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MüSÉES DE LA HOLLANDE
AMSTERDAM
F I'
LA HAYE
ÉTUDES SUR L'ÉCOLK HOLLANDAISE
W. BURGER
PARIS
JULES RENOUARD, LIDRAIRE-ÉDITEUR
6, RÜE DE TOURNON
A BRUXELLES, CHEZ FERDINUND CUASSEN
BR, ESI Dl: LA 31 A D E l, E I N E
1858
Rétervc tin lous droilü
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Nous avons restitué, suivant forthographe liollandaise et les signatures
authentiques des artistes, leurs noms, babitueUement défigurés dans toutes les
publications franc, aises.
Cette correction onoinatographique est utile, non-seulement pour faciliter
les recherches de Thistoire, mais encore pour la constatation de 1'originalité
des tableaus. Un amateur, qui a toujours vu écrire Cuyp, Dow, Metzu, etc,
ne doit-ilpas hésiter devant des tableaux sigüês Cuijp, Dov, Metsu, etc, et
croire ces signatures apocryphes ?
Pourquoi aussi dénaturer les prénoms ? pourquoi appeier GuiUaume celui
qui signe W, initiale de Willem?
Cette réforme, qui ne saurait plus guère ètre appliquée aux Ualiens, natu-
ralisés Franqais, est possible a l'égard des écoles du Nord.
Pari». — Imprimcrie de P.-A. BOUBDIEU et Cp, 30, rue Mazariue,
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1NTR0DUCTI0N.
On connait assez bien l'histoire de 1'art en Italië.
Les historiens, les critiqucs, les voyageurs, les com-
pilateurs, se sont attachés depuis trois siècles a 1'exa-
men de cetteéeole qui attirait Ie regard, 1'admiration,
et mème 1'imitation de 1'Europe entière. L'Italie est
la mère — alma mater — de tous les peuples de ci-
vilisation latine, et de la France en particulier. C'est
a 1'Italie que Ie Midi et l'Ouest de l'Europe doivent
non-seulement leurs arts, mais leur littérature, leur
science, leur philosophie, leur religion et jusqu'a
leur politique. Leurs origincs sont la, et Ie senti-
ment, aussi bien que la raison, devait porter a 1'é-
tude de cette société brillante et féconde, qui revit
toujours, a peine transformée, dans les sociétés mo-
dernes.
Il est donc arrivé, chosc singuliere! que, jusqu'a
ces derniers temps, chaque pcuple, mème ceux de
race germanique, était beaucoup plus éclairé sur Ia
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vi                                 LNTRODUCTION.
tradition italienne que sur sa propre tradition. En
France on sait par coeur Ie xvie siècle italien, noms
et dates, biographie et iconographie, mais on serait
fort empêché d'écrire 1'histoire des artistes et des
ehefs-d'omrvre de la Renaissance francaise.
Il est vrai qu'en France, récemment, on s'est pris
de passion pour les vieux papiers. On rassemble, on
classe, on compare, on interprète tous les documents
qui peuvent aider a retrouver une histoire presque
perdue. On la retrouvera. Et après ces piocheura
viendront les lleuristes.
Dans les pays du Nord, mèrae mouvement d'éru-
dition. En Hollande et en Belgique, les archivistes,
les bibliophiles, découvrent tous les jours des Iraces
intéressantes du passé!
L'Allemagne, la première, avait donné 1'exemple
de cctte pieuse et patiënte exhumation des ancètres.
Lorsque la collection des frères Boisserée eut remis
en évidence les vieilles écoles du Nord, Friedricli
Schlegel, Gocthe lui-mêmc, et Ia plupart des érudits
allemands, malgró 1'enthousiasme alors général pour
les traditions grecque et romaine, commencèrent a
redresser leurs grands artistes indigènes, couchés
dans 1'oubli. Et maintenant, après les efforts succes-
sifs de deux genérations de savants, 1'art du Nord
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liNTKODUCTION.                                vu
semble être éclairci dans ses origines, autant sans
doute qu'il peut 1'ètre.
Jusqu'au xvie siècle, la Hollande, ainsi que les
Flandres, se confond dans la familie du Nord; elle
ne s'en distingne pas plus par son art que par 1'en-
semble de sa civilisation. Les artistes primitifs de la
Hollande, comme les artistes primitifs des Flandres,
appartiennent a ce groupe rliénan dont Wilhelm
(1380) et Stephan (1410) furent les premiers maitres
a Cologne, dont les van Eyck, a Bruges, furent la
plus haute expression, dont Lucas Jacobsz, a Leyde,
Quentin Massys, a Anvers, furent les derniers repré-
sentants.
C'est la branche occidentale de la grande école
germanique.
Aussi les auteurs qui ont refait 1'histoire de Tan-
den art allemand ont-ils compris dans Ie mênie
cadre, avec les peintres da Rhin supérieur jusqu'a
Bale, les peintres du Rhin inférieur jusqu'a Leyde,
ceux d'Utrecht et de Haarlem, ceux d'Anvers et de
Bruges, — de tout Ie pays hollando-flamand (les
anciens Pays-Bas) qui confinc a la raer du Nord.
Si 1'on est curieux de connaltrc cette periode ori-
ginelle de 1'art hollandais, on peut feuilleter les sa-
vants écrits des Allemands, de plusieurs Belges, do
te -»- -           -----
-ocr page 6-
vin                               INTRODUCTIOX.
quelques Hollandais et de quelques Francais. On y
apprendra des noms et des dates, sur lesquels il y a
plus ou moins de divergence, depuis Dirk Stuer-
bout, de Haarlem (1410-1470), jusqu'a Cornelis
Engelbrechtsen, de Leyde (1468-1533), qui fut lc
maitre de Lucas; jusqu'a Jan van Schoorl, ou
Schoorel, né a Schoorl, pres d'Alkmaar, en 1495,
qui fut élève de Willem Cornclisz, a Haarlem, de
Jacob Cornelisz, a Amsterdam, de Jan Gossaert de
Maubeuge, a Utrecht, d'Albrecht Dürcr, a Nürn-
berg, étudia en Italië les statues antiques et les ceu-
vres de Raphaël, de Michel-Ange et des autres
artistes célèbres, visita 1'Orient, fut conservateur du
Belvédère a Rome, revint a Utrecht, eut de nom-
breux élèves, entres autres Martin Heemskerk et
Antonie Mor, et mourut en luG2.
Ce van Schoorl, si mouvant et si aventurier, a la
fois peintre, musicien, poëte, littérateur, linguiste,
marque assez bien la transition entre la première
époque, oü les Hollandais gravitent autour des van
Eyck, et la seconde époque, oü ils vont se déformer
au dela des Alpes.
Lorsque 1'émigration se fut généralisée, 1'art hol-
landais, 1'art flamand, 1'art allemand, disparaissent
tous ensemble dans un pastiche banal des Italiens, II
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INTRODUCTION.                                ne
y eut eneore, sans doute, des maitrcs habiles, que
chacun de ces peuples appela ses Raphaël 011 ses Mi-
chel-Ange, mais qui ne comptent plus dans 1'histoire
de son art autochthone.
Le propre de rhomme est d'inventer, d'être soi et
non pas un autre.
La troisième periode de 1'art hollandais concorde
avec 1'affranchissement religieux et politique, qui sus-
cita en Hollandc, au commenceinent du xvu" siècle,
une société nouvelle, étrange, distincte même des
sociétés que le lutheranisme renouvelait sur d'autres
points du Nord, et absohunent incomparable au
reste de 1'Europe, comme 1'est aujourd'hui la jeune
société américaine, protestante et démocratique.
Les conditions topographiques de la Hollande con-
tribuent a éclairer ce phénomène excentrique. Dans
ce pays bas, — hol land, le mot le dit, — com-
posé d'iles et de presqu'iles, de polders et de ma-
récages, presque flottants sur la mer ou incessam-
ment creusés par elle, rattachés a peine au continent
ferme, — on se sentit a 1'aise, une fois secouée
toute autorité religieuse et politique, pour en faire
a saguise, les pieds dans l'eau ou sur la pointe d'une
barque.
Si dans le monde physique on avait tout k créer
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x                                  INTRODUCTION:
et a recréer sans cesse , mème Ie sol, — dans Ie
monde moral et intellectuel, on avait également tout
a créer, puisqu'on venait de tout briser. On recréa
tout, par un élan spontane du génie national.
Au milieu de cette crisc, en quelquc sorte géné-
siaque, Ie peuplc hollandais fit des merveillcs. Libre
de pensee et d'action, aussi invcntif que courageux,
il eut alors son moment de fortune, de puissance et
de gloire. Pendant que ses marins tenaient tète a
1'Espagne, a 1'Angleterre, a la Franco, pendant qu'ils
allaient échanger les richesses autour du globe, Ie
peuple hollandais batissait a la fois ses digues, ses
bassins, ses ponts, ses chantiers, ses arsenaux, ses
hotels de ville, ses temples, ses écoles, ses bourses,
ses marchés, ses hospices pour les orphelins et les
vieillards, et mille édifices pour ses compagnies
d'arquebusiers, ses sociétés scientifiques, ses cor-
porations de travailleurs. Tout date de ce temps-la,
non-seulement ses grands navigateurs et ses grands
citoyens, mais ses grands poëtes et ses grands pein-
tres.
Comment s'étonner que 1'école hollandaise du
xvne siècle, émergée ainsi tout a coup dans des cir-
constances si exceptionnelles, ne soit point de la mème
familie que les écoles du Midi, demeurees cathol iques
_________________ :
-ocr page 9-
INTRODUCTION.                                 xt
et monarchiques, et qu'alors aussi clle se séparc de
1'école fkmande, avec laquelle précédemment elle
avait eu un commun caractère?
Ce qui fait son originalité, son ingénuité, dans Ie
sens du mot latin, c'est précisément qu'elle est Ie
produit de sa spontanéité isolée. Prolem sine matre
creatnm.
Virtualité shigulièrc, dont ne furent point
doués
les autres pays protestants, lorsqu'ils eurent
rompu leurs traditions de quinze siècles. L'Alle-
niagne, un peu après la lléformation, n'eut plus
d'art. L'Angleterre n'a eu des peintres nationaux
qu'au
xviue siècle.
A causc de cette singularité peut-être, 1'art hollan-
dais du xvne siècle n'a pas été étudié par les peuples
du Midi avec la même sympathie que les écoles my-
thologiques, chrétiennes ou païennes. Et surtout il
n'a guère été compris. Les amateurs de 1'Antiquité,
ou du Moyen-age, ou de la Renaissance italienne, ces
trois grandes formes de 1'art jusqu'ici, les sectateurs
d'une orthodoxie traditionnelle quelconque, ont du
anathématiscr 1'originalité hollandaise, tantót sous
prétexte d'ignorance ou de déréglement, tantót de
bassesse et même d'immoralité, tantót de fantaisie
insensée, tantót de naturalisme grossier; les uns au
nom d'Apollon, les autres au nom du Christ, d'autres
-ocr page 10-
xii                                INTRODUCTION.
au nom d'un idéal mystique, très-indifFérent sans
doute a la nature et a 1'humanité'.
Aussi n'a-t-on point cherché en France a faire
1'histoire
de eet art triplement maudit. Aussi ne con-
nait-on point la biographie de ces naturalistes et de
ces petits maitres dont les ceimes néanmoins se
payent assez cher. Fouillez les bibliothèques, con-
sultez les bibliophiles, il n'y a rien, en francais, sur
les Hollandais du xvue siècle, ou si peu que rien :
parmi les vieux livres, celui de Descamps, qui a
copié les dates erronées et les contes ridicules de
Houbraken et de Weyerman; quelques mauvaises
compilations qui ont copié Descamps; parmi les pu-
blications récentes, on nc peut guère citer que des
notices restreintes dans une Histoire des peintres de
toutes les écoiesi,
et Ie Catalogue du musée de Paris3,
1 L'histoire, la biographie, la critique, principalement la
noble eslhétique, sont d'accord, dans presqtie tous les livres
francais, pour caractériser avcc un souverain mépris cette écolo
étrangère aux régies italiennes, et qui a 1'insolence d'inler-
préter la nature avec un sentiment particulier. M. Fortoul
surtout a merveilleusement formule cette antipathie mysta-
gourique contre lo naturalisme tres-humain de l'école hollan-
daise.
- Piiris, V« .1. Renouard, 2iO livraisons.
1 M. Michiels, dans sou Histoire de lapcinture flamande et
hollandaise,
s'est arrêtéaprès l'examen des écoles primitives :
-ocr page 11-
INTHODUCTION.                              xin
savamment rédigé d'après les écrits d'Immerzeel, de
Smith, de M. Waagen et autres étrangers.
Car, en hollandais, en allemand et en anglais, il y
a, du moins, quelques livres qui renseignent assez
complétement sur les oeuvres de l'école hoUandaise.
A la vérité, la plupart des biographies y sont tou-
jours fort obscures. Les archivistes et fureteurs ont
encore beaucoup k trouver sur ce point-la.
Une histoire de 1'art hollandais serait donc sans
« Pour les grands maitres hollandais, a partir de 1'annéo 4600,
je ne puis mèrae en dire un mot. lis sont si nombreux que
leur histoiredemanderait 4 a 5 volumes.»
Quant a M. Viardot, qui a visite en détail presque lous les
musées de 1'Europe, et qui en a rendu compte dans une série
d'excellents potits volumes, il s'est arrèté devant ce qu'il ap-
pelle « Ie ruisseau du Moerdyk, inventé sur les cartes ac-
tuelles. » Ce petit « ruisseau du Moerdyk » (1'embouchure de
la Meuse.prèsdu village de Moerdijk), «séparant la Hollande
de Ia Belgique, » et qui est un bras de mer tout simplement, oü
flottent les vaisseaux a trois muts, a été Ie Rubicon de M. Viar-
dot. Mais il ne 1'a point passé. Il a écrit cependant sur les mu-
sées de la Hollande quelques pages d'après des notes de
M. Lamme, a ce que je crois. M. Lamme, beau-frère de
MM. Scheffer, est conservateur du musée de Rotterdam.
M. Maxime Ducamp, dans des Lettres écritesde Hollande et
publiées par la Revue de Paris (octobre 1857), a aussi parlé
très-sommairement des musées d'Amsterdam et de La Haye.
Nous citerons, dans Ie cours de ce travail, certaines de ses
appréciations.
b
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xiv                               INTRODUCTION.
doutc très-difficile aujourd'hui, presque impossible.
Mais, enétudiantce qui a cté publié dans les langues
du Nord, en étudiant surtout les ceuvres de ces origi-
naux au milieu de leur propre pays et des mceurs
qui les expliquent, peut-être rassemblerait-on des
éléments pour cette histoire. Assurément, on ferait
jaillir des lumières nouvelles qui aideraient a voir
dans leur véritable jour ces artistes si francs, dont
plusieurs ont du génie, quelques-uns de la grandeur,
ceux-ci de 1'humour, ceux-la de la grace, les uns
une intarissable gaieté, les autres une mélancolie
très-poétique, tous une couleur merveillexise et une
adresse incomparable.
De telles études ne sauraient avoir un plan regu-
lier et bicn proportionné. Elles devraient insister sur
ce qui est peu connu, et passer sur ce qui 1'cst davan-
tage, faire presque Ie contraire de 1'histoire, qui
dispose les matériaux déja tailles et ciselés, laissant
dans 1'onibrc les bloes informes et les détails indis-
tincts.
Il faudrait s'attacher aux maitres dont la biogra-
|)hie ou Ie talent demandent des éclaircissementsnou-
veaux, comme Rembrandt, Jan Steen, Paul Potter,
Metsu et autres; aux maitres dont on ne soupconne
point Ie caractère, parce qu'on n'a jamais vu leurs
-ocr page 13-
INTRODL'CTION.                                xv
grandes peintures historiques, comme les Ravestein,
Frans Hals, van der Helst, Ferdinand Bol, Govcrt
Flinck, Jacob Backer et autres; aux maitres rares,
comme Adriaan Brouwer, llobbema, Pieter do Hooch
et autres; aux maitres dont on sait a peine les noms,
comme les Koninck, les de Keijser, Jan Hackaert,
Nicolaas Koedijk et autres; décrire cepcndant aussi
les oouvres de tous les maitres de premier ordre, des
Cuijp, des van Ostade, des van de Velde, des Ruijs-
dael, des Wouwerman, de G. Dov, Terburg, Frans
van Mieris, etc.
Par malheur, les principaux musées de la Hol-
lande,—Ie musée d'Amsterdam1, Ie musée van der
Hoop (aussi a Amsterdam), Ie musée de La Haye, Ie
musée de Rotterdam, — out des catalogues extrème-
ment insignifiants et mème très-fautifs. Les collec-
tions particulières n'en ont point du tont; ni les hotels
de ville 2, palais, temples et autres édiiices publiés;
1  Voir plus loin, p. 3.
2  L'hótel de ville d'Amsterdam, auquel appartiennent même
6 des principalcs peintures exposées au musóe, possède en-
■viron 300 tableaux! la plupart cachés dans les greniers ou
derriére des meubles et des tas de chaises. Il.y a la des van
der Helst, des Govert Flinck, des Jacob Backer, des Frans
Hals, et toute la grande école du xvne siècle, dans ses repró-
sentations historiques et civiques. J. van Dijk en avait publió
-ocr page 14-
xvi                               INTRODUCTION.
ni surtout les établissements fondés par des associa-
tions philanthropiques, patriotiques, scientifiques et
autres. Ce tjxi'il y a la-dedans, personne ne Ie sait,
mèrne en Hollande. Et peut-être, pour en faire 1'in-
ventaire, n'aurait-on plus aujourd'hui d'autres res-
sources que des traditions verbales.
Au milieu de ces ténèbres, oü il y a d'ailleurs des
percées rayonnantes, — a déiaut de documents écrits,
les chefs-d'oeuvre des maitres, — je me suis risqué ü
tout hasard, me proposant d'aller avec simplicité du
connu a 1'inconnu, et prenant pour devise celle de
Jan van Eyck : « Als ik kan » [Comme je peux).
J'ai donc étudié les inusées et les collections parti-
culières, les monumcnts publics et les fondations
civiques dont les murailles sont encore illustrées par
tant de témoignages du grand art d'autrefois. J'ai
cherché a m'initier au pays lui-même, aux moeurs
de ses habitants, a son histoire et a sa vie présente;
car on ne saurait comprendre 1'art sans la nature et
l'humanité.
Aujourd'hui, je public les deux principaux mu-
autrefois une description, qtiand ils ornaient Tanden hotel de
ville, aujourd'hui Ie palais, sur la place du Dam. L'infatigable
archiviste d'Amsterdam, M. Scheltema, vient, je crois, d'en
dresser une sorte de catalogue, resté manuscrit.
-ocr page 15-
[NTRODUCTION.                              xv»
sées, oü j'ai essayé de rectifier les attvibutions, de
relever les dates, de completer les renseignements,
et surtout d'apprécier comme ils Ie meritent, et par
conséquent de faire aimer les maitres originaux de
la belle époque du xvne siècle.
Peut-être ce volume sur les musées d'Amsterdani
et de La Haye sera-t-il suivi de publications ana-
logues sur Ie musce de Rotterdam, sur Ie musée
van der Hoop, a Amsterdam, sur les superbes gale-
ries particulières, telles que celles de MM. Six van
Hillcgom et van Loon, du baron van Brienen, du
baron Steingracht et autres, sur les hotels de ville et
les divers édifices publics qui sont également si
riches en tableaux et en objets d'art.
-ocr page 16-
MUSÉE
D'AMSTERDAM
Le musée d'Amsterdam ne date que du commen-
cement de ce siècle, de 1'époque oü, sous la domina-
tion d'un roi étranger, l'ancien hotel de ville, place
du Dam, commencé 1'année même de la paix de
Munster, 1G48, par 1'architecte van Cainpen, fut mé-
tamorphosé en palais royal. Jusque-la, 1'hötel civique
avait été lui-même une sorte de musée, comme sont
certaines églises en Italië. C'est la qu'onallait voir le
fameux Rembrandt et le 1'ameux van der Helst, qui
émerveillèrent tant lc peintre anglais, Joshua Rey-
nolds, lors de son Tour in Holland en 1781. C'est la
qu'étaient exposées,
dans les diverses salles de la Mai-
son commune, les grandes représentations de 1'his-
toire nationale au dix-septièine siècle. Six de ces pein-
tures, et des principales, sont aujourd'hui au musée;
les autressont entassées dansle nouvel hotel de ville,
trop petit pour tant de trésors.
Le musée n'est point un édifice digne de sa desti-
KUNSl HISTORISCH l^ol il UUT
DER RIJKSUNIVERSITEIT UTRECHT
-ocr page 17-
2                      MUSÉE D'AMSTERDAM.
nation. Mais, a Amsterdam, dans eet ilot faetice, élevé
sur pilotis, on n'a pas beaucoup a choisir pour rem-
placement. Faute d'autrelocal spacieux, etdeterrain
libre pour constraire une véritable pynacothèque, on
s'est contenté d'une maison ordinaire, appeléeJn/-
penhuizen, enclavée entre d'autres maisons, au bord
d'un canal, sur Ie Klovcniers Burgwal. La distribu-
tion intérieure n'a mêmc pas pu ètre changée de ma-
niere a obtenir du jour. Cc sont encore des chambres
a fenêtres latérales, au lieu de salons éclairés d'en
haut.
Lecabinet des Estampes est au rez-de-chaussée, au
bout d'un couloir orné de grisailles pales et vides,
signées etdatées : Gerard de Lairesse, 1G89. Unesca-
lier sombre, oü sont accrochées quelques peintures
invisibles, conduit au premier étage : deux pièces seu-
lement, et si basses, que, dans la principale, on a du
poser au niveau du parquet la Ronde de nuit, de
Rembrandt, et Ie Repas des arquebusiers, de van der
Helst. Dans la deuxiènie pièce, sont les Syndics, de
Rembrandt, les Régcnts, de Karel du Jardin, de
grands portraits, etc. Au second étage, quatre ou cinq
autres pièces, également a fenêtres, et encore plus
basses. Ni espace, ni lumière; et, outre que les ta-
bleaux sont ïual places et mal éclairés, ils sont
loujours couverts d'une buée, résultant de 1'humi-
dité atmosphérique; de sorte qu'on ne les distingue
que sous un voile et dans 1'ombre !
Le musée est censé administré par tme commis-
-ocr page 18-
MUSÉE D'AMSTERDAM.                           3
sion de quatre directeurs , mais en réalité par deux
inspecteurs, 1'uo plus spécialement conservateur des
estampes, 1'autre des tableaux, MM. Klinkhamer et
Engelberts, seuls fonctionnaires actifs, avec quelqties
rares surveillants. Les directeurs, qui sont des ban-
quiers, des artistes et des amateurs, n'ont rien a faire,
d'aprcs les statuts mèmes de 1'organisation. Lescon-
servateurs ne peuvent rien faire a causc de 1'insuffi-
sance des fonds affectés a 1'établissement. Si bien que
ce magnifique musée reste in statu quo, sans aucune
amélioration. Malgrc la bonne volonté des savants
conservateurs, il n'y a pas même de catalogue im-
primé de la précieuse collection d'estampes, et de Ia
collection de tableaux il n'y a qu'un mauvais petit.
catalogue de 30 pages, sans notices sur les peintres,
sans renseignements sur les tableaux, ni description,
ui signatures, ni provenances, pas même les dimen-
sions'.
1 Depuis que ce livre est a Paris entre les mains de 1'impri-
meur, il a paru — il vient de paraitre — un nouveau catalogue
(en hollandais) qui correspond enfin a 1'importanco du musée
d'Amsterdam. Ce catalogue est fait sur Ie plan de celui de Paris,
et contient, de plus, comme celui de Vienne, les fac-simile des
signatures, que nous avions relevées nous-mèmes avec tant de
peine. Nos observations et nos critiques sur Tanden catalogue
ne sont donc plus qu'un souvenir, qui fora valoir d'autant Ie
nouveau travail publié par la commission d'Amsterdam. Nous
regrettons toutefois de n'avoir plus été a temps de modificr cer-
tains passages de ce livro. Dans 1'impossibilité do remanier
toute la composition typographique, nous avons pris Ie parti
-ocr page 19-
i                            MUSÉE D'AMSTERDAM.
Ce catalogue de tableaux (en hollandais el en
francais, 1855) contient, sous Ie titre d'École hollan-
daise, parmi laquelle sont mêlés les Flamands, 344 nu-
méros;—sous Ie titre d'Écoles divcrses, \ 8 numéros:
sept noms d'Italiens, trois noms d'Espagnols, deux
noms d'Allemands, un nom de Francais; —et, sous
Ie titre de Maitres iaconnus, 40 numéros, presque tous
portraits.
Un nouveau local, un nouveau classcment des
tableaux, un nouveau catalogue détaillé, voila ce
qu'il faudrait d'abord pour 1'honneur de la Hollande
artiste, qui devrait avoir a coeur d'éclaircir et de vul-
gariser 1'histoire de sa glorieuse école du dix-sep-
tième siècle.
L'examen complet et sérieux du musée d'Amster-
dam
dans ses conditions actuelles est donc très-
embarrassant.
J'ai eu envie d'abord de refaire Ie catalogue, ta-
bleau par tableau, en suivant 1'ordre alphabétique et
de laisser Ie texte tel quel, en ajoutant seulement quelques
notes explicatives ou complémentaires.
Nous sommes heureux, d'ailleurs, que les rédacteurs du
catalogue aient utilisé beaucoup de nos remarques et critiques,
que nous avions communiquées a M. Engelberts, et que lo
nouveau catalogue nous donne raison sur Ie faux van Balen,
porté aujourd'hui, conformément a nos indications, a van der
Venne, sur les faux van Eyck et les faux Brouwer, qui ont
disparu, et sur une foulo de points que nous signalerons en note
dans Ie cours de ce livre.
-ocr page 20-
MUSÉE D'AMSTERDAM.                             a
Ie numérotage; ce serait assiirément la i'onne qui
se prêterait Ie mieux a la rectificatioii des dates faus-
ses, accolées aux nonis des peintres, a la rectifica-
tioii des attributions bien souvent erronées, a 1'ad-
jonction
nécessaire d'une foule de docuinents; mais
un pareil travail n'intéresserait qu'un petit nombrc
de critiques et d'amateurs, et serait fort ennuyeux
pour
la plupart des artistes, a qui suflit la descrip-
üon des ceuvres saiüantes.
Faire une simple promenade au milieu de tant de
belles cboses, et noter au hasard cc qui frappe Ie
plus, serait une autre methode plus aisée et plus
amusante saus doute , mais peu instructive , quand
ce musée d'Amsterdam offre tant d'élémcnts pour
étudier
dans son ensemble 1'école hollandaise.
Afin de concilier 1'intérêt pittoresque, la vivacité
de Timpression, et un certain ordre historique, Ie
mieux peut-être sera d'aller droit aux grands maitres
et de grouper autour d'eux leurs disciples et imita-
teurs, ensuite les peintres qui se rattachent au même
genre ou a la mème spécialité; par exemple Rem-
brandt, van der Helst et les peintres de grandes coin-
positions; Gerard Dov et les petits maitres précieux;
Adriaan van Ostade, Jan Steen et les peintres de
mceurs populaires et comiques; Terburg, Metsu et
les peintres de mceurs élégantes; Aalbert Cuijp et
les peintres d'animaux; Jacob Ruijsdael et les paysa-
gistes; Willem van de Velde et les peintres de ma-
rine, etc, Classification tout arbitraire; mais 1'ordre
1.
-ocr page 21-
6                              MUSÉE D'AMSTERDAM.
stricteraent chronologique a 1'inconvénient de rom-
prc la filiation d'une tnême familie d'artistes, et 1'or-
dre alphabétique, dont Ie seul avantage est de facili-
ter les recherches dans une norncnclature , n'est que
Ie désordre systématisé.
Courons donc tont de suite devant Ie tableau Ie
plus célèbre du plus célèbre peintre hollandais, de-
vant la Ronde de nuit, de Rembrandt.
Rembrandt. La Ronde de nuit oceupe, de baut
en bas et de travers en travers, tout Ie lanibris droit
de la salie principale du niusée et recoit la lumièrc
par les fenêtres a gauche. Ce tableau singulier, avec
ses vingt-trois figures entières et de grandeur natu-
relle, produit un efièt absolument imprévu. Comme
il
est pose sur une siniple petite estrade en bois, qui
ne 1'exhausse que de quatre ou cinq pouces au-dessus
du parquet, comme les pieds des personnages du pre-
mier plan touchent Ie bord inférieur du cadre, loute
cette foule mouvementée semble se précipiter en
avant, inarcher dans la mêinc pièce que Ie spectateÉr
et venir vers lui. Au bout de quelqucs minutcs, l'il-
lusion est telle, qu'on vit avcc eux comme avec des
personnes naturelles.
Chosc étonnante, que cettc peinture, la plus fan-
tastique qui existe au monde, sans aucune compa-
raison, soit en même temps la plus réelle!
Tous ceux qui voient pour la première fois la
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REMBRANDT.                                    7
Ronde de nnit sont d'abord atterrés' et tombent assis
sur uu grand divan pose en face, au milieu du salon.
lis restent la un moment, stupéfaits et silencienx,
puis ils s'enhardissent et s'approchent a la rencontre
de riioinme noir et de 1'homme jaune qui s'avancent
en
toto de la bande.
L'homme jaune est de taille ordinaire, un peu
courte rnême (Sniitli 1'appelle : a short man), et 1'on
peut se mesurer a lui, front contre front, cdü contre
ccil, pied contre pied.
L'homme noir est plus grand, et d'une prestance
très-majestueuse dans sa simplicité; c'est ponrquoi,
sans doute, presque tous les écrivains francais, qui
n'ont jamais bien compris Ie sujet de la composition,
appellent ce brave bomme : Ie bourgmestre'1. Mais
c'est Ie chevalicr Frans Banning Kok, ou Cock, ou
Coux, seigneur de Purmerlandetllpendain, alorsca-
pitainc d'une compagnie de la garde civique, plus tard
colonel, et commandant en chef toute la garde bonr-
gcoise d'Amsterdam. A la vérité, il ne porie point d'u-
niforme
militaire, et il n'a pour arme qu'une épée a
long pommeau, suspendue a une large écharpe rouge,
1 « C'est peut-être Ie tableau Ie plus étrange que j'aie vu, et
j'en ai vu beaucoup, » dit M. Maxime Ducamp, dans la Revue.
de Paris, octobre 18S7.....« II étonne, il éblouit, il écrase....
La couleur est étourdissantc, elle aveuglo, elle est poussée
aussi loin que possible, etc. »
5 Par exemple, feu M. Gustave Planche, dans un article de
la Revue des Deux-Mondes (juillet 1853).
-ocr page 23-
S                            MliSÉE D'AMSTERDAM.
brodée d'or. Sur son pourpoint noir est rabattue une
large fraise plissée; culotte courte, noire; bas bruns.
Ses souliers haut montants sont ornés de rosettes en
ruban noir. Il est eoiffé d'un chapeau noir, souplc,
a grands bords. Sa barbe est tailléc a la mode
Louis XIII. 11 s'en vient de face, la main droite gan-
tée appuyée sur une longue canne. La main gauche,
étendue en avant et vue en raccourci par Ie bout des
doigts, fait un geste de conversation; car il eause avec
1'homme jaune, qui 1'écoute en tournant vers lui la
tête
de profil.
Celui-ci est Ie lieutenant de la compagnie, Willem
van Ruijtenberg, seigneur de Ylaardingen. Il porte
un
pourpoint de riche ctoffe couleur citron, et brodée
d'or, unc ceinture blanche, des hauts-de-chausses avee
rubans aux genoux, des bottes a chaudron, couleur
chamois,
avec des éperons d'or, des gants safran gla-
cés de gris. Son chapeau de feutre jaunatre est oinó
d'un cordon en pierres précieuses et de longues
plumes blanches qui flottent en arrière. Sa main
droite est posée sur sa hanchc; sa main gauche tient
horizontalement une pertuisane dont la houppe est
bleue et blanche, dont Ie manche est guilloché par
des clous de métal.
Ces deux personnages principaux sont détachés un
peu en avant des autres, vers Ie milieu de la toile.
Derriere eux s'agite la troupe des arquebusiers
sortant en désordre d'une arcade sombre, précédée
d'un perron. L'un, au bas des marches, a la droite
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REMBRANDT.                                     9
du capitaine et presque sur Ie même plan, marchc en
chargeant
son arquebuse; il est tont écarlate, snuf
des bas couleur tabac d'Espagne et une plume orangc
sur son chapeau pourpre; sa poudrière, longue corne
suspendue
a une chaine de métal, est portee par uu
gamin, affublé d'un casque, et qui court a son eóté,
faisant glisser sa niain sur une rampe en fer, tjui
aboutit
sans doute a un escalier par oü va desccndre
toute
la compagnie.
C'est Ie bord extreme du tableau, a gauche du
spedateur.
Au-dessus du gamin, un hoinme casqué et tenant
perpendiculairement sa longue hallebarde, un des
sergents peut-être, est assis sur une balustrade en
pierre, la cuisse droite allongée, et Ie pied perdu der-
riere 1'homme rouge. Cette figure est un peu coupée
par Ie cadre.
A 1'autre extrémité du tableau, a droite, est Ie
tambour Jan van Kanvpoorl, aussi coupé en partie
par la bordure; on ne voit que la moitié de sa bonne
grosse tète', coiffée d'un chapeau a bords retroussés,
1 M. Maxime Ducamp {Revue de Paris), préoccupó sans
doute de je ne sais qviel idéal italien, n'airae pas beaucoup co
tambour, « homme déja vieux, a la face épatóe, un buveur
sans doute, pour ne pas dire un ivrogne,.. » ni Ie capitaine,
« laide figure, rouge et enhiminée matgré sa maigreur,... etc.»
— Cette antipathie contre la grossièreté du style de Rembrandt
est d'ailleurs endémique chez presque tous les écrivains fran-
cais : « La Ronde de nuit allait bien au génie réaliste et quel-
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10                         MUSÉE D'AMSTKHDAM.
et son bras droit qui frappe la caisse, vivement
éclairée.
Un peu au-dessus de lui, un de? sergents, sa halle-
barde
sur l'épaule gauche, etend Ie bras droil par mi
signe de commandement; vêtement noir, large fraise
tuyautée,
grand chapeau noir avec un haut panache
de plumes brunes; tète sérieuse et superbe.
Toute cette droite du tableau, entre Ie lieutenant
et Ie tambour, est dans Ie clair-obscur. On y apercoit,
derriere l'épaule du lieutenant, un homme casqué
qui tient en joue son arquebuse comme s'il allait
tirer
; au-dessus de la main du sergent, un homme
en chapeau rond ti plumes droites, en costume gris
verdatre; quelques autres tètes en casque ou en cha-
peau ; et au-dessus d'eux une forêt de piques; il y a
encore beaucoup de monde qui vient par la. — Contre
Ie tambour aboie un chien perdu dans 1'ombre.
Le cceur de la composition, oü se concentre sur-
tont 1'effet lumineux qui balance 1'importance des
deux principaux personnages, est entre le capitaine
et 1'homme rouge.
Cest d'abord un jeune arquebusier qui fait un
brusque écart derriére lc capitaine; on ne voit de lui
qu'une jambe allongée de profil et une partie de son
que peu grossier do Rembrandt, dit M. Viardot (les Musces
de Hollande)...
Le sujet n'exigeait que la vérité vraie, sans
noblesse, sans idéal, sans expression... pure et simple repro-
duction des choses matérielles... etc. »
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HEMBRANDT.                                   M
casque orné de feuillages; mais, entre les tètes du
capitaine et du lieutenant, parait Ie bout de sein ar-
quebuse avec lc flamboiement du coup qui vient de
partir; un honune en toque brune a crevés cherche
a écarter 1'arme.
C'est, sur la première marche du perron, une
petite fille, Ie cor|)s de profil a droite, la tête de trois
quarts, couronnée de pierreries, grosses perles aux
oreilles, pierreries et diamants a sa pèlerine d'un ton
indescriptible vert jaune bleuté, a sa ceinture oü pen-
dent une sorte d'aumónière et un coq mort. Tout cela,
en lumière folie, éclate, éblouit, entre l'homme noir
et l'homme rouge, sur Ie fond soinbre.
Derriere la chevelure dorée de cette singuliere
petite fille, bien mystérieuse au milieu de sou rayon
de soleil, on finit par distiuguer une joue, un bout
d'oreille et un coin d'ceil; c'est uu petit garcon qui
est la et qui accompagne la blondine. Il y a des pein-
tres qui ont copié Ie tableau sans avoir jamais décou-
vert ce bambino. Car la petite fille est si radieuse
qu'elle éclipse autour d'elle tous les objets.
C'est comme ca quelquefois dans la nature : quand
un vif coup de soleil frappe sur unpointet l'illumine,
tout 1'entourage échappe a la vue; quaud on entre
subitcment dans une pièce très-éclairée de lustres et
de girandoles, on ne voit d'abord que la lumière.
Au-dessus de cette fantasmagorie se dresse Ie porte-
drapeau, Jan Yisser Cornelissen; pourpoint, cein-
ture et ïnanteau, d'un vert bleu gris, brodés et bordes
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12                           MUSÉE D'AMSTERDAM.
d'or, large chapeau gris a plumes blanches et brunes;
il tient haut son vaste étendard, et sa tête vue de face
domine toutes
les autres.
Entre les tètes qui s'échelonneut a cc troisième
plan, on remarque encore, au-dessus ducapitaine,
celle d'un homme en pourpoint bleu, avec un haut
chapeau gris a plumes vertes, attachées au cordon
d'or par une pierrerie; au-dessus de 1'homme rouge,
une belle tête d'homme a barbe, avec un large col blanc
uni et un chapeau a grands bords retroussés; deux
ou trois autres tètes d'hommes casqués ; puis, Ie reste
s'éteint sous les profondeurs de 1'arcade; au sommet
du pilier droit (jui la supporte, on devine seulement
un
grand écusson sculpté. C'est sur eet écusson que
sont inscrits
les noms du capitaine, du lieutenant, du
porte-drapeau, des deux sergents, du tambour et de
onze arquebusiers, en tout dix-sept noms. Mais, pour
les lire, il faut une échelle d'abord, et ensuite une
loupe, car les caractères sont presque indéchiffrables
dans cesténèbres.
La signature, tracée au contraire dans des flots de
lumière,
est aussi assez difticile a lire et mème a trou-
ver. Ellc est sur la première marche du perron, entre
Ie pied de la petite fille et la jainbe du jeune arquebu-
sier qui tire son arme. Cette signature, en pleine patc
écrasée ensuite par des touches superposées el un der-
nier glacis de bistre et d'ambre, porte: liembrandt, f.
1042, \edei let presque confondus. Rembrandt,puis-
qu'il est né en 1608, n'avait donc que trente-quatre
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HEMBRANDT.                                  13
ans lorsqu'il termina ce chef-d'oeuvre. Il est vrai qu'il
avait déja fait, dix ans auparavant, un chef-d'ocuvre
d'un autre genre, la Lecon d'anatomie, qui est de
1632.
Et maintenant, que font tous ces hommes? d'oii
viennent-ils? et oii vont-ils?
Nous savons déja qui ils sont: la compagnie d'ar-
quebusiers du capitaine Gock, et il est entendu que
toutes les tètes principales sont des portraits d'après
nature.
lis vienncnt de leur doele, ou doelen, du local de
leur corporation.
Toutes les gildes professionnelles, toutes les assc-
ciations civiques, toutes les compagnies d'arquebu-
siers et d'arbalétriers avaient leur maison oü elles
se réunissaient pour leurs affaires communes ou
pour leurs plaisirs. Les maisons des tireurs a 1'ar-
quebuse
ou a 1'arbalète s'appelaient Doelen, qui
veut dire tir. La grande arcade sombre est une
porte intérieure de 1'établissement. Lc lieu ou ils
sont est encorc une vaste salie inlérieure, d'oü ils
vont sortir en plein air par 1'escalier qu'on devine a
gauche.
La lumière est pourlant si bizarre, si phénoménale
au premier aspect, qu'on a souvent pris eet efl'et pour
un efl'et de nuit, et c'est la sans doute ce qui a con-
tribué a faire baptiser Ie tableau du nom absurde :
la Ronde de nuit.
Mais, quand on a bien étudié et bien compris la
2
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14                          MÜSÉE D'AMSTERDAM.
composition, on constate que cette lumière, a laquelJe
Ie génie du peintre a donné assurément un caractère
magique, n'en est pas moins très-juste et très-natu-
relle. Elle vient de gauche, ]>ar de hautes fenêtrcs
qu'on ne voit pas dans cettc sorte de halle anx voütes
extrêmement élevées, comme 1'indique 1'immense ar-
cade
dont ]c sommet est rasé par Ie cadre. La scène se
passé « in a lofty hall, » ainsi que 1'a très-bien dit
Smith. C'est donc la lumière du soleil, du plein so-
leil, inondant les points sur lesquels ses rayons frap-
pent par les ouvertures; ce qui fait paraitre plus som-
bres les espaces oü ne glissent pas directement les
rayons.
La direction de Ja lumière est nettementdétermi-
née par une bizarrerie qui saute aux yeux et que tout
Ie monde remarqtie : la main avancée du capitaine,
se trouvant dans Ie rayon solaire,faitune siJhouetteen
pénombre sur la basque de la casaque jaune-clair du
lieutenant qui est a droite ; et en observant toutes les
parties du tableau, tous les groupes, tous les détails,
il n'y a pas une sculc contradiction a eet indice. Tout
est correctement éclairé de gauche a droite, un peu
de liaut en bas, un peu d'avant en arrière '.
1 Faute d'avoir compris Ie sujet de la scène et Ie lieu oü
elle se passé, M. Ducamp, que nous citerons encore parce
qu'il est Ie dernier critique francais qui ait écrit quelques
pages sur les musées de la Hollando, déclare quo « la facon
dont Rembrandt a distribué la lumière clans cette toile est
tout a fait arbitraire... Le vrai soleil du tableau, 1'astro éblouis-
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REMBRANDT.                                   lii
Mais oü vont-ils en pareillc cohue, avec eet air de
fète et cette joycuse animation ? La-dessus on a essayé
des explications diverses.
L'auteur de VHistoire d'Amsterdam', Wagenaar,
rappelle
que, dans 1'année fut peint Ie tableau,
«Ie 14 mai 1642, il avait été ordonné que la milice
bourgeoise se tint prète pour une revue Ie soir du 29,
sous peine de 25 ilorins d'amende... C'était a 1'occa-
sion de la
visite du prince d'Orange qu'on attendait
avec la fille dej Charles Ier, roi d'Angleterre, la prin-
cessc Mary, qu'il venait d'épouser.». Le tableau repre-
senterait donc le moment oü Ie capitaine Frans Ban-
ning Cock et ses arquebusiers quittent leur doele
« pour aller a la rencontre des illustres voyageurs. »
Cettc interprétation a été adoptce par un auteur
sant qui projette ses lueurs et d'oü rayoiine une lumière essen-
tielle... est une petite fille qui court... On n'est pas d'accord sur
ceci, » ajoute M. Ducamp: « 1'artiste a-t-il voulu représenter
une scène de nuit ou une scène de jour'? » — Quoique grand
admirateur de Rembrandt, M. Ducamp fait beaucoup de ré-
serves, et mème beaucoup de critiques sur la Ronde de nuit,
qui cc manque de charme et de sérénité; » il y trouve « des
exagérations inutiles en la brosse, des effets conquis a force de
recherches, des négligences intentionnelles, il est vrai, mais
blamables... Rembrandt semble presque en décadence sur
lui-mème, car 1'exagération outrée n'est souvent que de la fai-
blesse... Rembrandt aété payé par un certain nombre de mi-
liciens pour faire leurs portraits. Trop emporté par ses rêve-
ries de clair-obscur, il n'a point donné a son tableau la colo-
ration que le suJBt exigeait... etc, etc. »
1 Beschrijving van Amsterdam, elu.
f KUNSTHISTORISCH liJSIliUUT ]
j de;; pijKsuMivi;?giTEiTUTReeHTi
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16                           MUSÉE D'AMSTERDAM.
anglais, M- Nieuwenhuis, dans son livre publié a
Londres, en 1834, et par bien d'autres. Mais cela,
néanmoins, n'est qu'une conjecture, que repousse
M. Scheltema dans son savant travail sur Rembrandt
(Amsterdam 1853). Selon lui, et selon nous, les ar-
quebusiers s'on vont tont simplement tirer au hut,
quelque part, horsdelavüle, et lapetite fille avec
son co([ porto peut-être un des prix dos vainqueurs.
De toute 1'acon, il sorait donc niieux do nommerle
tableau
: la Sortie des arquebusien. Mais comment
changer un nom depuis si longtomps populaire dans
toutes los langu os ? Los llollandais cux-mêmes appel-
lent leur chef-d'ocuvrc de Rembrandt : de Nacht-
wacht;
les Flamands: te Night/juard; los Anglais,—
Reynolds on 1781, Smith en 1836, etc, — theNight-
ivatch;
les Francais, au dix-huitièine siècle, 1'ap-
pelaient: Ie Guet, la Garde de nuit, la Patrouille
de nuit;
et aujourd'hui lc titre consacré est: la Ronde
de nuit,
quoiqu'il ne s'agisso pointde ronde, ni de
guet, ni de garde, ni de patrouille, et qu'il fasse plein
jour.
La Ronde de nuit, sans qu'on sache précisérnent
pour qui olie a été pointe, ni oü olie fut placée prinii-
tivement, — sans doute dans Ie doele de la compagnie
du eapitainc Coek, — so trouvait, dès Ie commencc-
ment du dix-huitième siècle, a 1'ancien hotel de ville,
dans la potitc salie du conseil de guerre, qu'elle a
quittée seulemont vers 1808, pour passer au muséo.
Il y a plaisira rencontror dos tableaux qui n'ont été
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REMBHANDT.                                    17
reunies que trois fois en trois siècles, qui n'ont jamais
subi Ie caprice des possesseurs successifs et que la
patte des restaurateurs n'apoint maculés. La Ronde
a pourtant été restaurée a diverses reprises, et tout ré-
cemment, en 1852, inais avee unc habileté discrete,
par M. N. Hopman, d' Amsterdam. EU e est d'ailleurs
dans un état parfait de conservation, quoique, dès
1781, Joshua Reynolds, trompé sans doute par quel-
ques chancis, ait prétendu que la pate en était très-
détériorée.
Une autre question, assez douteuse, est celle de sa-
voir si ce tableau n'a pas été plus grand qu'il n'est
aujourd'hui.
Une eau-forte de Lambert-Antoine (11 aessens, d'An-
vers, plusieurs
fois reproduite par la lithographie,
ajoute, en
eff'et, a la gauche du tableau, deux figures
debout et qui regardent,
derriére la balustrade sur la-
quelle est assis Ie sergent casqué; a droite aussi, la
tète du tarabourest entière, au lieu d'être coupée a
moitié par la bordure; en bas, il y a un peu plus de
parquet en avant du pied du capitaine; en haut, uu
jieu plus de miir au-dessus du drapcau.
Un auteur très-consciencieux, qui écrivait, au dix-
huitième siècle, la Description artistique et histori-
que
de toutes lespeintures de l'hótel de ville, etc.',
J. van Dijk, a consigne dans son livre ce rensei-
1 Kunst en historiekundige Beschrijving van al de schil-
derijen op liet Stadhuis van Amsteldam,
etc.
2.
-ocr page 33-
18                          MÜSÉE D'AMSTERDAM.
gneinent: « II est déplorablc qu'on ait tant retranché
de cc tableau, pour pouvoir Ie placer enlre deux
portes; car il y avait a droite deux iigures de plus, et
a gauche 1'homme au tambour était entier, comme
on peut Ie voir sur lc modèle authentique (1'esquisse
originale), actuellement dans les mains de M. Boen-
dermaker. » C'est sans doutc d'après cette esquisse,
originale ou non, dont on a perdu les traces, qu'a été
gravée 1'eau-forte de Claessens.
Un des directeurs du muséc, vieil amateur qui a
fait souvent lui-même, quoiqu'il soit banquier, d'ex-
cellentes copies des maitres, et qui a vu la Ronde
quand clle était encore a 1'hötel de ville, il y a plus
d'un demi-siècle, M. Praetorius, m'aditqu'il ]'avait
toujours connue telle qu'elle est encore a présent.
La mutilation aurait donc été opérée, comme Ie rap-
porte van Dijk, au moment oü Ie chef-d'oeuvre fut
installé dans Ia petite chambre du conseil de guerre.
Maisencore cst-il sur qu'ü y ait eu mutilation?Les
deux figures en plus dans 1'eau-forte de Claessens ne
sont guère rembranesques; et pourquoi neretrouve-
t-on pas la première esquisse, si précieuse, que possé-
dait M. Boendermaker ? Smith, ordinairement si
bien renseigné, et si enthousiaste de Rembrandt, ne
signale, a la suite de la Ronde denuit, qu'une «tres-
excellente copieen petit, attribuée a Rembrandt dans
la collection Randon de Boissct, oü elle futvendue, en
1777, 7,030 francs; attribuée aussi quelquefois a
Gerard Dov. » Après avoir passé probablenicnt dans
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REMBRANDT.                                   10
la collection de M. Gcorge Gillows, cette copie ou es-
quisse, sur panneau, était, du teinps de Sniith, chez
M. William Brett. Elle, a cnviron 2 pieds 1 pouee de
liaut, sur 2 pieds 8 pouces de large.
Quoi qu'il en soit de cette mutilation supposéc, Ie
grand tableau d'Amsterdam, que j'ai mesure nioi-
mêmeavcc Ie conservateur, M. Engelberts, a main-
tenant 3 mètres 59 centimètres de haut, et 4 mètres
36 centimetres et demi de large1. Il n'a jamais été
gravé, sauf 1'eau-fortc de Claessens, mais il a été
lithographié, très-mal, plusieurs Ibis, et très-bien,
tont récemment, par M. Mouilleron2. Ce qu'i] fau-
drait de ce chef-d'ceuvre, c'cst une photographie,
bien venue, si c'était possible avec de si merveil-
leuses dégradations des teintes et surtout avec des
jaunes et des rouges doininants.
La France devrait aussi s'cn donner une copie, de
la dimension de l'original, de mème qu'elle a des co—
]>ies l'aites au dix-septièine siècle, des Raphaël du Ya-
ücan, et une copie, par Sigalon, du Jugement der-
nier
de Michel-Ange a la Sixtine. Il y a tin peintre
francais dont Ie talent se prêterait peut-être a repro-
duire la Ronde de mat, c'est M. Jeanron, qui a
souvent copie des Rembrandt dans leur vrai carac-
tère.
1 Le nouv. cat. donno pour mesure : 3,o9 de haut, et seu-
loment 4,3b de large.
* On en trouve uno gravure sur bois dans YHistoire des
peinlres de toutes les ècolcs,
a la biographie de Rembrandt.
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20                          MUSÉE D'AMSTEBDAM.
La réputation de la Boude de nuit est universelle.
Les Hollandais, les Anglais, les Allemands, en ont
écrit
avec un enthousiasme prodigieux; les Francais
aussi 1'estiment beaucoup sans doute, quoiqu'il n'y
en ait daus leur langue aucunc descriptioii exacte.
M. Nieuwenhuis, dans sou livre déja cité, appelle ce
tableau : unc des merveilles du monde [one of the
toonders of the ivorld,
et Rcnibrandt, Ie plus par-
fait coloriste qui ait jamais existé : the most perfect
colourist that ever existed).
Smith 1'appelle une
oeuvre cxtraordinaire, tmique, disant qu'il ne connait
aucune peinture plus parfaite comme clair-obscur,
comme couleur, comme cxécution. Très-embarrassé
d'cn faire 1'estimation, il hasarde Ie chiffrede 6,000 li-
vres sterling (plus de 150,000 francs). Mais, si au-
jourd'hui
on mettait la Ronde de nuit aux enchères
de 1'Europe, elle approcherait du million, car assuré-
ment elle vaut bien plus que la belle Vierge aux
Am/es,
de Murillo, payée, a la vente Soult, 615,300
francs.
CEuvre unique, en cffet,' que ccttc Ronde de nuit,
et qui, malgré son originalité presque folie, rappelle
trois ou quatre des plus grands maitres : Corrége sur-
tout, Giorgione et Titicn, Yelazquez. La petite fille
lumineuse est comme Corrége, oui! dans les mor-
ceaux les plus radieux du peintre de Panne. Aussi
cette analogie est-elle signalée par j\1. Waagen, de
Berlin, et par les connaisseurs raffinés. L'homme
rouge pourrait être de Titien ou de Velazquez; oui!
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REMBRANDT.                                   -21
dans ces deux coloristes prestigieux, il n'y a point de
tons plus fantasques et plus justes en mème temps,
comme éclat de lumière en certaines parties, ailleurs
comme reflet de couleurs environnantes, ailleurs
comme transparence de clair-obscur. Giorgione en-
corc pourrait avoir peint cette éfoffe écarlate, brisée
par des demi-tons vigoureux. La manche a crevés du
tambour rappelle tout a fait, par ses harmonies bron-
zines, Ie bras élevé de la Fille du Titien, qui porte un
plat de fruits dans Ie tableau du musée de Berlin, et
une cassette dans la répétition, provenant de 1'an-
cienne galerie d'Orléans et appartenant a lord Grey.
D'autres tètes, celle du sergent, au-dessus du tam-
bour, celle de 1'homme a barbe, au-dessus de 1'ar-
quebusier rouge, ont quelque chose de van Dijk,
dans sa maniere flamande, raais avec plus de solidité
et de profondeur.
Chose étonnante! Rembrandt, qui fait quelquefois
penser aux maitres italiens et espagnols, n'éveille ja-
mais Ie souvenir de Rubens. Ces deux voisins sont
pourtant considcrés comme étant de la même école
par la plupart des écrivains francais, qui souvent les
rapprochent sous Ie nom commun de « grands Fla-
mands, » ou de Néerlandais.
11 n'y a pas dans toutcs les écoles deux peintres
qui différent plus 1'un de 1'autre que Rembrandt et
Rubens: cc sont précisément les contraires: 1'un
est un pcintre concentré, 1'autre estun peintre étalé;
1'un cherche la simplicité caractéristique, 1'autre une
-ocr page 37-
22                          MUSÉE D'AMSTKHDAM.
somptuosité ambitieusc ; 1'un ménage ses efï'ets, 1'au-
tre les prodigue aux quatre coins de ses toiles; 1'un
est tout en dedans, 1'autre tout endebors; 1'un est
mystérieux, profond, insaisissable, et yous fait replier
sur vous-même: toute peinture de Rembrandt, mème
connuc d'avance par des descriptions ou des estam-
pes, cause toujours, quand on la voit jiour la pre-
mière fois, une indéfinissable surprise; cen'est ja-
mais ce a quoi on s'attendait; on ne sait que dire;
on se tait et on réfléchit; — 1'autre est expansif,
entrainant, irrésistible,
et vous fait épanouir: toute
pcinture de Rubens communiqué la joie, la santé, une
exubérance extérieure de la vie. Devant Rembrandt
on se rccueille, devant Rubens on s'exaltc.
Grands magiciens tous deux, mais par des pro-
cédés absolument inverses.
lis sont 1'un a 1'autre ce que sont chez les Ita-
liens Ie Vinci et Ie Yéronèse.
Pour qui connait a fond Rembrandt, ce n'est point
un paradoxe de dire qu'il a certaines qualités du
Vinci; que son tourment, comme celui de Léonard,
est l'expression de la physionomie intime; que ce
caractère significatif il 1'a cherché, trouvé et gravé,
sur des types du Nord , comme Léonard sur les
beaux types de 1'Italie. Par ce cóté-la, incontesta-
blement, il a quelque chose du peintre de la Jo-
conde.
Ses analogues dans 1'école italiennc, on peut
en convenir volontiers, sont cependant plutót Cor-
rége, Giorgione et Titien, que Léonard, de même que,
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REM BRANDT.                                   23
dans 1'école espagnole, celui qui se rapproche Ie
plus de lui, c'est Yelazquez.
Quant a Rubens, il est Ie frère de Paul Véronèse,
sauf aussi la diflërence des types. Leurs instincts,
leurs methodes, leurs résultats, leurs génies, sont
les mêmes.
On n'a jamais rcmarquc que Rembrandt et Ru-
bens n'ont eu aucune relation ensemble, quoique
contemporains; car,' s'il y avait trente ans de dis-
tance entre leurs ages, Rembrandt cependant conquit
la célébrité presque des son arrivée a Amsterdam en
1630, ou du moins des 1632 après la Leqon cl'ana-
tomie^
et Rubens ne mourut qu'en 1640. Les deux
maitres, qui n'étaient pas bien loin 1'un de 1'autre,
d'Amsterdam a Anvers, auraient pu se connaitre.
Il y avait unc circulation assez frequente de 1'école
d'Anvers a celle d'Amsterdam, et réciproquement.
Jan 'Lijvens entre autres, Ie condisciple, 1'ami et Ie
sectateurde Rembrandt, a aussi étudié só-usriniluenee
de Rubens. 11 ne parait pas cependant que Ie maitre
llamand et lc maitre hollandais aient échangé au-
cun témoignage de sympathie. Rembrandt, il est
vrai, dans sa precieuse collection, avait un carton
d'esquisses de Rubens et un choix de gravures d'a-
près Rubens, parm i ses oeuvres de Raphaël, de Michel-
Ange et des autres grands artistes; maïs Rubens,
qui possédait pourtant quelques Hollandais a cóté de
ses Véronèse et de ses Titien, n'avait pas Ie moindre
croquis de Rembrandt. Peut-ètre Ie Flamand semi-
-ocr page 39-
24                          MUSÉE D'AMSTERDAM.
italianisé n'estimait-il pas a juste valeur son naïf et
sauvage compère des Provinces-affranchies.
Le cataloguc du musée d'Amsterdam ne donne
que deux lignes sur le chef-d'oouvre de Rembrandt:
« N° 228. La garde civique d'Amsterdam, connue
et renommée sous le nom de la Garde de nuit. »
C'est tout'.
Le second tableau de Rembrandt au musée d'Ams-
terdam est intitulé dans le catalogue : « Les Syndics
de 1'ancienne Corporation des marchands de drap a
Amsterdam. » Les Hollandais le nomment: de Staal-
meesters,
les maitres plombiers, ceux qui mettaient
1'estampille, la marque de plomb scellé, ou la pla-
que de métal, pour constater dans la gilde des dra-
piers 1'origine de la fabrication ou 1'acquit de cer-
tains droits. Il provient du local de la Corporation
(nominé le Staalliof, dans la Staalstraai) et appar-
tient, ainsi que la Ronde, a la ville d'Amsterdam.
Avec ces Syndics, qui sont dates de 1661, avec la
Ronde
(1642), avec la Lecon d'anatomie (1632),
que nous trouverons au musée de La Haye, la Hol-
lande, qui a perdu presque tout l'oeivvre de Rem-
brandt, 500 tableaux , possède, du moins, précisé-
ment les trois chefs-d'oeuvre caractérisant le mieux
lesmanières successives du niaitre, ses trois manières,
1 Lc nouv. cat. en donne une description complete, avec une
partie des documents qui s'y rapportent. — De même pour
les Syndics (de Staalmeesters), qui suivent.
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REMBRANDT.                                   25
si 1'on veut: la première, assez sobre, un peu froide,
très-réelle; la seconde, d'une originalité et d'une
fantasquerie extrèmement poétiques; la troisième,
large et abondantc, süre d'elle-même, tout a fait
magistrale. Le Louvre a un tableau de cette an-
née 1661 : l'Évangéliste saint Matthieu (n° 406).
A partir de cette date, Rembrandt n'a plus changé;
seulement il a un peu exagéré et alourdi 1'ampleur
de cette pratique, dans les années qui precedent sa
mort (1669).
La toile des Syndics a pres de 9 pieds de large sur
pres de 6 pieds de haut; je n'ai pas la dimension
exacte; Smith donne en mesure anglaise: 5 pieds
11 pouces de haut et 9 pieds de large'. Les figures,
de grandeur naturelle, sont vues jusqu'aux genoux.
Les Hollandais nomment les compositions peintes
dans cette proportion : kniestuk; les Allemande :
kniestück ; les Anglais : kneepiece.
Les syndics sont au nombre de cinq. Trois sont
assis de 1'autre cöté d'une table qui occupe une partie
du premier plan et coupe ces trois figures a la hauteur
du buste. Cette table, couverte d'un gros tapis orien-
tal, rougeatre, déborde presque hors du tableau.
L'homme assis a droite, le corps un peu de travers,
tient de sa main gauche un sac pose sur la table, le
sac des estampilles sans doute. Devant les deux au-
1 Le nouv. cat. donne pour mesuro : 1,85 de haut, sur
2,74 de large.
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2G                            MUSÉE D'AMSTERDAM,
tres est un livre ouvert; 1'un, la main renversée a plat
sur les feuillets du livre, explique quelque chose a
une assemblee qu'on ne voit pas; Ie troisième tourne
de la main un feuillet. Tous trois regardent en avant,
et avec des expressions variées, vers cette réunion de
leurs confrères qui sont censés hors du cadre, a la
place d'oü précisément on eontemple Ie tableau; si
bien que ces braves syndics ont l'air de vous parier et
de vous provoquer a répondre. Il faut que la discus-
sion soit d'importance et assez animée; car celui qui
tient Ie sac s'impatiente, on Ie devine a un léger fron-
cement du sourcil, et il semble pret a se lever pour
s'en aller; celui qui parle cependant a l'air très-satis-
fait de ses arguments, et son voisin exprime sur sa
physionomie : — Hein! qu'avez-vous a dire a cela?
Cest sans réplique.
Tous trois, de mème age a peu pres, autour de qua-
rante ans, portent Ie même costume : pourpoint et
petit manteau noirs, rabat blanc uni, grand chapeau
a bords souples, et vaste perruque a longues boucles
tombantes; car, hélas ! depuis vingt ans, depuis 1'é-
poque de la Ronde, les costumes ont changé, les su-
perbes costumes nationaux ont disparu !
Il se trouve que Rembrandt, durant sa carrière de
peintre, a du se conformer a trois modes de la mode:
lors de son commencement, vers 1630, on portait
encore les belles collerettes tuyautées et fermes en
l'air, du seizième siècle; puis, la mousseline, per-
dant son empois, la fraise se rnbattit, molle et plissée,
-ocr page 42-
REMBRANDT.                                   27
sur Ie pourpoint; ce qni conduisit au rabat uni,
coupé carrérnent sur lc sternum, a peu pres comme
celui des magistrats et procureurs d'aujourd'hui.
En mème temps s'introduisit 1'horrible perruque
Louis XIV.
La barbc aussi, en cct-te periode, subit trois révolu-
tions : a 1'époque de la Lecon d'anatomie, il y avait
encore des barbes entières, qui d'ailleurs tinrent bon
chez certains excentriques et ne tombèrent tout a fait
qu'a la fin du siècle; mais déja on se rasait un peu a
la hauteur de 1'oreille, et la mode était une barbe
carrée descendant du menton, presque dans la coupe
des Assyriens, tels que les représente leur antique
statuaire. Le professeur Tulp (1632) et tous ses au-
diteurs ont la barbc taillée ainsi, excepté un seul qui
a la barbe entière. Dans la Ronde, il y a quelques
barbes entières, des barbiches carrées, et des mous-
taches avec la longue mouchc Louis XIII. Chez nos
trois syndics a perruque, la mouchc est effacée, il ne
reste qu'unc légere moustache. Bientöt même, le ra-
soir enlèvera ces derniers poils. On voit que la révo-
lution
avait en Hollande les mêmes episodes qu'en
France.
La France a toujours donné le ton a 1'Europe en
ces graves matières de barbes et de perruques, de
fraises et de paniers.
Nous en sommes donc la, en 1661, chez les Hol-
landais. La grande époque originale de la Hollande
est déja passée, et ne reviendra plus.
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28                           MUSÉE D'AMSTERDAM.
