Format in-18.
Aü PAYS DES PARDONS...............1 nbsp;nbsp;nbsp;VOl.
LA CHANSON DE LA BRETAGNE...........1 nbsp;nbsp;nbsp;—
PAQUES d’ISLANDE.................1 nbsp;nbsp;nbsp;—
LE GARDIEN DU FEU................1 nbsp;nbsp;nbsp;—
LA TERRE DU PASSÉ................1 nbsp;nbsp;nbsp;—
LE SANG DE LA SIRÈNË..............1 nbsp;nbsp;nbsp;—
Droits de reproduction et de traduction réservés pour tous les pays, y compris la Suède, la Norvege et la Hollande.
1322-04 — Coulommiers. Imp. Paul BRODARD. — 1-05. nbsp;nbsp;nbsp;gt;¦
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RIJKSUNIVERSITEIT UTRECHT
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Instituut voor
Keltische taal —en letterkunde der Rijksuniversiteit te Utrecht
PARIS
GALMANN-LÉVY, ÉDITEURS 3, RUE AUBER, 3
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Keltische taal —en letterkunde der Rijksuniversiteit te Utrecht
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AVANT-PROPOS
Ce n’est pas sans quelque scrupule — je tiens a Ie confesser dès l’abord — que je me suis permisnbsp;d’intituler eet essai : Histoire du théMre celtique.nbsp;Lorsque je Tentrepris sur Ie conseil des maitresnbsp;a qui je l’ai dédié et dont deux iie sent malheu-reusement plus la pour l’accueillir, je n’avaisnbsp;dessein de trailer que du théatre Lreton, Ie seulnbsp;qui fut vraiment de ma compétence. Mais tout denbsp;suite une grave difficulté m’arrêta. En examinantnbsp;la question des origines, je m’apergus a mon vifnbsp;déplaisir que j’allais me trouver en complet désac-cord avec Ie plus illustre de mes devanciers en lanbsp;matière et dont l’autorité fait encore loi, Ie vicomtenbsp;de laYiUemarqué. N’affirmait-il pas, en effet, quenbsp;Ie théatre des Celles, qu’il s’agit des Celles de la
-ocr page 12-IV AVANT-PEOPOS.
Grande-Bretagne ou des Celtes de la Bretagne armoricaine, était chez ces peuples un patrimoinenbsp;national, un heritage ethnique, provenant d’unnbsp;passé commun? Je lui devais, je me devais a moi-même de discuter son assertion. Je fus ainsinbsp;amené par la force des choses a confronter Ienbsp;théÊLtre breton avec ses analogues des autres paysnbsp;celtiques, je veux dire du Pays de Galles et de lp.
Cornouaille anglaise.
Par les résultats que cetle étude a fournis on jugera, je pense, qu’elle n’était pas inutile. Je nenbsp;me dissimule pas, au reste, qu’elle ne constituenbsp;point, a proprement parler, une histoire du théatrenbsp;cornique ni du théè,tre gallois. Je ne pouvais pré-tendre a écrire tout au long cette histoire, pournbsp;plusieurs raisons qui apparaitront d’elles-mèmesnbsp;au cours de mon travail et pour une autre raisonnbsp;encore, la plus valable, si Ton veut, qui est manbsp;connaissance imparfaite du gallois et du corni([uc.nbsp;Mais si, dans ces deux domaines, j’ai du laissernbsp;une partie importante de la besogne de construction a terminer, du raoins ai-je conscience d’avoirnbsp;nettoyé Ie terrain de toutes les fausses batissesnbsp;dont on Tavait complaisamment encombré. Quantnbsp;au théatre breton, buit années d’intimité quoti-dienne avec Thomme a qui l’on doit d’en avoir
-ocr page 13-AVANT-PROPOS. nbsp;nbsp;nbsp;V
conservé la portion la plus consiclérable, six années dun commerce assidu avec les textes eux-mêmes dont j’ai compulsé, déchiffré, analysé d’unnbsp;bout a l’autre plus de quatre-vingts spécimensnbsp;manuscrits, souvent illisibles, trois étés consécu-tifs employés a recueillir dans les campagnesnbsp;armoricaines les souvenirs que la mémoire dunbsp;peuple avait pu garder des représentations d’au-trefois, quatre ou cinq semaines enfin vécuesnbsp;auprès de mon ami Cloarec dans la familiariténbsp;suggestive des acteurs de Ploujean, derniers dépo-sitaires de la tradition de leurs ainés, voila, jenbsp;crois, des garanties qui attestent suffisammentnbsp;que je n’ai rien négligé pour donner de ce vieuxnbsp;théatre une image aussi conforme que possible anbsp;la réalité.
Que si j’ai dü parfois me bomer a des a peu pres en ce qui concerne la comparaison des mystèresnbsp;bretons et des mystères frangais, il y aurait, cenbsp;me semble, quelqueinjustice a m’enfairereproche.nbsp;Une telle comparaison, pour être compléte, eütnbsp;exigé la connaissance approfondie non seulementnbsp;de toutes les oeuvres dramatiques léguées par Ienbsp;moyen age, mais encore des variantes multiplesnbsp;qu’elles ont nécessairement reQues souvent denbsp;ville en ville, en tout cas de province en province.
-ocr page 14-VI AVANT-PROPOS .
Quand l’histoire des théatres provinciaux sera défi-nitivement écrite, des érudits viendront qui, mieux renseignés qu’il ne m’appartenait de l’être, referent en souriant de mes ignorances Ie travail quenbsp;je n’ai pu qu’ébaucher. Je m’en remets a eux dunbsp;sein de relever mes erreurs et de combler mesnbsp;lacunes, tranquille du moins en ceci qu’ils n’au-ront pas a m’accuser d’avoir embarrassé leurnbsp;cbemin d’aucunc altération manifeste de la vérité.
Je ne saurais abandonner ce livre a ses destins sans avoir exprimé ma gratitude aux personnesnbsp;qui m’ontobligeammentfacilité matache. J’adressenbsp;ici mes remerciments a M. H. Omont, membre denbsp;rinstitut, conservateur du département des manu-scrits a la Bibliothèque Nationale; aM. Parfouru,nbsp;archiviste du département d’Ille-et-Vilaine; anbsp;M. Teulié, bibliothécaire de PUniVersilé denbsp;Rennes; a M. Le Hir, conservateur de la Biblio-tbèque municipale de la ville de Rennes; a M. Ker-néis, conservateur de la Bibliothèque du port denbsp;Brest, et a M. Prosper Héraon, conseiller denbsp;préfecture des Cótes-du-Nord. M. Antoine Thomas, professeur de littérature frangaise du moyennbsp;age et de philologie romane a la Faculté desnbsp;Lettres de Paris, qui a bien voulu examiner monnbsp;travail, ne me tiendra pas rigueur, j’espère, de
-ocr page 15-AVANT-PROPOS.
révéler que je dois a son aide délicate plus d’un renseignement précieux. D’autre part, novicenbsp;encore dans l’étude du gallois et du cornique, jenbsp;ne me serais pas aventuré sans crainte dans lesnbsp;textes écrits en Tune on l’autre de ces langues, sinbsp;je n’avais en l’heur d’appartenir a une Faculténbsp;qui s’honore de posséder a sa tête un celtistenbsp;éminent, aussi versé dans l’histoire que dans lanbsp;littérature des peoples celliques : j’ai nomménbsp;M. J. Loth Et Ie Doyen de la Faculté des Lettresnbsp;de rUniversité de Bretagne ne s’étonnera pas,nbsp;j’en suis sur, que je rapproche de son nom celuinbsp;de M. F. Vallée. Modeste autant qu’érudit, conscience de savant et cceur d’apótre, M. Vallée a,nbsp;si j’ose dire, fait vmu de bretonisme dans sa celluie d’anachorète briochin oü, comme un autrenbsp;Luzel, il recueille pieusement toutes les épavesnbsp;du passé de sa race. Les nombreuses référencesnbsp;qui, dans eet ouvrage, ont trait aux manuscritsnbsp;de sa collection diront assez les obligations que jenbsp;lui ai®. Quant a vous, mon cher collègue et ami
)• Je dois en outre a M. Loth communication des manuscrits de la collection de La Borderie.
2. M. Vallée, avec sa modestie habituelle, tient a ce que je reporte une partie de mes remerclments a la Société pour lanbsp;preservation du breton, grace aux efforts de laquelle il a punbsp;rassembler la plupart de ces documents.
-ocr page 16-VIII AVANT-I'HOPOS.
Dottin, c’est de propos délibéré que j’ai épuisé toutes les formules de remerciment avant d’arri-ver a vous, paree qu’il n’y en a aucune qui puissenbsp;rendre a mon gré tout ce que je vous dois. Jenbsp;vous dois mieux que les conseils de votre sciencenbsp;a la fois si agile et si ferme : Ie long d’une routenbsp;semée d’embüches oii mon idéalisme de Celtenbsp;impénitent n’avait que trop de penchant a senbsp;laisser prendre, vous m’avez plus d’une foisnbsp;défendu contre elles en me mettant en gardenbsp;contre moi-même; vous m’avez été un appuinbsp;moral ; c’est en grande partie grdce a vous quenbsp;j’ai brave les défaillances et, ce qui est plusnbsp;difficile, les désillusions.
-ocr page 17-LE
CHAPIÏRE l'REMIER
LE DIÏAME DANS L’Él'OPÉE CELTIQUE
La poésie des races celliques : son caractére piirement lyriipie, d’aprës llenan. — Part considéralde de i’élémcnt dramatiqiienbsp;dans colte poésie. — L’épopée iriandaise : lo Coclion de Mac-Üalho. — L’épopéo galloise ; Ie Mabinogi de Kul/iwch et Olwen.nbsp;— Les gwerzioii armoricaines : Janet ar ludck; lanniknbsp;Coquart et la Lépreuse de M. Henry Bataille. — Conclusion.
Dans sa magistrale étude sur la Poé.sie des races ccUiqiies, — la seule esquisse d’eiisemble qui altnbsp;encore été teiitée jusqu’a présent de la littérature denbsp;CCS poiiplcs, — Renan, après avoir passé en revue lesnbsp;divers genres oü les Celles se sont exercés, conclutennbsp;ces termos : « Peu de races onteu uneenfance poctiquenbsp;eussi compléte que les races celtiques : mythologie,nbsp;lyrisme, épopee, imagination romanesque, enthousiasme religieux, rien ne leur a manqué*. »
Piion ne leur a manqué? Mais ne somhle-t-il pas, et
1. liss
ssais de morale et de critique, p, 455.
-ocr page 18-2 nbsp;nbsp;nbsp;LE ïnEAÏlll' CELTIQUE.
sur la foi de cottc enumeration memo, qii’il leur n manqué une cliose capitalc, mie chose csscntiellc, Icnbsp;theatre? Cost aussi bien ce qui ressort de tout l’ar-ticle. Ou plutüt, ce qui parait étahli jusqu’a I’evideiiccnbsp;par eet article, cc n’est pas seulcment que Ie tliéatrc anbsp;raanqué aux Celtes, c’est encore, c'cst surtout qu’il ncnbsp;pouvait pas ne pas leur manquer. Quel est, en ciïet,nbsp;Ie portrait quo Henan nous trace de fame celtique?nbsp;C’est unc ame solitaire, retranchec du monde, sansnbsp;besoin ni désir dc communication avee Ic dehors,nbsp;condamuéo dès lors a s'alimenter dc sa sonic substance : « Ellc a tout tire d’clle-mêmc ct n’a vecu quonbsp;dc son propre fonds ‘ ». De la son originalitc, sansnbsp;douto, mais aussi sa faiblcssc : un individualismenbsp;ardent, forme, sinon hostile, a tout ce qui depasse lenbsp;cercle de la familie, du clan, do la tribu; I'incapacitenbsp;de sortir de soi, de so mêler a la vie sociale, denbsp;s’accommodcr au temps, dc sc plicr aux evolutionsnbsp;nécessaires, conditions dc toutc existence et de toutnbsp;progros. Pour maintenir unc intégrité illusoire, ellcnbsp;s’est usee a hitler conlrc rineluctablc, dans unenbsp;opposition sterile, sans espoir ct sans issue. yVinsinbsp;s’explique la tristessc dont ses chants sont empreints,nbsp;— tristesse, non point revoltce ni farouche, maisnbsp;plaintive et rcsignec, comme il convient a dcs naturesnbsp;douces, passives, « essenliellomcnt feminines - ».nbsp;Unc sensibilité loute on profondcur, une imaginationnbsp;exaltec jusqu’au vertigo, voilii ses dons. Cc sont lesnbsp;dons d’unc race élégiaque, d’unc race lyrique. « Dans
1. nbsp;nbsp;nbsp;Essals de morale et de critique, p. -380.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Id., p. 383.
-ocr page 19-LE DRAME DANS L’ÉPOPÉE CELTIQüE. 3
lo grand concert de l’espèc'e humaine, dit Renan, anemie familie n’égala cellc-ci pour les sous penetrantsnbsp;Rui vont au coeur »
Mais, n’est-ce pas nous avertir par la même que lo génie dramatiquo lui est totalemcnt ótranger? Et, sinbsp;1'art du theatre est, de tons les arts littéraires, Ie plusnbsp;objectif, Ie plus impersonnel, si la première vertunbsp;qu’il exigo du poLdc, c’est la faculté de rcaliser en soi,nbsp;Puis de projeter au deliors, en autant de creationsnbsp;distinctes, les (c dix mille ames » dont parlo Coleridgenbsp;a propos de Shakespeare’-, n’cst-il pas évident «priorinbsp;qu’uu tel art n’a pu qu’êtrc ignore d’mie race toutcnbsp;subjective, d’uuc race qui n’a jamais su, de runivers,nbsp;que sa propre amc et qui s’est cuivréc de scs songesnbsp;au point de les teiiir pour la suprème, pour runlquenbsp;réalité? La conclusion, en effet, s’impose. Mais ilnbsp;reste a verifier dans ([ucllo mesure cette race est biennbsp;tellc qu’on nous la dépeint.
Non pas, certes, que radmivablc étude de Renan no soit A'raic, d’uiic verité génerale. Nul n’était micu.xnbsp;qualifié que lui pour saisir ct üxer jnsqu’cn Icurs plusnbsp;dolicates nuances les caractcrcs d’un groupe cthniquenbsp;dont il dcmcurcra probablcment Ic type Ic plusnbsp;iichevéet, comme on dit, Ie plus reprósentatif. Mais,nbsp;précisément paree qu'il fut uno expression si compléte de sa race, — c’est a-dirc do la plus individaa-listc des races, — il n’a pas été saus péchorplus d’nnenbsp;lois par exces d'individualisme. Voloutiers il se mirenbsp;lui-même dans riiistoire; volontiers il prêteauxiigures
1. Essaii' de morale el de crilüjite, ji. 377.
Cf. ïliographia litleraria,yo\. II, cli. 2.
-ocr page 20-4 nbsp;nbsp;nbsp;LE THEATRE CELTIQUE.
qu'il aiiime les traits de sa riche persoiinalité. Ou je me trompe fort, ou il a pareillemeiit défini Fame cel-tique d’après un modèle tout interieur et tout personnel. Voyez les mots qui reviennent saus ccssenbsp;sous sa plume : voluptés solitaires de la conscience,nbsp;charmante pudeur, grace de l'imagination, délicatesse de sentiment, ideal de douceur et de beauténbsp;posé comme hut suprème de la vie, tout, jusqu’a cettenbsp;fémiuité qui lui parait ((esscntielle » ‘ a la race, tont,nbsp;dis-je, contribue a nous donner des Celles une pein-turc renaniséc.
.Joignez que 1’article sur \a.Poésie des races celliques ])orte nécessairemeut sa date. A Fépoque oü Renannbsp;Ie composa ^ les monuments de cette poésie étaieutnbsp;encore mal connus. Ceux mêmc que 1'on connaissaitnbsp;n’eu présenlaiont qu’uno imago souvent mensongère,nbsp;presque toujours inexacte. Des deux principauxnbsp;rocueils de textes dont Rcnaii put consulter la traduction, 1’un, celui des Mabinogion, avait dépouillé,nbsp;en passant par 1'anglais de lady Guest la saveurnbsp;robuste cl parfois un pon violente de son bouquetnbsp;original. Quant a Fautre, Ie Barzaz-Breiz bien quenbsp;son autlsenticitó n’eüt pas encore été sérieusement
1. nbsp;nbsp;nbsp;Essais de morale et de crilujue, p. 380.
2. nbsp;nbsp;nbsp;L’arliclc sur la Poésie des races ceUuiues parui dans Icnbsp;n” de la Revue des Deux Mondes du lquot;' janvier 1834.
3. nbsp;nbsp;nbsp;Tlte Mahinogion, with an English translation and notesnbsp;hy lady Cli. Guest; London, 1849, 3 vol. gr. iii-Squot;.
4. nbsp;nbsp;nbsp;Barzas-Breiz. Chants populaires de la llretagne rccueillisnbsp;et publiés avec une traduction francaise, des éclaircisseinents,nbsp;dos notes et les melodies originates, par Th. de la Villeniar(jué;nbsp;Paris, Gharpentier, 1839, 2 vol. in-S’ de vi-i,xxvin-27ö et 387 p.nbsp;avec 12 p. do musi(]ue.
-ocr page 21-LU DRAME DANS l’ÉI’OI’ÉE CELTIQUE. 5
contestée, sa valeur documentaire n’avait pas laissé d’inspirer des doutos a Renan lui niêmc, eomme ennbsp;témoigne certainc note ' oii l’on voit qu’il (laira lanbsp;supercherie lougtemps avant que Luzel ne l’eütouver-toment dénoncéo.
Si Tarticle sur la Poésie des races ccltiques avait óté rédigé quelque quarante ans plus tard, il est a croirenbsp;qu’il nous eüt donné do 1’ (( onfance )) des Celtos unnbsp;tableau tout différent. En l’cspace do cos quarantenbsp;annéos, 1’étudedes littératures ccltiques s’est, on peutnbsp;Ie dire, renouveléc de fond en comble. Les travauxnbsp;des Gaidoz, des D’Arbois de Jubainville, des Lotb,nbsp;des Ernault, des Dottin, pour ne parler que de lanbsp;France, ont jeté sur la physionomie de ces peuplesnbsp;line lumière qui en accuse slngulièremont Ic relief.nbsp;Au lieu d’une race douce, timide, isoléo dans son rêvonbsp;et dédaigneuse de l’effort, voici snrgir, au contraire,nbsp;des natures vébémentcs, passionnécs, presque bru-tales, avides d’aclion, ivres de mouvement et denbsp;bruit.
Parcourons les longues listes d’épopées que nous ont conservécs les manuscrits irlandais du xa' siècle Lnbsp;Ea seule inspection des titres a déja son eloquence.nbsp;Cc ne sont que /'cis, « fêtes », Longes, « navigations », Cal/i, (( combats », Orgain, « massacres »,nbsp;'J^ogail^ (( prises do forteresses », Tain, a razzias donbsp;bestiaux », Ailhed, « enlevements de femmes ». Quenbsp;si Ton pénètre dans los recits, on cst transporto dcs
1. nbsp;nbsp;nbsp;Essais de morale et de critU/ue, ]). i2ü, note 2.
2. nbsp;nbsp;nbsp;On Irouvera rénuméralioii de ccs listes dniis la lievue denbsp;^ijiithèse historique, t. Ill, p. 07, note 1.
-ocr page 22-6 nbsp;nbsp;nbsp;LE THEATRE CELTIQUE.
l’abord en pleinc barbaric, unc barbaric fastucuse ct superbe. La sociéló npparait uniquement fonclée surnbsp;la guerre. On sc bat a tout propos et hors de propos;nbsp;on SC bat cnlre cliefs de peuples, on se bat entre parli-culicrs; ct, lorsque Ton a fijii dc se battre, en cenbsp;monde-ci, c’est pour rccommenccr dans Tautre. Unnbsp;liymncirlandaiscélèbre en ces termos Labraid, roi desnbsp;Morts :
Salut, I.abraicl, rapide manieur d’épée!
Le plus bravo des guerriers, plus fier que les mors!... ... II recherche les carnages, il y est trés beau!...
O toi qui attaques les guerriers, salut, Labraid M
Les honneurs se mesurent a la bravoure : le gncr-rier le plus vaillant est roi, ct, parmi les artisans, l’artisan suprème est Touvrier du fer, le forgeurnbsp;d’armes. Sur le mêmc rang que les heros figurent lesnbsp;druides ct les filé, les premiers, paree que Icurs incantations magiques sont toutes-puissantes contre l'cn-nemi, les seconds, paree quo leurs chants exaltent lesnbsp;courages et contèrent Fimmortalite. La fonction dunbsp;poèto même est une fonction belliqueuse.
D’autro part, la guerre faisant une large consom-rnation d’hommes, le souci do chaque familie est d’en-gendrer le plus possible d’enfants males. Toute la legislation irlandaiso dn mariagc est dominee parnbsp;cette preoccupation. Et c’est ainsi qu’ii cóté dc Lunionnbsp;durable, il y a l’union tcmporaii’c, Lunion annuollc.nbsp;On prend une compagne pour un an, puis on la cede
1. II. d’Arbois de Juhninville, I.'Épopée ccUique en Mande,
p. 185.
é
-ocr page 23-LE DRAME DANS L EPOPEE CELÏIQUE. 7
a qui la vent achcter. Car la femme s acliètc : son tarif, fixé par los lois, cquivaut on moyenne an prixnbsp;(Ie trois bêtes a comes C Vainement clicrcherait-onnbsp;clans ces nules cpopées ce cultc ideal de la femme, sinbsp;próné par Renan, encore moins cetle délicatesse et conbsp;mystèro quo les Celtcs ont, a l’entcndre, portos dansnbsp;les choses de I’amour. C’cst en regardant de sa fenêtrc-,nbsp;on jour d’hiver, ócorclier dans la neige un vcau dontnbsp;nn corbeau vient boire Ie sang, qne tressaille et s’émeutnbsp;pour la première fois leeoeur de la belle Derdriu : (( Lenbsp;soul liomme que j'aimcrai, s’écrie-t-cllc, aura ces troisnbsp;coulcurs : les cliev^ux noirs comme le corbeau, lesnbsp;joues rouges comme le sang, le corps blanc commenbsp;la neige -». Survient juste a point un des fils d’Usnech,nbsp;Noïsé le chanteur, qui réunit précisément les troisnbsp;qnalités voulues. Derdriu aussitót de s’ccliapper versnbsp;lui et do le frcjler.
P’ahord, il no sut cjui olie était.
— nbsp;nbsp;nbsp;Elle est belle, dit-il, la génisseejui passe prés denous.
— nbsp;nbsp;nbsp;11 faut bien, répondit-elle, que les génisses, quandnbsp;elles sont grandes, aillent oü sont les taureaux.
— nbsp;nbsp;nbsp;Tu as pres de toi, reprit Noïsé, le taureau de la province, le roi d’Ulster,
— nbsp;nbsp;nbsp;Je veux, déclara Derdriu, faire mon choix eiitre vousnbsp;deux, et ce que je pretends avoir, e’est un jeune taureaunbsp;comme toi.
Ce sont, on le voit, des propos hardis, et d’une’ galanterie dénuóo de tont raffinement. Noïsé, aiopre-
1. nbsp;nbsp;nbsp;H. d’Arbois de Jubiunville, L'Ëpopée celtique en Irlande,
p. XXVII-XXVIH.
2. nbsp;nbsp;nbsp;ld., ibid., p. 22ü. — Cf, J. Lotli, J.es Mabinogion, t. II,nbsp;p. 70-71.
-ocr page 24-8 nbsp;nbsp;nbsp;LE TUÉAÏRE CEETIQUE.
nant qui est la jeune fillc et se rai^pelant qu’une pro-phétie tragique est sur elle, commence par la repousser. Furieuse, Derdriu lui saute au visage et, I'empoignantnbsp;par les oreilles : « A ces deux oreilles, s’ócric-t-elle,nbsp;s’attacheront Ie ridicule et la bonte, si tu ue m’cm-mènes avec toi'! » Get argument triomplie de la resistance de Noïsé, et il sc laisse entrainer a un amournbsp;qu’il sait devoir lui être fatal.
Telles sont ces natures impétueuses et toutes primitives. Nous sommes loin de (( 1’extrèmc douceui; de moeurs » qua Renan a cru respirer « dans les compositions idéales des races ccltiques ^ ». Car ce qui vientnbsp;d’etre dit de Fancienne civilisation irlandaiso s’ap-pliquo aussi bien a l’anciennc civilisation bretonne.nbsp;Partout éclatc, chez ces peuples, la tièvre, la fureurnbsp;d’agir. Leur littérature est a leur image. Savante,nbsp;compliquée même, assujettie a des regies souventnbsp;puöriles, elle n’en est pas moins uno littérature d’ac-tion, toute gonflée de sève liéroïque et irrésistiblementnbsp;orientée vers Ie drame. Lc caractère et Ie tour émi-nemment dramatiques de la poósie des Celtes, qu’onnbsp;la prenne d’allleurs en Armorique, en Galles oii ennbsp;Irlande, voila, me semble-t-il, ce que Renan n’a pasnbsp;assez vu et ce que je ne puis me dispenser de fairenbsp;ressortir.
. (( Les qualités de l'épopóe irlandaise, dit M. Bottin, sont surtout lo mouvement, Ie relief et la vie®. » Ellenbsp;n’cst pas dramatique sculement en son fond, par les
'1. lI. d’Arboisdo Jubaiiiville, L'Épopee ceüiqueen Irlande, p. 220,
2. nbsp;nbsp;nbsp;Essais de morale et de critique, p. 39.3.
3. nbsp;nbsp;nbsp;Revue de Synt/iése historiqiie, X. III, p, öö.
-ocr page 25-LE DKAME DAKS l’ÉPOI'ÉE CELTIQUE. 9
conflits farouclies de sentiments et les violentos oppositions de caractèrcs oü elle se complait : elle Test encore dans la forme, en dépit do co nom d’épopéenbsp;qn’on Ini attribue, faute, je pense, d’nne appellationnbsp;plus exacte. Le récit proprement dit n’occupe, ennbsp;effet, dans ces compositions, mélangécs de prose etnbsp;do vers, qu’une place relativement restreinto. 11 semblenbsp;n’êtro la que pour relicr cntre oux les différents épisodes de Toeuvre, permcttrc a l’imagination de lesnbsp;situer, et servir d’indications scéniques oii de glosesnbsp;explicativcs, en quelquo sorte. Le roste, qni est lenbsp;principal, comprend des dialogues en prose, avec 5anbsp;et la des parties versifiécs constituant soit de véri-tables monologues lyriques, comme nous en avonsnbsp;dans Corneille, soit des clioenrs a la manière antique,nbsp;qui seraient, toutefois, plus directement intéressés anbsp;Taction. Par le dehors comme par le dedans, ces pré-tendues ópopées sont done, en réalité, des drames,nbsp;— drames fragmontaires, incomplets, inorganisésnbsp;même, si Ton vent, mais qui, pour la plupart, n’ennbsp;témoignent pas moins chez leurs auteurs d’un sensnbsp;inné de la grandeur tragique. II n’y a, si Ton veutnbsp;s’en convaincre, qu’a parcourir les morcoaux du Cyclenbsp;d’Ulster qui ont été publiés sous la direction denbsp;d’Arbois de .Jubainville‘. Celui qui a pour litrenbsp;« L’bistoire du Cochon de Mac-Dathó » a Tavantagonbsp;d’etre court : e’est Tunique raison qui me le faitnbsp;eboisir de préférence a d'autros.
Mac-Datbü, roi du Leinster, possède, en son chien
1. L' Epopée celtigtie en Irlande, p. 3-373.
-ocr page 26-10 nbsp;nbsp;nbsp;LE THEATRE CELTIQÜE.
Ailbé, capable a lui seul de défeiidre toute la province, vin trésor que lui envient deux de ses voisins, Ailill,nbsp;roi de Connaught, et Conebobar, roi d’ülsler. Dési-renx, l’un et I’antre, d’acqnórir Fincomparable animal,nbsp;ils envoient a Mac-Datbo des messagers, porteurs desnbsp;offres les plus séduisantes. La piece s'ouvre, pournbsp;ainsi parler, au moment oii les deux ambassades scnbsp;rcncontrent sans s’être concertées dans Ie palais dunbsp;roi de Leinster. Lo lieu de la scène nous est ainsi présenté : « Le chateau de Mac-Dathó avait sept portes;nbsp;a cbacnne d’cllcs aboulissait un chernin. II y avaitnbsp;aussi sopt foyers et sept cbaudrons, un boeuf et unnbsp;coclion dans chacun d’eux; chaque passant plongeaitnbsp;une fourchette dans le chaudron ; si, du premiernbsp;coup, il atteignait un morceau, il le mangcait; s’il nenbsp;réussissait pas la première fois, il ne pouvait recom-mencer ». Introduits dans la cliambre de Mac-Dathó,nbsp;les envoyés de Connaught, puis ceux d’Ulster expo-scut l’objet de leur mission. Et voila Mac-Dathó fortnbsp;perplexe. A quelque determination qu’il s’arrête, qu’ilnbsp;refuse do céder sou chien ou qu’il s’en privé ennbsp;faveur de l’un des deux rois, il se fait au moins unnbsp;onnemi et déchaine la guerre sur son peuple. Pournbsp;gagner du temps, il ajourne sa réponsc et commandonbsp;de distraire les messagers par d’opulents festins.nbsp;Mais, lui, ses angoissos sont telles qu’il en perd lenbsp;boire, le manger, le dormir. Vainement sa femmenbsp;cssaio de pénétrer la cause de son mal: il s’obstinenbsp;dans un sombre silence.
Obéissant a la tension des times, le discours, ici, quitte le terre-a-terre de la prose pour sc hausscr au
-ocr page 27-LE DRAME DANS l’ÉPOPÉE CELTIQUE. 11
diapason lyrique, la parole fait place aii chant, et c’est dans Ie rythme de la strophe que la reine dnnbsp;Leinster exhale doulourensement ses inquiétudesnbsp;d’éponse et sa plaintc de confidente dédaignée :
L’insomnie a envahi t,a maison Jc Mac-DaÜio.
II délibère sur quelque affaire;
II ne veut parler a personne.
II se tourne et seretourne, loin de moi, conlre Ie mur, Le héros irlandais aux brillants exploits.
Sa femme prudente sc demande Pourquoi il ne peut Irouver le somineil.
Mac-Datl)ó ré torque a vee durcté ;
Ci'imthand Nia.Nair a dit ;
lt;1 Ne conhe point ton secret aux femmes.
(I Secret de femme est mal caché.
« Confie-t-on sa bourse a un esclave? »
Ces rudesses sont dans les moeurs des maris. La « prudente » épouse ne s’en émeut, ni ne s’en laisscnbsp;décourager. Elle so fait seiilement plus souple et plusnbsp;persuasive :
Que diras-tu a ta femme,
Sinon ce qui t’embarrasse? h’idée qui ne te vient pasnbsp;Peut venir a l’esprit d’un autre.
Elle a conscience de la supérioritc que lui assurent sur son maitre barbare les ressources d’unc intelligence déliée. Déja, dans ces vieilles communautös cel-tiques, la femme se rcvcle plus ingénicuse, plus subtile, plus dépourvue aussi de scrupules que le mari.
-ocr page 28-12 nbsp;nbsp;nbsp;LE TJIEATRE CELTIQL'E.
Lorsque Mac-Datlió, vaincu par les sollicitations de la sieniic, lui ouvre enfin son coour, clle a tót fait donbsp;lo tircr d'ennui.
Je vais to donner un conseil
Qiü ne te sera point funeste :
Promets-leur Ie chieii, a tous deux.
Qu’importent ceux qui tomberont a cause de lui!
Ravi de la simplicité d’unc solution a laqucllc son épaisse droitiire n’eiit peut-être jamais songé, Mac-Dathó SC lèvo, au matin, tout licuroux, et, docile a lanbsp;consultation feminine rogue, la veillc, sur I’oreillcrnbsp;conjugal, mande successivement les messagers desnbsp;deux rois, promct aux uns comme aux autres de leurnbsp;lixrer a la mome date le cliien convoite par leursnbsp;maitrcs, puis les renvoie dans leurs patries respec-tives, cgalemenl satisfaits. Et c’est comme qui diraitnbsp;la tin de rexposition qui n’ost déjii pas si malhabile-mcnt congue.
A I’actc suivant, nous sommes encore dans Ic dun do Mac-Datho, car I’linite de lieu est presque aussinbsp;rcligieusement observee que dans une tragédie clas-sique. Los gens d'Ulster et de Connaugbt s’empres-scnt par deux voies difïérentcs au rendez-vous, maisnbsp;ayant cetto fois a leur tête les princes Ailill et Con-cbobar. Pour accueillir dignement ces visiteurs d’im-portance, Mac-l)atbó, conformément ii un usagenbsp;toujours en vigueur dans les campagnes brctonnes, anbsp;fait tuer en leur bonneur son cocbon, — d’ob lenbsp;litre du recit, — un fameux cocbon, il faut croire,nbsp;puisqu’on I’engraissait du lait dó trois cents vacbes
-ocr page 29-LE DRAME DANS l’ÉPOI'ÉE CELTIQUE. 13
depuis sept ans. 11 sera d’ailleurs flanqué de qiiarante boeiifs, sur les tables du repas, saus parler de cjuan-tité d’autres victuailles. Des lits soiit dressés pournbsp;les convives, et Mac Datlió preside lui-memo au service. Les guerriers de Connaught occupent une desnbsp;moitiés de la salie, les guerriers d’Ulster l’autrenbsp;moitié. Entre eux, sur Ic monceau des viandcs accessoires, tróne Ténorme coclion.
—-Ha l’air boii, ce cocliou, dit Concliobar.
— Oui, vraiment, réponcl Ailill, — mais, ó Concliobar, comment Ie décoiipera-t-ou
Grave question, en clïot. Le soin de faire les paris ctait estimé a tres haul prix, dans le protocole do cesnbsp;temps héroïqucs. Ou se le disputait comme une gloirenbsp;ct comme un profit, le découpeur aynnt droit aunbsp;meillour morceau do la bête^, lequel ctait la queue,nbsp;lorsqu’il s’agissait d'un cochon. Ce n’cst done pasnbsp;sans une arrière-peuséc de provocation qu’Ailill apostrophe ainsi Concliobar. Et Bricriu le sait bien,nbsp;Bricriu TUlate, dit « a la languc empoisonnée », quinbsp;joue dans ces antiques épopées le róle d’un Tbersitonbsp;irlandais. Mcdiocrcmentami des coups pour lui-mêmenbsp;it n’est jamais plus content que lorsqu’il les voitnbsp;pleuvoir sur les aulres. Sournois, caustiqueetticlleux,nbsp;il excclle a faire naitre les batailles. Et l’occasion présente est vraiment trop propice pour qu’il n’attise pasnbsp;lo feu qui couve. Comment on découpera le eoebon?
1. nbsp;nbsp;nbsp;II. d’Aibois de Jubainville, L'Épopee celtigue en Irlande,nbsp;p. 71.
2. nbsp;nbsp;nbsp;ld., La civilisation des Celles et celle de Vépopée homérique,nbsp;P- 3, 3S-40.
-ocr page 30-14 nbsp;nbsp;nbsp;LE ÏUÉATRE CELTIQUE
Est-il besoin de Ie demander dans unc salie oü sont rassomblés les plus vaillants héros do Tlrlando? (( Anbsp;chacun sapartselori ses exploits », suggèrc bypocri-tement Ic venimeiix personnagc. Et ilajoote in petto :nbsp;(( Avant qne les parts soient faites, plus d’un auranbsp;jouc du poing sur Ic nez do sou voisiu. » L’avis,nbsp;du rcste, ue peut mauquer de plairo a des tempóra-mcuts excossifs, d’humeur impatieutc, toujours eunbsp;quote de borious adouuerou a rcccvoir. Déja,coramcnbsp;dans mainte uoce bretonne d’aujourd’hui, les motsnbsp;aigres s’écbaugcut d'uuc table a I’antro, los défis scnbsp;croiseut. Ouévoque les récents combats, chacun exal-tant SOS proucsscs on rabaissant celles de radvcrsairc.
— nbsp;nbsp;nbsp;Vous avez kiissö.eiilre mes mains bion dos bamfsnbsp;gras, lors de la victoire des geus de Luachra-Dedad!
— nbsp;nbsp;nbsp;ïu as bussé cliez nous un bmut' plus gras encore,nbsp;ton frère Cruacliniu, fits de Ruadlom, des collines denbsp;Conalad'!...
Nul, cepcudant, ii’ose accomplir Ic pas décisif, Lo premier, Cet, tils de Maga, a cette léméritó. 11 bouditnbsp;de sa place, so carapc debout auprès du coclion, etnbsp;braudissaut uu couteau : (( Qu’ou trouve, dit-il, parminbsp;tous les guerriers d’Irlande, lui homme pour me dis-puter riioiineur de faire les parts! » L’assemblée, quenbsp;sou audace a frappee de stupeur, ue lui répoudnbsp;d’abord que par Ic silence. Puis uue voix so hasarde,nbsp;cello de Loégairé. Et, apres Loégairó, c’est Oeiigus;nbsp;apres Oengus, Eogan; après Eogau, j\lunremur;
1. H. J’Arljois de Jubaiiivillo, VÉpopée cellujiie en Mande,
LE DHAME DANS L’ÉrOPÉE CELTIQUE. 15
après Munremnr, Mond, fils do Salcholcan; après Mend, Celtcliair; après Coltcliair, Cuscraid Ie Bègiic,nbsp;Ie propre fils de Concliobor. Tons prétendent a tournbsp;de róle revendiqiier pour soi Ic privilege réservé aunbsp;plus brave. Maïs, pour leur cloro la bouclie, Cêt n’anbsp;bu’a faire appel ii leur mémoire. 11 n’est pas un d’euxnbsp;OU do Icurs pèrcs qu’il n’ait torrasse dans quelquenbsp;combat. La scène est de grande allure, Ie dialogue,nbsp;d’une belle verve jaillissante et prcssée. Un a un, losnbsp;Ulates, contraints de confessor tacitement leur bon te,nbsp;courbent la lête et se rassoient. « Cêt a luiniilié toutenbsp;lu province d’Ulster. » Toute? Non pas. xV Tinstantnbsp;Ic plus solcnncl, alors quo Tangoissc des vaincus estnbsp;u son cornble et quo déja Ie vainqueur fait Ic geste donbsp;planter son couleau dans la ebair fumante, voicinbsp;paraitre subitement lo convive inattendu, Flióte sansnbsp;qui Ton avail compté, — Conall, surnomrnéleTriom-phatcur. L’espérance rentre au coour des Ulates : denbsp;joie, Conebobar agite en Pair sa couronno. Et Conallnbsp;s’informe ; « Cost iv nous a faire nos parts : qui Ics anbsp;faites? )) On lui désigno Cêt, deljout au milieu dc lanbsp;®ulle. DTiiie voix assurée, il prononce la pbrasosacra-™entelle : (( Est-il juste, Cêt, que co soit toi quinbsp;decoupes Ic coebon? » Une nouvelle et puissantcnbsp;source d’émotion tragique va naitre de la rencontrenbsp;do ces deux bommes. On troiivcrait difticilemcnt aunbsp;tiiéatro nn (( duel )) plus saisissaiit. Si brèvc (jue soitnbsp;la scène, les phases en sont nottement gradnées,nbsp;jusqu’a Tcflet final. Qu’on se représente done Ics deuxnbsp;ffuerriers face a face, sépares seulement par le gigannbsp;fesqnc pore roti, cause du litige, dont la fuinée odo-
-ocr page 32-16 nbsp;nbsp;nbsp;LE THEATRE CELTIQUE.
Salut, Conall,
Cffiur de roclie!
Sauvage ardeur, feu guerrier! ïu as réclat du crislal,
Ton sang bout de colère,
Gccur de lion!
Couvert de blessures, toujours vlctorieux, Le Ills-de Findchóem s’est dressé devantmoi.
Salut, Cêt!
Cêt, fils de Maga,
Noble héros!
Copur de cristal!
Beau comiue un cygne! Vaülant guerrier, trés vaillant,nbsp;Océan courroucé,
Beau taureau on furcur,
Ou célébrera notre lutte corps a coi-ps,
On célébrera notre combat.
II en sera parlé en Fer-Brot,
On en racontera ITiistoire en Fer-Maiiacli.
Bes héros vont voir le lion du lurieux combat.
Les cadavres sur les cadavres, dans le chateau, celte nuit.
— nbsp;nbsp;nbsp;Lève-toi done et cède-moi la place, dit Conall.
— nbsp;nbsp;nbsp;Qui te donne ce droit? répondit Cêt.
— nbsp;nbsp;nbsp;Tu as le droit, dit Conall, de ne pas me céder sansnbsp;combat. Cêt, j’accepto dclulter avec loi, J’en jure le ser-
-ocr page 33-LE DRAME DAKS l’ÉPOI'ÉE CELTIQUE. 17
ment quc jure mon peuplu : depuis Ie premici-jour que j’ai tenu un Javelot dans la main, il ne m’cst pas souventnbsp;arrivé de dormir sans avoir, pour reposer ma tête, lanbsp;tète d’iin hommc de Connaught. II ne s’est point passénbsp;un seul jour, une seulc nuit, que je n’aie tué quelquenbsp;ennemi.
— nbsp;nbsp;nbsp;C’est vrai, dit Cêt, tu es un meilleur guerrier quenbsp;moi. Mais si Anlüan étaitdans co chüteau, lui, du moins,nbsp;pourrait lutter centre toi. Qucl malheur qu’il ne soit pasnbsp;ici!
— nbsp;nbsp;nbsp;II y est, dit Conall h..
Oüclouc? On n’a pas en Ie temps de sc po.ser la question quo, joignant Ic geste a la parole, Ie terrible Triomphateur oxhibe a son poing line tête frai-clicmcnt conpée qii’il portalt snspcndne par les chc-voux a saceinture. Et, la faisant tourner comme unenbsp;fronde, iirenvoic trapper en pleinc poitrine Ie champion de Connaught dont la houcho ne sc rouvrc plusnbsp;quo pour vomir des (lots de sang. La tête est cellonbsp;d’Anlüan, quc l’Ulatc s otait arrêtêa cueillireu route :nbsp;d’oCi sou retard au reiidez-vous.
Voila, cc me semble, un coup de theatre que notro dramc romantique eüt pu envier au vieux poètc irlan-tlais. Cclui-ci s’cst manifestement applique li en tirernbsp;lont Ie parti possible, et Ton ne volt pas qu’il y alt sinbsp;mal réussi. On dirait qu’un secret instinct d’art l’a denbsp;même averti qu’après cetto fin dc scène, d’une barbaric si grandiose, les suites dc l’aventure, en sc pro-longeant, couraient Ie risque dc n’offrir plus qu’un
1- 11. d’Arbois de Jubainville, L'Épopée cellique en Mande, P. 70-77.
-ocr page 34-18 nbsp;nbsp;nbsp;LE THEATRE CELTIQUE.
médiocre intérêt. II les conté avec iino liate visible, et comme par pure déférencc envers la convention qninbsp;-(•0111 qn’a touto histoire il y ait un denouement. Nousnbsp;apprenons ainsi coup sur coup comment Conallnbsp;demeuró maitre de faire les parts, ne manqua pas denbsp;s’adjugcr la queue du cochon, et qu’il la dévora toutnbsp;enticre, encore qu’il fallüt neuf hommes pour la soulever; comment iJ en rósulla un massacre gónéralnbsp;entre gens d’Ulster et de Connaught; comment Mac-Dathó laclia son chien au milieu des combattants,nbsp;« pour voir de quel cóté il irait »; comment enfin eetnbsp;animal, « fort intelligent », se rangea du parti desnbsp;vainquours et fit des vaincus une ample patée.
On serait assurément mal venu a chercher, dans cetto muvre d’un génie inégal, une composition trésnbsp;serréc. L’art, toutefois, n’cn est point absent, et desnbsp;beautés y éclatent, qui ne sont pas niables, et quinbsp;sont bien, si je ne me trompe, des beautés d’ordrenbsp;dramatique. J’ai dit a quelle considération j’avaisnbsp;obéi, en choisissaiit, pour ma demonstration, 1’ « Histoire du cochon de Mac-Datlió ». Elle n’est qu’unnbsp;excmple au hasard entre vingt autres. Qu’on premienbsp;toute l’épopée irlandaise : Ie sentiment tragique ynbsp;transpire a ebaque page. M. d’Arbois de Jubainvillenbsp;n’a rien avancé de paradoxal, quand il a dit de cesnbsp;poemes, déclamés, chantés ctpcut-être mimés par lesnbsp;filé dans les dun des rois, aux veillées d’hiver, ounbsp;devant los multitudes, en plein air, aux grandesnbsp;assemblées périodiques de mai, d’aoüt etdenovembre,nbsp;qu’ils ont été pour l’Irlande d’autrefois ce que sont
-ocr page 35-LE DKAME DANS L EPOPEE CELTIQUE. 19
aujourd'hui pour nous lo theatre et raême Ie café-concert h
Ce qiii est vrni do lepopée irlandaise ne Tost pas moins de 1'épopée galloise. Thomas Stephens, dansnbsp;sa Lileralure of ihe Kymry, observe avec raison quenbsp;nies Mabinogion sont pleins de dialogues^ » oü Tonnbsp;peut voir comme autant d’emhryons scéniques. II nenbsp;serait même pas excessif de dire que, dans la plupartnbsp;de ces récits, c’est Félément dramatique qui joue Ienbsp;róle prépondérant. Conlentons-nous d’en donner icinbsp;pour preuve Ie poème de Kulhivch et Oliven, précisé-ment cite par Renan h
La bclle-mèro de Kulhwch, hls de Kilydd, a résolu de se venger sur lui d’avoir óté épousée de force, ennbsp;secondes noces, par son père. Ellc lui fait done cettenbsp;prediction ; « Ton liane ne sc choquera jamais a celuinbsp;d'nne femme, que tu n’aies eu Ohven, la lillc d’Yspad-daden Ponkawr )). Et, a Tins taut même, il se sentnbsp;pénétré jusqu’aux moclles de Tamour de cette jeunenbsp;fille inconnue. 11 n’aura de repos, dorénavant, qu’ilnbsp;ne l’ait trouvée et qu’ello ne soit devenue sieinm. Surnbsp;Ie conseil de Kilydd, sa première démarche est pournbsp;aller demander Ie secours tout puissant d'Arlhur. Lcnbsp;voila parti, sur un coursier a la tète gris pommclée,nbsp;« au sabot brillant comme un coquillage )). A sanbsp;handle pend une épée « couleur de l’éclair du del ».nbsp;Son maiiteau est de pourpre : sur ses chausses et ses
1. nbsp;nbsp;nbsp;La civilisation des Celles el celle de l’épopée homériijue,nbsp;p. 134.
2. nbsp;nbsp;nbsp;The lileralure of Ihe Kytnry, p. 71.
3. nbsp;nbsp;nbsp;Ëssais de morale el de critique, p. 397.
-ocr page 36-20 nbsp;nbsp;nbsp;LE TUÉATUE CELTIOEE.
étricrs, « il y a do l’or pour la valeiir dc trois cents vachcs )). II arrive, prompt commc Ie vent, jnsqu’aunbsp;seuil du palais d’Arthur. Mais, lii, il est conlraint denbsp;parlemcnter avec l'liomme d’armes de garde a Tentrée :
— nbsp;nbsp;nbsp;Ouvre la porie.
— nbsp;nbsp;nbsp;Je ue Fouvrirai pas.
— nbsp;nbsp;nbsp;Pourquoi?
— nbsp;nbsp;nbsp;Le couteau est dans la viande, la Loisson dans lanbsp;corne. On s’ébat dans la salie d’Artlmr. On ne laissenbsp;entrer que le fils de roi d’nn royaume reconnu on Fartiste -qui apporle son art... Toi, on Fofl'rira des viandes ciiitesnbsp;et poivrées... la oü mangent les gens des pays lointains...nbsp;On t’olïrira une femme pour couciier avec elle, et lesnbsp;plaisirs de la miisique. Domain, dans la matinéc, quandnbsp;le portail s’ouvrira dovant Ia compagnie qui est venuenbsp;ici aujourd’hui, c’est toi qui passeras le premier et tunbsp;pourras clioisir la place dans la cour d’Arlhur...
— nbsp;nbsp;nbsp;Je n’en ferai rien... Si tu ouvres la porie, c’est bien;nbsp;si tu ne Fouvres pas, je répandrai bonte a ton maitre, anbsp;toi déconsidération, et je pousserai trois cris tcis, a cettenbsp;porte, qu’il n’y en aura jamais eu de plus mortels depuisnbsp;Pengwaed, en i^ornyw... jusqu’a Esgcir Oervel en Iwerd-don. Tout ce qu’il y aura de femmes enceintes en cettenbsp;lie avortcra ; los autres seront accablóes d’un tel malaisenbsp;que leur sein se retournera et qu’elles ne concevróntnbsp;jamais plus ‘!
Trouble devant une contcnance si hautaine, Ic portier de service va conter l’affairc au roi. 11 fautnbsp;qu’olle soit grave, pour juslifier un tel manquementnbsp;au ceremonial do la cour. Aussi n’cst-ce pas sans unnbsp;vif mouvement dc surprise qu’Arthur s’informc de cc
1. Les Mabinogion, IradiiUs en enlier pour la premiere fois en francais, avec un commentairo explicatif et des notes criticpies,nbsp;par J. Loth, t. 1, p. 19.3-100.
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LK DHAME DANS L EPOPEE CELTIQUE.
qu'il peut bieii y avoir de nouveau a la porte. L’aulrc, alors, de s’écrier, avcc ime grandiloquence doiil l'ac-cent fait penser acertaines tirades du theatre d’Hugo :
— Ixs deux üers de ma Nie soul passés, ainsi quo les deux tiers do la tieiinc. J’ai été a Kaer-Se et a Asse, anbsp;Sacli et a Salach, a Lotor et a Fotor; j’ai été a la grandenbsp;Inde et a la petite; j’étais a la bataille des deux Ynyr,nbsp;quand les douze otages furent amenés de Llyclilyn; j’ainbsp;été en Europe, en Afrique, dans les lies de la Corse, anbsp;Kaer Brytliwch, a Brytliach et aNerlliacli; j’étais la, lorsquenbsp;tu tuas la familie de Gleis, fds de Merin, lorsque tu tuasnbsp;Mil Du, fils de Ducum; j’étuis avec toi, quand tu conquisnbsp;la Crèce on Orient; j’ai été a Kaer OelU et a Anoeth; j’ainbsp;été a Kaer Nevenhyr; nous avons vu la neuf rois puis-sants, de beaux hommes. Eh hien! jo n’ai jamais vu per-sonne d’aussi noble quo celui qui est a la portc d’entrécnbsp;en ce moment!
On comprend qu’Arthur ne fassc pas languir un tcl visiteur.
— Si tu cs venu an pas, retourne cn courant! Que lous ceux qui voient la lumière, qui ouvrent les yeux et lesnbsp;ferment, soient ses esclaves!... C’est pitié de laisser sousnbsp;lapluie et le vent un Iiommecomme celui dont tu paries ‘!
Kulhucli est done introduit. L’etiquette veut quo I’oii descende dc scllc sur Ic montoir do pierre placenbsp;pros do la portc. Mais' Kulliwcli a décidément Icnbsp;mépris de touto étiquette, et e’est a cheval qu’il faitnbsp;son apparition. La scene est largemcnt traitco.
K PLII wen -.
Salul, chef suprème de cette lie! Saint, aussi hien en haut qu’en has de cette inaison, a tes Inites, a ta suite, a
1. nbsp;nbsp;nbsp;hes Mahinogion, etc., p. 190-1!)quot;.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Nous meltons ainsi ilcsormnis en vedetlc lesnornsdos inter-
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LE TllEATKE CELTIQUE.
tes capiUiiiies! Que chaciin receive ce salut aussi complet que je I’ai adressó a toi-même. Puissent la prosperity, lanbsp;gloire et ta consideration être au comble par toute cettenbsp;11e !
autiiür.
Salut aussi a toil... Assieds-toi entre deux de mes gueiTiers. On t’offrira les distractions de la musique etnbsp;tu seras traité comme un prince, futur héritier d’unnbsp;tróne, tant que tu seras ici. Quand je parlagerai mesnbsp;dons entre mes liotes et les gens de loin, c’esten ta mainnbsp;que je commencerai dans cette cour a les déposer.
KULIIWCII.
Je ne suis pas venu ici... pour gaspiller nourriture et boisson. Si j’obtiens Ie présent que je desire, je saurai Ienbsp;reconnaitre et Ie célébrer; sinon, je porterai ton déshon-neur aussi loin qu’est allée ta renommee, — aux quatrenbsp;coins du monde.
AIITIIUR.
Puisque tu ne veux pas séjourner ici, tu auras Ie présent qu’indiqueront la tête et ta langue, aussi loin que sècbe Ie vont, que mouille la pluie, que tourne Ie soleil,nbsp;qu’étreint la mer, que s’étend la lerre, — a l’excoptionnbsp;de Kalcdvwlcli, mon épée; de Rongomyant, ma lance; denbsp;Gwyneb Gwrthucher,mon bouclier; de Karnwenlian, monnbsp;couteau; el de Gwenhwyvar, ma femme. J’en prendsnbsp;Dieu a témoin, je te Ie donnerai avec plaisir. Indique cenbsp;que tu voudras.
KULliWCII.
Je veux que tu meltes en ordre ma clievelure.
ARTHUR.
Je la ferai'.
1. Les Malihiof/ion, etc., p. 109-201.
1
-ocr page 39-LE DRAME DANS L EPOPEE CELTIQUE. 23
entendre qu’on était de sa parente. Séance tonante, Arthur prend nn poigne d’or, des ciseaux anxnbsp;anneaux d’argent, otrend aKulhwch Toffleedemande.nbsp;Puis :
Je sens que mon cceur s’épanouit vis-a-vis de toi; je sens que tu es de mon sang : dis-moi qui tu es.
KULIIWCII.
Je suis Kulliwch, Ie fits de Kilydd, fds du prince Kelyddon, par Goleuddydd ma rnère, fille du princenbsp;Anllawdd.
ARTHUR.
C’est done vrai, tu es mon cousin. Indique tout ce que tu voudras et tu l’auras; tout ce (ju’indiqueront ta tête etnbsp;ta langue, sur la vérité de Dieu et les droits de tonnbsp;royaumo, je te Ie donnerai volonticrs.
KULIIWCII.
Je demande quo tu me fasses avoir Olwcn, la Olie d’Yspaddaden Penkawr, et je la réclamerai aussi a tesnbsp;guerriers.
Ces guerriers, Ic harde gallois neperd pasl’occasion dc nous les nominertous a la file, en iin vaste dénom-hrement homériiiuc qui ne tient pas moins denbsp;dix-neuf pages dans la traduction dc M. Loth. AiJresnbsp;quoi, Ic dialogue reprend.
ARTHUR.
Je n’ai jamais rien entendu au sujet de la jeune fille que tu dis, ni au sujet de ses parents. J’enverrai volon-tiers des messagers a sa recherche ; donne-moi seulementnbsp;du temps.
KULIIWCII.
Volontiers ; tu as un an a partir de ce soir, jour pour jour*.
1. Les Mahinogion, clc., pp. 202-223.
-ocr page 40-24 nbsp;nbsp;nbsp;T.E TIIÉATRE CEETIQUE-
Les messagers reviennent sans avoir rien trouvé. Kei, alors, Kei, Ie héros prestigieux, Ie compagnonnbsp;favori d’Artluir, s’olTrea sc incttrc en campagne aveenbsp;Knlhwcli, jnsqn’a cc quo celni-ci ait clécouvert lanbsp;dame de sesrêves on constalé qn’cllc n’existc point.nbsp;D’autres guerriers, pnis, en tin de compte, Arthurnbsp;lui memo se joignentaeux Cc n’est pas ici Ie lieu denbsp;les suivre dans leur merveillcusc aventure, scmhlablenbsp;atontes les histoires dew princesses lointaines » dontnbsp;s’enchanta I’inaagination du moyen age. Je m’en vou-drais cependant d’omettre la jolie scène oü Kulhwchnbsp;et sa fiancee idéale se tronvent pour la premièrenbsp;fois en présence l’un de rautre. C’cst dans la huttenbsp;du berger Custenuin, gardien des moutons du terriblenbsp;Yspaddaden Penkawr. a Pour quelle affaire ètes vousnbsp;venus? )) demande a Kei la femme du berger.
KEI.
Alin do Jemander Ohven pour ce jeune homme.
LA FE.MME.
Pour Dicu, comme personne ne vous a encore aper^-us au chateau, retournez sur vos pas.
TODS, moins Kei.
])ieu sait que nous ne nous en rolournerons pas avant (l'avoirvu la jeune iille.
KEI.
Vicnt-ellc ici do fa?on qu’on puissc la voir?
LA FEM.ME.
Elle vient ici tons les samedis pour so laver la têto. Ello laisse toutes ses bagues dans Ie vase oii elle sc lave,nbsp;et elle ne vient jamais les reprondre pas plus qu’ellenbsp;n’envoie ii leur sujet.
1. Les Mabinogion, etc., p. 223.
-ocr page 41-LE DRAME DANS L EPOPEE CELTIQUE. 25 KEI.
Vieudra-t-ollc ici, si on la mande ?
LA FEMME.
Hiou sail quo je ne veux pas ina propre mort, que je De Iromperai pas qui se Oe a moi; sculement, si vous menbsp;«lonnez votrc foi que vous nc lui ferez aucun mal, jc lanbsp;ferai venir.
TOES.
Nous la donnons*.
Et la jeune fille vient, en offet. Ellc est vêtuc d’une chemise de soie rong-e-flamme et porto aulour du counbsp;un collier d’or, également rouge, rchaussé de pierrcsnbsp;précieuses et de rubis. Scs chcvcux sont « plus blondsnbsp;que la llcur du genet », sa peau « plus blanche quonbsp;l’écume do la vague »; la forme de sa main estpareillonbsp;OU « trèHo des eaux » et sa gorge est de la nuancenbsp;delicate de collo du cygnc. Ello ontre et va s'asseoirnbsp;sur Ie banc lu’incipal, auprès de Kulhwcli qui, du plusnbsp;Join qu’il l’a vue, a devinc que c’était elle.
KULinVCIl.
Jeune fille, c’estbien tol que j’aimais! ïu viendras avec moi pour nous épargner un péclié ii toi et a moi. II y anbsp;longtemps que jo t’aime !
OLWEN .
Je nc Ic puis cn aucunc fa^on ; mon père m’a fait donner ma foi que je ne m’en irais pas sans son aveu,nbsp;car il nc doit vivre que jusqu’au moment oü je m’cn irainbsp;avec un mari. Ge qui est, est; cependant je puis te donnernbsp;uil coiiseil, si tu vcax t’y prêter. Va me demanJer a nionnbsp;père; tout ce qu’il te signülera do lui procurer, proinetsnbsp;qu’il l’aura, et tu m’auras moi-méme. Si tu Ie contraries
1- Les Mahinogion, etc., pp. 232-233.
-ocr page 42-26 LE THEATRE CELTIQUE.
en quoi qiic ce soit, tu ne m’auras jamais, et tu pourras t’estimer lieureux si tu t’échappesla vie sauve.
KOLIIWCII.
Je lui promeltrai tout et j'aurai tout
II Ie fait comme il l’a dit. Au prix de quels travavix et de qiielles óprcuves, c'estce qu’il faut voir dans lesnbsp;Mabinogion. On se convaincra par la même occasionnbsp;quo, si je n’avais du me bomer, j’aurais pu puiscr,nbsp;dans cc seulrécit, une dizaine d’aulres exemplcs aussinbsp;probants pour ma tbèsc. Parlous mieux : tont Icnbsp;récit n’ost propremcnt qn’une sorte do conté drama-tique oü lo couleur s’efface, disparait presquc, pournbsp;laisser vivre, agir, converser devant nous les person-nages. S’il est vrai que l'épopée gaéliquc remplit, ennbsp;quelque sorte, l’ofriccd’un tliéatre dans les rfiiïiirlan-dais, on peut dire qu’il en fut de même des Mabino-gion pour les cours galloiscs. Ils font penser a desnbsp;ébauches de tragédies romanesques qui scraientnbsp;demeurécs par eiulroits a l’état de scenarios.
C’est aussi, toules proportions gardces, l’impres-sion quo donnent, dans la litterature armoricaine, les courts chants épiques, d’inspiration non plus savantc,nbsp;mais populaire, désigncs sous Ie nom de giuerziou.nbsp;Déja, lors del’apparition du l}arzaz-/Jrciz,Ch.Mügmnnbsp;comparait certaines ballades de ce livre a de (( petilesnbsp;tragédies pleines do pocsie et d’entrain », a desnbsp;(( scènes vraiment touchantes et trés dramatiquementnbsp;conduiles ^ ». On pourrait, je Ie sais, objecter aujour-
). Les Mabinogion, etc., pp. 234-235.
2. Journal des Savants, aoül 1847, pp. 453, 454.
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d’luii cfue Tart de l’adaptatcur y était sans doiitc pour fiuolque chose. Sous couleur de nous présenter unnbsp;tableau complet de 1’ « histoire poétique » de la Bro-^•agne, Ie Barzaz-Breh nous donne surtout la mesurenbsp;dn tres ingénienx talent du vicomte de la Villemarquénbsp;soit a redresser les écartsde la muse armoricaine, soitnbsp;h lui prêter scs propres inventions. Mais Ch. Magninnbsp;aurait connu los chants authentiques de la race, telsnbsp;qu’ils sont réunis dans les Gwerziou Breiz-Izel, qn’il-n’oüt pas en a changer de sentiment. Tont an contraire. Leur lecture n’eut fait que Ie confirmer dansnbsp;sou opinion. Loin d’ajoutcr a la beauté dramatiqucnbsp;des ballades populaires qn’il a retouchées, l’auteur dunbsp;J^arzaz-Breiz en a Ic plus souvent afïadi Ie caractèrenbsp;et atténué l’accent. On ne sophistique pas impuné-mont la nature. Nul art, si savant soit-il, n’égaleranbsp;jamais la librc fougue de cette poésic sans apprêt. IInbsp;y a dans les Gwerziou Breiz-lzel une vie, une force,nbsp;une emotion que l’on chercherait en vain au memonbsp;degré dans Ie Barzaz-Breiz. Luzel a en raison d’écrirenbsp;que ((Ie cmur du pcuple baten ces chants spontanés' )).nbsp;Chacun d’eux raconte, on plutót met en scène sousnbsp;forme impersonnelle qnelque épisode poignant de lanbsp;cbronique paysanne. ïonjours la matièreest tragiqiienbsp;et c’est tonjonrs aussi en manière de drame qu’cllenbsp;est traitée. Le poète n’intervient pas dans son oeuvre,nbsp;sauf, parfois, au début, pour recomraanderrattcntion.nbsp;La plupart du temps, il nous jetle in medias res. Bicnnbsp;de plus rapide que l’exposition. En quatre vers nous
1. Gwerziou Breiz-Izel, Chants populaires de la Basse-Bretagne, recueillis et traduits par F.-M. Luzel, t. I, p. iii.
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sommes rcnsoigiiós sur la psychologie du porsonnage principal.
Jeanne Le Judec est demoiselle
Et ne daigne filer sa taclie
Que si le fuseau est d’argont, l.a quenouille, de corne on d’ivoire.
G’est assez ponr nous avertir qu’un coeur si fier aura des fa?ons pen communes de souffrir. Et, toutnbsp;de suite, nous voici en pleinc action.
— Petite Jeanne Le Judec, entendez-vous, Aiissi blonds que l’or sont vos clieveux;nbsp;Fussent-ils plus blonds de moitié,
Vous n’épouserez pas Pliilippe Ollivier.
II est allé a Euingamp, dopuis Jeudi,
Et c’estpour recevoir les Ordres.
Le coup est droit. Jeanne Ie supporte, en apparence, saus broncher. Pcut-être se refuse-t-ello a croire a lanbsp;trahison. Ello continue, comme si de rien ii’était,nbsp;d’ourler on silence les mouchoirs cju’elle destinait anbsp;son fiancé. Aussi bien, songc quelque bonne voisinc,nbsp;(( ponr orner le calico » du nouveau pretre, « ils serontnbsp;charmants’ ».
Al’actc suivant, même décor. Philippe Ollivier, de retour do Guingamp, sc présente au manoir des Lenbsp;Judec. Démarche pon charitable dont, s’il n’ciitnbsp;dépendu que de lui, il ent saus doutc préfóré sc dispenser. Mais il cede a vine volonté impérieuse, devantnbsp;laquelloila toujours tremble, cello do sa more. G’estnbsp;olie, c’est cette mere qui, par orgueil, aexigé vfuc sou
1. Gu'crziou Breiz-Izel, etc., p. 411; cf. p. 407.
1
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fils, au mépris du scrment jure, fut prêtre; e est clle lt;i«i, par orgueil encore, exige cpi’il fasse aux parents'nbsp;de la jeune fllle qu’il a trompee la politesse insolentenbsp;de les inviter a sa première messe. Oulre qu'il estnbsp;d'usage de convoquer Ie plus de monde possible ii cenbsp;8'cure de cérémonie, clle cstimo évidemment quo sounbsp;triomphe ue serail pas complet, s’il ii’avait Ic clan desnbsp;be Judec pour témoin. Etccla, notons-le en passant,nbsp;est d’une observation, sinon trés humaine, en tontnbsp;cas tres bretonne, comrne aussi Ie caractère faiblc,nbsp;timoré, de I’liomme, en contraste si formel avec lanbsp;sauvagc énergie de la mere ou la hautaine forcenbsp;d’ame de la fiancee. Le poe te populaire a vu combicunbsp;ses compatriotes sont des êlres iudécis et flottants,nbsp;liv rés a la domination de la femme qui est vraiment,nbsp;dans cette race, le sexe fort, le sexe qui sait vouloir.nbsp;Philippe Ollivier franchit done, la mine honteuse, lenbsp;seuil oil nagucre encore, dès queses vacancesde clcrcnbsp;le ramenaient au pays, il accourait le coeur si joyeux.
— Bonjour et joie a tous, on cette maison!
Le vieux Le Judec, oü est-il?
II a soil! de specifier quo e’est au père qu’il en a, tant il redoute de se retrouver eil presence de la fllle.nbsp;Et nous entendons le vieux Le Judec qui réplique,nbsp;courroucé :
— Que cherches-tu autour de ma maison,
Si tu ne comptes pas te marier?
— Vieux Le Judec, je vous convie
A venir a ma première messe,
A y venir (vous et les vótres) Ie plus possible...
II n’y a que votre tlllc Jeanne que j’excepto.
-ocr page 46-30 nbsp;nbsp;nbsp;LE ÏUEATRE CELTIQUE.
Mais Jeanno est aux ccoutes dans quelque coin sombre do la vaste cuisine; et, dressée brusquementnbsp;en face du parjnro, elle declare, d’un ton résolu, dontnbsp;l’ironie ne fait qu’accentuer I’amertame :
Le trouve mauvais qui voudra,
Je serai a voire première messe;
Et j’y verserai a l’offrande quatre pistoles.
Plus une douzaine de mouchoirs.
Ceux-la mèmes, nous le devinons, qu’elle croyait ourler pour ses noces. Le rappel de ce détail, a cettenbsp;place, est d’une eloquence singulièrcmentémouvante :nbsp;il nons fait, en quelque sortc, toucher du dolgt lenbsp;triste changement accompli. La-dessus finit le secondnbsp;acte du drame
Au troisième, nous sommes dans leglise de la paroissc. Tons los proches, tons les amis, toutos losnbsp;connaissances de la familie Ollivier s’y sont donnénbsp;rcndez-vous. Leur foule est si nombreusc qu’ellenbsp;roflue par l’ouverture du porclie jusque dans le cime-tière. Joanne Le Judcc arrive a son heure, pareenbsp;comme il convicnt pour une telle fète. Dès l’abord,nbsp;elle demande :
— Dites-moi, compagnie,
[.a messe nouvelle est-elle dite?
Et la (( compagnie » de répondre ;
— La messe nouvelle n’est pas commcncóe ;
l.e prêtre est impuissant a la célébrer
Tant il a de regret a la plus jolie fille de ce canton.
1. Guierziou Breiz-Izel, etc., p. 413; cf. p. 409.
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LE DliAME DANS L EPOPEE CELTIQUE.
Le coeur de Jeanne a tressailli : tont espoir n’est pcut-être pas perdu. Elle s’iiisinue dans les rangsnbsp;des fidèles, s’installc de fagon a se trouver sur le passage de rofficiant, lorsqu'il fera le tour de la nef,nbsp;pour VAsperges. Prócisémcnt, le volei qui parait. IInbsp;est pale et, sans doute, un peu hagard; 11 marchcnbsp;comme dans un rêve, s’elïorgant de nc rien voir,nbsp;s’efïorgant de s’oublier soi-même. Dès qu’il est a portee d’elle, Jeanne « le saisit par son surplis » et rim-plore a voix basse :
— Philippe Ollivier, tournez-vous de mon cêté; .
Vous avez péclié a mon endroit!...
Mals, lui, feint de n’avoirpas entendu. II passe, en dótournant la tete, et Jeanne laisse tomber la siennenbsp;dans ses mains. Pour comblc d’liumiliation et d’an-goisse, la mère de Pbilippe Ollivier est la qui poussenbsp;Ie coude de la jeune fille, qui la liarccle, qui la raille,nbsp;epii ne lui laisse ignorer aucuuo des péripétics denbsp;I office, ne lui épargne aucune des phases de sounbsp;Immolation ;
— Jeanne Le Judec, levez la têle!...
Vous verrez Jésus dans la messe,
Vous verrez Jésus présenté
Entre les doigts de votre bien-aimé...
L’épreuve, cette fois, est au-dessus des forces Iiumaines. Un sanglot retentil, si déchirant qu’un desnbsp;^icaires demande :
-Est-ce la charpente de l’église qui craque de lasorle?
-ocr page 48-32 nbsp;nbsp;nbsp;LE THEATRE CELTIQUE.
Non : c’cst Ie coeur de Jeanne Le Juclec qiii vient d’cclatcT El Yoila pour le troisième acte.
Le quatrièmc et dernier nous ramène au manoir des Le Judec, dans « la clinmbre do la lourelle », oiinbsp;l’on vient de transporler Jcaiino, mourante. Férocenbsp;jusqu’au bout envcrs la jeune fdle dont l’amour anbsp;failli miner son ambition, la mere do Philippe Olli-vier, devant la consternation que la nouvelle a pro-duite chez son fils, a Ic tristo courage de Pen plai-santcr, le presse ironiquement d’aller remplir sonnbsp;ministère dc prèire an clievct de son ancienne « maitresse » :
— Ilalez-vous de vous rendre auprès d’elle,
Parlez-lui de Dieu, coiisolez-la!
C’est tout de mêrne plus que la docilite filiale du mallioureux n’en pout supporter. Toutes les révoltesnbsp;accumulées en lui par un long asservissemont se foulnbsp;jour d’un seul coup :
— Taisez-vous, ma mere! Ne me plaisantcz pas!
Vous n’aurez pas longtemps un fils prêtre.
Yous m’avez vu, aujourd’liui, a l’autel;
Demain, vous me verrez dans la tombe.
S’il est trop tard pour réparer son crime, du moins il n’y survivra pas. L’instant d’après, il gravit lesnbsp;degrés de la chambre oü cello qu’il a délaissée agonise ;
— Bonjour a vous, ma plus aimée!.
Est-il possible que vous quittiez ce monde!
1. Gvgt;erziou lireiz-Izel, etc., p. 41ü; cf. p. 409.
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A quoi elle répond, avec un mélancolique lioche-ment de tête :
— nbsp;nbsp;nbsp;Si j’avais été votre plus aimée,
Vous ne m’eussiez pas traitée coinme vous l’avez fait.
— nbsp;nbsp;nbsp;Ah! s’écrie-t-il, s’acliarnant a douter encore,nbsp;comme tons les faibles :
Si je savais être la cause de la mort de Jeanne,
Je voudrais n’avoir jamais célébré la messe!
II n’est que trop vrai, cependant, qii’ellc meurt a cause de lui. Et il lo sait et il Ic sent si bion, et sanbsp;douleur cn est si profondo qu’a peino Jeanne Lc Judccnbsp;a-t-ellc rendu Fume qu’il expire lui-mcmc, sur lonbsp;cadavre de la morte, la tête appuyée a son giron. Lcnbsp;denouement, comme 1’cxposition, est -indiqué ennbsp;quelques vers :
Ils sont tous deux sur les treteaux funèbres :
Ils sont allés vers Ie même tombeau,
Puisqu’ils n’ont pas été dans Ie même lit.
Ils avaient été eboisis par Dieu
Pour mencr ensemble la vie de deux époux L
ïelle est la gwerz do « Janet ar ludek ». Sera-tJl excessif de dire quo tout en est dramatiquo ii souhait:nbsp;la situation, les caraclères, les sentiments en conflit,nbsp;la marebe du dialogue et jusqu’a la division en actesnbsp;nettement coupés, comme mónagée par Ie poète lui-mème? Or, cette gwerz ne représente, en somme,nbsp;qu’un specimen quclconque des cent soixante-dix ounbsp;cent quatre^vingts pieces analogues recueillies parnbsp;Luzel. J’aurais pu analyser aussi bien n’importe quel
1. Gwerziou Breiz-Izel, etc., p. 417; cf. p. 411.
-ocr page 50-34 nbsp;nbsp;nbsp;LE ÏKÉAÏRE CELTIQUE.
autre de ces poèmes populaires, la sombre histoire de Marguerlle Chavlès', par exemple, ou la noble et tou-cliante élégie de Viléritière de lieroulaz '^.
A quel point les Giverziou sont déja du théatre, — j’entends du théatre viable, mür pour la scène etnbsp;n'attendant que d’y être transportc pour y fairenbsp;figure qui vaille, — nous en avons un témoignagenbsp;assez piquant dans la fortune récemment échue anbsp;1'une d’clles, a la giverz de « lamük Coquart )). Jenbsp;résumé celle-ci d’après les trois versions bretonnesnbsp;qu’on en possède ’. Done, lannik Coquart, de Plou-milliau, est « Ie plus beau tils de paysan qui soit dansnbsp;Ic pays )). Dès qu’il se montre dans la rue, les seuilsnbsp;se garnissent de jolles filles accourues pour Ie coii-Icmpler. Son choix s’cst fixc sur la plus jolie denbsp;toutes qui se trouve être en même temps la plusnbsp;riclie, puisqu’on « donne avec elle une dot considerable..., sept métairies, une pleine boisseléo d’argent,nbsp;une jatte comblc de lil blanc, plus une charrettenbsp;ferréc, attelage compris )). Un beau parti, certes.nbsp;Pourtant, dès qu’il s’ouvrc a ses parents de sou désirnbsp;d'épouser Marie Till, ceux-ci lui répondent par unnbsp;refus brutal. Non : il n’épousera pas Marie ïili, carnbsp;ce scrait un désbonneur pour lui comme poureux:nbsp;Marie Till a la pire des tares, Marie Till porte en ellenbsp;un mal abject, Marie Till est lépreuse!
En fds respectueux, Ie jeune homme s’incline, ou feint de s’incliner, devant la volonté de ses parents.
1. nbsp;nbsp;nbsp;Gwtrziou Bi'eiz-Izel, elo., t. II, pp. ll-Sl.
2. nbsp;nbsp;nbsp;ld., ibid., t. II, pp. 131-141.
3. nbsp;nbsp;nbsp;ld., ibid., t. 1, pp. 2ö3-2ü0, 259-203, 263.
¦ I
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II leur demande seulement la permission d’aller faire un voyage, tout comme un amoureux moderne quinbsp;veut oublier, — avec ceci do particulier, toutefois,nbsp;Cfue, pour un Breton, voyager, c'est se rendre en pèle-rinage a quelque lieu dévot. lannik Coquart annoncenbsp;son intention de se diriger vers Ie Folgoat. Pourquoinbsp;fle préférence vers Ie Folgoat? C'est sans doute quenbsp;la Vierge, patronne de ce sanctuaire renommé, étantnbsp;réputée toute-puissante, il espère davantage de sonnbsp;intercession. Mais il y a une autre raison qu’il n’avouenbsp;pas, qu’il ne s’avoue peut-être pas a lui-même : etnbsp;c’est que la route qui mène au Folgoat passé, un pcunbsp;au dela de Morlaix, devant Ie seuil de Morie Tili.nbsp;ïoutes les chances sont done pour qu’il la rencontre,nbsp;si mème il ne lui a donné rendez vous. II n’a pas faitnbsp;Ie tiers du chemin qu’elle est la qui Ie guette, un peunbsp;surprise au premier abord de sou accoutrement denbsp;Pèlorin :
— nbsp;nbsp;nbsp;lannik Coquart, mon bien-aimé,
Oü allez-vous en eet équipage?
— Je vais au pardon du Folgoat Sans chaussure, sans bas, el a pied.
Uien que la chanson n’en disc rien, il est évident qu ici lannik Coquart devait primitivement faire partnbsp;n la jeune fille, sans d’ailleurs lui en révéler Ic veritable motif, du refus que ses parents opposent a leurnbsp;lUariage. Marie Tili, en effet, reprend :
— nbsp;nbsp;nbsp;lannik Coquart, mon bien-aimé,
Souffrez que j’aille avec vous, inoi aussi,
Bemander a Dieu la grtlce
Que nous couchions dans Ie même lit Et mangions a la même écuellée.
-ocr page 52-36 nbsp;nbsp;nbsp;I-.E THEATRE CELTtQUE.
lanilik Cocfuart n’a pas le cceur de lui repondre : Non; et les voila clieminant de compagnie, « la mainnbsp;dans la main », a la fagon traditionnelle des amou-reux de Basse-Brctagnc. Comme ils approchent denbsp;Plouvorn, Ic jour est dejii sur son declin. Or, Plou-vorn, c’est la paroisse de Marie Till. Sa maison n’cstnbsp;pins qu’a quelcjnes pas. II est tout naturel qu’elle ofFrcnbsp;a son galant de s’y rcposer.
— Glier lannik, atlcndez ini pen,
Que i’entre dire un mot a ma mère,
Saroir d’elle si elle a de quoi Nous donner a souper a lous deux.
Ge qui suit, en revanche, est loin d’etre clair. Lc tcxtc, manifesterncnt inutile, presente des bizarrerics,nbsp;des incoherences, des contradictions. Ainsi, la merenbsp;de Marie Till tient a sa fille, an sujet de lanniknbsp;Coquart, d’étrangcs propos auxquels ricn ne nous anbsp;préparés :
— Mamignonne, j’ai ou'i dire Que lannik Goquart est marie;
Quand il sera a table, a souper,
Ma fllle, confessez-lc;
Et, selon cc qu’il répondra, s'il est cliréLien, Donnez-Iui sa croix d’extrème-oncUonnbsp;Avec un cercueil de quatre planches.
II y a la, on le pressent, quclque machination suspecte, quelque traquenard tendu an jenne homme. Celui-ci semblc, du rcste, faire expres de s’y laissernbsp;prendre.
— lannik Goquart, mon bien-aimé,
Avouez-moi la vérité ;
Avez-vous femme et enfants?
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— Oui, j’ai femme et cnfants,
Et voudrais bion ètre a, la maison, auprès d’eiix.
Tont cela est fort éiiigmaliqiic. Tc fil coiiduclciir manque. Mais, ce qui est sur, c'est qiTen paiTant denbsp;la sorte, et quel que soit Ie scutimcnt qui l’y a poussé,nbsp;laniiik Coquart vieut do signer sa coudamuation anbsp;mort.
— lannik Coquart, mon bien-aimé,
Vous boirez bien un verre de ma main.
Je nc vous servirai pas du vin blanc :
II risquerait de vous monter ii la tête.
Je vous versei’ai du vin clairet,
Qui vous donnera du ccour pour marcher.
II nc se doute pas, Ie mallicureux, qu’avcc cette voix caline et co geste tendre, ce qu’elle lai verse, ennbsp;rcalitó, c’est la lèprc... Des jours se passent. De retournbsp;chez lui, launik Coquart s’est remis aux travaux denbsp;la ferme. II n’a plus soufflé mot de Marie Tili. Scsnbsp;parents peuvent croire que Notre-Dame du Folgoatnbsp;Ta guéri de son funeste amour. Mais, sans qu’il s’cnnbsp;ronde compte lui-même, un mal autrement funestenbsp;Ie consume. La vengeance de Marie Tili circule, invisible, mais inexorable, dans ses veines. Et les effets ncnbsp;®’en font pas attendre. Un matin que sa mère l’anbsp;onvoyé puiser do l’eau pour les usages domestiques,nbsp;il recule épouvanté devant sa propre image, apergucnbsp;dans Ie miroir de la fontaine. Est-ce done lui, ce visagenbsp;decompose, cette chair qui « tombe en lambeauxr?nbsp;Et, soudain, Tatroce verité lui crève les yeux.
•Ie sais oü j’ai été empoisonné :
C’est en buvant du vin dans Ie même verre
Qu'une fdle jolic que j’aimais!...
-ocr page 54-38 nbsp;nbsp;nbsp;LE THEATRE CELTIQUE.
Cost, d’ailleiirs, toute sa plaiiite et sa recrimination. Le sortqiü lui estréserve, illeconnait et, par avance,nbsp;s’y résigne. S’il se permet un dernier veen, c’cst pournbsp;dcraandcr que la logette oii il devra vivre désormais,nbsp;retranché du commerce des huinains, soit b.atie (( presnbsp;du cliemin qui conduit a Saint-Jean » et percée d’uncnbsp;fenêtro dans le pignon, afin qu’il pnisse encore voirnbsp;la procession de son village se rendre au pardon denbsp;Saint Kadó. Toute la paroisse, clergé en toto, l’ac-compagne, selon 1’nsage, a la triste demeure quïl nenbsp;qnittera plus que pour la tombe. Et c’est sur conbsp;sinistre tableau que finit la giverz :
Dur eüt été de coeur celui qui n’eüt pleuré,
A Ploumilliau s’il s'était trouvé.
En voyant la croix, labannière,
Et les prêtres, et les clercs,
Gonduire lannik a sa maison neuve.
L’hnmble chanteur trégorrois qui, sous le règne de Louis XIII OU de Louis XIV, composait ou, comme onnbsp;dit en Bretagne, « levait » cette complainto en languonbsp;barbare serait, je pense, fort étonné d’apprendre dansnbsp;Ie petit cimetière inconnu oii il dort que, reprise anbsp;trois cents ans d’intervalle par un lettré et transportéenbsp;quasi telle quelle sur une scène frangaise, elle estnbsp;apparue comme une oeuvre dramatique de saveurnbsp;pónétrante et neuve au plus délicat, au plus raffincnbsp;des publics. Telle est pourtant l’exacte vérité. Lanbsp;Lépreme de M. Henry Bataille*, donnée en 1898 a lanbsp;Comédie-Parisienne, n’est rien de plus qu’une intelli-
1. Ton smif/, précédé de La Lépreuse, Paris, 1898.
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gente raise au point de la gwerz de ((lannik Coquart». L’auteur contemporain, nous Fallons voir, s’cst faitnbsp;un devoir de conscience — et qui Fa merveilleuse-ment servi — de suivre pas a pas Ie poèmo breton.nbsp;Cette preoccupation so sent jusquo dans les moindresnbsp;détails. S’il change, par excmple, le prénom de lanniknbsp;en celui d’Ervoanik, de mine plus exotique, cost qu’ilnbsp;y est autorisé par unc transcription fautive du tra-ducteur l)e memo pour le prénom d’Aliette substitucnbsp;a celui de Marie Tili, comme plus euphonique, jenbsp;suppose, et moins banal : M. Henry Bataille s’estnbsp;contenté de I’aller cueillir dans un autre passage dcsnbsp;Gwerziou-. Mais entrons dans Fanalyse de la piece.nbsp;Elle s’ouvre, comme la givcrz, par la scene oii lenbsp;jeune liomme, trop pressé, au gré de ses parents, denbsp;prendi’e femme, leur fait 1’aveu de sa passion pournbsp;Aliettc ïili. Refus des vieux de lui laisser épouser uuenbsp;lépreuse. Révolte d’Ervoanik qui protcste qu’ennbsp;déclarant Aliette atteinte du mauvais mal son pèrc ennbsp;a menti. II va jusqu’a Ie maudire, jusqu’a maudire sanbsp;more elle mêmc. Puis, aussi vite, épouvanté de sounbsp;propre égarement, il s’agenouille, il demande pardon.nbsp;Pour expier sa faute,il fait voeu de sc rendre nu-piedsnbsp;a Notre-Dame du Folgoat. Mais, nuparavant, c’est Ienbsp;moins qu’il prévieune Aliette a qui il a donné rendezvous et qui attend, dans 1’angoisso, de connaitre Ienbsp;rcsultat de 1’entrevuo. II ne lui en dit naturellementnbsp;que l’essenticl, et qu’il Faime plus que jamais, et qu’ilnbsp;1’épousera coüte que coülc. Et Aliette, sinon rassuréc
1. nbsp;nbsp;nbsp;Gwerziou Breiz-lzel, etc., t. I, p. 253, I. 19.
2. nbsp;nbsp;nbsp;hl., ibid., t. 11, p, 273.
-ocr page 56-40 nbsp;nbsp;nbsp;LE THEATRE CELTIQUE.
tout a fait, du moins a demi consolée, décide que, p'uisqii’il part pour le Folgoat, eh bien! ils s’y reu-dront ensemble.
Au dcuxicme acte, nous sommes dans la chaumiere de la vieille Till, la mère d’Aliette. On sait comme lanbsp;gwerz est, a cet endroit, hesitante, lieurtée, pleine denbsp;lacunes. Tres ingénieuscment M. Henry Bataille en anbsp;corrigé les incertitudes et interprété les silences. De lanbsp;vieille lépreuse, dont le caractère n’cst qu’indiquc dansnbsp;la chanson, il fait une ennemie du genre liumain,nbsp;(( une sorte d’ogresse qui attire chez elle les petitsnbsp;enfants et leur offre des tartines pour leur donnernbsp;son mal, et qui a lance sa jolie fille sur tont le paysnbsp;comme un emissairo de sa haine inexpiable. Car ilnbsp;est horrible, quand on est lópreux, que tont le mondenbsp;ne le soit pas, comme il scrait abominable d’etre nénbsp;mortel si tons les hommes n’étaient pas condamnés anbsp;mourir )). Elle accueille Ervoanik avec une joie hypocrite; elle s’empresse autour de lui, elle le choie, et,nbsp;tout en lui vantant sa fille, moins comme une mèrenbsp;que comme une entremetteuse, elle 1’incite a boire,nbsp;tant et si bien que, les fumées de l’ivresse s’ajoutantnbsp;aux fatigues de la route, il finit par s’endormir lenbsp;front sur la table, cependant que la vieille descend anbsp;la cave puiser nn nouveau pichet. Et voici qu’Aliette,nbsp;a regarder reposer pres d’elle ce beau gars de race sinbsp;saine, se sent prise pour lui d’une compassion doulou-reuse, a la pensee que (( cette fleur dos hommes » estnbsp;vouée a so flótrir sous son baiser fatal. Déja elle anbsp;aimó (( dix-liuit innocents, et olie leur a donnó Ianbsp;lepre a tons ». Celui-ci, qu’elle aime comme elle n’a
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jamais aimé aucun des aiitres, va-t-il done être Ie dix-neuvièine? l’auvre, pauvre Ervoanik!... Oh! si ellc pouvait trouver dans rardeur mème de son amour Ienbsp;couraged’y rcnoncer! qne 'a Vierge lui soit cii aide!nbsp;Eli bieii! oui, cc courage, elle l’aura. Ello dira tout anbsp;Ervoanik, et sïl pretend qu’elle soit sa femme quandnbsp;même, du moins elle lui refusera son baiser. Sur cesnbsp;entrefaites, la mere remonte et, apprenant Ie desseiiinbsp;de sa tillc, se repand en menaces, en supplications.nbsp;Sur qui compter désormais si I’instrument de sanbsp;liaine se change en un instrument de pitié?... Maisnbsp;Alietlc s’obstino, nc vent rien entendre. Alors qu’ima-giiie la vicille? Tout simplement do raconter qu’Er-voanik est déja lié a unc autro femme et qu’il en anbsp;deux enfants. « D’ailleurs, si tu ue me crois point,nbsp;interroge-le lui-même. » Lc trouble de la jeune fillenbsp;laisse lc temps a la mégèro de mettre lc gargon denbsp;moitié dans soa jeu. « Dites oui, n’est-ce pos? his-toire de l’éprouver. » II y consent avec d’autant plusnbsp;de docilité qu’il est encore a demi pris de vin et tontnbsp;hóbótéde sommeil. Et voila dument motivéc, et soli-dement rattachée a Taction, et pousséo a son maximum d’intensité tragique, la scène de vengeancenbsp;amoureuse qui, dans Tétat de mutilation de la gw^rz,nbsp;rostait obscure ct inexpliquée.
Inutile, je pense, d’insister davantage sur Tidentité des deux pieces. Et Ie denouement aussi est lc mêmenbsp;de part et d’autre, sauf, évidemment, que Ie dramaturge francais nous Ie montre en action, tandis quenbsp;Ie chanteur breton se bornait a nous Tindiquer ennbsp;quelques phrases de récit. Nous assistons a la lecture
-ocr page 58-42 nbsp;nbsp;nbsp;LE TUÉAÏRE CELTIQUE.
du sinistre « reglement cleslépreux », en vertu ducfiiol on revét Ervoanik d’nne cagoule noire. Pnis vient lanbsp;célébration de l’Office des morts; Ie cure aspergenbsp;d’eau benite Ie cadavre vivant de I’liomme qui vanbsp;entrer dans leternclle solitude; et, au son lugubrenbsp;des cloches carillonnant lo glas, tont Ic cortegenbsp;s’achemine, tel un convoi d’enterrement, vers lanbsp;« maison blanche », vers la demeure definitive oünbsp;I’amoureux d’Aliette Tili mourra plus encore des bai-sers qu’elle ne lui donnera plus que de celui qu’ellenbsp;lui a donné.
C'est précisement l’originalité de la « tragédie légen-daire » de M. Henry Bataille qu’elle s’ccarte Ie moins possible de l’ceuvre primitive, et que non seulementnbsp;elle en snit Ic dessin, mais même Ie laisse transparaitrenbsp;aux yeux du spectateur non averti. Les traits de lanbsp;ancien ne rostent si visibles sous son rajeunis-sement contemporain que la pénétrantc sagacité denbsp;M. Jules Lemaitro l’a, pour ainsi dire, reconnue, ennbsp;ignorant qu’elle existat. Voiis jureriez, écrit-il, d’unenbsp;chanson d’il y a quatre ou cinq siècles. « Et cela n’estnbsp;pas unc traduction, et pourtant cela a 1’air d'etre traduit d’une tres vieille poésie, avec, ga et la, des bizar-reries voulues, qui font douter (comblo d’artifice) quenbsp;Ie traductenr ait bien compris » On ne sauraitmieuxnbsp;dire, hormis que Ia pièce n’a pas que l’air d’être unenbsp;traduction et que, dans maint passage, elle en estnbsp;une en effet. Non content de reprodnire la marclie etnbsp;Ie mouvement du chant populaire, sauf a en raiïermir
]. Impressions de theatre, t. X, p. 361-362.
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lalluro pnrfois désordonncc, non content de respecter scrupiileusemerit les caractères, sanf a en retouchernbsp;les lineaments restés un peu frustcs, M. Ilenrj^nbsp;Bataille s’est attaché par surcroit a conserver jnsrpienbsp;dans Ie rythmc même de son style la cadence de lanbsp;version frangaise de Luzel, calquée presque mot anbsp;mot sur les vers bretons. « La forme est tres spéciale »,nbsp;dit encore M. Jules Lemaitrc « Ce ne sont pas desnbsp;vers, et ce n’est pas non plus de la prose. Ce ne sontnbsp;pas des vers ii la fagon des poètes symbolistes, puisquonbsp;1’assonance mème en est absente ou n’y parait que denbsp;loin en loin. C’est de la prose librement et secrètementnbsp;rylhmée; des séries de phrases ou de membres denbsp;phrases sensiblemcnt égaux. La symétrie y est unnbsp;peu de mème nature, si vous voulez, que dans la ver-sifleation des langues sémitiques (mais je puis menbsp;trompcr, n’ctant pas grand clerc en ces matières). »nbsp;L’éminent critique se trompe, en effet, mais seulc-ment d’une épitbète : au lieu de « sémitiques »,nbsp;mettez « celtiques )), et la remarque est justifiée.nbsp;Ecoutez plutót ce fragment de dialogue : Ervoaniknbsp;confle a ses parents Ie rêve qu’il a fait d’épousernbsp;Aliette.
Mon pérr et ma mère, si vous êtes conlenls,
J'épouserai iinc jolie fdle.
MARIA.
Vous êtes bien Jeune et nous pas tres vieux.
Et quel est Ie nom de votre petit coeur?
ERVOANIK.
Vous la connaissez,
t. Impressions de lhédlre,X. X, p. 3C1.
-ocr page 60-44 nbsp;nbsp;nbsp;LE THEATRE CELTIQUE.
Nous avons dansé en rond avec elle
Plus d’une fois sur l’nire.
M ATE LINN .
Corninent nomraez-vous votre ainie?
ERVOANIK.
C’esl la plus bolle fille qui jamais
Porta coiffe de lin...
Et elle a Ie nom d’Aliette...
MARIA.
Non, en vérité, vous ne Vcpouserez point,
Car on Ie reprocheraü d vom et d nous '.
Les passages que j’ai soulignés sont extraits textuel-lomeiit des Gwerziou. Mals ne jureraiPon pas que les autrcs Ie sont aiissi, tant ils sont bien dans la manièrenbsp;et Ic ton général do la complainte? Et touto la piecenbsp;est ainsi. Ce qu’elle ajoute a l’original se distingue anbsp;peine dece qu’clle lui empruntc. D’un bout a l’autre,nbsp;l’esprit en est un, une aussi la forme. Et rien sansnbsp;doute ne fait plus d’honneur au talent de M. Henrynbsp;Bataille que la souplesse peu commune avec laquelle,nbsp;subtil artiste de nos jours, il a su recréer en lui Famenbsp;arcbaïque et scmi-barbare d’un clcrc brcton d'il y anbsp;trois OU quatre cents ans. Mais rien non plus, ce menbsp;semble, n’attcste mieux l’espèce de vertu tragique quinbsp;imprègne de toutes parts ces vieilles compositionsnbsp;armoricaincs. Le drame n’y est pas sculement a I’ctatnbsp;de gcrmo latent : il perce par mille endroits, et,nbsp;comme dans l’éfopée irlandaise, comme dans lenbsp;roman gallois, on ne voit pas qu’il soit nécessaire denbsp;déblayer bcaucoup pour le dégagcr tout a fait.
1. La Lépreme, p. 15-17. Cf. Gwerzioic Brez-lzel, t. I, p. 2.5-3, 1. 25; p. 255, 1. 5.
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A consiclérer done la littérature des peoples celti-qnes en ce qu’elle a produit de plus marquant, c’cst moins son caractère lyrique, épique on romanesque,nbsp;comme Ie vent Renan, quo son caractère dramatiqnenbsp;dont on est frappé. Partant il n’est pas vrai que lesnbsp;Celtcs aient été par tempérament et, enquelqne sorte,nbsp;par definition, impropres ;i fart dn tliéatre. Plutót ennbsp;avaient-ils Ie don nalif, I’instinct impérieux, et j’ainbsp;presqne envie d’écrire : la vocation. S’ils s’y sontnbsp;exercés, et dans quelle mesure, et avec quel succesnbsp;lieureux on malheureux, la suite nous Ie montrera.nbsp;Mais, d’orcs et deja, ne sommes nous pas en droit denbsp;dire qu’en admettant même qu'ils ne se soiciit pointnbsp;essayés aux jeux de la scène, c’est nniquement l’oc-casion, non Ie génie, qui leur a manqué?
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Absence compléte de littérature draraatique cliczlcs Irlandais. — Les origines du theatre gallois. — Opinions de Th. Stephensnbsp;et theories du vicomte de la Villemarqué. — Les Clmareiion. —nbsp;Les mystères : I.ns Trois rois de Cologne. — Les interludes. —nbsp;tJn dramaturge populaire : Twm o’r Nant; son oeuvre, sanbsp;vie. — Proscription délinitive du theatre par les inéthodistes.
Or, en rcalité, il n’y a qu’un seul peuple cellique chez lequel on ne connaisse aucun vestige de theatre,nbsp;et — par une anomalie qui, au premier abord, a denbsp;qiioi surprendro — c’est Ic peuple irlandais Nulnbsp;autre, on l’a vu, ne fut naturellement mieux douénbsp;pour inventor des situations fortes, créer des carac-tères d’une trcmpe peu banale, mener avec entrainnbsp;une action pleine de mouvement et de vie. (( A la foisnbsp;violent et sensible, imaginatif et batailleur^ », il a
1. nbsp;nbsp;nbsp;11 semble toulefois que do nos jours on essaie de créer cnnbsp;Irlande une littérature dramatiquc inspirée soit de riiistoircnbsp;nationale, soit de la vie journaliére du peuple irlandais. Voirnbsp;par exemple les scènes drainatiques du P. O’ Carroll (The Gaelicnbsp;Journal, t. 1, P- ö, 33, 05, 151, 233', et VAn Pósadk du grandnbsp;littérateur irlandais Douglas Hyde (Hid., t. Xll, p. 282-2Ö3).
2. nbsp;nbsp;nbsp;lievue de synthese hisiorique, t. 111, p. 03.
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prodigué Ie drame dans l’épopée. Oui, mais il ne semble pas qu’il Ten ait jamais fait sortir. Alors que,nbsp;peu a pen, au cours des ages, les genres littéraires ennbsp;germe et comme en suspens dans l’ondoyante matièrenbsp;épique, — jurisprudence, médecine, géographie, his-toire, — finissaient par s’isoler, se dégager, s’orga-niser, se développer clmcun d’une existence propre,nbsp;Ie genre dramatique ne parvint pas a se dissocier denbsp;la gangue primitive oii il flottait a l’état de dialoguesnbsp;et de scenarios épars. On s’en étonnera moins, si l’onnbsp;songe que, dans la croissance d’une littérature, Ienbsp;theatre n’apparait qu’en dernier lieu, qu’il est Ie fruitnbsp;d'une civilisation déja müre et d’un régime socialnbsp;déja perfectionné. La littérature irlandaise, si bril-lante a ses débuts, a suivi la fortune et subi Ie destinnbsp;du peuple irlandais. Qui ne sait la douloureuse bis-toire de ce peuple martyr? II a eu a supporter desnbsp;souffrances trop réelles pour s’être divert! a peindrenbsp;des souffrances Actives. Voila prés de neuf siècles quenbsp;rirlande se débat dans Ie plus poignant des drames,nbsp;et c’est une raison suf Asante pour qu’elle n’en aitnbsp;point écrit.
Tout autre fut la condition de Ia petite nationalité galloisc. La conquête normande la soumit sans Tas-servir. Protégée par ses montagnes et plus encore parnbsp;son indomptable énergie, elle conserva une sorte denbsp;demi indépendance. Peut-être aussi, comme 1’a remar-qué M. LotliL 1’auréole de noblesse et d’ancienneténbsp;qui, dans les légendes, entourait la race bretonne
1. hes Mabinogion, Introduction, t. I, p. 16.
-ocr page 64-48 nbsp;nbsp;nbsp;LE THEATRE CELTIQUE.
no fut-elle pas étrangèro a Tespèce de déférence avec laqiielle les Kymry fiirent traités par leurs nouveauxnbsp;maitres. Nous voyons de bonne lieure l’aristocratienbsp;concfuérante recherclier los alliances avec les vieillesnbsp;families galloises *. En épousant les héritières dunbsp;Gwynedd ou du Powys, les seigneurs, normands,nbsp;s’ils continuentde parler frangais, ne laissent pas denbsp;s’intéresser au kymrique. Le harde a dans leurnbsp;maison la place d’honneur qui lui était attribuée aunbsp;foyer de scs anciens rois. Bref, le Pays de Galles nenbsp;perdit nison génie propre, ni sa langue. L’originalitónbsp;de ses themes poétiques nationaux séduisit memo sesnbsp;vainquours, entra par leur canal dans le vaste cou’nbsp;rant de la littérature de langue frangaise et fouriiit,nbsp;comme on sait, a l’Europo occidentale du xii“ siècle,nbsp;los motifs d’inspiration les plus varies et les plusnbsp;cliarmants 11 u’y eut done pas, pour la littératurenbsp;galloise, d'arrêt subit de döveloppement, comme pournbsp;la littérature irlandaise. Stephens, le plus autorisénbsp;do ses historiens, voudraitmême qu’aprèsaAmirrévélénbsp;a rimagination européeuuc les sources merveilleuse.nbsp;mcut fécondes de Pépopée romanesque, olie eut éténbsp;paroillement sou initiatricc dans le drame^ Moutrousnbsp;comme il procédé. Les Mahinogion, nous l'avons dit,nbsp;sont pleins de dialogues. Or, de songer a détacher cesnbsp;dialogues de la trame du récit, pour les faire débiter
1. nbsp;nbsp;nbsp;Loth, Les Mahinogion, t. I, p. IC.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Les légendes artliuriciines sont arrivécs en Europe parnbsp;des voics diverses. Mais la part des Bretons insulaircs passenbsp;pour avoir été i)répondérante. Sur cetto question, voir J. Loth,nbsp;Revue celtigue, t. XIII, p. 473-503.
3. nbsp;nbsp;nbsp;The literature of' the Kyrnnj, p. 71.
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par des personnages agissants et parlants [living spoken), n’est-cc pas la line idee des plus simples etnbsp;qui ii’cxige vraiment pas un si grand effort d’esprit?nbsp;Oil est la difflculté d’admettre qii’iin peuple, capablenbsp;de les construire, a étó tout aussi capable de lesnbsp;combiner en vue de la scène? Et, dèslors, n’est il pasnbsp;légitime de croire a l’existence possible, sinon effective, d un theatre national chez les anciens Kymry?
On voit toute la faiblesse d’iine semblable argumentation. L’histoire littéraire ne se fait pas avec des possibilités. Aussi Ie vicomte de la Villemarqué, ren-chérissant sur raiiteiirgallois, transtorme-t-il ces possibilités en certitudes définitives. u A en jiiger parnbsp;quelques poèmes dialogues, ou M. Stephens a vu avecnbsp;raison des scènes d'anciennes pieces perdues, les per-sonnagcs les plus en vogue sur Ie theatre des coursnbsp;galloises élaient précisément ceux de la légendenbsp;nationale b » Et ailleurs : «... Arthur était Ie Deus exnbsp;machina du drame comme du roman gallois... Évi-demment, aucun des autres personnages marquantsnbsp;de son entourage n’était négligé. A cóté de Tristan,nbsp;pouvait-on oublier Pérédur, Ie bassin magique et lanbsp;lance sanglante? Pouvait-on surtout oublier Myrddinnbsp;ctViviane? La merveilleuse liistoirc de 1’cnchanteurnbsp;et de la fée, ses ruses, ses sortileges, sa magie, sesnbsp;métamorphoses n’offraicnt-elles pas un thème a sou-haitaux jeux féeriques et aux mascarades? Quant anbsp;la moralité proprement dite, si elle ressortait asseznbsp;peu des aventures amoureuses du héros, elle éclatait
1. H. de la Villemarqué, Xe grand myslère de Jésus, Introduction, p. xxirr.
4
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du moilis dans son devouement a son pays ct a son roi. Le personnage comique lui-même, Ic Momns, lenbsp;Loki nécessaire pour égayer un p)eu la scene no man-quait pas la; le majordome duroi, toujours gouaillcnrnbsp;et toujonrs berné, oörait un gracioso parfait»
Tont cela est fort Lien dit, mais no repose malheu-reuscment sur rien. C’est vine de ces nombreuscs constructions en Fair dont nous sommes redevablesnbsp;an talent du vicomte de la Villemarquc. On a pu voir,nbsp;par la phrase que nous avons soulignée a dessein,nbsp;qu’il n’hésite même pas a faire dire au consciencieuxnbsp;Stephens beaucoup plus qii’il n’a dit. L’honnête historiën gallois n’a jamais avancé, avcc cette précision,nbsp;que les dialogues des Mabinogion énumérés par luinbsp;fiissent des fragments d’anciennes pieces perducs. Lanbsp;oh il s’est contenté d’émettre do simples conjectures,nbsp;le vicomte de la Villemarquc lui prête des affirmationsnbsp;absolues. Le procédé n’est peut-otre pas trés scienti-flque. Du reste, il ne suffit pas au vicomte de la Yille-marqué que Stephens fasse remonter au xii“ siècle lesnbsp;origines du drame gallois. A I’entendre, c’est bien plusnbsp;haul qu’il convient de les cherchcr.« On a la certitude,nbsp;ecrit-il avec candeur, de Tcxistence du théatre et, parnbsp;conséquent, des jeux dramatiques dans Tile de Bretagne aux premiers siecles de I’ere chrétienne^. )) Lanbsp;raison qu’il en donne est que nombre de lieux-dits,nbsp;on pays de Galles, portent le nom de guaremou^, loquel
1. nbsp;nbsp;nbsp;Le Oi'and myslère de Jesus, Introduction, p. x.xvii.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Id., p. XV.
3. nbsp;nbsp;nbsp;Jo transcris rorfliogTa|)hc du vicomte de la Villemarquénbsp;Mais le mot n’existepas en gallois sous celte forme. Le terme con-sacré est clmarviyfa, dont la forme en vieux breton est au pluriel
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dans les gloses d’Oxford est traduit par Ihealra. Et rien n’est plus exact. Mals encore cüt-il ctó a proposnbsp;d'examiner quel sens s’attacliait, a cette époque, aunbsp;mot « Iheatrum ». Etait-ce bien un « theatre )) dansnbsp;l’acception oü nous employons aujourd’hui Ie terme,nbsp;OU ne s’agirait-il pas plutót d’un ampliithéatre, d’unnbsp;cirque, d’une arène destinée a des spectacles fort différents de nos jeux scéniques? Le doute, en tout cas,nbsp;est permis. Puis, mème si l’on adopte la premièrenbsp;opinion, que savons-nous si co n’étaient point la desnbsp;vestiges de roccupation romaine devenus par la suitenbsp;sans emploi? Le vicomto do la Villemarqué, lui, nonbsp;doute pas nn instant que ce ne fussent des monuments indigenes, batis ou fagonnés poqr servir, dès tenbsp;vquot; siècle, a un art dramatique égalemont indigène. IInbsp;sait même quelles sortes de pièces on y jouait.nbsp;(( C’étaicnt surtout des pantomimes... Elles faisaientnbsp;partie des cérémonies religiouses » des « habitantsnbsp;encore païens » de la Cambrie, « et duraient plusieursnbsp;jours. Les acteurs paraissaient sous divers déguise-ments, mème sous des peaux de bêtes : on les voyaitnbsp;danser, sauter, pirouetter en chantant, et parfoisnbsp;pousser I’entliousiasme Jusqu’a un tel degró de fureurnbsp;qu’ils tombaient morts sur place* )). Ces renscigne-ments sur ce que le vicomte do la Villemarqué appellenbsp;le théatre gallois, nous sommes avertis par un renvoinbsp;qu’il les emprunte a la vie de saint Brieuc, dans lesnbsp;Bollandistes. Je me suis référó a cette vie et je n’y ai
tjuaroimaou, litlératement « lieux du jeu ». Cf. .T. Loth, Vocabulaire vieux-brefon, p. 133, et Revue celligue, t. XII, p. 280-281.
1. Le grand mystère de Jéstis, p. xvi-xvii.
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découvert qu’uii passage pouvant avoir trait aiix assertions de notre auteur. Je transcris Ie textcnbsp;lalin : c’est au moment oü saint Brieuc, aprcs avoirnbsp;été ordonnó prêtre par saint Germain, regagne sonnbsp;pays d’origine — Coriliciana regio, dit Ie iégendaire,nbsp;— et rentre au domicile paternel. Tune vero parentesnbsp;ejus laulum et opiparum convivium celebrabanl, quodnbsp;singulis quibusque Januarii Kalendis consueverant ins-truere. Agebantur per multos dies ludi profani, qjcrso-nabant aedes canticis, ducebanlur choreae; in quibusnbsp;dum insoleniius quidam exuUaretperfringil sibi femurnbsp;el luclitosis clamoribus vociferalur. Inde campusnbsp;Brioco aperilur impios et nefarios ritus Paganorumnbsp;objurgandi, et asiantes omnes ad fidem, reddita exnbsp;iempore viro sanitate, converlendi'. C’étaientla, commenbsp;on peut voir, des « ludi » cjui n’avaient rien de scé-nique et qui feraient plutót penser aux saturnalesnbsp;romaincs dont elles n’étaient peut-être qu’une survi-vance. II n’y est nullement question d'acteurs jouantnbsp;vêtus de peaux de bêtes, mais de gens qui, ayant biennbsp;maugé et sans doutc un peu trop bu, chantent ii tue-tète, dansent avec plus d’entrain que d’aplomb, et, lanbsp;oü Ie vicomte de la Villemarquó los fait tragiquementnbsp;tomber raides morts, en sont quittes pour se romprenbsp;la cuisse. Des scènes de bombanco et d’ivrognerie,nbsp;même rituelles, n’ont jamais en, que je saclio, ni aunbsp;Pays de Galles, ni ailleurs, aucune espèco do rapportnbsp;avee Ie tliéatre. Et je crois bien qu’il serait toutaussinbsp;malaisé d’aceorder quelque signification dramatique a
1. Ada sanctorum, Mai I, p. 93, c. 2.
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ce que Ie vicomto de la Villemarqué raconte plus loin, — sur Fautorité de Giraud de Barry, cette fois, — desnbsp;rites encore plus bizarres qui se pratiquaicnt a la fêtenbsp;de sainte Almédha, dans les parages d’Aberliotlieni.
(( Un évcque gallois illustre, Giraud de Barry, qui avait visité 1’Angletcrre, la France et FItalie, et deyaitnbsp;être moins porto que tout autre a s’étonner, tronvanbsp;néanmoins aux spectacles de ses compatriotes certainsnbsp;caractercs d’originalité rcmarquablcs.
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«én
(( Commc il parcourait le midi du Pays de Galles avec Farcbevêqne Baudoin poury prccher la troisiemenbsp;croisade, il arriva, le premier jour du mois d’aout denbsp;Fannée 1188, dans une bourgade ou des milliers denbsp;personnes se tronvaicnt rassemblees autour d’unenbsp;église. Cette bourgade etait Aberliodni' (anjourd’huinbsp;Aberhondbu, pi’os Breccon).
«On y célébrait, dit-il, la fete de sainte Almédba » tons les ans, des pèlerins sans nombre s’y rendentnbsp;)gt; des points les plus éloignés du pays. Plusieurs denbsp;)) ces pèlerins sont maladcs ct y rccouvrent la santé,nbsp;» grace a Fintercession de la sainte. Certaines céré-)) monies de la fete mefrappèrent par leur singularité :nbsp;adesjeunes liommeset des jeunes lilies, sc prenantnbsp;)) la main, sc mirent a danser dans Féglise, puis,nbsp;)) poursuivant leurs danses au dehors dans le cime-» tière et alen Lour, ils y déroulèrent une farandolenbsp;)) immense qu'ils animaient de leurs chansons. Mais
1. nbsp;nbsp;nbsp;Chez Giraud de Barry, la forme de ce mot cst Aberhotheni.nbsp;[linerarium Camhriae, ed. J. F. Dimock, p. 32.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Giraud de Barry (id.) ecrit Sanctao Aelivedhae. Son nomnbsp;actuel en gallois est Elevetha. Almédha semble une forme resti-tuee par H. de la Villemarqué.
-ocr page 70-;)4 nbsp;nbsp;nbsp;LE THÉATliE CELTIQUE.
)) voila tont ii coup que Ia chainc sc brise, les clianls )) cessont, les danseurs sc prosternciit la face conlrenbsp;)) terre, et y dcmcurcnt immobiles et comme ennbsp;gt;) extase. Co n’était toutefois qn’une teintc; cliacun nonbsp;» tarda pas a se relover; la cliaine sc roforma, et dan-» seurs de ropartir avee un entrain tout nouveau.nbsp;» Qiiand Ia danse cessa, ils commencèrent a repré-)) sentcr, tant des pieds que des mains, devant Ienbsp;)) peuple, divers métiers auxquels il est défendu de senbsp;)) livrcrséricusemcnt les jours fériés: Tun semitacon-)) duirc une cbarrue, rautre excitait les boeufs de l’ai-)) guillon, et los deux laboureurs, comme pour charmernbsp;)) leur travail, entonnaient leur chanson rustique accou-» tumóc. Celui ci imita Ie cordonnier, celui-la Ic cor-«royeur; une femme, tenant une queuouille et unnbsp;)) fuseau, fila; une seconde s’emparadu til ainsi obtenunbsp;» afin de l’employer; une troisième en fit un tissu.
(( Lo spectacle fini, los acteurs furent ramenés a )) l’église, oh ils déposcrent sur I’antcl Ie produit desnbsp;)) largesses des spcctateurs, et ce fut mervcillo de lesnbsp;« voir comme s’éveillcr au pied de eet autel et revenirnbsp;» a eux-mêmcs. »
(( Tels étaient les troi j actes ou les trois tableaux de cette singuliere pantomimereligieuse; ellese jouaitnbsp;(Ie fait est curieux) aux lieux mêmes et par eeux du clannbsp;quidevaitproduire un jour la grande tragédienne Sid-dons. Fut-elle jouéo jusqu’a son temps? Par lesnbsp;enfants pctit êtrc; cc sont d’élranges conscrvatcurs.nbsp;A l’originc, clle rappclait les représentations liiéra-fiques de l’ancien théatregroc: un but moral, un sensnbsp;mystérieux et symbolii[uo qui n’écliappait pas aux
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inilics, les attiraicnlaii spectacle clont la fêle desainte Almédba, ou d’autres fètcs patronales, étaicnt l’occa-sion : c’est l’évêquo gallois ffui I’affirme. II terminenbsp;son roeit par ces paroles remarqnables : « 11 cstcons-» tant que plnsieurs des pèlerins vcmis a la fète s’ennbsp;» retournent corrigés et améliorés par suite de ce qu’ilsnbsp;)) ont vu et do cc qu’ils out souti aux représentationsnbsp;» pieuses dout j’ai parlé : ainsi Ie perrnet la miséri-)) corde de Dieu, plus porto a so rójouir de la conver-» siou des péclieurs quo do leur damnation*. »
J’ai touu a transcrire Ie passage eu sou eutier, paree qu’il u’eu est pas oü se paissent mieux sur-prendre sur Ie vif les procédés de critique familiersnbsp;au vicomte de la Villemarqué. Je laisse do cóté, bieiinbsp;qu’ellesoit assez typique, I’insinuation relative a « lanbsp;grande tragédienne Siddons )), qui nous est donnée,nbsp;a mots couverts et sur la foi d’unc hypotlièse uupeu...nbsp;eufautino, commo Faboutissant génial d’uue longuenbsp;tradition dramatique, déja en honueur au xii' sièclenbsp;cliez los dévots de saintc Almédba. Tant que Ienbsp;vicomte de la Villemarqué prend o. sou compte sesnbsp;fictions personnelles, il u’y a que demi-mal. Mais, lanbsp;oü il cesse, ce me semble, d’etre excusable, c’ost lors-qu’il les place sous Ie patronagu d’un auteur qu’ilnbsp;trahit en prétendant Ie traduire. Nulle part « 1’évêquenbsp;gallois I) u’ « affirme » quo les cérémonies dout il futnbsp;témoin a la fête de sainto Almédba aient eu (( nu sensnbsp;rnystérieux et symboliquo », et, (|uant aux « initiés nnbsp;CU question, je ne vois pas qu’il y en ait jamais eu
1. /.e (jrand myslère de Jésiis, Introduction, p. xviu-xxi.
yO nbsp;nbsp;nbsp;I-E ÏIIEATKE CELTIQUE.
d’autrc que Ie vicomte de la Villcmarqué lui-mêtnc. Nulle jiart non plus, 1 ovêque gallois ne fait allusionnbsp;a d’ « autres fètes patronalcs )) ayant doiiné lieu auxnbsp;memos riles que la fètc de sainto Almédha. Cela tientnbsp;sans doutc a ce qu’il n’avait pas l’esprit de generalisation do son traducteuroccasionnel. Enfin — et c’estnbsp;ici Ie plus piquant de l’aventure — on clierclieraitnbsp;vainoment dans Ic latin de (liraud de Barry un soulnbsp;mot permettant do confondro avoc dos pantomimes,nbsp;memo religieuses, los pratiques do devotion en usage,nbsp;a Saintc-Almédha. Le vicomte de la Villemarqué, lui,nbsp;arrive a les identifier, mais en donnant de ci, do lanbsp;qnelques légères en torsos au sens. C'est ainsi que, lanbsp;on lo toxte dit ; Opera guaecunque feslis diebus illicilenbsp;perpetrate consueverant, tam rnanihus quam pedibiis,nbsp;coram populo repraesenianles \ le vicomte de la Villemarqué traduit : « lis commencèrent a representor,nbsp;tantdes pieds quo des mains, devantlepeuple, diversnbsp;métiers auxquels ü est défendu de se Uwer sérieuse-menl les jours fériés ». Ailleurs, quand le texte ne senbsp;montre pas sutfisamment docile a son gré, il I’amende,nbsp;le retravaillc, substitue a un terme rcbolle nn autrenbsp;plus accommodant. C’est ainsi qnc, dans la phrasenbsp;suivantc : Sic ilaque, divina miseralione quae peccan-lium magis gaudet quam eversione, miillos ultionemnbsp;hujusmodi tam videndo quam sentiendo, feslis de celeronbsp;feriando diebus corrigi constat et emendari il sup-
1. nbsp;nbsp;nbsp;Giraldus Cambrensis, Itinerarium Cambriae, ed. J. F. Di-mock, t. VI, p. 32-33.
2. nbsp;nbsp;nbsp;ld., cf. H. do la V^illemarqué, Le grand mystère de Jésus,nbsp;Introduction, p. xxi, note.
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pose, au licu d'ullionem, qui Ic gêne, actionem qui lui fournit cette glose si explicile : « les representationsnbsp;picuses dont j’ai parlé ». Quant au festis de cclcronbsp;fcriando diebus, il s’en débarrasse comme d’un lestnbsp;faclienx.
Or, ponr pen que Ton rétablisse dans les deux passages Ie sens exact, toute la construction du vicomte tie la Villcmarqué s’écroulc a terre. Los pclerins quinbsp;venaiont de la sortc s’cxhiber en spectacle autour de lanbsp;chapelle de sainto Almédha étaient tout bonnement desnbsp;laboureurs, des artisans, des mónagcres, convaincusnbsp;de ne cliómer point, assez ponctucllement les joursnbsp;fériös — opera quaecunque feslis diebusillicileperpetrai'enbsp;consueverant — et qni, pour cette infraction réitéréenbsp;aux commandements de l’Eglise, s’ótaient vn imposcrnbsp;cette forme de penitence publique. Ce qui Ie marquenbsp;bien, c’ost la pliraso, dédaignée par lo traductour,nbsp;oü Giraud de Barry nous montre la plupart de cesnbsp;hommes et de ces femmes dorénavant corrigés parnbsp;cette pnnition ignominieuse — ullionem — de I’enyienbsp;do retombor dans la memo faute — feslis de celeronbsp;feriando diebus. Les chatiments de ce genre, ou d’unnbsp;genre analogue, n’étaient du restepas, a cette époque,nbsp;particulicrs au pays de Galles, et I’anteur du Barzaz-n, •eiz, qui possédait si a fond son histoiro de Bretagne,nbsp;eüt pu se remémorcr Èi ce propos tel article des statutsnbsp;synodaux de révéché de Tróguier*, par exemple,
1. « Si aliquem aliqvio praediclorum teslorum, vel dio Sabbaü post Vesperas, viderint vel scivorint rclatu fide dignoruranbsp;ruralia opera facere; si divites sint, solvant V solides ad lumi-naro sue Ecclesie; si pauper, quinque dies dominicos, sequatur
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clécrétaut quo toutc personno reconniic coupable d’avoir travailló en temps probibc serait, pendant einqnbsp;dimanches consécntifs, tenue de suivre la processionnbsp;en chemise, avec, sur l’épaule [super colhim), l’outilnbsp;complice du pêche.
Malheurcuscment, en cette circonstance comme en beaucoup d’autres, lo patriotisme ultra-celtique dunbsp;vicomte de la Villemarqué a paralyse sa science et four-voyé sa critique. Les pénitences mimées des pèle-rins de sainte Almédha ne se rattachent par aucunnbsp;lien ii l’histoire du theatre gallois.
J’ai bien peur qu’il n’en faille écarter de même les (( jeux )) donnés en l’année H3ü a la cour de Grult'yddnbsp;ab Rhys et dont un Druty 7’yivyssogion nous a transmis Ic souvenir. « Apros être rentré en possession denbsp;scs domaincs, — raconte Ic comiülateur, — Grulïyddnbsp;ab Rhys fit célébrer a Ystrat Tywi des fêtes solennellesnbsp;auxquelles il convia tous ceux qui voudraient y venirnbsp;avec des intentions pacifiques de Gwynedd, de Powys,nbsp;de Morganwg et des Marches. 11 y fit servir les mets lesnbsp;plus rares et les boissons les plus recherchées, orga-nisa des joutes de pocsie et d’éloquence, des concertsnbsp;de musique vocale et d’instrumentsa eordes, et récréanbsp;ses invités par des féeries, des mascarades, des spectacles de loules sarles (pob chwareuon hut a llcdrith anbsp;pob arddangos')»• Ce f ut, on Ie voit, une espèce é'eisted-
processioiioin in camisia ot femoralilius, habeas super colluin instrumentum cum quo operabatur. » (Dom Morice, llistoire denbsp;Bretagne, livre XXII, Preuves, t. I, col. 1000).
1. Unity Tywyssogion, Mijfyrian Archaiology of IVnte,•2'édit., p. 708. Cf. Revue de Synlkèse hislorique, t. VI, p. 348, note 2.
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d^od avant la lottre. Sleplieiis et, a sa suite, Ie vicomte de la V^llemarqué, veulent que ces chwareuon, cesnbsp;arddangos, aieiit étó chez les Gallois du xii“ sièclenbsp;quclque chose d’analogue a ce qu’étaient les masks etnbsp;les mysteries chez les Anglo Normands de la mêmenbsp;époque. Dès 1119, remarque Stephens*, — en s’ap-puyant sur Ie témoignage de Mathieu Paris et denbsp;Bulaeus, — on jouait a Dunstaple Ie mystère de Saintenbsp;Catherine; et Ie second de ces auteurs donne meme anbsp;entendre que ce n’ctait déja plus une nouveauté.nbsp;U’autre part, les Annales Burlonenses^ nous appren-iient que los troupes d’acteurs ambulants étaient unenbsp;institution répandue en Angleterre vers Ie milieu dunbsp;xin' siècle. — Soit, répondrons-nous : co sorait unenbsp;preuve qu’il existait dès lors un theatre anglais, onnbsp;mieux normand; ce n’en serait pas une qu’il existatnbsp;un theatre gallois.
L’erreur de Stephens n été de croirc que les mots (( Ilud a Lledrith », traduits en anglais par illusionnbsp;and 'phantasm, ne pouvaient s’appliquer qu’a desnbsp;representations scéniques, alors quo les jeux qu’ilsnbsp;désignaient doivent sans doute être relégués parminbsp;les exercices de prestidigitation et les tours de magienbsp;populaire, chers aux jongleurs. G’est du moins 1’opi-nion de M. D. Lleufer Thomas, auteur d’un travail,nbsp;malheiireusement inédit, sur les mystères gallois, etnbsp;elle semble conlirméc par un autre passage de Targu-montation de Stephens hii-mèmc, oii, sous couleurnbsp;de nous tournir, « d’après les papiers du père de
1. nbsp;nbsp;nbsp;Cf. Stopliens, The iilcraliire of the Kijmri/, p. 70.
60 nbsp;nbsp;nbsp;LE TlUCATRE CELTIQUE.
M. Taliesin Williams », nn spéciraen de Chwareuon 11 ud a JJedrilh, il nous fait tont simplcmcnt assisternbsp;ii une operation d’exorcisme. II s’agit d’ (( un vieuxnbsp;poème gallois » compose par Ie bardo Mercdydd abnbsp;Rhosser a la glorification d’un certain Sir Walter,nbsp;vicaire de Bryn Buga, sur l’Usk. Le « prince desnbsp;Ténèbres » avait élu domicile dans la ville et les environs; depuis do longues années, il désolait le pays,nbsp;et il nc se rencontrait personne de conduite asseznbsp;vertueuse ni de science assez prolonde pour oser lenbsp;combattre, lorsque Sir W'alter entra en lice et, parnbsp;(( des charmes rcdoutables », dont le poète ne parlenbsp;qu'en tremblant, réussit a le conjurer. Stephens n’eütnbsp;pas choisi un exemple plus démonstratif, si, aunbsp;rebours de sa thèse, il avait prétendu prouver que lesnbsp;chwareuon hud a lledrit/i nc relèvcnt point du theatre.
Beste le mot « arddangos ». 11 n’a jamais en, dit Stephens, d’autrc sens que celui de « spectacles ».nbsp;Certes, mais encore y a-t-il des spectacles de plusieursnbsp;sortes et il faudrait commencer par établir que lesnbsp;(( arddangos » en question ótaient des spectacles dra-matiques. Or, c’est ii quoi scmble plutót contredircnbsp;le texte des lolo mnnuscripls invoqué par l’historiennbsp;gallois. Quelle est, en effet, la definition donnée dansnbsp;ce texte dos jeux auxquels il y est fait allusion? Ce sontnbsp;des (( compositions poétiques (et non IhécUrales,nbsp;comme interprète lo vicomte de la Villemarqué) oü desnbsp;personnages, revêtus de déguisements appropriésnbsp;disputen! entre eux sur des sujets soumis ii leur appreciation, l’un plaidant le pour, Tautre le contre, commenbsp;le juste et l’injuste, les raisons que Ton peut avoir de
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se consoler ou de se décourager, les peines attachées au vice et les recompenses réservées a la vertu. Lesnbsp;ouvrages de ce genre sont construits par demandesnbsp;et par réponses, do manière a dégager dans tout sounbsp;lustre Ie principe en discussion, si bien que les chosesnbsp;apparaissent sous leur vrai jour au dernier coinmenbsp;au premier des spectateurs ‘ ». N’est-il pas évident quenbsp;de tels dialogues ressortissent moins de la littératurenbsp;des mystères que de celle des (( dóbats », si popu-laires au moyen age et qui, sous les noms d’ « es-trifs » ou de (( disputoisons )gt; avaient fait les dclicesnbsp;des chateaux do l’Angleterre avant de pénótrer anbsp;la cour du prince d’Ystrat-Tywi?
II faut done renoncer a chercher los commencements du théatre gallois dans Ie xii® siècle et, au risque denbsp;chagriner encore davantage l’ombre du bon Stephens,nbsp;force est d’ajouter qu’il ne dut, selon toutc probabilité,nbsp;sa naissance qua Limitation du théatre angdais. J’ainbsp;dit plus haut quels rapports étroits unirent de bonnenbsp;heure la race conquérantc et la race vaincue. Lesnbsp;échanges d’idées furent entre elles beaucoup plusnbsp;nombreux et plus rapides qu’on no serait tenté denbsp;1’imaginer au premier abord. 11 n’cst pas jusqu’auxnbsp;Mabinogion eux-mêmes qui n’cn témoignent. Sur lesnbsp;onze récits publiés, qu’il est d’usage de eonsidérernbsp;comrne d'essence purement galloise, il y en a troisnbsp;qui dérivent manifestement d’une source frangaisenbsp;(z’eposant a son tour, il est vrai, sur un fonds britto-nique), la même saus doute oü puisèrent de leur cóté
1. nbsp;nbsp;nbsp;lolo manuscripts, p. 8Ö-86, 473-476.
2. nbsp;nbsp;nbsp;J. Jusserand, Ilistoire littéraire du peuple anglais, p. 439.
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Chretien de Troyes et ses émulcs'. Si, dans une matièrc qui leur était en quclquc sorte nationale, losnbsp;Gallois so mcttaient ainsi a la remorque dos Ariglo-Normands, il y a lont lien, a priori, do présnmernbsp;qn’ils les ont eus pareillement pour devanciers et pournbsp;modèles dans un genre dont ils ne paraissont pasnbsp;avoir jusqu’alors sonpgonné les regies. La presomp-tion sc tronve, d’ailleurs, justilieo par les fails. Nonnbsp;seulement les Gallois ont attendn que les Anglais leurnbsp;frayassent les voies du theatre, mais encore ce n’estnbsp;qu'a long intervalle qu’ils s’y sont engages derrièrenbsp;eux. Parmi les rares manuscrits do pieces galloisesnbsp;dont rexistence nous cst actuellement connue, il n’ennbsp;est pas un dont on puisse dire qu’il soit antérieur aunbsp;XVI' siècle. Le plus ancien des cinq qui sont déposósnbsp;au British Museum porte comme date de transcriptionnbsp;circa löö2. Les sujets dont ils traitent se réduisent^nbsp;d’ailleurs, a deux : 1° Les Trois rois de Cologne (Y trinbsp;Brenin o Gwlon), comprenant la Nativité, l’adorationnbsp;des Mages et le massacre des Innocents; 2' La Passionnbsp;OU Mystère de la Croix (y Dioddefaint ou Enterlute o'rnbsp;Groglith). On peut dresser comme snit le tableau desnbsp;différentes versions et de leurs dates approximatives ^:
A n» 1498G
Les Trois Rois Les Trois Roisnbsp;Les Trois Roisnbsp;Les Trois Rois
La Passion La Passion
La Passion
circa 1332. circa 1573.nbsp;fin du xvi” s.nbsp;commencementnbsp;du XVIIquot; siècle.nbsp;Proliablementnbsp;une copie dunbsp;ms. D.
1. nbsp;nbsp;nbsp;Cf. J. Loth, Les Mabinogion, t. I, p. 13.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Je dois ces renseigneraents a M. D. Lloufer Thomas. Voirnbsp;aussi Nettlau, Beitrüge zur cymrischen Gramrnatik, p. 19-20.
13 nbsp;nbsp;nbsp;038
14 nbsp;nbsp;nbsp;882nbsp;14 975
L » 14 973 Les Trois Rois La Passion
LE THEATRE Aü PAYS DE GALLES. G3
11 semblc bien quo la litlérature galloise dos mys-tères ri’ait rieii produit de marquant en dehors de ces deux types. Car les seuls échantillons de mystèresnbsp;proprement dits que signalo, de son cóté, Ie cataloguenbsp;de la collection de Peniartli sont encore, et toujonrs,nbsp;soit La Passion, soit Les Trots rots de Cologne-, etl’onnbsp;ne voit guère a noter par ailleurs qn’un Füs prodigue,nbsp;mentionné dans la collection de Llansilin ’. Que cesnbsp;compositions ne procèdent pas d’une inspirationnbsp;purement ccltique, il suffit de l’énoncé des titres pournbsp;en faire foi. Le terme génériquo d’ « antcrhvt », quenbsp;les Gallois appliqucnt indistiuctement a toutes lesnbsp;formes de la poésie dramatique, n’est pas moinsnbsp;significatif. II n’e.st que la transcription kymriqucnbsp;du mot anglais « interlude », avcc uiic acceptionnbsp;plus large, toutefois, s’il est vrai, comme le veutnbsp;M. Jusscrand, qu’en Aiigleterre le nom d’interludesnbsp;ait été réservé a de « pctits drames » profanes, donbsp;simples « contes dialogues^ ». En Galles, Vanterlwtnbsp;englobc aussi bien les mystères que los moralitcs ounbsp;les farces : il comprend même des ouvrages poétiqucsnbsp;dont 011 ne saisit guère le rapport avcc le theatre.nbsp;C’est ainsi quo Ton trouvc rangé dans la catégorie
1. nbsp;nbsp;nbsp;Netllau, Beitrüge zur cymHschen Grammatik, p. 20, note.—nbsp;Dans la même collection existent, paravt-il, une traduction dunbsp;lloi Lear et un interlude de Vhistoire de 1’hilippe et Marie parnbsp;un certain Ellis 'Gadvvaladyr.
2. nbsp;nbsp;nbsp;J. J. Jusserand, Ilistoire littéraire du peiiple anglaisnbsp;p. 402. II semble du reste que le mot interlude ait eu en anglaisnbsp;memo une acception beaucoup plus étendue (jue ne le ditnbsp;M. Jusserand. Dans tout le début du xvi” siècle nous le voyonsnbsp;applique aux pièces les plus diversos et employé comme syno-nyme du mot play.
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des anterlwt iin Troïlus ei Crcssida qui n’est qu’une traduction libre, ot nullement dramatisce, du poèmenbsp;de Chaucer
Tons ces indices réunis laissent peu de doutes sur l’origine étrangèrc du théatre kymrique. Quant anbsp;determiner dans quelle mesure les imitateurs galloisnbsp;ont suivi leurs modules anglais, il faudrait pour celanbsp;des cléments de comparaison qui, d’un cótó du moins,nbsp;font presque totalcment dcfaut. Pour des raisons aux-quelles j’aurai tout a I’lieure l’occasion de toucher,nbsp;Ie Pays de Galles, si jaloux ccpendant de tout ce quinbsp;intéresse Ie passé de sa langue, ne s’est pas suffisam-ment soucié, jusqu’a présent, de produire a la lumièrenbsp;les débris de son ancicnne littérature dramatique.nbsp;Les seuls textes qui aientété publiés, a notre connais-saiice, Pont été sous forme de courts extraitsnbsp;empruntés aux manuscrits 14993 et 14882 du Britishnbsp;Museum par MM. Joan Pcdr et Charles Ashton, quinbsp;les ont insérés, Ie premier dans ses Emvogion y Ffyddnbsp;(les Héros de la Foi), Ie second dans ses Gweithiaunbsp;lolo Goch ((Euvres de lolo Goch). Le fragment donnénbsp;par M. Ashton est do beaucoup le plus important, etnbsp;c’cst a peine s’il remplit onze pages. II est accom-pagné de la mention traditionnelle « lolo Goch ainbsp;cant )) (lolo Goch l’a chanté) et, au bas de la dernièronbsp;strophe, après le mot finis, on lit : « 1400. lolo Gochnbsp;ai troes or Hading i Kgymraeg ». La date 1400, si ellenbsp;est celle de la composition du poème, n’est, en toutnbsp;cas, pas celle du manuscrit, qui est authentiquement
1. Peniiarth ms. IOC, Ilisiorical ms. Commission, liepoit on mss. in the Welsh language, vol. I, part. n, p. 051.
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du xvT“ siècle. II ii'est pas impossible que Ie copiste Fait adoptée uniquement pour justifier Tattributionnbsp;de l’ffiuvre a lolo Goch, — nom bardique d’im grandnbsp;poète gallois ' qui vécut, dit-on, de 1328 a 1405. Quantnbsp;a l’indication qui suit la date et d’après laquelle Ienbsp;texte de lolo Goch serait une traduction directe dunbsp;latin, elle est manifestement controuvée. L'Historianbsp;gloriosissimoriim regum iniegra, rédigéc d’abord anbsp;Cologne (d’oü la rubrique : « Les Trois rois de Cologne »), avait étó exploitée par Ie tliéatre anglaisnbsp;avant de l’être par Ie theatre gallois. Et, comme Ienbsp;remarque M. Stern, Ie fait que, dans notre poèmc,nbsp;Hérode jure par Ic nom de (( Maliownd » (Mahomet)nbsp;atteste déja sulTisamment, a défaut d’autre preuve,nbsp;que ce n’est pas du latin, mais hien de quelque mys-tère anglais que l’ouvrage a été traduit
II n’a, du reste, rien de spéciflque. II débute, selon 1’usage, par un appel au silence : « Cessez toute conversation et prêtez l’oreille a notre histoire. Ceuxnbsp;d’entre vous qui feraient du tapage seront traités sansnbsp;ménagements, s’ils nc se taiscnt ». Puis vient Ie per-sonnage qui, dans les interludes anglais, sous Ie nomnbsp;de « Doctor » ou d’ « Expositor », est chargé de pro-noncer les « didactic speeches », c’est-a-dire d’exposernbsp;aux spectateurs les différentes phases de Faction et,nbsp;parfois, de dégager la morale de la piece. Ce « Doctor »nbsp;—¦ car Ie poète gallois lui donne également cette qua-
1. nbsp;nbsp;nbsp;Son identitó ne paralt nullement établie. Robert Williamsnbsp;dit seulement qu’il était « lord de LIechryd ». (Cf. R. Williams,nbsp;A biographical dictionary of eminent Welshmen, p. 244.)
2. nbsp;nbsp;nbsp;L.-Chr. Stern, dans le Kritischer Jahresbericht iiber dienbsp;Fortschritte der romanischen Philologie, t. IV, ii, 31.
