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I fragment de fragment de page manuscrite d’un ancien texte irlandais.

{Extrait iju Lebhar-na-huidri.)

RIJKSUNIVERSITEIT UTRECHT

1555 6743

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j. irb Dt.u

¦35:1a

LES CENT CHEFS-D’CEVVRE ÉTRANGERS

L’ÊPOPÈE

IRLANDAISE

INTRODUCTION, TRADUCTION ET NOTES

Georges DOTTIN

Correspondant de Tlnstltut,

Doyen de Ia Faculté des lettres de Rennes,

Instituut voo^

Keltische taai —en letterkuncle

dèr Rijksuniversiteit te Utrecht

PARIS

LA RENAISSANCE DU LIVRE

78, Boalevaid Sain -Mlchel, 78

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INTRODUCTION

La DÉCOUVERTE DE l’ÉPOPÉE IRLANDAISE.

Des trois littératures de I’lrlande, — la littéralure en langue gaélique, la littérature en laugue latiue, la littératnrenbsp;en langue anglaise, — la littérature gaélique est a la fois lanbsp;plus ancienne, la plus riche et la plus originale. Une bonnenbsp;partie en est antérieure au christianisme; elle est contenuenbsp;daus un millier de mauuscrits, dout beaucoup sont encorenbsp;inédits; elle n’a guère, en son ensemble, subi 1’influence dunbsp;dehors. Elle comprend, outre une centaine d’épopées ounbsp;sagas, des poèmes lyriques, des traités d’archéologie et d'o-nomastique, des livres de lois et de coutumes, des gram-maires et des métriques, des vies de saints, des homélies etnbsp;des hymues, des recueils de préceptes et de dictons.

Quelque intérêt qu’offrent, de divers points de vue, ces productions de 1’art et de la science irlaudaise, si 1'on estnbsp;oblige de se bomer et de ne faire connaltre que l’élément Ienbsp;plus caractéristique du génie littéraire de la race, c'estnbsp;l’épopée que l'on doit mettre au premier rang.

Sous sa forme la plus audenne, elle nous fait pénétrer dans une société qui u’a point subi l’empreinte romaine,nbsp;sodété barbare et po’ie a la fois, oü les magiciens et lesnbsp;poètes occupent une place élevée et oü les batailles et les f es-tins, commechezles Grecs d'Homère, remplissent la majeurenbsp;partie de la vie. Elle est 1’oeuv] e d’une classe de lettrés, lesnbsp;fili, qui out parsemé les récits épiques en prose, de poèmesnbsp;curieux, dont la métrique raffinée constitue une forme d’artnbsp;étrange et séduisante.

La littérature épique de l’Irlande n'a pas été directement connue en France avant 1883, date de la publication parnbsp;H. d’Arbois de Jubaiuville du Cours de littérature csltiqae,nbsp;spécialement du volume V (1892) qui coutenait la traductionnbsp;.....- 1 -

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L’ÉPOPÉS IRLANDAISE nbsp;nbsp;nbsp;.

frati9aise des sagas les plus célèbres, a laqueUe, ea 1907, s’a-joutait celle de la « Razzia de Cualnge », la plus célèbre épopee du cycle d'Ulster.

Ce n’était pas que Ie public fran9ais n'eüt, avant cette époque, euteudu parler des héros familiers de l'épopée irlau-daise. Dcputs la fin du xvni« siècle, oü les chants denbsp;VOssian de Macpherson avaient suscité l’enthousiasme desnbsp;ames sensibles, les événements et les personuages de lanbsp;légende gaélique étaieut entrés dans la littérature euro-péenne, mais combien défigurés! Ils se dissimulaieut sousnbsp;des noms d’emprunt ; Cuchulainn était devenu Clessamor;nbsp;Conlaech, Carthon (1); Aife, Moïna; Nóisc, Nathos;nbsp;Deirdre, Darthula ; Conor, Cairbar; Find, Fiugal; ils appa-raissaient dans des paysages romantiques : des vallées pro-foudes que hanient des fantómes; des torrents coulant aunbsp;milieu des rochers ; des paysages de mer éclairés par lalune;nbsp;de grands teux dans Ie brouiUard du soir. .Leurs idéés etnbsp;leurs sentiments ne différaient guère de ceux qu'exprimaientnbsp;les contemporains de Macpherson; Homère, Shakespeare,nbsp;Milton, Thomson, la Bible elle-même avaient inspire leursnbsp;éloquents discours ou leurs descriptions majestueuses. Surnbsp;Ie canevas des ballades gaéliques formées de l'ancienne épopee, Ie prestigieux Écossais avait brode des dessins dont lanbsp;forme et les couleurs étaient iuspirées des bons modèles dunbsp;xvni® siècle.

Pour connaltre les textes authentiques conserves par des manuscrits du xi® au xv® siècle, il fallut attendre la publication de la Grammatica celtica, oü Zeuss étudiait I'andennbsp;irlandais, et TétabUssemenf de fac-similés des plus importants manuscrits. La langue de ces manuscrits est si différentenbsp;de l’irlandais moderne que les traductions publiées d'abordnbsp;par O’Cnrry, O’Donovan, Henuessy et d’autres savantsnbsp;irlandais ne pouvaient être que provisoires. Ce fut E. Win-disch qui donna, en 1880, la première édition scicntifiquenbsp;d'un recueil de sagas irlandaises; il fut suivi par Whitley

(i) Lorsque Baour-Lormian publia en l8or, d’aprês la traduction en prose de Le Tourneur (1777), Ossir», poésies gaUiques en vers franpais, ü changesnbsp;ee nom en celui, plus harmonieux, de Elinoc.

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INTRODUCTION

Stokes, R. Atkinson, ,St. H. O' Grady, H. d’Arbois deJubaiu-¦villc, Kuno Meyer et R. Thurneyscn.

Quelle que fut la science de ces savants philologues, Ie manque d’un dictionnaire complet de Tirlaudais moyen nenbsp;laissa pas de leur porter prejudice, et on ne saurait tropnbsp;regretter que 1’Académie royale d'Irlande n'ait pas achevénbsp;la publication, soit des Contributions to Irish Lexicographynbsp;de Kuno Meyer, soit du Dictionary of the Irish language denbsp;Carl Marstrander.

Neanmoins, on peut, a 1’aide des lexiques existants main-tenant (1), donner, au moins des parties en prose, une traduction snffisamment approchee, et quant aux paidies encore obscures des strophes lyriques, il est possible d'en proposernbsp;une adaptation. Mais, malgré les progrès qu'a faits depuisnbsp;quarante ans la connaissance de la grammaire et du vocabulaire, on ne saurait trop rendre hommage aux precurseursnbsp;qui n’ont pas hésité a entreprendre, les premiers, de traduirenbsp;peniblement, sans grammaire ni dictionnaire suffisants, lanbsp;plus ancieune litterature epique de I'Europe occidentale.

Le choix des pieces qui composent ce Hvre presentait quelque difficulte, non pas taut a cause de la masse de lanbsp;littérature epique irlandaise qu’en raison de sa diversité. Unnbsp;grand nombre de sagas, bien que mettant en scène des per-sonnages historiques, ne leur prêtent que des aventures mer-veUleuses et les placent dans uu décor de contes de fees. Lanbsp;forme, assez rude, des audens conteurs s’est peu a pen affi-née et les sagas des xv' et xvi® siedes out un développementnbsp;analogue a celui des romans franfais du moycu age.

Nous avous choisi d'abord les sagas dont les idéés et le style étaient le plus archaïques et originaux et celles oil lenbsp;caraclère épique était le plus accentué. Nous aurious pu ne

(i) Le fonds de nos connaissances lexicographiques est encore radmirablo glossaire qui est joint au tbme I des Irische Tcxte de E. Windisch (1880) etnbsp;les suppiémeuts ajoutés aux tomes III, IV et li la Tdin b6 Cualngf,

Pour étudier les détails de la grammaire, il est bon d’y ajouter les lexiques que R. Atkinson a donnés h Thé Passionsand the Homilies from Leabhafnbsp;Breac, 1887, et d The ancient laws of Ireland, 1901. Presque tous lea tsxteinbsp;publiés dans les revues par Wh. Stokes, Kuno Meyer et les autres celtlatMnbsp;sont munis de glossaires.

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L’EPOPEE IRLANDAISE =========.==,======

faire connaitre que celles qu' n’ont pas encore été traduites en franjais et nous avons, en effet, taché de ne pas fairenbsp;trop souvent double emploi avec les traductions publiées parnbsp;H. d’Arbois de Jubainville. Toutefois, il a été nécessaire,nbsp;pour ne pas exclure de ce livre les pages peut-être les plusnbsp;caractéristiques de l’ancienne épopée, d’y introduirequelquesnbsp;sagas déja connues en fran9ais. Nous avons donné de tousnbsp;les textes une version nouvelle en utilisant les travauxnbsp;de nos devanciers; mais il reste encore, surtout dans lesnbsp;strophes lyriques, des passages que Ie vocabulaire actuelle-ment connu ne permet pas d’élucider. Nous avons tóché denbsp;conserver Ie ton et Ie mouvement des conteurs et des poètes,nbsp;tout en éclairaut, dans la mesure du possible, leur obscurenbsp;concision et leur délicat impressionisme,

Le lecteur n’en éprouvera pas moins, quaud pour la première fols il abordera ces textes d’uu art étrange et primitif, une impression d’étonnement et de déconcertement plus vivenbsp;encore que celle qu’il ressent devant les chansons de gestenbsp;de notre moyen age. 11 n’y a pas seulemeut entre 1’épopéenbsp;médiévale des Gaëls et celle des Gallo-Francs la différencenbsp;des temps; il y a aussi la différence des lieux.

De l’époque oü, en Mande, furent mises par écrit les sagas irlandaises sous leur forme la plus ancienne, nous n’avonsnbsp;conservé en France que la Séquence de sainie Eulalie, lanbsp;Passion, la Vie de saint Léger, et il fautattendre Rabelaisnbsp;et le XVIquot; siècle pour avoir chez nous des romans qui parnbsp;leurs personnages énormes et I’abondance de leurs énumé-rations rappellent certaiues parties de 1’épopée gaélique.nbsp;Taudis que la France, ouverte a toutes les influences dunbsp;dehors, avaitsubi I’empreintedes civilisations meridionales,nbsp;rile d’lrlande, isolee a I’Ouest de 1’Europe, ne recevait quenbsp;par intermittences la lumière du Continent; elle était parfoisnbsp;euvahie par des pirates, qui, lorsqu'ils s’établissaient anbsp;demeure, lui apportaient une civilisation inférieure a lanbsp;sienne et ne tardaient pas a s’assimiler, et lors de la conquêtenbsp;anglo-normande les envahisseurs n'eurent guère d’action surnbsp;les envahis.

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INTRODUCTION

L’épopée et l’histoire.

Biea que les textes des plus anciens manuscrits qui nous sont parvenus aient été copiés et parfois rédigés par desnbsp;chrétiens, Teusemble des vieilles sagas gaéliques représentenbsp;une civilisation antérieure au christianisme, et c'est la ce quinbsp;en fait Ie principal attrait.

Tousles grands éven emeu is de Thistoire d'Irlande, depuis la destruction de Dindrigh, que les chroniqueurs datent dunbsp;III® siècle avant J.-C., jusqu’aux invasions scandinaves, a lanbsp;fin du vin® siècle, out fourni des sujets de sagas et des cyclesnbsp;épiques. La période préhistorique, même, est représentée parnbsp;les légendes sur les cavernes et les lacs, ainsi que par lesnbsp;traditions sur les plus anciens habitants : les Meurtres desnbsp;Enfants de Lir, des Enfauts de Tuiré, dEochaid fils denbsp;Mairid, la Veillée de Pingen, la Vision d’Oengus, la Batail'enbsp;de Moytura, que les chroniqueurs irlandais placeut versnbsp;Tan 3303 du monde, TExpédition de Loegaire fils de Crim-thaun, l’Histoire de Tuan fils de Cairell, la Courtise d'Etain,nbsp;la Prise du Sid Trom et les invasions des Dêdanaun, desnbsp;Hommes Bolg et des Fomoré.

D’après Tun des principaux aunaUstes irlandais, Tigernach, c’est a partir de 305 que l’histoire d’Irlande devieut moinsnbsp;incertaine. Un cycle de légendes se forme autour des fils dunbsp;graud-roi lugoine, Cobthach et Laegaire. Au second sièclenbsp;avant J.-C. se placeut les victoires de Congal Clsiringuechnbsp;et la mort de Fergus fils de Lête. Au premier siècle appar-tiennent les événements historiques qui constituent Ie fondnbsp;du cycle des Ulates ou du Kameau rouge; les principauxnbsp;persounages sont Conor, roi d’Ulster (f 19 ou 22 après J.-C.),nbsp;Cüchulainn, Ie célèbre champion (-[- 2 après J.-C.) et leursnbsp;adversaires Aiiill et Mève, roi et reine de Connaught. Conaire,nbsp;grand-roi d’Irlande (f33 avant J.-C.), est Ie héros d’unautrenbsp;cycle.

Au I®' siècle de l’ère chrétienue règnent Crimthann Niad-nair, Cairpre Tète-de-Chat (90). A la fin de ce siècle s’en-gagent les luttes que jusqu’en 671 Ie Leinster soutint contre les grands-rois d’Irlande pour ne pas leur payer uu lourd

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L’ÉPOPÉE IRLANDAISE

tribut impose par Ie grand-roi Tuathal Techtmar. Au li'siécle, Ie roi Ie plus fameux est Coud aux-cent-batailles (177). Maïs,nbsp;a cóté des rois d’Irlande, graudit la puissance des Fénians,nbsp;sorte de milice chevaleresque, célèbrepar ses exploits cyae-géfiques, dont les chefs Eind et Ossiau sout aussi des poctes;nbsp;leur légende, qui s’est développée a cóté de celle des hérosnbsp;du Rameau-rouge, a eu jusqu’a nos jours uu développementnbsp;prodigieux. Le règae de Cormac fils d’Art (3W) et celui denbsp;son fils Cairpre Lifechair sont lies a l'histoire des Féniansnbsp;qui furent vaiucus et détruits a la bataille de Gabra, oilnbsp;Cairpre lui-méme trouva la mort. Vers 331, Emaiu, capitalenbsp;de 1’Ulster, fut prise et brulée par les trois Collas. Les Scotsnbsp;d’Irlande font, au iv® siècle, de fréquentes incurtions ennbsp;Ecosse et eu Graude-Bretagne et le grand-roi de cettenbsp;époque, Niall aux-ueuf-otages. Hls d'Eochaid Muigmedon, futnbsp;assassiné pendant une de ses expéditions en Gaule (105). Sonnbsp;fils Loegaire permit a saint Patrice de prêcher le christia-nisme a travers toute I'lrlande. Dés lors, les légendes chré-tienues se developpent parallèlement aux anciennes légendesnbsp;pïdennes. Des cycles se créent encore autour des rois Diar-mait fils de Cerball (554), Med fils d’Ainmire et son filsnbsp;Domnall, le mystérieux Mongau fils de Fiachna et Diarmaitnbsp;fils d’Aed Slóue. La date de la suppression du Boroma parnbsp;le grand-roi Fiunachta Fledach marque aussi la fin de l’an-cieune épopee, remplacée désormais par des livres d’histoire,nbsp;et qui ne subsiste plus que dans des oeuvres d’imitation etnbsp;des coutes populaires. Les grauds évéuemenfs de l’histoirenbsp;d'Irlande qui sontpostérieursau vm® siècle, comme les invasions scandinaves et 1'invasion normande, n’ont pas créé denbsp;cycles épiques.

La civilisation épique.

La civiiisation de l'époque ou furent rédigées les sagas, vraisemblablement aussi quelques traditions des temps oünbsp;les héros avaient vécu, apparaissent dans 1’épopée, et lesnbsp;recueils de droit coutumier qui nous sont parvenus permet-tent de les éclairer.

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¦ ¦ nbsp;nbsp;nbsp;¦ 'nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;= INTRODUCTION

La sodété est minutieusement hiérarchisée : Ie grand-roi dTrlande, les rois des cinq provinces, les rois de tribus, lesnbsp;chefs de clans, les chefs de familie, les nobles, les hommesnbsp;Ubres propriétaires, les tenanciers libres, les serfs en sontnbsp;les échelons principaux. Les chefs et les rois étaient élus, maïsnbsp;toujours choisis dans une même familie.

L’État n’intervient pas dans les querelles entre les families, qu'elles aient pour objet un homicide ou un vol. La loi fixenbsp;seulement Ie faux de l’indemnité a payer au plaignant ou anbsp;sa familie. Pour 1’homicide et les injures graves, Ie coupablenbsp;a a payer en plus Ie « prix de 1’honneur », qui varie selounbsp;Ie rang social. Un homme, évalué en monnaie de compte,nbsp;vaut sept captives ou vingt et une bêfes a cornes; Ie « prix denbsp;l'honneur » peut doubler, tripler ou même quadrupler cettenbsp;valeur. Une femme ne vaut guère en moyenne que troisnbsp;bêtes a cornes et pour elle Ie prix de l’honneur n’atteint quenbsp;la moitié de celui d’un homme. Aussi, pour faire hommagenbsp;a leur roi Conor, les Ulates n’avaient pas jugé excessif denbsp;lui donner, sur leurs filles et sur leurs femmes, Ie « droit dunbsp;seigneur ».

Lorsque, même après un arbitrage, les deux parües n’avaient pu s’arranger, il fallait recourir a la force, au duelnbsp;ou au combat des hommes en état de porter les armes. Onnbsp;voit dans 1’épopée intitulée Ie Festin de Bricré, combiennbsp;l'autorité des juges était impuissante a légler les contestations entre particuliers. Pour être sur que la fin des repasnbsp;nc fut pas troublée par des duels ou des combats, Ie roinbsp;Conor, lorsqu’il traitait ses vassaux, faisait enfermer toutesnbsp;les armes dans un local réservé a eet usage.

Mais les Irlandais de 1’épopée ne sont pas uniquement occupés a la guerre. De grandes assemblees réunissaientnbsp;tantót Ie peuple de la tribu ou de la province, tautót tous lesnbsp;nobles et les chefs de l’Irlande; toute querelle y était inter-dite; on y célébrait les jeux nationaux ; il y avait des concours de poésie et de musique. La musique était en grandnbsp;honneur; les plus anciens instruments sont la harpe et lanbsp;cornemuse ; les musiciens étaient respectés a l’égal desnbsp;poétes.

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L’EPOPEE IRLANDAISE ======^=

La familie irlandaise est fondée sur la monogamie, mais clle admet, outre l’épouse légitime, des concubines. Lenbsp;mariage est un contrat par lequel le père, ou le parent quinbsp;en tient lieu, cède au futur époux ses droits sur la femme.nbsp;Les enfants ne sont pas élevés par leurs parents; ils sontnbsp;confiés a un autre membre de la tribu, qui devient leur pèrenbsp;nourricier.

Une curieuse institution sociale, qui ne dura que de 174 a 283, est ceile des Féniaus; c'est une sorte de chevalerie fondée sur le désintéressement, l’humanité, la libéralité et lanbsp;bravoure; on u’y entrait qu’après avoir subi des épreuvesnbsp;difficiles. On a suppose que les héros du cycle de Conor,nbsp;réunis dans la salie du Rameau rouge, formaient une association analogue a celle des Féniaus.

Le merveilleux.

A ces réalités, faits historiques et coutumes, sans doute amplifiées et transformées, les Irlandais afoutèrent des élé-ments merveilleux. Qu'était le merveilleux de leur temps ?nbsp;La notion s’en est, depuis lors, a la fois étendue et resserrée.nbsp;La magie faisait partie de la vie individuelle et de la vienbsp;sociale des vieux Gaels. Les gens d'alors avaient recours aunbsp;druide et au file aussi naturellement que mainteuant lesnbsp;malades consultent le médecin; les presages, les tabous quenbsp;devaient observer certains héros u'ont pas choqué lesnbsp;scribes chrétieus, qui en avaient gardé le souvenir et peut-étre la tradition. De nos jours, toutes ces pratiques sont sorties de la réalité courante pour entrer dans le domaine dunbsp;merveilleux. Dans l'ancienne Irlande, les « quatorzenbsp;sources » de la science des fili comprenaient aussi bien desnbsp;opérations magiques comme « l'illumiuation autour desnbsp;mains » que des quatités comme la modestie, la dignité, lenbsp;jttgement, etc.

La magie est le plus souvent pratiquée par les druides. Ceux-ci peuvent faire venir la mer avec ses hautes vaguesnbsp;dans une plaine, empêcher d'entendre la voix des fées, fairenbsp;tomber des pluies de feu sur les ennemis; établir une haie

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=___¦= nbsp;nbsp;nbsp;.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;__INTRODUCTION

magique entre deux armées, lever des brouillards qui rendent invisib'es, changer Ie jour en nuit, amener la chutenbsp;de la neige. Ce sont eux aussi qui conuaissant Ie breuvagenbsp;d’oubli, qui savent utiliser Ie lait de cent quarante vachesnbsp;blanches sans comes pour laver et guérir les blessures. Ilsnbsp;participeut, dans cerlains cas, a 1’élection des rois, en endor-mant par leurs charmes l'homme qui doit voir en rêve Ienbsp;futur souverain. La poésie et la musique ont encore gardénbsp;leur pouvoir origiuel d’incantation. Un habile harpiste peutnbsp;a sa volonté produire Ie rire, les pleurs ou Ie sommeil. Unnbsp;poète, par la seule vertu de ses vers, crée une obligationnbsp;magique a laquelle nul n’essaie de se soustraire et, jusqu’aunbsp;xvni® siècle, on croyait que les poètes avaient Ie pouvoir denbsp;chasser les souris.

Les tabous imposes sont trés varies : interdiction de jamais se ranger pour faire place a un autre, de dire soanbsp;nom, de refuser de se battre, de décliner une invitation,nbsp;d'emmener des compagnons en sus d’un certain nombre, denbsp;passer plus de neuf nuits dans uu endroit, d’allumer du feunbsp;a certains jours, a certaines heures; obligation de cherchernbsp;un anneau dans uu lac, de se procurer une copie de lanbsp;Razzia de \Cualnge. Les rois en particulier étaient soumis a de nombreux tabous; au iquot; siècle, Conaire Ie Grand,nbsp;en les violant saus Ie sa voir, amena des calamités sur lui etnbsp;sur son pays.

Les armes de guerriers fameux ont une vertu magique : épées qui parlent, qui se retournent contre les menteurs etnbsp;qui racontent leurs exploits; javelots qui atteignent toujoursnbsp;leur but ; boucliers qui orient quand leur maitre est ennbsp;danger.

La pierre de Fal, qui était a Tara, capitale de TIrlande, criait quaud uu roi montait sur elle.

Certains auimaux sont doués de pouvoirs magiques, ou, comme ou dit en irlandais, druidiques. Ce sont soit desnbsp;chats, soit des auimaux sauvages.

La croyance a la métempsycose a laissé quelques traces. Find s’était réincarué, plus de trois cents ans après sa mort,nbsp;en la personue du roi d’Ulster Mongau. Tuan fils de Cairellnbsp;:nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;. .nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;—nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;. -nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;. 9 --

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L’EPOPEE IREANDAISE

avait été snccessivement homme, cerf, sanglier, faucon, sau-mou, puis de nouveau homme.

A cótés des rois et des guerriers historiques, dont les hauls fails s’accomplissent sur la terre d’Irlaade, vit invisible et présente, nese révélant aux hommes que quand il luinbsp;plait, la race surnaturelle des fées (sidhé). Elles habitentdesnbsp;palais souterrains situés sous des tertres oü sont conservesnbsp;des trésors et que 1’ou appelle en irlaudais des sidh. Maisnbsp;elles vienueut aussi de pays merveilleux situés a l’Orient ounbsp;d’lles proches du continent, ou 1’on se rend dans des barquesnbsp;de verre; les arbres y sont de cristal, d’or ou d’argent, et lesnbsp;fruits peuvent nourrir des multitudes. Parfois même leurnbsp;terre, anx yeux des mortels, se confoud avec 1’Océan, lesnbsp;vagues avec les vertes prairies et les poissons avec lesnbsp;agneaux.

Leur arrivée et leur depart sont toujours enveloppés de my stère et elles peuvent a leur gré paraitre ou disparaitre,nbsp;Elles out besoin d'hommes vaillauts pour les aider dans lesnbsp;combats que se livrent leurs tribus, et de joyeux compagnonsnbsp;pour s’asseoir a leurs cótés dans Ie; festins qui célèbrent lesnbsp;victoires. Des fées s’unissent a des hommes et des fés a desnbsp;femmes; les enfants qui naisseut de ces mariages nenbsp;semblent point différents des autres mortels. Elles peuventnbsp;se réincarner. Etaine, après avoir vécu mille deux ansnbsp;parmi les fées, a une seconde naissauce parmi les hommes;nbsp;elle est m se au monde par la femme d’un des grands vas-saux de Conor. Outre la forme humaine, elles peuventnbsp;prendre la forme d'animaux et elles apparaisseut souventnbsp;comme des oiseaux unis deux a deux par des chaines d’or.

Les fées out des pouvoirs surnaturels. Le cri de la fée Macha avait ensorcelé tous les Ulates qui 1’entendirent; ilsnbsp;subissaieut, une fois dans leur vie, les douleurs de l’accou-chemeut. II suffit a Manaun^n d’agi er son manteau entresanbsp;femme Fand et l’ancien amant de celle-ci, Cüchulainn, pouxnbsp;les empêcher a jamais de se reucontrer.

II ne faut pas les confoudre avec les dieux. Car il nest jamais question d'offrande ou de sacrifices aux fées.nbsp;Labrald et Manaunan, qui sont des fés, nous apparaisseutnbsp;= 10

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.....:t=—. INTRODUCTION

l’un comme nn farouche guerrier, l’anfre comme un habile magicien. Leurs femmes, Libane et Fand, coureut Ie monde,nbsp;en quête d’aventures parmi les hommes. Lorsque Fand etnbsp;l’épouse de Cüchulainn, Emer, se disputent l’amour du hérosnbsp;d'ülster, c’est la fée qui exprime les sentiments les plusnbsp;profondément humains. Les sidhe n’ont pas auprès desnbsp;héros irlandais ce röle d’assistaoce et de protection qu’as-sument les dieux et les déesses du panthéon grec auprès desnbsp;héros d’Homère. Dans certaines sagas, ils ont des aventuresnbsp;que des contes populaires attribuent a des revenants.

Ainsi, la vie des Gaels que nous dépeint l’épopée était-elle toute pénétrée de ce que nous appelons maintenant Ie sur-naturel. Elle en était a la fois compliquée et simph.lée ;nbsp;compliquée a cause des nombreux tabous, dont chacunnbsp;devait avoir sa part, et du souci de ménager les êtres invisibles qui les entouraient; simplifiée paree qu’elle étaitnbsp;exempte de la recherche des causes et des longs raisonue-ments qui combinent l’avenir. Entre la magie et les tabous,nbsp;il n'y avait pas grand’place pour Ie libre arbitre.

Le christianisme.

Le christianisme, qui pénétra en Irlande dés 431, date de la mission de Palladius, et se répandit dans la plus grandenbsp;partie du pays sous 1’action de saint Patrice, donna nais-sance a une littérature nouvelle dont les homéHes, lesnbsp;hymnes, les vies de saints et les calendriers en vers sontnbsp;les prindpales productions. Mais les vies de saints furentnbsp;écrites sur le modele de l’épopée païenne; la vie si drama-tique de saint Cellach, par exemple. parsemée de poèmesnbsp;lyriques qui comptent parmi les plus beaux de la littératurenbsp;irlandaise, présente tous les caractères d’une saga. Lorsque,nbsp;du vii» siècle a 1’invasion scaudinave, les légendes épiquesnbsp;furent mises par écrit, ce sont des moines chrétiens quinbsp;s’emploient a cette tèche patriotique. Le manuscrit qui nousnbsp;a conservé les plus anciens textes d’épopée, le livre de lanbsp;Vache Brune, a élé transcrit d’après d’autres manuscrits parnbsp;un religieux de Clonmacnois. Find mac Gorman, évèque denbsp;- 11 --.

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L’EPOP£E IRLANDAISE nbsp;nbsp;nbsp;---

Kildare, copia une partie du Livre de Leinster. La tradition rapporle que ce fut a saint Ciaran que Ie héros Fergus, sur-gissantde sa tombe, dicta la célèbre épopee de la Razzia denbsp;Cualnge. Les genres littéraires créés par les païens subsis-tèrent méme lorsque la littérature lut tont entière devenuenbsp;chrétienne ; la division entre littérature sacrée et littératurenbsp;profane, si absolue au moyen age sur Ie continent, ne futnbsp;pas réalisée en Irlande. Quand saint Patrice eut a choisir Ienbsp;premier évêque de race irlandaise, ce fut a un file, Dub-thach, qu’il demanda conseil et ce fut un autre file, Fiacc,nbsp;qu’il nomma. Les prédictions et les miracles, attribués jadisnbsp;aux druides, furent attribués aux saints. Saint Patrice disperse une armée par un tremblement de terre, dissipe lanbsp;neige et les ténèbres produits par un druide, et chasse lesnbsp;oiseaux noirs qui lui cachaient Ie del et la terre.

Toutefois, il est sur que les rédacteurs chrétiens des sagas en ont supprimé tons les détails qui se rapportaient au cultenbsp;des dieux, et les mentions de ces dieux eux-mêmes. Saintnbsp;Patrice avait fait alliance avec les fili, a condition qu’ilsnbsp;n'accompliisent rien qui comportat une offrande au diable.nbsp;II leur avait permis celles des formules de divination quinbsp;s’effectuent sans sacrifice aux dieux et avait interdit lesnbsp;autres. II lutta sans trêve contre les druides et, dansnbsp;1’hymne qui lui est attribuée, il prie Dieu de Ie protégernbsp;contre leurs sortileges. A peine peut-on trouver 9a et lanbsp;quelque trace des andens dieux dans des formules de ser-ments. Ce n’est que dans les « Antiquités » qui conserventnbsp;les souvenirs historiques et archéologiques relatifs aux Ueuxnbsp;célèbres, et dans les vieux glossaires qu’il est question desnbsp;sacrifices d’animaux ou méme d’enfants a des idoles denbsp;pierre.

D’autre part, les chrétiens ont introduit, partout oü ils Tont pu, des prédictions sur la venue du christianisme et sur Ienbsp;déclin de la puissance druidique. Dans les sagas adaptées denbsp;TAntiquité, la oü 1’intervention des dieux ne pouvait êtrenbsp;passée sous silence, ils les ont souvent remplacés par desnbsp;démons. En géuéral, les dieux des Grecs et des Romainsnbsp;leur ont semblé moius dangereux pour la foi des fidèles quenbsp;- 12

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==_ .. nbsp;nbsp;nbsp;.= .= = INTRODUCTION

les divinités primitives de I’ancienne Irlande, dont Ie culte avait sans doute laissé vivaces des superstitions que lesnbsp;chrétiens cherchaieut a faire disparaltre. Le copiste de lanbsp;Maladie de Cüchulainn conclut la saga en rappelant com-bien la puissance des démons était grande avant le christia-nisme et comment, sous la forme humaine, ils livraientnbsp;bafaille aux hommes; ce sont, ajoute-t-il, ces apparitionsnbsp;que les ignorants appellent fees.

De bonne heure, on supposa que des ’rapports s’étaient éta-bhs entre les priacipaux personnages des cycles pa’iens et les saints les plus illustres de la chrétieuté irlandaise. Saintnbsp;Ciaran obtient par ses jeünes que Fergus, fils de Roeg, luinbsp;apparaisse, et derive sous sa dictee le récit de la Razzia denbsp;Cualnge. Après la bataille de Gabra, qui mit fin a la puissance des Fénians, Cailte, compagnon d’Ossian, rencontrenbsp;Saint Patrice a Drumderg; converti par lui, il le soit dansnbsp;son voyage apostolique et, chemin faisant, évoqueles grandsnbsp;souvenirs du paganisme; c’est ce qu'on appelle le « Dialoguenbsp;des Anciens ». Le roi dTJlster, Conor, était, d'après lanbsp;légende, né au même jour et a la même heure que le Christ,nbsp;et quatre prophètes avaient annoncé sa naissance sept ans anbsp;1’avance. Quand sou druide lui raconta la Passion, il éprouvanbsp;une telle emotion, qu'une balie de fronde, que l’on n’avaitnbsp;pu lui extraire de la téte, sortit violemment et causa sa mort.nbsp;II y avait même des gens qui donnaient comme maltre anbsp;Amergin, le plus ancien des fili, Caé, qui avait fréquenténbsp;Moïse en Egypte et était élève de Fénius Fersaid, descendant de Noé.

La classe des lettrés.

Les auteurs des sagas irlandaises appartenaient a la classe lettrée, qui dans l’ancienne Gaule comprenait les druides,nbsp;les vates et les bardes et qui, en Irlande, se composait desnbsp;druides, des fili et des bardes. Les druides irlandais, knbsp;1'époque la plus anedenne, soutalafois prophètes, magiciens,nbsp;médecins, sacrificateurs, professeurs; ils sont l’objet denbsp;grands honneurs; le roi lui-méme ne pouvait prendre la

' nbsp;nbsp;nbsp;¦= 13nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;......- nbsp;nbsp;nbsp;' ----

l’épopée irlandaise. nbsp;nbsp;nbsp;2

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L’EPOPEE IRLANDAISE ======================

parole avant Ie druïde. Les bardes irlandais sont tenus en piètre estime; ils n’ont pas fait d'études spéciales ; ilsnbsp;occupent un rang social inférieur a celui des fili. Vers Ienbsp;VII* siècle, a 1’époque on furent mises par écrit les plusnbsp;anciennes sagas, ce sont les /üi qui out la preponderancenbsp;sur les druides et les bardes. Ils sont non senlement lesnbsp;poètes et les conteurs des histoires épiques, mais aussi desnbsp;devins, des magicieus et des juristes. Comme devins, ilsnbsp;emploient divers procédés. L’ « illumination autonr desnbsp;mains », imbas forosnai, se pratiquait ainsi : Ie filenbsp;macbait un morceau de cochon rouge, de cbat on de chien;nbsp;il chantait une prière pour 1’offrir anx dieux ; un jour après,nbsp;il prouou^ait une incantation sur ses mains, invoquait lesnbsp;dieux pour avoir un sommeil tranquille et s’endormait lesnbsp;mains sur ses joues. On montait la garde autonr de lui pournbsp;que personne ue vint Ie troubler. Le sommeil magique duraitnbsp;deux, trois on ueuf jours. Quandle file se réveillait, ilavaitnbsp;vu en songe ce qu’il aviiit besoin de savoir. Le charmenbsp;appelé teinm laeda on laegda nécessitait 1’emploi d’unenbsp;baguette que l'on plajait sur l'objet ou sur la personne aunbsp;sujet desquels la question était posée. Cet acte s’accompa»nbsp;gnait d’une incantation, et Find mettait en la pronongant lenbsp;pouce dans la bouche. La « récitation du bout des doigts »,nbsp;dicheial di chennaib, consisfait essentiellement en 1'impro-visation d’un quatrain. La poésie scule pouvait done avoirnbsp;un effet magique; aussi cerfaines compositions étaient-ellesnbsp;le mouopole d’un grade de file, a 1’exclusion des autres.

La satire, en irlandais air, avait le pouvoir d’attirer toute sorte de maux sur la personne contre laquelle elle étaitnbsp;dirigée. Le plus souvent, la malédiction du file faisait pous-ser d’énormes boutons sur le visage de l’homme a qui ii ennbsp;voulait, Parfois, elle rendait stériles les champs, les arbresnbsp;et les eaux. La terreur qu’elle causait était telle que le rotnbsp;Bress, plutót que d’éprouver les effets de 1’imprécationnbsp;qu’avait lancée contre lui le file Coirpre, préférase démettrenbsp;de la royauté.

Couscients de leur pouvoir et de la crainte qu’ils inspi-raieut, certains fili n’hésitaient point i ran9onner les chefs.

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- nbsp;nbsp;nbsp;. -nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;---= INTRODUCTION

Athairne avail coutume de demander a ses hótes leur femme, an de leurs yeux, ou une pariie de leur fortune.nbsp;Nédé, pour avoir un prétexte de satiriser le bon roi Caier,nbsp;s’enquiert de I’objet auquel celui-ci tient Ic plus et qu’il luinbsp;refusera certainement. Les exigences des fdi lassèrent a plu-sieurs reprises les rois, qui tenterent de les reduire, et ellesnbsp;furent tournees eu ridicule dans une amusante histoire :nbsp;« les Aventures de la Grande Institution bardique ».nbsp;D’ailleurs, lorsque les fill étaient injustes, les effcts de leursnbsp;maledictions se retournaient contre eux. Chaque fois quenbsp;Sencha rendait un jugement inique, trois boutons apparais-saient sur son visage ; I’absence de boutons était une garantienbsp;de Téquité des decisions. Morann avait au cou un collier quinbsp;s’élargissait quand la sentence était juste et se resserraitnbsp;quand eUe était injuste. Quand Fachtna jugeait a tort, tonsnbsp;les fruits tombaient des arbres en une nuit, ou les vachesnbsp;refusaient le lait a leurs veaux.

Les fill avaient a leur disposition des moyens plus efficaces encore que les cbarmes magiques. Lorsque 1'on ne voulaitnbsp;pas accepter leur décision, il leur suffisait de saisir entrenbsp;deux doigts le bout de Toreille du récalcitrant; en la pressant d'une certaine manière, ils faisaient mourir 1’hommenbsp;aussitót. Ils avaient rarement besoin de recourir a ce procédé, car leur autorité morale était iucontestée. La généalogie du premier file le rattacbait a Dagdé, l’ancêtre des Dêda-nann. La fille de Dagdé, Brigit, qui était iemme-fcle, avaitnbsp;épousé Bress, fils de Elatha (Savoir); elle eut trois fils : Brian,nbsp;lucbar et üar qui engendrèrent Ecne (Sagesse); celui-ci futnbsp;pére d’Ergna (Savoir), père de Rocbond (Grand Sens), pèrenbsp;de Rofhis (Grande Science), père de Imradud (Réilexion),nbsp;père de Osmunta (Grande Education), père de Dan (Art),nbsp;père de File (Poète).

En fait, dans l'épopée gaelique, il ne semble pas que le pouvoir des fili soit souvent mis en discussion. C'est le filenbsp;Sencba dont 1’avis prédomine dans l’assemblée des noblesnbsp;d’ülster, et le plus souvent on accepte d’avance sa décision;nbsp;c’est lui qui met la paix non seulement enfre les guerriers,nbsp;mais aussi entre les femmes, qui même décide par quelnbsp;— 15

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L’EPOPEE lELANDAISE---- nbsp;nbsp;nbsp;-

divertissement on doit commencer la iête. Le/i7e Dnbthacti est choisi par saiat Patrice pour juger Ie meurfrier de sonnbsp;cocher, et il est 1’un des auteurs du Senchus Mor, Ie plusnbsp;vieux recueil du droit irlaudais. Leplus ancien des/tïi étaitnbsp;Amergiu au-genou-blanc, qui vivait au temps oü les fils denbsp;Milé émigrèrent d’Espagne en Irlande, emigration que la tradition place au xquot; siècle; il avait régie les conditions du par-tagc de rirlande entre Eber et Eremon. Au vii° siècle, Ienbsp;chef des fili d’Irlande, Senchau Torpeist, était entouré d’unnbsp;grand nombre de disciples, parini lesquels on comptait dn-quante docteurs.

On peut d’ailleurs mesurer la situation sociale des fili a leurs privilèges. Ils avaieut, comme les rois et les nobles, Ienbsp;droit d’etre accompagnés d'une suite. Les fili du premiernbsp;rang, les ollam, prétendaient être suivis de trente fili etnbsp;ceux du second rang, les anrulh, en exigeaient quinze ; Ienbsp;premier cortège était aussi nombreux que celui du roinbsp;suprème. Le grand-roi Aed fils d'Ainmire, après unenbsp;longue discussion dans 1'assemblée générale de Druim Ceta,nbsp;s’en remit a 1’arbitrage de saint Columcille, qui réduisit lesnbsp;suites a vingt-quatre et a douze fili; c’était le chiffre dunbsp;cortège des rois des provinces et des rois des tribus. Lesnbsp;fili des autres grades avaieut droit a des suites aussi npm-breuses que les nobles des diverses classes, et \e,file du dernier grade, comme le noble de la dernière classe, avait encorenbsp;droit a une suite de deux persounes. 'Les fili et leur suite,nbsp;quel qu’en füt le nombre, étaient hébergés par les rois et lesnbsp;chefs qu’ils honoraient de leur visite.

Dans la grande salie du palais de Tara, après l’introduction du christianisme, la place la plus élevée, en face des rois etnbsp;des reines, est occupée par le sui littre, savant en lettresnbsp;sacrées, mais aussitót après lui vieutl'o 7am; puis,par ordre,nbsp;les autres fili. Les morceaux de viande sout, par catégories,nbsp;répartis a chacun d’après son rang. L'ollam file refoit lanbsp;cuisse; les fili des trois rangs suivants, des cótelettes.

Les assimilations des fili aux rois et aux nobles détermi-naient encore le chiffre de Tindemuité qui leur était due pour insulte; ainsi un anrulh avait droit a la même indemniténbsp;== 16 =

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¦ ¦ nbsp;nbsp;nbsp;= INTRODUCTION

qu'uu roi de fribu ou qu'uu évêque; en cas d’injure grave, cette indemnité s’élevait a la valeur de vingt ef une bêtes anbsp;comes. De même les prix de pension des eufants sont pro-portionnés au rang des fill qui les élèvent.

II n’estpas sur que la grande reputation des Jili et lacon-sidératioü dont ils étaient entourés tint uniquement a leur pouvoir magique. De ce pouvoir magique, en ces temps pri-mitifs, on ne séparait pas cette autre magie dont ils ensorce-laient I'imagination, au cours des longues veillees oü ilsnbsp;contaient les merveilleuses histoires, coupees de chantsnbsp;accompagnes sur la harpe, qui déroulaient les exploits desnbsp;héros et des hommes.

Les genres épiques.

Ces histoires se divisaient en grandes et en petites, et le rang hiérarchique iesfili dependait du nombre d’histoires .nbsp;qu’ils savaient. Nous counaissons par la légende de Mongau,nbsp;roi d’Ulster, la fonction de son file, qui s’appelait Forgoll.nbsp;Ce n’etait pas une sinecure. Forgoll devait venir tous lesnbsp;soirs, de Samain (1“ uovembre) a Beltene (1®' mai), racon-ter une histoire au roi, a sa familie et a ses vassaux; celanbsp;faisait environ cent quatre-vingts histoires. Le file du plusnbsp;haut grade (ollam) pouvait center 350 histoires; ceux (Jui lenbsp;suivaient dans la hiërarchie littéraire en savaient 80, 60, 50,nbsp;40, 30, 20, 10, et le dernier, Voblaire, n'en savait que sept.nbsp;Depuis le septième degré a partir du bas, la connaissancenbsp;d'un certain nombre de petites histoires deveuait obligatoire.nbsp;II y avait cent petites histoires et deux cent ciuquante grandesnbsp;histoires. Deux listes écrites. Tune au xii® siècle, 1'autre aunbsp;xvi® siècle, nous ont conserve les litres de cent quatre-vingt-dix-sept d’entre elles ; ces listes sont sans doute la reproduction de catalogues anterieurs dont le plus ancien, d’aprèsnbsp;H. d’Arbois de Jubainville, daterait du commencement dunbsp;vni® siècle. II ne nous est parvenu que soixante-huit sagas;nbsp;les résumés que donne Keating, au début de son Histoirenbsp;d’lrlande, nous en font connaitre vingt-cinq autres. Eliesnbsp;sont d’étendue diverse. Les unes ont plusieurs centainesnbsp;-------17 nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;-

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L’ÉPOPÉE IRLANDAISE ---------------- • nbsp;nbsp;nbsp;- -

de pages, les autres quelques lignes. La plupart out une étendue comprise entre dix et vingt pages. II est probablenbsp;que les plus courtes sont de simples résumés.

Les sujets traités par \e.s f Ui avaient été répartis par eux en une trentaine de genres. Le plus grand nombre se rappor-taient a la guerre : Batailles, Prises d’assaut, Morts, Massacres, Razzias, Rapts, Fuites, Poursuites. Mais d'autresnbsp;avaient pour themes les événements et les occupations pai-sibles de la vie : Conceptions, Enfances, Amours et fian-^ailles. Maladies, Dialogues, Festins, Préceptes. Les romansnbsp;d'aventurese répartissa! ent les litres d'Histoires, Aventures,nbsp;Visions, Exils, Navigations, Chasses, Cachettes, Chateaux.nbsp;Les vieilles traditions sur les débordements des lacs por-taient le noin d’Irruptions, et les Immigrations retra9aientnbsp;l’arrivée des anciens colonisateurs de l'Irlande. On availnbsp;réuni sous le nom de Les trois hisioires trisfes d'Irlande :nbsp;« l’Exil des fils d'Usnech », « la Mort des enfants de Lir »nbsp;et « la Mort des enfants de Tuiré ». Mais il restait encorenbsp;quelques histoires qui ne pouvaient entrer dans les cadresnbsp;rigides de la classification savante ; les parodies, nombreusesnbsp;pourtant, ne se distinguent par aucun titre ou sous-titre ; lesnbsp;voyages en l’autre monde portent le même nom que lesnbsp;voyages plus ou moins merveilleux dans des pays réels, Anbsp;part quelques redites et quelques emprunts d’une histoire anbsp;l’autre, la richesse des sagas gaëliques nous présente séparé-ment tous les genres de contes et de légendes oü se complai-sait 1’imagination des peuples civilisés dans les siècles quinbsp;précédèrent l'ère chrétienne, légendes dont la littératurenbsp;classique ne nous donne qu’une idee synthétique et som-maire, quoique parfaite. L'lliade ne se compose guère quenbsp;des Batailles, des Massacres, des Morts, des Razzias, desnbsp;Rapts et des Festins; XOdyssée, que des Navigations, desnbsp;Chasses, des Festins, des Massacres. 11 est vrai que les deuxnbsp;épopées grecques offrent des themes qui ne figurent pasnbsp;dans la liste des sagas gaéliques : les Colères, les Ambassades,nbsp;et que les épopées perdues qui fournirent aux tragiquesnbsp;grecs les Incestes, les Parricides, les Meurtres d'enfants etnbsp;de parents, n’ont point d’équivalent en Irlande. Mais 1'épo-- - 18 ----- -

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-¦¦¦ ¦' nbsp;nbsp;nbsp;¦== INTRODUCTION

pée grecque subordonne les épisodes au sujet principal ; Té-popée gaelique les juxtapose; dans Tépopée grecque, les évéuements tireut leur relief des persounages ; dans Tépopéenbsp;gaélique les personnages n'ont d’autre raison d'êire quenbsp;Taction.

Les Irlandais n'ont point d’épopée qui ait eu une influence semblable a celle de VIliade chez les Grecs. La plus longuenbsp;saga, qui est aussi la plus célèbre, est la « Razzia de Cualnge ».nbsp;Le sujet en est trés simple; c'estla reine Mève de Connaughtnbsp;qui, pour s’emparer d’uu taureau fameux, fait une grandenbsp;razzia en Uister, malgré la résistance héroïque que le jeunenbsp;Cüchulainn oppose a Tarmée d’Irlande. Nous voila loin de lanbsp;colère d’Achille et des batailles livrées sous les murs denbsp;Troie. Mais si nous voulons déteriuiuer le noyau primitif denbsp;Tépopée irlandaise et distinguer les éléments de provenancesnbsp;diverses et d’ages différents qui la composeut, pous nonsnbsp;heurtons aux difficultés qu’ont rencoutrées les critiques denbsp;VIliade. A quelle époque, d’ailleurs, une épopée qui s’estnbsp;accrue au cours des récitations ou des redactions qu’ou en anbsp;faites a-t-elle atteint son développement normal ? Est-ce aunbsp;temps oü elle était le moins développée, au temps oü eUenbsp;Tétaitleplus, ou, pour prendre une moyenne, au temps intermédiaire eutre le premier et le dernier stade de croissance?

Autour des quatre cents pages de la « Razzia de Cualnge » se groupent, comme les poèmes cycliques grecs autour denbsp;VIliade, les histoires qui lui servent d’introduction et cellesnbsp;qui lui servent de conclusion, C’est d’abord la Révélation denbsp;la Razzia qui rapporte comment les fili d’Irlande, qui nenbsp;savaient plus réciter la Razzia d’uu bout a Tautre, ne trou-vèreut rien de mieux que d'évoquer un des héros qui ynbsp;avaient pris part, Fergus fils de Roeg. Celui-ci se rendit anbsp;leurs prières; pendant trois jours et trois nuits, il leur dicta,nbsp;du commencement a la fin, le récit qui nous est parvenu.nbsp;Quelques sagas raconteut, avec force pérjpéties, comment senbsp;fit Tapprovisionnement en bétail de Tarmée irlandaise.nbsp;D’autres nous reuseignent sur la généalogie du taureau denbsp;Cualnge et de son adversaire le Beau-Cornu, ainsi que surnbsp;leur métempsycose. Enfin deux sagas out pour sujet lesnbsp;========== 19nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;-nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;¦nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;-

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L’ÉPOPÉE IRLANDAISE nbsp;nbsp;nbsp;...........^

uaissancesmerveillenses des deux plus célébres Ulates, Conor et Cüchulainn. Comme la Razzia de Cualnge s'arrétait a lanbsp;défaite de l’arniée irlandaise par les Ulates et a la mort desnbsp;taureaux, les fili composèrent des histoires pour apprendrenbsp;ce que devinrent les principaux personnages de la fameusenbsp;expédition, Cüchulainn, Conor, Mève, Ailill, Fergus.

Les autres cycles n’offrent point de sagas qui tienuent parmiles autres la place que la « Razzia de Cualnge » occupenbsp;dans Ie cycle d’Ulster. Le cycle des Fénians est formé denbsp;récits indépendants les uns des autres, et les histoires lesnbsp;plus célébres, comme la « Poursuite de Diarmaid et denbsp;Grainne », ne sont que des épisodes de la légende de Find.

La composition et le style.

Quelles sont les caractéristiques de l’ancienne saga gaé-lique ?

La composition, trés simple, suit l’ordre des événements; il n'y a pas de récits rétrospectifs ; mais les digressions sontnbsp;fréquentes, soit que des morceaux d’abord indépendantsnbsp;aient été intercalés dans une saga, soit que le savant filé nenbsp;résiste pas au plaisir de raconter une histoire pour donnernbsp;l’étymologie d’un nom de Ueu. Ainsi, le récit de la Maladienbsp;de Cüchulainn est interrompu par l’énumération des devoirsnbsp;du roi. Les étymologies, savantes ou populaires, des déno-miuations locales sont si nombreuses qu’on en a pu composer des recueils spéciaux, les Dindsenchns ou « Antiquités »;nbsp;mais c’est aux faits et aux héros qu’ils rappellent, non auxnbsp;lieux eux-mêmes, que s’intéresse l’auteur. Le goüt pour lesnbsp;devinettes, les décisions juridiques et les sentences était trésnbsp;vif a l’époque oü furent rédigées les plus anciennes sagas.

Les descriptions de paysages sont trés rares. Le pays, peu étendu, est assez bien connu de ses habitants pour qu’onnbsp;n’ait pasbesoin d’en faire remarquer les aspectspittoresques.nbsp;Le conteur évoque parfois le souvenir d’un arbre ou d'unnbsp;animal d’un endroit déterminé. Les descriptions de chateauxnbsp;et d'armées sont particulièrement détaillées; les chars, lesnbsp;chevaux, le costume, 1’armement, les caractères physiquesnbsp;=-20 ======

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-- .. nbsp;nbsp;nbsp;IxNTRODUCTION

des tribus et des principaux chefs sont brillamment dépeints en de somptueuses et precises enumerations oü chatoient lesnbsp;couleurs vives, les métaux rares et les pierres précieuses.

Les dialogues et les monologues sont d'ordinaire en vers ; ils ne donnent, quand ils sont en prose, que l’essentiel; etnbsp;on a parfois 1’impression qu’ils ne sont que de simplesnbsp;canevas sur lesquels Ie conteur brodait a sa guise. II en estnbsp;de même des récits impersonnels, souvent répétés sous unenbsp;autre forme dans les dialogues, qui différent profoudémentnbsp;selon les manuscrits. II y a même dans les textes les plusnbsp;anciens la trace de deux manières ou de deux écoles. Lanbsp;« Maladie de Cüchulainn », par exemple, offre, dans unnbsp;manusciit du xi® siècle, une combinaison de deux redactions : Tune plus sèche, semée de digressions historiques ounbsp;archéologiques; 1’autre plus développée, plus poétique etnbsp;plus dramatique. Dans 1’ « Histoire du cochon de Macnbsp;Dathö », la rudesse du langage s’allie a un art essentielle-ment dramatique qui salt varier les épisodes et les détails etnbsp;éviter la monotonie inhérente a une série de récits de combats. La « Razzia de Cualnge » et quelques autres sagasnbsp;mettent les narrations les plus importantes dans la bouchenbsp;de messagers ou de personnages de 1’épopée.

Que l'on parcoure Ie cycle mythologique, Ie cycle des Ulatesou Ie cycle des Fénians, Ie goüt du grandiose, de l'in-croyable et de l’excessif se manifeste presque a chaque page.nbsp;Prenons Cüchulainn en train de redresser la maison denbsp;Bricré qu’il avait disloquée pour y faire entrer les femmes :nbsp;« La fureur lui fit faire d'affreuses contorsions ; une gouttenbsp;de sang brilla a la racine de chacun de ses cheveux; il s’en-fonpa les cheveux dans la tête; Ie somniet de son front parutnbsp;chauve et ses boucles noires tombèrent comme si ellesnbsp;avaient été coupées par des ciseaux; son corps s’allongeanbsp;tenement que Ie pied d’un guerrier aurait pu se fourrernbsp;entre chacune de ses cótes. » Avec une femme sous chaquenbsp;bras, il pouvait encore sauter par-dessus trois remparts.nbsp;Ogre dontle büton ferait la charge dehuit hommes et dontnbsp;la cuiller peut contenir un couple; géant aux doigts plusnbsp;gros qu’une main entière, a la figure large de sept pieds;

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L’EPOPEE IKLAKDAISE ---------- --

fautóme aassi liant que Ie ciel et eutre les jambes duquel on pouvait voir foute la mer, tont un monde de Gargantuas etnbsp;d'êtres fantastiques peuple les values paysages de 1'épopée.nbsp;Le taureau de Cualnge convrait par jour cinquante géuisses;nbsp;a l'abri de son corps, cinquante guerriers etaieut protégésnbsp;contre la chaleur et contre le froid; cinquante petits gar90usnbsp;pouvaient jouer sur soa large dos, U fallait quarante bceufsnbsp;pour trainer le cochon de Mac Dathó.

De l’iuvraisemblance de ces détails, les Irlandais n’avaient cure, du moment qu'ils amusaient leur imagination, lis ontnbsp;d'ailleurs souvent montré qu’ils n'en étaient pas dupes etnbsp;leur humour ironique se manifeste en de transparentes parodies. Le cycle d’Ulster est parodie dans 1’ « Exil des fils denbsp;Deel Derroait », ou Cüchulainn apparait comme uh fantochenbsp;qui coupe les têtes a tort et a travers et qui a pour tabou denbsp;ue pas trouver de repos avant de saroir quelle est la causenbsp;de eet exil. Le cycle des Féniaas est ridicuHsé dans lesnbsp;« Aventures du garjon difficile », ou Ton voit Eind et lesnbsp;siens partir a travers le monde a la poursuite d'un ebevalnbsp;apocalyptique. sur lequel sont juchés quinze de leurs compagnons. Les Visions et les Navigations sont, dans la « Visionnbsp;deMac CongUune », devenuesun songedans lequel le héros,nbsp;sur une barque en gras deboeuf, navigue a travers unemernbsp;de bouillon parmi desbois, des rochers et des promontoiresnbsp;de victuailles.

On ne peut affirmer que les détails grandioses ou graudi-loquents des sagas les plus épiques ne soieut, fa et la, te n-pérés par une intention moqueuse. De même, les quelques épisodes grivois qui faisaient dire a 1’helléniste Mahaffynbsp;que la littératureirlandaise était indecente, ont été saus doutenbsp;iutroduits par des conteurs a la verve ingénue pour susdternbsp;le rire énorme de leur auditoire.

Les analyses psychologiques sont inconnues des conteurs. Les héros et les héroïnes ue se mauifestent guère que parnbsp;leurs gestes ou par leurs paroles, et les idéés ou les sentiments qu’ils expriment sont, en général, peu compliqués. Ilsnbsp;ne mauquent pas de relief, mais les contours en sont rigides.nbsp;L’amour, la jalousie, la haiae, l’ambition, toutes les passionsnbsp;------22 ............ -......

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---------INTRODUCTION

humaines qui agitent ces êtres surhumains, ne soattraversées d’aacune faiblesse et n’admettent point de répit. Bien que lanbsp;recherche des femmes (tochmarc) soit Ie sujet d’uue série denbsp;sagas, cette « courtise » consiste surtout en lat!es auxquellesnbsp;se livrent les pretendants, ou en marchandages avec lesnbsp;parents de la future épousée. La jalousie est guérie par Ienbsp;breuvage d'oubli. La haine s’assouvit facilement par les que-relles et les duels. Le recours a la magie et a la forcenbsp;physique rend inutiles la recherche intellectuelle et la discussion des arguments. Les raisonnements sont simples,nbsp;qu'il s'agisse pour un mari de demontrer a sa femme que sanbsp;maitresse a de nombreuses qualites, ou pour un héros qu’ilnbsp;est plus vaillant que tons les autres.

Le trait le plus caractéristique des guerriers est, outre une bravoure sauvage, un vif sentiment de 1’honueur, qui lesnbsp;porte a des actes chevaleresques. Us ne menageiit pas leurnbsp;ennemi, mais tiennent a ce qu’il ne soit pas, vis-a-vis d’eux,nbsp;en état d'infériorité. Us sont toujours fidèles a la parole don-nee. Mais ils sont, comme les primififs, animes de tereurnbsp;par la jalousie ou la haine, et les scènes de cruauté et denbsp;carnage leur communiquent une folie sanguinaire.