Le quatrième syndic est un vicillard assis dans un
fauteuil a gauche, et vu presque de dos, la main
droite appuyée sur le bras du fauteuil; mais il re-
tourne la tète de trois quarts, avec unc certaine hau-
teur assez fiere, vers 1'asseinblée invisible, 011 semble
ètre le foyer du debat. Il peut avoir environ soixante-
dix ans. Vieillesse ne souffre pas volontiers coutra-
diction. Il va sans dire que ce \ieux ragcur n'a pas
adopté la perruque francaise et qu'il protcste par ses
eheveux d'argent contre 1'importation étrangère. A
sa barbc Manche il a conservé non moins fidèlement
la coupe en pointe. Son col aussi n'a pas pu descendre
encore a la fonne du rabat et se bifurque en avant
sur deux ailes latérales. Une vive lumière frappe de
gauche cette vieille tète caractérisee et en modèle tous
les accents.
Le cinquième, jeune homme de vingt-cinq a
trerite ans, pcut-être lc fils du vieillard, a qui il res-
seinble un pen de loin, est naturellemcnt, a cause de
son agc. plus impatient que les autres, et il se leve a
demi entre le vieux et celui qui parle. Son regard
va chercher également une assemblee fantastique.
Comme le père, il s'est refusé a la perruque; il se con-
tente de ses eheveux naturels, et il a toujours la
pointe de barbe au menton. L'un et 1'autre sont d'ail-
leurs en noir et portent le mème grand chapeau
traditionnel (pje la perruque n'a point encore fait
sacrificr a leurs trote compères.
Derriére ces cinq figures principalcs, rangées
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REMBRANDT.                                   29
'prcsquc sur lc même plan, d'un cöté a 1'autre du
tableau, une sixième figure, debout a quelque dis-
tance, regarde aussi en souriant. Cet homme, dont
la physionomie est fine et caustique, a la tète nue et
de longs cheveux tombant sur les épaules. C'est un
des servants de la Corporation.
Le fond est une espèce de boiscrie qui lambrisse
la piècc, et a laquclle, tout a fait a droite, au-dcssus
de l'homme au sac, est accroché un tableau représen-
tant un vague paysage, oü 1'on distingue une tour.
Au-dcssus du tableau et d'une petite corniche est la
BÜgnature : Rembrandt, f. 1661.
Il n'y a rien de plus : ces six figures, le gros tapis
qui tient un quart de la toile et sert de repoussoir, et
un fond de lambris uni et neutre.
Tout 1'inlérct est dans ces têtes extraordinairement
vivantes, et aussi dans 1'ampleur prodigieuse de l'cxé-
cution, dans rharmonie de la couleur, qui est la plus
simplc du monde : quatre notes seulement, qui se
répondent et se font valoir, avec leurs dièzes et leurs
bémols, dans une gamme brune : les chairs, tètcs et
mains, et les blancs sont glacés de bistre; les che-
veux et les fonds sont glacés de brun; le tapis a du
brun dans ses rouges; les noirs ont des reflcts bruns.
Cela revient toujours a : ut, mi, sol, ut. Point de
discord. Aucune disparate. Un seul effet. La lumicro
y est partout cependant et 1'air y circule. Dans la
représentation d'une scène réelle, la peinture ne sau-
rait aller plus loin,
i-
-ocr page 45-
30                          MUSÉE D'AMSTERDAM.
Smith, après avoir décrit assez inexactement les
Syndics,
en fait 1'éloge suivant : « La largeur de
1'effet, la puissance de la peintnre, sont stupéfiants;
et telles sont 1'energie expressive et naturelle, les
chaudes tcintes de vie et de santé qui animent les
divers personnages, qu'ils paraissent vivre et respi-
rer... lis ressemblent tellcment a la réalité, qu'ils
rendent froides et sans yie les ceuvres d'art envi-
ronnantes... etc. »
Les Syndics ont été gravés a 1'eau-forte par J. de
Frey, a la maniere noire par R. Houston, et tout ré-
cemment au burin par M. Kaiser, sur une planche
commencée par Couwenberg. Il y en a aussi beau-
coup de lithographies.
L'ancien catalogue du musée d'Amsterdam, recti-
fié en 1850, attribuait de plus <\ Rembrandt deux
tableaux : Ie portrait de Pieter van Uitenbogaard,
inscrit aujourd'hui comme étant de 1'école (n° 230),
et la Décollation de saint Jean-Raptiste, aujourd'bui
porté a Drost, sous Ie ti.tre : Hérodias acceptant la
tête de saint Jean-Baptiste
(n° 69)'.
Van Uitenbogaard, qui était receveur a Amster-
dam, fut en cffet un des amis de Rembrandt. Il lui
rendit mème quelques services a 1'occasion de la série
de tableaux peints pour Ie prince Frédéric-Henri.
Rembrandt a gravé Ie portrait d'Uitenbogaard, a 1'eau-
1 Le nouv. cat. a transporté aux Inconnus Ie portrait de
van Uitenbogaard et conservé VHcrodias a Drost.
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REMBRANDT.                                   31
forte, et c'est cela peut-ȏtre qui. lui a fait attribuer Ie
portrait peint, du musée d'Amsterdam.
Cettc peinture est très-belle, très-fine et très-forte,
pleine d'expression. Elle n'accuse guère la prs'ique
habituelle
de Rembrandt, ni mèine celle d'aucup de
ges élèves. Elle est d'ailleurs digne du maitre, et très-
embarrassante pour les plus profonds connaisseurs.
Il ne serait pas impossible qu'elle fut de Rembrandt,
dans une des periodes assez caprieicuses de sa pre-
mière maniere, oii il a recherche des effets et des
pratiques si divers. Car il faut noter que, dès Ie com-
mencement de son installation a Amsterdam, van
Uitenbogaard était de son entourage assez intime.
h'Hérodias seinble bien attribué a Drost. C'est
une peinture extrèmement énergique, exagérant les
contrastes d'ombre et de lumière et les brusqueries
de la touche, qui caractérisent surtout la dernière
periode de Rembrandt. Or Drost, qui est né proba-
blement en 1638, n'a pu ctre élève de Rembrandt
que vers 1'époque oü Ie maitre, après avoir rompu
avec Ie monde, a la suite de ses malheurs en 1656,
s'abandonna plus que jamais a la fougue de son
talent.
Le tableau est en hauteur; les figures, de gran-
deur naturelle, sont coupées aux genoux. Le ton y
est superbe, mais il a un peu noirci dans les demi-
teintes.
Ce Drost est très-peu connu et très-rare. Le cata-
logue de Paris ne le cite point parmi les disciples et
-ocr page 47-
32                          MUSÉE D'AMSTERDAM.
imitateurs de Rembrandt. Lefcatalogue d'Amsterdam
ne connait pas son prénom, qu'il remplaec par des
pointe, et n'indiquc ni date de naissanee, ni date de
mort'. Le catalogue du musée de Vienne, qui possède
deux tableaux de Drost : Argus et Mercure et un
Vieillard faisant lire un petit garcon,
1'appelle
Gerhard, et ajoute qu'il vivait vers 1670. Smith 1'ap-
pelle R. R. Drost, et dit qu'il mourut en 1690. Il ne
signale de lui qu'un tableau « eapital, » a la gale-
rie de Cassel2, et il explique la rareté des oeuvres
de ee maitre, en supposant qu'a caupe de la bravoure
de leur exécution elles ont été souvent prises pour
des originaux de Rembrandt et vendues comme tels.
Je nc crois pas qu'il y ait un autre tableau de
Drost dans toute la Hollande, ni en Belgique, ni en
Franee. Peut-ctre 1'Angleterre en possède-t-clle quel-
ques-uns; mais, pour ma part, je n'en ai jamais \u
dansles eollections anglaises que je connais, a moins
que la superbe Adoration des mages. de la galerie
de M. Thomas Baring a Londrcs, au lieu d'ètre,
comme on le suppose, une répétition par Rembrandt
lui-même de VAdoration des mages, de Buckingham
Palace, n'ait été peinte par Drost dans 1'atelier et
1  Le nouv. cat. n'en sait pas plus long que 1'ancien, et il
enregistre le nom de Drost fans aucune date, ni renseignement
quelconque.
2 C'est une Madcleine, n° 379 du catalogue, oü est enrogistré,
sans autre renseignement, le nom de Drost, mais précédé de
deux N.N, au lieu des deux R. R. de Smith,
-ocr page 48-
VAN DEK HELST.                               33
avec Ie concours de Reinbrandt; cc n'est pas impos-
sible.
Van der Helst.— En face de la Ronde de nuit, et
occupant tout lc lambris a gauche dans la même pièce,
est un autre chef-d'oeuvre de la grande école hollan-
daise: leBanquet des arquebusiers [deSchuttersmaal-
tijd),
par Bartholomeus van der Helst. Le catalo-
gue d'Amsterdam ne lui consacre que deux lignes':
« N" 103. Le Banquet de la garde chique a /Vmster-
dam, al'occasionde la paix de Munster, en 1648. »
Ce tableau, rentoilé, je crois, assez récemment, a
été aussi un pcu restauré, mais avec beaucoup de lé-
gèreté et d'adresse, par M. Hopman. 11 a environ
IS pieds de large sur 7 a 8 pieds de haut2. Il provient,
comme la Ronde, de 1'ancien hotel de ville, oü il or-
nait la grande chambre du conseil de guerrc, vis-a-
vis la place des Colonels, et, comme la Ronde et les
Syndics,
il appartient a la ville même d'Amsterdam.
La scène se passé dans 1'antichambre du doele de
Saint-George [St. Joris Doele). La sont réunis a
banqueter, en 1'honneur de la paix, le capitaine Cor-
nelis Jan Wits ou Witsen, le lieutenant Johannes van
Waveren, et leur compagnie d'arquebusiers et d'ar-
balétriers.
Au coin droit de la grande table dressée dans la
1 Le nouv. cat. lui a consacró Irois pages, avec tous les
détails nécessaires.
1 Le nouv. cat. donne : 5,38 sur 2,27.
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34                           MUSÉE D'AMSTERDAM.
largeur de la toile, Ie gros capitaine Wits, assis de
trois quarts, vêtu de noir, avec une cuirasse et une
ceinture bleue. Il a les cheveux noirs, et un grand
chapeau noir a plumes blanches. De la main gauche
il tient appuyé sur sa cuisse un enorme hanap d'ar-
gent, ayant en guise d'anse une figure équestre de
saint Gcorge, patron de la gilde; cette « corne a boire »
[drinkhoorn] est encore aujourd'hui conscrvée au
cabinet de Curiosités de 1'hótel de ville d'Amsterdam.
De sa main droite il serre la main de son lieutenant,
assis pres de lui, et tourné presque de profil. Échange
de félicitations sur la paix, sans doute.
Le lieutenant van Waveren est aussi très-richement
costumé : pourpoint et hauts-de-chausses gris perle,
ouvragés d'or; écharpe bleue, bas verts, bottesachau-
dron, et des éperons. Son chapeau noir a des plumes
brunes.
Derriere eux, trois hommes debout, dont un, le
corps de profil et la tête de trois quarts, tient de la
main gauche son chapeau gris a grandcs plumes tri—
colores; un quatrième porte une hallebarde; au se-
cond plan, arrive une servante avec un large paté
surmonté d'un fantóme de dindon.
Al'autre angle de la table, a gauche du tableau,
qiielques convives assis boivent, et plusieurs hommes
debout, armés d'arquebuses, conversent en avant
d'une arcade communiquant avec l'intérieur du doele.
Entre ces deux groupes saillante, qui se contre-ba-
lancent aux deux cxtrémités de la composition, sont
-ocr page 50-
VAN DER HELST.                               33
trois figures, d'une réalité extraordinaire, et les plus
remarquables avec celles du capitaine et du lieute-
nant.
Au milieu, et un peu en avant, Ie porte-drapeau,
Jacob Banning, assis de trois quarts, la tcte de face,
les jambes croisées, son chapeau noir a plumes blan-
ches pendant au bout de sa main droite. La main
gauche tient Ie drapeau bleu illustré d'une image
peinte, et dont Ie haut se perd dans Ie cadre. Il est tout
vêtu de noir, avecune large ceinture bleue. Dcvant
lui, un tambour sur lequel est un papier oü sont écrits
quatre vers du poëte Jan Yos '.
A sa gauche, un homme assis, un des sergents a ce
que je pense, pourpoint jaune citron, cuirasse, hauts-
de-chausses gris, bordes d'or, bas rouges, bottes
molles en buffle, une serviette étalée sursacuisse,
tient a pleine main un os de jambon et se retourne
vers un hommc debout, qui, chapeau a la main, lui
présente respeetueusement un hanap magnifiquement
sculpté. Ce vieil échanson a la barbe et les cheveux
gris; sur son pourpoint de soie noire, tailladé de
jaune, s'étale une large fraise; ceinture rouge, bas
jaunes.
1 En voici la traduction : « Le sang répugne a Bellone et
Mars maudit lo bruit du bronze destructeur. L'épée aime le
fourreau. C'est pourquoi le brave Wits présente au noble
van Waveren la coupe de la paix, pour fêter 1'alliance perpé-
tuelle. » — Voyez 1'article sur van der Helst par M. Scheltema,
/lans la Revue uniuerselle des Arts, t. V, p. 203.
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36                         MUSÉE D'AMSTERDAM.
De 1'autre cóté de la table sont assis plusieurs au-
tres personnages, celui-ci découpant un poulet, celui-
la pelant un citron, etc. En tont, vingt-quatre figures,
de grandeur naturelle, en pied, et dont les noms sont
inscrits au bas du tableau.
Pour fond, au milieu, unc fenètre mi-ouverte, par
laquclle on apercoit des arbres et des rnaisons; a gau-
che, 1'arcade qui donnc entree au tir, et une muraille
brune. Tout a fait au premier plan, un grand bassin
doré, duquel sortent des pampres.
Le tableau est signé en gros caractères : Bartholo-
meus van der Helst fecit. A"
1648.
Plusieurs des têtes sont prodigieuses de vie, princi-
palement celles de l'échanson a bas jaunes, du porte-
drapeau, du peleurdc citron, etc. Les mains ', les
étoffes, les décorations diverses, tout est exécuté avec
une correction scrupuleuse qui ne sacrilie aucun dé-
tail , mais aussi avec une largeur et une justesse de
touche, avec une abondance de pate, qui sauvent de
la ininutie cette eclatante peinture; trop eclatante par-
tout, il faut le dire, et sans parti pris d'ombres et de
contrastes, qui, enconcentrant la lumière sur certains
points principaux, assurent Turntc de 1'effet. La lu-
mière, presque egale d'un bout de la toile a 1'autre,
1 L'auteur de la Description des tableaux de l'ancien hotel
de ville,
van Dijk, que nous avons déja cilé, a dit: « Si 1'on
prenait toules les mains de ce tableau, et qu'on les jetat pèle-
mêle, on pourrait les rapporter loules aux personnes a qui
elles appartiennent... »
-ocr page 52-
VAN DER HELST.                              37
divise trop 1'attention. L'ceil saute d'une figure a un
costume, admire un instant, s'égaro, se fatiguc et ne
transmet a 1'esprit qu'une impression multiple. Ch«-
que morceau, peint a la perfection, est bien amusant
et bien instructif pour les artistes, mais 1'ensemble
ne vous saisit point comme la poétique peinture de
Rembrandt, qui est en face'.
Il est très-curieux de passer quelques hcures entre
ces deux chefs-d'osuvre qui se sont toujours dis-
puté la pa/me de la grande école hollandaise et
ont souvent excité des fanatismes exclusifs. On se re-
tourne de 1'un a 1'autre, on s'étudie, on s'interroge
pour chercher a s'expliquer la divergence absolue des
impressions qu'ils causent.
Tous deux, chacun a sa maniere, poussent la rèa-
lité jusqu'a Villusion. Mais ce rapprochemcnt de
mots lui-même prouve qu'il n'y a rien de moins réel
que la rèalité en peinture. Ce qu'on appelle ainsi dé-
pend de la maniere de voir des individus. Car tantes
les combinaisons de 1'effet que peut produire un corps
quelconque sont dans la nature, et dans ces combinai-
sons, infiniment] diverses, on voit plus ou moins ceci
ou cela, selon son imagination iritérieure. Les artistes
1 M. Ducamp [Revue de Paris) rabaisse beaucoup ce Ban-
quet
de van der Helst: « Je reconnais, dit-il, toutes les qualités
qui dominent dans cette vaste composition,... mais... je vois
que c'est unepremière toile de troisième ou quatrième ordre...
ce n'est point un chef-d'ocuvre... »
4
-ocr page 53-
38                          MÜSÉE D'AMSTERDAM.
vraiment doués de la faculté poétique ont des manières
de voir très-particulières. Ce que Léonard a vu dans
la Joconde, personne ne 1'y eüt vu sans doute. Tous
les peintres de la Renaissance se seraient mis a pein-
dre ce modèle, que pas un n'eüt fait ce qu'a fait Léo-
nard. Est-ce que la Joconde n'est pas la réalité pour-
tant? Si tout a coup, sans songer a peinture, on se
trouvait face a face avec 1'homme jaune de la Monde,
on s'effacerait pour Ie laisser passer avec sa pertui-
sane. C'est donc aussi la réalité, mais comme 1'a vue
Rembrandt sous un éclair de génie.
La maniere de voir de van der Helst, au contraire,
estplus générale,ou plus vulgaire, c'estlcmême mot.
Elle s'accorde mieux avec Ie sens commun a la foule.
La scène du Banquet apparaitrait ainsi, ou a peu pres,
atout Ie monde. Et c'est pourquoi Ie tableau de van
der Helst a toujours eu un succes plus universel que
Ie tableau de Rembrandt. L'ancicn catalogue du
musée d'Amsterdam (1835) n'bésitait même pas a
1'appeler «lc plus excellent de tous les tableaux hol-
landais. » M. Duchesne ainé y trouvait tout parfait:
« Dans ce chef-d'oeuvre de 1'école hollandaise, com-
position , couleur, harmonie , expression , tout est
beau, tout est parfait. Van Dijk et Rubens n'auraient
pas fait mieux'. »
Tout Ie monde n'aime pas la Ronde de nuit, et
1'on a vu des académiciens faire des si
r'
es de croix
Musée. de peinture et de scutpture, par Réveil, t. X.
-ocr page 54-
VAN DER HELST.                               
devantcette espèce de sphinx; mais ceux qui 1'aiment,
1'adorent.
Le rappi'ochement de ces deux peintures soulève,
par d'autrcs motifs, et sur des points différents quoi-
que analogues, les mêmes questions que la comparai-
son d'un Raphaël et d'un Rubens. Et, chose singu-
liere ! ceux qui sacrifieraient Rubens a Raphaël, « le
divin poëte, » sont préciscment ceux qui preferent a
]a poésie sauvage de Rembrandt le réalisme, unpeu
banal, de van der Helst.
Joshua Reynolds, dans sou Tour in Holland, f'ai-
sant, comme c'est 1'habitude, un parallèle entre ces
deux tableaus qui ont toujours été poses en anti-
these pres 1'un de l'autre, a commis une cruelle hé-
résie contre Rembrandt: « La Garde denuit a trompé
mon attente... » Pour être sur qu'elle est de Rem-
brandt, il fallut qu'il en eonstatat la signature ! Peut-
ètre le grand peintre anglais, qui perdit la vue
quelques annces après son voyage en Hollande', ne
voyait-il déja plus très-clair en 1781 : il avait alors
cinquante-huit ans. Mais il a, du moins, très-bienap-
précié le Repas des arquebusiers, de van der Helst,
même avec un peu d'exagération : « C'est peut-être,
dit-il, le plus beau tableau dportraits qui existe... »
Toutes les figures du tableau de van der Helst sont,
1 II s'est représenté lui-mème avec des lunettes, dans plu-
sieursdoses portraits, notamment dans le portrait date 1788,
et appartenant a la reine Vittoria. En 1790, il avait perdu un
o;il et il dut renoncer a la peinture.
-ocr page 55-
40                          MUSÉE D'AMSTERDAM.
en effet, des portraits, et qui tous feraient a merveille
dans des cadres séparés. Ce qui n'empêche point,
après
toutes ces critiques, ou plutot ces explications,
que
le. Banquet des arquebusiers ne soit en son genre
un chef-d'oeuvre, qui devrait avoir une belle place
dans une cxhibition eiiropéenne des tableaux les plus
saillants de toutes les écoles.
Le secrétaire de la société Arti et Amicitice d'Am-
sterdam, M. Kaiser, a publié récemment
une grande
gravure tres-correcte et très-habile, du Banquet des
arquebusiers.
Le second tableau important de van der Helst au
musée d'Amsterdam est un autre
tableau de doele,
intitulé
dans le catalogue (n° 104) : « Les Chefs ou Ar-
bitres de la confrérie des Arbalétriers, a Amster-
dam',
i) (lette confrérie ou gilde est celle de Saint-Sé-
bastien; Jacob van der Helst, frère de Bartholomeus,
fut, en 1664, le chatelain de leur maison de tir, d'oü
ce tableau provient.
Quatre des directeurs du tir (doe/Jieeren), maitres-
jurés de la gilde, sont assis autour d'une table cou-
verte d'un
tapisturc2. «Trois d'entre eux montrent
au (juatrièine les principaux ornements et objets
1  Le nouv. cat. eonservo le rrême titre, a peu pres: « Les
jurés du Doele de St-Sébastien(De Overheden vanden S' S(-
basiiaans Doele te Amsterdam).
» La dimension donnée est
2,64 de large sur 1,75 de haut.
2  Nous reproduisons la (lescription tres-exacte donnée par
M. Scheltema.
-ocr page 56-
VAN DEK HULST.                               ïl
de prix de la gilde, consistant en nne magniflque
chaine, un sceptre en ébène, incrusté d'argent,
et
nne coupe en or. A eóté d'eux, une servante, tenant
a la main la corne a boire (drinkhoorri) de la gilde de
Saint-Sébastien." Cette corne a boire, la chaine et Ie
sceptre sont encore conservés dans Ie cabinet de Cu-
riosités appartenarit a 1'hótel de ville d'Amsterdam. On
voit aussi sur Ie tableau quelques
coupes d'argent et
d'autres
objets de la gilde. A 1'arrière-plan sont deux
jeunes gens, 1'arc a la main. A 1'avant-plan, contre la
fobie,
est appuyée une ardoise sur laquelle sont tracés
ii la craie les noms de trois des directeurs représentés
par Ie peintre; ce sont: Albert Pater, Jan van de Poll
et Johan Blauw'. Le nom du quatrième ne se trouve
pas sur 1'ardoise; ce qui a fait présumer a van Dijk
[Description des peintures de l'hotel de ville, etc.)
que cette quatrième personne serait van der Helst lui-
mèine. Mais il se trompe : la place qu'occupe ce direc-
teur du tir ne revient pas a Bartholomé. A mon avis
la quatrième personne est Frans Banning Koek, sei-
gneur de Purmerland et Ilpenclam, le mème qui,
comme capitaine, figurc en avant sur la Ronde de
nuit,
de Hembrandt, etc. »
Ce tableau est signé : Batholomeus van der Helst,
et date, suivant M. Scheltema, de 1653. Pour nioi,
1 Le nouv. cat. reproduit en fac-simile cette inscription :
u DPater, HVPoll (le V accolé au P) et PBlaau. » Ces initia-
les des prénoms ne coacordenl pas avec ceux que donne
M. Schdlcma.
4.
-ocr page 57-
42                          MUSÉE D'AMSTEHDAM.
j'ai toujours lu 1657'. Cettedatoa une certaineimpor-
tance, a causo de la date du petit tableau du Louvre
n" 197. Si Ie tableau du Louvre est date 1653, comme
1'indique Ie catalogue de M. Yillot, il serait done an-
térieur au grand tableau d'Amsterdam, et au lieu de
n'être qu'une répétition avee des variantes, il serait
une composition première, une première pensee.
Mais Ie chiffre sur Ie tableau du Louvre n'est-il point
aussi 1637 ?
Au xvue siècle, les 3 et les 7 se ressemblaient beau-
coup de forme. Reynolds, par excmple, s'y est trompé,
en donnant la date de la Lecon d'anatomie; comme Ie
3 de 1632 a une longue queue qui descend de beaucoup
au-dessous du niveau des autres chiffres, il a lu 1672
et consigne cette date dans son Tour in Holland, sans
faire attention qu'en 1672,1'auteur de la Lecon d'a-
natomie
était mort.
On voit, par 1'explication de ce tableau d'Amster-
dam, que Ie petit tableau presque pareil, appartenant
au Louvre, est mal intitulé et mal interprété dans Ie
catalogue de Paris. 11 ne s'agit poiut « de jugement
du prix de 1'arc, » et les noms écrits sur 1'ardoise ne
sont pas «les noms des vainqueurs du tir, » mais ceux
des directeurs de la gilde.
Les dilFérences entre Ie tableau d'Amsterdam et
1 Cette dato 1657 que nous avons déja donnée, raalgré 1'au-
torité de M. Schelteraa, dans l'Artiste et dans la Revue uni-
verselle des Arts,
est eonhrmée par Ie nouv. cat.
-ocr page 58-
VAN UKK HELST.                               43
celui de Paris sont les suivantes : dans Ie 1'oud a
droite, au tableau d'Amsterdam, il n'y a que deux
jeunes arbalétriers au lieu de trois; par la porte ou-
verte de cc coté, on apergoit des arbres et un peu de
campagne. Au i'ond, a gauche, est un rideau rouge
violacé, et au milieu, sur un dressoir, sont ranges des
vases et des hanaps a 1'usage de la gilde. Le chien,
assis sur son train de derriére, regarde en face'.
Outre ces deux grandes compositions, le musée
d'Ainsterdani possède liuit portraits de van der Helst.
Portrait du vice-amiral Egbert M. Kortenaar, en
buste, de grandeur naturelle, tenant de la main
gauche le baton de coinmandement. Sur 1'épaule est
jeté un manteau rouge. Écharpe d'or. ïrès-belle
peinture.
Portrait de Marie llenrictte Stuart, princesse
douairière de Guillaume II. Elle est de grandeur na-
turelle, en picd, assise, tout en blanc, sur un fau-
teuil a sculptures d'argent, surmonté d'une tenture
en soie violette. Elle tient de la main droite une
orange. Très-beau et très-important.
Portrait du bourgmestre d'Amsterdam, Andries
Bicker, a mi-corps, la main droite sur la hanche,
un livrc dans la main gauche. Il a une large fraise
et un vêtement noir. Fond neutre. Ce bourgmestre
A. Bicker est sans doute de la mêmc familie que le
1 Le notiv. cat. suppose que le petit tableau de Paris vient
de la oollection du comtu van Polsbroek.
-ocr page 59-
44                       MliSÉE D'AMSTEHDAM.
capitiiine Roelof Bicker, qui figure sur Ie grand et
tnagnifique tableau d'arquebusiers, date 1643, or-
nant aujourd'hui la salie des bourginestres a 1'hótel
deville.
Portrait du fils du bourgmestre Bicker. Ce gros
garcon, tout jeune et encore sans barbe, a un tripte
nienton qui s'étage sur une belle collerette brodée.
Il est drapé de velours rouge. De la main droite il
tient ses gants contre sa poitrine. La main gauche
est posée sur la hanche. Excellent et curieux portrait,
qui fait pendant a celui du père. Ce fils Bicker a etc
bailli de Muiden'.
Les nos 109 et 110 sont un portrait d'homme et un
portrait de femme, inconnus. Le portrait de femme
est signé des initiales B v II.
Portrait du lieutetiant-amiral Aart van Nes, et
portrait de la femme dudit amiral. Ces deux pen-
dants, places aux cótés des Syndics, soutiennent
assez bien ce voisinage dangereux. lis sont de gran-
deur naturelle et vus jusqu'aux genoux. Belles
mains, belles étoffes. La tête de 1'homme est un pen
lourde, inais la femme est superbe. L'un et Fautre,
iivec des fonds de marine, signés de Backhuizen,
sont signés de van der Helst en toutes lettres, et dates
1668, deux ans avant sa mort.
En général, ces portraits de van der Helst lui
1 i.cs portraits rin pure et du fils onl été payés 100 (lorins
chaque, en vente publique il Amsterdam (nouv, jcat,)-
-ocr page 60-
GOVERT FLINCK.                               
étaient payés 100 ducats, très-haut prix pour 1'é-
poque. Les portraits de Rembrandt lui-mème ne se
payaient pas si eher.
Vient ensuite dans Ie catalogue d'Amsterdam, un
portrait de 1'amiral Auke Stellingwerf, par L. van
der Helst. On peut supposer avec les auteurs de
YHistoire de la peinture hollandaise (Amsterdam
1814), MM. van Eynden et van der Willigen,
et avec M. Scheltema, que ce L. van der Helst est
Ie iils de Bartholomeus. Son prénom est saus doute
Ludewijk'. Houbraken avait mentionné, comme
ayant été peintre, un fils de Bartholomeus van der
Jlelst.
Govert Flinck. — De Ja même série que Ie Ban-
quet des arquebusiers
et la Ronde de nuit, est un
autre grand Schutterstuk ou Doelenstuk, comme
disent les Hollandais, par Govert Flinck : « Assem-
blee de gardes civiques, commandés par Jan Jluidc-
coper,
seigneur de Maarsseveen, après la conclusion
de la Paix de Munster en 1048. »
Ce chef-d'oeuvre de Flinck se classe après les
chefs-d'oeuvre de Rembrandt et de van der Helst,
parmi les compositions analogues de la grande école
hollandaise, — de Frans Hals, de Jacob Backer et
1 Le nouv. cat. onregistre, en effet, co portrait sous Ie nom
do Lodcwijk van der Helst, mais sans aucun renseignement
biographique a la suite du nom.
-ocr page 61-
4(>                             MUSÉE D'AMSTERDAM.
autres maitres qui ont représenté les scènes civiques
de 1'histoire de leur temps. La toile a la mème pro-
portion a peu pres que Ie Banquet des arquebusiers,
et les figures, également en pied et de grandeur na-
turelle, y sont presque au raême norabre.
La scène, cette fois, se passé en plein air, pres de
1'entrée du doele, dont Ie perron et la grille occupent
Ie fond a gauche. De ce cöté est uu groupe de ncuf
hommes debout, dont sept avec des arquebuses ou
despiques, et deux principaux en avant. L'un, Ie
capitaine, je suppose, Jan Huidekoper, seigneur
de Maarsseveen, tout vêtu de noir, avcc une ceinture
bleue, se présente Ie corps de face, la tète tournee a
droite, une main appuyée sur une longue canne, son
chapeau a plumes blanches dans 1'autre main. A sa
droite, Ie porte-drapeau, Nicolaas van Waveren,
aussi en eostume noir, richement brode d'or autour
du cou et aux manches; écharpe blanche; bottes a
cbaudron, et des éperons. Il tient de la main gauche
son chapeau a plu mes blanches et rouges, et de la
main droite 1'étendard en soie blanche. Chaque com-
pagnie avait ses couleurs.
üu cóté opposé, onze personnages, tous debout
également. Le plus en évidence porte Ie hausse-col
et 1'épée, un eostume noir et or, une écharpe bleue,
des bas blancs. Il a une pertuisane dans la main
droite, et a la main gauche son chapeau a plumes
blanches. C'est sans doute le lieutenant Frans van
Waveren, qui, ainsi que le porte-drapeau Nicolaas
-ocr page 62-
COVERT FUNGK.                              47
van Waveren, doit êtrc de la familie de Johan van
Wavcren, lieutenant de la compagnie du capitaine
Jan Wits, représenté dans Ie Banquet de van der
Helst.
Un peu plus ü droite, nn grand homme noir, vu
de profil. Entre lui et Ie lieutenant, (ruatre hommes,
dont un casqué. Derriere lui, assis vers Ie coin du
cadre, un gros personnage vètu de gris, et, tont pres,
trois autres arquebusiers, dont deux casqués.
Au milieu de la toile, dans un interval Ie que lais-
sent les deux groupes principaux, un homme se
baisse pour arrangcr Ie haut de ses grandes bottes
molles.
En tout, vingt personnages, quoiquc 1'inscription
sur un papier au bas du tableau ne porte que seize
noms, y compris, en dernier : Govert Flinck, Pic-
tor, 't vreede jaar
(1'année de la paix). Govert Flinck
appartenait a cette compagnie, ctun des personnages,
Ie grand homme noir, vu de profil, a ce que je sup-
pose, est son propre portrait. Il y a, d'ailleurs, au
musée de Munich, un portrait de Flinck, attribué a
Rembrandt.
Outre ce nom de Flinck dans la liste des arquebu-
siers, on voit, a gauche, en bas, la signature du pein-
tre : Flinck. f. 1648.
Pour fond, Ie ciel, sauf, a gauche, 1'entrée du
doele, et, a droite, des feux de réjouissance qui flam-
bent dans des espèces de grandes barriques.
Sur un papier qui semble glissé entre la bordure
-ocr page 63-
4S                          MUSÉE D'AMSTERDAM.
et la toile sont écrits six vers de Jan Vos', en 1'hon-
neur du capitaine van Maarsseveen et de la paix
perpétuelle a laquelle la Hol lande et les autres États
protestants devaient enfin la liberté de conseience.
Ce tableau était place autrefois dans la grande salie
du conseil de guerre a Fanden hotel de ville. Il ap-
partient
a la ville d'Amsterdam, qui possèdc quatre
autres Flinck, deux magnifiques a 1'hötel de ville ac-
tuel, et deux, dans le dernicr style italianisé du
peintre, au palais sur le Dam. Il n'a jamais été gravé.
Au musée on voit encore un Flinck, dans sa ma-
niere rembranesque, et qui mème doit être de 1'é-
poque oü il étudiait chez Rembrandt, entre 1635 et
1640. Car cette composition : Isaac donnant sa bé-
nédictionè Jacoh
(n° 84), a été peintc aussi, presque
identiquemeut, par d'autres élèves du maitre, par
Ferdinand Bol et van den Eeckhout; et M. Schel-
tema2 suppose que ce fut pour quelque concours.
Le tableau de Flinck a environ 4 a fi pieds de large
1 Voici la traduction de ces vers de Jan Vos : « Van Maars-
seveen se présente le premier dans la paix perpéluelle, comme
son père vola le premier au combat pour Ia palrie. Le génie et
la bravoure, qui font la force des Étals libres, renoncent aux
vieilles haines, sans cependant déposer la tenue de guerre.
Ainsi, après les meurtros et les ravages, on continue a sur-
veiller 1'Y (les Hollandais appellent 1'Y — « het Y » — le bras
de mer qui baigne le nord d'Amsterdam). Le sage peut laisser
reposer, mais non rouiller, le glaive. »
s Voir 1'article de M. Scheltema sur Flinck dans la Revue
universelle des Arts,
t. VI, p. 501.
-ocr page 64-
Éf.OLE DE HEM BRANDT.                        49
sur 3 iï 4 pieds de haat. Les Hgures sont de grandeur
naturelle, en costurae du xvue siècle. Isaac est couché
et vu de profil. Grande barbe blanche. Manteau
j'ouge. Jacob, en pourpoint bleu a raies jaunes, est
agenouillé de 1'autre cótc du lit. Il a les mainsgan-
tées. Pres de la tête d'Isaae, la tête de Rebecca. Vi-
goureuse peinture, d'une touche large et d'une forte
couleur. Elle fut achetée par Ie gouvernement a la
vente de la collection van der Pot, a Rotterdam, Je
6 juin 1808, —1380 florins. Gravé a 1'eau-forte par
,T. de
Frey.
École de Rembrandt. — Les ólèves de Rcmbrandl
sontassez nombreax au musée d'Amsterdam, mais,
sauf les tableaux de Flinck, ci-dessus décrits, et les
tableaux de Gerard Dov, les autres productions de
l'école ne sont pas des plus importantcs, et ce n'est
point ici qu'on pourrait la juger.
De van den Eeckhout, il n'y a qu'un seul tableau,
excellent a la vérité, et d'un ton superbe, digne de
Rembrandt: la Femme adultère (n° 78). Les figures
enpied sont de petite proportion, une trentaine de
centimètres. A droite, un homme vu de dos est d'une
tournure très-originale'.
De Ferdinand Bol, trois portraits seulement et une
cspèce de madone, intitalée dans Ie livret (n° 33) :
1 Le nouv. cat. fait connaitre que ce tableau a étó aclietë
de C. Josi, a Londres, 3,000 florins, et qu'il avait élé vendu,
en 1806, a la vente D. Mansveld, 1,430 florins.
5
-ocr page 65-
50                          MIJSÉE D'AMSTERDAM.
Une Mère et deux Enfants. La femme, a mi-corps,
tieut im enfant debout sur une draperie; composition
encadrée dans une fenètre. Dessin rond et commun;
ni expression, nicaractère. Signé: FBol. fecit, —l'/et
Ie b entrelacés.
Les portraits ont plus d'intérêt; car run est Ie
sien propre, 1'autre est celui de 1'amiral Michiel
Adriaansz de Ruijter, et Ie troisième (n° 32), inti-
tulé un Inconnu, pourrait bien encore ètre 1'artiste
lui-mème.
Dans son portrait authentiqne, Ferdinand Bol a de
longs cheveux, une splondide robe a dessins d'or et
tin manteau rouge. Son bras gauche est appuyé sur
une statuc de Cupidon. Bol avait sans doute des pré-
tentions a la galanterie. La figure, de grandeur na-
turelle, est coupée aux genoux.
Dans Ie portrait d'un Inconnu, Ie personnage,
également a longs cheveux, est vètu de jaune, cou-
leur affectionnée de Bol, sous un manteau violet. La
configuration de la tête ressemble beaueoup a celle
du portrait precedent, mais les traits sont accusés, la
bouche surtout, avec des accents plus énergkmes et
annoncent un naturel difficile et opiniatre. Si ce n'est
pas Ferdinand Bol, ce doit être un sculpteurou un
architecte, car il y a, au fond a gauche, une statue, et,
a droite, une colonne a chapiteau corinthien, en avant
d'un édifice. Signé : Bol 1663'.
1 Le nouv. cat. dit que Ie personnage de ce portrait est «Ie
-ocr page 66-
ÉCOLE DE REMBRANDT.                        51
Le portrait de 1'amiral de Ruijter est très-fort et
très-prócieux. Ilporte la signature et la date 1677.
Gravé par W. van Senus.
De Fictoor, est un Joseph expliquant les songes
dans la prison, faible peinture qui est pourtant
signée : Johanes Victors fc 1648 '.
Un portrait, assez lourd, du czar Pierre le Grand,
est attribué a Aart de Gelder. On lui attribue aussi
une sortc d'étude d'intérieur, sans personnages :
Vestibule avec un escalier.
sculpteur Arthur Quellinus. » — Artus Quellin, lo vieux, né
a Anvers, en 1609, mort dans la même ville en 1668, fut
chargé par la régence d'Amsterdam des statues, cariatides et
bas-reliefs de marbre et de bronze, qui décorent a 1'intérieur
et a l'extérieur l'ancien hotel de ville sur la place du Dam. —
Voir sur les Quellin le Cat. du musée d'Anvers, 1857.
1 La signalure Jan Victors fc se trouve aussi sur un ta-
bleau du musée de Francfort-sur-Mein (n° 154). Le portrait de
Jeune fille du Louvre (n° 169) est signó : Jan Fictoor f. 4640.
Parmi les biographes, les uns pretendent que ce peintre est
Fiamand et élève de Rubens, les auties qu'il est Hollandais et
élève de Rembrandt. On serait assez porté a supposer que Fic-
toor et Victors ne sont pas le mème, d'autant que toutes les
ceuvres attribuóes a ces deux noms ne se ressemblent point.
Le Fictoor du portrait du Louvre est incontestablement Hol-
landais et très-bon sectateur de Rembrandt. Les Victors que
j'ai vus sont, en général, bien moins forts, par exemple la
Prophetesse Arme,
signée J. Victor 1643, a la galerie van den
Schrieck a Louvain; cependant les dates qui suivent 1'un et
1'autre nom sont toujours autour de 1640 a 1650. Qui éclair-
cira la biographie de ce peintre, sur lequel on ne sait rien?
-ocr page 67-
52                          MUSÉE D'AMSTERDAM.
Sous Ie nom de Lconard Bramer et sous Je noin de
Jacob Sandrart se trouvent deux portraits représentant
Pieter Cornelisz Hooft, bailli de Muiden, tous deux en
buste, dans la même attitude et avec des détails abso-
lument idcntiques. Seulement Ie premier, très-pale
et très-faible, est de grandeur naturelle; Ie second ,
très-vigoureux et très-libre d'exécution, estenpetit.
Il
est évident que Ie grand portrait n'est poiut un ori-
ginal, et il est probable qu'il est unc eopic d'un por-
trait de même dimension, dont Ie petit pourrait ètre
une étude'.
Mais cette vive et ehaude étude est-elle de San-
drart? Immerzeel l'attribue a Theodor de Keijser.
Elle tient, en effet, a 1'école de Rembrandt, dont
Theodor de Keijser a subi 1'influence, sans peut-être
avoir cté disciple du maitre.
La familie des de Keizer ou Keijser, nombreuse et
illustre, embarrasse beaucoup les biographes, qui
confondent souvent Hendrik, Pieter, Theodor, Wil-
lem, etc. Ainsi Ie catalogue d'Amsterdam attribue a
11.
de Keizer, né en 1565 et mort en 1G21 , — c'est-
ü-dire a Hendrik2, architecte et sculpteur, qu'on sup-
1 Lo nouv. cat. la-dessus ne change rien a 1'ancien. Il nous
apprcnd seulement que ce prélendu Bramer a été acheté
17 florins (35 francs) en vente publique! et la petite ébauche,
attribuée a Sandrart, 14 florins. Lo portrait a d'ailleurs étó
gravé par A. Bloteling, mais peut-ètre d'après la peinture ori-
ginale, qui n'est pas Ie tableau attribuó a Leonard Bramer.
8 Le nouv. cat. conserve cette attribution u Hendrik, 1'ar-
-ocr page 68-
ÉCÖLE Ï)E REMBHANDT.                        S3
pose 1'auteurde la statue d'Érasme a Rotterdam , —
un « portrait de R. Hoogerbcets, avec sa femme
et ses enfants. » Gette peinture, trop hant placée
et dans 1'ombre, paraitrait ctre plutót de Theodor,
dont nous trouverons un chef-d'oeuvre au musée de
La Hayc. Nous donnerons alors quelques renseigne-
ments sur la familie des de Keijser. — A Theodor de
Keijser resscmble aussi beaucoup un admirable por-
trait,
relégué parmi les Inconnus : Bernard Pre-
vostius, ministre remonstrant (n° 372).
Une bonne peinture de l'école de Rembrandt est
une Jeune fille dans l'embrasure d'ime fenêtre,
h'gure de grandeur naturelle, en buste, parNicolaas
Maas. La tète a beaucoup de YÏe et d'expression. La
main gauche, placée sur 1'appui de la fenêtre, est
a serrer dans sa main. La couleur générale est d'un
beau ton roux. Signé des grosses lettres habituelles
au maitre. Gravé par Lange'.
Le paysage, Vue d'ime forêt avcc une, rivière,
attribué a Pbilip Koninck, n'est pas si authentique,
et ne mérite pas qu'on s'y arrête2.
chitecto et sculpteur, et il donne un monogrammo que nous
u'avions pas découvert: DK, lo k formé dans I'intérieur du D,
etaccolé au jambagc vertical. Mais cc monogramme, qui n'in-
dique aucun prénom, n'est-il point précisément la marque de
Theodor?
1  Provenant de la provineedeGroningue.et acbeté 2,000llo-
rinsen 1829 (nouv. cat.).
2  Le nouv. cat. écrit a lort : de Konir.r. Le pointro signe :
5.
-ocr page 69-
S4                       MUSÉE D'AMSTERDAM.
Jan Lijvens peut être considéré comme un secta-
teur de Rembrandt dont il fut 1'ami. Le portrait de
J. van den Vondel, qu'on lui attribue, n'est pas digne
de lui, qui était un maitre savant eténergique '.
A 1'éeole de Rembrandt se rattache aussi Pieter
Saenredam, qui est censé avoir étudié chez Pieter de
Grebber, qui est censé avoir étudié chez Rembrandt.
De Grebber, en effet, cherche Rembrandt, comme on
le constate par exemple dans ses peintures au pavillon
du Bois a La Have. Le musée d'Amsterdam possède
deux Vues de l'intérieur de la grande église d
Haarlem,
par Saenredam. Sur 1'vin de ces deux
tableaux il y a une signature avec la date 1636. Un
des chef's-d'ceuvre du maitre, Vue de l'ancien hotel
de ville d'Amsterdam,
est conservé a 1'hótel de ville
actuel.
Entin, un tableau porté au nom de K. Slal)baert
se rapproche encore du style de Rembrandt. Il re-
présente une Femme qui coupe du pain (n° 2S8).
La figure est dans le genre de van den Eeekhout, et les
fonds rappellent un peu Pieter de Ilooch2.
Koninck (voir Trésors d'art exposès a Manchester, etc., par W.
Burger, p. 253 et suiv.). Ce prétendu Koninck d'Amsterdam
n'a été payé que 310 florins, a une vente pourtant très-célèbre,
celle deG. van der Pot, a Rotterdam, en 1808.
1 Payé 275 florins, a la vente J. de Bosch, Amsterdam
(nouv. cat.).
1 Vente de la baronne van Leijde van Warmond, 1816,
841 florins (nouv. cat.).
-ocr page 70-
MIEREVELD, VAN RAVESTEIN, ETC.             5a
Nous réservons Gerard Dov, qui viendra après les
peintres de grands tableaux.
MlEREVELD, VAN RaVESTEIN, FrANS HaLS, VAN DER
Venne, Gekard Honthorst, etc. — Un peu avant les
deux artistes — Rembrandt et van der Helst — qui
symbolisent Ie mieux la grande peinture hollandaise,
la Hollande comptait cependant une foule de maitres
très-lbrts et très-originaux ': Miereveld a Delft; Jan
van Ravestein a La llaye; Frans Hals, né a Malines,
mais naturalisé ii Haarlem; Adriaan van der Venne,
de Delft, qui fut peintre de Maurice de Nassau; Ge-
rard Honthorst, que Rubens, lors de son voyage en
1027 dans les Provinces-Unies, alla visiter;—et bien
d'autres.
Le musée d'Amsterdam a quelques échantillons
des peintres de cette génération née dans la dernicre
moitié du xvie siècle, et qui enjamba sur la premiere
moitié du xvne 2.
' J'omels expres van Haarlem, né en 4562, mort en 1637,
quoiqu'il ait eu, de son temps, une grande renommée et qu'il
soit encore Irès-estimé des Hollandais. Mais il avait sacrifió
1'originalité hollandaisa a la mode italienne, qui régna un mo-
ment au xvi" siècle. Le musée d'Amsterdam possède de lui :
Adam et Èue et le Massacre des Innocents, dans un style
pseudo-llorentin, et un mauvais porlrait de D. V. Koornhert.
Le Massacre des Innocents est date de 4b90, et l'Adam et
Ëve,
de 1592, tous deux avec le doublé CC — Cornelis Corne-
liszoon (fits do Cornelis) —et 1'H pour: Haarlem.
2 De la génération précédente, qui occupe le commencement
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S6                          MUSÉE D'AMSÏERDAM.
De Miereveld, un des plus i'éconds portraitistes qui
uit
jamais cxisté, buit portraits, de grandeur natu-
relle,
tous représentant d'illustres personnages, et
presque tous d'une excellente qualité.
C'est d'abord Guillaume le Taciturne, en buste,
avee une inscription grecque. Il n'y a qu'un malheur,
c'est que Miereveld, étant en 1568, ne peut guère
avoir peint
d'après nature le fameux prince d'Orange,
assassiné en 1584. Au pavillon du Bois, a La Haye ,
dans la salie des portraits, on montre aussi un su-
perbe
portrait du Taciturne, qu'on attribue encore ü
Miereveld. Comment croire qu'un enfant de quinzo
ans ait été le peintre du héros de la Hollande'!
Ce sont les deux üls de Guillaume 1": le prince
Maurice, en pied,
et le prince Frédéric-Henri; puïs
le prince Philippe-Guillaume. C'est le célèbre Jan van
du xvi° siècle, il n'y a rien. Deux noms seulemnnt se rencon-
trentdans le catalogue : Lucas van Leijden, a qui on attribuf
faussement un prétendu porlrait de Philippe de Bourgogne, et
van Schoorl, qui n'est pas non plus responsable d'une « Madf-
leine en méditation, » et d'un « Sujet symbolique représen-
tant la fille de Sion *. »
1 C'est, en effol, une copie, par Miereveld, d'après Cornc-
lijsde Visscher.—Gravé par C. E. Taurel et par J. P. Langt?-
— (Nouv. cat.)
* Le nouv. cat. a supprimé a van Schoorl la Hadeleine, mais i*
lui conserve la Fille de Sion. 11 a aussi laissé a, Lucas van Lcijdeï'
le portrait de Philippe de Bourgogne, qui provient des anciennes col"
lections
royales. C'est une raison. Mais ca ne fait pas l'orlglnalité dc
la pcinlurc.
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MIEREVELD, VAN RAVESTEIN, ETC.             57
Oldenbarneveldt, que le prince Maurice fit décapiter
en 1619; e'estle grand pensionnaire Jacob Cats, poëte
et littérateur, dont, plus tard, Rembrandt fitaussi des
portraits; c'est Cornelia ïedingh van Berkhout,
femme de 1'amiral Tromp; c'est Snieltzing, qui com-
battit sous le prince Maurice.
Le plus beau de ces huit portraits est celui de Cats,
en buste, tout vètu de noir, avec une fraise rabattue
et une fourrure brune. Signé et date 1034. — Celui
du prince Maurice est le plus capital. Il est égale-
ment signé, ainsi que celui du prince Philippe-
Guillaume,
en grandes capitales.
De Moreelse, élève de Miereveld, un bon portrait de
Maria van Utrecht, femme de Jan van Oldenbarne-
veldt, et une Bergere, avec des lleurs et des voiles
sur la tête, une houlette a la mam, des draperies jati-
nes. Buste de grandeur naturelle. Exécution froide,
mais assez habile. Moreelse signe souvent d'un mo-
nogramme oü le P est formé sur le premier jambage
del'M'.
De Jan van Bavestein, deux portraits : J. P. Snoek,
peinture tout a fait magistrale, et sa femme Marga-
retha Bal, avec les armoirics de la familie. Mais c'est
a I'hotel de ville de La Haye qu'il faut voir et juger
1 Lo portrait de Maria van Utrecht est signé ainsi: PMo f. A°
\§\'ö.Mta
63—La Bergere aétépayée 2,150 llorinsala vente
Ocke, Leiden, 1817. Elle a été lithographiée par Daiwaille
(nouv. cat.).
-ocr page 73-
58                          MUSÉE D'AMSTEHÜAM.
van Ravcstein, dans les vastes tableaux oü il a ras-
semblé les bourgmestres et échevins de la ville, des
compagnies de garde bourgeoise, des groupes d'otïi-
ciers; car ces grandes représcntations civiques étaient
de tradition en Hollande, avant les chefs-d'ceuvre de
Rembrandt et de van der Helst.
Rubens estimait beaucoup Jan van Ravestein et il
avait un portrait par lui dans sa collection.
Ce n'est point non plus au musée d'Amsterdam
qu'on peut apprécier Frans Hals, cette sorte de Tin-
toret hollandais. C'est a 1'hótel de ville et dans plu-
sieurs autres édifices de Haarlem , qui possèdent ses
compositions principales. L'hótel de ville d'Amster-
dam
aussi a de Frans Hals un grand et magnifique
tableau d'arquebusiers, qui pourrait faire pendant a
ceux de van der Helst et de Flinck.
Au musée on ne trouve de lui que deux toiles,
mais dont 1'une est bien précieusc; car elle offre Ie
portrait du maïtre lui-même, avec celui de sa femme,
tous deux en pied et de grandeur naturelle.
lis sontassis sous de grands arbres; lui, a gaucbe,
la tête de face, un peu renversée en arrièrc et sou-
riante, encadrée dans un chapcau noir a grands bords;
il porte moustache et barbiche; son costume de soie
est tont noir, et sa main droite, gantée de blanc, est
nonchalamment glissée dans Ie pourpoint contre la
poitrine. Pres de lui sa femme en jupon noir, cor-
sagepuce, avec une grande fraise. Elle met sa main
droite sur l'épaule de son mari, par un geste d'affec-
-ocr page 74-
MIEREVELO, VAN HAVESTEIN, ETC.           89
lion badine. Sa physionomie est très-vivante et très-
gaic: bonne commère pour ce diablc d'homme dont
on raconte tant de brutalités; il a pourtant 1'air d'un
vrai gentleman, très-distingué et très-soigné, très-
spirituel et tres-fier. Comme il parait avoir trente
ans environ et qu'il est né en 1584, la peinture doit
ètre de 1615 ii pcu pres. Le fond estun beau paysage
aveeune ouverture de ciel a droite sur un pare, oü se
promènent quelques couples de petites figures, non
loin d'un petit ehateau.
Les grands arbres, les terrains du premier plan ,
les détails des fonds, tout est enlcvé avec la plus tran-
che
adresse, dans une gamme verdatre, du ton de l'o-
live. On sent partout le maitre qui couvre une grande
toile en se jouant, et dans les têtes la finesse expres-
si ve d'un portraitiste consommé.
C'est ce portrait de Hals qui, selon moi, rappellc
la figure de 1'homme au grand chapeau dans la pein-
ture du Louvrc attribuée a Craesbeek (n° 97), et qui
aiderait a prouver que Ie tableau est mal attribué et
décrit incxactement'. 11 serait bien simple que la Di-
rection du Louvre, a qui sans doute rien n'est diffi-
cile, se procurat une photographie du tableau d'Am-
sterdam , comme pièce de comparaison.
La seconde toile de Hals est un portrait d'homme.
Buste de grandeur naturelle; tète de face sous un vaste
1 Voir Trésors d'art exposés a Manchester, etc., par W. Bur-
ger, p. 262 et suivantes.
-ocr page 75-
00                          MUSÉE D'AMSTERDAM.
chapeau noir; pointe de barbe au menton; collercttc
tombante; costume jaune charaois, du ton particulier
a Frans Hals. La main droite ouverte est vue de face
en dedans. Physionomie très-vive; touche brusque et
juste'.
Yan der Venne n'ajamais fait, a ma connaissance,
de figures de proportion naturelle, mais on voit au
musée d'Amsterdam un grand tableau, Ie plus grand
qu'il ait peint peut-être, et qui est un chef-d'ceuvre :
Le prince Maurice, ses frères et ses cousins, d che-
val
(n° 30."). La toile a environ 8 pieds de large sur
4 de haut. Les personnages sont a trois quarts na-
ture. Superbe cavalcade qui n'est point composée
comme un tableau. Le fils du Taciturne, de profil sur
un cheval blanc, est accornpagné de ses frères et de
gentilshommes également a cheval. ïous s'avancent
vers la droite comme une file de procession. Derriere
ce groupe équestre, des pages, des serviteurs et des
chiens. Fond de paysage et de ciel sur lequel se des-
sinent les figures. Dessin correct, tournures élégantes,
physionomies expressives, belle couleur, touche libre
et solide, van der Venne y a mis toutes les fines qua-
lités qui distiiiguent ses petits tableaux, avec une cer-
1 Signé du monogramme F H, l'F formé sur le premier jam-
bage de 1'H. — Vente de la baroime van Leijde, 4816,
385 florins. —" Le portrait de Hals et de sa femme était autre-
fois dans la galerie Six van Hillegom, dont une vente partielle
fut faite en 1852. Il a été payé, a cette vente, 600 florins
(nouv. cat.).
-ocr page 76-
MIEREVELD, VAN RAVESTE1N, ETC.              61
taine grandeur et une fierté très-délibérce. Gravé par
W. Delff.
Le musée du Louvre possède de lui, dans un genre
différent, un délicieux tableau signé et date 1616 :
Fête donnée a l'occasion de la Trève de 1609; avec
paysage et accessoires par Breugel de Velours
(n° 545). Le musée d'Amsterdam, sans le savoir, a
une autre merveille de van der Venne, assez anale—
gue a eclle du Louvre, et qu'il attribue a van Balen'.
C'est bien fraternel de la part des llollandais, de lais-
ser ce cbef-d'oeuvrc a un peintrc flamand. Le paysage
et les menus détails sont d'aüleurs aussi de Breugel
de Velours.
Ce tableau est intitulé : Composition représen-
tant les diverses sectes da christianisme (nu 11).
C'est une piquante satire des adversaires de la Réfor-
1 J'ai vivement reclame contre cette attribution auprès de
M. Engelberls, conservateur de la peinture, et c'est sans doute
d'après mes indications, que le nouv. cat. a restitué ce chef-
d'oeuvre a van der Venne, sous le titre excellent: les Pécheurs
d'dmes (de Zielenvisschcrs).
En étudiant la composition on y
a trouvé, en effet, des allégories singulières', et les portraits
d'Albert etd'Isabelle du cóté des catholiques, les portrails du
prince Maurice et du prince Frédéric-Henri, de 1'autre cóté,
avec les réformés. — Ce tableau a été vendu en 4735, sous le
nom de Breugel de Velours (voir les catalogues de Gerard
Hoet), 730 florins, a la vente de Mauritius de Jeude. Le mu-
sée d'Amsterdam le tient de la galerie du chateau du Loo. Il
ne parait pas qu'on y ait trouvó de monogramme; du moins,
le nouv. cat. n'en mentionne point.
0'
-ocr page 77-
(12                           MU9ÉE D'AMSTERDAM.
mation. Comment van Balen, qui était catholique or-
thodoxe , de gré ou de force, sous le paternel gouver-
nement des Espagnols , aurait-il osé railier ainsi le
dogme romain et les mceurs des hauts dignitaires de
1'Église!
A droite est la foule des catholiques, un nain en
tête, sorte de symbolc grotesqne de la Folie. Derriére
ee Triboulet, acclamé par des gamins, se pressent des
docteurs, des seigneurs, des cardinaux, précédant Ie
pape lui-mêmc, porté en triomphe dans cctte cohue
earnavalesque. Au milieu de la composition, un grand
flcuve, avec des barques pour sauver ceux qui sont
tombes a 1'eau et risquent de se noyer — dans 1'hé-
résie. Car de 1'autre cöté du fleuve sont les protestants,
des milliers de petites figures. Dans le fond, un arc-
en-ciel, qui n'est pas celui de l'alliance sans doute,
mais le signe de la lumière nouvelle.
Si les docteurs hollandais étudiaicnt ce tableau, ils
y trouveraient quantité d'emblcmes et d'allusions
caustiques. La composition est, d'un bout a 1'autre,
une allegorie très-spirituelle, et surtout exccllem-
ment peinte. Le fou et toutes les tètes du premier plan
ont une physionomie et une vivacité incomparables.
11 se pourrait bien qu'il y eüt quelque part une si-
gnature, ou du moins le monogramme du maitre,
qui est un grand A étèté, croisé a 1'inverse par le V,
et contenant sous sa barre horizontale un petit v, pour
faire Adriaan van Venne. Ce tableau, d'ailleurs, ne
ressemble pas plus a van Balen que le tableau du
-ocr page 78-
MIEREVELD, VAN RAVESTEIN, ETC.              63
Louvre ne ressemble a Pourbus a qui on l'a silong-
temps attribué. Van
Balen est un peintre gooflé,
rond, un peu mou, un peu banal; van der Yenne ,
au contraire, est serre et nerveux, et il cisèleses li-
gures comme Ie plus fin médailliste.
La dimension du panneau est d'envirou 5 pieds de
large sur 2 pieds et demi de haut.
Le catalogue attribué a van der Yenne uu tout
petit portrait du prince Maurice au ïit de mort
(n° 306). 4 pouces sur 2, pas davantage. Brimbo-
rion, d'un pinceau assez délicat1.
Pavmi les Inconnus est classé un excellent ta-
bleau qui se rapproche aussi de la maniere de \ani der
Venne. Il représente le prince Maurice avec un de
ses chefs d'armee
(n° 371), tous deux a ehetal , et
face a face, 1'un sur un cheval blanc, 1'autre sur un
cheval rouge. Au fond, un camp, avcc beaucoup de
petites ligures tres-adroitement tournees. Miilheureu-
sement, cette peinture, pleine de caractère et figou-
reuse comme un Cuijp, est trop haut plaeéi! pour
qu'on puisse 1'étudier2.
Les portraits catalogués llonthorst ne sont pas de
sa meilleure execution : un portrait du prince Fré-
1  Attribué maintenant par lenouv. cat. a Cornclis Vicher,
d'après une inscription qu'on a trouvée au revers dn cui-vre :
« Le prince Willem I« sur son litde parade, A° \§&, peint
par le vieux Cornelis Visscher. »
2  Laissé aux Inconnus dans le nouv. cat., qui rioinHne le
génóral: « Stakenbroek. »
-ocr page 79-
«4                           MUSÉE D'AMSTEHDAM.
déric-Heuri et un de sa femme, Amélie de Solms; et
deux portraits du prince Guillaumell, quipourraient
bien ctre de Willem Honthorst, frère de Gcrard'.
Mais on a égaré parmi les Inconnus deux portraits
peitils par Gerard incontestablement, et qui valent
mieux: La comtessc de Solms, veuve de J. W. vau
Brederodc (n° 385), et Sophie Hedwig, femme
du cointe Ernest Casimir de Nassau (n° 389). Les
portraits du comte d'Egmont et du comte de Hoorn,
pendants classes aussi parmi les Inconnus (nos 37G et
377), semblcnt pareillement se rattacher a 1'école
de Honthorst.
Il j a encorc de cc maitre : Un homme joycux
(n° 130), avec unc belle toqae a plumes, et tenant
un violon et un verre. Cette peinture, dans sa pre-
mière maniere hollandaisc, avant sa déformation en
Italië, a de 1'éclat et de 1'ampleur2.
du Jardin.— Qui lc croirait! Karel du Jar-
din, lt peintre des petits anes, des petits troupeauxet
des tergères, des petits cavaliers et des maneges, des
foires et des hötelleries italiennes, Karel du Jardin
ces portraits do Guillaumell est signé (nouv. cat.)
G. Uondhorst, avec de grandes capitales. Gerard signe ordi-
nairefnent d'une toute autreécriture, comme on Ie voit au por-
trait d'^jjiélie de Solms, outre qu'il met un t et non un d a Ia
premiète syllabe de son nom.
5 fajéfi 800 florins a la vente de la comtessc van Moens,
1803 (nouv. catj.
-ocr page 80-
KAHEL DU JARDIN.                             6,'i
rivalise, au ïnusée d'Amsterdam, avec les peintres
de figures en grand, qui ont représenté les person-
nages notables des eorporations publiques ou particu-
lières. Ce n'est pas a dire que, malgré sa science et son
aplomb, il egale ence genre van der Helst, ou Frans
Hals, ou Flinck, ou Bol, ou Ie plus faible d'entre les
autres. Il est a peu pres a Rembrandt, ce qu'est Sas-
soferrato au Titicn. Il est a van der Helst, ce qu'est
van der Werff a Jordaens.
Oui, Karel du Jardin, avcc une toile de 12 pieds
8 pouces de large sur 7 pieds 8 pouces de haut, af-
frorite, au musée d'Amsterdam, les Syndics de Rem-
brandt. Oui
, précisément en face des Syndics , dans
la petite pièce du premier étage, est un grand Re-
yentenstuk
, provenant de la maison de corx'ection
d'Amsterdam ('t Spinhuis), et représentant les cinq
Régents (directeurs) de eet établissement, en pied et
de grandeur naturelle, autour d'une tablc couverte
de velours violet. Le violet était la couleur privilégiée
de Karel.
Un des régents, 1c corps tourné a gauche, la tête
de trois quarts, estassis en avant. Sa main droite, ap-
puyée sur la table ,• tient un papier a éeusson, date
février 1669 et signé : Midelman1; sa main gauche
1 Le nouv. cat. dit: Muylman; Smith dit: Muilmans. Je
cvois avoir Men lu : Midelman, quoique ce nom paraisse se
rapporter a un des personnages qui se nommerait, selon
M. Scheltema : Willem Muylman.
0.