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lification — avertit les trois hrenin de se mcttre en route vers Ie Mcssie : « Rciidez-vous a Betliléem donbsp;Judée et emportez avec vous trois présents, de For,nbsp;de Fencens et de la myrrhe arabique pour offrir a Fen-fant nouveau-nó. Que cliacun de vous regarde au-dessus de sa tête : vous verrez Fétoile briller a FOrientnbsp;pour les trois rois de Cologne. L’étoile qui est au-dessus de votre tête, je vous la donne commc guidenbsp;pour vous conduire jusqu’a Fenfant glorieux (dont lanbsp;naissance) est un gage de paix ». Les rois ne deman-dent pas mieux que d’entreprendre Ie voyage, mais,nbsp;comme « la route n’estpas facile a trouver, qui mèiienbsp;vers Bethléem », ils dócident de passer d’abord parnbsp;Jerusalem pour avoir « des renseignements sérioux ».nbsp;Leur messager (cenad) parlemente avec Ie portier (por-ihor) d’Hérodequi sefait unpeu prier pour leur ouvrir.nbsp;Enfin ils sont regus. llérode apprend de leur bouclienbsp;la naissance du « doux enfant ». Nouvelle intervention du « doctor » qui nous montre les rois allantnbsp;rendre hommage a Jésus. Hérodc cependant délibèrcnbsp;sur la conduite a tcnir. Sa femme (y frenhines) lui con-seille de faire recliercher eet enfant qui est une menacenbsp;pour son tróne. Hérode commando Ie massacre desnbsp;innocents. Un ange prescrit a Joseph de se réfugiernbsp;cn Egypte avec « Ie fils et la mère », tandis qu’Hérodenbsp;s’achemine vers Bethléem. Et Fépisode se terminenbsp;sur cette joyeuse exclamation du diable [kythrel) :
« Ha! lla! je vais me payer une danse autour de mes chenets! Dorénavant je tiens Hérode! 11 est a moi'! ))
1. Gweithiau [oio Goch, ód. Ashton, p. 544.
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LE THEATRE AU PAYS DE GALLES.
Et c’est tout. Le morceau compte au plus soixautc-cinq strophes de quatre vers, clout le texte est souvent défectueux et quelquefois incomplet. II ue présente, comme on peut voir, aucun trait qui le distingue des autres mystères analogues. On y clier-cliorait vainement la note locale, soit dans le détailnbsp;du drame, soit dansla physionomie des personnages,nbsp;a moins que l’on ne veuille découvrir cliez le portiernbsp;qui garde le « dm » d’Hérode un vague rappel dunbsp;portier d’Arthur. L’unic[ue intérèt du poëme réside ennbsp;somme dans sa métrique, qui est bien galloise. Lenbsp;système employé est la variété (ïenghjn dite englynnbsp;unodl cyreh. Ello « se compose de quatre bras ou versnbsp;de sept syllabes; les deux premiers et le quatrièmenbsp;sont homoeorimes [unodl]; le troisième est de rimenbsp;différente, mais sa finale rime avec la coupe (rhagodl)nbsp;du quatrième » '. C’est uu rythme allègre, dont lesnbsp;bardes usaient, du roste, le plus souvent pour l’épi-gramme, et qui, dans sa forme un peu ramassée, nenbsp;laisse pas d’avoir uno certaine vivacité dramatique.nbsp;On en jugera par cette strophe, la seconde du poème,nbsp;oü les trois rois sont invités a se mettre en route avecnbsp;leurs présents :
Kerddwcli i Vethelem Judii Ach tri ffeth gida cliwinbsp;Aur a sens a myr arabnbsp;Ai roi ir mab newydd eni.
Les Tri brenin 6 Gtc/en constituent, avons-nous dit, le seul document de quelque importance que nous
1. Loth, La mélrique galloise, t. 1, p. 76.
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ayons sur Ic théatre religieux en pays de Galles. Lc reste dort enfoiii dans les archives publicfues ou lesnbsp;bibliotlièques privées. Tout ce qu’on en peut con-naltre sc borne a quelqucs titres mentionnés dans lesnbsp;catalogues. Peut-être en aurons-nous une imagenbsp;moins fragmentaire Ie jour oü Ie comité de lanbsp;National Eisteddfod se sera décidé a faire imprimer Ienbsp;travail sur Ie théatre gallois depose depuis plus denbsp;quatre ans déja dans ses coffres par M. D. Lleufernbsp;Thomas. Jusque-la, en l’absence presque completenbsp;de textes, force nous est de réserver notre jugementnbsp;définitif. Les Gallois autoriscs dont il m’a ctó donncnbsp;de prendre Tavis estiment, d’ailleurs, que lesmystèresnbsp;proprement dits n’ont fourni chez eux qu’une étroitenbsp;et courto carrière : ils en allèguent pour prcuve Ienbsp;silence profond de l’histoire sur les origines, Ie déve-loppement et les manifestations de Tart dramatiquenbsp;au Fays de Galles. Et il semble bien, en efïet, que Ienbsp;théatre, — Ie théatre tragique, a tout Ie moins, — n’ynbsp;soit jamais sorti de la péz’iode des premiers tatonno-ments. On ne voit pas que ce peuple, qui comptaitnbsp;dans sa légende de si heaux sujets de drames, se soitnbsp;aviso d’en tirer parti ni qu’il aitenvié a ses voisins, anbsp;un Shakespeare, par excmple, — un peu celte, il estnbsp;vrai, au dire de Renan, — la gloire d’exploiter Ienbsp;merveilleux filon celtique. Alors que, dans tous lesnbsp;autres genres, les Gallois, a mesure qu’ils prenaientnbsp;d’eux-mêmes une conscience plus nette, sc faisaientnbsp;aussi un devoir plus impérieux et commo un pointnbsp;d'honncur de raviver, de fortifier, d’enrichir l'inspi-ration nationale, sibienqu’aujourdTiui encore, seuls,
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du reste, cntrc les peoples celliques, ils ont une litté-raturedigne de ce nom et qui tient dignement sa petite place dans Ie monde, — alors, dis-je, qu’ils senbsp;montraient si joloux de cultiveret de développer cheznbsp;eux, avec leurs ressources propres, toutes les autresnbsp;formes d’art, y compris Ie roman, nous les voyous,nbsp;au contraire, se désaflectionner brusquement de leurnbsp;théatre a peine né, au point de Ie laisser mourir ou,nbsp;plus exactement, de l’étoufïer presque au berceau. Lanbsp;raison de cette antipathie n’est pas difficile a pénétrer.nbsp;Ellc perce même dans l’oeuvre de Stephens, si dósi-reux pourtant de faire prévaloir les droits d’ainessenbsp;du théatre gallois. Relatant Ie « miracle » de sir Walter dont il a été question ci-dessus, il dit que Ie poèmcnbsp;décèle chez son auteur une imagination singulière-ment puissante, mais « gatée toutefois par d’extra-vagantes superstitions ‘ )). La superstition! Yoila Ienbsp;grand mot laché. C’est comme entaché de (( papisme ))nbsp;que les Gallois, devenus de rigoureux méthodistes,nbsp;ont renié leur aneien théatre, d’inspiration catholique,nbsp;qu’ils Font renié jusqu’a tenir pour inutile, sinonnbsp;pour dangereuse, la publication des monuments quinbsp;en subsistent. A plus forte raison ont-ils déeouragónbsp;toute tentative pour faire revivre dans leur pays unnbsp;genre de littérature que leur eonscience réprouvait etnbsp;dont un de leurs coreligionnaires de France a si élo-quemment flétri les malsaines blandices. Par esprit denbsp;puritanisme, ils ont appliqué avec une sévérité, unenbsp;intransigoance qui fait plus d’honneur peut-être a
1. The literature of the Kymry, p. 81.
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eur moralitó qo’a leur sens esthétiqiio, les theories exclusives de la Lettrc de Rousseau sur les spectacles.
11 y a cependant eu une categorie spéciale de divertissements dramatiques a laquelle ils out assez long-temps fait grace. Je veux parler de certaines pièces, d’allure et d’accent volontiers populaires, semi-comi-ques, semi-sérieuses, destinées a mettre en actionnbsp;quelque vérité morale ou a ridiculiser quelque vice, etnbsp;par la participant a la fois de nos moralitós et de nosnbsp;soties. C’estsurtout a cette sorte de pièces que semblenbsp;avoir etc primitivement attribué Ie nom d’ « interludes )) ; du moins les écrivains gallois no les dési-gnent-ils jamais autrement. La chose, comme Ie nom,nbsp;ctait en Galles d’importation anglaise. A quellenbsp;époque y fut-clle introduite, nous ne saurions Ie préciser. Les specimens les plus anciens qu’on en trouvenbsp;indiqués dans la collection des manuscrits de Peniarthnbsp;ne remontent pas au dela du xviquot; siècle, lis sont aunbsp;nombre de trois ou quatre. L’un est, d’après sonnbsp;titre, un dialogue entre un malade et Satan : on ynbsp;voit également paraitre la Mort (Angeu) L Dans unnbsp;autre flgurent comme personnages un vieillard et unnbsp;jeune homme qui sont ainsi caractérisés par Ie som-maire ; (( Le vieillard est appelé Ie Vieux qui se sou-vient, paree qu’il avait coutume de débiter des his-toires et des maximes de sagesse, afin de détournernbsp;les jeunes gons de vivre dans l’oisiveté, sans profitnbsp;pour eux et pour leur prochain. Quant au jeunenbsp;homme, il a nom Celui dont il est facile de se passer.
Peniarth ms. 05, Report on mss. in the Welsh language, vol. I, p. 450.
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L’entretien a été recueilli ct traduit en gallois par quelqu’uii qui sait le prix de l’expérionce)). Co quel-qti’un signe : Thoms Owens de Lanelwy'. Un troi-sième interlude fait I’efEet d’avoir été de beaucoup lenbsp;plus intéressant, autant dumoins quo Ton peut jugernbsp;de son contenu par la notice qui lui est consacrée^.nbsp;II commence par un prologue qui invite les specta-teurs a écouter attentivcment la piece : « Que vosnbsp;manières soient courtoises et silencieuses vos lan-gues! » Les personnages sont : le prêtre [rjr yffei-i'iad), ITiommefort (y givr kadarn), sa femme {ywraig),nbsp;son valet (y gwas), la voisine (y gymdoges), enfinnbsp;line comparse que le tcxte appelle « y osibes », corruption sans doute du mot anglais yossip, la commèro.nbsp;Le prêtre, s’adressant au valet de I’homme fort, luinbsp;demande : « Quel est, la-bas, ce beau gaillard qui faitnbsp;radmiration des fllles®? » Ce gaillard, c’est I’hommenbsp;fort. Le prêtre et lui sont présentés Tun a I’autrenbsp;et, tout d’abord, font assaut de plaisanteries; mais.
1. nbsp;nbsp;nbsp;Peniarth ms. Oü; Historical ms. Commission. Report onnbsp;ynss in the Welsh language, vol. I, part ii, p. 454.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Peniarth ms. 5C, id., p. 428.
3. nbsp;nbsp;nbsp;Pwy ijdiwr gwr draw gwychnbsp;Maer merched arno yn edrych
La même question, presque dans les mêmes termes, ouvro un quatrième dialogue « entre le prêtre et le g-entilliommenbsp;(ryng- yr olTeiriad ar gwr bonlieddig), id., ms. 05, p. 454, etnbsp;ii’est pas sans rappeler le dehut de la gwerz armoricaine denbsp;lannih Coquart (voir ci-dessus, p. 34) :
l*a \z ee Jana Kokard d'all Lew-drêz,
Ar merc’hed koant tamyie e-mcs.
{Gwerziou Breiz-lzel, I, p. 25-3.)
[Quand allait Jean Coquart a la Lieue de Gróve, les jolies lilies sautaient dehors (pour le voir).J
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graduellement, Ie prêtre change de ton : il profite de l’occasion pour dénoncer Ie monde, attaquer ses fauxnbsp;biens, instruire Ie proces des riches. A quoi l’hommenbsp;fort riposte : (( Qui est-ce qui est aujourd’hui plusnbsp;mondain que vous autres, les gens d’Église? Qui,nbsp;plus que vous, sacrifie a la mode, a la forme, a l’appa-rence? Votre rêve est d’épouser de grandes dames...nbsp;Vous ambitionnez d’etre nourris de porc et d’oie. IInbsp;n’y a de bonne chère qu’en votre compagnie, et,nbsp;cependant, nous sommes écrasés sous Ie poids denbsp;votre dime. Vous parlez ü mcrveille, mais vous faitesnbsp;Ie contraire de ce que vous prêchez ». Ils se séparentnbsp;la-dessus. L’homme fort est tout ravi d’avoir verto-ment houspillé Ie prêtre, mais il ne jouit pas long-temps de son triomphe, car il tombe gravementnbsp;malade et ne cesse de crier merci vers Dieu, vers Ienbsp;Christ. C’est au tour du prêtre de prendre sa revanche : il ne s’en fait pas faute et y va « de toutnbsp;coeur ». En fin de compte pourtant, il s’adoucit, il senbsp;laisse attendrir et récite les prières suprêmes sur Ienbsp;moribond avant de l’expédier dans l’autre monde.nbsp;L’homme fort n’est pas plus tót mis en terre quenbsp;son valet fait la cour a sa veuve, l’épouse et la ruine.nbsp;Le manuscrit s’arrête la, parait-il; les derniers feuil-lets manquent. La morale de la pièce était sans doutenbsp;que cela porte malheur de se gausser des gensnbsp;d’Église et que, si « homme fort » soit-on, il n’estnbsp;encore, pour son propre bien et celui de sa maison,nbsp;que de s’attacher docilement aux legons des prédica-teurs.
Ainsi ce théatre, sous des dehors tout profanes et
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d’iin réalisme souvent grossier, restait profondément imprégné de l’esprit religieux. C’est a quoi il dut, jenbsp;pense, de n’étre pas tout de suite enveloppé dans lanbsp;proscription qui, au lendemain de la Réforme, frappanbsp;Taulre théatre, celui des mystères. Mystères et miracles avaient Ie tort, aux yeux des nouvelles sectes, lesnbsp;premiers, d’étaler en spectacle a la vaine curiosité desnbsp;foules, et avec un mélange de trivialités dégoütantes,nbsp;la matière, considérée désormais comme intangible,nbsp;des deux Testaments; les seconds, d’entretenir dansnbsp;la conscience populaire Ie culte périmé de la Viergenbsp;OU la croyance aux fables, déclarées absurdes, de lanbsp;vie des saints et des saintes. 11 en allait différemmentnbsp;des interludes. Non seulement ils n’ofïraient pas lesnbsp;mêmes inconvénients ni n’encouraient les mêmesnbsp;reproches, mais, débarrassés, épurés de tout alliagenbsp;suspect, ils étaient susceptibles de servir de véhiculenbsp;a la jeune doctrine, d’aider a la répandre, a Fimprimernbsp;dans Ie cerveau des masses. En .'tngleterre, ils furentnbsp;utilisés pendant quclque temps comme arme de combat : on les bourra d’invectives et de sarcasmes contrenbsp;les papistes'. II est probable qu’ils revêtirent aussinbsp;plus d’une fois ce caractère au Pays de Galles. Ils ynbsp;furent tolérés, en tout cas, comme un moyen de pro-pagande morale et d’édification pratique. Ils y gardè-rent ainsi jusque dans les premières années dunbsp;XTX® siècle la vogue dont Ie drame de la Renaissancenbsp;les avait assez vite dépossédés chez les Anglais. Et jenbsp;ne sais pas si Ie xviii® siècle ne fut pas, dans les cam-
1. J. J. Jusserand, Histoire littéraire dupeuple anglais, p. 508.
-ocr page 90-74 nbsp;nbsp;nbsp;LE TnÉAThE CELTIOUE.
pagnos, l’agc classiqiic du theatre populaire gallois. On alia, cluraut cette période, jusqu'a jouer des traductions de Shakespeare : les Letters from Snotvdon,nbsp;puhliées en 1770 et attrihuóes a Joseph Cradockinbsp;coutiennent Ie comptc rendu d’une representation dunbsp;/loi Lear qui fut donnee on gallois, dans une grange*.nbsp;Et ce fut pareillement cette époque qui vit fleurir Ienbsp;plus célèbre des auteurs gallois d’interludes, Ie poètenbsp;paysan ïwm o’r Nant, a qui ses compatriotes nenbsp;craignirent pas de décerner Ie suniom de « Shakespeare kymrique ».
Les enthousiasmes concentrés des petites commu-nautés celtiqucs ont fréquemment de ces mirages. II va sans dire que l’humble Twmn’existe pas, comparénbsp;au « grand Will ». A Ie jugcr en lui-même, il futnbsp;cependant quelqu’un. II eut des dons reels, unenbsp;fagon de génie inculte, de la verve, de l’humour et lanbsp;passion des choses du théatre. II ne fut pas un créa-teur. Les sujets qu’il a mis a la scène ne sont pas denbsp;son invention. Comme ses prédécesseurs, il puise denbsp;préférence dans Ie répertoire anglais^. II ne cherche,
1. nbsp;nbsp;nbsp;Cf. Archaeologia Camhrensis, 1871, p. 343. — Nous avonsnbsp;vu ci-dessus (p, 03) t[u’une traduction du Roi Lear est signaléenbsp;comrao faisant partie de la collection des LIansilin mss. — 11nbsp;ne faudrait pas croirc quo Ie théatre gallois fiit, dés lors, par-toutrelég'ué dansles granges. Les représonlalions se donnaient,nbsp;au contraire, lo plus souvent ii ciel ouvert, en pleine hourgado,nbsp;et mêine dans Ie voisinage immédiat de l’église. A Pennantnbsp;Melangell, il y avait une arène spéciale aH'cctée aux interludes,nbsp;et c’était une prairie contigue au cimetière. La derniéro piecenbsp;(jui y ait été jouée lo fut préciséinent sous la direction denbsp;Twm o’r Nant. (Cf. Archaeologia Gambvens s, 5“ série, vol. XI,nbsp;p. 140-147.)
2. nbsp;nbsp;nbsp;Pollard, English miracle plays, moralities and interludes,nbsp;p. x.\n.
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d’ailleurs, pas a se clonncr pour ce qu’il n’est point. 11 dit tres simplement do telle pièce qu’elle est iincnbsp;« refaf-on ». Unde ses procédés linbituels, semble-t-il,nbsp;consistait a fondre en un scul drame, par une espècenbsp;de contamination a la rnanière des comiques latins,nbsp;des épisodes empruntés a divers auteurs. On peutnbsp;s’en rendre compte en parcourant celui de ses interludes qui a pour litre abrégé : Richesse et Pauvreté,nbsp;et dont Borrow‘ a donné une analyse, comme dunbsp;plus marquant de ses ouvrages.
Le titre complet est ainsi formulé : « Les deux grands contraires, Richesse et Pauvreté; bref apergunbsp;de leurs efïets opposes dans le monde, avec quelquesnbsp;éclaircissements rapides et appropriés sur leur substance et leurs qualités réciproques, selon la regie desnbsp;quatro éléments, l’Eau, le Feu, la Terre et l’Air w.nbsp;Pour comraencer, un fou. Sir Jemant Wamal, dansnbsp;nn langagc quelqne pen baroque, annonce aux spec-tateurs qu’ils vont entendre une pièce do la composition de Twm le poète. Et le « captain Richesse »nbsp;parait. En un long discours, il exalte l’empire qu’ilnbsp;cxerce sur le monde et qui contraste si fort avec lenbsp;mépris général dans lequel est tenue Pauvreté. 11 estnbsp;rahroué par le fou qui lui assène quelques dures véritésnbsp;et lui demande, entre autres questions, si Salomonnbsp;n'apasdit qu’on n'a pas le droit do mépriser un pauvrenbsp;qui se conduit bien. La scène suivante nous présentenbsp;dans Howol Tightbelly, le type de l’avare. Ce drólonbsp;est une des figures les mieux enlevées du drame, et
•
1. Wild Wales, pp. 102-19Ö.
-ocr page 92-les vers oü il détaillo cyniquement sos innombrables friponireries sont d’un comique intense, ainsi qne Icnbsp;savonrenx dialogue qu’il engage avec sa digne épouse,nbsp;Esther Steady, rentrant dn marché. Mais Ie morceaunbsp;capital est la rencontre dn « captain Itichessc » etnbsp;du (( captain Pauvretó ». Les propos qu’ils échangentnbsp;sont, du resto, exempts de toute amertume chez Fun,nbsp;de toute morgue insultanfe chez Fautre. Ils se con-tentent d’émettre des considerations générales sur lanbsp;Providence dont ils se prétendent tons deux les agents,nbsp;puis cèdent la place a un certain « Diogyn Trwstan »,nbsp;sorte de Thomas Vireloque gallois, ponilleux avec-gloire et paresseux avec délices, cynique aussi avecnbsp;humour, lequel, par uno imitation anticipée desnbsp;confessions pnbliques de FArmée du Saint, vientnbsp;exhiber ses tares sur Ie théatre et proclamer devantnbsp;tons qu’ayant toute sa vie vécu sur Ie commun, il n’anbsp;jamais été bon a rien qu a mentir et a fainéanter.nbsp;L’avare reparait escorté d’un pauvre honteux qunbsp;implore sa charité et n’obtient que des avanies.nbsp;Après quoil’on assiste a un entrctlen « fort édiflant «nbsp;entre messire Contemplation et messireVérité auxquelsnbsp;succède de nouveau Favare, accompagné cette foisnbsp;d’un cabaretier. Celui ci doit de 1’argent a 1’usurier etnbsp;Ie supplie de lui otre miséricordieux. Mais 1’usuriernbsp;n’entend pas de cette oreille : il lui faut un gage,nbsp;sinon il poursuit. Et l’aubergiste otTre d’aller trouvernbsp;un de ses amis qui consentira peut-être a se porternbsp;caution pour lui. Survient Ie Fou, qui dresse unnbsp;inventaire des biens de l’aubergiste. L’avare est auxnbsp;anges : il exulte d’allégresse; tout lui a prospéré;
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LE THEATRE AU I’AYS DE GALLES.
pas une de ses entreprises dont il ne se soit tire a son profit... Tout a coup, au moment oil il tournc la tête,nbsp;il rccule d’efïarement et d’épou vante: la Mort est deboiitnbsp;a ses cótós. Elle se jette sur lui, Ie saisit, l’entraine,nbsp;ccpendant quele Fou dégage, en uneespèced’épilogue,nbsp;la signification de la pièce et congédic les spectateurs ’.
On voit par eet exemple les caractères du genre : c’est moins un drame qu’un mélange de dissertationsnbsp;dograatiques et de tableaux de moeurs, tout cela sansnbsp;lien tres serré et sans intrigue proprement dite. Lesnbsp;personnages ne sont pour la plupart que des abstractions réalisées, commo dans les moralités du moyennbsp;age, et leurs dialogues n’ont rien de scénique, maisnbsp;rappelleiit plutót les anciens « débats ». Témoin lanbsp;scène entre « captain Ricliesse )) et « captain Pau-vroté )), qui est Ie morceau capital de la pièce, et quenbsp;Borrow s’est appliqué a traduire en vers anglaisnbsp;Nous sommes done bien en présence, non d’une créa-tion dramatique originale, mais d’une survivance denbsp;la vieille littérature dramatique européenne persistantnbsp;au Pays de Galles jusqu’a la fin du xviii“ siècle. Et,nbsp;ce qui achève de Ie montrer, ce sont toutes les rémi-niscences du théatre anglais médiéval dont Twm o’rnbsp;Nant a farci son oeuvre. Je ne saurais prétendre a lesnbsp;déterminer avec precision. Mais l’auteur n’indique-t-il pas lui-même qu’il a construit son plan sur Ie
modèle du mystère anglais des « Quatre Eléments ^ )gt;';
193.
1. nbsp;nbsp;nbsp;Borrow, Wild Wales, p.
2. nbsp;nbsp;nbsp;ld., ibid., p. 193-194.
3. nbsp;nbsp;nbsp;Pollard, English miracle plays, moralitie and inlerludes,nbsp;p. 97-10Ö. Cr. Borrow, Wild Wales, p. 192.
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Et, quant aux personnages, nous savons que Ic Fou, que la Mort, sout des figures familièros au dramonbsp;anglais d’avant Shakespeare*. On y retrouve pareil-lement Avarice, Vérité, Contemplation. Enfin, il n’estnbsp;pas jusqu’a l’idée maitresse de la piece galloise, l’op-position de Richesse et de Pauvreté, dont nous n’ayonsnbsp;comme un premier état dans la Magnificence denbsp;Skelton -. Et il en va des autres interludes de Twm o’rnbsp;Nant comme de celui-ci. Le « Shakespeare kymriquo »nbsp;s’est borné, en somme, a tailler dans la matièrenbsp;anglaise. Seulement il l’a fait ii sa fagon et, par la, sesnbsp;emprunts ont un air d’originalité qui leur est propre.nbsp;II les a rajeunis, vivifies par des traits d’observationnbsp;puisés direclement autour de lui, chez les hommes etnbsp;dans les choses de son temps. De culture médiocre, ilnbsp;maiaqua souvent de goüt : ses compatriotes lui repro-chent sa boufïonnerie et sa Irivialité. Mais il a le sensnbsp;du comique, et son realisme populaire, relevó par unenbsp;langue pittoresque, de saveur un pen crue, atteste dunbsp;moins un tempérament. Toutefois, Borrow a raisonnbsp;de dire que le poète, en lui, n’est pas aussi attachantnbsp;que riiomme. Le meilleur, le plus original de sonnbsp;oeuvre, c’est encore sa vie, et tous ses interludesnbsp;réunis n’égalent pas en intérêt dramatique le récitnbsp;qu’il nous en a laissé. Son histoire ** est, par plus d’unnbsp;cóté, celle des humbles artisans armoricains qui,
1. nbsp;nbsp;nbsp;J. J. Jusserand, Ilisloire liUéraire du peuple anglais, p. 50S-309.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Pollard, English miracle plays, moralities and interludes,nbsp;p. 100-113.
3. nbsp;nbsp;nbsp;Roljort Williams, A biographical Dictionary of eminentnbsp;Welshmen, p. 133-134. Cf. Borrow, Wild Wales, pp. 184 et suiv.
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vers Ie mème temps, sur l'aulre rive de Ia Manche, emioblissaient leurs veilles en travaillant a sauver dunbsp;naufrage les debris du theatre breton. Comme eux, ilnbsp;cut les plus humbles origines et resta toujours nunbsp;homme du peuple. Ses parents étaient de panvresnbsp;laboureurs, complètement illettrés. Lui-même n’eutnbsp;gnèro d’école et dut s’cxcrcer tout seul a lire et ü écrirc.nbsp;De bonne heure la poésie l’attira, Ie séduisit d’iinnbsp;irresistible charme. II commenga par chansonner lesnbsp;gens de son village, comma font encore nos poetesnbsp;rustiques de Basse-Bretagne. Puis il s’agrégea a unenbsp;troupe de jeunes hommes de Nantglyn, qui s’etaitnbsp;crigée en confrérie dramatique. II n’avait pas treizenbsp;ans quand il compose son premier interlude dont ilnbsp;emprunta le sujet au célèbre Voyage dii Pèlerin, dunbsp;mystique anglais John Bunyan '. La passion dunbsp;theatre le posséda des lors tout entier. II fut auteur,nbsp;acteur, directeur, mais a ses loisirs et par occasion. Car,nbsp;pour vivre et faire vivre sa femme et ses trois filles, ilnbsp;dut se livrjr a toute sorto de métiers, dont pas nn, annbsp;reste, ne I’enrichit. On le vit, tour a tour, fermier,nbsp;entrepreneur de charrois, péager, magon, briqueticr,nbsp;chaudronnier, poelier et mème, — ajoute-tdl avec sanbsp;gaieté coutumière, — « docteur en fumisterie ». Parfoisnbsp;a la veille d’atteindre 1’aisance, il se trouvait le lende-main sur le point d’etre emprisonné pour dettes. Obligenbsp;de fuir devant ses creanciers, il promena par toutnbsp;le Pays de Galles son magnifique entrain d’amuseurnbsp;populaire, queles pires vicissitudes nepurententamer.
i. Cot ouvrage avait été traduit en gallois dos 1722.
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LE TUEATRE CELTIQUE.
Sa vieillesse fut pauvre, mais joviale et robuste. Sur la fln de sa vie, cependant, saus doute a l’instigationnbsp;de sa femme, il versa dans les pratiques étroites d’unenbsp;piété rigoriste oü sombra sa belle humeur. II ne con-nut plus d’autre sentiment que l’horreur des pécliésnbsp;qu’il avait commis ct dont les moindres n’étaientnbsp;naturellement pas les divertissements scéniques aux-quels il s’était tant complu. Le gai « Sliakespearenbsp;kymrique » eut l’austère trépas d’un Quaker. IInbsp;mourut en 1810, a l’age de soixante et onze ans. Sanbsp;mémoirc resta longtemps chère aux habitants desnbsp;campagnes. Des copies manuscrites do ses oeuvresnbsp;étaient soigneuscment conservées dans les plus humbles logis, et c’est a olies, solon toute probabilité, quenbsp;le pasteur Jenkins voulait faire allusion, quand ilnbsp;afflrmait a Luzel avoir souvent « rencontré dans lesnbsp;chaumières galloises de vieux manuscrits — dialoguésnbsp;et arranges pour Ia scène ‘ )). Plus de quarante ansnbsp;après la mort du poète, Borrow s’enquérant auprès
1. F. M. Luzel, Sainle Tryphiiie et le roi Arthur, p. xv. II se peut aussi, néanmoins, que ce i'usscnt des manuscrits de clianlsnbsp;composes par des poètes campagnards pour être débités par lesnbsp;auteurs du jou de « Marl Lvyd », si populaire encore nu paysnbsp;de Galles dans la première moitié du xix° siècle. Ce Jeu, destinénbsp;peut-être, primitivement, a rappeler l’épisode de la Fuite ennbsp;Egypte, avait dégénéré en bouffonnerie. G’était un des grandsnbsp;divertissements de la nuit de Noel. Les gens qui y prenaientnbsp;part SC promenaient en bande de seuil en souil, escortantnbsp;l’un d’eux, allublé d’un drap blanc quo surmontait une tête denbsp;cheval cnrubannée : ce dernier était censé représenter le per-sonnage de Mari Lwyd (Sainto Marie). A chaque porte, on chan-tait une série de couplets traditionnels auxquels succédaientnbsp;des dialogues coiniques qui n’élaient jamais les mémes d’unenbsp;année a. l’autre. 11 y a cu toute une littérature de cesnbsp;« pageant ¦¦ villageois, surtout dans le coraté de Glamorgan.nbsp;(Cf. Archaeologia Cambrensis, 5quot; série, vol. V, pp. 389-304.)
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LE THEATRE AU PAYS DE GALLES.
des gens de Llangollen de la grande illustration de leur paroisse, qui, dans sa pensée, devait être lolonbsp;Goch, ne trouva sur toutes les lèvres que Ie nom denbsp;Twm o’r Nant*.
Avec lui s’éteiguirent les derniers échos des repré-sentations dramatiques au Pays de Galles. La même excommunication qui avait jadis frappé les mystèresnbsp;proscrivit a son tour l’interlude, malgré sa prétentionnbsp;a moraliser les ames. II avait beau n’être presquenbsp;plus du theatre, il rappelait encore de trop prés unnbsp;genre exécré : sous couleur de travailler a l’édiflcationnbsp;du peuple, il contribuait a son divertissement. Lesnbsp;prédicateurs Ie dénoncèrent. La recrudescence dunbsp;méthodisme, au commencement du xix“ siècle, achevanbsp;de balayer ses misérables debris. Ce fut la fin dunbsp;drame gallois qui n’était, du reste, déja plus qu’unnbsp;fantóme. II n’y a pas d’apparence qu’il ressuscitenbsp;jamais, dans un pays oü, selou Ie-mot de M. Scliu-chardt, « Ie théatre n’a pas de place a cóté denbsp;l’église^)). Les seuls spectacles pour lesquels se pas-sionnent aujourd’hui les Gallois, ce sont les Eistedd-fodau : il est vrai qu’avec leurs clioeurs a cinq et sixnbsp;cents voix, avec leurs corteges bariolés, de druides,nbsp;de bardes et d’ovates, déroulant leurs pompes symbo-liques dans Ie eerde de pierres de la Gorsedd, cesnbsp;grandes assises littéraires et musicales constituent denbsp;véritables manifestations scéniques comparables auxnbsp;plus beaux opéras. Mais les Gallois seraient assuré-ment navrés qu'on y vit rien de pareil. Ils Ie seraient
1. nbsp;nbsp;nbsp;Borrow, Wild Wales, p. 33.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Lettres celtiques, Annales de Bretagne, t. II, p. 038.
C
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encore davantage, je suppose, d’apprendre que Ie théatre, condamné a mort par les sermonnairesnbsp;mélhodistes, semble avoir lóguó la plupart de sesnbsp;procédés a ceux-la mêmes qui furent ses principauxnbsp;exterminateurs. On ne saurait, en effet, assister anbsp;Tuil de ces énormes meetings religieux dont Ie Paysnbsp;de Galles est si friand, sans être saisi du caractèrenbsp;éminemment théatral de l’éloquence qui s’y déploie.nbsp;Les sujets d’abord sont des plus tragiques et des plusnbsp;sombres. lt;( Peindre l’enfer, avec les traits les plusnbsp;grossiers, les couleurs les plus criardes », comme Ienbsp;faisaient volontiers les auteurs d’interludes, tel estnbsp;1’objet que se proposent les prédicateurs. Et c’est anbsp;qui, parmi eux, en tirera les elïets les plus émouvants.nbsp;Ils ne parlent pas leurs sermons, ils les miment, ilsnbsp;les jouent. Le débit et Ie geste, tout est action. Pournbsp;commencer, dit M. Schuchardt, le ton est lent,nbsp;assourdi, savamment mesuré; « peu a peu l’orateurnbsp;s’éctiaufïe; a la fin, on croitvoir et entendre une toutnbsp;autre personne. Le prédicateur se met a bataillernbsp;dans 1’air avec les mains »; il gesticule « comme s’ilnbsp;voulait éventrer le pécheur impénitent; le visagenbsp;s’enflamme, la voix devient rauque et enrouée, le chnbsp;sort du plus profond de la poitrine, comme s’ilnbsp;devait dépeindre l’angoisse éprouvée au Jugementnbsp;dernier; les mots sont hurlés sur un rythme particulier, avec unallongementcontre nature des syllabesnbsp;accentuées ou non. Je ne pus m’empêcher de songernbsp;au pathos monotone avec lequel, l’année précédente,nbsp;j’avais entendu, au Théatre-Frangais, Facteur chargénbsp;du personnage du Cid débiter les passages les plus
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passionnés de son róle » Je nc sais pas a quel acteur M. Schuchardt fait allusion, mais il est certain qu’anbsp;l'eisteddfod nationale de 1898, il était difficilenbsp;d’écouter rugir Ie pasteur Hwfa Món (transforménbsp;pour la circonstance en archidruide) saus penscr anbsp;Mounet-Sully. C’estparces moyens tout dramatiquesnbsp;que s’explique en partie l’extraordinaire prestige desnbsp;sermonnaires gallois. Dès qu’un tournoi d’éloquencenbsp;religieuse est annoncé, la foule s’y rend comme a unenbsp;fête. « J’ai entendu prècher pendant quatre jours denbsp;suite. Le grand jour fut Ie dernier : dans un amphi-théatre gigantesque dressé en plein champ du cótónbsp;de Llanbeblig, il y eut six sermons... L’assistance...nbsp;comptait plus do 15 000 personnes. » Les spectateursnbsp;trépignent d’enthousiasme ou frissonnent de terreur :nbsp;(( Beaucoup, en particulier les vieillards, ressententnbsp;une telle componction qu’ils se mettent a gémir et anbsp;sangloter ^ ». Que les Gallois mepardonnent! mais, sinbsp;mort que soit le tliéatre dans leur pays de foi puri-taine, il ne laisse pas d’y prendre a l’occasion desnbsp;revanches posthumes assez inattendues.
1. nbsp;nbsp;nbsp;Annales de Brelagne, t. II, p. 304-305.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Cf. La lerre du passé, p. 329.
3. nbsp;nbsp;nbsp;Annales de Bretagne, t. II, p. 304.
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La langue cornique. — Les Plan an c/uare. — Les premières manifestations scéniques en Gornouaille, d’après Ie vicomte denbsp;la Villemarqué. — Les Ordinalia : leur caractère plus anglaisnbsp;que cornouaillais. — Le De origine mundi ; une evocationnbsp;bieii inaltendue de Jeanne d’Arc. — Les épisodes comiques. —nbsp;Un raystère cornique sur une légende arinoricaine : la Beunaiisnbsp;Meriasek. — Les derniers jours du theatre cornouaillais.
L’impossibilité a pen pres absolue ou l’on est d’étu-dier I’ancien répertoire kymrique nous réduirait a ignorer, ou peu s’en faut, cc que fut le theatre cheznbsp;les Celtes d’outre-Manche, si une littérature infini-ment moins riche que la galloise, etdont les destinéesnbsp;furent a la fois moins brillantes et plus éphémères,nbsp;ne nous fournissait a eet égard quelques clartés.
La littérature cornique est aujourd’hui une littérature morte. L’idiome oü elle s’est exprimée a disparu de la face du monde a la fln du xvni“ siècle, avec lanbsp;vieille Dolly Pentraeth qui fut, dit-on, la dernièrenbsp;personne a le parler couramment*. II ne semble pas
1. Polwhele, The history of Cornwall, t. II, p. 17 el suiv. — Yoir aussi W. S. Lach Szyrma, Le dernier écho do la langue cornique {Revue celtique, t. III, p. 239-242).
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qu’il ait jamais eu ime existence bien prospère. Dès la conqnête saxonne, en effet, il fut persecuteLesnbsp;Coruouaillais étaient loin de sc trouver dans dos conditions aussi favorables quc les Gallois pour résisternbsp;a renvaliisscur. D’abord, ils étaient moins nombrcuxnbsp;et peut-être moins coherents. Puis, de par leur situation topograpliique, ils étaient davantagc a la mercinbsp;immediate de 1’enncmi. Enfin, ils n’avaicnt pas dcnbsp;liautes montagnes pour les couvrir. Les plaines et lesnbsp;vallées qu’ils occupaient étaient ouvertes do toutesnbsp;parts. Force leur fut done de subir l’anglicisation.nbsp;Maitres du paj's, usurpateurs du sol, les conquérantsnbsp;s’appliquèrent a en extirper la langue, en instituantnbsp;des écoles saxonnes, comme a Tavistock, en décou-rageant par tons les moyens et dans toutes les occasions l’usage du cornique. Ainsi pourchassé, celui-cinbsp;ne se maintint que dans Ie Cornwall et une partie dunbsp;Bevonshire. Encore, en üevon, Ie saxon devint-il Ienbsp;parler a la mode, Ie parler élégant, parmi les gens denbsp;la classe cultivée. La substitution de la dominationnbsp;normande a la domination saxonne n’améliora nulle-mont 1’état des choses, si même elle ne Paggrava Lnbsp;Tandis qu’cn Galles l’aristocratio, même pénétréenbsp;par l’élément étranger, demeurait galloise, les Cor-nouaillais, en passant du Jong saxon sous Iequot; jongnbsp;uormand, ne firent que changer de servitude et tout
1. nbsp;nbsp;nbsp;Les Aiif^To-Saxoas iie péinHièreat loulefois (ju’assez tardi-'enient sur lo territoire des Cornovii. « C’est dans les premièresnbsp;années rhi ix° siècle qu’ils s’étaldissent sur une partie dc leurnbsp;territoire. » (J. Lotli, Annales de Bretagne, t. XVt, p. 281).
2. nbsp;nbsp;nbsp;I'olwhele, ïVfe history of Cornwall, t. I, 1. 2, cli. 0, ]gt;p. 28-29.
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LE THEATRE CELÏIQUE.
ce que Ie corniqiie y gagna, ce fat d’etre la langue d’im peuple deux fois soumis, c’est-a- dirc une languenbsp;doublcment méprisée. Or, quand un idiome n’a plusnbsp;pour tenant que Ie peuple, il peut durer encore au-dela de toute attente, si ce peuple porte en lui, commenbsp;c’est Ie cas pour les races celtiques, une prodigieusenbsp;vertil d’obstination et delongévitó; mais il ne sauraitnbsp;plus vivre que d’une vie précaire, ni donner nais-sancequ’a des oeuvres d’une inspiration fort inégale etnbsp;d’un génie toujours incorrect. Parmi les personnes denbsp;quelque culture, il n’y a guère que les prêtrcs — ounbsp;les politiciens de village — qui, pour des raisons denbsp;prosélytisme, aient intérêt a Ie pratiquer. Un parlernbsp;local, s’il est délaissé par les gens d’église, est irré-médiablement voué ii une prompte disparition. Si Ienbsp;cornique était restc la langue de la cbaire, il est probable que, comme Ie breton armoricain, il ent survécu,nbsp;et si, a 1’époque de la Réforme, ilavait été adopté pournbsp;la translation en langue vulgaire des textes sacrés,nbsp;peut-être n’eiit-il pas survécu seulement, mais pros-péré, comme Ie gallois. La traduction de la Bible ennbsp;kymriquo a été, en effet, Ie point de départ d’unc èrenbsp;de rajeunissement et comme une source d’énergiesnbsp;nouvelles pour la littérature du Pays de Galles. Toutnbsp;autre fut malheureusement Ie sort du cornique.nbsp;Lorsque la liturgie protestante fut substituée a 1’or-dinaire de la messe en latin, les gentlemen de Cor-nouaille, consultés, insistèrent pour que Ie culte senbsp;fit en anglais, reniant ainsi, de propos délibéré, l’an-tique parler de leurs ancêtres (1534). Le cornique, desnbsp;lors, était condamné. Richard Carew, dans son Sur-
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vey of Cornwall, paru en 1602, nous le montre acculé déja aux extremes confins du Land’s End Vers 1678nbsp;cependant, le révérend F. Robinson, recteur de Lan-dewednak, prochait encore a ses paroissiens dans lanbsp;langue natale’. Mais c’était le commencement de lanbsp;fin et, moins de cent ans plus tard(1777), le corniquenbsp;exhalait ses derniers accents par les lèvres de la vieillenbsp;Dolly, la vénérable centenaire de Mousehole.
11 n’appartieut plus aujourd’hui qu’a I’histoire. L’héritage qu’il a laissé, ou du moins ce que Ton ennbsp;connait a I’heure présente, est assez mince. Les seulsnbsp;vestiges importants qui en subsistent sont des mys-tères^. Et 1’on peut dire que, si Ton excepte quelquesnbsp;menues épaves*, toute la littérature des Celtes du
1. nbsp;nbsp;nbsp;Carew's Survey of Cornwall, p. 131.
2. nbsp;nbsp;nbsp;PoUvhele, The history of Cornwall, t. II, p. 7 (The language,nbsp;literature and literary characters of Cornwall).
3. nbsp;nbsp;nbsp;Ce sont :
1° L’Origine du Monde, ms. du xiv'-xv’ siècle.
2“ La Passion du Christ, ms. du xiv'-xv' siècle.
.3° La Resurrection du Seigneur, ms. du xiv-xv' siècle.
Ges trois textes ont été publiés par Norris, The ancient Cornish Drama, edited and translated, Oxford, 1839.
4” Le Mont Calvaire, ou La Passion de Notre Seigneur, ms. du xiY'-xv' siècle, public par Wli. Stokes, The passion of ournbsp;Lord, The Philological Society's Transactions, London, 1802-1803.
3° La Vie de saint Meriadek, ms. daté de 1304, public par Wh. Stokes, The life of saint Meriasek, honion, 1872.
0° La Gréation du Monde, ms. daté de 1611, publié par Wh. Stokes, The creation of the worM, London, 1864. Dans le mémenbsp;manuscrit se trouve une traduction cornique du premier chapitrenbsp;de la Genèse.
4. nbsp;nbsp;nbsp;Voir Wh. Stokes, Cornica, Revue celligue, t. Ill, p. 83;nbsp;fragment d’un drame, phrases de conversation,!. IV, p. 238; Thenbsp;manumissions in the Bodmin Gospels, id., t. I, p. 332; J. Loth,nbsp;Archiv fiir celtische Philologie, t. 1, fasc. 2.
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Cornwall apparait comme exclusivemont dramalique. C’est ime raison plausible pour penser que Ie theatrenbsp;fut une des distractions favorites du peuplccornouail-lais. Ce peuple semble, d’ailleurs, avoir de tout tempsnbsp;professó Ie goüt Ie plus vif pour tons les genres denbsp;spectacles et de divertissements publics. Rien nenbsp;l’atteste mieuxque les nombreuses enceintes, aujour-d’hui communément désignées sous Ie nom de rounds,nbsp;qui, dès les époquesanciennes, leurfurent consacrées.nbsp;Elles forment encore une des principales curiositésnbsp;archéologiques du Cornwall. De Truro, vers Test,nbsp;jusqu’a l’extrême pointe occidentale du Land’s End,nbsp;c’est-a-dire sur un espace équivalent comme étenduonbsp;aun de nos départements frangais, on ne relève pasnbsp;moins d’une dizaine de ces enceintes. 11 y en a desnbsp;vestiges a Redruth, a Ruan major, a Ruan minor, anbsp;Kerys, a Landewednak, jusque sur les falaises avan-cées du cap Lizard. Les plus célèbrcs ct les mieuxnbsp;conservées sont celles do Saint-Just et de Perranza-bulo. Dans presque toutes I’arcliitecture était lanbsp;même : seules les dimensions variaient. Elles étaientnbsp;généralement établies dans un bas fond, une de cesnbsp;combes cornouaillaises fermées par un rideau denbsp;collines, rappelant si bien nos petites vallées bre-tonnes ’. William Borlase nousdécrit de la fagon sui-vante Tune d’elles qui, de son temps, était encore anbsp;peu pres intacte : « Le plus remarquable monumentnbsp;de ce genre que j’aie vu se trouve prés de l’église denbsp;Saint-Just, a Penwitli. R a été quelque peu défiguré
1. )¦ Cymru, 13 novembre 1807, article do 11. Tobit Evans.
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par les inintelligentes réparations qu’oii y a faites en ces dernièrcs aiinées, mals les parties qui n’ont pasnbsp;ététoucliées montrent qu’il s’agit d’uii traA^ail tout anbsp;fait au-dessus de l’ordinaire. C'était im cercle parfaitnbsp;de cent vingt pieds de diamètre. Le rempart extérieurnbsp;est hautde dix pieds et a dii ètre jadis plus élevé. Lesnbsp;sieges se composent de sept rangs de gradins largcs,nbsp;chacun, de quatorze pouces, et liauts d un piedL »nbsp;A Saint-Just, ces gradins étaient en pierre, mais lenbsp;plus souvent, nous apprend encore Borlase, ils étaientnbsp;de simple gazon, comme ceux dont parle Ovide :
In gradibus sedit populus do cespite factis Qualibet birsuta fronde tegente comas.
L’arène présentait deux entrées se faisantface, 1’une au nord, l’autre au sud. Quant a la capacité de l’am-phithéatre, un auteur évalue a deux mille le nombrenbsp;de spectateurs qui pouvaient y tenir confortablementnbsp;assis.
Le nom de plan an guare (aire du jeu), attribué en corniquc a ces monuments, ne laisse aucun doute surnbsp;leur destination. C’étaient évidemrnent des lieux denbsp;spectacles. Mais de quelle sorte de spectacles? Pournbsp;le vicomtc de la Villemarqué, la question ne se posenbsp;mème pas. Les plan an guare de Cornouaille, commenbsp;les givarwgfa du pays de Galles, sont a ses yeux desnbsp;théatres, au sens propre du mot, construits et amé-nagés dès l’origine pour servir a des représentationsnbsp;dramatiques; et, comme ils remontent visiblement,
1. Borlase, 0/isercations on ihe anliqidlies historical and monumental of the countij of Cornwall, p. 190.
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sinon au temps de l’occupation romaine, du moins aux premiers siècles de notre ere, l’auteur de l’Introduc-tion au Grand Myslère de Jésus n’hésitera pas, nousnbsp;Ie verrons, a reporter jusque dans les mêmes agesnbsp;l’institution des jeux scéniques chez les Bretons cor-nouaillais. C’est prendre pour démontrée une hypothese que rien ne justifie. De ce que les mots de « plannbsp;an guare » ne peuvent désigner que des enceintesnbsp;consacrées a des jeux, il ne s’ensuit pas que ces jeuxnbsp;aient eu constamment un rapport direct avec Ienbsp;theatre. II est même probable que, dans Ie principe,nbsp;ils consistèrent surtout en des exercices de force etnbsp;d’adresse, tels que ces sports athlétiques oü les Bretons de Cornouaille, paysans et mineurs, étaientnbsp;encore passés maitres, au temps de Borlase ‘, et pournbsp;lesquels, comme leurs congénères de ce cóté du détroit,nbsp;ils sont, parait-il, toujours aussi passionnés. Ce n’estnbsp;que plus tard, quand, aux divertissements tradition-nels, furent venues s’ajouter les representations de mys-tëres, qu’on songea, comme il était naturel, a profilernbsp;de I’installation déja existante et a donner les spectacles dramatiques dans les mêmes lieux oü Ic peuplenbsp;avail accoutumó de se réunir pour assister a des comnbsp;bats de lutteurs
1. nbsp;nbsp;nbsp;Observations on the antiquities historical and monumentalnbsp;of the county of Cornwall, p. 193-190. Polwhele vcut mèmenbsp;qu’a Torigine on y ait donné des tournois ct qu’elles aient servinbsp;de champ clos a des Jugements do Dieu. Mais Norris, Thenbsp;ancient Cornish Drama, t. Il, p. 308, s’élève centre cettenbsp;opinion.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Même chose se passait en France, dans les villes oünbsp;subsistaient des ruines de theatres ou d’amphithéatres antiques.nbsp;Cf. Petit de Julleville, Les !\Iysières, t. I, p. 402.
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II est bon de se souvenir a ce propos que les mys-tères ne se jouaient pas, comme nos pièces modernes, d’une fagon suivie, mais seulement en des occasionsnbsp;solennelles et parfois a de longs intervalles. Les plannbsp;an guare eurent pour effet de dispenser, en Cornouaille,nbsp;les entrepreneurs de representations des frais quenbsp;nécessitait ailleurs Fédification des théatres de circons-tance et qui se montaient Ie plus souvent a desnbsp;sommes considerables. La oii ces antiques enceintesnbsp;de pierre faisaient défaut, on y suppléait, commenbsp;nous Ie Toyons chez Carowen en fagonnant d’au-tres sur Ie modèle de celles-la, par un procédé fortnbsp;simple et peu couteux. On cboisissait un champ ounbsp;un pré oftrant a peu prés la dispositmn voulue, etnbsp;1’on y creusait en pleine terre un amphitheatre rus-tique avec des hancs de gazon, les mêmes sans doutenbsp;dont parle Borlase, étages sur Ie pourtour d’une airenbsp;intérieiire d’environ quarante a cinquante pieds denbsp;diamctre. C’est cette aire en contre-has, ce plan annbsp;gunre proprement dit, qui portait la scène. D’oü lanbsp;forme circulaire que prêtent a celle-ci les schémas flgiirésnbsp;dans les manuscrits pour indiquer la place des acteursnbsp;et les divers lieux de Faction. (Voir page suivante un denbsp;ces schémas tiré de la Vie de Saint Mériadck^).
La scène, Ie vicomte de la Villemarqué se la repré-sente mobile, avec quatre ou cinq étages h des loges.
1. nbsp;nbsp;nbsp;Garew, Survey of Cornwall, p. 192. Cf. Norris, The ancientnbsp;Cornish drama, t. II, p.
2. nbsp;nbsp;nbsp;The life of S. Meriasek, p. 200.
3. nbsp;nbsp;nbsp;En 1803, au moment oü écrivait 11. de Ia Villemarqué, Paulinnbsp;Paris avait déjii fait justice de Pliypothèse des scènes ii étage.nbsp;Cf. Petit de Julleville, Les Mystères, t. I, p. 387.
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des escaliers tournants, des trappes, des allées souter-raines. Je croirais plutót qu’elle se composait uniquc-ment d’un plancher (pulpilum) supporté par des tré-teaux\ et qu’elle devait être fort peu exliaussée au-dessus du terre-plein sur lequel elle était construite, sinon 11 n’y eiit eu que les spectateurs des gradins
Celum Tortoresnbsp;Infern-umnbsp;Exulatoresnbsp;Comes Rohany
Silvester
Magister
Episcopiis Kcrnov
Capella
Dux Britonum Rcx Conanusnbsp;Constantinus
Dux Corniibiac Tevdarus Imperator
supérieurs a pouvoir suivre des yeux Ie spectacle. Et, pour ce qui est du décor, s’il y en avait im, je pensenbsp;qu’ü était réduit au strict nécessaire, ne füt-ce quenbsp;pour n’intercepter point aux personnes assises d’unnbsp;cóté do la scène la vuo de ce qui se passait do rautrcnbsp;cóté. Ua trou creusé dans Ie sol, sous Ie parquet denbsp;la scène, et auquel conduisait uno tranchée en pente,nbsp;servait, selon Borlase, a flgurer l’enfer Peut-êtrc lesnbsp;diverses indications mentionnées dans les schemasnbsp;dont on vient de voir un spécimen étaient elles, dansnbsp;la réalité, affichées sur do vulgaires écriteaux. II n’ennbsp;allait pas différemment dans les plus riches citésnbsp;anglaises et, dit on, jusques a l’époque de Shake-
1. nbsp;nbsp;nbsp;Cl'. Norris, The ancient Cornish drama, I, p. 4 ; « hic des-cendit Deus do pulpito ».
2. nbsp;nbsp;nbsp;Borlase, citó par Norris; t. II, .Appendix, p. 430.
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speare*. A plus forte raison dans les humbles bour-gades du Cornwall oü Ie petit peuple était a peu pres seul a encourager des pieces écrites, d’ailleurs, a sonnbsp;intention, dans une langue que les représentants denbsp;l’aristocratie locale ne parlaient plus et pour laquellenbsp;ils ne professaient que mépris.
Une anecdote rapportée par Carew, en même temps qu’elle nous renseigne sur la rusticité singulière dunbsp;jeu scénique cbez les Coruouaillais, montre bien que,nbsp;s’il arrivait par hasard aux gentlemen de s’y rendre,nbsp;ce n’était guère que pour s’en gausser. (( Les acteurs^nbsp;dit Carew, ne récitent pas leur róle par coeur : ils scnbsp;Ie font souffler par un personnage que l’on appellenbsp;{'Ordinaire (The Ordinary) L Cet Ordinaire se tientnbsp;derrière leur dos, Ie texte de la piècc a la main, etnbsp;leur chuchote a voix basse les phrases qu’ils ont anbsp;débiter tout haut. » Or void de quelle mystificationnbsp;s’avisa un jour un gentleman que Carew qualifie denbsp;plaisant et de spiritucl. On jouait une pièce quelconquenbsp;dans un endroit qu’on ne spécifle pas davantage.nbsp;Ledit gentleman se fait céder par un des acteurs sonnbsp;róle — et saus doute son costume — et se présente anbsp;sa place sur la scène. (( Ne manquez pas au moins denbsp;bien répéter après moi », lui recommande avant Ienbsp;spectacle l’Ordinaire qui, ignorant sa qualité, en usenbsp;avec lui comme avec les acteurs improvisés auxquels
1. nbsp;nbsp;nbsp;C’est du moins une opinion trés répandue : on la trouvenbsp;encore dans Ie livre récent de E. Legouis, Shakespeare (Pagesnbsp;choisics des Grands Êcrivains), Introduction, p. xxxiii.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Borlase l’appelle The chief manager. Cf. Norris, The ancientnbsp;Cornish Drama, t. II, p. 457.
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il a généralement affaire, des paysans illettrés pour la plupart, geus do bon vouloir, mais de tête un peunbsp;dure, qu’il était prudent d'avertir deux fois plutótnbsp;qu’une. Le gentleman lui promct naturellement denbsp;se conformer a ses instructions. Son tour arrive denbsp;paraitre en scène; l’Ordinaire lui souffle a l’oreille :nbsp;« Allons! eest le moment de te montrer! » Le gentleman, aussitót, de s’avancer de l’air le plus balourdnbsp;possible; puis, feignant d’interpréter a la lettre lanbsp;consigne qu’il a regue, il hurle a tue-tête : « Allons!nbsp;c’est le moment de te montrer! » — « Imbécile! »nbsp;grommelle entre ses dents l’Ordinaire, furieux d’unenbsp;maladresse qu’il attribue a la seule stupidité de l’ac-teur. (( ïu vas faire rater toute la piècel » II n’a pasnbsp;achevé la phrase que l’autre, imperturbable, la répètenbsp;mot pour mot. Exaspération du régisseur qui, mezzanbsp;voce, tempête, maudit, sacre. Inutile d’ajouter qu’in-vectives et jurons, au fur et a mesure qu’il les laissenbsp;échapper, sont immédiatement transmis avec unenbsp;fidélité scrupuleuse a l’assistance, laquelle, on lenbsp;congoit, s’esclaffe, gagnée par le fou rire. « Force futnbsp;au meneur du jeu de quitter la partie », dit Carew,nbsp;« et Vinterlude en resta la. Les spectateurs en eurent,nbsp;toutefois, pour leur argent, car la farce du gentlemannbsp;leur avait procuré plus de bon sang qu’ils ne s’en fus-sent fait a vingt autres guari du genre de celui pournbsp;lequel ils étaient venus * ».
II est vrai qu’au temps de Carew Ie vieux théatre cornique était déja en pleine disgrace. La Réforme
1. Carew, Survey of Cornwall, p. 192.
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avait passé. On ne voyait plus dans ces mystères, fruits d’une conception religieuse tombée en discredit,nbsp;que des inventions grotesques et surannées. Carew,nbsp;qui les compare pour la grossièreté a la Vetus Comoedianbsp;romaine, declare expressément * que les paysans ynbsp;accouraient surtout pour s’égayer aux diableries, auxnbsp;pitreries, aux bouffonneries de toute sorte dont ilsnbsp;abondaient. Et il se peut que la cbose fut vraie de sonnbsp;époque : elle ne l’était point du temps oü ces mystèresnbsp;furent écrits. Leurs spectateurs d’alors, pas plusnbsp;en Cornouaille qu’en Angleterre ou en France, n’ynbsp;venaient dans Ie seul dessein d’y trouver a rire. Desnbsp;préoccupations d’un ordre plus élevé les y attiraient,nbsp;je veux dire ce vif sentiment de curiosité pieuse etnbsp;cette soif d’émotions sacrées qui flrent au moyen agenbsp;la fortune des mystères auprès des foules. En Cornouaille, comme ailleurs, Ie drame est né d’une penséenbsp;religieuse et, comme ailleurs, vraisemblablement, ilnbsp;a eu pour premier berceau l’Église. Ce qui démontrenbsp;bien cette enfance hiératique des mystères cornouail-lais, c’est Ie vocable latin ^’ordinale par lequel ilsnbsp;sont uniformément désignés dans les manuscrits, —nbsp;Ie même qui, dans la langue ecclésiastique, sert anbsp;désigner 1'ensemble des cérémonies de la messe. Lenbsp;mystère de la Création du monde, par exemple, estnbsp;appelé Ordinale de origine rnundi, celui de saintnbsp;Mériadek, Ordinale de vila sancli Mereadoci, etc.nbsp;Nul doute, par conséquent, qu’ils n’aient eu primiti-vement pour objet Fédification des ames. ((Ils ont été
1. Carew, Survey of Cornwall, p. 192.
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composés )), dit l’évêque Nicholson, « pour répandre dans la masse du peuple une notion plus juste desnbsp;Écritures' ». Plus juste, c’est peut-être beaucoup dire;nbsp;plus animée, en tout cas, et plus saisissante.
Des pièces que nous possédons il n’en est pas une qui ne se rattache a eet ordre d’idées. Pourtant, sinbsp;1’on en croit Ie vicomte de la Villemarqué, ce tliéatrenbsp;d’inspiration chrétienne, Ie seul qui nous soit connu,nbsp;aurait été précédé, chez les Cornouaillais, par un autrenbsp;théatre beaucoup plus ancien, et qui serait, celui-la,nbsp;d’une origine purement celtique. « C’est aussi parnbsp;des pantomimes », écrit il, « que débute Ie drame ennbsp;Cornouaille; on y mit en scène, comme en Galles,nbsp;d’anciens types nationaux diers au peuple’. » Parminbsp;CCS héros venaient en première ligne deux person-nages inconnus dont les statues de granit ornent anbsp;Londres Ie palais du lord-maire et sont appelées, anbsp;cause de leur taille gigantesque, 71ie giants of Guildhall. Tous deux appartenaient a la légende bretonne,nbsp;1’un, comme « premier roi de Cornouaille », 1’autre,nbsp;comme représentant d’une « race de géants chasseurs »nbsp;dont ce roi « avait purgé 1’ile de Bretagne ». Leursnbsp;aventures, que Ie vicomte de la Villemarqué résuménbsp;d’après Ie Brut y Brenhinoedd aurait, selon lui, servi
1. nbsp;nbsp;nbsp;Bishop Nicholson’s letter to Dr. Charlett, citée par Borlase,nbsp;Observations on the antiquities hisloricat and monumental ofnbsp;the county of Cornwall, p. 196.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Voir ci-dessus, p. 87, note 3.
3. nbsp;nbsp;nbsp;Le grand mystère de Je'sus, Introduction, p. xxix.
i. Brut y Brenhinoedd, dans la Myfyrian Archaeology, p. 439, col. 1. Dans ce texte, les deux géants s’appellént Corenoys etnbsp;Gogmagog. Ce dernier noni est vraiseinhlablement d’originenbsp;hihlique. Cf. Ézéchiel 38, 2; Apocalypse, 20, 7.
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de thème a un divertissement dramatique qu’il nous décrit en ces termes : « Chacun des deux acteurs figurant Corineus et Goëmagog ‘ chantait ses mérites personnels, a peu prés a la manière des lutteurs ïal-houarn et Cador, dans la magnifique scène oü Brizeux^nbsp;a reproduit avec art un original populaire. Un troi-sième acteur, Ie maitre de la lice, ouvrait et fermaitnbsp;la scène par Ie récit du combat du roi de Cornouaillenbsp;contre Ie géant^ » Sur quelle autorité Ie vicomte denbsp;la Villemarqué se fonde-t-il, non seulement pour certifier l’existcnce de ce jeu, mais encore pouren donnernbsp;une description si precise? J’ai Ie regret de constaternbsp;qu’il oublie de nous Ie dire. Et, s’il faut aller jusqu’aunbsp;bout de ma pensee, je ne serais pas autrement surprisnbsp;qu’il eüt puisé l’idée de ce prétendu divertissementnbsp;cornique dans Ie passage de Brizeux qu’il en rap-procbe. C’est un phénomène de suggestion dont onnbsp;trouve chez lui plus d’un cxemple. Par un miragenbsp;d'imagination, il aura transmué la fiction du poètenbsp;frangais contemporain en un document breton dunbsp;TV’ OU du v° siècle. J’ai tort d’écrire : du iv“ ou dunbsp;siècle; car Ie vicomte de la Villemarqué ne spéciflenbsp;pas au juste « de quelle époque date ce jeu nationalnbsp;chez les Bretons de Pile et du continent » (notez cettenbsp;petite addition si habilement glissée), mais c’est pour
1. nbsp;nbsp;nbsp;Ce sent les noms des deux géants chez Geoffrey de Monmouth, Historia regiim Britanniae, livre I, c. xvi; Bei'um bri-tunnicarum scriptores vetustiores ac praecipui, p. 9. Dansnbsp;1’edition donnée par J.-A. Giles, Londini, 1844, p. 21, on litnbsp;Goemagot.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Les Bretons, chant vn.
3. nbsp;nbsp;nbsp;Le grand mystère de Jésus, Introduction, p. xxxiii.
7
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garder Ie droit de Ie reculer plus loin encore dans les limbes du passé et pouvoir « affirmer sans craintenbsp;qu’il remonte au berceau de cette race d’intrépidesnbsp;lutteurs ‘ )).
Et voila flxées pour Ie vicomte de la Villcmarqué les origines du theatre cornique : elles sont, commenbsp;il convient, contemporaines des origines mêmes de lanbsp;race. Que si la légende des Gorinur et des Caur-Magognbsp;fournit les personnages primitifs de ce théatre, onnbsp;coiiQoit sans peine que les « chefs nationaux » denbsp;l’age postérieur, « Gorloïs, Mare, Arthur lui-même »,nbsp;durent y flgurer a leur tour. Le vicomte de la Ville-marqué estime du moins qu’ « on a lieu de le croire ».nbsp;Ainsi, l’on y aurait représenté, par exemple, « lesnbsp;tristes infortunes conjugales » du mari de Genièvre;nbsp;Tristan y aurait paru « avec la femme de son onclenbsp;sous Thabit d’un fou »; Merlin y aurait joué « le rólenbsp;déshonnête de Mercure dans Amphitryon », etc. Cenbsp;serait même le caractère peu moral de ce théatre, —nbsp;qualifié par le vicomte de la Villcmarqué de « profane )), — qui, en óveillant les justes susceptibilitésnbsp;du clergé cornouaillais, aurait mérité d’abord les
1. Le grand mystère de Jésus, Introd., p. xxxiii. On voit Ie procédé de H. de la Villemarqué. Brizeux 1'ait diiiloguor desnbsp;lutteurs cornouaillais, de la Cornouaille armoricaine. Chez lesnbsp;Cornouaillais d’outre-mer la lutte aussi était en grand lionneur.nbsp;Done des dialogues semblables ont dü exister cliez eux. Parnbsp;qui remplacer Cador et Talhouarn, des paj-sans? Naturellcment,nbsp;par des chefs do guerre. Et voila Goëmagog substitué il Cador,nbsp;Gorineus subslitué ii Talhouarn. De plus, d’après 11. de la Vil-lomarqué, ces deux noras auraient pour forme primitive Gorinurnbsp;et Caur-maguuc, dont Geolfroy de Montmouth aurait fait Gorineus et Goëmagog. Gorinur, signiflant lutteur, a fait penser auxnbsp;lutteurs de Brizeux. De la toute la construction.
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anathèmes de Gildas contre les ludicra dont il est parlé damp;ns l’Ëpistola', puis provoqué la genese d’unnbsp;nouveau théatre, d’institution ecclésiastique cettenbsp;fois, et crééen vuede supplanter l’autre. Car telle estnbsp;la raison toute fantaisiste a laquelle Ie vicomte de lanbsp;Villemarquó juge nécessaire de recourir pour expli-quer l’apparition des m3^stères dans la littérature denbsp;la Cornouaille. L’époque oü se serait perpétrée cettenbsp;espèce de coup d’Etat littéraire se doit placer, selonnbsp;lui, entre Ie viii' et Ie ix® siècle. « Rien n’empêche,nbsp;dit-il, de supposer que Ie clergé ait commencé sonnbsp;oeuvre » vers ce temps, « en Cornouaille comme ail-lews^ )). (« Oü done? )) demande entre parenthèsesnbsp;M. Paul Meyer dans la pénétrante critique qu’il anbsp;faite du travail du vicomte de la Villemarqué.) Lenbsp;vrai, c’est qu’il est impossible de constater cliez lesnbsp;Gornouaillais aucune forme de théatre, quelle qu’ellenbsp;soit, antérieure aux mystères; et ces mj^stères, s’ilsnbsp;ne sont pas au plus tót du xv“ siècle, ne remontentnbsp;certainement pas au dela du xiv“.
Sur leurs auteurs on ne possède aucun renseigne-ment précis. Nous ne savons ni qui ils étaient, ni a quelle catégorie sociale ils appartenaient. Les nomsnbsp;qui se lisent a la fm de quelques manuscrits doivent,nbsp;comme dans presque tous nos mystères bretons,nbsp;désigner moins les auteurs que les copistes. Tel,nbsp;entre autres, ce William Jordan qui rédigea en l’an-née 1611 le plus ancien texte que nous ayons do la
1. nbsp;nbsp;nbsp;Rerum britannicarum scriptores vetustiores, p. 132.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Le Grand Mystère de Jésus, Introduction, p. xxxv.
3. nbsp;nbsp;nbsp;Revue critique d’kisioire et de littérature, 1860, t. I, p. 221.
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Gwreans an Bys. M. Whitley Stokes' observe avec raison qiie certaines formes paraissent remonter plusnbsp;haut que cotte date et qii’au surplus la mention quenbsp;la piece fait des limbos implique qu’elle fut composéenbsp;antérieuremcnt a la Réforme. II se pourrait que le casnbsp;flit différent pour le « dominus Hadton » qui terminanbsp;en 1504 le manuscrit de la Vita sancti Mereadoci^.nbsp;Rien ici ne s’oppose a ce que la date de la transcription soit également celle de la composition et, d’autrenbsp;part, ce titre de lt;( dominus » quo se décerne leditnbsp;Hadton fait présumer qu’il s’agit d’un homme denbsp;quelque culture, probablement d’un prêtre ou d’unnbsp;moine, en qui Ton peut, avec quelque apparence denbsp;vérité, voir I’auteur même de la pièce. Norris estnbsp;d’avis que les auteurs des autres mysteres cornouail-lais furent pareillement des ecclésiastiques. C’estnbsp;même par cette origine toute cléricale qu’il expliquenbsp;I’introduction du theatre en Cornouaille. « Ces ecclésiastiques, dit-il, appartenant a I’Eglise anglicane,nbsp;étaient profondément imprégnés de culture anglaise :nbsp;c’étaient des Cornouaillais anglicisés. Or, comme unnbsp;des moyens les plus efficacement employés en Angle-terre pour initier les masses illettrées a la connais-sance de la Bible consistait a présenter sous formenbsp;dramatique les plus émouvants de ses épisodes, onnbsp;peut être certain que les prêtres cornouaillais ne furentnbsp;pas des derniers a adopter pour leurs propres ouaillesnbsp;un mode d’instruction aussi précieux. C’est dans ce
1. nbsp;nbsp;nbsp;Gwreans an Bys, the creation of the world, a Cornish mysterynbsp;edited with a translation and notes by Whitley Stokes, p. 4.
2. nbsp;nbsp;nbsp;'Che life of S. Meriasek, p. v.
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LE THEATRE EN CORNOÜAILTE.
but qu’ils entreprirent de composer des pieces en langue cornique, ou mieux, de faire passer dans cettenbsp;langue quelques unes des pièces qui existaient ennbsp;anglais *. » Pour les Ordinalia édités par lui, Norrisnbsp;croit mênio pouvoir indiquer Ie canal de transmissionnbsp;qui aurait été Ie collége de Glazenny, fondé sous lesnbsp;auspices de l’évêque d’Exeter ^
La littérature dramatique cornouaillaise ne fut, en effet, qu’un genre importé. Loin qu’on la puisse con-sidérer comme Ie fruit de I’inspiration indigene, ditnbsp;Norris, « elle a inanifestement une origine cxotique :nbsp;c’est d’Angleterre que les mystères out été trans-plantés en GornwalL ». On en a déja une preuve dansnbsp;Ie nom de guari-mirkle par lequel Ie peuple désignaitnbsp;les Ordinalia, et qui est la traduction littéralc denbsp;miracle-play. Mais ce n’est point par Ie nom seulementnbsp;que les drames corniques rappellent les productionsnbsp;analogues du théatre anglais. Les sujets aussi sontnbsp;les mèmes de part et d’autre, et présentés de la mêmenbsp;manière, avec les mêmes épisodes cssentiels disposésnbsp;dans Ie même ordre. Limitation est évidente. Et,nbsp;dans bien des cas, on ne se contentait pas d’imiter,nbsp;on s’appliquait a traduire. Norris cite nombre denbsp;passages ópars de ci, de la dans les mystères anglaisnbsp;qui se retrouvent presque mot pour mot dans lesnbsp;versions corniques L II est regrettable que, se récusant
1. nbsp;nbsp;nbsp;Norris, The ancient Cornish drama, t. II, p. 508.
2. nbsp;nbsp;nbsp;ld., ibid., t. II, p. 506.
3. nbsp;nbsp;nbsp;ld., ibid., t. 11, p. 508.
1. Par exeinple ua passage du Cursor Mundi (Chester Myste-ries, p. 233) est reproduit presque mot pour mot daus VOrdinale de liesurrectione, v. 2493 (Norris, t. II, p. 188-189); il arrivé
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bien a tort sur son incompetence, Ie trop modeste éditenr dc The ancient Cornish drama n’ait pas jugé anbsp;propos de pousser plusavantcette étude comparative.nbsp;II est plus regrettable encore que M. Whitley Stokesnbsp;qui, lui, était plus qualifié que personnc pour cettenbsp;tache’, n’ait pas cru devoir roprendre et compléternbsp;sur ce point Ie travail de son devancier. Souhaitonsnbsp;que l’idée lui en vienne un jour. Nous saurons alorsnbsp;exactement a quelles sources anglo-normandes ontnbsp;puisé les dramaturges cornouaillais.
II y a, du reste, indépendamment de la langue, certains points par oü ce théatre tout d’importation ne laisse pas de présenter une physionomie a quelquesnbsp;égards originate. La versification, d’abord, biennbsp;qu’ayant subi des influences étrangères, n’a pas perdunbsp;tout caractère celtique. On n’y rencontre point, il estnbsp;vrai, Ie système compliqué de la rime interne si chernbsp;aux filé irlandais, aux bardos gallois et même auxnbsp;anciens poètes bretons; ou, du moins, il n’en subsistenbsp;d’autres traces « que los rimes des strophes sorties denbsp;grands vers », les membres qui rimaient primitivementnbsp;a l’intérieur du vers étant devenus des vers de mêmenbsp;rime^. Mais la variété des stances, Ie tour éminem-ment lyrique qu’elles communiquent au dialogue, lanbsp;prédominance aussi du vers de sept pieds pour lequelnbsp;les peuples celtiques semblent avoir eu une prédilec-même que des vers anglais soient insérés tels quels dans Ienbsp;texte cornique avec la mention « englisch » en marge. (Cf.nbsp;Gwreans an Bys, p. 90.)
1. nbsp;nbsp;nbsp;On sail que M. Whitley Stokes a édité un mystèrc moyen-anglais, The Play of the Sacrament, a middle-Enylish drama.
2. nbsp;nbsp;nbsp;J. Loth, La métrirjue galloise, t. II, 2“ partie, p. 215.
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tion particuliere, voila, si je ne me trompe, autant de caractères que la poésie dramatique cornouaillaise anbsp;quelque droit de revendiquer en propre. Elle eii ofïrenbsp;d’autres, plus spéciaux, dont il scrait difficile de direnbsp;qu’ils nc sentent pas a plein leur terroir : je veuxnbsp;parler des noms de lieux empruntés a la Cornouaille,nbsp;quelepoète se plaitaintroduire dans Ie cadre bibliquenbsp;OU évangélique de sou drame. Ce sont la, comme onnbsp;sait, des licences topographiques communes a tous lesnbsp;mystères du moyen age et qui, loin de choquer Ienbsp;public, flattaient son patriotisme local. Les Cor-nouaillais trouvaient fort decent que Ie roi David, parnbsp;exemple, désireux de récompenser Ie messager qu’ilnbsp;avait chargé de recruter des masons pour la construction du temple, lui octroyat par charte les domainesnbsp;médiocrement palestiniens de Carnsew et de Tre-hembys Norris, dans les pieces qu’il a éditées, a punbsp;dresser toute une liste de fermes, de manoirs, denbsp;bourgades, d’iles et de presqu’iles dont les nomsnbsp;devaient évoquer des images domestiques dans l’es-prit du spectateur et sonner a ses oreilles avec unnbsp;timbre familier il tire même argument des lieuxnbsp;ainsi mentionnés, et de la situation de la plupartnbsp;d’entre eux autour de Penryn comme centre, pournbsp;conjecturer que l’auteur ou les auteurs des mystèresnbsp;oü ils sont insérés furent des prêtres de Penryn, relevant de levêché d’Exeter. 11 n’y avait d’ailleurs pasnbsp;que les paysages qui fussent cornouaillais, dans ces
1. Ordinale de origine miüidi, v. 2309-2312; Norris, The (indent Cornish dramety t. I, p. 17ö.
Norris, The ancient Cornish dramas t. II, p. 504-505.
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pièces. Les spectateurs pouvaient encore, de temps a autre, saluer au passage les noms de leurs saintsnbsp;nationaux, des vieux saints celtiques a demi ortho-doxes qu’ils avaient coutume d’honorer par des fètesnbsp;votives, aussi fréquentes cliez eux, semble-t-il, quenbsp;Ie sont restés jusqu’a nos jours les « pardons » de lanbsp;Basse-Bretagne. Le messager de Salomon jure parnbsp;« saint Gylmyn' » d’accomplir les ordres de son roi,nbsp;et le « gargon » de Pilate, quand il est pour trainernbsp;Jésus an prétoire, atteste « saint Malan ^ )), nom, ditnbsp;Norris, d’une ancienne divinité bretonne. Pilate lui-même et les comparses de la Passion on de la Résur-rection invoquent communement « saint Jo\vyn“ »nbsp;ou « Jovyn », appliquant ainsi a Jupiter, par nnenbsp;confusion peut être involontaire, le vocable d’un saintnbsp;originaire dii Cornwall et qui est encore vénéré dansnbsp;notre Finistère comme patron de Feglise de Braspartznbsp;Tout cela, je Tentends bien, ne constitue guèrenbsp;qu’une originalite de surface, et il n’en demeure pasnbsp;moins que le théatre cornique n’a de cornouaillaisnbsp;que 1’apparence. Les auteurs des Ordinalia n’ontnbsp;inventé ni les sujets, ni Taction, ni les personnages.nbsp;Il est, toutefois, un de ceux-ci qu’a première vue Tonnbsp;serait tenté de considérer comme une création essen-tiellement celtique. Ge personnage, e’est le Trépas
1. nbsp;nbsp;nbsp;Ordinale de origine mundi, v. 2413; Norris, The ancientnbsp;Cornish drama, t. I, p. 183.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Passio Domini, v. 2341; Norris, The ancient Cornish drama,nbsp;t. I, p. 400.
3. nbsp;nbsp;nbsp;ld., V. 1847, 18G5; Norris, id., t. I, p. 309, 370.
4. nbsp;nbsp;nbsp;Ogée, Dictionnaire hisLorique et géographique de la provincenbsp;de Bretagne, nouvelle édition, t. I, p. 103, col. 1.
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(Ankov). On sait l’espèce de fascination que la mort a constamment exercée sur l’imagination des Celtes,nbsp;aussi bien dans Tantiquité que de nos jours. Ils se lanbsp;représentaient, comme les Grecs, sous les traits d’unenbsp;divinité masculine dout ie christianisme semble avoirnbsp;été impuissant a déraciner Ie mythe, sinon Ie culte,nbsp;et dont Ie nom cornique était Ie même qu’il a con-servé en Bretagne armoricaine, l’Ankou. J’ai eu occasion de montrer ailleurs ’ quel róle considérable jouenbsp;encore eet Ankou dans les croyances des Bretons, etnbsp;I’on verra, Ie moment venu, qu’ils ne lui out pasnbsp;ménagé une moindre place dans leur theatre. Cellenbsp;qu’il occupe dans Ie théatre cornouaillais est minimenbsp;en comparaison. Mais la double apparition qu’il y faitnbsp;vaut, je crois, d’etre signalée, d’autant qu’elle ne senbsp;produit que dans Ie mystère de la Gwreans an Bysnbsp;réédité par M. Whitley Stokes et qu’on n'en voit pointnbsp;trace dans Ie mystère De oriejine mundi publié parnbsp;Norris, dont l’autre n’est cependant qu’une imitationnbsp;et souvent une copic.
Adam, sur les pressantes instances d’Eve, vient de fouter a la pomme fatale. Dieu commande a saintnbsp;Michel de chasser du paradis terrestre les deux cou-pables. (( Allons! » dit l’archange exterminateur,
Adam, ta bêche est prète, et toi, Ève, ta quenouille ». Tout aussitót surgit,derrière Ie couple terrifié, la Mort.
Je suis Ie messager de Dieu, l’Ankou, ici par lui délégué. Pour avoir enfreint sa loi, Dieu condamne Adam
1- La légende de la mort chez les Bretons armoricains, nouvelle edition, Paris, 1002.
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a mourir, lui et sa descendance. Volei la consigne que j’ai regue ; Tout ce qui aura vie dans Ie monde, j’ainbsp;ordre de Ie tuer avec ma lance. Si Adam ni Ève n’avaientnbsp;pêché en violant la défense du Père, ils n’eussent pointnbsp;taté de la mort, mais dans une félicité sans fln ils eussentnbsp;vécu a jamais. Adam avait été institué chef gardien de cenbsp;paradis; par Ie pêché de convoitise, toute sa joie estnbsp;perdue et, pour sa faute, il ne connaitra plus que tour-ments. Gelui qui les a fourvoyés, lui et sa femme, c’estnbsp;Ie diable, Ie serpent maudit que vous avez apergu tantótnbsp;a cette place ‘.
Après cette déclaration, dont les derniers mots sont a 1’adresse du spectateur, l’Ankou disparait. On s’at-tendrait a ce qu’il reparüt au moment du meurtrenbsp;d’Abel, mais il ne se montre une dernière fois quenbsp;lorsque l’lieure suprème a sonnó pour Ie père du genrenbsp;humain. De loin celui-ci Ie voit ou Ie pressent :
Me volei vieux et exténué. Je n’ai plus grand temps a vivre. L’Ankou est ai’rivé : il ne m’accordera point denbsp;répit. Je Fapergois qui brandit sa lance, prêt a me percernbsp;de part en part. II n’y a pas a vouloir réviter.
Au demeurant, il est résigné. Son temps est accompli. 11 a vécu neuf cent trente ans, il a engendrénbsp;trente deux fils et trente-deux filles, il a peuplé lanbsp;terre d’une progéniture sans nombre. Et, après avoirnbsp;dressé de la sorte Ie bilan de ses jours, c’est par unenbsp;action de graces qu’il termine. Alors, l’Ankou :
Adam, prépare-toi. J’arrive, tu Ie vois, pour t’enlever la vie avec ma lance. Je ne puis attendre davantage : jenbsp;vais te tuer en te plongeant ceci a travers Ie emur.
1. The creation of Ihe world, v. 985-10Ü5, p. 70-80.
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Ankou, je te rends mille graces de me prendre la vie et de m’óter de ce monde, car je suis las d’y être. Louénbsp;soit Uieu qui t’a envoyé M...
Et il meurt cn recommandant sou ame a la(( loyale Trinité » (leall drengys). Saus attribuer a ce róle ópi-sodique de l’Ankou plus d’importauce qu'11 ue cou-vieut, il est permis de trouver qu’il témoigue d’uunbsp;tour d’esprit assez siguificatif, si l’ou souge surtoutnbsp;qu’il est abseut des mystères frau^ais cousacrés anbsp;1’Ancieu Testameut. Je ue voudrais cepeudaut pasnbsp;afflrmer qu’il soit d’inveutiou cornouaillaise. Je dirainbsp;même que J’eu doute; car, a défaut du drame frau-?ais, Ie drame auglais du moyeu age a plus d’imenbsp;fois exhibé sur la scène la persounification de la mortnbsp;{Death), et dans des circonstances peu difïérentes.nbsp;C’est ainsi qu’elle intervient dans la collection denbsp;Woodkirk pour tuer, non pas Adam, il est vrai, maisnbsp;Hérode, et faire ensuite entendre au public les plusnbsp;« graves accents ». Et je ne parle que pour mémoirenbsp;de la célèbre moralité A’Everyman qu’elle emplit d’unnbsp;souffle si tragique II y a done beaucoup de chancesnbsp;pour que cette figure de l’Ankou soit, elle aussi, unnbsp;emprunt et, alors, que peut-il bien rester dans Ienbsp;théatre cornique qui vaille d’être regardé comme unenbsp;emanation directe du génie cornouaillais? Je n’oublienbsp;Pourtant pas que Ie vicomte de la Villemarqué, poussénbsp;la encore par Ie démon du chauvinisme celtique qui
!¦ The creation of the world, v. 1005-2008. pp. 155-157.
2. Pollard, E)iglish miracle plays, 8° edition, pp. 78-82. Cf. Jusserand, Histoire littéraire du peuple anglais, pp. 508-509.
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lui glissa souvent de si perfides conseils, s’est avisé de découvrir dans Ie De origine mimdi des intentionsnbsp;qui, si elles correspondaient a quelque réalité, nenbsp;manqueraient évidemment pas, pour me servir denbsp;sou expression, d’un certain « piquant ».
Ce mystère, comme la plupart de ceux qui, en Angleterre ou en France, traitcnt du même sujet,nbsp;roule en partie sur la légende de Seth, fils d’Adam,nbsp;que son père, sentant approcher sa fin, envoya cher-cher au paradis terrestre Fhuile de miscricorde promisenbsp;par Dieu a son repentir. L’ange qui accueille Seth luinbsp;remet par surcroit trois pépins du fruit auquel sonnbsp;père eut Ie tort de goüter. « Quand il mourra », luinbsp;commande-t-il, « place-les entre ses dents et sa langue :nbsp;tu en verras immédiatement sortir trois tiges ».nbsp;Seth accomplit religieusemcnt la prescription denbsp;l’ange, et des trois germes déposés dans la houchenbsp;d’Adam s’élèvent, en elïet, trois verges verdoyantes.nbsp;Ces trois verges miraculeuses, David, plus tard, lesnbsp;fait couper, puis transplanter dans son jardin oünbsp;elles prennent racine et se soudent entre elles denbsp;fagon a ne former plus qu’un seul arhre. Vient Ienbsp;règne de Salomon et la construction du temple. Lesnbsp;lamhris vont être posés. Comme on ne trouve pointnbsp;d’autre bois convenable pour fournir la maitressenbsp;poutre, les charpentiers proposent d’utiliser l’arbrenbsp;sacré. Mais, de quelque manière qu’ils s'y prennent,nbsp;il est toujours ou trop court ou trop long. « Puisquenbsp;c’est ainsi », dit Ic roi, « portez-le en grande pomponbsp;dans Ie temple et qu’il y reste, couché a terre. » Or,nbsp;un jour qu’il y a fête au temple pour l’intronisation
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d’un « évêque )) a qui Salomon cn a confié la garde, unc femme du nom de Maximilla y pénètre a Ia suitenbsp;des autres fidèles et s’assied, sans penser a mal, sur Ienbsp;troncd’arbre éteudu contre la parol; mals olie ne s’ynbsp;est pas plus tót mise que ses vètements s’enflammentnbsp;au contact du bols merveilleux. Epouvantée, elle senbsp;redrcsse en criant:
0 Père Dieu! par ta merci porte remède aux souf-frances que j’endure. Oh! oh! oh! hélas! Malheur amoi! Mes habits sont en feu !...
Tout a coup, une inspiration d’en haut I’iHumine ; le drame de la rédemption dont cet arbre sera I’ins-trument et le symbole lui est révélé :
En ce hois du Christ, moi, je crois! Mon doux Seigneur Jesus-Christ, Dieu du ciel, par ta vertu apaise 1’ardeur de ce feu et de ces Hammes, 6 toi dont le corpsnbsp;doit racheter Adam et Eve et les faire monter au ciel, aunbsp;bruit des chants!
Cette invocation, dont le sens prophetique échappe au nouvel évêque et qu’il interprète comme un blaspheme, déchaine sa fureur :
EPISCOPUS
Vengeance sur toi, o tête de folie! Oü as-tu jamais entendu Dieu appelé Christ par qui que ce soit au monde?nbsp;ha loi de Moïse est la seule que je reconnaisse, et nullenbsp;part dans cette loi ce nom n’est écrit. Nous professonsnbsp;qu’il n’y a d’autre Dieu que Ie Père du ciel, qui est la-haut. Et toi, coquine, tu te fabi’iques un Dieu pour toinbsp;Seule!... Je veux être pendu, par les Dieux, si jamais tunbsp;t en vas d’ici avant d’avoir expié ta félonie et rétracté netnbsp;tous tes propos.
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MAXIMILLA
Je ne rétracterai rien, vieux fou d’évêque!... Oui, les trois verges, en vérité, ont été plantées par David, etnbsp;elles se sont réunies en iine seule, symbolisant, cela estnbsp;certain, les trois personnes de la Trinité. La premièrenbsp;est Ie Père qui est aux cieux; la seconde est Ie Christ,nbsp;son fils unique, qui naitra d’une vierge; et I’Esprit saintnbsp;est la troisième. Elles sont trois en uno, ne formant qu’unenbsp;seule divinité, en qui je crois *!
Get énergique acte de foi acliève de mettre Ie comble a l’exaspération de Tévêgiie. « Haro sur toi, o rebutnbsp;des rebuts! » s’écrie-t-il; et, saus doute pour mieuxnbsp;peindre sa rage, peut-ètre aussi pour ridiculiser auxnbsp;yeux du public ce prélat de contrebande, l’auteur Ienbsp;fait soudain baragouiner en un patois mi-saxon, mi-normand. Sur son ordre, cependant, les bourreauxnbsp;s’omparent de la jeune fllle, l’entrainent bors dunbsp;temple en l’accablant de toutes les épitbètes dont onnbsp;avait coutume, au moyen age, de Hótrir les hérétiquesnbsp;et, finalement, la mettent a mort au milieu des piresnbsp;tourments.
ïout cetissu de fictions ecclésiastiques autrefois si universellement populaires suggère au vicomte de lanbsp;Villemarquó les rapprochements les plus inattendus.
K Ce n’est pas sans calcul », écrit-il, « que l’auteur breton, quittant les routes battues du Mystèro de lanbsp;Chute et de la Réparation, joué ailleurs par des person-nages allégoriques, a pris des sentiers secrets pournbsp;chercher l’Arbre de Vie. Ce symbole cher aux Orien-
1. Ordinale de origine mundi^ v. 2629-2GCG; Norris, The ancient Cornish drama^ t. I, pp, 20I-2Ü3.
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taux ne devait pas moins plaire aux races celtiques : leur culte pour certains végétaiix qu’ils croyaientnbsp;envoyés du ciel et doués do toutes les vertus a éténbsp;cent fois exposé. Inutile de redire ce que tont Ie mondenbsp;sait sur Ie gui sacré des Gaulois. Les Cambriens véné-raient la jeune pousse du bouleau et du cliêne L.. »nbsp;Et plus loin : « Je n’ai pas besoiu de faire remarquernbsp;la prise naturelle qu’avait sur l’esprit breton, sinbsp;amoureux des triades mystiques, la triple semencenbsp;du fruit de mort produisant trois jets do vie qui,nbsp;réunis en un seul, doivent porter Ie Sauveur dunbsp;monde ^ II y a mieux ; (( Croirait-on que Ie portrait du roi David, a un certain moment, est la copienbsp;de celui du roi Arthur, ce glorieux fds de la Cor-nouaille? La scène oü il parait accompagué de sounbsp;éclianson et de sou conseiller débute comme un contonbsp;populaire bien connu du cycle de la Table ronde “ ».nbsp;Ainsi Ie dramaturge cornouaillais « ravivait certainesnbsp;grandes figures bibliques en leur prêtant des traitsnbsp;empruntés a la légende nationale ».
Ge tant d’assertions, semées d’une main si pro-digue, il va sans dire qu’il n’y en pas une qui ne soit Ou une supposition purement imaginaire on unenbsp;altération manifeste de la vérité. Mais c’est surtontnbsp;1’histoire de Maximilla qui inspire a la fantaisienbsp;jamais a court du vicomte de la Villemarqué la plusnbsp;surprenante des découvertes. « Quelle est », se
1- nbsp;nbsp;nbsp;I^e grand mystère de Jésus, Introduction, p. lvii.
2- nbsp;nbsp;nbsp;ld., p. Lix.
2- ld., p. LX. En note, 11. do la Villemarqué indique qu’il veut parlor de Ia Dame de la Fontaine, un des Mahinogionnbsp;gallois.
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demande-t-il, « cette Maximilla victime de son culte pour la croix; condamnée comme « sorcière, idolatrc,nbsp;liérétique, fllle du diable )); comme s’étant arrogé Ienbsp;droit de régenter les óvêques ni plus ui moins qu’unnbsp;liomme-, comme obstinée, endurcie, incorrigible; quinbsp;a pour juge un prélat qu’on dit juif, mais qui estnbsp;évidemment franco-anglais, ce que prouve sou jargonnbsp;barbare? Aucun martyrologe ne fait mention d’elle;nbsp;son nom mème ne se trouve nulle part dans les catalogues des saints. C’est done un nom imaginaire.nbsp;Mais il déguise a peine une réalité vivante et, sous Ienbsp;masque transparent, tout Ie monde reconnait Jeannenbsp;d’Arc ’! »
Jeanne d’Arc, héroïne d’un drame cornique!... Qui Feut osé croire? Le vicomte de la Villemarqué senbsp;montre trop généreux en essayant de diminuer le prixnbsp;de sa découverte : non, « tout le monde » n’eüt pasnbsp;été capable d’une pareille perspicacité. Lui, la chosenbsp;lui parait tellement naturelle qu’il s’étonne, nonnbsp;sans quelque pitié, de n’avoir pas été devancé dansnbsp;cette facile trouvaille par Féditeur anglais. Et il pour-suit : (( L’héroïque jeune fllle avait trouvé en Armo-rique douze cents lances bretonnes et un troisièmenbsp;Arthur pour suivre sa bannière; elle trouva en Cor-nouaille, aussitót après, un noble^coeur pour lanbsp;chanter. Les Gornouaillais avaient dans les veines dunbsp;sang de cette jeune paysanne bretonne, Perrinaïk ounbsp;Pérette, qui s’était laissé brüler par les Anglais pournbsp;avoir défendu Fhéroïne frangaise et « soutenu qu’elle
1. he qrand mysUre de Jésus, Introduction, p. lxi.
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était bonne et qiie ce qu’elle avait fait était bien fait)); comme les Armoricains, ils détestaient lesnbsp;maitres saxons-, comme eux, ils avaient vu iinenbsp;envoyóe dn ciel dans cclle qui avait eii mission denbsp;chasser de France Ie dragon blême, et, comme Ienbsp;due de Bretagne, ils avaient conpu pour elle « cettenbsp;vénération quïnspirent les clioses saintes )). A l’imi-tation du poète frangais du Siège d’Orlëans, qui avaitnbsp;célébré Fliéroïsme de Jeanne d’Arc, Fauteur cor-nouaillais voulut honorer sa piétó et son martyre; ilnbsp;voulut fiétrir adroitement Ie bourreau mitré, creaturenbsp;et favori du régent d’Angleterre. Quels transports,nbsp;quels applaudissements durent saluer les allusions dnnbsp;drame!...))
Transporté lui-même d’im enthousiasme lyrique, Ie vicomte de Ia Villemarqué conclut : « Oui, sousnbsp;peine de manquer de coeur, chose pire que de man-quer de goüt, cette inspiration vengeresse, cettenbsp;protestation en faveur de I’innocence, de la faihlosse,nbsp;Je la foi opprimée, eet anathème a Finiquité triom-phante, ce chatiment public infligé au Caïphenbsp;anglais, cette ironie poignante a laquelle on Ie livronbsp;en proie, dans la personne des bourreaux, et, pournbsp;tout dire d’un mot, cette justice dramatique, voilanbsp;ce qu’on doit admirer ici sérieusement. Le poètenbsp;breton répondait aux proclamations mensongèresnbsp;du pouvoir anglais contre Jeanne et commengaitnbsp;a sa manière le grand proces de rehabilitation h ))
Le poète en question no s’est jamais doutó, jepense,
1. Le grand tnystère de Je'sus, Introduction, p. lxv.
8
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qu’on verrait un jour dans son oeuvre tant de beautés insoup§onnécs de lui-même etqu’ilne pouvait songernbsp;a y mettre. L’histoire de Maximilla n’est pas plus denbsp;sou invention que les autres épisodes de la légendenbsp;biblique. Cette liistoire courait Ie monde bien avantnbsp;qu’il eüt retcnti des exploits de Jeanne d’Arc et denbsp;l’infamie de Cauclion. M. Paul Meycr en cite a sanbsp;connaissance, trois versions frangaises, Tune par unnbsp;certain Andrieu Ie Moine, la seconde, anonyme, lanbsp;troisième par Colart Mansion, qui la rédigea vers 1480nbsp;pour Louis de Bruges. C’est cette dernière qui senbsp;rapproclic Ie plus du texte cornique. Elle s’en rap-proche d’assez prés pour que Colart Mansion et 1’au-teur du mystèrc (ou du moins son modèle anglais)nbsp;puissent ètre considérés comme ayant puisé auxnbsp;mêmes sources. Que deviennent dés lors les élo-quentes et patriotiqucs tirades du vicomte de la Vil-lemarqué? Insister scrait non seulement superllu,nbsp;mais cruel. La critique la plus vulgaire, comme ditnbsp;M. Paul Meyer, eüt dü Ie mettre en garde contre unnbsp;pareil écart d’imagination. Et, a détaut de la critique,nbsp;1’érudition eüt suffi.
Si 1’originalité du theatre cornouaillais n’apparait guère ni dans la conduite de Paction, ni dans Ienbsp;caractère des personnages de premier plan, fautdl ennbsp;chercher des traces plus marquees dans les rülesnbsp;secondaires et les épisodes comiques, oii se jouait.
1. Revue critique d’histoire et de littératiire, 18CG, t. 1, p. 223.
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avec Ie dévcrgondage que l’on sait, la libre verve des auteurs de mystères? Comme les compositions dra-matiques des autrespays, aumoyen age, les Ordinalianbsp;de Cornouaille out leurs scènes réalistes et leursnbsp;propos sales. Les démons jobards y voisinent avecnbsp;les bourreaux diseurs de cocasseries, les valets malnbsp;embouchés avec les pédants stupides et pompeux. Unnbsp;type assez plaisant de cette dernière espèce est Ienbsp;cuistre vantard, besogneux et famélique a l’écolenbsp;duquel est conduit saint Mériadek, dans Ie mystèrenbsp;de ce nom'. Hic magister pompabit, prévient lanbsp;rubrique. Et, tout en paradant, Ie magister déclame :
C’est moi qui suis Ie maitre de grammaire. J’ai con-quis mes grades de bon lapeur (bonilapper) dans une petite université. Je suis ferré en citations. Lorsque manbsp;panse est pleine de vin, je n’aime a parler que lalin.
Et, comme Ie messager qui lui amène Mériadek, abasourdi par tant d’éloquence, ouvre sans doute denbsp;grands yeux :
Messager, n’ayez crainte. Je veux si bien instruire eet enfant qu'il n’y aura pas, dans toute la contrée, de gram-rnairien de son acabit.
Puis, s’adressant a Mériadek lui-même :
Venez, asseyez-vous, Mériadek, parmi ces écoliers, bien gentiment, et suivez sur votre livre. Comme vousnbsp;n’en savez pas Jong, J’aurai fort a faire de vous rnettrenbsp;au courant, et c’est un métier, en vérité, qui ne nourritnbsp;pas son homme.
!• 'the life of S. Meriasek, p. 7.
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Aussitót commence line ineffable lefon de lecture. Les écoliers anonnent a qui mieux mieux et, runnbsp;après l’autre, épellent Va, b, c, en chantant. Aprèsnbsp;quoi, Ie maitre les envoie diner, sur cette judicieusenbsp;reflexion que les jeunes enfants aiment a manger etnbsp;que lui-même, qui n’est pourtant plus de la premièrenbsp;jeunesse, ne sera pas fachc d’en faire aiitant. Maisnbsp;Mériadek refuse les mets qui lui sont offerts : il pré-fère jeüner, paree que c’est vendredi; et Ie magister,nbsp;stupéfait, de s’écrier : « Tu es un saint, je Ie voisnbsp;clairement, ó Mériadek! » Jeuner par esprit de penitence, quel signe de sainteté, en effet, aux yeux d’unnbsp;homme dont Ie rêve serait de pouvoir s’abreuver etnbsp;s’empiffrer tont son soiil!
Cette preoccupation du boire revient, du reste, fré-quemment chez les personnages du drame cornique, et peut-être n’est-il pas défendu d’y voir un trait denbsp;nioeurs locales. En Cornouaille comme en Bretagnenbsp;armoricaine, la temperance semble avoir été une vertunbsp;fort méritoire et a la portée de peu de gens. La quaii-tité de cidre que l’on y buvait du temps de Pohvhele ’nbsp;était, parait-il, « incroyable )). II était réputé commenbsp;un élixir de longue vie et l’on en usait volontiers anbsp;l’excès. Dans lesfermes, on Ie servait aux domestiquesnbsp;a pleines jarres. II y avait même une maladie spéciale engendrée par cette boisson, que l’on appelaitnbsp;Devonshire colic. Et 1’ « ardent spirit », Ie « gwinnbsp;ardant )gt; de nos Bretons, n’était pas moins fêté que Ienbsp;cidre. « Jeunes geus, jeunes fdles, enfants, vieillards »,
1. The history of Cornwall, diseases, t, H, p. 09.
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tont Ie monde s’y adonnait avec ferveur. Ni les femmes, iii les hommes ne concevaient que Ton senbsp;mitau travail, Ie matin, avant d’avoir eu la goutlenbsp;(dram). Dans les noces, une fois les nouveauxnbsp;mariés au lit, tons les invités entraient en processionnbsp;dans leur chambre pour leur porter, non la soupe aunbsp;lait, comme en Bretagne, mais Ie petit verre d’alcoolnbsp;qu’ils recevaient, assis sur leur séant, et avec lequelnbsp;ils devaient trinquer a la ronde. Ne nous étonnonsnbsp;done pas outre mesure si, dans la Création du mondenbsp;puhliée par Norris, Ie « conseiller )) de Salomon quenbsp;ce roi vient de coiffer de la mitre pour ètre 1’ « évêque »nbsp;du nouveau temple, — ne nous étonnons pas, dis-je,nbsp;si ce prélat improvisé, après avoir solennellementnbsp;convié l’assistance a rendre graces a Dieu Ie Père, senbsp;souvenant qu’il a du sang de Cornouaillais dans lesnbsp;veines, s’écrie aussi vite sur un mode qui n’a plusnbsp;rien de pontifical : « Et maintenant, j’entends quenbsp;nous buvions chacun a la ronde un coup de vin, afinnbsp;de nous réconforter Ie coeur *! »
Pas plus que les mystères francais, Ie drame cor-nique ne répugne a faire alterner les réalités les plus triviales avec les épisodes les plus émouvants. Témoinnbsp;Ia scèneanecdotique qui, dans la Passio Domini nosiri,nbsp;precede immédiatement la poignante tragédie du Cal-vaire. On connait la fiction apocryphe du « fèvre » etnbsp;de la « fevresse » qui furent censés avoir forgé lesnbsp;trois clous pour Ie supplice du Rédempteur. Elle
Ordinale de origine mundi^ v. 202G-2628. Norris, The ^ucient Cornish drama, t. I, p. 432.
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figure dans un mystère francais de la Passion analysé par Petit de Julleville*. Le mystère cornique la déve-loppe avec complaisance et en fait im tableau denbsp;mmurs populaires qui ne pêche pas précisément parnbsp;excès d’idéalisme. Les quatre bourreaux chargés denbsp;crucifier le Christ se rendent, pour avoir des clous,nbsp;chez le forgeron de Market Row.
TERTIUS TORTOR.
Salut, forgeron! Joie a toil As-tu la trois grands clous tont forgés, hé, l’ami?... G’est pour attacher au bois de lanbsp;croix le faux prophéte qui a noin Jésus. S’il n’y en a pas,nbsp;débrouille-toi et fais-en.
Mais le forgeron a été touché par la grace du Messie; il croit en ce Dieu qu’on va mettre a mort, et pournbsp;rien au monde, n’accepterait d’etre de moitié dans unnbsp;tel forfait. Cependant, par une petite lacheté biennbsp;humaine, au lieu de refuser catégoriquement denbsp;fabriquer les clous demandés, il prend un biais et pré-texte qu’il a aux mains des blessures qui ne lui per-mettent pas de tenir un outil. II a compté sans sanbsp;terrible forgeronne de femme qui, de la piece voisine,nbsp;a tout entendu. Furieuse que son mari laisse échappernbsp;une si belle occasion do gagner quelque argent, ellenbsp;s’écrie ;
Pur mensonge que celal... Ce matin, quand tu t’es mis il la besogne, ils se portaient a merveille, tes deuxnbsp;poings!... Sors-les un pen de dessous ton manteau!... Tunbsp;mériterais la corde, par le jour que voila!
1. Petit de Julleville, Les Myslères, t. II, p. 392.
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Le forgeron serail pris a son propre piège, si Ie Christ n’intervenait en sa faveur par im miracle. IInbsp;se tronve qu’en pensant mentir il n’a dit qne la vérité.nbsp;Ses mains, lorsqn’il les exhibe, ne sont, en effet,nbsp;qu’entailles et plaies a vif. On devine la stupefactionnbsp;de la (( fevressc » et sa rage :
Ah! rossard! Qne Dien te confondel... Tu as été plus d’une fois écouter le vil imposteuri... II n’avait rien auxnbsp;pattes, ce matin, sur ma parole! G’est un sort que l’autrenbsp;lui aura jeté, sur et certain!
Oh! hfiais, il le paiera, eet « antre ». Les clous de son supplice n’en seront pas moins forgés, füt ce denbsp;main de forgeronne, n’ayez craintel Pendant que sonnbsp;mari se retire a l’écart, bénissant Jésus de lui être sinbsp;opportunément venu en aide, la mégère empoignenbsp;elle-même le fer et héle nn des bourreaux a pour fairenbsp;aller le soufllet ». A partir de ce moment, nous nenbsp;sommes plus en Judée, pas même dans une Judéenbsp;apocryphe, mais bien dans un intérieur de forge villa-geoise, autbentiquement copié sur nature, au fond denbsp;Ia Cornouaille du xv“ siècle. Ecoutez plutót ce dialogue :
PRIMUS TORTOR.
Je vais te souffler comme un franc luron. II n’y a pas un homme dans la contrée qui soit capable de soufflernbsp;mieux. Je ne connais pas un forgeron dans tout Kernew,nbsp;uon, je n’en connais pas un qui, a souf Her avec le soufflet,nbsp;soit meilleur que moi.
UXOR FABRI.
Ouais, tu soufflés comme une savate! Soufflé en douceur, malediction! sinon il ne restera pas une étincelle
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LE THEATRE CELTIQUE.
dans Ie foyer. Halte-la, maiiitenant. Viens battre Ie fer, tic-a-tac, et fais 5a proprement, si tii ne veux êtrenbsp;pendu.
PRIMUS TORTOR.
Je vais taper, Dieu me damne, comme un triple enragé afin qu’il s’étire mieux. II n’y a pas en ce quartier-ci unnbsp;fils de forgeron qui s’entende comme moi a battre Ie fer,nbsp;et tja, chacun Ie sait.
UXOR.
Frappe sur la pointe, ou que Ie mauvais mal te fasse crever, coquin!... Si tu Ie laisses refroidir, il ne s’allon-gera jamais assez... Vas-y! Plus ils seront martelés, lesnbsp;clous, plus ils feront faire la grimace au vilain crapaud,nbsp;quand il les aura dans les mains... Voyez-moi comme 5anbsp;frappe, ding, dong!... Mais, animal, il faut frapper ennbsp;douceur et a coups égaux, que Ie diable t’emporte I
PRIMUS TORTOR.
Je frappe comme je peux... Bah! s’ils sont rudes, ils n’en seront que plus désagréables a cette charogne ‘.
Des intermèdes de ce genre étaient évidemment bien fails pour procurer des accès de franche hilarité auxnbsp;grouillantes tribus de fermiers, de mineurs et denbsp;pêcheurs cótiers qui formaient Ie public ordinaire desnbsp;spectacles cornouaillais. Elles y retrouvaient, avecnbsp;une satisfaction volontiers bruyante, j’imagine, unnbsp;décor, des physionomies, des gestes, un langage dontnbsp;Ie moindre détail leur était familier. Peut-être mêmenbsp;des hauls gradins du plan an guare pouvait-on aper-cevoir, au versant d’unc colline prochaine, la forge,nbsp;nullement mythique, de Market-Row. Mais, a partnbsp;ces localisations, agrémentées de quelques propos de
1. Passio Domini nostri Jhesu Christi, v. 2669-2739; Norris, The ancient Cornish drama, t. I, pp. 433-439.
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terroir, Ie comique des mystères est Ie même, en Gor-nouaille, et compose des mêmes ingredients qiie dans Ie reste de 1’Europe occidentale. Avec la meilleurenbsp;volonté du monde, il est impossible d’y découvrir unenbsp;marque ethnique, l’empreinte precise et nettementnbsp;distincte d’iin esprit cornouaillais.
(Euvres de lettrés, puisées, comme leurs pareilles des autres régions, au vaste trésor commun de la littéra-ture dramatique du moyen age, les mystères corniquesnbsp;sont les interprètes d’une facjon de sentir universellenbsp;et non d’nn tempérament local. Bien qu’écrits pournbsp;Ie peuple, ils ne retlètent ni les aspirations, ni lesnbsp;tendances qui lui sont propres. Cela est vrai mêmenbsp;des mystères qni, mettant a la scène des Vies de saintsnbsp;celtiques, devraient, dès lors, semble t-il, exprimernbsp;dans Ie caractère de ces vieux saints ce que l’ame denbsp;leur race a de plus intime, de plus essentiel et denbsp;plus spécial. II n’est, pour s’en convaincre, qued’étu-dier a ce point de vue Ie seul ouvrage de cette sortenbsp;•^lue nous ait légué Ie theatre cornique, a savoir lanbsp;leemans Meriasek.
Le pieux thaumaturge dont il exalte la mémoire appartient authentiquement a la légende celtique. Sonnbsp;culte avait sans doute dója pris naissance chez lesnbsp;Bretons d’outre-mer au moment des emigrations du
et du VI' siècle, et, si plus tard les clans émigrés le localisèrent dans la Bretagne Armorique, en identi-liant au saint primitif un évêque vannetais du mêmenbsp;iiom, il dut néanmoins survivro postérieurement anbsp;cette époque dans la dévotion de la Cornouaille insulaire, puisque la paroisse de Cambron, du canton de
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Penwith, sur Ie chemin de Redruth a Penzance, fut originairement inscrite sous Ie vocable de Merea-docus'. La fontaine du saint s’y voit toujours et futnbsp;longtemps Ie théatre de pratiques analogues a cellesnbsp;qui ont encore cours en Bretagne autour des sourcesnbsp;sacrées : les pèlerins qui venaient en foule faire leursnbsp;ablutions a la fontaine recevaient, parait-il, ennbsp;échange Ie sobriquet signiflcatif de Merrasickersnbsp;C’est, j’imagine, en partie a l’intention de ces Merrasickers, de ces fervents de saint Mériadek, que futnbsp;composé Ie mystère. La vénération du peuple pournbsp;les vieux saints du terroir demeurait toute pénétréenbsp;d’antiques reminiscences du naturalisme païen, quinbsp;n’ctaient pas sans rendre suspects a I’Eglise les saintsnbsp;mêmes qui en étaient l’objet. Lorsque Ie clergé n’osaitnbsp;attaquer ouvertement leur mémoire, il s’ingóniait anbsp;la réléguer a l’arrière-plan. Le pauvre Mériadek est, anbsp;eet égard, parmi ceux qui ont eu a subir les plusnbsp;mélancoliques vicissitudes. En Bretagne, dans le jolinbsp;ravin humide et verdoyant qui porta d’abord sonnbsp;nom, il s’est vu déposséder vers la fin du xv' sièclenbsp;au profit de saint Jean-Baptiste mandé tout exprèsnbsp;de Normandie pour prendre sa placed Une disgrace
1. nbsp;nbsp;nbsp;C’est, du reste, le seul lieu do la Cornouaille que l’onnbsp;trouvo dédié a saint Mériadek dans le Monasticon Dicecesis Exo-niensis d’Oliver.
2. nbsp;nbsp;nbsp;The life of S. Meriasek, p. xii.
3. nbsp;nbsp;nbsp;Au pays des pardons, p. 173. Saint Mériadek est encorenbsp;patron do Stival prés 1’ontivy, oü l’on montro sa cloclie. 11 étaitnbsp;également honoré en Galles, comme le inontre le nom de Meria-dawg (J. Loth, Les Mabinogion, t. II, p. 210, note 3), aujourd’huinbsp;village de la paroisse de Llanelwy en Denbigh, sur la rivièrenbsp;Chvyd.
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analogue semble l’avoir atteint en Cornouaillo, ot scnsiblement vers la mème époque. II nous est présenté dans Ie mystère, non plus comme Ie patron dunbsp;sanctuaire de Gambron, maïs comme Ie dóvot ser-viteur de la Vierge a qui ce sanctuaire était dès lorsnbsp;dédié. .
J’arrive de Bretagne en cette contrée; j’ai passé la mer pour y venir, conduit par la volonté de Dien, et je veuxnbsp;batir lei, prés de la chapelle de madame Marie, un oratoirenbsp;a mon usage G
11 y a la comme un ferme propos de subordonner Ie culte ancien au culte récent, dé les associer, ennbsp;tout cas, de la fagon la plus étroite, et sans doutenbsp;aussi de christianiser, en les consacrant a la Vierge,nbsp;les rites peu orthodoxes oü s’obstinait la piété rustique,nbsp;vaguement teintée de paganisme, des pèlerins denbsp;Gambron.
Quoi qu’il en soit, la persistanco avec laquelle ce nom de Gambron revient a travers Ie mystère indiquenbsp;bien que celui-ci fut composé pour l’édification desnbsp;foules qui se donnaient rendez-vous a ce sanctuairenbsp;cornouaillais. G’eüt été, semble t il, Ie lieu ou jamaisnbsp;de faire oeuvre vraiment nationale, d’écrire sur unnbsp;sujet pris dans les traditions religieuses de la race unnbsp;drame qui en respirat Gesprit. Or, la Vie de saintnbsp;Mériadekw’esi, en réalité, qu’une rapsodie d’histoiresnbsp;assez incohérentes que l’auteur s’est contenté de pillernbsp;deci, de la dans des vies ótrangères, soit latines, soitnbsp;anglaises, et qu’il a transportces au théatre sans
t. The life of S. Meriasek, vers 649-634, p. 39.
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même se cloniier la peine de les rattaoher entre olies par un lien de quelque solidite. Le mystère, cominenbsp;l’a fait ressortir M. Whitley Stokes, comprend troisnbsp;épisodes essentiels : d’abord, la légende de saintnbsp;Mériadek; ensuite, celle dn pape Silvestre et de 1’em-pereur Constantin; enfin, celle de la mère qui enlèvenbsp;l’Enfant Jésus des bras de la Vierge pour l’obliger anbsp;lui rendre le fils qu’elle est elle-même en danger denbsp;perdre. M. Whitley Stokes ignore, dit-il, la source denbsp;ce troisième épisode : elle se trouve, ainsi que l’a faitnbsp;observer M. Reinhold Kohier, dans la Légende dorée,nbsp;au chapitre intitulé : De la Nativité de la Vierge.nbsp;L’histoire fut des plus populaires au moyen age. Ellenbsp;figure dans le Livre des Faiz et Miracles de Noslre-Dame analysé par Paulin Paris et porte dans la listenbsp;des Miracles le numéro 117, avec cette rubrique :nbsp;« D’une dame qui óta a Notre-Dame son enfant,nbsp;fol. ÖO ‘ )). On sait que les compilations latines desnbsp;prodiges obtenus par l’intercession de la Vierge, sinbsp;répandues aux xnr et xiv” siècles, non seulement ontnbsp;été tradnites dans toutes les langues européennes,nbsp;soit sous forme de recueils soit a l’état do récitsnbsp;isolcs, mais encore ont fourni la matière de tout unnbsp;cycle dramatique, celui des miracles. J’incline fort anbsp;penser que le poète cornouaillais rencontra l’épisodenbsp;en question tout dramatise déja dans quelque collection de mystères anglais. Et il en fut de même sans
1. nbsp;nbsp;nbsp;Manuscrils de la BifAiothèque du roi, t. IV (1841), p. 1-12.
2. nbsp;nbsp;nbsp;On connait clicz nous le recuoil de Gnutier dc Coinci.
Le moino auglo-normand Adgar avail traduit dés le xiU siècle un recueil do miracles de Nolre-Damo. G. Paris, La littératurenbsp;f'rangaise au moyen dge, 2“ éd., p. 200-207.
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doule de la légende du pape Silveslre et de I’empercur Constantin. Gelle-ci est également contenue tont aunbsp;long dans Jacques de VoragineC d’oüelle dut passernbsp;sur Ie theatre, aussi bien en Angleterrc qu’en France.nbsp;L’édition des Miracles de Notre-Dame publice parnbsp;Gaston Paris etUlyssc Robert, renfermc, on s’en sou-vient, un mystère de « saint Sevestre et de l’empe-reur Constantin qu’il convertit », dont Ie pendant anbsp;vraisemblablement existé sur l’autre rive de lanbsp;Manche, si l’on en juge par les ressemblances quenbsp;présente Ie mystère cornique plus encore avec 1’oeuvrenbsp;frangaise qu’avec Ie rédt du moine genois. C’ost, ennbsp;tout cas, a titre de lt;( miracle de la Vierge » que l’au-teur a fait a eet épisode, do même qu’a l’épisode précédent, une place si importante dans sa piece. IInbsp;s’agissait évidemment d’exalter non pas tant lesnbsp;mérites de saint Mériadek que ceux de Notre Dame denbsp;Cambron. On ne s’expliquerait pas autrement l’internbsp;vention de saint Silvestre dans Ie drame. Elle nenbsp;tient, en etïet, a Faction que par un fll extrêmementnbsp;fénu, a savoir la consecration par Ie pape Silvestrenbsp;de saint Mériadek comme évêque de Vannes.
Reste la légende de Mériadek. II semblerait qu’ici du moins Fon fut antorisé a se croirc en plein monde
1. nbsp;nbsp;nbsp;Aurea legenda sanclorum que lombardica hisloria nomi-natur-, compilata per fratrem Jacobum de Voragine, cli. xii,nbsp;f° xvm verso et suiv. La légende de Silvestre et de Constantinnbsp;est Ie sujet d’un récit irlandais conserve dans nn manuscrit dunbsp;XIVquot; siècle. (Atkinson, The passions and the homilies fromnbsp;J^eabhar Breac, p. 28G-203.)
2. nbsp;nbsp;nbsp;Miracles de Nostre Dame par personnages, publiés d’aprèsnbsp;'g manuscrit de la Bibliothèque nationale par G. Paris etnbsp;tl. Robert, t. 10, p. 187-240.
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cornoiiaillais. 11 n’en est rien. Cette partio de la pièce est aussi extérieure a la Cornouaille que les deuxnbsp;autres. llnefaiitpas s’en étonner outre mesure. Lenbsp;culte des saints locaux survit souvent a leur légende,nbsp;surtout quand celle-ci n’est pas entretenue par lenbsp;clergé OU fixéc dans la littérature écritc. Or, l’espritnbsp;du clergé cornouaillais était aux trois quarts anglicisénbsp;depuis le règne d’Athelstan, et, quant a une littérature écrite, on ne voit pas que la Cornouaille en aitnbsp;possédé une avant les mystères. 11 est done probablenbsp;que les Merrasickers qui se pressaient autour de lanbsp;miraculeuse fontaine de Cambron, s’ils continuaientnbsp;d’avoir foi dans les vertus curatives du saint, nenbsp;savaient plus grand’chose de sa vie. Toujours est-ilnbsp;que, pour faire revivre l’image de leur thaumaturgenbsp;national, force fut aux Bretons d’Angleterre d'ennbsp;redemander les traits a la mémoirc plus intacte ounbsp;moins oublieuse des Bretons d’Armorique.
Le cas n’est, d’ailleurs, pas isolé dans Fhistoire des relations de la Bretagne armoricaine avec la mèrenbsp;patrie'. C’est le privilège de l’exil d’attiser dans lesnbsp;ames les souvenirs emportés du berceau natal. Plusnbsp;d’une fois les Celtes insulaires durent venir rallumernbsp;au foyer des émigrés le flambeau des antiques traditions de la race. Le fond de Fhistoire de saint Méria-dek, telle qu’elle est présentée dans le mystère cor-nique, parait sortir, dit le vicomtede la Villemarqué ^nbsp;du Légendaire de Tréguier, rédigé « probablement au
1. nbsp;nbsp;nbsp;Ronan, Essais de morale et de critique, p. 419.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Bulletin de la Société archéologique du Finistère, t. XIV,nbsp;p. 143.
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LE THEATRE EN CORNOUAILLE.
xv“ siècle ». C’est la une conjecture plausible, mais invórifiable, attendu que ce document n’existe plus.nbsp;Tout ce que nous en savons tient dans la mentionnbsp;qu’en fait Ie délicieux hagiograplie breton Albertnbsp;Le Grand a la suite do sa Vie de saint Mériadec ;nbsp;« Cette Vie a esté par nous rccueillie... d’un vieilnbsp;legcndaire manuscrit gardé en l’église de Saint-Jeannbsp;Traoun-Mériadec (dite du Doigt), en la paroisse denbsp;Clougaznou, diocèse de Trcguier* ». Mais, si la compilation primitive nous manque, nous avons, a sonnbsp;défaut, le récit oü le pieux conteur du xvii“ siècle ennbsp;a condensé la substance. Et il sufflt de comparer a cenbsp;récit la partic du drame cornique qui concerne Méria-dek pour voir qu’il n’y a presque rien dans I’un quenbsp;Ton ne retrouve, au moins a l’état de germe, dansnbsp;Tautre.
Saint Mériadec, natit de la nbsp;nbsp;nbsp;tater mereaboci
738.
Bretagne Armorique, de la race Moi, j’ai nom !c Due de Bre-Boyale de Conan Mériadec, pre- tagne, issu de sang royal. Sur •dier Roy catholique dudit pays, le pays je suis chef, je viensnbsp;dasquit environ Fan de grace le premier nprès notro macliern
suprème, le roi Conan. Jo descends do sa race en droite ligne.
Ses parents le voulans avan-der, le lirent de bonne houre rtudier et instruire és bonnesnbsp;dhres et sciences, et aussitost
(V. 1-6.)
PATER MEREAOOCI
‘Id’il fut sorty des écolles. Ten- do I’onvoyer a 1’école, alln '’Oyèrent a la Cour du Roy de qu’il puisse ètre bien instrait,nbsp;Bretagne.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;s’il plait a Tlicu : jc voudrais
faire de lui un liomme capable do commander sur les pays.
(V. 9-lC.)
, t. Albert Le Grand, Vie des saints de la Bretagne Armorique, dd. Thomas et Abgrall, p. 221.
J’ai, en vérité, tin fils ; Mé-riadek estson nom. Mon intention est maintenant, sans faute,
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LE THEATRE CELTIQUE.
Estant de retour chez son père, on paria de Ie mariernbsp;avantageusement, mals Ie saintnbsp;jeune liomme n’y voulut con-sentir, declarant ii ses parensnbsp;qu'il seroit d’Église, les priantnbsp;alTectueuseraent de ne plus luynbsp;parler de Mariage. Cette resolution de Mériadec fut de durenbsp;digestion a son père, lequelnbsp;taclia par toute sorte de yoyesnbsp;de Ten dissuader, mais voyantnbsp;qu’il n’y gagnoit rien, il Ie fitnbsp;vètir de long, et en peu denbsp;temps lui obtint tant de Béné-ficcs que c’estoit Ie plus richenbsp;Ecclésiaslique de Bretagne C
PEX CONANUS
On m’a parlé d’un magni-flque mariage pour Mériadek, la,jeune fllle d’un souverain sinbsp;puissant qu’il n’y en a pas denbsp;plus grand sous Ie ciel...
(V. 177-180.)
MEBIADOCUS
Mon seigneur suzerain, mille remerciments pour votre bien-veillance a mon égard. Mais,nbsp;ne vous déplaise, je vous prienbsp;tous do ra’excuser, vous, etnbsp;mon père, et ma mère pareille-ment. Je ne veux pas menbsp;donner au monde et ne menbsp;marierai jamais.
(V. 320-327.)
PATER
Tais-toi, Mériadek. 11 faut te marier, mon gentil Ills, a quel-que noble dame. Tu nous rendras plus forts par ton mariage,nbsp;nous et toute ta familie.
(V. 328-333).
MERIADOCUS
No me parlez plus jamais sur cette terre de me marier.nbsp;Ma résolution est prise denbsp;suivre d’autres voies... Monnbsp;ferme propos est de servir Ienbsp;Christtout-puissant, d’etresacrénbsp;chevalier de Dieu.
(V. 340-344 et 330-352).
PATER
Ilélas! mon fils Mériadek, c’est done pour cela que je t’ainbsp;envoyéal’école! Tumenavres...nbsp;Nous serons la fable de toutenbsp;lacontrée. A qui iront les terresnbsp;et les villages qui nous appar-tiennent, si tu nete mariespas?
1. Albert Le Grand, Vie des saivts de la Bretagne Armorique. p. 219. Cf. Acta Sanctorum, 7 juin, t. 11, p. 360.
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LE TllEATKE EN CORNOUAILLE.
MERIADÜCUS
O père, faites Ie Christ votre héritier.
(V. 363-372.)
PATER
Entre les mains de Dien, mon Ills, je te remets. Suis ton pro-prc vouloir : je ne saurais m’ynbsp;opposer. Ma benediction sur toi!
(V. S22-526.)
Cliez Albert Le Grand, Mériadec reooit les Ordres, quot; jusqu’a la prêtriseiiiclusivement)), de saint Hincwe-ten, évêque de Vannes ‘. L’auteur du mystère, peut-btre pour rappeler a ses compatriotes qu’ils ont desnbsp;frcres, — des Cornouaillais, comme eux, — la-bas,nbsp;6n Petite Bretagne {in hr eten vyan), change cet évêquenbsp;Vannes en évêque de Cornouaille [Episcopusnbsp;Eernov).
Me yv escop in breten inconteth gelwys Kernov
G’est apres son ordination comme prêtre que le ’Mystère fait venir Mériadek en Cornwall pour y batirnbsp;son ermitage auprès du sanctuaire de Notre-Dame denbsp;Gambron. « Y a-t-il de I’cau dans le voisinage? »nbsp;ilemande-t-il au domeslicus qui s’est fait son guidenbsp;bénévole. Et il ajoute, probablement avecune secretenbsp;^o?on de tempérance a I’adressedes gosiers cornouail-: « Car jamais autre boisson n’entrera, certes,nbsp;dans ma bouche ». A quoi le domeslicus rétorque :
Albert Le Grand, Vie des saints de la Bretagne Armorique, P- 210.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;»nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;i gt;
2- « Je suis évêque en Bretagne dans un comte appelé Ker-nou. „ (j/jg of s. Meriaseh, v. 511-512, p. 31.)
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« L’ean est vraiment rare en ce lieu : il faut faire nn bout de chemin avant d’en trouver une goutte. Mais,nbsp;moi, si j’avais de la bière [corff] ou du vin, ce u’estnbsp;pas de 1'eau que je boii’ais, bieu sur, fiit cc pour monnbsp;salut. » Mériadek descend la colliue, s’ageuouillc ennbsp;iin pré, et, par l’effet de ses prières, fait jaillir du roenbsp;dur une source abondantc oü les fiévreux, les aveu-glos, les infirmcs, tons les maléficiés de la regionnbsp;viennent immédiatemoiit cherclier réconfort*. Denbsp;cette localisation cornonaillaisc de la légende il n’y anbsp;naturellement pas trace chez Albert Le Grand, ninbsp;davantage des démêlés du saint avec le chef païennbsp;ïevder a qui obéissait alors cette partie de la Cor-nonaille. II y a la deux ou trois scènes dans lesquellcsnbsp;le dramaturge semble s’être inspiré d’éléments tra-ditionnels demeurés populaires dans le pays ^ Aussinbsp;vite, du reste, il reprend le fil de la légende armori-cainc et nous ramène avec Mériadek en Bretagne.nbsp;Celui-ci, dit Albert Le Grand, « se retira en un lieunbsp;fort écarté et solitaire au Vicomté de Rolian, non loinnbsp;de la ville de Pontivy, oü a présent y a une dévotenbsp;chapelle de son nom^ ». La désignation est un pennbsp;vague, et il est évident que le bon hagiographenbsp;a dü négliger ici certains détails de la rédactionnbsp;latine qu’il avait sous les yeux. Le mystère corniquenbsp;se montre, en effet, plus précis. « A eet endroit, présnbsp;du chateau appelé Pontelyne, sur la montagne, et au
1. nbsp;nbsp;nbsp;The life of S. Meriasck, vers G29-7Ü0, p. 2745.
2. nbsp;nbsp;nbsp;ld., vers 759-1065, p. 54-01.
3. nbsp;nbsp;nbsp;Albert Le Grand, Vie des saints de la Bretagne Armorique,
pp. 210-220.
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LE THEATRE EN CORNOUAILLE.
tgt;ord de Ia riviëre de Josselin, je veux batir une cha-Pelle en l’honneur de la Vierge Marie, bien que Ie site soit sanvage et froid » Cette riviëre qui passe a Josselin, c’est rOust. II n’y a pas de chateau de Ponte-lyne sur ses bords, mais, a sou confluent avec Ie Lié,nbsp;s’est élevé autrefois un « chateau du Thélem », dontnbsp;Ie vicomte de la Villemarqué, « après bien des recher-‘^lies », diPil, a découvert l’existence mentionnée dansnbsp;^öe « Enquête » de 1419 « touchant les droits et pré-ï'ogatives de la maison de Rohan )). « Get anciennbsp;‘^liêteau du Thélem », écrivait-il aM. Whitley Stokes,nbsp;quot; est situé a une lieue trois quarts de Josselin, présnbsp;elu pont du Camper (ou Komper), il a donné son nom,nbsp;Sous la forme Pontelaine, a une familie dont jenbsp;i'emarque un membre, en 1437, parmi les seigneursnbsp;ehutelains de la Vicomté de Rohan-. » Ces renseigne-*^ents sont exacts, hormis la lecture Thelem qui estnbsp;evidemment fautive et dans laquelle Ie vicomte de lanbsp;Villemarqué semble s’être laissé influencer par je nenbsp;®*iis quel ressouvenir de l’abbaye de Thélème. Riennbsp;^Wnt la date de 1419, en efïet, dès l’année 1298,nbsp;1 orthographe véritable se lit dans un acte de dona-tion d’Alain de Rohan a ses frères, cité par domnbsp;^orice, oü je relëve ce membre de phrase : «... etnbsp;^ous cents sus Ie chastel e la vile e les boes et lesnbsp;denaaines dou Telene et sur les autres apartenancesnbsp;üou Telene^... » Ainsi s’explique Ie nom de Pont-quot;fólene (pois Pontelaine) auquel correspond, sans
h 'Hie life of S. Meriasek, vers 1138-1145, p. 05.
“• W', p. xn.
'J- Preuves de Vhistoire de Bretagne, col. 1638.
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LE TUEATRE CELTIQUE.
aucun doute possible, Ie Pontelyne du dramc cor-nique.
C’est ici qu’intervient brusquement dans la pièce Ie hors-d’oiuvre du pape Silvestre et de l’empereurnbsp;Constantin'. Puis, de nouveau, Ie mystère et Ie récitnbsp;d’Albert Le Grand se cótoient.
Llt;i vicomte de Rohan son proche parent Tétant allé unenbsp;fois voir, S. Mériadec se plai-gnit ii lui du domtnage quenbsp;les paroisses circonvoisines re-cevaient journellement de certains volleurs, qui sortans denbsp;quelques cavernes de la pro-chaine forest, se ruëoienta I’ini-proviste sur le plat pays, etnbsp;commettoient de grands exceznbsp;de brigandages sur le pauvrenbsp;peuple, qui en esloit cxtrêmc-mentgrevé, rcxliorlanl adonnernbsp;ordre de faire Justice de cesnbsp;volleurs, et en nettoyer le pays.nbsp;Le Vicomle lui répondit qu’ilnbsp;l’eust bicn désiré, mais qu’ilnbsp;ne le pouvoit aiséincnt faire;nbsp;alors le Bienheureux S. Mériadec luy repartit : Mon cousin,nbsp;octroyez-rnoy trois foires franches pour la paroisse de Noyal ;nbsp;Tune devant les Nones denbsp;Juillet (qui est le sixièmc dunbsp;mois), l’autre le sixième desnbsp;Ides de Septcmbre (c’est lenbsp;buitième du mois), la troisiémenbsp;le premier jour d’Octobre, et jenbsp;les extermineray en telle sorte,nbsp;que jamais plus le pays n’ennbsp;sera incommode. Le vicomtenbsp;luy accorda sa deraande, et ennbsp;peu de jours le Saint accomplitnbsp;sa promesse, et par ses prières |
COMES ROIIAXI Mériadek, j’ai a te prier de faire une chose pour raoi, puis-que tu es de mon sang. 11 y anbsp;quantité de brigands en cettenbsp;contrée qui commettenl forcenbsp;assassinats. Fais-lcs décamper,nbsp;loi dont le pouvoir est si grand.nbsp;On ne peut se rondre a unenbsp;foire, sans avoir la certitudenbsp;d’etre vole, lis prennent Loutnbsp;ensemble la vie et la bourse.nbsp;Mon dossein est de tonder unnbsp;certain nombre de foires ennbsp;Bretagne, si tu voux me ])rèternbsp;ton assistance. Le sixième journbsp;de juillet aurait lieu la première foire; la seconde, dansnbsp;le mois d’aoüt, le buitième jour,nbsp;selon mon désir; la troisiéme,nbsp;au mois de septembre, le journbsp;de la fète de saint Michel. Dansnbsp;la paroisse de Noyal (Plu Yoala)nbsp;se tiendraient ces trois foires anbsp;perpétuité. MEBIADOCUS Cc que tu souhaites est juste et te sera accordé par la gracenbsp;de Dien, non par la mienne.nbsp;Les brigands scront cxpulsés,nbsp;saut ceux d’entre eux qui de-manderont pardon a Dieu :nbsp;ceux-la seront remis dans lenbsp;bon chemin. (V. 2030-2080.) |
1. The life of S. Meriasek, vers 1133-1800, p. 03-107.
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délivrn Ie pays des raffles de ces brigands; ce que voyantnbsp;ledit seigneur de flohan, ilnbsp;rendit graces a Dieu et a Saintnbsp;^lériadec, et octroya les troisnbsp;susdites Foires qu’il fit con-^'rrrier par le Roy, et publiernbsp;P^r toute la Bretagne i.
II est inutile, je pense, de prolongcr davantage les i'approchements. Ceux qui viennent d’etre indiquésnbsp;Kiontrent de fa?on assez claire quo Ia redaction latinenbsp;consultée par Albert Le Grand est, sinon l’original,nbsp;du moins uiie version de la legende qui a servi denbsp;Ilième fondamental au dramaturge cornouaillais.nbsp;Nous avons vu ^ que le vicomte de la Villemarquónbsp;sans dire, il est vrai, sur quelles raisons il s’ap-Puie — attribue au xv” siècle Ia composition de cettenbsp;^'le inanuscrite de saint Mériadec. Ce qui est sur,
^ '^st qu’elle ne saurait être antérieurc au xiv® siècle, puisque c’est seulement vers cette époquenbsp;*I*^e semble avoir pris consistance en Bretagne lanbsp;lable de Conan Mériadec, vulgarisée en Angleterrenbsp;l'ielque cent cinquante ans plus tót par Ie pseudo-bistorien Geollroi de Monmoulb“- On la trouve, ennbsp;^Hct, développée pour la première fois dans le poèmenbsp;lutin qu’un anonyme écrivit a la gloire du hérosnbsp;cambrien Arthur, pour faire sa cour au due denbsp;Uretagne Arthur 11 (1305-1312) a qui est dédié l’ou-
h ?Vie life of S. Meriasek, p. 115-119; Albert Le Grand, Vie saints de la Bretagne Armorique, p. 220.
Ci-dessus, p. 127.
ta ' nbsp;nbsp;nbsp;regum Britanniae, liyre V, ch. xi-xn, Beru7n bri-
j nbsp;nbsp;nbsp;scriptores veiitstiorcs ac praeciptii, p. 36-37; éd.
Giles, p. 88-90.
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vrage*. A supposer qiie la maison de Rohan eüt formule dès lors la pretention de deseendre dn fabuleux Conan Mériadec, encore est-il presumable quelesautresnbsp;éléments de la légende mirent quelque temps a se ’nbsp;combiner. L’ofiicine oü ils furent d’abord rapprochés,nbsp;puis amalgamés, a pu ctre l’abbaye cisterciennc denbsp;Bon-Repos, fondée a la fm du xii“ siècle (1184)nbsp;par Alain III de Rohan, et qne les vicomtes, succes-seurs d’Alain, comblèrent de leurs munificences ^ IInbsp;n’est pas impossible, d’autre part, qne l’établisse-ment des trois foires franches de Noyal “ ait été l’oc-casion de la légende. De tels événements étaient pournbsp;faire date dans la vie d’une region d’élevage (on pré-sentait plnsieurs milliers de cbevaux a Tune de cesnbsp;foires de Noyal, dite « de Bellechière »), en des tempsnbsp;oü les débouchés économiques étaient si rares etnbsp;les transactions si troublées. La bourgade de Noyalnbsp;ne devenait-elle pas de ce fait même un centre commercial important? On comprend qne des moines anbsp;la dévotion des Rohan aient pris l’initiative ou accepténbsp;la charge d’en perpétuer Ie souvenir dans la forme lanbsp;plus propre a frapper les imaginations, c’est-a-direnbsp;en y introduisant Ie surnaturel. L’intervention denbsp;saint Mériadec ótait toute désignée : il était Ie thaumaturge Ie plus vénéré de ces parages; Noyal mon-
1. nbsp;nbsp;nbsp;Vetus colleciio ms. de rebus Britanniae, citée par A. de lanbsp;Borderie, IHstoire de Bretagne, t. III, p. 380.
