé-raient, leur demandant toutefois s’il pouvait em-mener avec lui plus grande compagnie...

— Non, répondirent-elles, sinon un autrc avec vous, sans plus.

Olorius était présent. II pria alfectueusement Lisvart de lui permettre de Taccompagner, ce anbsp;quoi le chevalier de la Vraie Groix consentit biennbsp;volontiers.

Ils entrèrent en consequence dans la barque oü étaient les deux demoiselles, laissant sur la grèvenbsp;le roi de la Breigne et les autres.

GHAPITRE XVllI

Comment Tempereur de Trébisonde el le chevalier de la Sphère eurentkse repentir d’avoir imprudemmenl accordénbsp;un don a la demoiselle désolée qu’ils avaient renconlrée.

ous retournons ü Tempereur de Trébisonde et ü Périon,nbsp;que la demoiselle inconnuenbsp;conduisait.

Après avoir navigué jusque au soleil couchant, ils prirentnbsp;port en une petite ile oünbsp;étaient dressées deux grandesnbsp;tentes.

A Tentrée de Tune de ces tentes se tenait une dame, accompagnée d'un chevalier armé de loutes pièces, a Pfoposnbsp;duquel la demoiselle inconnue dit a Pé-rion, en le lui rnontrant.

— Sire chevalier, voilé celui que vous devez combattre, et qui, par grande félonie, a lué mon père.

— Demoiselle,réponditPérion, je vous promels que je le vengerai si je le puis.

Lors, tous Irois sortirent de la barque qui les avait arnenés, et, comme le chevalier que venait d’indiquer la demoiselle venaitnbsp;au-devant d’eux et leur demandait ce qu’ils vou-laient et oü ils allaient, Périon répondit:

—Chevalier, vous avez promis é cette demoiselle d’attendre ici qu’elle eüt rencontré et amené Ienbsp;gentilhomme destiné é vous combattre et k vengernbsp;la mort de son père, que vous avez fait si vilaine-ment périr...

— nbsp;nbsp;nbsp;Eh bien 1 dit Tautre, qu’en est-il ?

— nbsp;nbsp;nbsp;Bien aufre chose, répondit Périon, sinon quenbsp;j’aurai votre tête en récompense dc sa vie.

— Votre entreprise est folie, répliqua le chevalier. Aussi vais-je chdtier votre jeunessc et vous apprendro Texpérience avant que vous nè délogieznbsp;de céans.

II mit alors Tépée ü la main et Périon ne man-qua pas de Timiter; et, tout aussitót, parant de son écu le coup qui lui était porté, il en fut quitte pournbsp;cette attaque-lü. Mais, en voulant prendre sa revanche sur le bouclier de son adversaire, il brisanbsp;son épée.

— Paillardl lui cria alors son ennemi. Mainte-nant votre tête sera mise au lieu oü vous aviez en-trepris de loger la miennel... nbsp;nbsp;nbsp;.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;..

Périon comprit son danger. Pour Téviter, ii se langa conlre son adversaire, le saisit rudement anbsp;collet, et il Teut abattu sans plus tarder si, lOut-a-coup, six grands pendards n’éiaient sortis de

seconde tente. nbsp;nbsp;nbsp;.

Deux de ces misérables se jeterent sur 1 emp ,1,. rrnbsp;nbsp;nbsp;nbsp;Qiront. niie CC nriiicf' ebani. eut


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LE CHEVALIER DE L’ARDENTE EPEE. 21

Les quatro autres s’emparèrent de Pcrion par derrière, l’enlevèreiit, malgré ses énergiques efforts pour se défendre, et Ie portèrent jusque sousnbsp;la tente d’oü ils venaient de faire irruption, et oünbsp;les deux premiers pendards venaient déja de transporter Ie vieil empereur de Trébisonde.

Lors, la vieillc dame qui avait assisté a foute cette affaire sans sonner mot, dit au vieux prince :

— nbsp;nbsp;nbsp;Mcchant empereur, puisque vous voilé main-tenant en ma puissance, je vous ferai désormaisnbsp;servir d’exemple a tous les autres qui veulent senbsp;mêler de nuire aux amis d’Armato... Je vengerainbsp;sa mort sur vous et sur tous les autres rois, princesnbsp;et chevaliers qui on sont la cause...

— nbsp;nbsp;nbsp;Dame , répondit tranquillement l'empereurnbsp;de Trébisonde qu’on venait d’enchainer durement,nbsp;ainsi que Ie chevalier de la Sphère; dame, je nenbsp;sais de quoi vous me parlez la... je sais seulernentnbsp;qu’il ne fut jamais de trahison plus grande et plusnbsp;malhonnèle que celle quo vous pourchassez a cettenbsp;heure.

— nbsp;nbsp;nbsp;Jepense et vois autrement ^ue vous, mé-chant empereur que vous êtes 1... répartit la vieillenbsp;dame.

Et, tout aussitót, elle commanda équelques-uns de ses gens de faire ópouser la grue k ses deux pri-sonniers, pour cviter qu’ils ne s’échapsasseul.

— nbsp;nbsp;nbsp;Trailressel traitresse! traitresse! murmuranbsp;Ie ^ teil empereur. 11 y a unc justice au ciel, et nousnbsp;serons vengés!.,.

— nbsp;nbsp;nbsp;Je ne Ie crois pas! répondit la vieille.

GlIAPITRE XIX

Comment Lisvart et Olorius, fails prisonniers comme l’cm-pereur et comme Périon, ne surent oü on les conduisait.

A poino Lisvart et Olorius eurent-ils laissé Ie rivage de la mer, que la nuit les surprit.

ïüutefois ils ii’en disconlinuèront pas de navi-guer; si bien, qu’ils arrivèrent bieutêt en 1’ile oü 'daient déja Fempereur de Trébisonde et Ie filsnbsp;d’Amadis de Gaule.

Ils prirent terre, sans defiance aucune, et les deux demoiselles leur conseillant de se reposer surnbsp;•nerbe et d’y attendre Ie retour de Faubc, ilsnbsp;oboirent volonliers.

Quebjue temps aprés, clles demandèrent au clievalier d(! la Vraie Groix s’il ne se souvenait pasnbsp;de leur avoir promts un don.

^ — Oui, certes! répondit Lisvart. Les chevaliers dontqu’une parole, et, ce que j’ai premis, je Ienbsp;bendrai 1...

—-Suivez-moi done, seigneur chevalier, dit la plus jeune, et je vous dirai é part ce que eest, carnbsp;dela ne doit être entendu que de vous...

L’obscurité était telle, en ce moment, qu’on n’eüt SU voir la longueur de son nez. Nonobstant, Lis-art suivit sa jeune compagne, saus rien soupcon-ner du piége oü il marchail

Ils cheminèrent ainsi dans les ténèbres pendant environ deux traits d’arc. Puis, la demoiselle, fei-gnant d’etre lasse, pria Lisvart de s’asseoir a cóténbsp;d’elle, sur la mousse, et de deviser quelque peu,nbsp;ce que l’honnête chevalier lui accorda Ie plus vo-lontiers du monde, tantil était loin de soupQonnernbsp;la malice de cette jeune paillarde.

Done, comme il se baissait pour s’asseoir, elle passa rapidement derrière lui, Ie prit par lesnbsp;épaules, Ie renversa, et, lui tirant 1’épée hors dunbsp;cóté, elle s’enfuit comme une ombre cn criant:

— Secourez-moi, chevaliers 1 secourez-moi!... Lisvart, bien étonné, comme on pense, de senbsp;trouver ainsi dégu, se releva vitement et courutnbsp;plus vitement encore aprés la fugitive. Maïs, aunbsp;moment oü il se croyait Ie plus sur de Tatteindre,nbsp;il fut entouré et saisi parsept chevaliers qui étaientnbsp;en embuscade par Ié.

Ces traitres Ie mirent d’abord dans 1’impossibi-lité de leur résister; puis ils 1’emportèrent brufa-lement sous la teute oü étaient enchalnés Périon et Ie vieil empereur de Trébisonde.

II n’eut pas de peine é comprendre qu’il avait été odieusemont trahi; et d’ailleurs, s’il avait eu,nbsp;par hasard, des doutes, ils se fussent promptementnbsp;dissipés, car on lui mit de gros fers aux jambes,nbsp;pour l’empécher de s’évader.

Lisvart était jeune ; il crut qu’il allait en mourir da ragel Tont en se dèbattant comme il pouvait,ilnbsp;avanga Ie poing sur la figure d’uu de ses bourreaux,nbsp;et si ruderaent, qu’il lui cassa quatre dents de lanbsp;méchoire.

Les cris de la demoiselle trahisseuse de Lisvart étaient arrivés jusqu’aux oreilles d’Olorius, ennbsp;train, pour Fheure, de deviser tendrement avecnbsp;1’autre demoiselle, sur Ie gazon, en attendant Ienbsp;retour du chevalier de la Vraie Croix. Etonné anbsp;bon droit, il se leva, et, é la lueur du pavilionnbsp;qu’on avait allumé, il courut voir ce que signifiaientnbsp;ces cris d’appel.

Eu entrant sous la teute, il apercut Lisvart, Fempereur et Périon, dans Ie piteux état que jenbsp;vous ai dit. Erau de tristesse et de colère, il mitnbsp;soudain la main sur son épée, et, sans se rendrenbsp;compte du danger oü il était, il se précipita sur lesnbsp;traitres.

Deux d’entre ces misérables eureut la tête fen-duc jusqu’aux oreilles. Le troisième, celui contre lequel, précisément, Périon avait corabattu, se ruanbsp;sur Olorius, dont Fépée se rompit malheureuse-ment.

Le pauvre chevalier comprit alors qu’il ne pour-rait résister plus longtemp.s et qu’il serait accablé par le nornbre.

Ainsi lui advint-il, en effet. Environué de toutes parts, il fut arrèté, pris, lié et garrotté comme sesnbsp;compagnons, et tous quatre furent emmenés sur

le rivage. nbsp;nbsp;nbsp;.

L't, OU los tria et sépara, et ils furent mp dans des vaisseaux séparés qui ne tardèrent pas a levernbsp;Fancre et é voguer en pleine mer.


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BIBLIOTHEQUE BLEUE.

CHAPITRE XX

Comment lè roi de la Breigne et qüelques au-tres de ses compagnons, nö vbyant pas reve-nir l’empereur de Trébisonde, résolurent d'aller k sa quête; et comment Ic due d'Or-« tilense et Ie due Alafonle furent chargésnbsp;d’annoncbr la mauVaise nöüvelle fi l’impéra-Irice.

.linie, Adariel, Ie roi de la Breigne / et les autreschevaliers,nevoyantnbsp;'-rovenir ni l'empereur de ïrébi-J sonde , ni Ie chevalier de lanbsp;^nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;Sphere, ni Ie chevalier de la

Vraie Croix, ni Olorius, cora-^ mencèrent è soupgonner véhé-/ mentemeiit qu’uiie aventure fa-cheuse était arrivée k l’un d’eux, sinon ó tons.

Ils attendirent Ie plus qu’ils purent, firent des appels de fanfare dans tonicsnbsp;les directions de la forêt, et, finalement, ne virentnbsp;rien venir, ce qui les désola grandement, car ilsnbsp;aimaient beaucoup l’empereur, et beaucoup aussinbsp;Lisvart.

Que faire en cetto occurrence? demanda Adariel.

— Je ne sais vraiment, répondit Ie roi de la Breigne,

““ Que va dire et penser rimpcratrice de tout ceel?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Je n’ose me répondrel... G’est une catastrophe inopinée.....Je n’y peux croire..,.. et cepen-

dant, l'évidence est la... Après l’empereur et Pé-rion, ont disparu Lisvart et Olorius... II y a la dessous quelque terrible myslère qu’il importenbsp;d’éclaircir... Quant a moi, je fais une proposition.

— nbsp;nbsp;nbsp;Laquelle ? demandérent les chevaliers.

— nbsp;nbsp;nbsp;Due d’Ortilense, répondit Ie roi de la Breigne, voulez'vous vous charger d’aller, en compagnie du due Alafonte, annoncer cette mauvaisenbsp;nouvelle k Pimpératrice ?

— nbsp;nbsp;nbsp;Triste mission que celle-la 1

— nbsp;nbsp;nbsp;Sans doute, mais, mieux que personne, vousnbsp;pouvez la remplir tous les deux...

— nbsp;nbsp;nbsp;Et vous?

— nbsp;nbsp;nbsp;Nous allons nous mettre en quête de Lisvartnbsp;et de l’empereur, et nous ne rentrerons pas a Trébisonde avant d’avoir eu de leurs nouvelles, je disnbsp;des plus certaines...

— nbsp;nbsp;nbsp;Allez done, et que Ie Giel vous conduisel ditnbsp;Ie due d’Ortilense.

Le roi de la Breigne, Adariel, et Elinie se diri-gèrent en conséquence vers la mcr, suivis du due d’Ortilense et du prince Alafonle, qui voulaienlnbsp;assisier amp; leur depart, et qui espéraieiit encore re-rouver quelques traces de Lisvart et de l’empe-reur, de Périon et d;Olorius.

ik nbsp;nbsp;nbsp;t cheminé pendant un peu de temps,

P Curent une barque qui so balaaguit doucc-

ment sur sös ancres, a quelques pas du rivage.

— nbsp;nbsp;nbsp;C’est le ciel qui nous 1’envoie 1 s’écria le roinbsp;de la Breigne. Venez, Adariel!... venez, Elinie!...

Ils s’embarquèreht sans plus tarder.

— nbsp;nbsp;nbsp;Que Dieü vous alt en sa digne et saintenbsp;garde! leur cria le due d’Ortilense.

II parlait encore, que déjè la barque avail disparu.

Les chevaliers s’enrevinrentdonc h Trébisonde, mélancolisés par ces événements et roulant dansnbsp;leur esprit les moyens d’annoiicer la fècheuse nouvelle k rirapératricè.

Mais ils n’eurent pas besoin de paroles : elle vit bien, ü leurs visages contristés, qu’ils élaient por-teurs d’un message sinistre, et comme, en somme,nbsp;il n’y avail pour élle qu’une seule personne qui l’inté-ressat violernment, ^savoir son vaillantépoux, ellenbsp;leur demanda d’une voix pleine de larmes.

— L’empereur est-il done morl?...

— Non, madame, répondit le due d’Ortilense...

— Pourquoi n’est-ilpas aveevous?... Est-il done blessé?... Ghasser i son Éigel... quelle imprudence!...

— Madame, reprit le due, sa majesté l’empe-reur de Trébisonde a disparu... Nous ravonscher-chó pendant un long temps avec la sollicitude la plus grande ; nos recherches ont été infruclueu-ses... Nous avoiis compris alors qu’il était tombénbsp;dans quelque honteux guet apens perpólré parnbsp;nos ennerais... Car nous en avons encore,hélasl...

— L’empereur est perdu 1...

— Ge qui nous a confirmés dans cette triste supposition, c’est aussi la disparition d’aulres compagnons... L’empereur et Périon, d’abord, Lisvart et Olorius ensuite...

— Lisvart 1... Périon 1...

En ce moment, un petit cri étouffé se fit entendre; mais il se perdit bientót dans l’émotion générale causce par cette nouvelle altrislanle.

Vingt chevaliers se levèrent et s’engagérent h prendre la quête de l’empereur de Trébisonde etnbsp;de Périon, de Lisvart et d’Olorius. Et, en effet, hnbsp;riustant même, la plupart partirent dans toutesnbsp;les directions et s’en allèrent a l’aventure, traver-sant tous les pays du monde. Si bien, qu’au boutnbsp;de peu de temps, la nouvelle était sue de la Grèce,nbsp;de la Thrace, de i’Allemagne, de ITtalie, de Ianbsp;Grande-Bretagne, de la Gaule, qui prirent part anbsp;cette perte...

CHAPITRE XXI

Comment Onoloric cl Gricileric, se sentant grosses d'onfant, clemandöreat h 1’impératricc Tautorisation de se retirer aunbsp;monaslOrc de Sainlo-Sopbie, pour y allendrc le retour uenbsp;1’emptreur.

Si Pimpératrice déplorait amèrernent la perte du vieil einpereur de Trébisonde, Gncilerie et Onolo-^nbsp;rie ne regreltaient pas moins ainèremcnt 1 absence


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LB CHEVALIER DE L’ARDENTE ÉPÊE. 2S

du chevalier de la Spère et du chevalier de Ia Vraie Croix, car cette absence, en üii de coinple, pou-vait bien étre la mort.

Aussi, tl partir de l’heure fatale oü Ie due d’Orti-lense était venu apprendre ti l’iinpératrice la dis-parition de Fempereur leur père, et des deux chevaliers leurs amants, ces infortunées princesses étaieiit reslées comme frappées au coeur. Ghaquenbsp;jour, la mélancolie les eiivahissait de plus ennbsp;plus; chaqiiejour, ellespalissaientet dépérissaientnbsp;a vue d’oeil, comme deux belles fleurs sur leur lige.

ïellernent, que Fimpératrice, malgré sa dou-leur personnelle, ne put s’empêcher de remarquer Ie notable changement survenu sur Ie visage etnbsp;dans les allures de ses deux filles, et elle atlribuanbsp;tout naturellemenl leur tristesse a la perte de leurnbsp;père.

— Mes enfants, leur dit-elle en les attirant toules deux dans son giron et en les baisant avecnbsp;eifusion, vous pleurezFempereur, nun seigneur etnbsp;Ie vütre... Vous ajoutez ainsi une douleur a cellenbsp;que je ressens moi-nième de cette perte... J’ai eunbsp;tort de laisser voir mes angoisses, ijui out pro-vo^ué les vólres... Les yeux des vleillcs femrncsnbsp;comme moi, seuls, doivent pleurer.*. Les larmesnbsp;ne vont pas bieu aux jeunes visages... Séchez lesnbsp;vótres, mes chers enfants, je vous en supplie.nbsp;D'ailleurs, Ie ciel ne sera pas toujours aussi inclement; il ne voudra pas éterniser ainsi uotre peine.nbsp;G’est une épreuve qu il nous a envoyée : elle fmiranbsp;prochainement, croyez-le... Nos ennemis ont punbsp;faire tomber Fempereur votre père dans une em-bdehe, pour Ie punir de ses victoires sur eux;nbsp;mais ils n’oseront pas aller plus loin dans leursnbsp;velléités de vengeance... On no fait pas disparaitrenbsp;ainsi un grand empereur... I!s nous Ie rendrontnbsp;unde ces jours, j'cn ai la ferme espérance, et, cettenbsp;espérance, je vous supplie de Ia partager, mes enfants : Vütre père reviendra 1...

Ilélas! ce n’était pas leur père que Gricilerie et Onolorie regrettaient en ce moment, il faut 1’a-vquerl Cortes, elles aimaient et vónéraient leurnbsp;père; mais elles aimaient davantage encore lesnbsp;deux vaillants chevaliers, d’abord paree qu’ilsnbsp;étaient leurs amants, ensuite paree qu’elles sen-taient retnuer dans leurs flancs un doux fruit denbsp;leurs amours.

Car Gricilerie et Onolorie étaient grosses, et cette grossesse payait Fusure du plaisir qu’eilesnbsp;avaient pris, au clair de la lune, sous la coudraienbsp;du verger, Fune avec Ie chevalier de la Sphere,nbsp;dt Fautre avec Ie chevalier de la Vraie Groixl...

lilies se laissèrent embrasser et consoler par 1 impératrice; puis, Gricilerie, pronant la parole,nbsp;dit a sa mère :

¦— Madame, nous espërons quo nos priores el les vótres auront Ie rcsultat que vous dites, et quenbsp;deux qui sont absents en cc moment et que nousnbsp;pleurqns, nous seront rendus. Muis ici, dans conbsp;Puiais, qui nous parait maintenant si vide, noirenbsp;douleur trouvo un trop facile aliment, pour quenbsp;dous ne désirions pas nous réfugier ailleurs oünbsp;1 attente nous paraitra moins amèro.

Ailieurs, mes enfants?... Loin de moi?.,.

— Non pas loin de vous, madame, car Fasilo oii nous vous deniundons Ia pcrmissiond’aller, c’estlcnbsp;monastère de Sainte-Sophie, qiri ést, coinmé vousnbsp;savez, assez prochain...

— L'abbesse de ce monastère n’ést-ellö pas un peu parente d’un prince de notfe coürf... de-manda Fimpératrice.

— nbsp;nbsp;nbsp;C’est la propre soeur du duö Alafonte, madame, répondit Gricilerie.

— Allez done, puisque vous Ié voülez... Mais ayez soin d’y mener avec vous une suite digne donbsp;votre rang...

— nbsp;nbsp;nbsp;Madame, reprit Gricilerie, nous désirons aunbsp;contraire entrer clans ce saint lieu sans bruit etnbsp;sans faste, avec Fhumilité qui convient a des fillesnbsp;qüi vont prier poUrleur pöré... SM vous platt, nousnbsp;n’emmènerons avec nous que Sirtense et Garihde,nbsp;los filles de nos nourrices.

— nbsp;nbsp;nbsp;J’y consens, puisque c’est la votre désir, raesnbsp;enfants,.. Et quand vous deciderez-vous Anbsp;parlir?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Domain, madame, si vous le permettez.

— nbsp;nbsp;nbsp;Demain, c’est bien tot 1... Je vais être biennbsp;seulc, songez-v!... Je me trouverai ainsi deux foisnbsp;veuve, veuve cle mon mari et veuve devous... Lenbsp;palais me parailra bien desert .. Mais enfm, puisque vous le youlez, partez des demain... Je vaisnbsp;prier chaquo jour pour que nous soyons tous bien-tot tous reunis...

L’irapératrice embrassa de nouveau les deux princesses et lesfjuilia pour se rendre ii la chapellenbsp;du palais.

GHAtgt;ITRE XXII

Comment la princesse Onolorie acéoücha d’lln beaU fils, et comment Garitide fut ctiargée de le conduire è Filitie pournbsp;y 6tre dlevd.

Onolorie et Gricilerie partirent en effet dés le lendemaiu pour le monastère de Sainte-Sophie,nbsp;accompagnées seulement, comme elles Favaientnbsp;demandé, de Garincle et de Sirtense, les filles denbsp;leurs nourrices, en qui ellcsavaient la plus grandenbsp;confiance.

L’abbesse do Sainte-Sophie, soeur du due Alafonte, les regut avec force démonstrations d’amitié, et, pour qu’elles fussent rnieux ü leur aise, ellenbsp;leur (lonna ^qur elles seules, uti corps de logisnbsp;separe du batiraent principal. Ge qui arraiigeanbsp;mcrveilleusement, comme on pense, Onolorie etnbsp;Gricilerie.

Une fois installees, elles songèrent è Fenfant, e’est-a-dire aux enfants qui allaient naitre A lanbsp;vie.

Des langes dela plus grande richesse furent con-fcclionnés en secret, ainsi que toutes les pelites choses destinécs a proleger ces jielites creaturesnbsp;contre les caresses un peu apres de 1’air et de lanbsp;hise.

On songea aussi au lieu ou 1’on porlerait les nouveaux-nés, pour les cacher a tous les yeux, car


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24 RIBLIOTHEQUE BLEUE,

ce mystère de leur naissance ne devait être révélé h personne, et il fut convenu que Garinde s’eiinbsp;chargerait et l’irait couduire dans sa familie, hnbsp;Filtne, port de mer assez voisin du monastère denbsp;Sainte-Sophie.

Maintenant, laquelle des deux soeurs allaient accoucher la première ? Toutes deux s’imagi-naient bien accoucher ensemble, et, de fait, ellesnbsp;avaient les mêmes raisons pour cela.

Gonfrairement a leur attente etè leur calcul, ce fut Oaolorie qui accoucha avant sa soeur, d’un belnbsp;enfmcon qui ressemblait beaucoup a son père, Ienbsp;chevalier de la Vraic Croix.

Si Onolorie Ie couvrit d’ardeutes caresses, il ne faut pas Ie demander. Elle ne pouvait se rassasiernbsp;de sa vue, et elle Ie baisait et rebaiï'ait commenbsp;une chatte fait de son petit.

Hélas! il fallut s’en séparerI Ge furent des larmes et des baisers è n’en plus fitiir.

— Gher enfantelet 1 murmura Onolorie, quel seralfon sort?... Oii vas-tu, maintenant que tu n’au-ras plus pour te protéger et pour t’aimer celle quinbsp;t’a tenu neut moisdans ses entrailles ?...

— Dieu prendra soin de lui, ma soeur, dit Gri-cilerie.

— nbsp;nbsp;nbsp;Garinde, ma bonne Garinde, reprit Onolorienbsp;en s’adressant a Ia jeune fille qui s’était chargéenbsp;d’emmener l’enfant; Garinde, je vous supplie denbsp;veiller sur lui comme sur votrepropre sang... Qu’ilnbsp;n’ait pas trop froid, ni trop chaud non plus!... Gesnbsp;petites créatures-lè, c’est si fragile, que lemoindrenbsp;vent les plie et les brise sans pitié... O chcr fruitnbsp;de mon cceur!... Que Ie Dieu du ciel t’ait en sanbsp;garde 1... Garinde, ma mie, promettez-moi qu’aus-sitót arrivée chez vous, Filine, vous Ie fereznbsp;baptiser!...

— Je vous lepromets, madame, répondit Garinde ; ce sera mon premier soin.

— Vous lui donnerez Ie nom d’Amadis de Grèce, en souvenance d’Amadis son bisaïeul, et d’Esplan-dian son grand père...

— Je lui donnerai ce nom, madame, je m’y engage par tout cc que j’ai de plus cher au mande... L’alïection que je vous ai toujours montrée doitnbsp;vous être un sur garant de I’affection que je luinbsp;montrerai...

— nbsp;nbsp;nbsp;Ma soeur, dit Gricilerie, les vagissements denbsp;ce petit être pourraient ;être surpris, si vous tar-diez encore h vous séparer de lui. La prudencenbsp;exige que Grasinde parte incontinent...

Bon gré, mal gré, Onolorie dut se résigner a cette separation douloureuse. Elle prit l’enfantnbsp;dans son giron, Ie porla è ses lèvres avec une sortenbsp;d’emportement passion né, et l’ondoya de ses larmesnbsp;maternelles, ce premier baptême des enfants,

II fallut qu’on Ie lui arrachêt!

Garinde enveloppa la petite créaturo dans ses langes, Ie placa sous son manteau, et prit congénbsp;d’Onolorie et de la princesse Gricilerie, sa soeur.

— nbsp;nbsp;nbsp;Pauvre et cher enfantelet! murmura Onolorienbsp;lorsque Garinde eut disparu.

Et sa tète fatiguée retomba avec mélancolie sur sou oreiller.

GHAPITRE XXIII.

Comment Garinde, croyant que l’enfant d'Onotorie allait mou-rir, l’ondoya et Ie baptisa, et comment, etfrayée, elle 1’a-bandonna.quot;

Garinde partit. Ellepritê travers bois pour n'étre pas aperque, et, en effet, pendant un long trajet,nbsp;elle ne rencontra pas éme qui vive.

Mais, tout en cheminant, cette flllo s’aperqut que l’enfanqon s’en allait de minute en minute,nbsp;comme pris d’une faiblesse subite. Effrayée, etnbsp;craignant qu’il ne mourüt sans baptême, et que,nbsp;par cette raison, sa petite ame ne lüt en peril, Garinde courut vitement vers une source dont ellenbsp;entendait Ie murmure h quelques pas d’elle.

Une fois arrivée lê, elle démaillolta prestement l’enfantelet, prit, dans Ie creux de sa main, quelques gouttes d’eau pure, et dit en l’ondoyant:

— Petit enfant, au nom du Père, du 1'ils et du benoit Saint-Esprit, reqois ce baptême sous Ie nomnbsp;d’Amadis de Grèce 1...

A peine eut-elle achevé de proférer cette parole, et jeté l’eau sur la tète de la pauvre petite créature vagissante, qu’elle entendit un bruit denbsp;gens venir droit h elle.

Plus effrayée encore que tout-h-l’heure, ne sa-chant plus, vrai dire, ce qu’elle faisait, Garinde laissa interrompre Ie signe de croix qu’elle avaitnbsp;commencé, déposa Ie petit Amadis sur Ie gazon,nbsp;et s’alla cacher derrière un buisson.

Les nouveaux venus étaient des corsaires, des Mores, qui étaient venus en quote d’eau douce.

En arrivant devant la fontiine, ils apergurent Ie petit Arnadis au milieu de ses riches langes, cenbsp;dont ils furent merveilleusement aises. Ils furentnbsp;plus ébahis encore, quand ils remarquèrent quenbsp;eet enfant avait apporté du ventre de sa mère unenbsp;épée aussi vermeille que braise, dont Ie pomraeaunbsp;commenqait au genou gauche et dont la pointe fi-nissait au droit du cceur, et sur laquelle étaientnbsp;tracés, blancs comme neige, des caractères qu’ilsnbsp;ne surent point entendre.

G’était une trouvaille intéressante, certes. Aussi, sans s’y amuser davantage, ils Ie réenveloppèrentnbsp;soigneusement et Ie firent porter en leurs galères.

Par bonheur, ils avaient la leurs femmes. L’une d’elles, nominee Esquisie, relevée récemment denbsp;sa gésinc, se chargea de nourrir Ie petit Amadisnbsp;au quel les corsaires mores imposèrent, dès cenbsp;jour, Ie nom de Damoisel de l’Ardente Epée.

Pendant ce temps, Garinde, rassurée, était revenue a l’endroit oü elle avait laissé I’enfantelet. Ne Ie trouvant plus, elle supposa que les bêtes fé-roces l’avaient dévoré, ce dont elle fut gr^dementnbsp;affligée. Toutefois, de peur d'attrister Onolorie,nbsp;elle fit bonne mine en se retrouvant auprès d elle,nbsp;et lui assura que son enfant était arrivé h bonnbsp;port.


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LE CHEVAMER DE L’ARDENTE EPÉE. 25

LE CHEVAMER DE L’ARDENTE EPÉE. 25

le

signe annoncé, savoir une epee vermeille

Gricilerie, Ic même jour, accoucha d’un beau garconnet, qui eut nom Lucencio, et dont il voiisnbsp;sera parlé en temps et lieu, ainsi que du précédent,nbsp;si loutefois Dieu et Ie temps Ie permettent.

CHAPITRE XXIV

Comment Ie damoisel de 1'Ardente Epde fut prdsenlé au roi et A la reine de Saba, quinbsp;l’adoptèrcnt.

adis régnait au royaume de Saba un roi more nommé Magadan, lequel, centre Ie commun naturel des uoirs, étaitnbsp;affable, liumain et débonnaire, aimantnbsp;et protégeant plus volontiers ceux denbsp;son peuple qui étaient blancs au lieunbsp;d’etre bruns.

Ce Magadan avail k femme une noble dame notnmécBuruca, noire com-me lui, et des flancs de laquelle était sorti, du fait de Magadan, un fils dontnbsp;notre histoire fera quelquefois mention,nbsp;Ic vaillant Fulurtin.

Fulurtiri ressemblait a son père par ses bons cotés. Dès ses jeunes ans, ilnbsp;avait appris une foule de sciences etnbsp;de langues étrangères, grace a un es-clave blanc qu’il avait, Ie savant Man-dajar.

Or, on savait communcment dans tout Ie royaume de Saba Ie plaisir que prenait Ienbsp;roi a recouvrer des captifs etrangers, même desnbsp;pays du septentrion, h cause de leur blancheur.nbsp;Souvent même il pardonnait jusqu’a des crimes denbsp;lèse-majesté k quiconque lui faisait présent de telsnbsp;personnages.

II advint qu’un jour, comme il sortait de table, quatre Mores entrèrent dans sa salie, conduisantnbsp;par la main un jouvenceau êgé de trois ans et beaunbsp;en touto perfection.

L’un d’eux paria ainsi ii Magadan.

— Sire, les deux frères qui ont mis h mort votre cousin vous saluent en toute humilité et vous sup-plient de recevoir eet enfant qu’ils vous envoient,nbsp;lequel, outre l’excellence de sa personne, a ap-Porté du ventre de sa mère un signe émerveilla-ble...

Le vieux roi de Saba avait écoiité avec attention ce que lui avaient dit les quatre Mores. Quand ilsnbsp;eurent cessé de parler, il ordonna que l’on dévêlitnbsp;l’enfant miraculeux de la jupe de taffetas jaunenbsp;qu’il portalt.

On lui obéit.

Alors Magadan put voir, et les autres avec lui, comme braise sur laquelle étaient tracées des let-tï'cs blanches comme neige.

La poignée de l’épce partait du genou gauche et pointe allait mourir vers le coeur, sous le seinnbsp;gauche de l’enfant.

Quant aux caractéres étrangers tracés sur cette épée, nul ne put dire ce qu’ils signifiaient. Nul, pasnbsp;mêrne Fulurtin, lepropre fils du vieux roi de Saba;nbsp;pas même le docte Mandajar, 1’esclave blanc, lenbsp;maitre de Fulurtin.

Magadan fut émerveillé au possible, ainsi que toute la compagnie, témoin de ce spectacle. L’é-pée surnaturelle l’ébahit surtout outre mesure.nbsp;Aussi, k cause d’elle et de l’enfant sur la chair du-quel elle était figurée, pardouna-t-il volontiers auxnbsp;meurtriers de sou cousin, et donna-t-il, en plus, auxnbsp;quatre Mores, des biens et des honneurs considé-rables.

— J’entends, dit-il, que eet enfant, eu égard au signe émerveillable qu’il a sur lui, peint par la Nature, soit appelé le damoisel de l’Ardente Epée...nbsp;En outre, pour témoigner mon bien-airaé fils Fu-lurlin toute Festime que je fais de lui, je lui aban-donne et cède dès aujourd’hui ce jeune esclavenbsp;blanc, afin qu’il l’élève ?i sa guise et en fasse unnbsp;savant comme lui, s’il lui trouve les dispositionsnbsp;nécessaires.

Le prince Fulurtin remercia le roi de Saba, son père, du gcntil cadeau qu’il lui faisait la, et, em-brassant tendrement le damoisel de l’Ardentenbsp;Epée, en signe d’adoption , il l’emmena sur-lo-champ pour l’étudier tout a sos aise, et en faire,nbsp;si possible était, un second lui-même.

Est-il bien nécessaire d’ajouter que eet enfant de trois ans, amené comme esclave blanc amp; la cournbsp;du vieux roi de Saba, par quatre corsaires mores,nbsp;était le même enfant trouvé dans le bois avoisi-nant le monastère de Sainte-Sophie, et abandonnénbsp;par Garinde?

C’était, en effet, le fils de la princesse Onolorie et du chevalier de la. Vraie Croix.

CHAPITRE XXV

Comment le damoisel de l’Ardente Epée, élevé par le prince Fulurtin, sauva la vic au roi de Saba, un jour qu’il étaitnbsp;A la chasse avec lui.

e jeune enfantelet trouvé par les cor-Ksaires mores crut on force et en ïbeauté, et sedéveloppa physiquementnbsp;et moralement, grace aux soins et iinbsp;l’amitié efficace du prince Fulurtin etnbsp;de l’esclave blanc Mandajar.

L’un et l’autre s’évertuèrent a lui enseigner les bonnes lettres, et,nbsp;comme contrepoids k ces études quinbsp;faliguent I’cntendement, ils lui appri-rent a lutter, a monter a cheval, k je-ter la barre, ti s’escrimer, finalementnbsp;k faire acte de gentilhom-me bien conditionne. ^

I Le damoisel de l’Ar-donte Epée, onlevoit, n’é-tait plus considéré comme un esclave par son maitre le princenbsp;Fulurtin, mais bien comme un jeunenbsp;compagnon que l’on veut dresser etnbsp;dont on veut faire plus tard un ami.


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26 BIBLIÜTHEQÜË BLEUE.

Le damoisel de l’Ardente Èpée devint expert amp; tous ces jeux et amp; tous ces exercices, si bien qu’ilnbsp;dépassa et vainquit tous les jeunes geus de son agenbsp;et de i’^ge au-dessus, qui voulurent se mesurernbsp;aveclui. Mais jamais, au grand jamais, quelle quenbsp;fut sa force, et la conscience qu’il en avait, il nenbsp;consentit i s’éprouver contre söh prince ï’ulurtin,nbsp;è cause de l’honneur et de la révérence qu’il luinbsp;portalt.

Le vieux roi de Saba s’apergut aisément de cos pro^rès et de cette délicatesse du jouvenceau hnbsp;1’endroit de son instituteur. 11 en conqut les meil-leures espérances, et, h cause de cela, il s’intéressanbsp;davantage è lui de jour en jour, I’emmenant le plusnbsp;souvent possible en toutes les fêles, en tous lesnbsp;lieux de plaisir oü il allait, surtout k coiirre le ccrfnbsp;et autres amusements de chasse.

Le damoisel de l’Ardente Épée était déja un fort et hardi jouvenceau, lorsqu’un jour, Magadan lenbsp;conviaa uneparüe de chasse qu’il avail organisée.

11 avail fait tendre les toiles dans la prochaine forêt et se trouvait sur le bord d’une grande route,nbsp;gueltant, l’épieu au poing, le passage d’un fortnbsp;sanglier que les cbiens avaient forcé hors de sanbsp;bauge quelques heures auparavant.

Le damoisel de l’Ardente Epée était ti quelque distance du roi de Saba, tenant en laissc unnbsp;levrier.

Au moment oü Magadan, qui guettait un sanglier, s’y atlendait le raoins, un ours débusqua d’un fourré voisin et vint lui passer quasi entre lesnbsp;jambes avec la rapkiité de l’éclair. Get animal cou-rait ainsi,effrayé qu’il était par lesabois des cbiensnbsp;courants et par Ie reteutissemeiit des trompes désnbsp;veneurs.

Le vieux roi de Saba, remis de son alerte, croisa son épieu, autant pour se préserver que pour es-sayer d’arrêter Tours dans sa course furibonde.

Mais déja le levrier qu’Amadis de Grèce tenait en laisse avail devancé les intentions de Magadan.nbsp;Déjii, rompant les liens qui le retenaient, il s’étaitnbsp;élancé sur les erres de Tanimal sauvage et Tavaitnbsp;assailli en moïns de temps qu’il ne m’en faut pournbsp;vous le dire.

L’ours était d’une belle taille. En outre, il n’était point d’humeur amp; se laisser ainsi manger le poilnbsp;sur le dos saus essayer de se défendre. Lors done

3ue le levrier approcha, il se dressa sur ses paltes e derrière, et, avec ses pattes de devant, il arran-gea bel et bien le museau du cliien, si bien que cenbsp;dernier ne tarda pas a avoir les maeboires rompues,nbsp;ce qui le mit hors de combat.

Cette première victoire sembla enorgueillir Tours. II avail eu affaire a un chien, il voulut avoirnbsp;affaire ü un roi, pour juger par lui-mème de lanbsp;différence.

Cette pretention lui devint funeste, car Magadan, qui savait manier ü raerveille son épieu ferré et anbsp;bout tranchant, le lui présenta de telle sorte quenbsp;la bete s’enferra d’elle-même en poussant un gro-gnement de douleur.

Le roi de Saba s’en croyait quitte. L’ours lui prouva qu’U avait la vie dure en se débattantnbsp;comrne un beau diable, tellement qu’il se dégageanbsp;de l epieu, et, une fois débarrassé, se rclcva surnbsp;son tram de derrière, avauQa ses deux paltes denbsp;devant, en étreignit Magadan et chercha h Tétouf-fer.

lleureusement que le lils de la princesse Onolo-rie était la !

Voyant Ie danger que courait Ie vieux roi de Saba, il accourut en touto bate, tira le couteau denbsp;chasse qui pendait asa ceinture,et eu frappa Toursnbsp;le plus rudement qu’il put.

L’our lacha le roi de Saba en poussant un gro-gnement plus significatif encore que le premier. 11 avait une patte de coupée.

Quoique blessé, cependant, ce sauvage animal ne perdit pas courage. II quitta le roi de Saba pournbsp;se jeter, la gueule béanle, sur le damoisel de TAr-dente Epée.

Tout autre que Ie fils de Lisvart eüt reculé d’ef-froi devant cette gueule sanglante qui inenaQait do Tengloutir vivant.

Le jouvenceau ne recula point. Tout au contraire, il fit un pas en avant, leva son bras droit armé du couteau de chasse, et Tabaissa entre lesnbsp;deux oreilles...

Une minute après. Tours allait rouler a quelques pas de bV la lête sóparée en deux morceaux, mort!...

Cela fait, Télcve de Mandajar retouriia vilement vers le roi de Saba et Taida a se relever.

Sur ces entrefailes survint un lion couronné, poi tant en travers de sa gueule un bel enfant denbsp;deux ans qui se mit ft crier:

— HélasI damoisel de TArdente Epée, aidez-moil aidez-moi! aidez-moi 1 Faites, ó beau damoisel, ce que ferait votre chevaleureux père lui-mème, s’i! était en votre lieu et placet...

Le jouvenceau, ü bon droit étonné, n hésila pas a courir sus au lion pour le forcer a lacher sonnbsp;innocente proie.

Le lion, en effet, lachaTenfant, mais ce fut pour se précipiler, furieux, sur celui qui voulait Ie défendre.

Le fils de Lisvart, qui avait remis au fourreau son couteau de chasse, Ie tira vitement, leva lenbsp;bras et Tabattit sur Tanimal qui se dressait pour

10 nbsp;nbsp;nbsp;dévorer.

Le lion poussa un rugissement de douleur ; il yenait d’avoir la patte coupée. Èchaulfé de rage,

11 nbsp;nbsp;nbsp;bondit tout écloppé sur le jouvenceau et lui clé-chira ses vêteracnts avec ses griffes aigues. Maisnbsp;au moment oü il avangait sa gueule monstrueusenbsp;pour engloutir dedans son ennemi, celui-ci lui dé-cousit le ventre d’un seul coup, si bien qu’on ennbsp;vit sou coour sanglant.

Le lion mort, le jouvenceau songea a aller de-inander au jeune enfant qu’il venait de délivrer, Texplication de ses paroles.

L’enfant avait fui. II était en train de trottiner allègrement dans une j)etite sente du bois.

Le damoisel do TArdente Epée courut après lui et Tatteignit.

Lors, il lui deinandaavec une grande affection:

— Uoux cnfantelet, dites-moi, je vous i)rie, comment vous êtes tombé en ce danger, etaussi comment vous m’avoz recounu, moi qui ne vous con-nais point?... Ne m’avez-vous point assuré tout a Theuro ([uc si mon père avait élé a ma place, ijnbsp;iTciit pas plus hésité a vous secourir que je ne 1 atnbsp;fait?... Or, vous conaaissez done aussi mon père?


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LE CHEVALIER DE L’ARDENTE EPÉE. 27

Le jeune gars, l’entendant ainsi parler, se prit k rire et répondit:

— Gertes, damoiseau, vous êtes fils de tel père, qu’il vous faudra beaucoup travailler pour parve-nir è lui ressembler!... Et, cependant, je puis vousnbsp;dire quo vous êtes né pour recevoir en baulenbsp;prouesse et chevalerie, plus d’honneur qu’autrenbsp;qui vous ait precede...Du sürplus, ne vous raetteznbsp;pas en peine : ce serait temps perdu!...

Le jeune gars ayant dit cela s’évanouit comme une fumée, et, depuis, personne ne le revit.

Ce qui n’empêcha pas le damoisel de l’Ardente Epée de s’en revenir lout pensif et tout émerveillénbsp;de ce qu'il avait entendu. Et, plus désireux encorenbsp;qu’auparavant de savoir de qui il était issu, il alianbsp;rejoindro le vieux roi de Saba qu’il trouva fortnbsp;rompu et blessé durement ii la cuisse d’une denléenbsp;de Tours.

— Comment vous sentez-vous, Sire? lui deman-da-t-il a vee sollicitude.

— Certes, mon ami, répondit Magadan, grace aux dieux et ^ vous, je suis mieux que je n’espé-raistout è Theure... Je m’apergois que vous aveznbsp;trés heureuseraent profile de Téducation que jenbsp;vous ai fait donner et que vous n’avez pas été mé-connaissant des soins quo nous avons eu pour vous;nbsp;ce qui me prouve que jamais la verlu ne se perdnbsp;Iel -lü elle est viveraent plantée.

Le jouvenceau remercia le roi de ces bonnes paroles ? puis il ajouta :

— Mais, Sire, il me semble urgent que j’aille Irouver quelques-uus de vos veiieurs pour qu’ilsnbsp;vous fassent une civière chevaleresque et vousnbsp;transportent è la ville, car, a ce que je puis voir,nbsp;Tours vous a malement traité...

— Je vous en prie, dit le roi de Saba.

Le jeune homrae s’en alia done ê travers buis-sons et halliers h la recherche des veneurs ou do quelques autres; si bien qu'il rencontra Fuluitinnbsp;etplusieursgenlilshommesqui accoururent h bridenbsp;abaltue vers leur prince.

CIIAPITRE XXVI

Commonl Fuluriin et le damoisel de 1'Ardenle Ëpèe furent armés chevaliers par la main du roi Magadan.

ans, si bien formé et proportionné, qu’il montrait en avoir plus de seize.

Or, il advint que Fulurtin, un peu plus ancien que lui, gentil prince et bien traitable, requit lenbsp;roi son père de Tarmer chevalier, ce è quoi Magadan consentit aisément.

Le damoisel de TArdente Epée, averti de cela, sollicita le même honneur du roi de Saba, lequel,nbsp;connaissant son vaillant cceur, et d’ailleurs porténbsp;d’amitié vers lui, consentit volontiers è ce que Fulurtin et lui devinssent compagnons d’armes, sansnbsp;avoir égard h la difference d’age qui existait entrenbsp;eux. Tellement, qu’il leur donna a tous deux, lenbsp;même jour, la colée, avec harnois blancs.

Comme la coutume était de prolonger les cérémonies de la réception, la fète dura Tespace de quinze jours, pendantlesquels Maudan,fils de Tunnbsp;des plus grands seigneurs de Saba, vint ala cournbsp;pour être élevé avec Fulurtin.

Maudan n’y fut pas plutót, qu’il devint subite-ment envieux et jaloux de Thonneur que le roi fai-sait au chevalier de TArdente Epée. II en sécha sur pied et faillit a tomber malade. Ettant plus le poison lui rongeait le cceur, ettant plus Maudan cher-chait èi mettre sonennemi en male grace auprès denbsp;Magadan, sans pouvoir en irouver occasion. Cenbsp;dont son mal s’augmentait k ce point, qu’on lenbsp;voyait déchoir d’heuve en heure, ni plus ni moinsnbsp;que fait la neige a la chaleur du soleiL

Malgré le désir qu’il avait de nuire au chevalier de TArdente Epée, Maudan fut bien forcé de fairenbsp;trêve, le roi étant parii depuis quelques jours denbsp;Saba, oü il avait laissé la reine, pour aller visiternbsp;une sienne ville nommée Terryne.

Mais les envieux sont ingénieux èi inventer des raisons pour se troraper et pour tromper les autres;nbsp;le plus faible indice leur sufflt pour édifier toutnbsp;un échafaudage de trahison : Maudan crut avoirnbsp;trouvé Toccasion qu’il cherchait si aprement depuis un assez long temps.

GHAPITRE XXVII


Comment le jeune Maudan fit, par envie, une fausse accusation conlrc la reine Buruca, et quelles en furent les conséquences.

parlir de ce jour-Ei, le roi Magadan prit son sauveunpen si grande afl'ec-tion» qu’il Teut pour aussi cher quenbsp;s’il eüt été son proche parent. Sonnbsp;affection redoubla même lorsque lenbsp;damoisel de TArdente Epée lui eutnbsp;raconté les propos que lui avait te-nus Tenfantelet, ce qui imprima ennbsp;sa fantaisie qu’il devait êtro issu denbsp;quelquehaut lieu.

Depuis ce jour aussi, Magadan le fit asseoir a sa table, k cóté dunbsp;princeFulurtin, etlui|donna un jeunenbsp;gentilhorame blanc, noramé Yneril,nbsp;pour le servir et êlre toujours présnbsp;de sa personne.

Ainsi se passèrent quelques années. Le damoisel, airaé des grands et desnbsp;petits, parvint en Tage de quatorze

n soir, la reine Buruca, _ femme du roi Magadan,nbsp;^ jouait aux échecs avec lenbsp;'^.chevalier de TArdentenbsp;'Epée. Fulurtin et Mau-' dan, qui les regardaient,nbsp;.ennuyés de la longueurnbsp;Tdu jeu, les laissèrentnbsp;^seuls. Du moins Fulurtinnbsp;se retira tout-a-fait; maisnbsp;Tingénieux Maudan, quinbsp;' aimait k faire le métiernbsp;d’espion, fit mine de se


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28 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

retirer avec lui, et revint k pas de loup se mettre en embuscade derrière une conrtine de soie.

Après quelques mats dont la reine Buruca avait eu la victoire, elle et |e jeune clievalier de l’Ar-dente Epée cessèrent de jouer pour deviser et fo-latrer un peu.

Bien qu’elle eüt un fils d’une vingtaine d’années, la reine de Saba n’était pas vieille, k proprementnbsp;parler. Et, ce qui -’avait conservée assez jeunenbsp;encore, c’était sa grande bonté qui la rendait sinbsp;digne d’etre accouplée au vieux Magadan.

Elle aimait d’un amour maternel Ie jeune sau-veur de son vieux mari. Elle lui avait donné place dans son coeur è cóté de son fils Fulurtiii, et ellenbsp;croyait agir Ie plus innocemment du monde en Ienbsp;baisant et en l’accolant tendrement quand elle senbsp;trouvait seule avec lui.

Ce soir la, ayant cessé de jouer aux échecs, elle Ie fit asseoir a cotó d’elle sur lo pied d’un lit, etnbsp;se mit a deviser avec lui de choses et d’autres.nbsp;Tout en causant, elle lui prenait les mains, et lesnbsp;placaitdans lessiennes, puis Taltiraiten son giron,nbsp;et, de temps è autre, Ie baisait doucement sur sonnbsp;beau visage blanc, sans penser oltenser en riennbsp;son honneur de reine et de femme.

Mais il y avait lè, les épiant tous deux, quelqu’un qui pensait autrement, et ce quelqu’uu élait 1 en-vieux Maudan. Témoin des caresses que la reinenbsp;Buruca prodiguait au chevalier de l’Ardenle Epée,nbsp;lequel les lui rendait, il se persuada tout Ie contraire de ce qui en était et résolut de persuader lanbsp;mêrae chose au roi de Saba, aussitót qu’il seraitnbsp;de retour.

Cela ne tarda pas. Magadan, prévenu que les rois d’Arabie et de Tharse descendaient en ses paysnbsp;pour lui faire la guerre, revint en toute bate en sanbsp;ville de Saba, afin de rassembler ses gens et d’allernbsp;au devant de ceux qui venaient vers lui dans denbsp;si mauvaises intentions.

II était è peine arrivé, il avait a peine eu Ie loisir de souper, que Maudan Ie trouvant seui,nbsp;appuyé sur furie des fenêtres de la salie, s’ap-procha respectueusement de lui, et après ijuelquesnbsp;propos mis en avaiit pour pallier sa trahison, luinbsp;dit:

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, je vous supplie de me pardonner si jenbsp;viens vous révéler ui;e chose qui me navre, et,nbsp;qu’au prix de ma vie, je voudrais savoir fausse,nbsp;a cause du déplaisir que vous allez en recevoir...

— nbsp;nbsp;nbsp;Qu’est-ce done? dernanda Magadan.

— nbsp;nbsp;nbsp;A cause de vous, conlinua Ie ir dire Maudan,nbsp;et aussi è cause du chevalier de l’Ardente Epée,nbsp;lequel j’ai toujours aimé, honoré et estiiné, plusnbsp;qu’autre de ma connalssance, et de ce me soientnbsp;témoins tous les dieuxl...

— nbsp;nbsp;nbsp;Qu'est-ce done? dernanda pour la secondenbsp;fois Magadan.

Maudan continua, comme s’il n’avait pas entendu ;

— nbsp;nbsp;nbsp;Mais Ie cas vous touchant comme il vousnbsp;touche, moi, votre vassal, je coiiimettrais félonienbsp;trop grande et croirais 1’éducation que j’ai reguenbsp;de vous trop mal employée, si je ne vous averlis-saispas du vilain tour que l’on fait a votre honneurnbsp;ue roi et de mari...

Eors, Maudan raconta au roi comment il avait vu la reine jouant aux échecs avec lo chevaliernbsp;de l’Ardente Epée, les privautés qn’elle lui avaitnbsp;indécemment montrées, ajoutant de son cru millenbsp;bourdes et malhonnêtetés, jusqu’a l’assurer quenbsp;Buruca, violant Ie commun droit de manage, s’é-tait abandonnée tont entière au jeune chevalier.

Lo roi de Saba, bien ébahi, et non sans cause, demeura tout éperdu, telleracnt qu’il crut en lom-ber de son haut. 11 fut un assez long temps avantnbsp;de proférer une seule parole, è cause du combatnbsp;qui se livrait en son esprit entre l’amitié qu’il portalt è 1’accusé et Ie déshonneur dont il était couvert par sa faute. Ce combat fut si apre et si douloureux, qu’il ne put se tenir de pleurer, et ce futnbsp;la face inondée de larmes qu’il dernanda a Maudannbsp;s’il était vraimont possible que Ie chevalier denbsp;rArdenteEpéel’eüt déshonoré comme il Ie lui avaitnbsp;dit.

— Oui, Sire, répondit effrontément Maudan. Et je vous Ie jurerai parlous les dieux vivants, car cenbsp;que je vous raconte lè, je l’ai vu de mes yeux, sansnbsp;vouloir Ie voir, belas!

Le vieux roi de Saba soupira profondément et s’écria :

— Ah 1 puisque ce traitre s’est ainsi oublié, lui quo j’avais élevé et préféré entre tous, et que d’es-clavè j’ai fait chevalier libro, je le ferai mourir vi-lainement et cruellement, et la louve aussi, de lanbsp;plus cruelle mort dont rnoururent jamais les ché-tives creatures 1...

Et, recommandant h Maudan de garder jusqu’è nouvel ordre le secret sur eet te triste aventure,nbsp;Magadan s’en alia tout ennuyé dans sa chambre,nbsp;iaissant 1’envieux Maudan tout réjoui du succès denbsp;sa vilaine dénonciation.

CIIAPITBE XXVIII

Comment le traitre Maudan, pris d'un remordsde conscience, alia conscillcr de. fuir au chevalier de l’Ardente Epée, le-qucl,en effet, quilta secrètemcnt la ville de Saba.

De meme que l’aniour de pcro è fils est incomparable avec les amitiés ordinaires, de inême aussi la haine de 1’un a 1’aulre est indubitablement plusnbsp;extréme qu’on ne saurait exprimer.

Le vieux roi de Saba s’était tant affectionné au chevalier de 1’ArdeiitcEpée, qu’il 1’avait fait pres-que 1’égal de Fulurtin dans sou coeur. En enlen-dant Faccusatiori de Maudan, il se Irouva si per-turbé, qn’il fut teiité de 1’envoyer sur 1’heure aunbsp;dernier supplice. S’il se retint do le faire, ce ne futnbsp;que dans l’espérance de prendre le coupable surnbsp;le fait.

Or, assez ordinairement, le pécbé de calomnie n’est pas plutót comrnis qu’il ainènc avec soi unnbsp;repentir. Maudan mit de l’eau dans sou vin etnbsp;commenga è comprendre toute la gravité de 1’ac-cusalion qu’il avait portee contre la reine et le


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LE CHEVALIER DE L’ARDENTE Ei'EE. 29

LE CHEVALIER DE L’ARDENTE Ei'EE. 29

chevalier de l’Ardente Epée, surtout lorsqu'il se reménaora les bons services qu’il avait regus de cenbsp;dernier. Mais, hélas! lorsque les chevaux sont per-dus, l’écurie estformée Irop tard 1...

Néaamoiiis, Ie remords de la conscience gagna lant sur Maudan, qu’il résolut de sauver la vie denbsp;celui dont il venait de perdre Thonneur, en Ie pré-venant quo Ie roi était irrité sans sujet contre luinbsp;et en lui conseillant de fuir pour éviter sa fureur.

Le soleil était déja bien avant retire derrière les montagnes, et la nuit s’en venait, quand le trai-tre Maudan alia Irouver le chevalier de l’Ardentenbsp;Epée, auquel il dit, couvrant le poison de sonnbsp;cceur:

— Mon grand anii, le bien que je vous désire est tel, qu’il ne vous pourrait advenir facherie dontnbsp;je ne fusse autant enuuyé que si c’était é rnoi-mêmc... G’est pourquoi je vous engage a fuir lenbsp;plus diligemment possible, car je sais pour certain

que le roi a délibéré de vous faire mounr.....Vous

seriez arrèté ce soir mèmc, en entrant au palais... Fuyez, si vous aimez votre liberté 1 Fuyez, si vousnbsp;tenez h la vie! Fuyez, car le roi vous halt, et il anbsp;juré votre mort 1...

Si le chevalier de l’Ardente Epée fut ébahi, il est aisé de le supposer. II eüt mis en doute cel aver-ti.ssement, se sachant innocent, sans le bon visagenbsp;que lui avait toujours montré Maudan. Quoiqu ilnbsp;ne comprit rien a la haine subile du roi de Saba,nbsp;il se dit, avec une précoce sagesse, qu’il était toujours bon de mettre une grande distance entre unnbsp;roi et soi en pared cas, et, sur l’heure, il commandanbsp;è Ynéril, son écuyer, de lui apporter ses armes.

Une fois armé, il embrassa le traitre Maudan, qui se laissa embrasser par lui com me Jésus .s’étaitnbsp;laissé embrasser par Judas Iscariote, et monta anbsp;cheval.

— Que nos dieux vous gardent, mon grand ami 1 lui dit Maudan, heureux de se débarrasser ainsinbsp;de lui. Plus vous irez loin, mieux vous agirez, carnbsp;les rois ont le bras long, surtout dans I’accomplis-sement de leurs vengeances!... Fuyez sans vous re-tourner 1

— Adieu done 1 répondit le chevalier de il’Ar-dente Epée.

Et donnant de l’éperon dans les flancs de son cheval, il s’éloigna rapidement et secrètement,nbsp;suivi de son écuyer Ynéril.

GlIAPITRE XXIX

Comment le chevalier de l’Ardente Epée ayant pris la fuitc, le rolde Saba, furieux, voulut faire brüler la reine Buruca,nbsp;ce qui n'eut pas lieu ti cause de 1’arrivéc des ennemis.

C’est ainsi que Maudan ourdissait son filet.

Une fois Ugt;. clievalier de rArdenteEpéc éloigné, d se rcndit au logis du roi dans la inêtne soirée,nbsp;maïs un peu tard.

- Sire, lui dit-il, il faut croire que Ynéril, l’écuyer du chevalier derArdeiite Epée, a entendunbsp;le navrant aveu que je vous ai fait a propos denbsp;son maitre... Oiim’a assuré qu’il était sous les fe-nètres de la salie en ce moment-lct...

— nbsp;nbsp;nbsp;Qu’y a-t-il done ? demanda Magadan.

— nbsp;nbsp;nbsp;11 y a, sire, répondit Maudan, il y a que jenbsp;n’ai pas revu depuis ce moment le chevalier denbsp;l’Ardentc Epée, et que trés probablement, avertinbsp;par Ynéril, il aura pris la fuite...

— Gela viendrait mal, tres mal, s’écria le roi, conlrarié de cette nouvelle. Je vous en prie, Maudan, assurez-vous présentement de ce que vousnbsp;m’annoncez-15i, et revenez me dire ce qu’il en est.

Maudan sortit incontinent du palais, lira droit au logis du chevalier et s'en revint, simulantnbsp;riiomme ébahi, rapporter au roi quel’amant de lanbsp;reine Buruca était absent.

Magadan, furieux, envoya k la héte prendre la reine, jurant ses grands dieux qu’il allait la fairenbsp;brüler vive.

La pauvre princesse, troublée comme on pense, et ne sachant a quelle occasion cette grande fureurnbsp;du roi, son mari, se jela a ses genoux, le suppliant a mains jointes de lui dire au moins pour-quoi il voulait la réduire en cendres.

— Pendarde 1 lui cria Magadan. Vous le saurez aisez tót pour vous l...

Et, sur-le-champ, il commanda de 1’enfermer, disant aux gardes qu’ils lui en répondaient sur leurnbsp;tête. Puis il envoya dans toutes les directions desnbsp;des geus chargés de retrouver le chevalier denbsp;l’Ardenle Epée, mort ou vif.

— Gar, ajoula Magadan, il m’a fait la plus grande trahison du monde I Si j’en avais pu douter un seulnbsp;instant, je n’en douterais plus aujourd’hui : lesnbsp;innocents restent, les coupables se sauvent... Lenbsp;chevalier de l’Ardente Epée esten fuite I...

Fulurtin, étonné de tout ce qu’il entendait, pria son père de vouloir bien le mettre au courant, cenbsp;que Magadan fit volontiers, afin de le rendre plusnbsp;iudigné contre celui qui lui avait rendu tant denbsp;services. Toutefois, ce jeune prince ne put croirenbsp;é cette accusati m et il défendit de sou mieux sonnbsp;compagnon d’armes.

Mais le vieux roi était buté k cette idéé qu’il avait été trompé par sa femme et par le chevaliernbsp;de l’Ardente Epée ; il n’en voulut pas démordre.

Bientöt, les geus qu’il avait envoyés a la pour-suite du fugitif, revinrent bredouille. Magadan, deplus en plus furieux, ordonna que 1’on brülatnbsp;sur-le-champ la reine Buruca, quitte é brüler sonnbsp;complice plus tard.

On allait exécuter eet ordre cruel, lorsqu’un courrier ariva k toute bride pour prévenir Magadan des dégats que faisaient les ennemis dans lenbsp;royaume oü ils étaient entrés.

Lors, comme son armém était prête, il lui commanda de se mettre en mouvement.

Fulurtin conduisaitravaiit-garde, et Magadan le surplus de ses forces.

Les rois de Tharseet d’Arabie, avertis par leurs espions de la inarche de l’armée de Saba, se par-quèrent pour l’attendre et la combattre; si biennbsp;que, finalement, Magadan et son tils furent faitsnbsp;prisonniers, et leurs gons mis en déroute.


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BiBLIOTIIEQUE BLEUE.

CIIAPIÏRE XXX

Comment Ie clievalier de l’Ardente Epée, fuyant Ie büchcr, rencontra un vieillard, et des propos qu’ils eurent ensemble.

e chevalier de l’Ardente Epée s’en allait done, au plus vite, hontoux denbsp;fuir ainsi, et nialheureux d’avoir déplunbsp;au roi de Saba.

Gomme il traversait nne épaisse forêt, il aperout devant lui, a la lueurnbsp;du clair de la lune, un homme a piednbsp;qui, de prime-abord, lui parut avoirnbsp;Ie visage couvert d’un linge blanc.nbsp;Maïs eti s’approcbant, il coraprit quenbsp;ce qu’il avait pris pourun Huge étaitnbsp;une belle barbe fleurie paries années,nbsp;et de beaux cheveux éga-lemeiit ohenus.

11 pensa que eet inconnu était qufilque esclave de lanbsp;contrée qui fuyait, et, anbsp;cette cause, il Ie salua selon l’usagcnbsp;du pays. Mais Ie vieillard lui ayantnbsp;rendu son salut en gree, Ie chevaliernbsp;de 1’Arden te Epée, qui, grace anbsp;Magadan, entendait presque tous les langages, luinbsp;dit alors :

— Honorable vieillard, ne me sauriez-vous ensei-gner un asile pour cette nuit, car je suis haiassé et roinpu, et je voudrais dormir une bonne fois, ncnbsp;l’ayant pas fait depuis quelques jours.

— Si vous étiez chrétien comme je suis, répondit Ie bonhomme, je vous satisferais assurérnent.

—En bonne foi, reprit Ie chevalier, la religion im-porte peu quand il s’agit de secourir son sembla-ble... Far ainsi, je vous supplie de m’cnseigner ce que je vous demande, car, outre ma fatigue, j’ainbsp;une faim et une soif extremes...

— nbsp;nbsp;nbsp;Vous parlez bien, dit Ie vieillard, et vousnbsp;trouverez en moi ce que vous cberchez... Metteznbsp;pied h terre, et je vous réconforterai suivant monnbsp;pouvoir, car il vous en prendrait mal d’êtrc connunbsp;dans ce pays dont vous ne sortiriez pas aisément.

Le chevalier obéit, émerveillé des propos du bonhomme auquel il demanda comment il savaitnbsp;qu’il était connu, et qu’il aurait déplaisir d’êtrenbsp;reconnu.

— nbsp;nbsp;nbsp;N’en demandez pas tant, réponditlo vieillard.nbsp;Ou’il vous sufiise d’apprendre que j’en sais plusnbsp;he vos propres affaires que vous-mème... Mais jenbsp;m’en tairai pour cette heure !...

Lors, s’approehant du jeune chevalier, il lui uonna quelques goultesd’un cordial qui leranima,nbsp;et lira de sa panuetièpe, a son intention, quelquesnbsp;Vivres qu il mangea avec appétit.

Aussitot qu’il eut bu et mangé, le jeune chevalier s’endormit, et d’un somrne si profond, qu’il qu’il était grand jour quand il se réveilla.

II regarda autour de lui, et il s’apertjut qu’il était armé, non pas des armes noires qu’Ynéril lui avaitnbsp;apportées, mais d’armes blanches, plus riches etnbsp;plus fortes, avec un écu semblable, au milieu duquelnbsp;était peinte une épée vermeilie comme celle qu’ilnbsp;avait sur le corps.

II fut ébahi au possible, ainsi qu’Ynéril son écuyer, lequel avait bu, mangé et dormi comme lui,nbsp;sans savoir pourquoi ni comment. Et tous deux nenbsp;se senlaienten aucune fagondo la fatigue des joursnbsp;précédents.

Le vieillard a la barbe fleurie blanche avait dispara.

Ils se reprirent amp; cheminer encore pendant un bon bout de temps. Puis, ótant arrivés sur le bordnbsp;de la mer, ils avisèrent un petit batelet délaissénbsp;sur la grève par des pècheurs, et dans lequel il ynbsp;avait deux rames et quelques vivres.

Ynéril et le chevalier de l’Ardente Epée monté-rent dedans. L’écuyer s’cmpara des rames, et I on gagna la pleine mer.

CHAPITRE XXXI

Comment le chevalier de l’Ardente Epée aborda Ji la Moii-tagne Défendue, et ce qu’il y renconlra.

Au départ, le vent était doux et la mer unie. Mais bientöt le temps se couvrit, la rner s’enfla, etnbsp;si désespi'rément, que le chevalier de l’Ardentenbsp;Epée et son compagnon abandonnérent avirons etnbsp;balelet k la merci d('s Rots et des vents, sans savoir oü ni en quelle part ils allaient ainsi, et s’at^nbsp;tendant d’une minute amp; l’autre fi être engloutis.

Pendant dix jours etdixnuits, ils fureiit traités de la sorte, s’en rapportant exclusivemeut pournbsp;leur salut a leur dieu Neptune et a quelques autresnbsp;dieux de premier ordre.

Ge ne fut que le matin du onzième jour que le soleil commenga è gagner le dessus et la mer èi re-devenir calme.

Lors, le chevalier de l’Ardente Epée et son compagnon découvrirent une haute cóte au pied de la-quelle il plut a la fortune de les pousser.

Le pays leur parut si plaisant, et peuplé d’arhres si verts et si feuitlus, qu ils n’hésitèrentpas un seulnbsp;instant h y prendre port.

Ils abordêrent.

Une fois a terre, ils priront le premier sentier qui s’offrit devant eux, lequel les mena droit a lanbsp;porte d’un monastère oü était plantée une grandenbsp;croix de bois.

Jamais le chevalier de l’Ardente Epee n avait vu d’enseigne semblable. 11 demanda a Ynéril s il savait ce que cela signiliait-

L’écuyer répondit :


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LE CHEVALIER DE L’ARDENTE ÊPÉE. 31

LE CHEVALIER DE L’ARDENTE ÊPÉE. 31

— Seigneur chevalier, cela signifio que nous sommes en terre chrétienne, car c’est a un arbrenbsp;taillé ainsi que Ie Dieu des chrétiens fut autrefoisnbsp;cloué et attaché!...

Gette nouvelle plut beaucoup au jeune chevalier qui, attaché qu’il était a la foi païenno, esperanbsp;rencontrer lel des aventures oü il put la faire triora-pher.

II s’avanqa done, suivi de sou écuyer.

Ils ne tardèrent pas k trouver ouverte la porte d’une église, au front de laquelle étaieut plantésnbsp;trois beaux autels garnis d’ornements sacerdotaux,nbsp;avec quelques representations de saints, suivant lanbsp;coutume des fidèles. Et, quant et quant, ils enten-dirent plusieurs voix d’hotnmes psahnodier, encore qu’ils n’en vissent aucun, ce qui les étonnanbsp;beaucoup.

Ils s’avancèrent alors jusqu’au choeur, oü ils nvi-sèrent une sépulture d’albatre, couvertc d’un cristal trés clair, sous lequel était la representation d’un chevalier armé de toules pièccs. Tout au-tour étaieiit gravées des lettres qui disaient;

« Ci-git Ie vaillant et magnanimc Matroco, qui, mant sa mort, eut révélation de la vie êternellc, el,nbsp;comme champion de Jésus-Chrisl, lui-mêine fit denbsp;son sang Ie signe de la croix, et mourut heureux. »

Le chevalier de l’Ardente Epóe reconnut bien, par cette épitaphe, que son écuyer Ynéril lui avaitnbsp;dit la vérité et que, certainement', cette terre oü ilsnbsp;étaient était chrétienne.

Au raême instant, un rehgieux se mit a dire la messe, malgré la préseiice du chevalier, qui ina-nifesla sen impatience par des gestes.

La messe dile, Ie religieux se dévètit de son aubft, et s’eu vint vers ie tils d’Onolorie, auqucl ilnbsp;dit ;

— Je vous prie, sire chevalier,!de me dire de quel pays vous êtes...

— Pourquoi cette question ? demanda fièroraent Ie chevalier de l’Ardente Epée.

— Paree que vous m'avez paru no pas vous inté-resser a la messe que je disais, et, encore moiiis, honorerle lieu-saintoü je l’ai dite, ce qui me feraitnbsp;supposer que vous êtes palen... Et alors, commentnbsp;avez-vous osé entrer dans ce pays si contraire knbsp;Votre foi?...

.— Père, répondit Ie chevalieivje suis palen de

et de nation, en cffetl... Et si vous êtesétonné öe mü trouver ccans, je ne suis pas rnoins óbahinbsp;d V être arrivé... Quoi que noussoyons de religionnbsp;d'uéreute, je vous prierai affectueusement de menbsp;dire d'ins quelle coiilrée j’ai abordé, saus Ie savoir

sans Ie vouloir, et quel est Ie prince qui la gou-

— Mou enfant, répondit Ie prud’homme, k cause de la pitié que j’ai de votre jeunesse ignorante, jenbsp;^oussatisferai volontiers. Gette terreesiduroyaumenbsp;d’Anatolie. On l’appelle la Montagna üéfendue...nbsp;Jouiefois, elle appartient maintenaut k l’empereurnbsp;d^ Constantinople, qui l’a conquise par la force denbsp;arines...

p Le religieux raconta alors au chevalier comment p^P'^'^dian s’en était rendu possesseur, et commentnbsp;] 'quot;‘pdalo en était présenteiiient gouverneur, avec

geant brandalon sou parent.

— nbsp;nbsp;nbsp;Quel est ce Frandalo ? demanda Ie chevaliernbsp;de l’Ardente Epée.

— nbsp;nbsp;nbsp;G’était, répondit Ie Sancto, un païen commenbsp;vous, autrefois...

— nbsp;nbsp;nbsp;Et aujourd’hui ?...

— nbsp;nbsp;nbsp;G est un chrétien comme moi.

— nbsp;nbsp;nbsp;G’est-k-dire qu’ilarenié ses dieux et sa foil...nbsp;G’est un félon digne de chatiment 1

— nbsp;nbsp;nbsp;Je ne sais pas de quel chatiment vous enten-dez purler, mon cher enfant, mais j’ai peur, vrai-ment, que vous ne vous abusiez sur les forcesnbsp;dont disposent les raaitres de cette contrée... Vousnbsp;êtes jeune et vous ne croyez pas a Timpossible,nbsp;paree que vous n’avez pas encore rencontré d’ob -stacles sérieux sur votre chemin...

— J'ai combattu des lions et des ours 1

— G’est beaucoup, sans doute, mais cc n’est rien auprès des perils qui vous attendent. Vous sereznbsp;bientöt forcé de rabattre votre superbe, et vousnbsp;comprendrez que Frandalo a bien fait d’abjurer sesnbsp;fausses idoles pour adorer Ie seul Dieu qui fasscnbsp;gagner les batailles, Ie Dieu des chrétiens...

— Je suis si peu disposé k penser ce que vous me dites au sujet de ce Frandalo, que je brüle dunbsp;désir de me mesurer avec lui, si toutefois c’est unnbsp;chevalier digne qu’on Ie combatte...

—Vous en ferez Ie dur apprenüssage plutótque vous ne voudrez, hélas 1

— Voilk de la pitié bien inutile!... Et, je vous prie, oü pourrais-je rencontrer eet adorateur denbsp;votre Dieu ?

— Vous Ie voule^z absolument I...

— Absoluement, certes, je Ie veux...

— Etigagez-vous dans ce sentier que vous voyez Ik, derrière Ie temple... Et, tout au bout...

Lc religieux hésitait, regardant avec une tendre commisération Ie chevalier de l’Ardente Epée.

— Et, tout au bout?... demanda celui-ci avec impatience.

— Vous découvrirez une forteresse... Elle ap-partenait autrefois k des géants palens...

— A Matroco, peut-être ?

— Vous l’avez dit, chevalier... A 3Iatroco Ie païen, qui se fit chrétien k son heure dernière.nbsp;A Matroco et k Furion sou frère, tous deux fils denbsp;la vieille Arcabone. Gette forteresse, inaccessiblenbsp;d’abord k cause de ses courtines et de ses grossesnbsp;tours, était défendue de plus par ces deux géants,nbsp;et par uu troisième, leur oncle, Ie géant Arca-laüs...

— Qu’importe l s’écria Ie chevalier de l’Ardente Epée. Gette forteresse imprenable a été prise 1...nbsp;Ges géants invincibles ont été vaincusl... Nenbsp;m’avez-vous pas parlé d’un seul chevalier, tout-k-riieure?

— Esplandian, oui, Ie fils d’Amadis.

— Eh bien ?

— Oui, mais Esplandian n’était pas seul; Dieu était avec lui.

— Mes dieux seront avec moi 1... Ainsi, ce cha-teau-fort inexpugnable est défendu par Frandalo et par Frandalon ?

.— Vous oublii'z Belleris.

— Mettons Belleris... Cela fera trois. centre un, comme la première fois!... J’aime mieux cela... Jenbsp;regrette qu’ils ne soient pas quatre : j’auraia eu


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32 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

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plus de mérite h vaincre que n’en eut Ie chevalier Esplandian.

— Votre endurcisspment me poigne, mon enfant, dit Ie Sancto d’une voix pitoyable. Vous serez vaincu...

— Je serai vainqueur!...

— nbsp;nbsp;nbsp;Eh 1 fussiez-vous vainqueur, ce quo je n’ad-mets pas cotnme possible, comment feriez-vousnbsp;done pour vous maintenir dans cette forteres^enbsp;avec votre écuyer ?... Frandalo, Belleris et Fran-dalon out des serviteurs... Ensuite, s’il leur venaitnbsp;affaire facheuse, Ie roi Norandel, qui est a Tési-fante, serait en une journée avec une armee considerable, ainsi que l’erapereur de Constantinople...nbsp;Songez-y !

— nbsp;nbsp;nbsp;J’y songe, bonhomme; c’est pour cela que jenbsp;vous remercic et que je prends congé de vous...

— nbsp;nbsp;nbsp;Vous abandonnez votre projet extravagant?

— nbsp;nbsp;nbsp;J’y tiens plus que jamais, au contraire 1...nbsp;Ynéril, en avantl

Ynéril obéit, et tous deux s’engagèrent dans Ie chemin que leur avait indiqué Ie religieux commenbsp;conduisant ci la forteresse.

— nbsp;nbsp;nbsp;O jeunessel murmura ce saint homme en lesnbsp;regardant s’élolgner.

Lors il rentra dans Ie temple pour prier Dieu.

GIIAPITRE XXXII

Comment Ie chevalier de l’Ardente Epée s’avanga, suivi d’Y-ndril, son écuyer, k la découvertc du chatcau-forl de la Montague Défendue, el ce qu’H en advint.

n se souvient sans doule de la ii'scription que nous avons faitenbsp;de la Montague Défendue et dunbsp;cbateau-l'orl au quatrième livrenbsp;de cette histoire.

Nous ne la ferons pas une seconde fois.

Le chevalier de rArdenle fipée et son écuyer Ynéril s’en-gagèreiit done dans le sentiernbsp;taillé dans la pierre vive quinbsp;montait au chateau.

Tout en cheminant, ils devi-saient tous deux des propos que leur avait tenus le religieuxnbsp;(ju’ils venaient de quitter.nbsp;Ynéril était deveuu tout son-geur.

— Seigneur chevalier, dit-il enfin, les paroles de ce bon Sancto résonneiit encore dans mon esprit... Je commence fi concevoïrnbsp;des doutes sur l’excellence de notre entreprise...

— II vous est aisé d’y renoncer, Ynéril, et de mourner sur vos pas, répondit le chevalier denbsp;Epée. iQuant a moi, je ne sais pas allernbsp;e arriere; j’ai résolu d’aller combattre les défeu-seurs chrétiens de cette forteresse, et j’irai, quoi-qu’il doive arriver.

— nbsp;nbsp;nbsp;Vous savez bien, seigneur chevalier, que jenbsp;ne puis vous abandonner, reprit l’écuyer. J ai fuinbsp;avec vous du royaume de Saba, alors que votrenbsp;vie, non la miemie, était en danger par suite de jenbsp;ne sais quelle caprice de Magadan... Je vous ai ac-compagné partout... Je suis resté avec vous dixnbsp;jours et dix iiuits sur la mer, au milieu des ora-ges, m’attendant de minute en minute h être en-glouti... et je n’ai pas murmuré, rendez-moi aunbsp;moi 113 cette justice...

— nbsp;nbsp;nbsp;Je vous la rends bien volontiers, Ynéril.....

Vous êtes un courageiix homme, et c’est précisé-ment paree que je sais que vous avez autant de vaillance que d’amitié pour moi, que je m’étonnenbsp;de vous voir renoncer a une entreprise, périlleusenbsp;il est vrai, mais d’oü nous pouvons retirer la plusnbsp;grande gloire Tunet l’autre...

— nbsp;nbsp;nbsp;Je vous suis, vous le voyez bien, seigneurnbsp;chevalier, je vous suis... Je n’ai pas songé un seulnbsp;instant a vous abandonner, car il y aurait pournbsp;moi couardise é le faire... Seulement, je vous lenbsp;répète, les paroles du bon sancto résoiment étran-

genient a mon oreille et dans mon esprit......Je

coiiQois des doutes sur la légitimité de votre entreprise, el ces doutes, mon devoir est de vous les soumettre...

—¦ Quels sont-ils done?

— nbsp;nbsp;nbsp;Ilya longtemps que j’ai 1’honneur d’être votre écuyer, n’est-ce pas ?

— Oui, et je me rappelle la bonne impression que vous avez faite sur moi le jour oü le roi de Saba vous a doniié è moi... Ge n’était pas seulement paree que votre visage, blanc comme lenbsp;mien, jurait avec les visages noirs de la cour denbsp;Magadan, non!... Votre physionomie était douce,nbsp;bienveillante, avenante au possible... J’ai toujoursnbsp;été lieureux de notre rencontre, Ynéril!... Et j’es-père bien que ce n’esl pas aujourd’hui que j’aurainbsp;lieu de m’eii mordre les doigls...

— Vous en jugerez, reprit Ynéril. Je reprends, si vous le permeltez, puisqu’aussi bien je n’aper-gois pas encore Ia forteresse annoncée...

— nbsp;nbsp;nbsp;Oh 1 nous n’en sommes pas loin!.....Et, si

vous devez être long, je vous engage k vous hater, paree que nous engagerons le combat avant la fionbsp;(ie votre rccit...

Ynéril reprit :

— Etant done depuis un long temps avee vous, j’ai eu maintes fois l’occasion de savoir les circon-stances qui vous avaientamené eu la possession dunbsp;roi de Saba.

— Je ne les ai jamais cachées... Ramassé va gis-sant sur l’herbe par des corsaires mores, élevé par eux, et, A trois ans, présenté A Magadan,nbsp;lequel aimait les esclaves blancs...

— Ge n’est pas lA-dessus que je veux appeler votre attention, seigneur chevalier.

— nbsp;nbsp;nbsp;Sur quoi, alors?

— nbsp;nbsp;nbsp;Les corsaires mores qui vous ont trouvé va-gissant sur Tberbe aujtrès d’unp fqnlaine ont oublié de dire, et c’élait I’essentiel, s ils vousavanbsp;trouvé sur unc terre chrélienuc ou sur une terrenbsp;païenne...


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33

LE CHEVALIER DE L’ARDENTE ÉPÉE.

— C’cst vrai, dit Ie chevalier de l’Ardente Epée, devenant pensif.

— Si vous étiez chrétien, par hasard?

— Chrétien?...

— Oui?

— Cela n’est pas possible!

— C’estaussi possible que Ie contraire... Peut-ê(rc même est-ce plus probable encore...

— Eh bien ?

— Eh bien 1 si vous étiez chrétien, il ne serait pas juste et honnête k vous d’aller combattre des

chrétiens..... Ge serait vous trapper vous-même

que de trapper sur eux..... Les défenseurs du

chateau-tort dont Ie Sancto nous a parlé tout-è-l’heure, Frandalo, Belleris et Frandalon, seraient alors vos amis et non vos ennemis... Voilé la dif-rence 1...

— Mais si je suis païen ?...

— Si vous êtes païen ?

— nbsp;nbsp;nbsp;Oui?... Faut-il done que je laisse passer unenbsp;occasion de servir mes dieux et de leur offrir unenbsp;victoire ?...

— Vous n’êtes pas païen, quelque chose me Ie crie, seigneur chevalier...

— nbsp;nbsp;nbsp;Oü vois-tu cela ?

— nbsp;nbsp;nbsp;A tout 1

— nbsp;nbsp;nbsp;Mais encore ?

— nbsp;nbsp;nbsp;A votre air, è vos yeux, a votre manière d’ê-tre, de dire et de taire... Vous appartenez é unenbsp;autre race que celle é laquelle vous croyez appar-tenir... Vous êtes né pour Ie commandement, pour

les grandes choses, pour les choses glorieuses.....

Non, encore une fois, seigneur chevalier, vous n’ètes pas païen, vous êtes chrétien !...

Le chevalier de l’Ardente Epée était devenu tout rêveur.

— nbsp;nbsp;nbsp;Peut-être quTnéril dit vrai, murmura-t-il.

En relevant la tête, il aper^ut se dresser devant hii rimposante forteresse, 1’ancien repaire de Ma-Iroco, de Furion, d’Arealaüs et d’Arcabone.

Elle avait conservé la physionomie qu’elle avail une trenlaine d’années auparavant. La plate-forme,nbsp;les fossés, la porte de ter, tout existait dans lenbsp;luème état qu’é l’époque oü Esplandian s’cn étaitnbsp;^Pproché pour combattre les géants qui la gar-daient.

— nbsp;nbsp;nbsp;Allons! dit résolüment le chevalier de 1’Ar-uente Epée en montant lesdegrésqui conduisaientnbsp;« la platc-torme, comme jadis les avait montés lenbsp;Unevaleureux Esplandian.

Ynéril le suivit.

A Tune des fenêtres du chAteau-tort, donnant Ur les tossés, ils distinguèrent deux personnagesnbsp;«environ cinquante ans, qui jouaient aux échecs,nbsp;i'^s deux étaient vêtus d’habits noirs, avec cettenbsp;^uérence que le plus petit portait des cheveuxnbsp;jnerveiUeusetnent longs et une barbe qui lui des--nuait jusqu’au-dessous de la ceinture, tressée anbsp;lipp^ ^öï'dons d’or, ce qui donna opinion au cheva-que ce pouvait bien être le roi de Jérusalem.nbsp;était, en efict, ce prince païen.nbsp;n ce moment, Ie plus grand des deux joueursnbsp;d’échecs apercut Ie chevalier de l’Ardente Epée,nbsp;auquel Ynéril venait de remettre son heaume et sonnbsp;écu

GIIAPITRE XXXIII

Comment le chevalier de l'Ardente Epée eut combat contre Frandalo, Belleris et Frandalon, qu’il vainquit.

tonné de voir apparaitre tout-a-coup devant lui, armé de toutes pièces, unnbsp;chevalier qu’il ne connaissait pas, cenbsp;person nage mit la tête hors de la croiséenbsp;et cria en langage grégeois:

— Chevalier, n’allez pas plus avant, je vous prie, avant de nous avoir dit qui vous êtes.nbsp;Autrement, la coutume de céans nous forcera ünbsp;vous faire descendre malgré vous les degrés quenbsp;vous montez en ce moment 1...

Gelui auquel il parlait ne s’effraya nullement de cette menace. Mais, sans faire semblant de rien, ilnbsp;arriva tout contre la porte du chateau.

La, il répondit posément:

— nbsp;nbsp;nbsp;Damp chevalier, faites ouvrir la porte denbsp;votre chAteau, et, une fois que je serai dedans, jenbsp;vous satisferai ainsi qu’A la coutume.

— nbsp;nbsp;nbsp;Par mon chef! répliqua l’autre, cette porte ne

s’ouvrira que trop tót pour votre malheur 1.....Gar

il est vraisemblable que vousvenezen ces Marches comme espion, et il est juste que vous soyez chA-tié comme tel!...

Gomme il disait ces mots, parut un autre chevalier plus jeune, mais si grand, que le tils d’Ono-lorie s'en trouva ébahi. Toutefois, sans rien voir de son étonnement, il répondit a son premier in-lerlocuteur:

— nbsp;nbsp;nbsp;Vous pourriez bien vous tromper, par aven-ture 1... Les dieux, ennuyés de votre méchante vie,nbsp;contraire A leur gloire et A leur honneur, permet-tront que je vous chAtie et chasse de céans!...

— nbsp;nbsp;nbsp;Comment! s’écria le jeune géant, es-tu donenbsp;de ces fous qui s’imaginent qu’il y a plus de dieuxnbsp;que de poissons dans la mer?... Attends un peu,nbsp;et tu verras ce qu’il t’en cuira pour croire Apareillenbsp;sottise!...

Gette parole achevée, il se retira ainsi que son compagnon, et, peu d’instants après, une portenbsp;s’ouvrit, sur le seuil de laquelle parut un chevaliernbsp;armé qui dit ü celui de l’Ardente Epée ;

— nbsp;nbsp;nbsp;Entre, pauvre homme, et peut-être aurai-jenbsp;merci de toü...

— Je ne sais de quel merci tu veux parler, répliqua le fils d’Onolorie, mais je ne me sens pas encore assez découragé pour t’en requérir.

Gela dit, il entra, et alors commenga entre les

Série. — 3


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34 BIBLIOTHEQUE BLEUE

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sogne...

deux chevaliers uo tel chamaillis qu’k les entendre trapper l’un sur l’autre, il semblait proprement entendre un moulin a tan lorsqu’il est mis en be

Le chevalier chrétien donna au fils d’Onolorie un coup d’épée qui lui fit étinceler les yeux. Maisnbsp;ce dernier, usant de revanche, l’atteignit de tellenbsp;sorte, qu’il lui fendit le heaume en deux et le fitnbsp;choir a la renversecoöime mort.

Ge que voyant, ceux qui les rcgardaient furent trés marris.

Le chevalier de l’Ardente Epée, croyant son ad-versaire défunt, passa outre et entra dans une courbasse, öü il se trouva en présence de dix valets armés de brigandines, lesquels lui coururentnbsp;sus en criant;

— Paillard infidèle 1 Ennemi de Dieu et dc sa foi 1 tu vas payer ta témérité 1

Et quant et quant ils l’environnèrent de toules partsi Mais lui, comme le meilleur chevalier dunbsp;monde, leur montra visage et leur fit sentir, ennbsp;rnoins de rien, combien pesaient ses coups, étantnbsp;celui qu’il atteignait assuré de mort ou de blessure.

Les valets se mirèht done h ïeCuler petit h petit, et tion sans cause, Car déjk trois d’entre eux étaientnbsp;demeurés sur la place. Ge qüi les émut tellemènt,nbsp;qu’ils résolurent de mourir tous ou de tuer le Che-lier de l’Ardente Epée.

Mais avant qü’ils n’eUsSent pu s’entendre pour assaillir leur adversaire, deuX encore furent renversés, secouant le jarret. ïrois et deux, cela fai-sait cinq.

Restaient cinq assaillaüts. Ils lui donnèrent alors tant d’affaires, qu’il ne s’eu tira que par miracle.nbsp;Un, entre autres, saisit le fils d’Onolorie au faux dunbsp;corps, pensant bien le défroquer et luettre bas.nbsp;Mais co jeuno et vaillant chevalier, haussant le

e, lui rompit les dents et la rnachoire, et lui fit r prise, de douleur.

Les quatre survivants, saisis d’une panique sou-daihe et irrésistible, s’enfuirent droit au donjon, en criant:

— Sortez, seigneurs, sortez 1.....Nous sommes

tous morts etperdus!...

^ Le chevalier de l’Ardente Epée leur chaussait de si prés les éperons, qu’ils n’eurent pas le temps denbsp;fermer la porto derrière eux. 11 entra quant elnbsp;quant jusqu’au milieu de la place, oü il entenditnbsp;une voix lui crier .

-- Diable, ennemi do Dieu, tu mourras par mos mains, et de la plus cruelle mortl...

Lors, le chevalier de l’Ardente Epée aperput le géant qu’il avail vu précédemment h la fenêtre, le-quel, arme de toutos pièces, venait le combaltre.

Quoiqu’il eüt plus besoin de repos que de mêlée, et pi’13 de raison decraindre qued’espérer,en présence de ce grand lourdaud si disposé a lui malnbsp;faire, il ne recula pas. Tout au contraire, baissantnbsp;la tête, il s’avanpa braveraent é sa rencontre.

il lu^'dif en fut k une quasi distance d’une brasse, Réant, la grandeur de ton corps m’a d’abord

mis quelque peur au ventre, a moi qui ne suis

qu’un demi-homme pour ton regard..... Mais, en

entendant ta menace, j’ai senli mon coeur s’enfler et mon courage grandir... Nous sommes de taille,nbsp;maintenant 1...

Et, sans plus tardcr, ils s’accouplèrent l’un et l’autre avec apreté, comme deux mortels ennemis.nbsp;En ce conflit, volèrent par terre les lames et lesnbsp;mailles de leurs hauberts; Icnrs armets furent ef-foiidrés, leurs écus crevés; leur propre chair futnbsp;entrecoupée. Si bien, que les regardants s’émer-veillaient qu’ils pussent l’un et l’autre résister encore...

Au bout de deux grosses heüres, on comprit que la chance malheureuse tournait centre le géant,nbsp;quoiqu’il se raidit désespèrément.

En eet instant parut un autre chevalier, armé do toutes pièces, portant au cou un écu d’or é unenbsp;croix de gueules, lequel était encore plus grand etnbsp;plus vigoureux que celui qui venait de combattre.

Le chevalier de l’Ardenle Epée Soupponna quo ce poüvait bien étre Ik le Frandalo dont lui avaitnbsp;parié le religieux.

— Frandalo, lui dit-il, je connais ton nom et ta

valeur..... Ne les souille pas, en te mêlant, toi

deuxième, dans une lutte oü j’ai déjü fort affhire... Laisse-nous parachever, et si Fortune permet quenbsp;j’en sorte vivant, alors tu pourras faire avec plusnbsp;de raison ce que chevalerie te permet pour la satisfaction de ton coeur... Autrement, ta vengeancenbsp;tournerait au désavantage de ton honneur...

Frandalo, car c’était en effet lui, entendant parlor ce jeune païen avec tant de raison et do courage, s’arrêta court et répliqua :

'— Je coufesse, chevalier, que je m’étais beau-coup oublié... Mais la douleur que j’ai éprouvée en voyant tomber mon neveu, mórtellernent blessénbsp;par toi tout a l’heure, ainsi que mes gens, et jus-qu’a ce chevalier mon cousin, la douleur m’empor-tait è me venger incontinent, prél’éraut ma colère anbsp;la raison... Quoique je ne sache pas comment tunbsp;as eu connaissauce do mon nom, j’aurai plaisir knbsp;connaitre le tien, surtout si tu veux laisser Ik tanbsp;folie croyance et suivre la foi de Jésus-Christ... Genbsp;faisanl, non-sèulement je te tiendrai quitte du combat, mais encore je trouverai moyen de te faire ro-cevoir dans la raaison de 1’empereur mon maitre,nbsp;dont tu es digne de faire partie par ta bravoure...

— Frandalo, répondit Ie chevalier de l’Ardenle Epée, j’ètais sur le point de te tenir précisémentnbsp;le mérne discours et dc t’cngager k renoncer a tonnbsp;Dieu pour retourner aux vrais dieux qui sont lesnbsp;miens... Par ainsi, puisque nous ne saurions nousnbsp;entendre, ne perilous plus notre temps... Laisse-moi seulement parachever notre entreprisc, k to‘inbsp;cousin et k moi, car nous perdons Ik, en vérité,nbsp;une trop belle occasion. ¦

—¦ Seigneur, dit k Frandalo l’adversaire du fils d’Onolorie, il a raison : laissez-nous finir, ot quenbsp;la Fortune décide entre nousl... Si je suis vamcu,nbsp;vous agirez k votre guise a son endroit...

Frandalo se tut, et les deux champions reprirent la lutte, plus kproment encore qu’auparavant. Eunbsp;moins d’un quart d’heurG,le chevalier de l’Ardenle


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LE CHEVALIER DE L’ARDENTE EPEE. 35

Epee endoramagea tellement l’écu du géant, qu’il n en resta au poing de celui-ci que la poignée parnbsp;laquelleilletenait;et, bientêt, son sang coulaavecnbsp;une talie abondance, que la place oü ils se bat-taient, auparavant brune et scche, en devint rougenbsp;et détrempée...

Toutefois, Ie géant faisait son devoir jusqu’au bout. Mais, autant il s’appesantissait, autant l’autrenbsp;se sentit léger et dispos.

De quoi Frandalo,ébahi, se disait part soi n’a-volr jamais Vu uu homme égaler en prouesse eet étranger, encore qu’il estimat avoir connu les meil-leurs chevaliers du monde.

— Ah 1 chevalier, s’écria-t-il en comprenant que son cousin allait recevoir Ie coup de la mort etnbsp;et en venant s’interposer eiitre lui et son ennemi;nbsp;ah 1 chevalier, s’il y a en vous autant de courtoisienbsp;que de bonne parole et de bon courage, sauvez, jenbsp;vous prie, la vie de ce pauvre vaincu!...

11 n’avait achevé, que son cousin tombait tout de son long par terré, comme expiré.

Le chevalier de I’Ardente Epée, qui s’était ar-rêté en entendant la prière de Frandalo, lui ré-pondit:

— Ah ! je Youdrais que tu n’eusses pas été tant tardif a me demauder ce plaisir, que je t’eusse vo-lou tiers accordé, et que je t’accorde de bon eoeur,nbsp;s’il sert encore a quelque chose... Car, bien que jenbsp;te repute comme ennemii, il ra’est permis d’usernbsp;onvers toi d’autant de courtoisie que possible.....

— Vraiment, répliqüa Frandalo, tu paries bien, et a cause de l’estime que je me sens pour toi,nbsp;j’orapêcheraiB, s’il était possible, Ie combat que

nous devons avoir ensemble..... Mais je te tiens

pour tel, que tu ne les dilhirerais pour rien... Ce serait, d’ailleurs, contre ton honneur et centre Ienbsp;mien... Par ainsi, combatfonsl... La mort de 1’un

de nous raetlra lln a ce différend.....Je ne te de-

mande qü’une seule chose, dans ton intörêt, et je te la demande beaucoup plus a cause du devoirnbsp;que je dois a la chevalerie, qu’a cause de ta proprenbsp;personne, ennemie de notre foi...

— De quoi s’agit-il ?

— Je desire que tu té reposes jusqu’a demain matin, car je te vois si las, si travaillé, que la vic-tqire que j’espère remporter sur toi me sera comp-tée pour rien.

Cette oITre courtoise fut estimée comme il con-venait par Ie chevalier de l’Ardente Epée. Mais il ne I’accepta pas.

— Frandalo, répliqua-t-il, je te remercie..... Mais crois bien que je ne suis jjas ü ce point débilenbsp;ot fatiguée, de ne pouvoir reconunencer avec avan-tage ce que je viens de faire devant toll... Je ne

veux aucune occasion de retarder notre mêlee.....

Par ainsi, défends-toÜ...

— En avant done 1 répondit Frandalo.

Les grands coups d’épée retentirent. Des étin-celles de feu jaillirent de leurs harnois. Au bout d’une demi-heure, ni l’un ni l’autre des deuxnbsp;champions n’avait une piece d’armure compléte.nbsp;La place oü ils se chamaillaiout était jonchée donbsp;debris et mouillée de sang pur.

Pendant ce temps, Ie roi de Jérusalem, éiner-veillé, adressait de fervenles prières a ses dieux pour que Ie chevalier de l’Ardente Epée reraportatnbsp;la victoire surFrandalo, paree que Frandalo vaincu,nbsp;c’était la liberté pour lui, prisonnier.

Ses prières furent quasi écoutées, quoiqu’elles fussent adressées par un païen, en faveur d’unnbsp;païen, A des dieux païens.

Frandalo, voyant que son adversaire continuait A combattre avec la même grace, la même souplessenbsp;et la memo vigueur que s’il ne s’était pas encorenbsp;hattu de la journée, Frandalo commenca A se dé-fier de lui-même, et, saisi d’une peur froide etnbsp;inaccouturaée, il sentit ses forces rabandouner aunbsp;fur et a mesure de l’accroissement de celles de sonnbsp;ennemi.

Néanmolns, et qUoiquHl n’eüt presque rien a faire pour en avoir définitivenient raison, Ie chevalier de l’Ardente Epée fit deux pas en arrière, et,nbsp;comme s’il eüt Voülu preudfe haleine, il s’appuyanbsp;sur Ie pommeau de son épéo.

Puis il dit A son ehnemi tout déconforté :

— nbsp;nbsp;nbsp;Frandalo, tu dois comprendre que ta mortnbsp;s’approche, n’est-cö pas? Né fais dpnc plus resistance, et rends-toi... Jc te sauverai la vie, tant j’ainbsp;boiine opinion de ta pörSónne.

— nbsp;nbsp;nbsp;Sur mon Dieu! répondit Frandalo, j’aimeraisnbsp;rtlieüx cent fois moürir que d’aVoir a me reprochernbsp;pareille tache 1... Peut-ctre peux-tu me meurtrir Ienbsp;corps et m’achever plus que je ne Ie suis... Mais,nbsp;quant a mon arae, nul autre que Ie Seigneur, ennbsp;qui seul j’ai fiance, no la pourra changer...

Le cbevalier de TArdente Epée, satisfait de la flerté de cette réponse, d’accord avec la lierté denbsp;sou ame propre, allait lenir a son adversaire unnbsp;langage de chevalier, lorsqu’il le vit tout-a-coupnbsp;tomber de son haut, affaibli par seS blessures etnbsp;par le sang qu’il perdait depuls quelques heures,nbsp;c’est-A-direlt;icpuis le commencement de ce combat.

Lors, navre de cette chuto, il Se prècipita vite-ment vers lui et se rait en devoir de lui délacer son heaume, pour le soulager.

Le roi de Jerusalem, se meprenant sur sou intention, ot croyant qu’il lui voulait Irancher la tète, lui cria piteusement;

— Ah: chevalier, je vous requiers, par la vertu qui est en vous, de lui pardonner 1...

A ce cri, le chevalier de I’Ardente Epée, laissant la Frandalo, et ótant son armet, s’en viut mettre anbsp;genoux devant le roi, et voulut lui baiser lesnbsp;mains.

Mais le roi, l’embrassant, lui dit :

— Mon jeune et vaillant anti, vouJ que je n’al jamais vu, que je Sache, je vous prio de me dironbsp;qui VOUSêtes...

— Sire, répondit le jeune chevalier, II Vóug plaira de commander A quelqu’un de ceaiis denbsp;bander les plaies de ces chevaliers blessés avantnbsp;qu’ils ne meurent. J’aurais grand déplaisir, A causenbsp;pe leur vaillauee, qu'il leur arrivat malheur par

fauto de secours.....Cela fait, Je voüs répondfai,

Sire, du moins mal qu’il mö Sera possible, A Cé qu’il vous plait de savoir de moi...


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36 BIBLTOTHEQUE BLEUE.

36 BIBLTOTHEQUE BLEUE.

CHAPITRE XXXIV

Des propos que Ie roi de Jérusalem eul avec Ie chevalier de l’ArdenteEpée sur Ie fait de sa liberté.

vous le dirai présentement... J’ai laissé k quolques pas d’ici une barque que montera Yneril, avecnbsp;quelqu’autre de céans, et k 1’aide de laquelle ilsnbsp;iront requérir secours en la plus prochaine citénbsp;païenne.

— Et pendant ce temps?

— Pendant ce temps nous nous maintiendrons en cette forteresse, qui n’a pas besoin, comme vousnbsp;avez pu voir, d’autres défenseurs que deux ounbsp;trois chevaliers et ses épaisses murailles...

Get avis fut trouvé bon, et Ynéril et un autre s’embarquérent incontinent après diner.

randalo, son neven Belleris et Ie géant Frandalon n’étaientpasnbsp;morts; ils étaient seulementnbsp;trés grièvement blesses.

On les transporta tons les trois dans une chambre, sur unnbsp;lit, et les soins nécessaires leurnbsp;furent prodigués.

Quant au chevalier de l’Ar-dente Epée, il se mit entre les deux draps pour se réconforter et se défatiguer.

Le lendemain, grSce aux onguents qu’il avaitmis sur ses blessures, il était beaucoupnbsp;mieux que la veille. Le roi de Jérusalemnbsp;vint le visiter et fut étonnê de le voir de-bout, se promenant au milieu de sa chambre.

En apercevant le roi, le chevalier de l’Ardente Epée le regut avec force révérences, le pria de senbsp;seoir en une chaise couverte de velours, et, pre-nant la parole, il lui dit:

— nbsp;nbsp;nbsp;Hélas! Sire, comment pourrai-je jamais re-connaltre de ma vie l’honneur qu’il vous plait denbsp;me faire, n’étant qu’un simple chevalier inconnu!nbsp;Vous prenez la peine de me visiter, moi qui n’anbsp;pas encore eu l’occasion de vous faire service!...

— nbsp;nbsp;nbsp;Je suis venu, mon jeune ami, répondit lo roinbsp;de Jérusalem, paree que j’ai reconnu en vous au-tant d'humanité que de vaillance, et, qu’fi ce tilrenbsp;Ik déjè, vous m’intéressez beaucoup... Puis, vousnbsp;étiez blessé, c’étaitune seconde raison dem’inté-resser k vous. Et puis, n’est-ce pas k vous que jenbsp;devrai ma liberté, puisque vous avez vaincu ceuxnbsp;qui me retenaient prisonnier céans?... Par ainsi,nbsp;vous voyant si sage et si victorieux, j’ai voulu ve-nir vous voir, pour savoir d’abord oü vous en étieznbsp;de vos blessures d’hier, et ensuite pour vous priernbsp;de me dire ce que nous avons k [faire désormaisnbsp;céans ?... 11 n’y a, ce me serable, personne k qui vousnbsp;vous puissiez fier, excepté votre écuyer et moi...nbsp;Et je crains beaucoup que des gens d’ici ne senbsp;soient enfuis vers le roi Norandel pour lui porternbsp;des nouvelles de la conquête que vous [avez faitenbsp;dc celte place sur Frandalo... Or, Norandel est sinbsp;prés de nous, qu’en moins de rien il nous aura as-siégés... et alors il se pourrait bien que Fortunenbsp;nous montrkt un visage [différent de celui qu’ellenbsp;vieut de nous montrer...

“7 Pnisque vous voulez savoir ce qu’il m’en semble, Sire, dille chevalier de l’Ardentc Epée, je

CHAPITRE XXXV

Comment le roi de Jérusalem et le chevalier de l'Ardentc Epée eurent conversation avec Frandalo, blessé.

Or, après diner, le roi de '^Jérusalem et le chevalier denbsp;TArdente Epée s’en allérentnbsp;visiter Frandalo.

— Comment allez-vous au-jourd’hui? lui demanda le roi.

— Vous le pouvez voir et considérer, répondit Frandalo.nbsp;La fortune s’est montrée sinbsp;hagarde envers moi sur mesnbsp;vieux ans, qu’elle m’a réduitnbsp;en captivité et m’a fait tombernbsp;au pouvoir de celui qui m’a sunbsp;vaincre, lequel a conquis ennbsp;même ternps cette place quenbsp;ri'mpereur, mon maitre m a-vait donnée en garde... Celanbsp;m’est plus douloureux quo lanbsp;mort même... Aussi bien, la vie me sera désormaisnbsp;amére, attendu que je ne la désirais longue quenbsp;pour servir plus longtemps celui m’avait mis ennbsp;l’honneur et en l’état oü j’étais hier...

— Ah! Frandalo, dit le roi de Jérusalem, vous avez toujours élé lenu pour l’un des plus sagesnbsp;conseillers du monde; et voilk que maintenant,nbsp;vous vous laissez aller k la pusillanimité, ce k quoinbsp;nous ne nous attendions guèro... Usez, je vousnbsp;prie, beau sire, du conseil que vous m’avez donuenbsp;tantde fois, pensant me consoler dans ma prison...nbsp;Ne vous laissez point déraciner le courage paf cenbsp;vent d’adversité qui souffle sur vous comme u anbsp;soufflé sur tant d’autres... Espérez, espérezl Es-pérez surtout en la vertu du chevalier qui vous anbsp;vaincu, et que je supplierai pour vous, si vous voulez, car lui seul peut tout...

Le chevalier de rArdentoEpéo, entendant le rot


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LE CHEVALIER DE L’ARDENTE EPEE. 37

de Jérusalem parler ainsi k son avantage, rougit beaucoup, et lui dit:

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, vous pouvez me commander en toutcsnbsp;choses, car je suis votre sujet et votre serviteur...nbsp;Quant k vous, Frandalo, votre loyauté et votrenbsp;mérite témoiguent hautement pour vous... Vousnbsp;avez fait votre devoir : vous n’avez pas k vousnbsp;plaindre de la fortune... Tout au contraire, vousnbsp;la devez plulót estimer favorable que mauvaise,nbsp;puisqu’elle n’abaisse aucunement votre honneur etnbsp;qu’elle grandit votre renommée...

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire chevalier, répondit Frandalo, Ie doutenbsp;oü je suis relativement k vous, m’ernpêche de vousnbsp;remercier aussi hautement que je Ie voudrais, desnbsp;louanges courtoises que vous m’adressez... Unenbsp;autre fois, je l’espère du moins, je vous pourrainbsp;remercier avec moins do réserve...

Frandalo se tut. Ia débililé de sa personne ne lui permettant pas de parler davantage.

Ge que voyant, Ie roi de Jérusalem’et Ie chevalier de l’Ardente Epée, ils Ie laissèrent en paix pour aller visiter Belleris et Frandalin, avec les-quels ils devisèrent lo.eguement. Puis, leur don-nant Ie bon soir, ils se retirèrent en leurs logis.

Mais, comme il nous semble urgent de repren-dre les erres qui sont plus propres k notre histoire, nous les laisserons Ik pendant quelque temps.

CHAPITUE XXXVI

Commcnl Onoloric voulut voir son fils, et comment Garinde, Uésolée, s’enfuit dans la foröt.

cause de 1’absence prolongée de l’empereur, qu’elle résolut de ne plus se meier du gouvernement de l’empire, et de vivre Ik, au milieu de sesnbsp;deux fdles, pleurant, priant et attendant.

Elle fut repue d’elles comme il appartenait, et, k cause de sa presence, Onolorie et Gricilerie dis-simulèrent une partie de la tristesse personnellenbsp;qu’elles ressentaient de leur fausse position denbsp;mères sans litres d’épouses, par suite de l’absencenbsp;de Périon et de Lisvart.

Or, il advint qu’un jour, entre autres, Onolorie, qui voulaitembrasser son fils, commanda k Garindenbsp;a’aller Ie quérir k Filine, et, pour éviter les soup-Cons et les indiscrétions, elle la pria de l’amenernbsp;comme étaut son neveu.

Garinde, voyant son entreprise quasi déeouverte, s’en allatoute désolée et souhaitant morte.

En ce désespoir, elle entra dans 1’épaisseur de la forêt, résolue de ne jamais se montrer k amenbsp;qui vive, ni a homme ui k femme, mais bien denbsp;nnir ses jours Ie plus vitement et Ie plus raiséra-blement.

Elle entra done dans la'partie la plus sauvage du bois, y choisit un rocher creux pour s’y loger,nbsp;et elle y vècut chichement, ne voulant manger, ennbsp;fait de viandes, qu’herbettes sauvages et mal sa-voureuses, espérant par eette auslérilé abrégernbsp;ses ans.

Onolorie l’altendait d’heure en heure. Voyant qu’elle ne revenait point, elle devint inquiète, etnbsp;envoya k FiÜne un petit paysan qui en rapporta lanbsp;réponse que vous devinez bien.

Vous devinez également la douleur d’Onolorie, douleur d’autant plus grande, qu’clle était plusnbsp;contenue k cause de la présence de l’impératricenbsp;au monastère de Sainte-Sophie.


l vous a été précédemment raconté comment Onolorie et Gricilerie étaient ac-couchées 1’une et l’autre d’un beau gar-Con, et comment celui d’Onolorie, au lieu d’aller k Filine, dans la familie denbsp;Garinde, avail été ramassé vagissant parnbsp;des corsaires mores qui l’avaient porténbsp;au roi de Saba.

Garinde avail été moins malheureuse avec lefds de Gricilerie. Ellelavaitbaillénbsp;k une sienne cousine, nommée Florisme,nbsp;laquelle avail un petit du nom de Fio-riudo.

Les deux princesses s’imaginaient bon-uement que leur suivante avail satisfait k leur commandement et obéi k leursnbsp;recommandations touchant Ie petit Ama-dis et Ic petit Lucencio. De temps k autre, Ie plus souvent possible, elles l’en-voyaient pour avoir de leurs nouvellesnbsp;et toujours Garinde revenait avec unnbsp;mensonge sur deux paroles, car elle ii’a-vait pu voir l’enfant d’Onolorie et, parnbsp;cojiséqueut, savoir s’il se portalt bien ounbsp;mal.

Uu au se passa ainsi.

Un jour l’impéralrice viiit au mouas-tère de Sainte-Sophie, et si désolée, k


CIIAPITRE XXXVII


Comment Ie jeune Lucencio, étanl ayee Florindo, fit rencontre d’unc pauvre dame qui lui apprit quelques uns des mys-tères de sa naissance.


Pendant ce temps, Ie jeune Lucencio croissait de jour cn jour comme un jeune arbre planté ennbsp;bonne terre.

II aimait beaucoup la bonne Florisme, devenue veuve aprèsun court temps de mariage; il raimaitnbsp;comme sa propre mère, et elle, de son cóté, l’ai-mait comme son propre fils, et comme Ie frère denbsp;Florindc.

L’un et l’autre parvinrent jusqu’k tel age, qu’ils devinrent assez forts pour aller k la chasse, exer-cice auquel Lucencio prenait un singulier plaisir.

Un jour, assis k l’ombre d’un buisson, durant la grande chaleur, et en attendant que vint la


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38 PIBUOTHEQUE BEEUE,

vesprée,, plus propioe h la quête du gibier, il de-visaife avec sou jeune compagnon,

Mon frère, lui dit-il, il n’y a pas de chose au monde que je désirasse plus que d’être de l’ordrenbsp;de chevalerie, s’il était posssible. Mais je n’y voisnbsp;aucun moyen; notre père n’était qu’un laboureur,nbsp;quoiqu’il fut riche et homme de bien,,. Par ainsi,nbsp;nous ne sommes pas nobles, mais bien rustiques,nbsp;et les gens de notre condition sont réputés indi-

fnes de suivre les armes, ce dont je meurs de épit...

Lucencio continua sur ce ton pendant un assez long temps encore, si bien que la bonne veuve quinbsp;passait pour sa mère en fut averti par Florindo.

Une autre fois, comine il était ^ la chasse avec son inseparable compagnon, chacun d’eux tenantnbsp;uil are au poing, ils rencontrèrent une biche surnbsp;laquelle ils tirèrent et qui fut btessée. Elle s’en-fuit néanmoins a travers les halliers, oü elle mitnbsp;les chiens en défaut. Mais comme ceux-ei recom-meneaient leurs abois. Lucencion et Florindo peU'nbsp;sant qu’ils l’avaient abbatue, accoururent a la hatenbsp;et se trouvèrent en présenoe d’une femme nue,nbsp;déchevelée, have, araaigrie, qui ressemblait plusnbsp;h un fantóme qu’a une creature humaine.

Florindo fut tellemont effrayé de cette apparition, qu’il s’enfuit en se cachant Ie visage pour ne plus la Yoir.

Lucencio, au contraire, prouvant ainsi I’excel-lence du sang dont il était issu, s’avanQa, et, pre-nant un baton, chassa les chieps d’alentour cette femme, ^ laqu’elle il dit:

— Par rSraedemon père! je saurai bien si vous êtes un loup-garou, ou quelque diable déguisé!...

La pauvre femme, ébabie et croyant que Lucencio la voulait frapper, se jeta k deux genoux devant lui, et, joignant les mains, lui répondit:

— Ah! jouvenceau, par la foi que vous devez amp; Dien, je vous supplie de me laisser en paix, sausnbsp;ajouter amp; la misère oü je vis depuis treize ou qua-lorze ans et dans laquelle je vivrai tant qu’il plairanbsp;k celui qui m’a fait naitrel...

Lucencio, étonné ü son tour, et non sans cause, d’entendre ainsi parlcr celle qu’il prenait pour unnbsp;fantóme, se mit alors a la considérer plus attenti-vement qu’il n’avait fait jusque-lü, et il comprit,nbsp;aux lineaments de sa face, qu’elle devait avoir éténbsp;autrefois belle. 11 lui demanda pourquoi elle repai-rait ainsi dans lieu inhabitable, parrni les bêtes lesnbsp;plus sauvages.

— Ilclas! répondit-elle, je vous prie de ne point insister pour lo savoir, car mon infortune est tclle,nbsp;que vous ne croiriez pas... Par ainsi, faites retircrnbsp;vos chiens et laissez-raoi ü ma solitude et ü manbsp;niisè.quot;e...

— Dame, dit Lucencio, ému do pitié, je vous obéirai volontiers, quoiqo’è vrai dire vous ferieznbsp;hien mieux de venir avec moi chez ma mere, ounbsp;]e conduirais avec grand plaisir, tapt j’ai désir dcnbsp;faire service, ainsi qu’ü toutes le§ autres quinbsp;ïne Youdraient employer,

je vous remercic... Je suis si louenee Ue votre offre cordiale, que jc vous de-manderai votre nom afin de prier notre Seigneurnbsp;de vous en récompenser en vous dopnant de longsnbsp;jours et une renommee glorieuse..,

Le jouvenceau répondit;

— nbsp;nbsp;nbsp;On m’appelle Lucencio.Sinofrie, mon père,nbsp;est décédé il y a un long temps déjü, et ma mère,nbsp;qui fort heureusement vit, se norame Florisme...

A peine Lucencio eüt-il fait eet aveu, que la brave dame se prit a pleurer et ü soupirer tendre-ment.

Lucencio, supposant que les larmes ne lui ve-naient ainsi aux yeux et les soupirs aux lèvres qu’ü cause de Sinofrie, lui demanda si elle 1’avaitnbsp;jamais connu.

— nbsp;nbsp;nbsp;Gertes oui, mon enfant, répondit-elle, j’ai vunbsp;votre père mainte et raainte fois, et j’en sais peut-être de vos affaires plus long que vous-même...

— nbsp;nbsp;nbsp;Vraiment? demanda Lucencio.

— nbsp;nbsp;nbsp;Oui, mon enfan?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Et, que pouvezYOus savoir que j’ignore, surnbsp;mon propre corapte?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Beaucoup de choses, je vous le répète...

— nbsp;nbsp;nbsp;Mais enfin?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Tant il y a que Sinofrie, que vous appelieznbsp;votre père, ne vous appartenait en rien...

Lucencio, entendant cela, fut plus ému qu’au-paravant. 11 crut avoir affaire ü quelquefée ou ma-gicienne, et il lui dit:

— nbsp;nbsp;nbsp;Dame, je vous requiers humblement de pa-rachever ce que vous avez commencé et de pous-scr votre révélation jusqu’au bout... Cela m’inté-resse grandement, vous l’imaginez bien, d’autantnbsp;plus qu’en parlant ainsi que vous venez de lo fairenbsp;k propos de Sinofrie, vous laisseriez supposer quenbsp;ma mère a forfait d’honneur envers lui...

¦— Votre mère, mon enfant, ne fit jamais tort d’aucune sorte è vqtre père...

— Mais alors?

— nbsp;nbsp;nbsp;Si vous me voulez promettre un don, je vousnbsp;racontorai chose dont vous serez certainementnbsp;joyeux...

— Oui, dame, je vous le promets, et tel qu’il vous plaira de me lo demander.

La dame reprit:

— Eb bien 1 mon enfant, tenez pour certain que votre père n’ètait pas laboureur et votre mère pasnbsp;femme do roturier...

— Vraiment?...

— Tout au contraire., ils sant l’un et l’autre de sang noble...

— De sang noble?.,.

— Oui, et du meilleur, puisque vous descendez do lignée d’empcreur et de roi...

Lucencio était énorgueilli et heureux au possible, ainsi que Iclui avait annoncé l’inconnue.

— J’y avais quclqucfois songé!... murmura-t - il.

— Et maintenant, mon enfant, reprit la pauvre dame, souvenez-vous du don quo vous m avez premis de m’octroyer...

— Dame, je suis tout pret fi tenir ma parole..-Quel don exigez-vous de moi?...


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LE CHEVALIER DR L’ARDENTE EPEE. 39

— nbsp;nbsp;nbsp;Je vous demande de cesser de m’interrogernbsp;et de garder secrèteraent ce que je viens de vousnbsp;dire... Que cela ne soit connu que de vous et denbsp;votre compagnon tout au plus...

— Je m’y engage...

— nbsp;nbsp;nbsp;J’ajoute encore quelques mots... Trouveznbsp;moyen, vous et lui, de vous informer si deux chevaliers, perdus depuis quatorze ans avec I'erape-reur, sont de retour ence pays...

— nbsp;nbsp;nbsp;Ils s’appellent?...

— nbsp;nbsp;nbsp;L’un, Lisvart de Grèce: I’autre, Périon denbsp;Gaule.

— Je le saurai, dame, je vous le promets.

— nbsp;nbsp;nbsp;Et, quand vous les aurez découverts, ame-nez-les ici tous les deux, ou I’un pour le moins.nbsp;Car Fun d’eux vous importe grandenient, et è moinbsp;aussi.