-ocr page 81-
ütt                           MUSÉE D'AMSTERDAM.
est posée sur la hanche. De 1'autre cöté de la table,
un second régent a la inain droite sur un registre et
tend la main gauche a un serviteur qiii apporte un pa-
pier. A ce eoin de la tablc est assis un troisième régent,
mi-tourné a droite; c'est Ie meilleur du tableau. Le
ijuatrième lui fait pendant a 1'autre angle de latable;
le bras gauche appuyé surle dossier de sonfauteuil,
il cause avec le cinquiènic collègue, debout, aceoudé
a un dossier de fauteuil en velours rouge. ïous einq
sont en noir, avec rabat blanc, et grand chapeau noir.
Le fond, d'un grisfaible, simule des colonnes canne-
lées et des groupes de femmes en bas-relief. A droite,
dans la demi-teinte d'une porte ouverte, une servante,
les mains croisées contre sa taille, retourne la tête vers
un jeune hoinme qui lui parle. Le tont supérieure-
ment dessiné, les mains, les têtes, les plis des costu-
mes. C'est irréprochablc, mais très-ennuyeux. La
froideur correcte de 1'exécution rappelle un peu Pbi-
lippe de Champaigne. On pense aussi, malgrésoi,
auxpapiers peints pour tapisserie.
A gauche sur le mur est la signature : Anno:
1669. — Kakel : du : Iardin : fee.
Grande surprise pour les artistcs que ce tableau !
On le donnerait en mille a devincr au plus fin connais-
seur et aux admirateurs des pastorales de Karel.
Tous cespetits maitres hollandais, si habiles dans
les scènes familières et naïves, sur des panneaux d'un
ou deux pieds carrés, se sont perdus quand ils ont
voulu leuter des machines d'une certaine dimension
-ocr page 82-
KAREL DU JAKDIN.                              H7
disproportionnée a leur talent. Nous les trouverons
presquc tous ainsi égarés un moment dans des essais
ambitieux et impuissants : Paul Potter, Berchem,
Wouwerman, Metsu, etc. Et alors ils sont vides, la-
ehes, communs et faux. Toutes leurs qualités delu-
niière et de couleur, de delicatesse et d'expression,
lus out abandonnés. 11 n'y a que les disciples de ltein-
brandt qui aient également réussi en grand et en
petit: van den Eeckhout, Nicolaas Maas, etc.
Dans la même salie, et a droite des Syndics, est
un autre morceau, de la nièrae maniere, et sans doute
du même temps, entre les deux séjours en Italië : Ie
« portrait du sieur Reynst, » qui fut un des amis et
protecteurs de Karel. Figure de grandeur naturelle,
jusqu'aux genoux, sur une toile haute de 4 picds,
large de 3 pieds 4 pouces. M. Reynst a la tètc mie et
une perruque blonde tombant sur ses épaules. Il est
vctu de gris violacé, d'un ton de chocolat terreux. Son
poignet droit est appuyé sur la hanche, et la main
vue du cóté de la pauine; cette main renversée est
très-savante. Fond de paysage et de ciel. Deux lé-
vriers gris accompagnent Ie personnage. Signé, sans
date'.
Les admirateurs ne manquent pas a ce portrait en
fer-blanc : ca rcsonnerait si on toquait dessus; car
c'est creux.
Le musée d'Amsterdam j)ossède aussi un pctit
1 Ce tableau a óté payé 1,000 ilorins (nouv. cat.).
-ocr page 83-
68                           MUSÊE D'AMSTËUDAH.
portrait de Karel du Jardin, par lui-même, sur bois,
haut de 9 pouces seulement et large de 0 pouces et
demi. En buste, presque de face, longs cbeveiix noirs
et plats toinbant sur Ie cou, mincc filet de moustache,
Ie reste de la barbe rasé. Gros yeux saillants, sans
expression; bouche forte et bete. Point de front, ni
de cervelle : la tctc aplatie. La peau terreuse, et Ie
teint de papier maché. L'ensemble du costume est
grisatre,
avec un grand col uni et des manchettes
bouffantes. La main droite, prétentieusement étalée
sur la poitrine, drape Ie manteau.
Cette petite peinture, si triste comme physionomie
et comme couleur, est très-savante de dessin, très-
correete, très-travaillée, et Sinith la qualific « d'ad-
nrirable. » Elle vient, de la collection de M. Muller
d'Amsterdam, oü ellc fut vendue 1,600 florins, en
1827. Suivant Smith, elle est datéc 1662', un an
après Ie Calvaire italien du Louvre (n° 242).
On ne sait point exactement la date de riaissance de
Karel, sur laquelle les biographies et les catalogucs
se livrent aux fantaisies les plus variées et les plus
aveugles. Les catalogues hollandais vont de 1635 a
16'JO! Le catalogue de Paris, qui enregistre un ta-
bleau date 1646, suppose cependant que Karel est né
vers 1633 !
La date 1662 sur ce portrait d'Amsterdam, dans
1 Lo nouv. cat. nc donnc point de date, et je n'en ai pas
vu non plus sur la peinture.
-ocr page 84-
KAREL DU JARDIN.                              69
lequel Karel du Jardin semble avoir trente-cinq a
quarante ans, prouverait qu'il est né de 1620 a 1625.
A cette date 1662, Karel avait déja longtemps résidé
a Rome et se retrouvait peut-ctre dans sa patrie. On
voit qu'il ne porie plus la barbe de bouc qui l'avait
fait surnommer, en Italië, par la Bande académique:
Bokbnard.
G'est un monsieur tout a fait rassis, très-
empesó, très-grave, et posant en maitre; race abso-
lument différente de tous ces braves artistes hollan-
dais, si simples et si naturels, comme Adriaan van
Üstade et Adriaan van de Velde; si fins et si distin-
gués, comme Terburg et Metsu; un pen débraillés
parfois, comme Jan Steen. Aussi maitre Karel, trop
italianisé, ne put se réacclimater en Hollande, et
bientót, avec lc Reynst dont il avait fait Ie portrait,
il retourna en Italië, oü il mourut.
Le portrait (n° 2uO) du Louvre passé également
pour être le portrait de Karel. On croit mcinc rc-
connaitre encore son portrait dans unc figure des
Charlatans italiens (n° 243), dans « le personnage
enveloppe d'un manteau. » Ces deux peintures du
Louvre sont datées de 1657, cinq ans avant le por-
trait d'Amsterdam. Karel aurait donc en alors envi-
ron trente ans. On peut vérifier si les portraits sup-
posés se rapportent a eet age, et au bcsoin les comparcr
a celui d'Amstcrdam, qu'on s'accorde géncralement
a considérer comme authentique. Smith fait j>ourtant
quelques réserves; mais il s'est embrouillé sur ces
deux portraits, qu'il n'avait peut-ctre pas vus.
-ocr page 85-
70                           MliSÉE D'AMSTEKDAM.
Nous retrouvons Ie du Jardin ordinaire dans trois
petits tableaus qui malheiireusenient nc sont pas de
haute qualité : un « paysage, » sorte de ferme hol-
landaise, avec deux anes, des porcs, une chèvre et ses
chevreaux; date 1653, époque du séjour de Karel a
Amsterdam; —L'Auberge italienne, au bordd'une
route; une femme se montrc a la fenêtre; 1'hóte,
avec un plat a la main, s'avance vers deux mule-
tiers, conduisant un cheval gris, un mulet, un fine,
chargés de bagages; Ie tableau est signé K. vv. Gar-
din [sic), ft.; signature fausse sans doute; il se pour-
rait bien aussi que Ie tableau fut apocryphe; —
un Cavalier devant une auberge; excellent petit
tableau, cette fois, et digne de la róputation bien
méritée de Karel dans ces sortcs de sujets. Le cava-
lier, en manteau bleu, sur cheval gris, boit un verre
que lui a donné 1'hótesse, debout pres de la portc;
son chien est couché derriere le cheval, pour lequel
un garcon préparé la ration dans une auge. Sur toile.
1 pied 5 pouces de haut, 1 pied 1 pouce de large'.
Palx Pot jeu. — llclas ! Paul Potter1, comme du
Jardin, a aussi une toile gigantcsque au musée
d'Amsterdam : la Chasse aux ours (nc 220), horrible
ga lette de 11 pieds carrés2.
1  Ces trois petits tableaux proviennent du cabinet van He-
teren, dont 130 tableaux environ furent achetés, deM. Gevers,
héritier de la familie, pour le musée d'Amsterdam.
2  «... IJne Chasse aux ours que je trouve hidcuso, dure,
-ocr page 86-
PAUL POTTER.                                  71
Tous les artistes connaissent, par la gravure ou la
lithographie, Ie famcux Taureau de Paul Potter,
conservé au musée de La Haye. Il y a bicn a dire sur
eet animal de grandeur naturelle, qu'on s'accorde a
considérer comme Ie chef-d'oeuvre du maitre, et que
les Hollandais placent, avec la Ronde de Rembrandt
et Ie Banquet de van der Helst, au-dessus de toutes
les productions de leur éeole. Chef-d'reuvre, soit, et
mème presque unique en son genre. On trouve en-
core, dans la galerie de M. Six van Hillegom, un
autre Paul Potter assez étrange : Ie portrait équestre,
de grandeur naturelle, du chevalier Dcderick Tulp,
frère (de second lit) du docteur Tulp de la Lecon d'a-
natomie.
Lc malheur est que Ie jeune peintre ne se
soit pas contenté de ces deux excentricités plus ou
moins heureuses1.
Sa Chasse aux ours est bien autrement stupéfiante
que les Régents de Karel, et personne au monde n'en
devinerait 1'autcur, si unc signature en lettres énormes
ne s'étalait pas sur un tronc d'arbre : « Paulus
sèche, en bois, sans véritó et ridicule de mouvement. » —
M. Ducamp, Revue de Paris, oct. 57.
1 On lui attribue un quatrième tableau avec figures et ani-
roaux de grandeur naturelle : deux vaches et deux moutons,
un berger et une bergere (liaut. 6 pieds 6 p.; larg. 8 pieds 8 p.);
tableau qui fut exposé au musée Napoléon et restitué en 1815
a la galerie de Cassel (aujourd'hui, n° 527 du cat. de Cassel).
Mais, suivant Smith, a qui 1'on peut se fier, cette grande
peinture est de Camphuysen, imitateur de Paul Potter.
-ocr page 87-
72                      MUSÉE D'AMSTERDAM.
Potter F 1649. » Deux ans après Ie Taureau de
La Haye, trois ans avant 1'établisseinent de Potter a
Amsterdam.
A la vérité, la peinture a été fort dénaturée par
les restaurations, et il ne reste presque plus rien du
maitre. Nous laisserons Smith décrire ce tableau et
en raconter les misfortunes :
« Cette singuliere production de 1'artiste est compo-
séc d'un gentleman a cheval, d'un homme a pied, de
deux ours et de six chiens; et la lutte sanglante se
passé au premier plan d'un paysage découvert.
L'ours, rendu furieux par les morsures des1 chiens,
s'est dressé, et avec une de ses pattes il étouffe \m
chien; avec 1'autre patte, il déchire Ie dos d'un chien
qui lui mord la cuisse; sous ses jarrets, il tient ren-
versé Ie troisième chien, et Ie quatrième se roule ex-
pirant sur Ie sol. En ce moment, un chasseur, tête
mie, épée a la main, arrive au galop sur un jeune
cheval bai et regarde cette boucherie avec une expres-
sion de terreur. L'autre chasseur s'avance prudem-
ment, avec sa lance, de derriére un grand arbre, a
gauche de la peinture1, oü 1'on voit un chien pour-
suivant Ie second ours. A un plan très-reculé, trois
cavaliers arrivent au grand galop.
« Inutile de rechercher quel motif a décidé ce
1 Quand Smith parle de gauche ou de droite, c'est toujours
relativement au tableau lui-même. Dans nos descriptions, au
contraire, c'est toujours relativement au speclateur.
-ocr page 88-
PAUL POTTER.                                  73
peintre distingué a entrcprendre un.pareil sujet, au-
quel évidcmment son génie ne Ie rendait pas propre.
L'ambition ou 1'intérèt peuvent 1'avoir influencé,
ainai qu'il est arrivé a bien d'autres qui, comme lui^
s'étant écartés de leur sphère habituelle, sont tombes
au niveau de la multitude. Se livrer a plus de détails
critiques de la peinture, dans son ctat présent, serait
injuste; car, bien qu'elle tire son origine de Paul
Potter saus contredit, elle a subi tant de changements
et de mutilations depuis qu'elle a quitte son chevalet,
qu'il faut un oeil très-fin 'pour y découvrir tracé de
1'oeuvre originale. Son annihilation finale [its final
annihilation)
date de peu d'années (Ie Ye volume de
Smith, oü se trouve Ie cataloguc de P. Potter, a été
publié en 1834), de 1'époque oü Ie tableau, extrait
du musée de La Haye, fut contié aux mains de
M. Pieneman, — artiste de quelque réputation dans
son propre pays, — qui n'a pas montré, pour 1'auivre
d'un si grand peintre, Ie mème bon sentiment et Ie
mème respect que montrèient en semblablc occur-
rence quelques artistes, se refusant absolument a
poser un pinceau sur la peinture d'un maitre supé-
rieur ; car il semble avoir pris un plaisir particulier
a repeindre tout Ie tableau du haut en bas; de sorte
que ce qui avait été laissé par un ignorant nettoyeur
de peinture, un moderne peintre de portraits 1'a dé-
truit. »
Et en note Smith ajoute: cc Si une gravure a 1'eau-
forte [etehing] sur un verre a boire, datée 1656 (sepi
-ocr page 89-
74                           MUSÉE D'AMSTERDAM.
ans seulement après que la peinture avait été exécu-
tée), aujourd'hui (1834) dans Ie cabinet de M. Moyet,
amateur distingué a Amsterdam, fut une copie assez
exacte de l'original, il se trouve touta feit changé ma-
tériellement, depuis qu'il est sorti des mains du res-
taurateur ; car cette gravure représente Ie chasseur
portant une belle toque a plumes, et les chiens atta-
quent un ours sauvage; il y a aussi un second chas-
seur, monté sur un cheval très-animé, et essayant
avec son javelot de porter un coup a l'ours. »
Ces critiques sont bien rudes pour Ie peintre-res-
taurateur, dont Ie fris est aujourd'hui, coinme son
père, un portraitiste « renommé dans son pays. »
Unautreconnaisseur anglais, M. Nieuwenhuis, qui
avait vu la Chasse d l'ours avant qu'elle fut achetée
pour Ie musée de La Haye', pretend qu'elle était dès
lors perdue. Quoi qu'il en soit, c'est après la restau-
ration par M. J. W. Pieneman Ie père, qu'elle a passé
au musée d'Amsterdam.
La Chasse aux ours, ne doit plus compter véritable-
ment dans 1'ccuvre du maitre. Mais peu irnporte a la
gloire de eet artiste incomparable dans sa spécialité.
La Ilollande et 1'Angleterre possèdent de lui assez
d'autres merveilles, pour qu'on ne regrette pas trop
Ie désastre de cette grande composition, qui fut un
égarement hors de son génie particulier.
1 En 1828, a la ventó van Reenen, a La Haye, 7,000 flo-
rins.
-ocr page 90-
PAUL POTTER.                                  75
Ce n'est pas pourtant au musée d'Amsterdam qu'on
rencontre Paul Potter dans toute sa force. Mais Ie
musée de La Haye etquelquescollections particulieres
en offrent des exemplaires de la plus exquise qualité.
Le musée d'Amsterdam, après sa Chasse aux ours,
n'a que trois Paul Potter: Paysage montueux avec
du bétail
(n° 218); — Orphée domptant les animaux
par les accords de sa lyre
(n° 219); — Un Pdtre qui
se repose et du bétail
(n° 221). Ce dernier petit ta-
bleau n'est pas mème catalogué par Smith. Il n'a
que 10 pouces de large sur 6 de haut. Le berger,
gardant des vaches et des moutons, est assis pres
d'une maisonnette. Ce n'est qu'une sorte d'excellente
ébauche, colorée comme un Cuijp dans de beaux tons
roux. L'attribution a Paul Potter est d'ailleurs con-
testable, quoique le tableau soit signé Potter f 1645.
Ceite absence du prénom Paulus n'est pas habituelle
au maitre.
h'Orphéeest une composition assez capitale, ettrès-
célcbrca cause de la variété d'animaux quele peintre
y a représentés. A gauclie sont de petites collines cou-
ronnées d'arbrcs; a droite, une entree de forèt et une
percée de ciel. Pour premier plan, une prairie oü
1'on voit un chameau, un sanglier, une vache, un
bui'fle, un ane, unbélier, unechèvre, un mouton, et
tout en avant un lièvre; vers le second plan, au pied
de la colline, Orphée, assis, pince de la lyre; der-
riére lui, un chien; devant lui, des lions couchés,
un éléphant, un cheval, une licorne blanche, un loup
-ocr page 91-
76                            MUSÉE D'AMSTEHDAM.
et autres animaux, de toute espèee et de toute taille.
A droite, au bord de la forèt, un cerf. Tout cela est
bien froidement tourné, petitement exécuté, mais
très-curieux. « Chaque objet, dit Smith, est peint
avec la plus scrupuleuse attention dans le détail,
mais on doit avouer que peu de ces animaux ont 1'ex-
pression caractéristique de leur espècc. »
En effet, la béte fauve sort de la compétence du
« Raphaël des vaehes, » comme on aquelquefoissur-
nommé grotesquement Paul Potter. Les lions ap-
partiennent a Rembrandt dans 1'école hollandaise,
ainsi qu'a Rubens et a Snyders dans 1'école flamande.
Het Orphée avec sa menagerie n'était point du tout
1'affaire de Paul Potter, qui n'a rien de sauvage, ni
de mythologique. Le petit troupeau ruminant dans
son paturage. au bord d'un canal, le patre qui regarde
par-dessus une barrière, la laitière qui trait sa belle
vache d'or, des fonds unis, a pertc de vue, avec des
moutons inicroscopiques, voila ce qu'il lui faut.
UOrp/we, sur toile, a environ 3 pieds de large et
plus de 2 pieds de haut. Il est signé Paulus Potter f.
1650. A la vente Lormier, a La Have, 1703, il fut
vendu 1,300 florins; l'année suivante, a la vente van
der Wouw, il descendit a 975 florins. Smith 1'esti-
mait en 1834, 600 livres sterling. On pourrait har-
diment doubler aujourd'hui, et mème tripler cette
estimation.
Le paysage avec animaux est d'une qualité incom-
parablement supérieure. Aussi Smith 1'estimait-il
-ocr page 92-
PAUL POTTER.                              77
1,300 guinées (environ 40,000 francs). Au milieu,
un taureau rouge debout, un bceuf, une vache cou-
chée ; puis un cheval, un ane, un bélier, une chèvre,
deux brebis, un agneau. Pres d'un arbre, a droite,
un berger, debout, joue de la cornemuse; une femme
assise allaite son enfant; leur chien noir est a cóté
d'eux. Sur la gauche, des terrains montueux, oü
paissent des moutons et des chèvres, sont couronnés
d'arbres au grêle feuillage. Les fonds sont assez boi-
sés et 1'on y remarque une tour ronde. Signé et date
1651. Hauteur 2 pieds 3 pouces, largeur 3 pieds
2 pouces. Sur toile. Provenant de la vente van dei-
Pot, 1808, oü il fut payé 10,050 florins. Une répé-
tition de ce tableau fut vendue en 1796, a la vente
Valkenier, 3,025 florins; a la vente Bryan, en 1798,
1,170 guinées. Elle passa ensuite chez Ie duc de
Bedford et fut exposée en 1815 a 1'Institution biïtan-
nique, a Londres'.
Le peintre des Régents et Ie peintre de la Chasse
aux ours
nous amènent, avec leurs petits tableaux,
aux artistes qui ont représenté les scènes familières,
les usages de leurs compatriotes de toute classe, les
divers aspects de la nature dans leur pays, et qui —
si 1'on met a part Rembrandt, van der Helst et quel-
quesautres maitres de la grande peinture, —consti-
1 Le nouv. cat. donnele tableau d'Amsterdam, comme ayant
passé dans les deux ventcs Valkenier et van der Pot, et ne
parait pas connaitre la répétition qui était en 1834 chez le duc
de Bedford (voir Smith).
7.
-ocr page 93-
7K                              MUSÉE D'AMSTERbAM.
tuent spécialement 1'école hollandaise. Peintres de
genre,
comme on les appelle d'habitude; peintres
de mceurs; peintres rustiques ; peintres du salon et
du cabaret, de la ville et de la campagne, des forêts et
de la mer ; peintres de la nature animée et de la na-
ture tranquille; depuis les élégantes conversations
de Metsu, les chassesde Wouwerman, lesestaminets
de vanOstade, les orgies de Steen, les troupeaux de
(Aiijp, les cascades de Ruijsdael et les marines de
Willem van de Velde, jusqu'aux pots de Kalf et aux
fleurs de van Huijsum.
Gerard Dov. — Gerard Dov passé pour Ie pre-
mier des petits peintr.es hollandais, comme son
maitre Rembrandt pour Ie plus grand artiste de la
Hollande.
Cela est vrai de Rembrandt, qui, en effet, domine
incommensurablcment tous ses compatriotes, et a
pris rang dans la pléïade suprême, consacrée, au-
dessus des nationalités diverses, par 1'humanité eu-
tière. Lc Vinci, Michel-Ange, Raphaël, Corrége,
Titien, Velazquez,— Jan van Eyck, Albrecht Dürer,
Rubens, Rembrandt, — comme Dante, Cervantes.
Molière , Shakespeare , Goethe, — appartiennent a
tous les peuples '.
1 M. Théophile Gautier annonce: Les Douze Dieux de la
peinture,
a quoi M. Arsène Houssaye a répliqué qu'il n'en
connaissait que sept. En fait de dieux, chacun se crée ce qu'il
lui plait. Quels peuvent èlre, outre les dix grands hommes
-ocr page 94-
(iliKARI) DOV.                                  79
Reinbrandt est saus pareil dans sou pays — et dans
Ie monde. Gerard Dov a beaucoup d'égaux dans son
pays, quoiqu'il n'ait de semblablcs nulle part. Les
trois Adriaan (Ie nom est de bonheur!) — van Os-
tade. Brouwer et van de Velde, — Aalbert Cuijp,
Paul Potter, Jan Steen, Pieter de Hooch, Terburg,
Metsu, Philips Wouwerman, Willem van de Velde,
Ruijsdael, Hobbema, valent assurément Gerard Dov,
chacun en son genre, et avec un génie différent.
La Hollande a ee privilege unique, d'avoirproduit
plus d'une douzaine d'artistes parfaits en ce qu'ils
sont. Dans les autres écoles, mêine les plus fécondes,
combien comp(e-t-on de peintres hors ligne? Chez les
Florentins: Masaccio, Lconard, Michel-Ange, 1'ra
Bartolommeo, Andrea del Sarto;... chez les Vénitiens:
Giovanni Bellini, Giorgione, Tiziano, Tintoretto,
Veronese;... chez les Espagnols: Ribera, Velazquez,
Murillo, Zurbaran;... chez les Flamands : Jan van
Eyck et Memling, Rubens et van Dijk. Ces grands
hommes dispensent des autres qui, autour d'eux,
obeissaient a la même inspiration et la traduisaient,
avec plus ou moins de talent, dans Ie mème style.
Mais il n'en est point ainsi chez les Hollandais.
Chacun y a son caractère original et sa maniere per-
sonnelle. Gerard Dov nedispense point de van Ostade,
nommés ci-dessus, les deux autres arlisles que M. Gautier en-
tend déiiier pour faire sa douzaine? Paolo Veronese? MurilloV
— Peut-ètre Poussin, en maniere de galanterie a i'école fian-
caise.
-ocr page 95-
80                           MUSÉE D'AMSTEHDAM.
ni Metsu de Jan Steen; Paul Potter n'efface point
Aalbert Cuijp; ni Ruijsdael, Hobbema. Tousontuno
individualité très-distincte, et facilement reconnais-
sable.
Cette qualité, inherente a leur pays de Hbre exa-
men, oü les imaginations, comme les esprits et les
consciences, ont une indépendance absolue, est une
des causes qui ont fait monter Ie prix des peintures
hollandaises.
Les maitres d'une école italienne s'entre-confondent
a ce point que la plupart de leurs tableaux ne sau-
raient être baptisés d'un nom propre et que les
ceuvres attribuées aux peintres même les plus cé-
lèbres sont souvent contestables. En fait de peinture
italienne, on n'est jamais bien sur de ce qu'on a. Les
musées eux-mêmes, a moins d'une tradition directe
et certaine, ne pourraient pas garantir tous leurs
Raphaël ou leurs Titien. Ceux-ci ne sont-ils point
de Palma, les autres de Jules Romain ? On ne donne
pas volontiers 100,000 francs d'un tableau qui peut
être une imitation de 1'école, ou une copic.
Mais avec les Hollandais il n'y a point a se trom-
per, ni a être trompé. La Jeanne d'Aragon, attribuée
a Raphaël, au Louvre, est presque tout entière de
Giulio; mais la Femme hydropique est bien tout cn-
tière de Gerard Dov, et non point de quelquc autre.
Quand une fois un tableau hollandais a été re-
connu, il ne peut plus jamais être méconnu. On 1'a-
chète donc en toute sureté. Le Congres de Munster,
-ocr page 96-
GEHARD nOV.                                   81
de Terburg, sera toujours un Torburg; le Buisson,
de Ruijsdael, un Ruijsdael. Les Hobbema de lord
Hertford demeureront des Hobbema, et c'est pour-
quoi, outre des raisons qui tiennent a leur mérite, ils
valent 100,000 francs.
Le musée d'Amsterdam a quatre Gerard Dov1,
deux de première importance, et deux fort ordi-
naires.
D'abord : « N° 65. Le tableau très-renommé,
l'Ècole du soir » ; ainsi 1'enregistre le catalogue. Le
maitre d'école, en toque rouge, tourné de trois quarts
a droite, est assis de\ant son pupitre, sur lequel sont
une chandclle allumée et un sablier. Il menace du
doigt un petit garcon qui s'en va vers le fond, oü plu-
sieurs écoliers sont assis autour d'une table a peine
éclairée d'une chandelle, pres d'un escalier en coli-
macon par lequel descend unc figure presque imper-
ceptible. Une grande draperie brunatre, accrochée en
haut sur le devaut, cache d'ailleurs la moitié des
fonds, artifice employé sans doute pour mieux con-
centrer les effets de clair et d'ombre sous cette sorte
de rideau de tbéatrc. Devant le maitre, une pelite
1 Le nouv. cat. persiste a donner 1613 comme dale de nais-
sance de Gerard Dov, malgré 1'inscription de la Femme hydro-
pique
du Louvre, oü M. Villot croit lire que « G. Dov avait
65 ans en 1663, » ce qui a déterminé le rédacteur du catalogue
de Paris a inscrirc pour date de naissance, 1598, au lieu db
1613. Les HoUandais ne veulent pas decette date 1598, et ils ont
raison (voir Trésors d'art, etc, par W. Burger, p. 258 et 259).
-ocr page 97-
                         MUSÉE D'AMSTERDAiYI.
fille, vue de profil et penchée contre la table, épèle
des lettres en les suivant du bout de son doigt. A
gauche, autre groupe : jeune garcon, assis et vu de
dos, ócrivarri des calculs sur une ardoise, a la lumière
d'une chandelle que lui tient une fillette debout et
montrant de sa main gauche les chiffres. Enlin, une
quatrième chandelle brüle dans une lanterne posée
par terre, au pied de la table, vers Ie milieu de la
pièce.
Tont cela agencé sur un petit panneau haut de
1 pied 8 pouces, et large de 1 pied 3 pouces. Litho-
graphié par van Loo.
La signature, bien pure, un grand G auquel est
accolé Ie petit dov, se lit au milieu du bas, sur Ie
socle de la table.
Cette précieuse peinture fut payée 4,000 llorinsa
la vente de madame C. Backer, Leyden, 1766, et
17,500 florins a la vente van der Pot, Rotterdam,
1808. Ce qu'on y admire sans doute, c'est ce combat
de chandelles; un tour d'adresse, si 1'on vent, très-
vrai et très-habile.
Pour ma part, je ne suis pas fou de ces espèces de
jongleries en peinture', dont quelques grands maitres
1 « ... On montre ici avec orgueil un Gérard Dow (sic) qui
a une réputalion européenne: l'École du soir; c'est puéril a
force de minutie, c'est peint avec des cils d'enfant nouveau-né,
et j'avoue que je ne me suis pas senti Ie courage de m'exta-
sier sur quatre ditférents effets de chandelle. » — M. Ducamp,
Revue de Paris, oct. 57.
-ocr page 98-
GERARD DOV'.                                 S3
ont pourtant donné l'exemple : Corrége, dans sa fa-
meuse Nttit (1'Adoration des bergers), du musée de
Dresde; Rembrandt, dans une Adoration des ber-
gers
(a la National Gallery de Londres), oü, comme
dans Ie tableau du Corrége, Ie centre de la scène est
illuminé par Ie radieux bambino, lumièrc surria-
turelle et éblouissante qui fait jaunir les torches
et les lanteraes portées par les bergers. Chez ces
magiciens leur caprice est sublime. Mais quand
Honthorst (Gerardo del la notté) voulut imiter Ie
Corrége, il devint faux et n'arriva qu'a la fantasma-
goric. Gerard Dov, cherchant aussi a se créer une
spécialité de ce qui fut chez son maitre une fantaisie
accidentelle, j témoigne sans doute d'une incompa-
rable industrie, c'est Ie mot, mais 1'art véritable n'a
point de ces préoccupations futiles. L'art est plus
spontane d'impression, plus franc dans ses résultats.
j'aiine mieux une tètenaïvementpeinte sous un rayon
<le soleil, que les plus ingénieuses combinaisons de
lumières factices. Et puis, Ie malheur est que pres-
que toujours ces beaux effets de lanterne, de Gerard
Dov, font lanterne, comme on dit dans les ateliers :
la lumière qui éclaire ses figurcs passerait a travers,
si on les regardait de 1'autre cóté.
C'est cette maniere de Gerard Dov qui fut imitée
par Schalcken, et que M. van Schendel s'efforce d'i-
miter aujourd'hui.
Smith (n° 79) vante beaucoup l'École du soir;
mais, après avoir dit que « rien ne peut surpas'ser
KUNSTHISTORISCH INSTITUUT I
DER RIJKSUNIVER$)T£|T UTRECHT\
-ocr page 99-
84                     ML'SÉE ft'AMSTERDAM.
1'effet magicpie de la lumière et de l'ombre dans cettc
peinture, » ilajoute : « Le maitre semble avoir choisi
des difficultés, afin de montrer avec quelle supéric—
rite de talent il saurait les vaincre. Quelques connais-
seurs considèrent ce tableau comme le plus capital de
Gerard Dov, depuis la perte de la fameuse Chambre
de ïaccouchée
', mais 1'auteur n'est pas de eet avis;
car plusieurs peintures de 1'artiste possèdent un plus
haut fini (possess much higher finishing), et sont
plus agréables a la fois dans la composition et dans
1'effet. Il est regrettable aussi que le temps ait un peu
fait pousser au noir cette peinture, — circonstance
qui lui est très-défavorable. »
Gerard Dov, a mon sentiment, est préférable dans
le tableau n° 68, oü il a peint « un Seigneur et une
Damea » au milieu d'un paysage de Berchem.
L'homme est debout, de face, la main droite ap-
puyëe sur une canne. Il a un grand chapeau noir, un
grand col rabattu, bordó de guipures dentelées;
1 La Chambre de l'accouchée (Smith 38), mentionnée par
Dcscamps comme étant, en 1754, chez la veuve van Hoeck,
avait été payée 6,000 florins a la venle d'un membre de cette
familie, Amsterdam, 4719 ; elle passa ensuite dans la célèbre
collection Braamcamp, et a la venteBraamcamp, 1771, elle fut
achetée 44,100 florinspour l'empereurdeRussie; maislevais-
seau qui 1'emportait avec beaucoup d'autres objets de grande
valeur fit naufrage et le tableau fut perdu; il avait deux volets,
peints a l'intérieur par Gerard Dov.
* Le nouv. cat. dit que ces portraits sont ceux de Pieter
van der Werf, bourgmestre de Leiden, et de sa femme.
-ocr page 100-
* r.ERAïtn nov.                           ss
pourpoint et hauts-de-chausses noirs; petit manteau,
d'un noirbrun, sur 1'épaule gauche, et cachant tont 1c
bras qui repose sur la hanche; bottes molles en cha-
mois, et deséperons. Il occupe Ie milieu du panneau.
A droite est assise la femme, tournee de trois
quarts vers lui. Elle a une cornette empesée, faisant
couronne autour de la tète, un col a riches gui-
pures, un corsage camellia. a reflets rouges et argen-
tés, avec des broderies etdeslacets d'or, des manches
brunes, de hautes manchettes bordées de guipures
comme Ie col, une jupe de soie orange foncé, a reflets
verdatres. Sa main droite gantée et appuyée sur son
giron tient un éventail en plumes. Le bras gauche
est abandonné tout droit le long du corps; le gantde
cette main est tombe a terre.
Ces figures ont presque 1 pied de haut. Les tètes
sont merveilleuses; celle de 1'homme surtout, qui est
vivante et fiere. Malgré 1'extrême finesse de la tou-
che, ce n'est ni sec, ni maigre, ni petit. Au contraire,
c'est large et fort. On pourrait regarder ces portraits
par le petit bout d'une lorgnette : ils paraitraient de
grandeur naturelle, réels, francs, solides, comme des
portraits de van der Helst.
La même cxpérience ne réussiraitpas, d'ordinaire,
avec les personnages de Gerard Dov. Vous auriez
beau les grossir par 1'artifice de verres optiques, ils
sembleraient souvent d'ingénieuses marionnettes, dé-
licatement modelées en carton, sur une frêle arma-
ture de fils d'archal. Mais essayez cela sur les petites
8
-ocr page 101-
Sfi                          MUSÈE D'AMSTKHDaM.
figures de Kembrandt, sur sa petite Vierge mère
(n° 410 au Louvre), et vous verrez une vraie femme
en chair sur une charpente d'os.
Le paysage, par Berchem, est un fond de bouquets
d'arbres, assez sombros, sur lesquels se dessinent les
personnages. A droite, un tronc de grand arbre est
coupé par le hautdu cadre; a gauche, entre les feuil-
lages, on apercoit un peu de ciel et un horizon de
montagnes. Sur le premier plan, du mème cèté, un
epagneul roux est tourné vers les personnages. Il y a
aussi un morceau de pierre seulptée, avec un petit
buste. Ce paysage a sans doute poussé au noir, et il
est devenu du ton des Poussin. Ondirait la nuit dans
oette campagne; mais les figures sont frappées de
lumière, et ce contraste sert a les faire ressortir.
La signaturc de Berchem est au bas, a gauche;
celle de Gerard Dov sur le petit buste sculpté.
Le panneau a 2 pieds 8 pouces de haut, sur 2 pieds
de large. — Vente de la comtesse van Moens,
3,200 florins.
Gerard Dov parait avoir eu, durant une certaine
periode, cette maniere peu connue. On en ren-
contre toutefois de beaux exemplaires en Hollande,
notamment dans deux portraits de la galerie Stein-
gracht, a La Haye. Je ne saurais fixer précisément
1'époque de ce style dans la carrière du maitre, mais
ce doit être entre 1650 et 1660. d'après le carac-
tère des costumes. La collaboration de Berchem (né
en 1624) a oe tableau du niusóe d'Amsterdam indique
-ocr page 102-
GEHARD DOV.                                 87
aussi a peu pres cette date. G'était peut-être la vue
des grandes et magnifiques peiiitures exécutées en
Hollande, après la paix de Munster, qui avait in-
fluencé momentanément Gerard Dov. 11 a d'ailleurs
fait, ce qu'on ne sait guère, quelques figurcs de gran-
deur naturelle, — un portrait de sa' mère, par exem-
ple, — au sortir de 1'atelier de Rembrandt'.
Le troisième Gerard Dov est eneore un effet de
lumière: Jeune tille, encadrée dans une fenètre ovale,
avee une lampe a la main. La signature habituclle
est sur le rebord de la fenètre. Très-petit tableau en
hauteur, gravé par Valck. Il était, en 1756, dans la
colled ion van Heteren.
Le quatrième 2 représente un Ermite en prière,
dans une grotte. Il a été payé 1,100 florinsa la vente
van der Pot, Rotterdam, 1808. Sur panneau, hautde
9 pouces, large de 7 pouces. L'ermite a un chapelet
a la main; devant lui, un crucifix.
1 Ce portrait, dit la Mère de G. Dov, était, au temps de
Smith, dans la collection W. Wells. —Lebrun, dans sa Gale-
rie des peinlres flamands,
mentionne une autre grande pein-
ture de Dov, faite au sortir de 1'atelier de Rembrandt, et qui
de la rnllection Braamcamp passa en Angleterre (Smith, no1i0).
Elle représentait Tobie en présence de son père, et avait 3 pieds
et demi de haut sur pres de 4 pieds et demi de large!
J Smith, dont le Ier volume, contenant le catalogue de l'ceuvre
de Gerard Dov, fut publié en 1829, mentionne, comme étant
alors au musée d'Amsterdam, un cinquième Gerard Dov :
Homme assis pres d'une table et jouant de la flüte. Mais ca
tableau n'est plus au musée,
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88                          MUSÉE Ü'AMSTEHDAM.
Gerard Dov affectionnait ces petites tètes ridées
de vieux solitaires, auxquelles se consacra aussi,
presque exclusivement, un de ses imitateurs, Jan
Adriaan van Staveren. Notons une de ces imita-
tions par van Staveren : Vieillard priemt sous
une voüte.
Petit" tableau assez fin, signé en toutes
lettres.
Le plus consciencieux et le plus patiënt des imita-
teurs de Gerard Dov, P. van Slingeland, a deux ta-
bleaux au musée d'Amsterdam : YIntérieur d'une
habitation rustique;
un homme joue du violon; un
petit garcon l'accompagne de la voix; une femme
préparé le diner. Signó : P : V: Slingeland Fecit.
Sur bois. II. 1 pied 6 pouces, L. 2 pieds. «Bel
exemplaire du maitre, » dit Smith. —Et uneespèce
de portrait d'homme en habitjaponais. —Tous deux
du cabinetvan Heteren.
Autre élève de Gerard Dov, — Schalcken, —avec
cinq tableaux : Portrait de Guillaume III, roi d'An-
gleterre, en armure, et éclairé par une torebe; buste
de grandeur naturelle; gravé par M. J. W. Kaiser;
—Jeune femme mettant dans une lanterne une chan-
delle allumée; et pour pendant, Jeune homme assis,
fumant sa pipe; — Chacun sa fantaisie; un garcon
mangedela soupe; un autre mange un ceuf; tableau
signé : G. Schalcken.pinxit; et pour pendant, un
intérieur avec trois hommes; deux causent, le troi-
sième allume sa pipe.
De van Tol un seul tableau: JNU 280. Trois En-
-ocr page 104-
liEKAHÜ DOV.                                 89
f'ants juyeux. Un jeune garcon, appuyé sur Ie re-
bord d'une fenêtre cintrée, tient un chat et lui
montre une souricière. Deux autres enfants Ie regar-
dent en riant. Signé : D. v. Tot. Vente de Mme Heems-
kerk, 1770, La Haye, 420 florins.
Mais Ie meilleur des élèves de Gerard Dov est in-
contestablement Frans van Mieris Ie vieux, qui, ason
tour, et sans compter ses üls et petits-fils, engendra
une foule d'imitateurs. Il ne inanque pas de quelque
originalité, a une place intermediaire entre son niai-
tre et Gabriel Metsu ; et, dans certaines de ses pein-
tures distinguées et rares, il lui arrive d'égalerapeu
pres 1'un ou 1'autre.
Le ïnusée de La Haye et les collections particu-
lières montrent plusieurs de ses petits chefs-d'oeuvre.
Au musée d'Amsterdam, lc catalogue enregistro
deux Mieris : une Femme qui pince de la guitare
(n° 182), eiïet de chandelle, a la Gerard Dov; pe-
tit panneau de 6 pouees, absolument insignifiant, et
mème contestable'; et une Femme qui écrit une
lettre
(n° 181). Elle est assise, en robe de satin jaune,
a une table eouverte d'un tapis de velours écarlate et
sur laquelle est un instrument de musique. Un page
debout pres d'elle attend ses ordres. Sur une chaise
garnie de velours vert, un petit chien endormi. Ce
1 11 provient cependant, selon le nouv. cal., de cabinels cé-
libres*. van Zwieten, 1731, de Fraula, 4738, Lormier, 1763,
et van He teren.
8.
-ocr page 105-
90                         MÜSÉE D'AMSÏEHDAM.
tableau, mentionné par Descamps, a 10 pouces de
haut et 8 pouces de large; sur bois. Il a été payé, en
1765, a la vente Cauwerven, 2,100 florins; en 1771,
vente Braamcamp, 3,610 11.; en 1777, vente Randon
de Boisset, 8,100 francs; en 1787, vente Beaujon,
7,000 fr.; en 1808, vente van der Pot, 2,025 florins.
De Willem van Mieris, fils de Frans Ie vieux :
un Marchand de volailles; de Frans Ie jeune, fils
de Willem : un Ernnte en prière, attribué a Willem
lui-même par Immerzeel.
Un tableau assez curieux, de 1'école de Gerard
Dov, est catalogué comme représentant « Grotius,
agé d'euviron douze ans, dans son cabinet d'études
(n° 89), )> et attribué a Joost van Craesbeek Ie Fla-
mand, né en 1608; or Grotius est né en 1383 ! Le
catalogué n'a point songé au rapprochement de ces
dates. Ce petit portrait, minuticusement fini, ne re-
présente donc point Grotius, et il n'est point non plus
de Craesbeek , 1'élève et 1'ami de Brouwer; il est de;
van Gaesbeeck, dont le nom, oublié aujourd'hui, fut,
assez célèbre. La signature : « A. van Gaesbeeck.
fècit », s'étale en toutes lettres au bas du pan-
neau'.
1 J'ai montré cette signature è M. Engelberts. Le nouv. cat.
a donc misce tableau a van Gaesbeeck, et enregistré la signa-
ture; mais il ne parait pas connaitre ce van Gaesbeeck, ni 1'é-
poque oü il a peint, puisque le personnage est toujours
nommé Hugo de Groot (Grotius) « a 1'ège de 12 ans. » Gaes-
beeck est né bien après Grotius, puisqu'il s'est formé sur
-ocr page 106-
GERARU DOV.                                 91
Hoet, dans ses remarques sur van Gooi, parle de
ce peintre, qu'il nomme Grasbeck, comme d'un pein-
tre de société,
ou de conversation [Gezelschaps-
schilder).
La mème dénomination est appliquée a
Gaesbeeck par les anciens catalogues de ventes, a
propos de ses petits tableaux (dans la maniere de Dov
et de Slingeland), lesquels se payaient alors des prix
considérables. Aujourd'hui ils sont prcsque introu-
vables, et ce n'est pas grand dommage. Je ne connais
de lui qu'un autre tableau, également signé A. van
Gaesbeeck f.,
au musée de Berlin (n° 1021).
A ce misérable petit miniaturiste aboutit la grande
éeole de Rembrandt, après avoir passé par 1'adroit
GerardDov, par Ie fin Mieris, par Ie maigre Schalcken,
par Ie minutieux Slingeland. Quelle antithese de
Rembrandt a Gaesbeeck! les deux extrèmes de la
peinture!
Le style de presque tous les maitres a été ainsi per-
ver ti, de chute en chute, par une succession de des-
cendants illégitimes , dont les derniers ne sont plus
que des industriels aveugles. Raphaël aussi n'a-t-il
pas eu pour arrière-batard — Sassoferrato!
Mais cependant 1'influénce de Rembrandt contri-
bua indirectement a former d'autres artistes de qua-
lité, qui, sans avoir été sesélèves, ont quelque chose,
Gerard Dov et Slingeland. Ce tableau a été payé 41 florins, a
la vente W. F. Taaiman Kip, en 1801. C'est plus cher qu'il
ne vaut.
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92                          MÜSÉE U'AMSTERDAM.
non pas de son style qui est unique, mais de sa pra-
tique.
A. van Ostade. — Adriaan van Ostade est une
sorte de Rembrandt en petit. Il approche bien plus de
ce niattre que Gerard Dov lui-même.
Sans doute, Ie génie de Rembrandt est a une dis-
tance infinie au-dessus de tous les artistes de son
pays; mais ce qu'on pouvait prendre au peintre, sinon
au poëte original et au penseur profond, Adriaan van
Ostade se 1'estapproprié. Dans des sujetsd'un carac-
tère tout dineren t par leur naïveté et leur simplicité,
il a transporté certaines des qualités de Rembrandt:
la transparence des onibres, qui résulte beaucoup d«
la maniere de peindre les fonds en frottis légers;
1'harmonie générale, qui résulte d'une dominante
(comme on dirait en musique), courant surlesnotes
variées et assurant leur accord. La gamme de sa cou-
leur est souvent la même que celle de Rembrandt,
dans un ton roux qui se dore aux accents lumineux.
Excellent peintre que ce van Ostade, et un des plus
parfaits de 1'école hollandaise, comme exécution. Les
plus malins critiques ne sauraient a quoi s'attaquer
dans ses peintures, — si ce n'est aux sujets. Mais vrai-
ment il y a temps pour tout. L'ltalie catholique a fait
des dieux et des héros. Laissons la llollande nous
faire un peu des hommes et des bohémiens. Est-ce
que Ie Sganarelle de Molière ne vaut pas 1'Agamem-
non de Racine ?
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VAN OSTADE.                                   83
Un des deux tableaux de van Ostade au musée
d'Amsterdam est 1'Intérieur de son atelier (n° 205),
oü il s'est représenté lui-même, assis devant son che-
valet et peignant quelque belle scène ostadesque.
Malheureusement on ne Ie voit que de dos et de profil
perdu. Il n'a point pensé a montrer sa bonne physio-
nomie honnète et joviale, mais a se placer comme il
faut pour avoir sur sa toile une vive lumière qui vient
de gauche par une large fenêtre. Il porte une barrette
rouge sang, et un pourpoint d'un violet glacé d'ar-
gent. Un de ses rapins préparé une palette dans la
demi-teinte, et un autre broie des couleurs. Car les
Hollandais faisaient souvent eux-mêines la cuisine
de leurs couleurs, et eest a cela en partie que leur
peinture doit sa conservation. Devant Ie broyeur
est un petit chien noir couché. Divers bibelots d'a-
telier sont épars ca et la. Mais presque tous ces dé-
taüs sont noyés dans Ie clair-obscur, la lumière
étant réservée pour 1'important personnage si occupé
au travail.
Il y avait, sur une table a gauche de la fenêtre,
une signature, indéchiffrable aujourd'hui. Le pan-
neau n'a que 1 pied 1 pouce de large sur 1 pied
4 pouces de haut.
Yan* Ostade lui-même a gravé a 1'eau-forte cette
composition, dont le musée de Dresde (n° 1218) pos-
sède un duplicata. Descamps mentionne un de ces
deux tableaux comme étant a son époque dans la col-
lectiondeM. Bouxière. Celui d'Amsterdam provient,
-ocr page 109-
91                          MUSÉE D'AMSTEHÜAM.
je pense, de Ja vente Pourtales, en 1 826, oü il fut payó
405 livres sterling, après avoir été payé 2,901 francs
a la vente Grandpré en 1809. Ce n'est pas cher pour
unchef-d'oeuvre'.
Le second van Ostade est intitulé : Béunion villa-
f/eoise
(n°204). Mème dimension que le precedent. Il
a 1'avantage d'être signé et date : A. Ostade. 1671. Le
peintre avait déja soixante etun ans, mais on ne s'en
apercoit guère. La touche est toujours leste et ferme
a la fois. Bien plus tard, le vieux maitre faisait encore
des tableaux irréprochables.
Dans une cour d'cstaminet, sur un banc ombragé
d'arbres, sont assis deux hommes qui causent : 1'un
a droite, vu de profil et tenant sa pipe a la main, est
un chasseur dont le fusil et la camassière sont dépo-
sés la tout pres; il a une toque tourterelle, une veste
rosatre et une culotte d'azur, toutes coideurs de ber-
ger. Son partner, pour écouter a 1'aise, s'est débar-
rassé de son chapeau gris, de son havre-sac et de sa
pipe, qui font trophée sur un escabeau en avant; mais
il n'a point abandonné le piot, qu'il serre dans sa
main. Entre eux deux, 1'hötesse, debout, de face, ap-
1 Le nouv. cat. ne parle point de ces provenances, et cite
seulement la vente van der Pot, avec le prix de 600 ffotïns. Il
a lu pour signature les deux iniliales A O. II intitulé le tableau
simplement: Intérieur d'atelier, avec un peintre quelconque,
sans doute parce qu'on ne voit pas assez Ia figure du person-
nage pour y reconnaitre Ostade. Mais la tradition constante est
que c'est le portrait du maitre.
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VAN OSTAuK.                                        f>5
puyée sur Ie dossier du banc. Derriére elle, la maison,
et a gauche, en plein air, cinq ou six petites figures
de buveurs.
« Belle peinture, » dit Smith. Mais cependant ou
en trouve d'autres bien supérieures, au musée de La
Haye et dans les collections particulières.
Isack, comme son frère, n'a au musée d'Amster-
dam que. deux tablcaux, très-bons tous les deux : un
Paysan qui rit,
son pot de bière a la main; signé:
Isack van Ostade; — et des Voyageurs arrêtés d la
porte dun cabaret de village;
provenant des ventes
Fouquet et van der Pot.
A la suite des van Ostade il faut ajouter les élèves
d'Adriaan : Cornelis Bega et Cornelis Dusart. CeJui-ci
a trois tableaux: une Poissonnerie, vantée par Immer-
zeel; signée, avec la date 16S3, et payée 1,663 florins
a la vente van der Pot; — une Vue de village, et
une Cour de cabaret, avec beaucoup de petites fi-
gures. Bega, deux tableaux : un Vieillard dam
son cabinet d'étude,
peinture un peu grise, qui pa-
rait chercher Gerard Dov; et une Réunion rustigue,
oeuvre de premier ordre pour Ie maitre, et signée :
C, bega [sic).
lei encore je rassemblerai quelques artistes secon-
daires, mais non pas sans talent, qui ont traite des
sujets analogues a ceux des Ostade.
Je n'ai point a parier du condisciple d'Adriaan van
Ostade chez Frans Hals, — de Brouwer, puisque les
deux tableaux qu'on lui attribue, et qu'Immerzeel
-ocr page 111-
9,6                          MUSÉE D'AMSTERDAM.
cite de confiance ', ne sont que de misérables copies
de 1'école de Breugel Ie vieux2.
Mais il y a de Brekelenkamp deux excellents ta-
bleaux. On a supposé que ee maitre avait travaillé
chez Gerard Dov; il ne lui ressemble point, comme
pratique; mais il est évidemment sectateur d'Adriaan
van Ostade. Sa touche est ample et simple; ses per-
sonnages sontsolides, naïfs, franchement plébéiens.
Dans un de ses tableaux, un vieillard a barbe blan-
che est assis devant un rouet; un pêcheur, habillé de
noir et coiffë d'un grand chapeau, tenant d'une main
sa ligne, de 1'autre main son panier a poisson, entre
dans eet intérieur. Le pendant représente un autre in-
térieur avec deux figures; Brekelenkamp ne mettait
jamais beaucoup de personnages dans ses composi-
tions. Un bonhomme a barbe blanche, vu de profil,
allume sa pipe dans un réchaud; un autre homme,
assis , tient un pot. A gauche, une cheminée. Fond
neutre. Signé Q. Brekelenkam {sic) 1664. Les deux
tableaux viennent de la vente van der Pot.
Arij de Vois a aussi, au musée d'Amsterdam, un
de ses bons ouvrages : un Homme joyeux, tenant
un verre de vin et un violon. Cet homme joyeux
porte un chapeau brun et un manteau noir. Son teint
1 M. Maxime Ducamp, dans la Revue de Paris, les cite aussi
comme originaux d'Adrien van (sic) Brouwer.
8 Rejetésaux Inconnus dans le nouv. cat., d'oü le nom de
Brouwer a disparu.
-ocr page 112-
VAN OSTADE.                                   91
coloré rappelle en petities types de Jordaens. Le ta-
bleau, signé a droite, provient, je crois, de la vente de
la baronne van Warmond, oü il fut payé 900 flo-
rins.
Un deuxième Arij de Vois est intitulé : Marchand
de poisson en bonne humeur
(n° 314). Signé, comme
le precedent: A D Vois, 1'A, le D, le V emmêlés en
monogramme.
Brakenburgh — il signe ainsi d'habitude (au mu-
sée de Yienne, par exemple, deux tableaux), etleca-
talogue d'Amsterdam a tort d'écrire le non sans Yh
final, — Brakenburgh est censé élève de Mommers,
imitateur de Berchem. Maïs il a bien plus d'adhé-
rence a 1'école des Ostade et de Jan Steen. Le seul
tableau de lui au musée d'Amsterdam, Réunion
rustique
(n° 37), ne suffit point a le faire connaitre.
Passons.
Un tableau de Thomas Wijck, peintre habile, dont
la biographie est assez obscure, semble aussi se rap-
porter a 1'école des van Ostade : Intérieur avec une
femme qui file.
Mais il est trop haut pour qu'on
en puisse parier.
Ce Thomas Wijck, né a Haarlem en 1616, a peint
des sujets bien différents : des intérieurs de paysans,
des alchimistes, des ruines, mème des marines; même
un sujet turc avec des figures de grandeur naturelle,
suivant Walpole. Il avait passé quelques années en
Italië, oü il imita, un moment, le Bamboccio. Il vint,
sous la restmiration (Charles II), habiter 1'Angle-
9
-ocr page 113-
96                          MUSÉpl D'AMSTERDAM.
terre, oü il mourut en 1682 '. Son portraitet celui de
sa femme ont été peints par Frans Hals. Il a gravé
très-spirituellement quelques eaux-fortes. Son fils,
plus connu que lui, quoiqu'il nelevaille pas, fit sur-
tout des batailles, et il sert de lien entre Philips
Wouwerman, dont il fut sectateur, et Jan van Huch-
tenburgh, qui fut son élève. L'Angleterre, oü il se
maria, oü il eut plusieurs disciples, et oü il mourut en
■1702, possède quantitéde ses tableaux, quelques-uns
d'assez grande dimension. Il a peint des chevaux dans
«erlaines compositions de K nelier, et il a laissé un
]ivre de dessins de chasses.
Kalf encore. Il a étudié chez Henri Pot; maïs, a
son maiti'e si fin et un peu minutieux, il semble avoir
préféré la touche et Ie ton d'Adriaan van Ostade. Sa
Nature morte (n" 152) est une vaillante peinture,
d'une couleur chaude et énergique.
Pletek de Hooch. — Comme Adriaan van Ostade,
ij tient de très-près a la methode rembranesque, «&
peui-être découvrira-t-on quelque jour qu'il a tra-
vaillé chez fiernbrandt, ou peut-ètre chez Nicolaas
Ses tableaux sont très-rares, même en Hollande.
Lesiausées de La Haye et de Rotterdam n'en ont poiut!
J Le nouv. cat. dit, a tort je pense^ 1686. — Voir Walpole,
Anecdotes of painting in England, etc, London, 1782, t. 111,
p.249.
-ocr page 114-
PI ETER DE HOOCH.                             
mais Ie musée van der Hoop en a quatre; les collec-
tions van Brienen, van Hillegom et van Loon, plu-
sieurs très-importants.
Le musée d'Amsterdam n'en a qu'un, et un petit
portrait qui passé pour être le portrait de 1'artiste,
j)eint par lui-même a 1'age de dix-neufans. Je erois
que M. Charles Blanc en a publié une gravure sur
bois dans!''Histoire des peintres. La tète est sérieuse,
1'opil profond, la peinture large et solide, autant qu'on
en peut juger a la hauteur oü ce précieux petit pan-
neau, qui n'a pas 1 pied carré, a été accroché en
mauvaïse lumière. Il serait pourtant bien interessant
de s'assurer d'abord si l'oeuvre est de Pieter de Hooch'.
Encore resterait-il a constater que ce portrait le repré-
sente lui-même. De cela je ne sais, quelles raisons peu-
vent ètre données : une tradition plus ou moins ob-
scure, sans doute. Car on ne connait presque rien de
la \ie de ce grand artiste, qui probablement, comme
Cuijp, Hobbemaet plusieurs autres, ne fut pas estimé
a sa valeur par ses contemporains : 1'observation est
de Smith.
M. Viardot signale un autre portrait de Pieter de
1 Le nouv. cat. donne le monogramme DH, pres duquel
est 1'inscription : JZtatis 19. Voila pour 1'originalité de la
peinture ; mais cela ne dit rien pour le personnage. Ce tableau
a été acheté en vente publique a Amsterdam. — Le cat. écrit
le nom : de Hooge, ce qui est plus conforme a 1'orthographe
reguliere, mais le peintre lui-même, dans ses rares signatures,
écrit habituellement: de Hooch.
-ocr page 115-
100                         MUSÉE D'AMSTEHDAM.
Hooch dans la galerie du comte Czernin, a Vienne.
On pourrait, au moyen de la photographie, comparcr
ces deux têtes pour voir si elles se ressemblent.
Mais, quoiqu'ilen soit de ceportrait, Ie tableau re-
présentant un Intérieur, sorte de vestibule pavé de
dalles jaunes, est une belle produetion du maitre. Il
a pres de 2 pieds de large, et 2 pieds 2 pouces de haut;
sur toile. Jl provient de collections célèbres : J. de
Bruyn, Amsterdam, 1798,2,600 llorins'; Smeth van
Alpen, 1810, 3,023 florins; madame Hogguer, Am-
sterdam, 1817, 4,010 florins. Smith (1833) 1'esti-
mait 600 guinées. Il faudrait doubler cette somme
aujourd'hui.
L'effet de lumière est prestigieux, comme tou-
jours. A droite,au fond du vestibule, une porte ou-
verte laisse voir un petit salon resplendissant, dont
la fenêtre, ouverte aussi, donne en plein air. ïrois de-
grés de jour très-différents ! Dans Ie petit salon, une
chaise avec un coussin, et, au-dessus de la chaise,
un portrait d'homnie accroché au lambris.
A gauche, de cöté, dans la première pièce éclairée
par une petite fenêtre, une autre porte entrebaillée,
d'oü sort une femme de profil a droite, donnant un
pot a une petite fille, de profil en vis-a-vis. La femme
est coiffée d'un serre-tête blanc; elle a un caraco rouge
a manches bleutées , un jupon bleu perse. La petite
fille est vêtue de gris perle, avec un beau bonnet
1 « J. J. de Bruin, 1765,450 florins, » suivant Ie nouv. cat.
-ocr page 116-
UiS CÜIJI'.                                 101
brode. Öes cheveux blonds en désordre couvrent pres-
que tout son visage. Elle avance gentiment sa petite
main gauche vers Ie pot. Cest délicieux de naïvete
dans les personnages, et superbe de simplicité dans
1'ensemble. Signé : P. D. IL, sans date.
Nicolaas Koedijk a-t-il été élève de Pieter de
Hooch? S'il est né, comme on Ie dit, en 1681 seule-
ment, c'estun peu tard; il est vrai qu'on ne sait point
quand moiirut de Hooch. En tout cas, Koedijk la
iniité supérieurement. Le petit portrait en pied du
lieutenant-amiral P. P. Hein, qu'on lui attribue au
musée d'Amsterdam, parait très-fort; mais il faut do
bons yeux pour le deviner a trois mètres en 1'air. Ces
maitres rares devraient, quoique secondaires dans
1'écolc, avoir des places choisies enlumière favorable.
Au ïnusée van der Hoop, on retrouve ce Koedijk
i dansun deses meilleurs ouvrages.
Mais, pour suivre la lignée de Rembrandt, j'ai
laissé en arrière un grand peintre qui était né trois
ans avant lui, et qui se classe auprès de lui dans 1'é-
cole hollandaise : Aalbert Cuijp.
Les Cüijp. — De Jacob Gerritz, pèred'Aalbert, et
fondateur de la société des peintres a Dordrecht, oü
il résidait et oü naquit Aalbert, les tableaux sont
presque introuvables. La France et la Belgique n'en
ont point, du moins dans les musées et dans les gale-
ries notables. En Allemagne, jene trouve qu'au mu-
t>ée de Berlin (n° 743) un portrait de vieille femme,
9.
-ocr page 117-
102                         MUSÉE D'AMSTERDAM.
signé I. G. Cuijp fecit, Anno 1624; au musée de
Munich (n°454, 2e série), une Vue de ville au bord
d'un large fleuve, et au Stadel'sche Institut de Franc-
fort-sur-Mein, un portrait de femme (n° 241). Le
citalogue de la galerie Lazienki, a Varsovie, men-
tionne aussi un portrait d'homme, par J. G. Cuijp.
En Hollande, je ne connais que le tableau du mu-
sée d'Amsterdam. Peut-être y en a-t-il d'autres
dans des collections particulières que je n'ai point
visitées.
Le tableau du vieux Cuijp, au musée d'Amsterdam,
est donc très-précieux. C'est, de plus, une excellente
peinture. Il est intitulé : Tableau de Familie (n° 59),
et il représente, suivant Immerzeel, la familie du
peintre Cornelis Troost; familie gaillarde et nom-
breuse : la grand'mère, le père et la mère, quatre
garcons et deux filles, tous un peu courts et trapus,
du moins telsque les a faits 1'artiste.
Aalbert aussi, comme son père et son maitre, a
toujours carrément établi ses personnages, gentle-
men ou paysans, cavaliers ou patres. La sveltesse
et Félégance ne se rencontrent que par exception
dans la race hollandaise, et dans ses interprètes plas-
tiques.
Pres de la familie Troost, qui s'en va se promener
en fète quelque part, est une charrette attelée d'un
beau cheval noir, de ces types frisons qu'Aalbert lui-
même s'estplua rej)roduire. Les têtes, les costumes,
l'espèce de paysage, un peu étouffé, sur Iequel se
-ocr page 118-
LES CUIJP.                                103
dessine Ie groupe, tout est peint magistralement, lar-
gement, a pleine patc, et d'un ton vigoureux'.
Pour Aalbert, ce n'est pas au musée d'Amsterdam,
ni même dans les autres musées de la Hollande,
qu'on peut 1'apprécier. Dans quelques collections pri-
vées, oui; mais surtout en Angleterre, oü quantité do
ses oeuvres superbes ont cté importées.
Le musée d'Amsterdam n'a qu'un seul tableau
d'Aalbert : Paysage entrecoupé par vne rivière
(n° 60). Le catalogue ajoute cependant, n° 61, Un
Combat de cavalerie"*.
Je n'ai jamais deviné a quel
tableau apocryphe pouvait s'appliquer cc titre. Je ne
sache pas qu'Aalbert ait jamais représente de bataille,
et, sur 277 numéros de son catalogue, Smith n'en
mentionne pas une.
Le paysage, sans ètre de premier ordre, a de belles
parties, et surtout une lumière juste et profonde.
Aalbert Cuijp n'a point volé son surnom de « Claude
hollandais.
» On sait toujöurs quelle heure il est
dans ses paysages, et quelle saison.
lei nous sommes en automne, le matinl Au pre-
mier plan, a droite, deux grands arbres; a gauche,
1 Acheté de Mme Schol, a Amsterdam, 600 florins (nouv.
cat.).
1 Le nouv. cat. atlribue toujours ce tableau a Cuijp, et il
en donne la signature, qui est évidommenl apocryphe :
« A Cyvp. » II suffit de la comparer a la signature de 1'autre
tableau, oü le nom, comme d'habitude dans la seconde ma-
niere du mattre, est écrit : A. cuijp.
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104                         MUSÉE D'AMSTEHDAM.
un honunc sur unane, et unhonime apied, en veste
rouge. Au milieu, quatre vaches qui s'en vont paitre,
etune bergere sur son ane. Au second plan, une ri-
vière, des arbres, une tour; et pour fond, des mon-
tagnes.
Le tableau, sur toile, a plus de 3 pieds de large sur
environ 3 pieds et demi de haut. Il a été payé 3,800 flo-
rins ala vente van der Pot, Rotterdam, 1808.