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Quelle que fht la simplicite de leurs artifices, peut-être même è cause de cette simplicité, les auteurs des sagasnbsp;irlandaises n'en ont pas moins réussi a tirer d'événementsnbsp;peu varies des récits animés, et, de caractères peu complexes,nbsp;des silhouettes vivantes, D’abord les héros Dêdannan etnbsp;Fomoré: I’ingenieux et subtil Lug, aussi habile et fertile ennbsp;ruses que le prudent Ulysse, le bon géant Dagdé, le poetenbsp;Coirpre; le généreux Nuada et l’avare Bress; Angus, le plusnbsp;charmant des hommes, dont les baisers se changeaient ennbsp;oiseaux. Puis les personnages du cycle d’Ulster ; Conor, lenbsp;roi vert-galant, fastueux, ambitieux et jovial; Cüchulainu,nbsp;1'enfant-prodige, devenu le grand champion des Ulates, nonnbsp;moins bon faiseur de tours et contorsionniste que guerriernbsp;fameux, tantót effroyablemeut tragique, tautót étonnammentnbsp;bouffon; le riche Bricré, dont le plaisir est d’hospitalisernbsp;royalement ses amis et de susciter entre eux de sanglantesnbsp;querelles; Ic noble Fergus, toujours fidèlea la parole donnée:

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L’EPOPEE IKLANDAISE =

Ie juge Sencha, habile k se tirer des causes embarrassantes par d’astucieuses sentences; Conall Ie Victorieus:, qui ne senbsp;couchait jamais sans avoir pour oreiller uue tete de Connagt;nbsp;cien ; la reine Mève, tour a tour bourgeoise calculatrice,nbsp;femme dévergondée et guerrière ardente ; la douce Deirdrë,nbsp;fidéle jusqu’a la mort a son amant; la sorcière Leborcham,nbsp;qui n’hésite pas a tout mettre en oeuvre pour sauver ceusnbsp;qu’elle aime; Emer, la femme de Cüchulainn, qui lutte contrenbsp;la fee qui a ensorcelé sou mari. Le cycle des Féuians offrenbsp;des chasseurs et des magiciens divisés eatre eux par desnbsp;rivalités et des jalousies : le roi des Fénians, Find, grandnbsp;tueur de monstres, defiant et astucieux ; son rival Goll, filsnbsp;de Mórna; le séduisant Diarmaid, pour lequel Grainne aban-donne son vieux mari Find; le poète Ossian.

Le style de la prose est en general caractérisé par la sim-pUcité et la concision. Les récits et les dialogues sont rapides et pleins de mouvement; le manque de transitionnbsp;produit des oppositions frappantes. Peu a pen, toutefois,nbsp;s’introduisirent quelques-uns des procédés de la poésie,nbsp;l'abondance des épithètes et Tallitération. Cette formule,nbsp;réservée d'abord a quelques morceaux de bravoure, futnbsp;étendue, au xiv» siècle, a des pieces entières et ne tardanbsp;pas a engendrer la monotonie et l’ennui, aprés avoir éténbsp;une des expressions les plus exactes de la puissance et dunbsp;nombre.

L’art des Gaëls, différent en cela de l'art homérique, emploie rarement la comparaison. Les comparaisons déve-loppées, bientót devenues des lieux communs que les con-teurs s’empruntaient sans fapon, ne se fapportenf guérenbsp;qu'aux débris humains que laisse la bataille, aussi nombreuxnbsp;que les grains de sable, les étoiles, les grèlons, les épis, lesnbsp;brins d'herbe, oü a 1’aspect qu’offre de loin un cavalier ounbsp;une armée en marche, semblables a des nuées, des flocons denbsp;neige, des étincelles et des vols d’oiseaux. Les épithètes complexes et imagées apportenta la saga irlandaise, commea lanbsp;saga anglo-saxonne (1), 1'élément pittoresqu; que 1’épopée

(i) Voir, dans cette collection, W, Thomas, VÉpopée anglo-saxonne^ p. 36.

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homérique demaadait a la fois a la richesse des adjectifs et a la variété des comparaisoas.

La langue a gardé les priacipales caractéristiques du vieil-irlandais; la conjugaison, toutefois, s’est simplifiée et les verbes composés sont moins nombreux, mais le pronomnbsp;complément s’insère encore entre la particule de composition etle radical, et c’est surtouta son emploi quel’on recon-nait Tarchaïsme d’un texte. Les formes personnelles desnbsp;verbes sont souvent suppléées par le verbe d’cxistence uni anbsp;Tinfinitif précédé de prépositions. La proposition nominalenbsp;est trés employee. Un vocabulaire savant, d’une richessenbsp;inouïe, nuance ingénieusemeut la partie versiliée des plusnbsp;anciennes sagas.

Le ton des parties en prose, en dehors des séries a’lité-rantes, est famiiier. Le conteur emploie, comme nos contes populaires, la redondance : « Alors il dit.. . dit-il », et, pournbsp;entrer enmatière, I'interrogation : « Pourquoi dit-on...? » IInbsp;répète par la bouche d’uu personnage un récit qu'il vient denbsp;faire. Mais il cst rare qu’il se mette en scène. Toutefois lenbsp;copiste de la version de la « Razzia de Cualnge » contenuenbsp;dans le Lfvre de Leinster proteste qu’il n’ajoute pas foi anbsp;certains détails de la légende qu'il vient d’écrire.

Les poèmes, lyriques ou dramatiques, qui parsèment les sagas obéissent 4 des poétiques diverses selon les temps. Lesnbsp;plus anciens sont en vers rythmiques allitérés. A partir dunbsp;VIII* siècle, la métrique devient syllabique, avec rime,nbsp;comme nos vers francais; mais la nme finale est souventnbsp;renforcée par des rimes internes et des allitérations. Enfin,nbsp;sous le nom lalin de reioric, les scribes des sagas désignentnbsp;des sortes de strophes et d’antistrophes lyriques dont lanbsp;composition métrique et le sens sont égalemeut obscurs. Lenbsp;charme musical de la poésie irlandaise et I’impression étran-gement évocatrice des épithètes, que I’artiste ue craiut pasnbsp;d’opposer en im désordre singulier, font songer a nos poètesnbsp;symboUstes. Certaines pièces, comme la Lamentation denbsp;Deirdré, sont parmi les plus belles de la littérature gaélique.

Les vers des sagas sont-ils d'origine plus aucienne que la prose? C’est la un problème difficile 4 résoudre et qui com-—--25 nbsp;nbsp;nbsp;..........—. =

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porte saus doute, comme tous les problèmes de ce genre, diverses solutions. Ou peut remarquer toutefo s que les piecesnbsp;les plus anciennes, ou paraissant telles, sont celles qui offrentnbsp;Ie plus grand nombre de poèmes, au point que la suite denbsp;ces poèmes offre un complet développement du sujet; aunbsp;contaure, les pièces modernes sont eutièrement en prcse,nbsp;comme des cou es populaires. En tout cas, il est difficile denbsp;dater les poèmes des sagas, car les uoms des auteurs ne sontnbsp;point donués, contrairement a ce qui est d’usage pour lesnbsp;poèmes isolés, dont 1'attribution, quelque hypothétiquenbsp;qu’ede soit, est presque toujours indiquée. Le cycle de Find,nbsp;plus populaire que le cycle des Ulates et copié plus souvent,nbsp;s’est de bonne heure sciudé en deux genres, le roman ennbsp;prose et la ballade en vers.

Lorsoue l’on rapproche de l ancienne épopee, barbare et simplement ordonnée, les compositions polies et artistiquesnbsp;de Macpberson, ou ne trouve presque rien qui leur soitnbsp;commun. Le ton concis et rude de la saga en prcse contrastenbsp;étrangement avec le rythme étendu et harmonieux desnbsp;périodes de VOssian, oü l'on pressent le style somptueux denbsp;Chateaubriand. C'est Macpberson qui le premier a évoquénbsp;« le bruit sourd et friste qui précède la tempête », le fautómenbsp;dauslecielet les étoiles qui «jetteutune lumière faiblea travers son corps »; « les zephyrs qui font l’un après l’autrenbsp;plier les hautes herbes sur la colline » ; « les voix grêles desnbsp;spectres, présages de la mort»; « les noires ombres de l’au-tomne qui s'étendent et fuient sur le penchant des vertesnbsp;collines »; « les voiles qui réjouissent la vue comme lesnbsp;nuages de 1’aurore ». C’est Macpberson qui renouvelle lesnbsp;comparaisous classiques : « Tu ressembles a uue mer agitéenbsp;par la tempête »; « la guerre était pour mon fime ce que lenbsp;soleil est pour unevallée verte et profoude» ;« les guerriersnbsp;sont comme des chènes entourés de tons leurs rameauxnbsp;lorsqu’ils sont battus du bruyant grésil et que les ventsnbsp;soufflent dans leurs feuilles desséchées». Mais la suite uniforme de ces périodes majestueuses, de ces interrogations,nbsp;de ces interpellat.ons aux astres, aux vents, aux torrents, auxnbsp;ombres despères qui paraissent dans les nuages, paraitfadenbsp;====== 26 =

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^ INTRODUCTION

a Ia longue et on se prend parfois a regretter que Macpher-son ait affaibli la vigueur agreste de son modele. La botte secrete, ou I’emploi faitpar Cuchulainn d’une arme, le « jave-lot de sac », dont lui seul avait appris le man-ement chez lanbsp;mere de son fils, detail qui ajoute au combat du père et dunbsp;fils un élément diamatique, est remplacée chez Macphersounbsp;par le recours, déja banal, au « poignard de ses pères ».nbsp;Quant a la célèbre comparaison de Deirdré, suggérée par lanbsp;vue d'lm corbeau buvant du sang sur la neige, elle a éténbsp;cmployée deux fois par Macphersou; la première fois ellenbsp;est singulièrement réduite : « la uoirceur de ta chevelurenbsp;égalait celle du corbeau », ditDarthulaa Nathos ; la secondenbsp;fois, elle est appliquée a Darthula mourante : « elle tombenbsp;comme un flocon de neige sur son cher Nathos; sa noire chevelure enveloppe le visage de son amant et leur sang senbsp;méle sur la terre ». Lorsque lelecteur, que hante le souvenirnbsp;du romantisme naissant, se détourne de I’authentique épo-pée irlandaise pour gouter le charme de VOssian, il nenbsp;devrait pas oublier qu’il y a entre ces deux conceptions plusnbsp;de dix siècles de civilisation, de littérature et d’art.

Les influences étrangères.

Les rapports de la littérature irlandaise avec les littéra-tures voisines sont laborieux a étudier. L’épopée irlandaise élait formée avant la date oiz apparaissent l’épopéebretoune,nbsp;l’épopée anglo-saxonne et l’épopée scandiuave. A-t-elle gardénbsp;quelques traits du passé le plus ancien des Celtes?

H. d’Arbois de Jubaiuville a cherchéles rapports quipou-vaient unir les légendes épiques de ITrlande a ce que nous pouvons entrevoir des traditions gauloises. Nous ne connais-sons guère celles-ci que par des noms propres ou des monuments figures. Le célèbre ouvrier Lug, qui savait tons lesnbsp;métiers, peut être la réplique irlandaise du Gaulois Lagus,nbsp;qui donna son nom a. Lugu-dnnum, Lyon, ou des Lugoves,nbsp;divinités des Celtibères. Ogma, champion des Dêdanaun,nbsp;fait songer a Ogmios, dien de I’eloquence chez les Galatesnbsp;d'AsieMineure. Les bas-reliefs de I’autel de Paris, qui repré------------------------27 nbsp;nbsp;nbsp;................ .

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sente sur une face un taureau sur lequel soat perchés trois oiseaux, et, sur uue autre face, un bücherou taillaut uunbsp;arbre, que t'ou Irouve aussi sur un bas-relief de Trèves,nbsp;rappelleut des épisodes de la Razzia de Cualnge : Cüchu-lainn coupant un arbre pour arrêter 1’armée ennemie, Ienbsp;taureau Donn qui fut cause de la razzia, et la Morriganenbsp;qut, sous forme d’oiseau, vient conseiUer au taureau denbsp;prendre la fuite.

La civilisation curieuse que nous fait counaitre l'épopée irlandaise, et en particulier Ie cycle de Conor, prète a d’in-téressantes comparaisons avec les Gaulois, tels que Strabon,nbsp;Diolore et Athénée nous les représentent, ainsi qu’avec lesnbsp;Grecs des poémes homériques. Les trois civilisatious ont ennbsp;comniun Ie char de guerre; la coutume d’offrir la meillenrenbsp;part du festin au guerricr Ie plus brave ; Ie combat singuliernbsp;entre deux armées ennemies, oü deux guerriers illustresnbsp;échangent des discours et des défis. Les Irlandais ct les Gaulois ont, les uns et les autres, 1’usage de couper les têtes desnbsp;ennemis vaincus et de les couserver comme des trophées anbsp;1’intérieur de leur maison. Les noms de barde et de druidenbsp;sont les mêmes chez les deux peuples. L’armement et lesnbsp;vêtements correspondent, chez les uns et les autres, auxnbsp;types de la civiüsation de La Tène. II semble même, si l’éty-mologie du nom des Galidin est exacte, que des Gauloisnbsp;aient servi dans des armées irlandaises.

L'influence irlandaise s'exer^a-t-elle encore en Gaule a l’époque des Mérovingiens et des Carolingiens, dont la litté-rature épique est perdue? II est permis de Ie supposerpournbsp;l’époque oü les écoles irlandaises attiraieut des étudiants denbsp;l’Europe occidentale, et oü les savants irlandais allaientnbsp;enseigner dans les écoles du continent. M. Leahy a remarquénbsp;avec raison que Ie modèle sur lequel s’est créée I'anciennenbsp;poétique fran^aise peut se trouver plus facilemeut en Irlandenbsp;qu'ailleurs et que la forme de l'épopée irlandaise a été cou-servée dans la chante-fable fran9aise d’AucJssin et Nicc-lete.

Quant aux rapports entre les légendes bretonnes et les légendes irlandaises, ils s’établissent non seulement par

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I’ldentite de quelques noms propres, mais aussi par la presence d’episodes analogues dans les romans des deux pays. Les rapprochements de noms sont singuUerement frappants.nbsp;On a dans le cycle mythologique de 1'Irlande Manann4nfilsnbsp;de Lêr, et dans les romans bretons Manawyddan fils denbsp;Llyr. Cirlandais Nuada k la main d’argent et le breton Nuddnbsp;a la main d’argcnt, desquels on pent rapprocher le dieunbsp;Nodons de Grande-Bretagne, sont evidemment apparentes.nbsp;De même, la dée ise bretonne Brigantia peut être comparéenbsp;k Brigit fille de Dagdé, et la déesse Nemetona, parèdre denbsp;Mars, a Nemon^emme deNêt. Comme le Fomore Balor, lenbsp;géant gallois Yspaddaden a les paupières rabattues sur lesnbsp;yejx et il faut les lui lever avec une fourche.

Certa ns épisodes sont communs aux romans gallois et au cycle d’Ulster. Les guerriers irlandais du Mesca Uladnbsp;sont enfermés dans une maison de fer chauffée a a rouge,nbsp;ainsi que le fat le chaudronnier du Mabinogi de Branwen.nbsp;La comparaison fameuse du géant, dont les yeux appa-raissent comme deux lacs de chaque cöté d’une montagne,nbsp;est commune a ITrlandais Mac Cecht et au Gallois Bendigeitnbsp;Vran. Dans le roman gallois de Pérédur et le roman irlandais de Deirdré, on trouve le méme portrait de I’amante auxnbsp;lèvres rouges comme le sang, a la peaA blanche comme lanbsp;neige. Entin, Pérédur, comme le navigateur Mael Duine, anbsp;vu des moutons dont la couleur change selon qu’ils passentnbsp;d’un cóté ou d'un autre. II va, comme Cuchulainn, apprendrenbsp;le métier des armes chez des sordères de Grande-Bretagne.nbsp;La chasse au sanglier Trwyth, dela légende galloise, a plusnbsp;d’une réplique dans la légende ossianique.

Dans quelques cas, on peut supposer une source de traditions communeaax Gaels et aux Bretons; dans d’autres, un empruntdes Bretons aux Gaels. C’e.tle cas pour le Mabinoginbsp;de Kulhwch et Olwcn, oil Conor est appelé Cnychwr, filsnbsp;de Ness; pour les poèmes de Taliesin, oil Cuchulainn etnbsp;Curoi mac Daire portent les noms de Cocholyn et de Corroinbsp;mab Dayry. Le « Festin de Bricré » otfre plus d'un rapportnbsp;avec les Mabinogion. Le roman de Tristan et Iseut rappellenbsp;plusieurs sagas gaéliques ; la « Poursuite de Diarmaid etnbsp;:nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;= 29nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;

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Grainne », 1’« Histoire de Baile au doux laugage » et surtout 1' « Amour de Cano, fils de Gartnèu, pour Cred ». M. J. Lothnbsp;pense qu’U a existé une saga commune a fous les Celtes insu-laires de Grande-Brelagne, d’Irlande, d'Ecosse et des Uesnbsp;adjacentes et que, si elle a pu se modifier au contact desnbsp;Scandinaves, elle était antérieure a la couquête anglo-saxonne.

dviUsatiou décrite dans les romans arthuriens est assez différente de ceUe que présentent les sagas irlandaises. Tou-tefois, les plus anciens Mabinogion gallois, Pwyll prince denbsp;Dyvet, Branwen fille de Llyr, Manawyddan fils de Llyr,nbsp;Math füs de Mathonwy, nous transportent dans un mondenbsp;de féerie et de magie qui ressemble beaucoup a celui de l’e-popée gaélique, pariiculièremeut du cycle des Dêdanann.

Les rapports avec les légendes germaniques n'ont pas encore été assez étudiés pour que nous puissions aboutir anbsp;des résultats précis.

Ou a signalé des ressemblances entre des sagas. Le combat de Hildebrand et Hadubraud est comparable au « Meurtre dunbsp;fils unique d’Aiie » ; mais, comme 1’a remarqué H. d’Arboisnbsp;de Jubainville, il manque au poéme allemand le caractérenbsp;tragi que et fatal qu’imprime a la courte saga irlandaise l’obsti-natiou du fils a respecter jusqu’a la mort le tabou qui, a sanbsp;naissance, lui a été imposé par sou père. Quelques mythesnbsp;irlandais se retrouveut dans la légende de Lohengrin.

II est probable que les Scandinaves, qui occupèreut une partie de 1’Irlande, de la fiu du vin' siècle au commencementnbsp;du XI' siècle, ont eu quelque influence sur le développementnbsp;du cycle des Fénians, car \es fili irlandais étaieut accueillisnbsp;dans les forts scandinaves oü ils avaient sans doute entendunbsp;conter des légendes du Nord, et il est possible que les rapports constatés entre certains contes ossianiques et lesnbsp;variantes scandinaves de l'épopée de Gudruu tiennent a desnbsp;emprunts et nou a une communauté d’origine.

Quant aux rapports de la littérature anglo-saxonne et de la littérature irlandaise, ils sont possibles dès les premiersnbsp;siècles de l’épopée, car la conquète de la Graude-Bretagnenbsp;par les Saxons est antérieure a la rédacüon des audensnbsp;= 30nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;----

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cycles gaeliques, et il y avait aux écoles d’Armagh, au vil® siècle, un quartier anglo-saxon. Mais,si les deux littéra-tures out quelques traits communs, la littératare irlandaisenbsp;ue semble pas devoir grand’chose a la littérature anglo-saxoune qui lui est nettement inférieure.

On s’est demandé si l’Irlande, d’oü la culture dassique s’était, aprés les invasions barbares, répandue sur Ie continent, n’avait pas, k l’époque oü les sagas fureut fixées parnbsp;écrit, emprunté quelques traits aux üttératures grecque etnbsp;latine, 11 n'est pas démontré qu’avant Ie rx® siècle la languenbsp;grecque fut étudiée en Irlande. La littérature et la légendenbsp;grecques ne semblent y avoir pénétré que par rintermédiairenbsp;d’ouvrages en latin comme la Prise de Troie d'aprèsnbsp;Darès de Phrygie, les commentaires de Servins et les fablesnbsp;d’Hygin. Vlliade ne parait pas avoir été directement con-nue et rOdjisseea étésingulièrement défigurée. La bttératurenbsp;latine a été bien mieux connue; il y a des traductions gaeliques, suffisamment exactes, de VEnéide, de la Pharsaleetnbsp;de VHistoire d’Alexandre. Mais ces traductions semblentnbsp;postérieures aux rédactions des sagas nationales et n’ontnbsp;point en d’iufluence sur elles. Les sentences morales et lesnbsp;« Instructions des rois » qui ont été intercalées dans les sagasnbsp;doivent sans doute une partje de leur contenu aux livresnbsp;latins analogues.

Les rapports entre la mythologie grecque et les tradilions irlandaises sont trop généraux pour provenir d’emprunts.nbsp;Lc combat des Dieux et des Géants ne ressemble guère, dansnbsp;Ie détail, a la bataille de IVloytura; les généalogies des Déda-nann ne rappellen! que de loin la cosmogonic et la théogo-nie d’Hésiode.

Le voyage des Argonautes est trés différent de la « Navigation de JVÏael Dnine ». Findabair, du haut de la forteresse de Cruachan, décrit a Mève les guerriers ulates, commenbsp;Hélène, du haut des murailles de Troie, dépeint les hérosnbsp;grecs aux vieiUards troyens, mais c'est la un thème quinbsp;devait être familier k des conteurs soudeux de varier leursnbsp;énumérations. Les quelques noms de la légende grecque quinbsp;ont pénétré dans les sagas irlandaises désignent desétres quinbsp;-nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;-nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;31nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;¦nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;===

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n’out a peu prés rien gardé de leur caractère origiuel ; Ercoil, dans Ie « Festin de Bricré », n’a rien d'Héraclès; desnbsp;Amazones Ie fili irlaudais n'a guère reteuu que 1'étymologie de leur nom. Toutefois, certains épisodes de la « Navigation de Mael Duine ygt; rappelleut VOdysséetet les recueils denbsp;Merveilles, et on a trouvé dans la « Vengeance de Ronan »nbsp;quelques détails vraisemblablement inspirés de Thistoire denbsp;Phèdre et d'Hippolyte (1).

Conclusion.

L’étude de la formation de l’épopée irlandaise est a peine ébauchée et il est ma aisé de décider maintenant si elle estnbsp;possible. II est évident que les textes, les textes en prosenbsp;surtout, en ont été perpétuellement remaniés pour les mettrenbsp;au goüt du jour, et, si l’on arrive a dresser la liste de cesnbsp;rédactions successives, on pourra assez aisément distinguernbsp;les divers courants littéraires d’oü elles sont sorties, maisilnbsp;sera difficile de les classer chronologiquement.

Fixer les dates des rédactions par tel ou tel détail ou allusion historique est décevant, car nul ne peut dire anbsp;quelle date ce détail ou cette allusion ont été introduits dansnbsp;le texle, et ils ne sauraient dater le texte entier, qui peutluinbsp;être, dans 1’ensemble. trés antérieur. A peine peut-on fairenbsp;sur les interpolations chrétiennes le travail d’élimination, ennbsp;comparant plusieurs rédactions ; certaines modifications,nbsp;dues a l’influence chrétienne, se trouvaut dans telle rédac-tiou et faisant défaut dans une autre, il est possible de dis-tinguer un texte d'inspiration chrétienne d’un texte païennbsp;interpolé.

Comme critérium sur, il ne reste que la langue, mais la langue, elle aussi, a été progressivtment modernisée, et ounbsp;peut bien dire d’un texte qui comprend des formes archaïquesnbsp;qu’il a un fond archaïque, mais on ne peut dire d’un textenbsp;entièrement modernisé que le fond n’eu a pas été archijque.

L’age des textes est indépendant de l’age des manuscrits

(i) Voir Rtvue des études greeques, XXV (1922), p. 391-407.

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qui les conservent. La « Bataille de Moytura », qui met en CEUvre des traditions relatives aux plus anciens peuples denbsp;ITrlande longtemps avantl’èrechrétienne, ne nous estparve-nue que dans un manuscrit du xvi® siècle.

La limite inférieure est toutefois plus facile a fixer que la ' limite supérieure. La date d’un manuscrit — on les dates denbsp;chaque manuscrit, car les diverses parties n'en ont pas éténbsp;écrites a la même époque, — peuvent s’établir en ce cas parnbsp;I'orthographe et par la langue, sans trop de causes d’erreurs.

Le plus ancien catalogue des sagas ne mentionne aucun événement postérieur au milieu du vii® siècle, sauf unenbsp;exception. Au vii ’ siècle les écoles d'lrlande brillent de toutnbsp;leur éclat. 11 y en avait de trois sortes : les écoles de lettresnbsp;latines et chrétiennes, les écoles de droit coutumier nationalnbsp;et les écoles des fili. C’est dans ces dernières que, pendantnbsp;douze ans, les fili apprenaient, outre les bistoires épiques,nbsp;l'écriture oghamique, les lois de la versifica'ion qui compre-nait trois cent cinquante espèces de vers, la grammaire etnbsp;le vocabulaire archalque, particulièrement la languesavante,nbsp;inconnue du vulgaire, dont ils faisaient usage entre eux. IInbsp;est done probable que les redactions les plus anciennes desnbsp;sagas irlandaises ne sont guère antérieures a cette époque,nbsp;qui est aussi celle oil furent rédigées les épopées anglo-saxonnes. Mais de quels éléments les avait-on alors for-mées? Nous I’ignorons.

Pour les folkloristes, les sagas irlandaises sont des contes populaires qui présenten! des êtres surnaturels et des événe-ments merveilleux : la naissance retardée, 1'enfant qui parlenbsp;avant d’etre né, la roue ou la pomme qui sert de guide, lanbsp;femme qui redevient vierge, la fée qui gouverne la maison,nbsp;I’en'ant géant, les animaux fautastiques, secourables ou hos-tiles. Pour les historiens et les sodologues, ce sont de pré-cieux documents pour étudier 1'ancienne civilisation de I'lr-lande, anterieurement au chrisfianisme, et dans un pays quinbsp;n’a pas subi I'empreinte romaine. Les littérateurs que nenbsp;rebute pas un art primitif en admirent la puissance drama-tique et les descriptions qui évoquent la splendeur des Millenbsp;et une nuits. Ils y trouvent les plus anciennes épopées denbsp;- - -nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;= 33 -----' nbsp;nbsp;nbsp;--nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;-.

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l'Europe ocddeutale et les modéles d'uue poétique origioale et raffinée. Ils y cherchent l’apport des Celtes a la littératurenbsp;médiéirale, question complexe et passiounaute dont la solution dissiperait sans doute 1’obscurité des « ages sombres ».nbsp;La culture classique, qui avait pénéfré en Irlande avec Ienbsp;christiamsme, y fut favorisée par l’émigration des savantsnbsp;du continent qui, après les invasions des barbares, s’étaicntnbsp;réfugiés dans les Ues de l'Ouest. Que, dès Ie vi® siècle, dunbsp;contact des deux civilisations ait jailli une littérature originate qui aurait fourni a la littérature européenue des themesnbsp;nouveaux, c’est la une hypothese que Ie présent entrevoit etnbsp;que l’avenir sans doute, établira.

Nota. — Les parties en vers sont imprimées en caractères plus petits et les membres des strophes sont séparés parnbsp;des tirets.

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BIBLIOGRAPHIE

Texteg.

Irische Texte mit Ueherseizungen and Wórierbuch, herausgegebea voa Wh. Stokes uad E. Windisch, Leipzig,nbsp;1880-1909.

Silva Gadelica, a collection of tales in Irish, edited from mss. aud translated by Standish H. O’Grady, London,nbsp;1892.

Royal Irish Academy, Todd Lecture Series, Dublin, depuis 1870.

Un grand nombre de textes sont publiés dans des revues : la Revue celtique (depuis 1870), la Zeitschrift fiir celtischenbsp;Philologie (deip-ais 1899), Eria (depuis 1904).

Traductions.

Tous les textes cites ci-dessus, sauf ceux contenus dans le tome Ides Irische Texte, sont accompagnes detraductions,

L’épopee celtique en Irlande, par H. d’Arbois de Jubain-VILLE, avec la collaboration de G. Dottin, L. Duvau, M. Grammont, F. Lot, Paris, 1892.

Sagen aus dem alten Irland, übersetzt von R. Tiiurney-SEN, Berlin, 1901.

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Histolre littéraire.

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Recuells bibllographiqaes.

Essai d’un catalogue de la littérature épiquede VIrlande, par H. d’Arbois de Jubainville, Paris, 1883. Supplementnbsp;dans la Revue celiique, XXXIII (1912), p. 1-40.

National library of Ireland. Bibliography of Irish philology and of printed Irish literature, Dahlin, 1913.

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TRADUCTIONS

LA BATAILLE DE MOYTURA (i)

Les tribus (2) Dêdanann étaient dans les lies septen-trionales du monde, apprenant la science, la magie, le druidisme, la sorcellerie et la sagesse, et les Dêdanannnbsp;devinrent supérieurs aux savants ès arts des Gentils.nbsp;Les quaire villes on ils apprenaient la science et le savoirnbsp;diaboliques étaient Falias et Gorias, Murias et Findias.nbsp;De Falias fut apportée la pierre de Fêl qui était anbsp;Tara (3); elle criait sous chaque roi qui gouvernait I’lr-lande. De Gorias fut apportée la lance qu’avait Lug; onnenbsp;gagnait pas de bataille sur celle ou sur celui qui I’avaitnbsp;en main. De Findias fut apporté le glaive de Nuada ;nbsp;personne ne lui échappait quand il était tiré de son four-reau guerrier et on ne lui résistait pas. De Murias futnbsp;apporté le chaudron de Dagdé ; aucune compagnie nenbsp;s’en allait sans lui être reconnaissant. II y avait quatrenbsp;druides dans ces quatre villes ; Morfesa a Falias, Esrasnbsp;a Gorias, Uiscias a Findias, Semias a Murias. Ce sont les

(1) nbsp;nbsp;nbsp;Texte d’après le Harleian 5280, manuscrit du xv® siècle.nbsp;Traduction anglaise par Whitley Stokes, Revue celtique, XIInbsp;(1891), p. 52-130, 306-338 ; traduction franjaise par H. d’Arboisnbsp;de JuBAiNViLLE, VÉpopée celtique en Irlande, 1892, p. 403-148.nbsp;Moytura est situe prés de Cong, daus le comte de Mayo.

(2) nbsp;nbsp;nbsp;C’est la traduction ordinaire de I’irlandais luaiha', maisnbsp;il y a un autre mot tuaih, « gauche », dontle dérivé inathachnbsp;signifie « sorcier », et c’eit un sens qui s’appliquerait biennbsp;an nom de ce peuple de magiciens.

(3) nbsp;nbsp;nbsp;Prés de Navan, dans le comte de Meath.

^ nbsp;nbsp;nbsp;^nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;¦'nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;— 37 ^__^ nbsp;nbsp;nbsp;_

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L’EPOPEE IRLANDAISE :_ • nbsp;nbsp;nbsp;¦nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;----

quatrechez lesquels les tribus Dêdanann apprirent Science et doctrine.

Puis les tribus Dê firent amitié avec les Fomoré, et Balor, petit-fils de Nêt, donna sa fille Etbné a Clan, filsnbsp;de Diancecht. Ce fut elle qui mit au monde l’eufant denbsp;de la victoire, Lug. Les tribus Dê vinrent avec unenbsp;grande flotie en Ir lande pour la prendre de vive force auxnbsp;Hommes Bolg. Ils brülèrent leurs vaisseaux aussitbtnbsp;après avoir atieint Ie pays de Corcu Belgatan, aujour-d’hui Connemara, pour n’avoir pas la pensee de s’ennbsp;aller, et la f umée et la brume qui vinrent de leurs naviresnbsp;remplirent la contrée etl’airaulour d’eux; c’est pourquoinbsp;on racontaqu'ilsétaientvenus dans des nuages de brume.

La bataille de Moytura fut livrée entre eux et les Hommes Bolg ; les Hommes Bolg furent vaincus et centnbsp;mille'd’entre eux moururent autour d’Eocbaid, fils d’Erc,nbsp;leur roi. C’est dans cette bataille que fut coupéela mainnbsp;de Nuada. Ce fut Sregg fils de Sengandqui la lui coupa,nbsp;et Diancecht Ie médecin lui mit une main d’argent quinbsp;avait la force de n'importe quelle main, avec l’aide denbsp;Credné Ie forgeron. Cependant les tribus Dêdanannnbsp;tombèrent en grand nombre dans cette bataille autournbsp;d’Edteo fils d’Alla, d’Ernmas, de Fiachra et de Turillnbsp;Bicreo. Ceux des Hommes Bolg qui échappèrent s’en-fuirent chez les Fomoré et s’établirent en Arann, ennbsp;Islay, en Man et en Rathlin. Une discussion s’élevanbsp;au sujet de la souveraineté de 1’Irlande entre les tribusnbsp;Dê et leurs femmes, car Nuada n’était plus roi depuisnbsp;qu’il avait la main coupée. On dit qu’U convenait denbsp;remettre la royauté a Bress fils d’Elatha, leur beau-fUs;nbsp;lui donner la royauté nouerait amitié avec les Fomoré,nbsp;car son père, Elatha, fils de Delbaeth, était roi desnbsp;Fomoré.

Voici comment Bress avait été conpu. Une femme de

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chez eux, un jour, regardait la mer et la terre, de la maison de Maeth Sciau ; c’était Eri (1), fille de Delbaeth,nbsp;et elle vit la mer pleine de calme comme eüt été unenbsp;planche tout unie. Comme elle était la, elle vit ensuitenbsp;quelque chose (2) : il apparut un navire d’argent dansnbsp;la mer ; la taille lui en parut grande, mais elle n’en dis-tinguait pas la forme, et Ie courant des flots Ie portanbsp;vers la terre. Alors elle vit qu’il y avait un homme de lanbsp;plus grande beauté. Une chevelure d’or tombait sur sesnbsp;épaules ; un manteau avec des bandes de fil d’or l'enve-loppait ; sa tunique avait des broderies de fil d’or ; surnbsp;sa poitrine était une broche d’or oü brillaient des pierresnbsp;précieuses ; il avait deux javelots argentés avec deuxnbsp;hampes de bronze poli, et cinq colliers d’or autour dunbsp;cou, un glaive a poignée d’or avec cercles d’argent etnbsp;bossettes d’or.

L’homme lui dit ; « Est-ce Ie bon moment pour s’unir a toi ? — Je ne t’ai pas donné rendez-vous, dit lanbsp;femme. —Viens au randez-vous, » dit-il. Alors ils s’éten-dirent. Puis la femme pleura quand l’homme se leva. —nbsp;« Pourquoi pleures-tu ? dit-il.—J’ai deux raisons pournbsp;pleurer, dit la femme ; je me sépare de toi malgrénbsp;notre rencontre. Les beaux fils des tribus Dêdanann m’ontnbsp;désiréa, et mon désir est en toi depuis que tu m’as pos-sédée. — Je vais t’óter tout souci a ces deux propos, »nbsp;dit-il. II tira son anneau d’or de son doigt du milieu, Ie luinbsp;mis dans la main et lui dit de ne point s’en séparer, parnbsp;vente ou par don, sinon pour celui au doigt duquel ilnbsp;irait. — « J’ai un autra chagrin, dit la femme ; je nenbsp;sais qui est venu vers moi. — Tu ne l’ignoreras pas,

(1) nbsp;nbsp;nbsp;Sans doute identique au nom de l’Irlande Eria, acc.nbsp;Erinn.

(2) nbsp;nbsp;nbsp;C’estl’expressiou irlaudaisepour annoncer unprodige.

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L’ÉPOPÉE IRLANDAISE = dit-il. Celui qui est venu vers toi est Elatha, fils denbsp;Delbaeth, roi des Fomoré. De notre union tu auras unnbsp;fils et on ne lui donnera pas d’autre nom que Eochaidnbsp;Bress, c’est-a-dire Eochaid Ie beau, et tout ce que l’onnbsp;voit de beau en Irlande, champ, chateau, bière, chan-delle, femme, homme, cheval, c'est i ce fils qu'on Ienbsp;comparera et l’on en dira ; c’est un bress. » Alorsnbsp;l’homme s’en alia par oü il était venu; la femmenbsp;retourna en sa demeure et telle fut cette conceptionnbsp;illustre.

[h'enfani que Eri met au monde se développe arec une grande rapidité. A sept ans, il avait Vair d'avoirnbsp;quatorze ans, Quand il fat devenu roi d’Irlande, lesnbsp;Fomoré, que Ie conteur identifie aux Scandinaves, frap-pèrent l’Irlande de lourds impóts. Bress, d'aatre part,nbsp;mécontenta les genspar son avarice, et les tribus Dêdanannnbsp;exigèrent qu'il abdiquat. 11 demanda un délai et en profitanbsp;pour aller demander Ie secours des Fomoré. Ceux-ci Ie luinbsp;promirent dès que, grace d l’anneau que lui avait remis sanbsp;mère, il se fut fait reconnaitre par son père Elatha, Lenbsp;conteur coupe ce rédt de trois épisodes oü il présentenbsp;les champions des Dêdanann : le géant Dagdé, le médefinnbsp;Diancecht, Vathlète Ogmé, le poète Coirpré, le multiplenbsp;artisan Lug, qui est a la fois charpentier, homme fort,nbsp;harpiste, guerrier,poète, magicien, médecin, échanson, bron-sier et joueur d’échecs. Nuada charge Lug des préparatifsnbsp;de guerre. Au bout de sept ans, l’armée des Dêdanann estnbsp;prête', elle compte trois fois six mille hommes. Dagdé,nbsp;dans un épisode comique, va dans le camp des Fomorénbsp;qu’il amuse par sa gloutonnerie. Les deux armées senbsp;mettent en ligne.]

Les Fomoré marchèrent jusqu’a ce qu’ils fussent, le dixièmejour, en Scetné. Les hommes d'Irlande étaientnbsp;a la Plaine de la Cachette. Les deux armées engageaientnbsp;= 40nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;-

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Ia lutte. — « Les hommes d’Irlande oseat nous Uvrer bataille ! » dit Bress fils d’Elatha a Indech fils de Dêda-nann, — « Je la livre aussitht, dit Indech, de sorte quenbsp;leurs os rapetisseront s’üs ne paient pas tribut. gt;¦gt;

Les hommes d’Irlande décidèrent, dans un conseil, de ne pas laisser Lug aller au combat, k cause de sanbsp;science. Ses neuf pères nourriciers vinrent Ie garder ;nbsp;c’étaient Tollusdam, Echdam, Era, Rechtaid Ie beau,nbsp;Fosad, Fedlimid, Ibor, Scibar, Minn. Ils craigaaientunenbsp;mort prématurée pour un guerrier si bien doué ; aussinbsp;ne Ie laissèrent-ils pas aller au combat.

Les nobles des tribus Dêdanann s’assemblèrent chez Lug. Celui-ci demanda a son forgeron Goibné quelnbsp;haut fait il pouvait accomplir pour eux. — « Ce n’estnbsp;pas difficile, dit-il. Quand même les hommes d’Irlandenbsp;seraient en guerre pendant sept ans, pour chaquenbsp;javelot qui se détacherait de sa hampe ou chaque glaivenbsp;qui se brisera, je fournirai une arme nouvelle a sa place.nbsp;Aucune pointe faite de ma main, dit-il, ne manquenbsp;son coup. Aucune peau ou elle pénètre ne goüte désor-mais la vie. Dolb, Ie forgeron des Fomoré, n’en fait pasnbsp;autant. Je suis tout pret pour la bataille de Moytura.

— nbsp;nbsp;nbsp;Et toi, 6 Diancecht, dit Lug, quel haut faitnbsp;pouvez-vous accomplir en vérité ? — Ce n’est pasnbsp;difficile, dit-il; quiconque aura été blessé, a moinsnbsp;qu’on ne lui ait coupé la tête, tranché la membrane dunbsp;cerveau ou la moelle, je Ie rendrai sain et sauf a lanbsp;bataille Ie lendemain.

— nbsp;nbsp;nbsp;Et toi, 6 Credné, dit Lug a son bronzier, quelnbsp;sera ton haut fait dans la bataille ? — Ce n’est pasnbsp;difficile, dit Credné; rivets de javelots, poignées denbsp;glaives, bossettes de boucUers, et bordures, je les leurnbsp;fournirai tous.

— nbsp;nbsp;nbsp;Et toi, ö Luchté, dit Lug a son charpentier,

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quel sera ton haut fait dans la bataille? — Ce n’est pas difficile, dit Luchté ; tons les boucliers et lesnbsp;bois de lance qu'il faudra, je les leur fournirai tons.

— nbsp;nbsp;nbsp;Et toi, 6 Ogmé, dit Lug a son homme fort, quelnbsp;sera ton haut fait dans la bataille ? — Ce n’est pas difficile, dit-il: reponsser Ie roi et reponsser trois neu-vaines de ses amis et gagner Ie tiers de la bataille, avecnbsp;les hommes d’Irlande.

— nbsp;nbsp;nbsp;Et toi, 6 Morrigane, dit Lng, quel haut fait ?

— nbsp;nbsp;nbsp;Ce n’est pas difficile, dit-elle ; ce que je poursuivrai,nbsp;je ratteindrai, ce que je frapperai aura été frappé, cenbsp;que je couperai sera hé,

— nbsp;nbsp;nbsp;Et vous, 6 sorciers, dit Lug, quel haut fait ? —nbsp;Ce n’est pas difficile, dirent les sorciers; la plante denbsp;leurs pieds blanchira quand ils auront été terrassés parnbsp;notre art, jusqu’ace que leurs champions meurent privésnbsp;des deux tiers de leur force par une rétention d’urine.

— nbsp;nbsp;nbsp;Et vous, 6 échansons, dit Lug, quel hautnbsp;fait ? — Ce n’est pas difficile, nous leur donneronsnbsp;une grande soif et ils ne trouverontpas de boisson pournbsp;l’étancher,

— nbsp;nbsp;nbsp;Et vous, 6 druides, dit Lug, quel haut fait ?

— nbsp;nbsp;nbsp;Ce n’est pas difficile, dirent les druides; nousnbsp;amèuerons des pluies de feu sur les faces des Fomoré,nbsp;en sorte qu’ils ne pourront plus regarder en haut etnbsp;qu’ils succomberont sous la force des guerriers qui senbsp;battront avec eux.

— nbsp;nbsp;nbsp;Et toi, ö Coirpré fils d’Étan, dit Lug k sou poète,nbsp;quel sera ton haut fait dans la bataille? — Ce n’estnbsp;pas difficile, dit Coirpré ; je ferai contre eux Ie glamnbsp;dtcinn (l),et je les satiriserai et les déshonorerai en sorte

(1) Void comment se prafiquait ce charme {Revue eel-tique, XII, p 120): Après uu jeune, sept poètes se rcndaient

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qu’ils ne résisteront pas a nos guerriers, par la magie de mon art.

— nbsp;nbsp;nbsp;Et vous, 6 Bechallé et Dianann, dit Lug k sesnbsp;deux sorcières, de qiiel haut fait êtes-vous capables dansnbsp;la bataille ? — Ce n’est pas difficile, dirent-eUes;nbsp;nous ensorcelleronsles arbres, les pierres et les mottesnbsp;de terre, qui leur apparaitront comme une troupe ennbsp;armes et les mettront en déroute, pleins d’horreur etnbsp;d’angoisse.

— nbsp;nbsp;nbsp;Et toi, 6 Dagdé, dit Lug, quel haut fait pour-ras-tu accomplir contre l’armée des Fomoré dans lanbsp;bataille ? — Ce n’est pas -difficile, dit-il ; je menbsp;mettrai du c6té des hommes d’Irlande tant pour frappernbsp;et détruire que pour ensorceler. Aussi nombreux quenbsp;les grêlons sous les pieds des chevaux (1) serontnbsp;leurs os sous ma massue la oü vous vous rencontrereznbsp;avec les eunemis, en mouvement sur la plaine denbsp;Moytura. »

Ainsi Lug s’entretint tour a tour avec chacun d’eux au sujet de leurs talents ; il réconforta et haranguanbsp;l’armée en sorte que chaque homme eut de cettenbsp;manière la mentaüté d’un roi on d’un prince.

Tons les jours, la bataille s’engageait entre des clans de Fomoré et des tribus Dêdanann; il n’y avait pointnbsp;de roi ni de prince a y prendre- part, mats settlement des gens ardents et téméraires. Les Fomorénbsp;s’étonnaient de ce qui leur arrivait dans Ia bataille.nbsp;Leurs armes, c’est-a-dire leurs javelots et leurs glaives,nbsp;se détérioraient et ceux de leiars gens qui étaient tués

sur Ie sommet d’une colliue, tournes vers Ia terre du roi contre lequel ils prouon^aient une imprecation; chacunnbsp;avait une épine de ronce a la main et une pierre de fronde.nbsp;S’ils avaient tort, la terre de la colliue les engloutissait,

(1) Voir ci-après, p. 50, la même comparaison.

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ne revenaient pas Ie lendemain. II n'en allait pas de mêmedes tribus Dê, carsileurs armes étaientdstérioréesnbsp;aujourd’hui, elles étaient refaites Ie lendemain, pareenbsp;que Ie forgeron Goibné était dans la forge a fabriquernbsp;des épées, des javelots et des javelines; il faisait cesnbsp;armes en trois coups. Le charpentier Luchtainé fabri-quait les bampes en trois coups ; le troisième coup lesnbsp;polissait et les faisait entrer dans la douille du javelot;nbsp;quand les armes étaient posées a c6té de la forge, ilnbsp;lancait les anneaux sur les hampes; il n’était pasnbsp;nécessaire de les ajuster de nouveau. Alors Credné lenbsp;bronzier fabriquait les clous en trois coups et il jetait lesnbsp;anneaux dessus et il n’était pas nécessaire de les ajuster,nbsp;et ils tenaient ainsi. Voici maintenant comment onnbsp;redonnait la chaleur aux guerriers qui étaient tués, ennbsp;sorte qu’ils étaient pieins de vie le lendemain ;nbsp;Diancecht, ses dïux fils et sa fille, Ochtriuil, Airmednbsp;et Miach chantaient un charme sur la fontaine appeléenbsp;Santé. Ils y jetaient les hommes mortellement blessesnbsp;qu’ils soiguaient, et c’était vivants qu’ils en sortaient.nbsp;Les blessés guérissaient par la vertu du chant des quatrenbsp;médecins qui étaient autour de la fontaine.

Ce fut SU des Fomoré et ils dirent a l’un d’eux d’aller voir les bataillons et les armements des tribus Dê; ce futnbsp;Ruadan, fils de Bress et de Brig fille de Dagdé; il étaitnbsp;done fils et petit-fils de Tuath(l) Dê. II revint rapporternbsp;aux Fomoré ce que faisaient leforgeron, le charpentier,nbsp;le bronzier et les quatre médecins qui étaient autour denbsp;la source. On l’envoya de nouveau pour tuer l’un desnbsp;artistes, Goibné. II demanda a celui-ci un javelot, aunbsp;bronzier des clous, au charpentier une hampe. On lui

(1) Cf. le Gallois Morgan Tut, « Morgan le Magicien », et voir la note 2 de la page 27.

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donna ce qu’il disait. II y avait une femme qui aiguisait fes armes, c’était Cron, mère de Fiaulug, et ce fut elle quinbsp;aiguisa Ie javelot de Ruadan. Le javelot fut donné anbsp;Ruadan parun chef, aussi donne-t-on eacore enirlandenbsp;le nom de javelot de chef aux ensoup!es. (Juand il eutnbsp;requ le javelot, Ruadan se retourna et blessa Goibné,nbsp;Celui-ci arracha le javelot et le jeta sur Ruadan qui futnbsp;pcrcé de part en part et mourut, en presence de son père,nbsp;dans l’assemblée desFomoré. Brig vint pleurer son fils.nbsp;Elle cria d’abord et se lamenta ensuite; ce fut la premièrenbsp;fois que 1’on entendit en Irlande des pleurs et desnbsp;cris (1),..

Goibné alia a la fontaine et fut guéri. II y avait chez les Fomoré un jeune guerrier, Octriallach fils d’Indech,nbsp;fils de Dêdomnann, fils du roi des Fomoré. Celui-ci ditnbsp;aux Fomoré de prendre chacun une pierre de la rivièrenbsp;Drowes et de la mettre sur la fontaine Santé dans lenbsp;champ d’Abla, a l’ouest de Moytura et au nord du lacnbsp;Arboch. Ils y allérent et chacun mit une pierre sur la fontaine. On appelle ce tas de pierres Tertre d'Octriallach.nbsp;La fontaine porte un autre nom, Lac des herbes, pareenbsp;que Dian^echt y avait mis un brin de chaque herbe qu’ilnbsp;y a en Irlande (2).

Quand vint done le rassemblement pour la grande balaiile, les Fomoré sortirent hors de leur camp et for-mèrent des bataillons solides et indestructibles. II n’y eutnbsp;parmi eux chef ni bon soldat sans haubert sur la peau,nbsp;sans casque sur la tête, saus lance d’armée dans la mainnbsp;droite, sans glaive bien aiguisé a la ceinture, sansbouclier

(1) nbsp;nbsp;nbsp;II y a en Irlande et en Galles toufe une littérature desnbsp;premières choses ou des premiers êtres.

(2) nbsp;nbsp;nbsp;Dans la « Razzia de Cualngé », les tribus Dè Danannnbsp;mCttent dans les cours d’eau d’Irlande les herbes propres anbsp;guérir les multiples blessures de Cnchulaiuu.

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solide sur 1’épaulc. C’était frapper la têle contre un rocher, mettre la main dans un nid de serpents, ou la figure dansnbsp;Ie feu que d’attaquer l’armée des Fomoré ce jour-la.

Voici les rois et les princes qui étaient la force de l’armée des Fomoré ; Balor fils de Dot fils de Nét, Bressnbsp;fils d’Elatba, Tuiré Tortbuillech fils de Lobos, Goll etnbsp;Irgoll, Loscennlom fiis de Lomgluinech, Indecb fils denbsp;Dêdomnann, roi des Fomoré, Octriallach. fils d’Indech,nbsp;Omna et Bagna, Elatha fils de Delbaeth.

Les tribus Dêdanann se levèrent de leur c6té ; ils lais-sèrent leurs neuf camarades agarder Lug et ils allèrent livrer bataUle. Quand Ie combat fut engagé, Lugnbsp;échappa a sa garde, monta sur son cbar et se rendit surnbsp;Ie front des tribus Dê, Aiors eut lieu une rencontre violente et rude entre les clans des Fomoré et les hommesnbsp;d'Irlande. Lug encourageait les hommes d’irlande: « qu’üsnbsp;menasseat fortement la bataille pour ne pas rester ennbsp;esclavage plus longtemps, car il vaudrait m eux pour euxnbsp;trouver la mort en défendant leur patrie que d’etre ennbsp;esclavage et de payer tribut comme ils Ie faisaient ».nbsp;Et Lug chanta ce pcème :

II se lèvera une bataille, etc.

Les armées jetèrent une grande clameur en allant au combat; elles se rencontrèrent, et chacun se mit a frappernbsp;l’autre. Beaucoup de beaux hommes tombèrent la dansnbsp;l’étable de la mort. It y eut un grand carnage et desnbsp;pierres tombales. L’honneur et la honte farent la cóte anbsp;c6te; il y eut colère et férocité; d’abondants flots de sangnbsp;coulaient sur la peau blanche des tendres guerriers quinbsp;en venaient aux mains avec des forts, s’exposant aunbsp;danger par émulation. II y eut un grand fracas et tohu-bohu des héros et des braves défendant leurs javelots,nbsp;leurs boucliers et leurs corps, pendant que les autresnbsp;-46

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les frappaient a coups de javelots et de glaives. Rude était Ie tonnerre qui grondait Ie long de la bataille ; crinbsp;des guerriers, fracas des boucUers, éclat et sifflement desnbsp;glaives et des épées a dents ; la musique et Ie cliquetisnbsp;aigu des carquois, Ie mugissement du vol des dards etnbsp;desjavelines, Iecraquement des armes (1). Peu s’enfallaitnbsp;que lesbouts des doigts etles jambes ne se rencontrassentnbsp;dans Ic choc, en sorte qu’ils tombaient de leur hautnbsp;tant Ie sol était glissant sous les pieds des soldats k causenbsp;du sang répandu, et qu'ils s’entre-choquaient les têtesnbsp;ens’asseyant. Ils’éleva un combat dur, cffrayant, lamentable, sanglant, et la rivière d’Unnsenn charriait lesnbsp;cadavres des enaemis.

Ce fut alors que Nuada a la main d’argent et Macha fille d’Ernmas tombèrent sous les coups de Balor petit-filsnbsp;de Nét. Cassmael tomba sous les coups d Octriallach filsnbsp;d’Indech. II y eut une rencontre entre Lug et Balor anbsp;l’oeil pergant. Celui-ci avait un ceil pernicieux; eet oeilnbsp;ne s’ouvrait que dans Ie combat. Quatre hommes sou-levaient la paupière avecun croc bien poliqu’ils passaientnbsp;dans la paupière (2). L’armée qui regardait eet oeil ne pou-vait résister, fü.t-el!e de plasieurs milliers d’hommes.nbsp;Voici d’oü venait son poison : les druides de son père fai-saient cuire des charmes; Balor survint et regarda parnbsp;la fenêtre, en sorte que la fumée de la préparation l'attei-gnit et que Ie poison de la préparation alia dans sonnbsp;oeil. Lug et lui se rencontrèrent.

[ Suit un dialogue ininielligible.\

(1) nbsp;nbsp;nbsp;Cette description est un lieu commun de 1’épopéenbsp;irlandaise. Voir par exemple la « Prise de Troie » 950 etnbsp;suiv., 1365 et suiv.

(2) nbsp;nbsp;nbsp;De même, dans Ie roman gallois de Kulwch et Olwen, ilnbsp;faut deux fourches pour soulever les sourcils d'Yspaddadeunbsp;Penkavrr.

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« Lève-moi la paupière, gar^on, dit Balor, queje voie Ie bavard qui me parle, »

On léve la paupière de l’oeil de Balor. Alors Lug lui lan(;a une pierre de fronde qui lui fit sortir l’oeil a traversnbsp;latête. Sonarméemêmeregardait ;rceiltomba surTarméenbsp;des Fomoré et trois neuvaines tombèrent a c6té; leursnbsp;crénes heurtèrent la poitrine d'Indech fils de Dêda-nann, et un flot de sang jaillit sur ses lèvres. — « Qu’onnbsp;m’appelle, dit Indech, Loch Ie demi-vert, mon poète »nbsp;(il était a demi vert, depuis Ie sol jusqu’au sommetnbsp;de la tête). Celui-ci arriva : « Trouve-moi, dit Indech,nbsp;celui qui m’a envoyé ce coup-la. »

[Indech, Loch et Lug s’entreiiennenf en une langue incomprehensible.]

Alors la Morrigane fille d’Ernmas vint les exciter et se mit a encourager les tribus Dê, pour qu’i's combattissentnbsp;avec force et ardeur : Et elle chanta ce lai;

Les rois se lèveut pour Ie combat, etc.

La bataille se changea alors en déroute et les Fomoré sereplièrentjusqu’a la mer. Ogmé füs d’Elatha, l’hommenbsp;fort, et Indech fils de Dêdanann, roi des Fomoré, tom-bèrenteusemble. Loch Ie demi-vert demandemerciaLug.nbsp;— « Accorde-moi mes trois souhaits ! dit Lug. — Soit,nbsp;dit Loch. J’écarterai d’Irlande a jamais les ravages desnbsp;Fomoré, et ce que j’ai de langue guérira, jusqu’a la fin dunbsp;monde, toute indisposition. »

Ainsi Loch fut épargné. Alors il chanta aux Gaels l’ordre de s’arrêter :

Que fassent halte les chars, etc.

Loch dit que, pour sa ran^on, il dénommerait les

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neufs chars de Lug. Lug lui dit de les dénommer. Loch répondit et dit: Luachta, Anagat, etc.

« Une question : quels sent maintenant les noms des cochers? —Medol, Medon, Moth, etc.

_Quels sont les noms des baguettes qu’ils avaient

a la main ? — Ce n’est pas difficile : Fes, Res, Roches etc.

Quels sontlesnoms deschevaux? —Can, Doriadha, etc.

— Une question : quel est Ie nombre des tués ? dit Lug a Loch. — Je ne sais pas Ie nombre des plébéiensnbsp;et du vulgaire. Si c’est Ie nombre des seigneurs, des noblesnbsp;champions, des fils de rois et des grands-rois desFomoré,nbsp;je Ie sais ; cinq mille soixante-trois, deux mille centnbsp;cinquante, quatre-vingt mille quarante-cinq, centnbsp;soixante-huit, quatre-vingt-sept, quatre-vingt-six, centnbsp;soixante-cinq, quarante-deux; autour dupetit-filsdeNet,nbsp;quatre-vjngt-dix. Voila Ie nombre des grands-rois et desnbsp;seigneurs fomoré qui tombèrent tués dans la bataille.nbsp;Si c’est Ie nombre des plébéiens, des roturiers, de lanbsp;racaille et des gens de tout métier en outre qui accom-pagnaient la grande armee (car tout champion, toutnbsp;prince et tout grand-roi des Fomoré est venu a la bataillenbsp;avecson peuple et tous, libres et esclaves, ont succombé),nbsp;je ne compte que quelques-uns des esclaves des grands-rois. Voidle nombre que j’ai relevé de ceux que j’ai vus:nbsp;sept cent vingt-sept, ciaquante-sept, deux cent cinquantenbsp;dei.x cent vingt, quarante autour de Sab a-la-têle-d'agneau fils de Coirpé Cole, fils d'une esclave d’Indechnbsp;fils de Dêdanann (fils d un esclave du roi des Fomoré).nbsp;Si c’est ceux qui tombèrent en outre, demi-hommes etnbsp;troupe roturière, tous ceux qui n’ont pas atteint le cceurnbsp;de la bataille, d'ici qu’on ne compte les étoiles du ciel, lenbsp;sable de la mer, les grains de neige, la rosée sur lanbsp;prairie, les grêlons, 1’herbe sous les pieds des che-

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L’ÉPOPÉE IRLANDAISE nbsp;nbsp;nbsp;¦==

vaiox (1), et les chevaux dufils de Lêr (2) dans une tem-péte, on ne ponrra les compter.

Ensuite on trouva Bress fils d’Elatha en danger. II dit « Mienx vaut m’épargner, dit-il, que me tuer .» —nbsp;Qn’est-ce qni en résultera ? dit Lng. — Les vachesnbsp;d’lrlande anront tonjours du lait, dit Bress, si vousnbsp;m’épargnez. — Je demanderai k nos sages, » répliquanbsp;Lug. Alors Lng alia trouver Maellné au-grand-jugementnbsp;et lui dit: « Epargnera-t-on Bress pour que les vachesnbsp;d’lrlande aient toajojrs du lait ? — Non, dit Maeltné,nbsp;il ne peut rien sur leur vie ni leur production, s’il peutnbsp;leur assurer du lait taut qu’elles vivront. » Lug dit knbsp;Bress : « Ce n'est pas cela qui te sauvera; tu ne peuxnbsp;rien sur leur vie ni sur leur production, biea que tunbsp;puisses assurer du lait. » Bress dit: Forbotha madanbsp;roicht JHailtne. « Y a-t-il autre chose k te sauver, 6

Bress ? dit Lug. _Oui, certes; dis k vos juges que vous

aurez une moisson par saison, pour m’épargner. » — Lug dit k Maeltné : « Epargnera-t-on Bress, s’il assure auxnbsp;hommes d’lrlande une moisson de blé chaque saison? —nbsp;Voici ce qui nous convient, dit Maeltne : Ie printempsnbsp;pour labourer et pour semer ; Ie commencement de i’éténbsp;pour achever et fortifier Ie blé. Ie commencement denbsp;l’automne pour finir de Ie mhrir et pour Ie couper, l’hivernbsp;pour Ie manger. » — « Cela ne te sauve pas, dit Lugnbsp;k Bress. — Forhotha raada roicht mailtne, dit-il. —nbsp;Moins que cela te sauvera, dit Lug. — « Quoi ? ditnbsp;Bress. — Comment laboureront, comment sèmeront,nbsp;comment moissonneront les hommes d’lrlande ? C’estnbsp;aprèsqu’on saura ces trois choses qu’on t’épargnsra,

(1) nbsp;nbsp;nbsp;Voir la même comparaison c’.-dessus, p. 43, et ci-après, p. 152.