La pauvre dame ayant dit cela, se baissa vers le jouvenceau, I’embrassa avec tepdresse et s’enfuitnbsp;ii travers les halliers.

Elle courait si fort, quo Liicencio la perdit bicn-tót de vue.

li resta tout peqsif de cette aventure, tout pen-sif, et néanmoins joyeux d’être si bien apparenté.

— nbsp;nbsp;nbsp;Je pourrai 6tre chevalier!... ipurmura-t-il.

II reprit le cherain par ou il était venu, et fut

étonné, peu après, d’entendrqFlorindo 1’appeler a haute et piteuse voix.

Florindo pleurait, paree qu'il croyait son cama-rade mort.

Lucencio, pour qu’il cessftt de se déconfortcr aussi amèrement, prit son cor et en sonna denbsp;toule ?a force. H en sonna un si haut mot que Flo-rindo Fenlondit et accourut, rassuré.

— Ilélas 1 mon frère, lui dit-il eu larmoyant encore, et en I’embrassant, quo j’ai eu grand’pour de la béte sauvage !... Je craignais quelle ne nousnbsp;out outragd et dévorél... Comment avez-vous éténbsp;si hardi et si halif, duller vous jeter entre sesnbsp;pattes?

Lucencio lui repoudit en riant :

— Ne vous avais-je pas bien dit que les fils de tels que nous sommes, vous et moi, ne pouvaientnbsp;être chevaliers, ayant pour compagnie la peur aunbsp;lieu de I’assuranco?... Toutefois,si vous me vouleznbsp;pi'ometlre de ne jamais rapporter ce que je vaisnbsp;vous declarer, vous entendrez préseutement chosenbsp;dont vous vous ernervcillerez assez...

Florindo lui fit tous les serments qu’il voulut.

—II faut iiremièroment, dil Lucencio,que vous no pai licz a personne qui vive de la béte que nousnbsp;avous rencontrée ct qui vous a cause- si violentenbsp;fraycur... Ce n’est pas une béte, e’est unq femmenbsp;sage et prudente,,.

Tout en discourant ainsi, les deux jeunes gens sortirent do hois, et Lucencio aefieva de racqntcrnbsp;son compagnon cc qui lui avait été dit précédcin-ment.

— Ah! lui repondit Florindo, malgré ee qui vous arrive et ce qui vous cst promts, permettez-nioi de demeurer toujours en votre compagnie etnbsp;oe vous servir comme votre ecuyer... Je me tien-

ïquot;;!! heureux si je puis parvenir amp; tel honiicur.

— Volontiers, dit Lucencio.

Et, ralliaut leurs phiens, ils retournèrent en la ville.

CIIAPITBE XXXVIII

Comment Lucencio et Florindo s’enfuirent secrètement da Filine, et s’en allèrcnt ti Constantinople, ou Lucencio fptnbsp;armd chevalier de la main de I’empereur Esplandiau, sonnbsp;onele.

Etre chevalier! Voilh quelle fut Funique préoc-cupation du jeune Lucencio Ji partir du moment OÜ il avait rencontre la demoiselle sauvage. II senbsp;sentit lo coeur accru, gonflé d’orguoil, et aongeanbsp;aux moyens a employer pour parvenir a Fhonneurnbsp;qii’il ambitionnait.

Une fois, il fut sur le point d’en parler k sa mèro nourrice Florisme; puls il changea soudaitt d’opi-nion.

Finalement, car cela ne lui laissait ni repos ni cessc, il résolut de s’en aller h Constantinople, et,nbsp;lit, (le supplier Fempercur Esplandian, dont il avaitnbsp;maintes Ibis entendu parler, de lui donnef la co-lee, avec harnois et montures.

11 communiqna ce projet k son compagnon Flo-’ rindo, lequel, devenu de plus en plus serviablonbsp;envers lui, I’approuva avec enthousiasme, et cher-cha avec lui les moyens de déloger de Filine.

Après avoir beaucoup réfléchi, ils ne trouvèrent pas autre chose, sinon de crooheter un coffre oilnbsp;Florisme avait quelque argent, et d’en extraire cenbsp;qui leur était nécessaire p()ur leuf voyage.

Ainsi firent-ils.

Le jour d’après, munis de cet argent, ils feigni-rent d’aller k la chasse comme ils en avaient cou-tume, et s’embarquérent secrètement sur un na-vire è I’ancre dans le port et en destination pour la Thrace.

Une fois en pleine mer, ils s’embrassèrent tout joyeux, et en se promettant mille bonheurs deleurnbsp;entreprise.

Bientot ils arrivèrent k Constantinople, ou sé-journait Fempereur Esplandian.

Sans perdre de temps, Lucencio et Florindo s’en allèrent au palais, oii ils trouvèrent Esplandian, accompagné de raaints prud’hommes, tousnbsp;portant le deuil du vieil empereur et de sa lemme,nbsp;naguèrc décédés.

Tout aupres d’Esplandian et de impératrice LconorinB, ctciit Luciunc, Icur lulc, siors dcnbsp;douze ans, si belle, si bien prise, que c etait unenbsp;perle entre toutesles dames de Grèce.

Bien que Lucencio cut été, toute sa vie du-rant, élevé avee des pasteurs et autres gens grossiers, il DC s’effaroucha nullement de se rencon-


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40 BIBLIOTHÈQUE BLEUE.

trer en si noble asseniblée, et il salua chacun avec une grande grace.

— Trés puissant prince, dit-il en mettant un genou en terre devant Esplandian, on fait de vousnbsp;un tel éloge dans Ie monde, que je n’ai pas hésiténbsp;è venir en volre cour, pour vous supplier de m’ar-mer chevalier, et de me donner chevaux et har-nois nécessaires... Quoique de lignée de grandsnbsp;seigneurs, vcire de rois k ce qu’on m’a dit, je n’ainbsp;présentement, pour tout bien vaillant, que ce quenbsp;vous pouvez voir sur moi, Ie hasard de ma nais-sance m’ayant mis en pauvre lieu...

L’empereur, en face de ce jouvenceau si fier de parole, si hardi de mine, si plein de grace et denbsp;beauté, fut ému de pitié, k cause de la misère qu’ilnbsp;accusait.

— Vraiment, mon ami, lui répondit-il, je ferai ce dont vous me priez, car j’estime, par ce que jenbsp;puis coinprendre de votre personne, que clieva-lerie sera fort honorée par vous...

Et, se tournant vers Ie marquis Saluder, Esplandian ajouta;

— Seigneur marquis, je vous donne ce jouvenceau pour hóte... Mcnez-le avec vous et faites-le accouter de tout ce qui sera nécessaire pour lui etnbsp;son écuyer.

Lucencio fit une nouvelle révérence pour re-mercier l’empereur, et s’en alia incontinent avec Ie marquis, qui Ie pourvut, ce même jour, d’unnbsp;riche harnois blanc, comme on faisait alors auxnbsp;nouveaux chevaliers.

II faut Ie dire : bien qu’il n’eüt jamais endossé un tel accoutrement, Lucencio s’y trouva sinbsp;propre, il lui séyait si bien, qu’il semblait être uénbsp;quant et quant.

La nuit vint. II la passa dans la chapelle avec Florindo.

Le lendemain, après la messe, I’empereur s’en vint, accompagné des dames, et donna la colée aunbsp;jeune Lucencio.

Gctte cérémonie faite, la belle Luciane, pour faire plus d’honneur au nouveau chevalier, luinbsp;ceignit elle-même, de ses belles mains, l’épée dontnbsp;il devait si vaillamment se servir, k partir de cettenbsp;heure-lk. Puis, le prenant par la main, ellele con-duisit en la salie voisine, oü les tables étaient cou-vertes pour le diner.

GHAPITUE XXXIX

Comment 1’erapereur Esplandian arriva en la Montagne Défendue, oü il combattit contre le chevalier de l’Ardeiitenbsp;Epée.

II y avait déjü plusieurs semaines que le chevalier ue 1 Ardente Epée était en possession de la

Montagne Défendue. Son écuyer Ynéril était revenu d’Anatolie avec vingt Turcs de renfort, qui avaient été trés bien accueillis, spécialement parnbsp;Ie roi de Jérusalem.

Un jour que ce dernier était en train de raconter au fils d’Onolorie la part qu’il avait prise au siégenbsp;de Constantinople et la faqon dont il avait élénbsp;traité, étant prisonnier, par le roi Amadis et l’em-pereur Esplandian, et qu’ils devisaient k une fe-nêtre ayant vue sur la mer, ils aperqurent unenbsp;barque k deux rames prendre port. Puis, quelquesnbsp;instants après, descendit k terre un chevalier arménbsp;d’armes noires, fors tête : un écuyer portait sonnbsp;heaume, et, une demoiselle, son écu en champnbsp;d’or au milieu duquel était figurée une croix ver-meille comme sang.

Ces nouveaux arrivés commencèrent k monter les degrés taillés en la roche, et, une heure après,nbsp;ils étaient devant la porte du chateau-fort, oü lenbsp;chevalier inconnu s’équipa pour combattre.

Ce que voyant, celui de l’Ardente Epée, étonné, se demanda quel pouvait être ce gentilhomme etnbsp;dans quelles intentions il venait vers lui.

— G’est, pensa-t-il, un chrétien qui a entendu parler de la perte du chateau, et qui veut essayernbsp;de la recouvrer...

Lors, sans quitter la fenêtre oü il se tenait, il lui demanda oü il allait ainsi et ce qu’il cherchait.

— Le blason que vous portez sur votre écu, ajouta-t-il, me donne témoignage que vous ne de-vez être qu’ennemi des Turcs I...

A cette parole, le chevalier Noir haussa la vue, et, apercevant le fils d’Onolorie, il le trouva sinbsp;jeune et si beau, qu’il ne put s’empêcher de luinbsp;dire:

— Chevalier, k voir votre jeunesse, on croirait difficilement que c’est vous qui vous êtes fait con-naitre il y a quelque temps par un exploit hardi...nbsp;Mais aussi, k voir votre tier visage et votre regardnbsp;d’épervier, on le comprend raieux... C’est vous,nbsp;n’est-ce pas, qui avez chassé les chrétiens de céansnbsp;et les avez remplacés par des palens?...

— G’est moi, vous dites juste, répliqua le chevalier de l’Ardenle Epée. Et, ajouta-t-il, en voyant Ia croix vermeille qui raluit sur votre écu, je n’ainbsp;pas de peine k coinprendre, de mon cóté, que vousnbsp;êtes un chevalier chrétien, défenseur d’un Dieunbsp;que je ne connais pas...

— Puisque vous devinez si bien, reprit l’autre, vous devez savoir dans quelles intentions je suisnbsp;venu ici ?

— Parfaitement.....Vous venez vous mesurer

avec moi.

— Avec vous OU avec tout autre païen, si vous ri’êtes pas disposé...

—- Je le suis, et, dans quelques minutes, je serai prêt...

Le chevalier de l’ArdenteEpée allait disparaitre; le chevalier Noir le retint en lui disant:

— Ecoutez-moi, de grace, pendant quelques instants encore...

— Qu’y a-t-il?


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41

LE CHEVALIER DE L’ARDENTE ÉPÉE.

— On ne vous voit pas impunément... vous êtes courageux, jeune, beau, hardi... vous semblez ap-pelé de hautes destiuées...

— Cornme défenseur de nos dieux, oui.

— Non, tout au contraire, comme défenseur de 1’unique Dieu du monde, du Dieu mort sur la croixnbsp;pour sauver les hommes...

— Je nc connais pas ce Dieu-lèi...

— Vous êtes digne de Ie connaltre... Vous êtes digne de Ie servir... Renoncez k vos vaines idolesnbsp;et amp; vos faux dieux, et venez parmi nous, qui sommes les défenseurs de la vraie foi... A cette condition, j’abandonnerai les pretentions avec lesquellesnbsp;je suis venu céans... Et, quoiqail soit fort honorable et glorieux de se mesurer avec un chevaliernbsp;comme vous, je renoncerai Ji eet honneur et è cenbsp;plaisir...

'—N’y renoncez done pas, chevalier, car moi, je ne renonce k rien de mon cóté... Je suis aussinbsp;ferme dans ma croyance que sur mes areons; jenbsp;vous en ferai juger tout k Theure...

—Le plus tót possible, alors, puisque vous vous obstinez a ce point dans votre erreur!

Le fils d'Onolorie disparut de la fenêtre, h la-quelle, jusque-14, il avait tenu les propos que nous venons de rapporten.

Puis, quelques instants après, le chevalier Noir vit apparaUre k la porte de la forteresse un chevalier couvert d’armes blanches, et portant au counbsp;un écu d’acier étincelant sur lequel était figuréenbsp;une épée rouge comme braise.

Le chevalier Noir ne savait pas si c’était celui qui lui avait parlé tout l’heure, ou si c’en étaitnbsp;un autre.

Néanmoins, il s’avanca.

— nbsp;nbsp;nbsp;Chevalier, lui dit-il, vous plairait-il de menbsp;laisser entrer plus avant dans le chóteau?... Nousnbsp;serous mieux, me parait-il, pour combattre...

— nbsp;nbsp;nbsp;J’y consens volontiers, répondit le fils d’0-nolorie.

Et il se rangea courtoisement pour laisser passer son adversaire.

Bientót ils se placèrent l’un en face de l’autre.

— nbsp;nbsp;nbsp;G’est k regret que je combats contre vous, ditnbsp;encore une fois le chevalier Noir. Je voudrais vousnbsp;savoir l’ennemi desgens dont vous êtes aujourd’huinbsp;le défenseur et l’ami.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ge sont ces gens-lk qui m’ont élevé et faitnbsp;ce que je suis, répondit le chevalier de l’Ardentenbsp;Epée, et l’ingratitude n’est pas de mon goüt... Parnbsp;ainsi, seigneur chevalier, agissons de l’épée et nonnbsp;de la langue, comme nous faisons si inutilementnbsp;depuis une heure...

— nbsp;nbsp;nbsp;Agissons de l’épée, soit I répondit le chevalier Noir.

Lors, ils se ruèrent l’un sur l’autre avec une im-pétuosité et une furie des plus grandes.

G’était spectacle mervcilleux a voir, si merveil-leux, que le roi de Jerusalem, qui en était seul té-moin, crut devoir aller quérir Frandalq, qui arriva clopin-clopant, encore bien pale, bien amaigri,nbsp;bien souffrant des blessures regues précedemment.

Le chamaillis durait toujours, et il y avait deux grosses heures qu’il durait ainsi, et que les deuxnbsp;chevaliers se ruaient d’estoc et de taille, démail-lant leurs hauberts et faisant un tel chaplis de leursnbsp;écus, que la place était semée en plusieurs lieuxnbsp;des pièces qui en sortaient.

Plus ils allaient en avant, plus ils travaillaient. Dont il avint que, par suite de l’ardeur du soleil,nbsp;lequel était au haut du jour, ils échauffèrent tenement leurs harnois, que force lui fut de les tirernbsp;en arrière et de hausser la visière de leurs heauraesnbsp;pour prendre haleine.

Mais cette trêve dura peu. Ils se rechargèrent avec plus de fureur qu’auparavant. Si bien, qu’a-bandonnant leurs épées, qu’ils avaient pendantesnbsp;a chaines d’argent é leur poing, ils se harpèrent ónbsp;force de muscles et de hanches, essayant de senbsp;jeter par terre.

Frandalo, voyant avec quelle vigueur combat-tait l’adversaire du chevalier de l’Ardente Epée, s’imagina qu'il pouvaitbien être Araadis de Gaule.nbsp;Toutefois, cette opinion lui mua soudain, en senbsp;rappelant qu’Amadis était de plus petite staturenbsp;que ce chevalier Noir, et que, d’ailleurs, il était denbsp;trop lointain pays pour êlre accouru déjèi au secuurs de la Montagne Défendue.

Puisque cela ne pouvait pas être Amadis de Gaule, Frandalo jugea que cela devait être Lisvartnbsp;de Grèce, et il se penchait vers le roi de Jerusalem pour lui faire part de ce soupQon, lorsque lenbsp;chevalier Noir, relevant la tête, l’apereut.

— Frandalo! murmura-t-il, aise et marri tout ensemble.

Aise, paree qu’il était en vie ; marri, k cause de la couleur flasque et débile qu’il portalt, consé-quence des douleurs que lui avaient causées etnbsp;que lui causaient encore ses plaies.

Gela le dépita et le courrouca de plus en plus contre son adversaire.

— nbsp;nbsp;nbsp;Par mon chef! dit-il entre ses dents, c’estnbsp;trop batailler pour victoire tant désirée I... II fautnbsp;que ce chevalier soit quelque diable d’enfer dé-chainé; car, s’il était autre, il y a un long tempsnbsp;que je 1’eusse mis a la raison 1...

Mais, au moment oü il s’apprêtait è pourfendre de son mieux le fils d”Onolorie, celui-ci, prenantnbsp;son épée k deux mains, lui en porta un si violentnbsp;coup, que, sans l’excellence de sou armure, ilnbsp;était abattu.

— nbsp;nbsp;nbsp;Chevalier, lui dit-il alors, ne sois pas homicide de toi même, je t’en priel... Rends-toi, jenbsp;t’en conjure par mes dieux 1... 11 serait vraimentnbsp;dommage que tu raourusses, toi qui es si vaillantnbsp;gentilhommel...

— nbsp;nbsp;nbsp;Par Dieu 1 répondit le chevalier Noir, ta courtoisie me porterait volontiers k suivre ton conseil;nbsp;mats mon honneur me le defend... La mort seulenbsp;doit finir entre nous cette mêlée.

Bien qu’il ne lui restót pas d’écu pour lui cou-vrir le bras, et que son heaume el son haubert fussent si décloués et si rornpus que le nu de lanbsp;chair paraissait en plusieurs endroits, il entra ce-pendant en une telle colère, qu’il donna k sonnbsp;adversaire un grand coup d’épée sur l’épaulière et


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en fit jaillir Ie sang Ie sang, qui rougit en eet en-droit Ie harnois du chevalier palen.

CHAPITRE XL

Comment, an moment oü Ie chevalier de 1'Ardente Ep(?e allait tuer l’emperenr Esplandian, la bonne demoisellenbsp;Alquife apparut.

Au plus fort de cetfc lutte, une demoiselle parut, introduite par Ie roi de Jérusalem, auquelnbsp;elle s’était de prime-abord adressée, sous couleurnbsp;de chose importante a dire aux deux corabattants.

Le chevalier Noir la reconnut. C etait Alquife qui, depuis la perte de Périon et de Lisvart, avaitnbsp;tenu compagnie amp; Urgande-la-Déconnue dans l’Ilenbsp;des Singes. Son père 1’envoyait vers les deux chevaliers qui se battaient en ce moment, pour em-pêcher leur mort prochaine, èi pn juger par l’excèsnbsp;de leur mutuelle colère.

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, dit-elle en se prosternant aux pieds dunbsp;chevalier aux armes noires, mon père, qui vousnbsp;aime et vous estime, m’envoie vers vous pour vousnbsp;prier de ne pas passer outre en ce combat, pournbsp;des raisons qu’il vous dira volontiers plus tard, etnbsp;dont vous le remercierez...

— nbsp;nbsp;nbsp;Demoiselle, répondit le chevalier Noir, jenbsp;sais trés bien qui vous êtes... Nousavons ensemblenbsp;devisé en des temps plus agréables... Quant aunbsp;reste, vous devez juger, au point et en l’état oünbsp;nous ;en sommes, que je n’ai nul pouvoir sur cenbsp;chevalier... Par ainsi, je vous prie de lui parlernbsp;vous-même et de savoir ce qu’il en peuse.

— Qu’é celane tienne, dit la demoiselle Alquife.

Lors, tournant visage, elle s’adressa en ces termos au fils d’Onolorie :

— nbsp;nbsp;nbsp;Chevalier, le vieillard que vous avez rencontré dans la forêt et qui vous a donné un cordialnbsp;pour vous réconforler, vous et votre écuyer, quinbsp;n’aviez ni bu ni mangé depuis quelques jours, cenbsp;vieillard vous prie, ot pour cause, de no pas com-battre d’avantage contre celui-ci...

— nbsp;nbsp;nbsp;Je me souviens de cette rencontre, et avecnbsp;grand plaisir, répondit le chevalier de l'Ardeutenbsp;Epée. A cause de ce vieillard, dont vous m’appor-tez la parole et la prière, je cesse le combat en-trepris...

Et, se tournant vers son adversaire, il ajouta :

— Seigneur, pardonnez-moi, je vous prie, de vous avoir fait un traitement contraire è celui quenbsp;vous attendiez peut-être de moi... De plus, faites-nioi rhonneur de me déclarer qui vous êtes, afinnbsp;mieux désormais, par son nom,nbsp;I dont je connais si bien aujourd’hui la hautenbsp;valeur et Pexcellente prouessc. .

— nbsp;nbsp;nbsp;Chevalier, reprit l’inconnu, votre discrétionnbsp;me touche et fait perdre eiitièrement le mal vou-loir que je vous ai montré jusqu’ici. Par ainsi, je vousnbsp;laisse la place, puisque notre mêlée ne peut prendre une autre fin... Toutefois, je veux satisi'aire hnbsp;votre requête et vous dire qui je suis; è une condition...

—Quelle qu’ellp soit, seigneur, elle estaceeptée d’avance...

— nbsp;nbsp;nbsp;A Ia condition que, eet aveu fait, ni vous ninbsp;d’autre ne me donnerez empêcheraent é me reti-rer...

— nbsp;nbsp;nbsp;De ce vous pouvez être sür, car je vous lenbsp;promets sur mon nonneur.

— Eh! bien, répondit le chevalier Noir,j’ai nom Esplandian!...

— nbsp;nbsp;nbsp;Esplandian! répéta le chevalier de l’Ardentenbsp;Epée, tout ébahi.

— Esplandian, oui... j’étais venu par ici, espé-rant reconquérir seul ce que vous avicz seul con-quis sur les miens... Mais raaintenant que je sais ce que vous valez, et, qu’en outre je connais lesnbsp;ressources de la forteresse qui est en votre possession présentement, je n’cspère plus rien, quelquenbsp;puissance que j’y amène...

— O Jupiter! s’écria le chevalier do FArdente Epée. Est-il possible que le plus grand prince dunbsp;monde m’ait fait eet honneurl Sur ma foi, sire, jenbsp;puis bien me nommer, dès a présent, Ie plus heu-reux de la terre, puisque je me suis éprouvé avecnbsp;le meilleur chevalier qui vive! Ah! trés excellentnbsp;empereurl vous êtes tel, que les louanges que l’onnbsp;vous donne ne sont pas en proportion avec le respect que vous méritez... Pint aux dieux que la loinbsp;que vous suivez fut conforme a leur honneurl...nbsp;Car alors, vousverriez, avec le temps, avec quellenbsp;alfeclion je ferais service pour vous dédomraagernbsp;du dêplaisir que je vous ai fait par mon ignorance,nbsp;de quoi je vous supplie, ainsi que cette demoiselle,nbsp;de ra’excuser...

Gomme il disait ces mots, il se retourna et n’a-percut plus Alquife.

— Quel chemin a-t-elle pris? deraanda-t-il.

'— Seigneur, lui répondit-on, elle est sorlie de céans.

— Et quel cöté s’est-elle dirigèe? le savez-vous?

—¦ Oui, seigneur ; du coté de la mcr.

— Ahl raurmura4-il. Elle me fait tort!,..

Le chevalier de FArdente Epée était trés oon trarió da ce dèpart précipité. 11 voulait savoir d’Al-quife oü il pourrait renoontrer de nouveau levieibnbsp;lard do k forèt, é la prière dnquel il avait cessénbsp;son combat avec le chevalier Noir, et par lequelnbsp;il espérait connaitro sa familie...

A cette cause, il laissa k Fempereur et sortit 5 la hate du chateau, courant apres Ahiuife.

— Ah ! demoiselle ! pensait-il, tout en courant, lorsque je vous aurai raltrapéo, il faudra bien quenbsp;vous mc róvéliez oü est votre père, abi •l'f ilnbsp;révclc è son tour oq est le mien.


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LE CHEVAllER DE L’ARDENTE ÉPÊE. 43

CHAPITRE XLI

k Ia cour du roi do j’entends des piqs déli-cats.

Si bien, qu’après avoir mangé et bu k sa suffi-sance, et après, aussi, avoir fait bander ses plaies par les pasteurs, il se coucha sur l’herbe et s’eUquot;nbsp;dormit au clair de la lune.


CHAPITRE XLII

Comment, s’étant mis h la ponrsnite de la demoiselle Al-quife, Ie chevalier de 1’Ardente Epée s’égara et fut forcé de partager Ie pain et l’eau de pauvres pasteurs.

Le chevalier de l’Ardente Epée chemina long-temps avant d’atteindre celle après laquelle il CQU-rait si diligemmeut,

La nuit le surprit et il s’égara, sans savoir de quel coté il tirait, tant l’obscurité était grande, etnbsp;tant était difficile et hérissée l’épaisseur du bois oünbsp;il entra.

Lors, ses plaies commencèrent k figer et k rc-froidir. La douleur lui vint, d’heure en heure si insupportable, qu’il se demanda s’ü n’allait pasnbsp;retourner vers l’endroit d’oü il était parti, pournbsp;s’y faire soigner. II l’eüt certainement fait, s’il ennbsp;eüt eu le moyen.

Comme il était en ces angoisses, il entr’apergut dans le lointain une clarté, c|u’il suppose être cellenbsp;d’un feu allumé par l’Alquile,

II reprit courage et se dirigea verscette lumière, qui le guidait d’ailleurs a travers les profondeursnbsp;du bois. Mais, quand il fut auprès, il n’afisa d’au-tre personne que des pasteurs gardant le bestialnbsp;des moines, lesquels, k son approohe, s’enfuirent,nbsp;effrayés.

Toutefois, il les rappela d’une voix si jeune et si douce, qu'ils revinrent aussitót vers lui.

Lors, il leur demanda s’ils n’avaient pas vu passer une demoiselle, qu’il leur dépeignait de fagon k ce qu’ils ne s’y raéprissent point.

— nbsp;nbsp;nbsp;Par sainte Marie ! répondit l’un des pasteurs,nbsp;le plus hardi, il n’y a pas une demi-heure qu’ellenbsp;® traversé cette sente...

— nbsp;nbsp;nbsp;De quel train allait-elle?...

¦— Elle s’en allait devant tant qu’elle pouvait...

— nbsp;nbsp;nbsp;Gela me poigne, dit le chevalier, car j’avaisnbsp;è lui parler... Mais enfin, puisqu’il n’y a moyennbsp;pour cette heure, je vous prie de me donner denbsp;quoi me repaltre, si vous en avez de quoi... Je suisnbsp;exténué et travaillé par la faira autant que par lanbsp;fatigue...

— Volontiers, répondirent ces braves gens.

Et, tont aussitót, l’un d’eux tira de son bissac ^0 quignon do pain dur qu’il lui donna, ainsinbsp;fiu’une bouteille d’eau fraiche.

C’élait, certes, un repas modeste, indigne d’un fiis de prince et d’un descendant d’empereur;nbsp;jnais, Pappélit aidant, le chevalier de l’Ardentenbsp;bpée trouva ce pain dur et cette eau fraiche plusnbsp;^gréables qu’aucun des festins qu’il avait pu faire

Comment, étant endormi, le chevalier de l’Ardente Epée fut rdveillé par le roi Alpatracie qui le forga è combaltre elnbsp;qui fut vaincp.

ers les premières pointes du jour, le chevalier de l’Ar-dente Epée se réveilla, et,,nbsp;remerciant chaudement sesnbsp;compagnons improvises, ilnbsp;prit congé d’eux et se mit al-lègrement en route dans lanbsp;direction qu’ils lui indiquè-rent.

Bientot il se trouva sur le rivage de la mer, sans savoirnbsp;plus oü lirér, car l’eau lui interdisait de passernbsp;plus avant, et, de l’autre cólè, la roche haute etnbsp;inaccessible lui montrait l’austérité du désert.

Ainsi en peine de ce qu’il devait faire, tout trisle et teut désespéré, le chevalier de l’Ardente Epéenbsp;eut envie de boire, et, avisant le cours d’une clairenbsp;fontaine, qui coulait entre les arbrisseaux, il s’ynbsp;dirigea.

En inontant k contremont, il trouva la source si plaisante, qu’après avoir pris dans le creux de sanbsp;main autant d’eau qu’il en voulait boire, il óta sonnbsp;heaume et s’étendit tont de sou long sur l’herbenbsp;molle, la tête appuyée sur sa main gauche.

Lk, il s’endormit, et si profondèment, qu’k son réveil il était déjk haute heure,

II n’ótait pas encore bien reveillé, qu’il entendit un certain bruit dans le hallier voisin,

II se leva alors et laca son heaume.

Bien lui en prit, car, aussitót, sortit de ce hallier un chevalier armé d’un harnois de la plus grande richesse.

Une demoiselle l’accompagnait.

Apercevant ie fils d'Onolorie debout devant lui, attendant, et reconnaissant 1’écu d’argentaépée denbsp;gueules qu’on lui avait signalé comme appartenantnbsp;au vainqueur de Frandalo, le nouveau venu lui dit,nbsp;sans le saluer:

— Damp _ chevalier, ne seriez-vous point par hasard celui qui, vivant contre la lol chrétienne, anbsp;forcé naguéres la Montagne Défendue ?,..


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44 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

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'i

— Oui, certes, je suis ce chevalier, répondit l’an-cien protégé du roi Magadan, en so préparant è se défendre.

Lors, tons deux coramencèrent h s’entrefrappcr, et si durernent, que jamais cerfs en rut, échauffésnbsp;pour l’amour d’une biche, ne se montrèrent plusnbsp;furieux.

Le combat ne dura pas un long temps. Malgré ses récentes blessures, le chevalier de l’Ardentenbsp;Epéc avait une vigueur et une adresse incompara-blement plus grandes que celles de son adversairenbsp;auquel il donna deux atteintcs telles, que, le vou-lut-il ou ne le voulüt-il pas, il tomba tout de sonnbsp;haut, perdant connaissance.

Ce résultat obtenu, le hls d’Onolorie s’avanca prés de son ennemi, pour lui enlever le heaumenbsp;d’abord, et la téte ensuite.

Mais Frandamelle, ainsi se nommait la corapagne du chevalier défait, Frandamelle cria, pleura ènbsp;grosses larmes, et, finalement, demanda la gracenbsp;du chevalier vaincu.

— Demoiselle, ma mie, répondit courtoiseinent le chevalier vainqueur, vous serez obéie, car jenbsp;n’ai jamais su refuser quoique ce soit aux dames,nbsp;etn’ai point encore appris h leur faire déplaisir...nbsp;Je ne commencerai un refus par vous, bien que cenbsp;chevalier pour lequel vous me priez soit digne dunbsp;plus grand chatiment , attendu qu’il m’a assaillinbsp;brutalement sans que je l’eusse jamais offensé denbsp;ma vie... Tant il y a que je vous accorde volontiersnbsp;sa grÉlce, en recompense de quoi vous voudrez biennbsp;me dire son nora, parceque, h son riche harnoisnbsp;et jé la vaillance qu’il a témoignée, j’estime qu’ilnbsp;doit être un grand personnage...

— Ah 1 bon chevalier, dit la demoiselle, je vous le dirai volontiers, surtout si vous voulez f»ien, énbsp;votre tour, m’octroyer un don qui ne vous tiendranbsp;pas a fdcherie, je vous l’assure...

— Un don?

— Oui, seigneur chevalier, un don... Et si vous êtes celui dont la renommee vole par tout le monde,nbsp;je me tiens assurée que vous me l’octroyerez...

— nbsp;nbsp;nbsp;Demoiselle, vous aurez de moi tout ce quenbsp;vous voudrez.

— Ahl bon chevalier, je vous remercie... Done, quant a ce que vous désirez savoir touchant votrenbsp;adversaire, apprenez qu’il a nom' Alpatracie, etnbsp;qu’il est roi de Sicile... En outre, il est le marinbsp;d’une des plus nobles princesses d’Europe...

— nbsp;nbsp;nbsp;Laquelle a nom?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Miramynie...

— nbsp;nbsp;nbsp;Myraminie?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Oui... Elleestfüledu roi deMetz,enFrance...nbsp;Tous deux ont été enchantés pendant quelquonbsp;temps par la sage Médée... Mais ils ont été tirésnbsp;1'un et l’autre de cette peine, il y a vingt ans en-viron, par le meilleur chevalier et la plus bellenbsp;dame du monde...

— Vraiment?,..

eomine jevousledis... Leroi Alpatracie

Inrsmin nbsp;nbsp;nbsp;paisibles en leur contrée,

lorsquo lo roi de Metz vml a mourir... Sa fille Mi

ramynie demeura, pour lors, reine et danee de ses pays, grands et riches, baillés pour apanage a unnbsp;second fils de France... Alpatracie et Miramyuie,nbsp;après avoir regu les serments dc fidélité de leursnbsp;sujets du royaume de Metz, elaient revenus cheznbsp;eux... Un Jour, Méramynie chassait avec sa fille ennbsp;une forêt proche de Sarragosse, lorsqu’elles fureiitnbsp;surprises par deux géants horribles et irnpi-toyables...

— nbsp;nbsp;nbsp;Jjesquels s’appellent?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Frandalo Cyclops et son fils...

—Que firent-iis de ces deux airaables princesses?

— Malgré veneurs, malgré tout, ils cramenèrent la reine et sa fille en File de Silanchie, oil elles sentnbsp;encore prisonnières présentement...

— nbsp;nbsp;nbsp;Et le roi Alpatracie?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Ces deux monstres lui ont fait savoir qu’ilsnbsp;ne lui rendraient jamais leur proie, que s’il con-sentait k venir les combattre avec un aulre chevalier.

— Pourquoi cet enlèvement ?... Car il doit avoir un motif?...

— Frandalo Cyclops et son fils prétendent quo le royaume de Sicile leur appartient par leurs an-cetres... Quand ils seront vaincus, ils rendront lesnbsp;princesses et renonceront h leurs pretentions...nbsp;Mais ils espèrent bien être vainqueursl... Le pau-vre roi que vous voyez lit s’en allait trouver I’em-pereur de Constantinople pour qu’il lui donnat unnbsp;cien parent qui consentit é lui servir de secondnbsp;dans le combat contre les deux géants de File denbsp;Silanchm... Or, en traversant 1’Hellespont, notrenbsp;galère en*a croisé une autre, qui nous a appris lesnbsp;aventures récentes de la Monta^ne Défendue et lanbsp;présence en cette conlrèe de 1 empereur Esplan-dian... Vous savez le reste, maintenant... Ce quenbsp;vous savez également, du moins ce que vous devi-nez, seigneur chevalier, e’est I’objet de mon don.

— Vous souhaitez peut-etre que je serve de second au roi Alpatracie dans son combat contre Frandalon Cyclops et son fils?

— Précisémerit, et je vous remercie d’avoir si bien devine.

— Par ainsi,demoiselle, aliens oil il vous plaira; je vous accompagnerai de bon coeur.


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LE CHEVALIER DE L’ARDENTE EPEE

CHAPITRE XLIII

vj. Comment Alpatricie, roi de Sicile, heureux d’a-voir pour compagnon Ie chevalier de l’Ardente Epéc, regagna avec lui son navire.

urant tout Ie temps qu’avait eu lieu eet entretien de lanbsp;demoiselle avec Ie chevaliernbsp;de l’Ardente Epée, Alpatricie, roi de Sicile, était peu amp;nbsp;peu revenu k lui.

Malgré la doulcur qu’il endurait a cause des blessures reques pendant Ie combat, il avait eunbsp;assez d’attention a dépenser pour écouter et pournbsp;comprendre ce qui se disait a quelques pas de lui.

Se relevant defne sur Ie coude avec de pénibles efforts, il s’adressa en ces terraes è sou généreuxnbsp;adversaire :

— nbsp;nbsp;nbsp;Chevalier, j’ai entendu votre réponse, et jenbsp;vous en remercie du plusprofond de mon dme...

— nbsp;nbsp;nbsp;Vous me reraerciez-lè d’une chose bien simple, seigneur, répondit modestement Ie chevaliernbsp;de TArdonte Epée. Les lois de la chevalerie, d’ail-leurs, m’eussent obligé a faire ce que la sympathienbsp;que je ressens présentement pour votre personnenbsp;me portea exécuter. Vous êtes chrétien, et je suisnbsp;palen, il est vrai; mais nous sommes tous deuxnbsp;chevaliers, et, amp; ce titre, nous nous devons mu-tuellement aide et protection... Frandalon Cyclopsnbsp;et son fds ont enlevé votre femme et votre fille, etnbsp;iis ne veulent vous les rendre qu’a la condition quenbsp;vous consentirez k combattre contre eux avec unnbsp;autre chevalier... Vous alliez k la cour de l’empe-reur Esplandian pour trouverce compagnon, n’est-ce pas ?

— nbsp;nbsp;nbsp;Oui, chevalier.

— nbsp;nbsp;nbsp;Eh ! bien, Ie voili trouvé... Partons; je suisnbsp;Prêt, si vous êtes pret vous-même...

Ee chevalier de l’Ardente Epée se tut.

— nbsp;nbsp;nbsp;Aidez-moi, je vous prie, h me relever et hnbsp;cegagner mon navire, oü sont mes geus et mes chi-rurgiens, dit Ic roi de Sicile d’une voix faible.

La demoiselle qui l’avait accompagné s’avanpa, ct aidée du chevalier de l’Ardente Epée, elle Ienbsp;rcleva avec les plus grandes précautions du monde

parvint a Ie remettre sur ses pieds.

Ce ne fut pas sans peine et sans douleur.

, Dans leur chamaillis, les deux adversaires ne s etaient guère ménagés, c’est-a-dire, pour parlernbsp;plus vrai, Ie chevalier de l’Ardente Epée n’avaitnbsp;pas inénagé Ie roi Alpatricie, lequel était bien

ïoutefois, avec eet appui que lui donnaient la demoiselle et Ie fils d’Onolorie, il put se mettre ennbsp;marche et regagner son navire.

Quand ses gens Paperpurent, ils poussèrent des exclamations de joie, bien vite réfrénéespar lavuenbsp;du piteux état dans lequel il se trouvait.

Les chirurgiens accoururent, et s’empressèrent de poser les premiers appareils sur les plaies denbsp;leur prince, et l’assurèrent qu’il pourrait supporternbsp;los fatigues de la traversée.

Gela fait, les mariniers demandèrent de qucl cóté ils devaient diriger Ie navire.

— Vers Pile de Silanchie, répondit Ie roi.

Les voiles s’enflèrent et Ie navire vogua tran-quillement d’abord ; puis, la mer s’élevant, la direction qu’il,prenait s’en trouva tout-è-coup modi-fiée, puis changée complètement.

L’homme propose et Ie deslin dispose.

CHAPITRE XLIV

Comment, après Ie départ du chevalier de l’Ar-dente Ep(5e les tures, amenés par Ynéril, se révoltèrent, el comment l’Empereur Esplandiannbsp;rccouvra la Ibrteresse conquise par Ie fils d’Onolorie.

u’on s’en souvienne. Nous avons dit, dans lesnbsp;les précédents chapitres,nbsp;qu’un chevalier Noirnbsp;avait combattu contre Ienbsp;chevalier de l’Ardentenbsp;Epée, et que, sans I’intervention denbsp;la sage demoiselle Alquise, ils se se-raientainsi battus jusqu’è ce que mortnbsp;s’ensuivit.

On a vu également que ce chevalier Noir n’était autre que Ie trés grandnbsp;trés puissant, trés chevaleureux em-pereur de Constantinople.

11 avait été trés marri du départ de son vaillant adversaire qui, dans sanbsp;précipitalion h poursuivre la demoiselle Alquife,nbsp;n’avait pas même eu Ie temps de prendre congé denbsp;lui dans les formes courtoises ordinaires.

En outre, ce parlement précipité avait eu pour résultat facheux de laisser dans l’incertitude les habitants de la forteresse de la Montagne-Défendue,nbsp;touchant la possession de cette forteresse.

A qui restait-elle maintenant ?

Le chevalier de l’Ardente Epée l’avait conquise, il est vrai, sur Frandalo, sur Belleris et sur Frandalon; mais l’empereur Esplandian avait des droitsnbsp;antérieurs sur elle, et c’était pour faire valoir ces


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BtBLIOTHEQÜE BLEUE.

droits la qu’il était venu en Ia Monlagne-Défendue et s’était présenté, couvert d’armes noites, pournbsp;combattre Ie chevalier de l’Ardente Epée.

Leur combat ayant cessé ^ l’amiable, par suite de l’interVention de la demoiselle Alcpilfe, réquitcnbsp;voulait que l’empereur Esplandian se considérètnbsp;comme Ie maitre et seigneur de cette fotteresse re-doutable.

11 Ie penSait ainsi lui-mème.

Belleris, Frandalon et Frandalo Ie pensaient de même. lls Ie pensaient d’autant plus, qu’ils senbsp;sentaient d’humeur, Ie fils d’Oiiolorie n’étant plusnbsp;la, k reconquérir les avantages qu’ils avaient per-duSi

Le rol dé Jérüsaletn et les vingt turcs, ametiés par 1’écuyer Ynéril, pensaient tout autrement *, etnbsp;ils le firent bien voir, dés ,lo lendemain du departnbsp;du chevalier de 1’Ardenle Epée*

Lors,Esplandian raandaauprèsde lui Frandalon, Belleris, Frandalo et les gens qui pouvaient tenirnbsp;pour eux dans le chateau-fort.

Lorsqu’ils furent réunis, il leur dit ;

— Mes amis, il faut sortir de cette facheuse situation qui menace de s’empirer. N’est-ce pas vo-tre avis, Frandalo ?

— G’est le mien, en etfet, Sire.

— Et vous Frandalon ?

— G’est le mien aussi, Sire.

•— Et vous Belleris ?

^ G’est le mien aussi. Site.

L’empereur reprit;

— nbsp;nbsp;nbsp;Nous devons reprendre par force possessionnbsp;de céans, oü le roi de Jerusalem entend se mainte-nir avec les païens qui lui sont arrivés comme ren-fortsous la conduite de lecuyer de 1’Ardente Epée...nbsp;Pour moi, je me ressens k peine des fatigues denbsp;mon dernier combat, et je suis assez dispos pournbsp;entreprendre l’aventure... Mais vous, Frandalo,nbsp;que vos précédentes blessures ont si fort affaibli,nbsp;j’ai craintek votre endroit...

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, répondit Frandalo avec vivacité, ne vousnbsp;occupez pas de ces misères... Ma langueur yenaitnbsp;bien plus du chagrin que j’éprouvais de savoir nq-tre forteresse aux mains d’un ennemi de notre foi,nbsp;que de Télpreté de mes blessures... Maintenant quenbsp;vous voilk parmi nous, je suis tout réconforté, denbsp;découragé quej’étais auparavant, et je me sens denbsp;force k chasser ces païens de céans, pourvu toute-fois qüe vous m’y aidiez un peu, ajouta Frandalonbsp;en souriant.

— nbsp;nbsp;nbsp;Et vous Belleris? deraanda Esplandian.

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, répondit Belleris, notre vaillant compagnon Frandalo vient de se faire l’écho de mes pro-pres pensees... Commandez, et, dans une heure,nbsp;la forteresse sera purgée de cette canaille paienno.

— Et vous, Frandalon?...

— Sire, répondit le géant, jé suis prêt 1...

^ — Bien dit, mes amis 1 s'écria galllarderaent l’empereur. Sur ce, alloilS sans plus tarder vers cesnbsp;mécréants, pour leur intimer l’ordre de déloger aunbsp;plus vite.

lls descendirent, aprèss’êtrearmés, et se troüvè-renten présence d’Ynéril et des Turcs amenés par lui, lesquels avaient une attitude menagante.

L’empereur allait parler vertement. Mais le géant Frandalon ne lui en donna pas le temps.nbsp;Emporté par son impatience, et surtout par l’envienbsp;qu’il avait de se venger, sur Ie dos des païens, denbsp;l’insuccès de sa lutte avec le chevalier de l’Ardentenbsp;Epée, il se précipita l’épée k la main, frappant knbsp;tort et k travers.

II frappait rude, je vous en réponds, et de sa meilleurepoigne, le brave géant Frandalon 1

Esplandian, Belleris et Frandalo ne s’y épar-gnaient pas non plus... II semblait que ce dernier, surtout, n’avait jamais été blessé, au coeur dont il ynbsp;allait.

Les Turcs se défondaient de leur mieux, comme on pense, pleins de confiance dans leur nombre,nbsp;et, aussi, enoouragés qu’ils étaient par l’exemplenbsp;du brave écuyer Ynéril.

Gependant, quand ils virent que lours rangs s’é-claircissaient de minute en minute, ils commencè-rent k prendre peur et k reculer.

Le géant Frandalon les poursuivait tóujours kvec la même énergie et le même empöttement, sans senbsp;préoccuper le moins du monde des traits qui luinbsp;pleuvatent comme grêle.

Il lespoussa ainsi, 1'épée dans les reins, jusqü’au delk de la porte principale de la forteresse, et il nenbsp;s’arrêta que lorsqu’ils eurent été tués jusqu’aunbsp;dernier.

L’empereur Esplandian, Frandalo, Belleris et les autres 1'avaient puissamment aidé dans l’extermi-nation de cette verraine païenne; mais, k vrai dire,nbsp;Frandalon y allait de si bon coeur, que, si aucunnbsp;de ses Compagnons ne s’était exécuté de bonnenbsp;grkce, comme ils le firent, du reste, il aurait accompli tont seul sa besogne d’extcrminateur.

Frandalon était content de lui: il avait servi son Dien et sa rancune, deux devoirs bien doux k rem-plir, le dernier surtout.

Le pauvre Ynéril, 1’écuyer du chevalier do 1’Ar* dente Epée n’avait pas, autant que Frandalon, lieunbsp;d’etre content de lui et des autres, car il était trésnbsp;grièvement blessé, et il se tordait comme ver surnbsp;le sol, dans une mare de sang, faite avec le sien etnbsp;avec celui de ses compagnons.

Ynéril allait mourir et rendrc au seul Dieu de l’univers soa ame de païeu.


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LE CHEVALIER DE L’ARDENTE EPÉE. Al

CHAPIÏRE XLV

Comment 1’empereur Esplandian secourut Ie pauvre öcuyer Ynéril et Ie conquit 4 la foinbsp;chi’étienne.

i Ie chevalier de l’Ardentc Epde avait vu dans quel pi-teux état soa écuyer senbsp;trouvait, il en aurait éténbsp;inarri et il l’eüt secourunbsp;^ de grand cceur.

11 l’eüt vengé surtout, ^non plus sur Esplandian,nbsp;qui lui était devenu sacré par suitenbsp;d(! la recoinmandation du père de lanbsp;demoiselle Alquife, raais sur lesnbsp;gens et même sur les amis de l’em-pereur de Constantinople, car ilnbsp;avait pour son écuyer une aniitiénbsp;veritable.

Heureusement que si Ie fils d’0-nolorie n’était pas la pour vciller sur son compagnon, pour Ie secou-rir OU pour Ie venger, il y avait 1amp;nbsp;des a [Ties charitables et pitoyables.

Ynéril fut aperQu , se tordant dans ses convulsions suprémes, parnbsp;l’empereur Esplandian lui-même.

Ge prince accourut et, soulevaut la tête du niourant, il lui demandanbsp;comment il étail :

— Trés mal, Sire, répondit l’écuyer/Je souffre horriblement... Et il me tarde que tout soit fini etnbsp;que mon time soit séparée de mon corps, pour nenbsp;plus soufl'rir ainsi... Donnez-moi Ie coup de grke,nbsp;je vous en prie, au nom de votre Dieu!...

— nbsp;nbsp;nbsp;Mon ami, lui dit l’ernpereur après lui avoirnbsp;donné les premiers secours, c’est précisérnent aunbsp;nom de mon Uieu, qui devraitêtre Ie vótre, que jenbsp;Yous secours et que je vous engage k espérer. Toutnbsp;n’est pas fini pour vous...

— nbsp;nbsp;nbsp;Vons essayeriez en vain de me tromper, Sire,nbsp;reprit Ie mourant; j’en sais plus long k ce sujetnbsp;que personne d’ici...

— nbsp;nbsp;nbsp;Vous êtes robuste, mon ami... Votre jeunessenbsp;tfiompheradu mal... Espérez, vous dis-je, espé-

Et surtout, confiez-vous pleinement dans ne Dieu que vous êtes fait pour cqnnaitre...

. — Je dois mourir dans la foi oü je suis né, Sire.

— nbsp;nbsp;nbsp;Si vous avez vécu dans Terreur jusqu’ici,nbsp;pion ami, c’est une raison pour vous d’ouvrir votrenbsp;nine et vos yeux k la vérité...

— nbsp;nbsp;nbsp;Ah 1 si Ie chevalier de TArdente Epée était la !nbsp;murmura Ie pauvre écuyer.

— II vous vengerait, n’est-ce pas ?

— nbsp;nbsp;nbsp;Non, sire, non... co n’est pas cela que jenbsp;veux dire... Le chevalier de TArdente Epée est unnbsp;vaillant cceur... II en savait plus que moi, sonnbsp;écuyer indigne, sur les choses de la vie... II m’eutnbsp;donné conseil en cette grave occurence... d’autantnbsp;plus que je le crois chrétien comme^vous, et nonnbsp;païen comme moi...

— Le chevalier dejiTArdente Epée serait chrétien ?...

— Je le crois,' Sire... et toutj^ce que j’ai vu et entendu me le confirme...

— Eh 1 bien... s’il était ici,'mon ami, il voudrait vous entrainer vers la foi chrétienne, comme jenbsp;Tessaie en ce moment, et il y réussirait, commenbsp;j’espère moi-mêmey réussir...

— Ah! sire, a cette heure, mes yeux se cou-vrent de ténèbres et raon esprit s’emplit de nua-ges... Je ne sais plus... Je doute... Je n’ai pas peur de la mort, certes; j’ai peur seulement de cenbsp;qui est au-dela... Mon incertitude me navre... Sinbsp;la lumière se faisait en moi, je serais tout recon-forté et je mourrais tranquille...

— nbsp;nbsp;nbsp;Mon ami, vous nemourrez pas, vousvivrez...nbsp;vous êtes digne de vivre...

— nbsp;nbsp;nbsp;Ah 1 si votre Dieu pouvait me faire revoirnbsp;encore le chevalier de TArdente Epée, alor*...

— nbsp;nbsp;nbsp;Alors ?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Jo croierais en'lui... J’aurais foi... Jo menbsp;ferais chrétien...

— nbsp;nbsp;nbsp;Vous reverrez le chevalier ‘‘de TArdentenbsp;Epée.., Je vous en donne Tassurance...

L’empereur Esplandian avait versé sur les lèvres d’Ynérii quelques gouttes d’un cordial puissant,nbsp;uu’il lenait de maitre Ilélisabel; en outre, tout ennbsp;uevisant aveclui, il avait bandéses plaies, étanchénbsp;le sang qui en coulait.

Ynéril commencait è se sentir mieux, tout en souffrant encore.

— nbsp;nbsp;nbsp;Je reverrai le chevalier de TArdente Epée?...nbsp;demanda pour Ia seconde fois Técuyer, tout récon-forté par cette pensée.

— nbsp;nbsp;nbsp;Vous le reverrez, répondit Tempereur... Etnbsp;chrétien comrae moi... chrétien...

— nbsp;nbsp;nbsp;Comme moi aussi, dit vitement Ynéril. Votrenbsp;Dieu ne trompera pas mon attente... Sire, je remets ma vie entre vos mains comme je remetsnbsp;mon Ame entre les siennes...

Pendant ce discours, Frandalo et ses compagnons s’étaient approchés.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ce que Matroco a fait, leur dit Tempereur denbsp;Constantinople, ce brave écuyer le fait k cettenbsp;heure...

— nbsp;nbsp;nbsp;Par mon chef! s’écria Frandalon le géant,nbsp;j’en suis aise... car il s’est vaillamrnent battu, lenbsp;compagnon !... Et si les païens au milieu desquelsnbsp;il se trouvait, comme perle sur fumier, avaicntnbsp;montré la raéme vigueur que lui, j’aurais eu plusnbsp;de fil k retordre que je n’en ai eu, et, trés proba-blement, je me serais mordu les doigts de monnbsp;imprudence... Ta main, camaradel...


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48 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

Yneril, malgré qu’il souffrit toujours cqmme un beau diable, ne put s’empêcher de sourire, et,nbsp;comme il était d uu excellent caractère, il tenditnbsp;volontiers la main amp; celui qui avait frappé si apre-ment sur lui.

Puis, cette réconciliation opérée, on songea a transporter Ie blessé dans unechambre, sur un lit;nbsp;ce qui fut fait avec les plus grandes précautions...

CHAPITRE XLVI

Comment l’empereur Esplandian quitla laMontagne-Dëfendue et s’embarqua pour retourner Constantinople.

Rien ne retenait plus l’empereur Esplandian 5 la Monlagne-Défendue.

Leroi de Jerusalem, seul, eut pu l’y retenir, Ji cause de son obstination. Mais Esplandian en eütnbsp;raison de la fagon la plus naturelle et la plusnbsp;simple.

Le roi de Jérusalem nevoulaitpas se reconnaitre comme prisonnier de l’erapereur de Constantinople, prétendent avoir été délivré par le chevalicpnbsp;de l’Ardente Epée. Esplandian se contente d’or-donner k ses gens de 1’emmener avec lui k Constantinople.

Dés qu’on suppose que l’écuyer Ynéril pouyait supporter les fatigues de la traversée, on se décidanbsp;k quitter la Montagne-Défendue.

Frandalo et Frandalon, seuls, furent désignés pour y faire leur séjour, au nom de l’empereur denbsp;Constantinople.

Ces conventions entendues, Esplandian quitta la forteresse accompagné de Eelleris, d’Yneril et denbsp;ses gens, qui emmenaient prisonnier le roi de Jérusalem.

On arriva sur le bord de la mer, on s’embarqua, et bientót on fut en pleine mer.


rari». — Imp. de BUY alnt, botilc^nrt Muntparnass!', 81.


r.'j 4^quot;''


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PRINCESSE DE TREBISONDE

CHAPIÏRE

Cotrimenl Ie roi de Sicile el Amadis de Gröcc arrivèrent cn rUc de Silanchie pour combattre Frandalon Cyclops elnbsp;sou fils.

Après mainte et mainte aventiire, Alpatracie, Ie chevalier de 1’Ardenle Epée et Frandarnelle, arri-^ererit eiifm en viie de 1’ile de Silanchie, en facenbsp;co la forteresse de Frandalon.

Ec roi de S'cdc, craignanl ([UC CC dciMicr nc voulüt pas rendre la reine sa femme et Lucelle sanbsp;fille, en dépit des conventions et après Ie combatnbsp;accordé, se fit accompagner do trente chevaliers,nbsp;sans compter Ie fils d’Oholorie.

C’est en cetle compagnie qu’il marcha droit vers une touffe d’arbres, d’oü la sentinelle du chateaunbsp;les découvrit, et, les ayant découverts, sonna hau-toment du cor pour avertir.

Alors parut incontinent une demoiselle montée sur un palefroi, laquelle, s adressant au roi de Sicile commo étant Ie plus richement armé de Ianbsp;troupe, lui dit :

— Chevalier, monseigneur Frandalon Cyclops m’cuvoic savoir qui vous êlcs et qui vous a donné

Serie. — 1


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bibliotheque bleue

Ie droit d’entrersi librement en la terre oii il règne en maitre...

— nbsp;nbsp;nbsp;Demoiselle, rdpondit Ie rei, nvcrtissez-leque,nbsp;s’il vent tenirla promesse qu’il a faiteli Alpatracie,nbsp;duquel il détient k tort la femme et la lille, il Ienbsp;trouvera avec un autre chevalier, prêt lt;i Ie com-baltre, lui et son fils... Mais, cornme il est mé-chant de nature et que sa déloyauté peut Ie pous-ser h commettre une traliison amp; notre endroit,nbsp;j entends qu’il me doiine un otage, comme garantie...

— Un otage

— Oui, cela ne vous parait-il pas naturel et lé-gitime ?

— nbsp;nbsp;nbsp;Je n’ai pas a me prononcer lii-dessus, seigneur chevalier... Je n’ai qu’ii aller auprès denbsp;monseigneur Frandalon pour lui demander ce qu’ilnbsp;pense de votre proposition...

—Allez done, et revenez-nous vitement, demoiselle... car j’ai grand’hète, pour ma part, que celte affaire soit terminée et que ma femme et ma fillenbsp;me soient rendues...

— Je ne reviendrai que trop tót pour voice malheur a tous deux...

— Vous oroyez, demoiselle?...

?—J’en suis sure... Et si vous connaissiez comme moi la force et la vaillance de monseigneur Fran-dalo et de son fils, vous ne seriez point si hatif Sinbsp;demander combat centre lui... vous trembleriez aunbsp;lieu de rire comme vous Ie faites présontoinent...

— Allez, allez, ma mie, et revenez-nous vile-ment, je vous Ie rópète. Nous sommes lil deux gentilshommes qui ne craignons en rien volrenbsp;maitre et son Ills, vous pouvez les en assurer...

— Nous verrons si votre parole sonnera tou-jours aussi haut 1...

— Toujours, ma mie, toujours; avant, pendant et aprèsl...

— G’est bien.

Cela dit, la demoiselle envoyée par Frandalon Cyclops fit tourner bride a son palcfroi et disparutnbsp;aux regards du roi de Sicile el de son jeune compagnon.

Quelques instants après, elle était de retour.

Mais, cette fois, elle n’était pas seulo. Elle ra-mena avec elle 1’otage demandé, lequel otage était la propre fille du géant Frandalon.

G’etait une belle géante de je ne sais plus coin-bien de pieds de haut, portant un accoutrement as-sez étrange compose de menues écailles de poisson et trainant sur ses talons et au deloi, de plus d’unenbsp;brasse.

Sur son chef, elle avait une guimpe de la même étoffe, c’esM-direparsemée de coquilles de limaces.

En outre, pour compléter ce bizarre costume, cette géante n’avait qu’un ceil placé au beau milieu du front.

Alpatracie et Ie fils d’Onolorie se retinrent do rire, malgré la forte envie qu’ils en avaient, ct ils lanbsp;saluèrent fort civilement.

^ Mais elle, sans daigner leur rendre leur salut, s’adressant au roi de Sicile, lui dit ;

— Monseigneur Frandalon, mon père, consent « vous^ donner l’otage que vous lui demandez,nbsp;demande de votre part soitnbsp;uirage pour lui, un outrage qu’il devrait pu-nir sur-le-champ, et qu’il punira certainementnbsp;bientót...

— nbsp;nbsp;nbsp;Et eet otage? demandatranquillement Alpatracie.

— nbsp;nbsp;nbsp;C’est moi, répondit la géante en fixant sounbsp;ceil unique sur Ie roi de Sicile, dans l’intention denbsp;l’épouvanter.

Alpatracie s’inclina.

— C’est moi, reprit la fille de Frandalon Cyclops. Mais c’est ?! la condition que vous renverrez les chevaliers qui vous tiennent compagnie en eetnbsp;instant et dont la présence est un outrage pournbsp;mon père...

— Je les renverrai, demoiselle, je les renverrai.

— Vous ne garderez prés de vous que Ie compagnon qui, pour son malheur et Ie vótre, doit vous assister dans Ie combat que vous avez la té-mérité d’entreprendre...

— Je ne gardera! que co compagnon, un cheva-leureuxhomme, je vous Ie disl...

— Et oü est-il, eet audacieux qui doit vous scr-vir de second, c’est-i-diro qui doit mourir de male mort avec vous ?...

Le roi de Sicile présenta Ie chevalier do 1’Ar-dente Epée, qui avait en ce moment, comme lui, la visière de sou heaume relevée. .

En apercevant ce frais ct beau visage d'adoles-centsur lequel aucun poil ne faisait tache, et qui ressemblait assez, sauf la fierté, k uu visage donbsp;jeune lille, la géante se prit è rire avec mépris.

— C’est lè le chevalier que tu veux opposer a mon frère? demanda-t-elle.

— Oui, répondit Alpatracie, et je vous gararitis que votre frère aura fort attaire avec lui!...

— Ge n’est pas un homme, c’est une demoiselle 1

— Une demoiselle? Je ne le crois pas. S’il n’a pas barbe au menton il a courage au cceur, et celanbsp;vaut mieux, j’imagine...

—^Jen’en crois rien... Et je pense avoir parmi mes femmes de plus propres que vous a de bellesnbsp;danses... Un atour de lillette vous siérait mieux,nbsp;je le répète, que eet armet qui vous échauffe ainsinbsp;le front...

Le chevalier de 1’Ardente Epée, au lieu de se facber, ne fit qu’en rire.

— Par Dieu, madame, lui dit-il, si loutes los belles de cette contrée vous ressemblent, on ncnbsp;jugora jamais que je sois venu par degA pour ynbsp;faire l’ainour, et, moins encore, que vous et moinbsp;soyons enfunts du memo père...

Gomrne ils en étaient en ces termos, on vit sortir de leur forteresse formidable Frandalon Cyclops etnbsp;son fils.

Lors, le roi de Sicile coramanda h ses gens de se retirer vers Ie navirc, ct d’emmener avec cuxnbsp;la géante, destiaée è servir d’otage.


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LA PRINCESSE DE TREBISONDE.

GHAPITRE II

Comment Ie fils d’Onolorie, après avoir ddfait Ie gdant Fran-daton Cyclops, détU cncorc son fils, qui avail blessö Ie roi Alpatracic.

randalon Cyclops était monté sur uiie béte quasi semblablenbsp;a un dromadaire. II avait, pournbsp;toute armurc, uii écu de lin acier,nbsp;qu’il avait pendu au cou, et por-tait a sou poing une hache lour-de, pesante et bien propre h aussinbsp;gracieux damoiseau quo lui...nbsp;Jamais on n’avait vu hommenbsp;d’aussi grande taille et d’aussi fortenbsp;corpulence.

Ce qui ajoutait encore h son air formidable, c’élait l’oeil unique qu’il avait au milieu du visage, tout comrae sa fdle ; anbsp;) I cause de quoi on l’appelait Cyclope.nbsp;jl Sou fils, d’une corpulence raoindre, étaitnbsp;f-'M revêtu d’un fort haubert. A sa ceinturenbsp;pendait un large ciineterre, et, sur sanbsp;cuisse, une lance forte et droite.

Quaiid tous deux furent arrivés Si une carrière environ du roi de Sicile, Ie géant lui cria tant qu’ilnbsp;put:

— nbsp;nbsp;nbsp;Roi 1 rends-moi mes pays et consens a en-trer dans mes prisons: ce sera sagesse de ta part I..nbsp;Autrement, tu mourras pileusement entre mesnbsp;mains, et Ie paillard qui t’accompagrie aussi 1...

'— Eh! grand lourdaud 1 répondit Alpatracic, estimes-tu done que nous ayons traversé tant donbsp;mers pour recevoir telle caresse de toi?...Non!nbsp;Non 1... Je suis parti de Sicile avec Ia bonne intention de te rompre la tête, commo au plus vil,nbsp;au plus traitre, au plus inéchant qui soit jamaisnbsp;sorli du ventre d’une raère...

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, dit Amadis de Grèce, je vous supplienbsp;de me laisser démêler celte querelle avec lui,..nbsp;Prenez son fils pour vis-a-vis 1

— nbsp;nbsp;nbsp;Je ferai ce qu’il vous plaira, chevalier, répondit Ie roi.

, ^rs, Ie chevalier de TArdente Epóe baissa sa visière et courut conlre Frandalon Cyclops. II Ienbsp;fit avec une telle raideur, qu’il lui en cousit l’écunbsp;6t la cuisse ensemble.

Le géant espérait bien, au passer, lui rendre la pareilm et Ie separer en deux. Mais, comme il le-''ait ie bras, Ie fils d’Onolorie gauchit au coup, etnbsp;sa hache retomba dans le vide.

Ils se prirent corps Èi corps avec acharnement, pendant quelques minutes, on eüt pu croirenbsp;fiue la victoire derneurerait tout naturellement aunbsp;géant, qui avait pour lui Tavantage de la taille etnbsp;de la corpulence.

II n’en fut rien. Frandalon, blessé et débilité de *a jambe, ne put demeurer en selle, non plus quenbsp;son adversaire, dont les argons et les sangles senbsp;rompirent. Tous deux tombèrent done. Seulement,nbsp;le chevalier put se relever incontinent, l’épée è lanbsp;main, tandis que Frandalon, blessé comme vousnbsp;venez de 1’entendre, fut force de demeurer assisnbsp;par lerre, quoique tout en faisaut fiére conte-nance.

Mais sa position était trop désavantageuse, Avant qu’il eüt pu relever sa hache pour eii frapper lenbsp;chevalier de l’Ardente Epée, celui-ci, promptnbsp;comme Téclair, s’était élancé sur lui et lui avaitnbsp;fendu la tête jusqu’au cerveau, car il n’avait ni ca-basset ni coiffe pour le garantir.

Son fils, alors, voyant cela, lui qui, jusque-la, s’était plus oocupé de ce combat que du siennbsp;propre, se rua avec furie contre Alpatracie, auquelnbsp;il donna un si grand coup de lance qu’il le blessanbsp;durement au sein, le jetautpar terre.

Le chevalier de l’Ardente Epée, a son tour, croyant Alpatracie mort sous le coup, résolut denbsp;Ie venger, et, en consequence, se précipita contrenbsp;le jeune Cyclops.

Ge dernier, pensant avoir aisément raison de eet adversaire, concha son bois, et, piquant son che-val, le langa contre le fils d’Onolorie, lequel esquivanbsp;l’assaut, et, d’un habile coup d’épée, faucha lesnbsp;jarrets de sa monture. Si bien, que le jeune Frandalon fut contraint de combattre a pied.

Le combat se poursuivit ainsi, le fils du géant avec son cimeterre, le fils d’Onolorie avec la hachenbsp;du géant mort.

Le cimeterre fut raanceuvré par une main fu-rieuse, mais ses coups furent parés par une main adroite; tenement, qu’auboutde quelques instants,nbsp;le chevalier de l’Ardente Epée atteignit le jeunenbsp;Cyclops a l’épaule et lui fit, du coup, rendrenbsp;Fame.

Lors, le vaillant jeune homme, ainsi victorieux, s’approcha du roi de Sicile, que Frandaraellenbsp;tenait évanoui en son giron.

CIIAPITRE III

Comment, après leur \ictoirc sur les géanls de File dc Silanchie, Amadis de Grèce et lo roi Alpatracie songèrentnbsp;a ddlivrer la reine et sa fille, IcSquelles étaient loujoursnbsp;prisonnières.

Miramynie, Ia reine, et sa fille Lucelle avalent assisté, du haut de la forteresse, avec les gens denbsp;Frandalon, au double combat qui venait d’avoirnbsp;lieu, et, en voyant tomber le roi de Sicile, ellesnbsp;l’avaient cru mort, ce dont elles se désolaientnbsp;araèreraent.

Si araèrement et si hautement, avec de tels sanglots ct de tels gémissements, que le paiivrenbsp;roi les entendit et s’en émut. Pour les réconforter,nbsp;il reprit cffiur lui-même, d’autant plus que Fran-dafflolle venait de lui óter son armet, ce qui luinbsp;avait permis dc respirer librcmciit.


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BIBLIOTHEQUE BLEUE,

Se relevant done, en chancelant un pen néan-moins, Alpatracie mafclia vers Ie chevalier de 1’Ardente Epée, pour mieux prouver aux deuxnbsp;chores prisonnières qu’il était encore assez bien ennbsp;vie.

Mais, au moment oü il commengait a lui parler, survint inopinément la géante, femme de Franda-lon, laquelle accourait, pleine de rage, pour vengernbsp;son raari et son fils sur celui qui les avait tués, etnbsp;auquel elle asséna de toutes ses forces un coupnbsp;de massue...

Le chevalier de l’Ardente Epée, tout étourdi d’abord, et non tué, car la massue avait glissé surnbsp;l’acier du heaume, sentit la colère lui monter etnbsp;ses yeux étinceler.

Gependant, ne voulant pas la frapper de son épée, il prit un trongon de lance et lui fit avec unnbsp;tel abreuvoir a mouches, qu’elle commenga ci se-couer le jarret comme si elle eüt soutfert lesnbsp;atteintes de la mort.

Le chevalier la laissa pour revenir vers le roi, qui l’erabrassa en lui disant:

— Ah 1 chevalier, béni soit le jour oü vous êtes nél car non-seulement je vous dois la vie, maisnbsp;encore je recouvre aujourd’hui par votre moyen lanbsp;chose du monde que j’aime le plus...

— Sire, n’en sachez gré quA votre bon droit, car je n’ai fait que ce ü quoi j’étais oblige parnbsp;raison... Mais ne vous plait-il pas que nous allionsnbsp;trouver la reine et madame votre iille, que je voisnbsp;aux fenêtres de cette tour?... EUes vous attendentnbsp;en bonne dévotion, comme je pense.

— Je vous en prie, répondit le roi.

~ Allons 1 reprit le chevalier de l’Ardente Epée.

Lors, ils marchèrent vers le chéteau.

Comme ils étaient devant, la reine Miraraynie leur cria:

— Prenez les clefs ü Ia géante 1 Sinon, vous ne pourrez entrer dans la forteresse...

Alpatracie comraanda ü Frandamelle d’aller quérir les clefs.

Frandamelle partit en avant, et les deux chevaliers la suivirent, un peu plus lentement.

Comment la géante, femme de Frandalon Cyclops, s’opposa èi la délivrance de la reine Miramynie et de sa fille Lu-celle.

omme le roi de Sicile et ses compagnons approchaient de la cour ^basse de la forteresse, ils enten-dirent des cris d’alarme poussésnbsp;par leur demoiselle.

Frandamelle les appelait en effet a son secours.

Lors, ils se hatèrent et ils l’aper-gurent fuyant ü toutes jambes, pour-suivie par la géante, qui brandissait un trongon de lance.

Le roi de Sicile et son compagnon ne purent se garder de rire, a voir lanbsp;grace singulière avec laquelle el lesnbsp;couraient toutes deux. Toutefois, craignant quenbsp;Frandamelle ne fut outragée par Ia géante, ilsnbsp;s’avancèrent pour la garantir.

Mais la géante, apercevant les secoureurs de Frandamelle, tourna tout-a-coup le dos et courutnbsp;a travers champs, emporlant avec elle les clefs denbsp;la tour.

Le chevalier voulait préciséraent ces clefs. Pour les obtenir, il se mit üla poursuite de la géante,nbsp;qui, alors, pour lui échapper, entra dans 1’étangnbsp;qui environnait une partie du chateau.

Le fils d’Onolorie ne pouvait la suivre la-dedans. II se contenta de la donner a tous los diables, et ilnbsp;revint vers le roi de Sicile.

Celui-ci, en l’attendant, avait jugé prudent d’envoyer Frandamelle vers son navire pour y re-quérir l’assistance de dix de ses chevaliers, les-quels arrivèrent é la bate, heureux d’apprendre quenbsp;leur maitre et seigneur était sorli a son avantagenbsp;du combat entrepris conlre Frandalon Cyclops elnbsp;son fils.

Mais, avant qu’ils n’arrivassent, la géante, qui avait vu entrer au donjon le roi de Sicile et le chevalier del’Ardente Epée, et qui s’était apergue, ennbsp;outre, que la reine Miraraynie s’était retirée de lanbsp;fenêtre, la géante était sortie de l’étang et avaitnbsp;couru chercher, dans une salie de la cour basse,nbsp;un fort are et une trousse pleine de flèches, ainsinbsp;que 1’écu et le cimeterre du géant son défuntnbsp;raari.

Ce fut en eet élat qu’elle reparut et qu’elle entra de nouveau dans l’étang, oü il était assez malaisénbsp;d’aller la relancer.

Ni le roi ni personne ne 1’avait apergue dans cette évolution.

Alpatracie et son compagnon étaient montés aux chambres. Ils y trouvèrent deux hommes qui pleu-raient et auxquels ils commandèrent de leurnbsp;montrer la porte de la tour.

Ces deux hommes, trerablants de peur, les menèrent ü un petit poultis de fer, fermé a grosnbsp;cadenas.

— II y a en outre, dirent-ils, une cloison plus forte et mieux barree que cette première... Nousnbsp;vous l’ouvririons volontiers si nous en avions lesnbsp;clefs; mais ces clefs, c’est madame la géantenbsp;qui les a... Par ainsi, il vous est impossible d’ynbsp;entrer sans elle...

— Sire, dit Amadis de Grèce a Alpatracie, vous êtes durementblessé...

— Oui, certes, trés durement...

— Je suis d’avis que vous vous jetiez sur ce lit et que vous vous désarmiez, afin que je bande votrenbsp;plaie... Gela fait, j’aviserai aux moyens de délivrernbsp;la reine et madame votre fille.

Le roi de Sicile dut consentir h cela, épuisé qu’il était. II se jeta done sur le lit qui se Irouvait !a,nbsp;et, peu après, il était endormi.

Le chevalier de l’Ardente Epée sortit de la chambre et s’en alia au devant des chevaliers quenbsp;Frandamelle était allée quérir.

Au moment oü il les apergut, ils étaient tous occupés ü poursuivre la géante tout a 1 entour denbsp;l’étang.

Deux d’entre eux venaient déjü do toraber,


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LA PRINCESSE DE TREBISONDE.

atteints par les flèches lancées d’une main sure par celte diablesse enragée.

Gela n’erapêcha pas les autres de s’engager dans l’eau un peu plus avant, pour la poursuivrenbsp;plus efficacement. Elle en lua encore deux, ce quinbsp;faisait quatre chevaliers mis hors de comhat.

Gela mit les autres en un tel épouvantement, qu’ils se retirèrent en arrière avec Ie plus de diligence possible.

L’un d’eux, cependant, plus hasardeux que les autres, poussa son cheval a la rencontre de lanbsp;géante. Au moment oü il croyait Ie raieux la join-dre, elle se souleva sur lo bout des pieds et fitnbsp;jouer avec énergie son cimelerre, si bien qucnbsp;maitre et cheval s’en allèrent au fond de 1’élangnbsp;tenir compagnie aux grenouilles, sans que depuisnbsp;on ait jamais eu de leurs nouvelles.

La n'ine Miratnynie et la gentc pucelle sa fille regardaient aux fenêtres de la tour, pleines d’an-goisses 1’une et l’autre, comme bien on pense.

La géante, les voyant ainsi a la portee de ses traits, banda son arc, choisit la flèche la plus aiguënbsp;de sa trousse et la décoclia raidement a l’adressenbsp;des deux princesses.

Heureusement que la flèche s’en vintdonner au milieu de la croisée, k quelques lignes d’elles, etnbsp;sans leur faire aucun mal.

Le chevalier de l’Ardente Epée était furieux. Mais il comprit qu’il ferait tuer les chevaliers dunbsp;i’oi jusqu’au dernier avant d’avoir la géante, qu’ilnbsp;songea alors a gagner au plat de la langue.

— Dame, lui cria-t-il, donnez-nous les clefs de la tour, et je vous promels, foi de gentilhomme,nbsp;qu’il ne vous sera fait aucun mal ni déplaisir... Au-trement, soyez süre que votre fdle, que nous avonsnbsp;en otage comme vous savez, paiera votre témériténbsp;au prix de sa tête...

Ni priére, ni menace, ni rien ne put émouvoir la géante.

Le chevalier dut s’en retourner au chateau, et les autres quant et lui, pour essayer de trouvernbsp;quelque autre expedient avec le roi de Sicile pournbsp;sauver la reine et sa fdle, qui mouraient de faira.

CHAPITRE V

Comment le clicvalier dc l’Ardente Epde mit ii mort la göantc, femme de Frandalon Cyclops,nbsp;et s'eiiamoura de gente Lucelle, lille'du roinbsp;Alpatracie.

uand la nuit fut venue, Ichacun songea é se reposer des fatigues de lanbsp;(journée.

Le roi de Sicile, qui tit a la reine et a sa fdle, tou--sC.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;jours enfermées sans vivres ni conso

lations d’aucuno sorte, n’avait pu fermer l’a'il qu’a demi.

Bientót il cnlendit une voix qui ap-, pelait au secours.

Alpatracie seréveilla tout en sursaut \ot, appelant le fds d’Onolorie, il luinbsp;'dit;

— Sur mon Dieul mon grand ami,

OU je me trompe bien, ou c’est la reine qu’on outrage présontement 1...

Le chevalier, ainsi appelé, se leva hativement, prit son épée d’une main, et de l’autre un flambeau, et courut vers l’endroit d’oü semblait partirnbsp;le bruit.

Comme il descendait, il entrevit la grande diablesse de géante qui tenait sous ses deux aisselles la reine et sa fille, et les emportant ainsi dans la direction de l’étang.

Bien que cette charge dut lui peser, elle faisait encore grande diligence, comme une chatte quinbsp;aurait pris deux souris. Si bien que le chevaliernbsp;de TArdente Epée ne la put atteindre que lors-qu’elle avait déj?i de l’eau jusqu’au jarret. Mais,nbsp;enfin, il l’atteignit, et, sans pitié pour son sexe etnbsp;pour son age, il l’abattit comme il eüt fait d’unnbsp;animal malfaisant.

La géante s’affaissa, ouvrit les bras et laissa choir avec elle, au fond de l’étang, les deux pau-vres princesses, plus mortes que vives, qui, cettenbsp;fois, bureut beaucoup plus d’eau qu’elles n’avaientnbsp;bu de vin de toute leur vie.

Le chevalier de l’Ardente Epée était fort embe-sogné é sauver la mère et la fille. Par bonheur, les cris du roi de Sicile avaient été entendus. Toutnbsp;le monde était sur pied : oa vint l’aider ?i retirernbsp;de l’étang les deux princesses évanouies.

Pendant qu’on sauvait la mère, il s’occupa plus spécialement, lui, k sauver la fille.

Lucelle, il faut dire, était en ce moment plus belle que jamais. Sa pkleur, ses beaux yeux pa-més, ses longs cheveux dénoués, ses belles épaulesnbsp;indiscrètement découvertes, sa belle gorge faite denbsp;lis et de roses si indiscrètement aussi mise k nu,nbsp;par suite des efforts qu’elle avait dü faire pour senbsp;soustraire a la poigne de la géante; tout cela réuninbsp;rendait cette aimable pucelle cent fois plus intéressante et cent fois plus appétissante qu’aupara-vant.

Sa bonne grace et l’excellence de sa beauté firent une impression profonde sur les sens et surnbsp;le cceur du jeune chevalier son sauveur. L’araour,nbsp;qui lui avait été inconnu jusque-lè, se gbssa subi-tement dans tout son être, qui fut embrasé.

En même temps, comme contre-coup, le cceur de Lucelle s’inclina k lui vouloir du bien et k lenbsp;désirer, comme les pucelles savent désirer, c’est-k-dire avec ardeur.

Toutefois, comme l’un et l’aufre étaient lort sages et bien avisés, ils dissimulèrent 1 émotionnbsp;quils ressentaient, de peur qu elle ne fut inter-prétée k mal.

Lorsque le chevalier eut déposé Lucelle en terre ferme et que, lui faisant une grande révérence, ilnbsp;lui demanda comment elle se trouvait:

— Hélas 1 répondit-elle, le cceur me bat si fort, que je ne sais si je suis morte ou vive... Pournbsp;Üiou 1 chevalier, conduisez-moi vers le roi, et di-tes-mois’il est gravement blessé... Jenel’ai aperpunbsp;qu’hier, et j’augurais mal de sa santé...

— Madame, dit respectueusement le chevalier, le roi votre pére est assurément blessé, mais sesnbsp;blessures ne sont pas assez graves pour vous in-quiéter... L’aiso qu’il recevra, d’ailleurs, de votre


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e BIBLIOTHEQUE BLEUE,

e BIBLIOTHEQUE BLEUE,

cesses.

nom!,. t-il en

presence, lui fera oublier la plus grande partie de ses douleurs...

— Cornbien je vous suis reconnaissante, reprit Lucelle, de tout ce que vous avez fait pour nous,nbsp;spécialement pour moi, pauvrelte, quine méritainbsp;jamais une telle faveur d’un chevalier coramenbsp;vous!,..

— Madame, répondit Ie fils d’Ouolorie, je me priserai bien Ie plus heureux du monde, si vousnbsp;daignez prendre en gré Ie peu que j’ai fait pournbsp;votre délivrance; je suis vous, madame, tellejnenlnbsp;amp; vous, que 'je ne veux suivre les armes que sousnbsp;votre faveur, me donnant la gloire d’être Ie servi-teur de la plus belle princessc qui viveaujourd’liui.

Si la nuil eüt été plus claire, on eüt vu changer vingt fois en un instant Ie visage du jeune et ardent chevalier, tellement était forte Témotion qu’ilnbsp;ressentait, tellement était grand Famour qui 1’en-vahissait!.,.

Tl allait ajouter quelques paroles, et parler de son amour, peut-être. Mais ceux qui avaient se-couru la reine Miramynie s’approchèrent.

II fallut se taire et se dirigcr ensemble vers Ie chéteau.

CIIAPITRE VI

Comment, dès Ie Icndemain delamort dclagdante, 1 femme du géant Frandalon Cyclops, Ie rei denbsp;^ Sicjle et sa compagnie s’cmbarquèrcnt.

k,n chemin , la reine rencontra / Frandamelle, laquelle, de grandenbsp;t-aise, se jela aux pieds de Mira-/ mynie qui la releva et Fembrassanbsp;1 ^''*5'*~gracieuseraent, pourlaremerciernbsp;de son dévouement.

A Ils arrivèrent au chateau, mon-f * lèrent les degrés et entrèrent ii Fendroit oü Alpatracie gisait, blessé.

— O souverain Dieu ! s’écria-t-il, ou-bliant ses blessures pour ne songer qu’au plaisir de se retrouver avec les deux prin-0 souverain Dieul loué soit votre saintnbsp;. Ahl chevalier de 1’Ardente Epée, ajouta-se tournant vers Ie fils d’Otiolorie, qui senbsp;tenait raodestement élecarf, comment pqurrai-jenbsp;jamais reconnaitrelebieuquc je reqois aujoui'd’huinbsp;par votre moyen?... Quoique jeune, nouspouvonsnbsp;bien vous appeler notre second père, puisque vousnbsp;nous avez donné une nouvelle viel...

Or, la reine Miramynie et Lucelle n’avaient pas rnangé depuis deux jours. Elles Foubliaient volon-tiers pour ne songer qu’au bonheur de leur réu-tiion, et, tout naturellement, Alpatracie Foubliaitnbsp;comme elles, et pour la même raison qu’elles. Maisnbsp;Ie chevalier de 1’Ardente Epée, qui songcait h tout,nbsp;ïte coroprit pas qu’ellcs devaient mourir de faim,nbsp;et, voyant Ie roi disposé h prolonger encore sonnbsp;aispours, gt;1 l’interrompit en disaiit :

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, votre nouveau contentement vous faitnbsp;oublier Ie long’temps qui s’est passé depufs Fheurenbsp;oüces dames ont raangé pour la dernière fois...nbsp;Ne vous plait-il pas qu’on leur apporte quelquesnbsp;vivres?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Je vous en prie, chevalier, oui, répondit vive^nbsp;ment Ie roi, car elles doiventen avoir un trés grandnbsp;besoin, en etfet.

Les tables furent dressées, et bientót après, laissaut Alpatracie a ses épancheraents de familie,nbsp;Ie chevalier de 1’Ardente Epée souhaita Ie bonsoirnbsp;et se retira en une autre chambre.

II se jeta alors tout habillé sur un lit de camp, et, au beu de dormir, il se mit é rêver, ayant toujoursnbsp;devant ses yeux éblouis Fimage de sa belle amienbsp;et je ressouvenir des trésors de beautés secretesnbsp;qii’il avail eu Ie bonheur d’apercevoir en la sau-vant.

En songeant ainsi, et en se retournant sans cesse sur son lit,il employa toute sa nuit sans par-venir a s’endonnir, rnême une lieure.

Au point du jour, il commenqait eependant a sommeiller, vaincu par la fatigue, lorsqu’on vintnbsp;Favertir que les dames étaient prêtes.

11 se leva, se secoua un peu, et alia saluer, en leur chambre, la reine, la gente pucelle sa ülle,nbsp;ainsi que Ie roi Alpatracie.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;.

— Commentvous trouvez-vousce matin, hire?... lui deraanda-t-il.

— Si bien, répondit Alpatracie, que j’ai résolu, sans plus sojourner, de rentrer en mon navire, oünbsp;j’espère avoir plus prompte guérison qu’en ce lieunbsp;oü i’ai requ tant de déplaisir.

Ét cela Ie tenait si fort que, malgré les prières de Lucelle et les representations de la reine, il senbsp;donna ü peine Ie loisir de diner.

Aprés diner, chacun troussa bagage, descendit et s’embarqua.

II va sans dire que Famoureux et respectueux chevalier do 1’Ardente Epée était venu jusques-lanbsp;pour accompaguer la dame do ses pensées..

— Chevalier, lui demanda Ie roi, vous plairait-il de nous tenir compagnie et de voyager de conserve avec nous?...

Le fils d'Oiiolorie lui accorda cela de bon cocur, non tant pour lui faire service, que pour le plaisirnbsp;qu’il prenait a la presence de sa nouvelle amie, la-qiielle, de son cóté, n’en prenait pas un moinsnbsp;grand en songeant ü toutes les perfections réuniesnbsp;en lui. Tons deux étaient atteints du même nialnbsp;au même endroit, et, bien qu’ils portassent quantnbsp;et eux la médecine propre ü leur entière guérison,nbsp;ils rctardaient le plus qu’ils pouvaient le momentnbsp;d’ouvrir la boite el d’appliquer l’onguent; lequclnbsp;fut appliqué fort ü propos, comme vous le verreznbsp;plus tard, si vous coiitiiiuez ü lire.

Les aucres furent levées, ct le navire parüt, eni-raenant avec lui Galdalée, la ülle inconsolable du défunt géant Frandalon Cyclops.


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LA PRINCESSE DE TRÉBISONDE. 7

LA PRINCESSE DE TRÉBISONDE. 7

GHAPITRE VII

Comment lo roi do Sicile et ceux qui lui tenaiont compagnie furent sépards de leur flolto, ct des mcnuos jouissancosnbsp;que Ie fils d’Onolorie eul, pendant la tompöle, avcc la lillcnbsp;d’Alpatracie,

emmes et vonts sont changeants.

Au parlir doi l’ile de Silan-chie, la mer était calme et Ie ventbénin. Deux heuresaprès,nbsp;lo vent soufRait aveo furie etnbsp;les vagues s’amoncelaient auteur des navires d’une fagonnbsp;inquiétante.

I la jnurnée se passa ainsi en pleiiie tourmente, et aiiisi de même pendant huilnbsp;jours,

Le soir du neuvième jour, aux environs J I du soleil couchant, ils découvrirent, ti une

A j| lieue devant eux, une petite ilo qui leur ( i)arut si belle, si peuplée d’arbres, si bi' Unbsp;arrosée de ruisseaux et de ruisselets, sinbsp;verte et si joyeuse, que la reine, fatiguée dumau-vais temps, demauda a prendre terre.

C’était un ordre auquel le roi s’einpressa d’o-béir.

En consf’quence, une barquetle fut niise ii Peau, et le roi et la reine y desceiiclireiit, accompagnésnbsp;seulement de Lueelle, de Frandamelle et d’Amadisnbsp;de Grèce, lequol pril ses arrnes, ainsi qu’Alpatra-eio, pour se défendre en cas de besoin.

Lors, Frandamelle, qui, autrefois, avait manié 1’avirori pour son nlaisir, se mit èi ramor dans lanbsp;direction de File aperque.

Au premier abord, la chose paraissait aiséo, d’aulanl plus que la mer s’était un peu apaisée.

Mais bientót la tempête recommenga et, cette fois, avec un acharnement lel, que non-seulemontnbsp;on dut renoncer 1’espérancc d’aborder a l’ilo,nbsp;rnais encore fi cello de rejoindrela Rotte qu’on vc-nait de quitter et de perdre.

Si bi(!n que Frandamelle, épouvantée, aban-donna 1’aviron et se laissa couler au fond de la barque, sans remuer ni pied ni main.

Lucelle, (jiii n’était pas plus vaülante que Fran-danielle, se mit ittrembler comme la fcuille, et, dans sou effroi, elle ne trouva pas de meilleur refugenbsp;que les bras de son chevalier.

Bien qu’il fit nuit noire, quo los vagues mena-Cassent ti chaque instant d’engloutir la barque et ceux qui la montaient, le jeune et amoureux chevalier ressenlit par tout son corps une commotionnbsp;si agréable, au contact de la chair frémissante denbsp;la belle bucelle, qu’il en oublia le danger du nau-hage pour lui faire entendre celui dans lequel étaitnbsp;sa vie, si elle no prenait i)itie de sa personne, sinbsp;elle ne recevait son amour a merci.

Comme Lucellc était trés émotionnée par la peur d’abord, et ensuite par le plaisir qu’elle ressentaitnbsp;k se trouver ainsi dans le giron de son ami, commenbsp;une pigeonne en celui de son pigeon, elle ne putnbsp;ou ne voulut pas répondre li ce que lui disait le filsnbsp;d’Onolorie.

Ce pauvre chevalier, croyant h son indifférence, et ayant peur de I’avoir offensée par le cri parti denbsp;son coeur, laissa deborder ses sanglots et ses. lar-mes, et ces dernières avec une telle abondance,nbsp;que lo devant de son heaubert en était toutnbsp;trempe.

Lucelle, dissimulant toujours le plaisir qu’elle éprouvait, et foignant d’avoir plus peur qu’ellenbsp;mavait en réalité, ferraa tout-é-fait ses yeux charmants humides de volupté, et plongea sa belle tfitenbsp;enivree plus avant encore dans le giron de son ami,nbsp;comme si elle eut été évanouie.

Le jeune et amoureux chevalier, qui ne s’était jamais trouvé h pareille fête, en sentant si pres denbsp;sa bouche les lèvres de miei de sa mie adorée, nenbsp;se put tenir de la baiser plus de mille fois.

Ah 1 lèvres fraiches, jeunes, savoureuses, lèvres divines, comment pourrai-je jamais, avec mon stylenbsp;imparfait et lourd, raconter les enivrements déli-eats, les transports délicieux, le mutuel contente-ment que vous vous donnates cette nuit-la, ennbsp;pleine tempête, è deux doigts de Ia mort, a deuxnbsp;pas du roi, a deux pas de la reine 1...

Ah 1 chers amoureux, quel paradis fut le vótre 1...

Bonheur d’aimer et d’etre aimé ne se raconte pas ; il suffit de se rappeler qu'on a été jeune,nbsp;qu’on a eu vingt ans et un coeur, ct qu’on a tenu,nbsp;palpitante sur sa poitrine, une femme qui avaitnbsp;vingt ans et un coeur!...

Gar celui-Ia seul qui a approché de telle féli-cité se doit estimer heureuxl Car c'est l’adorable sentier qui raène droit au jardin oü 9C trouvent lenbsp;rosier et son bouton, fruit et récompense de tousnbsp;les loyaux amants, et que tant de gons ont travaillénbsp;k cueillir, les uns en vain et les autres aveo con-tentementl...

Lucelle, affolée d’araour, pamée d’enivrement, s’abandonnait saus resistance è ces douces et mer-veilleuses caresses, au-dessus desquelles il n’y anbsp;rien dans ce monde.

II faut dire qu'elle était singulièrement favoriséc dans cet abandon charmant par 1’obscurité, par lanbsp;pluic, par la confusion qui régnait autour d'clle etnbsp;qui ernpêchait son père et sa mère de s’occuper denbsp;ce qu’elle devenait.

De telle sorto que le chevalier, enhardi de plus en plus, ct gagnnut de plus en plus du terrain avecnbsp;ses mains tremblantes et ses lèvres frémissantes,nbsp;s’eu vint petit a petit jusqu’a oublier a quelle hon-nète fuincesse et quelle chaste pucelle il avait affaire. 11 allait passer outre... Une hoote mèléenbsp;d’homieur le retint.

Lucelle, alors, poussant un langoureux soupir, ot feignautde revenir de son évanouissement, mur-mura :

— 0 souverain Dieu! Jusques k quand serons-nous eu cc danger!... Ah 1 mon chevalier, ne m’a-bandoniiez pas... Sans vous je fusse déja mortel...

Le roi, enlendant sa Rile se plaindre si piteu-


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8 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

sement, l’appela pour la faire approcher de Ia reine et de lui.

Or, Ie temps était si nébuleux et la brouée si épaisse, qu’ils ne s’entre-pouvaientvoir, et Lqcellenbsp;eüt bien voulu retenir la parole qu’elle avait la-chée, afin de ne pas perdre Ie plaisir qu’elle res-sentait de son doux entretien avec son ami. Maisnbsp;quoi ? force lui fut, pour obéir au roi, de se lever,nbsp;et, avec I’aide du chevalier, de passer a l’autrenbsp;bout de la barque, oü la reine faisait vceux et devotes oraisons, a seule fin d’obtenir de Dieu leurnbsp;salut mutuel.

La pauvre dame espérait moins que rien de ses prières; car la tempéte maitrisait telleraent Ienbsp;vaisseau, que, durant toute cette nuitetla journéenbsp;suivante, Ie roi et ses compagnons perdirent con-naissance du ciel et de la terre, saus voir autrenbsp;chose que brouhou impétueux et nuées pousséesnbsp;par des raffales entremêlées de grcle, de tonnerrenbsp;et d’éclairs, assez horribles pour épouvanter lesnbsp;plus assurés.

GFIAPITRE VIII

Comment Ie roi de Sicile et ceux qui naviguaient dans la barque, avec lui, furent poussds en 1’üe d’Argènes.

•ous laisserons les gons du navire, avec Icurs mats brisés,nbsp;aborder oü bon leur sembleranbsp;avec Galdafée, la fille du géantnbsp;Frandalon Cyclops, pour nenbsp;nous occuper, présenteraent,nbsp;que de ceux qui montaient Ianbsp;barquette en compagnie dunbsp;roi de Sicile.

Après avoir couru les dangers que nous venons de raconter, cette barquenbsp;s’en vint échouer sur Ie sable, au piednbsp;d’un rocher élevé, oü se sauvèrent quasinbsp;miraculeuseraent ceux qui la montaient.

La contrée oü ils se trouvaient leur était complétement inconnue. lis n’aper-cevaient aucun sentier, aucune voie pro-pre ü les guider au haut de ce vaste rocher. Malgré cela, ils s’estimèrent plusnbsp;heureux lii, parmi ces bruyères sauvages,nbsp;qu’au milieu des flots en furie qui lesnbsp;avaient si désagréablement secoués. Ils pouvaientnbsp;y mourir de faim, puisqu’ils n’avaient puls vivresnbsp;pour se repaitre, mais au moins ils étaient assurésnbsp;de n’y pas être mangés par les poissons !

Nécessité, maitresse des arts et de l’industrie, ccmrae chacun sait, les obligea cependant a senbsp;remuer et a se mettre en quête d’un sentier quel-conque, menant ü contre-mont; Icquel sentier ilsnbsp;fmirent par découvrir 1

— Sire, dit Ie chevalier de l’Ardente Epée, voici un Chemin que nous devons suivre... II nous con-duira certainement lü-haut, et nous permettranbsp;sans doute de rencontrer quelque maison ou héber-geraent...

— Aliens done ! répondit Ie roi.

Lors, ils montèrent tous ii cheval et grimpèrent tant qu’ils aperqurent la couverture do certainsnbsp;édifices, verslesquels ils s’acheminèrent.

La nuit approchait. lis purent contempler a leur aise Ia forteresse, qui était un gros donjon carré,nbsp;environné d’épaisses murailles crénelées et ennbsp;bonne défense. En avant, se trouvaient deux fortsnbsp;piliers de marbre oü commengait un mur qui ten-dait contre une bien belle tour, et, de Ié, a unenbsp;autre, oü étaient semblablement deux piliers; etnbsp;ainsi, de trait d’arc en trait d’arc, quatre autresnbsp;tours, et jusques au donjon qui parfaisait Ie nom-bre de sept. .

Ne voyant lü ni homme ni femme pour leur donner des indications touchant Ie lieu oü ils senbsp;trouvaient, Ie roi et ses compagnons supposèrentnbsp;ce lieu desert.

Ils marchèrent outre.

Bientót ils apergurent une colonne de cristal éle-vée, et, au-dessus, une grande statue dorée, représentant la personne de quelque reine, laquelle tenait en sa main gauche un rouleau si long qu’ilnbsp;tombait jusqu’a la base de la colonne, et, de sa mainnbsp;droite, montrait, écrits sur ce rouleau, certainsnbsp;caractères chaldéens.

— nbsp;nbsp;nbsp;Entendez-vous quelque chose a cela ? de-manda Ie roi au chevalier.

— nbsp;nbsp;nbsp;Oui, Sire.

— nbsp;nbsp;nbsp;Et quoi done?...

Le fils d’Onolorie lut :

« Nous, Zirfée, magicienne, sceur du grand sou-dan de Baby lone, reine et dame de cette ile d’Argènes et de tous ceux et celles qui y sont, ou y arrivent sans notre congé, soit de loi païenne, soitnbsp;du nouveau Christ, faisons savoir:

« Que, par notre art et notre industrie, nous avons construit ce palais, appelé la forteresse dunbsp;ïrésor, lequel sera défendu par les sept gardes ynbsp;ordonnés, jusqu’au moment oü la Belle se saisiranbsp;de la cruelle épée pour se délivrer et se garantirnbsp;contre l’épouvantable lion, au rugissement duquelnbsp;son coeur douteux et passionné recouvrera de nou-velles forces... Alors finiront les enchantementsnbsp;que nous y avons établis; alors, mais non avant cenbsp;moment-lal... »

— nbsp;nbsp;nbsp;Voilé un étrange cas ! dit Alpatracie. Nousnbsp;sommes done, céans, en l’ile d’Argènes ?...

— nbsp;nbsp;nbsp;II y parait, Sire.

— nbsp;nbsp;nbsp;Je n’en ai jamais ouï parler...

— nbsp;nbsp;nbsp;Ni moi plus que vous, Sire.

— nbsp;nbsp;nbsp;Au pis aller, nous verrons de quels enchantements il est ici question...

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, la nuit nous presse, et je suis d’avisnbsp;que nous ne passions pas outre pour aujourd’luii...nbsp;Demain, au grand jour, nous essayerons d entrer

dans ce chateau-fort. nbsp;nbsp;nbsp;,

Les dames approuvèrent lo chevalier, et chacun mitpied a terre, et les ebovaux, débrides, aiierontnbsp;paitre ga et la, pendant (|uc leurs maitres se re-posèrent au pied do la colonne.


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LA PRtNCESSE DE TRÉBISONDE.

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portionné k sa taille.

CHAPITRE IX

Comment Ie roi de Sicile et ses compagnons apprirent, d’un vieux chevalier, quc l’ile d’Argènes appartenail a Ia magi-cienneZirfée, et comment ils résolurcnt de tenter l'aventurenbsp;du chateau.

Ipatracie et ses compagnons étaient h peine assis au pied de la colonne denbsp;cristal, qu’arriva vers eux un vieuxnbsp;^nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;' ^_^gentilhomme portant un faucon au

poing.

Ce gentilhomme ,¦ comprenant bien qu’ils étaient étrangers, leur demandanbsp;ce qu’ils faisaient Ik.

^ nbsp;nbsp;nbsp;—Car, ajouta-t-il, si par malheur

r vousveniez k être apergms de quelqu’un de ce cMteau, vous seriez tous, incoii-Minent, jetés dans la plus douloureusenbsp;prison du monde...

— Chevalier, lui dit Ie fils d’Ono-lorie, déclarez-nous done, s’il vous plait, k quelle occasion et par qui a cténbsp;ordonnée une si malheureuse coutume ?...

— Volontiers, répondit Ie vieillard, car vous m’inspirez grande pitié...

— nbsp;nbsp;nbsp;Nous vous écoutons, chevalier.

Le vieux gentilhomme paria ainsi:

— nbsp;nbsp;nbsp;Ce pays est l’ile d’Argènes... Gette effigie estnbsp;celle de Zirfée, qui en est dame et reine... Pournbsp;l’heure, elle est absente, il y a unlong temps déjk,nbsp;et I’on ne sait vraiment quand on pourra avoir denbsp;ses nouvelles... Elle a laissé en son lieu et placenbsp;une sienne fille nommée Axiane, la plus belle quinbsp;soit au monde. Avec madame Axiane sont septnbsp;chevaliers, estimés les meilleurs de 1’Asie ; quatrenbsp;d’entre eux sont géants. Chacun des sept a Tunenbsp;des sept tours en garde, avec cette rccomraan-dalion expresse, de Ia part de la reine Zirfée, denbsp;ne laisser aborder dans Pile aucun chevalier sansnbsp;le mettre k mort, ou, tout au moins, sans le fairenbsp;prisonnier.

— nbsp;nbsp;nbsp;Voilk une bien vilaine recommandatiou, mur-luura le roi de Sicile.

Le vieux chevalier reprit:

— nbsp;nbsp;nbsp;Je vais en ce moment faire savoir aux gardesnbsp;que madame Axiane sera dans deux jours de retour de la chasse, oü elle a été toute la semainenbsp;Passée... Ne craignez point que je les avertisse denbsp;votre présence ici; je les détournerais plutót donbsp;Vous faire peine...

Puis, leur donnant le bonsoir, le vieux chevalier piqua vers le chateau, les laissant en grand doutenbsp;prêts k prendre un autre chemin, s’il y avaitnbsp;htoyen.

Mais le fils d’Onolorie les arrêta.

— nbsp;nbsp;nbsp;Chaque tour n’a qu’un gardien, dit-il; nousnbsp;devons tenter la fortune 1... J’espère en nos dieux :nbsp;I's nous donneront la victoire et nous rendrontnbsp;Raures de cette place avant le retour de la prin-esse Axiane 1... D’ailleurs, Sire, nous pouvonsnbsp;ous considérer comme acculés ici, et, alors mémenbsp;qu’il ne serait pas de notre devoir de combattre,nbsp;ce serait de notre strict intérêt, puisque nous nenbsp;saurions aller ailleurs... Faisons done contre mau-vaise fortune bon coeur, et teutons vaülammentnbsp;1’entreprise !...

— Vous avez raison, chevalier, répondit le roi de Sicile... Ge pays est enlouré de tous cótés parnbsp;la mer, et nous n’avons plus k notre disposition ninbsp;barque, ni barquette, ni barquerot pour nous sau-ver de ce peril... Par ainsi, il vaut mieux mourirnbsp;promptement, avec des chances de triomphe, quenbsp;de languir davantage avec une perspective de tortures...

Pendant eet échange de paroles entre le chevalier de l’Ardente Epée, les dames, désespérées, pleuraient k chaudes larmes, comme des Magde-leines.

— Sire, reprit le chevalier, réconfortez, je vous prie, ces dames, et faites-leur bien entendre quenbsp;le danger auquel nous nous exposerons domainnbsp;sera de beaucoup moins grand que tous ceux aux-quels nous avons été exposés jusqu’ici... Et puisque nous sommes sortis sains etsaufsde toulescesnbsp;épreuves, nous sortirons encore, de la mêrae ma-nière, de celle-ci, quelque apre qu’elle soit...

II fut convenu enlre le fils d’Onolorie et le roi de Sicile que, aussitot le point du jour, ils monte-raient tous deux k cheval pour aller combattre lesnbsp;sept chevaliers gardiens des sept tours de la reinenbsp;Zirfée; et, cela, pendant que les damesreposeraient.

Mais la reine ne voulut pas entendre de cette oreille-la.

— Je serai, dit-elle, présente au bien comme au mal qui pourront advenir!... Je veux que notre sortnbsp;soit commun!..,

— Je pense comme ma mère, murmura Lucelle.

GHAPIÏRE X

Comment le chevalier de l'Ardente Epdc, vou-lant conqiiérir le chateau de l'ile d’Argènes, combattit d’abord contre quatre de ses ddfen-seurs.

insi se passa une grande partie de la nuit.

Lorsque le jour parut, Rs montèrent tous k che-jval et marchèrent vers lanbsp;première tour, le fils d’Onolorie étant en avant, et, aprèsnbsp;lui, le roi de Sicile.

Tout en cheminant et en devisant, ils arrivèrent le long d une riyière fortnbsp;profondo sur laquelle était jeté un pontnbsp;de bois par lequel on entrait en la première tour.

Ils eutendirentsonner un cor, et, tout Wy aussitot, sortit un chevalier, grand outrenbsp;'' mesure et monté sur un destrier pro-


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10

BIBLIOTHÈQUE BLEUE.

— nbsp;nbsp;nbsp;Damp chevalier, cria-t-il au fils d’Onolorie,nbsp;laissez la vos armes et venez sans hésiter en manbsp;prison.., Sinon, je vous déplanterai latête de dessus vos épaules, ainsi qu’a votre compagnon 1..,

Pour toute réponse, l’amant de Lucelle se con-(en(a de pousser son cheval en avant, la lance au poing, et avec une telle roideur, que Ie chevaliernbsp;de la tour et son cheval en firent la culhute dans lanbsp;rivière, d’oü la héte se tira, mais oü Ie cavalier resta,

L’amant de Lucelle, cela fait, raarcha de plus en plus en avant.

Un hommedu guet, 1’apercevant, rentra aussitöt h l’intérieur, après avoir poussé une exclamationnbsp;d’étonnement retentissante.

Le roi de Sicile et les dames de sa compagnie suivaient Ie chevalier de l’Ardente Epée. Ils passè-rent ensemble la tour, au sortir de laquelle ils en-tendirent retentir un autre cor de la forteressenbsp;suivaiite.

Aussitöt parut un second chevalier, huché sur un grand cheval moreau, quis’écria tant qu’ilput:

— nbsp;nbsp;nbsp;Rendez-vous, pauvre chétifl Etrésignez-vousnbsp;k subir prison et misère!... Car c’est vousqui aveznbsp;tué mon compagnon, comme vient de me l’appren-dre la clameur du guetteur!...

Le chevalier de l’Ardente Epée avait perdu son hois dans le premier conflit. Le roi lui confiu lenbsp;sien, et alors il s’avanea k la rencontre de cc second ennemi.

Celui-ci ne tomba pas dans la rivière, puisque la rivière était franchie; mais il tomba sur l’herbo, lenbsp;liane troué par la lance do l’amant de Lucelle.

Ge que voyant, le guetteur de cette seconde tour poussa un cri semblable è celui poussé par lenbsp;premier guetteur, et, comme lui, disparut.aussitöt,nbsp;au moment rnême oü le roi et les dames s’appro-chaient pour entrer.

Les clefs pendaient a une chaine de fer, tout joignant; ils les prirent et se disposaient a s’ennbsp;servir, lorsque le cor du troisièrae guetteur les ennbsp;empècha en les formant a revenir combattre.'

Ge troisième gardion, qui s’avanqait centre eux, était un g ’mnt, armé de lames renforcées, portantnbsp;deux masses d’acier, Tune sur l’épaule et l’autrcnbsp;pendante ü l’areon.

— Ghevalier, dit-il ü l’amant de la gente Lucelle, il convient que, suivant la coutume de cette tour,nbsp;le combat ait lieu masse è masse. Par ainsi, choisisnbsp;de ces deux masses celle que tu voudras, et penscnbsp;ti faire ton devoir... Néanmoins, si tu veux tonbsp;rendre ti ma volonté, peut-ètre aurai-je merci denbsp;ta personne, qui est en grand danger!...

— J’essayerai de frapper, répondit le jeune chevalier, car je n’ai pas I’habitude de recevoir inisc-ricorde de personnages comme toi...

— Or bien, choisis, reprit Ic géant.

Et il lui présenta les deux masses de fer.

Le jeune chevalier prit celle qui lui sorabla plus agréable a manier, et quant et quant ils se mirentnbsp;a chamailler.

Les deux premiers coups furent si formidables, hue les cornbattanls en torabèrent I’un et Tautrenbsp;comrnc niorts...

Ge que voyant, le guetteur de la troisième tour poussa un cri plus lamentable encore que les pi'o-cédents et se retira precipitararaent, comme avaientnbsp;fait les autres.

Lucelle, a I’aspect du chevalier de rArdeiite Epée, pensa être veuve d’ami, et elle se desolaitnbsp;dans sou coeur, se souhaitant morte comme étaitnbsp;mort son amant, lorsqu’ello vit celui-ci se relevernbsp;et courir sus an géant.

Si le premier n’avait été qu’évanoui, ce dernier avait bien pis. Les yeux lui sortaient de la tote etnbsp;le sang de la bonche : le chevalier de I’Ardentenbsp;Epée I’acheva.

Les dames s’approchèrent alors du vaillant gen-tilhomrae et lui demandèrent dans quel état il se trouvait.

— Disposé k continuer ce quo j’ai si bien corn-mencé, répondit-il.

GIIAPITRE XI

Comment, après avoir iléjè vaincu Irois advcrsaircs, lo fils d’Onoloric eut encore h en combattre trois, qu’il vainquitnbsp;comme les prècódents.

andis que lo Ills d'Oiiolorie faisait cotie réponse aux dames, Icnbsp;guetteur de la quatrième tournbsp;soniia du cor.

Un chevalier parut.

Il était d’uue morveitleuse slature et avail la této d’un do-gue anglais. Pour armes, il avaitnbsp;line chemise do mailles, un écunbsp;^ fort et gratid an con, un large ci-raoterro an cöté, un arc an poing, of,nbsp;pendante, une trousse bien ganiic denbsp;sageltes.

Ce chevalier élrange était origi-nairc d’une ile prochaiiie dont If'S habitants avaient des tAtes de chieii,nbsp;it cause do quoi on les appelait des Cynophales, anbsp;cause de quoi aussi ce chevalier étrango s’appolaitnbsp;lui-même Cynophale.

Il était it pied. Sans plus larder, il banda son are, y plapa une sagelte et tira raidement dans lanbsp;direction du chevalier do I’Ardento Epée, avec 1’in-tenlion bien arrêtée d'atteindre ce vaillant gentil-homme etde s’en débarrasser en moiiis de ricn.

Malheurciisctnent pour lui et heureusemeut

pour le lils d’Onoiorie, la sagette alia se ficlim' en plein dans le chanfrein du clieval que rnontait et;nbsp;dernier.

Cette noble béte, ainsi atteinte, se cabra et al a tomber, morte, it quelquos pas do lii-nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;.

Cynophale, sans perdre do temps, banda de nouvean son arc, pril dans sa trousse une s:tgetto,nbsp;an fer aign, ct la lanea dans la direction du chevalier de rArdenlc Epee, qui, cotte fois,-fnt altoint anbsp;la cuisse.


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LA PRINCESSE DE TREBISONDE. 11

Sans ressentir la moindre douleur de cette blessure, dont il était furieux, l’amant de la princesse Lucelle courut sus au visage de chien, qui, avantnbsp;qu’il ne l’eüt joint, trouva moyen de lui décochernbsp;deux sagettes.

Finalwnent, les deux adversaires se joignirent, et Ie combat devint apre et sanglant.

Le fils d’Onolorie, marri et honteux du retard apporté è sa victoire en présence de sa belle mie,nbsp;haussa le bras comme pour frapper le Cynophale knbsp;la tète, et, de la main gauche, saisit la courroie denbsp;son écu; puis il le tira violemment k soi, le luinbsp;arracha du cou, et, par suite de la violence qu’il ynbsp;mit, le fit choir k terre tont de son long.

Le Cynophale se releva presque aussitót et fit tournoyer son redoutable cimeterre au-dessus dunbsp;chevalier de l’Ardente Epée, qui évita adroitementnbsp;l’atteinte, en gauchissant a temps, et prolita de lanbsp;fausse position dans laquelle se trouvait son en-nemi, pour lui donner une estocade. Le géantnbsp;tomba, le sifflet coupé.

Le guetteur de la cinquième tour coma comme avaient fait les autres, et utj nouveau chevaliernbsp;s’avanga.

G’était aussi un géant comme le Cynophale, ayant, comme lui, Tintention bien arrêtée d’abattre cenbsp;beau vainqueur qui avaitdéjh mis a mal quatre chevaliers réputés, jusque-la invincibles, et qui,nbsp;jusque-la, en elfet, avaient été invaincus.

11 est inutile d’ajouter qu’il fut déconfit comme l’avaient été les précédents.

On s’empressa auteur du chevalier de l’Ardente Epée, blessé en plusieurs endroits, et dont le sangnbsp;commenpait ii rougir ses armos.

Frandamelle, descendant immédiatement de son palefroi, prit du linge blanc qu’elle avait sur elle,nbsp;Ie divisa en petites bandelettes et banda les plaiesnbsp;du vaillant gentilhomrae.

Elle finissait, lorsque parut le sixième chevalier, celui de la sixième tour.

Gelui-la ne ressemblait pas aux autres. II était d’abord plus jeune, puis aussi plus doux d’aspectnbsp;et plus courtois de physionomie. En outre, au lieunbsp;d’etre armé comme l’avaient été les autres, il n’a-vait sur lui que la cape et l’épée.

— nbsp;nbsp;nbsp;Chevalier, dit il a l’amant de Lucelle, je vousnbsp;félicite de la haute prouesse que vous avez mon-trée, bien qu’elleait eupour résultatla mort de mesnbsp;compagnons... Eersonneavant vousn’avaitsu fairenbsp;ce que vous ave'/ accompli aujourd’hui...

•— Eersonne?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Aucun chevalier.

— nbsp;nbsp;nbsp;Mais beaucoup l’ont-ils tenté ?

¦— Beaucoup.

— nbsp;nbsp;nbsp;Et lous ont óchoué ?

— nbsp;nbsp;nbsp;Tous.

— nbsp;nbsp;nbsp;Gomplétement?

— nbsp;nbsp;nbsp;Prestjue complétement; c’est-A-dire que lesnbsp;Uns ont été tués dés la première tour, et que lesnbsp;uutres se sont rendus a la seconde...Un seul a punbsp;arriver jusqu’a la troisièrae...

— nbsp;nbsp;nbsp;Un seull...

— nbsp;nbsp;nbsp;Un seul; et pa été tout. II vous était réservénbsp;cette gloire d’arriver invaincu jusqu’a la sixièmenbsp;tour... Mais si Fortune me favorise, j’espère biennbsp;que vous n’irex pas jusqu’a la septième et der-nière... Si vous avezeu la gloire devaincre mesnbsp;compagnons, qui étaient cependant de vaillantsnbsp;hommes, j’aurai, moi,la gloire, plus grande encore,nbsp;de vous vaincre... quoique, au fond, cette penséenbsp;me navre...

— S’il en est ainsi, chevalier, répondit le fils d’Onolorie, qui se sentait un peu épuisé par lesnbsp;blessures qu’il avait revues, que ne cessez-vous lenbsp;combat avant de l’avoir commencé avec moi, c’est-i-dire, que ne me laissez-vous librenient passernbsp;outre?.., Votre courtoisie prouve votre loyauté,nbsp;et j’aimerais mieux vous avoir pour ami que pournbsp;ennemi.

— Ce que vous me proposez lè est impossible, chevalier, et je le regrelte... Mais mon devoirnbsp;m’ordonne de vous combaltre...

— Gombaltons, alors!

— Un instant, chevalier. Je dois vous dire quelle est la couturae de la sixième tour, dont je suis lenbsp;défenseur...

— Dites.

— Je n’ai que la cape et que l’épée, comme toujours, II faut done que vous combattiez avecnbsp;moi, non avec ce harnois qui vous a si bien protégé jusqu’ici, mais avec votre épée seulement etnbsp;votre cape...

— Soit!

— D’ailleurs, ce haubert et ces mailles doivent vous gêner... Vousn’en comfeattrez que pluslibre-ment une foisque vous vous en serez débarrassé...

— Soit, done! répéta le fils d’Onolorie. J’ac-cepte ces conditions et vais m’y soumettre...

Alors, il appela Frandamelle pour l’aider a óter son harnois, ce qu’il ne pouvait faire lui-même, ènbsp;cause de la gêne que lui occasionnaient ses blessures.

Frandamelle le dévêtit.

Quand le chevalier de la sixième tour le vit ainsi en pourpoint, jeune, beau, fier et tendre, ilnbsp;se sentit pris de pitié et il eut regret d’avoir è lenbsp;combattre.

Le chevalier de l’Ardente Epée avait besoin,

Eour ce combat, d’une cape ou d’un manteau.

ucelle, qui l’avait compris, lui envoya le sien par l’intermédiaire de Frandamelle, le priant denbsp;se mettre en peine de se bien défendre pour l’a-mour d’elle.

— Ma grande amie, répondit le chevalier tout joyeux, en recevant des mains de Frandamelle lenbsp;manteau de sa belle maitresse, je remercie madame Lucelle de ce présent... Assurez-la, je vousnbsp;prie, que ce manteau ne quittera mon bras quenbsp;lorsque rhonrieur de ce combat in’aura été ac-cordé, OU lorsque la mort aura séparé mon éme denbsp;mon corps, qui n’est en ce monde qui pour luinbsp;obéir comme k la plus belle, a la plus sage, a lanbsp;plus vertueuse princesse de la terre...

A peine eut-il proféré ces mots, que Frandamelle se retira, car le chevalier de la tour voulait joucr des couteaux.

Alors eut lieu le plus galant combat dont on eüt enlendu parlor jusque-lè. Si 1'un des deuxnbsp;adversaires entendait Tart de telles couchilladesnbsp;l’autre s’en faisait appeler un droit maitre; tenement que, tout bien considóré, le plaisir n’était


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12 BIBLIOTHÉQUE BLEUE.

pas moins grand k les regarder que dangereux amp; entretenir pour eux.

Toutefois, ils marchandèrent longuement, et recurent et donnèrent plusieurs coups sans toucher au vif, taut ils étaient lestes, vigilants etnbsp;adroits.

Malgré ses ruses et déguisements pour endoin-mager et surprendre sou ennemi, Ie chevalier de la tour ne put raême arriver a toucher la manteaunbsp;que l’amant de Lucelle défendait avec plus d’éner-gie et de souci que sa propre personne. Ge dont,nbsp;irrité, il essaya un dernier mouvement pour luinbsp;fendre la tcte, sans pouvoir y réussir.

Tout au contraire, ce mouvement lui devint funeste. L’amant d’Onolorie, en reculant, fei-gnit de lui tirer d’une estocade droit en la mamelle,nbsp;puis, pliant Ie bras, il lui donna en pleine jambenbsp;une coutelade qui Ie fit tomber par tcrre.

— Ah! chevalier, s’écria Ie vaincu, puisque Ie bonheur vous est k commanderaent, passez outre,nbsp;suivez votre fortune!...

Comme il allait parler davantage, Ie guetteur de la tour suivante, au lieu de sonner du cor,nbsp;comment avaient fait les precedents, poussa denbsp;violentes exclamations et cria ;

— Sortez, soldats, sortez! Autrement, nous sommes perdus sans rémission !...

Le fils d’Onolorie, supposant è cela qu’il allait avoir bien plus ti besogner qu’auparavant, s’ap-procha de Lucelle, mit le genou en terre et luinbsp;rendit son manteau dans l’état oü Frandamelle lenbsp;lui avait remis.

— Voici, madame, dit-il, ce que vous m’avcz prêté, et ce que j’ai défendu de mon mieux contronbsp;l’épée de mon ennemi, pour vous montrer combicnnbsp;j’ai cher tout ce qui vient de vous...

Puis il reprit hativement ses armes, car on en-tendait déjk la rumeur que faisaient ceux qui vou-laient sortir et qu’il aper^ut, en effet, bientót.