2. nbsp;nbsp;nbsp;A. de la Borderie, IHstoire de Bretagne, t. III, p. 192.
3. nbsp;nbsp;nbsp;On trouvera d’intéressants détails sur Ia foire do Noyal-Pontivy et sur les coutumes qu’on y observait, chez Ogée, Die-tionnaire historique et ge'ographiqiie de. la province de Bretagne,nbsp;nouvelle édition, t. 11, p. 347.
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LE THEATRE EN CORNOÜAILLE.
trait avec orgueil et garde encore iin sarcophagc en granit róputé pour avoir été son tombcau. Enlin,nbsp;— circonstance infiniment précieuse, — la similitude des noms permettait de rattacher I’anachoretcnbsp;vannetais a la lignée de Conan Mériadec et, par conséquent, de faire de lui un cousin des Rohan. Toutnbsp;concordait, comme on voit, pour faciliter la tache desnbsp;rédacteurs anonymes de la légende. Ce qui indiquenbsp;bien que cetto légende est d’origine purement van-netaise, c’est qu’il n’y est fait aucune allusion anbsp;un séjour quelconque du saint en pays trégorrois.nbsp;Ce pays avail cependant qualité pour Ie revendiquernbsp;aussi comme sien, puisque la vallée de Traoun-Mériadec avail retenu son nom et que l’on y conser-vait de ses reliques. Ce fut même, j’imagine, la raisonnbsp;qui fit conférer a la légende fabriquée dans Ie diocèscnbsp;de Vannes droit de cité dans Ie Légendaire de ïréguier.
Quant a dire vers quel moment et par quelle voie alle passa en Cornouaille anglaise, la question estnbsp;bien difficile, sinon impossible a tranchcr. A partirnbsp;de la conquête normande jusqu’a la fin de la guerrenbsp;de Cent Ans, les relations entre la Grande et la Petitenbsp;Bretagne furent, pour ainsi parler, ininterrompues.nbsp;Pendant une bonne moitié dii xiv“ siècle, notam-rrient, la querelle des maisons de Blois et de Mont-lort heurta et mêla les deux peuples. Ce furentnbsp;d’incessantes allées et venues sur la Manche, soit denbsp;deputations bretonnes, parfois composées de moines,nbsp;voire d’évèques, voguant vers Ie rivage anglais*, soit
A. de la Borderie, Hisloive de Bretagne, t. III, p. 486.
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cle troupes anglaises (dont une bonne part évidem-ment recrutée en Cornwall) faisant voiles vers l’Armorique. Une des regions de la péninsule oiinbsp;celles-ci paraissent avoir Ie plus séjourné fut préci-sément Ie territoirc vannetais et, plus spécialement,nbsp;Ie vaste fief des Rohan, qui tenait pour Charles denbsp;Blois. Mais peut-être y aurait-il une explication encorenbsp;plus simple. Comme beaucoup des seigneurs bretonsnbsp;qui, lors de I’expedition de Guillaume le Conquérant,nbsp;s’étaient enrólés sous la bannière normande, lesnbsp;Rohan étaient restés possesseurs de domaines ennbsp;Angleterre. Nous en avoirs pour preuves les nom-breuses donations, faites par eux a I’abbaye de Bon-Repos, de terres et de prébendes ecclésiastiquesnbsp;situées en ce pays’. Rien detonnant, dès lors, a cenbsp;que les récits qui glorifiaient leur familie eussentnbsp;franchi la mer et pénétré de procheen proche jusquesnbsp;en Cornouaille. On sait avcc quelle rapidité voya-geaient les fictions, — et surtout les fictions religieuses, — au moyen lige. Le certain, c’est que la vienbsp;de saint Mériadec exploitée par messire Hadton étaitnbsp;d’importation armoricaine. Comme, d un autre cóté,nbsp;c’cst manifestement une production ecclésiastiquc,nbsp;composée de tous points selon les lois du genre et ennbsp;dehors de toute collaboration populaire, il serait vainnbsp;d’espérer y découvrir quelque signe révélateur, je nenbsp;dis pas seulement de lame cornouaillaise, maismêmenbsp;de l’ame celtique. Le drame qu’elle a Inspire n’ennbsp;mérite pas moins une place a part dans l’histoire du
1. Dom Morice, llistoire de Bretagne, Preuves, col. 157.
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LE THEATRE EN CORNOUAILLE.
theatre cornique. II a un intérêt documentaire, une valeur de témoignage a laquelle il est difficile qu’uiinbsp;Breton ne se montre pas sensible : n’atteste-t-il pasnbsp;fiue, sept OU buit siècles encore après la separation,nbsp;la Deunans Meriasek faisait, en quelquo sorte, com-munier les deux Brctagnes dans Ie culte rajeuni d’unnbsp;de leurs saints primitifs?
« Et maintenant, sonneurs, souffiez dans vos cor-nemuses! » s’écrie, en guise d’adieu au public, Ie comte de Vannes, a la fin de la deuxième journée dunbsp;spectacle; « Des danses! II faut des danses a tout filsnbsp;de la mamelle ’! » C’est par des invitations de cenbsp;genre, accompagnées a l’ordinairo du conseil denbsp;bien boire », qu’il était d'usage de clore les representations de mystères en Gornouaille. Après s’êtrenbsp;récréé les yeux et les oreilles, Ie peuple était convié anbsp;Se dégourdir les jambes, et, s’il goutaita eet exercicenbsp;Ie même plaisir qu’y prennent encore les Cornouail-lais de France, on peut être sur qu’il ne se faisait pasnbsp;Prier. Les acteurs sans doute menaient Ie branie surnbsp;Ie plan an guare transformé en salie de bal. On ne senbsp;dispersait qu’a la tombée du soir, comme dans nosnbsp;pardons de Bretagne, et non sans tituber aussi quel-fiiie peu, je pense, au fond de ces petitos routesnbsp;ereuses de la Gornouaille, si semblables a nos che-¦^ins bretons.
Ga Vie de saini Mériadek ferma probablement l’cre de ces grandes liesses dramatiques. II est a croire, ennbsp;•^Het, qu’elle fut une des dernières, sinon la dernière
T/ie life o/' S. Meriasek, vers 4Ö63-4Ö66, p. 203.
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en date des pieces cornouaillaises. A l’époque oü Had-ton l’écrivait ou Ia transcrivait, on n’était plus qu’a une trentaine d’années a peine de la Réforme qui dutnbsp;porter au théatre cornique Ie même coup de mortnbsp;qu’au théatre gallois. Son agonie, cependant, paraitnbsp;avoir été assez longue, puisque, a la fin du xvi® siècle, Carew put assister encore a des representationsnbsp;de guarimirkle, quoique dégénérées. Plus d’un sièclenbsp;après, la tradition n’en était pas complètementnbsp;éteinte, au témoignage de Borlase. « Des guarimir,nbsp;dit-il, j’ai vu quelques faibles survivances dans Pestnbsp;et dans l’ouest de la Cornouaille'. » Cela se passait lanbsp;veille de Noël. Des gens du peuple, ayant tous re^unbsp;néanmoins un léger commencement d’instruction,nbsp;se présentaient, vêtus de déguisements variés, aunbsp;seuil des personnes de marque chez qui l’on fêtait Ianbsp;Christmas. Ils demandaient qu’on voulüt bien lesnbsp;admettre dans la salie, et la, devant la gentry assemble, ils débitaient des bouts de róles, des lambeauxnbsp;misérablement dialogués de scènes empruntées anbsp;l’Ecriture sainte. Sitót que leur mémoire vacillait, ilsnbsp;s’empressaient de couper court a la pièce et termi-naient Ie spectacle par un vulgaire combat de marion-nettes. Telle fut, selon Borlase, la fm du théatrenbsp;cornique.
Son histoire, en somme, est brèveet viteparcourue. Si elle est incontestablement plus instructive quenbsp;celle du théatre gallois, dont les données même nousnbsp;sont a peu pres inconnues, elle laisse encore bien des
1. Cité par Pohvhele, The history of Cornwall^ liv. U, ch. xi, p. 55.
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points obscurs. Elle ne nous renseigne notamment ni sur lïmportance des manifestations dramatiques,nbsp;ni sur les conditions spécialesoüellesseproduisaient,nbsp;ni sur les catégories de gens qui y prenaient part, ninbsp;sur Ie retentissement plus ou moins profond qu’ellesnbsp;pouvaient avoir dans les esprits. On ne saurait senbsp;figurer, d’après cette histoire trop lacimaire, a quelnbsp;point Tame celtique fut passionnée de spectacles.nbsp;Nous avons, heureusement, pour nous édifler a cetnbsp;égard une mine plus riche, plus accessible, moinsnbsp;éloignée de nous dans le temps comme dans I’espace,nbsp;et c’est le théatre breton.
-ocr page 156-LES PREM[ÈRES RECHERCHES SUR L’HISXOIRE du theatre BRETON
Importance du tliéatre breton : ses premiers historiens. —¦ Émile Souvestre. ¦— Le vicointe de la Villemarqué. —nbsp;F.-M. Luzol : sa passion pour la littéralure populaire; ses rapports avec l’école bardique. — L’abbó Ilenrv. —La publicationnbsp;de Sainte Tryphine et le rot Arthur. — Voyages de Luzel a lanbsp;recherche des mystères.
Une simple constatatioii matériellc peut suffire a montrer, dès l’abord, de combieii la produclion dra-matique brotonne l’ernporte en volume, sinon ennbsp;valeur, sur les oeuvres analogues léguées par lesnbsp;Gallois OU par les Cornouaillais. Que sont, en effet,nbsp;les cinq ou six textes corniques qui nous sont parvenus, quo sont les douzo ou quinze manuscrits dontnbsp;on signale l’existence au Pays de Galles, en compa •nbsp;raison des cent vingt et quelques mystères qui torment le lot de la Bretagne? La France elle-même nenbsp;possède pas a son actif un stock aussi considerable,nbsp;si l’on ne fait entrer en ligne de compte que lesnbsp;pièces conservéesL Encore serait-il prématuré de
1. Les mystères francais conserves sont au nombre de 120, les mystères perdus au nombre de 04. Voir Petit de Julleville,nbsp;Les Mystères, t. II, p. 046-048; cf. pp. 028.
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clorc la liste des mystères bretons sur l’inventaire que i’en ai dressé ii la fiii de cette étude. Je l’ai faitnbsp;Ie plus complet possible, eet inventaire, mais je suisnbsp;loin de vouloir prétendre que les baluits armoricainsnbsp;aient livré tons leurs secrets; je les ai trop pratiquesnbsp;pour lie savoir pas de quelles révélatioiis ils dcmcu-rent toujours capables. Puis, il y a des regions,nbsp;comme Ie Morbihan, par exemple, qui semblent n’avoirnbsp;été qu’imparfaitement explorées. II est done permis denbsp;prévoir de iiouvelles découvertes qui aiigmenteroiitnbsp;d’autant Ie total des mystères actuellement connus.nbsp;Mais, tel qu’il est, ce total no laisse pas d’avoir unenbsp;eloquence fort significative. II se peut, — et nousnbsp;aurons occasion de Ie dire — que la littératurc bre-tonne aiteu des cótes plus brillants, plus originaiix;nbsp;ello n’en a pas eii, en tout eas, de plus amples ni denbsp;plus abondants. Lc meilleur de ce qu’elle a donnénbsp;dans les autres domaincs tient a l’aise en quelquesnbsp;volumes : si jamais on se mêle de publier son théatre,nbsp;c’est une bibliotlièque qu’il y faudra.
L’importance et l’intérêt de ce théatre de langue brelonne ont été pour la première fois mis en lumièrenbsp;par Émile Souvestre dans scs Derniers Bretons. Onnbsp;sait Ie mérite probe et simple de cos études dont Ienbsp;charme, après trois quarts de siècle, n’est pas évaporé.nbsp;Les pages consacrées a la « tragédie » populaire sontnbsp;parmiles plus attachantes. Ellesne sont évidemmentnbsp;pas exemptes d’erreurs, mais qui tiennent surtout aunbsp;goüt du temps oü l’muvre fut écrite. II était difficilenbsp;qu’en pleine période romantique leur auteur écliappatnbsp;R la tentation de (( romantiser ». Nous verrons qu’il
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y a cede en plus d’une circonstance. II n’a pas résistc davaiitage au pencilant assez naturel qui a porté lanbsp;plupart des écrivains bretons a idéaliser, dans lesnbsp;images qu’ils en présentent, les manifestations souvent médiocres du génie de leur race. On se ferait denbsp;la poésie dramatique de la Bretagne une idéé fortnbsp;cmbellie et, par conséquent, un pen fausse, si l’on ennbsp;jugeait uniquement d’après les traductions que Sou-vestre en a publiées. J’en citerai pour prcuve la scènenbsp;suivante, empruntée a son analyse de la Vie de saintnbsp;Guillaume^. C’cst la scène oü Guillaume, comte denbsp;Poitou, un bandit féodal des plus cyniques, — ennbsp;attendant de devenir un saint, après que la gracenbsp;divine l’aura touché, — entreprend de violenter lanbsp;femme de son frère, qu’il a enlevée et qu’il tient a sanbsp;merci. Je mets la version littérale en regard de lanbsp;forme que lui a donnée Souvestre.
LE COMTE assis, et tenant la main de la ducliesse.
Eh bien! mon amc, mon bonheur, ii’ótos-vous pas heu-reuse maintenant? Ne voyez-
LE COMTE lui dit :
llé bien! mon coeur et mon contentement, ii’êtes-vous pasnbsp;maintenant en votre aise?
vous pas que riiomme auquel Jamais mon frère ne fut un
je vous ai arrachée ne vous aimait pas comme moi?
LA DucuESSE, pleurant.
II n’y aura pour moi de bonheur que lorsque je serainbsp;rendue a mon époux.
LE COMTE
Qu’avez-vous a soulTrir ici?
homme comme moi, et jamais il ne Ie saurait être, je lo ocr-tifie.
LA Dl’CIIESSE
Je ne saurais être en mon aise jamais tant que je nenbsp;serai pas avec mon mari, etnbsp;avec lui soul.
LE COMTE
II n’y a personno en ce monde qui soit en son plaisirnbsp;comme vous l’êtes, vous, main-tenant, cola je lo eertille.
1. Les derniers Bretons (edition de 1883), t. II, p. 5-7.
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LE COMTE lui dit : Hé bien, mon petit coeuT, qu’est-ce que cela? 11 fautnbsp;prendre courage et vous relever. LA DUCHESSB Le plus grand des maux!. Vous m’avez déshonorée. LE COMTE Mignonne, ne songez pas a cela, et aimons-nous. LA DUCIIESSE Ilornme iiiécliant et auda-cieux, homnie cruel et insensé! gt;-E COMTE, cherchanl a l’atlirernbsp;sier ses genoux. Idole de mon eoeur, o tnon tendre amour! LA DUCUESSE Vous tenez mon ame prison-nière, vous la perdez. LE COMTE, souriant avec tendresse. O mon tendre amour, idole tie mon eoeur! LA DUCIIESSE Malheureux! mais lo démon ® done pris possession de toi. LE COMTE, souriant. Oui, depuis le jour oü pour première fois j’admirai vos ysux; Ie démon me possèdenbsp;*lepuis l’instant oü vous m’aveznbsp;®nchanté. duchesse se croise les ^ains avec désespoir et tombenbsp;“ Ocnoux. le COMTE, voulant la relever. f-li bien! mon idole, qu’cst- done? Pourquoi ce déses-Poir? Allons, venez ici, pres moi... II veut l’altirer a lui. |
LA DUCIIESSE Vous êtes un tyran, un barbare révolté! LE CO.UTE En comparaison do ce que je fais aux autres, vous n’aveznbsp;pas i'i vous plaindre. LA DUCIIESSE Si, (le la pire chose, liélas! Je suis déshonorée. LE COMTE Ne parlcz pas de cela et nous serons amis. LA DUCIIESSE Homme méchant, ellrontc, cruel et privé de raison! LE COMTE Vous êtes mon petit eoeur, mon inclination. LA DUCIIESSE Tu mets mon üme comme dans une prison. LE COMTE Mon eoeur, encore une fois, et mon inclination. LA DUCIIESSE Traitre, homme maudit, je crois que tu es posse'dé. LE COMTE Depuis l’heure oü pour la première fois je vis votrenbsp;beauté, je crois en vérité cenbsp;que vous dites, depuis cenbsp;momcnt-Ia vous m’avez ravi. La duchesse tombe a terre. |
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LE THEATRE CELTIQUE.
LA DUCHESSE Mallieurcuxl vos paroles cri-minelles m’épouvantent. Oh! j’en raourrai , oh ! j’espèronbsp;iiiourir bientot. LE COMTE Levez-vous, ma douce; point d’emportemont. Moi je n’airnenbsp;et ne vcux que la joie. J’aimenbsp;que 1’on se parlo avcctendressenbsp;et boiiheur. Ne le voyez-vousnbsp;pas, jo suis aflligé comnic vousnbsp;de votre affliction; j’ai le cceurnbsp;amor et I’esprit triste de vosnbsp;amertuines et de vos tristesses. —•nbsp;Ducliesse, tu es toute mon es-pOrnrice et tout mon plaisir,nbsp;toute ma consolation dans mesnbsp;peines; tu cs mon trésor terres-tre, monjdus beaujoyau. J’aurainbsp;pour toi, si tu le veux, un amournbsp;et une fidélité éternelle. — Madame, je vous adorerai encorenbsp;au moment de mourir. Avec tfistpsse el la servant dans ses bras : Mais écoute-moi done : mais tu ne m’entends done pas? ,1’ennbsp;atteste les étoiles et Ia lune,nbsp;jamais, Jamais sur la terro jenbsp;n’ai rien adoré comme toi. Jenbsp;suis joyeux de ta presence, jenbsp;t’admire, je serai ton amantnbsp;fidéle, etsans cesse, et toujours. |
LA DUCIIESSE Vous me faites beaucoup de mal avec vos paroles fubriquesnbsp;et vos mauvnises fa^ons, cri-minel maudit. II m’est avisnbsp;que je suis prés de mourir : jenbsp;ne crois p,Ts désormais que jenbsp;vivo longtemps. LE COMTE Levez-vous, mon petit cceur : il est défendu de se facber.nbsp;Moi, il fout que pnrtoutje menbsp;divertisse. Tout ce que je dis,nbsp;c’est avec amour que je vousnbsp;le dis, et avec fidélité. Terri-blcment je suis contristé, mêmonbsp;je souffre peine en mon esprit,nbsp;en mon cceur, ii vous voir ainsi.nbsp;Vous êtes mon espérance etnbsp;tout mon plaisir, tout monnbsp;contentement quand j’ai dunbsp;désagrément, ma foi en cenbsp;monde et mon ohjet le plusnbsp;beau. De tous mes trésors, c’estnbsp;vous, Cortes, le plus beau.nbsp;J’aurai pour vous, durant toutenbsp;ma vie, beaucoup de fidéliténbsp;et beaucoup d’amour. Je vousnbsp;aimerai toujours, füt-ce jusqu’anbsp;la mort, et ai l’espérance, madame, de n’y jamais faillir.nbsp;Aussi, je vous en supplie, dé-clarcz promptement ce quinbsp;vous chagrine, pourquoi vousnbsp;n’étcs pas contente, et s’il estnbsp;en mon pouvoir, en quelquenbsp;fafon, de vous rendre servicenbsp;comme vous le méritcz, croyez-m’cn, je vous prie, comme jenbsp;vous Tatteste, du fond de monnbsp;cceur je le ferai, si je le puis. |
Écoutez, mon amour, mon esprit, mon désir, je vous disnbsp;une chose qui certes est vraie :nbsp;i’en appelle a témoin les
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LA DL'CHESSE, s’afi'achant de ses bras en tombant a genoux. Vierge, Vierge Marie, je te recommande mon ame. Prends-)a sous ta protection. Mais quenbsp;dis-je? Malheureuse! Je suisnbsp;criininelle devant vous, ó monnbsp;Dieu! Ah! délivrez-moi de cenbsp;tyran, au nom du sang quenbsp;Jésus-Christa versé surlacroix!nbsp;Oubien, mon Dieu,envoyez-moinbsp;VAnkou-, que je meure et quenbsp;je ne reste pas dans Ie péché! le comte, la conlemplanl. Jamais je ne l’ai vue si belle! — Oh! pourquoi résisternbsp;a mes désirs? — Oh! je vousnbsp;«n prie, dites-moi done pourquoi votre cceur est mal a l’aisenbsp;dans la vie, pourquoi vousnbsp;R’ètes joyeuse. Ah! dites s’ilnbsp;est au pouvoir d’un hommenbsp;d’accomplir vos vceux, et il lesnbsp;accomplira. LA DUCHESSE Vous en avcz le pouvoir, vous le savez comme moi, vous quinbsp;Ri’avcz enlevée a ma familie etnbsp;a mon époux qui était monnbsp;plus aimé, a mon époux qui lenbsp;aera toujours. |
étoiles et la lune, je n’ai aimé personne sur Ia lorre cornraenbsp;j’admire votre présence. Ennbsp;aucun temps je ne faillirai anbsp;vous être fidéle. LA üuciiESSE, amp; genoux, Vierge gloricuse, Marie, je vous recommande mon cceur.nbsp;Prenez mon ame sous votrenbsp;protection.Mais, hélas! malheurnbsp;a moi! que dis-je? Je suis cri-minelle devant vous, mon Dieu.nbsp;Par le mérite du sang que surnbsp;la croix vous avcz répandu, denbsp;ce tyran-ci, a cette heure, délivrez-moi; OU autremcnt, monnbsp;Dieu, envoyez PAnkou rnettrenbsp;une fois pour toutes lln a mesnbsp;jours. Je ne resterai pas plusnbsp;longtemps a offcnser mon Dieunbsp;par toutes sortes do péchés,nbsp;comme je le fais chaque jour.nbsp;Malheur a toi, tyran, malheurnbsp;sürement tu auras, car c’est tanbsp;faute si je commets des péchés,nbsp;des péchés exécrables, pleinsnbsp;de malice; c’est la faute de tonnbsp;insolence et de ta tyrannic. LE COMTE Jamais je n’ai vu personne en ce monde plaire a monnbsp;esprit autant que cette prin-cesse-ci. Ainsi done, dites-moi,nbsp;s’il vous plait, madame, quenbsp;vous manquo-t-il pour que lenbsp;désir de votre cceur soit com-blé? LA DOCITESSE Quand je viens ii songer, hélas! qucllc vie je mène avecnbsp;vous mainleuant, malheurcu-sement pour moi, je suis prisenbsp;d’épouvanto ii 1’idée qu’il fau-dra rendre compte de ce quenbsp;10 |
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LE TUEATRE CELTIQUE.
j’aurai fait, des péehés horribles et de I’adultère que je eommels avcc vous, malheu-reusement pour moi, trop souvent. Croyez parfaitement quenbsp;je voudrais être mortc, partienbsp;de ce monde, arrivée au tcrmenbsp;de mes jours, plutüt que denbsp;vous olfenser, mon 0ieu, commenbsp;je fais. 11 faudra rendre desnbsp;comptes, lorsque j’y songerainbsp;Ie moins.
LË COMÏE, blessé.
Ne puis-je done être aimé comme lui?
I..\ nuCHESSE
Vous Ie seriez, com te, si vous éliez un liomme qui craignitnbsp;Dieu.
LE co.MTE, avec impatience,
Plus tard, plus tard... J’y penserai quandj’aurai Ie temps.
LA BUCIIESSE
Va done, Guillaume, noie ton coeur dans les choses de cenbsp;monde; enivre-toi de plaisirs etnbsp;d’infames bonlieurs; tu nenbsp;trouves personne qui ose tenbsp;dire la vérité, mais moi je tenbsp;la dirai sans crainle. Si tu nenbsp;changes de vie, comte, malheurnbsp;a toi. La patience de Dieunbsp;s’usera, et, si tu n’obtiens denbsp;lui son pardon, quelque jour,nbsp;dans ton chemin, tu te trou-veras face a face avec le malheur.
i.E COMTE, souriant amère-menl.
Je connais déja tous vos sermons, ma belle ; je suis unnbsp;misérable, n’est-ce pas?
LA DUCHESSE
Un misérable.,. et le plus méchant qu’ait jamais vu la
LE COMTE
Je VOUS défends expressé-ment de songer a cela, dites-vous-le bien, ou sinon j’aurai votre vie.
LA DUCHESSE
Comment mettre jamais on oubli tout ceci? 11 faudra quenbsp;tu rendes cornpte, lorsque tunbsp;y song-eras le moins.
LES IIISTORIENS DU THEATRE BRETON. 147
terre, car vous n’avez pas eu liorreur d’enlevcr la femme donbsp;votre propre frère.
LE COMTE
Assez, duchesse, ma patience est a bout...
LA nilCIlESSE
Ne pouvoir se faire aimer et remplacer Taraour par la violence... Oh! c’est d’un hommonbsp;14che!
LE CO.MÏE
Marchez, allez en votre route et décampez presteinent de la.nbsp;Je vous apprendrai ii blamernbsp;un hommo comme moi. C’estnbsp;comme cela qu’il faut récoin-
penser les p...... Quand on en
a assez d’elles, on les boute hors de la maison.
LF, COMTE, furieux.
Hors d’ici, hors d’ici, femme!
Des injures ii moi! Hors d’ici! — Des creatures commenbsp;Tous, quand on n’en veut plus,nbsp;on les jette au dela du seuil.
11 la chasse.
Souvestro, on Ie voit, tantót condense Ie dialogue et tantót Ie développe. 11 en tire ainsi des efïets toutnbsp;Douveaux, sans parler de ce qu’il y a d’un peu milnbsp;huit cent trente dans l’allure et la couleur du style.nbsp;Si I’on n’était prévenu, on croirait presque, parnbsp;endroits, lire un drame de l’école de Dumas pèrenbsp;plutót que I’clucubration laboriouse et sans art d’unnbsp;d pauvre kloiirek * » breton. Mais — on ne sauraitnbsp;trop y insister — Souvestre n’en garde pas moinsnbsp;1’iionneur d’avoir Ie premier appelé l’attention dunbsp;grand public sur une branche de ladittérature armo-ricaine dont lui-même ne soupgonnait pas toute lanbsp;fécondité.
Cette fécondité dramatique, vraiment surprenanto chez un peuple quasi dépourvu de culture, il était
Les Derniers Bretons, t. I, p. 244.
-ocr page 164-148 LE THEATRE CELTIQUE.
réservé a Liizel d’en découvrir et d’en rassemblcr les monuments. Si Souvestre a révélé Ie trésor, c’estnbsp;Luzel qui l’a déterré et qui en a étalé a nos yeiix lesnbsp;richesses. Au prix de quelle patience, do quels efforts,nbsp;nous avons Ie devoir de Ie montrer. Mais, aupara-vant, et pour avoir carrière libre, qu’on nous per-mette d’intervertir quelque peu l’ordre chronologiquenbsp;afin de faire tout de suite sa part au vicomte de lanbsp;Villemarqué. C’est la gloirede ce grand nom que, parnbsp;quelque cóté que I’on aborde les lettres bretonnes, onnbsp;ne peut manquer de Ie voir surgir. II ne s’est, toute-fois, soucié du tbéatre que tardivement et, pour ainsinbsp;dire, comme d’un appendice a son eeuvre. « Ce livre,nbsp;déclare-t-il dans la Préface de son Grand Mysière denbsp;Jésus, complete mes études sur la poésie des racesnbsp;celtiques. Dans Ie Ba7'zaz Dreu (Chants populaires denbsp;la Bretagne) et les liardes bi'etons, j’ai voulu donnernbsp;une idéé de leur génie poétique, sous sa double forme,nbsp;agreste et travaillée; dans les Romans de la Tablenbsp;ronde et les Contes des Anciens Bretons, puis dansnbsp;Myrdhinn ou l’enclianteur Merlin, j’ai essayé d'appré-cier leur inspiration romanesque; dans la Légendenbsp;CeÜique et la Poésie des CloUres, j’ai esquissé Ienbsp;tableau de leur épopee religieuse. Ici, j’aborde enfinnbsp;leur littérature dramatique » Ce qu’il ne dit pas,nbsp;c’est qu’il n’y fut saus doutc jamais venu, si Luzel,nbsp;un homme nouveau, n’avait eu l’outrecuidance denbsp;vouloir tenter avant lui ces chemins a peu presnbsp;inconnus. S’il souffrait qucl’on glanatsur ses traces,
1. Le grand mystère de Jésus, Préface, p. i-n.
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il n’aimait pas qu’on mit faucille en blé dans des champs qu’il n’avait pas moissonnés. Au fond, Ienbsp;theatre était pour Tintóresser médiocrement. Cenbsp;n’était, dans la littcrature celtiqne, qu’un fruit d’ar-rière-saison, en quelque sorte, et, provenant, selonnbsp;toute apparencc, de greffe étrangère. 11 n’y retrouvaitnbsp;iii la saveur originale, ni Ie jiarfum d’antiquitó qu’ilnbsp;avait toujours prises par-dessus tout dans les productions poótiques du peuple breton, au point de lesnbsp;vieillir lui-même, artificiellcment, lorsqu’il ne lesnbsp;jugeait pas d’un temps assez archaïque. II ne s’avisanbsp;done de s’occuper des mystèresque paree qu’un autrenbsp;s’y était risque : ce fut la publication de la Vie denbsp;Sainle J'rijpliine (1803) qui amena la publicationnbsp;du Grand Myslère de /é,s'«.s'(1863). Noble émulation,nbsp;dira-t-on peut être; oui, mais qui n’allait cependantnbsp;pas, chez Ic vicomte de la Villemarqué, sans un desirnbsp;manifeste de rabaisser Ie mérite de son rival, ennbsp;rabaissant la valeur de l’oeuvre éditée par ses soins.nbsp;11 faut voir, en efïet, comme il Ie prend de haut avecnbsp;lui. Car c’est évidemment au malencontreux traduc-tcur de Sainle Vrijphine que s’adresso cette logonnbsp;severe : « Dans l’état actuel des études historiques, cenbsp;*ïui est ancien de forme et de style, ce que nous ontnbsp;conservé soit de vieux manuscrits sur vélin, soit desnbsp;editions gothiques, ouce qui est tout a fait rustique,nbsp;Uaturel, naïf, traditionnel et primitif, voila les seulsnbsp;documents vraiment dignes de respect et d’attention ».nbsp;El ce qui prouve bien quece passage vise directomentnbsp;Euzel, c’est la note a laquelle ilrenvoie : « Je voudraisnbsp;faire une exception en faveur du Myslère de sainle
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LE THEATRE CELTIOEE.
Injphine et du roi Arthur, Técemment publié paT un estimable professeuT et poète, M. Luzel, avec la collaboration de M. l’abbé Henry, si versé dans l’étude dunbsp;breton moderne. Maltieureusement, Ie texte qu’ils ontnbsp;mis an jour ne remonte pas au dela du xviii® siècle' ».nbsp;Du xviii” siècle! La tareétait évidemment irrémissible.nbsp;Quel besoin d’exhiber un document d’origine sinbsp;récente, un texte sans passé, j’allais presque dire :nbsp;sans aïeux? Le mystère de la Passion, a la bonnenbsp;beure! 11 avail déja été imprimé deux fois,il est vrai;nbsp;mais il datait a tout le moins de 1330, il sentait anbsp;plein son moyen age, il avait figuré « dans une edition gothique », il était digne de tons points quenbsp;l’auteur du Barzaz Breiz lui fit un nouveau sortnbsp;comme au « monument ancien le plus considérable »nbsp;de la littérature dramatique bretoiine, et lui conférat,nbsp;par la mème occasion, une sorte de suzeraineté surnbsp;toutes les compositions analogues, en le rebaptisantnbsp;do cebeau titre : Le Grand Mystère deJésusnbsp;Non pas, certes, que je veuille a mon tour encourirnbsp;le reproche de procéder a l’égard du vicomte de lanbsp;Villemarqué comme on peut regretter qu’il ait procédé a l’égard de Luzel. Grand ou pas grand, le Mys-tére de Jésus est une oeuvre capitale pour l’histoire de
1. nbsp;nbsp;nbsp;Le (jrand mystère de Jésus, Introduction, p. cxxxn, note.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Le 24 septeinbre 1865, Luzel écrivait a Renan : « Lenbsp;mystère de In Passion, — traduit par M. de la Villemarqué ounbsp;plutót par l’abtié llcnry, — qui était annoncé comme devantnbsp;paraitre au mois de janvier dernier, n’a pas encore vu le jour,nbsp;que je saclie. Yraiment ce mystère prend des allures Inennbsp;mystérieuses! — 11 parait que cela s’appellera, non pas Lanbsp;Passion, comme c’était tout naturel, mais bien Le Grand Mys-tére de Jésus ».
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Ia langue bretonne aussi bien que pour l’histoire du theatre breton, et il iie m’cn coüte iiullement denbsp;rendre ici uii juste hommage a son troisième éditeur.nbsp;Mais, la question d’ancienneté mise a part, en quoinbsp;done cette ceuvre est-elle supérieure ii la plupart desnbsp;oeuvres du même genre? Quelle nécessité y avait-il,nbsp;pour exalter cette ainée, de faire fi de ses cadettes et,nbsp;sous jirétexte de l’isoler comme une perle rare, denbsp;balayer Ie reste au ruisseau comme « de grossièresnbsp;verroteries, fort mal imitées d’un modèle que l’onnbsp;prétendait rajeunir »? Ces dédains fastueux de grandnbsp;seigneur, lotions Luzel, qui, d’ailleurs, était peuple,nbsp;d’avoir eu toute sa vie Ia candeur de les ignorer.
Fran^ois-Marie Luzel (en breton, il ccrivait Ann Huël] naquit Ie 6 juin 1821, a Plouaret, petit chef-lieunbsp;de canton des Cótos-du-Nord, sur les confins du Lan-nionnais et du Guingampais, dans une région exclu-sivement agricole, éloignée de tout centre nrbain, etnbsp;oü s’est longtemps conservé intact Ie vieil esprit tra-ditionnel. Nul pays n’est plus riche en souvenirs. Lenbsp;meilleur de sa besogne de folkloriste, Luzel a pu l’ac-complir sur place, saus presque sortir du terroirnbsp;natal. Chansons et légendes y foisonnaient de sonnbsp;temps. Son enfance en fut bercée et, a travers toutesnbsp;les vicissitudes de son destin, son ame en demeuranbsp;comme enchantée a jamais. II puisa dans 1’air mêmenbsp;qii’il respirait Ie goüt passionné de Ia poésie et de lanbsp;mythologie populaires. Le manoir familial de Keram-horn, dont ses parents, cultivateurs aisés, exploi-taient eux-mêmes les terres, fut pour lui, si j’osenbsp;dire, une véritable école de traditionnisme. La maison
lo2
LE THEATRE CELTIQUE.
était aumónière et hospitalière, toujours ouverte a tout venant. Elle avail sa clientèle attitrée d’liumblesnbsp;geus, de joiinialiers, d’artisaiis rustiques du bois ounbsp;du cuir, parfois même de mendiants nomades, dépo-sitaires nés des fictions de la race. Dans ce milieunbsp;délicieusement primitif, Luzel connut la vie simple,nbsp;patriarcale, peuplée de songes et de récits. Mais c’estnbsp;a lui-même qu’il en faut demander Ie tableau. II fanbsp;esquissé vingt fois; jamais avcc une sincérité plusnbsp;émouvanteni un plus rarebonheurd’expression qu’aunbsp;soir mélancolique de sa vieillesse, dans Ie derniernbsp;poème breton, je crois, qu’il ait composé.
Me voici maintenant vieux (soixante-neuf ans), et 1’envie m’a pris de venir visiter encore la maison oü jenbsp;suis né, ses champs, ses bois, pour y chercher Ie fantómenbsp;de mes premiers jours.
Salut atoi, Keramborn! Mon ccEur, dès que j’approcbe, se met aussitót a tressaillir, et les souvenirs d’autrefoisnbsp;abondent, se pressent dans ma tête, avec mes beaux rêves,nbsp;aussi nombreux que les feuilles dans l’arbre.
...Voici Ie grand foyer, et voilale fauteuil de mon père. Cliaque nuit, pendant l’biver, on allumait une llambée;nbsp;les valets tout a l’entour se rangeaient pour fumer leurnbsp;pipe, s’entretenir de leurs travaux et sécher leurs vête-ments.
Car, durant Ie jour, sous la pluie, sous la neige, ils avaient labouré la terre pour Ie froment et 1'avoine. Lanbsp;force du feu dégourdissait alors, peu a peu, les membresnbsp;glacés, et aussi les langues...
Souvent survenait, la nuit déja close, un pauvre chemi-neur de pays, priant qu’on Ie logedt; trempé jusqu’aux os, morfondu de froid, épuisé de fatigue, de faim, ilnbsp;arrivait de l’Argoat.
Et, son souper fini, il s’approchait du feu oü nous nous
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empressions de lui faire place, grands et petits. Et il entonnait alors de,s giverziou, des soniou, il contait desnbsp;contes et toutes sortes de merveilles.
Et moi, au coin du foyer, assis sur un escabeau, je 1’écoutais, en grand silence, plein de surprise ou d’épou-vante...
O contes d’autrefois, délices de nos ancètres, je vous aime par-dessus toutes clioses, car vous avez, de toutnbsp;temps, consolé Ie pauvre dans sa hutte d’argile et denbsp;chaume, vous êtes de plus de prix que l’or!...
Adieu, Keramboni! Ma pensee vole souvent vers toi, tandis que mon corps est ailleurs retenu. J’ai vieilli,nbsp;comme toi, et mes cheveux sont blancs : avant denbsp;mourir, j’ai voulu te composer une chanson.
Un conté, une chanson, ce sont lii, je Ie sais, choses de peu de valeur, et ponrlant il en est qui ont vaincu Ienbsp;temps. Un conté conté par l’aveugle (iarandel est plusnbsp;vieux que les plus vieux chateaux!
Toi, Keramborn, tu dureras; moi, mon destin est de mourir. Je m'en irai comme une feuille sèche, balayéenbsp;par Ie vent. Tu verras d’autres gens, des saisons bonnesnbsp;et mauvaises. Dieu les bénisse! Moi, je serai parti pournbsp;Une autre Bretagne ‘.
Les lectures, les « recitations » de mystères alter-naient, aux veillées de Keramborn, avec les récits et les chants. Parmi les habitués du manoir, d’aucunsnbsp;avaient en leur possession d’anciens manuscrits,nbsp;bérités de leurs ancètres; d’autres savaient par coeurnbsp;des róles entiers. Pluzunet, qui avait été dans 1’agenbsp;précédent un des foyers les plus intenses du théatrenbsp;trégorrois, n’était distant de Plouaret que de sept ounbsp;Luit kilometres, et sou rayonnement, quoique fort
1. VlJermine, novembre 1890.
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afïaibli, ne laissait pas cle briller encore d’un certain éclat. La tradition des representations dramatiquesnbsp;populaires n’était pas, en efïet, complètement éteintenbsp;dans Ie pays. Les débris subsistants desvieilles troupesnbsp;entretenaient ie feu sacré, parfois Ie communiquaientnbsp;a des néopbytes. Pour peu que les circonstances fus-sent propices, on voyait soudain 1’étincelle courir, senbsp;propagcr de proche en proche, rallumer instantané-ment dans les ames les belles ardeurs passées. Toutnbsp;enfant, Luzel fnttémoin de ce spectacle et je retrouvenbsp;dans ses papiors Ie souvenir de l’impression tres vivenbsp;qu’il en reg;ut.
Un tisserand de la commune, Alain Gouriou, ayant eu 1’occasion d’aller travailler pendant quelquesnbsp;semaines dans une ferme de Pluzunet, en avait rap-porté un manuscrit de la Vie de sainte Iryphine quinbsp;ne Ie quittait plus. Le jour, assis a son métier, toutnbsp;en poussant Ia navette, il n’en détachait pas les yeux;nbsp;le solell couclié, il le lisait et le relisait, a la cbandelle,nbsp;jusqu’a ce qu’il ne restat plus une larme de suif; il nenbsp;s’en dessaisissait même pas, le dimancbe, pour senbsp;rendre a la messe, et s’attardait de taverne en tavernenbsp;a en déclamer des tirades au nez des buveurs entliou-siasmós. Bientót il ne fut bruitque du « livre » d’Alainnbsp;Gouriou et des admirables eboses qu’il contenait.nbsp;Toutc Ia contrée s’en émut. Ce fut a qui inviterait lenbsp;tisserand a venir aux veillées avec son manuscrit. Lesnbsp;maisons les plus riches se le disputaient, et il n’étaitnbsp;pas d’attentions dont on ne le comblat. La meilleurenbsp;place dans 1’atre était pour lui, et aussi le meilleurnbsp;cidre. II était devenu le personnago le plus important
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de la paroisse. C’était, il est vrai, plaisir de l’entendre : il (( débitait)) a la perfection; dans Ie róle du traitrenbsp;Kervoura snrtout, il fai.sait trembler.
Un soir, quelqu’un de l’assistance, comme touché d’iine inspiration surnaturelle, s’écria : « Si on jouaitnbsp;Ia piece! » Jastement, Ie Carnaval approcliait, qui estnbsp;une période de loisir et de divertissement. 11 n’y entnbsp;qu’une voix pour acclamer la motion. Et tont de suitenbsp;on se mit en campagne. Le clerc du notaire sc chargeanbsp;de grossoyer les roles et de les distribuer aux acteurs,nbsp;cependant quo les personnes qui avaient cheval etnbsp;voiture galopaient, qui vers Lannion, qui versnbsp;Morlaix, afin de sc procurer des costumes aux boutiques des fripières, vieilles souquenillcs et vieux ori-peaux. Une fièvre joyeuse faisait délirer tont le canton.nbsp;On ne s’abordait plus que pour parler de la représen-tation et des merveilles qu’on s’en promettait. Or, aunbsp;dernier moment, peu s’en fallut qu’elle nc manquat.nbsp;Plouaret avait alors pour cure un excellent liommenbsp;que ses ouailles, a cause de ses manières simples etnbsp;rondes, appelaient familièrement Jean Costar. C’étaitnbsp;le plus rustique et Ic plus debonnaire des pasteurs.nbsp;S’il entrait dans une ferme a 1’heurc du repas, il nenbsp;faisait pas de fagons pour accepter la cuiller de buisnbsp;qu’on lui tendait et la plonger dans la chaudronnéenbsp;de bouillie d’avoine du même geste paysan que lenbsp;dernier des valets de labour. Les jours fériés, sitótnbsp;vêpres dites, il n’avait rieiï de plus pressé que denbsp;rejoindre ses paroissiens a 1’allée de boules oü, lanbsp;soutane troussée jusqu’aux hanches, il les battaitplusnbsp;souvent qu’il ne se laissait battre. Mais, s’il encoura-
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LE ÏUEATRE CELTIQÜE.
gcait certains jeux, il y en avail d’autres qu’il n’était pas d’humeura autoriser. Lorsqu’il appritla fête profane qui so préparait, il déclara du haul de la chairenbsp;qu’il ne la tolérerait point et qu’il étaitrésolu a refusernbsp;lours paques, non seulement aux acteurs qui y figu-reraient, mais aux spectateurs même qui se feraientnbsp;indirectement leurs complices.
Si Ton ne se gènait pas pour plaisanter Jean Costar, dans l'intimité, on se sentait médiocrement disposé anbsp;braver le curé en face. Les plus hardis étaientpris denbsp;frayeur a l’idée d’etre exclus de la communion pascale.nbsp;Il y eut quelques jours d’incertitude et de trouble,nbsp;pendant lesquels les repetitions furent interrompuos.nbsp;Puis, après s’être consultés, les meneurs du jeu déci-dèrent de passer outre: ils avaient 1’opinion pour eux;nbsp;« la fibre nationale » était excitée : 1’antique passionnbsp;du théatre, réveillée, parlait chez tons plus liaut quenbsp;Ia crainte du prêtre. Le curé Costar en fut pour sesnbsp;frais d’éloquence fulminatoire et la représentation outnbsp;lieu‘. Luzel pourtant n’y assista point et fut long-temps a s’en consoler. « J’étais enfant alors, dit-il, etnbsp;les scrupules religieux de mes parents, — qui ctaientnbsp;du petit nombre de ceux sur qui les sermons du curenbsp;avaient produit de I’effet, —¦ m’avaient retenu a lanbsp;maison oil ils étaient restés enx-mêmes. » Mais, s’ilnbsp;ne lui fut pas donné de jouir de la vue du spectacle,nbsp;il en eut du moins les échos. « Alain Gouriou venaitnbsp;faire de la toile a Keramborn, et, toute la journée, jenbsp;demenrais cloué a son métier, I’ocoutant de toutos
i. En 1832, d’après une note de Luzel.
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mes oreilles déclamer des tirades de son role on raconter avec force détails combien snperbement lesnbsp;clioses avaient marclié »
Après avoir si vivemcnt scnti lo charme de ce theatre populaire, comment Luzel n’en ciit-il pasnbsp;compris l’intérêt? L’homme cjui, Ie premier, lui sug-géra d’en rechercher et d’en rassembler les documentsnbsp;ópars fut, je pense, son oncle maternel, Jean-Marienbsp;Lo Huërou^, professeur a la Faculté des Lettres denbsp;Rennes, auprès de qui sa familie l’envoya terminernbsp;ses études. En tout cas, nous Ie voyons s’atteler denbsp;bonne heure a la tache qui, avec la collecte des chantsnbsp;et des contes, s’est partagé sa vie. J’ai de lui des notesnbsp;manuscrites de liitéralure hretonne rédigces durantnbsp;les vacances de 1842, c’est a-dire dans 1’année quinbsp;suivit son baccalauréat. En septembre 1845, comme,nbsp;après une tentative infructueuse du cóté de la méde-cine, il s’apprêfe a prendre a Paris ses inscriptionsnbsp;de droit, il obtient dn ministre de Salvandy, et pro-bablement sur la recommandation de Pitre-Chevalier,nbsp;une mission de début « ayant pour objet de recucillir
1. nbsp;nbsp;nbsp;Manuscrit de Luzel, en ma possession.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Cf. I’. Levot, Biographic bretonne, t. II, p. 2C0-263. Dansnbsp;Ie brouillon d’une lettre a Uenan, Luzel s’exprime en ces termesnbsp;sur son oncle :
” ün homme me paraissait merveilleuscment doué et placé dans les meilleures conditions pour rcssusciter Ie géant cel-tique depuis si longlcmps cnclialné dans son tombeau ; c’étaitnbsp;M. Le Iluérou, raon oncle maternel. II y songeait sérieusementnbsp;et, chaque fois qu’il venait nu pays de Lannion et de Tréguier,nbsp;il passait une grande partie de son temps ii recueillir des sénesnbsp;et des gu'crz de Ia bouche de nos paysans et de nos mendiants.nbsp;II avait méme l’espoir de créer ii Hennes une chaire de littéra-ture bretonne ; il l’avait annoncé publiquement du liaut de Ianbsp;chaire de littérature étrangère qu’il occupait en cclto ville... »
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LE THEATRE CELTIQUE.
en BreLagne les anciens chants et les poesies inédites de la langue bretonne )). Le voila done inangurant anbsp;vingt-quatre ans son infatigable pèlerinage scienti-fiqne, souvent suspendu, sans cessc repris, et qnenbsp;seule interrompra la mort. Jusqu’en 1834, cependant,nbsp;il ne semble pas qu’on lui ait accordé de nouvcllesnbsp;missions; mais en 1834, 1833, 1836, 1837, elles senbsp;succèdent sans arrêt. Les résultats en furent appré-ciables, si nous en jugeons par une lettre de Renannbsp;avec lequel il avait fait connaissance a la Bibliothèqiienbsp;Impéi’iale ‘ et s’était lié des lors d’nne sympathie quinbsp;devait se transformer plus tard en la plus douce desnbsp;amities. Renan lui écrivait le 28 mars 1838 : « Votrenbsp;lettre m’a fait un vif plaisir. J’avais en effet beaucoupnbsp;regretté de ne pas vous revoir a la Bibliothèque : cenbsp;que vous m’aviez dit de votre collection de tragédiesnbsp;m’avait fort intéressé, etdepuis longtemps je rêve aunbsp;moyen de remettre en vigueur nos études bretonnes,nbsp;si malheureusement abandonnées ». Au nombre desnbsp;manuscrits retrouvés par Luzel dés cette époque flgu-raient, toujours d’après cette lettre, les Quatre fitsnbsp;Aymon, Orson et Valentin, Robert le Diahle, Louis
\. Ce fut précisément sous les auspices du theatre breton que se produisit leur première rencontre, ainsi qu’cn témoigne cenbsp;début d'un brouillon de lettre de Luzel : « Monsieur, vousnbsp;rappelez-vous que, par une froide journée de Tbiver dernier, quelqu’un vous demanda ii la Bibliothèque Nationalenbsp;le manuscrit breton de Buhe Sanlez Nonnt — A cette demandenbsp;si inattendue, un éclair brilla soudain dans vos yeux, votre sangnbsp;s’émut et une voix mystérieuse (la voix du sang) vous dit :nbsp;llenèz so eur Breizad eur Breur! — Celui-la est un Breton, unnbsp;Frère! et aussitót nos mains se touchèrent comme instinctive-ment... » Le brouillon ne porte pas de date, mais c’est évidem-ment a cette lettre que Renan répondait le 28 mars 1858.
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Ennius. Et Renan terminait : « Je ne puis quo yous engager vivement a nous donner Ie plus tót possiblenbsp;l’analyse et la description exacte de toutos les piecesnbsp;que vous avez entre les mains. Je vous promets denbsp;vous procurer les moycns de publier dans quelquenbsp;recueil scientifique un pareil travail. Ayez les yeuxnbsp;surtout sur notre Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, dont je suis membre et oü je représente lanbsp;Bretagne. Des travaux dans Ie genre de celui que jenbsp;viens de vous indiquer seraient en particulier biennbsp;accueillis de la commission de VHistoire littéraire denbsp;la France, a laquelle je suis également attaché. Lesnbsp;préventions contre notre littérature nationale tombe-ront, je Fespère, peu a pen : mais pour cela il fautnbsp;procéder avec mesure et en n’avangant qu’a force denbsp;démonstrations... Si je peux servir en quelque chosenbsp;a vous obtenir une position qui vous donne plus denbsp;temps pour travailler, employez-moi... Vous metrou-verez en tout vrai Breton, et, comme vous Ie ditesnbsp;vous-même, eur Breizad, eur Breur. » Ce n’étaicntnbsp;point Ia de vaines paroles. Luzel eut toujours ennbsp;Renan Ie protecteur Ie plus actif comme Ie guide Ienbsp;plus éclairé. Encouragé par ses bienveillantes exhortations, il entreprit en 1863 la publication de Sainlenbsp;Trijphme, et il y eut quelque mérite, si l’on songonbsp;qu’il fit l’édition a ses frais, n’ayant, d’ailleurs, pournbsp;toutes r.essources que son maigre budget de régent denbsp;sixième au collége de Quimper *. La mise au jour de ce
1. Nous savons par une lettre de Luzel a Henan (2i septem-bre 1805) que les frais d’édition se montèrent a 1 300 francs.
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LE THEATRE CELTIQUE.
document* est un événement capita! dans l’liistoire du théatre brcton. L’éditeur du Grand Mystère denbsp;Jésits, qui traite de si liaut rocuvre de son devan-cier, eüt cu profit a en lire l’introduction avant denbsp;composer la sienne. Elle lui eiit appris sur les oi’i-gines et sur les conditions du genre dramatique ennbsp;Bretagne des choses qu’après elle il n’était plus décentnbsp;d’ignorcr, et peut-être se füt-il épargné tant d’asser-tions malencontreuses qui font plus d’honneur a sonnbsp;imagination qu’a son jugement. Cette introductionnbsp;venait, en effet, compléter et souvent corriger, de lanbsp;faf,on la plus méthodique et la plus sure, les cliapitresnbsp;de Souvestre sur Ie drame armoricain. Aujoiird’huinbsp;encore, elle n’a pas vieilli, du moins en ses partiesnbsp;cssentielles. Je ne crois pas qu’il soit possible d’écrirenbsp;du tbéatre en Bretagne sans s’y référer. Pour moi,nbsp;dans tout Ie cours de eet ouvragc, je 1’ai constammentnbsp;eue présente a l’esprit et je ne me dissimule pas quenbsp;Ie meilleur de ce qu’il contient lui sera sans doutenbsp;venu d’clle.
Mais si tout ou presque tout est a louer dans Ia conduite de ce morceau, oü Luzel, inspiré, conseillénbsp;par Renan, a fait oeuvre personnelle et, par conséquent, sincère, je n’en saurais dire autant du text.enbsp;qui l’accompagne. Je dois, en eflet, averlir les celti-sants que ce texte, regardé jusqu’ici comme d’unenbsp;authenticité absolue, est, au contraire, d’un bout a
1. Sainle Tnjphine et Ie roi Arthur, mystère brcton en deux journées et buit actes, traduit, publié et precede d’une introduction par F. M. Luzel, texte revu et corrigé d'aprés d’anciensnbsp;inanuscrits par M. l’abbó llenry. Quimperlé, 1863, in-Squot;, xuv-454 p.
I.ES niSTORIENS DU THEATRE BRETON, 161
l'autre, manitestement altéré. Quoi done! Luzol aussi?... s’écriera-t-on. Non : la probité scientiflqnenbsp;de Luzcl n’est pas en cause, ou, s’il a pêché, c’est parnbsp;exces de confiance, disons mieux, par ingénuité. Jenbsp;m’explique. Dans Ie temps oü il projetait de publiernbsp;Sainle Tnjphine, Luzel, si gagné qu’il füt aux méthodes de la critique moderne, n’était pas saus subirnbsp;encore Ie prestige exercé sur tous les Bretons cultivésnbsp;de sa génération par Ie talent hors de 23air et la gloirenbsp;presque europécnne du vicomte de la Villemarqué. Lenbsp;liarzaz-Breiz n’avait pas seulement révéléla Bretagnenbsp;au monde, il l’avait du même coup révéléc a elle-même. Son apparition avait été le signal d’une véri-table renaissance bretonne. De toutes parts des poètesnbsp;avaient surgi, parés de noms bardiijues, comme ennbsp;Galles. Un cénacle s’était formé, la lireuriez Breiz,nbsp;sorte de Table ronde armoricaine, dont les membres,nbsp;a 1’imitation des compagnons d’Arthur, portalent lenbsp;titre de marc’hek (chevaliers). C’étaient, d’ailleurs,nbsp;des hommes tres doux, des prêtres pour la plupart.nbsp;Tous reconnaissaient naturcllement pour chef lenbsp;vicomte de la Villemarqué, promu pour la circons-tance a la dignité plutót maritime de penslurier,nbsp;comme qui dirait de grand amiral ‘. Luzel n’avait pasnbsp;été des derniers a s’enróler sous sa bannière ou, sinbsp;Ton veut, a faire campagne sous son pavilion. Ilnbsp;avait même regu de sa main un diplome qui le sacraitnbsp;barde du Trégor, puis, a quatre ans d’intcrvalle, une
1. Prosper Proux, dans ses lettres a LuzeJ, l’appelle « le grand pilote ¦gt;.
tl
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seconde lettre de noblesse qui l’élevait au rang pom-peux A’Arc'hkelenner Reizer ar Brezonnek. II est vrai que cette étrange qualification lui causa moins denbsp;plaisir que de mauvaise humeur. II y avait dans toutnbsp;ce « bardisme » apocryphcunc puérilité dontil n’étaitnbsp;pas dupe. « Que signifie ce titred’Arc’A/ce/enner/keizernbsp;ar Brezonnekl» — écrivait-il a Le Scour, un des hautsnbsp;dignitaires de la confrérie. — « Je vous avouerai quenbsp;je crains un peu qu’on ne se moque de nous a nousnbsp;voir jouer ainsi au Barde et prendre trop au serieuxnbsp;des litres illusoires que nous nous décernons nous-mêmes. Craignons le ridicule, cher ami : rien n’estnbsp;plus funeste en France. » II en usait moins librementnbsp;avcc H. de la Villemarqué.« Le Barde de Notre Dame denbsp;Rumengol, M. Le Scour, vient do me transmettre unnbsp;diplome que vous lui avez adressé a cet effet... Je uenbsp;saurais vous dire, monsieur, combien je suis sensiblenbsp;a cette distinction, et je vous prie de vouloir bien ennbsp;recevoir I'expression de toute ma gratitude. Une seulenbsp;crainte me tourmente, c’est de n’avoir pas assez faitnbsp;pour mériter ce litre, et de ne pouvoir me montrer anbsp;la hauteur des obligations qu’il comporte. Mais, quoinbsp;qu’il arrive, monsieur, soyez convaincu que jo veuxnbsp;contribuer dans la mesure de mes forces a remettrenbsp;en honneur la vieille langue de nos pères et a lanbsp;sauver, s’il en est encore temps, comme je 1’espère,nbsp;de la mine qn’on lui prédit dans un avenir nonnbsp;éloigné*. )) 11 tenait, en somme, malgre son scepticisme naissant, a rester en bons termes avec le chef
1. Brouillon de lettre, non daté. Manuscrits de Luzel.
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d’école ct son entourage. Or, dans eet entourage, comme il arrive fréquemment, c’était un personnagenbsp;de second plan qui disposait, en réalité, de la puissance dont Ie vicomte de la Villemarqué portait oxté-rieurement les insignes. Je venx parler do l’abbénbsp;Henry, aumónier de l’hospice de Quimperlé. II fut,nbsp;dans Ie mouvement breton de cette époque, une sortenbsp;d’Eminence grise. Retiré dans sa petite prébendenbsp;ecclésiastique oü Ie confinait une santé précaire, il ynbsp;vivait, dit Ie vicomte de la Villemarqué, « entre lesnbsp;malades et les livres ». D’action apparento, il n’ennbsp;avail aucune. S’il travaillait beaucoup, il produisaitnbsp;peu, satisfait uniquement, semblait il, de mettre sanbsp;science de puristo au service de ceux de ses confrèresnbsp;en poésie qu’embarrassait parfois la pauvreté de lanbsp;langue. Nous avons entendu tantót Ie vicomte de lanbsp;Villemarqué proclamer qu’il était tres « versé dansnbsp;l’étude du breton moderne ». Le même, dans une noticenbsp;qu’il lui consacrait, au lendemain de sa mort‘, luinbsp;rendait eet hommage dont on goütera la saveur : « IInbsp;y a peu de jours, il donnait encore une le^on de bretonnbsp;a un membre de 1’Institut )). Le membre de l’Institut,nbsp;chacun le devine, c’était le vicomte de la Villemarquénbsp;lui-même. Ce qu’il ne disait pas, mais ce que nousnbsp;savons aujourd’hui, par une récente révélation pos-thume c’estqu’il n’eiit vraisemblablement pas été sinbsp;vite de l’Institut, sans l’abbé Henry, puisque, sansnbsp;l’abbé Henry, il eiit été fort empêché, n’ayant qu’une
1. nbsp;nbsp;nbsp;Le Publicaieur du Finistère, février 1880.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Annales de Brelagne, t. XVIII, p. 321-325.
I
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connaissance tout a faitinsufflsantcdu breton, de faire scrvir les matériaux populaires dont il disposait anbsp;l’oouvre grandiose qu’il avait congiie. Et certes, il nenbsp;s’agit pas de disputer au vicomte de la Villemarquénbsp;la gloire d'avoir été Ie créateur et Ie pocte — Ie tresnbsp;grand poète — du Barzaz-Breiz. Mais encore 1’abbénbsp;Henry en a-t-il été l’un des principaux rédacteurs.nbsp;L’aveu in extremis du vicomte de la Villemarqué nenbsp;permet a eet égard aucun doute : c’est l’abbé Henrynbsp;qui, avec Ie concours de l’abbé Guéguen, recteur denbsp;Nizon, a « établi » les textes du Barzaz-Breiz. On voitnbsp;que, pour (( une le^on de breton », c’en était une, ennbsp;efiet. Et Ie « membre de l’Institut » avait toute espècenbsp;de raisons, — raisons d’intérêt aussi bien que denbsp;sentiment, — pour se montrer plein de déférencenbsp;envers Ie prètre qui la lui avait donnée. De la Ie rólenbsp;considérable joué par l’abbé Henry durant tont Ienbsp;règne poétique du vicomte de Ia Villemarqué. II avaitnbsp;beau s’effacer modestement derrière Thomme dont lanbsp;reputation européenne était un peu son ouvrage, sonnbsp;ascendant sur lui n’écliappait a personne, si tout Ienbsp;monde en ignorait les vraies causes. Lorsqu’un affliiénbsp;de la ZIrewnes-Ztm'zprésentaitunmanuscrit au vicomtenbsp;de la Villemarqué, celui-ci demandait Ie plus souvent:nbsp;(( Avez-vous consulté l’abbé Henry? » Seul, l’abbénbsp;Henry avait qualité pour decider si les poèmes soumisnbsp;au pensturier étaient conformes au canon de I’Ecole,nbsp;c’est-a-dire rédigés en brezonnek c’houek, en bretonnbsp;impeccable, pur de tout alliage franpais. Nulle production ne devenait valable, aux yeux du clan bar-dique, qu’autant qu’elle avait rcfu cette estampille.
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Du fond de sa pénombre quimperélégienne, Ie discret aumonier, d’ailleurs jovial de caractère et « gaulois ))nbsp;d’esprit, exer^ait Ie redoutablo sacerdoce d’une sortcnbsp;de Vaugelas armoricain.
C’est co qu’il était, je crois, nécessaire d’exposer, pour aider a comprendre comment la pensée vint anbsp;Luzel de solliciter, dans une entreprise qii’il eiUnbsp;mieiixfait demener toutseul, une collaboration dontnbsp;il ne soupfonnait pas le danger. II était I’innocence etnbsp;la modestie memo. La Vie de sainle 'Tryphine étaitnbsp;la première oeuvre qu’il se mêlait de publier, le premier monument qu’il élevait a la gloire do sa race. Senbsp;jugeant novice, inexpérimenté, désireux aussi peut-être de faire acte de déférence envors une autoriténbsp;toutc-puissantc, il se persuadade bonne foi qu’il étaitnbsp;de l’intérêt de son travail, non moins que de sonnbsp;intérêt propre, d’y associer l’homme dont il avaitnbsp;appris de ses confrères en bardisme a vénérer lesnbsp;lumières et qu’il saluait lui mème comme a le doyennbsp;et le chef, avec M. de la Villemarqué, de l’école cel-tique Armoricaine, depuis la mort de M. Le Gonidec' ».nbsp;L’abbé Henry eut la condescendance d’accepter denbsp;mettrc la dernière main a une publication dont il eütnbsp;fallu avant tout respecter le caractère scientifique etnbsp;oü il était malheureusement impossible qu’il n’ap-portat point des préoccupations de littérateur. IInbsp;s’acquitta de sa tache avec un zèle pour lequel on nenbsp;saurait, en vérité, avoir trop d’éloges, si cette tacbcnbsp;s’était effectivement bornée, comme le veut Luzel, a
1. Sainle Tryphine et le roi Arthur, p. xl.
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LE THEATRE CELTIQUE.
« revoir » ct a « collationner les vieux manuscrits » que Luzel avail « mis a sa disposition », ainsi qu’anbsp;(( corriger les cpreiives du texte bretoii ». Mais, avantnbsp;de corriger les éprcuves, il commence par corriger Ienbsp;texte*. La oü il ne s’agissait que de faire ceuvre critique, il crut qu'il était de son patriotisme de Celtenbsp;et de son honneur de lettré de faire muvre surtoutnbsp;esthétique. Dominé par cette fausse conception quinbsp;avail déja présidé a la confection du Barzaz-Ureiz, ilnbsp;n’hésita pas a trailer la version manuscritedu drame,nbsp;comme il avail précédemment traité les tlièmes orauxnbsp;de la chanson populaire. Même retoucliée par lui, lanbsp;pièce, on l’a vu, ne trouvait pas encore grace devantnbsp;Ic goüt severe du vicomte de la Villemarqué : qu’onnbsp;jugedès lors si, al’étatfruste, avec son jargon hybride,nbsp;tout chargé de mots frangais, elle dut choquer Ienbsp;purisme de Fabbé Henry! II ne pouvait évidemmentnbsp;songer a la récrire tout entière, mals du moinsnbsp;l’amenda-t-il tant et si bien que la redaction qu’il ennbsp;a donnée n’a plus guère qu’une parenté intermittentenbsp;avec Ie texte primitif.
Marquons d’abord quel fut co texte. Les manuscrits de Sainte l’njphine recueillis par Luzel et dont Fabbénbsp;Henry put prendre communication sont au nombrenbsp;de cinq. Trois appartienncnt a la Bibliothèque nationale les deux autres ont été déposés par moi a lanbsp;bibliothèque de Quimper 11 suffit de parcourir les
1. nbsp;nbsp;nbsp;Sainle Tryphine et Ie roi Arthur, p. xu.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Cf. Revue cellique, t. XI, p. KW, 413, 420.
3. nbsp;nbsp;nbsp;Ces manuscrits, au moment oü je m’en suis servi, ne por-taicnt pas encore de cote.
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trois premiers pour constater quo Fabbé lleiiry, non sculemcnt ne leur a fait aucun emprunt, mais mêmenbsp;qu’il ne s’en est pas inspiré. Tons trois sont, cFail-leurs, du xix° siècle et ne Ie cedent a aucun autrc ninbsp;pour la platitude de la versification, ni pour l’incor-rection de la langue. Le quatrième n’est qu’une copienbsp;« abrégée » qu’un acteur de Morlaix, Auguste Lenbsp;Corrc, fabriqua de bric et de broc pour les besoins denbsp;sa troupe. La seule inspection du titre en dit assez lenbsp;style ; « Cahyer Tragedy. Buez santes Trefflna ac henbsp;friet Artur Roue breisvian pini a reigne er blaves-siou arc’hoechvet siecl curunet e voe er blaves pempnbsp;cant eis, he bales a voa er gapital pini a va Brest. Arnbsp;vue man so abreget ac ornet dre enon me Auguste Lenbsp;Corre né a Lannion le 23 aoüt 1807 commancet danbsp;gopia an 20 a vis guenvcr 1844 ac echuet ar bevarzecnbsp;a vis clioerver 1844 », Reste le cinquième manuscrit,nbsp;un in-folio de 200 pages, reconvert de cuir noir,nbsp;et portant, avec la date de 1816, la signature denbsp;Jean Le Ménager, « fournier a Pluzunet ». Que cenbsp;texte soit bien celui que Luzel avait dessein denbsp;publier, nous en avons une première présomptionnbsp;dans ce fait que, dès octobre 1844, il le transcrivaitnbsp;de sa propre main dans une copie qu’on peut voirnbsp;a Ia bibliotlièque de Quimper. Mais, ce qui acliève denbsp;dissiper a eet égard toute équivoque, c’est la declaration precise de Luzel lui-même. Invité par M. Gaidoznbsp;a fournir a la Revue cellique une liste des mystèresnbsp;dont il ne s’était pas encore dessaisi, il disait, parlantnbsp;du manuscrit de Jean Le Ménager; « C’est ce manuscritnbsp;qui m’a servi pour mon édition de ce mystère, publiée
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LE THEATRE CELÏIOEE.
en 1863, chez Th. Clairet, a Quimperlé ' )). Voila qui est, ce me scmble, assez catégorique. Et nous sommesnbsp;en droit d’afflrmer que Ie texte soumis a l’abbé Henrynbsp;fut bien, sinon Ie manuscrit même de Jean Lenbsp;Ménager, du moins la transcription fidele que Luzelnbsp;en avait faite. Co que Luzel dit de ce manuscrit n’est,nbsp;en effet, que trop exact: il est en « mauvais état, tontnbsp;crasseux, et souvent illisible, par suite d’un longnbsp;usage ^ ». Pas assez illisible, cepcndant, pour qu’onnbsp;n’en puisse opi)oser le texte authenlique au textenbsp;revise de l’abbé Henry.
Les differences qui les séparent. Je nc saurais pré-tendre a les indiquer ici pour tout le drame. On vondra bien se contcntcr d’un court extrait qui pcr-mcttra de juger du roste L Je l’emprunte au début denbsp;1’acte cinquièmc (pemjjvcd pennad, comme s’exprimenbsp;l’abbc Henry). ïrypbine, femme d’Arthur, sur unenbsp;dénonciation calomnieuse de son frère Kervoura, anbsp;dü s’enfuir du palais de sou mari, dcguisée en pan-vresse. Après avoir longtemps erré misérablement,nbsp;elle a finipar cnlrer au service de la ducbesse Jean,nbsp;en qualité de fille de cuisine. Le roi, ccpendant, ayantnbsp;appris dans Tinlervalle qu’ellc avait été faussementnbsp;accusée, a onvoyé de tous cótés a sa recberche. Sonnbsp;(( intendant » vient d’arriver cbez la ducbesse etnbsp;interroge celle-ci sur une des servantes de la maison,nbsp;dont la ressemblance avec Tryphine l’a frappé.
1. nbsp;nbsp;nbsp;Revue celtique, t. V, p. 32a.
2. nbsp;nbsp;nbsp;ld., ibid.
3. nbsp;nbsp;nbsp;Dans eet extrait, tous les mots qui ne sont pas coinmunsnbsp;aux deux textes sont iinprimés en italiques.
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Pc rancontris quentan evoa orrcur guélet,
Oa en iliz sant Per, enno voa fatiquet. ö Ma ies ma dimezel da choulen diganlinbsp;A belech evoa deut na pelra a gtesqmj.
Enno evoa manet ha hi leun a delo Ma moe eun drue vraï o clevet he c'homio.
Ma chonlennis oiiti pelra e devoa gret. dO Pa voellcn en pes stad evoa en cm rcnlct.
Respont a eure d’in ne voa quel hep reson Evoa en iliz se glacliaret he clialonnbsp;O tilezel he bro, he zad hag he cherent.
Hep dibi nag efa evoa deut a bell bent, dü Ila me a poenl a yoent e hinterrojin er fadnbsp;Gant aoun na dije grot eur makur benagnbsp;Ha by da respont d’in, gant eur gomz dons lia madnbsp;Hij avoa minores, un ezommdes hanvat,
Tut chenlil miserahl a re dezi anvouy.
20 Avoa a bel avoa o dasq c hanleuvin.
Quemenl se a radin cavet aoun ha doultans Pa oelan na gret quet donet en ho presans.
AN INTANDANT A GOMZ.
Ar gomz se a leret a drisla ma chalon Da discleria eur voes dach ma ompinion.
25 Contunuct, itron, ma clevin pendaben An antre en ho ty en doe ar feumeulen.
AiN DÜOUES A GOMZ.
Ha neuze pe guellis, am boe outi true Ma credis d’he chomzo, m’he tigassis guenc
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Ma oe ret din memcus he soutien da donet.
30 Gant mar fattiq oa et, na elle quet querzet. Laquet evoe neuze da voalcki al listri,
Ila da burrin ar sten, ha da scuba an ty, Servijout er guirjin dindant ma gouarnamantnbsp;Ma medy chouech vla so cm zy antieramant.
3b Men assur ahoudevoes he deveus anduret Cals a fattiq a dourmant hac impassiantet.
Bet eo hannes em zy messaeres hemde D'ar moch, d’ar yer indres, gant pep humilüténbsp;Ous penn honnes so hoas eur verch an onestan.nbsp;40 Anieiis me biscoas guelled evoar dro an ti man.
Tin de, o contemply en e humihtte Pa oa gand he loennet meurbot e teplorrenbsp;En e devotion gand eur galon parfetnbsp;Ila ma voen estonnet memeus deus e guelled.
4b Ila me songeal neuze e hemerrct em chambr Deus hc guelled fidel ha da Doue fervant.
Me assur dech er fad cheo an onestan Feumeulen a so bed biscoaz voar dro an ty man.
Redaction de l'abbé Henrij.
AR GOUARNER.
Laret, mar plij gan-ehoc’h, pegeit zo emedi Enn dro d'ar maner-man ha matez enn ho ti.
’ nbsp;nbsp;nbsp;ANN DGKEZ.
Kenta ma he c’haviz, oa eun heuz he gwelet;
E iliz Per, en hear, e oa evel semplet.
S Ma ieaz ma demezell da c’houlenn digant-hi A belec’h e oa deuet, petra felle d'ezhi‘tnbsp;Eno e oa stouet, hag e skuille daëlou,
M’am boe eun drue vraz o klevet he e’hanvou. Ma c’houlenniz out-hi petra e devoa gret,
10 Ma oa hen disleber a gorf hag a speret.
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Respont aeui’e d’in ne oa ket hep reson,
Ez oa enn iliz-se glac’haret he c’halon.
O tilezel he bró, he zad hag he c’herent,
Hep dibri nag eva e-oa deut a hell hent.
15 Ha me d’ober d'ezhi goulennou hep distag
Gant aoun ne divijo gret mv gwall-daol bennag.
Hay hi da respont d’in, gant eur gomz dons ha mad, E oa emzivadcz, ha tniczuz he stad.
Tud chentil galloudek a rea he melkoni,
20 Ilag o devoa klasket oher gaou braz out-hi.
Kement-se a ra d’in breman kaout douetanz Pa welan ne gret ket donet enn ho presanz.
AR GOUARNER.
Ar pez a livirit a grenva ma c’halon I)a zisklei’ia ar zonj a strafuill ac'hanon.
25 Kontinuit, itron, ma klevin penn-da-benn Aboc-ma enn ho ti, doare ar femellen.
ANN DUKEZ.
Er c'hiz-se p'he c’hleviz, em boë truez out-hi,
Ma krediz d’he c’homzou, m’he digassiz d'am zi. Ma oë rêt d'in memez, he sikour da zonet,
30 Bak ker skuiz e oa eet, na helle mui kerzet.
Laket e oe neuze da e'houelc'hi al listri.
Ha da bural ar steen, ha da skuba ann ti, Servichout er ghcghin dindan ma gouarncrez.
Er cltiz-se emedi c’houec’h vloaz-zo ma matez] 35 Epad ann amzer-ze e deuz bet, m'hoc'h assur,
Kalz trubuill da c’houzanv, ha kalz displijadur. Bet eo messaërcz ar zaout hag ann denved.
Ar ier indrez, ar móeh, hep en cm glem nepred. Oc’/i-penn maczeo, aotrou, ar verc’h ann honesta.nbsp;40 A oufac'h birvikenn da gavout er vró-md.
Eun devez koulzgoude, pja oa gant he lóned,
O sonjal en he stad, ec’h huanade meurbed.
Mes gant kement a feiz hag a zevotion
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LE THEATRE CELTIQUE.
Ma choumiz souczet, ha mantrct ma c'halon.
43 Ha me sonjal neuze lie c'hemer em c'hichen,
Da zervicha em c'hampr, ker zanlel he c'haven.
Hag a lavavan d'choc'h ez eo bet ann doitsa Am cuz gwelet biskoaz em servich en
Sur iin ensemble de quarante-liuit vers, eest a peine, comme on peut Ie voir, si cinq ou six ont éténbsp;complètement respectés. Encore ont-ils été transposés, comme du restc toute la piece, du dialectenbsp;trégorrois, qui était celui du copiste, dans Ie dialectenbsp;dit léonard \ tenu, depuis Le Gonidec, pour Ie plusnbsp;pur, le plus harmonieux, le plus littéraire des dia-lectes armoricains. Les quarante deux aulres vers ontnbsp;subi des modifications plus ou moins profondes.nbsp;Parfois, il n’y a qu’un mot de changé : ainsi stouetnbsp;(prosternéc a terre), au lieu de manet (demeurée);nbsp;canvou (plaintes, lamentations), au lieu de comzonbsp;(paroles); sikour (aider), au Heu de soutien (soutenir).nbsp;Ou bien la correction porte seulemcnt sur une tournure de phrase : par exemple, hag c skuille daëlou (etnbsp;elle versait des larmes), au lieu de ha hi leun a délo (etnbsp;elle, pleine de larmes); ar zonj a slrafiüll achanonnbsp;(l’idée qui me tarabuste), au lieu Aa ma ompinion toutnbsp;court (mon opinion, ma penséc). Mais, souventnbsp;aussi, ce sont des vers entiers qui ont été retravaillésnbsp;et refaits jusqua en devenir méconnaissables. Tout lenbsp;récit de la ducliesse, du v. 3ö au v. 48, a été boule-
1. nbsp;nbsp;nbsp;Sainte Tryphine el le roi Arthur, traduit et publié par F.-M.nbsp;Luzel, p. 232-237.
2. nbsp;nbsp;nbsp;“ Lo léonard écrit ne représeiite cxacteinent Ia languenbsp;d’aucun endruit du pays de Léon. • J. Lotli, Chrestomathie bre-toime, p. 302.
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verse, remanié de fond en comble. De telles retouches, si elles atteignent surtout la forme, ne vont naturcl-lement pas saus altórer quelque peu Ie sens. La oii Ienbsp;copiste trégorrois dit avec simplicité (v. 1-2) :
Pegcit so, en guirrion,
Ahoe ma man guenech en he chonclission (combien y a-t-il, au juste, — depuis qu’elle est cliez vousnbsp;en condition),
l’abbé Henry écritd’un style plus noble :
Pegeit-zo emedi
Enn clró dar maner-man, ha matez enn ho ti,
(depuis quand est-elle — attacliée a ce manoir et ser-vante en votre maison).
Ailleurs, il atténue l'expression du copiste, et dit, par exemple (v. 19-20) :
Tud chentil galloudek a rea he mclkoni Hag ho devoa klasket ober gaou braz oiit hi,
(des gentilsliommes puis.sants causaient son chagrin — ils avaient essayé de lui nuire grandenient),
alors que Jean Le Ménager disait avec moins d’am-bages :
Tud chentil miserabl a re dezi anvouy Avoa abel avoa o elasq e hanleuvinnbsp;(des gentilsliommes, les misérables, lui donnaient denbsp;l’ennui. — Ils étaient depuis longtemps a essayer denbsp;l’enlever).
La raison de ces changements, quels qu’ils soient, apparait a première vue: tous sont dictés par la mêmenbsp;préoccupation, celle de bretonniser et, que l’on me
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passe Ie mot, de littérariser Ie texte original, selon les principes de 1’Ecole. Ce texte était d’une languenbsp;médiocre, pleine de chevilles, émaillée de locutionsnbsp;frangaises : consciencieusement, 1’abbé Henry s’estnbsp;appliqué a sarcler les unes, a extirper les autres, plusnbsp;soucieux d’art que de vérité et préférant donner de lanbsp;pièce une idéé flatteuse plutót qu’une idéé juste. IInbsp;n’y a certes pas a lui en vouloir. II croyait bien fairenbsp;en cette circonstance comme il avait cru bien faire,nbsp;quelque vingt-quatre ans auparavant, en rédigeantnbsp;pour Ie vicomte de la Villemarqué les poèmes dunbsp;Barzaz-Breiz. Luzel lui-même ne semble pas avoir eunbsp;Ie sentiment net de ce qu’il y avait d’antiscientiflquenbsp;dans cette fa§on de reviser un document, puisque,nbsp;cependant, c’est uniquement au texte de l’abbé Henrynbsp;qu’il s’en est référé dans la traduction de la pièce.nbsp;Mais il n’en reste pas moins que la version impriméenbsp;de Sainte Tryphine n’est conforme a aucune des versions manuscrites que nous possédons de cemystère;nbsp;et, comme je n’ai trouvé Ie fait constaté nulle part, ilnbsp;était peut être bon qu’il fut signalé.
Cette publication valut a Luzel les encouragements les plus précieux. Elle avait Ie mérite, grace a la traduction trés vivante qui l’accompagnait, de rendrenbsp;accessible aux non-celtisants un des monuments lesnbsp;plus caractéristiques de ce théatre breton dont Sou-vestre n’avait pu donner que des analyses et desnbsp;fragments. Le meilleur bénéfice toutefois que sonnbsp;auteur en retira, ce fut d’obtenir du Ministère unenbsp;subvention assez importante pour lui permettre, pendant les deux années qui suivirent, de se consacrer
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exclusivement a de nouvelles recherches. Ces deux aiinées comptèrent parmi les plus heureuses et lesnbsp;plus fécondes de sa carrière d’enquêteur. Vieux, il lesnbsp;évoquait avec un charme attendri. Ce fut, me disait-il a Quimper, Ie « temps béni » de son existence. Plusnbsp;de collége, plus de classe, plus d’attaches étroites uinbsp;de devoirs réglés, mais Ie retour a la vie libre, Ienbsp;commerce journalier avec des natures simples etnbsp;saines, la joie d’aller, de découvrir, Vaventure enfin,nbsp;pour parler comme Renan, qui en a fait un des traitsnbsp;essentiels de 1’ame celtique h Son premier soin fut denbsp;rentrer a Keramborn, au manoir familial, qu’il choisitnbsp;comme centre d’opérations. C’est, en efïet, dans lanbsp;région environnante qu’il pensait avoir chance denbsp;rencontrer Ie plus de vestiges de Fancien theatre. Dèsnbsp;lors il fut constamment par les routes. Uno ardeurnbsp;mystique Ie possédait, analogue a cello qui, jadis,nbsp;lan^a les chevaliers des romans bretons a la poursuitenbsp;du saint Graal. Ni les intempéries, ni les fatigues, ninbsp;les mécomptes do toute sorte n’ctaient pour refroidirnbsp;son zèle. Les ironies memo de ses amis, qui, a forcenbsp;de Ie croiser par tous les temps, sur tous les chemins,nbsp;avaient fini par Ie surnommer Ie (( Juif-errant de Ianbsp;Bretagne » [Boudédéw Breiz-Izel), n’entamaient pointnbsp;sa foi robuste. R en riait avec eux et n’en continuaitnbsp;pas moins sa besogne, toujours pénible, souventnbsp;ingrate. Les difflcultés qu’il eut a surmonter, Fendu-rance. Ia patience, la ténacité toute bretonne qu’il dutnbsp;déployer pour les vaincre, nous sont connues par ses
1. Essais de morale et de critique, p. 386.
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rapports au Ministère, mais plus encore par un journal de voyage, écrit au hasard des étapes, dontnbsp;j’ai eu la bonne fortune de retrouver quelques feuil-lets. On surprend au vif, dans ces brèves notules, Ienbsp;pèlerin passionné que fut Luzel ; avec une délicieusenbsp;bonhomie, 11 y conté, a batons rompus, ses marches,nbsp;démarches et contre-marches, toutes les peripeties denbsp;sa (( ehasse aux mystères », comme 11 l’appelle; etnbsp;j’ai bien envie de dire qu’il n’y a peut-être pas beau-coup d’épisodes d’un intérèt plus dramatique dansnbsp;toute l’histoire du théatre breton.
Ses départs dans les jolis matins du printemps, d’une grace si exquise en Bretagne, lui mettent auxnbsp;lèvres des accents lyriques : « Surge, arnica mea, etnbsp;veni! Muse, réveille-toi : Ie del est clair, Ie soleilnbsp;brille!... » II chemine a pied, son carnet de notes sousnbsp;Ie bras. En route, il cause avec les passants, enregistrenbsp;pieusement les indices même les plus vagues, et qui,nbsp;trop souvent, lui font faire des lieues de circuit ennbsp;pure perte. On lui dit que la fille de Ricou, Ie fabu-liste*, doit avoir conservé de vieilles paperasses pro-venant de la succession de son père. II finit par lanbsp;découvrir, au fond d’un ravin, dans une hutte denbsp;chaume et de branchages oü elle habite avec son mari,nbsp;qui est sabotier. Tous deux sont « parmi les raresnbsp;prosélytes d’un petit temple protestant nouvellementnbsp;bati a Tremel )gt;. Ils exhument d’un meuble vermoulunbsp;quelques manuscrits enfumés et les lui présentent.nbsp;Ce sont des fables de Phèdre et de La Fontaine, avec
i. Voir E. Souvestre, Les derniers Bretons, p. 220-232.
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Ie Misanthrope de Molière, Ie tout « translate en breton ». Un peu dégu, il leur propose tout de mêmenbsp;de leur acheter Ie stock; mals ils refusent de se prèternbsp;a aucun arrangement : Ie ministre protestant leur anbsp;« défendu de vendre les papiers de leur père ». Gesnbsp;déconvenues sont fréquentes. II lui arrive de battrenbsp;de vastes étenduës de pays sans rien recueillir de cenbsp;qui fait l’objet de ses recherches. Ce fut Ie cas pour sesnbsp;pérégrinations dans la Haute-Cornouaille, de Loguivy-Plougras, sur la lisière de la forêt de Beffou, a Plou-guernevel, dans la montagne d’Arrée. II consignenbsp;alors mélancoliquement sur son carnet : « Le théatrenbsp;ne semhle pas avoir été en faveur de ce cóté ».nbsp;(( Mélancoliquement » est une fa^oii de parler, car ilnbsp;est philosophe et fait volontiers a mauvaise fortunenbsp;bon visage. Puis, comme il a plusieurs cordes a sonnbsp;arc, il s’arrange toujours de fagon a ne pas rentrernbsp;bredouille. Quand le mystère « ne donne pasnbsp;comme il dit, il se « rattrape sur les légendes )), surnbsp;les chants, sur les superstitions populaires. G’est ainsinbsp;qu’a Saint-Emilion ‘, l’hótesse de l’auberge oü il estnbsp;descendu se révèle a lui « comme un véritable trésornbsp;de guerz et do sónes ». Dans les cantons dénudés de lanbsp;montagne, il arrondit sa provision de contes auxnbsp;veillées qui, sur ces hauteurs pauvres en combustible,nbsp;se tiennent dans les étables, a la chaleur desmoutonsnbsp;et des bmufs. Ce sont la des dédommagements, et quinbsp;comptent. Parfois, cependant, son bel optimismenbsp;celtique est sur le point de l’abandonner : c’est quand
1. Dans le bourg de Loguivy-Plougras, canton de Plouaret (Cótes-du-Nord).
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il intervicnt trop tard pour sauver les documents. A Plufur, il apprend du sacristain que la débitante denbsp;tabac du lieu s’est longtcmps servie, pour cnveloppernbsp;sa marchandise, de feuilles arracliées a de vieuxnbsp;manuscrits qu’uii paysan lui avail vendus. Etaicnt-cenbsp;des manuscrits de mystèrcs? II se plait a en douter.nbsp;Mais, a quelqucs semaincs de la, étant de passage anbsp;Ploumilliau comme il fait visite aux enfants duu pèrenbsp;Conan », — un brave liomme de tisserand que nousnbsp;retrouverons, — la fillc de la maison qui, lors d’unnbsp;voyage antcrieur, lui a procure uue Vie de saintenbsp;Genevieve, lui confesse que, poussés par Ie besoin, sesnbsp;freres et elle se sont dépouillcs des « papiers » dunbsp;bonhomme. 11 y en avail tout un sac : ils les ont cédésnbsp;pour un écu de trois francs. Et a qui? A la marchandenbsp;de tabac de Plufur. Luzel ne se sent pas Ie emur denbsp;récriminer : la pitié lui interdit les reproclies; maisnbsp;que n’eüt-il pas donné pour prévenir eet irreparablenbsp;désastre!
Les autres genres de désagréments ne sont rien, en comparaison. II en éprouve pourtant de toutenbsp;nature. Le soleil, d’abord, ne se met pas toujours dunbsp;voyage. En février 18()4, parti pour le Guerlesquin^nbsp;sur la foi d’une embellie, Luzel se réveille le lende-main matin, dans sa cliambrc d’auberge, devant unnbsp;paysage enseveli sous la neige. Le voila bloqué. Pournbsp;comble do malheur, une des servantes de la maisonnbsp;s’cst mariée, le lundi précédent, avec un garfon bou-cher, et, bien que Pon soit au vendredi, la noce dure
1. nbsp;nbsp;nbsp;Comme Plufur, dans le canton de Plestin-Ies-Grèves.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Canton de Plouigneau (Finistère).
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encore. Des bourgeois, des gentilsliommes, voire un marquis, sont au nombre des invités : ils se sont jurenbsp;de tenir tèle a la paysantaille et vciilent contraiiidrenbsp;Luzel a boire avec eux. Le cidre, Ie vin bleu, l’eau-de-vie coulent a flots. Luzel remercie, on insiste, il senbsp;débat. Pour échappcr a la bande en délire, il est obligénbsp;de se dire malade et de s’enfermer a double tour. Onnbsp;fait, du reste, au-dessous de lui un tel vacarme que,nbsp;de toiite la unit, il ne peut clore 1’ceil. « Eh bien!nbsp;conclut-il, malgré tous ces ennuis, — froid, geusnbsp;ivres, insorauie, — je u’ai pas a regretter mon voyagenbsp;au Guerlesquiu : il m’a valu cinq manuscrits, dontnbsp;un surtout trés précieux. C’est un volumineux cahiernbsp;contenaiit deux mystères, celui de la Passion et celuinbsp;de la Resurrection. » II eüt subi toutes les uoces dunbsp;monde plutót que de manquer uuc telle trouvaille.nbsp;Dés qu'il croit étre sur une bonne piste, rien n’y fait:nbsp;il faut qu’il aille jusqu’au bout. Durant une tourneenbsp;dans le pays de Bégard, il chemine des jours entiersnbsp;sous une pluie battaute, mêlée de grélons, que Ienbsp;vent du nord lui fouette a la figure. Une fille de ferme,nbsp;qui ramène ses vacbes a l’étable, « paree que le tempsnbsp;est trop mauvais » pour les laisser dehors, le « boii-jourc )) au passage d’un : Dru:. eo ann amzer! (lenbsp;temps est gras) — fortement intriguée saus doute denbsp;voir un « monsieur )) patauger dans la boue sous unnbsp;déluge a faire rentrer les bêtes, comme si elle-même,nbsp;remarque Luzel, ue trottinait pas jambes nues, sausnbsp;mème avoir de sabots aux pieds. Taudis qu’elle gagnenbsp;sa ferme, la-bas, derrière les talus boisés, il se hate,nbsp;lui, vers le village de Saint-Laurent, oh il compte
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bien trouvcr, sous Ie toil du recteur, l’abbé Quémar, un des adeptes de la pléiade bardique, un air de feunbsp;d’abord et probablement quelque cordial, Tuais sur-tout des renseignements sur ce qu’a pu devenir certain mystère ayant pour sujet la vie du saint patro-nymique de la paroisse. Une Vie de saint Laurent'!nbsp;Oui, l’abbé Quémar se souvient d’en avoir eu dansnbsp;les mains une copie, il y a de cela longtemps, quelquenbsp;chose comme une vingtaine d’années. Elle lui avaitnbsp;été prêtée par un habitant de la commune, un nomménbsp;Laurent Huon. Mais ledit Laurent Huon était mortnbsp;et ses enfants s’étaient dispersés Dieu savait oü...nbsp;Ah! cependant, attendez done 1 Je crois me rappelernbsp;qu’une de ses filles s’ost fixée non loin d’ici, dans lesnbsp;parages du chateau du Poirier, sur Ie territoire denbsp;Kcrmoroc’h. C’est peut-être une chance a tenter...nbsp;Luzel est déja debout. II pleut a verse, Ie vent sifflenbsp;avec rage, Ie jour baisse, et Kermoroc’h est encore anbsp;trois OU quatre kilometres : il n’importe. Par desnbsp;chemins crevassés de fondrières et oü, Ie plus souvent,nbsp;il marche a 1’aveuglettc, Luzel s’élance vers Kermoroc’h. Ce sera miracle s’il parvient a s’orientcr. Maisnbsp;il y a une étoile, même dans les dels les plus noirs,nbsp;pour guider les pèlerins de son espèce, et puis saintnbsp;Laurent peut-être Ie protégé. 11 arrive, a la nuit tom-bante, sur les bords d’un étang sinistre dont l’eaunbsp;reflète des paus de murs en ruines. Ce sont les restesnbsp;de I’ancienne residence seigneuriale du Poirier, pro-priété, jadis, de la familie Du Périer, illustre surtoutnbsp;par 1’Ode fameuse que Malherbe composa pour 1’unnbsp;de ses membres. La lucarne d’une miserable chau-
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mière brille a pcu de distance. Luzel pousse la porte : c’est la. Tres surprise, la femme l’invite a s’approchernbsp;do Tatre; et l’on devine avec quelle anxiété il l’inter-roge. (( Bonheur iiiespéré! Lc manuscrit se tronvaitnbsp;dans Tarmoire de la pauvre vieille parmi ses hardes.nbsp;Je Texaminai. II y manquait quelques feuillets, six,nbsp;je crois, au commencement, et quelques autres avaientnbsp;été arrachés dans Ie corps du manuscrit. Mais Ianbsp;bonne femme savait son Saint Laurent par coeur. Jenbsp;la priai de m’en raconter Ie début. » Et la voila denbsp;rassembler ses souvenirs, de ressouder tant bien quenbsp;mal les débris do vers qui surnagent dans sa mémoire,nbsp;OU de résumer a sa manière les parties du texte quinbsp;lui échappent, cependant que Luzel, assis en facenbsp;d’elle, de l’autre cóté du foyer, écrit sous sa dictée, anbsp;Ia tremblotantc lueur de la chandelle de résine, dansnbsp;Ie nuage de vapeur qui s’élcve de ses babits fumants.nbsp;La scène n’est elle pas jolie etdigne d’etre retenue?...nbsp;Pour se procurer un gite, ce soir-la, il dut rejoindre,nbsp;dans Ia nuit, et toujours sous l’ondée glaciale, lanbsp;demeure d’un de ses parents dont il n’était heureuse-ment pas trés éloigné. II rapporta de cette excursionnbsp;un rhume qui Ie for^a de garder la chambre toutenbsp;une semaine, mais aussi Ie manuscrit tant souhaité,nbsp;et, déclare-t-il au Ministro, avec son habituelle bonhomie, « la compensation me parut suffisante ‘ ».
Ce n’était pas tout que de dénicher les manuscrits : Ie plus difficile, après los avoir découverts, était donbsp;les acquérir, de décider leurs propriétaires a s’en
1. Ce rapport est resté manuscrit.
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séparer. Les Bretons cle cette époque étaient encore des Celtes a l’ancienne mode, des idéalistes obstinésnbsp;et naïfs, dédaigneux de « tont ce qui est lucre ' ». Ilsnbsp;ne concevaient point qu’on put échanger contre unenbsp;somme d’argent, si considerable füt-elle, des ceuvres,nbsp;même rongées des vers, auxquelles on était attaché.nbsp;C’étaient des souvenirs de familie, un dépot inalié-nable. On ne se résignait a s’en défaire que la mortnbsp;dans l’ame et lorsque l’on était a bout de ressources,nbsp;comme la fllle Conan. Luzel connaissait l’intransi-geance de ses compatriotes en cette matière et se don-nait bien garde de heurter de front ce que Renannbsp;appelle leur « romantisme moral “ ». S’il lui arrivaitnbsp;de faire des otïres pécuniaires, ce n’était jamais quenbsp;dans des circonstances exceptionnelles, et toujoursnbsp;avec la plus grande circonspection. Le plus souvent,nbsp;il usait de patience et de diplomatie, s’appliquait anbsp;gagner le coeur des geus, en leur vantant avec unenbsp;conviction qui n’était, d’ailleurs, qu’a demi feinte, lesnbsp;pieces dont ils étaient détenteurs, et, a force d’affa-bilité, d’insistance adroite et sans brusquerie, finis-sait par triompher de leurs derniers scrupules. Unnbsp;exemple, pris dans ses notes, nous montrera d’unenbsp;fagon typique comment il procédait.
II avait en vent, par un ancien acteur lannionnais, qu’un nommé Jean Le Moullec, cultivatcur au liameaunbsp;de Kcriliz, en Loguivy-lez-Lannion, était réputénbsp;pour un amateur passionné de théatre, qu’il avait
1. nbsp;nbsp;nbsp;Ronan, Souvenirs d’enfance et de jeimesse, p. 7ü.
2. nbsp;nbsp;nbsp;ld., ibid., p. 77.
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une riche collection de « tragédies » et que, dans Ie nombre, devait figiirer la Création du Monde dontnbsp;Luzel avait enteiidii parler vingt fois avec éloges,nbsp;mais n’avait pas encore réussi a découvrir un senlnbsp;spécimen. Au mois d’aoïit 181)3, il se mit done ennbsp;route pour Loguivy-lez-Lannion. C’était undimanche,nbsp;et, lorsqn’il se présenta a la ferme de Keriliz, Ienbsp;maitre était au bourg, a la grand’messe, mais ilnbsp;devait rentrer « diner )) vers midi. Luzel alia s’asseoirnbsp;a l’ombre d’uu chataignier, sur Ie bord du chemiunbsp;pour l’atteudre. L’aspect de la maisoii, celui desnbsp;granges et des étables, les liautes meules de blé rau-gées sur l’aire en vue du battage, tout annon(?ait unenbsp;large aisance et rendait, par conséquent, la tacho denbsp;Luzel d’autantplus délicate. Ils’était mis, parmanièrenbsp;de passe-temps, a feuilleter uii manuscrit de Louisnbsp;Eunius acquis précisément de Facteur lauuionnaisnbsp;qui lui avait donné l’adresse de Jean Le Moullec.nbsp;Comme il commeneait a s’absorber dans sa lecture,nbsp;il en fut tout a coup distrait par les éclats d’une voixnbsp;sonore qui semblait sortir d’uu bosquet voisiu et quinbsp;déclamait la tirade initiale du Myslère de Jacob :
Me eo ar Jacob-ont, lezhanvet Izrael...
L’instant d’après, Luzel put croire qu’il voyait déboucher du chemiu creux le patriarche biblique lui-même, en lapersonne d’un vieillard a cheveux blancs,nbsp;petit de taille, mais trapu, vigoureux, et qui s’avau-Cait gaillardement, non sans tituber un tautinet tou-tefois, la mine joyeuso et le verbe puissant. C’étaitnbsp;Jean Le Moullec. Luzel se leve, fait uu pas a sa ren-
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contre et lui expose l’objet de sa visite. Ravi, Ie bon-homme lui serre fortemeiit la main, en fixant sur lui de clairs yeux bleus, tout pétillants d’esprit, un peunbsp;émerilloniiés aussi par les copieuses chopines de cidrenbsp;qu’il a dü vider a Tissue de la messe, en Thonneur dunbsp;saint jour. Soudain, avisant Ie manuscrit que Luzelnbsp;porte sous Ie bras, il s’en empare, Touvre, Ie par-court, en lit tout haut deux ou trois passages qu’ilnbsp;débite a moitié par coeur. « Une belle piece! )) dit-il;nbsp;puis, après avoir examiné de plus prés Técriture :nbsp;« Mais il me semble que je connais ce cahier-la!nbsp;N’est-ce pas celui de mon ami, Yves Le Pezron?nbsp;— Si fait. Et c’est Le Pezron lui-même qui m’envoienbsp;vers vous. » Les voila dés lors bons camarades. Onnbsp;entrc dans la ferme. Jean Le Moullec « exhume » dunbsp;fond d’un tiroir quantité de manuscrits, fort délabrésnbsp;pour la plupart, et les étale devant Luzel sur la tablenbsp;de la cuisine. Un d’eux, plus lacéré que les autres,nbsp;est la Vie de Saint JJevij, le fils de sainte Nonnnbsp;et le patron de Téglise de Loguivy-lez-Lannionnbsp;Paree qu’il est devenu presque indéchifïrable, le bon-homme ne fait pas difliculté de s’en dessaisir. Sinbsp;seulement il voulait se montrer aussi coulant pour lanbsp;Création du Monde] Car Le Pezron ne s’était pasnbsp;trompé : il Ta, le rarissime mystère que Luzel avaitnbsp;tant cherché en vain. Mais il y tient aussi comme anbsp;ses prunelles. Pour aucun prix il ne consentirait a s’en
1. G’est, du reste, par erreur que Devy est donné comme patron do Loguivy dont le patron veritable est Ivy, comme l’in-dique la forme du nom Loc-Ivy. Mais, presque pnrtout, lesnbsp;deux saints sont pris indifféremment l’un pour l’autre.
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séparer. ïoutce qu’il peut faire en faveur de son nouvel ami, c’est de Ie lui prêter Ie laps de temps nécessairenbsp;pour en prendre copie. Et Luzel d’accepter, commenbsp;on pense. C’est toujours autant de gagné. Et il senbsp;sauve, emportant son butin, après avoir solennellC'nbsp;ment jure de lerendre.
La-dessus, sept ou buit mois se passent. En mars 1864, comme il vient de pousser une pointe infruc-teuse dans Ie pays de ïrédrez et qu’il s’apprête anbsp;rejoindre Lannion, Luzel songe que ce ne serait pasnbsp;se détourner beaucoup de sa route que de faire unnbsp;crochet par Loguivy. Le vieux fermier de Keriliz nonbsp;sera vraisemblablement pas fachó d’avoir des nou-velles de son manuscrit. Puis, qui sait? Peut-ctrenbsp;cette fois se laissera-t-il amadouer. Luzel a en poclienbsp;un appat d’une espèce particulièrc sur lequel il fondenbsp;un sérieux cspoir. « Je trouvai le vieillard, dit-il, senbsp;chaufianta un bon feu dans la cuisine de la ferme. IInbsp;me reconnut aussitót et vint a moi en souriant*. »nbsp;Trés franchement Luzel lui declare que, non seule-ment il n’a pas copié son « cahier », mais encorenbsp;qu’il ne le copiera point, et cela paree qu’il est résolunbsp;a le garder. Qu’il fasse done ses conditions : Luzel ynbsp;souscrit par avance, quelles qu’elles puissent être.nbsp;Mais le vieux Moullec n’entend pas de cette oreille.
— nbsp;nbsp;nbsp;Une (( tragédie » si merveilleuse, et que j’ai trans-crite de ma propre main, et qui m’a coüté tant denbsp;jours, tant de mois de travail... Jamais de la vie!
— nbsp;nbsp;nbsp;J’en aurai cependant le dernier mot. — Oh! jesuis
1. Rapport inédit de Luzel.
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Breton! — Moi aussi. — Croyez-moi : buvons un coup de cidre et n’en parlous plus. — Voyons, vingtnbsp;francs?... Trente francs?... Cinquante francs?... —nbsp;Pas pour tout 1’or du monde. « La bataille semblenbsp;perdue pour Luzel. Alors, négligemment, 11 tire de sanbsp;poclie un volume broché, a couverture grise. C’est unnbsp;exemplaire de la Sainte Tryphine qu’il a publiéenbsp;l’année d’avant. II Ie met sous Ie nez de l’adversaire :nbsp;(( Connaissez-vous ceci? » Le vieillard épelle Ie titrenbsp;imprimé: (( Quoi! s’écrie-t-il, Sainte Tryphine!... II y anbsp;si longtemps que je désire l’avoir! — Eli bien! jenbsp;vous la donne. — A garder?... ou seulement anbsp;lire? — A garder. Elle vous appartient dès a présent et pour toujours. » Le vieux paysan est toutnbsp;ému d’une pareille libéralité : il palpe le livre, lenbsp;tourne et le retournc, avec une joie quasi fébrile,nbsp;entre ses gros doigts tremblants. « Et vous, demandenbsp;insidieusement Luzel, pour combien de temps menbsp;donnez-vous votre Creation'!— Ohlgardez la aussinbsp;tout le temps que vous voudrez. — Je la gardera!nbsp;done a jamais. — A jamais, non... non, vous menbsp;la rendrez un jour... plus tard... quand il vousnbsp;plaira... oui, enfin, quand vous n’aurez plus besoinnbsp;d’elle. )) Tout en faisant mine de se défendre encore,nbsp;le pauvre homme capitulait. « Ainsi, remarque Luzel,nbsp;— qui ne manque pas de souligner ce trait d’idéalismenbsp;breton, — après avoir refuse cinquante francs denbsp;son manuscrit, il me le cédait, en réalité, pour unenbsp;valeur de trois francs. Car, — ajoute-t-il, — je lenbsp;regarde comme définitivement acquis *. »
1. Rapport inédit de Luzel.
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La Creation du Monde de Jean Le Moullec figure, en efïet, parmi les cinquante-trois monuments analogues du theatre armoricain, déposés par Luzel a lanbsp;Bibliothèque nationaleLa découverte, le sauvetagenbsp;de ces cinquante-trois mystères n’est pas, on le sait,nbsp;le seul ni même le plus éclatant service que 1’éditeurnbsp;de Sainle Tryphine, l’auteur du Bepred Breizad, lenbsp;collecteur des Gwerziou et des Soniou Breiz-Izel, lenbsp;glaneur infatigable, le consciencieux traducteur desnbsp;Conles et des Légendes de son pays ait rendu a ilanbsp;cause des lettres bretonnes. L’ame de la vieille Bretagne pourrait disparaitre qu’on la retrouverait vivantenbsp;dans ses livres. Mais nous en ignorerions une partnbsp;essentielle, si, pour juger de quelle ardeur elle s’estnbsp;portee aux cboses dramatiques, nous n’avions que lesnbsp;mystères imprimés. C’est une des gloires de Luzel denbsp;I’avoir compris et de s’ctre voué a la « chasse auxnbsp;manuscrits » dès sa jeunesse et pendant les annéesnbsp;robustes de son age mür. Lorsqu’il se mit en camnbsp;pagne, il était temps. Plus tard, il eüt été trop tard. Etnbsp;il n’était pas saus en avoir le sentiment trés vif, puisque,nbsp;dans les dernières lignes de son introduction a Sainlenbsp;2’ryphine, il s’écriait déja d’une voix si pressante : « IInbsp;faut se hater! » Sparsa matris... collige memOra tuxnbsp;ajoutait-il, comme pour se tracer a lui-même son programme. Ce programme, les résultats de ses explorations attestent s’il 1’a bien rempli. Ne craignonspasnbsp;de le dire bien baut, paree qu’on ne le sait peut-être
1. nbsp;nbsp;nbsp;Fonds cellique et basque, n° 12. Revue celligue, t. XI,nbsp;p. 408-409.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Sainte Ti'yphine et le roi Arthur^ p. xliv.
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pas encore assez : Ie meilleur de la littérature écrite de la Bretagne, comme anssi bien de sa littérature orale,nbsp;c’est lui, c’est ce Breton si profondément et si judi-cieusement épris du passé de sa race qui nous l’anbsp;conservé.
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LES JIANL’SCRfTS ET LES COPISTES
Liste des mystércs imprimés. — Les mamiscrits, leur aspect : les annotations, les dessins, les ox-libris. — Les copistes ;nbsp;leur condition sociale. — Les tisscrands : Nicolas Lo Bourva,nbsp;Joseph Le Cerf, — Les cultivateurs : Jean Le Moullec; lanbsp;dynastie des Le Bihan. — Le tournier Jean Le Ménager. —nbsp;L’aubergiste Philippe Martin. — Le matelot Jean-Marie Les-(juélen.
Les mystères imprimés sont, par ordre de dates : 1“ la Passion suivie de la Resurrection (1530); 2“ lanbsp;Vie de sainte Barbe (1557); 3° Ia Vie de saint Givenolénbsp;(1580); 4° une seconde édition de la Passion (1622);nbsp;5“ une seconde édition de la Vie de sainte Barbe (1647);nbsp;6° la Vie des trois Rois (1745); 7° la Tragédie de saintnbsp;Guillaume., comte de Poitou (1815); 8“ la Vie desnbsp;quatre fis Aymon (1818); 9“ une réédition de la mêmenbsp;(1833); 10“ la Vie de sainte Nonne (1837); 11quot; la Tragédie de Jacob (1850); 12“ la Tragédie de Moïse (1850);nbsp;13quot; la Vie de sainte Ilélène (1862); W Sainte Trgphinenbsp;et le rot Arthur (1863); 15“ la Vie de sainte Genevievenbsp;(1864); 16quot; une troisième édition de Ia Passion sousnbsp;le titrc : le Grand Myslère de Jésus (1865); 17“ une
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nouvelle edition de Ia Vie des qiiatre fits Aijmon (1866); 18“ la Vie de Louis Eunius (1871); 19“ une nouvellenbsp;edition de la Vie de saint Guillaume (1872); 20“ Ianbsp;Vie de saint Bihui (187Ö); 21“ une troisième editionnbsp;de la Vie de sainte Barbe (188Ö); 22“ une secondenbsp;edition de la Vie des trois Bois (1886); 23“ une secondenbsp;edition de Ia Vie de sainte Nonne (1887); 24“ la Vie denbsp;saint Giuennolé (1889); 23“ une réédition abrégée denbsp;Ia même (1898). Si l’on joint a cette liste la pastoralenbsp;de la Nativité, publiée a Morlaix, sans date, on arrivenbsp;a un total de vingt-six mystères, chiffre qui représentenbsp;a peine Ie cinquième de la production dramatique ennbsp;Bretagne. C’est assez dire l’importance, au moinsnbsp;numérique, des pièces restées a l’état manuscrit.
Ces manuscrits ne sont pas anciens. La Destruction de Jérusalem, dont rexistciice nous est connue parnbsp;Dom Le Pelletier* et qu’il regarde comme antérieurenbsp;ii l’imprimerie, est perdue. La Vie de sainte Nonne nenbsp;remonte pas au dela ^des dernières années dunbsp;XV' siècle. Le xvi'siècle ne nous a légué aucun mauus-crit. Le xvii® ne nous en a légué qu’un : la Vie denbsp;saint Antoine. En 1689, elle appartenait « a Mauricenbsp;Le Flem demeurant an la paruoisse de ploiinez diocèsenbsp;de saint brieux village de KerjézequeP ». ïous lesnbsp;autres manuscrits sont, sauf erreur, du xvm' et dunbsp;xi.x' siècle. L’erreur n’est, du reste, possible que pournbsp;un trés petit nomhre d’entrc eux, la plupart étantnbsp;datés. ïous, y compris celui de sainte Nonne, sont sur
1. nbsp;nbsp;nbsp;Revue cellique, t. XIV, p. 223.
2. nbsp;nbsp;nbsp;ld., t. XI, p. 413.
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LES MANüSCRITS ET LES COPISTES.
papier d’épaisseur plus ou moins résistante et de paté plus OU moins grossière. Le format, en général, estnbsp;celui de I’in-folio, mals les dimensions varient et peu-vent aller de 180 millimetres sur 140 [Mystère desnbsp;qualre fils Aymon, dans la collection Vallée) jusqu’anbsp;470 millimètres sur 330 (Myslère de saint Garand,nbsp;dans la collection Penguern). Les feuillets, de quan-tité naturellement tres inégale, sont relies avec du tilnbsp;fort, quelquefois avec de la ficelle. Les couvertures,nbsp;la oü elles subsistent, sont tantót en parchemin,nbsp;tantót en cuir noirci. Les parchemins, avant de rece-voir eet emploi, ont toujonrs commence par être desnbsp;actes notariés ou des titres de familie et sont encorenbsp;chargés d’ccritnres anciennes : quant au cuir, il a éténbsp;prélevé, sans doute, sur le parement de quelquenbsp;volume profane ou de quelque missel. Les copistes,nbsp;gens industrieux et peu fortunes, utilisaient ce qu’ilsnbsp;trouvaient.
Si les manuscrits different beaucoup par le dehors, l’aspect intérieur n’offre pas une moindre diversité. IInbsp;en est qui sont d’une belle ordonnance, écrits denbsp;bonne encre que les ans ont a peine palie, avec desnbsp;lignes droites et des caractères neitement tracés quinbsp;pourraient être d’un homme d’Église ou d’un tabel-lion. Tel est, par exemple, le cas pour la Vie desnbsp;qualre fits Aymon qu’Éticnne Le Bourdonnec,
(( demeurant en sa maison, au lieu de Kerdual », entreprit de copier le 9 aoüt 1784 et termina Ie 27 janvier 1785 L C’est assurément un des manuscrits les
1. Manuscrit de Ia bibliolhtaiue de Quimper.
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plus soignés qui me soient passés par les mains. D’autres afïectent volontiers un certain air gothique,nbsp;peut-être a l’imitation des bréviaires et des livres denbsp;liturgie. Daus la V?'e de sainte Hélène (collectionnbsp;Vallée), Ie texte, même au cours des tirades, est dis-tribué en laisses régulières de quatre vers, et Ie motnbsp;initial du premier vers de chaque laisse est écrit anbsp;l’encre rouge, ainsi que les noms des personnages etnbsp;les indications scéniques. Mais, disons-le bien vite,nbsp;ce ne sont la que d’heureuses exceptions, et l’onnbsp;serait, pour l’ordinaire, mal venu a chercber dans cesnbsp;« cahiers de tragédies », comme les appellant les Bretons, des modèles accomplis de calligraphie savante.nbsp;Ils sont Ie plus souvent tout l'opposé. Et l’on com-prendra facilement pourquoi, lorsque nous aurons vunbsp;quels en furcnt les rédacteurs habituels. Non pas quenbsp;ceux-ci n’y soient allés de toute leur application et denbsp;toute leur conscience, les braves gens! La faute n’ennbsp;est point a eux si les documents dont nous leur sommesnbsp;redevables témoignent autant de leur maladresse quenbsp;de leur zèle. Scribes occasionnels, ils apportaient anbsp;leur pensum volontaire l’liabileté dont ils étaientnbsp;capables. Elle ne pouvait guère être que médiocre. IInbsp;y a même parfois quclque chose de poignant dans l’es-pèced’impuissance obstinée et douloureuse que trahis-sent ces écritures barbares. Lc copiste, avant de senbsp;servir de son outil, éprouvait saus cesse Ie besoin denbsp;verifier, au préalable, s’il n’était pas exposé a Ie voirnbsp;gauchir entre ses doigts inexpérimentés. De la cettenbsp;surcharge naïve que l’on relève a tout moment ennbsp;marge des manuscrits : « Comme pour voir si ma
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plumeest bonne...» Elle étaitbien souvent maiivaise, il fant croire, oii peu docile, en tout cas, a la mainnbsp;qui la coiuluisait.
Notons, d’ailleurs, que ce qui rend la lecture de tant de ces textes, non seulement ingrate, mais trop souvent même impossible, c’est moins encore la barbaricnbsp;laborieuse des écritures qui s’y étalent que l’état denbsp;vélusté dans lequel ils nous sont parvenus. Vieux anbsp;peine de cent on deux cents ans, ils paraissent avoirnbsp;subi l’affront de cinq siècles. Ils participent, a eetnbsp;egard, du mystcrieux air d’antiquité que revêtent sinbsp;vile toutes clioscs en Bretagne, et il en est d’cuxnbsp;comme de ces chaumières bretonnes qui, insultées denbsp;la pluie et du vent, s’imprègnent en quelques saisonsnbsp;de la poétiquo patine des ages. Dans Ic temps quenbsp;Luzel publiait sa Samie Trijphine, son ami Bijon, denbsp;Quimperlé, rju’il avait prié de surveiller sur placenbsp;l’impression, fit brusquement suspendre Ie tiragedesnbsp;premières feuilles pour l’obliger a élaguer de sonnbsp;introduction les repetitions, facheuses selon lui, dontnbsp;elle abondait; il lui reproebait, en particulier, d’abusernbsp;des épithètes : « vieux, antiques, jannes, enfumés,nbsp;poudreux, crasseux », appliquées aux manuscrits.nbsp;Hélas! n’en déplaise a l’Aristarque cornouaillais, cenbsp;sont pourtant la des qualificatifs qui se présententnbsp;d’eux-mcmes sous la plume, dès qu’il s’agit de cesnbsp;(( vieux )) textes, et l’on voit moins ce qu’il y aurait anbsp;en retrancher que ce qu’il conviondrait d’y ajouternbsp;encore pour que la peinturc fiit de tous points conforme a la réalitó. Ce n’est pas, en effet, donner unenbsp;idee suffisante de l’état de vétusté de ces manuscrits
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que de dire qu’ils sont crasseux, maculés, sordides. Parmi ceux qui n’ont pas été hospitalisés et pansésnbsp;dans les bibliothèques publiqiies, bcaucoup tombentnbsp;litlóralement en loqiies. J’en ai la, sur ma table, aunbsp;moment oü j’écris ces lignes, qui exhalent, jusqu’anbsp;en pénétrer toute Patmosphère de la pièce, une écoeu-rantc odeur de pourriture cadavérique. On a toujoursnbsp;peur, en les feuilletant, qu’il ne vous en reste aux mainsnbsp;des lambeaux. Le mot d’ « exhumation », dont Luzelnbsp;fait si volontiers usage, est bien le terme propre pournbsp;designer le retour a la lumière de ces papcrasses ennbsp;décomposition. Ni la moisissure qui les ronge, ni lanbsp;saleté dont elles sont empreintes nc sont, au demeu-rant, pour surprendre, quand on songe qnelles furentnbsp;leurs origines et quels aussi leurs destins.
Qu’on se représente en imagination une des cuisines de ferme oü elles ont été rédigées, basse, sombre,nbsp;douteuscment éclairée, le jour, par de menus vitrauxnbsp;en cul de bouteillo, la nuit, par une maigre chan-delle de suif ou do résine; pour tout parquet, le solnbsp;de terre battue, boueux 1’hiver et poudreux l’été; pournbsp;plafond, des planches mal jointes entre lesquellesnbsp;s’émècbcnt des fourrages, avec de grosses poutresnbsp;transversales, noires de suie et d'bumidité, d’oü pendent des salaisons, d’énormes quartiers de porc,nbsp;d’opulentes tourtes d’oing dont, a la moindro cba-leur, les graisses fondent et s’égonttent. Voila lenbsp;cabinet de travail du copiste : c’est la que, par lesnbsp;après-midi désoeuvrés des dimanches et des fêtesnbsp;gardées, mais surtout durant les loisirs forcés desnbsp;longs soirs hivernaux, il s’installe, pour faire sa
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besogne de bénédictiii riistique, assis sur Ie même banc et a la même table ou, avec sa familie et sesnbsp;geus, il vient de prendre Ie repas en commun. Dèsnbsp;que la ménagère a desservi, il déploie Ie (( cahier »nbsp;qu’un amateur du voisinage lui a prêté, parfoisnbsp;contre finance, dispose devant lui Ie papier oblongnbsp;de teinte grise ou bleutée, qu’il s’est procure en ville,nbsp;a Tune des dernières foires, et, tandis que les liliesnbsp;font aller leurs rouets, que les gargons teillent dunbsp;cbanvre au coin de 1’atre, il saisit la plume entre sesnbsp;doigts gourds, aux plissements rugueux, tout Ienbsp;jour crispés sur un mancberon de cbarrue et grasnbsp;encore de la glèbc des champs retournés. Lentement,nbsp;lourdement, il promène sa main sur la page viergenbsp;qui ne se couvre pas seulement d’écriture, mais aussinbsp;de marques terreuses plus ou moins étendues. Joi-gncz que, d’espace en espace, quelque goutte denbsp;sueur, pleuvant par intervalle, vient délayer l’encrenbsp;d’un mot fraichement écrit. Car Ie pauvre hommenbsp;peine autant, sinon davantage, a tracer un vers qu’anbsp;creuser un sillon. L’aban que lui arrache son labeur,nbsp;les manuscrits nous en ont conserve l’écho. « Courage! Courage!... » se crie alui même Ie vieux Conannbsp;penché sur la Vie de sainte Genevieve ; et, du mystèrenbsp;d’Orson el Valentin qui est a la Bibliothèque natio-tionale, s’écbappo eet aveu qui en dit long : « Faitnbsp;par moi, Lesquélen Jean-Marie,... après beaucoupnbsp;d’embarras gt;).
Beaucoup d’embarras, oui, et beaucoup de temps. On ne transcrit pas une « tragédie » aussi vite quenbsp;l’on défriche une lande ou que 1’on tisso une pièce de
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toile. C’est lo plus soureat l’osuTre ile tout un hiver. quelqucfois mênrc do deux hivers consécutifs, Raresnbsp;soiit les copistcs qui, comme Francois Derrien, (( denbsp;la ville ct frérie du Guerlesquin », abatteiit en quinzenbsp;•jours, du 26 décenibre 1814 au 9 janvier 1813, lanbsp;transcription d’un mystère. Encore est-il a propos denbsp;remarquer que Frangois Derrien, outre qu'il étailnbsp;rompu a co genre do travail, semble s'êtro borné aunbsp;róle d’un adaptatcur plutót que d’iui copiste propro-mcnt dit: la Sainle Genevièue qu’il mit sur pied dans cenbsp;court laps do temps n’est qu’un abrégé fort succinctnbsp;de la Vie compléte, comprenant a peine quarantenbsp;quatre feuillets, avec un maximum de vingt vers parnbsp;page. Le copiste ordinaire, plus respectueux desnbsp;textes etqui les juge même d’autant plus intéressantsnbsp;qu'ils sont plus dóvcloppés, se montre aussi moinsnbsp;expéditif. La Passion de Notre Seigneur Jesus-Christ,nbsp;commencde par Vincent Gouarin le « trente may 1802 »nbsp;on, on style révolutionnaire, « le 10 prairial an 10 »,nbsp;n’est terminoeque le 16 janvier 1803 «ou le 26 nivoscnbsp;an 11 de la République )gt;. Le mystère de Saint Laurent, que nous a légué Jacques Ellien, peut fournirnbsp;des indications encore plus précises sur la lenteurnbsp;avec laquellc s’elaborait un manuscrit. Jacquesnbsp;Ellien, — comme, d’ailleurs, quelques autres de sesnbsp;pareils, — a eu, en effet, le bon esprit de semer de ci,nbsp;de la, au bas des pages, des dates qui nous permettentnbsp;de le suivre quasi pas a pas au cours de ses premièresnbsp;ótapes. Nous constatons ainsi que, le 29 aout 1840, ilnbsp;en est a la quatorzième page de son manuscrit, commence, j’imagine, après la moisson. Du 29 aout au
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8 septembre, il écrit vingt-Iuiit pages et, du 8 sep-tembre au 12 du mêmo mois, il en écrit treize, cha-cune représentant une moyenne de trente vers. Cela fait done environ trois pages par jour, et comme Ienbsp;manuscrit de Jacques Ellien renfermc 244 pagesnbsp;diiment numérotées, nous sommes en droit de con-clure qu’il y a employé dans les quatre-vingts a quatre-vingt-deux jours. Or, si Jacques Ellien était, commenbsp;je Ie suppose, nn paysan, c’étaitsans aueundoule unnbsp;paysan lettré, ayant I’liabitude de la plume qu’ilnbsp;manie avec une belle aisance correcte et presque élégante. Tel n’était point Ie cas pour la plupart desnbsp;copistes. Leurs manuscrits, rédigés au jour Ie jour,nbsp;délaissés et repris selon les exigences plus ou moinsnbsp;pressantes de la tache quotidienne, demeuraientnbsp;néccssaii’ement des mois el des mois en chantier.nbsp;Tout Ie temps qu’on n’y travaillait point, ils étaientnbsp;rélégués soit dans les profondeurs moiles des vieuxnbsp;bahnts, soit plutót sur Tappiii de la fcnêtre qui sertnbsp;de tablelte aux livres dans les campagnes bretonnes.nbsp;Lil, sous la lumicre blafardode la croisée, sont rangésnbsp;les trois ou quatre ouvrages —Vie des Saints, Heuriounbsp;Briz, Almanach de Nostradamus — qui constituentnbsp;toute la ))ibliothèquo de la familie; la aussi Tonnbsp;remisait, pour plus de commodité, Ie manuscrit quenbsp;Ton avait en train, lorsque Theure était venue de Ienbsp;laisser dormir et de s’aller reposer soi même : ilnbsp;ofïrait Tavantage d’y être constamment a portéc denbsp;la main du copiste, mais quo d'injures en revanebenbsp;n’y avait-il pas a subir, tour a tour détrempé par Ienbsp;pleur des vitres ou racorni par les feux du soleil! 11
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était fané dès sa naissance, si j’ose dire, et vieux avant d’avoir vécu.
Lo progrès de ses desliiiées n’était pas pour lui donner meilleur aspect. A peine transcrit, il étaitnbsp;appelc a connaitre les avciitures, a voyager de maisonnbsp;en maison, a s’exiler souvent fort loin de son berceau.nbsp;Non pas que les déteiiteurs de mystères ne couvas-sent d’un oeil jaloux ces fruits de leurs veilles. Nousnbsp;avons vu par quel arrachement douloureux Luzelnbsp;obtint de Jean Le Moullec qu’il lui cédat sa Créalionnbsp;du Monde. II s’agissait la d’un abandon défiiiitif, ilnbsp;est vrai. Mais les répugnances étaient parfois aussinbsp;vives lorsque la séparation nedevaitêtre que momen-tanée. « On en jugera par le fait suivant, » dit Fré-minville. « Pendant quo j’étais a Paimpol, desnbsp;paysans de la paroisse do Plourivo voulureiit reprc-senter la tragedie intitulcc La Vie de LAntechrist;nbsp;mais aucun d’cux ne la possédait; obligés de 1’em-prunter a un habitant d’uno paroisse voisine, afinnbsp;d’apprendre leurs róles, celui ci ne leur confia sonnbsp;manuscrit qu’après avoir re^u d’eux en gage unenbsp;somme de cent écus ‘. » Cent écus d’alors valaientnbsp;pour le moins cinq cents francs d’aujourd’hui. Unenbsp;fortune pour le propriótaire de la piece, lequel n’étaitnbsp;autre, selon touto apparence, que Joseph Le Cerf, unnbsp;pauvre tisserand de Plouézec. Eh bien! croyez qu’ilnbsp;eüt été navró qu’clle lui rcstat : elle n’eüt jamaisnbsp;compensé, a ses yeux, la perte de sou manuscrit. 11nbsp;est probable, d’ailleurs, qu’il ne posa des conditions
1. Ytém'mYiUe, Anlif/uités de la BceiagaejCötes-du-Nord, p. ICa.
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aussi diires que paree qu’il avail affaire a des (( ctran-gers ». Est étranger, pour un Breton, quiconque n’est point de sa paroisse. Avee des gens de Plouézecnbsp;Josepli Le Cerf ent été plus conciliant. On aimaitnbsp;assez, en général, a tirer gloire des mauuscrits quenbsp;l’on possédait et, comme le moyen le plus simplenbsp;de prouver qu’on en avail a soi, était de les pretor,nbsp;on les donnait volontiers en communication a desnbsp;proclies, ii des amis qui, enx-mêmes, qn'ils y fussentnbsp;antorisés ou non, ne se privaient pas do les passer anbsp;d’autres. Cet usage était si bien dans les moeurs quenbsp;nous voyons Joan-Marie Lcsquélen, « matelots anbsp;Pleudaniel », prendre, pour le temps qu’il est en mor,nbsp;dos dispositions en quelque sorto testamentairosnbsp;relativemont au mystcre d’0?'.s'on et Valentin qui luinbsp;couta tant d’« embarras ». « Ce livro m’appartiont »,nbsp;déclare-t-il, « mais en mon absence Yves Andrénbsp;pourra s’en servir et le pretter a celui qu’il voudra. »nbsp;C’étaient fréquemment des prots celtiques, c’est-a-direnbsp;a des échéances indéterminées. Le vieux Le Moullecnbsp;égara de cette fa^on plusieurs manuscrits. « 11 y ennbsp;avail un surtout qu’il regrettait«, raconte Luzel, « unenbsp;Vie de sainte Anne qui lui avail pris toute unenbsp;année a copier )) et qui, sortie un beau jour desnbsp;bahuts de Keriliz, n’y était jamais rentree'. Consolonsnbsp;les manes de ce brave homme. La pièce dont il pleu-rait la disparition a été retrouvée : elle figure dans lanbsp;collection de La Borderie, rajeunie par une brillantonbsp;rcliure sous laquelle il aurait saus doute quelque
1. Rapport inédit de Luzel.
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orgueil a la reconnaitre, s’il la revoyait. La complaisance des propriélaires a laisser vaguer leurs manu-scrits compliqua souvent la tachc de Luzel. (( Je suis obligé de co fait do visiter des deux et trois fois lesnbsp;mêmes localités », écrivait il au Ministro Certainsnbsp;détenteurs de mystères s’en faisaient une source denbsp;revenus, en nc les cédant qu’a raison de tant parnbsp;jour aux personnes désireuses de les lire ou de lesnbsp;copier. Dans la region de Port-Blanc, oii les recitationsnbsp;dramatiques n’ont pas cessé d’être en honiieur auxnbsp;veillées d’liiver, Ie tarif était naguère d’un real (0 fr. 2ö)nbsp;par soir. 11 se constituait ainsi de place en place desnbsp;espèces de cabinets de lecture paysans, destines anbsp;fournir d’émotions et de songes les parages d’alen-tour. Les pièces mises en circulation formaient unenbsp;manière de bibliothèque roulantc dont Ie fonctionne-ment n’était pas sans rappelcr d’assez pres Ie systemenbsp;de diffusion dos oeuvres littóraires dans les ages anté-rieurs a l’imprimerie. Et c’étaiont la des odysseesnbsp;fécondes, assurément, puisqu’elles suscitaient sansnbsp;cesse de nouveaux copistes, mais fort préjudiciablcsnbsp;au manuscrit voyageur, qui ne rentrait pas toujoursnbsp;intact — quand il rentrait.
On s’apergoit, du roste, a feuilleter ces manuscrits, qu’ils servaient aux emplois les plus divers. Comme,nbsp;en deliors des cahiers qui les composaient, Ic papiernbsp;était un luxe a pen pres inconnu dans les fermes,nbsp;toutes les fois qu’il y avait quelque chose a consignernbsp;par écrit, c’étaiont les blancs de leurs pages de garde
1. Rapport inédit de Luzel.
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OU de leiirs marges que l’on utilisait. Ils affectent de la sorte, par moments, l’aspect d’un livrc de raison.nbsp;Sur un manuscrit de Huon de Bordeaux', je relèvenbsp;ce compte d'une rcpasscuse de village : « 43 jubilés,nbsp;9 cols, 1 coilïe ». Une Creation du Monde^ porte ccnbsp;brouillon de quittance, daté du 12 décembrc 1787 ;nbsp;« Je soussigné Jean-Francois Iluet, sabotier, dcmeu-rant sur la commune de Bellc-Isle en Terre, travail-lant chez M. Golard, je rcconnais avoir reyu de Vincentnbsp;Lc Guillou demeurant en la commune de Trégrom lanbsp;somme de seize centimes », prix sans doute d’unenbsp;paire de sabots. Certaines annotations revêtent unnbsp;caractère plus intime, nous découvrent un coin d’amenbsp;et nous font respirer comme un parfum de sentiment.nbsp;Telle, cette discrete confidence d'amour, d’accent unnbsp;pen mélancolique, grillonnée dans une Vie de sainlenbsp;Ilélène^ par quelque jeune laboureur sur Ie point denbsp;tenter auprès de sa « douce » une démarche dont ilnbsp;redoute Tissue : « Je puis dirc que depuis que je vienbsp;mon plus grands desire est daimé une demoiselle etnbsp;d’estrc aimez del, mes jai grad peur que j’ai du tempsnbsp;perdu : je Ie saurai avan peut de tem «. Voici,nbsp;d’autre part, une maxime humoristique traduite,nbsp;nous averlit-on, de Gresset!
Hoont pluc’h yaouanc so cun tan hoc a poaz,
Hoant scurezet so cant goech goassoc'h hoas.
[Envie do jeune (ille est un feu qui cuit, — envie de bonne soeur est cent fois pire encore.]
1. nbsp;nbsp;nbsp;Ms. de ina collection.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Ms. de la bibliotlieque de Quimper.
3. nbsp;nbsp;nbsp;Ms. de la collection Valléc.
-ocr page 218-202 nbsp;nbsp;nbsp;LE TUÉATRE CELTIQUE.
Préférez-vous une sentence morale?
« Pour devenir savent ils faut et tudier »,
déclare Ollivier Mazévet en un alexandrin qui ne pêche que contre l’ortliographe. Claude LeBihan, lui,nbsp;s’élèvc même a la contemplation philosophique dansnbsp;ces réflexions a la Bossuet, insérées au f° 85 de sanbsp;Creation du Monde ‘ : « Pensons qu’il faudra tousnbsp;mourir et de laisser tons ce qu’il y a dans ce monde etnbsp;quiter les biens perissables et tous parêns et amisnbsp;quand nous penserons Ie moins. II faut quiter lesnbsp;plaisirs mondain quand Dieu voudra nous appelernbsp;pour rendrc comptc au tribunal de sa majesté au journbsp;épouvantable du jugement univcrsel au vallede Josa-phat quand il vicndra plein de gloirc de misericordenbsp;et de justice pour juger tout Ic monde. Aimons Dieunbsp;sur toute chose et soyons fidelle pour Ie servir etnbsp;l’aimer de tout notre cceur de tout notre ame et denbsp;toute notre force et de toute notre esprit et notre pro-chain commo nous-même. L’an mil sept centsoixantenbsp;cinq. Claude Le Biban ».
Bref, le « cahier de tragédie » remplissait dans la maison bretonne I’office d’un journal domestique,nbsp;d’un memento familial. On y trouve de tout, et jus-qu’a des chansons. La mode n etait pas encore née,nbsp;au xvm® siècle, d’imprimer sur feuilles volantes lesnbsp;« sones » amoiireuses ou satiriques composées par lesnbsp;poètes de terroir. C’était la un bonneur réservé auxnbsp;cantiques pieux. La mémoire des hommes — et sur-
1. Ms. de ma collection.
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LES MANÜSCRITS ET LES COPISÏES.
tout des femmes — était Ie seul asile ouvert aux productions profanes. On les apprenait a les entendre chanter. Mais, s’il s’en prósentait une que l’on désiratnbsp;plus spécialement protégcr contre l’oubli, l’on avaitnbsp;les pages inemployées des manuscrits de mystères anbsp;qui en confier la garde. Cela n’allait pas sans amenernbsp;des contrastcs assez inatlendus. ïel copiste de Tré-grom, par example, juge a propos d’intercaler entrenbsp;une Créalion du Monde et une Vie des quatre fitsnbsp;Aynion certaine chanson humoristiquc, composéenbsp;sans doute vers la même époque que Ic manuscrit,nbsp;c’est a-dire vers 1769, et oü, « de par notre roi Bourbon », il est enjoint aux jeunes hlles de Bretagne denbsp;choisir chacune leur galant pour aller coloniser Terre-Neuve h
Dirai-jc un mot maintenant des dessins, d’une naïveté toute pastorale, qui ornent parfois les manuscrits? Bs dccèlent naturellement plus de bonne volonténbsp;que d’art. II y en a dont Ie caractère est purementnbsp;emblématiquo, comme la croix surmontée d’un coqnbsp;que Frangois Derrien a placée en vedette au frontispice d’un mystère de la Passion. D’autres trahissentnbsp;des preoccupations absolument étrangères au texte.nbsp;Et, par exemple, l’on s’explique assez mal ce quenbsp;vient faire dans la Créalion du Monde mentionneenbsp;ci-dossus, en marge de la scène du a Serpent dansnbsp;l’arbre », Ie « Napoléon » frisé, bouclé, a mine débon-naire de curé de campagne, que s’est essayé a y por-traicturer en 1807 quelque ancien grognard retour
i. Manuscrit de Luzel a la bibliothèque de Quimper.
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LE THEATRE CELTIQUE.
d’Austerlitz. Mais il arrive aussi que les dessins aient la pretention d’illustrer Ie drame. Chez Jean Conannbsp;surtout, l'imagier rivalise volontiers d’ardeur avec lonbsp;copiste. A la page 67 do son manuscrit do Louisnbsp;Ennius il nous représente Ie héros de la piece sousnbsp;les traits d’un liomme couché tout nu a terre, lesnbsp;mains croisées sur Ie ventre, les jambes étendues; et,nbsp;pour que nous ne nous y méprenions pas, il a eu soinnbsp;d’écrire au dessous : « Je suis Louis Enius »; plus loin,nbsp;la rubrique : ma voel a dost dean eur groais eur golonbsp;alum a bep a du deg a scrifed voair jingen ar groaisnbsp;aman a sou bed asasined cun den pedet Doue vid repos enbsp;ine (11 voit en face de lui une croix flanquee de deuxnbsp;cbandelles allumees, sur le socle de laquelle est écrit:nbsp;(( Ici a étó assassiné un homme; priez Dieu pour lenbsp;repos de son ame »), — cette rubrique, dis-je, estnbsp;commentoe par un croquis figurant la croix, I’ins-criplion et les cierges allumes do cbaque cote de lanbsp;croix. Mais c’est principalement dans le manuscrit dcnbsp;Sainle Geneviève^ que Conan a donné carrière a sonnbsp;talent d’illustrateur. Ici tout lui est matière a dessins.nbsp;Lanfroy est-il censé jouer du cor? Immédiatement lenbsp;copiste esquisse en marge la forme de I'instrument.nbsp;Il ne recule memo pas devant les illustrations horsnbsp;texte. Nous avoirs ainsi deux compositions de sanbsp;fagon oil Ton voit qu’il a mis toute l’babileté dont ilnbsp;ctait capable. Le sujet de la première nous est indiqnenbsp;par ce titre : a Jenovefa en mex an dres an eies ne hichen
1. nbsp;nbsp;nbsp;Ms. de la Bibliothèque nationale, fonds celtiquo et bas((ue,nbsp;n” 4Ö.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Id., ibid., n° 24.