(2) nbsp;nbsp;nbsp;Manaunan, génie de la mer.

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— nbsp;nbsp;nbsp;Dis-leur qu’ils labourent Ie mardi, qu’ils mettent lanbsp;semencedans Ie champ Ie mardi, qu'ils moissonaent Ienbsp;mardi. » Bress fut relÉiché par sude de celte ruse.

Ce fut a ce te bataille que Ogmé, l’homme fort, tronva Orné, Ie glaiva de Téthra, roi des Fomoré. Ogmé Ienbsp;dégaina et Ie nettoya. Alors Ie glaive raconta ce qu’ilnbsp;avait fait (car les glaives eu ce temps-la avaient cou-tume, unefois dégaiués, de faire conuaitre les exploitsnbsp;qui avaient été accomplis par eux ; aussi les glaivesnbsp;ont-ils droit au tribut de nettoyage après qu’ils out élénbsp;dégaiués, et c'est pour cela qu’il y a des charmes dansnbsp;les épées depuis lors; c’est pourquoi aussi les démonsnbsp;parlaieutparles armes en ce temps-ik; les armes étaientnbsp;alors adorées par les hommes et les armes servaient denbsp;sauvegarde a cette époque). Cest a propos de glaivenbsp;que Loch Ie demi-vert a chanté Ie lai Admell maornanbsp;ttath, etc.

Puis Lug, Dagdé et Ogmé poursuivirent les Fomoré; car lis avaient emmené avec eux Ie harpiste de Dagdé,nbsp;qui s’appelait Uaitné. Ils arrivèrent a la salie de banquetnbsp;oü étaient Bress fils d'Elatha et Elatha fils de Delbaeth.nbsp;La était la harpe sur la muraille. C’est la harpe surnbsp;laquelle Dagdé avait fixé les mélodies, de sorte qu’ellesnbsp;ne se faisaient entendre que par son ordre. Dagdél’appelanbsp;et dit:

Viens, Table-de-chêne ; — Viens Air-aux quatre-coins.

— nbsp;nbsp;nbsp;Viens, été; viens, hiver; — bouches de harpes, de musettesnbsp;et de tuyaux!

(Cette harpe avait deux noms : Table de chêne et Air-aux-quatre -coins,)

Alors, la harpe se détacha de la muraille, tua neuf hommes et vint a Dagdé. Et celui-d leur joua les troisnbsp;airs par lesquelssedistingueunharpiste: Pair dusommell,

¦ nbsp;nbsp;nbsp;— 51nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;

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L’EPOFEE IRLANDAISE l'air du rire, l’air de la plainte, II leur joua l’air de lanbsp;plamteetleursfemmeslarmoyantespleurèrent. Illeur jouanbsp;l’air du rire et leurs femmes et leurs fils se mirent a rire.nbsp;Il leur joua l’air du sommeil et l’armée s’endormit. Ainsi,nbsp;tous les trois 's’échappèrent sains et saufs, bien que lesnbsp;Fomoré voulussent les tuer.

Dagdé emmena avec lui les bestiaux, grace au mugisse-ment de la génisse qu’on lui avait donnée pour son travail (1); car, quand elle appela son veau, tout le bétail d’lrlandeque les F omoré avaient exigé comme tribut se mitnbsp;a paitre.

Après la deroute et le nettoyage du champ de carnage, Morrigane fille d’Ernmas parlit annoncer cette bataille etnbsp;la grande victoire qui était survenue aux royales coUinesnbsp;d’lrlande, aux troupes de fees, aux grandes eaux et auxnbsp;embouchures. C’es tdepuis lors que la Corneille (2) a raconténbsp;les hauls fails. — « Tu n’as pas d’histoire ? » lui disaitnbsp;chacun. [Et elle chantait :]

Paix au ciel, — ciel a terre, —monde sous ciel, — force a chacan, etc.

Puis elle prophetisa la fin du monde et elle prédit tous les maux qu’ily aurait, toutes les épidémies et touteslesnbsp;vengeances, et elle chanta ce lai;

Je ne verrai pas un monde qui me plaira: — été sans fleurs, — befail saus lait, — femmes sans pudeur, — hommes

(1) nbsp;nbsp;nbsp;Dagdé avait pour'tache, sous la tyrannic des Fomoré, denbsp;construire des forts, et c’était sur le conseil de Mag Og, qu’ilnbsp;avait demandé pour salaire, parmi les bestianx d’lrlande,nbsp;une génisse a criuière noire que Ton appelait Aicenn (Océan).

(2) nbsp;nbsp;nbsp;En irlaudais, Bodb. Elle est souvent identifiée a la Morrigane et a Macha.

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nbsp;nbsp;nbsp;.......... L’EPOPEE I8LANDA1SE

sans courage, — captures sans roi..., — arbres sans fruits,

— nbsp;nbsp;nbsp;mer sans produit.

Vieillards aux jugements faux, — fausses maximes des juges ; — traitre tout bomme, — voleur tout fils; — le fils iranbsp;dans le lit de son pére; — le pere ira dans le lit de son fils; —nbsp;chacun sera le beau frère de son frère... — temps mauvais !

— nbsp;nbsp;nbsp;le fils trompera son pere ; — la fille trompera sa mère.

L’EXPÉDITION DE LOÉGAIRÉ,

FILS DE CRIMTHANN (i)

Les Connaciens étaient une fois assembles au lac des Oiseaux dans la plaine d’Ae. C’était Crimthann Cas quinbsp;était roi de Connaught en ce temps-la. Ils restèrent assem-blés la nuit; le lendemain, de bon matin, ils se levèrentnbsp;et ils virent un homme venir vers eux a travers la brume:nbsp;il portalt un manteau de pourpre a cinq plis; il avait a lanbsp;main deux javelots a cinq pointes ; unbouclierabosse d’ornbsp;le couvrait; un glaive a poignée d’or était a sa ceinture etnbsp;une chevelure jaune d’or flottait derrière lui.

« Saluez celui qui vient a nous, » dit Loégairé Libèn, fils de Crimthann, le plus beau fils qui füt en Connaught.nbsp;« Bienvenue au guerrier qüe nous ne connaissons pas!

— nbsp;nbsp;nbsp;Je vons remercie, dit-il. — Pourquoi es-tu venu? ditnbsp;Loégairé, — Pour demander du renfort, dit-il. — D’oünbsp;es-tu? dit Loégairé — Je suis des gens de Féerie, dit-il,nbsp;Fiachna fils de Rété est mon nom ; ma femme m’a éténbsp;enlevée par Eochaid fils de S^l. IL est tombé sous mesnbsp;coups sur le champ de bataille; elle est partie chez unnbsp;fils de son frère, Goll fils de Dolb, roi de la forteresse denbsp;la Plaine agréable (2). Je lui ai Uvré sept bataiUes; toutes

(1) nbsp;nbsp;nbsp;D’après un mauuscrit du xv® siècle. Traduction anglaisenbsp;par St. H. O’ Grady, Silva Gadelica, 1S92, II, p. 29C-291.

(2) nbsp;nbsp;nbsp;Mag Mell C'est un des noms de la Terre des fees.

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L’EPOPEE IRLANDAISE ...........

ont tourné coutre moi. Une bataille est livrée par nous aujourd’hui et c’est pour demander aide que je suis venu.nbsp;Je donnerai une hampe d’argent et une hampe d’or a toutnbsp;homme qui voudra bien venir avec moi. » La-dessus ilnbsp;s’en retourna.

« C’est une bonte pour vous, dit Loégairé, de ne pas secourir eet homme-la ». II entraine cinquante guerriersnbsp;a sa suite; il plonge devant eux sous Ie lac; ils plongentnbsp;après lui. Ils virent en face une forteresse, et unenbsp;bataille vis-a-vis. Fiachna fils de Rété k leur tête alia a lanbsp;forteresse et ils virent les deux armées combattantes.

— nbsp;nbsp;nbsp;« C’est bien, ditLoégairé, je vais marcher au chef denbsp;cinquante guerriers la-bas. — Je marcherai contre toi, »nbsp;dit Goll fi s de Do’b. Les deux cinquantaines se batti-rent; Loégairé en sortit vivant ainsi que ses cinquantenbsp;hommes, après que Goll fut tombé et ses cinquante hommesnbsp;autour de lui. Puis tout rompt devant eux et ils font unnbsp;ample carnage.

« Oü est la femme? dit Loégairé. — Elle est dans Ia forteresse de la Plaine.agréable, dit Fiachna, avec unenbsp;armée autour d’elle. — Restez ici, que j’y aille avec mesnbsp;cinquante,» dit Loégairé. Alors Loégairé se rendit a lanbsp;forteresse de la Plaine agréable. On se mit a la prendre.

— nbsp;nbsp;nbsp;« II n’y aurait pas grand profit (1), dit Loégairé;nbsp;votre roi est tombé et vos geutilshommes sont tombés ;nbsp;faites soitir la femme et en échange on vous donneranbsp;la vie. » Ainsi fut fait. En sortant, elle dit la Lamentation de la filled’Eo.haid lemuet. Loégairé partit alorsnbsp;et mit sa main dans la main deFiachna. Cette nuit-la, Dernbsp;Greine fille de Fiachna fut a Loégairé, et cinquantenbsp;femmes furent données aux cinquante guerriers et restè-rent avec eux jusqu’a ia fin de l’année. — « AUons cher-

(1) Sous-entendu : pour vous a résisier,

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- nbsp;nbsp;nbsp;L’EPOPÈE IBLANDAISE

cher des nouvelles de notre pays, dit Loégairé. — Si vous voulez revenir, dit Fiachna, prenez des chevauxnbsp;avec vous et n'en descendez pas (1). »

Ainsi fut fait. Ils arrivèrent a l’assemblée. Les Coana-ciens étaient en train de se lamenter sur les gens susdits, au bout de l'année, quand ils les aperfurent au-dessusnbsp;d’eux. Les Connaciens s’élancèrent pour les saluer. —nbsp;« N’approchez pas, dit Loégairé, c’est pour vous direnbsp;adieu que nous sommes yenus. — Ne me quitte pas,nbsp;dit Crimthann; Ie royaume de Connacht est a toi, son or,nbsp;son argent, ses chevaux et leurs brides, ses bellesnbsp;femmes a ta discrétion, pour que tu ne me quittes pas ! »

Mais il sedétourna d’eux pour rentrer dans le sidh, on il partage la royauté avec Fiachna fils de Rété, ayaat lanbsp;fille da Fiachna a ses cötés, et il n’en est pas sorti encore.

LA NAVIGATION DE BRAN FILS DE FEBAL (2)

Cinquante quatrains chanta la femme des pays incon-nus, au milieu de la maison, a Bran fils de Febal, quand le palais était plein de rois qui ne savaient d’oü étaitnbsp;venue la femme, puisque I’enceinte était fermée.

Void le commancement de I’histoire. Un jour, dans le voisinage de la forteresse. Bran se promenait seul quandnbsp;ilentendit de la musique derrière lui. Quand il regardaitnbsp;derrière lui, c’était derrière lui encore qu’était la musique.nbsp;II tomba endormi, tant la musique était douce. Quand

(1) nbsp;nbsp;nbsp;Ne pas mettre le pied a terre, condition nécessaire pournbsp;que le charme ue soit pas rompu.

(2) nbsp;nbsp;nbsp;Texte critique d’après des manuscrits du xi* au xvie siè

cle . Traduction anglaise par Kuno Meyer, TAe voyage of Bran son of Febal to fhe Land of ihe Living, 1895.nbsp;====== 55nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;

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L’EPOPEE IRLANDAISE nbsp;nbsp;nbsp;-

il s’éveilla de son sommeil, il vit prés de lui une branche d’argent avec des fleurs blanches qu’il n’était pas aisénbsp;de distinguer de cette branche. Alors Bran emporta lanbsp;branche dans sa main jusqu’au palais. Quand l’assembléenbsp;fut nombreuse dans Ie palais, on vit une femme en vête-ments étrangers au milieu de la demeure. Alors ellenbsp;chantales cinquante quatrains aBran, tandisque l’arméenbsp;l’écoutait et que tous la voyaient :

Voici une branche da pommier d’Emain (2) — que je t'apporte, pareille aux autres ; — des rameaux d’argeut blaucnbsp;sont sur ede, — des sourcils de cristal avec des fleurs.

II y a une He lointaine ; — aleutour les chevaux de la mer brillent, — belle course centre les vagues écumantes ; — quatrenbsp;pieds la supportent.

Charme des yeux, glorieuse étendue — est la plaine sur laquelle les armées Jou ent; — la barque lutte contre Ie char,nbsp;— dans la plaine méridionale de l'Argent Blanc.

Des pieds de bronze blanc la supportent, —brillant a travers les siècles de beauté ; — jolie terre a travers les siècles dunbsp;monde, — oü se répandent maintes fleurs.

Un vieil arbre est la avec les fleurs, — sur lequel les oiseaux appellent aux fceures ; — en harmonie ils out l’habitude —nbsp;d’appeler ensemble a chaque heure.

Des spleudeurs de toute couleur brillent — k travers les plames aux jolies voix ; — la joie est habituelle; ou se rangenbsp;autour de la musique, — dans la plaine méridionale de la Nuéenbsp;d’argent.

Inconnue la plainte ou Ia traitrise — dans la terre cultivée bien counue; — il n’y a rien de grossier ni de rude, — maisnbsp;une douce musique qui frappe 1’oreille.

Ni chagrin, ni deuil, ni mort, — ni maladie, ni faiblesse — voila Ie signe d'Emain ; — rare est une pareille merveille.

Beauté d’une terre merveilleuse, — dont les aspects sont

(2) Pays de la Terre des fées, distinct d’Emain Macha, capitale desUlates.

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nbsp;nbsp;nbsp;L’EPOPEE IRLANDAISE

aimables, — dont la vue est uae belle conirée, — incomparable en est la brume.

Si l’on voit la Terre de Bonté, —• sur laquelle les pierres de dragons et les cristaux pleuvent; — la mer jette la vaguenbsp;Donire la terre, — poils de cristal de sa crinière.

Des richesses, des irésors de toute coalcur — EOnt dans la Terre calme, fraiche beauté, — qui écoute la douce musique

— nbsp;nbsp;nbsp;en buvant Ie meilleur vin.

Des char ots d'or dans la Plaine de la Mer, — s'élevant avec Ie flot vers Ie soleil, — des chariots d’argeut dans lanbsp;Plaine des Jeux — et des chariots de bronze saus défaut.

Des coursiers d’or jaune rout la sur la rive ; — d’autres coursiers, de couleur pourpre; — d'autres, avec de ia lainenbsp;sur leur dos, —de lacoaleurdu ciel tout bleu.

Au lever du soleil viendra — un bel homme illuminant les plaines; — il chevauche l'étendue battue des flots; — il remuenbsp;la mer jusqu’a ce qu’elle soit du sang.

Une armée viendra a travers la mer claire ; — vers la terre ils naviguent; — puis ils rament j usqu’a la pierre en vue, —nbsp;d’oü s’élèvent cent refrains.

On clianfe un refrain a Tarmée — (a travers les longs siecles), qui n'est pas misérable; — sa musique s’eufle desnbsp;choeurs de centaines, — qui n’atteudent ni déclin ui mort.

Emain multiforme en face de la mer, — qu’elle soit prcche, qu’elle soit lo n, — oü sont des milliers de femmes bigarrées,

— nbsp;nbsp;nbsp;que la mer claire encercle (1).

Quand il a entendu Ie sou de la musique, — Ie choeur des petits oiseaux de la Trés calme Terre, — un groupe denbsp;femmes, vient de la colline — a la Plaine des Jeux oh il est.

La vient Ie bonheur avec la santé — a la terre oü résonneut Ie irires, —dans la Trés calme Terre, en toute saison — viendranbsp;la joie qui dure toujours.

C’est un jour d’éternel beau temps, — qui verse de l’argent sur les terres ; — une falaise blanche bordant la mer, —nbsp;qui re9oit du soleil sa chaleur.

(1) Comparer la description de la terre des fees dans la « Maladie de Ctichulainn », d-après, p. 132.

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L’EPOPEE IRLANDAISE nbsp;nbsp;nbsp;^nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;:=

Course de 1’armée Ie long de la Plaine des jeux ; — jeu charmant, sans faiblesse ; — dans la terre variée, après tantnbsp;de beautés, — ils n’attendent ni déclin ni mort.

Ecouter la musique Ia nuit — et venir a la terre aux-nom-breuses-couleurs — pays varié, splendeur sur un diadème de beauté, — d’oü briUe la nuée blanche.

II y a trois fois cinquante lies loiutaines, — dans l'Océan k l’cuest de nous ; — plus grande qu’Erin deux fois — estnbsp;chacune d’elles, ou trois fois.

Uae grande naissance arrivera après des siècles, — qui ne sera pas dans les grandeurs : — Ie fils d'une femme dontnbsp;Ie mari ne sera pas connu ; — il aura la royauté sur desnbsp;milliers d'hommes.

Royauté sans commencement, sans fin; — il a créé Ie monde parfaitement, — a lui sout la terre et la mer; —nbsp;malheur a qui enconrra sa disgrace!

C’est lui qui a fait les cieux. — Heureux celui qui a Ie cceur pur ; — il purifiera les peuples sous l’eau pure ; —nbsp;c’est lui qui guérira vos maux (1).

Ce n’est pas pour vous tons qu’est mon discours, — bien que cetfe grande merveille soit couuue ; — queBran, parminbsp;la foule du monde, écoute — la part de science qui lui estnbsp;commuuiquée!

Ne tombe pas sur un lit de paresse; — que 1’ivresse ne te vainque pas ! — commence un voyage a travers la mernbsp;claire — pour voir si tu atteindras la Terre des femmes.

La-dessus, la femme s’éloigna d’eux et ils ne surent pas oü elle était allee. Et avec elle elle avait emporté sanbsp;branche. La branche avait santé des mains de Brannbsp;dans les mains de la femme et la main de Bran n’avaitnbsp;pas eu la force de retenir la branche.

Le lendemain, Bran partit sur la mer. Sa compagnie était de trois neuvaines d'hommes. Un de ses frères

(1) AUusion au Christ et au baptème dans les trois strophes précédentes.

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nourriciers ou de ses compagnons d’kge était a la tête de chaque neuvaine. Quand il eut éié deux jours etnbsp;deux nuits sur mer, il vit venir un homme dans unnbsp;char sur la mer. Cet homme lui chanta trente autresnbsp;quatrains et se fit connailre comme étant Manann^nnbsp;fils de Lêr ; il dit qu’il avait l’intention d’aller en Irlandenbsp;après de longues années et qu’un fils lui naitrait quinbsp;s’appetlerait Mongan, fils deFiachna. Puisil chanta sesnbsp;trente quatrains;

Bran trouve que c’est une belle merveiUe — de traverser eu barque la mer claire, — tandls que pour moi, autour denbsp;mou char, de loin — c’est une plaine fleurie sur laquelle ilnbsp;chevauche.

Ce qui est la mer claire — pour Ie bateau a proue on est Bran, — c’est une agréable plaine avec beaucoup de ileurs, —nbsp;pour mci, de mon char a deux roues.

Bran voit — nomb e de values répandues sur la mer claire; — je vois, moi, dans la Plaine desjeux, — des ileursnbsp;parfaites a la tête rouge.

Les cuevaux de mer brillent a 1’été, — aussi loin que Bran étend son regard; — des rivieres versent un flot de miel, —nbsp;dans le territoire de Mananuan fils de Lêr.

La couleur di l’océan sur lequel tu es, — la nuance blanche de la mer sur laquelle tu rames, — c’est le jaune et le bleunbsp;répandus, —^ c’est de la terre qui n’est pas dure.

Les saumons tachetés sautent du sein — de la mer blanche que tu regardes ; — ce sont des veaux, ce sont des agneauxnbsp;de couleur, — en amitié, sans meurtre mutuel.

Quoique Ton ne voie qu’un conducteur de char, dans la Plaine agréable aux maintes fleurs, — il y a beaucoup denbsp;coursiers a la surface, — bien que tu ne les voies pas.

Etendue de la plaine, nombre des troupes, — couleurs qui brillent dans la pure gloire ; —beau torrent d’argtnt, degrésnbsp;d’or, — accueillent, parmL toute sorte d’abondance.

Jen charmant, plein de plaisir ; — ils jouent devant le viu

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qui mousse, — hommes et jolies femmes, sous uu btrceau, — saus péché, saus crime.

C’est sur Ie haut d’uu bois que nage — ta barque a travers les cimes ; — il y a uu bois chargé de fruits trés beaux, — sousnbsp;la proae de tou petit bateau.

Un bois avec fleurs et fruits, — sur lequel est Ia vraie odeur du vin. — bois saus déclin, saus défaut, — oü sent desnbsp;feuilles de couleur d’or.

Nous sommes depuis 'e commencement de la Création, — sans vieillesse, sans cimetières ; — aussi nous n'attendonsnbsp;pas d’etre sans force; — Ie péché n’est pas venu jusqu’anbsp;nous.

Mauvais jour que celui ou vint Ie Serpent, — vers Ie Père, dans sa Cité ; — il a perverti ce monde, — en sorte que vintnbsp;Ie déclin, qui n'était pas a l’origine.

Par 1’avidité et la gloutoanerie il nou3 a tués, — par elles il a ruiné sa noble lace ; — Ie corps flétri s’en est allé par Ienbsp;eerde des peines — et la demeure éternelle des tortures.

C'est la loi de l'orgueil en ce monde, — 'de croire aux créatures, d’cublier Dieu ; — d’etre vaincu par la maladie etnbsp;la vieillesse, — l’ame dé’ruite par la déception.

Un noble salut vlendra — du Roi qui nous a créés ; — une belle loi viendra par les mers; — outre qn’il est Dieu, ilnbsp;sera honime (1),

Sous cette forme, celui que tu regardes — viendra de ton cóté; — j’ai a aller k sa maison, — vers la femme de la p.’aicenbsp;de Liné (2).

Car c’est Mauaunan, fils de Lêr, — sur son chariot, sous forme d’homme; — de sa race sera bieutót — un bel hommenbsp;en corps d’argile blanche.

Mananndn, descendant de Lêr, sera — un vigoureux com-

(1) nbsp;nbsp;nbsp;Les quatre strophes précédentes sont d’inspirationnbsp;chrétieune.

(2) nbsp;nbsp;nbsp;Caintigern (Belle-Dame), femme de Fiachna roi d'ülster,nbsp;mère de Mongan qui était une reincarnation de Find, pèrenbsp;d’Oss’an, et avait passé ses existences successives dans desnbsp;corps d’animaux.

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==— nbsp;nbsp;nbsp;L’EPOPEE IRLANDAISE

pagaon de lit de Caintigeru; — on célébrera sou fils dans Ie beau moade; — Fiachna Ie recouuaitra comme sou fils.

11 charmera la compagnie de chaque sidh ; — il sera lechéri *le toute Bonne Terre (1); — il fera connaitre des secrets,nbsp;Hot de science, — dans Ie monde, saus être craint.

Il prendra la forme de tont animal, — a la fois dans la nier d’azur et sur terre, — il sera dragon devant Tennemi knbsp;1’attaque; — il sera loup de toute grande forêt.

II sera cerf avcc des cornes d’argeut, — dans la terre oü Ton conduit les chariots; — il sera saumon tacheté dans unenbsp;mare pleine; — il sera un phoque; il sera un beau cyguenbsp;blanc.

II sera pendant de longs siècles — de cent ans, un grand roi; — il battra les chemius, tombe lointaine; — il laboureranbsp;les champs, une roue sur la mer.

Ce sera autour des rois et de leurs champions — qu’il sera conuu comme un vaillaut héros, — dans les forteressesnbsp;d’une terre sur une hauteur — je lui enverrai d’Islay sa fin.

Bien haut je Ie place avec les princes; — il sera vaincu par un fils d’erreur (2); — Mauannau, fils de Lêr — seranbsp;sou père, son tuteur.

H sera, (car son temps sera court) — cinquante aus dans ce monde; — uue pierre de dragon de la mer Ie tuera, —nbsp;dans Ie combat de Senlabor.

II demandera amp; boire de l’eau du lac Ló, — en regardant Ie flenvc de sang; — la Blanche troupe (J) Ie conduira surnbsp;une roue de nuages — a 1’assemblée oü il n’y a pas denbsp;chagrin.

Que fermement Bran rame — vers la Terre des Femmes 9[ni n'cst pas loin; — Emain a l’hospitalité si variée, — tunbsp;l’atteiudras avant Ie coucher du soleil!

(1) nbsp;nbsp;nbsp;La Terre des fées. On appelle souvent les fees dn nomnbsp;de « Bonnes gens ».

(2) nbsp;nbsp;nbsp;Allusion au meurtre de Mongan par Artur,fils de Bicor

(3) nbsp;nbsp;nbsp;Les anges. La mythologie et Ie christianisme sont sansnbsp;cesse «nélangés dans cette pièce.

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La-dessus, Bran s’éloigna jusqu’a ce qu'il füt en vue de Pile. II fit Ie tour en ramant; la, une troupe s’escla-fait de rire. Tous regardaient Bran et ses gens, mais nenbsp;s’arrêtaient pas pour causer avec eux, et ils continuaientnbsp;a éclater de rire a leur nez. Bran envoya un de ses gensnbsp;sur l’ile. II se mit avec eux et éclata de rire comme lesnbsp;autres gens de l’ile. Quand il passa devant Bran, sesnbsp;camarades l’appelèrent. Mais il ne leur paria pas et senbsp;contenta deles regarder et de rire d’eux. Le nom de cettenbsp;He est «He de la Joie» (1). La-dessus, ils la quittèrent.

Ils ne furent pas longtemps après a atteindre l’Ile des Femmes. Ils virent une rangée de femmes sur le portnbsp;La reine des femmes dit: «Viens dans mon pays,nbsp;Bran fils de Febal; ton arrivée est la bienvenue! » Brannbsp;n’osa pas aller a terre. La femme jette une pelote de filnbsp;è. Bran droit dans la figure. Bran met la main sur lanbsp;pelote (2). La pelote s’attache a sa paume. Le bout dunbsp;fil de la pelote était dans la main de la femme, qui tiranbsp;la barque au port. La-dessus, ils entrèrent dans unenbsp;grande demeure, qui contenait un lit pour chaque couple,nbsp;c'est-i dire trois fois neufs lits. La nourriture que Tonnbsp;mettait sur chaque plat ne disparaissait pas ; il leur sem-blait qu’ils n’étaient la que depuis un an, et il y avaitnbsp;plusieurs années; aucune saveur ne leur manquait.

Mais le mal du pays s’empara de I’un d’eux, Nechtón fils de Collbran. Ses parents prièrent Bran de retournernbsp;en Irlande avec lui. La femme leur dit qu’ils se repenti-

(1) nbsp;nbsp;nbsp;L'ile des rieurs est aussi un épisode de la « Navigationnbsp;de Mael Duine », 21, et de la «Navigation du bateau desnbsp;O'Corra », 48.

(2) nbsp;nbsp;nbsp;On trouve le même détail dans la « Navigation de Maelnbsp;Duine », auchapitre 28 (H. d’AEBOis os Jubainville, L'Èpo-pée celfigue, p. 488) et dans la « frise deTroie » (Livre denbsp;Leinster, p. 221).

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L EPOPEE IRLANDAISE

raient de partir. Cependant ils s’en allèrent et la femme les avertit qu’aucun d’eux ne toucMt terre et qu’ils visi-tassent et prissent avec eux celui qu’ils avaient laissénbsp;dans rile de la Joie.

Alorsils allèrent jusqu’a ce qu’ils arrivassent a l’assem-blée du Ruisseau de Bran. Les gens leur demandèrent qui était venu sur mer. II répondit : « C’est moi, Brannbsp;fils de Febal. — Nous ne Ie connaissons pas, ditnbsp;l’autre; mais nous avons la Navigation de Bran dansnbsp;nos vieilles histoires. » Nechtan saute de sa barque.nbsp;Aussitót qu’il eut touché la terre d’Irlande, il tombanbsp;aussitöt en cendres, comme s’il avait été dans la terrenbsp;pendant des centaines d’années (1).

Alors Bran chanta ce quatrain :

« Le fils de Collbran eut la grande folie — de lever la main contre l’ège (2); — et personne ne jette unnbsp;flot d’eau pure — sur Nechtan, fils de Collbran. »

Ensuite Bran raconta a l’assemblée ses aventures depuis le commencement jusqu’a ce moment-la et ilnbsp;écrivit ces quatrains en ogham (3). II leur dit adieu, et onnbsp;ne sait oü U est allé a partir de cette heure.

(1) nbsp;nbsp;nbsp;C’est le thème, bien couuu dans les contes populaires,nbsp;du charme qui fait oublier le temps. Pour le contact avecnbsp;la terre, voir ci-dessus, p. 55.

(2) nbsp;nbsp;nbsp;La saga qui se rapporte aux aventures de Nechtan estnbsp;perdue et nous ne savons quel est le sens de cette allusion.

(3) nbsp;nbsp;nbsp;Ecritura spéciale a 1’Irlande, formée de lignes droitesnbsp;tracées è 1’arête d’un bois équarri.

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L’EPOPEE IREANDAISE

LA NAISSANCE DE CONOR (i)

II y avait en Ulster un roi iUustre, Ek)cliaid au-talon-jaune, Ills de Loeg. II lui naquit une fille. Douze tuteurs furent chargés de l’élever. Son nom était Facile, carnbsp;elle était facile et douce a élever.

En ce temps-la vint du Sud un champion nommé Cathba. II était originaire d’ülster, bien qu’il demeu-r4t dans Ie Sud, Outre qu’il était guerrier et champion,nbsp;c’était aussi un homme de grande sagesse, un druide etnbsp;un homme de grand savoir. II avait trois neuvainesnbsp;d’hommes a son expédition. Dans un désert, il rencontranbsp;un autre champion avec trois autres neuvaines, lui aussi,nbsp;Ils s’attaquèrent d’abord; puis ils firent la paix, car ils nenbsp;succombaient pas paree qu’ils étaient de nombre égal,nbsp;Cathba alia devant eux, car il connaissait Ie pays, et lesnbsp;douze tuteurs de la jeune fille sont tués par lui, commenbsp;ils étaient réunis pour festoyer. Personne n’échappa,nbsp;sauf la fille. On ne sut qui les avait tués.

La fille va se plaindre a son père. Celui-ci dit qu’il ne pouvait les venger, puisqu’il ne savait pas qui les avaitnbsp;tués. Alors elle se mit en colère et partit en expéditionnbsp;avec trois neuvaines d’hommes pour venger ses tuteurs,nbsp;Elle frappait et dévastait successivement tous les pays.nbsp;Jnsque-la on l’appelait Facile. Dés lors Difficile fut sonnbsp;nom dans les tribus a cause de la rudesse de ses armesnbsp;et de sa bravoure. Elle avait coutume de demander

(l)D’aprèsleLivrejaunede Lecan, manuscritdu xiv® siècle. Traduction anglaise par Kuno Meyer, Revue celliqae,nbsp;VI (188 ), p. 173-18 ; ef. Hibernica minora, VIII, p. 50;nbsp;traduction allemande par R.Thurneysen. Sagen aas dem altennbsp;Irland, 1901, p. 63-65; traduction frau9aise c’nez H. d’Arbois.nbsp;DE JUBAINVILLE, p. 14-21.

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L’EPOPEE IRLANDAISE

l’histoire du champion k chaque étranger qu’elle ren-contrait pour voir s’il savait Ie malheur qui leur était arrivé.

üne fois, elle était dans un autre désert; ses gens pré-paraient leur nourriture, Elle s'en va seule a part alors; elle vit devant elle de belle eau pure; elle enlève sesnbsp;armes et ses vètements et s’y baigne. Survint une autrenbsp;expedition; c’était Cathba et les siens. II se mit entrenbsp;elle et ses armes et tira son glaive contre elle.— «Laisse-moi la vie, dit la fille. — Accorde-moi mes trois de-mandes, dit Cathba. — Tu les obtiendras, dit-elle.nbsp;Quel est ton choix? — Sécurité pour moi, ton amitié,nbsp;et que tu sois ma femme taut que je suis en vie. — C’estnbsp;entendu, dit-elle. — Maintenant notre alliance est finie,»nbsp;dit l’autre champion a Cathba, et il alia de son c6té.

Cathba alia avec elle chez son père. On leur fit bon accueil et on donna a Cathba une terre en Ulster ; Ienbsp;Fort de Cathba en Cremthinne, prés du ruisseau Conornbsp;qui est dans Ie territoire de Ross, Une nuit, Cathba eutnbsp;grand soif. Sa femme alia lui chercher a boire. Elle n'ennbsp;trouva pas dans Ie chateau. Alors elle aUa au Conor,nbsp;filtra l’eau a travers son voile dans la coupe et la lui ap-porta. « AUume-nous, dit-il, « pour voir s’iln’y a pasnbsp;de béte dans l’eau. » On leur apporta de la lumière et ils ynbsp;virent deux vers. II tira son glaive contre la femme :nbsp;« Bois done, toi, dit-il, « ce que tu m’as offert. » Lanbsp;femme but deux gorgées et a chaque gorgée elle avala unnbsp;ver. Elle devint grosse...

Cathba alors alia avec sa femme causer avec Eochaid au-talon-jaune. Ils étaient dans la plaine de Murthemnénbsp;Les douleurs prirent la femme en route.— « S’il est en tonnbsp;pouvoir, dit Cathba, de ne mettre au monde ton enfantnbsp;que cette nuit, ton fils sera roi et son nom sera parmi lesnbsp;hommes d’lrlande. II naitra cette nuit dans l’Est de lanbsp;=__ - nbsp;nbsp;nbsp;-= 65nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;

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L’EPOPEE IRLANDAISE =============

terre un enfant qui sera aagt;dessus des hommes du monde, Jésus-Christ. — Je Ie ferai, dit la femme, « a moins qu’ilnbsp;ne sortepar mes c6tés. Allons jusqu’a la Plaine-Ile.»

Elle se mit sur une pierre plate a la Plaine-Ue, en face de la Forteresse au-c6té-vert... ; c’est la quenbsp;naquit Conor. La pierre sm: laquelle il naquit et lanbsp;tombe sont encore Ik, et k sa naissance il avait un ver knbsp;chaque poing, ceux que sa mère avait bus dans l’eau dnnbsp;Conor. On lui donna Ie nom de Conor d'après Ie ruisseaunbsp;Conor, mais c’était en la Plaine-Ile qu’il était né, commenbsp;nous 1’avons dit. II obtint la royauté de la province anbsp;cause du rang de sa mère, de Tart et de la science denbsp;son père et a cause de sa grande bravoure propre et denbsp;son adresse aux armes, en sorte qu’il fut un roi iUustre.nbsp;La victoire sur AiUll et Mève fut remportée par lui a lanbsp;Razzia de Cualngé.

Et pourtant ce n’est pas ainsl qu’est racontée dans d’autres livres la naissance de Conor, mais de cettenbsp;manière: Nessa, fille d’Eochaid Salbuide, était sur sonnbsp;trène dehors a Emain et ses filles royales autour d’elle.nbsp;Le druide Cathba passa prés d’elle. II était de lanbsp;Plaine-Ile, selon d’autres. La fille lui dit : « A quoinbsp;est bon ce moment-ci, 7 dit-elle. — II est bon k faire unnbsp;roi avec une reine », dit le druide. La fille demanda sinbsp;c’était vrai. Le druide jura ses dieux que c’était vrai; lenbsp;nom du fils qui serait fait a ce moment vivrait en Irlaudenbsp;jusqu’au Jugement. Alors la fille l’invita a l’approcher,nbsp;car elle ne voyait pas d’autre homme dans son voisinage.nbsp;Puis Nessa devint grosse et l’enfant fut dans son seiunbsp;trois ans et trois mois. Ce fut au Festin deUthar fils denbsp;Fordub qu’elle devint grosse.

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L’EPOPEE IRLANDAISE

L’HISTOIRE DU COCHON DE MAC DATHO (i)

II y avait en Leinster un roi illnstre ; son nom était Mac Dathó. II avait un chien qui gardait Ie Leinsternbsp;entier ; il s’appelait Ailbé et 1’Irlande était pleine_ denbsp;sa renommee. On vint ds la part d’Ailill et de Mèvenbsp;demander Ie chien. En même temps arrivaient anssinbsp;des messagers de Conor fils de Ness pour demander Ienbsp;même chien. On leur fit bon accueil k tons et on lesnbsp;introduisit dans l’hötel. C’éiait Ie sixième hötel qu’il ynbsp;avait en Irlande en ce temps-la : l’hótel de Daderga ennbsp;Cuala, l’hbtel de Forgall Ie Rusé, l'hbtel de Mac Daré ennbsp;Brefné, l’hötel de Da choca en Westmeath, l'hötel denbsp;Blai Briuga en Ulster, L’hótel avait sept portes, et septnbsp;chemins y passaient; il contenait sept foyers et septnbsp;chaudrons; un boeuf et un cochon dans chaque chau-dron. Qniconque passait sur Ie cheaiin mettait la four-chette dans Ie chaudron, etquoi qu’il attrapat du premiernbsp;coup, il ne recommenfait pas.

On amena done les messagers dans la chambre de Mac Dathó pour connaitre sa volonté avant Ie festin. Ilsnbsp;présentèrent leur requête. — « C'est pour demander tonnbsp;chien que nous sommes venus, de la part d'Ailill et denbsp;Mève, dirent les messagers de Connaught, et onnbsp;donnera sur-le-champ soixante vaches laitières, un charnbsp;et deux chevaux les meilleurs de Connaught, et autant aunbsp;bout d’un an, en outre. — C’est pour demander ton chien

(1) Texte d’après Ie Livre de Leinster, manuscrit du XII» siècle; traduction fran9aise par L. Duvau, L'Épopéenbsp;feltiqne, p. 66-80; traduction allemande par R. Thurneysen,nbsp;Sagen, p. 1-10; traduction anglaise par Kuno Meyer, Hiber-nica minora, p. 57-64.

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l-’ÉPOPÉE IRLANDAISE nbsp;nbsp;nbsp;.........

que nous sommes venus, dirent les messagers d’ÜIster, de la part de Conor, et Conor n’est pire ni commenbsp;ami, ni pour donner des objets précieux et du bétail, etnbsp;on donnera autant au bout de l’année et il en résulteranbsp;une bonne amitié. »

Mac Dathó garda un grand süence, en sorte qu’il fut trois jours sans boire, ni manger, nidormir, setoumantnbsp;d’un c6té sur l’autre, Alors sa femme lui dit; « VoilSinbsp;longtemps que tu jeünes; tu as de la nourriture et tu n’ennbsp;manges pas. Qu’est-ce que tu as ? » II ne répondit pas knbsp;la femme; alors la femme dit :

L’insomuie est tombée — sur Mac Dathó, dans sa maison. — H a eu une affaire sur laquelle il méditait, — bien qu’ilnbsp;n'en parle k personne.

II se tourne et se détourue de moi coatre la muraille, — Ie héros fénian aux violenis exploits; — sa femme prudentenbsp;remarque — que son époux est saus sommeil,

E'Homme__Crimthand neveu de Nar a dit : — Tu ne don-

neras pas ton secret aux femmes ; — secret de femme n’est pas bien cache : — on ne coufie pas de bien a uu esclave.

L*. Femme. — Que dirais-tu a une femme — s’il ne te man-quait rien ? — Ce qui ne vient pas a ton esprit — vient a 1’esprit de quelque autre.

L’Homme. — Le chien de Mesroida Mac Dathó, — c’est un mauvais jour qu’il lui est venu ; — beaucoup de beauxnbsp;hommes tomberont pour l’amour de lui — dans le combat ; on n'en pourra compter le nombre.

Si ce n’est pas a Conor qu’il est donné — il est sür que 1'affaire sera chaude ; — ses armées ne laisserout — pasnbsp;beaucoup de -vaches ni de terres.

Si c’est un refus pour Ailill, — il soulève la plaine de Fal (1) contre la tribu ; — le fils de Maga nous emmènera ; —nbsp;aucune plaine ne sera vide de cendre.

(1) Un des noms de l'Irlande.

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____ nbsp;nbsp;nbsp;, .. -nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;L’ÉPOPÉE IRLANBAISE

La Femme. — Je te donne uu conseil — qui n’a pas de mau-vaise consequence pour nous ; — donne-leur Ie chien è. tous deux, — peu importe qui tombera a cause de lui !

L'Homme. — Le conseil que tu donnes — c’est lui qui me dèlivre de souci; — Ailbé, Dieu l’a envoyé; — on ne saitnbsp;par qui il a été amené.

Lk-dessus, il se leva et se secoua : « Que ce soit bien, dit-il, pour nous et pour les hótes qui sont venus!»nbsp;Ceux-ci restent avec lui trois jours et trois nuits. IInbsp;appelle a part les messagers de Connaught : «J’ai eunbsp;un grand souci et une longue hesitation avant de voirnbsp;clair : j’ai accordé le chien a Ailill et a Mève ; qu’ilsnbsp;viennent le chercher en grande pompe ; ils auront anbsp;boire et a mangerj ils emmèneront le chien et on lesnbsp;accueillera bien.» Les messagers de Connaught le remer-cient de sa réponse.

Puis il aUa trouver les messagers d’Ulster : « J’ai done accordé, dit-il, après hésitation, le chijn a Conor.nbsp;Qu’il en soit fier! Que viennent le chercher en foule lesnbsp;braves d’Ulster ! Ils emporteront les présents et ils serontnbsp;les bienvenus.» Les messagers d’Ulster remercient.

Or ce fut le même jour qu’ds se rencontrèrent, ceux de l’Est et ceux de l’Ouest. Aucun ne manqua, et deuxnbsp;provinces d’Irlande arrivèrent le même jour et furent anbsp;la porte de l’hótel de Mac Dathö. II sortit lui-même etnbsp;leur souhaitalabienvenue : « Nous ne sommes pasprépa-rés k vous recevoir, dit-il, 6 jeunes gens ; cependant,nbsp;salut a vous ! Entrez dans la cour. » Ils entrèrent tousnbsp;dans l’hótel: une moitié de la maison fut pour les Conna-ciens et l’autre moitié pour les Ulates. La maison n’étaitnbsp;pas petite; il y avait sept portes et cinquante lits d’rmenbsp;porte a l’autre. Au repas, ce ne furent pas des visagesnbsp;d’amis que l’on eut dans la maison. Beaucoup se querel-lèrent les uns les aufres. C’est dans les trois cents ansnbsp;=-¦.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;= 69nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;-

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L’ÉPOPÉE IRLANDAISE .. nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;.

avaat la naissance de Jésus-Christ qu’eut lieu cette

bataille.

Pour eux done, on tua Ie cochon de Mac Dath6. Trois vingtaines de vaches l’avaient nourri pendantnbsp;sept ans. C’est de poison qu’il avait été nourri, car c’estnbsp;lui qui fut cause du massacre des hommes d’Irlande. Onnbsp;leur apporta Ie cochon, que quarante boeufs trai-naient (1), saus compter en outre d’autres choses knbsp;manger. Mac Dath6 lui-méme servait. « Salut a vous,nbsp;dit-il; il n’y a rien de pareil k ce que sont les boeufs et lesnbsp;cochons en Leinster. Ce qui manque sera tué pour vousnbsp;demain. — II est bien, Ie cochon, dit Conor. — II estnbsp;bien, dit Ailill. Comment va-t-on partager Ie cochon, 6nbsp;Conor ? dit Ailill. — Comment 7 dit Br.cré fils de Carbad,nbsp;du haut de la salie, « la oü sont les plus bravesnbsp;guerriers d’Irlande ! Mais en raison de leurs exploits etnbsp;de leurs combats ! (2) Auparavant, chacun aura donnénbsp;plus d’un coup sur Ie nez de son camarade — Soit,nbsp;dit Ailill. — C’est juste! dit Conor, nous avons ici desnbsp;garqons qui ont gardé la frontière. — Tes garqonsnbsp;scront utiles ce soir, 6 Conor, dit un vieux guerrier,nbsp;chef de Luachra Conalad k l’Ouest. II y a beaucoup denbsp;boeufs gras que vous m’avez laissés, et les routes denbsp;Luachra Dedad derrière vous! — Plus gras était Ie boeufnbsp;que tu as laissé chez nous, ton propre frère Cruachné filsnbsp;dï Ruadlom, des coteaux de Conalad. — Ce n’était pasnbsp;mieux, dit Lugaid fils de Curoi, que de laisser Ie grandnbsp;Loth fils de Fergus fils de Lété a Echbel fils de Deda,

(1) nbsp;nbsp;nbsp;Ou, selon une autre lefon, avec quatre boeufs en travers.

(2) nbsp;nbsp;nbsp;Chez les Gaulois, les meilleurs morceaux étaient offertsnbsp;aux plus braves ; aussi les repas se terminaieut-ils par desnbsp;disputes et des combats souvent mortels. Cf. Diodore, V, 28;nbsp;Athénée, rV, 40.

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en Temair Lochra. — Quelle sorte d'homme pensez-vous qu'ilest? dit Celtchair fils d’Uthechar; j’aitué Congan-chness fils de Deda, et je lui ai coupé la tète.»

II leur arriva enfin qu’un seul homme forga les hommes d'Irlande a se retirer devant lui; c’était Cêt,nbsp;fils de Maga. II éleva ses armes au-dessus des armes denbsp;l'armée; il prit un couteau a la main et s’installa présnbsp;du cochon. Qu'on trouve done, dit-il, parmi lesnbsp;hommes d'Irlande quelqu'un pour soutenir la luttenbsp;contre moi ou qu'on me laisse partager Ie cochon! »

II plongea les Ulates dans Ie silence. « Tu vois, Loégairé, dit Conor. — II ne sera pas dit, dit Loé-gairè, que Cêt partage Ie cochon a notre nez. —nbsp;Attends un pen, 6 Loégairé, que je te parle, dit Cêt.nbsp;C’est l'usage chez vous, en votre Ulster, dit Cêt, quenbsp;chaque fils qui chez vous prend les armes, c’est cheznbsp;nous qu’est son premier but. Tu es venu a la frontière,nbsp;nous nous y sommes rencontrés ; tu as laissé la roue, Icnbsp;char et les chevaux ;tut’es sauvé avec un javelot parlenbsp;corps; — tu n’obtiendras pas Ie cochon de cette f apon-la.»nbsp;Loégairé s’assit alors.

«II ne sera pas vrai, dit un beau et grand guer-rier qui s’était levé de sou lit, que Cêt partage Ie cochon a notre nez, — Qui est-ce ? dit Cêt. — C’est unnbsp;meilleur guerrier que toi, dit chacun, Oengus fils denbsp;Main-de-danger d’Ulster. — Pourquoi appelle-t-onnbsp;ton père Main-de-danger ? dit Cêt. Pourquoi done ? Je Ienbsp;sais, dit Cêt. Je suis allé a l’Est une fois. On crie surnbsp;moi, chacun arrive ; arrive ton père. II me Ian?a unnbsp;Scand coup de javelot. Je lui lance alors Ie même javelot,nbsp;en sorte qu’il lui coupa la main, qui resta par terre.nbsp;Qu'est-cequi mettraitsonfilsk lutter avec moi?» Oengusnbsp;alia s’asseoir,

«Soutenir la lutte encore? dit Cêt, ou que je

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partage Ie cochon ? — II ne sera pas vrai que tn Ie découperas Ie premier, dit un beau et grand guerriernbsp;d’ülster. — Qui est-ce ? dit Cêt. — C’est Eogan, fits denbsp;Durthacht, dit chacun, leroi de Fernmag. — Je t’ai vunbsp;déja, dit Cêt. — Oü m’as-tuvu ?» dit Eogan. —A lanbsp;porie de ta maison, quand je razziais tes vaches. Onnbsp;criait sur moi dans Ie pays. Tu es arrivé au cri. Tu m’asnbsp;lancé un javelot qui fut arrêté par mon bouclier. Je tenbsp;lance Ie même javelot; il te traverse la tête et te faitnbsp;sortir 1’oeil de l’orbite. Les hommes d’Irlande te voientnbsp;avec un seul oeil. C’est moi qui t’ai enlevé l’autre de lanbsp;tête. » Eogan alors s’assit.

«Servez done, Ulates, la lutte encore! dit Cêt. — Tune feras pas les parts maintenant, dit Munremur, fils denbsp;Gergend. — Est-ce Munremur ? dit Cêt. C’est moi quinbsp;ai Ie dernier nettoyé mon javelot, 6 Munremur, » dit Cêt.nbsp;II n’y a pas trois jours que j’ai rappor té de ton pays lesnbsp;têtes c?e trois guerriers autour de la tête de ton fils alné. »nbsp;Munremur alors s’assit.

« La lutte encore I dit Cêt. — Tu l’auras, dit Mend, fils de Salcholcan. — Qui est-ce ? dit Cêt. — Mend, ditnbsp;chacun. — Quoi done? dit Cêt, un fils de rustres a sobriquets lutter avec moi ! mais c’est a moi que ton père doitnbsp;ce nom: c’est moi qui, de mon glaive, lui ai coupé !enbsp;talon, en sorte qu’il n’a rapporté qu’un seul pied.nbsp;Qu’est-ce qui mettrait en face de moi Ie fils d’unnbsp;estropié? »

«La lutte encore! dit Cêt. — Tu 1'auras, dit un grand guerrier grisonnant et laid. — Qui est-ce?nbsp;dit Cêt. — Celt chair, fils d’üthechar, dit chacun. —nbsp;Un moment, 6 Celtchair, dit Cêt, si tu n’es pasnbsp;pressé de me trapper. Je suis venu, 6 Celtchair, jusqu’knbsp;la porte de ta maison. On criait sur moi. Tout Ie mondenbsp;arriva. Tu es arrivé aussi. Tu alias dans un défilé oü tunbsp;- nbsp;nbsp;nbsp;72 ...nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;-nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;—

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me rencoatras. Tu me lan^as un javelot- Je t’ea lan(:ai un autre qui te per^a la cu’sse et Ie haut des testicules,nbsp;Tu as une maladie de vessie depuis ce temps-la, etnbsp;dans la suite tu n’as plus engendré de fils ai de fiUe.nbsp;Qa’est-ce qui te mettrait en face de moi ? » Celtchairnbsp;s’assit.

«La lutte encore ! dit Cêt. — Tu 1’auras, dit Cus-craid Ie bègue de Macha, fils de Conor. — Qui est-ce 7 dit Cêt. — Cuscraid, dit chacun ; il a 1’étoffe d’un roinbsp;a cause de sa beauté. — II ne te remercie pas, ditnbsp;Ie gar^on. — C’est bien, dit Cêt. C’est chez nousnbsp;d’abord que tu es venu pour ton premier exploit, 6 gar-^n ; nous nous sommes rencontrés a la frontière; tu ynbsp;laissas Ie tiers des tiens et c’est ainsi que tu revins sausnbsp;pouvoir émettre correctemeat une parole du haut de lanbsp;tête, car Ie javelot t’avait blessé la veine du cou, ennbsp;sorte que l’on t’appelle Cuscraid Ie bègue depuis cenbsp;lemps-lk. » Et ainsi il jeta 1’opprobre sur la provincenbsp;entière.

Mais, au moment oü il s’activait auprès du cochon, Ie couteau a la main, on vitentrer ConallCernachqui d'unnbsp;bond fut au milieu de la maison. Les ülates firent grandnbsp;accueil a Conall.

Conor enleva de sa tête son casque et l’agita. — «Nous désirons faire nos parts, dit Conall ; qui vonsnbsp;fait Ie partage ?.— On l’a accordé a l’homme qui faitnbsp;les parts, dit Conor, c’est-a-dire a Cêt, fils de Maga. —nbsp;Est-il vrai, 6 Cêt, dit Conall, que c’est toi qui par-tages Is cochon? » Alors Cêt dit:

Saint, Conall, coeur de pierre, — flainine ardente et vive, éclat de glace; — coeur rouge de colère, daas unenbsp;poitrine de heros; — couvert de cicatrices, vainqueur aunbsp;combat, — tel je vois Ie fils de Findchóera.

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X-’EPOPEE IRLANDAISE £t Conall dit :

Salut, Cêt, premier fils de Maga, reudez- vous de héros, — coeur de glace, fin de danger, — vaillant conducteur dnnbsp;combat, flot bell queux, — beau taureau querelleur, Cêtnbsp;fils de Maga ! — Illustre sera notre rencontre, — illustre,nbsp;uotre separation ; — on les racoutera en Fer-Brot; — on ennbsp;témoigncra en Fer-Mauach. — Les héros verront nu violentnbsp;combat de lions ; — homme sur homme, dans la maison,nbsp;cette nuit!

« Écarte-toi du cochon! dit Conall. — Qu’est-ce qui peut t’y mener ? dit Cêt. — Tu as raison, ditnbsp;ConaU, de demaader a te battre avec moi. Je te livre-rai un combat singulier, 6 Cêt, dit-il. J’en jure Ienbsp;serment de ma tribu ; depuis que j'ai pris un javelot ennbsp;main, il ne m’est pas arrivé souvent de dormir sans lanbsp;tête d’un Connacien sous la mienne et sans avoir blessénbsp;un homme chaque jour et chaque nuit. — C’est vrai,nbsp;dit Cêt, tu es un meilleur guerrier que moi. Si c’étaitnbsp;Auluan qui füt dans la maison, il te Hvrerait combatnbsp;sur combat. C’est un malheur qu’ü ne soit pas dans lanbsp;maison ! — II y est», dit Conall en tirant de sa cein-ture la tête d'Anluan, et il la jeta sur la poitrine de Cêt,nbsp;en sorte qu’un flot de sang monta a ses lèvres. IInbsp;s’écarta du cochon et Conall s'assit a c6té.

« Qu’on vienne lutter, cette fois-ci! » dit Conall, On ne trouva pas parmi les Connaciens de guerrier quinbsp;iiut devant lui. On fit un rempart de boucliers a bossenbsp;en eerde autour de lui, car il y eut de roauvaises disputes dans la maison et de mauvais coups par de mau-vaises gens. Ensuite Conall alia partager Ie cochon,nbsp;mais il md Ie bout de la queue dans sa bouche jusqu'knbsp;ce qu’il fht arrivé a faire les parts ; il su^a cette queuenbsp;qui faisait la charge de neuf hommes et n'en laissa riennbsp;¦nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;, 'nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;- -------------= 74 nbsp;nbsp;nbsp;=•

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II ne donna aux Connaciens que les deux jambes sous la gorge. Les Connaciens trouvèrent maigre leur part.nbsp;Ils se lèvent, les Ulates aussi se lèvent, et chacun senbsp;jeta sur l’autre.

II y eut la des coups sur l’oreille, en sorte que Ie tas qui s’élevait sur Ie sol était aussi haut que Ie pignon denbsp;la maison et que des ruisseaux de sang coulaient par lesnbsp;portes. Les troupes firent irruption par les portes etnbsp;jetèrent une grande clameur, en sorte que beaucoup denbsp;sang coulait au milieu de la cour, chacun massacrantnbsp;l’autre. C'est la que Fergus déracina un grand chênenbsp;qui était dangt; la cour. Les combattauts font irruptionnbsp;hors de ia cour. Le combat se livre a la porte de lanbsp;cour.

Alors sortit Mac Dathb, avec son chien en main, et il Ie Mcha parnii eux pour voir quel parti choisirait sonnbsp;intelligence de chien. Le chien choisit les U.ates et senbsp;mit a massacrer les Connaciens et il mit en déroute lesnbsp;Connaciens. On dit que dans les champs d’A Ibé lenbsp;chien saisit le timondu char sous Aild etsous Mève. Alorsnbsp;Ferloga, cocher d’Ailill et de Mève, 1’atteignit; sonnbsp;corps tomba d’un c6te ; sa tête resta au timon du char.nbsp;On dit que c’est de la que vient le nom de Plainenbsp;d’Ailbe (Ailbé était le nom du chien).

La déroute passa au sud par la Brèche de Mugna Seu-röiré, parlegué de Midibiné eö Mastin, le long de la crête de Criach que l'on appelle aujourd’hui Kildare; du fortnbsp;d’Imgain dans le bois de Gaiblé au gué de Mac Lugna,nbsp;le long de la crête de Damaigé, par le pont de Cairpré.nbsp;Au gué de la Tête du chien, en Bilé, la tê‘e du chiennbsp;tomba du char. En traversant Ia lande deMidé a 1’ouest,nbsp;Ferloga, le cocher d’Ailill se jeta dans la bruyèrenbsp;et il sauta dans le char derrière Conor et lui tiranbsp;la tête en arrière : « Remercie de te faire quarticr, b

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Conor, dit-il. — Choisis a ta volonté, dit Conor. — Ce ne sera pasgrand’chose, dit Ferloga. Emmène-moi avec toi anbsp;Emain Macha et que chaque soir les femmes a mariernbsp;et les filles nubiles d’Ulster chautent un choeur autournbsp;de moi en disaat: « Ferloga, mon bien-aimé! » 11 fallutnbsp;Ie faire, car on n’osait refuser a cause de Conor, et Fer-loga, au bout d’un an, fut laissé a Athlone avec, de lanbsp;part de Conor, deux chevaux a brides d’or.

L’EXIL DES FILS D’USNECH (i)

Pourquoi les fils d’Usnech s’exüèrent-ils ? Ce n’est pas difficile.

Les Ulates étaient a boire chez Fédelmid, fils de Dall, conteur de Conor. La femme de Fédelmid, en outre, ynbsp;était pour servir la compagnie, et elle était grosse. Lesnbsp;cornes et les parts circulaient a la ronde et la gaité denbsp;1’ivresse se manifestait. Quand il fut temps de se cou-cher, la femme alia a son lit. Comme elle traversait lanbsp;maison, I’enfant, dans son sein, cria (2), de telle sortenbsp;qu’on I’entendit dans toute la coiir. A ce cri, tous lesnbsp;gens se jetèrent les uns sur les autres et s’entassèrentnbsp;tête centre lête dans la maison. Alors Sencha fils d’Ailillnbsp;les interpella : « Ne bougez pas , dit-il; qu'on nousnbsp;amène la femme pour qu’on sache d’ou vient ce bruit. »

(1) nbsp;nbsp;nbsp;Texte d'après Ie Livre de Leinster, mauuscrit dunbsp;XII* siècle, avec variantes des xiv® et xv® siècles. Traductionnbsp;anglaise par O'Curry, Atlantis, III, 1862, p. 377-422; traductionnbsp;fran^aise chez H. d’Arbois de Jubainville, L'Épopée eeZfigae,nbsp;p. 220-236; traduction allemande par R. Thurneysen, Sagen,

p. 11-20.