A cóté de Cuijp il convient de niettre son ami et
collaborateur Aart van der Neer*, dont on voit au mu-
sée d'Amsterdam un Effet d'hiver, assez ordinaire,
mais bien authentique, et signé du monogrannne
A. V. entrelacés, suivis de 1'N accolé au D.
D'Eglon van der Neer, qui travailla d'abord chez
son père et imita ensuite différents maitres, notam-
ment Terburg, il y a aussi un seul tableau : le Jeune
Tobie avec l'ange.
Signé: E. H. van der Neer f.
1644.
Aalbert Cuijp, comme on sait, était« un vrai gentle-
man, » qui peut-être, on le suppose, peignait par
vocation et par plaisir; on dit aussi qu'il était calvi-
niste rigide. En contraste, je prendrai donc après lui
une des figures les plus débraillées de l'école hol-
landaise : maitre Jan Steen, le franc rigoleur, ex-
cellent catholique, du reste; 1'humoriste spirituel et
profond, qui semble avoir choisi, pour texte de ses
peintures, la comédie humaine.
Jan Sjuen est au grand complet dans les niusées
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JAN STEEN.                                in;;
de la Hollande : Ie musée d'Amsterdam en a 8; Ie
musée van der Hoop, 5 ; Ie jnusée de La Haye, 6; Ie
musée de Rotterdam, 3; sans compter des chefs-
d'ceuvre dans les collections particulières.
Les Hollandais estiment beaucoup Jan Steen, et Ie
tiennent, avec raison, pour un des maitres les plus
originauxde leur école. lis s'y reconnaissent, par un
certain cöté, dans quelques-uns de leurs trans natio—
naux. Mais Yépopée de Jan Steen va plus lom que Ie
caractère d'un peuple, elle touche au fond même de
1'humanité.
Il a eela de commun avee Molière, — et aussi avec
Balzac, — que, dans sa comédie humaine, ce sont
d'habitude les meines personnages qui reviennent,
jouant toujours un role analogue, quoique dans des
pièces différentes. Comme Molière, il a ses Sgana-
relle, ses Arnolphe, ses Dorine; toute une troupe
bien apprise, consacrée a Bacchus et a Yénus; jeunes
vauriens et vieillards ridicules, duègnes et soubrettes,
grosses commères et capricieuses fillettes, buveurs
très-illustres et ribauds très-précieux.
Lui-mème est presque toujours de la compagnie,
trinquant avec les autres et leur versant a boire, tan-
töt jouant du violon pour les faire danser, tantöt les
regardant en philosophe, de quelque coin ombreux
oüil fume sapipe.
11 n'y a pas vine omvre de Steen qui ne soit une
raillerie sur les moeurs ou sur les passions.
Ses sujets peuvent se classer en quelques séries
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106                        MUSÉE D'AMSTERDAM.
principales, sortes dechapitres de Ia même farce pan-
tagruéiique.
Les Intérieurs de familie, oü 1'on se réjouit tous
ensemble, depuis Ie grand-père jusqu'aux nourris-
sons : fêtes des Rois, fètes de la Saint-Nieolas, fctes
du bon Dieu et du bon Diable, oü la table est toujours
dressée au milieu et couverte de jambons et de broes;
sur les genoux du vieux bonhomme sautille un petit
enfant en chemise et en bourrelet; au sein de la
grosse jeune mère tette un baby; Ie père enseigne a
un de ses garcons 1'art de fumer. Maïs tous ont tou-
jours une main occupée a tenir un verre.
Quelquefois la scène se passé entre Ie couple mari-
tal qui se grise en tête a tête; mais, tandis qu'ils chan-
tent a table, les enfants cassent tout dans la maison,
et, parquelqueporte entr'ouvertc, on apercoitdans Ie
fond la meisjie (la meschine, la servante) qui fait I'a-
mouravecson galant.
Quelquefois Ie mari et la femme dorment en pen-
dant, pres 1'un de 1'autre, mais, chacun tourné de son
cóté, 1'un accoudé a la table, 1'autre renversée sur sa
chaise; ou bien 1'homme lit, et la femme qui s'en-
nuie, s'endort.
Quelquefois la femme est en train de rire avec son
amant, lorsque arrive Ie vieux mari.
Les Noces se rattachent a cette comédie de la fa-
milie. Avec un vieux tout pimpant et très-cossu, les
garcons de nocc poussent narquoisement la jeune ma-
riée, fraiche et gaillarde paysanne, qui hésitc a « sau-
.___
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JAN STEEN.                                   107
ter Ie pas. » üu bien les épousés sont jeunes tous deux
et se font des tendresses; mais quèlque fumeur, assis
sur un tonrieau, ricane en les regardant passer, et se
demande combien ga durera.
Les Orgies, — chapitre Bacchus, — intérieurs
d'estaminet, oü les hommes boivent et braillent;
mais voila qu'au seuil de la porte, une femme chargée
d'enfiints vient appeler son ivrogne qui n'y prend
garde. Kermesses en plein vent, oü 1'on danse, oü
1'on joue aux boules et aux quilles, oü 1'on se roule
sur des gerbes, oü 1'on badine sous des treilles.
Franche gaieté, point de souci! On ne s'amuse ainsi
quechez Rabelais.
Les Médecins, charlatans et alchimistes. Le méde-
cin d'amourettes — chapitre Vénus — est surtout
le triomphe de Jan Steen. Ce n'est pas tant le méde-
cin qu'il a plaisanté, que 1'amour féminin qu'ila cé-
lébré. Il s'agit toujours de quelque jolie fille, qui n'a
guère 1'air malade, et ce n'est que grand hasard si
elleen est venuejusqu'aux pales couleurs.
Parfois le vieux docteur est-très-sérieux et semble
de bonne foi consulter toute sa conscience pour remé-
dier a une pareille désolation, passagere heureuse-
ment. Le spectateur devine très-bien la cause du mal,
— a un billet doux, chiffonné devant le miroir, — a
un. petit portrait en medaillon que la fillette n'a pas
eu le temps de cacher tout a fait sous son oreiller.
IVest-ce pas la un comique comme celui de Molière,
dansles scènes oü Arnolphe écoute complaisamment
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108                        MUSÉE JVAMSTERDAM.
les confidences et les contes du jeune Horace, tandis
que Ie spectateur du théatre comprend la tromperie
d'Agnès?
D'autres fois, Ie médecin, qui connait 1'affairer..
sourit a la duègne dissimulant sous son tablier fVn-
strument de Diafoirus, et, par un signe grotesqueTif
indique Ie moyen de sauver la belle défaillante.
D'habitude, pendant ces graves consultations, oü
Ie médecin regarde Ie soleil a travers un bocal mys-
téricux, arrive quelque page avec un papier plus sa-
lutaire que les drogues pharmaceutiques; ou bienr
par une fenêtre on entrevoit un jeune cavalier qui
rode et qui cntreratout a rheureacheverlaguérison.
En certains cas compliqués et dése^pérés, Ie re-
mede de Jan Steen est un paté qu'on apporte avec
une grosse amphore et de gentils verres en cristal.
C'est, par exemple, quand ily a la, pres de la ma-
lade, un vieux Dandin qui Jasurveille. Il s'agit de
faire passer Ie temps, en atteni|ant que Ie bonhommc
aille vaquer dehors a ses affaires. L'amant n'est pas
loin.
Outre les gais bohémiens ei les jeunes sentim|n-
tales a talons courts comme on disait au xvi* sièqle,
les écoliers sont encore les favoris de Jan Steen. Son
système d'éducation, de même que son système mé-
dical, repose également sur la nature et la liberté.
Dans ses Écoles, on n'apprend rien d'inutile, car Ie
magister dort Ie plus souvent; et les jeunes citoyens
s'apprennent tout sculs a faire des cocottes avec leurs
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JAN STEEN.                                   109
livres ou a dessiner sur la muraille la silhouette du
pédagogue qui rontle. Oh! les bons petits Panurge
que ca fera!
Ce n'est pas que Jan Steen ne se soit jamais élevé
aux sujets graves, aux compositions bibliques et hé-
roïques. Si vraiment! N'a-t-il pas représenté, a plu-
sieurs reprises, les Noces de Cana? Admirable prétexte
pour exalter dignement Ie miracle du changement de
1'eau en vin! C'est Ie seul miracle qui, dans toute
1'Écriture sninte, paraisse avoir touche Jan Steen. Il
n'y a pas une de ses kermessesoü 1'on s'cnivre mieux
que dans ses Noces de Cana.
Il a mème fait vin Romain, choisi tout expres bien
en harmonie aVec sa rigide moraJe. Oui, il s'est
amuse a peindre : la Continence de Scipion! Et nn
autre jour il a mème peint un Grec : Diogène cher—
chant un homme.
Vous pensez si la foule de ribauds
et de gamins se moquent du philosophe lanternier ,
bien empêché de trouvcr un sage dans cette bande
<le fous.
Après tous ces tableaux oü la vie humaine est sai-
sie par son cöté sarcastique, oü s'étalent les ridicules,
les passions et même les "vices, Jan Steen sans doute
ne peut manquer d'ètre damné. Il mérite assuré-
ment de faire compagnie a Panurge, a Sganarelle, ii
Sancho, a Falstaff, a Pangloss, et aux derniers de ces
grands réprouvés, Robert Macaire et Vautrin.
Non-seulemcnt dans les caractères, mais dans la
ïnise en scène de ses personnages, Jan Steen a encore
10
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110                         MUSÉE D'AMSTËHDAM.
ceite ([ualité de Molière : une extreme elarté; il est si
expressif et si simple, que tont Ie monde Ie com-
prend, Ie peuple et les enfants, aussi bieö que les
lettres et les raffinés. Il n'a pas besoin, comme les
peintres mystiques, de mettredes banderolcs au-des-
sus de ses héros; on sait ce qu'ils disent et ce qu'ils
pensent, en voyant a merveille ce qu'ils font.
Pourtant il a la manie de coller souvent aiix murs
de ses cabarets de belles sentences explicatives et édi-
iiantes : « Tel père, tel fils. — Quand les vieux s'amu-
«ent, les jeunes en font autant, etc. » Car il faut
ajouter que les inventions burlesques de Jan Steen ,
loin d'être la glorification des égaremcnts qu'il se
plait a retracer, ont toujours au fond une significa-
tion morale. L'intempéraiice, lc libertinage, la pa-
resse, Ie désordre, montrent toujours leur punition
dans quelque percée même du tableau. Absolumen)
comme dans Ie marquis de Sade ou dansM. Bouilly.
Pour ce qui est du métier de ppindre, personne ne
Ie pratique mieux que lui. Reynolds, —voila qui est
surprenant! —Reynolds lui a trouvé des analo-
gies avec Raphaêl! « Jan .Steen, dit Ie peintre an-
glais, a un style vigoureux et male, qui approche
même du dessin de Raphaël.
Il a manifesté la plus
grande habileté dans la composition et dans Ie nié-
nagement de la lumière et des ombres, comme aussi
une grande vérité dans l'expression et Ie caractère de
ses tigures. v
Après cette citation, j'oserai dire, a mon tour, qu'on
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JAN STEEN.                               Hl
voit de Jan Steen quelques figures de médecins qui
font penser a Titien et a Velazquez dans sa maniere
ferme. Quoique hautes d'un pied sculement, elles
ont une structure qui conviendrait a un personnage
de grandeur naturelle.
11 est vrai que Jan Steen n'est pas souvent de cette
force-la. Toujours spirituel, il est quelquefois un peu
enilé de dessin , a la maniere de Jordaens; car il est
Ie Jordaens de l'école hollaridaise. Et c'est ce style-la
qu'on connait surtout de lui en Fx'ancc, avec une
gainme de ton trop rougeatre. Mais, dans ses oeuvres
distinguécs, il est aussi correct de dessin que Terburg,
etniême plus solide; aussi fin de couleur que Metsu,
mais plus ample de touche; aussi vigoureux que Pie—
ter de Hooch, mais plus mouvementé. Quelques-
uns de ses tableaux pourraicnt être pris pour les
meilleurs. Adriaan van Ostade. 11 a, dans ses ma—
nières très-diverses, presque tout.es les qualités des
maitres de son école. Mais il est Ie plus expresgif
de tons. Sa mimique est incomparable. Et la-dessus,
dans quelque école que ce soit, personne ne l'a sur-
passé.
Il y a de lui cepeudant une certaiue quantité de
tableaux,
—parfaitenient authentiques, — mais qui
sont assez faibles et semblent des ébauches mal réns-
sies. L'intention comique et la physionomie s'y trou-
vent toujours indiquées, mais 1'exécution est aban-
donnée et impuissante. Commente*pliquercela d'un
homnic ^i vaillantdans ses bonnes veines?
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112                    MUSÈE D'AMSTERDAM.
Si ces sorkis de tableaux appartenaient a sa periode
primitive, on pourrait croire qu'il eut un moment de
débrouillement difficile; mais ils sont de diverses
époques, et même souvent postérieurs a ses bons
ouvrages.
Serait-ce vers sa fin, au contraire, que sou talent
perdit une partie de son adresse et de sa süreté? Sc-
rait-ce un effet de sa propre intempérance? Car ce
grand et joyeux philosophe, pareil au bon curé de
Meudon, cherchait souvent sa philosophie au fond
du pyt.
Peut-être, quelquefois, quand l'<jeil et la ma In, i'a-
tiguós par quelque orgie nocturne, ne répondaient
pas tout de suite a son hallucination intcrieure , re-
noncait-il a son fantóme incomplet. Peut-être, au
milieu même de ses compagnies joyeuses, barbouil-
lait-il de ces pochades qu'il laissait la dans-l'estami-
net. (rest la suppositiou faite par Smith, qui assure
qu'on rencontrait autrefois des tableaux de Steen
dans tous les cabarets [li/jiior sliop) de la ville de
Delft. — II y a des Jan Steen qui valent 500 francs,
d'autres qui valent 50,000 francs.
('ihose singuliere, que ce soient les Anglais qu i aieat
Ie plus relevé Ie talent de ce peintre débraillé! lis en
possèdent plus d'ouvrages non-seulement que la Hol-
lande, mais que toute 1'Europe. Lord Ashburton,
lord Ellesmere, lord Dudley, lord Scarsdale, lord
Overstone, Ie marquisdeBwtc, lady Peel,M. W. Beck-
ford, M. Munro, M. Walter, M. Hope, toutes les col-
-ocr page 128-
JAN STEEN.                                  H3
lections principales en ont. La galerie de la reine,
au palais de Buckingham, en a six. Le grand lord
Wellington surtout adorait les Steen, et il en avait
réuni quantité dans la collection qui appartient au-
jourd'hui ason fils, a Aspley House. On en comptait
onze a 1'Exhibitiön de Manchester '. Les niusées de
Vienne, de Dresde, de Munieh, de Berlin, a eux qua-
tre, n'en ont que six.
Parmi ceux du musée d'Arasterdam, il y en a un
de la meilleure maniere, sans être d'importance; un
avitre très-bon, un autre interessant en cequ'il estlo
portrait dn peintrelui—mème, deuxoutrois fort mé-
dioeres, et unou deux assez mauvais. Il faut les pren-
dre comme ils sont. Tous d'ailleurs ont leurs titres
en regie, et proviennent de collections plus ou moins
céIebres.
« N° 270. Intérieur avec iigures, panni lesquelles
mie femme qui donne a manger ii un perroquet. »
(Vest le plus beau. A droite sont des joueurs de tric—
trac, un
assis, 1'autre debout; un troisième homme
les regarde en fumant. A gauche, devant une che-
minée oü cuisine une femme, un petit gareon fait
manger un chat. Au milieu , en avant, une jeune
tille, debout et vue de dos, leve le bras \ers une ca ge
pendue au plafond; a la porte de la cage se pencbe
un perroquet pour becqueter la main de la fille. Sur
un fauteuil, au premier plan, est jeté le manteau d'un
f VojrTrêsorsd'arl, etc, par \V. Burger, p. 281 et suiv.
10.
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H 4                        MUSÉE D'AMSÏEHDAM.
des jouems de trictrac. Au bas, a droile, la belle «i-
gnature eii toutes lettres, Ie J du prénom entortillc
dans uu S capital. La jeune fille, motif principal du
tableau, est d'une tournure ravissante. Dessin con'ect,
modelé tres-ferme; la lumière partout avec des dé-
gradations merveilleuses; Ie ton local vigoureux
comme chez les Vénitiens.
Ce tableau sur toile a été collé sui1 bois, ce qu'on
appelle marouflé. Il a 1 pied 8 poucesdc baut, 1 pied
)J pouces de large. Gravé par J. de Mare. A la fa-
meuse vente Lormier, en 17G3, il fut payé 540 flo-
rins.
Ces prix du xvm8 siècle, que nous donnonsparcu-
riosité, comme certificats d'origine et utres de no-
blesse, ne signiflent plus rien a présent. En général,
ils doivcnt ètre au moins décuplés; pour certains
peintres doat la renommée a monté, les florins se-
raient reinplacés par des billets de 100 francs ; pour
certains tableaus même, et nous en citerons qui au-
raient
cette chance, il faudrait aller bien au dela.
Pour ce Jan Steen spécialement, les guinées rempla-
cant les florins n'arriveraient pas a sa valeur. Steen
d'ailleurs est de ceux qui, pendant une periode assez
longue, ne furent pas estimés autant qu'ils Ie niéri-
taient. Mais, comme dit Ie proverbe anglais: Le temps
finit toujours par mettre la vérité en lumière,
Time brings truth to light.
Smith intitule cette composition : les Joueurs de
trictrac;
M. van Westrheene, de La Have, dans sou
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JAN STEEN.                                   HS
catalogi ie plus complet que celui de Snjitb, adopte Ie
titre : la Perruche'.
« N°265. Un intérieur bourgeois; tableau connu
sous Ie nom de la Fète de Saint-Nicolas. » Sujet
affectionné de Steen <jui 1'a répété souvent, avec va-
riantes. lei, la mère, en caraco vert, bordé d'hermine,
jupon
lilas, est vue de profil, assisea droite prèsd'une
table chargée de patisseries et de bonbons ; elle tend
les bras a une petite tille qui emporte des jouets a
pleines mains et dans un seau do fer-blanc. Les autres
enfants, trois ou quatre garcons et une lillette, rient
ou pleurent selon les faveurs de saint Nicolas et se font
des malices. Le père est au fond dans la demi-teinte.
Nombreux
accessoires, fionne peinture, un pen usée
par place. Signé, sansdate. 2 pieds 8 pouces de bant,
2 pieds 3 pouces de large. Vente Seger Tierens, La
Ilaye, 1743, 69S florins.
« N° 264. Portrait de 1'artistc. » Ikiste de gran-
deur
naturelle, tournó a droite de trois quarts;
avec les deux inains appuyees sur un dossier de fau-
teuil.
La tètc de Steen est bien comme ; il s'est peint lui-
mêmc assez souvent, non-seuleraent dans ses conipo-
sitions, mais en portraits sépiirés, qui valent mieux
1 Lo nouv. cat. : la Cuge duperroquet. — II faut noter, en
passant, que le nouv. cat., d'après 1'excellent travail do
M. van Westrheene, donno 1626 et 1679, comme dates de la
naissance et de la mort de Jan Steen. II faudra bien'que le cat.
rlu Louvre change ses dates I63G-1689.
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110                        JUSÉE D'AMSTERDAM.
que celui-ci. Smith a fait graver, pour sou VI" vo-
lume, le charmant petit portrait en pied, que possé-
dait alors le baron Verstolk van Zoelen de La Have.
On y trouve le vrai Jan Steen, qui chante et qui rit,
en s'accompagnant de la mandoline. Il est assis pres
d'une
table sur laquelle sont des papiers de musique
et une cruche de quelquechose a boire.
Dans le portrait d'Amsterdam, la physionomio est
assez sérieuse et même triste, avee toutefois un pen de
sarcasme. Le nez baroque pointe en 1 'air; petite mous-
tache, longs cheveux bruns. Sur la casaque sombre,
un rabat blanc. A droite, une échappée de ciel opaque.
Tout a poussé au noir. La peinture, d'ailleurs, na ja-
mais été de belle qualité
: indifferentlypainted, dit,
Smith. La signature est sur lebord d'une fenêtrea
droite. La toile presque carrée a 2 pieds et quelques
pouees de haut.
Gravé par J. de Mare'.
«N°269. Un Charlatan vantant sa marchandise.»
II est debout sur une cstrade, a 1'ombre d'un arbre.
Beaucoup
de petites figures, toujours très-spirituelles,
et des episodes comiques : une femme amène dans
une brouette un homme ivre, sans doutc pour que
1'éloquent docteur le guérisse de l'ivrognerie. Un
paysan se fait opérer par la commère du charla-
tan, etc.
Exécution très-libre et très-légère. Sur bois.
II. 1 pied 2 pouces, L. 1 pied 7 pouces. Encore de la
collection Lormier : 420 florins.
' Adieté I-J0 lloriiiS; de M. Ilortgos (nouv. cal.).
-ocr page 132-
JAN STEEN.                                   117
De la collection Braamcamp, non iiioins célèbre,
une toile assez grande, 2piedsct demi de large sur
2 pieds 2 pouces de haut, qui fut payée seulement
360 florins. Sortc d'ébauche, très-lachée, et qui n'a
de mérite que Ie mouvement de la composition et une
indication de physionomies. Sur Ie devant, un canal
et un bateau dans lequel sont un batelier, un garcon
jouant de la tlüte et une femme allaitant son enfant.
Au bord du canal un homme fait des signes a la femme
et s'en va rejoindre un groupe de buveurs a une au-
berge.
De la collection van der Pot, deux panneaux : Un
Boulanger étalant son pain, et une Servante de
paysan écurant un pot d'étain.
Le boulanger range ses galettes sur la devanturo
desa boutique; une femme vientpour en acheter;
un petit garcon sonne de la trompe en maniere d'ap-
pel auxpratiques. Date 1659. Gravé par J. Bemme.
Payé 705 florins a la vente van der Pot, Rotterdam,
1808, après avoir été payé 160 florins a la vente
Wierman, Amsterdam, 1762'.
La Servante, dans son intérieur de cuisine, est en
caracoblancet jupon bleu. Prèsd'elle, sur une table,
unc lanterne et des ustensiles de ménage. Tout petit
tableau, très-fini. 255 florins a la vente van der Pot.
1 D'après une inscription au dos du panneau, les fi'gures de
cette composition sont les portraits du boulanger Oostwaard,
de sa femme, et d'un des nis de Jan Steen. Le nouv. cat. ne
donne pas la date .1659, mais seulement la signature.
-ocr page 133-
118                         1MUSÉE D'AMSTKKDAM.
Entin, une Noce de campagne. Le marie, la ma-
riée, leurs amis, sont a tablc. On va danser. Les
musiciens sont la. Signé et date 1672'.
Au revoir, Jan Steen! et a meilleure rencontre !
ïeuücug. — Parmi ce&petits grands peintres hol-
landais, il y en a un qui ne s'est jamais encanaillé.
C'est
ïerburg. Vrai gentleman, comme Cuijp, et de
la mème génération. Il est la mème année que
Rembrandt, en 1608. il a sa bonne part d'influene'e
dans 1'école de sou pays. Metsu est son jeune frère, et
son égal. Tous deux, dans leur genre, qui est ana-
logue, distancent de bien loin tous leurs rivaux. Mais
Terburg a sur Metsu 1'avantage d'ètre 1'initiateur.
' 1'est lui qui a inventé les scènes d'intérieur elegant,
conversations, parties de cartes, galanteries discrètes,
réception de billets doux, concerts intimes, dans un
petit salon tendu de soie, oü de jeunes ladies coquet-
tement parées étalent avec nonchalance leurs robes
de satin. La robe de satin appartient a Terburg. Il a
fourni 1'étoffe a Metsu, a Mieris, mème a Wouwer-
man pour ses cavalcades seigneuriales, même a Jan
Steen qui ne 1'a point trop froiseée dans ses belles nia-
lades d'amour.
Terburg a beaucoup voyagé et il est le seul artiste
de son pays, qui, en son temps, ait ainsi couru le
1 Vente J. Hoogenbergh, 1713, Amsterdam, 81 floriiu
inouv. egt.).
-ocr page 134-
TERBLHd.                                     119
monde. Il a vièité 1'Italie et il a étudié les grands
maitres; il a vu 1'Allemagne et il a peint d'après na-
ture son Congres de Munster; il a tu 1'Espagne, oii,
<lit-nn,
il ne fut pas insensible a la beauté des femmes,
et il a du connaitre a Madrid Vclazqliez ; il a peint
en France, peut-ctre mème en Angleterre. Et, mal-
gré tout, il est demeuré pur Hollandais de style et
d'exécution. La terrible épreuve de 1'Italië ne Fapoint
perverti. La fréquentation des rois, princes, ambas-
sadeurs, cardinaux, grands personnages de tant de
pays, ne lui a point fait perdre Ie naturel; il n'y a
gagné qu'une rare distinction et une grace exquise
pour interpréter la société hollandaise dans ses types
des classes supérieures. Aucun des maitres étrangef»
ne luia laissé la moindreempreinte, quoiqu'il se soit
assimilé mvstérieusement leurs plus fmes qualités.
S'il a songé paribis a quelqu'un d'eux, c'est peut-êtrc
a Velazquez, et il en a, dans certains de ses tableaux,
les
tons verdatres argentés, d'unc nuance si harino-
nieuse et presque indéfinissable. Smith lui trmrve de
la ressemblance avec « la maniere fascinatrice » du
Corrége! Qite ces Anglais sont exccntriques : Rey-
nolds mèlant Rapbaél a Jan Steen, Smith mêiant
Corrége a ïerburg!
La vérité est que Terburg ne ressemble apersonne.
C'est la tin maitre original et de premier ordre. Je
ne sais pas si, après Rembrandt, on ne devrait pas Ie
inettre tout a fait hors ligno, seul a son rang, comme
les vrais grands hommes.
-ocr page 135-
120                • MUSÊE D'AMSTERDAM.
Le musée d'Amsterdam n'a de lui qu'un tableau,
assez célèbre: la Robe desatin, précisément. On ap-
pelle quelquefois ainsi cette charmante composition,
qui a été gravée a 1'aquatinte par Yaillant. Le cata-
logue 1'intitule : « Jeune Dame, habillée en satin
blanc, conversant avec uu seigneur et une dame. »
(n°277.)
La jeune lady est debout, de dos, la tête penchée
en avant et ne laissant voir que sa nuque blanche et
son chignon blond clair. Elle a une pèlerine noire
sur sa robe de satin blanc. Elle se découpe en partie
sur une table couyerte d'un tapis rouge, en partie sur
les baldaquins et les rideaux rouges d'un lit qui oc-
cupe la moitié du fond; 1'autre moitié du fond est
uu simple lambris gris, avec une porte fermée. Sur
Ia table, qui est a gauche, un miroir, une coupe, un
flambeau d'argent, deux peignes, un cordon rose;
nous sommes dans le sanctuaire intime, dans la
cluimbrc a coucher.
A droite, le gentleman, assis de profil sur une
chaise a dossier rouge, une jambe croisée sur 1'autre,
tient a la main gauche son grand chaj)eau gris a lon-
gues plumes azur et citron ; sa main droite, mi-levée,
fait un geste d'explication avec la femme debout qu'il
regarde. II ressemble un peu a ïerburg jeune. 11 a
de longs cheveux, une casaque courte, couleur cha-
mois, des hauts-de-chausses lilas; son épée a poignée
d'acier traiue le long de sa chaise, derriére laquelle est
un grand lévrier gris dans la pénombre. Entre lui et
-ocr page 136-
TERBURG.                                        15>i
la femme en satin blanc, une jeune femme blonde,
assise de trois quarts, vêtue et encapuchonnée de
noir, boit dans un verre a pied, qu'elle soutient de la
main droite et a travers lequel on apereoit la moitié
du visage.
C'est délicieux. « Une des meilleures oeuvres du
maitre, dit Smith, et de la plus haute beauté. r> Par
malheur, la peinture est très-usée en plusieurs en-
droits, ce qui diminue de beaucoup la valeur du
tableau.
Tous les amateurs connaissent d'ailleurs cette com-
position par un chef-d'oeuvre de Wille. La gravure
de Wille, intitulée : — on ne devine pas pourquoi,—
l'Instruction malernelle, a été faite, non d'après eet
original, mais d'après une répétition offrant de légers
changement* ; par exemple, Ie lévrier y manque.
Cette répétition, qui a passé dans les cabinets les plus
célèbres, appartient aujourd'hui a lord Ellesmere
(Bridgewater Gallery), et a été exposée a Manches-
ter, en 1857 '. Il y en a encore une répétition avec va-
riantes au inusée de Berlin, n° 791.
Lc tableau d'Amsterdam est sans doute celui qui
tit partie de la collection Lormier, et qui, a la vente,
en 1763, fut payé 823 florins. Il vaut aujourd'hui
plus de 1,000 guinécs, et s'il était de bonne conser-
vation, les Anglais se Ie disputeraient au dela de
3,000 livrcs.
1 Voir, pour les détiiils, Ttèsprs d'art, etc, par W. Burger,
p. 273.
il
-ocr page 137-
122                      MUSÉE D'AMSTERDAM.
La toile a 2 pieds 4 pouces carrés. Les figures fint
environ 1 pied de haut.
A la suite de Terburg, Ie catalogue enregistre,
comme étant copiée d'après ce maitre, une espèce de
petite ébauche, intitulée : la Conclusion de lapaix
de Munster.
Smith dit que ce tableau a été gravé
par Simon Fokke, et que ce pourrait être une pre-
mière étude pour Ie fameux Congres, que les artistes
francais ont adrniré dans la galerie de la duchesse de
Berri. Mais assurément Terburg est étranger a cette
mauvaise pochade.
Nous trouverons, au nmsée de La Ilaye, Ie por-
trait de Terburg, par lui-même, en pied, dans son
costunie de bourginestre de Deventer. On voit encore
plusieurs de ses chefs-d'oeirvre chez les richcs ama-
teurs d'Amsterdam, notamment un bijou, une iner-
\eille incomparable, dans la galerie van Loon.
Gaspar Netscher, de Heidelberg, a travaillé sous
Terburg. Un de ses meilleurs tableaux est au musée
d'Amsterdam : « Femme pompcusement mise, ajus-
tant la chevelure d'un petit garcon (n° 201). » Le
costunie de la femme est, en effet, très-élégant : ca-
raco de satin bleu foncé, bordé d'hermine, jupon.de
satin, couleur safran, avec des lisérés d'argent. Assez
beau ton, mais un peu lourd. Elle peigne un gentil
pctit enfant agenouillé pres d'elle. Un autre enfant,
debout contre une table a tapis turc, se fait des gri-
maces dans une glacé. Sur la table, une boite en
argent, une assiette, une coupe, très-délicatement
-ocr page 138-
METSU.                                       123
peintes. Une servante arrive, portaiit un plateau d'ar-
gent. En avant, une chaise couverte de velours rouge,
sur laquelle sont déposées une toque et des plurnes.
Derriere la chaise de la jeune femme est un chat.
Haut., 1 pied 6 pouces; larg., 1 pied 2 pouccs; sur
toile. Signé, sans date.
Smith, qui fait grand éloge de ce tableau, 1'inti—
tule : Occupation maternel le.
Le catalogue attribue encore a Gaspar Netscher,
un « portrait de Constantin Huygens père '.»
Metsu. — A coté de Terburg, — Metsu. J'ai rec-
tifié ailleurs2 plusieurs points de sa biographie, et
en particulier la date de sa mort, que tous les cata-
logues de 1'Europe fixent a 1658, quand, au musée
de La Haye justement, il y a do lui un tableau
date 1661a.
Avec ses airs de marquis, ce délicat Metsu fut ea-
rnarade de Jan Steen, un peu plus jeune que lui.
Mais il quitta Leyde pour Amsterdam, vers le mo-
ment oü Steen se mariait a la fille de van Goijen. Je
1 D'après lo nouv. cat., ce tableau, acheté par le roi Guil-
laume I'r pour le musée, est signé : C. Netscher 4 672.
s Voir Trêsors d'art, etc, par W. Burger, p. 274 et suiv.;
et VArtiste, livraisons do février 1858.
3 Les rédacteurs du nouv. cat. d'Amsterdam n'ont point
eux-mêmes connaissance de cette date authentique, et ils
inscrivent encore 1648 comme date de la mort de Metsu ! II
n'y a pourtant pas loin d'Amsterdam a La Haye.
-ocr page 139-
124                         MUSÉE D'AMSÏERDAM.
suppose qu'ils continuèrent, a distance, des relations
d'amitié. On remarque mème quelquefois dans leurs
ceuvres une mutuelle influence. Quand Steen peignait
des ladies en caraco de velours bordé d'hermine, il
n'était pas sans songer a son ami Metsu, et celui-ci
s'inspirait
un peu de Steen, quand il composait des
scènes populaires, telles que Ie beau Marchê mix
her bes d' Amsterdam
(n° 292 du Louvre).
Smith, qui appelle Metsu Ie van Dyck hollandais.
Ie trouve tres-inférieur a Steen, « conmie invention,
expression et facilité d'exécution. » Quoique parfaite-
ment juste, cette appréciation, par un des plus pro-
fonds connaisseurs en peinture, a de quoi surprendre
ceux qui sont peu familiarisés avec 1'ceuvre de 1'in-
coinparable Jan Steen. Il est vrai que Smith ajoute
tout de suite : cc Mais pour Ie ehoix, plein de gout,
des sujets, pour la griice de 1'expression et 1'élégance
des tournures, Metsu est sans rival. »
(Vest a cette grace et a cette finesse que Metsu pro-
bablement
dut Ie privilege d'être toujours préféré par
les amateurs hollandais a tous les peintres de leur
école, Gerard Dov et Mieris exceptés. Mais aujour-
d'hui Metsu est mis au-dessus de Mieris, et mème de
Gerard Dov; et quant aux autres peintres qui parais-
sent avoir été un peu dédaignés par les anciens bour-
geois hollandais, comme Cuijp, Steen, llobbema et
bien d'autres, ils ont conquis, au jugeinent de la pos-
térité, un rang indiscutable désormais.
Les deux Metsu du musée d'Amsterdam sont tres-
-ocr page 140-
METSU.                                       123
charmante, sans avoir aucune importance dans son
(EUTre : N° 17JI. Un Homme et une Femme assis a
ime table garnie de mets.
N° 172. — Vieillard assis
pres d'un tonneau de bière.
Us sont fort petits lous
les deux : 1'un, sur toile, n'a pas 1 pied de large sur
un pen plus de 1 pied de haut; 1'autre, sur bois,
n'a que 9 pouces de haut et 8 pouces de large.
Le premier, assez frotté, malheureuseinent, a
perdu toute sa fleur. La femme, en corsage cainellia
tendre, jupon violacé, tablier émeraude, fichu blanc
a deux pointes, est assise a droite, presque de profil,
versant du vin, d'une cruche de grès, dans un long
verre. L'homme, en veste pucc, prcnd sur la tal tic
un plat de viande. 11 y a encore sur la table, couyertc
d'un tapis perse et d'un surtout en linge blanc, des
assiettes, du pain, des couteaux, un verre. Le fond, a
droite, est vague, avec unc indication de porte. A
gauche, un rideau vert sombrc. Les personnages ne
sont vus que jusqu'aux genoux. Signé G. Metsu.
Gravé
par ü. .1. Sluijlcr. Vente Lormier, 17(i.'ï,
60S florins.
Le Vieux buveur est de meilleure conservation, et
d'une qualité exquise. 11 a de longs cheveux gris et
une barbe grise, courte. Joyeuse trogne, vive expres-
sion. Ne tient-il pas sa pipe d'une main qui repose
sur un tonneau, et de 1'autre main, un pot en étain,
appuyé sur sa cuisse? Aux bons vivants les mains
pleines. Il a une chaude houppelande grise, et une
belle toque rouge, gavide de fourrure brune. 11 ne
li.
-ocr page 141-
120                         MÜSÉE D'AMSTEHDAM.
lui manque rien. Cet homme est parfaitement heu-
reux.
Au-dessus du tonneau, une cruche de grès et
une ardoise, accrochées a des clous. Le reste du fond,
ncutre, dans une harmonie gris perle, tres-fine. Le
personnage est aussi coupé a la hautcur du genou.
De 1810 a 1827, ce petit bijou a doublé de prix.
Payé 1
,oOO florins a la vente Sineth van Alpen (1810),
il monta a 2,860 florins a la vente Gerrit Muller
(Amsterdam, 1827). Combien a-t-il gagné depuis
trente ans ?
Je ne trouve point d'élève notable de Metsu au
musée d'Amsterdam; c'est pourquoi je passé a un
autre maitre aussi adiniré dans son genre, que 1'est
Metsu dans le sien.
Philips Wouwerman. —Suivant moi cependant,
Wouwerman, malgré toutes ses qualités, n'est pas
absolument a la même hauteur que les premiers, les
princes [principes) de 1'école, comme on disait jadis.
Duc, soit, ou comte, gentilhomme assurément, et de
race distinguée, mouvante, adroite, spirituelle. Mais
Cuijp est plus fort que lui; Terburg et Metsu ont
plus d'élégance; Adriaan van Ostade et Adriaan van
de Velde ont la naïveté, qu'il n'a pas; Jan Steen a le
véritable entrainqui lui manque... Bah! toutes ces
hiérarchies en peinture ne signifient rien. Chacun a
le
droit d'adorer ses idoles, de vanter le noble dont
il sait comptcr les quartiers, — ou de sympathiser
avec des misérables comme Jan Steen et Brouwer,
-ocr page 142-
PHILIPS WOUWEHMAN.                         127
Qui a fait, mieux que Wouwerman, de petits
départs pour la chasse, au bas du perron d'un eha-
teau, les ladies a cheval, faucon au poing, les meutes
aboyant entre les pieds des chevaux; de petites arri-
vées a 1'hötellerie, de petits chocs de cavaliers? per-
sonne. Et parmi les artistes qui, après lui, et en
s'inspirant de lui, ont répété ces sujets, personne ne
1'a égalé. Convenons donc que Ie gout des colleetion-
neurs ne s'égare point sur ce peintre précieux. Si
Philips Wouwennan vaut dix fois van Huehten-
burgh, cinquante Ibis van der Meulen, pourquoi un
tableau de lui ne vaudrait-il pas 10,000 francs,
50,000 francs?— 100,000 francs?
Le musée d'Amsterdam est assez riche en Wou-
werman, du moins par le nombre. Il a neuf tableaux
de ce mattre. C'est peu, a la vérité, comparativement
au musée de 1'Ermitage, qui en a quarantc-neuf, et
au musée de Drcsde, qui en a soixante-trois! plus
que n'en a conservé la Hollande, en additionnant
tous ccux des musées et des collections particulières.
Le musée van der Hoop n'en a que trois-, le musée
de La Haye, neuf, comme le musée d'Amsterdam;
le musée de Rotterdam, trois. Ce n'est guère que le
tiers du nombre de Dresde! Sur pres de mille ta-
hleaux que Wouwerman a peints, Smith en a cata-
loguéS22.
Le malheur est que nos neuf Wouwerman du
musée d'Amsterdam — le nombre est pourtant de
bonheur — ne sont pas de la qualité des treize — le
-ocr page 143-
128                         MUSÉE D'AMSTERDAM.
nombre a perdu sa fatalité — que possède Ie Louvre.
j'cn donnerai seulementunenomenclaturesuccincte.
Nous apprécierons plus complétement, au musée de
La Haye, Ie maitre du Coup de pistolet, du Chariot
de foin,
du Marché mix chevaux. de tant de chasses,
de haltes de cavaliers, et de batailles inimitables.
« N° 328. Un Paysagc montagneux. » Cc n'cstrien.
<( N° 329. Un Paysage avec des chevaux et des
flgures. » C'est peu de chose.
«N°330.Ze Pillaged'un village, les paysans re-
foulant les gens de guerre. » Assez important, mais
pas très-heureux. Figures innombrables, episodes
variés. Des soldats attaquent des paysans en un vil-
lage environné de bois. Au premier plan, un officier
demi-nu, les bras lies, est entrainé par des paysans
qui s'affublent de son uniforme; un paysan frappe
un t-oldat étendu par terre; des morts, des blessés;
des chevaux renversés, croupe par-dessus tête; un
enfant tué, etc. Au sccond plan, continuation de la
hitte : les soldats se sauvent, poursuivis de tous eótés.
Signé du doublé monogramme complet, avec YSfi-
nal de Philips, entortillé sur Ie second jambage de
ÏH.—Haut. 1 pied 10 pouces; larg. 2 pieds 6 pouees.
Sur toüe. Vente Dornburgh, La Haye, i 7iö, avec
un pendant, 1,400 florins; van der Pot, 1808,
3,(525 florins.
« N° 331. Une Chasse aux hér ons. » (>lui-ci a
passé dans des collcctions célèbrcs : Choiseul, 1772,
3,000 francs; prime de Conti, 1779, 2,700 francs;
-ocr page 144-
PHILIPS WOUWERMAN.                            12!»
Tolozan, 1801, 2,720 francs; van der Pot, 3,030 ilo-
rins. Il n'a pas 1 pied de large sur 10 pouces de
haut. Il a été gravé par Dunker, dans la Galerie
Choiseul.
La composition est très-animée : huit ou
dix chasseurs et une femme a cheval sont dispersés
dans un fin paysage. Quelques autres figures d'hom-
mes, de femmes et d'enfants. C'est un des plus dis-
tingués. Signé du douhle monogramme, sans I'S.
« N° 332. Une Rixe de paysans. » lis se battent,
hommes et femmes, en avant d'une maison. Au loin,
une foire. Malgré sa dimension, 2 pieds de haut sur
2 pieds 8 pouces de large, ce tableau n'a été payé
que 600 florins a la vente van der Pot. Signé comme
Ie precedent.
«N0 333. UnPaysan avec un cheval blanc» Voila
un excellent exemplaire du maitre. Le cheval Liane,
inonté par un cavalier, est au milieu; d'une made,
il
vient de renverser une femme portant un pa-
nier de pommes; un autre cavalier, sur cheval bai
foncé, galope a gauchc sous de grands arbres; ix.
droite, un palefrenier tient par la bride un cheval
rouan, d'un ton tournant au lilas. Une lady et un
gentleman regardent ces chevaux qu'on exerce. Ton
vigoureux, belle exécution. Signé du doublé mono-
gramme, avec I'S. Vente de la douairière Boreel,
1814, Amsterdam, 2,82o florins. Haut. 1 pied
3 pouces; larg. 1 pied 1 pouce. Sur bois.
«N° 334. Un Paysage avec une Chasse aux cerfs.»
Quatre chasseurs et une femme, a cheval; au pre-
-ocr page 145-
130                          MUSÉE D'AMSTEHÜAM.
mier plan, les chiens saisissentle cerf. A gauche, uu
petit torrent; des ruines, dans Ie lointain. 1 pjed
carré, environ. Signé. Yente J. de Wit, 1741,
234 florins; Lormier, 17G3, 1,010 florins; N. Nieu-
holf, 1777, 1,995 florins.
<cN°335. Un Manege. » Composition assez impor-
tante, surtoilede 2 piedsdelarge. Au milieu, un ca-
valier en bleu, sur un cheval gris moucheté, vu de
croupe. A gauche, un autre homme dresse un che-
val u sauter, et une femme, son enfant dans les bras,
s'etifuit pour éviter les ruades; a droite, un paleire-
nier amène un cheval hors de 1'écurie. Signé du
doublé monogramme'.
Eniin, « JNTo 336. Un Paysage, » tout petit, avec
quelques figurines.
De Pieter Wouwerman, frère de Philips, un seul
tableau : La Prise de la place de Coevorden, en
1672. Signé : PW.
D'Emmanuel Murant, 1622-1700, élève de Phi-
lips : Une Maison rurale en ruines.
De van Huchtenburgh, élève de Philips, au se-
cond degré : Un Combatde Cavalerie.
J'ajouterai ici, ne sachant oü Je classer ailleurs :
un Corps de garde, de Jan Le Ducq. Ce peintre, as-
1 Dans le fac-siniile donné par le nouv. cat., la signatureest
assez particuliere: le premier monogramme du prénom,
formé du P et de PH, est suivi d'un p, pour le second p de
Philip; vient ensuite le W habituel.
-ocr page 146-
CLAAS BERCHEM.                           131
sez adroit, qui est censé avoir été élève de Paul
Potter, doit ètre, selon moi, un clève de Palame-
des. En tout cas, c'est Palamedes qu'il a suivi, et il
parait aussi avoir étudié Wouwerman et les autres
peintres de soldatesque.
Claas Berchem. — Claas ' ou Nicolaas Berchem,
qu'on a 1'habitude d'élever au premier rang, est
même bien inférieur a Philips Wouwerman.
Sans doute il est aussi adroit que pas un; il est na-
turel et fort, dans sa première maniere, o(r il s'est
inspiré de la vue de son pays et de son propre senti-
ment. Sans doute il a gagné en Italië, si 1'on veut,
des pratiques assez magistrales et un style plus relevé,
— mais moins naïf. Il a gagné d'arriver a composer
des paysages et des scènes rustiques, sans regar-
der la nature, mais de chic, comme on dit dans les
ateliers, au moyen du procédé subjectif qu'avait
inauguréla nobleet majestueuse école du Poussin et
de ses acolytes les Dughet. Seulement, au lieu de
pasticher des aspects antiques, grecs ou romains,
en mettant par-ci par-la un édifice a colonnes, quel-
ques modèles desbabillés ou un bonhomme en tuni-
que, Ie Hollandais continua ses pastorales, avec un
tronc d'arbre, quelques pierres au bord d'un gué, et
1 II signe, Ie plus souvent un C pour son prénom, comme
on Ie voit dans les signatures des nos 17, 18, 27 du musce de
Paris; et presque toujours Berchem.
-ocr page 147-
132                          MUSÉE D'AMSTËRDAM.
a 1'horizon uneligne demontagnesbleues; pourper-
sonnages, un patre, couvert d'une peau de chèvre,
une paysanne en jupon bleu, assise sur son ane; tou-
jours Ie même ane et Ie même jupon, et la même
peau de ehèvre sur Ie dos du même berger. C'est-
a-dire que Berchem perdit
en Italië toute indivi-
dualité.
Les maitres hollandais qui ne subirent point cette
intluence meridionale conservèrent, au contraire, une
persoimalité très-caractérisée. En allemand, on dirait
qu'ils s'attachèrent a la methode objective. Leur point
de départ est toujours la nature : ils 1'aiment, ils la
contemplent, ils 1'étudient, ils se tiennenten comnin-
nication intime avec elle, et quand ils la traduisent,
ils
rimprègnent du sentiment qu'elle leur a inspiré.
Ils ont beau faire toujours a pen pres les mèmes sn-
jets, bien simples, ils y mettent toiijours de la non-
veauté au fond, parce qu'ils ont éprouvé une impres-
sion différente sous un effet particulier. A la réalité,
consciencieusement observce avec une sorte de passion
placide, ilsajoutentuneinterprétation vivement sen-
tie au contact même de la nature. Ils animent la vie
extérieure au feu de leur propre originalité.
Est-ce la ce qu'on appelle Ie naturalisme ? Ce natu-
ralisme
a du bon, décidcmcnt.
Tel Ie est la divergence radicale entre Berchem et
les vrais Hollandais, entre Ie nuütre falsitié par un
mélange étranger et les maitres du crii.
La France n'ayant presqn e jamais été dansles arts
-ocr page 148-
CÏAAS BERCHEM.                          l.i:i
plastiques qu'un reflet de l'ltalie, devait préférer les
peintres Viybrides, teintés d'italianisme, aux francs
artistes, demeurés libres des systèmes transalpestres
et de toutes ces methodes dangereiises qui, a la poésie
spontanée, jaillissant de la nature, quand on la con-
sulte avec aniour, substituent des combinaisons sté-
réotypées par une science réflective. C'cst pourquoi,
en France, Berchem, Karcl du Jardin,Jes Both, et en
général les affiliés a la Bande académique de Rome,
ont toujours óté plus estimés, et bien plus connus
aussi, que Jan Steen, Pieter de Hooch et autres ori-
ginaux, qui, n'ayant jamais démarré de leurs rivages,
sont peu classiques.
La Hollande n'a rien a apprendre a la France sur
Ie chevalier van der Werff. Mais, siu- ses petits mai-
tres
purcmcnt indigènes, et même sur Ie génie de
Rembrandt, la Hollande peut révéler encore a la
France et aux peuples d'origine latine. l)ien des se-
erets, très-neufs.
Berchem est parfaitement familier aux artistes et
aux amateurs francais, puisque Ie Louvre a réuni
onze tablcaux de ce maitre. Le musée d'Amsterdam
n'en a
que sept; le musée van der Hoop, trois; le
muséc de La Haye, quatre; le musée de Rotterdam,
deux. Seize en tont, pour les galeries publiques de
la Hollande.
Quelques-uns de ceux d'Amsterdam sonttrès-no-
tables, et d'une belle qualité, particulièrement un
(i Paysage montagnenx avec des patres et du hétail
12
-ocr page 149-
134                    MUSÉE D'AMSTERDAM.
(n° 18), » et un « Paysage en Italië, au bord d'iino
rivière (n° 21)-».
Le premier représente un troupeau passant un
gué, avec la bergere, le patre et deux chiens; en
avant, caracolc un beau taureau blanc; le groupe
d'animaux est parfait. A gauche, une paysanne,
montée sur sa vache, cause avec la bergere; le pays
est découvert de ce cöté et laisse voir un fond de mon-
tagnes. A droite, des pins et autres grands arbres.
Signé en toutes lettres : Berchem. f. 1656. Surpan-
neau. Haut. 1 pied 3pouces; larg. 2 pieds'.
Dans lc second, une femme, en corsage jaune et
mantcau bleu, montée sur un cheval Liane, des pa-
tres, un taureau, des vaches, des moutons, une chè-
vre, un ane, attendent le bac, plein de passagers, qui
revient de 1'autre coté de la rivière. Sur les terrains
montueux, quclques arbres, quelques maisons, un
chateau, une tour. Fond de rnontagnes bleues. Effet
de matin. Composition très-riche et très-capitale;
très-italienne, — trop. Signé, sans date. 3 pieds et
demi de large> au moins, sur plus de 2 pieds et demi
de haut2.
Viennent ensuite : un autre Paysage italien, effet
de soir, un peu dans la maniere de Both; — Rutli et
1 Vente de Mme van Heemskerk, 1770, La Have, 1,265 flo-
rins (nouv. cat.).
* Vente Antonij Sijdervelt, 1766, 1,530 florins; vente de
Mlne Bicker, 1809, Amsterdam, 3,040 florins (nouv. cat,).
-ocr page 150-
ADBIAAN VAN DE VELDE.                     13Ü
Büoz dans uu champ de blé; iigures de plus d'un pied
de proportion'; — deux Vues d'hivcr, assez singu-
lières, et qui pourraient bien ètre d'un autre maitre,
presque dans Ie style de Pieter Wouwerman2; prove-'
nant de la collection Govers, Rotterdam, 1827; haut.
1 pied 3 pouces; larg. 1 pied 7 pouces; sur bois; —
et 7°un petit Paysage italien, provenant, jecrois, des
collections Tolozan et van der Pot. Signé, sans date.
Les seuls élèves ou imitateurs de Berchem, au mu-
sée d'Amsterdam, sont : Jan van der Meer Ie jeune :
« un Paysage avec des brebis; » et Willem Romijn,
trois Paysages avec animaux.
Adhiaan van de Velde. — Dans des sujets analo-
gues a ceux de Berchem, Adriaan van de Velde lui
fait cependant un contraste absolu. Né quinzc ans
après Berchem, et mort onze ans avant lui, il n'en a
pas moins, a mon avis. laissé un oeuvre plus précieux
que celui de Berchem. C'est cclui-la qui aimait la
nature naïvement, et pour ainsi dire avec une chasteté
respectueuse! Quand il 1'avait ótudiée jusque dans
1 Le nouv. cat. donne Ie fac-simile de la signature, qui est
fort singuliere : N Berighem, 1'N accolé au B. Il se pourrait
bien que cette signature eüt été mal lue, ou qu'elle soit apo-
cryplie; ce qui ne fait rien a 1'incontestable originalité du ta-
bleau.
J L'une cependant est signée et datée 1647 ; elle vient de la
collection van Heteren; 1'autre, sans signature ni date, a été
payée 3,040 florins a la vente de Mme Bicker, Amster-
dam, 4809 (nouv. cat.).
-ocr page 151-
136                     MUSÉE D'AMSTERDAM.
les libres les plus délicates et les plus inthnes, il la
voilait d'une tendre et mystérieuse harmonie.
Charmant jeune homme, un pen rèveur comme
lespoëtes, doux comme une fille, sympathique atous
les artistes de son temps. Collaborateur de son maitrc,
Wijnants, ami de Wouwerman, qui avait aussi étudié
chezWijnants, Adriaan n'a-t-il pas prêté son taleni
a van der Heijden, a Moucheron, a Jan Hackaert, a
llobbema et a Ruijsdael, et même a des paysagistes
moins célcbres, comme Abraham Yerboom.
On voit son portrait, gracieux et souriant, au rau-
sée van der Hoop, dans Ie chef-d'oeuvre oü il s'est
représenté avec sa femme et ses enfants, au milieu
d'une belle campagne; car il lui fallait ton jours des
arbres et la lumière du ciel. Il n'a jamais peint une
scène qui ne fiit en plein air.
Le musée d'Amsterdam ne possède que deux
tableaus de lui : un petit « Paysage avec des figu-
res et du bétail, » et un autre « Paysage avec une
chaunrière. »
Le petit paysage, largede 1 pied seulement ethaut
de 1 pied 3 pouces, est délicieux. Pres d'une fontaine
sont arrêtés des paysans avec leurs troupeaux : un
patre, vu de dos, sur son iine, une femme en rouge.
sur un cheval rouaii, une femme a pied, qui cause
avec elle. Quelques moutons, et le chien du berger.
Une vache boit a la fontaine, dans 1'ombre, sur la
gauche, oü s'élève une petite colline rocailleuse. A
droite, de l'eau, avec un bac qui passé un troupeau.
-ocr page 152-
ADRIAAN VAN DE VELDE.                     137
Une petite figure debout, tournee Yers Ie bac, Ie re-
garde venir. Date 1666. « Belle production, très-étu-
diée, « dit Smith.
L'autre paysage (n° 304) est bien plus important,
et même de qualité supérieure. Smith 1'appelle une
« peinture très-capitale et admirableinent finie.» Elle
vientde collections distinguées : Braamcamp, 177'],
2,420 florins; Valkenier, Amsterdam, 1796, 4,020
llorins; voila déja Ie prix doublé; Gildemcester,
18Ü0, 4,825 florins; et général Brentano, 1822,
8,290 florins; roila Ie prix doublé une seconde fois.
On peut décupler aujourd'hui Ie chiffre de la vente
Braamcamp
'.
Deux figures seulement, hautes d'environ 4 pou-
ces : une bergere et un paysan. La bergere est assise
devant la porte d'une chaumière, au pied d'un coteau
boisé qni monte jusqu'aux deux tiers de la toile;
c'est Ie seul défaut de la composition ; mais Adriaan
sans doute a voulu en faire une sorte de petite oasis
bien solitaire. Cette jeune femme, en jupon azuré,
corsage un pcu entr'ouvert, recoit un coup de soleil
sur sa gorge mi-nue. Le corset strictement agrafe
n'est pas de rigueur dans ces nids agrestes. Passé
cependant un jeune voisin, monté a poil sur son che-
val blanc etportant au bras un panier. Sa toilette est
aussi sans facon: il a les janibes nues et une casaque
1 Le nouv. cat. ne donne qu'une partie de cette traditipn,
Jl ne mentipfine pas )a date 1666 du tableau precedent.
12.
-ocr page 153-
138                    . MUSÉE D'AMSTEKLIAM.
rougeatre. Il s'en va aux champs, ou au bois. Com-
ment ne point s'arrêter, pour causer en passant? On ne
Ie voit que de dos, mais on devine qu'il pourrait bien
parier a la bergere du beau temps qu'il fait pour
1'amour, — honnêtement toutefois, et non pas a la
maniere de Jan Steen.
Tout Ie premier plan du paysage est un pré oü
sont dispersés des moutons et des vaches. Pree de la
chaumière, un grand arbre découronné. Belle signa-
ture:A. V. Velde f, et la date 1671. L'année d'a-
près, Adriaan van de Velde mourait, agé seulement
de trente-trois ans!
La toile a environ 2 pieds 4 pouccs de haut sur
2 pieds de large'.
On trouve des figures par Adriaan dans les tableaux
de quatre peintres, au musée d'Amsterdam.
Le vieux Wijnants d'abord. Il avait quarante ans
de plus que son cher élève, et il vécut plusieurs années
encore après lui. A soixante-quinze ans, il peignait
toujours avec autant de verdeur que de finesse. Car
le musée de La Haye possède de lui un tableau
date 1673. Ce qu'il y a de curieux, c'est que les cata-
logues des musées de la Hollande, celui de La Haye
compris, donnent 1670 comme date de la mort de
Wijnants ! Seul le catalogue du musée van der Hoop
fait exception et indique la date 1677 2.
1 74 centim. sur 63 (nouv. cat.).
8 Los rédacteurs du nouv. cat., qui, apparemment, ne con-
naissent guère le musée de La Haye, donnent toujours 1670
-ocr page 154-
ADHIAAN VAN DE VELDE.                     139
Wijnants avait done de soixante a soixante-dixans,
lorsque, a ses paysages, Adriaan ajoutait de gracieuses
figurines. Adriaan étant mort en 1672, ce fut sur-
tovit Lingelbach qui étoffa les tableaux de la der-
nière periode de Wijnants; car Philips Wouwerman
était mort aussi, des 1668. Le vieux maitre avait
ainsi perdu, coup sur coup, ses deux disciples les
plus habiles et les plus illustrcs. Adriaan van Ostade,
a qui il avait eu recours autrefois, était lui-mème
bien vieux alors, étant né en 1610. Je rappelle ces
faits chronologiques parce qu'ils peuvent aider a re-
connaitre les dates des ceuvres de Wijnants. C'est
d'abord — rarement — Ostade qui 1'aide; c'est en-
suite Wouwerman, puis van de Velde, puis Lingel-
bach. Cette succession toutefois n'est pas rigoureuse,
car, a certains moments, ils ont pu, les uns et les au->
tres, travailler avec Wijnants.
Il faut remarquer que Philips Wouwerman avait
presque vingt ans de plus qu'Adriaan van de Velde,
qu'ils n'ont jamais été condisciples a 1'atelier de Wij-
nants, comme le supposent les biographes francais,
et notamment le rédacteur du catalogue du Louvre.
Philips était déja un peintre très-renommé et ne
pouvant suiïire ii ses commandes, avant que le petit
van de Velde, qui fut pourtant si précoce, eüt com-
mencé ses premiers barbouülages chez Wijnants.
comme date de la mort de Wijnants! sans doute d'après des
papiers quelconques; mais les ceuvres des maitres eux-mèmes
onl plus d'autorité que toutcs les pap»rasses.
-ocr page 155-
140                        ML'SÉE D'AMSTERDAM,
Jan Wijnants est une des principales souches (ce
vilain mot peut s'appliquer ici) du paysage hol-
landais. ïous les naïfs paysagistes de son pays
ont un peu suivi son ins[)iration, qui était de rc-
garder la nature de très-près, d'en étudier les dé-
tails, d'en admettre conseiencieiiseinent et délicatc-
ment les petites fantaisies, d'adorer 1'inlinie variété
dans 1'unité.
Bembrandt fut, a F inverse, 1'autre grand initiateur
de 1'espèce de panthéisme qui caractérise les paysa-
gistes hollandais. Lui, Ie poëte qui contemple d'en
hant et de loin, il a enseigné a voir la nature dans
son ensemble, dans ses plans immenses, et il a su
faire quelquefois des lieues de terrain, en étalant son
pinceau sur une bande horizontale large d'un pouce.
Philips Ivoninck et Jacol) Ruijsdael Font imité sou-
vent dans ces aspects de la terre a vol d'oiseau.
On doit croire que Wijnants, malgré sa longue vie,
n'a pas énormément produit, peut-être a cause de sa
maniere assez minutieuse; car les quatre musées
principaiix de la llollande n'ont que treize Wijnants :
Ie musée d'Amsterdam,
4; Ie musée Aan der Hoop, 4;
Ie musée de La Have, 2 ; Ie musée de Rotterdam, 3.
Le Louvre aussi n'en a que 3 ; Dresde, 3 ; Vienne, 2;
Munich, 4 ou S ; Berlin, point du tont. A Manches-
ter, il n'y en avait que deux, insignifiants. Smith,
néanmoins, en catalogue 176, la plupart dans les
collections anglaises, d'autres qui se sont égarés après
avoir passé dans des ventes anciennes,
-ocr page 156-
ADRIAAN VAN DE VELDE.                     141
Deux, sur les quatre du musée d'Amsterdam, ont
des figures par Adriaan van de Velde; petits tous
les deux, 1 pied carré environ; des terrains sablon-
neux, comme toujours. Le n°339, signé des initiales,
sous la bordure, est assez faible ; le n° 340, signé a
droite, en toutes lettres, sans date, est excellent.
Le troisièine, intitulé : « Paysage avec une habi-
tation rustique, » est de la première maniere du
maitre.
Lc quatrième est porté au nom de Lingelbach,
qui en a peint les figures et les chevaux. L'illustra-
tion, en effet, est plus importante que le paysage
lui-mcme, et rarement Lingelbach s'est montré aussi
animé, aussi fin, aussi spirituelque dans eet étoffage
dont la campagne est 1'accessoire; on dirait presque
Philips Wouwerman; aussi Lingelbach a-t-il signé
de son monogramme L B, le B accolé intérieurement
au jambage horizontal de L.
Lingelbach a encore un Manege, de sa première
(jualité, signé en toutes lettres; et deux Ports de mer
en Italië, assez ordinaires, 1'un portant la gignature
entière : I. Lingelbach, et la date ltS64, l'autre, le
nom, sans 1'initiale du prénom, et sans date.
Les autres tableaux iüustrcs par Adriaan van de
Velde sont: un Paysage de Frederik Moucheron, un
Paysage de Jan Hackaert, et trois Intérieurs de ville,
par Jan van der Heijden.
Dans le petit paysage de Moueheron, qui n'a pas
1 pied de large , Adriaan a peint un Départ de
-ocr page 157-
142                        ML'SÉE IJ'AMSTERDAM,
chnsse, hors d'un pare: cavaliers, piqueurs, meute
de chiens. Le paysage lui-même est exquis. Ce Mou-
cheron, un peu grèle et mesquin, d'ordinaire, un
peu patte de mouches, est ici toujours tres-fin, mais
onctueux et plein d'harmonie.
Le tableau est signé : Moucheron f. — Vente
Borcel, 1814, Amsterdam, 273 florins.
Jan Hackaert est presque inconnu en Franee, et
son nom n'est pas même cité dans lc catalogue du
Louvre. Il est né a Amsterdam vers 1636 et on sup-
pose qu'il est mort vers 1699. Il a fait, d'ailleurs, peu
de tableaux de chevalet. Il avait voyagé, tout jeune,
en Allemagne et en Suisse, et, a son retour en Hol-
lande, il exécuta beaucoup de grandes compositions
décorativcs. Il a laissé aussi beaucoup de dessins et
d'aquarelles; il a même gravé six eaux-fortes, très-
si)irituelles, décritespar Bartsch.
Smith n'a catalogue que 23 tableaux de Jan Hac-
kaert, parmi lesquels, avec éloges, celui d'Amster-
dam, qui représente la lisière d'un pare, bordure de
hauts arbres élancés, et, sur la droite, une large pièce
d'eau. C'est le matin; on sort pour aller eourir le
cerf; a la porte du pare, le maitre du chateau sou-
haite bonne chance a la troupe de chasseurs, gentle-
men et ladies, a cheval; élégantes figurines par
Adriaan, ainsi que d'autres chasseixrs a pied, des
serviteurs, des chiens tenus en laisse. Composition
gravée par Daudet dans la Galerie Le Brun. — H.