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(Geneyiève dans la broussaille avec la biche auprès d’clle). Des silhouettes d’arbres, a droito et a gauche,nbsp;marquent que l’on est en pleine forêt. De l’arbre denbsp;gauche descend un ange qui porte a bras tendus unnbsp;crucifix; la biche se tient contre l’arhre de droite; aunbsp;milieu est assise Genevieve, enveloppée et commenbsp;noyée dans Ie flot de ses cheveux; au-dessous d’elle,nbsp;sou fils Benoni semhle s’amuser fort a tirer les oreillesnbsp;d’un loup et a regarder voleter des oiseaux. Lanbsp;seconde composition reproduit ou peu s’en faut Ienbsp;mème décor et les mêmes personnages, sauf quenbsp;Benoni promène une gerhe de plantes garnies denbsp;fleurs et de fruits, que Ie loup a disparu, que l’angenbsp;s’est envolé et qu’a leur place est survenu un valetnbsp;d’armcs en culottes courtes, la tête coiffée d’une sortenbsp;de turhan, un cor de drasse dans une main, la bridenbsp;d’uii cheval dans l’autre. G’est, on l’a deviné, lanbsp;découverte de la retraite de Geneviève par les geus dunbsp;comte Sigefroy, son mari.
Rien n’est peut-être plus propre que ces ornemen-tations barbares a nous faire toucher du doigt, si j’ose dire, tout ce qu’ilentra d’industrie et de patiencenbsp;dans l’humble labeur des copistes bretons. Dure etnbsp;longue était la tache, mais quelle joie aussi, et quelnbsp;orgueil, lorsqu’on l’avait enfin conduite a son ache-vement! Presque tous les manuscrits se terminentnbsp;par la triomphante formule : Finis coronal opus^nbsp;suivie fréquemment d’un Lans Deo et Maria virgini,nbsp;qui rcsonne comme un cantique d’action de graces.nbsp;Puis vient Ie (( Fait par moy... o oü rayonne si glo-rieusement la fierté du copiste. Celui-ci s'estimait
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plus heureux d’avoir dans son armoire un nouveau « cahier », quo s’il avail agrandi sa terre d’un arpentnbsp;OU enriclii son étable d’une têto de bétail. 11 y appo-sait sa signature plutót vingt fois qu’une, et nulnbsp;paraphe savamment compliqué ne lui semblait tropnbsp;beau pour la circonstance. Parfois il admettait a l’hon-neur d’inscrire leur nom aux pages du manuscrit sesnbsp;enfants et même ses domestiques. On lit, en efïet,nbsp;dans Ie Myslè.re de saint Antoine : « Je suis a servirnbsp;Jean Le Flem, fis Yves, demeurant a la parroisse denbsp;Pleudaniel ». Et cette déclaration est bravementnbsp;siguée : ((Margeuerite Toullic ‘ ». II est rare quele nomnbsp;du copiste aille sans un ex-libris soit en vers, soit ennbsp;prose. Le type de Fex libris en vers est généralementnbsp;le suivant, que j’emprunte a un mystère de Charlemagne et les douze pairs :
Ce livre apartien a son metlre Qui n’est ni religieux ni prettrenbsp;Et en cas de perditionnbsp;Francois Le Hoerou est son noms^.
Le « cas de perdition » était la cruelle éventualité redoutée de tous les possesseurs de manuscrits. « Cenbsp;présent papier apartient a moy... Celui ou celle lenbsp;trouvera a moi le rendera, je le remerciray de sanbsp;peine », dit Claude Le Bihan^ contemporain de Voltaire. Le détenteur du Mystère de saint Antoine'quot;,
1. nbsp;nbsp;nbsp;Bibliothèque nationale, fonds eelt, n° 31.
2. nbsp;nbsp;nbsp;ld., ibid., n° 33.
3. nbsp;nbsp;nbsp;Vie de Jacob. Bibliothèque nationale, fonds eelt., nquot; 1G,nbsp;F 80.
4. nbsp;nbsp;nbsp;Bibliothèque nationale, fonds eelt., n” 31.
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LES MANUSCRITS ET LES COPISÏES.
qui vivait sous Ie grand roi, s’exprime sur un ton plus véhément : « Ce présent livre apartiend a Jannbsp;Le Flem. Ce qui trouvera a moy Ie rendera a pennenbsp;detre pandu, autrement daler au galere, demeurantnbsp;an la parroisse de Pleudaniel le jour 22““ de feuvriernbsp;l’aii 1709 )). Ces fagons impérieuses devaient êtrenbsp;dans la familie, car, neuf ans plus tót, Maurice Lenbsp;Flem, oncle du précédent et le copiste, sans doute,nbsp;de la pièce, écrivait avec non moins d’énergie : « Cenbsp;livre apartient a Maurice Le Flem ce jour vingt'“''“nbsp;d’out Fan 1700. Celui ou celle qui le trouvera a moynbsp;le dit Flem le rendera ou s’il ne fêt pas le diablenbsp;l’emportera ». Vincent Gouarin, d’Yvias, tient dansnbsp;sa Vie de Jacoboeuvre de sa vieillesse, a nousnbsp;prouver qu’il n’a pas entièrement désappris sounbsp;latin : « Vincent Gouarin scribsit librum », porte lenbsp;manuscrit. Allain Le Calvez ^ veut se montrer encorenbsp;plus grand clerc et propose a notre perspicacité lenbsp;cryptogramme que voici : C2 63v92 Ippl9t328 1 743nbsp;166138 62 C16v2z D2 61 C477582 D3v31s C18t48nbsp;d2 pl37p46 D2pl9t2728t D2s C4t2s D3 849dnbsp;D23X3272 19948d3ss2728t D2 S138t B9323X. Enigmenbsp;facilement déchiffrable, dont le sens est ; « Ce livrenbsp;appartient a moi Allain Le Calvez, de la communenbsp;d’Yvias, canton de Paimpol, département des Cótes-du-Nord, deuxième arrondissement de Saint-Brieuc ».nbsp;II se pouvait qne le manuscrit comptat plusieurs pro-priétaires, qu’il fut en commandite, pour ainsi
1. nbsp;nbsp;nbsp;Ms. de la collection de M. Vallée.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Les quatre fils Aymon, ms. de la collection de M. Vallée,nbsp;fol. 43 verso.
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parler; en ce cas, il était revêtu d’iin ex-libris col-lectif, dans Ie genre de celui-ci, qne je trouve en tête d’ime Vie de Huon de Bordeaux * : lt;( Ces cahiersnbsp;appartient a les jeunes gens de Trédarzec et Poul-douran. Gelui qni aura la bonté de les avoir a lire lesnbsp;demanderont avec les jeunes gens qui sont ici après :nbsp;Le B. F., Lasb. F. et Ph. M., et les rendre sans avoirnbsp;les ofïanser ». Les noms qui se dérobent derrière cesnbsp;initiales nous sont livrés en toutes lettres quelquesnbsp;pages plus loin; ce sont ceux de Le Brouster Francois, de Lasbleiz Frangois et de Philippe Martin. Lenbsp;francais, — un francais quelque peu barbare, — est,nbsp;commeon peut voir, la langue ordinaire des ex-libris ;nbsp;c’était un signe de culture dont les copistes n’étaientnbsp;pas fachés de faire montre. Parmi les rares ex-librisnbsp;rédigés en breton, il y en a deux qui méritent unenbsp;mention spéciale. L’un figure au début d’une Vie denbsp;Mallargé^, en fort mauvais état, et présente desnbsp;lacunes, mais auxquelles il est, je crois, facile de suppleer. II est ainsi concu : Buc an lad Mallarge...nbsp;scrivel gantjan ar Menager map da fransez ar Menagernbsp;a. francean Bouz natif deus a vourcq plunet groet ernbsp;bloa mille eis cant douzec goude... eviten em devertisannbsp;a deverlisan... a den daglevet elen liep anvouy... a betnbsp;rac nen deo quel eur pescaer benac na curius quen neu-beut all. Je traduis, en restituant d’après le sensnbsp;général les mots qui manquent : « Vie du père Mal-largé (et Tristemine, sa femme), écrite par Jeannbsp;Le Ménager, fds de Francois Le Ménager et de
1. nbsp;nbsp;nbsp;Ms. de ma collection.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Id.
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LES MANÜSCRIÏS ET LES COPISTES.
Franooise Le Roux, natif du bourg de Pluzunet; faite eu I’annee mil buit cent douze, après (souper), pournbsp;se divertir et divertir (aussi les personnes) qui vien-neut 1’entendre lire saus eunui; (il n’y attache aucuiienbsp;importance) car ce n’est pas une belle pièce, ui davan-tage (une pièce) curieuse )). Voila, u’cst-cc pas? unnbsp;copiste qui parle de sou oeuvre avec désiiivolture.nbsp;N’empêche, d’ailleurs, que, chaque soir, —et le détailnbsp;est intéressant a noter, — les geus d’alentour s’em-pressaient chez lui pour la lui entendre lire, goütant anbsp;cette lecture un plaisir dout lui-mêmc, il l’avoue,nbsp;n'ctait pas saus prendre sa part. Pourquoi done ccnbsp;jugement dédaigneux qu’il porte sur la pièce et quinbsp;est si peu dans les habitudes de ses pareils? Toutnbsp;simplement paree que la Vic de Mallargé, composéenbsp;non pour émouvoir ni pour édifier, mais pour fairenbsp;rire, ne répondait plus dès lors a l’idée que les Bretonsnbsp;se faisaient du genre dramatique d’après le seulnbsp;théatre qu’ils connussent, celui des mystères. Mais, cenbsp;qui rend la pièce en question si peu digne d’estimenbsp;pour Jean Le Ménager est précisément ce qui nous lanbsp;fait paraitre a nous, sinon« belle » (elle ne Test aprèsnbsp;tout ni plus ni moins que bcaucoup d’autres),nbsp;« curieuse », en tout cas, au premier chef, puisqu’ellenbsp;constitue le principal témoignage manuscrit que nousnbsp;ayons de l’existence d’un théatre comique en Basse-Bretagne. Quant au second ex-libris en breton * auquelnbsp;je faisais allusion tout a l’heure, il offre cette particular! té qu’il est en alexandrins, quoique lepoète, peut-
1. Robert le Viable, ms. de la collection La Uorderie.
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LE TUEATRE CELTIQUE.
être par une humilité d’amc dont il va nous doiiner d’autres marques, les ait écrits saus les sóparer,nbsp;comme s’il s’agissait d’une vulgaire prose. Je trans-cris Ie morceau en rétablissant les vers dans Ie passagenbsp;versifié :
Fin da vue Robart pchinin a virit ad tantion.
... Me ameus desir a bolontó Da vezan iscusset ganl au neb en lénfénbsp;Rag goud a rayoing er fad deus ar fauto so ennannbsp;Ne don en neb faison capab dan icrivan.
Deus el levr ancien emeus an copiet Ac avoa arry quen fal e len na iilit quet.
[Fin dc la vie de Robert {Lo Diablo) laquelle mérite attention
... J’ai désir et volonLé D’être excuse par qui la pourra lire,
Car on verra bien, par les fautes qu’ellc contient,
Que je ne suis en nulle manière capable de l’écrire. D’un livre ancien je Fai copiée
Et qui était arrivé a un point de délabrement tel qu’il
[en était illisible.]
Cela est signó : « Nicolas Le Bourva » et daté du « dix-huit mai mil buit cents douze », c’est-a-direnbsp;oxactemcut de la memo anuée oü Joan Le Ménager,nbsp;de Pluzuuet, s’cxcusait de faire oeuvre frivole, pournbsp;l’agrément de ses voisins et le sieii propre, en tra-vaillant a la Vie de Mallargé ct de sa femme Triste-mine. La coincidence est d’autant plus piquante quenbsp;le bon Nicolas Le Bourva s’excuse, lui aussi, — etnbsp;avec quellc humilité! — mais c’est d’etre resté au-dessous de sa tache, d’avoir été le scribe incorrectnbsp;d’uue Vie qui « méritait »taut« d’attentiou », de n’eunbsp;léguera la postérité qu’ime image imparfaite, calquee,
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il est vrai, sur uii modèlc plus imparfait encore. En quoi il se révèle, l’excellent homme, d’une consciencenbsp;singulièrement scrupuleuse et délicate. Car sonnbsp;manuscrit n est ni meilleur ni pire que la plupartnbsp;des toxtes analogues. Et il a du moins pour lui qu’ilnbsp;est intact et d’une large écriture cursive, tres nette etnbsp;tres soignée.
Pauvre vieux Le Bourva! G’est a dessein que je l’ai nommé en dernier lieu, afin d’inangurer i3ar lui lanbsp;galerie des transcripteurs de mystères bretons, tellenbsp;qu’ils nous aident eux-mêmes, dans de brèves indications, a nous la représenter. II est, en eiïct, possible, grace aux ex-libris, de dresser, non seulementnbsp;le catalogue, mais une sorte d’etat civil des copistes.nbsp;Presque tous, pour ne pas dire tous, sont des gens dunbsp;pcuple, gagnant leur pain a la sueur de leur front, etnbsp;que Ton peut distribuer en deux catégories princi-pales : d’une part, les artisans, voucs a des métiersnbsp;sédentaires; de I’autre, les cultivateurs.
Parmi les artisans, on s’attendrait a trouver en première ligne les meuniers et surtout les tailleursnbsp;qui, ceux-ci en poussant leur aiguille, ceux-la onnbsp;piquant leurs meules, ont enrichi la poésie populairenbsp;bretonne de tant d’inspirations tragiques on plai-santes, sentimentales on satiriques. Mais, si leur travail solitaire leur laissait la tête libre pour composernbsp;des chansons, il ne lenr permettait guere, en revanche,nbsp;de s’installer a une table pour ecrire. Sauf les inter-valles de repos, le meunier passait les jours et les nuitsnbsp;grimpé dans les rouages de son moulin, et le tailleur,nbsp;do son cóté, vivait toute la semaine hors de chez lui.
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sans cesse appelé de ferme en ferme, partant matin, rentrant tard, découchant même, lorsque la distancenbsp;était trop grande. Ils n’étaient, ni l’un ni Tautre, dosnbsp;lud ar gér, des (( hommes de logis )). 11 en allait tontnbsp;difïércmmcnt de la corporation des tisserands, sinbsp;répandne en Bretagne oii l’industrie de la toilc futnbsp;longtemps la source des plus abondantes prospéritcs.nbsp;Des bourgades entières, comme Saintc-Croix auxnbsp;portes de Guingamp, comme Locronan dans la Basse-Cornouaille, n’étaient peuplées que de tisserands. lisnbsp;foisonnaient pareillemcnt dans les campagnes. Lenbsp;plus maigre hameau avait le sien, toujours assure denbsp;plus de travail qn’il n’cn pouvait faire, les paysansnbsp;d’alors no s’habillantquede toile filée parlenrs femmesnbsp;et fabriqnée sur place. Aussi le tisserand étaitnl, anbsp;l’ordinaire, un hommc relativement aisé, en tont casnbsp;a l’abri du besoin. D’autre part, exergant a demeurcnbsp;sa profession, il ne dcpcndait quo de lui-même, étaitnbsp;maitrc de terminer sa journée quand bon lui semblait.nbsp;Dès que la lucarne percée dans le mura la hauteur donbsp;son front ne lui cnvoyait plus assez de clarté pournbsp;continuer sa tache, il quittait le métier, respirait unnbsp;instant le frais sur son seuil, puis, devenu casanicrnbsp;par gout a force de I’ctre par état, allait attendre, lesnbsp;pieds sous la table do la cuisine, quo le repas du soirnbsp;flit servi. Or, que faire devant une table, a moins quenbsp;Ton ne prenne livre on plume on main, pour peu quenbsp;Ton ait, comme la plupart des Bretons même dégrossisnbsp;il peine, I’amour, le culte, voire la superstition tiesnbsp;choses do I’esprit? Et, les mysteres étant la seulenbsp;forme dc littératurc que connut la Bretagne de cette
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LES MANUSCRITS ET LES COPISTES.
époque, Ie tisserand lisait, écrivaitdes mystères. Nous devons a la « confrérie de la navette » bon nombre desnbsp;manuscrits que nous possédons. C’était un tisserandnbsp;que Joseph Le Cerf * , « demeurant dans la communenbsp;de Plouezec, agé de quarante-huit ans dans Fan 1831 »;nbsp;c’était un tisserand aussi que Jean Conan dontnbsp;j’aurai a traitor plus tard, non pas comme d’unnbsp;copiste sculement, mais comme d’un auteur; et c’étaitnbsp;enfin un tisserand, que ce Nicolas Le Bourva avecnbsp;lequel nous sommes déja entrés en rapports. Pour lenbsp;surplus, les renseignements qu’il nous fournit sur sanbsp;biographic tiennent en quelqucs mots. Tout ce qu’ilnbsp;juge a propos de nous apprendrc, c’est qu’il était denbsp;(( Ploumilliau », comme Jean Conan, son émule et sonnbsp;contemporain, et qu’en « mil huit cent douze » il ynbsp;exergait sa « protection », dans la(( section de Kerdu...nbsp;au pettit convenant nommé Convenant Lejeune ounbsp;Yaouvanc ». On me permettra de compléter cette tropnbsp;courte notice a 1’aide de souvenirs personnels. Ploumilliau a été le pays de mon enfance. Une de nos joiesnbsp;de gamins, a mes camarades et a moi, était, l’hiver,nbsp;la classe linie, de nous réunir chez un tisserand dunbsp;voisinage qui nous faisait volontiers accueil, pareenbsp;qu’il aimait autant a conter des histoires que nousnbsp;étions avides d’en ouïr. On l’appelait Fanch ar Bourva.nbsp;11 avait des dehors étranges. Sa tête, sou cou, sonnbsp;corps, tons ses membros étaient minces et longs,nbsp;d’une longueur démesuréo. Lorsqu’il était en action,nbsp;a son métier, il nous produisait 1’elïet d’une araignée
1. nbsp;nbsp;nbsp;Vie de VAntechrist, ras. do M. Vallée, p. löö.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Cf. Luzel, Notes manuscrites de voyage.
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gigantesque. Une fois il nous expliqua qne c’était de faire aller sans trèv^e Ie peigne et les pédales, qui luinbsp;avait éliré de la sorte les bras, Ie buste et les jambes.nbsp;Nous Ie crümes, car il s’exprimait sur un ton senten-cieux qui dounait a tout ce qu’il disait un accentnbsp;d’autorité profonde. Nous neprotestames point davan-tage quand il ajouta que son père était encore plusnbsp;long que lui. II nous parlait souvent de son père.nbsp;(( C’était riiomme Ie plus savant de la contrée »,nbsp;affirmait-il, « quoiqu’il n’eüt été aussi qu’un simplenbsp;ourdisseur de toile. Jeune, il avait eu des lemons denbsp;Cloarec Prat, te (( clerc » magicien qui avait Ie donnbsp;de seconde vue et connaissait un secret pour pénétrernbsp;dans les maisons par Ie trou des serrures. S’il avaitnbsp;voulu, il eiit été riche, trés riche, car il pbssédait unenbsp;baguette qui indiquait d’elle-même oü étaient cachésnbsp;les trésors. Mais il n’aimait que les livres, les livresnbsp;rimés. II en avait copié beaucoup de sa main. » Et,nbsp;pour nous montrer quel remarquahle a écrivain »nbsp;avait été son père, Fanch ar Bourva étendait Ie brasnbsp;vers la lucarne, y cueillait une poignée d’antiquesnbsp;papcrasses et, après les avoir étalées sous nos yeux,nbsp;mais avec défcnse d’y toucher, se mettait a nous ennbsp;lire des passages, d’une voix de tonnerre accompagnéenbsp;de gestes effrayants. « II n’y a rien de beau commenbsp;une tragédie », déclarait-il, la lecture achevée, en es-suyantdu revers de la manche ses tcmpes ruisselantosnbsp;de suenr. II poussa la passion dn drame jusqu’anbsp;mourir Iragiquement. Un matin, nous apprimcs qu’ilnbsp;avait été trouvé pendu a 1’une des poutres de sa chau-mière, serrant dans son poing crispó la chevelure do
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LES MANUSCRITS Eï LES COPISÏES.
sa femme qui s’était levée pour appeler au secours. On s’étonnait qu’il eüt réussi a sc douner la mort: sanbsp;lête heurtait presque la solive a laquelle était accro-cliée la corde, el Ie bout de ses piecls nus effleurait Ienbsp;sol. Ce fut Ie signal de la dispersion pour les manus-crits que lui avail légués sonpère.Un d’eux du moinsnbsp;a eu la chance— après quellcs vicissitudes! — d’ar-river jusqu’a la bibliothèque de A. de la Borderie. IInbsp;est, je l’ai dit, d’une belle et ferme écriture. Le copistenbsp;était certainement aussi expert a manier la plume quenbsp;la navette. Et j’ai pu constater par la, non sansnbsp;plaisir, que tout n’était pas illusion filiale dans lesnbsp;discours de Fancli ar Bourva.
Le groupe des cultivateurs est beaucoup plus nom-breux que celui des artisans. Nous en avons déja rencontré quelques-uns, tels que Jean Le Moullec',nbsp;de Loguivy-lez-Lannion; Étienne Le Bourdonnec^, dunbsp;lieu de Kerdual, en Vieux-Marchó; Vincent Gouarinnbsp;« fils d’Yves, demeurant prés La Magdaleine )), ennbsp;Plouézec, et « Ollivié Le Calvez‘, fils de Allain », denbsp;cette mème « paruoyse » de Plouézec, (( situé auxnbsp;vilag du ïoulguen, aux colé dux boit, départemannbsp;du Coté dus Nor ». Au premier rang de tous il fautnbsp;placer les Le Bihan. lis formèrent une véritablenbsp;dynastie de copistes dont nous suivons l’histoire pen-
1. nbsp;nbsp;nbsp;Copiste, pnr exemple, du Myslere de la Creation. BiLlio-tlièque nationale, fonds cellique, nquot; 12.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Copiste de la Vie des quatre fils Aynion, ms. Luzel, Liblio-thèque de Quimper.
3. nbsp;nbsp;nbsp;Copiste, par exemple, de la Vie de Jacob, ms. do la collection de M. Vallée.
4. nbsp;nbsp;nbsp;Robert le Viable, ms. de la collection de M. Vnllcc.
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dant deux générations. Le fondateur de la dynastie fut Claude Le Bihan, l’ancien, flls de « Jacquesnbsp;Le Bihan et Jacquette Le Bougeant nó vers 1738,nbsp;puisqu’en 1763 il ctait « aagé aviront 26 ans ». Dansnbsp;sa Vie de saint Garan', a la date de 1764, il se ditnbsp;« actuellement de Pluzunet ». C’cst done qu’il n’ennbsp;était pas originaire. Co fut sans doute son mariagenbsp;avec une hóriticre de l'endroit qui Tamena, peu avantnbsp;1760, a se fixer au « Convenant Fiblec », dans lanbsp;« frérie du Dannot )), oü sa descendance semblenbsp;s’être éteinte dans la seconde moitié du xix“ siècle,nbsp;a moins qu’elle n’ait émigré vers d'autres parages. Lanbsp;transcription des mystères dut être ebez lui une vocation. Nous 1’y voyons vaquer avec une sorte d’achar-nement. De 1760 a 176ö, il trouve le temps de rédigernbsp;quatre manuscrits^ de quelque deux cent cinquantenbsp;pages chacun, en conduisant jusqu’a deux ettrols denbsp;front dans la mêmeannée. II eut en son flls, « Claudenbsp;Le Bihan le jeune », un digne successeur.
Non que celui-ci se révèlo proprement a nous comme un copiste. II ne parait pas qu’il ait ajouténbsp;aux richesses paternelles. Mais il mit tons ses soins anbsp;les consorver, a los entrotenir et, comme il dit, a lesnbsp;« collationner ». Son père, en lui léguant ses manu-scrits, lui avait légué son ame, et cette ardeur héroïque,nbsp;cette flèvre de la tragédie dans laquelle il avait con-
1. nbsp;nbsp;nbsp;Ms. do ma collection.
2. nbsp;nbsp;nbsp;En 1760, Creation du Monde (ms. de ma collection); ennbsp;1763, Saint Jenn-Baptisle (ms. de la übliothèque nationale,nbsp;fonds eelt., n° W); en 1704, Vie de saint Garan (ms. de ma collection); en 1765, Vie de Jacob (ms. de la Bibliothèque nationale, fonds eelt., n” 10).
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sumé ses loisirs. La physionomie de ce Claude Le Bihan, deuxième et dernier du nom, mérite qu’on s’ynbsp;arrête. II n’en est pas cjui moritrc mieux a quel degrénbsp;d’ivressc intellectuelle pouvait s’cxaltcr la passion dunbsp;theatre dans le cerveau d’un paysan breton.
Lorsque Luzel commen^u ses premières explorations dramatiques, vers 1843 ou 1845, les cnfants de Claudenbsp;Le Bihan n’avaient pas encore quitté le Dannot.nbsp;Introduit chez eux par un ami de la familie, il futnbsp;autorisé a « fouiller a discrétion dans l’armoire oünbsp;l’on avait entassé pêle-mêle les livres et los manu-scrits » du chef défunt. L’inventaire de cette biblio-thèque campagnarde, dans laquelle, malheureuse-ment, d’autres visiteurs avaient déja fait leur choix,nbsp;se composait de quelques volumes de théologie etnbsp;d’histoire sainte, d’antiques traités de médecine etnbsp;d’un tome dépareillé de la Maison ruslique. Claude Lenbsp;Bihan s’occupait, en eiïet, des choses les plus divorses.nbsp;On le disait savant comme un prêtre, et qu’il lisait lenbsp;latin aussi couramment que le breton. De plus, ilnbsp;s’entendait aux maladies des geus et des bêtes. « IInbsp;était tres renommé pour I’inspection des eaux », « ilnbsp;relevait les cótes » et connaissait des formules secrètesnbsp;pour « guérir par oraison ». Le bruit public voulaitnbsp;mème qu’il fut sorcier. Et comment admettre qu’ilnbsp;ne le fut point, puisque, de son propre aveu, il possé-dait un Agrippal
J’ai dit ailleurs' les vertus magiques que prête, aujourd’huiencore, la superstition bretonne ace livre
I. La légende de la Mort chez les Bretons armoric.ains, 2“ éd., t. I, pp. 322-329.
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singTilier. Toute personne qui en a un excmplniro ii sa disposition, et qui sait Tart de s'en servir, estnbsp;censée revêtue d’nn pouvoir mystérieux, siirhumain,nbsp;snrnaturel, infini pour Ie bien comme pour Ie mal;nbsp;elle inspire a la fois la crainte et la vénération; onnbsp;redoute de se rencontrer avec olie et, néanmoins, onnbsp;la recherche; on ne prend jamais une décision grave,nbsp;sans l’avoir consultée au préalable, oii plutót sansnbsp;l’avoir priée de consulter VAgrippa. C’est une consultation laborieuse, car VAgrippa est un livre d’unenbsp;espèco rare, un livre animé, un livre vivant, et quinbsp;n’est pas toujours en humeur de se laisser feuilleter.nbsp;Aussi Ie tient-on captif, attaché par une chaine de fernbsp;a une poutre dans une chamhre fermée a clef. Dèsnbsp;qii’on s’en approche, il hérisse ses pages et saute,nbsp;hondit, se démëne comme un heau diable qu’il est. IInbsp;faut, pour Ie rendre docile, Ie rouer de coups et, Ienbsp;plus souvent, il ne cède qu’après un furieux combat.nbsp;Tons ces détails, Luzel les connaissait, pour les avoirnbsp;entendu conter vingt fois aux veillées de Keramborn.nbsp;Mais jamais encore il ne lui avait été donné de con-tcmpler un Agrippa. Aussi n’était-il pas peu curieuxnbsp;de découvrir comment était fait celui de Claude Lenbsp;Bihan. a Dans le coin le plus reculé de l’armoire »,nbsp;écrit-il, « je trouvai deux petits cahiers manuscritsnbsp;reliés en parchemin. Je m’en saisis hien vite ’... »nbsp;L’un d cux contenait des recettes, des formules, desnbsp;(( oraisons » pour toutes les maladies possibles etnbsp;imaginablos; l’autro était \’Agrippa chcrchc. Je l’ai
1. Rapport inedit de Luzel.
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LES MANUSCRITS ET LES COPISTES.
SOUS les yeux eu ce moment. C’est un livret tlo 82 pages, du format in-18. Eu tète de la page de garde,nbsp;on lit : (( Ce livre apartien a moy Cornaille Agripa ».nbsp;La page suivantc porte ce titre qui nous rcnseignenbsp;suffisamment sur sa provenance : « Les oeuversnbsp;(oeuvres) magiques de Henry Cornaille Agrypa, latinnbsp;et francois, avec les segret occutte (occultes), hepta-meron ou les ellemen magiques de Pierre Abon, phi-losophe, disciple de Corneille Agrippa; des venusnbsp;(venues) des heures et des anges qui y président;nbsp;des couseqution et bénédiction avec Ie gran pen-tatte (pantacle) de Salomon; de facon de Ie fairenbsp;l’opération; en un mot, il y a trois facon de senirnbsp;(venir) abent ‘ de eest entre prise facilement en peunbsp;de tems et peu d’embarras ». Ce fameux Agrippanbsp;n’est, on Ie voit, qu’une transcription, bizarrementnbsp;ortliographiée, du livre de colportage intitulé : Lesnbsp;ceuvres magiques de Hetij'i-Corneille Agrippa parnbsp;Pierre d'Aban, lalin et francais, avec des secretsnbsp;occultes La brochure est tont entière de la main denbsp;Claude Le Bihaii 1’ancien; Claude Le Bihan Ie jeunenbsp;s’est contenté d’y adjoindre, dans les dernières pages,nbsp;trois formules de sorcellerie, la première (( pour arreternbsp;court une ou plusieur personnes », la seconde « pournbsp;connetre une voleur », la troisième « pour anpechernbsp;une chiens d’aboier ». Celle-ci est, sans contredit, lanbsp;plus surprenante. Elle exige le serment solennel « parnbsp;la vertu )) de certain organe que, seul, Rabelais auraitnbsp;l’impertinence de nommer.
1. nbsp;nbsp;nbsp;G’cst le breton a benn « ii bout ».
2. nbsp;nbsp;nbsp;Réimprimé a Liège, 1788.
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Luzel se demande avec mélancolie « comment un homme de l’intelligence de Claude Le Bihan pouvaitnbsp;croire a de pareilles absurdités ». Car, ^ ajoute t-il, —nbsp;(( je suis convaincu qu’il était de bonue foi ». Oh!nbsp;saus aucun doute. Mais il était aussi de sou pays etnbsp;de sou temps, c’est-a-dire de la fin du xviu® siècle, ennbsp;apparence, du xiii“ oii du xiv' siècle, en réalité. « J’ainbsp;vu le monde primitif », dit Renan. « En Bretagne,nbsp;avant 1830, le passé le j)lus reculé vivait encore'. »nbsp;Et estdl done si sur qu’anjourd’hui même il ait com-plètement disparu? C’est, après tont, a cette formenbsp;de mentalité que Claude Le Bihan devait égalementnbsp;sou culte enthousiaste pour la littérature des mys-tèros. II le célébrait avec une ferveur toutc religieuse,nbsp;au témoignage de Luzel. II avait, a Pluzunet, pöurnbsp;communier avec lui dans cette dévotion, un fourniernbsp;du bourg, dont nous avons déja relaté le nom, Jeannbsp;Le Ménager^. ïous les dimanches, a Tissue de vêpres,nbsp;ils se donnaient rendez vous dans une auberge quinbsp;n’a pas perdu le souvenir de leurs séances. J’ai punbsp;m'y faire montrer encore leur place favorite, au fondnbsp;d’une salie basse prenant vue sur le cimetière quinbsp;garde leur dépouille. Ils s’attablaient la, Tun en facenbsp;de Tautre, pour deviser, tout en vidant « force cho-pines de cidre et d’hydromel », des pièces dont ilsnbsp;possédaient des manuscrits, des representations aux-quelles ils avaient assisté, des róles qiTils y avaientnbsp;tenus. La boisson aidant, peu a peu ils s’animaient,nbsp;s’échauffaient. Des tirades leur montaient aux lèvres.
1. nbsp;nbsp;nbsp;Souvenirs d’enfance et de jeunesse, p. 87.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Voir plus haut p. 208-209.
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Joueurs de cartes et joueurs de boules, attirés par l’éciat des voix, faisaient eerde autour d’eiix pour lesnbsp;écouter.’ La présence, Fattention, Fapplaudissementnbsp;de eet auditoire improvise adievaient de les transporternbsp;en pleine illusion. Ils n’étaient plus dans une étroitenbsp;salie d’auberge, mais sur les tréteaux d’un theatre,nbsp;devant une arène immense, noire de foule, resplendisnbsp;santé de soleil, comme aux grandes journées d’antan.nbsp;Campés debout maintcnant, Ie verbe haut et les yeuxnbsp;enflammés, ils rivalisaient de grandiloquence, décla-maient, mimaient, gesticulaient a qui mieux mieux.nbsp;L’heure du couvro-feu avait sonné, que, comme lesnbsp;deux champions de la IJrjende des siècles, ils se mesu-raient encore. C’étaient Roland et Olivier aux prises.nbsp;Même après que Fhótesse, pour ohéir au règlement denbsp;police, les avait congédiés, ils ne seséparaientpas. Dunbsp;bourg de Pluzunet au Dannot il y a prés de deux kilometres. Jean Le Mónager ne se faisait pas prier pournbsp;accompagner jusqu’a sa demeure son ami qui, a sonnbsp;tour, le reconduisait, quitte a le ramener de nouveaunbsp;pour le reconduire une seconde fois. II n’était pas rare
— nbsp;nbsp;nbsp;conflèrent a Luzel les enfants de Claude Le Bihan
— nbsp;nbsp;nbsp;que ces allées et ces venues, coupées de haltes et denbsp;buvailleries chez 1’un et 1’autre des deux compères, senbsp;continuassent une bonne moitié de la nuit. II va denbsp;soi qu’ils ne cessaient, tout ce temps, de se donner lanbsp;réplique et de rugir des vers. Les échos de leurs voixnbsp;emplissaient Fespacc, faisaient retentir au loin lenbsp;silence des champs assoupis. Dans les chaumièresnbsp;disséminées sur le parcours, les gens, réveilles ennbsp;sursaut, se dressaient sur leur séant, tendaient un
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LE THEATRE CELTIQUE.
instant l’oreille, puis, roconnaissant la psalmodie alternée des deux incorrigibles noctambules, se recou-chaient en disant : « Voila Ie vieux du Dannot et Ienbsp;fonrnier du bonrg qui sont encore en train de Iragé-dier 1! ))
Ce n’était vraiment pas un type banal, ce Claude Le Bihan, et peut être ne saurais-je mieux clore quenbsp;par lui cette rapide étude sur la condition sociale desnbsp;principaux copistes bretons. Mais, après avoir nomménbsp;le fonrnier Jean Le Manager, je n’ai pas le droitnbsp;d’omettre FaubergistePliilippe Martin dont le « debit »nbsp;a été longtemps, a Pleumeur, une véritable école denbsp;declamation liantée par tous les jeunes paysans de lanbsp;(( Presqu’ile ». Et enfin, et surtout. Pon m’en vou-drait, je pense, de ne rappeler point ici le seul hommenbsp;qui, parmi cette kyrielle de terriens, représente lanbsp;mer, le « matelots » Jean-Marie Lesquélen. Son casnbsp;est particulièrement touchant. Pleudaniel, oü il avaitnbsp;son domicile, est situé sur l’estuaire du ïrieux, anbsp;deux lieues a peine de Paimpol, la petite capitalenbsp;maritime du Goélo, le centre des armements pour lanbsp;pêche d’lslande. Faisait il les dures campagnes hyper-boréennes? Naviguait-il au commerce? Nous nenbsp;savons. Mais ce qui est hors de doute, c’est qu’aussitótnbsp;débarqué, il n’avait rien de plus pressé que de saisirnbsp;la plume du copiste dans ses doigts noueux, raidisnbsp;par les manoeuvres du bord ou tailladés par la mor-sure du vont polaire. Et, lorsqu’il était pour repartir,nbsp;sa grande preoccupation, nous l’avons vu, était de
1. Luzc], Notes tnaiiuscriles de voyage.
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réglcr en son absence, par ime espècc de codicille testamentaire, Ie sort do son manuscritb Quelle preuve plus éloquente pourrait-on invoquer de l’cxtraordi-naire seduction exercée par Ie theatre sur 1’amc, toutenbsp;primitive et toute fruste encore, du peuple breton?
Quand on vient de parcourir, comme je l’ai dh faire, l’erisemble de la production dramatique armo-ricaine, dans une centainede manuscrits qui, presquenbsp;tons, datent soit de la seconde moitié du xvni' siècle, soit de la première moitié du xix“, on a l’im-pression d’une Bretagne tout entière vouée, durantnbsp;cette longue période, si féconde en óvénements, anbsp;la taclie solitaire et snrannée de pcrpétuer pour lesnbsp;générations futures les textes qui constituent Ie plusnbsp;clair, sinon Ie meilleur, de sonpatrimoineintellectuelnbsp;De quelque cóté que l’on jctte les yeux, l’on n’aper-foit que gons appliques a transcrire patiemment lesnbsp;oeuvres héritées des ancêtres. Qu’ils mènent la charmenbsp;OU la barque, qu’ils tissent la toile on pétrissent lanbsp;paté, tons, sitót Ie soir tombé, s’absorbent avec unenbsp;égale conviction dans leur ingrate besogne de copistos.nbsp;Voyez, au fond des grands espaces nocturnes, sousnbsp;les chaumes bas, dans leur ctroit cncadremcnt denbsp;pierro grise, ces mennes vitres mal éclairées : d’hnm-bles paysans sont la qui veillent et peinent sur desnbsp;grimoires. Autour d’eux los temps se précipitent : lanbsp;face de la terre est bouleversée; un monde meurt, unnbsp;autre nait; la Révolution, puis l’Empire passent,nbsp;ébranlant l’Europe. Jusque dans 1'inaccessible tour
1. lübliotliCquc niUionale, fonds cclLiquo, n° 34.
224 LE THEATRE CELTIQUE.
des idéés piires un Kant memo en a tressailli. Mais eux, non. Emmurés dans leur chimère, ils n’ont pasnbsp;levé la tête; leur attention ne s’est pas un instantnbsp;distraite de la page commencée; tranquillement, posé-ment, leur main a continué d’écrire; et c’estavec unenbsp;simplicité de coeur exempte de toute ironie qu’ilsnbsp;accolent en linissant les noms de « nivose » ou denbsp;(( prairial » a telle copie de mystcre de la Passion ounbsp;de la Vie de l’Antechrist. Renan les eüt aimés, jenbsp;pense, pour ce trait peu commun d’idéalisme breton.nbsp;Les ((tragédies » dont ils s’enchantaient furent toutnbsp;leur univers. Ils ne concevaient rien de plus beau ninbsp;de plus captivant. En quoi ils firent preuve peut-êtrenbsp;de plus de naïveté que de goüt. Mais a quelle écolenbsp;ces travailleurs obscurs auraient-ils pris des legonsnbsp;de goüt? Félicitons-les plutót d’en avoir manqué, sinbsp;pourtant c’est a leur ingénuité seule que nous devoirsnbsp;la préservation quasi compléte d’une littérature dontnbsp;il n’aurait survécu sans eux qu’un trés petit nombrenbsp;de textes épars.
-ocr page 241-ORIGINE FRAN^AISE DE LA LITTÉRATURE DRAMATIQUE BRETONNE
Importance de rélément francais dans la culture bretonno. — Les premières oeuvres en breton. — L’imprimerie en Bretagne. — Diffusion des ouvrages francais. — Les vestiges d’unnbsp;ancien tluVitre national, d’après Ie vicorate do In Villemnrqiic. —nbsp;La date du « Grand Mystère de Jésus » et cello de la Lie denbsp;sainte 'Nonn. — Lc Tbédtre francais en llaute-Bretagne. —nbsp;Les premières representations dramatiquos en Basse-Bre-tngne.
J)e ce que cette liltérature a troiivé eii Bretagne, ct jusqu’a nos jours, des adeptes si fervents, on serait,nbsp;semble-t-il, en droit de conclure non seulement qu’ellenbsp;répondait a merveilleaux aspirations les plus intimesnbsp;de Tame bretonne, mais encore qu’elle fut, siiion dansnbsp;Ia matière, au moins dans la forme, une création per-sonnelle, spontanée, originale, du génie armoricain.nbsp;Et telle est, en effet, 1’opinion de Souvestre *; tellenbsp;aussi, quoique a vee des restrictions, celle du vicomtenbsp;de la Villemarqué^ Nous aurons lieu de montrerplus
1. nbsp;nbsp;nbsp;Les derniers Bretons, t. I, pp. 238-243.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Le grand mysière de Jésus, Introduction, p. Ixxvij.
15
-ocr page 242-226 LE ÏIIEATRE CELTIOUE.
loin, par des prenvcs tirées dos oeuvres elles-mêmes, que cette opinion n’cst pas soutenable. Mais, avantnbsp;d’aborder directcment Ie problème, il est utilc denbsp;rocherclier si, historiquement, il y a cu une culturenbsp;bretonnc, quelle elle a pu ctro, et dans quelles conditions ellc s’est dévcloppée.
II ii’est pas douteux que, jusqu’au ix' siècle, Ie bretonait étóla seulelangue parlée paries emigrants,nbsp;aussi bien dans l’aristocratie que dans Ie people. Mais,nbsp;dès cette époque, la conquête par les Bretons des paysnbsp;de Rennes et de Nantes introduit « dans la constitution de la nationalité bretonnc un clément francaisnbsp;important' ». Get élément tranf.ais s’accroit encore anbsp;la suite de la grande invasion normande du x' siècle.nbsp;Trop divisés pour résistcr, les Bretons quittent leursnbsp;nouveaux établissements ou passent sous Ie joug desnbsp;vainqueurs. Beaucoup des chefs ont succombé dansnbsp;lalutte; d’autres ont repris la mer ct regagné leurnbsp;ancienne patrie. Les moines, dépositaires des traditions et des richesses intellectuelles de la race, ontnbsp;fui dans toutes les directions, en France, en Bourgogne, en Aquitaine, emportant avec eux dans leurnbsp;exode leurs trésors, leurs manuscrits et les reliquesnbsp;de leurs saints. En 938, Alaiii Barbe-Torte, revenunbsp;d’Angletcrre, cliasse les Normands. Mais, dans 1’in-tervallc, la languc a perdu la majeure partie du solnbsp;naguèrc bretonnisé. « Après avoir envahi toutes lesnbsp;Cütes delapéninsule armoricaine, depuis Ic Couesnonnbsp;jusqu’a la Loire, après avoir dominé dans les anciens
1. J. Loth, Chrestomathie bretonnc, p. 237.
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évêchés de Dol, Saint-Malo, Saint-Brieuc, ïréguier, Léon, Cornouaille, Vannes, sur la cóte nantaise, et,nbsp;al’interieur, commence a francliir dès Ie vim-ixquot; sièclenbsp;la Vilaine même, aux environs de Redon, Ie breton senbsp;trouve, dès Ie xi®-xii“ siècle, brusquement rejeté versnbsp;rOuest et occupe, dès cette époque, a peu prés lesnbsp;mêmes positions qu’aujourd’hui»
Lc retour des chefs bretons ne ressuscita pas l’an-tique civilisation bretonne. Le régime de la tribu cel-tique, du clan, disparut pour faire place au régime du lief Et, avec cette organisation sociale d’originenbsp;étrangère, pénétrèrent du dehors d’autrcs idéés etnbsp;d’autres moeurs. Les seigneurs s’allièrent avec desnbsp;families frangaises. Le due Geoffroi Iquot; épousa unenbsp;femme normande. La grand’mèrc de Guillaume lenbsp;Conquérant était bretonne, son tuteur aussi, et lui-même donna sa fille au due Alain Fergent. A partirnbsp;de la conquête de l’Angleterre a laquelle ils prirentnbsp;une part active, les Bretons furent entrainés dansnbsp;l’orbite anglo normande. L’aristocratie devint exclu-sivement frangaise de langue et de culture. Les duesnbsp;de la race d’Hoël n’entendaient plus le breton. Lenbsp;frangais fut la langue officielle, la langue de l’admi-
1. nbsp;nbsp;nbsp;J. Loth, Chrestomathie bretonne, p. 237. Je crois savoirnbsp;cependant que M. Loth apporterait aujourd’hui quelques restrictions a ces lignes écrites en 1890. 11 s’cst, en cllet, eonvaincunbsp;depuis lors que toute la cöte sud (péninsule guérandaise,nbsp;canton do la Itoche-Bernard, .Vluzillac, Elven, Idunielec, Tré-dion, etc.) n’a perdu le breton qu’ii l’époque moderne.
2. nbsp;nbsp;nbsp;« U'ailleurs, la constitution du clan avait sans doute éténbsp;fort atteinte, sinon complèteinent brisée, par le fait même denbsp;rémigration et les hasards de I’etahlissement en pays étranger.nbsp;(J. Loth, L'e'migration bretonne en Armorique, p. 232.)
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nistration et de la cour. « Les jeunes geus qui bri-guaient les fonctions publiques n’y poiivaient pré-tendrequ’a la condition de posséder cette langue. Ils allaient l’apprendrc dans les villes oü se trouvaientnbsp;les maitres capables de la leur enseigner. C’est ennbsp;fraiifais qu’ótaient rcdigés les mandements du due,nbsp;les pièces de la cliancellerie, les arrêts des tribunaux,nbsp;les actes des notaires. Les gentilshommes, les membres du clergé, les juges, les avocats, les officiersnbsp;municipaux faisaient usage de cette langue dans tousnbsp;les actes de la vle. Avant Ie règne de Francois II, lanbsp;Bretagne n’avait pas d’Université. Les jeunes gens,nbsp;après avoir commence leur instruction dans les écolesnbsp;de la province,... allaient suivrc les cours des Univer-sités de Paris ou d’Angers L » D’aucuns, comme saintnbsp;Yves, poussaient jusqu’a Orleans. Rentrés chez eux,nbsp;ils y devenaient des agents de francisation. Que l’onnbsp;joigne a cela les foires, les marches, les relationsnbsp;commerciales et politiques, les occasions perpétuellesnbsp;de rencontre entre gens des deux pays, et l’on con-viendra que la Bretagne était toute frangaise de fait,nbsp;longtemps avant qu’clle Ie fut de nom.
Le breton sans doute ne périt point. Mais il n’eut plus désormaisqu’une existence misérable et précaire,nbsp;analogue a celle du cornlque, son triste frère d’outre-Manche. S’il avait jamais été enseigné, il cessa doré-navant de Pètre. Les petits hobereaux, le bas clergé,nbsp;les marchands des villes furent, avec le menu peiiplc,nbsp;les seuls a le parler couramment. N’étant plus cul-
1. Dupuy, IHstoire de la reunion de la Bretagne a la France, 1. n, pp. 378-379.
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tivé, il s’appauvrit, s’exténiia. Pour reparerses pertes, il s’assimila, an risque de tourner en jargon, unnbsp;nombrc considerable de mots frangais. Si bien que lanbsp;langue elle-mème se francisa, comme le reste. Etnbsp;c’est I’aspect sous lequel elle nous apparait dans lesnbsp;premiers textes suivis qu’elle nous ait laisses, dontnbsp;les plus anciens ne remontent pas au-dela des der-nieres années du xv' siècle.
I
¦4»
Est-ce a dire qu’il n’y ait eu, anterieurement a cette date, ni culture, ni littérature bretonne? Assurémentnbsp;pas. Et Ton a plutót des raisons de penser que cer-taines traditions litteraires celtiques se maintinrentnbsp;en vigueur, puisque, selon la juste rcmarque denbsp;M. Loth, (( on ne saurait s’expliquer la conservationnbsp;jusqu’au xvi” siècle du système si compliqué de lanbsp;versification bretonne, — système dont les traitsnbsp;essentiels se retrouvent dans la poésie du pays denbsp;Galles et de la Cornouaille anglaise, — saus unenbsp;école de bardes ou de trouvères bretons ». Que leursnbsp;oeuvres aient disparu, la chose n’est point pour sur-prendre, « en dehors des accidents qui atteignent lesnbsp;manuscrits, si l’on songe que la production littérairenbsp;savante était forcément restreinte et que la transmission des poèmes devait la plupart du temps se fairenbsp;oralement' ». II y a done eu une culture bretonne;nbsp;cela ne semble pas contestable. Mais, ce qui Pestnbsp;encore moins, c’est qu’elle a sombré tout entière, etnbsp;sans laisser de trace. En sorte qu’elle est pour nousnbsp;comme si elle n’avait pas existé. Des formes qu’clle
I. J. Loth, Chrestomathie bretonne, p. 238.
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revêtit, de Fintérêt qu’elle put présenter, rien n’a transpire jusqu’a nous. On con^oit qu’une lacunenbsp;aussi regrettable dans 1’ « histoire poétique » de lanbsp;Bretagne ait contristó Ie patriotisme breton du vicomtenbsp;de la Villemarqué. C’est en partie pour la comblernbsp;que furent imaginées les premières pieces du fJarzaz-Breiz. Les textes faisant défaut, on les inventa. Lenbsp;passé littéraire de la province fut reconstitué tel qu’ilnbsp;avait dü étre. Après quoi, par l’effet d’un mirage fréquent chez les Celtes, le on les auteurs de ces poèmes,nbsp;détachés de leurs creations, furent amenés a voir ennbsp;elles des témoignages directs des époques qu’ellesnbsp;ressuscitaient, a s’appuyer memo sur leurs donnéesnbsp;comme sur des documents authentlques. Et je veuxnbsp;bien que l’esprit des bardes, Fantique awen breton,nbsp;revive, a quelque mille ou douze cents ans d’inter-valle, dans les morceaux intitulés le Vin des Gaulois,nbsp;la Marche d'Arthur, Merlin, le Tribui de Norninoë.nbsp;Mais, pour juger de la culture bretonne du moyennbsp;age, ce n’est pourtant pas assez de textes fabriquésnbsp;au XIX' siècle.
Pour trouver des textes armoricains autres quo des gloses ou des chartes, il faut, avons-nous dit, des-cendre jusque vers la fin du xv' siècle. Ceux que nousnbsp;possédons attesten! qu’a ce moment le frangais étaitnbsp;(( Finstrument de la culture intellectuellc, même ennbsp;zone bretonnante ». ïous, ou presque tous, sont (( desnbsp;traductions ou des imitations du francais ’»; et lanbsp;langue elle-même est toute farcie de mots frangais.
1. J. Loth Chrestomathie bretonne, p. 237.
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L ORIGINE FRANCAISE.
Les lettrés qui la pratiquent semblent avoir pris a tache de la dénationaliser, d’en faire uiie espèce denbsp;francais batard. Les vocabulaires sout surtout rédigésnbsp;en vue de faciliter aux Bretons la connaissance dunbsp;francais, qida quamplures hritones multum indigentnbsp;gallico, dit Jehan Lagadeuc, l’auteur du CathoUcon.nbsp;Ce CathoUcon^ (14G4), une Yie de saitite Notin'^, desnbsp;Heures en mogen breton ^ un mystère de la Passion *,nbsp;un mystère de sainte Barbe % une Vie (en prose) denbsp;sainle Catherine un poème intitule Le Miroir de lanbsp;Mort tels sont les premiers monuments écrits de lanbsp;littérature bretonne. Par la composition comme parnbsp;les sujets, ils sont d’essence toute frangaise. Rcmar-([uons, au surplus, qu’ils ont comme fait expres d’at-tendre, pour se produirc, que Pinvention de l’impri-merie eüt propagé dans le pays les livres venus denbsp;Pextérieur. Ce qui donnerait presque a penser, — n’é-taient les raisons invoquées ci-dessus, — que la littérature dite bretonne a commencé d’etre seulemontnbsp;le jour oil l’esprit breton a pu s’abreuver aux sourcesnbsp;franeaises.
1. nbsp;nbsp;nbsp;Le CathoUcon de Jehan Lagadeuc, dictionnaire bretonnbsp;francais et latin publié par R. F. Le Men, d’après l’édition denbsp;Aullret de Quoetqiieueran imprimée a Tróguier chez Jehannbsp;Caluez en MCGGCXCIX; Lorient.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Revue cellique, t. quot;VUII, p. 230-301, 400-491.
3. nbsp;nbsp;nbsp;Middle breton hourscAMceL by Whitley Stokes ; Calcutta, 1870.
4. nbsp;nbsp;nbsp;Le grand mystère de Jesus, publié par le viconite Ilersartnbsp;de la Villemarqué; Paris, 1800.
Ü. Le mystère de sainte Barhe, avoc traduction francaise, introduction et dictionnaire étymologique du breton moyen, parnbsp;E. Ernault; Nantes, 1883.
6. nbsp;nbsp;nbsp;Revue celtique, t. VIII, p. 70-03.
7. nbsp;nbsp;nbsp;Le mirouer de la Mori en hreton, iinprimet è S. Francesnbsp;Cuburien, 1573.
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-ocr page 248-232 LE THEATRE CELTIQUE.
L’imprimcric fit de bonne heure son apparition cn Bretagne. Des 148i', on troiive im atelier typogra-phiqiie installé a Bróhant-Loucléac-, petite paroissenbsp;rurale comprise dans les domaines de la maison denbsp;Rohan. Avant la lin du siècle, d’autres ateliers sontnbsp;signalés a Rennes, a ïrégiiier,a Lantenac, a Nantes^.nbsp;Un seul d’entre les cinq, celui de Tréguier, ctait situénbsp;en region de langue bretonne. C’est a lui que l’onnbsp;doit 1’impression du Catholicon. Mais tout son effortnbsp;en faveur de 1’idiome national semble s’être borné anbsp;la publication de ce lexique destiné surtout, nousnbsp;l’avons vu, a frayer aux jeunes cleres 1’accès desnbsp;études latines et frangaises. Par ailleurs, l’ateliernbsp;typographique tregorrois n’a rien qui Ie distingue denbsp;ses émules du pays gallo. Son oeuvre est, comme lanbsp;leur, une oeuvre de francisation. De fagon généralenbsp;on pent dire que Ie bilan de l’imprimerie bretonne, anbsp;ses débuts, est quasi exclusivement composé d’ou-vrages francais *. Sur vingt-deux incunables sortis desnbsp;presses locales, il n’y cn a pas deux qui soient on breton.
II faut croirc, du roste, que jusqu’alors la Bretagne n’avait guère trouvé a vivre de son propre fonds, sinbsp;l’on. en juge par l’avidité avec laquelle elle se jeta surnbsp;la pature intellectuelle qui lui était enfin offerte.nbsp;L’empressement qu’elle mit a se procurer des livres,nbsp;avant même d’avoir ses imprimeries a elle, nous est
1. nbsp;nbsp;nbsp;A. de la Borderie, 1'imprimerie en Bretagne au XV° siècle,
p. 1-2.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Arrondissement de Ploërmol, canton de Rohan (Morbihan).
3. nbsp;nbsp;nbsp;A. de la Borderie, L’imprimerie en Bretagne au XV° siècle,nbsp;p. 2-4.
4. nbsp;nbsp;nbsp;ld., ihid., p. vi.
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nttesté par uii curieux document extrait des Rngistrns de la Chancellerie hretonne ct public dans le volumenbsp;de A. de la Borderie sur L'impriinerie cn Brclagne annbsp;XV' siècle^. C’cst unc « commission » adressee, ennbsp;1480, aux sénéchaux, baillis etalloues de Cornouaille,nbsp;de Treguier, de Léon, de Morlaix et de Carhaix, de lanbsp;part d’un sieur Guillaume Touse, libraire a Nantes.nbsp;Elle expose qu’au mois de janvierde l’année en cours,nbsp;ledit Tousé fit marché avec un nommé Guillaume denbsp;Lespine, de I’evcclie de Cornouaille, « de porter desnbsp;livres vendre et adenerer en Basse-Bretagne et ailleursnbsp;en ce païs et duché », pour une période a échoir aunbsp;mois de juin. Ce temps révolu, Guillaume de Lespinenbsp;s’engageait a rendre ses comptes au libraire et a luinbsp;rapporten les exemplaires invendus. « Ce faisant,nbsp;ledit Tousé estoit tenu luy bailler et poyer la sommenbsp;de diz escus pour sespaine et sallaire. » Et voila notrcnbsp;Lespine en campagne, mimi, declare Tousé, d’unnbsp;grand nombre de volumes, « jucques a la valeur denbsp;cinq cens livres ct plus n. La vente, parait-il, futnbsp;brillante et rapide. Lc colporteur cut bientót écoulénbsp;son stock « et receu grant somme de monnoye ». Cenbsp;fut sans doute cela même qui gata les choses. Maitrenbsp;de Lespine, dont la bourse cornouaillaise n’avaitnbsp;jamais logé tant d’argent, oublia que c’était l’argentnbsp;d’autrui. Peut-être le but-il généreusement avec sesnbsp;compatriotes. En tout cas, au mois de décembre, lenbsp;libraire Tousé était encore sans nouvelles du colpor-
1. A. dela Bordcrie, Vimprimerie en Bretagne au XV^ siècle, p. 99-100.
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teur qui lui avail promis d’etre de retour au mois de juin. C’est alorsque, ne sacliant devantquel tribunalnbsp;rassignor, « pour ce quo iceluy de Lespiae est vaca-bond », il prit Ic parti de lancer toutes les justices denbsp;Basse-Bretagne a ses trousses.
L’bistoire ne dit pas quelles fureiit les suites de l’af-faire. Aussi bion n’est-ce pas ce qui importe. II nous sufflt d’avoir pu constater que Ie commerce de lanbsp;librairie élait a peine né qu’il était déja des plus florissants en Bretagne. (( Lasomme de cinq cents livres, va-leur des volumes confiés a de Lespine, représente plusnbsp;de quinze mille francs d’aujourd’hui ‘. » Et la majeurenbsp;partie de ces volumes était óvidemment destinée a lanbsp;Bretagne bretonnante. Car ïousé devait avoir a sonnbsp;service d’autres facteurs que de Lespine et, s’il availnbsp;pris celui-ci a ses gages, il n'est pas douteux que cenbsp;ne fut pour l’utiliser tout spécialement en Basse-Bretagne, d’oii il était et dont il parlait la langue. Nousnbsp;assistons done ici, et dès l’origine de l’imprimerie, anbsp;une sorte d’investissementdes cantons les plus reculésnbsp;de la zone armoricaine par Ie colportage francais. Cenbsp;mouvement ne s’arrêtera plus. Lc fond de la littéra-ture savante de la Bretagne et sans doute plus d’unnbsp;motif de sa littérature populaire sont venus de la.
II eüt été intéressant de savoir a quelle catégorie d’ouvrages appartenaient les livres que les émissairesnbsp;du bibliopole nantais semaient a travers Ie duché.nbsp;Mais nous n’avons a cel égard aucuue indication, si ce
i. A. de la Borderic, L’imprimerie en Ureiagne au XV’ siècle, p. 100.
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L ORIGINE FRANQAISE.
n’est que Ie bréviaire et Ie missel du diocese de Nantes figuraient parmi les publications du sieur Tousénbsp;et qu’il s’ctait adressé pour les faire imprimer a desnbsp;typographes de Venise. Le catalogue des imprimeursnbsp;bretons fournit, en revanche, qnelques renseignementsnbsp;précieux sur le genre d’écrits le plus gouté des habitants de la province. C'est ainsi qu’a Bréhant-Lou-déac, les premières ceuvres auxquelles les typographesnbsp;Robin Foucquet et Jean Gres attachent leurs nomsnbsp;jumeaux sont le 'TrespassemeyU Noslre-Dame et lesnbsp;Loix des Trespassés. Toutes deux répondent bien anxnbsp;formes de piété qne l’on considère, anjourd’hui encore,nbsp;comme les traits les plus caractéristiques de la foinbsp;bretonne: la devotion a la Vierge et lo culto des morts.nbsp;L’une et l’autre composition furent tout de suitenbsp;adoptées paria Basse-Bretagnc. Dès 1530, l’imprimeurnbsp;Yves Quillevéré donnait, en même temps que le Mijs-tère de la Passion, une traduction bretonne du 'Trespassement Nostre-Dame ', et, quant aux Loix des Trespassés, il est aisé d’en reconnaitre l’inspiration dansnbsp;la complainte funèbre qui, sous le nom de « chantnbsp;des Ames gt;gt;, traine toujours ses lugubres accents anbsp;travers les campagnes armoricaines, psalmodiée denbsp;porte en porte, le soir de la Toussainf^. II n’entre pasnbsp;dans mon dessein de poursuivre l’énumération. Con-tentons-nous de dire, avec A. de la Borderie, que cenbsp;qui distingue les incunablcs bretons, c’est qn’ils sontnbsp;pour la plupart ótrangers a touto preoccupation pra-
1. nbsp;nbsp;nbsp;Cf. J. Loth, Chrestornatlde bretonne, p. 2C2.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Cf. La leqende de la Mort cliez les Bretons armoricains,nbsp;2' éd.,t. II, pp^ 110-12).
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tirjue et ulilitnirc. Ailleurs, ce qiie I’on imprime génc-ralcmeiit (rnbord, ce sont des livres usuels, des ouvrnges tecliiiiqiies; en Bretagne, non. Les specimensnbsp;inventories do la typographic hretonne dn xv“ sièclenbsp;sont, comme on sait, au nombre de vingt-denx. Surnbsp;ce cliiffre, quinze ont un caractcre poétiquc on légen-dairc tres marqué, et, de ces quinze, dix sont en vers.
Done, de la poésie et des légendes, voila cc (jue rimagination bretonne demande avant tont a la litté-rature fran^aise : poésies religieuses, légendes hagio-graphiques, Ie plus souvent, auxquelles ne tarderanbsp;pas tl se joindre l’élément romanesque. Dans la première moitié du xvi' siècle, les romans de chevalerienbsp;ont, a Hennes, leur llbraire attilré en la personne denbsp;maitre Georges Cleray. Sa boutique en était pleine, etnbsp;aussi son esprit; car il ne les aimait pas seulemcntnbsp;pour Ie bénéficc qu’11 en pouvaittircr, mais pour eux-mêmcs. Ce mareband de livres avait l’amc héroïquenbsp;d’un cbcvalicr errant : il vivait en pensée dans Icnbsp;monde des grandes aventures. C’cst du moins sousnbsp;eet aspect que nous Ie présente son compatriote Noëlnbsp;du Fail. Parlant de certaines natures toujours lian-tées du désir de commander et de faire figure, Du Failnbsp;écrit : « Georges Cleray n’avait garde, aux jeux etnbsp;comédies de Saint-Thomas, jouer autre personnagenbsp;que d’un roy, d’un empereur, ou de quelque Prologue.nbsp;Que s'il eust voulu, en sa négociation et marchandlse,nbsp;se charger de Donats, Cato pro pueris, de Rudimensnbsp;et Despautères et autres petits et menus livrets, commenbsp;faisoient ses volsins, il eust bien davantage profiténbsp;qu’en la vente des Amadis, Lancelot, Tristan de
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Leonilois, Poiithus et autres chevaliers erraiis Bretons, la lecture desquels me met Ie cueur au talon : desquelsnbsp;sa boutique estoit autant bien garnie que autre deganbsp;les monts » Noöl du Fail, qui se montre a nous, dansnbsp;ce passage, comme un précurseur de Cervantes,nbsp;semble insinucr quo, de son temps,' les traités de jurisprudence étaient d’un débit plus fructueux que lesnbsp;récits d’aventures et de prouesses. II se peut qu’il ennbsp;ait étó de la sortc a Rennes, ville de Parlement, maisnbsp;ce ne fut certainement pas Ie cas pour la partie bre-tonnante de la province.
Pen d’autrcs pays, je pense, ont fait de la vicille litterature béroïque frangaise uneconsommation plusnbsp;abondante. Des que les imprimerles de Paris, de Lyon,nbsp;de ïroyes, en eurent donné des versions en prose,nbsp;accessibles aux petites bourses, les romans de ebeva-lerie se répandirent a profusion dans les bourgadesnbsp;et les bameaux de la Basse-Bretagnc. Ils y trouvèrentnbsp;des ames neuves et toutes primitives, admirablementnbsp;préparces par uiie longue absence de culture a i)rendrenbsp;au sérieux les extraordinaires fictions dont ils étaientnbsp;remplis. Naguère encore il n’était pas de ferme trégor-roise oii l’on ne rencontrat quelque exemplaire jauninbsp;du Roman de la belle Helaine de Constantinople, desnbsp;Prouesses de Huon de Bordeaux, ou des Vaillances denbsp;Gallen Ie Restauré. La Bretagne armoricaine était Ienbsp;paradis des colporteurs. Ils apparaissaient aux populations des campagnes comme des passants d’unenbsp;espèce surnaturelle. On n’était pas éloigné de croire
1. Contes (riititrapel, cli. xxxvi, éd. 1874, p. 204. Cf. A. dc la Borderic, Archives des bibliophiles bretons, 1.11, p. 21-22.
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qu’ils arrivaient en droite ligne des terres fabuleuses mentionnées dans leurs livres, et ils avaient sut leurnbsp;personne un peu du prestige des paladins magnanimesnbsp;dont ils étaient les hérauts. Ils étaient attendus commenbsp;des messies. Ce n'était pas assez de délester leur liavre-sac; on les liébergeait, on les festoyait, on leur faisaitnbsp;fête. Luzel a célébré l’un d’eux dans son lann Ker-glogor, Ie « batteur de pays », voyageur en contes,nbsp;vendeur de chansons et montreur d’images. « II a surnbsp;la tête un vieux cbapeau de paillc et, sur Ie dos, unnbsp;sac de cuir roux qu’il a conservé depuis Ie beaunbsp;temps oü il était soldat de l’Empereur... Quand onnbsp;1'apercevait la-bas, au bout de la grande avenue, quinbsp;suvan^ait, les enfants criaient d’une voix (et moi-même j etais du nombre): « Voila lann Kerglogor! »nbsp;Et nous courions au seuil de la porte : — « Donneznbsp;votre baton et votre sac de cuir, vieux lann. Le tempsnbsp;est bien rude. Approchez-vous du feu, pour vousnbsp;chauffer, en attendant que le souper soit pret. » Et,nbsp;a partir de ce moment, mes yeux demeuraient attachés a son sac de cuir, car il y avait la des trésors'. »nbsp;Ces trésors, c’étaient, pour 1’ordinairc, des « histoires »nbsp;d’innocentes princesses persécutées et de fantastiquesnbsp;pourfendeurs d’hommes. Elles avaient les préférencesnbsp;du public breton et exer^aient sur son esprit unenbsp;fascination toute-puisssante. On les lisait, on les tra-duisait. Elles faisaient les délices des veillées. Propa-gées par les ignorants, elles se déformaient en contesnbsp;populaires; découpées, aménagées, selon des recettes
1. P.-M. Luzel, Jean Kerglogor, le chanteur nomade (Quimper, 1891), p. 6-8.
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invariables, par des demi-lettrés, par des « clercs », elles se métamorpliosaient en drames. Nous verronsnbsp;qu’il ne faut pas cliercher d’autre source aux piècesnbsp;en apparence les plus originales du répertoire brelon.
Que si la culture bretonne, telle, du moins, que nous la connaissons, ne s’est affirmée que du jour oiinbsp;elle a été pénétrée, fécondée par des germes frangais,nbsp;il est fort a présumcr que c’est tout de même a l’in-fluence frangaise qu’est due la naissance, puis Ienbsp;développement de l’art dramatique en pays armori-cain. Le vicomte de la Villemarqué proteste naturel-lement contre une pareille hypothese. Au début denbsp;son étude sur le ThédLre brelon, il rappelle quenbsp;Charles Magnin, « autorité reconnue de tous en cesnbsp;matières », signalaitdès 1834 les cérémonies des nocesnbsp;en Bretagne « parmi les débris évidents d’un anciennbsp;drame national ». Charles Magnin y voyait, parait-il,nbsp;des « drames nuptiaux » qui, interdits au clergé desnbsp;le v® siècle par les synodes armoricains, « auraientnbsp;passé de l’aristocratie dans le peuple ‘ )). Mais lenbsp;vicomte de la Villemarqué oublie de dire que lenbsp;témoignage de Charles Magnin, sur lequel il s’appuienbsp;en ce passage, est lui-même fondé sur une documentation foiirnie par le Barzaz-Breiz. C’est, en efïet,nbsp;d’après le Barzaz-Breiz que Charles Magnin parle denbsp;l’interdiction faite au clergé du v“ siècle d’assisternbsp;aux noces. Or, rien dans le texte de cette interdictionnbsp;ne permet d’identifier a des « drames nuptiaux » lesnbsp;banquets de noces [convivia nupliarum) d’oü les
1. Journal des Savants, aoüt 1847, p. 453 et 431.
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prêtres sont exclus. 11 y est tout simplement question de chansons d’amour [uhi amaloria crmiantur) et denbsp;danses quelquc peu dégingandées (et molus corporumnbsp;choris et sallibus efj'erunlur), comme cela se passenbsp;dans beaucoup de noces de tous les temps. Et desnbsp;banquets accompagnés de chansons et suivis denbsp;danses ne sauraientccpendant être considérés, commenbsp;des representations dramatiques, dans l’acception quenbsp;l’on a coutume de donner a ce mot.
11 en va pcut-être différcmment des scènes dialo-guées et vcrsifiées de « la demandc en mariage », encore usitées dans ccrtaines campagnes bretonnes,nbsp;et dont Cambrypuis Souvcstrc ^ enfin Ie vicomlenbsp;de la Villemarquó ont public des specimens. Cenbsp;dernier les décrit ainsi : « G’est, en general, un tailleur qui estic bazvalan, Ic messager d’amour du jeunenbsp;homme pres des parents de la jeune fille... Aprèsnbsp;s’être assis un moment, il adresse a voix basse quel-ques paroles a la mere, qui sort pour délibérer aveenbsp;lui... Les fiangailles ont lieu, suivies bientót desnbsp;invitations aux noces... Cet oflice appartient encorenbsp;au bazvalan. Accompagné d’un des plus prochesnbsp;parents du futur, il fait Ie tour du pays... Lc journbsp;marqué, au lever du soleil, la cour de la flancée senbsp;remplit d’une foule joyeuse... Le fiance est a leurnbsp;tète... Son bazvalan... déclame a la porte de la future,nbsp;sur un tbème invariable, mais arbitrairement modulé,nbsp;un cliaiit improvisé auqucl doit répondre un autrenbsp;chanteur, de la maison, qui fait pres de la jeune fille,
1. nbsp;nbsp;nbsp;Cambry, Voyage dans le Finistère, t. III, pp. ICI-1G8.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Les derniers llretons, édition de 18ü(i, t. 1, pp. Ö1-57.
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commc Ie bazvalan prés clu jeune homme, TofTice (1’avocat, et que l’on noinme Ie breulaerK ». Ce sontnbsp;la, si l’on vent, de pclils épisodes dramatiqucs. Mais,nbsp;outre qu’ils ne sont point particuliers a la Bretagne,nbsp;ils se rattaclient moins au théatre qu’a la littératnrenbsp;des dchats et des jcux 'iiarlis qui fut si populaire aunbsp;moyen age et dont Ie colportage s’empara par la suite,nbsp;comme de tout Ie reste. Le Jardin de l’honnèle amournbsp;oü est enseignée la manière d’entrelenir sa maitressenbsp;contient plusieurs chapitres tout en dialogues oünbsp;l'on voit, dit Charles Nisard, « par quels discoursnbsp;d'amour un gargon doit accoster unc fille en compagnie, et lui demander sou amitié^; comment il doitnbsp;la salner a la revue, parler au père et a la more pournbsp;l’obtenir en mariage; la réponse du pcre, le discoursnbsp;de l’amant ü la maitresse en lui donnant une baguenbsp;après la signature du contrat, enfin la manière de fairenbsp;los invitations aux nocos ». Ce dernier formulaire,nbsp;notamment, correspond de tont point a co qui senbsp;pratique en Bretagne. Cc sont aussi deux parents dunbsp;garfon et de la fille qui vont « prier » les futurs convives, et le nom de « semonceur » qui leur est attribuénbsp;pour la circonstanco n’est pas sans rappeler celui denbsp;lt;1 demandeur » [goidenner] par lequol on désignenbsp;souvent le porto-parole du fiance breton. B est donenbsp;vraisemblable que ce ceremonial, qui n’apparaitnbsp;comme spécial a la Bretagne que paree qu’il ne s’estnbsp;guère conservé que la, lui est, en réalité, venu dunbsp;dehors, par la même voie que tant d’autrcs emprunts
1. nbsp;nbsp;nbsp;II. de la Villemarqué, Ilarzaz-Ilreiz, 8* éd., pp. 411-412.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Gil. Nisard, llisloire des livres populaires, t. 1, pp. 308-309.
to
-ocr page 258-frangais. Et qiie l’on ait pu y voir l’embryon d’iin genre dramatique qui ne se serail pas développé, j’ynbsp;consens; mais Ie « debris d’un ancien tliéatrenbsp;national », c’est h qnoi l’on ne saiirait souscrire.
H ne suffit d’ailleurs pas au vicomte de la Ville-marqué que Charles Magnin fasse remonter jusqu’au v' siècle — et au dela — la genese du theatrenbsp;breton. « A ces petites pieces populaires,... il fautnbsp;joindre comme plus anciens encore de pensee, denbsp;caractère et de forme, ces bardits paiens destines anbsp;accompagner les danses guerrières et mimiques ennbsp;riionneur du solcil, que nous trouvons figurées surnbsp;deux médailles des Cénomans. Dans la première,nbsp;récemment décrite par M. Henri Martin, un Gauloisnbsp;bondit cn brandissant d’une main sa hache denbsp;bataille, et rejetant de l’autre en arricre sa longuenbsp;chovelurc llottante; sur la seconde, un guerriernbsp;danse devant une épóe suspendue en répetant evi-demment (remarquez eet êvidemmenl) 1’invocation denbsp;la Danse du Glaive, « Hoi de la bataille », dont lesnbsp;paysans bretons ontretenu l'air et les paroles'. » Jenbsp;ne relèverai pas ce qu’il y a d’un peu fantaisiste anbsp;placer cliez les Cénomans Ie berceau de la muse dramatique armoricaine, ni non plus ce qu’il y a denbsp;hasardé a faire sorlir tel ou tel chant de la bouclie denbsp;personnages gravés sur des médailles. Mais (jnellenbsp;peut bien êtrecette a Danse du glaive » dont l’air etnbsp;les paroles ont survécu dans la mémoire des paysansnbsp;bretons? Un renvoi nous l’apprend. C’est Ie poème
1. U grand mystère de Jésus, Introduction, p. Ixvij.
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du Harzaz-Breh intitulé « Le vin des Gaulois )) [Givin ar C’hnllaoued), avec « Ia Danse dn Glaive »nbsp;[Korol ar C'hlezev) pour sous-titre'. Et nous voilanbsp;plus qu’édifiés, hélas! Car, de tontes les pieces fabri-quées que contient le recueil, il n’en est peut-être pasnbsp;nne qui porte plus ostensiblement que celle ci lanbsp;marqué du maitre ouvricr. EUeest tres belle, ctd’uncnbsp;magnifiqiie fougue barbare, et pleine, en elTet, dunbsp;« cliquetis d’armes entrechoquées » que I’auteur avaitnbsp;soubaité d'y mettre. Mais jamais « paysans bretons »nbsp;n’en ont fait retentir les « tavernes de Coray », oii lanbsp;modestie du vicomte de la Villemarqué voudraltnbsp;nous faire croire qu’il l’a d’abord entendue. Je passenbsp;rapidementsur une autre assertion du mêmeécrivain,nbsp;relative a certain « Jeu du roi Arthur » en qui senbsp;scrait conservée « une ombre des representationsnbsp;scéniques oü figuraiont los preux de la Table Ronde »,nbsp;et dont la tradition aurait continué, jusqu’a sonnbsp;temps, (( parmi les enfants des manoirs )) *. Nousnbsp;avons vu, a propos du theatre gallois, que les hérosnbsp;de la Table Ronde ne semblent pas êlre descendus denbsp;lepopée pour monter sur la scène. II est done difficilenbsp;que le « Jeu du roi Arthur )) ait reproduit des dramesnbsp;oü ils figuraient. Et, d’autre part, on a quelque peinenbsp;a découvrir par quel lien se rattache a I’liistoire dunbsp;theatre breton un Jeu d’enfants — même des manoirs — aussi insignifiant surtout que nous lenbsp;depeint le vicomte de la Villemarqué.
Sans nous attarder davantage a ces « vieux spec-
1. nbsp;nbsp;nbsp;Banaz-Breiz, 8' cd., p. 45.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Le grand mystère de Jesus, Introduction, p. lx.
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tncles indigenes « qui n’ont jamais cxistó quo dans
I nbsp;nbsp;nbsp;imagination du vicomte de la Villemar([ué, vcnons
a cc qu'il appcllc Ie « drame chrétien », c'est-a-dire anx mystcres. lei, c[uoi qn’il en ait, force lui est denbsp;reconnaitre que» 1’inspiralion vient trop souvent desnbsp;pays étraiigers, de la France parfois, les modèlesnbsp;aussi' ». 11 s’y résigne, mais de mauvaisc grace.nbsp;Encore entend il qu’une exception soit faite en faveurnbsp;du mystère qu’il a entrepris de rééditer. Toutenbsp;1’ctude sur Ie Grand Mxjslère de Jésus est nianifeste-ment combinée de fagon a montrer que l’muvrc lire-tonne ne doit rien aux pieces frangaises traitant Ienbsp;mêmc sujet, et cela pour 1’excellente raison qu’ellenbsp;leur est antéricure. La casuistique laborieuse anbsp;laquelle sc livre Ie vicomte de la Villemarqué pournbsp;essayerde vicillir démesurement Ic drame a quelquenbsp;chose de presque touebant. M. Paul Meyer lanbsp;résumé en ces termes ^nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;« 11 existe de ce mystère
deux editions. Tune publióe en 1330, Tautre en 1022. M. de la Villemarqué reproduit la première dont ilnbsp;compléte les lacunes au moyen de la seconde. Maisnbsp;cette première édition n’est pas 1’édition princeps :nbsp;clle porto, en efïet, sur Ie titre cette indication (ennbsp;breton) : « Imprimé de nouveau a Paris 1’an 1330 ».
II nbsp;nbsp;nbsp;y a done une édition princeps restée jusqu’a ccnbsp;jour iuconnue. Se fondant sur des caractères gram-maticaux qu’il ne m’est pas permis d’apprécier,nbsp;M. de la Villemarqué en vient a conclure que
1. nbsp;nbsp;nbsp;Lp, grand mysUre de Jésus, Introduction, p. I.K.xvij.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Revue crilique d'hisloire el de lüléralurc, I8CG, t. 1,nbsp;p. 219.
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rédilion princeps est antérieure d’au moins un demi-siècle a la réimpression de 1530 : « Nous arrivcrons ainsi, dit-il, a l’an 1480, justo a l’épocfue qui tient Ienbsp;milieu entre la composition et l’impression du Calho-Ikon; mais nous pouvons bien remontcr jusquanbsp;l’an 1464, oü Lagadeuc Ie rédigea » (p. cxi), car Ienbsp;dictionnaire breton-frangais-latin, connu sous cenbsp;titre, offre avec Ie Mystère de Jésus une grande pariténbsp;de langue et d’orthographe. M. de la Villcmarqué nenbsp;s’en tient pas la : la même parité existe encore, selonnbsp;lui, entre Ie Mystère de sainte Nonne (xiv“ siècle)nbsp;et celui de Jésus : d’oü la conclusion « qu'ilsnbsp;sont 1’un et l’autre du même temps ». Reste anbsp;fixer la date définitlve. Donnons la parole au vicomtenbsp;de la Villemaniuélui-même : « Si l’on meten balancenbsp;d’une part la trilogie des Micliel {sic) et des frèresnbsp;Gréban; de l’autre, la pièce armoricaine, et si l’onnbsp;trouve que la première est une oeuvre immense, unnbsp;thème drnmatique démesurément amplifié, allongé,nbsp;surcbargé de faits, d’incidcnts et d’épisodes : unenbsp;action représentée par un personnel énorme, avec desnbsp;détails inlinis de mise en scène; tandis que la seconde,nbsp;au contraire, est courte, simple, peu compliquée,nbsp;sobre d’accessolres, facile a saisir, jouéepar quarante-trois acteurs au lieu de deux cents, et n’ayant anbsp;récitcr qu’environ six mille vers au licii de quatre-vingt mille, sans une seule didascalie pour les guider,nbsp;pourra-t-on liésiter sur I’anciennetd relative des deuxnbsp;compositions? pourra-t-on ne pas admettre que sinbsp;Tune était déja jouée en 1437, l’autre a dii I’ctre aunbsp;moins une soixantained’années plus tót? Nous arri-
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verons ainsi do nouveau a la seconde inoitió du XIV' siècle, et, en supposant nos calculs exacts, versnbsp;1’année 1305»
Les calculs du vicomte de la Villemarquó pour raient ètre les plus exacts du monde que sa demonstration n’en serail pas plus probante, paree que Ienbsp;point de depart est faux. Sur quoi se fonde, en effet,nbsp;toute son argumentation? Sur cette donnée quenbsp;Tédition de Quillevéré ne serail pas l’édilion princepsnbsp;de l’ouvrage. A cela M. Loth^ répond : « En réalité, ilnbsp;n’y a aucune raison pour séparer la date de la composition de celle de l’impression. M. de la Villemarqucnbsp;a argue de l’expression a veuez in^primel, qui se trouvenbsp;dans Ie litre, qu’il s’agissait d’une réimpression. Anbsp;neuez n’a pas Ie plus souvent en breton Ie sens de denbsp;nouveau, mais bien celui de nouveUement-, c’est lanbsp;formule ordinaire, aujourd’hui encore, pour lesnbsp;chansons nouvelles (« nevez savet). II y a iin exemplenbsp;caractéristique de eet emploi dans la Vie de sainlenbsp;Nonn Le prêtre cherche en vain do l’eau pournbsp;baptiser Devy; unc source jaillit tout ii coup a scsnbsp;yeux, et il s’écrie : Setu vn fcunteun eyennet.... anbsp;neuez savet, credet sur. Voici une source qui vientnbsp;de jaillir... fvalchemenl (tout de suite) sortie de terre,nbsp;croycz bien ». L’auteur du Myslère breton par l’idio-tisme a neuez a voulu simplemeut indiquer unenbsp;nouveauté et non une réimpression. » La théorie dunbsp;vicomte de la Villemarqué ne reposait done que sur
1. nbsp;nbsp;nbsp;Le grand mijslöre de Jésus, Intrpduction, p. cv-exv.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Chrestomathie brelonne, p. 202.
3. nbsp;nbsp;nbsp;Hevue cettiqiie, t. VIII, p. 412.
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un coiitrescns, ct voilti I’antiquito tin Grand Mystèrc dc Jesus rajeunie cle pres cle deux siècles. Son origi-nalité, du moins, est elle sauvegardce? Et, s’il estnbsp;postérieur en date aux deux principaux mystercsnbsp;francais de Ia Passion, peut-il, en revanclie, se glori-lier de n’avoir avec cux de commun quo la fable?
Nullement. Cette aureole même, M. Paul Meyer va la lui retirer. Le vicomle de la Villemarqué n’avaitnbsp;pas juge a propos d’entrer dans la comparalson denbsp;1’oeuvre bretonne et de I’oeuvre fran^aise ; il s’etaitnbsp;contenté de les a mettre en balance », comme il dit,nbsp;de les examiner litteralement au poids, tranchant lanbsp;question de priorité en faveur du mystère breton,nbsp;comme plus léger de matière. La peine que lenbsp;vicomte de la Villemarqué s’était épargnée a tort,nbsp;M. Paul Meyer 1’a prise: « Je n’ai pas fait, ccrit il,nbsp;tout le travail qui devait se trouver dans la préface dunbsp;mystère de Jésus, mais j’en ai fait une partie, et jenbsp;vais donner, avec tres peu de preuves, faute de place,nbsp;le résultat auquel je suis arrivé. Ce résultat est que lenbsp;mystère breton est Pabrégé du mystère francais.nbsp;Plusieurs scènes sont supprimées; presque toutcsnbsp;sont resserrées; de nombreux détails ont été élagués,nbsp;quelques-uns ont été ajoutés, ct ccux-la out unenbsp;couleur assez moderne qui contredit Popinion denbsp;M. de la Villemarqué sur la date de Pouvrage. Onnbsp;rcmarque aussi dans le drame breton un tour empba-tique que ne présente pas te textc francais. Toutcfois,nbsp;je ne suis pas en état de déterminer avec exactitudenbsp;si Pauteur a suivi la rédaction d’.Vrnoul Cresban ounbsp;cello de Jean Michel qui fut jouée a Angers en 1486 et
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bieiitót après imprimée par Vérard. Certains indices me font croire qu’il a pris pour base Ie texte de celtenbsp;dernière revision b » M. Paul Meyer étudie ensuite lanbsp;scène de Judas et de Désespérance chez les deuxnbsp;auteurs. « Les interlocutcurs, observe-t il, sont lesnbsp;mcmes de part et d’autre*. )) Cela est si vrai quenbsp;l’adaptateur breton, au lieu de chercher un équivalentnbsp;celtique a Désespérance^ s’est borné a l’écrire Disempe-rancc. M. Paul Meyer suppose, a ce propos, que c’estnbsp;faute d’avoir coinpris ce mot que Ie vicomte de lanbsp;Villemarqué l'a traduit par Furie. J’en demande pardon a M. Paul Meycr, mais, en procédant de la sorte,nbsp;Ie vicomte de la Villemarqué n’était pas dupe de Terreur qu’il commettait. S’il a traduit Disemperancc parnbsp;Furie, c’cst sans doute pour créer au personnage dunbsp;mystèrc bretoii un état civil qui détournat de Ie con-fondre avec son modèle frangais.
L’étroite parenté des deux oeuvres iTest cependaut pas niable, et les rapprochements, même partiels,nbsp;qu’a établis entre elles M. Paul Meycr suf fisent a Ienbsp;démontrer de la fa^on la plus explicite. Les différencesnbsp;no portent guèro quo sur la forme et tiennent prin-cipalement a trois causes : d’abord aux libertés quenbsp;Ie poètc arrnoricain nc pouvait manquer de prendrenbsp;avec Ie texte francais pour Ie faire passer dans sanbsp;langue; ensuite au labeur de style qui lui étaitnbsp;imposé par les regies si rigoureuses de la versificationnbsp;bretonnc; enfin, a la nécessité oii il était de réduire anbsp;des proportions presque minuscules les vastes déve-
1. nbsp;nbsp;nbsp;Itevw! critique d’histoire et de litlérature, 1806, t. I, p. 223.
2. nbsp;nbsp;nbsp;ld., p. 226.
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loppements de I’original. Cette nécessitó s’explique en partie par la seconde cause que nous avons dite. Lesnbsp;exigences de la rime interieure condamnaient le poetenbsp;a un perpetual tour deforce dont il ne se tirait le plusnbsp;souvent qu’en prodigiiant clicville sur clicville, etnbsp;qui, même avec cette lamentable ressource, avail tótnbsp;fait de fatiguer sa verve. II devenait sobre, non parnbsp;gout, mais par lassitude ou par ménagement. Cons-cient des difficultés de la tache, il se la mesurait.nbsp;C’est ce qui fait que les mystères on moycn brcton,nbsp;•— La L^assion, Sainte Nonn^ Sainte Barhe, — pro-duisenttous une impression de maigreur souffreteuse,nbsp;quoique surcharges de locutions parasites. Des que,nbsp;vers la fin du xvn“ siècle, la contrainte de la rimenbsp;interieure disparait, la discretion que le vicomte denbsp;la Villemarque louait tout a 1’heure dans le dramenbsp;brcton se change on faconde, en prolixite, voire ennbsp;intemperance. C’est comme un flux lacbé, mais oilnbsp;surnage malheureusement autant que jamais la tristenbsp;habitude invétérée de la choville. Une autre raison,nbsp;et qui, celle-la, ne cessera point d’être valable, vouaitnbsp;I’auteur du Mystere de Jésus, comme ses pareils, anbsp;ne donner qu’une version tres abrégée de 1’oeuvrenbsp;frangaise. Et c’est, précisément, qu'une version complete n’eüt été possible a représenter que « par unnbsp;personnel énorme, avec des détails inflnis de misenbsp;en scène* ». Oh le poete eut-il trouvé de quoi sub-venir aux frais de la piece, fabriquer les accessoires,nbsp;costumer les (( deux cents acteurs »? 11 y a de cer-
1. Le grand imjslèrc de Jésus, Introduction, p. cxiv.
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tailles coiitlitions mntérielles auxqiielles Tart drama-tique est plus assujetti qu’aucun autre. Et la Passion bretonne eiit été aussi absurde do vouloir rivalisernbsp;d’ctcndue avec la Passion frangaise que les humblesnbsp;bourgades de la Basse-Bretagne du xvi“ siècle denbsp;vouloir rivaliser d’opulence avec les centres populeuxnbsp;et riches du Paris et de 1’Angers d’alors.
L’argument tiré par Ie vicomte de la Villemarquó de la brièveté de la pièce bretonne ne prouve donenbsp;rien en faveur de son ancienneté. Et il n’est que denbsp;prendre Ie Mystère de Jésus pour ce qu'il est, c’est-a dire pour une onivre composée dans les premièresnbsp;années du xvP siècle, et sous l’inspiration immediatenbsp;d’un OU de plusieurs modèles francais. Le cas est sen-siblement le même pour la Vie de sainte Nonti. E’abbénbsp;Sionnet, son premier éditeur, croyait, il est vral,nbsp;pouvoir la faire remonter au xiP siècle et ne doutaitnbsp;point qu’cllo ne fut une omvre originate. Mais c’estnbsp;une pretention dont MM. Loth ‘ et R. Perrott® ont faitnbsp;justice:celui-la en déclarant que 1’écritnre est de la linnbsp;du XV' siècle et la languc, a peu de chose prés, cellonbsp;du Calholicon) celui-ci en faisant remarquer quenbsp;VAve Maria, place dans la bonche de saint Gildasnbsp;par rautcur de la pièce, n’a été introduit en Franconbsp;qu’aux environs de l’année 1475. Quant a la questionnbsp;d’originalité, il ne semble guère contestable que l’idéenbsp;de transporter a la scène Paventure de sainte Nonnnbsp;et les mérites de son fds Devy n’appartienne ennbsp;propre au dramaturge breton. Mais c’est touto la part
1. nbsp;nbsp;nbsp;Chrestomathie bretonne, p. 240.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Archaeologia Cambrensis, 3“ série, t. IV (1858), p. 1G6.
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d'inventioli qu’on lui peut attribuer, si l’on y joint de ci, de lii quelques traits pour essayer de localiser lanbsp;legende en pays armoricain. La légende elle-même,nbsp;c’est la vie latine de la sainte qui la lui a foiirnie. Sonnbsp;travail n’cn est ({u’une paraphrase. 11 s’est contenténbsp;de lui appliquer Ie traitement dont les auteurs francais de Vies de saints ou de Miracles de Notre-Damenbsp;avaient vulgarise la recette. Et les épisodes dont ilnbsp;ragrémente, les personnages secondaires auxquels ilnbsp;y prête un róle ont tous été confus d’après les canonsnbsp;francais du genre et coulés dans des monies francais.
Ainsi : 1“ Tart dramatique ne fait son apparition en Basse-Bretagne que dans les toutes dernièresnbsp;années du xv' siècle; 2° les plus anciens monumentsnbsp;qu'il y ait produits sont nés d’une imitation fran-Caise plus ou moins directe. Voyons comment a piinbsp;s’établir Ie contact. L’intermédiaire naturel, ici encore,nbsp;c’était la Bretagne Gallo. I.es mystères y recurentnbsp;prompt accueil. Et, comme il convenait, cc futnbsp;Bonnes, la cité ducalc, qui donna l'exemple. Des 1430,nbsp;cent ans juste avant la publication de la Passionnbsp;bretonne, on y jouait une Passion francaise, ennbsp;presence du due Jean V. Le compte d’Aufroy Guynot,nbsp;trésoricr et receveur general, porte, en cfFet, cetlcnbsp;mention : (( A plusieurs compagnons et joueurs de lanbsp;ville de Rennes, pour avoir joüé devant le due lenbsp;mistere de la Passion et Résurrection de N. S., parnbsp;mandement du XXVII aoust MCCCCXXX, eic. ’ » Etnbsp;Guillaume Durdous, miscur do la ville de Rennes,
1. Dom Morice, Ilislowe de Brelagnc, col. 1018.
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écrit, de son cóté : « Du jeudy, xxv'^ jour de may (1430) qui fut la feste de l’Ansencion. A Raoulletnbsp;Sequart, miseur des preparemeiits du mistère de lanbsp;Passion, tant pour Ie chaufïaut de Mons’’ Ie due quenbsp;pour plusseurs autres cliosses nécessaires pour leditnbsp;mistère, par Ie commandement et ordennance dunbsp;seneschal de Rennes, fut ordonné lui estre baillé... lanbsp;somme de deiz libvres... Item audict mistère futnbsp;employé et mis du commandement des connestablesnbsp;quatorze libvres de pouldre de canon' ». Ce fut unnbsp;spectacle a grand fracas, comme on peut voir.nbsp;Neuf ans plus tard, Rennes se mettait de nouveau ennbsp;frais pour organiser la representation d’une moralité,nbsp;en riionneur de Pierre, fils puiné de Jean V, qui futnbsp;lui-meme due de Rretagne de 1450 a 1456. Nous Ienbsp;savons par cette indication du miseur Perrin Pepin :nbsp;(( Item, a poié a Mons’’ Pierre de Bretaigne, quand ilnbsp;vinta Rennes vooirs le Jen de Bien Auisé, de don quenbsp;les bourgeois lui firent de LX marcs d’argent dont lenbsp;dit Pepin paia la somme de IP livres. Et fut en aoustnbsp;mil IIIPXXXIXquot; 1).
De Rennes, le goütdesreprésentations dramatiques ne tarda pas a se répandre dans les villes voisines. IInbsp;trouva de puissantes zélatrices dans les Confréries dunbsp;Saint-S acre ment dont I’institution en Bretagne estnbsp;signalée depuis le xiv° siècle. Fougères en availnbsp;une, établie en 1’église Saint-Léonard, qui semblenbsp;avoir eu pour mission de faire jouer régulièrementnbsp;Ie jour de la Fête-Dieu, sinon des mystères propre-
Bulletin de la Sociéte' des bibliophiles brelons, t. I (1878), p. 50.
2. ld., p. 51.
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ment dits, du moins des mystères mimés. (( Ce curieux usage nous est révélé par un compte des prévótsnbsp;de celte confrérie, pour l’an 1459'.)) Lo spectacle,nbsp;au lieu d’etre dressé sur un échafaud, se composaitnbsp;d’une procession de chars ou de tableaux vivantsnbsp;qui retragaient divers épisodes de la vie du Christ.nbsp;II y avait Ie char des ïrois Rois, celui du Crucifio-ment, celui de Saint Barthélemy, contenant aussinbsp;sans doute les autres apótres, celui de Saint Michel,nbsp;avec l’Archange vêtu d’un brillant « harnoys )) qu’onnbsp;avait loué vingt deniers chcz Ie fourbisseur, celui denbsp;Ihlate sur sa chairc de Juge qu’un « chief de corde ))nbsp;assujettissait, celui de Saint Christophe portant surnbsp;ses larges épaules un « petit Dieu » dont la paire denbsp;gants avait coüté cinq deniers... Et je ne les nommenbsp;pas tons. En tête du cortege s’avangaient cinq « menes-tereulx )) gages du mardi d’avantla Pentecóte et a quinbsp;l’on avait eu la precaution de distribuer, commenbsp;arrhes, « ung pot de vin et deux pains, pour estrenbsp;asseurez d’eulx de venir au jour du sacre o Icursnbsp;instruments )). La représentation — notons ce détailnbsp;que nous retrouverons en Basse-Bretagne — étaitnbsp;suivie d’un double banquet, l’un auquel les confrèresnbsp;s’asseyaient dans la « cohue )), l’autre oü étaientnbsp;traités les compagnons qui, sans appartenir a la confrérie, avaient figuré, a un titre quelconque, dans Ienbsp;mystère.
Avant la fln du même siècle, Vitré s’offre a son tour, non plus de simples exhibitions dramatiques, comme
1. A. de la Borderie, Mélanges d’hütoire et d’archéologie bre-tonnes, t. I, pp. 82-83.
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a Fougères, rnais de véritables representations par-lécs, comme a Rennes. C’est ce qiii ressort d’nn mandement dn com te de Laval, baron de Vitré, a la date du 19 avril 1492: « De par Ie comte de Laval, Jehannbsp;do Cliallet, miseur... nous vous mandons paier etnbsp;bailler... aux compaignons et partie des habitans denbsp;nostre dicte ville, qui jouent Ie saint Vendredy pro-chain Ie mistere de Ia Passion Nostre Seigneur Jhesunbsp;Grist, la somme de dix livres pour aider a leurs fraiznbsp;et miscs* ». Un second mandement, du 30 mai 1493,nbsp;nous renseigne sur quelqnes particularités intéres-santes. II nous apprend, parexemple, que Ie spectaclenbsp;comportait « quatre vingts dix rolles » et que ces rólesnbsp;avaient été « doublés et grosses » par « nostre bicnnbsp;amé Jehan Columbel, clioriste de nostre eglise collegial de la Magdalaine de Vitré », lequel se vit attri-buer (( pour scs vacacions etpaines »la somme de « centnbsp;solz monnoye® ».
Propagé de proche en procho par les villes, Ie mouvement a bientótgagné les campagnes. Et, comme les moeurs y sont moins policées, il y prcnd dès 1’abordnbsp;un caractcre violent et quasi tumultueux. Des lettresnbsp;de remission inscrites au Registre de la chancellerienbsp;de Bretagne, pour Pan ISIO, nous ont transmis unenbsp;peiuture fort animée de Paffluence de peuple qui senbsp;pressait a ces représentations rurales et des rixes, desnbsp;désordres qui trop souvent les accompagnaient. Nousnbsp;sommes a Domalain, petite paroisse des environs de
). Bulletin de la Soeie'te' des bibliophiles bretons, t. l (1877-1878), p. 51.
2. ld., p. 52.
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La Guerche, au mois d’aoüt 1509. On y joue, sans •loute ponr clore la moisson, Ie mystère de Madamenbsp;Sainte Barbe. Parmi les comiuissaires de Ia fête,nbsp;chargés de faire ranger la foiile et de lui imposernbsp;silence, est un certain Amaury, de Uommaigné,nbsp;« pouvre gentilliomme clerc », vaguement frotté denbsp;notairie. Ce n’est pas mince besogne qiie d’obtenirnbsp;obéissance de ces rudes natures paysannes, assemblees en si grand nombre. Aussi ledit Amaurynbsp;— appelé encore Moricière, de son nom seigncurial —nbsp;a-t-il commence, pour se donner du montant, parnbsp;vider quelques pots do vin qui 1’ont échauffé plusnbsp;que de raison. Les acteurs, cependant, après avoirnbsp;revêtu leurs costumes, s’acheminent vers Ie théatre,nbsp;construit vraisemblablement sur la place du village,nbsp;et — pompe assez inattendue, mais qui est bien dansnbsp;Ie goüt campagnard — c’est a cheval que nous lesnbsp;voyons défiler. Armé de la lt;( gaulle de bois » qu’ilnbsp;porte comme insigne de sa fonction, Amaury se pré-cipite pour leur frayer un passage, non sans bous-culer un pen les gens. De quoi quelqu’un dans lanbsp;foule s'indigne et crie : « Si vous aprocliés meshuy denbsp;moy, je vous donnoroy bien! » En même temps, il faitnbsp;mine de dégainer. Amaury a entendu Ie propos etnbsp;surpris Ie geste. Furieux, il jette bas sa « robbe »,nbsp;tire son épée et marche droit a Lliomme qui est unnbsp;nommé Loys Belier, de la paroisse de Vrégeal. Puis,nbsp;arrivé presque a Ie joindre : « Le Sang Dieu, vilain,nbsp;as-tu dégayné? » Bélier ne tient apparemment pasnbsp;a pousser l’aGaire, car il répond, déja plus rassis :
« Moricière, je ne te demanderiens a.Mais Moricière,
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ivre decolère et de vin, vent sa querelle. II va sauter sur Bélier quand s’interpose l’inévitable tiers, ton-jours destine, dans ies occasions do ce genre, a payernbsp;les pots cassés. En l’cspèce, c’est un brave « cordoua-nier « du nom de Jeliari Lambart, venu de Vitrópournbsp;assister au mystcre et qui eüt été beaucoup mieuxnbsp;inspire, Ie malheureux, de ne pas déserter son éclioppe.nbsp;Naturellement il est un pen gris, lui aussi (tout Ienbsp;monde 1’est dans cette histoire), et il se promet,nbsp;parait-il, de l’êtro davantage, car il nous est présenténbsp;dans 1’attitudc d’nn Bacchus de village, tenant d’unenbsp;main un pichet de lerre on d’étain (« n’est certainnbsp;ledit Amaury ») et de l’autre « ung verre on deux »nbsp;(la-dessus encore Amaury ne se prononce pas). II estnbsp;vrai que l’on esten aoiit, qu’il fait probablement unonbsp;chaleur torride et que, pour ne ricn pcrdrc du spectacle, il va falloir rester planlé au grand soleil, pendant des heures. Cela suffit a expliquer Ic pichet denbsp;Jehan Lambart; et, s’il s’cst prémuni de deux verres,nbsp;c’est sans doute qu’il n’aime pas a boirc seul, ce quinbsp;est, dit-on, d’un bon Breton et qui est, en tout cas,nbsp;d’une bonne ame. Bonne ame, Jehan Lambart nenbsp;l’est que trop, et pour son meschef. En doux ivrogne,nbsp;qui a Ie vin conciliant, il cssaio de calmer Ie fougueuxnbsp;Amaury; mais celui-ci lo repousse, lui demande denbsp;q'uoi il se mêle et, comme il s’obstine a lui barrer Ienbsp;chemin, de son jarret tendu, lui porto un brutal coupnbsp;d’estoc « a travers et tout oultro la cuysse )). L’artèrcnbsp;fémorale avait été trancliéo. Le pauvre cordonniernbsp;vitreen n’eut que le temps de crier : Jésus! « et tontnbsp;soudainement cheut contre terre et, environ une
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heure de la », s’en alia « de vie a deceix ». C’était Ie premier « vilain cas » oü se mettait Amaury; de plusnbsp;il était jeune (vingt-six ans a peine), enfin il avait dunbsp;gentilhomme ; il fut pardonné. Les lettres de rémis-sion sont signées de Louis XII et datées de juin ISIO *.
Nous touchons, en effet, au terme de ce que les Bretons appellent Ie règne de la Reine Anne. En 1510,nbsp;il y a pres de vingt ans que la Bretagne a, scionnbsp;1’expression consacrée, « épousé la France ». La fusionnbsp;de leurs intéréts politiques eut nécessairement pournbsp;conséquence de resserrer encore plus étroitement Ienbsp;pactc intellectuel depuis si longtemps scellc entre lesnbsp;deux pays. Nous en constaterons tont a 1’lieuro lesnbsp;résultats en Bretagne armoricaine. Mais, avant denbsp;quitter la Bretagne frangaise, il convient, dans l’his-toire de son théatre, de faire iine place a part au Jeunbsp;de Saint Maxenl. Maxont, aujoiird’liui petite commune d’Ille-et-Vilaine, était, nu xvi“ siècle, un prieurénbsp;dépendant de l’abbaye de Redon. La résidait, en sanbsp;malson natale du village des Hayes, un vénórablenbsp;prétre, Dom Nicolas Bazin, qui disposait de quelquenbsp;fortune. Fort devot au saint dont sa paroisse portaitnbsp;Ie nom, il souliaita de voir ses mérites illustrés en unnbsp;mystère, comme cela se pratiquait pour tantde saintsnbsp;étrangers. Ne se sentant pas de taille a tenter lui-même 1’entreprise, il s’adressa, pour la mener a bien,nbsp;a un autre prêtre de ses amis qui, saus doute, avaitnbsp;déja fait ses preuves. Ce dernier, messire Nicolasnbsp;Galiczon, prieur de Saint-Georges en Trémeur, non
1. Bulletin de la Société des bibliophiles bretons, p. 53-55.
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loin de Broons, a ceci d’iiitéressant pour nous quc, comme chanoine régulier du couvent de Sainte-Croixnbsp;de Guingamp, de qui relevaitson prieuré, il se rattachenbsp;en mêrae temps a la Bretagne bretonnante. Le mj's-tère qu’il écrivit en lö37, a la demande de Domnbsp;Nicolas Bazin, reste le plus ancien drame connu quinbsp;ait été compose en francais par un Breton. L’oeuvrenbsp;originele, dont on ne possède qu’une refonte du xvn' siècle, « comprenait a la fois de la prose et des vers ».nbsp;On ne sait s’il y en eut une représentatlon dès 1537,nbsp;mais en 1548 elle fut solenncllement jouóe, « parnbsp;cinq dimanclies consécutifs ’ », dans les grands boisnbsp;qui décoraient le prieuré de Maxent et sous le porcbenbsp;de la maison priorale.
De ce que les documents que nous venons de citer se rapportent surtout au pays rcnnais, ii ne faudraitnbsp;pas s’imaginer que Ia region nantaise se fiit montréenbsp;moins liospitalière aux representations dramatiquesnbsp;OU plus lente a les accueillir. Rivale de Rennes, séjournbsp;préféré des derniers dues de Bretagne, ville de commerce et de plaisir, siège de la première Universiténbsp;bretonne, Nantes dut avoir dès le début du xv“ sièclenbsp;des fastes scéniques dignes des hótes de marquenbsp;qu’clle était saus cesse appelée a recevoir, dignes aussinbsp;de la richesse de ses habitants ^ Ce que l’on peut
1. nbsp;nbsp;nbsp;Le Jeu de Saint Maxent... avant-propos de S. Uopartz,nbsp;Société des Bibliopliiles Bretons. Mélanges hisio7'igues, lilté-raires, hibliographiques, t. I (1878), p. 5G.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Le drame Uturgiquo y fut memo en honneur dès lonbsp;xiii” siècle, comme en tèmoigne VOrdinarhm du diocèse denbsp;Nantes, composé en 1203 par le chantro Ilélio. Le jour donbsp;Noël, aprèslos Laudes etavant la messede l’aurore, les enfantsnbsp;de cliosur représentaient sommairement le mystère de l’Adora-
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dire, c’est que, sous le règne de Francois If de Bretagne, elle fit jouer un mystere, oeuvre probablement d’un Nantais, tiré, en tout cas, dela cbronique locale,nbsp;puisqu’il roulait sur la legende des saints Donatiennbsp;et Rogatien, deux héros du martyrologe nantais'.nbsp;Quelque cinquante ans plus tard, en 1339, elle don-nait une nouvelle representation de cette piecenbsp;« devant René de Rohan et sa femme Isabelle, soeurnbsp;du roi de Navarre » ^ Elle ne témoignait d’ailleurs pasnbsp;une moindre faveur aux productions exotiques. Quandnbsp;la reine Eléonore, seconde femme de Frangois Iquot;',nbsp;visita Nantes en 1332, on la récréa, dit Ogée^ denbsp;mystères et de feintcs, « de la composition de Dubu-cliet, procureur du roi a Poitiers ». En février 1396,nbsp;au plus fort de la Ligue, Ollenix de Mont-Sacré,nbsp;gentllliomme manceau, écrivait pour le due de Mer-eoeur une Ariméne, pastorale dans le goüt du jour,nbsp;qui fut jouéc « avec grande munificence » dans unenbsp;des salles du chateau h Si brèves et si décousues quenbsp;soient ces indications, encore attesten telles quenbsp;lion des bergers. « Tune pueri ludentes cuin baculis stentnbsp;ante altare, et dient cantor ; Pastores, dicite... Pueri respon-deant ; Infantem vidimus,... etc. » Cf. Ilisloire littéraire de lanbsp;France, t. XXIX, p. 006-612, notice de II. Léopold Delisle.
1. nbsp;nbsp;nbsp;Cf. Mélanges historiques, liltéraires, hibliographigues,nbsp;publiés par la Société des Bibliophiles bretons, t. 1, p. 53.
2. nbsp;nbsp;nbsp;ld., ibid.
3. nbsp;nbsp;nbsp;Ogée, Dictionnaire hislorique el géographique de la province de liretagne, t. II, p. 103. 11 s’agit de Jean Bouchet,nbsp;procureur a Poitiers, qui fut une sorte de fournisseur drama-tique pour toute la region de l’Ouest. Sur ce chapitre de l’bis-toire du theatre a Nantes, cf. Henri Clouzot, L'ancie7i thédlrenbsp;en Poitou, p. 31-33.
4. nbsp;nbsp;nbsp;A. de la Borderie, Archives de Bretagne, t. II (1882), p. 137.
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Nantes n’a pas moins contribué que Rennes a 1’accli-matation de la littérature des mystères en Haute-Bre-tagne. A l’aube dn xvii' siècle, on la voit, cette littérature, qui, dépassant Ie pays nantais vers l’ouest, est sur Ie point d’attcindre Vannes. Elle est en pleinenbsp;lloraison a Malestroit dont les registres de paroissenbsp;nous apprennent que, Ie 2 septembre 1601, il y outnbsp;une représcntation de VHisloire de Madame Saintenbsp;Marguerite, dirigce par Messire Nicolas Guillorel, et,nbsp;Ie 11 novembre 1626, une representation de VHisloirenbsp;de Judith a Jouée par les ócoliers de maitre Juliennbsp;Matliieu, écrivain et précepteur, demeurant a Tire-peine dans ladite paroisse » *.
L’habitude des spectacles dramatiques était si bien entrée dans les moours de la Bretagne frangaise dèsnbsp;les premières années du xvi° siècle que les marins denbsp;cette région en emportaient Ie souvenir jusque dansnbsp;les plus lointains pays. ïémoin cette phrase quenbsp;j’emprunte au journal de voyage de Jacques Cartier.nbsp;II venait d’arriver a Hocliclaga. Les indigènes desnbsp;deux sexes, accourus au-devant de lui, Ie laissèrentnbsp;d’abord pénétrcr au milieu d’eux, avec son equipage.nbsp;(( Après lesquelles clioses, dit-il, les hommes firentnbsp;retirer les femmes else assirentsur la terre a l’entournbsp;de nous, commesi eussions voulu jouer un mysh're ))nbsp;C’est done qu’il était accoutumé den voir jouer dansnbsp;sa patrie malouine, que la soudaine image s’en ofïrait
1. nbsp;nbsp;nbsp;Petit de Julleville, llistoire du theatre en France, Lesnbsp;Mystères, t. II, p. 173.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Bref récit et succincte narration de la navigation faite ennbsp;MDXXXV et MDXXXVI par Ie capitaine Jacques Cartier,nbsp;éd. d’Avezac, p. 2ö.
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si naturellement a son esprit. Et maintenant, comment s’étonner que la Bretagne bretonnante se soit empressée de faire sien un divertissement littérairenbsp;déja populaire dans cette Haute-Bretagne oüfréqiien-tait son aristocratie, oü étudiaient ses clercs et d’oCinbsp;elle recevait tout a la fois Ie mot d’ordre politique etnbsp;Ie verbe intellectuel? Le mariage de la duchesse Annenbsp;avec le roi de France eut, a eet égard, les effets lesnbsp;plus marqués. Forcée de vivre dorénavant a Paris oü,nbsp;même entourée de Bretons, elle se considérait un peunbsp;comme en exil, la reine n’était pas sans éprouvernbsp;une vague nostalgie de sa province natale et no senbsp;résignait qu’a demi aux obligations de toute naturenbsp;qui l’en tenaient éloignée. Lorsque, enfin, en löOö,nbsp;« par le congé et licence du noble roy Loys », il luinbsp;fut loisible d'y revenir, après treize ou quatorzenbsp;années d’absence, elle résolut d’en profiler pour lanbsp;parcourir tout enticre et la visiter, en quelque sorte,nbsp;a fond; ce qu’elle n’eüt peut-être jamais songé a fairenbsp;si elle n’avait pas quitté le duché. L’annonce de cenbsp;pèlcrinage mit en 1’air les têtes bretonnes. ïoutes lesnbsp;villes comprises dans 1’itinéraire de la reine lui pré-parèrent des receptions triomphales. Et, parmi lesnbsp;distractions a lui offrir, on se préoccupa — cela s’en-tend assez — de clioisir celles qui pouvaient lui êtrenbsp;le plus agréables. Or, son penchant pour les jeuxnbsp;dramatiques n’était ignore de personne. Au contrairenbsp;de son parisien de inari qui, nous dit Petit de Julle-ville, ne s’intéressait guère, en fait de théatre, qu’anbsp;la sottie, la reine Anne, fidéle sur ce point commenbsp;sur bien d’autres au sentiment de sa race, aimait pas-
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sioniióment les mystères, les spectacles religieux ou allégoriqucs quo son père, Frangois II, n’avaitpas éténbsp;des derniers a favoriserCe fut done h qui monteraitnbsp;pour elle les representations les plus cclatantes. Ellenbsp;commenga son voyage par Nantes oü elle avait re^u,nbsp;pen d’années aupnravant (1498), un accueil décrit ennbsp;ces tormes par Ogée ^: « On remarqua une jeune flllenbsp;superbement vêtue, qui, portée dans une tour sur Ienbsp;dos d’un éléphant, présentait a la reine les clefs denbsp;la ville en trousseau. Deux sauvages conduisaientnbsp;cette bete, qui était de bois et mise en mouvementnbsp;par des hommes qui, saus paraitre, la faisaient marcher. Dans la suite on se livra plus a la joie; la villenbsp;donna au carrefour du Pilori une morisque de mora-lité; on representa la feinte de fortune au carrefournbsp;Saint-Jean, la feinte du myslère des vérités au carrefour Saint-Vincent, une pastorale dans un bocagenbsp;artificiel drossó expres, et Ie mystère du jugement denbsp;Paris, ou de la fable des trois déesses Junon, Pallasnbsp;et Vénus. » II est a croire que les réjouissances denbsp;'I50Ö ne Ie cédèrent pas en magnificence a celles denbsp;1498. Mais si nous ne savons pas comment les Nan-tais fètèrent leur souveraine, au depart, nous savons,nbsp;en revanche, comment les Dinannais I’accueillirent,nbsp;au retour. A Dinan, raconte Ie chroniqueur Alainnbsp;Bouchard « vint au dovant d’elle environ demie lieunbsp;une bergere fort joyeuse a la collaudation de ladicte
1. nbsp;nbsp;nbsp;Petit de Jullcville, Les Hlystères, t. I, p. 34!).
2. nbsp;nbsp;nbsp;Ogéc, Dictionnaire hislorique et yéographique de la Bre-ICHjne, t. II, p, 137.
3. nbsp;nbsp;nbsp;Alain Bouchard, Les Grandes Chroniquesnbsp;nbsp;nbsp;nbsp;edition
des Bibliophiles hretons, T 200, v°.
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dame, faicto de liault stille et Jouée a ladvenant par gens de sorte ».
Mals, ce qu’il y a pour nous do particulièremenl précicux a constater, c’est quo la Bassc-Bretagne nenbsp;demeura pas cn arrière du mouvement et qu’ainsi lesnbsp;premiers divertissements sceniques saus doute quenbsp;les Bretons armoricains aient connus firent, ennbsp;quelque manière, leur entree cliez cux pour fêter Icnbsp;retour de la reine Anne. La splendeur qu’ils revêtirentnbsp;dès l’abord fut, parait-il, au-dessus de tout ce quenbsp;l’auguste voyageuse avait pu contempler jusque-la.nbsp;L’auteur des Chroniques ‘ Ie declare expressément dansnbsp;les lignes enthousiastes qu’il consacre a l’étape donbsp;Morlaix : « Silz avoient bien faict os aultres lieux,nbsp;ceulx de sadicto villo dudict Morlaix sefïorcercnt denbsp;faire encores mieulx : car ilz ne sont point de faillynbsp;courage. De toutes fainctes, jeuz et esbatemens ynbsp;avoit en chascun endroit de ladicte ville, et entre lesnbsp;aultres, y estoit ring arbre assis au meilleu de ladictenbsp;ville, en laquelle la genealogie de la noble dame Anne,nbsp;royne et duchesse de Bretaigne, estoit demonstreo denbsp;branche en branche comme elle estoit procedee dircc-tement de vraye souche et succedee a la ladicte duché,nbsp;qui estoit une chose singuliere et de grand espritnbsp;comprinse, et oü ladicte dame print ung grant plaisirnbsp;a veoir et regarder, et quasi ploroit de joye a veoirnbsp;ledit arbre, car a chascuno branche estoient grans per-sonnagos abillez chascun selon son estat, et au plusnbsp;hault une belle pucelle representant ladicte dame
1. Alain Bouchard, Les grandes chroniques de Breiar/ne, f°266,r'’.
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decoree de plusieurs beaulx et triumphaiis abillemens. Si vous eussiez veil les joyes, esbatemens et dancesnbsp;que ling cbascun faisoit pour I'lionneur de ladictenbsp;dame, cestoit merveilles et sembloit estro iing petitnbsp;paradis. » La representation figuroe que decrit sinbsp;complaisamment Alain Bouchard u’a aucun titre, jenbsp;le sais, a être classée parmi les mystères; mais il ennbsp;devait ètre différemment des « fainctes » qu’11 se contente de mentionner : il est probable qii’elles met-taient en scène, comme a Nantes, soit des épisodesnbsp;mythologiques, soit dos sujets moraux.
De Morlaix, la reine, après avoir passé par Tréguier, se rendita Guingamp. Etici Ie doute n’est plus possible : c’est bien d’un mystère qu’elle y fut régalée.nbsp;Nous Ie savons, non plus par Ie rédt d’Alain Bouchard, mais par un document du même genre ([uenbsp;celui qui nous a révélé plus haut les incidents de lanbsp;représcnlation de Domalain. II s’agit, en effet, d’unenbsp;lettre de remission, accordée, cette fois encore, parnbsp;Louis Xll et datée de Ploërmel Ie B janvier löOG.nbsp;Comme c’est la première attestation ollicielle que nousnbsp;ayons de la représentation d’un mystère en Bassc-Bretagne, je la donne prosque en son entier : a Loys,nbsp;par la grace de Dieu, roy de France et due de Bretaigne,nbsp;a touz presens et a vcnir salut. Nous avoirs receunbsp;riiiimble supplicacion et reqiieste nous faicte de lanbsp;partie des parens et amys consanguins de Bertrannbsp;Jehannc, des parties de Guingamp, contenant quenbsp;comme, du commandement des bourgeoys, manansnbsp;et habitans de la ville de Guingamp, et pour 1’onneurnbsp;de la joyeuse entree de la Royne en icelle ville, au
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mois de septembre derroin, et afin de lui donner et faire quelque passe-temps, iceulx bourgeoys et habi-tans eussent fait prepareren icelle ville, sur ung puiznbsp;estant au devant de la maison de Yvon Le Dantec, oiinbsp;fust logée nostre compaigne, certain chaffault ouquelnbsp;y avait quelzques personnaigcs et misteres, et eustnbsp;esté, pour plus grande decoracion et triompe, le ditnbsp;puiz et chaffault embelly de tappicerie, et que celuynbsp;Bertran, qui est charpentier, eust partie de la chargenbsp;de faire ledit chaffault, et dempuix, celuy Bertrannbsp;Jehanne et Perrot Le Gat eussent esté commis, aprèsnbsp;1’entrée faicte en ladite ville par ladite damme, quantnbsp;affin de soy prendre garde de la tappicerie et autresnbsp;choses estant, allentour dudit chaffault; —il, estantnbsp;oudit chaffault, le jour ensuyvant ladite entree, veitnbsp;1’un des sommeliers de la maison de ladite dammenbsp;mettre pluseurs fiacons d’argent dedans ledit puiz,nbsp;lesquelz estoint empliz de vin. Et environ deux ou troysnbsp;heures après mydy d’icelui jour, pendant que nostrenbsp;dite compaigne estoit allee veoir quelques lutes qui senbsp;faisoint iceluy jour au cloaistre des Cordeliers duditnbsp;Guingamp, celui Bertran Jehanne et Perrot Le Gat,nbsp;pour tant que aucun ne les voyoit, tirerent par deuxnbsp;fois l’un desdits flacons ouquel y avolt du vin et ennbsp;burent a chascune desdites foiz. Et, après qu’ilnbsp;eurent bu la derroine foiz, celui Jehanne dist auditnbsp;Le Gat que s’ilz voulloint ilz embleroient bien le ditnbsp;flacon. Et de fait Ic dit Jehanne le mist dessoubz sanbsp;robe et afferent ensemble en la halle dudit lieu et denbsp;la tirerent jusques a la place du Champ-au-Roy, oü ilnbsp;n’y a aucunes maisons, et illec firent ung pertuys au
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dedans d’un fumier y estant, auquel ilz cachèrent le-dit flacon oii il fut par l’espace d’environ troys sep-maines. Et ((ue, dempuix ce, estant ladite damme en ladite ville, fut bnnny et proclamó quo si aucun savoitnbsp;quo estoit devenu Icditflacon, qu’il Ie fust venu notif-fier et dire aux officiers de nostro dite compaigne, surnbsp;paine de la hart et d’en estre pugny; ce que ne fistnbsp;ledit suppliant, combien qu’il fust acertainé de laditenbsp;bannie. Et que, environ trois somaines passées, celuynbsp;.Tehanne demanda par pluseurs foiz audit Le Gat cenbsp;qu’il avoit fait du flacon et qu’il convenoit qu’il ennbsp;eust sa part, autremcnt qu’il feroit rapport a la justice commo celui Perrot 1’avoit eu. Lequcl Perrot Lenbsp;Gat, dempuix ce, coppa et detrancha la chayne duditnbsp;flacon et en porta partie chés ung nommó Guillaumenbsp;Moysan, mercier, demeurant en ladite ville de Guin-gamp. Quel Moysan, doutant icelle chaigne estre duditnbsp;flacon en avertit les gens de justice dessus les lieux, les-quelz envoyerent en sa maison en laquelle ilz prind-rent celuy Perrot Le Gat et après firent prendre celuynbsp;Berlran Jehanne, quel, a l’occasion dudit cas, a esténbsp;et est encore a present détenu en nos prinsons duditnbsp;GuingampL.. » Louis XII fait miséricorde au peunbsp;scrupnleux charpentier, a la charge pour lui denbsp;(( bailler aux Cordeliers de Guingamp )) la somme denbsp;six ecus. C’était s’en tirer a bon compte. Quant a Lenbsp;Gat, il y avait sans doute beau temps que son cadavrenbsp;se balanfait au gibet de la ville.
II est dommago qu’en cette circonstance la lettre de
1. A. de la Borderio, Mélanges cVhistoire et d'archéologie hretonnes, t. 1, p. 107-109.
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remission iie nous ait pas conservé, comme dans l’alïaire cle Domalain, le titre dii mystère dont lesnbsp;apprêts furcnt la cause occasioniielle du delit. Quellenbsp;action ce mystère ótalait-ilauxyeux de la reine Anne?nbsp;Quels róles tenaient les (( personnages » dont il estnbsp;fait mention? Etaient-ce des róles parlésou seulementnbsp;mimés? Autant de points qui restent ensevelis pournbsp;nous dans l’ombre. Aussi bien l’important n’est-ilpasnbsp;de recherchcr quel a pu être le sujet de ces « mistères))nbsp;joués a Guingamp oii de ces « feinctes « jouées anbsp;Morlaix, mais de constatcr que, dans Tetc de 1505,nbsp;vingt-cinq ans avant la publication du premiernbsp;drame armoricain daté, il y a eu en deux villes denbsp;Basse-Bretagne des représentations dramatiques etnbsp;que ces représentations, organisées pour le passagenbsp;d’une reine, bretonne de coeur mais fraiigaise de languc,nbsp;ont dü — sous peine de n’être point entendues d’ellenbsp;et sauf le cas peu probable oü il nc sc sorait agi quenbsp;de simples pantomimes — avoir été sinon des représentations frangaises, du moins des représentationsnbsp;en francais.
C’est done a l’exemple et sous les auspices de la France quo Tart dramatique du moyen age a fait sonnbsp;apparition en Bretagne bretonnante. Unefois implanténbsp;dansce sol nouveau, vierge, a vrai dire, de toute autrenbsp;culture, il était destiné, surtout aux siècles suivants,nbsp;a y pousser des racines solides et profondes. üe cettenbsp;souche frangaise n’allait pas tarder a croitre, a senbsp;ramifier, une épaissc frondaison locale. Remarquonsnbsp;toutefois ce fait caractéristique et qui vient, nousnbsp;semble-t-il, en confirmation définitive de la tbèso
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LE THEATRE CELTIQÜE.
exposée au cours de ce chapitre : loin de s’être égale-ment étendue a toute la Bretagne armoricaine, la litté-rature bretoniie des mystères est demeurée comme can-tonnée dans deux regions embrassant, Tune, 1’évêché de Vannes, au sud, l’autre, l’évêché de ïréguier avecnbsp;la lisière bretonnante de 1’évêclié de Saint-Brieuc, aunbsp;nord, c’est-a-dire, comme on peut voir, les parties denbsp;la péninsule qui, confinant a la zone de langue fran-Qalse, ont toujours étó les plus directement ouvertesnbsp;aux apports de l’esprit francais. II n’y a pas trace, dunbsp;moins a ma connaissance, que cette littérature aitnbsp;pénétré dans les districts montagneux du centre ninbsp;qu’elle ait franchi, vers l’ouest, la rivière de Morlaix,nbsp;sur Ie versant de la Manche ou la limite du Blavet,nbsp;sur Ie versant de l’Atlantique. Tout Ie Léon, toute lanbsp;Cornouaille, ainsi que l’ancien comté de Polier, resten! complètement en dehors de ITiistoire du théatrenbsp;breton. S’ils ont eu des annales dramatiques, nulnbsp;écho ne nous en a transmis Ie souvenir. Pas une foisnbsp;leur nom ne figure dans les arrêts multipliés par les-qucls Ie Parlement s’effor^a de proscrire les représen-tations de mystères en Basse-Bretagne. Et, certes, jenbsp;n’ai garde d’oublier que Ia Vie de sainle Nonn a pour-tant été trouvée a Dirinon, prés de Landerneau, dansnbsp;la Haute-Cornouaille. Mais n’y a-t-il pas préclsémentnbsp;quelque étrangeté dans Ie cas de ce mystère unique?nbsp;L’abbé Sionnet veut qu’il ait été joué sur place*. Lesnbsp;raisons qu’il en donne en feraient plutót douter. « Lenbsp;pelil nombre de vieillavds qui, sur la paroissc de Diri-
1. La Vie de sainle Nonn, p. xxv.
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non, connaissaient I’cxistenco dii « Buhcx », se rap-pelaientbien avoir eaitenclu raconter clt; fears pèrc«, qui eux-mêmes le tenaient de Iradilion, qiie ce drama senbsp;représentait le jour de la fête de sainte Nonn. Us nenbsp;savaient en quel endroil, mais ih conjecturaient quenbsp;c’était dans leur paroisse. » Ge qui revienta dire que lanbsp;Vie de sainte Nonn fut peut-etre jouée quelque part,nbsp;on ne saitoii, ni quand. Et il restc que les deuxpatriesnbsp;autlientiques des mystèrcsbrelonsontétéleVannetais,nbsp;dontrorientation naturelle était vers Nantes, etle Tre-gorrois, dont I’orientation naturelle était vers Rennes.
Luzel explique d’une autre manière, il est vrai, la prospérité prcsque sans seconde de la littérature dra-matique bretonne en pays trégorrois. A I’entendrc, sinbsp;les représentations y ont été plus répandues et lesnbsp;manuscrits plus soigneusement conservés ou plusnbsp;souvent recopies que partout ailleurs, c’est que « 1’an-cien évêché de Treguier » est (( la tcrre classlque denbsp;notre littérature nationale... I’Attique de la Basse-Bretagne», pourainsi parler. a Le paysan trécorrois,nbsp;dit-il, est intelligent, spirituel, frondeur volontiers,nbsp;curieux de voir et désireux d’apprendre ; il a d’autresnbsp;besoins queceuxde la vie matérielle; il aime la poésienbsp;et le merveilleux, et sa mémoire est ordinairementnbsp;bien fournie de vieux gtrerz et de sones nouveaux, denbsp;contes fantastiques et de fragments de vieux inystèresnbsp;qu’il chante ou déclame a haute voix, le soir, ennbsp;menant ses chevaux au paturage, ou sur les cheminsnbsp;des pardons'.» Luzel se plait a reconnoitre chez luia un
1. Sainte Tryphine et le roi Arthur, Introduction, p. viii.
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degré de culture intellectuelle et littéraire qu’on est d’ordinairepeu disposé a Recorder au paysan breton. »nbsp;11 déclare enfin « l'esprit trécorrois... plus délié, plusnbsp;ouvert, plus cultivé que celui du Cornouaillais, maisnbsp;surtout du Leonard' ». Et c’est a quoi nous n’avonsnbsp;nulle envie de contredire. 11 n’y a dans ce juste clogenbsp;d’une des variétés les plus attachantes de la familienbsp;bretonne rien qui ne soit conforme a la réalité. Et jenbsp;ne doute point d’autre part que ce ne soit par la supé-riorité de l’esprit trégorrois qu’il convienne d’expli-qner Ie développement et la persistance d'un art dra-matique en Trégor. Mais cen’est la que reculer Ie pro-blème pour aboutir au méme résultat. Par oünbsp;s’explique a son tour cette supériorité, et pourquoi lanbsp;race trégorroise apparait-elle d’essencc plus fine, denbsp;mémoire plus riche et d’imagination plus inventivenbsp;que ses congénères du Léon on de la Cornouaille,nbsp;sinon paree que, plus immédiatement en contact avecnbsp;la France, elle s’est, a son insu et sans y taclicr pcut-être, plus profondément imprégnée de culture fran-faise? L’opinion de Luzel se ramène, en dernière analyse, a la nótrc. On n’a, du reste, pas encore suffi-samment démclé, que je sache, Ie rule du facteurnbsp;francais dans la formation do l'esprit breton. Anbsp;l’étudier de plus pres, on s’apercevra, j’en suis sur,nbsp;que, méme dans Ie champ de la littérature populaire,nbsp;ce róle a été beaucoup plus considérable qu’on ne l’anbsp;cru jusqu’a ce jour. Qu'il a été capital dans los mys-tères, c’est cc que les mystères eux-mêmes vont nousnbsp;montrer.
d. Luzel, Contes populaires de Basse-Bretagne, Preface, p. xii.
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Le cycle de l’Ancien Testaiiient : la Gréation du Monde. — Le cycle du Nouveau Testament ; la Vie de sainte Anne; la Vienbsp;de saint Jean-Baptiste; Ia Vie de saint Pierre et de saint Paul;nbsp;la Vie de PAntechrist. — Le cycle des saints : Ia Viedesaintnbsp;Laurent. — Le cycle romancstiue : Iluon de Bordeaux.
Les différents iioms par lesquels ont été désignés les mystères en Bretagne four nissent déja uno pré-somption en faveur de leur provenance frangaise. II ynbsp;a un mot armoricain — le mot c'hoari (jeu)' — quinbsp;eüt parfaitement convcnu dans l’espèce. Or, on ncnbsp;voit pas qu’il uit jamais été employé. Les appellationsnbsp;que 1’on relève dans les plus anciens documents sontnbsp;celles de mijster (mystère), buhez (vie), lystoar (liis-toire), que l’on rencontre réunies toutes trois dans lanbsp;Vie de sainte Barbe^. Le mot mysler, pris dans cette
1. nbsp;nbsp;nbsp;On salt que le mot jeu était couramrnent employé en Francenbsp;pour designer les mystères et les moralités.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Aman ez dezrou buiiez santé Barba (Ici ccmmence la vienbsp;de sainte Barbe).
Gruot silancc ha ma'z commanccr Aüticr dre myster disclaeryetnbsp;Clouar ystoar santes Barba.
(Faites silence, alin que Pon commence ii représenter entiè-remcnt en mystère Patlendrissante histoire de sainte Barbe.)
(E. Ebnault, Lc Mystère de sainte Barbe, p. 2.)
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acception, semble avoir été abandonné trés vite, pro-bablement paree qu’il avait cessé d'avoir cours en France. Ystoar et Buhez, en revanche, sont constam-ment restés en usage. A partir du xviiV siècle néan-moins, ils sont souvent remplacés par ie mot trajedinbsp;(ou trajedien) que 1’introduction des representationsnbsp;dramatiques dans les colleges avait sans doute mis anbsp;Ia mode. Négligeons, si 1’on veut, ce dernier terme.nbsp;Est-ii besoin de faire remarquer que les noms d’(( liis-toire )) et de « vie » sont précisément ceux que lesnbsp;auteurs francais de mystères avaient coutume d’appli-quer a leurs productions? Et n’y a-t-il pas la unnbsp;indice fort significatif? Mais venons a 1’examen desnbsp;oeuvres.
Petit de Jullevillo a divisé les mystères francais en trois grands cycles : « Ie cycle del’Ancien Testament;nbsp;Ie cycle du Nouveau Testament, qui renferme l’hlstoirenbsp;du Christ et celle des apótres; enfin ie cycle desnbsp;Saints*. » Ce sont aussi bien les trois categories prin-cipales dans lesquelles rentrent les mystères bretonsnbsp;a la condition, toutefois, d’y adjoindrc une quatrième,nbsp;et qui nc serait pas la moins abondante, comprenantnbsp;les pièces tirées des romans de chevalerie. Ce cyclenbsp;supplémentaire, bien que Petit de Julleville l’ait tenunbsp;pour négligeable, a, d’ailleurs, eu ses représentantsnbsp;en France, ne fut-ce que dans Ie Mtjstère de Huon denbsp;Bordeaux, joué, dit Gaston Paris, en 1557^.
Le cycle de 1’Ancien Testament s’ouvre, en Bretagne comme en France, par l’histoire de la création
1. nbsp;nbsp;nbsp;histoire du thédlre en France, Les Mystères, t. I, p. 208.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Poèmes et léyendes du moyen Age, p. 93.
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LES QUATRE CYCLES DRAMATIQUES.
(lu monde'. Nous assistons a la chute de Lucifer et dos mauvais anges, puls a la « formation » del’liomme etnbsp;de la femme. Après quoi, toute la destinée d’Adam etnbsp;d’Èvo se dcroule oii ime serie de scènes identiques anbsp;celles du drame frangais. Cliassósdu « jardin d’Édon »,nbsp;los deux coupables se rendent dans la vallée d’Hébronnbsp;oü ils se construisent (( une maison faito de terre,nbsp;faute de mélal », et qu’ils recouvrent avec desfeuilles.nbsp;Adam decide qu’avant d’y vivre ensemble ils se scpa-reront pendant un laps de trente jours. II conduit Èvenbsp;sur les bords du Tigrc et gagne lui-même les rives dunbsp;Jourdain. Nouvel assaut du démon qui pousse lanbsp;femme a se rapprocher de son mari sans attendre Ienbsp;torme qu’11 lui a fixé. Reprocbes d’Adam, repentirnbsp;d’Eve. Ils rentrent on Ilébron, labourent la terre,nbsp;sèment « du froment et du seigle » que les diablesnbsp;viennent « gater ». Force leur est de trier la récoltenbsp;avant de la battre « avec un brin de fagot ». Adamnbsp;donne a sa femme, trop maladroito, unelegon de van-nage. Ève gómit, elle se sent étrangement lasse.
Adam, mon vrai époux, j’ai quelquo chose de change dans tous mes membres. Je suis exténuée, cette fois. iMesnbsp;douleurs sent grandes. llélas! je n’ai plus de resistance.nbsp;Si cela dure trois jours, il me faudra mourir. Prêtez-moinbsp;Yotre secours, Dien Ie Père. b’heurc est arrivée oüj’enfan-terai fille ou fils. Vous, mon époux Adam, ne hougez pasnbsp;d auprès de moi. Votre presence m’apporte un grand sou-lagement. Pardon, mon vrai Dieu! II faut quitter ce monde.nbsp;Vous m’aviez créée pour être exempte de peine et voicinbsp;Ie temps oü je vais être seule a soulï'rir-.
P Bibl. nat. n” 12; ms. de la hibliotlièque de Quimper.