(2) nbsp;nbsp;nbsp;C’est Ie thème, bien connu en folklore, de 1'enfant quinbsp;crie OU parle avant de naitre.

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Alors on leur amena la femme. Son marl Fédelmid dit:

Quel bruit violent gronde — et tempête dans ton sein mugissant ? — bruit qui est venu aux oreilles ? — entre tesnbsp;deux cótés fortement enflés, — grande frayeur il produit;nbsp;— mon coeur est cruellement blessé.

Alors, on 1’envoya a Cathba, car celui-ci était on savant :

Que Cathba au beau visage entende ! — ó grand dia-dème de prince magnifique, grandi — par des charmes de druide.

— Ce n’est pas a moi que sont les belles paroles, — 1’éclat de la science, — car la femme ne sait pas — ce quinbsp;est dans son sein, — ce qui a crié dans Ie creux de sonnbsp;sein.

Alors Cathba dit :

Dans Ie creux de ton sein cria — une femme aux boucles blondes, — aux superbes yeux gris bleu ; — de digitale sontnbsp;ses joues pourpre foncée. — A la couleur de la neige nousnbsp;comparons — Ie trésor de ses dents sans défaut; — ses lèvresnbsp;sont éclatantes comme 1’écarlate; — femmeponr qui il y auranbsp;bieu des meurtres — parmi les guerriers ulates. — Dans tonnbsp;sein gronde et crie — une femme a la belle chevelurenbsp;longue ; — pour elle des héros lutteront; — nombre de grandsnbsp;rois la demanderont; — elle sera entraiuée a 1’ouest avecdenbsp;grandes Iroupes — secrètement hors de la province de Conor.nbsp;— Ses lèvres seront écarlates, — autour de ses dents denbsp;perles ; — de grandes reiues seront jalouses — de sa beauténbsp;souveraine sans défaut.

Pais Cathba mit la main sur Ie sein de la femme et, sous la main, l’enfaat s’agita. — « Kn vérité, dit-il,nbsp;c’est une fille qui est Ih, son nom sera Deirdré et il y

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aura du mal a cause d’elle. » La fitle naquit ensuite et Cajhba dit ;

O Deirdré, tu détruiras beaucoup, — bien que tu aies tm beau visage i l’illustre blancheur. — Les Ulates souifrirontnbsp;eutou temps, — ó noble füle de Fédelmid!

Un malheur arrivera plus tard, — a cause de foi, ó femme brillante ; — c'est en ton temps qu'aura lieu, écoute, — l’exilnbsp;des trois grands fils d’Usnech.

C'est en ton temps qu’un acte de violence — sera accompli en Emain ; — on regrettera longtemps après de n’avoir plus

— nbsp;nbsp;nbsp;la protection du grand fils de Roeg.

C’est par toi, ó femme, qu’arrivera — l’exil de Fergus hors d’Ulster; — et uu fait sur lequel on pleurera, — Ienbsp;meurfre de Fiachua, fils de Conor,

C’est par ta faute, ó femme, qu’arrivera — Ie meurtre de Gerrcé; fils d’Illadan, — et un fait de non moindre importance, — Ie massacre d’Eogau, fils de Durthacht.

Tu feras un acte haïssable, violent, — par ressentiment contre Ie grand roi des Ulates ; — en quelque endroit quenbsp;soit ta tombe — ily aura une fameuse histoire, ó Deirdré!nbsp;O Deirdré!

« Que l’on tue la fille! dirent les jeunes guerriers.

— nbsp;nbsp;nbsp;Nou pas, dit Conor. Qu’on me l’appcrte demain »,nbsp;dit Conor, « et on l’élèvera d’après mes ordres, et ellenbsp;sera la femme qui vivra avec moi». Les Ulates n’osèrentnbsp;pas Ie contredire. Ainsi fut fait. Elle fut élevée cheznbsp;Conor et deviut la plus jolie fille qu’il y eüt en Irlande.nbsp;C’est dans uu chateau a part qu’elle fut élevée, pournbsp;qu'aucun homme d’ülster nc la vit jusqu'au moment oünbsp;elledormirait avec Conor, et on ne laissapersonne entrernbsp;dans la maison, sauf sa nourrice et Leborcham h quinbsp;on ne pouvait s’attaquer, car elle était sorcière.

Une fois, Ie tuteur de la jeune fiUe écorchait un veau sur la neige, dehors, en hiver, pour Ie luinbsp;servir, quand il vit un corbeau qui buvait Ie sang sur lanbsp;====== 78nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;V.--:-nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;=

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neige (1). Alors elle dit a Leborcham : « Le seul hotnme que j’aimerais serait celui qui aurait sur lui cesnbsp;trois couleurs-la : la chevelure comme le corbeau, lanbsp;joue comme le sang et le corps comme la neige. —nbsp;Dignité et bonheur a toi! dit Leborcham; il n'est pasnbsp;loin de toi, il est dans la maison prés de toi : c’estnbsp;N6isé, fils d’Usnech. -— Je ne serai pas bien portante,nbsp;dit-elle, que je ne l’aie vu. »

Cette fois-la, N5isé était seul sur le mur du rempart d’Emain a chanter. Elle était harmonieuse la voix desnbsp;fils d’Usnech. Toute vache et tout animal qui l’enten-dait donnait deux tiers de lait en plus. Tout homme quinbsp;1’entendait éprouvait un sentiment de paix et de joie.nbsp;Leur adresse aux armes était grande. Toute la provincenbsp;d’Ulster aurait eu beau se réunir autour d’eux en unnbsp;seul endroit, s’ils s’étaient adossés tous les trois les unsnbsp;aux autres, elle n’aurait pas remporté la victoire surnbsp;eux, a cause de la supériorité de leur riposte et de leurnbsp;défense. Ils étaient aussi rapides que les chiens pournbsp;poursuivre le gibier et tuaient les daims a la course.

Comme Ndisé était dehois tout seul, Deirdré s’échappa et passa prés de lui, mais il ne la reconnut pas. —nbsp;« El!e est belle, dit-il, la génisse qui passe prés denbsp;nous. — II faut, dit-elle, de grandes génisses la oünbsp;il n’y a pas de taureaux — Tu as, avec toi, le tau-reau de la province, dit-il, le roi d’Ulster. — Jenbsp;voudrais choisir entre vous deux, dit-elle, et je vou-drais avoir un jeune petit taureau comme toi. — Non

sa peau et aux pommettes de ses joues —nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;-nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;............. . 79

(1) Dans le roman gallois de Pérédur, un jour oü il était tombé de la neige pendant la nuit et oü un corbeau avaitnbsp;tué un canard, Pérédur, eu voyant la noirceur du corbeau,nbsp;la blancheur de la neige, la rougeur du sang, songe a lanbsp;chevelure de la femme qu’il aimait le plus, a la couleur de

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pas,» dit-il. Aussitöt elle s’élance sur lui et Ie prend par les deux oreilles. — « Voici deux oreillcs de honte et denbsp;moquerie, dit-elle, si tu ne m’emmènes pas avecnbsp;toi (1). — Éloigne-ioi de moi, ó femme, dit-il. —nbsp;Je serai a toi, » dit-elle. Aussitöt il fit entendre sa voix,nbsp;Quand les Ulates entendirent la voix, chacun se jetanbsp;sur 1’autre.

Les fils d’üsnech soitirent pour retenir leur frère, —

« Qu’est-ce qui t’arrive? dirent-ils; il ne faut pas que les Ulates s'entre-tuent par ta faute ! » Alors il leurnbsp;raconta ce qui lui était arrivé. — « Cela tournera mal,nbsp;dirent les jeunes gens. Quoi qu’il en soit, tu ne serasnbsp;pas exposé a la honte, tant que nous serons en vie.nbsp;Nous irons avec elle dans un autre pays. Il n’y a pas ennbsp;IrJande de roi qui ne nous accueille. » Ils tinrent con-seil. Its partirent cette nuit-la; ils avaient trois cinquan-taines de guerriers, trois cinquantaines de femmes, troisnbsp;cinquantaines de chiens, trois cinquantaines de valetsnbsp;et Deirdré avec eux.

lis passèrent un long temps en service aux alentours, mais on essaya souvent de les mettre a mort chez desnbsp;rois d'Irlande, par la malice et la ruse de Conor,nbsp;d'Esraaid au sud-ouest jusqu’a Benn Étair au nord-est, eten sens inverse. Cependant les Ulates les chassèrentnbsp;en Écosse et ils s’établirent dans un désert. Qaand Ienbsp;gibier de la montagne leur manqua, ils s’en prirent auxnbsp;bestiaux des hommes d'Écosse. Alors ceux-ci vinrentnbsp;un jour pour les exterminer, mais les fils d’Usnechnbsp;allèrent trouver Ie roi d’Écosse, qui les prit a son service et h la solde duquel ils se mirent. lis construisirentnbsp;leurs maisons dans la prairie; c’était pour la fiUenbsp;qu’ils avaient fait les maisons, pour que personne ne la

(1) Cette moquerie était un tabou qui obligeait Nóisé.

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=' nbsp;nbsp;nbsp;¦nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;—..... L’EPOPEE IRLANDAISE

vit, de crainte qu'on ne les tuat a cause d’elle.

Une fois done, l’intendant du roi vint, un matin de bonne heure, faire Ie tour de leur maison, et il vit Ienbsp;couple endormi. II alia ensuite éveiller Ie roi. — « Nousnbsp;n’avons pas trouvé, dit-il, jusqu’ici, une femmenbsp;digne de toi. II y a auprès de Nóisé fils d’Usnech unenbsp;femme digne du roi de l’Occident. Que 1’on tue Nóisénbsp;sur 1'heïire et que la ftmme dorme avec toi! dit l’in-tendant. — Non, dit Ie roi, mais va lui faire manbsp;cour, chaque jovir, secrètement. » Ainsi fut fait. Maisnbsp;tout ce que l’mtendant lui disait, elle Ie raconfait aussi-tót a son mari, la nuit. Commeii n’en pouvait rien obte-nir, il ordonna aux fils d’Usnech d’aller a des combatsnbsp;dangereux et des expéditions difficiles, pour qu’ils ynbsp;fussent tués. Mais ils sortirent sains et saufs de toutesnbsp;les balailles, et ces tenlatives ne purent rien sur eüx.

Les hommes d’Écosse, sur Ie coaseil de l’intendant, se rassemblèrent pour les tuer. EUe Ie raconta a Nóisé.

— nbsp;nbsp;nbsp;« Partez d’ici, dit-elle, car si vous ne vous ennbsp;allez pas cette nuit, vous serez tués demain. » Ils par-tirent cette nuit-la et s’en furent dans une ile de lanbsp;mer, Cela fut raconté aux Ulates. — « II est malheu-reux, ó Conor, dirent les Ulates, que les fils d'Us-nech tombent en pays ennemi par la faute d’une mau-vaise femme. II vaudrait mieux qu’on les accompagn^tnbsp;et qu’on les tuat et qu’ils vinssent dans leur pays, quenbsp;de succomber chez des ennemis, — Qu’ils viennentnbsp;done, dit Conor, et que des cautions aillent a leurnbsp;rencontre! » On leur porie cette nouvelle. — « Volon-tiers, dirent-i's, on ira et que Fergus, Dubthach etnbsp;Cormac fils de Conor viennent nous caulionner ! »•nbsp;Ceux-ci vinrent et ils se prjrent les mains dés leurnbsp;débarquement.

On discuta pour savoir si Von inviterait, sur Ie conseil

— nbsp;nbsp;nbsp;81 ¦

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L’ÉPOPÉE IRLANDAISE ====^== de Conor, Fergus a boire de ila bière, car les füs d’Us-nech avaient dit qu’ils ne prendraient aucune nourriturenbsp;en Irlande avant d’avoir mangé chez Conor (1). Alorsnbsp;Fiacba fils de Fergus alia avec eux, tandis que Fergusnbsp;et Dubthach restaient et les fils d’Usnech arrivèrent anbsp;la prairie d’Emain. C’est la aussi que vint Eogan, fils denbsp;Durthacht, roi de Fernmag, pour faire sa paix avecnbsp;Conor, car il éiait brouillé avec lui depuis longtemps.nbsp;C’est lui qui fut chargé de tuer les fils d’Usnech, et desnbsp;soldats de Conor l’accompagnaient pour leS empêchernbsp;d’arriver jusqu’au roi.

Les fils d’Usnech étaient debout au milieu de la prairie et les femmes assises sur la muraille d’Emain. Eogan arriva en examinant la prairie, mais Ie fils de Fergusnbsp;se plaga a cóté de N6isé. Eogan lui souhaita la bienvenuenbsp;d’un coup pénétrant de grand javelot, qui lui traversanbsp;Ie dos. Aussitöt Ie fils de Fergus s’élanq;a, mit les deuxnbsp;mains sur Nóisé et Ie mit sous lui, en sorte qu’il était surnbsp;lui. Et c’est ainsi que fut frappé N6isé, a travers Ie filsnbsp;de Fergus. Ensuite on tua a travers la prairie, en sortenbsp;que personne n’échappa a la pointe des javelots ou aunbsp;tranchant des glaives, et Deirdré fut amenée devantnbsp;Conor, les mains liées derrière Ie dos.

On raconta cela [ensuite a Fergus, a Dubthach et a Cormac. Ils arrivèrent et firent aussitöt de grandsnbsp;exploits : Dubthach tuaMané fils de Conor, et Fiachna

(1) Dans une redaction plus moderne, il est raconté, plus clairemeut, comment Fergus, qui avait garanti la sécurité desnbsp;fils d’Usnech, fut invité par Borrach a rester a diner cheznbsp;lui. Or Fergus avait comme tabou de ne pas refuser unenbsp;invitation a diner et de ne pas quitter Ie festin avant qu’ilnbsp;ne fiit termiué. II dut done abandonner les fils d’Usnech ennbsp;les confianta la garde de ses fils. H. d’arbois db jubainville,nbsp;L’Épopée ceUique en Mande, p. 261-262.nbsp;====== 82 =======

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fils de Fédelm fille de Conor; Fergus tua Pied-Fort, fils de Pied-Large, et son frère. Conor s'en oftensa et unnbsp;combat s’engagea entre eux pendant un jour entier;nbsp;rois cents Ulafes y succombèrent. Dubthach tua les fillesnbsp;d'Ulster et, avant le matin, Fergus briila Emain. Puisnbsp;ils allèrent chez Ailill et Mève, car ils savaient que cenbsp;couple les accueillerait. Trente centaines, tel était lenbsp;nombre de ces exiles ; jusqu’a la fin de seize annees, ilsnbsp;ne cessèrent de causer aux Ulates plainte et terreur,nbsp;mais chaque nuit ceux-ci criaient et tremblaient.

Elle fut un aa auprès de Conor, et de tout ce temps-la, on ne vit pas sa bouche sourire ; elle ne mangea ni nenbsp;dormit son content et eltene leva pas la tête de dessussesnbsp;genoux. Quand les jongleurs lui étaient amenés, voici cenbsp;qu’elle disait:

Quelque beaux que soient a vos yeux les héros — qui marchent vers Emaiu ; — plus noblement marchaient versnbsp;leur maison — les trois fils héroïques d’Usnech.

Noise, avec un hydromel de belles noisettes; — je le la-vais auprès du feu ; — Ardau, avec un cerf ou un pore exquis ; — Andie avec un fagot sur son grand dos.

Quelque doux que soit pour vous 1’hydromel exquis, — que boit le fils deNess le batailleur, — j’avais auparavantnbsp;sur la rive — nourriture abondante et plus douce.

Quaud le noble Noise avait arrange — la viande a cuire sur le bois, noble table, — toute nourriture était plus doucenbsp;mille fois — que procurait le fils d’Usnech.

Quelque harmonieux que soient pour vous chaque mois

— nbsp;nbsp;nbsp;les flutistes et les cornistes, — voici ce que j’avoue au-jourd’hui : — j’ai entendu une musique bien plus harmo-nieuse.

Harmonieux sont pour le roi Conor — les flutistes et les cornistes; — plus harmonieuse est pour moi — la voix desnbsp;fils d’Usnech.

Sou de vague, la voix de Nóisé — était imc harmonie h

— nbsp;nbsp;nbsp;------ 83 nbsp;nbsp;nbsp;—

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L’ÉPOPÉE IRLANBAISE ^ - - nbsp;nbsp;nbsp;----- -

écouter toujours; — la voix de médium d’Ardam était bonne,

— nbsp;nbsp;nbsp;et la voix haute d’Andlé, hors de sa hutte.

De Nóisé ou a fait la tombe ; — triste fut la protection (1);

— nbsp;nbsp;nbsp;ceux par qui il a été élevé ont distribué — Ie breuvage denbsp;poison dont il est mort.

Chère Berthan, jolie campagne — riche en hommes quoique montagaeuse, — il est triste que je neme léve pas aujonr-d’hui — pour attendre Ie fils d’Usnech.

Cher esprit ferme, juste, — cher guerrier, grand, modeste; aprés avoir traversé Ie bois de F41, — cher entretien aunbsp;petit matin.

Cher oeil bleu aimé des femmes, — dur pour les enne-mis ; — aprés Ie tour de la forét, noble réunion, — chère voix haute a travers 1’obscurifé du bois.

Je ne dors plus ; — mes ongles ne sont plus de pourpre ;

— nbsp;nbsp;nbsp;la joie ne vient plus é mes veilles, — depuis que ne vieu-nent plus les fils d'Usnech.

Je ne dors pas — la moitié de la nuit, dans mon lit; — mon esprit se lauce parmi les multitudes, — outre que je ne mangenbsp;ni ne ris.

De joieaujourd’hui jen'ai pas un moment; — dans l’assem-blée d’Emain oü vont les nobles ; — ni paix, ui plaisir, ni repos, — ui grande maison, ni belle parure.

Quelque beaux...

Quand Conor cherchait a la calmer, elle disait:

O Conor, que veux-tu? — Tu m'as causé chagrin et larmes;

— nbsp;nbsp;nbsp;quant a moi, taut que je resfe en vie,— ton amour pournbsp;moi ne sera pas trés grand.

Celui qui fut pour moi Ie plus beau sous Ie ciel, — et celui qui fut si cher, — tu me 1’as enlevé; c’est grand dommage, —nbsp;que je ne Ie voie qu’avec ma mort.

Disparue (tristesse pour moi) — la forme sous laquelle paraissent les fils d’Usnech, — tertre uoir de jais sur tmnbsp;corps blanc, — qui sera bien connu dans la foule des femmes.

(1) l.a protection de Fergus.

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•=— nbsp;nbsp;nbsp;-nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;-nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;L’ÉPOPÉE IRLANDAISE

Deux joues de pourpre plus belles qu’une prairie, — lèvres rouges, cils noirs comme Ie scarabée, — dents couleur denbsp;perles, — comme la noble teinte de la neige.

U m’éfait bien connu, son clair vêtement, —¦ parmi les gnerriers d'Ecosse; — sou manteau de belle pourpre pournbsp;1’assemblée, — avec sa bordure d'or rouge.

Sa tunique de satin, grand trésor — oü avaient élé cent mams, doux nombre ; — pour la broder, (il est évident),

— nbsp;nbsp;nbsp;[il y eut] cinquante onces de laiton.

ün glaive a poignée d’or dans sa main; — deux javelofs. gris a la terrible pointe; — un bouclier a bordure d’ornbsp;jaune, — et sur lui une bosse d'argent.

Le beau Fergus nous a fait grand tort — en nous faisant franchir la mer; — il a vendu son honneur pour de la bière,

— nbsp;nbsp;nbsp;ses hauts fails se sont écroules.

Si sur la plaine se trouvaient — les Ulates en presence de Conor, — je les dounerais tous, sans conteste, — pour lenbsp;visa! e de Nóisé fils d’Usnech.

Ne brise pas aujourd’hui mon coeur; — bientót j’atteiudrai ma tombe prématurée, ,— Le chagrin est plus fort que la mer,

— nbsp;nbsp;nbsp;le sais tu, ó Conor?

O Conor...

« Qui hais-tu le plus de ceux que tu vois ? dit Conor.

— nbsp;nbsp;nbsp;Toi, certes, dit-elle, et Eoganfils de Durthacht.

_Xu teras une année chez Eogan, » dit Conor.

II la remit aux mains d’Eogan. Le lendemain, ils allèrent a l’asscmblée de Tara. Elle était dans le charnbsp;derrière Eogan. Elle s’était promis qu’elle ne verrait pasnbsp;deux époux sur terre en même temps. — « Eh bien, 6nbsp;Deirdré, dil Conor, tu as I’oeil d’une brebis entre deuxnbsp;béliers, entre moi et Eogan. »

11 y avait un grand bloc de rocher devant elle. Elle se jeta, latêtecontie le bloc, en sorte qu’elle s’y brisa lanbsp;téte et mourut.

Voila l’Exil des fils d’Usnech, l’Exil de Fergus, et Ie meurtre des fils d'Usnt ch et de Dtirdré. Finit.

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L'EPOPEE IRLANDAISE

LA COÜRTISE DE FINDABAIR (i)

Fré.ech, fils d'Idach de Connacht, était fits de Befinn des Fees, qui était soeur de Boinn (2). C’était Ie plnsnbsp;beau héros des hommes d’Irlande et d’Écosse. Mats ilnbsp;ne vécut pas longtemps.

Sa mère lui avait donué dix vaches des fées; dies étaient blanches avec des oreilles rouges. II resta cheznbsp;lui pendant huit ans sans prendre femme. Cinquante filsnbsp;de rois formaient sa maison; ils étaient tons de mêmenbsp;amp;ge, de même aspect que lui, tant taille que maintien.

Findabair, fille d’Ailill et de Mève, se prit d’amour pour lui sur les rapports qu’on lui en faisait. On Ie luinbsp;dit dans sa maison. Alors il décida d’aller parler a lanbsp;jeune fille, et discuta cette affaire avec son peuple. —nbsp;« Va-t’en trouver la soeur de ta mère pour rapporternbsp;quelques vêtements merveilleux et présents des fées. »nbsp;II alia done vers la soeur, c’est-a-dire Boinn, et entranbsp;dans la plaine de Breg; il emporta cinquante manteauxnbsp;bleus dont chacun était pareil au dos d’un scarabée et

(1) nbsp;nbsp;nbsp;Texfe d’aprés Ie manuscrit XL de la Bibliofhèque desnbsp;avocats dEdimbourg, manuscrit du xvi® siècle. Traductionsnbsp;anglaisespar O’B. Crowe, Tain bó Frdich, 1870; A.-O. Anderson, Revue celtique, XXIV (1903), p. 127-154. Traductionnbsp;allemande par R. Thurneysen, Sagen, p. 115-125. Variantesnbsp;pubUées par Kuno Meyer, Zeitschriji für CeUische Philolo-gie, IV (1902), p. 31-47. Nous avons leiiu comple, dans la traduction, de ce texfe critique. Le tifre ordinaire de cette saganbsp;est « La Razzia de Fraech », qui est loind’en constituer lenbsp;principal épisode. Nous avons emprnnfé le vieux mot fran-9ais « courtise » pour rendre Tirlandais tochmarc, en anglaisnbsp;courtship.

(2) nbsp;nbsp;nbsp;Est-ce la rivière Boyne divinisée?

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avait quaire oreilles d’un gris sombre et portait une broche d’or rouge, cinquante tuniques blanches avec desnbsp;animaux d'or et d’argent; cinquante boucliers d’argentnbsp;avec des bordures ; une chandelle royale dans la mainnbsp;de chacun des hommes avec cin juante rivets de laitonnbsp;blanc, cinquante bosses d’or raffiné a chacune d'elles ; anbsp;leur extrémité, des embouts d’escarboucle; des pierresnbsp;précieuses a la tête, qui dans ia nuit brillaient commenbsp;les rayons du soleil. Ils eurent cinquante glaives a poi-gnée d’or, et chacun un cheval gris-doux, avec un morsnbsp;d’or, et une boude d’argent portant des clochettes d’or,nbsp;a son con. Cinquante caparapons de pourpre avec desnbsp;franges d’argent, des boucles d’or et d’argent et des têtesnbsp;d’animaux. Cinquante fouets de laiton blanc avec desnbsp;crochets d’or au bout de chacun. Et sept chiens denbsp;chasse avec des chaines d’argent et une pomme d’ornbsp;entre chaeun; des jambières de bronze oü aucune couleur ne manquait. Sept sonneurs de cor avec des corsnbsp;d’or et d’argent, des robes de toutes couleurs, de longsnbsp;cheveux dorés et jannes, des manteaux brillants. Troisnbsp;druides étaient devant eux, avec des diadèmes d’argentnbsp;rehaussés d’or. Chacun avait un bouclier avec des em-blèmes en relief, avec des crochets a crête, avec des c6tesnbsp;de bronze sur les cbtés. Trois harpistes, chacun d’unnbsp;maintien royal.

Its partirent done pour Cruachan en eet équipage. Le guetteur, duhautdu chateau, les aperput quand ils furentnbsp;arrivés k la plaine de Cruachan: «Je vois approchernbsp;du chèteau, dit-il, une nombreuse compagnie ; depuisnbsp;qu’AiUll et Mève ont pris le pouvoir, il n’est jamais venunbsp;et il ne viendra jamais uue compagnie plus belle et plusnbsp;brillante. Comme si j’avais Ia tête dans une cuve de vinnbsp;est le soufflé de la brise qui passe sur eux. Les tours etnbsp;les jeux que fait le jeune homme qui est parmi eux, je

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n’en ai jamais vu de pareils. II jette son javelot a la distance d’nne portee loin de lui; avant qn’il atteigne Ie sol,nbsp;les sept chiens aux sept chaines d’argent l’attrapent. »

La-dessus, la troupe qui était dans Ie chèteau de Cruachan vint pour les regarder; les geus s’écrasèrentnbsp;les uns les autres en sorte que seize hommes moururentnbsp;en les regardant. Ils descendirent de cheval a la portenbsp;du chateau. Ils débridèrent leurs chevaux et lachèrentnbsp;leurs chiens. Ceux-ci rabattirent sept daims jusqu’auxnbsp;remparts de Cruachan et sept renards et sept bêtes denbsp;la plaine(l) et sept sanghers; les jeunes gens les tuèrentnbsp;dans la première cour du chê-teau, Puis les chiens sautentnbsp;dans la Bray et attrapent sept loutres et les apportentnbsp;au même tertre, a la porte de la première enceinte. Puisnbsp;ils s’assirent. On vint les trouver de la part du roi. Onnbsp;leur demands d’oh ils étaient. Ils se nommèrent, avecnbsp;leur vrai lignage. — « Fréech lils d’Idach est la, »

dirent-ils, On alia Ie dire au roi et a la reine. _

« Qu'ils soient les bienvenus, dirent Ailill et Mève. — C’est un noble jeune homme, ajouta AiliU. Qu'ilnbsp;entre dans la cour ! » On leur accorda un quart de lanbsp;maison.

Voici la description de la maison : sept hts dorés, du foyer a la muraille, dans la maison tout antour; unnbsp;fronton de bronze a chaque ht; des cloisons d’if rougenbsp;joliment tacheté, trois bandes de bronze autour denbsp;chaque lit (2); sept bandes de cuivre, du chaudron anbsp;boeuf jusqu’au toit de la maison. La maison éta t denbsp;sapin, couverte a l’extérieur de bardeaux. II y avaitnbsp;seize fenêtres a la maison et des cadres de cuivre acha-

(1) nbsp;nbsp;nbsp;Periphrase pour designer les lièvres.

(2) nbsp;nbsp;nbsp;Ce sont des lits de repos, comme ceux des salles a manger des Remains.

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^ nbsp;nbsp;nbsp;.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;L’EPOPEE IRLANDAISE

cune. Un joug de cuivre en travers du trou du toit. (Juatre piliers de cuivre aux lifs d’Ailill et Mève; ilsnbsp;étaient tous faits de bronze de cuivre et Ie lit était aunbsp;centre même. A l’entour, il y avait deux frontons d’ar-gent couverts d’or. Une baguette d’argent, du frontonnbsp;rejoignait les traverses de la maison et 1’entourait d’unenbsp;porte a 1’autre.

I!s pendirent leurs armes dans la maison; ils s’assirent et on leur fit bon accueil : « Soyez les bienvenus,nbsp;dirent Ailill et Mève. — C’est pour cela que nousnbsp;sommes venus, répondit Fraech. — Ce ne serait pasnbsp;facile de se quereller, » dit Mève. Puis Ailill et Mève senbsp;mirent a jouer aux échecs. Alors Frèech commence unenbsp;partie d’échecs avec un bomme de sa maison. Le jeunbsp;était splendide : réchiquier de bronze blanc avec quatrenbsp;oreilles et des coudes d’or; une chandelle depierre pré-cieuse l’éclairait; les pièces de l’échiquier étaient d’or etnbsp;d’argent. — « Préparez a manger aux.jeunes gens,nbsp;dit Ailill. — Ce n’est pas ce que nous voulons, ditnbsp;Mève, mais je désire jouer aux échecs avec Frftech.nbsp;— Je veux bien que tu y ailles, » dit Ailill. Alors Mèvenbsp;va trouver Fraech et joue avec lui. Pendant ce temps,nbsp;les gens de la maison faisaient cuire le gibier.

« Que tes harpistes nous jouent quelque chose, main-tenant, dit Ailill. — Jouez done, » dit Fraech. Un sac de peau de loutre, bordé de cuir écarlate, d’or etnbsp;d’argent, entourait chaque harpe; au centre, la peaunbsp;d’un chevreuil, aussi blanche que neige, mais avec desnbsp;yeux d’un gris sombre au milieu, et des garnitures de linnbsp;sur les cordes, aussi blanches qu’un manteau de cygne.nbsp;Les harpes étaient d’or, d’argent et de bronze blanc, avecnbsp;des figures de serpents; d'oiseaux et de chiens en or etnbsp;en argent. Quand on touchait les cordes, ces figuresnbsp;couraient en rond autour des hommes. Alors ils jouèrent,

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L’EPOPEE IRLANDAISE et douze hommes de la maison d'Ailill et de Mève mou-rurent a force de pleurer et de s’attrister.

Ces trois harpistes étaient de bons mélodistes, et les lois d’Uaithné furent alors. Ce fameux trio se compo-sait de trois frères : Pleureur, Rieur, Endormeur. Boinnnbsp;la fee était leur mère et on les nommait ainsi des airsnbsp;qne jouait Uaithné, la harpe de Dagdé. Quand leur mèrenbsp;était en travail, la harpe pleura de tristesse, aux premières douleurs; elle sourit, rit et se réjouit au milieu,nbsp;k la naissance des deux premiers fils; elle fut doucemeutnbsp;endormante a la naissance du dernier, qui fut pénible,nbsp;C’est de la que fut nommée la troisième partie de lanbsp;musique. Puis Boinn se réveilla de sou sommeil. —nbsp;« J’accepte, dit-elle, tes trois fils, 6 Uaithné pleinenbsp;d’ardeur, puisqu'il y aura sommeil, rire et pleurs sur lesnbsp;vaches et les femmes qui iront avec Mève et Ailül. Lesnbsp;hommes mouriont, qui prêteront 1’oreille a leursnbsp;charmes. »

Ils s’arrêtèrent alors de jouer dans Ie palais. « C’est magnifiquement qu’il est venu, dit Fergus. — Distri-bue-nous la nourriture apportée a la maison, » ditnbsp;FrAech. Lothar parcourut la maison en distribuant lanbsp;nourriture. II coupait chaque jointure sur la paume denbsp;la main avec son glaive et il ne touchait viande ni peau.nbsp;Depuis qu’il avait la charge de distribuer les portions, sanbsp;main ne les gaspiliait jamais.

Pendant trois jours et trois nuits, Mève et Friech jouèrent aux échecs a la lueur des pierres précieuses.nbsp;Enfin Frdech s’adressa h Mève : « II suffit, dit-il,nbsp;que je t’aie gagnée; je ne prends pas ta mise; n’en soisnbsp;pas froissée. — Depuis que tu es dans ce chflteau, ditnbsp;Mève, voici Ie jour qui m’a semblé Ie plus long — C'estnbsp;évident, dit Frèech, voila trois jours et trois nuits quenbsp;nous jouons aux échecs. »

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Lè'dessus, Mève se leva; elle trouvait honteux d’avoir laissé les jeunes geus saas manger. Elle alia vers Ailill etnbsp;lui dit: « Nous en avons fait de belles! Les jeunesnbsp;gens venus du dehors n’ont pas eu a manger I — Tunbsp;as mieux aimé jouer aux échecs, dit Aihll. Cela n’em-péche pas de dislribuer de la nourriture aux gens dansnbsp;la maison. — II y a trois jours et trois nviits, dit-elle,nbsp;mais il n’y a pas a compter la nuit a cause de l’éclat desnbsp;pierres précieuses dans la maison. — Dites-leur done,nbsp;dit Ailill, de cesser leurs lamentations jusqu’a ce quenbsp;la dislribution leur soit faite. » On leur distribua knbsp;manger ; ils furent satisfaits et ils continuèrent a festoyernbsp;trois jours et trois nuits.

Puis Fr^ech fut appelé dans la maison par Ailill et Mève et ils lui demandèrent ce qui l'avait amené. — « Jenbsp;désirais, dit-il, vous faire visite. — La maisonnée n’estnbsp;pas ikchée de vous connaitre, dit Ailill; votre présencenbsp;vaut mieux que votre absence. — Je restera! done, ditnbsp;Framp;ech, une autre semaine avec vous. » Alors ilsnbsp;restèrent dans Ie chateau jusqu’a la fin de la quinzaine,nbsp;et chaque jour ils chassaient et rapportaient Ie produitnbsp;de leur chasse au chAleau. Les Connaciens venaient lesnbsp;visiter.

FrSech était cnnuyé de n’avoir pas eu d'entretien avec la fille, ce qui était Ie motif qui l’avait amené. Unnbsp;jour il s’était levé k la fin de la nuit pour se laver lesnbsp;mains a la fontaine. A ce même moment, elle était venuenbsp;aussi avec sa servante a la même fontaine pour se lavernbsp;les mains. II lui prit aussitöt les mains : « Reste a causernbsp;avec moi, dit-il; c'est pour toi que nous sommes venus.nbsp;— Ce serait une bonne fortune pour moi, dit la jeunenbsp;fille, si je Ie pouvais, mais je ne puis rieu pour toi. —nbsp;Dis-moi, t’enfuirais-tu avec moi? dit Friech. — Je nenbsp;m’enfuirais certes pas, dit Findabair, car je suis fille

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de roi et de reine. Ta pauvreté n’est pas tellc qne tu ne puisses m’obtenir de ma fami ie, et je«préférerais allernbsp;avec toi. C’est toi que j'ai aimé. Prends eet anneau,nbsp;dit la fille, et ce sera un gage entre nous. Ma mère menbsp;1’a donné a garder et je raconterai que je l’ai perdu. »nbsp;Puis its se séparèreut 1’un de 1'autre.

« Je crains, dit Ailill, la fuite de cette jeune fille-laavec FrAech. — Toutefois on pourrait la lui douner ; ce nenbsp;serait pas perdu, dit Mève, a condition qu’il vint avecnbsp;son bétail nous aider dans la razzia. » Alors Fraechnbsp;vint dans la maison pour leur par Ier ; » Est- ce un secretnbsp;qu'il y a entre vous? dit-il. — Quel qu’il soit, tu peuxnbsp;cependant y prendre part, dit Ailill. — Voulez-vousnbsp;me donner votre fille? » dit FrAech. Alors les gens senbsp;regardent les uns les autres. « On te la donnera, ditnbsp;Ailill, si tu me donue Ie douaire que je te demanderai.nbsp;Tu l’auras, dit FrS.ecli — Je demande trois vingtainesnbsp;de chevaux gris foncé pour moi, dit Ailill, avec leursnbsp;mors d’or et d’argent, douze vaches laitières dontnbsp;chacune donne du lait pour cinquante personnes, etnbsp;chacune avec un veau blanc aux oreilles rouges ; je tenbsp;demande aussi de venir avec nous avec toute ta troupenbsp;et tes musiciens, a la razzia de Cualngé ; ma fille seranbsp;a toi, pourvu que tu vieunes a l’expédition.— Je jurenbsp;par mon bouclier, par mon épée et par mes armes, ditnbsp;Fraech, que je ne donnerais pas un tel douaire, mêmenbsp;pour Mève de Cruachan. » Alors il les quitta et sortitnbsp;de la maison.

La-dessus Ailill et Mève conférèrent ensemble chez eux. Ils dirent : « S’il prend notre fille, cela nousnbsp;mettra mal avec maints rois et seigneurs d’Irlande. Cenbsp;qui vaudrait mieux serait de se jeter sur lui et de Ie tuernbsp;sur-le-champ, avaat qu’il ne nous détruise. — C'est mal,nbsp;dit Mève, et c'est un déshoanemquot; pour nous. — Ce nenbsp;= 92 ======

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sera pas un déshoaneur, dit Ailill, de la manière que j’etnploierai, »

Ailill et Mève entrent daas Ie palais. « Sortons maintenant, dit Ailill, pour voir les chiens chassernbsp;jusqu'a midi et jusqu’a ce qu’ils soient fatigues. » Puisnbsp;ils s’en vout tous a la rivière pour se baigner. «Onnbsp;m'a raconté, dit Ailill, que tu es bon dans 1’eau,nbsp;6 FrAech ; va dans l'étang, que nous te voyions nager.nbsp;— Comment est eet étang? dit-U. — Nous n’y connais-sons aucun danger, dit Ailül, et on s’y baignenbsp;fréquemment. » Alors FrS.ech 6te ses vêtements et vanbsp;dans l’étang, laissant a terre sa ceinture. Ailill ouvre lanbsp;bourse, y trouva l’anneau et Ie reconnut aussitèt.nbsp;« Viens la, dit Ailill, 6 Mève ! » Mève vint a 1’endroitnbsp;OU était AiliU, et il lui présenta l’anneau. « Lenbsp;reconnais-tu ? dit-il. — Certes, je le reconnais, »nbsp;dit Mève. Ailill le jette dans la rivière, Mais Früech s’ennbsp;aper^ut: il vit le saumon sauter dessus et le mettrenbsp;dans sa bouche. Fraech saute sur le saumon, le prendnbsp;par les ouïes, l’emporte sur la terre et le pose dans unnbsp;endroit caché sur la rive. Puis il se mit a sortir de 1’eau.nbsp;«Ne sors pas de l’eau, dit Ailill, sans m’apporternbsp;une branche de ce sorbier la-bas, sur le bord de lanbsp;rivière. Je trouve ses baies jolies. » Alors il part pournbsp;atteindre le sorbier, brise une branche de l’arbre et, lanbsp;portant sur son épaule, traverse l’eau pour revenir.nbsp;Findabair remarque que, quelque belle chose qu'ellc eütnbsp;vue, elle trouvait plus beau de voir Fraech sur l’étangnbsp;noir de Brei ; son corps trés blanc, sa trés bellenbsp;chevelure, sa jolie figure, ses yeux bleus, tendre jeunenbsp;homme sans aucune défectuosité : le visage étroit dunbsp;bas, large du haut; sa taille droite sans défaut; lanbsp;branche avec ses sorbes entre son cou et sa figurenbsp;blanche. Void cc que dit Findabair : « Je n’ai rien vunbsp;-nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;-nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;-: 93 =====================

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qui, a moitié ou au tiers, approcbat de sa beauté. »

Alors, de l'eau, il leur jeta les branches ; « Les baies sont splendides et superbes ; apporte-nous-en encore, »nbsp;dit Aiüll. FrAech retourne au milieu de l’èau. La Bétenbsp;l’y saisit : « Passez-moi un glaive, dit-il, la Bétenbsp;me tient. » Mais il n’y avait sar la rive aucun hommenbsp;qui osat lui en donner un, par crainte d’Ailill et de Mève.nbsp;Alors Findabair enlève rapidement ses vêtements et senbsp;jette a l’eau, avec 1’épée de Framp;ech. Son père lui lancenbsp;un javelot a cinq pointes a la distance d’une portee;nbsp;Ie javelot traverse ses deux tresses, mais Fraech l’attrapenbsp;a la main, et Ie lance vers la terre, avec la Béte encorenbsp;a ses c6tés ; il Ie jette avec une telle adresse qu’ilnbsp;traversa la robe de pourpre et la tunique d’Ailill. Alorsnbsp;les jeunes se groupent autour d’Ailill. Findabair sort denbsp;l’eau et laisse Ie glaive a Fraech ; celui-ci coupe la têtenbsp;a la Béte ; elle resta sur Ie cóté et il la ramena avec luinbsp;a terre. De la vient Ie nom de l’Étang Noir de Fraech,nbsp;dans la Bray, sur Ie territoire de Connacht.

Ensuite Ailill et Mève revinrent en leur chjlteau. — « Voila une belle affaire que nous avons faite! ditnbsp;Mève. — Nous nous repentons de ce que nous avonsnbsp;fait contre eet homme, car il n’est pas coupable.nbsp;Quant a notre fille, dit-il, ses lèvres mourrontnbsp;demain soir, et ce ne sera pas la faute d’avoir apporténbsp;Ie glaive qui lui sera imputée. Préparez un bain pournbsp;eet homme ! dit Ailill, un bouillon gras frais de viandenbsp;de génisse coupée au couperet et a la hache, et appor-tez-lc-lui dans Ie bain. » Tout fut fait comme il l’avaitnbsp;dit.

Les sonneurs de cor, avant cela, allèrent au chateau. Ils sonnèrent de telle sorte que frente des propres amisnbsp;d’Ailill et de Mève moururent du charme plaintif de lanbsp;musique. Puis Fraech entra dans Ie chMeau et se mit

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dans Ie bain, et les femmes s’asssmblèrent autonr de lui prés de la cuve pour Ie frotter et lui laver la tête ; puisnbsp;on Ie sortit du bain et on lui fit un lit.

Alors on entendit sur Cruachan uns lamentation, aux environs, et Pon vit trois cinquantaines de femmes ennbsp;tuniques de pourpre, avec des coiffures vertes, avec desnbsp;bracelets d’argent au poignet. On envoya vers ellesnbsp;pour savoir Thistoire qui causait leur lamentation. —nbsp;« C’est Fraech, fils d’Idach, dit la femme, Ie fils favorinbsp;du roi des fees d’Irlande. » La-dessus, FrAech entenditnbsp;la lamentation. — « Soulevez-moi, dit-il aux siens,nbsp;c'est la lamentation de ma mère et des femmes denbsp;Boinn. » Aussitöt, on Ie soulève et on Ie porte versnbsp;elles. Les femmes l’entourent et l'emportent ennbsp;Cruachan.

Le leudemain, a nones, on Ie vit revenir, avec cinquante femmes autour de lui ; il était guéri, sansnbsp;blessure ni mal; les femmes étaient du même ège, denbsp;la même taille, de la même beauté, avec 1’aspect desnbsp;fees, etii n’était pas possible de les distinguer les unesnbsp;des autres. Peu s’en fallut que les geas ne s’étouffassentnbsp;en se pressant autour d'elJes, Elles le quittèrent a lanbsp;porie de la cour. Elles continuèrent lemr lamentationnbsp;en s’en allant de sorte que les gens qui étaient dans lanbsp;cour en devinrent fous, et c’est de la que vient lanbsp;« Lamentaiion des Fées », chezles musiciens d’Irlande.

Puis il rentre dans le chateau. Toute l’assemblée se léve devant lui et lui souhaite le bienvenue, comme s’ilnbsp;était revenu d’un autre monde. Ailill et Mève se levèrentnbsp;et exprimèrent leur regret de ce qu’ils lui avaient fait;nbsp;*ls font la paix avec lui. Puis ce soir-la, ils se mirent anbsp;festoyer dans le palais. FrAech appelle a lui un jeunenbsp;bomme de sa troupe et lui dit : « Va-t’en a 1'endroitnbsp;eb je suis entré dans 1’eau ; j’y ai laissé un saumon ;nbsp;==nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;-nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;^ 95 ======================

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porte-le k Findabair; qu’elle l’apprête et Ie fasse biea cuire; l’anneau est a rintérieur. Je crois vraisemblablenbsp;qu’il ea sera question ce soir. » Puis l’ivresse s'emparanbsp;d’Ailill et de Mève et ils prirent plaisir aux chants etnbsp;au jeu.

Ailill dit a son intendant: « Qu’on m’apporte mes bijoux! » On les lui apporta tous alors et on les mitnbsp;devant lui. « Merveille des merveilles! » dit chacunnbsp;dans Ie palais. — « Appelez-moi Findabair! » dit Ailill.nbsp;Fidabair vint k eux avec cinquante filles de rois etnbsp;de seigneurs de Connacht. « Ma fille, dit Ailill,nbsp;l’anneau que je t'ai donné 1’an dernier, l’as-tu encore ?nbsp;Apporte-le-moi pour que les jeunes gens Ie voient; je tenbsp;Ie rendrai ensuite. — Je ne sais pas, dit-elle, cenbsp;qu'on en a fait. — Trouve-le done, dit Ailill, ilnbsp;faut que tu Ie cherches, ou que ton kme s’en aille de tonnbsp;corps. — Cela n'est pas juste, dirent les jeunesnbsp;gens; il y a déjk beaucoup de biens ici. — 11 n’y anbsp;aucun de mes joyaux que je ne donnerais pour ta fille,nbsp;ditFrkech, paree qu’elle m’a apporté ie glaive pournbsp;défendre ma vic. — Tu n’as point de joyau qui puissenbsp;l’aider si clle n'apporte pas l’anneau, dit Ailill. — IInbsp;n’est pas en mon pouvoir de te Ie donner, dit la fille;nbsp;fais de moi ce que tu voudras. — J’en jure par Ienbsp;dieu que jure ma tribu, tes lèvres mourront, si tunbsp;n’apportes pas l’anneau, dit Ailill. C’est paree quenbsp;c’est difficile que je te Ie demande; car je sais que jus-qu’a ce que reviennent ceux qui sont morts depuis Ienbsp;commencement du monde, il ne sortira pas de l’endroitnbsp;oü il a été jeté. — II ne viendra done pas pour unnbsp;trésor on une nécessité (1), dit la fille, Ie joyau que

(1) C'est-k-dire que Findabair ne cédera ui k la force ni k

attrait d’un cadeau.

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1’on demande. Je vais l’apporter, puisque voici bien des Jois qu’on Ie demande. — Tu n’iras pas, dit Ailill,nbsp;mals envoie quelqu’un Ie prendre. » La jeune fillenbsp;envoya sa servante pour Ie prendre : « J’en jure parnbsp;Ie dieu que jure ma tribu ; si on Ie trouve, je ne resterainbsp;pas plus longtemps sous ton pouvoir, quand même jenbsp;n’aurais d’autre occupalion que la débauche. — Je nenbsp;t’empêcberai pas même d’allerirouver legarfond’écurie,nbsp;si on trouve l’anncau, » dit Ailill. La-dessus, la servantenbsp;apporta Ie plat dans Ie palais ; dessus était Ie sanmonnbsp;cuit, avec un assaisonnement au miel que la fille avaitnbsp;préparé, et 1’anneau d’or était sur Ie saumon. Ailill etnbsp;Mève Ie considérèrent.

Puis on re^arda Frêech et celui-ci regarda sa bourse. — « II me semble qu’il est attesté que j’ai laissé manbsp;ceinture, dit Frêech. Par ta vraie royauté, dis-nousnbsp;ce que tu as fait de l’anneau. — Je ne te Ie célerainbsp;pas, dit Ailill. C’est k moi qu’est l’anneau qui étaitnbsp;dans ta bourse et je savais que c’était Findabair qui tenbsp;1’avait donné. C’est pourquoi je l’ai jeté dans 1’étangnbsp;noir. Par la vérité detoa honneur et de ta vie, 6 Frêecb,nbsp;raconte comment tu as pu Ie rapporter. — Je ne tenbsp;Ie célerai pas, dit Fraech. Le jour oü je trouvainbsp;l’anneau k la porte de la cour, je vis que c’était unnbsp;joyau de prix. Aussi le serrai-je aussitót dans ma bourse,nbsp;J’entendis, le jour oü j’allai a l’eau, la fille qui 1'avaitnbsp;perdu, le chercher, Je lui dis : « Quelle récompensenbsp;« aurai-je de toi si jele trouve ? » File me ditqu’clle menbsp;donnerait une année d’amour. Par basard je n’avais pasnbsp;1'anneau sur moi; je 1’avais laissé k la maison. Nous nenbsp;nous rencontrümes plus jusqu’a ce que nous neusnbsp;trom ümes, au moment oü elle me mit le glaive ennbsp;main, dans la rivière. Puis je te vis quand tu ouvrisnbsp;matourse et que tu jetas l’anneau dans l’eau. Je vis lenbsp;97nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;

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L’EPOPEE IRLANDAISE saumon qui sauta dessus et Ie prit dans sa bouche.nbsp;Alors, j’attrapai Ie saumon, Ie mis dans un manteau etnbsp;Ie passai a la fille. C’est ce saumon que voila sur Ienbsp;plat. »

Toute la maisonnée fut pleine de surprise et d’admi-ration devant cette histoire. — « Je ne donuerai pas ma pensée a un jeune homme d’Irlande autre que toi, ditnbsp;Findabair. — Engage-toi a lui, dirent Ailill et Mève;nbsp;viens avec nous, avec tes vaches, a la Razzia de Cualngé,nbsp;et quand fu seras revenu de l’Est avec tes vaches, vousnbsp;vous marierez la nuit même, toi et Findabair. — Jenbsp;Ie ferai, » dit Frèech.. Ils restèrent la jusqu’au lendemain.nbsp;Frdech et sa troupe s’équipèrent. Ils dirent adieu a Ailillnbsp;et k Mève. Puis ils partirent pour leur pays.

Or il était arrivé que ses vaches venaient d’etre volées. Sa mère vint a lui ; « II n’a pas été heureux, dit-elle,nbsp;Ie voyage que tu as fait. II te causera bien de l'ennui.nbsp;Tes vaches ont été volées, ainsi que tes trois fils et tanbsp;femme, et sont dans la montagne des Alpes. Trois desnbsp;vaches sont dans l Écosse du Nord, chez les Pictes. —nbsp;Alors, que faire? dit-il a sa mère. — Tu n’iras pas lesnbsp;chercher; tu ne vas pas donner ta vie pour elles, dit-elle. Tu auras par moi d'autres vaches. — Non, certes,nbsp;dit-il. II est de mon honneur et de ma vie d'aller trouvernbsp;Ailill et Mève, avec des vaches, pour la Razzia denbsp;Cualngé. — Tu n'obtiendras pas ce que tu cherches, »nbsp;dit sa mère. Lh-dessus, il la quitta.

Alors il partit avec trois neuvaines d’hommes, un faucon et un chien a laisse, en sorte qu’il arriva surnbsp;Ie territoire de l’Ulster, et rencontra Conall Cernachnbsp;dans les montagnes de Boirché. II lui fit part de sanbsp;recherche. « Ce que tu es en train de faire, dit celui-d, ne sera pas chanceux; tu auras beaucoup d’ennui,nbsp;quelle que soit ton intention. — Reste avec moinbsp;------- nbsp;nbsp;nbsp;98nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;=

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dit Fr^ech a Conall, poar venir avec moi, a quelque moment que nous nous trouvions. — Je viendrainbsp;certes, » dit Conall.

Ils partirent tous les trois; ils traversèrent la mer, Ie nord de l’Augleterre, la mer de Wight, et arrivèrent aunbsp;nord de la Lombardie, puis aux montagnes des Alpes.nbsp;Ils virent en face d’eux une jeune f Ue qui gardait desnbsp;moutons. — « Allons tous deux, dit Conall, 6 Fré.ech,nbsp;patler a la femme la-bas, et que nos jeunes geus restentnbsp;ici! » Ils allèrent done lui parler. Elle leur dit ; « D’oünbsp;êtes-vous? — D’Irlande, dit Conall. — II ne seranbsp;pas chanceux pour les hommes d’Irlande de venir en cenbsp;pays. Ma mère aussi est d’Irlande. — Aide-moi,nbsp;dit Conall Cernach, par amitié. Raconte-moi un peunbsp;nos voyages. En quelle espèce de pays sommes-nousnbsp;arrivés? dit-il. — Dans un pays affreux et terrible,nbsp;avec des jeunes guerriers rudes et rusés qui vont de toutnbsp;cöté enlever des vaches, des femmes et des vêtements,nbsp;dit-elle. — Qu’est-ce qu’ils ont pris, tout dernière-ment? — Les vaches de FrAech fils d’Idach, de l’Ouestnbsp;de rirlande, avec ses trois fils et sa femme, dit-elle. Sanbsp;femme est ici chez leroi, dans Ie chateau ; voici ses vachesnbsp;dans la terre devant vous. — Tu viendras a notrenbsp;aide? dit Conall. — Mon pouvoir est petit; je n’ainbsp;que de la science, dit-elle. — C’est Frèech qui est lanbsp;auprès de moi, dit Conall, et ce sont ses vaches, sanbsp;femme et ses fils qui ont é(é amenés ici. — Croyez-vous la femme fidéle? dit-elle. — Nous l’avons cruenbsp;fidèlequand elle est partie de chez nous ; mais ellene doitnbsp;pas être fidéle depuis son arivée ici, dit Fraech. — C’estnbsp;sans doute viai, dit-elle. Allez trouver la femme quinbsp;garde les vaches, dites-lui votre affaire. Elle est denbsp;race irlandaise et, en particuUer, d'U ster. »

Ils vont aussitbt vers elle, 1’abordent, se nomment a ^___________________99 nbsp;nbsp;nbsp;-

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L’ÉPOPÉE IRLANDAISE elle, et elle leur souhaite la bienvenue. — « Qu'est-ce quinbsp;vous amène? dit-elle. — C'est un grand ennui quinbsp;nous amène, dit Conall. C'est a nous que sont lesnbsp;Taches et les fils et la femme qui ont été amenés a cenbsp;chateau, dit Conall Ie victorieux. — II ne sera pasnbsp;chanceux, certes, pour vous, dit-elle, d'aller k lanbsp;recherche de la femme ; plus malaisé que tout, dit-elle,nbsp;est Ie serpent qui garde Ie chkteau. — Je ne suis pasnbsp;a la recherche de la femme, dit Frkech ; je ne la croisnbsp;pas fidéle ; nous savons que tu ne nous trompes pas,nbsp;paree que nous sommes de l’Ulster. — Quels hommesnbsp;d’ülster êtes-vous ? — Voici Conall Ie victorieux anbsp;mes cötés, dit Frkech, Ie meilleur guerrier d’Ulster, »nbsp;dit-il. Elle entoure de ses bras Ie con de Conall Ie victo-rieux : « Voici la destruction, cette fois-ci, dit-elle,nbsp;pnisque tu es venu, 6 Conall; car c’est toi qui, d’aprèsnbsp;une prédiction, détruiras ce chateau. Jem’en vais done,nbsp;dit-elle, a ma maison; je ne trairai pas du tout lesnbsp;vaches ce soir et je dirai que les veaux sont a téter ; jenbsp;laisserai la cour ouverte devant vous, car c’est moi quinbsp;la ferme d’ordinaire chaque soir. Vous viendrez dans Ienbsp;chkteau quand les jeunes gens du chkteau seront endor-mis. II n’y a de malaisé pour vous que Ie serpent qui estnbsp;au chkteau. Bien des gens lui sont abandonnés. —nbsp;Nous irons, quoi qu’il enrésulte, » dit Conall. On attaquanbsp;la forteresse au moment de la nuit. Le serpent fit unbondnbsp;et tomba endormi dans la ceinture de Conall Cernach.nbsp;Aussitbt ils pillent le chktean ; ils sauvent ensuite lanbsp;femme et les trois fils, emportant avec eux les plusnbsp;précieux joyaux du chiteau. Conall délia le serpent denbsp;sa ceinture sans que 1’un d’entre eux fit aucun mal anbsp;l’autre.

Ensuite ils allèrent dans le pays des Pictes du Nord et ils emmenèrent leurs trois vaches qui s’y trouvaient.

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r:- nbsp;nbsp;nbsp;1,'EPOPEE IRLANDAISE

Puis ils partirent pour Ie chateau de Ollach fits de Brian, en Aird h-Ua n-Eachdach, au dela de la mer, k l’Est.nbsp;C’est la que mourut Bicné fils de Loégairé, garqon denbsp;Conall Cernach, en conduisant les boeufs. De lui vientnbsp;Ie nom « Embouchure de Bicné » k Bennchur en Ulster,nbsp;et c’est la qu’ils firent traverser les vaches, et c’cstalorsnbsp;qu’elles perdirent leurs cornes au rivage de Bennchur,nbsp;et c’est de la que vient ce nom.

FrSech partit ensuite pour son pays avec sa femme, ses fils et ses vaches, en sorte qu’il alia avec Ailill etnbsp;Mève a la Razzia de Cualngé.

LA RAZZIA DE CUALNGÉ (1)

LE DIALOGUE SUR L’OREILLER

11 arriva une fois qu’Ailill et Mève, après avoir arrangé leur lit royal a laforteresse de Cruachan en Connaught,nbsp;eurent eet entreiien sur l’oreiller.

« Voici un dicton vrai, 6 femme, dit Ailill : bien est la femme qui est la femme d’un homme bien.nbsp;— Bien, eert es, dit la femme; mais pourquoi as-tu cettenbsp;idee? — Voila, répondit Ailill, c’est que tu vauxnbsp;plus aujourd’hui que Ie jour ou je t’ai emmenée. —nbsp;J’étais bien, avant toi, dit Mève, — C’est un bien

(1) Texte d’après Ie Livre de Leiuster, manuscrit du xn'siècle (Irische Texte, Extraband). Traduction allemandenbsp;par E. WiNDisCHiD/e altirischs He,ldensage Tain bó Cualngé,nbsp;1905. Traduction franyaise par H. D’Aebois de Jubainville,nbsp;Tdin bó Caalnge, Paris, 1907-1912. Traductions anglaisesnbsp;par St. H. O’Grady, chez E. Hull, The Cachallin saga,nbsp;Loudon, 18{9; L, W. Faraday, The Cattle raid of Caalnge,nbsp;Loudon, It 04; J. Dunn, The ancient Irish epic tale Tdinnbsp;bó Cualngé, lajndou, 1914.