2 pieds 2 pouces, L. 1 pied 9 pouces. Sur toile. Citc
-ocr page 158-
ADRIAAN VAN DE VELDE.                 143
[mmcrzeel, comme ayant étépayé 3,00r! florins
vente van der Pot.
ackaert et Moucheron n'ont pas d'autres tableaux
(ïusée d'Amsterdam.
ander Heijden est, avec Wijnants, Ie peintre qui
Ie plus favorisé par les figures d'Adriaan. Ses
! tableaux du musée en ont. Adriaan et lui, du
ne agc a deux ans pres, ont du être intimement
II y a beaucoup d'analogic dans leurs manières
leindre. Tous deux ont ceci de rarissime, et mènie
trotlvable chez n'importe quel autre peintre dö
oporte quelle autre école, — excepté toutefois
nling et peut-ètre Jan van Eyck, — qu'ils ont su
rimer tous les détails, l'un dans la figure humaine,
tre dans l'architecture, en les réduisant a une
portion microscopique, et sans mesquinerie, sans
leresse, aussi largement en apparence, aussi ma-
ralement, que si les objets avaient leur grandeur
urelle. C'est la un tour d'adresse dont Ie secret
t perdu. Les üls van Mieris et Ie chevalier van
_„ Werff ne 1'avaient pas. L'Allemand Denner ne
1'a pas retrouvé en son temps. M. Meissonier Ie
cherche aujourd'hui, et il brille, comme on dit aux
jeux innocents; mais cependant il n'a toujours fait
que donner des gages, sans toucher précisément Ie
point mystérieux.
Les trois van der Heijden représentent, bien en-
tendu, des Vues de villes hollandaises. Tous trois sont
sur panneau. L'un, provenant de la collection Ge-
-ocr page 159-
144                    MUSÉE D'AMSTERDAM.
vers, a pres de 2 pieds de large sur 1 pied et demi de
haut. Uncanal, un pont-Ie vis, des barques Je long du
quai bordé d'arbres, et des rangées de maisons. Signé:
VB Heijden, les trois lettres eapitales accolées et for-
mant un nionogramme. Les deux autres se font pen-
dant et ont été achetés 1,0 40 tlorins a la ven te van
der Pot, Rotterdam, 1808. lis n'ont que 1 pied
2 pouces de haut sur 1 pied 6 pouces de large. Dans
1'un on admire un petit personnage qui lit unc affiche
sur une colonne. Il tiendrait assis dans un O; mais
il a de quoi grandir jusqu'a six pieds. L'autre est
délicieux de ton et de lumière. Le premier plan est
occupé par un canal; a ganche, des arbres et des
maisons; a droite, un quai égalemcnt ombragé d'ar-
bres, avec de gentilles figures dans la demi-tcinte.
Signé : VHeijden, le V et l'll accolés, mais sans D.
A présent, deux élèvcs d'Adriaan : Dirk van den
Bergen, un Paysage avec animaux, et son pen-
dant ; des plus beaux du maitre; signés, tous deux :
D.V.D.Bergen1; — et Simon van der Does, trois
Paysages avec patres et troupeaux2.
1 Les signaturen de ce maitre varient souvent. On trouve au
Louvre et au musée de Vienne : D. V. Berghen. Le plus sou-
vent il signe : D. V. Bergen, sans le second D (pour den) des
signatures constatóes ci-dessus. Van Bergen, névers -1645, est
mort vers 1689, et non 1680, date donnée par le catalogue du
musée du Louvre, oü, précisément, il y a, de van Bergen, un
tableau, n° 15, dalé 1688.
5 Signés tous trois; 1'un : S. V. Does, 1706; l'autre : S. V.
-ocr page 160-
POELENBURG, LAIRESSE, VAN DER WERFF. 145
Poelenburg, Lairesse, van der Werff. —Avant
de passer aux paysagistes purs et aux autres spécia-
lités de 1'école, marines, architecture, nature rnorte,
fruits et fleurs, j'ai a expédier quelques peintres dont
la célébrité fut prodigieuse a leur époque, et mème
depuis, trop prodigieuse, selon moi, pour un mérite
si vulgaire.
Poelenburg, qui eut la prétention de suivre Ra-
phaël, 1'honneur d'ètre estimé de Rubens, la chance
d'ètre appelé par des souverains comme Charles Ier
d'Angleterre.
Gerard de Lairesse, Ie Wallon de Liége, qui alla
se mèler, on ne sait pourquoi, aux maitres d'Am-
sterdam et eut Ie privilege, bien exceptionnel en Hol-
lande, d'ètre surnommé Ie Poussin du Nord.
L'illustre chevalier van der Werff, qui porta si ma-
jestueusement Ie même prcnom que Brouwer, van
Ostade et van de Velde, qui fabriqua des galeries en-
tières pour 1'Electeur palatin de Dusseldorf et fut
recherche par tous les princes. Les princes peuvent
se tromper — en peinture.
Poelenburg avait formé sa maniere en Italië. G'é-
tait encore la mode d'y aller, deson temps, et de s'i-
talianiser; car il est de la génération qui clót Ie
xvie siècle. Au xvue, Ie voyage outre-monts n'est plus
qu'une exception. La vie éclatait en Hollande; pour-
Does, 1708; Ie troisième : S. Van der Does MDCC14 (nouv.
cat.).
1
-ocr page 161-
140                     MUSÉE U'AMSTEHDAM.
([uoi s'en aller chez les morts? La pauvre grande
Italië avait accompli son oeuvre. La Renaissance mi-
païenne et mi-chrétienne ne devait plus être qu'un
souvenir désormais, une tradition comme les arts de
1'antiquité et du moyen age, assez indifferente d'ail—
leurs au peuple hoUandais renouvelé par la liberté
civique et religieusc. Les petits Amours et les petits
anges de Poelenburg, cette cspèce d'AJbane septen-
trional, devaient sembler un pen vieillots aux eon-
temporains de Rembrandt.
Les tableaux de Poelenburg au musée d'Amster-^
dam offrent, suivant son habitude, des nympbes
surprises par des satyres, de petites femmes nues
dans de petits paysages italiens, et aussi: Adam et
Ève expulsés du paradis.
Gerardde Lairesse, né plus d'un demi-siècle après
lui, conthnia ces mytholagiades. Nous avons donc a
Amsterdam : Mars, Vénus, Cupidon et Mercure ; —
.Mars, Vénus et Cupidon; — Diane et Endymion,
assez grandes figures, très-bètes; — deux « Gom-
positions syinboliques, » en grisaille; — et «Séleu-
cus cédant sa femme et son sceptre a sonfils Antio-
chus. »
D'Adriaan van der Wcrff, trois chefs-d'ceuvre :
i° Le portrait d'Adriaan par lui-mème, en buste,
de grandeur naturelle. Il est drapé d'un manteau de
velours rouge, sur un pourpoint jaune. Au cou pend
la cbaine, avec une medaille du patron, le prince
palatin. Dans la main gauche, la palette et les pin-
-ocr page 162-
POELENBURGj LA1HË8BÊ, VAN DKH WERFF. 147
eeaux; dans ld droite, une miniature' représentant
la femme et 1'enfant de 1'artiste. Signé et date 1699.
Adriaan avait quaraute arts. Ceportrait, précieux
apparemment pour les admirateurs du chevalier, a
été
payé 6,000 florins a la vente Gevers Arnoiitz,
Rotterdam, 1827.
2°Sainte Familie. Tableau cclèbre, ayant fait par-
tie de la colleclion Lortnier, et gravé dans la Galene
Cholseul
, par Rousseau. Yoici ses titres— finan-
ciers-—: Vente Choiseul, 1772, 3,700 francs; duo
de La Vallière, 1780, 6,110 fr.; Le Bceuf, 1782,
6,600 fr,; Destotiches, 1794, o,200 fr.; van der
Pot, 1808, 8,228 flofins9. Ce petit panneau n'a
pourtant pas 1 pied de large, Comme je me récuse
sur ce peintre, a öausd de mon antipathie person-
nelle, j'empruntefai la deêcription de Smith: « La
\ierge, en corsage jaune pale et ïnantüau gris, est
penchée avec une maternelle tendresse ver» l'Enfant,
(!öuohé tout nu sur une draperie; il etend ses bras et
prend d'uue main quelques cerises ;i une branche que
lui presente Joseph. Celui-ci, un peu en arrière de,
la Yierge, est en partie caché dans 1'oinbre. Deux
1  II y de van tier Werff, au musée de Munich, uu tableau
allégorique, oü un génie couronne les portraits du prince pa-
latin, et oü la muse de la peinture tient a la main le propre
portrait du peintre.
2  Lenouv. cat. ajoute: vente Lorfnier, 1763, 4,305 florins.
Ce tableau était porté sur le catalogus Lormier, comme étant
d'Adriaan et de Pieter.
-ocr page 163-
148                        MUSÉE D'AMSTEHDAM.
roses en avant, par torre. An excellent example of
(jreat beauty andperfection. »
3° Un paysage avec deux figures; signé : Chev vd
Werff fc
1718.
"Vient ensuite : Psyche et Cupidon, dans Ie style
du maitre, dit seuleinent Ie catalogue'.
De Pieter van der Werff, frère puiné et collabora-
teur d'Adriaan, sont: Saint Jéróme au dêsert; signé
et date 1710; — Deux jeunes filles ornant de fleurs
la statue de Pan;
et une Jeune fille dessinant la
statue de Vénus.
De Hendrik van Limburg óu Limborch, élève
d'Adriaan van der Werff, un seul tableau : Groupe
d'enfants jouant au colin-maillard2.
Avec van der Werff, la décadence est complete.
Après ce glorieux chevalier, tout est iini pour la
peinture hollandaise , comme pour la peinture ita-
lienne après la fatale école des Carraehe. Van der
Werff mourut en 1722. L'école hollandaise avait
dure juste un siècle : Ie dix-septième.
Les paysagistes. —Les paysagistes ne brillent pas
au musée d'Amsterdam. Outre Wijnants,dont nous
avons parlé a propos d'Adriaan van de Velde, on n'eu
1 Attribuó au chevalier lui-même par Ie nouv. cat.
• Le nouv. cat. en ajoute deux autres : Amour et Psyche, el
les Bergers, provenant, ainsi que le Groupe d'enfants, du ca-
binet van Heteren.
-ocr page 164-
LES PAYSAGISTES.                            149
compte guère qu'une douzaine: van Goijen, Jacob
Ruijsdael, van Everdingen,van der Hagen, van Yries,
Verboom, Herman Saftleven, Jan Griffier, les Both,
Pijnacker et van der Ulft.
Jan van Goijen, contemporain deWijnants, apro-
duit, de son cöté, toute une lignée de paysagistes. Ne
en 1596, il fut très-probablement Ie maitre de Salo-
mon Ruijsdael, né vers 1610, lequel fut probable-
ment Ie maitrc de son frère Jacob. Peut-être Hob-
bema lui-même a-t-il aussi travaillé chez Salomon.
Van Goijen se trouverait donc être 1'origine d'une
pléiade non moins illustre que celle qui entoure
Wijnants. L'analogie est incontestable entre Hob-
bema et Jacob Ruijsdael, entre Jacob et Salomon,
entre Salomon et van Goijen. Encore faut-il ajouter
a ce groupc les nombreux sectateurs de Jacob et de
Hobbema.
Nous n'avons de van Goijen qu'un seul paysage,
signé et date 1645, grand, vrai, mais pas très-heu-
reux. Rien de Salomon. Deux paysages de Jacob,
seulement. Point de Hobbema! Le musée de La Haye
n'en a point non plus; le musée de Rotterdam n'en
a qu'un petit. Le musée van der Hoop en a deux.
Mais les collections particulières en ont de superbes.
L'un des Ruijsdael représente un pays sauvage et
montagneux, avec .un torrent qui tombe en avant
parmi des roes et des troncs d'arbres brisés. Un ber-
ger et son troupeau passent le long d'une route rabo-
teuse sur la pente d'une colline, A gauche, au som-
13.
-ocr page 165-
ISO                          MIISÉE tVAMSTERDAM.
met des rochers, tin grand bfttiment qui ressetuble au
chateau de Bentheim, tant de fois peint par Ruijsdael.
« Aclear and beautiful product ion, » dit 8mith.
Sur toile haute de 2 pieds 2 pouces, lnrge de i pied
9 pouces. Signé'.
L'atitre, de qualtté supérieure, selon moi, pöiirfait
ètre intitulé la Cascade; car tout Ie premier plan est
couvert d'eau et d'écume. A gauche, des boüquets
d'arbfes, et au fond line tour; a droite, des cöllincs
avec vin cbiteau. Grande toile de plus de 3 pieds de
large, et de pres de 4 pieds de haut. La signatufe est
entière: Ritisdael, Ie jambage \ertical de R se ter-
minant en J, et portant accolé Ie petit v ponr van.
Car Ie nom véritable est van Ruisdael ou Ruijsdael,
j)iii«qu'on trouve presque toujours ce V dans les si-
gnatures et monogrammes des deux frères. Il a même
quelquefois plus d'importance que I's dans les signa-
tures de Salomon.
Aldert van Everdingen eut, dit-on, de 1'influence
sur Jacob Ruijsdael, plus jeune que lui. Quand lis
peignent des pays analogucs, des sites du Nord, ils
ont, en effet, quelque resscmblance, par Ie caractère
plug que par 1'exécution. Everdingen fut toujours
plus sec et plus mince que Ruijsdael. Il n'a qu'un
seul tableau, peu retnarquable, au musée d'Am-
sterdam. Signé: Evkrdingen.
• Vente G. G. baron Taets van Amerongen, 4805, 7öO flo-
rins; de Smeth, 1810, Amsterdam, 710 fl, (nouv. cat.).
-ocr page 166-
LÜS I'AYSAÜISTES.                            \M
Un setll tableau égaJemelit de llenier van Vries ,
beau paysage avec de grands arbres, chei'chant Ie
style deHobbema; earvan Vries, élève de RuijsdaéJ,
se rapprocbe parfois de Ilobbema au point de trofnper
les demi-connaisseurs. Signé : R.V. Vries /'.
Jan van der Hagen tient aussi a Huijsdael. Son
grand Paysage uvec tin punt de heilage n'est pas
très-intéressant. Acheté 1,405 florins a la vente van
der Pot, 1808.
D'Abraham Yerboom, unede ses amvres capitales:
Intérieur de forêt. 10 pieds de large sur 6 de haut.
Peintüre libfe et magistrale, tournant au style déco-
ratif. Sigtté: A.S.V.Boomfèclt. A, 16Ö32.
Un autre groupe issii de van öoijen difïère beau-
coup, comme sentiment et comme pratique, de 1'é-
cole de Ruijsdacl. Herman Sai'tleven, qui avait étu-
dié chez van Goijen, mais qui ne conserva point
rampleur de son maltre, forma, a son tour, Jan
Griffieri Tous deux ont laissé quantité de unes vues
du Rhin hollandais. Noue en avons trois de Saftleven
et une de Grifiier. Un des Saftleven est signédu mo-
nogramme 11 S, I'S entoHillé sur Ie second janibage
de 1'H, avec la date 1678. Le Grifiier est signc en
toutes lettres, avec 1'initiale du préuom.
1   Vente P. Loquet, 4783, 280 florins; WesselsReijers, 1814,
Amsterdam, 55b fl. (nouv. cat.)
2  Le nouv. cat. a omis de donner cette signature. Le tableau
a été acheté 600 ilorins de la douairière Balguerie,
-ocr page 167-
132                        MUSÉE D'AMSTERDAM.
Restent maintenant les paysagistes italianisés :
deux tout petits van der Ulft : Sites d'Italië; un
grand Pijnacker médiocre, signé en toutes lettres,
1'A du prénom formant monogramme avec Ie P :
Paysage montagneux aux bords d'une rivière, avec
des arhres d haute futaie1;
et deux Both, très-leste-
ment catalogués: JS° 34. Paysage en Italië : N° 33.
Idem.
Ces deux tableaux, fails, comme d'habitude, par
collaboration de Jan et d'Andries, sont extrèmement
vantés par Smith, et je lui en laisserai donner la
description, d'autant que je ne suis pas fou de cette
peinture, sorte de pastiche de Claude, et qui, a la vé-
rité, en attrape quelquefois cërtaines qualités lumi-
neuses.
« Halte de voyageurs d lombre d'arbres. Cette
admirable peinture représente un site sauvage et ro-
cheux, avec des arbres et des dessous de bois, vivement
coloréspar la cbaleur d'un beau matin d'été. Sous de
hauts arbres a gauche est un groupe de voyageurs
qui se sont arrêtés pour laisser reposer leurs animaux
fatigués : une femme sur un ane auquel un homnie
donne a manger; pres d'eux, un autre voyageur de-
bout a cóté de son cheval blanc; un peu en arrière,
un patre conduisant deux bo3ufs Ie long d'une route
montueuse. A droite, une rivière coule a travers une
vallée fertile; plus loin on apercoit un pont et une
• PayO 1,£00 flprins a la vente van der Pot (nouv. c^t.),
-ocr page 168-
LES PEINTHES D'AHCHITECTURE.               153
tour ronde. Sur bois. H. 1 pied t> pouces; L. 1 pied
il pouees. Vente van Slingeland, 1783, 2,575 flo-
rins. »
Le second tableau est intitulé : Ie Bac. « Beau
paysage, avec beaucoup d'arbres et une ?ioble rbfiere
qui coule a la base de montagnes vers le premier
plan. Le bac contenant trois passagers et troisvaches
vient de toucher le rivage, oü semblent 1'attendre,
pour traverser, une lady sur cheval gris, un gentle-
man en rouge et un boy tenant une mule. A travers
un bouquet d'arbres, on voit une ruine, et de la le
regard s'etend sur un vaste pays jusqu'a des monta-
gnes dans le lointain. Un brillant coucher de soleil
ajoute un charme indescriptible a cette scène. Both
a fait une eau-forte analogue a cette composition. Sur
toile. H. 2 pieds 5 pouces; L. 2 pieds 101/2 pouces.
Vente van der Pot, 1808, 3,690 florins. »
• A ces deux tableaux, le catalogue d'Amsterdam
ajoute, sous le nom de Jan Both tout seul : une
Écurie
'.
Les peintres d'architecture.—On adéja rencontre
le précieux van der Heijden avec son ami Adriaan van
de Velde. Après cela, nous n'avons presque rien :
1 Le nouv. cat. a mis au nom des deux frères ce troisième
tableau, payé 610 florins a la vente de madame Boreel, Amster-
dam, 1814, et signé, comme les deux autres : JBoth, le pre-
mier jambage du B faisant le J.
-ocr page 169-
<i>4                          MtSÉK D'AMSTEHIJAM.
urie Vue de l'ancien hotel de ville d'Amsterdam, pur
(ierrit Berckheijden; signé ; Gerit Berck. 1677; —
les Ruines du inême bötel de ville après 1'incendie
de i 632, par Jan BeeMraaten, de qüi Ie musée
d'Amsterdam a aüssi deux marines : Vue d'hiver,
prise du cóté de 1'Y t\ Amsterdam, et la Bataille
navtile
de 1666 entre les flottes hollandaise et an-
glaise ; toile de 8 pieds de large'; — un excellent
Intérieur de 1'église ancienne a Delft, par Hendrik
van Yliet; signé et date 1634; — et un autre Inté-
rieur d'église, par Emmanuel de Witte2, ïié en 1607,
mort en 1692; élève, dit-on, de Evert van Aalst
de Delft, mais sectateur d'Aalbert Cuijp, dans sa
maniere de peindre les interieurs de monument».
Le Louvre n'a aueun tableau de ces deux derniers
artistes, et leurs noms ne sout pas cités dans lo cata-
logue du musée de Paris.
On peut ajouter ici Egbert van der Poel, dout la
spécialité était les incendies. Deux tableaus de lui :
Ruim du magasin dpoudre d helft en 1654, et VIn-
térieur d'une habitation rustique;
le premier, signé:
E van der Poel, 12 octb 1634; le second : Egbert
vn der poel,
1646.
Les peintres de marine. — Ceux-ci ont au musée
1 L'lncèndie et la Bataille sont signés: I
la Vue d'hiver : I. Beerestraaten.
* Signé : E. De. Witte; provenant de la collection van der
Pot (nouv. cat.).
-ocr page 170-
LES PEINTKES DE MARINE.                   155
d'Amsterdam des oeuvres de première importance,
Willem van de Velde surtout.
D'abord, Ie plus grand tableau que Willem ait
peint, a ma connaissancc : Vue de la ville d'Amster-
dam,
prise de 1'Y. La toile a environ 10 pieds de
large sur plus de 5 pieds de haut'. Au milieu, un
grand vaisscau de guerre, aux couleurs hoUandaises,
sa poupe richement sculptée et dorée; a droite, un
yacbt Ie salue par une décharge d'arüllerie; a gaucbe
en avant, une barque d'amiral. Une foule d'autres
navires, petits et grands, circulent a 1'entour. Bello.
signature W. V. Velde f. 1686. Cette date est pré-
cieuse en ce qiï'elle prouvo que Willem van Yelde,
<[iü s'était fixé en Angleterre ainsi que son père, et
qui, des 1675, recevaitde Charles II une pension an-
nuelle, revint quelquefois en HoUande, ou, du moins,
en cette année 1686. — On doit penser que Willem,
qui connaissait si bien 1'architecture navale, s'est
donné de 1'agrément avec ce vaisseau d'une propor-
tion qu'il n'avait jamais risquéc, Pourmapart, je
1'aime mieux dans ses petits tableaux.
Deux compositions très~célèbres en Hollande :
Scène de la bataille navale de quatre jours en 1666.
Un ancien catalogue du musée d'Amsterdam les dé-
1 Le nouv. cat. donne pour mesure: 3,11 sur 1,76. — La
magnifique marine de Willem, exposée a Manchester par lord
Herlford, n'a que 8 pieds de largo, mais 6 pieds de haut. Voir
Trésors d'art, etc, par W. Burger, p. 311.
-ocr page 171-
iöd                        MUSÉE D'AMSTERDAM.
crit ainsi: « N° 324 (aujourd'hui n° 297). Cette pein-
ture rappelle une periode glorieuse pour la nation
hollandaisc. Elle représente la prise d'un vaisseaude
guerre anglais, lc Prince-Royal, de cent canons,
commandé par Sir George Askew. Au moment oü il
abaisse sou pavillon, les marins hollandais abordent
le batiment. On voit encore d'autres vaisseaux de
guerre, et aussi Ie petit canot sur lequel Ie célèbre
peintre s'était fait amener pour prendre ses esquisses.
Cet evenement eut lieu Ie 13 juin 1666, troisième
jour de la bataille donnée par Ie lieutenant-amiral
M. A. de Ruijter a la Hotte anglaise commandée par
I'amiral Monk, duc d'Albemarie, et Ie prince Ru-
pert.—N° 325 (aujourd'hui n° 298). Le pendant,
qui est la continüation du precedent, représente quatre
vaisseaux de ligne pris aux Anglais dans la même ac-
tion... »
Tous deux proviennent de la collection van der
Pot et furent achetés, en 1808, 8,000 florins par Je
gouvernement hollandais. Hauteur pres de 2 pieds
sur 2 pieds *7 pouces delarge'.
On a remarqué, dans la description, le petit canot
1 Lo nouv. cat. donne le faosimile d'une singuliere signa-
ture, qui se trouveraitsur le tableau de la Bataille : A. v. V.
Que veut dire cet A pour piénom, au lieu du W de Willem?
Il faut croire que cette signature, évidemraent fausse, aura été
apposée par un barbouilleur ignorant, qui aura confondu
Willem avec son frère Adriaan, d'autant que cet A rappelle
la forrae de ceux d'Adriaan dans ses signatures authentiques.
-ocr page 172-
LES PEINTBES DE MARINE.                 187
sur lequel 1'artiste assiste au combat. Willem,en
effet, dessinait d'après nature ses batailles navales,
et aussi ses tempètes et scs naufrages. Dans la Vie de
1'amiral de Ruijter, Gerard Brandt, parlant de 1'enga-
gement qui allait avoir lieu entre les Anglais et les
Hollandais, raconte spécialement eet episode : « Du
6 au 13 juin 1666, Willem van de Velde venait
chaque jour a la flotte dans l'intention de prendre des
esquisses de ce qui allait se passer__II se faisait con-
duire sur line galiote aux places d'oü 1'on pouvait Ie
mieux voir__»
Après ces trois tableaux précieux viennent encore
trois marines ordinaires: une Eau ac/itée, comme
dit Ie catalogue; effet de fraiche brisc; trois vaisseaux
de guerre et quelques autres batiments; qualité mé-
diocre; hauteur 3 pieds 2 pouces, largeur 3 pieds
8 pouces; — et deux Eaux calmes; la plus petite de
ces compositions, sur panneau de 1 pied carré en-
viron, est la meilleure : a droite, une jetée en plan-
ches, qui avance; un navire, quelques barques. Petits
personnages de 9 a 10 lignes, très-fins. En mer, un
trois-mats et des barques éloignées. L'autre Calme
est un peu plus grand : environ 1 pied et demi de
large. Aucun de ces trois tableaux n'est signé.
L'oncle de Willem, Esaias van de Velde, né en
1597, mort en 1648, frère de Willem Ie vieux, est
1'auteur d'un « Sujet symbolique tiré des temps du
prince Maurice, » tableau qui parait curieux, mais
qu'on voit a peine a la hauteur oü il a été place.
-ocr page 173-
Ui8                        MUSKË U'AMSTERDAM.
J'ai rencontre dans ma vie quelques belles ma-
rines de Backhuizen, et je suis ainsi forcé de Ie tenir
pour un maitre d'une certaine valeur; maisj'avoue
qu'en général sa peinture me semble misérable, pe-
tite, froidc, manieree. Cc commis de comptoir, cc
oajjigraphfi qui vendait ses tours d'adrosse a la plume
jusqu'a 100 ilorin9,-^le prix de la fameuse eau-
forte de Rembrandt, Jésus guérissant les malades,
— ce professeur d'écriture, devenu peintre plustard,
n'a jamais eu, a monavis, Ie sentiment artiste. Si
Backhuizcnn'existaitpas, il nefaudraitpasl'irrventer,
car il est d'uji triste exemple, Dans Ie sublime aspect
de la nier, c'est Ie détail qui Ie préoccupe! On dit
pourtant qu'il se faisait conduire en pleine mer par
la tempète, a 1'iinitation de Willem van de Yelde
sans doute. Joaeph Yernet aussi se procura souvent
cette émotion. Mais les tempêtes de Backhuizon et
celles de Yernet, quoique très-estimées en leur temp»,
ont déja baisse et elles baisseront encore.
Il y a toujours, en tout pays, parmi les contempo-
rains de chaque école, un parti de riches bourgeois
qui s'amourachent des peintres vulgaires. Les rnar-^-
chands hollandais du xvne siècle, qui dédaignaient
Cuijp, Metsu, Pieter de Hooch, Jan Steen, Hobbema,
nepouvaient manquer d'exalter Backhuizen, et il ent
un grand succes, de son vivant.
Smith raconte, d'après je ne sajs qui, un trait as-
sez caractéristique de Backhuizen- A la mort de eet
ancien burcaucrate, bon compagnon d'ailleurs, a ce
-ocr page 174-
LES PEINTHES DE MARINE.                   130
qu'il paralt, on trouva dans sa chambre une bourse
cöntenant des florins, en nottlbre égal aux années de
sa vie (78), avec une note exprihiant Ie désir quê cët
argent füt distribué a certains peintres désigriés, qui
seraient invites a assisteï è ses fünérailles. Il ordon-
nait en même temps de donner a chaque personne
présente une bouteille d'uti yin qu'il avait mis en ré-
serve pour cette clrconstartee; —< a condition que 1'ar^-
gent füt dépensé, et lc vin bu gatenient a sa mémoire.
Un de ses tableaux au musée d'Amsterdam offre uit
intérèt historique. Il représente « Ie Grand-Pension-
naire Jan de Witt
s'embarquttnt pour diriger 1'expédi-
tion de la flotte hollandaise » dans Ie conflitde 1666.
Le rivage est couvert d'une foule iiöhlbreuse, et Jan
de Witt lui-même arrive^ entouré d'une escorte. Des
vaisseaux de guerre et aütres navires sont la, préts a
partir. Grande toile de 4 pieds en hatiteur et de 4 pieds
et demi eil largeur. Sigué, eü lettres fantastiques:
L. BakhA'lWO1.
Un pccond tableau représente Ie Quai aux Moules,
sur 1'Y it Amsterdam. Beaucoup de iiavires dans lê
port, et des figures sur la digue, femmes et enfants,
marins, et un personnage qü'on dit être le portrait du
peintre. Signé : L.Backhuy et date 1673. Hauteur
2 pieds 8 poucee, largeur 2 pieds 2 pouces. Payé
1,005 florins a la vente van der Pot. En conscieiicê,
c'est très—laid.
1 Acheté 4,600 florins (nouv. cat.).
-ocr page 175-
160                         MUSÉE D'AMSTERDAM.
Le troisième tableau, venant aussi, je pense, de la
mèine collection, est plus petit, et meilleur, sauf les
personnages qui sont horribles. Il est intitulé : Mer
houleuse par une bourrasque qui se retire au loin-
tain.
Signé : L. Bakh 1692.
Hendrik Dubbels, qu'on donne quelquefois pour
maitre ;i Ludolf Backhuizen, en est bien plutót le
disciple. Il est postérieur a Backhuizen, très-certaine-
ment, et encore plus faible que lui. Nous avons de
Dubbels, au musée d'Amsterdam, un Calme. Son
chef-d'oeuvre est au musée van der Hoop.
Renier Nooms, surnommé Zeeman, approche sou-
vent de Willem van de Yelde. C'cst un maitre très-
serré et très-correct, comme on peut le voir dans son
précieux tableau représentant Tanden Louvre, au
musée de Paris (n° 586); car il a fait des vues de ville
aussi bien que des marines. Ses oeuvres sont rares,
et,quoiqu'il soit censé avoir habité longtemps Berlin,
le musée de cette ville n'a point de tableau de lui.
Amsterdam en a un : la Bataille navale devant Li-
voume en
1612. On en trouve un autre, excellent, au
musée de Rotterdam.
Jan van de Capelle fut aussi un bon mariniste, de
cette génération qui occupe le milieu du xvne siècle.
Son seul tableau, au musée d'Amsterdam, est signé
et date 1650. Le catalogue 1'intitule (n° 51): « une
Rivière are flets d'eau, avec quantitéde navires. »
Du mème temps est Lieve Verschuur, né a Rot-
terdam. Nous avons de lui : le Chdtiment de la ca/e
-ocr page 176-
UN PEINTHE D'OISEAUX V1VANTS.              16i
infligè au chirurgien du vaisseau de l'amiral van
Nes,
et XEntree de Charles II d'Angleterre dans Ie
port de Rotterdam.
Ces deux tableaux sont signés
en toutes lettres.
D'un maitre plus ancien, H. C. Vroom, 1566-
1640 : l'amiral Heemskerk coulant a fond les ga—
lères espagnoles devant Gibraltar en
1607. Signé :
Vroom 1617.
Enfin, de J. C. Rietschoof, 1652-1719 : un Calme
et une Mer agitée.
Un peintre d'oiseaüx vivants. —Très-bonpeintre,
vraiment : Melchior de Hondecoeter, dont Amster-
dam et La Haye possèdent des chefs-d'oeuvre. Per-
sonnen'a fuit mieux que lui coqs et poules, canurds et
canes, et surtout les poussins et les canetons. 11 a
compris ces families avec autant de profondeur que
les Italiens la Sainte Familie mystique; il a exprimé
la maternité des poules, aussi bien que Raphaël la
maternité des vierges; a lavérité, Ie sujet compor-
taitplus de naturel, sinon autant de sublimité. Nous
avons la, de Hondecoeter, une mère poule qui, pour
la tendresse, affronterait la Madone a la Chaise. Elle
est accroupie avec sollicitude, ses ailcs étalées, sous
lesquelles sortent des tètes éveillées de petits pous-
sins; sur son dos est perché Ie bambino privilegie;
elle n'a garde de bouger, la bonne mère!
Sur les huit Hondecoeter du musée d'Amsterdam,
Ie plus célèbre est celui qu'on intitule du noin consa-
li.
-ocr page 177-
l«2                         MUSÉE D'AMSTERDAM,
cré : la Plume flottante. Cette plume de canard
flotté a la Sürface d'urte pièce d'eaü, au bord de la-
quelle miroitent des canards, un pélican, un flamant
et au tres oiseaux aquatiques. Ne soufflei pas sur la
plume, elle s'envolerait. Le fond de paysage est un
pare. La toile a pres de G pieds de haut sur 4 a 8
de large. Signé en toutes lettres : M t) Bonde-
coeter.
Dans un autre : Pare avec des canards et des pi-
f/eons,
il y a aussi une plume qui flotte sur un
bassin; car le peintre s'est amuse souvent a repeter
cette babiole, pour 1'ébattöinent des amateurs. Mais
ce tableau-ci ne vaut pas 1'autre.
La Plume /lottante n'est pas cependant, a mtm
avis, le meilleur Hondecoeter du musée d'Amster-
dam. Le n° 123, Paysage avec un paan, unepaonne
et des oiseaux exotiques,
est supérieur, comme am-
pleur d'exécution et comme harmonie générale. Les
deux paons sottt a droite; a gauche, une poule blan-
che, entourée de ses petits; vers le milieu, un de ces
poussins effrontés, au plumage feuille morte et a la
tête touge, et qui fera un beau coq, se rebecque ga-
lamment contre le paon. Yigoureuse peinture, pro-
venant de la collection Lormier. Environ 4 pieds de
large sur plus de 3 pieds de haut.
Le n° 127, Paysage avec de la volaille morte,
est a peu pres'de la mème proportion que la Plume
/lottante;
on y voit un héron, une oie, des canards;
et sur une souche d'arbre, une pic vivante. Signé
-ocr page 178-
UN PEINTRE D'OISEAUX ViVANTS.             163
des initiales M. D. H. Dans le pendant, n° 128, un
lièvre, un faisan, etc, et un paon vivant, pres d'un
grand vase.
Le n° 128 est très-petit, 1 pied de large a peu
pres, sur 1 pied et demi de haut. Une perdrix morte
et une brochette de quatre petits oiseaux. Rare qua-
lité.
Les deux derniers représentent, 1'un des perrc-
quets, des oiseaux exotiques et mème des singes,
1'autre des fleurs et des plantes '•
Jan Asselijn, né a Diepen, iuivant son inscrip-
tion au registre de la bourgeoisie d'Amsterdam,
et non a Anvers2, comme le suppose a tort le cata-
logue du Louvre, Jan Asselijn— qui le croirait?
— a peint un Cygne de grandeur naturelle, et que
Hondecoeter pourrait signer; c'est pourquoi je men-
tionne, a la suite de Hondecoeter, cette singularité
du peintre de paysages et de ruines. Le cygne de Jan
Asselijn a les ailes déployées, et signifie allégorique-
ment, dit le catalogue, la vigilance du Grand-Pen-
1 Le nouv. cat. enregistre un neuvième tableau de Honde-
coeter : Combut d'oiseaux.
1 II est étonnant que le nouv. cat. donne aussi Anvers
comme le lieu de naissance d'Asselijn, quand un des livresde
la bourgeoisie d'Amslerdam inscrit, comme ayant été recu
bourgeois le 24 janvier 1653 : « Joannes Asselijn, van Diepen. »
—  Voir Scheltema : Redevoering over het leven en de ver-
diensten van Rembrand,
etc, Amsterdam, 1853 ; page 69. —
Le Cygne d'Asselijn provient de la venle Gildemeester, 1800,
Amsterdam, 95 llorins.
-ocr page 179-
104                        MI'SÉE D'AMSTERDAM.
sionnaire Jan de Witt. Signé du monogramme JA.
Excellente peinture.
Un peintre de gibiek mort. — Jan Weenix. A un
grand vase, orné de bas-reliefs, sont suspendus deux
lièvres; un faisan, une oie, un coq, des perdrix, sont
étalés au premier plan. Sur Ie \ase, la signature :
/. Weenix / 1714. Le peintre avait soixante-dix
ans. Il mourut cinq ans après.
Autre grand tableau de Weenix, 4 pieds sur 3 :
du Gibier mort et des Fruits; et un troisième : un
Lièvre suspendu avec des accessoires de chasse'
.
Peintres de fruits et de fleurs. — lis sont tous
ici: David de Heem et son fils Jan Davidsz; Abraham
Mignon, 1'Allemand, qui vint étudier chez Jan
Davidsz; Rachel Ruysch, dont le Louvre n'a rien;
Jan van Huijsum, qui se forma d'après les de Heem
et Mignon; son contemporain, C. Roepel, né a La
Haye en 1678, mort en 1748, dont nous avons un
tableau de fleurs et un tableau de fruits, signés :
Coenraet Roepel fecit 1721; Pieter de Ring, a moi
inconnu 2, si ce n'est par son excellent tableau de
Fruits avec accessoires.
1 Ce dernier tableau a été payé 1,055 florins a la venle
Herman ten Kate, 4800; et 2,5(0 ü. a la vente van der Pot
(nouv. cat.).
? Inconnu augsi au nouv. cat., qui nc donne ni date, n\
-ocr page 180-
LES PEINTRES DE FRUITS ET DE FLEURS. 16o
üavid de Heem, un tableau; — Jan Davidsz, deux,
assez bons; 1'un est signé :Johan D Heem f 16..;
1'autre : 1 D De Heemp.;—Mignon, deux : un Vase
avec des Fleurs,
et un Verre, des Fruits et acces-
soires,
signés en toutes lettres; —- Rachel, un seul:
Bouquet de fleurs delicieuses, avec des papillons et
des insectes, signé du prénom et du nom, en toutes
lettres. Toile haute de 1 pied 6 pouces, large de
1 pied 3 pouces. Payé 680 florins a la vente de
la baronne de Thoms, en 181C '.
Le talent de Rachel, dans ses productions choisies,
est plus sympathique aux artistes que celui de 1'Alle-
mand Mignon, dont la touche est si maigre et k
couleur si froide. Pour moi, ces fleuristes de profes-
sion ne m'inspirent pas une admiration très-passion-
née. J'aime mieux les fleurs pointes quelquefois par
Rubens, par Velazquez, et par certains maitres de la
grande peinture, que les bouquets les plus fins et les
plus chers de van Huijsum. Il faut remarquer d'ail-
leurs que van Huijsum, le plus estimé des fleuristes
hollandais, n'était pas de la grande époque, qu'il
vint au moment de la décadence, quand tous les gé-
nies de la Hollande étaient morts, et qu'il travailla
pendant la première moitié du xvine siècle. Il me
renseignement, a la suite du nom. Le tableau vient de la coll.
van Heteren.
1 Et, deux ans auparavant, a la vente de la douairière
Boreel, 570 fl. (nouv. cat.).
-ocr page 181-
m                    MUSËE IVAMSTERDAM.
semble que Metsu, s'il s'en était mêlé, eut fait de
plus belles fleurs que van Iluijsum.
Cette Rachel était une vaillante femme, qui moit-
rtit a quatfe-viflgt-six ans et peignit pfesque jusqu'li
son dertiief jour. M. Six van Hillegom a d'elle deux
pendarits, «ignés ét dates 1730, et qui n'aecusent au-
cune faiblesse, quoiqu'elle eüt alors soixante-six ans.
Née a Amsterdam, en 1664, d'un professeur dis—
tingué, ellê apprit, tout enfant, la peinture chez
Willem van Aalst, mort en 1679. Elle était déja cé-
lèbre quand elle Se maria, en 1695, avec Ie portrui-
tiste Jurriaan Pool. Tous deux sont inscfits, en 1701,
au registre de la gilde des peintres de La HajO
[Haagsche Broederschap). Malgré son assiduité a
peindre, elle tl'a pas laissé beaucoüp de tableaux,
sans doute a cause du soin qu'elle y mettait. On dit
qu'elle paesa sept années suf deux chefs-d'oeuvre
qu'elle dortna en dcrt a üne de ses filles; — elle avait
dix enfants! 11 pafait que les enfants lui coutaieilt
moins a faire que les fruits et lès fleurs.
Yan Huijsuni, comme on sait, a peint quelquéfois
de petits paysagés très^-fins, pointillés a la facoli des
ïniniaturistes, et qui serviraient bien de pcndants
aUx plus minutieux ouvrages des héritiei's de Frans
Mieris. La nature n'y étant pour rien, il y introdui-
sait de petits monuments microscopiques, avec des
colonnes et de menus déguisements a 1'antique, et il
appelait ca des Arcadies ou autrement. Le musée
d'Amslerdam a de cette fabrique deux petits bijoux,
-ocr page 182-
LES P0RTRA1TS.                           167
signés en toutes lettres. Les Areadies de van Huijsum
sont infmiment nioips chères que ses Vases de fleurs.
G'est justice.
Maïs Ie musée d'Amsterdam a aussi des Fruits
et des Fleurs de van Huvsuni- Les Fruits sont peut-
ètre Ie tableau qui fut vendu 3,610 florins a la vente
van der Pot, Le& Fleurs, roses, hyacinthes,
mones, etc., sont groupéos en un vase orné de
reliëfs et place sur unc tablctte de marbre, a cöté
d'un nid contenant quatre ceufs. Fond clair, ee qui
est une grande qualité dans ces sortes de compost
tions. Sur pannoau large de 2 pieds, haut de 2 pieds
7 pouces. Cette elegante et delicate peinture est datée
1723, du plus beau temps du maitre. Un tableau ana-
logue, ou peut-ètre celui-ci, a été vendu 3,800 florins
a la vente Braamcamp, 1771, et 1,950 florins a la
vente J. Gildemeester, 1800 '.
Lks poutbaits, -— J'ai parlé, a 1'occasion, des poiv
traits exécutés par les maitrea d'un vrai mérite, JLe
musée d'Amsterdam en possède quantité d'autres,
plus ou moins estimableB comme peinture, mais qui
offrent un intérêt historique. En voici lft nomencla-
ture :
1 Le nouv. cat, ne confirme pas celle tradition et nintlique
que la vente Johan van Schuijlenburg, bourgmestre de La Haye,
4735, oü ce van Huijsujn fut payé seulement 450 florins. Les
Fruits et les Fleurs sont signés en toutes lettres, avec un y au
lieu de 1'ij de la signature des Aroadïes.
-ocr page 183-
168                        MUSÉE D'AMSTERDAM.
Leprince Guillaume IV, par J. Aved. Je suppose
que eet Aved, inscrit sans autre désignation, doit être
celui qui faisait partie de 1'Académie de Peinture en
France, au milieu du xvmc siècle, Guillaume IV
étant
précisément de ce temps-la'.
Le Grand-Pensionnaire Jan de Witt; noble tète,
mains longues et fines2; et Cornelis de Witt, son
frère, bourgmestre de Dordrecht; par Jan de Baen,
né a Haarlem en 1633, mort a Amsterdam en 1702;
auteur d'un troisième tableau représentant « les Ca-
davres mutilés de ces frères Jan et Cornelis de Witt. »
Pour de telles scènes et de tels personnages, il est
regrettable que le peintre soit assez insignifiant. Jan
de Baen eut cepeiidant grande réputation a son épo-
que, et fut appelé en Angleterre, oü, suivant Wal-
pole, il a fait quantité de portraits du roi Guillaume
et de la reine Mary.
Marie van Reigersbergen, femme de Grotius, par
üavid Baillij, né en 1384, mort en 1638. Signé :
D Baillij fecit A" 1624.
Fernand Alvarez de Tolède, duc d'Albe (le fameux
executeur de Philippe IV d'Espagne, dans les Pays-
Bas), par Dirk Barendsen, né en 1534, mort en 1592.
Malheureusement, ce n'est rien comme peinture.
1  Le nouv. cat. ajoute au nom de « Jaques André Joseph
Aved » cette petite notice : « Né a Douai en 1702, élève de
Bernard Ficart et de Le Bel; mort a Paris en 1766. » — Le
portrait est signé : 3 Aved 1751.
2  Gravé par L. Visscher (nouv. cat.).
-ocr page 184-
LES PORTRAITS.                              169
Le vice-amiral A. Bankcrt, par Hendrik Berck-
man, né en 1629, mort en 1690. Si Berckman est
1'auteur de ce portrait, sa date de naissance, in-
scrite au catalogue, doit être fausse ; car la peinture
est datée 1645, et il n'est pas probable qu'un ar-
tiste de seize ans ait été appelé a faire le portrait d'un
arniral'.
Les Syndics de la corporation de Saint-Luc k
Haarlem, sept figures, de grandeur naturelle, a mi-
corps ; composition analogue a celles que faisaient
Rembrandt, van der Helst, Ferdinand Bol, Govert
Flinck, Jacob Backer, Frans Hals, et les autres mai-
tres de la grande peinture; par J. de Bray, mort en
1694. Ce de Bray, dont le prénom est Jacob, était
le fils de Salomon de Bray, né a Haarlem en 1597,
mort en 1667, et qui a signé : £. Bray, 1640, des
peintures notables, dans la salie d'Orange, au pavil-
lon du Bois, a La Haye, comme accompagnement au
chef-d'ceuvre de Jordaens : le Triomphe de Frêdêric-
Henri.
Mais le fils Jacob de Bray n'est pas si fort que
son père Salomon 'z.
1 Le nonv. cat. donne la date 1648, et, de plus, la signature
de Berckman, qui aurait eu dix-neuf ans en 1648.
8 Le nouv. cat. donne des renseignements sur ce tableau
curieux, date 1675 : quatre des figures sont peinles par J. de
Bray; lui-même, qui se trouve la, comme membre de la gilde,
est peint par Dirk de Bray, son frère sans doute, et secrétaire
de la gilde; les deux autres personnages se sont peints eux-
mêmes : .1. van Gating et .1. de Jon^.
15
-ocr page 185-
170                        MUSÉK D'AMSTERDAM.
Portrait de Jan ten Compe, par lui-mênie; ce
peintre, né en 1713, est mort en 1761'.
Le contre-amiral W. Crul, par C. van Cuilen-
burg, né a La Ilaye.
Portrait de Joost van Geel, par lui-même; né a
Rotterdam en 1631, mort en 1698.
Le vice-amiral J. A. Zoutman, par August
Christian Hauck, né a Mannheim en 1742, mort a
Rotterdam en 1801.
Le vice-amiral Jan van Nes; assez faible, froid et
vide; mais les mains sont bien peintes; signé : L. J).
Jong,
A° 1666,1'L, le D et le J, d'une forme très-
recherchée, lies ensemble, et le g finul enrichi d'une
espèce de parafe; — Alctta Ravensburg, femme
de eet amiral; avec 1'inscription : JEta 33. — 1668.
Ludolf, ou Lieve de Jong, né en 1616, est mort en
1769. Il semble avoir suivi 1'école de van der Helst2.
Le lieutenant^amiral Cornelis Tromp, — et sa
femme,
« par A. Mytens, né en 1612. » A. Mytens3
est probablement fils—-oufrère—de DanielMijtens,
né a La Haye en 1590, peintre de Charles Ier d'An-
gleterre, avant 1'arrivée de van Dyck a Londres, et
1 II parait qu'on y a decouvert la signature : T. Regters f.
1751. Le nouv. cat. 1'a donc transporté au nom de Regters.
8 II a travaillé cliez Cornelis Saftleven, chez Antonie Pala-
mede-sz Stevens et chez Jan Bijlert, suivant le npuv. cat.
» Le nouv. cat. donne le prénom Johannes, et dit, d'après
Immerzeel, quo ce Johannes Mytens, né a Bruxelles en 1612, fut
élève de A. van Opstal et de N. van der Horst.
-ocr page 186-
les PühTHAiTS.                      m
presque aussi habile que Van Dyck. A. Mytens est
lourd et faible a cóté de Daniel. C'est tristè póur
1'amiral Tromp, un des héros de la marine hollan-
daise, avec de fluijter.
Jan Wagendttr, histofiographe d'Amsterdam,
paf Tiebout Regters, né en 1710, hlört en 1768.
Signéetdaté 1761.
Le prince Eugène de Savoie', paf Jacob van
Schuppen, né en 1623.
La princesse Anne dAtigleterrë. femme de Guil-
laume IV, par M. Terwesten, né a La Haye en
1670, mort en 1730.
Portrait de Cofnelis Troost, par lui-mème. Nous
trouverons de lui, au musée de La Haye, quinze
dessins de scènes comiques, rassemblés a paft dans
un petit cabinet.
J'ajouterai ici les portraits catalogués sans noms
d'auteur :
Lé chevalier Frans van Borselen — et la comtêsse
Jacqueline dé Bavière;
vieux portraits, fortcürieux,
qüi paraissent être de la fin du xve siècle, ou du com-
mencement du xvi"; mais ils sont très-haut places'.
Kenau Hasselaer. Date 1573.
Hugo Grotim, k 1'age de quarante-huit ans; —
W. van de Velden, secrétaire de Gfotiüs, «■» et sa
femme E. van Houwening.
1 Sür les fonds sonl peints les écussons des deux families,
donnés en fac-simile par le nouv, cat.
-ocr page 187-
172                        MUSÉE D'AMSTERDAM.
Le comte Adolph de Nassau.
Amalia de Solms, veuve du prince Frédéric-
Henri.
Le vice-amiral Witte Corn. de Witte.
Le commandant Heraugiere, « qui a pris la place
de Breda au moyen d'un bateau a tourbes, en 1590.»
Le fils du lieutenant-amiral A. van Nes.
L'empereur, « Charles le Grand. »
L'épouse du même empercur.
Les comtes Louis, Jan, Adolph et Hendrik de
Nassau, en pied. Peinture assez savante, mais très-
1'roide.
Le comte Ernest Casimir de Nassau.
Le même, en picd.
Henri Casimir, en pied.
Un des comtes de Nassau, inconnu.
«Idem. » Très-bon.
Le comte de Leicester.
Gaspard de Coliyny, amiral de France. Je ne sais
pas si c'est Coligny. Mais la peinture ne signifie rien.
Ripperda. commandant de Haarlem, lors du
siége.
Philippe IV, roi d'Espagne. Rien.
Albert, archiduc d'Autriche, — et sa femme Isa-
belle
(copies d'après Rubens).
Jjepape Adrien VI.
Une princesse espagnole.
Un inconnu, « habillé avec distinction » (copie
d'après van Dyck).
-ocr page 188-
PEINTRES DIVERS.                            173
Quarante portraits, représentant des princes d'0-
range, des comtes de Nassau, et autres personnages
historiques.
Peintres divers. — Comme ce travail s'adresse
aux artistes et aux amateurs qui étudient 1'histoire
de la peinture, je tiens a noter, du moins, les ceu-
vres qui ont échappë a mes catégories. La plupart
n'ont aucune valeur artistique, mais elles peuvent
avoir un certain intérêt a titre de document.
A. van Beijeren: Tab Ie garnie depoissons. Appa-
remment que les rédacteurs du catalogue ne savent
rien de ce peintre, puisque son nom n'est pas même
accompagné d'une date. Le catalogue du musée de
Rotterdam oü 1'on voit un tableau analogue, assez
bon, dit quAlbert van Beijeren vivait au milieu du
xvne siècle. Nous ne sommes pas beaucoup plus
avances '.
P. van Hillegaard, mort en 1638 : le Congé donné
aux milices,
dites Waardgelders, a Utrecht, en
1618 2.
(( G. Hoedt, » né u. Bommel en 1648 , mort a La
Have en 1733 : Manage d'Alexandre avec Roxane ;
le Triomphe d'Alexandre,
pendant du precedent;
1 Rien non plus dans le nouv. cat. Le tableau est signé d'un
monogramme AVB accolés.
* Le tableau est signé : pauwels van Hillig 4627 (nouv,
Ift-
-ocr page 189-
474                        MUSÉE DAMSTEHDAM.
Ct deux paysages. Petits tableaux assez fms, dans Ie
style pscudü-italien. Signés tous les quatre. Ce Gê-
rard Hoet est Ie père de Gerard Hoet, qui a publié
deux volumes de Catalogues de ventes, La Haye,
1752. Il était élève de son père Moses Hoet, de
W. Van Rijsen et de Cornelis Poelenburg. Les mu-
sées de Drcsde et de Yieline possèdent de lui chacun
un petit tableau.
Janson « 1'ancien, » né en 1729, mort eu 1784 :
Ie Chdteau de Heemstede. Signé et date 1765.
L. de Moni, né (a Breda) en lüt)8, mort (aLeyde)
én 1771 : uue Femme arrosant des fïeurs. Louis de
Moni était élève de Philip van Dijk j d'Amsterdain ,
iniitateur de Mieris.
Matthijs JNaiveu, né en 1647, niort en 1721 :
Saint Jérómepriemt. Signé et date 1670.
J. Oudenrogge (saus autre désignation); l'Atelier
dun tisserand.
Signé et date 1652.
Isaak Ouwater, né a Amsterdam en 1747, mort
eu 175*3 : deux Vues d'Amsterdam.
J. Quinkhard (sans plus) : Intérieur avec deux
personnes qui font de la musique
'.
J. de Ruyter (sans plus2): unePoissunnièrre (sic).
A. van Strij, né (a Dordrecht) en 1753, mort (ibid.)
1 Signé : Julius Quinkhard pinx. 4755. Ce peintie, né en
1736 a Amsterdam, y est mort en 4776. Élève de son père,
Jan MauiiU (nouv. cat.).
J Signé et date— 4820 (bouv. cat.).
-ocr page 190-
ÉflOLE FLAMAINDE.                           173
en 1824 (Ie catalogue de Rotterdam dit: en 1826):
un Jeune homme qui dessihe. Abraham vati Strij
éteit satis doüte Ie frère ainé de JaCob van Strij, né en
1756, mort en 1615, assez connu comme ayaftt beau-
coup pastiche Aalbef t Cuijp, Paul Potter et autrés
inaitres du Xvir3 siècle.
D. Virtkboom, né en 1578, mort en 1629 : Ie
prince Matinee allant d la chasse, accompagné dé sa
suite.
David Yinkboom était hé a Malincs, mais il
8e iixa a Amsterdam, oü il taourut. Il était élève de
son père Philip. 11 a peirtt beaucoup de petits tfr*
bleaux, sur cliivre souvent, oti sur bois, quelqucfüis
en collaboration de Jan Rottehhammél1. Les musées
de Berlin , de Yienne, de Drcsde en ont plusieurs.
Sa marque ordinaife est un pinson [vink en hollan-
dais) qu'iLperchait sur quelque arbf e de ses paysages'.
A présent, j'ai réussi a renfermer dans ce comptc
rendu tous les peintres hollandais du catalogue du
musée d'Amsterdam, avec toutes leurs oauvres. Món
plaisir est qu'il n'y en manque pas un2.
École flamande. — Hélas! les Flaniands ne font
pas beUe figure chez leurs voisins, —anciens amis ,
1 Le nouv. cat. écrit, d'après Immerzeel, Vinckenboons.
* Je ne trouve de plus dans le nouv. cat., en fait de Hollan-
dais a ciler, que S. van Hoogstraaten: le Convive indigne; et un
Paul Potter: « les Coupeurs de paille (de Stroosnijdcrs); rionné
(récemmentsans doute) par le baron van Spaen van Biljoen. »
-ocr page 191-
176                        MI'SÉE D'AMSTERDAM.
anciens ennemis, —les Ilollandais. Leurs nomsmè-
mes sont défigurés, quoiquc les deux langues soient
pi'esque pareilles, et 1'on dirait que leurs oeuvres sont
aussi étrangères au dela du Moerdijk, que les oeu-
vres des peintres d'Italie oud'Espagne.
Le catalogue enregistre trois tableaux des van
Eyck: «N° 80. UnTemple gothique. N° 81. LaSainte
Vierge avec l'Enfant.
N° 82. L'Adoration des mages
d'Oriënt.
» Les deux premiers sont censés de Hubert
et de Jan; le troisième, de Jan tout seul. Il faut no—
ter que le catalogue donne 1445 comme date de mort
de Jan; on devrait savoir en Hollande qu'il est mort
au mois de juillet 1441 '.
J'ai cherché longtemps ces précieux van Eyck ,
m'étonnant bicn de ne les point trouver; car des van
Eyck , cela saute aux yeux. J'avais passé vingt fois
devant eux sans m'arrêter. Les trois prétendus van
Eyck sont de niisérables copies de je ne sais quelle
misérable peinture qui n'est pa.s mème de 1'époque.
lis gisent au rez du parquet, dans un petit défilé
obscur entre deux portes, quoiqu'on les défende au
musée comme authentiques, etqu'Immerzeel2ait eu
1 Le nouv. cat. a conservé les deux vieilles dates données
par SandrartjDescampsetautres: 1370-4445. — II asupprimé
deux des faux van Eyck, mais il en a conservé un : L'Adora-
tion des mages.
On se décide avec peine a n'avoir plus du tout
de van Eyck, quand on avait cru en posséder trois!
1 M. Michiels (flistoire de la peinture hollandaise, etc.) ne
s'y est pas laissó prendre, comme Immerzee!:« Les prétendusj
-ocr page 192-
ÉCOLE FLAMANDE.                            177
Ja Jiaïveté de les citer comme tels, deux fois dans
son livre. Mais ce biographe des artistes hollandais et
flamands ne connaissait absolument rien a la pein-
ture. La peinture ne s'apprend pas dans les biblio-
thèques.
Les trois van Eyck ne valent pas 100 florins a eux
trois.
Du xvc siècle, nous sautons a la dernière moitié du
xvi°: Paul Bril, un paysage insignifiant; — Hen-
drik van Balen, que Ie catalogiie hollandais fait naitre
en 1633, et mourir en J702 ! au lieu de 1360-1632,
un tableau vrai, avec Diane, Bacchus, Pan, des sa-
tyres et des nymphes; on lui attribue aussi, en col-
laboration avec Jan Breugel, la Composition sym-
bolique, représentant les diverses scctes du Christia-
nisme, que nous avons restituée précédemment a van
der Venne.
De Breugel lui-même, surnommé Ie velours, dit
Ie catalogue, il y a cinq tableaus, dont quelques-uns
assez fins : une Scène de la fable de Latone, trois
paysages et une Forêt; ce dernier tablean est signé
Brvegel, qui est Ie nom véritable, comme 1'ont tou-
jours signé les membres de cette familie; — de Josse
de Momper, que Breugel a souvent étoffé de ses
ngurines, un assez bon paysage; — de R. Gyzels,
van Eyck d'Amsterdam n'ont jamais occupé Ie célèbre peintre,
ni déshonoré son pinceau » (t. II, p. 126). Mais M. Viardot
les acceple et les cite, de confiance sans doute, puisqu'il n'a
point visite les mnsées de la Hollande.
-ocr page 193-
178                        MUSËE D'AMSTERDAM.
élève de Breugel, une Vue de village; — et de Jan
Van Breda, qüi, plus d'un siècle après, imita tantót
Breugel et tantót Wouwerman, un Paysage avec
des chevaux.
Peeter Neefs a trois Intérieurs d'cglise catholiqtle.
Le n" i 96, Intérieur d'une église d Anvcrs, signé
Peeter Nefs , est de belle qualité et d'une certaine
importance pour le maitre '.
« Pourribus Jr. (F.), né 1570, décédé 1622. Por-
trait d'Elisttbeth,
reine d'Angleterre. » Pourribus,
qu'cst-ce que cela? Les dates nous font devinef que
le catalogue vent parier de Frans Poufbus le jeune,
d'Anvers. Il n'y a pas si loin d'Anvers a Amsterdam,
qu'on ne dut ici connaitre au moins le nom de cette
familie d'artistes célèbres2.
Avec Otho van Veen, nous tenotis la grande école
de Rubens, son élève. Le catalogue enregistre «douze
pièces relatives a 1'histoire des anciens Bataves et des
Romains, par O. Yettius, mort en 16343; » il fau-
1 Les deux autres sont signés également, 1'un : Peeter
NEEffs; 1'autre : Petrus Nefs 1636 (nouv. cat.). On sait com-
bien ce maitre était capricieux dans ses signatures.
* II va sans dire que le nouv. cat. a corrigé ces orthogra-
phes baroques. Il attribue ce porlrait d'Élisabeth a Frans le.
père, 4540-1580, et non plus au flls. L'un ou 1'autre peuvent
avoir peint Élisabeth, née en 1533, morte en 1603. Je ne crois
pas que Frans le vieux ait jamais été en Angleterre, mais
Frans le jeune a beaucoup voyagé.
3 Cette fausse date est conservée dans le nouv. cat., qui dé-
crit au long les 12 tableau» üe van Veen,
-ocr page 194-
ÉCOLE FLAMANDE.                           170
drait 1629; erreur d'ailleurs commise aussi par Ie
catalogue du Louvre et par les catalogues de Berlin
et de Vienne. C'est au nouveau catalogue d'Anvers
qu'on doit la rectification de cette date.
Rubbens, ainsi est écrit Ie nom du grand artiste
flamand par Ie catalogue hnllandais, Rubens n'a que
deux tableaux : la Piété filiale et une « ébauche, re-
présentant Jésus-Christ trainant sa croix. » A mon
.avis, la Piété filiale n'est pas peinte par lui, mais
dans son école, d'après sa composition. Smith ce-
pendant accepte cette faible peinturej comme éiant
originale et 1'enregistre n° 382. Elle a étó gravée par
A.Voet. Ala vente Stiers d'Aertselaer, Anvers, 1822,
elle fut payée 5,300 (lorins, Hauteur 4 pieds 9 pou-
ces; largeur 5 pieds 9 pouces. Sur toile.
Rubens a fait plusieurs compositions de ce sujet
romain. La galerie Marlborough en possède une,
presque semblable a celle d'Amsterdam, et gravée
par J. Smith; cc doit être 1'original. Panneels aussi
a gravé a 1'eau-forte une Charité romaine, difTérem-
ment composée.
Le Jésus-Christ trainant sa croix eet une excel-
lente esquisse du grand et magnifique tableau con-
servé au musée de Druxelles : « N' 163, le Christ
montant au calvaire
, » peint en seize jours! après
1631, et gravé par Paul Pontius. Rubens avait fait
deux esquisses pour ce chef-d'oeuvre, et Smith, qui
se trompe quelquefois, les catalogue toutes deux
comme étant au musée d'Amsterdam. Celle du mu-
-ocr page 195-
180                        MUSÉE D'AMSTERDAM.
sée d'Amsterdam n'a que 2. pieds 2 pouces de haut,
sur 1 pied 6 pouces de large'; 1'autre, que j'ai vue a
Londres, il y a environ cinq ans, chez un marchand
de tableaux du Strand, a plus de 3 pieds de haut et
plus de 2 pieds de large; elle provient, je crois, de
la vente Horion, Bruxelles, 1788, — 165 florins.
Toutes deux sont sur panneau.
Nous ne sommes pas plus heureux avec van Dyck
qu'avecRubens. Deux tableaux attribués a van Dyck,
seulement;
encore peut-on douter qu'ils soient de
lui. Puisque cependant Smith les accepte aussi, nc
soyons pas trop rigoureux.
Portrait de Jacob van der Borcht, bourgmestre
d'Anvers, de grandeur naturelle, en pied, debout
dans un vestibule, d'oii 1'on apercoit un fond de ma-
rine. Le bourgmestre est vètu de soie noire; sa maiii
gauche est voilée sous le petit manteau; sa main
droite fait un geste en avant. 6 pieds 6 pouces de
haut sur 4 pieds 4 pouces de large. Gravé par Ver-
meulen. Payé 1,000 florins a la vente Stiers d'Aerl-
selaer. —1,000 florins,—a Anvers, en 1822 ! — ce
n'est pas bon signe d'authenticité pour van Dyck.
« Portraits (supposés) de la princesse Marie Hen-
riette Stuart
et do son frère le prince de Wallis, en-
fants de Charles Pr, roi d'Angleterre, » en pied, de
grandeur naturelle. Le petit prince parait avoir en-
viron douze ans ; il est tout vêtu de soie rouge ; de sa
1 72 centim. sur 35, d'après le nouv. cal.
-ocr page 196-
VAN DYCK.                                  181
main gnuche il tient son chapeau, de sa main droite la
main de la petite princesse richement costumee en
satin blanc, avec per les et diamants. 4 pied 6 pouces
de hauteur, sur 3 pieds 6 pouces de largeur. La pein-
ture, très-froide d'apparence, est très-usée en plu-
sieurs endroits et défigurée par des restaurations. Il
se peut qu'elle ait été originale'.