2. La Creation du Monde, ms. de la bibliolhèque de Quimper (non paginé).
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Elle accouche de deux enfants. Dans la scène sui-vante, Adam leur raconte sa vie et leur divulgue Ie péché de leur mère. Leur lot, a eux aussi, sera denbsp;(( labourer la terre, de suer sang et eau pour l’amournbsp;de Dieu ». Et 11 leur distribue leurs taches : Gain tra-vaillera « pour gagner Ie blé », Abel sera « gardeur denbsp;moutons ». Satan excite la jalousie de Caïn contrenbsp;son frère. Quand les deux jeunes gens vont pour oörirnbsp;un sacrifice, la fumée du feu de Gain, trop lourde,nbsp;refuse de s’élever vers Ie ciel. II emmène Abel dans lanbsp;montagne et Ie frappe d’une « machoire d’ane », ennbsp;disant ; « Sacrifie maintenant ton ame a Dieu Ienbsp;Père! » Abel tombe en invoquant la justice divine.nbsp;Dieu lui révèle Ie sort de l’ame séparée du corps etnbsp;lui annonce qu’il sera mis, un jour, au rang desnbsp;martyrs, mais qu’il devra rester dans les limbesnbsp;« jusqu’a ce que sou Fils ait gravi Ie Mont Cal-vaire ». Caïn, poursuivi par la malédiction de Dieu,nbsp;s’écrie :
O Dieu éternel puisque vous m’avez exilö, (puisque je dois) comme un vagabond, errer a travers Ie monde,nbsp;faites, je vous Ie demande, que riiomme que je verrai etnbsp;rencontrerai Ie premier me tue !
Bint Ie père parle.
Je te Ie dis, Caïn, cela n’arrivera pas... A cause de ton crime et de ta méchanceté, en mémoire de cela, je vais,nbsp;avant que tu me quittes, forger un sceau dont je tenbsp;marquerai, afin que Ie monde entier te reconnaisse ennbsp;te voyant, aussi loin que tu iras par Ie monde. Le solnbsp;même que tu laboureras ne produira rien pour te sus-tenter.
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LES QUATRE CYCLES DRAMATIQUES.
Adam et Ève se lamentent sur Ie cadavre d’Abel et déplorent leur solitude. Gain passe, sorte de person-nification anticipée du Juif-Errant:
Je n’ai pas Ie droit de m’arrêter un instant ni do séjourner longtemps dans Ie même canton. Dien Ie com-mande ; il faut obéir. Je me promènerai en tons lieux;nbsp;Vaste est ce monde.
Lorsqu’il rcparait, il a femme et enfants et sa descendance elle-même s’est multipliée. Nous voyons défiler Enoch, puis Irad, puis Matuzaël, puis Lamechnbsp;avec ses deux femmes, Ada et Tsilla, enfin Jubal etnbsp;Tubalcaïn que Lamech, leur père, convie a fairenbsp;oeuvre de leurs doigfs. Jubal fabriquera des instru-Kients de musique « pour divertir tons les gens dunbsp;pays)); Tubalcaïn, qui est « un bomme dur » {eun dennbsp;cafez), seraforgeur d’outils. Le drame nous les montrenbsp;a 1’ouvrage. Irad vient commander une hache et unenbsp;doloire a Tubalcaïn « le marécbal », cependant qu’unnbsp;berger acbète a Jubal une flüte pour laquelle il luinbsp;donne « un agnelet en paiement ». Et la premièrenbsp;journée de la pièce finit sur ce tableau de l’invcntionnbsp;des arts. Au début de la seconde journée, Adam quinbsp;sent approcber le terme de sa vie, envoie son lils Sethnbsp;cliercher au Jardin d’Eden Yhuile de müéricorde quenbsp;bJieu lui a promise. Seth se dirige vers Ie paradis ter-restre en se guidant sur les emprcintes laissées parnbsp;les pieds de ses parents lorsqu’ils en sortirent. « L’angenbsp;cfiérubin )) lui ouvre Ia porte avec une « grande clef »
lui fait tout visiter en détail.
Aoici, Setli, la place oü fut créé autrefois votre ère par le créateur du monde et lui fut ensuite enlevée une
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IE THEATRE CELTIQUE.
cóte pour former sa femme, votre inère Ève... Jci ils furent créés au milieu de toutes sortes de délices. IIs n’étaientnbsp;point, en ce temps-la, soumis a la mort. Mais ils péclièrentnbsp;par leur fragilité en transgressant les ordres de Dieu.
II Ie mono devant l’arbre du bien et du mal. « Ainsi done, chérubin », s’ccrie Selh, « c’est la Tarbrc qui anbsp;été tant de fois reprochc a ma pauvre mere! » Sou-dain il remarquo dans I’arbrc (( un petit enfantelet »nbsp;qui est bien, s’il nc s’abuse, « la plus belle créature »nbsp;qu'il ait jamais vue. Alors, l’ange :
Cet enfant représente, mon ami, Ie portrait de celui qui doit venir raclieler Ie monde, du second Adam qui senbsp;portera caution pour tons les ijécliours... de celui quinbsp;certes ouvrira les portes du paradis a quiconque Ie priera,nbsp;et qui chargei’a de cliaincs Ie corps duMalin Esprit, s’il senbsp;mêle encore de tenter ceux qu’il aime. ïenez, voici troi.snbsp;pépins d’une pomme de co même arbre. Ces pépins, quaiidnbsp;votre père sera mort, vous en metlrez un dans sa bouclienbsp;et deux dans ses deux yeux. De ces pépins-la naitrontnbsp;trois arbres qui seront profltables aux péclieurs. bes troisnbsp;arbres qui naitront ainsi auront pour noms, l’un, cèdre,nbsp;les deux autres, palmier et olivier. Mais il faudra qu’ilsnbsp;ne fassent plus qu’un pour poiivoir porter Ie Fils de Dieunbsp;quand il racbètera Ie péché.
En même temps, Ie chérubin remet a Setli 1’huile de miséricorde, « en une petite burette », lui « fait unnbsp;pas de conduite » et, avant de Ie congédier, Ie chargenbsp;de ses « compliments » pour son « bon ami Adam ».nbsp;Do retour aupres de son père, Seth raconte au longnbsp;son voyage, sans oublier les compliments de l’Ange,nbsp;puis, lorsque Adam a été frappé par la Mort, exécutenbsp;ponctuellement a son égard les prescriptions qu’il a
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revues. La « grand-mère » Ève ne tarde pas a siiivre son mari claus ia tombe. Ici, une diablerie. Lesnbsp;démons tiennent conseil sur les moyens d’arriver anbsp;perverlir Ie monde, lis entrent en campagne. Nousnbsp;les voyons tenter des bergers et les induirc a « déca-piter » les tiges de blé pour tresser des chapeaux avecnbsp;lapaille. Entre temps Seth meurt et, après lui, c’estnbsp;Ie tour de Lamech. Puis, c’est Ie prophéte Élie a quinbsp;ïlieu fait ouvrir les portes du paradis terrestre. Lenbsp;monde, cependant, va de mal en pis. « Les gars et lesnbsp;mies )), constate le démon Bérith, « sont, jour et nuit,nbsp;a se fréquenter. 11 n’y a plus de séparation entre eux. »nbsp;Partout règne la corruption; les geus sont tombésnbsp;plus bas (( que les bctes brutes ». Soul, Noé estnbsp;demeuré fidéle a Dieu. Aussi sera-t-il sauvé dunbsp;« deluge universcl ». II construit l’arche, aidé de sesnbsp;Irois fils, Sem « le prêtre », Cham « le roturier »,nbsp;Japhet, « le premier gentilhomme ». Vient la scènenbsp;du déluge.
PREMIER NOYÉ.
Force! Oü irai-je? Envahi est le monde, de tous cótés, par les grandes eaux. Je ne sais oü aller. J’ai déja vu desnbsp;personnes emportées par le flot. Je ne sais que faire pournbsp;öie secourir. Puisque je n’ai pas pu me garer, il me fautnbsp;Tester dans la grande eau, hélas! a me noyer.
DEUXIÈME NOYÉ.
o malheur detestable! Qu’est-ce que cecP?... Je crois que Dieu est fdché... Je n’aper^ois do toutes parts que denbsp;1 eau corrompue. Je dis adieu au monde. Ilélas! je vaisnbsp;sombrer.
TROISIÈME NOYÉ.
Oh! quelle catastrophe a fondu sur le monde! Bêtes et gens sont déja submergés. J’ai beau nager, je ne puis me
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maintenir sur l’eau. Je ne yois nulle terre oü me réfu-gier. Moii Dieu, mon créateur, ayez de moi compassion! Ne merendezpas aussi mallieureux que lesmauvaisanges I
QUATRIÈME NOYÉ.
O furie! O calamité! O tempêle infernale! Qu’est-ce que ce déluge qui envaliit la terre? II ne reste déja plus ninbsp;femmes, ni Alles. II n’y a rien en ce monde qui ne soitnbsp;déja noyé. Je pensais être a l’abri de tout danger, ennbsp;voyant que j’étais demeuré ici, sur la hauteur.
ÜNE FEMME AVEC UN ENFANT.
O Dieu éternel, quelle chose navrante que ce qui arrive ici, hélas! sur la terre! Ilélas! mon enfant, tu nenbsp;te doutes pas, toi, que ta mère et toi vous êtes condamnésnbsp;a être noyés. Je n’ai plus la force de Ie trainer a traversnbsp;l’eau. Ni toi, ni moi, hélas! ne pouvons nous sauver,
L’arche a touché terre : scs hótes rendent graces a Dieu. Puis Noé plante la vigne et cueillelavendange.nbsp;II a (( hate de savoir si Ie vin sera bon » : il en prendnbsp;une (( bouteillée » et la vide tout entière, tellement ilnbsp;trouve la liqueur « douce et favorable ». L’ivressenbsp;s’empare de lui : «il ne peut rester debout », il « perdnbsp;la mémoire ». Son corps « est si brulant et sa tête sinbsp;enflammée » qu’il est (( oblige de se dévêtir », sinonilnbsp;ne durera pas. Scène du manteau. Dieu voue Cham anbsp;être l’esclave de ses frères, tant qu’ils vivront; Semnbsp;desservira l’autel et sera sacrificateur; Japhet auranbsp;dans ses attributions la « police w et conduira lesnbsp;nations. Sur ces entrefaites, Noé meurt. L’angenbsp;Raphael transporte son urne aux limbes, et Ie dramenbsp;finit sur une diablerie oü, puisque Ie genre humainnbsp;recommence a peupler la terre, les démons se promet-tent de recommencer aussi a Ie tenter.
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LES QUATRE CYCLES DRAMATIQUES.
Telle est la Créalion du Monde bretonne. L’analyse sommaire que nous venons d’en donner * suffit a fairenbsp;voir qu’olle ne contient jDas un épisode ni, a vrai dire,nbsp;iin détail un peu marquant dont on ne retrouve Ienbsp;prototype dans les verslons frangaises. Non pas quenbsp;Ie poète n’ait pris de nombreuses libertés avec Ie textenbsp;OU plutót les textes d’après lesquels il a travaillé.nbsp;G’est ainsi, par example, qu’il a complètement écarténbsp;lefameux procés de Miséricorde et de Justice qui jouenbsp;dans Ie Viel 7’estament Ie róle que l’on sait; et, désnbsp;lors, Ie Chérubin n’a plus de raison de refuser a Seth,nbsp;en même temps que les trois pépins, Thuile que, dansnbsp;Ie drame francais. Justice oblige Dieu a ne lui pointnbsp;recorder. Par contre, il y a des scènes, comme l’accou-chement d’Eve, que la délicatesse frangaise réservenbsp;pour la coulisse, et que la simplicité bretonne étale etnbsp;développe a plaisir. II y en a d’autres, comme la sépa-ration volontaire d’Adam et d’Eve pendant trentenbsp;jours, leurs mortifications dans les eaux du Tigre etnbsp;du Jourdain, Ia seconde tentation d’Ève par Ie démon,nbsp;qui ne paraissent pas avoir été traitées dans les mys-tères francais. Nous ne les trouvons indiquées quenbsp;dans la légende apocryphe de la Penitence d’Adam. IInbsp;se peut que l’auteur breton soit allé les cliercher Ia.nbsp;Mais je serais plus disposé a croire qu'elles figuraientnbsp;déjèi toutes faites dans Tune ou l’autre des oeuvresnbsp;dramatiques frangaises dont il s’est inspiré. Nousnbsp;sommes loin de connaitre, en eiïet, les multiplesnbsp;avatars que la littérature des mystères a subis dans
1. D’après Ie ms. de la biblioUièque de Quimper,
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LE THEATRE CELTIQUE.
Ie temps et dans l’espace, en se propageant de contrée en contrée a travers la France. L’histoire des theatresnbsp;provincianx n’est pas encore écrite. Et — je Ie dis dèsnbsp;a présent — je n’ai pas la prétention, qiii dépasseraitnbsp;a la fois Ie cadre de mon étude et mes forces, de rap-porter a leurs sources exactes tons les mystères bre-tons. Mon dessein ne saurait être davantage d’analyser,nbsp;même brièvement, comme je Fai fait pour la Créationnbsp;du Monde, tons ceux de ces mystères qui se rattaclientnbsp;au cycle de I’Ancien Testament. L’ambition des adap-tateurs armoricains fut, manifestement, de naturalisernbsp;en Bretagne toute l’immense compilation frangaise.nbsp;II y a cependant de grandes lacunes dans la série,nbsp;tellc du moins que nous la possédons. De Noé 1’onnbsp;saute a Jacob ‘. Et, si nous avons une Vie de Jacob etnbsp;ses enfanls une Vie de Moïse une Efe de Saül et denbsp;David^, Ie reste, c’cst'U-dire ce qui, dans la collectionnbsp;frangaise, intéresse Salomon, Job, Tobie, Suzanne etnbsp;Daniel, Judith, Esther, Octavien et les Sibylles, ounbsp;bien a toujours fait défaut, ou bien n’est pas arrivénbsp;jusqu’a nous. L’histoire de Judith et d’Holopherne estnbsp;l)ourtant représentée dans la littérature bretonne parnbsp;un « cantique spirituel » dialogué qu’on pourraitnbsp;prendre, au premier abord, pour un fragment denbsp;quelque mystère disparu, mais qui n’est, en réalité,nbsp;que la traduction du livret de colportage intitulenbsp;Hisloire de Judith mise.en cantique, tirée de l’Ecrüurenbsp;sainte *, etc. On s’en rendra compte par la comparaison
1. nbsp;nbsp;nbsp;Bil)l. nat. nquot;* iO, .a9.
2. nbsp;nbsp;nbsp;ld., n»‘ IG, 47, Oü.
3. nbsp;nbsp;nbsp;Ms. de la collection Vnllée.
4. nbsp;nbsp;nbsp;II est vrai que, selon la juste remarque de Ch. Nisard
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LES OUATRE CYCLES DRAMATIOUES.
Allez de jour, allez de uuit A travers de toute notre armde,
Vous porlez votrc sauf-conduit,
Régnez, ó beauté bien aimée!
Qui vous fera Ie moindre tort Sera soudain puni de mort.
Entrez, Madame, entrez ici,
Venez voir mes trésors immenses.
Ce seront vos trésors aussi,
Gardez la clef de mes finances;
Je m’en vais dresser un édit Qu’on laisse aller partout Judith.
Princesse, vousêtes libre de vous promener. Conduisez-vous selon votre lol ; allez, cheminez a travers mon armée : je vous recommanderai a mes gens. Coux quinbsp;vous feront du mal, je les punirai, car soudain sera misnbsp;a mort quiconque aura Peffronterie de vous faire lanbsp;moindre insulte. Venez voir mes trésors, mon or, toutesnbsp;mes finances. Ils sont d vous, si vous les voulez aussi,nbsp;pourvu que vous ne changiez pas de sentiment. Je vaisnbsp;donner l’ordre qu’on vous laisse aller oü bon vous sem-blera.
(Histoire des livres populaires, t. II, p. 205), « la plupart de ces cantiques... sont vraisemblablementdes réininiscencos populaires,nbsp;sinon des imilations directes » des Mystéres. Et l’existence ennbsp;liretagne d’un inystére de Judith et d’lloloplicrne nous estnbsp;attestée par l’indicalion suivante que je reléve dans les notesnbsp;do voyage de Euzcl ; « Visite iv un meunier (de 1’leubilian) quinbsp;possède plusieurs iiiystères bretons. 11 s'appellc I.o Conil etnbsp;possède, a l’état de manuscrits ; Robert le Diahle, Judith etnbsp;nouiPiiEiiNE, I.oiiis Ennius, les Duuze pairs de France, Orson etnbsp;Valentin, David. Ne veut rien céder a aucun pri.x. »
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LE THEATRE CELTIQUE.
Avec la Vie de sainte Anne *, nous entrons dans Ie cycle du Nouveau Testament- Cette Vic débute parnbsp;line espècc de prologue oü sont miscs en scène lesnbsp;noces d’Emeransienne avec Stolan, puis la naissancenbsp;de leur fille Anne^ A partir de ce moment, Ie dramonbsp;breton suit presque pas a pas Ie Myslère de la Conception, Nativité de la Vierge et Nalivité de Noire-Seigneur Jésus-Christ, analysé par les frères Parfaitnbsp;Anne est mariée a Joachim. Ils décident de faire troisnbsp;parts de leurs troupeaux (dont les bergers s’appellentnbsp;ar Soigneiix, ar Joyeux) et d’en distribuer deux partsnbsp;aux pauvres. Comme ils vont au temple faire leurnbsp;oblation, Ie grand prêtre {ar belec bras) repousse cellenbsp;de Joachim, considéré comme indigne, « paree qn’ilnbsp;est incapable de produire lignce ». Le texto frangaisnbsp;dit;
Vous esles privé en effect Ainsy qu’on voit d’avoir lignée.
Joachim deplore son infortune, Dieu lui envoie Tange Gabriel lui annoncer que sa femme « concevranbsp;en bref une petite fille qui aura nom Marie », laquelle
1. nbsp;nbsp;nbsp;Manuscrit de la collection La Ilordcrie.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Tout ce debut est compose d’après le livret de colportagenbsp;intitule ; la Vie de sainte Anne, mère de la sainte Vierde, avecnbsp;tes miracles, exemples et plusieurs oraisons. Epinal, S. D. Et ilnbsp;en va do nifime de la fln du mystère oü sont relatces les der-nifcres années de la sainte, depuis le retour d’Égypte. Les indications scéniques sont méme traduites directcinent du lextenbsp;francais, comme on peut Ic voir par cet c.xcmple. « Lors, dit lenbsp;livret, on apercut une clarté qui descondait du ciel, laquellenbsp;environna Anne. » Ge que le texte breton exprime en cesnbsp;terrnes : « Ici descend du ciel une clarté et ello envirionnenbsp;sainte Anno ».
3. nbsp;nbsp;nbsp;Histoire du thédtre francais, t. I, pp. 7Ü-48C.
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LES QUATRE CYCLES DRAMATIQCES .
a son tour « concevra en son corps précieux Ie fils du Hieii éternel qui aura noni Jésus ». L’enfant ayantnbsp;atteint sa troisième année, on la conduit a Jérusalemnbsp;pour la présenter au Temple. Comme dans la piecenbsp;fran^aise, ello en monte toute seule les quinze degrés,nbsp;au grand étonnement des prêtres. Joachim meurt.nbsp;Anne épouse Cléophas, puis, après un second veu-vage, Salomé. Le temps cependant est venu de cher-cher a Marie elle-même un époux selon les desseinsnbsp;de Dien. Lc grand prètre en joint au « commissaire »nbsp;de convoquer dans le Temple tons les hommes « denbsp;la lignée de David » en age de prendre femme : ilsnbsp;dcvront venir munis, chacun, d’une verge : celuinbsp;d’entre eux dont la verge lleurira « épousera Marienbsp;sans contestation ». La scène est la même dans lenbsp;drame frangais et la version bretonnc. Les candidatsnbsp;out depose leurs verges sur Tautol : sculo manquenbsp;cello de Joseph.
LE GRAND-PRÊTRE.
D’après ce que je remarque ici clairement, mes amis, il n'est point parmi vous, celui que notre Créuteur a choisinbsp;pour être l’époux de Marie. Jusqu’a présent je ne voisnbsp;paraitre aucune fleur. Joseph, pourquoi n’avez-vous pasnbsp;apporté de verge, ainsi que je vous 1’avais ordonné?
JOSEPH.
Monsieur le grand-prêtre, si vous voulez me permettre, je vous dirai, certes, sans feinte, que, comme vous pouveznbsp;voir, je suis avancé en age; il n’est pas dans mes intentions de me marier jamais...
LE GRAND-PRÊTRE.
Peut-être, bien que vous soyez avancé en dge, est-ce sur votre verge qu’une rose aurait tleuri.
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LE THEATRE CELTIQUE.
JOSEPH.
Monpèro,vous vous moquez de moi,je Ie sais.N’importe' Que Dieu soit loué!
Force lui est d’allor chercher sa verge : a peine 1’a-t-il déposée auprès des autres, sur l’autel, qu’instan-tanément elle se couvrc de fleurs. Et Ie grand-prêtre de s’écrier;
On verrait plutot te monde mille et mille fois anéanli que votre parole, ó mon Dieu, demeurée inaccomplie. Lanbsp;verge a laquelle nous croyions Ie moins a fleuri. Je vousnbsp;rends grdces. Et l’Esprit Saint, sous la forme d’une étoile,'nbsp;estdescendu, 6miracle! surla verge. Joseph, vous êtessansnbsp;contredit, riiorame que Dieu destine pour époux aMarie.
Tons ces détails se retrouvent, avec de trés légcres variantes, dans Ie drame frangais. Et il en estpareil-lement de Ia suite du mystère jusqu’au retournbsp;d'Egypte. Limitation est partout visible, et Ie plusnbsp;souvent a peine déguisée. Montrons-le par un courtnbsp;rapprochement. Pour obéir a l’édit imperial, Josephnbsp;s’apprête a gagncr Bethlécm : il voudrait s’y rendrenbsp;seul, mais Marie est résolue, malgré sa grossesse, anbsp;1’accompagner. Alors, lui, dans Ie texte frangais :
Et bien, Marie, puisque ainsi est Mener nostre anne conviendranbsp;Pour nous porter, quant la viendranbsp;Que nous nous trouverons fors las;
Aussy, pour ce que n’avons pas Tant d’argent que pourrions despendre,
Nous marrons (mènerons) ce bmuf cy pour vendre Si nous survient aucuiie affaire.
Et dans Ie texte breton :
La route est tout a fait mauvaise; je n’aimerais pas vous la faire faire a pied. Marie, vous monterez sur un
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LES QUAÏKE CYCLES DRAMATIOEES.
iuie. Nous emmènerons aussi un bceuf pour vendre, afin de pourvoir a notre voyage, au cas oü il faudrait pro-longcr noire séjour.
Ce ii’est pas la de rimitalion sculemcnt, mals de la Iraduction, si je ne mc trompc. La Vie de saml Jean-Ihiptiste ‘,qui fait logiquement suite a la Vie de mintenbsp;Anne, mauque au cycle francais. Du moins Petit denbsp;Julleville la compte-tdl parmi les pieces perdues. Maisnbsp;Émile Jolibois a public, d’après un manuscrit dunbsp;XVI' siècle existant a Chaumont, un mystère de Saintnbsp;Jean-Baptiste* avec loqiiel la version bretonne a desnbsp;rapports trop nombreux et trop précis pour qu’il uenbsp;soit pas legitime de la rattacher a la même source. Onnbsp;en jugcra par les deux extraits quo void. Nousnbsp;somme.s au début du drame. Lo prêtre Zacliaric,nbsp;cntouré de ses lévites, vient d’ofïrir un sacrifice anbsp;l’Éternel. Besté seul dans Ie temple, il regoit la visitenbsp;d’un ange envoyé par Dieu pour lui annoncer la nais-sance du Précurseur. Je donne d’abord la scène fran-faise.
l’ange.
Rends grace au Tout-Puissant de toutes ses bontés, Qui gouste ton encens, qui regoit ta prière.
II veut que par ma voix et par mon ministère Tu descouvres aujourd’liuy ses sainctes volontés.nbsp;Bientót Elisabeth, de son ventre fécond.
Par Peffort d’une main qui n’est point raccourcie, Accouchera d’un fits, précurseur du Messie,
Qui dans tont l’univers n’aura point de second.
1. nbsp;nbsp;nbsp;Manuscrit de ma collection.
2. nbsp;nbsp;nbsp;La Diablerie de Chaumont. Chaumont, 18-38.
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LE THEATRE CELTIOXJE.
Dieu seul de ses vertus verra la profondeur. ïu Ie nommeras Jean, qui veut dire la Grace.
A celle du Sauveur il fera faire place,
Et prescliera partout son règne et sa grandeur.
ZACIIARIE.
Sacré légal du ciel, comment pourra-t-il estre Qu'Elisabeth, ma femme, vieille et sexagénaire,
Puisse produire un fruict en l’liiver de ses ans, Puisque Ie feu d’amour est esteint au-dedans,
Que son temps est passé et qu’elle ne prétend plus Ce que du mariage Pon souhaite Ie plus?
l’anoe.
Incrédule! ose-lu doubter de la puissance De celuy qui régit Ie destin des humains,
Uui destruit, quand il veut, Fouvrage de ses mains, Qui fait et deffait tout par sa seule présence?
Ce mot en mesme temps t’afllige et te console.
Des promesses de Dieu tes yeux verront l’effect; Puisque lu n’as pas cru, tu deviendras muet;
Mais ton fils, en naissant, te rendra la parole.
l’ange.
Zacharie, Zacharie, grand ami de Dieu, ta prière a été entendue, sois h eet égard sans inquietude. Devant Ienbsp;tribunal de Vautcur du monde, Ie peuple d’Israël est ennbsp;grdce toujours. Avant peu seront délivrés les Pères qui sontnbsp;dans les limbes, depuis un temps fort long, a atlendrenbsp;que Ie Messie les vienne racheler {rctUman). Bientót ilsnbsp;pourront se réjouir. Je t’annonce, Zacharie, une nouvellenbsp;remarquable : Élisabelli, malgré sou grand age, concevranbsp;un fils qui sera nomnié Jean et servira de pröci-ptcur (pré-curseur?) au Rédemptcur du monde. 11 vivra d’une vienbsp;divine. Jamais il ne boira ni cidre, ni vin. Beaucoup senbsp;réjouironl de sa nativité ; mais agréable sera aussi sa vie.
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LES QUATRE CYCLES D R AM ATIQ L’ES .
ZACHARIE.
Oh! quel est Ie songe, oh! quelle est Villusion qui me trouble de si étrange faconl Que je sols a Tintérieur dunbsp;teniple ou dehors, j’entends annoucer des choses quinbsp;n’arriveront jamais.
l’ange.
Ne ci'ois, Zacharie, a, aucune espèce d’illiision. Ce que je dis, est la vérilé.
zacharie.
Et qui es-tu, toi qui paries de choses si hautes?
l’ange.
Je suis Gabriel, messager de I’Eternel.
ZACHARIE.
Expliquez-moi, mon Dieu, — oui, si vous permettez, — comment pourraient arriver les choses que vous dites.nbsp;Uu’Élisabeth, a quatre-vingts ans, puisse conoevoir unnbsp;enfant dans son sein, c’est la, certes, un rêve qui passenbsp;la nature. Dieu nous Ie montrc par un exemple formel :nbsp;‘luand les arbres sont vieux, ils ne portent plus de fruit,nbsp;a plus forte raison un arbre qui n’en a jamais porté. C’estnbsp;chose impossible qu’après la slérilitc vienne la saison de lanbsp;fertiliic.
l’ange.
Celui qui a créé la terre et Ie ciel, Ie jour oü il lui a plu, sans difficulté, a la puissance aussi, n’en doutez pas,nbsp;d'accomplir ce qu’il a dit. Ainsi done ne doutez pas de lanbsp;puissance de Dieu. Ce qu’il a dit est la pure vérité.
zacharie.
Crand’peine j’ai a croire pareille chose. Je vous supplie done humblement, Ange de Dieu, si tout cela est vrai, denbsp;ine donner la lumière nécessaire pour que j’y puissenbsp;croire fermement.
l’ange.
Paree que tu as été incrcdulc, Zacharie, a ce qui est plus vrai qu’aucune écriturc, comme punition de ton incrédulitc,
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et pour te montror que je dis la vérité, d’ici neuf mois jour pour jour, lu seras muet, saus pouvoir en aucunenbsp;manière adresser un mot a personne, et Ie premiernbsp;miracle que fora ton fils Jean sera, Zacliarie, de te rendrenbsp;la parole.
Je laisse do colé lo mystère de la Passion et de la Resurrection. Nous avoiis déja vu‘ cc qu’il faut peiisernbsp;de la prétcndue origiiialité de co dramo : 11 est donenbsp;inutile d’y revenir. L’histoirc des apótrcs est repré-sentee dans Ie theatre breton par une Vie de saintnbsp;Pierre el de saint PauP, comprenant deux parties tresnbsp;distinctes dont unc, la première, nc figure pas dansnbsp;Toeuvre fran^jaise cataloguce sous Ie même titrc“. Lcnbsp;fond en est tire de Jacques dc Vorogineh C’est lanbsp;curieuscet romauesque légende de saint Clément dontnbsp;il ne semblo pas qu’aucun dramaturge frangais se soitnbsp;inspire, pas même l’auteur du mystère messin de Saintnbsp;Clément^, oü elle avait d’excellentes raisons de trouvernbsp;place. On peut s’en étonner d’autant plus qu’olle futnbsp;vitc populaire. Paulin Paris en signalc une version ennbsp;prose patoise dc la Haute Bourgogne datant dunbsp;XIII' siècle®. Le colportage aussi 1’adopta de bonnenbsp;heure ct ce fut évidemment par cette voie qu’elle fitnbsp;sou apparition en Basse Bretagne. La forme dra-
1. nbsp;nbsp;nbsp;Ci-dessus, p. 244-230.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Manuscrit de la collection Vallée.
3. nbsp;nbsp;nbsp;Petit de Julleville, Les Mystères, t. II, p. 346-548. Jubinal,nbsp;Mystêres inédits du XVquot; siècle, t. I, p. 61-100.
4. nbsp;nbsp;nbsp;La Legende dorée, par Jacques deVoragine, traduite du latinnbsp;par M. G. B. Première série, p. 202-304.
5. nbsp;nbsp;nbsp;Petit de Julleville, Les Mysteres, t. II, p. 493-498.
6. nbsp;nbsp;nbsp;Les rnanuscrits francais de la B'Miotkèque du Roi, t. VI,nbsp;p. 230.
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LES QUATRE CYCLES DRAMATIQUES.
matique qu’elle y a revêtue, dans Ie courant du xvni” siècle, ofïre, croyons-nous, assez d’intérêt pournbsp;^ue nous en donnions un aper^u.
I-e due paien Justinien et sa femme Macidienne ont trois jeunes enfants, Faustin, Faustinien et Clé-naent. Ils vivent« tranquilles, en paix dans leur loi »,nbsp;ciuand tout a coup Justinien est appelé par Ie roinbsp;pour prendre Ie commandement de 1’armée. 11 part,nbsp;non sans tristesse, laissant sa familie a la garde denbsp;sou frère Lucien qui promet de veiller sur elle. Maisnbsp;ce Lucien, Ie traitre do la piece, a depuis loiigtempsnbsp;Ie ccBur enflammé d’une passion criminclle pour sanbsp;bclle-soeur. Profitant de ce qu’il la tient a sa merci,nbsp;il tente de lui faire partager sa a fureur luxurieuse ».nbsp;Macidienne qui, dans l’intervalle, a embrassé la foinbsp;du Christ, implore Ie secours de la Vierge, et la Viergenbsp;lui conseille d’aller chercher un refuge parmi les chré-iiens de Rome. Elle s’embarque clandestinement avecnbsp;nn « gentilliomme » de sa maison, un nommé Gado-liu, qui lui est tres dévoué, et les deux plus agés denbsp;ses enfants, Faustin et Faustinien, lesseuls quisoientnbsp;on état de supporter un si long voyage. Survient unenbsp;tempête horrible. La barque se fend par Ie milieu.nbsp;Quand Macidienne recouvre ses sens, elle est sur unnbsp;rivage inconnu, et c’est en vain qu’elle promène lesnbsp;yeux autour d’elle : Ic gentilliomme et les deux enfantsnbsp;Ont dispara. Elle se reproche d’avoir été la cause denbsp;leur perteet veut se rejeter a la mer, pour se punir;nbsp;elle en est empêchée par l’arrivée d une femme du voi-®inage, unc certaine Scradia, qui a ello-même « sujetnbsp;uutant que personne au monde d’etre contristóe »,
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ayant a dóplorcr la mort de son fils et de son marl, enlovés ógalement dans un nanfragc- Les denx mal-hcurenscs mottont en comrnun leur infortunc et leurnbsp;pauvreté. Car Soradia ne vit quo do son travail. Maci-dienne souhaiterait de pouvoir 1’aidcr, maïs, dansnbsp;l’cxcès de son désespoir, en se retronvant seule sur lanbsp;grève, elle s'était fait aux deux mains de si cruellesnbsp;morsures qu'aujourd’hui olies lui refuscnt tout service. Pour comble de misère, Soradia est frappce d’unenbsp;attaque do paralysie. Macidiennela couclic, la soigne,nbsp;la rcconforte, jure qn’olle ne la laissera pas manquernbsp;do pain. Ses mains ne lui sont d’ancun secours, il estnbsp;vrai, mais cllo a ses jambes : elle ira mondier Ie longnbsp;des routes.
Justlnicn,'cependant, est do retour de Tarmée. 11 ronlre cliez lui pour apprendre la fuite de sa femme,nbsp;que Lucicn expliquo naturellement a sa manière, onnbsp;accusant Macidienne de s’êtrc fait enlever par Ic gcn-lilliomme, son amant. Le petit Clément essaie denbsp;défcndre l’honneurde sa mere, mais saus réussir a senbsp;faire ccontor. .Instinicn, l’amo ulcórée, n’a soif que denbsp;vengeance. II fant a tont prix qu’il rotrouve la cou-pable.
Oui, lors móme que je devrais engager mon revenu, vendre tous mes habits et quémander mon pain de cliaquenbsp;jour, peu importe! L’essentiel est (jue je la retrouve etnbsp;que Je puisse assouvir sur elle ma rage. Done, je vousnbsp;prie, je vous supplie, mon beau-frèro, d’avoir soin donbsp;Clément comme s’il était ii vous. Mettez-lo ii hécole etnbsp;faites-le instruire. Je suis asséz riclic, il me semble, pournbsp;vous dédommager. Moi, je vais désormais courirle mondenbsp;;ï la poursuite de cette miserable. Je veux sa vie !
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Et, saus plus tarder, Ie voila on chemin. Ici sc place une scène assez bleu menée etqui u’estpas sansnbsp;duelque beauté tragique, Gomme il rode de la sortenbsp;par villos et par pays, il fait rencontre, uii jour, d’uncnbsp;Pauvresse assise au bord de la route. Cette pauvressenbsp;diii, on lo devine, n'cstautrc que Macidienne, — maisnbsp;Hue Macidienne intirme, amaigrie et méconnais-sable, — implore au passage sa pitié.
MACIDIENNE.
Seigneur, s'ilvous plait, donnez-moi rauinöno! Je suis estropiée, incapable de gagner ina vie. t)ieu vous paiera
bien que vous fercz aux pauvres et aux intirmes.
JÜSTINIEN.
Ie n’ai rien ii donner a des truandcs (Iruanttrrien) de ton ospèco. D’auUint que vous autres, cliréticns, vous êtesnbsp;1 engeauce du monde la plus endurcic ct qui compte Ienbsp;plus de malhoniiêtcs geus. Moi qui vous parle, j’ai óténbsp;'narié ii une chrélieiiiie. Je la croyais une femme ver-tHeuse. D’apparcncc clle élait sage et modeste. Or, ellonbsp;était si possédée par les désirs cliarncls qu’ellc s’cstnbsp;enfuie, la gueusc, avee sou domestique, emmenant parnbsp;®urcroit deux dc scs eiifants... Qa, dis-moi la vériténbsp;tHuinlenant; ne Paurais-tu pas vue passer par ici?
MACIDIENNE.
SI VOUS la Irouviez, votre femme, dites-moi, seigneur, e-uriez-vous Ie cceur de lui faire du mal ?
JÜSTINIEN.
•lo doniierais trois cents testons pour la trouver et lui planter mon épée a travers Ie cceur.
MACIDIENNE.
Peut-ètre l'a-t-on faussement accusée.
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LE THEATRE CELÏIQUE.
JDSTINIEN.
Celui qiii l’a surprise est un prud'homme. Allons, tlis-moi si tu Tas aper(jue.
MACIDIENNE.
Par ce cliemin-ci elle n’est certainement point passée; mais je vais vous dire tout ce que je sais. L’autre jour, anbsp;ce (jue j’ai appris, se sont noyées en mer quatre per-sonnes qui étaient montées dans une petite barque. Etnbsp;elles étaient bien coinme celles dont vous parlez.
JüSTINIEN.
Graces vous soient rendues, ó Dieux bienlieureux! L’événement est pour me remplir de joio. C’est pour lanbsp;punir de son infldélité, j’en suis sur, que vous avez permisnbsp;cette chose.
(.A la mendiante.)
Paree que vous m’avez annoncé une bonne nouvelle, tenez, voici trois louis d’or en une poignée. Mais je nenbsp;m'arrêterai de courir Ie pays que lorsque j’aurai acquisnbsp;une absolue certitude.
MACIDIENNE.
Je vous remcrcie, seigneur, de tout mon coeur. Vous ne pouviez faire une aumone plus méritoire.
Le drame nous ramèno ensuite vers Clément. Envoyé par son onclo a l’ccole d’un philosoplic païennbsp;que le poète breton appelle Sirande, Clément estnbsp;devenu, au témoignage de son mailrc, un savantnbsp;« digne d’etre ministre en un temple royal )). 11 y a,nbsp;toutefois, un point qu’il n’arrivo pas a résoudre : etnbsp;c’est la question de savoir si Tamo est immortelle. IInbsp;soumet ses doutes a Sirande; mais la science denbsp;Sirande est, a eet égard, aussi courte que la sienne.nbsp;Désappointé, Clément décide de partir a la recherche
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LES OUATRE CYCLES DRAMATIQUES.
fl’un pJiis habile qoi le pnisse renseigner. II aentcndu '''anter la sagacité du pape des chréüciis : il s’ache-™ine done vers Rome. En route, il rencontre saintnbsp;Pierre qui Tabordo : (( Oii allez-vous ainsi, jeunenbsp;homme? — A Rome, faire iin tour. — Quelle affairenbsp;y avez-vous? — Inutile que je vous le dise : cela n’estnbsp;Pas de votre compétence. —Mais encore?—J’ai anbsp;parler au pape. — Parlcz-lui done; vous l’avez devantnbsp;'as yeux : le pape c’est moi ». La dispute thóologiquenbsp;s’cngage. Clément, vaincu et convaincu, so prosternenbsp;an demandant le baptême, et Pierre l’adopte pournbsp;‘iisciple. Comme ils vont óvangélisant de compagnie,nbsp;'is voient venir a eux deux jeuncs gens, deux frères,nbsp;désireux l’un et 1’autrc d’etre inslruits dans la foi dunbsp;Plirist. Ils content leur avenlurc, comment ils ontnbsp;iailli périr eux-mêmes, comment, échappés a la mortnbsp;par miracle, ilsse sont longtemps attachés aux lemonsnbsp;de Simon rEnchanteur, comment enfin, dégoütés denbsp;®a doctrine, ils se sont enfuis de son ccolc. Faustinnbsp;nt Faustinien — car cc sont eux — n’ontpas plus tót
dit.
que
Clément leur saute au cou. La reconnais
sance des trois frères est suivie peu après de celles de i^Iacidienne et de ses enfants, puis de Macidienne et denbsp;son mari. Toutc la familie, bénissant la Providencenbsp;de l'avoir réunie, so rend a Rome sur les pas de saintnbsp;Pierre qui, dès a present, a désigné Clément commenbsp;®on successeur.
Et la finit la première partie de la Vie de saint Pierre ''t de sainl Paul, qui en est aussi, et de beaucoup, lanbsp;plus intéressante. Le restc est surtout consacre auxnbsp;iravaux apostoliques de saint Pierre et Faction, les
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pcrsonnages, les situations sont a peu de chose pres les mêmes que dans Ie mystère francais. 1/apólrcnbsp;visite Antioche oii il rencontre saint Paul el conver-lit Théophile, revient a Rome oii il dispute victorieii-sement contrc Simon 1’Enchanteur; encourt la colèrenbsp;do Ncron pour avoir gagné au Christ Pauline, sanbsp;maitresse, etlivrcau diablc Simon, son meilleur ami;nbsp;est jetó, sur son ordre, dans une prison nauséahondenbsp;(flerius), puis subit Ie martyre, avec saint Paul, aprèsnbsp;avoir invesli Clément, son diseiple favori, du soinnbsp;de gouverner 1’Eglise.
De la Vie de saint Pierre et de saint Paul, nous passons a la Vie de VAntechrist qui achèA'e etcou-ronne, en quelque sorte, Ie cyele du Nouveau Testament. Elle est encore appelée : Ie Jugement general,nbsp;et correspond, dans la littérature dramatiquc bretonne,nbsp;a la piece frangaise intitulée Ie Jugement de Dieu dontnbsp;Petit de Julleville cite, sans en donner l’analyse, deuxnbsp;manuscrits incomplcts^. Quo, de part et d’autre, Ienbsp;sujet soit sensiblement Ie même, c’est cc que montrenbsp;l'identitéde la plupart des personnages. Mais la principale source du mystère breton, du moins sous sanbsp;forme actuelle, me parait avoir été Ie livret de colportage qui a pour titre ; la Grande Danse macabre desnbsp;hommes et des femmes, historiée et renouvelée du vieuxnbsp;gaidois, en langage Ie plus poli du temps. Avee Ie Débatnbsp;du corps et de Vdme, la Complainte de l'dme damnée,nbsp;VExlwrtation de bien vivre el de bien mourir, la Vie
1. nbsp;nbsp;nbsp;Manuscrit de la collection Vallée,
2. nbsp;nbsp;nbsp;Les Mystères, t. II, p. 400-401.
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f/w mauvais Anleckrist, les Quinze signes du jiigement, d Troyes, chez Jean Antoine Gamier K Cc litre est, ennbsp;a lui soul comme un résumé du drame. Qtiekjucsnbsp;‘^xemples en feroiit foi. La copie d’« Ollivic Le Calvez »,nbsp;j’ai sous les yeux, debute par cette indicationnbsp;scéniqne dont je rcspecte l’orthographe enfanlinc etnbsp;le francais barbare : « Ici on doy commanser la vis denbsp;Lantecrist et Ie varii general qui sera a la fain dnnbsp;eaonde. Que le acter doit venir par dcu chemain autnbsp;leat; qu’on doit avoir eun combat au paravan denbsp;'laonté sur le téat. Selui qui fera le premie prolochnbsp;^loit dir quan il remarquera lantecrist et sa suit quitnbsp;sera de quatre juifs et les 4 diables qui viendra parnbsp;eun chemain, Ie erptien par eun autre, ajan chaqunnbsp;leur portesain. Selui qui fait le proloc dit: »
— Jésus Maria credo! qii’est-ce que ceci? Mon coeur s’étonne, la peur me prend. Malheur a nous, chréliens,nbsp;''oici 1’Antcchrist! celui qui se proclame I’ennemi denbsp;•lésus-Christ et qui nous malmènera fort, je le crains!nbsp;Sachons résister cependant et lutter contre lui le niicuxnbsp;hue nous pourrons. Jamais, certes, nous n’ahandonne-rons notre loi!
L’acteur chargé du prologue ferraille alors contre le (( monstre infernal » et son escorte. Puis, ce préludenbsp;terminé, entrent en scène les a quatre morts » denbsp;l’opusculc francais. Ils viennent avertir Ihumaniténbsp;•ie se tenir prctc pour le grand voyage. D’un texte anbsp;1’autre, ils disent les mêmes choses presque dans les
t- Ch. Nisard, Ilisloire des litres populav’es, t. II, p. 30.3.
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LE THEATRE CELTIQÜE.
mêmes termes. Témoin cette strophe du « Troisième mort» :
Entendez ce que je vous dis,
Jeunes et vieux, petits et grands,
De jour en jour dedans vos lits Comme nous vous allez en mourant:
Vos corps iront diminuant,
Comme nous autres trépassés.
Et quoique l’on vive cent ans,
Ces cent ans sont bientót passés.
Les vers bretons, d’ailleurs trés altérés, traduisent en paraphrasant :
Vieux et jeunes, petits et grands, entendez ce que je dis. 11 y a beau temps que vous avez ouï dire par des gensnbsp;plus savants que vous avez justifié la mort en transgres-sant les commandements de Dieu. Songez que vous deveznbsp;tous un jour franchir le pas, nobles et partables, sansnbsp;exception. Ceux qui ont vécu cent ans, leurs cent ansnbsp;sont passés. Grands et petits, songez-y, vous devez endurernbsp;la mort.
Dès que les quatre morts, les quatre Ancou, ont lance leur funèbre appel, commence le défdé de lanbsp;Danse macabre ou « Danse maccabee ». Nous voyonsnbsp;paraitre successivement, et dans I'ordre on nous lesnbsp;présente I’ouvrage francais, le pape, I’empereur, le roi,nbsp;le légat, le due, le patriarclie, le connétable (qii’Olli-vier Le Galvez écrit Contestab). C’est la premièrenbsp;fonrnée. La seconde comprend I’astrologue, le cha-noinc, le marchaiid, le rnaitre d’école, le soldat, lenbsp;chartreux, le sergent, le moine, I’usurier, le courtisannbsp;(dans le sens de:celui qui courtise les lilies), le labou-
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i'eiir, Ie prêtre, Ie cordelier, raventurier, Ie sot. Et, *iprès les hommes, c’est Ie tour des femmes d’cntrernbsp;dans « Ie bal ». Lc mystère n’en retient que qviatrenbsp;fypes ; la reine, la duchesse (que Ie poète bretonnbsp;identifie nécessairement avec la « duchesse Anne »),nbsp;la jeune fille, la jeune femme. Tous ces personnagesnbsp;s’avancent un ii un, confessent leurs mauvais dépor-tements et, après avoir exhale leur plainte suprème,nbsp;ï'ecoivent Ie coup de grace. Suit Ie Débat du corps et denbsp;^ Ame, resté fort populaire dans les campagnes bre-tonnes oü les chanteurs ambulants Ie vcndent imprimónbsp;feuilles volantesh L’« Ame damnée » n’a pasnbsp;assez de reproches et d’outrages pour Ie Corps a quinbsp;alle impute sa perte. La separation de I’Ame bienheu-feuse d’avec sadépouille mortelle respire, au contraire,nbsp;buelque chose detendre, de délicat et de mélancolique.
l’ame.
II faut done, ó mon Dieu, délaisser ce corps... échanger ae triste séjour contre Ie pays céleste, la terre contre Ienbsp;paradis, la mort contre la vie éternelle...
LE CORPS.
Hélas! qui t’oblige ii t’en aller loin de moi?
l’ame.
Le décret favorable d’un Dieu tout-puissant.
LE CORPS.
N’as-tu pas scrupule de me quitter ainsi ?
l’ame.
C’est la volonté de Dieu ; il est temps de reposer.
1. Cf. La légende de la mort chez les Bretons armoricains, C I. p. 203, note, 203-209.
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LE THEATRE CELTIQUE.
LE CORPS.
J’avais été formé pour être ta demeure perpétuelle. l’ame.
L’arrêt (qui nous avail unis) a été cassé par rÉlernel.
LE CORPS.
Après notre séparation, oü iras-tu?
l’ame.
Prendre possession (du ciel), avec Ie Seigneur Dieu.
LE CORPS.
J’ai eu part a la peine; n’aurai-je point part au bon-lieur?
l’ame.
II faut que tu séjournes encore dans la terre, avant de voir ton va3u exaucé.
LE CORPS.
Si je dois être appelé, un jour (ïi la félicité), dis-moi, pourquoi n’en vais-je point jouir avec toi?
l’ame.
II ne plait pas a Dieu que tu quittes dès a présent ce monde.
LE CORPS.
Mes tribulations passées deinandent aussi Ie repos. l’ame.
L’heure viendra oü tu seras récompensé.
LE CORPS.
Qui m’accueillera, quand je ne t’aurai plus? l’ame.
ba terre, notre mère, sous la pierre tombale.
LE CORPS.
Que ferai-je, einprisonné dans un pareil logis? l’ame.
Plus brillante mille fois je retournerai en toi. G’est pour me purifier que je t’abandonne.
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La scène continue quelque temps sur ce ton. Le Corps, peu a pen, finit par se résigner an départ denbsp;I'Ame. Its se font maintenant ces touchants adieiix :
LE CORPS.
•fe te dis done adieu, puisqu’il le faut.
i.’ame.
Adieu, mon vrai corps, adieu, ami qui m’es chev!
LE CORPS.
Adieu, ma vraie vie et ma plus aimée!
l’ame.
Adieu, toi qui m’as toujours fidèlement serviel
LE CORPS.
Adieu; réconforté par toi, je me sens rassuré. l’ame.
Adieu, toi qui m’as toujours porté respect.
LE CORPS.
Adieu. Tu m’as toujours témoigné de I’affection; tou-Jours tu as vaillamment rempli tes charges. Pour les Peines que j’ai endurées, Dieu me feragrAce.
l’ame.
Par lA tu es assure d’uno place en paradis.
le corps.
«le suis heureux d’avoir constamment obéi a la loi. l’ame.
Tu seras en repos jusqu’au jour du Jugement.
LE CORPS.
Adieu done, mon hótesse, adieu, image de la divinite. T^a prendre possession de ce bel héritage. Mes oreilles etnbsp;mes yeux me refusent leur office. Je n’ai plus un seul denbsp;lues membres a mon service. Mes os tremblent. Morte estnbsp;mon ame. Tu ne saurais plus longtemps habiter en moi.nbsp;Adieu, adieu, ma vie! Fuis vers le ciel immense. Va,nbsp;selon ton vmu, jouir de la gloire éternelle.
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LE THEATRE CELTIQUE.
L’Antechrist fait son entree en scène, escorté par sopt rois « hérétiques », parmi lesquels Gog et Magog.nbsp;II vient, dit Ie Prologue de la dcuxième journée, per-séciiter les catholiques fldèles, séduire Ie monde parnbsp;de faiisses docirines, accuser Ie Christ d’imposture, senbsp;donner lui-même pour Ie vrai Fils de Dieu, et justifiernbsp;sa mission aux yeux des amcs faibles par toutes sorlesnbsp;de miracles imaginaires et de diaboliques enchante-ments. L’évangile du nouveau Messie a, d’ailleurs,nbsp;été longuement exposé par Leviathan, au début dunbsp;drame.
En Dien. jamais tu iie croiras ni tu ne 1’aimeras pardessus tous. Méprise la vertu. Use ii ton gré, en tous pays, des hommes et des femmes. Sois parjure sans scrupule. Les dimanches et fêtes gardées, charge ton corps denbsp;vin. Incline ton prochain a en faire autant, et ton amenbsp;sera sauvée. Bats ta mère, bats ton père; plus tu les mal-Iraiteras, plus ce sera bien;n’aie pour eux aucun amour,nbsp;et ton ame sera sauvée. Sois meurtrier d’intention etnbsp;d’effet; ne pardonne aucune offense ; se venger est unnbsp;devoir, si l’on veut être sauvé. Pousse les maris et lesnbsp;femmes a toutes les luxures. Ne fais jamais confessionnbsp;ni pénitence. Pour aller a la communion, attends d’avoirnbsp;déjeuné. Que les dimanches et fêtes, les bouches soientnbsp;larges ouvertes.'Quiconque observera ma loi, je Ie récom-penserai sans faute et jamais il n’endurera de souffrancenbsp;dans la citerne de PEnfer.
Tel est Ie programme que l’Antechrist entreprend de réaliser. Les « rois catholiques » lui opposent leursnbsp;troupes; les pi’ophètes Elias et Enoch, leurs « sermons »nbsp;qui parfois atteignent pres de cent vers. II règne,nbsp;cependant, il triomphe, en parodiant outrageusemcnt
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Christ. Pour Ie singer jusqu’au bout, il joue la comédie de la résurrection. Dien, cette fois, estimenbsp;•^pie la mesure est comble. L’auge Gabriel, ministrenbsp;de la colère divine, tranche « d’un coup do coutelas »nbsp;la tête du monstre. L’Antechrist et sa séquelle s’abi-¦aicnt dans l’Enfer au milieu d’une tempête sinbsp;effroyable que saint Pierre et saint Paul accourent aunbsp;bruit. Etc’est la tin de la deuxième jourriée. Toujoursnbsp;fidéle au texte frangais, Ie mystère introduit ensuitonbsp;les Quinze signes du Jugement. Chacun d’eux estnbsp;figure par un personnage qui décrit complaisammentnbsp;Ie flcau qu’il symbolise. La mer, d’abord, s’élèvcranbsp;plus haut que les plus hautes montagnes, puis, déser-tant sesrivages, secachera d’ópouvante ; lespoissons,nbsp;assembles a terre, hurleront jusqu a ce que Diou leurnbsp;ait impose silence; un feu si ardent descendra du ciclnbsp;que rivieres et fontaines en seront taries; les arbresnbsp;et les plantes suei’ont une rosée de sang; les « chateaux », les « tourelles », toutesles demcures humainesnbsp;s’écrouleront; les pierres se briseront avec fracas; Ienbsp;monde tremblera sur sa base, etc. Cette série denbsp;menaces prophétiques occupe dans Ie manuscrit autantnbsp;de pages quelle annonce de cataclysmcs. Et voici quenbsp;Ie jour formidable a lui. L’Ange Gabriel donnc lecturenbsp;du « décret de la Trinité » et saint Michel « sonnenbsp;de la trompette aux quatre coins du théatre », ennbsp;criant:
Levez'vous, morts! Hessuscitez! Apprêtez-vous a com-Paraitre devant Dieu. Compavaissez tous dans la vallée de Josjaphat pour recevoir Ie prix du mal et du bien quenbsp;vous avez fail!
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La scène du Jugement no manqiio pas d’une eer-taine grandeur. Jésiis est sur son tróne; la Vierge se tient a son cote et tente de I'apitoyer sur Ie sort desnbsp;pécheurs. Mais U est trop tard ; « la porte de pitié estnbsp;close )), il n’cst plus au pouvoir de personne de lanbsp;rouvrir; les dccrets sont irrévocables : Ie temps de lanbsp;justice est venu. Les bons sont séparés d’avec lesnbsp;mécliants et saint Miclicl pèse les ames, controle parnbsp;Bolzébnth qui entend qu'on lui fasse mesure pleine.nbsp;Un chceur étrangeet d’unc liclion bardic est celui desnbsp;Instruments de la Passion. Chacun d’eux élèvenbsp;la voix a tour do róle pour porter témoignage centrenbsp;la depravation de rimmanité. La Couronne d’épinesnbsp;commence Ie réquisitoirc, la Lance continue. Puisnbsp;viennent les Clous des mains, puis les Clous desnbsp;pieds. Ceux-ci s’adressent aux danseurs :
Danseurs impudiques et mauclits, par vos pieds vous ave/, lant offensé Jésus que les sieiis furent attachés a lanbsp;croix a cause de votre pêché.
La Croix flétrit les « crucifieurs », Ie Fouet les fouaillc. Lc Drap s’attaque aux « marcliands dé-loyaux » faiseurs do parjures. L’Epouge maudit lesnbsp;« ivrognes chargés do vin, toujours en débauclies »,nbsp;qu’accablent encore lc Vinaigre et Fiel. Le Crachat senbsp;retourne contre les lilies coquettes.
Et vous, lilies aux cheveux frisés, au ceeur dissolu, qui fardez votre visage et le parez de dentelles pour tenternbsp;les courtisans, hélas! .lésus a été trainé par les cheveux :nbsp;on les lui a arrachés ,on lui a arrachó la barbe, et cela en
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LES QüATHE CYCLES DRAMATIQUES.
Punition do vos péchós. C’est vous qui otes cause si son ''isage sacré futsouillé par les craclials. Et, paree que vousnbsp;tt avez pas fait penitence, vous serez brülées a jamais.
IjOs Trente deniers, eiilia, tombent sur les hommes •^l'orgent :
hsuriors, approcliez aussi! Voici les hiens que vous avez soulirés a voire prochain et que vous n'avez jamais resti-lués. Hélas! Jésus, Ie vrai Juge, fut vendu trente deniersnbsp;A Cause de voire avarice. II a soulTert peines dures. Goin-hient, pécheur.s, osez-vous j^arailro devanl un Uieu qui,nbsp;par voire faute, a subi mort et passion, non pas seulementnbsp;^ur le mont Calvaire, niais encore toules los fois que vousnbsp;^'quot;ez péclié. Vous avez dédaignc lo bon cheinin pournbsp;sihvrelo Diable, votro pere. Et bien! quittez Dieu, quilteznbsp;Jesus, pour être éternelleinent mallieureux!
Toujonrs, dans toules cos imprecations, revient hvec line persislance farouche Ic memo refrain :nbsp;« Allez-vous-cn ; vous êtes damnes! » Et ce n’est pasnbsp;hssez quo les imstruments complices se fassent accu-satcurs. Le Diable lui même s’en mêle. « Vous avieznbsp;t’achclt! les hommes au prix do votre sang pur )), dit-il au Christ, « mais e’est ii moi (ju’ils out obéi )). 11nbsp;thoiilrc, en termiuaut, « le ciel, la mer, la terre, lenbsp;soleil, laluucct les étoiles » s’indignant, jour et iiuit,nbsp;de.s spectacles d’iniquite clout ils out etc, pendant desnbsp;siecles, les témoins silencieux. Et voici que la terre etnbsp;le del s’animent, prennent une voix, altcrnent Icursnbsp;Maledictions en uiie sorte de duo tragique.
L,k TERRE.
¦le suis la Terre, la Terre navrée parle poids trop lourd du péclié qu’une race miserable a coinmis... LorsqueDieu
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LE THEATRE CELTIOUE.
me créa, mes gucrels magnifiques et bénis produisaient des plantes a foison.... II n’yavaitque roses de délices. Lenbsp;printempsrégnait en tons lieux. Le monde était un paradisnbsp;exempt d'envie et de peine. Mais l’exécrable pêché m’anbsp;vouée a la misère... Condamnée par Dien, je ne produisnbsp;plus qu’épines et mauvaises lierbes, a cause du pêchénbsp;commis par des êtres pervers. Vengeance, o Dieu! Vengeance! Que la sentence soit rendue contre ces péclieursnbsp;si noirs etsi criminelsl... Ils ne méritent pas devous connbsp;templor, 6 Jesus, sauveur du monde. Ouvertes sont loutesnbsp;mes entrailles pourles engloutir dans lesEnfers... Ils sontnbsp;indignes d’obtenir pardon, indulgence ni remission.
LE CIEL.
Je suis le Ciel, le Ciel courroucé. Je suis las, ó Créateur du monde, d’éclairer de ma lumière les péclieurs qui ontnbsp;enfrcint vos cominandements. lis in’inspirent une tellcnbsp;horreur que je vous conjure, ó mon Dieu, au nom denbsp;votre justice et de volre divinité, de les exterminer corpsnbsp;et ame... Je demande vengeance contre ces malfaiteursnbsp;etces vauriens... Ils vous ont mis en pieces, chair et sang...nbsp;Les Elémenls en ont assez de les supporter... Chassez-lesnbsp;de votre presence : qu’ils aillent brüler, corps et dme, aunbsp;fond du puilsde l’Enfer I... Chiltiez leur arrogance! Le soleil,nbsp;la lune et les étoiles réclainent leur condamnation.
Eiitourc de ses apótres, Jésus prononce la terrible sentence si impéricusemcnt exigée de tontcs parts.nbsp;Les ames rju'il livrc au cluitiment essaient d’attcndrirnbsp;la Vierge, mais elle ne peut que leur répéter lanbsp;réponse par laquelle son Fils a repoussé ses premièresnbsp;instances : « ïrop tard! II est trop tard! » Alors,nbsp;montc et s’enfle, en une rafale de désespoir, lanbsp;sinistre complainte des damnés.
Adieu done, Sauveur du nioiule! Adieu, Sang sacré, pour nous répandu! Adieu! Je roule dans l’enfer. Adieu
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LES OUATRE CYCLES DRAMATIQUES.
^jiRDais, Cinq plaies! Adieu a vous, Vierge Marie! Adieu, '”iges, saints et saintes! Adieu, parents et amis! Malé-'I'ction sur toi, père, malédiction sur toi, mère, c’est vousnbsp;^ui êles cause si nous souffrons dans les (lammes! Malé-'^'iction sur toi, recte»)’maudit, qui ne m’as point corrigé!nbsp;Malédiction sur toi, confesseur maladroit, qui no m’asnbsp;P^s suflisainment guide! Malédiction sur vous, maitres etnbsp;•Oaitresses, qui m’avez mal gouverné! Malédiction sur lesnbsp;'lés et sur les cartes! Malédiction sur les bals et sur lesnbsp;‘1‘inses! Malédiction sur Ie vin et les funestes compagniesnbsp;'lui in’ont conduit a ma perte! Je me sens pris de rage,nbsp;'^oinme les cliiens. Satan nous entraine tous avec lui. Lesnbsp;'^oulcuvres el les serpents seront désormais notre paturo.nbsp;llélas! hélas! qui pourrait durer dans Ie feu ardent, Anbsp;l^i'üler coiqis et dme, sans étre jamais entièrement con-®umé par Ie feu rouge, Ie feu maudit!
A cette clameur d’angoisse qui s’engoufïre clans les Profondours de l’abinie éterncl répond d’en haut Ienbsp;choeur triomphant des Élus, et Ie drame s’acliève surnbsp;Pn Te Deuvi. J’ai tenu a en présenter un raccoureinbsp;'Missi fidele que possible, puisque, cependant, la litté-i'ature fran^aise n’en possède que des exemplairesnbsp;mutilés.
Le cycle des saints, auqucl nous arrivons mainte-Pant, est de beaucoup Ie plus copieux des qualre. On pourrait être tenté d’en chercher la raison dans lanbsp;i'ichesse pcu ordinaire du calendrier celtiquc commenbsp;aussi dans le culte si pénétré dont le peuple breton anbsp;toujours entouró scs vieux thaumaturges nationaux.
pays — 1’Irlandepeut-êtrc exceptce — ne compte plus de saints que la Brclaguc. lis sont si nombreuxnbsp;Mu’on en est encore a en dresser la liste. II n’y a pournbsp;aiitsi dire pas une fontaine bretonne qui n’ait son
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saint spécial. En nulle autre region non plus ces petits dieux indigètes, protecteurs attitrés de la race,nbsp;ne sont I’objet d’une vénération plus attentive otnbsp;plus empressee. Leurs cliapelles, dont guelques-unesnbsp;sont d’exquises merveilles d’art, couvrent tout le solnbsp;de la péninsule armoricaine, érigent leurs fins cloche-tons de granit jusque dans les landesles plus solitaires,nbsp;an bord des grèves les plus désertes, sur les promon-toires les plus inhospitaliers. Leurs fêtes, leurs pm--dons sont les seules réjouissances que connaisse la vienbsp;bretonne. Leur pensee préside a tons les actes domesnbsp;tiques de quelque importance. Leurs légendes popu-laires, qui sont charmantes, font l’entretien desnbsp;ames. Les choses mêmes les évoquent et les racontent.nbsp;Tel coin de forêt ou tel repli de montagne fut leurnbsp;pénity, leur maison de pénitence. Tel rocher fut leurnbsp;lit, tel autre la barque surnaturelle oü ils accompli-rent la traversée de Grande-Bretagne en Bretagnenbsp;Armorique. Esprits etpaysages, tout est plein d’eux’.nbsp;Or, ce qu’il y a de remarquable et ce qui attesteraitnbsp;déja — a défaut d’arguments plus précis — la prédo-minance presque exclusive de 1’inspiration étrangèrenbsp;dans Tbistoire du théatre breton, c’est Ie peu de placenbsp;accordé par ce théatre au souvenir des saints « pa-triotes », comme les appelle Albert Le Grand, alorsnbsp;qu’ils en tiennent une si considérable dans les préoc-cupations du peuple. Tous, hommes et femmes, ontnbsp;leur giverz, leur complainte rimée. Mais on ne voit
1. Voir Les saints hretons d’après la tradition populaire, Annales de Bretagne, t. VIII, pp. 207, 403, 022; t. IX, pp. 33, 238.nbsp;570; t. X, pp. 39, 413; t, XI, p. 173; t. XIII, p. 84.
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LES QUATRE CYCLES DRAMAÏIQÜES.
Pfgt;s que les honneurs de la scène aient été décernés a plus de sept d’eiitre eux, qui sont Patrice, Gwennolé,nbsp;lliliui, Guigner, Yves, parmi les saints, Nonn etnbsp;'l’ryphine, parmi les saintes. La part si restreinte faitonbsp;^ 1’hagiograpliie locale devient encore plus significante, si 1’on observe qu’elle ne comprend aucun desnbsp;Brands chefs religieux de la province, aucun des fon-^ateurs primitifs de 1’épiscopat breton, les Tudual,nbsp;lös Brieuc, les Malo, les Samson, les Patern, lesnbsp;Corentin, les Paul Aurélien, qui, sous Ie nom denbsp;“ Les sept saints de Bretagne )), étaient annuellementnbsp;tisités, au moyen age, par les imposantes manifes-lulions du Tro-Breiz L II est vrai que la piété bretonnenbsp;®ubit elle-mème, de trés bonne heure, l’influence denbsp;lu francisation. Et Ie clergé contribua plus que tontnbsp;uutre a la dénationaliser. A mesure qu’il s’était dégagónbsp;1’ancienne tradition celtique pour se fondre plusnbsp;lutimement dans la catholicité, il était allé se désin-léressant chaque jour davantage du culte — qu’ilnbsp;iugeait suranné et barbare — des vieux patriarchesnbsp;Lretons. II sentait « d’instinct que ces saints d’unnbsp;uutre monde étaient un pen hérétiques et schismati-ques^ ))^ d’autant qu’ils n’avaient jamais été cano-*ilsés par Ie pape. Puis, francais d’idées, de goüts,nbsp;souvent mème de provenance et de langueL il étaitnbsp;uaturellement enclin a reléguer au second plan les
L Voir La terre du passé, p. 3-26.
2. Uenan, FeuiUes détachées, p. 89-60.
¦J. On lit dans les Statuts synodaux de Pierre Piedru, évèque U® Tréguier, pour Pan 1431 : ¦lt; Rectores nonnulli sunt, utnbsp;’‘’’¦telleximus, idioma vulgare Britonicum civitaiis Trecor, igno-^'O-ntes... » (Dom Morice, famp;Zoire de Bretagne, Preuves, col. 1609.)
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dévotions piirement bretonnes pour y substituer des dévotions frangaises. Ainsi, dès Ie xiii°, Ie xiv® siècle,nbsp;pénétrërent en Bretagne une foule de saints exotiqnesnbsp;que multiplièrent encore 1’établissement des ordresnbsp;rcligieux étrangcrs et Fhabitude des lointains pèleri-nages seigneuriaux a Jerusalem, a Rome, a Saint-Jacques de CompostelleDans nombre de paroisscs,nbsp;ils dépossédèrent les patrons authentiques et, s’ilsnbsp;ne les chasserent pas de la conscience populaire, dunbsp;moins les supplantèrent ils pour la plupart dans lanbsp;littérature savante. Le plus ancien monument de lanbsp;prose bretonne est une Vie de sainte Catherine et lenbsp;troisième en date des mystcres bretons est une Vie denbsp;samle Barbe, a supposer — ce qui n’est pas prouve —nbsp;que la Vie de sainte Nonn lui soit antérieure.
Mais la grande raison pour laquelle la Bretagne a fait a ses saints d’adoption une place si prépondérantenbsp;dans son tliéatre, c’est tout simplement que la scènenbsp;fran?aise avail déja dramatise leur légende. Ici encorenbsp;les mysteres bretons nc sontquedesmystèresfrangaisnbsp;démarqués. Nommer les Vies de saint Antoine, denbsp;saint Alexis, de saint Denis, de saint Guillaume, denbsp;saint Laurent, etc., qu’est-ce autre chose sinon rap-peler quelques-unes des pièces les plus connues du
1. nbsp;nbsp;nbsp;Au xvi“ siècle, sur une liste de trente-deux noms denbsp;saints recommandés a la piélé bretonne, les saints bretons nonbsp;sont qu’au nombre de Imit, en y comprenant saint Guillaumenbsp;(sant Guillerm). Parmi les saints francais ligurent saint Laurent,nbsp;saint Denis, saint Antoine; parmi les saintes, sainte Anne,nbsp;sainte Catherine, sainte Barbe, sainte Genevieve. (Whitleynbsp;Stokes, Middte-hrelon Hours, p. 37-40.)
2. nbsp;nbsp;nbsp;Publiée par E. Ernault, lievue cellique, t. VIII, p. 76-93.
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répertoire francais du moyen age ? L’énoiicó des titres présente parfois des différences qui pouvent fairenbsp;momentanément illusion, mais a pénétrer dans Ienbsp;Corps de l’ouvragc, on est vite renseigné. C est aizisinbsp;doe Guillaume, comte de Poitou, bretoiinisé, cheznbsp;Préminville, en comte de Go'élo, et qui a suggéró anbsp;Souvestre des considérations si chimériques sur l’étatnbsp;esprit de son auteur, est, en réalité, une imitationnbsp;'iirecte du « Miracle do Nostre Dame de saint Guillaume du desert, due d’Acquitaine * », queles Bretonsnbsp;Iraduisirentpeut-êtred’après quelque redaction poite-^dne^ ti arrive encore quo Ton essaie de donner anbsp;I oeuvre frangaise une sorle d’intérêt local en y intro-duisant des personnages ou des episodes empruntesnbsp;c lu tradition de l’Église bretonne. Le mystère denbsp;®uint Denis par exemplo, se compliquo de la vie d’unnbsp;prétendu disciple de ce saint, un certain Garan,nbsp;1'ouarranus, chez Albert de Morlaix*, — évêquenbsp;fabuleux de la fabuleuse Lexobie (aujourd’hui Lenbsp;daudet, a I’embouchure de la riviere de Lannion), ctnbsp;dui passe pour avoir etc I’un des premiers apotres denbsp;lu foi chrétienne en Armorique. Done, apres nousnbsp;uvoir fait assister aux travaux et au martyre de saintnbsp;llonis, la pièce bretonne nous conduit en Basse-Bre-
Petit de JuUeville. Us Mystères, t. II, p. 2iö-248.
II y avait a Poitiers au xvi' siècle un arrangeur de mys-¦ Jean Bouchet, auteur par surcroit des Annates iV Aquitaine. I ’Glouzot, L’ancien theatre en I’oitou, pp. 2(i et suiv.)
'*¦ Ms. Valléc et ms. de la Biljliüthèque nationale, fonds cel-tique, no too.
“i- 1’ie des saints de la Bretagne Armorique, éd. Thomas ct
310 LE THEATRE CELTIQUE.
tagne, avec saint Garan. « Dans la paroisse de Plestin, dit Ie Prologue désigné sous Ie nom de Prologue donbsp;Plestin, il y a un village appelé Trégaran. La, Garannbsp;eut sa chapelle, aujourd’liuicn ruines et tont écroulée.nbsp;Sa construction rcmontait a dix-sept cents ans.nbsp;Quand arriva Garan dans cette paroisse, beaucoup denbsp;ses habitants étaient idolatres. L’année qui précédanbsp;sa venue, un ami de Dieu, nommésaint Allin (Albin?),nbsp;y avait accompli de grands miracles et convert! Ienbsp;roi des Bretons. Mais les princes, belas! refusaientnbsp;d’imiter Ie roi. Monseigneur saint Garan ne fut pasnbsp;plus tót dans Ie pays qu’il convertit plusieurs d’entrenbsp;eux... Le roi des Bretons demeurait alors, avec sanbsp;cour, a Lexobie. C’est un lieu fort dévot, dont la chapelle est encore dédiée a la Vierge Marie. Pendant toutnbsp;le mois de mai, les pèlerins s’y rendent en foule, etnbsp;soixante douze évêqucs, a ce que 1’on rapporte, y sontnbsp;enterrés. Le roi des Bretons y avait, auprès du Yaudet,nbsp;un chateau superbe, tout a fait magniflque, sur manbsp;parole, et qui fut détruit en l’année 500. Le roi desnbsp;Saxons et ses princes résolurent d’envoyer un com-missaire en Basse-Bretagne pour lui imposer lanbsp;gabelle ou, si elle regimbait, pour lui déclarer lanbsp;guerre. Le commissaire vint done trouver le roi denbsp;Basse-Bretagne et lui lut l’arrêt d’un bout a 1’autre :nbsp;il fut aussitót pendu a un poteau de bois... A cettenbsp;nouvelle, le roi des Saxons leva promptement unenbsp;armee pour chatier le roi des Bretons et mettre tontnbsp;le pays a feu et a sang. Ses gens arracbèrent leur cou-ronne d’or au roi, a la reine, puis les dépouillèrent denbsp;leurs vêtements. C’était a toucher le coeur leplus cruel
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Ëut-il été de pierre ou d’aciei’. Ils furent contraints... de quitter la Basse-Bretagne... Comme ils erraient,nbsp;lïiisérablement équipes, nu-pieds et tête nue, n’ayantnbsp;pain ni quoi que cc fut a manger, tellemeiit c’étaitnbsp;pitié de les voir, ils rencontrèrent deux gentilshommesnbsp;de la paroisse de Plestin qui avaient été convertis parnbsp;Garaii. Ceux-ci les conduisireut au saint tiomme...nbsp;fui les consola, leur dit d’avoir couflance en Dien.nbsp;Ils tinirent, en efïet. par remporter la victoirc. Tontnbsp;ee qu’il y avait encore de Bretons en Basse-Bretagne,nbsp;i^obles et gens du commun, seréunirent aiitour d’euxnbsp;pour combattre les Anglais maudits, pendant quenbsp;Garan et ses prêtres priaient a genoux Dien et lanbsp;sainte Vierge. Les Saxons furent extermincs et, anbsp;Partir de cette époque, les Bretons vccurent en paix. »
11 y a la, comme on peut voir, un mélange assez ^onfus de fictions ecclésiastiques (la légende de saintnbsp;Garan, évêque de Lexobie) et de vagucs réminiscencesnbsp;Ifistoriques dénaturées (les incursions des Normandsnbsp;les cótes bretonnes et leur défaite par Alain Barbenbsp;Torte), Ie tont rattaché tant bien que mal a l’apos-lolat de saint Denis, qui forme comme Ie support denbsp;la pièce L
Une des plus curieuses Vies de saints que présente lö theatre breton est assurément celle de Saint Lau-
!• L’auteur semble, du reste, avoir voulu établir une sorte de dmarcation entre ce quHl avait pris a Toeuvre francaisc et cenbsp;du il y avait ajouté de son propre fonds. La partie du mystèrenbsp;dui est censée se passer en Bretagne est, en effet, précédée denbsp;Cette indication destinée sans doute a en faire ressortir toutnbsp;cintérèt : « Breman commanz Act ar Vreioned, Maintenantnbsp;commence VActe des Bretons » (ms. de ma collection, p. 223).
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rent. La conduite générale de faction y est la mème qne dans Ie « Miracle de Noslre Dame de saint Lorens )) et fon y retrouve toutes les peripeties de cenbsp;miracle, en particulier la scène si dramatique oü Laurent, sommé de livrer les trésórs de l’Eglise quo Ienbsp;pape Sixte, avant de mourir, lui a confiés, rassemblcnbsp;devant 1’empereur tous les pauvres a qui il en a fait lanbsp;distribution et lui dit, en lui montrant du geste cettenbsp;bande de loqueteux, d’estropiés, de faces blêmes :nbsp;(( Vous voulez nos trésors? Les voila! »Ilfaut ajouternbsp;cependant que 1’auteur armoricain a certainement eunbsp;sous les ycux line version beanconp plus développée,nbsp;beaucoup plus intéressante aussi, que Ie texte dunbsp;mannscrit Cangé. La Vie bretonne contient, en cffet,nbsp;un épisode bizarre, tont a fait dans la manière desnbsp;contes populaires, dont il n’y a point trace dansnbsp;l’oeuvrc fran^aise, mais qui se trouve relaté dans lesnbsp;Bollandistes, je veux parler de la substitution d’unnbsp;diablotin au petit Laurent encore au berceau. La nais-sance du futur saint a mis tout 1’enfer en révolution;nbsp;les démons pressentent en lui im adversaire acharné.nbsp;Sur l’avis du « vieux Satan », ils décident ((d’étouffernbsp;Ie feu avant qu’il n’ait jeté sa première tiamme ».nbsp;Justement, la nourrice du nouveau-né (qui n’a pasnbsp;encore été baptisé) a oublié, au moment de fendormir,nbsp;do faire sur lui Ie signe do la croix. Profitant de cettenbsp;distraction funeste, Ie diable Bérith se glisse dans lanbsp;cliambre, enlève fenfant, Ie transporte a travers lesnbsp;airs jusqu’au jardin du pape, 1’y dépose dans un nid
1. Cf. Pelit de Julleville, Les Mystires, t. II, p. 326-329.
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LES QUAÏRE CYCLES DRAMATIQUES.
quot;iö pie, au sommet d’un arbre, puis, revêtant son age Gt ses traits, revient se couclier a sa place dans sonnbsp;•berceau. La nourrice, habituée a la sagesse exemplairenbsp;Laurent, s’étonne de s’entendre réveiller tout anbsp;*^oup par son nourrisson. Elle va pour lui donner anbsp;^'iter. (( Aie! aïe! il me mord si atrocement les deuxnbsp;seins que j’en ai mal jusqu’au fond des entrailles! »nbsp;Ce n’est plus un enfant, c’est un vampire. Elle courtnbsp;plaindre a Orant et a Patience, les père et mère denbsp;Laurent; « elle est quasi sucée et desséchée sur piednbsp;par Ie sang qu’elle a perdu », et refuse de nourrir plusnbsp;'ongtcmps un tel monstre. Voila les parents biennbsp;ambarrassés ; comment élever leur fils? L’intendantnbsp;la maison propose de lui verser a boire et a mangernbsp;moyen d’un « entonnoir )). « Dures, en vérité,nbsp;seront ses dents, si elles coupent ce sein-la. » Et cettenbsp;Solution ingénieuse est immédiatement adoptée. Ellenbsp;PLoduit, d’ailleurs, d’excellents résultats : Bérith gran-?lit a vue d’oeil, non pas en bénignité toutefois, car sesnbsp;Perpétuolles violences font Ie dósespoir du pieuxnbsp;Orant et de Patience la bien nominee. Le temps estnbsp;^’enii de procéder a son baptème. On compte beaucoupnbsp;1’efficacité de cette cérémonie pour l’amender. Lui,nbsp;revanche, c’est une perspective qui lui sourit peu,nbsp;^ cause de son horreur naturelle de Peau bénite, et ilnbsp;8 empresse d’appeler a la rescousse « Satan le barbu »nbsp;hui, dès les premiers mots, le rassure ; (( Neperds pasnbsp;Courage ; c’est moi qui serai ton parrain. Sitót quenbsp;Lon sera pour faire le signe et pour prononcer lesnbsp;paroles, je te laisserai filer, tu n’auras qu’a jouer desnbsp;jambes. » Pour exécuter ce plan, le vieux matois use
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LE THEATRE CELTIQUE.
d’un stratagème qui fait quelque peu songer a la scène de Pathelin dans la boutique de maitre Guillaume. II se présente chez Grant, accoutré en beaunbsp;gentilhomme.
SATAN.
Salut a vous, prince Grant, je traversais Ie pays, quand j’ai en la bonne fortune de me trouver dans votre avenue.nbsp;Bien qu’inconnu de vous, je suis de votre sang. Le père,nbsp;lui, me connaissait, si le fils ne le fait pas. Mais, d’abord,nbsp;excusez-moi si j’ai commis une impolitesse en osantnbsp;m’aventurer ainsi sur vos terres, sans vous en avoir préa-lablement demandé la permission, comme c’eüt été monnbsp;devoir.
GRANT.
Vous êtes tout excusé, seigneur. Je suis votre serviteur et ne doute point que vous ne soyez de nos amis. Mais,nbsp;k dire vrai, mon ami, je ne vous remets pas. Si vous êtesnbsp;de mon sang, veuillez m’apprendre votre nom. Je fais lenbsp;plus grand cas de qui m’est allié et ne désavoue personnenbsp;(pour mon parent), a la condition que Ton soit de racenbsp;noble.
SATAN.
C’est du cóté de votre mère, seigneur, que je vous suis parent. Elle était d’Hibernie, vous le savez sans doute; sesnbsp;frères étaient tous princes et barons et tiguraient ennbsp;toute circonstance dans la suite du roi. Nos pères étaientnbsp;deux fois allies et se tenaient l’un l’autre pour des gensnbsp;de première noblesse. Voici longtemps que je n’étais venunbsp;a Uscoa. J’y suis aujourd’hui de passage.
ORANT.
Oh! pour le coup, je vous remets. J’ai bien souvent entendu parler de vous. Je suis ravi, sur ma foi, de vousnbsp;accueillir, et veux vous traiter avec tout honneur et respect. Laissez-moi done, dès a présent, vous mettre, comme
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®on parent, dans la confidence de ce qui faisait tout a I’heure I’objet de notre entretien. Nous avons un fils qugt;nbsp;b’est pas encore baptise et dont I’esprit de révolte nousnbsp;'^ausebien de I’embarras.
SATAN.
1’erniettez que je !e vole, seigneur. S’il est naturelle-wient d’liumeur indocile, ne vous en cliagrinez point : 11 ''' est pas mauvais qu’un jeune homme montre, dans lenbsp;debut, quelque suffisance.
Ces paroles metleiit un peu de baumo dans le coeur du père. On fait venir le faux Laurent a qui le fauxnbsp;gentilhomme persuade de se laisser baptiser séancenbsp;tenante. 11 ne s’agit que de trouver un parrain. Maisnbsp;f{ui done a plus de litres a l’être que le cousin provi-dentiel dont la présence a de si lieureux effets! Voilanbsp;Uos gens a l’église. Lorsque le vicaire qui officienbsp;deinande son nom an parrain, Satan repond : « Monnbsp;nom e.st Callot, depuis que je suis au monde, et e’estnbsp;iin nom dont je suis fier )). C’est celui que porteranbsp;desorniais son filleul. 11 va sans dire qu’au momentnbsp;lo prêtre est pour répandre Tean lustrale sur lenbsp;tront du jeune Callot, celui-ci, que Satan a lachénbsp;comme par mégarde, s’esquive sans demander sonnbsp;feste. Force est de se contenter de ce demi-baptême etnbsp;1 on en prend aisément son parti. II n’y a que lenbsp;Nicaire qui fasse grise mine, mais paree que le parrainnbsp;öe lui a rien donné. « II n’estpas gras, lecompère! Jenbsp;b’en ai eu ni sou, ni denier. » Les scènes suivautesnbsp;nous font assister aux prouesses de plus en plusnbsp;déconcertantes du néopliyte Bérith, dit Callot. Nousnbsp;te voyons successivement casser la cruclie, puis la tête
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d’une porteusc d’eau dont les cris l’agacent; assommer deux de ses camarades d’école; planter son couteaunbsp;dans les « boyaux » de son maitre; larder de coupsnbsp;d’épée un malheureux oublier (marcliand d’oublies)nbsp;qui a commis Fiinprudence de se tronver sur sonnbsp;chemin; égorger une servante d’auberge et sonnbsp;« galant )); traiter sa more de (( vieille fée », batonnernbsp;son père, lanccr un tison enllammó dans la figurenbsp;de 1’intendant, rosser Ie « page », Ie sommelier, lanbsp;« flllc d'honneur » et, flnalcment, flanquer tont Ienbsp;monde a la porte pour rester seul maitre du logis.
Revenons cependant au Laurent véritable, dans Ie nid de pie oii nous l’avons laissé. Un matin que Ienbsp;jardinier du pape et son apprenti sont en train denbsp;(( ratisser les allóes », ils ne sont pas médiocremcntnbsp;surpris d’entendrc des vagissements d’enfant sortirnbsp;d’nn laurier voisin. L’un d’eux grimpe dans 1’arbre etnbsp;en redescend avec la petite « créaturc ». Le pape Sixte,nbsp;averli de eet événement extraordinaire, assemble sesnbsp;cardinaux pour en délibérer. Tons sont fort perplexes.nbsp;L’ange Gabriel tire le Saint-Père d’incertitude en luinbsp;prédisant que cette « trouvaille » lui sera plus tardnbsp;une source de grandes satisfactions. Sixte fait baptisernbsp;1’enfant, lui sert de parrain, comme Satan a Bórith,nbsp;et, après lui avoir donné le nom de Laurent ennbsp;mémoire du laurier oü il a éte trouvé, le confie auxnbsp;soins d’une sainte femme, Sériaque, qui se cliarge denbsp;l’élever dans la sagesse et dans la vertu. La destinéenbsp;de Laurent sera ainsi ia contre-partie exacte et, ennbsp;quelque sorte, matliématique de celle de Callot, Lenbsp;drame breton •— autant dire, du reste, le drame du
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ffloyen age et Ie mélodrame de tons les temps — öffecte une prédilectiozi marquée pour ces antithésesnbsp;violentes, ces contrastes absolus et symétriques entrenbsp;Ie bien et Ie mal, soit chez deux individus différents,nbsp;comme c’est ici Ie cas, soit dans les deux avatars suc-cessifs d’un même individu, comme cela se voit, parnbsp;exemple, pour Guillaume de Poitou, pour Louisnbsp;Eimius, et surtout pour Robert Ie Diablo dont il fautnbsp;Koter au passage que les exploits d’enfance et de jeu-Kesse reproduisent identiquement, trait pour trait, lesnbsp;excentricitcs infernales du dénommé Callot. Notrenbsp;Kiystère oppose done scène a scène les progrès mira-culeux de Laurent dans la sainteté aux progrès nonnbsp;Kioins surprenants de sou sosie dans la perversitó.nbsp;Laurent travaille a l’école et passe scs recreationsnbsp;Kiêmes en prière; T.aurent est l’élève modèle, aimé denbsp;SOS condisciples, admiré du cardinal, son maitre; Laurent résout comme en se jouant les problèmes théolo-Siques les plus ardus; Laurent devient une desnbsp;Limières de 1’Église et Ie coadjuteur préféré du papenbsp;Sixte, qui bénit chaque jour Ie ciel de Ie lui avoirnbsp;donné; Laurent, enfin, dólivro ses parents du monstrenbsp;bui a usurpé auprès d’eux sa place et i'end, sinon Ienbsp;bonheur (car il ne les retrouve que pour les quitter),nbsp;du moins la paix a leurs vieux jours. Cette scène vautnbsp;bu’on s’y arrête, ne füt-ce que pour monteer, par unnbsp;uxemple, qu’il y aurait certainement lieu de cherchernbsp;1’origine de plus d’une superstition populaire bretonnenbsp;dans la littérature exotique des myslères,
Désespérés de ne pouvoir venir a bout de leur fils Callot, Grant et Patience se sont adressés au pape.
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LE THEATRE CELTIQUE.
comme a leur suprème recours. Sixte décide de leur envoyer Laurent qui, « n’ayaiit ni argent, ni clieval»,nbsp;entreprcnd Ie voyage a pied. Le saint arrive en eetnbsp;équipage a Uscoa oil il se présente comme un « pardon-neur, un pelerin de Dieu le Père, errant par le mondenbsp;pour faire pénitence ». Patience ne demande pasnbsp;mieux que de lui ofErir l’hospitalité, mais elle seranbsp;obligée de le « faire coucher a l’écart », a cause d’unnbsp;(( mauvais fils» qu’elle a, qui ne manquerait point denbsp;Ini chercher noise. Et la pauvre femme conte aunbsp;pelerin sa misère et cello de toute sa maison. II luinbsp;révèle alors qu’il vient de « Romanic » déléguó par lenbsp;pape dont il exhibe la bulle. Joie et bénédictions denbsp;Patience et de son mari. Callot, sommé « au nom denbsp;la ïrinité » de comparaitre devant le saint, s’y résignenbsp;en maugréant.
LAURENT.
Entrez, seigneur, sans faire tant de fagons. Vous avez beau essayer de vous derober, de la part de Dieu je vousnbsp;arrête. llépondez-moi ici d’un mot; êtes-vous Chrétien’?...
CALLOT.
Je ne suis ni chré tien,ni catholique, ni remain [mabromen). A toutesles questions que tu meposeras,je repondrai: non.
Laurent lui jette Ic stollo il'étole) : Callot crio, Laurent parlo.
LAURENT.
Tu as beau crier, Erouant ‘! Te voiliipris. Ici, dans cette salie, tu vas rester enchainé, jusqu’ii ce que tous les doc-teurs soient présents. Grant, envoyez dans tout le cantonnbsp;quérir les gens de marque. Nobles et partables, il fautnbsp;qu’ils viennent tous voir le diable a Tattacbe 3.
1. nbsp;nbsp;nbsp;Moyen breton Azrouant, pour Nazr-rouant (serpent royal),nbsp;un des noms bretons du diable.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Manuscrit de la collection Vallée, p. 149.
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LES QÜATRE CYCLES DRAMATIQÜES.
Le « sommelier » d’Oraiit court chercher l’évêque
le clergé d’Uscoa, Lorsqu’ils sont tous rassemblés, J-'^urent poursuit la conjuration,
LAÜRENT.
Or 5a, reprends tos aveux. Avec de l’eau sainte je t’y contraindrai. Par Jésus, les Saints et les Anges, confessenbsp;devant tous qui tu es.
GALLOT, criant.
Assez! cesse de m’asperger de ton eau sainte! Je par-^erai! Inutile d'employer Ia violence! Je suis un diable, flls de Satan. Callot est un nom que Je me suis donnü. Jenbsp;suis glissé, void trente ans, en cette maison, ii lanbsp;place a toi qui devrais y être. Je ne suis pas le fds du sei-Sneur. G’est ie diable que je me nomme.
LAÜRENT.
II faut que tu t’expliques publiquement! Puisque tu es l6 flls de l’Erouant, comment t’es-tu introduit ici? Mais,nbsp;‘I’abord, quitte eet habit qui n’est pas le tien.
CALLOT, après s’êtro dépouillé.
La! II ne m’en reste plus unc piece. Bérith j’étais, Béritlije redeviens. C'est toi qui es le flls de ce seigneur ;nbsp;®oi, je ne lui suis rien. Quand tu étais tout petit, aunbsp;daillot, je t’emportai dans un nid de pie au jardin dunbsp;Pape. Tu es un saint, moi je suis un misérable. J’ai fait anbsp;les parents mille abominations pour essay er de les poussernbsp;^ bout. J’ai perdu toute ma peine, je le vois, puisque tunbsp;l6 disposes è me conjurer.
LAURENT.
bhls de Satan, retire-toi sur 1’heure! Laisse mes parents
paix. Je te mettrai, paria grdce de Dieu, dans Pimpuis-®ance d’exercer sur eux aucun empire. Retire-toi de cette *^aison a 1’instant même et fuis oü bon te semblera!
BÉRITH.
Ie te déclare, moi, que je ne sortirai point sans avoir
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LE TUEATHE CELTIQUE.
eu Ie gage auquel j’ai droit. II me faut ou ton père ou ta mère, ou quelqu’un des gens de la maison.
LAURENT.
Vieux puant, je vais te faire voir, puisque tu regimbes, si, quand je parle, j’entends être écouté!-
(ll l’arrosc d'eau bcnite; Ie (liable crie.)
Attends! Je vais t’en donner, fils de Satan, pour te récompenser de ta peine I
RÉRITH.
Jarny Sacré! Oü me fourrer? Scélérat! Tu me fais hurler! Si je m’en retourne chez moi sans rien rap-porter, je suis sur d’étre chapitrc (chabistret)!
LAURENT.
Abrenonsio da Satanas! Les paioles que je prononce, répète-les avec moi. Vade, vade, fils de Jupiter! Renonceinbsp;démon, a ce manoir!
BÉRlTll.
Que la malédiction de tous les éléments soit sur toi, Laurent, avec toutcs tes formules! Je déchirerai de mesnbsp;dents tous ceux que je trouverai sur ma route ’.
Et, la-dessus, comme dans tous les episodes de ce genre dont la mémoire bretonne est si peuplée, Ienbsp;diable, nous dit l’indication scénique, disparait aunbsp;milieu d’un coup de tonnerre. J’ai fait observer quenbsp;cette bistoire de Bérith ne figure dans aucundes mys-tères franfais de saint Laurent que j’ai pu consultor.nbsp;II n’est cependant pas douteux que Ie poète bretonnbsp;ne l’ait trouvée toute conslriiite dans quelque rédaction
1. Manuscrit de la collection Vallée, p. 151-153. Les deux dcr-niers vers ont en breton une singulière énergie :
Mo (lisparfooltro gant ma dent Quement aquelTin voar ma licnt.
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LES QUATKE CYCLES DRAMATIQUES.
fr^n^aise. Ce qui le marque bien, ce sont les traits do mocurs dont die abondo ct qui, non soulemcntnbsp;sont d’origine franjaise, mais memo semblent avoirnbsp;óté totalement etrangers a la vie bretonne. Telle lanbsp;scène oü la portcuse d’eau va criant par les rues de lanbsp;^ille : « A la bonne eau! a I’eau claire! Plein lenbsp;Ventre pour un denier! » Telle surtout la scène dunbsp;marchand d’oublies, frangaise dans la lettre presquenbsp;‘3utant que dans Tesprit, comme on en va pouvoirnbsp;Juger.
l’OUIJLIER entre avee un jeu d’assard.
vais d’une ville a I’autre portant mon oiibli (ma boite a oublies) sur mon dos. Oublies! Oublies! Qui veutnbsp;.jouer? Voici 1’homme du hasardl Un denier conlre unnbsp;d'ard, peu m’importc avec qui jouer, la partie füt-elle denbsp;Cent écus.
GALLOT, seul dans Taubergo.
Or 5a, il faut que j'invente maintenant passe-temp.s pour n»e divertir. Si je rencontrais un hasardeur, je joueraisnbsp;'^vec lui.
l’aZARDEUR aprochc en dissant.
En passant devant la porte de la chambre, j’ai entendu yotre propos. Je m’appelle aventurier et promène monnbsp;JOU par la ville. Si vous désirez jouer, voici 1’aiguille.
CALLOT.
Combien m’en coütera-t-il de faire cinq ou six coups ^Yec ton aiguille?
l’azardeur.
Vous pouvez raetlre une pistole : je gagerai toujours le double.
CALLOT.
Au httsard done la partie! Je vais jouer Ie premier.
21
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LE THEATRE CELTIQUE.
LAZARDEÜR.
Comme vous Ie verrez par la régie, ce coup-ci dolt êlre tiré a blanc
Ici, un passage fort confus, mals qui témoigne d’autant plus clairement, si j’ose dire, combien l’au-teur breton, ou du moins sou copiste, se fait imenbsp;idee peu nette du jeu qu’il décrit. On a l’impressionnbsp;qu’il traduit a raveuglette en homme qui a renoncenbsp;a comprendre. Toujours est-il que Callot joue denbsp;malheur et tempête comme un beau diable.
CALLOT.
Par la morbieu, a la parfin, si je n’ai de toi mauvaise fin\ Je perds déja deux pistoles. ïant pis, j’y vais encore.nbsp;J’aurai Ie hasard pour moi et gagnerai, si tu n’es sorcier.
l’azardeur.
Seigneur, ne vous fdchez pas.
CALI.OT.
Jarni! Coqiiin, magicien, ie perds mon argent et ma peine. Ce coup sera mon dernier coup, Allons-y coiira-geusement!
l’azardeur.
Payez, seigneur. Vous Ie voyez, vous devez trois pistoles, et les lois du jeu, jusqu’a nouvel ordre, veulent que quinbsp;perd paie.
CALLOT.
Ramassez votre boutique, et décampez! Vous n’aurcz ni sou ni pistole. Allez-vous-en d'auprès de moi avec votrenbsp;c.adran a aiguille.
l’azardeur.
Seigneur, vous êtes tenu de me payer. Si vous ne me payez, je crierai a la force!
1. Manuscrit de la collection Vallée, p. 91-92. Nous meltons en italique les mots francais contenus dans Ie texte breton.
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LES OÜATRE CYCLES DRAMATIQL’ES.
C ALLOT.
Attendez! Je vais vous contonter. J’ai mon épéc pour '^ous payer. Teuez! Pour votre tricherie, attrapez-moi anbsp;travers Ie corps ce coup d’épée!
tué Ié (il lo tuo).
l’azardeur.
A la forcel au meurtre! Je suis ii terre. I.e miserable ®’a tué! J’ai rencontré mon malheur. On m’en avait centnbsp;fois averti. Je cherchaispro/if a courir les mauvais jeux etnbsp;c est mon malheur que j’y ai gagné*!
Il semblerait, a première vue, assez rationnel de laire entror dans Ie cycle des saints nn certain nombrenbsp;^6 mystères, tels que la Vie de sainte Hélène on cellenbsp;de sainie Geneviêee, qui s’y rattachent en apparencenbsp;Per leur titre. Mais, c’est déja du cycle romanesquenbsp;'tue relèvcnt, en réalité, ces mystëres. La Vie de saintenbsp;Heneviève n’est autre que l’histoire de Geneviêt^enbsp;de Brabant et l’héroïne de la Vie de sainte Hélène estnbsp;*e mêrne que celle du livre de colportage intitule :nbsp;quot; Histoire de la belle Héleine de Constantinople, merenbsp;de saint Martin de Tours en Touraine et de saintnbsp;^flce, son frère )). Nous ne sommes done plus icinbsp;dans la légende religieuse, mais dans Ie pur roman.nbsp;La veine romanesque a de bonne heure exercé l’at-Ifait Ie plus puissant sur rimagination bretonne,nbsp;Haturellement éprise d’aventure et de chimère. J’ainbsp;dit ci-dessus Ie róle si considérable des contes denbsp;ehevalerie dans la formation intellectuelle du peuplenbsp;'trmoricaiu, etpeut-êtrc ne faut-ilpas chcrcherailleurs
^ secret de
romantisme » trégorrois dont parle
ce «
Manuscrit de la collection Vallée, p. 92-94.
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llciian. On se rcpróscntc toujoiirs plus ou moins la vic d’après ses lectures. Le theatre parfit, a eetnbsp;égard, et généralisa l’oBuvre commencée par le livre.nbsp;De tons les cycles dramatiqucs brctons, le cyclenbsp;romancsque est certainement celui qui a cu la fortune la plus constante et le succès le plus étendu.nbsp;C’est a ce cycle que sont empruntés la plupart desnbsp;mystères imprimés dans le cours du xix° siècle anbsp;1’usage du peuplc. L’éditeur morlaisicn Alexandrenbsp;Lédan racontait a Luzel que de 18tü a 18ö0 il n’avaitnbsp;pas écoulé moins de dix mille exemplaircs de la Vienbsp;des quatre fils Aymon Chiffre énorme, si l’on songenbsp;que les acheteurs étaicnt pour l’ordinaire des fermiersnbsp;peu aisés, des journaliers, des artisans, gagnant unnbsp;maximum de 0 fr. 30 par jour. Et a combien denbsp;copies manuscrites chaque exemplaire « moulé )) nenbsp;donnait-il pas naissance! II n’est pas jusqu’au paysagenbsp;brcton qui ne témoigne a sa manière de cette voguenbsp;immense des Quatre fils Aijvion. Sur un des sommetsnbsp;les plus déserts et, jadis, les plus mal famés de lanbsp;Montagne-Noire, ainsi que l'indique son nom denbsp;Toul-lacron (embuscade de voleurs), se voit, au flancnbsp;d’une masse de scbistc, une série d’eutailles *commcnbsp;cmboitées les unes dans les autres et assez semblablesnbsp;aux multiples empreintes d’un fer a cbeval : c’estnbsp;Bayard, dit on, Bayard, le roi des courslers de guerre,nbsp;qui, attaché la par son maitre, a fait, en piaffant,nbsp;CCS égratignurcs indélébiles danslevif du rocber. Maisnbsp;le héros populaire par excellence, c’est incontestable-
1. Bulletin de la Société archéologique du Finislère, t. XV (1888), p. XXXIII.
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meat Maugis dont on peal dire, saas métaphore, que Son nom remplit Ics campagnes, paisqae, sar troisnbsp;slievaax de labour, en Trégor, il y ea a pour le moiasnbsp;Ua qui le porte. Acótó des Qnalre fils Aymon, il tautnbsp;ranger, outre Charlemagjic el les douze pairs, (jui président, on quelque sorte, cet Olympe romaaesque,nbsp;^rson el Valentin, ces demi-dieux de ravonturo, etnbsp;^luonde Bordeaux, lour digue cadet. Orson et Valentin ont été tout particulieremeat cliers aux imagiersnbsp;Ijretons da xvi” et da xvii“ siècle. « J’ai souventnbsp;I’emarquc », dit Luzel, « lears deux personnagesnbsp;iigurcs oa scalptés, en pierre on en bois, sar les marsnbsp;de nos inanoirs et sar les bahats qui les garnis-saient'. » On on decorait memo les edifices religieux,nbsp;*^onime le montre an panneaa en bas-relicl dans lenbsp;Porlail nord do Saint-Michel-en-Grcve. Quanta Huonnbsp;de Bordeaux, void un trait qui donnera, je pensc, lanbsp;tiiesure de la faveur dont il jouit encore dans lesnbsp;chaumiercs bretonnes. Au mois d’aout 1902, je rciiusnbsp;il 1‘ort Blanc, sar la cote tregorroisc, la visite d’unenbsp;iirave femme des environs qai gagae peniblement sanbsp;ide a peclier des palourdes dans les sables ou a recolternbsp;ics goémons épaves le long da galet. Ayant ea ventnbsp;One je « travaillais », selon son expression, dans lesnbsp;naystèrcs, elle en avait conclu que jo devais « fairenbsp;des copies de pieces pour les vendrc » et venait menbsp;demander aeu aclieter uiie: a Voyez-vous », disait-elle,nbsp;il n’y avait que nous a posseder un fluon de Bordeaux dans le pays et, a force de scrvir, il est tout en
b .Voles de voyalt;je.
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loques. Les signcs sont tellement effaces qiie, I’liivcr dernier déja, ma fille n’arrivait plus a les lire. Et,nbsp;une belle piece comme celle-la, il serait trop dur, ennbsp;vérité, de passer deu.x; bivers sans l’entendre. » Tontnbsp;en parlant, cllc avail dóplió un chiffon de loile ;nbsp;« Croyez vous que ce soit assez de ccci? » reprit-elle,nbsp;en me présentant ime pleinc poignce de gros sous :nbsp;« II y eii a pour vingt réaux ». Vingt réaux, cinqnbsp;francs, toutes ses economies de Ia saison, amasscesnbsp;Dieu sail au prix de quelles fatigues, Ehumble vieillenbsp;ne trouvait pas (pie ce lüt payer trop cher une copienbsp;de Hiion de liordcaux.
On s’explique, d’ailleurs, aisément la preference du public breton pour cette categorie de pieces. Eliesnbsp;sont de beaucoup les plus intéressanles comme sujetsnbsp;et les plus variécs comme intrigue. Elies tiennentnbsp;constamment Ie lecteur ou Ie spectateur en baleine.nbsp;On y marche d’incidents en incidents et de surprisesnbsp;en surprises. Ce ne sont que chevauchées mcrveil-leuses, prouesses surhumaines, aventures enchantées.nbsp;A l’éclat des beaux coups d’épée s’ajoute la pompe desnbsp;beaux sentiments, et l’amour, l’amour lui-mème, nonnbsp;seulement n’est plus exclu ou vilipendc, comme dansnbsp;les autres cycles, mais presque toujours règne ennbsp;maitre, et parfois en dévastateur. De jeunes et bril-lantes princesses se disputent Ie coeur des héros.nbsp;Elles habitent en dos pays élrangcs, par dela des mersnbsp;inconnues, et portent des noms qui font rèver : c’estnbsp;Bélisatan, la soeur du roi Pépin; c’est Galizéo, la fillenbsp;de Brandifcr; c’est la « belle Maguelonne », 1’amie denbsp;Pierre de Provence; c'est Esclarmondc, l’Esclarmonde
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LES QUATRE CYCLES DRAMATIQUES.
Rabylone, celle qui ne craignit pas d’enjambcr Ie cadavre de son père pour s’eiifuir avec Iluon. D'autrenbsp;part, les monstres, les fees, les talismans, tons lesnbsp;prestiges des contes populaires sont réunis dans cesnbsp;drames. Les animaux, les objets inanimés eux-mêmesnbsp;s y montrent secourablesa I’liomme : la nature entièrenbsp;y devient la collaboratrice intelligente et sympathiquenbsp;de rhumanité. Enfin, s’ils renferment des longueurs,nbsp;des puérilités, du fatras, si les rois et les preux ynbsp;Pèchent par exces de faconde, si la vaillance, si lanbsp;Passion même s’y délaient trop souvent en unnbsp;d'ix de verbiages incolores et monotones, la curio-®'tc, néanmoins, y est sans cesse tenue en cveil etnbsp;1’émotion continnellement renonvclée par la succession des épisodes les plus divers et parfois les plusnbsp;abracadabrants. G’edt été Ie moment de donner icinbsp;i’analyse d’unc de ces pieces. Mais, d’abord, clles sontnbsp;i-rop toulïues et la plus courte serait encore tropnbsp;iongue a résumer; puis a quoi bon analyser desnbsp;pieces dont il est si facile de prendre une connaissancenbsp;precise et compléte en se référant aux oeuvres fran-Caises d’oü elles sont tirées? Je me contenterai donenbsp;de renvoyer a la liste des publications du colportage,nbsp;dressée par Charles Nisard. La version bretonnenbsp;•i’cst pas une imitation seulement, mais Ie plus sou-'’ont une traduction quasi littérale du texte francais.nbsp;On en jugera paree passage de Iluon dc Bordeaux. Ennbsp;êcliange de l’aide qu’il lui a prètéc pour triompbernbsp;de Gaudise, amiral de Babylone, et enlever sa fillenbsp;Ksclarmonde, Ic nain Obéron a fait jurcr aubouillantnbsp;paladin qu’il n’cxigerait dc la jeune tillc aucun gage
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materiel dc son amour, avant de I’avoir épousce h Romo, lluon I’a promis sur I’lionneur, mais il nestnbsp;pas plus tót embarqué, avoc sa fiancee, sur Ie navironbsp;qui doit les ramener en Europe, qti’il oublie son ser-ment. Réja il a fait preparer un lit dans la « cbambre »nbsp;et s’y est couche pres d’Esclarmonde, lorsqu’unenbsp;efiroyable tempete, déchainée par Oberon, fond justenbsp;a point pour cmpecher la consommation du parjure.nbsp;Un nautrage s’ensuit qui sejjare les deux amants :nbsp;Esclarmonde est enlevée par des pirates, Huon abordenbsp;« en chemise» sur un rivage inconnu. La premierenbsp;figure humaine qu’il rencontre est celle d’un « méné-trier » attache a la cour du roi Yvorin de Montbrant.nbsp;Void comment cette scène est traitée dans I’originalnbsp;francais ' ct dans I’adaptation brctonne
(llOMAN I'BAKQAIS) lluon... vit uii homme... qui plait assis sou.s le clióne; ilnbsp;avail dcvant lui unc petitenbsp;nappe étendue sur I’herbe, surnbsp;laquelle il y avail du pain, denbsp;la viande, et du vin dans unenbsp;bouteille. Quand lluon vitlebonhomine, il se init a courir do ce cöté etnbsp;vint vers lui. |
(mystéke hretos) MQUFPLET Il s'assied sur le thédlre el deploie une nappe avec du pain, Je me sens bien las ct nion coeur n’en peut plus... Je vaisnbsp;me metln? ii I’onibre sous cctnbsp;arbre, car j’.ii besoin de mangernbsp;un morceau do pain. BOON Entrant, toujours en chemise. Dieu! qucdc chemin j’ai fait avant d’orrivcr sur une routenbsp;rré(|uentée! Voioi, la-bas, unnbsp;homme en train de se rcposer. |
1. nbsp;nbsp;nbsp;Ilisloire de lluon de Bordeaux, pair de France, due dcnbsp;Guienne, contenant ses fails et actions béroïques réunis en uunbsp;seui volume. Nouvelle edition ornée de buit gravures. Épinal,nbsp;1'ellerin et Cquot;. S. d.
2. nbsp;nbsp;nbsp;La vie tragique de lluon de Bordeaux, manuscrit (nonnbsp;pagine) communiqué par M. Frosper Hémon.
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11 y a bien longtemps que jo n’en avals apereu aucun. Jonbsp;vois une nappe : 11 prend, jenbsp;crols, sou repas. S’ll avalt lanbsp;bonté do me donner un mor-ceau de pain!
lluon s’approche de Mouf'/lel.
SIOÜFFLET
0 Dieu Malioinet, préservez-mol, je vous prle *! De geace, jeune hommo, ne me faltcs pasnbsp;de mal. Volei du pain ; buveznbsp;et mangez a discretion.
IIUON
Seigneur, vous n’auriez pu faire meilleure charité que denbsp;me lirer do nécessité, car vousnbsp;auriez beau cbercher dans lenbsp;monde entier, vous ne trouve-riez pcrsouue ayant pirc misère.
MOUPFLET
Allons done, mon ami, ouvroz cette malic et prenez-y ce qu’ilnbsp;vous faut de vètcmcnts pournbsp;liabiller et couvrir votre peau,nbsp;et, quand vous serez équipe,nbsp;venez iei prés de raoi.
Ihion passera des vêlemenls, puis s'asseoira auprès de Moii/'-flet.
MOUFFLET
Asscyez-vous, mangez et buvez a votre volonté, mainlenant que vous étes liabillé.
IIUON
Loué soit a jamais -le Dieu Mahomet et puisse-t-il vousnbsp;faire la favour de vous récom-penser!
. lluon mange unmorceau, boil enétrior et se mit a manger une goulle. Moufflet le regardenbsp;^ boire autant qu’il en eut et parle.
^ Var. : Dieu Mahomet! Préservez mon personnage, sinon je ‘tis ètre mis a mort par ce sauvage. (.Ms. de la bibliothèque
Quiiiiper.)
Quand Ic vicillard t’apercut, s’écria : « HoiiiiiiR sauva^e, jenbsp;, Prie au noin de Mahomet,nbsp;«0 ne
il
au nom
me faire aucun mal; hiais prends a boire et ii mangernbsp;Mutant que tu en auras besoin ».
••• « Ami, lui dit lluon, vous 'h’avez bien nomine, car il n’ynbsp;personne aussi malheureuxnbsp;3ue moi sur la terre. »
“ Vassal, dit le ménétricr, a cette petite malic, ouvre-prends ce ([u’il te faut pournbsp;*¦0 Couvrir et viens manger
'*uprés do moi.
• Sire, dit lluon, j’ai bien du ^’enheur de vous avoir trouve,nbsp;'lUc Mahomet vous on réeom-Pt‘nse! » Le ménétrier lui dit;nbsp;* Viens manger avec moi et menbsp;lenir compagnie; car tu nenbsp;trouver aujourd’hui per-sonne plus triste que moi. »...nbsp;lluon s’assit ensuite auprès du
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LE TUEAÏOE CELTIQÜE.
besoin. Le mónétrier commenca iiconsidórerHuon, illetrouvabelnbsp;liorame et lui demanda oü il étaitnbsp;né, et par quelle aventurc il senbsp;trouvait dans ce lieu et en eetnbsp;état. lluon voyant que le méiié-trier lui faisait tant de (|ues-tions pensa s’il lui dirnit lanbsp;vérité OU s’il lui mentirait; ilnbsp;se réclama a Dieu, en disant :nbsp;« Si je dis la vérité, je suis unnbsp;homme perdu. Ah! Obéron, tunbsp;es la cause de mon malheur,nbsp;et pour l’amour de ma hellenbsp;Esclarrnonde, toutes les foisnbsp;que je me trouverai en danger,nbsp;je mentirai pour te faire encorenbsp;plus de dépit. » lluon dit aunbsp;ménétrier : « Vous me deman-dez qui je suis, je ne vous ainbsp;pas répondu aussilöt, car jenbsp;songeais au honheur que j’ainbsp;eu de vous renconlrer; mais,nbsp;puisquo vous désircz le savoir,nbsp;je suis né en Afrique; je m’étaisnbsp;emharqué pour aller ii Damiette,nbsp;mais il y vint une tempéte sinbsp;terrible que notre vaisseau péritnbsp;ainsi que ceux qui étaientnbsp;dedans; mais j’eus le honheurnbsp;d’échapper et Mahomet me fitnbsp;la grücedo vous trouver. Puisquenbsp;je vous ai raconté tout ce quenbsp;je sais, j’espère que vous vou-drez hien vous ouvrir franche-ment a moi. » — « Ami, dit lenbsp;ménétrier, puisque vous vouleznbsp;savoir qui je suis et quel estnbsp;mon chagrin, Je vous dirai quenbsp;je m’appelle Moul'llet; je suisnbsp;ménétrier, comme vous pouvez |
MOUFFLET Dites-moi, mon brave, en quel pays êtos-vous né et pafnbsp;quelle aventure vous trouvez-vous en ce lieu? lluon se lèvera sans rien dire et Qagnera l'aulre bout dunbsp;théétre; Moufflet reste assis. IlUON Je vous prie, Vierge Mariei mon Jésus, mon Sauveur, con-seillez-moi maintenant sur cenbsp;que je dois faire. Si je révèlenbsp;mon pays et mon nom, ennbsp;disant la vérité, je serai mis iinbsp;mort. O Dieu, Obéron, c’estnbsp;toi qui, pour une peccadillo,nbsp;me fais courir de tcls risques.nbsp;Si je commets un mensonge,nbsp;tu te fücheras centre moi, et ilnbsp;faut cependant que je mentenbsp;puisquo je suis ahandonné.nbsp;Que tu te füchcs ou non, peilnbsp;m’imporlc! Jen’ai que ceraoyennbsp;pour me tirer d’affaire. II revient vers Moufflet. Dites-moi, seigneur, que me demandiez-vous ? MOEFFi.ET, se levatil. Quel nom avez-vous et oü étes-vous né? IIUOX Jesuis originaire de I’Afrique, et je m’étais embariiué sur unnbsp;navire qui a sombré corps etnbsp;biens dans la mer; en vérité,nbsp;je suis le seul qui ait échappénbsp;a la mort. .A votre tour, dites-moi, s’il vous plait, qui vousnbsp;êtes, et de quel pays, et quellenbsp;est votre histoire •. |
1. Vau. : Je te dirai que je suis originaire d’Afrique, et je m’étais emharqué sur un navire pour aller a Damiette, mais ilnbsp;vint une tempéte des plus tcrrihlcs qui fit périr le vaisseau quinbsp;me portait et tous ceux qui étaient a hord; il n’y a eu quo moi de
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pour lui raeonter la mort de 1’umiral Gaudisse; si vous vouleznbsp;venir avec nioi, vous porlereznbsp;mes instruments. Je suis certainnbsp;qu’avant qu’il soit six mois vousnbsp;montcrez un bon ebeval; carnbsp;aussitüt que j’aurai joué de mesnbsp;instruments devant quebjuc roinbsp;OU amiral, ceux qui m’aurontnbsp;écouté seront si satisfaits ([uenbsp;l’un me domicra des habille-ments et rautre de rargont. » —nbsp;« Je suis content de vous ser-vir », lui dit Iluon. II prit lanbsp;malle sur ses épaulos et la liarpenbsp;ii la main; Moul'tlet, son maitre,nbsp;povlail la vielle : ils se mirentnbsp;en cheinin pour aller ii Mont-brant. « Grond Dieu! dit Huon,nbsp;je suis bien lachd de me voirnbsp;degrade de cetle l'ai;on, je menbsp;vois oblige dc servir un méné-trier; Dieu maudisse Ie nainnbsp;bossu qui m’a fait tant denbsp;maux!... » Quand Mouflletnbsp;entendit Huon qui gémissait,nbsp;il lui dit : « Salalre, console-toi, car avant qu’il soit demainnbsp;au soir, tu verras quel accueilnbsp;on me feta, et tu partagerasnbsp;avec moi lous les présents ([u’onnbsp;me fera b ” |
HUON Mon maitre Moufflet, je ferai, vous pouvez en étre certain!nbsp;tont ce quo vous me comraan-derez en toule eirconstance... Iluon prend la malle qui sera charges de vétements... 11 vanbsp;devanl avec son fardeau et faitnbsp;^emblant de tirer Ie pied. MOUFFLET Vous avez les pieds joliment sensibles, car vous raarebeznbsp;bien mal. Avant un an ilsnbsp;auront durci, et, quand vousnbsp;aurez gagné de quoi vousnbsp;acheter des cliaussures, vousnbsp;vous familiariserez avec Ianbsp;inarche. HUON O Dieu, mon créatcur, en quelle misère suis-jo tombé!nbsp;Me voilii réduit a servir unnbsp;soiineur. Pourciuoi, Obéron,nbsp;quand je te rencontrai pour lanbsp;première fois, ne m’as-tu pasnbsp;broyé et anéantü... MOUFFLET Taisez-vous, Salastre, séchez vos larmes. Vous verrez l’lion-neur qui nous sera fait a tousnbsp;deux. |
tué... All I j’aimcrais tenir Iluon en mon pouvoir, car, certaine-ment, je récrabouillerais a terre.... (iMs. do la bibliotbé((ue de (Juimper.)
1. llisloirede lluo7i de Bordeaux, ji. 44-40.
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Nous avons fini dc parcourir les quatrc cycles *^ntrc lesqiiels se peuvcnt réparür les mystères bre-tons. J’cspère avoir suffisammcnt établi qu’on n’ennbsp;saurait contester la provenance toute frangaise. Je nenbsp;1’ai montré dans Ie détail que pour quelques types,nbsp;paree qu’il ne m’appartennit pas de produire dansnbsp;cotte étude tous les éléments d’im travail dc compa-raison qui, pour être tantsoit peu complet, eüt exigcnbsp;des volumes. Mais, aux excmples que j’ai donnés,nbsp;i’aurais aussi bien pii en substituer d’autres, sansnbsp;que Ie résultat fut différent. Ce ne sont done pas icinbsp;des conclusions valables pour dos cas isolés; ellesnbsp;sont les mêmes pour I’cnsemble : cc qui est vrai dcnbsp;tel mystère, pris comme specimen de tel cycle —nbsp;biblique, évangélique, hagiographique, romanosque,nbsp;— est vrai du cycle entier. II nous resto a franchirnbsp;un dernier pas. II n’a été question, en efïet, dans lesnbsp;pages qui précédent, que des pieces du répertoirenbsp;breton dont les sujets lui sont comrauns avec toutenbsp;la littérature dramatique ou légendaire du moyennbsp;age. Ce sont de beaucoup les plus nombreuses: mais,nbsp;nous l’avons vu, ce ne sont pas les seules. A cóte denbsp;celles-la, il y on a d’autres, une dizaine environ, quinbsp;semblent relever en propre de la tradition celtique.nbsp;Je les ai réservées a dessein. On serait ten té de pensernbsp;que l’inspiration bretonne s’y est librement donnénbsp;carrière. Or, nous allons avoir a constator que, lanbsp;comme ailleurs, elle n’a fait qu’imiter des modulesnbsp;frangais.
-ocr page 350-LES SÜJETS CELTIQÜES DANS LES MYSTERES
Les Vies de saints bretons : Le mystère de saint Guenolé. — Le Purgatoire de saint Patrice dans le theatre breton et lenbsp;théatre espagnol : El Purgalorixi de san Patricio, de Calderon; — El mayor prodigio, de Lope de Vega; — Buhez Louisnbsp;Eunius. — Sainte Tnjphine et le roi Arthur. — Ilirlande ounbsp;rinnocence couronnée, du P. Geriziers.
J’ai eu I’occasion de signaler, dans le cycle des saints, l’existence de mystères relatifs a des Vies denbsp;saints bretons. J’ai dit l’ardente vénération du peuplenbsp;pour ces vieux patriarches nationaux et de quellesnbsp;gracieuses fictions, souvent mêlées d’antiques reminiscences païennes, il s’est plu n orner, a embellirnbsp;leur légende. Ces éléments populaires, d'un caractèrenbsp;si poétique et, dans une certaine mesure, si original,nbsp;il est rare que les auteurs des mystères en tiennentnbsp;compte. Ce n’est point évidemment qu’ils les igno-rent, ni davantage qu’ils les dédaignent. Mais il nenbsp;leur vient pas a l’idée de les utiliser, ou mieux ils nenbsp;les jugent pas utilisables dans l’espèce. Leur conception du mystère est, en effet, tout entière domineenbsp;par les lois franjaises du genre. Lorsqu’ils portent a
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la scène iin saint de leur pays et de leur race, il ne s’agit point pour eux d’en tracer une image expressive, vivante, personnelle, mais, au contraire, de Ienbsp;banaliser et de Ie dépersonnaliser, en quelque sorte,nbsp;en Ie traitant par les mêmes procédés que les modèlesnbsp;dont ils s’inspirent appliquent a des saints étrangers.nbsp;Et d’abord, c’est dans la Vie latine du saint qu’ils vontnbsp;puiser leurs matériaux ; ce qui atténue déja singuliè-fement la signification locale de leur oeuvre, la plupart de ces Vies ecclésiastiques ayant été rédigéesnbsp;d’après un type a peu pres uniforme dont les traitsnbsp;sont sensiblement pareils pour les saints des autresnbsp;pays. De plus, l’agencement scénique est directementnbsp;imité des mystères francais analogues. L’enfance denbsp;Saint Gwennolé, par example, ou de saint Divy, n’estnbsp;qu’une variante de celle de saint Laurent. II y availnbsp;comme un schéma consacré dont c’eüt été, semble-t-il, une innovation téméraire, et peut-être une erreurnbsp;impie, de se départir.
Breton ou pas breton, Ie saint n’est pas encore né que sa venue est annoncée par des présages surnatu-rels. Un ange descend tout exprès du ciel pour avertirnbsp;ses parents qu’ils vont donner Ie jour a un enfantnbsp;predestine. ïandis que la familie se réjouit fort denbsp;cette nouvelle, dans I’enfer les diables en sont marris;nbsp;ils se désolent bruyamment du tort que Ie futnr saintnbsp;ne peut manquer de leur causer et délibèrent sur lesnbsp;moyens d’entraver sa mission. L’enfant nait, et senbsp;trouve tout de suite en age d’etre envoyé a l’école.nbsp;On Ie confie a quelque maitre renommé qu’il décon-certe par la sagacité de ses réponses et la rapidité de
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scs progrès. Généralement, il manifeste la puissance extraordinaire dont Dieu l’a rcvêtu en guérissant d’iinnbsp;simple signe de croix quelqne camarado dissipé qui,nbsp;dans la fougue du jeu, s’est cassé bras ou jambe. Genbsp;miracle est Ie prélude de beaucoup d’autres, toujoursnbsp;les mêmes et Ie plus souvent exposés dans Ie mêmenbsp;ordre : infirmes rendus a la santé, rois mécréantsnbsp;convertis a la foi du Christ, brigands chatiés de leursnbsp;rapines ou ramcnés dans Ie droit chemin. Rien denbsp;tout cela n’est particulier ni a tel saint, ni a tel temps,nbsp;ni a tel lieu. Les épisodes en apparence les plusnbsp;bretons sont en réalité des emprunts francais,nbsp;ïémoin la jolic scène de Rivoal lo perclus et de sonnbsp;compere Jean l’aveugle, dans un des manuscrits denbsp;la Vie de saint GuénoléK Rivoal est au désespoirnbsp;d’avoir perdu sa femme, ménagöro prévoyante quinbsp;excellait dans Tart de lui épargner les privations :nbsp;(( quand il n’y avait plus de graisse pour faire lanbsp;soupe, on avait toujours la ressource d’en extraire denbsp;son cotillon ». Maintenant, Ie voila abandonné dansnbsp;sa brouette de cul-de-jatte, au milieu de la route. Sinbsp;du moins il pouvait se trainer jusqu’a Landévennecnbsp;oü l’abbé Guénolé fait, dit-on, des miracles! Survientnbsp;Jean l’aveugle, désireux lui-même d’arriver jusqu’aunbsp;saint. Rs mettent en commun leurs deux misères.nbsp;L’aveugle tirera la brouette, et Ie perclus guidera sesnbsp;pas. (( Marche face au vent de nord est )), lui com-mande-t-il; « veillc a cc que tu l’aies toujours en plein
). Ms. de la Bibliothèque nationale, fonds celtique n” 97. Cf. P. Le Nestour, Vie de saint Guénolé, Revue celtique, t. XV,nbsp;pp. 245-271.
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dans Ie visage ». Le voyage s’annonce d’abord assez ^^ien, mais, le chemin devenant plus difficile, lesnbsp;choses ne tardent pas a se gator. La brouette tantótnbsp;s’cnlize dans la boue, tantót est sur le point de versernbsp;dans un étang. Le perclus s’en prcnd a la stupiditc denbsp;1’avcuglc, qui rejcttc la faute sur I’inaltcntion dunbsp;perclus. De part et d'autrc les injures pleuvent.
'' Maugré soit au sot bclitre! [Mogré d'ar sol Inlliir) », hurle lo perclus cxaspórc. « II fallait être meillcurnbsp;guide, vieux tortu, père des poux! » rétorquenbsp;1’aveuglc qui n’entend pas demeurer en restc. Desnbsp;Injures pcu s’en faul ([u’ils nc passent aux coups. Jeannbsp;menace Rivoal do Fenvoycr se rafraicliir dans lanbsp;fivière. Force est an perclus de mettro les polices :nbsp;pour apaiser son compagnon, il s’engage, dés qu’ilsnbsp;seront au terme de l’étape, a le rcgalcr de vin, denbsp;soupe aux poireaux, de pain blanc et de bonne viande,nbsp;nvec des poires et des pommes au dessert. La récon-'ïiliation se fait: Faveugle consent a repartir, mais ilnbsp;Qe se réattelïera plus a la maudite brouette dont lesnbsp;grincemeiits lui déchirent les oreilles : il hissera lenbsp;perclus sur ses epaules et le portera en eet équipage anbsp;Landévennec, pour l’amour du vin blanc. « Si j’on ai,nbsp;dit-il, une venlrée, jusqu’a ce que je n’en puisse plus,nbsp;est alors quo tu m’entendras chanter de pleinnbsp;coeur » '. Nul doute qu’il n’y ait a relever de-ci, de la,nbsp;dans ce tableau, des touches d’une couleur toute bre-tonne. II n’est pas moins vrai que l’épisode qu’ilnbsp;*'eprésente a regu sa première forme dramatique dans
'•II y a une erreur, a eet endroit, dans la traduction de Le Nestour.
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un myslèrc francais de saint Martin et que la joyeuse liistoire do ravcugle et de l'cc cspette » avait dilate lanbsp;rate des bourgeois de Seiirre, en Bourgogne avantnbsp;de faire rire eu Brotague les spectatours de Saintnbsp;Ciivennolé.
Si l’on voulait insister sur la predominance presque exclusive de Télément conventionnel, c’est-a-direnbsp;étrangor, dans ces vies dramatisées dos saints d’Ar-morique, il faudrait mentionner encore la part considerable qui y est faitc, contro toute vraisemblance,nbsp;aux détis, aux mêlées sanglantes entre champions dunbsp;Christ et sectatours de Mahomet. Dans Saint Girennolé,nbsp;tout Ie troisième acte êlale a nos yeux les jactancos denbsp;Tulpodo, « roi de Barbaric », flanquc de ses lieutenantsnbsp;Vulmig et Judara, et fort de l’appui de ses « idoles »,nbsp;Plutus, Belzébut, Jupiter et Mcrcurius. Dans la Vienbsp;de saint Yves, lo roi de Barbarie est remplacé par Ienbsp;« roi de France », mais pour s’appcler d’un autrcnbsp;nom, il n’a change ui d’attitudo, ni de langage. « Jenbsp;sais », s’écric-t il en s’adressant a son capitaine, « jenbsp;sais que vous êtes un liomme vaillant, 1’bomme Ienbsp;plus généreux qu’il y ait sous Ie firmament. Et c’estnbsp;pourquoi je vous commande de marcher a la tête donbsp;nos sujets sur la villo de Tréguier, aussi promptementnbsp;que possible, afin de la mettre a feu et a sang et de lanbsp;réduire en cendro... Je vous Ie dis, mon ami, n’épar-gnez pcrsonnc, ni gentilhomme, ni bourgeois, ninbsp;artisan. N’en cpargnez pas un : briquot;dez-lcs tous.nbsp;Mettez Ic feu a la ville, pour (ju’cllc n’éebaiipe point a
1. Petit de Julleville, Les Mijslère.t, t. 11, p. Ö3ö-j41.
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la destruction; allutnez-Ie pareillemont aiix deux bouts de la cathcdrale et enlevez tons los objets de valeurnbsp;fjue vous Irouverez dans róg-lise et anx alentours.nbsp;Gardoz-vous d’y manquer, sinon, vous pouvez m’cnnbsp;croire, vous sercz ccartclés tont vifs. » Est-il besoiunbsp;cl’njoutcr quo cettc tentative d’un roi do France contrenbsp;Tréguier est un pur mythe dont on cliercherait vaine.nbsp;ment trace dans la légende de saint Yves? D’aucunsnbsp;croient devoir expliquer cetto profusion de scènes denbsp;carnage, mcmc en des sujets oü elles ne semblentnbsp;guère de mise, par Ie vieux penchant inné des Bretons pour les spectacles de ce genre ; « Le Bretonnbsp;nait batailleur; il a la passion des combats. » Aujour-(1'hui encore, fait-on remarquer, il n’y a pas de pardonnbsp;de quelque importance qui nc se termine par des que-rclles meurtrièrcs, « et plus d’un pèlerin s’en retourrienbsp;chcz lui les membres brisés ou la létc fendue ’ ». Je lenbsp;veux bien ; mais ce goüt des luttes violentes n’estnbsp;point spécial aux Bretons; tout le moyen age 1’anbsp;counu, tout Ie moyen age a aimé, au theatre, cesnbsp;ffrands chocs d’armes, et ce sont los rois sarrasins desnbsp;^ystères du moyen age qui revivent dans le roi donbsp;1’rancc de la Vie de sainl Yvea ou le roi de Barbaricnbsp;de la Vie de sainl Gtvennolé, comme c’cst, au surplus,nbsp;^’esthétique dramatique du moyen age qui, avec ses-''ecettes, ses formules et ses motifs, revit tout entièrenbsp;lUsque dans les manifestations soi-disant les plusori-amp;gt;nalDs du theatre breton.
Gombien la scène bretonne roste étroitement tribu-
G lievtce celtiqiie, t. XV, p. 230.
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taire Je Ia liltérature fran^aise, même dans des sujets répatés pour lui appartenir en propre, deux piècesnbsp;surtout vont nous servir a Ie montrer. Ni Tune ninbsp;Tautre n’ont d’analogues en France, et elles parais-saient a Luzel si caractéristiqnes du génie de sa racenbsp;qu’après avoir débuté dans les lettres en publiantnbsp;1’une, Sainie Tryptiine et leroi Arthur^ il se proposait,nbsp;quand la mort Ie snrprit, de conronner sa carrière ennbsp;publiant l’antre, Ie Purgaloire de saint Patrice ou lanbsp;Vie de Louis Ennius. J’ai cntre les mains la copienbsp;dont la mise au net occupa ses dernicrs jours etnbsp;qui n’attendait que d’etre confióe a Fimprimeur. IInbsp;attribuait a ce document une importance capitalenbsp;pour riiistoire du théatre armoricain. Les brouillonsnbsp;qu’il a laissés sontpleius de traductions qu’il en avaitnbsp;faites et dont beaucoup datcnt de l’époque de sa jeu-nesse. Dans la première lettre qu’il écrivit a Renan,nbsp;c’est principalement de Louis Ennius qu’il entretenaitnbsp;son illustre correspondant. « J’ai aussi un manuscritnbsp;fort curieux, tonjours une pièce de théatre, intitulénbsp;Ennius, qui n’est autre chose que la descente au Pur-gatoire de saint Patrice et la relation des choses éton-nantes et des supplices terribles que Ie voyageur y anbsp;vu inlliger aux mediants. )) La réponse de Renan fitnbsp;tomber qiielques gouttes d’eau froide sur eet enthousiasme. (( La légende ici est certainement celtique;nbsp;mais elle a couru Ie monde; et, oublieux de leur passénbsp;littéraire, plusieurs fois les peuples celtiques ont re^unbsp;d’autrui leur propre bien transformé et remanié*... »
1. Lettre inédite de Renan ii Luzel datée du 28 mars 18Ö8.
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II ctait difficile de mieiix dire. Coltique, la légende Test, en efïet, au moins par la localisation qui en anbsp;été faite trés anciennement dans une des regions denbsp;1’Iiiande. De notre temps encore, du 1quot; juin aunbsp;15 aoüt, toutes les routes du comté de Donegal senbsp;couvrent de pèlerins s’acheminant vers Ie Locli Dergnbsp;OU Lac Rouge. Le site est solitaire et sauvage; desnbsp;moutagnes vètues de bruyères, et dont raiistériténbsp;ii’est pas saus grandeur, l’enveloppent. Au centre dunbsp;lac, qu’elles séparent en deux bassins, se dressent desnbsp;lies presque aussi nombreuses que celles qui peuplentnbsp;le golfe du Morbihan, auxquelles font songer, dunbsp;reste, leurs sommets tantót chauves et tantót boisés.nbsp;Une d’elles est Station Island, le plus cólèbre des sanc-tuairos de la foi celtique, avec lona, et le pèlerinagenbsp;national des Iiiandais. Un bac est alfocté au passage.nbsp;Les devotions durent d’ordinaire plusieurs jours. Lanbsp;principale consiste a s’enfermer une partie de lanbsp;semaine dans l’église de saint Patrice, pour y priornbsp;et pour y jeüner. Cette cglisc est batie, prétend-on,nbsp;sur le lieu même oü s’ouvrait autrefois la fameusenbsp;« cave )) OU « puits » de Saint-Patrice, quiétait censéenbsp;donner accès dans les mystérieux et redoutables au-delci de la mort. On sait la légende. Marie de France,nbsp;sans parler de plusieurs chroniqueurs, Pa écrite ennbsp;Vers charmants. Renan la résumé en ces termes :
Saint Patrice prèchant aux Irlandais le paradis et 1’enfer, ccux-ci hii avouèrent qu’ils scraient plusnbsp;nssurés de la réalitc de ces lieux, s’il voulait permettrenbsp;(lu’un des leurs y descendit et vint ensuite leur ennbsp;donner des nouvclles. Patrice y conseutit. On creusa
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line fosse par laquellc un Trlandais entreprit le voyage souterrain. D’autros Youlurcnt apres liii tenter I’aven-ture. On desccndait dans le trou avec la permissionnbsp;de l’abbé du monastcre voisin, on traversait les tour-mcnts de I’enfer et du purgatoire, puis chacun racon-tait CO qu’il avait vu. Quelques-uns n’en sortaiontnbsp;pas; ceux qui en sortaient nc rinient plus et ne pou-vaicnt désormais prendre part a aucune gaitéb » Lesnbsp;voyages au puits de saint Patrice furent un dcsnbsp;themes favoris de la littérature du moyen age. Lanbsp;relation du chevalier Owen, notammont, eut unnbsp;succès prodigieux. Jo n’ai pas a rechercher quel fut cenbsp;porsonnage plus on moins fictif, dont Marie do Francenbsp;fait tenir toute la biographie on quatre vers :
FJ tens le Rei Estefne dit,
Si cum nus troviim en cscrit,
K’en Yrlande esteit un produm,
Chevaliers fud, Owens out num^...
Co qui est stir, e’est quo cot Owen,, dont le nom, comme aussi bien la légende, a subi de si etrangesnbsp;alterations au cours des siècles, est bien le mème quenbsp;VEimim OU Ennius du mystère breton.
Son aventnre, avant d’etre introduite sur la scène en Bretagne, avait tentóle génie dramatique des deuxnbsp;grands émules espagnols, Calderon et Lope de Vega,nbsp;qui en avaient puisé Ic détail dans la Vie de saintnbsp;Patrice, de leur compatrioto Montalban h Luzel igno-
1. nbsp;nbsp;nbsp;Essais de morale et de criligue, p. 447.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Poésies de Marie de France, edition Roquefort, t. II, p. 431.
3. nbsp;nbsp;nbsp;L. Rouanet, Vrames religieux de Calderon, p. 289.