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L’EPOPEE IRLANDAISE =--------- nbsp;nbsp;nbsp;---------

dont nousn'avons pas entendu parler et quenousn’avons pas connu, dit Ailill, mais tu vivais sur bien denbsp;femme, et des ennemis venant de la province la plusnbsp;voisine de toi t’eulevaient du butin et te pillaient. — Jenbsp;n’étais pas ainsi, dit Mève ; car mon père était Ie roinbsp;suprème d’Irlande, Eochaid Feidlech, lils de Find, filsnbsp;de Findoman, fils de Findên, fils de Findguin, fils denbsp;Rogen Ie rouge, fils de Rigen, fils de Blathacht, fils denbsp;Beothacht, fils d’Eana Ie rapide, lils d’Oengus Turbech.nbsp;Ilavaitsix filles : Derbré, Ethné, Elé, Clothru, Mugain,nbsp;Mève. C’était moi la plus noble et la mieux née d’entrenbsp;elles. Je leur étais supérieure en bonté et en générosité;nbsp;je leur étais supérieure pour la bataille, la lutte et Ie combat. C’est moi qai avais quinze cents mercenaires royaux,nbsp;fils d’exilés de leur pays, et autant defils d’hommeslibresnbsp;du pays. Et il y avait dix hommes pour chaque merce-naire, neuf hommes, huit hommes, sept hommes, sixnbsp;hommes, cinq hommes, quatre hommes, trois hommes,nbsp;deux hommes, uu homme pour chaque. C’était la gardenbsp;habituelle de la maison, dit Mève ; c’est pourquoi monnbsp;père m'avait donné une des cinq provinces d’Irlande,nbsp;la province de Cruachan ; aussi m’aopelle-t-on Mèvenbsp;de Cruachan. On vint de la part de Find, fils de Rossnbsp;Ie rouge, roi de Leinster, me demander, et de la partnbsp;de Cairbré Ie champion, fils de Ross Ie rouge, roi denbsp;Tara, et on vint de la part de Conor, f Is de Fachtna Ienbsp;puissant, roi d’Ulster ; on vint de la part d’Eocho Becnbsp;(Ie petit), et je n’allai pas ; car c’est moi qui exigeais unnbsp;présent de fiangailles (1) étonnant, tel que femme n’ennbsp;avait jamais demandé a un des hommes d’Irlande, a sa-voir : un mari sans avarice, sans jalousie, sans peur. Carnbsp;s’il était avare, Ie marichez qui je serais, notre union se-

(1) Coibche; c’est Ie prix payé au père de la future épouse.

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—- nbsp;nbsp;nbsp;----- L’EPOPEE IRLANDAISE

rait mal assortie, étant donné que je suis généreuse en largesses et présents et que ce serait une honte pour monnbsp;mari si j’étais plus généreuse que lui, tandis qu’il n’ynbsp;aurait pas de déshonneur si 1'on était aussi large desnbsp;deux cötés. Si mon mari était peureux, notre union nenbsp;serait pas mieux assortie, car a moi seule je romps lesnbsp;batailles,les luttes et les combats, etce serait un déshonneur pour mon mari que sa femme fut plus en vie quenbsp;lui, et il n’y aurait pas de déshonneur si l'on était vivantnbsp;des deux c6tés. S’il était jaloux, Ie mari chez qui je serais,nbsp;ce ne serait pas encore bien assorti, car je n’ai jamais éténbsp;sans un mari dans l’ombre d’un auire. J’ai done trouvélenbsp;mari qu’il fallait, c’est toi, AiUll fils de Ross Ie rouge denbsp;Leinster. Tu n’étais pas avare, tu n’étais pas jaloux, tunbsp;n’étais pas lache. Je t’ai donné comme présent de fian-^ailles — qui de droit revient a la femme — l’équipementnbsp;de douze hommes, un chariot valant trois fois sept captives, la largeur de ta figure d’or rouge, Ie poids de tonnbsp;avant-bras gauche de laiton blanc. Quiconque te causenbsp;de la honte, de la peine et de l’exaspération, tu n’as droitnbsp;a aucune compensation ni satisfaction que je n’aie, moi,nbsp;dit Mève, car tu Ie trouves être un homme sur bien denbsp;femme.

— Non, ce n’est pas mon cas, dit Ailill; mais j’ai deux frères, l’un règne a Tara, l’autre en Leinster : Finn ennbsp;Leinster et Cairbré a Tara. Je leur ai laissé Ie royaumenbsp;paree qu’ils étaient mes ainés, mais ils ne m’étaient pasnbsp;supérieurs en largesse et bonté. Je n’ai jamais entendunbsp;dire qu’une province d’Irlande fht bien de femme, sinonnbsp;cette province-ci seule. Je suis done venu, j’ai pris Ianbsp;royauté a la suite de ma mère, car Mata de Murescfillenbsp;de Maga était ma mère, et que pouvais-je avoir de mieuxnbsp;pour moi comme reine que toi qui te trouvais être la fillenbsp;du grand-roi d’Irlande ? — En tout cas, dit Mève, monnbsp;- 103 nbsp;nbsp;nbsp;=

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L’ÉPOPEE IRLANDAISE nbsp;nbsp;nbsp;.

bien est plias grand que Ie tien. — Je tronve cela éton-nant, dit Ailill, « car il n’y a personae qui ait plns de trésors, de richesses et de fortune que moi, et je ne sachenbsp;pas qu’il y en ait. »

LA CAUSE DE LA RAZZIA

On leur apporta ce qu’il y avait de moins précieux dans leurs trésors, pour qu’ils sussent lequel d'eutre euxnbsp;avait plus de trésors, de richesses et de fortune. Onnbsp;leur apporta leurs seaux, leurs cuves, leurs vaisseaux denbsp;fer, leurscruches, leurs bains de pied, leurs vases a anses.nbsp;On leur apporta leurs anneaux, leurs bracelets, leursnbsp;bagues de pouce, leurs bij oux d’or et leurs vêtements, tantnbsp;pourpres que bleus, noirs et verts, jannes que variés etnbsp;gris, bruns,tachetés et rayés. On amena leurs nombreuxnbsp;troupeaux de moutons des champs, des prés et desnbsp;plaines. On les compta, recompta, et on reconnut qu’ilsnbsp;étaient égaux en taille et en nombre, sauf qu’il y avaitnbsp;dans les troupeaux de Mève un béUer remarquable quinbsp;valait une captive, mais il y avait un bélier correspon-dantdans les troupeaux d’Ailitl. On amena leurs chevaux,nbsp;leurs coursiers et leurs manades des prairies et des pares.nbsp;II y avait, dans Ie troupeau de Mève, un cheval remarquable quivalait une captive, mais ii y avait un chevalnbsp;correspondant chez Ailill. On amena leurs nombreuxnbsp;troupeaux de pores des bois, des vallées et des fourrés ;nbsp;on les compta, recompta et reconnut. II y avait un verratnbsp;remarquable chez Mève et un autre chez Aihll. On leurnbsp;amena leurs troupeaux de bceufs, leurs bandes de bes-tiaux des bois et des déserts de la province. On lesnbsp;compta, recompta et reconnut; ils étaitnt égaux en taillenbsp;et en nombre, sauf qu’il y avait un taureau remarquablenbsp;pour les vaches d Aihll ; c'était Ie vtau d’une vache anbsp;Mève; il s’appelait Beau-Cornu, mais il n’avait pas voulunbsp;.'== 304

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être dans un bien de femme et il était parti cfaez les vaches du roi. Et c’était la même chose pour Mèvenbsp;que si elle n'avait pas possëdé un penny, car elle n’avaitnbsp;pas de taureau semblable pour ses vaches.

Alors Mac R6th Ie courrier fut appelé chez Mève et elle lui demauda de savoir oü il y avait un taureaunbsp;pareil a celui-la dans une des provinces d’Ir lande. —nbsp;«Je sais certes, dit Mac R6th, oü il y un taureau quinbsp;est bien plus beau ; c’est dans la province d’Ulster, dansnbsp;Ie canton de Cualngé, chez Düré fils de Fiachna ; onnbsp;l’appelle Ie Brun de Cualngé. — Va Ie trouver, 6nbsp;Mac R6th, et demande pour moi a Daré qu’ü menbsp;prête pour un an Ie Brun de Cualngé, et comme recompense de son pret il aura k la fin de Tannée cinquantenbsp;génisses et Ie Brun de Cualngé lui-même. Porte-lui unenbsp;autre proposition, 6 Mac R6th; si les gens de la fron-tière et ceux du pays prennent mal Ie prêt d’unnbsp;trésor si rare, il aura une terre égale a la sieune dansnbsp;les champs de la plaine d’Ae, un char de la valeur denbsp;sept captives, et il aura l'amitié de ma hanche. »

Alors les courriers allèrent chez Daré fils de Fiachna. Les courriers qui se rendirent chez Daré étaient aunbsp;nombre de neuf. On fit ensuite bon accueil ü Mac R6thnbsp;dans la maison de Düré. C’était naturel, car Mac R6thnbsp;était Ie courrier en chef. Düré demanda a Mac R6th ce quinbsp;causait son voyage et pourquoi il était venu. Le cour-rier raconta pourquoi ü était venu, ainsi que la disputenbsp;entre Mève et Ailill «c'est pour demander le prêt dunbsp;Brun de Cualngé pour rivaliser avec le Beau-Comu quenbsp;fe suis venu, dit-il, et en récompense du prêt tu rece-vras cinquante génisses, le Brun de Cualngé lui-même,nbsp;et encore autre chose de plus. Viens toi-même avec tonnbsp;taureau, et tu auras une terre égale a la tienne, dansnbsp;les champs de la plaine d’Ae, et un char de la valeur denbsp;r- Inbsp;nbsp;nbsp;nbsp;-nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;—nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;105nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;

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sept captives et Tamitié de lahanche de Mève par-dessus Ie marché. »

D^ré trouva agréable la proposition ; il se remua tant que les coutures de sa courte-pointe craquèrent sous lui,nbsp;et il dit : « Par la vérité de notre conscience, queUe quenbsp;soit a ce sujet l’opinion des Ulates, de ce coup-ci, cenbsp;trésor, Ie Brun de Cualngé, sera conduit a Ailill et anbsp;Mève dans Ie territoire de Connaught. » Mac R6th futnbsp;enchanté de ce qu’avait dit ie fils de Fiachna.

La-dessus, on les servit et on répandit sous eux de la paille et des roseaux frais (1). Du manger de choix leurnbsp;fut apporté, on leur distribuaunfestin, ensortequ’üstom-bèrent dans une ivresse bruyante. Une conversationnbsp;s’engagea entre deux des courriers : « Ma parole vraie,nbsp;dit l’un, c’est un brave homme que Ie maitre de lanbsp;maison oü nous sommes. — Certes oui, dit 1’autre.nbsp;— Y a-t-il quelque Ulate qui soit meilleur que lui?nbsp;dit encore Ie premier. — Oui certes, dit Ie second,nbsp;meilleur est Conor h qui il est, et quand méme tousnbsp;les Uiates seraient réunis autour de lui, ils n’auraientnbsp;pas honte. C’est trés bien a Daré de nous donner a nousnbsp;neut courriers Ie Brun de Cualngé, alors que ce seraitnbsp;un travail pour les quatre provinces d’Irlande de 1'en-lever du territoire de l’Ulster. » Puis un troisième cour-rier lia conversation avec eux : « De quoi parlez-vous ? »nbsp;dit-il. Le courrier reprit ; « C’est un brave hommenbsp;que le maiïre de la maison oü nous sommes. — Certesnbsp;oui, dit l’autre. — Y a-t-il quelque Uiate qui soitnbsp;meilleur que lui ? dit encore le premier. — Oui certes,nbsp;dit le second, meilleur est Conor k qu’il est, et quand

(1) De même, les Gaulois. d’après Athénée (IV, 36), s'as-seyaient sur du foiu autour de tables peu élevées au-dessus du sol.

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=-- I.’EPOPEE IRLANDAISE

même tous les Ulates seraient réunis autour de lai, i s n’auraient pas honte. C’est trés bon a Daré de nousnbsp;donner a nous neuf courriers Ie Brun de Cuaingé alorsnbsp;que ce serait un travail pour les quatre provinces d’Ir-lande de l'enlever duterritoirede l’Ulster. Jenetrouve-rais pas excessif que la bouche d'oü ces mots sont sortisnbsp;vomit des flots de sang, car s’il n’avait pas été donnénbsp;de bon gré, il aurait été enlevé de force. »

A ce moment entrait Ie maitre d’bötel de Daré fils de Fiachua et avec lui l’échanson et Ie pourvoyeur. IInbsp;entendit ce qu’ils chaataient. La colère Ie prit; il leurnbsp;mit a manger et a boire, mais il ne leur dit pas de Ienbsp;manger et il ne leur dit pas de ne pas Ie manger,nbsp;Ensuite il alia dans la maison oü était Daré fils denbsp;Pachna et il dit : « Est-ce toi qui as donné ce rare trésor,nbsp;Ie Brun de Cualngé, aux courriers ? — Out, c’est moi, ditnbsp;Daré. — II n’y a pas de roi, la oü il a été donné, car ennbsp;vérité ils disent que si tu ne Ie donnes pas de bon gré,nbsp;tu Ie donneras de force a cause de 1’armée d’Ailill etnbsp;de Mève et de la grande science de Fergus fils de Roeg.nbsp;¦— Je jure par Ie dieu que j’adore qu’ils ne 1’emmène-ront pas plus de force que de bon gré. »

Ils restent ainsi jusqu’au matin. Les courriers se lèventle lendemain de bonne heure. Ilsentrèrent dansnbsp;la maisou oü était Daré. « Enseigne-nous, seigneur,nbsp;comment aller la oü est Ie Brun de Cualngé. — Nonnbsp;certes, dit Daré, et si c’était mon habitude de mal-traiter les courriers, les voyageurs ou les passants, pasnbsp;un de vous ne s’eu irait en vie. — Pourquoi done ?nbsp;dit Mac R6th. — Pour une bonne raison, dit Düré.nbsp;Vous avez dit que si je ne Ie donnais pas de bon gré,nbsp;je Ie donnerais de force, a cause de l’armée d’Ailill etnbsp;de Mève et de la grande science de Fergus fils denbsp;Foeg. — Voyons, dit Mac R6th, quoi qu’aient ditnbsp;107nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;---------- -

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L’ÉPOPEE IRLANDAISE des courriers a la suite de ta baissou et de ta nour-riture, tu n’as pas a y faire attention ni a en vouloir anbsp;Ailill et a Mève. — De ce coup- la, 6 Mac R6th, je nenbsp;donnerai pas mon tanreau, si ga nedépendque de moi.»

Les courriers s’en retournèrent ainsi et arrivèrent a Cruachan, forteresse de Connaught. Mève leur demandanbsp;quelles nouvelles ils avaient. Mac Róth racouta l’hiEtoire,nbsp;qu’ils n’avaient pas eu Ie taureau de Düré. — « Et pour-quoi ? » dit Mève. Mac R6th raconta ce qui s’était passé.nbsp;« II n’est pas nécessaire de polir des noeuds la-dessus (1),nbsp;dit Mève, car on savait que, s'il n’était pas donné denbsp;bon gré, il serait enlevé de force, et certes il Ie sera. »

LA LEVEE DES HOMMES DE CONNAUGHT A CRUACHAN AE

Mève envoya des messagers aux Mané pour les faire venir a Cruachan, les se; t Mané avec leurs deux cent-dix centaines : Mané semblable-k-Mère, Mané semblable-a-Pére, Mané qu’il-les-prenne-tous, Mané Ie Doui-docile,nbsp;Mané Ie Grand-docile, Mané qui-parle-trop. D’autresnbsp;messagers allèrent trouver les fils de Maga : Ie Premiernbsp;fils de Maga, l’Éclatant fils de Maga; Ie Fils du chariotnbsp;fils de Maga, l’Effaré fils de Maga, l’Oiseau fils denbsp;Maga, TActif fils de Maga, ITnsulteur fils de Maga.nbsp;Ils vinrent et leur nombre était de trente centainesnbsp;d’hommes armés. D’autres messagers allèrent trouvernbsp;Cormac 1’Exilé, fils de Conor, Fergus, fils de Roeg, et ilsnbsp;vinrent au nombre de trente centaines d’hommes armés.nbsp;En premier lieu, la première troupe ; ils avaient lesnbsp;cheveux coupés, des manteaux verts avec des brochesnbsp;d’argent, des tuniques de fils d'or sur la peau, avec des

(1) Expression proverbialc qui équivaut sans doute a « chercher midi amp; qnatorze heures ».

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nbsp;nbsp;nbsp;L’ÉPOPÉE IRLANDAISE

broderies d’or rouge; des glaives a la poignée blaache, avec des gardes d’argent. « Est-ce Cormac la-bas ?nbsp;demanda chacun. — Non, certes, » répondit Mève.

La deuxièrae troupe : ils avaient les cheveux fraiche-ment coupés, des manteaux bleu foncé, des luni:[ues d’un blanc éclatant sur la peau, des glaives avec desnbsp;poignées d’or et des gardes d’argent. « Est-ce Cormacnbsp;la-bas ? dit chacun. — Non certes, » répondit Mève.

La dernlère troupe : ils avaient les cheveux coupés en large, des chevelures d’un beau blond doré flottantnbsp;sur leurs épaules, des manteaux de pourpre ornementée,nbsp;des broches d’or orné sur la poitrine, des tuniques denbsp;soie belles et longues qai descendaient jusqu’au milieunbsp;du pled. Ilslevaient etbaissaientles pieds tous ensemble.nbsp;« Est-ce Cormac la-bas ? dit chacun. — « Oui certes, »nbsp;répondit Mève.

Ils établirent leur camp et leurs quartiers cette nuit-la en sorte qu’il y ent une masse de fumée et de feu entrenbsp;les quatre gués d’Ae, Ath Moga, Ath Bercna, Ath Slissennbsp;et Ath Coltna. Ils restèrent pendant upe quinzaine a lanbsp;forteresse de Cruachan a boire, a jouer et a s’amusernbsp;pour que leur voyage et leur expédition leur parussentnbsp;plus aisés. Mève dit alors a json cocher de lui al telernbsp;ses chevaux pour qu’elle allat consulter son druide etnbsp;lui demander ce qu’il savait sur l’avenir.

LA PROPHÉTIE

Quand Mève fut arrivée al’endroit oü était Ie druide, eUe Ie questionna sur ce qu'il savait de l’avenir : —nbsp;« Beaucoup de gens se sont séparés ici aujourd’hui denbsp;leurs proches et de leurs amis, de leur pays et de leurnbsp;terre, de leur père et de leur mère; et s’ils ne revien-nent pas tous sains et saufs, c’est sur moi que tomberontnbsp;leurs soupirs et leurs malédictions. Cependant, il ne partnbsp;:nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;= 109 - ' nbsp;nbsp;nbsp;¦nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;-

L’ÊPOPÉE IRLANDAISE. 8

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L’ÉPOPÉE IRLANDAISE nbsp;nbsp;nbsp;

OU il ne reste personae qui nous soit plus cher que nous-même; découvre-nous done si nous reviendrons ou si nous ne reviendrons pas. »

Le druide répondit : « Quel que soit celui qui ne reviendra pas, toi, tu reviendras. »

Le cocher fit tourner le char en rond et Mève s’en retournait quand elle vit une chose qrii l’étonna : unenbsp;femme sur la flèche d’un char s’approchait d'eUe, etnbsp;voici comment elle était: elle tissait du galon; un fuseaunbsp;delaitonavec sept bordures d’or rouge était dans sa mainnbsp;droite; un manteauvert moucheté l'entourait; une grossenbsp;épingle a forte tête fixait son manteau sur sa poitrine.nbsp;Elle avait la figure pourpre et belle, l’oeil bleu et riant,nbsp;les lèvres rouges et minces, les dents brillantes et perlées;nbsp;tu aurais dit qu’il y avait eu des pluies de perles a luinbsp;remplir la tête; ses lèvres étaient semblables au corail;nbsp;aussi harmonieux que les cordes d’une harpe qui ré-sonnent sous les mains d’un artiste savant était le douxnbsp;son de sa voix et de ses belles paroles; aussi blanc quenbsp;la neige tombée en une nuit était l’éclat de sa peau et denbsp;son corps en dehors de son vêtement; minces et trésnbsp;blancs étaient ses pieds ; elle avait des ongles de pourpre,nbsp;polis, a la pointe arrondie ; des cheveux blonds et longs,nbsp;dorés; trois tresses de cheveux lui entouraient la tête ;nbsp;une autre tresse ombrageait ses mollets.

Mève la regarda. « Que fais-tu ici en ce moment, mafille? dit Mève. — Je travaille a tes intéréts et a tonnbsp;bonheur en assemblant et en réunissant avec toi lesnbsp;quatre provinces d’Irlande pour la razzia de Cualngé.

— nbsp;nbsp;nbsp;Pourquoi fais-tu cela pour moi? dit Mève. — J’ainbsp;pour cela une bonne raison: je suis une captive de tanbsp;maison. — Qui done de ma maison es-tu ? dit Mève.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ce n’est pas difficile en vérité. Je suis la prophétessenbsp;Fédehn du sidh de Cruachan.

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L’ÉPOPÉE IRLANDAISE

— nbsp;nbsp;nbsp;Eh bien alors, ó prophétesse Fédelm, comment vois-tu notre armee?

— nbsp;nbsp;nbsp;Je la vois foute rouge, je la vols rouge.

—• Conor est dans les douleurs (1) a Emain, dit Mève; mes courriers y sont allés, nous n’avons rien anbsp;craindredes Ulates. Mals dis la vérité, 6 Fédelm.

« Prophétesse Fédelm, comment vois-tu notre armée ? — Je la vois toute rouge, je la vois rouge.

— Cuscraid Ie bègue de Macha est a l’Ile de Cuscraid; dans les douleurs; mes courriers y sont allés; nousnbsp;n’avons rien a craindre desUlates. Maisdis-nous la vérité,nbsp;ó Fédelm.

; Prophétesse Fédelm, comment vois-tu 1’armée — Je la vois teute rouge, je la vois rouge.

— Eogan fils de Durthacht est a Rath Airthir, dans les douleurs; mes courriers y sont allés; nous n’avons rien anbsp;craindre des Ulates. Mais dis-nous la vérité, 6 Fédelm.

Prophétesse Fédelm, comment vois-tu l’armée? - Je la vois toute rouge, je la vois rouge.

—• Celt chair fils d’Uthechar est dans son chateau, dans les douleurs, mes courriers y sont allés; nousnbsp;n’avons rien a craindre des Ulates. Mais dis la vérité,nbsp;6 Fédelm.

« Prophétesse Fédelm, comment vois-tu l’armée? — Je la vois toute rouge, je la vois rouge.

(1) I.es douleurs de l’enfantement, que tous les hommes d’Ulster souffraieut une fois dans leur vie pendant quatrenbsp;jours et cinq nuits ou cinq jours et quatre nuits, par suite denbsp;la malédiction de la fée Macha.

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L'ÉPOPÉE IRLANDAISE

— Je ne pease pas comme toi, car quand les honames d’Irlande seront réuais en ua mêmï lieu, il y anranbsp;parmi eux des quereiles, des luttes, des scandales, desnbsp;disputes pour aller tous a l'avant ou a I’arriere, au gué ounbsp;a la rivière, pour tuer Ie prem er ua pare, ua cerf, uunbsp;daim ou un lièvre. Mais dis la vérité, 6 Fédelm.

« Prophétesse Fédelm, comment vois-tn 1'armée ? — Jela vois toute rouge, je la vois rouge. »

Et elte se mit a prophétiser et a prédire que Ctichu-lainn vieadrait vers les hommes d’Irlaade, et elle fit un lai:

Je vois un bel homme qui fait des tours ; — il a nombre de blessures sur sa tendre peau ; — l’éclat du héros est surnbsp;Ie devant de sa tête, — l'assemblée de la victoire en son front.

Les sept joyaux des braves champions —sont au miUeu de sesdeux yeux; — ses extrimités sont uues; — il a surnbsp;lui un manteau rouge a crochet.

Il a la plus noble figure ; — il respecte les femmes; — jeune garfon de belle couleur, — il a 1’aspect d'un dragon dansnbsp;la bataille.

Je ne sais pas qui est le chien — de Culann dont la gloire est si belle; — mais je sais cependant — que par lui l'arméenbsp;sera toute rouge.

Quatre petits glaives, tous brillant, — sont dans cliacune de ses deux mains; — il lui arrivera d'en jouer sur l'armée,

— nbsp;nbsp;nbsp;chacun d’eux a sou emploi.

Il se sert du javelot k sac, — outre son glaive et sa lance,

— nbsp;nbsp;nbsp;1’homme vigilant, vêtu d’un manteau rouge — qui met lesnbsp;pieds sur toute trace.

Ses deux lances, par la gauche du char — il les jette, le contorsionniste; — la forme sous laquelle il s’est montrénbsp;jusqu'ici — (j'en suis sure) changeia d’aspect.

Il se rend an combat; — si Ton n’y preud garde, il y aura trahison; — en duel e’est lui qui vous recherche, — C uchulainanbsp;fils de Snaltam.

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- nbsp;nbsp;nbsp;—-nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;I-’ÉPOPÉE IRLANDAISE

II frappera tos armces jntactes — jusqu’i ce qu’il cause

vofre mine; — tous lui laisserez toutesvos têtes;_lapro-

phétesse Fedelm ne Ie cache pas.

Le sang coulera de la peau des guerriers; — Ie souvenir en reslera longtemps; — les corps seront coupés, les femmesnbsp;se lamenferont, — a cause du Chien du forgeron, je le vois.

Je vo)S...

La prophetic, la prediction, la preface de l’histoire, la cause de la recherche de Ia composition, le dialogue surnbsp;l'oreiller que Ailill et Mève tinrent a Cruachan, voilk cenbsp;qu’il y a jusqu’ici.

[Le conteur, apres avoir décrii la route suiviepar l’armée, raconte comment Varmee irlandaise est arrétée et retardéenbsp;par des prohibitions magiques. On tient conseilpour savoirnbsp;d qni sont dues ces prohibitions. On s’accorde d dire quenbsp;ce ne peut êire que Cuchulainn, alors dgé de dix-septnbsp;ans, disciple de Fergus. Mève se ^entrant incrédule, Fergus raconte qu’a l age de cinq ans Cuchulainn avail lutténbsp;oontre cinquante enfants. ]

LES « EN FANCES » DE CUCHULAINN

Le chien dn forgeron.

Alors paria Carmoc l’Exilé, fils de Conor : « Ce petit garqon fit encore un second exploit l’année d’après. —nbsp;Quel exploit ? dit Ailill. — II y avait dans le territóirenbsp;d’Ulster un forgeron nommé Culann qui avait préparé un festin pour Conor. II alia a Emain pourl’invi-ter; il lui dit de ne pas amener avec lui beauconp denbsp;gens, sauf un véritable höte, car il n'avait pas de terri-toire ni de terre, mais seulement son marteau, sonnbsp;enclume, ses poings et ses tenailles,' Conor dit que pennbsp;de gens viendraient chez lui,

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L’ÉPOPÉE IRLAMDAISE

Culann revint a son chateau pour se procurer et pré-parer de la boisson et de la nourriture. Conor s'assit a Emain jusqu’a ce qu’il fht temps de partir, quand vintnbsp;la fin du jour. Le roi prit son léger vêtement de voyagenbsp;et alia dire adieu aux enfants. 11 arriva sur la pelousenbsp;et il vit une chose qu’il trouva merveilleuse: trois cin-quantaines d’enfants a un bout de la prairie et un seulnbsp;enfant k un autre bout ; celui qui était seul remportaitnbsp;la victoire a la balie et au javelot sur les cent cinquantenbsp;autres. Quand ils jouaient a la balie au pot (c’était le jeunbsp;en usage sur la prairie d'Emain) et que c’était a eux denbsp;Jeter et a lui d’écarter, il tenait les trois cinquantaines.nbsp;de balies en dehors du troa et il n’en passait aucunenbsp;dedans. Quand c’était a eux d’écarter et a lui de jeter, ünbsp;mettait les trois cinquantaines de balles dans le trou sansnbsp;manquer. Quand ils s’arrachaient leurs vêtements, it leurnbsp;enlevaitleurs cent cinquantevetementsetils nepouvaientnbsp;pas lui enlever la broche de son manteau. Quand ilsnbsp;luttaient, il les mettait tons les cent cinquante par terrenbsp;sous lui et ils n’arrivaient pas, en I’entourant tons, a lenbsp;soulever. Conor dit en regardant le petit gargon : « Hola,nbsp;jeunes gens, heureux le pays d’oii est venu le petit gar^onnbsp;que vous voyez, si les exploits de sa viriUté sont sem-blables a ceux de son enfance ! — Ce que tu dis n’estnbsp;pas exact, dit Fergus; a mesure que le petit gargonnbsp;grandira, ses exploits d’hommegrandiront aveclui. Qu’onnbsp;appelle a nous ce petit gar^on pour qu’il vienneboire aunbsp;festin OÜ nous allons. » On appela le petit gar^on versnbsp;Conor. « Eh bien; mon petit gargon, dit Conor, viensnbsp;avec nous boire au festin on nous aUons. — Jen'iraicertesnbsp;pas, dit le petit garfon, — Comment cela ? dit Conor. —nbsp;Paree que les gardens n’ont pas eu leur suffisance de jeuxnbsp;ou d’amnsements, je ne les quitterai pas qu’ils ne soientnbsp;rassasiés de jouer. — C’est trop long pour nous denbsp;- 114 nbsp;nbsp;nbsp;-

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= nbsp;nbsp;nbsp;L’EPOPEE IRLANDAISE

t’attendrejusque-Ia, mon petit garden, et nous ne Ie ferons pas. — « Allez devant, dit Ie petit gar9on, et j’irai anbsp;votre suite. — Tu ne connais pas du tout la route, monnbsp;petit gar^on, dit Conor. — Je prendrai la trace de lanbsp;troupe, des chevaux et du char. »

Ensuite Conor arriva a la maison du forgeron Culann. Le roi fut re?u comme un hóte etil fut honoré d'après sonnbsp;rang, sa situation, ses droits, sa noblesse et son caractère.nbsp;On mit sous eux de la paille et des roseaux frais.

Ils commencèrent a boire et a se réjouir. Culann demanda a Conor: « Eh bien, 6 roi, as-tu ordonné anbsp;quelqu’un de venir te trouver cette nuit au chateau ? —nbsp;Je n’ai rien dit a personne, » dit Conor, car il ne se sou-venait plus du jeune gar^on qu’il avait invité; « pourquoinbsp;cela ? — J’ai un bon chien de guerre ; aussitbt que sanbsp;laisse est détachée, personne n’oserait approcher de sonnbsp;canton pour faire une ronde ou une promenade, et il nenbsp;connait personne que moi. II a la force de cent per-sonnes. » Conor dit: « Qu’on ouvre le chateau au chiennbsp;de guerre pour qu’il garde le canton ! » On détacha donenbsp;la laisse du chien de guerre et il fit rapidement le tour dunbsp;canton. II vint au tertre d'oü il gardait la ville; il y était,nbsp;la tête sur ses pattes; il était tout ce qu’ii y avait de plusnbsp;sauvage, indomptable, furieux, farouche, hargneux.

En ce qui concerne les enfants qui étaient a Emain, Ie temps vint pour eux de se séparer. Chacun d’eux seren-dit chez son père et sa mère ou chez sa nourrice et sonnbsp;père nourricier. Le petit garepon suivit la trace du cortegenbsp;et arriva a la maison du forgeron Culann. II abrégeaitnbsp;la route devant lui en jouant. Quand il fut arrivé a lanbsp;pelouse du chateau oü étaient Culann et Conor, il jeta tousnbsp;ses jouets, sauf sa balie. Le chien de guerre remarqua lenbsp;petit gar?on et hurla après lui de telle sorte qu’on enten-dit dans toutes les tribus le hurlement du chien de guerre.

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L’ÉPOPÉE IRLANDAISE

Ce n'était pas en faire des parts de festin qu’il voulait, mais l’avaler en nne fois et Ie faire passer par Ie creux denbsp;sa poitnne, la largeur de sa gorge et son oesophage. Lenbsp;gar^on n’avait aucun moyen de défense, mais il lui lan^anbsp;de toute sa force sa balie en sorte qu’elle traversa lanbsp;gorge du chien de guerre et poussa tout ce qu’il y avaitnbsp;de boyaux a 1’intérieur par la porte de derrière; il le pritnbsp;par les deux pattes et le frappa contre un bloc de pierre,nbsp;en sorte que ses membres tombèrent en morceaux a terre,nbsp;Conor entendit le hurlement du chien de guerre. —nbsp;« Héias, 6 jeunes gens, dit-il, nous n’avons pas eu denbsp;chance de venir boire a ce festin-ci.— Comment cela?nbsp;dit chacun. — Le petit gar^on que j’avais invité, le filsnbsp;de ma soeur, Setanta fi is de Sualtam, a été tué par le chien.»nbsp;Comme un seul homme, tous les glorieux Ulates senbsp;levèrent. Bien que la porte de la ville fut ouverte, chacun sortit droit devant lui par-dessus les palissades denbsp;l’enceinte. Quelque rapide que füt chacun, le plus rapidenbsp;a arriver fut Fergus; il enleva de terre le petit gar^on etnbsp;le porta sur son épaule en présence de Conor. Culannnbsp;sortit et v't son chien de guerre en pièces. II sentit soanbsp;coeur battre contre sa poitrine. Puis il rentra dans lenbsp;chateau. « Tu es le bienvenu, mon petit gar^on, ditnbsp;Culann; a cause de ta mère et de ton père, mais non anbsp;cause de toi. — Qu’est-ce que tu as contre le gar(;on ?nbsp;dit Conor. — Ce n’est pas pour mon boaheur que tu esnbsp;venu boire ma bière et manger ma nourriture, car mesnbsp;biens sont mamtenant des b:ens perdus et ma vie estnbsp;une vie anéantie. Bon était le familier que tu m’as enlevénbsp;et qui gardait mes troupeaux et mes bandes de bes-tiaux. — Ne te fhche pas ainsi, 6 mon père Culann,nbsp;dit le petit gar^on « car je vais porter tm jugement equitable. — Quel jugement vas-tu porter sur cette affaire,nbsp;mon gargon ? dit Conor. — S’il existe en Irlande unnbsp;--------116 ==========================

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= nbsp;nbsp;nbsp;^nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;L’EPOPEE IRLANDAISE

petit chien de la race de ce chien-lk, je l'éléverai jusqu’a ce qu’il soit aussi vaillant quesonpère. Jusque-lè, je seranbsp;Ie chien protecteur des biens, des bestiaux et de la terre,nbsp;— Tu as porté un bon jugement, mon petit gargon, ditnbsp;Conor. — En vérité, dit Cathba, nous ne saurions Ienbsp;porler meiUeur. Pourquoi ns t’appellerait-on pas Chchu-lainn (chien de Culann) a la suite de cela? — Nonnbsp;point, dit Ie petit garfon. J’aime mieux mon vrai nom,nbsp;Setanta füs de Snaltam. — Ne dis pas cela, petitnbsp;gargon, dit Cathba, car les hommes d’Irlande etnbsp;d’Écosse écouteront ce nom et les bouches des hommesnbsp;d’Irlande et d Écosse seront pleines de ce nom-la, —¦nbsp;C'est bon alors, quel que so:t celui qu’on me donnera, »nbsp;dit Ie petit garqon. C’est en effet a la suite de cela quenbsp;s’attacha a lui ce nom tameux, Cüchulainn. depuis qu'ilnbsp;avait tué Ie chien qui était chez Ie forgeron Culann.

[ytprès Cormac, FiacharaconfequeCüchulaCnn,d sepi ans, avait vain CU les trais fils de Nechi qui avaient tué les deuxnbsp;tiers des Vlates. Cüchulainn doit bientót payer de sa personae et livre aiix Irlandais une suite de combats', chaquenbsp;nuit, il taait une centaine de guerriers. Mève essaie de négo-cier avec lui ; il refuse ses propositions. Couvert de blessures, il do l momenianémeni abandonner la latte. Sonnbsp;pére, Ie Dêdanann Lug, Ie remplace pendant trois jours ennbsp;face des ennemis Qaand il est rêtabli, il doit accepter annbsp;combat singulier avec son ancien frère d'armes Ferdiad.nbsp;Après trois jours de latte, Cüchulainn, se souvenant d’unenbsp;armeinfaillible que lui fait connaitre une sa'cière d’Ecosse^nbsp;tue Ferdiad. Pris de remords et presqae hors de combat, ilnbsp;ne peut soatenir ses forces qu'en se plongeant dans lesnbsp;eaux oü les Dêdanann apportent des plantes médicinales.nbsp;Son pire putatif, Suallam, va lui chercher du secours,

L’APPEL RÉPÉTÉ DE SUALTAM

Sualtam était fils deBecaltach fils deMoralfach, etpère 117nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;- -----

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L’ÉPOPÉE IRLANDAISE ¦ • - - nbsp;nbsp;nbsp;-

de Cüchulainn, fils de Sualtam. Onluiracontaladétresse de son ills livrant un combat inégal, a la Razzia denbsp;Cualngé, contre Ie hardi Calatin et ses vingt-sept fils etnbsp;contre son petit-fils Glass fils de Delga ; « Quoi que ce soitnbsp;que j’entende au loin, dit Sualtam, c’est Ie ciel qui senbsp;brise (1), on la mer qui déborde, ou la détresse de monnbsp;fils livrant un combat inégal, a la Razzia de Cualngé. »nbsp;En cela, certes, Sualtam disait vrai. II alia s’informer,nbsp;après quelque temps, sans partir tout de suite. Quand ilnbsp;fut arrivé k I’endroit on était Cüchulainn, Sualtam se mitnbsp;a gémir et a se lamenter. Cuchulainn, quelque blessé etnbsp;couvert de plaies qu’il füt, ne trouva pas que ce füt unnbsp;honneur ou une gloire d’être un objet de gémissementnbsp;OU de lamentation pour Sualtam, car Sualtam ne pouvaitnbsp;Ie venger. En effet, il n’était ni mauvais guerrier, ninbsp;bon guerrier, mais c’était un brave homme. — « Allons,nbsp;ó mon père Sualtam, dit Cüchulainn, va a Emain (2)nbsp;trouver les Ulates et dis-leur de venir aussitót poursuivrenbsp;la razzia, car je ne suis plus capable de garder les défilés et les passages du territoire de Conaillé Murthemné.nbsp;Je suis seul en face des quatre provinces d’Irlande,nbsp;depuis Ie lundi de Samain jusqu’au commencement dunbsp;printemps, tuant un homme sur Ie gué chaque jour, etnbsp;cent guerriers chaque nuit. On ne m’accorde pas de combat singuher; personne ne vient a mon aide ni a monnbsp;secours. Ce sont des cercles qui écartent mon manteau;nbsp;des herbes sèches sont dans mes jointures; il n’y a pasnbsp;de poils sur lesquels tiendrait une pointe d’aiguille,

(1) nbsp;nbsp;nbsp;Comparez la formule irianfaise de serment, ci-après,nbsp;p. 120, H. d’Abeois de Jubainville a rappelé a ce propos lanbsp;réponse célèbre des Gaulois a Alexandre ; * Nous ne crai-guous qu’tme chose, c’est que Ie ciel ne nous tombe sur lanbsp;tête. »

(2) nbsp;nbsp;nbsp;Aujourd’hui The Navan Fort, a Touest d’Armagh.

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¦- nbsp;nbsp;nbsp;L’EPOPEE IRLANDAISE

depuis les cheveux jusqu’a la plante des pieds, qui n’ait a rextrémité une goutte de sang toute rouge; toutefois manbsp;main gauche tient mon bouclier, bien qu’il y ait surnbsp;elle trois cinquantaines de blessures, S’ils ne me vengentnbsp;pas sur l’heure, ils ne me vengeront pas avant Ie journbsp;du Jugement et de la Vie. »

Sualtam alia droit devant lui sur un cheva!, Ie Gris de Macha (1), pour avertir les Ulates, et quand il fut arrivénbsp;auprès d’Emain, il dit ces paroles : « Les hommes onnbsp;lesiue, les femmes on les enlève, Ie bétail on 1’emmène,nbsp;6 Ulates, » dit Sualtam.

II n’obtint pas des Ulates ;ce qn’il voulait et c’est pourquoi il s’avan^a en face d’Emain, et il dit les mêmesnbsp;paroles : « Les hommes on les tue, les femmes on lesnbsp;enlève, Ie bétail on l’emmène, 6 Ulates! » dit Sualtam.nbsp;II n’obtint pas des Ulates ce qu’il voulait. Car chez lesnbsp;Ulates c’étaft ainsi : il était tabou aux Uia'.es deparlernbsp;avant Ie roi, tabou au roi deparler avant ses druides.nbsp;II se rendit ensuite jusqu’a la pierre des otages a Emainnbsp;Macha. 11 dit les mêmes paroles : « Les hommes on les

tue, les femmes, on les enlève ; ie bétail on l’emmène. _

Qui les a tnés et qui les a volés, et qui les a enlevés? dit Ie druide Cathba. — Ce sont Ailill et Mève, dit Sualtam ^nbsp;vos femmes, vos fils, vos petitsenfants, vos coursiers etnbsp;vos chevaux, vos troupeaux et vos bandes de bestiauxnbsp;ont été enlevés. Cüchulainn est seul pour arrêter et rete-nir les quatre provinces d’Irlande aux défilés et auxnbsp;passages du territoire de ConaiUé Murthemné. On ne luinbsp;accorde pas de combat singulier; personne ne vient anbsp;son aide ni a son secours. Ce sont des cercles qui écartentnbsp;son manteau. lln’a pas de poils sur lesquels tiendrait unenbsp;pointe d’aiguille, depuis les cheveux jusqu'h la plante des

(1) L’un des deux chevaux de Cüchulainn.

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L’EPCPEE IRLANDAISE

pieds, qui n’ait a Vexirémiié une goutte de sang toute rouge; toutefois sa main gauche tient son bouclier, biennbsp;qu’il y ait sur el.e trois cinquantaines de blessures. Si onnbsp;ne Ie venge pas sur 1’heure, on ne Ie vengera pas avantnbsp;Ie jour du Jugement et de la Vie. — II convient denbsp;mettre a moit, de tuer et de massacrer Thomme quinbsp;provoque a nsi Ie roi, dit Ie druide Cathba. — C’est, ennbsp;vérité, vrai, * dirent les Uiates,

Sualtam partit plein de colère et de ressentiment, paree qu’il n’avait pas obtenu des Ulates ia réponse qu’ilnbsp;voulait. Mais a!ors Ie Gris de Machabondit sous Saallamnbsp;et s’avan^a en face d'Emain. Le boueber de Sualtam senbsp;tourna contre lui et le bord trancha Ia têle de Sualtam.nbsp;Le cheval retourna k Emain, le bouclier sur ienbsp;cheva!, la tête sur le bouclier, et la tête de Sualtamnbsp;redisait les mêmes paroles : « Les hommes on les tue,nbsp;les femmes on les enJève, le bétail on 1’emmène, 6 Ulates,nbsp;disait la tête de Sualtam. — Ce cri est un peu tropnbsp;fort, dit Conor, car le ciel est au-dessus de nous, lanbsp;terre au-dessous, et la mer tout aulour de nous. Et sinbsp;le firmament ne vient pas avec ses ondées d’étoiles surnbsp;la face de la terre, si le sol de la terre ne se brise pas ennbsp;tremblant, si l’océan sillonné, aux bords bleus, ne senbsp;répand pas sur le front chevelu du monde, je ramènerainbsp;chaque vache et chaque femme a son enclos et a sanbsp;cour, a son foyer et a sa demeure, après la victoire denbsp;la bataille, du combat et de la rencontre! »

[Les Ulates, giieris de la maladie qui les tenait éloignés de la bataille, semetient en marche ei renconirent l’arméenbsp;irlandaise. Mac Róth décril d Mève saccessivtmeni lesnbsp;troupes et les c efs. Cnchulainn qui, par défértnee pournbsp;son ancien maiire Fe gus, avail, dans l’un des combats denbsp;la Razzia, f ui devant lui, d condition qu’il lui ren dit unnbsp;jour la pareille, rappelle d Fergus sa promesse, etnbsp;120 --------- ' ' ' -

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^ nbsp;nbsp;nbsp;¦-nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;L’EPOPEE IRLANDAISE

Fergus eniraine l’armée irlandaise qui bai en retraite devant les Ulates, emmenant, toutefois, Ie taareau Donn.

LE COMBAT DES TAUREAUX

Quand Ie Brun de Cualngé vit ce beau pays inconnu, il poussa bien haul ses trois mugissements. Le Beau-Cornu d’Ae l’entendit. Aucun animal du pays n’osaitnbsp;mugir aussi haut quelui entre les quatres gués d’Ae, denbsp;Mug, de Coltan, de Slissen, de Bercha. II leva la têtenbsp;rageusement et partit pour Cruacban a la rencontre dunbsp;Brun de Caalngé.

Alors les hommes d’Irlandese demandèrent quiserait témoin des taureaux. Tons s’accordèrent a dire que cenbsp;serait Bncré ;1) fi^s de Carbad. En effet, une annéeavantnbsp;1’affaire de la Razzia de Cualngé, Bricré était allé fairenbsp;une demande a Fergus, d’une province a l’autre. Fergusnbsp;l’avait gardé chez lui pour veiller sur ses trésors et surnbsp;ses biens. II arriva qu'en jouant auxéchecs, lui et Fergus,nbsp;ü dit une grosse injure a Fergus. Fergus lui donna uanbsp;coup de poing avec la p èce qu’il avail a la main; il luinbsp;entra la piece dans la tête et lui brisa un os de la tête,nbsp;Tant que les hommes d’lrlande furent a l'expédition denbsp;la Razzia, tout ce temps-lè., il était è. se soigner a Crua-chan. Le jour oh ils revinrent de l’expédition, c’est cenbsp;jour-la qu’il se leva. Car Bricré ne prenait pas plusnbsp;parti pour son ami que pour son ennemi. On I’amena anbsp;une brèche pour voir les taureaux.

Chacun des taureaux regarda I’autre; de fureur, ils creusèrent le sol et jetèrent la terre sur eux ; ils creu-sèrent la terre qui jaillit sur leurs épaules et leurs omo-

(1) Bricré a la langue empoisonnee, le héros de la saga intitulee « Le Festin de Bricré » (ou Bricria), excelle knbsp;susciter des querelles et a exciter les gens les uus centre lesnbsp;antres.

=--=-.r='-=r^ 121 nbsp;nbsp;nbsp;¦¦¦=

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L’EPOPEE IRLANDAISE plates ; leurs yeux rougirent dans leurs têtes comme desnbsp;boules de feu; leurs joues et leurs naseaux se gonflèrentnbsp;comme des soufflets de forgeron dans nne forge etnbsp;chacun d’enx porta un coup sonore et terrible a l’autre.nbsp;Chacun d’eux se mit a percer l’autre, a Ie transpercer,nbsp;a 1'égorger, a Ie massacrer.

Alors Ie Beau-Cornu d’Ae se paya de sa marcbe, de son voyage et de sa route, sur Ie Brun de Cualngé; il luinbsp;enfon^a une corne dans les c6tés et iit éclater sa colèrenbsp;sur lui. Ils se ruèrent a l’endroit oü était Bricré, les sabotsnbsp;des taureaux l’enfoncèrent d'une coudée en terre aprèsnbsp;1'avoir tué, et c’est ainsi que mourut Bricré.

Cormac l’exilé, fils de Conor, vit cela. II prit une lance qu’il avait a plein la main, et il porta trois coups au Brunnbsp;de Cualngé, de l’oreille a la queue. « Ce n’était pas unnbsp;trésor éternel et illustre pour nous que ce trésor, ditnbsp;Cormac, puisqu’il ne peut se défendrc contre un veaunbsp;de son ège». Le Brun de Cualngé 1’entendit, car il avaitnbsp;rintelUgence humaine; il se tourna contre le Beau-Cornunbsp;et ils continuèrent a se frapper pendant longtemps etnbsp;longtemps, jusqu’a ce que la nuit tombit sur les hommesnbsp;d’Irlande. Et la nuit tomba et les hommes d'Irlande nenbsp;faisaient qu’entendre gronder et mugir. Cette nuit-la, lesnbsp;taureaux parcoururent i’Irlande entière.

Les hommes d’Irlande nefurent pas longtemps, comme ils étaient la de bonne heure au matin, avant de voir lenbsp;Brun de Cualngé a l’ouest de Cruachan, ayant le Beau-Cornu au bout de ses cornes comme une masse inf orme. Lesnbsp;hommes d’Irlande se levèreut, ne sachant pas lequel desnbsp;taureaux était la. « Eh bien, 6 hommes, dit Fergus,nbsp;si c’est le Beau-Cornu d’Ae qui est la, laissez-le seul,nbsp;et si c’est le Brun de Cualngé, laissez-lui sou trophée ! »

Le Brun de Cualngé s’avan^a; il tourna a droite vers Cruachan. 11 y laissa un tas de foie: de la on dit lanbsp;--122 — - ----=

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- nbsp;nbsp;nbsp;-nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;----L’EPOPEE IRLANDAISE

Butte du foie (1). II alia au bord du grand gué, y laissa Ia hanche du Beau-Cornu et c’est de la qu’on dit Ie Guénbsp;de la hanche (2). II alia a Test dans Ie territoire denbsp;Midé, au Gué du Fardeau, et il y laissa Ie foie du Beau-Cornu. II leva vivement la tête et secoua Ie Beau-Cornunbsp;Sur rirlande. II jeta sa cuisse a Port-large. II jeta lesnbsp;cótes a Dublin que l’on appelle Ie Gué des c6tes (3).

11 tourna sa face au nord ensuite, et il reconnut la terre de Cualngé et il s’y rendit. II y avait la desnbsp;femmes, des enfants et des petits qui se lameutaient surnbsp;Ie Brun de Cualngé. Ils virentlefrontdu Brun de Cualngénbsp;s’approcher d’eux. « Le front du taureau vient versnbsp;nous, » dirent-ils. C’est de la qu’on dit désormais Taulnbsp;Tairb (Front du taureau). Alors le Brun de Cualngé senbsp;tourna contre les femmes, les enfants et les petits du paysnbsp;de Cualngé et en fit un grand carnage. Puis il donnanbsp;du dos contre la collineet il y brisa son coeur daus sanbsp;poitrine comme on brise une noix. Et voila le commencement, le cours et la fin de la Razzia.

LA MALADIE DE CUCHULAINN ET LA GRANDE JALOUSIE D’EMER (4)

Une assemblée se tenait en Ulster chaque année :

(1) nbsp;nbsp;nbsp;Cruachau Ai, au uord-est de Rathcroghaa, comté denbsp;Roscommon.

(2) nbsp;nbsp;nbsp;Athlone sur le Shannon.

(3) nbsp;nbsp;nbsp;Athcliath en irlandais.

(4) nbsp;nbsp;nbsp;Texte d'après le Livre de la vache brune, manuscrit du

XI* siècle. Traductions anglaises par E. O’Curry, Atlantis, I-II, 1858-1859; Br. O’Looney, Facsimiles of national manuscripts of Ireland, II, Appendix IV, 1878. Traduction fran9aisenbsp;Chez H. d’Arbois de Jubainville, L’Épopée celtique, p. 174-r-nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;-nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;---123 ====:^=

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L’ÉPOPÉE IRLANDAISE trois jours avant Samain (1), trois jours après et Ie journbsp;de Samain même. C’était Ie temps oü, dans la plaine denbsp;Murthemné, les Ulates se réunissaient et 11 n’y avaitnbsp;rien au monde qu’ils fissent alors, si cen’était eux, reunions, joie, pompes et splendeurs, ripaille et mangeaille,nbsp;et c’est de la que les fêtes de Samain se sont répanduesnbsp;en Irlande.

[Sait nne digression sur la puissance magique des épées.]

Cette fois-la, les Ulates vinrent tons a l’assemblée sauf deux seulement, Conall Ie victorieux et Fergus fils denbsp;Roeg. « Que Tassemblée ait lieu! dirent les Ulates.nbsp;— En vérité non, répondit Cüchulainn, pas avantnbsp;que Conall et Fergus ne soient venus Fergus, en effet,nbsp;était son père nourricier, Conall Ie victorieux son frèrenbsp;de lait). Sencha dit alors : « A présent, jouons aux échecs,nbsp;qu’onchante des poèmes et que les jongleurs se mettentnbsp;a l’oeuvre. » Ce qui fut fait. Ensuite, comme les Ulatesnbsp;s'occupaient ainsi, voxi qu'une troupe d’oiseaux descends sur Ie lac, prés d’eux. 11 n'y avait pas, en Irlande,nbsp;une troupe d'oiseaux qui ffit plus belle.

L’envie prit aux femmes d’avoir ces oiseaux qui se jouaient sur Ie lac. Chacune d’ellesse mit a vanter sonnbsp;époux pour son habileté k prendre les oiseaux. Ethnénbsp;AitencÉiithrech, femme de Conor, dit: « Jedésire metlrenbsp;sur chacune de mes deux épaules un oiseau de cettenbsp;troupe-la. Nous toutes, dirent les autres, nous Ie désironsnbsp;-- Si on les prend pour quelqu’un, c’est pourmoid’abordnbsp;qu'on les prendra, dit Ethné Ingubé, femme de Cüchu-

Sagien,

216. Traduction allemande par R. Thurneysen, p. 81-104,

(1) La fête païenne du novembre.

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T- nbsp;nbsp;nbsp;L’ÉPOPÉE IRLANDAlSE

lainn. Que faire ? dirent les femmes. — Ce n’est pas difficile, répondit Leborcham, fille d’Oa etnbsp;d’Adarc ; je vais ader de votre part demaader k Cüchu-lainn. »

Alors elle alia trouver CAchulainn et lui dit ; « Les femmes désirent de toi ces oiseaux la-bas. » II saisit sonnbsp;épéepour la lever sur elle. «Les prostituees d’ülster n’ontnbsp;rien de mieux a faire que de nous donner a chassernbsp;des oiseanx aujourd’hui! — Tu n’as pas raison, ditnbsp;Leborcham, de t’irriter contre elles : tu es cause de lanbsp;troisième imperfection qu’ont les femmes d’Ulster, lanbsp;demi-cécité. » (II y avait trois imperfections des femmesnbsp;d’Ulster ; être bossues, bègues et borgnes. En effet, toutesnbsp;les femmes qui aimaient Conall Ie victorieux étaient con-trefaites ; toutes celles qui aimaient Cuscraidle bègue denbsp;Macha, fils de Conor, parlaient eubégayant, et de mêmenbsp;toutes les femmes qui aimaient CAchulainn devenaientnbsp;aveugles d’un ceil, pour lui ressemblèr et par amour pournbsp;lui). CAchulainn avait un don particulier : quand il étaitnbsp;mécoatent, il enfongait un de ses yeux, en sorte qu’unenbsp;grue n'amrait pu l’atteindre dans sa tête, et il faisaitnbsp;sortir 1’autre, qui semblait aussi grand qu’un chaudronnbsp;a vache.

« Attelle-nous Ie char, 6 L6eg, » dit CAchulainn. Alors Lóeg attela Ie char, CAchulainn y enlre et frappe lesnbsp;oiseaux d’un tel « coup a retour » de son épée que leursnbsp;pattes et leurs aUes battirent a l'eau. Ils les prirent toua,nbsp;les emportèrent et les partagèrent aux femmes ; il n’ynbsp;eut point de femme qui n'eAt deux oiseaux, a l’exceptionnbsp;de la seule Ethné Ingubé. CAchulainn vint alors vers sanbsp;femme. « Tu es mécontente, lui dit-il. — Non, réponditnbsp;Ethné, puisque c’est par moi qu’üs leur ont été diS'nbsp;trlbués ; c’est naturel a toi, ajouta-t-elle ; il n’est aucunenbsp;de ces femmes qui ne t’aime et qui ne soit a toi en partie,nbsp;=-nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;125nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;......--

L’amp;FOFÉB IRLANDAlSE. nbsp;nbsp;nbsp;9

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l^EPOPEE 1KLAN0AISE

Landis' que moirü 'ix’est personae qui-ait part- de mol-même r sioon toi seul..-r-..Ne sois done pas mécontente, reprit'Cdchnlainn •; sUl vient des oiseaux^ dans la^plaibenbsp;deMurthemné ou celle de Boyne, les deux plus beaux

seront pour toi. nbsp;nbsp;nbsp;- .1.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;.........

. .Peu de temps- après,. on vit sur lelac deux oiseaux, et, entre.ces. oiSeaüx, il y avait une chained'or rouge ;nbsp;ils chantaient une douce chanslt;pin.-l.e sommeil s’emparanbsp;de 1’armée. CAchulainn se leva et se dirigea vers. lesnbsp;oiseaux/.« .Si. tu m’écoutais, dirent-Lóeg et.-Ethnéi tunbsp;.n’irais pas a cux-, car il y a un- pouvoir- cache derrièrenbsp;ces oiseaux, II me-vieadra, ajouta !^thné, des oiseauxnbsp;tout de. m^ne. -E^t-il possible-que vous récrimi-niez ^nsi contremoi,. dit Cdchutaina, Mets une- pierrenbsp;daasda fronde, Ldeg 1 -». Alors Chcbulainn prit une pierrenbsp;et lanüt dans'lafronde. Chchulainnlancélapieit-e conlrenbsp;4es oiseaux. Mais il manque soa coup. « Malheur a moi, gt;gt;nbsp;s'écaia-t-ili K prend une autre pierre, 11-la lance centrenbsp;eiix, mais il'les dépasse.C’ea est fait de moi, dit-¦iiy depuis que j'ai pris les armesi je-n'avais point man-.què-Aron coupjusqu’-h cc jour.'»41'jette sa lance sur eu-x;nbsp;-elle'traversa- aussitbt 1’aile de l’un des oiseaux ils dispa-rurent sous l’eau.

A(prèscela( Güchulainn S'en alia-; il'-s'appuya le dos contre un rocher ; soa- esprit -s’attrista, et-Ie sommeilnbsp;s’empara de ' lui; ilvit venir a lui deux femmes ; 1’unenbsp;avait un manteau'vert, l’autre uh maateau depourpreiinbsp;cinq plis.'La femme au manteau vert alia vers-.lui, senbsp;•mit i'lui sourire et lui donna un coup de cravache.nbsp;- L’autre vient vers luiy lui sourit et Ie bat de la même ma-nièrci Elles fiirentlongtemps occupéesainsi k Ie frappernbsp;chacune k son-tour aussi peu s’en fallait qu’il ne fht

•mortrPuis elles partirent. — ............. ¦'*

• 'Tous 'les Ulates-remarquèrent - cela et -dirent qu’il ------------------------126_____ ---

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failait l'éveiller. «Non, dit Fergus, ne Ie remuezpas, 11 voit un songe. » Enfin CAchtdainn se réveilla. de sonnbsp;somm^il. « Que t’a-t-il été fait ?gt;gt; lui ilirent les TTlates.nbsp;II ne pouvait parler avec eux. — « Qu’on me porte,nbsp;dit-il, a mon lit de malade, c’est-a-dn:e a Teté Brecc.nbsp;Que ce ne soit ni au chiteau d’Imrith, ni au cMteau denbsp;Delca (1). — Qu’on ne te porte pas chez Emer au chateaunbsp;de Delca ? dit Löeg. — Non, dit-il, portez-moi k Teténbsp;Brecc. » Alors on I’emporta, et il fut, jusqu’a la fin denbsp;1’année, en eet endroit, sans parler a personne.