Viennent ensuite un seul Jordaens, assez faiblc :
Paysage avec Ie satyre Pan2, et deux Snyders : un
plat garni de fruits avec du cjihier mort
et un che-
vreuil mort, une hure de sanglier et des légumes ;
ce dernier tableau de belle qualité.
David de Coninck, né a Anvcrs en 1636, mort a
Rome vers 1686, est 1'auteur de deux superbes
chasses, aussi fortes que des Snyders : une Cliasse
aux cerfs
et une Chasse aux ours3, placees dans 1'es-
calier, ainsi qu'un Chevreuil mort, porté aux Incon-
nus, et qui doit être du même maitre.
Pour en finir de la grande écolc flamande, restent
trois tableaux de Gaspar de Crayer, qui sut conserver
1'indépendance de son talent a cóté de Rubens dont il
1 On trouve dans Ie nouv. cat. un van Dyck de plus: La
Madeleine repentante,
de grandeur naturelle. Je ne connais
point ce tableau.
8 Vente S. J. Stinstra, en Frise, 360 florins. Gravé par
Bolswert (nouv. cat.).
3 Ces deux belles peintures n'ont coülé que 144 florins a la
vente van der Pot. La Chasse aux cerfs est signée en toutes
lettres (nouv. cat.). .
IC
-ocr page 197-
182                        MUSÉE D'AMSTERDAM.
était 1'ami: un Ecce Homo, peu remarquable'; une
grande Adoration des bergers et une magnifique
Descente de croix, d'environ 3 mètres en hauteur.
Despetits maitres flamands, il n'y en aque deux:
David Teniers Ie jeune, en quatre tristes excmplaires,
et David Ryckaert : un Cordonnier et autres per-
sonnes dans un intérieur;
peinture très-solide et
très-colorée. Il y a aussi une marine de Jan Peters,
d'Anvers, 1624-1677 : la Flottille anglaise hridée a
Chattam,
en!6672.
Il faut pourtant mentionner les Teniprs, rnalgré
leur insignifiance : N° 273. Demeure rustique avec
un homme tenant a la main une pipe et un pot de
bière. N° 274. Compagnie de gens joyeux; tableau
couvert de repeints. N° 273. Tentation de Saint-
Antoine;
1 pied de haut sur 10 pouces de largc;
Smith 1'estimait 80 guinóes : on yoit que c'est peu
de chose, quoiqu'il ait passé dans la collection Braam-
camp. Et JN° 276. Corps de garde ayecplusieurs gens
1 AUribué maintenant a Pieter van « Moll, né en 4580. »
Les rédacteurs du nouv. cat. devraient avoir vu dans Ie beau
cat. d'Anvers que van Mol, et non Moll, est né en 1599, et
nonen 1580. — VEcce Homo pourrait bien d'ailleurs n'êtro
ni do Mol, ni dé Crayer, mais la copie d'un Rubens, puisqu'il
a étó gravé par F. Galle « d'après Rubens».
1 Un Frans Francken Ie jeune, signé et dato 1616, et un
grand Hieronimus Francken Ie vieux, l'Abdication de Charles-
Quint,
se trouvent de plus dans Ie nouv. cat.; cadeaux récents,
faits, jo crois, par Ie baron van Spaen van Biljoen.
-ocr page 198-
ÉCOLES niVEHSES.                        183
de guerre et quantité d'attributs militaires; grand
tableau assez vide, date 1642 '.
Écoles biverses. — lei nous sommes tout a fait
perdus. Les deux pages du catalogue consacrées aux
Italiens, aux Espagnols, aux Allcmands et aux Fran-
cais sont cependant une curiosité bibliograpliique
pour la maniere dont les noms sont écrits.
Nous avons Cyrus Ferrus (Ciro Ferri), unMariarje
de la Vierrje,
qui a été un bon tableau italien, de je
ne sais qui;— Giarofolo, une Adoration des mages;
copie par un Flamand;—Jean Lanfranck, un Saint
Jean-Baptiste;
copie d'après Spada, je crois ;•— et
quelques copies d'après le Guide, le Parmesan,
Allori, le Caravaggio. C'est tout pour les Italiens2.
En Espagnols nous avons: « Spagnoletti, Velas-
ques, eïMorillos.
» Le Murilloparaitvrai; c'est une
petite Annonciation, d'une très-belle couleur. Je
crois qu'on l'attribuait autrefois a Rubens! et qu'il a
été catalogue comme tel par Smith, sans doute sur
de fausses indications. Le Velazquez est un des mille
1  1641, suivant le nouv. cat., et provenant de la vente Lor-
mier.
2  Les noms sont rectifiés dans le nouv. cat., mais les attri-
butions ne sont pas changées, si ce n'est qu'on donne comme
originales les peintures cataloguées précédemment comme co-
pies! par exemple : la Judith d'AUori, dont« le palais Pitti
a Florence possède une répétüion(eene herhaling)'. »
-ocr page 199-
184                        MUSÉE D'AMSTERDAM.
portraits apocryphes du petit prince Balthazar, lïls
de Philippc IV '.
Il n'yaqu'un nom francais: Nicolas Bertin, 1667-
1736, pour deux Sujets de la Bible; et deux noms
allemands : Rottenhammer, une Vierge et une
Vénus; et Hans Holbein Ie jeune, a qui on attribue
quatre portraits: un Maximilien, un Érasme, un Ro-
bert Sidney et un Charles-Quint; celui-ci est très-
bon et pourrait ctrc de Ilolbein; les autres, non.
MaItres inconnüs. — Dans cette categorie sont
compris divers portraits, que nous avons mention-
nés déja, et cinq tableaux de nulle valeur, dont tin
néanmoins a un titre qui éveille vivemcnt 1'inté-
rèt: « Rubbens,' van Dyck et Brouwer, travestis en
paysans,
jouant aux cartes devant une auberge. »
Quel précieux tableau ce serait avec ces trois por-
traits ! Van Dyck en paysan, jouant aux cartes, a la
porto d'un cabaret! entre Rubens, Ie prince des
peintres, et Brouwer, Ie prince des bohémiens! Mais
de Brouwer, de van Dyck et de Rubens, il n'y a
personne.
Pour completer la description du musée d'Amster-
dam, il conviendrait de faire sur Ie cabinet des Es-
1 Nous apprenons par lo nonv. cat. que ce Velazquez ori-
ginal
a óté payó 31 florins en vente puhlique a Amsterdam,
en 1828. Un Velazquez a soixante et quelques francs, ce n'est
pas cher!
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LE CABINET DES ESTAMPES.                183
tampes ce que nous ayons fait sur la galerie de ta-
bleaux. Mais, notre objet spécial étant la peinture,
nous nous contenterons de signaler la collection de
gravures et d'eaux-fortes comme une des plus riches
du monde, avec celle de Paris et cel Ie de Londfes ,
au British Museum. L'ocuvre de Rembrandt, au
musée d'Amsterdam est, je pense, Ie plus beau qui
existe; c'est tout naturel. Ceux d'Albrecht Dürcr,
de Rubens, de van Dyck, etc, sont magnifiiques.
On trouvc aussi dans Ie cabinet des Estampes
d'Amsterdam une série unique, d'une soixantaine de
maitres primitifs, innommés et indécrits. Le con-
servateur, M. Klinkhamcr, en a seulement publié
un catalogue succinct dans la Revue universclle des
Arts.
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MUSEE
DE
LA HAYE
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MUSÉE
DE
LA HAYE
Le musce de La Haye se trouve a un anglc de la
place nommée le Plein, tout pres de la voüte en ar-
cade qui conduit au Binnenhof, ancien palais des
stalhouders, dans une maison assez moderne, appc-
lée Mauritshuis. Ce petit édifice a fronton, etprécédé
d'une cour, a sur la Trippen/mis d'Amsterdam 1'a-
vantage d'ètre isolé de tous au tres batiments. On
entre d'abord, par un perron, dans un grand vesti-
bule. Le cabinetde Curiosités est adroite, au rez-de-
chaussée. La collection de tableaux occupe le premier
étage. Six pièces : une première salie carrée, com-
muniquant d'un coté avec deux petits salons consa-
crés exclusivement a 1'école hollandaise; la Lecon
d'anatomie
de Rembrandt est la; — de 1'autrc cöté,
avec deux petits salons parcils, oü sont placées les
écoles étrangères; — en arrière, avec la grande salie
oü est le Taureau de Paul Potter. Comme au musée
d'Amsterdam, toutes ces chambresne sont éclairées
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100                         MUSÉE DE IA HAVE.
que par une lumière oblique, venant de fenètres
latérales.
Le"baron Steingracbt, Ie père, qui a formé la belle
collection de tableaux appartenant aujourd'hui a son
fils, fut un des principaux organisatcurs du musée
de La Haye. Le directeur actuel estM. Mazel, secré-
taire au ministère des affaires étrangères; le sous-
directeur, un banquier, M. Landry. Point d'artistes
dans la commission.
Lc catalogue, aussi imparfait que celui d'Amster-
dam ', comprend 287 numéros, savoir: première sec-
tion, ÉcolesdesPays-Bas, 185 numéros; — deuxième
section,Ecölesétrangères, 63 numéros; i 5 allemands,
5 francais, 6 espagnols, 39 italiens;—Mattres in-
connus de 1'école italienne, 13 numéros; Maitres in-
connus en général, 11 numéros;— Sculpture, 13
numéros. — En tont, 30 pages de texte en gros ca-
ractères, chaque tableau n'étant désigné, en général,
que par uit titre bref. Il va sans dire que beaucoup
d'attributions sonterronéés.
Rembrandt. — Au musée de La Haye, comme au
musée d'Amsterdam, c'est Rembrandt qui domine
tont. Ce génie duNord est toujours etpartout le pre-
mier, du moins parnii ses compatriotes. L'admira-
tion cependant se partage entre lui et Paul Potter au
1 II est probable que la publication du cataloguo d'Amster-
dam encouragera la commission du musée de La Haye a faire
aussi un nouveau catalosue de cette belle collection.
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REMBRANDT.                                191
muséc de La Ilaye, comme entre lui et van der Helst
au musée d'Amsterdam. La-bas, Ie fameus Banquet
des arquebusiers
semble aux Hollandais un chef-
d'oeuvre cgal a la Ronde de nuit; ici, Ie fameux
Taureau, un chef-d'oeirvre égal a la Lecon d'ana-
tomie.
Le musée de La Haye offre eet intérct, qu'on y
peut étudier, mieux qu'en aucune autre galerie du
monde, ce qu'on appel lc la première maniere de
Rembrandt; car, outre la Lecon d'anatomie qui en
est le type, le musée possède encore quatre Rem-
brandt de eette periode originelle : Siméon au tem-
ple
, Suzanne au bain, un Officier et un Jeune
liommc.
Rembrandt, comme on sait, quitta son moulin de
Leyde pour venir s'établir a Amsterdam vers 1G30.
Il avait déja fait saus doute beaucoup de peintures,
niiüs on n'en a retrouvé aucune avec une date an-
térieure a 1631; quelques-iines de ses eaux-fortes
seulement portent la date de 1628. A 1631 corn-
mencc la série authentique des ceuvres du peintre,
et on peut la suivre, année par année, saus interrup-
tjon, jusqu'aux Syndics de 1661. Après 1661, les
tableaux dates sont très-rares. On rencontre cepen-
dant a la galerie du baron van Brienen un superbe
portrait d'homine, date 1663. Au musée van der
Hoep aussi est une vaillaiite peinture de cette der-
nière époque, mais oü la date est indéchiffrable. Ce
sont la, avec Je portrait du bourgmestre Six (sans
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192                         MUSÉE DE LA HAYE.
date), de la galerie de M. Six van Hillegom, les trois
seuls tableaux de Rembrandt, postérieurs a 1661,
que la Hollande ait conservés, quoiquc Rembrandt
n'ait cesséde peindre jusqu'en 1669, 1'année de sa
mort.
Le Sbnéon au templc du musée de La Ilaye est
donc bien précieux a causc de sa date authentique :
1631.
Au milieu du temple, dont 1'architecture fantas-
tique se perd dans 1'ombre, est un groupe sur lequel
se concentre 1'effet lumineux. Sept personnes : Si-
méon a genoux, tenant dans ses bras 1'enfant Jésus
et levant les yeux vers le ciel; barbc et cheveux
blancs; grand manteau doré; —la Yiergc a genoux,
vue de face, mains croisécs contre la ceinture; robe
d'un azur très-clair; ■— saint Joseph a genoux, dans
la demi-teinte, et portant les deux colombes desti-
nées a 1'offrande; — un pen a gauche et en pendant
au Siméon, le grand-prctre, debout, de profil perdu,
pi'esque de dos, avec un long manteau trainant; il
élève la main droite en pleine lumière, comme pour
bénir; le Christ ressuscitant Lazare, dans la célèbre
eau-ibrte (Rartsch 73), rappelle un peu cette tour-
nure;— derriere la Vierge, deux rabbins, debout,
dont 1'un porte un haut bonnet grisatre. A gauche,
et au fond, dans la nef, divers groupes presque im-
perceptiblcs parmi les ténèbres, semées cependant de
rayons d'or a quelques reliëfs des colonnes ou des
décorations architecturalcs. A droite, dans unc pé-
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REMBHANDT.                                193
nombre transparente, une fovile qui monte ou dcs-
cend un perron au sommet duquel setient unprêtre.
En avant et au premier plan, du mcme cóté, un banc
oü sont assis deux vénérables personnages. C'est sur
1'appui de ce banc qu'est Ie monogramme RII (Rem-
brandt
llermansz), comme on Ie trouve dans les
eaux-fortes de ses premiers temps, et la date 1631'.
Le Siméon est pcint sur un panneau cintré au
sommet. Ilauteur 2 pieds 3 pouces, sur 1 pied 6 pou-
ces; figures principales, environ 5 pouces. Il fut
transféré au Louvre durant les guerres impériales,
et restitué en 1815. Gravé par J. de Frey, dans le
Musée francais, et par Bierweiler, a 1'aquatinte, en
1835.
Cette petite mcrveille2, la première dans 1'ordre
chronologique de 1'oeuvre, révèlc déja pleinement,
1  Smith (n° 34), par une erreur qu'il répète aussi dans sa
nolice biographique, et que Nagler et Rathgeber ont copiéo,
donne la (late 1630. — II se trompe encore en supposantque le
Siméon est un des tableaux auxquels fait allusion une lettre
de Rembrandt, datée 1638, et adressée a Constantijn Hui-
gens. — Smith (en 1836)estimait \e Siméon 1,800 guinées, pres
de 47,000 francs.
M. Scheltema, dans sa précieuse brochure, commet égale-
ment une erreur en disant que le Siméon fut peint pour Jan
Six, puisque le futur bourginestre, étant né en 1648, n'a-
vait alors que 13 ans. C'est bien plus tard que Rembrandt de-
vint 1'ami de Jan Six, et qu'onpeut constater leurs relations.
2  M. Maxime Ducamp en parle avecbeaucoup (^enthousiasme
dans la Revue de Paris, oclobre 1857.
17
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194                         MI.'SÉE DE LA HAYE.
par ram})lcur de la touche et 1'originalité de 1'effet
général, Ie style propre a Rerabrandt, celui qui Ie
caractérise, aussi bien a son origine que dans sa ma-
turité. Le groupe central, il est vrai, et surtout la
Vierge, qui se dessine tont entière en clair, sont
peints avec une minutie un peu froide. Getto petite
ügure, mais c'est la seule du tableau, fait com-
prendre qu'on ait osé quclquefois comparcr la pre-
mière maniere de Rembrandt a ccllc de Fraiis van
Mieris le vieux! Le galbe, le modelé, les moindres
détails y sont accusés par unc exécution fine et cor-
recte. Les autres figures, quoique frappées des plus
vifs éciats de lumière, sont déyorées en partie par des
demi-teintes et des ombres.
Avant 1'Exhibitiou de Manchester, on ne connais-
sait que le Siméon qui eüt la date irrécusable de
1631'. A Manchester la reine Vittoria a envoyé de
Windsor Castle un portrait de jeune homme, qui
n'avait jamais été signalé nulle part, pas mènie dans
Smith, et qui porto aussi une belle date 1G312.
L'année suivante, 1632, Rembrandt 1'aisait sou
1  Smith signale cependant deux portraits qui spnt censés da-
tes de 4631 : un portrait de femme, qui appartenait, en 1836,
a M. de la Ilante, le spéculateur en tableaux, et un portrait
intituló Sobieski (Sobieski est nó en 4 629!) au musée de 1'Er-
mitage a Saint-l'étersbourg. Il faut ajouler un Loth et ses
ftlles,
gravé par van Vliet, d'aprós Rembrandt, avec la dato
4634. Mais ce tableau est égaré depuis longtemps, et sur les
deux premiers la date n'est point du tout certaine.
2  Voir Trésors d'art, etc, par W. Burger, p. 246.
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ftEMBRANDT.                            195
premier chef-d'ocuvre, la Lecon d'anatomie, et des
lors il dépasse tous les maitres de son pays.
Daiis urlc salie d'amphithéatre, voütée, Ie savant
professeiir Nicolaas Tulpl, aihi et protecteur de Rcm-
brandt, est représenté démontrant, sur « un sujet
male», comme dit Smith (n° 142), 1'anatomie du
bras. Il est de trois quarts tourné a gauche, vètu
d'un pourpoint et d'un mahteau noirs, avec col uni
rabattu, et manchettes unies; chapeaü mou, a très-
larges bords; barbe au mentoii et moustaches; sa
main gauche, mi-soulevée, fait un geste explicatif,
pendant que la droite saisit ayec des ciseaux un des
tendons du bras disséque.
Le cadavre est couché devant lui, de biais et en
raccourci, sur une table.
Un groupe de cinq figures est échelonné a la droite
du doeteur, et deux autres personnages sont assis en
avant de la table, tout a fait a gauche. Ces sept au-
diteurs ne sont pas des ecoliers et des carabins quel-
conqms2, mais des docteursa barbe drue, tous, sauf
1 On retrouve en IJollande, notamment dans la galerie de
M. Six van Hillegom, d'autres portraits de ce doeteur Tulp,
qui fut Ie protecteur de Paul Potter et de plusieurs peintres,
et dont Jan Six devintle gendre en 4655. Il étaitné le 9 octo-
bre 1593, fut bourgmestre d'Amsterdam en 1654, et mourut
le 12 septembre 1674. Il avait donc trente-neuf ans a 1'époque
oü fut peinte la Lecon d''anatomie. — Jacob Iloubraken a gravó
un portrait de Tulp, en ovale, « d'après ftembrandt. »
8 Dans un article de la Revue des Déux-Mondes (15 juillet
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196                         MUSÉK DE LA HAVK.
un, maitres-jurés de la gilde des chirurgiens d'Am-
sterdam ;
ils s'appellent, en prenant les tètcs a partir
de celle de Tulp et en suivant jusqu'au hord gauche
du tableau : Hartman Harmansz, c'est lui qui tient
ouvert un papier sur lequcl sont inscrits les sept
noms; Matthijs Kalkoen, un pcu penché en avant;
Jakoh de Wit, presque de profil, lc cou tendu, avec
une extreme attention, et dont la collerette touche
presque la tête du cadavre; au-dessous de lui, Jakoh
Blok, 1'ceil fixe et Ie sourcil crispé; au-dessus de
Blok, Frans van Locnen, Ie seul qui ne soit pas
maitre de la gilde; enfin, plus bas, et au premier
plan du tableau, Adriaan Slabbraan, vu presque de
dos, tête retournce de profil a droite, main droite ac-
cotée a la tablc; et Jakob Koolveld, tout a fait de
profil, et Ie dernier a gauche. Tous, têtes nues, sont
vêtus de noir et ont des fraises plissées, rabattues.
Harmansz
soul porte la fraise tuyautée et ferme, a la
mode qui va passer.
Peut-ètre y a-t-il encore d'autres auditeurs dans la
salie, car Ie professeur regarde devant lui, comme
s'adressant
a une assemblee qu'on ne voit pas, et
1853), M. Gustave Planche ratiocinant sur cc tableau, qu'il
n'avait jamais vu et dont il ignorait la dato, supposo que les
auditeurs de la Lefon d'anatomie sont des élèves, dont plusieurs
« ne trouvent pas dans leur intelligence la force de compren-
dre; » et plus loin : « Cette toile n'a pu ètre concue quo par un
« esprit habitué dès longtempsè la méditalion. » — Rembrandt
avait vingt-quatrc ans!
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REMBHANDT.                              1!»7
Slabbraan, Hannansz et van Loencn jettent aussi
par la un coup d'oeil.
Les compositions de Itembrandt ne sont jamais
emprisonnées dans leur cadre : il y a toujours 1'in-
fini tout autour.
L'angle inférieur de la toile a droite est occupé
par un immense in-folio ouvert, contre lequel se
dressent dans 1'ombre les deux pieds du cadavre.
Il est singulier qu'on nc pensc point a ce cadavre
qui est la, tout de son long sur Ie dos, et dont on
pourrait toucher les pieds; qu'on ne Ie voie pour
ainsi
dirc point, quoique tout Ie corps, la poitrine
bombée et Ie bras droit, en pleine lumière au milieu
de tous ces vêteinents noirs, prennent un ton blême
et verdatre,
extrèmement vrai. On peut être sur que
ce sujet a été peint d'aprcs nature', aussi bien que
toutes ces têtes animées et vivantes. — C'est la Ie
mcrveilleux artifice de cette composition, qui, en
présence de la mort, ne fait songer qu'a la vie.
Au-dessus de la tête de Frans van Loenen qui
tient Ie sommet du groupe, est inscrite dans la demt-
teinte, sur une sorte de pancarte collée au mur, la
signature : Rembrant [sic) f. 1632'.
Les figures sont de grandeur naturelle, a mi-corps.
Ilaut. 5 pieds 4 pouces; larg. 7 pieds 1 pouce. Sur
1 Sir Joshua Reynolds, qui, dans son Tour in Holland, 1781,
a décrit ce tableau sous Ie titre : École de chirurgie, indiquo
la date 1672! Ce qui 1'a trompé sans doute, c'est la forme du 3,
dont la partie inférieure, allongée disproportionnément au-
17.
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19S                         MUSÉE DE LA HAYE.
toile. Gravé par de Frcy et aussi, je crois, par Cor-
nilliet. Lithographic récemmeiit par C. Binger.
Ce tableau fut exécuté par Rembrandt sur la de-
mande de ïulp lui-mème, qüi Ie donna en souvenir
a sa corporation. Il fut place dans une des salles de
la gilde, qui occupait et occupe ciicore unc partie de
l'édifiee appelé Sint-Antonie-Waag (Ie Poids-Saint-
Antoihe, oü est Ie poids municipal), sur Ie Marché-
Neuf; c'ctait autrefois une des portes d'Amsterdam.
Il y resta sans déplacernent jusqu'en 1828, et c'est
ce qui explique sa conservation extraordinaire. En
1828, la corporation, pressée par des embarras iinan-
ciers, résolut de Ie tnettre en tetltc publique, au pro-
fit du fonds des Veüirës de chirurgiens, et il fut com-
pris atee d'autres dans ün catalogue.
dessous des autres clnffres, simule presque, en effet, Ia queue
d'un 7. Cette fausse date 1672 est encore reproduite aujour-
d'hui, d'après Reynolds, par les Guidcs publiés en Angleterre.
— M. Ducamp, dans la Revue de Paris, indique aussi une dato
erronée: 1631. Mais il décrit longuement et très-bien la compo-
sition. Il préféré a la Ronde de nuit la Lefon d'anatomie, qu'il
appelle « un tableau européen, universel, éternel, qui vivra tra-
ditionnellement dans les souvenirs; car c'est une des rares cho-
ses sorties des mams de 1'hoinme qui soit belle absolument.
La signature Ilembrant sans d estparfaitement authentique
et pure. Elle se trouve aussi sur quelques eaux-fortes, mais
seulement des premières années de 1'artiste. Dans un livro qui
parattra prochainement: Rexbrandt, l'homme et son muvre,
nous donnons des renseignements sur ces variantes des signa-
tures.
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REMBRANDT.                                 19!)
En vente publique, les Anglais n'eussent pas man-
qué de Ie conquérir pour 1'importer dans leur ile,
eüt-il monté a 10,000 ou 15,000 guinées, et il les
vautbien. Le bourgmestre d'Amsterdam, Ie ministre
lui-inême, intervinrent, et en définitive, pour sauvcr
Tulp des Anglais, on ne trouva d'autre moven que de
le faire acheter a 1'amiable par le roi Guillaume Ier.
Le prix en fut fixé, sur expertise, a 32,000 ilorins1.
Dans ce local de la gilde des cbirurgiens, la Lecun
d anatomie
avait pour pendant un aütre tableau de
Reinbrandt : le doctcur Johannes Deyman, inspec-
teur du Collegium medicum, dissóquant aussi un
cadavre. Cette toile fut grandeincnt endonnnagée par
un incendie en 1723; mais cependant Sir Josbua
Reynolds, qui la vit en 1781, au premier étage du
Poids-Saint-Antoine, en parle ainsi: « Le professeur
Deeman place pres d'un cadavre, qui est si fort en
raeeourci que les pieds et les mains se touclient pour
ainsi dire; le mort est couché sur le dos, avcc les
pieds tournés vers le spectateur. Il y a quelque cbosc
de subliinc dans le caractère de la tète, qui en rap-
pelle une de Micbel-Ange. Le tout est bien peint, et
le coloiïs tient beaucoup de celui du Titieri. »
Ce tableau n'a pas eu, comme la Lecon d'anato-
1 Lc chiffre de 32,000 ilorins, donné par M. Scheltoma et par
M. Immerzeel, est offlciel; mais Smilh a marqué 36,500 florins,
y comprenant sans doute divers frais, par exemple ceux de
Texpertise, a laquello f «rent employés par la corporation MM. AI-
bert Brondgeestet de Vries, parle roi MM. Apostoleet Saportas.
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200                         MUSÉE DE LA HAYE.
mie, la chance d'échapper a la déportation anglaise.
Mis en vente Ie 7 février 1842, il fut acheté C60 flo-
rins seulement par unAnglais. Il est ctonimnt'qii'on
n'en ait
plus entendu parier depuis.
George Sand a écrit: « Les chefs-d'oeuvre ont des
défants. » La Lecon d'anatomie n'en a pas. Mais
peut-ètre cst-ce un défaut que de n'en point avoir.
Comme peinture, c'est une oeuvre accomplie en son
genre. Senza errore. J. Reynolds avait raison de
dire : « Les peintres peuvent aller en Hollande pour
apprendre 1'art de peindre. » On mettrait devant ce
tableau-la une bande d'académiciens, ou de Ro-
mains... de la dócadence, qu'ils n'y trouveraient rien
a blumer, comme exécution. Dessin, modelé, drape-
ries, clair-obscur, perspective, fïgures et fond, tont
est irréprochable. Le raccourci du cadavre est. bien
plus étonnant que Ie fameux raccourci de la jambe
du Christ mort, dans la TrinitédeRuhens, du muséc
d'Anvcrs, tableau qui, d'ailleurs, fut peint avant Ie
voyage d'Italie.
La tcte de Tulp est tres-belle et très-
simple; toutes les autres sont pleines d'expression
dans leurs différents caractères. Il n'y a point lad'es-
camotage
, ni d'effets tourmentés. L'ensemble est
tranquille et sage, la lumière douce et juste partout,
chaque détail
rcndu avec une correction naïve et
presque minutieuse, quoiqne Ie
ton général enve-
loppe tout dans rbarnionie.
Le peintre « n'y est que pour la main-d'ceuvre, la
nature poiu1 Ie demeurant, » Je ne crois pas que dans
_______
-ocr page 216-
REMBRANDT.                                 201
aucune école il y ait un tableau qui représente plus
sincèrement et plus intimement la nature.
Ainsi parfaite, la Lecon d' anatomie ne serait-elle
pas un ehef-d'd'uvre de premier ordre? Peut-être.
Les raffinés lui preferent, et de beaucoup, plusieurs
autres tableaux de Rembrandt : la Ronde de nuit,
incomparablement'. Cette Lecon d'anatomie est la
nature, mais un peu comme tout Ie monde la voit
(est-ce Ie suprème mérite dans les arts?) et comme Ia
rendrait une belle photographie.
Lc génie particulier
qui saisit un aspect imprévu de la vie n'a point passé
par la, et « la griffe du Hou » n'y a point gravé son
empreinte. Le signe mystérieux, qui éclate dans la
Ronde de nuit
et stupéfie tout le monde au premier
regard, n'y est point. Bembrandt a ce moment-la,
s'il était de la force des premiers maitres, nc s'était
pas encore cependant trouvé lui-même tout entier.
Plusieurs tètes des chirurgiens rappellent d'autres
pcintres, auxquels sans doute il ne songeait point.
Détacbésdans uncadre, lesdevix portraits de gauehe,
Slabbraan et Koolveld, pourraient ètre pris pour des
van Dyek; le Jakob de Wit, penché en avant, et un
peu lourd d'expression, ressemble a un van der Helst;
1 Depuis que co livro est a l'imprimerie, M. Théophile Gau-
tier, dans un article du Moniteur universel (juin 1858), a
confirmé notre sentiment, presque dans les mêmes termes:
« Le Rembrandt de La Haye, dil-il a propos de la Lecon d'a-
natomie,
est le Rembrandt réaliste, auquel nous préférons de
beaucoup le Rembrandt visionnaire d'Amsterdam. »
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202                         MUSÉE DE LA HAYE.
Miereyeld et mcme Moreelse ont fait quelques tetes
prcsquc aussi belles que celles de Kalkoen et de Blok.
Il nianque enfin, dans les figures et dans 1'ensemble,
cette particularité origiuale, qui fait crier : Ah!
Rembrandt!
Il y a ponrtant quelqué chosc de très-original et de
très-neuf dans la Lecon d'anatomie : c'est 1'idée
même de la composition, idee originale et neuve
parce qu'elle est toute simple. Du premier coup clle
nous révèle Ie caractère de Ilembrandt, qui est Ie ca-
ractère de son pays et de son temps, et qui marqueru
toutes ses ceuvres jusqu'a la fin.
Qu'est-ce que la Lecon d'anatomie? C'est la re-
présentation de la Science, et non pas seulcment un
episode d'atnphithéatre; tellement, que 1'impression
qu'on cprouve devant ce tableau est celle d'un ensei-
gnement émis avcc autorité, recueilli avec empressc-
meht et avec respect. On oublie Ie lieu et Ie sujet,
répulsifs assurément, si 1'esprit n'était pas emporté
de force dans üne région intellectuelle, par la pröfon-
deur impériense, quoique sans la moindre affectation,
des physionomics et des attitudes.
Or, comment 1'art a-t-il fait, d'ordinaire, en Italië,
en France et ailleurs, quand il a youIu exprimer la
Science? Il a représonté une figure allégorique, avec
des globes, des livres et autres emblèmes; ou bien il
a déterré dans Ie passé quelque fait, quclque tradition,
n'ayant rien de réel ni d'actuel, pour 1'élever a la
hauteur d'unc sorte d'allégorie.
-ocr page 218-
REMBRANDT,                             -J03
Quand Ie divin Raphaë] concut la représentation
de la Science, au licu de prendre ses contemporains,
1'Italie el Ie monde ne manquaient pas alors de
savants et de philosuphes, — il alla chcreher a dix-
huit siècles en arricre et chez nn antre peuple —
rÉcole d'Athènes.
Il en fut de mêine pour représenter toutes les qua-
lités humaines et loutes les manifesiatiqns socialcs.
Cet art symbolique n'est pas très-diflicile, sous
réserve du génie qui a créé l'Ecole d'At/iènes. On
apprend tout de suite que, pour faire l'Astronpniic on
pose unc femme Ie nez en 1'air et on sème d'étoiles sa
robe; pour une Yille commercantc, on assied une
grosse femme sur un ballot, pn la coiffe d'architec-
ture, et la ville est hatie; pour un puissant empereur,
on lui met une boule dans la main; pour faire un
ange, on lui met des ailes; pour un diable, on lui
met des cornes.
C'est tont simplcment la substitutjpn de hiéro-
glyphes, de logogryjthes et d'énigmes, a 1'Iiomme
mèrne. C'est Ie saeritice de 1'humanité rayonnante et
expressive, a des signes extérieurs, matériels et con-
ventionnels.
Ce que 1'esthétique appelle 1'idéal, cc que les rhé-
teurs scolastiques appellcnt Ie grand art, serait-cc
donc Ie mythe au lieu de la réalité, la mort au lieu de
la vie?
Ces sublimes tliéories, poussées a toute extrémité,
n'ont d'autre aboutissement que de dénaturer la pein-
-ocr page 219-
204                         MUSÉE DE LA HAYE.
ture en une sorte d'algèbre, de geometrie transcen-
dante, et de produire des pcintres... qui ne peigncnt
pas '.
L'objct de la peinturö, c'est la vic naturelle, non
1'idée abstraite, en supposition et en fantóme, mais
1'idée incarnée dans une forme palpitante, 1'idée
incorporée, imbodied, comme disent les Anglais. Elle
y est tont de mème, et bien mieux.
Il n'y a point de figure mythique, füt-elle couron-
née de scalpels comme d'une couronne d'épines, qui
puisse aussi bien exprimer la science médicale, et ses
lecons, et ses dévouements, que eet honnête Tulp, a
1'oeil limpide sous son grand chapeau bossué, un pcu
de travers, avec ses manchettes retroussées, une miiin
a 1'ouvrage, 1'autre main délicatement arquée par un
geste de démonstration, Ie pouce et 1'index rapprochés,
1 « A Munich il n'est point rare de voir des peintres qui ne
peignent pas.
M. Cornelius par exeraple... Louis Schwantha-
ler, a qui la peinlure colossaledes vingt-quatre chants de 1'lliade
a été confiée, ne peint pas, mais son imagination est d' une verve
intarissable..., etc. » (M. Fortoul, de l'Art en Allemagne.)
Ces peintres, qui ne peignent pas et qui ont tant d'imagina-
tion, font par Ie premier venu, traduire, leurs idees en lignes
allégoriques et en teintes plates Ie long des murs. Il y a ainsi,
dans VAthènes allemande, des lieues de symboles auxquels Ie
eommun des hommes ne comprend rien. Apparemment que
Lessing, dans son livre sur les Limites de la peinlure et de la
poésie,
aura trop vaguement défini ces limites, puisque 1'art
de son pays fait do la poésie biéroglyphique au lieu de pein-
ture.
-ocr page 220-
REMBRANDT.                                205
comme s'il tenait une petite fleur au bout de ses
doigts.
Jamais, dans aucune autre écolc, un peintre n'eüt
osé risquer de pareilles naturalités.
Rembrandt ne prend pas la vie sur 1'idée, il la
prend sur Ie fait. C'est un peintre qui peint, et qui
peint bien, parce qu'il voit bien '. Ce qui ne 1'em-
pèche pas de penser et de sentir profondément. Au
contraire.
Suzanne au bain est de la même année que la
Lecon d'anatomie :
16322.
Debout, toute nue. un peu courbée en avant, Ie
corps de profil a gauche, Suzanne retourne la tète
de trois quarts vers Ie spectateur. La main gauche
ramasse vivement entre les cuisses une draperie
blanche; Ie bras droit se serre contre Ie sein, par un
mouvement de surprise et d'effroi. Le pied gauche
est en arrière, dans une sandale brune; le pied
droit pose sur I'autre sandale. Grands cheveux roux,
ballants; sur le front une féronnièrc d'or. Collier
et bracelets
de perles. Derriere elle, sa robe rouge
et sa chcniise qu'elle vient de quitter; au-dessus,
fond de feuillages, soinbre, frès-empaté, oü 1'on dis—
tingue vaguement entre les buissons une tcte curieuse.
1 Molière a dit, dans le Mariage forcé: « Ceux qui pensent
bien sont aussi ceux qui parlent le mieux. » — Ceux qui pei-
gnent Ie mieux sont aussi ceux qui voient bien.
* Smilh et ses copistes Nagler et Rathgeber ne mentionnent
point la date de la Suzanne.
is
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200                         MUSÉE DE LA HAYE.
Au bord de 1'escalier qui descend dans 1'eau, unc
aiguière d'or avec son plateau, sur unc pierre sculptéc.
A gaucbe, au second plan, architecture bizarre avec
balustrades, et au dela, fond de montagnes.
ïous ces entourages sont très-sacrifiés pour faire
valoir la figure nue et lumineuse, qui n'cst pas laide
du tont1, et rappelle un peu la saine femme aux
cbeveux d'or, du muséc de Paris (n° 419). Pent-
être bien est-ce lc mème modèle, et il est mallicureux
qu'on n'ait pas la date du portrait consevvé au Louvre
et qu'on doit supposer, a cause de 1'ampleur de 1'exé-
pution, d'une époque postérieure. Muis cependant
l'étude
chronologique des oeuvres de Rembrandt
prouve qu'il a souvent entrcmèlé cc qu'on est convenu
d'appeler ses manières. Un de ses tablcaux les plus
finis qui existent, la Femme adultère, de la National
Gallery de Londres, n'cst-il pas de 1644 2, deux aps
après la Ronde de nuit! Kt de son commencement,
1 Cependant M. Viardot — sans 1'avoir vue— a éorit dans
ses notes sur les musées de Hollande: «La Suzanne... d'un
dessin ignoble, d'une couleur prodigieuse,... montre Hem-
branilt au comble de ses mérites et de ses défauts. »
J Du moins, toutesles traditions, tous les témoignages s'ao
cordent pour ótablir cette date, enregistrée aussi par Ie cata-
logue dela National Gallery. Smith, M. Waagen et d'autres
écrivains pretendent même que Ie tableau est signé et date.
Quant a moi, j'ai fait de vains efforts pourdécouvrir celle date
étonnanto sur la peinture, que recouvre mallieureusement une
belle vitre , selon la mode anglaise appliquée aux chefs-
d'ceuvre.
-ocr page 222-
REMBRANDT.                           207
au contraire, combieu rie pourrait-on pas citer de
peintures très-larges et très-fougueuses.
Rembrandt a fait un pcu comme Murillo, dont les
trois manièrcs ne furent pas successives, mais em-
ployees selon les sujets, quelquefois peut-ctre selon
Ie gout du destinataire de 1'oeuvre, quelquefois réunies
sur une mcme toile. Il y a des Murillo dont Ie haut
est peint dans la maniere Taporeuse et fantastique, Ie
bas dans la maniere froide et ferme. 11 y a des Reïn-
brandt, et Ie Siméon en est déja un exemple, oü Ie
ceeur de la composition est peint avec une delicatesse
minutieuse, tandis que 1'entourage est largement
brosse.
La Suzanne de La Ilaye, que Smith appclle « une
production très-finie,» est, a la vérité, dessinée et
modelée avec soin, mais chaudement colorée, dans
unc gamme de ton roux, qui monte du marron d'Inde
a 1'orange.
Un peintre de Paris, M. Carrier, en avait autrcfois
une variante oü la ügure, posée exactcment dans la
mème attitude, mais laissant deviner des repentirs et
des tatonnemcnts a 1'endroit des bras, est d'un type
tout autre, peu distingué de formc; oü la couleur
générale, plus bronzée, indique peut-être une date
postérieure et se rapproche de la superbe Baigneuse
de la National Gallery.
Sir Joshua Reynolds, qui vit la Suzanne en 1781
dans la galerie du prince d'Orange, la considérait
comme une étude pour un tableau qu'il possédait
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208                         MUSÉE DE LA HAYE.
lui-même et oü la figurc était de grandeur naturelle.
Il en possédait aussi une étude peinte, et il en con-
naissait une troisième, alors chez M. Blackwood. Il
en avait même un dessin, avec les variantes repro-
duites dans Ie grand tableau. C'est, je erois, cette
grande peinture de 1'ancienne eollection Reynolds,
qui a reparu un moment chez M. Paul Périer. « 11
semble fort singulier, ajoutait Reynolds, que Rem-
brandt se soit donné tant de peinc pour produire a
la fin une figurc si laide et si désagréable; mais son
attention était principalement fixée sur Ie coloris et
sur 1'effet, dans lesquels il est parvenu, sans contre-
dit, au plus haut degré d'excellence... » La vérité
est que la Suzanne hollandaise est très-éloignée du
type de la beauté anglaise, telle que 1'offre la nature
et telle que Reynolds la comprenait.
La Suzanne de La Haye est peinte sur panneau,
haut de 1 pied 6 pouces et deini, large de 1 pied 3
pouces.
La iigure elle-même a environ 1 pied de pro-
portion.
La signature affleurant Ie cadre, dont Ie bord la
couvre en partie, a la droite du bas, se lit a peu pres
ainsi: Roubrant f. 1632. C'est évidemment quelque
griffonnage de restaurateur qui aura badigconné la
signature primitive.
Smith (en 1836) estimait la Suzanne 300 gui-
nées. Si on la mettait en \cnte aujourd'hui, elle se
vendrait certainement trois ou quatre fois davan-
tage.
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REMBRANDT.                                209
Le quatrième Rembrandt du musée de La Haye,
intitulé un Officier, n'est j>as date, mais on peut le
classer, a mon avis, dans cette première periode. Le
ton roussatre se rapproche du ton de la Suzannc,
L'exécution en est tres-correcte, assez sobre pour
Rembrandt, le dessin très-décidé. Je ne serais pas
étonné qu'il ent peint cette tête d'après la sienne
propre, quoique avec un peu de fantaisie : elle lui res-
semble dans le inodelé des plans du visage, dans cer-
tains méplats du nez et des joues; olie rappelle aussi
les deuxportraits du Louvre, de 1033 et 1634.
La tête, de grandeur naturelle, est tournee a droite,
de trois quarts, mais le buste est vu presque de dos.
Ce jeune homme a les cheveux bruns, frisés, pas
longs; la moustache blonde et frisée. Il est coiffé
d'une tofjiie brunc, a crevés, surmontée de plumes
brunes, un peu dans le gout de la coiffure de
1'homme a la fenêtre dans 1'eau-forte du Samaritain
(Bartsch
90), qui est de 1633. Il porte des boucles
d'oreille d'or, Ce qui sans doutc 1'a fait ïiommer
un Officier, c'est qu'il a un hausse-col en fer garni
de clous. Le fond est neutre. On y lit la signature :
Rembrandt. f. Je crois en avoir vu, je ne sais oü,
des répétitions. Haut. 2 piecls 3 pouces sur 1 pied
11 pouces. Sur panneau. Smith l'estimait seulement
120 guinées. Toutes ces estimations sont très-arbi-
traires.
lei on peut doubler hardiment.
Le cinquième et dernier Rembrandt, portrait d'a-
dolescent,
uussi sans date, pourrait bien ctre ante-
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210                          MUSÉE DE LA HAYE.
rieur au Siméon. Suivant moi , e'est une oeuvre
toute priiliitive, peut-être niême du jeune artiste
lorsqu'il était encore dans son moulin ;\ Lcyde.
Peut-être nième est-ce son portrait. On y trouvc
quelque analogie avec son premier portrait a 1'eaü-
forte (Bartsch 1), signè de son monogramme, mais
non date.
Le petit personnage, en buste court, et d'unc pro-
portion un peu au-dessous de la nature, est vu de
tfois quarts, tourné a droite. Il a la tête nue, lesche-
veux touffus. La lumière venant de gauche frappe
très-vivement les plans du visage et éelate sur le
front a la naissance des cheveux. C'est étonnant d'ef-
fet,
c'est mème très-fort d'exécutioiij mais sec, dur,
un peu comniün, dans une gamme de vert marmo-
réen, assez étrangère a Rembrandt, et dont Fictoor
offrirait plutót des exemples. On dirait presque un
van der Werffgrossi par une lunette. Aussi est-on
porté, au premier coup d'weil, a contester cette pein-
ture peu attrayante et qu'on dpprécie mal dans le
coin oü elle est placée. J'ai obtenu la faveur de la
faire décrochcr et de la regarder en belle luimère* et,
après eet examen, je la tiens pour Rembrandt; mais
je n'en ai jamais vu qu'une autre de cette manière-la :
un portrait d'enfant, qui est certainement aussi un des
premiers essais du inaitre, dans la riche collection du
baron van Brienen.
A la suite des cinq Rembrandt, le catalogue men-
tionne,
comme étant « du inaitre ou de son école, »
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PAUL POTTER.                               211
un buste de vieillard; peinture faibte et blême, qui
ressemblc tout au plus'a un de Gelder.
Paul Potter. — Les trois Paul Potter du musée
de La Have avaient été enlevés au paVs par «Ie droit
de la guerre, » et les vieux amateurs francais pcu-
veüt se souvenir de les avoir vus au Louvre; trois
chefs-d'ceuvre, très-différents entreeux:/e Taureau,
la Vache qui se mire,
et une Cour de ferme.
J'ai entendu des Ilollandais prétendre très-sincè-
rement que « Ie faraeux Taureau » de Paul Potter
surpasse tout cc que Raphael a pu faire. Il est vrai
qu'on ne connatt pas beaucoup en Ilollande tout ce
que Raphaël a fait.
Ce grand tableau, si célèbrc, est pourtant, selon
moi, bien loin de valoir les petites peintures du mai-
tre. Il contient, comme on sait, — outre Ie jeune
taureau brun rouge et tacbeté de blanc sur les reins
et au front, — une vache jaunatre a tète blanche,
couchée de face, en raccourci, une brebis blanche et
son agneau, couchés, un bélier debout, un berger
appuyé cotitfe un vieux saule, de 1'autre cóté d'une
barrière; tous, hoinme et aniinaux, de grandeur na-
turelle. Le terrain est un paturage uni, a perte de
vue sur la droite, tandis qu'a gauche 1'homme, le
saule et la barrière semblentplaques contrcuncielen
papier gris mat. Ces fonds a droite, oü 1'on apercoit
dans le lointain de petits troupeaux microscopi(iues,
exagèrenl encore prodigieusement la saillie du pre-
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212                         MUSÉE DE LA ÜAYE.
mier plan, oütoutes les lierbettcs sontpeintes en dé-
tail, avec
unc extreme minuiie. Il y a la unegrenouille
aussi bien imitèe que celles de Bernard Palissy en
faïence coloriée et vernie.
Le vice principal du tableau est que les grands
animaux aussi sont exécutés et en quelque sorte ino-
delés en relief, au moven d'empatements superposés
et palpables, comme serait un trompe-l'osil en terre
cuite on en carton recouvert de eire', avec les touffes
de poil et les moindres particularités du pelage. Tout
y est, et on en pourrait, a pleine main, toucher la
réalité. Mais on n'aurait pas peur de prendre par les
cornes ce taureau fanfaron, car on yoit bien qu'il est
en pate et qu'il ne bougerait point. Au contraire,
1'Angleterre possède de Paul Potter quelques petits
taureaux, de la grosseur d'un lapin, qui sont terri-
bles et se défendraient contre des lions, — comme
des lions.
Je ne crois pas qu'on ait jamais fait en peinture un
bon tableau de gros animaux dans leur proportion
naturelle, a moins qu'ils ne soient 1'accessoire d'un
sujet humain, — des chasses comme celles de Ru-
bens, — ou qu'ils ne soient animés par une actioti
1 Nous nous félicitons de trouvor encore ici M. Théophilo
Gautier d'accord avec nous, clans son artielo de juin 1838 :
« Le Taureau de Paul Potter, toile d'un prix inestimable, dont,
a notre grand regret, nous n'apprócions pas tout le mérite... Lo
tsuroau nous a pa'.u copié s.ur une bèle etnpaillée,.. etc. «
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PAFL POTTEH.                               213
draniatique, — un combat de buffles contre des ti-
gres, une j)anthère saisissant une gazelle, etc. En
sculpture,
oui bien; depuis les lions fantastiques de
Babylone jusqu'au lionde M. Barye. C'est une déco-
ration annexée a la pierre des édifices, ou noyée dans
Ie plein air d'un pare. Mais Ie portrait d'un gros
boeuf ruminant, pendu contre Ie mur d'une salie,
c'est inacceptable en pcinture.
Quelqu'un qui aurait 1'idée de peindre une maison
de grandeur naturelle ne serait-il pas un peu fou?
Le malheur est, de plus, que 1'effet, adopté trop
naïvement par le peinlre, ne comportc point d'om-
bres. La lumière est egale partout, monotone, et
sans demi-teintes. Car le temps est un peu sombre;
le ciel n'a
pas un nuage, mais une sorte de voile
opaque, tendu entre la terre et le soleil, et qui inter-
eepte tout rayonnement.
La Hollande ofïre souvent eet effet-la, et c'est pour-
([uoi clle est si triste durant plusieurs mois de l'an-
née. L'air n'a aucune transparence, sans qu'il y ai*
meme au-dessus du sol un brouillard perceptible,
comme en Angleterre par exemple. En Hollande,
1'hiver, 1'obscurité seinble toinber d'en haut. Jamais
un Italien ne devinerait cela. Les Francais aussi ont
peine a comprendre ces ciels sans profondeur. L'efi'et
du tableau de Paul Potter est donc vrai, d'une vérité
relative; mais il ne s'accoinmode point au sujet, oü
précisément il out fallu un ciel fantasque qui per-
mit des contrastcs d'ombre et de clair-obscur, pour
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214                         MUSÉE DE LA ÏIAYK.
y dissimülër cCrtaines parties de ces grandes ma-
chines animales.
Rcinbrandt cüt iiivenló ces jeux de lumière, saus
trahir 1'ingéhuité du réalisme hollandais, mais en
choisissiuit un effet ofigitial de la nature et en Fin-
terprétiiul avec pöésie.
Assurément Paul Potter traduit bien la lumière,
— c'est mème la un de ses mérites, — mais la lu-
mière locale, plutot que 1'ensemble de 1'effet lumi-
neux, c'cst-a-dirc qu'il rend avcc précision lc ton
local produit par une lumière quelconque sur un
corps quelconque. Personne ne sait mieux que lui
photographier un morceau clair, mais il a horreur
des oppösitions d'ombres. En général, sa gamme de
coloration se tient a un denli-jour, très-franc et tres-
juste, qui s'arrête devant Ie crépusculc et ne se ris-
que pas davantage sous 1'éclat d'un trop vif soleil.
Ce défaut, que de sages connaisseurs considèrent
comme une qualité, on peut lc remarquer dans la
^)lupart de ses tableaux, ttlême très-célèbres, dans la
Scène en avant d'ime ètable, exposée a Manchester
par la reine Yittoria, dans FOrphée du musée d'Am-
sterdam, oü la lumière a la mème valeur d'un bout
a 1'autrc de la composition.
Il est vrai, encore une fois, que la monotonie
chromatique est un des caractères du pays hollan-
dais et qu'elle a aussi inüuencé les autres artistes de
1'école, notamment les i)aysagistes, dont la gamme
de couleur est assez bornée, Van Goijen et Salomon
-ocr page 230-
PAUL POTTER.                               21a
Ruijsdael sont gris, Cuijp est blond, Jacob Ruijs-
dacl est brun, les Ostade sont roux, llobbema est
olivatre, etc. Aucun d'eux ne s'égarc jamais dans des
accords très-éloignés de leur dominante. Et,cela fui-
sant, üs obéissent au ciel de leur climat, les bons
patriotes. Le Hollandais ainie tant son pays! — en
proportion de la peine qu'a eoütée cette conqnètc d'une
terre sur la nier. Un vrai llollandais, en abordant
sur ses polders, dirait volontiers comme eet Anglais
qui, au retour d'un voyage en Italië, en Grèce, en
Oriënt, toucbant du pied le sol britanniqiie, s'écriait,
les yeux levés au ciel: — Ah! voila un eiel!
Paul Potter n'ayait que vingt-deux ans quand il a
peint cette grande toile de 12 pieds de large sur 8 de
haut, et il a signé en grosses lettres : Paulus Potter
f.
1647. Le peut tableau, n° 399 du Louvre, est de
la mème année'. Le maitre était d'ailleurs alors dans
toute sa fovce. Des son enfance, n'avait-il pas deyiné,
plutöt qu'appris, la structure des animaux, qu'il
dessine avec une correction parfaite? Que lui man-
quait-il? Un peu plus de liberté dans sa scienco, un
peu plus de variété dans la lumière, un peu plus de
génie persqpnel dans les effets.
Quand il fut venu babiter Amsterdam en 1652, le
1 Le superbo petit Taureau, appartenant a M. John Walter
du Times, la Grange, appartenant a M. H. T. Hope, exposés
a Manchester (voir Trésorsd'art, etc, parW. Burger), et bien
d'autres chefs-d'ceuvre sont de la mêrae année 4 647.
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210                         MÜSÉE DE LA HAYE.
style et la pratique de Rembrandt semblent 1'avoir
impressionné
; car il a laissé, de cc temps-la, quel-
ques pcintures très-vives et très-spontanées, trahis-
sant de nouvelles tendances. xMais, hélas! ilétait mou-
rant déja, et il s'éteignit a 1'age de vingt-neuf ans.
Le Taureau fut vendu 630 florins seulement a la
vente de Willem Fabricius d'Almkerk, le 19 aoüt
1749, a Haarlem : «N° 1 du catalogue. Un très-
grand et capital tableau, avec figures de grandeur
naturelle, comprenant un taureau, une vache, un
bélier et une brebis, avec un paysan qui les regarde;
autres additions, et une vue de lointain; par Paulus
Potter, 1647. Cctte pièce, pour 1'exécution, la puis-
sance et la vérité, est la plus importante connue de
lui dans son pays1. »
Smith, qui vante excessivement cc chef-d'oeuvre,
1'estimait,
en 1834, 5,000 guinées; inais 1'Angle-
terrele
prendrait bien aujourd'hui, et la Hollande ne
le donnerait pas, pour un demi-million.
Le Taureau a été gravé par Le Bas, dans la Ga-
lerie Lebrun,
avec cette inscription fallacieuse : « Tiré
du
cabinet de M. Lebrun; » inais il n'a jamais fait
partie de cette collection. Gravé encore par Couché,
par Baltard, etc., et par M. Denon, a 1'eau-forte.
Cette belle eau-forte est, je crois, assez répandue dans
les ateliers des artistes francais.
Le seeond Paul Potter, la Vache' qui se mire, est
1 Voir le Recueil de cataloguos, do Gerard Hoet.
-ocr page 232-
PAUL POTTER.                               217
de 1'année suivante : 1648. Il porto cette date, avec
Ie nom en toutes lettres. C'est un vrai chef-d oeuvre,
a mon avis, et non pas seulemont un hors-d'oeuvre,
comme Ie Taureau. Paul Potter y a peint cependant
ce qu'il n'a jamais peint ailleurs : —■ des figures
nues! oui, des baigneurs, qui ont même fait baptiser
Ie tableau par Smith : the Bathers.
Le premier plan est occupé par une nappe d'cau
qui s'étend a gauche. Au milieu, pres du bord de la
rivière, un vieil arbre dépouillé et des groupes de
saules; quelques moutons et une chèvre sont eouchés
dans la prairie; une vache vient boire; une autre
vache et un bélier ont les pieds dans 1'eau, qui réflé-
chit leur image. Oh! qu'elle est jolie dans ce miroir
la petite vache fauve, a 1'envers ! Plus a gauche, les
baigneurs, quelques-uns nageant ou s'amusant dans
la rivière, les autres se déshabillant sur la berge; ces
petites figures nues sont étonnantes de dessin, de
modelé, de mouvement, surtout une debout et vuc
de dos. Au second plan, un petit carrosse atteié de si\
chevaux, des arbres, vin village, et au fond, tout a
fait a 1'horizon, une ville en miniature.
Sur la droite, pres d'une chaumière, est un groupe
principal qui rappclle un pen la disposition du pré-
cieux petit Paul Potter de la galerie d'Arenberg a
Bruxelles. Une femme trait une vache noire sur la-
qitellc est accoudé un paysan qui seinble causer avec
la laitière. A cötó d'eux, une vache blanche, a tète
noire, et une vache bai, couchée. Les herhes et fleu-
1!)
-ocr page 233-
218                         MUSÉE DE LA HAVE.
reltcs de ces terrains en avant sont fines et colorces,
comme dans les tableaux de Jan van Eyck et de
Memling.
lei le ciel a laissé tomber son voile d'hiver, et tout
est gaiement radicux. La llollande est charmante en
été, dans les parties oü les arbres s'entremêlent aux
paturages et aux canaux. Yous voycz bien qu'il y fait
chaud, puisque la rivière a des baigneurs.
Le tableau, de la plus exquise qualité, est sur bois,
large de 1 pied 9 pouces, haut de 1 pied 4 pouces. II
a été gravé par Fortier, et dans le Musée fr&nqtiis,
par Duparc. Je ne sais pas d'oïi il vient, rnais je sais
bien oü il irail, — en Angleterre, — si La Haye vou-
lait 1'échanger contre 2 a 3,000 guinées.
Le troisième Paul Potter est intitulc dans le eata-
logue : Paysagc avec des vaches et des cochons. 11
faut bien dire le mot, puisque 1'image y est. La fa-
milie s'y trouve mêtne au complet: la mère, couchée
avec ses trois petits pres d'elle, et le père, debout, se
frottaiit avec volupté contre un tronc de saule accoté
au pan d'une chaumière. C'est 1'épisode de droite. Au
milieu, une belle vache gris souris, debout, de pro-
fil ; et a gauche,unevache blanche, tachetéed'orangc,
s'cn allant paitre aiileurs; entre elles, une troisième
vache couchée. Un peu en arrière, un groupe de
chaumières, de grands arbres, et un pré oü pait une
vache fauve. Effet brumeux sur la terre, avec beau-
coup de lumière dans le ciel, et de petits nuages, fins
et légers, cuuleur d'or pale. C'est uu de ces combats
-ocr page 234-
PAUL POTTER.                               219
d'automne, assez fréquents entre Ie soleil et Ie brouil-
lard; les feuilles des arbres sont déja desséehées et
roussies. Dans eclte ehaude peinture, Paul Potter,
quelquefois un pcu sec et 1'roid, est vaporeux comme
Claude Lorrain, large et ferme comme Cuijp, har-
monieux comme Adriaan van de Velde.
Signé et date 1652. Gravé dans Ie Musée francais
par Laurent, dans lc Musée Napoléon, et par Couché,
Guyot, Garreau, etc. Largeur 1 pied 6 pouces, hau-
teur 1 pied 2 pouces. Sur bois. Autrefois dans la
collection van Slingeland. Vendu 730 llorins a la
ventc du comte Fraula, Bruxelles, 1738.
Nous avons au musée de La Have Ie portrait de
1'illustre artiste, son portrait bien authentique', et
peint, dit-on, trois jours avant sa mort.
Il est ericore assis a son chevalet, sur une chaise a
dossier de Ixüs, devant une toile blanche, qu'il n'aura
pas Ie temps de couvrir! Sa main gauche, appuyée
sur Ie genou, tient une palette pen chargée et des pin-
ceaux; la main droitc est renversée contre lahanche.
Il
n'a gucre la force de travailler, et il retourne de
trois quarts sa jeune tête maladive, ombragée de
longs cheveux d'un rouge jaunatre, qui tombent en
boucles molles sur Ie cou, qui jouent en mècbes lu-
niineusos sur un front très-développé aux arcades
1 Nous trouverons tont a 1'hpure, dans un tableau aitribué
a Tilborg, un autre portrail, en petit, do Paul Potter, « avec
sa femme et ses enfants. »
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220                         MÜSÉE ÜE LA HAVE.
soureilières. Un sillon longitudinal se creuse assez
profondément au-dessus de ces sourcils bombés. Tête
artiste, selon les indications de la phrénologie, avec
toutes les facultés perceptivcs dominant les réflecti-
ves. Une généreuse physionomie : de la douceur et
de la solidité, de la mélancolie et une certaine causti-
cité; les yeux bleus, couleur d'un ruisseau peu pro-
fond qui reflète Ie ciel; les lèvres assez fortes, un
peu relachées, avec une mince moustache blondine;
Ie nez et Ie inenton carrés, modeiés par méplats; Je
teint safran blême, avec de petites veines bleutées aux
tempes; —temperament un peu lympathique.
C'est la proéminence des sourcils et la fermeté du
menton qui expliquent la puissance de travail et
de production chez cette nature assez molle, rê-
veuse, placide, nervcuse comme une organisation de
femme. On ne se figurerait point ainsi Paul Potter
d'après ses oeuvres. Mais tel qu'il est, on 1'aime; on
1'airne mème mieux que Ie Paul Potter qu'on eut
imaginé.
11 est vêtu d'une casaque simple, en velours noir.
Une manche blanche bouffante sépare du velours la
main gauche, vue endedans. Son lo! blanc, toutuni,
est attaché par deux longs cordons a glands qui pen-
dent. Le fond est d'un gris neutre, très-harmonieux.
La toile a environ 3 pieds de haut; car la figure, de
grandeur naturelle, est vue jusqu'aux genoux.
Ce précieux portrait, d'une exécution superbe, a
été jieint par van der Helst, de premier coup saus
-ocr page 236-
ÉCOLE DE REMBRANDT.                      :M1
doute, d'un jet tout magistral, comme faisaient les
peintres de ce temps-la. On y admire la certitude et
la simplicité du dessin, la franchise calme de la tou-
che, la justesse du ton, et, dans 1'expression générale,
une sorte de sincérité eloquente, qui conmumique au
spectateur rémotion intime que Ie portraitiste a res-
sentie devant la nature. Il faut que van der Helst,
peu chaleureux d'habitude, ait été vivement remué,
ce jour-la, en contemplant Ie jeune et glorieux artiste
(fui allait mourir.
École de Rembrandt. —Les tableaux de 1'école
de Rembrandt sont assez rares au musée de La Haye.
Ferdinand Bol a deux portraits, interessants par Ie
nom des personnages qu'ils représentent : 1'amiral
de Ruijter et son üls Engel de Ruijter; — Nicolaas
Maas, un portrait de « Magistrat, probablement Ie
Grand-Pensionnaire Cats
; » peinture assez vulgaire
et qui rappelle très-peu la tète du poëte si populaire
en Hollande, telle (jue Rembrandt 1'a gravée dans
une de ses eaux-fortes; — van den Eeckhout, l'Ado-
ration
des matfes, tres-bon tableau dans la maniere
de son maitre; un des mages, en manteau rouge, est
agenouillé devant Ie petit Jésus; un autre, debout a
droitc, porte un riche manteau doré; couleur vigou-
reuse, savant clair-obscur; les qualités de 1'école,
mais rien d'extraordinaire; —Philip de Koninck,
« un paysage étendu, » e'est-a-dire une vue de ces
terrains plats, avec uu horizon très-éloigné, sans ac-
19.
-ocr page 237-
222                         MUSÉE DE LA HAYE.
cidents intermédiaires, comme Rcmbrandt les a si
bien peints quelquefois; les figures sont de Lingel-
bach;
— enfin. Samuel van Hoogstraten.
Celui-ci est presque inconnu en France, et ce n'est
pas tres-grand donjmage. Il n'est point cité dans Ie
cataloguedu Louvre. On nc saurait guère oü signaler
beaucoup
de ses tableaux. Un de ses meilleurs est
au musée van der Hoop, a Amsterdam. Le musée de
Vienne en possède deux : l'un, signé en toutes lettres
et date 1652 ; 1'autre, date de 1653 et signé du mo-
nogramme avec I'S entortillé sur le premier jambage
del'H, dont le
trait horizontal dejonction formeunv.
,(e
n'cn connais point d'autres en Allcmagne,— ni
en Belgique.
Hoogstraten, neen 1627 a Dordrecht, y mourut
ca 1678. Après avoir étudié chez son jière, qui était
peintre, il entra chez Rembrandt. 11 parait avoir beau-
coup voyagé et il a séjourné a Vienne, oü mourut,
en 1634, son jeune iïère et son élèvc, Jan van Hoog-
straten. Son tableau de 1632, au musée de Vienne,
représente méme la vue d'une place de cette ville.
Suivant Walpole {Anealotes of painting inEng-
land, t. III, p. 21), Hoogstraten aurait aussihabité
1'Angleterre;
car George Vertue découvrit en 1730,
dans une salie de Covent Garden, un tableau oü se
trouve un almanach anglais de 1'année 1063, et le
portrait du peintre, avec la signature S. V. Hoog-
straten.
II a peint toute sorte de sujets et imité plusieurs
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ÉCQLE DE REMBRANDT.                  223
maitres. 11 a fait des porlraits, des paysages, des ma-
rines, de 1'architecture, des fruits et des fleurs, et
surtout des scènes d'intérieur oü il cherche Peeter de
lloocb.