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LES SUJETS CELTIOEES.
rait l’oeavre de Lope do Voga, mais il avail eo con-•laissance, au moins par une analyse, de celle de Calderon. Tont imbu encore des procédés de critique en honneur dans I’entourago du vicomte de la Ville-®arqué, sa première idéé fut que l’auteur espagnolnbsp;^vait dü construire son drame d’après « une traditionnbsp;''ecueillie de la bouche de quelque Celtibère ’ II eutnbsp;hcureusement Ie bon esprit de soumettre sa conjecture a Renan qui fit a ce Celtibère Ie sort qu’il méri-tait; {( Si les ressemblances sont aussi frappantes quenbsp;vous le dites entre le drame breton et la piece de Calderon, je suis porto a croire que le drame breton estnbsp;Une imitation de Calderon... C’est a vous de voir sinbsp;tes ressemblances sont assez fortes pour qu’il faillenbsp;®npposer que I’auteur breton a eu sous les yeux I’ou-’^'rage de Calderon ; cela scrait bien singulier. 11 estnbsp;plus probable que I’auteur breton et Calderon ontnbsp;Puisé a une même relation des aventures du chevaliernbsp;Owen - )). Ces sages conclusions, Luzel s’empressa denbsp;les faire siennes, en les reproduisant a peu prés tex-tuellcment dans les pages de I’introduction de Saintenbsp;^i'gt;jphine oil il est question de Louis Eunius. Mais ilnbsp;®fit été mieux inspire encore, si, pour affirmer lesnbsp;ressemblances des deux pièces, il avait attendu denbsp;eonnaitre autrement que par une analyse I'oeuvre dunbsp;Poète espagnol. Celui-ci a, en effet, coiiqu et traité lenbsp;®*^jet avec une liberté, une liardiesse, une fougue et,nbsp;'r certains égards, une outrance, qui bouleversent,nbsp;pour ainsi dire, de fond en comble la fable primitive.
Brouillon de lettre do Luzel a Renan.
2- Leltrc inédite de Renan a Luzel, du 28 mars 1838.
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LE THEATRE CELTIQUE.
L’action, d’abord, est reculée jusqu’aux temps de l’apostolat de Patrice. Quand Ie drame s’ouvro, nousnbsp;sommes a la cour d’Egerio, roi d’Irlande ; iin songcnbsp;sinistre a trouble son esprit : de Ia bouche d’un vilnbsp;esclave, il a vu sortir un jet de dammes surnaturellesnbsp;qui embrasaient Lesbia et Polonia, ses deux filles.nbsp;L’esclave, on Ie devine, c’est Patrice, qui, après avoirnbsp;gardé les troupeaux d’Egerio, allumera Ie flambeaunbsp;do la foi en Irlande. Cette vision égare a ce point lonbsp;roi qu’il parle de se tuer pour s’y soustraire. Toutnbsp;a coup retentit Ie clairon qui annonce Tontrée desnbsp;navires dans Ie port. Polonia se précipite, par curio-sité, hors du palais et revient aussitót, pale d’épou-vante. Le navire a fait cóte. Deux hommes sculementnbsp;survivent au naufrage; encore Fun d’eux n’a-t-il éténbsp;sauvc que grace au dévouement de Fautre. Ils parais-sent devant le roi: le sauvcur, c’est Patrice; le sauvé,nbsp;c’est Ludovico Enio. Et voila nettement dégagée, dèsnbsp;le dóbut, la pensee maitresse de Foeuvre : Enio seranbsp;deux fois Fobligé de Patrice : après le salut du corps,nbsp;il lui devra le salut de Fame. Dans Fintervalle, leursnbsp;dcstinces seront aussi opposées que peuvent Fêtrc lanbsp;vie d’un saint et celle d’un bandit, et ce sera Fhabi-letc du poète d’accentuer par tous les moyens la violence du contraste jusqu’a ce que le contraste, finale-ment, se resolve en une harmonie suprème, lorsquenbsp;le saint et le bandit auront supprimc Fabime qui lesnbsp;sépare, le premier, a force d’onction, le second, anbsp;force de repentir ‘. On serait bien en pcine de décou-
1. Léo Rouanet, Drames religieux de Calderon, Le Purga-toire de saint Patrice, p. 297-370.
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vrir quoi que ce soit de pareil chez l’auteur breton. Ni Egerio, ni ses filles, ni l’amour fatal que Ludoviconbsp;Enio inspire a rime d’elles, ni Ie soufflct qu’il donnenbsp;Publiquement a Filipo son fiancé, ni sa condamnationnbsp;a mort, ni sa fuite avec la belle et douloureuse Polo-nia, ni Ie meurtre odieux qu’il commet sur elle pournbsp;éviter d’etre poursuivi, ni rien enfin de ce qui remplitnbsp;deux journéos sur trois A’El Purgatorio ne se retrouvc,nbsp;füt-ce a l’ótat do vague indication, dans la Vie denbsp;¦Louis Eunius. Patrice lui même n’y fait qu’une courtcnbsp;apparition posthume, en compagnie des douze Apó-tres, pour conforter ie penitent dans les épreuves dunbsp;Eurgatoire, puis pour lui donner sa benediction,nbsp;après qu’il les a surmontées. Par contre, Ic mystèrenbsp;breton contient nombro d’épisodes dont Ic dramaturgenbsp;aspagnol n’a pas jugé a propos de tirer parti, oii qu’ilnbsp;a sacrifiés a dessein. Ainsi tout Ie passé de Louisnbsp;Eunius, antérieur a sa venue en Irlande, qui est sinbsp;complaisamment dévcloppé, phase par phase, dans lanbsp;piece bretonne, Calderon s’en débarrasse d’un tour denbsp;Kiain, des Ie commencement de Paction, en Ie faisantnbsp;conter, par manière de bravade, au ruffian lui-même,nbsp;lorsque, tout ruisselant encore du naufrage, il estnbsp;amené avec Patrice devant Egerio. Que reste-t-il,nbsp;après cela, de commun entre les deux oeuvres? Lenbsp;denouement, et rien de plus, c’est-a dire trop peu, cenbsp;ttie semble, pour justifier les « rcssemblances grandesnbsp;at nombreuses » dont parle Luzel.
Le terme de comparaison qu’il avait le tort de vou-loir découvrir dans le Purgato7'io de Calderon, c’est dans le Mayor prodigio de Lope de Vega qu’il aurait
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pliltót du Taller chcrcher. Lope dc Vcga suil, en effet, de plus prés la tradition autlientique, sous la formenbsp;romanesque qu’clle avait prise au xvn” siècle et qu'ilnbsp;trouvait rapportée dans Montalban. II a circonscritnbsp;son sujet aux aventures de Ludovico Enio, sans ynbsp;meier Thistoire d’Egerio et de Patrice que Calderon,nbsp;par un anachronisme fécond, d’ailleurs, en beauxnbsp;contrastes, y avait arbitrairement introduite. Mais,nbsp;ces aventures, en revanche, nous sont presentees ennbsp;action, et non plus rappelées en un simple récit. Lenbsp;premier acte se passe a Valence. Dóhauché, brettcur,nbsp;joueur, coureur de tripots, Ludovico Enio, perdu dcnbsp;dettes, est pret a tons les crimes pour se procurer denbsp;Targent. II a enlcvé du convent sa cousine ïhéodosianbsp;et, après lui avoir fait vendre ses hardes et ses bijoux,nbsp;la force ii se vendre elle-même, a se prostitucr. Pendant qu'elle rode par les rues, lui, de son coté, s’em-busque dans un carrefour pour assassiner Roberto,nbsp;le joueur heureux qui lui a gagné ses dernicrs ecus.nbsp;Comme il le guette, le poignard a la main, un papiernbsp;blanc se met a voleter devant ses yeux, dans les ténè-bres; il étend le bras pour le saisir, le papier mysté-rieux se dérobe; Enio, intrigué, agacé, s’obstine a sanbsp;poursuite, au point d’en oublier Roberto qui, durantnbsp;cc manege, traverse la place, sans se douter qu’ilnbsp;vient d’échapper a la mort. Enio reparait, tenantnbsp;entre ses doigts le papier qui a fini par se laissernbsp;prendre; il s’approche, pour voir s'il porte quelquenbsp;chose d’écrit, d’une lampe suspendue a une croix. Aunbsp;pied de la croix se lit cettc inscription : Ici on a luönbsp;iin homme. Pi-iez pour lui. Notrc coupc-jarret trouve
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coincidence asscz cnriense. II déplie cepondant Ie papier. Horreur! fpiel est cc prodige elïrayant? « J’ynbsp;4'ois points Timagc de la mort et des mots qui disent:
suis Ludovico Enio. » Ce lugubrc présage ébranle aii instant l’ame du miserable, mais, Ic lendemain, ilnbsp;a repris Ie cours de ses forfaits. II retourne a la maisonnbsp;de jeu, cherche qucrelle a un soldat, et Ie tue. Lesnbsp;Sons do justice se prósentent pour Tarrètcr dansnbsp;1’appartement qu’il occupe avee Theodosia : il lesnbsp;oofoit l’épée au poing et s’enfuit. Au deuxième acte,nbsp;d a regagné ITrlandc, son pays natal. II est seul,nbsp;orrant, désespéré, las de lui-même, écoeuré de la vie.nbsp;Par line nuit d’orage,il est sur Ie point de se pendre;nbsp;oaais un sentiment inexplicable l’arrête : « Seigneur,nbsp;a’écrie-t-il, protégez-moi! Vencz a mon secours!nbsp;^liscricorde, mon Dieu! Pitió, Vierge souveraine! —nbsp;d est trop tard, lui soufflé Ie démon. Les oreilles denbsp;Lieu rostent fermées a tes appels. — Non, il n’est pasnbsp;Lop tard. Jamais Dien ne. ferma ses oreilles aunbsp;repentir. » C’est l’idée morale qui domino toute lanbsp;piece. Ludovico apprend l’existence du Purgatoire denbsp;Saint Patrice. La il pourra se purifier de ses crimesnbsp;ot renaitre a une vie nouvelle. 11 y court, subit lesnbsp;ópreuves d’usage, en sort victorieux et, après avoirnbsp;fait aux moines de Pile sacréo Ie roeit des choses épou-Vantablcs ou délicieuses qu’il a vues dans son voyagenbsp;Souterrain, decide de finir ses jours dans leur couvent'.
11 n’y aurait qu’a modifier quelque pcu 1’ordre de certains épisodes pour que, dans ses grandes lignes.
Lóo Ilouanet, Drames religieux de Calderon^ pp. 28G-289.
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cette sommaire analyse du drame espagnol reproduisit exactement la charpente du mystèro armoricaia.nbsp;Est ce a dire qu’il faille supposer line correlation qiiel-conque entre les deux oeuvres? Assurément pas. Sinbsp;Lope de Vega a toujours profondément ignore qu’il ynbsp;ciit au monde un pauvrerimeur celtc, auteur anonymonbsp;d’une Vie de Louis Eiinius, celui ci, d’autre part, n’anbsp;jamais soupfonné qu’il labonrat dans Ic même sillonnbsp;que Ie grand poète ibérien de El mayor prodigio. Lenbsp;vrai, c’est que la légende de saint Patrice et d’Euniusnbsp;OU Ennius (corruption d’Owennius) a été répanduenbsp;en France par le colportage sous unc forme peu différente de la rédaction espagnole. On en trouve dans lenbsp;Dictionnaire des Légendes de l’abbé Migne une version intitulée : Ilisloire de la vie et du gjurgaloire denbsp;saint I^atrice, archevêque et 2^rimal d’Hgbernie. Je n’ainbsp;pas les renseignements nécessaires pour decider si ellenbsp;est une traduction de la Vida y purgatorio del gloriosonbsp;S. Patricio, arzolnspo y primalo de Llihernia, de Mon-talban, mais il y a, me semble-t-il, quelque lieu de lenbsp;penser. D'abord, les titres sont les mêmes, De plus,nbsp;Fopiiscule francais est divisé, comme le livre espagnol,nbsp;en neuf chapitres, et la repartition des matières entrenbsp;ces chapitres est également la même que dans le livrenbsp;espagnol. Les cinq premiers contiennent la biographicnbsp;de l’apótre, la description de 1’ile et de la caverne, lenbsp;détail des formalités auxquelles étaieiit astreints ceuxnbsp;qiii prétendaient y pénétrer; les qiiatre autres sontnbsp;consacrés aux aventures de Louis Eunius. Je ne seraisnbsp;done pas surpris que la légende frangaise fut adaptée,nbsp;sinon traduitc, dcl'ouvrage de Montalban.il y aurait
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LES SUJETS CELTIQUES.
lil une explication toute simple des rapports étroits i]nc nous avons signalés entre l’oeiivre de Lope denbsp;Vega et notrc mystère brcton. Quoi qu’il en soit, pournbsp;celui^-ci la question ne fait pas de douto : c’est mani-fcstement dans les quatre derniers chapitres de l’IIis-de la vie et du purgaloire de saint Patrice quenbsp;sou auteur en a puisc tous les elements. Un excmplcnbsp;fora voir comment il a procédé. Je choisis a dcsscinnbsp;lt;in épisode qui ne figure j^as dans la piece espagnolc.nbsp;Chez Lope de Vega, Ludovico Enio, apres s’être sous-trait aux rigucurs de la justice, rctournc, on s’ennbsp;souvient, en Irlande. UHisloire de la vie el du purga-ioire de saint Patrice se contente de Ie faire rontrer anbsp;Toulouse, oü il a passé la plus grande partie do sanbsp;jennesse. Et void sous quel aspect nouveau il nousnbsp;est présenté. Je laisse parler d’abord Ie rédt francais :
Or, comme il arriva en cette contrée, il trouva qu’on faisait un grand appareil de guerre, et qu’on levait desnbsp;soldats pour meltre une armée en campagne. Cela Ienbsp;convia ii se faire enróler au rang des coinbattants, plutêtnbsp;a dessein de suivre Ie cours ordinaire de ses malicesnbsp;Impunéinent, que pour Ie désir qu’il eüt de porter lesnbsp;armes pour Ie service du roi de Franco, dont il était sujetnbsp;naturel. II olTrit pourlant de faire tête a I’ennemi avecnbsp;les autres gens de guerre; et comme il était courageux etnbsp;1'ardi, il fit des exploits si généreux dans les rencontres,nbsp;qu’il s’acquit la reputation d'un vaillant capitaine en peu denbsp;temps. Si bien que Ie lieutenant de la compagnie, oü ilnbsp;s’était enrólé, ayant été tué dans la mêlee, il lui succédanbsp;dans sa charge par son propre mérite, ce qui ne l’autorisanbsp;pas peu dans ses débauclies; car, déja appuyé sur l’assu-nauce de son courage et de sa valeur, se prévalant, au
LE THEATRE CELTIQUE.
surplus, de Ia preeminence de la charge qu’il exergait, il faisait tous les jours mille supercheries a tous ceux quinbsp;Ie fréquentaient i.
De ce passage, lo poètc breton a tire Ia matièrc de trois scènes. II commence par nous mettre sous lesnbsp;youx la scène de I’enrolement. Un « general donbsp;France » parait, escorte de deux sergents et d’unnbsp;tambonr.
LE GÉXÉRAL.
Or 5a, ofliciers, il faudra que vous alliez maintenant par lo royaumo rocruter les hommes capables de porternbsp;les armes, caril y a grand hesoin de soldats. On remetlranbsp;cinquante ecus a tous ceux qui se présenteront pournbsp;s’enróler, a la condition qu’ils soieut gens de emur,nbsp;solides et hien taillés pour la marclie. C’est de cettenbsp;espèce-la qu’il faut aujourd’hui dans l’armée. Les Anglaisnbsp;sont descendus a Dunkerque, en Flandre, avec soixantenbsp;mille hommes vernis tout expres pour dévaster Ie paysnbsp;et nous casser la tète. Ainsi done, jeunes gens et gensnbsp;mariés, qui êtes contents d’aller a la guerre, venez anbsp;Tauborgc, je vous paierai a déjeuner et vous verserainbsp;la somme que vous flxercz, avant do partir. Tous lesnbsp;jeunes maris qui s’engageront dans l’armée, on pension-nera leurs femmes et leurs enfauts, et, après avoir servinbsp;trois ans, ils rentreront dans leurs foyers, car cettenbsp;alTaire-ci ne Lraincra pas en longueur
Louis Eunius s’ofïre immédiatement a s’inscrire, mals il entend tenir auparavant la prime de cinquantenbsp;écus promise. Le général lui dépose 1’argent dans lanbsp;main et lui demande son nom pour qu’on dressenbsp;l'acte d’engagement.
1. nbsp;nbsp;nbsp;Migne, Dictionnaire des legendes, col. 1003.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Buez Louis Eunius dijentil ha pec'her bras, trajedien ennbsp;daou ael gant eur proloc vit peb act, Lanhuon, 1871, p. 6i-G5.
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LES SUJETS CELÏIQUES.
LOUIS.
Mon nom, général, esl Lamontane ; je me fais fort dc inettre en fuite ii moi seul l’armée (ennemie). J’exigenbsp;foutefois qu’on me fasse accompagner par deux hommesnbsp;hui puissent ensuite porter lémoignage de ma bravoure,nbsp;ij'est dans les houzards que je demande a être cnrólé,nbsp;avec un bon cheval sous moi, comme il m’est dü; car jenbsp;suis genlilhomme de race, puisque je suis, sans mentir,nbsp;ie filleul du Uoi. Ce que jo dis, je Ie ferai, mon général,nbsp;vous pouvez m’en croire : je .suis un luron sale ’!
Il a, d’ailleurs, la tcte pleine de rêvcs sanguinaires, due la guerre va lui permettrc eiilin de réaliser.
Voila longtcmps que je souliailais d’avoir Ie di'oit de uie rassasier de massacres. Avant peu j’aurai déclaré lanbsp;guerre aux diables. J’irai les défler jusque dans lesnbsp;enters. Quand j’aurai cbassé les Anglais de la Flandre,nbsp;j’organiserai a mes frais une compagnie. J’ouvrirai lanbsp;porie a tons les prisonniers, je déchalncrai par surcroitnbsp;les galériens, les casscurs dc croix, les fau.ssaires, lesnbsp;Iripons qui ont fait du feu avec les vieux saints. Je serainbsp;Ie capitainc de toute colte canaille. Je ferai parler de moinbsp;pendant réternilé
A Ia scène suivante, il lt;a déja monté en grade : il ost lieiilenanl, et vient rcclamcr u sou capitaine losnbsp;^eux lémoiiis qui dolvcnt faire foi qu’a lui seul ilnbsp;hura disperse les Anglais. Le capitaine se rend a scsnbsp;instances, et désigne deux « sergents )) pour I’accom-Pagner, tout en se reprochant d’envoyer trois hommesnbsp;n unè mort certaine. Mais, il n’a pas lini de se lamenternbsp;duo Ie (( premier sergent » est de retour. 11 arrive lout
,1. liaez Louis Euniiis, etc., p. 00. 2. Id., p. 07.
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LE ÏUEAÏRE CELÏIQEE.
émerveillc des incroyables exploits de Lamontane ; l’armée aiiglaise est eii dóroiite; Ic lieutenant estnbsp;tombé au milieu d’elle « comme Ie tonnerre »; tousnbsp;ceux des ennemis qui n’ont pas cherché Ie salut dansnbsp;la fuite ont été pulvérisés sur Ie champ de bataille.nbsp;Sur ces entrefaites, Lamontane fait unc rentree triom-phale, suivi du deuxième sergent, et dans un stylonbsp;de rodomont, commun, du roste, a tous les protago-nistes des pieces bretonnes, il s’appesantit avee fastenbsp;sur les grands coups qu’il a donnés :
/* nbsp;nbsp;nbsp;LAMONTANE.
Si fatigué que je sois je viens vous sahicr. Ilatcz-vous, s’il vous plait, de me faire apporter du vin a boire, car,nbsp;depuisliier soir, j’ai rudement besogne. J’ai couché a platnbsp;je ne sais combien d’adversaires. II y a longtemps quenbsp;j’avais soif de monde a tuer ; cette nuit, je m’en suisnbsp;donné a cueur joie. Je suis content, cette fois-ci.
LE CAPITAINE.
Tenez, seigneur, buvez a votre soul. Vous devez être faligué, en effet, mais Ie vin ne fera pas défaut, ni davan-tage l’eau-de-vie. Tout ce que j’ai chez moi n’est riennbsp;pour vous récompenser.
lamontane.
Maintenant que j’ai apaisë ma soif, causons, eapitaine, si vous voulez. J’ai poursuivi les Anglais jusqu’en Méso-potamie. Le diable les réduise en patée, que je ne lesnbsp;revoie jamais! Ge n’est pas sans peine que j'ai mis leurnbsp;armée en pieces, mais, sur trois, il n’en est resté qu’unnbsp;en vie. Ceux qui restalent se sont promptement débandés.nbsp;Ileaucoup, en jouant des jambes, se sont cassé le cou.nbsp;lis s’imaginaient, je crois, qu’ils avaient a leurs Iroussesnbsp;Lucifer, Satan et tous les diables. Le feu d/artifice dont jenbsp;les bombardais de tous cótés les faisait burler pis que des
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LES SUJETS CELTIOUES.
^5êtes fauves. Avec un rasoir de cinq pieds de long Je lour faisais conlinuellement labarbe dans les lentes. II n’ynbsp;^ pas jusqu’au general Cobourr/ quo je n’aie tué. En reve-*iant sur mes pas, je 1’ai dépouillé : j’ai trouvé sur lui,nbsp;bint en or qu’en argent, quelque chose, je pense, comnienbsp;®ix OU sept cents ecus. II faudra se rcndre sur Ie champnbsp;lie bataille, dès Ie point du jour, pour ramasser les armesnbsp;lui y sont restées. Moi, j’irai fouillcr parmi les cadavres;nbsp;Je récolterai hien, je suppose, de quoi acheter une bar-rique de vin. Voici vos deux sergents : ils vous diront cenbsp;qu’ils ont vu, puisqu'ils sont mes témoins. J’ai done faitnbsp;ee que j’avais promis au general de France, quand je menbsp;suis engagé. Je suis quitte envers lui comme envers Ienbsp;i’oi ; j’ai fait mon devoir : a eux de faire Ie leur.
LE CAI'ITAINE.
1'lus que votre devoir, seigneur Lamontane; car vous Uvez a vous soul détruit une armee. A tant de couragenbsp;®st due recompense. Vous serez payó, n’en doutez pas, dèsnbsp;que Ie roi de France saura la chose, et il ne tardera pasnbsp;^ en recevoir avis. Avant qu’il soit nuit aujourd’huinbsp;J uurai écrit en votre faveur. De lieutenant, vous passereznbsp;i^iipitainc a ma place, seigneur, quand je serai pensionnénbsp;Hu mort. Prenez maintenant votre repos en lihcrté. Vousnbsp;ferez plus de service que lorsqu’il vous en prendi’anbsp;luntaisie. Choisissez votre résidence ofi il vous plaira, seigneur : on vous y laissera boire et manger en paix.nbsp;¦^Pprochez vous asseoir et quittez vos habits qui sontnbsp;i^onime ceux d’un boucher, tout rouges de sang*.
C’est a la suite de cet épisode que, dans le mystère ^I’etou comme dans Foriginal frangais, se place lanbsp;^cène oil Louis Eunius, sAr dosormais de Fimpunite,nbsp;^ Pndjusque pour commettrcun assassinat. Seulemeiitnbsp;^iindis que, dans rorigioal francais, la personae aux
L liuez Louis Eunius, etc., p. 13-10.
23
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LE THEATRE CELTIQUE.
jours de qui il en veut n’est pas désignée, dans Ie mystère breton celte personne n’est autre que sonnbsp;capitaine, dont il est impatient de recueillir la succession.
LAMONTANE.
... Si je n’avais raniassé mon faix d’avgent, je me serais fait passer pour un imbecile d’aller ainsi risquernbsp;ma vie pour de pareils pollroiis. Elle est jolie, la recompense quo Ton me promet! A la mort de cette vieillenbsp;ganaclie, on me 1'era capitaine! Il va done mourir sansnbsp;tarder, car je vais lui casser la tête. Quoi! ce nigaud estnbsp;payé Irois ecus par jour, et moi, je n’en touche qu’un.nbsp;11 peut écrire a ses parents de ma part, dès maintenant :nbsp;avant liuit jours, je lui aurai succédé comme capitaine.nbsp;11 taut que je sois plus poltron que Judas, de laisser denbsp;tels individus sc régaler de vin a ma place. J’ai eu loutenbsp;la peine, et I’lionneur cii serait a un autre! Ils ont beaunbsp;jcu a crier : « Vive le lloi do Franco! » Co n’ost pas lo roinbsp;de France, que diable I ce faineant, qui a élé, cetle nuit,nbsp;changer de place Farmée (anglaise)! Je vais me posternbsp;sur le passage de mon bonhomme. La sentence est déli-nitive : il ne reste plus qu’a y mettre le paraphe. Jetuerainbsp;le vieux, d’un coup brusque, tout net, et me taillerai troisnbsp;écus par jour dans sa peau '.
On suit comment il est empêché de perpétrer son crime, par I’interv^ention salutaire du miraculeuxnbsp;papier^. Dans la piece bretonne, qui ne fait que senbsp;regler encore a cet égard sur la marche du récit francais, eet avertissement céleste décide de la conversionnbsp;du bandit. C’estla fin de la première journée du mystère. La seconde et dernière journée nous montre
1. nbsp;nbsp;nbsp;Buez Louis Eunius, etc., p. 70-77.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Voir ci-dessus, p. 347.
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LES SUJETS CELTIQUES.
llistoire de la vie de saint Patrice.
quot; Louis... prit son clieinin droit a Home, dans la resolution do se confesser générale-nient au grand pénitencier denbsp;Sa Sainteté.
«... En entrant dans 1’égliso de Saint-Paul... il entenditnbsp;précher un saint religieux donbsp;l’ordre de Saint-Doniinique.
» Louis... se sentant animé des favorablos ))roiuesses denbsp;ce Père, ii peine le sermon fut-il achevé, qu’il l’alla trouvornbsp;aussitót dans sa chambre, et...nbsp;lui raconta par le menu... lenbsp;cours de sa vie libertine...nbsp;Larce qu’il craignait que sanbsp;niémoire ne le trahit en cottenbsp;rencontre, il écrivit tout parnbsp;ordre sur un billet ».
« Coiuine il se rencontra un soir dans la conversation denbsp;quelques personnes,... il entendit dire tant de inerveillesnbsp;du purgatoire de saint Patrice.,,nbsp;qu’il prit dessoin de faire lenbsp;voyage d’IIibernio ’.
Vie de Louis Eunius. Scène 1
Louis Eunius enire, vela de noir, mais propremenl mis,nbsp;avec un hdton d la main pournbsp;se rendre d Home.
Louis entre sous Ie porcke (d’une église). — Un religieuxnbsp;est en train de précher.
Scène II
ioïiw enlre par un cólé, Ie prédicateur par l’autre... Louisnbsp;fait sa confession sur papiernbsp;au confesseur... Le confesseur,nbsp;aprcs avoir lu sa confessmi,nbsp;dit : « Je n’ai pas le pou-voir (Ic vous donncr l’absolu-tion. Mais... il y a au paysnbsp;(l’Hibernie un purgatuire éleoénbsp;a monseigneur saint I'atrice....nbsp;Oui, je vous le promels, quandnbsp;vous en sortircz, vous serez purnbsp;et resplendissant aux regardsnbsp;de Dieu. '¦ (Le moino ayantnbsp;ajouté cju’il u’y a que le Saint-Père qui piiisse 1’aulorisor iinbsp;1'aire le voyage, Louis se rendnbsp;auprès du Papc. Let épisode,nbsp;qui ne ligure que dans le mys-tère, n été inspiré par l’allu-sion faite, dans le texte francais, au « grand pénitenciernbsp;de Sa Sainteté^ gt;¦.)
1. Abbé Migne, Dictionnaire des légendes, col. 1000-1009.
-¦ Huez Louis Eunius, etc.,p. 89-107. — Ge sont les indications seéniques données par le mystère lui-inèmc que j’ai traduilesnbsp;dans les passages en italiques.
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c’est-a-dire jusqu’a la sortie de Louis Eunius des pro-fondeurs du (( puits » sacré. Et Ie récit qu’il fait des merveilles qu’il a contemplées prêterait a des compa-raisons encore plus directes et plus saisissantes; maisnbsp;ce récit a malheureusement Ie tort, dans lecas présent,nbsp;de comprendre vingt colonnes in-folio de l'histoirenbsp;fran^aisc et trois cent quarante-quatre alexandrinsnbsp;breions. Je m’en tiendrai done anx constatations quinbsp;précédent ; elles sont assez nettes, ce me semble,nbsp;pour ne laisser subsister aucun doute sur les sourcesnbsp;extra-celtiques de la Vie de Louis Eunius.
IJnc autre piece dont l’étudc n’cst pas moins édi-flante ace point de vue est, avons-nous dit, Ie mystère qui a pour titre : Sainte Tryphine el Ie roi Arthur.nbsp;ïrypliine, Arthur! oü trouver des figures plus digncsnbsp;d’incarner en elles toute la générosité clievaleresqucnbsp;et toute rinfinie mansuétude de Fame bretonne?nbsp;Arthur ii’cst-il pas Ie héros celtique par excellence etnbsp;comme Ic symbolc immortel du passé de sa race? Lanbsp;gloire de la noble et lamentable ïrypliine est moinsnbsp;universelle : son nom n’a guère franchi les limites denbsp;la province oü se déroulèrent ses tristes destins. Mais,nbsp;en Bretagne, qui ne connait sa légende? Albert Lenbsp;Grand Fa contée en des pages attendries. Et, certes,nbsp;il n’en est pas de plus donloureusement tragique ninbsp;qni fut plus propre a inspirer un dramaturge local.nbsp;On serait done tout naturellement porté a croire quenbsp;c’est de la Tryphine bretonne et de FArthur celtiquenbsp;qu’il est question dans le mystère inscrit sous leursnbsp;deux vocables — et, dés lors, que 1’on se trouve
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enfin, cette fois, devant une osuvro originale, nationale, vrairaent armoricaine en son fond comme dans sa forme. Mais il n’en est rien. II s’agit ici d’un autrenbsp;Arthur que celui de la Table Ronde et d’une autre ïry-phine que la touchantc victime de Comorre. De quelnbsp;pays sortent-ils done? Une oeuvre aussi inconnuenbsp;aujourd’hui qu'elle fut jadis célèbre va nous rensei-gner.
Le 19 décembre de « l’an de grace mil six ecus trente neuf », lo R. Père René de Ceriziers, de lanbsp;Compagnie de Jésus, obtenait, par lettres patontesnbsp;signées Conrart, 1’autorisation de faire imprimer unnbsp;livre de sa composition intitulé Ze.? Troxs Eslals denbsp;I'Innocence, qui paraissait 1’année suivante, a Paris,nbsp;cbez la veuve Jean Camusat, demeurant rue Saint-Jacques, a I’cnseigne de « la Toyson d’or ». L’ou-vrage, dédié a « madame la Duchesse d’Esguillon »,nbsp;est tout entier dirige contre la calomnio et les calom-niateurs. II est divisé en trois parties comprenantnbsp;ebacune d’abord des reflexions générales sous formenbsp;de (( discours », ensuite un récit, soit bistorique, soitnbsp;légendaire, destiné a leur servir d’illustration. Lesnbsp;récits ont pour litres : 1“« Jeanne d’Arc ou I’innocencenbsp;affligée »; 2“ « Geneviefve ou rinnocence reconnue »;nbsp;3° « Hirlande ou I’innocence couronnée ». Nous négli-gerons les deux premiers pour ne retenir que le troi-sieme.
L’Avant Propos débute ainsi: « Après avoir marqué les Causes de la Mesdisance, et montré les bons etnbsp;mauvais effects qu’elle produit, il no reste de tout monnbsp;dessein que d’en proscrire les Remedes, tant a ceux
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qiii s’en pcuvent défendrc qu’a ceux qui s’en doivent corriger *. » Cos rcmèdes, c’est I’liistoire d’llirlandc quinbsp;va iious les découvrir. L’auteur nc sc cache pasnbsp;qu’elle rencontrera plus d’un incrcdulc : « heaucoupnbsp;de geus la prendront pour uri conté fait a plaisir ^IInbsp;out pu en clioisir d’autrcs, cello do « la Reine Elvirc »,nbsp;par exemple », oucelle de « I’lmpcratrice Mcctliilde »;nbsp;« mais outre que leurs aventurcs, dit il, ont des cir-constances aussi suspectes que celles que je propose,nbsp;elles sont trop communes pour n’estre pas connuës.nbsp;Recovez done mon Ilirlandc, (jue fay liréc par lesnbsp;soins d'un de nos peres, difjue de foy, d'un Mnnuscrilnbsp;de la ville d'Auliin. Pcut-cstre sans sa diligence et manbsp;charité qu’elle demeureroit pour jamais eiisevelienbsp;dans I’oubli^. » Le P. Ceriziers nous indique, on Ienbsp;voil, ses sources. Mais il ne nous laisse pas ignorernbsp;qu’il y a mis du sien. « Souvenez-vous pourtant quonbsp;si je dis que Ilirlande estoit Duchessc de Rretaigne,nbsp;cola SC doit entendre a la fa^on de parler des Alle-mans, qui appellent lous les Princes d’une Maisonnbsp;Due OU Marquis de la province dont ellc porto lenbsp;nom. » La phrase est assez énigmalique au premiernbsp;abord, mais, pourêtre éditié sur le sens qu’il convientnbsp;de lui attribucr, il suffit d’en rapprocher les deuxnbsp;parentheses dont s’aeeompagnent le nom de 1’héroïnenbsp;et celui de son époux, au commencemement du récit ;nbsp;« Ilirlandc Duchesse de Rretaigne (a la fa^on que je lenbsp;conjecture dans mon Avant-Propos “) », « Artus (je
1. nbsp;nbsp;nbsp;Les trois Est/i(s de l’Innocence, p. i.
2. nbsp;nbsp;nbsp;ld., p. 3.
3. nbsp;nbsp;nbsp;hl., p. 4.
5. ld., p. 173.
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Veux ainsi nommer un inconnu, puisque cc nom est ordinaire dans la maison de Bretaigne)’ ». On aper-?oit alors claircment que Ie P. Cerisiers no s’est pasnbsp;contenté de revêtir la légende (( d’ornemons » qni « lanbsp;parent sans I’altérer® a, mais qu’en Breton de Nantesnbsp;qu’il était, il a jugé bon de la bretonniser, si bien quenbsp;voila Ie fond celtique enrichi d'un apport autunois.
Nous sommes done en Bretagne. Lo duo Artus et sa femme Hirlande « sont encore dans les premièresnbsp;tendresses d’un chaste et innocent mariage », lorsquenbsp;leur bonlieur est subitement troublé par un ordrc dunbsp;roi de France qui mande Artus a la guerre. II part,nbsp;laissant sa jeune femme enceinte de quatre mois.nbsp;Fondant qu’il « s’avance vers Paris », débarque denbsp;Londres son frère Gérard qui vivait a la courd’Angle-terre, « soit que son inclination l’eust fait estranger,nbsp;soit que son interest luy oust suggéré de chercher denbsp;1’appuy contre son sang ». Les motifs de ce retournbsp;iious sont ainsi exposés par Ie P. Ceriziors : « Anbsp;rnesme que Ie frère d’Artus estoit en Anglotcrre, celuynbsp;qui en estoit Souverain fut touché d'unc lèpre tenement opiniatre qu’elle sembloit tirer du sccours et desnbsp;forces desremèdesqu’on employoit pour la vaincrc. Cenbsp;pauvrePrincevoyantquetoutel’industric doses méde-cins avaiifoit aussi peu sa guérison que scs espé-rances, il fit appeler un Juif, dont la science estoitnbsp;fort en crédit dans tout son royaume... A quelquenbsp;temps do la, ce .luif revint nu palais chargé de grandnbsp;nombre de rcmèdes, dont le Roy usa tandis que la
1. nbsp;nbsp;nbsp;Les Irois Estals de I’Innacence, p. 174.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Id., p. 5.
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cajollerie de son Esciilape peut tromper sa confiance. Mais soit que celte lèpre fust d’autre nature que cellonbsp;des Juifs, a qui cette maladie appartient plus qu’a pasnbsp;une Nation de la Tcrre; soit que vcritablement cenbsp;Médccin ne fust qu’un Charlatan, il s’ennuya d’avallernbsp;tant de breuvages, et de se voir tons les jours découper.nbsp;LeJuif, qui s’enapperceut,...prit occasion de représen ternbsp;a son malade que, son infirmité estant surnaturelle,nbsp;sa Majesté nc devoit pas s’étonner si la médecinenbsp;s’cffor^oit inutilement de Ie secourir; que, pour luy, sanbsp;pensee estoit qu’il y avoit du sortilege dans son indisposition... II ajouta que ce grand Dien qui lui avoitnbsp;donnó boaucoup de puissance sur la Nature, ne luynbsp;avoit pas refusé de pouvoir quelque chose contre lanbsp;magie, mais que, s’il falloit avoir du courage pournbsp;prendre un remède, qui lui restoit, il ne falloit pasnbsp;moins de docilité pour en croire sans examen l’infail-lible vertu... « Scachez, Sire, que vous guérirez, sinbsp;vous pouvez vous résoudre a vous lavcr du sang d’unnbsp;petit enfant... II faut ajouster Ie cceur du mesmenbsp;enfant, Ie mangeant tout chaud et, s’il sc peut,nbsp;encore palpitant. » Le Prince... ressentit quelquenbsp;horreur lorsqu’il oüit que, pour rccouvrer sa santé, ilnbsp;falloit devenir anthropophage. Mais certes son espritnbsp;entra bien dans de plus grandes perplexités lorsqu’ilnbsp;aprit que eet enfant, nécessaire a sa guérison, devaitnbsp;estre de haute naissance et, bien plus, que los eauxnbsp;du baptesme osteroienta son sang la vertu que le Juifnbsp;asseuroit luy estre naturelle contre la lèpre. » C’estnbsp;pour procurer au roi d’Angleterrc riiorriblc remedenbsp;qui doit le sauver que Gérard entreprend le voj'age de
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Bretagne, et I’enfant d’illustre familie sur lequel 11 a jeté son dévolu n’est autro qiic celui dont sa belle-sceur doit prochainemcnt accoucher. llirlande l’ac-cueille Ie plus affectueuscment dn monde, lieureusenbsp;de se sentir moins seulc dans une circonstance aussinbsp;solennelle. De son cótó, il lui prodigue les attentionsnbsp;les plus délicates, tout en s’occupant d’intéresser a sesnbsp;noirs projets la sage-femmo et la nourrice quinbsp;attendant « la naissance du petit Prince ». II est con-venu que celles-ci feront disparaitre l’enfant, raconte-ront a la mère qu’il est mort-né, puis s’enfuirontnbsp;immédiatement avec lui en Angleterre. Arrive Ienbsp;moment des couches : « les convulsions en furent sinbsp;violentes l’espace d’un jour, que l’on crut aisémentnbsp;que ricn n’en pouvoit naistre que la mort do la pauvrenbsp;Princosse », déclare Ie P. Ceriziers, qui ne déteste pasnbsp;les pointes. « II est pourtant vray qu’elle en fut quittenbsp;pour un óvanouissement, qui donna assez de loisir anbsp;ceux que Gérard avoit gagné pour se rendrc a la mer,nbsp;oü une chalouppe les attendoit. Leur embarquemcntnbsp;Se devoit faire a un endroit de l’Armorique, qu’onnbsp;'lomme aujourd’hui Quidalet, et qu’on appeloit pournbsp;lors Alethe, mot qui dans son origine signifie errer.nbsp;Ce lieu mérita jadis tant de veneration des habitantsnbsp;de ces costcs, quo tons les esclavcs, que la tempestonbsp;amenoit a eet asyle, recouvroient leur liberté, aussi-lost qu’ils avoient touché les hords de cette heureusenbsp;terre. Mais cette bonne fortune n’arriva pas ii ceux quinbsp;ciilevoient nostre petit Prince; car a peine estoiont-ilsnbsp;entrez dans lour chalouppe, qu’une troupe do gensnbsp;^fmez s’y jettèrent. Lours visages pleins do colere ct
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les espées nuës faisoient iin tel éclair parmy les ténèbres, que la première pointe du jour n’avoit pasnbsp;cntièremont dissipées, que nos Fuyards n’en pouvoientnbsp;tirer qu’uii funeste présage de leur ruyne. Les voilanbsp;done captifs et cliargez de fers au lieu ofi les plusnbsp;misérables les quittoient. »
Gérard, Ie forfait accompli, ne garde plus de ména-gements avec sa belle-soeur. Loin do lui adoucir la pertc de l’enfant qu’elle croit mort, il feint de l’ennbsp;rendre responsable, lui reproche d’avoir été, par sesnbsp;déportements, « homicide de sou fruit », insinuantnbsp;(( que si elle oust au tan t en d’amour pour son marynbsp;qu’elle en avoit pour un certain gentilhomme voisin,nbsp;elle n’eust pas si mal mesnagé les espérancos de sanbsp;maison ». La malheureuse ducliesse, territiée, n’anbsp;personne a qui rocourir dans sa détresse. Sa « confi-dentc )), que lo traitre a séduito, acbève de l’affoler ennbsp;lui répétant qu’Artus, prévmnu par Gérard, a donnénbsp;l'ordre do la faire moiirir. Sur les conseils insidieux denbsp;cette femme, olie se décide a prendre la fuite, saus senbsp;doutcr, dans son inexpérience, qu’elle prete ainsi unenbsp;apparence de vérité aux dénonciations de son calom-niatcur. Persuadé qu’elle ne s’est sauvée que pareenbsp;qu'olle est coupable, Artus s’efforce d'arracher de sonnbsp;coeur son image et se promet de convoler a d’autresnbsp;noces apres lo délai de sopt annéos « que la simpliciténbsp;do nos Pères destinoit a 1’incertitude des veuvages ».
Les sopt ans sont presquo écoulés. C’est en vain qn’Artus s’est flatté d’oublier Hirlande : elle lui estnbsp;plus présente et plus chore que jamais. II craint denbsp;l’avoir soupQonnée a tort et condamnéo trop précipi-
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tamment. Comme il se morfond dans son chagrin, il rec,oit la visite d’une troupe do gcntilshommos dunbsp;voisinago qui viennent prendre congé de lui, a lanbsp;veille de se rendre en pèlerinage au Mont Saint-Michel.
Chacun s^ait que ce lieu de dévotion est aux con-fins de ces deux Nations (la Normande et la Bretonne) hui, pour estre de fort différentes luimeurs, ont besoinnbsp;d’un Saint armé pour les tenir en paix. » Un desnbsp;gentilshommes en question, nommé de FOlive, a ennbsp;Normandie une tante qui liabite non loin du Montnbsp;Saint-Michel, et il profile de ce qu’il est dans cesnbsp;parages pour Taller voir. Une « villageoise n qu’ilnbsp;rencontre paissant ses troupeaux dans la campagnenbsp;Ie met « dans Ie sentier du chateau ». Sa tante lui faitnbsp;fète, organise en son hoiineur des réjouissances aux-quelles est conviée toute la noblesse d’alcntour.nbsp;Comme on est en hiver et qu’il fait un temps a nenbsp;pas risquer Ie pied dehors, force est a « la Compagnienbsp;de demeurer dans la maison et de se divertir dans lesnbsp;galleries et les sales ». Et voici la distraction tresnbsp;xvii” siècle dont s’avisent les invités. « II y avail unenbsp;gallerie dans cette maison qui regardoit TOrient, oünbsp;se faisoient toutes les promenades d’hyver... Toutesnbsp;les murailles estoient revestües d’excellens tableaux;nbsp;rnais on ofïenceroit la maistresse du logis, de croirenbsp;hu’elle oust pu souffrir quo ce qui n’estoit la quo pournbsp;récréer la veuë y seroit pour blesser les ames... 11 nenbsp;s’y voyoit pas une figure qui ne fust modeste... Quonbsp;s’il paroissoit quelque chose de nud dans la toile, unnbsp;c.sprit raisonnable jugeoit aisément qu’on avoit plusnbsp;regardé Texpression de Thistoire que Ie dessein de la
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volupté. Unc après-disnéc que toiite Ia Compagnie estoit clans cette gallerie, on pria lui vieux genülliommcnbsp;fort s^avant do vouloir déchifïrer ces tableaux, et donbsp;servir d’interprète a ces Estrangers qui parloient a toutnbsp;Ie monde, sans toutes fois estre entendus que des Doc-tes, paree que Ie langage de la Peinturo, quoique sensible, est muet. » Ce sont, pour la plupart, des siijetsnbsp;tirós de l’Ecriture sainte. Le dernier de la série est Ienbsp;Massacre des Innocents. Tandis que Ie « sago vieillard »nbsp;Ie commente avec componction, les yeux du chevaliernbsp;de rOlive tombent par hasard sur la paysanne quinbsp;lui a montré le cliemin du chateau et qui assistenbsp;aussi, parait-il, a ce cours d’histoire. « Vous eussiez ditnbsp;que toutce discours n’avait point d’autrc dessein quenbsp;de la faire pleiner; néantmoins, comme elle s’apper-eeut qu’on la regardoit, elle contraignit ses yeux anbsp;line obéyssance qui n’estoit pas bien parfaite; pareenbsp;que de temps en temps ses larmes recommen^oientnbsp;de couler. » Dans cette « chambrière de village » denbsp;1’Olive reconnait Hirlande C II la fait interroger par sanbsp;tante; elle avoue, et le gentilhomme n’a rien de plusnbsp;pressó que de repartir, « afin de disposer le Due aunbsp;retour de son innocente femme ». Un jour qu’ilnbsp;chasse avec Artus il amène adroitement la conversation sur la disparition d’llirlande, s’assure que Ienbsp;Due reste inconsolable de sa perte, et flnit par luinbsp;révólor que non seulement elle vit encore, maisnbsp;qu’il sait le lieu de sa retraite. Artus, transporté denbsp;joie, ne vent pas difïérer d’un instant d’aller rejoindre
1. II va sans dire que Ia scène do In visite au.x tableaux a été nègligée pnr I’autcur du mystère.
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qu’il a si longtemps et si amèrement pleurée. 11 ^ aborde avec les marques du plus profond repentir,nbsp;^brlande pardouno, et les deux époux, róunis, n’ontnbsp;plus, somble-t-il, qu’a goüter en paix leur bonheur.
Ie;
ülais, dans Ie palais oü olie vient de rentrer en l^iomphe, l’aspect des choses, Ie visage des gens, toutnbsp;•¦avive chez la duchesse Ie regret de 1’enfant qu’ellenbsp;a même pas pu contempler. « Jamais elle ne jettoit
® yeux sur Ie liet de ses couches, que toutes ses
^•'auchées ne se renouvelassent dans son coeur », dit P. Ceriziers en nn style oü l’on voit qu’il a hautenbsp;las beaux esprits de sou temps. C’est Ie moment denbsp;*'6cherclier ce qu’cst devenu Ie petit prince. Nousnbsp;lavons laissó a Saint-Malo entre les mains d’uncnbsp;l^ande de « gons inconnus ». Ce sont, en réalité, desnbsp;aottipères que Gérard a soudoyés : ils ont ordre, pournbsp;assurer Ie secret de renlèvement, de faire disparaitrenbsp;les premiers complices dont Ie traitre s’est servi, et ilsnbsp;^’apprêtent a les précipiter par-dessus bord, puis anbsp;lever l’ancre vers 1’Angleterre, lorsqu’ils en sont sou-^ain empêcliés par une intervention directe de la Providence divine. « Un vénérablc vieillard, nommenbsp;llartrand, gouvernoit pour lors 1’Abbaye de Saint-Malo... A peine ce saint homme avoit fait son premiernbsp;®uinmeil une nuict, qu’un Ange luy apparut et luynbsp;aoiïimanda de Ia part de Dien d’esveiller promptementnbsp;®as domestiques, et de les envoyer vers Alethe pournbsp;arrester des Fuyards, qui portoient un petit garf,onnbsp;d'd n’avoit pas reccu Ie Baptesme. » L’abbé s’emprosscnbsp;‘la déférer a cette injonction. Les sbires de Gérardnbsp;auiit dispersés ou taillés en pieces. L’enfant, dont la
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noiirrice, par crainte du chatiment, déguise Ie nom et la naissancc, est recueilli dans Ic moiiastère, baptisenbsp;sous Ic préuom du boii abbc, puis couOé par lui auxnbsp;soiiis de sa sceur cjui est d’autant plus disposéo a Ienbsp;choycr et a l’élevor comme sien que Dieu lui a ravi Ienbsp;jour mêmc unc petite fille encore a la mamelle. Denbsp;sorte que voilii lo flls d’Hirlande hors de passe.
II n’en est pas do memo de sa mère que guettent de nouvelles et plus tragiques épreuves. (iérard,nbsp;qui a toujours sur Ie cceur rinsuccès de sa criminellenbsp;tentative, n’a pas appris sans un rcdoublement denbsp;furcur Ie retour d'llirlande auprès d’Artus. II faitnbsp;mine, toutcfois, do s’cu réjouir plus que personae etnbsp;dépêche a sa belle-soeur « un geutilhomme en postcnbsp;pour l’assourer que, si quelcpie indisposition ne l’eiistnbsp;contraiiit do tenir Ie liet, il oust cstc luy mesme Icnbsp;Messagcr do sa joyo ». Sou envoyé est porteur denbsp;lettres oii Ie P. Ceriziers s’ingénie naturellement anbsp;rivaliser d’ampbigourisme et de próeiosité avec lesnbsp;plus fameux épistoliers de sou siècle. En voici unnbsp;échantillon : «... .I’apprehcndois que vous ne monbsp;crussiez artilicieux Ennemy, pour avoir tasebé d'estrenbsp;fidelle serviteur. Ma raison me représentoit inutile-ment que vous jugeriez bien que l'émotion que jenbsp;tesmoigne sur l’accident de vos couches estoit uncnbsp;preuve quo j’en souhaitois riieurcuse issue avecquenbsp;trop de passion. .J’apprehondois toujours que quelquenbsp;mauvais esprit ne vous desguisast ma conduite aunbsp;prejudice de mon affection; maintenant que vousnbsp;estes en eslat d’ouyr de ma bouche les protestationsnbsp;de ma fidélitó, je veux si vous estes 1’object de mon
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imprudence, que vous en soyez aussi l’Arbitre. II n’y ^ point dc chastiment que je nc Irouvc doux, pour-^’eu que ma peine puisse compatir avecque voslrenbsp;'iinitic, et qu’en soufl'rant Ie supplice que vous m’or-donncrez, je me console de la bienvcillance dont jenbsp;désiro quo vous m’honnoriez... Ma lièvre augmentenbsp;1’ardeur qui me presse de vous aller rcndre mosnbsp;devoirs. Adieu, Madame, je suis comme j’ai toujoursnbsp;6sté vostre... etc.' » L’ame de la pure et mélancoliquenbsp;Ilirlande ignore Ie ressentiment : elle fait répondrc anbsp;Son bcau-frère que sa maison lui est ouverte. Lcnbsp;misérable, aussitót, do se rcinstaller dans la place. 11nbsp;s’y montre quelque temps lo plus exquis des hóles.nbsp;Mais, la duchesse ayant mis au monde une petite fillc,nbsp;iiérard, qui voit dc nouveau la succession de sonnbsp;ii’èrc lui échappcr par la naissancc de cetto hérilière,nbsp;cntreprend « d’en rendrc la conception suspecte » etnbsp;de ranimerla jalousie maléteinte d’Artus. II s’adjointnbsp;pour la circonstance un « cavalier )) du voisinage,nbsp;iiomme a tout faire et bretteur émérite, « redoutablenbsp;d toute la Province », qui se charge de calomnier lanbsp;duchesse auprès de son mari. II va done trouver Ienbsp;due et lui tient en substance ce langagc ; «... On parlenbsp;tout ouvertement des privautez de Madame avec Ienbsp;Sleur de l’Olive. Ce n’est pas d’aujourd’hiiy qu’ilnbsp;Vous doit estre suspect, puisque toute sa vie n’a éténbsp;fiu’un intrigue continuel pour la perdre. ïandis quenbsp;Vostre excellence estoit esloignée, il nc s’est jamais
1. Dans Sainte Tryphine, c’est a Arthur que Kervoura, Ie Dérard (iu mystère bretoii, envoie demander son pardon par unnbsp;•uessaser.
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séparó d’elle; lorsqu’elle estoit absente, il la tenoit chcz une de ses Tantes; maintenant qne vous aveznbsp;commence d’esclairer lenrs pratiques, il snit vostrenbsp;Cour, OU pour éviter son supplice, on pour dissipernbsp;vos soupcons. » Et, fort de sa reputation do bravo, Ienbsp;louche pcrsonnage offro de justifier pnbliquementnbsp;son dire a la pointe de son ópée. Mais Ic faible Artusnbsp;Ten croit sur parole. Hirlande est jetée en prison,nbsp;sans memo savoir de quel crime elle est accusée. Lü,nbsp;« pour liet de parade, pour daiz et pour balustres )),nbsp;elle n’a qiTune « vieille paillasse ». Artus et sesnbsp;ministres, copendant, déliberont sur Ie genre de mortnbsp;([u’on lui fora snbir. II est decide qu’ellc périra par Icnbsp;feu, s’il ne se présente personne pour relever ennbsp;cbarap dos Ie dófi de son accusateur. Or, lo soul quinbsp;pourrait exposer sa vie pour elle, de l'Olive, voyagenbsp;au loin, sans sonpfon de ce qui sc passé. Tous cesnbsp;détails, Hirlande en est charitablement avertie par sanbsp;geolière. Elle supplie cetto femme de lui faire venirnbsp;nn prètre et, sa dernière nuit, elle Temploie a s’entre-tenir avoc Dien : « Mon Dieu, je no me plains pas donbsp;mourir malhourense, je me fasche seulement denbsp;mourir infame; je ne demande pas que vous me donnieznbsp;la vie, je desire que vous conserviez ma réputation.nbsp;Ilélas! faut-il pour estre née dans une grande fortune,nbsp;et avoir posséde des bions, que je perde Tbonneur?nbsp;O qu’il m’eust estó bion plus souhaitablo do naistrenbsp;dans Ie village et de vivro dans les incommoditcznbsp;d’uno estroite pauvretc, quo de me voir eslevée pournbsp;estre en bute a la mauvaise fortune. Au moins, monnbsp;pitoyable Maistre, que uo me laissiez-vous dans ces
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bois, oü Ie premier accident de mon mariage m’avoit jettée... Quelle consolation, mon aimable Sauveur,nbsp;de vivre Ie resto de mes jours a l’ombre et dans 1’obs-curité; mais c’estoit trop do faveur pour une Princessenbsp;que vous vouliez rendre plus misérable qu’une femmenbsp;de village. II falloit voir mourir Hirlande dansnbsp;l’opprobro, pour la voir avecque contentement. Etnbsp;bicn, mon Dien, puisque vous 1’ordonnez, j’y con-sens; protestant que rien ne m’cst plus agréable quenbsp;ce qui m’est fascbeux; pourveu que Je soufïre avecque vostre approbation et dans vos ordres, je nenbsp;sonflriray pas contre mon gré. »
L’écbafaud oü elle doit monter a été dressó sur une des places do Rennes, « la plus capable de cette tristenbsp;cérémonie )); elle y marche, vétue d’une a longue robenbsp;de dcuil )), Ie visage couvert d’un voile qui lui tombenbsp;(( jusquos a la ceinture ». Le ciel est sombre, la villenbsp;est dans la consternaliou. Le a faux ïesmoin » sus-cité par Gérard se pavane sur un « grand ebeval noir »,nbsp;attendant, la mine insolento, qu’il sc présente quel-qu’un d’assez osé pour lui crier, Pépée au poing, qu’ilnbsp;en a menti. Deux fois l’appel du héraut est demeurénbsp;sans réponso. Mais, comme la trompette sonne pournbsp;la troisième et dernière fois, soudain, voici paraitre anbsp;Fextrémité de la lice le miraculeux champion sur quinbsp;personne ne comptait plus. Serait-ce de l’Olive?nbsp;D’aucnns veulent que cc soit FAnge gardien. Sonnbsp;coursier est « blanc comme neige, sa livrée verte » etnbsp;(( semée de soucis d’or». Sonblason —une « Erminenbsp;d’argent en champ de sinople » — a pour devise ;nbsp;/{ten ne me souille. A le considérer de plus prés, on
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s’ctoniie, 011 s’inqnicte aussi de lui dócouvrir la taille et les traits d’iin « jeune Enfant ». La dextérité avecnbsp;laquelleil manie sou clicval est poiirtant d’un asseznbsp;favorable aiigure. 11 commence par saliier Ie Due etnbsp;sa noblesse, puis demande, cranement, quel est Ienbsp;foiirbe qiii s’est permis de calomnier « la chastenbsp;Hirlande ». L’autre raille cc móebant «cadet » dont ilnbsp;pense avoir raison d’une chiquenaude. Mais, a la première passe, il ne raille plus, et, a la seconde, ilnbsp;mord honteiisement Ie sol, transperce « d’un coupnbsp;mortel au dessous du gorgeret ». Une fois de plusnbsp;David a vaincu Goliath. Un cri de soulagcmcntnbsp;s’cchappe de toutes les poitrines; Artiis lui-mêmenbsp;« pleure d’aise ». Le jeune cadet saute a bas de sanbsp;monture, escalade les degrés de l’échafaud d’oii lanbsp;duebessoa suivi, plus morte que vive, les peripetiesnbsp;du combat, et s’agenouillant avec piété devant ellc :nbsp;« Madame (luy dit-il), voicy ce malheureux fils quinbsp;vous a causé tant de douleurs; mais très-fortunénbsp;puisque Dicu le fait aujourd’hui Prolectcur de ccllenbsp;qui Fa mis au monde ».
Le sauveur d’Hirlande n’est autre, en efïet, que son fils Bertrand, le pupille de 1’abbé de Saint-Malo. L’abbé,nbsp;qui s’est tenu jusqu’a ce moment parmi les rangs desnbsp;spectateurs, s’avance a son tour pour en témoignernbsp;et raconter comment, par 1’ordro expres du Seigneur,nbsp;il a instruit 1’cnfant en vue de cetto journée, pournbsp;être le vengeur de sa mere et confondrc ses calom-niateurs. Pendant qu’Artus, sa femme, toute la cour,nbsp;tout le peuple sont dans le ravissement de ces mer-veilles, Gérard, blême de peur, essaie, a la faveur de
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l’iiiattention générale, de prendre la fiiite. Mals les Portes de la ville sont gardées. Les sentinelles senbsp;Sfisisscnt de lui. II est cnfermé dans Ie memo cachotnbsp;öii, victimc de ses intrigues, (( la pauvre Hirlande anbsp;Versé tant de larmes ». Celle-ci pousse la magnani-lïiité jusqu’a se faire son avocate. Mais Flieurenbsp;du chatiment a sonné. Lui-mème se sent indignenbsp;de vivre. « Condamné de languir... les piez et lesnbsp;Poings couppez », il expire moins de ses souffrancesnbsp;hue deses remords. Sesderniersinstants sontadoucisnbsp;par la présence d’Hirlande a ses cótés: car il a implorenbsp;d’elle cette grace pour qu’elle fut témoin de sonnbsp;repentir et lui «ccordat Ie pardon suprème. Et c’estnbsp;Pourquoi, dit Ie P. Ceriziers, « je donne a cette Innocence Ie nom de Couronnée; puisqu’elle triomplie,nbsp;On ue luy doit pas refuser la Couronne ' ».
ïelle est, en ses traits essentials, la romanesque fdstoire d’Hirlande. J’imagine qn’elle ne contribuanbsp;pas peu au succès du livre, qui fut considérable.nbsp;l’ublié, nous l’avons dit, en 1640, il futréédité a Parisnbsp;Cu 1646, a Lyon en 1649, a ïoulouseen 1650, a Rouennbsp;cn 1661, et derechef a Paris, en 1669 et 1696. Sanbsp;Vogue a 1’étranger ne fut pas moindre. On en donnanbsp;des traductions a Londres, a Dillingen, a Augsbourg.nbsp;Ku Bretagne, il fit les délices, non seulement desnbsp;Presbytères et des chateaux, mais des chaumièrcs lesnbsp;plus humbles. Le tisserand Jean Conan, de Plou-Oailliau, en possédait un exemplaire; et co fut d’aprèsnbsp;lui qu’il composa, ou mieux remania la Vie drama-
L Les trois Estate de l’lnnocence, p. 173-292.
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tisée de sainte Genevieve, intitulée dans son manus-crit : (( La inosans reconu a Sautes Jenovéfa ‘ ». Plus encore quo les infortunes de la « Princesse de Brabant»nbsp;les crucllcs cpreuves de la bretonne llirlande étaientnbsp;pour toucher des coeurs bretons, et 1’idéede les porternbsp;a la scène ne pouvait manquer de vcnir a I’espritnbsp;d’un peuple qui avait la passion et presque la manienbsp;de transposer en pieces de théalre toutes ses lectures.nbsp;C’est bien, en efïet, ce qui s’est produit. En racontantnbsp;1’histoire d’Hirlande selon 1’ouvrage du P. Ceriziers,nbsp;je n’ai fait qu’analyser Ie mystère brelon de saintenbsp;Tryphine.
I.,a complete identité des deux fables avait déja frappé un érudit allemand, fort versé dans l’étudenbsp;comparée des littératures populaires, M. Ileinholdnbsp;Kcehlcr, qui l’a signalée dans la Hevue cellit/uc-. IInbsp;éinet pour l’expliqucr trois hypotheses ; ou bien Icnbsp;inystcre, sinon dans sa forme actiiclle, du moins dansnbsp;lino rédaction antérieure, serait plus ancien que Ienbsp;livre de Ceriziers, et Ceriziers, qui, en sa qualité denbsp;Nantais, 1’aurait connu, s’en serait servi pour sonnbsp;Hirlande; ou bien, si 1’on regarde Ie mystère commenbsp;de date plus récente, ce serait sou auteur qui auraitnbsp;mis a profit Ie livre de Ceriziers; ou enfin Ie dramaturge et Ie contour auraient puisé, chacun do sonnbsp;cólé, a une source commune, soit a quelque oeuvrenbsp;écrilo de lage précédent, soit a quelque traditionnbsp;orale répanduo parmi Ie peuple. De ces trois hypo'nbsp;theses nous avons vu que la seconde seule est valable.
1. nbsp;nbsp;nbsp;.MBnuscrit de la Bibliotlièque nationale, fonds cellique, n” 24.
2. nbsp;nbsp;nbsp;'1'. I, p. 222 et suiv.
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La declaration du jésiiite nanlais, que M. Koehler u’a point relevée, faute, je pense, d’avoir parcouninbsp;1’avant propos du volume, ne laisse a eet égard aucunnbsp;doutc. C’est dans un manuscrit d’Autun, et par l’in-termédiaire d’un des Pères de la Compagnie, peut-êtrenbsp;originairc de cette ville, qii’il est allé clicrcher Ic fond,nbsp;Ie canevas de son rédt, quitte a y prodiguer ensuitenbsp;toutes les lleurs de sa rhétorique personnelle, et ennbsp;Se donnant Ie plaisir de situer l’action en Bretagne,nbsp;d’abord pour que la Bretagne, sa patrie, figurat glo-rieusement dans ce triptyque de rinnocence; puis,nbsp;paree que les parages de Hennes et de Saint-Malo luinbsp;alaientplus familiers que Ie Morvan ou la Bourgogne;nbsp;enfin paree que cc lui était une occasion d’étaler unenbsp;erudition locale, même extérieure a son sujet, comrnenbsp;^'hisloire des dogues d’Aleth ou celle de Ia canc denbsp;^'onlfort.
11 est done de toute certitude que c'cst Ie roman du Ceriziors (pn a inspiré Ie mystère armoricain. Denbsp;^ iin a I’antre la filiation est si directe qu’il n’y anbsp;^ème pas a insister sur les rapports. Les différcnccs,nbsp;har contre, sont intéressantes a noter, ne fiit-cequcnbsp;hour montrer dans un cxemple bien manifeste com-hient d’une matière toute frangaise s'est dégagéo, parnbsp;*^oe série de retouches souvent heureuses, une piecenbsp;*’oputée jusqu’a présent comme la plus incontcstable-*hent authentique du répertoire breton.
1’
Hemar([uons, en premier lieu, que Ie cadre desévé-*^oinents, déja transporté en llaute-Bretagne par Ie Ceriziers, fluit parémigror en Basse-Bretagnc, avee
outeur du mystère. Si la puissance d’Arthur s’étend
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LE THEATRE CELTIOEE.
sur toute la province, Ie seul litre dont il se prévale, au début du drame, est celui de « seigneur et souve-rain de Breiz-hel ». Et, dans Ie dénombrement homé-rique qu’il fait de ses domaines, la Haute-Bretagnenbsp;n’est reprcsentée que par cinq ou six noms :
« Pour commencer, Brest m’appartient en entier, ainsi que Morlaix et Lanmeur, Lannion et ïréguier, Castel-Pól, |nbsp;en Léon, Lesnéven, Landerneau, Ia ville de Vannes, la- '¦nbsp;bas, a vingt lieues; joignez a cela Corlay et Goarec,nbsp;Quimper-Corentin, La Roche et Callac; et j’ai encore anbsp;rooi Quintin, Saint-Brieuc, Le Guerlesquin, Belle-Isle en 'nbsp;Terre, Guingamp, Chatelaudren, Pontrieux, Lanvollon, inbsp;Paiinpol, et la ville de Rennes, oü siège toujonrs le jnbsp;parlement de Basse-Bretagne, avec les présidents, etnbsp;aussi la ville de Saint-Malo, et tont le pays jusqu’a Pontor sonnbsp;nbsp;nbsp;nbsp;»
D’autre part, lorsquela reine, sa femme, est sur Ic point d’enfantcr, c’est dans un chateau de Lanmeurnbsp;que le poète l’envoie faire ses couches; et telle a éténbsp;la popularitc du mystère en cette region que 1’on ynbsp;montre encore, dans un endroit appelé Les Douvesnbsp;(an Toulïejou), les vestiges d’une ancienne demeurenbsp;féodale qui passe pour avoir été le théatre del’cnleve'nbsp;ment du nouveau-né.
En ce qui regarde les personnages, il n’y a guère qu’Arthur dont le nom ait été conservé sous la formenbsp;Arzur, qui en est la transcription bretonne. A l’Hir-¦ lande du P. Ceriziers, héroïne toute fictive et peut-être symbolique, Pauteur du mystère a jugé bon denbsp;substituer la figure plus récllc, — moins artificielle,
1. Sainle Tryphine et Ie roi Arthur, p. G.
I
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CU toutcas, — d’une sainte de sou pays. Et, .si son choix s’est porto de préfércnce sur Tryplnnc, ïriffinenbsp;OU Tref fine (on trouveles trois formes), la raison en est.nbsp;Je suppose, que, dansla légende armoricaine, Tryphincnbsp;incarne, autant et plus que ne Ie fait Hirlande dans Ienbsp;roman franpais, Ie type de Tépouse innocente et mal-iieurcusc, voiiéo aux persecutions d’un mari jaloux.nbsp;Ï.'C troisièmo protagoniste, Ic traltrc, quitte sou nomnbsp;par trop germanique de Gérard pour prendre celui,nbsp;plus celtique, de Kervoura; et il n’est plus seulcmentnbsp;Ie beau-frère de Tryphine, mais sou propre frèro, sansnbsp;'louto afin que sa conduite envers cllc nous deviennenbsp;plus odieusc encore et aussi pour (]uc nous nous éton-uions moins de l'étrangc empire qu’il excrcc sur sonnbsp;esprit. Le jeune Bertrand, lui, cchange son nom denbsp;baptème contre Ic sobriquet do « Malouin », et l’abbénbsp;dui le recueille est promu a la dignité d'óvêque. Lenbsp;siour de TOlive est remplacc par un « gouverneur »nbsp;OU service d’Artliur, qui rctrouve Tryphine, non plusnbsp;ebez unc dame ([iielconque de Normandie, mais anbsp;•Orleans, chez une « tante » d’Arthur, la « duchessenbsp;Jean ». Le roi d’Angleterre n’a pas de nom dans lenbsp;rédt du P. Ceriziors*; il en a un, et d’une belle bar-^Jarie truculente, dans le mystère ; il s’appelle Aba-earus. Le charlatan juif qui Ie soigne est métamor-phosé en sorcière. L’art de supprimer la maladie (ou
Le P. Ceriziers so ri'fiise iv Ic noinmer : • Mon lecteur, Oo voiis estonnez pas si je vous celo son nom, je ii’ay pas moinsnbsp;('o Imnto que d’liorreiir h Ic scavoir et plenst ii Dieu que jamaisnbsp;'' n’eust esté connu de l’histoire ». Le livre populaire nllemandnbsp;*^0000 au roi d’Angleterre le nom de Richard. (Ueinhold Koehler,nbsp;Sainte Tryphine et Irlande, Bevue celtique, t. 1, p. 222.)
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LE THEATRE CELTIQUE.
de la doniier, car c’ost tout im) est resté, aux yeiix dos Bretons, un art occulte, diabolique, dontle secretnbsp;est plus spécialement Ie lot des femmes. Cc sout potirnbsp;Tordinaire des femmes qui, aujourd’hui encore, pra-tiqueut la médecine dans les campagnes bretonnes,nbsp;oü elles sont courammcnt désigiiées par Ic nom denbsp;« sorcières ». Celle que ranteur de Sainle Trijpltincnbsp;a introduitc dans sou drame, il n’a pas cu proprc-ment a la cróer. La poésie populaire lui en fournissaitnbsp;une ébaucbe en qnelqne sorte consacréc
Parmi les comparscs, — bcaucoup plus nombrcux', il va sans dire, dans la piece que dans Ie roman, —ilnbsp;en est un qui nc laisso pas do présenter une pbysio-nomic assez originalc, Je veux parler du porcbcr, dunbsp;pólr moc'h, par qui Ic poète fait courtiser ïrypbine,nbsp;tombce a la condition de servante cliez la duchessenbsp;Jean. Void en quels tormes il ëtale ingénumentnbsp;devant noüs son amc de goiijat ;
LE GARDIEN DE l'OURCEAUX, soul.
Or (;ii, mainteiiaiit done que jc me suis altifê, il me semble quo J’ai assez belle prestance, pour un patre.nbsp;Mais, pendant quo mes aniniaux paissent, j’ai bien envienbsp;d’aller faire un tour de promenade. Et, toutefois, quandnbsp;J’y pense, et que je m’examine de prés, je fais un médiocrenbsp;métier, et qui ne me plait guère, car Ie plus bas métiernbsp;que puisse avoir un homme c’est, a coup sur, de gardernbsp;les cochons, les moutons et les vaclies. Je vais les rame-ncr a la maison, les fourrer dans la cour et les planternbsp;la, tant pis! Et, après, j’irai voir ma maitresse. Eaute denbsp;la voir, je ne me sens pas a mon aise. II faut quo jenbsp;l’avoue ; les lilies sont les créatures que j’aime par-dessus
1. Gwerziou Breiz-Izel, t. 1, p. 50 et suiv.
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LES SU.1ETS CELTIQÜES.
toutes choses en ce monde. Maïs, quand je los accostc, elles me disenl toutes : « Voyez done Ie petit gardeur denbsp;poui'ceaux! « Kt elles partent a rire. J’ai une maitresse,nbsp;et qui est charmante. Aussi grands que deux boules anbsp;quilles sont ses yeux. Ses lèvres sont longues, sa bouclienbsp;largement fendue, et, sur ma foi de joli gargon, son neznbsp;it bien un pled de longueur. Ses jambes sont torses, sesnbsp;pieds cagneux; elle a Ie buste épais et court, Ie visagenbsp;grêlé. Oh! c’est une belle lille, a mon sentiment, car ellenbsp;est facile, si elle n’est pas jolie. Et puis, tout compte fait,nbsp;la beauté n’est rien. Quand je la vois, je suis ravi. .Ie vaisnbsp;aller de ce pas, ebez elle, lasaluer, et verrai alors quellenbsp;Kline elle me fera. Elle se inontrera enebantée, pour peunbsp;qu’elle ait d’osprit. Maintenant que j’ai quelque loisir,nbsp;c’est a moi d’en proflter, car, la chose est claire, je n’ennbsp;aurai pas toujours. Qui est en service ebez des nobles ounbsp;des prêtres n’a guère de temps a lui pour prendre l’air.nbsp;J’ai servi quelque temps ebez un cuisinier : quand jenbsp;comptais sortir, il fallait rester a la maison. Encorenbsp;n’avais-je pas un mot a dire, sous peine de perdre manbsp;part de la dosserte. ïrop beureux quand on m’admeltaitnbsp;it gouter a la soupe : le plus souvent je devais me con-tenter de grignoter les os. Je trouvais tout de mêmenbsp;Kioyen de me dérouiller les dents. A la fin je les envoyainbsp;promcner, et je décampai. Cola m’arrivera encore....nbsp;1'ourtant, quand j’y songe, il cst nouvellement survenunbsp;en cette maison une servante que j'aime aussi, celle-la.nbsp;Je ne sais d’ob elle est, niais plus je la vois, plus je lanbsp;trouve jolie. Ob I je I’apergois qui vient, nous aliensnbsp;causer, et je verrai si elle m’écoutera ‘.
Cette nouvelle servante, e’est Tryphine; et, certes, pour nous peindre l’état do misère ou elle est reduite,nbsp;le poete ue pouvait mieux faire que de nous la mon-trer en butte aux entreprises d’un tel malotru. De
1. Sciinte Iryphine et le roi Arthur^ p. 202 et suiv.
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fapoii générale, au roste, l’oBuvre de l’adaptateur breton est autrement attach ante et vivante que celle dunbsp;jésnite, son modèle. Cc ne sont pas les caractcres scu-lement qui, comme Abacarus, Ie vieux roi lépreux,nbsp;OU comme Kervoura, I’ambitieux sans scrupule, ynbsp;revêtent tantót une grandeur et tan tót une sauvagerienbsp;épiques. L’action elle-même y apparait plus forte etnbsp;plus ramassée. L’autcur avait Ie sens du théatre. Guidénbsp;par son génie instinctif, il a su, grace a d’heurcusesnbsp;modifications do détail, ajouter au pathétique desnbsp;situations et en tircr des effots plus émouvants. Lenbsp;mystère offre, a eet égard, un intérêt que n’a point lenbsp;récit. Je n’en veux pour preuve que le dénouement.nbsp;Chez le P. Cerisiers, c’est, on s’cn souvient, contre unnbsp;« faux témoin » soudoyé par Gérard que le jeune Bertrand s’avance, l’épée haute, pour faire éclater l’in-nocence de sa mère en navrant son calomniateur. Lenbsp;poète breton, lui, supprime délibérément cesous-ordrenbsp;et, par une plus habile entente de la justice dramati-que, c’est Partisan véritable des malheurs de Tryphine,nbsp;c’est Kervoura lui-même qu’il fait succomber sousnbsp;les coups du Malouin. La scène, quoique faible d’exé-cution, ne manque pas d’allure.
KERVOURA.
Je n’y puis plus tenir, a la fm! Je ne réponds pas de moi, si ce fds de p... ne disparait de devant ma face. Cenbsp;ne peut être qu’un diable ou un magicien... Tiens,nbsp;polissen, regois pour commencer ce soufflet et, si tunbsp;grognes, je t’en remontrerai avec mon pied.
LE MALOUIN.
Force a moi 1 Force a la loi! Force aux gens de justice 1 Force a mon père, a ma mère, a la couronne de Bretagne!
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LES SUJETS CELTIQÜES.
Princes et barons, je réclame vengeance de l’insuUe que m’a faite ce fourbe!...
ARTHUR.
Mon beau-frère Kervoura, êtes-vous prêt a vous battre en duel avec eet enfant? II Ie faut. Si ïrypbine est sanbsp;mère, vous êtes un malfaiteur, et ma femme est innocente.
KERVOURA.
Je renonce net a tout ce qu’il y a de dieux, si je ne lui plante mon épée au plus profond des entrailles. Ainsinbsp;done, que personne ne nous juge, ni elle ni moi. C’estnbsp;entre nous deux que va se jouer la partie.
LE MALOUIN.
Soit! laissez-nous aller, mon père! Si je ne suis pas Ie plus fort, je mourrai, celte fois, en ma tendre jeunesse.nbsp;Voyez : c’est un fils de neuf ans, n’ayant pas dix ansnbsp;flnis, qui va venger sa mère infortunée.
KERVOURA.
Viens done, morveux! Je ne suis pas en peine, en eussé-je cent de ton espèce a combattre.
LE MALOUIN.
Mettons-nous done sur l’heure a croiser Ie fer. Que Jésus-Christ et sa mère m’aient toujours sous leurnbsp;garde!
Le Malouin porto un coup mortel a Kervoura.
Ha! Ila! mon oncle, vous voila touché! Je savais bien qu’il vous faudrait déchanter!
KERVOURA, s’affaissant a terro.
Hélas! oui, mon neveu, je suis touché cette fois. C’en est fait de ma vie : je n’ai plus qu’a mourir ‘...
Etil meurt, non sans avoir confessé ses crimes et témoigné de son repentir. C’est la, de toute evidence,nbsp;une fin beaucoup plus dramaticiue que celle du roman.
1. Sainte Tryphino et le roi Arthur, p. 438 et suiv.
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On pourrait on dire autant de la plupart des épisodes aiitériours, commc I’entrevuc dc Kervoura ct d’Aba-carus, la consultation chez la sorcièro, les adieux denbsp;Trypliine au loit conjugal, sou douloureux monologue au pied dc la croix oii elle s’cst abattue denbsp;fatigue, plus tard la scène dc la prison, celle du juge-ment, cello du supplicc. Brof, sur qnelque point desnbsp;deux ccuvres que l’on fassc porter la comparaisonnbsp;entrc Ie P. Cerisiers et son imitateur, Pavantage senbsp;mar([ue prcsque toujours en faveur de ce dernier.nbsp;Allons plus loin ; la Vie de minle Ti'ijphine n’est pasnbsp;superieure soulement a Vlluloire d'Hirlande d’oü ellenbsp;est tirée : pour la solidité de l’aclion, la variété desnbsp;caractères, la riclicsse dc la substance dramaliqne, ellenbsp;vaut d’etreplacée trés au-dessus dc cc quo la Bretagnenbsp;a produit de meilleur en ce genre. Et Ie goüt denbsp;Luzel ne s’est done pas trompé en la publiant de pré-férence a tant d’autrcs, comme la piece la plus representative qui soit du répertoire breton. Maisla confirmation qu’ellc apporte a notre these n’en devientquenbsp;plus éclatante. Si Ie mystère breton par excellence ctnbsp;Ie chef d’ceuvre, en qnelque sorte, de l’inspirationnbsp;nationale n’est lui-même qu’un emprunt francais,nbsp;c’est que, comme pour Ie théatre gallois et Ic tliéatrenbsp;cornique, il faut définitivement renon'cer a décou-vrir dans la matière du théatre armoricain qnoi quenbsp;cc soit d’original et, a proprement parler, de celtique.
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Üne farilaisie de gentilliomme : Ie h'aroel goapaër. — Une bouf-fonnerie d’étudiant : tan Mélargé. — Une farce populaire : La Vie de Mallargé, de Trislemine, sa femme, et de ses enfanls.nbsp;— Absence d’oriüinalilé de ce theatre.
Cette originalité d’iiivcntion dont nous avons dii nous résigner a constater l’absence dans les mystères,nbsp;pout-être nous sera-t-il donné, comme ressourcenbsp;suprème, de la surprendre dans les pieces comiques.nbsp;Car, bicn que Ie fait n’ait guère été signalé jusqu’a cenbsp;jour, les Bretons n’ontpas ignoré la comédie. Et, a cenbsp;propos, il serait bon, je crois, de n’acceptcr point sansnbsp;réserves un poncif fort accrédité. L’on a beaucoupnbsp;trop insisté, a moii sens, sur la tristcsse de Fame cel-tique. C’est au point que Renan’, pour s’oxpliquer iinbsp;soi-même Ie don d'ironio qui lui fut si largementnbsp;départi, a éprouvé Ie besoin d’invoquer je ne saisquelnbsp;ancêtre gascon, comme M l’interventiond’une problé-niatique Gascogne avait été nécessaire la oü la Bretagne
1. Souvenirs d’enfance et de jeunesse, p. 87.
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cut suffi. Ccllc-ci n’est pas,autant quo Ie voudrait une fiction surannée, la Gimmérie d’Homère, que iie visitenbsp;jamais Ie soleil. Et jeveux bien que Ie scrieux, la gra-vité soient les qualitós foiicières de la race, mais ilnbsp;s’en faut que cette race se montre si obstinémentnbsp;rebelle aux séductions de la gaité. Elle goüte lo rire etnbsp;sait Ie faire naitre. Nil’espritd’observation, ni Gespritnbsp;tout court ne lui soiit étrangers. II n’est, pour s’ennbsp;convaincre, que de consulter sa littérature populaire :nbsp;elle renferme toute une moisson — qui n’a d’ail-leurs étó faite qu’a demi — de chansons satiriques etnbsp;de contes facétieux.
II y a done une veine comiquo bretonne. Etily a eu pareillement, outre les scènes de farce que con-tiennent les mystères, desessais d’unthéatre comiquenbsp;breton. Ilssont, a la vérité, peu nombreux. Je ne voisnbsp;pas qu’on en puisse actucllement signaler plus denbsp;quatre. Encore, sur ces quatre specimens, n’ya-t-ilnbsp;pas a tenir compte de la comédie intitulée -.Les Amourettes du vieillard, qui ne nous est connue que parnbsp;une mention de Dom Le Pelletier h Les trois dontnousnbsp;possédons des textes sont : Ar Farvel goapaër (Le
1. Voir Revue celtique, t. XX, p. 217. J’exdus de la nomenclature des pieces comiques bretonnes, pour des raisons que Ton trouvera au cliapitre des auteurs, la comédie intitulée La Fittenbsp;aux cinq amoureux (Bibl. nat., rass. celtiques et basques, n° 32),nbsp;qui a fait partie du répertoire de Joseph Le Coat. J’ai, d’autrenbsp;part, en ina possession le manuscrit incoinplet d’une piece sansnbsp;litre dont les principaux personnages sont Philemon, Scapin,nbsp;Damis, Cléon, Lalleur, et qui doit sortir de la même ol'llcine.nbsp;Je laisse également de cöté les soi-disaut moralités, comine lenbsp;Dialogue de Sayesse et de Chagrin (Revue celtique, t. XXIV,nbsp;p. 258-20!)), qui relèvent uniquenient de Ia littérature des Débalsnbsp;et des Disputes.
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boufïon moqueur), lan Mêlargc (Jean Mardi-Gras), et Mallarge a Trisicmina e vroec Iiac e vugale (Vionbsp;Jc Mardi-gras, de Ïriste-Mine, sa femme, et de sesnbsp;enfauts).
Le Faruel goapaër a béiiéflció longtemps du mys-fère qui l’enveloppait. 11 ri’en exislait, disait-on, •^ju’une copie appartenant a la bibliotlièque de M. denbsp;Kerdanet, a Lesneven. Gr, la bibliotlièque de M. denbsp;Kerdanct a été crigée, par ses lilies, gardicnnes de sonnbsp;Hom et de sa mómoire, en une sorte de sanctuairenbsp;ferme oü les profanes ne sont point admis. Seuls quel-^luos trés rares initiés, des ecclésiastiques pour la plupart, onteu riieur de franchir la redoutable porte etnbsp;de pouvoir jeter un coup d’oeil, au passage, sur lesnbsp;Volumes sacro-saints rangés le long des parois.nbsp;f-*’aucuns se sont même hasardés jusqu a en feuilleternbsp;los pages, d’un doigt furtif. On a su de Ia sorte qu’ilnbsp;y avait la d’inappréciables richesses bretonnes, parminbsp;lesquelles le Farvel goapaër. Jamais, affirmaiLon, lenbsp;Sénie armoricain n’avait rien produit de plus spiri-1-Hel, de plus incisif, de plus mordant. On n’en par-Init, du roste, qu’a voix basse, avecdes demi-sourires,nbsp;des reticences pleines de sous-entendus, tant la verve
était libre et passait en audace aristophanesquc ce •^lue l’on avait écrit de plus liardi.
Aussi, quelle n’était pas ma tristesse, m’étant pro-Posé pour objet l’histoire du theatre breton, d’etre '^oiitraint d’en négliger le chef-d’muvro comique! Car,nbsp;d iiitéresser directement a mon sort Mesdemoiselles denbsp;l^erdanet, je n’avais pas a ysongor. Et, d’autre part,nbsp;esten vain que le zélateur le plus fervent peut-être des
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études bretonnes, M. Frangois Vallée, qui pourtaiit avait la chance d’etre persona grata, s’était entremisnbsp;pour tacher de m’obtenir subrepticemont quelqiiesnbsp;extraits de cettc piece fameuse quo personne n’avaitnbsp;lue, mais que tout le monde admirait. J’étais done,nbsp;quoi qu’il m’en coutat, sur le point d’en faire monnbsp;deuil, lorsque, au moment de terminer co travail, jcnbsp;regus de M. Vallée I’avis inespéré que la Bibliothequenbsp;de la Marine a Brest, possédait un second exemplairenbsp;manuscrit du Farvel goapaër. Je n’eus naturellementnbsp;rien de plus pressé que d’en demander communication. Mais autant ma joie fut grande de penser quonbsp;j’allais enfin connaitre cet inestimable document,nbsp;autant, hélas! ma déception fut profonde dès la lecture des premiers feuillets.
Si, en effet, le Farvel goapaër que j’ai cu entre les mains cst Men la memo piècc dont les archives denbsp;Kerdanet garden! un échantillon jalousement enfouinbsp;dans leurs limbes, j’ai le regret de dire (pie sa valeurnbsp;réolle ost fort audessous desa reputation. Un chef-d’oeuvre, soit ; mais un chcf-d'cBuvre de médiocrité-Ce que je trouve, pour ma part, de plus admirablenbsp;dans le cas de cette comédie, e’est le soinpieux quelenbsp;transcripteur du manuscrit de Brest a pris de nous lanbsp;conserver, surtout si 1’on songe que ce transcripteurnbsp;n’est autre sans doute quo le grand Le Gonidec lui-même. II a fallu évidemment toutc la foi qui animaitnbsp;ce rénovateur dos lettres celtiques au début dunbsp;xix® siècle d’abord pour attacher a cette pièce unc
1. Ce ms. porte la colo 0/1Ö398.
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importance disproportioniiée avec son mérite, ensuite pour la declarer « pleine d’esprit » et y découvrir unenbsp;peinture de « moeurs » quelconque, fut-ce « de la tinnbsp;du règnc de Louis XV ' ».
Peut-être aussi la personnalité de l’auteur fut-elle pour beaucoup dans la fortune que l’on fit a sonnbsp;muvre. Une note du copiste nous apprcnd que eetnbsp;auteur se nommait « Pascal de Kerenveyer, anciennbsp;lieutenant general, mort pres de Paris ». Au commencement de la Révolution, il avait été « vice-pré-sident de PAdministration du département » dunbsp;Finislère, a Quimper. (( G’était, en outre, un amateurnbsp;distingue des beaux-arts et, apres sa mort », il futnbsp;Vendu « une belle collection de dessins originauxnbsp;fiu’il avait recueillis dans ses voyages tant en Alle-magne qu’eii Italië ». C’est apparemmeiit de retournbsp;dans ses terres et pour distraire ses loisirs qu’il s’oc-cupaitde breton. Le Farvelgoapaër passe-tempsnbsp;d’un gentilhomme lettré ^
Au-dessous du titre se lisent en épigrapbe les vers de la ïhéogonie oü Hésiode dit des Muses que « leurnbsp;chant coule intarissablement suave de leur bouche ».nbsp;Puis vient une Dédicace [Epïstolen] qui a ccci d’ori-ginal qu’elle est écrite avec des caractères empruntésnbsp;uu pseudo-alpliabet armoricain dont le P. Grógoire denbsp;Ilostrcnen a dressé le tableau®. Elle place le livre sousnbsp;i’iuvocatiou d’une certaine « Fant » (diminutif de
1. nbsp;nbsp;nbsp;Note du nis. do la BiblioUu'quo du port do Brost.
2. nbsp;nbsp;nbsp;II avait traduit en vers bretons toutes les oeuvres d’Ovido,nbsp;'iie fait snvoir M. Valléc, ([ui a eu eutre les mains cetle traduc-l'on conservée dans la bibliotlièquo de Kerdanet.
3. nbsp;nbsp;nbsp;Dictionnaire franfais-celtiquc (1732), p. 3ü.
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Fraiifoisc) quo rautciir appelle « la source do tous ses bieus, la mare [lalt;jen) oil il noie toutes ses tristesses,nbsp;le rccoiifort do tous ses chagrins ». « En toi, lui dit-il,nbsp;j'ai toujours mis mon contentement; a toi seule, j’ainbsp;ouvert le cabinet de mon coeur, et e’est au creux dunbsp;tien, oui, au creux du tien, que j’ai versé les secretsnbsp;auxquels jc tiens plus qu’ii la vie... Souviens-toi,nbsp;Fant, que jo suis ton bien-aimé (da dous). » Et, apresnbsp;avoir signe « Kereveyer », il ajoutc en post-scriptum :nbsp;« Un simple baiser de toi, Fantik, est a mon goiit plusnbsp;estimable et cent mille fois plus delectable que les liesnbsp;Fortunées (ann inizi). » Cette profession d'amour estnbsp;suivie d’une préface oh 1’auteur racontc comme quoi,nbsp;naguère, étant assis sur les roclicrs de lllaoskoum, ilnbsp;vit sortirde la mer un homme gigantesque, semblablcnbsp;au Jhigcl-Noz, et qui brandissait unc rame dans sanbsp;main; comme quoi eet homme, d’un coup do sa rame,nbsp;le métamorphosa soudain en livre; comme quoi, apresnbsp;la mort de ce sorcier marin, il fut vendu ii une vieillcnbsp;épicière chez laquelle il ent a souffrir mille agonies,nbsp;chaque feuillc qu’on lui arrachait lui causant la mêmcnbsp;douleur intolerable que si on 1’avait écorché tont vifnbsp;et la vieillc ne sc faisant pas faute de le mettre ennbsp;pieces, toutes les fois qu’un dient se présentait pournbsp;acheter « deux liards de poivre, un sou de bcurre »nbsp;ou quelque (( ignoble harong » ; comme quoi, enfin,nbsp;le jour oü il lui fut donné de recouvrer sa formenbsp;humaine, il n’osa jamais avouer chez lui par quellesnbsp;aventures incroyables il avait passé. Et la conclusionnbsp;est que, bon ou mauvais, un livre veut être respecténbsp;a 1’égal d’iin être vivant. « Libre a vous de ne le
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point lire, mais nc Ie déchirez, ni no lo briilez. Adieu.»
En abordant, après ces préliminaires, Ie texte de la comédie, on n’est pas pcu surpris de conslaler qu’ellenbsp;ü cbangé de nom, dans rintervallc; Ie titre de Arnbsp;Farvel (joapaër que portalt la première page est, ennbsp;eJïet, remplacé par celui de Ann doia reuzeudig hanbsp;laouen (L’amante malhenreuse rendue au bonlieur),nbsp;clue I’anteur fait suivre de la mention : Opéra Komik.nbsp;Get opóra-comique est en trois actes et en prose entre-mèlée de couplets dont quclqucs-uns sur des airsnbsp;francais du temps, Iels (juc : « Dans ma cabanenbsp;obscure...», « La Pandour-contredanse », « Votrenbsp;cceur, charmante Aurore... », etc. La tramc est desnbsp;plus simples. Maitre loën (Yves), fermier du comtenbsp;Skostard (Tapo-dur), a unc lille, Fantik (nous avonsnbsp;Vu que l’auteur avait des raisons personnelles d'aimernbsp;ce prónom) qu’il a promise on mariage a un paysannbsp;la paroisse, un certain Faincli (Franpois), rustrenbsp;tialourd, de manières incultes et sauvages, et un tan-linet braconnier. Dans la maison de maitre loën vitnbsp;Une autre jeune fille, sa nièce Marc’haridik (Marguerite), restée orplicline, et qui, ellc, n’est promise anbsp;Personne, mais n’en brule que davantage du désir denbsp;denicher un mari. Elle épouserait Ie premier venunbsp;Plutót que de mourir dans Ie célibat. « ïrancheznbsp;Garbrc sterile et jetcz-le au feu », — chante-t-elle surnbsp;Gair de Calinat-, — « ainsi parle 1’Écriture, aunbsp;dire de Dom Jean. Sur ma foi, je n’ai nulle envienbsp;d être repoussée comme unc souche inféconde, denbsp;••ous maudite ». Gaie, cspiègle, un peu folie, elle force
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sa cousiiie, la mélancolique Fautik, avec qui elle forme Ic plus enticr contraste, a lui confesser que Ienbsp;secret de sa trislesse est dans la iiécessité oii elle senbsp;volt d’appartenir a ce butor de Fainch qui iie lui inspire que dégout, alors qu'elle serail, au contraire, sinbsp;heureuse de devenir la femme de (( Moncheu » Sioulnbsp;(Ie Taciturue), Fintendant de Skoslard, qu’elle aimenbsp;et dout elle se sait aimée. Parbleu! s’écrie la fütéenbsp;péroniiellc, il n’est que de decider ton père a retirernbsp;sa parole. ïu ópouses ton beau Sioul et, moi qui u’ainbsp;pas de préjugcs, je me charge de Fainch. C’est Ienbsp;moyen de tout arranger. — Et Ie complot s’ourdit, denbsp;concert avec Fintendant. Celui-ci commence par mettrenbsp;dans ses intéréts, en faisant miroiter devant scs yeuxnbsp;Fospoir d’une place lucrative a Paris, dans la finance,nbsp;Ic frère de maitre locn, Flervé Raden (Fougère), unnbsp;louslic a la fois goguenard et crédule, qui remplit aunbsp;chateau les fonctions de garde-chasse, d’oü saus doutenbsp;sou sobriquet vegetal. Cc grotesque ambitieuxde village s’attache incontinent a perdre Ie pauvre Fainchnbsp;dans Fesprit du fermier. Mais' Ie plus prccieux auxi-liaire de Sioul, c’est Ie comte Skostard lui-même.nbsp;Skostard ne saurait demeurer indifférent au bonheurnbsp;de Fautik dont il a beaucoup aimé la mère défunte,nbsp;— que la benediction de Üieu soit sur son dme! — etnbsp;non pas seulement pour ses qualités de bonne fer-mière, si nous en jugeons par ce bout de dialoguenbsp;entre « Moncheu » Sioul et maitre loën :
SIOUL.
ïenez, toen, prenons Ie temps coiume il vient. Piiisque Ie conile a desbontés pour nous, meltons-lcs ii profit...
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LE THEATRE COMIQUE.
lOEN.
... Jacquette, notre femme, était sa soeur de lait. G’est pourquoi il aime nos enfants. II les considère comme lesnbsp;siens propres.
SIOUL.
11 n'est pas dit qu’il n’ait pas plongé la cuiller dans votre bouillie. Mais c’est la une bagatelle qui ne méritenbsp;point qu’im honnête liomme s’en tourmente. Pour moi,nbsp;je ne me ferai pas de bile sur Ie compte de ma femme,nbsp;pourvu qu’elle fasse ses fredaines on cacbette. Et, si jenbsp;n’en ai nul soupi^on, je l’aimerai autant que jamais. Jenbsp;ne sais rien de plus stupide que de se rendre soi-mêmenbsp;malheureux.
lOEN.
Et vous ferez joliment bien. J’ai fait comme vous dites... Que je vous dise, Sioul : il est difficile quo nous nenbsp;soyons pas tons cornus. Nous ne sommes jamais clieznbsp;nous. Toujours aux champs. Et, pendant ce temps-la, lesnbsp;oiseleurs... Mais nous savons qu’il faut tous en passernbsp;par la...
Circoiivenii de tous cótés, maitre loën fmit par capituler avec sa conscience. Une algarade de Fainclinbsp;lui foiirnit Ie prétexte souliaité pour consommer lanbsp;rupture. Mais Ie farouche paysan n’accepte pas qu’onnbsp;Ie congédie de la sorte et s’entcte a rcclamer l’exécu-tion de 1’engagement pris. II s’agit de lui fairenbsp;entendre raison, bon gró mal gró. Le matois Ilervénbsp;Raden, qui sait sa passion pour le braconnage, s’ar-range de manière a le pincer en flagrant délit. Lenbsp;paiivre benêt comparait, l’oreille basso, devant Skos-tard, qui, feignant d’être fort courroucé, le condamnenbsp;a choislr entre ces deux supplices : ou de mangernbsp;Rente gousses d'ail toutes crues et sans boire, ou de
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recevoir sur les épaules trente coups de baton. U commence pnr tater de Tail: maïs, a Ia première gonsse, il fait line horrible grimace et implore de grace unnbsp;verre d’eau pour éteindre Ie feu qui lui dévore Ienbsp;gosier. Skostardlui fait scrvir uii verre de vin, puisnbsp;donnc Ie signal de la bastonnade. Au cinquième coup,nbsp;toutefois, sur les supplications de maitrc loën, Ienbsp;terrible seigneur consent ii so monteer pitoyable.nbsp;a Soit, dit-il, ramasse tes grègues. ïu me paieras unenbsp;amende de cent ecus, prix du gibicr dont tu m’as faitnbsp;tort, et je te tiens quitte. » Ces cent ecus, Ic malheu-reux ne les a point; mais la dot destinéepar Skostardnbsp;a Marc’liaridik s’élève précisément a co chiffro. D’unnbsp;élan tout spontané, ou qui, du moins, parait l'être,nbsp;la jeune fille offre do s’en dópouiller pour Ia raiiQonnbsp;du paysan qui n’a pas de meilleur moyen do lui témoi-gnor sa reconnaissance que de Tépouser. Fantik, elle,nbsp;deviendra Ia femme de Sioul. Et en avant les son-neurs! La joie est rentrée au coeur de la plaintivenbsp;amante, commo Ie voulait Ie second litre de la piece.
Alais pourquoi Fautre titre ; Ar FarveA goapaih'? J’ai peur que ce ne soit une addition du copiste. Lc motnbsp;Farvr.l n’apparait qu’unc fois dans Ie texto, au coursnbsp;de la scène oii 1’intendant, pour s’assurer l’appui dunbsp;garde-cliasse, lui promet monts et merveilles. Horvénbsp;Raden so forge a l’avance une félicité de grand seigneur, qu’il définit en tormes plaisants : l’évèque nenbsp;sera pas son cousin; s’ilne peut acheter un carrosse,nbsp;du moins aura-t-il barrique en cave, et du meilleurnbsp;bordeaux. Fi des panais aussidurs que bois! Haro surnbsp;la bouilliede blé noir! II ne se nourrira plus que do
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far de froment; tons les Jours illuifaudrades viandcs a la hroche et des mets saupoudrés de sucz’o. 11 s’lia-f'illera d’écarlate; sa veste ct son chapeau serontnbsp;8'alonnés d’argent, et il arborera la plume, en vrainbsp;f?entilhomme, et il la fera balancer « Ie long desnbsp;routes, flic, tlac, comme celle de Deschamps lorsqu’ilnbsp;partit en voyage ». C’cst alors que Sioul Ie traite denbsp;faruel, comme qui dirait « vieux farceur! » II nenbsp;semble pas que co soit assez pour Jnstifier Ie titre ennbsp;fiuestion, et, en tout cas, l’on comprendrait mieuxnbsp;Farvel goapavt (Le bouffon moqué) quo .4r Farvelnbsp;Ooapaêr (Le bouffon moqueur), car, si fiité qu’il soit,nbsp;flervé Raden a tont Fair d’avoir travaillé pour le roinbsp;de Prusse. « xVllons! s’écrie-t-il dans le monologuenbsp;dual, je suis venu a bout de mon entreprise... Jenbsp;lï’attends plus maintenant que Vissue veritable, anbsp;savoir ma fortnne. Je rafraichirai la mémoire de Sioulnbsp;eet égard. Mais c’est Ic moins quo Je Ic laisse, unonbsp;duitaine, faire son métier auprès do sa jeune femme,nbsp;avant d’aller 1’assombrir d’affaires sérieuses. » Oui-da!nbsp;La buitaine écoulée, nul doute que Sioul le pincc-saus-rire ne le renvoie doucettement aux calendes!
Cot « opéra-comique )) est-il de I’inveution do Kerenveyer, on bien n’y faut-il voir (ju’unoadaptationnbsp;Lretonne de quclque piece franfaise du xviiiquot; siècle?nbsp;L’est la un point qu’il ne m'n pas été possiblenbsp;d’éclaircir. ülais, h coup sur, les moours que l’autcurnbsp;met en scène — a part un petit nombre d’nllusions anbsp;des coutumes locales, comme la mention du far donbsp;froment, — n’ont rien de spécialcment breton. Quantnbsp;*106 que le discours a d’ « un peu libre », au dire du
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grave copiste, je dois prévenir les amateurs de grivoi-series quo j’ai cité a desseiu les passages les plus scabreux. Et l’on estimera, jepense, qiie, — pour otrenbsp;surtout (( de la fln du règne de Louis XV )), — ce soutnbsp;des traits fort inofïensifs. Au total, Ie grand, sinonnbsp;Tunique intérêt de cette comédie, c’est d’avoir été, parnbsp;exception, composée en dialede léonard et de nousnbsp;présenter une image fidele de ce dialecte, tel qu’ilnbsp;s’écrivait il y a quelquecentvingt ans, si toutefois Lenbsp;Gonidec n’en a pas expurgé la langue, comme il en anbsp;certainement modernise l’orthographe.
Je me suis quelque peu étendu sur Ar Farvel goapaër, pour permettre d’en juger a l’avenir autre-ment que par sa légende. Je serai plus bref sur lanbsp;pièce intitulée/an Mèlargé, « Comédie en un acte* )),nbsp;qui nous ramène en pays trégorrois, mais qui offrenbsp;cette ressemblance avec la précédente qu’elle est,nbsp;comme elle, en prose. L’auteur, Jean-Fran§ois Herland, était le fils d’un maitre d’ccole du Guerlesquin ; ilnbsp;devait avoir une vingtaine d’années au moment oü ilnbsp;la composa et venait sans doute de terminer sesnbsp;études au collége de Rennes. La pièce est datée dunbsp;« 12 janvier 1841 ». A cette époque florissait dans lanbsp;capitale de la Bretagne une sorte de bobèche forain,nbsp;du nom de Frise-Poulet, dont le spectacle attirait lanbsp;foule sur 1’ancienne Place-aux-Arbres. C’est vraisem-blablement dans le répertoire de ce pitre franpais quenbsp;Jean-Fran^ois Herland a pulsé le sujet de sa farcenbsp;bretonne. Le héros, en tont cas, s’appelle aussi Frise-
1. lan Mèlargé, comédie e eun act, gret gant Jean Francois Herland er blaves 1841 (ms. en ma possession).
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LE THEATRE COMIQUE.
1’oulot. Son ami La Tulipe et Ini forment une paire de parfaits imbeciles : tons deux soiit au service dunbsp;comte Fourchette, lequel a pour gendre Ie marquisnbsp;Silsig (Saucisse), lequel a sou tour a pour füs unnbsp;nourrisson, d’abord anonyme, qui, au dénouement,nbsp;sera Ie seigneur Mêlargé (Mardi-Gras). Comment Lanbsp;Tulipe, jaloux de Frise Poulet, réussit ii Ie faire flan-quer a la porte et commet, dans la charge oii il luinbsp;succède, toutes les stupidités imaginables; commentnbsp;Trise-Poulet, au lieu de tirer parti pour son bien desnbsp;trois dons que lui a fails un parrain sorcicr, les dis-sipe niaisement a vouloir se venger de son anciennbsp;niaitre et de son ancien ami; comment tout finit parnbsp;une réconciliation générale autour du jeune Mêlargénbsp;prêt a prendre son essor, ce sont la de burlesquesnbsp;épisodes dont les braves gens du Guerlesquin ontnbsp;peut-être pu rire, mais qui nc valent vraiment pas lanbsp;peine d’être contés. Quant au sol qui les assaisonne,nbsp;il suffira, je pense, du bout de dialogue que voidnbsp;pour permettre d’en apprécier la finesse. Frise-I’oulet ayant été jeté dehors, il s’agit d’intronisernbsp;La Tulipe dans les fonctions de cuisinier, a sanbsp;place.
LE COMTE.
Ah! q;i, sais-tu faire la cuisine (ar guegin)?
LA TULIPE.
Faire des geais (geguinet)?... .I’en ai vu veler bien des fois, ®ais je ne sais pas en faire.
LE COMTE.
Je ne te parle pas de geais, mais de nourriture a uianger.
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LA TULIPE
All! ha! Pour ce qui est de manger de la nourriture, je n’ai jamais rencontré mon pareil!
LE COMTE.
Et pour la preparer ?
LA TULIPE.
Ah! cela, je ne Ie sais pas.
LE COMTE.
Je vais te l’apprendre. ïu prenJras d’ahord des choux et tu les trieras (lt;ubabi).
LA TULIPE
II y a done du pape (pab) dedans?
LE COMTE.
Polissen que tu es! Ce n’est pas fa que je te dis. Tu choisiras les bonnes feuilles et tu laisseras les mau-vaises.
LA TULIPE.
Ah! bien, je comprends'....
D’après ce spécimon on pent jugcr dn reste. La seule chose, en somme, a retenir de cette grosse farcenbsp;c’cst son litre par on ello se rattache a ces divertissements do Carnaval dont les Bretons dcs campagnesnbsp;ct mème dcs villes sont demciires friands. Elle servait,nbsp;scion toutc apparence, de prélude alal’ameusc promenade de lann Melargc on Mallarge, par laqnelle il cstnbsp;d’nsage, aujourd’hiii encore, de clore les rejonissancesnbsp;du Mardi-Gras. « Adieu, seigneur Mêlargé, et snrtontnbsp;prenez garde de vous faire pendre! » s’ecrie Lanbsp;Tulipe, a la fin de la piece, en guise de recommanda-tion suprème au noiirrisson qu’on I’a vu, quelques
1. Ian Mêlargé, p. 0-7.
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LE THEATRE COMIOEE.
¦minutes auparavant, gaver tie boiiillic avec lo poing, P'üs fourrer dans une barrique, soi-disaiit pour l’etn-Pêcher de hurler. C’est que Ie nourrisson — évidcm-un mannctiuin — va commencer a travers lanbsp;bourgade, suivi d’im peuple en dólire et precede d’unenbsp;Riusique de charivari, sa tournee de roi d'uu jour,nbsp;•^ont les pompos triomphales se doivent terminer,nbsp;¦iprès un jugement grotesque, par la noyade on par Ianbsp;P6ndaison.
II sembleque la periode du carnaval ait été la seule ^iiison de l’année oü les Bretons se soient crus autorisés a goüter au fruit défendu de la comédie. G’estnbsp;*^iicoreau carnaval quo se rapporto, en effet, l’muvrenbsp;romique la plus importante que nous ait légiuie Ienbsp;Iliéatre armoricain, la Vie de Mallarcjé, de Tristemine,nbsp;femme, cl de ses cnfants. Elle a cetto première supc-riorité sur Ie médiocre badinage de Jean-Fran?oisnbsp;herland, qu’elle nous présente un « Mardi-Gras »,nbsp;plus empaillé ni muet, mais vivant, agissant,nbsp;baut en couleur et bien en chair, et qui est vraimentnbsp;I arne boufïonne de la piece. Le principal intérêt denbsp;aelle-ci, toutefois, est moins dans le sujet lui-mêmenbsp;due dans la manière dont il est traite. La grande ori-Sitialité de la Vie de Mallargé est de nous montrer —nbsp;par un exemple unique, a ma connaissancc, — quenbsp;Bretons appliquaicnt dans la comédie la mêmenbsp;Poétique que dans le drame. Une comédie était pournbsp;aus lt;|uelque chose comme un mystère a rehours, unnbsp;•rrystère dont le but était ó'e faire rire au lieu de fairenbsp;pleurer. La farce de Mallargé est intitulée : Vie,nbsp;aomme un mystère; elle est en vers, comme un
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mystore; tous los procédés de composition, enfin, y sont identiqiies a ceux des mystères. On on a Timpres-sion dès rouverture du spectacle, lorsqu’on entendnbsp;« Ie Père Mallargó », a son entrée sur la scène, s’an-noncer avec la grandiloquence d’un Charlemagne dansnbsp;Les doiize Pairs, d’un Arthur dans Sainte Tryphinenbsp;OU d’un Gralon dans Saint Guénolé :
Eh bien! mon épouse, Ie moment est venu pour tous ceux qui sont sur la terre de jouir de la liberté. Onnbsp;n’épargne rien pour faire bonne cbèi’e, paurre ou riche,nbsp;quiconque en a Ie moyen. J’ai convoqué tous les habitants, frères et cousins, tous mes sujets, a assister solen-nellement a un banquet loyal que je leur donnerai dansnbsp;ma maison pour Ie premier jour. C'est moi qui suis Ienbsp;roi Bacchus, a la campagne et a la ville. On me portenbsp;sur la table devantles grands chefs; ma vue est agréablenbsp;a toutes les classes; partout je suis plus connu quenbsp;n'importe 'qucl personnage de la contrée
Sur ce beau début, il invite sa femme Tristemine a faire comparaitre successivement ses tils, ses fille.s,nbsp;puis dépensier, cuisinier, gate-sauces, plus deux ounbsp;trois bouchers pour abaltre les grosses bêtes et sai-gner les moutons, tont cela au plus vite, car Ie tempsnbsp;presse. 11 s’agit d'activcr les préparatifs du festin qu’ilnbsp;vent donner et dont il dresse ainsi Ie pantagruéliquenbsp;menu : « Neuf ou dix plats de ramiers et de perdrix,nbsp;des tourtes et des patés, force bécasses, des citrons,nbsp;des oranges, des pommes peléos, et de bon vin nouveau d’Espagnc et de Bordeaux ». Tristemine, ennbsp;ménagère prudente, lui fait doucement observer que
1. Bue an tad Mallarge, p. 3.
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LE THEATRE COMIQUE.
« ce n’est pas chose facile de faire bombance, quand on n’a ni sou ni maille ». Mais Mallargé ii’est pasnbsp;homme a se mettre martel en tête pour si pen. N’a-t-ilnbsp;pas cinq flls qu’il a élevés dans les bons principes etnbsp;qui « sont gens vaillants »? Guilloró, l’ainé, auranbsp;charge de fournir Ie pain; Guillery, Ie cadet, fourniranbsp;la viande; Odren, Ie troisième, fournii’a levin; quantnbsp;aux deux dcrniers, Pacifiqiie et Maurice, il leur appar-tiendra de procurer, celui-ci, toutes les sortes de metsnbsp;fares, celui la, de la farine fraichement moulue pour lanbsp;fabrication des patés. ïristemine et ses deux filles,nbsp;Rosic et Radegonde, auront dans leur départementnbsp;les couverts d’étain, les couteaux, les serviettes, losnbsp;nappes blanches; elles veilleront égalemcnt a pour-voir la table de bonnes chandelles et de chandeliersnbsp;intacts. Les róles distribués, toute la bande sc met ennbsp;campagne.
Dame Raison, cependant, se lamentc sur Ie temps qui règne. Le « mauvais sire » est déchainé : il vanbsp;miner le pauvrc monde. Pour essayer deréprimor sesnbsp;exces, clle porte plainte contre lui et le fait citer ennbsp;justice, par ministère d’huissier, devant un tribunalnbsp;composé du Président et du Lieutenant du siège.nbsp;Appelée a exposer ses doléances, elle apostrophe durc-Went Mallargé qu’elle accuse de pousser les jeuncsnbsp;geus a voler pour suivre ses préceptcs. A quoi Mallargé riposte en faisant un bref historique des usagesnbsp;carnavalesques dont il atlribue l’insütution a Moïse.nbsp;RUimidés par le prestige d’un si grand nom, les jugosnbsp;n’osent pas prononcer contrc Mallargé la completenbsp;Interdiction de séjour, mais défense lui est faite de se
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promener par Ie monde plus d’une fois laii, avec cette clause restrictive par surcroit qu’il ne pourranbsp;commencer ses gaillardiscs que ie dimanclie gras ninbsp;les prolonger au dela du mardi suivant, a minuit.nbsp;Cette sentence, si elle ne satisfait Raison qu’a demi,nbsp;satistait encore moins Mallargé qui se promet bien,nbsp;au cours des trois jours qu’on lui octroie, de (( cliatrcr »nbsp;ie Président et de ie « saigner ». A eet eiïet il senbsp;déguise en Figaro. Le voici qui, muni d’un pot d’eaunbsp;tiede, d’unc serviette, d’un plat a barbe et d’un rasoir,nbsp;se présente a la porte de sou ennemi. ¦— Qui heurtenbsp;la? demande un valet. — Moi-même, répond Mallargé. — Qui 5a, moi-même? — Moi-mème, te dis-je,nbsp;c’est mon nom. — Ah! fort bien; et que veux-tu? —nbsp;Rascr lo Président. II se trouve juste a point que lenbsp;Président a besoin d’un barbier. Tont en faisant minenbsp;de lui tailler les moustaches, Mallargé lui coupe lanbsp;bourse qu’il empoche avec les cinquante jaunetsnbsp;qu’elle contient. Après quoi, sous prétexte, « sauf lenbsp;respect que je vous dois, d’une terrible envie de pisser »,nbsp;il plante la son dient allégé d’une moitié de sa barbenbsp;et de la totalité de ses ecus. Comme le valet prétendnbsp;lui barrer le passage il le rosse, lui enlève ses clefs etnbsp;l’envoie, la tête la première, patauger dans une mare.nbsp;Le valet crie, le Président accourt, et Pon a — cela vanbsp;sans dire — la répétition d’une scène qui a fait lenbsp;tour de toutes les littératures populaircs européennesnbsp;depuis les temps lointains oü le monde la regiit, déli-cieusement contée, des lèvres du subtil Ulysse. — Quinbsp;t’a mis en eet état? s’informe le Président. — Hélas!nbsp;c’est Moi-même. gémit le valet. Quand tout s’expli-
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(lue, Moi-même, redevenu Mallargé, est depuis belle lurette hors de leurs atteiiites. Allonge sur son lit, ilnbsp;goüte un repos bien gagné, en attendant que ren-trent, clmcun de leur cóté, les divers membres de sanbsp;noble familie.
Ceux-ci, dans l’intervalle, n’ont pas laissé de se montrer les dignes émules de leur chef. Pacifique etnbsp;Guillorc ont fait rencontre d’unc meunière et d’nnenbsp;boulangère qni apportaicnt, Tune son pain, l’autronbsp;sa farine, au marché ; ils profitent de ce que les deuxnbsp;commères sont entrées boire bouteille a l’aubergenbsp;pour escamoler leui’s charges dont clles se sont débar-rassées sur Ie seuil. Maurice a dévalisé un marchandnbsp;de fruits, pendant que Ie bonhomme lui rendaitle service de lui chcrchcr dans Ie dos une paille qui, soi-disant, Ie grattait; puis il s’cst introduit chez Ie Lieutenant du siège, dont il a pillé rargenterie, cependantnbsp;hae Guillery assommait aux trois quarts un « potiernbsp;d etain )) et un marchand de verres, afin de permettrenbsp;a ses smurs d’cmplir leurs tabliers. Mais Ie plus beaunbsp;coup, c’est Odren qui I’accomplit. Attablé chez unnbsp;aubergiste devant une bouteille de vin blanc, il anbsp;courtoisement convié Tlióte a trinquer avec lui. Toutnbsp;Cu trinquant on devise. — Tenez, propose Odren,nbsp;gageons que, du vin que voila, je suis a mêmc denbsp;Vous tirer trois sortes de vins, chacun d’une couleurnbsp;différente. •— En vérité, c’est un secret que je souhai-terais fort de connaitre, declare Fhóte, émerveillc. —nbsp;ftien de plus facile; encore no vous demanderai-je ennbsp;recompense que de prier Dieu pour moi. Nos geusnbsp;'Pissitót de descendre a la cave, suivis de la femme
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de l’aubergiste qiii tient aussi a ótre témoin du miracle, mais qu’Odrcn s’empresse de renvoyer la haut lt;( cher-clier des faussets ». On devine Ie reste. G’est la farcenbsp;si coniiuc du benêt a qui l’on fait bouclier, soit avec
10 nbsp;nbsp;nbsp;doigt, soit avec la languc, les trous de la barriquenbsp;a mesure qu’on les pcrce. Pendant que l’aubergistenbsp;s’ópuise a empêclier son vin de couler et que sa femmenbsp;se tuc a cliercher des faussets introuvables, Odrennbsp;s’esquive avec trois bouteilles pleincs, ((chacune de lanbsp;contenance de six pintes ».
Mallargé a décidémentde quoi être fier de sa tribu. Aussi, lorsqu’elle se trouve róunie a ses cótés, iienbsp;manquc-t-il pas de lui donner 1’accolade a la ronde.nbsp;Et alors commence la grande liesse. On boit, onnbsp;mango, on fait ripaille; les verres se choquent, lesnbsp;santés se croisent. « Empiffrons-nous! proclamenbsp;Mallargé; nous n’avons que trois jours dans I'anneenbsp;pour nous divertir. » Après la bombance viemient lesnbsp;jeux de cartes et de dés. Puis c’est Ie tour de lanbsp;danse, de V « ébat)). Les « sonneurs » sont copieuse-sement abreuvés : ils n’en sonneront que mieuxnbsp;« quand ils auront rafraiclii leurs veines ». Mallargénbsp;voudrait bien être dispense de prendre part au bal, et
11 nbsp;nbsp;nbsp;se récuse sur sa vieillesse. Les instances réitéréesnbsp;de ses fils, de ses filles, de Tristemine ello-mêmenbsp;finissent par avoir raison de ses scrupules. 11 senbsp;démène si fort qu’il en tombe exténué. II prie qu’onnbsp;lui donne du vin; Guillery lui apporto de 1’eau-de vienbsp;et, du coup, Pacliève. ïoute la nuitil fautle veiller. IInbsp;ue parleplus guère que pour demander « unc petitenbsp;goutte encore a bpire ». Mais, au moment de trépasser,
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il recoiivre assez de voix poiir adrcsser aiix siens ces recommandntions siiprèmc's ;
Avant de mourir, je veux vous donner iin avertisse-Went. xlprès ma mort, aimez-vous les uns les autres... Ma femme... vous avez cinq Ills qui sont de braves gargonsnbsp;et deux lilies qui les valent bien. Prenez soin d’eux. Etnbsp;vous, écoutez, mes enfants, ne m’enterrez pas : co seraitnbsp;une sottise. Si j’avais continué a boire, je ne serais pasnbsp;encore mort. Mais je compte bien ressusciter une foisnbsp;1’an. Adieu, hélas! je meurs. Si je ne revenais pas fairenbsp;carnaval avec les gens de mon pays, je serais bien trompé;nbsp;mais j’ai bon espoir que je reviendrai. Ainsi done ins-tallez-moi avec bonneur, comme je suis ici, dans manbsp;chaise, en une cbambre qui est la-bas, derrière, etnbsp;laissez-m’y. Si je puis reprendre vio, je rentrerai dansnbsp;inon corps. Si dans un an je ne reviens pas, jetez-le n’im-porte oü a pourrir. Autour de ma maison il y a desnbsp;douves : mon cadavre y sera fort bien. Je vous ai dit manbsp;volonté : quand je serai mort, vous ferez cc qu’il vousnbsp;Plaira. Aïe! Aïe! ton règne est flni, pauvre cher Mallargé !nbsp;tu as grande douleur. Mon courage est a bout. Je meurs.nbsp;Soutenez-moi. Je tombe '.
Comme dans lesmystères, après Ie trépas du héros, nous assistons a son convoi funèbre. Les cinq filsnbsp;portent ie corps, les deux filles suivent en pleurant-« Adieu, compagnie! A l’année prochaine! » soupirenbsp;Tristemine avant de disparaitre dans la coulisse. Etnbsp;ninsi prend fln la Vie de Mallargé, la seule attestationnbsp;vraiment significative que nous ayons de l'cxistencenbsp;d’un theatre comiqueen Bretagne. line semble pas, ennbsp;etïet, que Ie Farvel goapaër ait été nutro chose quo Ie
1. line an tad Mallargé, p. 00-70.
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passe-temps d’un gentilhomme voyageur qui l’écrivit saus doute, non pour la scène, mals pour l’amnse-ment d’un petit eerde d’amis. Du lan Mêlargé donbsp;J. F. Herland, on ne peut pas dire qu’il n’ait pas étónbsp;représenté, car on lit a la dernière page cette mention : (( Gomédie jouée au Guerlesquin par J : F : Herland, J : F : M ; Boscher, A : Herland, Y : Le Bras etnbsp;Henry Michel «. Mais cen’en fut pas moins un simplenbsp;divertissement d’amateur, improvise pour la circons-tance, et dont la vogue, s’il en eut, ne dut guèrenbsp;dépasser le Guerlesquin. II n’en va point de même denbsp;la Vie de Mallargé. Nous avons ici une muvre quinbsp;appartiont authentiquement au répertoire du vieuxnbsp;theatre armoricain. Ello a été reproduitc par lesnbsp;copistes paysans au même litre quo les mystères etnbsp;l’on en connait a tout le moins deux versions. Tune,nbsp;cclle de Jean Le Ménager, dont je viens de donnernbsp;1’analyse, l’autro, celle de Joseph Henry, qui figurenbsp;dans la collection de la Bibliothèque nationale, a lanbsp;suite d’une Vie de Charlemagne et des douze Pairs.
Faut-il y voir une production originate du génie hreton? Les noms de la plupart des personnagespro-testent a 1’avance contre un pared sentiment. Guil-lery, Guilloré, Pacifique, Tristemine, aiitant d’appella-tions qui disent assez leur provenance. Et, pour nenbsp;parler que de Guillery, le fripon le plus audacieux de lanbsp;bande des cinq frères, n’est-il pas évident qu’il descend en droite ligne de son homonyme historique dunbsp;xvD siècle dont les livres do colportage avaient popula-risé la légende? On sait, d’autre part, que les aven-tures de Carnaval ont insplré, en France, nombre de
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LE THEATRE COMIOUE.
comédies et de farces J’ai vainement tachó de décou-vrir d’après quel modèle francais avait travaillé l’au-teur de la Vie de Mallargé, mals il me parait a peu prés certain qu’il en avait un sous les yeux. Non seii-lement son texte est émaillé d’expressions frangaises,nbsp;commo « eh bien », « fort Men » « parbleu )), « parnbsp;ma foy a, mais c’est en francais quo Ic potior d’étainnbsp;et Ie marchand de verres lancent leur double cri :
Qui veut a chater de ver? Qui veut d’étain bien clair?
et c’est aussl en un francais plus ou moins estropié que Guillery leur rétorque, en les parodiant :
Qui veut la cornade, qui veut la foir?
De sorte qu’a examiner Ie theatre comique breton en ce qu’il a produit de plus marquant, l’on est conduit aux mêmcs conclusions quo pour les mystères, anbsp;savoir qu’ici encore, action et personnages, tout estnbsp;emprunté.
1. Au moycn age, la littérature des debals comprennit une ttataiUe de Carême el de Chaniage (cf. Gaston Paris, La lillé-1'alure frangaise au moyen dge, p. 159). — Ln IHIdiotkeque dunbsp;theatre francais, t. II, p. 25-29, mentionne trois farces en pro-vencal sur Ie carnaval : 1° Ordonnances de Carnaval-, 2° L'em-barquement, les conquesles el Vheureux voyage de Carnaval-,nbsp;3° Le proces de Carnaval.
-ocr page 420-LA COMPOSITION, LA LANGPE ET LA VERSIFICATION
Les prologues. — Les epilogues avec 1’ « excuse » et 1’ « adieu » — La division des pièces en journées ou en actes. — Les person-nag-es comiques. — Garactère proiirement liturgique du tliédtronbsp;armoricain. — Importance du rólede la Mort. —La declamation :nbsp;la mélopée dramaUque. — La langue : les mots Iraneais. —nbsp;Le style. — La versification ; la rime interne; les metres; Ienbsp;chant.
Ce qiii a été dit, dans les chapitres précédents, do l’origine fraiiQaise du théatre breton nous dispensenbsp;d’insister sur les traits quite caractérisent au point denbsp;viie de la composition, puisquela plupart lui sont com-muns avec le théatre francais du moyen age. Comme lenbsp;mystère francais, lemystcrebreton fait du merveiüetixnbsp;unemploi constant; comme lui, il promène l’action anbsp;travers l’espace et le temps, sans le moindre souci denbsp;la vraisemblance. A son exemple encore, il s’ouvrenbsp;par un prologue et se terminc par uii epilogue.nbsp;L’objet du prologue est d’abord do saluer la « véné-rable assemblée* », a quill asoin de prodigucr les épi-
1. Asamblé venerabl. Prol. de Louis Ennius. Myst. de Cogno-méruSjBibl. nat.,fonds eelt.,39. Le motcompagno7iez (compagnie)
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LA COMPOSITION ET LA LANGUE.
tliètes les plus flatteuses, en commeiifant par les gens d’Eglise et les clercs, en continuant par « lesnbsp;nobles, les bourgeois gt;), c{uelquefois Ie « general n denbsp;la paroisse, et en finissaiit comme il sied par « Ienbsp;commun »; — en second lieu, de réclamer rattentionnbsp;de l’assistance pour Ie spectacle et son indulgencenbsp;pour les acteurs; — troisièmement, enfin, de fairenbsp;connaitre Ie sujet de la piece et d’cn résumer les péri-péties essentielles.
Comme les piëces, toujours a l’instar des mystères fraiiQais, se jouaient en plusieurs journées, séparcesnbsp;souvent par une semainc d’intervalle, il était toutnbsp;indiqué qu’il y eüt un prologue spécial pour cliaquenbsp;journée. Mais cela ne suflisait pas encore a nosnbsp;auteurs bretons qui semblent s’être fait gloire denbsp;déployer toute leur faconde dans ce genre d’cxercices.nbsp;Ifès que la division en actes leur fut connue, ils ennbsp;profitèrent pour composer autant de prologues que lanbsp;piece comportait d’actes. Ces prologues multiplesnbsp;i’ecevaient parfois une designation particuliere tircenbsp;des épisodes qu'ils annongaient. C’est ainsi que dansnbsp;la Vie de sairil Garan, tel prologue est dit: « Prologuenbsp;des Matelots », tel autre : « Prologue de Plestin ».
La forme des prologues est, du reste, a peu pres invariable : ils sont, pour l’ordinaire, en alexandrinsnbsp;a rimes plates, répartis par strophes ou mieux parnbsp;laisscs do quatre vers. La démarcation entre les laissesnbsp;estgénéralementindiquée soit par un trait horizontal.
aussi fréqueminent employé. Quant aux épilhétes les plus l'abituelles, ce sont : verluns, enorabl, ineulabl (digne d’éloges),nbsp;santel.
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soit par Ie mot « marche » écrit a la fm de chaque laisse. L’usage voulait, parait-il, qu’eii vertu d’unenbsp;convention rappelarit un pen les evolutions du choeurnbsp;antique, Ie récitant chargé du prologue' fit sur la scène,nbsp;tous les quatre vers, une promenade dont nous auronsnbsp;ultérieurement l’occasion de décrire Ie cérémonial.nbsp;Primitivement cette promenade se faisait mème ennbsp;musique, si nous en croyons Souvestre^ qui dit avoirnbsp;relevé dans une note d’un vieux manuscrit que « pendant ce temps, rebecs et binious doivent sonner ».
II est bien rare que la forme du prologue s’écarte des regies traditionnelles. Quelques auteurs cependantnbsp;se sont louablement efforcés d’en varier riiabituellenbsp;monotonie. Dans une des copies de La Passion, Ienbsp;premier personnage qui se présente sur la scène estnbsp;un « passant » épuisé de fatigue : il a su par Ie bruitnbsp;public que Jésus venait de mourir en croix et s’estnbsp;mis en route dans l’espoir d’obtenir un récit dé taillénbsp;do 1’événement. Commeilse lamente de ne rencontrernbsp;personnequi Ie puisse renseigner, survient Ie Prologuenbsp;qui lui demande la cause de son affliction, et s’il anbsp;perdu père et mère ou subi quelque violente injustice.nbsp;Le passant alors de lui confler son angoisse et Ie Prologue de répondre :
Vous u’avez que trop raison de pleurer et, puisque tel est le sujet qui vous rend triste, (apprenez) hélas! que je
1. nbsp;nbsp;nbsp;Ce récitant est lui-même désigné le plus souvent par lenbsp;noin de « prologue quot;, quclqucfois par celui de « prologueur »,nbsp;prolocqiier (cf. Myst. de la Passion, 1“ 7, Bibl. nat., inss. eelt.nbsp;et basques, n° 13), qui se trouve dans les mystères frangaisnbsp;(cf. Hetit de Julleville, Les Myslèrcs, t. 1, p. 252).
2. nbsp;nbsp;nbsp;Les derniers Bretons, t. 1, p. 242.
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Ie suis aussi.Mais attendez uii instant que j’aie séché mes larmes et (ce que vous désirez savoir) je vais, si je puis,nbsp;Ie découvrir et au peuple et a vous *.
Revenant ensuite au système des laisses entrecou-pées de « marches », il cntame sur les souffrances du Rédempteur uue longue homélie au milieu de laquellcnbsp;il exhibe soudaiuun crucifix each é sous ses vêtementsnbsp;et, d’un geste a la Rridaine, Ie brandit au-dessus donbsp;l’assistance, en criant : « Pour avoir sujet de pleurer,nbsp;chrétiens, levez les yeux, regardez cette image!)) Gettenbsp;scène préliminaire du passant et du Prologue estnbsp;désignée dans lo manuscrit par Ie nom d’ « entrée ».nbsp;C’est seulement après qu’elle a pris fin que s’avancenbsp;Ie Prologue du premier acte. L’auteur de la Saintenbsp;Trijphine publiée par Liizel ^ a imaginé une fictionnbsp;encore plus ingénieuse. G’est au début de la secondenbsp;journée. Gomme il se peut qu’il y ait dans Ie publicnbsp;des spectateurs qui n’assistaient point a ia premièrenbsp;journée ou d’autres dont la mémoire a besoin d’etrenbsp;rafraichie, voici de quel expédient s’est avisé Ie poète :nbsp;a peine Ie Prologue a-t il commencé sou bonimentnbsp;qu’une « demoiselle » arrive du dehors, montée surnbsp;une haquenée, traverse en eet équipage les rangs denbsp;la foule, descend de ebeval au pied du tbéatre, puis,nbsp;se hissant sur les tréteaux, s’informe auprès du Prologue de ce qu’il fait la et pourquoi tant de mondenbsp;s’est donné rendez vous en ce lieu. Avec la galanterienbsp;d’un berger de pastorale, Ie Prologue feint do croire
1. nbsp;nbsp;nbsp;M^jslère de la Passion, collection Vallée, f° 1, v”.
2. nbsp;nbsp;nbsp;P. 220-234.
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a quelque bouleversement siibit dans Ie cours des astres, puisqu’une si charmante apparition a daignónbsp;venir jusqu’a nn pauvre jeune homme dont ce n’estnbsp;gucre 1’habitnde « d’avoir entretien avec des demoiselles )). La-dessiis il l’invite a prendre un siege, pendant qn’il en fait antant de son cöté, et une conversation s’cngage entre eiix, qui renseigne Ie spectatcur surnbsp;toiitela conduite de la pièce. Lorsqu’elle juge que sesnbsp;questions ont provoqué tons les éclaircissementsnbsp;indispensables, la « demoiselle » rcmcrcie son complaisant interlocutcnr, s’excuse auprès de lui d’etrenbsp;obligee de so rendrc a Trégnier et Ie quitte en luinbsp;souhaitant des richesses, une nombreuse familie et Ienbsp;paradis a la fin de ses jours. Le róle, on Ie volt, n'estnbsp;pas sans présenter une frappante analogie avec celuinbsp;des commères de revue. Je ne serais du reste pasnbsp;autrement surpris que le poète en eiit empruntc l'idcenbsp;a quelque ouvrage francais.
Dans un mystère de La Passion « corrigé » par Frangois Derrien, du Guerlesquin, l’épilogue —nbsp;« appelé », dit le copiste, « prologue pour l’excuse »nbsp;— s’exprime ainsi : « Vous savez parfaitement, compagnie dévote, qu’a la tin de toute tragédie il doit ynbsp;avoir un épilogue {impilocq) pour faire Tcxcuse auxnbsp;assistants ‘ ». Offrir aux spcctateurs les excuses desnbsp;acteurs, telle est, en elïet, la première raison d’etre denbsp;Tépilogue. L’anteur se travaille a y faire montre denbsp;toute la virtuosité dontil est capable, et, si la facondenbsp;bretonne s’épanche volontiers dans les prologues, on
1. Hibliotlièque nationale, fonds ccllique, n“ 1.^.
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LA COMPOSITION ET LA LANGUE.
peut dire qiie, dans les épilogues, ellc dóborde. Ce SDiit d’interminables défilés d’alexandrins distribiiésnbsp;en laisses on « marches », comme dans les prologues,nbsp;et qui — témoin Fépilogue dn Jugemcnt dernier * —nbsp;sont susceptibles de se prolonger pendant 468 vers.nbsp;Le poètc annonce a tout bout de champ qu'il vanbsp;« prendre congé », mals ce n’est qu’une feinte : ennbsp;réalité il repart sur nouveaux frais et recommence anbsp;s’excuser de plus belle. L’extrait suivant fera voirnbsp;comment on entendait 1’ « excuse » (iscus).
A messieurs les prétres je demande excuse, s’ils veulent bien (lo permeltre), avant de flnir; a vous (aussi), gen-tilshonimes, et a vous, demoiselles, en general ii tous ceuxnbsp;qui m’écoutent. A vous, jeunes cleres, ici présents, jenbsp;demande pardon et excuse humhlement;ie ne doute pas quenbsp;Hous ne soyons excuses par les geus sages : chacun denbsp;iious a fait du mieux qu’il a pu. Si nous avions été anbsp;Houen oubien a Paris rccevoir dc ïéducation, vous aurieznbsp;Cu, m’est avis, plus de plaisir a nous voir que vous n’cnnbsp;fivez maintenant. Nous soubaiterions autant que vousnbsp;d-’avoir été éludier. Mais la Colombo a beau avoir des alles,nbsp;elle ne peut imiter l’aigle ni voler aussi haut : nous,nbsp;Pareillement, nous ne pouvons pas jouer aussi Lien quenbsp;les cleres qui ont fait leurs etudes. Avant de flnir, jenbsp;demande encore humblement excuse, de vrai coeur, auxnbsp;Jeunes Alles qui tous les jours, histoire de s'eniretenir,nbsp;^’amuseront a médire de nous et a nous detractor. Nenbsp;’^oquetez pas en cette guise, jeunes Alles, et d’une autrenbsp;faeon nous vous rendrons contentes. Ne dites de malnbsp;d’aucun des acteurs ipeut être sera-ce celui-lii qu’il vousnbsp;^i’rivera d’épouser •.
1. nbsp;nbsp;nbsp;M.muscrit do la collection Vallée.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Mijstère d’Eidogius, P .37. Bibl. nat., mss. ccltbiucs et bas-'lUcs, n” 28.
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Chaque journée a normalement son epilogue, destine a allécher le public pour la representation sui-vante : mais l’épilogue par excellence est 1’épilogue final. 11 comporte, outre !’« excuse », un (( bouquet »nbsp;(boquel). Si nous ignorions oil les auteurs bretons outnbsp;pris cet usage et le terme qui le désigne, eux-mêmesnbsp;se cliargeraient de nous édifier : « Maintenant, compagnie, j’ai dessein dc faire suivre cette Vie d’unenbsp;allocution en forme de bouquet, selon I’liabitude desnbsp;predicaleurs, apres la dernière station )), dit un épi-logue de La Passion inséré a la fin de la Vie de Mal-largé Ce bouquet dc fleurs pieuses était, d’ailleurs,nbsp;compose de telle fa^on qu’avec de trés Icgères variantesnbsp;il pouvait servir aux mystcres les plus différents. Lenbsp;bouquet de la Vie d'Euloqius, parexemplc, se retrouvenbsp;il pen prés mot pour mot dans la Vie de Jacob C’est,nbsp;il est vrai, un des types les plus complets du genre.nbsp;Lc recitant commence par se mettre a gcnoux ctnbsp;par invoquer I’Esprit Saint; puis il prie la « croixnbsp;adorable » de I’aider ii cueillir dans le jardin de lanbsp;Passion une fleur pour chacun des assistants. « Conbsp;n’cst pas que Ton fassc grand état des fleurs : on cnnbsp;use avec dies comme font les enfants. Si bellesnbsp;qu’elles puissent êtrc, on les effeuillc, on les jette iinbsp;terre, on les foule aux picds. » Et tel est aussi biennbsp;le sort des graces divines qui nous sont distribuées.nbsp;Tout do même il va procéder a la distribution. Auxnbsp;gens en charge, aux « politiques )) il donne les clefsnbsp;de saint Pierre, avec la couronne d opines et les clous
1. nbsp;nbsp;nbsp;Ms. (lc nia collection.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Ms. de la collection Vall(ie, p. 280-288.