Un jour done, avant l’autre Samain, ala fin de l’année, il y avait des Ulates autour de lui dans la maison, savoirnbsp;Fergus entre lui et la paroi, Conall Ie victorieux entrenbsp;lui et Ie bois de lit, Lugaid aux ceintures rouges entrenbsp;lui et 1’oreiller, Ethné Ingubé a'sés • pié’ds. Hs étaientnbsp;ainsi lorsqu’un homme vint vers eux, dans la maison,nbsp;et s’assit en face dn lit oü était Chchulainh. « (Jui’est-cenbsp;qui t’amène. id ? demanda Conall Ie victorieux. —nbsp;Void, répondit'il; si Thomme qui est ¦ la était ennbsp;bonne santé, il protégerait toüs les Ulates ; liest maladenbsp;et faible, sa protedion est bienplus grande- encore. Jenbsp;ne crains rien, puisque c’est pour lui parler que je suisnbsp;venu. — Sois Ie bienvenu, ne crains rien,j direnf lesnbsp;Ulates.

Alors, l’iuGonnu se leva et leur chanta les vers suivants:

O Cüchulainn! de ta maladie — ne serait pas longue la diiréè. —-'Ellés te guéfifaiéut si'elle's éfaiént avec foi, — les

trlles a’Aed Abiutl' ¦' nbsp;nbsp;nbsp;¦ ¦ -nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;.....

*¦’ . - ‘-

Libaue dit dans la plaine de Cruach, — elle qui est a,la droite de Labraid Ie rapide ; — que Fand aurait nne histoirenbsp;de eoeur : — eUe voudrait s’uuir a CiicUulainu.

(1) Dundalk, sur la cóte est-de l’Irlande.

.. ------127 nbsp;nbsp;nbsp;¦

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L’ÉPOPÉE IRLANDAISE r-^.—_____

Cher serait Ie jour vraiment — oü Cücliulaiuu viendrait daas mon pays ; — il aurait de 1’argeut et de l’or ; — il auraitnbsp;beaucoup de vin a boire.

S'il était mon ami jusqu’ici, — Cüchulainn, fils de Sual-tam ! — ce que tu as vu dans ton sommeil, — peut-étre l’obtiendrais-tn sans ton armee.

A Mag-Murthemné la-bas au sud, — la nuit de Samain, saus dommage, — de ma part viendra Libane, — ó Cüchu-lainn, pour guérir ta maladie ! —

O Cüchulainn...

« Qui es-tu? demandèrent les ülates. —Je suis Oen-gus, fils d’Aed Abrat, » répondit-il. Puis il les quitta, et ils ne surent pas comment il était entré ni d’oü il étaitnbsp;venu. Alors, Cüchulainn se leva sur son séant et paria :nbsp;« Voila qui est a propos, dirent les Ulates; raconte cenbsp;qui t’a été fait. — J’ai eu, dit-il, une vision, Ie journbsp;de Samain, l’année dernière. » II leur raconta tout,nbsp;comme il l’avait vu. « Que faire a cela, 6 père Conor ?nbsp;demanda Cuchulainn. — Que faire ? reprit Conor ; lève-toi et va au même pilier de pierre. »

Cüchulainn partit alors ; il arriva au pilier, et il vit la femme au manteau vert venir a lui. — « C’est bien, 6nbsp;Cüchulainn, dit-elle. — Mais ce n'est pas bien pournbsp;nous. Pourquoi êtes-vous venues nous visiter l’annéenbsp;dernière? dit Cüchulainn. — Ce n’est pas un endroitnbsp;pour faire du mal oü nous sommes venues, dit-elle,nbsp;mais pour te demander ton amitié. Je suis venuenbsp;aujourd’hui pour te parler, dit la femme, de la partnbsp;de Fand, fille d’Aed Abrat. Manannau, fils de Lêr, l’anbsp;laissée libre, et alors elle t’a donné son amour. Libane estnbsp;mon nom. J’ai aussi pour toi une commission de monnbsp;mari, Labraid Main-vive-sur-épée. II te donnera lanbsp;femme pour un combat d’un jour avec lui contre Senach

-¦V-. nbsp;nbsp;nbsp;128nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;.=

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— nbsp;nbsp;nbsp;---—L’EPOPEE IRLANDAISE

Siaborthe, Eochaid lul et Eogan Imbir. — Cela ne me réussirait pas, dit Cüchulainn, de combattre des hommesnbsp;aujourd’hui. — Cela ne durera pas, répliqua Libane; tunbsp;guériras, et tu recouvreras ce qui te manque de force. 11nbsp;faut que tu fusses cela pour Labraid, car c’est Ie meilleurnbsp;des guerriers du monde. — En quel endroit habite-t-il ?nbsp;demanda Cüchulainn. — 11 habite en Mag-Mell (1), dit-elle. — J’aime mieux aller ailleurs. Que L6eg aille avecnbsp;toi pour connaitre Ie pays d’oü tu es venue ! — Qu’il ynbsp;aille done, » dit Libane.

Ils partirent alors, pour arriver a l’endroit ou était Fand. Alors, Libane s’approcha de L6eg et Ie prit parnbsp;l’épaule. « Tu ne t’en iras pas aujourd’hui en vie, 6 L6eg,nbsp;dit-elle, si une femme ne te protégé pas(2). — Cen’estpasnbsp;ce a quoi nous étions Ie plus habitués jusqu’ici, réponditnbsp;L6eg, la protection d’une femme. — II est malheureux,nbsp;bien malheureux que Cüchulainn ne soit pas ici soustesnbsp;traits, dit Libane. — J’aimerais mieux aussi que ce fütnbsp;lui qui y füt, » répondit Lóeg.

Ils partirent ensuite et arrivèrent a cóté de l’ile; la ils virent une petite barque de bronze devant eux sur Ienbsp;lac. Ils entrent alors dans la barque et ils vont dans l’lle.nbsp;Ils se dirigérent vers la porte d’une maison et virent unnbsp;homme qui venait a eux. Alors Libane lui dit:

« Oü est Labraid, Main-vive-sur-épée, — qui est ctef de troupes victor-euses ? — La victoire est sur sou char solide ;

— nbsp;nbsp;nbsp;il teint en rouge les pointes des javelots. »

L’homme lui répondit alors et dit :

« Voici Labraid, Ie fils irapétueux. — Sans tarder, elle

(1) nbsp;nbsp;nbsp;Le Pays des fées.

(2) nbsp;nbsp;nbsp;Le passage périJleux que l'on ne peut franchir qu’avecnbsp;l’aide d’une femme, estmentionné dans Ivain (v.9(;7).

— nbsp;nbsp;nbsp;129nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;_____________

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LEPOPEE IRLANDAISE =:

mam^reuse — l’assemblée po^r lp. ppm,batïioQ;s’appi‘ètfr pour Ie carnage —r qni reiaplira la plaine de Eidga. »nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;,

Puis ils entrèrérit dans la maison : ils virent tróis cinquantaines de Hts dans la maisQn et trais cin^uan-taines de femmes dans ces lits. Les femmes firent toutësnbsp;bon accueil a L6eg. Volei ce qü'ellës lui dirent toufés.nbsp;« Bienvenue a toi, 6 Lóeg, — a cause de ceile avec qtïinbsp;tu es arrivé, — de celui qui t’a envoyé, — et de toi-même, » — « Que vas-tu faire maintenant, ó Löeg ? ditnbsp;Libane. Iras-tu tout de suite parler a Fand'? —gt;nbsp;«J’irai, une fois que je saurai oü elle est. — C’esj^nbsp;facile ;elle est dans line chambre apart. »Alorsils allèfentnbsp;lui parler; elle leur souïiaita' la bienvenue de la ni'êmenbsp;manière.

Fand était done fille d’Aed Abrat, c’est-d-dire'« Pru-nelle, » iittéralement « Feu de 1’oeil». Fand, ensuite, ést Ie nom de la larme qui la traverse. Ce fut a cause de sanbsp;pureté que cette femme fut nommée ainsi; et aüssi anbsp;cause de sa beauté; car il n’y avait point au monde denbsp;femme qui lui füt comparable. Comme ils étaient Ik, vóilanbsp;qu’ils entendiren't Ie roulement du char de Labraidnbsp;venant vers l’iie (1)1 «Labraid n’ést pas content aujour-d’hui, dit Libane. Allons lui parler.^ » Ils sórtirent;nbsp;Libane souhaita la bienvenue a Labraid et dit:

Saint, Labraid, Maiu-viye-sar-épée! Héritier d’une troupe petite et armee de petites lances ! — il frappe les boucliers,nbsp;il disperse les javelots, — il blesse les corps, il tue les hommesnbsp;libres; — il recherche les carnages,,il y est trés .beau,,—nbsp;il anéantit les armées, il disperse les trésors. — O toi quinbsp;attaques les guefriers, salut; Labraid !

Salut, Labraid!...

(1) Comme Manannamp;n, il va en char sur la mer, Vedr ci-dessus, p. 59. nbsp;nbsp;nbsp;.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;‘

r======= 130 nbsp;nbsp;nbsp;......... -

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EWOPBEquot; IREA’NDinSE

Labraid ne répondit pas encöre, et Libaae reprit;

J nbsp;nbsp;nbsp;--rnbsp;nbsp;nbsp;nbsp;jnbsp;nbsp;nbsp;nbsp;^ f.,.;nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;.

• Saint, Labraid,. Main^vive-surTépée d.e bataille; :— prompt a donaer, liberal eavers tous, avi^e de coaibats; — spanbsp;cóté est blessé, sa parole belle, son droit fort, — sa domination aimante. — sa droite audacieuse, — sa puissancenbsp;vengeresse. — II repousse les guerriers. — Salat, lahraid J —nbsp;Salut, LabraidInbsp;nbsp;nbsp;nbsp;,nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;j, . .

Labraid neréponditpas encore; alors, de nouveau, elle

lui chanta un autre lai:


Salat labraid,-Main-ViVe-sur-épée!

1,6 plus brave des guerriers, plus fier que les mers! 7— II détruit les forces, il engage les combats; — il éprpuve lesnbsp;Suerriers, ilélève les faibles-^— il abaisse les forts. Salut,nbsp;Labraid!

Salut, Labraid.

«Cé quéquot; tu dis' n’est pas bien, 6 femme;» rcpOndit Labraid; et alots il dit ' ' '* •nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;.......

«il i?y a jui orgueil, ui arrogance chez itioi, 6 femme ! — Et uu ctornje trompeur u’enivré pa^ mon jugement. —nbsp;Nous' aEons a ud cornbat d'issue doütéuse, nnportant èt trésnbsp;dur qu les epees routes fouerout dans les mains drOitesnbsp;— contre les troupes nombreuses et unanimes d’EocShaidnbsp;Siel^— Je n’ai point de préspmption; il n’j a ni*^orgueilVninbsp;arrogancqchez ipoi, ó femme f»

« Réjouis-toi done, lui dit tibane. Löe^’, Cocher de Cüchülainnj Cst ici; il a une commission a té fatfé de sanbsp;part; de lui il te viendra une arjnamp;j^gt;gt; !^bfaid scpiuaitanbsp;alors la bienvenue a Xóeg, en. lui dis^nt: « SaJut .i^tgi,nbsp;Löeg, d cause de la femme avec qui tu es arrivé, et denbsp;celui qui t’aenvoyé. Retoumechez toi, 5 L6eg, continua,

Lab'réid,et Libane faccompagnera.» -*¦ *....., nbsp;nbsp;nbsp;/

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LÉPOPÊE IRLANDAISE nbsp;nbsp;nbsp;.. :

Alors Lóeg partit pour Emain et raconta son histoire a Cüchulainn et k tons les autres ensuite. Cüchulainn senbsp;leva sur son séant et passa la main sur son visage. IInbsp;paria clairement a L6eg, et son esprit fut fortifié par lesnbsp;histoires que lui racontait Ie valet.

\Le récU est interrompu par deux épisodes : la fête du iaureaa ott ton decide, a Vaide de pratiques magiques, a quinbsp;donner la royauté d’Irlande, ei Venseignement de Cüchu-lainn sur les devoirs des rois. Puis il y a dans Ie manuscritnbsp;la fin ctune seconde redaction. La parite qui répond aunbsp;commencement du rédt que nous avons donné présentenbsp;quelques variantes. La femme de Cüchulainn n’est pas Ethné,nbsp;mais Emer. Celle-ci se rend auprès de son mart pour Ienbsp;soigner, mais Libane vient Ie chercher. II envoie Lóeg a sanbsp;plaee, et celui-ci revient du pays des fées en compagnie denbsp;Libane.^

« Qu'y a-t-il, 6 L6eg? » dit Cüchulainn. L6eg répondit et dit; «II est ternps d’aller, car Ie combat se Irvreaujour-d’hui. » Et c’est ainsi qu’il parlait et il chanta un lai ;

Je suis allé d’une allure alerte — dans uu pays merveilleux, bien qu’il me füt familier, — jusqu'au fertre aur vingtnbsp;troupes — oü j’ai trouvé Labraid a la longue chevelure.

Jel’ai trouvé sur letertre assis parmi des miUiers d'armes;

— nbsp;nbsp;nbsp;chevelure blonde de couleur éclatante, — qu’une pommenbsp;d'or maintenait.

Et il me reconnut après quelque temps, — a mon man-teau de pourprea cinq plis. — II me dit : « Viendras-tu avec moi — a la maison oü est Failbé Ie Beau? »

II y a deux rois dans la maison, — Failbé Ie Beau et Labraid; — trois cinquantaines autour de chacun d’eux, —nbsp;voila Ie nombre de l’assemblée.

Cinquante lits du cóté droit, — et sur euxcinquante princes;

— nbsp;nbsp;nbsp;cinquante lits du cóté gauche, — et sur eux cinquantenbsp;princes.

Les lits ont des piliers couleur de sang, — de belles

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L’ÉPOPÉE IREANDAISE

colonnes dorées; - la lumière qui les éclaire — est un joyau radieui (1).

A la porte de 1’Ouest se trouvent au couchant du soleil — un troupeau de chevaux gris, a la crinière tachetée, — etnbsp;un autre de pourpre brune.

A la porte de l'Est il y a — trois arbres de claire pourpre;

— nbsp;nbsp;nbsp;d’oü chautent des oiseaux longuement, doucement, — pournbsp;les jeunes gens du fort royal.

II y a un arbre a la porte du chateau ; — 1'harmonie quïl émet n’est pas déplaisaute, — arbre d’argent oü brille Ienbsp;soleil; — sa spleudeur est pareille a l’or.

11 y a la trots vingtaines d’arbres; — leur sommet se touche, ne se touche pas; —trois cents hommes se nourrissentnbsp;de chaque arbre, — de leur fruit multiple et simple.

II y a une fontaine dans Ie noble sidh, — avec trois cin-quantaines de manteaux tachetés — et une broche d'or Colorée — au co'n de chaque mauteau tacheté.

La est une cuve d’hydromel joyeux — que 1'on partage a la maisonnée; — elle reste toujours, la coutume est établie

— nbsp;nbsp;nbsp;qu’elle soit toute pleine a jamais.

II y a une fiUe dans la maison noble, — qui se distingue des femmes d’Irlaude; — avec une chevelure blonde qm flotte ;

— nbsp;nbsp;nbsp;eUe est jolie, eUe est adroite.

La conversation qu’elle tienta chacun — est joUe et extraordinaire ; — elle blesse Ie coeur de tout homme — par son amour et son affection.

La fille noble a dit : — « A qui est ce garfon que nous ne connaissons pas? — Si c’est toi, viens ici, — garjon denbsp;1’homme de Murthemne. »

Je suis venu doucement, doucement; — j’avais peur pour mon honneur ; — elle me dit ; « Vient-ilici —le fils uniquenbsp;de 1'aimable Dechtire ? »

II est famp;cheux qu’il ne soit pas venu depuis longtemps, — car chacun le recherche, — pour qu’il voie comment elle est

— nbsp;nbsp;nbsp;la grande maison que j’ai vue.

(1) On croyait, au moyen Age, que les pierres précieuses avaient, par elles-mémes, un pouvoir eclairant.

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l-’ÊPÖPÊE iSÖCMfiAlSË

“Si rir^ade cntière était a lüoi — ct Ie royaumë de Bi'eg' la blonde, — je la donnerais (et ce ne serait pas uur faib'.enbsp;tentatiob) — póSt hibltCi? Ie' pays oü je- s-uis allé.

''Jesuis aÜé...

— «• C’est bien, dit Cdchulainn. — Oni, dit L6eg, et il conviént que tu te rendes Ik-b'as f'car toiit ce qii’ilnbsp;y .a dans ce pays est bon, » Alors Löeg paria encore etnbsp;raconta les cbarmés du sfdh.

J’ai vu uue jteire brillanté et^uobie, — óü l’on ne dit' ni menspnge ui injustice ; — la est un roi qui rougit de sangnbsp;les bataiUóns, — Labraid Ie rapide^ Main-vive-siy-épéej^nbsp;j^uand'^e suis alléA la Plaine de Luada, — m'est apparunbsp;l’Arbre de la Victoire ; — je nie suis réndii a la Plaine denbsp;Dêuna, — d uu hardi et rapide. ^

C’est la que Libarie a it — « Dans Ie'quot;pays oü pous avons été, — ce serait póur mói uu prodige cïiéri — si c’étèitnbsp;Cücbulainn qui y füt sous tes traits.

^_Ce sont de belles fenuneSi^ victojre sans ca^tif, —les óïles dA?*! Abrat; — beauté de Faud, gloire éclatante; ni reinenbsp;ni roi u’eu approche.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;,.

Je dirai, car c’est moi qui ra!i enténdu : — jace d’Adam saus fe péclie; — beauté dé Fand, jusqu’ici,— n'a ^s la'sanbsp;pareille.

J’ai vu ^ des guerriers splendjides — avec des armes qui tranchent; — j’ai yu des vêteménts de couleur; — ce n'étaitnbsp;pas équipement de plébéien,

^ J'ai vu des femmes braves au festin; — j’ai -vu les jeunes fill'es; — j'ai vu des garpo'ns briilauts — aller autour denbsp;l’arbre de la colline.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;„i,nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;_

J’ai vu les musiciens dans la maison, — jqmit^ppur la jeune fille ; — si jc n'étais^-vite parti, — ils m’auraiéut biissénbsp;sans force (1).nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;. , _

J’ai vu la colline oü était — la belle femme Ktbné Ingubé;

(1) Par 1’effet inagiqiie de laimusiquc.

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L’ÉPOPÉE fREft’NDAjSE ferait perdre -la têtesf

~ ihais la femimfe doht on parle ici armées.quot;nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;,nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;.

J’ai vu...

Cüchulainn partit avec ellè pour lp ]^ays,^et prit avéc lui son char.,Ils arrivèrent a l’ile. Labiraid lui souhaitanbsp;la bienvenue ainsi que toutes les fpmines ; m^is ^andnbsp;souhaita en particailier la bienvenue k Cuchulainn.'nbsp;— « Qu’.allons-nous faire pette fois-ci ? dit Chchulainn. :—nbsp;Ce n’est pas malaisé, dit Labraid ; void ce quenousallonpnbsp;faire : nous irons reconnaitre l’armée. » Ils sortirent,nbsp;s’^pprochèrent du grosdérafméé et y jetèrent les’yeüi :nbsp;Us la trouvèrent innombrable. « Va’-t’èi maihtenant, »nbsp;dit Cüchulainn a Labraid. Labraid partit et Cücbulainiïnbsp;i;esta en face de l’armée ^1), Les deux córbeaux sorciersnbsp;1’annoncèrent. Les armées se niirent.a rire. — « Il ejitnbsp;probable, dit l’armée, que c’est Ie contorsionniste d'Ir^.nbsp;lande, que prédisent les córbeaux. »

Les armées les chassèrent en sorte qu’ils ne ti;ouvèrent pas de place pour eux dans Ie pays. Eochaid lül alia senbsp;laver les niaihs a la source, dé bonne heure le matin.nbsp;Cüchulainn vif son épaule a travers son capuchon. II'nbsp;Ipi lance un javelot qui le traverse. H tua éï lüf séülnbsp;Irénte-trois d'entre eux. Puis il attaqua Senach le*^fantb-lual, et ils se hvrèrent un grand combat et Cüchuia'innnbsp;Ié tua. Alors Labraid re-vint et il miten déroute devantnbsp;lui les armées, Labraid le pria de cesser le massacre. —nbsp;« Nous craigüons, dit Löeg,- que Thomnae ne fovnnenbsp;sacolère contre nous, car il ne juge pas suffisant lecom»

. (1) Les fees ne peuvent remporfer la victoire qu’avec lè ®écours d’un hommé. Cette presence leur ést ne'cessairenbsp;®*éme pour gagner un match de foot-baÜ. Voir ï). flybi,nbsp;Reside the fire, p. 87.

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L’ÉPOPÉE IRLANDAISE :-.. nbsp;nbsp;nbsp;.....- . nbsp;nbsp;nbsp;-

bat qu’il a trouvé. Qu’on aille, dit L6eg, préparer trois cuves d’eau froide pour éteindre son ardeur. » Lanbsp;première cuve oüil va, l’eau bout et déborde ; la secondenbsp;cuve, personne n’en peut supporter la chaleur ; la troi-sième cuve a une chaleur conveuable (1).

Quand les femmes revirent Cüchulainn, voici ce qu’alors Fand chanta :

Un majestueux conducteur s’avance sur Ie chemiu, — quoique imberbe et jeune ; — joli, rapide, il parcourt lanbsp;plaiue, — Ie soir, après 1'assemblée de Fidga.

Ce u’est pas la musique des fees que chante Ie velum, — c’est la fombrc couleur du sang qui est sur lui ; — c’eit Ienbsp;crondn (2) que chante 1’essieu du char ; — les roues du charnbsp;font l’accompagnement.

Les chevauxqui sont a son char solide, —je m’arrêtepour les regarder; — on ue trouve pas leurs pareils en fait denbsp;coursiers ; — ils sont aussi rapides que Ie vent du priu-temps.

II jongle avec cinquante pommes d'or ; — elles rebon-dissent sur son haleiue ; — on iie trouve pas sou pareil comme roi, — tant doux que rude.

II y a sur chacune de ses joues — ?es fossettes rouges comme Ie sang ; — des fossettes vertes, des fossettes bleues, —nbsp;des fossettes pourpres a la teinte legére.

II y a sept lumières dans son ceil, — il u’est pas facile a aveugler; —la bordure de son oeil noble — a des cils noirsnbsp;comme la poix.

II a sur sa tête, et c’est bien celui — qu’ou a célébré d’un

(1) nbsp;nbsp;nbsp;Le même détail se trouve avec plus de développementnbsp;dans le récit des « Enfances de Cüchulainu », troisième épisode. Voir H. d’Arbois de Jubainville, Tdin bó Cualnge,

p. 82.

(2) nbsp;nbsp;nbsp;Sorte de chant sur un ton si bas que les bardes quinbsp;l'essayaient risquaient foo't de se faire éclater la téte. Voirnbsp;Les litiérahtres celtiqnes, p. 145-14fi.

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........ — L’ÉPOPÉE IRLANDAISE

bout a l’autre de 1’Irlaude, — trois chevelures de couleurs différentes, — Ie gar9on jeune et imberbe.

Uneépée rougie quipartage lesang, — avec sa poignée ar-geatée; — un bouclier a^ec des bosses d’or jaune — et avec un bord de laiton blanc.

II marche a travers les hommes avec violence ; — il par-court li combat dans Ie danger ; — il n'y a pas un de vos héros — qui soitsemblable a Cüchulainn.

Cüchulainnest venu ici, — Ie jeune héros de Murthemné;

¦— celles qui Tont amené ici au loin — sont les fiUes d’Aed Abrat.

Uue pluie de sang, longue, rouge, — sur Ie cóté de la hampe est sa marque ; — superbe, orgueilleux, altier, suivinbsp;de plaintes; — malheur a celui contre qui il grince des dents !

Libane lui souhaite la bienvenue ensuite et lui dit ceci :

Salut, Cüchulainn, — roi qui poursuit, — grand prince de Mag Murthemné ! — grand est son esprit, honneur desnbsp;guerriers victorieux ; — coeur de héros, roe de sagesse, rougenbsp;de colère, — prêt contre les vrais ennemis des bravesnbsp;héros d’IJlster; — jolie sa couleur, la couleur de l’ceil desnbsp;jeuues femmes. Salut !

Salut, Cüchulainn !...

— « Une question ; qu’as-tu tait, 6 Cüchulainn? » lui dit-Libane. Alors Cüchulainn lui dit ;

J'ai lancé un coup de mon petit javelot — contre l’armée d'Eogan lubir, — et je ne sais (trésor fameux; — quelle vic-toire j'ai remportée, ni quel est mon haut fait.

Que ce füt meiileur ou pire pour ma force, — jusqu'ici je n'ai pas obtenu ce a quoi j'avais droit ; — Ie coup (on nenbsp;peut savoir dans Ie brouillard) — sürement n’apas atteiiitunnbsp;homme vivant.

Une belle armée trés rouge avec des foules de chevaux, — ni’a poursuivi sur un cóté; — les geus de Manaanan fils denbsp;Lêr ; — Eogau Inbir les avait appelés.

l?7 — nbsp;nbsp;nbsp;¦nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;—

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L’EPOPEb; IRLANDAISE nbsp;nbsp;nbsp;-----— ^

Jetournaiauteur d'euxcependaat; -^quaud je ius a pleiue force, — seul contre trois cents, je les mis a mort.

J’ai entendu Ie soupir d'Eochaid lul, — sincèrement parlent les lèvres en irérité ce ne fut pas ua combat — cenbsp;coup qui fut bieu lancé.

EnsuiteCüchulainndormitavec lafille et resta un mois auprès d’elle; au bout d’un mois, il lui dit adieu. —nbsp;« A' 1’endroit, dit-elle, oü tu me diras de venir tenbsp;tróuver, j'irai. v'ils se donnèrent reudez-vous a l’if denbsp;Cend Tracha. On Ie raconta a Emer. Elie fit faire desnbsp;poijgnards pour tuer la fille. Élle vint avec cinquantenbsp;fijles au ren^ez-vous. Cüchulainn et L6eg étaient la anbsp;jouer aux échecs et ils ne virent pas les femmes s’apro-cher d’eux. Mais Fand s‘en aper^ut et dit a Lóeg :nbsp;« Regarde, ó L6eg, ce que je vois. — (Ju’est-cc? »nbsp;dit Löeg, L6eg regarda et alors Emer dit :

Regarde, ó_Lóeg, derrière toi ; —at'écouter spntdcsfemmes justes, iutelligeutes ; — ay ec des poignards aiguisés a bleu dansnbsp;leurs,mains droites ; — ayec de l’orsur leurs seinsaux bellesnbsp;formes ; — tu verras comme les braves guerriers vieunentnbsp;sur leurs chars de combat; — il est évident qu’Emer fillenbsp;de Forgall a changé d’aspect.

— Ne crains pas [dit Cflchulainn]; U n'arrivera rien. — Viens dans Ie char solide, au siège enf olerllé; — devant mo'-même ; — car je te protégerai contre des femmes innom-brables — aux quatre coins de 1’Ulster. — (Juoique la fillenbsp;de Forgall menace — au nom de ses compagnes, — de fairenbsp;acte de violence, — avec moi, certes, eile n’ostra pas.

Cüchulqinn dit encore :

Je te cede, ó femme, — comme chacnn.cède.a.son ami— je nem’expose pas a ten javelot dur qui fait trembler la main,—nbsp;ui a ton poiguard aminci a I’entour, — nj è ta cplère faible et

,--------)38 nbsp;nbsp;nbsp;.......

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L’ÉPOPÉE IRLANDAISË

ccwicentrée ; ^. car c’est uu malheur: que ma .forrie cède a une force de. temiie^

« Une question done, dit Emer. Pourquoi, as-tn ¦fait, 6 Cüchulajnn, mon déshonaeur devant b.eaucoupnbsp;de icmmes. de.la province, devant.beaucoup de femmesnbsp;d'lrlande.et en aautre .devant les.gens d’bonnenr? Carnbsp;c^est a ton insu que je. .suis venue et sous la, garde .denbsp;ta loyauté ; quoique tu sois d’un orgueil iudomptable,nbsp;certes tu ne trouveras pas moyen de me quitter, 6 gar-9on, quelqü’efïort quë tu fasses.

—Une question done, öEmer, dit Ciachulainn ; poar-quoi ne me lai sser ais-tu pas qnelqjie temps en compagnie de femme?ear en vérité,-qette f emme,.elle est pure, chaste,nbsp;trés adroite, digne d’un roi bien fait, cette fille desnbsp;vaguesvenue par lesmers immenses; avec de ia beauté,nbsp;dü inaihtieö et une bonne naissance; avec 1'art de bro-der, de la dextérité et de l’habileté de main; aVec denbsp;l’ésprif, du bon sens, de la fërmeté'; “avec nbmbre denbsp;chevaux et de boeufs de razzia, car il n’y a pas sous Ienbsp;ciel.une chose qu’elle ne consentit aspneher compagnpn,nbsp;ni qu'elle neiit, quoi qu’elie eht promis. 9 Emer, dit-il,nbsp;tu ne trouveras pas de héros aux belles cicatrices, auxnbsp;batailles vietorieuses qui me soit comparable,

— Én vérité, dit Emer, elle n’est pas mieux que moi la femme a laqueite tu t’attaches. Tout ce qui estnbsp;rouge est jóli,”tout ce qui est nouveau est' beaii, tout cenbsp;qui est haut est aimable; tout ce quï est habitnél' éstnbsp;amer, tout absent est sacré; tout ce qu’on connait on Ienbsp;négüge pour apprendre toute science. Mon garpon, dit-ctle, nous avóns été dignement auprès de toi et nous Jenbsp;serions encore s’il te plaisait. » Et eUe se larhenta. —nbsp;Sur ma parole, dit'-il, c’est toi qui me plais et menbsp;¦plairas tant qixe tu- seras en vie.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;.....

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L’ÉPOPÉË IRLANDAISE ===_^====.=====^===-

— Abandonne-moi done ! dit Fand. — II est plus juste qu'il m’abandonne, dit Emer. — Non,nbsp;dit Fand, c’est moi qui serai abandonnée et c’est moinbsp;qui en étais menacée depuis longtemps. » Et elle futnbsp;saisie de tristesse et de grand découragement, car ellenbsp;trouvait honteux d’être délaissée et de retourner aussi-tötchez elle, eteUe était tourmentéepar legrand amournbsp;qu’eUe avait donné a Cüchulainn. C’est ainsi qu’elle senbsp;lainenta et fit ce lai :

C’est moi qui vais partir en voyage — quoique, a ce qu’il me semblc, par grande nécessité; — quoiqu’il y ait de lanbsp;gloire, — j’aimerais mieux rester.

J’aimerais mieux demeurtr id — pour être sous ta main sans chagrin — que d’aller, bien que cela t’étonne, — dans Ienbsp;palais d’Aed Abrat.

O Emer, c’est a toi qu'est 1’homme — et il m’a fui, ó noble femme. — Ce que n’atteint pas la main, néaamoinsnbsp;— ie ne puis m’empêcher de Ie désirer.

Beaucoup d’hommes m’ont recherchée, — tant a 1’abri que dans Ie desert — je ne suis pas allee a leur rendez-vous, —nbsp;paree que c’est moi qui étais noble.

Quel malheur de donner son amour a un homme — s’il n’y prête pas attention ; — il vaut mieux s'en aller, — si on n’estnbsp;pas aimée comme on aime.

Cinquante femmes sont venues id, — ó Emer radieuse a la chevelure blonde, — pour altaquer Fand, ce n’était pasnbsp;bien, — et pour la tuer misérablement.

J’ai tiois cinquantaines la-bas —• de femmes jolies non mariees ; — chez moi dans un chateau, ensemble ; —elles nenbsp;m’abandonneraieut pas, moi.

Ensuite, Manannan vint a savoir que Fand, fille d’Aed Abrat, était opprimée par les femmes d’Irlande et aban-née par Cüchulainn. Alors Manannün vint de 1’Orientnbsp;pour chercher la fille; il arriva devant elle et personnenbsp;ne s’en apergut, sauf Fand seulemeut, C’est la que la

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. r....... nbsp;nbsp;nbsp;.....L’ÉPOPÉE IRLANDAISE

tiUe fut prise d’un grand trouble et de découragement en voyant Mananniln, et elle fit un lai:

Regardez Ie fils des héros de Lêr, — des plaincs d’Eogan lubir, — Manannan, noble, glorieux, charmant ; — il futnbsp;un temps oü il m'était cher.

Si c'est aujourd'hui qu’il faut Ie proclamer, — mon esprit altier n’aime pas ; — c’est une subtile chose que l’amour, ilnbsp;va son chemin saus détour.

Un jour que j’étais avec Ie fils de Lêr — dans Ie palais deDün Inber, —il nous semblait que jamais — ne seraitnbsp;notre separation.

Quand Ie superbe Manannan m’emmena — j’étais une compagne de son rang, — et il ne me gagnait pas alors —nbsp;une partie de plus aux échecs.

Lorsque Ie superbe Manannan m’emmena, — j’étais ime compagne de son rang ; — d’un bracelet d’or que j’ai encorenbsp;— il me paya ma pudeur.

J’avais sur la bruyère, dehors, — cinquante filles de toutes couleurs ; — je lui donnai cinquante hommes, —nbsp;contre les cinquante fiUes.

Quatre cinquantaines, sans tromperie — voila les gens de cette seule maison; — deux cinquantaines d’hommes gaisnbsp;et saius, — deux cinquantaines de femmes belles et biennbsp;portantes.

Je vois sur la mer id — (Ie vulgaire ne Ie voit pas) — Ie cavalier de la mer chevelue, — il ne suit pas les longs vais-seaux.

II est venu a cóté de nous jusqu’ici ; — il n’y a a Ie voir que les fées ; — tu peux reconnaitre chaque petite troupe —nbsp;bien qu’elle soit éloignée de toi.

Quant a moi, c’était naturel, — car les esprits des femmes sont faibles ; — celui que j’ai tant aimé — m’a mis la dansnbsp;1’oppre'sion.

Adieu a toi, beau Chien (1), — nous nous séparons de toi

(1) Voir plus haut, p. 117, l’origine de ce sumom. ------------------ 141 - .

L’ÉPOFÉE IRLANDAISE.

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L’ÉPOPÉE IRLAWDAISE

de bou cOBur ; — biea que aous a'atteignioas p^s ce que nous désirons, — il reste Ie droit de s’enfu^.

Voici pour moi 1’instant du départ; — il y a quelqu'un pour qui c'est dur ; — elle est grande Ia contrainte, — 6 L6eg,nbsp;fils de Riangabair.

J'irai vers mon époux même — qui sans doute ne fera pas ce que je ne veux pas ; — n'allez pas dipe que je m’en vaisnbsp;en me cachant; — si vous Ie désirez, regardez ! »

Puis la fille se leva a la suite de Manann^n, et Manannamp;n lui fit bon accueil et dit : « Eti hien, manbsp;fille, citte fois-ci, attendras-tu Cüchulainn, ou est-cenbsp;avec moi que tu viendras? — Sur ma parole, ennbsp;vérité, dit-elle, il y a un de vous que j’aimerais mieuxnbsp;suivre comme époirx. Mais, dit-elle, c’est avec toi quenbsp;j’irai et je n’attendrai pas CEchulainn, car il m’a aban-donnée, etd’autre part, 6 noble homme, il n’y a pas denbsp;reine de ton rang chez toi, et il y en a une chez CEchu-lainn.

9uand CEchulainn vit la fille s’en aller vers Manannamp;n, il dit a i.6eg : « Qu’y a-t-ii la ? — Ce n’est pasnbsp;difficile, dit L6eg; Fand s’en va avec Manann^n,nbsp;fils de Lêr, paree qu’elle ne te plait pas. » Alors donenbsp;Citchulainn fit trois grands sauts et trois sauts drentsnbsp;au sud (1) vers Luachair, en sorte qull fut longtemps sansnbsp;boire, sans manger, Ie long des mon.agnes, etildormaitnbsp;chaque nuit sur Ie chemin de Mid-Euachair,

Emer alia trouver Conor a Emain et lui raconta comment était Cüchulainn. Conor envoya des devins, des poètes et des druides d'Ulster Ie chercher, pour ienbsp;prendre et l’amener avec eux è Emain. 11 essaya denbsp;tuer les poètes. Ils cbantèrent devant lui des charmes

(1) I-es sauts sont parmi les uombreux tours d'adresse que pent exécutep Cüchulainn.

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L’EPOPÉE IRLANDAISE

druidiques, lui pri^ent Jes pieds et les mains en sorte qu’il revint alors k lui. II leur demands k boire ensuite.nbsp;Les druides lui donnèrent Ie breuvage d'oubli. Quand ilnbsp;eut bu Ie breuvage, iln'eut plus aucun souvenir deFandnbsp;ni de tout ce qu'ü avait fait. lis donnèrent aussi a Emernbsp;Ie breuvage d’oubli de sa jalousie, car elle n’était pasnbsp;mieux que lui. Manannkn agita son manteau entrenbsp;Ckchulainn et Fand, pour qu’ils ne se rencontrassentnbsp;plus jamais.

LE MEURTRE DU FILS UNIQUE D’AIFÉ (i)

Pourquoi Ckchulainn tua-t-il son fils?

Ce n’est pas diffipile.

Cüchulainn était allé apprendre les armes chez Sca-thacb Uanaind, fille d’Ardgeimm, en I^tha (?), jusqu’k ce qu’il eüt acquis avec elle la maitrise de l’escrime.nbsp;Aifé, fille d’Ardgeimm, vint Ie trouver; il la renditnbsp;grosse, et lui dit qu’elle enfanterait un fils. « Gardenbsp;eet anneau, dit-il, jusqu’k ce qu’il aille a ton fils.nbsp;Quand il lui ira, qu’il viepne me chercher en Irlande;nbsp;que personne ne Ie détourne de sa route, qu’d ne senbsp;fasse connaitre k personne et qu’il ne refpse Je combatnbsp;singulier a personne! »

L’enfant, au jour de ses sept ans, partit chercher son père. Les Ulates tenaient une assemblee k Tracht Eisinbsp;quand iis yirent Ie fils venir a eux k jravers la mer surnbsp;une barque de hronze, des rames dorées dans ses mains.

(1) nbsp;nbsp;nbsp;Texte d’après Ie Livre jaune de Lecan, manuscrit dunbsp;Xïv' siècle. Traduction anglaise par Kuno Meyer, Erin, Inbsp;(1904), p. 113-121.

(2) nbsp;nbsp;nbsp;Ce nom désigne tantót l’Armorique (Leiavia), tantót Ienbsp;Latium. II s’agit d’une sorcière d’Écosse, ci-dessus, p. 117.

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L’ÉPOPÉE IRLANDAISE

II avait un tas de pierres dans la barque; il mettait une pierre dans sa fronde et .la lanpait d’un coup a retournbsp;contre les oiseaux; il les prenait vivants, et les re14chaitnbsp;dans l’air. II faisait un tour avec son palais (1) entre sesnbsp;mains, en sorte que I’oeil ne Ie pouvait suivre; il accor-dait sa voix a la leur et les faisait tomber une secondenbsp;fois, puis il les ranimait encore une fois.

« Eh bien dit Conor, malheur au pays ou vient ce gar^on-la! Si c’étaient les hommes faitsde l’ile d’oü ilnbsp;arrive qui nous venaient, ils nous moudraient ennbsp;poussière, puisque c’est un petit gar^on qui fait ces tours-la. Que l’on aille a sa rencontre et qu’il n’aborde pas ici!nbsp;Qui ira a sa rencontre? Qui? dit Conór, sinon Con-déré fils d’Echu ? — Pourquoi Condéré ? dit cha-cun. — Ce n’est pas difficile, dit Conor. S’il estnbsp;question de raison et d’é'.oquence, c’est Condéré quinbsp;convient la. — J’irai a sa rencontre, » dit Condéré.

Condéré partit et, au même moment, Ie gar^on abor-dait Ie rivage. « Tu es assez loin, mon gar^on, dit Condéré, pour nous apprendre d’oü tu viens et quel'e est ta race. — Je ne me fais connaitre a personne, ditnbsp;Ie jeune homme, et je n’évite personne. — Tu n’abor-deras pas, dit Condéré, avant de t’être fait connaitre.nbsp;— Je vais retourner la d’oü je suis parti, » dit Ie jeunenbsp;homme.

Le gar^on fit demi-tour. Alors Condéré lui dit : « Tourne-toi vers moi, mon fils : il y a des hauts faits,nbsp;il y a des biens de mineur, orgueil des guerriers desnbsp;Ulates, pour toi. Car Conor te protégé... Tourne-toi versnbsp;Conor, le vaillant fils de Ness; vers Sencha fils de Cos-cra; vers Cethern a la lame rouge, fils de Fintan, feu

(1) Un des uombreux tours de Cüchulaiun, sur lequel nous u'avous pas d’autre texte plus clair.

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qm endommage les armes; vers Amergin Ie savant; vers Cumscxaid aux grandes troupes. Heureux celui quenbsp;Conall Ie Victorieux protégé... Je me vante, dit Con-déré, d’aller au-devant d’un garqon imberbe, impu-bère, a moins que les Ulates ne Ie permettent pas. —nbsp;Tu as bien fait de venir a nous, dit Ie gar^on; tunbsp;auras la conversation que tu veux... Retoume, dit Ienbsp;gar^on, car lors même que tu aurais la force de centnbsp;hommes, tu n’es pas capable de t’opposer h moi. —nbsp;C’est bien, dit Condéré, qu’un autre alors viennenbsp;te parler! »

Condéré alia trouver les Ulates et leur raconta son his-toire. « II ne sera pas dit, dit Conall Ie Victorieux, que l’honneur des Ulates soit emporté, tant que je suisnbsp;en vie! » II alia alcrs vers Ie gar^on. « II est joli, tonnbsp;jeu, mon gargon, dit Conall. — Ce n’est pas conirenbsp;toi qu’il sera plus laid, » dit Ie garqon. II mit unenbsp;pierre dans sa fronde. II la lan^a dans l’air par un coupnbsp;a retour, en sorte que Ie bruit et Ie tonnerre qu’eUenbsp;fit en montant arriva jusqu’a Conall et Ie jeta sur Ie dos.nbsp;Avant qu'il se tót relevé, Ie garqon lui avait lié les mainsnbsp;avec la courroie de son bouclier. — « Qu’un autre aillenbsp;contre lui I » dit Conall. C’est ainsi que Ie gar^on senbsp;moquait de l’armée,

Cependant CAchulainn assistait a ce jeu et il alia vers Ie garfon. Emer fille de Forgall mit Ie bras auto ar denbsp;son cou : « Ne descends pas la, dit-elle. C’est un filsnbsp;h toi qui est en bas. Ne nous venge pas sur ton filsnbsp;unique!... H n’est pas loyal ni sage de te lever contrenbsp;ton fils valeureux... Tourne-toi vers moi! Ecoute manbsp;voix! M®n avis est bon. Puisse Cüchulainn l’entendre!nbsp;Je sais quel nom il va dire, si c’e^i Conla, Ie fils uniquenbsp;d’Aifé, qui est Ie garqon la-bas, » dit la femme. Alorsnbsp;Cüchulainn répondit : v Tiens-toi, 6 femme!... Même sinbsp;--- nbsp;nbsp;nbsp;145


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L'ÉPOPÉE IRLANDAiSÊ ......• ........ -n ...r

c’était lui qui est la, 6 femme, dit-il, je Ie tuerais peut rhonneür des Ulates. »

Alors il descendit lui-même. « 11 est joli, moa gar-9on, Ie jeu que tu fais, dit-il. — Votre jeu a vous n’est pas tel, dit Ié petit garden, que deux d’entre vouSnbsp;ne soleutpas vetius pour que je me fasse connaltre k eux,nbsp;— Est-ce qu’il aurait fallu qu’un jeune garden vint énnbsp;ma compagnie?, dit Cüdiülainn. Tu vas mourir sinbsp;tu ne té fais pas connaitre. — Eh bieö, soit! » dit Ienbsp;garfon.

Le fils se jette sur lui. lis se frappent l’un l’autre. Le gar^on lui eöupe la chevelure avéc son épée d‘un coupnbsp;bien envoyé. — « Assez de plaisanteries! dit CAchu-lainn. AUons enfin lüttér. — Je n’atteins pas a tonnbsp;ceinturon, » dit !e fils. 11 monta sur deux pierres et mitnbsp;CAchulainn entre deux piliers de pierre trois fois et lenbsp;fils ne bougea ni l’un ni l’autre de ses pieds jusqu’a cenbsp;qu’ils eussent pénétré dabs les pierres jusqu’aux che-villes. La trace de ses pieds y est encore; C’est pournbsp;cela qu’on dit le Rivagè de la Trace chéz les Ulates. lisnbsp;entrèrent dans la mer poür se noyer 1'un l’autre, ét le filsnbsp;le fit plonger deux fois. CAchulainn aUa vers lui horsnbsp;de 1'eau et le prit en traitre aVec le javelot a sac, ScA-thachn’avait enseigné lemaniementde cette arme qu’aünbsp;seul CAchulainn. II le lance contre le fils, dans l’eau, ennbsp;sorte que les entraillés lui tombent sur les piéds. —nbsp;« Volla done, dit-il, ce que ne m'a pas enseigné Sc4-thach! Malheiir k toi qüi m’as blessé ! dit le fils.

— C’est vrai », ditCüchulainn. II prendson fils entre ses bras, 1'enlève de la et le porte jusqu’A ce qu’il arrivenbsp;devant les Ulates. —; « Void mon fils devant vous, 6nbsp;Ulates, dit-il. — Hélas! répondirent les Ulates. —nbsp;C’est vrai, dit le fils. Si j’avais été parmi vousnbsp;en cinq ans, j’aurais vaincu les hommes de la terte

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en vötre présence dé chaqne c6téy ét vons auriez eu 1’empire jusqu’k Rome. Ptiisqü'11 en est ainsii mOntrez-moi ies hommes illustres qui sont ici, que je leur discnbsp;adieu! » Alors il mit les brés autour du coii de chacunnbsp;d’eux l’un après l’autre; il dit adieu a son père et mou-rut aussitöt.

On fit la lamentation funèbre, la tombe et la pierre, et pendant trois jours aücun veaü ne fut laissé auxnbsp;vaches en Ulster k la suite de cela.

LE MEURTRE DE CUCHULAINN (i)

La-dessus, Cüchulainn sauta sur son hamais de guerre et mit a s’en revêtir; mais, aussitöt qu’il ent com-mencé, sa broche lüi tomba de la main. Et Cftchulainnnbsp;dit :

Ce n'est pas la faute du mauteau qui döutie üu aVertisse-meiit; — c’est la faute de la broche qui me percelapeau, — et qui me traverse Ie pied....

La-dessus, il mit son manteau. II prit son bouclier au tran chant dentelé et il dit a L6eg fils de Riangabair :nbsp;« Prépare-nous Ie char, ö père Löeg. — Je jure aunbsp;dieu que jure ma tribu, dit Löeg, que même si tonsnbsp;les gens de la province de Conor étaient autour du Gris denbsp;Macha, ils ne l’amènsraient vers Ie char... S’il te plait,nbsp;viens toi-même lui parler, au Gris lui-même. » Chchu-lainn y alia. Le cheval se tourna a gauche vers lui par

(1) Texte d’après le Livre de Leinster, manuscrit du xii’ siècle. Traduction abrégée en anglais par Wh. Stokes,nbsp;Revue celtique, III (1877), p. 175-185. Traduction fraujalsenbsp;par H. d’Arbois bh JuSAibviu-E, VÉpopée celtiqae, p. 332-317. Le sens des poèrhes est trés obscur.

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trois fois. La Morrigan* avait disloqué Ie char la nuit d’avant; car il ne lui plaisait pas que CAchulainn allfttnbsp;a la bataille; elle savait qu’il ne reviendrait pas a Emainnbsp;Macha. Cüchulainn. dit au Gris de Macha ;

Tu n’avais pas coutume, ó Gris, de te tourner a gauche...

Alors Ie Gris de Macha vint, et desonventredegrandes larmes de sang coulérent sur ses deux pieds. La-dessus,nbsp;Chchulainn sauta en char et s’élan^a au sud sur la routenbsp;de Midluachair. II vit devant lui une femme; c’étaitnbsp;Leborcham, fille d’Oa et d’Adarc, qui était esclave etnbsp;captive dans la maison de Conor. Et elle dit :

Ne nous quitte pas, ue nous quitte pas, ó Cüchulaiun ! — noble est tou visage —... malheur aux femmes, — malheurnbsp;aux fils, — malheur aux yeux de 1’homme !

Et, commeelle avait dit, dirent aussi les trois cinquan-taines de femmes qu’il y avait a Emain Macha, a voix haute.

« II vaudrait mieux ne pas les quitter, dit L6eg, car jusqu’a aujourd’hui tu n’as pas déshonoré la valeurnbsp;de la race de ta mère. — Non, hélas! dit Cüchulainn;nbsp;laisse aller, 6 L6eg. C’est au cocher de soigner lesnbsp;bêtes, au guerrier de protéger, au champion deconseil-ler, aux hommes d’être civils, aux femmes d'être faibles.nbsp;Va devant moi au combat; la compassion ne sert k riennbsp;et ne t’aide pas. » Le char commen^a par tomner anbsp;droite. Alors les femmes poussent un cri de plainte, denbsp;douleur et se frappent les mains. Elles savaient qu’il nenbsp;reviendrait pas k Emain Macha,..

, II y avait sur sa route la maison de la nourrice qui 1’avait élevé. II lui rendait toujours visite quand il pas-sait devant, dans ses voyages au Sud et en revenant. Ilnbsp;trouvait toujours chez elle un pot de boisson. li y butnbsp;148 —nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;-nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;-nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;—

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et partit en disant adieu a sanourrice. Ilsuivait la route de Midluachair (1) après la plaine de Mogna, quand ilnbsp;quelque chose : trois sorcières (2) borgnes de l’ceilnbsp;gauche, devant lui sur la route. Avec des poisons et desnbsp;venins elles préparaient un chien de lait sur des brochesnbsp;en sorbier. II y avait, parmi les tabous de Cüchulainn,nbsp;de ne pas visiter un foyer pour y manger ; un ds sesnbsp;tabous était la chair de son homonyme.

En courant il allait les dépasser, car it savait que ce n’était pas pour son bien qu’elles étaient la. Alors unenbsp;sorcière lui dit : « Viens nous rendre visite. — Certesnbsp;non, dit Chchulainn. — II y a un chien a manger, dit-elle. S’il y avait un grand foyer, tu viendrais; c’estnbsp;paree qu’il est petit, que tu ne viens pas. Qui ne sup-porte OU n’accepte pas Ie petit ne mérite pas Ie grand. »nbsp;Alors il vint, et la sorcière, de la main gauche, lui of fritnbsp;la moitié du chien. Cüchulainn mangea de sa main etnbsp;la mit sous la cuisse gauche. La main avec laqueile ilnbsp;avait saisi et la cuisse sous laqueile il avait misse prirentnbsp;d’un bout a l’autre, en sorte qu’elle n’ement plus lanbsp;même force.

Ils partirent ensuite sur la route de Midluachair, aulour de la montagne de Fuat, au sud. Alors Cüchulainn dit a L6eg : « Que voyons-nous, 6père Löeg?» Etnbsp;Lüeg dit : « Des misérables en grand nombre, abundant butin. — Malheur a moi, » dit Cüchulainn.

II retentit, Ie bruit des chevaux rouge brun...

(1) nbsp;nbsp;nbsp;Qui menait de Taraa Emain et passait a Test d’Armagh.

(2) nbsp;nbsp;nbsp;Ou ne peut s’empêcher de penser aux trois sorcières denbsp;Macbeth, d'autant que Ie nom de la reine Mève, en irlaudaisnbsp;Meadhbh, semble être Ie même que celui de la reine Mab denbsp;Romeo et Juliette, et que Lêr, Ie père de l’lrlaudais Manau-nèn, a été identifié au roi Lear.

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Lortqüe Cftcbulainn fat allé sur la route de Midlua-chait au sud, ili arrlvèrent en vue de la forteresse qui était dans la plainé de Mürthemné (1); Ce fut Ik quenbsp;Etc, fils de Coirpré, dit :

« Je irdis la-bas üh beau char parfaiteöient construit, clair aVèfc un pavilion vert, avec beaueoiip de toursnbsp;d'adressé et d'atmes dans Ie cHar, beaux exercices dcnbsp;beau glaive. Ainsi est ce char a deux chevaux; ceux-cinbsp;ont la téte petite, ronde, les naseaux petits ; chevauxnbsp;dmbragedx, aux narines ouvertes, aux gros yeux, k lanbsp;poitrihe large, aü venire large. (Juóique eet attelagenbsp;soit apparié ét de même allure, ils ne sont pas de lanbsp;même cöuleür; i’un d’eux, sauteur, bon cHeval de trait,nbsp;au jeti de tohnerré, arqué, long, bon coureur) 1’aütrenbsp;cheval est höir de jais, avec la tête blanche, un grosnbsp;ventre et des bandes noir sombre (2). Deux jougs éle-vés, dorés sont sur euic; il y a un bel homme auX che-veüxtresSés et longs dans ce char... Sachevelure bou-clée a trois couleurs : une chevelüre brune sur la peaunbsp;de sa tête, une chevelure d’iiti rouge de sang au milieu;nbsp;une couronne d’or les couvre a l’extérieur; la tête etnbsp;cetté chevelure sont bien arraugées, et celle-ci fait troisnbsp;tours autoür de la tête, en sorte qu’elle réssemble k desnbsp;fUs d’or sur Ie bord d’utte enclume sous la main d’ünnbsp;habile artisan, OU a des boutons d'ör sur lesquels brille Ienbsp;soleil, en^un jour d’été, au milieu dU niois de mai; ainsinbsp;brille chaque poil de la chevelure de ce jeune guerrier-la. — Voici l’homme qui vient a höus, 6 hommesnbsp;d’Irlande; servez-le. » On éleva un tertre gazonné sous

(1) nbsp;nbsp;nbsp;te long de la c6te septeilttionale du comtéde Louth.

(2) nbsp;nbsp;nbsp;Voir la description du cHar et des chevaux de Cuchunbsp;iainn dans Ie « Festin de Bricrin », 49. Ici Ie conteur anbsp;oublié qu’il ue s’agissait que de la couleur des chevaux.

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=-_-r. nbsp;nbsp;nbsp;--^---L’ÉPOPÈE IRLA14DAISE

Ere fils de Coirpré k cé moment-lk ét on l'eiitöura d'un rempart de boucliers. Et on fit tröls bataillöns Solidesnbsp;des hommes d’Irlande, a ce moment-lk. Etc dit :nbsp;« Prépar , z-vous, 6 hommes d'Irlahde, a recevoif eetnbsp;homme, Chchulainh, » et il dit ces paroles ;

L. vez-vous, ö hommes d'Irlaade, levez-vous ; voici Cüchulainn l’obstacle, Ie victorieux, au glaive rouge. Preaeznbsp;garde, preaez garde!...

« Comment nous garaniirons-nous? Comment résiste-rons-nous k ses tours ? dirent les hommes d’lrlande. — Ce n’est pas difficile. Voici mon avis pour vOus, ditnbsp;Ere; quatre des cinq provinces d’lrlande sont ici :nbsp;faites un seul corps de bataiile, une seule table de leursnbsp;boucliers autoar de celte trompe, par-dessus et alentournbsp;et sur eux. Mettez trois hommes k chaque bout autonrnbsp;de cette troupe et deux des plus forts de 1’armée k senbsp;battre et unsatiriste avec une baguette de coudrihr auprèsnbsp;d’eux. Ils exigeront un de ses javelots; Gloire-snr-gloire est son nom. Ils exigeront un des jatrelots pré-parés qui lui resteront encore. Une prophétie annoncenbsp;que ce javelot tuera un roi, s’il ne cède pas a leursnbsp;exigences. Jetez un cri de plainte et une clanieur.nbsp;L’homme ne tirera pas avantage dé son ardeur et denbsp;1'ardeur de ses chevaux et il ne vous demaudera pas denbsp;Combat singuUer comme il a pu le faire a la Razzia denbsp;Cualngé. » On fit comme Ere avait dit.

Chchulainn s'avanfa vers la troupe ét fit les trois jeux de tonnerre sur son char ; le tonnerre de cent, le ton-nerre de trois cents et le tonnerre de trois neuvaines. Lesnbsp;arméesfurent balayées de laplaine deMurthemné. Cüchu-lainn vint vers la troupe et commenfa k employer sesnbsp;armes contre elle. II maniait indifféremment les javelots,nbsp;lebouclier, leglaive, etilfalsait ses tours; Aussi nombreuxnbsp;---------------------151 - nbsp;nbsp;nbsp;— .nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;-

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L’ÉPOPÉE IRLANDAISE que les grains de sable de la mer, les étoiles du ciel, lesnbsp;gouites de rosée en mai, lesflocons de neige, les grains denbsp;grêle, les feuilles des arbres, ies boutons d’or dans lanbsp;plaine de Breg (1), les brins d’herbe sous les pieds desnbsp;chevaux un jour d’été (2), aussi nombreux des moitiésnbsp;de tétes, des moitiés de crilnes, des moitiés de mains,nbsp;des moitiés de pieds, des os rouges furent répandusnbsp;épars sur la plaine de Murthemné et cette plaine devintnbsp;grise de leurs cervelles après Ie combat farieux denbsp;maniement d’armes que Cüchulainn leur livra.

Puis il vit deux hommes qui se battaient 1'un l’autre sans qu’on püt les séparer.

« Honte a toi, 6 Chchulainn, si tu ne sépares pas ces deizx hommes! » dit Ie satiriste. Aussitöt Cüchulainnnbsp;sauta sur eux, leur donna a chacun un coup de poingnbsp;sur la tête en sorte que la eer veile leur sortit par iesnbsp;oreilles et Ie nez. « Tu les as séparés », dit Ie satiriste;nbsp;aucun d’eux ne fera de mal a l’autre. — lis nenbsp;seraient pas réduits au siience par une intercession pournbsp;eux, dit Cüchulainn. — A moi ce javelot! 6 Cüchulainn, dit Ie satiriste. — Je jure ce que jure ma tribu,nbsp;que tu n’as pas plus grand besoin de lui que moi.nbsp;Les hommes d’Irlande sont sur moi et je suis sur eux »,nbsp;— Je te satiriserai si tu ne me Ie donnes pas, dit Ienbsp;satiriste. — Je n'ai jamais été satirisé jusqu’ici pournbsp;manque de générosité. » La-dessus, il lui langa Ie javelot, Ie manche devant, en sorte qu’il lui traversa la têtenbsp;et qu’il tua neut hommes plus loin. Cüchulainn traversanbsp;1’armée jusqu’au bout.

Alors Lugaid fils de Cüroi prit Ie javelot de bataille

(1) nbsp;nbsp;nbsp;Eu Est-Meath, de Dublin a Drogheda.