Ils étaient dix en tout: six portant hauberts et accoutrements de chevaliers et quatre vilains couverts de capelines de fer. Tous les dix couraientnbsp;sus au chevalier de l’Ardente Epée, en poussantnbsp;par avance un cri de victoire.

Dix centre un, c’était trop. Le roi de Sicile avait bien laissé faire jusque-la son compagnon,nbsp;paree qu’il s’acquittait si bien de sa besogne ijuenbsp;c’eüt été la gater que de s’en mêler; mais ici, ilnbsp;était du devoir d’Alpatracie de venir i la rescoussc.

11 y vint, et avec empressement.

Ce que voyant, le quatre vilains, laissant les six gentilshommes s’escrimer centre le roi et sonnbsp;compagnon, se ruèrent délibérément sur les dames, qu’ils emmenérent dans la forteresse, nonob-stant leurs cris et leurs reclamations.

Ce rapt indigne causa une telle fureur aux deux chevaliers assaillis, que, sans épargner chair ninbsp;peau, ils frappèrent sur leurs ennemis, doat qua-tre tombèrent bientót expirants.

Les deux survivants, pensant garantir ain?i leur yie, s’enfuirent a vau de route; mais ils fu-rent immédiatement atleiiits et traités comme ve-naient de 1’être leurs compagnons.

Le roi et le c.bevalier entrèrent ensuite dans la tour OU lis avaient vu entrer les quatre vilains

ravisseurs de la reine, de Lucelle et de Frandamelle.

Ils renconlrèrent précisément ces hommes qui s’en revenaient sur le champ de bataille pour se-courir leurs maitres.

Leur affaire fut bientót arrangée. Deux-d’enti e eux furent massacrés sans aucune pitié. Les deuxnbsp;autres furent épargnés, mais a la condition denbsp;déclarer ce qu’ils avaient fait de la reine et de sanbsp;compagnie.

Comme ils obéissaient et conduisaient Ie roi et l’amant de Lucelle au donjon, ce dernier, étonnénbsp;de ne pas voir apparaitre le septième chevalier,nbsp;gardien de la septième tour, demanda aux vilains anbsp;quoi cela tenait.

— Seigneur, répondirent-ils, l’infante Axiane, notre princesse, qui aime ce chevalier de tout sonnbsp;coeur, l’a mené ces jours passés k la chasse... Unnbsp;des nótres nous a assurés hier qu’elle et lui arri-

veraient aujourd’hui ou demain au plus tard.....

Tant il y a, que vous avez été favorisé par cetto absence; car, si ce chevalier eüt été céans, au lieunbsp;d'etre a la chasse avec madame Axiane, vous n’au-riez pu vous échapper do ses mains sans mort ounbsp;prison, bien que votre prouesse soit grande, voirenbsp;extréme...

GHAPITRE XII

Comment le roi de Sicile et son vaillant compagnon allèrent délivrer la reine, Lucelle et Frandamelle, que des vilainsnbsp;avaient emmenöes pendant qu’ils combattaient.

e roi de Sicile, le chevalier de l’Ar-dente Epée et les deux vilains entrè-I rent dans une salie basse, tout en

continuant cos pro La reine. Lucenbsp;étaient toutestrois -vives, attachées fi des piliers avec denbsp;grosses cordes qui rneurtrissaientnbsp;leurs membres délicats. Quand ellesnbsp;apercurent le roi et le jeune chevalier,leur frayeur et leur maladie dis-parurent comme par enchantement.

Elles étaient sauvées!

Si le roi de Sicile s’em-^.^^nressad’allerdélierla reine ¦ sa femme, le chevalier nenbsp;fut pas moins empressé knbsp;aller délier la gente prin-ccsse qiii avait norn Lucelle. H I0 fitnbsp;en Irernblant et assez gauchement, anbsp;cause de son émotion, de sorte que lenbsp;roi eut le temps d’allcr délier Pranda-melle avant qu’il out fini, lui, de délier Lucelle.

II élait quasi nuit fermée. lis n’avaient ni bu ni mangé de tout le jour.

— N’avez-vous doncnuls vivres a nous donner.'^ demandèrent-ils aux vilains leurs prisonniers.

)OS.

le et Frandamelle A, plus mortesqiic


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LA PRTNCESSE DE TREBTSONDE 13

— nbsp;nbsp;nbsp;Pardonnez-nous, Sire, nou»allons aller quérirnbsp;ce qu'il faut.

— nbsp;nbsp;nbsp;Allez et faitcs vitcment, dit Ie roi, car nousnbsp;sommes aprement travaillés par la faim, et nousnbsp;voulons la satisfaire.

Les deux vilains obéircnt.

Quelques instants après, ils reparurent, munis de tout ce qui était nécessaire pour repaitre une compagnie plus affamée encore que ne I’était celle dunbsp;roi de Sicile, ce qui n’était pas peu dire.

Quand Alpatracie, lefils d’Onolorie, la reine, Lu-celle et Frandamelle, eurent bu et mangé a leur convenance, ils songèrent tout naturellcment, harasses qu’ils étaient, èi aller se reposer.

— nbsp;nbsp;nbsp;Bien que nous soyons entrés céans un peunbsp;violemment, dit Ie roi aux vilainsqui les servaient,nbsp;j’espère cependant qu’on ne nous refusera pasnbsp;l’hospitalité d’un lit?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Vos lits sont prêts, Sire, répondirent les vi-lains.

— nbsp;nbsp;nbsp;Guidez-nous, alors.

— Volonliers, Sire.

Lors, les vilains les conduisirent dans une grande chambrc oü se trouvaient de soraptueux lits avecnbsp;pavilions d’or et de soie et tapisseries a merveil-leux dessins.

En faisant Ie tour de cette chambre pour on admirer les orneraents, Ie roi de Sicile souleva une courtine de soie et découvrit derrière l’entrée d’unnbsp;'¦scalier dont les marches étaient de jaspe et denbsp;porphyre.

— nbsp;nbsp;nbsp;Quelle est cette montée? demanda-t-il. Oünbsp;conduit-elle?

— nbsp;nbsp;nbsp;A la Chambre du Trésor, Sire, répondirentnbsp;les vilains.

— nbsp;nbsp;nbsp;La Chambre du Trésor I

— nbsp;nbsp;nbsp;Oui, Sire.,

— nbsp;nbsp;nbsp;Celam’intéresse!... N’y pouvons-nous aller?

— nbsp;nbsp;nbsp;Nul n’y peut entrer, Sire. Mais qui voit lesnbsp;richesses du perron assis devant a assez de quoinbsp;s’éraerveillcr...

¦— Pour ceux qui ne sont pas curieux, cela peut suffice, en etïet; mais pour nous, qui Ie sommesnbsp;beaucoup, cela ne suffit pas. Nous verrons celanbsp;demain; car, pourl’heure présente, je veux dormir.

Les vilains allaient se retirer.

Le roi de Sicile les rappela.

— nbsp;nbsp;nbsp;Avant de vous en aller, leur dit-il, dites-nmi par qui cette chambre mystérieuse est si biennbsp;défendue, et quel trésor il y a dedans...

Nous ne saurions vous ledire, Sire.

—- Et pourquoi cela ?

Nulle autre personne que la reine Zirfée n’y peut entrer.

—' Nulle autre?

— nbsp;nbsp;nbsp;Pas mêrae la princesse Axiane sa fille, Sire.

— nbsp;nbsp;nbsp;C’est bien... nous y entrerons demain... Ennbsp;attendant, vous pouvez vous retirer.

Les vilains se retirèrent, laissant deux flambeaux.

Le roi et le fils d’Onolorie se couchèrent sur l’un des lits, en ayant soin de conserver leurs armes,nbsp;de peur de surprise.

Quant aux dames, ellesse couchèrent sur l’autre ut, saus óter les robes et les accoutrements qu’ellesnbsp;Portaient sur ellc.

Au bout de quelques instants, tout le monde était endormi, excepté Lucelle, qui ne pouvait s’em-pêcher de songer a son hel ami, qui était si présnbsp;d’ellcl...

CtlAPITRE XllI

Comment le chevalier de TArdenle Epée, ne pouvant dormir, monta I’escalier merveilleux et rccut, d’une demoisellenbsp;mélancolique, un coup d’épée qui le renversa.

Si Lucelle ne dcrmitpas, on peut croire que le chevalier de 1’Ardente Epée ne dormit pas davan-tage, surtout tant que dura la clarté des flambeauxnbsp;laissés par les vilains, tourmenté qu’il était parnbsp;ses deux blessures, celle de la jambe et celle dunbsp;coeur.

Aussitót que ces flambeaux furent éteints, il pensa clore enfin les yeux a 1’aide de Pobscurité.nbsp;Mais tout-è-coup sortit de l’escalier, dont nousnbsp;avons précédemment parlé, une telle splendeur,nbsp;que le chevalier, croyant a quelquetrahison, prit anbsp;la hate son heaume, son écu et son épée, et raar-cha droit vers cette éblouissante lumière.

II mit le pied sur la première marche de jaspe, puis sur la seconde, puis sur les suivantes, et arrivanbsp;ainsi sous un perron soutenu par sept colonnes denbsp;jacinthe, diaphanes et luisantes, surchacunes des-quelles était une image d’or merveilleusementnbsp;taillée.

Deux de ces images représentaient des effigies d’hommes, et toutes les autres des effigies denbsp;femmes, dont l’accoutrement était si couvert denbsp;diamants et d’autres pierres précieuses que lanbsp;resplendeur de vingt torches allumées n’eüt punbsp;rendre une plus grande lumière.

Chacune de ces statues tenait en la main gauche un rouleau d’or, avec lettres latines; l’autre main montrait les murailles vers lesquelles ellesnbsp;avaient leur aspect, et oü étaient peintes, par unnbsp;habile artifice, certaines hisloires dont il sera faitnbsp;mention.

La première statue était celle d’Apollidon, em-pereur de Constantinople, magicien des magi-ciens.

La seconde statue d’homme était celle d’un vieillard, celle du grand philosophe Alquif.

Tout joignant, sur l’autre colonne, était l’image de Médée, la plus experte et la mieux enlenduenbsp;en toutes choses supernaturelles.

La statue suivante était celle de la Demoiselle Enchanteresse.

La troisième statue de femme était celle de Mé-lye, habile en Tart des sortiléges.

Puis venait celle d’ürgande-la-Déconnue.

Puis enfin, la septième et dernière statue re-présentait Zirfée, reine d’Argènes, magicienne experte, Jaquelle, pour perpétuer sa 'mémoire,nbsp;avait construit ce perron et ce qu’il contenait,nbsp;ainsi que l’indiquait le rouleau qu’elle tenait dans


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14 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

14 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

sa main gauche. De sa main droite elle montrait l’entrée du second escalier, dont les degrés étaientnbsp;de saphir blanc, et Ie lambris composé de vigriesnbsp;dont les feuilles étaient d’or, et les grappes de ru-bis et d’émeraudes, avec une infinité d’oisillons etnbsp;autres bestelettes d’un émail si beau qu’ils sem-blaient forges par la Nature elle-même.

Le chevalier prenait grand plaisir regarder toutes ces merveilles. En tournant ai-nsi de cóténbsp;et d’autre, il avisa un magnifiquè bon accroupinbsp;prés du dernier escalier, et dormant.

Le chevalier monta. Lorsqu’il eut gravi les qua-tre OU cinq premières marches, il apergut un por-tique sous lequel était une porie fermée qui pa-raissait toute en feu.

Appuyée contre cette porte, était une demoiselle d’assez grande taille, et trés belle, bien qu’elle eüt le visage un pau défait par l’amertumenbsp;et la mélancolie. Sa tête pencbait comme arbrenbsp;plié par le vent, et, comme elle était un peu lourde,nbsp;elle 1’appuyait sur sa main gauche. Sa main droitenbsp;tenait une épée nue, du pomraeau de laquelle sor-tait une clarté semblable a celle de la planètenbsp;Mars lorsqu’elle est le plus en vigueur. Et, biennbsp;qu’elle eüt les yeux dos, comme personne som-meillante, il lui tombait de grosses larmes le longnbsp;du visage.

La voyant ainsi pleurer et I’cntendant sangloter, le chevalier se sentit pris d’une telle compassion,nbsp;qu’il n’bésita pas a lui adresser la parole.

— nbsp;nbsp;nbsp;Demoiselle, lui dit-il, vous semblez affligée.nbsp;Dites-moi la cause de eet ennui, et j’y porterainbsp;remède autant qu’il sera en moi...

A ces mots, la demoiselle mélancolieuse ouvrit les yeux, apergut le chevalier, et lui dit, avecnbsp;autant d’effroi que de colère :

““Téméraire et présomptueuxl As-tu bien osé monter jusqu’ici?... Ahl ton audaeg va recevoirnbsp;sa recompense!

Et, sans plus parler, elle étendit le bras, et, d’un coup de sa flamboyante épée, transpergal’écu,nbsp;le haubert, voire le corps du chevalier, qui tombanbsp;étendu sur la place.

Mais, tout aussitót, comme revenue d’un profond sommeil, elle s’écria ;

— nbsp;nbsp;nbsp;O Jupiter! Hélas! qu'ai-je fait lü?... J'ai misnbsp;cruellement a mort celui de qui dépendait manbsp;viel...

Lors, elle se peneba h genoux vers lui, lui prit tendrement la tête dans son giron et se mit a lanbsp;considérer avec une mélancolie croissante. Cettenbsp;contemplation renforga si bien sou deuil et aug-monta si bien sa douleur, qu’il semblait que lenbsp;coeur lui dut fendre, et qu’elle tomba elle-même,nbsp;pamée, sur ce corps inanimé.

GHAPIÏRE XIV

Comment Lucelle, qui ne dormait pas non plus, fut róveillöe par les cris de Gradasilée et se leva pour savoir cc qu’d-tait devenu sou ami.

«tous l’avons dit: Lucelle, sol-licitée par l’amour qu’elle portalt il son bel ami, ne dormait pas plus que lui.

En entendant les cris et les regrets de la demoiselle, ellenbsp;ne sut que penser, et, invo-lontairement, elle tourna lesnbsp;yeux du coté oü elle a va it vunbsp;se coueber le chevalier. II n’y était plus.nbsp;Prise alors d’une jalousie inaccoutumée,nbsp;elle se leva it la bate et courut vers l’en-droit d’oü il lui semblait que partaientnbsp;les lamentations.

En arrivant au perron, elle entendit une voix qui disait piteusement:

— Ab 1 pauvrelte et raalheureuse Gradasilée 1 qu’adviendra-t-il de toi, quinbsp;a mis a mort de tes propres mains lanbsp;personne du monde que tu avais plusnbsp;chère, et qui t’a donné tant de peine itnbsp;trouver ! O chétivel Ah! plus infortunée qu’autrenbsp;qui vive eutre les bannis de tout bonheur, voyantnbsp;de tes propres yeux expirer celui que tu aimaisnbsp;plus que toi-mêmel Est-il possible que tu demeure.snbsp;davantage eu ce monde dont tu l’as chassé?... Ahlnbsp;reine d’Argènes, tu m’as bien trompee en m'as-surant, lorsque Je suis entree en ce beu de tribulations, qua mon coeur aurait repos en voyantnbsp;celui que je désirais trouver 1... II ne me restenbsp;plus qu’ê me donner Ia mort pour tenir compagnienbsp;a mon ami, du sang duquel mes mains sont souil-léesl...

Lucelle, I’enlendant ainsi parler d’ami mort, se sentit toute remuée et relouniéo, et elle s’ap-procha plus prés encore de celle qui essayait denbsp;retirer son épée du corps du chevalier pour s’ennbsp;meurtrir elle-même. G’esl alors qu’elle apergut sounbsp;ami étendu tout de son long sur le sol.

A eet aspect, Lucelle poussa un cri, et avec uuc telle énergie, que le bon qui dormait s’éveilla ennbsp;poussant de formidables rugissemcnls.

Lucelle, effrayée, chereba a s’enfuir; le bon la retintpar le bas de sa robe ot la renvorsa.

C’en était fait d’elle, si, par une inspiration su-bite, elle ne s’élait emparée de 1’épée plantec au corps de son ami.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;,

Au raême instant, la porte ardente s ouvnt avec une telle iiiipétuosilé et un tel fracas que les hani-taiits de dix lieues ê la ronde dureiit assurementnbsp;croire ê la ruine du palais et de toute 1 ile. Lanbsp;flararac traversa les salles et les escaliers, qu elie


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LA PRINCESSE DE TREBISONDE. 15

illutnina pendant une minute, et qu’elle laissa en-suite dans Fobscurité, ce qui réveilla en sursaut Ie roi et la reine de Sicile.

Puis, peu a peu, Fobscurité disparut, et Ie fils d’Onolorie se retrouva debout, sain et sauf, biennbsp;étonné de voir devant lui, étendues tout de leurnbsp;long, Lucelle et Gradasilée, qui Ie croyaient mort.

Désespéré de Fétat navrant dans lequel était sa belle mie, il se penclia sur elle, la prit dans scsnbsp;bras, et lui donna Ie chaste et suprème baiser quenbsp;se donnent ceux qui se quittent en ce monde, Ienbsp;baiser de Fadieu.

La chaleur de ses lèvres recommuniqua la vie a celles de Lucelle, quisoupiralanguissaminent, puis,nbsp;ouvrant les yeux, recounut son amant.

— Ahl mon ami, lui dit-elle, est-ce que je rêve OU est-ce que j’ai rêvé?... Ne vous ai-je pas vunbsp;étendu mort, Ie corps traversé d’une épée?

— Madame, répondit Ic chevalier, vous n’avez pas rèvé... J’étais mort, et vous m’avez ressuscité...nbsp;G’est de vous seule que Je tiens la vie, vous seulenbsp;avez Ie pouvoir de me la donner ou de me Fóternbsp;a votre gré,de vous seule dépend mon bien, monnbsp;bonheur et ma fortune!...

Comme Ie chevalier pronongait ces mots, Gra-dasiléc se releva, et, Fapercevant sur pied, sain et sauf, elle s’écria ;

— O Gradasilée 1 la reine d’Argènes ne t’avait pas trompée 1

Et, se jetant les bras étendus au cou du chevalier de FArdeiitc Epée, elle Ie baisa avec une ten-dresse passionnéc, en lui disant ;

— Ah! mon seul ami Lisvart! Que de males nuits et de pires jours j’ai endurés pour vous re-couvrerl... Mais, grace aux dieux, maintenant quenbsp;je vous tiens embrassé, ce tourment ne m’cst plusnbsp;que du plaisirl...

Durant toutes ces caresses, Ie chevalier ne savait que penser, attendu qu’il n’avait jamais vu Gradasilée et qu’il ne savait pas pourquoi elle Fappelaitnbsp;Lisvart, a moins que ce nom ne fut en elfet Ienbsp;sien.

Quant k Lucelle, intéressée k ce débat, elle ne prenait pas du tout cela pour argent comptant.nbsp;Fout ce qu’elle comprenait, c’est que son ami,nbsp;avant de Faimer, avail déjk aimé Gradasilée et luinbsp;avait célé cette amourette.

— En bonne foi, madame, dit Ie chevalier k la demoiselle, je crois que vous me prenez pour unnbsp;3utre, car jamais de ma vie je n’ai eu d’accointancenbsp;avec vous, que je sache...

Gornmentl s’écria Gradasilié. N’êtes-vous done pas Lisvart, fils du trés redouté empereur Esplan-oian et de Fimpératrice Léonorine? Gelui que j’ainbsp;Jjf’é hors des prisons de Fenchanteresse Mélye?nbsp;Lelui pour lequel je me suis exposée k être misenbsp;a mort?... Et vous ditesque vous n’avez jamais eunbsp;accoinlance avec moi? 11 ne vous souvient pas denbsp;'^ï’adasilée, fille du roi de File Géante ? Vous chan-S^fez bientót d’opinion, car je suis elle et nonnbsp;autre! Voilk quinze ans que je suis en ce lieu en-g?at(!, plein de tristesse de vous avoir perdu, etnbsp;'^jourd’hui que je vous retrouve, vous me mécon-•^aissezl...

Madame, reprit Ie jeune chevalier, voilk bien s ressouvenirs inntiles, car je vous declare que

je ne connais pas plus celui dont vous me parlez que je vous connais vous-même... J’ignore quelsnbsp;sont mes père et mère; j’ignore aussi en quel paysnbsp;je suis né et en quelle religion, ce qui m’est biennbsp;ie plus vifdéplaisir que je puisse avoir...

Gradasilée Ie regarda alors plus attentivement qu’elle ne Favait fait jusque-lk, et, k la clarté dunbsp;pommeau de Fépée qui était sur Ie plancher, ainsinbsp;qu’k la lueur qui sortaitdela chambre ouverte, ellenbsp;reconnut véritablement qu’elle s’était trompée.nbsp;Ilonteuse et chagrine, elle se retira en arrière.

Sur ces entrefaites survinrent Ie roi, la reine et Frandaraelle, bien ébahis de voir Ie chevalier en-tre Lucelle et Gradasilée.

Gomme Alpatracie allait ouvrir la bouche pour leur demander ce qui les avait ainsi rassemblés, ilnbsp;avisa k ses pieds Fépée au pommeau reluisant. 11 lanbsp;releva soudain et s’écria :

— nbsp;nbsp;nbsp;Par mon chef! vaillante épée, ce n’est pas lanbsp;première fois que je vous ai maniée, et je saisnbsp;(juc vous appartenez au meilleur chevalier dunbsp;monde 1...

— nbsp;nbsp;nbsp;Ah ! Sire, demanda Ie chevalier, qui était-il ?...

^ — Vous Ie saurcz, mais non pas k cette heure, répondit Ie roi. II nous faut, auparavant, visiter lesnbsp;raerveilles de ce lieu.

Lors, Alpatracie et sa compagne s’avancèrent vers les portes ardentes qui, au même instant, furentnbsp;chaiigées en cristal, et tous, sans danger, entrè-rent dans la Chambre du ïrésor.

CHAPIÏRE XV

Comment Ie roi de Sicile et sa compagnie ontrèrent dans la Chambre du Trdsor, et de la découverte qu’ils y firenl denbsp;l'empereur de Trébisonde, de Lisvart de Grèce, de Pd-rion de Gaule et d’Olorius.

Comme Ie roi de Sicile et sa compagnie entraient dans la Chambre du Trésor, deux mains apparurentnbsp;dans Fair, tenant une couronne d’or enrichie denbsp;rubis, de perles et de diamants, qu’elles vincentnbsp;poser délicatement sur latête de Lucelle. Puis ellesnbsp;disparurent incontinent, et Fon entendit une voixnbsp;qui disait;

— Belle pucelle, recevez cette récompense pour avoir mis fin k la plus étrange aventure qui fut jamais.

Puis, quatre hautes statues d’albatre, représentant quatre dames avec chacuiie une harpe, se mi-rent k sonner un son si mélodieux, que Ie roi et les autres pensèrent entendre un chant du Paradis;nbsp;et, k bien considérer Ie lieu, en effet, il semblaitnbsp;qu’il fut celui de la Divinité.

Toutautour, sous une couche de pur cristal, étaient peintes, or et azur, les aventures et lesnbsp;glorieux fails d armes de maints personnages illus-tres, depuis Ie temps de Deucalion jusqu’a ce moment.


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16 BIBLIOTHÉQUE BLEUE.

Les planchers hauts et bas, faits en niosaïque, tons de grisolite et de porphyre, rendaient la placenbsp;si admirable que Ton eüt dit proprement, non quenbsp;c’était Vulcain ou Neptune qui l’avait travaillée,nbsp;comme les murs d’Ilion, inais que c’était Pallasnbsp;elle-même.

Au milieu de ce pourpris était aussi un monument de jacinlhe, oü l’on avait accèsde tous cótés par cinq marches de marbre gris. Au-dessus étaitnbsp;représenté un grand roi, armé de toutes pièces,nbsp;fors la tète, qu’il avait fendue d’un coup d’épée. Unnbsp;chevalier la lui soutenait entre ses bras sur unnbsp;oreiller de drap d’or, et portait entre ses mainsnbsp;une petite clef de proësme d’émeraude et un grosnbsp;cadenas qui tenait close cette sépulture. Tout au-tour étaieut trente-sept rois d’or massif, si Iristesnbsp;qu’il serablait qu’ils fissent deuil. Derrière ces roisnbsp;étaicnt douze nymphes de pierre d’azur tenantnbsp;trompes d’argent, comme si elles eussent voulunbsp;sonner.

G’était la sépulture de Zarzafiel, souverain de Babylone, lequel, se trouvant au siége do Constantinople avec Ie roi Armato, avait regu un coupnbsp;d’épée mortel de Ia main d’Amadis. Sa soeur, lanbsp;reine Zirfée, avait fait mettre ses cendres dans unnbsp;vaisseau d’or, afin de témoigner, par la magnificence de cette sépulture, de I’amitié qu’elle luinbsp;portait.

Une inscription, en caractères cbaldéens, disait ce que nous venons de rapportcr. Elle ajoutait :

n Ce Trésor non pared sera bien défendu jus-qu’au temps oü Ie plus accompli chevalier ei la plus belle dame du'monde viendront s’emparer denbsp;la clef etouvrir Ie cadenas, par la vertu de l’amournbsp;secret qu’ils auront l’un pour l’autre. »

— nbsp;nbsp;nbsp;G’est cl vous, chevalier, et non a autre, quenbsp;s’adresse cette prophétie, dit Ie roi de Sicile.

— Ah ! Sire, répondit Ie Ills d’Onolorie, tout honteux, vous avez pouvoir de me nommer lelnbsp;qu’il vous plaira... Mais je suisbien d’avis que madame votre fille, qui a commence de rompre lesnbsp;enchantements, prenne la clef et accomplisse Ienbsp;surplus.

— nbsp;nbsp;nbsp;Volonliers, répliqua Ie roi.

Lors, il commanda i Lucelle de s’y essayer, ce dont elle s’excusa, priant Gradasilée d’en fairenbsp;épreuve la première.

Gradasilée, belle entre les belles, pensant que si Taventure devait prendre fin par beauté, elle y au-rait bonne part, donna prompt consentement aunbsp;vouloir de Lucelle.

S’approchant done de la statue qui tenait la clef, elle mit tout son effort pour s’en saisir ct la luinbsp;oter.

Elle ne put y parvenir.

Honteuseetrougissante, elle se retira pour faire place k Lucelle.

Au moment ou gente princesse s’avangait, la statue avanga elle-même le bras et lui presenta cenbsp;qu’elle désirait.

Le chevalier do I’Ardente Epée, voyant cela, en regut un contentement extreme , estimant plusnbsp;d honneur de sa dame que s’il eüt oblenu lui-mêmenbsp;toute la gloire du monde.

Lors, Lucelle ouvrit le cadenas ipii feruiait la tombe, et en souleva la couverture aussi facilementnbsp;que si elle eüt éte de liége ou de sapin.

Au même instant, les images de pierre d’azur se prirent k sonner leurs trompes d’argent, et si haut,nbsp;si haut, si haut, que le bruit en fut entendu parnbsp;tout le palais et qu’il réveilla ceux qui dormaient,nbsp;enchantés, sous cette lame, sans que personnenbsp;autre que Zirfée en eüt connaissance : l’empereurnbsp;de Trébisonde, Lisvart de Grèce, Périon de Gaulenbsp;et le prince Olorius d’Espagne.

Gertes, je ne sais pas de qui fébahissement fut Ie plus extréme, ou celui du roi de Sicile ’et de sanbsp;compagnie de voir ces quatre personnes ressusci-ter ainsi, ou celui de l’empereur de Trébisonde etnbsp;des siens de se retrouver en lieu si inconnu, entrenbsp;chevaliers armés et prêts k combattre.

Gradasilée recounut Lisvart, et son coeur en bon-dit de joie. Toutefois, pour ne pas se laisser aller a un rève, elle ouvrit ses yeux le plus grand possible, pour mieux le voir et mieux s’assurer quenbsp;c’était lui.

Lisvart la regarda aussi, croyant avoir un fan-töme devaut lui.

ClIAPITRE XVI

Des propos qu'eureiU ensemble les chevaliers délivrés ct les chevaliers qui les avaient délivré.s, el comment le tils d'0-noloric pria tl combattre l’amant de cctlc même princesse.

azare ressuscité par Jésus-Ghrist lüt moins ébahi que ne le fut le vieilnbsp;empereur de Trébisonde. II se jeta knbsp;genoux, récita une devote et fervente action de graces au ciel qui l’a-vait ainsi réveitlé après un si longnbsp;temps ; puis, se relevant, il embrassanbsp;avec effusion ses trois compagnonsnbsp;de sommeil, Lisvart de Grèce, Périonnbsp;de Gaule et le prince Olorius.

— Mes amis, leur dit-il, je vous sais gré de m’avoir ainsi tenu bonnenbsp;compagnie pendant unnbsp;espace de temps que Je nenbsp;puis guère apprécier anbsp;cetteheure... Je n’ai uullenbsp;conscience de ce qui a pünbsp;se passer et des moyens employee

pour me forcer a séjourner _ dan ce tombeau; mais votre présencnbsp;me prouvo que vous vous êtes mi^nbsp;en quête de moi et que vous avez partage monbsp;sort: c’estde cela que je vous remercie, c es pnbsp;cela que ie vous embrasse.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;^

- Siri, répondit Lisvart,.je.ne me rappeBe

rien, sinon que nous voilé nbsp;nbsp;nbsp;, mqipstp

réjouis, moins pour moi que pour „ ' mj Puis, tournant les yeux CÜ et 1 comme unnbsp;homme qui sort d uu songe, Lisvart aj


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LA PRINCESSE DE TREBISONDE. 17

LA PRINCESSE DE TREBISONDE. 17

j, J^eudant que Lisvart causait ainsi avec Gradasi-le chevalier de l’Ardente Epée causait aussi ^cc l’empereur de Trébisonde :

^ quot;T Sire, lui disait-il, j’ai maintes fois entendu t ner de yotre majesté... Votre vaillance et votrenbsp;clamées partout... A ces causes,nbsp;pour cl autres encore, vous avezot aurez toujours

gente Lucelle, qui Ie regardait avec curiosité et qui s’étonnaitde la ressemblance qui existait entre luinbsp;et sou ami Ie chevalier de l ArJente Epée.

Lors, il tressaillit et resongea k Oaolorie, que cette gente puoelle lui rappelait si bieri par sanbsp;grace et par sa beauté.

— Oiiolorie'. Onoloriel murmura-t-il.

Après Lucelle, il apergut Gradasilée, qu’i! recon-nut.

Quant au roi de Sicile et a la reine Miramynie, il ne les reconnut pas, bien qu’il les eiit vus déjanbsp;quelque part, dans ses courses vagabondes.

Gradasilée Taperqul et Ie recor.nul aussi, et elle aussi tressaillit en Ie revoyant.

Elle n’avait pas oublié sou visage, dont les traits étaient si profondément gravés dans sou cceur. Ennbsp;0'jtre, eüt-elle eu des doutes sur son identité, quenbsp;maintenant ces doutes eussent disparu devant lesnbsp;propos de l’empereur de Trébisonde, qui venait denbsp;remercier Lisvart.

Sa quête était terminée : elle venait de retrouver celui qu’elle avail lant cberchée.

Lors, SC mettant k genoux devant lui, elle lui dit:

— Ah! mon seul seigneur et ami, seule lumiére de ma vie, seul solcil de mon coeur, je vous re-trouve enfin, après vous avoir si loiigternps cherchénbsp;el pleuré comme mortl Le ciel me devait bien cenbsp;dédoinmagement qu’il me donne aujourd'hui, pournbsp;toutcs les angoisses et pour toutes les misères quenbsp;j’ai endurées a voire égard... Le ciel est juste, etnbsp;s il fait attendre sa bonté, il l’octroye si è propos,nbsp;que c’est plaisir d’avoir souffert quand on est recompense comme je le suis aujourd’hui... Je nenbsp;demande plus rien présentement, puisque je vousnbsp;ail...

Lisvart se rappelait quel trouble avaientapporté dans sa vie les faux propos tenus a la princessenbsp;Onolorie touchant la pauvre Gradasilée. 11 savailnbsp;Je mal que lui avait causé cette jalousie mal fondéenbsp;de la princesse de Trébisonde, puisqu’il avait éténbsp;lorcé de s’exiler et de courir les aventures, cher-chant la mort et ne Ia trouvant pas. Mais il nenbsp;pouvait, sous peine d’ingratitu le cl de déloyauté,nbsp;oublicr ce qu’avait fait pour lui la filie du roi denbsp;J’lle Géante. Non-seulement elle l’avait sauvé dunbsp;eücher que lui avait préparé l’cnchanteresse Mé-Jye, et s’élait ainsi exposéo è mourir a sa place,nbsp;j^iiiis encore, è la nouvelle de sa disparition avecnbsp;empereur do Trébisonde, elle avait tout quitténbsp;peur se mettre k sa recherche.

A ces causes, Lisvart répondi' affectueusenient « Gradasilée ;

,, nbsp;nbsp;nbsp;, gt;lc vous remercie, demoiselle, des marques

^'’mitié que vous ave?, bien voulu me donntr... 'Ons n’aure?, pas obligo un ingrat, je vous le dis.nbsp;“O vous apparliens corps et coeur, et^ ii toute heurenbsp;oo jour OU de Ia nuit, lorsque vous aurez besoinnbsp;lïioi, je serai prêt k vous faire service...

en moi un loyal serviteur, bien que je ne sois pas de la mêine religion que vous...

— nbsp;nbsp;nbsp;Je regrette beaucoup, mon jeune ami, quenbsp;vous ne soyez pas chrétien comme moi, réponditnbsp;I’empereur; mais votre défaut de paiVn n’exclutnbsp;pas les qualités que j’aime è reconnaitre... Vousnbsp;m’avez assisté de votre courage en rompant lesnbsp;enchantements qui nous retenaient prisotiniers aunbsp;fond du tombeau du soudan de Babylone, Lisvartnbsp;de Grèce, Périon de Gaule, le prince Olorius etnbsp;moi ; je vous dois de la reconnaissance pour cenbsp;service et de l’amitié pour la faQon dont vous l’a-vez rendu... Cette reconnaissance ne vous fera jamais défaut... Cette amitié vous est acquise dès cenbsp;moment...

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, dit le roi de Sicile, vous êtes tenu a luinbsp;plus que vous ne pensez...

— nbsp;nbsp;nbsp;Je le crois, répliqua le vieil empereur en bai-sant è la joue I’amant de Ia gente Lucelle.

Ce dernier, s’apercevant alors que Gradasilée avait laissé Lisvart seul, alia droit vers lui.

— nbsp;nbsp;nbsp;Chevalier, lui dit-il, j’ai eu maintes fois l’oc-casion d’entendre vanter votre prouesse... Vousnbsp;êtes le parangen de la chevalerie, et nul, jusqu’ici,nbsp;n’a CU Ie glorieux bonheur de vous vaincrc... Celanbsp;teute mon jeune orgueil. J’ai soif de renommée,nbsp;et le meilleur moyeii d’en acquérir, le meillcur etnbsp;le plus difficile, je le sais, c’est de m’adresser aunbsp;plus vaillant chevalier du monde, c’est-k-dire anbsp;vous, seigneur... Me ferez-vous l’honneur de com-baltre avec moi?...

G’était le fils qui provoquait ainsi le père 1

Lisvart, bien qu’atliré par la sympathie vers ce jouvenceau si plein d’ardeur et de courage, ne putnbsp;s’empêcher d’acceptcr le cartel qu’il lui proposait,nbsp;saus qu’une voix secrète I’avertit des liens qui ren-daient ce cartel impossible.

— nbsp;nbsp;nbsp;J’accepte volontiers, répondit-il,

— Oh ! je veux vous laisser respirer, seigneur! reprit le chevalier de l’Ardente Epée. Ce n’est pasnbsp;pourl’heure présente...

— nbsp;nbsp;nbsp;Fixez done vous-même l’heure et Ie lieu, ditnbsp;Lisvart. En attendant, voici mon gage de combat.

Et, en disant cela, Lisvart jeta sou gantelet aux pieds du fils d’Onolorie, qui s’avanga pour le ra-masspi’.

Mais Alpatracie, ledevangant, l’arrêta et lui dit;

— nbsp;nbsp;nbsp;Vous m’avez sauvé la vie, chevalier, ainsinbsp;qu’è la reine ma femme ct k la princesse ma filie.nbsp;A ce tilre, je me crois autorisé è vous prier denbsp;dilférer ce combat ..

— J’y consens volontiers, répondit I’amant de Lucelle.

— Je vous sais gré de cette docililé, chevalier, répliqua le roi de Sicile.

Lors, s’avanqant vers Lisvart, il lui remit son

épée et lui raconta comment il l’avait eue.

—'Je suis trés aise de la retrouver, répondit l’amant de la princesse Onolorie, trés aise en vé-rité, car j’y tenais beaucoup...

Serie.


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BIBLIOTHEQUE BLEUE,

GHAPITÏIE XVII

Comment I’eniperetir de TrébisOnde et sa compagnie ailèrent Irouver Ie chevalier de la sixiême tour, blessé par Ie flisnbsp;d’Onolorie, et comment il se trouva qu il était Ie frère denbsp;Gradasilée.

ais conime ils devi-saient ainsi Jas uns ot les autres, l’aubenbsp;du jour viiit a pa-rüttre,

Ils dfisceudirent dans la cliambre oiinbsp;Ie rui de Sicile availnbsp;dormij et oü ilsnbsp;Itoüvèri'fll assemblês leS valets dünbsp;chaleau, qui s’étaierttréveillés d’effroinbsp;au bruit des Irompeites dargent desnbsp;statues. Au moment oö ils entraient,nbsp;l’un de Ces hommes s’avahga vers lönbsp;Ills d’Onolorie et lili dit;

— Sire chevalier, Gfadamarte, qne vous avez combatlua la dernière tour,nbsp;vous prie dè voulnir bien lo vönir voirnbsp;ttvant uu’ii iie fneure...

— Est~il done a cö point défail?

—Oüi, seignéui'chevalier^ il setrolivetrès affaibli par Ie sang qu’il a perdu la uuit derilièCe... II vousnbsp;estime tarit, qü’il tiendfa «on éme allégée si vousnbsp;YouleZ lui faice ce bién de Ie visiter.

En énteudant Ce nom de Gradamarte jeté Ift par Ie valet, Gradasilée soupqonna ce qui était vrai, quenbsp;ce chevalier pöuvait bién êtré son frère, et ellenbsp;s’écria :

— O Jupiter! Qu’est Ceci? serait-cö vCaiment au fils du roi de l’ile Géanteque ce malhetlr seraitnbsp;advenu ?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Oui^ madame, tépOndit Ie vale^ c’est a lui-mêrtie et hou è nul éutre...

— nbsp;nbsp;nbsp;Hélas I Ceprit Gradasilée, je vois bien que lanbsp;fbrtdne n est paslasse encore de m’accabler! C’estnbsp;done mon propre frère qui se meurt l... PourDieu!nbsp;ami, cdnduisez-ttioi vitement auprès de lui, etnbsp;peüt-être que ma mort et la sienne s’accompagne-ront sans tardei*!»..

— nbsp;nbsp;nbsp;Allons-y tous, 'dit Ie roi de [Sicile; il méritenbsp;eet honneur.

Lors, ils y fuéent conduits, et ils tfouVetent Gradamarte gisant sur ün lit, blessé de plusieursnbsp;plaies, doritla plus graté était celle qu’il avait requenbsp;^ la jambe, laquelle on ne pouVait patvenir è étan-cher.

Gradasilée, plus morte que vive, se laissa tom-ner entre ses bras, et y demeura un assez long

uamu » nbsp;nbsp;nbsp;sans poiivoir prolércr uue seule

P e, tant elle avait Ie coeur serré,

L,a vue de sa soeur et des personnes qui 1’ao-compagnaient récönforta un peu lè pauyre blessé, qui, oubliant lö piteux état dans lequel il se trou-vait, se leVa sur son séarit et accola tendrementnbsp;Gradasilée en lui disant:

— Ah 1 chère soeur! que de fois Vous avez été appelée et désirée par moil... Coinme voire vuenbsp;me fait du bien I Moit coeur, prés de mourir, senbsp;sent quasi ressuscité en senlatit battre Ie vótre I...nbsp;Dieux immortels 1 que vos noms révéréssoieut louésnbsp;et feraerciés, puisqu’il vous a plu de permeltrenbsp;qu’avant de quitter Je monde je pusse erabrassernbsp;ceile que j’aitne ct que je regrette plus que manbsp;propre vie!...

Gradasilée, entendant son frère parler encore si fermeraent, reprit coöür, et la parole lui étantnbsp;revenue avec 1’espétance, elle murmura ;

— Ghef frère ét ami, si volre mort et votre vie sortt, en effet, è la disposition des dieux, ct s’ils ontnbsp;ordonné de Vous priver du monde, je vous supplie,nbsp;avant qne vos yeux ue soientclos, de meltré fiti amp;nbsp;mes jours de vös propres mains, atln quo nos amosnbsp;puissent ainsi partir de compagnie, et que nousnbsp;fnssions ensemble Ie vojage suprème que l’oii nenbsp;fait qu’uiie fois, et que nous ne soyons ja uais sé-pSrés soit aux Enfers, soit aux Champs-Elysées,nbsp;selon leur bon vouloir!...

Getle parole dite, lés larmes de Gradasilée se miröntè cooler è torrènl, si bien que LisVarl, com-prCnant Ié mauvais elTet de ces larmes sur Grada-martö, retlra la pauvre demoiselle en arrière etnbsp;essayade ld Céconf'orter par de bonnes paroles. II ynbsp;réussit, paree qu’il était Lisvart, c’est-è-dire, lanbsp;persöiiiie que Gradasilée airaait Ie plus au monde.

Pendant ce temps, Ie chevalier d(! l'Ardenle Epée s'était approché du blessé, qui 1’avait faitnbsp;demander.

Gradamarte s’excusa d’abord dc l’avoir dérangé; puis il ajouta:

— Sire chévalier, si J’ai éte assez hardi pour vous faire venir jusqu’è mol, qui ne pouvais allernbsp;jusqu’è vous, si j’ai voulu voils voir et vous parlernbsp;avant do monrir, pa èié k cause de 1’estmie pro-fonde et sincere que je ressens pour votre caractèrenbsp;et pour votre haute vaillance. Vous m’avez laissé lanbsp;vleqüand vous pouviez m’achever. G’est une vertunbsp;qui n’appartient qu’anx robusles et aux glorieuxnbsp;commo vous serez ünjour... Par ainsi, j’cpronvenbsp;Ie besoin de vous dire que j’emporte en mourantnbsp;votre image gravée dans mon coeur, et qne ma der-nière pensée Sera parlagée entre ma bien-aiméenbsp;soeur etvousen deux parties égales, saus qu’aucunnbsp;de vous ait ie droit de se plaituire de ce parlage-.-

— nbsp;nbsp;nbsp;Vous vivrez, Gradamarte, vous vivnz l.--

— nbsp;nbsp;nbsp;Je ne l’espère pas, sire chevalier. En tout

cas, si mes jours sont prolongi'-s encore, si je dois vivre assez pour öüblier que j ai été sur Ie point ctenbsp;mourir, je veux être vfltrc en toütes choses, etnbsp;avoir votre amitié, la plus prccieüse riciiesse quenbsp;je puisse ambltionner. Je vous obéirai, servirai enbsp;cftrnplairai en tout et paftout, cotnrae ** P ,nbsp;de hie cominandéC, faisant ainsi entendre anbsp;monde que la vertu peut plus que toutes ie» tornbsp;dés plus foCts, car, par voire vertu, vousnbsp;vaincré rria volohté, sur laquelle nul autre qunbsp;dieux n’avail puissance...nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;. ^ .

Le fils d’Onoiorie, fier de 1 honneur quo mi tM-


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19

LA PRINGESSE DE TREBISONDE,

rarlamarte était encore dans les bras du jeune chevalier,nbsp;sou nouvel ami, lorsqu’ounbsp;viiit prévenir Ie roi de Sicilenbsp;et Tempi reur de Trébisondenbsp;que la princesse Axiane al-lait bieulöt arriver avec Ienbsp;chevalier de la sepiièraenbsp;tour.

Lors, chacun courut aux armos ot Ton barricada avecnbsp;soin touies les [lorles.

Puis on s’nccupa adélivret les prisonniers, au nombrenbsp;gi'missaient depuis un long

sycc sa troupe avant qu’elle n’entrat au clialeau... lais Pcrion de Ganie, Tun des plus gentils et desnbsp;P os courtois princes de ce temps, fut d’une onbsp;idon contraire.

II serait ineilleur, dit-il, d’envoyer quelqu

sail Gradamarle, voulut lui prouver incontinent cornbieii il y élait sensible, et il lui dit :

— nbsp;nbsp;nbsp;Par mon chefl seigneur Gralamarte, si lanbsp;gloire des combats doit êlre présentée èi celui anbsp;qui elle est justement due, je vous dois bien offrirnbsp;mon épée... Jesuis vólre commevousêtesmien 1...

Ge disant, il tira son épée du fourreau, ralt un genou en terre, et la lui présenta.

Gradamarte, ne pouvant se lever pour lui ren-dre eet honneur, joignit les mains et étendit les bras vers son jeune arni en lui disant :

— nbsp;nbsp;nbsp;Embrassons-nous, chevalier, pour quo notrenbsp;amitié devienne irrevocable!

Ils s’embrassèrent de bon coeur.

GIIAPITRE XVIII

Comment, au moment oü l’on attenclait la princcsse Axiane, on vit arrivor la demoiselle Alquife, et comment l’empe-reur de Trébisonde et sa compagnie s’embarquötent sur Ienbsp;navirc qui l’avait amende.

de cinfiuatile, qui temps dans un cul de basse fosse, enchainés auxnbsp;pieds^ aux mains et au cou, quasiment saus nour-rilure, et parrni lesquels so trouvaient des amis dunbsp;roi de Sicile et de Tempereur de Trébisonde, énbsp;savoir: Adariel de Naples, Suycie, et Abies d’Ir-lande, toustroisenfantsdu roiCddadaii; Vaillades,nbsp;Ids de don Bruneo; Ie comle d’Ala.stre, Alargue etnbsp;•luelques auties. lous, aprés mainles aventuresnbsp;Wdrepnses cn vue de relrouver Tempereur et sesnbsp;i^otnpagnons, et trop prolixes pour vous étre ra-coutées, étaient venus choir eiilro les mains denbsp;I onctianleressc Zirfée, qui les avait emprisonnes.

La reconnaissance opérée, on dut songer au pol'd qui s’avangait. L'empereur de Trébisonde et pelques aulres chevaliers furent d’avis qu’il Tilled courir sus a Tinfanle Axiane et la surprendrenbsp;d’entre nous au devant d’elle pour lui annoncernbsp;les évéiieraents qui se sont passés en son absencenbsp;et lui dire que si, raalgré notre presence au cha-’nbsp;teau, il lui plait d’y venir loger, elle y sera recuenbsp;avec toutela révérence qu’inspirent son rang et sanbsp;beauté.

Chacun se rangea a cette opinion si chevale-resque, et, comme on cherchait qui on pourrait envoyer en ambassade a Axiane, Ie roi de Sicilenbsp;remonlra que Frandamelle seule était capable denbsp;bien remplir cetle mission délicate.

— nbsp;nbsp;nbsp;Car, ajouta-t-il en apprenant de la bouebenbsp;d’une femme Ie désastre de sa fortune, la princessenbsp;en sera moins irritée et, en tout cas, la fureur quinbsp;la surprendra ne pourra amener quant et soi unenbsp;vengeance aussi prompte que si elle avait Tuii denbsp;nous devant elle...

Frandamelle partit incontinent, on compagnie d’un écuyer, et ils se dirigérent, sans pordre denbsp;temps, vers une maison de plaisance que la prin-CHsse Axiane avait au bord de la mer, el oü ellenbsp;s’était arrêtée avant d’entrer au chateau.

Mais, presqu’aussitot, Frandamelle reparut en signalant Tarrivée d’un vaisseau merveillcux,nbsp;raonlé par neuf demoiselles vetues de satin blanc,nbsp;et tenant chacune une harpe.

On alia au devant d’elles, et on reconilut Alquife parmi ces neuf demoiselles blanches.

Le fils d’Önoiorie la reconnut aussi pour celle qui Tavait prié de cesser le combat conlre Esplan-dian, en la Montague Défendue.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ma grande amie, lui dit-il, permettez-moi denbsp;vous baiser, en récornpense du travail que j’ai eunbsp;pour vous trouver 1

Et il Tembrassa, en efiet.

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire chevalier, répondit Alquife enle saluantnbsp;humblement, vous savez le désir que j’ai de vousnbsp;faire service, et corabien je suis votre...

Lisvart et Périon furent étonnés de voir qu’Al-quife connaissait ainsi le chevalier de TArdente Épée, qu’ils ne connaissaient pas autrement, eux.nbsp;TüUtefois, ils ne lémoignèrent rien de leur éton-nement, et, aprés avoir regu la demoiselle commenbsp;elle le méritail, ils lui demandèrent quelques nou-velles.

— nbsp;nbsp;nbsp;Seigneurs, leur répondit-elle, Urgande ctnbsp;mon pére vous saluetit en toute bumilité, et vousnbsp;mandent par mni que vous eiilriez tous eu fce na-vire, et saus dilTérer... 11 faut que vous revenieznbsp;vers coux qui vous attendent depuis si longtemps,nbsp;et pour qui votre absence a êté une longue an-goisse...

Le vieil empereur de Trébisonde, comprenant que ce n’ctait pas sans raisoii qu’Urgando ct lenbsp;sage Alquif leur mamlaicnt de telles paroles, et,nbsp;d’ailleurs, trés désireux pour sa part de revoir lesnbsp;geus et les choses qu’il avait autrefois Thdbitudenbsp;de voir et d’aimer, répondit devant tons a la demoiselle Alquife :

— Ma grande amie, nul dc nous ne voudrait désobéir aux deux jcrsonnes au iiom desquellesnbsp;vous veilez dc nous parler imus leur devoiis tropnbsp;pour cela. Quant a rnoi, jo suis toüt prèt.

Autant e'ii dire les aulres.

Une heurc aprés, ils g’embarquaient.


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20 BIBLIOTHKQUE BLEUE.

CHAPITRE XIX

Comment le soudan cle Babylone s’enamoura en songcant la princesse Onolorie.

’erapereur de Trébisonde ot sa com-\nagnie, après avoir navigué de longs ï|ours sur la mer océane, et traversénbsp;une partie de la Méditerranée, battusnbsp;des flots, retardés, ballottés, décou-vrirent enfin a vue d’oeil la fameusenbsp;et grande cite de Trébisonde.

IIs se livraient deji a la joie du retour, lorsqu’en approebant de plus prés ils virent les ondes couvertesnbsp;d’une infinite de galères, de brigan-tins, de navires de toutes formes, quinbsp;étaient récemment arrivésnbsp;dans ces parages.

Ce qui leur causa plus de peine encore, ce futnbsp;lorsqu’ils apprirent,par unnbsp;esquif envoyé a la découverte, quenbsp;cette Rotte était celle du soudan denbsp;Babylone, qui y était en personne,nbsp;ainsi quo le témoignaient les ban-nièreset les banderolles de son vaisseau.

Nous allons vous dire è quelle occasion cetle en-Ireprise.

II peut vous souvenir encore que Zarzafiel, soudan de Babylone, était mort au siege de Constantinople. En son absence, i! avait laissé quelquTin pour gouverner en son lieu et place. Ce quelqu’un,nbsp;sachant Zarzafiel mort, se fit couronner et usurpanbsp;le litre qui appartenait h autrui. A cette occasion,nbsp;il épousa la fille du roi d’Egypte, belle entre lesnbsp;plus belles, de laquelle il cut deux enfants que lanbsp;mére porta d’une même ventrée, fils et fille, tousnbsp;deux doués de ce que Nature peut pour rendre Ianbsp;créature parfaile.

Le fils se nommait Zaïr et la fille Abra, lesquels, croissant en age, crurent aussi en grace, en force,nbsp;en beauté, si bien qu’il n’y avait, dans tont I’em-pire, ni gentilhomme ni pucelle qui les égalat l’unnbsp;et I’autre.

Le soudan, père de Zaïr et d’Abra, mourut,^ après avoir donné l’ordre de chevalerie amp; son filsnbsp;avec la solennité qui convenait si haut prince.

Zaïr était aimé ; il siiccéda tout naturellement « son père, qui 1’était moins.

Or, il advint qu’une nuit, pendant les fêtes du cquronnement, Zaïr eut une vision. II luinbsp;voir le dieu Mars, accompagné du petit

Cupido, et chacun de ces dieux essaya de l’attirer a lui et do le ranger exclusivement sous sa lol.

Zaïr était perplexe. Mars le menacait et Cupido aussi.

Le dieu des batailles, pour parvenir é ses fins, lui ramentevait ses victoires, car Zaïr en avait déjanbsp;gagné sur les ennemis de son père, et il lui faisaitnbsp;comprendre qu’il ne les avaient obtenues que parnbsp;sa protection particulière.

« — Ce n’est rien encore, ajouta-t-il i jc l’aide-rai de telle sorte, que tu subjugueras non-seule-ment Terapire de Constantinople, inais les Parlhes ne sauront plus te résisler, et tu les disperserasnbsp;comrne fait le vent des grains de poussière!... Si,nbsp;au contraire, tu me laisses podr suivre cc petitnbsp;dieu avcugle ct enfant, la gloire que tu as con-qiiise jusqii’a présent se retirera de tol bien loin,nbsp;si loin que tu n’auras désormais rien autre chosenbsp;que ruine en tes affaires!... »

Zaïr, intimidé, congédia Cupido et se rangea imuiédiateraent du coté du dieu Mars, ne voulantnbsp;doréiiavant servir que lui.

Le fils de Vénus, marri et irrité de se voir ainsi abandonné et méprisé, tira de son carquois unenbsp;fièche ferrée d’or, et la décocha a Zaïr en pleinnbsp;coeur.

Tont aussitót lui apparut, dans tout le rayonne-ment de la grace et de la beauté, une princesse merveilleuse, si merveilleusemeut belle, qu’il ennbsp;demeura corame transi et comme pamé.

«— Zaïr, dit Cupido, tu sauras ce qu’il en coüte pour ine braver! Cette princesse que tu vois, lanbsp;plus divine des femines en perfections avouées ounbsp;secrètes, te fera un jour mourir pour son amour...nbsp;Regarde-la bien a loisir, afin que ses traits charmants ne s’en gravent que mieux devant tes yeuxnbsp;el dans ton cceur... Regarde-la et admire-lal...nbsp;G’est la b(ille princesse Onolorie, fille de I’empe-reur de Trébisonde!... »

Cupido ayant achevé ces mots, disparut, lais-sant Zaïr en telle peine qu’il se roveilla comme en sursaut, ayant toujours devant les yeux de 1 esprit la perfection de Tadorable créature qui venaitnbsp;de lui apparaltre.

Il fit mille et mille tours dans son lit et ne put former I’ceil jusqu’au jour, soupirant sans eessenbsp;après cetlc belle apparition qui lui causait encorenbsp;des fréinisseinents delicieux de la plante des piedsnbsp;a la plante des cheveux.

— 0 bon Jupiter! murmura-t-il obsédé paiquot; cette vision. Je to supplie bien humblement, ou denbsp;Irancher le fil de nia vie, désormais tourmentee,nbsp;ou de donner allégeance aux désirs amqureux qu®nbsp;je ressens pour celte belle inconnue qui s appelnbsp;la princesse de Trébisonde!...


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LA PRINCESSE LE TREBISONDE. 21

CHAPITRE XX

Comment Ie soudan de Babylone, qui dépörissait d’amour, se seiitit rdcoaforlö par Ic conseil de sa soeur, la bellenbsp;Abra.

^„P pggtg gQpjg 1’impression de cette amoureuse vision pendant plu-sieurs jours et plusieurs nuils. IInbsp;devint mélancolique et rêveur, etnbsp;s'ctuflia ö füir toutes les occasionsnbsp;do distraction, voulantse nourrirnbsp;exclusivemeiit de eet agróable poi-I son (jui letuait è petits coups.

' Chacun des personnages ordi-naires de sa cour, en Ie voyant ainsi dépérir, se deinandait quellenbsp;nialadie il pouvait bien avoir, etnbsp;.on ne comprenait pas que les mé-' deerns qui Ie soignaient ne pussentnbsp;pas Ie guérir, payés qu’ils dtaientnbsp;pour cela.

Ilélasl l’ainour est un mal que les médecins les plus habiles nenbsp;savent pas guérir, bien que Ie re-^ rnède it employer soit Ie raoins coü-teux et Ie plus facile de tous.

Done, les médecins du soudan de Babylone avaient jeté leur langue aux chiens, honteux d’etrenbsp;ainsi forces de confesser leur influence et leur in-fériorité, et, d’un autre cóté, trés marris de cettenbsp;inyst(''rieuse maladie qui raenaoait d’emporter leurnbsp;auguste malade, et, avec lui, les ressources dontnbsp;ils vivaient si bien. '

Car Zaïr s’en allait vers la tombe, cela était évident pour tout Ie monde, pour les intéressés cornme pour les indifférents. A Ic voir ainsi jaune,nbsp;amaigri, débile, mélancolieux, on comprenait quenbsp;la vie se retirait de lui et que, d’un jour a l’autre,nbsp;d allait s’en aller rejoindre son père dans Ie tom-

. La belle Abra, soeur de Zair, ne fut pas la der-tiiére, on Ie pense bien, a s’apercevoir du mal-êtro ^u^uel sou frère était en proie depuis quelque

Dabord, elle se tut, non par indifference, car ®‘le aimait Zaïr, mais, au contraire, par discré-bon. 11 n’est pas toujours bon, en effét, que lesnbsp;J.®anes ülles se préoccupent irop des reveries desnbsp;leuues garcons, mêmc^orsque ces jeunes gareonsnbsp;sont leurs parents.

Gependant, en face de ces ravages apparents d une maladie mystérieuse, la belle Abra rait denbsp;cote sa pudeur de pucelle et ne laissa parler ennbsp;Re que son affection pour son frère.

Ie nbsp;nbsp;nbsp;elle entra courageusement dans

reirait oü il se célait a tout Ie monde pendant des journées’entières, et, Ie trouvant accroupi tou tnbsp;rêveur sur un lit de drap d’or et de soie, elle s’ap-procha doucement de lui, et lui posa la main surnbsp;i’épaule.

Zaïr tressaillit et releva la tête, contrarié d’etre ainsi arraché a sa vision.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ah 1 c’est vous, ma soeur I murmura-t-il d’unnbsp;ton radouci et d’un visage moins farouche.

— Oui, cher frére, c’est moi qui viens savoir pourquoi vous vous célez ainsi a tout Ie monde...

— Je souffre, répondit Zaïr en soupirant :

— Je Ie sais, mon cher frère, je Ie sais, car c’est Ie bruit général, et chacun prend une vivenbsp;part è volre mal, mais sans Ie connaitre... Quelnbsp;est-il done, ce mal mystérieux qui vous consumenbsp;ainsi et qui menace de vous emporter si vous n’ynbsp;prenez garde?...

— Je l’ignore, répondit Zaïr en rougissant un peu.

— Vous l’ignorez? demanda la belle Abra en regardant lixernent son frère entre les deux yeux.

Zaïr ne répondit pas.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ne suis-je done plus votre araie, votre soeur?nbsp;demanda la belle Abra avec une voix caressante.

— Toujours, et plus que jamais! répondit Ie jeune soudan avec vivacité et en embrassant ten-idrement sa ceur.

— Eh bien, alors?...

Le soudan soupira de nouveau, mais il ne répondit pas.

Ce soupir répondit éloquemment pour lui!

— Seriez-vous amoureux, cher frère? demanda la gente pucelle en hésitant un peu, par pudeur.

— nbsp;nbsp;nbsp;Oui, répondit Zaïr.

— nbsp;nbsp;nbsp;Eli bien ? reprit Abra, étonnée.

— nbsp;nbsp;nbsp;Cela ne m’empêche pas d’etre le plus mal-heureux des hommes 1...

— nbsp;nbsp;nbsp;Mais vous n’êtes pas un homme, mon chernbsp;frère, vous êtes un prince puissant, riche, jeune etnbsp;beau!... Quelle femme au monde oserait vous ré-sister? Vénus elle-même serait heureuse et fiérenbsp;d’etre aimée de vous et de vous aimer 1

Le soudan se contenta de soupirer de nouveau, et plus fort encore que les précédentos fois.

— nbsp;nbsp;nbsp;Vous m’effrayez 1 s’écria Ia belle Abra, quinbsp;commengait è n'y plus rien cornprendre.

— nbsp;nbsp;nbsp;Allons, murmura Zaïr, je vois bien qu’il fautnbsp;que je vous raconte tout...

—^ Racontez, cher frére, racontez vitementl s’empressa de dire la belle et curieuse prineesse.

Zaïr hésita un instant, puis, décidé par le regard éloquentdesa soeur, qui s’était emparéede ses mains et les pressait tendrement dans les siennes,nbsp;il lui dit :

— nbsp;nbsp;nbsp;J’ai eu une vision...

— nbsp;nbsp;nbsp;Une vision ?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Oui...

— nbsp;nbsp;nbsp;Une vision vous cause tout co mal?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Oui, ma chère soeur... Le dieu Mars et lenbsp;dieu Cupido me sont apparus et m’ont forcé de menbsp;prononcer entre eux... J ai balance quelque temps;nbsp;puis, songeant aux victoires que j ayais déjè rem-[lortées par l’efficace protection du dieu des batail-les, et k celles que je pourrais encore remporternbsp;par la suite, grace a lui, je me suis rangé de sonnbsp;cóté...


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BIBLIOTHEQUE BLEUE,

— nbsp;nbsp;nbsp;Ge qui a naturellement irrité Ie méchantnbsp;dieu Cupido?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Vous l’avez deviné, raa chère soeurl...

— Alors?...

— Alors, pour se venger de ce choix, Cupido a fait paraitre, devant mes yeux éblouis, la plusnbsp;belle personne de la terre...

— Qui peut-clle être?...

—• Une princesse chrétienpe, hélas 1

— Un princesse chrétienne ?

— Oui, ma soeur...

— Et comment se nomme4-eUe ?...

— C’est la princesse Onolorie, la fille de 1’em-pereur de Trébisonde...

•— La princesse Onolorie? Oh 1 alors, cher frère, réjouissez-vous et espérez!...

— Pourquoi cela?...

— Ignorez-vous done que Ie vieil empereur de Trébisonde est absent depuis longtcmps de cheznbsp;lui, sans qu’on eii ait jamais entendu vent ninbsp;voix?...

— nbsp;nbsp;nbsp;G’est vrai... Mais qu’en concluez-vous?

— J’en conclus que l’empire de Trébisonde est fort mal gardé, et que la princesse Onolorie nenbsp;doit pas être mieux gardée que lui. Allez-y amp; lanbsp;tete d’une armée, et adressez-vous h l’impéra-trice... Elle ne vous refusera pas sa fille, si vousnbsp;la lui demandez de celte fapon-la...

— nbsp;nbsp;nbsp;Si, eependaiit, raalgré cela, elle me la refu-sait?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Eh bien! vous en seriez quitte peur l’enle-ver1...

— nbsp;nbsp;nbsp;Vous avez raison, raa soeur, vous avez raison 1nbsp;s’écria Ie soudan de Babylone. Vous étes aussinbsp;bien avisée que vous êles belle 1... Je suivrai cenbsp;couseil que vous me donnez la si fort a propos pournbsp;mon bonheur et pour mon reposl...

CIIAPITRE XXI

Comment !e soudan de Babylone, grace a l’dloquence et a la beauté de sa scEur la princesse Abra, put lever une formidable armée el aller en Trébisonde pour enlevcr la bellenbsp;princesse Onolorie.

Zaïr, tout réconforté par les paroles de sa soeur Abra, fit immédiateraent assembler tous les rois,nbsp;princes et seigneurs présentement de séjour en sanbsp;cour, pour les decider faire en armes avec lui Ienbsp;voyage de Trébisonde.

Mais il comprit que son éloquence pourrait échouer, malgré tous ses efforts, et, pour mieuxnbsp;réussir dans cette seduction, il pria sa soeur denbsp;parler en son lieu et place.

, La princesse Abra accepta cette mission. Elle etait spirituelle, elle se savait belle: double raisonnbsp;pour être irrésist bic 1

Les princes élant assembles dans la salie du con-seil sur 1 invitation pressante du soudan, elle s’y rendit, sans même avoir pris la peine d’ajouternbsp;quelques attraits de plus ci ceux dont elle était sinbsp;richement pourvue. Qu’avait a faire l’Art, la oü lanbsp;Nature n’avait rien lai;sé fi faire ?

Qiiatid elle parut, ce fut un concert de raurmu-res flatteurs qui volligèrent de bouche en bouche porame aulant d’abeilles, bourdonnement dont lanbsp;belle Abra ne fut pas importunée Ie moins dunbsp;mondei...

Pour mieux faire coraprendre l’assurance avec laquelle la soeur de Zaïr se présentait devant cettenbsp;assemblee de princes païens, il faut dire que lanbsp;plupart briguaient rimniieur de l’avoir a femme etnbsp;qu’elle avail eu la coquetterie de se promettre anbsp;tous sans se promettre ti un seul.

— nbsp;nbsp;nbsp;Seigneurs, dit-elle d’une voix raélodieusenbsp;comme du cristal, Ie soudan de Babylone, monnbsp;bien-aimé frère, a eu, il y a quelque temps, unenbsp;vision dont je dols vous faire part, car elle doitnbsp;aboutir a la gloire générale aussi bien qu’èi lanbsp;gloire particulière.

Abra s’arrêta un instant; puis elle reprit, au milieu du plus profond silence :

— Le grand Jupiter et Ie grand dieu Mars ont daigné lui apparaitre pour lui commander d’entre-prendre la conquête de Trébisonde... Aulrernent,nbsp;ainsi qu’ils l’en ont averil, il en serait chatié, etnbsp;rions avec lui... Si nous leur obéissons, au contraire, notre gloire est certaine et notre victoirenbsp;assurée... Zaïr épousera la princesse Onolorie,nbsp;fille de l’empereur de Trébisonde, et il sortiranbsp;d’eux un chevalier tellement accompli, que le so-leil ne reluit pas plus enire touies les étoiles, quenbsp;ne reluira sa renommée entre toutes les autres,nbsp;de rOiient fi LOccident... Par ainsi, seigneurs, ai-dez le soudan dans celle honorable entreprise, etnbsp;vous en augmenterez d’autant votre reputation,nbsp;déji si grande!... Ce sera, pour chacun de vous,nbsp;une occasion de plus de faire preuve de vaillancenbsp;et, en même temps, d’obéir k nos dieux, ce dontnbsp;je téraoignerai, car, quoique femme, je serais vrai-ment l'achèe qu’une si glorieuse entreprise s’efièc-tuAt hors de ma presence... Je serai avec vous pournbsp;me réjouir des succes de vos armes, autant a causenbsp;de vous qu’a cause de mon bien-aimé frère...

La belle Abra cessa de parler, et le rnême mur-raure flatteur qui avail accueilli son entrée dans la salie du couseil accueillit co discours si habile-ment arrange.

Chacun applaudit, et la conquête de Trébisonde fut résolue. On se dispersa au plus vite pour senbsp;réunir plus vite encore, si bien, qu’au bout denbsp;quelques jours, il y eut une telle affluence de gensnbsp;de pied et de cheval, quo la terre en fut couvertsnbsp;et la mer aussi.

Ou se disposait amp; partir. Au moment d^entrer en mer, la belle Abra prit ö part son frère Zaïr et luinbsp;dit :nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;. ,

— nbsp;nbsp;nbsp;Mon cher frère, il faut n’employer la violencenbsp;onvers les dames que lorsqu’ori no peut pas lairenbsp;autrement... Pour ne devoir la princesse Unolori^nbsp;(lu’è la douceur et a la courtoisie, et non a la lorct,nbsp;emportez avec vous le plus de joyaux quo vonbsp;pourrez, lesquels vous offrirez a votre belle atnbsp;avant que d’en venir Ma dure exlremite des ai-raes...


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LA PRINCESSE DE TREBLSONDE. 23

— Vous parlez d’or, ma chère soeiir, répondit Zaïr, et je suis honteux de ne pas vous avoir de-vancée dans cette pensée... Je vais réparer au plusnbsp;vite eet impardoniiable oubii...

Et, en effet, Ie jeune soudaa fit metlre en son vaisseau les plus précieux joyaux 'ju’il put trouver,nbsp;puis il s’ernbarqua et donna Ie signal du depart.

C'est ainsi que la puissante armee fit voile droit en Trébisonde, et vinrent y surgir un peu avantnbsp;l’arrivée du vieil empereur et de sa compagnie,

GllAPITllfi XXII

Comment Ie vieil empereur de Trébisonde, ayanl pris terre avec ses compagnons, en-voya la demoiselle Alquifc auprös de l'impé-ratrice, pour la préparen 4 son retour,

ien étonné, nous l’avons dit, fut lo vieil empereurnbsp;de Trébisonde, en aperce-vant cette formidable flottenbsp;païenne, dont b's intentions ne pouvaient pas êtrenbsp;un seul instant douleuses.nbsp;Mais il ne s’agissait pas de se laissernbsp;aller h I’etorinement, ce qui pouvaitnbsp;faire perdre un temps précieux. L'em-pereur so décida a prendre terre un peunbsp;en arrière de cette flotte ennemie et denbsp;secourir sa ville avant Ie désembar-quement des païens.

Le soleil commencait Ji laisser la plaine pour se retirer aux coleaux plus lointains, quand le pilotenbsp;qui conduisait le vaisseau de l’empereur, abandon-nant la haute rner, s’en vint prendre port h troisnbsp;milles au-dessous de la grande flotte du soudan denbsp;Babylone.

Chacun de ceux qui raontaient ce navire des-cendit avec précaution sur le rivage et se disposa a entrer dans la ville.

^ Mais, auparavant, l’ernpereur pria Alquife de s’en aller incontinent trouver l’impératrice, afin denbsp;la prévenir de son arrivée, réfléchissant sagementnbsp;que sa trop brusque apparition, après tant d’annéesnbsp;d'absenco, pourrait produire un eiïet désastreuxnbsp;au lieu de l’elïi-t agréable qu’il en attendait.

Alquife partit done, escortée par deux ccuyers seulement.

A la potte de la ville, ello fut arrêtée par la garde, qui se refusa é la laisser continuer sonnbsp;chemin. Ileureuseracnt que bt due d’Alafonte scnbsp;trouvait la. II reconnut la demoiselle, 1’einbrassanbsp;et lui deinanda quelques nouvelles touchant l’em-pereur de ïrélrsonde.

— Je u’ai guère le loisir de vous répondre, seigneur, dit Alquife; maïs si vous voulez bien me, conduire vers madame l’impératrice, je pense que

vous aurez alors lieu de vous réjouir, eomme elle, des nouvelles que je M apporte.

— Allons, j’attendrai jusque-lS, demoiselle, répondit le bon seigneur en soupirant et en offrant son bras ii Alquife.

Alquife accepta, et ils se dirigèrent tous deux vers le palais.

Tout en cheminant, le due Alafonte dit amp; sa cornpagne:

— Ab I demoiselle Alquife! si vous saviez quel vide il y a dans cette ville depuis que l’empereurnbsp;n’y est plus!... Si vous saviez quelles larmes on ynbsp;a verséesl... L’impératrice et les princesses s’é-taient jusqu’ici rcfugiées au monastère de Sainte-Sophie, oü elles vivaientdans la plus grande solitude et la plus grande sainteté qui se puisse voir...nbsp;I'llles y seraient encore, sans cette approebe denbsp;païens qui a jeté le trouble partout et qui les anbsp;forcées de revenir au palais, oü vous allez les trouver, mais tristes et navrées au possible 1...

Ils arrivèrent au palais, et rencontrèrent préci-sément une des femmes de Pimpératripe.

Le due Alafonte l’arréta.

— Ma mie, lui dit ce bon seigneur, allez vite-ment prévenir madame l’impératrice que la demoiselle Alquife est céans avec de bonnes nouvelles qui la concernent...

— Esl-il possible, Jésus-Dicu! s’écria la femme.

— C’est trés possible, oui, répondit le bon seigneur en la poussant doucement du cóté de la chambre de l’impératrice. Allez, ma mie, allez vite-ment.

— Oh! le ciel nous devait bien celal murmura-t-elle en entrant tout aussitót dans la chambre impériale.

CHAPITRE XXIII

Comment la bonne demoiselle Alquife s’acquitta de sa mission, et comment, au moment oü elle annon(,ait ül impé-ralrice l’arrivée de l'empereur, celui-ci parut pour confirmer sa parole.

Les trois veuyes élaient toutes trois agenouillées sur leur prie-Dieu, n’osant pas rompre le silencenbsp;qui régnait depuiS longtemps, de peur d’éveillernbsp;une douleur de plus en se ramenant mutuellementnbsp;au sentiment de la réalité.

— Dien puissant! murmura Timpératrice, n’y tenant plus. Dien puissant! cette dure épreuve ünbsp;laquelle vous nous avez soumises cessera-t-ellenbsp;bientót? Je suis pour ma part au bout de monnbsp;courage et de mes forces... C’est une angoisse tropnbsp;épre pour de chétives créatures comme nous... Ah !nbsp;Seigneur Jésus, vous avez souffert, mais vous étieznbsp;homme, et d’ailleurs votre martyre a duré peu denbsp;temps... Nous sommes femmes, nous, et I’ansencenbsp;de noire prince bien-aimó, notre père et notrenbsp;mari, dure depuis longues annéesl... Ah! Seigneur


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24 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

24 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

Dieu ! secourez-nous I secourez-nous 1 Benolte Vierge Marie, venez è notre aide!... Rendez-nousnbsp;I’empereurl...

— nbsp;nbsp;nbsp;Rendez-moi Ie chevalier de la Sphèrel mur-mura la princesse Gricilerie.

— nbsp;nbsp;nbsp;Rendez-moi Ie chevalier de la Vraie Croix!nbsp;murmura la princesse Onolorie.

Au même instant, la femme è laquelle avait parlé Ie due Alafonte entra tout essoufflée dans cettenbsp;chambre oü souffraient trois pauvres princesses.

— nbsp;nbsp;nbsp;Madame! madame!... cria-l-elle. Bonne nouvelle!... Bonne nouvelle!...

— nbsp;nbsp;nbsp;Bonne nouvelle? répéta l’impératrice, dontnbsp;Ie coeur tressauta.

— nbsp;nbsp;nbsp;La demoiselle Alquife vient d’arriver...

— nbsp;nbsp;nbsp;Alquife?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Oui, madame...

— nbsp;nbsp;nbsp;Blle a vu l’empereur?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Je l’ignore, madame... Mais elle estarrivéenbsp;et demande k être introduite céans pour vous dunner quelques détails intéressants.

— nbsp;nbsp;nbsp;Oh! qu’elle viennel qu’elle vienne!... s’écrianbsp;rimpératrice, émue et tremblante.

Et elle alia ouvrir elle-raême la porte de la chambre pour savoir plus tót ce qu’elle devaitnbsp;espérer.

— nbsp;nbsp;nbsp;Venez, demoiselle^AlquifeI Venez! lui cria-t-elle.

Alquife parut et fit une respectueuse révérence.

— nbsp;nbsp;nbsp;vous avezvu rempereur?demanda l’impéra-trice toute haletante.

— nbsp;nbsp;nbsp;Oui, madame...

— nbsp;nbsp;nbsp;R... est... loin... d’ici?...

— Tout proche, au contraire...

— nbsp;nbsp;nbsp;Prés de nous! Oh! si vous dites vrai, soyeznbsp;bénie, demoiselle Alquife. Mais si vous nous ditesnbsp;cela pour tromper notredouleur, c’est tropcruel...

— L’empereur vient de débarquer, madame... 11 m’a envoyée vers vous pour vous prévenir, pournbsp;vous préparer ó son retour, afin que Ie coup ne futnbsp;pas trop violent et que la joie ne vous fit pas tropnbsp;de mal...

— L’empereur... est... si prés... de nous?murmura rimpératrice, pale d’émotion et de plaisir.

— Oui, madame...

— Et.... qui l’accömpagne?.... demandèrent presqu’ensemble Onolorie et Gricilerie.

— Geux qui s’étaient mis k sa recherche, répon-dit la demoiselle Alquife.

— Ainsi... Ie prince OIorius...

— Le prince OIorius, Lisvart de Gréce, Périon de Gaule... et quelques autres...

Ce fut au tour des deux belles princesses de palir d’émotion et de plaisir.

Leurs amis élaient arrivés! Elles allaierit les re-voirl...

La demoiselle Alquife reprit:

— nbsp;nbsp;nbsp;lis étaient enfermés dans le chateau de l’en-chanteresse Zirfée... llsontété délivrés, grace aunbsp;courage du chevalier de l’Ardente Epée, un vail-lant jeune homme; grace aussi au dévouement denbsp;Gradasilée, fille du roi de l’ile Géante...

— Gradasilée!... s’écria Onolorie, en sentant renattre sa jalousie.

Gradasilée... G’est ü cette geuse princesse que les chevaliers Lisvart,

Périon et les autres doivent d’être délivrés et d’etre aujourd’hui dans la cité de ïrébisonde...

— nbsp;nbsp;nbsp;Ah! tant que je n’aurai pas vu et touchénbsp;l’empereur, je ne vous croirai pas! s’écria rimpératrice.

Tout-a-coup la porte de la chambre s’ouvrit, ct I’erapereur parut, suivi de Lisvart et de Périon.

— nbsp;nbsp;nbsp;Me croirez-vous maintenant, madame? de-manda la bonne demoiselle Alquife en souriant.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ah! s’écria rimpératrice.

Elle ne put dire autre chose. Son émotion était trop forte. Le vieil empereur la regut pamée dansnbsp;ses bras.

GHAPITRE XXIV

Comment le vieil empereur de Trébisonde et ses compagnons furei.t accueillis des deux princesses et de rimpératrice,nbsp;et comment parut un serpent monstrueux au moment oünbsp;ils devisaient le plus tendrement.

n ne meurt pas de joie, fort '^heureusement; sinon rimpératrice de Trébisonde et les princesses ses filles n’eussent pasnbsp;eu le temps d’embrasser ceuxnbsp;qu’elles attendaient depuis unnbsp;si long temps.

Pendant que l’impératrice et son vied époux, tendrementnbsp;embrassés, se raconlaient mu-tuellement les angoisses qu’ilsnbsp;iavaient ressenties d ètre ainsinbsp;séparés, fi un age surtout oii lanbsp;separation est si pénible, Périon et Lisvart devisaient res-pectueusement, dans un autrenbsp;coin de la chambre, avec lesnbsp;princesses Gricilerie et Onolorie.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ah! madame, disait Périon a sa mie, Ia féli-cité de cette reunion me paie avec usure des in-quiétudes de l’absence. Je ne demande plus rieiinbsp;au ciel, maintenant, car ce n’est pas de lui, maisnbsp;de vous que doit me venir le surplus de ma béati-tude...

Lisvart en disait autant a la belle princesse Onolorie.

— nbsp;nbsp;nbsp;Madame, lui disait-il, pourrons-nous revoirnbsp;ensemble ce verger qui nous a servi de paradis?. .^

— nbsp;nbsp;nbsp;La clef eu est rouillée, depuis le temps qu elle

n’a servi, répondit Onolorie en souriant; mais nous Ia dérouillerons facilement.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;^

— nbsp;nbsp;nbsp;La coudraie est toujours a la nième place....

— nbsp;nbsp;nbsp;Vous en jugerez si vous voulez cette nuitnbsp;même...

— nbsp;nbsp;nbsp;Vous y cousentez?...

— nbsp;nbsp;nbsp;11 le fuut bienl... Ne suis-je pas hee k vous


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LA PRINGESSE DE TREBISONDE. 25

par d’indissolubles liens?... Ge que vous voulez, mon devoir est de Ie vouloir...

— nbsp;nbsp;nbsp;Votre devoir seulement?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Mon devoir... et mon plaisir...

— nbsp;nbsp;nbsp;Ah! je voudrais étre k cette heure fortunéenbsp;oü il me sera permis de vous presser dans mesnbsp;bras, sur mon coeurl...

Gomme Ie chevalier de la Vraie Groix disait ces mots, on entendit un bruit confus, puis formidable, comme des cris d’elfroi, et, bientót, la portonbsp;s’ouvrit avec fracas, et quelques personnes du palais s’y précipitèrent...

Derrière elles, les poursuivant, venait un mon-slrueux serpent, jetant feu et dammes par les yeux et par la gueule.

Lors, vous eussiez vu dames et demoiselles, plus mortes que vives, les unes tenant embrassésnbsp;ceux qu’elles avaient pu happer, les autres prêtosnbsp;k saillir par les fenêtres, faute d’une autre issue, etnbsp;tellement immobilisées par la peur, qu’elles rcssem-blaieut plus k statues de marbre qu’a creatures denbsp;chair.

Périon et Lisvart, l’épée au poing, assaillirent rudement cette vilaine béte, laquclle les serra denbsp;si prés qu’ils tombèrent a plusieurs reprises parnbsp;terre sans pouvoir l’entamer, car autant faisait unnbsp;coup d’épée sur sa peau squameuse que coup denbsp;marteau sur enclurae.

Lisvart, irrité, se tira k quartier, et, haussant Ie bras de toute sa puissance, il frappa Ie monstrenbsp;entre les deux yeux, pensant lui décoller ainsi lanbsp;tête. Mais l’épée lui sortit du poing, ct, au moment oil chacun Ie croyait perdu, Ie serpent s’éva-nouit, et, a sa place, se présenta une fort honorable dame, vètue de noir, laquelle dit en sou-riant :

— nbsp;nbsp;nbsp;Eh! quoi, sire chevalier, est-ce done ainsinbsp;que vous accueillez les demoiselles qui vous vien-neiit visiter, et qui sont tant vólres que je suis?...

Ghacuu reconnut alors Urgande-Ia-Déconnue, assez coutumière de ces sortes d’algarades, commenbsp;on a pu voir précédernment.

La peur qu’elle avait causée, sous sa forme de serpent, fut bientót dissipée.

— nbsp;nbsp;nbsp;Soyez la bienvenue! lui dit Ie vieil empe-reur en allant l’embrasser.

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, répondit la Demoiselle Enchauteresse,nbsp;vous me pardonnerez ce désir que j’ai eu de menbsp;trouyercéans en même temps que vous, pour êlrenbsp;lemoin de la joie de 1’impératrice et des dames vosnbsp;blies, qui ne me coiinaisseut pas encore et que jenbsp;voudrais bien saluer...

Lots done, la prenant par la main, Ie vieil em-poreur la présenta a sa femme et k ses filles, en üisant :

— nbsp;nbsp;nbsp;Ma mie, voici Urgande, k qui je suis fort re-^bnnaissant et qui desire vous faire la révérence.nbsp;Fiiites-lui done, je vous prie, bon accueil, pournbsp;1 amour de rnoi.

L’impératiice, k cette parole, s’avanqa vers Ur-pande et, la baisant, la pria de s’asseoir auprès b elle. Mais elle, s’en excusant, lui dit.

Ma dame, vous me perraettrez de saluer au-Paravant mes dames vos filles, auxquclles, a ce qu’il me parait, je ressemble si fort d’ège et denbsp;beauté...

Urgande dit cela de si bonne grace, que chacun se prit a rire, ear elle était alors aussi ridée qu’unnbsp;singe de cent ans.

— Faites, répondit l’impératrice en souriant; je vous les baille en charge, puisque vous les vouleznbsp;avoir.

Trés humbleraent la reraercia Urgande, qui alia aussilót embrasser les deux jolies princesses, toutesnbsp;préoccupées de la présencede leurs chevaliers.

Le reste du jour se passa ainsi tout en pl^sir, jusqu’a l’heure de se retirer, heure k laquelle Urgande et Gradasilée se retirèrent ensemble.

GHAPITRE XXV

Comment Lisvart de Grèce et Petrion de Gaulo furent récompensés de leur long jeune amou-reux par les belles princesses Onolorie et Gri-cileric.

’après ce qui leur avait été promis par leurs amies, Périon et Lisvart se levèrentnbsp;secrétement , et, couvertsnbsp;chacun d’im manteau, s’ennbsp;vinrent au jardin, dont Ia

porie était fermée.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ne vous semble-t-il, dit tout bas Lisvart k Périon, que nous sommes b,en ampbmient recompenses fun et 1’autre de notre long Purgatoire,nbsp;élant prés, comme nous le sommes, d’entrer aunbsp;Paradis tant désiré?...

Cette exagération amoureuse fut entendue des princesses, qui ue se purent tenir de rire, car Gri-cilerie essayait précisément d’ouvrir la porte dansnbsp;ce momeut-lk, et sans pouvoir y parvenir.

— nbsp;nbsp;nbsp;Patience et espérancel dit-elle. Qui attendnbsp;plus qu’il neveut s’emiuie plus qu’il ne doit!...

Comme elle s’efforqait inutilemeut de faire ouverture, Onolorie, rnécontento de n’avoir pas ce qu’elle désirait, lui dit quasi en colère ;

— nbsp;nbsp;nbsp;Si vous aviez autant que inoi bon désir de leger ces pauvres étrangers qui sont ik derrière k senbsp;rnorfondre, votre foi et votre amour sutfiraientnbsp;pourcrocheler serrure et cadenasl...

Elle avait a peine proféré ce mot, que la porto s’ouvrit.

Lors se présentèrent les deux amoureux chevaliers qui, pour faire mieux leur appointemeiit, s’é-cartcreiit 1'un de l’autre. Et, chacun tenant sa mie enlacée, ils enlrèrent tous quatre sous les vertesnbsp;feuilles, oü ils s’amusèrent peut-être k enfiler desnbsp;perles. Toutefois, si vous en pensez autrement, jenbsp;m’en rapporte a ce qu’il en est.


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26 BIBLIOTflEQUE BLEUE.

Tant il y a que, hpureux de se retrouver après tant de jours, et surlout taut de nuits perdues dansnbsp;1’atiente, ils s’entr’accoièrent lendreraent et senbsp;distribuèrenl sans les compter des milliers de sa-voureux baisers.

Pi^rion, amoiireusement étendu dans Ie giron de Grieilerie, commenqa^i lui raconter, ainsi qu’è sanbsp;sceur, tout Ie déplaisir qu’ils avaient souffert du-rant leur absence, Lisvart et lui.

Les deux princesses, a leur tour, les assurèrent que cent et cent fois Ie jour elles étaient tombéesnbsp;au pouvoir de mort, pensant les avoir perdus.

— Mais, disait Oiiolorie, une espérance nous soutenait toujours, et c’est cette espérance qui anbsp;réservé notre vie pour votre bien et contentenientnbsp;è tous deux... Nous étions dépareillées et ineom-plètes; mais, maintenant que vous voila, nousnbsp;sommes comrae des parties séparées et è présentnbsp;rejointes et soudées mieux qu’elles ne Ie futeutnbsp;jamais...

Assez d’autres paroles, de la rnêrae couleur que les précédentes, leur vinrerit en la bouche et senbsp;mêlèrent amp; leurs inutuels baisers.

Toulefois, les deux princesses jugèrent prudent de se taire sur les deux enfants qu’elies avaientnbsp;eus, les considérant comrne perdus.

L’aube du jour se montra, et lis se retirèrent h regret, en se promeltaut de se revoir tous quatrenbsp;au mème beu la nuit suivante. Pour la süreté denbsp;quoi les deux chevaliers cuedlirent chacun un gra-cieux bai'er sur les lèvres de sa charune; puis ilsnbsp;sortirent et s’eii allèrent coucher en leur logis.

Pendant qu’ils dorincnt et qu’ils font des rêves d’amour, retournons au soudan de Babylone, quinbsp;faisait les mêmes rêves qu’eux, mais avec un plai-sir moindre.

CnAPlTHE XXVI

Comment Z'^ïr, soudan de Babylone, envoya demander un sauf-conduil l'einpereur de Trébisonde , qui Ie luinbsp;accorda.

seule, fut d’avis que, sous ombre de paix et de renouvellement d’arnitié, on ciivoyêt d honorablesnbsp;ambassadeurs ê l'einpereur de Trébisonde pour luinbsp;expliquer comment la présence de la flotle de Za'frnbsp;devant sa cité était Ie fait d’un hasard, non de sanbsp;volonté;qu’il pensa t faire voile et dre-sersa routenbsp;vers Alexandrie, et que la Fortune l’avait jeté ennbsp;Trébisonde, ce dont il louait les dieux, puisque celanbsp;lui permetlait de Ie voir et de prendre terre, pourvunbsp;qu’il conseritit a leur donner süreté, k ello Abra,nbsp;a lui Zaïr, et è quelques-uns des princes qui lesnbsp;acconipagnaient.

Tel (üt Ie sommaire de I’ambassade proposée par la belle Abra.

De cette faqon, si Ferapereur obtempérait è son désir et se laissait prendre a ses paroles mielleuses,nbsp;Za'ir espérait mmier a bonne fin son entreprise,nbsp;c’est-a-dire noiir-seulement de prendre terre avecnbsp;sa soeur et quelques- uiis des princes qui Faccom-pagnaient, mais encore de faire prendre terre aunbsp;reste de soiiarmée.Une fois eu Trébisonde, laprin-cesse Onolorie lui apparlenait!...

Le prince d’Egypte et celui de Chypre, accom-pagnés seulement de dix chevaliers designés pour celle ambassade, entrèreat en conséquence dansnbsp;un esquifo 1 et s’en vinrent descendre au port, lenbsp;plus franquillcment du mortde.

La, ils expliquèrent Fobjet de leur visite, et ón les conduisit incontinent au palais, ê Fenlrée du-qucl ils rencontrèrent Lisvart, le roi de la lircignenbsp;et quelques autres, qui les précédèrent et les pré-senlèrent k Ferapereur.

Ce prince requt fort courtoisoinent les envoyés du soudan, lorsqu’ils eurent suffisammentjoué devant lui du plat de la langue, et, perdant mêrnenbsp;tout soupQon, il les condu sit vers Fimpératricenbsp;et sa compagnie de dames.

Le prince de Chypre jugea bien Onolorie pour la première beauté du monde. Mais le prince d'Egyplenbsp;n’eut de regards que pour Gradasilée., qu’il aimanbsp;dés eet instant aulantet plus que lui-même.

Le sauf-condjit demandé leur fut accordé. lis s’en retournèrent avec leur troupe et leurs vais-seaux, oü les conduisirent Lisvart et Périon, avecnbsp;lesquels ils eurent tnainls bons propos. Puis ilsnbsp;s’embarquèrent, trés contimls d’eux, et allèrentnbsp;rejoindreZaïr, qui sesentaitconsumé cl’amour pont’nbsp;la belle ünolorio, et qui avail peur que ses ambas-deurs n’cussent pas réussi dans leur mission.


Zaïr, soudan de Babylone, se tenant avec sa puis-sanle flotte devant la fameuse cité de Trébisonde, fit rneltre secrètement des espions k terre pour sa-voir ce, (jue pensaient et faisaient les geus de cenbsp;pays. Lesijuels espions, au bout de quelques jours,nbsp;s’en revinrent et rapportèreul au soudan que toutnbsp;Ie pays était en armcs, el que t’emporeur do Tré-bisoude était de retour avec les meilleurs chevaliersnbsp;du monde.

Zaïr fut a«sez contrarie de ces nouvelles. Toulefois, ildissimula prudemment ie déplaisir qii’il en resseutait, et il manda aussilót les prineipaux denbsp;soil armee, ains que sa soeur Abra, pour savoir cenbsp;qu il y avail ti faire.

Après que chacuu eut dit sou opinion, Abra,


CIIAPITBE XXVII


Des propos que Lisvart et Périon eurent au jardin nbsp;nbsp;nbsp;,

lorïe et Gricilcrin, la veilie du débarquement uu s de Babylon ¦.


Cette démarche du soudan de Babylone devird tont natnrellement lo sujet des conversations a ¦nbsp;cour de Fempereur, et 1’on se promitde lebieii re-


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LA PRINCESSE DE TREBISONDE. 27

LA PRINCESSE DE TREBISONDE. 27

visage et d’oublier votre mélancolie habiluelb

qiii

érion et Lisvart s’étant lévés et accoutrés s’en allèrent versnbsp;fempereur qu’ils renconlrè-rent hors la ville, au momentnbsp;oü débarquaieiit Ie soudan etnbsp;-J sa sceur, avec leur compagnienbsp;de princes et de chevaliers,nbsp;J! Zaïr avait voulu qu’Abra 1’accom-pagnat, paree qu’il la savait de bon

cevoir, ainsi que sa sceur Abra, dont Ia beauté était tant vantée.

Pendant toute la journée, on ne sut parler d’au-tre chose.

Aussi, la riuit qui suivit, quand Lisvartet Périon furent refournés au vcrger accoutumé, et aprèsnbsp;que l'uri et l’autre eurent eu de leurs atnies tel dé-duit qu'ils voulurent, ils s’entretinrent de la nouvelle du jour.

— Madame, dit Lisvart amp; Onolorie, puisque Ie soudan neus atnènera demain sa seeur, dont onnbsp;fait si grai d cas, je vous prio de prendre votre bonnbsp;vous a plus pólie que vous ne sauriez croire... Sinbsp;vous voulez vous aimer un peu et vous parer comrnenbsp;au temps de nos premières accointances, la prin-cesse Abra, qui prétend éclipser toules les damesnbsp;de céans, seraS son tour éelipsée par vous, commenbsp;la lune par ie soleil 1...

— En vérité, mon ami, répondit Onolorie, tant plus je pense k me réjouir et tant plus me vientnbsp;occasion de me fècher...

— Qu’avez-vous done, madame, qui vous fache a l’heure présente?...

— Ce que j’ai?...

— Oui 1...

— Ah ! beau sire, ne pourriez-vous done dégui-ser un peu mieux les alTections que vous avez ensemble, Gradasilée et vous?...

— Quiiü... vous prétendez...

— Estimez-vous done que vos regards réciproques ne m’en a'enl pas appris long, et que je ii’aie SU par eux ce que vous avez si bien cru me céler ?nbsp;A tout propos, elle vous a sur les lèvres ?... En toutnbsp;et parlout son Lisvart est en jeul Votre feu est sinbsp;habilement couvert, que la flamme en demeurenbsp;apparente, mème au plus aveuglel...

— Certes, madame, mon étonnement est extréme en apprenant cela...

— nbsp;nbsp;nbsp;Vous vous étonnez d’etre découverts l’un etnbsp;l’autre? La belle affaire, vraiment! Vous ne pre-nez pas même la peine de vous cacherl... Penseznbsp;done, si je dois vivre contente, vous aimant commenbsp;je vous aime, et qu(dles traverses souffre jour etnbsp;nuit mon pauvre coeur passionné!...

— Hélasl madame, otez tout cela de votre entendement, je vous en supplie! Me eroyez-vous done a ce point déloyal chevalier, et, é ce pointnbsp;aussi, si peu reconriaissant de la suprème béati-tude que vous avez bien voulu m'octroyer ?...

Lisvart venait de faire cette chaleureuse protestation, la main étendue sur sa jio trine, comme pour prendre son cceur é témoin de la loy mté denbsp;son dire. Mème, de grosses larmes lui roulèreutnbsp;dans les yeux, ce qui inodéra quelque peu Ie courroux de la princesse Onolorie.

— nbsp;nbsp;nbsp;Mon ami, reprit elle plus gracieusement, jenbsp;rous crois bien certainement... Je vous crois!...nbsp;Mais quoi ? je ressernble ir 1’avare, qui a tellementnbsp;‘O cceur a son trésor, qu'il s’imagine qu’on Ie luinbsp;vole aussitót qu’ila été forcéde Ie perdre devue...nbsp;Uuand vous n’êtes plus Ik, vous, Ie plus précieuxnbsp;joyau de ma vie, il me senible quo quelque autrenbsp;femme plus belle, plus apre d’amour, va vous acca-parer et enlever a mon affection...

Lisvart appela Dien, Ie ciel, la terre, lesarbres, les hommes, tout enfin k témoin de la pureté denbsp;son amour pour Onolorie, si bien que 1'heure denbsp;la séparation arriva comme il se réconciliait élo-quemment avec elle, ce qui les contraria l'un etnbsp;l’aulre.

II fallait metlre fin k ces agréable.s propos et se retirer, ce que fit Lisvart, et, en même temps quenbsp;lui, Périon.

Ils donnèrent Ie bonjour a leurs mies et s’en al-lèrent reposer jusqu’au moment oü l’on vinl les réve.ller et leur dire que fempereur voulait monter ache val et aller au-devantdu soudan.

CHAPITRE XXVIII

Comment Ie soudan et sa stieur Abra firent leur entrée dans la cité de Trébisonde, et comment la belle princessenbsp;, païenne ressentit subUement de 1’amour pour Lis-^ vart.

ï\\ , conseil et pour qn’elleluiservitdelrn-^l 'chement auprès d Onolorie. Aussi, a g|, cause de cela, Abra s’était-elle riche-' ment paree, si richement qu’ennbsp;olie seule se pouvait compren-rïjdre la grandeur et excellence denbsp;^ Babylone.

-- nbsp;nbsp;nbsp;sortir de la galère, elle

monfa sur une mervcilleuse jument engendrée, prétendait-on, dans Ie mout de la Lune, oü Ie Nilnbsp;prend sa source, laquelle était d’une corpulencenbsp;égale k celle d’un dromadaire, avec la tête sèchenbsp;et légére d’un cerf, avec les oreilles plus grandesnbsp;qu’uii pavois, avec les pieds fendus ni plus ni raoinsnbsp;que ceux d’un bouc d’Arcadie, et, avec fout cela,nbsp;agile et prompte comme un singe. Quant k sesnbsp;yeux, ils étincelaieut plus, a 1'heure de midi, quenbsp;ceux d un chat échauffé k 1’h ure de minuit. L’ac-coutreraont, Ie harnois, Ie capara^on, semblaientnbsp;avoir été aulrefois lissés par les dames de Chaye ;nbsp;ils représentaient des dessins singuliers oü volti-goaient quantité d'oiseauxde toutes sortes, grandsnbsp;et petits, dont la plupart perchaient sur des copsnbsp;et des grajipes de raisin coraposés de gros dia-mants, de perles, de rubis et d émeraudes.

Pour ne laisser rien derrière etmoutrer entière-ment son excellence, la princesse Abra avait seu-


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28 BIBLIOÏHEQUE BLEUE.

28 BIBLIOÏHEQUE BLEUE.

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lement en sa compagnie qualro demoiselles esti-mées, après elle, les '^plus belles de tout rOiiciit.

Chacune de ces demoiselles était montée sur une licorne plus blanche que Ie lait, et elles s’en al-laient aiusiles cheveux dénoués, blondes, dorées,nbsp;vermeilles et souriantes comrne Ie soleil lorsqu’ilnbsp;parait Ie matin sur la prairie 1

Quatre princes de l’armée coaduisaicntles licor-nes, a l’aide de rênes soie bleue, ce qui était d’un effet charmant.

Zaïr marchait au milieu, entreteuant sa sceur.

L’empereur do Trébisonde et scs amis s’arrêtè-rent en présence do ce cortege, pour lui faire ac-cueil.

L’embrassée fut grande de part et d’autre, et ce fut cl qui montrerait Ie plus de courtoisie. Le vieilnbsp;er.ipereur voulait témoigner de la déférenee aunbsp;jeune soudan, et le jeune soudan a son tour, voulait témoigner de la déférenee au vieil empereur.

Finalement, ils se mirent en route pour le palais.

Tout le long duchemin, Lisvarl, qui se trouvüit ii gauche de la princesse Abra, I’entretenait ga-larnment de choses et d’autres, pour mieux servirnbsp;les intentions de I’erapereur de Trébisonde, etnbsp;faire un accueil convenable aux hótes qui lui ve-naient. II I’entretint si bien et de si bonne grace,nbsp;qu’Amour voulut êlre de la partie : la belle princesse païenne fut blesséo au coeur, et, é partir denbsp;ce moment, elle eut appétit de ce vaillant et fiernbsp;chevalier qui chevauchait k ses cótés.

Done, heureuse d’etre ainsi honorée par un per-sonnage pour lequel elle venait de ressentir subi-tement tant d’estime, elle lui dit:

— Chevalier, je suis confuse d’accaparer ainsi pour moi seulo, étrangère, ennemie presque, unnbsp;gentilhomme aussi accompli que vous l’étes... Ger-tes, je m’attendais k rencontrer bien des merveillesnbsp;en venant a cette cour tant renomméo, mais nonnbsp;point celle que mes yeux vo'ent et dévorent en ccnbsp;moment... Heureuse sera celle que vous servirez,nbsp;chevalier! Sa beatitude n’aura pas de pareillel...nbsp;Ah! si vous révériez nos dieuxl...

Lisvart s’inclina et répondit le plus courtoise-raent qu’ü put k ces avances amoureiises que lui faisait la princessse Abra avec une éloquence denbsp;gestes, de regards, de soupirs, qui eussent altendrinbsp;un rocher et réchaulTé un marbre; maïs il fit sern-blant de ne ies pas compreudre et de les accepternbsp;comrne d’aimables propos sans conséquence. Aunbsp;fond, il était trés embarrassé!

Heureusement que le cortége arriva bientét en vue du palais impérial.

Le vieil empereur s’empressa alots d’offrir la main a la prmcesse Abra, qu’il conlraria beaucoupnbsp;par eet acte de haute civilité qui I honorait en lanbsp;i'ri\ ant momenlanérnent de, la présence et du contact du beau chevalier de la Vraie Croix.

Quant k celui-ci, il s'était éloigné sans on avoir 1 air et s’était perdu k dessein dans le cortége dunbsp;soudan de Babylone.

CllAPITRE XXIX

Comment le soudan et sa sceur Abra furent accucillis par rimpdratricc et sa cour, et comment, vors Ia fin du repas,nbsp;Zaïr SC déclara Ic chevalier de la princesse Onolorie.

bra et Za'ir repurent de l’impéra-trice et des princesses I’accueil qu’ils avaiont déja regu du vieil empereurnbsp;et des princes de sa suite.

Si Abra était une perle de beauté, Zaïr n’était pas moins beau comrnenbsp;hoinme, et sa bonne mine, sous sonnbsp;Custume de soudan, était aussi digue d’admiration que l’adorable visage de sa sceur. Tous les chevaliers convoitaient Abra, qui n’avaitnbsp;distingiié el ne voulait aimer qu’unnbsp;seul d’entre eux, Lisvart. Toutes lesnbsp;dames et toutes les demoiselles convoitaient Zaïr, qui n’avait d’yeux,nbsp;d'admiration et d’araour que pournbsp;une seulc femme d’entre elles, Ouo-lorie. Lisvart nttpouvait aimer Abra;

Onolorie était la seule femme queue put pas aimer Zaïr. Le sort a souvent de ces raa-lignités-la!...

Le jeune et amoureux soudan de Babylone trem-bla comrae la feuille en reconnaissant dans la maitresse de Lisvart l’original de 1’apparition quo Cupido lui avait envoyée pour se vengcr de sisnbsp;dödains.

11 trembla, et, vingt fois dans la raême minute, il cbangea de couleur. De piile, son visage devintnbsp;pour|)re, puis pale, puis pourpre, et ainsi de suite,nbsp;k ce point qu’on le crut indisposé.

11 se remit cependant de cette éraotion que per-sonne, a l’exceptiOn d’Abra, ne pouvait justement interpréler, et qui fut raise sur le compte de quel-que malaise involontaire etpassager. II se remit, et,nbsp;après avoir salué le plus courtoisement du mondenbsp;la belle princesse Onolorie, il ploya le. genou de-vant elle et lui baisa la main droile avec une fervente humilité.

— nbsp;nbsp;nbsp;Prince, lui répondit Onolorie, je suisvraimentnbsp;confuse devoirun si grand seigneur que vous s’hu-milier ainsi que vous le fades devant une aussi in-digp.e princesse que je suis...

— nbsp;nbsp;nbsp;Je m’humilierai bien davantage encore devantnbsp;vous et pour vous, madame, répondit Zaïr avec unnbsp;accent plein de tendresse respectueuse.

Puis, se relevant, il alia saluer Gricilene et Gra-dasilée.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ma sceur, dit-il a la belle Abra, en lui dési-gnant Onolorie, Gricilevie el Gradasilée; ma sceur,nbsp;voilk les trois plus belles princesses du monde 1


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29

LA PRINCESSE DE TRÉBISONDE.

Ouil ce sont les trois déesses auxquelles Ie berger Paris fut chargé de décerner la potnme de beauté,nbsp;qui devint depiiis une poratne de discorde... Voib'inbsp;Junon, voila Pallas, vodi Vénus...

Vénus, est-il besoin de )e dire, c’était Onolorie.

— Vous vous trompez d’une aimable et flatteuse fapon, prince, répondit cette dernière, et si Ie berger Paris était céans, c’est a la belle et incomparable Abra, votre soeur, qu’il présenterait Ie prix, carnbsp;c’esl a elle, et non a aucbne de nous, que revientnbsp;la porame fatale... Etcroyez bien, madame, ajoutanbsp;la mie de Lisvart, croyez bien que, celte fois, cenbsp;choix si juste n’exciterait en rien nos jalousiesnbsp;comme fit jadis si malheureuseinent Ie choix dunbsp;fils de Priam et d’llécube... Pallas et Junon se veu-gèrent, paree qu’elles étaient des déesses; nous,nbsp;qui ne sommes que des femmes, nousapplaudirionsnbsp;de tout notre cceurl...

Et, pourmieux prouver sa bonne foi et la sincé-rité de sou éloge, la belle princesse Onolorie em-brassa affcctueusement la belle Abra.

— Ah ! ma soeur, que vous êtes haureuso d’etre ain'i baisée par le.s plus mignonnes Icvres quinbsp;soientl murraura Ie jeune soudan de Babylone, ennbsp;étouffant un soupir d’envie.

Les tables étaient couvertes, Ie diner était servi. ün apporta aux convives Feau nécessaire dans desnbsp;aiguières d’or, et ils se lavèrent les mains dans desnbsp;Bassins de même métal.

Puis Ie repas commenga.

II fut magnifique et digne des hótes en Fhonneiir desquels ii se donuait. Ou y servit de succulcntesnbsp;viandes et des vins précieux, Ie tout avec une profusion inouïe, et, si co n’élait pas un péché denbsp;comparer Ie divin a Fhumain, on dirait que Jupiternbsp;et les dieux avaietit été moins bien traités aux no-ces de Félée et de Thétis, que ne 1’étaient en cenbsp;moment Ic soudan de Babylone et sa soeur.

Abra était assise a la droite du vieil empereur de Trébisonde, qui faisait tons ses efforts pour luinbsp;être agréable, mais sans y réussir, car la pensée denbsp;la belle paienno était uniquement occupée du beaunbsp;chevalier Lisvart.

Zaïr était assis prés de la princesse Onolorie, plus favorisé en cela que ne Fétait sa soeur.

Un peu avant qu’on n’enlevat les tables, il dit aux chevaliers présents:

— Je me demande, ó princes excellents et chevaliers redoutables 1 oü soiit maintenant vos cceurs hautains et magnanimes, pour qu’ils ne s’émeu-vent pas en face de si belles dames et qu'ils n’es-sayent pas de leur faire connaitre la bonté et lanbsp;uhevalerie qui est en eux!...

Puis, levant les yeux au ciel, Zaïr ajouta :

— Ah! VénusI en quelle part avez-vous done cache Fardente flamme de votre divin et amoureuxnbsp;embrasement, pour Ie tenir si élqigné et si éteintnbsp;entre tant de gentilshommes que j’apergois ici?...nbsp;•^h! je ne veux pas imiter leur tiédeurl... Tontnbsp;au contraire, j’entends faire serviced ma dame Onolorie , ici préscnle, en m’offrant pour combattrenbsp;seul contre tous... Domain, au point du jour, de-vant cc palais, je ferai dresser une tente, et, durantnbsp;quinze jours, ]e soutiendrai contre qui voudra,nbsp;avec telles armes qu’on choisira, qu’aucune autrenbsp;dame ne Fégale en grace et en beauté... Si je suisnbsp;vaincu, il sera présenté en mon nom au vainqueurnbsp;une coupe de mille marcs d’or, demeurant Fhon-ncur de beauté réservé a ma dame pour être dé-fendu par celui qui Ie voudra entreprendre aprèsnbsp;moi...

Cela dit, Ie soudan se tut, laissant en divers mé-contentements les eoeurs de ceux qui venaient de Fentendre, Lisvart, surtout, qui était tout disposé

lui faire comprendre la témérité de son entre-prise, mais qui ne savait yraiment quel moyen employer pour cela.

L’erapereur remercia Zaïr de son bon vouloir.

— Néanmoins, dit-il, je serais bien d’avis que vous vous exemptassiez de ce travail...

— C’est impossible, Sire.

Abra dit tout bas a Onolorie :

— Voyez, madame, combien mon frère a Ie dé-sir de vous être agréable et de prouver amp; chacun combien il est votre!... Pour Ie moins, j’espèrenbsp;que vous lui en saurez bon gré...

Onolorie, a qui cette braverie du soudan ne plaisait quo médiocrement, et qui, d’ailleurs, s’étaitnbsp;aperQuo qu’il était travaillé d’amour pour elle,nbsp;Onolorie répondit a Abra :

— Vous dites vrai, madame... Et je ne sais bonnement que penser de cette vive et subitenbsp;amitié...

— Mais, a cause de votre merveilleuse beauté, sans doute 1...

— Ma beauté n’est pas si merveilleuse qu’on la doive ainsi signaler... et je connais en cette cournbsp;des demoiselles et des dames qu’il a eu tort de nenbsp;pas regarder avec plus d’atteution, paree qu’ellesnbsp;en méritent beaucoup, et pour lesquelles la vic-toire en serait plus certaine, si Ie droit emportenbsp;Fhonneur...

— Ce n’est pas mon avis, reprit Abra, car, toutc femme que je suis, je pensera s, avec si bonnenbsp;querelle, vaincre non-seulement les chevaliers denbsp;Fempereur votre père, mais encore tous autresnbsp;qui y voudraient conlred're...

— Je Ie crois certainement, répliqua Onolorie, car je n’eu sache aucun, si adroit aux armes, qui,nbsp;en vous regardant, ne perdit non sa lanci, son écunbsp;et Ie reste de son harnois, mais sa propre liberté,nbsp;pour devenir volontairement votre esclave...

Pendant qu’elles devisaient ainsi et échangeaient entre elles des compliments et des mignardises, Ienbsp;bal commenpa. II continua tout Ie jour.

Quand Fheure de se retirer fut venue, Zaïr et Abra furent conduits dans les chambres qu’on leurnbsp;avait fait preparer.

Périon et Lisvart, au lieu de se coucher, atten-dirent impatiemrnent lo moment fixé par leurs belles maitresses, et quand ds furent tous qnatrenbsp;réunis, après leurs jeux et passe-teinps accoutumés,nbsp;ils voulurent savoir d’elles si elles les aulorisaientnbsp;a combattre contre Ie soudan de Babylone.

Les princesses les prièrent de s’abstenir, et, seulement, de se tenir prèts é faire ce qu’elles leur


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30 BIÜLIOTHEQUE BLEUE.

coramanderaieut, après avoir vu comment ce bel entrepreneur viendrait è bout de son enlreprise.

CHAPITRE XXX

Comment Ie soudan de Babylone se maintint comme vain-qupur durant les huit premiers jours de la joute, et d’une lettre qu’il écrivit Ji la princesse de Trébisonde.

Zaïr qui, pour I’amour d'Onolorie, ne reposait ni jour ni nuit, se leva de grand malin et fit dresser un riche pavilion au lieu même oü Lisvart, Pé-rion et Olorius avaient combattu précédemmentnbsp;Ie roi de la Sauvagine et ses deuX irères.

A cóté de ce pavilion était une belle lente de drap d'or, dans laquelle étaient loules sortes d’ar-mes.

Un perron, qui setrouvait vis-a-vis, soutenaii un écu de sinople it un once d’or rampant, qui lacé-rait de ses griffes un coeur de gueules.

Peu après, Ie soudan vint s’asseoir sur une chaise de velours cramoiti, seiné de perles. II étaitnbsp;edtièrement armé, fors Ie heaume et les gantélets.

11 attendit.

Nul ne se présenta avantle diner.

Vers les deux heures après midi, l’empereur et toutes les dames élant aux fenêtres, enlra au campnbsp;un chevalier de b die taille qui vint toucher 1’écu,nbsp;puis se rangea ii Tune des extrémités de la joute,nbsp;appelant Zaïr.

Zaïr parut bientót, monté sur un haut deslrier et tenant au poing une haute et rolde lance. Avantnbsp;de commencer la carrière, il raarcha au petit pasnbsp;vers rassaillant,auquel il dit;

— Chevalier, dites-moi. Je vous prie, pour qui vous voulez combattre...

— nbsp;nbsp;nbsp;Autre que mon cmur ne l’entendra, s’il vousnbsp;plait, répondil Ie chevalier.

Lors, Ie soudan s’en revint au point d’oü il était parti et tourna bride. Puis les trompettes sonnè-rent.

Le chevalier assaillant fut renversé dès la première passe, avec son cheval.

— nbsp;nbsp;nbsp;II me devait sufiire^ dit-il en se relevant, denbsp;laisser mon cceur seul juge de mon droit... Quantnbsp;h autrui, il a pu juger de ma débililé, mais non denbsp;la grande heauté de ma dame...

En achevant cette parole, il öta son heaume, et 1’on reconnut en lui le prince de Damas, bon etnbsp;adroit chevalier d’ordinaire,et servileur affectionnénbsp;de la belle princesse Abra.

Zaïr lui dit en le radiant;

— Par Dieu 1 beau cousin, l’amour vous a aveii-ff nbsp;nbsp;nbsp;coup!... Vous deviez mieux, ce rne

vó*tr 1 nbsp;nbsp;nbsp;favaiitage de ma mie sur la

Le prince de Damas, honteux de sa défaite, ne répondit paamp;.un mol. II se retira parmi les siens,nbsp;qui raltendaient hors le camp.

Après lui, d’autres se présentèrent avec aussi peu de succès.

Quinze chevaliers cejour-Pi et centpendant sept aulres jours, désargonnés par Zaïr en moins denbsp;rien, voila quelles furent ses prouesses.

On ne parlait plus que du soudan de Babylone, de savaillance et de sa bonne mine, de son sangfroid et de sa dexlérité, ce qui le réjouissait fort,nbsp;comme bien on pense, paree qu'il pensait è cettenbsp;occasion mériter et avoir déjh acquis l’amour d’0-nolorie.

Aussi ne craignit-il pas de lui écriie une lettre amoureuse et de la lui envoyer par Tune des de-moisf'lles de sa soeur, non desa part, raaisde cellenbsp;d'Abra, pour la forcer è la lire.

La messagère alia, en effet, trouverla maitresse de Lisvart et lui remit l’ardent message de Zaïr,nbsp;de la part de la princesse Abra.

Onolorie le pril sans defiance et le lut saus en soupQonner le contenu.

Mais quand elle eut compris ce que lui voulait le soudan de Babylone, qui lui raconiait tont au longnbsp;son rêve amoureux, et qui lui deman lail la permission do se déclarer sien, elle palit et fut trou-blée.

Toulefois, dissimulant de sou mieux ce qu’clle pensait de ce malheur, elle dit è la messagère :

— Ma mie, diies a votre maitresse qu’eu vous envoyant vers ffioi elle a fait office mal propre a sinbsp;grande dame qu’elle. Et pour he pas publier la pré-soinptiön du personnage qüi m’a écrit, je ne veuxnbsp;pas répondrc autrement h sa lettre.

CHAPITRE XXXI

Comment la ))rincesse Abra, connaissant la rdpoiise de la princesse Onolorie au message de son frère Zaïr, alia Ianbsp;trouver pour essaycr de l’aUendrir.

La messagère du soudan de Babylone relourna vers Abra, a laquelle elle déclara ce que lui availnbsp;répondu la princesse Onolorie.

Au pn’mier abord, Abra regutquelque honle de celte répoiise qui ruinail les plans amoureux denbsp;son frère. Toulefois, comme elle compreuait quellenbsp;douleur serail la sienne quand il apiïrendrait eetnbsp;insuccès, elle résolut de tenter une démarche per-sonnidlo et decisive.

Done, elle s’en alia ft Ja lifne vers la belle inhu-maine qu’tdie trouva toute pensive, appuyee a une lènèlre.

Onolorie était toujours sous I’irapression de la lettre qu’elle avait recue uli peu auparavant.


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L\ PRINCESSE DE TREBISOIIDE. 31

— Maiame, dit Abra avec douceur en s’appro-chant d’eüe.

Onolorie tressaillit.

— Je vous ai dérangée dans vos tendres penso-ments, peut-être? coiilinua la soeur de Zaïr.

•— Non, madame, répondit Onolorie, je ne son-geais a rien de tendre...

— Seriez-vous insensible comme les statues?

— Oui et non, madame...

— Comment, madame, avec tant de beauté, de sagesse et de prudimce, pouvez-vous être si rigou-reuse et si déaaigheuse?...

— Je ne vnis pas bien, madame, en quoi je mérite Ie reproche que vous m’adresscz en ce moment...

— Vous Ie savez fort bien, au contraire, car il est impossible que vous ne soyez pas encore sousnbsp;Ie coup de l’impression que vous a faite la lettrc denbsp;raon fiére Ie soudan de Babylone...

— Mais, madame...

— Oui, vous avez fait peu de cas de la letire qu’il vous a écrile et des témoignages de passionnbsp;qu’il vous y a expnmés... Esl-il possible qu’on soitnbsp;condamiié ci soulïrir quand on aime aussi parfaite-ment que luiI...

— Madame...

— Je vous en prie, usez de moins de cruautc eiivers lui, laissez-vo is altendrir par la sincérité denbsp;son amour 1... Si vous Ie repou.-sez, vous sercznbsp;responsable de sa mort, car il rnourra, et viternont,nbsp;je vous assure... Et, en Ie perdant, vous perdr(^znbsp;Ie plus fidéle, Ie plus dévoué de vos servileurs, etnbsp;moi liï plus timdre et Ie plus aimable des frères...nbsp;Si, dans tont ccci, quelqu’un mérite c-lnatunent, cenbsp;n est pas lui, ma:s moi... Lui, il n’a jamais pensénbsp;qu'a vous ohéir et li vous coinjilaire... Moi, j’ainbsp;songé k trouver remède a sa passion dómesurée, etnbsp;j’ai envoyé vers vous une de mes femmes qui vousnbsp;adonné quelijue mécontenlement parson message,nbsp;ainsi qu’elle m’a rapporté.

Abra aurait encore parlé de la sorte pendant longtemps. Mais la princesse Onolorie l’arrêta dansnbsp;Ie beau milieu de sa harangue, et lui dit avec unnbsp;assez mauvais visage :

—II me semble,, madame, qu’il vous détaitbie i suffire de ce ijué vous aviez déji fiit, sans menbsp;donner encore nouvelle recharge... Telleinent (|uenbsp;si j’ai eu occasion de qnelque ennui centre votrenbsp;frère pour s'êtrc trop oublié, è mon endroit, main-tenant que vous Ie croyez excuser, vous 1’accuseznbsp;davantage... Vous ounliez sans doute aussi vous-mème que je suis la fille d’un grand empereur, et,nbsp;qo’exlraite d’un tel sang, j’aimerais mieux n’avoirnbsp;jamais été, que de fouler en rien la moindre partnbsp;de mon honneui’!... P.ir amsi, assurcz, je vous prie,nbsp;*^elui qui vous a fait parler un tel langage, que s’ilnbsp;‘^qufmue sa folie pnursuite, et vous votre importu-®dé, jen averlirai qui de droit 1...