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fiui ont percé Ie Sauveiir; aux gens de justice, l’écri-toire et la plume de Pilate; aux maris, aux femmes fpii « sont en ménage », les marteaiix et les tenaillesnbsp;des bourreaux du Christ; aux veufs et aux veuves...nbsp;Mais je n’en finirais pas d’énumérer cette liste denbsp;cadeaux : toutes les conditions sodales regoivent Ienbsp;leur, et aussi toutes les catégories de pécheurs, coureurs de danses, jureurs, libertins, saus oublier natu-rellement les ivrognes, qiii s’entendent octroyer lonbsp;liel et Ie vinaigre dont fut abreuvé leur Rédempteur-11 y en a, comme on voit, pour tous les gouts. Lenbsp;poète a même prévu le cas des personnes qui ne senbsp;liendraient pas pour satisfaites de leur lot : « Compagnie salnte, si je n’ai pas donné a cliacun de vousnbsp;le bouquet de son choix, allez au mout Caivaire et lanbsp;Vous choisirez a votre gré ». Que s’il prodigue tant denbsp;lleurs a l’auditoire, c’est évidemment pour étalcrnbsp;devant lui toutes les merveilles de son éloquence,nbsp;naais c’est aussi et surtoutpour prédisposer sa boursenbsp;a la générosité. L’heure est, en eiïet, venue de fairenbsp;1’« adieu » après le « bouquet ». Car « toute chosenbsp;a sa fin, hormis la gracedeDieu qui netarit jamais ».nbsp;C’est done le moment d’adresser aux spectatcursnbsp;1’appel d’usage que nous trouvons ainsi formulé dansnbsp;1’épilogue d’une Vie de Moïse datée de 1776 :
Avant de vous retirer, vous aurez la charité de nous écouter encore, s’il vous plait, vous rappeler, de peur quenbsp;Vous nel’ayez oublié, le derotr auquel cliacun de vous estnbsp;lenu. Ce n’est certainement pas pour vous obliger, maisnbsp;Parmi vous vont maintenant descendre deux acteurs pournbsp;faire le tour chacun avec un plat. Cliacun de vous fera
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LE THEATRE CELTIQUE.
son devoir. Par votre bonté et votre civilité vous nous donnerez les moyens dc souper ce soir. Grdce aux donsnbsp;que vous ferez, nous ferons tantót, avec la grace dc Dieu,nbsp;un peu de bonne chore. Ceux d’entre vous qui sont liié-raux de coeur donneront, pour nous aider a souper, desnbsp;pieces de deux ecus, d’autres des pièces de trois livres,nbsp;d’autres des pièces de dix réaux, car nous sommes unenbsp;fameuse bande, quand nous serons tous réunis. 11 y anbsp;parmi vous d’aucuns qui sont couards quand il s’agit denbsp;leur poche,mais ils n’cn out pas inoins le cmur bon etilsnbsp;distrihiieront aux acteurs des couples de pieces de dix sous.nbsp;Enfin, gens de prudence, c’est votre devoir a tous. Vousnbsp;savez aussi bien que moi que nous avons aussi des frais;nbsp;rien que pour aménager le thcdlrc et nous équiper, il nousnbsp;en coute déja, quelque ueuf ou dix écus. .Mais, après tout,nbsp;quand vous ne donneriez rien, jo n’en aurai pas moins denbsp;gratitude envers chacun de vous, pour nous avoir honorcsnbsp;de votre presence pendant ces jours-ci, a.vecperseverance'.
On pourrait croire qu’après cet appel intéressé tout est fini. Non pas : il reste encore a faire !’« adieu )),nbsp;ct a le faire assez long pour permettre aux acteursnbsp;chargés do la quete de passer dans tous les rangs.nbsp;L’c'pilogue s’attarde done a prendre congé successive-inent des diverses classes de personnes dont se compose I’assistance. Gomme il n’est pas dit qu’on senbsp;retrouve tons, une autre Ms, « réunis en vie dans unnbsp;memo lieu a, il conclnt en lour donnant rendez-vousnbsp;dans la vallée de Josaphat. Et, la-dessus, il tire enfinnbsp;sa révérence, — salud ha reverans, comine portent lesnbsp;indications sceniqnes.
A rcxemple des mystercs frangais, les pieces bre-
1. Extrait inanuscrh, dc la main de Luzel, en ma possession.
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tonnes, avons-nous dit, sont divisées on jonrnées (devez). Le nombre des jonrnées est ordinnirement denbsp;trois, quelquetois de quatre, rarement de cinq. Dansnbsp;beaucoup de manuscrits, la division en actes {ad) estnbsp;adoptóo concurremment avec la division en jonrnées.nbsp;Le nombre dos actes est indétcrminé : Sainle Try-phine en a hnit, le mystère d’Orson et Valentin ennbsp;comptc jusqu’a qninze ! A partir du xvu® siècle, la subdivision en scènes [cenne] est a pen pres génerale ; onnbsp;la rencontre mème dans les manuscrits on il n’cst pasnbsp;fait mention d’actes. Seulemont, comme le remarqucnbsp;Luzel, les auteurs bretons avaient adopté le motnbsp;« scène » dans une acception fort originale dont nousnbsp;aurons lieu de nous occuper plus tard, au chapitre desnbsp;representations. Quant a I’etendue des pieces, ellenbsp;était naturellemcnt tres variable. Alors que la Vie denbsp;Jacob (collection de La Borderie) ne dépasse pasnbsp;aOOO vers, la Vie des lt;iuati'e fils Aymon (collectionnbsp;Vallée) atteint prés de 9000, chiffre suffisamment sor-table, quoique fort loin, il est vrai, de pouvoir entrernbsp;en ligne de compte avec les 70 000 vers de la Passionnbsp;frangaise.
Si main tenant nous entrons dans l’examen des personnages, nous voyons que les seuls d’entro euxnbsp;t[iii soient doués d’une apparence de vic sont, commenbsp;dans les mystères francais, les personnages épiso-diques et de basse condition, valets, bourreaux,nbsp;roendiants, gons de sac et do corde, artisansnbsp;de tons métiers. ïels les larrons de grand cheminnbsp;dans Robert le Diable-, tels l’aveugle et le para-lytiquc du mystère de Saint Guenolé; tels les
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LE THEATRE CELTIQUE-
maQons de Kervoura dans la Vie de sainte Tryphine et les jardiniers du pape dans la Vie de saint Laurent.nbsp;Leur mission est de dérider le public et ils y tachentnbsp;de leur mieux. Mais — toujours comme dans lesnbsp;mystères francais — c’est au diable qu’est dévolu lenbsp;role de bouffon en chef. Ce diable se souvient, toute-fois, volontiers qu’il est Breton ou du moins qu’ilnbsp;opere en Bretagne. II a des allusions fréquentes auxnbsp;êtres et aux clioses du pays. Dans le Jugement dernier,nbsp;Belzébuth et Mammon, de retour d’un voyage sur lanbsp;terre, rendent ainsi compte des résultats de leurnbsp;expedition :
BELZÉIiUTII.
Je n’ai pas de regret a la peine que j’ai cue, car tout ce que je desire me i-éussit cette année. J’ai battu la Cor-nouaille danstous ses coins et recoins, mêmeles villes, ctnbsp;j’y ai fait tout ce que j’ai voulu. De Quimper-Corentin, jonbsp;suis venu a Clidteaulin, de la a Carhaix, puis a Morlaix etnbsp;a Lezeornou...; puis j’ai repris a Bourbriac et je suis venunbsp;a Plésidy oü j’ai cueilli (les ames) trois par trois...
MAMMON.
De I’Espagne, de 1’Italie, et même de la Ilollande, j’en ai emmené, quant a moi, sans mentir, quelque chosenbsp;comme un million. Encore ne me suis-je point attardénbsp;par la : j’avais trop bdle d’arriver ü La Roche. Si petitenbsp;que soit la ville, c’est de la que j’en ai eu le plus. Croyez-m’en, sivous voulez,je le dis sans plaisanteric :j’ai toutesnbsp;les peines du monde a les porter *.
Des facéties de ce genre no pouvaient avoir de sel que pour des Bretons, et la dernière, celle qui a traitnbsp;a La Roche, que pour des Trégorrois. II faut, en effet,
1. Manuscrit de la collection Vallée, p. 90-91.
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LA COMPOSITION ET LA LANGUE.
pour la goütcr, connaitre la bourgade si originale de La Roche-Derrien, sa pretention légendaire de passernbsp;pour une grande ville, l’esprit cpielque pen gascon denbsp;ses habitants ct surtout l’industrie réputée peu scru-puleuse de ses clans de masons, de couvreurs, denbsp;chiffonniers, les u nomades de la Basse-Bretagne »,nbsp;comme disait ce pauvre Quellien qui avait vu Ie journbsp;parmi eux.
Après avoir signalé la part de rélémcnt comiquo dans les mystères Bretons, il convient d’ajouter, tou-tefois, qu’elle est beaucoup moins considérable quenbsp;dans leurs modèles francais. Les scones de boulïon-nerio sont, en général, brèves et clairsemées, encorenbsp;Ie comique n’en est-il jamais tres poussó. On y relè-verait peut-être de ci, de la quelques crudites do lan-gage, mais d’obscénités point. Le ton de Pensemblenbsp;est grave, d’une gravité un peu solennelle, un peunbsp;tendue. Ce theatre armoricain n’cst pas seulement reli-gieux : il est, a proprement parler, liturgique. La estnbsp;son aspect ie plus original. Le Breton y a transportcnbsp;les habitudes de sa vie dont chaque heure, chaquenbsp;occupation, chaque démarche et, pour ainsi dire,nbsp;chaque geste est marqué par une prière. 11 y anbsp;telles pièces, comme la Lie de saint Laurent' et lanbsp;l ie de saint Gwennolé^, oü le personnage principalnbsp;0’apparait, en quelque sorte, sur la scène que pournbsp;s’y mettre a genoux et entrer en oraison L Chaque fois
1. nbsp;nbsp;nbsp;Manuscrit de la collection Vallée.
2. nbsp;nbsp;nbsp;PuLliéo par Luzel, Quimper, 1889.
3. nbsp;nbsp;nbsp;Le penchant des Uretons a la genuflexion était déjii célèbrenbsp;'Tu moyen üge. (Cf. A. Jubinal, Mystères inédits du A'F* siècle,
I, p. 78.)
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que 1’occasion s’y prête, ce ne sont qne baptêmes avoc 7e Deum, pieux excrciccs scolaires avec recitations de fJornine labia, benedictions de manages,nbsp;ordinations de prètres, consecrations d’évêques etnbsp;même de papes, sermons — oh! sermons surtout —nbsp;émaillés de versets des évangiles ou des psaumes,nbsp;enterrements enfin et défilés de convois ftinèbres aunbsp;chant du Miserere. Tout Ie rituel et tout Ie cérémoiiialnbsp;de TÉglise y passent. Joignez qu’avant d'ouvrir lanbsp;representation les auteurs ont entonué en chceur Ienbsp;Veni Creator' et que Tépilogue termine par un signenbsp;de croix les considerations que l’on sait sur les redou-tables perspectives de la mort et de I’eternite.
La perpétuelle i)réoccupation de Ia mort achèvc de donner au theatre breton son veritable caractère.nbsp;Dans les mystères francais, la mort se montre a peine.nbsp;Ici, au contraire, olie se promène triomphalement iinbsp;travers Ie drame, quel qu’il soit, sous les traitsnbsp;de la personnification masculine quo nous connais-sons déja par Ie théatre cornique : VAnkou. Lenbsp;mystcre de la Création du monde^ nous fait assisternbsp;a sa naissance nu lendomain du péché d’Adam. Etnbsp;tout de suite elle se met en marche, armee d’unenbsp;pique, d’une lance ou d’une faux, selon les cas. Dieunbsp;lui a « formé un corps subtil et léger, capable de par-
1. nbsp;nbsp;nbsp;Lo prologue de la Création du Monde (ms. do ma collodion)nbsp;prie mftme les priHros présents .lu spedncle d’ontonnor riiyinne.nbsp;« Pour rondre gritoos ii Dieu avec lionnour, jo desire que l’onnbsp;cliante le Vent Creator : ainsi, ministres saints, je \oiis prie denbsp;coinraencer, et nous, petits et grands, nous vous donneronsnbsp;assistance. •
2. nbsp;nbsp;nbsp;Manuscrit de la collection Luzel, en ma possession.
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courir Tunivers en un clin d’oïil ct de voler sur mer öussi aisément que sur terre ». EUe va criant auxnbsp;oreilles du premier homme ce sinisirc refrain : Me eonbsp;o-rMaro!.... Me eo ar Maro!... (Je suis la Mort). Lors-qu’Eve est pour accoucher, elle s’assied a son clievet.nbsp;Sitót qu’Abel est tombé sous les coups de Caïn, ellenbsp;est debout auprès du cadavre. « Voici, proclame-t-elle, que j’ai abattu ma première victime, et il n’y anbsp;encore que quatre personnes au monde! J’ai encorenbsp;du loisir devant moi, mais un temps viendra oü jenbsp;ne connaitrai plus Ie repos. » Et Ie théatre breton,nbsp;en efïet, semblable en cela du moins a la vie, nousnbsp;la fait voir constamment a I’muvre. On peut dire qu’ilnbsp;retentit d’un bout a l’autre de ses menaces, qu’il estnbsp;rempli, hanté, obsédé de son spectre. C’est, je croisnbsp;bien, son originalité la plus saisissante, une origina-lité funeraire.
II est, cependant, un autrc trait par oü Ie mystère armoricain se distingue, mais a son désavantage, dunbsp;tnystère francais, et c’est la monotonie déclamatoircnbsp;de la forme. Lc hic pompabil magister de la Vie cor-niquo de saint Mériadek* pourrait ctre la devise denbsp;tous les personnages des pieces bretonnes. Ils sontnbsp;iiniversellemcnt atteints de la manie de la grandiloquence. Et je ne parle pas seulement des chefs d’em-ploi, d’un Arthur ou d’un Gralon, d’un Charlemagnenbsp;un d’un Antechrist, d’un Cognomcrus ou d’un comtenbsp;de Poitou, a qui une certaine siiblimité même un pen
1. Voir ci-dessus, p. H.'i.
27
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jliaise de laogage ne messiod peiit-être point. Mais les siibalternes, a leur tour, s’approprieat la redoiidantenbsp;phraséologio des maitres. Dans la Vie de saint Laurent par exemple, 1’ (( homme de chambre » et lanbsp;noiirrice s’expriment sur Ie mêmc ton que les princesnbsp;et les cardinaux. Tout so dit noblemeut et a grandnbsp;renfort do formules de politesse. Les me lio pet hum-blamant (Jevous prie liumblement) reviennenta toutnbsp;propos. Un oui, un non veulent ètre enveloppésnbsp;dans un amas de circonlocutions emphatiques. De lanbsp;quelque chose de lourd, de trainant, de compassé, denbsp;guindé, qui est dü, je pense, a l’iniitation des tragédies de collége, lelie que la pouvaient pratiquer desnbsp;paysans. Ces braves gens croyaient reproduire dansnbsp;lours ffiuvres villageoises Ie beau style et les grandesnbsp;manières des pieces fran§aises, alors qu’ils ne fai-saient que les parodier.
Cette emphase inhérente a la laugue des mystères bretons était encore aggravée, a la représeutation, parnbsp;la singularitc du débit. Les auteurs de Basse Bretagnenbsp;avaient, en efïet, adopté pour la declamation une sortenbsp;de récitatif pompeux et uniforme dont Ie rythme senbsp;déroulait, do quatro vers en quatre vers, en une phrasenbsp;mélodique toiijours la même oü la voix tantót montait,nbsp;tantót descendait, sans quel’accent de hauteur frappatnbsp;les mêmes syllabes que I’accent d’intensité. N. Quellien *nbsp;a public une notation mnsicale do cette mélopée dra-matique dont Tusage a persisté jusqu’a nos jours.nbsp;Dans les lectures de mystères qui se font encore, les
1. nbsp;nbsp;nbsp;Manuscrit de la collection Valléo.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Chansons et danses des Bretons, p. 271).
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LA COMPOSITION ET LA LANGDE.
soirs d’liiver, en certaines regions, I’on ne s’en départ jamais. Déconcertante au premier abord pour desnbsp;oreilles non averties, on finit par lui troiiver, on s’ynbsp;accoutumaiit, je ne sais qiielle majesté d’incantationnbsp;barbare. Faut-il voir dans cette fagoïi pen communenbsp;de déclamor Ie rcsultat d’une cspèco de predispositionnbsp;ataviqne analogue a celle que M. Hugo Schucliardtnbsp;s’est plu a signaler cliez les Gallois '? Ou bien, faut-il,nbsp;avec M. Le Goffic^, la considérer commc un ressou-venir des origines biératiques du drame et « une imitation non déguisée du plain-cliant remain »? Cenbsp;serait prêter a rire a M. Schuebardt lui-même, que denbsp;prendre pour autre chose qu’une boutade humo-ristiquo de Germain sa théorie d’un « burlementnbsp;rythmé » propre aux Celtes. L’hypothèse de M. Lenbsp;Goffic, plus sérieuse, me parait aussi plus fondee.nbsp;Non que le theatre eiit hérité cette mélopée « dunbsp;eboeur oü il est né », comme le dit M. Lc Goffle,nbsp;puisque nous savons cependant que cc théatre n’estnbsp;pas indigene et qu’il a été inspiré des mystèresnbsp;frangais longtemps après que eeux ei eurent rompunbsp;tout lien avec leur berceau sacré. Mais n’était-il pasnbsp;naturel que les acteurs bretons, si soucieux, nous lenbsp;verrons, de maintenir aux pièces qu’ils jouaient unnbsp;caractère essentiellement religieux, se fussent trouvésnbsp;Conduits a calquer autant que possible leur dictionnbsp;Sur les chants qu’ils entendaient ou memo qu’ilsnbsp;cntonnaient tons les dimanches a l’église? II est vrainbsp;tu’ils n’étaient pas moins préoccupés de copier le jeu
1. nbsp;nbsp;nbsp;Annales de Bretagne, t. 11, p. 305.
2. nbsp;nbsp;nbsp;L’dme bretonne, p. 272.
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des acteurs de college et d’imiter leur ronroniiement solcnuel ou, comme ils disaient, leur « cadence ».nbsp;Nous CU avons Ie témoiguage vingt fois répété : « Cenbsp;n’est pas chose facile de renconlrer dans les campagnes des acteurs bien styles {tut capabl) ayant asseznbsp;é-'adresse et cVéloquence pour rivaliser dans la dictionnbsp;des vers avec ceux qui ont étudié dans les colléges ' »;nbsp;OU encore : « Nous ne savons pas dóclamer {parlant)nbsp;ni régler nos pas selon les principes, comme font lesnbsp;jeunes clorcs qui ont étudié; nous sommes tous desnbsp;rustauds {grosserie?}), des gens de Ia campagne,nbsp;cnfants de laboureurs* ». Voila, si je ne me trompo,nbsp;des avcux suffisamment significatifs.
C’était de memo, a n’en pas douter, pour donner ii leur stylo Fair « académique ®», l’air francais, que lesnbsp;auteurs de mystèrcs bretons farcissaient éperdümentnbsp;leurs oeuvres de mots francais. Cctte contaminationnbsp;de la langue bretonne par Ie franpais avait certesnbsp;commencé longtemps avant eux, puisque dès Ienbsp;xi^-xiC siècle, nous l’avons vu, Ie francais était devenunbsp;rinstrument de la culture intellectuelle dans tout Ienbsp;pays brctoniiant. Mais ils se sont activcment employésnbsp;a la précipitcr et h rétendre. Sous ce rapport commenbsp;sous bcaucoup d’autres, Ie theatre a été l’agont leout-ctre lo plus puissant de Ia francisation en Basse-Bre-
1. nbsp;nbsp;nbsp;Par exemple dans la T'ie de sainle Anne, ms. de la Biblio-tlièque nationale, nquot; 17.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Myslére d’tiulogius, ms. de Ia Bibliothèque nationale, n°28,nbsp;prologue de la deuxième journée.
3. nbsp;nbsp;nbsp;L’autcur de la Vie de sainle Ti'yphine (ms. de la Biblio-tbèque de Quimper) s’excuse de n’avoir pas (luitté son villagenbsp;ni • appris en nulle facon nulle sorte A'académies ».
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tagne. Et ce caractcre n’est point spécial anx productions de ce théatre que Ie vicomte de la Villcmarqué, paree qu’il ne les trouve pas d’une antiquité asseznbsp;venerable, traite dédaigneusement de « pauvres imitations modernes * ». Le « Grand Mystère de Jésus »nbsp;lui-mème ne fait pas exception a la regie. Qu’on ennbsp;juge par cette strophe, la première du drame :
En die pep lieny Goelaff a devrynbsp;Nac eu mar fier.
Dre an compassion Ouz an passionnbsp;On roe deboner,
Sur trois substantifs et deux adjectifs qu’elle con-tient, il n’y en a pas un qui ne soit frangais. Quo main-tenant le vicomte do la Villemarquc traduise compassion par (( pitie », roe deboner par « bon Uoi » ct fier par « superbe », libre a lui, mais cela ne suffit pasnbsp;a donner le change. Comparons a cette strophe ennbsp;luoyen armoricain tel autre texte dc mystère en armo-ricain moderne, nous constaterons que la proportionnbsp;dcs mots frangais n’est guere plus considerable dansnbsp;CO dernier, si memo clle n’y est moindre. Prenons, parnbsp;exemple, les 22 premiers vers du fragment dc la Vienbsp;de sainle Tryphhie que nous avons déja eu occasionnbsp;de citer au chapitro IV, d’après un manuscrit de lanbsp;fin du xviii° siècle 3. Nous y relevmns les empruntsnbsp;suivants : c’hondission, ranconlris, orreur, faliquet,nbsp;dimezel, rentet, respont, reson, poent, hinterrojin,nbsp;‘‘naleur, responi, dous, minores, chenlil, miserabl,
1. nbsp;nbsp;nbsp;Legrand mi/stêre de Jésus, p. cxxxii.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Ge mot semijlc ètre le vieux francais a devis.
•1. Voir ci-dessus, p. IC'J.
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LE THEATRE CELTIQUE.
anvouy, hanleuvin, douttans, presans\ au total, 20 mots fraiigais en 22 vers do douze pieds, alors quonbsp;la strophe du « Grand Mystèrc do Jésus » on présentenbsp;ö on ü vers de six pieds. Le « langage incorrect etnbsp;d’un mélange amer » dont parle Brizeux nedoit donenbsp;pas être impute aux seuls auteurs dramatiques bre-tons du xvnquot; et du xviir siècle : ils ne faisaient,nbsp;somme toute, que se conformer a la tradition de leursnbsp;ainés. Puis, loin de se douter qu'ils corrompaientnbsp;ainsi leur idiomc, ils ctaient au contraire persuadésnbsp;quo, plus ils y introduisaient de mots frangais, plusnbsp;ils ajoutaient a son lustre. Ils estimaient avec leurnbsp;public que parler frangais en breton, comme faisaientnbsp;les gens instruits, dédaigneux du breton courant ou,nbsp;comme on disait, dn « langage naturel », était unnbsp;signe de haute culture, un brevet d’élégance et denbsp;distinction. Bref, ils avaient, si j’osc dire, le snobismenbsp;du frangais. De la cette profusion d’adverbes souventnbsp;distribués au hasard, les humblamant, les aniiera-manl, los pronlamant, les assuramanl, d’aucuns mêmenbsp;d’unc fabrication toute barbare, comme inlervalla-manl pour signifier « avec des intcrvalles ». De lanbsp;aussi les litanies de jurons frangais, alors que lenbsp;vocabulaire local en est pourtant si riche : jarni,nbsp;mogré^ morbleur, pulalele die. Parfois Tauteur, parnbsp;crainte de n’étre pas compris du vulgaire, ou pournbsp;faire étalage de sa science de lexicograplie, donne a lanbsp;suite du mot frangais son équivalent armoricain etnbsp;Pon a des locutions bizarres comme inconlmenl racialnbsp;OU néaninoins couscoude.
On congoit dès lors que des Bretons de marque, tels
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quc Guillaume Lc Jeanou de francs poèles do ter-roir, tels que Prosper Proux^ n’aient pas hésitó a qua-lifler de jargon la langue des mystèrcs. Mais cc serail une erreur de croiro cl ce serail nnc injuslice de direnbsp;que Pon ne rencontre dans ces compositions quc dunbsp;galimatias. Le vrai c’cst qu’elles n’ont gucre de pagenbsp;qui ne renfcrme nombre de détails interessants et, lcnbsp;jour oü Pon se mêlcra de dresser Pinventairc desnbsp;richesses de la langue bretonno, c’est dans leur textenbsp;que Pon trouvera le plus ii glaner. Aux passagesnbsp;comiques, aux scènes popiilaires, elles abondent ennbsp;vives expressions du cru. Les maximes, tesproverbesnbsp;pittoresques scraiont ii cueillir par centaines; et,nbsp;quoique noyés dans trop dc longueurs et de platitudes, les vers solides, les vers compacts, comme taillésnbsp;en plein granit armoricain, sont loin d’etre rares. Lenbsp;style, s’il manque de couleur, a Pordinairc, n’cstnbsp;cependant pas dépourvu d’images. « Je veux des biensnbsp;aussi vastos que la mer », s’écrie le comte de Poitou®.nbsp;« Ecoutcz le larron qui sermonne la poule », répoiidnbsp;fort joliment a Robert lc Diable, devenu Robert tenbsp;repenti, un de ses anciens bandits (jiPil essaio d’en-trainer dans sa conversion‘. 11 n'est pas jusqu’a Pari-
1. nbsp;nbsp;nbsp;Reciie cellii/ue, I. II, p. ü9.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Lcllro inódile ii Luzel, non datéc, pour le dissuader do fairenbsp;jouer un mystère broton au Congres coltique de 1807, ii Saint-brieuc. Au sentiment de 1'roux et de Le Jean on peul joindrenbsp;celui de .M'quot; Lc Jouliioux ijiii dit, en parlant de la langue desnbsp;pieces vannetaises ; « Ce mélange, contro le(iUPl on protestenbsp;avec succes de nos jours, n’inspire au philologue que du dégout. »nbsp;{bulletin de la Société archéoloyii/ue du Morbihan, 18ö8, p. 1.)
3. nbsp;nbsp;nbsp;Tragediën sant Guillarm condt deus a Poetou, p. 4.
4. nbsp;nbsp;nbsp;Vie de Robert le Diable, manusorit de la collection Vallée.
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LE THEATRE CELTIQUE.
dité des développemcnts théologiques, si fréquents dans les mystères consacrés a des Vies de person-nages pieux, qui ne s’égaie de temps a autre denbsp;quelque fraiche allegorie on de quelque gracieusenbsp;comparaison. C’est Ie cas, en particulier, pour lesnbsp;homélies de saint Garan, dont Ie caractère poótiqucnbsp;avait déja frappé Luzel. Mentionnons, par exemple,nbsp;ces paroles du saint prêcliant a ses disciples :
Voyez, quancl arrive Ie mois de mai, tont est riant dans un verger. Les arbres sont couverts de fleurs, toutesnbsp;admirables, selon leurs natures. Un coup de mauvaisnbsp;vent, hélas! survient; il assaille les fleurs comme lesnbsp;feuilles. Ainsi fait Ie diable qui ruine, nuit et jour, Ienbsp;verger de Dieu ‘.
Mais c'est surtout dans les visions d’éponvante et do mort que se déploient les ressources descrip livesnbsp;de la langue dos mystères bretons. Témoin ccttepein-ture de Christ en croix par laquelle s’ouvre Ie dramenbsp;do la Passion, dans nn manuscritde Frangois Dorrien,nbsp;et qui respire une énergie tout espagnolc, je ne saisnbsp;quelle violence de réalisme a la Goya :
Sur la croix étail attaché un homme, percé de coups... De ses mille blessures s’écbappaient des ruisseaux denbsp;sang. Sa bouclie était sèclie, ses yeux étaient dos. Sonnbsp;corps était tout couvert de cracliat, a, en être iinmondenbsp;ihudur). Sa chair en mille endroits était meurtrie outrenbsp;mesure. Son giron était plein de sang cimenté en un seulnbsp;bloc. Ses os qui saillaient de toutes parts étaient hideuxnbsp;a contempler. Ses bras étaient liés et cousus a son dos.nbsp;Ses entrailles étaient presque aussi dures que des pierres -.
1. nbsp;nbsp;nbsp;iManuscrit de ina collection, fquot; iöO.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Ms. de Ia Bibliothèquc nationale, fonds cellhpie, nquot; 13, UB.
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Avant de parler de la versification des mystères armoricains, il est, je crois, nécessaire de rappeler lesnbsp;principaux traits de l'ancienne métricfue bretonne *nbsp;dont c’est, au demeurant, chez leurs auteurs que l’onnbsp;surprendles premiers exemplcs. Cette métrique, on Ienbsp;sait, ne repose pas uniquement sur Ie nombre desnbsp;syllabes et sur la rime. Elle olïre cette particulariténbsp;curieuse de comporter, outre la rime finale, une rimenbsp;interne dont M. Loth formule ainsi la loi : « Dans Ienbsp;vers moyen-breton, la pénuUiènie n'me toujours avecnbsp;la coupe principale du vers, quand il n'y a qu’unenbsp;césure-, et, au moins anciennement, avec les deuxnbsp;coupes, s’il y en a deux : il peul y avoir d’autrcs rimesnbsp;internes^)).Les exigencesd’un pareil système n’étaientnbsp;pas sans compliquer beaucoup la versification et, sinbsp;elles mettaient un frein utile a la verve du poète, ellesnbsp;l’obligeaient aussi a des remplissages dont il se tiraitnbsp;trop souvent a l’aide de chevilles. Mais cette repetition d’un même son a I'interieur du vers no manquaitnbsp;pas non plus d’harmonie : accentuée par la recitationnbsp;abaute voix, elle donnaitau rytlime tantót une gracenbsp;plus nonchalante, tantót une rudesse plus ónergique,nbsp;et imprimait fortement les vers dans la mómoire dunbsp;spectateur. Les vers qui suivent, empruntés au Mys-tère de sainte Nonn (v. 809-814), suffiront a montrernbsp;en quoi consistait Ie mécanisme de la rime interne :
Oreza cza tut ma ty Tut a hiut a study
1. nbsp;nbsp;nbsp;Sur cette question voir les travaux de E. Ernault, Le myst'erenbsp;de sainte Barbe, p. vi-viii; Revue cellique, t. XIll, p. 228-247;nbsp;t- XXI,p. 404-411 etde J.Lotli,/ieawet.XXI,p. 203-230.
2. nbsp;nbsp;nbsp;La mélrique galloise, t. II, 2” portie, p. 200
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IJn soiirci/ am gruy bras Oz cleuei en bef-mannbsp;Ez duy sascun unan :nbsp;Causit breman an cas.
Les deux premiers vers contieiinent chacuii trois rimes intcrieures, les quatre autres en contiennentnbsp;chacun deux. Le principe de cette métrique savantcnbsp;qui remontait a l’époque oii Bretons d’Armoriquc etnbsp;de Grande-Bretague ne formaient qu’uii seul peuplenbsp;est observé rigourcusement ou pou s’en faut dans lanbsp;Vie de sainte Nonn, le Grand Mijslère de Jésus et lanbsp;Vie de sainle Barhe, c’est-a-dirc dans les trois ffiuvrcsnbsp;dramatiques bretonnos autlientiquement reconnucsnbsp;pour être antérieuros au xvii® siècle. II semble qu’onnbsp;1'ait abandonné du jour oii Finfluence de la tragédienbsp;classique frangaise commenga de se faire sentir ennbsp;Basse-Bretagne, sans qne Fon puisse prcciser a quellenbsp;époque, car le changement ne s’opéra pas d’un coup;nbsp;il y eut certainement une période de transition pendant laquellc les auteurs bretons, tout en adoptantnbsp;la forme frangaisc des alexandrins a rimes plates,nbsp;conlinuèrcnt de pratiquer le système de la rimenbsp;interne. Nous on avons la preuve dans la Vie denbsp;saint Guenolé dont un fragment a óté public dansnbsp;la Revue cellique par M. Le Nestour ’. Sur 210 versnbsp;que conti ent cc fragment, une dizaine au moinsnbsp;présentent des assonances intérieures disposées selonnbsp;les régies, et plusicurs autres en gardent des vestiges nettement marqués. II est a pcu pres sur qiic
1. Revue cellique, t. XV, p. 24.J-271.
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Ic principe de la rime interne était praliqué dans tonte 1’ocinTe primitive, bien que celle-ci fut écrite ennbsp;alexandrins a rimes plates.
Au point de vue du nombre des syllabes, la versi tication des mystères en moyen-breton présente unenbsp;variété qui ne se retrouve pas dans les mystères ennbsp;breton moderne. On peut y noter presque toutes lesnbsp;mesures de vers, depuis Ie vers de une et de deuxnbsp;syllabes jusqu’au vers de vingt syllabes, en passantnbsp;par les vers de cinq, de six, de sept, de buit, de dix,nbsp;de douze et de seize syllabes. 11 convient d’ajouternbsp;toutefois ()uc Ic vers qui domine est, comme dans lesnbsp;mystères francais, Ic vers octosyllabique; Ie versnbsp;décasyllabi(|ue, encore comme dans les mystèresnbsp;francais, est aussi d’un emploi Irès fréquent, et l’onnbsp;s’en sert également dans los memos circonstances,nbsp;c’est-a-diro pour les discours placés dans la bouclic denbsp;Dien OU des grands personnages. C’est en vers de dixnbsp;syllabes, par exemple, que Lazare raconte lesnbsp;souffrances des damnes dans l’enfer, quo Pilate prononce la sentence de mort contre Ie Christ et quenbsp;Jésus, ressuscité, proclame sa mission divine.
Les vers de seize et de vingt syllabes n’ont presque jamais que des rimes plates. Mais les vers de ciuq,nbsp;six, buit et dix syllabes sont organises en stroplicsnbsp;de six vers dont les rimes sont réparties suivant unnbsp;système a a ü, c c b. On sait que les mystères francais iisaient volontiers de ce genre de strophe : dansnbsp;les mystères bretons olie occiqie une place prépondé-rante, sinon exclusive, et communique au dialoguenbsp;line allure toute lyrique. Aux endroits oü Ie dialogue
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devient plus serré, on la coupe Ie plus souvent en deux demi strophes. Dans la Vie de sainte liarbe, unnbsp;ma§on et un aide-magon devisent ainsi :
AN EIL MECIIEROUR. Lest hoz saffar ha darbaret;nbsp;Ne ret en certere tra en bet,nbsp;En efïef ncmet quaquetal.
AN QUENTAFF DARBAREUR. Pe gounezet hu?/ ouz cr?alnbsp;Nac ober tom'nia?ii na sca?idal?nbsp;Pan dlehecb farczal evalhen
Signalons ici nne nouvelle regie qui venait encore compliquer la prosodie du moyen-breton, a savoirnbsp;que la finale des deux premiers vers d’unc strophenbsp;devait rimer avec l'avant-dernière syllabe du troisièmonbsp;vers, la finale du quatrième et du cinquièmevers avecnbsp;ravant-dernière syllabe du sixieme. G’est ainsi que,nbsp;dansla strophe ci-dessus, on a d’nne part darbarET etnbsp;6et rimant avec quaquETal, d’autrepart criALet scandALnbsp;rimant avec evALhen. De plus, la rime du dernier versnbsp;d’une strophe était ordinairement reprise par Ie premier vers de la strophe suivante, a moins que celle-cinbsp;ne commengat une autre scène. Les séries de versnbsp;raonorimes ne se rencontreiitguère qu’a letat d’excep-tion, encore se réduisent-elles a des quatrains au lieunbsp;de former des tirades comme dans les mystères fran-gais.
Le triomphe de la tragédie en France ent pour effet en Bretagne de modifier, non le fonds dramatique,
1. Le mystère de sainle Bavbe, slrojilie 77.
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mais les procédés de versincatioii. Tout Ie renouvel-lement coiisista dans la substitution du solennol alexandrin de tragédie a la cadence plus souple desnbsp;anciens rythmes. Seule, nous Tavons vu, la traditionnbsp;de la rime interne survécut quelque temps encore,nbsp;pour disparaitre probablement pen d’années aprèsnbsp;la réforme dite du Père Maunoir. Lc proprede cettenbsp;réforme, entreprise surtout dans un dessein de pro-pagande religieuse par un missionnairo vemi de lanbsp;Bretagne fran^aisc pour evangéliser la Bretagne bre-tonnante, fut d’abord d’introduire dans la languenbsp;bretonne un afflux énorme de mots francais, de rap-procher ensuite Ie breton écrit du breton parlé,nbsp;notamment par la transcription réguliere de toutesnbsp;les mutations des consonnes initiates, enfin d’abolirnbsp;la dernière originalité de la versification bretonne ennbsp;répandant parmi Ie pcnple des cantiqnes composesnbsp;uniquement d’après les formules fran^aiscs et d’oünbsp;la rime interne était, par conséquent, définitivementnbsp;exclue. Ce fut pour celle-ci Ie coup de grace, et il estnbsp;probable qu’a la mort du Père Maunoir, en 1G83, ellenbsp;n’était déja plus qu’un souvenir.
Même disparue, elle a cependant continué d’in-fluencer la versification des mystères en breton moderne, du moins pour co qui regarde la rimenbsp;finale. Cette rime finale, on a vu que les mystères ennbsp;moyen-breton ne s’en dispensaient pas. Seulement,nbsp;comme la rime interne faisait porter l’accent sur lanbsp;syllabe de la coupe et sur la pénultième, il en résultaitnbsp;que la syllabe de la rime finale n’était pas accentuée;nbsp;d’oü cette autre consequence que Ie poètc se contentait
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(Ie la rimo de la voyelle finale sans se préocciiper de la consoinie qui próccdait, ni même, souvent, de cellenbsp;qui suivait. Cctte négligenco dans Ie choix des rimesnbsp;finales, due originellement a l’importance des rimesnbsp;intéricuros, Ie maintien aussi de I’accentsur la pénul-tième, alors qu’en francais il frappe la dernière syllabenbsp;du vers, ce sont la des traits que les mystères bretonsnbsp;modernes ont gardés en commun avec leurs ainés.
Les differences principalcs, indépcudamment de la suppression de la rime interne, résident : 1° dansnbsp;1'abandon de la strophe; 2“ dans la reduction desnbsp;divers metres anciens a deux types, tous deux a rimesnbsp;plates, fun, Ie vers alexandrin, usité, en general,nbsp;pour Ie dialogue courant, l’autrc, lo vers de buitnbsp;syllabes, plus spéclalement réservé, semble-t-il, auxnbsp;scènes oü figurent Dien, les anges, les démons, en unnbsp;moties personnages surnaturels, mais sans que 1’onnbsp;puisse attribuer a cette classification une valeurnbsp;absolue; car il n’est pas rare qn’elle soit contreditenbsp;par les faits. Dans la Créalion du Monde ‘, par example,nbsp;Dieu Ie Père s’exprime sans cesse en alexandrins etnbsp;les deux jardiniers du pape, dans la Vie de sainlnbsp;Laurent s’oublient de temps a autre ,'i discourir ennbsp;vers de buit syllabes. On ne saurait done établir a eetnbsp;égard aucune régie fixe, étant donne surtout lesnbsp;séries de remaniements par lesquels ont dü passer lesnbsp;manuscrits. II y a telle pièco, comme Ie Jugemenlnbsp;dernier^, oü c’est Ie vers octosyllabique qui domine,
1. nbsp;nbsp;nbsp;Jlanuscrit (3e ma collection.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Jlanuscrit de la collection Vallée.
3. nbsp;nbsp;nbsp;hl.
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tello aiitrc qiii, commc Les qualre fils Aymon est tout entière composée on alexandrins. II ne seraitpasnbsp;exact non plus de prétendre que rélémont lyriquo soitnbsp;complètement absent des mystères en brcton moderne.nbsp;On l’y trouvo, en efïet, tantót sous la forme de chansons populaires, comme les couplets des magons dansnbsp;Sainte Tryphine ® oii ceux de l’aide jardinier dans lanbsp;Vie de saint Laurent, tantót sous la forme d’hymnesnbsp;d’Ég-lise, comme la paraphrase de ï/sle confessor surnbsp;laquelle fmit la première joiirnée de la Vie de saintnbsp;Pierre Le chant occiipait, d’ailleurs, line placenbsp;considérable dans les mystères bretons, tant los plusnbsp;anciens que les plus récents. A en juger par les indications scéniques quo l’on rclève dans nombre denbsp;manuscrits, les prières, les invocations, les entretiensnbsp;avec les puissances celestes devaient être chantés.nbsp;Acteurs et public satisfaisaient pcut-être ainsi unnbsp;penchant héréditaire, la passion innée de la miisique,nbsp;si fervente toiijours au Pays de Galles, et qui fit aunbsp;moyen age la fortune des lais bretons. Mais cette profusion de chants avait surtout pour objet d’accentuernbsp;encore le caractère liturgique du drame, d’affirmernbsp;1’étroite parente de la scène avec l’Eglise, a qui lanbsp;plupart des airs élaient empruntés.
1. nbsp;nbsp;nbsp;Manuscrit de la collection Vallée.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Edition Luzel, p. 02-00.
3. nbsp;nbsp;nbsp;Manuscrit de la Lildiotlicque de Quiniper.
-ocr page 448-Après avoir étudió les oeuvres, il nous reste a parler des auteurs et des interprètes. Nous avons vu quo lesnbsp;copistes de mystères bretons ne se faisaient pas fautcnbsp;d’apposer leur signature au bas de leur tache, d’abordnbsp;paree qu’a leurs yeux cc n’était pas une gloirenbsp;mediocre de l’avoir entreprise, et ensuite pour que Ienbsp;fruit de leurs veilles demeurat revêtu de leur sceau denbsp;propriété. G’est, en revanche, un souci qui nenbsp;semblepas avoir banté les auteurs véritables. Commenbsp;les artisans anonymes de nos chapelles et de nosnbsp;cathédrales, ils se sont contentés de nous léguer leurnbsp;oeuvre, sans se préoccuperde nous fournir Ie moindrenbsp;renseignement sur leur personnalité. Quels ils furent
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et a quelle categorie sociale ils aiipartenaient, la plupart ont négligé de nous l’apprendre.
Aussi l’agréable imagination de Souvestre a-t elle eu beau jen pour suppleer a leur silence. Un des cha-pitres les plus attacliaiits de son livre ‘ met en scènenbsp;deux de ces poctes qu’il nous représente attablés, parnbsp;line froide soiree d’hiver de Fan de grace 1530, dansnbsp;nnc taverne de Loudéac, a 1’enseigne dc La Résurrec-lion du Satweur. Le premier, lan Abalen, un Léo-nard, de son métier v fourbisseur d’armes », est Fau-teur (( du fameux drame des Qualre fits Aijmon »; lenbsp;second, ïanguy, un Cornouaillais ou, pourparlernbsp;comme Souvestre, un Kernewole^ venu a Loudéacnbsp;pour s’inltier dans Fart du typographe, est Fautenrnbsp;de la tragédie de Sainte Triffmc dont, a la prière denbsp;l’assistance, il déclame les passages los plus mar-quants. Cette espècc de restitution pseudo-liistorique,nbsp;a la manicre dc Walter Scott, est fort joliment menée,nbsp;bien qu’il ne soit que trop facile d’y noter de gravesnbsp;invraisemblances : c’était, par example, une idéénbsp;malcncontreuse, voulant produire des auteurs-typosnbsp;de mystères, d’aller précisément les prendre dans cesnbsp;pays du Léon et de la Cornouaille, les seuls oü la lit-térature des mystères n’ait pas laissé dc traces, a sup-poser qu’elle y ait fleuri; une autre idéé plus facheusenbsp;encore était de clioisir Loudéac, ville toute fran(,;aise,nbsp;située en plein terroir gallo, pour en faire un foyernbsp;de lumières bretonnes et le lieu de rendez-vous desnbsp;écrivains bretons. Mais notrctache n’est point decor-
1. Les derniers Bretons, t. II, p. (il-i08.
28
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riger les fantaisies du romancier. L’essentiel est qiie l’on sache que Tanguy, que lan Abalen sont de pursnbsp;héros de roman : les noms que leur prête Souvestrenbsp;sont arbitraires, comme les portraits qu’il nous ennbsp;trace sont fictifs. Tout ce que Ton peut dire de certainnbsp;sur Tauteur de Sainte Tryphine, c’est qu’en lö30 ilnbsp;etait encore a naitre.
Non, les premiers auteurs de mystères armoricains n’ont été, selon toute apparence, ni des élèves typo-graphes ni des fourhisseurs d’armes, mais bien denbsp;paciliques membres du clergé, comme en Cornouaillenbsp;anglaise, comme en France, comme dans toute 1’Eu-rope occidentale. C’est a un prêtre, leP. Mésanstourm,nbsp;que Ton attribue* Ie mystcre de la Deslruclion denbsp;Jerusalem. Ce fut un prêtre, Tanguy Guéguen, qui ennbsp;1622 « corrigea et amenda » pour Ie libraire morlai-sien George Alliennc lo mystcre de La Passion et de Innbsp;Resurrection édité d'abord par Yves Quillevéré, et dontnbsp;il n’est pas defendu do croire, avec Ie vicomte de Lanbsp;Villemarqué, que Tauteur fut ógalement un prêtre “.nbsp;C’est a un prêtre enfin, Ie cure Sanson, que Ton doitnbsp;unc « tragédie » vannetaise de La Passion^, dont lanbsp;date (1787) prouve assez que Ie clergé breton ne senbsp;désintéressa jamais complètement des entreprises drama tiques.
La même oü, sur les injonctions des évêques, il fei-gnit de se désintéresscr du theatre local jusqu’a Ie
1. nbsp;nbsp;nbsp;Note inédite de Luzcl, dans son journal de voyage ; « Lenbsp;père Mésanstourm, auteur de la Destruction de Jerusalem parnbsp;Titus (mystèro breton), était, dit-on, de Lanhouarneau ».
2. nbsp;nbsp;nbsp;Le rjrand mystère de 'Je'sus, p. v-vi.
3. nbsp;nbsp;nbsp;Revue celtique, t. XXllI, p. 93.
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proscrire, les contiiiuateurs de la tradition qu'il avail inaugiiree se recrutèrentencore pour la plupart sinonnbsp;dans ses raiigs, du moins dans son entourage. 11 nenbsp;parait pas douteux, en effet, que presque tons lesnbsp;auteurs profanes de mystcres armoricains out appar-tenu a cette classe de personnes que Ic pcuplc desi-gnait communement par lo nom de doer (clercs) etnbsp;qu’il dcilnissait fort Lien en les appelant des « prêtresnbsp;nianqués ». On sail c[ue les formes de civilisation lesnbsp;plus surannees se conservent intactes en Bretagne :nbsp;j’ai connii, dans mon enfance, de ces doer. C’étaientnbsp;de petits proprietaires ruraux, voire de simples fer-tniers. Rien ne les distinguait de I’ordinairc desnbsp;paysans, si ce n’est qu’ils avaient peut-être un extérieur plus soigne, un langage plus clioisi, lleurinbsp;inême, volontiers émaillé de locutions franpaises, desnbsp;manières enfin et des gestes qui se sentaient d’unenbsp;ancienne education cléricale. Dans leur adolescence,nbsp;ils avaient, comme on disait, « étudió pour tlcvenirnbsp;prêtres »; on ne concevaitpas, en Bretagne, qu’on pütnbsp;éludier pour une autre tin. Done, sur leurquatorzième,nbsp;leur seizième et souvent leur dix luiitième année, onnbsp;les avait acheminés vers Ie collége Ie plus voisin.nbsp;Henan, qui eut des centaines d’entre eux pour con-disciples, los compare a des mastodontes faisantnbsp;leurs liumanités. « Le latin, dit-il, produisait sur cesnbsp;•latures fortes des efïets étranges. Ils prenaient toutnbsp;Qu sérieux, ainsi que font los Lapons quand on leurnbsp;doune la Bible a lire*. )) Venus tarda la culture, beau-
1. Souvenirs d’enfance et de jeunesse, p. 137.
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coup se décourageaient aprcs les premières étapcs ou bicn claient dissuadés par leurs maitrcs de poursuivre.nbsp;Bcaucoup aussi gardaicnt la nostalgie des champsnbsp;paternels, d’autres nostalgies encore, plus aiguësnbsp;et plus pénétrantes : la chanson populaire hro-tonne retentit saus cesse de la plainte passionnée desnbsp;cloëi' a qui Ie bruit lointain des rouets de leursnbsp;(( douces » óte toute envie d’étudier.
llendus a la vie commune, ils ne se confondaient, pourtant pas dans la masse. La designation de cloarcenbsp;restait attachce a leur nom comme un signo denbsp;noblesse; on disait : r.loarec Javré, cloarec Lampaul,nbsp;cloarce Laoudour. Dans leur milieu campagnard ilsnbsp;passaient pour des savants on — ce qui était tout unnbsp;¦— pour des sorciers. N’avaient-ils pas cté sur la voienbsp;de la prêtrise et n’étaient-ils pas versés en Tart denbsp;déchiffrer les grimoires la tins! Eux-mêmes, pour s’ètrenbsp;frottés aux lettres, inclinaient a so croire des lettrés,nbsp;et, comme la seule littérature oii ils pussent fairenbsp;montre de leurs prestiges les plus brillants était cellenbsp;des mystères, ils s’y consacraient avec d’autant plusnbsp;de gout que ce qu’ils avaient Ie mieux retenu de leursnbsp;années de college, c’était Ie souvenir des spectacles quenbsp;l’on y donnait.
L’histoire de cc théalre scolaire dont l’influence nous l’avons constaté, fut si grande sur les destinéesnbsp;de la scène bretonne, nous est malhoureusemcnt peunbsp;connue. C’est a peine s’il a survécu quelquos litres denbsp;pieces comme Ménalque *, « pastorale en musique »
1. J. Allaiiic, Histoire du collOge dc Vaniies, Annales de Bre-
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jouée au collége de Vannes en 1088, comme diéaor « OU rinnoccnce accablée* », jouée au collége donbsp;Saint Brieuc vers 1630. Maisiln'y avait pas enBasse-Bretngnede collége ou les representations drama tiqncsnbsp;no fussent en honnour. Quimper avait les sionnes®;nbsp;a Saint-Pol, on y conviait Ic public deux fois l’an,nbsp;« pour la fète de l’établissement et la veille de Ia distribution des recompenses® »; a ïréguier, la traditionnbsp;ü’en est pas encore éteinto Que los cloëi' n’assistaientnbsp;pas aces jeux en spectatcurs seulcment, mais qii’ils ynbsp;prenaient une part active, cela nous est attestó parnbsp;un mémoiro do 1763 relatif au collége do Saint-Pol;nbsp;aprés nous avoir dépeint l’ardeur au travail des éco-liers paysans qui, sitót munis de livres et de cahiers,nbsp;« semblent plus les dévorer pour ainsi parlor que lesnbsp;lire », 1’auteur, continuant l’énumération de leursnbsp;qualités, ajoute : « On est meme surpris de les voir senbsp;présenter si bien sur lo théatre, mais il est certain
idfine, t. XVIII, p. 74. — Les écolicrs do V.mncs, mis en goüt Pnr les représentalions du collèg-e, prétondaient inêrue « entrernbsp;¦Vins i)aier iï Ia comédio «, inenacant, si on ne les acceptait,nbsp;“ de mallraiter les comédiens... et de forcer les portes ». (Bulletinnbsp;o-rchéoloi/ique de L’Association bretonne, 18Ö9, p. 24.)
1. nbsp;nbsp;nbsp;Note manuscrite communiquée a Lnzel par Du Glcuziounbsp;et relevée par lui sur Ia couverture d’un registre de baptême iinbsp;Erqu)'. — S. Kopartz (Etudes sur quelques ouvrages rares etnbsp;peil connus, p. 30-44) inentionne un clianoine de Saint-Brieuc,nbsp;Prancois AullTay, dit aussi AulITay 1’luduno, qui fit jouer anbsp;Paris, en 1014, une pièce intitulée : « Zoanlhropie, ou Vie denbsp;l'liomme, tragi-comédie morale, cnibellie do fcintes appropriéesnbsp;au sujet
2. nbsp;nbsp;nbsp;Cli. Fierville, tlistoii’e du collége de Quimper, p. 81.
3. nbsp;nbsp;nbsp;Bulletin arc/iéologique de l’Association bretonne, 1888, p. 103.
4. nbsp;nbsp;nbsp;J’y ai assisté a la representation d’une Sainte Clotilde ennbsp;Ii'ancais, un jour do distribution des prix. La pièce était d’unnbsp;professeur de rétablissement.
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qil’ils y ont toujoiirs bien parii taut, pour I’ajiisto quo pour la declamation et la danse ». L’imagc de cesnbsp;journees inoubliables suivait les cJoi’V an fond denbsp;leurs retraites rustiques : et, ayant si honorablementnbsp;figure dans des tragédies frangaises dont les rolesnbsp;leur chantaient encore dans la memoire, ils étaicnt toutnbsp;naturcllement portés a en composer d’analogucs ennbsp;breton, no fiit-ce quepour leur propro satisfaction etnbsp;.pour le divertissement des gens de leur quartier.
Mais un autre sentiment lesypoussait. Ces «prêtres manqués a étaient, par leurs tendances profondes,nbsp;demeures d’Eglise. Laiqucs mal résignés en qui per-sistait un caractere semi sacerdotal, ils tronvaientnbsp;dans les mystercs une occasion d’officicr en quolqnenbsp;sorte, de célèbrer une fagon de messe ecrite et de donnernbsp;libre cours, si j’osc dire, a leurs sermons rentrés. Lenbsp;theatre leur apparaissait commc un prolongement denbsp;la chairc, ayant le memo objet et presque la memonbsp;efficace : en y vaquant ils estimaiont ([ii’ils accomplis-salent une oeuvre utile an bien de la religion dont ilsnbsp;so consldéraient comme des especes de ministresnbsp;supplementaires, charges de contribucr au salut desnbsp;ames par la glorification do Dieu, de la Vierge et desnbsp;Saints. Nous avoirs un temoignage cxplicite de 1’espritnbsp;qui les animait dans cette déclaration de I’un d’cux,nbsp;le seul, a ma connaissance, qui nous ait transmisnbsp;son nom :
n y a beaucoup cle saints qui ont lours vies rimóes en breton. Seul saint Pierre (faisait exception)... jusqu’a cesnbsp;derniers temps ou I’envie nous a pris de rimer sa vie en
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breton... Un grand nombre d’églises sont dédiées a saint Pierre... Or quanlité de gens ignorent quels tourmentsnbsp;saint Pierre a soulTerts... Nous avons done été dansnbsp;1’obligation de nous résigner a écrire son Ilistoire onnbsp;langage naturel. L’auteur, lleni’y Congar, de la paroisse donbsp;Servel, prie humblement quiconque lira son ceuvronbsp;d’excuser les I'autes que contiennent ses vers
C’est miiquemcnt, on le volt, pour s’acquitter d’une fonction pieuse que Henry Congar s’est impose clenbsp;prendre la plume et de vaincrc sa repugnance donbsp;mandarin do village pour le « langage naturel » quinbsp;n’est autre, notez-le, que sa langue maternelle, lonbsp;breton.
A cote des doer il convient de faire une place aux maitres d’ecole qui comptent parmi les auteurs denbsp;mysteres an moins deux represehtants. Le premier,nbsp;(( Maitre Pierre Le Bruno, mattre d’ecole en sa maisonnbsp;an Vieux-Marché de Plouaret », est I’anteur d’une Vienbsp;des quatre fils Aymon^ a traduitc de franf.ais en breton )), a ce que nous apprend le copiste Etienne Lenbsp;Bourdonnec qui fait suivre cette indication en frangaisnbsp;de cette note on breton ; « Tirée avec approbation donbsp;Monsieur le Chancelier d’un livre intilulé Les Quatrenbsp;fils d’Aymon qu’il est permis de réimprimer ct onnbsp;frangais ct en breton. A Paris, le2G juin 1737. Signe :nbsp;Clcrier ». Le second, Jean-Marie Martin, ancien insti-tutcur de Tonquedec, est l’auteur de la Vie de sainlenbsp;Ilélène qui a servi a 1’établissement du texteimprimé
1. nbsp;nbsp;nbsp;Vie de saint Pierre et saint Paul, ms. do In Bibliothèquc denbsp;Quimper.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Ms. de !a Bibliolhèque do Quimper.
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chez Lc GofTic'. A jnger par ces deux cxemples, ou serail, resemble, fondé a dire que les pieces d’inspi-ration romanesque rentraient dans la spécialité denbsp;ces humbles magisters do campagne. Mais ce serailnbsp;une grande erreiir de s'imaginer que tous les auteursnbsp;de mystcrcs appartenaient nécossairemcnt a Tune desnbsp;trois categories que nous venons de signaler. Ennbsp;these générale il serail mème plus exact de prétendronbsp;qu’11 n’y out guère, au moins dans lc Trégorrois etnbsp;peut-être dans Ie Vannetals, de laboureur ni d’hommenbsp;de métier, sachant tenir une plume, (jue ne travaillatnbsp;a quelque degró la fureur salnte de composer desnbsp;pieces de theatre on de remanier, sous prétexte de lesnbsp;transcrlre, des pieces déja composées-. Tons n’atten-daient pas d’avoir atteint l’age d’homme pour fairenbsp;cenvre de dramaturges, ainsi qu’on en peut juger parnbsp;les vers suivauts que j’cxtrais d’uu prologue de Louisnbsp;L'umiis rolié sous la mème couverture que Ie mystèrenbsp;de Coguomerus et sainte Tryphine^.
Celto )iistoirp-ci n’a jamais élé rapportce de la facon qu’elle Test aujourd’liui, rexpéricnce Ie fera voir; carnbsp;partout elle était autrefois cliargée do fautes. Aujourd’liuinbsp;elle est corrigée en bien des manières par un jeunenbsp;auteur (oteur) sans grand esprit; avoc [lelne et ennui
1. nbsp;nbsp;nbsp;Ituez santez Helena, Lannuon, 1802. — Je dois u l’obUgoancenbsp;(Ie M. Optat Martin d’avoir pu coiilröler ridentité du nianuscrit,nbsp;(Ifi il la plume de son père, avec Ie texte imprimd.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Un arriH du Parlement de llretagne (série li, Grand’Chamlire,nbsp;minutes d’arréts sur remontrances), ii la date du 11) oetobre 1711,nbsp;porte : « Quclques habitants des villages de la campagne ontnbsp;compose des espèces de tragi’dies en bas-breton.... »
3. nbsp;nbsp;nbsp;Ms. de la Bibliotbèque nationale, fonds celtique. nquot; 31).
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I’annce .passée, ii l’a arrangée selon sa fanlaisie, afin qu’elle soit plus ample et plus facilement comprélien-sible a chacun. Celui qui l’a versiüée a nouveau {kad-verset), autrement qu’ello n’était, est un liomine do dix-huit ans, de Hréliec en Ploulia, paree qu’il avait vunbsp;1’liistoire en francais.
Lo soul auteur de mystères bretons qui nous nit fait des confidences un peu détaillées, nous permettantnbsp;de nous représentcr d’aprcs lui l'état d'ame de sesnbsp;pareils, Ji’était ni un prêtre, ui un maitre d ecole,nbsp;mais un pauvre tisserand de Ploumilliau dont nousnbsp;avons déjii rencontré Ie nom it mainte reprise, Jeannbsp;Conan.
Los ronseignements manuscrits, en vers, qu’il nous a laisscs sur sa personne et sur sa vic nous font con-naitre qu’il naquit en 17öö, it Saintc-Croix de Guin-gamp. Nous avons vu quo ce faubourg guingampais,nbsp;aujourd’bui .si miserable, fut jadis un des centresnbsp;importants de la fabrication des toilos en Bretagne.nbsp;Les premiers sommeils de Conan duront êtro bercésnbsp;au bruit de la navette paternelle. II ne nous dit riennbsp;do son cnfancc. A dix-bnit ans nous Ie retrouvons iinbsp;l’abbaye de Beauport. Se proposait-on de faire de iuinbsp;un moine ou un frère convers? II se peut; mais Ienbsp;plus probable est qu’il remplissait les functions d'unnbsp;domestique, car il parle de l’argent qu’il gagnait,nbsp;ft Icqucl était court et mince », et qu’il employait tontnbsp;entior ii des achats do livres « pour so mettre l’espritnbsp;il la torture ». II passait les units ii lire, « sans dor-mir )), si bien que les Pères, ernignant qu’il n’y laissatnbsp;la vue, Ie forcèrent « de prendre des lunettes a.
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Quant au genre de culture qu’il se donna de la sorte, volei comment il Ie caractérise lui-même :
Après avoir lu les livres de la Loi, il coinmenga ensuite ü lire l’écriture des dzahles. A la fin, il découvrit Ie livrenbsp;de 1’Alibardon ; ce fut dans celui-la qu’il puisa d'unnbsp;bout a l’autre sa science
Rcsta-t-il a Beauport jusqu’au moment de la dispersion des moines sous la Révolution, c’est cc qu’il ne nous dit pas; quand il nous reparle de lui, il estnbsp;tisserand au convenant Kérautret, dans la communenbsp;de ïrédrez et compte soixante-quinze ans révolus,nbsp;ce qui ne rempêchc pas de se sentir tout gaillard encorenbsp;et de s’indigner qu’on ne veuille pas de lui dans lanbsp;Garde nationale. « Je suis toujours homme, s’écrie-t-il, a coucher par terre plus jeune que moi! » Et ilnbsp;se promet d’aller trouver Ie mairo et Ie recteur pournbsp;obtenir d’etre enrólé :
Je leur dirai que, si je ne leur parais pas bon a faire un général, ils me donnent du moins Ie grade de caporal,nbsp;de capitainc ou de porte-enseigne; au besoin je me con-tenterai d’être tambour. Le moment venu pour les autresnbsp;de partir, si l’on ne m’admet pas dans la Gai’de nationale, je ferai ma pacoiiUe pour m’en aller aussi... Jenbsp;lèverai un régiment des plus beaux corps qui soient, faus-saires, déplanteurs de croix, larrons etvoleurs, chenapansnbsp;excommuniés, échappés des galères et violeurs de filles,nbsp;blasphémateurs, ivrognes, toute la séquelle des gensnbsp;exécrables je serai leur chef et les paierai bien; et,
1. nbsp;nbsp;nbsp;Sainte Genevieve de Brabant, ms. de Ia Bibliotlièque nationale, nquot; 24, p. 28ïi.
2. nbsp;nbsp;nbsp;hl., ibid.
3. nbsp;nbsp;nbsp;C’est une reminiscence de la Vie de Louis Eunius qui revientnbsp;ici il l’esprit du vieux Gonan. Cf. plus haut, p. 353.
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pour ünii', j'embaucherai comnie officiers les vieux gen-tilshommes et les prêtres
Soyez tranquille : sa colère aiiisi exhalée en des vers oü il y a plus d’iiumour que d’hnmeur, il retournenbsp;paisiblement a ses livres. Les livres furent rimiquenbsp;passion do sa vie. Sitót, nous dit-il, qu’il on cntendaitnbsp;signaler un dans Ie pays, il était pris do rirrcsistiblonbsp;curiositó de lo voir, et il avait toujours été Ie memonbsp;(( depuis sa naissance ». D’autrepart il ne lui on tom-bait pas un sous les yeux qu’il n’éprouvat un besoinnbsp;non moins irresistible de Ie traduire, et dd lo traduirenbsp;on vers, car, lui aussi, tont ce qu’il ossayait d’écrirenbsp;devenait des vers. « Ce pauvre vieux, déclare-t-il, estnbsp;jaloux de toutes les écrïtures : je me demande comment il fera lorsqu’il sera mort^. )) N’ayant que sonnbsp;métier pour vivrc et nourrir sa familie, tout Ic jour ilnbsp;tissait de la toile; la nuit venue, il s’installait pournbsp;écrire « a la lueur de la chandelle » jusqu’a I’lieuro oünbsp;il allait sc coucher. « Mon pcre ne dormait pas )), disaitnbsp;son fils a LuzeP. A soixante-seize ans, « les cheveuxnbsp;blancs comme lo lin et Ia main tremblante », il écri-vait encore, en so jurant toutefois qu’il accomplissaitnbsp;sadernière tache et qu’il « n’omploierait plus ui encro
1. nbsp;nbsp;nbsp;Feuilicts iiianuscrits de In collection Luzel, en ina possession, p. 1-2. C’est une copie qu'un correspondent anonyme avaitnbsp;faite pour Luzel do la preface et de la postface de la traductionnbsp;liretonne par Jean Conan do Le Bouquet sacré compose cles rosesnbsp;du Calvaire, des lys de Bethleem, des jacintes d’Olwet ct denbsp;plusieurs autres races et belles pensées de la Tei-re Saincte, parnbsp;le li.-P. Boucher, mineur observantin. Rouen, 1075.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Sainte GenevUve de Brabant, p. 285.
3. nbsp;nbsp;nbsp;Notes manuscrites de voyage.
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LE THEATJSE CELTIQUE.
iii papier )). II achevait alors do mettre en vers bre-tons lo Bouquet saeré du R. P. Bouclier, traduction a laquclle il estimait qu’en sopt ans il avait donuénbsp;un nombre d'heures équivalant a dix mois de travailnbsp;ininterrompu. Sou poèmc avait 414 pages et compor-tait, au tómoignage cl’un correspondant de Luzel, unnbsp;total minimum de 8 280 vers. « Toutcs les units, ditnbsp;Conan, j’avais sept sortes de langagos a dcchiffrcr,nbsp;fran(;ais, grec, turc, italien, arabe, moresque et chal-déen, — si bien qu’il me fallait priser du tabac pournbsp;me tenir en cveil » Avec quelle angoisse nóanmoinsnbsp;il se séparait de ce dernier-né de sa plume!
Mon Dieu! Mon Uiou ! queferai-je maintenanl? Commo je vais m’ennuyer qiiand je ne pourrai plus écrire! L'agenbsp;m’a si alïaibli que mes doigls ne m’obéissent plus. J’en ainbsp;Ie coeur navré de regret
De Ie voir écrivailler de la sorte saus relache, au lieu de se reposer comme tout Ie monde, sa journée tinie,nbsp;les voisins n’étaient pas éloignés de lui croire Icnbsp;timbre un peu fêlé; mais ni leurs souriros ni leursnbsp;sarcasmes n’ótaient pour troubler Conan :
Beaucoup prétendent que je suis fou, mais je ne les crois point; car e’est Dieu qui, par sa grace, m’a inspirenbsp;de rcnouveler les vieilles histoires de ses serviteurs. S’ilnbsp;n'y avait des fous de mon espèce, on ne parlerait jamaisnbsp;de ces vieux saints, et moi j’ai toujours été jalousementnbsp;épris de l’Écriture, des patriarclies, des prophètes, gensnbsp;savants et sages. Libre a chacun d’agir a sa guise... Tant
t. Feuillets manuscrits, p. 5. 2. Id.
i
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que Dieu m’accordera vie et santé, je continuerai comme j'ai commencé. J’aurai la consolation, en quittant cenbsp;monde, que mon nom me survivra plus de cent ans ’ 1
Pourquoi iie dirais-je pas qu’en écrivant ces lignes j’ai plaisir a soiiger qu’en effet cette consolation nenbsp;lui aura pas été refusée? Mais, malgré ce naïf soucinbsp;d’une gloire postliume, c’était moins de la terre quenbsp;du del qu’il atlendait la récoinpense de son opiniatrenbsp;labeur :
Hélas! Hélas a moi! Je serai bien chétif et misérable, et couvert de confusion, en arrivant devant mon Juge. Sinbsp;je n’ai Ie bonlieur d’etre protégé, je me verrai malheu-reusement au rang des réprouvés. Mais j’espère en lanbsp;Vierge, en sa mère sainte Anne; les Palriarches et lesnbsp;Prophètes me prêteront assistance, puisque je me suisnbsp;attaché a renouvelcr Icurs vertus, et ils ne m’oublierontnbsp;pas a riieure de ma mort. Et toi, amij lecteur, quand lunbsp;apprendras ma mort, aie souvenir de moi dans tesnbsp;prières; prie Dieu d’avoir compassion de mon ame et, sinbsp;j’ai ma place dans Ie ciel, je prierai pour toi a monnbsp;tour
Ce furent la ses adieux. II mourut a Ploumilliau, peu après, « pauvre toujours, mais sans avoir connunbsp;Ie besoin, Dieu merci ^ », et laissant ses quatre enfantsnbsp;en age et en état de gagner leur pain. Pour heritage,nbsp;dit Luzel, il leur lóguait, outre son métier a tisser, unnbsp;bahut plein de manuscrits, avec la recommanda-tion expresse de ne se jamais défoire de ces papiers,
1. nbsp;nbsp;nbsp;Feiiillcls manuscrits, p. 1.
2. nbsp;nbsp;nbsp;ld., p. 5-0.
3. nbsp;nbsp;nbsp;Sainle Genevieve de Brabant, p. 283-280.
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« toute son étude ». Nous avons vu comment, unc année de disctte, ils furent, hélas! contraiiits de lesnbsp;vendre pour (luelquc monnaie, et 1’ « etude » du pèrenbsp;Conaa s’en alia en cornets a tabac- Un des rares debrisnbsp;qui en aient subsisté est une Sainlc Genevièoe de Brabant déja mentionnée dans un précédent chapitre. Sinbsp;nous y revenons, ce n’est pas pour sa valcur intrin-sèquc, qui n’est ni plus ni moins grande que cello desnbsp;autres versions do la même bistoirc; mais elle présente cette originalité unique de nous révélcr l’auteurnbsp;dans l’oeuvre, de nous initier aux impressions quenbsp;suscitait en lui sa taclie, de nous lo montrcr vivantnbsp;sa piece au fur et a mosure qu’il la composait. Denbsp;place en place, en elïet, Conan interrompt la marclienbsp;du drame pour se livrer a des reflexions personnelles,nbsp;en vers, qu’afin d’éviter toute confusion il a soinnbsp;d’écrire sur une série de traits horizontaux a l’encre,nbsp;analogue a une portéc de musique. II n’est pas sansnbsp;intérêt de jeter un coup d'ceil sur ce journal d’unnbsp;poète bas-breton. Je laisse, il va sans dire, auxnbsp;extraits suivants leur ordre, ou plutot leur décousu :
Déballe done, vieux Conan, toute ton attention pour rimer cette vie ii la perfection, et lu auras pour ta peine,nbsp;quand tu t’cn iras de ce monde, la benediction de saintenbsp;Genevieve... Or gii, Conan, il est temps que tu rimes, si tunbsp;veux que cette noce soit bientót célébrée '... Ici tu aurasnbsp;de quoi faire, pauvre clierConan, pour décrirela guerre^nbsp;avec tes seuls moyens... Je ne fais rien de bon en écri-vant ce passage, tellement les mouches et les puces me
1. nbsp;nbsp;nbsp;II s’figit clu niaringo do sainte Gcncviévc avec Sigefroi.
2. nbsp;nbsp;nbsp;La guerre de Charles Martel centre los Sarrasins.
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tracassent... Conan est content de céder son métier, car il se fait trop vieux désormais pour être rimeur... Charlesnbsp;Martel a été savant, ii ce que j’ai ouï dire, mais Conannbsp;Test aussi, vous le verrez souspcu... Conan est contentnbsp;d’apprendre son métier a qui desire se faire rimeur... Ornbsp;5a, Conan, il est temps que tu écrives la scène de Genevieve 0Ü nous verrons Golo en mal d’amour : il essaieranbsp;d’embrasser la princesse, mais je crois bien qii’il n’ynbsp;reussira pa.s... Conan, tu es mal avisé de te mettre I’espritnbsp;a la gêne : après ta mort, ces paperasses, je to le dis,nbsp;Conan, seront jetées au rancart par tes enfants... Conannbsp;aurait rime nombre d’liistoires, s’il voyait ses enfants lirenbsp;dans les livres; mais ce n’est pas a lire qu’iJs emploientnbsp;leur temps; ils sont en train de chercher par quelle voienbsp;entrer dans la misère*... Or 5a, Conan, ici tu auras anbsp;développer : pour prendre Avignon il faudra combattrenbsp;Ainsi done, vieux Jean, étudiez votre logon, car il faudranbsp;que vous tiriez de votre fonds de quoi faire la guerre...nbsp;Je ne tarderai pas a renoncer ii l’état de rimeur : je suisnbsp;las de perdre encre, plume et papier. Il est étrangenbsp;que moi, si vieux, ce ne soit qu’en écrivant que je prennenbsp;du repos... Courage, pauvre clier Conan! ïe voilii ii moitiénbsp;de ta tache; tu n’auras point de regret a ta peine ; cettenbsp;ceuvre-ci, tu la vendrasbien et tu auras un peu d’argentnbsp;et, après, tu en recommenceras une autre, si le cocur t’ennbsp;dit... Toi, Conan, beaucoup te passent pour sorcier, etnbsp;d’autres, pour devin ; mais si, jusqu’ii présent, tu nenbsp;l’étais pas, voici une vieille p... qui, cette fois, va t’ap-prendre a le devenir ’... T’es-tu jamais Jivré a de sem-blables pratiques, Conan? — Oli! non, certos, Dieu merci!nbsp;Je n’ai jamais fail de mal ii personne ni n’en ferai jamais,nbsp;si ce n’est des farces pour rire, par pur badinage... Quenbsp;dis-tu, Conan, au sujet du seigneur Golo? — Dire qu’il
1. nbsp;nbsp;nbsp;Antren er vtzer en breton signifle « se marier ».
2. nbsp;nbsp;nbsp;It s’ag'it du siege d’Avignon par les JMaurcs.
3. nbsp;nbsp;nbsp;Il s’agit de la sorcière ipie Golo va trouver ii Strasbourg.
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LE THEATRE CETTIOUE.
est temps que les diables I’emportent, ce tyi’an, ce traitre, cet liomme impuclique, pire que Robespierre au temps denbsp;la République!... Conan est vieux et parle hai’dirnent : sinbsp;vous airnez votre plaisir, ne prenez pas une jolie femme,nbsp;car le cheval de Ramon ^ est jour et nuit en louage, icinbsp;aujourd’hui, la-bas demain... Conan ne veut nul commercenbsp;avec la mort : pourtant j’ai bien peur qu’il n’ait bientotnbsp;affaire a elle... Eh bien ! Conan, on va voir maintenantnbsp;si tu feras périr la sorcière comine elle le mérite... Golonbsp;fut, d’après Conan, Tarrière-grand-père de Robespierre;nbsp;jamais je n’ai entendu dire en parlant de lui : « Dieu luinbsp;pardonne 1 » II faut maintenant, Conan, bien choisir tesnbsp;rimes pour faire écarteler Golo, le coureur de lilies... ïunbsp;avals dit, Conan, que pour les fetes de Noel tu auraisnbsp;terminé; prends garde de t’êlre tronipé : tu avances biennbsp;lentement, tu commences a te faliguer. Courage encorenbsp;un peu! Tu en auras satisfaction... Or 5a, Conan, voilanbsp;iinie cettc histoire qui nous montre la providence denbsp;Dieu sur la terre... Maintenant, compagnie, pour conclure,nbsp;je vous supplie, si quelque point en cette histoire vous anbsp;plu, souvenez-vous de Conan qui I’a traduite du francaisnbsp;et rimée en breton. Dites du moins avant d’allcr vousnbsp;coucher : « Dieu pardonne a celui qui I’a écrite! gt;gt; Lanbsp;récompense que souhaite Conan pour sa peine, c’est lanbsp;protection de sainte Geneviève, lorsqu’il s’en ira de cenbsp;monde
Espéx’ons qu’il n’a pas etc dógu et coiivcnons que CO n’est tout de mcme point une race banale, cellonbsp;qui a fait épanouir jusque dans les raiigs les plusnbsp;bumbles, j usque dans les conditions les plus basses,nbsp;des ames d’une telle poésie et d’un tcl parfum. Car
1. nbsp;nbsp;nbsp;Ktre jalou.v so dit en Bretngno clicvauchcr le chevul denbsp;Ramon ».
2. nbsp;nbsp;nbsp;Sainte Genevieve de Brabant, passim.
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Jean Conan ne doit pas otre regardé eomme uno exception : il n’est que le représentant d’un groupenbsp;dont il se rencontre encore en Bretagne plus d’unnbsp;spécimen, ainsi qu’en pourrait temoigner tout Bretonnbsp;bretonnant qui a vécu dans l’intimité du peuple.nbsp;Autrefois ces spécimens étaient légion. Même dansnbsp;l’air sceptique des villes ils conservaient leur délicieusenbsp;ingénuité. Et, par exemple, il ne laissait pas d’êtrenbsp;aussi de la familie de Jean Conan, ce Joseph ounbsp;Jobic Coat, simple ouvrier a Ia manufacture desnbsp;tabacs de Morlaix, qui, auteur, acteur, directeur, futnbsp;une sorte de Twm o’r Nant armoricain, avec cettenbsp;difference qu’il eut une vie plus assise et moins aven-tureuse que son confrère gallois. Né en 1798, dansnbsp;un taudis de la paroisse Saint-Mathieu, il avaitapprisnbsp;a lire et a écrire cbez de vieilles gens qui tenaientnbsp;école pour les onfants pauvres, puis il s’était pcrfec-tionné lui-même, comme il avait pu. Sa vocation dra-matique, il l’avait sentie s’éveiller en assistant auxnbsp;pastorales bretonnes qui se jouaient a Noël. II avaitnbsp;une mémoirc surprenante oü les vers s’imprimaientnbsp;du premier coup. Une année il obtint qu’on lui contiatnbsp;un róle. A partir de ce moment il ne rêva plus quenbsp;theatre. Après avoir figuré dans les pieces des autres,nbsp;il voulut en composer de sa fafon. Comme Jeannbsp;Conan, il avait la folie des livres; marié, pcre denbsp;familie, il consacrait tout son pret du dimanche a desnbsp;achats de bouquins, le plus souvent dépareillés, qu’ilnbsp;allait glaner dans les échoppes des revendeuses, sansnbsp;parler de ceux quo lui prêtaient des bourgeois ou quenbsp;lui abandonnaient les externes du collége : il dévo-
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LE THEATRE CELTTQUE.
rail tout cela pêle-mólc, et cliez lui, comme chcz Jean Coiian, toutes les lectures, par une alchimie iucons-cieiite du cerveau, se transformaient spontaiiémcnt ennbsp;dramcs; ii ne se contentait pas de les écrire, il les fai-sait rcprésenter. Bon au mal au il y gagnait, parait-il, de quoi payer son loyer et même s’ofïrir quelquesnbsp;petitcs bombanccs. Car il avait un faible « pour lanbsp;bouteille )). Le meillcur des hommes, au roste, gai,nbsp;jovial, plein de verve, goüté des « messieurs », adorénbsp;du menu peuple. Quand il mourut, en 1838, tontnbsp;Morlaix était a ses funéraillesnbsp;Si 1’on en croit son fils, il avait compose plus denbsp;trois cents pieces. A supposer qu’il eüt commencenbsp;d’écrire a vingt ans, comme il mourut a soixante, ilnbsp;auralt done fourni une moyenne de pres de buit piecesnbsp;par annéc. La plupart sont pcrdues^ et, loin de le
1. nbsp;nbsp;nbsp;Je (lois tous CCS renseignements ü son fils, Vincent Coat,nbsp;lt;¦ ouvrier-tnhatier » commo son père, comme lui poète breton etnbsp;möme poète francais a ses heures, homme d’une autre civilisation, lui aussi, une des physionomies les plus originales et lesnbsp;plus attachantes du Morlaix contemporain, avec qui j'ai passénbsp;naguère une exquise journée ii remuer les cendres d’un passénbsp;resté lout chaud dans sa vieille mémoire.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Luzel en a déposé 7 a la Bibliothèque nationale (Fondsnbsp;celtique, n°’ 27, 38, 43, ÖO, .52, 53, 5(1); la collection de M. E. Picotnbsp;en renferme 15, dont 3 a l’ét.at de fragments {Revue celtique,nbsp;t. V, p. 330), et 1’on en compte 4 a la Bibliothèque de Quimper.nbsp;Parmi celles qui n’ont pas été recueillies, citons au basard cesnbsp;quelques litres : Ptjrame et Thisbé, Pierre Le Galarcl ou Lesnbsp;mystères de la Chambre Rouge, Roquelaure, Malec-Adel, Marienbsp;Stuart, Octavie, reine de Carthage, Zampiero, libérateur de lanbsp;Corse, La Tour de Nesle, La Jerusalem de'livrée, Jeanne d’Arc,nbsp;Marguerite d’York, Le chevalier Téte-de-Mort, Le Renégat, Iléra-clius. Les trois Horaces et les trois Curiaces, Roger, chef de brigands, et, pour finir, te pardon de Rumengol, le seul litre qui,nbsp;dans cette nomenclature, annonce une pièce d’origine bretonne.
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déplorer, il faut s’en rójouir pour la mémoire de leur auteur. Celles qui subsistent ne nous consolent quenbsp;trop de celles qui out disparu. C’est Ie fatras Ie plusnbsp;extravagant qni se puisse concevoir. Corneille y voi-sine avec madame Cottin, Schiller avec Ponsard, Voltaire avec Ducray-Duminil. J’ai eu Ie triste couragenbsp;de lire d’un bout a l’autre une soi-disant version denbsp;Miihriflale. Que les mancs do Racine soient pitoya-bles a sonobscuretdouxégorgeur! Au total, I’liomme,nbsp;chez Jobic CoaC est infiniment plus intéressant quenbsp;1’oeuvre. C’est a co titre, plus encore que pour lesnbsp;dix on douze mystèrcs — Creation du Monde, Vienbsp;de Jacob, Saint Guillaume, Jean de Paris, Genevievenbsp;de Brabant, etc. — qu’il a écrits ou plutót récritsnbsp;(car 11 n’a guère fait qu’y pratiquer des remanic-ments), que nous lui donnons une place dans cettenbsp;11ste dont il serait Ie dernier nom, s’il n’était pasnbsp;impossible d’évoquer son souvenir sans évoquer dnnbsp;mème coup celui d’Auguste Le Corre, son émulo et sonnbsp;concurrent. Augnste Lo Corre était originaire do Lan-nion, oü il était né, nous dit-il, « le 23 aoüt 1807’ ».nbsp;Emigre a Morlaix vers 1830, il y éleva en face dunbsp;théatre de Joseph Coat une scène rivale dont il senbsp;piqua, lui aussi, d’etre le principal fournisseur. Denbsp;1830 a 1843, Morlaix ent ainsi deux faiseurs de pieces,nbsp;dignes au surplus 1’un de l’autre, car les specimensnbsp;que nous connaissons de 1’oeuvre d’Auguste Le Correnbsp;pourraient sans inconvénient être signés Jobic Coat;nbsp;et c’est tout ce que nous en dirons.
I. Revue celtique, t. V, p. 332.
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Si l'on a jaeu dc renseignements positifs sur les auteurs de mystères, on n’en a giière davantage surnbsp;les acteurs [aclorel)^. L’arrèt du Parlement de Bretagne, du 24 septembre 1753, nous les reprcsentenbsp;comme des « jeunes gens de la campagne » et si, deuxnbsp;OU trois lignes plus bas, il les qualitie d’ « enfants denbsp;familie », il faut évidemment entendre des enfants denbsp;families paysannes, d’autant que dans les conclusions de la Cour il n’est question que d’ « artisans »,nbsp;de (( labourcurs et au tres personnes semblables ^ ».nbsp;Les prologues et les epilogues se chargent, du reste,nbsp;de dissiper a eet égard toute equivoque. Les acteursnbsp;no cessent d’y répéter sur tons les tons: « Nous nenbsp;sommes que des labourcurs... Nous n’avons pas regunbsp;d’instruction comme la noblesse et les bourgeois “ »;nbsp;OU encore : (( Nous sommes des gens de la campagne,nbsp;grossiers et rusiiques; la clarté de Vacadémie ne nousnbsp;fournit aucun principe; nous n’avons que fatigues etnbsp;labours pénibles; les soucis champêlres sont grande-ment ennmjeux^ ». II n’y a pas de leur faute s’ils ne
1. nbsp;nbsp;nbsp;On trouve aussi actorien. Le mot comediancher, donnó parnbsp;N. Quellien (Chansons et danses des Bretons, p. 34), ne se rencontrenbsp;jamais dans les manuscrits et doit être de date récente. — Unnbsp;seul de ces vieux acteurs s’est donné la peine de nous trans-mottre lui-méme son nom et sa qualité : c’est ¦lt; maltrc Jean Lenbsp;Poec », de liunfaou; il s’intilule ¦¦ Notaire Royall et acteur eloquent ». (La Passion, ms. de la collection Vallée, f° 3a.)
2. nbsp;nbsp;nbsp;Luzel, Sainte Trypkine et leroi Arthur, p. xi.
3. nbsp;nbsp;nbsp;Vie de saintnbsp;nbsp;nbsp;nbsp;epilogue (ms. de la Bibliothèque natio
nale, fonds celtique, n° 31). Dans ce manuscrit, qui est de la fin du xYijquot; siècle, les prologues et les epilogues sont rejetésnbsp;a la fin du volume.
4. nbsp;nbsp;nbsp;Vie de sainte lléUne, ms. de la collection de M. Vallée,nbsp;p. 07.
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savent pas « marcher selon les regies » ni « déclamer congrument ». Oh I’auraieat-ils appris? Ce ii’estnbsp;certes point (( en travaillant aux champs, la-has ohnbsp;toute la conversation se home a conter des hali-vernes* ». « Nous n’avons pas eu la langue afïütée anbsp;la meule », dit pittoresquement Ic prologue dii mys-tère d’Eulogius^. L’épilogue du même mystère estnbsp;curieux, d’abord en tant que document, mais aussinbsp;pour sa forme, mélange hybride de vers bretons etnbsp;de vers frangais oh s'est fréquemmcnt exercée la fan-taisie de nos poëtes de village. Le récitant commencenbsp;par des excuses ;
... A’os acteurs n’ctaint pas réglée assée bien pour parler en aucune manière devantles prêtres;nbsp;isont des lahoureur et toutes des roturieznbsp;qui ne sont jamais sortis de cliez eux
Et il entame a ce propos unc fastueuse enumeration de villes de tous les pays oh il ótale une érudition géo-graphique des plus incohcreiites, sous couleur denbsp;déplorer qu’il ne lui ait pas été donné de visiter lesnbsp;centres intellectuels et d’y acquérir la culture qui luinbsp;manque. « G’est auprès de la cendre que j’ai fait mesnbsp;études )), confesse-tdl, en un vers charmant, pournbsp;nous signifler par la que c’est durant les longues soirees d’hiver, au coin du feu, devant la braise agoni-saute de 1’atre, qu’il s’est inculqué le peu qu’il sait.
i. Vie de saint Antoine (ms. de la Bibliothèque nationale, fonds celtique, n° 31).
3. Manuscritde la Bibliotlièque nationale, fonds celtique, n” 28. 3. Mystère d’Eulogius (Bibliothèque nationale, n” 28), epilogue.
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LE THEATRE CELTIQUE.
Désirez-vous connaitre ses peregrinations les plus lointaines? Les void :
Je va a vous nommcr les paijc (pays) ou je ettee saus avoir pour cela gagné en sagesse.
J’ai éte nouri a plaiscn Kerlouri
et j’ai lil ma maison, dans la paroisse de Plounez
J'ai ettez a Lanmodcz et do plus a Trogaivi,
puis a Pouldouran et au Minihy,
cn la (ville de) Paimpol et aussi a Plounez,
puis une fois en la paroisse de Camlez ;
a Kuemti je ettez, aussi a Hengoat,
a la ville de La Roche et au bourg de Langoat,
au hour de Lannevez, Perros, Ploubazluncc,
ii File de Bréhat et en la paroisse de Lanvignec;
a Pleudaniel a Plouezec aussi a Plouescant,
puis a Pontrieux et a la ville de Guingamp,
aussi a Trédarzec a la ville de Trogié... *
II condut avec bonhomie : « Ce sont lades voyages tont pres de la maison ». Les plus cloignós, en effet,nbsp;ceux de Plougrescant vers l’ouest ou ceux de Guingamp vers Ie sud, ne 1’ont pas entrainé a plus de buitnbsp;lieues du dodier natal. Même de son temps, de tellesnbsp;promenades aux rives prochaines ne pouvaient passernbsp;pour des odyssées. Aussi ne les i’appelle t-il pas pournbsp;en tirer gloire, inais, au contraire, pour expliquer anbsp;ses auditeurs les raisons de son infériorité.
Pour avoir ettez dedans ses paije issi,
ma science ne pouvait guère s’en mieux trouver.
C’est, d’ailleurs, une infériorité a laquelle il sc résigne pieusement, comme a une consequence du
1. Mystère d’Eulogius (Bibl. nat., nquot; 28), épilogue.
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décret divin qiii l’a fait naitre au plus bas degré de l’échelle sociale. « Jesus Ch'isi na jamais voiilu avoirnbsp;donné autant d’intelligence a l’un qu’ü 1’autre. )) Ccnbsp;Breton de la fin du xviiC siècle est tout I’opposé d’uunbsp;révolutiounaire; sa conception de Ia société est Ia plusnbsp;orthodoxe du monde, j’entends Ia plus strictementnbsp;conforme aux cnsoignements de son « recteur ». Aunbsp;sommet de la hierarchic, « les ecclésiastiqucs et lesnbsp;nobles ». A eux seuls a été départi 1’ « esprit », pareenbsp;que seuls « ilsontpouvoir pour gouverner Ie public ».nbsp;Au-dessous d’eux sont les laboureurs, et, par craintcnbsp;de confusion — car il y a des nobles qui exploitent eux-mêmes leurs terres, — il precise : « des laboureurs, jenbsp;du des paisanC ». Tels sont les trois ordres, les « Iroisnbsp;mcliers de la part de Jésus n : ce fut Noé qui, au len-demain du deluge, les établit, sur Finjonction denbsp;l’Éternel, en décidaiit que Sem serait prètre, Japhet,nbsp;seigneur (ólro), et Cham, serf de la glèbe C Tout Ie passage scmble venir cn confirmation du mot de Renan :nbsp;« A la voir si peu audacieuse contre Dieu, on croiraitnbsp;a peine que cette race est fiile de Japhet - ». Suit unnbsp;interminable chapelet d’ « excuses )) oü Ie récitant,nbsp;en son nom comme au nom de ses camarades, bat etnbsp;rebat sa coulpe sur son ignorance et son indignité.nbsp;J'ai dit plus bant l’abus que les prologues et les epilogues font de ces excuses. Elles n’étaient pas sausnbsp;coiitenir une large part d’hyperbole. Si les auteurs
1. nbsp;nbsp;nbsp;Getle c.\plicalion de Uorigino des trois Ordros sotrouvo, dunbsp;roste, exposéo sous 1'orine dramatique dans lo inystère do lanbsp;Creation du Monde (cf. ci-dessus, p. 278).
2. nbsp;nbsp;nbsp;Essais de morale et de critique, p. 383.
4ü6 LE THEATRE CELTIQUE.
bretons les multipliaient de Ia sorte, c’était d’abord par oxagération naturelle d’une tradition empruntéenbsp;aux mystères francais du moyen age; c’était ensiiitenbsp;pour désarmer par avance les moquerieset les caquets.nbsp;Ne soyons done pas trop dupes de cette humilité quinbsp;se proclame, sans parler du grain d’ironie trégorroisenbsp;qui s’y trouve peut êtro cache. J’imagine que cesnbsp;vieux acteurs paysans ne se décernaient pas ces amplesnbsp;brevets d’ «incapacité )) sans un sourire que nous nenbsp;voyons plus. Au fond, ils ne se tenaient pas en sinbsp;mince estime. Outre qu’ils se sentaient grandis parnbsp;leur tache, ils avaient conscience qu’il n’était pasnbsp;dans les facultés du premier venu de la bien remplir.nbsp;(( Plus d’un qui nous critique serait fort en peine de senbsp;produire sur un theatre, faute d’esprit, faute aussi denbsp;siyle * )), declare l’un d’eux, Ie même prccisément qui,nbsp;tout a riieuro, se faisait si petit. Et il n’en reste pasnbsp;moins qu’ils n’étaient pour la plupart que des acteursnbsp;d’occasion, rccrutés parmi les gens du peuple etnbsp;dénués de toute préparation spéciale.
Comment s’opérait ce recrutement? Nous n’avons aucun texte qui nous l’apprennc. Mais nous pouvonsnbsp;nous en faire une idéé par ce qui sepratiquait encore,nbsp;il y a quelque cinquantc ans, a Pluzunet, cette terrenbsp;classique du théatro breton, oü des families de lévites,nbsp;les Le Bihan, les Le Ménager, se transmettaient d’unenbsp;génération a l’autre los anciens us. Done, unnbsp;dimanche, a Tissue de la messe, le crieur public,nbsp;debout sur les marches du cimetière, annon^ait qu’il
1. Myslère d’Eulogius, prologue do la première journce.
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était question de monter une pièce et priait « ceux qui avaient désir d’entrer dans Ia tragédie » de senbsp;tronver dans l’après-diner a tel rendez-vous qu’ilnbsp;indiquait. Ce rcndez-vous était généralemcnt unenbsp;auberge. La se tenait en permanence Ie promoteur denbsp;la future représentalion, appelé dans les manuscritsnbsp;Ic (( Maitre )) [Ar Mestr) ‘, tont commc Ie « maitre dunbsp;jeu » des mystères francais. C’était pour l’ordinairenbsp;quelque chef de ferme ou quelque fils de cultivateurnbsp;aisé. 11 avait avec lui deux ou trois acolytes qui, toutnbsp;en vidant chopine, inscrivaient les adhesions au furnbsp;et a mesurc qu’elles venaient s’olfrir. Les consciencesnbsp;timorées ne s’aventuraient qu’en hesitant, partagéesnbsp;entre Ie désir de figurer dans la tragédie et la craintenbsp;de déplaire au clergé. Mais Ie plus grand nombrenbsp;acconrait d’enthousiasme. L’organisateur n’avait quenbsp;I’cmbarras du choix. G’était ii qui attraperait ne füt-ce qu’un bout de róle. Les competitions, parfois, pre-naient un caractère farouche, dégénéraient en que-relles, en rixes, yoire en combats sanglants. Les can-didats évincés pousscrent en mainte occurrence Ianbsp;rancune jusqu’a s’embusquer, Ie soir, dans les cheminsnbsp;creux, pour tomber a l’improviste sur les rivaux quinbsp;leur avaient été préférés. D’autres se portaient surnbsp;eux-mèmes a des actes do désespoir. On cite Ie casnbsp;d’un journalier de Trézélan qui, de chagrin de s’êtrenbsp;vu refuser un róle, se pendit.
I. Lo Mystère de saint Antoine (Bibliotlièque nationale, n° 31) 1’appelle honmestr, « notre maitre », tout court; la Vie de Jacobnbsp;(ms. de la collection Vallée), p. 190, dit ; mestr an acterien, « Ienbsp;maitre des acteurs », et sept vers plus bas : ar rneslr trayedien,
« Ie maitre tragédiën ».
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La composition de ces troupes improvisées était, d’ailleurs, des plus éclectiques. Geile qui fonctioiinaitnbsp;a Pluzunet vers 1860 comptait, avec uue dizaiiie denbsp;cultivateurs, deux cordonniers, deux tailleurs, unnbsp;magou, un tonnelier, un chatreur de pores. Bref,nbsp;toules les corporations villageoises étaient représen-tées dans Ia compagnie; aussi tous les ages, depuis lanbsp;prime adolescence Jusqu’a la pleine vieillesse. Lesnbsp;iiifirmités mêmes nc constituaient pas un vice rédhi-bitoire. L’acteur Autonic Cariou, une des plus célè-bres incarnations du « gardien de pourceaux » dansnbsp;Sainle Tryphine, était alïreuscment bancal. Le vieuxnbsp;Garandel, de Plouaret, qui a laissé dans le Trégor unenbsp;reputation analogue a celle d’un Talma en France,nbsp;était aveugle. Luzel le qualilie de « véritable Homèrenbsp;en sabots’ ». C’ctait, nous dit-il, unbarde mendiant,nbsp;qui allait quêtant de porte en porte son pain de chaquenbsp;jour et son gite de chaque nuit, toujours prêt a payernbsp;d’un conté, d’une chanson ou d’une recitation drama-lique Thospitalité qu’il recevait. II avait une mémoirenbsp;prodigieuse, une belle voix grave et profonde, Fairnbsp;imposant d’une Majesté dóchue. Lorsqu’il jouait Charlemagne, on eüt dit le vieil empereur en personne.nbsp;Mais son trioraphe, c’était, dans Sainte Tryphine, lenbsp;róle d’Abacarus, roi de Londres, comme lui chargénbsp;d’ans, comme lui privé de la vue, les yeux a moitiénbsp;rongés par la lèpre. II le rendait au naturel avec unnbsp;réalisme poignant. Sitót qu’il paraissait en scène et,nbsp;roulant les orbes éteints de ses larges prunelles, pro-
1. Veillées bretonnes, p. 146.
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férait ces vers : « Je suis un monarque puissant dans Ie monde; je souhaiterais d’etre un mendiant etnbsp;d’avoir la santé... )), la foule, dressée en sursaut, senbsp;mettait a I’acclamer en criant : Compagnon-Dall!nbsp;Compagnon-Dall! du surnom par lequel il était unirnbsp;versellement connu.
Ainsi toutes les bonnes volontés étaient les bionve-nues dans la troupe. Seules les femmes étaient sévcre-ment exclues. II semble même que sur ce point la consigne ait été beaucoup plus rigoureuse en Bretagnenbsp;qu’en France. II n’y a pas d’excmplo dans les annalesnbsp;dramatiques des campagnes qu’une Bretonne ait éténbsp;admise a monter sur les tréteaux. Les róles fémininsnbsp;étaient toujours tenus par des hommes et, du reste,nbsp;adjugés comme les autres au petit bonheur. On senbsp;passait fort bion que Ie personnage eüt, comme l’onnbsp;dit, Ie physique de l’emploi. Lorsque René Geffroy, denbsp;Pluzunet, débuta vers 1860 dans Ie róle dc Tryphine,nbsp;sa taille, quoiqu’il n’eiit pas encore vingt ans, étaitnbsp;déja celle d’un grenadier et, comme d’autre part ilnbsp;achevait son apprentissage « dans Ie batiment gt;), lesnbsp;mains qu’il balanfait au bout de ses longs brasnbsp;étaient a la lettre des mains de magon. II n’en rcs-sentit, quant a lui, aucune confusion et dans l’audi-toire nul non plus ne s’en montra choqué, tant Ienbsp;paysan breton a gardé jusqu’a nos jours la puissancenbsp;d’illusion des peuples enfants !
Dans les villes néanmoins il n’en allait pas tout a fait de même. Le public y était devenu plus cxigeant, ilnbsp;faut croire, car, a Morlaix, Ia troupe de Joseph Coatnbsp;sur une quinzaine d’unités comptait trois femmes, la
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Béchen, Janic Bellec et Fdlicité Bail. Trois commères délurées, parait-il, et qui n’avaieat point froid auxnbsp;yeux. La répartie que l’on prête a Tune d’elles lesnbsp;peindra ; comme son confesseur lui faisait un crimenbsp;de s’exliiber ainsi sur Ie théatre, clle lui rcpondit avecnbsp;une feinte innocence par eet argument qui, s’ilnbsp;manque de sel en francais, est des plus salés ennbsp;breton, étant donné Ie sens a double entente du motnbsp;c’hoari dans la langue populaire : Ma fé, ótro cure,nbsp;pélra fot d'ech? Pé c'hoari éno, pé c'hoari ernbsp;gêr!... (Ma foi, monsieur Ie cure, que voulez-vous?nbsp;Ou jouer la, ou joucr a la maison.) Le bon Vincentnbsp;Coat, après m’avoir cité le propos, ajoutait : « Je nenbsp;sais pas comment elles jouaient ebez elles, mais surnbsp;le tbéatre c’était plaisir de voir comme elles s’ennbsp;tiraient ». L’étoile la plus brillantc était Félicité Bail,nbsp;une fripière. C’était, dit-on, une Genevieve de Brabant incomparable et, dans la Passion, ello tenait sinbsp;bellement le róle de la Vierge que personne no senbsp;scandalisait de le lui voir jouer même en état de gros-sesse.
Mais revenons a la troupe de type normal, tradi-tionnel, a cclle dont nous avons exposé ci-dessus la genese. Des qu’elle était constituée, le ou les organi-sateurs (car Ic plus souvent ils s’associaient a plu-sieurs) s’occupaient de faire copier les roles. Cortainesnbsp;bourgades avaiont leur copiste attitré a qui l’on rccou-rait de tout le pays avoisinant. Tel Bertrand Lenbsp;Ménager, de Pluzunet; tel Yvon Le Roi, surnomménbsp;J.ucli ar Pont hou (Le louebe du Pontbou), du nom denbsp;la commune oii il avait ótó longtemps maitre d’école
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avant de se faire colporteur de tissus coloriés et mar-chand de chevelures de femmes; tel surtout Le Daatec, du faubourg de Kerampont, a Lannion, uunbsp;ancien portcur de contraintes rpie Penguern, alorsnbsp;juge de paix en cette viüe, employa aussi commenbsp;rabatteur de chants populaires : 11 disait a Luzelnbsp;« avoir copié pour laSociété des acteurs de Lannion »nbsp;quelque chose comme « 71 manuscrits de mystères'».nbsp;Le terme par loquel on désignait un róle était Ie motnbsp;keutel (legon) Chaquo acteur, en prenant livraisonnbsp;du sicn, était tenu d’en payer le coüt dont Ie montantnbsp;variait natureltement d’après la longueur du tcxte.nbsp;René Geffroy pour avoir l’honneur « d’etre Roland »nbsp;dans les Quatre fils Aymon dut débourser cinq réauxnbsp;(1 fr. 25), (( La somme était grosse pourl’époque, menbsp;disait-il. Je fus trois semaines a l’économiser, pendant lesquelles il ne m’entra pas une seulo goutto donbsp;cidre dans le corps. »II avait calculc que le róle ayantnbsp;a peu prés cinq cents vers, chaque vers lui était revenunbsp;a un cinquième de liard. On voit qu’a ce taux lenbsp;métier n’était guèrc pour enrichir les co pistes. Aussinbsp;bien le faisaient-ils moins par esprit de lucre quo parnbsp;serviabilité. II y avait même des copistes tout béné-voles : des flls de bonne maison ayant des loisirs, desnbsp;écoliers en vacancos — par excmple, le petit Jean-Marie Dupré, de Loguivy, — et aussi et surtout des
1. nbsp;nbsp;nbsp;Notes manuscritc's de voyage.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Le mot est ócrit quentel dans los manuscrits. C’est le mêmenbsp;que le gallois catM=chant. 11 serattaclie au verbe /cana = cbantcrnbsp;et rappelle le temps oü le chant était employé comme procédénbsp;de mnémoteclinie.
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femmes. J’ai cu sous les yeux les róles qui servircnt pour une représentatioii de Sainte Hélène donnée anbsp;Lézardrieux peu après la guerre de 1870 ; la plupartnbsp;attestaient des écritures de jeunes fdles, de ces palesnbsp;et molles écritures de couvent doiit les lettres s’incli-neut comme a la pricre.
De cc quo les paysanues bretonnes étaient tenues OU se tenaient rigoureusernent a l’écart de la scène, 11nbsp;serait, en effet, inexact de conclure qu’elles se désin-téressaient du théatrc. Le vrai c’est qu’elles en étaientnbsp;aussi passionnées que les citadines, sinon plus, et lesnbsp;entrepreneurs de mystères trouvaient en elles des col-laboratrices sürcs, dóvouées, intelligentes, sans les-quelles ils eussent été le plus souvent fort en peinenbsp;de mener a bien leur oeuvre. N’oublions pas que lesnbsp;troupes rustiques se composaient pour une bonnenbsp;moitié et quelquefois pour les trois quarts d’illettrésnbsp;complets. Comment se fussent-ils fourré dans la têtenbsp;des roles qu’ils étaient incapables de lire? Eh bien!nbsp;c’étaient les femmes qui, non contentes de les leurnbsp;avoir copies, se chargeaient par surcroit de les leurnbsp;apprendre. Dans les maisons bretonnes de jadis, lanbsp;culture était plus répanduo chez les fdles que cheznbsp;los gargons. Les gargons n’étaient guère envoyés auxnbsp;écoles qu’autant qu’ils se destinaient a la prêtrise,nbsp;tandis qu’il était peu de fermes aisées qui nenbsp;comptassent quelque pennerez, quelque « liéritière »nbsp;ayant passé par le couvent. Ces paysannes relative-ment instruites étaient la providence des acteurs ennbsp;détresse. Chacune en adoptait un qu’elle faisait venirnbsp;chez elle le soir, après souper. Elle s’asseyait d’un cóté
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de la table, lui de I’autre, et, lii, Jiisqu’au coiivre-feu soniiaiit, elle lui lisait, lui relisait avec uno patiencenbsp;ang'élique les dilïérentes parties de son role; rangesnbsp;autour d’eux dans la vaste cuisine, les gens dunbsp;manoir, patrons et domestiques, écoutaientcn silence.nbsp;Ges veillées laborieuses se renouvelaient journelle-ment pendant des semaines, sans une défaillanconbsp;chez le professeur ni chez l’élève. « On ne lachait quenbsp;lorsque la legon etait sue comme du catecliisme », menbsp;disait René GeGroy qui, dans sa jeunesse, avait dunbsp;se faire seriner ainsi ses roles, n’ayant appris a lire quenbsp;fort tard, et seulement le breton. Cette tache ingratenbsp;de catdcliisantes dramatiques, il n’j^ avait pas que lesnbsp;femmes et les Giles des riches laboureurs a s’y dévouer.nbsp;Elle suscitait des zelatrices, et non des moins arden-tes, jusque dans les conditions regardées en Bretagnenbsp;comme les plus basses. Je pense, en écrivant ceci, anbsp;Mon Choupot, une vieitlo couturierc a la journée, desnbsp;environs de Trcdarzec. Lors des nombreuses repré-sentations qui se donnèrent dans ces parages sous lenbsp;second Empire, elle fut, selon son expression, « lanbsp;mere » des acteurs sans lettres qui n’avaient oiinbsp;s’adresser. Je la trouvai, quand je lui Gs visite, cou-sant assise a croppetons sur une couette, a la fagonnbsp;des tailleurs de campagne. Aux premiers mots, ellenbsp;me montra du geste la grande pauvrctequil’entourait,nbsp;et dit avec un joli sourire tin : « C’est pourtant vrai;nbsp;telle que vous me voyez, j’ai élevé je nesais combiennbsp;de rois et do reines, de princesses et de chevaliers » ;nbsp;puis apres une pause : (( élevés et aussi habillés »,nbsp;ajouta-t-elleen faisant mine de considérer son aiguille.
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C’étaient encore les femmes, en elïet, a quirevenait Ie soil! de confectionner les costumes. II va sans direnbsp;qu’en cette matière la superstition de la couleur localenbsp;leur était aussi inconnue que Ie sentiment de la chronologie aux auteurs des mystères. II y avait cepen-dant certaines conventions qu’elles s’ingéniaient anbsp;respecter. II était avéré, par exemple, qu’un roi, qu’unnbsp;empereur ne pouvait se passer d’une couronne ni d’unnbsp;manteau trainant. La forme liabituelle pour Ia couronne était cello d'une tiareL Quelqiiefois on rem-pla^ait la tiare par un diadcme de feuilles de cliène.nbsp;Tont cela se fabriquait en carton doré. Le manteau senbsp;taillait dans nne piece de toile, sanf les rares occasionsnbsp;oü l’on avait le moyen de se I'offrir en soie, commenbsp;Auguste dec’ll a qui sa mere, nne soeur de Luzel,nbsp;fa§onna le sien avec nne ancienne robe de baptêmenbsp;que, selon l’usage, olie parscma do llcurs de lys d’or.nbsp;Pour les autres costumes dont la description nous estnbsp;parvenue, on ne s’étonnera point si je me dispensenbsp;d’en donner ici le détail, quand j’aurai dit qii’ilsnbsp;variaient selon les ressources et la fantaisie indivi-duelle des acteurs. Chacun utilisait cc qu’il avait ct lenbsp;faisait accommoder a son gout. Dans le voisinagenbsp;immédiat des villes, on louait d’antiques défroquesnbsp;aux « décrocliez-moi pa i), chez les revcndeuses, cheznbsp;los fripiers. Parfois aussi des personnages d’impor-tance établis dans la region acceptaient de mettre a Ianbsp;disposition de la troupe des accoutrements moins
1. La couronne que René GelTroy portalt cians le rülo d’Artliur lui était revenue, disait-il, ii plus de 14 réaux (3 fr. 50).
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baroques ou des oripeaux moins défraichis. G’est ainsi, nous dit-on, qu’un acteur chargé du role d’Hérodenbsp;(( put paraitrc en scène vêtu de pourpre et d’lierminesnbsp;grace ü robligeance d’un conseiller de la cour denbsp;Rennes ‘ ». Aurélien de Conrson nous racontc ([u’unnbsp;trait de condescendance analogue faillit lui coüternbsp;cher. C’était en 1832. Un acteur de Plouézeclui avaitnbsp;fait dcmander une épée qu’il prêta. Or, « lepée étaitnbsp;fleurdelisée : grand scandale parmi les prétendusnbsp;vainqueurs de Juillet, dont l’exaltation, en ce temps-la, n’avait pas de hornes. Je fus mandé devantl’auto-rité locale, et, sans la bienveillante intervention donbsp;jM. Bernard, de Rennes, quise trouvaitalors a Ploulia,nbsp;les gendarmes me conduisaient a Saint-Brieuc. Dansnbsp;ce temps-la, Ie zèle de certains maires allait parfoisnbsp;trés loin; celui de Lanlonp, oü j’habitais alors, senbsp;montra, lui, trés modéré; et, maigré les protestationsnbsp;des exaltés de Plouha, il me fit restituer l’épée de monnbsp;pére, sans autre forme de procés* ». Ajoutons qu’ilnbsp;existait aussi en Bretagne, même dans les rangs dunbsp;peuple, de véritables collectionneurs d’anciens costumes qui tenaient leurs garde robes liistoriques libé-ralement ouvertcs aux acteurs nécessiteux. Je citcrainbsp;par exemple Ie vieux Guillou, un cultivateur de Tro-gucry, qui conservait pieusement dans les profon-deurs de ses armoires les habits de noces de ses ancê-tres jusqu’a la quatrième ou cinquième génération. Jenbsp;citerai surtout Ie mystérieux olibrius appelé Job Con-
1. nbsp;nbsp;nbsp;Bullelm de la Société archéologüjue du Finistère, t. V, p. 202.
2. nbsp;nbsp;nbsp;La Bretagne contemporaine, Cótes-du-Nord, p. 27.
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gard, dont on nc savait rien dans Ic pays sinon (jn’il passait pour avoir été « domestique ciiez un grandnbsp;seigneur » et qu’il vivait póniblement du rapportnbsp;d'une petite terre en Plounévez-Moédec; on n’cüt sunbsp;dire davantago si sou extravagance était réelle oiinbsp;simulée; mais sa principale occupation ótait de « fairenbsp;Ie Gilles », pour parler comme René Geffroy. On Ienbsp;rencontrait sans cessc par monts et par vaux, tantótnbsp;a pied, tantót a cheval, toujours armé d'un immensenbsp;parapluie peint de tontes les couleurs de rarc-en-ciel,nbsp;avec un cor de cliassc suspendu a son cou. II avaitnbsp;de même la manie des vètures multicolores et, Ienbsp;dimanclie, il en changeait deux fois, Ie matin pournbsp;aller a la messe, l’après midi pour aller a vêpres. II ennbsp;possédait une cinquantaiue, roulées en fouillis dansnbsp;un bahut d’oü s’exlialait une insupportable odeur denbsp;moisi. Jamais il ne faisait difliculté de les pretornbsp;pour les représentations : aussi beaucoup d’acteursnbsp;de Pluzunet, de Plouaret, du Vicux-Marché, du Guer-lesquin, s’équipaienl ils clicz lui ii peu de frais; ilnbsp;exigeait sculement, en retour, qu’on lui permit d’ac-compagner la troupe, sous prétexte de veiller sur sosnbsp;costumes, en réalité dans l’espoir d’attraper quelquenbsp;office a remplir. Dans les scènes de combats, on l au-torisait a jouer des airs de cor de chasse; ou encore,nbsp;dans Ie Jugement dernier, (piand doit rctentir la trompette de 1’archange, on lui confiait la mission, qui Ienbsp;ravissait, de sonner la diane des vivants et des morts,nbsp;toujours avec Ie même instrument.
On devine les monstrueux ensembles que formaient des bandes de paysans ainsi harnachés de brie et de
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broc, et quelle impression de boiiffonnerie exotiiiue, do carnaval sauvage et quasi polynesien il était dansnbsp;leur dostin de produire, toutes les fois que Ton com-mettait ranaclironisme de les exhiber an naturelnbsp;devant des spectateurs civilises, comme cela se fit anbsp;Saint-Brieuc, lors du Congres celtiquc de 1867, etnbsp;vingt ans plus tard a Morlaix, lors de I’inaugurationnbsp;du nouveau theatreMais leur public coutumier, leurnbsp;public campagnard, le soul qui füt avec eux en par-faite communion d’ame ct Ic scul dont ils eussent anbsp;cocur de mériter les suffrages, ce public la n’était pasnbsp;plus cboqué de voir Kervoura sous « I’uniforme d’unnbsp;sapcur pompier de la Ville do Paris * » que de voir anbsp;sainte Tryphine une taille de six pieds et des bleusnbsp;de barbe au menton. Sa tolerance en I’espece était anbsp;vrai dire sans limitcs; les dcguisements les plus béte-roclites, les plus grotesques, trouvaient grace devantnbsp;SOS ycux. On en jugera par cc trait que rapporlenbsp;M. d’.Vrbois de Jubainville : dans une représentationnbsp;du mystère des Trois Rois a Vannes ou pros de Vaniies,nbsp;« le role de la Vierge ctait joué par un paysan quinbsp;avail simplement, et pour tout costume, mis sur sesnbsp;habits une chemise de femme; il n’avait méme pasnbsp;quitté son chapeau noir a larges bords’ ». Y eut-ilnbsp;dans 1’histoire du tliéatre breton, alors que les prêtresnbsp;et les gentilsbommes ne 1’aAmient pas encore, ceux la,
1. nbsp;nbsp;nbsp;En 1888. A Morlaix, comme a Saint-Brieuc, la representation avail été organisée par les soins de Luzcl, mais sans qu’ilnbsp;se fit grande illusion sur le résultat.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Hevue cellique, t. Ill, p. 31)2.
3. nbsp;nbsp;nbsp;Id., t. 11, p. 200.
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proscrit, ccux-ci, dédaigné, ime époque oü les acteurs, admis a puiser aux vestiaires des sacristies et desnbsp;chateaux, étalèrent des parures plus somptueuses etnbsp;Oreiit preuve do plus de gout dans Ie choix de leursnbsp;ajustements? 11 se peut h mals rien ne lo démontre;nbsp;car on ne saurait invoquer comme argument la listenbsp;des riches costumes si minutieusement décrits en têtenbsp;de larédaction vannetaisedu mystère des Trois Rois^nbsp;oü l’on recommande, par exemple, pour Hérodc uncnbsp;chemisette bordéed’or, des culottes, des bas, des sou-licrs de cuir blanc, avee un ruban de soie verte, uncnbsp;cravate de toile, une robe de chambre dont les manches seront retroussées jusqu’au coude, un bonnet denbsp;velours vert, avee trois boutons d’or sur lo sommet etnbsp;une couronne de fer-blanc sur Ie pourtour, les che-veux bien ramassés dessous, un sceptre doré dans lanbsp;main droite; oü, d’autre part, on recommande pournbsp;Lucifer une chemisette, des culottes, des bas rouges,nbsp;de beaux sabots de bois de Bordeaux bigarrés, desnbsp;gants noirs, une sangle pour tenir sou sabre, uncnbsp;longue queue de erin noir attachée a la sangle parnbsp;derrière, une corde noire pour cravate, un capuchonnbsp;rouge avee des trous en face du nez, de la bouebe etnbsp;des orcillcs qui doivent sortir toutes grandes du capuchon, une couronne a bonnet, trois cornes de béliernbsp;formant branches au-dessus, une petite chaine de fer
1. nbsp;nbsp;nbsp;On en retrouve, semble-t-il, quclque souvenir dans cetto
strophe du prologue de la Creation du Monde (ms. copié de la main do Luzol, en ma possession) : « Vous avez vu autrefoisnbsp;des acteurs, gens vaillants, subtils surun theatre et vétiis super-bement...nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;comment faut-il interpreter co quot; superbomont»?
2. nbsp;nbsp;nbsp;Hevue cellique, t. Yli, p. 324-333.
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dans la main droite et une fonrche ii deux doig’ts dans la main gauche. Sans nier qne des costumes aussinbsp;compliqués aient pu être d’emploi, sinon dans lesnbsp;campagnes bretonnes, du moins dans les villes, il estnbsp;bon de faire remarquer que la redaction vannetaisenbsp;de la (( farce devote » des Trois Rois est une versionnbsp;partielle d’une pastorale frangaise « sur la naissanccnbsp;de Jésus-Clirist «revue et corrigée « par frère Claudenbsp;Macée, ermite de la province de Saint-Antoine «, denbsp;sorte qu’il y a lieu de croire que les indications relatives aux costumes ont été, comme la pièce elle-même,nbsp;primitivement traduites du texte frangais.
Quoi qu’il en soit, des que les acteurs étaient assures de leur équipement et familiarises avec leurs roles,nbsp;les répétitions cornmengaient. A Pluzunet, elles senbsp;faisaient Ie dimanche, après vêpres, dans une chambrcnbsp;d’auberge. Tons les dimanches on changeait d’au-berge, « afin de donner a gagner a tont Ie monde »;nbsp;car il y avait toujoiirs a ces séances grande affluencenbsp;de spectateurs et, par conséquent, de consomma-tours. Jusqu’a ce que la chambrc fut bondée, qui vou-lait entrait, moyennant une redevance d’un sou parnbsp;tête; les sommes ainsi pergues étaient versées a lanbsp;caisse de l’association dont Ie directeur de la troupenbsp;avait la responsabilité. L’on y faisait, du restc, unenbsp;large brèche, Ie soir même : de déclamer trois et quatrenbsp;heures durant, cela donnait soif et les répétitions scnbsp;terminaient d’ordinaire par une beuverie généralenbsp;aux frais de la communauté. Aussi se séparait-on fortnbsp;échaufPés; lecidre achevait d’exalter les têtes déja gri-sées d’ivresse héroïque; chacun s’en allait hurlantson
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rólc, si bien qiic, mcme disperses a tracers Ie noir des campagnes et taiit que la porte de leurs chaumièresnbsp;ne s’était pas refermée sur eux, les acteurs ne ces-saieut de « tragódier » dans la nuit. Les réunious quinbsp;se tenaient a del ouvert n’ótaient pas uécessairementnbsp;plus sobrcs et parfois elles entrainaient de plus gravesnbsp;désordres, comme en témoigne uno procédure de lanbsp;juridiction abbatiale de Peulan-Bégard' relative a unnbsp;certain Lucas Salaüii, matelot de la paroisse de ïró-beurden, Icquel, étant en état d’ivresse, avail, Ienbsp;8 mai 1687, — pendant que l’on cxergait« dans Ie parenbsp;du moullin de Trovern » los acteurs « d’uno comédienbsp;OU d’une tragedie bretonne qui doit se donner aunbsp;même lieu », — profcré des injures et commis desnbsp;voies de fait contre la dame de Lésérec, propriétairenbsp;do la terre de Trovern.
Tout Ie temps que durait celte période d’élabora-tion, c’est-a-dire la majeure partie de Thiver, il n’était pas un des membros de la troupe qui ne vécüt dansnbsp;Tagitation et la lièvre. « Je ne dormais plus, menbsp;contiait René Geffroy; j’étais comma un hommo anbsp;qui Ton a jeté un sort ; mon pire ennemi m’eütnbsp;voué a saint Yves de Vérité% que je n’aurais pasnbsp;été plus malade; je maigrissais, je sécbais sur pied anbsp;mesure que Ie terme approchait. » Jusqu’au momentnbsp;suprème il y avait constamment quelque mésaven-turc a craindre; car, en dehors d’une prohibition
1. nbsp;nbsp;nbsp;Archives de'partementales des Cótes-du-Nord, B, 169.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Sur cette superstition populaire, voir Au Pays des Pardonsnbsp;p. 3-23, et La légende de la mort chez les Bretons armoricains,
t. I, p. 160-174.'
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administrative loujoiirs possible et sans parler des menaces que lo clergé prodiguait en chaire on desnbsp;intimidations auxqnelles it se livrait dans le confes-sionnal, il fallait compter avec les manoeuvres traitresses des jaloiix. Un epilogue de la Passion ‘ se féli-cite que la piece ait etc jouée malgró le faux bruit,nbsp;repandu a plaisir, qu’elle ne le serait point. La datenbsp;do la représentation une fois arrètée^, on la faisaitnbsp;annoncer « publiquement aux foires et aux marches,nbsp;et a Tissue des grand’messes des paroisses voisinesnbsp;du lieu® )). La rumeur s'en propageait vite, colportéenbsp;de boucho en bouche, et il n’était chaumicre si perduenbsp;oil elle ne parvlnt. Les gens se disaient les uns auxnbsp;autres : « Les gars do Pluzunet, ou de Plouaret, ounbsp;du Guerlesquin, s’apprctent a faire vaillantises a.
Les principalcs saisons de Tannée dramatique etaient Noel, les Jours Gras et Puques. Cette derniore saisonnbsp;était de bcaucoup la plus importante, paree que lesnbsp;deux et même les trois premiers jours do la semainenbsp;s’y chomaient a Tcgal du dimanebe; puis, Paquesnbsp;e’etait déja le printemps, la lumiere plus longue, etnbsp;surtout le oiel moins maussade, condition a pen présnbsp;essentielle pour le succès d’une solennité en plein air.nbsp;Mais, indépendamment des trois saisons que nous
1. nbsp;nbsp;nbsp;Donne a la suite de la Vie de Mallarrj/?, ms. de ma collection.
2. nbsp;nbsp;nbsp;On ne la fixait que sous la réserve ma ve caer an amzer,nbsp;lt;' si le temps est beau ». (Création du Monde, ms. do ma collection, Drologue.) On disait do mérae dans les mystères francais :nbsp;« Si nous avons temps et saison ». (Petit do Jiilleville, Les Mys-tèi'es, t. II, ]). 414.)
3. nbsp;nbsp;nbsp;Arrèt du 24 septembre 1733; cf. Luzel, Sainte Tryphine etnbsp;le roi Arthur, p. xi.
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venous d’indicfuer, les circoiistances étaient nom-breuses qui pouvoient otre des occasions de spectacles ; il y avail, par exemple, les fêtes paroissiales, lesnbsp;(( pardons )) des saints locaux, et il y avail aussi lesnbsp;foires, ces immenses foires bretonncs qui, par leurnbsp;durée comme par los foules qu’elles attircnt, fontnbsp;penser aux foires du moyen age.
A Lannion, c’otait pendant la foire de la Saint-Michel, sur la fin do septcmbrc, que so touaient les grandes assises dramatiqucs dont Souvcstre’ nous anbsp;transmis unc peintnre quelque peu magnifiée. Si lesnbsp;(( ardentes Lamballaises » ne s’y pressaient point,nbsp;pour I’excellente raison qu’elles n’y eussent rien com-pris, il ne s’y faisait pas moins un enorme concoursnbsp;de pouple de tout lo pays d’alentour. Los représonta-tions se donnaient sur le champ de foire, sur le foar-lec’h, 0Ü un emplacement spécial leur était réservé,nbsp;d’une contenance de prés de douzc ares, qui portenbsp;encore au cadastre Ie nom de Tachen ar gomcdien ^nbsp;(parcolle de la Comédie). Par aillcurs on ne voit pasnbsp;que Ie théatre armoricain ait eu des aires fixes, desnbsp;espèces de leur ar c’hoari analogues axixplan an guarenbsp;de la Cornouaille anglaise. Les préférences allaientnbsp;iiaturellement au site Ie plus avantageux. A Coadout,nbsp;en 186b, la Vie de David fut jouée dans une vastenbsp;lande [La7mek jiarc ar meur), sur Ie bord du grandnbsp;chemin, prés du village de l’Argoat. A Pouldouran,nbsp;vers 1832, la représentation du Jugement dernier eut
1. nbsp;nbsp;nbsp;Les clerniers Bretons, t. II, p. 2C-3G.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Plan de Lannion, section A, nquot; Iö2. — Renseignement communiqué par M. Oplat Martin.
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lieu (lans uiie prairie en pente doucc oii les spccta-tears s’étageaient accroupis dans I’licrbe. Mais on n’avait pas toujours la liberté du choix. Excitóes parnbsp;lo clerg(), les autorités civiles se montraient souventnbsp;tracassières : il fallait en ce cas s’arranger do fac-onnbsp;a esqnivcr leurs foudres. Les jcunes gons do Plou-guiel et du Minihy, deux communes limitroplies,nbsp;ayant entrepris en 1858 de donncr a leurs conci-toyens une representation dos Qunire fils Ayinon, sonbsp;virent refuser par leurs maircs rcspcctifs l’autorisa-tion de construire leur theatre sur Ie territoire denbsp;l’une OU de l’autre commune; ils s’avisèrent alorsnbsp;d’un stratagème oü se révèle touto l’ingéniosité tró-gorroise : la separation entro Ie Minihy et Plouguielnbsp;est tracée par Ie cours du Guindy dont les berges a cotnbsp;endroit commencent a s’clargir en estuaire marin; ilnbsp;y avait done lii un espacc noutre, cchappant a lanbsp;juridiction des deux maires; les acteurs installèrentnbsp;paisiblement leurs tróteaux dans Ie lit de la rivière,nbsp;une après-midi que les eaux étaiont basses, et lesnbsp;Quatre fils Aymon furont joués sur pilotis, auxnbsp;applaudissements des deux populations admirable-ment placées pour tout entendre et pour tout voirnbsp;dans 1’amphithéatre naturel quo formaient les deuxnbsp;versants du vallon'.
L’édification de la scène n’exigeait ni grands efforts, ui grande depense. Son architecture, en effet, scmblenbsp;avoir été de tout temps des plus élémentaires. C’était,
1. Renseignement communiqué par .loan Le Flem, do Treguier. — La représentation avait (Hé organisée jiar les l'réres Conan,nbsp;des meuniers de la vallée du Guindy.
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nous dit Luzel', une estrade en bois, clevée d’im pen plus d’un mètre au dossus du sol, et clont les planches, plus OU moins bien ajustées, reposaient soit surnbsp;des barriques, soit sur des chevalets. Sa longueurnbsp;était d’environ quinze pas sur buit de profondeur.nbsp;Vers Ie tiers do la largeur étaient accrochées a desnbsp;montants verticaux deux vastes pièces de toile quinbsp;partaient obliquement de chaque cótó de l’estrade etnbsp;se rejoignaient en son milieu de fagon a former unnbsp;angle rentrant. La scène se trouvait ainsi divisée ennbsp;deux parties : Tune, la plus spacieuse, en avantde lanbsp;toile et constituant la scène proprement dite; l’autrenbsp;en arrière et servant de coulisse aux acteurs. Lesnbsp;entrees en scène se faisaient par les deux extrémitésnbsp;de cette espöce de rideau : quelquefois on y ménageaitnbsp;des ouvertures a eet effet, mais Ie plus souvent on senbsp;contentait d’en laisser a cbaquo bout Hotter un pannbsp;mobile que l’acteur soulevait tout bonnement pournbsp;passer. Le souffleur avait sa place marquee dans lanbsp;coulisse jus te au point d’intersection des deuxpièccs denbsp;toile dont les bords étaient assez grossièrement coususnbsp;pour qu’il piit au besoin avancer le nez jusquo sur lanbsp;scène et se faire entendre de plus prés aux acteurs.
1. Revue celtique, l. III, p. .“SUO. Le Jélail do la construction variait selon les lieu.x. Queli|uel'ois les coulisses étaient en planches que Ton garnissait de draps « comme pour la procession denbsp;la Fête-Dieu ». Au lieu de deux entrees sur la scène, il pouvnitnbsp;y en avoir trois, dont une au milieu, sans doute pour les prota-gonistes, comme le niontro cette indication scéni([ue ; « Mainte-nant ontrent tous les acteurs sur le theatre, chacun d’enx a sounbsp;rang' et celui qui fait son entree par le milieu saluo et fait révérence en disant.... » {Vie de Jacob, ms. de la collection Vallée,
p. 280.)
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Dans les mamiscrits ccttc toile ile fond est appeléou la tapisserie » (on tapissiri); primitivement elle so com-posait peut-ètre de tapisseries véritables prètées parnbsp;les geiitilliommièrcs et par les églises; mais plusnbsp;récemment on n’y employait guère que des draps donbsp;lit, des voiluros de bateaux ou mêine de simples baches,nbsp;que Ton piquait ga et la de quclques fleurs et que l’onnbsp;cuguirlandait de verdures, branches deboux ou branches de sapins. Do décors il n’est jamais question. Etnbsp;nous en aurons flni avec 1'installation matériellenbsp;quand nous aurons dit ([ue Ic planchor de la scènenbsp;élait pcrcé d’une trappo par oii les diables et leursnbsp;victimes étaient censés disparaitre dans les séjoursnbsp;infcrnaux dont un feu do paille tlgurait les flammcs.nbsp;Ajoutons copendant qu’a cóté de ce premier theatrenbsp;on en dressait parfoife un second, plus petit, « destine, scion Fréminville *, a jouer les intermèdes ».nbsp;Le témoignage do Fréminville est corroboré par 1’in-dication suivante, tiréo d’un manuscrit du Jngementnbsp;dernier'^ : « Pour jourer eet vit (vie) il faut dcu teat,nbsp;le poutit sera lo plus haut, le mort doit allé dosut Icnbsp;pciitit »; et c’est la, en effet, que se déroule la scènenbsp;des « quatre morts » dont nous avons donné une analyse au cbapitre vu (p. 295-296).
J'ai dit quo le travail no nécessitait pas grands débours: tous les corps de métiers tenaient ii honneurnbsp;d’y apporter leur contribution; les menuisiers, lesnbsp;charpentiers fournissaient les bois et prenaient a leur
1. nbsp;nbsp;nbsp;Antiquiiés de la Bretagne, Cótes-du-Noni (1837), p. 100.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Ms. de la collection de M. Vallée, p. 2.
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charge Ie gros ojuvre; les aubergistes cédaieiit leurs futailles vides; les paysans faisaient les charrois. Unnbsp;epilogue de la Vie de Moïse leur rend grace, en cesnbsp;tormes, de leur obligcant concours : « Je n’ai pas asscznbsp;do mots a ma disposition pour remercier dignementnbsp;toutcs les personnes du canton qui nous ont secondésnbsp;en nous prêtant ce qu’elles avaient, charrettes,nbsp;planches, soliveaux et force barriques, pour la construction do notre theatre; pasune qui n’y ait mis dunbsp;sien; a toutes je suis profondément oblige pour leurnbsp;aide si franche, et toutes je les remercie d’un coeurnbsp;loyal». Devant Ie theatre et sur les cótés s’étendait lanbsp;« lice » (linz)' oü ne pénétrait que Ie public payant:nbsp;elle pouvait contenir jusqu’a deux et trois mille spec-tateurs; Ie pourtour en était habituellement ferme parnbsp;des tombereaux et des chars a ridelles que reliaientnbsp;des cordes et oü les assistants les plus éloignés nenbsp;manquaient pas de se suspendrc en grappes pournbsp;mieux voir. A Fintórieur do la lice on s’entassaitnbsp;comme on pouvait. Nulle appropriation spéciale. Anbsp;Pluzunet, oil Ie spectacle se donnait Ie plus souventnbsp;dans une cour de ferme jonchée de fumier commenbsp;toutes les cours bretonnes, les organisateurs avaientnbsp;toutefois la pVécaution délicate derépandreune couchenbsp;de paille fraicho sur 1’ancienne paille en décomposi-tion II n’y avait point de sièges, hormis sur lanbsp;scène oü, en vertu d’uno tradition que los Bretonsnbsp;avaient encore empruntée a la France, des bancs
1. nbsp;nbsp;nbsp;On disait aussi an (lachen, « Tarpent, In parcelle de terre ».
2. nbsp;nbsp;nbsp;Remie cellir/ue, t. lil, p. 390.
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étaicnt places a droite et a gauche pour les person-nages de marque et pour les cultivateurs cossus.
Vient le jour de la représentation. Les recteurs ct les cures out eu beau crier, — pour parler commenbsp;l’arrêtdc 1753 ', — hommes, femmes, enfants soiitnbsp;accourus de quatre et ciuq lieues a la roiide. Ceux quinbsp;avaieiit la plus longue route a faire ont voyagé « unenbsp;grande partic do la unit ^ », par crainte de se mettrenbsp;on retard. Et, pour apprecier a sa valeur le mérite denbsp;CCS naïfs pèlerins de Tart, il faut, d’après les vieuxnbsp;chemins a fondrières de la Bretagne d’aujourd’hui,nbsp;imaginer ce qu’étaiont les chemins d’alors. La plupart apportent avec eux leur subsistence pour lesnbsp;trois OU quatre jours que doit durer le spectacle. Quantnbsp;au coucher, il y a, pour les plus riches, les aubcrgcs,nbsp;pour les autrcs, 1’hospitalisation daas les fermes, surnbsp;la litière des ctables et le pailler des granges. Onnbsp;commence par entendre dévotement la messe dansnbsp;Icglise de la bourgade, puis, après un déjeuner som-mairo, on se rend en bandes a la lice. Des péagers,nbsp;distribués de distance en distance, pergoivent le prixnbsp;des cnlrócs “ : deux sous pour les places de parterrenbsp;qui sont ici les bien nommóes, puisque qui voudranbsp;s’asseoir n’aura que le sol même oü s’accroupir, —nbsp;deux réaux (0 fr. 50) pour les spectateurs désireuxnbsp;d’etre admis sur la scène. Comme l’angélus de midinbsp;vient de tintcr au clocher, voici paraitre les acteurs
). Luzel, Sainte Tryphine et le roi Arthur, p. xi.
2. nbsp;nbsp;nbsp;ld., ihid., même page.
3. nbsp;nbsp;nbsp;Ces prix ont naturellement varié, selon les localitéset selonnbsp;les époques : je doniic ceux de Pluzunet.
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en costume : Ia ofi lo clergó ne leur est point hostile, ils marchent précédés de la bannière paroissialenbsp;ailleurs, c’est un tambour, nne clarinette on même —nbsp;nons l’avons vu — un cor de ehasse qui vicnnent ennbsp;tóte, sonnant « un pas de procession ». Montée sur Ianbsp;scène, toute la troupe s’y range en demi-cercle etnbsp;celui de ses membres qui est chargé de débiter Ienbsp;Prologue s’avance jusqu’au hord de Ia rampe, llanquénbsp;de deux acolytes qui lui font escorte, une épée nne anbsp;la main.
Pcrsonne ne se souciait d'etre ce « prologueur » a qui incombait la tache redoutable d’alïronter Ie premier Ie public : aussi tirait-on au sort sa fonction,nbsp;ct, dans presque tous les manuscrits*, on l'entend senbsp;plaindre que Ie sort soit tombé sur Ic plus ignorant.nbsp;II annonce d’abord quelle est la Vie que Pon va representor (discleria), puis ; (( Avant de poursuivre nonsnbsp;devons commencer par nous adrcsser au ciel; pournbsp;rcndre graces a Dien avec bonncur, je pretends quenbsp;Pon cbante lo Veni, Creator^ )). Aces mots,il sejettenbsp;a gcnoux, les acteurs, derrière lui, en font autant, etnbsp;Pbymne qu'il entonno s’élargit en un cbccur formidable hurlé par les deux ou trois mille assistants.nbsp;Lorsque Ie chant a pris fin, lo prologueur prie sesnbsp;camaradesde quitter la scène : « Retirez-vous, acteurs,nbsp;dans la tente [lell] et tencz-vous prêts pour Ie moment
1. nbsp;nbsp;nbsp;Fréniinville, AniiqiiUé.i de la Brelagne, Cótes-du-\ord (1837),nbsp;p. 167.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Voir, entre autres, I’épilog-ue du Myslère d’Eulogius (ms. denbsp;lil BiWiothèque nationale, nquot; 28).
3. nbsp;nbsp;nbsp;Vie de sainle Jryphine, Prologue, ms. de la Bibliothèquenbsp;de Quimper.