(2) nbsp;nbsp;nbsp;Cette comparaisousetrouve aussi dans la « Razzia denbsp;Cnalugé», trad. H. d’Arbois de Jubainville, p. 238) et dausnbsp;la « Prise de Troie », 1. 1161-1167,

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- nbsp;nbsp;nbsp;------ --L’ÉPOPÉE IRLANDAISE

qu’avaient les fils de Calatin. — « Qui tombera par ce javelot, 6 fils de Calatin? dit Lugaid. — 11 tombera unnbsp;roi, » dirent les fils de Calatin. Puis Lugaid lan^a Ienbsp;javelot sur Ie char et il atteignit L6eg, fils de Riangabair,nbsp;en sorte que ce qu’il avait d’entrailles a l’intérieurnbsp;se répandit sur la tenture du char. Alors L5eg dit ;nbsp;« J’ai été gravement blessé, etc. » Puis Cüchulainnnbsp;arracha Ie javelot et dit adieu a L6eg : « Aujourd’hui,nbsp;ajouta-t il, je serai guerrier et cocher. »

Quand Cüchulainn eut atteint Ie bout de l’armée, il vit deux hommes qui se battaient l’un 1’autre devant luinbsp;et, prés d’eux, un satiriste avec une baguette de coudrier.nbsp;— « C'est honteux a toi, dit l’un des deux hommes,nbsp;de ne pas nous séparer. » La-dessus, Cüchulainn sautanbsp;sur eux, les rangea chacun d’un cóté, de telle sorte qu’ilnbsp;en fit des fagots contre un rocher qui était auprès. —nbsp;« A moi ce javelot! 6 Cüchulainn, dit Ie satiriste. —nbsp;Je jure ce que jure ma tribu, tu n’as pas plus grandnbsp;besoin de ce javelot que moi. Quatre provinces d’Irlandenbsp;sont en face de moi et il me faut de la bravoure et desnbsp;armes pour en nettoyerla plaine de Murthemné, aujourd’hui même. — Je te satiriserai, dit Ie satiriste. —nbsp;On ne doit me faire qu’une demande en un jour et j’ainbsp;satisfait a l’honneur aujourd’hui. — Je satiriserai lesnbsp;Ulates par ta faute, dit Ie satiriste. — Us n’ont pas éténbsp;satirisés jusqu’ici pour mon avarice ni pour ma ladrerie.nbsp;Quelque peu qui me reste de vie, ils ne seront pas satirisés aujourd’hui. » Cüchulainn lan^a Ie javelot, Ienbsp;manche devanl, en sorte qu’il lui traversa la tête etnbsp;qu’il tua neuf hommes derrière lui. Kt il traversa ennbsp;courant l’armée comme nous 1’avons dit auparavant.

Krcfils de Coirpréprit Ie javelot de bataille qu’avaient les fils de Calatin. — « Qu’adviendra-t-il de ce javelot,nbsp;ü fils de Calatin? dit Ere fils de Coirpré. — Ce n’estnbsp;=-^ nbsp;nbsp;nbsp;--------153 - ¦ nbsp;nbsp;nbsp;¦ .nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;=

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L’iPOPÉE IRLANDMSE

pas difficile : un roi tombera par ce javelpt, qirent les fils de Calatin. — Je ttqus ai entendas dire qu’il tom-berait par Ie jaaelot qull y a longtemps Lugaid a lancé,

— nbsp;nbsp;nbsp;Cest en vérité vrai, dirent les fils de Calatin; ilnbsp;a atteint Ie roi des eochers d'Irlande, Ie cocher denbsp;Cüchulainn, Löeg fils de Riangabair. — Je jure cenbsp;que jure ma tribu : ce n’est pas pour tuer nn rpj qu’il anbsp;frappé.» La-desstts, Ere lance Ie javelot sur Cüchuiainn,nbsp;en sorte qu’il atteint Ie Gris de Macha. Cuchulainn retirenbsp;Ie javelot et ils se dirent adieu l’un a l’aatre. Aussitöt Ienbsp;Gris de Macha, avec Ja moitié du joug sur Ie cou, alianbsp;au lac Gris dans Ia montagne de Fuat. C’est de Ih qu’ilnbsp;était venu avec Chchulainn, c’est la qu’il alia après sanbsp;blessure. Et CEchulainn dit : « Je n’atfacherai qu’unnbsp;joug ici, aujourd’hui, »

Lk-dessus, Cüchulainn mit un de ses pieds sur l’extré-mité du joug, et il traversa 1’armée de la même fapon. Et il vit devant lui deux hommes qui se battaient; présnbsp;d’eux, un satiriste avec une baguette de coudrier. II lesnbsp;sépara, et la séparation qu’il en fit ne fut pas pirenbsp;que celle des quatre autres. — A moi ce javelot! ditnbsp;Ie satiriste. — Tu n’as pas plus grand besoin dunbsp;javelot que moi. — Je te satiriserai, dit Ie satiriste.

J’ai satisfait k l’honneur aujourd’hui. On ne doit me faire qu’une demande en un jour. — Je satiriserainbsp;les ÜJates par ta faute. — J’ai satisfait a leur hon-neur, dit-il. — Je satiriserai ta race, dit Ie satiriste.

— nbsp;nbsp;nbsp;Le pays oü je ne suis jamais enepre allé, l’histoire denbsp;ma diffamation n’y arrivera p.as ayant moi, car j’aj peunbsp;de temps a vivre. » Cüchulainn lui lanpa son javelot, Ienbsp;manche devant; il lui traversa la tête et trois autresnbsp;neuvaines d’hommes. — « C’est une largesse de colèrenbsp;pour moi, » dit le satiriste. Puis Cüchulainn traversa denbsp;nouveau l’armée jusqu’au bout.

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......... nbsp;nbsp;nbsp;I-'EPOPEE IRLANDAÏSE

Alors Lugmci prit Ie javelot de l^ataille qu’avaient les fils de Calatin. — « Qu’adyiendra-t-il de ce javelotinbsp;tgt; fils de Calatin? — TJa roi tombera par lui, direptnbsp;les ijls de Calatin; — Je vous ai entendn dure qu'Unbsp;tomberait par Ie javelot qu’a lancé Ere ce matin. —nbsp;C’est vrai, dirent-ils; il a atteint Ie roi des cheTau:^fnbsp;d’Irlande, Ie Gris de Macha, —• Je jure Ie sermentnbsp;de ma tribu, ce n’est pas pour tuer un roi qu’il a frappé.»nbsp;Lk-dessus, Lugaid lance Ie javelot sur CAchulaiqp; ilnbsp;arriva qu’il traversa ce qu’il y avait dans son ventre, ennbsp;sorte que cela fut sur la tenture du char. Alors Ie Noirnbsp;de la Vallée Sans-pareille (l) partit avec la moitié denbsp;son jong et il alia au lac Noir, sur Ie territoire de Mus-craigé. C’est de la qu’il éfait venu avec CAchulainn.nbsp;C’est la qu’il revint, en sorte que Ie lac se mit aussitbtnbsp;a bouillonner.

CAchulainn resta seul dans Ie char, sur la plaiae. Puis il dit : « Je voudrais aller jusqu’a ce lac lèi-bas, pournbsp;y boire. — Nous Je permettons, dirent-ils, a condition que tu reviennes vers nous. — Je vous recom-manderai, dit CAchulainn, que, si je ne reyiens pas,nbsp;vous veniez me chercher. » Alors il ram^ssa sesnbsp;entrailles dans son abdomen et il partit vers Ie lac. Ennbsp;allant au lac, il tenait la main sur son ventre pournbsp;garder ce quUl avait d’entrailles dans son ventre. Puisnbsp;il y boit et s’y lave. C’est pour cela qu’on appelle Ie lacnbsp;de la plaine de Murthemné Loch Ldmraith (lac dunbsp;Bienfait de la main). Un autre nom du lac est Lochnbsp;Tondchuil (lac du Flot mince).

Puis Cüchulainn bondit hors du lac et les invita a venir a sa rencontre. Alors il alia dans Ie grand territoire a l’ouest du lac et y jeta ses regards. II atteignit

(1) C’ast Ie second cheval de Cuchulalinn.

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L’EPOPEE IRLANDAISE nbsp;nbsp;nbsp;.....

Ie pilier de pierre qui est dans la plaine et il l’entoura de sa ceinture pour ne pas être assis ou couché et pournbsp;que ce füt debout qu’il mourtit. Alors les hommesnbsp;vinrent se ranger autour de lui, mais ils n’osèrent pasnbsp;1’approcher: il leur semblait qu’il était en vie. — « II estnbsp;honteux pour vous, dit Ere fils de Coirpré, de nenbsp;pas prendre la tête de eet homme pour venger mon pèrenbsp;dont il a emporté la tête, en sorte qu’on 1’a enterrée pardessus Echaid Niafer (héros des hommes). Sa tête a éténbsp;rapportée ensuite, en sorte qu’elle est au sidh de Nenta-sur-l’eau.»

Ensuite Ie Gris de Macha vint vers Chehulainn pour Ie protéger tant que son S.me serait la et que la lumièrenbsp;du héros eontinuerait a sortir de son front. Alors Ienbsp;Gris de Maeha fit trois eharges tout autour de lui; aveenbsp;ses dents il fit tomber einquante hommes, et chacun denbsp;ses sabots tua trente hommes de l’armée. C’est de lanbsp;qu’on dit : « Ce ne sont pas les courses victorieuses dunbsp;Gris de Macha après la mort de Chchulainn. »

Puis les oiseaux vinrent sur son épaule. — « Ce n’était pas l’habitude de ce pilier-la de porter des oiseaux, »nbsp;dit Ere fils de Coirpré. Alors Lugaid arrangea sa cheve-lure par derrière et lui coupa la tête. Aussitöt, l’épée denbsp;Cuchulainn lui tomba de la main ; elle atteignit la mainnbsp;droite de Lugaid qui fut sur Ie sol. On coupe la mainnbsp;droite a Cüchulainn pour Ie venger. L’armée part alors,nbsp;empoitant la tête de Cuchulainn et sa main droite. Ilsnbsp;arrivèrent a Tara. C’est la qu’est la couche funèbre denbsp;sa tête, de sa main droite, et Lan Luinne son boucliernbsp;simple. C'est de Ik que Cennfaelad fils d’Aihll dit;

n est tombé, Cfichulaiun, Ie beau pilier...


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L EPOPEE IRLANDAISE

FIND ET LES FANTOMES (i)

[Un soir, Find, en compagnie de Cailté et d’Ossi an, est sarpris par la tombée de la nait prés de la colline de Bair-nech. II cherche an abri et aperpoit dans la vallée unenbsp;maison quil ny avait jamais remarquée. Dans la maison,nbsp;on entendait des plaintes et des cris. Devant se ienait unnbsp;géani.1

Ses deux yeux étaient ronds comme des oeufs de merles, noirs comme la mort et plus rapides qu’unnbsp;lièvre; la racine de ses dents était grise coimne unenbsp;souche de houx, et leurs pointes jaunes comme de 1'or.nbsp;n avait les jambes trés maigres, les talons pointus etnbsp;noirs. Aussi noirs que du charbon de foyer étaient sesnbsp;jointures et ses articulations, de la tête aux pieds.

Le géant leur souhaita la bienvenue et mit leur cheval a l’écurie. II ferma sur eux ia porte de la maison avecnbsp;des chaines de fer ; — « Salut k toi, 6 Find, dit lenbsp;géant; i! y a longtemps que tu n’es venu idl en visitenbsp;pour que j’aie soin de toi. » lis s’assirent tons les troisnbsp;sur le bord d’un lit et le géant leur lava les pieds. II leurnbsp;alluma un feu de bois de sureau et peu s’en fallut qu'ilsnbsp;ne fussent étouffés par la fumée.

Les gens de la maison se levèrent alors des coins oü ils étaient et se tournèrentverslefeu.Effroyablesétaientnbsp;les gens qui levèrent la tête alors : Une vieille, noirenbsp;comme la fumée, horrible, a trois têtes ; une qui pleu-rait, une qui riait, une qui dormait. De l’autre cóté, unnbsp;homme sans tête avec un oeil unique sur la poitrine.

(1) Tcxte d après un manuscrit de Lryde, du xvi® sièc e. Traduction fran9aise par L. Chr. Steen, Revue celtique,nbsp;XIII (1892), p. 12-17.

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II

L’ÊPOPÊE IRLANDAISE.

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L’EPOPEü IRLANDAISE

« Donnez an divertissement au roi des Fénians, dit Ie géant, et que les gens de la maison se lèventnbsp;pour cela, car nous n’avons pas de collation pour vous,nbsp;jusqu’a ce que Ie repas soit prêt. — Cela se fera, » ditnbsp;la vieille.

Du coin qui était volsin de Find, neuf corps se levèrent et de l’autre c6té se levèrent neuf têtes sur les cötés denbsp;la maison. Jls poussèreat neuf cris aigus, rudes, ef-frayants, épouvantabies, trés haut. La vieille, Ie géantnbsp;et Ie tronc, d’un autre c6té, leur répondirent. Le sangnbsp;de la tête des hommes aurait coulé, les morts se seraientnbsp;réveilles hors de la terre, les gens faibles du coeurnbsp;seraient tombés évanouis, a la musique qu’ils chantaient.nbsp;La mélodie du tronc était la plus horrible et la plusnbsp;effrayante de toutes. Ils faillirent fendre la tête des geusnbsp;qui les écoutaient par les cris qu’ils poussaient, « Écou-tez un moment, dit le géant : que le repas soit prêtnbsp;pour le roi. » Enfin ils se turent.

Le géant se leva et tua Ie cheval de Find, 1’écorcha et le découpa aussitót. Cailté s’apprête a assaiUir lenbsp;géant. — « Reste tranquille, dit Find; nous sommesnbsp;reconnaissants qu’il nous épargne ; peu importe le sortnbsp;de notre cheval. » La maisonnée reprit le même chantnbsp;de basse. — « II est juste de vous bien accueillir, ditnbsp;le géant; la musique que 1’on a faite est merveilleuse. »nbsp;Le géant fit cinquante broches de sorbier et les plalt;;anbsp;devant le feu avec la tête du cheval dessus. Au heunbsp;d’attendre que la viande fut cuite, il a présenta aussi-t6t a Find. — « Emporte ta nourritnre, 6 géant, ditnbsp;Find, nous ne sommes pas habitués a manger cheznbsp;nous une pareille chose. Peu importe que nous soyonsnbsp;une fois sans rien. — Votre visite chez nous estnbsp;mauvaise, dit le géant; refuser notre nourrifure etnbsp;nous offenser, voila ce que nulle compagnie avant vousnbsp;158nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;.....-..... ¦¦¦.¦ ..

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. . .. nbsp;nbsp;nbsp;L’ÉPOPÉE IRLANDAXSE

n’a fait cbez nous. Je vous doune ma parole, en tout cas, dit-il, que nous nous lèverons contre vous. »

Alors, dans la maison, tous se mirent debout. Le feu s’éteint aussitöt. Kind est serré dans le coin, secoué etnbsp;battu. Ils fuxent ainsi tonte la nuit k crier jusqu’au matin ,nbsp;de cette manière. Ils ne sc séparèrent pas de Find, ennbsp;sorte qü’ils restèrent étendus k terrc et qu’ils tombêrentnbsp;en léthargie et immobiUté de mort. Ils furcnt ainsi,nbsp;comme des cadavres, jusqu’au lendemain matin.

Lorsqu’ils sortirent de leur évanouissement, le lende-tnain, ils ne virent la ni maison, ni gens, dans le pays plat qui les eatourait de tout C6té. Ainsi s’éveilla Find;nbsp;son cheval était attaché k une houssine, sanstache, sansnbsp;défaut, sans mal. Ils tinrent conseil alors pour savoirnbsp;qui leur avait fait eet outrage. Find chanta un ieinmnbsp;laida (1) et mit son pouce sur sa dent de sagesse et lanbsp;chose lui fut révélée. — « En vérité, dit-il, les troisnbsp;fantömes de Hibar-glend (vallée des ifs) nous ont aSsail-lis; ce sont eux qui nous ont fait eet outrage pour ven-ger leur soeur Cuillend Craoislethné qui avait été tuécnbsp;par nous, »

Puis iis partirent pour Fantur et pour Etrachtaige, et ils se rendirent a l’endroit oü étaient les Féniaus et ilsnbsp;racontèrent leur histoire et leur voyage,

(1) « Lumière de chant», ou « lumière bérolque ». Notts ne savons pas comment se pratiquait ce charme.

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L’ÉPOPÉE IRLANDAISE

LA. POURSUITE

DE DIARMAID ET DE GRAINNÉ (i)

[L'histoire la plns célèbre dacycl de Find est l’enlève-ment de sa femme Grainné fillede Cormac fits d’Art par lejeane Diarmaid, et la penrsuite des deux amants par Ienbsp;vieux mari. File est développée dans des compositions denbsp;date récente. Void deux des plus anciens épisodes.']

Find, petit-fils de Baiscné, demanda en mariage Grainné fille de Cormac petit-fils de Cond. Elle ditnbsp;qu’elle ne dormirait pas avec Find s’il ne lm apportaitnbsp;pas Ie douaire qn’elle Ini demanderait. Car eUe voulaitnbsp;lui poser une condition impossible pour qu’il ne s’unitnbsp;pas a elle. Find répondit qu’il lui apporterait ce qu’ellenbsp;demanderait, que ce lüt prés ou loin. La fille dit qu’ellenbsp;n’accepterait pas d’autre don de lui qu’un couple denbsp;chaque animal sauvage qu’il y avait en Irlande, amenénbsp;en un seul troupeau, rendu sur Ie rempart de Tara, etnbsp;déclara qu’ils ne s’uniraient pas si on ne lui amenait pasnbsp;ce troupeau.

« J’irai Ie chercher, dit Find. — J’irai, dit Cailté au pied rapide, fils d’Oscen ou Conscen, fils du forgeronnbsp;de Muscraigé Dobrut; il était fils de la fille de Cumall.nbsp;Cailté partit done, attrapa un couple de chaquenbsp;béte sauvage et amena avec lui la troupe jusqu’a cenbsp;qu’elle fut sur la pelouse de Tara, — « Qu’est-ce que tu

(li Textes d’après Ie Livre jaune de Lecan, manuscrit du XIV' siècle, et Ie Harleian 5280, manuscrit du xv' s èc’e.nbsp;Traductions anglaises par Kuno Meyer, Zeitschrift farnbsp;Celti che Philologie, I (1897), p. 458-461 ; Revue celtique,nbsp;XI (1890), p. 125-134.

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- ... _____________ ___________ ... L’EPOPEE IRLANDAISE

as trouvé Ie plus malaisé a amener ? demanda Cor-mac. — Ce n’est pas difficile a dire, dit Cailté, c’est Ie renard qui m'a donné Ie plus de peine. »

Grainné fut ensuite donnée a Find et ce ne fut pas une bonne chose, car ils ne furent pas en paix jusqu’hnbsp;leur separation. La fille haïssait Find et sa haine étaitnbsp;si grande qu’elle en tomba malade. Cormac fit une fêtenbsp;a Tara, et de tous cötés les hommes d’Irlande s’y ren-dirent et festoyèrent a la fête de Tara. Les hommesnbsp;d’Irlande étaient autour de Cormac dans Ie palais etnbsp;Find avec ses Fénians, comme tout Ie monde. Commenbsp;Grainné passait a c6té de Cormac, il remarqua sa mau-vaise mine. — « Qu’est-ce que tu as, 6 femme? » ditnbsp;Cormac. Alors elle dit a voix basse a Cormac, de fafonnbsp;a ne pas être entendue du chef : « C’était tout simple,nbsp;5 jeune homme, 6 Csrmac. II y a dans mon coeur unnbsp;caillot de sang... la haine de mon mari, en sorte que lesnbsp;nerfs de mon corps sont enflés. »

[Cormac et Coirpré s’entretiennent dans une langue savante, pais Cormac chante quelqaes vers.]

Find entendit cela et en conclut la haine que la fille avait pour lui et il dit : « Le moment est venu denbsp;nous séparer... »

II

Une fois, Diarmaid fils de Donn, le petit-fils de Duibné, était dans la caverne de la colline de Howthnbsp;après avoir enlevé Grainné fille de Cormac, lorsqu’ellenbsp;fuyait Find. Une vieille, en ce temps-la, était avecnbsp;Diarmaid et le gardait en tout lieu oü il était. La vieillenbsp;sortit de la caverne et alia sur le sommet de la collinenbsp;de Howth. Elle vit s’avancer un guerrier seul. C’étaitnbsp;le roi des Fénians. La vieille lui demanda ce qu’ü vou-===-==.=== 161 _________=====

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LEPOPEE IRLANDAISE nbsp;nbsp;nbsp;... ............................^

lait. — « C’est pour te demander en mariage que je suis venu, dit Find, et je te dirai pourquoi après, et cenbsp;que je désire est que tu sois mon unique femme. quot; Lanbsp;vieille crut k ia parole de Find et lui promit de faire sanbsp;volonté. Voici ce que Find voulait d’elle : qu’elle trahitnbsp;Diarmaid pour lui. La vieille sorcière accepta, mit sonnbsp;manteau dans Ie sel et entra dans la caverne. Diarmaidnbsp;lui demanda ce qui lui était arrivé. « Je vais tenbsp;l'avouer, dit-elle; je n’ai jamais vu aucun jour unnbsp;tel froid et de telles tempêtes. Car la gelee s’est éten-due sur les collines et il n’y a pas une plaine unie ennbsp;Elga oü il n’y ait une longue rivière entre tous les deuxnbsp;sillons, dit-elle. Et ni daim ni corbeau en Irlandenbsp;ne trouve d'abri dans une caverne, ni dans un autrenbsp;endroit, ni dans une baie de Falmag. » Eile secouanbsp;soigneusement son manteau a travers la caverne etnbsp;elle chanta ces strophes :

Froid, froid; — froide cette nuit est la large plaine de Lurg, — la neige est plus haute que la montagne, — Ie daimnbsp;ue peut trouver sa nourriture.

Froid jusqu'au Jugement! — La tempête s’est répandue partout; — chaque sillon sur la pente est une rivière, — etnbsp;cbaque gué est une mare pleine.

Chaque lac, rempli, est une grande mer ; — chaque mare est un lac plein; — les chevaux ue traverseut pas Ie guénbsp;de Ros — pas plus que ne Ie font deux jambes.

Les poissons de l’ile de Fal errent; — il n’y a pas de rivageque la vague ne batte pas ; — dans les terres, il n'y anbsp;pas de terre; — on n’entend pas de cloche; la grue ne parlenbsp;pas.

Les loups du bois de Cuan ue trouvent — ni repos ni Sommeil dans leurs retraites; — Ie petit roitelet ue trouvenbsp;pas — d’abri pour son nid en Lonslope.

Sur la petite troupe des oiseaux a foodu — Ie vent piquant et la glace froide ; — Ie merle ne trouve pas de toit qui luinbsp;--162 ... .........

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L’EPOPEE IRLANDAISE plaise, — pour s’abriter du cóté des bois de Cuan.

Agréable est nofre chaudron a sou croc ; — délabrée la hutte sur Lonslope — la neige a aplani Ie bois ici; —nbsp;pénible a gravir est Ie Pic des vaches.

L’oiseau de proie de la Vallée de Ridi Rui — souffre du vent rude ; — grande est sa misère et sa peine; — la glacenbsp;entre dans son bec.

Se lever de la couette et de la plume — lt;fais attention) serait folie pour toi; — tant il y a de glace a chaque gue, —nbsp;voila pourquoi je dis : froid!

Après cela, la vieille femme sortit.

Grainné, quand elle eut remarqué que Ia vieüle femme était sortie, mit la main aussitöt sur Ie manteau qu’ellenbsp;portait, la porta a sa langue et trouva qu’il avait goüt denbsp;sel marin. — « Hélas, ó Diarmaid, dit-el’e, la vieillenbsp;femme t’a trahi. Lève-toi vite et mets ton harnais denbsp;bataille! «DiarmaidIe fit. II sortitaussitbtavecGrainné.nbsp;lis virent Ie roi des Fénians qui s’approchait, entonrénbsp;de ses guerriers. Diar naid regarda Ie long de la mernbsp;autour de l’Irlande et ii vit un bateau abrdé dans unnbsp;havre aux environs. Lui et Grainné allèrent et s’ennbsp;approcbèrent. En face d’eux, dans Ie bateau, était unnbsp;compagnon couvert d’un vêtement étrange, avec unnbsp;manteau aux larges raies jaunes d’or qui pendait de sonnbsp;épaule. C’était Oengus du Palais des fees, Ie père nour-ricier de Diarmaid, qui était venu 1’aider a sortir de lanbsp;situation honteuse oü il était de par Find et les Féniansnbsp;d'Irlande.

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L’ÉPOPÉE IRLANDAISE

LE PETIT HOTEL D’ALLEN (i)

II y eut un banquet animé, beau, énorme, donné par Find fils de Cumall, fils de Trenmor, petit-fils denbsp;Baiscné, a Allen la grande, en Leinster (2). Quand Ienbsp;banquet fut prêt a servir, les nobles et les seigneurs desnbsp;Fénians vinrent y prendre part. Voici les plus nobles etnbsp;les plus honorés devant Find ; GolU’aimable, l'actif fillsnbsp;de M6ma, Ossian fils de Find, Oscar fils d’Ossian,nbsp;Mac Lugach k la terrible main, Diarmaid a la face lumi-neuse, Cailté Hls de Ronan, les vigoureux enfants denbsp;Dubdirma, les enfants de Sm61 et la race de Dubdaboi-renn, GoU Gulban, lerapide Corr etsesfils Conn,Doan,nbsp;Aed et Anacan, Ivor faiseur de prodiges fils de Crim-thann sanglant et victorieux, et deux fils du roi denbsp;Leinster qui étaient en même temps pupilles de Find,nbsp;et Coirell petit-fils de Conbran, II vint avec eux au banquet deux fils du roi d'Ecosse et une foiile violente etnbsp;folie de fils de rois et de seigneurs du monde entier. Denbsp;plus, tous les Fénians d’frlande y vinrent.

Find sV.ssit dans Ie siège du champion au milieu de rhótel; l’aimable Goll fils de Mörna, dans l’autre siège,nbsp;et les nobles de leur maison de chaque c6té d’eux.nbsp;Chacun prit place alors, selon son rang et son pays, anbsp;1’endroit fixé et convenable, comme ?’avait été leurnbsp;habitude en tout lieu et en tout temps auparavant. Puisnbsp;les serviteurs se levèrent en vraie foule pour servir etnbsp;approvisionner I’hbtel; ils prirent des cornes a boirenbsp;ornées de joyaux, avec des gemmes de pur cristal artis-

(1) nbsp;nbsp;nbsp;Texte d’après 1’Additional 18747, manuscrit dunbsp;xvin“ siècle. Traduction anglaise par St. H. O’Grady, Silvanbsp;Gadelica, II, p. 378-385.

(2) nbsp;nbsp;nbsp;Comté de Kildare.

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L’fiPOPEE IRLANDAISE tiques et élégantes a chaque gobelet britlant, plein d’artnbsp;et de beauté, et on distribua des boissons tortes, fermen-tées, liqueurs exquises, trés douces, a ces bons guer-riers. La gaité s’éleva chez les jeunes gens, la folie etnbsp;l'esprit chez les héros, la douceur et la modestie cheznbsp;les femmes, Ie tavoir et Ie prophétisme chez lesnbsp;poètes.

Alors un héraut se leva tout droit vivemsnt et secoua uue rade chaine de fer pour réprimer les serfs et lesnbsp;rustres; il secoua une longue chaiue de vieil argent pournbsp;réprimer les nobles et les seigneurs des Féuians ainsinbsp;que les poètes. Et tous écoutèrent en un silence profondnbsp;Fergus a la belle bouche ; Ie poéte de Find et desnbsp;Fénians se leva et il chanta des ballades, des chansonsnbsp;et de bons poèmes des ancêtres et du vieux tempsnbsp;devant Find fils de Cumall, et Find, Ossian, Oscar etnbsp;Mac Lugach récompensèrent merveilleusement Ie poétenbsp;par les plus beaux trésors et richesses.

Ensuite, il alia devant Goll fils de M6rna et lui raconta les H6tels et les Destructions, les Razzias et lesnbsp;Courtises de l’ancien temps, de manière que son artnbsp;rendit joyeux et de bonne humeur les fils de M6rna.nbsp;Alors Goll dit ; « Oü est ma courrière? — Menbsp;voici, 6 roi des Fénians, dit-elle. — M’as-tu apporténbsp;mon tribut tuanuel de Norvège? — Je l’ai apporté,nbsp;en vérité, » dit-elle, et en disant cela elle se levanbsp;promptement et elle jeta — comme la masse d’un porcnbsp;énorme, ou la charge d’un héros vigoureux, vif etnbsp;brave, — de bel or raffiné, au milieu de l’hötel devantnbsp;Goll. II délia l’enveloppe qui contenait ce tribut etnbsp;répandit les précieux trésors sur Ie sol en présence desnbsp;assistants. Goll récompensa Fergus comme il avait cou-tume et il n’y avait pas de poéte savant et disert, ni denbsp;bon poéte laborieux, ni-de harpiste au chant mélodieux.

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L’EPOPEE IRLANDAISE

ni d’antiquaire instruit et précis, ni aucun homme de science en Irlande ou en Écosse, qui ffit dans l’hótelnbsp;d’Allen cette nuit-la, auquel Go!l ne fit largesse d'or, ounbsp;d’argent ou d’autres choses précieuses.

Find prit la parole et dit ; « O Goll, depuis com-bien de temps as-tu ce tribut sur les Norvégiens, alors que j’ai sur eux mon propre tribut et qu’il y a un guer-rier a garder mon tribut et mes impóts, ma chasse etnbsp;mon butin, et ce guerrier c’est Ciaranfils de Lathairné,nbsp;héros dur, duelliste et vigoureux, dont la maison comptenbsp;dix centaines de vaillants soldats ? »

Alors Goll répondit au fils de Cumall, car il avait compris que Find était en colère contre lui et Ie jalou-sait, et il dit : — «O Find, il y a longtemps que j'ai cenbsp;tribut sur les Scandinaves; c’est l’époque oü ton pèrenbsp;me for^a h la guerre et a la lutte; Ie roi d’Irlande alianbsp;avec ses provinciaux a la suite de Cumall contre moi;nbsp;il me fallut leur laisser l’Irlande. Je me rendis ennbsp;Bretagne, je m’emparai du pays, je tuai Ie roi et jenbsp;massacrai les siens; mais Cumall m’en chassa. De la, jenbsp;passai en Finnlochlann (1); Ie roi de Finnlochlannnbsp;tomba sous mes coups ainsi que sa maison; mais Cumallnbsp;m'en chassa. De Ik, je vins en Écosse, Ie roi d’Écossenbsp;tomba sous mes coups; mais Cumall m’en chassa. Denbsp;la, je vins dans Ie pays des Saxons; Ie roi des Saxonsnbsp;tomba sous mes coups, ainsi que sa maison; mais Cumallnbsp;m’en chassa. Je vins a la bataille de Cnucha (2) et la,nbsp;ton père tomba sous mes coups; c’esi a cette époque quenbsp;j’ai obtenu ce tribut des Scandinaves, dit Goll. Jenbsp;t’ai emmené avec moi pour aller a la forteresse du roinbsp;des Scandinaves, et quinze hommes en même temps

(1) nbsp;nbsp;nbsp;La Norvège.

(2) nbsp;nbsp;nbsp;Au milieu du n® siècle de notre ère.

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que toi. La femme du roi de Scandinavië te donna son amour et tu fus dans une prison souterraine pendant unnbsp;an; un jour était fixé pour te mettre a mort toi et lesnbsp;tiens; et, par ta main (1), 6 Find, je suis allé a la forte-resse du roi de Scandinavië, j’ai tué Ie roi Eogan Ienbsp;grand, j’ai massacré les siens, je leur ai pris leur or etnbsp;leur argent et j’ai imposé un roi aux Scandinaves, Tinénbsp;a Ia grande force, fils de Triscall; je l’ai oblige a levernbsp;pour moi un tribat sur les Scandinaves, et Ie voda,nbsp;dit Goll. De plus, 6 Find », reprit-il, ce n’est pas unnbsp;tribat manuel que tu as chez eux, mais une indemniténbsp;de roi des Fénians et de protecteur, et je ne veux pasnbsp;l’amoindrir. Aussi, 6 Find, ne sois pas jaloux de moi knbsp;cause de ce tribut-la, car si j’avais quelque chose denbsp;plus que cela, c’est a toi et aux hommes d’Irlande quenbsp;je Ie donnerais. »

Find lui répondit avec colère et bravoure. — «O Goll, dit-il, tu as avoué dans cette histoire que tu es venu denbsp;la ville de Beirbé a Chucha et que la tu as tué mon père;nbsp;il est audacieux a toi de me Ie raconter. — Par tanbsp;main, dit GoU, si tu m’apportais Ie déshonneurnbsp;comme 1’a fait ton père, je l’infligerais Ie même trajte-ment que j’ai infligé k Cumall. .— O Goll, ditnbsp;Find, ma puissance serait bien bonne, de te Ie laissernbsp;pour compte! Car j’ai dans ma maison cent braves guer-riers a opposer a chacun de ceux qui composent lanbsp;tienne, — C’est aipsi qu’était ton père, dit Goll, etnbsp;j’ai vengé sur lui mon déshonneur et je ferai de mêmenbsp;sur toi si tu m’enlèves mon tribut. » Cairell Cneisgellnbsp;(a la peau blanche), petit-fils de Baiscné, paria etnbsp;dit: « O Goll, dit-il, il y a bien des hommes que tunbsp;as réprimés dans la maison de Find fils de Cumall. »

(1) Formule de sermeut.

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Conftn Ie chauve, Ie maudit, fils de M5rna, paria et dit : — « Je jure par mes armes, dit-il, que, quelquenbsp;petite que soit la maison qu’ait Goll, il n’a jamais éténbsp;sans avoir avec lui cent-un hommes et que chacunnbsp;d’eux te réprimerait. — Est-ce que tu es de ceux-la, 6nbsp;Conèn aux propos retors, a la tête pelée? dit Cairell.nbsp;— J’en suis, 6 Cairell brun, aux ongles égratigneurs, anbsp;la peau ridée, a la faible force, dit Conto, et je vaisnbsp;aller te prouver que Find était dans son tort.

Alors Cairell se leva et frappa Conan d’un coup de poing hardi et furieux. Conan ne répUqua pas respec-tueusement, car il donna un autre coup a Cairell, droitnbsp;au milieu du front et dans les dents. La-dessus, ilsnbsp;s’administrèrent des coups enrages, trés rapides, vrai-ment venimeux dans Ie corps et sur la peau, 1’un anbsp;1'autre, en sorte que, a la suite de ce pugilat, les poi-trines et les seins de ces braves furent longtempsnbsp;déchirés. ^

Alors se levèrent les deux fils d’Oscar fils d’Ossian, Echtach et Ilann ; ils firent des toits épais de leurs bou-cliers autour d’eux et ils donnèrent a Conto, dans lanbsp;mêlee, des coups profonds et difficiles a guérir. Quandnbsp;les deux fils de Goll füs de M6rna virent Conto dansnbsp;eet embarras, ils se levèrent et blessèrent dans un combat les fils d’Oscar.

Alors se leva Ie lion vigoureux, plein de bravoure et Ie dragon rapide, furieux, irresistible. Oscar Ie vaillant filsnbsp;d’Ossian, et il mit son beau vêtement d’or sur son corpsnbsp;charmant; une belle plaque artistique a son con; sonnbsp;grand boucher de héros a sa main gauche; son glaivenbsp;dur a lame droite dans son autre main. Il alia impé-tueusement, courageusement au secours des siens et denbsp;son frère Cairell. Sans dégainer son glaive, il recourutnbsp;aux coups de marteau — il avait an marteau h chaquenbsp;---168 . :=--=================

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L’fiPOPEE IRIANDAISE

main — pour cette attaque soudaine. Conèn dit a Oscar : « Je remercie les dieux que tu te rencontres en vrainbsp;duel avec moi, 6 Oscar, dit-i), car je trancherai Ienbsp;fil de ta vie. » Alors Oscar et Conan s’abordèrent 1’unnbsp;l’autre et leur rencontre finit par la défaite de Conannbsp;auquel Oscar arracha un cri de détresse. Conan re^ardanbsp;Art Oc fils de M6rna, et ce guerrier tout-puissant se levanbsp;et blessa Oscar. Ossian Ie trés fort, fils de Eind, ne putnbsp;supporter cela et blessa Art. Garbfoltach fils de Mörnanbsp;se leva et blessa Ossian. Le hardi Mac Lugach se leva,nbsp;endossa son harnais de combat et de dure lutte et blessanbsp;Garbfoltach. Garadh a la large poitrine, fils de M6rna,nbsp;se leva et blessa Mac Lugach. Alors se leva Faeian filsnbsp;de Find, avec ses trois cents frères en même temps quenbsp;lui, et il entra vigoureusement et bravement dans lanbsp;mêlee et par lui les fils de M6rna furent chassés de leurnbsp;place.

Alors se leva le lion plein de bravoure, le guerrier majestueux. au grand esprit, le dragon rapide, furieux,nbsp;Tours gai, et le couroux aux coups persistants et lenbsp;pilier de bravoure et la colonne solide du combat, Gollnbsp;TaimabU’, I’énergique aux joues de pourpre, a l’espritnbsp;clair, fils de Mórna, et il mit sur lui son harnais denbsp;bataille et de duel : un beau pectoral, orné de fleurs,nbsp;autour de son cou ; son vêtement magnifique, bordé denbsp;blanc, sur sa belle peau; son glaive a la pointe a^uisée,nbsp;trés solide et frappant bien, dans sa main aux onglesnbsp;bruns; son grand bouclier guerrier, a bosse, a la main,nbsp;gauche. Il alia hardiment, furieux, irrésistible, dansnbsp;Thbtel et il ne laissa pas un cierge etincelant ni unenbsp;torche enflammee, brillante, dans le grand hbtel sansnbsp;Téteindre, ni une table sans cn faire de petits morceauxnbsp;béants. Alors Find poussa son cri de bataille, « le hérosnbsp;du bois », de toute sa force et il dit aux Fénians d’lrlandenbsp;-----169 ========================

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d’extermiaer et de metire a moit, saus iaire de quar-tier, les fils de Móriia.

Alors les Fénians lirent des paüssades épaisses, solides, indissolubles, avec leurs boucliers tout aatournbsp;d’eux. Find se mit a la iête de ces braves et ils com-mencèrent a se bnser mutuellement les os sans faire denbsp;quartier, Alors un transport de colère s’empara de GoU;nbsp;pour protéger les siens, il fit de lui-même un boucUernbsp;solide, infrangible; aiors les vaillantes troupes et leursnbsp;grands chefs devinrent fnrieux; les guerriers, enragésnbsp;et les combattants, plus nombreux; et les combattantsnbsp;étaient couverts de blessures a la suite du combat violent, haineux, empoisonné que se livraient les grandsnbsp;héros les uns atix autres. Beaucoup de sang coulait anbsp;flots des c6tés des fils des nobles; des blessures pro-fondes, inguérissables couvraient la foule destructive etnbsp;inséparable. L'endroit était mauvais pour un faible etnbsp;un malade, on pour une femme délicate aux doigts longsnbsp;OU pour un vieiliard chargé d’ans lointains, qui se futnbsp;trouvé dans Ie petit hötel d’AUen, cette nuit-la, a écou-ter gémir jeunes et vieux, plébéiens et nobles, ennbsp;détresse, affaiblis, moribonds, jetés a terre et taillés ennbsp;pieces. Et ils furent en cette manière depuis Ie commencement de la nuit jusqu’au lever du soleil Ie lende-main, sans se faire quartier les uns aux autres.

Alors, se leva Ie poète prophétique a la parole incisive, rhomme de vers, richement récompensé, Fergus a lanbsp;belle bouche, et les hommes de science des Fénians ennbsp;même temps que lui; et ils entonnèrent leurs lais, leursnbsp;bons poèmes et leurs chants panégyriques a ces hérosnbsp;pour les retenir et les adoucir (1).

(1) « Ces hommes ont une grande autorité dans les affaires de la paix aussi bien que dans celles de la guerre; amis et

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Aiors. a j.a masiqu^; des poètes, ils cessèrent de se hacher et broyer et ils laissèrent tomber leurs armesnbsp;sur Ie sol. Les poètes ramas-ièrent les armes et ils firentnbsp;la réconciliatioa entre eux. Toutefois Find dit qu’il nenbsp;ierait pas la paix avec ie clan de Mórna avant qu’ilnbsp;n’eüt la sentence du roi d’Irlande, celle d’Ailbé fille denbsp;Cormac mac Art fils de Cond Cêtchathach, celle denbsp;Cairbré Lifechair héritier d’Irlande, la sentence denbsp;Fithal et de FlaLhri et avant que l’approbaiion dunbsp;jugement ne füt donnée par Finntan fils de Bóchna. Gollnbsp;dit qu’il lui accorderait tout cela. Ils s’engagèrent, sousnbsp;la caution des poètes, a établir solidement cette paix etnbsp;ils se fixèrent un jour, dans une quinzaine a partirnbsp;de ce moment, sur la prairie de Tara.

On examina alors lespertes desFénians, et voici ceux qni manquaient de la maison de Find : onze centsnbsp;hommes et femmes, et il y eut beaucoup de dames gracieuses, trés nobles, et de femmes joUes, bien faites, denbsp;jeunes filles aimables, aux douces paroles, de hérosnbsp;pleins de bravoure et de vaillance a tomber la; et il ynbsp;eut beaucoup de nez blesses, d’yeux arrachés, d’oreillesnbsp;hachées, de jambes coupées jusqu’a l’os, de mains déchi-rées, de corps lacérés, de c5tés troués chez ceux quinbsp;restaient vivants de la maison de Find fils de Cumall, ennbsp;ce temps-la.

Quant a Goll et a sa bonne maison, Ie clan de Mórna, il ne leur manquait que onze hommes et cinquantenbsp;femmes. Ce n’était pas que les femmes eussent ététuées,nbsp;mais elles étaient mortes de peur et de saisissement.

ennemis obéissent aux chants des bardes. Souvent, lorsque deux armées se trouvent en présence et que les épées sontnbsp;déjè tirées et les lances en arrêt, les bardes se jettent au.nbsp;devant des combattants et les apaisent comme on dompte parnbsp;enchantement les bêtes féruces. » Diodore de Sicile, V, 31,5nbsp;^--^ ¦¦¦ nbsp;nbsp;nbsp;.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;171nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;-.

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L’EPOPEE IRLANDAISE

Tous ceux qui pouvaient guérir furent soignés. Et on fit des fosses trés profondes et trés larges pour tous ceuxnbsp;qui étaient morts des deux cötés.

Puis la grande salie d’Allen fut nettoyée et chacun y prit place selon sa noblesse et son pays. Ils mirentnbsp;quatorze jours a eet arrangement, et au bout de cenbsp;temps ils allèrent a Tara. Cormac et Cairbré, Ailbé etnbsp;Fithal, Flathri et Finntan fils de Bóchna s’assirent aunbsp;lieu da jugement. Find s’avanpa d’abord pour raconternbsp;son histoire. Mais Goll dit : — «O Find, dit-il, cenbsp;n’est pas a toi que nous donnerons a raconter 1’affairenbsp;qui est enlre nous; car tu ferais de la vérité avec dunbsp;mensonge, du mensonge avec de la vérité, contre moi;nbsp;— nous confions ensemble l’affaire a Fergus. Qu’ilnbsp;jure par ses dieux de faire justice entre nous ! » Find ynbsp;consentit et Fergus garantit de faire justice. Alors ilnbsp;raconta que c’était Cairell qui avait donné un coup denbsp;poing a Conan, Ie premier; que les deux fils de Gollnbsp;étaient venus au secours de Con^n; que Oscar étaitnbsp;venu a 1’aide de sa maison; et que la-dessus les Féniansnbsp;d’Irlande et Ie clan de M6rna s’étaient levés les unsnbsp;contre les autres, et qu’ils s'étaient mis a se briser les osnbsp;les uns aux autres saus quartier, depuis Ie commencement de la nuit jusqu’au lever du soleil Ie lendemain,nbsp;et que les pertes de la maison de Find fils de Cumall,nbsp;en cette occasion, avaient été de onze cents hommes etnbsp;femmes et que celles du clan de M6rna avaient été denbsp;onze hommes et de cinquante femmes, et que, de plus,nbsp;il y avait un grand nombre de blessés des deux cötésnbsp;a la suite de cette ruée.

« Je m’étonne du peu de perte du clan de Mörna, dit Cormac, étant donné Ie nombre qu’ils avaient ennbsp;face d'eux. » Fergus dit que c’était Goll qui était venunbsp;comme un bouclier protéger les siens, « et voila, 6 roinbsp;172nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;r=

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¦ nbsp;nbsp;nbsp;---------- L’ÉPOPÉE IRLANDAISE

d’Irlande, dit-il, l’histoire de eet hótel.» Flathri dit ; « Des dommages au clan de M6rna, dit-il, carnbsp;c’est centre eux que l’agression a été commencée. —nbsp;Ce n’est pas la decision d’un fils de juriste, dit Cormac;nbsp;car tout guerrier doit obéissance a son seigneur. —nbsp;C’est vrai pour une contusion, dit Flathri, mais nonnbsp;en cas de versement de sang. » Fithal dit : « Dispensons Ie clan de Mórna de payer des dommages anbsp;ceux qui ont commence l’agression et de plus dispensons Find, acause de 1’étendue de ses pertes, de payernbsp;des dommages. » Finntan fils de B6chna dit : « Voilanbsp;un jugement de fils de juriste! » Cormac et Cairbrénbsp;louèrent cette sentence.

Ensuite les Fénians furent convoqués sur Ie terrain ; on leur exposa Ie jugement, et la paix fut ainsi faite entrenbsp;eux. Telle est l’histoire de Petit Hötel d’Allen.

LA CHASSE

DU SID DES BELLES FEMMES (i)

Une grande et large chasse fut donnée, par Find et et les Fénians valeureux, aux armes rouges, au Sid desnbsp;belles femmes et a Sid-ar-femind et a Test de la plaiuenbsp;de Femen (2) et sur les pentes de Luachair Dedad. Lesnbsp;chefs des Fénians et leurs nobles tribus vinrent, avecnbsp;Ie roi des Fénians, prendre part a cette chasse : Ie clannbsp;de Baisené, Ie clan de Mörna, Ie clan de Dubdithreb,nbsp;Ie clan de Nemnand, Ie clan de Ronan, Ie clan de Smol

(1) nbsp;nbsp;nbsp;Texte d’après l'Egertou 1782, manuscrit du xv« siècle.nbsp;Traduction anglaise par Kuno Meyer, Fianaigecht, 1910,nbsp;p. 5S-67.

(2) nbsp;nbsp;nbsp;Prés de Cashel, au sud-est du comfé de Tipperary.

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L’ÉrOPÉE IRLANDAISE. nbsp;nbsp;nbsp;12

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L’ÉPOPÉE IRLANDAISE et la race de Dubdaboirenn, et en outre tous les Féniansnbsp;ordinaires.

La chasse fut établie et étendue dans les bots, les deserts, les vallées en pente des terres voisines et dansnbsp;les plaines unies et charmantes, et dans les bols épaisnbsp;et dos et dans les vastes forêts de chêne aux largesnbsp;buissons. Chacun des Fénians d’Irlande se rendit sépa-rément a son tertre de chasse, a sa place de tir, et a sanbsp;brèche de danger, commeils avaient coutume pour toutesnbsp;leurs chasses victorieuses auparavant. Mais, ce jour-la,nbsp;il n'en fut pas de même pour eux que les autres jours,nbsp;car la chasse les déqut et ils ne trouvèrent ni porc, ninbsp;hèvre, ni loup, ni blaireau, ni daim, ni biche, ni che-vreuil, dont quelqu’un d’entre eux püt rougir sa mainnbsp;ce jour-la. Et ils passèrént cette nuit-la dans Ie chagrinnbsp;pénible et ils se levèrent de bon matin dès la lumière, Ienbsp;lendemain; ils étendirent la chasse Ie long du Shannonnbsp;au cours vert, sur la hauteur froide d’Aughty et sur lanbsp;vieille plaine d’Adar fils d'Umor; mais la chasse lesnbsp;défut ce jour-lh, comme elle les avait défus lanbsp;veille.

Cependant, Ie matin du troisième jour, ils dirigèrent de concert leurs meutes ardentes, aux pattes agiles, surnbsp;Ie marais d’Aigé et les territoires voisins. Ce jour-la nenbsp;leur donna pas plus de réponse que tous les autresnbsp;jours. Grand fut l’étonnemeat de Find et de tous lesnbsp;Fénians d’Irlande a ce propos. Et après leur marche,nbsp;^ur voyage et leur peine Ie troisième jour, Find s’assitnbsp;sur Ie tertre de 1’assemblée a c6té du marais, et lesnbsp;Fénians vinrent vers lui par foules, par troupes, parnbsp;petites bandes éparses, par armées, centuries et compagnies, col a col, dos a dos, l’un après l’autre. Et ilsnbsp;s’assirent autour du roi des Fénians. Alors un desnbsp;Fénians d’Irlande demanda a Find ; « Quel est Ienbsp;-174---------------—

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—.....L^POPÈE IRLANDAISE

héros dont la tombe est la oü nous sommes? dit-xl. — Je peux te dire la vérité sur ce point, dit Find.nbsp;C’est la tombe de Failbé Findmaisech, brave chefnbsp;fénian de ma maison, qui fut tué ici par un porc, Ie san-gUer géant de Formael, il y a sept ans a ce jour. Et cenbsp;sangUer tua cinquante de mes chiens et cinquante denbsp;mes guerriers a vee celui-ci, ce jour-la, et c’était un bonnbsp;guerrier, celui qui est dans cette tombe, dit Find,nbsp;quand il y avait bataille ou lutte pour les Fénians »,nbsp;et Find fit un lai a l’éloge de Failbé.

La tombe de Failbé, qui répondait au Fénian (1) — de prés OU de loiii — jusqu’a ce que Ie héros fut enterré, — a cóté dunbsp;marais d’Aigé.

Cinquante chiens et cinquante hommes — allèrent la une fois avec lui; — d’eux fous il n’échappa — qu’un chien etnbsp;qn’un homme.

Ils trouvèrent la mort sous les defenses — du porc féroce au large dos; — il tua les chiens et les hommes, — Ie sangliernbsp;énorme de Formael.

II trouva Ie porc noir a la forme sombre — qui vint com-battre loyalement; —il mit par terre chiens et gens, — combat pour lequel la tombe était creusée.

II m’éfait cher, Failbé Ie Rouge — Ie jour oü il fit un carnage des étrangers ; — il répondrait a l’affliction et a lanbsp;bataille (2), celui qui est dans la tombe.

La tombe...

« O Fénians d’Irlande, dit Find, demain matin nous donnerons la chasse a ce porc, puisquetoute autrenbsp;chasse et butiu de Fénian nous a échappé. Et voici

(1) nbsp;nbsp;nbsp;C’est-a-dire que Failbé ne refusait jamais son aide a quinbsp;la demandait.

(2) nbsp;nbsp;nbsp;II viendrait en aide a ceux qui sont dans l’affliction ounbsp;dans la bataille.

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pourquoi toute autre chasse nous a défus : c’est qu’il a été prédit que pous nous reucoutrerions avec ce porc etnbsp;que nous nous dédommagerions sur lui.

II alia cette nuit-la avec les siens au chateau fort de Maillêa fils de Midna, l’un des nobles guerriers denbsp;Find. Maillên avait préparé un splendide festin pournbsp;Find et pour tous les Fénians d’Irlande. La maison dunbsp;banquet avait été joncbée de roseaux frais; des tablesnbsp;bien ajustées avaient été dressées et les troupes furentnbsp;placées, d’après la noblesse, la valeur et l’hoaneur, parnbsp;professions et par grades, dans i’hbtel. Les tables étaientnbsp;couvertes de satin, de soie, de serge, de sendaï, denbsp;nappes élégantes et nettes, de belles étoffes de couleurs.nbsp;On leur servit un choix de choses débcates; puis on leurnbsp;apporta des gobelets de cristal a rebels et en argentnbsp;blanc, ainsi que de belles cornes ornées de pierres pré-cieuses. On apporta la propre corne de Find; ellenbsp;s’appelait Midlethan (large pour hydromel). Cette cornenbsp;était portée par deux gargons, dont les noms élaientnbsp;Demandeur et Quémandeur; ces deux hommes avaientnbsp;un bon privilège : tout genlilhomme a qui l’un d’euxnbsp;offrait la corne, en recevmt 1’équivalent en or ou ennbsp;argent, et ils étaient devenas riches par Ie privilège denbsp;cette corne. Cette nuit-la, il y eut entre eux assaut denbsp;récriminations et de colère, en sorte qu’ilsse tuèrent l’unnbsp;l’autre en présence des Fénians.

Ce fait affecta beaucoup Find et il fut longtemps silencieux, sans boire, sans manger, saus se récréernbsp;l’esprit. — « O roi des Fénians, dit Maillên fils denbsp;Midna, ne reste pas silencieux ni triste paree que cesnbsp;deux-la se sont tués, car il y a eu plus d’un brave guer-rier tué auparavant pour sa richesse mal acquise. —nbsp;Je regrette ces deux-la, dit Find, mais je ne suisnbsp;pas aussi affecté par leur mort que par ce qui l’a causée.

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=--.rrr==^.-===r.-r=r.-^:=====r-.-=^ L’ÉPOPÉE IRLANDAISE Apportez-moi la corne, » dit Find. On la lui apporta.nbsp;Et Find dit : « Savez-vous, 6 jeunes gens, qui m’anbsp;donné cette corne et oü je 1’ai eue? — Nous ne ienbsp;savons pas, 6 roi des Fénians, dirent-ils. — Je Ienbsp;sais, » dit Find.

« Un jour que vous ei moi éiions a chasser et a rap-porter du gibier dans Ie bois et les déserts et que je me trouvais sur Ie tertre de chasse avec deux Fénians,nbsp;Cailté et Ossian (car la coutume était que deux desnbsp;Fénians d’Irlande fissent des rondes autour de moi pournbsp;me garder et me protéger dans les terrains de chasse oünbsp;j’étais, et ce joiir-la c’était a eux, Cailté et Ossian, de menbsp;protéger et de me garder), nous écoutions Ie bruit desnbsp;guerriers, Ie tumulte de la multitude, les clameurs desnbsp;serviteurs, les voix des chiens, les silflements des chasseurs, les excitations des héros k leurs grands chiens,nbsp;les cris des jeunes gens, Ie vacarme de la chasse denbsp;chaque c5té de nous, et il n’y avait pas longtemps quenbsp;nous étions la quand il se leva un brouillard magiquenbsp;devant nous, en sorte qu'aucun de nous trois ne pou-vait voir son voisin. Nous quittimes Ie tertre et gagnümesnbsp;Ie bois Ie plus voisin de nous et l’explorümes jusqu’a cenbsp;que noas eussions trouvé une cascade, un estuaire etnbsp;une rivière. Nous primes dans la rivière un saumon auxnbsp;nageoires tachetées pour chaque ho'mme et chaque chien.nbsp;Nous limes une hutte et une tente et nous allumümesnbsp;un grand feu et mangeümes notre content de poisson.

« La-dessus, nous entendimes une musique sans pareille, méiodieuse, féerique, que l’on chantaitprés denbsp;nous, et Caillé dit a Ossian ; « Lève-toi, dit-il, etfaisonsnbsp;attention pour que la musique des fées ne nous séduisenbsp;pas ». -Ainsi fut fait, dit Find, et la nuit se passa,nbsp;Tous les Fénians nous cherchaient a travers les terri-toires voisins. Le lendemain, de grand matin, nousnbsp;.-^==v.:.======^=== 177 ===¦________ , nbsp;nbsp;nbsp;-

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L’EPQPKE IRLANDAISE —........ - nbsp;nbsp;nbsp;..=

allftmes au même tertre de chasse et nous y trouvames un géant noir, mal biti, imposant, énorme, assis devantnbsp;nous ; il se leva k notre approche, nops souhaita la bien-venue, mit la main dans son sein, en tira deux pipeauxnbsp;dorés et nous sonna un air de musique si harmonieuxnbsp;et si charmant, qu’il aurait endormi des blesses, desnbsp;femmes en travail, des champions malades, des guer-riers blesses, des héros déchirés, par la musique sansnbsp;pareille qu’il faisait. Quand il eut fini sa musique, ilnbsp;sortit une corne dorée d’unrepli caché de son vêlementnbsp;et me la mit dans la main. Elle était pieiu^ d’hydromelnbsp;capiteux, agréable a boire. J’y bus et la mis dans lanbsp;main d’Ossian ; il y but et la mit dans la main de Cailté;nbsp;celui-ci y but et la mit dans la main du géant.

Voici comment était cette come ; elle avait cinq ren-flements bien travaillés et dorés, avec des ornements a cbacun, et il y avait h boire pour deux entre tous lesnbsp;deux renflements. Quand nous fümes joyeux et heu-reux, nous vimes uue grande troupe fiére, forte, irritée,nbsp;qui venait h nous dans la montagne, et l’homme grandnbsp;me demanda: — « A qui est cette grande troupe la-basnbsp;que je vois sur la colline et qui vient k nous, 6 Find»,nbsp;dit-il. Je répondis : « Un homme qui ne re^oit insultenbsp;ni mépris de personne au monde est Ie chef de cettenbsp;troupe-lk, dit Find. — A qui est cette troupe la-bas ?nbsp;dit Ie géant (1) ; elle a plus de trois cents bravesnbsp;et forts guerriers ; Ie chef a une chevelure auxnbsp;tresses minces et dorées. — Ce n’est pas difficile,nbsp;dit Find; eet homme est Ie roi des Fénians de Connaught; il est constant et doux envers ses amis, cruel,nbsp;ferme, solide au combat; c’est un bras contre lequel n’a

(1) A partir de la jusqu’a la page 180, Ie texte est fragmen-

tairc.

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jamais tenu bataille, combat ni duel, nul de ceux qui sont ici, c’est Goll fils de M6rna, fils de Cormac, fils denbsp;Néman, fils de Mörna Ie Grand, dit Find. — C'estnbsp;bien, dit Ie géant ; a qui est cette autre grande troupenbsp;qui a plus de cinquante guerriers magnanimes et dontnbsp;Ie chef porte ea lui la terreur de la bataille et des armes?nbsp;— Ce n’est pas difficile, dit Find; Ie chef de cettenbsp;atmée est un homme fameux, charmant, preux et gai,nbsp;Mic Lugach. » Le géant dit : « A qui est cettenbsp;troupe fiére, merveilleuse, nombreuse, avec des vête-ments de toute couleur? le chef est viril, beau et rouge,nbsp;trés fort, brave, avec la vaillance d’un lion, la férociténbsp;d’un brigand. — Ce n’est pas d'fficile, dit Find; c’estnbsp;un lion pour la violence et un ours pour la férocité,nbsp;une vague de printemps pour l’élan, un ourson pour lanbsp;fureur, un héros invincible, un homme auquel on nenbsp;résiste pas quand il engage une bataille ou une lutte. Lenbsp;chef de cette troupe est Oscar, le vaillant et puissant filsnbsp;d’Ossian. »

« La montagne a Test et a l’ouest se remplit de chiens et d’hommes sous la conduite du cruel et belliqueuxnbsp;Oscar, » dit Find, et alors il fit ces quatrains :

Mac Mórna le noble et actif guerrier, — Goll le sanglaut, i la lame rouge; — centre lui, aucune cruelle bataille nenbsp;peut tenir, — du matin jusqu’au soir.