.Et, lournant déda gneusement la tctei Onolorie laissa Abra seule k la 1'enêtre.

Mais Abra ne fit pas Ifi un long sêjour. Elle re-Prit, méCoatenie, Ie Chem n de son logis, en se demandant comtnertt elle pourrait déguiser k sonnbsp;frère la cruelle réponse de la princesse de Trébi-sonde, et comment elle pourrait faire pour fem-pêcher de tomber en un mortel désespoir.

CFIAPITRE XXXII

Comment Zirféö, reine d’Argènes, arriva a la cour de l'empe-reur de Trébisonde, et de ce qui passa cntre elle et Urgande-la-Déconnue.

Abra retoiirna vers son frère, Mais, ne se sen-tant pas Ie courage de lui déclarer la vérité, elle lui donna au contraire les espérances les plusnbsp;déra'sonnables, et, pour mieux l’y faire cr.nre,nbsp;elle lm presimti une bague eu Ie priant de la con-server de la p irt de sa mie, la princesse Onolorie.

Si Ziiïr fut heureux, il ne faut pas Ie demandcr. Aussi, ne voulant pas perdre de temps pour .jouirnbsp;de son bonheur, il s’empressa de veiiir au logis denbsp;l’empereur, eomptant bien y reiicontrer la princesse Onolorie.

Elle y était en effet, mais. ce soir-la, il ne put lui parler que du regard, avec Icqucl il la snlliritanbsp;Ie plus éloquemment qu'il put, saus que, biöii entendu, la maitresse de Lisvarl y cornprit quelqUonbsp;chose, surtoutaprès ce qui s’était pa-sé.

Pendant qu’il travaillait si vaiuement a faire partager sa joie amoureuse è celle qui n’y voulaitnbsp;être pour rien, sa soeur Abra, aussi euflambéenbsp;d'amour que lui, ne savait iiuelle contenance tenirnbsp;devaiit Lisvart, auquel elle brülait de déclarernbsp;boucbe a bouchc sa passion.

D’un autre cóté, Zaharan, prince d’Egypte, s’était enamouré de la belle Gradasilée, öe qui fai-sait trois personnagcs dont Cupido se gaudissaitnbsp;comme k plaisir.

Les clioses en étaient lè, lorsque parut en la salie une dame vêtue de noir, porlant couronnenbsp;de reine.

Elle était accompagnée de deux chevaliers armés de*toutes pieces, hors la têle, et tous deux si vieuxnbsp;et si chenus, que leurs cheycax et leur barbonbsp;fleurie blaiiche les couvraient jusqu’a la ceiuture.

Gette reine s’avanpa inajestueusement vers l’em-pereur de Tri'bisonde, qui la regardait curieuse-inent, et lui dit;

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, ne ponrriez-vovis me rcnseiguer sur unnbsp;point de la première imporlanoo pour moi ?i..

— nbsp;nbsp;nbsp;Quel esl-il, madame ? demanda cdurloisemêntnbsp;Ie vieux prmce.

— nbsp;nbsp;nbsp;G’est, reprit la reine, de mé dire si Lisvartnbsp;de Grèce est dans votre cour...

Lisvart, s’eiiteiidaiit ainsi noiTirtleri S’avanQa vers CL'lle qui parlait, et lui répondit:

— Vous demandez LiSvarl de Gtèce ?

— Oui.


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BIBLIOTHEQUE BLEUE.

— G’est moi, madame.

— Vous?...

— Moi.

— Si beau, si jeune et déjii si célèbre! s’écria la reine. Ah! je ne vous connaissais pas, mais ennbsp;voyant votre beauté, qui témoi(;no assez qui vousnbsp;êtes, je vousreconnais a présent. Vous êtes bien,nbsp;en elfet, Lisvart de Grèce !

Lisvart s’inclina en signe de remerciment.

La reine reprit:

— PuisqueDieu vous a fait si excellent en bonté, en beauté, en vaillance, en tout, qa été sans doutenbsp;pour vous permettre d’èlre Ie secoureur de tousnbsp;ceux et de toutes celles qui auraient besoin d’etrenbsp;sccourus...

— Je suis tout pret a faire service ci qui souffre, a qui a besoin d’aide et de protection. G’est monnbsp;devoir d’homme. et de chevalier, et ce que je fais,nbsp;tous les chevaliers Ie font.

— Gela est d’un bon augure pour la demande que je veux vous adresser, chevalier, devant cettenbsp;honorable assemblée.

— Madame, corame je pense que vous ne me pouvez requérir que de choses justes, je me metsnbsp;présentement a votre disposition.

— Je n’en attendais pas rnoins de vous, chevalier... Mais, avant que je ne vous explique avee plus de détails ma requête, laissez-moi vous priernbsp;de m’octroyer un don...

— Un don ?...

— Oui. Vous est-il done impossible d’en oc-toyer ?

— Volontiers, madame; demandez.

— Eh bien! donnez-moi, seigneur chevalier, cette épée que vous avez au cóté...

Lisvart tressaillit, coraprenant qu’il s’étaittémé-rairement engagé, car ceite chose qu’on lui deraan-dait était précisément la seule qu’it lui coulat d’ac-corder. II eüt préféré donner la moitié deses héri • tages de l’avenir plulót que de donner son épée.nbsp;Mais il avail promis, et sa parole était sacrée.

Déceignant done son épée, il la remit gracieuse-ment a la reine inconnue, en lui disant:

— Voulez-vous encore autre chose, madame ?

La reine ne luirépondit rien. Elle prit l’épéeavec empressement, el, allant en donner trois coups dunbsp;plat aux deux vieux chevaliers qui l’avaient accom-pagnéc, elle leur dit :nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;•

— Allez maintenant, et faites ce que je vous ai commandé l...

Toute cette scène tenait l’assemhlée émue et fre-missante de curiosité. On ne savait pas pourquoi l’apparition de cette reine, pourquoi cette requêtenbsp;tl Lisvart, pourquoi ces coups de plat d’épée auxnbsp;deux vieux chevaliers.

Hélas 1 on Ie sut bientót I...

Bientót, en etfet, les deux vieillards saisirent Urgande, quiétait en train de deviser avec Timpé-ratricc, lui arrachèreut ses accoutrements de têle

la trainèrent par les cheveux hors de la salie, sur les degrés du perron.

La pauvre vieille criait si piteusenient, que c’é-tait vraiment un spectacle navrant que celui qu’elle offrait lè é toute la cour terrifiée. Ghacun availnbsp;dnuleurdc la voir en eet état, et chacun eül voulunbsp;lui porter secuurs, mais c'était impossible, attendunbsp;que tout Ie monde était victime d’un enchante-rnent, et que cette assemblée de dames et de chevaliers resserablait a une assemblée de statues denbsp;pierre.

Les ténèbres se firent. Quand elles se furent dis-sipées, on n’aperqut plus la ni Urgande, ni la reine inconnue, ni les deux vieux chevaliers, lisnbsp;avaient tous quatre disparu sous la forme d’unenbsp;vapeur opaque qui s’arrêta devant Ie palais, aunbsp;lieu oü Ie soudan de Babylone faisait depuis huitnbsp;jours des joules. La pauvre Urgande fut laissée lè,nbsp;environnée de flammes d’une chaleur si intensenbsp;qu’on ne pouvait approcher fi dix pas ; elle y de-meura tout Ie reste de lajournée.

Le lendemain, au soleil levant, on aperqut quatre piliers de jaspe autour de cette fournaise ; au milieu, sur une chaise embrasée, était assise Ur-gande-la-Déconnue, ayant l’épée de Lisvart a travers le corps, et se plaignant lamentablement.

Gela causa de plus en plus chagrin a tout le monde, surtout h Lisvart et Périon, qui n’y pou-vaient rien, pas plus qu’autre personne au monde,nbsp;paree que c’était la vengeance de l’enchanteressenbsp;Zirfée, reine d’Argènes, centre l’enchanteressenbsp;Urgande, protectrice de Lisvart el d’Onolorie I...

GUAPITRE XXXIII

Comment, a la suite de la vengeance de Zirfée sur Urgande, arriva Ic bon chevalier Birmates, qui combattit conlre lenbsp;soudan de Babylonc.

n le comprend de reste : cette aven-ture jeta une grande perturbation a la cour de l’crapereur de ïrébisonde, oünbsp;Urgande était aimée, estimée et véné-réc.

Les joules du soudan de Babylonc, qui étaient des fêtes pour la cour, furent différéesnbsp;et ajoiirnées cotnme faisant trop contraste avec lenbsp;chagrin général.

Quelques jours après, c’est-a-dire le quinzième jour de la joule entreprise par Zaïr centre toutnbsp;venant, en l’honnour de la princessc deTrébisonde,nbsp;arriva a la cour le bon chevalier Birmates, portantnbsp;avec lui l’image de la belle Onorie, princesse d’A-pollonie.

L’empereur et ses amis étaient précisément a table.

— Jedéfie et provoque au combat, dit-il a voix haute, tous les chevaliers qui voudront pretendrenbsp;que ma dame n’cst pas la plus parfaite, la plusnbsp;belle, la plus sage, la meideure l J espere le pro -ver par armes, a la condition, pour celui qui vo -dra en faire l’essai, que, s’il aime fille d empere


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LA PUINCESSE DE TREBISONDE. 33

LA PUINCESSE DE TREBISONDE. 33

OU de roi, il sera contraint de la porler en pein-ture, comme je fais de la princesse d’Apollonie, afin que, si je suis vainqueur, je puisse raettre sonnbsp;portrait avec les autres déja conquis. Maintenantnbsp;done, Sire, que vous avez entendu ma volonté, s’ilnbsp;y a quelqu’un de vos chevaliers qui veuille fournirnbsp;aux conditions récitées devant votre majesté, il menbsp;trouvera deraain hors de ce palais, prêt è Ie rece-voir.

Cela dit, Birmates prit congé et remonta è cheval.

Comme il passait devant l’endroit oü Zaïr était campé, il demanda pourquoi Ie soudan était la.nbsp;Quand on lui eut répondu, il bailla Ie portrait denbsp;sa dame a un de ses écuyers et marcha droit aunbsp;soudan, auquel il dit ;

— Chevalier, je sais pourquoi vous ctes lè... Je vais vous dire pourquoi je suis ici... J’aime madame Onorie, princesse d’Appollonie, dont vousnbsp;devez avoir entendu parler... Je dis et maintiensnbsp;qu’elle n’a pas sa pareille au monde, et que toutesnbsp;les autres doivent lui céder la palme de beauté.nbsp;Convenez-en done vous-même avec tous ceux quenbsp;j’ai déji vaincus, autrement il vous en arriveraitnbsp;mal!...

— Par tous nos dieux, chevalier, répondit Ie soudan, je n’eusse jamais pensé que vous fussiez anbsp;ce point abusé sur la beauté de votre mie et surnbsp;ma valeurl... Je serais indigne du rang quej'oc-cupe, si je ne savais soutenir ce que tout Ie mondenbsp;ensemble ne me saurait nier, et chètier les braveries du même goüt que la votre..,

— Taut mieuxl dit Birmates, nous allons done comballre!...

— La fin m’en sera aussi agréable que Ie commencement, répondit Zaïr.

Lors, ils s’éloignèrent 1’un de l’autre d’une Itonne carrière, et, au inême instant, I’empcreurnbsp;et les dames se mirent aux fenêtres, la nouvelle denbsp;ee combat leur étant parvenue.

Les trompeltcs sounèrent, et les deux adver-Saires volèrent l’un centre l’autre.

Dès la première atteinte, Zaïr fut renversé de eheval. Mais se relevant aussitót, l’épée a la main,nbsp;et. se couvrant de son écu, il cria k Birmates :

— Chavalier, puisque par la faute de ma mon-jure je suis a terre, imitez-moi, ou sinon je luerai ta votre pour égaliser les chances entre nous.

—- Par Dieu I répondit Birmates, quelle mau-vaise opinion avez-vous done de moi, pour suppo-®er que je voudrais profiler d’un avanlage quel-eonque sur vous?... Je vais mettre pied k terre.

Birmates descendit en elfet de cheval, et, incontinent, commenea entre lui et Zaïr un combat tel-tnment apre, que tous les assistants en étaient enierveillés.

Ce combat dura quatre heures. On ne savait ifaiment pas lequel allait être favorisé par la For-nne, lorsque Zaïr, quolque peu blessé et gêné parnbsp;n grande chaleur qu’il faisait, se retira de cöténbsp;pour sou (fier.

“ Ah 1 ah 1 lui cria Birmates. Nous ne faisons encore que commencer et déjè vous cherchez Ienbsp;repos?... La beauté de votre mie ne vous soutientnbsp;guère !... Non, non; il faut que l’un de nous deuxnbsp;tombe auparavant; puis après, nous nous repose-rousl...

Le soudan, dépité de ces paroles, répondit a son fougueux adversaire:

— Je pensais te faire courtoisie et plaisir, chevalier... Mais puisqu’il en est ainsi, je te promets que ni toi ni moi ne jouirons de cette liberté, avantnbsp;que le nom de vainqueur ne soit donné k l’un denbsp;nous deux...

Et, saus plus longue harangue, leur chamaillis recommenga de plus beau.

Zaïr, tout en ne montrant aucun signe de couardise ou de défaillance de eoeur, se sentait af-faiblir de minute en minute par la perte de sonnbsp;sang, tandis qu’au contraire le bon chevalier Birmates se sentait et se montrait de minute en minute plus léger, plus dispos, plus énergique, évitantnbsp;soigneusement les coups de son adversaire en luinbsp;en portant de trés vifs.

CHAPITRE XXXIV

Comment la princesse Abra, voyant le danger que courait son frère Zaïr, intervint pour faire cesser le combat.

[out le monde voyait cela comme Abra, et si Périon et Lisvart senbsp;réjouissaient intérieurement dunbsp;mal qui allait arriver au soudan,nbsp;qu’ils haïssaieiit, Lisvart surtout,nbsp;elle s’en affligeait profondément.nbsp;Triste jusqu’au fond de Tame,nbsp;elle ne savait quelle contenance tc-nir, estimantrhonneur perdu de sonnbsp;frère plus cruel pour elle que la pertenbsp;de sa propre vie.

Dans cette angoisse, elle se retourna vers l’empereurde ïrébisonde,auxcótésnbsp;duquel elle se trouvait.

— Sire, lui dit-elle d’une voix émue, si c’élait votre bon plaisir, j’irais volontiers prier cesnbsp;deux chevaliers de laisser \k leur mêlée pour l’a-mour de moi...

Le vieil empereur, qui était fSché de voir son hóte le soudan ainsi malmené, répondit è la bellenbsp;princesse païenne :

— Madame, ce que vous fades lè est bien, et je vous remercie d’y avoir songé... Allez done, et quenbsp;ce combat navrant cesse aussitót...

Cette autorisation étant donnée, Abra sortit, ac-compagnée de Lisvart et de Périon, et s’en alia

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BIBLIOTHEQUE BLEUE.

jwsqu’au milieu du camp, dont Ie sol était rouge de sang.

— Chevaliers, cria-t- elle, arr^^tez-vous! je vou-drais vous parler...

Les épées, dociles k cette voix de femme, s'ar-rêtèrent frémissantes.

Lors, elle leur dit

— Chevaliers, s’il y a ep vous autant de courtoisie que de force éprouvée et de maguauiinite de courage, je vous prie de cesser ce combat, en faveur de moi. Car i! n'a pas été entrepris par ini-mitié, et ce que vous ave? fait tous deux est biennbsp;suffisant pour vous honorer d’une égale facon...

Birmates, en entendant cette prière sortir d'uue si jolie bouche, et en voyant que Zaïr ne sonnaitnbsp;mot, répondit :

— Madame, ie désirerais beaucoup, vraimont, qu’il vous plüt de m’eroployer a chose plus grandenbsp;que ci’lle-ci... Votre mérite et votre beauté sogt;ntnbsp;tels, qu’il y a boimeur et plaisir amp; vous obéir ennbsp;tout et pour tout... A plus forte raison, done, n'é-prouverez-vous pas de refus de ma part, en unenbsp;chose qui estencoremoinsa mon avatitage qu’èc{'luinbsp;'de ce chevalier, que j’ai trouvé rude et bon combattant... Par ainsi, faites done, madame, qu’ilnbsp;vous en accorde autant que raoi...

— Les dieux me permetieiit de vous récompen-ser de ceci quelque jonrl... murmura la belle païenne, heureuse de ce rcsultat.

— Je suis déjci recompense, madame, et au dePi de mon humble mérite, répliqua courtoisernent Ienbsp;bon chevalier Birmates, que son amour pour lanbsp;princess© d’Apollonie n’empêchait pas d’admirernbsp;les autres princesses.

— Quant h la volonté de votre adversaire, reprit Abra, elle n’est point autre a ce sujet que la mienne... 11 fera entièrement ce dont je Ie sup-plierai.

— Eh bien 1 madame, répondit Birmates, je suis votre et è votre entier commandement.

Cette gracieuseté du bon chevalier Birmates fut trés approuvée de l’assemblée, et on lui en sut unnbsp;gré inflni.

Zaïr ne fut pas Ie dernier amp; lui en ctre recon-naissant, mais en dedans de lui, non en dehors, carcela Ie sortait merveillousemont a son honneurnbsp;du danger oü il venait de se trouver.

Lors, les tambourins et les trompettes sonnè-rent, et Zaïr rentra dans son pavilion, oü arriveren t les chirurgiens pour visiter ses plaies, dont aucune n’était mortelle.

CHAPITRE XXXV

Comment, après Ie combat, Ie soudan de Bahylone envoya k la princesse de Trébisonde une couronne et un vase d’or,nbsp;qu’elle fut forcée d’acceplcr.

1 était tard. L’empereur alia se metlre amp; table pour souper, ainsi que sa compagnie.

A Tissue de ce repas, entrèrent en la salie dix demoiselles ayant unenbsp;torche ardenie au poing.

Derrière elles marchait Ie prince d’Ëgypte, portant une couronne en-richie de lant de pierreries, que lanbsp;valeur en était inestimab'e.

A cóté de lui, une dame belle et bien parée tenaitunvase d’orémaillénbsp;et divinement ouvré.

Lors, s’avancant respectucusement vers la princesse Onolorie, lo princenbsp;d’Egypte mit les deux genoux ennbsp;terre devant elle et lui dit :

— Trés excellente et trés vertueuse princesse, Zaïr, soudan de Baby-lone, rnon souverain seigneur, vousnbsp;envoie cette couronne qu’il vous sup-plie de recevoir en souvenance de celle qu’il anbsp;conquise sous votre faveur et avec la gloire quenbsp;vous savez... II vous fait également don de ce vase,nbsp;estiraé mille marcs d’or, lequel devait être Ie prixnbsp;de celui qui serait vainciueur... Or, la victoire luinbsp;est demeurée, comme cnacun sait, saus qu’il aitnbsp;pu être vaincu par autre que par votre divin regard, ainsi que font et feront lous ceux qui vousnbsp;verront... C’esl pourquoi vous sont justement dusnbsp;cette couronne et ce vase qu’il vous prie d’agréernbsp;d’aussi bon cceur qu’il vous les offre...

Cette harangue ue plut guère ü la princesse de Trébisonde, et encore moins a Lisvart, qui haïs-sait, non saus cause, ie jeune soudan de Babylone.nbsp;Toulefois, en fiile bien avisée, Onolorie dissiraulanbsp;Tennui qu’elle ressentait de ces présents, et ellenbsp;répondit au prince d’Egypte :

— Seigneur, je remercie bien humblemcnt Ie soudan de Thouneur qu’il me fait. La couronnenbsp;mérite bien de demeurer en la cour de Tempereernbsp;mon père, comme souvenir du grand prince quinbsp;me Tenvoie... Quant au vase, il serait dü plus jus-fement, sauf meilleur avis, ü 1’infante sa steur,nbsp;selon la cause pour laquelle il m’en fait present...nbsp;Toutefois, je ne Ie refuserai pas,, de peur qunbsp;n’attribuèt mon refus k mal et qu il ne m estimnbsp;mal apprise et peu courtoise...

Le prince d’Egypte s’en retourna avec cette re-


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1 A PRINCESSE DE TREBISONDE.

; urant un inois et plus, le sou-dan de Babylone ne put sor-tir de sa chambre, a cause drs plains qu’il avail repuesnbsp;on son oombat avec le bonnbsp;chevalier Bii mates.

Un mois, pendant lequel il se tiouva tout naturellement privé du suprèmenbsp;bonbeur de voir la belle prineesse de Trebisonde,nbsp;1’unique objet de ses pensees, I’unique aliment denbsp;son coeur, I'unique iircoccupalion de sa vie 1

Aussi, sans le rcconfort que liii prodigua la princcsse Abra, Zairseraitmoita lapeine.

Abra, X son tour, aussi possédée d’amour pour Lisvarl, que l’élait son frère pour Onolorie, Abranbsp;se laissa consumer petit a petit par eetle tlammenbsp;irréplihle qui embrasait son coeur. A ce point que,nbsp;perdant loute lionte, loute pudicité, toute vorgo-gne, qui acconipayneiit d’ordinaire les dames etnbsp;les demovselles ebastes et bieu necs, elle résolut,nbsp;quoi qu '.1 diit advciiir, de ne plus cacber sa passion amp;nbsp;celui (jui cn était 1 objet.

^ Ce iiui 1’enhardit h cette grave démarche ce fut d’abord la violence, rirrérisiibiiilé de son amour,nbsp;qui ne hii laissait ni repos m trêvc, et ensuitc lanbsp;conhance qu’elle avail dans les laerveilleuses se

ponse vers le soudan de Babylone, et, conome il était temps de dormir, chacun se rctira.

Mais, venue I’lieure oil Perion et Lisvartavaieiit coutume de se trouver au verper avec leurs amies,nbsp;ils s'y rendireiit le plus secrètement qu’ils purent.

Aprfis quelques menus propos et agréables bagatelles, les princesses deinandèrent a leurs amants un don qui leur fut accordé sans dilficulté, commenbsp;bien on pense, ii «avoir de ne pas combattrenbsp;centre Birmates, pour ne pas les comprornetlre.

Les deux chevaliers se retirèrent.

Le lendemain, et les jours suivants, Birmates cut a combattre, au nom de sa dame, plusieursnbsp;gentilshomines qui fureut tous vaincus : le princenbsp;cle Gliypre, Zaharan, le prince d’Alexandrie, etnbsp;inaints aiitres, dont notre bistoire se tait, pareenbsp;qu’clle eoncerne surtout Amadis de Grèce et nonnbsp;Birmates.

Ge dernier, ayant séjournd trois semaines en la Gourde remperenr de ïrébisonde, délogea sansnbsp;aulrement se faire connaitre. Que Dieu le con-(luise! et retouruons a nos erres.

C1IAP1ÏBË XXXVI

Commcnl la princcsse Abra, n’y tepant plus, ilii-clara ti Lisvarl 1’amour qu’elle rcsscnlaii pour iui, et de quelle f'agon Ic clievalicr de la Vraionbsp;Croix accueilUt cet agréable aveu.

ductions de sa beauté. Quel homme oserait résister a une prinpesse jeune, adorable, et amoureuso ?...nbsp;Auoun.

Le projet aussitot eonpu, apssitAt oxécuté.

Lisvart était venu, un matin, a’informer de la santé du soudan. Abra I’envoya pfier dé passernbsp;dans la chambre ou elle était.

Qnoiqne cette visite Iui coütét li faire, Lisvart ne voulut point èlre discourtois envers la scour dunbsp;soudan : il se rendit X son commandement.

Quand il entra, il Taperput assise sur un cavreau de velours vert. Elle s’était parêe, é son intention,nbsp;d’un vetement de satin blanc qui faisait ressortir anbsp;merveilleles avantages desa taille et de son buste,nbsp;dont la saillie était d’un trés provoquant effet. Sesnbsp;eheveux, plus blonds que les blés, étaient couron-nés habilement de Beurs naturelles qui rebaus-saient encore la beauté de son visage, eomme faitnbsp;tin beau cadre d’un beau tableau. Ainsi yêtue,nbsp;dans Tatlitude la mieux étudiée pour que Lisvart,nbsp;cn entrant, put ploeger sou regard dans les pUsen-tr’ouverts de sa guimpe, Abra eOt été prise pournbsp;une seponde Vénus.

Malgré lui, Lisvart fut ému par le rayonnement de cet'te beauté, et il fut forcé de coqvenir en lui-même qu’après Onolorie il n’y avait pas de femmenbsp;plus agréablp et plus appétissante,

Quand il se fut suffisamment approché d’elle, Abra sc leva, alia vers lui, honteuse et rougissaiUe,nbsp;et le pria de s’asscoir.

Puis,tout d’un coup, sans aucune transition, car la pauvre chère pucelle n’y pouvait plug tenir,nbsp;elle lui dit aveo uu roucoulemeut de tourterpllp :

Gher seigneur et ami, je vous prie d’excuser la violence de mon amour. Ayez plus de pitié denbsp;moi, pauvrette eonsumée de flamme ardente, quenbsp;je n’ai de bonte et de pudicité... soyez-moi misé-ricordieux, sauvez ma vie, ó mon dier seigneur 1...nbsp;Si, par malheur, une autre m’avait déja prévenuenbsp;dans la demandc qne je vous adresse présente-ment, retirez-lui ce que vous lui avez laissé pren-dri^pour me le donner h moi qui vous aime plusnbsp;quemapropreanie... Voushésitcz...Sivousdifféroznbsp;(le répondro par votre amour au mien, par votrenbsp;bouche b la miemie, soyez assuré que votre es-clave Abra ne tardera pas a mourir, ne pouvantnbsp;vivre sans vous posséder et sans être possédée denbsp;vousl...

Et, tont en disant ces mots, la pauvre princcsse pleurait de gro«tes larmes.

Lisvart était perplexe au possible, et ne savait bonnement que répondre. Si, d’un cóté, le douxnbsp;parlcr de cette belle amoureuse l’apitoyait et l’a-menait h lui obéir, d’un autre cóté, l’amqur immense qii’il avait pour la princesse Onolorie em-pèchait qu’il succombat beetle enivranle seduction.

Gependant la princesso Abra attendait uno ré-ponse, et ses yeux, fixes sur le visage du chevalier, (lisaient éloqucmraent de quclle importance étaitnbsp;pour elle l’ai rót qu’il bllmt proponeer.

11 se décida enfin :

— Mcadame, lui dit-il, nul plus que moi n’est



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36 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

heureux d’avoir provoqué de si agréables paroles, et il n’est aucun chevalier qui, h ma place, ne senbsp;sentirait grandi par une telle manifestation d’amitiénbsp;émanée de si haute princesse...

— Eh I bien, alors... demanda Abra, haletante.

— Seulement..,

— Ah! il y a un seulement!... murmuraIa soeur du soudan avec tristesse, presque avec amer-tume.

— Comprenez-moi bien, je vous en prie, madame... Une amitié comnie celle que vous daignez m’offrir mérite qu’on y réponde avec loyauté...

Or...

— Or?...

— Je suis Chrétien, et vous êtes d’une religion différente... nos deux coeurs ne peuvent avoir denbsp;lien indissoluble possible qu’é la condition d’avoirnbsp;la même foi... unis ici-bas,il faut encore que nousnbsp;puissions l’étre ailleurs, c’est-h-dire par-delh Ienbsp;tombeau...

La princesse Abra resta un instant comme dé-sar^onnée par l’imprévu de cette objection.

— nbsp;nbsp;nbsp;Et si j’étais chrétienne? murmura-t-elle d’unenbsp;voix faible.

— nbsp;nbsp;nbsp;Si vous étiez chrétienne?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Oui...

— nbsp;nbsp;nbsp;Eh bien 1 alors, madame, il n’existerait plusnbsp;aucun obstacle è nos projets d’union...

— nbsp;nbsp;nbsp;Aucun?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Aucun.

Abra resta toute pensive, la tête penchée, les yeux dos.

Lisvart crut Ie moment favorable pour prendre congé d’elle. 11 partit, et s’en alia tout droit versnbsp;Périon, è qui il raconta tout ce qui venait de senbsp;passer entre lui et la princesse, soeur du soudannbsp;de Babylone.

CIIAPITRE XXXVII

Comment la princesse Abra, jalouse de la princesse de Trd-bisonde, donna conseil k son frère Zaïr de la demander en mariage amp; l’empereur.

^ Lelendemain et les jours suivants, Abra cssaya d’avoir de nouvelles entrevues et de nouveaux en-tretiens avec Ie beau chevalier Lisvart, qui évita Ienbsp;plus soigneusement qu’il put, et sous les rneilleursnbsp;prélextes, de se rendre amp; ses invitations réitérées.

réserve irrita d’autant les désirs de cette mameureuse princesse, qui se consumait dans Ie

heure nbsp;nbsp;nbsp;s’aggravait ehaquejour, h chaque

neure, dun tourment nouveau. Elle devinait que

l’obstacle sérieux k son bonheur devait venir de l’amitié que Ie chevalier de ses rêves avait ipournbsp;une autre femme.

Mais quelle femme cela pouvait-il être ?...

A force de chercher, on trouve, surtout lors-qu’on est femme et jalouse.

Abra trouva.

11 n’y avait, dans toute la cour du vieil empereur de Trébisonde qu’une seule princesse dont lanbsp;beauté valüt la sienne, et cette princesse, c’étaitnbsp;Onolorie.

Sans rien savoir de l’union secrète qui existait entre elle et Lisvart, elle comprit que ce devaitnbsp;être la seule qu’il pouvait lui préférer, et, dés ce moment, pour en avoir Ie cceur net, elle conQut unnbsp;projet.

Elle se renditchez son frère, qui, de son cólé, avait l’anie aussi affolée qu’elle l’avait elle-mêmenbsp;du sien.

— nbsp;nbsp;nbsp;Mon frère, lui dit-elle de but en blanc, vousnbsp;aimez toujours la princesse Onolorie ?

— nbsp;nbsp;nbsp;Si je 1’aime toujours 1 s’écria Zaïr en bondis-sant. Mais je l’aime aujourd’hui plus qu’hier, sinbsp;c’est possible, et je l’aimerai demain plus encorenbsp;qu’aujourd’hui...

— nbsp;nbsp;nbsp;Qu’espérez-vous d’elle?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Ge qu’on espère de la dame qu’on aime.

— nbsp;nbsp;nbsp;Mais vous oubliez que la princesse Onolorienbsp;est une sage et vertueuse princesse, et que, pournbsp;arriver jusqu’k la possession tant enviée des trésorsnbsp;de beauté que la nature a mis en elle, il faut êtrenbsp;son mari...

— nbsp;nbsp;nbsp;Son mari?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Oui. Vous n’y aviez pas songé, je gage.

— nbsp;nbsp;nbsp;Non. Et vous-même, lors de notre départ denbsp;Babylone, vous n’y aviez pas songé non plus, manbsp;chère soeur, puisque vous me parliez d’enlève-ment...

— nbsp;nbsp;nbsp;Sans doute, mais mon séjour prolongénbsp;céans a modifié mes idéés et déconcerté mesnbsp;plans... L’enlèvement d’Onolorie ne serait pasnbsp;aujourd’hui une chose tantaisée... L’empereur denbsp;Trébisonde est puissant, et quqique votre armécnbsp;soit Ik pour appuyer vos prétentious, son armée knbsp;lui pourrait vous contrarier...

— nbsp;nbsp;nbsp;Mais je ne vois pas d’autre moyen, ma chèrenbsp;soeur.

— nbsp;nbsp;nbsp;Vous ne voyez pas, paree que vous regardeznbsp;mal, mon cher frère... II y a un autre moyen...

— Ah 1... Et lequel? dites-le-moi vitement.

— Je vous Ie dirai d’autant plus vite, que tout retard pourrait vous être funeste... attendu quenbsp;j’ai surpris hier, dans un groupede dames de I’im-pératrice, une conversation qui me fait penser quenbsp;l’empereur a l’intention de marier bientót Ia princesse sa fille...

— La marier?... Et avec qui?...

— Je ne sais pas encore... Mais il en est question sous Ie manteau...

— nbsp;nbsp;nbsp;Onolorie mariée k un autre! Gela ne sera pas,nbsp;cela ne peut pas être I...


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LA PRINCESSE DE TREBISONDE. 37

— Soyez eet autre, vous-même...

— L'épouser?...

— Quel inconvenient y voyez-vous! Elle est jeune, belle, bien apparentée, et vous l’aimez!nbsp;Gela suffit.

— Eh bien 1 vous avez raison, ma soeur... Dès demain, je demanderai k l’empereur de Trébisondenbsp;Ia main de la princesse Onolorie sa fille...

— nbsp;nbsp;nbsp;II vous la refusera, répondit froidementnbsp;Abra.

Pour la seconde fois, Ie soudan de Babylone bondit.

— II me la refusera!

— nbsp;nbsp;nbsp;II vous la refusera.

— Et pourquoi cela ?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Paree que.

— nbsp;nbsp;nbsp;Mais encore?...

7- Paree que vous êtes païen et qu’il est d’une religion différente, d’une religion enneraie...

— nbsp;nbsp;nbsp;G’estvrai, je n’y avaispas réfléchi 1 murrauranbsp;Zaïr, accablé.

— nbsp;nbsp;nbsp;Eh ! pourquoi ne vous feriez-vous pas Chrétien, après tout? dit Abra.

— nbsp;nbsp;nbsp;Chrétien, moi?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Onolorie en vaut bien la peine, a ce qu’ilnbsp;me semble...

— nbsp;nbsp;nbsp;Ahl ma s®ur... ma soeur... que me propo-sez-vous lè ?

— nbsp;nbsp;nbsp;Uien que de fort simple, mon cher frère.nbsp;Vous vous êtes enamouré de la princesse de ïré-bisonde, et vous la voulez posséder, corps et ame...nbsp;Or, comme a cela il n’y a qu’un moyen, il fautnbsp;1’employer...

— nbsp;nbsp;nbsp;Mais que diront nos dieux?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Nos dieux ne diront rien... Ils riront, au contraire...

— nbsp;nbsp;nbsp;Ils riront?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Oui... Ecoutez, mon frère...Vous vous senteznbsp;mieux, n’est-ce pas, maintenant? Vos plaies sontnbsp;cicatrisées, vos blessures fermées, vous pouveznbsp;marcher?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Oui.

— nbsp;nbsp;nbsp;Eh bien!... Demain, vous vous lèverez, vousnbsp;irez, dans Ie meilleur équipage, diner avec Tem-pereur de Trébisonde, et, vers la fin du repas,nbsp;vous lui déclarerez solennellement que vous et vosnbsp;principaux compagnons, vous voulez entrer dansnbsp;Ia foi de leur Christ et recevoir Ie baptême...

— Recevoir Ie baptême 1...

Oui... Laissez-raoi achever... il s’agit de votre bonheur...

— nbsp;nbsp;nbsp;Dites, dites, ma chère soeurl...

— Vous ajouterez seulement que vous désirez qu’on vous octroie un don...

— Et ce don?...

¦— Ge sera la main de la princesse de Trébisonde .. Une fois que vous laurez, vous prendrez congé de son père et de sa mère, et vous revien-drez è Babylone, oü vous vous déchrétiennisereznbsp;a votre aise...

Ahl ma chère sceuit s’écria Zaïr ravi. Lais-

sez-moi vous embrasser pour vous reraercier de cette imagination-lkl...

Et il I’embrassa, en effet, è deux reprises, avec un enthousiasme qui témoignait de Ia joie qu’ellenbsp;venait de lui causer par sa proposition.

CHAPITRE XXXVIII.

Comment Ie soudan de Babylone, suivant Ie conseil de s-soeur Abra, se chrétiennisa, avec ses principaux compagnons, et pria ensuite l’empereur de Trébisonde de lui oc troyer un don.

êvant tout éveillé au bonheur dont il allait immanquableraentnbsp;. jouir nar la possession de la di-j vine Onolorie, Zaïr ne dormitnbsp;pas toute cette nuit-lè; car, pournbsp;\ ^lui, cela ne faisait pas Ie moin-\ dre doute, Tempcreur ne pou-J vait lui refuser la main de lanbsp;^ princesse de Trébisonde.

7 Plein de cette délicieuse idéé, il fit èi perte de vue des projetsnbsp;( charmants, plus insensés les unsnbsp;C que les autres, et, fermant lesnbsp;? yeux un instant, il revit l’appa-^'I'on séduisante qui l’avait tantnbsp;JL « ( frappé quelques mois aupara-mnbsp;nbsp;nbsp;nbsp;c’est-a-dire Onolorie, de-

' mi-nue, lui souriant dans sa grace et dans sa merveilleusenbsp;beauté...

Aussi, dès Ie lendemain matin, sans plus attendee, réunit-il les princes et seigneurs les plus importants venus avec lui k la cour de l’empereur de Trébisonde; et, une fois qu’ilsnbsp;furent assemblés, il leur exposa éloquemment sonnbsp;projet, en leur faisant bien comprendre que cettenbsp;abjuration de leurs dieux n’avait rien d’alarmantnbsp;pour leur conscience, et que la foi qu’ils allaientnbsp;embrasser était un costume dont ils pourraient senbsp;débarrasser k leur retour a Babylone.

Ghacun applaudit a son idéé, et se prépara a jouer Ie róle convenu.

Ainsi accompagné, Zaïr se rendit auprès de l’empereur et prit place k sa table.

Vers la fin du repas, il prit la parole et dit:

— Mon cousin, j’ai une communication grave a vous faire, et je la veux faire ici, publiqueraent...

— Qu’est-ce done, mon cousin? demanda Ie viéil empereur en souriant de l’air solennel de son hóte.

Zaïr reprit:

— Les loisirs que m’a procurés Ie vaillant che-


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BIÏ5LI0THEQUE BLEUE.

valier que je regrt^tte de ne plus voir céans ont porté leur fruit... Ce n’est pas pour rien que j’al éténbsp;aux portes de la mort... J’ai fait uti retour sur moi-même... sur mon état, sur ma foi, et j’ai eu eommonbsp;une révélation...

— nbsp;nbsp;nbsp;Une révélation?gdemanda levied erapereur,nbsp;ébahi.

— nbsp;nbsp;nbsp;Oui, Sire, J’ai compris I’iuanité de nos dieuxnbsp;et la solidité de votre foi en un Dieu unique, etnbsp;j’ai résolu d’être chrétien...

— nbsp;nbsp;nbsp;Chrétien 1...

— Oui, Sire... De plus, j’ai décidé les princes et seigneurs, mes compagnons, è suivre mon exem-

ple...

— II serait vrai?.,. s’écria i’empereur, joyeux de cette nouvelle.

— Trés vrai, Sire.

— Vous avez murement réfléchi h la gravilé de cette détermination.

— J’y ai murement réfléc i, Sire, et mes compagnons aussi...

—^ Vous raecombleKd’aiso, mon cousin... Je me serais gardé de peser sur Votre conscience, pareenbsp;que vous élies mon héte; mais, en vous voyant sinbsp;jeune, si beau» si excellent en toules choses, je disais souvent h part moii, en soupirant, qu’il étaitnbsp;vraiment domraage que vous fussiez païeu et nonnbsp;chrétien, comme vous méritez taut de l’être...

—Je lê serai désomais, Sire, et Ie plus lót sera lemieux... Séülementi permettez d’y mettre unenbsp;condition qui ne vous coütera rien...

— nbsp;nbsp;nbsp;L'aquelle, hiön cousin ?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Quabd ie sefai chfétiennisé et baptisé, je vousnbsp;prierai de mmetroyer un don...

— nbsp;nbsp;nbsp;N’esl-ce que celat...

— nbsp;nbsp;nbsp;Ce n’est que cela.

—‘ Comme je suppose que vous ne pouvez me demander que Ie possible, mon cousin, je vous oc-troie d’avance ce don, quel qu’il soit, heureux denbsp;pouvoir vous prouver la joie que vous me enuseznbsp;par votre renoncement au culte des faux dieux...

— nbsp;nbsp;nbsp;C’est moi qui vous remercie, c’est moi quinbsp;suis votre oblige, Sire... Mettez Ie comble ó vosnbsp;bontés en ordonnant que la cérémonie de notrenbsp;baptême se fasse immédiateiïient...

— nbsp;nbsp;nbsp;Imniédiatement?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Oui, Sire...

— nbsp;nbsp;nbsp;Ne pouvez-voüs attendre encore un jour ounbsp;deux?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Si vous êtes pressè dé gagner quelqües ómesnbsp;de plus a votre paradis, Sire, ordonnez que lanbsp;chose se fasse incontinent... Le temps marche ra-pide et ne nous attend pas... Aujcurd’hui nous ap-partient; qui sait oü nous setonS domain?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Vous parlez d’or, mon ami, et je veux vousnbsp;obéir, car votre erapressement me touche...

. L’évêque fut prévenu, Zaïr et scs compagnons, ainsique la princosse Abra, fureiit conduits dansnbsp;la chapelle du palais, et la, en presence de touienbsp;la cour, lis tirent une abjuration compléte de ieurènbsp;erreurs declarant no vouloir suivre désormais quénbsp;la loi clirélienne.

— nbsp;nbsp;nbsp;O Lisvart! murmura la princesse Abra, lors-que son tour fut arrivé d’être ondoyée.

— nbsp;nbsp;nbsp;Onoloriel Onolorie 1 murmura le soudan denbsp;Babylone.

La cérémonie terminée, on reviiit dans la grande salie du palais.

CHAPITRE XXXIX

Comment, apics la chrdliennisation, la princesse Abra pria la princesse de Trébisondc de lui octroyer un don, c’est-amp; diro de lui permeilrt d’öpOuSer te vaillant Lisvart.

ne fois qu’on fut revenu dans la grande salie dunbsp;palais, et que chaeimnbsp;out pris place, la bellenbsp;princesse Abra s apfiro-cha, pale comme uii lis,nbsp;de la belle princessenbsp;Onolorie.

— Madame, lui dit-elle, êtes-vous contente de ma docililé ?...

—Jemeréjouis, com-_ nbsp;nbsp;nbsp;me mon père, de vous

voir des nótres, madame, répondit affectueusement Onolorie.

— nbsp;nbsp;nbsp;Groyez-vous qu’elle mérite récompénse? con-tinua Abra.

— nbsp;nbsp;nbsp;Cette fécompensc, vous latrouverez en vous-même, répondit h princesse de ïrébisoudé un peunbsp;étounée de la question.

— Je l’entends bien ainsi, reprit Abra; je vou-^ lais seulement dire, madame, que l’acte d’humiliténbsp;que je viens d’accomplir m’autorisait, plusqu’hiernbsp;par exemple, a vous prier dem’octroyer un don...

— nbsp;nbsp;nbsp;Un don ? répéta Onolorie en tressaillant in-volontairement et en pressentant un peril quelcon-que dans cette demande.

— nbsp;nbsp;nbsp;Oui, un don... Est ce que je ne suis pas di -gne de l’obtenir, madame?...

— Tres digne, trés digne, au contraire, répondit vivement la soeur de Gricilerie.

— nbsp;nbsp;nbsp;Eb bien ?... ce don?...

•— Je vous l’octroie volontiers, madame...

La princesse de Trébisonde fit un mouvement comme pour reprendre le mot qü’elle venait denbsp;lécher; mais il u’était plus temps 1

— nbsp;nbsp;nbsp;Vous ne me demandez pas en qnoi il con-siste?... dit Abra avec un singulier sourire.

Elle availsurpris le mouvement de sarivalo.

— nbsp;nbsp;nbsp;En effet... je 1’oubliais... dit celle-ci.En quoinbsp;cousiste cè don, madame?. ..


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LA princësse de treiusonde.

— Je vous prie, madame, répondit Abra d’une voix claire, de vouloir bien m’accorder Ie vaillaiitnbsp;chevalier Lisvart peur époux...

Oiiolorie pêlit horriblement, et mit la main sur son rceur, en proie k une angoisse que Ton com-prendra aisémeut.

— Dois-je répéter ma prière, madame? dit la soeur du soudan, qui venait de tout compretidre,nbsp;é rémotion involontaire témoignée par Onolorie,nbsp;et qui était heureuse d’eufoncer un fer rouge dansnbsp;la poitrine de cette rivale.

— C’estque... je ne comprends pas bien, répondit péiiiblement la pauvre Onolorie, pourquoi vous vous adressez k rooi en cette occurrence... Jenbsp;n’ai aucun droit... sur Ie seigneur Lisvart... et cenbsp;n’est pas k moi... de vous l’accorder... ou de vousnbsp;Ie refuser... Demandez-le é lui-même...

— Vous avez raison, madame, reprit Abra.

Puis, s’approchant de Lisvart, elle lui dit, a vee rémotion qu’elle éprouvait toujours en sa présence:

— nbsp;nbsp;nbsp;Chevalier, vous m’avez fait coinprendre quenbsp;Ie jour oü je serais chrétienue, ie serais digne d’as-pirer ii votre coeur... Je suis chrélienne 1... Vousnbsp;êles d’une illustre lignée, je Ie sais; mais mon parentage Vaut Ie vótre... et, si sa majeslé l’empe-reur de Trébisonde y consent...

— Bien volontiers, madame, répondit 1’erape-reur.

Lisvart était dans Ie plus ópre embarras qui fül. II ne comptait pas que Ia princesse Abra renonce-rait cl sa religion aussi facilement et aussi vitement,nbsp;et, tl cause de cala, pour amortir un peu l’ardeurnbsp;qui Ia consuraait, il lui avait donné cette espérance,nbsp;qu’elle lui rappelait maintenant.

Commetit faire? II aimait Onolorie et n’en vou-lait aimer nulle autre. Refuser brutalement, c’était du scandale, et cc scandale pouvait rejaillir sur sanbsp;mie. Accepter, en sa presence surtout, c’étiit luinbsp;percer Ie coeur de tous les glaives les plus aigus.

Dans cette douloureuse alternative, il s’avisa d’un moyeii lerme.

—Madame, dit-ilS Abra, qui atlcndalt saréponse avec anxhdé, je tiens toujours les promesses quenbsp;je fais... Dans Ie cas présent, je dois vous priernbsp;d’atteiidre quelqiie temps encore... deux ou troisnbsp;semaines... Ie temps nécessaire pour demanderetnbsp;obtenir l’assenliment de mon père...

— nbsp;nbsp;nbsp;J’altendrai, Lisvart, raurmura en soupirant lanbsp;princesse Abra.

GHAPITRE XL

Comment Ie soudan de Babytone, k son tour, requit l’enipe-reur de Trébisonde de lui cclroyer te don promis, el comment Lisvart, furieux, tira son épée et lua Ie fits dunbsp;due d’Alafonie.

Abra avait qnasiment obtenu ce qu’elle voukit, S savoir la nroinesse publique d’êlre unie au chevalier qu’elle aimait.

Zaïr, k son tour, voulut toucher Ie prix de son abjuration.

Lors, s’avancant vers Ie vieil empereur de Trébisonde, il lui dit:

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, vous m’avez promis nu don tout Anbsp;l’heure, avant que je ne me fisse chrétien ?...

— nbsp;nbsp;nbsp;G’est vrai, moa frère, je me rappelle celanbsp;avec plaisir. Que voulez-vous de moi?... Parleznbsp;avec assurance l

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, reprit Zaïr d’une voix sonore, je vousnbsp;deraande la main de ja princesse Onolorie, votrenbsp;fille...

Onolorie étouffa un cri, et, sans Ie secours de sa soeur Gricilerie, qui la reeut a temps dansses bras,nbsp;elle serait torabée k terre, pamée de douleur.

Le vieil empereur de Trébisonde, avait rèvé une autre alliance pour sachére lille Onolorie. II avaitnbsp;même songé au vailbint chevalier Lisvart, auquelnbsp;il avait taiit d’oblrgations. Mais, puisque Lisvartnbsp;s était engage envers la princesse Abra, et que,nbsp;d’ailleurs, Ic soudan de Babylone était uii hjno-rablo parti, il lui répondit :

— nbsp;nbsp;nbsp;Je vous accorde avec grand plaisir ce quenbsp;vous me demandez k, prince, heureux de cimen-tcr ainsi le bon accord qui doit exister entre nosnbsp;deux pays...

L’empereur de Trébisonde avail k peine achevé que Lisvart, pale de colère et de rage, se précipi-tait, Tépée k la main, k la rencontre du soudan denbsp;Babylone.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ah! païen paillard 1 lui cria-t-il d’une voixnbsp;tonnante, tu viens de ton pays maudil pour cueillirnbsp;les plus belles et les plus nobles viergesdu nötre!..nbsp;Ah!... chien, je vais chatier ton audace comme ilnbsp;convient qu’elle le soit!...

II dit et s’élanga. Malheureusement, Zaïr, voyant venir le Coup, gauchit un peu, et répéê de Lisvartnbsp;alia percer d outre en outre le fils du due d’Ala-fonte, qui tomba raide mort.

Vous menacez mon héte eu ma présence 1 s’ccria le vieil empereur irrilé, en s’adressant aunbsp;chevalier de la Vraie Groix, qui vöulait de nouveaunbsp;se précipiler sur Zaïr. Vous osez k ce point man-


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quer au respect qui m’estdül... Vous osez ensan-glanter mon palais par un meurtre sur un innocent!... Cela mérite vengeance... Roide laBreignel ajouta l’empereur.

Le roi de la Breigne s’avanga.

— Emparez-vous de ce forcené, lui dit le vieil empereur, et enfermez-le dans la plus forte tour,nbsp;jusqu’è ce que nous ayons décidé de son sort!...nbsp;Allez! vous m’en répondez sur votre tête 1...

Le roi de la Breigne obéit et emmena le chevalier de la Vraie Groix.

Mais eet ordre avait exaspéré les amis du chevalier, de mêrae que les menaces du chevalier avaient exaspéréles compagnons du soudan de Babylone.nbsp;Les épécs sortirent spontanément de leurs étuis,nbsp;et un massacre allait avoir lieu, lorsque, s’iater-posant au milieu des mutins, le vieil empereur pritnbsp;Zaïr par le faux du corps et Temporta dans unenbsp;salie voisine.

Quelques minutes après, il revint de plus en plus irrité de voir son autorité méconnue.

— Justice sera faite de cette violence inouïe ! s’écria-t-il en menagant du regard et du geste lesnbsp;compagnons de Lisvart, qui rongeaient impatiem-ment leur frein.

Périon de Gaule s’avan^a courageusement vers Ie prince en courroux.

— Sire, lui dit-il d’une yoix ferme, vous venez d’ordonner lèi une chose qui tachera votre renom-mée.

— Que réclamez-vous? lui répondit brusque-ment l’empereur.

— Vous parliez tout èi l’heure de justice, Sire : vous venez d’en manquer en ordonnant I’empri-sonnement de mon neveu Lisvart... Mais si vousnbsp;oubliez aussi vite les services rendus, je n’oublienbsp;pas, moi, les injustices commises... Je ne suis pasnbsp;tenement isolé en ces pays, pour n’avoir pas d’a-mis qui consentent é venger un outrage subi parnbsp;moi... Si l’on touche a un seul cheveu de la têtenbsp;de mon neveu, c’est vous, Sire, que j’en rendrainbsp;responsable.

— Votre neveu mourra de male mort, et vous aussi, si vous restez céans 1 s’écria le vieil erape-reur avec emportement.

— Mon neveu ne mourra pas, Sire, répondit Périon avec fermeté. Quant k ce qui me concerne,nbsp;puisquevous me chassez, je pars...

—Délogez vitement de céans, je vous en donne le conseil !... Car, si dans trois jours vous n’aveznbsp;pas quitté l’empire de Trébisonde, je vous meltrainbsp;en charte privée, comme votre neveu, et vous se-rez libres, alors, de vous consoler mutuellement anbsp;vos derniers moments, que je ne vous ferai pas tropnbsp;attendre!...

— Je pars, Sire, dit Périon en prenant congé, mais vous vous repentirez de la mauvaise actionnbsp;.que vous avez commise!...

Périon de Gaule s’inclina, respectueux et atten-nri devant l’impératrice et les princesses, navrées

p ce départ et de ce qui l’avait provoqué; puis il

CHAPITRE XLI

Comment, après le départ de Périon de Gaule, le vieil rm-pereur de Trébisonde voulut forcer sa fille Onolorie 4 épouser le soudan de Babylone, et comment cette princessenbsp;s’y refusa.

11 silence glacé se fit dans la salie oü venaientnbsp;d’avoir lieu ces scènesnbsp;diverses, lorsque Périonnbsp;fut parti.

L’empereur marchait è pas hatés de long ennbsp;large et de large en long,nbsp;etrepassant brièvementnbsp;les faits navrants dont ilnbsp;venait d’etre le témoin,nbsp;afin de savoir exacte-ment a quel parti s’ar-

II ordomia qu’on allat chercher le soudan de Babylone.

Plus que jamais, et maintenant surtout qu’il se trouvait privé de chevaliers dévoués, il tenait hnbsp;marier sa fille Onolorie au soudan de Babylone,nbsp;afin de s’assurer son concours en cas de guerre.

Zaïr parut.

— nbsp;nbsp;nbsp;Mon frère, lui dit-il en allant vers lui avecnbsp;empressement et en lui prenant les mains dans lesnbsp;siennes, je vous prie d’oublier la scène regrettablenbsp;qui vient d’avoir lieu par suite de la mutinerie in-qualifiable d’un chevalier que je regardais commenbsp;mon fills... Ge titre, dont il est indigne a cettenbsp;heure, c’est è vous que je le restitue... Vous aimeznbsp;la princesse Onolorie, ma fille; je vous la donne ènbsp;femme...

Zaïr aimait trop la princesse de Trébisonde pour ne pas 1’accepter los yeux ferraés.

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, dit-il, je me sens indigne de tant denbsp;bontés... J’aime la princesse Onolorie d’une amournbsp;profonde, immense, infinie... Eire k elle est le plusnbsp;ardent de mes désirs.

— Vous acceplez enfin !...

— G’est demander a un aveugle s’il accepte la vue; h un malade, s’il accepte la santé; è un moribund, s'il accepte la vie!... J’étais dans les tene-bres, dans 1’angoisse, dans la mort, et vous m ol-frez le soleil, la liberté, le bonheur!...

— Ma fille, dit l’empereur en se tournantvers Onolorie, éperdue ; ma fille, je vous donne aunbsp;vaillant prince de Babylone, qui consent k parta-ger son tróne avec vous..-


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I LA PRINCESSE DE TRÉBTSONDE 41

Et il voulut la prendre par la main pour la flaneer amp; Zaïr.

Onolorie s’y refusa.

— nbsp;nbsp;nbsp;Qu’est-ce done que ceci, madame?... de-manda Ie vieil empereur étonné.

— nbsp;nbsp;nbsp;Mon père...

— nbsp;nbsp;nbsp;Eh bien?,..

— nbsp;nbsp;nbsp;Je ne puis épouser Ie prince Zaïr...

— nbsp;nbsp;nbsp;Vous ne pouvez pas épouser Ie prince Zaïr?

— nbsp;nbsp;nbsp;Non, mon père...

— nbsp;nbsp;nbsp;Et pourquoi ?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Je ne Ie puis, vous dis-je...

— nbsp;nbsp;nbsp;Ge n’est pas lè une raison, madame 1 répliquanbsp;Ie vieil empereur, dont Ie front se rembrunit etnbsp;dont Ie regard se chargea d’éclairs.

— nbsp;nbsp;nbsp;Pardonnez-moi de ne pas vous cn donnernbsp;une autre, mon père... Mais Ie prince de Babylonenbsp;est honnête, puisqu’il est chrétien; il a, de plus,nbsp;des sentiments de chevalier... II ne voudra devoirnbsp;sa femme qu’è la persuasion et non a la violence...nbsp;et, du moment oü je déclare en sa présence que jenbsp;rie puis être è lui, il n’a plus ainsister, paree qu’in-sister serail un crime de lèse-majesté...

Tous les spectateurs de cette scène étaient dans une inexprimable angoisse. On pressentait, a lanbsp;tournure de ces propos, un orage prochain, plusnbsp;épouvantable encore que celui qui venait d’écla-ter.

La princesse Abra, surtout, était haletante. Sa belle figure, d’ordinaire si douce et si mélancoli-que, était en ce moment convulsée par la jalousie.nbsp;La lumière sefaisait dans son esprit; ellecommen-pait è avoir la raison de 1’indifférence de Lisvart anbsp;son endroit, de son embarras quand elle 1’avait misnbsp;en demeure de lepouser, de la violence a laquellenbsp;il s’était laissó emporter contre Ie soudan, et, fina-lement, de l’obstination de la princesse de ïrébi-sonde a refuser Zaïr pour mari...

L’empereur secoua rudement la délicate main qu’il tenait dans la sienne, et il dit avec une sourdenbsp;colère :

— Madame, vous épouserez Ie soudan de Babylone, qui s’est fait chrétien pour être plus digne de vous, et qui vous offre de partager Ie plus beaunbsp;tróne du monde...

— Je ne l’épouserai pas, mon père, répondit Onolorie avec une fermeté respectueuse.

— Vous 1’épouserez!

— Je ne l’épouserai pas, mon père...

— Et je ne saurai pas pourquoi ? s’écria Ie vieil empereur exaspéré.

— Epargnez-moi, ainsi, qu’è vous, mon père, Ie chagrin et Ie scandale d’un aveu public...

— Que veut dire ceci ?...

— Gela veut dire, mon père, que je ne puis être ^ deux princes a la fois, et que, mariée déj a se-crètement au chevalier de la Vraie Groix, je nenbsp;puis, par conséquent, épouser Ie soudan de Baby-'one...

— Mariée è Lisvart! s ecria I’enipcrcur con-londu.

— nbsp;nbsp;nbsp;Oui, mon père, répéta Onolorie en tombantnbsp;è deux genoux.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ah ! ceci met Ie comble a la mesure! et jenbsp;comprends tout maintenant 1... s’écria Ie vieux mo-narque en se laissant aller a toute la fougue denbsp;son ressentiment. Boi de la Breigne, ajouta-t-il ennbsp;voyant entrer ce prince, vous avez mis Lisvart ennbsp;lieu sür, n’est-ce pas?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Je vous ai obéi, Sire, répondit tristemeut Ienbsp;roi de la Breigne.

— nbsp;nbsp;nbsp;Eh bien 1 faites pour la princesse Onolorienbsp;ce que vous avez fait pour Ie chevalier de la Vraienbsp;Groix, son complice : enfermez-la dans une tour,nbsp;jusqu’è ce que j aie prononcé sur son sort...

— Grace, Sire 1... murmura la princesse Grici-lerie en venant se jeter aux pieds de son père. Grace pour ma sceuri

— Non:... réponditl’empereur.

— Gróee, Sire 1 murmura 1’impératrice en venant se jeter aux pieds de son mari, grace pour ma fillel...

^ — Non ! répondit l’empereur en détournant la tête. Roi de la Breigne, vous m’avez entendu ?...

— Oui, Sire...

— Faites vitement, alors.

Le roi de la Breigne s’approcha respectueuse-ment de la princesse de Trébisonde, et, de sa voix la plus douce, il la pria de vouloir bien le suivre.

Onolorie sortit avec lui, au milieu des sanglots de sa raère et de sa soeur.

— II aimait Onolorie !... murmura la princesse Abra d’un air sombre.

GHAPITRE XLll

Comment la princesse Abra, dans sa douleur, trouva encore moyen de réconforter son frère Zaïr, qui se laissait allernbsp;è une mélancolie mortelle.

Si la princesse Abra regut de cette révélation une douleur aiguë comme une pointe d’épée, ar-dente comme une flamme, son frère, le soudan denbsp;Babylone, n’en regut pas une douleur moinsnbsp;grande.

II alia s’enfermer daas son logis, l’éme navrée, désespéré de tout, et n’attendant plus d’autrenbsp;soulagement que de la mort; il entra en une tellenbsp;mélancolie qu’il ressemblait plus i une statue denbsp;marbre qu’a une créature vivante.

II demeura ainsi pendant prés d’une heure, sans remuer pied ni main, tenant sa tête appuyée surnbsp;sou bras gauche. Puis, au bout de ce temps, lesnbsp;paroles commencèrent h lui sortir de la bouche,


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BIBLIOÏHEQÜE BLEUE.

mais si douces, si piaintives, qu’il en eüt apitoyé et brisé Ie plus dur rocher de la mer.

—Ahl murmura-t-il, la Iriste et funeste pensée qui me place et brüle Ie cceur, qui me ronge l’amenbsp;et l’espritl... Hélasl hélasl Qu’ai-je è faire, main-tenant?.... Je suis arrivé trop tard au jardinnbsp;d’amour... Un autre a cueilli Ie fruit avant raême

aue je n’aie vu l’arbre!... Un autre en a obtenu la épouillo et l’entière richesse, bt je suis encore anbsp;jouir du moindre bien,de la plus legére faveur 1...nbsp;Mais, alors, pourquoi done, étant corarne je suis,nbsp;privé de la fleur et du fruit tout ensemble, pourquoinbsp;est-ce quo je me passionne et souffre ainsi ?... Etnbsp;pour qui?... Pour cette louve pressée qui, me dé-daignant pour serviteur et arai, a choisi Lisvartnbsp;pour s’abandonner é lui, pour se faire sa serve, sonnbsp;esclave, perdanl par ce moyen Ie meilleur qui étaitnbsp;en ellel...Car, a bien dire, labile vierge et pu-dique rcssemble é la rose sur Ie rosier, qui iie re-qoit d’injure ni de dommage, ni du temps, ni desnbsp;hommes, ni de personne, et qui s’épanouit sous lanbsp;rosée divine de l’aube... Les jeunes amoureusesnbsp;s’en viennent la cueillir peur en faire un bouquetnbsp;et orner leurs jeunes gorges frimissantes... Mais,nbsp;elle n’est pas plutöt ravie è sa verte branche, a sanbsp;maternelle nourriluro, qu'elle perd petit a petit lanbsp;grace, la fraicheur, la beauté qui la faisaientdésirernbsp;du ciel et des hommes. Semblablement la pucellenbsp;en laissant ravir par autrui la divine fleur de sanbsp;virginilé, qu’elle doit poürtant tenir plus chèrenbsp;que sa vie propre, ravale ainsi Ie prix dont ellenbsp;était d'abord estimée, et se fait mópriser de ceux-lé mème qui lui portaient affection et servitude...nbsp;Maisquoi?... il est vraisemblable qu’elle ne s’onnbsp;soucie guère... Ce h quoi elle tient, c’est k êlrenbsp;airaée de celui ii qui elle fait une si grande libéra-lité de sa personne... Ah 1 forlune cruelle et aveu-gle!... Lisvart seal se meurt d’abondance d’amour,nbsp;et moi j’en meurs de nécessité 1... Est-il done possible qu'Onolorie me soit k jamais agréable?....nbsp;Dois-je ainsi laisser périr et consumer ma proprenbsp;vie, et requérir plus longteraps une si ingrale etnbsp;si folie personne?... Non! nonl... roeurent plulótnbsp;mes jours que mon honneur 1...

Comme Zaïr était ainsi en train de se tourmen-ter et de se désespérer, pleurant et sanglotant, sa soBur survint par une porte dérobée inconnue aunbsp;soudan.

En Ie voyant dans ce pitoyable état, la pauvre princesse fut émue et oublia sa propre douleurnbsp;peur ne plus songer qu’k cede de sou frére.

Elle Ie prit en son giron, lui essuya douceraent les yeux et Ie visage, qu’il avait baignés de larmes,nbsp;et lui dit d’un ton de tendre reproche :

— Ah 1 mon cher frére, comment vous oubliez-vous ainsi k pleurer et k vous lamenter?... Voulez-vous done réjouir vos ennemis?... A force de souf-frir, vous mourrez... et, vous mort, votre rival pourra jouir en paix de la maitresse qu’il vous anbsp;rav'.e, et qu’k votre tour, vous pouvez lui ravir 1...nbsp;Songez doiicl vous pouvez vous venger de lui 1...nbsp;11 u’aime qu’une personne au monde, c’est la priii-^sse que vous aimez vous-meme... Poursuiveznbsp;oiic votre vengeance... Prouvez k tous ces chré-Uens que V0U6 étoe plus habile qu’eux.

— J’en mourrai, ma socur, murmura Ie soudan de Babylcne en secouant tristement la tête.

— nbsp;nbsp;nbsp;Vous n'cn mourrez pas, mon frére... G’estnbsp;affaire aux femmes de pleurer, de se lamenter etnbsp;de se laisser abattre par les infortunes amoureuses... Mais vous, chef d’horames, prince iilustre,nbsp;chevalier vaillant, vous devez vous roidir contre lanbsp;peine et prouver que vous êtes homme... Si cenbsp;n’est pas peur vous, vivez au moins pour ceux quinbsp;vous aiment...

— Pour ceux qui m’airaent! répéta Zaïr avec amertume.

—Doutez-vous done de mon affection pour vous, mon cher frére?... Moi qui oublie Ie mal de monnbsp;cceur pour ne songer qu’au mal du votre 1...

— nbsp;nbsp;nbsp;Non, chére soeur, je ne doute nullement denbsp;votre araitié... Vos paroles me rcconforlent; jenbsp;reprends courage, et j’espère... Si je n’ai pasnbsp;1’araour, j’aurai du moms la haiuc pour consolation.

Zaïr et Ahra dcvisèrcnl ainsi pendant quelque temps, et la soeur quitta son frére uiï peu consolé.

CHAPITRE XLlll

Comment I’empcreur de Trdbisonde promit au due Alatbnle de venger Ie meurlre de son fils, el, eii méme temps, Ienbsp;commerce adultörc de Lisvart et d’Onolorie.

Pendant ce temps, l’erapereur de ïrébisonde causait avec Ie due Alafonte.

— nbsp;nbsp;nbsp;Votre lils est-il vivant encore? demanda-t-il.

— nbsp;nbsp;nbsp;Non, Sire, répondit Ie due, je viens de re-cevoirson dernier soupir, et c’élait pour vous supplier de Ie venger que je revenais vers vous...

— II sera vengé, on effet, je vous Ie proraets, mon cousin, reprit Ie vieil empereur. Mais vousnbsp;ne savez pas tout, due 1...

— Qu’y a-t-il done encore, grand Dieu? N’est-ce done pas assez de cc malheur qui m’altcint en plein cceur et empoisonne Ie resle des jours quenbsp;j’ai encore k vivre?... Faul-il que j’aie encore knbsp;regretter un nouveau cirimo ?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Oui, due.

— nbsp;nbsp;nbsp;Etlequel, Sire ?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Lisvart a osé aimer, sans mon consentemei)t,lanbsp;princesse de Trébisonde, ma fille.

— Et elle?..

— Elle l’a aimé aussü... Es ent comovercé 1’un et faitre secrélcment, dèshonorant ainsi Ie notnnbsp;qu’ils portent et Ie rang qu’ils lieimeut...

— Ah! Sire, voüa qui mérile un cLMiraent exemplairc... J’aurais pardonné peut-élre, moi»nbsp;paree qu’il ne s’agissait en somme que d’un meur-


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LA PRINCESSE DE TREBTSONDE. A3

LA PRINCESSE DE TREBTSONDE. A3

tre qui avait ensanglanté votre palais et atfristé ma vie... C’était un désastre particulier... Mais,nbsp;ici, cela dcvient une calamité publique... Oser porter ses regards sur la fille de 1’etnpereur de Tré-bisondel Profiter de l’hospitalité gciK^reuse qu’ilnbsp;offrait, pour la déshonorerl Cela est déloyal et iii-digne d’un chevalier... Cela veut une punitionnbsp;éclatante...

— Ils l’auront l’un et l’autre, due, je vous Ie promets, car ils sent l’un et l’autre coupables...

Point de faiblesse, Sire 1

— nbsp;nbsp;nbsp;Je n’en aurai point... Je me souviens de cenbsp;que firent autrefois è leiirs enfants ïorquatus etnbsp;Ie bon Trajan... Je les itniterai.

— Ce sera Ik une dure extrémité, Sire; mais une extrémité nécessaire... J’en pleurerai, k causenbsp;de la douleur que vous en ressentirez comme pére;nbsp;mais j’applaudirai k l’exécution de celte mesurenbsp;rigoureuse qui sauvera votre honneur outragé...

— nbsp;nbsp;nbsp;Rapportez-vous-en è moi, cousin, je vous Ienbsp;répète... Vous serez vengé du meurire de votrenbsp;lils, et moi je Ie serai du déshonneurde ma fille...

— nbsp;nbsp;nbsp;Permettez-moi done maiutenant, Sire, donbsp;prendre congé de votre majesté l... II me reste unnbsp;devoir pieux k remplir... J’ai k préparer les funé-railles de mon filsbien-aimé...

— nbsp;nbsp;nbsp;Allez, mon cousin, allez en paix, et que Dieunbsp;Soit avec vousl...

Le due Alafonte s’inclina et sortit.

Quant k Lisvart, on Tavait enfermé dans une tour oü SC trouvait déjk Radiane, soüdan de Li-quie.

Pendant deux jours et deux nuits, il ne voulut prendre aucun repos ni aucune nourriture. Cenbsp;qu’il voulait, c’était mourir 1

Heureusement que Radiane était Ik. Non-seule-ment il empêcha Lisvart d’attenter k sa vie, mais encore il lui prodigua les soins et les consolationsnbsp;les plus efficaces; tellement que l’amant de la prin-cesse Onolorie reprit coeur et se rattacha a la vienbsp;par Tespérance.

GHAPITRE XLIV

Comment la princesse Abra, pour se venger et venger son frère, lui donna le conseil de faire combattre deux chevaliers, frères du roi d Egypte, sous couleur d'obtenir justice de la trahison de Lisvart el de la ddloyauté de la prin-ccssse Onolorie.

indicative et passiotinée, la princesse Abra n’était pasnbsp;encore satisfaitc. II ne lui suf-lisait pas quo Lisvart fut era-prisonné et gardé a vue, etnbsp;jue la princesse Onolorie futnbsp;“galement en charte privée.nbsp;Clle voulait davantage pournbsp;la satisfaction de sa jalousie:nbsp;elle l’obtint.

Le lenderaain, elle alia trquver le soudan de Babylone, qui l'accueillit avecnbsp;joie, car c’élait d’elle seule maintenaut qu’il atten-dait son réeonfort.

— Mon frére, lui dit-elle, j’ai songé cette nuit k quelque chose que je veux vous coiitier...

—11 s’agit de ma vengeance, n’est-ce pas, ma sceur?...

— De notre vengeance, mon cher frère. En vous servant, je me sers; en me servant, je vous sers...

— Je suis plus assuré, de cette fagon, de réussir...

— nbsp;nbsp;nbsp;Nous réussirons aussi.

— nbsp;nbsp;nbsp;De quoi s’agit-il, ma sceur?

— nbsp;nbsp;nbsp;Vous avez parmi vos compagnons deux vail-lants chevaliers, Macartes et Zarahan...

— nbsp;nbsp;nbsp;Les frères du roi d’Egypte ?

— nbsp;nbsp;nbsp;Oui.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ce sont, en effet, deux bons chevaliers, lesnbsp;meilleurs pcut-être qui soient venus avec moi.

— nbsp;nbsp;nbsp;La victoire leur sera done plus facile qu’knbsp;d’autres.

— nbsp;nbsp;nbsp;Vous voulez qu’ils combattent contre Lisvart?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Non... Ecoutez-moi jusqu’au bout... Vous lesnbsp;enverrez auprès de Tempereur de Trébisonde...nbsp;Quand ils seront devant lui, ils lui déclareront lanbsp;trahison de Lisvart et la déloyauté de la princessenbsp;Onolorie, en le priant de leur accordor le combatnbsp;pour prouver leurs dires..',

— nbsp;nbsp;nbsp;Si Tempereur refusait?.,.


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BIBLIOTHEQUE BLEUE.

— L’empereur ne peut pas refuser... Et d’ail-leurs, dans ce cas-la, j’aviserais a un autre moyen... Mais, je vous Ie répète, il accordera amp; Macartes etnbsp;è Zarahan la permission qu’ils lui demanderont...

— Ne vaudrait-il pas mieux, ma soeur, que je m’offrisse, moi, pour prouver cette trahison etnbsp;cette déloyauté?... Les frères du roi d’Egypte sontnbsp;braves et chevaleureux, mais n’ai-je pas eu jusqu’^nbsp;présent la victoire dans toutes les luttes de cenbsp;genre oü je me suis présenté?... Je demanderais énbsp;combattre contre eet odieux Lisvart, et ma hainenbsp;donnerait un poids de plus è mon bras... J’auraisnbsp;bonheur ^ me repaitre de la vue de son sangl...

Abra tressaillit. Elle voulait bien se venger de Lisvart, mais elle l’aimait trop pour Ie souhaiternbsp;mort.

— Non, mon cher frère, répondit-elle au sou-dan, non, cela n’est pas praticable... D’abord, il ne faut pas que vous exposiez votre existence,nbsp;utile amp; votre peuple et chère i vos amis... Ensuite,nbsp;il n’est pas dans les lois de ce pays qu’un chevaliernbsp;accusé se défende lui-même contre celui qui l’ac-cuse... II choisit, ou l’on choisit pour lui des par-rains en nombre égal k celui de ses accusateurs,nbsp;et ce sont eux qui vainquent ou succombent pournbsp;lui... Tant mieux s’ils sont vaiiiqueurs, tanf pisnbsp;s’ils sont vaincus...

— nbsp;nbsp;nbsp;Soit! murmura Zaïr en soupirant.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ainsi, vous m’avez bien comprise ?

— nbsp;nbsp;nbsp;Oui, ma soeur.

— nbsp;nbsp;nbsp;Vous allez prévenir Macartes et Zarahan?,..

— nbsp;nbsp;nbsp;Je vais les prévenir et leur indiquer Ie róle ènbsp;suivre...

CHAPITRE XLV

Comment Macartes et Zarahan, frères du roi d'Egyptc, se rendirent auprès de l’empereur de Trébisondc et lui dó-noncèrent la trahison de Lisvart; et comment,nbsp;sur CCS entrefaites, survint un chevalier inconnu,nbsp;qui se déclara pour la princesse Onolorie.

ffientót prévenus, les frères du roi d’Egypte, Macartesnbsp;et Zarahan , se rendirentnbsp;auprès de l’empereur denbsp;Trébisonde, qui, en ce mo-'j ment, était encore è tablenbsp;i avec sa compagnie.

— Sire, dit Macartes prenant la parole en son nom et aunbsp;nom de Zarahan, nous venons vous dé-clarer, mon frère et moi, la trahisonnbsp;du chevalier de la Vraie Croix ct la déloyauté de madame Onolorie, princesse de Trébisonde, et vous deman-... der Ie combat contre deux chevaliersnbsp;cnoisis par vous...

Cette parole causa un frémissement général.

— Nous offrons de prouver nos dires en champs dos, reprit Macartes, et de ne sortir de la luttenbsp;que morts et vaincus, ou vivants et vainqueurs...nbsp;C’est è votre justice que nous nous adressons, Sire,nbsp;et nous espérons bien ne pas nous y adresser ennbsp;vain...

— nbsp;nbsp;nbsp;Et vous avez raison, seigneurs, répondit gra-vement Ie vieil empereuren se levant. J’accorde lonbsp;combat que vous venez me demander... II aura lieunbsp;dans trois jours, en présence de toute ma cour elnbsp;des deux coupables, la princesse Onolorie et Ienbsp;chevalier Lisvart... Tous deux choisiront leurs par-rains pour confondre leurs accusateurs et les vain-cre... Si les accusateurs sont vainqueurs, la têtenbsp;des accuses courra péril de male mort...

— nbsp;nbsp;nbsp;Y a-t-il ici quelqu’un qui veuille se porternbsp;garant pour Lisvart et pour madame Onolorie ? de-manda Zarahan en promenantun regard de défi surnbsp;l’assemblée.

Personue ne sonna mot.

Périon n’était plus la, hélas! et la crainte d’en-courir la disgrace de l’empereur refroidissait les amities les plus chaudes.

Gricilerie et l’impératrice pleuraient dans un coin, en se tenant embrasséos.

Sur ces entrefaites, survint un chevalier, grand de corsage et fort de membres, qui avait Ie visagenbsp;more.

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, dit-il en s’adressant do prime-abord aunbsp;vieil empereur de Trébisonde, ne pourriez-votsnbsp;me donner des nouvelles du chevalier de 1’Ardent cnbsp;Epée?

— Le chevalier de l’Ardente Epée?

— nbsp;nbsp;nbsp;Oui, Sire, un brave ethardi compagnon, monnbsp;compagnon de jeux et d’armes, que je cherche donbsp;par le monde sans pouvoir parvenir k le rencon-tror...

— La dernière fois que je l’ai vu, seigneur chevalier, répondit l’empereur, a été aussi la première...

— C’était en quel endroit, Sire?

— En Pile d’Argènes.

— En l’ile d’Argènes?

— Oui, \k oü nous sommes restés enchantés pendant de longues années, plusicurs chevaliers et moi, par suite des maléfices de Zirfée, l’ennemienbsp;de la bonne Urgande... G’est lui qui nous a déli-vrés...

—Je le reconnais k ce trait... Mais ne pourriez-vous done me dire oü je le pourrais rencontrer?---

— Non, sire chevalier... car nous n’avons pap eu do ses nouvelles, depuis... Nous I’avons laisscnbsp;en 1’ile d’Argènes avec le roi Alpatracie, le reinenbsp;Miramynie et la princesse Lucelle...

— nbsp;nbsp;nbsp;Aliens, je vois bien que je ne le retrouverainbsp;pas encore aujourd’hui, murraura le chevaliernbsp;more. Gela me chagrine fort, car je I’aimais etnbsp;j’avais un pardon ü lui donner de la part de quelqu’un qui I’avait faussemeut accusé. Mais, ajoutanbsp;le chevalier, d’oü vient cettc consternation que jenbsp;vois répandue céans sur tous les visages?... La


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LA PRINCESSE DE TRÉBISONDE. 45

LA PRINCESSE DE TRÉBISONDE. 45

O'S

cour de Trébisonde porte4-elle done Ie deuil de quelqu’un d’illustre?...

On s’empressa de lui raconter ce qui s’était déja passé et de Ie raettre au courant de ce qui devaitnbsp;avoir lieu dans trois jours.

— nbsp;nbsp;nbsp;O amour 1 s’écria-t-il. Dieu cruel et charmant! Tu exercerasdone toujours tes ravages 1,..

Puis, s’avanqant fièrement vers Macartes, et lui tendant Ie bord de sa cotte de mailles, il lui dit;

— Je me declare Ie chevalier de la belle prin-cesse Onolorie, et j’entends faire éclater au grand jour son innocence et sa pureté. M’acceptez-vous ?

— nbsp;nbsp;nbsp;Je vous accepte pour adversaire, répondilnbsp;Macartes en prenant Ie bord de la cotte de mailles.

Gricilerie respira, ainsi que l’impératrice ; la princesse de Trébisonde avait un défenseur.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ne pourrai-je savoir a quel chevalier j’aurainbsp;affaire? demanda dédaigneusement Macartes.

—'Volontiers, seigneur, répondit Ie nouveau venu. D’autant plus que je suis aise de prouver anbsp;madame Onolorie, et de toutes les fagons, qu’ellonbsp;a un défenseur digne d’elle...

— nbsp;nbsp;nbsp;Ainsi, vous avez nom ?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Fulurtin, fils de Mérone et de Buruca, autre-ment dit du roi et de la reine de Saba. Et vous,nbsp;mon compagnon ?

— nbsp;nbsp;nbsp;J’ai nomMacarles, et suis Ie frère du roi d’E-gypte...

-- Nous sommes dignes de nous mesurer, è ce que je vois; je m’en réjouis d’avance, chevalier.

CHAPITRE XLVI.

Comment, au bout de trois jours, personne ne s’étant prósenlé pour défendre Lisvart, Gradasilóe alia revêtirnbsp;son armure.

Ör:_ nbsp;nbsp;nbsp;que Fulurtin, fils du

roi nbsp;nbsp;nbsp;de Saba, ne se présenta

pour nbsp;nbsp;nbsp;défendre les deux accu-

sés; ce dont chacun des amis de Lisvart et d’Onolorie étaitnbsp;marri, trés marri, paree qu’onnbsp;prévoyait bien que Ie nouveaunbsp;chevalier ne pourrait suffire 5nbsp;la besogne, les deux frères d xnbsp;roi d’Egypte étant estimés lesnbsp;mcilleurs chevaliers du pays.

Les trois jours fixés comme délai étaient expirés.

Le matin du jour oii devait avoir lieu Ie combat, Radiane, soudan de Liquie, senbsp;présenta devant Teinpereur, sous lanbsp;garde du roi de la Breigne.

Sire, lui dit-il en pliant le genou, j’yi une grace è vous demander.

— Laquelle?

— Le vaillant chevalier de la Vraie Groix, mon compagnon et mon ami, a appris que

personne, jusqu’ici, ne s’était présenté pour lui servir de défenseur.

— G’est vrai.

— A cette cause, comme il veut éfre défendu, il m’envoie vers vous, Sire, pour vous prier de lenbsp;laisser combattre contre Zarahan... Nul ne le dé-fendramieux que lui-même.

— C’est bien dit, sans doute, répondit le vieil empereur avec amertume, mais je ne m’y laissenbsp;pas prendre... Lisvart compte Irop sur sa vaillancenbsp;éprouvée, et il espère sortir ainsi, lavé et absous,nbsp;d’un combat dont il faut, au contraire, qu’il sortenbsp;plus criminel encore...

— Sire...

— N’ajoutez pas un mot... je ne l’écoutcrais pas. Ou bien, faitesmieux... dites é Lisvart que, s’ilnbsp;veut combattre contre quelqu’un, c’est contre moinbsp;qu’il combattra... L’age a refroidi mes sens et re-fréné ma vigueur d’autrefois... Mais la colère, unenbsp;légitime colère, me rendra mes forces perdues, etnbsp;je lui ferai rendre gorge en criant merci!..,

— Sire, répondit tristement Radiane, vous savez bien que c’est impossible...

— Eh ! pourquoi done?...

— N’êtes-vous pas le père de la princesse de Trébisonde ?...

— G’est précisément paree que je suis son père que j’agis ainsi que je le fais,et que j’entends com-battre contre Lisvart, s’il persiste è défendre lui-même ses droits...

— Je relire sa proposition, Sire...

Le roi de la Breigne et le soudan de Liquie pri-rent immédiatement congé.

Après leur depart, il se fit un profond silence dans l’assemblée.

— Personne ne se présente pour défendre Lisvart? demanda Tempereur.

Le silence continua, profond.

Ge n’était pas qu’il n’y eüt la des amis du cheva Ier de la Vraie Groix. Mais ces amis-lè redoutaient-beaucoup la colère de leur souverain. En toutenbsp;autre occurence, ils se fussent levés pour répondrenbsp;h la demande de l’ernpereur; ils ne l’eussent pasnbsp;attendue, même, pour se déclarer. Le sort de Pé-rion ne les tentait guères 1..

— Quoi 1 pas un chevalier pour en défendre un autre 1 s’écria Gradasilée avec indignation. Et quelnbsp;chevalier ? le meilleur et le plus vaillant, celui quinbsp;protégé les fiiibles et défend les opprimés 1 O Lisvart 1 tes amis n’osent pas élever la voix pour répondre è ceux qui l’élèvent pour t’accuser 1 On oublie tes services rendus; les processes s’effacentnbsp;de la mémoire et du cceur de ceux qui en ont éténbsp;les témoins intéressés I On te calomnie et on t’a-bandonne!...

Ayant dit cela, Gradasilée n’y tint plus. Elle sor-lit brusquement et s’en alia tout droit au logis qu’habilait d’ordinaire Lisvart.

11 y avait la, pendue è la muraille, l’armure com plète du brave chevalier de la Vraie Groix, 1®nbsp;heaume, la cotte de mailles, le haubert, les gau-telets et le reste.


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BIBLIOTHEQUE BLEUE.

1»quot;

Ch

Gradasilée prit un è un chacun de ces divers ob-jets.

— O Lisvart 1 murmura-t-elle avec une tendresse passioniiée. O Lisvart! Fleur de la chevalerielnbsp;rempart des dames et des demoiselles oppriraées!nbsp;Parangen de grace, de courage, de beauté et denbsp;bonté! Ils font renferraé dans une prison, toi quinbsp;les avais si bien défendus 1 Et cela, paree que tunbsp;as commis Ie crime si pardonnable d’aimcr quinbsp;faimait! Ge crime, c’est raoi qui devrais te Ie re-procher, moi qui f aime depuis si longtemps sausnbsp;espoir... et c’est moi qui Irouve Ie plus de man-suétude au fond de mon cceur tout rerapli de toi 1nbsp;G’est moi, une femme, qui fais ce que n’osent pasnbsp;faire des hommes!... Je fai sauvé une fois la vie :nbsp;je veux te sauver aujourd’hui rhonneurl...

Tout en proférant ces paroles, Gradasilée revê-taitpièce é pièce Ie harnois du chevalier de la Vraic Croix.

— Ton noble eoeur a battu Ifi-dessous, mur-rnura-t-clle en ajnstant Ie haubert é sa taille. Ta belle tète, ton lojal visage se sent abrités sous ccnbsp;heaumel... Tes viriles mains ont lenu ces gante-letsl... O Lisvart! solcil de mes ténèbres! flambeau de ma nuit! joie et supplice de rna vie... Sousnbsp;cette armure qui te rendit lant de fois vainqueur,nbsp;je veux vaincre aujourd’hui... J’aurai ma récom-pense dans ie bonheur que tu éprouveras a êirenbsp;absous et a être librel...

Quand elle fut ainsi accoutrée, de faQon h être racconnaissable pour tous les yenx, même pour lesnbsp;yeux du chevalier qu’elle aimait, la belie et raal-he,.reuse Gradasilée sortit secrètement du logi.s denbsp;Lisvart, monta sur un destrier et alia roder auxnbsp;environs du champ-clos.

GIIAPITRE XLVII

Comment eut lieu Ie comt)at entre Fulurtin et les deux frè-res du rol d’Egypte, et comment, au moment oü ee vaii-lanl ills du roi de Saba avail Ie plus de travail, parut dans la lice un chevalier inconnu,

élas! il étailbien vrui; personue i e s’éta tnbsp;présenté pour corn-ball re au nom de Lisvart el prendre fait elnbsp;cause pour lui.

Fulurtin, seul,élait dans farène, inais aunbsp;V nom et coranie dii-enseur de la bellenbsp;rincesseOuolorie.

L’empereur de Trebisonde availnbsp;fait dre.sser de-vant Ie beu oünbsp;^devait se passernbsp;Ie cotrtbal un

large écliafaud enconrtiné de velours cramoisi, qui permettait ainsi de voir et d’etre vu.

A l’une des extrêmités de eet échafaud, il viut se placer en compagnie de 1’impéralrice, de la prin-cesse Gricilerie, de Griliane et des dames et demoiselles de la suite de 1’impératrice.

Quant ü l’infortunée Onolorie, elle était k part, cotnme une lépreuse, de faqon ü ce que tout Ienbsp;monde püt la voir, amis et eunemis, ses arnis pournbsp;la réconforter de leur mieux, ses ennemis pournbsp;i’oiilragcr de Icuis sonrires.

Ses ennemis, c‘est-ü-dire la cruelle et vindicative princesse Abra. Car, pour Ie soudao de Baby-lone, il faimait trop encore pour ne pas la plain-dre, tout en se sentant remué par la colére en son-geant a Lisvart, dont Ie nom se presentait mainte-nant a son esprit, escorlé de celui d’Oiiolorie.

Quant au chevalier de la Vraie Groix, il était re-légué a l’autre extremité de l’écbafaud, comme pour mieux faire comprendre è la foule ü quel éloi-gnement il était désormais du eoeur de f empereurnbsp;de Trébisonde, apres y avoir tenu une place si intime et si filiale.

Le roi de la Breigne était derrière lui, pour Ie garder et empêcher toute tentative de délivrancenbsp;OU d’évasion,

Macartes et Zarahan parurent, monies sur de magnifiques chevaux richeraent caparaqonnés.

— Seigneurs, leur dit l’empereur, nul chevalier autre que celui-ci ne s’est présenté pour combat-tre coiitre vous... Que les destins s’accomplissent!nbsp;Prince Fulurtin, ajoula feropereur en se lournantnbsp;vers le fils du roi de Saba, prince Fulurtin, vousnbsp;voilaseul contre deux... Acceptez-vous?

— Quand on défend la cause que j’ai prise en main, Sire, répondit Fulurtin, ou n’a cure du peril que fon peul courir... Les dieux m’aidcrontl

Comme il passait devant Lisvart, après avoir salui' la princesse Onolorie, il s’arrêta un instant,nbsp;étonné.

Lisvart profila de eet instant pour le rcmercier.

— Vous n’avez pas de remerciements a m’a-dresser, chevalier, répondit Fulurtin cu continuant é le regarder avec attention... Je defends la beauténbsp;et la vaillancc; Ia beauté, c’est-a-dire la princessenbsp;Onolorie; la vaiHance, c’csl-a-dire vous... Etpn^s,nbsp;plus je vous cousidère, et plusje resle ébahinbsp;votre. ressemblance avec quelqu’un qui m’est chei’-A cause de vous ct ti cause dc lui, ie combutlrai vo-lontiers contre les frères du roi d’Egypte... A}'©^nbsp;bon espoir, chevalier...

—J’ai fiance en vous, lui cria Lisvart au moment oü il regagnait sa place.

Les trompettes résonnèrent ct les hérauts darmes répétèrent par trois fois ;

— Allez, bons combaltauls 1... Bons eombatfanls,

‘ f'.itcs votre devoir!...

Le choc fut terrible. Dés la première atteinte, Ia iance de Macarb's se brisa sur 1 ecu de Fulurluünbsp;et Fulurtin lui-même fut désarconné par Zarahan-

— L’épée ü Ia main, chevalier 1 cria le fils di^ roi dc Bohème en remontant promplement sur son


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LA PRINCESSE DE TREBISONDE. 47

LA PRINCESSE DE TREBISONDE. 47

cheval, qui, fort houreusement, n’avait pas été renversé.

Les deux frères du roi d’Egypte revinrent h la charge avec furie. Le chamaillis fut extréme. Ennbsp;un clin d’oeil, le sol du champ-clos fut joncbé denbsp;debris de heaumes et de hauberls.

Zarahan fut bientót travaillé par Ia doulcur d’une blessure qu’il venait de recevoir. Pour senbsp;venger, il réunit toutce qui lui restait de force etnbsp;s’en alia, en compagnie de son frère, la rencontre du vaillant Fuiurtin.

Cette fois, ce dernier était gravement menacé. Encore une minute, et il succombait dans cetlenbsp;lulte inegale...

Tout4-coup parut, amp; la barrière de la lice, un chevaliiT de haute taille, porteur d’armes ver-meilles, et monté sur un beau destrier.

Tons les regards se portèrent vers lui avec avidilé.

— Merci, mon Dieu, merci! raurmura Ia prin-cesse do Trébisoude, comprenant que c’élait u\i secours qui arrivait Ié a son chevalier, lequel eiinbsp;avait vraiment besoin.

— Sire, dit le nouveau venu en s’adressant é 1’empereur de Trébisonde, vous avez permis quenbsp;le combat put être continué é quatre, quoiquenbsp;cornmencé a trois... Je passe, et j’apprends cenbsp;dont il s’agit... 11 y a ici un chevalier contre deux...nbsp;cela manque dequité... Permettez-raoi done d’en-trer et de me joindre au défenseur de la prin-cesse Onolorie.

— nbsp;nbsp;nbsp;J’y consens, répondit l’empereur.

A cette parole, les hérauts d’armes tirèrent la barrière qui fermait le camp, et le chevalier in-connu se précipita h la rencontre de Zarahan, et anbsp;la rescousse de Fuiurtin.

La lutte, alors, changea d’aspect, grke é l’ex-cellence de cetle recrue inespérée.

II n’y avait pas deux minutes que ce vaillant compagnon était arrivé, que Zarahan mordait lanbsp;Poussière, atleint d’un coup de lance au faux dunbsp;heaume et du haubert.

Quand son frère le vit ainsi étendu mort sur le sol, il prit peur.

— nbsp;nbsp;nbsp;Je m’avoue vaincul cria-t-il au moment oünbsp;le chevalier iiiconnu allait ratleindre. Madamenbsp;Onolorie etle seigneur Lisvartsont innocents.

Ghacun battit des mains , malgré la présence de 1’empereur de Trébisoude et Fair de mauvaisehu-bieur que ce résullat venait de communiquer é sanbsp;Physionomie,

Dans sa rancune, il aurait bien voulu s’opposer ” 1’exécution des conventions arrêtées avaut lenbsp;Combat. Mais cela n’était guère possible.

D’ailleurs, le roi de la Breigiie avait déjé dit é Lisvart:

— nbsp;nbsp;nbsp;Chevalier, vous ét es libre.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ma fille paiera pour deux! murmura le vieilnbsp;ctnpereur avec uno sourde rage.

CHAPITRE XLVIII

Comment Lisvart quilta Trébisonde, en compagnie du vait-lant chevalier qui avail si fort fi propos pris sa défense, el comment ce chevalier, a force d'iiistances, finil par luinbsp;dire qui il était.

ien ne retenait plus Lisvart a Trébisonde, excepté cependantnbsp;la princesse sa mie. Mais, préci-sément é cause d’elle, il devaitnbsp;fuir pour aviser aux moyens denbsp;la déiivrer.

A quelques pas du lieu du combat, un écuyer lenait un cheval tout équipe.

— Monlez vilement, lui dit le / chevalierinconnu. Montez! L’cm-^ pereur ne peut s’opposer présen-(^tement a voire fiiite, paree quenbsp;^les conditions du combat sont Iénbsp;quot;qui s’y opposent... Mais dansnbsp;une heure d’ici, il réfiéchirait, etnbsp;la haine qu’il a congue a votrenbsp;_ v égard le porterait é commettrenbsp;\uu acte d’arbitraire... II est prudent de mettre une grande distance entre vous et lui... Qud-que long qu’il ait le bras, il ne pourra vous attein-dre lorsque vous serez é deux ou trois lieues de lanbsp;cité de Trébisonde...

— Mais la princesse Onolorie?...

— nbsp;nbsp;nbsp;N’ayez point souci d’elle... L’empereur estnbsp;irrité... il se vengerait certainement sur vous denbsp;1’oulragfi iiivolontaice qu’il vous reproche... Quantnbsp;a s’en venger sur la princesse de Trébisonde, il nonbsp;l'oserait, car, eii somme, elle est sa fille; et. d'ail-leurs, Ift mal coramis peut se réparer... N’êtes-voiis pas libre de tout engagement? ajouta le chevalier inconnu en soupirant malgré lui.

— nbsp;nbsp;nbsp;Je n’aime et ne peux aimer qu’Onolorie, répondit le chevalier de Ia Vraie Croix.

II se fit, sur cette réponse, un silence embarras-sant, que le chevalier inconnu rompit le premier :

__Partonsl partonsl cria-t-il vivement.

Lisvart éperonna son cheval, et tous deux par-tirent commele vent.

Quand ils furenl a une bonne distance de Trébi-soiule, sur le rivage de la mer, ils s’urrêtèrent pour laisser souffler leurs chevaux.

Pendant co temps d’arrêt, I’amant d’Onolorie se mit a examiner curieusement son compagnon, dontnbsp;la visière était toujours levée, ce qui ne lui per-mettait pas de voir son visage.

— nbsp;nbsp;nbsp;Qui done êles-vous, mon généreux sauveur?nbsp;lui demanda-t-il enfin.


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— Qui je suis, sire chevalier?

— Oui, apprenez-moi votro noni et montrez-moi votre visage, afin que je vous admire éi mon aise...

— Hélas! Lisvart, murmura Ie chevalierinconnu en soupirant, ne m’avez-vous done pas recon-nue?...

— Non, pas encore, je l’avoue...

— nbsp;nbsp;nbsp;Ah! comment done me reconnaitriez-vous,nbsp;en effet, cachée sous la visière de votre heaume,nbsp;vous qui me méconnaissez lorsque j’ai Ie visagenbsp;découvert!...

Ges paroles, prononcées avec un peu d’amer-tume, déconcertèrent Lisvart, qui ne comprenait rien au discours qui lui était lenu.

— Dites-moi qui vous étes, je vous en supplie! répéta-t-il.

— Je suis quelqu’un qui vous aime, Lisvart, et que vous n’aimez pasl...

— nbsp;nbsp;nbsp;Ah! j’aurai raison dece mystère! s’écria l’a-mant d’Onolorie.

Et, moitié raisin, moitié figuc, il abaissa la visière du heaume de son compagnon.

Que devint-il en apercevant la pale et douce figure de la pauvre princesse Gradasilée?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Gradasilée! s’écria-t-il.

— Oui, Gradasilée, votre amie dévouée, la seule qui sache vous aimer et vous défendre, saus es-poir de récompense en ce monde ou dans l’aulre...

— nbsp;nbsp;nbsp;Gradasilée! répéta Lisvart, ému.

Involontairement, et pour remercier plus cor-dialement cette chère créature, il se pencha sur elle et Tembrassa.

Gradasilée, de pale qu’elle était auparavant, de-vint vermeille comme braise, et elle se recula vi-vement, toute frissonnante.

Ce baiser l’avait remuée jusqu’au parfond de soa être. G’était pour elle Ie paradis et i’enfer.

— nbsp;nbsp;nbsp;Grace, Lisvart, grace! murmura-t-elle en fer-mant les yeux et en penchant la tête sur sa poi-trine comme une fleur sur sa tige.

Puis elle reprit :

— nbsp;nbsp;nbsp;Lisvart, au nom de l’alTection que je vousnbsp;porte, ne recommencez jamais. Je veux mourirnbsp;vierge, avec votre nom sur les lèvres et dans Ienbsp;cceur!... Et maintenant, partons! ajouta-t-elle ennbsp;éperonnant son cheval.

Lisvart l’imita. Une heure après, ils avaicut perdu de vue la cité de ïrébisonde.



I dt i. — Imp. dc URY alné, boplcvarl Moiiiparuasse, 8V

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CHAPITRE PREMIER

f'Ommcnt la gnnte pucellc Niquéc, princesse de Thèbes, fut enfermde dans unc tour, pour éviler tout commercenbsp;d'homme avant 1’licurc de son manage.

Zirtëe, reine d’Argènes, avail eu deux frères. Ee premier, Zarzafiel, soudan do Babylone, étaitnbsp;mort au siégo de Constantinople; Ie second était Ienbsp;soudan de Niquée.

Ce dernier s’était marié avoc la fille du roi de Thèbes, parfaite en toute beauté, laquelle étaitnbsp;morte en travail de deux enfants, lils et fille, qu’cllenbsp;^ut d’urie seulc ventrée. Le lils s’appelait Anasta-ï'ux, et la fille Niquée.

üu lils, je n’en veux dire ui bien ni raai. Mais, quant a Niquée, je ne sais quelles expressions employer pour dire la merveilleuse beauté dont la nature et les dieux I’avaient douee. Elle semblaitnbsp;bieu plus être d’une essence divine que d’une origine humaine, et, non-seulement elle n avail pasnbsp;eu jusque-la sa pareillo, mais il ne devait pas ynbsp;avoir dans I’avcnir de créature vivante qui lui res-semblat.

L’enchanteresse Zirfée, avertie de I’accouche-ment de sa belle-soeur, ecrivit incontinent au sou-dan pour qu’il (it enfermer sa fille, afin qu’elle ne flit apergue d’aucun homme vivant avant I’heurenbsp;de son raariage. Gar, disait-elle, la beauté de lanbsp;jeune Niquée était destinée S se développer encorenbsp;en trésors et en perfeotions sans nqmbre, ci ce pointnbsp;quequiconque la regarderaitserait vaincu d’amournbsp;et deviendrait fou ou perdrait la vie. Zirfée ajou-tait ([uc sa science lui annongait que cette gentenbsp;pucelle accoucherait d’un tel personnage, si beau

9^ Série. — 1 nbsp;nbsp;nbsp;’


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t,

si brave, si chevalereux, que, tout considéré, il fallait que Jupiter rnême en fut Ie piVe, riiommenbsp;mortel étant insufiisant a procrécr une si rarenbsp;creature.

Le soudan écouta et suivit Ie conscil de sa soeur. II fit eiifermer sa lille Niquée dans une tour, avecnbsp;quelques vieilles gouvernantes el quelques jeunesnbsp;demoiselles pour Tui tenir compagnie.

Niquée alteignit ainsi douze ans.

Le soudan, qui, jusqüe-lamp;, pour obéir religieu-sement aux prescriptions de sa sceur Zirfée, n’avait pas voulu la visiter, le soudan la vint voir uri beaunbsp;matin k l’improviste, et il la trouva si merveilleu-sementfaite de taille et de visage, qu’il en devintnbsp;passionnémeut amoureux. II était venu une fois, ilnbsp;revint toüs les jours pendant un bon bout denbsp;temps.

— Ma mie, lui disait-il en la baisant de fois k autre sur sa belle et mignonne chair de marhrenbsp;rose, ma mie, celui h qui vous êtes destinée senbsp;pourra bien tenir pour le plus heureux entre lesnbsp;plus favorisés’ de l amour 1 Plüt aux dieux que jenbsp;ne fusse pas votre pcre 1 Je vous forcerais bien knbsp;m’aimer corame votre futur compagnon de nocenbsp;sera aimé de vous, et ce bonheur me sembleraitnbsp;plus digne d’envie que la monarchie do toute l’A-sie 1...

Ge commerce quotidien eüt pu amener de graves perturbations dans Texislence du père et de la fille. Le bon hommeau comprit que la loi de raisonnbsp;et celle de nature s’opposaient a ce qu’il allat plusnbsp;avanldans eet échange de caresses, et il s’éloigna.

II la revit pourlant, un long temps après, mais ce fut pour lui faire présent d’uii nain appelé Bu-zando, lequel était laid, contrefait et mal gracieuxnbsp;en lout.

Buzando, en entrant dans la chambre oii se te-nait d’ordinaire Ia gente princesse, s’agenouilla avec empressement et hurnilité devant elle, coramenbsp;aurait pu te faire un chien bien appris.

— Eh bien! mignonne, que vous en semble? demanda le soudan a sa fille. N’est-il pas de taillenbsp;et de visage amp; bien servir les dames?...

— Ah 1 seigneur, s’écria Niquée, faites-le reti-rer si vous ne voulez pas que nous mourions tou-tes de peur!...

Buzando, en la voyant si belle, la supposa charitable, et il lui dit avec la voix la plus douce qu’il put trouver;

— Au nom des dieux, madame, vous avez bien raison de juger des qualites qui sont en vous parnbsp;les défauls qui sont en moi... Mais daignez consi-dérer que ce sont Bi des tares involontaires et quenbsp;je ne suis pour rien dans ma difformité... Ne re-doulez done en rien ma présence, car si le soudannbsp;eüt pensé que mon regard fut aussi dommag-eablenbsp;que le votre, qui trouble le cceur, il ne ra’eüt pasnbsp;ainené céans, bien certainement...

Tout le monde se mit ü rire de cette réponse du nain, surtout Niquée, qui comprit qu*il était déj?inbsp;amoureux d’elle et qui résolut de ce moment denbsp;s’en amuser.

-—En bonne foi, Buzando, lui dit-elie, tu ne me panes avec ceite chaleur que paree que tu n’as jamais vu d’aulres femrnes que moi...

Ah! madamel... j’en ai vu beaucoup, au contraire; mais jamais je n’en ai vu une seule qui vous ressemblat, car je vous crois une déesse descenduenbsp;de rOlympe!...

La risée qu’on avail faito déja de ce pauvre nain s’augmenta encore ü ces paroles.

— Ma fdle, dit le soudan, ce beau fils grille d’envie de vous servir, a ce qu’il me parait; je vousnbsp;pric, belle dame, de le recevoir en votre compa-gnie.

— Ce qu’il vous plaira, Sire, répondit Niquée; je le retiens pour vous faire honnour.

Ainsi demeura le pauvre nain en la tour avec la gentc pucelle, lille du soudan.

GHAPITRE II

Comment la genie jmcelle Niquée, en voyant un tableau représentant les fails et gestes du chevalier de l’Ardente Epéo, s’cnamoura follcraent de lui.

I^uzando iTavaitd’autre bonheur que de regarder ü la dérobée la mignonne lillenbsp;du soudan, el, en la con-lemplaiit ainsi comme ennbsp;extase, il soupiraitbruyara-raent, ce a quoi Niquéenbsp;prenait un grand plaisirlnbsp;Etle lui disait, de fois ü autre :

— Buzando, mon petit ami, de quoi done vous plaignez-vous pour soupi-rer el vous lamenter si pitoyable-ment?...

— Ilélas 1 madame, répondait le nain, n’ai-je done pas raison de menbsp;lamenter et attrister, quand je consMère la difféynbsp;reuce que les dieux out mise entre vous et moi,nbsp;vous douant de telles perfections? si bien que, n’é-tait la bonté de votre emur, vous ne pourriez quenbsp;malaisément me regarder sans dégout et sans ef-froü...

— nbsp;nbsp;nbsp;Comment! mon Buzando, pensez-vous donenbsp;que je vous aie en eet estime? Je fais le rnêmenbsp;état de vous, tel que vous êtes, que vous faites denbsp;moi telle que je suis...

Bvézila, Tune des demoiselles de Niquée, dit alors au pauvre nain :

— nbsp;nbsp;nbsp;Vous voyez, Buzando, on se moque en cenbsp;pays de ceux qui vous ressemblentl... Mais aus=inbsp;pourquoi aimez-vous madame? G’est ü mot quenbsp;vous auriez dü vous adresser : je vous eussenbsp;comme vous méritez de 1’otre, car je vous eslimnbsp;et vous désire plus que ne le fait madame iNiquee...nbsp;A dire vrai, vous n'ctes point nés un pour au-

Ainsi était leurré et berné Buzando, qui, tout en s’en apercevant, ne s’ingéniait pas morns a dis-


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BUZANDO-LE-NAIN,

traire sa dame pir les contes qu’il lui faisait et par les nouveües qu’il lui rapportait du deliors.

Ou s’eniretena t beaucoup, a la cour du soudan, du chevalier de l’Ardeiite Epée et des mémorablesnbsp;prouesses qu’il avait accomplies. Buzando, qui nenbsp;sedoutaitpas de l’effet que pouvaieiit produire cesnbsp;éloges, disait h Niquée un bien infini do ce gen-tilhomme; si bien que Niquée se mit a en parlernbsp;tout Ie long du jour et a en rêver tout Ie long de lanbsp;nuit.

Lo soudan son père l’acheva, en lui donnant un tableau que lui avait envoyé Zirfée; lequel tableau,nbsp;trés reinarq^uableraent peint, représentait les combats d’Amadis de Grèce avec les chevaliers qui gar-daient les tours du chateau d’Argènes.

Le fils d’Onolorie y était si bien peint au naturel, que la gente Niquée, a sa vuc, éprouva une indéfinissable émotion et perdit toute contenance.

Le soudan, pensant que cela lui venait d’une défaillance de cmur, la prit entre ses bras, lui di-sant:

—Ma fille, ma mie, vous trouvez-vous mal, pour avoir ainsi change de couleur?,..

Lors, toute honteuse, elle répondit que oui, quelque peu, et que cela passerait.

— Reposez-vous done pour aujourd’hui, dit le soudan; une autre fois je vous viendrai voir plusnbsp;k loisir.

Et, la laissant avec le portrait du fils,d’Onolorie, il se retira au palais, et Niquée resta seule en soilnbsp;cabinet.

— Ahl pauvrette que je suis I murmüra-t-elle. Je vois bien èi cette heure que la mort donnera tinnbsp;é ce commencement et non autre, car j’aimeraisnbsp;mieux perdre mille vies ensemble que de révélernbsp;la cause de ce tourment!,..

Tout en se lamentant ainsi et en examinant de plus en plus la peinture qui lui avail été apportéenbsp;parson père, Niquéeupercut h cóté du portrait dunbsp;chevalier celui de la jeune Lucelle, fille du roi denbsp;Sicile.

La jalousie la mordit aprement au coeur.

— Je ne sais pas s’il l’aime autant qu’il en fait le serablant... Mais il est vraisernblable que lesnbsp;dieux ne lui ont pas donnétantde perfections pournbsp;qu’il les offre amp; personne si peu digne de lui...nbsp;Après cela, peut-être que je me trompe... Peut-ètre est-elle plus belle que moi...

Prenant aussilót un miCoir, et se comparant ^ Lucelle, elle se trouva plus avanlageusement pour-vue, ce qui lui fit bondir le c®ur de joie.

— Eh 1 monami, m irinura-t-elie en s’adressant au portrait du chevalier, comme s'il pouvait 1'en-tendre et la coniprendre, cotnm(‘ntairnez-vous unenbsp;autre dame, moi étant si prés de vous et si douéenbsp;de beauté? Je ne puis vous croire aussi pauvrenbsp;d’esprit 1... Si vous m’aviez vuc une seule fois, au-cune autre dame ou demoiselle vivanto ne vousnbsp;pourrait éloigner demon service... Vous ne pour-chasseriez d’autre mie que moi... Ah 1 je trouverainbsp;ttioyen de vous appelcr cl vous rapprocher de lanbsp;Cour du soudan, mon père, oü que vous soyez anbsp;Cette heure... Alors je vivrai contente, et je pour-rai vous declarer le uien que je vous souhaito donbsp;Si grand emur...

Puis, se reprenant, Niquée ajoula :

— Mais, hélas! que dis-je? Je compte bien saus mon hotel... Amour n’a acceptionde personne...nbsp;II aime déjè celte dame lant et tant, sans doute,nbsp;que la déesse Vénus ellermême lui sembleraitnbsp;laide, miseen reprd... Et moi, quoi?... Toutefois,nbsp;j’en teiiterai la fortune, düt-il m’en advenir pis...

Lors, elle appela ïodoraire et Brizela, ses deux favorites.

— Par le haut nom de Jupiter i leur dit-elle, je vous prie de me dire votre avis au sujet de celtenbsp;demoiselle et de moi...

Elle montrait le portrait de Lucelle.

— Ahl grands dieux! madame, répondit Brizela, il n’y a pas plus de comparaison possible a établirnbsp;entre elle et vous qu’entre Buzanao et moi..

— II fautbien pourtant que celle-ci ait quelque chose qui la fasse aimer! reprit Niquée toute rê-veuse.

— Et vous, madame, répondit Todomire, n'avez-vous done pas quelque chose qui fait vivre et mou-rir tout ensemble?...

CHAPITRE 111

Comment la princesse Niqu(5e, de plus en plus affolóe, envoya le pauvre aain Buzamlo Anbsp;la recherche du chevalier, avec une lellrenbsp;pressante pour lui.

insi vivait Niquée, rêvant et soupirant sans cesse,nbsp;ayant toujours devant lesnbsp;yeux et dans le emur cenbsp;jbel et fier gentilhommenbsp;qui avait accompli déjtinbsp;l^/Qy^tant de prouesses et qui étaitnbsp;y si capable d’en accomplir d’au-

33 !

Elle rêvait et soupirait, ce que le nain Buzando, qui no savait rien de rien, at-tribuait toutnaturellement aux vaguesnbsp;désirs qui se manifeslent, vers la quin-zième itnnée, dans 1’esprit des jeunesnbsp;fille,s. Et, quoiqn’il fut d’une inimagi-liable laidour, il interprétait ces soü-pirs-lè tout a son avantage, croyaittnbsp;que, puisque Niquée n’avait encore entreyu d’autrenbsp;homrac que le soudan et lui, ü n’y avait que luinbsp;qui put perturber aiusi le jeune coeur de cette hellonbsp;princesse.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;, .

— Si, ,disait-il, ma dame m aime, elle n estpaS de beaucoup troiniiée... car, encore que je n aio pasnbsp;ffründG besute, pourtïint, je suis un houimG, gI, ftnbsp;ce titre, je mérite bien d’être favor^sè d’elle, vunbsp;surtout le profond et parfait amour quo je luinbsp;porte... S’il en est ainsi, jamais creature humainenbsp;ne fut plus heureuse que moi, bien que ma dame


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BIBLIOTllEQUE BLEUE.

!«»

n’ait pas jugé S propos de me Ie declarer du premier coup, surprise sans doute par quelquenbsp;honte... Au surplus, j’en aurai Ie cceur net et Ienbsp;lui deinanderai moi-même...

Quelques jours après cette détermination, Bu-zando, trouvant la gento princesse seule, se jeta incontinent h ses genoux et lui dit, de la meilleurenbsp;grace qu’il put :

— Madame, je vous supplie trés humblement de ne plus metaire plus longtemps la cause de vosnbsp;reveries et de vos soupirs, vous jurant par la foinbsp;que je dois au grand Vulcain, que si j’y puis met-trc ordre, je Ie ferai, düt-il m’en coüter la vie...

— nbsp;nbsp;nbsp;Comment pourriez-vous, Buzando mon arni,nbsp;donner remède a si grande chose, étant si petitnbsp;que vous êtes?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Madame, ma volonté est d’une taille plusnbsp;ample que mon corps, surtout quand il s’agit denbsp;vous faire service.

— Je vous assure, mon Buzando, que je ne con-nais point encore mon mal... Je vous promets que, si je dois Ie déceler amp; quelqu’un, co sera amp; vousnbsp;avant tout autre.

Buzando parut satisfait de cette réponse.

Mais s’il était aise, Niquée ne l’était guère. Gelte image du vaillantfils d’ünolorie lui trklinait tou-jours par la cervelle et par Ie cceur. Si bien que,nbsp;quelques jours après cette conversation avec sonnbsp;nain, la gente pucelle, dévorée d’amour, appelanbsp;Buzando.

— Mon petit Buzando, lui dit-elle, je t’ai, l’au-tre jour, promis de te dire è toi avant lout autre la cause de ma tristesse... Tant done pour cettenbsp;raison que pour la confiance que j’ai en ta loyauté,nbsp;je vais te dire Ie secret de mon cceur, espérantnbsp;bien que, l’ayant mis entre tes mains, tu n’en ferasnbsp;part è creature qui vive.

Buzando trembla comme la feuille au vent.

Niquée reprit:

— Toutefois, avant de commencer, je te prie de considérer combien il faut que soit apre etnbsp;véhémente la force qui mecontraint è te faire eetnbsp;aveu, puisque rien ne saurait me retenir, ni lanbsp;bonte, ni la grandeur de mon état... Les flèchesnbsp;d’Amour m’ont blessée inguérissablement... Je tenbsp;dis ceci, Buzando, paree que non-seulement manbsp;vie est en peril, mais encore mon propre honneur,nbsp;ce qui est pis... Par ainsi, mon ami, je te supplienbsp;de me faire service, et surtout de garJer ce secretnbsp;au parfond de ton Sme, sans en rien ébruiter ènbsp;personne...

Le nain, en écoutant de ses deux oreilles la belle harangue de sa mie, s’imaginait de la meilleurenbsp;foi du monde être le saint auquel ctaient offertesnbsp;ces chandelles-la. Aussi s’empressa-t-il de répondrenbsp;i la geute princesse :

— nbsp;nbsp;nbsp;Pardonnez-moi, madame, mais il me semblenbsp;pue vous me faites tort de douter ainsi de mon zèlenbsp;^ vous servir et de ma bonne volonté è vous ai-®er... Gommandez-moi done tout ce qu’il vousnbsp;plaira : j’obéirai avec plaisir et dans le plus grandnbsp;wystère... Personne ne saura votre bonbeur et lenbsp;®ien...

tant s’en laut que je e ton dévouement et de ta bonne volonté...

J’en doute même si peu, que je n’bésile pas plus longtemps a te dire qui j’aime...

Buzando ferma les yeux, pour mieux se re-cueillir et jouir du bonbeur d’entendre son nom sortir de la bouche de Niquée.

La princesse reprit:

— Je ne songe plus, jour et nuit, qu’é un seul homme au monde, paree qu’il n’y en a qu’un, ennbsp;effet, qui réunisse les perfections du chevalier denbsp;l’Ardente Epée... J’en ai le cceur, l’ame, l’esprit,nbsp;les sens enflammés... Je n’y tiens plus... Je grillenbsp;d’amour, mon petit Buzando 1... Ahl si tum’aimcsnbsp;comme tu dis m’airaer, je t’en prie, mets-toi désnbsp;cette heure en quète de ce vaillant gentilhomme,nbsp;invente pour cela des prélextes, une visite a fairenbsp;a ton père ou amp; ta mère, n’importe quoi enfin...nbsp;Mais cours! vole!... Trouve-le! trouve-le!...

Si le pauvre nain tomba de son haut, il ne faut pas le demander. II avait battu les buissons, et unnbsp;autre s’était avancé pour en recevoir la proie !

Aussi, tont pertroublé, demeura-t-il un espace de temps sans ouvrir la bouche. Quand il l’ouvrit,nbsp;ce fut pour soupirer.

— Hélas! madame, murmura-t-i! piteusement, je vois bien cruellement en ce moment comme lanbsp;Fortune a été malveillante envers moi... Enfin ! sinbsp;les dieux l’ont ordonné ainsi, je me résigue, qum-que cela soit bien douloureux de renoncer ainsi anbsp;des espérances si agréables... Je rêvais... Que n’ai-je pu rêver ainsi jusqu’au boutde ma vie?... Madame, ordonnez done selon votre bon plaisir... Jenbsp;vous jure par tous les dieux du ciel et de la terrenbsp;que je ferai ce qu’il faudra pour réussir, et que jenbsp;trouverai celui dont l’amour vous est si nécessaire...

Bien que Niquée comprit k merveille é quoi fai-sait allusion le pauvre nain, elle n’en fit pas sem-blant. Elle le remercia bien fort de ce qu’il lui promettait d’entreprendre la quète d’Arnadis denbsp;Grèce. Puis, prenant plume,*encre et papier, ellenbsp;écrivit la lettre que voici ;

ff Niquée, princesse de Thèbes, si avantagée par les dieux en parfaite beauté, qu’il n’estnulle damenbsp;OU demoiselle de ce temps é elle comparable, donnenbsp;salut au preux trés renommé et trés vaillant chevalier de l’Ardente Epée.

ff Chevalier trés excellent, apprenez que je n’ai encore été vue ni regardée d'homme vivant, pareenbsp;que, par ordre spécial, ma presence a été défenduenbsp;et ma beauté jugée aussi préjudiciable a votre sexenbsp;que le regard venimeux du basilic.

ff G’est k cause de ce danger de ma personne, chevalier trés excellent, que l’on me detient pri-sonnière en une forte tour, en compagnie seule-ment de quelques vieilles gouvernantes et de quelques jeunes demoiselles qu’il a plu au soudan, monnbsp;père, de me donner.

ff Votre renommee, excellent chevalier, est venue me trouver et me troubler dans ma retraite, et elle a fait la conquête de mon cceur pour le mennbsp;de vous seul et pour le mal do tous. bans toutetoisnbsp;altérer en rien par cela mon honneur, gardant cenbsp;qui doit être le plus recommande a toutes ver-tueuses dames, le raariage seul donnera beu a mon


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BUZANDO-LE-NAIN,

contentement et au bien qne vous devez désirer.

« G’est pourquoi, chevalier trés excellent, je vousprie inslanQment,aussitót que vousaurez re^unbsp;ce message, de vouloir bieii venir voir celle quenbsp;nul homme ne peut regarder qu’a son désavantagenbsp;et mal certain, tout ce qu’elle a de bon vous étantnbsp;dédié et réservé, é seule fin de joindre ensemble Ienbsp;parangen de toute beauté avec Ie parangen denbsp;toute chevalerie.

« Quant au reste, Buzando, mon amé et féable nain, vous Ie dira de ma part. Croyez-le done, jenbsp;vous prie, comme moi-même.

« Niquée, princesse de ïhèbes. »

— Ge soir, je serai parti, madame, répondit Bu-zando, résigné, en recevantcetle lettre.