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0(1 j'aurai lorminé ' ». II iie conserve auprès de lui quo ses deux g’ardes du corps. Reprenant alors sounbsp;discours dout nous avous, dans Ie précédent chapitrc,nbsp;analyse Ia substance, il execute, tout en déclamant etnbsp;saus jamais se sóparer de ses deux acolytes, une sérienbsp;de « marches » et de contremarches qui rappellcnt, sinbsp;1'on veilt, les evolutions du chmur antique, mais oünbsp;il faut surtout voir, si je ne me trompe, une imitation directe des allées et des venues du prêtre a l’aulel.nbsp;Rans la première (( marche n, l’acteur se porte iinbsp;1’extrémité gauche de la scène, recite une premièrenbsp;laissc de quatre vers, se découvre et saluc de Ia tóle,nbsp;pendant que ses compagnons saluent de Tépée; ilnbsp;revient ensuitc au centre, recite une autre laisse,nbsp;refait un autre salut, et c’est la seconde (( marche » ;nbsp;dans Ia troisième (( marche » il passe a l’extrémiténbsp;droitc, oil la recitation de la laisse suivantc estaccom-pagnce d’unc nouvelle inclinaison de tète; et Ie memonbsp;manége se reproduit en sens inverse pour se continuer de gauche a droite et de droitc a gauche « jus-qii’a complet épuisement du monologue »-. ïcl estnbsp;ce ritucl bizarre, copie évidente, me semblc-t-il, de eenbsp;qui se prati([ue a la .messe, quand l’offlciant va denbsp;rÉvangile a l’Épitre et de I’Épitre a I’Evangilc, avecnbsp;des stations intermédiaires devantle tabernacle. C’estnbsp;du roste un acte de piété, non de pur divertissement,nbsp;que la representation d’une tragedie, et c’est aussinbsp;dans un esprit rcligieux que Ie prologucur entend
1. nbsp;nbsp;nbsp;Vie de sainte Tryphine, Prologue, ms. Bibl. Quimpcr.
2. nbsp;nbsp;nbsp;lici'ue eeltique, t. III, p. .392.
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qu’ellc soit écoutée : « Les libcrtiiis qui nc cherchent que Lourdes et matière a rire, et qui ne se conduisentnbsp;que d’après les maximes du monde, n’ouront iei nulnbsp;agrément ‘ ». Mème les sujets profanes doivent con-tenir un principe d’cdification : « Profane est notrenbsp;histoire, mais, si l’on y réfléchit bien, elle sera pournbsp;beaucoup de geus une lecjon utile et profitable - w.nbsp;Après avoir exposé la teneur [tenor] du premier actenbsp;OU de la première journée, Ie prologueur conclut ennbsp;ces termcs : « Soyez tons patients, restez a vos places,nbsp;et vons verrez représenter par personnagcs tout cenbsp;que je vicns de dire devant vons, avec la grace denbsp;Dieu qui ne nous refusera pas son assistance “ ».nbsp;Souvent aussi il annonce par un procédé tout sim-pliste 1’entrée des personnagcs auxquels il va cédernbsp;la place : « Compagnie prudente, les acteurs arrivent;nbsp;je vois Ie père Jacob en tête de la bande et ses douzenbsp;fits qui 1’entourent. Dieu les garde! Moi, je vaisnbsp;partir * ».
Le prologueur disparu dans la coulisse, la tragédie commence. Heureuse la troupe qui possède un bonnbsp;souffleur! Non pas que les acteurs ne sachent par-faitcmcnt leur» lef-on », mais la plupart sont novices,nbsp;gaudies, prompts a s’intimider; puis, il en est du
1. nbsp;nbsp;nbsp;Vie de sainle Anne (ms. de la Bibliothèque nationale, n° 17),nbsp;Prologue.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Mystère d’Eulogius (ms. de la Bibliothèque nationale, n° 28),nbsp;Prologue.
3. - Vie de sainle Anne (ms. de la Bibliothèque nationale,nbsp;nquot; 17), Prologue.
4. nbsp;nbsp;nbsp;Vie de Jacob (ms. de la Bibliothèque nationale, nquot; lü), Prologue, r 8.
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souflleur dans les pieces bretonnes comme del’ « ordinaire » ‘ dans les drames corniques : il cumule en même temps les fonctions de directeur de la scene etnbsp;de régisseur; toute la conduite de la representationnbsp;repose en realitc sur lui. C’est lui qui régie les entreesnbsp;et les sorties des interprètes, lui qui, lorsqu’ils sontnbsp;en scene, guide lours gestes et lours mouvements;nbsp;bref, c’est lui qui, selon I’expression de René Geffroy,nbsp;« commande de derrière la toile toute la manoeuvre ».nbsp;11 a par intervalles une fagon curieuse de la commander. Toutes les fois que dans le mamiscrit sesnbsp;yeux rencontrent le mot « scène », il crie d’une voixnbsp;impérieuse : Scène lout! Et Ton assistc alors a cenbsp;spectacle aussi étrange qu’inattendu: tons les acteursnbsp;demeurés dansla coulisse se précipitent pèle-mêle surnbsp;Ia scène et, saisissant par la main ceux ((ui s’y trou-vaient déja, se mettent a danser au son de la musiquenbsp;une ronde elirénée oü c’est a qui fera le plus denbsp;vacarme sur les planches
Ces folies sarabandes avaienttoujours un vif succès auprès du public, d’abord a cause de I’entrain sau-vage que les acteurs y apportaient, ensuite a causenbsp;des contrastes baroques qui naissaient du rapprochement imprévu de certains personnages, comme parnbsp;exemple tjuand un liasard malin voulait que ce futnbsp;Dieu le Père qui prit la main d’Eve et la sainte Viergenbsp;celle du diable. Aussi étail-ce la un jeu de scène, sinbsp;j’ose m’exprimer ainsi, dont le soulileur usait volon-tiers, et même plus souvent que ne l’exigeaient les
1. nbsp;nbsp;nbsp;Voii’ ci-d(“ssus, p. 93.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Cf. Revue cellique, t. Ill, p. 391.
31
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indications données dans Ie texte. II est vrai qu’en bien des cas c’était une ressource précieuse, ct voicinbsp;comment : un acteur vcnait-il a manquer son eiitrée,nbsp;soit qu’il se fut absente un instant, soit qu'il eütnbsp;égaré quelqu’un des attributs de sou role? ou encorenbsp;un des pcrsonnages en scène avait-il une brusquenbsp;dcfailiancede mémoire qui risquait de lui faire perdrenbsp;complètement la tètc ?— Scène tout! criail de sa voixnbsp;la plus retentissantc l’astucieux souffleur; Ie branle-bas recommen(.‘ait de plus belle, les spectatcurs tré-pignaient d’aise et Ie dommage était rcparé.
Comme on était entrc « gens du canton » Ia fète se passait un peu en familie. A Pluzunet, les femmesnbsp;des acteurs, qui avaicnt de droit leurs places sur Ianbsp;scène, ne se privaient pas do se faii’C accompagner denbsp;leurs plus jeuacs onfants que 1’on voyait, dit Luzel-,nbsp;s’cchappcr toutu coup de leurs bras, une tartine denbsp;pain beurré a la main, pour s ailer jeter dans lesnbsp;jambes de leur père en train de déclamer gravementnbsp;son role de roi, de prince ou d'évêque. A Brélidy, oiinbsp;la troupe de Pluzunet dounait en plein champ unenbsp;représentation de Sainle Tryphine, Uené Gefïroy quinbsp;jouait Arthur avise un paysan grimpé sur Ie talus etnbsp;s’apprètant a Ie franchir saus payer; Geffroy ne faitnbsp;ni une ni deux, il plantc la sa tirade, retrousse soanbsp;manteau fleurdelysé, bondit par-dessus la rampe,nbsp;s’ouvre uae trouée daas la foule et, empoignant l’in-
« Nous sommes des geus du canton, vous saves qui nous sommes. » {Mystcre de La Passion, ms. de la Bibliothèquenbsp;nationale, n” té, Prologue.)
2. Pevite neltique, t. lil, p. 3!)4.
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Irus au collet, ue Ie laclie quc lorsqu’il a cléboursé ses deux sous. Les incidents comiques abondaient.nbsp;Tantüt c’était un acteur qui, s’étant un pcu grisenbsp;pour se donner un air plus crane dans ie pcrsonnagenbsp;d’un matelot, commettait d’étranges lapsus commenbsp;de dire : Tol an or er mor (Jettc la porte dans la mer)nbsp;RU lieu de : 7'ê/a» eitu’«¦ mor (Jelte l’ancrc a la mer).nbsp;l'antöt c’était un des trucs de la misecn scène qui ratait,nbsp;Rinsi ({u’il advint lors d’une representation de Lanbsp;Tasslon a Saint-Martin, pres de Morlaix. On en étaitnbsp;RU moment Ie plus pathétique du drame, quand Ienbsp;centurion va pour percer de sa lance Ie flanc dunbsp;Christ; Facteur qui ligurait Ie Christ en croix portaitnbsp;attacliée sur sou maillot une aunc de ruban rouge,nbsp;luaintenue en pelote par uneépingle que Ie centurionnbsp;Rvait mission de faire sauter du bout de sa lance, denbsp;telle sorte que Ie lacct, en se déroulant, put être prisnbsp;pour un filet de sang jailli de la blessure. L’épingle senbsp;montra-t-clle cette fois plus recalcitrante, ou Ienbsp;centurion plus maladroit? Toujours est-il que Icnbsp;Christ, n y tenant plus, linit par s’écrier : Tenn aneïnbsp;ganl da zornla, niab gaal imbissil! (Ote-la done avecnbsp;la main, triple imbecile)
C’étaient la, aux yeux du public, des peccadilles saus consequence dont il était rare qu’il se fachat. Lanbsp;loiiganimité de ce public n’avait d’égale que sa can-ileur; et rien ne marque mieux la passion dont il étaitnbsp;possédé pour les spectacles que l’incroyable patiencenbsp;dont il faisait preuve aux représentations. On en
Souvenir personnel de M. Gloarec, député du Pinistère.
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aura une idéé si l’on soiige que ces representations duraient trois, quatre lioures d’affilée', et que, pendant tout ce temps, sous Ie soleil ou sous l’averse, lanbsp;foule restait campéc sur Ia place, debout, les regardsnbsp;rivés a la scène, les pieds comme enracinés dans Ienbsp;soP. En region vannetaise, pour empêcherrattentionnbsp;de s’endormir, deux hérauts postés aux deux coins dunbsp;theatre avaient charge de crier par intez’valles ; Chi-laouell (Écoutez!) et d’accompagner cetavertissementnbsp;d’un coup de fusil ou de pistolets Mais, en general,nbsp;l’attention n’avait pas besoin d’être réveillée. Hormisnbsp;aux endroits comiques, un recueillement immense,nbsp;vraiment religieux, planait sur l’assemblée. Jamaisnbsp;d’applaudissements, même quand Ie pathétique étaitnbsp;a son comble; mais une émotion fervente, contenue,nbsp;des faces baignées de larmes silencieuses‘, parfois une
1. nbsp;nbsp;nbsp;Tah'eur audians (trois heures d’audience), dans la Vie denbsp;VAntechrist, ins. de la collection Vallée; pedereur audiansnbsp;(quatre heures d’audience), dans Ie Mystire de saint Antoine,nbsp;ms. de la Bibliothèque nationale, n“ 31.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Le dimanche, 11 y avait toutefois une suspension, pournbsp;permettre au public d’assister a vêpres. II arrivait aussi, aunbsp;témoignage de la vieille Bétrys, de Troguéry, que les acteursnbsp;quittassent en troupe le théatre pour aller se rafralcliir a l'au-horge voisine, ne laissant sur la scène que deu.K ou trois d’entrenbsp;eux qui, pendant ce temps-lii, s’employaient ii faire patienter lenbsp;public par quelque intermède de leur facon. C’étaient toujoursnbsp;des dröleries, par exemple un duo d’amour boulTon entre lonbsp;(( gardeur de pourceaux » de Samte Tryphinc et sa maitresse,nbsp;« la fée aux orties » {Groac’/t al Unad), laquelle brandissait aunbsp;nez du public une gerbe d’orlics plantée au bout d’un longnbsp;manche a balai.
3. nbsp;nbsp;nbsp;Dufllhol, cité par Le Goffic, L'dme bretonne, p. 273, note.nbsp;M. Loth m’a dit que cette coutume existnit encore dans le Mornbsp;bihan.
i. Bulletin de la Société archéologique du Morhihan, 18ö8, p. 2.
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soiirde explosion do sanglots. Le copiste Jean Lc Moiillec racontait a Luzel ‘ c[iie, dans un ropas de noco, anbsp;Ploulec’h oil il avait óté prié do déclamer quelqiienbsp;chose, une jeune fille, en l’entendant réciter le terri-flant prologue du Jugemenl dernier, se mit soudain anbsp;liurler qu’elle se voyait enveloppée de flammos etnbsp;entouróe de démons hideux qui s’efïorpaient de l’en-trainer en enfer : elle faillit en rester folie. Qu’on jugenbsp;alors de l’efïet que devait produire sur les foules lenbsp;drame lui-même. Car de ce que nous avons dit desnbsp;fautes de goüt ou de tenue de certains acteurs il nenbsp;faudraitpas conclure que les interprètes ne déployas-sont point dans leurs róles tout le zèle dont ils étaientnbsp;capables. Bien au contraire; ils s’idontifiaicnt si abso-lument a leurs personnages qu’ils ne vivaient plusnbsp;qu’en eux; que dis-je? ils allaiont même jusqu’anbsp;mourir de leur mort. La chose est arrivée au moinsnbsp;une fois, a Lannion, dans une représentation de lanbsp;Passion qu’y donnaitla troupe de Joseph Coat: quandnbsp;on descendit de croix Facteur qui jouait le Christ, onnbsp;s’apergut avec stupeurqu'il ne respiraitplus. « II avaitnbsp;pris son role trop au séricux )), me disait Vincent Coatnbsp;de qui je tions le trait. L’accent profond des voix, lanbsp;solennité monotone du débit, la raideur des attitudes,nbsp;1’automatisme des mouvements et la sobriétó desnbsp;gestes, tout dans le jeu des acteurs était pour con-tribuer au caractère hiératique du spectacle et pournbsp;impressionner vivement le public. Cclui-ci, a son tour,nbsp;entrait si avant dans Faction que, lorsque F « épi-logueur )) final, tiré au sort comme le « prologueur »,
1. Notes manuscrites de voyage.
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en était a sa dernièro « marclie )) et, faisant remarqiier qne la imit approcliait* oii que la liine se levait « dnnbsp;cóté de la Normandie »¦, ébancliait Ie signe de lanbsp;croix, signe anssi de la cloture, Ie même cri s’écliap-pait de toutes les poitrines ; « Déja! » et ce n’étaitnbsp;jamais sans nn pénible sentiment detristesse que l’onnbsp;répondait; Amen.
Pendant que les spectateurs se dispersent par bandos dans toutes les directions, devdsant Ic longnbsp;des routes assombries des mcrvcilles qu’ils emportentnbsp;dans 1’esprit et qui feront, jusqu’a la representationnbsp;future, Ie plus noble aliment de leur entretien, lesnbsp;acteurs s’achemincnt vers l’auberge oü, suivant unnbsp;usage cher aux anciennes confréries, ils doivent senbsp;réunir pour banqueter. Le chef de 1’entreprise rendnbsp;comptc do 1’argent qui resto en caisse, tous fraisnbsp;déduits, et distribuc a chacun la part qui lui revientnbsp;sur la masse. René Gefïroy, une année, toucha ainsinbsp;jusqu'a 2ü francs, — ce qui lui parut une sommenbsp;énorme ^ Cesoir-la, dit-il, on fit nne telle bombancenbsp;qne les deux tiers de ses camarades furent perdusnbsp;pendant deux jours; mais lui ne but point jusqu’a senbsp;soülcr, « par respect pour sa dignité de roi ». iMcmenbsp;rentrés dans leur obscure existence quotidienne, cesnbsp;Moïso et CCS Charlemagne d’un moment ne dépouil-laient pas complètcment avec leur costume l’empe-reur on le patriarche qu'ils avaient été. Anssi bien
\. Vie de VAnlechrist, nts. de la collection do M. Vallée, p. öl.
‘2. Myeiêre de la naissance de l’enfant Jésus, ms. de la Biblio-th6(iue nationale, n° 18.
3. Le salaire moyen de 1’ouvrier broton était, a cette époque, de ü fr. 2ö par jour, avec la nourriture.
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leiirs compatriotos s’accoutumnient-ils souvent, et saus y mettrc d’ailleiirs Ia moindre ironie, a ne leurnbsp;plus douuer d'autres noms. Getto gloire rejaillissaitnbsp;jusque sur leur familie : paree quo sou mari s’estjadisnbsp;illustré dans Ie róle d’Arthur, la femme de Geffroynbsp;n'est connue a Pluzuiiet que sous l’appellation de Tré-fine. Le souvenir de quelques-uns de ces acteursnbsp;d’antan a survécu dans la mémoire populaire. Nousnbsp;avons déja cite Ie vieux Garandel, de Plouaret' : men-tionnons encore Yves Le Pezrou, un tailleur, etnbsp;L’Hélicoq, un cordonnier, tons deux de la troupe denbsp;Lannion; — Jules Chardel, un menuisier, directeurnbsp;de la troupe de Lanmeur; — Plassart, de Morlaix, quinbsp;eut asa retraite les honneurs inusités d’uiie représen-tation a bénéfice-; —Jean Guélou, de Pluzunet, qui,nbsp;lors de la representation de Sainte 'Tryphine aunbsp;Congres de Saiut-Brieuc, en '181)7, arracha, dit-on, anbsp;Ueiiri Martin deslarrnes d’aulaut plus llatteuses quenbsp;le savant historiën si passionné de celtisme n’enten-dait pas un mot de breton®; — Le Marce, un vieuxnbsp;cultivateur de Coadout, admirable dans le róIeduPèrenbsp;Eternel qu’il jouait assis sur uue espèce de marche-pied, derrière un voile : lorsqu’il avait a prendre lanbsp;parole, un des acteurs soulevait le voile et découvraitnbsp;le vieillarddont l’aspect majcstueuxfaisait passer dansnbsp;1’ame de la foule une sorte de frisson sacró ‘; — le tis-
¦1. Luzel, Notes manuscrites de voyage.
2. nbsp;nbsp;nbsp;ld., ibid.
3. nbsp;nbsp;nbsp;Cli. Le Goftlc, Vdme bretonne, p. 2CG, note. — C’est parnbsp;erreur ijuo M. Le Gofllc Tappelle Goëlo et le fait venir de Bclle-Isle-cn-Terre.
4. nbsp;nbsp;nbsp;Coiiimuaication de il. Le Moal, de Coadout.
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serand Kerambrun, de Pleudaniel, qui, iin dimanche a 1’issue de la grand’messe, donna, au diredeQuelliennbsp;une representation des Quatre (ils Aymon, a lui seul,nbsp;monté sur les marches du cimetière, faisant avec Ienbsp;mêmebrio tons lespersonnages, jusqu’a ce que les gendarmes, émus de i’attroupement qu’il avait provoqué,nbsp;lui fussent venus imposer silence; — Yves André,nbsp;de Plourivo, célèbre dans tout Ie Goëlo oü il n'étaitnbsp;jamais désigné que par Ie sobriquet de « Chef », pareenbsp;qu’il n’était pas a dix lieues a la ronde un acteur qui nenbsp;s’effa^at devant lui comme devant un chef^... J ennbsp;passe, mais je ne veux pas clorela liste sans rappelernbsp;Ie nom d’Alain Gourioil^ du Vieux-Marché. Luzel qui,nbsp;tout enfant, lui dut, on s’en souvient, ses premièresnbsp;émotions dramatiques, Ie dépeint en ces termos :nbsp;« C’était un homme d’une taille gigantesque, osseux,nbsp;grossièrement charpenté, sans tenue, aiix traits dursnbsp;et vulgaires, aux cheveux noirs et crépus, aux orbitesnbsp;profondes au fond desquelles se cache un ceil terne etnbsp;sans expression, bref, mie cspèce de Caliban. II étaitnbsp;merveilleusement bati pour Ie róle du traitre Ker-voura, qu’il avait joué*. » Quand, au cours de sesnbsp;enquêtes sur Ie théatre armoricain. Luzel Ie revit,nbsp;quelque trente ans plus tard, il était exténué de vieil-lesse, malade, presque moribond; mais, d’enteudrenbsp;prononcer Ie mot de tragédies, il parut ressusciternbsp;soudain et, dressé sur son séant, se mit a déclamer
1. nbsp;nbsp;nbsp;Chansons et danses des Bretons, p. 55.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Luzel, Notes manuscrites de voyage.
3. nbsp;nbsp;nbsp;Voir ci-dessus, p. 154.
4. nbsp;nbsp;nbsp;Notes manuscrites de voyage.
-ocr page 505-AUTEURS, ACTEURS, REPRESENTATIONS. 489
(I’ane voix rauque des lambeaiix de tirades, les seuls éclios qiie sa mémoire eii ruines lui reiivoyat encorenbsp;de son lointain passé.
Nous avons nommé les principaux chefs d’emploi: revenons aux troupes dont ils furent l’ame. Organi-sées en vuc d’uno representation, elles ne se sépa-raient pas nccessairement au lendemain de cettenbsp;representation. Presque toujours les « gens du quar-tier »les sollicitaient d’en donner une seconde, nne troi-sième, et elles y avaient de leur cóté trop de penchantnbsp;et d’intérêt pour n’y point consentir. De plus, lesnbsp;paroisses voisines leur faisaient des offres alléchantes,nbsp;— désireuses de les fêter sur leur propre territoire etnbsp;de profiler aussi de raubaine qui en résulterait pournbsp;Ie commerce local. Les troupes paysannes se trou-vaient ainsi amenées a entreprendre de vcritablesnbsp;tournees théatrales qui prolongeaient souvent leurnbsp;existence jusques au coeur de l’été. C’étaient denbsp;joyeuscs odyssees : on partait a pied, Ie samedi soir,nbsp;chantant et déclamant pour se remottre en haleine,nbsp;portant chacun sou costume noué dans un mou-choir, qui au bout d’une crosse d’évêque, qui a lanbsp;pointe d’un sabre de paladin; on rentrait Ic lundinbsp;matin, au petit jour, la tête un peu lotirde des libations de la veille, mais les ponmons toujours disposnbsp;et prèts a recommenccr. 11 s’écoulait parfois desnbsp;années avant quo l’on rccommenfat; il y avait,nbsp;comme dit Geffroy, « les périodes de vaches mai-gres )); riieure de la désagrégation sonnait alors pournbsp;la troupe; mais ses melnbres avaient beau s’éparpil-ler, quitter Ie pays, quitter la vie, elle ne s’évanouis-
-ocr page 506-490 IIISTOIRE DU THEATRE CELTIQUE.
sait jamais tont entière; des vétérans obstinés, comme nn Jean Le Ménager, comme un Claude Lenbsp;Bihan, demeuraient pour passer le flambeau a desnbsp;mains plus jeuiies et, a la première éclaircie favorable, on voyait Ie pliéuix consume renaitre de sesnbsp;ceiidrcs.
Des troupes permanentes proprement dites, il ne semble pas qu’il s’en soit fondó ailleurs qu a Morlaix.nbsp;Nous avons déja parlé des deux compagnies rivalesnbsp;de Joseph Coat et d’Auguste Le Corre; elles avaientnbsp;cliacuue leur installation : cello d’Auguste Le Correnbsp;donnait ses séances dans la « maison du Tartre* »;nbsp;cello de Joseph Coat, qui vécut plus longtemps,nbsp;changea plusieurs fois de domicile^. En dernier lieu,nbsp;olie fonctionnait au-dessus d’une écurie dans unenbsp;vaste piece qui sert aujoiird’hui de salie des ventes,nbsp;sur la place du Dossen, a l’amorce de la venelle desnbsp;Archers. On jouait tons les dimanches, tous les lundisnbsp;et tous les jeudis; la representation s’ouvrait anbsp;sept heures du soir, pour so terminer vers les dixnbsp;heures. Comme le fond de Ia clientèle était toujoursnbsp;le même, force était, pour I’attirer, de renouvelernbsp;chaque fois l’affiche; par contre, il était matérielle-ment impossible de faire tenir en trois heures desnbsp;mystères qui exigeaient une moyenne de trois jours.
1. nbsp;nbsp;nbsp;Abréffé de La Passion, ins. de la Bibliothéiiuc de Quimpcr.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Elle passa successivement salie Guillenn, rue des Fontaines, salie Toussaint, sur le Marhallac’li, et enlin salie do lanbsp;Renaissance, sur la place du Dossen. « Je lue souviens, ditnbsp;Guillaume Le Jean (Heme ceUique,X. IJ, p. 09), d’y avoir conduit, il y a des années, un voyageur américain qui est aujour-dTiui un illustre homme d’État, M. Charles Summer, qui s’ynbsp;ainusa heaucoup sans comprendre un mot. »
AUTEURS, ACTEURS, RE I'R É S ENT ATI O NS . nbsp;nbsp;nbsp;491
C’est pour résoudre cette difficulté que Joseph Coat et son emule furent conduits a mutiler les anciennesnbsp;pièces, puis a en fabriquer de leur cru. Après eux, lanbsp;scène morlaisienne ne fit plus que végéter. La muni-cipalité I'hospitalisa quolque temps dans la rue desnbsp;Nobles; des bourgeois éclairés émirent même Ie projetnbsp;de lui venir en aide par la création d’üne société ennbsp;commandite, et Ie père du poète Tristan Corbièrefut,nbsp;dit on, chargé d’étudier nne combinaison, de concertnbsp;avec Ie romancier-feuilictoniste Pierre Zaccone'. Maïsnbsp;1’idée en rcsta Ia. Pcrgame d’ailleurs ne pouvait plusnbsp;être sauvée. Morlaix avait besoin dame balie neuve,nbsp;et 1'on planta la piocbe dans Ie dernier gite citadinnbsp;qu’ait eu Ie theatre breton.
1. Luzel, yoles manuscrites de voijarje.
-ocr page 508-CHAPITRE XII
LA FIN DU THEATRE BRETON
La proscription des mystères. — Les arrèts du Parlement do Bretagne et les mandements dos évèques. — Les protestationsnbsp;dans les epilogues-, les résistanccs locales. — Les essais tentésnbsp;par Ie clergé pour satisfaire au goüt du peuple pour lesnbsp;spectacles. — L’agonie du théatre. — Gaston Paris ii la • Jour-née » de Ploujean. — Conclusion.
La destinée do ee theatre au cours des ages nous est surtout coiinue par les persécutions qu’il eut anbsp;soufïrir. Imitation tardive d’un genre déja suranné,nbsp;il n’apparut guère en Armorique que pour y subir Ienbsp;contre-coup des épreuves sous lesquelles Ie mystèrenbsp;francais devait bientót succomber. Entre Ie premiernbsp;mystère breton daté [La Passion, lö30) et l’arrèt dunbsp;Parlement de Paris du 17 novembre 1548, date ofli-cielle de Ia tin du theatre religietix en France1’écartnbsp;n’est que de dix-huit ans : il semble bien qu’a ces dix-liuit années se soit bornée, ou pen s’en faut, Ia périodenbsp;des jours sans nuages dans la vie du théatre breton.nbsp;La sentence du Parlement de Paris avait, en effet,
1. Petit do Julleville, Les Mystères, t. I, p. 429.
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LA FIN Dü theatre BRETON.
troiivé un prompt écho dans Ie sein du Parlement de Bretagne. L’arrêt suivant. Ie plus ancien dont j’aienbsp;pu découvrir Ia minute aux Archives de Rennes’, nenbsp;remonte pas au dela de liiöö, mais il nous fait asseznbsp;clairement savoir qu’il avait été précédé de beaucoupnbsp;d’autres ;
Sur la remonstrance faite a la Court par Maistre Claude Barjot, avocat du Boy, que par plusieurs arrests il a éténbsp;fait delfeuces de jouer aucuns mistères, farces ni mora-lités, pour éviteraux inconvéniens qui peuvent avenir denbsp;telles assemblees de jeux tanten ceste ville que paroissesnbsp;circonvoisines, a quoi il est besoin de pourvoir, a éténbsp;arresté que les dits arrests seront de nouveau publiés,nbsp;proclamés, tant en ceste ville qu’ailleurs oü besoin sera,nbsp;et informé suivant les précédens arrests contre ceu.x quinbsp;ont contrevenu et contreviendront aux delfeuces.
Do 10(53 a 1600, les prohibitions se succèdcnt presque sans désemparer : 12 avril 1370, « defencesnbsp;de non jouer mistères etautresjeux^)); 28 aoütl377,nbsp;(( defences aux paroissiens de Tallensac de non Joüernbsp;mistères, etc., sur pcine de 60 livres ® n; lOjuillct 1398,nbsp;« defences a toutes persones de jouer ou faire jouernbsp;farces ni mistères aux villes, bourgs et bourgades denbsp;ce pays '*... » Durant tout Ie xvii“ siècle, en revanche,nbsp;profonde accalmie, soit que Ie malheur des temps aitnbsp;fait reléguer les manuscrits dans les bahuts, soit quenbsp;messieurs les magistrals aient eu de plus graves
t. Registres secrets du Parlement de Bretagne, X.XIII, 1“ G, rquot;. — Tousles arréts dont je public ci-après des extraits sont inédits.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Noël du Fail, Arrêls du Parlement de Bretagne, p. 283.
3. nbsp;nbsp;nbsp;ld., ibid., p. 401.
4. nbsp;nbsp;nbsp;Registres secrets du Parlement de Bretagne, XC, fquot; 33, rquot;.
-ocr page 510-404 LE TUEATRE CELTIQUE.
soucis en tête Les seuls arrêts ayaiit trait au théatre que l’on rclève dans les llegistres pour cette époquenbsp;sont dirigés contre des troupes de « comédiens » denbsp;passage a Rennes^. Mais, patience! les foudres dunbsp;Parlement ne sont qu’endormies : dës 1’aube dunbsp;xviii® siècle, — l’ère par excellence de la tragédie rus-tiquc en Bretagne, Ie siècle d’Yves David, de Langoat,nbsp;et de Claude LeBilian, de Pluzunet, — elles se réveil-lentplus impitoyables que jamais; et, cette fois, leursnbsp;coups visent directement la Basse-Bretagne, ou mieuxnbsp;Ie ïrégorrois et Ie Vannctais, les seuls cantons de lanbsp;province qui soient demeurcs fidèles aux anciens jeux.nbsp;C’est un des faubourgs de Guingamp qui est d’abordnbsp;frappé, probablement celui-la même oü Ie brave Jeannbsp;Conan devait naitre quel([ue cinquante plus tard;nbsp;puis de Guingamp, l’orage, descendant la vallée dunbsp;ïrieux, va fondre sur les campagnes du ïrégor :
Le Procureur général du Roy entré en la Cour a remonstré que par arrest du 12 juin 1704 3, sur l’avis
1. nbsp;nbsp;nbsp;Uappelons que o’est Tépoque oü la Bretagne francaise vitnbsp;représenter, en ICOO, unc Légende de saint Armel mise ennbsp;vers francais sous forme de tragédie par mossire Baudrevillenbsp;publiée par S. Ropartz, St Brieuc, 18a5; en 1601, ii Maleslroit, unenbsp;Hisloire de Madame Sainte Marguerite-, en 1G26, encore a Males-troit, une llistoire de Judith et d’Holopherne (voir ci-dessus,nbsp;p. 260). — D’autre part, c’est aussi 1’époque oü ie raystère denbsp;La Passion de 1330 est réédité par Georges Allienne, de Morlaix,nbsp;et le mystère de Sainte Barbe par Jean Ilardouyn, de la mêmenbsp;ville. Enlln, l’on a vu (p. 470) qu’en 1687, l’on s’apprètait iinbsp;donner unc representation ii Trovern, en Trébeurden, sur lanbsp;cóte trégorroise, et qu’on 1689, Maurice Le Fiom commencait lanbsp;copie du mystère de Saint Antoine (ms. de la Bibliotbèiiuenbsp;nationale, n” 31).
2. nbsp;nbsp;nbsp;Voir Lucien Decombe, Le thédtre d Rennes, p. 13.
3. nbsp;nbsp;nbsp;Get arrót manque aux llegistres.
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LA FIN DU TIIEATKE DRETON.
qu’il avoit eu qu'on avoit représenté dans un des faux-bourgs de Guingamp mie manière de tragédie en derision de la religion, oül’on faisoit voir Sainte Anne accou-chant sur Je teastre et des personnes habillöcs en prestres, il avoit été fait dclfencos de faire de pareilles representations sur peine d’estre procédé oxtraordinairernontnbsp;contre ceux qui les représenteroient; que cependant il anbsp;esté informé que, dans Ie diocèse de ïréguier, on conti-nuoit areprösanter de ces sortes de tragédies, sous pré-texte que Ie premier arrest deffendant de faire de pareillesnbsp;Representations, ahusant de ce ternic de pareilles, ilsnbsp;croyoient, pourvu que ce ne fust pas tout a fait la inesnienbsp;chose, pouvoir se donner la liberté de faire de ces tragédies, dans la représentation desquelles il y avoit tou-jours quelque cliose de licentieux et contre la religion;nbsp;qu’estant nécessaire d’arrester Ie cours d'un pared abus,nbsp;a ces causes, a ledit Procureur general du Iloy requisnbsp;que deffences soient fades a toules personnes de repré-santer aucunc piècc ou tragédie licentieuse et contre Ienbsp;respect deu a la religion; qu’il soit cnjoint aux juges donbsp;tenir la main a l’exécution do l’arrcst qui interviendra,nbsp;qui sera leu et public oü requis sera. Fait au parquet Ienbsp;21 juillet 1705. Signé : Charles lluchet
En 1711, nouvclles rigueurs, excrcées encore contre les habitants du pays de Tréguier, et, semble-t-il, a lanbsp;roquête de Tautorité diocésaino. Lo temps était loinnbsp;oil l’épiscopat breton comptait dans ses rangs et mèmenbsp;a sa tête des amateurs passionnés de théatre, tels quenbsp;ce Charles d’Espinay, archevêque de Dol, primat de lanbsp;péninsule, qui, « estant en Bretagne comme un pharenbsp;éclairant par ses vertus cestc coste de la France »,nbsp;s’était pris d’enthousiasmepour les ceuvres de Jodelle
1. Archives du Varlemenl de Brelu(/ne, série B, Grand’Chambre, niiautes d’arréts sur remontrances.
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LE THEATRE CELTIQUE,
((jusqu’a faire quelques fois représeiiter somptuciise-ment aucunes de ses tragédies * ». De vieillc souche brc-tonne, puisqu’il avait oom Olivier Jégou de Kerlivio, Ie prélat qui de 1694 a 1731 administra Ie diocèse denbsp;ïréguier aurait peut-être pu, saus professer pour lesnbsp;humbles tragédies de ses compatriotcs la tendresse denbsp;Claude d’Espinay pour celles de Jodelle, s’abstenir dunbsp;moins de leur chercher uoise. Nul évêquc ne leur futnbsp;plus hostile. II était, dit-on, « janséuiste euragé ))nbsp;Faut-il expliquer par la Thorreur particuliere qu’ilnbsp;montra pour les spectacles si chers a ses ouaillesnbsp;paysaiines? En tout cas, jamais ils ne furent plusnbsp;traqués qiie sous sou épiscopat. On vient de voir (juenbsp;l’arrètdu 21 juilletl705 s’appuie déja sur un précédentnbsp;du 12 juin 1704 : a ces deux arrêts en succèdent coupnbsp;sur coup quatre autres, tous relatifs au diocèse denbsp;Tréguier et tous antérieurs a 1731, date de la mortnbsp;d’Olivier Jégou de Kerlivio. Nous possédons les textesnbsp;de trois d’entrc eux, intéressants a des litres divers,nbsp;ainsi qu’on en jugera par les extraits suivants quenbsp;nous donnons dans l’ordre chronologique :
lt;19 octohre IIH . L’Avocat general du Roy... a remontré qu’il se commet un désordre dans la Basse-Bretagne,nbsp;entr’autres du costé de ïréguier, dont il est importantnbsp;pour l’ordre et pour la religion d’arrester Ie cours;nbsp;quelques habitans des villages de la campagne ont compose des espèces de tragédies en bas-breton dont lesnbsp;termes et la représentation blessent également les mis-
t. Revue d’histoire littéraire de la France, t. X, p. 12a.
2. Albert Ie Grand, Vie des Saints de la Bretagne Armoriqiie, p. 293.
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LA FIN DU TJIEAÏKE liREÏON.
tères les plus saci'és de la religion; que Ie Reverend Evesque de Tréguier, sur les plaintes qiü luy en ont esténbsp;failles par les Recteurs dans Ie cours de ses visites, a eunbsp;grand soin de les deffendre, non seulement a cause desnbsp;assemLlées nocturnes des deux sexes et contraires auxnbsp;bonnes moeurs qui se font soubz pretexte de s’exercer,nbsp;inais plus encore par rapport a ces representations dansnbsp;lesquelles la Religion se trouve prophanée; que sesnbsp;ordonnances n’ayant pas eu I’effect qu’on en devoitnbsp;attendre, ledit avocat general est obligé de demander a lanbsp;Cour qu’elle ait agreahle d’interposer son autliorité pournbsp;arrester ce desordre. A ces causes led. avocat general dunbsp;Roy a requis qu’il soit fait deffences aux habitans des villages de la campagne des environs de Tréguier et autresnbsp;de représenter aucunes tragédies ou coinédies soit ennbsp;bas-breton ou en frangois, centre les deffences qui leurnbsp;ont esté faittes par Ie Révérend Evesque de Tréguiernbsp;soubz peine d’amende et mesme d’estre procédé ainsinbsp;qu’il apartiendra contre les contrevenans *...
13 octQbre 1713. L’Avocat general du Roy... a remontré que par arrest du 19 octobre 1711, rendu sur sa remon-trance, la cour a fait deffences aux habitans de la campagne des environs de Tréguier et autres de représenternbsp;aucunes tragédies ou comédies, soit eu bas-breton ou ennbsp;fran^ois, conformémentaux deffences qui leuren avoientnbsp;esté faittes par Ie Révérend Evesque de Tréguier, soubznbsp;peine de dix livres d’amende contre les contrevenans...;nbsp;qu’encore bien que ledit arrest eust esté dez lors publiénbsp;dans la parroisse de Plouisy et depuis encore signiflé lesnbsp;derniers jours d’aoust et de septembre de la présentenbsp;année aux particuliers do ladite parroisse qui font cesnbsp;sortesde représentations; néanrnoins lesdits particuliers,nbsp;par un mespris et un attentat a Taulhorité de la Cour,nbsp;ont eu la hardiesse non seulement de représenter encore
Archives du Parlement de Bretagne, série B, Grand’Gliambre, minutes d’arréts sur remontrances.
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LE THEATRE CELTIQÜE.
ces soiTes de comédies, malgré les deffeiices de la Cour, iiiais Ie nommé Mnhé, sergent, estant allé pouv significrnbsp;ledit arrest de deffences Ie 31 aoust dernier a ceux quinbsp;preparaient une représentation desdictes comédies, ils senbsp;sont mocqués de Tarrest et des doffences de la Cour etnbsp;marqués avec emportement et menaces contre rofliciei’nbsp;qui est allé leur faire ladite signification, accoinpagné dunbsp;llecteur de la paroisse, qu’ils représenteroient leui'Snbsp;comédyes et tragédies, quelque chose qu’on pust faire^nbsp;et les ont obligés par leur violence de se retirer préci'nbsp;pitamment; que ce mépris insolent de 1’autliorité denbsp;Cour et d’un arrest qu’elle a rendu pour faire observer lesnbsp;ordres donnés par un Evesque dans son diocese pour 1®nbsp;bien de la religion, doit estre puny exemplairement etnbsp;avec d’autant plus de sévérité que les juges de la juridic-tion du Poirier *, qui sont les juges des lieux auxquelsnbsp;il estoit ordonné par l’arrest du 19 octobre 1711 de tenirnbsp;la main a son exécution, ont refuse de Ie faire lorsqu’ilsnbsp;en ont été requis par un procureur de ladite juridiction,nbsp;Ie quatrième de ce mois, publiquement dans Faudience.nbsp;A ces causes 2...
22 juin '1723. LeProcureur general duRoy... a remontrc qu’il a esté informé que par une profanation de notrenbsp;religion et en attentat formel a Farrest de reiglement dunbsp;7 novembre 1714, plusieurs particuliers ont représenténbsp;une tragédie dans la paroisse de Keranpont, fauxboui’gnbsp;de Lannion, diocese de Dol; que cette scandaleuse tragédie estoit la représentation de la conversion d’un saintnbsp;Guillaume (brigand) et ensuitte herniitte; que la premièrenbsp;scène fut représantée le lundy de la pentecoste, furentnbsp;continuées le mardy ensuitte, et le jour de la feste saintnbsp;Yves; que les acteurs estoient travestis, les uns en papesnbsp;les autres en prestres, evesques et cardinaux portant
1. nbsp;nbsp;nbsp;Le chfiteau du Poirier était situé sur le territoire de b'*nbsp;commune actuelle de Kermoroc’li, cantón de Bégard.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Archives die Parlement de Bretagne, série B, Grand’Cbambr®’nbsp;minutes d’arrêts sur remontrances.
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LE THEATRE CELTIQDE.
prétextc de représenter la Vie d’IIérode, s’attroupeiit les fêtes et dimaiiclies, nuit et jour, s’enivrent et, ensuite,nbsp;armcs de fusils, sabres et épées, fourclies de fer et grosnbsp;batons, courent les rues, insulteiit et font violence aunbsp;public. Deffense leur en sera faite et publiée ci son denbsp;tambour
ïoutes ces pièces, qui forment commeautant d’épi-sodes intermittents de l’histoire du tliéatre en Basse-Bretagne, ont Ie double avantage de nous faire con-naitre : 1“ l’intonsité de la vie dramatique au fond de ccrtaines campagnes bretonnes, et plus spécialementnbsp;dans Ie ïrégorrois; 2“ les raisons de l’ostracismcnbsp;décrété contre elle d’un commun accord par les pou-voirs publics et par les pouvoirs religieux. Ces raisonsnbsp;se ramènent en dernière analyse a deux chefs princi-paux. On reprochait d’abord aux « tragédies » d’etrenbsp;la cause d’une foule de désordrcs. Les acteurs, « pournbsp;se mettre en état de jouer leurs roles », abandonnaientnbsp;(( pendant un temps assez considerable leur devoir etnbsp;les travaux de la maison paternelle ^» ; puis sous pré-texte de s’exercer, on s’assemblait, Ie soir, entre jonnesnbsp;gons des deux sexes dans une promiscuité « contrairenbsp;aux bonnes mocurs ^ »; on ne se faisait pas faute nonnbsp;plus de ((tirer en cacbette )gt; des armoires de la maisonnbsp;les belles hardes familiales, pieusemont léguées denbsp;génération en generation, et de les revêtir, soit pournbsp;paraitre avec plus d’óclat sur la scène, soit pour se
1. nbsp;nbsp;nbsp;Ordonnance de police du 17 décembre 1713, a Yannesnbsp;{Bulletin de la Société archéologique du Morbihan, ISöO, p. 21).
2. nbsp;nbsp;nbsp;Arrètdu 24 septembre 1733.
3. nbsp;nbsp;nbsp;Arrêt du 19 oclobre 1711.
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moiitrer plus avaiilageusement au spectacle'; repetitions et representations étaient par surcroit l’occa-sion deliesses bruyantes, d’excès de boisson, d’alter-cations violentes, parfois de coups échangés’; enfin les voyages nocturnes, souvent trés longs, pour senbsp;rendre a la fête on pour on revcnir, n’allaient pasnbsp;toujouz’s sans quo la vertu des garfons subit plusnbsp;d’unc tentation et pcut-ètro cclle des fillcs plus d’unnbsp;accrocquot;. A ccla les lauteurs de tragédies enssent punbsp;répondre qu’il fallait pourtant bien occupor les vcil-lées d’liiver; et n’ctait-il pas tout aussi moral de lesnbsp;employer a des repetitions de Vies de saints quo denbsp;les pcrdre a des bavardages oiscux dans les reunionsnbsp;analogues, designees sous Ie nom de « tileries ))^?nbsp;Quc si los representations entrainaient dc ci, de litnbsp;quelquos inconvénients, combien de desordros beau-coup plus graves n’engendrait point le funeste désocu-vrement des dimanches! Le temps passe au spectaclenbsp;n’était-il pas a tout le moins autant de gagné sur lenbsp;cabaret? Et quant aux aventures de nuit, dansnbsp;I’herbe des douves, sur les cliemins de Taller ou surnbsp;ceux du retour, dc quel droit s’en faire une armenbsp;contre les pelerinages dramatiques, alors qu’on sc
1. nbsp;nbsp;nbsp;Arrét clu 24 septembre 1753.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Ordoniiiince de police du 17 décembre 1713.
3. nbsp;nbsp;nbsp;Arret du 24 septembre 1753.
4. nbsp;nbsp;nbsp;« Cos tileries se tiennent ordinnirement dans les étables.nbsp;Lil un certain nombre de femmes se rassemblciit pour travaillernbsp;et (Her jusiju’ii onze heures et demic ou miiiuil. Les jennes gar-lt;:0Rs s’y rendent en chantant et cn poussant de temps ii autrenbsp;do grands cris que, dans la partio francaise du départonient, onnbsp;appelle des houppées. » (Itabasque, Notions historiqiies sur lenbsp;littoral des Cotes-du-Norcl, t. I, p. 300.) En breton, hotippee senbsp;dit hoppaden.
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donnait garde de les invoquer centre les pèlerinages religiciix pour qui fut crcé Ie proverbe : (( On s’en vanbsp;deux, on revient trois )gt;?
Mais il ne semble pas que les auteurs ni les acteurs bretons se soient émus do cette première categorie denbsp;griefs. La seconde, en revanche, leur fut des plus sen-sibles. Qu’on les accusat de faire oeuvre immorale,nbsp;soit! Le reproche d’immoralité n’était pas pournbsp;éveiller grand trouble dans leur conscience encorenbsp;rude et un peu primitive. Mais qu’on les accusat denbsp;faire oeuvre impie, cux, les plus croyants des hommesnbsp;et les plus stricts observateurs des pratiques de lanbsp;religion! Voila ce qu’ils se refusaient a comprendre.nbsp;Et tel était cependant le langage qu’ils s’entendaientnbsp;tenir par leurs persécuteurs. Vos pieces, leur disait-on en substance, sont des objets de pur scandale :nbsp;dans le plus ancien de vos mystères, la Vie de saintenbsp;Nonn, « le fait le plus important et qui sort de pivotnbsp;a tout le dramc est un viol * » et, ce viol, vous l’étaleznbsp;ouvertement sur la scène, au mépris de toute pudeur ;nbsp;dans Louis Eunius, le héros force un convent, débauchenbsp;une religieusc et, pour se procurer de l’argent. Ianbsp;contraint a se prostituer; dans la Creation du Monde,nbsp;dans la Vie de sainte Anne-, vous nous montrez Eve,nbsp;la mère du genre humain, Anne, la grand’mère dunbsp;Christ, accouchant sur le theatre, sans nous épar-gner aucune des plaintes que leur arrachent les dou-leurs de l’enfantement. Vous insultez aux ministresnbsp;du culte en usurpant leurs fonctions; vous ne crai-
]. lievue ccltique, t. U, p. 2iS.
2. Arrèt du 12 juillet nuü.
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LA FIN DU THEATRE BRETON.
giiez pas de nous exhiber des papes, des cardinaux, des évèques, afïublés des plus iunommables oripeaux';nbsp;vous estropiez les Écritures, vous profanez la liturgie,nbsp;vous accommodez les prières a toutes sauces ; etnbsp;quoi de plus ridicule, par excmplc, quo de voirnbsp;David et Salomon récitant, avant de se mettrc anbsp;table, Ie Benedicüe‘^\ — De s’ouïr calomnier de la sortenbsp;et traiter eii ennemis de la foi, alors qu’ils se considé-raient comme les plus fervents de ses catéchistes, lesnbsp;entrepreneurs de representations se rcpandirent ennbsp;protestations on mélancoliques ou vchémentcs dontnbsp;quelques epilogues nous ont transmis I’ccho. Dix ansnbsp;juste après I’arrct de 1753 voici comment s’exprimcnbsp;un de ces epilogues déja cite par Luzel * :
II y a fill a tout, excepté a la grace deDieu; notre his-toire en tragédie est aussi a son tcrme. En I’an mil sept cent soixante-trois, nous avons représenté devant vous,nbsp;en toute vérité, la vie de Jeaii Haptiste, le plus grand desnbsp;saints, telle quo la rapporte un livre, facile a connaitre,nbsp;qui est a Pluzunet,je I’affirme, écrit par un jeune liomme,nbsp;entendez-moi, je vous prie. J’avais le plus grand désir denbsp;la faire jouer, mais, liélas! c’est chose défendue dansnbsp;Tévêdié. Par ordonnance de Pévêque, Dom Guyon Lenbsp;liurgne, les tragédies sont absolurnent defendues. On a'nbsp;même ajouté a la liste des cas réservés le péché quinbsp;consiste a reciter des Vies de saints... Or, vous aureznbsp;beau feuilleter les livres et I’Ecriture sainte la plus
1. nbsp;nbsp;nbsp;Arrèt du 22 juin 1723.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Ilabas(iue, Notions historiqms siir le liitoral des Cdtes-du-Nord, t. 11, p. 130.
3. nbsp;nbsp;nbsp;Vie de saint Jean-Baptiste, ms. en ma possession, copiénbsp;de la main de Luzel sur un vieux manuscrit brelon presqucnbsp;illisible de vétusté et portant la date de 1703 ».
4. nbsp;nbsp;nbsp;Sainte Tryphine et le roi Arthur, p. ix-x.
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LE THEATRE CELTIQUB.
ancienne qui soit dans le pays, vous n’y trouverez pas que ce soit un péché memo véniel de réciter les Viesnbsp;saintes...
L’épilogue d’une Vie de Jacob * reprend :
Dieu, dans ses commandements, ne nous defend qu’une chose, le péché... Mais, il n’a pas défendu d’honorer lesnbsp;quot;saints. Ce que Ton représente dans les comédies, c’estnbsp;leur vie, ce sont leurs vertus saintes et leurs pénitences...nbsp;Lisez PÉcriture, saint Augustin, saint Jéröme, saint Jeannbsp;Chrysostome, nulle part vous ne trouvei’ez que ce soit unnbsp;cas réservé de représenter la Vie des Saints, pas plus ennbsp;ces temps-ci que précédemment. Lisez encore par sur-croit tous les casuistes et ce que rapportent les Évangé-listes, vous n’y trouverez pas, cela est clair, les défensesnbsp;qui se font maintenant en Goëlo, en ïrégor. On prétend,nbsp;vous le savez comme moi, ravir au commun peuple toutesnbsp;les libertés. Mais (ces gens-la) fussent-ils aussi colairésnbsp;qu’un Gicéron, qu’un Tertullien ou un docteur Gerson,nbsp;si j’avais le loisir de trailer en vers cette naatière, j’ennbsp;composerais certes de tels qu’aucun d’euxne pourrait lesnbsp;réfulcr par des raisons prohantes.
II y a déja cjuelque bravado dans ces vers. L’épilogue d’une Vie de Huon de Bordeaux ’ se montre 'frauchement agressif. Non content d’affitmer contrenbsp;les proscripteurs des spectacles que « les saints, dansnbsp;le paradis, se réjouissent devoir représenter devant lenbsp;peuple leur vie passee », il porte aux prêtres un coupnbsp;droit, en leur rappelant, avec une hardiesse qui cheznbsp;un ptjysan breton n’allait pas sans un singulier courage, qu’avant d’exiger des autres la soumission aux
1. Ms. du la collection Vallce, p. 283.
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arrêts du Parlement ils devraient commencer par s’y conformer eux-mêmes :
En l’an mil sept cent trente..., Ie seize du mois de juillet, il parut un arrêt qui défendait expressénient lesnbsp;quêtes, sous peine d’une amende de cinq cents livresnbsp;(pour les prêtres qui persisteraient a quêtcr) et de vingtnbsp;livres pour les gens qui se risqueraient a leur donner.nbsp;Melis, quand il fut question d’appliquer l’arrêt : « Fi,nbsp;diront ces messieurs, de ces sortes d’arrêts ! Donnez-nousnbsp;toujours quelque chose, n’importe quoi, viande, beurrenbsp;OU CEufs. Ceci ou cela, tont nous est bon. Donnez-nousnbsp;votre offrande, a votre volonté, puis venez nous trouver,nbsp;vous recevrez l’absolution! »
C'étaient la des propos que l’on eslimerait auda-cieux même dans la Basse-Bretagne d’anjourd’hni. Et la resistance no s’en tenait pas nccessaircment a cettenbsp;forme platoniqne; nous avons vu qu’a Plouisy cllcnbsp;prit l’aspect d’une veritable émeute : un peu plus, lesnbsp;paroissiens écharpaiont leur recteur, et ce, sous Pmilnbsp;paterne des juges de Ia juridiction seigneuriale dunbsp;Poirier qui, presque aussi rustiques sans doute quenbsp;leurs justiciables et non moins friands de spectacles,nbsp;donnèrent en cette circonstance un exemple assez rarenbsp;de solidarité avec lepeuplc, jusqu’a refuser solennel-Icmcnt de faire exécuter 1’arrèt. La oü l’on nc se sou-ciait point d’entrer en rébellion ouvertc contre la loi,nbsp;on rusait avec elle pour la tourner, en feignant d’ennbsp;interpréter Ie texte a Ia lettre. Le Parlement, indignénbsp;que l’on mit au théatre les couches de sainto Anno,nbsp;défendaitdl « derepresentations ')? — A votre
1. Ms. dc ma collection.
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grc, messeigneurs, répondait Ie Trégorrois, né malin, nous ne représenterons done plus que des pieces oünbsp;personne n’accoucliera! On jouaitla tragédie de Saininbsp;Guillaume on celle de Louis Funius, et ie tour aussinbsp;élait joué. Plus tard, quaud aux riguours de lanbsp;Grand’Chambre eut succédé la tjTaunie des préfets etnbsp;des maires, nous avous montré comment Ie theatrenbsp;campagnard éludait Icurs arrêtés en s’installant aunbsp;besoin dans Ie lit des rivieres marines quand il n’avaitnbsp;pas sur la terre ferme oü poser ses Iréteaux. II avaitnbsp;encore une autre ressource qui lui réussissait parfois,nbsp;et qui ótait d’en appeler de I'intolerance du tyrannbsp;local a la mansuétude d’un tyran plus élevé. C’estnbsp;ainsi qu’en 1860 Ie maire de Trédarzee, Yves Le Bever,nbsp;ayant sur l’ordre du recteur interdit une representation de Buon de Bordeaux organisée par les jeunesnbsp;gens de la commune, un des acteurs, Guillaumenbsp;Guyomarc’h', plus connu sous la designation fami-lière de Guillaume Job, I’homme peut-être qui par lanbsp;suite a le plus fait pour 1’émancipation des espritsnbsp;dans ce coin de Bretagne, sella sur Pheure un chevalnbsp;de labour, I’enfourcha, dévora d’une traite les quinzenbsp;licues qui le séparaient de la préfecture, vit le préfetnbsp;et plaida si chaleureusement sa cause que, le lende-main soir, il rapportait une antorisation en bonne etnbsp;due forme permettant de se passer de celle du maire.nbsp;II y gagna, il est vrai, d’etre frappé par leclergé d’unnbsp;anatlième dont le sceau ne devait plus s’elïacer.
La grande raison pour laquelle le clergé breton
1. Je tiens Ie renscignement de JI. Guyoinarc’li lui-même.
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s’acharnait a poursuivre les spectacles villageois, ce n etait pas tant la crudilé de certains épisodes quenbsp;I’espèce de concurrence religieuse faite aux offices parnbsp;les représentations. « Dame! me disait Rcnc Gelïroy,nbsp;nous attirions plus de monde que n’importe quelnbsp;jubilé. » Les acteurs se vantaient même d’opérer plusnbsp;de conversions avec leiirs pieces quo les prcdicateursnbsp;les plus habilcs avec leurs sermons. Et il faut croirenbsp;que tout n’était pas mensonge dans leur dire, puis-qu’au XVII” siècle Ie P. Julien Maunoir, pour assurernbsp;Ie succès de ses predications a travers les campagnesnbsp;bretonnes, n’avait rien imagine de mieux que d'em-prunter au théatre populaire ses moyens, en organi-sani a la suite de chaque mission uno « processionnbsp;générale » qni n’étail proprement qn’une représenta-tion dramatiqne a peine déguisée. « II l’annongait,nbsp;écrit son biograpbe, des Ie premier jour de son arri-vée, parlait des mystères de la religion qu’on y repré-senterait et des personnages qu’il aurait a choisirnbsp;parmi ses auditeurs pour en remplir les róles. C’étaitnbsp;alors a qui aurait les plus importants. Mais Ie Pèrenbsp;ne 1’entendait pas ainsi. La distribution dos rólesnbsp;était réglée sur la ferveur et l’assiduité de cliacun ‘. »nbsp;Impossible, on Ie voit, de reconnaitre plus expressé-ment la toute-puissante influence du théatre surnbsp;I’ame bretonne. La beauté de la procession, véritablenbsp;spectacle ambulant, variait naturellemcnt selon Ienbsp;nombre des acteurs et la richesse des costumes, dontnbsp;les uns étaient prêtés par la sacristie de la paroisse,
1. Le P. Séjourné, Ilisloire du Vénérable servileur de Dieu Julien Maunoir, t. I, p. 217.
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dont les autres étaient confectionnés par les fklèles. Quant au drame, il figurait les épisodes les plus mar-quants do la vie et de la mort du Christ. Le C. Séjournénbsp;en décrit ainsi la marche, d’après le Journal dunbsp;P. Maunoir : le premier mystère était celui de la /h’é-sentation au Temple, avec la Vierge entre saint Joachim et sainte Anne. Plus loin, pour exprimer lenbsp;mystère de VInear nation, l’archange Gabriel, unenbsp;Colombo a la main, venait par intervalle « s’inclinernbsp;devant la future mere de Dieu, en répétant... lesnbsp;paroles de la Salutation angélique ». S’avancaientnbsp;ensuite les bergers « en veston blanc », les mages ennbsp;mantcau royal, une foule do petits « innocents ennbsp;robe écarlate », accompagnés de leurs mères en vête-ments de deuil, Hérode armé d’un glaive au milieunbsp;d’une escorte de « bourreaux en fureur ». Une jeunenbsp;fille montée sur un ane rappelait la Fuitc en Eejupte-,nbsp;saint Michel, la croix d’une main, les balances denbsp;l’autre, symbolisait la Miséricordo et la Justice divines;nbsp;des groupes d’enfants soutenaient chacim run desnbsp;instruments de la Passion. Derrière eux, différentsnbsp;personnages, mais toujours des prêtres, représen-taient le Christ au Jardin des Oliviers, le Christnbsp;devant Pilate, le Christ portant sa croix. Au furnbsp;et a mosure que se déroulaient ces tableaux vivants,nbsp;le P. Maunoir et ses missionnaires les commeiitaientnbsp;devant les spectateurs, a des stations fixées d’avance.nbsp;La halte dernière se faisait le plus souvent dansnbsp;quelque terrain spacieux, prairie ou lande, hors dunbsp;village. La se dressait un autel flanqué d’une chaire.nbsp;Lc P. Maunoir se pla?ait dans Ia chaire, faisait
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monter sur l’autel Ie prêtre qui avait joué Ie róle du Christ accablé sous Ie faix de sa croix, et, désignantnbsp;a la foule ce malheureux a demi mort de fatigue ctnbsp;d epuisemeiit, s’écriait : « Le voycz-vous, péclieurs,nbsp;ce Dien que vous avcz crucilié?... Le fruit de vosnbsp;crimes, le voila! »
Comment s’étonner aprés cela que le P. Maunoir ait laissé parmi les Bretons le souvenir d’un prcdica-teur sans rival? 11 se rendait compte tont le premiernbsp;que ce n’étaient pas seulement scs sermons qui ras-semblaient autour de lui les multitudes : « La oii lesnbsp;processions se faisaient sans éclat, les enfants... nenbsp;vcnaient point a I’église; lenrs parents... les rete-naient a la maison ou les envoyaient a la garde desnbsp;troupeaux, pen soucieux qu’ils étaicnt d’une missionnbsp;qui ne serait pas couronnée par une procession génerale )). Traduisez : ce que le peuple goütait surtoutnbsp;dans ces missions, c’est la part de jouissances dra-matiques qu’elles lui procuraient. Mais, a ce point denbsp;vue même, la tactique était habile, pour tuer plusnbsp;sürement le theatre, de lui emprunter ses moyens denbsp;seduction. Le P. Maunoir tit école dans le clergé desnbsp;paroisses, comme on on peut juger par des usagesnbsp;encore existants. A Baud, dans IcMorbihan, les pas-teurs autorisent leurs ouailles a solenniser la mortdunbsp;Christ de la manière suivantc : le soir du Jeudi saint,nbsp;de jeunes paysans instruits a cet effet se rendent anbsp;Notre-Dame de la Clarte, montent sur la plate-formenbsp;d’un calvaire érigé derrière la chapelle et, devant lanbsp;foule pressée entre les murets de Pendos, chantentnbsp;une sorte d’ofïlce de la Passion en langue bretonne qui
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se proloiige bien avant dans la nbsp;nbsp;nbsp;A Coadri,
dans Ie Finistère, Ie même soir, nn prêtre envoyé de Scaër commento au milieu d’une assistance considé-rable, accourue des cantons les plus lointains, lesnbsp;scènes de l’Évangile peintes a fresque sur les paroisnbsp;de la nef centrale, an-dessus des piliers.
L’hostilitó dn clergé breton onvers Ic theatre sem-ble, d’ailleurs, avoir sonffert de nombreiises exceptions. On ne s’expliquerait pas autrement Ie « salut a que tant de prologues adressen! a a messieurs denbsp;1’Eglise)) pour les remercier d’avoir bien vmulu honorernbsp;Ie spectacle de leur presence. Mais il y a mieux : nousnbsp;avons constaté qu’a la date de 1787 dos cures, commenbsp;l’abbé Sanson, occupaient encore leurs loisirs a composer des mystères. D’autres, tont en se demandantnbsp;« s’il y a un petit bien quclconque a tirer du tliéütre »,nbsp;prenaient la peine d’cxpurger les anciennes pieces etnbsp;remaniaient, par exemple, Ie Mijslèrc des Trois Rois -,nbsp;en supprimant los róles de la Vierge et de 1’Enfantnbsp;Jésus, qn’ils s’indignaient de voir joiier par desnbsp;hommes plus scmblables « a de la canaille qu’a desnbsp;gons honnêtcs ». Au fond, Ie clergé, — Ie bas clergénbsp;tout au moins, — en proscrivant les divertissementsnbsp;scéniques, n’obcissait pas tant a ses impressions por-sonnellcs qu’aux ordres émanés de ses chefs. Librenbsp;d’agir a sa guise, il n’eüt pas seulement tolóré, maisnbsp;encourage cc qu’on Fobligeait a interdire. Outre qu’ilnbsp;était trop paysan lui-mème par ses origines, sinonnbsp;par sa mentalité, pour ne trouver point quelque
1. nbsp;nbsp;nbsp;Journal de Rennes, nquot; du 15-10 aoüt 1889.
2. nbsp;nbsp;nbsp;Revue cellique, t. 11, p. 248-249.
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charme aux spectacles populaires, dóliccs de ses com-patriotes, il avait Ie plus grand intérêt a ménager une tradition, restée rcligieuse iv tont prendre, et qiii nenbsp;laissait pas d’être un mervoilleux instrument de domination sur les ames. On s’en aperfoitbien a ce qui senbsp;passe anjourd’hui. Aux deux points de l’horizonnbsp;armoricain une espccc de croisado ecclésiastique senbsp;léve, non plus pour anathématiser la « tragédie )),nbsp;mais pour Ia glorifier. A Morlaix, a Vannes, desnbsp;prêtrcs distingués se font auteurs, répétiteurs, impre-sarii; ils mènent eux-mêmes au combat des troupesnbsp;recrutées, drossées par cux et por tan t les noms denbsp;leurs paroisses respectives, ici les « gars do Saint-Patern », la-bas les « gars de SaintAlartin ». En sortcnbsp;que, par une assez amusante ironie des choses, conbsp;theatre ((ui se meurt en partie des coups qu’il a re?usnbsp;de rÉglise, c’est TEglisequi présentement Ie recueille,nbsp;l’adoptc et teute de ranimer un soufflé de vie dansnbsp;ses poumons agonisants.
Ressuscitera-t-elle ce moribond ? Je sais que ce ne serait pas son premier miracle. Mais, pour prolongernbsp;l’existence du theatre breton, il faudrait pouvoir prolonger l’état social qui, jusqu’en ces derniers tempsnbsp;et malgré toutes les oppositions coalisées, l’a faitnbsp;vivre. Nous l’avons, je crois, suffisamment établi :nbsp;cc que 1’on appellc Ic theatre breton, c’cst Ic theatrenbsp;du moyen age perpétué en Bretagne par des populations encore tout imprégnées de l’esprit du Moyennbsp;Age. Pour pen que eet esprit vint a se modifier, il étaitnbsp;fatal que la forme d’art qui lui correspondait fiUnbsp;atteinte avec lui. Or, qu’on s’en réjouisse ou qu’on s’en
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désole, la loiigne enfancc dans laquelle a vieilli la Bretagne celtique touche manifestement a sa tin. Lesnbsp;trente dernières années du xix“ siècle Tontvue s’arra-cher a sou sommeil millénairc de Belle au bois dormant; les chemins de fer, les casernes, les écoles ontnbsp;bouleversé sa conception du monde et de la vie; ellenbsp;s’est réveillée avec les aspirations et les besoins denbsp;son temps; elle n’a plus 1’oreille aux vénérables rapsodies qui bercèrent son rêve passé. Qa et la, dansnbsp;quelques chaumières isolées, tapies au fond des ravinsnbsp;sauvages ou pcrchées sur les grands caps venteux,nbsp;des personnes a l’ancienne mode [tud ar ckiz coz) senbsp;délectent encore, les soirs d’liiver, a écouter lire aunbsp;coin de 1’atre les avontures d’ITélène de Constantinople OU les proucsses de Muon do Bordeaux; mais Ienbsp;nombre s’en fait do jour en jour plus rare. Jolgneznbsp;que les manuscrits de mystères qui subsistaient dansnbsp;les campagnes s’en vont presquo tous en lambeaux.nbsp;La race des copistes qui pendant des siècles les ontnbsp;renonvelés est a ranger parmi les espèces éteintes. Dunbsp;vieux tbéatre breton il ne demeure plus qu’un fan-töme et ceux qui voudront désormais en avoir quelquenbsp;image authentique devront l’aller chercher dans lesnbsp;bibliothèques oü de picuses mains ont mis a l’abrinbsp;des injures du temps ses membres épars.
Ajouterai-je que son triompho Ie plus éclatant peut-être fnt un triompho posthumc? Rcssuscité pour un jour, il connnt a Ploujean, Ie 14 aoutl898, les applau-dissements d’un parterre devant qui ses prologueursnbsp;d’autrefois fussent probablemcnt restés a court d’ex-cuses et de remcrciments. Tout a été dit sur cette
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LA FIN DU TUEATRE BRETON.
representation memorable de la Vie de saint Given-nolé, et il m’appartient d’autant moins d’en parler ici flii’avcc mos amis Cloarcc ct Le Goffic je tus pournbsp;quelque chose dans les préparatifs. Mais il ne me seranbsp;pas défendu de rappelcr que l'oraison funèbre dunbsp;theatre brcton fut prononcée ce soir-la, en termesnbsp;émouvants, par l’homme qui posséda le mieux lanbsp;« matière de Bretagne » et la littérature du Moyennbsp;Age. Au ((souper » traditionnel oü les hótes de marquénbsp;avaient accepté de prendre place avec les acteurs etnbsp;qui se donna dans une cour d’école sous la fine cendrenbsp;humide du crépuscule tombant, Gaston Paris, aprèsnbsp;avoir félicité les interprètes de la piece et salué en euxnbsp;les derniers prêtres d’un culte disparu, poursuivit* :
De bien des cötés aujourd'hui on réclame un art populaire, un art qui ne soit pas un artifice, comme Pest fatalement devenu celui de notre élite intellectuelle etnbsp;sociale. Dans un livre qui est a Ia fois génial et enfantin,nbsp;le comte Léon Tolstoï vient de poser ce grand problèmenbsp;et, après avoir jetó le plus violent anathènie a Tartnbsp;moderne lel qu’on le comprend, a tracé le tableau do conbsp;que sera Tart de Favenir. Ces acteurs dePloujean seraientnbsp;certainement pour lui des collaborateurs bienvenus.nbsp;Mais il leur deinanderait, a eux et a leurs pareils, de nenbsp;pas se bomer a représenter les productions d'une époquenbsp;déja bien loin de nous. D’après sa profonde definition,nbsp;1’art est le moyen qu’ont les hommes de transmettre desnbsp;sentiments, et le seul bon art, le seul grand art est celuinbsp;qui exprime la religion d’une société en prenant le motnbsp;dans son sens le plus large, les rapports des hommes avecnbsp;Finfini et entre eux. La tragédie de saint Gwennolé et les
1. Journal des Débals, du 10 soptembre 1898 : « Un épilogue de la Journée de IMoiijean ».
33
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oeuvres analogues expriment la religion d'un autre age. Mais puisque la capacité desentir et de rendre les formesnbsp;dramatiques des idéés religieuses est dans I’amedu peuplenbsp;breton, pourquoi ne I'emploierait-elle pas a interpreternbsp;des ffiuvres inspir(5es par ce qui, d’après Tolstoi, est lanbsp;religion de notre temps?... II me semble qu il y a da,nbsp;pour les poetes bretons, une incitation a produire desnbsp;OBUvres qui pourront renouveler non seulement le theatrenbsp;breton, mais le théatre en général.
La Basse-Bretagne, si neuve encore a la vie moilernc, compte-t-elle actuellemenl des poetes capables d’en-tendre cet appel, capables surtoiit d’y répondre? Sau-ront-ils, avant qu’il soit trop tard, se dégager desnbsp;vieux thèmes surannés d’une époque morte, pournbsp;se mettre a I’linisson des temps nouveaux? Ce sontnbsp;la des questions sur lesquclles il serait délicat de senbsp;prononcer ‘. Aussi bien n’est-ce pas notre tache.
Bornons-nous done, en terminant, a constater — puisque cependant e'est la conclusion qui s’impose —nbsp;que, si Ic théatre celtique doit s’élaborer un jour dansnbsp;les creusets de I’avenir, nous n’avons en revanchenbsp;embrassé qu’unc ombre, toutos les fois que nousnbsp;avons cssayc de l’étreindre dans le passé. Parti sur lanbsp;foi des belles promesses dramatiques contenues dansnbsp;l’épopée irlandaisD, dans les romans gallois, dans lesnbsp;coraplaintes armoricaincs, nous n’avons pu, cheminnbsp;faisant, qu’enregistrer leur faillitc. La oil nous cher-
1. 11 u’est que justice, toutefois, de signaler les cITorts iiiéri-toires tentés en dialecte vaniietais par Pabbé Le Bayon, en dialede trégorrois jiar M.\l. Le Garrec, de IMouigneau, et Holland, du Guerlesquin.
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chions iin drame national, noiirri des fictions ingé-nieuses et des passions hcroïqnes de la race, I’lrlandc, la douloureuse Irlande nous montrait sos mainsnbsp;vides, Ic Pays de Galles et Ia Cornouaillc nous ten-daient cjnelques platos imitations anglo normandosnbsp;et la maternelle Bretagne courbait les épaules sous unnbsp;fatras de mystères francais. Singuliere destinée ennbsp;vérité quocelle de ces peuples qui, après avoir enriehinbsp;Ie monde des plus merveilleux motifs poétiquos, ennbsp;venaicnt a lui emprunter la matière de leur theatre,nbsp;et, négligeant les ressources de leur propre génie,nbsp;s’éprenaient des cciivres étraugères jusqu’a s’ennbsp;repaitro encore avec enthousiasme quand, depuisnbsp;quatre et cinq siècles déja, les pays oii clles naquirentnbsp;les avaient comme jetées au rebut! Oui, Ic theatre desnbsp;Celtes n’a de coltiquo que la laugue : voila Ie résultatnbsp;purcment ncgatif auquel semble aboutir cctte longuenbsp;étude, si bicn que j’ai l’air d’avoir écrit l’histoire d’unnbsp;theatre qui n'existc pas. Etait-ce done la peine vrai-ment de me plaindre que Ilenan Teut passé sousnbsp;silence et n'aurais-je pas mieux fait d’imiter cettcnbsp;sage réserve que de m’astreindre a ime besogne aussinbsp;ingrate que décevante?
Eh bien! non, il n’était pas inutile que cette besogne fiit accomplic. ^’a été de tout temps Ie sortnbsp;des choses celtiques de prêter abondamment aux cris-tallisations de la légende, et la littérature n’y anbsp;pas plus échappé que Ie restc. Autour du théatre onnbsp;particulier, tont un échafaudagc pseudo-scicntifiquenbsp;a été construit, destine a masquer I’edifice véritablenbsp;et a donner Ie change sur son aspect reel. II était bon
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que l’on süt a quoi s’cn tcnir sur l’inanité de eet appa-reit facticc, étayc du prestige d’un grand nom. Beau-coup de mes compatriotes, je m’y attends, ne me par-donneront pas d’avoir porté une haclie impie dans les hypotheses arbitraires et les interpretations abusivesnbsp;du vicomte de la Villemarqué. Mais il y a des sacri-lègcs nécessaires. Et, au surplus, je suis trauquille :nbsp;Ie malentendu que signalait déja Guillaume Lejean,nbsp;capable, s’il se prolongeait, de maintenir éternelle-ment l’esprit breton « dans uu faux art, une faussenbsp;critique, une fausse histoire ’ », ce malentendu-lanbsp;n’est pas pres de s’évanouir. Les theories menson-gères que je me suis efforce de jeter bas, il se lèvcranbsp;demain toute une cohorte de Bretons, apótres du cel-tisme a tout prix, pour les rótablir et les consolider.nbsp;C’est ainsi, parait-il, que Ton aime son pays ; j’ai pré-féré l’autre méthode qui consiste a lui présenter lanbsp;véritc sans voiles, plus belle après tout que lesnbsp;mirages les plus chatoyants. Je lui aurai du moinsnbsp;appris que cc que l’on appclle improprement l’origi-nalité bretonne n’est eii dernière analysequ’un residunbsp;de Moyen Age qui n’apparait comme original en Bretagne que paree qu’ailleurs il y a quelque cinq centsnbsp;ans qu’il est aboli. Ceux qui voudront aller cherchernbsp;la les traits profonds et permanents du génie celtiquenbsp;sont prévenus : ils n’y trouveront qu’une désillusionnbsp;cruelle, la memo que j’ai éprouvée quand j’ai vu l’étudenbsp;a laquclle je m'étais attaché comme a une oeuvre denbsp;vie s’achcver en une oeuvre de destruction et de néant.
l. Revue celtique, t. Fi, p. 70.
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De néant, c’esl trop dire. Tout eii dédniüve n’e.st pas leurre dan.s l’liistoire du theatre ccUirjue. Ce ii’est,nbsp;il est vrai, qu’un theatre d’empruiit, mais, en terronbsp;bretonne tout au moins, il s’cst acclimate comme dansnbsp;une patrie. Introduit du dehors par des domi-lettrós, ilnbsp;a été adopté, entretenu, défendu par Ie peuple. Pournbsp;en sauvegardor la tradition, cc peuple, si longtompsnbsp;soumis lui-meme aux plus dures conditions d’exis-tence, a pris sur ses veilles et sur sou péeule; il s’ostnbsp;imposé des efforts prodigieux d’écriturcou demómoironbsp;pour copier los pièces ou pour les jouer; quand on anbsp;voulu Ie priver de ces apres joiea, il s’est dressénbsp;comme uii seul homme contre les proscripteurs, momenbsp;si ces proscripteurs étaiont des prêtros, c’est a-dire lesnbsp;adversaires devant lesquels il se sentait Ie plus désarmé.nbsp;Nous avons done ici l’cxemple, d’autantplus précieuxnbsp;a noter qu’il est plus rare, d’un theatre vraimentnbsp;populaire, sinon dans ses origines, du moins dansnbsp;sou développement. Jusqu’oii des ames candides etnbsp;rêveuses, naturellement éprises d’idéal et de chimère,nbsp;peuvent porter la passion des choses dramaütiues,nbsp;voila cc que l’histoire du théatre breton nous a mon-tré, et avec une eloquence pen commune, si je ne menbsp;trompe. N’eüt-elle servi qu’a cola, cette histoire valaitnbsp;d’etreécrite. Maisce n’ost pas tout. Ce théatre tel quel,nbsp;aussi dépourvu que Ton voudra de toute espèce denbsp;mérite intrinsèque, il y a pourtant un intérét qu’onnbsp;ne saurait lui refuser, et c’est d’avoir été pendantnbsp;quatre cents ans la principale, disons mieux, la seulenbsp;nourriture intellcctuelle du peuple breton. Perduenbsp;dans ses brumes lointaiues, confinée dans sa pres-
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LE ÏIIEATHE CELÏIOI E.
((ii’ile orageiisc et plus coiiliiice pciit-ctre dans sa laiigue, sevrée depuis dos temps immémoriaux denbsp;tonte culture et de toute civilisation, si l’imaginationnbsp;brctonne n’est pas morte d’inanition depuis Ienbsp;XV® siècle jusqu’a nos jours, c’est a ces tragédiesnbsp;falotes qu’elle 1’a dü. Elles ont alimenté les songesnbsp;de la race; Ie pauvre a cu en elles sa richesse, Ienbsp;miserable sa consolation, Topprimé sa revanche; ellesnbsp;ont ctó Fhuile quelconque de lalampe saintc, Ie flaconnbsp;grossier plein de nobles enivrements. C’est assez, ónbsp;theatre de mes pères, pour quo je ne ferme pointnbsp;ce livre, ofi j’ai dit ta mélancoliqiie histoire, sansnbsp;t’adresser avec mon adieu un respectueux merci.
-ocr page 535-I. Manuscrits bretonsnbsp;Anne (Sainle).
Bue santes Anna a sanies Emeransienne he mam, in-fol. dc 133 feuillels, 1820. Collection A. dc la Borderic. (Cf. Bibl. Nat.,nbsp;n“ 17, 48, 49.)
Ay-mon (Les i|nalre Ills).
I. nbsp;nbsp;nbsp;La vie des qualre fils AymO)i, in-fol. de .327 p., 1784, décritnbsp;l)ar Luzcl, Kevue cellique, t. V, p. 320. Bibliotlièquo de Quimijor.nbsp;(Cf. Bibl. Nat., nquot;‘33, 47. linprimé : Buez ar Pévar Mac Emon.)
II. nbsp;nbsp;nbsp;La vie des quatre fils Aymon, petit in-fol. de 340 p.,nbsp;XYHiquot; siècle, décrit par Milin, Revue cellique, l. V, p. 328. Collection Vallée.
Bouffon moquelh (Le).
Ar Farvel i^oapaé'c, in-lOde öli fenilicts non numérotés. Biblio-Ihèque du Port do Brest, cole 9/10398.
Creation du .monde (La).
I. nbsp;nbsp;nbsp;Creation ar bed, in-fol. do 232 ])., 1702, de ma collection.nbsp;(Cf. Bibl. Nat., nquot; 12. Imprimé : Revue cellique, t. IX, p. 149 etnbsp;suiv.)
II. nbsp;nbsp;nbsp;La Creation du Monde, in-fol. de 149 p., xviu''siècle, décritnbsp;par Luzel, Revue cellique, t. V, p. 327. Collection Luzel, en manbsp;possession.
III. nbsp;nbsp;nbsp;Creation ar bed laquel en tragedie, manuscrit de .loseplinbsp;Coat. Bibliotliéque de Quiinper.
1. Noiisn'axons pas relovó icilos manuscrits bretons dc la Bibliothccpio Nationale, dont on trouvera la listo et la description dans Ie Calalognenbsp;des manuscrits celiiqxies et basques de la Bibliothèque Nationale, lietmenbsp;critique, t. XI, p. SSO-dSS. Uu certain nombro dos manuscrits montionnésnbsp;dans notre Bibliographio ont déjA été décrits par leurs anciens posses-seurs, Milin et Luzel, dans la Revue cellique, t. V, p. 320-332 : nousnbsp;avons pris soin d’indiquerla concordance pourchacun de ces manuscrits.
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LE THEATRE CELTIQUE.
IV, llisloar creation ar bed man ha formation an den kcntan Adam, he varo ha hue ar Propheted Enoc hag Eli, an duluj,nbsp;hue ha maro Noe, in-fol. de 382 p., xtx” siècle. Collection denbsp;l'abbé Allain.
David (Lc roi).
Vie de David, in-foI. de 302 p., xix” siècle, décrit par Milin, Revue celligue, t. V, p. 328. Collection Vallée.
Devi (Saint).
Saint Divi, mystére breton (fragment), in-foI. de 81 p., xix' siO'-ole. Collection Luzel, en ina possession. (Cf. Bibl. Nat., n° ö. Imprimés : Buhez sanlez Nonn; Revue celligue, t. Vlll, p. 230-301, 40.Ö-491.)
Gabax (Saint).
I. nbsp;nbsp;nbsp;Rue an otro sant Ga.ran, in-fol. de 104 feuillels, 1703, de manbsp;collection. (Cl'. Bibl. Nat., n° 100.)
II. nbsp;nbsp;nbsp;Buez an otro sant Garan patrom er Barrous a Gavan hanbsp;Bue sant Denes ha sant Ctemant, in-fol. de 20.öp., 1801, décritnbsp;])nr Luzel, Revue celtigue, t. V, p. 324. Collection Luzel, en manbsp;possession.
III. nbsp;nbsp;nbsp;Resit ha bue an ólro sant Guaran ha sant Denes, in-fol. denbsp;130 p., 1802, décrit par Milin, Revue celligue, t. V, p. 329. Collection Vallée.
Ge.xeviève (Sainte).
Tragediën santes Genovefa, in-fol. de 90 p., 1814. Collection Vallée. (Cf. Bibl. Nat., n”’ 24, 2a, 20, 90. Iinprimé ; Buez santeznbsp;Genovefa.)
Gl'enou! (Saint).
Buez an ahad Goenole, in-fol. de 90 p., copié par Milin sur un manuscrit de 1832 provenant du fonds Auguste Le Corre.nbsp;Collection Vallée. (Cf. Bibl. Nat., nquot;' 02, 97. Imprimé ; Luzel,nbsp;Vie de saint Gwennole.)
IIÉLÈ.^E (Sainte).
I. nbsp;nbsp;nbsp;Vie de sainte Hellene, in-fol. de 209 p., xix' siècle. Collection Vallée. (Cf. Bibl. Nat., n°’ 30, 5a. Imprimé : Buez santesnbsp;Helena.)
II. nbsp;nbsp;nbsp;Buez Santez Helena, in-fol. de 79 p., xix' siècle. A servinbsp;pour l’édition de Lc Goffic. De ma collection.
IIl'ON DE Eobdeaüx.
I. nbsp;nbsp;nbsp;Bue Huon a Yourdel, in-fol. de 221 p., xixquot; siècle. De manbsp;collection. (Cf. Bibl. Nat., n“ 43.)
II. nbsp;nbsp;nbsp;Bue Huon prince a Vourdel, in-fol. de 291 p., xix' siècle.nbsp;De ma collection.
III. nbsp;nbsp;nbsp;Vie de Huon de Bordeaux, manuscrit communiqué parnbsp;M. Prosper Hémon.
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BIBLIOGHAIMIIE .
IV. Iluon de Bordeaux^ abrégé, in-fol. de 91 p., dócrit par
I.uzel, Revue celtique, t. V, p. 32-3. Bibliothcque de Quiniper.
Jacob.
I. nbsp;nbsp;nbsp;Bue Jacob Patriarche sanlel, in-fol. de 83 feuillets, sviii' siècle. Collection de A. de la Borderie. (Cf. Bibl. Nat., n“’ 16, 40,nbsp;47, ,Ö9. Iinprimé : Trajedi Jacob leshanvet Israël.)
II. nbsp;nbsp;nbsp;Bue an Iribuz Israel tennet divoar ar Bible sanlel en verjonnbsp;bresonecen form a dragedien, in-fol. de 288 p., 1822, décrit parnbsp;Milin, Revue celtique, t. V, p. 329. Collection Vallée.
III. nbsp;nbsp;nbsp;Tragedie a bue Jacob ac e vugale, in-fol. de 81 p., manus-crit de Joseph Coat, 1831, décrit par Luzel, Revue celtique, t. V,nbsp;p. 320. Bihliothèque de Quimper.
Jean-Baigt;tiste (Saint).
Saint Jean-Baplisle, tragédie brelonne, in-fol. de 108 p., copié de la main de Luzel, en 1844, sur un inanuscrit de 1763, décritnbsp;lgt;ar Luzel, Revue celtique, t. V, p. 321, en ma possession. (Cf.nbsp;Bild. Nat., n” 14, lö.)
Jea.'i .Mèlabgé.
lan Mëlargé, comédie e eun act, in-fol. de 29 p., 1841, de ma collection.
Jean de Pabis.
Cahier Tragedi deus a Vue Van a Baris, in-fol. de 78 p., manuscrit de Joseph Coat, décrit par Luzel, Revue celtique, 1. V,nbsp;p. 322. Bihliothèque do Quimper.
JUGEMENT DERNIER (Le).
Vie de lantecrisl et le Varn general, in-fol. do 174 p., 1709 décrit par Milin, Revue celtique, t. V, p. 329. Collection Vallée.nbsp;(Cf. Bihl. Nat., n° 37.)
Laurent (Saint).
f,a Vie de saint Laurent martir, in-fol. de 241 p., xix' siècle, décrit par Milin, Revue celtique, t. V, p. 329. Collection Vallée.nbsp;(Cf. Bibl. Nat., n” 21.)
Louis Eunius.
Buhez Louis Eunius, denjentil ha pec'her braz, copie de la main de Luzel, in-fol, de 113 p., en ma possession. (Cf. Bihl.nbsp;Nat., n“* 29, 45. Iinprimé ; Buez Louis Eunius.)
Mai.largé.
Bue en tad Mallarge a Tristemina e vroec hac e vugale, in-fol. de 88 p., xix° siècle. Collection Luzel, en ma possession. (Cf.nbsp;Bibl. Nat., n° 33.)
Mitiiridate.
Mitridat, drame 3 actes, manuscrit de Joseph Coat. Bihliothèque de Quimper.
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LE THEATRE CELTIQUE.
JIoiSE.
Vie de Mdise (ópilugue), copié de la main do Luzel, en 1844. in-lol, de 4 ])., en ina possession. (Cf. Bibl. Nat., n'quot; 1C, 47, 00.nbsp;Iinpritné ; Trajedi Moyses.)
OnsoN ET Valentin.
Orson el Valentin (Tragmcnt), in-fol. de 72 p., xix“ siècle, décrit par Luzel, Revue celtique, t. V, p. 32'}. Colleclion Luzel,nbsp;en ma possession. (Cf. Bibl. Nat., n° 34.)
Passion (La).
L La Pas.uon, in-fol. de 83 j)., incoinplet, 1738. Collection Vallée. (Cf. Bibl. Nat., n° 13. Imprimé : 11. de la Yillomarqué,nbsp;Le grand mystère de .Jésus.)
II. La.Passion de Notre Seigneur Jésus-Christ, piece hretonne copiée sur un manuscrit trés inco?nplet, in-fol. do 43 p., copié denbsp;In main de Luzel. Colleclion Vallée.
UI. La Passion (fragment), in-fol. de 17 p., xviiquot; siècle. Do ma colleclion.
IV. nbsp;nbsp;nbsp;La passion de Notre Seigneur Jesus-Ckrist l'trez en formenbsp;de tragedie en vergees breton, petit in-fol. de 123 fcuillots, 1802,nbsp;décrit par Milin, Revue cellique, t. V, p. 328. Colleclion Vallée.
V. nbsp;nbsp;nbsp;Lapassion de Notre Seigneur Jèsus-Ghrisl, in-fol. de 187 p.,nbsp;xix' siècle. Collection Vallée.
VI. nbsp;nbsp;nbsp;Abrege dimeus a Bassion kon zalver Jesus-Christ, in-fol.nbsp;de WO p., manuscrit do Auguste Le Corre, décrit par Luzel,nbsp;Revue celiigue, t. V, p. 320. Bibliotlièque de Quimper.
PiEnnE (saint) et saint Paul.
Buhe sant Per ka sant Paul, in-fol. de 336 p., xviii' siècle. Bibliotlièque de Quimpcr. (Cf. Bibl. Nat., n°‘ 54, 63.)
ItOllERT LE DiaBLE.
I. nbsp;nbsp;nbsp;La vie de Robert fits le duce de Normandi et de Sever;/ denbsp;Bourgongne tirez en forme de tragédie, in-fol. de KiO p., 1707,nbsp;décrit par Milin, Revue celtique, t. V, p. 329. Colleclion Vallée.nbsp;(Cf. Bibl. Nat., nquot;al.)
II. nbsp;nbsp;nbsp;Bue Robart an Diaoul, in-fol. do 180 p., 1812. Collectionnbsp;A. de la Bordcric.
III. nbsp;nbsp;nbsp;'tragedy Robert an Diaoul, in-fol. de 182 p., 1862. Biblio-tbèque de Quimpcr.
Tiiefit.nl' (Sainle).
I. nbsp;nbsp;nbsp;Bué ar Roue Arthur hag ar Rouanez Treffiaa, in-fol. donbsp;200 |)., 1816, décrit par Luzel, Revue celtique, l. V, p. 325.nbsp;Bibliotlièque de Quimpcr. (Bibl. Nat., n”' 22, 23, 39, 64. Imprimé:nbsp;Luzel, Sainle tr;/pkinc et le roi Arthur.)
II. nbsp;nbsp;nbsp;La vie de sainte Treffinne Rehine de Rretaigne, in-fol. de
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UlliLIÜÜUAlMlIE.
121) p., XIX'' sióde, dócrit p;ir Milin, Hevue celtique, t. V, ji. 321). Collection Vallée.
III. nbsp;nbsp;nbsp;Triffine, tragédie bretonne, inanuiicrit de la main dcnbsp;Luzel, 1844. Bililiothèque de Quimper.
IV. nbsp;nbsp;nbsp;Bue: sanies Treffma ac he friet Artur Roue breisvian,nbsp;abrég'é, par Auguste Le Gone, 1844, décrit par Luzel, Revue celtique, t. V, p. 321. Bihliolhèque de Quimper.
Yves (Saint).
l’ie de saint Yves, fragment, manuscrit communiqué par M. Prosper Hémon.
Archives du Parlement de Bretagne ; Registres secrets, X.XllI, XC; Série B, Grand'Chambre, Minutes d’arréls sur remontrances.
Luzel (F.-M.), Notes manuscrites de Voyage, cahier de 74 p., en ma possession.
Acta Sanctorum quotquot toto orbe coluntur, collegit, digessit, notis illuslravit Joan. Bollandus... Anluerpiae, 1043-1838, 30 vol.nbsp;in-fol.
-Vllanic (J.), llistoire du collége de Vannes, Vannes, 11103, gr. in-8°.
Annates de Bretagne puhliées par la Faculté des lettres de Hennes, Rennes, dejiuis 1880, gr. in-8quot;.
Arhois dc Juhainville (11. d’), La civilisation des Celtes el celle de Vépopée homérique, Paris, 1801), in-8quot;.
Arhois de Juhainville (11. d’), L'épopée, celtique en Irlande, t. 1, Paris, 1892, in-8».
-irchxologia Cambrensis, London, dejiuis 1847, in-8‘’.
.Archives de Bretagne, recucil d’actes, de chroniques et de documents historiques rares ou inédits (Société des hihliophilesnbsp;hretons), Nantes, 1883-1883, 3 vol. in-4quot;.
.irréts de Noël Dufail, Rennes, 1379, in-l'ol.
Barzas-Breiz, Chants populaires de la Bretagne, recueillis et publiés avec une traduction l'rancaise, des éclaircissements, desnbsp;notes et les melodies origineles, par Th. de la Villemarqué,nbsp;Paris, 1849, 2 vol. in-8''; 0quot; édit.. Paris, 1807, in-8'’.
Bataille (Henry), Ton sang précédé de La Lépreuse, Paris, 1808, in-10.
Biblioth'eque du thédtre franpois depuis son origine, Dresde, 1708, 3 vol. in-8quot;.
-ocr page 540-524
LB TIIBATHE CELTIQUE.
Borderie (.V. de la), Hisloire de Bretagne, Rennes, 18!)()-1S!K)
3 vol. in-iquot;.
Borderio (A. de la), L’impriinerie en Bretagne au XP siècle, Nantes, 1878, in-Squot;.
Borlase, Observations on the antiquities historical and monumental of the coimtg of Cornwall, Oxford, 1834, in-fol.
Borrow (G.), Wild Wales, its people, language and scenery. S' édit., London, 1872, in-8“.
Boueliart (Alain), Les grandes cronigues de Brelaigyie, nouvelle edition i)ul)liéo parH. Le Meignen, Rennes, 1880-1889, in-4‘’.
Boucher (R. 1'.), Le bouquet sacré, compose des roses du Cal-vaire, des lys de Bethleein, des jacinthes d’Olivet et de plusietirs autres rares et belles pensees de la Terre Saincte, Rouen, 1073,nbsp;in-8quot;.
Bretagne contemporaine (La), sites pittoresques, monuments, costumes, scènes de moeurs, liistoires, légendes, traditions etnbsp;usages des cinq departements de cette province, Nantes, 1833,nbsp;in-fol.
Suez ar pêvar mab Emon due d’Ordon, Monlroulez, 1806, in-12.
Bue: Louis Eunius dijentil ha pec’her bras, tragediën en daou actgant.eur proloc vit peh act, Lanhuon, 1871, in-18.
Buez sanlez Genovefa, Lanhiion, 1804, in-18.
Buez santes Helena, Lannion, 1802, in-18.
Buhé en tri Roue, farce devott, Guinett, 1743, in-18.
Buhez sant GwennoU abad. La Vie de saint Gwennole abbé, texte Breton et traduction frangaisc en regard, par F.-M. Luzel,nbsp;Quimper, 1889, in-8”.
Buhez sanies Barba dre rym, evcl maz custumer he hoary en Goelet Breiz, gant euriou an Itron sanctes Barha hac he ofllconnbsp;amplamant. Montroulez, Ian Hardouyn, 1047, in-10.
Buhez santez Nonn ou Vie de sainle Nonn et de son fils saint Uevy, inystère puhiié jiar l’ahhé Sionnet et accoiupagné d’unenbsp;traduction littérale de M. Legonidec, Paris, 1837, in-8'’.
Bulletin archéologique de Vassociation bretonne, Rennes et Saint-Brieuc, depuis 1849, in-8“.
Bulletin de la Société archéologique du Finislère, Quimper, depuis 1873.
Bulletin de la Société archéologique du Morbihan, Vannes, 1838-1800, 3 vol. in-8”.
Bulletin de la Société des bibliophiles brelons et de Vhisloire de Bretagne, Nantes, 1878-1883, 3 vol. in-8quot;.
Gambry, Voyage dans le Fmistère, Paris, an A ll, 3 vol. iu-8‘’.
Carew (Richard), Survey of Cornwall, to which are added notes illustrative hy Th. Tonkin, and published by F. de Duns-tanville, London, 1811, in-4°.
Ceriziers (R. de), Les trois Estate de Vlnnocence, Paris, Jean Gamusat, 1040, in-8”.
-ocr page 541-ö2ü
lilBLIOGRAPllIE.
Clouzot (II.), L anden thédlre en Poitou, Niort, 1901, in-8quot;.
Creation of the world (The), edited with a translation and notes by Wli. Stokes, London, 1804, in-8°.
Cornish drama (The ancient), edited and translated by Ed. Norris, Oxford, 1859, 2 vol. in-8quot;.
Decoinbc (L.), Le thédlre a Rennes, Rennes, 1899, in-8quot;.
Douhet (J. de), Diclionnaire des légendes du christianisme (Eneyclopédie théologique de Mignc), Paris, 1833.
Doubet (J. de), Diclionnaire des myslères (Encyclopédie thcolo-gique de Jligne), Paris, 1834.
Dupuy, Jlisloire de la reunion de la Bretagne a la France, Paris, 1881, 2 vol. in-8“.
Fiervillo (Cb.), llisloirè du collége de Quimper, Paris, 1804, n-8”.
Fréminville, Antiquités de la Bretagne (Cótcs du Nord), Brest, 1837, in-8quot;,
Gcoffroy de Monmouth, Uisloria regum Britanniae, édit. J. A. Giles, Londini, 1844, in-8quot;.
Giraldi Cambrensis opera, edited by J. S. Brewer, London, 1801-1808, 0 vol. in-8quot;.
Gwerziou Breiz-Tzel, Chants populaires de la Dasse-Bretagne, recncillis et traduits par F.-M. Luzel, Paris, 1808-1874, 2 vol.nbsp;in-8quot;.
Habasque, Notions hisloriques sur le littoral des Cötes du Nord, Saint-Brieuc, 1832-1830, 3 vol. in-8quot;.
llerrnine (!'), revue littéraire et artistiquede Bretagne, Rennes, depuis 1889.
Itisloire lillcraire de la France, ouvrage comniencé par des religieux bénédictins de la congregation de Saint-Maur, et continué par des membres de Plnstitut, Paris, 1733-1898, 32 vol.nbsp;in-8quot;.
Itisloire de Iluon de Bordeaux, pair de Fra7ice, duede Guienne, contenant ses fails et actions béroiques réunis en un seulnbsp;volume. Nouvelle edition ornée de buit gravures. Épinal, Pel-lerin et Gquot;, s. d.
Historical ms. Commission. Report on mss in the Welsh language, Oxford, 1898-1902.
lolo Goeb, Gweilhiau, édit. Asbton, Oswestry, 1890, in-8quot;.
lolo matiuscripts, a selection of ancient Welsh manuscripts in prose and verse, from the collec.tion made by the late Edwaidnbsp;Williams, with English translations and notes by bis son, thenbsp;late Taliesin Williams. Llandovery, 1848, in-8quot;.
Jacques de Voragine, Aurea legenda sanctorum qux lombar-dica historia nominalur, 1498, in-fol.
La Légende dore'e, par Jacques de Voragine, traduite du latin par M. G. B., Paris, 1843, 2 vol. in-16.
Journal des Savants, Paris, depuis 106.3, in-4quot;.
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LE THEATRE CELTIQEE.
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KérardveiilL.) [Dulllhol], Guionvac’h. Études sur la Bretagne, 2quot; édil.. Paris, 1833, in-8quot;.
Kritischer Jahresbericht über die Fortschrille der romani-schen Philologie, depiiis 1890, gr. in-Squot;.
Le (jofllc (Ch.), Vdme brelonne, Paris, 1903, in-lü.
Lü Grand (AlOerl), Vie des saints de la Bretagne Armorique, édit. Thomas elAbgrall, Quimper, 1901, in-4quot;.
Lornaitro (J.), Impressions de thédtre. Paris, 1888-1898, 10 vol. in-10.
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Life of saint Meriasek {The), edited hv Wh. Stokes, London, 1872, gr. in-S”.
Loth (J.), Chrestomathie brelonne. Paris, 1890, gr. in-8'’.
Loth (J.), Véniigration bretonne en Armorigue du V au VIT' siècle de notre ère, Rennes, 1883, gr. in-Squot;.
Loth (J.), La mélrique galloise depuis les plus anciens tescles jusqu’d nos jours. Paris, 1902, 3 vol. in-8''.
Luzel (F.-M.), Veillées bretonnes, inoeurs, chants, contes et récils populaircs des Brctons-Armoricains, Morlaix, 1879, in-lü.
Mabinogion [The) with an english translation and notes, by lady Ch. Guest. London, 1849, 3 vol. gr. in-Squot;.
Mabinogion [Les), traduits on entier pour la première fois cn francais avec un commentairc explicatie et des notes critiquesnbsp;par J. Loth, Paris, 1889, 2 vol. in-8‘'.
Paris (P.), Les ynanuscrils francais de la Bibliothèque. du roi, Paris, 1836-1848, 7 vol. in-8‘’.
Marie de France, Poesies, puhliées par B. de Roiiuefort, Paris, 1810, 2 vol. in-8''.
Mélanges d’histoire et d’archéologie bretonnes, Rennes, 1830-1838, 2 vol. in-10.
Mélanges historiques, littéraires, hibliographiques, publiés par laSociété des bibliophiles bretons, Nantes, 1878-1883, 2 vol. in-8 quot;.
Middle Breton hours, edited with a translation and glossarial index, by \Vh. Stokes, Calcutta, 1870.
Miracles de Nostre-Dame par personnages, publiés d'après Ic maiiuscrit de la Bibliothèque Nationale par G. Paris et U. Robert,nbsp;Paris, 1870-1883, 7 vol. in-8quot;.
Morice (Dom), Histoire ecclésiastique et civile de Bretagne, Paris, 1742-1730, 3 vol. in-fol.
Myfyrian Archaiology of Wales {The), collected out of ancient manuscripts by Owen Jones, Eduard Williams, William Owennbsp;Pughe, IJenhigh, 1879, in-4'’.
Mgstère de. Jesus {Le grand). Passion et Resurrection, draiiie
-ocr page 543-527
lilliLIOGKAlMlIE.
breton du iiioycn age, avoc. une étude sur Ie théutie chez los nations coUitiues, par U. do la Yillemarqué, Paris, I860, iu-8''.
Mystève {Le) de salute Barhe^ tragédie br(ïtonne, tcxte de laa? publié avcc traduction francaisc, introduction et dictionnairenbsp;étyinolog'icjue du breton inoyeu par Hinilc Ernault, Nantes, 1883nbsp;(Arcbives de Bretagne, t. lll-lV), in-i”.
N'ettlau, Beitrcige zur ctjmrischen Grammatik, Leipzig, 1887, in-8''.
Xisard (Cb.), Uistoire des üvres populaires en France, Paris, 18üi, 2 vol. in-Squot;.
Ogée, Dictionnaire historique et géographique de la province de Bretagne, nouvelle édit.. Hennes, 1843, 2 vol., gr. in-Squot;.
Oliver, Monasticon Dia’cesis Exoniensis, Exelcr, 1840, in-fol.
Parl'aict (Frères), Uistoire du theatre franiMis depuis son origine jusqu’d présent, Barts, 1745-1749, 13 vol. in-12.
Paris (G.), Poèmes et légendes du mogen dge. Paris, 1900.
Paris (G.), Ba Uttérature frangaise au mogen dge, 2quot; édit.. Paris, 1890, in-16.
Passions (The) and the homilies from Leabhar Breac, text, translation and glossary by 11. Atkinson, Uublin, 1887, in-8°.
Pastoral var guiidvelez Jesus-Christ, Montroulez, s. d., in-lS.
Petit do Julleville, Uistoire du theatre en France, les ilgstères. Paris, 1880, 2 vol. in-8“.
Pollard, English miracle plays, moralities and interludes, 3' edit., Oxford, 1898, in-8quot;.
Pohvbele, The history of Cornwall, London, 1803-1800, 2 vol. ill-4'’.
Quellien (N.), Chansons et danses des Bretons, Paris, 1889, in-8''.
Henan, Souvenirs d’enfance et de jeunesse, Paris, 1883, in-8'’.
Henan, Essaisde morale et de critique,'^'' édit., Paris, 1887,in-8quot;.
Henan, Feuilles détachées faisant suite aux Souvenirs d’enfance et de jeunesse, Paris, 1892, in-8“.
Berum britannicarum scriptores I'cfws/iores, lleidelbergae, 1857, in-fol.
Revue celtique publiée par 11. Gaidoz, 1870-1885, pur 11. d’Ar-bois de Jubainvillc, depuis 1883, Paris, in-8quot;.
Revue critique d’histoire et de Uttérature, Paris, depuis 1866, in-8quot;.
Revue d’histoire littéraire de la France, Paris, depuis 1894, gr in-Squot;.
Revue de synthèse hislorique, Paris, depuis 1900, gr. in-8quot;.
Hostrenen (G. de), Dictionnaire frangois-celtique ou franguis-breton. Hennes, 1732, in-8'’.
Houanet (Léo), Dratnes religieux de Calderon, Paris, 1898, gr. in-8quot;.
Sninle Tryphine el le roi Arthur, mystere breton en deux
-ocr page 544-528
LE THEATRE CELTIQUE.
journées et huit netes, traduit, puljlié et precede d’une introduction par F.-M. Luzel, texte revu et corrigé d’après d’anciens manuscrits par I’abbó Henry, Quiinperié, 1803.
Séjourné (Le P.), Ilütoire du vénérable servileur de Dieu Julien Maunob\ Paris, 1893, 2 vol. in-8quot;.
Souvcstre (E.), Les derniers Bretons, Paris, 1883, 2 vol. in-16.
Stephens, The literature of' the Kymry, being a critical essay on the history of the language and literature of Wales, 2quot; edit.,nbsp;London, 1876.
Tragediën sant Guillarm, condt deus a Poelou, Montroulez, 1872, in-18.
Trajedi Jacob leshanvet Israel, Montroulez, 1830, in-18.
Trajedi Moyses lesennour an Ilebreanet, Montroulez, 1830, in-18.
Trajedi sant Bihui, Guénéd, 1873, in-18.
Transactions of the philological Society, London, depuis 1834, in-8°.
Williams (R.), A biographical dictionary of eminent Welshmen from the earliest times to the present, Llandovery, 1832, in-8quot;.
Zeilschrift fiir celtische Philologie, herausgogeben von Kuno Meyer und L. Chr. Stern, Halle, depuis 1890, gr. in-S”.
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INDEX.
Oei.lec (Janie), 4G0. Bbllechiéiie, Eli. Helle-Isle en 'I’EnnE, 201. ÜELzÉBUïii, 302, 338. ÜENONI, 20.3. Bémth, 277, 312, 31,7, 3)0, .320. Bernard, de Hennes, 405.nbsp;Bertrand, 303, 370, 373, 378.nbsp;Bethlée.m, 00. Ilevnans Meriasek, 01, 121-137. Uien Avisé, 252. Biitui (Saint), 307. Bijon, 103. Blois (Cliarles de), 133, 130. Bo.n-Bepos, 134, 130. Bordeuie (A. de la), 190, 213, 233, 233. Borlase, 88, 89, 90, 91, 02, 138. Borrow, 73, 77, 78, 80.nbsp;Bocchard (Alain), 202, 201.nbsp;Boucher (B. P.), 444. Itouquet Sacré, 444. Bourgogne, 288. Brandifer, 320. Braspartz, 104. Brérant-Loudéac, 233, 235.nbsp;Bréudy, 482. Breuhiez-Bheiz, 101, 104. Bricriü, 13. Brieuc (Saint), 31, 52, 307. Brizeux, 97, 422. Broons, 258. Brut y Brenhinoedd, 90. Bügee-Noz, 380. Bülaeus, 59. Bunyan (John), 79. Burtonenses (Annales), 39. Cador, 97. C.AÏN, 274. C.ALDERON, 342, 343, 343. Callot, 315, 310, 3)7, 318, .322.nbsp;Caaibron, 121, 123. Ca.mrry, 240. Camper, 131. |
C.AREW, 80, 91, 93, 94, 93, 138. Carhaix, 233. Carioü (Antonie), 438. Carnsew, 103. Cartier (Jacques), 200. Catkolicon, 231, 230. Cauchon, 114. Caur-Magog, 98. Celtchair, 13. CÉNOMANS, 242. Cent ans (Guerre de), 133. Ceriziers (Bené de), 357, 338,nbsp;339, 303, 300, 371, 372, 373,nbsp;374, 373, 378, 380. Cêt, 14, 13, 10, 17. Challet (.leliaii de), 234. Cram, 277, 278, 433. CiiARDEL (Jules), 487. Charlemagne, 417. Charlemagne el les douze pairs, • 200, 323. Charles (Marguerite), 34. Chaucer, 04. Choupot (Món), 403. Chrétien de Troyes, 02. Clec'h (Auguste), 404. Clément (Saint), 288, 289, 200, 292, 293, 294. Cleray (Georges), 230. Gloareo, 513. CoADOUT, 472, 487. COAURI, 310. Coat (Joseph), 449, 459, 483, 490. Cobourg, 333. COGNOMERCS, 417. CoLART Mansion, 114. Coleridge, 3. Cologne (Trois rois de), 00. CoLOMBEL (Jehan), 234.nbsp;COMORRE, 337. CONALL, 13, 10, 17. CoNAN (Jean), 178, 182, 193, 204, 213, 371, 441-449, 494.nbsp;Conan Mériadec, 133, 134.nbsp;CONCIIORAR, 10, 13. |
531
INDEX.
Confréries uu Saint-Sacre-MENÏ, 232. CoxGAR (nenry), 430. CoXGARD (Job), 400. COX.XAUGHT, 10, 12, 13, 17, 18.nbsp;CoxsïAXTix (L’empercur), 124,nbsp;123, 1.32. CoQUART (laiinik), 34-37. CoRBiERE (Tristan), 401.nbsp;CoREXTix (Saint), 307.nbsp;CoRlXEUS, 07. Corneille, 0. CoRxouAiLLE, 227, 233, 208. CORXOUAILLE ANÜLAISE, 84-130,nbsp;434, 472. Costar (Jean), 133, 130. CouRsuN (De), 403. Cradock (Joseph), 74. Créalion du Moiidi-, 117, 184, 180, 108, 201, 202, 203, 273-270, 410, 430, 431, 302. Crés (Jean), 233.-Chimtiiaxd Nia N'air, 11. Cruacrniu, 14. CUSGRAID, 13. Clstenxin, 24. Dannot (Le), 210, 217, 221, 222. Danse macabre (La grande),nbsp;204. David (Uoi), 103, 108, 111. David (Yves), 494. Débat du corps et de l’dme, 297. Denis (Saint), 311. De origine mundi, 103, 108-114. Derdriü, 7, 8. Derrien (Francois), 190, 203, 408, 424. Désespérance, 248. Destruction dé Jérusalem, 100, 434. Devon, 83. Diable, 303. Dixan, 202. Dirinon, 208. |
Dol, 227, 403. Do.malain, 234. Donatien et lloGATiEN (Saints), 239. Donegal, 341. Dotten, 3, 8. ÜÜRUCHEÏ, 230. Dü.mas (Ale.xandre), 147. Do PÉRIBR, 180. Düpré (Jean-.Maric), 401. Durdoüs, 231. Egypte, 00. Eléonorb (Reine', 239. Elias, 300. Elie, 277. Ellie.n (Jacques), 190, 197. Elvire, 338. E.meransienne, 282. Enocu, 273, 300. Eoüan, 14. Ernault, 3. Esclar.monde, 320-328. Espi.nay (Charles d’), 495.nbsp;Eulogius, 433. Humus (Louis), 340-336. Eve, 103, 273, 275, 270, 279.nbsp;E.xeïer, 101, 103. Fail (Noel du), 230, 237. Farvel goapaër, 289, 392.nbsp;Fausïin, 280, 203. Faustinien, 289, 293. Fergent (Alain), 227. Féte-Dieu, 252. Fits prodigue, 03. Fortune (Feinte de), 202. Feinte du mystère des vérite'snbsp;202. Fou, 77, 78. Foucquet (Robin), 233. Fougères, 232. France (Roi de), 338, 339. |
Guéouen (Ablié), 104.
Guéglen (Tanguy), 434.
Goéloü (Jean), 487.
Güé.nolé (Saint), 330. Guerlesquin (Le), 178, 179, 190,nbsp;392, 393, 408, 406.
Guest (Lady), 4.
Gligneb (Saint), 307. Guildhall, 90.
Guillaü.me de Poitou, 142, 317. Gltllaü.me le Conquérant, 227.nbsp;Guilleby, 397, 399, 402.nbsp;Guillobé, 397, 399, 402.nbsp;Guillorel (Nicolas), 200.nbsp;Guii.lou, 463.
Guingamp, 212, 238, 204, 441, 434, 494.
Guyomarc’h (Guillaume), 500. Gwennolé (Saint), 307.nbsp;Gwerziou Breiz-Izel, 27, 39, 44.nbsp;Gwreans an Bys, 100, 103.nbsp;Gwynedd, 48.
Gylmyn (Saint), 104.
H
IIadton, 100, 136.
Ilelaine de Constantinople, 237. He.nhy (.Ablié), 130, 103, 174,nbsp;Hebland (Jcan-Francois), 392,nbsp;402.
Hebode, 63, 06 , 07, 107, 408. Ileures en moyen breton, 231.nbsp;tieuriou Briz, 197.
Hincweten, 129.
Hirlande, 357, 375. lUsloire de Judith, 260, 280.nbsp;llistoire de Madame Sainte Marguerite, 200.
IloCHELAGA, 200.
IIOEL, 227.
Hoi.opherne, 281.
Huet (Jean-Francois), 201. Huon (Laurent), 180.
Ihion de Bordeaux, 201, 208, 237, 272, 323-332, 506.
Hwfa Mün, 83.
S32 nbsp;nbsp;nbsp;INDEX.
Fhanc-ois 1”', 2Ö0.
Fbancois 11, 228, 259, 202. Fréminviu-e, 198, 473.
Fbise-Poulet, 392.
G
Gabbiel (Ange), 282, 301, 316. Gauelin, 289.
Gaidoz, 5, 107.
Gaeiczon (Nicolas), 237.
Gcilien le Restauré, 237.
Gauzée, 320.
Galles, 8, 19-20, 40-83, 229.
Gaban (Saint), 309-311, 424. Gara.ndel, 133, 4.38, 487.
Gascogne, 381.
Gaudise, 327.
Geffhoy (René), 439, 401, 403,
470, 481, 482, 486, 489, ,307. Geneviève de Rbabant, 203,
323, 337, 372, 431.
Genièvre, 98.
Geoffboj 1”, 227.
Geoffbo! de Monmouth, 133. Gébaud. 339, 300, 301, 302, 365,
300, 307, 370, 375, 378.
Gebmain (Saint), 32.
Gildas, 99.
Gibaud de Habbv, 52, 33, 37. Glazenny, 101.
Goü.magog, 97.
Gog, 300.
Golabd, 201.
Gobinüb, 98.
Gobloïs, 98.
Goüabin (Vincent;, 196, 207,
215.
Goühiou (Alain), 134, 130, 488. Gouabbanus, 309.
Gbalon, 417.
Grand Mijstèrc de Jésus, 149,
100, 244-230, 421, 422, 420. —
Voir Passion.
Gbesban (Arnoul), 247.
Gresset, 201,
Gruffyüd ab Rhys, 38.
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INllEX.
)anx Kebglogoh, 238. Ian MêLMiGK, 383, 302-394. loi.o Gocii, 04, 05, 81.nbsp;loN.A, 341. Insïrumb.nts de la Passion, 302. luAigt;, 275. Jkla.nde, 5, 18, 341. Jai’het, 277, 278, 4.55. Jardin de l’konnéte amour, 241 Jean V, 251. Jean-Baptiste (Saint), 122. Jea.n (Duchesse), 108, 375-370,nbsp;Jean de Paris, 451. Jean l’aaeugle, 330, 337. Jean Michel, 247. Jeanne d’Arc, 112, 113, 357. JÉGOU de Kerlia'io (Olivier),nbsp;405, 490, 400. Jehanne (Bertrand), 205, 200. Jenkin.s (Pasteur), 80.nbsp;Jerusalem, 00, 283, 308. JÉSLS, 00, 124. Jeu de Saint-Marcnt, 257. Joachim, 282, 283. JOUELLE, 495. Jordan (William), 99. Joseph (Saint), 00, 283, 284. Jo.SSELIN, 131. Jours Gr.as, 471. JovvN (Saint), 104. JUBAL, 275. Judara, 338. Judas, 248. Judée, 119. Judith, 281. Jugement de IJieu (Le), 204. Jugemenï deh.nter, 400, 414,nbsp;430, 400. 472, 475, 485.nbsp;Jugement general (Ie), 294. JuiE, .350. Jupiter, 104. 338. JuasERAND, 03. Ju.STiMEN, 280, 290, 291. |
IvEi, 24. Keramborn, 151, 133, 130, 175, 218. IvERAMRRUN, 488. Kerdanet (De), 383, 384. Kehdu, 213. Rerdual, 191, 215. Kerenveyer (Pascal do), 385, 380. Kehiliz, 182, 183, 185, 109. Ker-moroc’h, 180. Keroulaz {L’llériliilre de), 34. Kervoura, 108, 375, 378, 380,nbsp;407. IvERYS, 88. Kii.vbd, 10. IvÖHLER (lieinliold), 124, 372, 373. KuLinvcii, 19, 21, 22, 23, 24, 25, 20. Labraid, 0. La Fontaine, 170. Lagadeuc (Jelian), 231. La Magdaleine, 215. Lambart (Jehan), 250. Lamech 273. Lamonïane, 331, 332, 333, 334. Landévennec, 330, 337.nbsp;Landewednak, 87, 88. Lanfroy, 204. Langoat, 404. Lanloup, 405. Lanmeuu, 374, 487. Lannion, 153, 185, 431, 472, 485, 487, 408. Lantenac, 232. Lashleiz, 208. La Tulipe, 393. Laurent (Saint), 312, 313, 315, 310, 317, 318. Laval (Gomte de), 234. Lear (Hoi), 74. Le Bever (Yves), 500. |
534
INDEX,
Le Bihan (Claude), 202, 206, 215-222, 400, 494. Le Borgne de Kermokvax, 499. Le Boerdonnec, 191, 215, 439.nbsp;Le Bouuva (Fanch), 213, 214,nbsp;215. Le Bounv.i (Nicolas), 210, 211, 21.3. Le Brouster, 208. Le Bruno (Pierre), 4-39. Le Cai.vez (.'Vllain), 207. Le Galvez (Ollivié), 215, 205, 296. Le Cere (Joseph), 198, 199, 213. Le Corre (Auguste), 107, 451, 490. I.ÉDAN, 324. Le Danteg, 401. Le Fle.m (Jean), 200, 207. Le Fi.em (M.aurice), 207. Le Gat (Perrot), 265, 200. Légende Dorée, 124. Le Goffig, 419, 513. Le Gonidec, 172. Le Grano (Albert), 127, 129, 130, 1,32, 133, 300, 309. Le Guillou (Vincent), 201. Le IIoerou, 200. Le IIuérou, 157. Leinster, 9, 10, 11. Lejean (Guillaume), 423, 510. Le Judeg (Jeanne), 28-33.nbsp;LeiMaItre (Jules), 42-43. Le Mareo, 487. Le Menager (Bertrand), 400. Lb Menager (Jean), 107, 108nbsp;173, 208, 209, 210, 220, 221nbsp;222, 490. Le Miniiiy, 473. Le Moulleg (Joan). 182, 183, 184, 187, 198, 199, 215, 485.nbsp;Léon, 227, 233, 208. Le Pelletier (Doin), 190, 382 Lr Pezron (Yves), 184, 487.nbsp;Lépreuse (La), 38-44, |
Le Boi (Yvon), 400. Le Scour, 102. Lesneven, 383. Lespine (Guillaume de), 233, 234. Lesquelen (Jean-Marie), 195, 199, 222. Leviathan, 300. Lexohie, 309, 310, 311. Lézardrielx, 462. L’IIéi.icoq, 487. Lie, 131. Livre des faiz et miracles de Nostre-Dame, 124. Llangolle.n, 81. Loch Derg, 341. Locronan, 212. Loégairé, 14. Loguivy-lès-Lannion, 182, 183, 184, 185, 215. 401. Loguivy-Plolt.ras, 177. Loij: des Trespassés, 235. Loki, 50. Londres, 90. Lope de Vega, 342, 343, 340, 348. Loth, 5, 47, 229, 250, 425. Loudéac, 433. Louis de Bruges, 114. Louis XII, 257, 204. Louis Ennius, 158, 204, 317, 340-356, 440, 502. I.uciEN, 289, 290. Lucifer, 273, 468. I.uzEL, 5, 33, 80, 148, 150, 151, 187, 193, 198, 199, 200, 217-218, 220, 221, 238, 209, 270,nbsp;324, 325, 340, 343, 345, 380,nbsp;407, 413, 424, 443, 445, 458,nbsp;404, 474, 485, 488. Lyon, 237. M Mabinogion, 4, 19, 26, 48,50, 01. M.\c-D.\tiiö, 9, 10, II, 12. 13, 18. |
533
Ü36
Notre-Dajie de Cambro.n, 125, 129. Noïre-Damf, de la Glartë, Ö09. Noyal, 134. Obéhon, 327, 328. Odren, 397, 399, 400. Oensus, 14. OiiÉE, 2.')9, 262. Olive (de 1’), 364-360. Olwen, 19. Orant, 313, 314, 317. Ordin.vire (1’), 93, 94. Ordinale, 95. Ohdinalia, 101, 104, llë, Orleans, 228, 373. Orson el Valentin, 138, 193, 199, 323, 413. O.XFORD, 51. Owen (Chevalier), 342, 343. Owens de Lanelwy (Thoms),nbsp;71. Paimpol, 198, 207, 222. Paques, 471. Parfait (frères), 282. Paris, 228, 237, 230. Paris (Gaston), 123, 272, 313. Paris (Paulin), 124, 288.nbsp;Parlement de Bretagne, 432,nbsp;493. P.YRLE.MENT DE PARIS, 402. Passio Domini nostri, 117-120.nbsp;Passion, 62, 63, 118, 130, 179,nbsp;196, 203, 231, 233, 249, 230,nbsp;231, 234, 288, 406, 408, 410,nbsp;424, 434, 471, 483, 483, 492.nbsp;Passion el liésurrection, 434.nbsp;Patern (Saint), 307. Patience, 313, 317, 318. Patrick (Sninl), 307, 340, 341.nbsp;342. |
Paul (Saint), 294, 301. Paul Aurélien (Saint), 307. Padxine, 294. Pauvreté, 73, 70, 78. Pedr (Joan), 04. Penguern, 401. Penitence d’Adam, 279. Penryn, 103. Pentecöte, 253. Pentraeth (Doll_v), 84, 87. Penwith, 88, 122. Penzance, 122. Pepin (Perrin), 252. PÉPiN (roi), 320. Pérédur, 40. Perrinaik, 112. Perrott (R.), 230. Petit de .Iulleville, 118, 261. 272, 294, Phèdre, 176. Pierre de Bretagne, 232. Pierre de Provence. 326.nbsp;Pierre (Saint), 293, 301.nbsp;Pilate, 104. Pitre-Ghevalier, 137. Plassart, 487. Plestin, 310. Pleüdaniel, 199, 206, 222, 488. Plouaret, 131, 133, 135, 439,nbsp;438, 406, 487. Plouézec, 198, 199, 213, 213, 463. Plougasnou, 127. Plougrescant, 434.nbsp;Plouguernevel, 177.nbsp;Plouguiel, 473. Plouiia, 463. Plouisy, 497, 303, Ploujean, 512. Ploulec’h, 483. Ploumilliau, 178, 213, 371, 441, 445. Plounévez-Moédec, 406. Pi.ouRivo, 488. Pl.IJFITl, 178. Pll’tus, 338. |
OS'!
INDEX.
Pi.U2U.NET, 153, 154, 200, 210, 220, 221, 4ö(), 459, 400, 400,nbsp;409, 470, 482, 487, 494. Poker, 208. Poirier (Le), 498. Poitiers, 259. Poitou (Comte de), 417, 423. Poi.WHELE, 110. PONTELAINE, 131. PONTBUYNE, 130, 131. PONTIVY, 130. Port-Blanc, 200. PoULDOURAN, 208, 472. Powys, 48. Prat (Cloarec), 214. Prologue, 406-410. Proux (Prosper), 423. Vurgaloire de saint Patrice, 340. Purqatnrio de san Patricio, 345. Q Qiiatre Elements, 77. Quatre fils Aj/mon, 158, 191, 324, 323, 431, 439, 401, 473,nbsp;488. Quellibn, 415, 418, 488. Qué.mar (Abbé), ISO. Quiualet, 301. Quillevéré (Yves), 235, 434. Quimper, 100, 107, 175, 437. Quiiiperlé, 193. R Redruth, 88, 122. Henan. 1. 2, 3, 4, 5, 7, 8, 19, 45, 08, 158. 159, 100, 175, 182.nbsp;220, 224, 340, .341, 343, 381,nbsp;435, 515. René de Rohan, 259. Rennes, 226, 232, 230, 232, 209, 309, 392, 494. Resurrection, 179. Riciiesse, 75, 70, 78. |
Ricou, 170. , Rivoal le perclus, 336, 337. Robert (Ulysse), 123. Robert le Diable, 138, 317, 413, 423. Robinson (F.), 87. Roche Berrien (La), 414-415. Rohan, 130, 131, 134, 136, 232.nbsp;Rome, 293, 294, 308. Rostrenen (Grégoirc de), 385. Rousseau, 70. Ruan, 88. Saint-Rrieuc, 227, 437, 405, 407, 487. Sainte-Croix, 212, 238. Baint-Emilion, 177. Sainte Tryphineet Le roi Arthur, 340, 35è. Saint- Georges - en - Tremeur, 237. Saint-Jacques de Gompostei.le, 308. Saint-Jean-du-Doigt, 38, 127. Saint-Just, 88, 89. Saint-Kado, 38. Saint-Malo, 227, 303, 370. Saint-Martin, 311.nbsp;Saint-Michbl-en-greve, 325.nbsp;Saint-P.ytehn, 311. Saint-Pol, 437. Salaün (Lucas), 470. Salgholcan, 15. Salomon, 104, 108, 109. Salvandy (Do), 157. Samson (Saint), 307. Sanson (Ciiré), 434, 510. Satan, 70, 312, 313, 313, 316. Sc.AER, 510. SciiucH.ARDT, 81, 82, 83, 419. SÉJOURNÉ (P.), 308. Sem, 277, 278, 433. Seradia, 289, 290. SÉUIAQUE, 310. Seth, 108. 275, 270, 277. |
338
INDEX.
02, 03. 357, Shakespeare, 3, 68, 74, 78, 92. SiGEFROY, 20?3. SiLVESïRE (Lo pape), 124, 125, 132. Simon l’enchanteuu, 293. SiRANDE, 292. SixTE (Le pape), 316, 317, 318. Skeeton, 78. SouvESTRE (Emile), 141-147,148, 160, 227, 240, 406, 433, 472.nbsp;Station Island, 341. Stephens (Thomas), 19, 49, 59, 60, 09. Stern, 05. Stokes (Whitley), 100, 102, 105, 124, 131. Stolan, 282. Table Ronde, 111, 243. Talensac, 493. Talhouarn, 97. Telene, 131. Terre-Neuve, 203. Tevder, 130. Thelem (Chateau du), 131. Thersite, 13. Thomas (D. Llcufer), 59, 08. Tili (Marie), 34-37. Tonqüédec, 439. Toulgüen, 215. Toüllic (Marguerite), 200. Toulouse, 349. ToüsÉ (Guillaume), 233, 234, 235. Toussaint (La), 235. Traoun Mériadec, 135. Trédarzec, 208, 403, 500.nbsp;Trédhez, 442. Trégaran, 310. Trégor, 270. Trégorrois, 209. Trégro.m, 203. Théguier, 127, 227, 232, 2.33, 204, 208, 338, 339, 408, 437,nbsp;495, 490. |
Tréguier (Evéché de), 57. Tréglter (Légendairo de), 120,nbsp;135. Treuemhys, 103. Tremel, 170. Trespassement Noslre-Ramc, 235. Trézélan', 457. Tri brenin 6 Gwlen, 07. Tristan, 49, 98. Tristemine, 390, 402. Tro Breiz, 307. Trogüéry, 405. Troïlus et Cressida, 04. Trots Rots de Cologne, Trovern, 470. Troyes, 237. Truro, 88. Trwstan (Diogyii), 70. Tryphine, 108, 307, 350, 375, 377, 407. Tsilla, 275. Tuhalgaïn, 275. Tüdual (Saint), 307. Tulpodo, 338. Twm o’r Nant, 74, 77, 78, 81, 449. Ulster, 9, 10, 12, 15, 18. Uscoa, 318. USNECH, 7, Vai.lée (Francois), 384. Vannes, 125, 129, 135, 227, 208, 437, 407, 511. Vannetais, 209. VÉRARD, 248. Vie de David, 280, 472. Vie de Uuon de Bordeaux, 327-332, 504. Vie de Jacob, 207, 280, 410, 413, 451, 504. I'ie de TAntechrist, 198, 294-305. |
S39
INDEX.
Vie de Louis Eunius, 340-350. Vie de Mallarge, 208, 209, 210,nbsp;283, 395-403, 410. Vie de Mdise, 280, 411, 470. Vie de Robert le Diable, 210. Vie de saint Antoine, 190, 200, 308. Vie de saint Clement, 288. Vie de saint Denis, 308, 309. Vie de saint Devy, 184. Vie de sainte Anne, 199, 282, 285, 502. Vie de sainte Barhe, 231, 249, 253, 271, 308, 420, 428. Vie de sainte Catherine,2’il, 308. Vie de sainte Geneviêve, 195,nbsp;190, 204, 323, 440. Vie de sainte llétène, 192, 201, 323, 439, 402. Vie de sninle Nonne, 190, 231, 245, 240, 249, 250, 208, 209,nbsp;308, 425, 420, 502. Vie de sainte Trypluiie, 149, 154, 159, 101, 105, 108-173. 180, nbsp;nbsp;nbsp;187, 193, 350-380, 407,nbsp;413, 414, 421, 411, 482, 487. Vie de saint Garan, 191,210, 405. Vie de saint Guénolé, 330-338,nbsp;420. Vie de saint Guillaume, 142-147, 308, 451. Vie de saint GwennoU, 338, 339, 413, 415, 513. Vie de saint Jean-Bap lisle, 285, 503. Vie de saint Laurent, 179, 180, 181, nbsp;nbsp;nbsp;190, 308, 312-323, 414,nbsp;415, 418, 4.30, 431. T’ie de saint I'ierre el de saint Paul, 288-294, 431, 439. |
Vie de saint Yves, 338, 339. Vie de Saiil, 280. Vie des Quatre fils Aymon, 203, 413. Vie des saints, 197. Vie d’Euloyius, 410. Vie d’lle'rode, 500. Viel Testament, 279. ViEHGE, 124, 304. ViEux-JI.iitcHÉ, 215, 400, 488.nbsp;ViLLEM.MiQUÉ (H. de 111), 27, 49-58, 89, 91, 90-99, 107, 110, 111,nbsp;120, 131, 133, 148-151, 161,nbsp;102, 104, 104, 100, 174, 227,nbsp;230, 239-251, 343, 434, 510.nbsp;VlRELOQUE ('DlOllias), 70. Vila suncii Mereadoci, 100. Yitré, 253, 254. VlVI.iNE, 49. VoRAGiNE (Jacques de), 125, 288. Vrégeal, 2.55. VlTLMIG, 338. W Walter, 09. Williams (Taliesin), 00. WOODKIRK, 107. Ysp.addaden Penkawr, 19, 24. Ystrat Tywi, 58, 01. Yves (Saint), 228, 307. Yves de Yérité (Saint), 470. VviAS, 207. Yvorin de Montrrant, 328. Zaccone (Pierre), 491. Zachaiue, 285, 280, 287. |
Avant-propos.
LE RBAME DANS l’ÉPOPÉE CELTIQÜE
La poésie des races celtiques : son caractère purement lyrique, d’après Renan. — Part considerable de Pélémentnbsp;drainatique dans cette poésie. — L’épopée irlandaise : lenbsp;Cochon de Mac-Datho. — L’épopée galloise ; le Mabinoginbsp;de Kulhuich et Olwen. — Les gwerziou armoricaines: Janetnbsp;ar ludek\lannik Coquarl et la Lépreuse de M. Henry Ba-taille. — Conclusion..................................
LE THEATRE EN PAYS DE GALLES
Absence compléte de littérature dramatique chez les Irlan-dais. — Les origines du théatre gallois. — Opinions de Th. Stephens et théories du vicomte de la Villemarqué.nbsp;— Les Chwareuon. — Les mysteres : Les Trois rois denbsp;Cologne. — Les interludes. — Un dramaturge populaire :nbsp;Twm o’r Nant; son muvre, sa vie. — Proscription défl-nitive du théatre par les méthodistes...................
40
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LE THEATRE EN CORNOUAILLE A N G I, A 1 S E
84
La langue corniquo. — Les Plan an guare. — Les premières manifestations scéniques en Gornouaille, d’après ie vicomtenbsp;de la Villemarqué. — Les Ordinalia : leur caractère plusnbsp;anglais que cornouaillais. — Le De origine mundi : unenbsp;evocation bien inattendue de Jeanne d’Arc. — Les épisodes comiques.— Un mystère cornique sur une légendenbsp;armoricaine : la Beunans Mériasek. — Les derniers joursnbsp;du theatre cornouaillais...............................
LES 1' H E M I E R E S RECHERCHES SUR l’hISTOIRE du theatre BRETON
140
Importance du theatre hreton : ses premiers historiens. — Krnile Souvestre. — Le vicomte de la Villemarqué. —nbsp;F.-M. Luzel: sa passion pour la littérature populaire; sesnbsp;rapports avec Pécole hardique. — L’abbé llenry. — Lanbsp;publication de Sainle Tryphinc et Ie roi Arthur. — Voyagesnbsp;de Luzel a la recherche des mystères..................
ClIAPITllE V
LES MANUSCRITS ET LES COPISTES
189
Liste des mystères imprimés. — Les manuscrits, leur aspect : les annotations, les dessins, les ex-libris. — Lesnbsp;copistes : leur condition sociale. — Les tisserands :nbsp;Nicolas Le Bourva, Joseph Le Cerf. — Les cultivatours :nbsp;Jean Le Moullec; la dynastie des Le Bihan. — Le tournier Jean Le Ménagcr. — L’aubergiste Philippe Martin.nbsp;— Le matelot Jean-.Marie Lesquelen...................
ORIGINE FRAXgAISE DE LA LITTÉRATuAe UR A JIAÏIQ UB BRETONN E
Importance de I’élément francais dans la culture brelonne. — Les premières uuivres on hreton. — L’imprimerie ennbsp;Bretagne. — Dilfusion des ouvrages francais. — Les ves-
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TABLE.
tiges d’uti ancien theatre national, d’après le vicomte de la Villemarqué. —La date du « Grand Mysture de Jésus »nbsp;et celle de la Vie de sainte Norm. — Le Theatre francaisnbsp;en tlaute-Bretagiie. — Les premières representations dra-matiques en Üassc-Brctagne......................... 223
LES QUATRE cycles DRA.1IATIQUES
Le cycle de TAncien Testament : la Creation du Monde. —
Le cycle du Nouveau Testament : la Vie de sainte Anne; la Vie de saint Jeau-Baptiste; la Vie de saint Pierre et denbsp;saint Paul; la Vie de 1’Antechrist. — Le cycle des saints :nbsp;la Vie de saint Laurent. — Le cycle romanesque ; Huonnbsp;de Bordeaux.......................................... 271
CIIAPITRE Vlll
LES SL'JETS CELTIQUES DANS LES JIYSTÈ'HES
Les vies de saints Bretons ; Le mystère de saint Guenolé.
— nbsp;nbsp;nbsp;Le Purgatoire de saint Patrice dans le théiitre Bretonnbsp;et le theatre espagnol ; El Pur^atorio de san Patricio,nbsp;de Calderon; — lil mayor prodigio, de Lope de Vega;nbsp;liuhez Louis Eunius. — Sainte Tryphine et le roi Arthur.
334
— nbsp;nbsp;nbsp;llirlande on 1’innocence couronnée, du P. Ceriziers..
LE THEATRE COMtQUE
Lhio fantaisie de gentilBomme : le Parrel Goapadr..— Une Bouffonnerie d’étudiant : lanMélargé. — Une farce populaire : La Vie de Mallarge, de Tristemine, .sa femme, etnbsp;de ses enfants. — Absence d’originalité de ce theatre—nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;381
LA COMPOSITION, LA LANOUE ET LA VERSIFICATION
Lcs prologues. — Les epilogues avec 1’ « excuse » et 1’ . adieu ». — La division des pieces en journécs on eiinbsp;actes. — Les personnages comiques. — Caractère propre-
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TABLE.
404
ment liturgique du tliétilre iirmoricaiu. — Importance du röle de la Mort. — La declamation ; la mélopée dra-matique. — La langue : les mots l'rangais. — Le style.nbsp;— La versification : la rime interne; les metres; le chant.
LES AUTEURS, LES ACTEURS,
LES REPRÉSENTATIONS
432
Les auteurs : les ecclésiastiques; les cloër; les maitres d’école; le tisserand Jean Conan; Joseph Coat. — Lesnbsp;acteurs : leur recrutement. — L’étude des röles; les costumes; les répétitions. — L’époque des représentations.nbsp;— La construction du theatre. — La representation; lesnbsp;jeux de scène; le public. — Les troupes ambulantes; lesnbsp;troupes sédentaires....................................
La proscription des mystères. — Les arréts du Parlement de Bretagne et les mandements des évèques. — Les protestations dans les Epilogues-, les resistances locales. —nbsp;Les essais tentés par le clergé pour satisfaire au gotit dunbsp;peuple pour Iqs spectacles. — L’agonie du théütre. —•nbsp;Gaston Paris a la « Journée » de Ploujean. — Conclusion.
Bibliographie.
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