On dit que c'est lui qui avait raconté au jeune Ar-
nold Houbraken les contes publiés plus tard sur
Rembrandt (Amsterdam 1718) et reproduits jusqu'a
nos jours, inême depuis la brochure de M. Scheltema
qui en a démontré la fausseté.
Le tableau du musée de La Ilaye tient a la fois —
mais de bien loin — a de Ilooch et a Rembrandt:
Grand portique oü se trouve une dame avec un
chien.
La femme vient de face, en lisnnt; elle est
censée se promener dans eet intérieur, dont la haute
et noble architecture est assez bien peinte; elle re-
lève, de sa main gauche, le pan d'une ample robe
jaune ananas. Gette figure n'a pas 2 pieds de haut,
et 1'épagneul, qui précede Ia dame et lui touche pres-
(}ue sur les dalles du parquet, est de grandeur natu-
relle. Défaut de proportion et surtout de perspective.
La toile est très-grande, et la composition tres-vide
par conséquent. Je pense qu'il y a le monogramme
du maitre sur quelque détail de 1'architecture dans
le bas; mais il est difücile de s'en assurer, manque
de jour suffisant a 1'endroit oü est accroché le tableau,
a gauche de Fescalier.
Nous avons, du moins, Gerard Dov en première
qualité: «ÏSTu 30. Une Femme assise dans un intérieur,
devant une fenctre ouverte; a cóté d'ellc, un enfant
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224                         MUSÉE DE LA HAVE.
au berceau; beaucoup d'accessoircs enrichissent la
composition.
» Ce tableau, appelé quelquefois la
jeune Ménagère,
on Ie Ménage, est un des principaux
trésors du musée de La Have;, et Men supérieur au
« tableau très-renommé, » l'École dusoir, du musée
d'Amsterdam. Smitli leclasse immédiatement après
la Femme hydropique, du Louvre, laquelle est ae-
ceptée partout comme Ie chef-d'ceuvre du maitre.
La femme assise est charmante dans son galant
négligé. Elle travaille a 1'aiguille, pres du berceau,
contre lequel une jeune iille agenouillée s'appuie
pour regarder Ie petit enfant. A gauche, dans 1'angle,
un fauteuil, et sous la fenêtre ouverte, qui laisse voir
quelqucs maisons au loin, une table et un pot. A
droite,
une autre table garnie de gibier, de légumes,
de pots, de paniers, et un de ees fameux balaisqui
étaient si longs a faire. Une lanterne en cuivre eten
corne est renversée, presque au milieu du premier
plan, sur Ie parquet oü sont encore épars divers
objets, un panier a ouvrage, une assiette avec du
poisson, des poteries, etc.
Entre les deux femmes, un peu en arrière, a une
colonne ornée d'une sculpture d'enfant nu et ailé,
sont accrochés une cage, une épée, un manteau. Au-
tour de la colonne circule un escalier en bois, sur-
monté d'une balustrade sur laquelle pend une dra-
perie brunatre. Un lustre en cuivre, qui sebalance
sous cette sorte de galerie, complete 1'ameublement
un
peu désordonné de cette demeure familiale,
-ocr page 240-
ÉCOLE DE GERARD DOV.                 223
Au fond, vers Ie milieu, sous une arcade, dans une
pièce a peine éclairée par deux fenètres et par un feu
qui brüle dans 1'atre, on découvre deux figures :
une femme pres du foyer et un vieux bonhomme.
Le tableau, sur bois, cintré au sommet, a 2 pieds
3 pouces de haut, 1 pied 9 pouces de large. Il a fait
partie de 1'ancicnne collection des prinees d'Orange.
Conquis par les armées francaises, il fut emporté au
Louvre, et, en 1813, restitué a la llollandc.
Je ne sache pas que cette précieuse peinture, datée
1658, cinqans avant la Femme hydropique, ait ja-
mais été gravée. Comptez qu'elle se vendrait plus de
100,000 francs.
Il y a encore un autre Gerard Dov : Femme d une
fenêtre, et tenant une lampe d la main.
Mais c'est
peu de chose, et cela ressemble a Schalcken.
Égole de Gerabd Dov. — Schalcken lui-même,
qui avait étudié chez les deux maitres précédents, et
dont nous avons déja vu cinq tableaux au musée
d'Amsterdam, a encore cinq tableaux au musée de
La Haye : un second portrait de Guillaume III, roi
d'Angleterre; — une Jeune femme devant sa toi-
lette,
éclairée par une chandelle; c'est, je crois, la
peinture qui, en 1726, dans la collection d'un ambas-
sadeur d'Espagne, fut vcndue 263 florins; — la Pré-
caution inutile
, belle jeune femme, élégamment
vêtue, assise pres d'une table et tenant a la main une
riche cassette. Un vieux fou, arrivant avec un livre
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220                          MUSÉE DE LA HAYE.
sous Ie bras, semble lui donner de sages conseils.
Mor ah inntilc serait donc Ie vrai titre du tableau :
the useless Memons trance, comme Sniith 1'a catalo-
gué, ajoutant (jue e'est une belle production du mai-
tre. — Le Médecin empirique, avec une femme de-
bout qui pleure et un gentleman assis qui la regarde
et qui, mieux que le médecin saus doute, doit con-
naitre la cause du mal. Gravé dans le Musée francais;
car ce tableau a aussi passé dans les fourgons des
guerriers. — 5" Enfin, une Vénus avec des colombes,
provenant de la collection van SI ingeland; petite
peinture coquette et manieree, comme en firent plus
tard les artistes francais sous le règne de la gracieuse
marquise de Pompadour.
Frans van Mieris le vieux pourrait bien compter
comme un chef d'école; car, s'il a imité quelquefois
Gerard Dov, il s'est fait aussi une maniere propre,
oü avec 1'influence de Gerard Dov se combine cello
de Metsu. Nous le trouvons ici dans ces deux uui-
nières.
Son portrait d'abord, avec celui de sa femme,
arrangés en une petite scène familière, tout a fait
charmante. La jeune femme, en cornette blanche, en
caraco rouge, bordé d'hermine, jupon de soie bleue
brochée, est assise, de proiil, et vuejusqu'a mi-jambe,
pres d'une table avec un tapis perse et une guitare
dessus. Elle tient de sa main gauche un petit épagneul
[king-charles) couché sui1 son giron, et un autre épa-
gneul cherche a grimper sur ses genoux. Mieris, de-
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ÉCÜLE DE GKHARD DOV.                     227
bout, de face, au milieu, lui parlc en riant et cnaga-
cant Ie petit cbien dont il lire 1'oreille. Sa femme lc
repoussc de la main, en baissant les yeux, avec une
expression très-co([uette. On dirait qu'il s'agit de ga-
lanterie et de séduction entre les deux époux.
Mieris a une tête assez belle, d'une beauté bour-
geoise; la physionomie honnête et joviale, mais sans
originalité. Il porte un grand chapeau brun a plumes
blanches,
et un grand manteau gris, doublé de ve-
lours. Ses longs cheveux tombant en boucles sont
— une perruque; car la peinture, non datée, doit
être d'environ
1665, Mieris (né en 1635) paraissant
avoir une trentaine d'années.
Ce petit bijou, aussi délicieux qu'un Metsu, pro-
vient des collections baron Droste, 1734, 725 florins,
et van Zwieten, 1741, 910 florins. Il a été gravé, par'
Audouin, dans Ie Musée francais, et a 1'aquatinte
par Greenwood. Peint sur panneau, haut de lOpouces
seulement, et large de 8.
La galerie de Buckingham Palace, a la reine
d'Angleterre, en possède une rópétition, mentionnée
par Descamps, et qui a passé dans la collectioiï van
Slingeland.
Un autre Mieris, du musée de La Haye, se trouve
également en doublé a Buckingham Palace. Son titre
consacré est : les Bidles de savon. Le peintre a répété
quatre fois ce sujet. Descamps mentionnc une des
répétitions comme étant, en 1734, chez le duc d'Or-
léans; a la vente de Calonne, Londres, 1795, olie fut
-ocr page 243-
228                         MUSÉE DE LA HAVE.
vendue 48 livres sterling; puis, a deux ventes de lord
Rendlesham, en 1806, 189 livres sterling; en 1809,
131 guinées; elle a été gravée dans la Galerie Le-
brun
et aussi par Ingouf. Le tableau de Buckingham
Palace parait être celui qui a fait partie de la collec-
tion de M. G. Morant. Le quatrième, enfin, était,
en 1829, dans la galerie de lord Mulgrave.
Celui du musée de La Have, provenant des collec-
tions Schönborn, 1738, 620 florins, et Lormier,
1763, 1,360 florins, a figuré au Louvrc, ainsique le
portrait de Mieris avcc sa femme, et il a été gravé
par Pigeot dans lo Musée francais. 11 est date 1663.
Haut. 9 pouces, larg. 6 pouces et demi; panneau
cintré au sommet.
Le beau petit garcon qui fait des bulles est encadré
dans une fenètre entourée de pampres; sa toque rouge
a plumes blancbes est déposée a droite sur le rebord
de la fenètre, pres d'une bouteille d'oü sort un brin
d'héliolrope; plus haut est accrochée une cage. Der-
riere 1'enfant, se tient, dans la demi-teinte, une jeune
femme avecun chien entre ses bras. C'estsur 1'appui
extérieur de la fenètre qu'est écrite la date en chilires
romains : mdclxiii.
Willem van Mieris a sou vent imité cette composi-
tion de son père, par exemple dans son tableau du
Louvre, n° 326, qu'on attribuait même autrefois a
Frans. La première invention de ces petits faiseurs de
bulles appartient d'ailleurs a Gerard Dov.
Le troisième Mieris au musée de La Have est le
-ocr page 244-
ÉCOLE DE GERARD DOV.                      229
portrait de Horatius Schuil, professeur de botanique
a
Leyde, exquisitely painted, dit Smith; trop déli-
catement même, trop minutieusement; genre porce-
laine. On y lit la signature entière : F. van Mieris
f'.
A° 1666. Pour ma part, je préféré de beaucoup la
maniere grasse et spirituelle dans laquclle Ie peintre
a exécuté sou propre portrait.
Du fils Willem, nous avons un de ses tableaux
importants, une Boutique d'épicier. Triste peinture!
Ne nous arrêtons pas devant cette boutique.
Les imitateurs de ces Mieris pèrc et fils ne nous
manquent pas.
Arij de Vois, quoiqu'il ne paraisse pas avoir tra-
vaillé chez Frans Ie vieux, s'en rapproche assez dans
un petit tableau très-fin et très-harmonieux, qui est
certainement un de ses chefs-d'ceuvre. En Chasseur,
tenant a la main une perdrix, est assis, jambes nues,
contre un tronc d'arbre. Signé : AD Vois f., 1'A, Ie
1), Ie V, entrelacés en un monogramme. Cité par
Immerzeel, comme ayant été payé, dans je ne sais
plus quelle vente, 1,210 florins.
Philip van Dijk, quatre tableaux: une Dame devant
sa toilette;
assez bon pour Ie petit maitre; — wie
Dame pincant de la guitare;
Judith avec la tëte
d'Holopherne;
porcelaine; —et un Homrne taillant
une plume;
détestable.
Louis de Moni, élève de Philip van Dijk : une
Vieille femme et un jeune yarcon,
encadrés dans une
fenêtre cintrée; 1'enfant fait des bulles de savon, la
20
-ocr page 245-
230                         MUSÉE DE LA HAYE.
vieillefaitdeladeotellc. Signé:L. DeMonif. 1742.
A. de Pape, aiitre scctateur des Mleris : Intérieur,
avec une vieille femme qui plume un coq, et un petit
garcon agenouillé pres d'elle. Assez bonne peinture
du maitre, signée a gauche. Immerzeel dit que ce
tableau a été payc 490 florins a la venle Gerrit Muller.
En ajoutant ici deux tableaux du chevalier van
der Werff, nous en aurons fini avec les peintres trop
pré deux.
L'un de ces van der Werff est Ie portrait d'un ma-
gistrat, oouvert d'uri affreux tnanteau bleu a petits
plis secs. L'autre est une Fuiteen Egypte, quel'em-
pire francais nc manqua pas de s'approprier. Le che-
valier Adriaan passail alors, comme d'ailleurs pen-
dant tont le xviir" siècle, pour un des plus grands ar-
tistesqui eütjamais existé. Ln Fuite en Ec/ypte adonc
été gravée dans le Musée francais. Elle n'a que 1 pied
6 pouces de haut sur 1 pied 2 pouces de large. On y
voit la Vierge, de profil, en mantcau bleu de Prusse,
accompagnéc de saint Joseph qui conduit 1'ane. Us
cheminent le long d'un ruisseau. Le paysngeest orné
d'un portique, de ruines, et de groupes d'arbres.
Cctte peinture avait été donnce par 1'artiste a sa
fille, qui la vendit, a M. Sclmijlenburg, 4,000 flo-
rins! A la vente Sclmijlenburg, La Have, 1765, elle
monta encore a 2,500 florins. Louis XVI payait bien
33,000 francs cinq van der Werff qui sont toujours
au Louvre.
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THEODOR DE REIJSER.                . 231
Theodoh de Kkijser. — Pour nous reposer de ces
miniaturistes, jeprendrai un grand peintre, presque
inconnu, Theodor de Keijser, dont Ie musée de La
Haye possède un petit chef-d'ceuvrc, provenant du
cahinet Braamcamp et supérieurement gravé par
J. Suijderhoef': F Assemblee des bourgmestres d'Am-
sterdam d ïarrivée de Marie de Médicis, en
1638.
Il n'y a pas, dans toute 1'óeole hollandaise, de bic—
graphies plus ol>scures que eelles des membres de
cette familie de Keijser, artistes très-illustres cepen-
daat a leur époque, et dont les archives d'Amsterdam
et des autres villes de la Hollande doivent avoir con-
servé des traces.
En eflet, Hendrik de Keijser, né en 1564, fut ar-
chitecte et sciilpteur de la ville d'Amsterdam, oü il
éleva les églises du Sud, du Nord et de 1'Üuest (Zui-
derkerk, Noorderkerk, Westerkerk).
On lui doit aussi
Fholel de ville de Delft, et on lui attribue la belle
statue d'Érasme qui orne encore Ie Groote Markt
(grand marché), a Rotterdam. Des 1540, Érasme
avait déja une statue en bois, a la niêine place; en
15o7, la statue en1 bois fut remplacée par une statue
en pierre, et en 1022, la statue en pierre par la statue
de bronze, dont Hendrik est présumé 1'auteur. Hen-
drik, il est vrai, était mort en 1621, mais la statue
' Jonas Suijderhoef a aussi gravé un portrait de Hendrik
de Keijser, dessiné par Theodor, car on y lit cetto suscription:
TKeijser delineavit 1621.
-ocr page 247-
232                         MÜSÉE DE LA HAVE.
a pu ètre inaugurée un an après la mort du statuairc.
Pieter de Keijser, fils de Hendrik, succéda a son
père, comme architecte et sciüpteur de la ville d'Am-
sterdam. 11 a fait les tombeaux de 1'amiral Tromp, a
Delft, de Guillaume Louis de Nassau, a Leeuwarden,
et beaueoup d'autres sculptures publiques. Une de
ses filles é])ousa Nicholas Stone, né en 1586, a Wood-
bury, pres d'Excter, lcquel était venu d'Anglcterre
étudicr 1'architecture et la sculpture chez Pieter.
Theodor de Keijser est probablement un des fils de
Hendrik, et Ie frère de Pieter, par conséquent. On
ne sait s'il est né a Amsterdam, a Utrecht, ou ail-
leurs; ni quand. On ne sait pas davantage quand il
est mort. Les dates de ses tableaux, dit-on, font sup-
poser qu'il est né vers 1595, et mort vers 1660 '.
Mais oü est donc cette série de tableaux dates'2?
1 Ces dates sont proposées par MM. van Eynden et van der
Willigen (Geschiedenis der vaderlandsche Sehilderskunst), qui
croient que Theodor de Keijser est né et mort a Amslerdam,
C'est a leur Histoii-e que Nagler, Rathgeberet les autres bio-
graphes rt critiques ont emprunté Ie peu de renseignements
qu'ils donnent sur Theodor.
* II y a cepnndant, a ma connaissance, deux points extrèmes
entre lesquels doit so classer l'a:uvre de Tlieodor : lo ]>ortrait
de 1621, gravé par Suijderhoet', et Ie tableau de Munich, que
nous citons plus loin, aVec sa date 1650. Entre 1621 et 1650,
on trouve encore divers poinls de repère: un tableau d'Ar-
quebusiers,
mentionné par van Eynden et van der Willigen
comme date 1633 , cette Assemblee de bourgmestres en
1638, etc, etc.
-ocr page 248-
ÏHEODOR DE KEIJSER.                     233
II y a ensuite un Willem de Keyser, —Hollandais,
suivant Immerzeel,—peintre de paysage et de fleurs,
qui habita Londres, oü il mourut en 1670; puis un
Willem de Keyser, né vers 1647, a Anvers, qui alla
aussi en Angleterre, fut peintre de Jaeques II, et
mourut en 1692, suivant lc catalogue van der Hoop,
oü on lui attribue un portrait de vieillard ayant un
livre a la main. Ces deux Willem ne doivent faire
qu'un, malgré les contradictions sur la nationalité el
sur la date de la mort. Wralpole, dans ses Anecdotes of
painting in England,
ne mentionne qu'un William
de Keisar [sic) d'Anvers, d'abord joaillier, puis
peintre en miniature, en email et a 1'huile, attiré a
Londres par lord Meifort, qui Ie patrona pres du roi
Jaeques. Ce de Keyser « mourut a 1'age de quarante-
cinq ans, quatre ou cinq ans après la révolution» (de
1688) : cette date concorde avec 1647-1692. 11 avait
une iille qui exerca la peinture et mourut en 1724.
Willem de Keyser ne se rattacherait donc point sans
doute a la familie des Keijser hollandais.
Il y a encore un Jan Keyser, de Housum, qui fut
admis a la bourgeoisie d'Amsterdam, Ie 3 juin 1650.
Mais Jan Keyser n'est sans doute pas de la mème fa-
milie que les précédents. Le nom de Keiser, —Kei-
ser, Keijser, Keijzer, — qui veut dire empereur, est
tres-eommun en Hollande et dans les Flandres.
Les émbrouillements que les Ilollandais eux-
ïnèmes font de ces Keijser, quand il s'agit de pein-
ture, sont inconcevables, Ainsi nous avons déja vu
20.
-ocr page 249-
234                         MÜ8ÉE DE LA HAYE.
que Ie catalogue du musée d'Amsterdarn attribue h
Hendrik, 1'architecte,
un portrait de Hoogerbeets.
C'est aussi a ce Hendrik, mort en 1621, qu'Immer-
zeel attribue l'Assemblee des bourgmestres en 1638!
Hendrik a-t-il fait de la peinlurc ? C'cst douteux,
quoiqu'on lui prète un monogrammcH. D. K'.
Bien plus, Ie catalogue lui-même du musée de La
Have donnepour prénom au Keijser, auteur de l'As-
semblee des bourgmestres
, 1'initialc A ! Qu'est-ce
que ce nouveau « A. de Keyzer,« inventé par Ie cata-
logue de La Have? Comme cenom est suivi des dates
1595-1660, qu'on applique ordinairement a Theodor,
1'A
serait-il une faute typograpliiquc pour T? Tont
cela est difficile a éclaircir, comme on voit.
Pour moi, je laisse la Hendrik, Pieter, feWilleni
et Jan, et je ne connais comme peintre que Theodor,
et je Ie tiens pour 1'auteur de l'Assemblee des bourg-
mestres,
du musée de La Haye, et, sur ce type de son
talent, je Ie place carrément a la droite de 1'auteur de
la Ronde de nuit et des Syndics. Il me semlile
meme que rintluence de Rembrandt est incontes-
table dans Ie petit chcf-d'oeuvre de Theodor '2.
1 Voir précédomment, p. ü2, au musée d'Amsterdam, oü Ie
portrait delloojjorbeets est toujours attribue a Hendrik par Ie
nouveau catalogue qui donne un monogrammo.
8 Theodor de Keijser peignait, il est vrai, une dizaine d'an-
nées avant Rembrandt; mais, rle 1630 a 1650, qui est sa helle
époque, son talent peut avoir été intluencé par Rembrandt. Du
lïioins, les quelques tableaux authenliqiics quu je connais do
-ocr page 250-
THF.onOR DE KEIJSER.                       23S
Quatre eitoyens en noir', avec collerettes ou fraises
blanches, grands ehapeaux noirs et souples, a la mode
du temps, sont assis dans des fauteuils, autour d'une
tablc couverte d'un tapis uni, verdatre, glacé de
bistre. A gauche, un d'eux, vu de trois quarts,
semble
parier; Ie second, presque de dos, a la tête
de profil; Ie troisième est de face, de 1'autre cóté de
la table, sur laquelle il appuie sa main droite; Ie qua-
trièmc, aussi de face, a la main droite sur 1'angle de
la table, la main gauche sur Ie bras de son fauteuil.
Par une porte dissimulée dans 1'angle du tableau, un
hommc botte, chapeau a la main, la tète et Ie corps
de profil, entre, ("est 1'avocat Davelaer, qui vient
respectueusement annoncer a ces honnêtes repré-
sentants de la ville d' Am sterdam l'arrivée de Marie
de Médicis.
Tout te fond est neutre, dun tori gris supcrbe,
digne de flembrandt ou de Vela/que/. On dcvine
seulement une statue dans une niche du lambris. Je
n'ai jamais pu découvrir ni signature, ni date, ni
monogramme, ni marque quelconque. On peutcroire
que la peinture est de la même armee que la scène
qu'elle représente : — 1638.
Le tableau dans lequel s'arrangent ces cinq per-
Theodor le rattachent a Rembrandt et aussi a Aalbert Cuijp,
né en 4605. La date 11395, proposée pour la date de naissance
de Theodor, paraït donc un peu trop reculée. 11 doit ètre né
seulement au commenrement du \vne siècle.
1 On trouve leurs notns sui la gravure de Suijdcrhoex.
-ocr page 251-
236                         MUSÉE DE LA HAYE.
sonnages n'a pas 1 pied de hauteur. lis y vivent
pourtant, et tres a 1'aise, et chacun y a son caractèro
décidé. Les petites têtes sont prodigieuscs d'cxpres-
sion sous les ailes noires de leurs chapeaux. Les pe-
tites mains sont correctement modelées. L'ensemble
des ligures, dessinées avec une rare solidité, a du na-
turel et de la grandeur. La touche est ample, ferme,
juste oü il faut, et rien que ce qu'il faut. Simplicité,
force, harmonie, tout y est. Et cette peinture si
simple a néanmoins une originalité étrange. En
1'apercevant, on
s'écrie aussitot: —Ah! quelle oeuvre
de maitre! — Mais de quel maitre? Après avoir pensé
a Rerabrandt, on pense un peu a Cuijp. Van dei-
Helst? il n'a pas cette intimité. Terburg, de Hooch?
ils ont bien quelque analogie cloignée, mais non pas
cette largeur que sembleraient seules comporter des
figures de grandeur naturelle. On rêverait presque
plutöt a un Concile du Titien !
Tel est Theodor de Keijser, eet inconnu de génie,
dont on aurait peine a signaler plus d'une douzaine
de tableaus. Je ne crois pas qu'il y en ait un seul en
France, en Espagne, en Italië.
Parmi les musées d'Allemagne, Berlin enregistre
(no7."i0) aunepeinture de familie (Familiengemüldé)^
par Theodor de lv eiser, qui üorissait, dit Ie rédacteur
du catalogue, M. Waagen, vers 1(520. » On y voit Ie
portrait
du père, 48 ans, de la mère, 40 ans, du iils
ainé, 22 ans, du plus jeune fils, 8 ans, de la fille
ainóe, 19 ans, et de deux autres jeunes filles, 1'une
-ocr page 252-
THEODOR DE IvEIJStlt.                        237
de 14, 1'autre de JO ans, tous habillés de noir, avec
des cols blancs. Et les ages susindiqués sont inscrits
pres de chaque personnage! Singularité que ne prati-
quaient plus guère les peintres au xvne siècle, et qui
seraitbien étonnante chez Theodor de Kcijser.
Je ne me rappelle plus cc tableau du musée de
Berlin. Peut-être est-il de Hendrik, a supposer,
comme on Ie dit, que Hendrik ait fait de la peinture.
Et s'il est de Theodor, il appartient sans doutc a ses
premiers temps. Mais comment 1'auteur, si prodigue
de chiffres et d'inscriptions, n'a-t-il pas mis quelque
part une date avec son nom, ou pour Ie moins un
monogramme? M. Waagen n'en cite point. — Le
monogramme de Theodor est un grand T, avec le
d et le k entre-eroisés et accolés a la partie inférieure
du jambage vertical de T.
Au musée de Munieh, on trouve un Theodor de
Keijser, date 1650. Il représente une Vieille femme
assise
et un homme debout (n° 418 du cat., IIe partie,
p. 240).
Le cataloguc du Stadel'sche Institut, de Francforl-
sur-Mein, rédigé par M. Passavant, enregistre aussi
un « Theodor de Keyser (n° 202) : Portrait d'un
cavalier avec deux levriers. » Ce tableau porte
un monogramme, que M. Passavant aurait bien du
donner.
Le docteur Georg Rathgeber, qui ne connait en
tout que septtableaux de Theodor, pretend qu'il y en
a trois a sa galerie de Gotha, parmi lesquels un
-ocr page 253-
238                         MllSÈK DE LA HAYE.
Bourgmestre d'Amsterdam, avec femme et enfants,
dans un paysage'.
A la National Gallery de Londres, il y a encore
un très-bon tableau de Theodor, représentant « un
Marchand
assis pres d'une table et son comrnis qui
lui remet un paquet » (n° 212). Petites figures cn-
tières.
Lc musée de La Haye montre un second tableau
de Theodor de Keijser : Portrait en pied d'itn ma-
gistrat.
C'est encore un cbef-d'oeuvre, comparablo
aux portraits des maitres les plus éminents.
L'homme est assis de trois quarts, devant unc table
couverte d'un tapis rouge des Indes. Il feuillette, de
la main gauche, un livre pose sur un pupitre; mais
il ne regarde pas Ie livre, il regarde Ie spectateur. Il
a des cheveux gris, assez courts, et une moustache;
1'ceil plein de feu, la physionomie très-cxpressive. Il
est coiffó d'un large chapeau noir. Une fraise blanche
éclatc sur son pourpoint de soic noire ouvrce; bas de
soic noirs, et souliers a belles rosettcs. La maiti droite,
qui est superbe, s'étale sur la cuisse droite.
Le parquet est dallé de pierre noire et de pierre
grise. Le fond, très-sobre, ne sertqu'a faire valoir la
figure. Il y a cependant une indication de bibliothèquc
sur la gauche.
Le personnagc est assez grand, cette fois : au tiers
a peu pres de la proportion naturelle.
1 Annalen der vicdcrlündisvhen Malerei, etc, Golha, 1839.
-ocr page 254-
ADRIAAN VAN OSÏADE.                       23a
On ne trouve point Theodor de Keijser dans les
deux autres musées de la Hollande', — musée de
Rotterdam et musée van der Hoop, — mais l'Assem-
blee de bourgmestres
et Ie Portrait de magistrat
suffisent pour constater sa haute valeur dans 1'école
de son pays.
ArmiAAN van Ostade.—II a aussi deux oeuvres
de premier ordre, au musée de La ITayc. On ne s'en
döuterait pas, a lire Ie catalogue : N° 106. L'intérieur
d'une maison, ornée
de figures. —N° 107. L'exté-
rieur d'une maison mstique.
Essayez, après cela, de vous rendre compte de
quelque peinture d'un musée, en consultant les ca-
talogues, notices ou publications qucleonques, qui
la concernent. Il en est ainsi pour tous les catalogues
de la Hollande2, pour tous ceux de la Belgique, sauf
Anvers, pour ccux de 1'AHemagne, sauf Berlin, qui
est excellent, et Vienne qui a ses qualités, pour tous
ceux de 1'Italie, sansexception, pour ceux de Madrid,
pour tous ceux de la France, sauf celui du Louvre,
1 A la galerie Steingraeht, a La llaye, il y a un bon portrait
par Theodor. — En Bslgique, on pourrait eucore en signalur
quelques-uns : par exemple dpnx porlraits, npparteiiüiit a
M. Dulnis do Gisignies, et qui ont été exposés en 1855 au
Palais Ducal aBruxelles.
* Sauf Amsterdam raaintenant, depuis son nouveau cata-
lo"ue.
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240                         MUSÉE DE LA HAYE.
Ie meilleur de 1'Europe, malgré ses nombreuses
erreurs et ses quelques imperfections. Il faut excepter
encore Ie catalogue de la National Gallery, de Lon-
dres, qui est assez complet et très-correct.
Les catalogues de collections appartenant a des fon-
dations particulières, ou a de riches amateurs, dans
tous les pays de 1'Europe, sont encore pires que ceux
des galeries publiques.
En fait de peinture il faut absolument voir de ses
propres yeux, ne juger qu après autopsie, nach Au-
topsie,
comme disent les Allemands, en employant
a mervcille Ie mot selon son etymologie : conos :■>.;,
— voir soi-nième. Et c'est pourquoi les livres d'art,
— rédigés avec des livres seulement, — sont tou-
jours trompcurs et détestables.
Les deux tableaux d'Adriaan van Ostade étaient na-
turellement de
la rafle faite par les troupes impériales
sur Ie pays conquis, et ils ont été gravés dans Ie
Musée Napoléon, et par Bovinet, dans Ie Musée
francais.
Ils sont a peu pres de mème dimension, —
1'un 17 pouces de haut sur J4, 1'autre 16 pouces
sur 15, — et se font très-bien pendant. Mettons une
centaine de mille francs la paire, et 150,000 francs
si les Anglais s'cn mèlaient, — et ils s'en mèleraient.
On voit dcja que Ie musée de La Haye vaut de 1'ar-
gent. Quand les Ilollandais seront embarrassés dans
leurs affaires commerciales, ils n'auront qu'a offrir en
adjudication leurs tableaux de La Haye et d'-Amster-
dam.
-ocr page 256-
ADRIAAN VAN OSTADE.                       2il
L'intérieiir de la maison est orné de huit person-
nages de haute distinction, — et d'un chien. Groupe
principal, au milieu en avant, trois hommes et une
femme; un des hommes, assis a gauchc sur un banc
très-bas, allume sa pipe dans un réchaud pose sur un
tabouret avec un hanap et une pipe; un autre, assis a
droitc dans une chaise, élève en Pair son verre plein,
et de sa main gauehe tient un pot qui sans doute n'est
pas vide; entre eux deux, lc troisième gentleman ac-
corde son violon. On fête a la fois Apollon et Baechus.
La femme, appuyée sur Ie dossier d'une chaise, de-
vise avec ces nobles artistes. A gauehe, pres d'une
ouverture en arcade, qui laisse voir un arbre au de-
hors, une petite fille assise s'amuse d'un petit épa-
gneul blanc qui la regarde. Au f()nd, a droitc, Ia
cheniinée flambante, et trois buveurs-fumeurs dans
1'ombre. C/est parfait de tournure, d'esprit, de cou-
leur. Signé: A V. Ostade. 1662; 1'A et Ie Y accolés.
Peinture sitperlative, dit Smith.
L'extérieur de maison rustique est encore mieux
orné de figures pittoresques que la tubagiedevillage.
Le plein air aussi prête a des effets de lumière plus
variés. Ce cottage rustique est d'aineurs ravissant,
avec sa porte surmontée d'un auve^t en bois et en-
tourée de vignes et de plantes griinpantcs, avec sa
muraille multicolore, décorée de pofg et d'ustensiles
accrochés a des clous, et mème d'un(; affiche ülustrée
d'une petite vache comine symbole Ju texte. Sur le
battant inférieur de la porte s'accr),,,],, nne
-ocr page 257-
242                         MUSÉE DE LA HAVE.
femme; a sa gauche, un honïme, accouru pour voir,
avance une tête curieüee, et un troisième personnagc
parait dans la demi-teinte de l'intérieur. Qu'y a-t-il
donc a voir au dehors?
G'est Ie vieux inénétrier qui fait sa tournee. Il est
la, debout, jouant du violon, et accompagné de son
petit conducteur fidele. Il a un magnifique chapeau
gris, qui ferait envie a Frédéric Lemaitre. Et la belle
pose sentimentale qui trahit Ie virtuose! Et comme
il raele avec amour son stradivarius d'occasion! C'cst
a se tordre d'attendrissemcnt—ou de rire. Aussi,
un philosophe de campagne, assis sur un banc exté-
rieur, a gauche de la porte, et serrant, a la maniere
de Sganarelle, entre ses jambes écartées, une cruche
chérie, se renverse en ricanant vers les hótes de la
maison.
A droite, une petite tille tient un baby assis sur un
petit escabeau, et un boy, assis par terre, agace un
chien couché pres de lui. Deux autres enfants com-
plètent ce groupe.
La signature A V. Ostade est suivie de la date 1673.
Le peintre avait soixante-trois ans. On ne s'en doute-
rait pas, a voir la franche gaieté de la composition,
la fraicheur délicieuse du coloris, 1'abondance et en
mèine temps la süreté de la pratique.
Rien d'Isack van Ostade! Qui croirait que cc maitre
se rencontre si rarement en Ilollande? Il n'y en a
point non plus au musée de Rotterdam, et qu'un
seul, très-ordinaire, au musée van der Hoop. Ce sont
-ocr page 258-
AimiAAN VAN OSTADE.                       243
les Anglais qui ont tous les plus beaux ouvrages
d'Isack. L'Exhibition de Manchester en montrait qua-
tre, d'une vaülante qualité.
Le catalogue attribue a Tilborg, sans autre indica-
tion, un curieux tableau : « N° 156. Une société de
peintres d un repas chez Adrien van Ostade.
Au
nombre des convives se trouve le peintre Potter, avec
sa femme et ses enfants. « Le catalogue entend sans
doute designer Gilles van Tilborg, ou Tilborgh, ou
Tilburg, nc a Bruxelles en 1625, et qui fut, dans 1'é-
cole flamande, une sorte de rival deTeniers. Le tableau
est si mal éclairé qu'on ne peut s'assurer de son au-
thenticité. Tilborg a sans doutc habité la Ilollande,
et je crois même qu'on le suppose élève d'Adriaan.
Toujours est-il qu'Adriaan se trouve la, assis au
milieu, ayant ;\ sa droite sa femme, puis un homme,
puis une femme. A la gauchc cstmaitre Potter, avec
ses longs chevcux, son grand cbapeau, un pourpoint
gris perle et des bas rouges; Fair assez gaillard et lu
nez retroussé; bien portant et très-vivant. Ce n'est
point alors le mélancolique du toucliant portrait de
van der Helst. Pres de lui, sa femme, debout, en
jupon bleu tendre; fcmmelette assez mince, pas très-
gracieuse, et qui pourrait bien 1'avoir un pcu tour-
menté. Deux autres peintres, debout sur la gauchc,
causent ensemble.
Qui sont-ils ? peut-ètre Tilborg et Isack van Ostade,
a moins qu'Isack ne soit rhomme assis a table pres
de la femme d'Adriaan. Muis je ne suis pas sur
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244                         MUSÉE DE LA HAYE.
d'avoir jamais vu ces deux artistes ', quoique je con-
naisse
de vuc la plupart des maitres hollandais de ce
bon vieux temps, et leurs allures et leurs costumes,
et leur familie et leurs amis, et les licux qu'ils fré-
quentaient, leurs promenades ou leurs estaminets
d'affection. Car de presque tous on a eonservé des
portraits, et aussi des traditions sur leurs alliances,
leurs demeures, leurs habitudes. Eux-mcmes ont
souvent ])ris soin de se montrer dans leur intérieur,
ou dans leurs distractions au dehors. De beaueoup on
pourrait
dire comment ils levaient Ie coude en bu-
vant
un verre, comment ils jouaient aux quilles Ie
dimanche, comment ils travaillaient les autres jours,
faisaient jouer sur leurs genoux leurs petits enfants,
embrassaient leurs femmes, comment ils portaient
sur 1'oreille la toque ou Ie chapeau, quelques-uns
1'épée au cöté, la dentellc aux poignets, les rubans ïi
leurs hauts-de-chausses. Toute leur vie est écrite
dans leurs ceuvres et dans Ie souvenir de leurs com-
patriotes. N'est-il pas surprenant qu'ellc n'ait point
été écrite dans les livrcs, et que les deux ou trois bio-
graphes leurs contemporains aient remplacé la vérité
naïve par des contes calomnieux ou insignifiants!
Terblrg. — Voici maintenant 1c j)ortrait de Ter-
1 Dans la Familie d'Adriaan, au Louvre (n° 369), il y a
aussi un jeune homme debout, « qu'on suppose être Isaok. »
Je ne me rappelle pas assez sa figure pour dire s'il est Ie même
qu'un des personnages du tableau de La Haye.
-ocr page 260-
TERBURG.                              243
burg, — nous les passerons tous en revue, — petit
portrait en pied, dans Ie costume de bourgmestre,
— Terburg a été bourgmestre de Deventer, oü il
mourut, — portrait sérieux, planté droit sur Ie par-
quet, comme une statue sur un socle.
Ce Terburg est un grand original dans son école :
il en a la simplicité, la grace, avec je ne sais quelle
dignitó exceptionnelle et une certaine froideur dans
sonélégance. Un siècle plus tot, il eiit fait des Romains
tout comme un autre.
Il est debout, de face, grave sous son manteau
noir, tombant jusqu'aux genoux et sous lequel sont
dissiinulés les bras; les deux jambes rapprochées, la
droite en avant cachant presque la gauche. On dirait
un terme antique, habillé a la mode hollandaise du
xvuc siècle. Une majestueuse perruque, enfoncée
bas sur Ie front, se déroule en grosses boucles
sur les épaules et fait cascade jusque sur Ie rabat en
guipure. Des noeuds noirs pendent a la jarretière sur
des bas de soie gris. De longues rosettes noires ornent
les hauts souliers, de forme Molière.
Tout ce costume accuse sa date. Nous sommes vers
1660. Terburg a environ cinquante ans.
Sa tcte effilée est un peu revêche. Il a Ie nez long,
inincc et droit, la bouche ferme, surmontéc d'une
grele moustache, Ie menton très-long et plat, c'est-a-
dire une très-longue distance du nez au bas du men-
ton ; signe habituel de rigidité. Les tètes de ses
tableaux ont souvent de son propre type. On met
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24fi                         MUSÉE DE LA HAYE.
toujours un peu de soi-mème dans les autros. Le
type affectionné de chaque peintre pour scs person-
nagcs lui resseml)le toujours uu peu. Je croirais bien
d'ailleurs, h un certain air de familie, que la femme
au long profil froid, qui revient d'habitude dans les
tableaus de Terburg, celle qui chante au Louvre
(n° 528), est sa fille, la Constantia, qui fut pcintresse.
Le fond du portrait est gris neutre, comme le par-
quet, et tout eet entourage de la figure se eonfond
dans une fine harmonie et parait peu. Cela rappelle
certains portraits doux de Yelazquez, oü il semble
qu'il n'y ait que de I'air autour du pcrsoniiage.
La toile a seulement 2 pieds de haut sur 1 pied
8 pouces de large.
Smith enregistre ce portrait comme étant celui
d'un « gentleman.» Mais, sans aucun doute je pense,
ce gentleman est bien maitre Terburg, bourgmestre
de Deventer, et le catalogue du musée de La Haye
n'hésite
pas a le signaler comme tel.
Le second Terburg du musée est assez célèbre. 11
est mentionné par Descamps, il a passé dans la col-
lection van Slingeland, il a eu les honneurs du rapt
militaire et il est gravé, par Audouin, dans le Musée
francais.
Nieuwenhuis, dans son livre, 1'intitule :
la Dépêche; Smith, tlnteniiption; le catalogue de
La Haye le décrit ainsi: a N° 15 i. Un Officier, ayant
a la ïnain une lettre remise par un trompette, et une
Dame écoutant avec attention. i>
La vérité est que Mars, Vénus, et même Bacchus,
-ocr page 262-
TERBURG.                             247
sont compromis dans 1'affaire , et il est étonnantque.
sous l'Empire, on n'uit pas donné au tableau ce
triple titre, qui aurait eu peut-être 1'ineonvénient de
rappeler Hetiri IV, Ie vert galant qui boit et qui
bat.
L'oflicier, en riche tenue, tout botte, tout cuirassé,
et coiffé d'un chapeau gris a larges bords, profitc
d'un moment que lui laisse le dieu des batailles. Il
u'a eu
que le temps de déposcr son arquebuse sur
une table, a eóté de verres et. de flacons. Il est assis
dans une chaise basso, la main gauche caressant
1'épaule de sa maitresse, voluptenscment accroupie a
sespieds. Klle, avec son bonnet chiffonné, est char-
mante,
avec gon corsage citron et sa robe fraise.
Terrible trompette ! Est-ce que 1'ennemi est aux
portes do la ville? Ara lui dire, comme les gentils-
hommes de l^ontenoy : — Commcncez, messieurs!
Tirez les premiers ! nous vous répondrons tout a
1'heure.
Le troinpette est deboiit, de profil, en uniforme
bleu. Il a fait son devoir et remis la lettre a son supé-
rieur. — C'est bon; merci. Selle mon cbeval.
__
Mais ponrquoi eet aimable officier n'a-t-il pas été
chez sa dame, au lieu de 1'amener dans sa tente ,
ornée de faisceaux d'armes accrochés au fond?
Cette peinttire, très-belle d'ailleurs, a beaucoup
poussé au noir et est devenue sombre dans les entou-
rages. On a cru, bien a tort, la raviver par d'épais
vernis, qui, au contraire, empêchent de la voir. Le
-ocr page 263-
248                       MÜSÉE DE LA HAYE.
panfleau a 2 pieds 1 pouce de haut sur I
10 p<mces de large.
Uu élève de Terburg, Gaspar Netscher, nous offre
aussi sou propre portrait, — avec ceux de sa femme
et de sa jeune fille. Le peintrc, de profil, en casaque
rougs
h ci-evés, tient a la main une guitare. Sa femme
est assise, dans la deini-teintc, de 1'autre cöté d'une
table a t,ipis de Perse. A droite, la jeune fille, de-
bout, presque de profil, chante. Elle a des plumes
dans les cheveux, et une bello robe de satin blane.
Sur Ie dos du fauteuil de Netschcr est la signature,
avec la date 1G65.
SiTiith catalogue, comme étant au musée de La
Haye, et date également 1663, un tableau « repré-
sentant les portraits de Netscher, de sa femme et de
son enfant, » roais il en doune une description toute
différente, ajoutant que cette peinture provient des
collections Schonborn et van Slingeland, et qu'elle a
été gravée parDavid. Je n'ai pas vérifié si la gravure
de David se rapporte, en effet, au tableau décrit par
Smith, üü au tableau du musée de La Haye.
Metsu. — Les trois tableaux du rival de Terburg
sonttrès-remarquables : 1'un, poursaqualité; 1'autre,
pour la proportion de la flgure qu'il represente; le
troisième, acause de sa date.
Nous commencerons par celui dont la date authen-
tique permet de rectifier la biographie de Metsu.
-ocr page 264-
METSU.                                       249
Tous les biographes, tous les critiques d'art, tous les
eatalogues de musées et collections, y compris Ie ca-
talogue du Louvre, y compris ceux de la Hollande,
et
même celui de La Ilaye! écrivent que Metsu est
mort en 1658. Or voiei un de ses petits chefs-d'oeu-
vre, Ie Chasseur tenant un verre de vin d la mam
(n° 88), oü, a la suite d'une belle signature en toutes
lettres : G. Metsu, on trouve, bien authentique et
bien pure, la date 1661. Metsu n'était donc pas mort
en 1661, puisqu'il — peignait encore. Diverses indi-
cations doivent mème faire supposer qu'il vécut plu-
sieurs années après cette date.
Le petit chasseur, vêtu d'écarlate, col et raanchettes
blanches, est assis, la main droite appuyée contre son
chapeau pose sur ses genoux; de Ja main gauche il
tient un beau verre de Bohème a pied colorié. Il a
de longs chevcux, unc physionomie délicieusc d'es-
prit et de gaieté. On le voit ainsi encadré dans une
fenêtre sur le rebord de laquelle sont un pigeon ra-
mier
mort, une poire a poudre et un pot d'étain. La
signature et la date, en bas de Tappin de la fenêtre.
Sur panneau. Haut. 10 pouces, larg. 8 pouces 1/4.
Autrefois dans la collection van Slingeland. Gravé
par David et dans le Musée francais.
La Société de trois personnes faisant de la musi-
que
est une peinture exquise, mème un peu trop
raffinée a la Mieris en certaines parties. Elle a été
gravée aussi dans le Musée francais et par Watson.
— Tout ce qu'il y a de beau au musée de La Ilaye
-ocr page 265-
•>oO                            MUSÉE DE LA HAYE.
a passé par les mains des conquérants de l'Empire.
Nous n'en ferons plus 1'observation.
Au milieu est assise une jeune femme qui écrit.
Elle a un caraco de velours cerise, bordé d'herraine,
un jnpon jonepiille, en soie bordée d'argent, un ta-
blierbleu tendre, une cornette blanche et par-dessus,
en arrière,
une voilette noire. Le petit bout de son
pied mignon, pantouflé de rouge, repose sur une
chaufferette.
Au dossier de sa chaise, sur la gauche,
est
accoudé un gentleman debout, en noir, tenant a
la main son chapeau. De 1'autre cóté d'une table a
tapis persan, une jeune (ille debout pince de la gui-
tare. Derriére elle, au fond, une cheminée surmontce
d'un
tableau. Du plafond pend un lustre en cuivre.
Adroite, au premier plan, unépagneul. Haut. f pied
8 pouces; larg. 1 pied 4 pouces. Surpanneau.
Assiirément toutes ces coinpositions de Metsu et
de Terburg ne varient guère; mais leur charme est
dans la delicatesse des physionomics, la grice des
attitudes, la simplicité naïve des scènes, et surtout
dans Fharmonie d'une couleur incomparable.
Je ne m'explique pas pourquoi Smilh, dans son
catalogue, inentionne comme étant au musée de La
Ilaye trois autres Metsu qui n'y sont point: la Lady
charitable, le Marchand de volaille,
et une Jeune
femme pincant de la guitare.
En revanche il omet le
curieux tableau intitulé : Représmtation cmbléma-
tique de la Justice.
Cest la, pour le fond et pour la
forme, une production exceptionnelle dans l'oeuvre
-ocr page 266-
METSU.                                  231
de Metsu! Une femme, symbole de la Justice, les
yeux bandés, 1'épce dans une main, la balance dans
1'autre, debout, de face, en draperie blanche, foule
aux pieds un homme renversé sur des sacs d'or. A
droite, un jeune garc-on, vctu de rouge, et une femme
portant dans ses bras un petit enfant sont a genoux
et prient. En 1'air un génie tient une couronne d'or
au-dessus de la tète de la Justice. Au fond, a gaucbc,
une sorte de tróne doré, et, de 1'autrc cótc, une co-
lonne cannelée. Les figures ont environ 2 pieds de
proportion!
Quelle idee a ce peintre familier, de s'égarer en
pareille allegorie, avec la vcuve et 1'orphelin, avec
tróne et colonne grecque! Qa, ne lui a pas mieux
réussi que sa Femme adultère du Louvre. C'est vide,
faible, lache, sans caractèrc, etmême sans les qualilés
habituelles de coloris et de clair-obscur.
Le meilleur élève de Metsu, Uchtervcldt, est 1'au-
teur d'un « Intérieur, avec un marin ofl'rant du pois-
son a une dame; » excellent tableau, très-rapproché
du maitre et un peu influencé aussi par Picter de
Ilooch, dont lc musée de La Ilaye ne possède aucune
peinture.
Michel van Musseher, autre élève de Metsu, s'est
donné, comme tous ses compatriotcs, le plaisir de
transmettre a la postérité son portrait avec sa femme
et son fils, assez grandes figures, mi-nature, un peu
lourdes. Et il a signé : Ml: v : Musscher Pinxit
A"
1081 in Amsterdam. Il avait alors trente-six ans.
-ocr page 267-
232                          MUSÉE DE LA HAYE.
Jan Steen. — Encore des portraits d'un de ces
vieux amis ! Mais celui-la on Ie rencontre souvent, et
nous lc connaissons bien. Maitre Steen est presque
toujours de la padie dans scs bambochades, et ce se-
rait grand dommage qu'il n'en fut pas; car a lui
seul,
avec sa physionomie pantagruélesque, il éclaire
toute une scène.
lei, la chose est solennelle. Le vertueux Jan Steen
a rassemblé autour de lui toute sa familie. Ou peut-
on être micux que dans sa maison, — si ce n'est au
cabaret ?
La réunion est composée de onze personnes. Natu-
rellement Jan Steen est a table, au milieu, de face;
longs cheveux, large chapeaü. Que fait—il? Il rit et il
fume, en attendant qu'il boive. A sa gauchc, sa bonne
grosse femme, un peu jordanesque, en cornette
blanche,
en caraco de velours bleu, bordé de four—
rure, bourre une pipe; soyez sur qu'elle va fumcr.
Elle a pres d'elle une autre femme, une sceur peut-
être. La vieille mère de Steen, assise a gauche au
premier plan, fait joucr sur son jupon rouge un petit
enfant debout, en robe citron et en bourrelet. Le
vieux père, en luncttes, debout contre la cheminée,
chante d'après un papier qu'il tient a la main; il ac-
compagne
sans doute le füs ainé de Steen, gentil
garcon debout, en pourpoint gris, et quijoue du fla-
geolet. En avant, un chien, des ustensiles de cuivre
et un mortier sur lequel est la signature.
Ce tableau, important par sa diniension, 2 pieds
-ocr page 268-
JAN STEEN.                                  233
7 poiices de haut sur 2 pieds 10 pouees de large, par
1'intérct des persomiages qu'il représente, est, en
outre, de la belle qualité de Steen, dans sa maniere
large et abondante, assez analogue, malgré la diffé-
rence des proportions, a la maniere de Jordaens quand
il peint aussi sa joyeuse femme et ses enfants.
Gravé par Villain, et par Oortman dans Ie Musée
francais.
Mais les voici encore vraiment, presque les mèmes,
dans une composition intitulée : Tableau de la vie
humaine,
et gravée également dans Ie Musée fran-
cais,
par Oortman.
II y a plus de monde, ccttc fois : une vingtaine de
figures, en plusieurs groupes. A gauche, Ie vieux
père assis fait jouer un petit enfant; pres de lui, une
jeune fille accroupie préparé des hui tres. Au milieu,
un vieillard offre une huitre a une femme assise. Les
enfants s'amusent autour d'eux, 1'un faisant danser
un chat, un aulre tenant un petit chien, un autre
portant
un broc et un panier de i'ruits. A la table
scrvie, un peu en ari'ière sur la droite, Jan Steen
joue du luth, une jeune femme 1'écoute, un gros
compagnon rit, son verre de liqueur a la main. Au
fond, groupes de joueurs et de fumeurs. En haut,
sur 1'avant-plan, un grand rideau violet etend sa pé-
nombre sur une partie de eet intérieur.
La signature JSteen, I'S entortillé sur Ie J, est
sur un pilier a droite. Haut. 2 pieds 3 pouces; larg.
2 pieds 8 pouces. Surtoile, comme lc precedent.
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. 2S4                         MUSÉE DE LA' HAYE.
Smith intitule ce tableau : la Fête aux hui tres, et
Ie déclarc « une des meilleurcs peintures du mattre.»
Jan Steen se révèlc déja mieux, dans sa force et
sonoriginalité, au musée de La Hayc qu'au musée
d'Amsterdam; car, outrc ces deux beaux Intérieurs
de familie,
il a encore deux Scènes de mèdecin,
un Dentiste arrachant une dent a un villageois,
petit tableau assez ordinaire, qui provient peut-êtrc
cependant de la collection Lormier, — et une très-
singulière composition, intitulée : « une Menagerie,
et dans Ie lointain la maison a Honsholrcdijk. »
Ce dernier tableau est en hauteur — 4 pieds
4 pouces! — et représente une espèce de cour exté-
rieure a une maison de campagne qu'on apercoit sous
une grande arcade. D'une plate-forme devant 1'arcade
quelques degrés en pierre descendent vers Ie premier
plan oii coule un ruisseau et oü se dresse sur la droite
un vieil arbre dépouillé, dont une branche sert de
perchoir a un paon. Des canards barbotent dans Ie
ruisseau. Des poules, des dindons, des pigcons, pico-
tent des grenailles dans la cour.
Assise sur un des degrés, une petite fille en robe
jaune paille, guimpe et tablier blancs, fait boire du
lait dans une coupe a un agneau. Un bonhomme a
tète chauve lui parle en riant; il s'en va j>orter quel-
que part un panier d'ceufs et un pot vert. Un autre
vieux serviteur de la ferme, arrêté sur la plate-forme,
rit aussi en regardant sa jeune maitresse. Ceperson-
nage qui tient sous son bras gauche une poule, et
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JAN STEEN.                                  255
sous son bras droit la nichée de poussins dans une
corbeille, est très-grotesque : nabot, ragot, a jambes
courbcs et tortues, ce que les Hollandais et les Fla-
mands appellent un krom. Jan Steen s'est bien amuse
a Ie peindre d'après nature et il y a mis toute sa
science réaliste et exprcssive. La tête du bonhomme
au panier d'ceufs est aussi d'une réalité merveilleuse,
et je ne crois pas que Jan Steen, ni aucun despetits
maitres hollandais aient jamais fait une tête plus
correctement modelée et plus vivante.
Cette peinture, si volontaire dans Ie dessin, si
ferme d'exécution, si scrupuleuse dans Ie détail, si
simple et si juste de lumièrc, ne rcssemble a aucune
autre du maitre, et 1'on pourrait d'abord être embar-
rassé de nommer 1'auteur. C'est sans doute ce qui a
fait supposer a Smith que cette menagerie devait ètre
des premiers temps de 1'artiste : — an earlyproduc-
tion of the artist.
Mais Smith se trompe, car Ie ta-
bleau est date 1660, après une signature en toutes
lettres. Or Jan Steen 'étant né vers 1625, et non en
1636, comme 1'imaginent tous les catalogues de 1'Eu-
rope, y compris celui de La Haye, avait alors environ
trente-cinq ans, et depuis dix a quinze ans son talent
était complet.
Mais ce terrible homme s'cst souvent montré sous
des aspects très-divers. Ses variations de maniere
tiennent a la variété des sujets. Son style et sa pra-
tique se conformcnt toiijours a la nature qu'il veut
traduire.
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230                          MUSÉE DK LA HAYE.
Molière aussi change de style selon qu'il peint Ie
Misanthrope ou Sganarellc, Don Juan ou llarpagon,
Célimène ou Dorine.
On pourrait eompter plus d'une demi-douzaine de
manières fort distinctès dans 1'o'uvre de Jan Steen;
toujours lui-mème cependant, quoique dans les scènes
de cabaret il rappelle un peu van Ostade, maïs avec
plus de verve satirique, et aussi Brouwer qu'il egale
pour I'expression; dans les scènes du monde elegant,
Metsu, mais avcc plus de vigucur et d'esprit; dans les
festins, Jordaens, mais avec une mimique bien plus
vive et des types plus accentués; dans'ses paysages
rcmx et ses ciels gris, Ie beau-père van Goijen, mais
non pas avec [unc pareille monotonie; ou merne
Cuijp, avec presque autant de lumière.
Quelquefois, comme dans ces figures des deux vieux
serviteurs de la ferme, il adhère, pour ainsi dire, a la
nature, au point qu'on ne sent plus ni maniere, ui
procédé quelconques. Ailleurs, dans certaines orgies,
il s'abandonne a une fantaisie de pratique aussi origi-
nale que la conception mem e des caractères, desphy-
sionomics, des attitudes. Et c'est la surtout qu'éclate
son génie, mélange inexplicable de science et de
licencc, de profondeur et de frivolité; grand prati-
cien, qui a ses défaillanccs; grand philosophe, et
triple i'ou!
Kous n'avions pas encore vu de ses médecins, —
Ie plus admirable est au musée van der Hoop, —mais
en voici deux qui ont leur mérite.
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•JAN STEEN.                                 257
N° 147. Le Médedn rendant visite a une malade.
C'est sérieux : la jeune fille est au lit; charmante ma-
lade dans son petit lit a baldaquin vert. Le gravedoc-
teur, fout de noir vètu, est assis auprès. Il a probable-
ment consulfé déjü un vase mystérieux, pose sur une
chaise devant la couchette, vase en métal, selon la
mode du pays; cependant il n'a pas Fair très-sür de
son affaire. Que nc regarde-t-il un grand tableau
pendu au fond contre le mur : des Centaures enlevant
des femmes'! Quel sujet de tableau pour une cbambre
a coueher de petite lille!
Une femme, la mère sans doute, présente un verre
de vin; les femmes ont toujours de bonnes idees. Ce
verre de vin aidera peut-être a sauver la Malade d'a-
moiir :
on appelle quelquefois ainsi eet excellent ta-
bleau. Derriere la femme, une table a tapis turc, et
dans lc fond a droite, une porte cintrée et deux petits
chiens.
La signature est en toutcs lettres, sans date. Le
panueau a 2 pieds de haut sur 1 pied 7 pouces. Il
provient des célèbres collections Lormicr et Braani-
camp. A la vente Lormier, 1763, il fut payé 460 flo-
rins; a la vente Braamcamp, 1771, 310 florins seu-
lemcnt. Leshauts prix de Jan Steen ne datent que du
dix-huitième siècle, comme on sait.
L'autre Srè/ie de médedn, faisant presque pen-
dant comme dimension, est moins inquiétante. La
1 Smilh dit a lort: L'Enlèvement des Sabines.
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258                         MUSÉE DE LA
fillette, en corsage bleu, bordé d'hermine, est assise
dans une chaise et abandonne son poignet délicat au
docteur, petit homme maigre et décidé. Derriére
elle, une servante en jupon jatuie; et au second plan,
a droitc, une vieille femme atcronpie devant la che-
minée. En avant, un petit épagneul couché sur un
coussin bleu. Le lit, a baldaquin rougeatre, est au
fond. Sur la gauchc, une table. Signé aussi du nom,
et sans date.
Ces deux tableaux, très-distingués, sont gravés
dans le Musée francais.
Philips Wouwerman.—Nous avons rencontre temt
a 1'heure une assez grande composition allégorique
de Metsu; on voit aussi au muséc de La Haye la plus
grande toile qu'ait peinte Philips Wouwerman; une
Batai/le, de 8 pieds de largc et de plus de 4 pieds de
haut!
Au milieu, groupc principal de cavaliers attaquant
et défendant un pont; on y remarque un trompette
qui sonne la charge, un personnage en pourpoint
écarlate, sur un cheval gris; ces figures du premier
plan ont environ 8 pouces de proportion; c'est trop
pour. Wouwerman; on le retrouve mieux, avec ses
fines qualités, dans les groupes semés a droite et a
gauche sur des plans plus reculés.
En bas est le doublé monogramme du prénom et
du nom, Point de date : le maitre n'en mettait pres-
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PHILIPS WOUWERMAN.                       259
que jamais '; on peut supposer néanmoins que cetle
flasque peinture doit être de la periode transitoire
entre sa première et sa seconde maniere, oü il em-
ployait souvent des tons bruns un peu lourds. Sans
doute il y a du mouvement, de la variété, beaucoup
d'adresse, mais une incontestable débilité dans Ie
dessin et la charpente de ces hommes et de ces che-
vaux d'une proportion inaccoutumée. Van Huchten-
burgh a fait aussi bien.
Cette ambition d'élargir leurs toiles et de risquer
la grande peinturc, a tourmenté un moment tous ces
délicats traducteurs de la nature en petit. Excepté
Adriaan van Ostadc et Adriaan Brouwer, il n'y en a
pas un pcut-ètre, depuis Gerard Dov jusqu'a van der
Werff, qui n'ait tenté quelques essais de ce genre;
mais il n'y en a pas un qui ait su y conserver des qua-
lités estimables.
Quand Ie plus vaillant des ciselcurs modernes,
Benvenuto Cellini, a voulu modeier des statues mo—
numentalcs, il a perdu aussi sa supériorité; et pour-
tant il s'élevait au plus haut style dans 1'exécution
d'un bijou. La moindre de ses figurines sur une
petite coupe vaut mieux que son Persé e.
C'est précisément Ie style, j'entends la recherche
de la beauté, qui manque aux petits maitres hollan-
1 Smith ne cite que 3 tabloaux dates, sur 522 que contient
son catalogue; un de la première maniere, 1646, et deux de la
dernière,1657et 1660.
KUNSTHISTORISCH INüTH UU^
[DER RIJKPUNIVERSITEITUTRECI
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200                          MUSÉE DE LA HAVE.
dais. Une figure simplement naïve et prise de la vic
vulgaire ne vaut pas la peine qu'on la dresse de toute
sa taille sur un piédestal. Elle paraitrait d'ailleurs
loujours petite, quelle que fut sa grosseur physique.
Le style seul grandit les images, et les artistes doués
de cette rare faculté n'ont point a se préoccuper de la
dimension matérielle deleurs oeuvres.
La grande Bataille de Wouwerman n'en a pas
moins de chauds admirateurs, et le musée de La
Haye la compte comme un de ses trésors. II possède,
en outre, huit autres Wouwerman, dont plusieurs
de premiere qualité.
Deux pendants célèbres et qui méritent leur célé-
brité : VArrivée d l'hótellerie et la Sortie de l'hótel-
lerie.
2 pieds de large environ sur 1 pied 1/2 de
haut. Compositions très-riches, représentant des in-
terieurs de remise, avcc quantité de chevaux de toute
couleur, les uns montés par des gentlemen, ou des
ladies, ou des jockeys, d'autrcs qui mangent, d'au-
tresqui sont couchés, d'autres qui secabrent; avec
des chèvres qui jouent, des coqs qui se battent, etc.;
tous
episodes vivement et spirituellement traites.
Wouwerman est la chez lui, et incomparable.
Un paysage plus célèbre encore et qu'on appelle
le Chariot de foin. La galerie de Buckingbam Pa-
. lace possède un sujet analogue, mais d'une qualité
bien supérieure. Ici, un large canal oecupe une partie
du panneau. En avant, a droite, une femme avec un
petit gargon, une charrette a un cheval, conduite par
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PHILIPS WOUWERMAN.                        261
un paysan; au bord de 1'eau, une charrette de foin,
attelée de deux chevaux, et un hommc a cheval, avec
une femme en croupe; plus loin, des hommes qui
chargent du foin sur des bateaux. Collection Buyten,
Delft, 1748, CIO florins. Haut. 1 pied 3 pou-
ces ; larg. 1 pied 0 pouces. Gravé dans Ie Musée
francais.
Un beau « Manege on plcine campagne, avec un
carrosse attelé de six chevaux. » Un cavalier, vu de
dos, exerce son cheval au manege. Au premier plan,
a gauche, un gentilhomme debout, appuyé sur une
canne, Ie regarde; derriére lui, son chevn.1 est tcnu
par un page. Toile largo de 2 pieds S pouces, et
haute de 2 pieds. Également gravé dans Ie Musée
francais.
Une Portie de rhassc, groupe de chasseurs qui ar-
rivent a un chateau; un d'eux, descendu de son
cheval qui se cabre, présente un verre de vin a xin
cavalier, sur cheval gris de fer, vu de croupe; un
autre fait boire son cheval a une fontainc oü hoivent
deux chienstenus en laisse par un jeune valet; une
elegante chasseresse est montée sur un cheval mar-
ron. Paysage très-boisé et très-pittoresquc. Gravé
par Wachsmuth. Environ 1 pied 1/2 de haut sur
2 pieds de large.
Un excellent petit « Paysage avec plusieurs che-
vaux.
» Les chevaux et les figures sont d'nne finesse
charmante. Le panneau n'a guère que 1 pied de
haut. Toujours gravé dans le Musée. francais.
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262                         MUSÉE DE LA HAYE.