Et, en effet, Ie soir même de ce jour, Ie nain délogea, ayant obtenu congé du soudan, sous couleur d aller voir ses père et rnère.

CIIAPITRE lY

Comment Amadis de Crèce et Birmates, chevauebant ensemble, après maintes aventures, firent rencontre d’un nam qu’un chevalier faisait fouetter.

1 y a quelque temps déjé que je ne vous ai parlé d’Amadis de Grèce, antrement ditnbsp;du chevalier de l’Ardente Epée. II estnbsp;bon que nous nous en occupions, puis-que les pucelles les plus belles de la terrenbsp;s’en occupent.

Le chevalier de l’Ardente Epée avait cquru les aventures, et il lui en était arrivé cinquante plus ou moins intéres-/ santes, mais dont le récit grossirail peut-être outre mosure ce volume. II avait rencontré é Mayence son aïeul, le roi Amadisnbsp;de Gaule, avec lequel il s’était lié; et,nbsp;plusrécemment encore, il avait combattunbsp;avec le bon chevalier Birmates, et étaitnbsp;devenu son ami.

Birmates et le fils d’Onolorie chemi-naient done de compagnie é travers les Allemagnes.

Un matin, comme ils devisaient de cho-ses et autres, et que le jeune chevalier ra-contait au bon Birmates ses amours avec la gente Lucelle.

Et comme le bon Birmates s’étonnait; — Ne vous ébahissez pas tant, lui ditnbsp;son compagnon. J’espère que nous ver-I \ rons bientót la princesse Lucelle, et alors,nbsp;' ' vous serezforcé de convenir que sa beauténbsp;1 emporte sur toutes les autres.

— Je ne sais pas, je ne saispas, répondit le bon

Birmates; mais je sais bien que ma dame est telle? et si parfaitement belle, qu’il n’y en a pas d’autre,nbsp;a mon sens, qui puisse l’égaler...

Comme ils ctévalaient d’une montagne, ils aper-Qurent un chevalier armé de toutes pieces qui faisait fouetter un nain par deux vilains qui n’y al-laient pas de main morte.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ah 1 seigneurs, s’écria d’une voix lamentablenbsp;Ie pauvre diable en apercevant a son tour Amadisnbsp;et Birmates. Ah! seigneurs, si jamais pitié trouvanbsp;place en vos cceurs, secourez-moi, je vous en prie,nbsp;en un si grand besoinl...

A cette clameur, les deux chevaliers piquèrent plus raide et s’approchèrent du lieu oü l’on marty-risait la pauvre créature.

G’était bien, il faut le dire, la plus laide et la plus contrefaite personne que Nature eüt jamaisnbsp;produite. II tenait entre ses dents, pendant qu’onnbsp;le fouettait, une lettre qu’il ne voulait lacher etnbsp;que les vilains voulaient avoir.

— nbsp;nbsp;nbsp;Si tu ne nous la cèdes pas, tu vas mourir 1...nbsp;lui disaient-ils.

— nbsp;nbsp;nbsp;Vous nb l’aurez jamais, moi vivantl réponditnbsp;le nain.

Emu de compassion, Amadis de Grèce lui de-manda pourquoi il préférait ainsi êtrebattu, plutót que do lacher cette lettre, et, aussi, pourquoi cesnbsp;hommes le battaient ainsi.

— Seigneur, répondit le nain, ils me battent paree que leur maitre le leur a commandé...

— Et pourquoi le leur a-t-il commandé?

— Paree que je lui ai dit, interrogé par lui, que j’étais en quête du plus vaillant chevalier du monde,nbsp;de la part de la plus belle princesse de 1’Asie... IInbsp;a voulu voir ma lettre ; je la lui ai refusée, et c’estnbsp;alors qu’il ra’a fait saisir par les gens que voici,nbsp;lesquels- m’ont battu comme platre, et m’auraientnbsp;certainementlaissé pour mort, sans votrearrivée...

— Hola! vilains! Finissez votre mauvaise besogne, paillards!... cria le chevalier de l’Ardente Epée en croisant son bois contre les deux fouelteurs.

Ces deux hommes, qui craignaient sans doute pour leur peau, détalérent incontinent, sans de-mander leur reste.

Leur maitre, alors, s’avanca ii la rencontre d’Amadis d’un air menaeant et provocateur.

— Qui done vous a permis de chatier mes gens ? demanda-t-il.

Pour toute réponse, Amadis assujettit de nouveau sa lance a son poing, et courut sus a celui qui lui parlait ainsi.

Le chamaillis ne fut pas long; quelques minutes après, le chevalier inconnu tomba sur le sol, lanbsp;gorge traversée de part en part.

Le pauvre nain, si h propos délivré, remercia avec effusion son sauveur.

Pendant qu’il le remerciait, le bon chevalier Birmates, qui avait contempló cette scène avec lanbsp;plus grande tranquilité d’esprit, se mit a rire hnbsp;gorge déployée de l’étrange figure du louette.

_ Qu’avez-vous done a rire ainsi? lui demanda Amadis de Grèce en rajustant son harnois dérangénbsp;par Ie précédent assaut.

— Ehl chevalier de l’Ardente Epée, répondit Birmates en continuant h rire, on s’égaie de cenbsp;qu’on Irouve, dans la viel... Ce bonhomme a un


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BIBLIOTHEQUE BLEUE.

visage si bizarre, avec une taille si burlesque ; il faisait de si singulières contorsions sous les vergesnbsp;de ces paillards de lout è l’heure, que, ma foi...

Le nain interrompit vivement Birmates.

~ Quoi! seigneur, lui demanda-t-il, ce vaillant gentilbommequi m’a si généreusement délivré desnbsp;mains de ces vilains, c’est le chevalier de l’Ardentenbsp;Epée?...

— Lui-même, nain mon ami...

Le nain alia avec empressemcut vers le hls d’0-nolorie.

— Quoi! seigneur, lui dit-il avec admiration, vous seriez ce courageux chevalier de l’Ardentenbsp;Epée dont la renominée est si universelle auiour-d’hui?...

— Je ne sais pas, répondit le fils d’Onolorie, si ma renommee a fait autant de chemin que tu menbsp;le dis, quoique j’aie fait moi-même bien du che-miii; mais je puis t’assurer que je suis bien lenbsp;chevalier que tu viens de nommer...

— Et après lequel j’ai tant couru 1...

— Pourquoi as-tu tant couru après moi ?

— Pour vous remettre un message de la plus belle princesse du monde...

Amadis trossaillit. Sa première pensee fut que cettre lettre, que le nain avait a lui remetlre, luinbsp;venait de la gente Lucelle, qui était faohée centrenbsp;lui depuis l’aventure de l’ile d’Argènes, è cause denbsp;la tendresse que lui avait manifestée Gradasilée, lenbsp;prenant pour Lisvart; on s’en souvient.

En conséquence, il tira le nain un peu en ar-rière, et celui-ci lui remit la lettre, en soupirant.

Quand Amadis de Erèce vit que cette lettre n’é-tait pas de Lucelle, raais bien de la princesse Ni-quée, son visage, d’abord si joyeux, redevint mé-lancolieux.

— Hélas! murmura-t-il, quelle étrange fortune est la miennel... La dame que j’aime m’a fui et nenbsp;me veut plus voir... Cello que je ne counais pasnbsp;m’aime et m’appelle ardemment a eliel...

Pendant qn’il se plaignait ainsi, le pauvre nain se plaignait aussi, mais d’une autre fagon, et avecnbsp;plus de raison que lui.

— Ilélas! murmurail-il, quel bonheur doit être celui de ce beau chevalier, si j’en juge par le chagrin qui me poigne en eet instant 1... 11 est jeune,nbsp;vaillant et beau... La princesse s’est enamouróe denbsp;lui, sur la seule vue de son portrait : que sera-cenbsp;done quand elle l’aura devant elle en chair et ennbsp;os?... Oh! quel supplice sera alors le mienl... Etnbsp;pourquoi faut-il done que ce soit précisément moinbsp;qui aie été choisi pour aniioncer è un aulre unenbsp;félicité que je croyais devoir m'échoir h moi-même,nbsp;et è moi seulement!...

Amadis sortit de sa songerie.

— nbsp;nbsp;nbsp;Comment te nommes4u? demanda-t-il aunbsp;nain.

— nbsp;nbsp;nbsp;Buzando, seigneur chevalier, pour vousnbsp;servir,

— nbsp;nbsp;nbsp;Buzando ?

•— Oui, seigneur chevalier.

— Ettu es l’écuyer de la princesse deThèbcs?...

Jp suis son serviteur, seigneur chevalier, comme je demande k être le vótre...

Ainsi, cette princesse est jeune?...

— nbsp;nbsp;nbsp;L est un printempst

— nbsp;nbsp;nbsp;Elle est belle?...

— nbsp;nbsp;nbsp;G’est une rose greffée sur un lis!

— nbsp;nbsp;nbsp;Et elle m’aime?...

— A en perdre le boire et le manger, seigneur chevalier!...

Amadis do Grèce devint rêveiir.

--r Non, se dit-il, non 1... Je veux rester fidéle a ma mie, quelque rigueur qu’elle me montre.

Lk-dessus, comme la nuit était venue, on prit une légère collation et on se coueba sur l’herbe,nbsp;au pied d’un bouquet d’arbres, après avoir débridénbsp;les chevaux pour leur permettre de souper k leurnbsp;tour, comme leurs maitres.

CHAPITRE V

Comment Amadis de Grèce cut un songe, et le pauvre nain Buzando aussi, et comment l’un se réveilla lieureux et Vau-tre malheureux.

u bout de quelque lemps, le bon chevalier Birmates était profondé-ment endorrai, et le bruit sonore denbsp;sa respiration troublait seul le silence de la nuit.

Le chevalier de l’Ardente Epée était endormi aussi, mais d’un som-meil si léger, qu'il pouvait être con-sidéró comme un assoupissement,nbsp;comme une extase.

II eut une vision.

Les deux princesses Lucelle et Ni-quée lui apparurent et lui parlèrent, en effleurant ses lèvres des leurs.

La princoisse Lucelle lui disait:

— Chevalier, vous rn’avez dédai-gnéo pour une autre moins belle que moi, et, k cette cause, je nenbsp;vous pardonuorai de ma vie...

Amadis essayait de se lever pour protester, mais sans pouvoir y réussir.

Lucelle coutinuait:

— Je suis la lillc du roi de Sicile; mes destinées et les vótres, réunics, eussent été glorieuses : vousnbsp;ne l’nvez pas voulu... Vous avoz préféré courir lesnbsp;aventures k la suite de princesses moins belles et-moins illustres que moi, qui vous aimeront moinsnbsp;que je ne vous eusse aimé... Leurs futurs dédainsnbsp;me consoleront de leurs tendresses présentes...nbsp;Aimez done bien vite la princesse de Thèbes, carnbsp;bientót il ne sera plus temps et il n’y aura plusnbsp;moyen...

Amadis voulut de nouveau répondre qu’d Ji’u-vait jamais vu la princesse de Thèbes, qu’il ne la connaissait ni d’Eve ni d’Adam et qu’il était toutnbsp;disposé k ne Taimer jamais; mais, cette fois encore, il ne put mouvoir ses lèvres, sur lesquellesilnbsp;sentit comme le parfum de lèvres féminines.


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BUZANDO-LE-NAIN.

?y

(3,

G’était la princesse de Thébes qui l’embrassait avec une ardeur non pareille,

Elle lui disait :

— Pourquoi vous troraper et tromper ainsi les autres, chevalier?... Vous savezbienque vous n’ai-mez et ne pouvez aimer que moi au monde!... Lesnbsp;autres princesses de la terre n’existent pas pournbsp;vous,.. Elles sont indignes de s’associer amp; votrenbsp;gloire présente, et encore moins a votre gloire future, qui dépassera celle de tous les chevaliers lesnbsp;plus vaillants et les plus fameux... Vous et moi,nbsp;seuls, devons ê(re joints pour consomrner l’actenbsp;solennel du mariage, et obéir a la Fortune, quinbsp;nous protégé et qui veut que Ie fruit de nos amoursnbsp;devienne Ie parangen de la chevalerie...

De son cólé, Ie pauvre nain Buzando faisait des rêves è pcrie de vue. II ne voyait et ne pouvaitnbsp;voir qu’une femme au monde, emiormi ou éveillé :nbsp;c’était celle a laquelle il pensait saus cesse, c’étaitnbsp;la gente pucelle Niquée, princesse de Thébes.

Elle venait done de lui apparaltre, plus belle, plus séduisante que jamais ; et elle lui était appa-rue tout exprès puur lui dire, avec une voix celeste, que les oreilles du pauvre hornmeau bu-vaient comme les beurs boivent la rosée ;

— Je t’ai éprouvé, mon petit Buzando, un pen cruellement peut-être, mais ga été pour mieux tenbsp;connaltre et t’appr^’cier... Ma beauté t’apparlient,nbsp;m.ilgrc ta laideur, paree que ta laideur n’est qu’ap-parente et que la beauté de ton ame vaut centfoisnbsp;mieux que celle de mon visage... Ton cceur d’or,nbsp;ton précieux dévouement font vite oiiblier les dif-formités de ta chétive personne... Mes yeux ont lunbsp;a travers ton enveloppe comme a travers l’eaunbsp;d’une fontaine : tu m’aimes, je veux t’aimer... Lenbsp;chevalier de l’Ardente Epée est lió é une autrenbsp;princesse, et il ne viendra jamais a la cour du sou-dan mon père... Personne, horrais toi, ne sera ad-mis h me voir dans la tour oü je suis enlermée, etnbsp;0(1 je passera! mes jours avec toi, mon petit Buzando, mon doux arni...

Et le pauvre nain senlit sur ses lèvres une impression savoureuse, comme celle qui est produite par la clialeur innile d’un baiscr...

II se révcilla brusquement : c’ctait une larme qui, de SOS yeux, était tombée lenlement sur sanbsp;bouebe.

— Hélas! murraura-t-il, avec un soupir qui eüt attendri un roclicr.

L’aube venait, claire et sereine. Les oiselets cbanta ent amoureusement sous les ramures. Lesnbsp;perles de la rosée brillaient a la pointe des herbes.

llélas 1 répét'i Buzando avec un soupir plus navrant encore que le premier.

Amadis de Grèce s’éveilla et regarda autour de lui d’un air étonné.

— Abl s’écria-t-il, ce n’était qu’un songel...

Et il se leva tout joyeux.

Le bon chevalier Birmates se réveilla et se leva ii'issi. Lui, qui n’avait pas rêvé du tout, ne fut ninbsp;heureux ni malheureux d’etre réveille.

GHAPITRE n

Comment Amadis de Grèce et le bon chevalier Birmates se sdparcrent 1’un de 1’autre, et comment le pauvre nain Buzando s’cn rotourna tristement vers la princesse de Thébes.

n n’était qu’é peu de distance de la mer. Les deux chevaliersnbsp;allèrent, suivis de leurs

écuyers et du pauvre nain Buzando, qui ne pouvait s’empc-eber de ressonger è sa vision de la nuit précédente.

li y avait Bi un navire sur ses ancres.

Void notre affaire, chevalier, dit Amadis de Grèce b soanbsp;compagnon.

— La vótre, non la mienne, répondit Birmates.

.Ll/v — Comment cela ? Ne me suivoz-vous pas, pour eomparernbsp;la beauté de la princesse denbsp;Sicile avec celle de volrenbsp;mie?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Le voyage serait inutile, répliqua Birmates,nbsp;car il n’y a au monde qu’une princesse aussi bellenbsp;que la princesse d’Apollonie ; c’est elle-même... Lanbsp;princesse Lucelle a certes des avantages nombreuxnbsp;et marqués sur toutes les autres dames ou demoiselles, mais non sur celle-lamp;... Par ainsi, vous lenbsp;voyez bien, mon voyage serait inutile... Et puts,nbsp;d’ailleurs, il ne m’est pas prouvé quo uous trouve-rons la fille du roi de Sicile la oü vous comptez aller.,.

— nbsp;nbsp;nbsp;Hélas! murmura Amadis. Vous dites pei't-être vrai!... Le bonheur u’est pas o(i on le cher-che...

— Or done, mon compagnon, séparons-nous ici, puisque je vous vois pret ü vous embarquer et qu’iinbsp;n’est pas dans mes gouts de vous suivre... Nousnbsp;nous retrouverons quclque partun jour...

— Vous me le promettez?...

— Je m’y engage bien volontiers... Je n’ai qn’h gagncr en votre compagnie, et tont irait pour lenbsp;mieux entre nous si vous vouliez seulement menbsp;concéder Texcellence de ma mie sur Ia vótre.

Le chevalier de l’Ardente Epée sourit.

— Et maintenant, embrassous-^nous, moii jeune compagnon! ajoula le bon chevalier Birmates.

Les deux chevaliers s’embrassèrent.

— Que les dieux vous gardent! dit Amadis.

— Je fais pared veeu, répondit le bon chevalier Birmates.

lis s’embrnssèrent de nouveau et se séparèrent.

Quand Birmates et son écuyer eurent disparuj Buzando, qni ne savait quoi penser des discours


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BIBLIOTHEQUE BLEUE.

BIBLIOTHEQUE BLEUE.

du chevalier de l’Ardente Epée, lui dit, au moment oü il se disposait k s’embarquer ;

— Seigneur, n’allons-nous pas retrouver la belle princesse de Thèbes, qui nous attend si irnpatiera-ment?...

. —Non, vraiment, mon ami, répondit Ie fils d’Onolorie.

— Et pourquoi, s’il vous plait, seigneur?...

— Paree que je vais retrouver la princesse de Sicile...

— Ah 1 seigneur, madame Niquée en mourra 1

— Ce n’est pas croyable, mon ami...

— nbsp;nbsp;nbsp;G’est pourtant comme je vous Ie dis, seigneur... D’ailleurs, la princesse de Sicile vous aimenbsp;moins, et elle est moins belle que la princesse denbsp;Thèbes...

— D’oü sais-tu cela ?...

— Je vous ai raconté hier que la reine Zirfée avail fait don au soudan, mon maitre, qui en avaitnbsp;fait don a la princesse sa fille, d’un tableau qui re-présentait vos prouesses ?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Oui, tu me l’as dit... Après?...

— nbsp;nbsp;nbsp;II n’y avait pas que vous sur ce tableau, seigneur...

— nbsp;nbsp;nbsp;Ah! Et qui y avait-il done encore ?

— nbsp;nbsp;nbsp;Les personnes avec lesquelles vous vousnbsp;trouviez dans l’ile d’Argènes...

— nbsp;nbsp;nbsp;Le roi de Sicile ?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Oui, seigneur... Puis d’autres encore...

— nbsp;nbsp;nbsp;La reineMiramynie, sa femme?... ,

— nbsp;nbsp;nbsp;Oui, seigneur... Puis une autre encore...

— nbsp;nbsp;nbsp;La princesse Lucelle, alors?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Précisément... Je n’ai pu juger de laressem-blance de toutes ces personnes, puisque je n’ainbsp;encore vu que vous.. .Mais, puisque vous ress'embleznbsp;tant h la peinture qu’on a faite de vous et qui a sinbsp;fortement passionné madame Niquée, il n’y a pasnbsp;de raison pour que la peinture qu’on a faite denbsp;madame Lucelle ne soit pas ressemblante aussi...

— nbsp;nbsp;nbsp;D’oü tu conclus?...

— nbsp;nbsp;nbsp;D’oü je me permets de conclure, seigneur,nbsp;que madame Niquée est incomparablement plusnbsp;belle que madame Lucelle...

— Tu as ton goüt et j’ai le mien...

— Ce n’est pas le mien que je rous donne la, seigneur... c’est celui de la princesse de Thèbesnbsp;elle-méme...

— Est-elle doncsi belle, vraiment?

— C’est une merveille de beauté!.,.

Buzando avait dit cela avec un enthousiasme sincère, qui fit réfléchir le fils d’Onolorie.

— As-tu sur toi quelque chose sur quoi je pour-rais écrire ? demanda-t-il au pauvre nain,

— Voici mes tablettes, sire chevalier, répondit Buzando en les lui ofl'rant.

Amadis les prit et traga dessus une réponse courtoise a la lettre de la princesse de Thèbes;nbsp;puis il les rendit.

— Adieu, Buzando, lui cria-t-il en s’embar-quant. Nous nous reverrons 1

Sou écuyer s’embarqua après lui. Le navire leva * ancre et partit. •

pauvre nain était resté seul sur la grève, re-gamnt le navire qui gagnait la pleine mer.

NiquéeV*' nbsp;nbsp;nbsp;Que va dire madame

CHAPITRE VII

Comment Amadis de Grèce débarqua aux environs de Mire-fleur, el de la rencontre qu’il y ht düne gente pucelle qni ne demandait pas mieux de le consoler.

e chevalier de I’Ardente Epée eut une traversée heureuse. Son écuyernbsp;et lui débarquèrent sans encombre.

Une fois débarqué, Amadis de Grèce se mit ü cheminer rêveur dansnbsp;la direction de Mirefleur.

II faisait chaud, II entra dans le premier bois qu’il rencontra et s’ar-rêta a la première fontaine qui s’of-frit è lui.

Comrneils’approcbait pour se dés-altérer et qu’il enlevait son heaume et ses gantelets, il avisanbsp;une gente pucelle qui étaitnbsp;assise au til de l’eau, rê-veuse.

Au bruit qu’il fit, elle se retourna, et, l’apercevant,nbsp;elle lui adressa le plus agréable sou-rire qui fiit éclos jusques-la sur desnbsp;lèvres de seize aiis. Puis, devinantnbsp;rapidement ce que ce beau chevalier qui s’avangaitnbsp;vers elle venait chercher la, elle se pencha sur lenbsp;ruisseau, plongea sa main blanche dans Tonde transparente, et, la retirant pleine, elle la porta avecnbsp;grace et avec precaution è la bouche d’Amadis.

— Buvez, lui dit-elle d’une voix pleine d’une tendre autorité.

Amadis avait soif: il but dans cette coupe de chair, plus précieuse cent fois que les coupes lesnbsp;plus rares.

11 va sans dire qu’il remercia trés courtoisement cette jolie personne si avenante.

— nbsp;nbsp;nbsp;Vous êtes de Mirefleur ? lui demanda-t-il.

— nbsp;nbsp;nbsp;Oui, sire chevalier, répondit-elle toujoursnbsp;en souriant.

— nbsp;nbsp;nbsp;Le roi Amadis y est en ce moment...

— nbsp;nbsp;nbsp;II doit y être, oui...

— nbsp;nbsp;nbsp;Avec... d’autres... personnes? demanda lenbsp;fils d’Onolorie en hésitant un peu.

— Oui, sire chevalier...

— nbsp;nbsp;nbsp;Les connaissez-vous ?

— nbsp;nbsp;nbsp;Comme tout le monde les connait.

— nbsp;nbsp;nbsp;Mais encore?...

—11 y a une fort belle princesse... la princesse de bicile...

Le chevalier de TArdente Epée soupira et de-vint rêveur.

— nbsp;nbsp;nbsp;Vous manque-t-il done quelque chose, chevalier, è vous qui êtes d’unc si fiére et si belle


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BUZANDO-LE-NATN.

— Ordan! L’écuyernbsp;taillis voisin

s’ecria-t-il. sortit d’unnbsp;et accourut

mine, demanda la gente pucelle, en admiration devant le beau visage du fils d’Oriolorie.

Ge dernier soupira de nouveau.

— nbsp;nbsp;nbsp;Vous aimez peut-être ? reprit la jeune fille.

— Oui...

— nbsp;nbsp;nbsp;Est-ce que, d’aventure, vous ne seriez pasnbsp;aimé?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Hélas 1 non.

— nbsp;nbsp;nbsp;G’est impossible!

— Gela est ainsi...

— nbsp;nbsp;nbsp;Peut-être que vous ne vous adressez pas tinbsp;celles qui pourraient vous aimer 1...

— nbsp;nbsp;nbsp;Et lesquelles voulez-vous done qui m’ai-ment?

— nbsp;nbsp;nbsp;Aimez qui vous aime...

— nbsp;nbsp;nbsp;Ilelas! quelle malheureuse voudrait de moi ?

— nbsp;nbsp;nbsp;Qui?.., Ehl moi-même, chevalier, si vousnbsp;me desirez... Maisje vous vois si abuse, aimant,nbsp;comrae vous faites, en un seullieu, que vous trou-veriezaigres les cerises les raieux.confites que jenbsp;vous offrirais...

Arnadis regardala jeune fille qui luiparlait. Ses yeux lui confirmèrent la sincérité de ce que venaitnbsp;de prononcer sa bouche, de trés beaux yeuxnbsp;même...

Elle altendait une réponse, un acquiescement. 11 ne répondit rien et redevint tout songeur.

— nbsp;nbsp;nbsp;Vous fuyez la proie pour I’ombre, lui dit lanbsp;jeune fille d’un petit air railleur en s’éloignant unnbsp;peu de lui, comme pour lebouder.

11 ne la rappela pas.

Son écuyer, qui n’avait pas les mêmes raisons que lui de dédaigner les belles fleurs qui tenaientnbsp;tant é être cueillies, son écuyer attacha son chevalnbsp;é un arbre et s’en alia sans bruit sous la feuillee anbsp;la recherche de la belle et appétissante pucellenbsp;de tout è I’heure.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ordan! cria le chevalier en se retournant.

Ordan ne répondit pas.

Le jour s’en allait. La nuit commengait è tom-ber. Le chevalier se résigna a attendre le retour du soleil dans ce bois, au bord de cette fontaine mur-murante.

En conséquence, il enleva son armure, la p’aqa ^ cóté de lui sur Therbe, et se coucha tout de sonnbsp;long, fatigué. Puis il s’endormit en songeant ènbsp;Lucelle.

GHAPITRE VIII

Comment Arnadis de Grèce fut désartonné par un chevalier, et comment il fut tdmoin d’un combat auquel il voulut semêler.

uand le fils d'Onolorie ouvrit les yeux, il étaitnbsp;grand jour.

I’appel de son maltre.

Un instant après, parut la genie pucelle de la veille, toujours aussinbsp;souriante, aussi gracieuse, aussi avc-nante.

Le chevalier de I’Ardente Epee se leva, remit son haubert, son heau-me et ses gantelets, remonta sur sonnbsp;cheval, et, saluant la jeune fille, il allait s’éloigner de cet endroit, lorsquenbsp;parut un chevalier armé de toutes pièces, la lancenbsp;au poing, courant comme le vent.

— Chevalier 1 lui cria Arnadis en voulant s’oppo-ser kson passage.

11 avait a peine prononce ce mot, qu’alteint en plein écu par le bois de I’inconnu, il s’en allaitnbsp;rouler sur le gazon, a quelques pieds de Id, tandisnbsp;que son cheval, poussé parle choc, s’en allait bon-dir sur le chemin.

L’amant de Lucelle se releva, furieux, pour courir sur les traces de ce chevalier discourtois etnbsp;felon qui venait ainsi pour le désarQonner sansnbsp;daigner attendre sa riposte.

Malheureusement, il était é pied, et son cheval courait au loin. II dut se résigner, tout en mau-gréant.

Il en était Id lorsqu’un bruit se fit entendre, et Ton vit venir un second chevalier, armé de toutesnbsp;pièces comme le premier, et, comme le premier,nbsp;courant au triple galop de son cheval.

— nbsp;nbsp;nbsp;Chevalier, arrêtez un moment, je vous priel..nbsp;cria Arnadis. Aidez-moi k chatier un discourtois etnbsp;indigne gentilhomme qui vient de fuir lachement...

Arnadis parlait encore, q^ue le second chevalier ne pouvait pas plus I’entendre que le premier, carnbsp;il avait disparu.

Le fils d’Onolorie était ébahi, et il y avail de quoi, convenez-en 1

Cependant, il fallait faire centre fortune bon cffiur. Il fallait surtout courir après le chevalnbsp;d’Amadis de Grèce, qui courait toujours.

Ordan parviut h le rattraper et a le ramener é son maitre.

— nbsp;nbsp;nbsp;Goraprends-tu quelque chose h cette aven-lure? demanda le chevalier de I’Ardentc Epee hnbsp;son écuyer.


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10 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

10 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

— Absolument rien, sire chevalier, répondit l’écuyer, qui songeait beaucoup plus a la jolienbsp;fille nui élait toujours IS, qu’aux deux chevaliersnbsp;qui n y étaient plus.

En devisant ainsi, ils s’avancèrent jusque sur la lisière du bois, et ils aperqurent dans la prairienbsp;deux géants et dix chevaliers qui s’escrimaientnbsp;vipoureusement de la lance et de l’épée avec lesnbsp;deux chevaliers centre lesquels Amadis raau-gréaient en ce moment.

— Ah! s’écria Amadis de Grèce, je comprcnds maintenaut pourquoi ces deux chevaliers de teut anbsp;1’heure allaient si rapidemeht 1... Et je leur par-donne bien volonliers de ne pas s’être arrétés pournbsp;me répondre... En avanll cria-t-il h son écuyer.nbsp;En avantl...

—JEn avant! rf^peta Ordan, mais en restant en arrière, oü était toujours l’avenante pucelle quinbsp;avait offert S boire dans Ie creuxde sablanchemainnbsp;au fils d’Onolorie.

CHAPITRE IX

Commentlechcvalier de l’Ardente Epóc délivra Ic roi \ Amadis de Gaule el Galaor, ainsi que les reinesnbsp;Oriane elBriolanie, et la princesse Lucelle.

.^1 J

;J-^n outre des deux horribles géants /et des dix chevaliers qu’il avaitnbsp;'-apereus s’escrimant, Ie fils d’0-/ iiolorie avisa un chariot trainénbsp;¦par quatre chevaux, dans leqiielnbsp;étaient plusieurs dames et d(*mo:-selles, menant Ie plus grand deuilnbsp;f' du monde.

— Dieu ne me soit jamais en aide! s’écria t-il, si ces deux chevaliers h qninbsp;je voulais tout h l’heure tant do mal nenbsp;sont pas meilleurs que je ne pensais!...

Lors, baissant la vue de. sou armet, et coucliant son bois, il enira dans la mêlée, chargeant sinbsp;êprement, que Ie premier qu’il rencontia eut sanbsp;lance li travers les tripes.

Puis, sacquant son épée au poing, et frappant h droite It gauch(‘, il fit vitetnent reconnaiire sonnbsp;excellence. Ce dont les deux chevaliers, étonnésnbsp;et joyeux, exécutèrent plus courageusement leurnbsp;entreprise, réeonfortés par ce renfort inespéró.nbsp;Tellement que six de leurs adversaires s’en allè-rent bientêt rendre leur dme sur Ie gazon, et quenbsp;les autres, décontenancés, reculèrcnt.

L’un des deux géants, voyant ce massacre qii’on faisait de ses compagnons, et trop blessé lui-mêmenbsp;peur continuer avantageusement Ie combat, senbsp;dirigca au galop de son cheval vers Ie chariot oünbsp;se lainemaieut les dames, résolu de les metlre anbsp;malemort.

Amadis de Grèce, tout en agissant d’estoc et de taille, surveillait de l’oeil Ie chariot. II vit Ie mou

vement du géant et devina son intention. Aussi, quittant sur-le-cbamp lo lieu de la lutte, il courutnbsp;après ce misérable et lui cria :

— nbsp;nbsp;nbsp;Arrête, paillard, arrête! Ou sinon, tu mour-ras, toi qui veux faire rnourir les autres !...

Le géant, a ce cri, se retourna et aborda Ie fils d'Onolorie. L’un et l’autre se couplèrent de trésnbsp;prés, de si prés, que le géant put saisir Amadis aunbsp;corps, croyant le jeter aiséraent a terre. Mais ilnbsp;trouva chaussure ü son pied. L’un et l’autre sau-tèrent et tombèrent sur l’herbe, oü ils se sépa-rèrent, pour se reprendre bientót avec plus denbsp;furéur.

Le géant, sentant bien que ses efforts étaient inutiles et qu’il avait affaire la au meilleur chevalier du monde, le géant écumait de rage.

— nbsp;nbsp;nbsp;Oh! s’écria t-il, que maudits soient Jupiternbsp;et Mercure!... Ils m’abandonnent dans la vengeance que je voulais tirer de la mort honteuse denbsp;feu mon père Gadalfe !...

Le fils d’Onolorie coraprit, ü ces mots, qu’il avait affaire au fils du roi de la Sagitlarie, qu’il avaitnbsp;mis ü mort dans unede ses précédentes avenlures,nbsp;dans file Vermeide.

— Comment! Mostruon, dit-il au géant, penses-tu done élre raieux traité par moi que ne l’a été ton père, que tu regrettes tant ü cette heure?...nbsp;Je le fis rnourir, tu mourras aussi, et de la mêmenbsp;mail)!...

Amadis proféra cette parole si haut, que les dames du chariot, éperducs de frayeur, le recoii-nurent a sa voix.

— Ah! Seigneur Dieu lout puissant et tout mi-séricordieux! s'écria 1'une d’eües en levant les mains au ciel, daignez venir en aide ü ce bon chevalier !...

Amadis, ü son tour, reconnut cette voix pour être cede de Lucede, co qui lui enffa le emur sinbsp;gros que, prenant son (‘péc a deux mains, il l'a-haltit sur le géant, et avec tant de force, qu’il luinbsp;fit rendre fame.

Tournant alors ses regards vers ceux qu’il avait laissés combattant, il vit la lutte terininée et lesnbsp;deux chevaliers qu’il avait secourus vainqueurs dunbsp;géant et des quatre autres chevaliers...

Ils vinrent vers le fils d’Onolorie, et, pour le mieux remercier, liaussèrent la visière do leurnbsp;armet, ce qui permit ü l’amant de Lucede de re-connaitre en l’un d’eux le vertueux roi Amadis denbsp;Gaule.

Quant au second, qu’il n’avait jamais vu, c'élait lo vaillant Galaor.

C’est pourquoi, n’hésitant plus ü se décoler, il óta son heaume et salua humblemcnt le roi; leqnel,nbsp;trés aise de cette bonne rencontre, 1’embrassa cnnbsp;lui disant:

— J’ai SU déja, mon grand pmi, quelle était vntre vaillance; mais aujourd’hui, vous me faveznbsp;pr()uvée plus victorieusement que jamais.

Et, le prenant jiar la main, d le cond'dsd vers les dames, parmi lesquel!(‘s étaient les deux reincsnbsp;Oriane et Briolanie, avec Lucelle et autres blies denbsp;rois, que Mostruon avait enlevées , ainsi quonbsp;vous reiitendrez présentement.


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BUZANDO-LE-NAIN. 11

BUZANDO-LE-NAIN. 11

GHAPITRE X

GHAPITRE XI

Oü il est dit comment Ie géant Mostruon avait ) voulu venger la mort de son père, Ie roi de lanbsp;’ Sagitlarie.

Précédemment, Ie chevalier de 1’Ardente Epée, dans unenbsp;de ses nombreuses aventuresnbsp;que nous avons dii tout nalu-rellement passersous silence,nbsp;avait eu combat avec Ie roi denbsp;la Sagiltarie, et lui avait tran-ché la lète d’un coup de sa vaillantenbsp;épée. Puis il 1’avait eiivoyée a la cournbsp;du roi Amadis de Gaule, lequel, lanbsp;requête du bon chevalier Balan, l’avaitnbsp;; f fait clouer sur la porie du palais.

Cette braverie avait éinu tous eeux du lignage de ce roi de la Sa-jgittarie, qui s’en étaient sen-tis grandement injuries; entrenbsp;autres, les deux géants dont nousnbsp;avons fait mention dans Ie précédent cliapilre,nbsp;Mostruon et l’autre. Ils avaient ordinairemeut desnbsp;espions en la cour d’Amadis, cherchant heurenbsp;opportune pour parvenir a leur intention de vengeance, et, pendant ce temps, tous deux demeu-raient embusqués dans une forêt assez prochainonbsp;de Londres.

II était advenu qu’un jour, entre autres, Ie roi Amadis étant de séjour h Mirefleur avec la reinenbsp;Oriane et les autres dames, une partie avait étènbsp;organisée par lui pour courre Ie ccrf et donner plai-sir au roi Galaor, qouvellement arrivé en la Grande-Bretagne.

Le. roste, vous Ie devincz. Amadis de Gaule et Galaor avaient a peine eu Ic temps de lancer lanbsp;béte, que Mostruon et sa troupe, averlis par leursnbsp;espions, s’en venaient Mirefleur, ou étaient res-tées les dames, el les enlevaient dans un chariotnbsp;amenó pour cela, espérant les conduire sans en-combre au plus procbain port de roer. Mais 1 alarmenbsp;avait élé donnée k Amadis et k Galaor, qui s’é-taient empresses de voler au secours des dames ou-fragées, ce qui avait araené lo combat que nousnbsp;avons raconte tout a l’heure.

Comment Ie roi Amadis de Gaule et les dames retournêrent il Mirefleur, et des propos qu’eurent ensemble Lucelle etnbsp;Amadis de Grèce, fils d’Onolorie.

e bon secours apporté k ces dames tant désolées ne leur causa pas unenbsp;joie moindre de la tristesse qu’ellesnbsp;avaient ressentie.

Le chevalier de l’Ardente Epée, après avoir saluê les reines Orianenbsp;et Briolanie, s’adressa è l’infante Lucelle, qui lui dit de bonne gréce :

Sur ma foi, seigneur chevalier, vous vous devez tenir pour grandement beureux d’être arrivé si a pointnbsp;pour nous sauver et recevoir nos re-merciments... Gela menbsp;fait oublier et pardon-ner la faute oü vous étieznbsp;tombé envers moi, ennbsp;restant si longtempsnbsp;sans venir ou me faire savoir de vosnbsp;nouvelles.

Le fils d'Onolorie allait repondre, lorsqne survint Angriotes avec cinqnbsp;cents chevaliers qu’on avait étè quérir pour venirnbsp;an secours d’Amadis de Gaule et de Galaor.

Survint augt;si Ordan et la gente pucelle auprès de laquelle il était dcmeurc, an lieu de suivre sonnbsp;maitre.

On revint k Mirefleur.

Dans la soirée, le tils d’Onolorie trouva moyen de se retrouver seul avec la priiicesse de Sicile.

— nbsp;nbsp;nbsp;Madame, lui dit-il resprctueusemcnt, je vousnbsp;supplie de vous arrêler quelques instants pournbsp;m’ecouter...

— nbsp;nbsp;nbsp;Rien volontiors, chevalier, car, malgré lesnbsp;reproches que j’ai a vous faire, je ne me crois pasnbsp;en danger de déshouneur avec vous... Paraiusi,nbsp;dites-moi ce que vous avez k me dire...

— nbsp;nbsp;nbsp;Madame, vous qui êles cause du marlyrenbsp;d’amour que j’enrlure, serez-vous assez cruelicnbsp;pour laisser mourir si inisérablement un chevaliernbsp;lel que moi, qui ne suis né que pour vousobéir etnbsp;vous complaire en tout ce que vous trouverez bonnbsp;de me commander?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Ah! mon ami, comment me dites-vousnbsp;cela?... Penscz-vous done que je voulusse jamaisnbsp;reconnaitre les services que vous m’avez rendusnbsp;par chose malséante k mon honneur?... Conten-tez-vous de savoir que je vous aime tant et tant,nbsp;que, si tons les royanmes de la terre etaient misnbsp;d’une part et vous seul de 1 autre, je laisserais lanbsp;les royaumes et leurs rois, pour vous élirenbsp;pour mon seul seigneur etmari... Que cela vous


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12 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

12 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

suffise done, mon ami... Que votre cceur ne desire pas autre chose dont ma reputation pourrait rece-voir tache ou blame. Je puis vous jurer, pour vousnbsp;rassurer, que jamais autre que vous ne sera pos-sesseur de moii cceur, car il est et restera vótrenbsp;tant que j’aurai la vie au corps pour vous vouloirnbsp;bien...

— Madame, répondit Ie fils d’Onolorie, je vous remercie bien humblement de ce bon vouloir et denbsp;cette bonne parole... Je crois fermement h loutnbsp;ce que vous me dites lè... Et, bien que je ne sa-che pas encore quels sent mes père et mère, pour-tant, je me répute issu de sang royal ou tout aunbsp;moins illustre, ce qui me donne Ie courage d’en-treprendre certains actes hardis pour m’illustrernbsp;moi-mêrae et devenir plus digne de vous...

— Mon ami, je me contente de vous et ne de-mande pas autre chose... J’aurai bien assez de royaumes et de grands biens è partager avec vous,nbsp;pour ne porter d’envie è personne... Un seul pointnbsp;est seulement souhaité de moi sur lous autresnbsp;c’est la perpétuelle alliance de nos coeurs et Ie vouloir du roi mon père pour y consentir, avec l’au-torité de la loi commune... Je suis sure qu’il vousnbsp;aime, et que vous parviendrez aisément a obtenirnbsp;de lui son consentement si vous lui en faifes re-quête... Par ainsi, mon doux ami, ayez fiance eunbsp;moi et prenez courage en vous, et tenez pour certain que vous n’aspirez pas plus è être mien quenbsp;je n’aspire è être vótre...

Ils allaient deviser encore, lorsque la reine ap-pela Lucelle, qui fut forcée de quitter son ami.

Amadis de Grèce demeura seul, mais satisfait au delè de tout, de ce que venait de lui dire lè sa mienbsp;Lucelle, et, a cause de cela, ayant si bien mis ennbsp;oubli Niquée, princesse de Thèbes, qu’il ne lui ennbsp;souvenait non plus que des neiges d’antan.

C’est l’occasion de retourner auprès de cette princesse.

CIIAPITRE XII

Comment Buzando prdsenta amp; Niquée la lottre que lui écri-vait Amadis do Gröce, et de ce qu’il en advint.

uzando, dépêche par Amadis de Grèce, ainsi qu’il vous a éténbsp;dit, chemina tant et lant, quenbsp;du Nord il s’en revint dans Ienbsp;Levant et en la cour du sou-dan, père de la princesse denbsp;Thèbes.

Le jour même de sou arri-^ée, chacun faisait joie au prince Anastarax, qui êtait de retour, lui aussi, après une vicloire briljante remportée sur le soudan d’A'.upa.

Anastarax n’était pas un prince moins beau qti cnevalereux, et le soudan son père se faisait au-

tant gloire de l’avoir pour fils que d’avoir Niquée pour fille, lequel fils et laquelle fille ne se voyaientnbsp;jamais et ne s’étaient jamais vus, la princesse denbsp;Thèbes étant, comme nous I’avons dit, renferméenbsp;dans une tour.

Elle attendait avec grande impatience des nou-velles de son ami le chevalier. Buzando vint.

Voici ce que lui écrivait Amadis de Grèce :

« Madame,

n J’ai requ la lettre qu’il vous a plu de m’en-voyer par Buzando, votre nain, et, tont aussilót, en la lisant, j’ai senti mon coeur enclin è vousnbsp;rendre toute la servitude qu’il vous plaira avoirnbsp;de lui.

« Je ne désire pas d’autre bien que de vous voir et jouir de votre presence, assure d’avance quenbsp;mes yeux recevant ce bonheur, les vótres doux etnbsp;pitoyables auront compassion du mal que je souffrenbsp;pour chose non olfensée.

« En sorte que, me donnant part certaine en votre bonne grace, je vivrai content, et vousnbsp;obéie et honorée par celui sur lequel vous aveznbsp;entier commandement, et qui vous supplie de per-raettre qu’il vous puisse voir et qu’il puisse baisernbsp;vos divines mains.

« Je me mettrai en peine d’accomplir votre vouloir, quel qu’il soit; croyez-en

«Votre trés humble et trés obéissant serviteiir,

« Le Chevalier de l’Audente Epée. »

Niquée fut aise au delè du possible, après avoir lu et relu cette lettre, et elle se sentit touchée denbsp;la grace et de fhumililé avec laquelle lui parlaitnbsp;le chevalier le plus renommé du monde.

Aussi famour qu’elle lui porlait déja s’en aug-menta d’autant, comme vous le pensez bien.

— Buzando, demanda-t-elle è son nain, que te semble du chevalier qui m’écrit? Mérite-t-il lanbsp;lüuange qu’on lui donne communément?...

— Oui, madame, répondit le nain, et de cela je puis vous en rendre bon et sur témoignage, car,nbsp;sans la prouesse du chevalier de 1’Ardente Epée,nbsp;vous n’auriez plus de Buzando... Savez-vous comment, madame? En entrant en Allemagne, je fesnbsp;arrêté par un méchant qui voulut avoir la lettrenbsp;([ue vous m’aviez baillce pour votre ami... et,nbsp;comme je m’y refusals, il me fit fouetter par deuxnbsp;de ses paysans... Lors, Dieu sait si je fus biennbsp;étrillé et dessus et dessous... J’aurais succombe,nbsp;bien certainement, sansl’arrivée du bon chevaliernbsp;a qui vous écriviez, lequel, sans me connaitre pournbsp;vótre, me vengea merveilleusement de ces bour-reaux... Quelle vaillance, madame 1 quels beauxnbsp;coups d’épéel... Jen’ai pas encore vu de chevaliernbsp;qui luiressemblat...

— Oui, oui-, mais, de sa beauté, qu’en est-il? demanda Niquée.

— .Madame, elle est plus divine qu’humaine... A mon avis, il ressemble a un second .Mercure che-minant parmi les hommes.. Et vous avez, certes,

grandernemeut raison de l’airner...

— Tu me racontes nierveilles, reprit Niquee;


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DUZANDO-LE-NAIN. 13

DUZANDO-LE-NAIN. 13

mais, mon pauvre Buzando, tu serais bien ébahi^ s’il prélendait ailleurs...nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;i

La princesse disait cela, par allusion èi Lucelle, dont elle avait vu Ie portrait.

— nbsp;nbsp;nbsp;Madame, répondit Buzando, a vrai dire, lesnbsp;éloges quo je lui fis do volre beauté lui parurentnbsp;un peu exagérés, et il lui arriva naème, tout ennbsp;s’estimant trés beureux d’etre distingué par vous,nbsp;il lui arriva de dire ; « Jusqu’a preuve du contraire, je ne la croiraipas supérieure, en beauté, anbsp;la princesse de Sicile... »

— nbsp;nbsp;nbsp;II a dit cela? deiuanda Niquée, devenautnbsp;rêveuse.

— nbsp;nbsp;nbsp;Oui, madame, il ne croira h vos perfectionsnbsp;que lorsqu’il les aura vues de scs propres yeux...nbsp;Par ainsi, si vous voulez suivre mon conseil, vousnbsp;aviserez aux moyeus de Ic mettre au plus tót ennbsp;votre presence...

— nbsp;nbsp;nbsp;Cortes, Buzando, c’est Ik Ie plus grand dé-sir que j’aie en ce monde... Mais quoi? Je n’y voisnbsp;nul raoyen quant a présent, a cause de la sujétionnbsp;dans laquclle mon père me retient céans; sujétionnbsp;si étroito, surveillance si sévère, que nul homme,nbsp;pas même mon propre frère Anastarax, n’a jamaisnbsp;pu rne voir, ni moi lui!... Comment done unnbsp;élranger pourrait-il arriver a jouir de ce bien,nbsp;alors même que je levoulusse permettre?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Madame, j’ai un avis k vous proposer.

- Lequel? demanda la princesse.

— nbsp;nbsp;nbsp;Vous devriez envoyer vers votre tante, lanbsp;reine d’Argènes, madame Zirfée, pour la suppliernbsp;de vous envoyer, dans Ie plus bref dclai, votrenbsp;portrait et celui de Lucelle, points au naturel parnbsp;les moyens de magie dont elle dispose... En vousnbsp;voyant ainsi représentées loutesdeux, Ie chevaliernbsp;de l’Ardente Epée pourra mieux comprendre cenbsp;que je lui ai dit touchant la supériorité de votrenbsp;beauté, et il accourra céans, plein d’amour, et ou-blicux des charmes de sa princesse de Sicile...

Niquée approuva ce quo lui disait Ie nain Buzando et l’envoya incontinent Irouver Zirfée, qui fit faire les portraits demandés, et les lui remit,nbsp;ayee ceux d’Axiancet d’Onorie en plus, pour qu’onnbsp;put mieux juger encore de la beauté de Niquée.

Gette princesse, joyeuse au possible, fit une nouvelle lettre et la remit a son nain, avec chargenbsp;de la bailler, ainsi que les portraits, au chevaliernbsp;de l’Ardente Epée.

Buzando repartit, toujours obéissant; mais, au fond du cffiur, toujours navré de la déception qu’ilnbsp;evait éprouvée et du choix qu’avait fait, d’un au-tce amant ([ue lui, la belle princesse do Thèbcs.

)i

I) rir a petit feu chaque jour. 1 L(

CHAPITBE XIII

Commcnl la genie princesse Niquée, pour sc distrairc, ob-tinl du soudan un changement de séjour, et de la rencontre qu’elle lit, en chemin, du prince Anastarax, son frère.

en l’abscnce du bon v.!®nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;nain Buzando, ne s'amusait

guère, et chaque jour accrois-sait sa mélancolie et son impatience. Si bien, qu’un jour, la venant voir, Ie soudan son pèrenbsp;lui demanda si, d’aventure, ellenbsp;.I'S ''VJ1*^ se senlaitraalade.

Niquée ne répondit rien, si-non que, sans savoir d’oü lui venait cetle humeur, elle comprenaitnbsp;bien que les dieux ne voulaient pas qu’ellenbsp;vécüt longtemps, car elle se sentait mou-

Le soudan ne vit k cela qii’un reraède, et il l’employa aussitót: ce fut de per-I mettre k sa fille d’aller s’ébaltre et fairenbsp;I ^ quelque séjour en un sien palais qu’ilnbsp;iy avait k trois petites lieues dans la forêt.nbsp;^ Le soudan, qui se rappelait toujours lesnbsp;ƒ prédictions de Zirfée, et qui ne voulait pasnbsp;' qu’aucun homme vivant apergüt la princesse,nbsp;donna ordre, en conséquence, k tous les gens de-meurant aux environs de ce palais, d’avoir k senbsp;retirer.

Le même jour, il advint que le prince Anas-larax élait allé courre le cerf avec quasi tous les gentilshommes de la cour. C’est pourquoi le sou-dan fit déloger Niquée k une heure de nuit, et con-duire, a torches et flambeaux, par chemins dé-tournés, de fagon k ce qu’elle ne fut rencontrée denbsp;personne.

La gente princesse et ses femmes, après avoir cheminé pendant un assez long temps, arrivèrentnbsp;enfin prés d’une claire fontaine, oü elles mirentnbsp;pieefa terre pour se reposer.

U faisait chaud; elles s’assirent sur l’herbe et burent. Puis, après cela, elles s’éparpillèrent gk etnbsp;la, cueillant des fleurs et attendant la venue denbsp;l’aurore, qui d’éjk coramengait k paraitre.

On était au mois de mai. Philomèle et les aulres oisillons dégoisaient plus librement leur ramage,nbsp;et avec une gaité telle que Niquée en ressentit aunbsp;eoeur un atteinte k la foisplaisinte et douloureuse.nbsp;Plaisante, paree qu’il s’agissait d'amour; douloureuse, paree que l’objet de son amour était absent.

Lors, prenant sa harpe, elle se rait a chanter une plaintive chanson dans laquelle elle coutait sa folie ; et, pendant qu’ellc chantait ainsi, s’accompa-gnant do sa harpe, les oiseaux ravis cessèrent denbsp;rarnager au tour d’elle, pour mieux l’écouter. Quant


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14 BIËLIOTHEQUE BLËUË.

14 BIËLIOTHEQUE BLËUË.

è ses femmes, elles s’ótaient peu k peu endorraies.

Cornme elle finissait peine de soaner, survint Ie pnnce Aiiastarax, attiré par la lueur raourantenbsp;du feu qui avait élé allumé IS.

Le prince Anastarax avait suivi, durant toute la journée, un cerf malmené el échappé des toiles, etnbsp;il avait perdu sa compagnie. En entendant les accents de cette voix de femme molés aux sons denbsp;cette harpe, deux instruments divins, il s’étaitnbsp;avancé curieusement, pris par l’oreille. En s’avan-Cant, il aperput la gente pucelle qui avait nomnbsp;Niquée, etqu’il n’avait jamais vue de sa vie : il futnbsp;pris cette fois par les yeux.

GHAPITRE XIV

Comment le prince Anastarax devint amoureux de la prin-cesse Niquée, sa soeur, qu’il n’avait jamais vue jusque-ia.

nastarax était deraeuré coi et émer-veillé en presence de l’étonnanle beauté de laprincesse deThèbes, qu’il n’avaitnbsp;iif. jamais vue de sa vie, ainsi que nousnbsp;f^l’avons dit.

—¦ Ah ! ah 1 murmura-t-il èi part soi d’un air satisfait, il lautbien croire quenbsp;TAmour ne m’eüt jamais apprèté sinbsp;bonne occasion, ni si heureuse rencontre, sinon pour me faire connaitrenbsp;'l’envie qu’il a de me favoriser et biennbsp;\traiter en mes affections!... Aussinbsp;force est-il que celle qui m’a pris soitnbsp;mienne...

Pendant ce temps, Niquée, voyant ses femmes en proie au plus profondnbsp;sommeil, etsürealors de n’être entendued’aucunenbsp;d’elles, mit sa harpe bas, et, les brascroisés, comnbsp;menga a se lamenter.

D’abord, sa plainte fut douce, puis elle gaena en amertume et en sonorité, puis enfin elle éclatanbsp;enunsanglot.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ilélasl murmura-t-elle. Pourquoi naturenbsp;m’a-t-'dle pourvue d’une beauté si dommageablenbsp;aux autres et ti moi-rnême?...

Gela dit, Niquée se tut, et, appuyant sa tête sur son bras gauche, elle fondit quasi en larmes. Ge quenbsp;ne pouvanl plus souffrir Anastarax, il sortit aus-sitftt do sa cachette, mit le genou en terre devantnbsp;Niquée, et lui dit de l’air le plus respectueux et lenbsp;plus tendre du monde .

— nbsp;nbsp;nbsp;Madame, en vous entendant vous plaindrenbsp;ainsi, j’ai cru le moment opportun pour me présenter a vous et vous offrir ce qui est en ma puissance, lout en ayant moi-rnême besoin d’etre se-coum par vous, dont 1’extrème beauté m’a captive

'vótre... Par ainsi, madame, je vous sup-plie rtqublement, et d’accepter mon office et d’ac-cueilbr mon amour...

Niquée avait été surprise amp; l’improviste. Eper-due, troublée, inquièle, elle ne savait vraiment si elle avait affaire a quelque faune, a quelque Syl-vain, OU k quelqu’autre demi-dieu.

Tontefois, en remarquant combien il était beau, humble de contenance et courtois de parole -, ennbsp;remarquant ensuite son trés riclie accoutrement denbsp;chasse, le couteau, les couples, latrompe, il se fitnbsp;un mouvement de joie dans son cceur, car elle sup-posa que c’était le chevalier de l’Ardente Epée.

Elle allait s’élancer et lui sauter au cou; mais la bonte la retint. La bonte et la réflexion. Elle senbsp;dit que, puisque Ruzando n’était pas IJi pour ac-compagner son amant, c’est que ce n’était pas lui.

Elle comprit alors qu’elle s'abusait; et, a cette cause, rougissant quasi de l’aigreur et de la petitenbsp;colcre oü elle se trouvait, elle répondit au princenbsp;Anastarax ;

— Comment, beau sire, osez-vous done me tenir propos si peu convenables èi ma grandeur ? D’oünbsp;vous vient cette audace ?...

— De mon amour, madame...

— De votre amour?...

— Oui, madame...Ne lelisez-vousdone pas dans mon attitude respectueuse autant que dans ma vqixnbsp;tremblante d’émotion et de plaisir, car jamais,nbsp;jusqu’ici, je n’avais eu cette félicité de voir unenbsp;aussi merveilleuse personneque vous?... Accepteznbsp;ce cceur que je vous offre, madame... nulle femmenbsp;vivante ne l’a possédé, paree que nulle autre quenbsp;vous n’était digne de l’avoir en sa possession...nbsp;Acceptez-le, et, en échange, laissez-moi croirenbsp;qu'un jour vous me donnerez aussi le votre...

Niquée était dans une situation trés embarras-sante, et elle ne savait vraiment comment en sor-tir, lorsgu’ils eiitendirent tout-ii-coup prés d’eux un froissis de branches et un bruit de respirationnbsp;puissante.

GHAPITRE XV

Comment le prince Anastarax défendit sa soeur. Ia princesse Niquée, contre un ours qui l’allait dévorer, et comment,nbsp;après qu’il Teut reconduite chez elle, il s’en revint toutnbsp;mélancolieux.

e froissis de branches qu’avaient entendu le prince Anastarax et sanbsp;soeur était produit par un oursnbsp;d’une formidable dimension quLnbsp;en les apercevant, se préc'pija ttnbsp;leur rencontre dans des intentionsnbsp;sur lesquelles il n’y avait pas a senbsp;méprendre.

Niquée allait crier, mais la peur la retint et figeala parole dans songosier.

Anastarax, courageux comme un gcntilhornme qu il était, tira son épeenbsp;et courut sus k Tours, qui, alors, senbsp;Vnbsp;nbsp;nbsp;nbsp;redressa sur ses pattes de derrière et

avanga celles de devant pour étreindre le jeune


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15

BUZANDO-LE-NAIN.

— nbsp;nbsp;nbsp;Cela est trés prudent, au contraire, prince...nbsp;Je vous remercie do ce que vous avez fait tout knbsp;l’heure pour itioi; mais c’est vraiment Ie seul office que je puisse et doive accepler de vous... Re-joignez vüscomp'ignons de chasse, qui doivenl êtrenbsp;fort en peme de votre absence, et perraettez-nousnbsp;de reprendre notre route, qui n’est pas la votre...

— nbsp;nbsp;nbsp;Vous vous trompez, ma belle soeur... Lanbsp;route d’un chevalier est celle que suit k traversnbsp;bois une dame sans escorte, afin de la protégernbsp;centre les dangers qui peuvent advenir... Quant knbsp;mes compagnons de chasse, ils me rejoindront tótnbsp;OU tard, cela ne presse pas... Par ainsi, je vousnbsp;accompagnerai.

La princesse de Thèbes fit encore quelques objections; mais, qu’elle Ie voulut ou non, Anastarax avait résolu de 1’accompagner, et il l’accompagna.

La route fut silencieuse. Niquée pensail en sou-pirant k son beau chevalier de l’Ardeiite Epée. Anastarax pensait, en soupirant également, a lanbsp;btdle princesse de Thèbes, dont il était si follementnbsp;araoureux que, n’eussent été la honle et la pré-sence des autres demoiselles, il eüt volontiers pratique envers elle, malgré 1’alliance et la parenté,nbsp;la loi que Jupiter et les dieux réservent pour leursnbsp;déités.

Après quelques heures de raarche, on arriva ku chateau de la princesse, et Ie prince Anastarax,nbsp;cette fois, malgré sa volonté, dut ne pas passernbsp;outre.

11 salua et prit congé, puis s’en revint tout mé-lancolieux k travers Ia forêt.

prince et l’étouffer dans cette vigoureuse étreinte. Maisil ne roncontra quela pointe de l’épée, contronbsp;laquelle il s'appuya trop iiigénument et qui luinbsp;entra tont ent ère dans la poitiine.

Anastarax la retira par uii eITort vigoureux, afin d’en porter un second coup et p irachever ainsi sonnbsp;eiitreprise; mais c’était inutile ; fours était mor-tellement blessé, et il retomba sur Ie dos en pous-sant un sourd rugissement.

Lors, Ie jeune prince essuya son épée, rouge du sang de cette béte, et la remit dans son fourreau.nbsp;Puis, cela fait, il se tourna vers la belle princessenbsp;de Tlièbes pour la rassurer.

II la trouva environnée de ses dames et demoiselles, qui s’étaient réveillées au bruit de la lutte entre Ie prince et Tours, et qui étaient accouruesnbsp;auprès de leur jeune princesse pour savoir quelnbsp;était ce bruit.

II faisait grand jour. Brizela, la demoiselle favorite de Niquée, reconnut aussitót Anastarax, qu’elle avait eu maintes fois I’occasionde voir k lanbsp;cour du soudan.

— Ah I seigneur, s’écria-t clle, comme nous de-vons reraercier les dieux de volre heureuse intervention!... Comme ils vous ont envoyé k temps vers madame Niquée, votre soeur 1...

— Quoi 1 s’écria Anastarax au comble de 1’é-tonnement, vous êtes ma soeur, la princesse de Tlièbes?...

— Quoi? s’écria Niquée, non moins ébahie que lui, vous êtes mon frère, Ie prince Anastarax?...

— Oui, ma belle et chère soeur, répondit Ie jeune homme en venant embrasscr Niquée, et jenbsp;regrctte, aujourd’hui plus que jamais, que Ie soudan notre père nous ait tenussi longlemps séparésnbsp;fun de l’autre, car nous étions faits, ce me sem-ble, pour nous comprendre et nous aimer...

— Je Ie regrette comme vous, mon frère, dit la princesse en se disposaiit k partir et regagner Ienbsp;chateau que son père lui avait assigné comme ré-sidence dans la forêt.

— Vous partez, ma soeur? demanda Anastarax, chagrin de ce départ.

— Mais oui, seigneur, répondit Niquée.

— Pourquoi cela ? La matinée est si belle, les oi-seaux dégoisent si gentiment leur ramage, les her-bes flairent si boni... Restezl...

— Je ne suis que trop restée, prince... II est temps que je regagne ma demeurance...

— Puisqu il en est ainsi, je n’insiste plus pour vous faire rester sous cesarbres... Mais, du moins,nbsp;Vous me permettrez bicn de vous tenir compagnienbsp;te long du chL-uiin...

La princesse de Thèbes se rappela les précau-tions minutieuses dont son père fentourait, afin qu’elle ne vit personne. Elle cornprit quelle ccdèrenbsp;serail la sienne en apprenant qu’elle avait été ren-contrée.

Aussi :

— Seigneur, dit-ellc, je vous sais gré de votre etfre obligeante... Mais il ne m’est pas possible denbsp;1 accepter...

Et pourquoi done cola, ma chère soeur? Cola est imprudent, savez-vous bien? par les animauxnbsp;juallaisants qui abondent en cette contrée... Trésnbsp;imprudent!...

GtlAPlTRE XVI

Comment Ie prince Anastarax, si mal amp; propos affolé d’amour, s'attrista ouire mesure etnbsp;voulut se tuer, et comment la reine Zirfóenbsp;résolut de mettre ordre a lout cela.

„„n quittant la belle princesse de ƒ Thèbes, Anastarax crut qu'ilnbsp;quittait Ie soleil et la chaleur,nbsp;I car il cessa de voir clair pournbsp;se guider, et il eut un frissonnbsp;glacial par tout Ie corps.

—Oü suis-je?... Oü vais-je? f* murmura-t-il d’une voix nnvréenbsp;en cheminant k 1’aveuglette. J’aimelnbsp;J’aime!... J’aimel... Et celle que j’airaenbsp;ne pent pas m’aimerl... Quelle falaliténbsp;— pèse done sur moi?... Quel crime lesnbsp;dieux Veulent-ils done punir en m infligeant celtenbsp;passion qui me brute et glace tout k la fois, et menbsp;fait gouler les joins de 1’Olympe et les lourrnentsnbsp;des Enfers!... j’aime la plus belle pucelle de I’u-nivers créé, et cette pucelle est la princesse denbsp;Thèbes,raa sceur 1... Pourquoi mon père me fa-t-il


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16 BIBLIOTHEQUR BLEUE.

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mêler^ plus grand qu’il n’est déjè, je vais m’cn

™on frère, laissèz-moi faire et dormcz tranquiUe sur vos deux oreilles...

célée pendant do si longues années?... Je rae serais habitué a la voir, amp; la considérer comme ma soeur, et moii admiration pour elle n’aurait pasnbsp;dépassé les liraites de la raison et du devoir...nbsp;ïandis que, la voyant ainsi amp; l’improviste, moi quinbsp;ne l’avais jamais vue, en contemplant de mes yeuxnbsp;avides les trésors de perfections que la Nature anbsp;si prodiguement mis en elle, je n’ai pu me défen-dre d’un sentiment d’amour ardent qui me pour-suit encore, a cette lieure oü je ne suis plus ennbsp;face d’ello... Ah 1 mon père, pourquoi me l’avez-vous ainsi célée?... Ou plutót, pourquoi l’ai-je ren-contrée?... Je vivais tranquille... Je vivais heu-reux... Je me croyais appelé aux plus enviablesnbsp;destinées... Je me rêvais un avcnir de gloire et denbsp;félicité... Et voili quel réveil navrant me préparaitnbsp;Ic sortl...

Ainsi parlait Ie malheureux prince Anastarax. Et, tout en parlant ainsi, les larmes lui coulaient,nbsp;comme deux ruisselets, Ie long des joues.

Ge vaillant chevalier pleurait 1

A force de se nourrir Ie coeur et l’esprit de celtc obsédante image, il arriva a un désespoir profond,nbsp;et, tirant son épée, il allait certainement s’en per-cer la poitrine, lorsque survinrent ses compagnonsnbsp;de chasse, è sa recherche depuis la veille.

II essuya ses larmes, et reprit avec eux Ie chc-min de la veille. Mais, aussitót arrivé, il courut s’enfermer dans sa chamhre sans vouloir parler anbsp;personne et sans vouloir prendre aucune nourri-ture.

Ge dont son père, alarmé, voulut avoir l’explio tion.

Ge fut la reine Zirfée, l’enchanteresse de l'ile d’Argènes, qui la lui donna, en arrivant subite-ment è sa cour.

—Le prince Anastarax aime la princesse Niquée, dit-olle au soudan.

— Quoil s’écria le soudan, bouleversé par cette révélation inattendue.

— Le prince Anastarax aime la princesse Niquée, répéta tranquillement Zirfée.

— Ils se sont done vus? demanda le soudan.

— Ils se sont vus.

— Quand?...

— II y a deux jours.

— Oü cela?...

— Dans la forêt au milieu de laquelle est situé le chateau que vous avez donné comme habitationnbsp;a votre fille.

— G’est impossible 1...

— Ge mot est puéril, mon cher frère, sur tout prononcé devant moi, qui ne connais rien d’impos-sible, ainsi que je vais vous le prouver...

Lors, elle raconta au soudan comment Niquée et Anastarax s’étaient rencontrés, et ce qui s’étaitnbsp;passé entre eux.

Le soudan entra dans une colère terrible, et il était résolu ü chatier son fils de sa folie, lorsquenbsp;Zirfée l’arrêta en lui disant;

— Voila de mauvaises et d’inutiles paroles... Votre fils n’est pas coupable, et vous ne devez pasnbsp;10 chatier... Sculement, pour que le mal ne de-

— nbsp;nbsp;nbsp;J’ai fiance en vous, ma soeur, dit le soudan.

— nbsp;nbsp;nbsp;Et vous avez raison, répondit Zirfée en se re-tirant.

CHAPITRE XVII

Comment la reine Zirfée emmena le prince Anastarax au chateau de la princesse Niquée, et comment elle les cn-chanta l'un etl’autrc, ainsi que les dames et les demoiselles présentes.

irfée, en quittant Ie soudan, alia droit ü la chambre oü se lamentaitnbsp;le pauvre prince Anastarax.

l)’abord,it ne voulut pas ouvrir. Mais la reine d’Argcnes insista ennbsp;se nommant.

Anastarax ouvrit.

—Qu’avez-vous done, mon beau neveu? lui demanda Zirfée.

II ne répondit pas.

— Au fait, reprit Zirfée, j’ai tort de vous demander pourquoinbsp;vous êtes triste, pourquoi vousnbsp;vous enfermez, pourquoi vousnbsp;pleurez, puisque je le sais mieuxnbsp;que vous...

— Vous le savez, madame? demanda vivement le jeune prince.

— Sans doute, répondit Zirfée en souriaut.

Et que savez-vous done?

— nbsp;nbsp;nbsp;Ge que vous savez vous-méme...

— nbsp;nbsp;nbsp;Mais encore?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Vous êtes jeune, vous êtes beau; done vousnbsp;êtesamoureux...

Anastarax rougit.

— Ai-je deviné ? demanda la reine d’Argènes.

— nbsp;nbsp;nbsp;En.effet, je suis amoureux, reprit Anastarax;nbsp;amoureux de la plus belle princesse du monde...nbsp;Mais, hélas!...

— Elle ne vous aime pas...

— Elle ne peut pas m’aimerl s’écria le jeune prince avec désespoir.

—11 s’agit de la princesse de Thèbes, n’est-ce pas ? demanda Zirfée.

Anastarax tressaillit.

— Qui vous a dit ?...

— Voyons, comment ne le devinerait-on pas?... Vous êtes prince, jeune, vaillant et beau, c’est-a-dire qu’il n’y a sur terre aucune dame ou demoiselle capable de vous résister... S’il y en a une quinbsp;vous a résisté, ce ne peut être que la princesse denbsp;Thèbes, qui est aussi parfaite, comme femme, quenbsp;vous êtes parfait comme chevalier...

— Eh bien 1 reprit Anastarax, n’ai-jedonc pas raison de me déses[)érer 1...

— On n’a jamais raison dc le faire, même dans


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BUZANDO-LE-NAIN. 17

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desi

m ne sera pas accompli... Niquée, princesse

les cas les plus difficiles, répondit Zirfée. Or, je suis venue céans pour vous récon'’orter...

— nbsp;nbsp;nbsp;Ah : madame, murmura arnèrement Anasta-rax, je n’attends nul réconfort de personnel...

— nbsp;nbsp;nbsp;Vous doutez done de ma puissance?

— nbsp;nbsp;nbsp;Pardonnezamon égarement, madame... Vousnbsp;me parlez dans une mauvaise heure... Je ne rêvenbsp;en ce moment quA la belle princesse de ïhèbes,nbsp;dontla vue m’est interdite A jamais 1...

— nbsp;nbsp;nbsp;La voulez-vous voir bientót?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Si je la veuxvoir!...

— nbsp;nbsp;nbsp;Oui.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ahl madame, pourquoi vous jouer ainsi denbsp;moi ?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Je ne me joue pas de vous... Et la meilleurenbsp;preuve que je vous en puisse donner, c’est que jenbsp;vous invite a me suivre incontinent au chateau denbsp;la princesse de Thèbes...

Anastarax ne se Ie ht pas répéter deux 1’ois. Quel-ques minutes après ce court entretien, il suivait sa tante, la reine d’Argènes.

Bientót ils arrivèrent tous deux devant Ie palais qu’habitait la princesse de ïhèbes.

— nbsp;nbsp;nbsp;Mon beau neveu, dit Zirfée au prince Anas-larax, dont Ie cceur battait d’une émotion extraordinaire, mon beau neveu, attendez-raoi Ié... jenbsp;reviendrai vouschercher dans un instant...

Puis elle entra.

Tout aussitót, Ie palais changea d’aspect et de distribution. La chambre oü se trouvait en ce moment Niquée, avec ses demoiselles, s’élargit et senbsp;peupla de colonnes de jaspe et de porphyre inon-dées d’une lumière a nulle autre pareille.

Au milieu de cette salie, surgit un tróne d’or et de velours, auquel conduisaient quelques degrésnbsp;étincelants.

— Montez, ma nièce, dit Zirfée h la princesse de Thèbes.

^ Niquée, merveilleusement paree, obéit a la reine d’Argènes, et gravit les marches qui conduisaientnbsp;au tróne (jui était préparé la pour elle.

— Entrez 1 cria Zirfée au milieu du silence general. nbsp;nbsp;nbsp;^

Le prince Anastarax entra, ébloui.

Au méme moment, la salie s’emplit de parfums exquis et de gazouillements d’oiseaux rares.

Anastarax s’avanga, le coeur battant, et monta les degrés qui le séparaient de la belle pucollenbsp;dont il était follement enaraouré. Quand il fut au-Près d’elle, il mit un genou en terre et baisa lenbsp;hout de sa robe constellée de diamauts, moinsnbsp;briHants que ses regards.

.Lors, ainsi agenouillé, il se mit a chanter force tóis et virelais A la louango de la belle des belles,nbsp;Gt, pendant qu’il chantait, Zirfée paracheva ses conjurations.

La gente princesse de Thèbes, dans tout le rayon-nement de sa gloireetde sa beauté, souriait douce-ment.

Les dames et les demoiselles de sa suite dan-saient autour de la salie.

j^.Les oiseaux gazouillaient toujours é perte d’ha-

. Vous voilé tous enchantés, dit gravement la Geine d’Argènes. Vous resterez ainsi tant que votre

de Thèbes, ne pourra être délivrée que par le meilleur et Ie plus loyal chevalier de Ia terre... Lenbsp;prince Anastarax ne pourra être délivré que lors-que viendra vers lui la plus belle princesse dunbsp;monde... J’ai dit 1...

Tout aussitót, les demoiselles, qui s’étaient ar-rêtées un instant pour mieux écouter Zirfée, reprirent leurs dansesen chantant:

Lucelle, Onolorie et Onorie,

Ni du soleil la lumière invoquée, Ne s’égalent nultement è Niquée.

Zirfée disparut. Sa conjuration était parache-vée.

Après son départ, le chateau se trouva subite-ment enveloppé de flamraes, de furaée, de soufre et autres malières telles qu’auprès d’elles la four-naise du mont Gibel était moins abhorrente, moinsnbsp;épouvantable cent fois.

GHAPITRE XVIII

Comment Lisvart et Gradasilée, arrivés A Constantinople, racontèrent leur aventure A 1’empereur, qui résolut d’as-sembler une grosse armée pour courir sus A Vempereurnbsp;de Trébisonde, et qui envoya dans ce dessein vers le roinbsp;Amadis de Gaule.

laisserons, s’il vous plait, 1’infante Niquée et le princenbsp;Anastarax, son frère, pournbsp;revenir vers le chevalier denbsp;la Vraie Croix et sa compa-gne, la pauvre Gradasilée,nbsp;que nous avons laissés fuyantnbsp;la cilé de Trébisonde.

Après avoir cheminé long-temps, Lisvart et Gradasilée s etaient enfin embarqués, et, leur navigation ayant été heureuse, ils avaient pris port è Constantinople.

_ Périon de Gaule les y avait déjè devan-cés et avait raconté Tindigne traitement dont le vieil empereur de Trébisondenbsp;avait payé les services que lui avait rendus le vaillant chevalier de la Vraienbsp;Groix.

Aussi, quand ce dernier débarqua, ac-compagné de Gradasilée, fut-il accueilli avec le plus lendre intérêt par l’erapereur Esplan-dian et sa cour.

L’hospitalité qu’il recut la le dédoraraagea un peu des chagrins qu’il ressentait de son injustenbsp;exil. 3Iais, dés le soir de son arrivée, préoccupénbsp;comme toujours du sort de la princesse Onolorie,

9* Série. — 2


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18 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

sa mie, il demanda k Esplandian de lui aider h la recouvrer.

Esplandian fit plus que de lui promettrc de Ie venger et de lui aider a recouvrer la princesse denbsp;Trébisonde, il envoja immédialement des messa-gers aux princes, ses allies et amis, pour les priernbsp;de cnopérer ii cette enlreprise.

Quant lui, il donna les ordres nécesssaires pour rassembler dans Ie plus bref délai la plusnbsp;grosse arraée possible.

— L’erapereur de Trébisonde, dit-il, a failli amp; ses devoirs d’hóte, de souverain, de père et denbsp;chevalier. Comme h6te, il ne devait pas menacernbsp;Lisvart et Périon; comme souverain, il ne devaitnbsp;pas permettre Ie débarquement du soudan de Ba-bjlone; comme père, il ne devait pas torturer sanbsp;fille ainsi qu’il l’a fait; comme chevalier, il devaitnbsp;tenir loyalement sa parole et mettre en liberté lanbsp;princesse Onolorie... Par ainsi, nous Ie déclaronsnbsp;ennemi et nous engageons è Ie traiter commenbsp;teil...

Chacun applaudit amp; ces paroles du vaillant et loyal empereur de Constantinople, et Ie depart desnbsp;différents messagers fut pressé.

Nous laisserons un instant Esplandian et sa cour, pour suivre les messagers qu’il avait envoyés aunbsp;roi Amadis de Gaule.

GHAPITRE XIX

Coment Ie roi Amadis et Ie füs d'Onolorie rdsolurent d’aller combattrc avec I’erapcreur de Constantinople contre cc-lui de Trébisonde, et, comment, au moment de leur dé-part, parut une demoiselle inconnue.

entendant de récit des messagers d'Esplandian, lui demandant de fairenbsp;cause commune contre Ie vieil cmpc-reur de Trébisonde, Ie roi Amadis denbsp;Gaule n’hésita pas, et il résolut de par-_I tir.

QuanU on sut, a sa cour, celte résolution, il y eut une grande émotion. Lucelle, qui cornprit quenbsp;Ie chevalier de PArdente Epée allait accompagnernbsp;Ie roi, Lucelle travailla l’esprit de la reine Oriane,nbsp;pour I’etigager a ;accora]vdguev Amadis de Gaule,nbsp;ce cl quoi pensait dejk Oriane.

La gente princesse de Sicile avait sou hut, on Ie devine ; c’était, è sou tour, d’accompaguer la reine.

— Sire, dit celle-ci h Amadis, vous partez pour nn long et périlleux voyage dont l'issue nc nousnbsp;est pas connue... Permettez-moi de vous accorapa-gner... Je serai trés hcureusc d’etre avec vous,nbsp;comme toujours; ensuite, il me sera doux de re-voir mou cher üls Esplandian, que je n’ai pas vunbsp;dei^is SI longlemps..:

accède volontlers a ce désir, madame, ré-pondit Amadis. Mais, alors, faites-vous une suite et une compagnie digne de vous...

— J’y ai songé, Sire... J’ai songé è la princesse de Sicile...

— Elle est bien jeune pour un pareil voyage...

— Je l’aurai toujours avec moi, Sire; j ai mission de veiller sur elle, de la part du roi Alpatracie et de la reine Miramynie. Je ne puis faire mieuxnbsp;que de Temmener...

— Soit! répondit Amadis. Et, avec elle ?...

— La reine Sobradise, ma belle-soeur et la vólre, puisque vous einmenez avec vous son mari Galaor.

— Galaor m’accompagnera, en effet, ainsi que Ie chevalier de 1’Ardente Epée, Florestan, Agraies,nbsp;Quadragant, Olorius et quelques autres.

Le départ ainsi arrêté fut fixé pour Ie lendemain, car le message d’Esplandian était pressant, et toutnbsp;retard pouvait être préjudiciable a l’entreprisenbsp;qu’on allait tenter.

Le lendemain done, Amadis de Gaule et ses compagnons de voyage étaieiit sur le point de s’embar-quer, lorsque siirvint une demoiselle qui demanda si le chevalier de l’Ardente Epée se trouvait parnbsp;hasard 1amp;.

Le fils d’Onolorie s’avanqa et dit:

— Je suis celui que vous cherchez, demoiselle, pret a vous faire service oii vous en aurez besoin.

— Sire chevalier, voici ce que c’est. En reve-nant d’une mienne affaire, k six millos d’ici, j’ai rencontré cinq hommes arraós qui enlevaiont denbsp;force un nain, lequel pleurait et se déconfortait knbsp;fendre un rocher de pitié, amp; cause d’une letlrenbsp;qu’il avait mission de porter au chevalier de l’Ar-dente Epée...

— nbsp;nbsp;nbsp;G’était Buzando 1

— nbsp;nbsp;nbsp;Buzando est son nom, en effet. En m’aperce-vant, il m’a supplié du geste, de la voix et du regard d’avoir a vous venir quérir pour-que vous al-liez a son secours, comme vous l’avez déja secourunbsp;une fois...

— Comment! demoiselle, ce pauvre Buzando a été ainsi traité h mon occasion?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Oui certes, sire chevalier.

— nbsp;nbsp;nbsp;Et quels étaient les hommes qui le tyranni-saient.

— nbsp;nbsp;nbsp;L’un d’eux est un géant si farouche, que, donbsp;grande crainte, je n’ai cessé de courir jusqu’ici...nbsp;Par ainsi, sire chevalier, avisez a faire ce quo vousnbsp;demande le pauvre naiu que j’ai rencontré.

— Sire, dit le fils d’Onolorie en se tournant vers le roi Amadis, permettez-moi d’aller secourir conbsp;pauvre homme qui m’envoie préseiitement quérir,nbsp;afin que, venaut en ce pays pour mes propres affaires, il ne lui arrive pas de mal... Je ne tardtirainbsp;pas (I vous venir rejoindre, je m’y engage, soit elinbsp;cette mer ou eu l’autre... Et, quaud rnême vous ar-riveriez avant moi k Constantinople, j’y serais pournbsp;ainsi dire quant et vous...

Le roi ne pouvait refuser : il ne refusa pas, bien quo cola lui coutót beaucoup.

Amadis de Grèce moiUa a cheval, accompagné de son écuyer Ordan, et, sans plus tarder, prit lanbsp;voie que lui enscigna la demoiselle pour trouvernbsp;Buzando.

Le départ du roi et de ses compagnons lut dif-l'érc. Mais, au bout de buit jours, Amadis de Gaule,


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n’ayant aucune nouvelle d’Amadis de Grèce, eiitra en ses vaisseaux, qui se dirigèreut droit vers Constantinople, puis, de la, après avoir pris Esplaudiannbsp;et les autres, vers Trébisonde, pourchatier levieilnbsp;empereur.

GHAPITRE XX

Comment la princcsse Onolorie accoucha secrètement d’une fille, et des regrets qu'elle faisait b. oause de l’absence denbsp;son marl et ami.

nolorie, vous Ie savez, avait jété renfermée dans une tour,nbsp;inalgré la double victoire dunbsp;Ills de Magadan et de la bellenbsp;Gradasilée.

LJi elle séchait k vUe d’oeil, ainsi que la feuille sur l’arbrenbsp;mort, regrettant et appelantnbsp;son Lisvart a toute heure.

— Hélasl murmurait-elle. Hélas 1 mon doux ami, k quoinbsp;V '/ -Q^jPöbsez-vous done de me lais-['v^fpser ainsi seulc et défavori-' ' f'LÜ sée?... Tout ainsi quel’ombrenbsp;s’auginente au départir du so-^ ’ • leil et met l’effroi aux coeursnbsp;timides et mal assures, sem-blablement, vous absent de manbsp;vue. Ia peur ra’assiége dans lesnbsp;ténèbres oii ie me trouve, et je me crois èi toutenbsp;heure sur celle de ma mort!... Revenez done vite-ment, ó ma douce lumière 1 ó mon seul soleil! revenez done vitement rendre Ia clartó mon esprit,nbsp;otfusijué de images mortels, et la chaleur è monnbsp;coeur obstrué de glacés horribles 1... Revenez vite-menl, ó mon tendre ami 1 si vous ne voulez pas quenbsp;les premières nouvelles qu’on vous donne de votrenbsp;pauvre Onolorie soient celles de sa fln désespé-rcel... Iléiasi mon doux ami, je vous appelle etnbsp;Vous desire, quoique je sois aise de vous savoir loinnbsp;et en liberté, moi qui suis prisoiinière I...

Ainsi se lamentait dans sa tour la princesse Onolorie. Toutefois, la peine qu’elle endurait a cette heure n’était que rosée auprès du déplaisir uti peunbsp;9près, en s’apercevant qu’elle était grosse, pour lanbsp;Seconde fois, des oeuvres de sou cher Lisvart.

Sa douleur fut grande, si grande naême, qu’0-jiolorie se serait défaite si Dieu n’y eüt pourvu en mi envoyaut a temps une fidéle servante, nomméenbsp;Rriza.

Briza regut done la confidence de cette gros-sesse, et, amp; son tour, cllo s’en ouvrit k uu valet qui ' avait la charge de leur porter leurs provisions etnbsp;petites nécessités, k la princesse et è elle.

— Si vous voulez me promettre Ie secret, dit Briza a eet homme, je vous mettrai volontiers unenbsp;mienne affaire entre les mains... D’autant plusnbsp;qu’il y aurait pour vous, en cela, grand profit pournbsp;I’avenir...

Ge valet n’était pas des plus riches; tout au contraire, il était presque nécessiteux. C’est pourquoi, en entendant cette belle promesse, il appela plu-sieurs fois Dieu a témoin de sa discretion, ce quinbsp;engagea Briza k lui confler la fm de son histoire.

— Mon ami, lui dit-elle, j’ai longtemps promis mariage a un chevalier qui, k cette cause, a eu denbsp;moi tout ce que mari peut avoir de femme épou-sée... Tenement, pour en venir au point qui nousnbsp;intéresse k cette heure, tellement que je me sensnbsp;grosse etbien prés du tenue... Par ainsi, mon ami,nbsp;je te prie de chercher et de trouver, dans Ie plusnbsp;bref délai, quedque nourrice é mon enfant a venir,nbsp;et cela avec Ie plus grand mystère, é cause de monnbsp;honneur que je veux sauvegarder...

— Je ferai cela dans des conditions d’autant meilleures, répondit 1’homme, qüe ma femme estnbsp;nourrice, et que son enfant vient de mourir, cenbsp;qui lui permettra d’entretenir sa mamelle, tropnbsp;pleine de lait présentement... Lors done que vousnbsp;serez délivrée, vous me dévalerez daas un paniernbsp;ce que Dieu vous aura envoyé, et je m’eii charge-rai...

Briza remercia de bon coeur eet homme des bonnes dispositions qu’il montrait, et, lui donnantnbsp;quelques écus, elle Ie congédia jusqu’h nouvelnbsp;ordre.

Onolorie en vint aux angoisses que les femmes appelleut travail, et elle accoucha d’une fille mer-veilleusement helle qu’elle embrassa mainte etnbsp;mainte fois avec passion, avec une tendresse quinbsp;s’adressait un peu au père, c’est-é-dire é Lisvart.

Hélas 1 il fallait s’en «éparer l Onolorie pria Briza de l’envelopper bien douillettement de langes etnbsp;de drapelets préparés de longue main et enfermésnbsp;par elle au milieu de ses plus précieux joyaux.

Briza lui obéit, et, dans sa précipitatiou, elleenve-loppa dans Ie mênie paquet, avec I’enfangon,-une de ces pierreries. Puis, mettant Ie tont dans unenbsp;corbeille, elle Ie fit descendre au valet, qui la regutnbsp;fort a propos.


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'i’autorisalion de visiter sa fille, ce qui lui fut refuse net.

CHAPITRE XXI


CHAPITRE XXII

Comment riiomme auquel avait été confiée la fille de la prin-cesse Onolorie s’en alia avec cette enfant et Ie joyau qu’elle avait dans ses langes, et comment Onolorie et Briza furentnbsp;exposées a mourir de faim.

Comment le soudan de Babylone, toujoups deplus en plus épris de la princesse de Trébisonde, complotc son enlevement avec sa soeur, Ja princesse Abra.


alheureusoraent, Ie joyau oublié parnbsp;Briza dans Ie pa-quot, lequelétait unnbsp;collier de pierreriesnbsp;d’une inestimablenbsp;valeur, ce joyau futnbsp;la cause de la pertenbsp;de cette petite fille

d’Onolorie.

Le valet et sa femme, en Ie décou-.jivrant, firent une grande fète, et, comme ils craipnirent qu'on ne s’a-percül de sa dis|'aritiou et qu’on nenbsp;le leur réclamat, ils jugèreut prudentnbsp;de Palier vendre en terre étrangère,nbsp;afin d’en acquérir biens et heritagesnbsp;pour vivre opulemment.

Le projet aussitót arrêté, aussitót execute. Le soir raême de la trouvaille, ils troussèrent bagage et gagnérent le portnbsp;de mer le plus voisin, oü ils s’embarquèrent, fai-sant voile vers Alexandrie.

Aussi, le lendemain, on le cornprend, le pour-voyeur ordinaire des prisonnières ne vint pas ap-porter ses provisions.

Briza conQut quelques craintes, qui se justifiè-rent quand, se rappelant avoir touché aux joyaux d'Onolorie en prenant les langes et les drapelels,nbsp;elle courut s’assurer qu’il ne manquait rien. 11nbsp;manquait le collier de pierreries 1

— Plus de doute 1 dit-elle. Get homme Pa trouvé dans le panier, et il est maintenant absent pournbsp;essayer de s’en débarrasser...

C'était une perte que celle de ce joyau. Cepen-dant, Onolorie et Briza en souffrirent moins au cceur que de la faim qu’elles furent forcées d’en-durer.

Ge jeune douloureux eüt pu se prolonger outre mesure, si, de fortune, la fidéle Briza, mettant lanbsp;tête k la fenêlre de la tour, n’eüt apergu un écuyernbsp;qui passait et qu’elle appela.

~7 Eb! Pami, lui cria-t-elle, faites done entendre ^ Pimpératrice, s’il vous plait, quo madame lanbsp;princesse se trouve mal et qu’il y a tantót troisnbsp;tongs jours que nous n’avons point eu è rnanger...nbsp;nornbsp;nbsp;nbsp;nbsp;porta ce fait k la coiinaissance de Pim-

\et qui, immé-aiatement, solUcita du vieil empereur, son mari.

air, soudan de Babylone, prolon-geait de plus en plus son séjour k Trébisonde, bien qu’il lui fül dé-sormais prouvé qu’il n’avait plusnbsp;rien a y f lire, du moins quant k cenbsp;qui concernait la princesse Onolorie.

Et cependant, plus que jamais, amour le possédait, et, avec Pa-mour, le désir de posséder la bellenbsp;princesse de Trébisonde, dont riennbsp;ne pouvait le dégoüier.

Ah 1 Gupido se vimgeait bien de la préférence que Zaïr avait ac-cordi'e au dieu Marslnbsp;Un jour que le soudan se la-mentait plus que de coutume, ilnbsp;lui vint en Pesprit un projet, k lanbsp;réalisation duqucl il s'attacha, désnbsp;ce moment, avec acharnement.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ahl s écria-t-il, quoi quo je fasse, quoi que jenbsp;dise, quoi que j’imagine, je pense sans cesse k cellenbsp;qui ne veut pas penser k moil... Quoique j’aie biennbsp;résolu de ne plus jamais tenir aucun compte de lanbsp;princesse de Trébisonde, je vois trop qu’elle tientnbsp;dans ma vie une place qui absorbe toutes les au-tres... Ge n’est pas pour rien que j’ai longtempsnbsp;adoré les feuilles de ce bel arbre sur lequel un autre s’est branché! J’oublie Lisvart pour ne sqngernbsp;qu’k Onolorie... Que m’importe qu’un aulre ait bunbsp;aux sources d’amour oii je veux me désaltére.r? Lanbsp;source, un instant tronblée, repre.idra sa sénéritenbsp;et sa pureté... Je peux ospérer encore, je veux es-pérerl... Je veux avoir Onolorie! Je Paurai!---Oui... Mais comment? En la réconciliant avec sonnbsp;père et en Péponsant? L’épouser? Ici...oui... 6t,nbsp;une fois k Babylone, je la répudierais... .

Zaïr en était la de ses réflexions, lorsque survint la princesse Abra, sa sceur.

Abra aimait peut-être un peu moins Lisvart de-puis la dernière aventure qui lui avait démonlre si cruellement qu’il aimait trop la princesse Onolorie;nbsp;mais, en tout cas, elle haissait profondement cettenbsp;dernière, précisémeut a cause de sou amour pournbsp;Lisvart.

— nbsp;nbsp;nbsp;Je ne vous demande pas co que vous avez,nbsp;mon frère, dit-elle en entrant k Zaïr, car je le de-


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BUZANDO-LE-NAIN.

vine ; VOU3 aimez toujours la belle princesse de Trébisonde...

— nbsp;nbsp;nbsp;Hélas I soupira Za'ir.

— nbsp;nbsp;nbsp;Pourquoi soupirez-vous iant et agissez-vousnbsp;si peu?... Quoi 1 Vous etes prince, et puissantnbsp;prince, et vous ne songez pas A vous venger denbsp;i’outrage que vous avez regu ! Et vous ne songeznbsp;pas ii avoir de force la femme que vous ne pouveznbsp;pas avoir de gré I... Ah 1 si j’étais k votre place!...

— nbsp;nbsp;nbsp;Si vous étiez a ma place, ma soeur, que fe-riez-vous ?

— nbsp;nbsp;nbsp;Ce que je feraisl...

— nbsp;nbsp;nbsp;Oui.

— nbsp;nbsp;nbsp;J’enlèverais la princesse de Trébisonde!

— nbsp;nbsp;nbsp;Mais le moyen?...

— nbsp;nbsp;nbsp;II y en a dixl...

— nbsp;nbsp;nbsp;G’est peut-être pour cela que je n’en trouvenbsp;aucun...

— nbsp;nbsp;nbsp;Paree que vous ne cherchez pas bien.

— nbsp;nbsp;nbsp;Je ne fais que cela, au contraire... J’y réflé-chissais au moment même ou vous etes entré...

— nbsp;nbsp;nbsp;Eh bien 1 k quoi vous êtes-vous arrêlé?

— nbsp;nbsp;nbsp;A réconcilier la princesse Onolorie avec I’em-pereur son père...

— nbsp;nbsp;nbsp;Après?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Ensuite, k la demander en mariage...

— nbsp;nbsp;nbsp;Ne vous a-t elle pas déja refusé ?

— nbsp;nbsp;nbsp;C’est vrai...

— nbsp;nbsp;nbsp;Elle vousrefusera une seconde fois... et vousnbsp;en serez pour une humiliation de plus!... Vousnbsp;etes trop amoureux pour être sense, je le voisnbsp;bien, mon cher frère...

— N’êtes-vous pas amoureuse aussi, ma chère soeur?...

— Je ne le suis plus...

— Alors, puisque vous envisagez les choses avec plus de lucidité que moi, couseillez-moi, guidez-moi, je vous en prie...

Vous suivrez I’avis que je vous donnerai ?

¦— Comme j’ai suivi tous ceux que vous m’avez donnés jusqu’ici, je vous le prornets.

— Ell bien I done, il faut enlever la princesse de Trébisonde...

— De force ?...

— Non... par ruse... N'avez-vous pas remarqué que les tentes du roi d’Eg\pte, votre ailié, sontnbsp;placées au pied même de la lour oit est enferméenbsp;la princesse Unolorie?...

— Si vraiment, je I’ai remarqué.

,— Cela nous servira... II sullit de creuser une inine qui mette le dehors en communication aveenbsp;|e dedans, sans que personne s’en apergoive...nbsp;1 our cette entreprise, qui exige autant d'habiliténbsp;que de resolution, j’ai jeté les yeux sur Corumbel,nbsp;prince d’Antioche...

— Corumbel?...

— Oui... N’approuvez-vous pas ce choix?

— Au contraire 1... Le prince d’Aritioche est, en effet, riiomme qui convient le inieux a cette en-teeprise, car il est hardi, cauteleux, et ne reculeranbsp;devant rien... Il faudra seulement savoir s’il consent a s’en charger.

— Je Ten prierai...

— Eaites vite, alors, faites vite, ma soeurl Je tenguis... je dépéris... je sèche d’amour et d’impa-

— nbsp;nbsp;nbsp;Je vais de ce pas trouver Corumbel... Désnbsp;aujourd’hui il se mettra a I’oeuvre...

— nbsp;nbsp;nbsp;Que les dieux vous protégent, ma soeurl...nbsp;Za'ir et Abra se séparèrent lA-dessus.

CHAPITRE XXIII

Comment Corumbel, prince d’Antioebe, entra dans la tour OÜ était la princesse Onolorie, et comment celle-ci, le pre-nant pour le chevalier de la Vraie Croix, le suivit jusqu’inbsp;son navire.

e prince d’Antioche, Corumbel, mis 'U courant de ce qu’il y avait k fairenbsp;,)ar la princesse Abra, n''hésita pas unnbsp;teul instant A s’en occuper, et il le fitnbsp;incontinent; si bien, qu’au bout denbsp;quclques semaines, la communicationnbsp;souterraine exislait entre Tune desnbsp;twites du roi d’Egypte et la prison ounbsp;était la pauvre Onolorie.

Corumbel, son oeuvre terminée, eii prévint la princesse Abra, qui alianbsp;sur-le-champ trouver son fiére.

— Mon clier’frcre, lui dit-elle, vous touchez aunbsp;')ut de VOS désirs... Lanbsp;mine est faite, la communication existe entre lenbsp;dehors et l’intérirur de la tour oü estnbsp;renfermée votre maitresse...

— Ahl je vous remercie pour cette bonne nouvelle, ma bien chère soeur!nbsp;s’écria le soudan, joyeux.

— nbsp;nbsp;nbsp;Tout n’est pas dit encore, reprit Abra. Onnbsp;n’enlève pas amsi une princesse sans que quelqu’uunbsp;s’y oppose... Pour plus de süreté done, vous alleznbsp;aller trouver le viei! empereur de Trébisonde et luinbsp;proposer, pour le dislraire, de courre le cerf de-main avec vous... Vous insisterez pour que l’impé-ratrice et les dames les plus importantes de sanbsp;compagnie fassent partie de cette chasse... Maisnbsp;auparavant, c’est-k-dire cette nuit même, vous fe-rez embusqiier trois mille de vos gens dans la forêtnbsp;oil vous cliasseroz deinain... De cette fagon, pendant que le prince d’Antioche enlèvera, lui toutnbsp;sen!, la princesse Onolorie, vous enleverez, vous,nbsp;1’erapereur son père, 1’impératrice sa mére, la princesse Gricilerie sa soeur, et les autres dames et demoiselles de la cour...

— nbsp;nbsp;nbsp;Ah! ma soeur, s’écria Za'ir, émerveillé devantnbsp;dc si savantes combinaisons, quel beau coup de li-let! Et comine vous raériteriez bien de régner anbsp;ma place!...

— nbsp;nbsp;nbsp;Votre enthousiasme me récompenso de lanbsp;peine que j’ai prise pour amener I’affaire en Tétatnbsp;oü elle est... Le reste vous regarde, maintenarit...nbsp;Je n’ai plus qu’k altendre les événements...


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BIBLIOTHEQUE BLEUE.

Abra prit congé de sou frère, en lui donnant rendez-vous pour Ie lendemain,

Le lendemain, vers Ie milieu de Ia journée, Go-rumbel, armé de toutes pièces., la visière levée, pour mieux céler sou visage, s’engagea dans l’é-troit passage creusé avec tant de precautions aunbsp;pied de la tour oü était retenue prisonnière la prin-cesse de Trébisonde.

11 ne rencontra aucun obstacle sur son chemin et parviiit ainsi saus encombre jusqu’é l’étage oünbsp;était Onolorie.

Elle était précisément seule en ce moinent-la.

Le prince d’Antioche s’avanpa vers elle le plus courtoiseraent du monde, mais sans lui parler, denbsp;peur de se trahir par sa voix,

— nbsp;nbsp;nbsp;Lisvartl s’écria Onolorie joyeuse, en se precipitant dans les bras de Gorumbel, qu’clle croyaitnbsp;être Ie chevalier de Ia Vraie Groix.

Quel autre que Lisvart, en effet, pouvait lui ap-paraitre en sa prison?

Leprince d’Antioche vit bien Terreur oü elle était, etil résolut de Ty laisser. Tors, il la retint frémis-sante d’amour sur sa poitrine, et Temporta ainsi,nbsp;toujours sans sonner mot, ü travers le passagenbsp;creusé sous les murs de la tour.

— nbsp;nbsp;nbsp;O mon Lisvartl murmura-t-elle, pémée d’amour et de joie. O mon Lisvart! je savais bien quenbsp;tu vjendrais a mon secours! Je savais bien que lunbsp;me délivreraisl... J’ai bien souffert dans cette vi-laine prison... J’ai failli raême y mourir de fairnnbsp;avec la pauvre Briza... J’y serais morte de déses-poir, si je n’avais pas été soutenue par toq souvenir... O mon Lisvart, comrap je t’aime!

IIs étaient arrivés ü Texlrémité du passage souterrain, h Tendroit oü il aboutissait au dehors, dans Tune des tentes du roi d’Egypte.

—Lisvart, murmura Onolorie étonnée du silence de son sauveur, pourquoinemeparlez-vous pas?...nbsp;II y a un si long temps que je n^ai entendu les sonsnbsp;de votre chère voix, ó mon doux amü...

Gorumbel continua ü garder le silence le plus absolu, et se contenta, pour toute réponse, de pré-cipiter sa marche...

Onolorie devint inquiète.

— nbsp;nbsp;nbsp;Lisvart, au nom du ciel, parlez-moi! s’écria-t-elle.

Le prince d’Antioche marchait toujours avec son précieux fardeau.

C’est ainsi qu’il parvint^usqu’au rivage.

Lü, Onolorie coraprit qu elle s’était crüellement abusée et que son sauveur n’étail pas Lisvart.

Une barque était lü, montée par des geus qui portaient le costume et les armes du soudan denbsp;Babylone. Gorumbel entra dans cette barque, avecnbsp;Onolorie, qui, comprenant alors dans quel piégcnbsp;elle était tombée, voulut se débattre et appeler aunbsp;secours.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ne criez pas, madame, lui dit tranquillement

le prince d’Antioche, vos cris ne seraient pas entendus... Le meillcur pour vous est de vous rési-gner... d’autant plus que le sort qui vous est réservé est Ie plus brillant qu’une femme puisse rêver...nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;.

La barque s’éloigna du rivage ü force de rames. dans^une autr^e^'^ quitté une prison pour eqtrer

— Lisvartl Lisvartl murmura-t-elle en plcurant, oü êtes-vous done ü cette heure?...

CHAPITRE XXIV

Copnment Ia princesse Onolorie fut emmenéo par le soudan de Babylone, ainsi que l’empereurnbsp;de Trébisonde et une parlie de sa cour, etnbsp;comment, au moment oü Zaïr tenait amoureu-sement dans ses bras la belle princesse captive, la flotte d’Amadis de Gaulefut tout-è-coupnbsp;signalée.

e même que Tenièvemcnt d’Onolorie par le princenbsp;d’Antioche avait réussi anbsp;souhait, de même aussi avaitnbsp;réussi celui de Tempereur denbsp;Trébisonde et de sa compagnie par los trois mille hommes embusqués parnbsp;órdre de Zaïr dans Ia forêt voisine de la cité.

Le vieii empereur avait accepté sans defiance cette partiede chasse qu’était venu lui proposer lenbsp;soudan. 11 avait fait plus : il avait voulu que Tim-pératrjee su femme, que la princesse Gricilerie sanbsp;fille, que quelques autres princesses de leur suite,nbsp;Taccompagnassent dans cette chasse, pour mieuxnbsp;honorer leur héte et sa soeur Abra.

On était parti, on avait quitté la cité de Trébisonde, on avait atteint Ia forêt. Mais, au bout de quelques instants, la troupe impériale avait éténbsp;cernée par les gens du soudan de Babylone, et lenbsp;vieii empereur s’était apergu, un peu tard, qu’ilnbsp;avait été joué indignement et déloyaleraent parnbsp;Zaïr.

Se défendre? II y avait d’abord songé; mais il eüt infailliblement succombé sous le nombre, sansnbsp;profit pour personne des siens. II s’était done ré-signé ü ronger son frein, mais non sans colère.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ah! paillardl s’était-il écrié en s’adressantnbsp;au soudan, voilé done la récotmense de Thospi-talité que je t’ai accorded... Tu es un traitre etnbsp;un félon... mais le Dieu dont tu as si hypocrite-ment 'embrassé la foi te punira de cette félonie, quinbsp;est un sacrilege!...

— nbsp;nbsp;nbsp;Votre Dieu n’est pas le mien, avait répondunbsp;Zaïr en ricanant.

Et il avait donné Tordre qu’on embarquat Tempereur et sa suite sur les barques préparées a eet effet; ce qui avait eu lieu immédiatoment.

Les barques pleines, on avait regagné la Lü, Zaïr avait distribué ses prisonniers sur dine-rents navires et s’était empressé, quant ü lui, denbsp;monter sur celui oü le prince d’Antioche avait

transporté Onolorie. nbsp;nbsp;nbsp;„nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;^nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;^

— nbsp;nbsp;nbsp;Oh! madame, lui dit-il en allant vers elle etnbsp;en la pressant sur son coeur, vous êtes reine icLnbsp;puisque j’y comroande et que vous commandez a


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BUZANDO-LE-NAIN.

mon coeur... N’ayez done mille crainte, et mon-trez-moi Ie visage d’uiie femme heureuse...

Et, (out en disant cela, Zaïr, brülé d’amour, ccu-vrit de caresses passionuées Ia belle princesse qu’il retenait entre ses bras, et qui ne savait, k direnbsp;vrai, quelle contenance avoir et quelle resolutionnbsp;prendre.

Zaïr tremblait, mais de bonheur. Le moment qu’il avait tant appelé était enfin arrivé, la maitresse qu’il avait tant désirée était dans ses bras.

— Abl je touche enfin mon rêve! murmura-t-il en dérobant a Onolorie un baiser plus ardent encore que les precedents. Vous m’appartenez, princesse de Trébisonde 1 Je vous ai!...

Onolorie vitd’un coupd’ceil le péril desa situation. Elle songea h Lisvart et se sentit forte.

— Seigneur, répondit-clle en repoussant douce-ment le soudan enflambó d’amonr, ayez pilié de ma faiblesse... Je sorsd’une emotion pour toinbernbsp;dans uno autre; laissez-moi lo temps do m’y recon-naitre... Je ne vous repousse qu’aujourd’hui... De-main, j’aurai pour vous les égards et l’obéissancenbsp;quejedois avoir... Aimez-vous done mieuxmonbsp;devoir a la violence qu’a ma libre volonté?...

Le soudan la contemplait avec ivresse; mais, bieii qc’il put cueillir le fruit qu’il avait lo plus désiré,nbsp;il ne voulut pas cependant s’oublier jusque-la denbsp;toucher seulement k l’écorco do 1’arbre plus qii’jlnbsp;nedevait, faisant état en soi-mêrne d’acquérir avecnbsp;le temps et la courtoisie ce qui lui était refusé. Cenbsp;qui ne Tempêchait pas d’user envers Onolorie denbsp;gracieuses caresses et de mignardises fort savou-reuses, lui jurant et affirmant qu’il lui ferait tellenbsp;et si honnête compagnie, que, le rccevant pournbsp;mari, elle lui pourraitcomrnandercommefi un ami.

Zaïr en é_taitlamp;, lorsque survint Abra, qui lui dit:

. — Seigneur, los gens des hunes viennent de signaler une grosse Hotte de vaisseaux. Songez iinbsp;vos affaires d’abord, pour pouvoir songer a vosnbsp;amours ensuite...

Onolorie refpira.

GITAPITRE XXIIl

Comment Ia flolte cl’Amadis de Gaule ddfit 1’armde du soudan de Babylone, et comment ce dernier eut la tête tran-chée dans la basarre.

ous avons laissé le roi Ama-dis de Gaule et les autres princes chrétions embarquésnbsp;pour courir sus a l’empereurnbsp;de Trébisonde, et le chatiernbsp;de 1’outrage qu’il avait faitnbsp;subir é Périon et ïi Lisvart.nbsp;Vous allez voir comment lanbsp;chance tourna é son profit, etnbsp;comment, au lieu d'etre attaqué, il futnbsp;secouru.

Amadis et sa compagnie navigüaient done dans la mer de Pont, lorsqu’ils dé-couvrirent d’assez loin la flotle du soudannbsp;Zaïr. Lors, ils se dirigèrent incontinentnbsp;vers elle, h force de vént et d’avirons.

Les préparatifs du combat avaient été ordonnés par Zaïr, au moment oü sanbsp;soeur était venue le troubler dans sanbsp;contemplation amoureuse et l’arracher inbsp;son agréable extase, fort heureusementnbsp;pour Onolorie.

Mais, malgré la promptitude avec laquelle on lui avait obéi, irn’avait pu óviter l’abordage.

Le combat était devenu, de prime abord, apre et sanglant. Amadis de Gaule ne se doutait pas, ninbsp;Lisvart non plus, des trésors que contenaient cesnbsp;naviresdu soudan de Babylone. Pour eux, c’étaientnbsp;des navires palens, et cela leur suffisait pour leurnbsp;courir sus.

Bientót, cependant, Lisvart reconnut les navires de Zaïr, et sa fureur, alors, ne connut plus denbsp;hornes. 11 fit des prodiges de vaillance, a étonnernbsp;ses compagnons, qui pourtant étaient habitués énbsp;sou courage.

Pendant qu’Amadis de Gaule dirigeait une partie de sa flotte sur l’un des flancs de la flotte ennemie,nbsp;Lisvart de Grèce conduisait l’autro partie sur lenbsp;point opposé, de faqon i ce que leurs ennemis nenbsp;pussent leur échapper.

Ainsi, pendant quo le roi de la Grande-Bretagne abordait le navire principal oü étaient prisonniersnbsp;l’empereur de Trébisonde et les autres seigneursnbsp;de sa suite, le chevalier do la Vraie Groix abordaitnbsp;le navire oü se trouvaient, sans qu il s’en doutat,nbsp;la piincesse Onolorie et les autres dames faitesnbsp;prisonnières par Zaïr.

La première personne en face de laquelle Lisvart se rencontra fut le soudan de Babylone lui-mêrae.


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BIBLIOTHEQUE BLEUE.

iorle^,quot;lurdit^’ nbsp;nbsp;nbsp;s’adressant au père d’Ono

— Ah! paillard! lui cria-t-il. Tu vas payer pour les au tres!

Zaïr, qui ne s’était point attendu a cette reU' coiitre, et qui voguait tranquilleraent vers Baby-lone au moment oü sa flotle avait été aperg.ue parnbsp;celle d’Amadis de Gaule, Zaïr n’était point armé.nbsp;D’un coup de sa vaillante épée, Lisvart lui décollanbsp;Ie chef, qui s’en alia rouler amp; quelques pas de 1amp;,nbsp;sur Ie pont du navire, aux pieds mêmes delapriu-cesse Abra, accourue è Ia voix de Lisvart.

— Mon pauvre frère! murmura-t-elle avec dou-leur.

Puis, ramassant cette tête sanglante et la pressant centre sa poitrine, elle s’enfuit sur l’arrière du navire, oü elle avisa Macartes, l’un des frères dunbsp;roi d’Egypte.

— Macartes, lui cria-t-elle, nous sommes per-dus! Sauvez-moil...

Macartes la prit dans ses bras robustes et la transporta, comme il eüt fait d’un enfant, dansnbsp;une carrique araarrée au navire.

LS, Abra était désormais en süreté, car Ie plus fort de Ja bataille était ailleurs. Elle descendit dansnbsp;Tune des chambres de ce petit navire, tenant tou-jours entre ses bras Ja tête de son frère, et se jetanbsp;k genqux en couvrant de larmes et de caresses cettenbsp;tête si chère, pale et sanglante, et qui, cependant,nbsp;au delk de la mort, semblait sourire k quelque vision divine. Le malheureux Zaïr sonsieait peut-étrenbsp;encore a la belle princesse de Trébisonde, causenbsp;involontaire de sa perie!

La mort du squdan décida de la défaite des païens et de la victoire des chrétiens. Ceux desnbsp;gens de Zaïr qui ne furent pas tués se soumirent,nbsp;et trés peu purent s’échapper avec la princessenbsp;Abra.

GHAPITRE XXIV

Comment, après la victoire, Amadis délivra Ie vieil empe-reur, et de la réconciliation qui s’ensuivit, ainsi que les fian^ailles de Lisvart et d’Onolorie.

ne fois la victoire compléte, le roi Amadis descendit en la cadène, et Ik, parmi les forpats, ilnbsp;trouva le vieil empereurnbsp;de Trébisonde, le roi denbsp;la Breigne, le due d’Ala-fonte et plusieurs princes et chevaliers, aux-quels, tout d’abord, ilnbsp;ne raontra pas, ni sesnbsp;amis non plus, bon visage.

— ParDieul seigneur, ce n’est pas saus raison que vous vous trouvez céans, ayant fait subir knbsp;mes deux neveux le Iraitement que vous savoznbsp;bien I... Aussi, si l’on ra’en croit, vous ne partireznbsp;pas aisément de ce licu...

Cette parole fut dure k digérer pour ie vieillard désolé, qui, de grand empereur, était en un instantnbsp;devenu esclave vill II ne répondit rien k Galaor,nbsp;mais de grosses larmes lui tombèrent des yeux etnbsp;coulèrent le long de sa barbe blanche.

Galaor et les autres furent désarmés par cette douleur, et la pitié prit dans leur cceur la place denbsp;la cülère.

Au même instant, vint un gentilhomrae annon-cer au roi Amadis que Lisvart avait conquis le bu-tin de Zaïr mort, et lui avait enlevé surtout ce qu’il avait de plus précieux, k savoir la princessenbsp;Onolorie et les autres dames.

Amadis, remerciant grandement Notre-Seigneur Jésus-Ghrist, ordonna qu’on joignit les vaisseauxnbsp;ensemble. Et, quelque peu après, ils étaient tousnbsp;en presence de l’impératrice, des princesses Onolorie, Gricilerie et de toute la belle troupe qui lesnbsp;accompagnait.

Quand Lisvart, qui escorfait les dames sauvées par lui, aperput 1’empereur de Trébisonde, lenbsp;coeur lui frémit, et, quasi-tremblant de fureur, ilnbsp;ne put se tenir de lui dire :

— Ah 1 Sire, Dieu juste vous a fait sentir le tort dont vous vous êtes rendu coupable, en me con-damnant, moi qui n’avais nulie offense a me rc-procher envers vous, et en me préférant un chiennbsp;d’intidèle qui vient de recevoir du reste le légitimenbsp;loyer de son audacel...

— nbsp;nbsp;nbsp;Je vous prie d’oublier cola et de me pardon-ner, répondit le vieil empereur avec une humiliténbsp;qui toucha Lisvart.

L’empereur avait ignoré jusque-lk qu’Onolorie fut au pouvoir du soudan, et il Ja croyait toujoursnbsp;en Trébisonde. En la voyant Ik, il fut remué dansnbsp;ses entrailles de père. et il jugea l’occasion bonnenbsp;pour une reconciliation.

— nbsp;nbsp;nbsp;Mon hls, dil-il k Lisvart, je confesse que j’ainbsp;été trés mal avisé k votre endroit... Mon fils jenbsp;vous nomme, paree que dés maiutenant je vousnbsp;donne ma fille, s’il vous plait de me faire, ainsi qu’knbsp;elle, l’honneurdela recevoir pour votre femme etnbsp;épouse, k la condition que, dorénavant, votre justenbsp;inirnitié sera amortie et que je demeurerai votrenbsp;père et ami, et vous mon gendre et seul hëritier.

Lisvart consentit volontiers k tout cela, remet-tant la consommation du surplus a leur arrivée en Trébisonde.

Pour le quart d'heure, Lisvart et Onolorie furent fiances par main de prêlre. Puis, fut mis en avantnbsp;le mariage de Périon avec Gricilerie, lequel futnbsp;semblablement accordé.

Gela fait, les navires tirèrent droit en Trébisonde, oü ils prirent terre, et assez prés de la ville.

Ge qu’ayant su le peuple, il courut au devant des princes arrivanls en si grande foule, qu il nenbsp;resta en la ville ni homme, ni femme, ni enfant ennbsp;état de se monvoir. Le vieil empereur de Trébisonde fut acclamé, ainsi que sa compagnie, avecnbsp;force demonstrations de joie, et reconduit ennbsp;triomphe k son palais.


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BUZANDO-LE-NAIN. 25

BUZANDO-LE-NAIN. 25

Les noces de Lisvartet d’OnoIor'e, de Périon et de Gricilerie, furent proclamées la semaine sui-vante dans tout l’empire, et fixées au vinglièrnenbsp;jour du mois prochain. L’empereur, pour honorernbsp;ces noces, annoncait qu'il liendrait cour plénière,nbsp;et userait de sa libéralité et magnificence a l’égardnbsp;de ceux qui vaincraient dans les tournois et autresnbsp;combats de plaisir qui y seraient dressés.

GHAPITRE XXV

Comment Ie fils d’Onolorie, poursuivant son entreprise, rencontra un nain qu’il crut 6tre Buzando, et qui lui indiqua une princesse a secourir.

r, pendant que les princes et )les princesses se réjouissentnbsp;^de leur reunion en la noblenbsp;cité de Trébisonde, revenonsnbsp;au pauvre naiii Buzando, lou-jours prisonnier, et è Amadisnbsp;de Grèce, toujours 5 sa quête.

Le chevalier de l’Ardente Epée, toujours conduit par lanbsp;demoiselle qui l’avait arrèténbsp;au moment oü il allait s’em-^barqucr avec le roi de Gaule,nbsp;n’avait pas rencontré Buzandonbsp;a l'endroit oü il devait le ren-contrer.

Le chevalier géant qui avait le premier si maltraité le pauvre nain, ayant apergu entrenbsp;les mains de ce dernier lestroisnbsp;portraits de Lucelle, d’Onolorie et de Niquée, etnbsp;étantdevenu subitement amoureuxde la princessenbsp;de Thèbes, s’était mis en marche, conduit par Buzando, pour aller se déclarer ü cette belle princesse.

Voilü pourquoi le chevalier de l’Ardente Epée n’avait Irouvé personne é l’endroit oü la demoisellenbsp;l’avait amené.

Lors, il avait pris congé d’elle et s’était mis en quête de Buzando, croyant toujours être sur sanbsp;trace, et le manquant toujours d’une journée.

C’est ainsi qu’il avait chevauché a travers monts et forêts, franchi des mers, traversé des rivières,nbsp;allant du seplentrion au midi, et de l’est ü 1’ouest!

G’est ainsi qu’un beau matin, il se trouva aux environs d’AlI'arin, devant une foritaine auprés denbsp;laquelle était accroupi un nain.

Au premier abord, le prenant pour celui qu’d cherchait si vainement depuisunsi long temps, ilnbsp;s avanQa viiemcnt vers lui, en criant :

— Eh ! mon ami Buzando 1...

Le nain ne bougea pas.

Ne m’entends-tu pas, l’ami? dit le chevalier

en descendant de cheval et en venant lui meltre la main sur l’épaule.

Le nain, alors, se retourna, et le fils d’Onolorie put voir qu'il s’était trompé, et que ce n’élail pasnbsp;le pauvre Buzando.

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire chevalier, soyez le bienvenu! dit le nainnbsp;inconnud’unair mélancolique. Oü allez-vous donenbsp;ainsi par la chaleur?

— nbsp;nbsp;nbsp;A la ville voisine, répondit Amadis.

— nbsp;nbsp;nbsp;Dieu vous garde d’y aller, sire chevalier, ünbsp;moins que vous ne vouliez secourir la plus désoléenbsp;princesse qui jamais portat couronne, centre lenbsp;plus fraitre et déloyal chevalier de la terre, qui lanbsp;tient assiégé'e sans cause ni raison.

— De qui s’agit-il done ? demanda le fils d’Onolorie.

— Si vous êtes consentant ü lui porter ce se-cours, continua le nain, c’est pour vous la plus honnête occasion pour éprouver votre vaillance etnbsp;ramasser gloire et profit... Car cette aventure nenbsp;restera pas ensevelie dans les forêts, oü les chevaliers erranis comme vous tiennent communé-ment leurs hauls fails obscurcis ; elle vous illus-trera, au contraire, plus qu’aucune autre n’anbsp;jamais illustréde chevaliers...

— De qui s’agit-il, encore une fois? Dites-le moi, répondit Amadis de Grace.

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire chevalier, il s’agit de la reine Liberna,nbsp;héritière de ces pays par la mort du roi, son pére.nbsp;Abernis, le traitre chevalier dont je vous parlaisnbsp;toutè l’heure, a fait de grandes poursudes pournbsp;l’épouser. Mais cette aimable princesse, leconnais-sant vicieux comme il est, l’a si bien refusé, que,nbsp;de dépit, il a résolu de se venger, et que, présen-teraeut, il la tient assiégée dans le chateau d’Al-farin...