Mac Réthé, la-bas, sur la montagne, — et ses Fénians autour de lui a l’ouest, — bien qu’il s’attaque a 1’homme, —nbsp;sa bravoure n’est pas moindre.

Mac Lugach est le plus proche d’eux ; — quoique cent guerriers l'attaquent, — du jour oü ils sont iace a face, —nbsp;il lui faut peu de temps pour les vaincre.

Je vois Oscar derrière eux; — souvent il frappe dans la dispute; — sou courage est plus grand que la mer, — désnbsp;qu’il en est venu aux coups.

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Ils out tous diapré la montagne, — taut a Test qu'a l’ouest, — eu sorte qu’elle est pleine de troupes vigoureuses, —nbsp;autour d’Oscar, 'mon grand fils.

« Ensuite Goll vint vers nous, dit Find, et Ie géant mit la corne dans la main de Goll et il y but. Puis lesnbsp;vaillants Fénians d’Irlande vinrent vers nous avec Icnbsp;butin de leur victoire, portant les charges de venai-son, et se vantant de toutes leurs chasses. Les chels desnbsp;Fénians se placèrent prés de moi sur Ie lertre de chassenbsp;et Ie géant leur donna k chacun plein sa corne a boire,nbsp;en sorte que tons furent joyeux et heureux. A la lumièrenbsp;du jour, Ie géant devint bien fait, de belle forme,nbsp;rayonnant, de manière qu’il fut d’une grandejbeauté, etnbsp;que,du levant au coucher du soleil, il n’y avait personnenbsp;qui l’emportat sur lui en bonne mine, apparence, taille,nbsp;proportion, gaité, sagesse, éloquence; il avait l’attitudenbsp;d’un grand roi et Ie charme d’un jeune guerrier. —nbsp;«Eh bien, 6 roi des Fénians, dit Goll, quel est cenbsp;beau guerrier inconnu, aux trails mobiles, qui est présnbsp;de toi ? ». Je répondis, dit Find ; « Je ne sais pas, carnbsp;il ne s’est pas nommé a moi. » — « Maintenant, dit Ienbsp;géant, voicimonnom ; je suis Crondnach, des fees denbsp;Femen... »

Find ajouta ; « II resla une année avec moi et me donna la corne; si on la remplit d’eau, l’eau se changequot;nbsp;en un hydromel au gofit délicieux. Voila 1’histoire de lanbsp;corne et la cause de mon chagrin », dit-il, et il fit cenbsp;lai ;

II y a cinq renflemeuts é la corue de Find ; — bonne était la mam qni le^ y a mis. — Elle était d’un hommenbsp;habile de toute fa9on — la main qui les faijonna tons lesnbsp;cinq.

lujuste fut^e que firent les hommes, — de ne pas rester en

^ ISl!


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, nbsp;nbsp;nbsp;n—^--L’EPOPEE IRLANDAISE

U paix heureuse; — p re est ce qui en est résulté, — que chacun ait tué l’autre.

Croninach des fées de Femen, — nous 1'avons trouvé sans faute ; — elle était trés harmonieuse sa voix, — c’est lui quinbsp;apj oria ia corne aux cinq renflements.

La-dessus, avec une grande tristesse, Find éloigna de lui la corne et ils cessèrent de causer. Alors s’élevanbsp;Ia clameur joyeuse de l’hötel, et les serviteurs et les sui-vants prirent les cornes, les coupes et les vases a boire,nbsp;en sorte que tous furent joyeux et heureux et que lesnbsp;troupes fières des Féuians s’entretinrent aimablementnbsp;les unes les autres.

C^endant, lelendemain de bonne heure, ils se levèrent pour chasser leporcdont on a parlé, Ie sangUer de For-mael. Chaque guerrier féuian d’Irlande s’établii a sanbsp;place de tir et a sa brèche de danger, prêt a recevoir Ienbsp;porc. On lamp;cha les chiens voütés a la voix agréable, auxnbsp;pieds agiles a travers lesbois et les for éts, les dései Is etnbsp;les vallées en pente, et ou disposa les pièges de chassenbsp;dans les clairières et les plaines du pays. I)s levèrent Ienbsp;belliqueux sanglier et les chiens, les meutes et tous lesnbsp;guerriers fénians Ie virent. La description de eet énormenbsp;porc suffit a frapper de terreur : il était bleu sombre,nbsp;tout hérissé, hardi, horrible, sans oreilles, sans queue,nbsp;sans testicttles, avec de longues défenses effroyablesnbsp;qui sortaient de sa grosse tête. Alors de tons les points,nbsp;en trombe, chiens et guerr ers coorurent de toutes Icursnbsp;forces, Ie serrant de prés. La vigilanie béte a la gueulenbsp;rouge fit uu grand massacre de ch'ens et d’hommes desnbsp;Fénians sur te champ. Quand les deux fils de Scoran,nbsp;fils de Scandal, Daelgus et Diangus virent l’occasion denbsp;combattre contre lui, ils allèrent a sa rencontre e,nbsp;livrèrent au porc une bataille farouche, intrépidenbsp;héroïque, et tous les deux Daelgus et Diangus tombèrentnbsp;181----1--------

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sons ses coups a la fin de la lutte. Alors Lugaid a la main rapide, de Sid in Cair vint a lui, lui livra bataille,nbsp;et Lugaid tomba sous ses coups a la fin de la lutte. Fer-tachim, fils de Uaitbné Ie Batailleur, Uvra bataille aunbsp;porc et tomba sous ses coups k la fin de la lutte. Quandnbsp;Finn apprit que ces nobles hommes étaient tombés sousnbsp;les coups du porc, il vint lui-même, avec Ossian, Oscar,nbsp;Cailté et les nobles Fénians, pour regarder 3e belliqueuxnbsp;sanglier.

Quand Ie vaillant et martial Oscar fils d'Ossian eut vu sur Ie sol les guerriers, les chiens et les hommes quinbsp;étaient tombés sous les coups du porc, un grand bouil-lonnement de colère et une tempête haute, rude,nbsp;effrayante, étrange s’éleva dans Ie coeur du grand guer-rier en voyant l’écrasament, qu’avait fait Ie sanglier sau-vage et agressif, des chiens, des hommes et des grandsnbsp;chefs des Fénians, et Ie royal guerrier Oscar ne crutnbsp;honorable ni élégant qu'un autre que lui-même vengektnbsp;Ie mal accompli. Grande avait été la crainte et lafrayeurnbsp;causée aux armées, et grande fut l’horreur et la terreurnbsp;d'Oscar. Pourtant, il ne put l’éviter aussitót vu, et quandnbsp;Oscar fut arrivé auprès, il se fraya un passage vers lanbsp;béte a la gueule rouge qui ressemblait a un ours furieux,nbsp;a un spectre de deslruction et a un amas de carnage etnbsp;de ruine. Semb’.able a l’écume d ’une grande cascadenbsp;était chaque flocon, rouge comme Ie sang, jaune commenbsp;Ie safran, de l’écume qui venait a travers sa gueule etnbsp;k travers ses mkchoires mordantes et rudes, quand ilnbsp;grin^ait des dents contre Ie grand guerrier. La crinièrenbsp;de son dos se hérissait de fagon qu’une grosse pommenbsp;sauvage aurait pu se ficher sur chacune de ses rudes etnbsp;horribles soies. Oscar brandit son javelot aigu de combat dans sa main et Ie lan^a tout droit sur Ie porc et ilnbsp;ne manqua pas son coup ; il lui envoya Ie javelot dansnbsp;182

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la poitrine en sorte qu'il semblait que Ie javelot l’eüt traversé. Mals Ie javelot rebondit en l’air, coinme s’ilnbsp;avait heurté un rocher ou une corne. Oscar marcha anbsp;lui et lui donna un coup furieux de son épée, en sortenbsp;qu’elle se brisa sur 1'épaule de la béte. Le porc marchanbsp;a Oscar pour 1’attaquer et Oscar b isa son bouclier surnbsp;lui et saisit son horrible crinière. Le porc se leva surnbsp;ses grandes et horribles jambes de derrière pour déchi-rer le royal guerrier par en haut. Oscar étendit par le basnbsp;ses mains royales, énormes, guerrières sur le porc etnbsp;tira vivement et violemment, en sorte qu’il mit sa crinière contre la terre, qu’il lui enfon^a songenou par ennbsp;bas dans le corps, landis qu’il l’éireignait par en hautnbsp;a la gueule et la méchoire ; ainsi les bandes de guer-riers fénians lui tirèrent les entrailles et les boyaux parnbsp;derrière.

Ainsi tomba l’énorme béte sous les coups d'Oscar, a la fin de la lutte. On creusa les fosses et les tombes desnbsp;Fénians et des jeunes guerriers qui avaient été tués la parnbsp;le porc. Find vint a ces tombes et dit le lai que voici :

La tombe de Ferfachim, Ia voici done — qui a cause du chagrin taut de geus ; — ce fut une histoire prodigieuse,nbsp;ce fut un événement douloureux, — qu’il fut tué par lenbsp;grand porc.

Le porc qui a tué Fertachim — a tué beaucoup de nos nobles ; — jusqu’a ce qu’il tombat sous les coups d’Oscar ; —nbsp;ce fut une cbasse de héros, ce fut une victoire rapide.

U a tué trois autres hommes de notre armee, — le sanglier puissant, fout rouge, —¦ Daelgus, Diangus, Lugaid le fort. —nbsp;Levez-vous et creusez leurs tombes.

II est tombé sous les coups d’Oscar le noble — le sanglier puissant, tout rouge ; — il ne lui accorda ui franc jeu, ninbsp;droit; — en sorte qu’il repose sur la lande.

La tombe...

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L’ÉPOPÉE IRLANDAISE

L’HISTOIRE

DE BAILÉ AU DOUX LANGAGE (i)

'Baiié était Ie fils unique de Buan ; il était Ie préféré d’Aillinn, fille de Lu^aid fils de Fergus de la Mer, ounbsp;fiile d’Eoghan fils de Dalhi, et il élait Ie préféré denbsp;tous ceux qui Ie voyaient ou entendaient parler de lui,nbsp;hommes et femmes, a cause de ce que l'on racontait denbsp;lui. Aillinn et lui convinrent de se renconfrer en un ren-dez-vous d'amour a Ross na Rig, chez Maeldu-.b, sur lanbsp;rive de la Boyne en Bregia.

L’homme vint du nord a sa rencontre, d'Emain Macha par la montagne de Fuat et par Murthemne jusqu'anbsp;la grève de Badé. La on détela les chariots, on mitnbsp;les chevaux a paitre, et on se livra au plaisir et a la joie.

Cotnme ils étaient la, ils virent un horrible fantöme qui, du Sud, venait a eux; sa marche était rapide et ilnbsp;avanlt;;ait vite. Sa manière de progresser sur la terrenbsp;était comme celle d’un faucon qui se lance du hautnbsp;d’uiie falaise, ou cel e du vent qui vient de la grandenbsp;mer. Sa gauche était tournée vers la terre.

« Qu’on aille a lui, dit Bailé, et qu’on lui demande oü il va, d’oü il vient, et quelle est la cause de sa hamp;te.nbsp;— C’est a Tuagh-Inber que je vais, au nord mainte-nant, venant du mont Suidhe en Leinster, et je n’ai denbsp;nouvelles que de la fille de Lugaid fils de Fergus ; elle

(1) Texle d'aprés Ie Harleian 5280, manuscrit du xv® siècle. Traductions aaglaises ;-ar E. O Curry, Lectures on thenbsp;manuscript materials of ancient Irish history, 1861. p. 472-475; par Kuno Meyer, Revue celtique, XIII (1892), p. 220-227 ;nbsp;cf. XVII, p. 319. Ou a rapproché cette légende de celle denbsp;Tristan et Iseult.

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s’était éprise d’ainour pour Bailé fils de Buan et elle venait a sa rencontre quand les guerriers de Leinsternbsp;1'ont surprise et tuée; car il était prédit par les druidesnbsp;et les prophètes qu'üs ne se rencontreraient pas dansnbsp;leur vie, mais qu’ils se rencontreraient après la mort,nbsp;pour ne jamais se séparer. Voila mes nouvelles ».

Quand Bailé entendit cela, il tomba mort sur la place; on creusa sa tombe; on fit son tertre; on mit dessus unenbsp;pierre, et des jeux funèbres furent donnés par lesnbsp;hommes d’ülster. Unif poussa dans sa tombe, et, aunbsp;sommet de 1’arbre, on voyait la forme et 1’aspect de lanbsp;tête de Bailé. D’oü Ie nom de Grève de Bailé.

Alors Ie méme homme alia au sud a 1’endroit oü était la jeune Aillinn et il entra dans sa maison d’été ;nbsp;« D’oü vient eet homme que nous ne connaissonsnbsp;pas? dit la jeune fille. — Du nord de l’Ir’ande, denbsp;Tuagh Inber, et, après, vers la montagne de Suidhenbsp;en Leinster. — Avez-vous d:s nouvelles ? dit-elle. —nbsp;Je n’ai pas de nouvelles qui vaillent d'être rapportéesnbsp;maintenant, sauf que j'ai vu les Ulates donner des jeuxnbsp;funèbres et faire un tertre et dresser une pierre etnbsp;écrire Ie nom de Bailé fils de Buan, héritier royal d’ülster, mort a cóté de la grève de Bailé, comme il venaitnbsp;a la rencontre de la femme bien-aimée a qui il avaitnbsp;donné son amour; car leur destin n’était pas de se re-joindre l’un l’autre pendant leur vie ni que l’un d’euxnbsp;vit l’autre V vant. » II partit, après avoir donné cettenbsp;mauvaise nouvelle.

Aillinn tomba morte sur la place. On creusa sa tombe ; on fit son tertre; on mit dessus une pierre. Un pommiernbsp;poussa dans sa tombe et devint un bel arbre au bout denbsp;sept années, et la forme de la tête d’Aillinn se vit a sonnbsp;sommet.

Au bout de sept années, les poet es, les prophètes et

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L’EPOPEE IRLANDAiSE nbsp;nbsp;nbsp;¦

les visionnaires coupèrent l’if qui était sur la tombe de Bailé, et ils en firent une tablctte de poète, sur laquellenbsp;ils écrivirent les Visions, les Épousailles, les Amours, lesnbsp;Courtises des ülates, De même les Courtises de Leinsternbsp;furent gravéessur la tablette que l'on fit avec Ie pom-mier d’Aillinn.

Aiors vint Samain, longtemps après, et la fête fut donnée par Cormac fils d’Art (1). Des poètes et desnbsp;artistes de tont genre vinrent a cette fête, comme c’étaitnbsp;la coutume, et ils apportèrent avec eu% leurs tablettes etnbsp;celles-la y vinrent. Art les vit et les leur demanda. Onnbsp;lui apporta les deux tabiettes et il les piit dans sesnbsp;mains, face aface. Et soudainl’une des tablettes s'éian^nbsp;vers l’autre et elles s’unirent comme Ie chèvrefeuillenbsp;s’enroule a une branche, et il n’était pas possible de lesnbsp;séparer. Elles restèrent avec tous les joyaux dans Ie tré-sor de Tara, jusqu’au moment oü Dunlang fils d’Ennanbsp;les brüla, quaud il tua les jeunes filles a Tara.

LA MORT

DE CELLACH DE CILLALA (2)

[Le roi de Connaught Eoghnn Bêl, iué dans une batdille conire les Ulaies, avait désigné, pour lui succéder, son filsnbsp;ainé Cellach, qui éiudiait ches Saint Ciaran (\548)danslenbsp;célèbre monastère de Clonmacnois. Saint Ciaran refusa denbsp;le laisser partir et Cellach senfuit, maudit par son maitre.nbsp;La malediction ne tarda pas d produire son effet. Guairé,

(1) nbsp;nbsp;nbsp;Roi célèbre (254) qui fouda a Tara des écoles ou l'onnbsp;euseignait le droit, l’histoire et la littérature; auteur denbsp;r« Instruction pour un roi » et de traités de lois.

(2) nbsp;nbsp;nbsp;Texte d’après le Livre tacheté manuscrit du xiv® siècle.nbsp;Traduction anglaise par St. H. O'Grady, Silva Gadelica,nbsp;11, p. 50-69.

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^_ L’É:^0PÉE iBLANDAiSE

roi des Hy-Fiachrach du Sud, forfa Cellach a Vexil, et celui-ci rétourna auprès de son ancien maiire, duquel ilnbsp;refut les ordres; pais il fat éla évêqae. Gaairé essaya denbsp;se réconcilier avec lui, mais il ny réussit pas ; craignantnbsp;une conspiration qui remettrait Cellach sur Ie tróne, ilnbsp;décida de Ie faire tuer par ses disciples et invita ceax-ci anbsp;un grand banqueti]

Alors on leur prépara a part une maison pour boire oü l’ou apporta la meilleure boissou qu’il y eüt dans Ienbsp;cMteau. Ou plaga deux d’entre eux de chaque cóté denbsp;Guairé; puis on leur promit de merveilleux présentsnbsp;pour qu’ils se séparassent de Cellach : la terre d’Amal-gaid tout eutière et quatre femmes nou mariées a prendrenbsp;dans la province, avec ce qu’il leur faüait de vaches etnbsp;de chevaux, présents qui leur étaient assurés par unenbsp;convention, et on leur apporta encore ce qu’il leur fal-lait d’armes. Ils furent la pendant la nuit et, aü premiernbsp;déjeuner, ils acceptèrent d’un commun accord de tuernbsp;Cellach. Puis ils allèrent de la au lac Conn, oü ils trou-vèrent Ie bateau a l’endroit oü ils l’avaient laissé et ilsnbsp;arrivèrent la oü était Cellach. II avait son psautier de-vant lui et récitait les psaumes; il ne leur adressa pas lanbsp;parole avant d’avoir terminé son psaume ; il les reg«u:danbsp;et vit leurs yeux trembler dans leur tête, et la couleurnbsp;du parricide sur leur visage. — « Jeunes gens, dit-il,nbsp;vous avez changé de nature en me quittant et je saisnbsp;que vous avez accepté de me tuer pour Guairé. » Ils nenbsp;direot pas non. — « C’est un mauvais dessein, mais nenbsp;vous faites pas tort davantage et vous obtiendrez de moinbsp;de plus beaux présents que ceux que Guairé vous a pro-mis. — Nous ne ferons pas, dirent-ils, 6 Cellach,nbsp;ce que tu nous consei lies, car nous'ne trouverions plusnbsp;après cela aucun refuge en Irlande a cause de Guairé. »nbsp;A peine avaiént-ils parlé qu’ils lancèrent tous ensemble

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leurs javelots contre Cellach, et lis l’entraiaèrent vers Ie bateau, mals il mit son psautier entre eux et sonnbsp;froc. Ils rinstallèrent au milieu du bateau, et deuxnbsp;d’entre eux se mirent a 1’avanl, en sorte qu’ils arrivcrentnbsp;ainsi a un port et l’emmjnèrent dans les profondeursnbsp;de la grande forêt. — « II m’apparait. jeunes gens,nbsp;dit Cellach, qu’il est réellement mauvais, Ie desseinnbsp;que vous youlez accompür, et vous trouveriez un refugenbsp;a Clonmacnois pour toujours contre Guairé ou si vousnbsp;préfériez aller chez Blathmac et Dermot, les deux filsnbsp;d’Aed Slaine, qui a la royauté d’Irlande. » Et dixitnbsp;Cellach :

O jeunes gens qui me terriliez — l’orgueil est odieux au Roi du C-el; — bien que vos yeux soient torves, — Ie secretnbsp;de votre coeur est pire :

Vous avez accepté contre moi — un crime cruel saus remission! — votre déshonneur durera longtemps, — vousnbsp;vous repeutirez de cette trahison et de ce fratricide.

Quoique ce soit vous, ce n’est pas vous, je crois — qui me tuez, moi votre capUf; — pire est ia brülure cuisante, —nbsp;Ie soupir de Ciaran mon père spirituel.

Quoique sa malediction soit un mal pour moi, — je ne cherche pas a éviter mon martyre, — mais, pour vous, cenbsp;sera une plaie et uue consternation — de porter sur moinbsp;une main rougie de sang.

Quelqu’un est pour moi, — qui n'a pas son sembtable ; — ma cause est liée au Christ; — c'est Ie Ciel des anges quinbsp;sera ma demeure.

Votre dessein était uue trahison; — tombcr sur moi ne fut pas juste ; — ma mort, a la fin, causera votre perte ; —nbsp;i’enfer est pret, jeunes geus !

« Ton conseil est désormais sans objet pour nous, dirent-ils, nous ne ferons rien pour toi. — Alors,nbsp;dit Cellach, accordez-moi Ie délai de cette nuit, pournbsp;1’amour de Dieu. — Nous te l’accorderons, bien quenbsp;188

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ce soit lAche de noire part. » Ils levèrent les glaives qu’ils avaient caches sous lenrs vêiements. Une grandenbsp;frayeur s’empara de Cellach a cette vue. Ils fouillèrentnbsp;alors Ie bois jusqu’a ce qu’ils eusseut trouvé un chênenbsp;creux, avec une seule ouverture etroite, et ils y mirentnbsp;Cellach ; ils s’assirent devant l’ouverture, gardant Cellach jusqu’au matin, et ils restèrent ainsi jusqn’a lanbsp;dernière partie de la nuit. Alors ils furent pris d’unenbsp;telle envie de dormir qu’un lourd sommeil tomba surnbsp;eux. Cellach ne dormit pas du tout, par preoccupationnbsp;de sa mort, et il aurait pu s’échapper s’il eüt voulu, maisnbsp;il se dit en lui-même que ce serait manquer de foi quenbsp;de se sonstraire a la volonté du Dien vivant; de plus, ilnbsp;pensa que s’il fuyait ils Ie rattraperaient, car il étaitnbsp;maigre et faible a la suite du carême. Alors le matinnbsp;commen(;a a briller sur eux ; Cellach ferme l’ouverture,nbsp;de crainte de voir le matin, par effroi de la mort. —nbsp;« Cest un défaut de foi, dit-il, que d’éviter le juge-ment de Dien, et Ciaran mon père spirituel m’avait pré-d t que cette mort v endrait sur moi. » II eut du cha-gr n en disant cela et il dégagea l’ouverture de i’arbre.nbsp;Le corbeau appela alors et la corneille, et le roitelet et lesnbsp;oiseaux l’un après l’autre; et le milan de l’if de Cluainnbsp;Eo vint ainsi que le chien rouge de Druim Mie Dair, lenbsp;trompeur, qui était d’ordinaire prés du port de l’i e. —nbsp;« Elie était vraie, la vision que j’eus la nuit de mercredinbsp;dernier, dit Ce:lach : quatre chiens sauvages menbsp;déchirant et m’emportant a travers la bruyère, et moinbsp;tombant dans un précipice sans pouvoir remonter. » Etnbsp;il dit ce lai ;

Salut au matin blanc, — qui est venu sur le sol comme une flamme 1 — S.tlut k celui qui 1’envoie, — le matin vain-queur toujours nerf!

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O matia blanc orgueilleux, — frère du brillaut soleil! — Salut au matin blanc — qui mïllumine mon petit livre !

Tn vois l'hóte de chaque maison, — tu éclaires la tribu et la familie. — Salut, ó con blanc que voici — chez nous, ónbsp;bel or merveilleux!

Mon. petit livre tacheté me dit — que ma vie n’est pas juste; — Malcróiu, il est juste que je Ie craigne ; — c'est luinbsp;qui vient me frapper a la fin.

O Corneille la-bas, ó corneille, — ó petit oiseau au mau-teau gris, au bec pointu ; — ellc est évidente pour moi I’intentioa de ton désir ; — tu u'es pas ami de Cellach.

O corbeau qui jette un croassement, — si tu es affamé, ó oiseau, — ue pars pas de ce même chateau, — que tu u'aiesnbsp;mangé ton content de ma chair.

Le milau de 1’if de Cluaiu Eo — prendra part avidement k la lutte; — il portera plein ses serres bleues, — il ne seraitnbsp;pas aimable qu'il se séparat de moi.

Le renard, qui est dans le bois ténébreux, — répondra vivement au coup; — il mangera de moa sang et de manbsp;chair — dans les conamp;ns froids et saus chemins.

Le loup, qui est dans le chateau, — k l'est de Druim meic Dair, —vient a moi pour uue heure — po ar être le chef denbsp;la vile troupe.

J’ai vu un songe — qui est venu la nuit de mercredi ; — les chieus sauvages me trainaient — a l'est, a^’ouest, a travers la bruyere rouge.

J’ai vu un songe ; — ils me portaient dans tme valléc verte; — ils étaient qoatre k me porter la ; — il nous sem-blaitqu’ils ne me rapportèrent pas.

J’ai vu uu songe ; — mes disciples me portaient a leur mai-sou ; — ils me versèreht une boisson — et burent k ma santé uue boisson.

O petit roitelet a la queue maigrc; — c’est pitié que tu aies promis la chanson; — si tu es venu pour me trahir — et pournbsp;m’enlever ma part de vie !

Pour quel motif Macdeoraidh — me trah rait-il ? ce serait uu actc monstrueux; — deux frères ttaient mou pere —nbsp;et le père de Macdeoraidh.

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L'EPOPEE IRLANDAISE

Pour quel motif Maeldalua — saus mensouge, me trahirait-il ? — deux soeurs étaient ma mère — et la mère de MaeldA-lua.

Pour quel motif Maelseuaig — me trahirait-il dans la bonte ? — car ü est fils d’un bomme sincère, — Maelsenaignbsp;fils de Maebbair.

O Maelcröin, 6 Maelcróiu, — tu es résolu a im acte qui u’est pas juste; — Ie fils d’Eogbaa ne permettrait pas tanbsp;mort, — pour mille Ungots d'or.

O Maelcrdin, ó Maelcróiu, — est-il bieu d’avoir eutrepris de me trabir ? — Tu l’as entreprispour lemonde, — tu l’as eutrepris pour l’enfer.

Mais tous les trésors que j’avais — et tous mes jeunes cbevaux luisants — je les aurais donnés amp; Maelcróiu, — pournbsp;qu’il ne me fit pas cette bonte.

Mais il m’adresse la parole — Ie grand Fils de Marie au-dessus de moi: — Tu auras la terre, tu auras Ie Ciel,nbsp;— ó Cellach, et un bon accueil.

La-dessus, Cellach fut enlevé de l’arbre par eux, et d’abord Macdeoraid Ie frappa et ensuite Maeldamp;lua,nbsp;Maelsenaig et Maelcróin Ie frappèrent et c’est ainsinbsp;qu’Us mirent a mort Ie saint évêque Cellach fils d’Eogannbsp;Bêl, et ils partirent, après avoir tué leur maitre, leurnbsp;seigneur et leur frère saint, pour l’endroit oh étaitnbsp;Guairé. Celui-ci les accueillit bien, quoique leur actionnbsp;fut injuste.

Et vers Cellach vinrent les corbeaux, les corneilles et toutes les bêtes de proie de la forêt, comme il leur avaitnbsp;prédit lui-même, et ils mangèrent de sa chair et burentnbsp;de son sang, Mais toute béte qui en avait mangé peu ounbsp;beaucoup mourut sur l’heure, par nn miracle de Dien etnbsp;de Cellach.

13.

191

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L’EPOPEE IRLANDAISE

LA VISION DE MAC CONGLINNÉ (i)

LE DÉMON DE CATHAL, FILS DE FINGUINÉ

Les quatre choses que l’oa demande a toute oeuvre d’art, a savoir Ie lieu, la personne, Ie temps et la cause,nbsp;doivent être demandées a eet ouvrage-ci. Le lieu de lanbsp;composition est le grand Cork de Munster. La personnenbsp;est Aniêr Mac Conglinné de Onaght Glenowra. C’est aunbsp;temps de Cathal Mac Finguiné, fils de Cücengairm ounbsp;de Cücenmathir qu’eüe a été faite. La cause de l’inven-tion était de chasser le démon de la gloutonnerie quinbsp;était dans le gosier de Cathal fils de Finguiné.

Cathal fils de Finguiné était un bon roi de Munster; c’était aussi un grand guerrier, un guerrier de cettenbsp;sorte: avec l’avidité d’un chien etl’appétit d’un cheval.nbsp;Satan, le démon de la gloutonnerie qui était dans sonnbsp;gosier, mangeait sa part avec lui. Un cochon, une vache,nbsp;un veau detrois empans avec trois vingtaines de painsnbsp;de pur froment, une cuve de bière fraiche, trente ceufsnbsp;de poule de bruyère, tel était son premier repas outrenbsp;son casse-.croüte, jusqu’a ce quefüt son grand festin. Ennbsp;ce qui touche son grand festin, il dépasse tout comptenbsp;OU calcul.

La raison pour laquelle le démon de la gloutonnerie était dans le gosier de Cathal fils de Finguiné, la voici;nbsp;il avait, bien qu’il ne l'eüt jamais vue, un amour violentnbsp;pour Ligach fille de Maëlduine, roi d’Ailech, sceur de

(1) Texte d’après le Livre tacheté, manuscrit du xiv* siècle. Traduction auglaise par W. M. Hennessy, Mrc CongUuue'snbsp;Vision (Fraser's Magazine, LXXXVIII, 1873, p. 298-323), parnbsp;Kuno Meyer Aislinge Meic Conglinné, 1892; traductionnbsp;allemande par R. Thurneysen, Sagen, p. 131-147.

........—. - nbsp;nbsp;nbsp;-------192 nbsp;nbsp;nbsp;-

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¦ ¦ L’EPOPEE IRLANDAISE

Fergal, fils de Maëlduine. aussi roi d’Ailech, qui dis-putait alors Ia royauté d’Irlande a Cathal fils de Fin-guiné, comme il résulte de la querelle des deux sor-cières, quand elles eurent un duel de quatrains k Achad Ur :

U vientduNord, — il vieut du Nord, — Ie fils de Maëlduine, par-dessus les roes, — par-dessus les rives de la Berba,nbsp;par-dessus les rives de la Berba; — avant d’avoir pris desnbsp;vaches il ne s'arrêtera pas.

II s’arrêtera, il s'arrêtera, dit la sorcière du Sud; — il sera reconnaissant s’il écliappc ; — par la main de mon père,nbsp;par la main de mon père,— si Catbal Ie rencontre, il nenbsp;prendra pas de vaches.

Alors des pépins, des pommes et au'res friandises furent apportées a Cathal fils de Finguiné de la part denbsp;Ligach, fille de Maëlduine, en témoignage d’amour etnbsp;d’affection. Fergal fils de Maëlduine l’apprit etil appelanbsp;sa soeur. II lui donna une benediction si elle disait lanbsp;vérité et une malediction si elle la lui refusait. Sa soeurnbsp;lui raconta tout; car, quelque grand que fut son amour etnbsp;son affection pour Cathal fils de Finguiné, elle craignaitnbsp;que la malediction de son frère ne I’atteignit. Alors ellenbsp;raconta la vérilé.

Son frère lui dit de lui envoyer les pommes. Et il manda auprès de lui un savant auquel il promit denbsp;grandes récompenses s’il mettait des charmes dans lesnbsp;friandises pour faire périr Cathal fils de Finguiné. Et Ienbsp;savant mit des charmes palens dans les friandises, et onnbsp;les donna a Cathal et ils Ie supplièreat, par les septnbsp;universaux, Ie soleil et la lune, la rosée et la mer, Ie cielnbsp;et la terre, Ie jour, de manger ces pommes puisquenbsp;c’était par amour et affection pour lui qu’elles lui étaientnbsp;apportées de la part de Ligach, fille de Maëlduine.

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L’EPOPEE IRLATSDAISE - =¦

Cathal mangea alors les pommes et elles produisirent en lui des animaux magiques qui se réunirent dans Ienbsp;sein de l'un d’eux et c’est ainsi que fut fait Ie démon denbsp;la gloutonnerie. Et voila pourquoi Ie démon de la glou-tonnerie habitait Ie gosier de Cathal fils de Finguiné, aunbsp;grand dam des hommes de Munster, pendant trois demi-années, et vraisemblablement il aurait ruiné l’Irlande aunbsp;bout d’une autre demi-année.

CATHAL ET MAC CONGLINNÉ

[Le roi Cathal, en tournée dans ses domaines, descend avec sa suite chez un de ses vassanx, Pichdn, oii il rencontrenbsp;Mac Conglinné, Mac Conglinné s’engage d gniirir Cathal denbsp;sa boulimie, moyennant divers présents que lui faitnbsp;Pichdn .

Cathal fils de Finguiné vint avec sa compagnie et 'ses cavaliers du Munster; ils s'assirent sur le bord des lits,nbsp;sur des petits et des grands lits. De jolies jeunes fillesnbsp;leur lavèrent les pieds et servirent la compagnie et lanbsp;troupe. Mais Cathal ne permit pas de délier la courroienbsp;de ses souliers avant d’avoir commencé a remplir sanbsp;bouche, a deux mains, des pommes qui étaient sur lesnbsp;peaux autour de lui. Alors Mac Conglinné se mit a claquernbsp;des lèvres a l’autre bout de la maison, mais Cathal ne lenbsp;remarqua pas. Mac CongUnné se leva enhdte, impatiem-ment, diaboUquement et se précipita belliqueusement,nbsp;d’un pas de guerrier, a travers le palais. Il y avait unnbsp;gros bloc et une pierre de force pour les guerriers surnbsp;laquelle ils fixaient les rivets a leurs javelots et contrenbsp;laquelle ils aiguisaient les pointes et les tranchants, etnbsp;cette pierre était un pilier de héros. II Tenleva sur sonnbsp;dos et la porta a l’endroit oü il était auparavant sur lenbsp;bord du lit; il en fourra 1’extrémité supérieure dans sanbsp;------^ 194 nbsp;nbsp;nbsp;......-........... ~

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L’EPOPEE IRJLANDAISE

bouche, mit 1’autre extrémité sur sou genou et se mit a aiguiser ses dents contie la pierre.

Ce que racontent les savants et les anciens et les livres de Cork est qu’il n’y avait dans Ie voisinage du chateau,nbsp;a rintérieur on a l'extérieur, personne qui n’entendit Ienbsp;grinceaient de ses dents contre la pierre qui était dansnbsp;sa bouche, quoiqu’elle füt des plus tendres,

La-dessus, Cathal leva la tête :

«Qu’est-ce qui te rend fou, ó étudiant (1) ? dit Cathal.

— nbsp;nbsp;nbsp;Deux choses, dit Mac Conglinné : Cathal, Ie trésnbsp;beau fils de Finguiné, grand-roi de la grande Moitiénbsp;méridionale, grand défenseur de l’lrlande contre lesnbsp;enfants de Cond aux-cent-batailles, homme ordonnénbsp;de Dieu et des éléments, héros libre et bien-né denbsp;1’aimable Eoganacht de Glendabra d’après la race denbsp;soa père, je suis peiné de Ie voir seul manger quelquenbsp;chose, et s’il y avait ici des hommes des pays lointains anbsp;présenter une requête ou a demander un présent, ilsnbsp;t’incrimineraient de ce que ma barbe ne remae pas ennbsp;même temps que la tienne.

— nbsp;nbsp;nbsp;C’est vrai, » dit Cathal, en lui donnant une pomme,nbsp;et il en abrita deux ou trois dans sa propre bouche.nbsp;Depuis les trois demi-années que Ie démon était dans lanbsp;gorge de Cathal fils de Finguiné, celui-ci n’avait pasnbsp;accompli un acte d’humanité comme de donner unenbsp;pomme sauvage a Mac Conglinné, après sa demandenbsp;instante.

« Deux valent mieux qu’un dans la sagesse, » dit Mac Conglinné.

II lui en jeta une autre.

« Le nombre de la Trinité ! » dit Mac Conglinné.

(1

Littéralement: fils du Savoir.

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L’EPOPEE IRLANDAISE ======^^=

II lui en donna une.

« Les quatre livres de l’Évangile d'après Ie Testament du Christ! »

II lui en offrit une.

« Les cinq livres de Moïse d’après les dix commande-ments de la lol! »

II lui en donna une.

«Le premier article numeral, qui consiste en ses parties et en ses divisions : le nombre six; car la moitiénbsp;en est trois, et le tiers deux. Donne-moi le sixième ! »

II lui jeta une pomme.

« Les sept prophéties sur ton Dieu ici-bas : sa conception, sa naissance, son baptême, etc. »

II lui vient une pomme.

« Les buit beatitudes de l’Évangile, ó prince aux juge-ments de roi! »

11 lui en donna une.

«Les neut ordres de Ciel, 6 champion royal du monde!»

II lui vient une pomme.

« Le nombre imparfait des apótres après la faute ! » II lui en jeta une.

« Le nombre parfait des apbtres après la faute, bien qu’ils eussent commis une transgression ! »

II lui en présenta une.

« Le triomphe au-dessus des triomphes et le nombre parfait, le Christ avec ses apótres !

— En vérité, par saint Barre, dit Cathal, tu me dévoreras si tu m’obsèdes davantage. »

Cathal lui lan^a la peau avec les pommes, en sorte qu’il n’y avait ni coin, ni passage, ni sol, ni lit que lesnbsp;pommes n'eussent atteint. Elles n'étaient pas plus présnbsp;de Mac Conglinné que de tout autre, mais eUes étaientnbsp;plus loin de Cathal.

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¦ nbsp;nbsp;nbsp;¦nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;--...... L’ÉPOPÉE IRLANDAISE

La fureur prit Cathal. Ua de ses yeux sauta dans sa tête en sorte qu’une petite grue n’aurait pu l'en fairenbsp;sortir. L’autre oeil ressortit au point qu’il fut plus grandnbsp;dans sa tête qu’un oeuf de poule de bruyère. Et il poussanbsp;son dos contre Ie c6té du palais, si b:en qu’il ne laissa ninbsp;cloison,niperche, niclaie, ni poignée de chatime, ni piliernbsp;qui ne füt déplacé; et il s'assit sur son siège.

« Ton pied et ta joue sous toi 1 6 roi, dit Mac Conglinné. Ne me maudis pas et ne me dérobe pasnbsp;Ie ciel !

— nbsp;nbsp;nbsp;Qu'est-ce qui t’a fait agir, ó étudiant ? dit Cathal.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ce m’était nécessaire, dit Mac Conglinné; j'ainbsp;eu une querelle h’er soir avec les moines de Cork et ilsnbsp;m’ont donné leur malédiction. C’est ce qui est cause denbsp;ma conduite e avers toi.

— nbsp;nbsp;nbsp;Va, 6 Mac Conglinné, dit Cathal; par Emly-Ivar, si c’était ma coutume de tuer des étudiants, ounbsp;bien tu ne serais pas venu, ou bien tu net’en irais pas.

— nbsp;nbsp;nbsp;Par ta royauté, par ta souveraineté, par ta cour,nbsp;donne-moiun petit présent, dit Mac Conghnné, avantnbsp;que je ne m’en aille.

— nbsp;nbsp;nbsp;Accorde-le, dit PichAn.

— nbsp;nbsp;nbsp;II te sera accordé, dit Cathal. Dis-moi ce que tunbsp;demandes.

— nbsp;nbsp;nbsp;Je ne Ie dirai pas avant qu’il n’y ait des gages denbsp;ta promesse.

— nbsp;nbsp;nbsp;On t’en donnera, dit Cathal.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ta parole de prince ? dit Mac Conglinné.

— nbsp;nbsp;nbsp;Sur ma parole, dit-il, tu les auras; mais indi-que ta demande.

— nbsp;nbsp;nbsp;La void, dit Mac Cooghnné. J’ai eu une querellenbsp;hier soir avec les moines de Cork, en sorte qu’üs m’ontnbsp;tousdonnéleurmalédiction, et voila pourquoi une erreurnbsp;a été commise a mon endroit. Mais jeüne avec moi vers

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L’EPOPEE IRLANDAISE -

Dieu cette nuit, car tu es mon frère de race, pour me sauver de la malédiction des moines de Cork. Voila cenbsp;que je demande.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ne dis pas cela, 6 étudiant, dit Cathal. Tu aurasnbsp;une vache de chaque enclos de Munster; une once,nbsp;de chaque habitant, avec un manteau de chaque église,nbsp;et un intendant pour lever ce tribui, et tu mangeras ennbsp;ma compagnie tant qu’il sera occupé a Ie lever. Mais, parnbsp;leJugementde mon Dieu, dit Cathal, j’aimerais mieuxnbsp;que tu aies tont ce qu’il y a de l’Ouest a 1’Est et du Sudnbsp;au Nord du Munster, plutót que d’être un soir sansnbsp;nourriture.

— nbsp;nbsp;nbsp;Par Ie Jugement de mon Dieu, dit Mac Con-glinné, puisque ta parole de prince a passé par la etnbsp;qu’un roi de Cashel ne doit pas la transgresser, si on menbsp;donnait toutce qu’il y a dans la Moitié méridionale (1),nbsp;je ne 1’accepterais pas. J’ai done, 6 grand héros et roi desnbsp;Fénians d’Eurcpe, des raisons pour ne pas accepter tesnbsp;conditions, car ma richesse n’est que dans Ie Ciel ou, surnbsp;terre, dans la sagesse ou dans la poésie. Et, ce n’est pasnbsp;tout — car e’est la dernière chose qui est toujours lanbsp;plus pénible — j’irai dans l’enfer sans fin, sans hmites,nbsp;si tu ne me sauves de la malédiction des moines denbsp;Cork.

— nbsp;nbsp;nbsp;Cela te sera accordé, dit Cathal, et il n’a étéaccordénbsp;par nous et il ne sera accordé désormais jusqu’au sein dunbsp;Jugement rien qui me répugne plus que cela. »

Cathal jehna avec lui ce soir-la et tous ceux qui étaient la jeünèrent aussi. Et l’étudiant se mit sur unecouchette

(1) La division de l’Irlande en deux parties, au nord et au sud d'uue liguc tirée de Dublin a Galvraiy, date de la fiu dunbsp;II* siècle de 1’ère chrétienue et est due k un accord entrenbsp;Cond aux-cent-batailles et Mogh Nuadhat.

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----------- L’EPOPEE IRLANDAISE

a c6té d’un montant de la porte et ferma la maison.

Comme il éfait la, a Ia fin de la nuit, Pichan fils de Maelfind se leva.

« Pourquoi Pichan se lève-t-il a ce moment-ci ? dit Mac Conglinné.

— nbsp;nbsp;nbsp;Pour preparer de la nourriture a la compagnie,nbsp;répondit Pichin, et mieux vaudrait pour nous qu’elle eütnbsp;été préte depuis hier.

— nbsp;nbsp;nbsp;Non certes , dit Mac Conglinné. Nous avonsnbsp;jetiné hier soir. Pour commencer, demain, nous aurous unnbsp;sermon.

Et ils attendirent jusqu’au matin. Qu’ils fussent seuls OU qu’ils fussent ensemble, personne n’alla dedans ounbsp;dehors jusqu’a 1’heure du lever, au matin. Mac Conglinné lui-même se leva et ouvrit la maison. 11 se lava lesnbsp;mains, prit son sac a livres, en tira son psautier et se mitnbsp;a prêcher la compagnie. Les historiens, les anciens etnbsp;les hvres de Cork racontent qu’il n y eut ni grand ninbsp;humble qui ne versamp;t trois ondées de larmes en enten-dant Ie sermon du clerc

Quand Ie sermon fut fini, on fit des prières pour Ie roi afin qu’il eüt une longue vie, et que Ie Munster fut pros-pèredeson temps. On fit aussides prières pour les terres,nbsp;pour les families et pour la province aussi, comme ilnbsp;est d’usage après un sermon.

« Eh bien, dit Mac Conglinné, comment ga va-t-il aujourd’hui 7

— nbsp;nbsp;nbsp;Par Ie Jugement de mon Dien, répondit Cathal,nbsp;cela n’a jamais été pire avant, et cela ne sera jamais pirenbsp;jusqu’au Jugement.

— nbsp;nbsp;nbsp;II est tout naturel, dit Mac Conglinné, que tunbsp;ne sois pas bien : un démon te détruit et te ravagenbsp;depuis trois demi-années, et tu n’as pasjeüné unjournbsp;OU une nuit pour toi-même alors que tu l’as fait pour

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L’EPOPEE IRLANDAI3E nbsp;nbsp;nbsp;-------

unepersonne miserable, turbulente, insi^nifiante comme mol.

— nbsp;nbsp;nbsp;A quoi veux-tu en venir, 6 étudiant ? dit Cathalnbsp;fils de Finguiné.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ce n’est pas difficile. Puisque iu as jeune seulnbsp;avec moihier soir, jeünons, tous tant que nous sommes,nbsp;ce soir, et jeune toi-mème pour obtenir de Dieu Ienbsp;secours nécessaire.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ne dis pas cela, 6 étudiant, dit Cathal. Carnbsp;quelque pénibie que füt Ie commencement, la fin estnbsp;sept fois plus dure .

— nbsp;nbsp;nbsp;Ne dis pas cela, dit Mac Conglinné, mais agisnbsp;bravement en cela. »

Cathal jeüna done ce soir-la avec sa compagnie jusqu’a la fin de la nuit. Alors Mac Conglinné se leva.

« Est-ce que PichS.n dort ? dit Mac Conglinné.

— nbsp;nbsp;nbsp;Je vais dire la vérité, répondit Pich^n. Si Cathalnbsp;est comme il est jusqu’aubord du Jugement, je ne dor-mirai, ni ne mangerai, ni ne sourirai, ni ne rirai.

— nbsp;nbsp;nbsp;Lève-toi, » dit Mac Conglinné, et il demanda dunbsp;vieux lard huileux et du tendre gras de lard et du béliernbsp;a pleine chair et du miel en rayons et du sel anglais surnbsp;un plat vraiment splendide d’argent blanc, ainsi quenbsp;quatre broches trés droites de coudrier blanc pour lesnbsp;rötis. Ou lui trouva les viandes qu’il avait énumérées etnbsp;il plaqa des morceaux im menses, énormes, sur les broches,nbsp;Pais il mit autour de lui un tablier de lin et sur Ie hautnbsp;de sa tête un bonnet plat en lin et il alluma un beau feunbsp;de hêtre a quatre sillons, a quatre ouvertures, a quatrenbsp;fantes, sans fumée, sans vapeur, sans étinceUes. IInbsp;fourra une broche dans chaque portion et il fut aussinbsp;rapide qu’une biche a son premier faon ou qu’unnbsp;chevreuil ou qu’une hirondelle ou qu’un vent sec denbsp;printempsau milieu de mars, autour de ses broches et

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L’EPOPEE IRLANDAISE

de ses feux. II frotta de miel et de sel chaque morceau a son tour. Et quoique les morceaux qui étaient devant Ienbsp;feu fussent de taille, il ne découla des quatre morceauxnbsp;sur Ie sol rien qui püt éteindre l’étincelle d’une chan-delle, mais tout ce qu’ils pouvaient avoir de saveurnbsp;pénétrait a rintérieur.

On avait révélé a Pichan que si 1’écolier était venu, c’était pour guérir Cathal. Et quandles morceaux furentnbsp;a point, alors Mac Conglinné dit : « Qu’on me donnenbsp;des cables et des cordes !

— Qu’en voulez-vous faire? » dit Pichan. C’était une question indiscrète que celle-la, puisqu’on Ie lui avaitnbsp;expliqué auparavant, et c’est de la que vient Ie dicton :nbsp;« C’est une question indiscrète. »

Des cables et des cordes furent donnés a Mac Con-glinné et aux plus forts des guerriers. lis mirent les mains sur Cathal qui fut ainsi lié a un coin du palais.nbsp;Alors vint Mac Conglinné qui pendant longtemps assu-jettit les cordes avec des crochets et des crampons.nbsp;Quand il eut fini, il entra, avec quatre broches derrièrenbsp;lui bien haut et son manteau blanc et large a sa suite etnbsp;ses deux pointes autour du cou, a l’endroit oü étaitnbsp;Cathal. II enfonfa les broches dans Ie lit devant Cathalnbsp;et s’assit dans son siège, les deux jambes croisées. Alors,nbsp;tirant son couteau de sa ceinture, il se coupa un morceau a la tranche de viande la plus proche de lui et Ienbsp;trempa dans Ie miel qui était sur Ie plat d’argent.

« Le premier pour Ie male! » dit Mac Conglinué, en mettant le morceau dans sa bouche (c’est de ia que datenbsp;le vieux dicton). II se coupa un morceau d’uue autrenbsp;tranche, le trempa dans le miel et le mit dans sa bouchenbsp;en le faisant passer devant la bouche de Cathal. —nbsp;« Découpe-nous la nourriture, 6 étudiant, dit Cathal.nbsp;— Je vais le faire, » dit Mac Conglinné. II se coupa unnbsp;... ¦_ 201----------

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morceati de la tranche la plus proche de lui et, Ie trempant de la même manière, Ie fit passer, devant lanbsp;bouche de Cathal, dans la sienne. — « Combien denbsp;temps vas-tu continuer ce manége, 6 étudiant? ditnbsp;Cathal. — Tu n’auras plus rien désormais, réponditnbsp;Mac CongUnné, car en vérité tu as consommé unenbsp;telle qnantité de morceaux agréables et variés jusqu’anbsp;ce moment, que Ie peu qu’il y a la, c’est moi qui Ienbsp;manger ai et ce sera pour toi de la nourriture des lèvresnbsp;(c’est un vieux dicton).

Alors Cathal cria et hurla et ordonna qu’on mit a mort l’écolier. Mais on ne fit pas ce qu’il commandait.

— nbsp;nbsp;nbsp;« Eh bien, 6 Cathal, dit Mac Conglinné, j’ai eunbsp;une vision et j’ai entenda dire que tu es habile a expliquernbsp;les visions. — Par Ie Jugement de mon Dieu, ditnbsp;Cathal, quand même j’expliquerais les visions de tousnbsp;les hommes du monde, je n’expliquerais pas la tienne.

— nbsp;nbsp;nbsp;Je te promets, dit Mac Conglinné, que même sinbsp;tu ne l’expliques pas, je la raconterai devant toi. » Alorsnbsp;il commen^a Ie récit de sa vision, et cela tont ennbsp;mettant deux on trois morceaux dans sa bouche ennbsp;passant devant celle de Cathal :

J’ai eu uue vision cette unit ; — j’ctais allé ea voyage avec deux ou irois — quand je vis une maison belle et trésnbsp;remplie — oü il y avait une grande provision de nourriture.

Je vis un lac de lait — au milieu d’uue belle plaine. — Je vis uue maison bien arrangée, — couverte avec dunbsp;beurre.

Alors j’en fis Ie tour — pour en regarder la disposition ; — des tripes fralchemeut bouillies — formaieut les voligos.

Ses deux jambages mous étaient de crème, — sa galerie, de lait caiUé et de beurre, — des lits de lard fameux, — beaucoupnbsp;de boucliers de fromage mou.

Sous les courroies de ces boucliers — de fromage mou et ------ ¦ . ---^ 202 -----

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doux — des hommes qui ue savaient pas blesser un Gaël;

— nbsp;nbsp;nbsp;chacun d’eux avait des javelots de vieux beurre.

Un immense chaudron plein de fromage; — il me semble que j’ai osé m’attaquer a lui ; — potage bouUli, feuillu, brunnbsp;et blanc, — un vase plein de lait jusqu’aux bords.

Une maisou de lard avec deux vingtaines de petits chevrons ; — une claie de tripes, protection des families; —nbsp;toate nourriture qui serait bonne a l’homme, — il menbsp;semble que toat était rassemble Ik.

J’ai eu une vision la nuit deruière; — c'éfait une belle prison; — c'était une force puissante que m’apparut — lanbsp;royauté d’Irlande.

Je vis une cour d'arbres touffus ; —• il y avait une palissade de lard, — une muraiUe hérissée de moellons — eu fromages plantureui.

D'andoutlles de pores étaient faits — les jolis chevrons ;

— nbsp;nbsp;nbsp;splendides les poutres et les piliers, — de merveilleuxnbsp;oint.

Mervei Heuse la vision qui m'est apparue — au coin de mon feu; — un échiquier avec ses pieces — poUes, tachetées,nbsp;pointues.

Que Dieu bénisse mes paroles! — féte saus faiblesse, — après être allé au Mont du beurre — un gar5oa s’est jeténbsp;sur mes chaussures (1).

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L’EPOPEE IRLANDAISE

L’EXPULSION DU DEMON

Le plaisir causé par ce rédt et l’énumération de toutes les viandes variées et délideuses en presence du roinbsp;lirent que l’être sans loi qui demeurait dans l’inté-rieur des entrailles de Cathal fils de Finguiné sortit,nbsp;en se pourléchant les lèvres, hors de la bouche du roinbsp;Cathal.

L’étudiant fit faire un grand feu prés d’eux dans la maison; chaque morceau fut mis successivement devantnbsp;le feu, et on les présenta successivement devant lesnbsp;lèvres du roi. Au moment oü un des morceaux étaitnbsp;placé devant la bouche du roi, le fils de malédictionnbsp;sauia et planta ses deux pattes dans le morceau quinbsp;était dans la main de l’étudiaat et l'emporta de l’autrenbsp;cóté du foyer et se mit sous le chaudron qui étaitnbsp;de l’autre cöté du feu. On retourna le chaudron surnbsp;lui...

« Nous remercions Dieu et Brigitte, » dit Mac Con-glinné en mettant la main droite sur sa bouche et la main gauche sur la bouche de Cathal. On eutoure denbsp;linges la tête d% Cathal et on l’emmène. — « Qu’avons-nous de plus nécessaire a faire maintenant? d;t Pichto,nbsp;— La chose la plus aisée au monde, dit Mac Conglinné.nbsp;Que les troupes et les foules, les rois et les reines,nbsp;les oiseaux, le bétail et les animaux, ainsi que tousnbsp;les trésors d’or et d’argent du fort soitent du chateau ! »

Les savants racontent qu’on ne laissa pas la valeur d’une patte de hanneton de toutes les sortes de biensnbsp;qu’ü y avait dans l’intérieur du grand donjon dunbsp;chiteau, sauf toutefois le chaudron qui recouvrait la têtenbsp;de la béte. Alors on ferma le bftliment a l'extérieur etnbsp;=====^::== 204nbsp;nbsp;nbsp;nbsp; ¦nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;-

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---- nbsp;nbsp;nbsp;------ L’EPOPEE IRLANDAISE

on alluma quatre grands feux différents dans )e bati-ment. Quand ce ne fut plus qu’une tour trente fois rouge et un immense brasier, Ie démon sauta au faite dunbsp;palais et Ie feu ne put rien sur lui, et il s’assit sur 3cnbsp;baUment Ie plus pioche.

« Eh bien, maintenant, homme de Munster, dit Mac Conglinné, Ie voila la-bas votre ami. Et fermeznbsp;vos bouches que je parle a ce feu moine oublieux. Ehnbsp;bien, misérable, soumets-toi a nous.

— nbsp;nbsp;nbsp;En vérité je vais Ie faire, dit Ie Diable, car jenbsp;ne peux pas faire autrement. Car tu es un homme pleinnbsp;de la grice de Dieu, d’une foule de connaissances, d’unenbsp;intelligence aiguisée, d’une humiUté diligente, du désirnbsp;du bien, de la grace de 1’esprit septuple. Je suis unnbsp;démon par nature, de substance infrangible, et je vaisnbsp;te raconter mon histoire. Je suis depuis trois demi-années dans la bouche de Cathal, pour la mine denbsp;Munster et de la Moitié méridionale en outre, et si j’ynbsp;a vais été trois autres demi-années, j'aurais miné toutenbsp;rirlande. N’eüt été la noblesse et la sagesse, la pmreténbsp;et rhonnêteté de la foule des évêques et des confesseursnbsp;de la familie monacale du grand Cork de Munster, d’oünbsp;tu es venu contre moi; n’eüt été l’honnéteté de la voix,nbsp;de la parole, du visage et de 1’üme du roi noble etnbsp;respectable que tu es venu sauver: n’eüt été ta noblessenbsp;et ton honnêteté et ta pureté et ta sagesse et l’abon-dance de ta science et de ta poétique, c’est dans tanbsp;propre gorge que je serais allé, en sorte qu’on t’auraitnbsp;déchiré ü coups de verges, d’étrivières et de fouets parnbsp;toute rirlandi et que la maladie qui t'aurait tué auraitnbsp;été la faim.

— nbsp;nbsp;nbsp;Que Ie signe de la croix du Seigneur aille de moinbsp;contre toi! » dit Mac CongUnné, et il Ie menara trois foisnbsp;de 1’évangile. Et Ie démon dit : « N’était la petite

=====^= 205 nbsp;nbsp;nbsp;' 'nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;

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L’EPOPEE IRLANDAI3E nbsp;nbsp;nbsp;-

femms de la plaine de la Liffé (1), par Ie Jugement da Diea devant Dieu, ó Calhal fils de Fmguiné, j'emporte-rais toil corps daus la terre et ton ame en enfer avantnbsp;une neuvaine, cette nuit. » Pais il s'envola dans l’airnbsp;parmi la familie d’enfer.

(1) Sainte Brigitte.

= 206

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TABLE DES MATIÈRES

Introduction . nbsp;nbsp;nbsp;..................................

1

La découverte de l'épopée irlandaise..............

1

L'épopée et l’histoire..............................

5

La dlvilisatiou épique.............................

6

Le merveiUeux....................................

8

Le christianisme..................................

11

La classe des lettrés..............................

13

Les genres épiques...............................

17

La composition et le style.........................

20

Les influences étrangères.........................

27

Conclusion ......................................

32

Bibliographie.........................................

35

TRADUCTIONS

La Bataille de Moytura................................

37

L’Expédition de Logairé fils de Crimthann...........

53

La Navigation de Bran fils de Fébal...................

55

La Naissauce de Conor ..............................

61

L’Histoire du cochon de Mac Dathó...................

67

L’Exil des fils d'Osnech...............................

76

La Courtise de Findabaii.............................

86

La Razzia de Cualngé.................................

101

La Maladie de Cüchulaina et la grande jalousie d’Emer.

123

Le Meurcre du fils unique d’Aifé.....................

143

Le Meurtre de Cüchulaiun............................

147

Find et les Fantómes ................................

157

La Pour.-uite de Diarmaid et de Grainné..............

•gt;07

160

•gt;

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L’ÉPOPÉE IRLANDAISE nbsp;nbsp;nbsp;' —

Le petit Hotel d'Allen................................ 164

tA Chasse dn Sid des belles femmes................. 173

L’Histoire de Bailé au doux langage................ .. 184

La Mort de saint Cellach de Cillala.................. 186

La Vision de Mac Conglinné.......................... 192

20S

3499-S5- — Imprimerie Crété, Corbeil {3-26).

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