— nbsp;nbsp;nbsp;Dans le chateau d’Alfarin ?•..

~ Oui, sire chevalier... Et e!le y est si pressée de vivres et de continuels assauts, que la pauvrenbsp;dame n’attend plus d’autre secours que du ciel ounbsp;de la mort... Car elle préférerait cent fois la mortnbsp;ü tombiT entre les mains d’un homme si méchant,nbsp;si ennerai de la vertu, que rien ne lui semble bonnbsp;et beau, rien, horrais ce qui est laid, sale et vicieux...

— nbsp;nbsp;nbsp;Vraiment 1 s’écria le chevalier de l’Ardentenbsp;Epée, tu viens dem'en raconter tant, que je prendsnbsp;incontinent la résolution de lui venir en aide centre ses ennemis, quels qu’ils soient, si tu veux menbsp;conduire et me doener moyen d’entrer en la place.

— Volonliers, répondit le nain tout joyeux.


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BIBLIOTHEQUE BLEUE.

GHAPITRE XXVI

Comment Amadis de Grèce, dit Ie chevalier Sans-Repos, ayant écoutd Ie nain, alia au chateau d’Alfarin.oü la reinenbsp;Liberna était assiégée par Abernis.

6 nain, Amadis de Grèce et son écuyer attendirent la nuit, par prudence, etnbsp;lorsqu’elle fut jugée suffisamtnenlnbsp;obscure, iis s’engagèrent par unenbsp;sente étroite et peu i'réquentée, quinbsp;aboutissait au pied de la muraille.

— Ami,;^dit Ie nain a la sentinelle, va vers ma dame, et dis-lui que jenbsp;lui amène un chevalier qui a bonnenbsp;envie de lui faire service durant sesnbsp;affaires.

La senlinelle rapporta cette parole S sou chef d’cscouade, quinbsp;la porta lui-inême incon-jtinent è la reine Liberna.

Celle-ci hésita et doubt un moment, croyant è unnbsp;piége de^son ennemi Abernis, car sesnbsp;espions lui avaient rapporté que cenbsp;dernier voulait, k l’aube du jour,nbsp;hasarder tous ses pens ou emporter lanbsp;place et forcer tous les gens de Liberna.

Cependant, comme il s’agissait pour elle d’être secourue, bien que ce chevalier inconnu so pré-sentat seul, elle reprit coeur et coramanda qu’on Ienbsp;fit entrer auprès d’elle, estimant que ce ne pou-vait être qu’un vaillant et gentil personnage, pournbsp;venir ainsi de soi-même s’aventurer et otFrir ennbsp;aide.

Lors, s’en retourna Ie chef d’escouade, et, ac-compagné du corps de garde, ils abaissèrenl la plan-che du poultis.

Le chevalier de l’Ardente Epée entra aussitót, suivi du nain et de son écuyer, el fut pi éscnté k lanbsp;reine, qui le retjut fort gracieusement et lui de-manda comment il so nommait.

— Madame, répondit le fds d’Onolorie, ceux qui me connaissent m’appellent le chevalier Sans-Repos.

Liberna compritbien, k celte parole, qu’il voulait se céler. Mais il lui parut si beau, si bien fait, si plaisant de visage et de corps, que, subitement,nbsp;malgré le raidissement de sa volonté, l’amour luinbsp;troubla la plus saine partie de son entendemcnl,nbsp;et que, mise hors d’elle-même, Iroublée, affolée,nbsp;elle ne trouva pas ce soir-la de longs propos a luinbsp;dire. Après un court et gracieux entretien, elle luinbsp;donna le bonsoir et commanda qu’on le menat ennbsp;1 une des meilleures chambres de céans.

— nbsp;nbsp;nbsp;Car,dit~elle au chevalier,vous raesemblez unnbsp;peu las et travaillé, etnotre ennemi nous apprêteranbsp;de la besogne pour demain... II est done bon quenbsp;vous preniez repos pour prendre forces... J’ai con-fiance en vous, chevalier; je crois que vous mène-rez cette affaire k bout,., Dans ce cas, comme jenbsp;serai votre obligée, vous aurez part, tant que Je vi-vrai, aux biens et aux honneurs que Dien et Fortune me prêteront pour le reste de ma vie...

— nbsp;nbsp;nbsp;Madame, répondit Amadis de Grèce, votrenbsp;ennemi feralepis qu’il pourra. Toutefois, s’il vousnbsp;plait d’user de mon couseil et faire obéir vos sol-dats k ce que je leur commanderai, je puis vousnbsp;assurer qu’avant que je ne dorme, Abernis auranbsp;requ la plus apre déconfiture qui soit possible,nbsp;tout conquérant qu’il est...

— Comment vous y prendrez-vous, sire chevalier?...

— Il est indubitable que votre ennemi, so tenant pour quasi sur de vous avoir, et connaissant le peu de forces et de moyens dont vous disposez,nbsp;n’a pas pris pour lui, pour se garder, les precautions que la prudence lui coramanderait pouriaiitnbsp;de prendre. Par ainsi, il doit ètre aisé k surprendrenbsp;et k tailler en pièces... Nous sorlirons done secrè-tement et donnerons a travers, et, avant que l’a-larme ne vienne aux lentes d’Abernis, nous auronsnbsp;fait un tel échec k son avant-garde, que la bataillenbsp;sera aux trois quarts gagnée par nous.

La reine approuva ce plan, d’abord paree qu’il lui semblait bon, ensuite paree qu’il lui venaitd’unnbsp;chevalier si jeune et si bi'au k qui il lui semblaitnbsp;impossible qiie rienrésistat au monde.

GHAPITRI'i XXVII

Comment le chevalier Sans-Repos exécula iopl.nn qu’il avait formé, et comment, cc plan ayant i mervcillc réussi, lanbsp;reine Liberna voulut en récompenser l’auteur.

ne heure avant le jour, le chevalier Sans-Reposnbsp;se leva, s’arma de toulesnbsp;pièces et s’en vint trou-ver la. reine, qui s'étaitnbsp;levéeaussi.

— Madame, lui dit-il courtoisernent en s’agc-nouillant devant lui, je

voussuppliohurablement

de vous placer en tel lien que vous puissiez jugcrnbsp;des coups qui vont senbsp;donner, car votre presence seule me donnera lanbsp;puissance de vous venger de tous vos eiinemis...

— llélas 1 répondit Liberna, je prie Dieu, gentil chevalier, qu’il vous fasso vainqueur et qu’il me


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BUZANDO-LE-NAIN. 27

gloire, sans nulle autorité ou renomraée tefois, pour vous remercier des bonnes graces dontnbsp;vous voulez bien m’accabler, je continuerai, ma

permette de vous retenir bientót céans en aussi bonne santé que vous en sortezl...

Et, Ie baisant tendrement, la larme amp; 1’ceil, elle Ie laissa partir.

Le jeune chevalier sortit de la place, suivi du plus de gens qu’il en avait pu rassembler, et ilnbsp;s’avanQa dans la direction des avant-postes enne-mis. La première sentinelle qu’ils rencontrèrentnbsp;dormait d’un si profond somme, qn’elle étaitmortenbsp;une heure avant de s’être réveillée. Les autresnbsp;eurent le même sort, avec le même succès, c’est-k'dire sans que l’alarme eüt été donnée au restenbsp;du camp.

Araadis et ses liommes, se coulant par les che-mins les plus couverts et les plus secrets, appro-chèrent ainsi du guel, qui dormait aussi. Tous les soldats qui étaient Ik furent passés au fil denbsp;l’épée, sans bruit ni rumeur. Amadis et ses gensnbsp;continuèrentbravementleur route, è travers tentesnbsp;et cordages, tuant et massacrant tout, sans pitiénbsp;aucune, hommes et chevaux, bêtes et gens; tenement, qu’Abernis, sortant en sursaut de son lit,nbsp;prit hétivement ses armes, quoi(iuo ce fut encorenbsp;trop tard.

Amadis el lui se trouvèrent face a face, au grand jour, en presence de tous.

Abernis était homme fort adroit aux armes, et dt grand courage, malgré sa méchanceté. Mais ilnbsp;avait a faire k un plus rude compagnon que lui,nbsp;comme il le connut par expérience personnelle etnbsp;douloureuse. Le chevalier de 1’Ardente Epée frappanbsp;et refrappa ; puis, redoublant encore sa charge, ilnbsp;1’atteignit au plus haut de 1’armet, et avec une tellenbsp;violence, que targe ni écu ne le purent garantie,nbsp;et que, faussant lout ce qu’il rencontra, lui fenditnbsp;la tête en deux.

Abernis tomba, pour ne plus jamais se relever.

Ge que voyant un écuyer, qui était k la reine, courut incontinent vers elle et lui dit:

— Parma foi 1 ma dame, vous vous pouvez tenir assurée que jamais Abernis ne vous sera plus cenbsp;qu’il vous a été...

— nbsp;nbsp;nbsp;Comment cela?... deraanda Liberna.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ma dame, je lui ai vu prendre le saut et ren-dre l’ame.

— nbsp;nbsp;nbsp;Abernis est mort?

— nbsp;nbsp;nbsp;Oui, certes, ma dame, et plus de cinq centsnbsp;avec lui, grèce au vaillant chevalier Sans-Repos.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ahl Dieu soit louél s’écria la reine.

Les gens d’Abernis, voyant leur chef en eet état, saignèrent du nez et se retirèrent précipitamment,nbsp;la queue entre les jambes.

Le fils d’Onolorie et sa troupe les poursuivirent l’épée dans les reins, et augmentèrent leur peur knbsp;un tel point, que, tombés ét culbutés les uns surnbsp;les autres, il en fut fait un effroyable carnage.

Ceux qui ne furent pas tués se soumirent. Li-herna redevint, par cette victoire, maitresse de ses pays.

Aussi, le jour même, sortant du chateau ou elle avait été assiégée, elle alia au logis d’Abernis, oiinbsp;elle tint cour pléuière pendant quinze jours.

Pendant ces quinze jours, qu’elle passa naturel-lement dans la compagnie du chevalier Sans-Repos, elle ne 1’éloigna pas plus de sa pensée que le sang de son coeur. Si bien même, qu’une fois.

se trouvant seule avec lui et forcée d’amour, elle ne put se garder de lui dire :

— Chevalier Sans-Repos, j’ai résolu, pour vous récompenser de la grande prouesse que vous aveznbsp;montrée et du service que vous m’avez rendu ennbsp;rne débarrassant de mes ennemis, j’ai résolu denbsp;vous faire perdre votre nom en vous donnant surnbsp;moi toute 1’autorité, toute la puissance que peutnbsp;prendre un seigneur sur sa femme... Car, je lenbsp;confesse, jamais princesse ni autre ne fut aussinbsp;éprise d’amour comme je le suis k votre endroit,nbsp;bien que vous me soyez quasi ineonnu. Mais celanbsp;ne m’inquiète pas, car je crois impossible qu’onnbsp;ne soit pas d’un illustre lignage quand on montrenbsp;la vaillance que vous avez montrée.

Tout ainsi que le feu consume et brüle la chose qui lui est plus prochaine, ainsi cette belle reinenbsp;attisait peu k peu le brasier qui lui brülait le corps,nbsp;le coeur, l’ame et 1’esprit. Elle ne pouvait se lasser de manger des yeux celui qui lui causait un sinbsp;doux martyre; k ce point que, si la honte ne 1’eütnbsp;pas mieux gardée que sa propre volonté, elle ennbsp;fut arrivée k faire ce que font, non pas les femmesnbsp;impudiques, mais les hommes, c’est-a-dire k lanbsp;violence, et elle eüt contraint le jeune Amadis denbsp;Grèce, secouant ainsi l’arbre pour avoir le fruit au-quel elle n’avait pas encore goüté depuis qu’ellenbsp;était au monde.

CHAPITRE XXVIII

Comment le chevalier Sans-Repos, en face de la folie amou-reuse de la reine Liberna, se trouva fort embarrassé, et comment il sortit de ce pas difficile,

moment?,.. Un tel bon-heur est dispropor-tionné avec mon faible mérite, et jenbsp;me tiens pour in-digned’y aspirer...nbsp;Songez done, ma

darao,quejenesuis qu’un pauvre chevalier sans nom,nbsp;sans armes, sansnbsp;Tou-


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dame, k me raettre è votre disposition pour tous les offices possibles...

La reine était en grande perplexité. Elle ne sa-vait ^ quoi attribuer la resistance du chevalier Sans-Repos.

— Mon vrai seigneur etami, lui répliqua-t-elle, j’ai crainte que vous ne vous mépreniez sur la signification de mes paroles, et que vous ne consi-dériez comme feinte une affection aussi réelle quenbsp;celle que je mets è votre service... Par ainsi, pournbsp;vous prouver mieux mon amitié, et, en mêraenbsp;temps, pour vous forcer ci me prouver la votre, jenbsp;vous prierai de m’oclroyer présentement un donnbsp;tel que je vous Ie demanderai...

— Je vous l’accorde volontiers, ma dame, ré-pondit Ie chevalier.

— Savez-vous a quoi vous vous obligez, mon ami?...

— Difes-le-moi, ma dame, et, quoi que ce soit, vous me trouverez pret è vous obéir.

— Avant que d’enlrcprendre un autre voyage, vous me conduirez, s’il vous plait, au lieu ou estnbsp;la gloire de la princesse Niquée.

— De la princesse Niquée? s’écria Amadis de Grèce étonué.

— Oui, mon doux ami... La, cn votre presence, je tenb'rai l’aventure et vous prouverai par monnbsp;succes tout Ie bon vouloir quej’ai en vous...

Amadis avait tressailli au norn de Niquée. Aussi concut-il, dès eet instant, 1 envie de yoir cettenbsp;princesse qui avait, de son cöté, une si furieusenbsp;envie de Ie voir; et, oubliant la raison qui pous-sait Liberna ci vouloir aller Ici, pour ne songernbsp;qu’aux raisons qu’il avait d’y aller lui-même, ilnbsp;répondit èi la reine :

— Vous consentiriez è tenter cette aventure, ma dame?...

— Pour vous prouver, chevalier, Ie ferme et loyal amour doiit je vous aime, je traverserai feunbsp;et flamme et tous autres obstacles qui se pourroutnbsp;offrir...

— A Dieu ne plaise, ma dame, que je cherche d’autre témoignage de volre bon vouloir a monnbsp;endroit que ceux que vous avez bien voulu menbsp;donner jusqu’ici... Pour vous montrer combien jenbsp;suis vólre et prompt k vous obéir, je vous accom-pagnerai parlout ou il vous plaira, et non-seule-meut aux Eufers, vers Pluton et Proserpine, ounbsp;bien aux Champs-Élysées, s’il y a moyen d’y allernbsp;ensemble, mais fi l’entreprise pénlleuse dont vousnbsp;me parlez, et dont jusqu’ici je n’avais pas encorenbsp;entendu m.ol.

Lors, la reine lui raconta ce qu’elle savait de la gloire de Niquée, et en quoi consistaient leséprcu-ves a tenter, et généralement tout ce qu’elle ennbsp;avait entendu dire elle-même.

Le jeune chevalier fut trés trouble par ce récit; si bien que Liberna, s’apercevant de son changement de visage, lui dit:

— II semble, mon ami, que vous ayez reQii peine par ce que vous avez entendu de moi?... Je vousnbsp;prie de me dire ce qu’il vous en semble...

— Ma dame, il ne faut pas vous en ébahir, car, connaissani l’atfectueuse amour que vous me por-tez, il est impossible que je ne resseute pas quel-que inquietude a propos du danger que vous vousnbsp;préparez vous-même en tentant cette aventurenbsp;de la gloire de Niquée...

— Je n’ai nulle crainte, chevalier, et je vous prie, do votre part, de tenir pour certain que lanbsp;vraie amitié que je vous porte et la vraie fiancenbsp;que j’ai en vous suffisent pour me meltre hors denbsp;péril et vous hors de doute... Et, afin que vous ex-périmentiez combien je dis juste en cette occurrence, domain nous partirons pour faire ce voyage.

Ainsi fut arrêté ce partement de la reine Liberna et du chevalier de 1’Ardente Epée, lequel ne put dormir de la nuit, ^ cause de ce que cettenbsp;princesse lui avait raconté touchant Niquée. Aussinbsp;en rêva-t-il toule la nuit, ainsi que de Lucelle.

GHAPITRE XXIX

Comment Ic chevalier Sans-Repo.s et la reine Liberna s’en allèrent au lieu oü dtait la gloire de Niquée, et ce quinbsp;arriva.

u point du jour, le fils d’Onolorie entendit ouvrir la porte de sa cham-bre, ce qui le réveilla on sursaut.

C’était la reineLiberna, qui venait lui donnor le bonjour.

Amadis de Grèce, tout honteux, s’excusa de sa paressc. Mais elle luinbsp;dit en riant:

— Certes, mon parfait ami, si vousaviezia puce en l’oreille, commenbsp;jel’ai, le lit ne vous serait pas aussinbsp;agréable qu’il vous parait 1’ètre.nbsp;llabillez-vous, et après, s’il vousnbsp;plait, nous monterons cheval. Mesnbsp;geatilshommes nous attendent...

Lor.s, le chevaher de l’Ardente Epée s’habilla, s’arma et la suivit.

Deux heures après, ils étaient en route.

Ils cbeminèreut tant et si bien, qu’ils arrivèrent au lieu oü la princesse Niquée était en sa gloire :nbsp;Amadis tristo,, Liberna joyeuse.

Cette dernière, après s’être paree des plus riches accoutrements qu’elle eüt, s’approcba de la portenbsp;embrasée du palais oü étaient renl'crtnés la princesse de ïhèbes, son frère, et les dames et demoiselles que vous savoz.

Amadis, qui la tenait par la main, s’arréta court au moment oü elle allait passer outre.

II s’arrêta, non saus cause, car il lui semblait étre devaiit une fournaise pleine de métal en fusion, ou devant la bouche horrible du mout Gi-bel, oü l’on entend tant de cris piteux et épouvan-l aides.

Lc fils d’Oiiolorie, devant cette fournaise, devint aussitót froid comme glace.

La reine, au contraire, Ie vint baiser tendre ment sur la bouche, en lui disant:


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je ressens pour vous... Par ainsi, je vous prie,

Et, baissant la tête, clle entra en la fournaise,

— Mon doux ami, j’espcrc que vous aurez pré-senlement uii téinoignage certain de l’amour que

aussitót que vous me verrez entrée, de me suivre, afin quo nous puissions ensemble jouir de la gloirenbsp;qui est réservée ii ceux.qui aiment loyalement...

en murmurant

— O Vénusl déesse glorieusel vous qui con-naissez mon coeur, donnez-moi 1’effort de parfaire ce que j’ai enlrepris avec tant de loyautél...

A ce moment, Amadis de Grèce la perdit de vue, et, pendant qu’elle marchait, tranquille comme aunbsp;séjour des bieiiheureux, vers la salie oü était lanbsp;pnncesse de Thèbes. il se mit amp; se lamenter, es-sayant, mais en vain, de la suivre.

— Ah! pauvre Amadis! miirraura-t-il. Pauvre et chélif! Qu’nst devenu Teffort de ton courage,nbsp;puisque tu sais si prés de toi la cbose du mondenbsp;qui t’aime Ie plus et que tu n’oses faire cequ’a faitnbsp;une simple femme, craignant plus pour ta peaunbsp;que pour ta renornmée 1... Ah 1 Niquée, parangonnbsp;de beauté! cornme vous aurez raison désorraais denbsp;ne plus aimer ni estimcr celui qui, en face d’unnbsp;maigre péril, consent amp; perdre la divine faveur quinbsp;est vótre 1... Et cependant, ce feu magique, quenbsp;j’ai la devaiitles yeux, ne peut pas être plus ardentnbsp;que celui qui me brüle Ie coeur en songeant anbsp;vous 1...

CHAPITRE XXX

Comment, la reine Liberna élant enlréc dans la fournaise, Croyanl y élre suivie par Ie chevalier qu’elle aimait, lesnbsp;femmes de cctte princesse firent d’ainers reproches ünbsp;Amadis de Grèce sur sa couardise, et comment Amadisnbsp;de Grèce y répondit.

usqu’è la nuit close, Amadis de Grèce resia dans cette situation d’esprit,nbsp;voulant entrer dans la fournaise etnbsp;ri’osant pas, songeant a Niquée, puisnbsp;a Lucidle, puis a la reine Liberna, etnbsp;se faisarit des reproches de toutesnbsp;sorles.

Quant h Liberna, ces reproches avaient pour objet l’affection qu’ellenbsp;lui avait moutrée ell’indifference qu'ilnbsp;témoignait en eet instant pour sonnbsp;sort.

Quant a Niquée, ces reproches avaient pour objet la passion qu’il senbsp;sentail pour olie et qu'elle se sentaitnbsp;pour lui, double affliction qu’il étaitnbsp;indigne de concevoir et d’mspirer,nbsp;par son hésitalion.

Quant tl Lucelle, il se rappelait l’a-voir vue apparaitre, la nuit précé-denle, dans son sornmeil,etles amcres paroles qu’elle lui avait dites au sujetnbsp;de sa déloyauté d’amour lui causaientnbsp;a cette heure un insurmonlable eifroi.

La nuit done étant venue et la four-naiso cfintinuant a brüler, les dames qui avaient accompagné la reine Li

berna commencèrent amp; prendre inquiétude, ne Ia voyant pas ressortir de ce palais embrasé.

L’une d’elles, même, ne pouvant plus se conte-nir cn avisant Ie chevalier morne et mélancolique au milieu d’elles, lui cria avec amertume :

— Ah I chevalier Sans-Rcpos, vous ne méritez guère, présenteraent, ce titre que l’on vous anbsp;octroyé je ne sais trop pourquoi, car vous voilSinbsp;immobile comme une soliveau, et plus femmelettenbsp;que les plus femmelettes d’entre nous... Ne rou-gissez-vous pas, chevalier, de votre oisiveté, ennbsp;présence du péril que court en ce moment madame notre reine, qui est peut-être morte et brü-lée, hélas!

Le fils d'Onolorie, toujours plongé dans son abime de méddation, ne répondit rien é ce repro-che de couardise qui lui était si directement fait,nbsp;et qui, fi une toute autre heure, l’eüt fouetté jus-qu’au sang, ou plutót qu’il n’eüt pas mérité.

La dame qui avait pris la parole, irritée de ce silence obsliné et de cette immobilite é ialementnbsp;obstiiiée, s’approcha plus prés encore du chevalier, et, ie secouant par le bras, elle lui dit :

— Etes-vous done endormi, discourtois chevalier, OU failes-vous semblant de ne pas m’enteu-dre?...Quoi!Jevouscrieque madame la reine, qui a tant fait pour vous, puisqu’elle vous a offert sonnbsp;tróne, sa main et son coeur, est peut-être en trainnbsp;de brüler, pour avoir eu 1 imprudence de tenternbsp;une épreuve toute en votre faveur, et vous restez lü,nbsp;les bras croisés, le nez en lerre, affolé de rèvasse-ries iocroyables 1... Ah! chevalier, ce n’cst pasnbsp;vous qui avez tué Abernis : c’est quelqu’un d’au-tre, qui avait emprunté ce jour-lti votre heaumenbsp;et votre cotte de mailles 1... Pour vous, vous sem-blez digne d’endosser une robe de vieille et nonnbsp;une arrnure de chevalier 1...

Ces injures émurentle fils d’Onolorie; il fit un pas en avant, comme pour se précipiter dans lanbsp;fournaise.

— Ah 1 nous retrouvons notre chevalier 1 s’écriè-rent les femmes de la reine.

Mais leur joie fut de courte durée. Le pas qu’A-madis de Grèce avait fait en avant, il le refit en ar-rière, de fagon k se retrouver ü la même place qu’auparavant.

.— Nonl nonl s’écrièrent-elles avec mépris. Nous ne nous étions pas trompées tout a l’heure !nbsp;Ce n’est pas 1.^ le chevalier qui a défait Abernis etnbsp;les ennemis de madame notre reine!...

Amadis de Grèce, tournant alors vers elles un regard oü il y avait plus de douleur que de colére,nbsp;leur répondit:

— nbsp;nbsp;nbsp;Vos outrages sont immérités, quoique justesnbsp;en apparence... ,Ie suis toujours le chevalier quenbsp;vous avez vu comballre saus peur les ennemis denbsp;la reine Liberna... J’ai des prouesses passées quinbsp;répondent de mes prouesses avenir... Mais, pré-sentement, je ne puis faire ce que vous voulez quenbsp;je fasse...

— nbsp;nbsp;nbsp;Et pourquoi done cela ?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Paree que c’est impossible.

— nbsp;nbsp;nbsp;Impossible I C’est uu homme qui ose répon-dre cela, lorsqu’il s’agit de sauver une femme quinbsp;brüle, et surtout une femme qui l’aime !...

— nbsp;nbsp;nbsp;C’est impossible! vousdis-je... Ge n’est pas


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par lacheté que je ne fais pas la tentative a laquelle vous me conviez... La lacheté m’est aussi inconnuenbsp;que la peur.... Seuleinent, je ne sens pas assez lanbsp;loyauté demon amour... Et celte fournaise a pournbsp;but d’éprouver les loyaux amants... Je ne suis pasnbsp;digne de l’épreuvel...

Amadis de Grèce se tut, et les femmes se turent aussi, par pitié pour son élat, qu’elles commen-qaient enfin é comprendre.

Cette maigre excuse acceptée, Ie chevalier passa la nuit au milieu de ces femmes désolées.

CIIAPITRE XXXI

Comment, Ie lendemain, des gens de la cité ayanl cxpiiqué au chevalier Sans-Rei)0.s et aux femmes de la reine ennbsp;quoi consistait la gloire de Niquée, on se sépara, rassurénbsp;sur Ie sort de Liberna.

e lendemain, au point du jour, les choscs se retrouvèrent dans la mêmenbsp;situation que la veillo.

Amadis de Grèce était loujours abimé dans ses apres méditations,nbsp;entendant toujours au dedans de luinbsp;la voix de ces reproches, qui Ie poi-gnait douloureusement.

Les femmes de la reine étaient toujours affligées devantla fournaisenbsp;qu’avait si courageusement traverséenbsp;Liberna, mais d’oü elle n’était pas revenue, ce qui mil bien-tót Ie comble a leur dés-espoir...

— Ahl madame la reine 1 madame la reine!nbsp;s’écrièrent-elles. Vous êtes morte!. .nbsp;Vous êtes brüléel... Nous ne vousnbsp;reverrons plus jamais 1... Ah 1 bonnenbsp;dame, pourquoi avez-vous donenbsp;tenté cette épreilve maudite?... Pourquoi surtoutnbsp;Tavez-vous lentée en faveur d’un chevalier quinbsp;n’a pas eu Ie courage de vous accompagner, quandnbsp;vous Ie croyiez sur vos pas, comme c’était son devoir d’yêtrel... Ahl bonne madame, nous ne nousnbsp;reverrons plus 1...

Elles en étaient Ik de leur désolation, lorsqüe survinrent des amp;ens de la cité, attirés la par la cu-riosité, par Ie uésir de savoir si l’épreuve tentéenbsp;par la reine Liberna avail réussi k son avantage.

— Qu’avez-vous done ? demanda Tun d'eux aux femmes qui étaient Ik. Pourquoi vous lamcntez-vous comme vous faites présentement? Vous est-ilnbsp;done arrivé quelque terrible malheur?...

Pp malheur bien terrible, en effetlUn malheur irréparabVe 1... rèpondirent-elles.

— nbsp;nbsp;nbsp;Lequel?... Le peut-on connaitre, pour ynbsp;porter remède s’il est possible?

— nbsp;nbsp;nbsp;G’est impossible!...

— nbsp;nbsp;nbsp;Mais encore?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Notre bonne reine est morte!

— nbsp;nbsp;nbsp;Morte?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Oui, brülée vive, la pauvre chère kme, pournbsp;avoir eu 1’imprudence de s’engager dans cettenbsp;fournaise horrible, dont l’aspect fait frissonner, knbsp;la distance oil nous en sommes 1...

— nbsp;nbsp;nbsp;N’est-ce done que cela qui vous altriste ? de-mandèrent les nouveaux-venus en riant.

— nbsp;nbsp;nbsp;Que cela?... N’est-ce done pas assez?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Ce n’est rien 1...

— nbsp;nbsp;nbsp;Rien?...

— Rien, vous dis-je! Et vous vous dolentez Ik au lieu de vous réjouir...

— nbsp;nbsp;nbsp;De nous réjour?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Sans doute, puisque celle que vous pleureznbsp;a cette heure comme brülce vive jouit de toute lanbsp;beatitude des dieux, ainsi que ceux que leurnbsp;loyauté a admis a l’honneur de contempler lanbsp;gloire do Niquée...

— nbsp;nbsp;nbsp;Que nous dites-vous la?

— nbsp;nbsp;nbsp;La vérité pure.

— nbsp;nbsp;nbsp;Mais elle ne ressort pas 1...

— nbsp;nbsp;nbsp;Elle ne doit pas ressortir, paree que 1’é-preuvre a réussi, et que c’est une loyale reine...

— nbsp;nbsp;nbsp;Si l’épreuve n’avait pas réussi?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Elle eüt été rejetée incontinent en dehors, aunbsp;lieu d’entrer dansl’intérieur du palais... Ne saviez-vous done pas cela?

— nbsp;nbsp;nbsp;Nous l’ignorions... Mais vous-mêmes, ennbsp;êtes-vous bien sürs?...

— Comme tous ceux qui savent en quoi consiste la gloire de Niquée.

— Ainsi, notre bonne reine n’est pas morte ?

— nbsp;nbsp;nbsp;Elle est trés vivante, au contraire.

— nbsp;nbsp;nbsp;Et nous la reverrons ?...

— nbsp;nbsp;nbsp;G’est probable.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ah I quel poids vous venez de nous óter denbsp;dessus le cceurl... Comme vousavez su changernbsp;notre tristesse en joiel...

Les femmes de la reine parlaient encore, que déja les geus de la cité ne les entendaient plus,nbsp;car ils avaient repris le chemin par oü ils étaientnbsp;venus.

Amadis de Grèce respira, heureux d’apprendre qu’il ne pouvait être arrivé rien de fkcheux a lanbsp;princesse qui avail eu tant de bontés pour lui.nbsp;Puis il se demanda si, k son tour, il n alluit pasnbsp;enfin tenter l’aventure qui lui avail si bien réussi,nbsp;k elle. Mais les raisons de la veille subsistaientnbsp;toujours; son irrésolution était la même pour lesnbsp;mêmes motifs.

Lors done, il se décida a déloger et k prendre congé des femmes de la reine. Mais il le fit avecnbsp;une mélancolie poignante qui lui dura pendant unnbsp;assez long temps, car, pendant un long temps, onnbsp;ne le surprit pas ö sourire.

II chemina, chemina tant et tant, que, liuMe-ment, il arriva k Jérusalera, oü il eut nouvelles d’un personnage tel qu’il le demandait.

Nous allons le laisser cherainer k son aise ct retourner k la princesse Abra.


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BUZ.\NDO-LE-NAIN.

GHAPIÏRE XXXI]

Comment, au milieu des noces d’Onolorie et de Gricilerie, parut une demoiselle en deuil, chargéo d’unc lettre de lanbsp;princessc Abra pour Lisvart.

La princesse Abra avait regagné Babyloiie sur Ia carrique que comraandait Macartes, frère du roinbsp;d’Egypte, et, une fois arrivóe, avait fait son frèrenbsp;Zaïr les funérailles dignes d’elle et de lui.

Abra aimait beaucoup son frère, si bien fait pour être aimé, d’ailleurs, a cause des perfectionsnbsp;qui étaient en lui. Et, n’avait éte sa passion désor-doniiée pour ia belle princesse de Trébisonde, ilnbsp;eüt mérité l’estime et Fadmiration de tous par sonnbsp;courage, ses hautes prouesses el sa haute cheva-lerie.

Abra Ie regrelta done, et sa doulcur futsincère. Puiö, en se rappelant Ia cause de cette douleur,nbsp;c’est-a-dire I’auteur de la mort de sou frère, ellenbsp;avait senti son amour se tourner en haine, sounbsp;ntiel se changer en fiel a Pendroit de Lisvart denbsp;Grèce.

Elle avait résolu de se venger!

Aussi, un jour, pendant quo toute la cour du vieil empereur de Trébisonde était en joie et ennbsp;gaité, par suite des noces de Lisvart avec Onolo-rie et de Périon avec Gricilerie, une demoiselle ennbsp;deuil se présenta.

G’était Lydia, la confidente de la princese Abra.

Elle s’avanga, grave et triste, et dit:

— nbsp;nbsp;nbsp;Le seigneur Lisvart de Grèce est-il céans?...

L’heureux époux d’Onolorie vint è la rencontre

de Lydia.

— nbsp;nbsp;nbsp;G’est moi qui suis Lisvart, répondit-il.

— nbsp;nbsp;nbsp;J’aurais dü vous reconnaitre, en effet, aunbsp;portrait oue m’a fait de vous madame Abra, mur-niura la uemoiselle.

Et, tout aussitót, elle remit au chevalier de la ^raie Groix un parcherniu qu’il s’erapressa de dé-plier et qui conlenait ce qui suit:

« Moi, Abra, impératrice de Babylone, te fais savoir a toi, prince et chevalier Lisvart, les raisonsnbsp;de haine que j’ai centre toi.

« Je t’aimais d’une amour i)rofonde comrae la nier, immense comme I’infini. Je iie voyais que toinbsp;dans le monde. ïu étais le pole aimanté de mesnbsp;Pensées et de mes désirs. Tu étais ma foi, monnbsp;nspérance, ma religion, rnon Dieul Je t’eusse sa-'^rifié mille vies si je les avais eues et si lu lesnbsp;?vais exigées! Je t’eusse sacrilié plus encore, carnbsp;i eusse fait volontiers 1’abandon de mon proprenbsp;honneur en te faisant 1’abandon dc mon corps!nbsp;^ourquoi non? N’avais-tu pas déjii mon cceur?...

« Eh bien 1 comment m’as-tu récompensée de cette immolation que je t’avais faite de tout monnbsp;être ? Gomment as-tu reconnu la bonté et la faveurnbsp;que je te témoignais? De quel loyer as-tu payénbsp;mon amour sans hornes, mon dévouement sansnbsp;liniites? Je n’ose y songer, A cette heure, sausnbsp;frissonner d’horreur et decolère 1 Tum’as trompée,nbsp;en le prometlant a moi quand tu étais a une autre!nbsp;Tu as fait plus encore, comme s’il était possiblenbsp;de commettre une action plus criminelle que tanbsp;déloyautél Tu as fait plus : tu as été le meurtriernbsp;du soudan de Babylone, mon frère 1

« VoilA des griefs qui ne s’oublient pas, Lisvart! Tot OU tard, les dieux vengent les femmes outra-gées et punissent les meurtriers. Je ne peux riennbsp;a cette heure contre toi. Mais le ciel se chargeranbsp;de ma vengeance. Tu seras frappé deux fois, pournbsp;le double crime que tu as coramis. Si tu es beu-reux aujourd’hui, héte-toi de jouir pour proliterdenbsp;ton reste. Aujourd’hui t’appartient encore; domain, tu appartiendras a ma vengeance!...

« Abra. »

Ge message, lu A haute voix par Lisvart, émut toule l’assistance, et, bien que les raisons de hainenbsp;de la soeur de Zaïr fussent illégitimes, on ne I’ennbsp;plaignit pas moins d’etre ainsi condamnée a unnbsp;double deuil et A un double veuvage.

Puis on chercha des yeux Lydia, pour la charger d’exprimer a la princesse Abra la part quo Ton prenait a son infortune.

Lydia avait disparu.

CIIAPITBE XXXIII

Comment, quinze jours aprfts )a visite de Lydia, parut la reine des Sarmates, ambassadrice de la reine du montnbsp;Caucase.

ette visite de Lydia et cette lettre de la princesse Abra avaient cunbsp;^un écho douloureux dans 1’amenbsp;teiidre du chevalier de la Vraienbsp;Groix. 11 n’avait pu répondre anbsp;l’amour de cette malheureuse princesse, puisqu’il s’était donné anbsp;Onolorie; mais il rogrettait le plusnbsp;sincèrement du monde de 1’avoir af-fligée etendolorie A ce point. II regret-tait surtout, maiutenant qu’il étaitnbsp;marié A sa mie et qu’il ne se souvenaitnbsp;plus des obstacles qui avaient été ap-portés a ce mariage, ni des retarde-ments qui avaient eu lieu par le fait de celui-ci ounbsp;de celui-la; il regrettait surtout maiateuant d’avoir


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32 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

32 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

La reine des Sarmates regarda Lisvart avec at

lué Ie soudan de Babyloiie, et, pour beaucoup, il 1’eüt souhailé vivaiit.

Non pas que les menaces de la princesse Abra Teffrayassent beaucoup; car, outre qu’il n’étaitnbsp;guère accessible a la crainte, il savait qu’il avaitnbsp;loyalement agi en cette occurrence et qu’il avaitnbsp;défait Zaïr comme Zaïr aurait pu Ie défaire. Maisnbsp;eiifin, sa félicité présente ctait un peu troublée parnbsp;Ie malheur d’une créature qui lui voulait du bieu,nbsp;malheur dont il était la cause involontaire.

Les choses en étaient la, et il y avait quinze jours que Lydia, l’ambassadrice d’Abra, avait apporlénbsp;son message, lorsqu’un matiii on vit arriver a lanbsp;cour du vieil empereur de Trébisonde une damenbsp;de grande beauté, richement accoutrée, accompa-gnée de douze jeunes tilles trés belles aussi.

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, dit cette inconnue en s’adressant, h l’em-pereur de Trebisonde, je suis la reine des Sarma-tes, et je viens, au nom de la reine du mont Gau-case, mon amie, présenter un cartel a un chevalier de votre cour.

— nbsp;nbsp;nbsp;Madame, répondit courtoisement Ie vieuxnbsp;prince, soyez la bienvenue céans. Une aussi bellenbsp;reine que vous l'êtes ne peut venir a ma cour dansnbsp;de mauvaises intentions, et Ie cartel que vousnbsp;m’annoncez ne peut être qu’un cartel amoureux.nbsp;Heureux sera Ie chevalier choisi par la reine dunbsp;Gaucase, si elle vous ressemblel...

— nbsp;nbsp;nbsp;Elle est d’une merveilleuse beauté, Sire, ré-pliqua la reine des Sarmates, et il n’y a d’autrenbsp;cornparaison è faire entre elle et moi qu’eutre Ienbsp;soleil et Ia lune!...

— nbsp;nbsp;nbsp;Alors, ma dame, dites-moi done vitement Ienbsp;nom du chevalier qu’elle a désigné pour l’éprou-ver, alin que je Ie félicité de son aubaine.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ne vous hfttez pas trop, Sire, dit la reine,nbsp;car ce chevalier s’appelle Lisvart.

A ce nom, la princesse Onolorie tressaillit, et la bonne Gradasilée sentit son coeur se serrer, commenbsp;k l'approche d’un malheur.

L’svart se présenta.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ma dame, dit-il h la reine, je suis celui quenbsp;vous cherchez céans. Vous plait-il quelque chosenbsp;de moi ?

tention ; puis, quand elle l eut bien regardé, elle répo.idit;

— nbsp;nbsp;nbsp;Gertes, chevalier, les dieux ne vous ont pasnbsp;voulu douer en vain d’une si parfaile beauté; ellenbsp;démon re éloquemment que de grandes entrepri-ses doivent étre mises k fin par vous. Par ainsi,nbsp;vous ne vous plaindrez pas de celle qui s’cffre au-jourd’hui k vous, et par laquelle vous éprouvereznbsp;si Ia Fortune vous sera aussi favorable qu’elle vousnbsp;l’a été jusqu’è présent...

Lors. tirant une lettre de son sein, elle ajouta :

— nbsp;nbsp;nbsp;Tenez, seigneur; et peut-être que ce que lesnbsp;monstres, les géants et les plus vaillants chevaliersnbsp;n’ont pu mettre en vous, c’est-a dire la peur, cn-trera en votre 4me a cette heure en lisant ce cartel. Lisez 1...

Lisvart prit Ie parchemin qu’elle lui tendait, en fompii Ie scel et lut:

« Zahara, reine du mont Gaucase, dame detoute tiyoerie, victorieuse et subjugatrice des grandesnbsp;provinces des Sarmates, des Hyreaniens et des Mal-sagètes, atoi Lisvart, héritier des deux souverainsnbsp;empires de Grèce et de Trébisonde, salut.

« La renommee du soudan Zaïr m’a fait venir de mes pays en sa grande cilé de Babylone, espé-rant Ie rendre possesseur de mes royaumes et denbsp;moi-même tout ensemble. Lk, j’ai appris que vousnbsp;aviez été son meurtrier et que vous m’aviez ainsinbsp;rendue veuve de mari, car nul autre que lui nenbsp;pouvait me convenir, etnotre manage k tous deuxnbsp;se fut consommé si vous n’y aviez mis empêche-rnent par Ie meurtre que vous avez fait de Zaïr.

« Par ainsi, désireuse de venger la mort du seul homme qui fut digne de moi, je m’adresse k toi,nbsp;son meurtrier, et te défie avec les armes que tunbsp;voudras choisir, devant Ie palais du puissant empereur de Trébisonde.

« Et, afm que tu ne te fondes pas, pour me refuser, sur ma qualité de femme, je t’avise que la coutume des pays sarmates m’a mise en possessionnbsp;de chevalerie et de nom de chevalier. Ensorte quenbsp;la victoire que tu obtiendras sur moi, si tu 1’obtiens,nbsp;sera d’autant plus grande et méritoire que j’ai jus-qu’ici vaincu maints preux aussi vaillants que toi,nbsp;lesquels ont aprement éprouvé Ia force de monnbsp;bras. Passent les dieux que ma fortune continue ennbsp;cette occurrence et que je puisse, en vengeantnbsp;Zaïr, éleindre les effels cruels de ta beauté et denbsp;ton regard, qui sait conquérir, k ce qu’on prétend,nbsp;toutes les haules dames et demoiselles qui ont Ienbsp;malheur de te voir 1

Zaiiaua.

Après avoir achevé la lecture de ce cartel, Lisvart tourna la lête vers Gradasilée, et, Ia regardant avec un sourire, il lui dit:

— II me semble, ma grande amie, que ceci s’a-dresse plus k vous qu’k nul autre; car vous, étant femme comme vous êles, vous devez satisfaire knbsp;femme telle qu’est cette vertueuse princesse dunbsp;mont Gaucase...

— nbsp;nbsp;nbsp;Seigneur, répondit doucement Ia bonne Gra-dasilce, je n’ai point k me mêler d’affaires d’armesnbsp;et de combats, k moins que ce ne soit pour vousnbsp;défendre... Toutefois, si vous trouvez bon que jenbsp;vous dise mon avis, et que je me prononce sur lesnbsp;armes que vous devez choisir pöur combaltre lanbsp;reine Zahara, il me semble qu’il ne vous en fautnbsp;pas d’autre que votre merveilleuse beauté, qui seranbsp;plus que suüisante pour dompler la sienne, bieunbsp;qu’elle en soit pourvue elle-même, k ce que j'ainbsp;ouï dire, autant et plus que princesse de l’Asie..-Mais quoi?... En la bataille oii je, n’ai pu résister,nbsp;hélasl une autre y fe,ra trés mal ses besognes!...

Gradasilée avait dit cela de si bonne grace, quo chacun se prit k sourire.

Puis Lisvart reprit son discours et répondit k 1’envoyée de la reine du Gaucase :

— nbsp;nbsp;nbsp;j’accepte Ie combat, mais nou Ie choix desnbsp;arrnes. Quant au liim et k la süreté du camp, Sanbsp;Majesté 1’imipcreur l’accorde telle que votre damenbsp;Ie requiert.

La reine des Sarmates salua et se retira avec sa suite, sans faire un plus long séjour k Trébisonde-


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BUZANDO-LE-NAIN. 33

CHAPITRE XXXIV

Comment Amadis de Grèce, poursuivant sa quête du pauvre nainBuzando, tinitpar avoir de ses nouvelles.

ant chemina Amadis de Grèce depuis qu’il eut laissé les demoiselles de la reine Liberna, qu’dnbsp;traversa Ie royaume de Palestinenbsp;et arriva jusqn’è Antioche, sansnbsp;I avoir nouvelle de celui eii quêtenbsp;duquel il était.

Gependant, un matin, il ren-J contra un jouvenceau auquel il • donna Ie bonjour et qui lui répon-dit avec la même courtoisie.

— Ami, lui demanda Amadis, ne )me sauriez-vous indiquer par ici Ienbsp;logis de quelque devin ou magiciennbsp;qui me put renseigner sur quelquenbsp;affaire qui me tient è coeur.

— nbsp;nbsp;nbsp;Véritableraent, répondit Ie jouvenceau, jenbsp;suis dans la même peine et dans la même quêtenbsp;(jue vous-même; tellement que, pour trouvernbsp;1 homme précieux que vous cherchez, j’ai quasinbsp;chevauché ê travers tout l’empire de Babylone etnbsp;autres regions, et que je n’ai jamais pu en trouvernbsp;l’ombre dmn seul!...

— nbsp;nbsp;nbsp;Et qu’avez-vous affaire ?t lui, s’il vous plait?

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire chevalier, je vais vous Ie dire. Je suis aunbsp;trés puissant roi de Lica, qü’on appelle Mnuton,nbsp;Ie meilleur et Ie plus adroit aux armes, que je sa-che. Par malheur, il a rencontré un nain qui,nbsp;comme je Ie crois, sera la cause de sa mort pro-chainel...

— nbsp;nbsp;nbsp;Un nain ?

— nbsp;nbsp;nbsp;Oui, sire chevalier, un misérable nain por-teur d’un tableau oü sont peintes des beautés hnbsp;huiles autres pareilles!...

— nbsp;nbsp;nbsp;G’est Buzando 1 s’ccria Amadis.

G’est Buzando, en effet, qu’il se nomme.,, Le connaissez-vous done?

— J’en ai entendu parler, ainsi que de ses portraits, répondit Amadis.

. — Maudit nain 1 Maudits portraits! s’écria le jouvenceau.

Et, saluant gracieusement, il prit aussitót congé et disparut avant que le chevalier eüt son»é h luinbsp;demander d’aulres renseignements. °

Mais il en avait un, et il crut qu’il lui suffisait.

Lors done, il s’embarqua au plus prochain port, 6t fit prendre Si soa vaisseau la route de l’ile denbsp;tuca.

^ Quelque temps après, le vent étant favorable,

e navire aborda assez prés d’un rocher sur lequei

était construit le chêteau oü résidait le plus com-munément le roi Mouton.

Amadis de Grèce s’arma et sauta hors du navire en commandant aux mariniers de l’attendre, pareenbsp;qu’il comptait revenir bientót vers eux.

Puis il commeiiga l’ascension du rocher.

Dans son chemin, il rencontra un vilain condui-sant deux raulets chargés d’eau. II I’arrêta en lui disant:

— Viens qa, vilain 1 Le roi Mouton est-il céans?

— Sire chevalier, répondit le vilain, le roi est parti depuis trois jours pour aller éprouver la gloirenbsp;de Niquée.

— Et, dis-raoi, l’ami, qu’est devenu le nain qui était avec lui?...

—• Sire chevalier, répliqua le vilain, le roi Mouton, é son départ, a recommandé qu’on jetat ce nain dans un cul-de-basse-fosse, d’oü on ne le reü-rera pas avant que le roi n’ait joui de la vue de lanbsp;princesse Niquée.

Sur ce, le manant recommanda Amadis è Dien et reprit son chemin avec ses deux mulcts.

CHAPITRE XXXV

Comment Amadis de Grèce, nne fois dans le chèteau de Lica, eut affaire è un chevalier, puis è des hallebardiers,nbsp;, ¦. puis k un géanl, puis k un monstre effroyable.

^jendant qu’Amadis de Grèce ^ijlcontinuait son ascension, etnbsp;qu’il approchait de son but,nbsp;le son du cor résonna.

G’était le veilleiir du chê-

_ nbsp;nbsp;nbsp;____teau qui avertissait è l’inté-

(7: nbsp;nbsp;nbsp;r ^ rieur de l’arrivée d’un in-

amp; connu.

Aussitöt parut un grand chevalier , armé de pied en cap, qui, d’arrivée,nbsp;^ commanda au fils d’Onolorie de le sui-vre.

— Je te servirai de fourrier, ajouta-t-il, ainsi que j’ai fait è maints autres meilleurs quetoi; car nulnbsp;n’approche de cette forteresse ennbsp;l’équipage oü tu es, sans endurernbsp;pour Ie reste de sa vie prison pire que la mort...

— nbsp;nbsp;nbsp;Par mon chef, gros lourdaud, répondit le chevalier de l’ArdenteEpée, ce seraitbien alors centrenbsp;mon opinion et mon désir è rooi, qui suis venunbsp;céans pour délivrer ceux qui y sont injustementnbsp;dètenus et te mettre ea leur pla^ 1...

— En es-tu lè? dit le grand chevalier.

— nbsp;nbsp;nbsp;Oui, certeslnbsp;nbsp;nbsp;nbsp;^

— Tu vas voir, alors, ce qu il t en cuira pour cette imprudence 1...

Et, baissant sa lance, il fondit sur Amadis, qui.

ge Série. — 3


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34 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

s’attendant k l’attaque, avait la riposte prête. Le gardieii du chéleau cessa de faire l’arrogant pournbsp;s’occuperderaniasserseseiitraillesqui s’enfuyaientnbsp;coupées par le fer de son adversaire. On n’en [en-tendit plus parler depuis.

Amadis poursuivit sa pointe et s’en vint au pied même de Ia muraille, oü il attacha son cheval. Puisnbsp;il voülut entrer.

Au même moment, surgirent dix hallebardiers, qui le chargèrent avec impétuosité.

II avait chatié l’homme d’armes; il apprit de la même fagon d ces gens de pied k tourner court,nbsp;car, sur dix, cinq perdirent la vie, et le reste se ré-fugia honteusement sous un taillis, oii Amadis nenbsp;songea pas è lespoursuivre. ïrouvant la porte ou-verte, abandonnée par eux, il passa outre jusqu’ênbsp;uae basse-cour, aux galeries de laquelle il avisanbsp;un géantdésarmé.

— nbsp;nbsp;nbsp;Que viens-tu cbercber céans ? demanda cenbsp;colosse. La mort, sans doute ?

— nbsp;nbsp;nbsp;La mort ou la gloire, répondit tranquillementnbsp;Amadis de Grêce.

— L’une te sera accordée, et ce n’est pas celle que tu espèresl

— Qu’en sais-tu?

— Ge que m’a appris Fexperience.

— Et que t’a appris l’expérience ?

— Tous les téniéraires qui ont tenté ce que tu tentes aujourd’bui ont été victimés corame tu lenbsp;seras certainement tout ti 1’beure.

— nbsp;nbsp;nbsp;Eux, ce n’est pas moil

— nbsp;nbsp;nbsp;Toi, ce sera eux.

— Je ne le crois pas. Mais trêve k ces inutiles propos 1 Veux-tu me donner des nouvelles d’uiienbsp;creature k laquelle je m’intéresse, et que toi ounbsp;ton maitre vous retenez iujustement dans cettenbsp;forteresse?

— nbsp;nbsp;nbsp;Et cette intéressante créature se nomme?

— Buzando.

— Buzando-le-Nain ?...

— Buzando-le-Nain, oui.

— II est en train de pourrir dans uncacbot, seule demeure digne de lui.

— G’est le logis que je te destine, et dont tu fe-ras Fornement naturel, bien plus que ce pauvre ötre qui n’a fait de mal a personne...

— nbsp;nbsp;nbsp;G’est ce que nous verrons 1

— nbsp;nbsp;nbsp;Tu t’emportes, colosse? tu as tort, car la co-lère est mauvaise conseillère... Si tu veux m’indi-quer un rnoyen demonter jusqii’d toi, je te le prou-verai d’une efficace mauière et t’éviterai ainsi lanbsp;peine de descendre jusqu’a moi. Gela te con-vient-il?

— nbsp;nbsp;nbsp;A merveille 1 répondit le géant en ricanant.

— nbsp;nbsp;nbsp;Eb bien 1 done ?

— nbsp;nbsp;nbsp;Vois-tu, a ta droile, cette porte de fer solidenbsp;comme une armure?

— Je la vois.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ouvre-la 1

— nbsp;nbsp;nbsp;Et la clef?...

— La voici 1

Et le géant, se penchant en dehors de la galerie sur laquelle il se trouvait, jeta dans Ia cour uuenbsp;et anbsp;nbsp;nbsp;nbsp;cbevalier Sans-Répos ramassa

fgr. ” inettre dans la serrure de la porte de

Au même instant, et pendant que le ricanement du géant se faisait plus intense, parut sur le seuilnbsp;de cette porte une béte monslrueuse.

Gette béte, sans analogue parmi les autres ani-maux, était de la grandeur d’un cbeval. Elle avait une téte de tigre, et, dans sa mêcboire béaiite,nbsp;étincelaient deux défenses d’ivoire de la grosseurnbsp;et de la longueur d’une trompe d’élépbant. Ellenbsp;ressemblait, pourle reste, è un léopard, fors qu’ellenbsp;était blancbe, et portalt serres etpieds de griffon,nbsp;mouebetés par endroits ainsi que la queue d’unenbsp;bermine.

Le tils d’Ouolorie recula, mais pour se préparer ê la défense.

Le monstre n’attendit pas qu’il fut pret : il se précipita sur lui avec une impétuosité sans égale,nbsp;et, d’un revers de sa puissante et cruelle griffe, ilnbsp;lui arracha son écu du cou. Puis, l’écu arraché, ilnbsp;le jeta é terre et le décbira en morceaux commenbsp;un enfant ferait d’une feuille d’arbre.

Le fils d’Onolorie, ainsi désarmé, se trouvait plus qu’auparavant k la merci des coups de ce redou-table eiinemi. Toutefois, malgré ce péril, oü tontnbsp;aulre que lui eüt senti son cceur défaillir, il repritnbsp;bon courage et s’escrima courageusement d’estocnbsp;et de taille; tellement, que bientöt, en dépit desesnbsp;volles et de ses contre-voltes, le griffon fut atteintnbsp;en pleins jarrets de derrière, et que Fune denbsp;ses jambes le quitta, l’autre jambe ayant envie d’ennbsp;faire autant.

Le monstre sentit redoubler sa fureur. II fit un saut formidable, empoigna Amadis par 1’uue desnbsp;tdssettes de son baubert et le froissa avec violence.

Mais Amadis ne se découragea pas. 11 conserva son sang-froid et fit jouer son épée dans toutes b'snbsp;directions; si bien que le monstre, perdant sonnbsp;sang ü flots, se rejela en arrière sur le sol, de fa-Qon ü faire croire qu’il était mort-

Le géant, qui avait contemplé avec intérêt ce combat du haut de sa galerie, voyant 1’issue qu’ilnbsp;prenait, jugea ü propos d’intervenir.

11 descendit rapidement.

En entendant ses pas pesants retentir sur les marebes de pierre de 1’escalier, Amadis de Grèccnbsp;se remit sur la défensive et du premier coupnbsp;qu’il porta au colosse il lui entama rudement lanbsp;peau.

Mais ce maudit géant avait la vie dure. II leva le coutelas qu’il avait au poing, et cria:

— Ab! j aillard, pour avoir éebappé au monstre qui gardait cette porte, il faut que tu sois un dia-ble d’enferl... Tu mourras doncdiablement, puis-que tu es diablel...

Et ce disant, il recula un peu pour donner plus de force au coup qu’il allait asséaer.

Malbeureusement pour lui, le monstre n’était pas tout-amp;-fait mort, et comme il venait, sans ynbsp;prendre garde, de marcher dessus, ce fantastiquenbsp;animal se redressa eu sifflantd’une horrible faqon,nbsp;et, d’une seule griffade, lui arracha Fépaule.

C’était le suprème effort du monstre. II retomba mort, et Ie géant par-dessus lui, mort aussi ; denbsp;fagou que leurs convulsions se mêlèrent et qu’ilsnbsp;profftèrent de leurs derniers moments pour se don-ner mutuellement Ie coup de grêce.


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BUZANÜO-LE-NAIN. 35

BUZANÜO-LE-NAIN. 35

GHAPITRE XXXVI

Comment Amadis de Grèce, ayant vaincu Ie monstre et Ie géant, entra dans l’intérieur de la Ibrteresse et délivra Ienbsp;pauvre Buzando.

après que Ie monstre fut mort, ainsi que Ie géant, Amadis de Grèce passanbsp;¦ outre.

II avait k peine fait deux pas dans kl’intérieur de la forteresse, qu’il ren-^contra la femme du géant et ses deuxnbsp;fdles, toutes trois éplorées; la premièrenbsp;paree qu’elle était veuve, les deux au-Ltres paree qu’elles n’avaient plus denbsp;père.

, nbsp;nbsp;nbsp;— Ah! cruel chevalier! disait-elle,

'qu’avez-vous fait iJi?...

\ — Mon devoir, probablement, ré-pondit Amadis de Grèce. Mais, malgré votre douleur, que je respecte et h la-quelleje compatiscorarne faire je dois,nbsp;je ne püis oublier Ie but dans lequelnbsp;je suis venu céans.

— Quel est-il, cruel chevalier? demanda la veuve du géant, la larme k l’oeil.

— II y a ici, enfermé avec d’autres prisonniers sans doute, un iiain du nom de Buzando.

Celui qui a tourné I’esprit de notre bon roi Mouton?

— Précisément.

— Eh bien! cruel chevalier, vous n’avez qu’è suivre cette voute, sur Ie seuil de laquelle vousnbsp;étes, et qui vous conduira...

Amadis de Grèce l’interrompit.

~ Ge chdteau est plein depiéges de toute sorte, 6t j’ai quelque droit d’être déliant... Je ne veuxnbsp;plus retomber entre les griffes de quelque dragonnbsp;OU quelque autre béte raonstrueuse, attendu quenbsp;J ai trop de plaies sur Ie corps, et que je sortiraisnbsp;difficilement victorieux d’une nouvelle lutte.

— Hélasl vous n’avez plus rien k craindre, sire chevalier, car tons les défenseurs de cette forteresse ont été mis k mal par vous...

— G’est possible, et, si la chose est vraie, je la’en réjouis... Mais, pour plus de süreté, vousnbsp;löe permettrez bien de prendre quelques précau-hons... Par ainsi, veuillez passer devantmoi et menbsp;guider.

La veuve du géant et ses deux filles obéirent. ‘i'lles passèrent devant Ie chevalier de 1’Ardente

Epée, lui ouvrirent plusieurs portes, et, finalement, arrivèrent avec lui k un cachot sombre oü elles s’ar-rêtèrent en disant:

— G’est ici, seigneur chevalier 1

— Ouvrez-moi la porte de cette fosse.

— C’est une trappe que vous pouvez soulever mieux que nous...

— Une trappe?...

— Oui, seigneur chevalier.

— Alors, Ie malheureux Buzando est dans un trou?...

— Hélas! oui.

— Seul?

— Avec trois compagnons 1

— Amadis s’empressa de lever la trappe qu’on lui désignait, et, k travers l’ohscurité, if cria :

— Ami Buzando, êtes-vous Ik?

— Grands dieux! quelle voix humaine et charitable m’appelle dans mes ténèbres oü je me croyais enterré?...

— C’est moi, Ie chevalier de l’Ardente Epée 1

— Est-ce bien possible, dieux sauveurs?

— N’en doutez pas, mon ami, et venez k la lu-mière du jour.

— Mais Ie moyen, chevalier, Ie moyen?

— II n’y a pas d’escalier?

— Aucunl

La géante alla aussitót quérir une échelle, et la glissa dans Ie trou béant laissé par la trappe, ennbsp;prenant les plus grandes précautions pour ne pasnbsp;écraser les malheureux qui se trouvaient au-des-sous.

Buzando, alors, put monter, et son premier mouvement, en apercevant la lumière du jour, futnbsp;de se jeter aux genoux d’Amadis de Grèce.

Puis, se relevant:

— nbsp;nbsp;nbsp;Je n’étais pas seul Ik-dedans, dit-il... Ohé!nbsp;compagnons 1 ajouta-t-il en se penchant sur Ienbsp;trou de la basse-fosse.

Bientótapparuront deux chevaliers etunefemme, tous trois si maigres, si hkves, sj exténués par Ienbsp;jeune et les misères, que c’était une pitié k les re-garder.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ah! seigneur chevalier! murmurèrent-ilsnbsp;en venant tous trois se jeter aux genoux du chevalier et en les embrassant avec l’effusion de lanbsp;reconnaissance.


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BIBLIOTHEQUE BLEUE,

GHAPITRE XXXVIl

Comment Amadis de Grèce, ayant délivrd Bu-zando-le-Nain et ses trois compagnons, se fit panser ses plaies et ensuile rcmettre la lettrenbsp;de la princesse Niquée.

uzando et ses compagnons une fois délivrés, Ie chevalier de l’Ardente Epde senbsp;fit panser ses plaies parBri-sène, la pauvre dame quinbsp;se tronvaitprisonnière avecnbsp;nain; puis on alia se reposer, après avoir pris les precautionsnbsp;nécessaires, et 1’on remit les propos aunbsp;lendemain.

Amadis de Grèce fut Ie premier levé, qnoiqu’il souffrit encore neauconp desnbsp;blessures recues Ia veille dans son combat avec Ie monstre.

Buzando, Brisène et les deux chevaliers dormi-rent un peu plus longtemps, è cause de leurs fatigues passées. On ne demeure pas impunément pendant des mois enliers dans un cul-de-basse-fosse, privé d'air, de lumière, de repos, et avecnbsp;des aliments iusuffisants!

Le nain, cependant, vint bientót rejoindre Ie chevalier de l’Ardentc Epée, et, en l’abordant, ilnbsp;lui renouvela ses sincères actions de grace de lanbsp;veille.

p — Vous m’aviez déjk sauvé la vie, seigneur chevalier, lui dit il; c’est done la seconde fois que je vous dois l'existence. II n’était pas besoin de cela,nbsp;toulefois, pour augmenter le dévouement que jenbsp;vous porie...

— As-tu bien dormi, mon ami Buzando?

— Douze heures d’aftilée, sire chevalier? J’ai fait un rêve charmant: je me voyais librel Aussinbsp;avais-je grand’peur de me réveiller...

— Et maintenant?...

— Oh! maintenant que je vous vois, je suis tout-ii-fait rassuré 1

— Nous pouvons done deviser è loisir de la princesse de ïhèbes ?

— J’ai toujours la lettre qu’elle m’a remise pour vous, seigneur chevalier, avec son portrait et celuinbsp;des princesses Lucelle et Onorie.

— La lettre d’abord; donne la lettre 1

Buzando lira de sa poitrine le message de la helle Niquée et le remit è Amadis.

Voici ce qu’il contenait:

*' Niquée, princesse de Thèbes, dónne salut au chevalier de l’Ardente Epée, plus valeureux quenbsp;quiconque porta jamais armes.

« Ayant done relu la lettre qu’il m’a écrite, et ayant entendu le récit de mon fidéle Buzando, jenbsp;lui fais savoir que mon coeur passionné ne prendranbsp;repos que lorsque mes yeux auront joui de sa pré-sence et recu de lui la gloire de me voir.

« G’est pourquoi, afin de vous presser davantage, ó mon seul seigneur et ami! je vous envoie le portrait des plus parfaitement belles dames qui soientnbsp;aujourd’hui au monde. Par ainsi, vous pourrez con-naltre si les dieux ont mis en moi quelque avan-tage sur elles, et le bien que ce vous est d’etrenbsp;aimé comme je vous aime.

« Niquée. »

— Et maintenant, dit Amadis, donne-moi les portraits...

— Ils ne sont plus en ma possession, seigneur chevalier...

— Pourquoi cela?...

— nbsp;nbsp;nbsp;G’est le roi Mouton qui me les a dérobés...

— Ah 1 le traitre! II faudra bien qu’il me les

restituel...

Amadis de Grèce devint pensif, et le nain s’cloi-gna un instant pour le laisser rêver tont è son aise.

Le chevalier de l’Ardente Epée songea d’abord, tout naturellement, k Ia belle Niquée, et, plus quenbsp;jamais, il regretla de n’avoir pas teiité l’entreprisenbsp;oü s’était si courageuseinent engagée la reine Li-berna.

Puis il songea amp; la belle princesse de Sicile, k Lucelle, la première pucelle qu’il eüt aimée, et cenbsp;ressouvenir le fit soupirer.

En ce moment enlra Brisène et les deux chevaliers délivrés par lui. Ils venaient tous trois, comme avait flut Buzando, assurer Amadis de leurnbsp;reconnaissance et le prier de la meltre a l’épreuve.

— nbsp;nbsp;nbsp;Madame, dit Amadis a Brisène, je vous prendsnbsp;au mot, et veux vous confier une mission délicate.

— Parlez, sire chevalier, commandez; j’obéirai avec joie. Oü faut-il aller pour vous p'aire?

— A la cour de l’cmpereur de Trébisonde, oü doivent être maintenant les rois et les princesnbsp;chréliens qui s’étaient ernbarqués pour venger 1’in-jure de Lisvart et de Périon.

— J’irai en Trébisonde, sire chevalier.

AmadiS écrivit une lettre; puis, lorsqu’elle fut écrite, il prit Brisène è part et lui dit :

— Si le roi Amadis de Gaule est è la cour de Trébisonde, les princes et les princesses de sanbsp;compagnie y seront aussi. Vous vous assurereznbsp;done que la princesse de Sicile en fait partie, etnbsp;vous lui remettrez cette lettre, s’il vous plait.

— II sera fait ainsi que vous le désirez, seigneur chevalier, répoudit Brisène; je m’embarquerai au-jourd’hui raême.


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BUZANDO-LE-NAIN. 37

BUZANDO-LE-NAIN. 37

GFIAPITRE XXXVIIl

Comment arriva la reine Zahara, pour com-baltre Lisvart de Grèce, et du cortége mer-veilleux qu’elle avait avec elle.

Ibra avait voulu accompa-ignerla reine du Gaucase; itnais elle. s’arrêla au portnbsp;|de Féline, disant qu’ellenbsp;ttittendraitlA jiisqu’au journbsp;“du cornbat. Et, en efFet,nbsp;elle’s’y fit dresser une tente.nbsp;Zahara continua sa routenbsp;vers^ Trébisonde, oü elle fut rencontréenbsp;par l’empereur, qui, averti de son ar-rivée, venait au clevant d’elle, avec Ienbsp;due d’Alastre, Ie roi Amadis, l’empe-reur Esplandian et plusieurs autresnbsp;princes et seigneurs.

Devantcettebelle et fiére reine, mar-chaieiit, moutées sur des droniadaires, vingt-quatre pucelles vêtues d’un satinnbsp;parfaitement azuré, et toutes ensemble sonnaient,nbsp;les unes de lulhs, les autres de harpes et de vio-lons, avec une harmonie vraiment eéleste.

Deux cents jeunes amazones les suivaient, ar-mées k la moresque, sous tuuiques de satin vert, et portaut carquois dorés eii écharpe, et, au poing,nbsp;fare turquois de pur argent. ïoules avaient la têlenbsp;nue; leur seule coiffure élait leurs beaux cheveuxnbsp;d’un blond doré, qui flottaient comme autant denbsp;soleils.

Deux cents pucelles de Tartarie les suivaient, montées sur de petits cheyaux barbes, et vêtuesnbsp;d’un satin cramoisi cantillé d’or. Elles portaient,nbsp;selan l’usage de Gaspie, pavois et zagayes, Ie ci-meterre et la masse pendant a 1’arQon de la selle.

Quant é Zahara, elle-même, elle élait plus belle que Ie jour, et porlait un accoutrement lissé d’ornbsp;et de soie, et tel qu’on n’en avait pas vu de parednbsp;depuis bien longtemps. En outre, elle avait pournbsp;moiiture une licorne blanche comme neige, qui ca-racolait fièrement, comme si elle eiit compris quellenbsp;merveilleuse beauté elle avait I'honneur de supporter.

Ce ne fut qu’un long cri d’admiration lorsque Ie cortege de la reine du Gaucase fit son entree dansnbsp;la puissante cité de Trébisonde. Hommes et femmes, seigneurs et dames, princes etmanants, n’eu-rent qu une voix pour applaudir, et Ie populairenbsp;surtoiit poussa des hurrahs l'rénétiques c(uand il vitnbsp;apparaitre la belle reine Zahara montée sur sa licorne.

Onolorie et Gradasüée, malgré Ie peu de sympathie qu’elles devaient éprouver a 1’endroit de cette princesse, a cause de Lisvart, ne purent cepen-dant s’empêcher de lui rendre la justice qu’eltenbsp;méritait, et toutes deux furent d’accord pour lanbsp;trouver trés belle.

Zahara arriva devant Ie palais, oü elle avisa 1’en-chantement de la pauvre Urgande, enchantement qu’elle se fit expliquer.

Puis, quand elle vit, sous Ie péristyle, les pein-tures qui représentaient Ie combat de Fulurtin et de Gradasilée centre les deux frères du roi d’E-gypte, elle se fit également expliquer cette aven-ture.

— Me voilé bien embarrassée, dit-elle en sou-riant et en regardant Gradasilée. Si les femmes combattent pour Lisvart, celles qui veulent com-battre centre lui s’exposent é beaucoup trop, carnbsp;c’est un chevalier irrésistible, é ce qu’il me pa-rait... II est vainqueur de tout et partoutt... J’au-rai fort affaire avec lui; mais aussi, j’aurai plusnbsp;grande gloire a Ie vaincre 1...

En ce moment, Lisvart lui-mêmc se présenta devant elle. Zahara Ie contempla avec curiositó etnbsp;fut forcée de 1’admirer saus réserve, car il étaitnbsp;aussi beau comme homme qu’elle était hellenbsp;comme femme.

— Je comprends, reprit-elle toujours en sou-riant, je comprends que 1’impératrice de Babylone ait eu regret d’avoir perdu un chevalier si parfait;nbsp;et je comprends aussi que, Fayant perdu, ellenbsp;tienne a se venger sur celle qui 1’a retrouvé, c’est-a-dire k la faire pleureri

G’est en devisant ainsi que Ia reine du Gaucase fit son entree dans Ie palais du vieil empereur denbsp;Trébisonde,

Gelui ci voulait qu’elle prit part aux fètes qui se donnaient en ce moment pour les épousaillesnbsp;des princesses Onolorie et Gricilerie avec lesnbsp;princes Lisvart et Périon; mais elle s’y refusa etnbsp;(lemanda seulement 1’hospitalité pour elle et sanbsp;suite jusqu’au lendemain, jour du combat.

GHAPITRE XXXIX

Comment Lisvart étant couché avec la princesse Onolorie, la première nuit de leurs noces, etle lui avoua la disparitiounbsp;de son fils Amadis de Grèce.

Zahara était arrivée précisément Ie Jour oü finis-saient les fêtes du mariage des princesses Onolorie et Gricilerie avec Lisvart de Grèce et Périon denbsp;Gaule.

Le soir, après un festin splendide, auquel ne voulut pas prendre part la reine du Gaucase, onnbsp;mena les deux épousées en leurs chambres, oü tót


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38 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

après vinretit les trouver Icurs maris; lesquels, re-tirés selon la coutume, et chacun amp; part avec la sienne, commencèrent les caresses et pracieuxnbsp;traitements en quoi ni l’un ni l’autre n’étaient ap-

Erentis. Puis ils en arrivèrent au point qu’il est si ien défendu aux filles d’honneur de noramer, au-quel il leur est mêine interdit de penser. Et croyeznbsp;qu’alors, Ie lierre ne serre pas plus étroitementnbsp;Ie vieil arbre, que ne s’étreignirent ces quatre nou-veaux mariés qui se caressèrent l’un l’autre, cueil-lant ensemble sur leurs lèvres la douce fleur denbsp;leurs esprits.

Dans l’entre-deux de leurs caresses, Lisvart et Onolorie se mirent a deviser de choses et d’autres.

Bientót, Onolorie soupira et se remua conime une anguille dans ses draps de soie.

— Qu’avez-vous done, ma chère Sme? lui de-manda son mari en la prenant tendrement dans ses bras.

Onolorie ne répondit que par un nouveau soupir.

— Vous m’inquiétezl reprit Lisvart. Seriez-vous malade? Voulez-vous que j’appelle?.,.

— IN^on, mon deux ami, non, murmura la prin-cesse, n’appelez personne, paree que ce que j’ai a vous dire ne doit être connu que de vous et denbsp;moi...

— Qu’est-ce done, raachère amp;me?Est-ce la reine Zahara qui cause ainsi votre souci? N’avez-vousnbsp;plus la même confiance qu’autrefois dans ma vail-lance?... Avez-vous peur que je ne sois vaincu parnbsp;ce chevalier féminin?...

— Non, Lisvart, ce n’est pas tout cela... J’ai la même foi que jadis dans votre courage et dansnbsp;votre adresse... Je sais d’avance que vous fereznbsp;tous vos efforts pour conserver une vie qui m’estnbsp;si précieuse, et que ces efforts seront eouronnésnbsp;de succès... Mon souci vient d’une autre source..,nbsp;Lisvart accola plus tendrement encore sa femme,nbsp;comme pour la rassurer et la forcer a se prononcer.

— Ne me direz-vous pas ce qui vous tourmeiite présentement ? lui souffla-t-il dans un baiser.

Onolorie fit un soupir plus accentué que les pré-cédents; puis enfin elle se décida è confesser son mal.

— Vous vous rappelez, mon doux ami, dit-elle k son mari, les heures ineffables que nous avonsnbsp;passées ensemble, il y a de longues années déja,nbsp;dans Ie verger du palais ?

— Si je me les rappelle, ma chère ame 1 J’y ai toujours pensé avec ravissement, et ce souvenir anbsp;été la consolation de mes heures raauvaises 1...

— Je savais bien, mon deux ami, que vous ne nouviez les avoir oubliées, ces heures de suprèmenbsp;béatitude... Je me les rappelais aussi comme vous,nbsp;Lisvart, plus que vous, belas 1nbsp;— Plus que moi ? C’est impossible !

— Plus que vous, mon doux ami... Pour vous, Ie souvenir do ces belles heures n’était que dansnbsp;votre coBur; pour moi...

Onolorie n’osa pas achever.

Lisvart allait la prier de compléter sa pensée ; naais une lumière siibite traversa son esprit :

^ Vous étiez raère, ma chère ême ?

— Vous l’avez deviné, Lisvart, et je vous re-raercie de ra'avoir épargné une partie de eet aveu...

— nbsp;nbsp;nbsp;Get enfant, qu’est-il devenu ? demanda vive-inent Ie chevalier de la Vraie Groix, heureux d’ap-prendre qu’il avait un héritier, et, en même temps,nbsp;étonné qu’on ne lui en eüt jamais parlé.

— Voilk, mon doux ami, répondit la princesse, oü ma confession devient douloureuse... Ah! sinbsp;Garinde était la, elle nous dirait ce qu’il est devenu !...

— II est mort ?...

— Non, mon doux ami; du moins, tout me dit qu’il vit encore, car j’ai entendu souvent vanternbsp;un jeune chevalier qu’on appelait Ie chevalier denbsp;l’Ardente Epée, et quelque chose me crie en dedans de moi que c’est Ie fils que j’ai perdu...

— Le chevalier de l’Ardente Epée ?...

— Oui, mon ami... Et ce qui me pousse a espé-rer ainsi, c’est que notre enfant portalt sur le corps, en venant au monde, une épée vermeillenbsp;comme feu, laquelle partait de la jambe pournbsp;aboutir k la poitrine...

— Je partage votre espérance, madame, dit Lisvart. Mais ne puis-je savoir comment les choses se sont passées ?...

— Je vais vous raconter ce que je sais, mon ami, répondit Onolorie.

Lors, prenant son courage k deux mains, la belle princesse de Trébisonde raconta k son marinbsp;les détails de son accouchement, I’embarras dansnbsp;lequel elle s’était trouvée pour céler sa gros-sesse, les précautions qu’elle avait dd prendrenbsp;pour faire disparaitre ce témoignage vivant de leursnbsp;amours, le voyage que Garinde avait dü faire aunbsp;port voisin et qu’elle n’avait pas fait, et généralo-ment, enfin, tout ce nous vous avons raeonténbsp;nous-inêmes dans les précédents livres.

Lisvart l’écouta avec une religieuse attention, sans rinterrorapre un seul instant. Qnand elle eutnbsp;fini, il l'embrassa tendrement en lui disant:

— nbsp;nbsp;nbsp;Ayons fiance en Dieu, ma chère kme, vousnbsp;retrouverez ce fils que vous avez tant pleuré, etnbsp;la joie de le retrouver digne de vous et de molnbsp;vous fera oublier les angoïsscs douloureuses qu’ilnbsp;vous a causées.

Onolorie avait déchargé son cceur du poids énorme qui l’oppressait. Lisvart avait pris l’aveunbsp;moins mal qu’elle ne l’avait d’abord supposé. Ge-pendant, elle jugea prudent d'en rester la pournbsp;cette fois, et de ne pas aller plus avant dans cesnbsp;confidences intimes.

Elle se tut done complétement sur la fille qu’elle avait mise au monde lorsqu’elle était prisonnièrenbsp;dans la tour; elle se tut, malgré la tendresse quenbsp;lui témoignait son njari.


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BUZ\NDO-LE-NAIN.

CHAPITRE XL

•n Comment Lisvart de Grèce et la reine Zahara cntrèrent au camp, oü cettc princcsse futnbsp;vaincue.

(^s Ie lendemain, amp; quelques pas du palais impérial, desnbsp;pavilions étaient dresses pournbsp;recevoir les princes et lesnbsp;princesses qui devaient assister au combat entre Lisvartnbsp;et la reine du Gaucase.

Les lices étaient prétes, et les juges du camp amp; leur place.

Zanara parut, montée sur sa licorne et tenant en main son arc d’or. La reine des Sarmates por-tait sa lance, et la reine d’Hyrcanie son épée,

A quelques pas derrière, venait la malheureuse princesse Abra, en longs habits dedeuil. Elle avaitnbsp;quitté, dès I’aube, le port de Féline, oii elle s’c-tait arrêtée, nous I’avons dit précédemment, etnbsp;elle était accourue pour jouir du douloureux spectacle quo devaient luioffrir la bonte et la défaite dunbsp;chevalier de la Vraie Croix.

Pativre chère princesse! Peut-être qu’au fond elle souhaitait qu’il sortit vainqueur de cette luttenbsp;d’ou elle espérait tout haut qu’il sortirait vaincu!nbsp;Le cceur des femmes, princesses ou autres, est unnbsp;gouffre mystérieux oü il ne fait pas bon descendrenbsp;si Ton ne veut éprouver le vertige.

A son tour, Lisvart parut, calme, fier et beau, sur un vigoureux destrier bien fait ü sa main.

Leshérauts d’armes donnèrent aussitot le signal, en recommandant a la foule qui environnalt lenbsp;champ-clos d’observer le plus grand silence, denbsp;ne prononcer aucune parole, de ne faire aucunnbsp;geste, aucun signe qui put troubler ou encouragernbsp;les combattants. Puis, ils allaient jeter la phrasenbsp;sacramentelle, lorsque Lisvart demanda ü parlernbsp;h la reine du Gaucase.

On accèda ü sa demande, et il s’avanca vers Zahara.

— nbsp;nbsp;nbsp;Madame, lui dit-il en la saluant courtoise-racnt, je vous prie de vouloir bien me laisser vousnbsp;poser uno condition...

— nbsp;nbsp;nbsp;Laquelle, seigneur chevalier ?

— nbsp;nbsp;nbsp;C(gt;lui de nous qui aura été désarmé le premier devra s’avouer vaincu par I’autre, sans qu’ilnbsp;soit besoin de passer outre et d’en venir h denbsp;cruelles extrémités... Cette convention vous con-vient-elle, madame?

— Je I’acceptc etm’y soumcts, répondit la reine du Gaucase.

Lors, Lisvart alia reprendre sa place ü I’une des extrémités du champ-clos, et les hérauts d’armes,nbsp;le voyant prêt, et voyant Zahara prêto aussi, criè'nbsp;rent a plusieurs reprises, d’une voix sonore .

— Allez, bons combattants 1 Bons combattants, allez I...

II y eut un frcmisseraent général, surtout parmi les princesses. Onolorie palit, et Gradasilée mitnbsp;la main ü son cceur comme pour en contenir lesnbsp;battements précipitcs.

Et, de fait, il y avait de quoi craindre pour les jours du chevalier de la Vraie Groix. La reine dunbsp;Gaucase était d’une habileté et d’un courage re-marquables, cela se devinait bien. En outre, ellenbsp;avait pour monture un animal précieux dont lesnbsp;mouvements agiles et imprévus étaient bien faitsnbsp;pour déconcerter Ia tactique ordinaire de Lisvart.

Les angoisses de Gradasilée et d’Onolorie failli-rent même être justifiées dès le début du combat, Zahara avait son arc d’or, au milieu duquel étaitnbsp;une flèche acérée et barbelée ; elle visa un instant,nbsp;et la sagette alia, en sifflant, s’enfoncer dans l’écunbsp;du chevalier de la Vraie Groix, qu’elle traversa.

Onolorie poussa un cri, croyant son mari atteint en plein coeur.

II n’en était rien, cependant. Lisvart, surpris d’abord par la promptitude de l’attaque, sc remitnbsp;bientót et fit exécuter k son destrier des évolutionsnbsp;destinées a déconcerter üson tour la manoeuvre donbsp;son adversaire.

Zahara n’eut pas le temps de se servir une seconde fois de son arc. Jugeant d’ailleurs que son épée lui serait d’un secours plus efflcacc, elle s’ennbsp;empara et courut sus ü Lisvart.

Ge dender ne cherchait pas a blesser sa belle adversaire, cela était évident pour tout le mondenbsp;comme pour elle-raême. II n’avait qu’nne pensee:nbsp;il ne voulait qu’éviter les coups mortels qu’ellenbsp;pouvait lui porter.

La reine du Gaucase, un peu dépitée de ces mé-nagements qui lui semblaient humiliants, poussa sa monture avec plus d’énergie ü la rencontre denbsp;celle de Lisvart, s’imaginant cette fois en finir avecnbsp;lui.

Lisvart évita, comme toujours, l’atteinte de son épée; maisil ne put éviter l’atteintede Ia béte quenbsp;montait Zahara, et dont la corne aiguë lui entranbsp;profondéraent dans la cuisse.

La douleur qu’il en ressentit fut extréme. II se cabra un instant, ses yeux étincelèrent, et il levanbsp;le bras. Heureusement qu’il ne l’abaissa pas: lanbsp;reine du Gaucase avait la tête fendue en deux. IInbsp;se contenta, par une feinte habile, de lui enlevernbsp;son épée et de la lui faire sauter k quelques toisesnbsp;de la, sur Ie sol.

Selon leurs conventions, Zahara, désarmée, était vaincue. Aussi en prit-elle son parti de bonnenbsp;grace.

Descendant aussitot de sa licorne, elle alia vers Lisvart et lui tendit la main, disant:

— Beau chevalier, vous m’avez. vaincue : je me rends a votre merci!...

Les applaudissements éclatérent de toutes parts, et les princesses Onolorie et Gradasilée respirè-rent avec joie, malgré le sang qui eoulait de lanbsp;blessure recue par Lisvart, et qui empourprait sonnbsp;harnois et celui de son destrier.

La princesse Abra seule fut raécontente de ce


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bibliotheque bleue.

résultat, bien qu’au fond elle I’eut k plusieiirs reprises souhaite, durant la chaleur du combat. Lis-vart déclaré vainqueur, c’etait une humiliation de plus pour elle; elle se retira aussitót avec ses demoiselles, vêtues de deuil comrae elle, et reprit,nbsp;la rage dans le cmur, le chemin de Féline, ou Za-hara devait bientot la rejoindre.

La lutte terminée et le triomphe du chevalier proclamé, on rentra au palais, oil maitre Hélisabelnbsp;pansa la blessure qu’avait faite la come de la li-corne de Zahara. On la croyait grave, de primenbsp;abord; mais il rassura tout le monde en déclarantnbsp;qu’avant buit jours Lisvart serait en état de re-commencer.

Si Onolorie fut heureuse, il ne faut pas le de-mander.

Elle le fut cependant encore moins que la prin-cesse Gradasilee, qui se réjouissait de ce triomphe comme s’il devait lui rapporter^un brin de gloirenbsp;ou de félicité.

GHAPITRE XLI

Comment iLerfan et Malfadée -vinrent en Trébi-sonde de la part d’Amadis de Grèce, avec le monslre tué par ce chevalier; et de I’arrivdenbsp;en cette m6me cour d une demoiselle étrangère,nbsp;qui demanda congé è I’empereur pour un combat qu’en^reprenait de faire centre tous venantsnbsp;un chevalier inconnu.

lu on ne soit pas étonné 'd’apprendre que I’impera-, trice de Babylone, mécon-tente de Tissue de Taffairenbsp;^qu’el le avait provoquee con-Lisvart, avait envoyé dans toutcsnbsp;les directions des demoiselles chargeesnbsp;de lui trouver un chevalier pour com-battre de nouveau centre cet enneminbsp;si cher.

Or, un matin, pendant que Tempe-reur et sa noble compagnie élaient oc-|Cupésèi deviser de choses et d’autres, ’survinrent deux chevaliers, Lerfan etnbsp;Malfadée, qui demandèrent k parler knbsp;Tempereur de Trébisonde.

— nbsp;nbsp;nbsp;G’est moil leur dit ce prince en se levant etnbsp;en allant courtoisement vers eux. •

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, reprirent-ils, nous avons nom, Tunnbsp;Lerfan et Tautre Malfadée, et nous venons auprèsnbsp;de vous, envoyés par le vaillant chevalier de TAr-dente Epee, pour vous prier d’accepter, avec Tas-surance de son dévouement, ce monstre horriblenbsp;tué par lui.

Et, en disant cela, Malfadée et Lerfan montrè-rent le cadavre de Tanimal fabuleux qu’Araadis de T u., 1nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;le rappelle, dans Tile de

. loTsqu’il faisait sa quête de Buzando.

Ghacun s’approcha avec curiosité de ce monstrei et les dames poussèrent des cris d’effroi, quoi*nbsp;qu’il fut mort et bien mort, tant il était encore me-nacant et epouvantable.

— nbsp;nbsp;nbsp;C’est le chevalier de I’Ardente Epée qui a faitnbsp;cela? demanda le vieil empereur avec admiration.

— nbsp;nbsp;nbsp;Oui, Sire, répondit Malfadée. Il a fait plusnbsp;encore : il nous a délivrés, mon compagnon et moi,nbsp;avec quelques autres. C’est un vaillant homme.nbsp;Sire, quoiqu’il soit bien jeune encore, et, s’il continue comme il a commencé, il ira loin et haul, jenbsp;vous jure!...

— nbsp;nbsp;nbsp;Je le crois d’autant plus volontiers, pour manbsp;part, dit le vieil empereur, que je lui ai denbsp;grandes obligations et que j’ai eu maiutes fois Toc-casion de le voir a Tceuvre... Je regrette beaucoupnbsp;qu’il n’ait pas cru devoir venir lui-merne...

— Il viendra. Sire, n’en doutez pas, répondit Lerfan.

— nbsp;nbsp;nbsp;Je comprends, maintenant, dit k son tour lenbsp;roi Amadis de Gaule, je comprends, maintenant,nbsp;pourquoi le chevalier de TArdente Epée n’a pasnbsp;été exact au rendez-vous qu’il m’avait donné ennbsp;me quittant k Mirefleur... Je comprends et je Tex-cuse de tout mon coeur...

Le griffon monstrueux, témoignage de la victoire du fils d’Onolorie, fut cloué sur Tune des portesnbsp;du palais impérial, et les deux chevaliers, ses mes-sagers, furent traités comme il convenait.

Un peu après, vint une demoiselle inconnue qui demanda d’être introduite auprès du vieux princenbsp;qui régnait en Trébisonde.

— Sire, dit-elle, je viens vous prier de m’oe-troyer une grace...

— Laquelle, demoiselle? répondit le vieil empereur avec la plus grande courtoisie.

— G’est de donner congé k un chevalier pour un combat qu’il entreprend de faire en cette cité centre tous venants, pour Thouneur d’une dame.

— Quel est ce chevalier, s’il vous plait?

— Je ne le connais pas, Sire. D’ailleurs, il pa-rait qu’il veut rester inconnu jusqu’k Tissue du combat, s’il est vaincu.

— Soitl reprit Tempereur. Ma cour est ouverte a tous, et je n’ai jamais repousse une requete denbsp;la nature de celle-ci.

— Je vous remercie, puissant empereur, répondit la demoiselle.

Et, saluant toute la compagnie, elle se retira comme elle était venue.

— G’est encore une menace pour mon doux ami Lisvart! murmura Gradasilée avec mélancolie.

Ceux qui aiment vrairaent ont Tinstinct du malheur k venir.


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BUZANDO-LE-NAIN.

GHAPITRE XLII

Comment la messagêre de la princesse Abra, en quête d’un chevalier, rencontra précisément Amadis de Grftce, qui senbsp;promenait sur Ie rivage, et l’emmena vers sa maitresse.

Amadis de Grèce n’était pas resté dans l’ile de Liea, comme bien vous pensez. 11 s’était mis ennbsp;route avec Buzando, et en raême temps arec Mal-fadée et Lerfan, les Irois prisonniers sauvés par lui.

Quant cl Brisène, elle était partie la première, comme nous l’avons dit précédemment, avec unnbsp;message pour la princesse de Sicile, la belle Lu-celle. Nons en reparlerons en temps et lieu.

Buzando, Malfadée, Lerfan et Ie chevalier de l’Ardente Epée avaient pris port en Trébisonde,nbsp;quelques lieues de Féline, oü étaienttoujours Abranbsp;et la reine du Caucase, avec leur compagnie.

Lk, Amadis avait dépêche Malfadée et Lerfan vers Ie vieil empereur de Trébisonde, en les char-geant de lui porter Ie monstre hideux qu’il avaitnbsp;eu la gloire de défaire en l’ile de Lica. Puis il s’était arrêté pour les attendre et pour se reposer denbsp;ses fatigues de voyage, avant de se remettre ennbsp;route pour aller trouver la belle princesse denbsp;Thèbes, 1’incomparable Niquée.

Une heure après Ie depart de ses messagers, comme il prenait Ie frais sur Ie rivage, car la ma-tinée était amp; peine commencée, il avisa une geiitenbsp;demoiselle qui semblait en quête de quelqu’un ounbsp;de quelque chose.

— nbsp;nbsp;nbsp;Que cherchez-vous done l^i, ma belle enfant?nbsp;lui demanda-t-il courtoisement, en la saluant.

La demoiselle, levant les yeux, l’apercut. Lors, Ie dévisageant des pieds la tête, elle lui réponditnbsp;vivement:

— nbsp;nbsp;nbsp;Ce que je cherche, chevalier ?

— nbsp;nbsp;nbsp;Oui, ma mie, dites-le moi.

— nbsp;nbsp;nbsp;Bien volontiers, mon beau gentilhomme;nbsp;d’autant plus que vous pouvez m’aider k trouver,nbsp;ou je me trompe fort...

— Vous ne vous trompez pas, ma mie, vous ne vous trompez pas... J'aide volontiers quicouque anbsp;besoin d’aide, surtout lorsqu’il s’agit d’une bellenbsp;personne comme vous...

— Vous me trouvez done belle, courtois seigneur ?

— nbsp;nbsp;nbsp;Belle comme Ie printemps, fraiche comme lanbsp;roséel...

— nbsp;nbsp;nbsp;Alors, vous seriez disposé è m’octroyer uunbsp;don?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Du meilleur de mon coeur, ma belle enfant!nbsp;De quoi s’agit-il ?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Prornettez-moi d’aller défier un chevaliernbsp;déloyal et félon...

— Qui vous a fait outrage ?

— Non pas moi, sire chevalier, mais èi une belle princesse k laquelle je suis fidèlement atta-chée...

— Du moment qu’il s’agit de chatier une félonie et de punir une déloyauté, je suis a votre com-raandement, ainsi qu’k celui de la princesse votre maitresse... Comment se nomme-t-elle?...

— Avez-vous besoin de connaitre son nom pour la défendre ?

— Nullement, ma mie, et vous me Ie pouvez cé-ler, si la chose vous plait ainsi. Est-ce tout ce que vous exigez de moi?

— J’exigerais volontiers quelque chose encore, sire chevalier...

— Qu’est-ce done?... Parlez sans crainte : vous savez bien que maintenant je suis votre.

— Eh bien ! il faudrait venir incontinent...

— L’affaire presse-t-elle a ce point ?

— Plus encore que vous ne croyez, sire chevalier 1...

— Conduisez-moi done! Je vais voussuivre.

Amadis de Grèce rentra sous sa teute, s’arma de pied en cap, monta kcheval et suivit la demoiselle,nbsp;qui se félicitait tout has d’avoir mis si vitement lanbsp;main sur le chevalier qu’elle avait regu mission denbsp;trouver.

GHAPITRE XLIII

Comment le chevalier de I’Ardente Epée, introduit par Lydia auprès de la princesse Abra, fut pris pour Lisvart parnbsp;celle-ci.

Is ne tardèrent pas k arriver tons deux a Feline, la -demoiselle et le chevaliernbsp;de I’Ardente Epée.

— Suivez-moi, beau chevalier, dit la demoiselle inconnue k Amadis de Grèce,nbsp;lorsque celui-ci fut descendu de cheval.

Il suivit, et la demoiselle le conduisit sous une tente en velours cramoisi, dontnbsp;elle leva, pour I’introduire, les courtinesnbsp;frangées d’or.

— Eiitroz, dit-elle.

Amadis passa devant et se trouva tout-k-coup en prêsence de la plus belle personne du monde, accoutrée de vètements de deiiil, qui paraissait plongée dans Ianbsp;plus noire des mélancoües.

II s’arrêta sur le seuil, releva la visière de son heaume, et s’agenouilla courtoisement devant cette belle afdigée.

Cette dernière, en I’apercevant, poussa un cri, et, se precipitant vers lui, l’ac-cola avec une tendresse passionnée.

— Ah 1 Lisvart, murmura-l-elle, pk-mée, cher et cruel Lisvart! G’est toi, c’est bien toi que je vois. G’est toi que jenbsp;presse sur mon coeur. Toi qui me fuis etnbsp;que je cherche sans cessel... Toi, monnbsp;tourment et ma félicitêl Toi, 1'objet denbsp;ma baine et de mon amour 1... Te voda! Tu viens


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BIBLIOTHEQUE BLEUE,

t It

vers moi! Viens-tu repentant?... Oui, puisque tu es k genoux I Ah! ce moment me paie de mes an-goisses passées! Je te pardonpe tont! j’oubüetout!nbsp;La mort de mon frère... ta pertidie... ton amournbsp;pour une autre... ton manage avec elle... ton abandon... ton indifférence... ton mf^pris... tout!...nbsp;Ah t cher et cruel Lisvart, tune me quitteras plus,nbsp;maintenant! Tu es ma proie, et je ne te l^cherainbsp;plus !...

Tout en proférant ces mots entrecoupés de sou-pirs, la princesse Abra couvrait de baisers Ic visage du chevalier de I’Ardente Epée, qui, tout troublenbsp;et tout érhvré, lui rendait avec usure ces caressesnbsp;délicieuses, adressées cependant k un autre quenbsp;lui.

Toutefois, la loyauté ordinaire de son caractère ne lui permit pas de profiler de cette aubaine, et,nbsp;au lieu de passer outre, comme il en avait eu unnbsp;instant la pensée et comme la belle princesse denbsp;Babylone s’y attendait peut-être, il g’arracha dou-cement k cette étreinte dangereuse et balbutia, lesnbsp;lèvres encore humides du miel de ces baisers;

— Madame... vous vous méprenez... je ne suis pas celui que vous croyez 1... et je ne sais vraimentnbsp;ce qui me vaut le bénéfice de cette méprise qui anbsp;eu lieu pour la seconde fois...

G’était, en cffet, la seconde fois qu’Amadis de Grèce était pris pour Lisvart. La première fois, onnbsp;s’en souvient, c’était dans Tile d’Argènes, lors-qu’il avait vaincu les enchantements de Zirfée etnbsp;rendu au jour et k la liberté les chevaliers qui dor-maient au fond du tombeau du soudan.

—iVous n’êtes pas Lisvart?... s’écria Abra en se reculant involontairement, quoique, pour elle,nbsp;Amadis eut les mêmes traits charmants et irresis-tibles du chevalier de la Vraie Croix.

— Non, madame, je ne suis pas Lisvart, repon-dit respectueuseraent le fils d’Onolorie.

En ce moment, entra Lydia, la demoiselle in-oonnue qui avait faH rencontre d’Amadis de Grèce et I’avait araenó k Féline sans lui dire oii elle lenbsp;conduisajt.

— nbsp;nbsp;nbsp;Madame, dit-elle, c’estle chevalier que vousnbsp;m’aviez coramandé d’aller quérir et qui a consentinbsp;a m’octroyer le don que je lui demandajs.

Abra avait repris sa mélancolie et sa dignité. Son amour, un instant réveille, venait de s’étein-dre pour faire place k Ia haine.

— nbsp;nbsp;nbsp;OubUfiz, seigneur chevalier, dit-elle k Amadis, oubliez ce que je vjens de vous dire dans unnbsp;moment de folie... C’est ma douleur qui me trouble ainsi Tentenderaent... Ainsi, généreuxinconnu,nbsp;Yous conseutez k prendre ma defense et k me ven-ger d’un outrage que j’aj requsans 1’avoir mérité?

— J’ai prorois, madame, répondit Amadis, et j’ai coutume de tonir ma parole, J’attends votrenbsp;commanderaent,.,

— II s’agit d’aller défier le prince Lisvart, l’hé-ritier du trone de Trébisonde...

Amadis de Grèce tressaillit. Puis, se remettant;

— Mais, tout a fheure, madame... dit-il.

— Oui, je vous deviue, dit vivement la princesse de Babylone. Vous vous étonnez que je veuillo we vengev d’un homme que j’accueillais tout k

ue^ro si tepdrement en vous ?... Ah 1 c’est que eceur est un abime oü luttent deux sentiments bien contra ires, tons les deux aussi éner-giques, aussi vivantsl... J’aime et je hais 1... J’ainbsp;airaé autrefois : je hais aujourd’hui... J’ai aiménbsp;qiiand je croyais être aimé moi-même... Je haisnbsp;aujourd’hui paree, que je me sens méprisée et ou-tragée... Me comprenez-vous, maintenant, sirenbsp;chevalier ?...

— nbsp;nbsp;nbsp;J’ai promis, ma dame, et je n’ai pas l’habi-tude de roentir k ma parole, même lorsque je doisnbsp;me repentir de l’avoir donnée... Mais ce n’est pasnbsp;icile cas, je me hktede 1’ajouter... J’obéiraidonc...nbsp;Envoyez défier Lisvart de la part d’un chevaliernbsp;inconnu.

— nbsp;nbsp;nbsp;Je vous remercie de toute mon ame! s’écrianbsp;Abra avec une sorte de joie sauvage.

CHAPITRE XLIV

Comment la demoiselle d’Abra vint défier Lisvart, et des propos qu’Amadis el lui purent ensemble avant quo d’cnnbsp;venif amp; reffet.

risèan, nous avons oublié de le dire, était arrivée dans fiiiter-valle k la cour du vieil empe-reurdoTrébisonde,oüe!leavaitnbsp;recu 1’accueil le plus bienveil-. laqt, et OU, après avoir raconténbsp;délivrance du chateau denbsp;Lica par le vaillant chevalier de l’Ardente Epée,nbsp;elle avait remis k Lucelle, de la part de ce dernier,nbsp;un message ainsi coneu ;

(( Madame,

« Les dieux disposent de ma vie, mais vous settle disposez de mon coeur. Les nuages qui avaient obscure! notre amour ont-ils disparu? Ai-jc reconquisnbsp;votre estime et votre amitió, dont j’ai été privénbsp;pendant un si long temps?

« J’ai chargé madame Brisène de vous porter cc message, qui ne vous exprimera que fVoidement etnbsp;gauchement les sentiments de repectueuse et vivenbsp;affection que j’ai l’audace de ressentir pournbsp;vous. J’onvie son bonheur : elle va jouir de votrenbsp;divine presence! Elle va vous voir, vous parlor,nbsp;respirer votre air, entendre la musique de votrenbsp;voixl... Moi, pendant ce temps, livré ktous les ha-sards de la Fortune, j’ai l’kpre mélancolie de lanbsp;solitude ; je vis loin de vous! Quand done serons-nous réunis, nous qui sommes si crqellement sé-parés?...

« Adieu, soleil de mes jours et de mes nuitsl.”

« Votre ardent et respectueux esclave,

« Le chevalier ue l’Ahdente Ei'ée . »


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BUZANDO-LE^NAIN. 43

uand les deux adver^aires eurenf aiusi repris leursnbsp;places respectiyes, lesnbsp;i jügés du caipp llrent lenbsp;' signal accoutumé, et ilsnbsp;s’élancèrent avec impé-

Maintenant que nous avons rf^paré cette omission, reprenons notre récit oü uoua l’avons laissé.

Le lendemain de Tentretien d'Amadis de Grèce avec la princesse Abra, une demoiselle de cettenbsp;dernière s’en vint a la cour de l'empereur de Tré-bisonde pourdéfier Lisvart, aunom d’un chevaliernbsp;qui l’accusait de félonie et qui enteudait prom ernbsp;son dire par les aripes, ainsi qu’il y avait été au-torisé quelques jours auparavant par la parole dunbsp;vieil erapereur.

— Ah ! j’avais prévu ce malheur 1 dit Gradasilée.

Lisvart eüt pu refuser, car il n’était pas encore compléteraent guéri de la blessure que lui avaitnbsp;faite A la jambe la eorne de la monture de Zahara,nbsp;et cela malgré les soins et les onguents de maitrenbsp;Hélisabel.

Mais il était dans son caractère chevaleresque de ne jamais reculer devant une menace. On atta-quait son honneur : il se trouva prêt pour le dé-fendre.

Pendant que la demoiselle s’en allait porter sa réponse, il s’en allait, lui, revêtir son heaume, sonnbsp;haubert et le veste de son harnois.

Bicntot on vit arriver un chevalier de fiére tournure, armé d’armes noires et monté sur un vigou-reux cheval ou’il faisait volter avec une gréce in-finic. Quoiquhl vint en ennemi é cette cour hospi-talière, on ne put se défendre d’un mouvement d’admiration h son aspect, tant il avait bonne ap-parence ainsi.

— Sire, dit-il au vieil empereur de Trébisonde, vous m’avez accordé le congé de yenir céans, etnbsp;Lisvart m’a accordé le combat que je demandais aunbsp;nom d’une dame outragéeparlui... Jevousremer-cie de cette bienveillance que je vais essayer denbsp;justifier...

II dit et entra dans la lice, oü ne tarda pas ü le joindre le mari de la belle princesse Onolorie.

Tous deux, une fois en presence, se saluèrent courtoisement.

Les échafauds qui avaient été dressés précédem-ment pour le combat de Lisvart et de la reine du Gaucase existaient encore, et, comme alors, ilsnbsp;étaient garnis d’une foule nombreuse et choisie.nbsp;Toute la compagnie du vieil empereur était la, roisnbsp;et reines, princes et princesses, dames et chevaliers.

Au moment oü le signal de la lutte allait être donné par les hérauts d’armes, le chevalier noirnbsp;s’avanga vers Lisvart, et, le saluant de nouveau, ilnbsp;lui dit;

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire chevalier, il y avait longtemps que je menbsp;souhaitais l’honneur qui m’échoit aujourd’hui : anbsp;savoir celui de me mesurer avec vous... Votre re-nommée est si universelle, votre proqesse si haute,nbsp;que, malgré les occasions glorieuses que j’ai ren-contrées jusqu’ici, j’eusse [pensé n’avoir encorenbsp;rien fait si je n’avais pas essayé ma valeur centrenbsp;Ia vótre...

— nbsp;nbsp;nbsp;Vousparlez trop bien, répondit Lisvart, pournbsp;que je ne m’estime pas trés heureux moi-mome donbsp;cette bonne fortune qui me permet de combattrenbsp;un chevalier tel que vous, du moins tel que vousnbsp;paraissez être... Je regrette seulement que vousnbsp;ayez cru devoir choisir une si mauvaise occasionnbsp;et un si injuste prétexte pour me faire connattrenbsp;votre vaillance...

— nbsp;nbsp;nbsp;Ma parole était engagée, sire chevalier, et janbsp;n’avais pas k réfléchir. A ma place, vous aurieznbsp;agi comme moi, j’en suis sur...

--- Sans doute... Mais il est facheux, je voug lequot; répète, que vous ayez acceptó, paree que vous êtesnbsp;tombé dans un piége tendu 'a votre bonne foi. Vousnbsp;servez la ranoune d’une femme, chevalier... Vousnbsp;venez au nom de la princesse Abral...

— nbsp;nbsp;nbsp;Je viens au nom de la prinoesse Abra, ennbsp;effet...

— nbsp;nbsp;nbsp;G’est elle qui m’accuse de félonie et de dé-loyauté, juste ciel t Elle qui a tramé contre moinbsp;et les miens de si odieuses trahisonsl... Ah 1 toutnbsp;autre, ü ma place, eüt refusé le combat qu’elle sus-citait contre moi pour la seconde fois, car, vousnbsp;l’ignorez sans doute, chevalier, c’est la secondenbsp;fois qu’elle me force ücombattre en champ-clos...nbsp;La première fois, c’était la reine du Gaucase quenbsp;j’avais en face de moi, une vaillante etlnyale reine,nbsp;gagnée a une cause injuste paree qu’il s’agissaitnbsp;d’une princesse, d’une femme comme elle! Cettenbsp;fois, c’est un chevalier inconnu, mais d’apparenoenbsp;vaillante! J’egpère que c’est la dernière. Ja vaisnbsp;faire mon devoir comme jel’ai Mt jusqu’ici, et nulnbsp;n’aura le droit de me reprocher quoi que ce soit...nbsp;Seulement, j'avais besoin de vous dire combien peunbsp;étaient fondés les griefs de la prinoesse de Baby-lone k mon égard... Mgintenant, chevalier, k nosnbsp;places 1...

Et, saluant son adversaire, Lisvart reprit la position qu’il avait avant eet enlretien, et le chevalier aux armes noires en fit autant.

GHAPITRE XLV

Comment Lisvart et Amadl? de Grèee coijibaUi-rent l'un contre l’nutre, et furent sur le point de mourir.

tuosité k la rencontre l’un de l’autre.

Le choc fut terrible, et, dés celte première atteinte, leurs lances k tousnbsp;deux furent brisées comme si ellesnbsp;eussent été quenouilles desapin. Maisnbsp;les deux chevaliers, fepmes sur leijrsnbsp;arcons, n’en fressaillirent pas pournbsp;cela: ils ressemblaient üdeqx rocsim-pavides, malgré l’ouragan.

L’émotion était ailleurs. Elle était dans lo ccBur des dames spectatrices de ce combat


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quis’annoncaUsi bien. Onolorie et Gradasiléetrem-blaient pour Lisvart, et Lucelle, involontairement, tremblait pour Ie chevalier aux armes noires.

Elle ne Ie connaissait pas, certes. Mais quelque chose en elle s’élait remué lorsqu’il avait parunbsp;dans la lice. Elle avait senti, dès ce moment, toutenbsp;son Sme se porter au devant de eet iuconnu, etnbsp;ses yeux ne 1’avaient plus quitté d’une seule minute; si bien que son attention avait été remar-quée, et que Gradasilée n’avait pu s’empêcher denbsp;lui dire avec une certaine amerlume :

— Ce chevalier iioir vous intéresse done bien, madame?... Le connaissez-vous?

— Non, madame, avait répondu la jeune prin-cesse de Sicile, émue et rougissanle. Mais je ne puis m’empêclier d’admirer la fierté de son allurenbsp;et la fouguede son attaque... II y aura gloire pournbsp;Lisvart Cle vaincrel...

— II y aura gloire, sans doute, mais peril aussi, avait répliqué avec trislesse la pauvre Gradasilée,nbsp;qui tremblait toujours qu il n’arrivat malheur anbsp;son bel ami, si lendrement aimé d’elle.

II n’y avait pas que Lucelle qui s’inféressét au chevalier inconr.u. Le prince Fulurlin, dont nousnbsp;n’avons pas eu occasion de parler depiiis le combat qu’il avait soutenu, a-dé de Gradasilée, centrenbsp;les aeiix frères du roi d’Egypte, le prince Fu-lurtin était présent, altiré qu’il avait été, quelquenbsp;temps auparavant, k la cour de Trébisonde, parnbsp;les fètes du mariage des princesses Onolorie etnbsp;Gricilerie.

II suivait avec une attention extréme la marche du combat qui avait présentement lieu, et, anbsp;chaque instant, aux coups que portait é son adver-saire le chevalier aux armes noires, il tressaillaitnbsp;et murmurait :

— C’est lui!... c’est luil... eest lui!...

Les lances des combaltants s’en étaient done allées par trongons, et, avec ces trongons, ilsnbsp;étaient revenus k la charsie l’un centre l’autrenbsp;avecunefuriesanségale. CeUefois,le choc les avaitnbsp;tous deux renversés sous leurs destriers, tellementnbsp;que c’était le plus grand hasard du monde qu’ilsnbsp;n’eussent pas le col rompu.

Les spectateurs les croyaient mnrts, et déjci même Gradasilée s’était pamée de douleur, lors-qu’on les vit se relever, mettre la main aux épéesnbsp;et recommencer le combat, si apre et si furieux

au’en moins de rien la place fut couverte de pieces e hauberts, de lames ue mailles, et rougie en plu-sicurs endroits de leur pur sang.

Néanmoins, tant plus ils continuaient et tant plus leur augmentaient Telfort et le courage, s’en-tretenant amsi tête è tête Tespaee de quatrenbsp;Iieures et plus, sans qu’on put savoir sur qui tom-berait le pire ou Tavantage.

Au bout de ce temps, les deux combaltants étaient criblés d’entames et de blessures, et leursnbsp;écus et leurs hauberts, rompus, démaillés et dé-cloués, leur faisaient empêchement plutót que denbsp;leur servir de remparts.

Le spectacleétait si navrant, que la reine Oriane, la princesse Onolorie et les autres dames quit-volr”*^ place oü elles étaient pour ne plus rien

Gomme ils en étaient en ces termes, la sixième heure de leur mêlée s’approchait. Ils se senfaientnbsp;si exténups et si travaillés Tun et Tautre, qu’ilsnbsp;n’attendaient que le moment de rendre Téme, nonnbsp;sans dure et cruelle vengeance au survivant. Carnbsp;tous deux aspiraieut la victoire, et, pour Tobte-iiir, recommencèrerit mieux que jamais a s’entre-férir et chamailler, avec une tpïle perte de sang,nbsp;que chacun d’eux s’étonnait qu’il en put tant sortirnbsp;de leurs corps. Et, de fait, le sol en était aussinbsp;inondé et rougi que si deux brocards eussent éténbsp;dépouillés et éventrés Ih par les veneurs..

Toutefois, malgré la violence de leurs coups mutuels, malgré leurs armes endommagées, malgré leurs écus en pièces, il y avait encore quelquenbsp;chose qui les tourmeiitait davantage : c’était lanbsp;grande chaleur et les rayons de soleil qui leurnbsp;donnaient k lout moment dans h visière de leursnbsp;heaumes. Tellement qu’ils furent contrainls desenbsp;retirer en arrière, essoufflés, hors d’haleine, appelant au secours dans leur cceur, Tun la Viergcnbsp;Marie et Tautre Jupiler et Mars.

Mais ce repos ne fut pas de longue durée. Tout-a-coup, baissant la têtis, ils se vinreiit de nouveau harper, et ils s’entre-saisirent bras dessus brasnbsp;dessous, tachant de se défroquer et metlre bas, cenbsp;qui leur fut impossible.

Lors, ils lachèrent prise ensemble, résolus é retourner a leurs premières armes.

La uuit survintsur ces enlrefaites, et si obscure, qiTils ne pouvaient plus se guider sur autre chosenbsp;que sur la lueur du feu qui sorlait de Tenchante-ment d’Urgaride-la-Décounue.

Les juges du camp, voyant cela, s’approchèrent d’eux pour savoir leurs inlenlions, et ils leur re-montrérent qu’ils avaient Tun et Tautre fait leurnbsp;devoir, et que Thonneur de combat revenait U’unnbsp;comme i Tautre.

CHAPITRE XLVI

Comment Lisvart et Amadis de Grèce reprirent leur combat aux flambeaux, et comment, sur Ie point de mourir, ils senbsp;reconnurent pour p6re et tils.

n croyait que ces remontrauces des ¦uges du camp allaient avoir une influence favorable sur Tesprit desnbsp;combaltants.

11 n’en l'ut rien. Plus opiniatres aue vieilles mules, pluséchaulfés é leur ruïne que deuxnbsp;reux cerfs en rut, ils dernandèrent des torches etnbsp;des flambeaux.

On dut leur obéir, quoique k regret.

Lors, ils reeommencèrent le combat avec une rage nouvelle, et si cruellement, que la princessenbsp;Abra elle-mème, qui assistait a cette navraiito


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scène, ne put se tenir de raumurer, la larme è 1’ceil:

— Je vois bien que je serai bientót vengée do celui qui m’a oulragée, de celui que je hais etnbsp;que j’aime si violemment, tout è la fois... Mais,nbsp;s’il meurt, je lui tiendrai compagnie dans la mort,nbsp;n’ayant pu Ie faire dans la vie^ et je la suivrai lènbsp;oü il ira, füt-ce au fond des abimes d’enfer 1 S’ilnbsp;en réchappail, je n’aurais plus jamais aucune joienbsp;au coeur 1...

D’autre part, la reine Zahara, qui assistait éga-leraentk cette lutte suprème, disait assez haut au roi Amadis de Gaule, son voisin :

— Sur mafoi, seigneur, je doute grandementde Tissue de cette affreuse mê!ée, car vo IJi je ne saisnbsp;plus combien d’heures qu’ils se tiennent ainsi auxnbsp;abois... Plüt aux dieux qu’il fut en ma puissancenbsp;de les séparer 1

Lisvart eiitendit ce propos. Lors, Ie cneur lui enfla si fort è cette occasion, que, prenant sonnbsp;épée S deux mains, il la déchargea de tout sonnbsp;poids sur la tête de son ennemi, lequel, heureu-sement, para Ie coup avec les débris de son écu.nbsp;Toutefois, Telfort de Lisvart avait élé tel, que sonnbsp;épée, fout en renconlrant Técu de son eniiemi,nbsp;sW alia Ie frapper jusqu’è la coilfe de fer, et Ienbsp;forca k doener du genou en lerre et k avancer lanbsp;mam droite pour s’appuyer.

Lisvart crut qu’il avait, dès lors, Tavantage, et, considérant son adversaire comiae k sa merci, ilnbsp;lui cria :

— Chevalier, maintenant que vous êtes dés-armé, rendez-vousl Autreinent, volre vie est en grand danger et quasi k ma discrétioa !... Rendezvous, vous dis-je, rendez-vousl...

Mais Ie chevalier d’Abra faisait Ie sourd, et sans en avoir semblant, il reculait petit k petit dans lanbsp;direction de la pauvre Urgande. Quand il apergutnbsp;Ik Tépée qu'elle avait k travers Ie corps, il avanganbsp;Ie bras, et s’en saisit, sans se soucier autrementnbsp;feu OU flatnme.

Or, il advint une grande merveille. L’enchante-ment d’Urgaude-la-Décoanue prit subitement llti, et, les dammes qui Teiitouraient s'élevant dans lesnbsp;airs, elle demeura libre et ne ressenlant plus aucune des douleurs qu’elle avait eiidurées pendantnbsp;tant de jours.

Le chevalier noir ne prit point garde k eet incident dont chacun, au contra re, se trou'mit ému, et, tournant sou visage vers Lisvart, désarmé denbsp;tête, il allait le frapper de mort, lorsque la bonnenbsp;Urgande, lui arrêtant le bras, lui cria ;

¦— Amadis de Grèce, voulez-vous done tuer vo-tre pèret...

— Mon père?... s’écria le chevalier.

¦— Oai, volre père, le marl de madame Onolo-Ue 1... Vous êtes quitte onvers celle qui vous avait l^ait venir céans pour le combattre 1...

Gomme Urgande pronongait ces paroles, au milieu de Tétonnernent general, une nuée obscure lt;loscendit subitement sur elle et sur les deux com-battants, et les déroba k tous les regards.

GHAPITRE XLVII

Comment, après la reconnaissance de Lisvart et de son fils, vint celle d’Onolone, qui fut aussi joyeuse qu’Abra élaitnbsp;désespérée.

Tous les spectateurs étaient restés émerveillés, ne sachant plus ce que pouvaient être deveiius cesnbsp;trois personnages, lorsque la nue sedéchira, et onnbsp;les revit entourés de vingt-quatre demoiselles vê-tues de drap d’or et sonnant mélodieuseraent denbsp;différenis instruments.

Au milieu (1’elles était le sage vieillard Alquif.

Teut aussitót Ie chevalier de TArdente Epée mit les deux geuoux en terre devant Lisvart, et, luinbsp;baisant les pieds, il lui dit :

— Seigneur, je vous supplie trés humblement de vouloir bien me pardonner Toutrage que je vousnbsp;ai fait, car je vous promets que je Tai fait bien in-sciemment.

Vous devinez que Lisvart ne le laissa pas long-temps k ses genoux. II le releva, le pressa tendre-ment contre son coeur et le baisa plus de cent fois avec une joie sans pareille.

lis se tinrent ainsi embrassés pendant un long temps, saus ponvoir proférer une seule parole, senbsp;contentintde pleurer de plaisir Tun et Tautre.

Puis Amadis de Grèce fut conduit par son père dans les bras de la princesse Ouolorie, sa mère, quinbsp;faillit en mourir de bonheur.

Lucelle aussi reconnut son ami, et sa félicité ne fut pas rnaigre. Nous la laisserons deviner, plutótnbsp;que d’essayer seulement de la raconter.

Quant au vieil empereur et au bon roi Amadis, ils desceiidirent de Téchafaud pour venir embras-ser Lisvart et son fits, et, après les avoir embrassés, les sachant blesses et faligués, ils les firentnbsp;conduire au palais, oü on lesdésarma etoü Ton vi-sita leurs plaies.

Quant k Abra, elle se tourraentait fort et ferme, criant tont haut que sou chevalier lui faisait tort,nbsp;et mêrae lui jouait la un méchant et lêche tour.

— Car, disait-elle, il n’avait pas le droit de quitter le combat ainsi 1 II me devait apporter la tète de son adversaire ou y laisser la sienne propre I...

Getle grave question fut débattue incontinent devant les juges. Lk, Urgande déclara qu’Araadisnbsp;de Grèce s était engage k combattre Lisvart en tantnbsp;que Lisvart, cestrk-dire étranger pour lui; maisnbsp;que, du moment ou Lisvart était reconnu pour sonnbsp;père, il allait de soi qu’il devait s’arrèter commenbsp;il avait fait.

Le chevalier de TArdente Epée fut, en consé-quence, declaré quitte et absous.

Abra, désespérée, la rage et la mort dans le coeur, se retira avec Tintention d’aller se jeter dans

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BIBLIOTHÉQÜE BLEUE,

la raer; ce qu’elle eüt fait, bien certainement, si la reine du Gaucase ne l’en eüt empêchée et ne Teutnbsp;un peu récoufortée.

GHAPITRE XLVIll

Comment Amadis de Grèce, remis de ses blessures, eut unc conversation amoureuse avec la genie Lucelle.

Amadis de Grèce et Lisvart comraenoaient è se remetlre de leurs fatigues passées, et la joie re-venait k tout Ie monde en la cour de Trébisonde,nbsp;lorsqu’un matin la gente Lucelle s’en alia toute ai-guillonnée trouver son doux ami dans la chambrenbsp;oü (1 était.

II faut vous dire que, la veille, Ie bon roi Amadis de Gaule avait marié son neven Florestan, fils dunbsp;roi de Sardaigne, avec la belle Esclariane, irnpéra-trice de Rome, et que cela avait travaillé, durantnbsp;la nuit, la chère petite cervelle de la princesse denbsp;Sicile, qui avait maintes fois songé au mariage,nbsp;bien qu’elle fut trés jeune.

Done, échauffée un peu plus qu’elle n’avait cou-tume de l’être, Lucelle entra, et, après plusieurs propos, elle dit au chevalier de l’Ardente Epée :

— nbsp;nbsp;nbsp;Je suis étonnée, mon ami, de vous voir encorenbsp;malade... La nouvelle que vous avez apprise tou-chant votre uaissance aurait dü vous guérir com-pléteraent... Je vous en prie, beau sire, faitestousnbsp;vos efforts pour êlre bientót sur pied... afin d’as-sister au mariage de votre cousine Esclariane, quenbsp;l’on a accordée pour femme, hier, è don Florestan...

— nbsp;nbsp;nbsp;Madame , répondit Amadis, ma santé et monnbsp;bien sont entre vos mains ; disposez-en comrne ilnbsp;vous plaira. Bien que j’aie tout lieu de me réjouir,nbsp;puis jue j’ai retrouvé mon père et ma inère, et mesnbsp;autres parents, grands princes et seigneurs, je nenbsp;scrai vraimeut content que par vous seule... Parnbsp;ainsi, je vous supplie humblement de me tenir etnbsp;estimer comrne Ie plus grand et Ie premier de vosnbsp;serviteurs...

— nbsp;nbsp;nbsp;Mon ami, ce que je vous ai promis, je Ie tien-drai; et Je voudrais bien que Ie roi mon père futnbsp;céans afin de vous prouver mon bon vouloir... Cenbsp;que je puis vous dire, c’est que, s’il ne tenait è autre qu’h moi, Esclariane n’aurait pas l’avantagc denbsp;donner plus tót contentement è son Florestan que nenbsp;l’aurait mon Amadis...

Ge propos chatouilla agréablement Ie cmur du jeune chevalier. II en prit mème tant de hardiessenbsp;sur l’heure, que, attirant è soi la jeune pueelle, sanbsp;il lui déroha une infinite de baisers qui lanbsp;troublèrent beaucoup, mais auxquels elle n’opposanbsp;ï'ósistance, n’en ayant ni la volonté ni la

? II est probable que, malgré la pudicité de Tune et rhonnèteté de 1’autre, ils eussent passé outre,nbsp;tant ils étaient affolés et troublés, si 1 une des ré-ceiites plaies du jeune Amadis de Grèce ne s’étaitnbsp;r’ouverte au même instant.

Puis, quelques minutes après, les autres dames survinrent.

A cette cause, Lucelle et Amadis, dissimulant leur appétit, entrèrent en d’autres propos, durantnbsp;lesquels survint Ynéril, son ancien écuyer, lequelnbsp;était resté au service du roi de Jerusalem depuis Ienbsp;jour oü il l’avait laissé en la Montagne Défendue.

Amadis lui demanda Ie récit de ses aventures passées, et Ynéril les lui raconta toutes jusqu’è lanbsp;dernière, qui concernait son arrivée èi Féline avecnbsp;la princesse Abra.

— nbsp;nbsp;nbsp;A propos de cette princesse, ajouta Ynéril, jenbsp;viens de la laisser la plus désolée du monde...nbsp;Quant k la reine Zahara, avant de partir pour sesnbsp;pays, elle entend prendre congé de vous, et c’estnbsp;pour cela qu’clle m’a envoyé céans...

La reine du Gaucase entra, on effet, comrne Ynéril I’annongait.

Amadis de Grèce lui fit l’accueil Ie plus honorable et la pria de s’asseoir et de se reposer un instant.

Zahara prit une chaise de velours et se plaga enlre Ie chevalier et Lucelle.

— nbsp;nbsp;nbsp;Seigneur Amadis, lui dit-elle, je ne vous de-mande point comment vous vous portez, car ayantnbsp;si bonne compagnie que vous avez en ce moment,nbsp;il est impossible que vous puissiez souffrir d’une autre blessure que de celle qu’a dü vous faire au coeurnbsp;cette charmante demoiselle...

Zahara disait cela pour éprouver Amadis, car elle était venue chez lui tout exprès pour Ie tater surnbsp;Ie mariage, Ie jugeant Ie seul chevalier dignenbsp;d’elle.

Mais Amadis, qui ne songeait plus qu’h Lucelle, et qui avait même oublié Niquée, Amadis allait luinbsp;faire une réponse désabusante, lorsque survinrentnbsp;Lisvart et quelques autres gentilshomraes.

La reine du Gaucase n’en dit pas plus long k ce sujet, remettant k une occasion plus favorable Ten*nbsp;tretien qu’elle voulait avoir avec Ie fils d’Onolorie.nbsp;Elle devait partir; elle ne partit pas et retarda denbsp;quinze jours encore son rembarquement.

Au moment oü elle croyait avoir trouvé cette occasion, Amadis étant redevenu tout-a-fait sain etnbsp;dispos, il s’avisa d’aller voir l’impératrice de Baby-lone, pour la raison qui vous sera racontée au cha-pitre qui suit.


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‘I.:

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4t

BUZANDO-LE-NAIN.

CHAPITRE XLIX

Comment Amadis de Grèce, Ie combat tini et !es blessures pansées, alia (rouver la princesse Abra pour la prier denbsp;faire sa paix avec son père.

^radamarte, Garinter, roi de 'j^Dace, don Quedragant d’Ir-'lande et plusieurs autres che-valiers, quittèrent Trébisondenbsp;avec Amadis et s’en vinrentnbsp;aux tentes d’Abra, qui leurnbsp;f ménagea ^ tous une réceptionnbsp;Jionorable.

Le visage de la princesse annongait la tristesse, et lesnbsp;darmes de ses yeux téraoi-'gnaient assez de la grandenbsp;\douleur de son cceur.

Amadis en ent grande pitié, et, s’étant assis prés d’elle, il

lui dit;

— Madame, il faut avec résignation accepter les épreuves que vous octroie Jupiter, et, en vousnbsp;y soumettant, la Fortune changera le tour de la rouenbsp;et vous obtiendrez ce ti quoi vous aspirez. Et pournbsp;dire vrai, vous savez que se vaincre soi-mêmenbsp;tient plus du celeste que de 1’humanité. Gela nousnbsp;est aisésinousyforgons iiotre nature; oubliezdonc,nbsp;je vous en prie, ce deuil qui ne peut que nuirc,nbsp;et prenez de votre mal ce qui doit vous en con -spier. Nefaut-il pas montrer a toute occasion 1’em-pire qu’on a sur soi-même. Je comprends néan-moins que ce vous est un dépit et déplaisir insup-portables de voir lourner au rebours vos projets.nbsp;Mais quoi? Vous ne pouvez commander ^ la des-tinée ni changer le cours de la moindre planête dunbsp;ciel. Puisque tel est le vouloir des dieux, irez-vousnbsp;les corabaltre? Ils ont permis la mort de volrenbsp;frère, ils ont conserve mon père, ils veulent dé-jouer vos entreprises et favoriser les siennes, etnbsp;vous voudriez rompre Fanguille au geuou! Pournbsp;Diou, madame, ne songez plus è lui nuire; vousnbsp;ayez vu comme il est sorti des combats que vousnbsp;lui avez donnés par mon bras etceux d’autres chevaliers. Bornez lè votre ressentiment.

Or, tandis qu’il discourait, Abra, patiënte è l’é-couter, demeurait silencieuse et de temps en temps Poussait des soupirs entrecoupés de larmes ; mais,nbsp;^ ja fm, se remettant Ic mieux qu’elle put, elle luinbsp;ï’épondit :

— Vcritablement, seigneur Amadis, ce que vous uites a quelque fondement; il est aisé è la personnenbsp;saine de conseillcr le malade. Malgré vos bonnesnbsp;Paroles, je ne me sens pas disposée a suivre vosnbsp;conseils, car je persiste si fort dans mon iiiimitiénbsp;contre Lisvart, que, si je ne lui fais perdre la vienbsp;comme je venx, il mourra comme je pourrai.

Amadis fit un mouvement.

Abra reprit :

•— Vous dites qu’il me sera convenable d’obtem-pérer sans murinure au vouloir des dieux; è cela, je réponds qu’ils m’óteront plutót la vie que d’ef-facer de mon esprit ce qui y reste gravé mieuxnbsp;qu’aucune inscription sur cuivre ou marbre. Ju-gez de léde la fermetéetdelarésoluüonde ma conduite. Je n’ignore pas que les décrets des dieux etnbsp;laFortune me sont supérieurs; mais la roue de cettenbsp;deniière étant mobile, elle se pourra tourner quelque jour et m’être autant propice qu’elle m’a éténbsp;contraire. Je Jouerai alors un autre personnage,nbsp;mais ce ne sera qu’après avoir vengé la mort denbsp;mon frère et satisfait mon èrne. Je ne veux pointnbsp;pourtant rompre Fanguille au genou, et n’empioie-rai é ce dessein que les ressources du corps et denbsp;Fesprit. Hélasl amp; la première vue de celui qui m’anbsp;lant offensée, je n’eusse jamais pensé que d amitiénbsp;si grande put sortir une haine si parfaite; je Fainbsp;aimé plus que moi-même, j’ai cherché sa trace etnbsp;sou amour plus que jamais on ne le fera, et main-tenant je le hais plus que la mort, et poursuivrainbsp;sa mine plus que je ne garantirai ma santé.nbsp;Pour finir, seigneur Amadis, ne prononcez jamaisnbsp;devant moi le nom odiaux de eet homrae, dont lanbsp;mort et la ruine ne pourraient être empêchées parnbsp;vos efforts.

Amadis, la voyant dans une pareille colère, se défendit d’avoir voulu la facher et s’offrit de nouveau tl elle pour lui obéir envers et contre tousnbsp;ceux qu’elle désignerait.

Puis il retourna é la viile, oü quelques chevaliers éprouvaient 1’aventure du chêteau; ce qui duranbsp;jusqu’au lendemain,

Olorius, prince d’Espagne, voulut être de la partio. Or, il était serviteur de la'princesse Lu-ciane, qu’il avait aimée beaucoup et dont il avaitnbsp;fait sa dame et épouse.

Ge prince tint contre le chevalier du chJteau pendant quatre heures d’une mêlee atfreuse, etnbsp;ou Ie retrouva étendu sur la place en compagnienbsp;de don Florelus d’Austrie et de Périon de Gaule.

Tous les trois eurent les mêmes succès, et leur courage é la fin éprouva la même défaite.

Le lendemain matin, Gradamarte se mit en jeu et combattit trois grosses heures avant diner, sansnbsp;avancer les affaires plus que les autres; enfin ilsnbsp;firent dresser les tables pendant que Lisvart etnbsp;Amadis de Grèce devaient faire quelques passesnbsp;d’armes; ce dont ils fureat empêchés d’une fagonnbsp;irnprévue.


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BIBLIOTHEQUE BLEUE.

CHAPITRE L

Comment Lisvart et Amadis de Grèce furent em-menés par tromperie hors de la cour.

les chevaliers et dames prenaient place aux environsnbsp;“quot;V du chateau enchantépour retarder l’épreuve que feraitnbsp;Lisvart et è son défaut Amadisnbsp;de Grèce, quand une demoiselle en deuil pénétra dans lanbsp;salie en tenant deux épées richement garnies sus-pendues k son cou.

Elle était de moyenne beauté, mais son regard triste appelait la pitié; deux nains horriblementnbsp;difformes composaient sa suite.

Arrivée devant l’empereur, elle s’écria en san-glotant:

— Seigneurs, écoutez ma plainte, et si vos coeur.s ont quelque pitié, vous m’accorderez votrenbsp;secours. Depuis deux ans je cherche une protection,nbsp;et dans quinze jours expire Ie terme qui m’est dé-volu pour tirer des mains de deux géants cruetsnbsp;mon père et ma mère, destines k être sacrifiés knbsp;une de leurs idoles. Or, ces géants ra ont permisnbsp;de quêter un libérateur; je me suis adressé k unenbsp;miemie tante, grande astrologue et magicienne,nbsp;qui, après raaintes conjurations d’esorits et révo-lutions, k force de livies et de plarictes, m’a ré-pondu que nul autre que les deux meilleurs chevaliers du monde ne pouvaient remédier a monnbsp;ennui, et que force m’était de les chercher et mener aux deux tyrans dans Ie temps désigné. Je luinbsp;demandai quel moyen j’aurais de les pouvoir con-naitre et persuader a me faire un tel bien. Et ellenbsp;me donna ces deux épées, m’assuraut que ceuxnbsp;qui pourraient les tirer du fourreau seraient mesnbsp;hbéraieurs saus qu’autre fut si téraéraire de s’ennbsp;servir, car il ne l’aura pas plutót k la main qu’ilnbsp;sera embrasé et consumé en cendres. Aussi per-sonne ne doit essayer cette épreuve qu’il ne menbsp;jure et promette de m’accompagner partout oü ilnbsp;me plaira Ie conduire, sans qu’il soit permis ayantnbsp;cinq jours k un autre homme de venir k son aide :nbsp;car, autrement, la rédemption de mes parents se-rait tout-k-fait empêchée. Je n’ai pas encore trouvénbsp;ce chevalier, et ceux qui Tont essayé ont été jus-qu’ici aussi subitement embrasés qu’une étoupenbsp;mise en feu. Je vous supplie de me porter aide aunbsp;nom du droit des dames nobles affligées et prêtesnbsp;k mourir de peines et douleurs; la chevalerienbsp;vous en fait un devoir Ie plus tót qu’il vous seranbsp;possible pour prévenir Ie terme qui arrive et di-minue chaque jour mon espoir.

Lisvart, armé de toutes pieces, allait partir pour atlaquer Ie chkteau; après Ie récit de la demoiselle, il dit k son fils:

— On dirait, mon ami, que la Fortune nous ait appelés ensemble k cette expédition dans l’équi-page oü nous sommes. Je vous prie, beau sire, secou-rons cette demoiselle, car il est impossible (si bravoure lui doit aider) que ce ne soit 1’un de nousnbsp;qu’elle réclame.

Amadis fut ravi d’un tel honneur, et toute leur assemblée; la demoiselle parut enchantée, et leurnbsp;présenta k chacun une épée en disant:

— Plaise k Dieu, gentils chevaliers, vous en-voyer l’honneur que mérite votre courage, et k moi Ie contentement que j’en espère! Or, dégalnez knbsp;votre aise et gardez-les comme les deux meilleurs etnbsp;plus loyauxde la terre, sans que, durant ce voyage,nbsp;vous en puissiez porter d’autres.

La perfide, elle ourdissail la trame du filet qui devait les prendre sans déliance.

Chacun d’eux tira son épée, mais avec telle fa-cilité, que chacun en fut étonné.

— Bienheureux chevaliers, dit la demoiselle en embrassant leurs genoux, qui devez me rendrenbsp;mon bien, mon confort et ma seule espérance, jenbsp;vous en supplie, accomplissez ce que vous ra’aveznbsp;promis et k quoi Ie devoir vous oblige.

— Alloiis, répondit Lisvart, nous sommes prêts.

Et ils firent venir de suite leurs chevaux; Gra-das.lée voulut les accompagner, en qualité d’é-cuyère, et bientót, tous en selle, suivis des nains portcurs des deux lames, ils s’avancèrent dans lanbsp;ibrct, sans que nul osat les accompagner ou suivrenbsp;que de 1’oeil.


Mri*. — iBf. 4e BRY etné, botilefert HentperaeMeyM.

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ZIRFEE L’ENCHANTERESSE

GHAPITRE PREMIER

Comment Lisvarl ct son vaillanl fils s'apergurcnt cn route qu’ils avaieut dté odieusement trompds, et quelle douleurnbsp;lut celle de Gradasilde.

L’empereur et les autres chevaliersavaient exigé que tout le monde restat, et on avait laisse s’éloi-gner Lisvart et son fils, ainsi que la bonne Gra-dasilée.

Mais on devait bientot s’en repentir do part et tl autre.

En effet, la troupe avait peine atteint uii quart de lieue, qu’on vit descendre au palais Alquife^nbsp;fille du sage Alquif.

S’adressant au roi Amadis, elle lui dit:

— Sire, mon père et la sage Urgande vous man-dent que cejourd’hui doit être consommée, en cette cour, Tune des plus malheureuses trahisonsnbsp;dont vous entendites parlor ; ils vous prient de nenbsp;laisser sortir d’ici aucun chevalier, pour aucun motif, avant d’autres nouvelles de leur part.

Mais c’était fermer 1’écurie après la fuite des chevaux.

Aussi tout le monde fut-il inquiet quand ils re-connurent cette faute; plusieurs coururent aux armes pour partir au secours, mais Amadis iuranbsp;qu’il préférerait la mort de tous ses enfants pl'utótnbsp;que de trahir sa parole; ce dont on le loua.

10® Série. — 1

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BIBLIOTHEQUE BLEUE

Zahara voyant l?i une occasion de s’attirer la reconnaissance du père et du flls, et donner la rae-sure de son courage, prit la parole :

— nbsp;nbsp;nbsp;Entendez, seigneurs, dit-elle, l’avis qui menbsp;semble Ie meilleur : dans la parole donnée ti lanbsp;demoiselle qui a eramené Lisvart et Amadis, n’ontnbsp;été comprises ni les dames ni les demoiselles. Lesnbsp;hommes ou chevaliers, après cinq jours seulement,nbsp;peuvent s’en mêler. Partant de la, il est certain quenbsp;moi et mes femmes sommes libres de les secourir;nbsp;ce que je ferai ou je mourrai la peine. 11 serailnbsp;désbonorant de laisser ainsi les deux meilleursnbsp;chevaliers du monde donner dans une trahisonnbsp;odieuse.

Et demandant ses armes, elle fit presser sa troupe; Onolorie fit apporter 1’épée de Lisvart etnbsp;pria la reine de la lui rend re.

— Car je me doute bien, dit-elle, que celle qu’on lui a présentée a sa place ne doit être meilleurenbsp;que lintention de la dame qui Temmène. Et cettenbsp;épée détruit les enchantements lorsqu’elle paraltnbsp;nue et dégainée. Par quoi, hdtez-vous, madame;nbsp;sans quoi nous en pourrons avoir froide joie.

— Reposez-vous sur moi, répondit Zahara, je ne m’endormirai pas.

Et prenant congé, elle piqua des deux, suivie de huit OU dix de ses amazones, devangant Ie restenbsp;de ses femmes, qui complétaient leur ajuslement.

Quoiqu’elle galopèt vitement après Lisvart et Amadis, elle ne les rejoignit pas promptement, carnbsp;la demoiselle les faisait diligenter, arpenter la cité,nbsp;la forêt, et les avait amenés dans une plaine cou-verte de lentes et pavilions, défendus par deuxnbsp;géants et dix chevaliers armés et prêts a cora-battre.

Lisvart et Amadis lacèrent vivement leurs heau-mes, et, voulant prendre leurs lances, apergurent les nains et la demoiselle fuyant au galop Ie longnbsp;d’un sentier, ce qui leur fit pressentir une trahison.

Toutefois, considérant qu’ils étaient tenus de combattre, et, que la fuite serait honteuse et sansnbsp;profit, ils firent tête.

Alors, les deux géants s’approchèrent et leur crièrent d’assez loin ;

— nbsp;nbsp;nbsp;Rendez-vous, traitres paillardsl vous alleznbsp;mourir de male mort!

A ce cri, donnèrent sur les deux chevaliers dé-pourvus de glaives, mais qui mirent froidement froidement l’épée è la main. Leurs chevaux furentnbsp;traversés de part en part et roulèrent sous euxnbsp;dans cechoc épouvantable; mais ils furent relevésnbsp;avant que les géants n’eussent parfait leur carrièrenbsp;et tourné bride. Gar leurs chevaux, mal dresses etnbsp;k bouche dure, les avaient emportés loin.

Bientót Amadis et Lisvart furent assaillis des dix autreschevaliers, auxquels ils résislaient vigoureu-sement; mais les géants chargèrent de nouveau, etnbsp;de si prés, que les chevaliers, ne sachant auquelnbsp;entendre, se ruèrent, résolus è périr plutót que denbsp;serendre, sur leurs nombreux adversaires, et bri-sèrent dans leur effort leur épées au-rdessus de lanbsp;garde.

Abandonnés ainsi de toute aide, ils furent pris par dernere, jetés h terre, désarmés de tête, liésnbsp;et troussés sur deux méchants roussins et conduitsnbsp;droit k la marine.

Gradasilée faillit mourir de douleur a ce spectacle; mais l’un des géants vint prendre les rênes de sa haquenée, en lui disant :

— Par Dieu, ma belle amie, je vous traiterai si bien cette nuit, entre mes bras, que vous sereznbsp;dédommagée de l’ennui d’avoir accompagné cesnbsp;deux galants, qui seront désormais étrillés avecnbsp;une certaine paille.

— Traitrel lui répondit-elle, traitre inféme, tu me tireras plutót Ie eoeur du sein que d’avoir jamais part de moi.

— Marche, marche, dit l’autre ; nous verrons bien ce qui arrivera.

Et donnant un coup de béton h Amadis, Ie fit passer devant; celui-ci devint si furieux, que Ienbsp;sang lui sortit par Ie nez et la bouche, et il trouvanbsp;moyen de passer une de ses mains sous les liens;nbsp;puis, avec Ie ganlelet qu’il avait encore, il mou-cha si doucement Ie chevalier Ie plus prochain denbsp;lui, qu’il lui cassa les dents dans la bouche.

Ge qu’il paya chèrement a l’instant rnême, et eüt payé encore plus durement si un secours nenbsp;lui fut arrivé fort è propos.

CHAPITRE II

Comment la reine Zabara secourul Lisvart, Amadis de Grèce et Cradasilde, et, faisantnbsp;carnage de tons les traités, prirent les deuxnbsp;nains et la demoiselle, qu’ils ramenèrent ünbsp;Trébisonde.

-^.„tant accompagnéo seulement de / dix de ses femmes, la reine denbsp;.LCaucase alia si vite, qu’al’en-I trée de la nuit clles découvrirentnbsp;/ 'y*~ les géants emmenaut prisonniersnbsp;Lisvart, Amadis et Gradasilée ;nbsp;elles tressaillirent de joie, et,nbsp;t* après s’être préparées, ellesnbsp;crièrent :

— Traitres I vous allez payer Ie dü de votre lacheté, etn’irez pas plus loin avecnbsp;votre butin.

Les géants tournèreat la tête, et l’un d’eux vint foridre sur Zahara, qui lattendait et lui déco-cha une flèche avec une telle raideur, qu’il futnbsp;traversé de part en part ettomba pour ne plus parlor.

Le second en eut autant; mais Ie trait ricocha et alk tuer le troisième, qui raourut.

Lors, le géant si k propos sauvé piqua des deux k la reine, qui le regut Ia lance au poing; leursnbsp;armes furent enpièces, mais ils se prirent au corpsnbsp;au second tour, et la reine lui fendit proprementnbsp;Ia tête d’un coup de hacbe.

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ZIRFEE L’ENCHANTERESSE.

la forêt, abandonnantles prisonniers; mais les huit autres chevaliers combattirent jusqu’au dernier,nbsp;auquel vint l’idée de venger d’un coup lai et sesnbsp;amis.

II courut droit aux chevaliers, encore liés sur leursmontures, pour les assassiner.

Et cela cut été fait sans Gradasilée, qui, armée de l’écu et de l’épée d’un géant défait, arrêta Ie brasnbsp;du meurtrier par. Ie coup de la mort.

— Enfin, dit-elle tout haut, Fortune ne niera pas que je n’aie pas trois fois sauvé la vie au pèrenbsp;et une fois au fils.

— Par raon Dieu, répondit Zahara, qui avait tout vu et entendu, il semblerait que vous aveznbsp;tenu A m’óter cette gloire, dans l’espoir de vousnbsp;concilier, è vous seule, l’amour du roi Lisvart.

— Chère princesse, reprit Gradasilée, les dieux m’ont donne eet avantage en paiement du vrainbsp;amour que je lui porte.

A ce moment s avangaient, par Ie chemin oü la demoiselle et les nains avaient disparu, cent chevaliers marchant au grand pas, et derrière euxnbsp;une autre troupe de huit ou neuf cents hommes,nbsp;armets en tête et prêts è combattre.

Ils venaient aider aux géants, et bientót nos dames et nos deux chevaliers furent chargés parnbsp;ce quot;ot d’ennemis. Les premiers de la grosse troupenbsp;furent, du choc, mis è bas; mais Ie moment étaitnbsp;proche oü Lisvart, Amadis, Gradasilée et les autresnbsp;femmes devaient succomber au nombre, sans Ienbsp;secours de neuf cents femmes bien armées quinbsp;avaient suivi leur reine, sous la conduite dé cellesnbsp;de Sarmate et Ircaiiie.

Du plus loin qu’il leur fut possible, elles lancè-rent une telle grêle deflèches, suivies d’une charge inattendue, qu’elles bouleversèrent les ennemis.

Gradasilée et Zahara prouvèrent qu’elles n’a-vaient pas Ie bras engourdi.

La nuit tomba sur la défaite compléte des der-niers adversaires, etlorsquela lune annoncaTheure de la retraite et du repos, Gradasilée rnanqua ünbsp;1’appel,

Lisvart se désola de cette absence bien inquié-tante; mais elle arriva peu après, chassant devant elle la demoiselle et les nains, agents de l’odieusenbsp;trahison.

Sachant qu’il y allait de sa vie, la demoiselle se jeta aux genoux des chevaliers et leur demandanbsp;pardon ü mains jointes.

— nbsp;nbsp;nbsp;Si vous me donnez la vie sauve, dit-elle, jenbsp;vous déclarerai, en presence de l’empereur de Tré-bisonde, toute la vérité.

— nbsp;nbsp;nbsp;Damoiselle, répondit Lisvart, mon avis estnbsp;qu’on vous garde jusqu’ü votre justification, et plusnbsp;loin, si vous Ie méritez; mais, coupable, n’espéreznbsp;aucune merci.

Deux amazones la gardèrent, ainsi que les nains.

La troupe se disposa ü se reposer, et les chevaliers remercièrent bien des fois la reine deCaucase et les aulves. Ils s’émerveillaient de la fa§on dontnbsp;on les avait secourus si k propos.

, Or, la coulume des amazones était de rapporler d’un combat, ou d’une victoire, ou d’une bataillenbsp;rangée, chacuue la tête d’un de Icurs ennemis,nbsp;plantée au bout d’uue lance.

Elles suivirent eet usage et n’oublièrent pas les têtes des deux géants, dont on orna Ie char de Zahara.

Puis, vers l’aube du jour, elles revinrent toutes glorieuses k la ville, oü les seigneurs, les dames,nbsp;attendaient dans une peiiie merveilleuse qui senbsp;changea en un délire de joie k la vue des chevaliers délivrés et de la traitresse prison nière.

Cette femme, suivant sa promesse, se confessa ainsi;

— L’on dit, seigneurs, que courte folie est la raeilleure, car, si i’on ne doit pas réussir, on estnbsp;plus vite assuré de la fin; co qui arrive k proposnbsp;pour Ie roi de Grète, mon souverain seigneur; carnbsp;lui, désireux de venger la mort de Sulpicio et denbsp;ses frères, tués par Lisvart, Périon et Olorius, a éténbsp;frappé Ie premier par la première flèche de l’in-vincible reine qui m’écoute.

— Je suis sur, dit Amadis, que vous allez trou-ver moyen cauteleux pour ménager les suites de votre félonie.

— Noble seigneur, continua la demoiselle, j’ai été en effet fourbe et déloyale, mais j’ai servi monnbsp;raaitre. Sachez done que Ie roi de Grète avait millenbsp;chevaliers prêts k Ie seconder, et, sans Ie secoursnbsp;de je ne sais quelles amazones, les deux chevaliers eussent passé la roer et servi d’échange pournbsp;ravoir Ie chateau de la Roque et celui de Hica, dé-robés au roi Mouton, son 1'rère; puis il leur auraitnbsp;tranché la tête pour vous les offrir. Maintenantnbsp;que mon seigneur est mort, si vous voulez vousnbsp;venger, tuez-moi aussitót.

— Voyez'vous, reprit Amadis, comme elle sait encore babiller. Vous n’avez en vous de bon quenbsp;Ie corps pour faire des ceiidres, et, avant que j’aienbsp;bu ni mangé, vous et messieurs les nains, vousnbsp;allez être consciencieusement rótis et brülés.

Et il en fut ainsi, k la grande liesse du peuple et au déplaisir d’Abra, qui voulait s’embarquernbsp;promptement; mais la reine du Gaucase 1’endé-tourna, voulant qu’elle assistat au dénoüment denbsp;la merveille du chèteau, amenée a la cour parnbsp;Lucida.

GHAPITltE III

Comment Lisvart et Amadis de Grèce tentèrent, après tant d’autres, ravenlure du chèteau des Secrets, et commentnbsp;Amadis seul eut l’honneur de la mener è bonne fin.

Nous avons laissé précédemment Ie père et Ie fils prêts k éprouver l’aventure du chkteau ounbsp;avaient échoué Lucencio, Olorius d'Espagne, Flo-relus d’Austrie, Périon de Gaule, Gradamarte etnbsp;plusieurs autres.

Lisvart et Amadis, voulant essayer de faire mieux que ces chevaliers, se miront en l’équipagenbsp;qui leur était nécessaire.

Lisvart désirait commencer Ie premier; il s’ap-

If


* M

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BIBLIOTHEQUE BLEUE.

procha pour sonner la trompe. Mais cela lui fut impossible, ci cause de l’épée qu’il portalt au cöté,nbsp;laquelle ne pouvait souffrir enchantement ennbsp;quelque sorte que ce fut. En consequence, il ennbsp;demanda une autre k l’un de ses écuyers, qui lanbsp;lui apporta immédiatement.

Lors, reprenant la trompe, Lisvart la fit reten-tir si doucement, que c’en était merveilleux. Et quant et quant, trompettes et clairons se mirent anbsp;sonner et è fanfarer, et la porte du chateau s’ouvritnbsp;pour livrer passage a un chevalier de si fiére con-tenance, quo chacun prenait grand plaisir a Ienbsp;regarder.

ïoutefois, Lisvart lui donna tant d’affaires du-rant quelques heures, que l’on supposa que f hon-neur de 1’aventure allait lui revenir, ce qui ne fut pas, car Ie chevalier, reculant toujours petit a petit, fmit par arriver é la porte de son chateau, etnbsp;la, poussa la porte au nez de Lisvart en lui criant:

— nbsp;nbsp;nbsp;Tu as perdu faventurel tu es mariél

Lisvart, marri et dépité au possible, reprit la

trompe et la fit retentir plusieurs fois pour rappe-ler Ic chevalier. Ge fut en vain.

Lors, il quitta Ie jeu et s’alla désarmer.

Vint Ie tour d’Amadis de Grèce. II sonna; Ie chevalier enchanté se présenta, et leur combat com-raenpa. II fut si apre et si rude, qu’après un cha-maillis beaucoup plus long que Ie précédent, Ie chevalier du chateau tomba tout de son long, éva-noui, et depuis, personne ne Ie revit.

Le chateau qu’il gardait était maintenant ou-vert, laissant entrevoir une partie des richesses qu’il contenait, au son d’instrumenls de musiquenbsp;plus mélodieux les uns que les autres.

Une voix fit aussitót entendre cette parole ;

— nbsp;nbsp;nbsp;Bienvenu soit 1’heureux chevalier qui a mérité de donner tin é l’aventuro des Secrets 1

G’est pourquoi Amadis monta les degrés.

CHAPITRE V

Comment Amadis de Grèce entra dans le chateau des Secrets, et des choses merveillcuses qu’ilnbsp;y remarqua.

uand Amadis de Grèce fut dans le chateau, il avisanbsp;la porte d’une chambrenbsp;close, au-dessus de laquelle était cette inscription :

« Gi-gisent les deux vrais amants. Dans leur cendre sont représentéesnbsp;leurs effigies, qui peuvent servir anbsp;éprouver la foyauté des dames et desnbsp;chevaliers. »

Amadis de Grèce, pris d’un scru-jpule, voulut retourner en arrière. Tou-'tefois, il passa outre et ouvrit la porte, fut eni^nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;referma sur lui aussitót qu’il

II se trouvait en un lieu riche et spacieux, plus spacieux et plus riche qu’on ne le pouvait soup-Conner du dehors. Tout était doré, azuré, et peintnbsp;de diverses et incroyablcs peinturcs.

La, par exemple, étaient représentés ceux qui, jusque-la, è des titres divers, avaient le raieuxnbsp;aimé, hommes et femmes : Pénélope, Pyrame,nbsp;Thisbé, Apollidon, Grimanèse, Médée, Florisande,nbsp;Zerbine, Raberhy, Gampingo, Porcia, Zaïr, Abranbsp;et beaucoup d’autres, parmi lesquels Ie chevaliernbsp;reconnut son bisaïeul le roi Amadis de Gaule, sonnbsp;aïeul Esplandian, son père Lisvart de Grèce, ainsinbsp;que leurs femmes. Tous et toutes chantaient etnbsp;jouaient d’instruments harmonieux, tels que har-pes, luths et violes.

Au milieu était un theatre élevé de quatre degrés, sur lequel le Dieu d’Amour se tenait assis on une chaise couverte d’un drap d’or frisé, ayant anbsp;ses pieds le roi Félidès et la reine Aliastre. Get ai-mahle et cruel dieu, les bras élevés, montrait deuxnbsp;couronnes magnifiques qu’il avangait comme s’ilnbsp;eüt voulu les mettre sur les lêtes.

Tant plus Amadis de Grèce les contemplait, et tant plus il y trouvait de quoi s’émerveiller ; car,nbsp;en s’approchant davantage du roi et de la reine, ilnbsp;remarqua qu’ils avaient run et 1’autre Ie cótc gauche transparent comme le cristal, si bien qu’onnbsp;pouvait voir leur coeur battre au travers.

Amadis fut plus étonné encore quand il vit 1’ef-figie d’Aliastre se changer en celle de la priiicesse de Sicile, è ce point qu’il crut que c’était elle quinbsp;était ainsi devant ses yeux. Pour mieux s’en assurer, il se pencha sur son cóté ouvert et se vit lui-même représenté au naturel dans le coeur de Lu-cclle comme dans un miroir. Puis, en se penchantnbsp;plus prés encore pour mieux voir, il reconnut quenbsp;cette effigie n’était rii celle d’Aliastre, ni celle denbsp;la princesse de Sicile, mais bien plutót celle de lanbsp;belle Niquée.

Lors, aiguillonné par un autre branden d’amour, il sentit une telle chaleur en ses entrailles, qu’ou-bliant aussitót Lucelle et tout ce qu’il lui devaitnbsp;de servitude etd’amitié, il s’avanga pourbaiser ten-drement cette adorable effigie.

Amadis se trouva décu ; 1’image cessa de res-sembler k Niquée comme elle avait cessé de res-sembler è Lucelle, et elle reprit ses premiers traits, c’est-a-dire ceux de la reine Aliastre.

— Hélas! soupira-t-il. IlélasI madame I vous montrez bien clairement que je ne mérite pas d’ap-procher de vous, puisque vous vous êtes si soudai-nement évanouie de moi!...

Et, tout confus et désespéré, il reprit le chemin par lequel il était venu et sortit du chateau si tristc,nbsp;si triste, qu’il eüt voulu être mort; ce dont plusieurs', ébahis, lui demandèrent la cause. Maisnbsp;Amadis ne répondit rien autre chose, sinon qu’ilsnbsp;tentassent Taventure et qu’ils seraient témoins denbsp;plus de merveilles encore quo lui.


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Z[RFEE L’ENCHANTERESSE.

GHAPITRE V

Commenl, après Amadis de Grèce, la reine du Caucasc lenta l’aventure du chateau des Secrets, cl de la résolution qu’ollenbsp;piit en sortant.

Geile trisLesse du chevalier de l’Ardente Epée avail aiguillonné la curiosité des autres personnesnbsp;qui élaienl Ih.

La reine du Gaucase, entre autres, brülait de l’en-vie de savoir ce qui pouvait avoir ainsi convulse Ie visage de son bel ami, et, pour Ie savoir, elle pro-fita du seul moyen qui fut k sa disposition, c’est-amp;-diro qu’elle entra résolüment dans Ie palais en-clianté.

Gomme Amadis de Grèce, elle avisa Ie théatrc sur lequel trónait leDieu d’Amour, et, comrnelui,nbsp;s’approcha du groupe formé par Ie -roi Félidès etnbsp;par la reine Aliastre.

A mesure qu’elle s’avancait, Ie roi Félidès chan-geait de visage. Lorsqu’elle fut tout-è-fait auprès de lui, elle poussa un cri d’étonnement.

Elle était devant Ie vaillant chevalier de l’Ardente Epée!

— nbsp;nbsp;nbsp;O mon bel ami 1 murraura-t-elle. Est-ce unenbsp;illusion de mes yeux et de mon cceur si pleins denbsp;vous? OU est-ce bien vous réellement que je vois?

L’effigie qui représentait Amadis de Grèce ne répondit pas, mais elle n’en continue pas moins ènbsp;représenter Ie vaillant fils de la princesse Ono-lorie.

Zahara, ébahie et joyeuse sans rien comprendre a cetto merveilleuse apparition, se pencha sur Ienbsp;eóté gauche de la reine Aliastre, toujours transparent commc du cristal.

Gette fois encore, elle poussa un cri d’étonne-ment, mais il n’eut pas Ie mcme accent de plaisir que Ie premier. Zahara venait d’apercevoir, commenbsp;dans un miroir, les images de la princesse de Si-cile et de la princesse de Thèbes, Lucelle soucieusenbsp;et Niquée joyeuse.

— nbsp;nbsp;nbsp;Que signifie cette double image? murmura-t-elle. Et pourquoi celle-ci se réjouit-elle quaiidnbsp;l’autre a la mine si piteuse?

Zahara connaissait la princesse de Sicile. Quant è la princesse de Thèhes, elle ne l’avait jamaisnbsp;apergue, et elle lui parut ètre une personne plusnbsp;divine que terrestre.

— Je commence è comprendre, murmura-t-elle avec une sorte de mélancolie, en regardant alter-nativement les deux belles effigies. Ge sontces deuxnbsp;belles personnes qui se disputent Ie cceur de cenbsp;beau chevalier, quo rnoi aussi j’aimais, que moi

aussi j’aime encore!... Qui préfère-t-il, lui?... Ge n’est pas la princesse de Sicile, elle est trop affli-gée 1 C’est l’autre, qui a 1’air si joyeux, et qui nenbsp;peut avoir eet air-lè qu’è cause de l’amour qu’ellenbsp;sait qu’Amadis de Grèce éprouve pour elle 1... Maisnbsp;alors, s’il 1’aime, il ne pourra jamais m’airaer,nbsp;moi?... Pourquoi me suis-je ainsi enaraourée denbsp;lui?... Pourquoi, hélas I est-il si parfait 1... Allonslnbsp;il me faut renoncer è ce doux rêve, Ie plus douxnbsp;que j’aie jamais fait!...

La belle reine du Gaucase soupira k plusieurs reprises. Puis elle voulut de nouveau regarder l’effi-gie d’Amadis de Grèce, 1’objet de ses pensees et Ie sujet de ses regrets.

Amadis avait disparu, et les traits du roi Félidès avaient repris la place des siens.

Zahara, étonnée, regarda de même dans Ie cceur de la reine Aliastre. Lucelle et Niquée s’en étaientnbsp;envolées comme deux colombes lasses de perchernbsp;sur la même branche.

Lors, toute songeuse, Zahara sortit de ce palais enchanté. Elle savait désormais tout ce qu’elle vou-lait savoir 1

GHAPITRE VI

Comment Ie roi Amadis de Gaule et Oriane, d’uno part, et, del’autre, 1’empereur Esplandian et Timpérairice safemme’nbsp;tentèrent i\ leer tour l’épreuve du chiUeau enchantd.

Après Amadis de Grèce, ce fut Ie lour de sou bisaïeul, Ie chevalereux roi Amadis de Gaule et donbsp;Bretagne.

Ge bon roi, qui se savait Ie cceur net de la moin-dre peccadille, et qui en pensait autant du cceur de la bonne reine Oriane, entra avec elle dans Ie chateau d’un pas tout guilleret.

Tous deux montèrent sur Ie theatre. Oriane se pcncha sur Ie cceur diaphane du roi Félidès et y vitnbsp;la physionomie douce et sereine du roi Amadis,nbsp;son digne compagnon. Amadis, de son cóté, senbsp;pencha sur Ie cceur diaphane de la reine Aliastre,nbsp;et apercut la tendre et bienveillante figure de lanbsp;reine Oriane, sa digne compagne.

Tous deux alors, attendris, remués par les pen-sées affectueuses qui leur débordaientde 1’ame aux lèvres, se tendirent spontanément la main.

— Ah l madame, murmura tendremeut Ie vieux roi, je songe en ce moment aux belles aventuresnbsp;de ma jeunesse, et je me rappelle que vous y aveznbsp;toujours été mèlée 1 Je revois, comme si c’étaitnbsp;aujourd’hui, la première heure oü j’ai eu Ie bon-heur de vous admirer... Souvenez-vous, madame!nbsp;c’était a la cour du bon Languines, roi d’Ecosse*nbsp;oü vous avait laissée Ie roi Lisvart, votre honoré

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BIBLIOTHEQUE BLEUE.

père... Vous étiez alors surnommée TUnique, S cause de votre raerveilleuse beauté, etmoi, j’avaisnbsp;nora Ie chevalier de la Mer, paree que j’avais éténbsp;trouvé sur les flets, corarae Moïse...

— nbsp;nbsp;nbsp;Ah! interrompit Oriane, je ne savais pas encore qui vous étiez; mais je devinais bien que vousnbsp;deviez être d’une illustre lignée... Aussi étais-jenbsp;heureuse de vous avoir armé chevalier, paree quenbsp;je pressentais la gloire qui allait vous échoir par lanbsp;suite!... Je me souviens du premier combat dontnbsp;je fus témoin... Vous aviez vaincu déjèi Abies etnbsp;vous alliez combattre Dardan... Ah! tout monnbsp;eoeur sauta en vous apercevant! J’eus peur de vousnbsp;perdre avant de vous avoir possédé!...

— nbsp;nbsp;nbsp;Oh! reprit Ie bon roi Araadis, heureux de senbsp;ramentevoir ainsi; oh! les belles heures de féliciténbsp;que je vous dois, madame! Je ne sais plus si j’ainbsp;souffert, éloigné de vous... Alors que jmabitais lanbsp;Roche-Pauvre et qu’on me nommait Ie Beau Téné-breux... Mais je me souviens toujours de l’ineffa-blebonheur que je goütai dans vos bras, k l’abbayenbsp;de Mirefleur, après Ie depart de la demoiselle denbsp;Danemark et de la princesse labile...

— nbsp;nbsp;nbsp;Ah 1 je m’en souviens aussi, murmura ten-drement la bonne reine Oriane... je me souviensnbsp;que, Mabile partie, vous me prites les mains dansnbsp;les vótres comme aujourd’hui, que nos lèvres s’a-vancèrent comme elles s’avancent maintenant, etnbsp;que, h mesare que vous deveniez plus tendre,nbsp;plus pressant, plus éloquent, je me sentais m’éva-nouir comme dans une céleste extase, ainsi que jenbsp;fais en ce moment, oü je n’ai plus cependant quenbsp;Ie souvenir de cette divine félicité...

Oriane se pdmait, en effet, dans les bras de son vieux mari. Un baiser de lui la fit revenir k elle.

Lors, tous deux reprirent, en souriant, Ie che-min par lequel ils étaient venus, et que prirent, è leur tour, leur flls Esplandian et l’impératrice sanbsp;femme.

Ges deux derniers eurent, è tenter cette épreuve, Ie même plaisir que venaient précisément d’avoirnbsp;Amadis de Gaule et Oriane. Esplandian vit dans Ienbsp;eoeur du roi Félidès l’image souriante de sa femme;nbsp;et celle-ci apergut dans Ie eoeur de la reine Aliastrenbsp;l’image honnête d’Esplandian.

Ils s’en revinrent done comme s’en étaient reve-nus Ie bon roi Amadis et la bonne reine Oriane.

GHAPITRE VII

Comment Galaor et la reine Briolanie tentèrent l’épreuve du chftteau des Secrets, ainsi que 1’avaient précédemmentnbsp;tenlée d’autres dames et d’autres chevaliers.

alaor, honteux d’avoir été de-vancé par d’aulres dans cette entreprise, qui avait pour unique but de se prouver mu-tuellement la loyauté des sentiments amoureux, Galaor pritnbsp;la reine Briolanic par la mainnbsp;et s’avanqa avec elle vers lanbsp;porte du Palais Enchanté.

Ils marchaient tous deux du pas léger d’autrefois, et leursnbsp;belles années semblaient ennbsp;ce moment refleurir dans leursnbsp;coBurs émus.

Ils regardèrentd’abord avec curiosité les richesses et les somptuosités de ce sé-jour. Les peintures qui ornaient les murs arrêtè-rent un assez long temps leur attention. Puis enfin,nbsp;Ie Dieu d’Amour, sur son estrade, les attira è lui.nbsp;lis alièrent!

La douce reine Briolanie se pencha sur Ie eoeur diaphane de la reine Aliastre, et y distingua unenbsp;foule d’images de femmes, toutes belles et jeunes,nbsp;mais toutes mélancoliques au possible.

— Ce sont lè vos amoureuses d’autrefois, ó mon beau Galaor 1 murmura-t-elle. Le nombre en estnbsp;si grand, que je ne les puis compter... Elles ontnbsp;toutes Pair de vous regretter... Vous leur avieznbsp;probablement donné des raisons de le faire, 6 tendre ravisseur de coeursl...

Briolanie eüt été mécontente, peut-être, si elle eüt apergu sur ces visages de délaissées une galténbsp;provoquante, un sourire, une joie. Mais ellesnbsp;avaient toutes si piteuse mine, que cela la renditnbsp;toute aise 1

Galaor, de son cöté, en s’approchant de la reine Aliastre, qui avait pris aussitöt les traits de sa mienbsp;Briolanie, s’était aperqu dans le eoeur de celle-ci,nbsp;en compagnie d’un autre, lequel était son frèrenbsp;Amadis de Gaule. Seulement, autant il y était re-présenté souriant et gai, autant Amadis y étaitnbsp;représenté marmiteux et mélancolique.

— Ah! murmura-t-il, ma douce et belle Briolanie, vous m’avez été infidèle! un autre a été pré-féré h moil... Vous n’avez plus le droit de m’ac-cuser de légèreté et d’inconstancel... Nous sommes k deux de jeu 1...

La reine Briolanie ne put s’empécher de rire d’entendre Galaor parler ainsi.


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ZIRFEE L’ENCHANTERESSE


— II lie vous sied pas, mon doux ami, lui dit-elle, d’etablir une comparaison pareille, car je n’ai jamais aimé d’autre homme que vous... Quantnbsp;amp; votre frère Ainadis, je vous ai toujours coufessénbsp;la tendre amitié que j’avais congue pour lui... etnbsp;je ne pense pas que ce soit kvous de m’en fairenbsp;reproche : c’est une chaste et pure amitié...

Tout en devisant ainsi, Galaor et Briolanie ou-bliaient le temps; ils revivaient dans le passé!

Dependant, ils se décidèrent a quitter ce lieu d’encliantement, et, au moment ou ils descen-daient les quatre degres de I’estrade, le roi Félidèsnbsp;et la reine Aliastre reprenaient leurs effigies.

Galaor et Briolanie sortireut.

lorsqu’elle remarqua qu’elle avait les yeux rouges A force d’avoir pleuré, et qu’elle semblait plongéenbsp;dans une tristesse mortelle. Gela la réconforta, etnbsp;elle no voulut pas êlre cruelle pour ce passé dontnbsp;il ne restait que de pitoyables tracés dans le coeurnbsp;de son mari.

Lors done, elle et lui, se tenant par la main cornme aux belles heures de leurs amoureux ren-dez-vous dans le verger du jardin de 1’empereurnbsp;do Trébisonde, regagnèrent la compagnie, heu-reux d’avoir tenté cette épreuve.

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D’1



GHAPITRE IX

GHAPITRE VIII

n\

Comment Gradasilée, d’abord, puis la princesse de Sicile, tentèrent l’épreuve du chateau magique, et des impressions différentes qu’elles en ressentirent.

Comment l’épreuve fut tentée par don Florestan et sa femme, par 1’impératrice Esclariane et sonnbsp;ami, par Lucencio et Axiane, par Onolorie et Lis-i vart, et par Gricilerie et Périon de Gaule.

friolanie et Galaor une fois de retour parmi la compa-) gnie qu’ils avaient qnittée,nbsp;ce fut è qui continueraitnbsp;I maintenant fépreuve qu’ilsnbsp;avaient si bien réussie, anbsp;, en juger par leur conten-^ tement extérieur.

De fut d’abord le tour de don Florestan et de sa femme.

Puis celui de fimpératrice et de son

Puis celui de Lucencio, fils de Gri-cilerie, et de finfante Axiane.

Puis celui de Lisvart et de la princesse Onolorie.

Aucun d’eux ne se trouva un seul défaut de loyauté. Tons se prouvèrent une fois de plus qu’ilsnbsp;étaient dignes de s’aimer. Tous, par conséquent,nbsp;sortirent du chAteau des Secrets, le visage rayon-nant comme le coeur.

Quand ce fut au tour de la belle princesse Gricilerie et du vaillant chevalier Périon, il n’y eut pas tout d’abord la même joie, paree que la princesse de Trébisonde, en consultant le coeur du roinbsp;Félidès, lequel avait le visage de sou mari, s’apernbsp;cut qu’il y avait une aulre dame qu’elle.

Vous devinez qu’il s’agissait de la belle duchesse d’Autricbe, celle-lk même qui avait un goüt sinbsp;particulier pour les parties d’échecs et surtoui;nbsp;pour les annexes de ces parties-la.

Gricilerie ailait reprocher A Périon les bons trai tements qu’il avait regus de cette bonne princesse

Onolorie et Lisvart, puis Gricilerie et Périon, n’avaient pas craint d’entrer dans le chAteau desnbsp;Secrets. La belle et bonne Gradasilée voulut y en-trer a son tour.

Elle avait la conscience en repos : elle marcha d’un pas ferme vers le théatre élevé au milieu denbsp;ce lieu magique, et se pencha sans effroi sur l’iraagenbsp;du roi Félidès, qui ressernblait a Lisvart de Grèce,nbsp;et dans le coeur duquel il n’y avait qu’une figure,nbsp;celle de ia princesse Onolorie.

Elle en fit aulant pour la reine Aliastre, qui avait pris A son approche les traits d’Onolorie,nbsp;et dans le coeur de laquclle elle n’apergut qu’unnbsp;visage, celui de Lisvart.

— Ils s’aiment l’un l’autre d’une égale fagon, murmura-t-elle. C’est bien 1...

Puis, toute réjouie par cette bonne peusée, elle se retira pour permettre A la princesse de Sicilenbsp;d’entrer.

Lucelle était seule. Elle s’avanga timidement, se pencha sur le roi Félidès et reconnut en lui lesnbsp;traits de son cher Amadis de Grèce, ce qui la réconforta d’abord au possible. Mais lorsau’elle re-garda dans son coeur diaptiane et qu’elle y avisanbsp;l’elfigie de Niquée, princesse de Thèbes, son jeunenbsp;front se couvrit de nuages et ses yeux s’empli-rent de larmes involontaires.

— Quelle peut être cette beauté si parfaite? niurmura-t-elle avec amertume. Cette princessenbsp;est aimée de vous, chevalier de l’Ardente Epée,nbsp;puique, au lieu de raon image, c’est Ia sienne quenbsp;je trouve en votre coeur!... Pourquoi m aviez-vousnbsp;done juré un éternel arnour?... Et quelle est donenbsp;votre éternité, A vous autres hommes ? Un jour,nbsp;uiie heure, un moment!... Ah ! sans doute, vousnbsp;étiez sincère lorsque vous me pressiez dans vosnbsp;bras contre votre poitrine, la nuit oü nous nousnbsp;trouvioiis sur la mer en furie, dans cette frêle barque, qui menagait A chaque instant de s’englou-

«l|


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BIBLIOTHEQUE BLEUE.

tir... Sans doute vous étiez sincère... Satis doute vous m’aimiez... Ohl alors, pourquoi la barquenbsp;ne s’est-elle pas entr’ouverte? Pourquoi la mernbsp;ne nous a-t-elle pas engloutis l’un et 1’autre, em-paradisés comme nous l’étionsl... Les flots nousnbsp;auraient servi de ccuche nuptiale, et j’auraisnbsp;éprouvé, pour ma part, une apre et poignante vo-lupté a mourir ainsi, coeur centre cceur et lèvresnbsp;centre lèvres!.,. Dieu ne l’a pas voulu : que sanbsp;volonté soit faite! Je me résignerai désorraais...nbsp;Et puisque Ie chevalier de l’Ardente Epée ne veutnbsp;pas de moi pour amante, je demanderai k Christnbsp;de me recevoir comme épouse 1...

Gela dit, et avec la plus poignante amertume. Ia pauvre Lucelle essuya ses yeux humides denbsp;larmes écres, et sortit de ce chateau maudit quinbsp;lui avait révélé une si cruelle vérité.

En la revoyant ainsi mélancolique, Amadis de Grèce devina tout ce qui avait dü se passer, et ilnbsp;s’en attrista lui-même davantage. De même quenbsp;Lucelle avait maudit Ie chèteau des Secrets, ilnbsp;Ie maudit ainsi que la demoiselle qai l’y avaitnbsp;amené.

II était tard, la reine du Gaucase paraissait dé-sireuse de se retirer sous sa tente : on jugea l’épreuve terrninée pour ce jour-lè.

Abra, alors, la voulut tenter, mais avec compagnie, ayant peur toute seule.

— nbsp;nbsp;nbsp;Gela vous est facile, lui dit Zahara ; metteznbsp;un crêpe noir è votre visage afin de n’être pasnbsp;reconnue, et faites-vous accompagner par un denbsp;vos chevaliers.

Abra allait suivre ce conseil, mais, ayant ré-fléchi, elle remit l’entreprise au lendemain.

Au même instant, une inscription se grava, sans qu’on süt comment, sur la porte du chateau en-chanté, entrela harpe et la trompe.

Voici ce qu’elle disait :

« Tous ceux qui voudront désormais tenter cette aventure devront, Ie chevalier sonner de lanbsp;trompe, la dame ou la demoiselle jouer de la harpe.nbsp;Et que personne ne soit assez hardi pour remuernbsp;ce chateau du beu oü il est, avant que la plus bollenbsp;et la mieux accomplie Ie fasse enlever dans lanbsp;Tour de TUnivers, car, jusque-lè,ildoit demeurernbsp;ici. »

— nbsp;nbsp;nbsp;Voilé, dit l’empereur, un trés bon avertisse-ment. Allons souper, et demain comme demain,nbsp;nous verrons ce qu’il en adviendra.

On soupa, et, vers la fin de la soiree, chacun se retira pour aller dormir.

Mais jamais, ni Amadis de Grèce ni Lucelle ne purent fermer l’ceil, k cause des raisons d’in-somnie qu’ils avaientl’un etl’autre.

CHAPITRE X

Comment l’impératrice Abra éprouva 1’avcnlurc du chateau.

Le lendemain, après Ie repas des princes et seigneurs, des dames et demoiselles, l’impératricenbsp;Abra, escortée d’un seul écuyer, parut dans losnbsp;atours d'une dame de haute race.

Elle marcha droit au chateau et prit la harpe, dont elle tira des sons harmonieux; bientöt lanbsp;porte s’ouvrit pour lui donner passage et se refermanbsp;sur elle.

Ses yeux parcoururent les peintures murale.s des amants, et elle arriva tout auprès de Zaïrnbsp;exprimant sur un luth ses souffrances d’amour.nbsp;Elle s’adressa k cette image etl’assura de son des-sein de venger la mort funeste dont il avait éténbsp;frappé.

Le prince Zaïr resta muet et continua de modder de tristes accords.

Abra passa outre et gravit les appartements oü se trouvaient les effigies du roi Félidès, de la reinenbsp;Aliastre, et même celle du jeune Gupido, sur quinbsp;elle se vengea du silence de Zaïr.

— Ah! ah ! sire Cupido, lui dit-elle, ceux qui n’ont éprouvé votre pouvoir n’en connaissent pasnbsp;l’étendue 1 Que ne prenez-vous un nom plus conforme k vos oeuvres? Ou bien, que ne restez-vousnbsp;simplement dans vos attributions? Pour moi, vousnbsp;êtes le dieu d’inimitié et d’ingratitude, et les au-tres divinités ont grand tort de laisser dans vosnbsp;mains une semblable puissance. Mon frère n’est-ilnbsp;pas votre victime ? Mais pourquoi parler raison énbsp;qui n’en a point ? Ah ! si les yeux vous furent bandés, ce fut afin de rejeter vos crimes sur unenbsp;cécité préméditée.

Après cette harangue, elle apergut Lisvart de Grèce, auquel elle ad^ressa des plaintes amères surnbsp;son amour et sa vengeance; elle s’abandonna jus-qu’è lui dire ces paroles enflammées ;

— Malgré vos dédains, Sire, et quoique votre oreille soit restée sourde k mesdoléances, vous nenbsp;serez pas si cruel que de me refuser ici un baiser?

Et aussitót elle se baissa pour joindre sa bouchc a celle de Lisvart; mais le roi était devenu statuenbsp;de marbre. Elle fit un pas en arrière toute hon-teuse de ce prodige, et le roi redevint vivant.nbsp;Désappointée de cette moquerie, elle ne put s’em-pêcher de lui dire :

— Vraiment, Lisvart, vous m’en voulez bien, ou n’êtes-vous que l’instrument de ce dieu cruel, dé-sireux de se venger de mes propos ; mais je ne rncnbsp;rebuterai pas.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;.

Et regardant au coeur de 1 effigie, qui était dia-phane, elle y apercut Onolorie.


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ZIRFEE L’ENCHANTERESSE.

Ge qui la transporta de fureur et d’invectives centre ces traitres qui se liguaient au dieu Gupidonnbsp;peur la torturer vilainement.

Elle regarda Aliastre, qui se transtorma comme Ie roi, et, désolée, elle quitta Ie chateau précipi-tamment; Tharmonie et les chants se turent aveenbsp;elle.

Sans séjourner dans la ville, elle reprit Ie che-min de ses tentes; mais elle ne put Ie laire si habi-lement qu’on ne sut, par quelques indiscrets, qui elle était.

D’autres encore, après cette fuite, éprouvèrent l’aventure, et l’on continua les divertissements.

Au milieu dun de ces bals, Amadis aborda Lucelle la dédaigneuse, dans un endroit écarté,nbsp;et lui dit gracieusement:

— Madame, je ne sais en quoi je vous ai déplu OU offensée, car je vous aime follement; foi denbsp;chevalier, ne me faites si mauvais visage, car vousnbsp;verriez célébrer mes funérailles en même tempsnbsp;que les noces de mon père et la reconnaissancenbsp;ae son fils.

— Seigneur Amadis, répondit-elle, il est inutile de faire ici grand étalage pour une petite passion ;nbsp;contentez-vous de votre déloyauté, sans espérernbsp;que je demeure trompée plus longtemps.

Amadis comprit, mais feignit de penser ii un motif différent.

— Madame, répondit-il, que voulez-vous dire? Gertes, mon coeur ne montre que ce qu’il renfermenbsp;réellement, et je Ie trouve trop étroit même pournbsp;loger la moindre des perfections dont vous aveznbsp;tout un écrin.

— Amadis, reprit-elle, vous avez faussé la loi du Seigneur; vous vous êtes méconnu et m’aveznbsp;méconnue en dormant votre amour un autrenbsp;demoiselle.

— Par rna foi, madame, fit Amadis, je ne vous accorderai pas cela; et si je vous ai trompée, jenbsp;I’ignore et ne sais avec qui; j’en jure par tous lesnbsp;dieux 1 Vous avez tort, et loyaute ne fut jamaisnbsp;plus entière et certaine que celle que je vousnbsp;porte. Venus seule a parlagé nos baisers et nosnbsp;propos; elle seule peut vous être comparée, biennbsp;que, déesse, elle ait sur vous, creature humainc,nbsp;l’auréole céleste.

Amadis amena finement cetle Vénus sur Ie tapis de la conversation, car Lucelle y fut prise et donnanbsp;créance aux paroles de son amant. Etait-ce naïvenbsp;bonté ou quelque chose de moins qu’on appellenbsp;sottise? Les dames jugeront.

Abra étant embarquée avec la reine du Gaucase pour retourner en Babylone, la princesse Lucidanbsp;Vint supplier Amadis de Grèce de tenir sa promesse.

— En bonne foi, madame, répondit-il, je suis pret quand il vous plaira.

La compagnie voulait Ie retenir, mais comprit qu’il ne pouvait s’excuser, et, ê cinq jours de lè, ilnbsp;partit sans emmener Gradamarte ni ses deuxnbsp;écuyers, Voéril et Ordan.

GHAPITRE XI

Comment Ie sage Alquif et Urgande-la-Déconnue furent en-levós par Zirfée I’Enchanteresse, qui les conduisit voir la gloire de Niquée.

n jour, comme Ie sage Alquif et la bonne Ur-gande se promenaientnbsp;.sur Ie rivage de la mer,nbsp;a quelque distance de lanbsp;cité de Trébisonde, ennbsp;; compagnie de Ia demoi-.selle Alquife, ils virentnbsp;'descendre des nues etnbsp;s’arrêter devant eux unnbsp;char étincelant, trainénbsp;par deux énorm es grif-_nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;fons.

G’était la monture ordinaire de Zirfée l’En-chanteresse.

Et, en effet, la reine d’Argènes ne tarda pas èi descendre de ce char et h s’avancer vers Urgande-la-Déconnue et vers Ie sage Alquif, qu’elle saluanbsp;en ces termes:

— nbsp;nbsp;nbsp;Puissants magiciens, je viens k vous en amienbsp;après avoir été centre vous comme ennemie... Jenbsp;veux être désormais de votre ligue, paree que vousnbsp;êtes les auxiliaires des princes chrétiens, lesquelsnbsp;ont promis k Axiane, ma fille, de la secourir pournbsp;la conquête de Babylone. Par ainsi, n’ayez plus denbsp;defiance et venez avec moi!

Le sage Alquif et la bonne Urgande entrèrent dans le char, è cöté de Zirfée.

— nbsp;nbsp;nbsp;II s’agirait, cependant, fit observer Urgande,nbsp;d’avertir les princs de noire depart...

— nbsp;nbsp;nbsp;C’est juste, répbndit Zirfée. Eh bien! que nenbsp;chargeons-nous Alquife de ce soin?

La demoiselle Alquife allait s’éloigner. Elle fut rappelée, et on ia chargea du som de prévenir lesnbsp;princes chrétiens du depart de son père et de sonnbsp;amie Urgande en compagnie de Zirfée FEnchan-terössG.

Gette recommandation faite, les griffons enle-vèrent le char étincelant, qui se perdit bientót dans

les airs. nbsp;nbsp;nbsp;^

Au bout de quejque temps, il s arreta devant le lieu oü était la gloire de Niquée, et chacun desnbsp;trois voyageurs descendit.

Pis ne furent pas plus fêt entrés dans ce palais étincelant de lumières et retentissant d’harmoniesnbsp;que le sage Alquif et la non moins sage Urgande’nbsp;aiguillonnés, entrainés malgré eux dans le tour-billon des danseurs et des danseuses, se mirent è


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10 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

faire comme eux et S former des guirlandes vi-vantes.

Ge qui fitbeaucoup rire Zirfée.

— Oh! oh! leur dit-elle, que faites-vous done la? G’est bon pour des jeunes gens comme ceuxnbsp;qui soiit la, mais non pour des vieillards tels quenbsp;vous êtes!

— Je ne sais pas cela, répondit Urgande, mais croyez, madame, que je ne fus jamais plus k monnbsp;aise et que je voudrais bien parachever ma vie ennbsp;ce plaisir, tant je redoute d’avoir pis. Au raoins jenbsp;ne serais pas seule. et sans joyeuse compagnie...nbsp;car je vois la bon nombre de dames et de chevaliers qui n’ont guère en leurs têtes plus de soucinbsp;que je n’en avais naguère.

— Ge sont, dit Zirfée, ceux qui, par leur loyauté et prouesse, ont mérité de voir la gloirc de Niquée.

— Véritablement, madame, reprit Urgande, je confesse que Niquée est la plus belle que l’on sau-rait désirer, et que celui qui l’aura pour femme senbsp;devra tenir pour Ie plus fortuné entre les plus heu-reux de son temps.

— Vous parlez bien, dit Zirfée; mais ce ne peut être si tót... Plusieurs jours passeront avant qu itnbsp;en vienne k ce point, car il n’est pas raisounablenbsp;que l’on ait en cette vie mortelle gloire et reposnbsp;ensemble; ceux-lti seuls lont qui, piar grand travail et avec Ie temps, méritent de 1’acquérir. Or,nbsp;voyez maintenant Ie miroir que tiennent ces demoiselles devant Niquée, et vous remarquereznbsp;qu’elle est en telle perfection de plaisir commenbsp;vous étiez vous-même naguère, au temps de lanbsp;primevère 1...

Alquif et Urgande regardèrent dans la glace et y avisèrent dedans Amadis de Grèce, aussi au naturel que s’il y était vivant.

— Voila ce que c’est que de trop aimer 1 reprit Zirfée. Elle n’a de bien et de contentement qu’a Ienbsp;conterapler. Pour vous Ie mieux prouver, examine?,nbsp;bien la coutenance qu’elle va faire k cette heurenbsp;oü je m’en vais me meltre entre eux deux!

Zirfée fit comme elle venait de dire. Mais aus-sitót que Niquée eut perdu la présence de son ami, elle commenga si fort h pleurer et é senbsp;plaindre, qu’il serablait qu’elle endurat un malnbsp;insupportable.

— nbsp;nbsp;nbsp;Hélasl murmura-t-elle, c’est peu de la gloirenbsp;que j’ai eue jusqu’a cette heure, puisque, séparénbsp;présentement de ce que mes yeux dévoraient sansnbsp;cesse et de ce que ce miroir ne se lassait jamaisnbsp;de me représenter, je souffre pire mal quo lanbsp;propre mort!...

Toutefois, son martyre ne fut pas de longue durée, car la reine d’Argènes se retira d’entre ellenbsp;et lui. Niquée eut la jouissance du miroir commenbsp;auparavant, et elle reprit son bon visage et sanbsp;gloire accoutumée.

— nbsp;nbsp;nbsp;Par mon Dieu! dit Urgande-la-Déconnue, jenbsp;n’eusse jamais pensé qu’Amour se püt ainsi jouernbsp;des personnes raisonnablesl...

Gela dit, tous trois descendirent les degrés et regagnèrent leur char et leurs griffons.

— J’ai voulu, dit Zirfée, vous récompenser en partie du travail que vous avez eu a me suivre.nbsp;lt;1 espere et je veux, avant que nous ne nous sépa-rions, parachever une entreprise telle quo la po^nbsp;térité en parlera tant que Ie monde sera monde!nbsp;Par quoi, rentrons dans notre char et suivonsnbsp;notre dessein!...

Ils n’étaient pas plus tót assis, que les griffons fondirent Pair de leur vol rapide et les portèrentnbsp;en Ia cité de Niquée, oü était Ie soudan, qui lesnbsp;regut de trés bon cceur, espérant que, par Ie sa-voir de sa sceur, l’enchanteraent de Niquée etnbsp;d’Anastarax prendrait fin.

— Ce n’est pas de moi, mon frère, répondit la reine d’Argènes, ce n’est pas de moi que vous pou-vez obtenir cela ; il faut s’adresser au Temps pournbsp;l’accomplissement des choses préordonnées denbsp;Dieu... Par ainsi, quand l’heure en sera venue,nbsp;vous aurez vos enfants ü votre plaisir, mais k cettenbsp;heure-lü seulement et non k nulle autre...

Gela n’empêcha pas Zirfée de séjourner ü la cour du soudan quinze jours entiers, durant les-quels Alquif, Urgande et elle tirent plusieurs révo-lutions et figures cabalistiques pour mettre fin knbsp;ce qu’ils avaientdélibéré.

CHAPITRE XII

Comment ZirKe, Alquif et Urgande construisirent l’émer-veillable Tour de 1’Univers.

Pendant Ie temps qu’ils avaient passé ü la cour du soudan de Niquée, les trois inagiciens avaientnbsp;bien étudié leur cabale, leur nécrornancie el leurnbsp;astrologie supernaturelle.

Une nuit, entre autres, ils sortirent de la ville et vinrent en une vieille ruine de bètiment, sur lanbsp;grève de la mer.

La reine d’Argènes l’environna d’un eerde qu’elle traga avec une branche de houx, parfuma les environs de myrrhe et d'encens, et tous trois, unnbsp;cierge allumé en main et formant triangle, com-mengèrent ü lire et ü répéter certaines paroles,nbsp;appelant et conjurant les esprits selon leur puissance et leurs degrés.

Au bout d’un peu de temps, on entendit de toutes parts de grosses rumeurs de tonnerre,nbsp;entremêlées de vapours, de brandons ardents, denbsp;nuages ténébreux et d’éclairs si prompts et si penetrants, que Ic peuple de la ville put croire aunbsp;détraqueraent de la machine du monde.

Puis se présentèrent les esprits appelés par Zirfée, qui leur commanda d’édifier une tour non moindre que celle de Nembroth ; et, tout aussitót,nbsp;les esprits obéissants se mirent ü 1’oeuvre.

Sept étages se trouvèrent ainsi élevés 1’un sur l’autre en un clin d’ceil.

Au premier étage était te triomphe de la lune, suivie parmaints grands persoimages,dicux, demi-dieux, nymphes, et autres hommes etfemmesayant


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ZIRFEE L’ENCHANTERESSE. 11

ZIRFEE L’ENCHANTERESSE. 11

ront

de la Terre et de la poquot;ssession de ces manoirs admirables. »

Comme Zirfée achevait de loin ces paroles, l’aube du jour commengait k poindre, et les esprits qui,nbsp;toute la nuit, avaient travaillé, commencèrent ünbsp;s’évanouir.

Lors, la reine d’Argènes alia ebereber le soudan son frère, l’amena par la main jusque devant cettenbsp;merveilleuse tour et lui dit;

— Voici la clef de ce lieu, dont vous serez ainsi le gardien. •

Puis elle ferma la porte, et pendant que le soudan s’en retournait en son palais, elle remontait dans son char, en compagnie du sage Alquif et denbsp;la bonne Urgande.

I’arc au poing et la trousse au cóté, avec tout 1’é-quipage ordinaire de vénerie.

Au second étaitMercure, en son char triomphant, accompagné d’alchimistes, de philosophes, denbsp;poëtes et d’orateurs.

Au troisième était Vénus, la belle et cruelle déesse, h qui une iufinité de gens de toutes sortesnbsp;offraient leurs encens et leurs vceux, les uns joyeux,nbsp;les autres tristes et mal contents, selon la faveur ounbsp;la défaveur qu’ils avaientregue de leur travail.

Au quatrième était Ie soleil, porté par ses qua-tre chevaux, conduits par Phaëton. Aurora était un peu en avant avec ceux qui avaient le plus aiménbsp;la vertu et la magnanimité.

Au cinquième était Mars le Furieux, entouré des armes de capitaines remains, franqais, africains,nbsp;grecs et de diverses autres nations.

Au sixième était le grand dieu Jupiter tenant sa foudre, et, tout amp; I’entour de lui, ceux qui, sujets

son influence, s’étaient entièrement gouvernés par lui.

Et, finalement, au septième étage, était le vieux Saturne, portant sa faux. Mais ce bon hommeau,nbsp;vieux et quasi du tout impotent, par suite de lanbsp;longueur des ans passés, n’avait, quant et lui quenbsp;mineurs, qu’usuriers, que fouilleurs de taupes qui,nbsp;pour jouir du fruit et de la richesse de la terre,nbsp;l’avaient cavée jusqu’au centre, les uns avec profit, les autres avec leur ruine.

Tant il y a qu’ences sept étages, jamais Apelles, Tymagoras, Polignotus, Protogènes, ni Zeuxis,nbsp;peintres trés excellents et dont la mémoire estnbsp;gravée en immortalité, ne représentèrent si biennbsp;le vif et le naturel de la personne comme cela ynbsp;était représenté.

II y avait plus encore. En montant plus haut, on constatait que la rotondité du monde y était en-vironnée d’air et de nuages, dessous lesquels onnbsp;pouvait distinguer les raers, les iles, les détroits,nbsp;les golfes, les bêtes, les oiseaux, les plantes, lesnbsp;arbres, les herbes, toutes les régions et limites,nbsp;pouf longues etlointaines qu’ellesfussent. Et, assise sur tout cela comme sur un tróne, la Mort,nbsp;armée de son sinistre dard empenné des pennesnbsp;d’un vieux corbeau, et autour duquel étaient gra-vées ces paroles :

« Que nul n’ail done l’orgueil de posséder grand bien, « Car, finalement, tout, eux et le leur, est mien. »

ciel, avec sa cour celeste et triomphante, d’Anges, d’Archanges, de Ghérubins, de Séraphins, de Dominations, de Saints et de Saintes. Alors, les lieuxnbsp;oü étaient assises les planètes dont nous avonsnbsp;parlé commencèrent k prendre leur cours et anbsp;tourner autour du Zodiaque, ni plus ni moins quenbsp;s’ils eussent été gouvernés sous le vrai pole Arc-tique et sous le vrai póle Antarctique.

Zirfée n’eüt jamais cru è ce miracle. Mais elle le vit, et elle fut bien forcée de se prosterner devantnbsp;le Pils de Dieu et de l’adorer, la face coutre terre.

— nbsp;nbsp;nbsp;Arni, dit-elle, demeureront ces Blerveillesnbsp;jusqu’au jour oü viendront ensemble les deux per-sonnages les plus extrêraes en valeur et en beauté,nbsp;lesquels pourront y voir k leur aise tout ce que lenbsp;monde contient, soit extérieurement, soit intérieu-rement. Toutefois, maints autres pourront jouirnbsp;de 1’excellence des sept premiers cieux, saus qu’ilnbsp;leur soit permis de passer outre.

Puis elle commanda d’apporter et d’arranger chaises et siéges dans le ciel de Saturne.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ils serviront, dit-elle, pour reposer ceux quenbsp;je délibère d’y laisser avant que nul de nous nenbsp;meure, et qui n’en seroiit tirés que par une aven-ture aussi étrange que celle de ce lieu, qu’on ap-pellera désormais la Tour de rUiiivers.

Puis elle fit planter un perron vis-ü-vis de la porte, oü étaient gravés certains éléments et ca-ractères nontenant ces mots:

« Céans est caché le secret de l’universel Monde, qui ne sera découvert ü aucun avant l’ar-rivée des deux créatures qui, par leur mérite, se-djgnes de 1’entière jouissance et domination

•i


Malgré que eet enchantement füt admirable, Zirfée n’était pas encore satisfaite, paree que lesnbsp;corps celestes représentés en ce Microcosme ne senbsp;mouvaient pas comme ceux du grand monde. Aussinbsp;renforga-t-elle ses conjurations, commengant aunbsp;ciel de la lune et finissant au dernier.

Ce que voyant Alquif, qui avait en soi plus d’in-telligence de la spiritualité, d’autant qu’il était Chrétien etserviteur de Dieu, fit son oraison d’unenbsp;autre fagon que celle de Zirfée, II appela les hautsnbsp;noms du Seigneur, la Chose des Choses, 1’Auteurnbsp;et le Fabricateur d’icelles, seul Omnipotent etnbsp;Omnisavant, Premier et Dernier, le Dieu en troisnbsp;Personnes. Alors Jésus-Ghhist apparut au dixième

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IS BIBLIOTHEQUE BLEUE.

IS BIBLIOTHEQUE BLEUE.

CHAPITRE XIII

Comment le roi Amadis et sa flotte furent jetds it la cote de Niqude, prés du lieu oü était encliantée la fille du soudan,nbsp;et oü ils descendirent pour éprouver l'aventure.

Le roi Amadis et sa flotte devaient être rendus i Constantinople en deux ou trois jours. Maïs, ennbsp;faisant route, ils découvrirent une ile qu’Amadisnbsp;voulut reconnaitre avant d’y faire débarquer sesnbsp;gens et les dames; ii eet effet, il s’y renditdans unenbsp;barque, accompagné du roi Galaor.

Tous deux étaient armés en guerre, et leurs destriers harnachés en grand gala; leur course première les conduisit h une charmante fontaine, d’une eau silimpide, qu’ils retournèrent pour qué-rir les dames.

Mais la mer, agitée par desourdes tempêtes, s’é-tait mise en fureur et avail brisé rnats, cordages, timons et artimons, séparant les vaisseaux au milieu de vents si opposés, d’éclairs et de tonnerresnbsp;simugissants, que lenaufrage de toute la flotte leurnbsp;parut imminent.

Qui eüt vu la desolation des dames, leurs pleurs, eüt fondu en larmes ; ce n’était h bord des vaisseaux que cris, contre-ordres, confusion et désola-tion.

Aucun remède n’eüt sauvé ces infortunés si Ic Seigneur, plein de miséricorde, ne les eüt regardésnbsp;en pitié en les jetant, vers l’aube du jour, dans unnbsp;port abrité par une forêt et proche d’un palais quenbsp;les matelots reconnurent être le chateau de lanbsp;gloire de Niquée.

Le Seigneur fut loué de ce secours, ctl’on déli-béra d’attendre lè pour refaire les vaisseaux et sa-voir des nouvelles de ceux disparus.

Dans l’intervalle, on se promettait de visiter la merveille du lieu dontla renommée s’étendait dansnbsp;le monde entier.

Or, ils étaint rapprocbées de I’lle oil avaient de-meuré les rois Périon et Galaor. Un navire des mieux en état fut envoyé ü la découverte des au-tresvers cette ile, oü on pourrait en savoir quel-ques indices consolateurs.

Le port fut visité pendant deux jours, et le troi-sième, les deux reines Oriane et Briolanie, Lucello, Esplandian, rimpératrice, le roi de Sardaigne,nbsp;don Florestan, Garinter, roi de Dace, Olorius, princenbsp;d’Espagne, l’infante Luciane, don Florelus d’Aus-trie, et plusieurs autres chevaliers de la Grande-Bretagne, montèrent ii cheval dans I’intention d’é-prouver l’aventure de Niquée.

lis arrivèrent au chateau a l’improviste; mais leur parut si épouvantable, que les plusnbsp;enauds en furent refroidis h l’instant.

Mais Oriane, qui avait autrefois passé l’arc des loyaux amants et la chambre défendue, en récom-pense de son loyal amour, considéra que cettenbsp;épreuve pouvait s’achever par amour et loyauté,nbsp;choses familières ü sa personne, et dont aucune nenbsp;pouvait lui disputer la couronne.

La reine Briolanie l’encouragea et voulut l’ac-compagner, malgré les efforts de l’empereurEsplandian et les seigneurs pour la détourner de ce des-sein.

Toutes deux, se tenant par la main, vinrent au perron et lurent l’écriteau qui y était attaché; puis,nbsp;traversant un air embrasé, quoique parfumé desnbsp;odeurs les plus suaves, cllcs arrivèrent k Ia piecenbsp;oü Niquée se tenait dans teute sa gloire.

Cette apparition leurcausa une joie telle, qu’elles ne pensèrent pas au retour; mais après avoir cucillinbsp;des fleurs et s’en être paré la tête, elles se mirentnbsp;è danser voluptueusement.

Bientót la princesse de Sicile les rejoignit et so mcla k leurs ébats.

L’empereur Esplandian, ne voyant revenir aucune de ces dames, dit è rimpératrice :

— Si vous m’en croyez, madame, nous aurons part au plaisir ou è la douleur qui a accueilli ceux-la...

Et lui offrant son bras, ils entrèrent dans la gloire.

A l’aspect de Niquée, elle quitta Esplandian et se prit ü sauter et chanter entre Oriane et Lucelle.

Esplandian se mit a rire; mais I’enchantement l’aurait atteint de même s’il avait gravi les degrésnbsp;du theatre, ce qu’il exécuta aussitót; et ilse rnit ünbsp;pincer du lulh k la gloire de sa sceur. Olorius, Florelus et Garinter le rejoignirent, puis Quadragantnbsp;et Angriote.

Tous sonnèrent les instruments qui étaient IA et menèrent dans ce palais la plus joyeuse vie quenbsp;l’on puisse imaginer.

CIIADITRE XIV

Comment le roi Amadis fut voir la gloire de Niqude, a|)rüs avoir défait et occis le roi Moulon de Lica, qui gardaitnbsp;1’cntrde, et dc ce qui lui advinl.

alaor et Amadis eurent la joie de voir passer prés de leur ile un bA-timent do la flotte, séparé des au-fres et reprenant sa route vers Ni-_ quée, oü le commandant savaitnbsp;arrivé te plus gros de leurs compagnons.

lis montèrent a bord, et, arrivés A Niquée, vou-lurent voir la merveille.

Mais ils trouvèrent le roi Moulon, qui les savait venus et leur barrait le passage prés du perron.


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Z[RFEE L’ëNCHANTEUESSE. 13

— nbsp;nbsp;nbsp;Chevaliers, leur disail-il, avant d’entrer ennbsp;ce lieu, il faut combattre.

— nbsp;nbsp;nbsp;Pai’Dieu, répondit Arnadis, vous dites celanbsp;bien ficrement; et a quelie occasion, s’il vousnbsp;plait?

— nbsp;nbsp;nbsp;Telle est ma volontc, dit l’autre.

— nbsp;nbsp;nbsp;Je sais, reprit Arnadis, que vous êtes asseznbsp;fort pour vouloir nous retarder; mais je crains qu’ilnbsp;ne vous en cuise.

— nbsp;nbsp;nbsp;Monsieur, interrompit Galaor, laissez-moi vi-der ce dilïórend. Lereste de l’aventurc vous appar-lient comme amp; un loyal amoureux, ce que je nenbsp;fus jamais; souffrez que ce combat m’écnoie.

— nbsp;nbsp;nbsp;Je Ie réclame, reprit Arnadis, car il est rai-sonnable, si je veux passer outre, d’aplanir rnoi-même les obstacles.

Alors, sans en écouter davantage, buissant la vue de son heaumc, il donna carrière a son cheval; Ienbsp;roi Mouton en fit aulant, et leur choc fut si complet de heurt de lête, d’écus et de corps, qu’ils fu-rent désareonnés tous les deux.

Mais ils se relevèrent, et un combat 4pre et cruel s’engagea entre eux, oü Ie roi Mouton laissa écu,nbsp;haubert, boucles et bretelles.

Ce que voyant Arnadis, il lui dit:

— nbsp;nbsp;nbsp;Chevalier, trouvez-vous pas qu’il vous con-vic'idrait de me laisser passer ?

Et, haussant Ie bras, il déchargea un fier coup d’épée sur Ie chef de Mouton, dont Ie heaume futnbsp;séparé en deux portions.

Grace é la solidité de eet ajustement, Mouton conserva assez de vie pour s’enfuir a travers Ie feunbsp;dans Ie palais, oü Arnadis lui fit une chasse accora-pagnée des plus violentes injures.

Mouton traversa la chambre de Niquée et parvint au quinzième degré du théatre, oü il fit tète ènbsp;Arnadis; après quelgues passes, il toraba inanitnénbsp;aux pieds des demoiselles qui tenaient Ie miroir denbsp;Niquée.

Dans leur frayeur, eet objet échappé de leurs mains fut brisé, et leur enchantement disparut.

Anastarax seul se trouva environné de ténèbres, et bientót entouré de Hammes si redoutables, qu’A-madis, Niquée et tout Ie monde l’abandonnèrent ennbsp;présence de l’apparilion d’un pilierde jaspe oü cesnbsp;mots étaient écrits :

H Anastarax, la gloire acquise sera convectie en double peine, jusqu’èi ce que vienne celle dont lanbsp;beauté excellente éteindra l’amour que tu as fol-lement porlé h ta smur, et ne seras plus tót al-légé. »

Tous furont émerveillés de ce prodige ; Niquée, désoléc de la perte son miroir, dit A Arnadis :

—11 est certain, chevalier, que nul ne peut monter au sommet de la roue de la Fortune, sans qu’un autre en descende; a vous la gloire de cette aven-ture; ü moi les regrets et la tristesse.

— nbsp;nbsp;nbsp;Madame, répandit Ie roi, celui qui fait malnbsp;dans rintention au bien ne doit être ni bléinié ninbsp;jugé coupable. Je ne commencerais pas è vous des-servir, vous qui êtes bien Ia plus belle qu’il y aitnbsp;aujourd’hui sur la terre.

Lucelle regarda altentivement Niquée pendant ce colloque et la reconnut pour celle que contenaitnbsp;Ie coeur du roi Félidès.

Affiigée de l’abandon d’Arnadis, elle fondit en larmes, et s’écria:

— Je connais maintenant, ó Arnadis! la Vénus dont vous vous vantiez a moi. Tant que vous vi-vrez, je vous estimerai lêche et malheureux. Quenbsp;de soins pour me tromper, moi, fille de si grandnbsp;roi et dont l’amour devait avoir une plus honnêtenbsp;récompense I Avez-vous jamais trouvé en moi autrenbsp;chose qu’affection et bon vouloir pour vous? Fisje jamais rien pour vous mécontenter? Sur monnbsp;Dieu, vous me faites grand tort.

Le soudan arriva sur ces dernières lamentations, et Lucelle fut contrainte de changer de visage. Lanbsp;compagnie se disposa ó s’éloigner, et, è peine était-elle è un jet d’arc, que la place fut couverte d’unenbsp;nuée si épaisse, que tout disparut au milieu d’unnbsp;concert de cris, de hurlements et d’imprécations.

Un perron descendit du cicl et se tint debout de-vant les assistants, portant écrit ces mots :

«Ge lieu (appelé autrefois la gloire de Niquée) sera appelé dorénavant l’enfer d’Anastarax; il du-rera jusqu’è ce que les deux extrêmes, l’un ennbsp;beauté, l’autre en prouesse, s’assembleront : l’unnbsp;sachanldompter par sa force les cruels animaux, etnbsp;l’autre, par sa suprème beauté, amortir le feu al-lumé en l’amour de Niquée. Alors seuleraent, lenbsp;vaillant prince Anastarax sera délivré. Personne nenbsp;sera pourlant si hardi que d’entreprendre 1’épreuvenbsp;de cette aventure.»

Le soudan fut presque triste d’avoir retrouvé sa fille è ce prix; il fit honneur amp; Arnadis et aux au-tres, et les laissa aller a leur guise chacun chez soi.nbsp;Puis il partit lui-inême pour sa grande ville, oü ilnbsp;renferma derechef Niquée jusqu’a ce qu’il eütnbsp;d’autres nouvelles de Zirfée.

GHAPIÏRE XV

Comment Arnadis de Grèce se fit vendre pour damoiselle es-clave au soudan de Niquée, par Gradamarte, et ce qu’il en advint.

radamarte et Arnadis navi-guorent par un si bon vent, que, sur la fin du mois, aunbsp;milieu d’une nuit, ils aper-gurent de loin le feu projeténbsp;par l’enfer d’Anastarax.

Ignorant les faits accom-'plis, ils eurent héte de les connaitre, et Arnadis de Grècenbsp;se désespère d’avoir manquénbsp;a ces exploits et de paraitrenbsp;ainsi aux yeuxde sa mie, peunbsp;soucieux d’entreprendre cesnbsp;grandes choses.

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14 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

Sans Gradamarte, il se fut traversé la poitrine de son épée; son ami lui conseilla, pour trouver re-mède k son martyre, de rejoindre l’uue des arméesnbsp;qui se mesuraient en Orient ou en Occident.

Amadis s’y refusa, car il éprouvait Ie besoin de voir Niquée, dont l’absence prolongée était unenbsp;torture affreuse pour son coeur.

— Mon Dieu, lui dit Gradamarte, vos affaires en avanceront, car, aussitótaprèsla guerre, vous l’ob-tiendrez facilement du soudan pour femme; etnbsp;ainsi, vous serez en repos, elle satisfaite et tousnbsp;deux contents.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ge sont lii paroles vaines, répondit Amadisnbsp;de Grèce, car, avant de faire un pas en arrière, ilnbsp;me faut la voir et lui parler.

— nbsp;nbsp;nbsp;Voici done, dit Gradamarte, ce que nous fe-rons : Vous êtes si jeune, que Ie duvet ne couvrenbsp;pas encore votre menton; vous pouvez passer pournbsp;une trés belle lille; la langue de Sarmate vous estnbsp;familière, nous vous habillerons exactement commenbsp;la reine qui vint avec Zabara; je me dirai mar-chand etfeindrai de vou savoir achetée en Alexan-drie, avec plusieurs amazones, et fait esclave. Jenbsp;vous mettrai en vente Si Niquée, mais a un prix sinbsp;exorbitant, que Ie soudan seul pourra y atteindre.nbsp;Si Ie bonheur veut qu’il vous achète, vous appro-cherez Niquée è votre aise et proliterez pour Ienbsp;reste des circonstances favorables.

Amadis accueillit ce conseil et courut k son na-vire faire préparer les atours d’araazone.

Gradamarte Ie trouva si complótement trans-formé, qu’il éclata de rire en lui disant:

— nbsp;nbsp;nbsp;Sur mon ame 1 vous ressemblez bien plus ènbsp;une Diane qu’amp; n’importe quel Amadis de Grèce ounbsp;chevalier de l’Ardente Epée.

— nbsp;nbsp;nbsp;11 m’irait fort d’etre pris pour femme, répondit Amadis, pourvu que ma mie me regoive pournbsp;celui que je suis.

Et après avoir ordonné a ceux du vaisseau de te-iiir a l’ancre jusqu’é leurs nouvelles prochaines, ils montèrent é cheval, accompagnés de cinq ounbsp;SIX écuyers déguisés en facteurs et marchands.

Aussi, qui eüt vu Amadis en longue robe de taffetas turquin, frangée d’or, troussée et retenue è la ceinture, l’eüt pris pour Vénus apparaissant énbsp;Enée sur Ie chemin de Carthage, Ie diadème ennbsp;lête, lesoreilles ornéesdeperles, les jambes chaus-sées de brodequins dorés et l’arc li la main.

Certes, on n’eut pas reconnu celui dont la re-nommée parcourait Ie monde.

Gradamarte eüt été pris pour messire Cosme Alexandrin, nom qu’il avait choisi, et Amadis pournbsp;Nércide l’Amazone.

Ilsentrèrent sous ces déguisements dans la ville, oü, après avoir pris logement, Néréide fut expo-sée k la vente, au prix de mille talents d’or.

Qucique sa beauté eüt frappé les plus riches du pays, la somme leur paraissait si excessive, qu’ilsnbsp;s’abstinrent; mais Ie soudan apprit cette arrivéenbsp;et fit prier messire Cosme de lui amener l’esclave.

Cosme s’empressa d’y aller.

Le vieux prince n’eut pas plutót jeté les yeux sur elle, qu’amourse mit de la partie, et lui montanbsp;SI tort le coeur et la tête, depuis longtemps l'roidsnbsp;ei mactiis, qu’il résolut d’en faire son amie etnbsp;femme habituelle. Et, la prenant entre ses bras,nbsp;il lui dit: -

— Vraiment, ma mignonne, vous avez en vous deux sortes d’armes bien dilïérentes, mais je re-douterais plus les traits de vos yeux que ceux denbsp;votre are.

— Sire, fit Cosme, ceux qui me l’ont vendue m’ont assuré sur l’honneur qu’elle était aussi bravenbsp;et vaillante que belle et gracieuse, comme vous lenbsp;voyez; c’est ce qui m’a engage a l’acheter pournbsp;vous la présenter de confiance, certain de mériternbsp;vos compliments et votre générosité.

Et ainsi que le vent active la flamme du bücher, de même les paroles de Cosme embrasaient le vieuxnbsp;coeur du prince, qui, finalement, demanda le dernier prix du sujet.

— Sire, répondit Cosme, je laisse Ie prix h votre voloiité, et vous me le paierez k votre gré, aprèsnbsp;l’avoir éproiivée.

— nbsp;nbsp;nbsp;Eb bien! lit le soudan, j’accepte.

11 voulait k l’instant lui faire compter les mille talents demandés k l’enchère, mais Cosme les refusa, tout en acceptant d’etre atfranchi des droitsnbsp;et taxes pour son commerce avec les Daces et au-tres tribus.

Cosme se retira, feignant d’avoir une expédition en d’autres pays.

Le soudan s’occupa de faire habillcr richement Néréide, qu’il trouvait aussi belle que Niquée, sanbsp;fille. Puis il alia visiter cette dernière k sa tour, oünbsp;elle se désolait d’etre sans nouvelles de Buzando-le-Nain; aussi, latrouvant fort triste, il lui racontanbsp;l’achat qu’il venait de conclure d’une parente denbsp;la reine de Sarmate, alliée de Zahara.

— nbsp;nbsp;nbsp;Elle asi bonne grèce, ajouta-t-il, que, depuisnbsp;la mort de feu votre mère, je ne vis jamais femmenbsp;plus accomplie. Les dieux, évidemment, me Tontnbsp;envoyée pour me distraire de l’absence de votrenbsp;frère Anastarax; et avec vous elle sera l’instru-raent de sa délivrance, puisqu'il faut, pour cela,nbsp;deux extremes beautés joiules.

Niquée vit clairement qu’Amour se voulait amu-ser du papa; elle ne put retenir un sourire.

— nbsp;nbsp;nbsp;Monsieur, dit-elle, puisque vous me porteznbsp;une pareille sollicitude, je vous supplie de me lanbsp;donner pour compagnie.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ma mie, vous la verrez tont k l’heure et dansnbsp;les atours que sa grande beauté mérite.

Aussitót, donnant le bonsoir k sa fille, il se dépé-cha vers celle qui, en un instant, 1’avait rendu dans sa vieillesse plus ardent, mille Ibis, qu’il n’avait éténbsp;en age de virilité.


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ZIRFÉE L’ENCHANTERESSE.

GHAPITKE XVI

Comment le soudan, apres avoir requis Néréide d’amour, la conduisil voir sa fille Niquée; et des propos qu’ils tinrentnbsp;ensemble.

Jrois OU quatre jours plus loin, le J^soudan qui brülait h petit feunbsp;M’amour pour sa nouvelle airaée,nbsp;devisait avec elle, l’après-dinée, etnbsp;j s’élait si fort échauffé la cervelle,nbsp;voulut donner son coup denbsp;filet sur Néréide; sans toutefoisnbsp;employer l’autorité, mais sous couleur d’amitié et de boniie intention.

Pour y arriver, il lui dit, ctant assis sur un fauteuil et elle debout, enlacéenbsp;^ dans ses bras ;

— Mignonne, les dieux ne vous ont ren-due captive que pour vous ménager plus tard unc liberté illimitée, car déjamp; vous aveznbsp;sur moi plus d’empire que n’eüt jamais hommenbsp;ni femme. Mais, ma mie, il faut que vousnbsp;m’aimiez aussi; non que je demande rien quenbsp;de votre gré et bonne volonté. Vous plait-ilnbsp;m’accorder ce que je vous demande? Vous sereznbsp;sur ma foi la plus heureuse damoiselle de 1’Asie.nbsp;Ne retardez pas, disait-il en tremblotant de passion, mon boribeur, et soulïrez que nous dormionsnbsp;cette nuit ensemble, afin que vous soyez en mêmenbsp;temps maitresse de mon corps et de mon coeur.

Et quoiqu’il eüt promis d’etre raisonnable, l’é-toupe s’alluma si bien auprès du feu, qu’il vouiait Ja toucher au sein et plus bas, espérant par cesnbsp;avant-coureurs amener le reste.

Mais Néréide, feignant une pudeur fort alarmée, se recula les larmes aux yeux, et lui répondit;

— Ahl Sirt', souvenez-vous de vos paroles der-nières, ot bornez-voiis a 1’affection qui doit com-bler 1’amour que vous prétendez de moi. J’ai été si bien élevée, au milieu de personnes de tant d’hon-neur, que je voudrais plutót la mort que violeticenbsp;faitei ma virginité; je sais que, dépouillée du fleuren de chasteté (sauf accord avec la loi), la jeunenbsp;fille n’est plus qu’une fleur fanée et flétrie. Veuil-lez, Sire, raodérer votre passion; ce que l’on con-quiert sans violence a une durée plus grande qu’ilnbsp;n’apparait d’abord.

Le soudan, qui valait mieux qu’il ne paraissait, et qui peut-ètre eüt été embarrassé de tenir toutesnbsp;ses promesses, ayant plus de soixante années, senbsp;paya des raisons de Néréide, et l’en estiina d’avan-tage.

— Par mon chef, ma mignonne, lui dit-il, je . vous sais gré de cela, et je veux qu’un jour vousnbsp;m’accordiez de bonne volonté ce que votre raisonnbsp;me refuse.

Néréide, restée seule, espéra jouer aussi bien le reste de son personnage et jeter sur la fille du sou-dan le sart auquel elle avait échappé.

Le soudan passa la nuit ü voltiger d’esprit autour des charmes de sa Néréide, a laquelle il envoya dèsnbsp;l’aurore un bonjour et une robe de drap d’or can-netillé d’argent, la priant de s’en vétir pour allernbsp;visiter Niquée dont il vouiait comparer la beauténbsp;avec la sienne.

Néréide accueillit avec joie ce dessein.

Et le soudan vint la preudre et l’amena chez Niquée, laquelle pensait a son Amadis de Grèce, qui tardait tant è venir.

Sitót que Niquée aperqut le soudan et Néréide, la rougeur lui monta au visage, car, se rappelantnbsp;celui qu’elle avait regardé si longtemps dans lenbsp;miroir, elletrouvait la resserablance parfaite.

Le coeur faillit lui manquer, elle se mit ü trembler, et le soudan qui l’examinait lui demanda si elle se trouvaitmal.

— Ce n’est rien, répondit-elle, qu’une défail-lance légère et qui n’a pas de suite.

— Je vous prie, dit le soudan, d’accueillir Néréide; et, par votre foi, que vous en semble? est-elle moins belle que je ne disais ?

A cette parole, Néréide s’avanga et, pliant les genoux, elle baisa les mains de Niquée avec tant d’é-motion qu’elle se demanda comment elle ne mou*nbsp;rait pas è l’instant. Mais elle se maintint pour arriver tl de plus grands résultats.

Niquée, la relevant, répondit au soudan ;

— Je ne suis plus étonnée de votre amour, car dans rOrient entier, vous ne trouveriez, certes,nbsp;beauté plus compléte que celle-lè.

— Pardonnez-moi, madame, fit Néréide, car il me faudrait être hors de votre présence pour mé-riter ce rang'; prés de vous, je paraitrais l’étoile dunbsp;Nord comparée au soleil.

— Soit, reprit Niquée, je consens k votre dire, pourvu que monsieur m’accorde votre compagnie,nbsp;clorénavant.

— Ma fille, répondit le soudan, vous la verrez de temps en temps; je la réserve pour moi et nonnbsp;pour vous; je lui ai donné une toilette avec laquellenbsp;vous la trouverez encore plus belle qu’aujourd’hui.

— Amenez-la moi, fit Niquée, le plus souvent possible.

Ainsi se passa cette après-dlnée; Niquée, trés in-triguée de cette ressemblance avec Amadis, et Néréide brülant de se dóvoiler, étaientfort soucieux ; et üuzando-le-Nain n’envoyait aucune nouvelle.

Le vieil amoureux ne dormait pas; suivant la promesse faiie é sa fille, il envoya le lendemainnbsp;Néréide lui tenir compagnie.

Néréidene se fit pas prier, et accompagnée d’une suite de deux damoiselles, elle alia chez Niquée, quinbsp;chantait sur un luth les vers suivants adressés ènbsp;Amadis :

Hélas! ami, que seul mon cceur désire!

Veuille vers moi promptement revenir.'

Veuille changer le mal de mon raartyrê

En prompt espoir d’un amoureux plaisir,

• 'I


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Veuille rigueurs et prison renvevser!

De mon esprit chasse l'obscure nue,

Qu'absence jette au col de mon penser;

Je te demeure et j’attends ta venue.

Eu apercevant Neréide, Niquée se leva pour la recevoir et la remercia de venir changer Ie coursnbsp;deses reflexions. Maïs, sur les instances de Né-réide,elte reprit son luth etchanta avectant d’amenbsp;qu’Amadis fut ravi et hors de lui d’aise. Niquée,nbsp;s’en apercevant, lui demanda son avis.

— Madame, dit Néréide, Ie mot divin est faible pour m’exprimer; jamais je n’ai entendu en si peunbsp;de paroles des plaintes d’amour plustouchantes etnbsp;plus vraies.

— Auriez-vous aimé, par hasard ? fit Niquée.

— Aimél madame. Ah! oui, et personne n’a cprouvé plus que moi les rigueurs d’amour. Dansnbsp;les circonstances de ces tourments, une dame menbsp;fit présent d’un quatrain qui doit avoir été com-posé pour l’amour de vous, et que je vous appren-drai présentement, si vous Ie voulez.

— Je vous en prie, dit Niquée.

Et elle passa Ie luth amp; Néréide, qui chanta cos vers :

En conteraplant votre divinité,

Votre douceur et votre gr4ce extréme,

Jecrains qu’Amour lui-même nevous aime,

Vous trouvant trop pour notre humanité.

Or, Amadis l’avait improvisé la nuit précédente pour s’eii servir d’inlroduction; Niquée Ie lui fitnbsp;répéter plusieurs fois ; ce qu’il exécuta avec unnbsp;charme infini. A dire vrai, Amadis de Grèce étaitnbsp;Ie plus parfait joueur de luth de son temps, et sanbsp;voix était douce et harmonieuse.

Le soudan arriva sur ces entrefaites, et Ie chant de Néréide réveilla si subitement sa passion, qu’ilnbsp;résoiut, quoi qu’il put en arriver, de se passer lanbsp;fantaisie d’amour.

Prenant congé desafille, il entrainaNéréide dans sa chambre, sous prétexte de lui montrer des ba-gues nouvellement arrivées.

Lorsqu’ilsfurentseuls, et Ia porte bien verrouil-lée, le soudan entrcprit, sans faire de longs discours, d’en venir au hut oü il tendait. Mais, non-seulement la vieillesse lui avait óté la force des bras, mais encore le pouvoir du surplus était absent.

Néréide se mordait la langue jusqu’au sang pour ne pasrire et lui résistait Si demi, lachant un bras,

Euis 1’autre, avec une grace irritante pour le bon-omme.

Cependant le soudan l’accola contrei ui, luibaisa la joue, la bouche, ce qu’il put atteindre. Mais,nbsp;honteux et hors d’haleine, il se retira en arrière etnbsp;dit è Néréide :

— Pourquoi me tourmenter, vous que j’aime plus que femme au monde ?

— Pourquoi me presser vous-même, Sire?

— Je vous assure que de ma vie je ne vous presserai de cela; mais je vous mettrai en un en-droit dont vous ne sortirez qu’après m’avoir im-porluné pour obtenir ce qui ra’est refusé par vousnbsp;aujourd’hui...

— Sire, dit-elle, vous ctes si gentil prince, que vous aurez pitié de moi. Monhonneur m’est si cher,nbsp;que je souffrirais phitót une prison perpéluellenbsp;plutót qu’une atteinte a son intégrité.

Malgré cette douce remontraiice, Ic soudan resta courroucé, et, la prenant par la main, il la condui-sit a la Tour de l’Univers, oü il la laissa.

— Ce sera, lui dit-il, votre séjour jusqu’è ce que votre coeur rn’ait en merci, moi, plus captif encorenbsp;que vous ne serez.

Et il ferma soigneusement la porie, sans la visiter de longtemps,

Néréide s’en fut peu souciée si elle eüt eu Niquée dans sa confidence. Cette séparation lui était si douloureuse, qu’elle faillit tomber dans un pro-fond désespoir.

De son cóté, Niquée n’était pas moins désolée de cette séparation.

GHAPITRE XVII

Comment Dalarles, prince de Tlirace, devint amoureux dc Niquée sur la vue dc son portrait, et alia consultor un ma-gicien pour savoir comment il pouvait se guérir de cettenbsp;folie.

Balartes, prince de Thrace, vivait bien tran-quille, n’attendant plus que le moment de succé-der k son père, lorsqu’un jour un de ses chevaliers lui apporta 1’écu du roi Mouton, sur iequel étaitnbsp;peinte la belle Niquée.

Tout aussitót, en contemplant cette adorable effigie, Balartes sentit sourdre dans son cceur unenbsp;rage amoureuse telle, qu’il en perdit le boire et lenbsp;manger, le repos et le plaisir. Et même, lorsqu’ilnbsp;revit le chevalier qui lui avait fait ce funeste présent , il ne sut pas retenir sa colère, et il lui fenditnbsp;la tête de son épée.

— Voila, lui dit-il, pour te remercier du mal que tu me causes I

Puis il se mit a faire mille autres extravagances plus OU moins dangereuses qui alarraèrent ü bonnbsp;droit le coeur de son père. On le crut fou; mais,nbsp;n’osant rien lui dire, on Ie laissa aller et agir a sanbsp;fantaisie, pensant bien que cette rage prendraitnbsp;fm, et qu’il se calmerait a la longue.

Ge prince ne se calma pas, tout au contraire; et, comme sa folie, en somme, n’était pas fêcheusenbsp;seulement pour les autres, mais aussi pour lui-même, il résoiut d’y mettre un terme, et, pournbsp;cela faire, il eut recours k la science cabalistiquenbsp;d’un magicien nommé Estebel.

Quand Estebel vit venir Balartes, ü tressaillit, paree qu’il était au courant de sa rage amoureusenbsp;et qu’il savait les dégêts qu’clle lui avait fait com-mettre. II en eut peur; mais, par prudence, il dis -Simula.


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ZIRFEE L’ENCHANTERESSE. 17

— Estebel, !ui dit Balartes, je suis épris d’une beauté merveilleuse, surhumaine, qui me fait en-durer un martyre intolérable. Ce martyre, j’en-tends qu’il cesse; cette soif amoureuse, j'entendsnbsp;quelle s’étanche. Et c’est pour cela que je viensnbsp;vers toi, pour que tu me guérissesl...

— nbsp;nbsp;nbsp;Prince, répondit le magicien, je ferai tousnbsp;mes efforts.

— Je t’y engage, car, si tu réussis, je te ré-corapenserai largement; si tu ne réussis pas, je te ferai couper le chef. Vois maintenant comment tunbsp;dois te conduirel

Estebel, s’inclinant humblement, en tremblant tout bas, ouvrit d’uiie main paralysée par la craintenbsp;les feuillets d’un gros livre de cabale, dans lequelnbsp;il fit semblant de lire.

— nbsp;nbsp;nbsp;Eh bien! demanda Balartes, que I’impatiencenbsp;gagnait, que dit ton grimoire?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, répondit le magicien, mon livre m’ap-prend que la dame quo vous aimez est une hautenbsp;et puissante dame, la mieux douée qui soit aunbsp;monde en perfections de toutes sortes.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ton livre est un sot s’il ne t’apprend quenbsp;cela, car j’en sais autant que lui lé-dessusl Je nenbsp;serais pas amoureux d’une laveuse de vaisselle, as-surément... Tu ne tiens pas ü ta tète, è ce que jenbsp;vois, maitre Estebel 1...

— nbsp;nbsp;nbsp;Elle est i votre service comme le reste, Sire,nbsp;répondit le magicien épouvanté.

— nbsp;nbsp;nbsp;Que vois-tu encore dans ton grimoire?

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, j’y vois que la dame que vous daigneznbsp;aimer est la princesse de Thèbes, la belle'Ni-quée.

— nbsp;nbsp;nbsp;Je le savais. Apprend^m’en davantage.

— Sire, cette divine princesse, qui mérite si bien d’etre aimée de vous, airae è la folie unnbsp;prince parfait qui, malheureusement, n’est pasnbsp;vous...

— nbsp;nbsp;nbsp;Qu’est cela? Et comment se nomme ce princenbsp;parfait ?

— nbsp;nbsp;nbsp;J'ignore son nom, Sire, ainsi que l’ignorenbsp;elle-même la belle Niquée... Seulement, mon livrenbsp;m’apprend qn’il est connu sous celui de chevaliernbsp;de l’Ardente Epée...

— nbsp;nbsp;nbsp;Chevalier de I’Ardente Epéel

— nbsp;nbsp;nbsp;Oui, Sire.

— nbsp;nbsp;nbsp;II faut que je sois le chevalier de l’Ardentenbsp;Epée pour elle, puisqu’elle l’aimel

— nbsp;nbsp;nbsp;Elle l’aime et le désire sans cesse...

— nbsp;nbsp;nbsp;Raison de plus pour que je vole vers elle!nbsp;Estebel, il s’agit de trouver un moyen pour que jenbsp;sois celui qu’elle attend 1 Ta fortune ou ta têienbsp;sont k ce prixl

— nbsp;nbsp;nbsp;J’ai trouvé, Sire 1

^ — Tu as trouvé? Si tu me trompes, chien, je t’écraserai é l'inslant 1

.— Je n’ai pas cette peur, Sire, répondit le magicien en allant quérir un flacon plein d'une eau merveilleuse.

— nbsp;nbsp;nbsp;Qu’est ceci? demanda Balartes.

— nbsp;nbsp;nbsp;Une eau transformatrice, Sire. II me suffiranbsp;de la répandre sur votre auguste personne pournbsp;qu’a l’instant mème vous soyez change de princenbsp;de Thrace en chevalier de l’Ardente Epée.

— nbsp;nbsp;nbsp;Est-ce bien possible 1 s’écria Balartes ravi.

— nbsp;nbsp;nbsp;Si vous voulez essayer, prince, je vous ga-rantis le succès.

— nbsp;nbsp;nbsp;Allons, je me risque! mais prends garde anbsp;ta tétel...

Estebel prit le flacon et en versa le contenu sur le prince de Thrace, qui, tout aussitót, pritnbsp;les traits d’Amadis de Grèce.

— nbsp;nbsp;nbsp;Eh bien! demanda-t-il, n’ayantrien ressentinbsp;et ne se doutant pas que la métamorphose avaitnbsp;été si prompte et si compléte.

— nbsp;nbsp;nbsp;Eh bien 1 prince, vous ressemblez maintenant é s’y méprendre au chevalier de l’Ardentenbsp;Epée. Tenez, daignez en juger par vos propresnbsp;yeux.

Et le magicien tendit un miroir dans lequel Ba-larles s’empressa de se regarder.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ce n’est plus moi, en effet 1 s’écria-t-il éraer-veillé, et ne se reconnaissant plus du tout. Et jenbsp;n’aurai pas perdu au change, ajouta-t-il gaiment.

Puis, incontinent, il prit congé d’Estebel, s’arma et s’en alia vers Niquée.

GHAPlTBE XVIII

Comment Balartes, transformé en chevalier de l’Ardente Epde , s’en alia vers Niquée, et, en chemin, fit rencontrenbsp;de Buzando.

Ainsi transformé et méconnaissable pour lui comme pour les autres, le prince de Thrace che-minait, le coeur toujours enamouré, sur la lisièrenbsp;d’une forêt.

II faisait chaud ; Balartes releva la visière de son heaume. Au bout de quelque temps, il fit rencontre d’un nain mal gracieux et laid, qui, en lenbsp;voyant, poussa un cri de joie et vint le saluernbsp;avec respect.

— nbsp;nbsp;nbsp;Que me veut ce bout d’homme? se dit Balartes en faisant une moue dédaigneuse au pauvrenbsp;nain.

Gelui-ci, étonné de la froideur du prince de Thrace, lui dit:

— nbsp;nbsp;nbsp;Quoi! seigneur, est-ce amsi la récompensenbsp;dont vous payez la peine que j’ai prise pour vousnbsp;découvrir, chargé que j’étais d un message pournbsp;vous? Ne reconnaissez-vous plus le pauvre Buzando?... Le chagrin de ne plus vous voir m’anbsp;done k ce point changé? Serais-je encore plus laidnbsp;que par le passé ?

— nbsp;nbsp;nbsp;Le fait est, répondit Balartes en riant, que tunbsp;accumules en toi une laideur suflisante pour ren-dre hideux deux ou trois de tes pareils!

— nbsp;nbsp;nbsp;Ah! ce n’est pas Bi de l’humanilé! répliquanbsp;avec un peu d’amertume Buzando, qui ne compre-nait pas que celui qu il prenait pour Amadis luinbsp;fit un si maigre accueil. Le chevalier de l’Ardente

10* Série, — 2

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BIBLIOTHEOUR BLEUE,

1

'C.gt;

Epée m’avait habitué h plus d’amitié, et je ne sais vrairaent pourquoi son coeur a si subitemeiitnbsp;changed mon endroit...

Balartes ne s’était plus rappelé quel visage lui avait donné Ie magicien Estebel, et, k cette cause,nbsp;il s’était étonné et même scandalisé de l’audacenbsp;qu’avait prise Ie nain de lui parler ainsi, è lui,nbsp;prince de Thrace ! Mais il revint bientót au sentiment du róle qu’il jouait désormais, et il s’empressanbsp;de dire :

— Buzando, mon ami, je te demande pardon... Je rêvais au moment oü tu es survenu, et ta parolenbsp;m’a dérangc si brutalement, que, malgré moi, jenbsp;t’en ai voulu pendant une minute... Le chevaliernbsp;de l’Ardente Epée fait toujours le même cas denbsp;toi 1

Buzando reprit sa bonne humeur en entendant ces paroles.

— Vous rêviez sans doute ^ madame Niquée? lui demanda-t-il malignement.

— Précisément, répondit Balartes, étonné de nouveau.

— Jamais princesse ne vous a désiré comme elle

vous desire en ce moment, seigneur chevalier.....

Elle m’a envoyé vers vous pour vous le faire savoir, et ce n’est pas de ma faute si je ne vous ai pasnbsp;rencontré plus tót. La Fortune ne m’a guère favo-risél Ge n’est qu’aujourd’hui que j’ai pu vousnbsp;joindrel

— Ainsi, la princesse Niquée m’attend? de-mauda Balartes enflammé par cette délicieuse idéé.

— Oui, seigneur chevalier, et comme jamais femme n’attendit homme vivant... Vous êtes ap-pelé par son cceur comme la rosée par la plante!...nbsp;Elle a soif de votre présencel... Elle ne veut quenbsp;vous! ne voit que vous le jour, la nuit, sans cesse,nbsp;partout, en tout!... Ah! heureux ceux qui sontnbsp;aimés ainsi!

Balartes embrassa Buzando avec effusion, malgré sa laideur.

— Tiens, lui dit-il, ami Buzando, voilk pour ta bonne nouvelle!

— Ne saviez-vous pas cela? demanda le nain. Madame Niquée vous l’a écrit assez clairement,nbsp;cependant.

— Je le savais, oui, répondit Balartes; mais ces choses-la sont si agréables ö entendre, qu’on nenbsp;craint pas de se les faire répéter. Partons vite-ment! Volons vers cette adorable princesse!...

Et Balartes, suivi de Buzando, se remit en che-rain a travers la forêt.

CHAPITBE XIX

^ Comment le prince de Thrace, toujours sous le vi-, - sage d’Amadis de Grèce, fit rencontre de deux ^/ ^ demoiselles que malmenaient trois chevaliers,nbsp;lesquelles lui demandèrent secours inutileraent.

¦^n chevauohant é travers la forêt,

/ Balartes ne tarda pas k rencon--trer, dans un carrefour, deux i gentes demoiselles, qui criaientnbsp;comme des perdues, malmenéesnbsp;vilainement qu’elles étaient parnbsp;trois chevaliers.

f* —Ah! sire chevalier, dirent-elles en tendant leurs mains éplorées vers le prince de Thrace, secourez-nous!nbsp;secourez-nous!

Balartes avait hien le visage d’Amadis de Grèce, mais il n’en avait pas le coeur : il ne senbsp;sentit pas le moins du monde ému par cette lamentable prière, et il détourna dédaigneusement lanbsp;tête.

Les deux pauvres demoiselles recommencèrent leurs plaintes et leurs supplications, sans en obte-nir plus d’effet.

Buzando était ébahi de cette indifférence de celui qu’il considérait comme le chevalier de l’Ardente Epée.

— Ah! dit-il k part soi, est-il possible que le vaillant Amadis de Grèce soit k ce point insensible,nbsp;lui que j’ai vu si prompt a défendre les demoiselles opprimées et les pauvres nains en détresse?...nbsp;Je ne le reconnais plus... non, je ne le reconnaisnbsp;plus!,.. Et, cependant, plus je le regarde et plusnbsp;je suis forcé d’avouer que c’est bien son male etnbsp;her visage qui a tant passionné la belle princessenbsp;Niquée... II faut qu’i! se passe en ce momentnbsp;quelque étrange chose en sa cervelle, pour qu il senbsp;refuse ainsi é faire ce qu’il fait si volontiers d’or-dinaire!...

Si Buzando était étonné, les deux demoiselles no l’étaient pas moins. Eiles ne connaissaient pas,nbsp;comme lui, Amadis de Grèce, mais il leur suffisaitnbsp;d’avoir en face d’elles un chevalier pour qu’ellcsnbsp;songeassent a requérir son aide centre ceux quinbsp;les malmenaient. Aussi, trompres dans leur espqir,nbsp;ne se firent-elles pas faute de lui rendre en injures ce qu’il leur donnait en indifférence,

— Ah! dirent-elles avec amerturoe, chevalier couard et félon, indigne de porter le harnois et denbsp;manier la lance et l’épée!... ce ne sont pas des yê-tements d’homme qu’il vous faudrait, mais biennbsp;plutot des vêtements de femme 1... Et encore, il ynbsp;a des femmes plus courageuses que vous ne


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ZIRFÉE L’ENCHANTERESSE. 19

l’êtesl... Si vous nous donniez les armes que vous avez sur vous si mal amp; propos, nous nous en servi-rions mieux gue vous ne vous en servez, et nousnbsp;ferions blémir de peur votre visage efféminél...

Le prince de Thrace secoua Ia tête cornrae un chieu qui sort de Teau, et, sans paraitre ému denbsp;ces outrages plus qu’il ne l’avait été tout l’heurenbsp;des prières de ces pucelles, il poursuivit son che-min, au grand ébahissemeut de Buzando, qui n’ynbsp;comprenait plus rien.

— Tout ^ l’heuro, raurmura le pauvre nain scandalisé, je croyais k un oubli, k une distraction... Mais maintenant, en face de ces outragesnbsp;qu’il re^oit si froidement, je m’y perdsl... Jamaisnbsp;je ne l’ai vu ainsi... Aurait-il done perdu la raison!

Gomme Buzando se disait cela avec autant de chagrin que d’étonnement, on entendit du bruit knbsp;travers le fourré voishi, et, bientót, parut un chevalier armé de pied en cap.

GHAPITRE XX

Comment le prince Fulurtin secourut les deux demoiselles que n’avait pas voulu secourir le prince de Thrace, et comment il embrassa tendrement ce dernier, au grand ébahis-sement des deux premières.

Ce chevalier montait un cheval rouan, capara-Conné de velours bleu, semé de fleurettes d’or sans nombre. Sur son écu étaient représentés unenbsp;belle pucelle couronnée et un chevalier en train denbsp;décapiter un géant.

— Qu’est-ce done? s’écria-t-il en entendant les gémissements des deux demoiselles que Balartesnbsp;avait refusé de secourir.

— Ahl seigneur chevalier, répondirent-elles, au nom du ciel 1 soyez-nous plus secourable que nenbsp;nous l’a été ce déloyal gentilhomme qui est la avecnbsp;son nain...

L’inconnu, en entendant cette prière, n’hésita pas une seule minute k y faire droit. II inclina sonnbsp;bois et fondit comme un épervier sur les trois mi-sérables qui menaient ces demoiselles prisonnières.

Ges chevaliers se défendirent, mais mollement, bien qu’il s’agit pour eux de la vie ou de Ia mort.nbsp;L’inconnu, qui les attaquait avec une apreté sansnbsp;égale, en eut bientót dél'ait deux. Ge que voyant Ienbsp;troisième, il jugea prudent de prendre la fuite.

L’inconnu dédaigna de le poursuivre, d’abord paree qu’il supposait que Ia peur lui donnerait desnbsp;ailes, et qu’alors il lui serait assez difficile de I’at-teindre pour le chatier; ensuite paree qu’il avaitnbsp;reconnu le visage de son ami Araadis de Grèce, etnbsp;qu’il était bien aise de rester Ik pour l’ernbrasser.

Laissant done fuir le troisième chevalier, il óta son armet et s’en vint se jeter avec empressementnbsp;dans les bras du prince de Thrace, en lui donnantnbsp;les noms les plus tendres.

— Ah! je vous ai cherché pendant longtemps, cher voyageur 1 Je vous retrouve enfin ; graces ennbsp;soientrendues aux dieuxl...

Balartes se laissait faire, quoiqu’il fut étonné de cette aubaine inattendue.

— Que me veut ce More? murmurait-il en lui rendant cependantses caresses par prudence.

Ge More, c’était Fulurtin. Jamais Balartes ne l’avait vu, et il était étonné des erabrasseraentsnbsp;qu’il lui prodiguait.

Les deux demoiselles sauvées par Ie chevalier more n’étaient pas moins étonnées que Balartes.

— Comment! s’écrièrent-elles, deux chevaliers si différents peuvent-ils se connaitre et s’aimer?nbsp;L’un, eest la vaillance en personne; l’autre, c’estnbsp;la couardise elle-mêmel...

Fulurtin sourit et répondit;

— nbsp;nbsp;nbsp;Ah! demoiselles, comme vous connaissez peunbsp;Ie chevalier de l’Ardente Epéel Gelui que vous ap-pelez couard est le plus courageux des hommes,nbsp;et je suis h peine digne, moi qui vous parle, denbsp;rattacher les mailles de son haubert...

— nbsp;nbsp;nbsp;C’est impossible! reprirentles deux pucelles.nbsp;C’est impossible!... L’horame qui a refusé de secourir des femmes en détresse est un léche, et c’estnbsp;le cas de celui que vous traitez présentementnbsp;comme un ami, et si mal k propos, car il est lanbsp;nuit comme vous êtes le jour, et vous êtes le lionnbsp;comme il estle lièvre...

Fulurtin sourit de nouveau de ce qu’il considé-rait comme une méprise, et raeonta, k l’appui de ce qu’il disait, quelques-uns des exploits du chevalier de l’Ardente Epée.

En toute autre occurrence, les deux demoiselles sauvées eussent admiré sur parole. Mais la, lors-que la félonie de Balartes était encore toute chaudenbsp;pour ainsi dire, elles se refusèrent k le croire sinbsp;chevalereux que voulait bien le faire Fulurtin.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ah 1 mon ami, dit ce dernier au prince denbsp;Thrace, qui commencait k reprendre de l’aplombnbsp;en songeant qu’il jouait le röle d’un autre , ah !nbsp;mon arni, comme je vous ai cherché!... Le roi denbsp;Saba, mon noble père, vous avait injustement ac-cusé... II aurait voulu vous revoir, pour vous de-mander pardon et pour vous féliciter sur la gloirenbsp;que vous avez si justement acquise... Ne viendrez-vous pas k sa cour?...

.— Si vrairaent! répondit Balartes. Mais, aupa-ravant, vous me permettrez d’aller oü le devoir d’amour m’appelle.

— nbsp;nbsp;nbsp;Oü vous appelle votre devoir d’amour ? de-manda Fulurtin.

— nbsp;nbsp;nbsp;Droit k Niquée, vers une demoiselle qui menbsp;veut, répondit Balartes avec une certaine complaisance.

— nbsp;nbsp;nbsp;Allons a Niquée! dit Fulurtin.

Et ils chevauchèrent k travers la forêt pour ga-gner le port le plus voisin.

Buzando et les deux demoiselles sauvées les suivaient.

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BIBLIOTHEQUE BLEUE.

CHAPITRE XXI

Comment Balartes et Fulurtin cheminèrent ensemble en se racontant mutuellement leurs amours, et comment ilsnbsp;arrivörent amp; Niquée au moment même oü Néréide étaitnbsp;mise en la Tour de l’Univers.

Tout en cheminant, les deux amis devisaient entre eux.

— Je vous suis, dit Fulurtin, paree qu’il y a uu long temps que je ne vous ai vu et que je suis_nbsp;trop heureux de vous avoir rencontré. Je vous suis'nbsp;et vous accorapagnerai jusqu’a ce que votre entre-vue soit terminée entre votre mie et vous, quoi-que je soistoutautantsollicitéd’amour que vous...

— Quoi! vous au.'Si, atni Fulurtin?

— Moi aussi, mon ami, oui, moi aussi... N’ai-je done pas un coeur tout comme vous?

— Ah 1 je u’ai pas voulu dire cela 1... J’ai voulu vous dire ; Quoi 1 vous aussi vous avez été blessénbsp;par ce cruel archerot qui s’appelle Gupidon ? Vousnbsp;devez souffrir...

— Les blessures d’amour sont les plus agréables blessures du monde, chevalier del’ArdenteEpée...nbsp;On s’en plaint quelquefois, mais cette plaiute estnbsp;encore un plaisir, cette souffrance est encore unenbsp;volupté...

— G’est bien ainsi que je l’entends, ami Fulurtin, répondit Balartes. J’ai .souffert, mais j’ai oublié ma douleur, aujourd’hui que je suis appelé par celle que j’aime...

— Vous voyez la demoiselle qui est peinte sur mon écu, n’est-ce pas ? reprit Fulurtin.

— Oui, je la vois et la trouve d’une merveil-leuse beauté, quoique je lui préfère celle de la prin-cesse Niquée... Cette couronue qu’elle porte si bien m’indique Ie rang qu’elle tient...

— Elle est priucesse, en effet...

— Etse nomme?...

— Libriaxa...

— Libriaxa?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Oui... La connaissez-vous, chevalier ?

— nbsp;nbsp;nbsp;J’en ai entendu parlor comme de la plus ai-mable priucesse de la terre.

— nbsp;nbsp;nbsp;Mors vous savez de qui elle est la fille?.....

— nbsp;nbsp;nbsp;Non... je ne me Ie rappelle plus, ami Fulurtin, répondit Balartes, qui ne l’avait jamais su.

— nbsp;nbsp;nbsp;C’est la fille de la reine Calahe.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ah 1 oui..... la reine Galatie..... c’est cela

même.....Je me souviens, è présent.....La reine

Galafie! Trés bien 1...

^ B est inutile d’ajouter que Balartes continuait a ne pas se souvenir, par l’exceilente raison qu’ilnbsp;n avait jamais su. Mais il ne voulait pas avoir l’air

ignorer ce que Ie veritable chevalier de l’Ardente

pee devait probablement savoir.

Fulurtin, qui croyait toujours parler h son compagnon d’enfance, Fulurtin reprit:

— nbsp;nbsp;nbsp;La reine de Galiforuie était raenacée, sansnbsp;cesse, par un horrible géant qui avait jeté son dé-volu sur la belle princesse Libriaxa, qu’il préten-dait avoir pour dame et maitresse, ce a quoi lanbsp;mère et la nlle se refusaient obstiuémeut, vous Ienbsp;comprenez bien...

— nbsp;nbsp;nbsp;Je Ie comprends.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ge monstre, exaspéré par ces refus, avaitnbsp;juré de s’en venger, et il y serait arrivé, au grandnbsp;désespoir de la reine Galafie et de la priucessenbsp;Libriaxa, si les dieux ne ra’avaient dirigé tout ex-près vers elles... Je défiai Ie géant et je Ie vain-quis... La scène est représentée sur mon écu,nbsp;comme vous pouvez voir... Aussi, en recompensenbsp;de ce service, la belle Libriaxa voulut bien m’ac-cepter pour son chevalier... G’est k ce tilre quenbsp;j’ai parcouru Ie monde, pour chercher des aven-tures et mériter de la gloire... Une autre peuséenbsp;me guidait; je voulais vous relrouver, mon grandnbsp;ami, et vous dire les regrets sinc' res du roi denbsp;Saba, mon auguste père, a propos de l’injuste ac-cusaton qui avail failli vous devenir si funeste...nbsp;Maintenant, puisque je vous ai revu, je ne tarderainbsp;pas h rejoindre la belle priucesse Libriaxa...

— nbsp;nbsp;nbsp;Oh 1 ami Fulurtin, pas avant que je n’aiejointnbsp;moi-raême la belle priucesse Niquée!...

— nbsp;nbsp;nbsp;G’est conveiiu, mon grand ami.

Fulurtin et Balartes élaient arrivés sur Ie rivage de la mer.

Les demoiselles, après avoir remercié de nouveau, prirent congé du chevalier more, en Ie re-commandant a la garde de Dieu. Quant au prince de Thrace, dies ne daignèreut pas même s’aper-cevoir qu’il était Ik.

CHAPITRE XXII

Comment, aussitót que Fulurtin et Ie prince de Thrace furont arrivés a la cour du soudan, Ie bon nain Buzando alianbsp;prévenir la princesse Niquée, dont Ie coeur sauta de joienbsp;tl cette nouvelle.

ulurtin et Balartes s’embarquè-rent au port Ie plus voisin, et, grace au vont qui leur futnbsp;favorable, ils arrivèrentbientótnbsp;k Ia cour du soudan de Niqué'e,nbsp;au moment même oü Amadisnbsp;de Grèce était mis en la Tour denbsp;TUnivers, sous Ie mm et sousnbsp;Ie costume de Néréide. Pendantnbsp;qu’ils se rendaient au palais dunbsp;soudan, Buzando, lui, se rendait auprèsdenbsp;la belle princesse, qui l’avait envoyé a lanbsp;quête du chevalier de TArdeiite Epée.

— Buzando 1 s’écria Niquée en aperce-vant Ie nain.

— Madame, je vous salue bien humble-ment, dit Buzando en s’agenouillant et en


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ZIRFEE E’ENCHANTERESSE. 21

baisant avec respect le bas de la robejamée^d’or de sa maitresse.

— Ah 1 mon pauvre Buzando, comme tu m’as manqué!... Comme ma solitude m’a pesé I... As-tunbsp;de ses nouvelles è me donner ?...

— Oui, madame...

— Sont-elles... bonnes?

— Oui, madame...

— Oü est-il ?...

— A la cour du soudan votrepère...

— Si prés de moi?... Ahl cette nouvelle me réconforle IJe vais vivre maintenant... Je mouraisnbsp;d’enijui, sais-tu ?... Si bien même que tu ne m’au-rais pas retrouvée, si je n’avais cté distraite unnbsp;peu par Néréide, une esclave achetée par monnbsp;père, et qui ressemble d’une étrange maniiVe aunbsp;chevalier de l’Ardente Epée... Done, il est dansnbsp;cette cité, h deux pas de moi, respirant l’air quenbsp;je respirv', ?...

— Oui. madame.

— Ah 1 mon cher Buzando, que je t’embrasse pour m’avoir annoncé cela !... ^

Et, en elTet. Niquée pril la tête du pauvre nain et l’embrassa avant qu’il eüt eu le temps de s’ynbsp;reconnaitre.

— nbsp;nbsp;nbsp;Oh! madame, murmura-t-il tout chancelantnbsp;sous l’ivresse que lui causait ce baiser, je voudraisnbsp;avoir è vous apporter une pareille nouvelle tousnbsp;les jours!...

— nbsp;nbsp;nbsp;Buzando, reprit Niquée sans faire attentionnbsp;i'i la joie qu’elle venait de procurer au pauvre nain,nbsp;Buzando, tu vas retourner auprès du chevalier denbsp;l’Ardente Epée...

— nbsp;nbsp;nbsp;Oui, madame...

— nbsp;nbsp;nbsp;Tu lui diras que tu m’as vue...

— nbsp;nbsp;nbsp;Oui, madame...

— nbsp;nbsp;nbsp;Oue j’ai appris avec bonheur son arrivée ennbsp;cette cité...

— nbsp;nbsp;nbsp;Oui, madame...

— nbsp;nbsp;nbsp;Que j’altends, avec la même impatience quenbsp;lui, le moment de noire bienheureuse réunion...

— nbsp;nbsp;nbsp;Oui, madame...

— nbsp;nbsp;nbsp;Que je le prie de ne pas perdre courage, etnbsp;que je vais aviser aux moyens de nous voir h 1‘insunbsp;de mon père .. Tu m'as bien compris, n’esl-cenbsp;pas, mon arai Buzando?

— nbsp;nbsp;nbsp;Oui, madame, répondit le pauvre nain.

— nbsp;nbsp;nbsp;Eh bien! cours vers lui! Va lui porter l’assu-rance de mon ardent amour!

Buzando aurait bien voulu re.ster encore la, pour jouir plus lonptemps de Ia presence adorée de cellonbsp;qu’il aimaittant. Mais il fallaitobéir; d'autant plusnbsp;qu’elle grillait d’envie de recevoir d’autres nouvelles d’Amadis de Gièce, de savoir comment ilnbsp;allait faire pour arriver jusqu’aelle.

Buzando obéit.

CHAPITRE XXIII

Comment Fulurtin et Balartes firent leur entrée chez le soudan de Niquée, qui fut émerveillé de la ressemblance qui existait entre le prince de Thrace et Néréide.

^ ulurtin et Balartes furent in-troduits auprès du soudan de Niquée, et lui firent tous deuxnbsp;leur révérence.

—Sire, dit !e prince deThrace en prenant le premier la parole,nbsp;vous voyez en moi le chevalier de l’Ardente Epée, si connunbsp;dans tout l’Orient, et, en monnbsp;compagnon, le prince Fulurtin,nbsp;fils du noble roi de Saba... Nousnbsp;venoDS vous offrir le secours de notre brasnbsp;/’ f et de notre epée pour délivrer votre filsnbsp;Anastarax ou mourir en essayant de lenbsp;délivrer...

Pendant que Balartes parlait ainsi, le vieux soudan Texaminait avec une sur-prise croissante, et il était frappé de lanbsp;ressemblance prodigieuse qui existait entre sesnbsp;trails et ceux de 1’esclave Néréide.

— nbsp;nbsp;nbsp;Voilk une ressemblance étrange 1 murmura-t-il en continuant it reearder le prince de Thrace.nbsp;II est imi’iOssible que deux créatures humaines senbsp;resscmblent amp; ce point... impossible, en ycrité!...nbsp;11 faut que Néréide se soit échappée et ait revêtunbsp;le harnois d'homme pour mieux me tromper...

Le vieux soudan était trés perplexe. Néanmoins. ne pouvant attaquer le taureau par les cornes, ilnbsp;résolut de dissirauler et d’aviser en dessous mam.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ainsi, dit-il è Balartes, vous êtes ce vaillantnbsp;chevalier de l’Ardente Epée dont il est si univer-

sellement question?... ^ nbsp;nbsp;nbsp;i .

_Oui, sire, c est moi-meme! repondit Balartes

en se rengorgeant. nbsp;nbsp;nbsp;• ,nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;.

_Et je suis lè pour vous le certiher, si besom

est, seigneur, dit Fulurtin, car je l’ai vu k l’oeuvre

etjesais cc qu’il vaul...

nbsp;nbsp;nbsp;Je vous remercie tous deux, chevaliers, denbsp;votre bon vouloir k l’endroit de mon bien-aimé filsnbsp;Anastarax. Je vous remercie, et j’accepte le secours que vous m’offrez... Vous êtes les bien-venus céans, oü je vous prie de vous considérernbsp;comme chez vous... Je vais donner des ordres ennbsp;conséquence, si vouslepermettez...

Fulurtin et Balartes s’inclinèrent respectueuse-ment.

Quant au soudan, n y pouvant plus tenir, il prit


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BIBLIOTHEQUE BLEUE,

les clefs de la Tour de l’Univers, et s’en alia, Ie coeur battant d’émotion, è l’endroit oü était ren-ferniée la belle Néréide.

— Si elle s’était envolée! murmurait-il en mon-tant les degrés de Ia tour.

Sa main tremblait si fort, lorsqu’il fut arrivé de-vant la porte de la chambre od était son esclave, qu’il ne put parvenir k introduire la clef dans lanbsp;serrure... 11 s’arrêta, essuya la sueur qui mouillaitnbsp;son front, raffermit sa main, introduisit la clef, etnbsp;la tourna dans la serrure...

Néréide était couchée sur des coussins desoie, nonchalante et rêveuse.

— Ah ! ce n’était pas ellel murraura Ie bon-hommeavec joie.

— Qu’avez-vous done ? lui demanda Néréide en remarquant son agitation.

— Ce quej’ai?...

— Oui...

— J’ai... que l’illustre chevalier de l’Ardente Epée est arrivé en ma cour avec Ie prince Fulurtin,nbsp;son compagnon...

— Le chevalier de l’Ardente Epée ? s ecria Ama-dis de Grèce en tressaillant, justement étonné.

— Lui-même, ma mignonne...

Amadis allait crier:

— nbsp;nbsp;nbsp;G’est un imposteur qui a pris mon nom etnbsp;mon visage, car e’est moi qui suis le chevalier denbsp;l’Ardente Epée, et nul autre que moi n’a le droitnbsp;de porter ce titrel...

Maïs, fort heureusement, il se contint et dit avec la voix la plus calme qu’il put trouver :

— nbsp;nbsp;nbsp;Et, avec ce chevalier de l’Ardente Epée ,nbsp;il y a ?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Le prince Fulurtin, fils du roi de Saba.

— nbsp;nbsp;nbsp;Comment Fulurtin a-t-il pu se Iromper h cenbsp;point? murmura Amadis. Est-ce que je rêve ? ounbsp;est-ce que ce bonhomme est fou

Le Vieux soudan ne remarqua point l’étonne-ment et l’agitation de Néréide. 11 savait ce qu’il voulait savoir ; le reste lui importait peu, pour lenbsp;moment du moins.

— Adieu, mignonne l dit-il k Néréide avec le plus aimable de ses sourires. Adieu, mignonne! nenbsp;vous impatientez pas trop : je reviendrai bientótnbsp;vous voir et deviser avec vous.

Puis il disparut, laissant Amadis de Grèce vio-lemment intrigué par ce qu’il vena it de lui ap-prendre la.

GHAPITRE XXIV

Comment le prince de Thrace paria h Niquée, oü il fut dé-couvert par Néréide, du haut de la Tour de TUnivers, et ce qu’il en advint.

éréide ayant vu amp; son aise ce qui était représenté sous la planète denbsp;Vénus et des autres, monta au dernier ciel de Saturne , d’oü ellenbsp;apergut toutes les creations. Pendant ce temps, le prince de Thracenbsp;importunait le nain pour arriver amp;

Niquée.

Ét comme rien n’est impossible k la femme, si elle entreprend surtout une chose de malice, Niquée manda è Balartes, par Buzando, de venirversnbsp;deux heures de la nuit, avec une échelle de corde,nbsp;causer avec elle h sa fenêtre, bien que l’endroitnbsp;futdéfendu.

II n’eut garde d’y manquer. Niquée s’était pa-réeason avantage; un manteau de damas cramoisi pourfilé d’or, un voile de fine toile de crêpe,nbsp;semé de feuilles vertes; elle se mit k tremblernbsp;comme un oiseau en voyant paraitre sou enchan-teur.

Le prince de Thrace fut si ébloui de sa grande beauté, qu’il faillit se laisser choir du haut en bas,nbsp;et fut assez longtemps saus pouvoir parler. Enfin,nbsp;il lui dit:

— Madame, l’attente d’une si précieuse nuit est si bien récompensée par votre presence, quenbsp;nioii arne, ne voulant plus d’autre gloire, rn’aban-donne pour aller en vous. En sorte qu’au momentnbsp;de vous exprimer mon affection, il se passe unnbsp;combat entre mes yeux, ma langue et mon coeur.nbsp;Car mes yeux voudraient parler et ne le peuvent,nbsp;et ma langue est si troublée, qu’elle ne peut re-muer. Ce qui afflige mon coeur. Toutefois, la lan-gueur de mes yeux parle pour ma langue et moanbsp;coiur,

Niquée le voyant noyé de larmes, arrêta ces plaintes par ces paroles :

— Vraiment, ami, je ne sais en conscience pas ce dont vous vous lamentez, car, sans vousnbsp;avoir jamais vu autant qu’k présent, je vous ai ap-pelé^k mon amour, qui est plus ferme que 1’échellenbsp;qui vous porte et la grille que voustenez. Vous ennbsp;serez juge plus tard, et votre récompense seranbsp;digne des tourments que vous avez supportés.nbsp;Vous ferez bien de voir le soudan mon père, et denbsp;me donner de vos nouvelles par le nain, si parnbsp;malheur nous ne pouvions nous voir toutes lesnbsp;nuits.

Une toux se fit entendre k ces paroles, et elle


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ZIRFEE L’ENCHANTEHESSE.

)/ .....-....................

y miguonne? demanda tendrement le soudan ƒ — Ce chevalier n’est venu en ee pays quenbsp;' pour vous faire injure et décevoir madamenbsp;volre ttlle, s’il le peut... Aquoi vous devez pour-voir, Sire, avant que eet inconvéuient ne vous ad-viemie...

Le soudan, heette révélation, devint raorne et pensif. Toutefois, après un instant, il répondit iinbsp;Néréide :

— Mais, belle dame, comment me serait-il pos-

jour...

— Ah

crut avoir été dficouverte par une de ses femmes éveillées, et dit au prince :

— 3Ion ami, void ma main, ^ travers cette grille, corame gage de fidélité réciproque. Or, voicinbsp;le jour, retirez-vous, et demaiu, h mêrae heure, jenbsp;serai ü vous attendre.

Balartes lui prit la main doucement, la lui baisa deux ou trois fois avant de partir, et rejoignit Fu-lurtin, qui plia les eordes.

Tous deux regagnèrent leur logis, laissantNi-quée trés occupée de Tidée de fuir le palais de son père.

Mais Néréide ne la laissa point dans cette four-berie, sitót qu’elle eut connu la trahison de Balartes.

Toujours inquiètedans sa Tour deFUnivers, elle errait de chambre en chambre, appelant sa bien-aimée, et aussi désireuse de revoir Gradamarte.

Une fois, entre autres, elle monta au plus haut de la tour pour admirer la splendeur des cicux etnbsp;Thorizon terrestre qiii s’étendait fi ses pieds.

Hircanie è droile, les Scythes, les Ilyperborées, la mer Hircanie prés de la Sarmatie, et la separation d’Europe en Asie.

Puis la Poraérie, Fes Russes et Pruteniens, jus-qu’aux Polonais, Germains, Hongrois,Ostrelins, la mer de Glace et tout le reste do la region boréale,nbsp;qu’elle laissa pour regarder droit vers Constantinople , oü une Rotte et nombreux gens de guerrenbsp;étaient réunis pour une cause qu’elle connaissait.

Elle ne put retenir ces paroles :

— Ah! Seigneur, Amour a un pouvoir bien in-fini, puisqu’il fait oublier quelquefois votre saint nom. Faut-il que, par son ordre, je sois déteuuenbsp;ici captive en qualité de demoiselle 1 Je vous sup-plic de m’en tirer, afin que je puisse m’amender etnbsp;fhire oeuvre méritoire pour mériter votre pardon etnbsp;la sauvegarde de mon ame.

Elle regarda ensuite Trébisonde, oü elle aper-Qut Lisvart, son père, couvert de deuil et coifïé de ia couronne d’empereur.

Et elle se mit a pleurer en disant:

— Pauvre père, vous ne portez point ces vête-mcnts sans que je puisse avoir sujet de plaindre votre peine et ma perte en mêrne temps 1

Sa vue s’étendit au dela en orient, Occident, au midi, au nord, et elle vit tant de guerres, as-sauts de villes, tant de gens Iristes et abandon nés,nbsp;ici des gens gais, Ih la pluie, plus loin le tonnerre,nbsp;et ce qui se passe par tout le monde, qu’ellenbsp;abaissa son regard et le fixa sur Alexandrie.

Gradamarte lui apparut en habit de marchand, portant mille drogues, et, sous ombre de ce tralie,nbsp;faisant assaut de la porte du soudan poiii entendrenbsp;de ses nouvelles.

Son esprit se porta ensuite vers Lucelle, qu’elle vit en Grande-Brelagne prés d’Amadis, qui se dés-espérait do sa longue absence. Elle se repentit de.nbsp;toutes ces negligences et versa^juclques larraes donbsp;honte.

Elle aperentbienlót Birrnarles faisant la cour a Onorie, ce qui Faffligea, el elle voulut observer Ni-quée, qui devisait joyeuseinent avec ses damoi-selles. ïoutauprés elledécou\rilBuzando,FuIurtinnbsp;et Balartes, concertant une rencontre pour la nuitnbsp;suivanle, comrne il avait fait pour voir Niquée.

Elle commenca h se douter du mauvais tour que lui jouait le prince de Thrace, qui avait, par magie, emprunté sa ressemblance parfaite.

— Ah! s’écria-t-elle, pauvres aveugles, oü avez-vous les yeux pour vous laisser ainsi tromper? Voyez-vous pas la taille de ce coquin? êtes-vousnbsp;fous OU ivres? Fulurtin, votre amitié m’est biennbsp;funeste, mais le traitre qui me dérobe mon biennbsp;paiera cher ce forfait.

Et Néréide s’endormit jusqu’au soir. Vers le milieu do la nuit, elle entrevit Balartes dresser l’é-chelle de corde et monter h la fenètre oü Niquée l’attendait. Elle entendit leur complot de fuir et denbsp;gagtier Trébisonde.

Le prince insistait beaucoup, et ils convinrent que Niquée trouverait moyen de sortir vers la finnbsp;de la semaine.

— Ah! misérable, dit alors Néréide, ce ne sera pas, car, puisque j’ai découvert vos oinbüches,nbsp;avant qu’il soit demain nuit, je dévoilerai vosnbsp;trames de fa^on h les déjouer complétement.

GHAPITRE XXV

Comment Nérdide ddclara au soudan 1’entreprise du prince de l’hrace, et du combat cju'eile voulut avoir avec lui.

éréide, ayant apergu la tra-'hison du prince de Thrace, ainsi qu’il vous a été dit, manda immédiatement au soudannbsp;qu’elle avait aluidéclarer chosenbsp;d’iraportance.

Le vieillard, estimant que ce fussent nouvelles certaines denbsp;la jouissance espérée, s’en vintnbsp;sur-le-champ trouver sa bellenbsp;prisonniére. Quand ils furent tous deuxnbsp;ensemble et seuls, Néréide lui dit:

— Sire, une mienne tante m’a appris assez de nécromancie pour que je puissenbsp;vous dire ü coup sür le pourquoi de 1’ar-rivée en ce pays du chevalier de l’Ar-dente Epée, dont vous me parliez 1’autre

Et quel est ce pourquoi, ma


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24 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

sible de m’assurer de la vérité de ce que vous m’annoncez-li? Car, je vous l’avoue, je ne vou-drais pour rien accuser de si grande Ikheté un sinbsp;bon chevalier qu’cst celui de I’Ardente Epée.

— Je vous dirai, Sire, si vous Ie permeltez, ce que vous avez k faire en celte occurrence.

— Dites, ma mignonne, dites vitementl...

— Vous Ie manderez done, et, lorsqu’il sera de-vant vous et devant les principaux de votre cour, vous lui direz que vous savez de source cerlainenbsp;qu’il essaie de vous honnir... II affirmera a l'in-stant Ie contraire, disant que ceux qui vous ontnbsp;rapporté cela mentent impudemnient... Alors,nbsp;vous lui répondrez que vous tenez la ebose denbsp;moi-même, et que je la lui ferai connaitre ennbsp;champ de bataille...

— nbsp;nbsp;nbsp;Ah! ma mie, jamais je ne consentirai k ha-sarder aussi follement la vie d’une personne quinbsp;m’est si chère que vous l’êtes 1 car je suis certainnbsp;que vous ne pourriez résister un quart d’heurc anbsp;ce vaillant chevalier de l’Ardeiite Epée...

— Ne vous mettez pas en peine de cela, Sire; outre que la justice est de mon cóté, j’ai Ie cceurnbsp;aussi bon et Ie bras aussi raide que lui, et j’es-père sortir de cette aventure aussi bien que denbsp;maintes autres plus dangereuses.

— nbsp;nbsp;nbsp;En mon Dieu, ma mignonne, il est vrai quenbsp;j’ai mon propre honneur et celui de ma fille ennbsp;grande consideration, comme faire je dois; maisnbsp;il n’en est pas moins vrai aussi que votre vie m’estnbsp;précieuse au possible, et que j'y tiens plus qu’è lanbsp;raienne propre...

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, je vous supplie très'^humblemenfde menbsp;croire celte fois, et il vous en prendra bien.

Néréide fit tant et tant, que Ie soudan, malgré l’envie qu’il avait de ne pas laisser sortir sa pri-sonnière, de peur qu’elle ne s’envolat, lui donnanbsp;Ie congé qu’elle sollicitait, et, l’ayant quittée, s’ennbsp;alia trouver Balartes, auquel il dit devant toute sanbsp;cour assemblée :

— Chevalier de l’Ardente Epée, vous êtes venu en ma cour, non pour nous honorer, moi et lesnbsp;miens, comme vous me l’avez donné entendre,nbsp;mais pour me trahir et déshonorer. G’est pourquoinbsp;je vous ordonne, sous peine de vie, d’avoir è vidernbsp;mes terres dans vingt-quatre heures... Autrement,nbsp;assurez-vous que je vous punirai comme vous de-vez l’être.

Balartes fut ébahi de cette nouvelle, et encore plus mal content, car il était sur Ie point de don-ner fin fi son entreprise et èi ses désirs. Aussi,nbsp;plein de gloire et d’outrecuidance, répondit-il aunbsp;soudan :

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, vous direz ce qu’il vous plaira, mais

je vous répondrai qu’il ne se trouvera pas en cette cour ni ailleurs aucun chevalier assez hardi pournbsp;soutenir ce reproebe de trahison que vous m’adres-sez El et que je lui ferai payer de sa vie... Je vousnbsp;jure par les hauls noms de nos dieux que quicon-que vous a dit cela a faussement et malheureuse-ment menti, et mentira toutes fois et quantes il Ienbsp;diral...nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;^

“T Pourtant, chevalier, j’ai k vous présenter ’^’os menaces, soutiendra ce

ie et vous Ie prouvera en champ de bataille.

Et, sur l’heure, Ie soudan manda Néréide, la-quelle Ie viat trouver incontinent.

Quand Balartes l’avisa si belle et de si bonne grace, il fut grandement émerveillé; moins ce-pendant que Fulurlin, car jamais chose ne resseni-bla mieux k une autre que Néréide ne ressemblaitnbsp;au prince de Thrace.

Lors, Ie soudan, s’adressant k sa prisonnière, lui dit:

— nbsp;nbsp;nbsp;Néréide, voici Amadis de Grèce, qui veutnbsp;mainlenir qne vous l’avez faussement accusé, etnbsp;qu’il n’est point venu céans pour comploter contrenbsp;moi trahison ou vilenie, comme vous me l’avez as-suré. Qu’avez-vous fi répondre?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, ré| ondit Néréide, il sail bien qu’il anbsp;parlé contre vérité.

Balartes, qui s’imaginait bien fermement n’avoir affaire qu’a une simple demoiselle, se rengorgeanbsp;hardiment pour répliquer:

— nbsp;nbsp;nbsp;Demoiselle, ma mie, l’accoutrement que vousnbsp;portez fait excuser la folie de vos paroles... Lesnbsp;femmes ont Ie droit de dire tout ce qui leur vientnbsp;sur la bouche. Mais si un autre que vous, portantnbsp;armes, s’était aventuré a ce point, je Ie chatieraisnbsp;comme lache et méchantl...

— nbsp;nbsp;nbsp;Vous avez raison de penser ainsi, dit Néréide; cependant, je dois vous prévenir que, sui-vant la couturne de mon pays, j’ai recu l'ordre denbsp;chevalerie, et que je manie la lance et l’épée aussinbsp;aisément que d’autres la quenouille et Ie fuseau...nbsp;Par ainsi, notre combat peut avoir lieu et sans retard, car je maintiens devant Sa Majesté et celtenbsp;noble assistance que vous avez déloyalement, trai-Ireusement et méchamment comploté Ie déshon-neur du soudan. Voici mon gage de bataille!...

Ge gage que Néréide tenda,t k Balartes, celui-ci fut bien forcé de Ie relever ; ma s ce fut malgrénbsp;lui, non k cause du doute qu’il avait sur 1’issue denbsp;la mêlée, mais paree qu’il lui paraissait honteuxnbsp;d’avoir è se rnesurer contre un si chétifet si indi-gne personnage.

Toutefois, Fulurtin, qui savait Ie noeud de Ia matière, craignait grandement que mat lui en prit.nbsp;Niquée elle-même, avertie de cette rencontre, n’ennbsp;put fermer l’oeil de toute la nuit.

CHAPITRE XXVT

Comment Néréide vainquit, en champde bataille, te prétepdu chevalier de l’Ardente Epée, ainsi que Fulurtin, qui Ienbsp;croyait vengcr.

Au jour fixé pour l’épreuve de la vertu, force et courage des deux combattants, Ie soudannbsp;manda Néréide, qu’il lit armer de picd en cape, etnbsp;k qui il donna pour parrain Ie roi de Lacédémone.


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ZIRFEE L’ENCHANTERESSE. 25

II pria Balarles d’être celui du due Niléa.

A leur artivée au camp, Fulurlin, en considé-rant Néréide, ne pouvait s’imaginer qu’elle fut autre qu’Amadis de Grèce, son meilleur ami.

Sa fréquentalion du prince de Thrace, cepen-dant, Ie rendait hésitant sur ses suppositious.

Les deux comb; ttantssaluèrent Ie camp, et, pla-cés chacun au bout opposé, les trompettes sonnè-rent, et tous deux, s’elancant, se rencontrèrent si droit, que Néréide, faussant l’écu et la lance denbsp;Balartes, Ie désargonna et Ie blessa grièvement aunbsp;cóté.

Le cheval de Néréide fut tué,mais elle se releva de dessous lui et s'avanga, Tépée haute, sur Balartes, qui s’était mis en garde.

Lors le combat fut terrible entre eux, car le prince était brave chevalier.

Lesoudan voyait avec plaisirqiie la victoire n’é-tait pas douteuse pour Niréide; Fulurlin, de son cólé, amoncelaitde grandescolères dans son cceur,nbsp;et il disait :

— J’aurais certes cru ce chevalier iricilleur dé-fenseur de ses arrnes, mais la chance tourne souvent contre le droit; possible, après tout, que sa querelle ne soit pas juste.

Néréide pressait le chevalier et l’avait fait rom-pre jusqu’aux hmites du camp, et elle le harangua.

— Chevalier, avant d'aller amp; pire état, quittez le nom que vous avez usurpé, car il est injuste denbsp;dérober la gloire et le bien d’autrui si lachement.

— Folie indisi rète, répondit Balartes, tu crois m’avoir déja a merci 1 Non, non, ta mort précéderanbsp;la mienne.

Et aussitót il lui donna deux tels coups d epée sur le haut de 1’armet, quej;ses yeux virent millenbsp;étoiles.

Néréide se jeta sur lui, prit de la main gauche les courroies de son heaume et le lui arracha;nbsp;puis de la droite elle lui trancha la tète.

Fulurlin, k ce spectacle, s’arrachail les cheveux et faisait un deuil piioyable.

— nbsp;nbsp;nbsp;Hélas! disait-il, chevalier de l’Ardente Epée,nbsp;fleur et honneur de vertu, prouesse et magi ani-milé; la Fortune vous a naguères élevé bien hautnbsp;pour vous laisser tomber aux pieds d’un tel mons-tre! Que direz-vous, rois, princes, chevaliers qu’ilnbsp;a vaincus? Que direz-vous en le voyant défait parnbsp;une femmelette 1

Ces doléances finirent par des larmes abondan-tes. II pleurait, les bras croisés, en préscnce de Néréide, qui était prête k en faire autant, en con-sidérant dequeldévouement Fulurtin accompagnaitnbsp;celui qu’il croyait mort, et cependant respirait présnbsp;de lui.

— nbsp;nbsp;nbsp;Plüt è Dieu, disait en elle-même Néréide,nbsp;que vous connussiez la vérité 1 Elle vous sera plusnbsp;tard annoncée.

Et, ótant ses arrnes de tète :

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire chevalier, dit-elle, ne vous tourmenteznbsp;plus pour ce qui vient d’arriver, car, si la Fortunenbsp;vous désole, elle vous réserve un plus grand biennbsp;pour 1’avenir, car je veux, amp; la place du mort, êlrenbsp;votre amie fidéle plus qu’il n’était pour vous; volrenbsp;bravoure et les regrets que vous exprimez méri-tent ce retour.

— Néréide, répondit-il, eet échange m’est odieux, car je voudrais que la tête soit séparée dunbsp;tronc comme tu as fait de raon ami, de mon second moi-même, et je jure les dieux que je t’ennbsp;ferai autant. Tu n’es pas digne de combattre avecnbsp;ceux qu’il a vaincus. S’il te plait, combattons ensemble pour l’éprouver, je serai sur au moins que,nbsp;vaincu, je rejoindrai mon ami,ou que, vainqueur,nbsp;je I’aurai vengé.

— nbsp;nbsp;nbsp;Bon chevalier, vous me jugez bien faible pournbsp;lui attribuer tant de gloire, et je m’étonne de vousnbsp;voir accueillir ainsi 1’amitié de celle qui jamais nenbsp;combattra avec vous. Béfléchissez a mes paroles,nbsp;et croyez qu’elles ont pour vous une significationnbsp;honorable pour vous.

— Oui, tit Fulurtin, ces paroles sont pure couar-dise pour refuser le combat; la Fortune te sert jus-que-lamp;, mais je saurai ia tourner conlre toi avant qu’il soit longtemps.

— Fulurtin, reprit-elle, plus je me dévoile et plus tu t’obstines h ne pas me reconnaitre; si nousnbsp;n’élions pas si environnés de gens, j’ouvrirais tesnbsp;yeux que tu liens obscurcis et aveuglés.

lis causaieut depuis si longtemps, que le soudan et le roi de Lacédémone descendirent de leursnbsp;grartins pour en savoir la cause.

Fulurtin, en leur présence, reenmmenga ses injures et voulait a toute force combattre.

Ce qui mit Néréide en grande perplexité, car il fallait, OU accepter le combat, ou passer pournbsp;lache de cceur.

A Ia fin, elle réfléchit qu’elle trouverait moyen, en combattant, de lui déclarer qui elle était, etnbsp;alors elle lui répondit fièrement.

— nbsp;nbsp;nbsp;Chevalier 1 vous êtes allé Irop loin dans vosnbsp;injures, car, au lieu d’être si aisé évaincre, commenbsp;vous le dites, je veux prouver, au péril de ma vie,nbsp;que vous avez dit faux.

— nbsp;nbsp;nbsp;Eh bien I fit Fulurtin, que ce soit de suite.

Le soudan consentit amp; regret amp; celte épreuve.

On leur amena des chevaux frais, et Néréide était fort soucieuse de se mesurer avec son meilleurnbsp;ami.

Leur rencontre fut terrible, Néréide ne s’occu-pant pas de parer, elle laissa Fulurlin briser sa lance sur elle jusqu’i la poigaée, et se retint auxnbsp;crins de son cheval pour ne pas tomber.

Fulurtin tomba sous son cheval, mais il revint aussitót sur Néréide, et lui dit:

— nbsp;nbsp;nbsp;Qa, ma damoiselle, descendez de cheval, sinbsp;vous ne voulez pas que je le tue.

— nbsp;nbsp;nbsp;Par mon amel fit Néréide, vos motifs denbsp;combats sont si déraisonnables, que je préféreraisnbsp;cesser le combat.

Elle descendit cependant, et leur combat conti-nua. Fulurtin, acharné a l’atlaque, et Néréide, au contraire, se bornant Si parer du plat de son épéenbsp;et k recevoir les coups sur son écu.

L’ennui pour elle était de voir le soudan et le roi de Lacédémone trés attentifs k connaitrel’issuenbsp;de cette mélée.

Ce qui Fempèchait de parler k Fulurtin. Elle lui dit ces seuls mots ;

— nbsp;nbsp;nbsp;Contente-toi, Fulurtin, d’avoir abimé monnbsp;écu et mes arrnes ainsi, car ta bonté t’a fait treiternbsp;en ami jusqu’ici; pourtant, ne va pas plus loin.


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26 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

— Fais comme moi, répondit Fulurtin ; défends ta vie, que je tiens suspendue h mon épée.

Et leur combat recommenea plus apre que jamais ; Néréide recut une blessure et songea h se défendre sérieusemont; elle haussa l’épée, et, d’unnbsp;coup, décoiffa Fulurtin, qui tomba bouleversé et nenbsp;sachant s’il faisait jour ou nuit.

— VoilS, dit Néréide, un des coups habituels du chevalier de l’Ardente Epée, et non du misé-rable qui git mort en ce camp. Rends-toi monnbsp;prisonnier, ou mal t’en arrivera.

— nbsp;nbsp;nbsp;Tuel tue! s’écria Fulurtin, que j’aille rejoin-dre, aux Champs-Élysées, mon ami; s’il est ennbsp;enfer, peu m’importe, j’irai de même lui tenirnbsp;compagnie.

— nbsp;nbsp;nbsp;Pas encore, reprit Néréide ; tu seras l’ami denbsp;moi seul, et je prierai Ie soudan de te garder prisonnier jusqu’èi ce que ta colère soit apaisée.

— nbsp;nbsp;nbsp;A quoi bon Ia vie, sans mon ami? lit Fulurtin.

Néréide désespéra de faire entendre raison é ce maniaque; elle prialesoudan dele faire surveiller,nbsp;pour qu’il n’attentat pas è ses jours par désespoir.

Le corps deBalartes fut embaumé dans un ccr-cueil de plomb pour être envoyé ii l’empereur de Trébisonde.

La réputatiori de Néréide fut compléte, et on la surnommait le meilleur chevalier de toute la terre.

CHAPITRE XXVII

Comment Niquée sevoulut déiruire, sachant la mort d'Amadis de Grèce et la victoire denbsp;Nérdide.

itot après la victoire rem-if portée par Néréide, le soudan la prit par la mainnbsp;et la conduisit dans unenbsp;t des plus belles cliambresnbsp;g du chateau, oü il lit pansernbsp;*||les plaies qu’elle avait.nbsp;Puis il alia trouver Ni-quée pour lui raconter ce qui s’étaitnbsp;passé, espérant lui faire plaisir;nbsp;mais bien au contraire, car Niquée,nbsp;en apprenant Ia mort d’Amadis,nbsp;tomba it la reuverse inanimée.

Le soudan resta effrayé et appela les demoiselles pour lui desserrernbsp;ses robes et la secourir.

En revenant é elle, un soupir douloureux s’échappa de son sein,nbsp;et elle dit;

— Retirez-vous, mon père, car le mal que je souffre veut une solitude entière. Accordez-moi cettenbsp;grace, car c’cst Ia dernière que vousnbsp;m’octroierez, élant prête è quitternbsp;la vie.

Le bon vieillard inoncla de larmes

sa blanche barbe b ces paroles, et sortit de la chambre en pensant que cette crise venaitde quel-que douleurd’amour.

II alia chez Néréide, qui, elle-même, é cette nouvelle, devint blême et resta sur sa couche sausnbsp;mouvement.

Le pauvre soudan crut avoir, en un instant, perdu sa fille et son araie; Ia fièvre le prit, et ilnbsp;commenga h se désoler piteusement.

— Hélas 1 faut-il ciue sur le bord de la tombe je voie trépasser les deux êlres que j’ai le plus airaésnbsp;au monde. Pour l)ieu, ma mie, répondez-moi!

Et il embrassait Néréide, qui revint é elle et cornprit sa faute; elle voulut s’expliquer et répondit au soudan;

— Je vous assure que votre douleur m’a tant émue, que j’ai éprouvé le mème mal que votrenbsp;lille.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ma mie, fit le soudan, reposez-vous; ce sontnbsp;vos blessures qui vous ont cause ce malaise; faitesnbsp;bonne chére afin de rétablir cette faiblese.

Et il la laissa seule. Niquée, cependant, avait congédié ses suivantes et continuait é déplorernbsp;son malheur, s’en prenant k Néréide, qu’elle ac-cusait de meurtre.

— Certes, soupirait-elle, son visage, si sembla-ble au votre, cruelle femme, vous devait donner quelque compassion, et moi-même je devais vousnbsp;en inspirer I Que n’ai-je l’épée qui I’a renversé?nbsp;bienlót mon drae irait rejoindre la vótre, ó Ama-disl dans quelque lieu qu’elle habite d ce moment.

Toute la nuit, ce furent pareilles plaintes. Au jour, le soudan envoya quérir de ses nouvelles.nbsp;On répondit que le mal s’était aggravé.

Le soudan vint trouver Néréide, qui s’habillait, et lui manda les mauvaises nouvelles de sa fille.

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, dit Néréide, s’il vous plaisait, j’iraisluinbsp;tenir compagnie; car peut-être s’ennuie-t-elle ainsinbsp;seule.

Cette proposition plut au soudan, et ils allérent chez Niquée, qui, en les voyant, tourna la téte denbsp;cöté et feignit de dormir.

Le soudan se retira de crainie de l’évciller, et la confia h Néréide; ce que Niquée entendit fortnbsp;bien.

Son pére étant hors de la tour; elle se leva en sursaut, et s’adressant d Néréide, elle lui dit dure-ment;

— nbsp;nbsp;nbsp;Que faitcs-vous ici? disparaissez! car ennbsp;votre presence je me tuerai, ou bien je vous étran-glerai de mes dcmx mains! Femme traitresse 1 fal-lait-il recevoir de vous ces maux horribles l

— nbsp;nbsp;nbsp;Votre mal, madame, répondit Néréide, précé-dera un grand bien, si vous Ie comprenez commenbsp;je Ie sais.

— nbsp;nbsp;nbsp;Or, laissez-moi, fit Niquée, ou accordez-moinbsp;l’épée qui atué Amadis.

— nbsp;nbsp;nbsp;Trés bien, dit Néréide; a une condition: c’estnbsp;que je vous la donnerai en ma seule prósence.

Et elle alia chercher l’épée, qu’elle lui présenla dans une chambie secrete, en lui disarit:

— Madame, voici cette épée ; je vous prie de me la passer au travers du corps si je ne vous ramènenbsp;Amadis vivant, quoique vous le pensiez mort.

Niquée prit l’épée, et croyant que Néréide se


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ZIRFEE L’ENCHANTERESSE, 27

moquait d’elle, elle lira la lame du fourreau pour lui fendre la tête.

Néréide était sur ses gardes; elle para Ie coup et lui dit:

— Comment, vous voulez ainsi occire votre Ama-dis ! Regardez cette épée, figurée sur ma poitrine, et accueillez ensemble Ie chevalier de I’Ardentenbsp;Epée et Amadis de Grèce. Le traitre qui a usurpénbsp;mon nom a recu le chatiment qu’il méritait.nbsp;Maintenant, si vous voulez punir Amadis, choisis-sez de cette épée d’acier ou de celle que vous aveznbsp;gravée dans mon coeur.

Niquée ne savait si elle rêvait; elle se rassura peu h peu devant de semblables preuves, et fit ra-conter a Amadis tous les détails de ses prouesses.

CHAPITRE XXVIII

Comment Néréide redevint homme, ^ la grande satisfaction de la belle Niquée, laquelle s’abandonna pour la premièrenbsp;fois au plaisir d’aimer et d’être aimée.

Le soudan vint presque aussitót et trouva sa fille parée des plus vives couleurs de la santé; le délas-sement qu’elle avait pris avec Amadis n’y avaitnbsp;pas peu contribué.

— nbsp;nbsp;nbsp;Je vois que vous allez mieux, dit-il, et vrai-ment, hier, j’ai craintde vous voir mourir.

— nbsp;nbsp;nbsp;Mon pére, fit Niquée, Néréide m’a soignéenbsp;avec tant d’affection, que je suis maintenant horsnbsp;de tout danger.

—^^Elle donne k tout le monde allégeance, sauf è moi, reprit le soudan; maisj’espère avec le tempsnbsp;rccevoir d’elle plus de bien qu’elle ne m’en veutnbsp;céans.

— Sire, hasarda Néréide, je vous l’ai promis et vous le promets encore.

— nbsp;nbsp;nbsp;II faut pour cela, père, que vous ne nousnbsp;sépariez plus, car sans elle je retomberai en pirenbsp;état que devant.

— nbsp;nbsp;nbsp;Oui, vraiment, dit le soudan, je vous lanbsp;confie, et nourrissez les bonnes intentions qu’ellenbsp;a pour moi.

— nbsp;nbsp;nbsp;Je n’y manquerai pas, répondit Niquée, quinbsp;se tenait de rire ainsi qu’Amadis.

Le soudan se retira après ces mots pour prendre son repos.


Dieu sait quels baisers et quels embrasse-mentss’ensuivirent! Néréide prouvaitéloquemment qu’elle n’était pas femme, et elle l’eüt prouvénbsp;plus éloquemment encore si la belle pucelle Niquéenbsp;ne s’y fut opposée en lui disant:

— nbsp;nbsp;nbsp;Mon grand ami, il ne me parait pas que vousnbsp;respectiez suffisamment les barrières qui défendentnbsp;mon honneur, k savoir, mon rang et ma beauté...nbsp;Considérez done, je vous prie, que notre amournbsp;doit être consacré par la loi la plus honnête vis-é-vis de Dieu et des hommes.

— nbsp;nbsp;nbsp;Je vous assure, madame, fit Amadis, que jenbsp;n’aurai jamais d’autre femme et épouse que vous,nbsp;vous aimant au dela de ce qu’il est permis d’espé-rcr.

— Eb bien! dit tendrement Niquée, je vous recois pour seigneur, mari et époux.

Et ainsi, Niquée laissa cueillir a Amadis le frais bouton du rosier, jusqu’alors immaculé; et le jar-dinier s’occupa si bien de ce gentil jardin, que le

fruit ne tarda pas h mürir.

— nbsp;nbsp;nbsp;Mon ami, lui disait Niquée, je confierai amp; monnbsp;père, en le trompant un peu, que vos soins ra’ontnbsp;rendu la santé, et je suis sure qu’il vous laisseranbsp;toujours aveemoi.

— nbsp;nbsp;nbsp;Je vous assure, fit Amadis, que votre père etnbsp;moi nous sommes trouvés il y a un mois dans unnbsp;cruel ennui.

Et il lui raconta que le soudaif avait voulu le violenter, et que, n’y pouvant arriver, il l’avaitfaitnbsp;enfermer k la Tour de TUnivers; ce qui avait élénbsp;la cause de leur réunion présente.

— nbsp;nbsp;nbsp;Laissez-moi faire pour le reste, ajouta-t-il, jenbsp;sais comment prendre son caractère; priez-le denbsp;venir vous visiter.

CHAPITRE XXIX

Comment Néréide fut voir Fulurtin en prison, et les propos qu’ils eurent ensemble.

Toute la journée se passa entre Néréide et Niquée è deviser sur les peines qu’ils avaient en-durées avant d’être réunis par l’amour.

— nbsp;nbsp;nbsp;Combien de fois, disait Amadis, j’ai déplorénbsp;votre situation, semblable au trésor que cachenbsp;l’usurier et ne sert ni è lui ni aux autres, au lieunbsp;de laisser d’aussi belles créatures que vous hono-rer Dieu en aimant honnêtement leur ami 1

— nbsp;nbsp;nbsp;Dieu, mon ami, répondit Niquée, montre icinbsp;son dessein. Voyez comme mon pére s’est rompunbsp;la tête pour empêcher qu’horame du monde appro-chdt de moi. 11 a oublié qu’il est aussi difficile denbsp;garder une femme que detenirdans la main ferraéenbsp;un bataillon de puces, car elles sortent par la separation des doigts. Quels remords lui viendrontnbsp;quand il saura notre liaison I d’autant plus quenbsp;1 espoir de vous posséder a amené ce résultat. Anbsp;son ége et avec sa sagesse, je ra’étonne de eet en-trainement.

Ils s’entretinrent ainsi jusqu au moment d’aller coucher.

Néréide avait peu dormi les nuits précédentes; elle ordonna è ses femmes de se retirer dans lanbsp;garde-robe et la laisser seule avec Néréide, qui cou-cherait avec elle.

Ges femmes obéirent sans soupqonner rien et


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laissèrent les amants faire plusieurs essais du plaisir qu’ils avaient eu ensemble une ou deux foisnbsp;ie matin.

Etcombien qu’ils fussentl’un et l’aulre nouveaux en tel métier, ils en apprirent fant cette nuit,nbsp;qu’ils devinrent aussi savants qu’après quinze ounbsp;vingt ans d’études.

Pendant plusieurs jours, ils travaillcrent éi ce charmant repos sans se lasser ni dégoüter.

Le soudan revintvoir saNéréide, qui lui échap-pait loujours, et finit par lui dire qu’elle avail fait vceu de teriir chasleté pendant une armee de cop-tivité; qu’ensuite elle lui appartieiidrait de coeur,nbsp;de corps et de toutes les facons qu’il lui plairait.

II prit cela en paiement et l’autorisa a venir ii tout instant voir Niquée, et se promener oü ellenbsp;voiilait.

Néréide se souvint de Fulurtin et l’alla voir dans sa prison; le pauvre chevalier était sur le cheminnbsp;du trépas et appelail le terrne de ses douleurs.

— Je vous supplie, mon ami, dit Néréide, de me pardonner le délai que j’ai mis ü me faire con-naitre de vous; je suis votre tant regretté Arna-dis de Grèce. Voyez l’épée que vous avez regardéenbsp;tant de fois.

Et elle lui montra sa poitrine.

— Cela vous prouve que vous avez eu affaire a un Iraitre qui usurpait l amour de Niquée auquelnbsp;j’ai droit.

Fulurtin, ^ mesure cju’elle parlait, se figurait rèver ou éprouver un enchantement, car il avaitnbsp;vu expii er le chevalier de l’Ardente Epée, et il lenbsp;revoyait ti ses cólés.

Mais, en rappelant dans sa mémoire certains détails de l’autre, tels que déni de secours aux demoiselles et autres, il songea qu’il avait dü ctre trompé jusqu’alors par celui qui avait été chalié.

II se jeta au cou d Amadis, eu s’écriant:

— Ahl mon vieil ami, qui eüt pensé qu’après tant d’inforlunes je Irouverais une pareille joie?nbsp;Sur mon éme, je ne regretterai pas la vie, pmsquenbsp;j’ai été tiré d’un si horrible chagrin que cidui denbsp;vous avoir cru mort. Mais pourquoi ce déguise-ment de femme?

Lors, Amadis lui raconta sa vente au soudan par Gradamarte, qu’il attendait sous le nom de Cosmenbsp;Alexandrin, son mariage avec Niquée et la néces-sité de tout ce qui en élait survenu.

— En vérité, je suis ravi de ces avcntures mer-veilleuses et successivement heureuses. Je ne sais vraiment pas é quels diables j’avais l’esprit lorsqucnbsp;je vous vis ^ cheval et combaltre celui que vousnbsp;avez si maltraité. J’aurais dü vous reconnaitrenbsp;sous ces habits de femme.

— Et vous, dit Amadis, quelle fortune vous a amené dans ce pays ?

— L’inquiétude seule de vous chercher, répon-dit Fulurtin; malgré un récent mariage avec une fille que j’adore, j’ai tout quitté pour me metlrenbsp;en campagne a votre quête.

En raconlant ses amours avec Libriaxa, Fulurtin ne pouvait s’empêcher de soupirer.

Amadis se mit amp; rire.

—- Je vois, dit-il, que vous commencez a re-gretter son absence; si vous voyiez seulement une fois Niquée, vous comprendriez bien davantagenbsp;encore ce sentiment.

— nbsp;nbsp;nbsp;Je vous dirai, fit Fulurtin, quo mon amie estnbsp;si bien en moi et moi en olie, que je la préfère anbsp;toules les belles du monde, car elles ne pourraientnbsp;habiter un coeur c^ue j’ai laissé a la garde de manbsp;mie.

— nbsp;nbsp;nbsp;Diable! reprit Amadis, n’en avez-vous pasnbsp;déjü joni, et plusieurs fois?

— nbsp;nbsp;nbsp;Oui, cerles 1

— nbsp;nbsp;nbsp;Et néanmoins, vous pensez a elle autantquenbsp;si vous éliez en quote pour la conquérir. Quenbsp;dirais-jc, moi, s’il me fallait quitter ma Niquée?nbsp;Depuis que je cause ici, il me semble en être éloi-gne depuis dix ans.

— nbsp;nbsp;nbsp;Vous voyez, dit Fulurtin, vous êtes absolu-rnent comme moi.

— nbsp;nbsp;nbsp;Avec cette différence, répliqua Amadis, quonbsp;la beauté de ma mie ne peut être comparée ü cellenbsp;de la vótre.

— nbsp;nbsp;nbsp;La mienne, conlinua Fulurtin, n’a d’égale ninbsp;aux cieux ni sur la lerre. Ni la déesse Vénus ninbsp;votre Niquée n’atteignent ü la perfection denbsp;Libriaxa. Cheque oiseau trouve son nid beau.

— nbsp;nbsp;nbsp;J'avoue que j’ai bien aiméLucelle, fit Amadis, et que je l’aime encore; mais je confesse qu’anbsp;la vue du portrait seul de Niquée, l’affection que jenbsp;portais ü fautre s’évanouit subilement pour senbsp;porter sur elle.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ma mie n’a point S craindre pareille chosenbsp;de moi; j’aimerais mieux mourir plutot qued’êtrenbsp;une seule fois inconstant ci sou endroit.

— nbsp;nbsp;nbsp;Nous verrons cela un jour; contentez-vousnbsp;de bien jouer maintenant votre personnage. Jenbsp;ferai entendre au soudan que je vous ai biennbsp;prêché, que vous êtes content et désirez entrer ^nbsp;son service. II vousfera venir de suite. Le restere-garde votre prudence. Je cours revoir ma mie.

Ils se quittèrent, et Néréide vinttrouver le soudan, auquel cllefii la proposition de Fulurtin.

— nbsp;nbsp;nbsp;Par ma foi, dit le soudan, vous me donneznbsp;l'occasion de vous aimer de plus en plus; je sors denbsp;chez ma fille, qui était toute triste; je vous ptienbsp;d’aller la visiter; je vais de mon cóté appeler Fulurtin.

En effet, Fulurtin fut traité avec les honneurs dus aux plus grands ])rinccs de Temp're, et Néréidenbsp;et Niquée habilaient loujours Ie paradis des amants,nbsp;sans être aucunenient observés des damoisellesnbsp;suivantes.


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ZIRFÉE L’ENCHANTERESSE. 29

CIIAPITRE XXX

Comment les nouvelles vinrent en Trébisonde de l’armée d’Abra, qui marchait contre 1'empereur et Lisvart,' et dunbsp;congé que donna Ie soudan i Néréide pour aller au secuurs d'Axiane avec cinq cents chevaliers.

Tant courut par tout Ie Levant Ie bruit de l’ar-mée qu’assemblait la belle Abra pour descendre en ïróbisoiide, qu’Ainadis de Grèce, craijinant la ruïnenbsp;du pays, se irouva en grande perplexité et chagrin. El, bien qu’il considérat corame la plus gravenbsp;et pénible chose de s’éloigner de sa nouvellenbsp;femme et amie, cependant la raison finit par l’em-porler sur la folie, et Ie devoir sur Ie plaisir.

Une nuit entre autres, après y avoir bien réflé-chi, il se décida li demander son congé, et, pour y parvenir, tenant N quée entre ses bras, i! lui dit:

— nbsp;nbsp;nbsp;Vous save.z, ma mie, quehe part vous aveznbsp;en moi, ét quel désir j’ai de vous obéir et corn-plaire en tout... Je vous prie done de me conseil-ler en l’occurrence présente, é propos de deux ex-trémilésqui me travailleiit et importunent grande-inent l'esprit...

— nbsp;nbsp;nbsp;Qu’est-ce done, mon doux ami? demanda lanbsp;belle Niquée.

— nbsp;nbsp;nbsp;L’une est l’obligation que je dois a mon père,nbsp;pour Ie secourir en la nécessité oü il est, commenbsp;vous avez entendu. L’autre, qui me louche de plusnbsp;prés eticore, eest que, en m’éloignant de vous,nbsp;j’approche d’autant de la mort... 11 me parait impossible de vousabandonner longtemps...

Niquée, qui n’élait pas moins avisée que belle et de bonne grace, comprit que si Amadis délaissaitnbsp;père et pays en temps si pressé, outre qu il ennbsp;pourrait recevoir blame, ils en recevraient l’un etnbsp;l’autre un dommage trop grand. Lors, au lieu denbsp;Ie détourner de celte idéé qu'il avail, elle lui ré-pondit:

— nbsp;nbsp;nbsp;Seigneur, l’amour que je vous porte' est sinbsp;parfaile, que je vous donnerais malaisément, ennbsp;ce que vous me deraandez, un conseil qui me futnbsp;agréable et sain... Mais plus grande encore est lanbsp;force de votre honneur et de votre renommée,nbsp;puisque c’est elle seule qui a été Ie moyen du bon-neur que nous avons l’un par l’autre... A cettenbsp;cause, il me semble que vous et moi devons ajour-ner et interrompre notre béatilude amoureuse etnbsp;suivre l’apre devoir qui nous ordonne la sépara-tion. Par ainsi, mon grand ami, je vous donne,nbsp;comme faire je dois, tel congé qu’il vous plaira,nbsp;encore que vcritablement ce soil contre inon vou-loir et mon plaisir...

— Sur mon Dieu, ma dame, reprit Ie chevalier de l’Ardente Epée, vous parlez si bien el si élo-querament, que je ne sais ce que je dois admirernbsp;Ie plus, OU de votre beauté, Anulle autre pareille,nbsp;OU du merveilleux jugement que vous porteznbsp;dans les occurrences délicates de la vie, et du gentilnbsp;esprit qui reluit en vous... Demain done, avec votrenbsp;agrément, je parlerai au soudan, et, selon ce qu’ilnbsp;me répondra, je parachèverai ou romprai monnbsp;entreprise. Car, sans lui, ni vous ni moi n’y pour-rions donrier ordre et suite...

En effet, Ie jour suivant, comme Ie soudan était hl, en visite, comme il en avait coutume, Néréidenbsp;lui dit:

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, je ne vous ai jamais requis, que jenbsp;sache?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Non, certes, ma mignonne, et je Ie regrettenbsp;bien.

— nbsp;nbsp;nbsp;Je vous supplie aujourd’hui de m’accordernbsp;un don...

— nbsp;nbsp;nbsp;Un don, h vous qui les avez tous?

— nbsp;nbsp;nbsp;Un don, oui, Sire...

— nbsp;nbsp;nbsp;Et lequel, ma mie?

— Accordez-le-raoi d’abord, et vous n’aurez pas lieu rie vous tn repentir plus tard...

— Ma mie, je vous ai donué mon coeur; c’est vous dire que je n’ai rien é vous refuser. Deman-dez done bardiment.

Néréide remercia trés humblement, et dit;

— Vous savez depuis longtemps, Sire, que madame volre nièce Axiane a résolu de reconqué-rir l'empire rie Babylone, que délient indüment etnbsp;injustement la princesse Abra, héritière de sonnbsp;frère Zaïr?...

— Je sais cela, en effet, ma mignonne, et depuis un assez long temps... Ma s je vous avoue que je ne vois pas bien oü tendent ces propos...

— Si vous y consentez, Sire, et je Ie souhaite fortement, j’irai aider de ma personne a votrenbsp;nièce, espérant par ce moyen apaiser l’inimitiénbsp;que plusieurs vous portent, et a moi aussi, pour lanbsp;mort d’Amadis de Grèce, et acquérir en outrenbsp;quant et quant plus de renommée que je n’ennbsp;ai encore...

Le soudan fut trés marri d’avoir si légèrement donné sa parole et octroyé d’avance le don que ve-nait de lui demander Néréide, car c’était une sé-paralion qu’elle lui demandait la, et il s’était sinbsp;bien habitué k la voir tous les jours 1...

Cependant, il avait promis. Quoi qu’il lui en dut coüter, il s’exécuta.

— Je ferai ce que vous voudrez, ma mie; mais je jure bien, par le haut et puissant Jupiter, quenbsp;c’esl bien contre mon gré. Car réloignement oünbsp;je vais me trouver de vous va produire un tel dés-arroi en moi, que j’ai grand crainte de n’être plusnbsp;en vie a votre retour...

— Voila des paroles inutiles, Sire; vous devez savoir que celte absence ne sera pas longue etnbsp;que je la raccourcirai encore de mon mieux, nenbsp;connaissant pas de lieu au monde oü j’aie recunbsp;plus d’aise et d’honneur que céans, en votre compagnie et en celle de madame votre fille.

— Ma mignonne, dit le soudan, je dois consen-tir a votre départ, puisque je l'ai promis. Mais, comme j’ai peur que vous ne soyez reconnue etnbsp;mise a mort, je vais vous donner pour compag lienbsp;cinq cents chevaliers qui auront pour mission spé-


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BIBLIOTHEQUE BLEUE.

ciale de veiller sur votre chère et précieuse existence.

— nbsp;nbsp;nbsp;Puis-je choisir ces chevaliers-lJi raoi-raême,nbsp;Sire?

— nbsp;nbsp;nbsp;Certes, oui, mignonne! certes oui l

— nbsp;nbsp;nbsp;Mors, Sire, je vous supplie de permettre ènbsp;Fulurlin de m’acconjpagner. Avec lui et les cinqnbsp;cents chevaliers dont vous me gratiljez, je ue re-douterai personnel...

— nbsp;nbsp;nbsp;Yous aurezFulurtin, ma mie, ainsi que Ie roinbsp;de Lacédémone... Je vais les prévenir et m’occu-per de votre départ.

— nbsp;nbsp;nbsp;Que les dieux vous Ie rendent, Sirel

Le vieux soudan sortit, et alia commander 1 e-quipement des vaisseaux nécessaires.

Peu après, Néréide ayant pris congé et de Ni-quée et du soudan, s’erabarqua avec sa suite, sur son vaisseau, qui cingla vers Cappadoce.

GHAPITRE XXXI

Comment le vieil empereur de Trdbisonde, l’impêratrice sa femme et la princesse Onolorie sa fiüe, passèrent de vie tinbsp;trépas, au grand désespoir de Lisvart de Grèce.

Pendant que ces choses se passaient, d’autres événements s’accomplissaient aussi. Le temps, quinbsp;donne fin a toutes choses, les travaux passés, lesnbsp;peines ordinaires de la vie, tout contribua a avan-cer la mort du vieil empereur de Trébisonde. IInbsp;rendit son ame au Seigneur üieu, qui la lui avaitnbsp;prêtée pour toute la durée de sou existence ter-restre.

II fut fait grand deuil de cette mort dans tout rempire, comme on pense bien; lequel deuil, ce-pendant, dut s’apaiser tót après pour faire placenbsp;aux joies du couronneraent du nouvel empereurnbsp;Lisvart de Grèce et de sa chère femme et épouse,nbsp;la princesse Onolorie.

Quelques jours après ce couronnement, et comme si la Fortune se rassasiait difticilement,nbsp;deux autres malheurs suivireat celui-la. La viedlenbsp;impératrice mourut, emportée par les regretsnbsp;amers qu’elle ressentait de la perte de sou vieuxnbsp;mari; ce qui troubla tellement sa fille Onolorie,nbsp;alors grosse de six raois, qu’elle en avorta dansnbsp;d’affreuses douleurs. Les médecins la jugèrent perdue, et elle le comprit elle-même.

Lisvart, k cette nouvelle, commenoa è faire les regrets et les plaintes les plus dignes de pitié.nbsp;Comme il était en cette angoisse, on lui vint direnbsp;que l’irapératrice sa femme le demandait, afm denbsp;lui dire un dernier mot avant de passer le pas.

Bien qu'U fut plus en état derecevoir récoufortque u en donner k quiconque, il y alia, pour montrernbsp;qu u était homme, avec la raeilleure contenancenbsp;qu’il put trouver, et, lui prenant doucement et af-fectueusement la main droite, il lui deraanda comment elle se portalt;

— Sire, répondit-elle avec un sourire mélanco-lique, je vais ainsi qu’il plait k notre Seigneur Dieu... Je vois bien maintenant qu’il me veut ap-peler a lui... Par ainsi, mon ami, je vous supplienbsp;de me pardonner les choses involontaires par les-quelles j’aurai pu vous offenser, car je vous pro-mets, en vérité, que p’a été hors de mon escient...nbsp;Je vous ai aimé, Lisvart, tant que j’ai vécu en cenbsp;monde, depuis la première heure oü je vous ai vunbsp;jusqu’è cette heure solennelie oü je ne vais plusnbsp;vous voir...

Un hoquet sinistre interrompit la moribonde. Elle reprit bientót courageusement:

— Lorsque je ne serai plus, mon doux ami, je vous prie d’avoir quelque souvenance de moi, denbsp;prier et faire prier le Seigneur d’avoir pitié de manbsp;pauvre ame ignorante qui a peut-étre pêché etnbsp;failli sans le savoir... C’est mon dernier voeu... Te-nez-en compte, cher mari... Je voudrais vous par-Ier encore, car il me semble que je ne vous ai pasnbsp;assez dit combien je vous aimais... combien j’ai éténbsp;heureuse par vous... combien je regrette de ne pasnbsp;vivre plus loBgtemps pour vous prouver eet amournbsp;que le temps n’aurait pu entaiher et que la mortnbsp;seule peut briser, comme elle fait en ce moment...nbsp;Mais l’heure me presse... je sens le cceurme man-quer...

Et, se soulevant avec ce qui lui restait de force, Onolorie se pencha sur le visage éploré de sonnbsp;cher mari et le baisa avec une tendresse qui leurnbsp;fit mal è tous deux, car ils sentaient l’un et l’autrenbsp;que c’était la dernière caresse.

— Mon ami, ajouta-t-elle d’une voix qu’il en-tendait k peine, voilé le dernier bien que vous au-rez de moi... Je vous laisse deux enfauts qui sont vótres... L’un est votre fille, si éloignée de nousnbsp;présentement, que nous n’en savons nouvelles...nbsp;Quand il plaira k Dieu, il vous la rendra... L’autrenbsp;est votre Ama...

Onolorie ne put prononcer la dernière syllabe du nom de son fils. Son éme s’évanouit, sa voix et sanbsp;vie cessèrent ensemble, comme elle tenait encorenbsp;la main de 1'empereur, é qui le coeur crevait, tantnbsp;il l’avait pressé d’angoisse et de tristesse.

Elle était morte sans qu’il s’en doutét, malgré le silence qui avait succédé tout-é-coup au bruit.nbsp;II continuait é tenir sa main dans la sienne, sansnbsp;s’apercevoir qu’elle se refroidissait de minute ennbsp;minute, et, pour ne pas I’affliger par ses sanglots,nbsp;il se mordait la langue jusqu’au sang.

Mais lorsque cette main, de sèche et fiévreuse qu’elle était auparavant, devint tout-é-coup froidcnbsp;(ie cette froideur terrible que donne le tombeau,nbsp;il osa relever la tête et regarder. Lors, voyant ainsinbsp;sa chère femme expirée, il tomba en une pamoisonnbsp;telle, qu’il resta plus de quatre heures sans remuernbsp;ni pied ni main sur un ht oü on 1’emporta.

Quand il reprit sa conuaissance, il murmura, en jetant un sanglot du plus profond du cceur :

— Hélas! dure et mauvais(( Fortune! es-tu suf-fisamraent rassasiée? Tu ne veux pas de ma vie... toi-même l’a tirée cent et cent fois des périls oünbsp;je te 1’avaisabandonnée 1... Et, pour me faire mou-


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ZIRFEE L’ENCHANTERESSE.

rir cent fois le jour, tu m’as 6té ma chère femme, ma compagne 1 0 Dieu! Dieu éternell...

Lisvart u’en put dire davantage : il tomba dere-chef dvanoui. Puis, revenant amp; soi, il dit, les yeux amp; demi-ouverts :

— nbsp;nbsp;nbsp;Hélas 1 ma mie, ma femme, ma loyale compagne, vous êtes plus heureuse que votre mari, toutnbsp;bien considérë, puisque vous êtes présentementnbsp;au ciel, dans la suprème béatitude, tandis que jenbsp;reste, moi, ici-bas, pour servir de proie aux dé-vorantes mélancoliesl... Pardonnez-moi, ma chèrenbsp;femme, si je vous pleure si indiscrètement...

Puis, tout aussitót, comme personne mal arrêtée en son bon sens, il changea de conteriancc et senbsp;prit è maudire et è iniurier le cours du ciel, l’in-tluencedes planètes. Part des médecins, les appelant bêtes, ignares, sans savoir ni experience. Et,nbsp;tout en parlant ainsi, il faisait de ses mains cris-pées une si rude et si continuelle guerre aux poilsnbsp;de sa barbe, qu’elle n’en tarda pas è s’éclaircirplusnbsp;que de coutume.

Périon, qui survint en ce moment, essaya d’a-paiser sa fureur, lui remontrant que telles fagons d’agir étaient messéantes è un chrétien comme lui,nbsp;et contraires au vouloir de Dieu.

— Vous en parlez bien h votre'aise! lui répon-dit amèrement Lisvart. Ne voyez-vous done pas que j’ai tant perdu, qu’il ne me reste autre chose qu’unnbsp;ennui avec lequel je mourrai, me trouvant ainsinbsp;privé de la compagnie de ma bien-aimée Onolo-rie?...

En prononcant ce nom si cher, Lisvart sentit son eoeur lui manquer de nouveau et se serrer sinbsp;fort, qu’il ne put continuer a parler et que sesnbsp;yeux se changèrent en deux ruisseaux de larmes.

Gradasilée, qui arriva sur cette entrefaite, voyant son affliction, ren reprit aigrement.

— nbsp;nbsp;nbsp;Comment l dit-elle, Sire, vous prenez plaisirnbsp;a contrefaire la femme ? La magnanimité du cceurnbsp;vous rnanque-t-elle comme aux enfants?.,. Ne sa-vez-vous done pas que vous et moi nous sommesnbsp;nés pour mourir? Vous imaginez-vous done fairenbsp;revivre votre femme en la leurant et en vous tour-mentant ainsi? Elle est, certes, bien heureuse...nbsp;Pourquoi la regrettez-vous tant? Elle est parlie lanbsp;première pourvousmontrer le chemin; elle vous attend au lieu oü, s’il plait è Dieu, nous la verronsnbsp;quelque jour... Laissez ces larmes a ceux qui n’ontnbsp;pas espérance en une seconde vie, et réconfortez-vous en notre Seigneur, qui vous donnera la vertunbsp;de patience qui vous est nécessaire...

Assez d’autres bons propos lui tint Gradasilée, et tant et tant, qu’é la fin il donna quelque repos ènbsp;ses yeux et è son cceur.

Pendant ce temps, on inhuma l’impératrice'Ono-lorie en la chapelle oü reposaient ses prédécess'eurs.

CHAPITRE XXXII

Comment l’impératrice Abra fut défaite, et ce qu’il cn advint.

L’empereur Lisvart avait une multitude de bons soldats qu’il avait arraés soigneusement pour as-sauts et défenses.

Lui-mêrae ordonnait tous les travaux, faisant creuser fossés, jeter chausse-trappes et aiguiser lesnbsp;piques et manoeuvrer les canons.

Les rois de Jerusalem, ceux de Fénicie et Surie, combattaient en personne et donnèrent l’assaut ünbsp;Lisvart.

Abra, restée un peu en arrièredans les tranchées, voyant les siens un peu maltraités, se raordit lesnbsp;doigts et résolut de donner elle-même si, au troi-sièrae assaut, la ville n’était pas enlevée.

Elle ordonna au roi de Palestine, a celui de Cen-tepolie et Sentapolin, de jeter cent mille hommes sur les murailles.

Maïs Lisvart avait partout mis des poudres, de J’huile, fascines derrière les brèches, et les enne-mis, lancés en vitesse et criant ville gagnée, furentnbsp;enveloppés de flammes subites; une forte partienbsp;y perdit la vie, le reste se sauva comme il put.

Abra se désespéra; on lui apprit 1’arrivée de quinze cents voiles amenant des chrétiens, ce quinbsp;la détermina ü lever le siége et rentrer au camp.

Frandalo, amiral de l’armée chrétienne, arrivait bien appareilló et gréé devant la Rotte d’Abra,nbsp;qu’on avait dégarnie pour fortifier les troupes denbsp;lerre.

Tout conspirait contre l’impératrice Abra; Axiane, priucesse d’Argènes, envoya un cartel ünbsp;son ennemie; il fut convenu que dix chevaliersnbsp;païens se mesureraient en champ-clos.

En effet, Périon et les autres chrétiens s’avancè-rent contre les païens, et ceux-ci, par ruse, pointè-rent leurs lances sur les chevaux seulement. Les païens n’cn restèrent pas moins prisonniers etnbsp;donnés ü 1’irapératrice Axiane, qui les fit soigner etnbsp;renvoyer.

Les deux armées allaient en venir aux mains d’une fagon délinitive.

Don Florestan, empereur de Rome, commandait la cavalerie de trente mille chevaux.

Don Rruneo de Bonnemer, avait les gens de pied, Frangais, Alleraands, Rretons et Ecossais,nbsp;cinquante mille soldats environs.

Lisvart dirigeale combat, qui fut plein d’épisodes terribles ou grotesques, car la defection semit dansnbsp;les troupes d’Abra.

Finalement, le combat dura si longtemps, que deux amiraux païens y furent tués et presque tous


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DIULIOTHEQUE BLEUE,

Teut était dit. L’armée de la princesse de Baby-lone avait été défaite honteusement par celle de l’empereur Lisvart, concurremraent avec cello denbsp;la princesse Axiane. Tous les serviteurs d’Abranbsp;fuyaient lacheraent dans toutes les directions. Gha-cun l’abandonnait dans ce désastre navrant, mêmenbsp;ceux sur lesquels elle avait Ie plus Ie droit de

ij;

est

les vaisseaux perdus, brülés ou coulés.

Frandalo resta plein de gloire.

Un seul brigantin porta ces nouvelles i Abra, qui fuyait après avoir perdu camp et ba taille.

CHAPITRE XXXIII

Comment l’armëe d'Abra ayant été vaincue par celle de Lis-vart, aidée de celle d’Axiane, la malheureuse soeur de Zaïr songea a se jeler dans la mer et en fut empêcliée parnbsp;l’empereur de Trébisonde.

compter. C’élait uiie désertion générale!

— Ahl s’écria-t-elle avec désespoir. Tout fini! tout est perdu 1...

D’abord, par nn moment de rage bien naturel, elle voulut se précipiter sur la trace des fuyardsnbsp;pour leur couper la retraite et les forcer revenirnbsp;mourir avec elle les armes é la main.

Mais elle renonca h ce projet, qui ne pouvait aboulir, car les fuyards fuyaient bienl

Lors, elle remonta sur sou cheval, lui enfonQa l’épée dans les flancs, et l’animal, se cabraiit sousnbsp;la douleur, l’ernporta comme un tourbillon a travers la forêt voisine.

Vingt fois en chemin Ie cheval s’abattit, épuisé, fou de douleur. Vingt fois la main fiévreuse d’Abranbsp;Ie forca è se relever et a reprendre sa course anbsp;travers les ha Uiers.

Abra éprouvait une sorte de volupté sauvage a se sentir ainsi raenée vers I’inconuu, c'est-a-direnbsp;vers la mort. C’était encore la lutte pour elle, et,nbsp;puisqu’elle n’avail pu tomber avec honneur sur Ienbsp;champ de bataille, elle ressentait une joie amèrenbsp;a penser qu’elle allait mourir violemment, commenbsp;au milieu de la mêlee.

Hélas ! eet espo.r fut encore trompé. Son cheval s’abattit une dernière fois, les reins brisés, sur lanbsp;lisière de la forêt. Et, a la fagion dont Abra fut je-tée sur Ie gazon, ou eüt dit que Ie noble animalnbsp;lui voulait payer en douceur la violence qu’elle luinbsp;avait montrée. Les bêles se vengent parfois moinsnbsp;cruellement que les gensl

Abra se releva, n’ayant aucun mal.

Son visage était d’unehorrible pêleur, non paree qu’etle avait eu peur, inais paree qu’elle souf-frait en ce moment toutes les douleurs possibles.

Elle s’assit sur l’herbe, la têle dans scs mains, et se mil a sangloter d’uue lamentable faQon.

Ah: dieux cruols ¦ comme vous voas êtes

joués de moi! murmura-t-elle d’une voix noyée de larmes, comme vous m’avez trompéel... J’ai lanbsp;bonte de la défaite en amour comme en guerre...nbsp;Lisvart triomphe doublement de moi... II m’a dé-daignée comme femme : il m’a vaincue commenbsp;reine... Je ne suis plus rien en ce monde, qu’unenbsp;misérable créature sans feu ni lieu, sans tróne etnbsp;sans amitié... Ghacun ra’a fui... Je suis seule, biennbsp;seule dans mes ténèbres... Puisqu’il n’y a plus denbsp;bonheur h vivre pour moi, il n’y a pas grand malheur a mourir... Allonsl...

Lors, se relevant incontinent, Abra alia droit vers Ie rivage, enira dans l’eau et s’évanouit, knbsp;demi-morte et ê demi-folle.

Heureusementque Ie ciel lui réservait une autre fin. Au moment oü elle allait disparaitre, englouLienbsp;sous les flols, une main s’avanga et la retint vigou-reusement.

Gette main était celle de l’empereur Lisvart, qui, après la défaite de l’armée ennemie, s’était enquisnbsp;du sort de la malheureuse princesse qui la com-mandait. On lui avait tout raconté ; la fuite de sesnbsp;plus fidèles serviteurs, et sa propre fuite k elle anbsp;travers la forêt. Alors, il avait pris un cheval fraisnbsp;et s’était élancé sur les traces d’Abra, désespérantnbsp;de l’atteindre k temps.

II l’avait atteinte, cependant, comme on vient de Ie voir, et il en avait remercié Dieu avec une effusion sincère.

— Madame, dit-il d’une voix douce k Abra, après l’avoir déposée avec précaution sur un tertre denbsp;gazon, pourquoi ce désespoir?

A cetle voix qu’elle connaissait si bien, la princesse de Babylone ouvrit les yeux et les promena avec étonnement sur Ie visage altendri de son en-nemi.

— Oü suis-je done? murmura-t-elle,

— Dans les bras d’un ami respectueux et dé-voué, madame, répondit Lisvart.

— Je me croyais déjaarrivéeenl’autremonde... auprès de raon pauvre frère Zaïr... reprit Abra.

— Vous vivez, madame... et Ie ciel en soitlouél

— Vous remerciez, vous, seigneur, celui que je devrais maudirel

— Ne maudissons rien ni personne, madame, je vous en conjure... Vous êtes jeune, riche etnbsp;belle... vous êtes faite pour la vie et pour Ie bonheur.,.

— Je l’ai cru moi-même, pendant un instant... Ge n’était qu'un rêve, Lisvart!...

— Nous reparlerons de ce rêve plus tard, si vous Ie permettez, madame... Pour Ie présent, accepteznbsp;mon aide et laissez-vous vous reconduireau milieunbsp;de ma cour, oü vous serez accueillie avec tous lesnbsp;égards qui vous sont dus...

Abra liésita un instant. Puis, après un regard rapidejeté sur Ie vi.^age de l’empereur de Trébi-sonde, elle reprit courage et se remit a espérer va-guement, mais enfin k espérer. 11 y avait tant denbsp;bonté et tant de promesses sur Ic beau visage denbsp;Lisvart 1

— Conduisez-moi oüvous voudrez, Lisvart, murmura-t-elle, je vous suivrai partout, en enfer comme en paradis 1...

— Nous n’irons pas si lom pour Ie moment, répondit l’empercur avec un sourire.


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Lors, il lui aida k s’asseoir sur son destrier, et, quand elle fut installée, il prit les rênes en mainnbsp;et marcha è ses cótés.

G’est en eet équipage qu’il rejoignit sa compagnie, un peu inquiète de soa absence.

CHAPITRE XXXIV

Comment l’empereur de Trébisonde mit d’accord Axiane et Abra, qu’il prit pour femme et épouse, par Ie moyen denbsp;Gradasilée, qui 1’en supplia humblement.

isvart, généreux vainqueur d’Abra, Kqu’il avail amenée prisonnière Ji Tré-Jbisonde, voulut employer vis-a-visnbsp;'des vaincus la douceur et ia clémenceènbsp;la place desduretés qui accompagnentnbsp;ordinairement Tissue des batailles.

Peu après avoir réglé ses troupes et réparé ses vaisseaux, il assem-bla les chefs de ses soldats et ceuxnbsp;étrangers, et en présence de Tirapé-ratrice Abra et d’Axiane, ilparlaainsi:nbsp;— Vertueux princes, et vous damesnbsp;trés excellentes, vous co n-naissez la cause et Tissuenbsp;I de celte guerre; nous vou-lons la clore par Tamitiénbsp;et lapaix.Nousordonnonsnbsp;done è madame Abra de laisser ènbsp;Axiane Terapire de Babylone, autrefois patrimoine de Zarzafiel, et la lais-sons maitresse du reste conquis parnbsp;feu Zaïr. Et pour contenter en même temps lesnbsp;infantes et jeunes princesses, nous leur octroieronsnbsp;de notre main des époux digues d’elles.

II s’arrêta un instant et continua, interrogeant du regard les deux princesses :

— nbsp;nbsp;nbsp;Que la paixne soit jamais troublée entre vousnbsp;deux. Vos ressources sont supérieures a ce qu’exigenbsp;la tenue de vos Etats. Voilèice que nous avons tenunbsp;è vous dire en assemblee solennelle, vous priantnbsp;d’accueiliir notre avis comme Ie plus digne de lanbsp;grandeur de Tune et de Tautre. Nous nous réser-vons cl nous Thonneur de ce résultat sans exiger ninbsp;litres, ni argent, ni ranQon.

II se tut, attendant Ia réponse de Timpératrice Abra, laquelic, voyant Tempereur, dont elle étaitnbsp;prisonnière, tenir un langage si gracieux et usernbsp;d’une si grande urbanite euvers elle, ne put rele-nir ces paroles :

— nbsp;nbsp;nbsp;Excellent prince, j’ai eu pour vous un telnbsp;amour, que, desirant trop vous avoir pour seigneurnbsp;et mari, et désespérant d’y arriver, j’ai poursuivinbsp;votre mort et ma ruine. Aujourd’hui, plus assou-plie aux tourments de la Fortune, je vous supplienbsp;d’oublier mes torts, et de disposer de moi et de monnbsp;Etatè votre gré.

— nbsp;nbsp;nbsp;Vraiment, madame, dit Lisvart, je vousnbsp;remercie beaucoup de vos paroles; et vous, madame Axiane, consentez-vous h ce partage ?

Axiane approuva Ie conseil de Lisvart, et tout Ie monde fut joyeux d’un accord aussi complet; sur-tout Gradasilée, qui savait que toutes ces guerres,nbsp;ces querelles, ne venaient que de Tamour d’Abranbsp;pour Lisvart. Elle vint se jeter aux genoux dunbsp;prince et lui demanda de lui accorder la troisièmenbsp;chose qu’elle eüt sollicitée depuis leurs amours.

Lisvart accorda tout et comprit dans sa géné-rosité ses Etats, toutes ses richesses et sa vie même, et Gradasilée lui répondit :

— Sire, vous avez montré que vous étiez Ie plus heureux des princes et chevaliers en vertu, denbsp;même que je puis avancer qu’Amour n’assujettitnbsp;personne plus que moi ne Ie suis a vous. Qu’il vousnbsp;souvienne seulement du prince d’Egypte, que jenbsp;tuai pour vous sauver. Tous deux done, nous de-vons garder ces biens qui nous honorent; et jenbsp;parle ainsi pour savoir Tavis de madame Abra,nbsp;qui vous est nécessaire pour y arriver, comme ilnbsp;me reste Ie renom que ma pudicité mérite. Je de-mande a madame Abra de m’accorder son bon vou-loir.

— Macousine, fit Abra, quel que soit votre dessein, je vous suis obéissante.

— nbsp;nbsp;nbsp;Or, je possède, dit Gradasilée, de si pré-cieuses raisons, que tous deux, en présence denbsp;si noble compagnie, vous ne pourrez vous défen-dre de ce que je vais vous demander.

L’assemblée et surtout Lisvart et Abra commen-Qaient a être vivement intrigués.

— Je vous prie tous deux, continua Gradasilée de vous épouser mutuellement, sans différer, afinnbsp;que Ie mérite et la gloire de dame Abra reQoivenbsp;confirmation par la réponse de Tempereur. Moinbsp;seule aurai ménagé cesépousailles et vous prie denbsp;recevoir avec moi Ie saint baptême, en laissant lanbsp;folie croyance aux dieux que nous avons tropnbsp;longtemps adores.

Lisvart trouva trés grave de se remarier si vite, lui qui se souvenait encore de la première; maisnbsp;Abra ne se contint pas de joie, car elle croyait,nbsp;avec tous les assistants, que Gradasilée allait panier pour elle, ayant rendu de grands servicesnbsp;d’amour et de dévouement k Tempereur.

Le coeur de Lisvart étant trop plein d’émotion, il répondit :

— Je ne retire pas mon serment, mais, dame Abra, que dites-vous de cela ?

— Hélas, répondit Abra, soyez assure que, s’il vous plait me faire tant d’honneur, je m’estiraerainbsp;la plus heureuse princessequi naquit de ma mère.nbsp;Je suis k votre commandement pour tout ce qu’ilnbsp;vous plaira, voire le baptême.

— Eb bien! répartit Lisvart, je rempliral done ma parole et votre désir.

On apporta les fonts, et tous ensemble change* rent le nom d infidèles en celui de chrétiens.

Le lendemain, la belle Abra fut proclamée impé-

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BIBLIOTHEQUE BLEUE.

ratrice de Trébisonde, et Lisvart l’épousa, latrou-vant digne de loger son second amour.

Car, ainsi qu’un clou chasse I’autre, cette nouvelle femme lui fit perdre peu è peu le souvenir de la première.

Elle avait en soi tant de beauté, qu’Amour ni-chait souvent dans le plus clair de ses deux yeux.

Voilé comrae, au lieu de guerres, on ne paria k Trébisonde que de mariages.

Tant et si bien qu’Orizène épousa la reine de Chypre.

Clivio, fils du roi Norendel, celle de Circle.

Vallades, fils de don Brunéo,celle deCoraagéna.

Quadragant, celle de Fénicie.

Balan, fils de Galerie, celle de Mentap.olin.

Manely le Sage, celle de Catabadmon.

Argamonte, fils du roi Arban de Norgalès, celle de Serracème.

Sarquille, neveu d’Angriote, celle de Mandie.

Ambor de Gandel, celle de Busquie.

Giontes, neveu du roi Lisvart, celle d’Arcadie.

L’amiralFrandalo, celle de Taramate.

Abies d’lrlande, fils du roi Cildadan, la prin-cesse d’Antioche.

Languines, fils du roi Agraies, la reine de Goriton.

Galvanes, son frère, celle de Mésopotamie.

Tons mariages que messagea la belle Grada silée.

L’empereur, voulant lui prouver sa reconnaissance des services qu’il en avait requs, fit ap-porter une trés riche couronne et dit tout haut

— B serait trop malseant que celle qui assemble tant de couronnes et de rois et de reines,nbsp;par mariage, demeurat elle-même sans couronne.nbsp;Ge qu’é Dieu ne plaise 1 Je lui donne le royauraenbsp;de Crète, que j’ai conquis par mes armes.

Ei Lisvart la couronna au milieu des demonstrations trés vives de la joie universelle.

CHAPITRE XXXV

Comment, lorsqu’on apprit que Néréide n’était autre qu’A-madis de Grèce, la reine Zaliara alia trouver le vieux sou-dan de Niquée pour le faire consentir au mariage des deux amants.

ous n’avons pas dit, mais on I’avait deviné, qu’a ce combat entre I’arraee des Baby-loniens et des chréliens, lenbsp;prince Fulurtin et Amadis denbsp;Grèce, toujours sous le costume d’amazone et sous lenbsp;nom de Néréide, avaient faitnbsp;des prodigesde valeur, é I’ad-miration générale.

Quand la bataille fut terminée et qu’A-bra eut été ramenée é Trébisonde par l’empereur lui-même, on songea é félici-ter les chevaliers qui s’étaient le plusnbsp;vaillamment conduits en cette occurrence.

Lors, Fulurtin et Néréide furent intro-duits au milieu des princes et des dames qui composaient la suite impériale.

— Sire, dit Néréide la première, en ve-nant s agenouiller devant Tempereur.

— Belevez-vous, madame, répondit courtoisement Lisvart; relevez-vous et daigneznbsp;nous dire votre nom, pour que nous l’enregistrionsnbsp;parmi ceux de nos plus chevalereux défenseurs.

Néréide enleva alors son armet, et l’on vit appa-raitre la belle et fiére tête du chevalier de l’Ar-dente Epée.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ah! mon fils, mon cher fils 1 s’écria l’empe-reur, en palissant d’émotion.

Tous deux s’embrassèrent alors avec une effusion attendrissante, et se tinrent ainsi accolés pendant quelques minutes.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ah! je vous avais pleuré mort, cher et bien-aimé fils! reprit Lisvart. Le ciel me devait biennbsp;votre résurrection, pour me dédommager des an-goisses oil il m’avait jeté 1

Amadis de Grèce fut ensuite présenté a la prin-cesse Abra, devenue impératrice de Trébisonde.

II tressaillit involontairement en revoyant cette étrangère é la place occupée précédemment par sanbsp;mère, la princesse Onolorie. Mais il se contint, denbsp;peur d’altliger Lisvart.

Toutefois, ce dernier avait deviné la nature de l’impression qu’il venait de ressentir, car il mur-mura bas k son oreille, de fagon é n’être entendunbsp;que de lui seul :

— nbsp;nbsp;nbsp;Le ciel l’a ordonné ainsi, mon fils... II ma


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repris votre mère et m’a donné cette nouvelle compagne... Dieu sait bien ce qu’il fait, mon fils,nbsp;et nous n’avons pas a discuter ses décrets. Kési-gnons-nous!...

Amadis de Grèce ne repondit rien. Seulemenf, commeil avait eu le temps de lire sur le visage denbsp;la nouvelle impératrice les sentiments d’affectionnbsp;qui y éfaient écrits, il s’inclina vers elle et luinbsp;baisa la main avec une courtoisie parliculière.

— Et maintenant, vaillante amazone, reprit joyeusement Lisvart, racontez-nous vos aven-tures!...

Araadis de Grèce en avait long k dire; mais comme il était fils de l’empereur de Trébisonde,nbsp;on l’ècouta d’un bout k l’autre sans l’interrompre.’

Quand il eutfini, son père dit ;

— nbsp;nbsp;nbsp;Vous aimez la princesse Niquée?

— Oui, mon père.

— nbsp;nbsp;nbsp;Vous la voulez k femme?

— Oui, mon père...

— nbsp;nbsp;nbsp;Eb bien! vous Taurez! II ne s’agit que d’en-vogt;’er un ambassadeur adroit vers le soudan sonnbsp;père, afin de le decider et de l’habituer k considé-rer comme son gendro celui dont il voulait fairenbsp;son épouse...

— nbsp;nbsp;nbsp;ilélas! mon père, j’ai peur que votre ambassadeur lie réussisse pas! soup ra Araadis, qui coii-naissaitlo caractère tonace du vieux soudan.

Et si eet ambassadeur était une ambassadrice? dit en souriant la reine Zabara. M’acceptez-vous pour votre intermédiaire, cbcvalier do l’Ar-dente Epée? ajouta-t-elle.

— nbsp;nbsp;nbsp;Oui, madame, car vous réussirez, répomiitnbsp;Amadis, comme vous savez réussir dans tout cenbsp;que vous entreprenez...

_Preiiez garde! reprit Zabara, ce serait Ik uu

mauvais signe, car, si j’ai bonne mémoire, j’ai pré-cisément écboué dans Ia seule entreprise oü j’eusse désiré réussir...

Amadis comprit et rougit. Mais Zabara ne lui laissa pas le temps d’ètre confus.

— nbsp;nbsp;nbsp;Pour vous ])rouver mon peu de rancune,nbsp;dit-elle, je pars sur-le-cbamp... On ne saurait par-tir trop tót lorsqu’il s’agit du bonheur des autres 1

Et, en effet, le soir mème, la reine du Caucase s’embarqua, avec une suite de cbevaliers et denbsp;dames, pour le port de Niquée, oü elle arriva sausnbsp;encombre.

GHAPITRE XXXVI

Comment la reine Zabara arriva ti la cour du soudan de Niquée, et décida Ie bonhomme k accompagner sa fille 4 Trébisonde.

abara, une fois dans le port de Niquée , s’empressa de se faire an-noncer au vieux soudan, qui, k son tour, s’empressa de venir aunbsp;devant d’elle.

— Seigneur, lui dit-elle, vous voyez en moi une envoyée dunbsp;puissant empereur de Trébisonde,nbsp;qui, pour vous remercier de luinbsp;avoir dépêcbé si fort a propos votre esclave Néréide, vous prio denbsp;vouloir bien accepter ces présentsnbsp;auxquels il joint l’offre de sonnbsp;amitié.

— J’accepte l’amitié et les présents, répondit le bonbomme ré-joui. Mais vous avez parlé tout k l’beure d’une personne qui m’estnbsp;cbère...

— Néréide? demanda Zabara

en souriant.

— nbsp;nbsp;nbsp;Néréide, précisément, la belle Néréide! répondit le vieux soudan en soupirant. Ne va-t-ellenbsp;pas revenir?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Non...

— nbsp;nbsp;nbsp;Non ?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Non... paree qu’elle vent que vous alliez incontinent la rejoindre k Trébisonde en compagnienbsp;de votre fille, la belle princesse Niquée.

— nbsp;nbsp;nbsp;Pourquoi k Trébisonde?

— nbsp;nbsp;nbsp;Paree que c’est Ik qu’est Néréide, au milieu denbsp;sa familie...

— nbsp;nbsp;nbsp;De sa familie ?

— nbsp;nbsp;nbsp;Oui... de son père... de son grand’père... denbsp;sou aïeul, qui sont de haute lignée...

— nbsp;nbsp;nbsp;Comment done s’appelle son père ?

— nbsp;nbsp;nbsp;G’est Lisvart, empereur de Trébisonde, Ienbsp;mari actuel de la princesse Abra de Babylone...

— nbsp;nbsp;nbsp;Je suis émerveillé de tont ce que vous me di-tes Ik!...

— nbsp;nbsp;nbsp;II y a de quoi Têtre, en effet...

— nbsp;nbsp;nbsp;Ainsi Néréide est la fille de Tempereur Lisvart?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Sa fille, non; son fils, oui...

— nbsp;nbsp;nbsp;Son fils ? Que me racontez-vous Ik ?

— La véritè pure et simple... puisque Néréide n’est autre qu’Amadis de Grèce, plus connu sous lenbsp;nom de chevalier de TArdente Epée...


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36 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

Le vieux soudan chancela sous cette nouvelle inattendue, comme sous un coup de tonnerre. Za-hara en eut pitié, et, avec la délicatesse que lesnbsp;femmes savent prendre quand elles le veulent, ellenbsp;raconta au bonhomme l’histoire du déguisementnbsp;d’Amadis de Grèce.

Le soudan revint pen k peu de son ébahisse-ment, et il prit vaillamment son parti.

Le soir même, il partait avec la reine du Gaucase et sa fille Niquée, accompagné d’une suite nom-breuse, et abordait en eet équipage au port denbsp;Trébisonde.

GHAPITRE XXXVII

Comment nouvelles vinrent en la Grande-Bretagne qu’Ama-dis de Grèce était vivant, après avoir passé pour mort.

e retour inespéré d’Amadis de Grèce en Trébisonde, et la joie des chosesnbsp;quilui étaient arrivéesdurantle tempsnbsp;qu’on l’avait tenu pour mort, furentnbsp;incontinent divulgués partout.

L’empereur Lisvart dépêcha des courriers danstoutes les directions etnbsp;dans tousles pays oü le bruit de cettenbsp;mort avait pu parvenir et laisser unenbsp;impression facheuse, principalementnbsp;vers le roi Amadis de Gaule et versnbsp;la reine Oriane.

Ges deux derniers par-.ticipèrent grandement au jplaisir de ces bonnes nou-'velles, comme bien onnbsp;suppose. Mais hélas! cenbsp;qui les contentait si fort apporta unnbsp;inerveilleux ennui è lapauvreLucelle,nbsp;alors religieuse professe au monastèrenbsp;de Mirefleur.

Elle voulut d abord se défaire, pour se soustraire è l’amertume du désespoir qui la poignait. Puis jenbsp;ne sais quoi la retint.

— Hélas I s’écria-t-elle en fondant en larmes. Hélas! quelle indigne tromperie! et comme je suisnbsp;victime de mon amour et de ma faiblesse! Je lenbsp;croyais mort, et je le plcurais comme tel, et lui,nbsp;durant ce temps, il m’oubliait pour se donner toutnbsp;entier k sa Niquée!-.. Amadis! Amadis! vousm’a-vez cruellement trompée!...

Elle s’interrompait pour sangloter. Puis bientót elle reprenait, toujours la larme k l’oeil :

— Hélas 1 malheureuse que je suis! comme je reconnais bien mainteuant que quiconque met sonnbsp;piea sur la branche amoureuse l’en doit retirernbsp;promptement s’il ne veut demeurer k jamais prisnbsp;et englué I... L’amour n’est qu’une trèsvéhémentenbsp;fureur et une non moins véhémente folie... N’est-ce pas folie, en effet, que de se vouloir perdre soi-même pour autrui?... Ah! certes, celui qui s’ache-mine et suit la voie d’amour se peut bien vanternbsp;de prendre la route d’une forêt embroussaillée, d’oünbsp;il est malaisé qu’il sorte jamais autreraent qu’égarénbsp;et avec le repentir de s’y être si follementaventuré...nbsp;Pourquoi done suis-je entrée en ce labyrinthe?...nbsp;Hélas! je ne puis ni ne veux nier que le larronnbsp;Amour, en me bandant les yeux, s’est plutót saisinbsp;et rendu maitre de mon coeur que je ne me suisnbsp;apercue de son approche... Maintenant que je lenbsp;reconnais, auxblessures qu’il m’a faites, je regrettenbsp;la faute passée et je désire la réparer, ce qui estnbsp;hors de ma puissance... Car, ainsi que le foyer quinbsp;a été longtemps embrasé ne se peut refroidir ennbsp;un instant, ainsi il m’est impossible d’oublier si vi-tement le gracieux déplaisir d’Amour... J’aurai lenbsp;contjnuel souvenir de la déloyauté de celui qui,nbsp;pensant me tromper, s’est lui-même mis au filet...nbsp;Le temps me vengera de sa trahison; le repentir luinbsp;viendra, mais trop tard, et il sentira k son tour lenbsp;mal que je souffre et endure k cette heure k causenbsp;de lui...

Et, ainsi discourant et ainsi pleurant, la pauvre Lucelle se résolut k envoyer vers Amadis de Grècenbsp;un sien écuyer avec cette lettre :

« Déloyal Amadis,

« Je ne sais k quelle occasion j’ai pris encre et papier pour vous écrire cetie lettre, k moins quenbsp;ce ne soit pour vous faire rougir de honte de vo-tre faute, et vous causer le remords devotre trahison, que vous avez oubliée peut-être, mais que jenbsp;vous rappelle présentement, afin de vous rendrenbsp;une maigre partie des apres douleurs que vousnbsp;m’avez causées.

« Gertes, quand je songe k ce qni est arrivé, k nos projets d’autrefois et k votre déloyauté d’au-joiird’hui, il me semble que je rêve. Est-il biennbsp;possible que vous soyez le chevalier de l’Ardentcnbsp;Epée que j’ai connu et aimé, le vainqueur des septnbsp;gardes du chateau de l’üe d’Argènes? Non, celanbsp;ne peut être! Un coeur aussi félon que le votre nenbsp;peut loger autant de prouesse et de glorleuse re-nommée! Gar enfin, chevalier discourtois et men-teur, vous m’aviez ieurrée de mariage : oü donenbsp;en sont ces beaux projets? C’est une autre quenbsp;vous épousez!nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;_ .

« Mais quoi? Le repentir sera le seul et veritable exécuteur de ma vengeance. Vous rougirez un jour de vous comme j’en rougis k cette heurenbsp;en pensant que vous êtes l’indigne descendant dunbsp;trés bon, trés grand, trés loyal roi Amadis et denbsp;la trés verlueuse, trés sage, trés douce reine

Oriane! nbsp;nbsp;nbsp;¦ i • „

« Sur ce, Amadis, je prie Dieu qu’il vous eciaire et vous donne connaissance de votre peene, qu iinbsp;vous pardonnera peut-être, mais que je ne sau-rais, moi, vous pardonner jamais

« Lucelle,

« Prineesse de Sicile. »


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ZIRFEE L’ENCHANTERESSE. Ï7

CHAPITRE XXXVIII

Comment Amadis de Grèce recul le messager de la princesse de Sicile, et de quelle réponse il le chargea pour elle.

’ecuyer de Lucelle s’embarqua aus-sitot. II chemina et navigua tant et tant, qu’il arriva en la cour de I’em-Vnbsp;nbsp;nbsp;nbsp;pgj.guj. Trébisonde, ou il trouva

celui k qu’i! avail aflaire, courant un cerf enfermé dans les toiles.

Lors, le tirant k part, en écuyer bien appris, il lui présenta la leltre,nbsp;en lui disant;

— Seigneur, c’est de la part de la princesse de Sicile, religieuse au mo-nastère de Mirefleur,..

A cette parole, le coeur d’Amadis de Grècenbsp;lui sauta dans la poi-trine, et il en tremblanbsp;entre cuir et chair d’unenbsp;trés visible fagon.

Il romplt le sceau et lut mot a mot, k loisir, la longue lettrc de re-proches que lui envoyait Lucelle.

Quand il eul lu, son esprit se troubla, car il so remémora tout le travail qu’il avail fait pour con-querir et servir cette gente princesse, el il recon-nut la justesse de ses amers griefs. Si bien memo,nbsp;que de gro.sses larmes lui coulèrent le long desnbsp;joues et qu'il devint tout mélancolique.

Le messager était toujours la, attendant. Amadis I’apercut et lui demanda, par contenance, comment se portait la princesse.

— nbsp;nbsp;nbsp;Seigneur, répondit l’écuyer, je I’ai laissée sinbsp;maigre el si débile, que malaisément vous la re-connaitriez k cette beure. Elle n’est plus araie quenbsp;de la S()Ltude et oe la tristesse...

Amadis jeta un haul soupir; puis il dit au messager :

— nbsp;nbsp;nbsp;Ami, je te prie de tenir célée I’occasion denbsp;ton arrivée céans... Et, eii attendant que je fassenbsp;réponse k la princesse de Sicile, tu demeureras au-près de raa personne.

— nbsp;nbsp;nbsp;Volontiers, seigneur.

En ce moment, venait I’empereur courant la béte. Amadis laissa Ik l’écuyer et suivit la chasse,nbsp;triste et reveur, jusqu’k la curée.

Le lendemain, il écrivit uue longue lettre, ainsi conQue :

« Madame,

« En recevant la lettre qu’il vous a plu do ra’é-crire par ce gentilhomme present porteur, j’ai regu quant et quant en mon kme tout le deplaisir quenbsp;raisoniiablement vous pouvez avoir en la votre.

« Toutefois, avant d’entrer en propos, je vous supplie de croire que je n’ai nulle envie de palliernbsp;en quoi que ce soit la faute que j’ai commise etnbsp;que vous me reprochez si justement. Je confessenbsp;vous avoir fait un tort irréparable et une si grandenbsp;offense, qu’il est hors de mon pouvoir de jamais ynbsp;satisfaire, et que votre charité seule pent me par-donner, en rejet^nt tout le blame de cette actionnbsp;sur le Dieu d’Amour.

« Si je vous réponds, madame, c’est pour vous dire que je suis toujours le même chevalier de I’Ar-dente Epee que vous avez connu et que vous aveznbsp;eu la bonté d’aimer. G’est pour vous assurer aussinbsp;que le peu de gloire que j’ai conquise 1’a été ennbsp;votre honneur : c’est done k vous, et non k raoi,nbsp;qu’elle revient.

« Quant au blame que vous me mettez devaut les yeux, disant que je vous ai abusée, sous couleur de manage, vous me pardonnerez, s’il vousnbsp;plait, en vous rappelant qu’k notre dernière entre-vue, il fut convenu que je vous demanderais anbsp;femme au roi votre père, sans passer outre; cha-cun de nous demeurant ainsi en sa pure liberté.

« Ceite liberté. Amour me I’a ravie. G’est 1’Amour qui m’a con train i, comme vous 1’avez appris sansnbsp;doutft, k changer de nom et d’habit, a prendre celui d’une fille pour parvenir au dessein qu’il menbsp;prf'sentait, ce dont je ne suis nullement r*^préhen-sible, car ni habit ni nom, rieii u’a affaibli la forcenbsp;et le bonheur d’Amadis de Grèce, vainqueur dunbsp;prince de Thrace, par la victoire advenue knbsp;Néréide.

« G’est sous ces déguisemonts que j’ai pu pos-seder d’ame et de corps I’iacomparable beauté k laquelle je suis lié désormais pour la vie.

« Par ainsi, madame, je vous supplie de mo-dérer le courroux que vous ressentez k mon endroit, vous assurant «que raes regrets égalentvosnbsp;reproches et que, s’il ne s’agissait que de ma vienbsp;pour racheter ina faute, je vous en ferais imraédia-tement le sacrifice.

« Voila, dame honorée, ce que devait vous dire, et vous a dit, en effet,

« Votre plus obèissant et affectionné serviieur,

B Amadis de Gbèce. »

Cette leltre faite, l’écuyer partit et entra en mer avec un si bon vent, que sans inalencoiitre ilnbsp;passa le délroit de Gibraltar et vint en la mernbsp;océane jusqu’a Londres, oil il aborda.


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38 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

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et

CHAPITRE XXXIX

Comment, aprês un long temps, Zirfée, Alquif et Ur-gande-la-Déconnue donnèrent rendez-vous aux princes et aux princesses en la Tout de l’Uni-vers.

uelque temps après les évé-nements que je vous ai suc-cessivement racoiitcs, Ie ventre crut k plusieursnbsp;princesses d’une manière sinbsp;évidente que, Ie terme venu, ellespro-duisirent tel fruit, que les histoiiensnbsp;en ont depuis embelli et décoré leursnbsp;volumes.

Ainsi Niquée enfanta un fils qui fut nommé donFlorisel de Niquée, et fut ennbsp;ses jours Ie plus beau, Ie plus vaillaiitnbsp;et leplus adroit chevalier que l’onsache.

L’impératrice Abra eut, d’une rnême ventrée, fils et fille, Ie fils nommé Zaïr,nbsp;Ie Léonorine, pour l’araour de son aïeule.

Zahara, pareillement, se trouva grosse et ac-coucha d’un fils qu’on nomma Anaxartes, et d’une fille qu’on appela Alaslrexarea.

Axiane eut aussi de Lucencio un fils appelé Garinter, coinme son bisaïeul.

Onorie eut du fort Birmates un fils nommé Brian d’Apollonnie, et une fille notiimée Hélène, quinbsp;élait destinée é rappeler par sa beauté celle quinbsp;avait araené la ruine de Troie.

La femme d’Olorius eut de lui une fille nommée Oriane, en l’honneur de son aïeule.

A cette époque, vinreut la reine Zirfée, Ur-gande-la-Déconnue et Ie sage Alquif, qui con-vièrent tous ces princes et princesses i se trouver, en un certain temps, k Niquée, dans Ia Tour denbsp;rUuivers.

CHAPITRE XL ET DERNIER.

Comment tous les princes et princesses demeurèrent en-chantés en la Tour de l’ünivers par Zirfée, Alquif et hrgande.

Zirfée avait invité tous les princes et toutes les

princesses dont nous avons eu occasion de parler k se trouver, k un jour dit, dans la Tour de l’üni-vers, construite par elle, par Urgande et parnbsp;Alquif.

Ils furent tous exacts au rendez-vous, et elle les conduisit de chambre en chambre, de triomphenbsp;en triomphe, jusqu’au lieu oü était Ie Dieu d'A-mour.

Lamp;, Zirfée, prenant Ie roi Amadis par la main, lui dit:

— nbsp;nbsp;nbsp;Seigneur, vous avez servi ce dieu Ie plusnbsp;loyalement du monde; aussi en avez-vous été trésnbsp;bienrécompensé...

Quand on fut è l’étage de Mars :

— C’est cl vous, dit-elle a Amadis de Grèce, de remercier plus dévotement ce dieit-ci... car ilnbsp;vous a favorisé autant que volre bisaïeul Amadis,nbsp;bien que vous ayez eu en amour moins de loyauténbsp;que lui.

En devisant ainsi, on entra dans la chambre de chasteté, et Zirfée, jetant l’ffiil sur Gradalisée, luinbsp;dit:

— Sur mafoi, madame, je n’en connais pas une de co temps qui mérite mieux que vous de triom-pher de ce triomphe!...

De lè, ils montèrent tous jusqu’au dernier étage de la Tour, oü rEnchanteresse pria Amadisnbsp;de Grèce et Niquée jie domeurer jusqu’èce qu’ellenbsp;les appelat. Puis, passant outre, on vint oü étaitnbsp;Ie Monde, ce qui donna grand ébahissement iinbsp;chacun.

Toutefois, nul ciel, nulle planète ne se mou-vait encore, ce qui n’empêchait pas l’adrniration d’aller son train, car on ne s’expliquait pas comment une si grosse et si lourde machine se soute-nait ainsi en l’air.

Lors, Zirfée les pria de s’asseoir sur les siéges dont nous avons parlé en faisant la description denbsp;la Tour del’Univers.

La reine Oriane se plaga a cóté du roi Amadis.

Puis, l’empereur Lisvart et Abra.

Puis, la bonne Gradasiléo, laquelle avait mérité cette placed’honneur ücausede son chaste amour.nbsp;Puis, Ie roi Galaor et la reine sa femme.

Puis, Ie roi Don Florestan et la sienne, Périon et la sienne, Lucencio et la sienne, Agraies et lanbsp;sicnue, Don Brunéo et la sienne.

Vis-ci-vis d’eux, Zirfée laissa trois siéges vacants, au plus prés desquels elle assit Ie fort Bir-mates et Onorie, et é cóté, Grasandor et sa femme. Puis, tous les autres consécutivement jusqu’é lanbsp;reine duCaucase, qu’elle pria d’aller quérir Amadisnbsp;de Grèce et Niquée.

— nbsp;nbsp;nbsp;Prenez place, dit-elle a ces derniers en leurnbsp;montrant les siéges réservés.

Et, tout aussitót, les sphères célestes se mirent en branie suivant leur influence ordonnée, avecnbsp;une telle harmonie, que, vérilableraent, c’étaitnbsp;chose plus divine que terrestre. Le Dieu Oinni^po-tent, Père, Fils et Saint-Esprit, se^ montra dansnbsp;toute sa gloire, avec les hierarchies d’Anges, d Ar-changes, de Ghérubins, de Séraphins, de Dominations, de Saints et de Saintes, que chacun s era-

pressa d’adorer. nbsp;nbsp;nbsp;. .

Les regards des spectateurs, après s etre ainsi élevés, s’abaissèrent insensiblement et découvri-


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ZIRFÉË L’ENCHANTERESSE. 39

rent les secrets merveilleux de I’Univers, si bien que, transis d'aise, ils perdaient tout autre souvenir en cette contemplation.

A ce moment, Zirfée appela Carmelle, qu’elle mit aux pieds d’Esplandian ; puis Ardan-le-Nain,nbsp;qu’elle mit aux pieds duroi Amadis; puisFlorindo,nbsp;qu’elle mit aux pieds de I’erapereur Lucencio.

— nbsp;nbsp;nbsp;Tous trois, leur dit-elle, vous avez bien loya-lement et longuement servi ces trois princes auxnbsp;pieds desquels vous êtes présentement. A causenbsp;decela, vous méritiez cette bonne et honorable ré-compense qui vous échoit aujourd’hui.

Puis, adressant ila parole aux autres, Zirfée ajoula :

— nbsp;nbsp;nbsp;Puissants souverains, excellents princes,nbsp;empereurs et rois, Dieu a voulu que la mort vintnbsp;vous frapper, tout comme les humbles et les petitsnbsp;de ce monde, afin de ne pas vous rendre sembla-bles h Lucifer, qui, par son orgueil, tomba desnbsp;cieux, ct vous faire comprendre Phurailité dans la-quelle vous devez vivre, et la cendre en laquellenbsp;vous devez retourner, quand votre heure sera venue... Et, pour plusieurs d’entre vous, cette heure

est prochaine..... Neaiimoins , nous la retarde-

rons et vous ferons encore vivre par notre magie, le sage Alquif, la sage Urgande et moi. Vous passerez done en ce lieu le terme ordinaire de lanbsp;vie humaine, et y demeurerez quelques années ennbsp;plaisirs plus grands que tous ceux dont vous aveznbsp;pu jouir jamais... Non que vous soyez immortelsnbsp;pour cela I Le Seigneur Dieu seul 1’est. Mais vosnbsp;jours sont allonges, et votre bonheur double. Ainsinbsp;soit-ill...

A peine Zirfée eut-elle achevé ce discours, qu’il survint un tel tonnerre, avec éclairs, qu’on eut crunbsp;la fin du monde proche. Et quant et quant, pa-rurent sur un nuage trois chariots, trainés par sixnbsp;dragons, dans lesquels se placèrent les trois magi-ciens, laissant en la Tour de PUnivers celtenbsp;troupe de dames et de seigneurs, tous et toutesnbsp;ravis et oublieux des ennuis passés.

Ici finit 1’ceuvre du sage Alquif, et la vrai chro-nique d’Araadis de Gaule, lequel vecut deux cents ans et plus.


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Fin de la 10^ et dernière partie d'AMADls de Gaule, nouvellement imprmée d Paris en Vimprimerie de J. Bry ainé,nbsp;sous la direction d‘Alfred Delvau;nbsp;et fut achevée d’imprimer Ie XXXP jour de dócembre 1859.


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