Enfin, un Camp, et des Paysans d picd et d che-
val,
tableaux assez faibles et sans importance.
Rien de Pieter Wouwerman, mais de van Huch-
tenburgh, élève de Philips, deux bons Combats de
cavalerie,
et Ie prince Eugène de Savoie d cheval,
entnuré de guerriers.
Bebchem. — Berchem a fait pirc que Wouwer-
man dans sa grande Bataille : il a osé peindre « un
paysage italien avec des animaux et des figures de
grandeur naturelle. » Toilc de 6 picds 6 pouces de
haut sur 8 pieds 6 pouces de largc! C'était peut-être
Ie Taureau de Paul Potter qui 1'empêchait de dor-
mir; ou peut-être une mauvaise suggestion de la
Bande académique
de Rome. Toujours est-il qu'il
n'a jamais recommencé, et que Ie tableau de La
Haye est Ie seul Berchem avec des animaux grands
comme nature.
C'est une sorte de pastorale qu'il a voulu faire,
sous 1'influence de je ne sais quels maitres italiens.
Il
n'avait alors que vingt-quatre ans, car la peinture
est datée de 1648, un an après Ie Taureau de Paul
Potter, et il était tout frais débarqué dans « la ville
éternelle. » Bien savant déja, ce tableau Ie prouve
malgré 1'impuissance de 1'effet général.
Non-seulement les personnages sont de grandeur
naturelle, mais ils sont presque nus, autre ambition
académique. Les figures nues exigent plus de style
et de beauté que les bonshommes couverts d'une
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BERCHEM.                                   263
peau de mouton. C'est égal, Berchem a dessiné son
berger dcmi-nu et couronné de pamprcs, comme un
compagnon de Bacchus dans les Bacchanales du ïi-
tien. Sa bergere, assise a droite, a aussi Ie torse nu,
et tient cndormi sur sa jupe bleue son enfant tout
nu, comme un saint bambino de Raphaël. Mais on
pense bien qu'il n'y a point a chercher la dedans Ie
style des grands maitres italiens. On y trouverait
tout au plus Ie froid Sassoferrato.
Une vache rouge est couchée, un peu en raccourci,
heureusement. Ajoutez un ane, une chèvre, une bre-
bis. Tout cela dans un paysage italien, avec des ar-
bres et des broussailles. Ce curieux tableau a été
payé 6,000 tlorins a la vente Gevers, a Rotterdam,
en 1827.
Les autres tableaux de Berchem au musée de La
Haye sont également assez étranges dans son oeuvre,
— sauf un Paysage italien (signé et date 1661), de
sa maniere habituelle, avec un fond de ruines, et des
personnages et des animaux qui traversent un gué;
une femme en caraco bleu et manteaii jaune, sur un
cheval brun, un paysanqui cause avec elle, un petit
patre suivi de son chien, une vache fauve et une
chèvre; — car nous avons un Combat de cavalerie
dans un dé file de montagne
et une Chasse au san-
glier.
Le Combat est un tableau d'importance, sur toile
haute de 3 pieds, avec d'innombrables figures dis—
tribuées en plusieurs groupes. On se bat furieuse-
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2G4                         MUSÉE DE LA HAYE.
ment autour dun convoi de waggons et dans tous les
ravins de 1'étroit passage. Des hommes et des che-
vaux gisent sur Ie sol. La confusion est extreme. La
terrible Bataille des Cimbrcs, de M. Decamps, ne
donrie pas mieux 1'iniage d'une mèlée. — Collection
de la baronne Thoms, Leyde, 1816, 7,010 llorins.
La Chasse au sanglier, peinte « dans la pluslibrc
et la plus parfaite maniere de 1'iirtiste, » est datée
1659. Beaucoup de chasseurs a cheval et a pied, une
femme sur un cheval blanc, un homme sur un che-
val bai violacé; des chiens a la poursuite de sangliers;
un cerf tué, au premier plan. Les petites figures ont
la finesse et 1'élégance de celles de Wouwerman. La
toile a un peu plus de 2 pieds de large.
Des élèves de Berchem nous trouvons: Soolmaker,
un paysage, oü il a cxagéré les défauts de son maitre,
Ie tapotage de la touche et 1'éparpillement de la lu-
mière; — Jan Glauber, dit Polidor, un Paysage en
Arcadie,
avec des figures de son ami Gerard de Lai-
resse, dont nous avons aussi un Achille reconnu par
Ulysse,
personnages mi-nature, oeuvre pitoyable;—
et Karel du Jardin.
Les deux tableaux de Karel ne sont pas extraordi-
naires. L'un, date 1673, représente une Cascade en
Italië;
au bord de 1'eau, des pêcheurs tirent un filet;
sur la berge, un homme a cheval conduit un ïuie
rétif; collection Lindert de Neufville, 1765, 805 flc-
rins; — 1'autre, plus petit, montre une Bergere qui
fde en gardant son troupeau; pres d'elle, un ane
-ocr page 280-
ADRIAAN VAN DE VELDE.                    205
eouché, un chien, et, un pcu en arrière, un bceuf
blanc qui se frottc contre un tronc d'arbre. Collection
Wierman, Amsterdam, 1762, 325 florins. Ces deux
tableaux sont gravés dans Ie Musée francais.
Adbiaan van dk Velde. — Adriaan van de Velde
n'a que deux tableaux, non plus, au musée de La
Haye, inais ee sont deux chefs-d'oeuvre, deux petits
bijonx de la plus adorable qualité.
Vue du rivage de Scheveningue. Sur la plage de
sable, a gauche, devant une sorte d'appentis en per-
ches et en chaume, groupe de neuf figurines : un
vieux marin en chapeau, un autre marin en bonnet
rouge, une femme et une petite iille, avec leur chien
eouché a leurs pieds, une femme accroupie, un
homme
qui se repose, un marin en grandes bottcs et
bonnet rouge, jouant avec un chien, deux petits gar-
cons dont 1'un porte 1'autre. C'est Ie premier plan,
avec une charrette et deux chevaux, sur la droite.
La plage est nue partout, la mer très-basse;
assez loin, au bord du flot, on apercoit une voiture a
quatre chevaux, suivie d'un petit cavalier, ües bar-
ques microscopiques flottent sur la mer tranquille.
Signé, au pied del'appcntis : A. V. Velde. Sur bois.
II. 1 pied 2 pouces, L. 1 pied 5 pouces.
« Petite perle d'art, dit Smith, extrèmement inte-
ressante par 1'admirable vérité de la perspecthe
aérienne et les teintes locales de la couleur. » Lorsque
53
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266                         MUSÉE DE LA HAVE.
cette perle était au Musée francais, oü elle a été gra-
vée par Huik, elle devait briller même a cóté de
1'autre ehef-d'oeuvre (ri° 536 du Louvre), qui repré-
sente aussi la plage de Schcveningen.
Des bestiaux dans un paysage. « Encore une
pcrle de la plus précieuse qualité. » Paturage en
avant d'un bois. Au premier plan, a droite, un chêne,
derriére lequel s'avance de profil, en hennissant, un
beau petit cheval gris souris, singulièrement coupé
en deux par Ie tronc du chène, la tête paraissant
d'un cöté, la croupe de 1'autre. Adriaan s'est amuse
a répéter cette fantaisie dans plusieurs de ses ta-
bleaux, notamment dans un chef-d'oeuvre conservé a
Buckingham Palace et dans une autre peinture qui a
été en France, chez M. de Morny, sauf erreur.
Au pied du chène, deux moutons et une vache cou-
leur chamois, couchée, la tète de face. A gauche,
une vache qui pait et des moutons; et sur une émi-
nence, au second plan, Ie patre assis pres de sa ber-
gere, qui allaite un baby; derriére eux, Ie reste du
troupeau.
Vers Ie milieu de la prairie, une percée s'ouvre
dans Ie bois, et sur cette douce lumièrc se modèle un
petit chevreau blanc, debout et de profil. C'est exquis
de couleur.
- " Tout cela est en miniature, car Ie panneau n'a pas
1 pied de haut.
On aimerait mieux avoir ces deux pclits van de
Yclde que Ie Taureau de Paul Potter, la Vaclie de
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LES PAYSAGISTES.                           267
Berchem, la Justice de Metsu et la Bataille de
Wouwerman. »
Nous trouvons encore Adriaan chez ses amis van
der Heijden et van der Hagen.
Le van der Heijden, signé, représente l'Intérieur
d'une ville,
probablement Anvers selon le catalogue,
Dusseldorf selon Smith, mais cc n'est point Anvers,
et je nc crois pas non plus que ce soit Dusseldori'.
Flamands ou A] Iemands, ou Hollandais, les petits
personnages dispersés dans cette villc anonyme sonl
délicieux.
Des deux van der Hagen, 1'un, Vue en Gueldre,
est très-vrai et très-bon; 1'autre, le Rijnport d
Arnhem,
est un peu froid.
Sinion van der Does, absent au Louvre, est le seul
élève d'Adriaan van de Yelde, dont le musée de La
Haye ait un tableau, peinture grossière, molle, com-
mune : wie Bergere avec des moutons. Van der Does
est quelquefois très-fin et très-lumineux, dans une
harmonie qui se rapproche de celle de son inaitre.
Les paysagistes. — Débarrassons-nous d'abord
des pseudo-Italiens.
Poelenburg a deux petits paysages, 1'un avec des
ruines, 1'autre avec des baigneuses. Bartholome
Breemberg, son élève, — son maitre, suivant le ca-
talogue, quoique Breemberg soit né en i 620 et Poe-
lenburg en 1586, — un paysage, insignifiant. On
peut classer après Breemberg, a qui il ressemble
-ocr page 283-
208                         MUSÉE DE LA HAVE.
quelquefois, Jacob van der Ulft, qui peut-être n'a
jamais étó en Italië, mais a pastiche dans ses tableaux
des gravures de villes et de sites italiens. Il a aussi
un paysage, « avec edifices et un corps d'armée en
marche,» très-important pour lui.
Vient ensuite Ie groupe qui se rattache a Claude
Lorrain : Swareveld, un grand paysage; Jan Both,
deux tableaux; et de Ilcusch, deux pctits paysages,
asscz distingués.
Les deux Both sont de la plus belle qualité. Le
grand surtout doit être compté comme un chef-
d'oeuvre. Il a été payé 5,610 florins a la vente de
la baronne Thoms en 1816. La toile a 4 pieds de large
sur 3 pieds S pouces de haut.
G'est un soir d'été, dans la campagne italiennc.
Des collines et de petits vallons, de l'eau, des groupes
d'arbres élégants. A gauche, unc route sur laquelle
s'avancent
un muietier conduisant sa mule chargé-,
unvoyageur en vêtementrouge, et plus loin un troi-
sième homme sur une mule. Signé J. Both, le J
formé
sur le premier jambagc de B.
Dans 1'autre petit paysage, la signature ne porte
que le nom sans 1'initiale du prénom.
Adam Pijnacker a sa maniere a part, très-caracté-
risée par des contrastes d'ombres et de lumieres un
peu trop métalliqucs. Nous avons de lui un grand
' paysage, adroitement peint, d'une brosse aiguë et in-
cisive comme la pointe d'un graveur a 1'eau-forte.
Lingelbach, ce maïtre complexe, Allemand de
-ocr page 284-
LES PAYSAGISTES.                           20!)
naissance, Italien souvent par Ie style, quelquefois
Hollandais par la pratique, est bon a étudier au mu-
sée de La Haye; car on y voit de lui quatre tableaux,
de genre et d'exécution dissemblables : un Port de
mer en Italië,
avec de grandcs figures, assez mau-
vaises; signé I. Lingelbach, 1670; la mème année
quö Ie Marché aux herbes, a Rome (n° 270 du
Louvre); doublé date qui prouve, en passant, que
Lingelbach a séjournó a Rome dans son age mtir,
après y avoir étudié dans sa jcunesse; — Ie Dèpart de
Charles II
de Scheveningen pour 1'Angleterre, en
1660; composition très-riche, très-habile, très-lumi-
neuse; — un Pay sage avec un chariot de foin, dans
la maniere de Philips Wouwerman;— et une Marche
de cavalerie,
oü les petites figures sont excellentes
et ne trahissent 1'imitation d'aucun autre maitre.
En outre, Lingelbach a peint les personnages dans
Ie paysage de Philip Koninck, déja cité, dans deux
bons paysages de Moueheron et dans un grand pay-
sage de \\ ijnants.
Des paysagistes demeurés purs Hollandais, Ie plus
ancien au musée de La Haye est Wijnants, qui ouvre
la grande periode du xvnc siècle; il a deux paysages
très-reniarquables; 1'un, signé et date 1659; les fi-
gures seraient, suivant Smith, delIeltStockade; 1'au-
tre—c'est celui dont Lingelbach a fait les figures —
porte, avec Ie nom en toutcs lettres : J. Wijnants f.,
la date authentique 1673, renseignement précieux
pour la biographie de 1'artiste, dont la date de mort
23.
-ocr page 285-
270                         MUSÉE DE LA HAYE.
est assez vague. Le musée de La Haye lui-même,
qui possède ce tableau date 1675, inscrit que Wij nants
est mort en 1670 !
Ce grand paysage sert aussi a constater la dernière
maniere de Wijnants, plus large et moins line de dé-
tail que ses manières précédentes.
De Cuijp le musée de La Haye n'a qu'un seul ta-
bleau : Vue aux environs de Dordrecht. A gauchc,
un cavalier, de face, sur un cheval bai. Il est coiffé
d'une toque noire a plumes rouges. Un pècheur, en
bottes fortes, lui offre du poisson. A droite, un épa-
gneul couché. Au second plan, des pêcheurs, un
cheval noir, et, de 1'autre cöté d'un canal, une
maison. Les deux figures principales ont envirun
1 pied de haut. Belle peinture, un peu brusque ce-
pcndant.
Les trois Ruijsdael sont extrèmement originaux.
Le plus singulier, qui rappelle beaucoup le style
de Philip Koninck et de Rembrandt, est catalogué
par cette phrase : «.Du cótó d'Overveen on voit dans
le lointain la ville de Haarlem.
» Cette vue est prisc,
a vol d'oiseau, d'un point élevé. Au premier plan,
une prairie plate et rase oü sont étalées, sur 1'herbe,
de longues bandes d'étoffe blanche. Les maisons de
la blanchisserie se groupent un peu a gauche. Au
dela, 1'oeil se perd sur une campagne unie, presque
sans arbres et sans habitations, jusqu'a la ligne du
ciel. La ville et un clocher de Haarlem se discernent
a peine, bien loin, bien loin, al'horizon, Et ces lieues
-ocr page 286-
LES PAYSAG1STES.                           271
de pays sont représentées sur une pctite toile haute
de 1 pied 8 pouces!
Signé a droite : Ruisdael, Ie premier jambage de
1'R formant aussi un grand J et un petit v (Jacob
van Ruisdael). A la vente Gerrit Muller, Amsterdam
1827, ce chef-d'ceuvre a été payé 6,700 florins.
« Rien de plus parfait n'cst jamais sorti du pin-
ceau du maitre, » dit Smith. En effet, outre la soli-
dité des terrains, frappés de coups de soleil en certains
endroits, la perspective aérienne et Ie ciel, mélange
de gris de fer et de gris d'argent, sont des prodiges.
Lc seeond Ruijsdacl, intitulé un ltivage, n'est
guère moins étrange. Il represente la cóte de Sche-
veningen, par une fraiche brise, avec des nuages qui
annoncent un grain. G'cst dans ces caprices de la na-
ture que Ruijsdael montre sa poésie. Lc trouble des
élétnents surexcite ses qualités vigoureuses. La Tem-
pête
du Louvre (n° 471) en est un exemple.
lei nous avons a la fois une marine et un paysagc;
les dunes de sable, a droite, et sur la gauche, de pe-
tites barques a flot. La plage est animée par beaucoup
de petites tigures, hommes et femmes qui se promè-
nent, ou font n'importe quoi. Je nc saurais dire 1'au-
teur de ces excellentes figurincs; peut-être Storck.
La toile a environ 2 pieds de large. Vendu 1,165 flo-
rins, en 1808, a la vente van der Pot.
Une Cascade! Ruijsdael en a peint beaucoup, mais
celle-ci est d'un ton particulier, assez rapproché des
verts glauques de Hobbema. L'eau tombe, rebondit,
-ocr page 287-
272                         MUSÉE DE LA HAYE.
mousse, scintille, en avant. A gauche, un fond de
forêt; adroite, un coteau surmonté d'un édiflce. Beau
ciel orageux. Haut. 2 pieds 3 pouces; larg. 1 pied
9 pouces.
A cóté de son compère Ruijsdael, Hobbema man-
que toujours!
Mais voici un grand peintre, dont la biographie
n'est pas plus connue que celle de lTobbema, et dont
les ccuvres sont encore bien plus rares. On sait seu-
lement qu'il est né a Delft vers 1632, et c'est pour-
quoi, afin de lc distinguer de ses homonymes, on
1'appelle
van der Meer de Delft [Delfsche van der
Meer). Suivant Immerzeel, son véritable nom serait
Jan Vermeer et il aurait été élève de Karel Fabrieius.
Il n'y a aucune preuve de cela, qui d'ailleurs signi-
fierait peu, et il faut laisser ce Delfsche van der Meer
parmi les « illustres inconnus. »
Ou trouver de ses tableaux, pourle connaitre en
1'étudiant? C'est seulement chez M. Six van Ilille-
gom, dans deux tableaux très-difïërcnts, une Vue
dintèrieur de ville hollandaise,
et une figurc de
Femme,
découpée sur un lambris pïile, qu'on peut
avoir une idee de eet artiste bizarre. Il manie lapate
comme Rembrandt; il fait jouer la lumière comme
Pïctcr de Hooch, qu'il imite un peu; il a aussi quelque
chose d'Aalbert Cuijp; et il tourne ses personnages
avec une certaine violence, très-partieulière et très-
fantnsque.
Dans Ie tableau de La Ilayc, Vue de la ville de
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I.ES PAYSAGISTES.                           273
Delft, du cuté du canal, il a poussé les empatements
a une exagération qu'on rencontre parfois aujour-
d'huichez M. Decamps.
On dirait qu'il a voulu batir
sa ville avec une truelle, et scs mnrs sont de vrai
mortier. Trop esttrop. Rembrandt n'est jamais tombe
dans ces exces. S'il empate les clairs quand un vif
rayon fait jaillir une forme, il est sobrc dans les demi-
teintes, et il obtient la profbndcur des ombres par de
simples et légers frottis.
La Vue de Delft, malgré cette maeonnerie, est
pourtant une peinture magistrale et tont a fait sur-
prenante pour les amateurs a qui van der Meer n'est
pas familier'. Elle a été payéc 2,900 ilorins a la vente
Stinstra, en 1822.
1 « ... Jan van der Meer, quo je ne connaissais que de
nom... Cela est peint avec une vigueur, une solidité, une fer-
meté d'empatement, très-rarcs chez les paysagistes hollan-
dais... Van der Meer est un rude peintre, qui procédé par
teintes plates largement appliquécs, rehatissées en épaisseur;
il a du visiter 1'Italie. C'est un Canaletto exagéré. » — (M. Du-
camp, Revue de Paris, \" oct. 18b7.) — Je crois que M. Du-
camp se trompe, et que van der Meer de Delft n'a jamais étó
en Italië. On ne devine guère non plus quelle est 1'analogie
qu'on peut trouver a ce rude Hollandais avec Canaletto, soit
danslestyle, soit dans 1'exécution.
M. Théophile Gautier n'a pas été moins frappe que M. Du-
camp de ce tableau du musée de La Haye, et il en fait grand
éloge dans ses articles, déja cités, du Moniteur (juin 1858) :
« Van Meer (sic) peint au premier coup avec une force, une
justesse et une intimité de ton incroyables...La magie du dio-
rama est atteinte sans artifice.
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274                         MUSÉE DE LA HAVE.
Les marinistes. — Qui Ie croirait! nous n'avons
pas au musée de La Haye une douzaine de tableaux
de marine. Deux Willem van de Velde seulement,
trois Backhuizen, deux Abraham Storck; et puis ? une
Vue de l'Amstel a Amsterdam, n'ayant d'autre va-
leur que de rappeler l'aspect de la ville dans la se-
conde moitié du xvm* siècle, par Torenburg, né vers
1737 et mort vers 1786. C'est tout, avec les deux ou
trois plages de Scheveningen, peintes par des paysa-
gistes, et Ie Port italien, deLingelbach. Encore les
deux marines de Storck ne sont-elles pas des exem-
plaires sur lesquels on puisse apprécier ce maitre
habile. Restent donc Willem et Ludolf, qui sont
d'aillcurs les premiers types de Fécole hollandaise
dans cettc spécialité.
Les deux tableaux de Willem van de Yeldc ont la
même dimension, 2 pieds 2 pouces de haut sur 2
pieds 6 pouces de large, et se font pendant. lis ont
passé tous deux dans une vente anonyme a Amster-
dam en 1765, oü 1'nn a été payé 1,310 florins,
1'autre 930 florins. Tous deux, ayant été emportés
par les guerriers francais, ont été gravés dans Ie
Musée Napoléon. Véritables compagnons,—comme
dit Ie mot anglais, pour pendants, — et insépa-
rables. Deux perles pures et brillantes, au ju ge-
ment de Smith. Très-pures en effet; diamants de
la plus belle eau, limpides, et, malgré leur trans-
parence lumineuse, iaattaqués jusqu'ici par 1'air, Ie
soleil ou 1'humidité, ni par les agents les plus cor-
-ocr page 290-
LES MAIUNISTES.                            278
rosifs de la peinture, les restaurateurs et barbouil-
leurs patentés.
lis représentent la mer calme, avec des navires de
tout calibre et de toute forme, depuis Ie vaisseau de
guerre jusqu'au pctit bateau de pêcheur, et quantité
de personnages de toute classe qui se reniuent sur les
embarcations. Le n° 165 est signé a droite, au pre-
mier plan : ~-, Je n'ai pas trouvé la signature de
1'autre.
Les trois Backlmizen sont aussi de premier rang
dans son oeuvre; ce qui ne doit cmpêcher personne
de dire ce qu'il en pense. —Le Chantier de'la ci-
devant Compagnie des Indes orientalcs a Amster-
dam
est exécrable, a mon gout. — La Marine par un
gros temps
est froide et faible, quoique Smith
en vante 1'cxécution (an admirable performance);
elle est signée sur une barque : Bakhuis (sic). — Le
Be tour du roi Gvillaume III d'Angleterre a Maas-
sluis,
en 1691, ne peut pas compter comme une ma-
rine ; toute 1'importance est pour les personnages qui
viennent de debarquer. Guillaumc, en costume d'ap-
parat, sur un cheval gris qui caracole, est accompa-
gné du duc d'Albemarie et] d'un eortége de gentils-
hommes et de soldats; une députation de la ville
s'avanee pour le recevoir; il y a encore, sur le quai,
beaucoup d'autres figures bètement peintes. Mauvais
ciel. Tableau très-cher ccpendant a cause du sujet,
et mème très-admiré par une certaine classe d'ama-
teurs.
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270                     MUSÉE DE LA HAYK.
Les peintres d'arciiitectube. — Cette categorie
n'est pas brillante non plus. Après Hendrik van
Steenwijk Ie vieux, des Bdtiments avec figures,
van Bassen, mie Eglise cat/toliqite, — van Vliet, la
Vieille étjlise d Delft,
— on ne trouve que deux
maitres dignes d'attention : Hoekgeest, dont on sait
peu de chose, et Dirk van Deelen.
Hoekgeest a beaucoup d'analogie avec Emmanuel
de "SVitie, et dans ses excellentes ügurines il rappelle
quelqueibis Aalbert Cuijp. Scs deux tableaux offrent
l'Intérieur de l'Église neme a Delft, 1'un avec Ie
tombeau des princes d'Orange, 1'autre pris d'un point
de vue différent, et signé d'un monogramme (II, Ie
D accolé a rebours au premier janibage de 1'H, avec
la date 1631.
Le van Deelen est extrèmement curieux : il repré-
sente « la Salie du Binnenhof d La Haye, pendant
la dernière grande assemblee des États en 1651. >> II
a, de plus, eet intérêt, que les nombreuses figures ont
été peintcs par Palamedes. C'est la seule fois qu'on
rencontre dans les musées publics de la Ilollande eet
excellent peintre, aussi original qu'il est rare. A la
vérité, on lui attribue en tous pays quantité de ta-
bleaux vulgaires, exécutés après lui ou autour de lui
pardesimitateurs. Dans les galeries parüculières, en
Hollande, je ne connais qu'un autre Palamedes, chez
Ie baron Steingracht. Le musée du Louvre n'en a
point. Lc musée de Bruxelles en a un. Les musées
d'Allemagne en ont peut-ètre une douzaine.
-ocr page 292-
LES PEhNTRES D'ARCHITECTURE.             277
Mais qucl est cc Palamedes ' ? De qui est-il élève ?
Y a-t-il plusieurs Palamedes ? Sont-ils de la mème
familie? Celui qui a fait les portraits en buste de
grandeur naturelle, dans la maniere de Cuijp, est—il
Ie
même que 1'auteur des petits tableaus: d'intérieur,
aveede svcltes et élégantcs figurines en pied, conver-
sations
de gentlemen et de ladies, qui jouent ou qui
boivent? Est-cc lui qui a fait également les scènes de
I  Sans douto Descamps et ses copistes ne sont pas embar-
rassés pour donner — d'après Houbraken que Descamps a
copié — quelque petite biographiede Palamedes, ou même de
plusieurs Palamedes. Ce qui n'empêche pas que 1'individualité
de ces peinlres soit ordinairement confondue. Pour les Pala-
medes, comme pour la plupart des maitres hollandais, c'est
dansleursffiuvresqu'il faut les étudier; c'est par leurs ceuvres
qu'il faut refaire leur biograpliie, et non pas en stéréotypant
loujours de premières notcs erronées.
Qui veut étudier sérieusement 1'ccole hollandaise doit com-
mencer par laisser la Descamps et tous les livres francais. Il
n'y a pas, a ma connaissance, de livres francais qui puissent
servir a 1'histoire des maitres lioliandais.
II  faut écarter aussi Houbraken, source première de toutes
les erreurs, de tous les contes, de toutes les calomnies. D'Im-
merzeel il faut se défier, car il a pris partout les éléments do
son Dictionnaire, et il ne connait ricn aux oeuvres des maitres.
Reste en hollandais 1'Histoire publiée par MM. van der Eynden
et van der Willigen (Haarlem 1816), etbeaucoup de savantes
monographies.
C'est a cetteHistoiresurtoutque lescompilateursallemands,
tels que Nagler, Rathgeber, etc, ont emprunté leurs maté-
riaux. Ces compilations horculéennes sont encore — et il n'en
pouvait être autrement — remplies d'erreurs. Mais il y a un
24
-ocr page 293-
278                         MUSÉE DE LA HAYK.
soldatesque, intérieurs de corps de garde, oü l'on
joue, oü l'on fume, oü l'on se disputc ? Est-ce cncore
Ie même qui a fait les petitcs batailles de cavaliers?
Il est certain d'abord qu'il y a Anton Palamedes,
surnommó Stevens, nc a Delft en 1604, mort en
1680. Le portrait d'homme du musée de Braxelles
(n° 151) est de lui et porte une belle signature au-
auteur allemand qui est très-instructif sur les Hollandais (je
ne parle ici que de la grande école du dix-septième siècle);
c'est M. Waagen, dans ses Kunsliverke, etc, et dans ses
Treasures of art, etc.,parcequoM. Waagen atout vu par lui-
même, et qu'il est un des premiers connaisseurs en peinture.
Les livres anglais sont excellents en général, et il n'y en a
pas un oü l'on n'apprenne quelque chose. Cela encore parce
les Anglais qui écrivent sur les arts étudient les ceuvres des
artistes plus que les vieux papiers. Smith, par exemple, est
un véritable trésor sur les maitres dont il a fait les catalogues,
et de tous les livres sur 1'écolo hollandaise son livre est le
meilleur incomparablement.
Ce serait rendre service a 1'histoire de 1'art, que de former,
a cöté de chaque musée, comme 1'a souvent proposé le biblio-
phile Jacob, une bibliothèque spéciale oü fussent réunis les
livres, brochures, revues et journaux, — en toule langue,
contenant des documents relatifs aux arts. Une telle bibliothèque
devrait avoir un cataloguo raisonné, qui füt a la disposition des
lecteurs et qui les renseignat sur le contenu des ouvrages. On
sait combien il est difficilo d'obtenir, dans les bibliothèques
universelles, la communication des livres spéciaux, et encore
faut-il déja être assez initié a la bibliograpliie pour indiquer le
livre dont on a besoin. Le Louvre devrait donner 1'excmple de
cette institution et ouvrir aux artistes et aux gens de lettres
une salie de lecture annexée a la galerie de tableaux.
-ocr page 294-
LES PEINTRES D'AHCHITECTURE.              279
thentique: «Mtatis 40 (c'estl'ège du pcrsonnage).
A° 1650. A. Palamedes pinxit.» De lui aussi est un
buste de jeune fille, signó A. Palamt:i, au musée de
Berlin (n° 741). Voila notre peintre de portraits, lc-
quel est un peu influencé, en cc genrc-la, par Aalbcrt
Cuijp. — Le musée de Francfort-sur-Mein possèdc
(n° 225) une Société joyeuse, signée : A. Palamedes,
et la galerie du palais Lazienki, a Varsovie, un Trom-
pette hollandais
(n° 26), signé : A. Palamedes 1654.
Voiliï donc Anton Palamedes peintre de scènes fami-
lie res.
De lui encore paraisscnt être, au musée de Berlin
(n° 817), une Scène de soldats dans une maison de
pai/sans,
signée, cette fois : A. G. Palamedes, et un
Combat de cavalerie et d'infanterie (n° 982), avec la
signature : Palamedess, 1680. Anton Palamedes au-
rait donc eu un autrc prénom commencant par G ; il
doublait donc quelquefois I's final de son nom, indi-
quant par eet s, équivalent a z, que Palamedes est
aussi le nom de son père (Palamedeszoon, fils de Pa-
lamedes), et il aurait donc peint des scènes de sol-
datesque et des bataillcs ?
D'habitude, cependant, on applique le nom ccrit
Palamedess, ou Palainedesz, a un frère d'Anton. Les
catalogues de Vienne et de Munich supposent que cc
Stevens Palamedesz, a Londres, eu 1607 suivant
Dcscamps, et mort dans la mème ville en 1638, au-
rait été élève d'Esaias van de Velde; M. Waagen,
dans le cataloguc de Berlin, le dit « élève de son père
-ocr page 295-
280                         MISÉE DE LA HAYE.
Palamcdes. » Le père Palamedes, premier du nom.
était artiste, en effet, excellent eiseleur, et fut attiré
en Angleterre, sous Jacques I", sans doute de 1604
a 1607, entre les dates de naissance de ses deux fils.
Lc Palamedes III, dit Stevens Palamedcsz, a fait
des Batailles aux musécs de Vicnne, de Dresdc et de
Munich; cellc de Yienne est signéc : P. Pallemedes,
A. 1638'.
Quoi qu'il en soit de tont ccla, qui n'est pas abso-
lument clair, les figures, dans le tableau du inusée
de La Haye, sont d'Anton Palamcdes, le vrai et le
bon. Il fut donc ami de van Deelen, lequel était élève
de Frans Hals, chez qui probablcment Palamedes,
comme son style, son exécution et sa couleur sem-
blent 1'indiquer, doitanssi avoir étudié.
Peintres d'oiseux et d'animaijx. — Melchior
de Hondecocter est superbe, en son genre, au musée
de La Hayc comme au musée d'Amsterdam. Il a ici
quatre tableaus : la Menagerie de Guillaume III, au
Loo, chateau royal, pres de La Ilaye, avce des ani-
1 Slevens Palamedesz ost porté, dans lo catalogue de la
calerie Eszterhazv a Vienne, comme auteur d'un tableau re-
présentant la Mort de Gustave-Adolphe.—Voir sur les Pa-
lamedes 1'Histoire de van Eynden et van der Willigen, les
Annales de Rathgeber, etc. — Dans le Dictionnaire de M. Siret,
on trouve:« Antoine Palamede Stevens, frère de Palamedn,
fut admis en 1636 dans la Corporation de Saint-Luc a Delft,
et il en fut doyen en 1673. »
-ocr page 296-
LES PEINTRES DU XVI' SIÈCLE.               28i
maux et volatiles de toute sorfe ; — Ie Ccrbeau dé-
pouillé des plumes d'autres oiseaux dont il s'était
pare;
et deux compositions oü s'ébattent des canards
et des canetons, des oies et des coqs; Ie caneton sur-
tout est Ie triomphe de Ilondecoeter.
Jan Weenix, iils de Jan Baptist, n'a pas, d'ordi-
naire, peint la nature vivante. Son Paysage avec un
chevreuil et un cygne, qui ne sont point morts, est
donc une rareté, outre que 1'cxécution en est large et
vigoureuso. Un second tableau de lui représente un
Faisan et des groupés de rjibicr mort.
LES PEINTRES DE FRUITS ET UE FLEDRS. ---- TOU-
jours les mêmes : Jan Davidsz de Heem, Mignon,
Rachel Iluysch, van Iluijsum; et, de plus, un Vase
avec des fleurs,
et du Gibier mort, par van Aalst, né
a Delft, en 1602, mort dans la même ville, en 1638;
inconnu au Louvre.
Les deux de 'Heem sont très-bcaux, surtout une
Table avec des fruits
et accessoires; 1'autre est un
Feston de fleurs et de fruits.
D'Abraham Mignon. il
n'y a qu'une Corbcille avec des fleurs;—de Rachel,
un excellent Bouquet de fleurs, roses, tulipcs, etc,
avec papillons et autres insectes; et un second Bou-
quet,
plus petit; — de van Huijsum, deux pendants.
peints surcuivre, Fruits et Fleurs ; aexquisitepro—
ductions,
» dit Smith.
Les peintres du xvie siècle. — Nous avons du
24.
-ocr page 297-
282                         MUSÉE DE LA HAYE.
commencer par la grande génération du xvu" siècle,
qui constitue véritablement 1'ccole hollandaise; il
faut donc maintenant revenir un pen en arrière, de-
puis Lucas van Lcijden jusqu'a Miereveld.
On attribue a Lucas van Lcijden, ou peut-ètre,
ajoute Ie catalogue, a Walter van Assen, qui vécut a
Amsterdam en 1517, un tableau original sans aucun
doute : « la Fille de Hérodias, ayant la tête de saint
Jean-Baptiste sur un plat (n° 83). »
Cettc peinture, assez serrée, et d'un caractère mys-
tique, ne ressemble point du tout a Lucas van Leijden;
mais ce qu'il y a d'étonnant, c'ost qu'elle porte en
haut sur une banderole, avec la date 1524, un mo-
nogramme bien visible : I. AA superposés, et un
iroisième signe formant unc espècc d'II barre au
sommet. Immcrzeel (t. III, p. 273) donne précisé-
ment cc monogramme comme étant celui de Jacob
Cornelisz ou Cornelisscn, cc qui ne rempèche pas de
citer ailleurs la Fille de Hérodias, par Lucas van
Leijden. Comment ce monogramme, ou plutot ce pc—
lygramme, avec ses deux A, peut faire Cornelisz, on
ne sel'explique guèrc; ony trouverait plutót Walter
van Assen; mais il aurait du suffire au moins pour
faire écarter 1'attribution a Lucas van Leijden.
Un chef-d'oeuvre! Portrait d'homme assis devant
une tablc, a mi-corps, de grandeur naturelle, par
Antonic Mor, dont lc nom fut italianisé et. espagno-
lisé en : Antonio Moro. Cettc peinture est a peu pres
de la qualité des beaux portraits exposés a Man-
-ocr page 298-
LES PEINTRES DU XVI* SIÈCLE.             283
chestcr ', parmi lesquels était le propre portrait du
maitre.
Le catalogue de La Haye inscrit 1512 comme date
de naissance du Moro, et en cela il est plus pres de la
véiïté que les biographes qui adoptent la date de
1525; mais il se trompe sur la date de Ia mort —
1568. Du reste, cette date n'est pas comme avecbeau-
eoup plus de certitude que la date de naissance. Le
catalogue de Paris, qui semble avoir raison, dit : en
1581, a Anvers; le catalogue de Yienne dit : en
1575, a Bruxelks; et dans le catalogue de Berlin, le
savant M. Waagen dit: 15822.
Au rausée d'Amsterdam, nous avons déja vu un
Massacre des Innocents, par Cornelis van Haarlem
(15G2-1638). Lc musée de La Haye possède aussi
une composition du même sujet par le mème maitre.
On la tient, avec raison je pense, pour le chef-d'ceuvre
de ce demi-Italien. Les figures sont de grandeur na-
turelle. C'est correctement dessiné, très-savant, très-
ambitieux de haut style; mais peut-ètre cependant
Cornelis eüt-il mieux fait de rester cbez lui, a Haar-,
lem, que d'aller pasticher les Romains et les Flo-
rentins.
Le Louvre n'a rien de van Haarlem, dont le
nom n'cst pas même cité dans le catalogue de Paris.
1 Voir Trésors d'art, etc, par W. Burger, p. 171 et sui-
vantes.
1 M. Waagen écrit le nom du maftre de Mor: « Schooref,
pour SchooreZ, ou Schoorl.
-ocr page 299-
284                          MUSÉE DE LA HAYE.
Abraham Bloemaart, son contemporain, préoccupé
comme lui de 1'art étranger, quoiqu'il n'ait jamais
été en Italië, mais seulement en France, est 1'auteur
d'un grand Festin des dieux et d'un autre tableau;
ce n'est pas la peine de s'arrèter a ces insignifiantes
peintures.
Du plus fécond des portraitistes, de Miereveld, il
n'y a qu'unscul portrait, peint dans sa vieillesse, car
il représente Ie prince Frédéric-Henri et sa femme
Amélie de Solms;
enfin, de Paul Moreelse, élève de
Miereveld, il y a deux portraits : Catherine Chris-
tine, princesse de Nassau,
et une Princesse de
Hanau.
Divers. — Pour terminer 1'école hollandaise, il
ne reste plus a citer que quatre artistes : Egbert van
der Poel, un Clair de lune; — J. de Baan ou de
Baen (1633-1702), un portrait du comtc Maurice
de Nassau, gouverneur du Brésil, et un portrait du
Grand-Pensionnaire de Witt; — Cesar van Ever-
dingen et Cornelis Troost.
Cesar van Evcrdingcn, frère ainé du célèbre paysa-
giste, n'est guèrc connu. Son tableau du musée de
La Have nc manque pas d'une certaine originalité
grossière; il représente Diogène cherchant des
hommes au marché de Haarlem ;
les portraits de la
familie du Grand-Pensionnaire Steyn se trouvent
panni les personnages de la composition. Toutes ces
figures courtes et communes sont assez grotesques.
-ocr page 300-
PEINTRES DIVERS.                           28o
C. Troost, dont Ie musée d'Amsterdam possèdc Ie
portrait', est très-apprócié par ses compatriotes, qui
1'ont même baptisé Ie Hogarth hollandais; né a
Amsterdam en 1697, — un an avant Hogarth, — il
mourut en 1750. On lui a fait les honneurs, pour
lui tout seul, d'un petit cabinet attenant a la grande
salie du Taureau. La sont exposés quinze de ses des-
sins a la gouache et au pastei, encadrés et sous verre,
lis forment
deux séries, 1'une de dix Scènes de co-
médics hollandaises;
1'autrc de cinq Scènes d'iine
réunion d'amis connus sous Ie nom de Nelri.
C'est
curieux pour les mceurs et les costumes de la pre-
mière moitié du xvme siècle, mais sans valeur aucune
comme art. L'esprit comique, Ie wit et Yhumour du
caricaturiste anglais n'y sont point. Ce Troost ne
prendra jamais rang dans la familie de Hogarth, de
Goya, de Gavarni et de Daumicr.
La Hollande d'ailleurs était entree, a cette époque,
dans une nouvelle phase. Sa grande histoire et sa
glorieuse école n'ont qu'un siècle, celui de 1'indé-
pendance et de la liberté, Ie xvne. Au xvm" siècle
tout est fini dans les arts et les lettres, aussi bicn que
dans la politique; 1'ancienne république hollandaise,
qui avait pesé sur les affaires de 1'Europe, qui avait
inspiré Rembrandt et Vondel, n'est plus alors qu'une
maison de commerce, toujours active et intelligente,
mais sans Ie rayonnement du génie.
1 Voir page 171.
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286                         MUSÉE DE LA HAYE.
Les Flamands. — Les Flamands sont un peu
mieux ici qu'au musée d'Ainsterdani; encore n'y pa-
raissent-ils point a leur avantage, et ils demeurent
toujours écrasés par leurs frères et rivaux les Hollan-
dais. Ceux-ci, a la vérité, ne font pas belle figure non
plus dans les musées d'Anvcrs et de Bruxelles,
règnent Ilubens, van Dyck et Jordaens, et oü seul
Rembrandt se tient victorieuseinent a eöté de ces
maitrcs, avec son eclatant portrait de femme a toque
rouge, de 1'ancienne galerie de Guillaume II, avec
son superbo portrait d'homme, dato 1641, 1'année
d'avant la Ronde de raat.
Le nom de Hemmelinck (sic) sur Ie catalogue at-
tire d'abord. Mais, quand on a trouvé le tableau, —
Descente de croix, — classé avec les Allemands, dans
un des pctits salons a droite, on est un pcu désen-
chanté. Memling, non assurément. De 1'école des
van Eyck, saus doutc. Asscz pres mêmc de Rogier
van der Weyden. Mais il s'en faut bien qu'il y ait
dans cette peinture, tres-magistrale d'ailleurs, le
sentiment exquis de Memling, ni son élégance parti-
culiere, ni la claire harmonie de son coloris.
« Le catalogue du musée de La llaye, dit M. Mi-
chiels (Histoire de la peinture flamande et hollan-
daise,
t. II, p. 126), attiibue a Ilcmling une Des-
cente de croix,
oü règne le style de Jan van Eyck.
Un paysage en miniature forme la perspcctive : ou
y distingue une ville et une habitation feodale en-
tourée d'eau. Les figures du premier plan, vraies et
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LES FLAMANDS.                              287
communes, semblent toutes des portraits. La Vicrge
et unc sainte femme ont Ie front couvert par leur
mantille, selon la mode byzantine. Le Christ est
maigre, décharné, sans caractère divin : non-seulc-
ment la flamme vitale parait absente de cc triste
corps, mais on dirait une momie. Les habillcments
sont peints avec unc extreme finesse, la couleur a
une grande vivacité. Les deux belles tètes de saint
Jean et de saint Pierre Temport ent sur les autres. Un
évêque agenouillé doit être le donateur. »
De Memling nous passons a Breugel de Velours,
né en 1568, mort en 1625 (et non 1581-1642, dates
inscrites au cataloguc). Breugel n'a guère travaillé
seul; nous le trouvons d'abord associé a van Balen
pour un tableau d'une finesse et d'une richesse ex-
trêmes : « les Quatre saisom en medaillon entouré
d'une guirlande de fleurs; » puis, associé, pour une
Fuite en Egypte, a Rottenhammer, qui a peint aussi
les figures dans un mauvais Purgatoire de Breugel
d'Enfer (mort en 1637, et non en 1625 comme dit Ie
catalogue).
Deux grands tableaux, le Baptême du More et la
Rencontre de David et d'Abigaïl,
sont portés a
Breugel de Velours tout seul. Les figures, pres-
que de grandeur naturelle, trahissent une cer-
taine recherche de Paolo Vcronese et de Tintoretto,
et doivent ètre aussi de Rottenhammer, qui avait
étudié ces maitres a Venise. Quelques figurines
des derniers plans pourraient ótre de Breugel. Le
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288                         MUSÉE DE LA HAYE.
paysage et les ilcurettes sont très-délicats et très-
brillants.
Mais Brcugel eut souvent un autre collaborateur,
plus illustre que van Balen et Rottenhammer. Le voiei
avec Rubens (le catalogue de La Haye comine celui
d'Amsterdam écrit Rubbens ') pour un Paradis,
que Sraith nomme une « production sans pareille
(inatchlcss), d'un fini exquis, d'un éclat et d'une
pureté de coloris vraiment enchanteurs.» Sans pa-
reille en effet, dans 1'ceuvre de Rubens, qui, cettc
fois, a proportionné son talent a la maniere du mi-
niaturiste chargé du jardin tout frais enfleuri, oü
s'ébattent mille petits ètres frais éclos et'bien hcu-
reux
d'ètre au monde. L'Adam et 1'Ève de Rubens
sont en harmonie avec cette nature immaculée, pro-
prette, ratissée, qui \ient de s'épanouir subitement,
et qui n'a encore subi que les attouchements d'une
rnain mystique.
Je croirais bien que ces figures petitement peintes
doivent être du commcnccment de Rubens. Plus
tard, malgré sa bonne volonté de s'accommoder avec
Breugel, sa inain robuste cüt ajouté de 1'ampleur
1 II est singulier que ce catalogue de La Haye inscrive tou-
jours que Rubbens est né a Cologne, quand c'estprécisément
1c savant archiviste de La Haye, M. Buckliuisen van der Brinck,
qui a prouvó que Rubens est né a Siegen. — Le nouveau ca-
lalogue d'Amsterdam aussi donne Cologne comme lieu de
naissance de Rubens! Est-ce que les Hollandais ne croient
pas a la déoouverte de leur compatriote M. Backhuisen?
-ocr page 304-
LES FLAMANDS.                              289
et des accenls a la touche modeste du Père Éternel.
('e tableau doit faire les délices des amateurs de
la peinture polie, patiënte et froide. Il a été payé
7,350 florins, a la vente de madame Backer, Leyde,
1766; prix enorme pour ce temps-la. Sur panneau,
large de 3 pieds, haut de 2 pieds 6 pouces. Smith,
en 1830,1'estimait 1,200 guinées.
Breugel de Velours a aussi trayaillé au paysage et
aux accessoires d'une Vémtssvec Adonis, de Rubens,
petites iigures égalenient très-finies, dans Ie mème
procédé que 1'Adam et 1'Ève. Rubens cependant a
ravivé certaines parties des fonds et Ie ciel. Vénus
s'eff'orce de retenir Adonis; son char et ses cygnes
sont derriére elle; en avant, trois chiens de chasse.
Gravé dans Ie Musée francais, et par Tassart. Haut.
2 pieds 6 pouces, larg. 1 pied 9 pouces. Sur bois.
üans un tableau attribué « a Rubens ou a son
école, » — des Nymphes avec lacorned'abondance,
— Ie paysage, les fruits et les flenrs sont encore de
Breugel, quoiquc Ie catalogue n'en diserien. Unedes
nyniphes, a droite, \*ue de dos et toute nue, pourrait
bien aussi être de Rubens, mais Ie tableau nest pas
assez a portee du regard pour qu'on pnisse s'en as-
surer.
Un sujet tiré de 1'Arioste, « Ie Songe d'Astolphe,
oii Angélique endormie excite 1'amour d'un ermite, »
également porté a Rubens ou a son école, semble ètre
de la même fabrique.
Jusque-la, Rubens ne représente pas très-vaillam-
25
-ocr page 305-
800                         MUSÉE DE LA HAYE.
ment 1'école flamande au milieu des Hollandais. Mais,
par bonheur, nous avons, de plus, trois portraits
dignes de lui: ses deux femmes et son confesseur.
Ce confesseur de Rubens et son ami, qu'il fit noni-
mer évèque a Bois-le-Duc, Ie reverend père Michael
Ophovius, moine dominicain, est vu de face, dans Ie
costume
de son ordre. Tête énergique, et robuste
santé. Peinture large et vigoureuse. Elle ornait au-
trefois Ie monastère des Dominicainsa Anvers. Ven-
due 3,800 florins, dans la collection de Vinck de
Wezel, Anvers 1814, et 4,650 florins a la vente
Stiers d'Aertselaer, Anvers 1822. Sur toile. Haut.
3 pieds 6 pouees, larg. 2 pieds 7 pouces. N° 1,128 du
Catalogue van Hasselt. Smith, par erreur, 1'a enre-
gistré deux fois, noa 26 et 283.
« Catherine Brintes, première épouse de Hub-
bens; » ainsi se trouve débaptisée, dans Ie catalogue
de La Hayc, Isabelle Brant, que M. Waagen, dans
ses Kunstwerke, appelle aussi Catherine! Elle est a
mi-corps, la tête mie, des perles dans les cbeveux. Son
corsage noir, coupé carvément, très-déeolleté, laisse
voir, a peine couverts d'un fichu de gaze, les deux
seins qui se touchent. Les mains sont croisées hori-
zontalement contre la ceinture. Oh! les belles mains!
Un rideau gros vert sert de fond; mais, en bas, il
y a une échappée de ciel.
Cette peinture, d'un ton magnifique, est supérieure
au portrait de la seconde femme, Helena Forman, ou
Fourment, lequel est cependant de belle qualité.
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LES FLAMANDS.                              291
Helene, la gorge mi-nue, est en riche toilette, toque
noire a pluines Manches, collier de perles, corsage
bleu et manches a crevés blens et blancs, grande
chaine de pierres précieuses, tombant sur la poitrine.
Dans Ie haut, un pan de rideau rouge.
Les deux portraits se font pendant. Haut. 3 pieds,
larg. 2 pieds i pouces. Sur panneau, tous les deux.
Catalogue van Hasselt, n03 964 et 1,036. Smith,
380 et 381.
Rubens est aussi pour sa part dans deux grandea
compositions
de Snyders : dans unc Ckasse au cerf, il
a peint Ie paysage; dansune Cuisine avec légumea et
rjibier,
la flgure de femme. Bons tableaux de déco-
ratioii.
Les Jordaens peuventseclasserparmilesmeilleura
ouvrages du maitre.
La Vénus suivie de bacchantes
et de satyres
ne perdrait ï'ien de sa force entre une
Bacchanale de Rubens et une Bacchanale du Titien.
Le Faune et la Jeune, fitte tenant une corbcille do.
fruits,
figures a mi-corps, de grandeur naturelle, est
peint avec unc abondance superbe. C'est la beauté,
lelie
qu'elle se manifeste dans le plautureux pays
d'Anvers. Les femmes d'Anvers ont de Ia pomme
ou de la pêche; les fillettes, de la ccrisc; il y en
a dans la campagne qui ont de l'abricot, halé et
vermillonné au
grand air; d'autres ont de la poire,
ou il en faut.
Ce qui frappe dans la beauté du Nord, c'est toujours
le modelé, et
non les lignes. Dans le Nord, la forme
-ocr page 307-
292                         MUSÉE DE LA HAYE.
ne s'accuse pas par Ie contour, mais par Ie relief. La
nature, pour s'exprimer, ne se sert pas de ce qu'on
appelle Ie dessin proprement dit. Si vous vous pro-
menez une heure dans une ville d'Italie, vous ren-
contrez des femmes correctement dccoupées, dont la
structure générale rappelle la statuaire antique,
dont Ie profil rappelle les camées grecs. Vous pour-
riez passer un an a Anvers, sans apercevoir une
fornie qui donne 1'idée de la traduire par un con-
tour, mais bien par une saillie que la couleur seule
peut modeler.
L'architecture du Nord ne s'est-elle pas conformée
aux conditions naturelles du climaf? Au lieu de lignes
droites et pures, elle aime les lignes courbes et n5non-
dies, variées par des creux et par des reliëfs, qui pro-
duisent des contrastes de lumière.
C'est pourquoi 1'on reproche, bien a tort, aux Fla-
mands et aux Hollandais de ne pas savoir dessiner.
Il
ne s'agit point de cela vraiment en présence de la
nature locale. Les princes du dessin, comme Raphaël
et
les autres académistes, seraient bien embarrassés
pour délinéer, avec leur perfection de trait, des per-
sonnages et des objets qui ne se présentent jamais en
silhouette, mais en plein, pourainsidire. Aussi, tan-
dis que les Florentins, entre autres, se caractérisent
par les artieulations du dessin, ce qui caraeterise Ru-
bens, et surtout Jordaens, c'est Ie modelé et la cou-
leur,
de mème que ce qui caraeterise Reinbrandt,
c'est 1'effet.
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LES FLAMANDS.                              293
II y a, de plus, une copie en peut — par Rotten-
hammer, je pense, — d'un Banquet des dieux de l'O-
lympe, descendus sur la terre,
d'après Jordaens.
De van Dyck', nous avons aussi un chef-d'ceuvre:
Ie portrait de Quintin Simons, peintre d'Anvers ,
vu de trois quarts, avec moustaches et barbiche,
drapé dans un manteau que soutient la main gauche
en avant; magniflque portrait dans la maniere fla-
mande
du raaitre, plus profonde et plus intime, plus
solide d'exécution, que 1'élégante et délicieuse ma-
niere, parfois un peu superficielle, qu'il adopta dans
ses dernières années h. Londres. Gravé par P. de
Jode. N'y en a-t-il pas aussi une eau-forte par van
Dyck lui-même?
On ne s'explique pas pourquoi Ie catalogue persiste
a intituler : «/e duc et la duchessedeBuckingham»
un portrait d'hommeet un portrait de femme qui ne
ressemblent pointa ces personnages bien connus. Sir
Joshua Reynolds, qui vit en 1781 ces deux van Dyck
dans la galerie des Nassau, protcstait déjacontre cette
appellation erronée. Smith (1831) proteste a sontour.
La femme d'ailleursa étégravéepar B. Clouet, avec Ie
1 Par un exces de bonne volonté lypographique, Ie nom de
van Dyck, Ie peintre flamand, se trouve quelquefois écrit,
dans les premières feuilles tirées de ce livre, comme les noms
de van Dijk, 1'écrivain hollandais, et de Philip van Dijk, Ie
petil peintre né a Amsterdam. C'est asaez de conserver aux
Hollandais leur ij, saus l'appliquer aux Flamands, qui ócrivent
leurs noms avec y: van Dyck, Snyders, de Crayer, etc.
25,
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2B4                          MUSÉE DE 1,A HAVE.
noni d'Aima Wake. L'homme a été gravé, saus uom,
par
Ulmer. Les figurcs sont a mi-corps; les deux
toiles do mème dimension : 4 pieds 2 pouces de haut
sur 3 pieds 4 pouces de large.
L'homme est vu presque do face, avec uu grand
niantcau, la maindroite tenant un gant. Date 1627.
La femme a Ie corps de profil et la tète de trois
quarts, tournee a droite. ü'une main ellc tient uu
éventail en plumes; 1'autre main ballante est admira-
ble.
llobo de soic noire, manches ii crevés, fichu de
dentellc, collier de pevles. Date 1628.
Un quatrième tableau, cataloguó van Dyck, re-
présente sur une mème toile, dans six medaillons
ovales, sépnrés, les Port mits de la familie Huy-
yens.
Qiïelqucs-uns de ces portraits sont excellents,
d'autres faibles et vulgaires, non-seulement d'ex-
pression , mais
d'exécuüon. En certains endroils,
un trouve hien la touche et la couleur de, van Dyck;
en d'autres, tont accuse une pratique d'élève ou de
copiste.
On a peine a croire aussi que van Dyck ait ima-
giaé celte exhibition de bustes enmédaillonnés, pa-
reille a
une toile destinée a orncv Ie devant d'une ba-
vacnie de foire. Il eut trouvé mieux et plus court de
faire un tableau d'intérieur avec ces six personnages,
comme il a fait souvent pour la familie de Charles 1".
On peut donc supposer que, van Dyck avant peint
des portraits de cette familie, détachés sur de petites
toiles ovales, quelqu'un a eu 1'idée de les rapprocher
-ocr page 310-
[.ES VLAMANDS.                              29S
en une sorte de galerie simulée, et peut-ètre d'en
ajouter. Peut-ètre ccla s'est-il fait par un élève de
van Dyck; et peut-ètre Ie maitre lui-mème a-t-il
touche de sa brosse plusieurs des medaillons.
Sebastian Fraiicken est censé avoir ctudió, comme
tlubens, chez Adam van Noort. On trouve de lui, au
.inusée de La Have, outre deux petits tableaux histo—
i'iques, sur cuivre, insignifiants, deuxautres tableaux
très-curieux : un Bal d la cour, avec les portraits
d'Albert et d'Isabelle, peint en collaboration dePour-
bus; et une Galerie de tableaux d'après différents
peintres célèbres;
sur Ie devant, Apelles fait Ie por-
trait de « Campasme, maitresse d'Alexandre. » II y
(i la des CoiTége, des Titien, des Rubcns, ranges
contre les lambris d'une salie bien en perspective;
et tous ces petits chefs-d'ceuvre sont adroitement pas-
tiches.
Daniel Zegers, Ie Jésuite d'Anvers, a deux de ses
belles guirlandes de fleurs, Tune antour d'un buste
de Guillaume 111, l'autre autour d'une statue de la
Yierge nvec 1'enfant Jósus. — Philippe de Cham-
paigne, un portraitde aJoseph Govaerts.» —Peeter
Neefs, uu Intérieur d'é'jlise. — Rolarid Savery, Or-
phée atlirant les animaux,
— Un autre paysagistc,
son contemporain, David Vinkboom,aié a Malines,
en 1578, mort a Amsterdam en 1629, mi-Flamand,
mi-IIollandais, un paysage, sans hnportance. J
Viennent eniin David Teniers Ie fils et Gonzales
Coques.
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296                         MUSÉE DE LA HAYE.
Deux Teniers seulement: un Alchimiste, a barbe
grise, assis pres d'une table et tenant un livre; son
aide est agenouille pres d'un fourneau allumé; petit
tableau sur bois; gravé, je crois, dans Ie Musêe fran-
cais ;
— et la bonne Cuisine.
Fameuse cuisine, en effet, et il faut qu'il s'agisse
d'un gala de conséquence. Gibier, volaille, poisson,-
légumes, fruits, il y a de tout, sur les tables, sur Ie
parquet. Dans Ie fond, pres d'un grand feu, un
cuisinier embroche des viandes; un homme et une
femme sont très-occupés pres de lui. En avant, au mi-
lieu et en lumière, est assise une jeune prêtresse de
Comus, également consacrée a la préparation du saint
sacrifice; pour Ie moment elle pèle un citron, qu'un
petit néophyte, debout devant elle, vient recevoir
dans une assiette; elle a un jupon couleur de sang, et
sur son caraco couleur de ciel s'étale un large col,
d'un blanc que Metsu envierait.
Le tout très-lestement et très-largement peint,
avec cette touche juste et libre, ces accents spirituels
qui caractérisent lapratique de Teniers. Date 1644,
de son plus beau temps, oü commence la periode ar-
gentine. Il avait alors trente-quatre ans. De Teniers,
c'est surtout le milieu qui est bon. Dans sa jeu-
nesse, il tient encore trop a son vieux père, qui avait
étó son maitre. Dans sa vieillesse, son imagination
est un peu stéréotypée, et sa main s'alourdit.
Teniers est, comme certains de ces poissoqs qu'il
faisait si bien, excellent entre tète et queue.
-ocr page 312-
LES FLAMANDS.                              297
La bonne Cuisine est peinte sur cuivre, large de
2 pieds et demi, et ne fut payée que 455 flórins a la
vente Schuijlenburg, La Have, 1735. Smith, qui
1'appelle « une production splendide, » 1'estimait
(1831) 700 livres sterling. Elle vaudrait plus du
doublé, a présent.
Gonzales Coques est bien rare, et sa biographie
n'estguèreconnue; son nomne se trouve pas mème
dans tout Ie cours des catalogues du Louvre.
On a supposé qu'il était d'une familie riche, et
qu'il peignit par plaisir; d'une familie espagnole
sans doute, comme son nom 1'indiquerait : il y
avait, aux xvie et xvne siècles, tant d'Espagnols im-
plantés a Anvers, dans les Flandres et dans tous
les Pays-Bas, par la longue domination de Charles-
Quint et des Philippe d'Espagne. Aujourd'hui en-
eore, chez les femmes de Bruges surtout, on re-
trouve Ie sang et Ie type espagnolS, la couleur de la
peau, des yeux et des cheveux, la tournure et même
Ie costume.
a Anvers en 1618, (lonzales était entre d'a-
bord dans l'ate]ier de David Ryckaert, peintre de
scènes populaircs, assez habile, mais sans distinc-
lion, et il avait probablement épousé la fille de son
niaitre.
Cependant son génie — et son origine espagnole
peut-être — Ie poussaient vers un style autre que
celui des petits mattres flamands de cette époque. Il
était encore tout jeune lorsque van Dyck mourut,
-ocr page 313-
298                          MUSÉE DE L.A HAYL.
en 1641, uu an après Rubens; mais van Dyck vivait
dans scs élógants portraits, et Gonzales Ie prit pour
modèle.
Gonzales a dotic deux manières très-distinctes :
dans sa première maniere, il est un peu lou'rd et
assez commun; dans la seconde, il est elegant, déli-
cat, raffiné, un van Dyck en petit. Ses tableaux de
cette seconde époque sont délicieux et extrèmement
chers.
Deux fois doyen de la gilde de Saint-Luc d'An-
vws, il fut en relation avectous les peintres du pays.
Steenwijk
lui faisait des intérieurs, Ghering des
édifices, van Artois des paysages, Peter Gyscls des
fleurs et des accessoires.
Il mourut a Anvers, Ie 18 avril 1684. L'inscrip-
tion de sa pierre tumulaire, dans une chapelle de
1'ancienne église Saint-George, a été publiée, en fla-
rnand, par M. J'. B. van der Straelen, dans l'An-
nuaire de la gilde de Saint-Luc d'Anvers1. Je ne
crois pas que cette pièce, interessante pour la biogra-
phie du charmant artiste, ait jamais été traduite en
francais. Je la donne, ligne par ligne, comme dans
1'original.
1 Jaerboek der vermaerde en kunstrijke (iilde van Sint I.u-
cas binnen de stad Antwerpen, etc, (do 1434 ii I79IÏ;; grand
in-8 de 389 pages. Anvers 4855.
-ocr page 314-
LES FLAMANDS.                              299
D. 'O. M.                           '
(ioNZALES COQDES püilltrü
mort Ie 18 avril 1684
Jouffe Cathahina Ryckaert sa
femme morte lo 2 juillet 1674
sa fllle madame
Gonzalina Coques femmt!
de Mr Loncgraye
morte Ie 41 octobre 1667
son fils......mort
Ie.... 1670
Jouffe Cathabina Rysheuvels
sa seconde femme
morte Ie'___
Priez pour leurs ames.
Gonzales eut donc deux femmes, dont la première
doit ètre la fillc de son maitre, David Ryckaert; deux
enfants: une fille, Gonzalina, — quel joli nom espa-
gnol! — et un fils dont Ie prénom est inconnu;
tous les deux morts jeunes, bien longtemps avant
leur père qui vécut soixante-six ans.
C'est la, je pense, a peu pres tout eequ'on sait sur
Gonzales.
Quant a ses tableaux, les meilleurs sont en Angle-
terre2. Aiivers, son pays, Bruxelles et la IJelgique
1 2ö novcmbre 1684 et enterrée dans la cathédrale.
1 Voir Trésors d'art, etc, par W. Burger, p. 232 et sui-
vantes. — C'est encore un Anglais, lord Hertford, qui, a la
vente Patureau, a acheté 43,000 francs Ie Repos champétre,
-ocr page 315-
300                          MÜSÉE T)K LA HAYE.
n'en ont point, sauf une grande toile de la première
maniere dans la galerie van der Schrieck, aLouvain.
Vienne,
Berlin et les autres musées d'Allemagne,
point. Dresde seulement a les portraits de la familie
du peintrc; mais deux autres tableaux, inscrits
comme Gonzales au catalógue du musée : Portraits
de Charles I'T d'Angleterre et de sa femme Henriet te-
Mar ie
(n"s 96*5 et 966), doivent plutót ètre restitués
a
üaniel Mijtens, peintre du roi Cbarles, d'autant
qu'il ne parait pas que Gonzales ait jamais été en
Angleterre. La Ilollande elle-même, dans ses collec-
tions publiques, n'a pas d'autre Gonzales que Ie
n° 46 du musée de La Have.
J'ai tenu longtemps pour apocryphe cette pein-
ture , ovi, dit-on, 1'artiste s'est représenté avec sa
familie, au milieu d'une galerie de tableaux. « Les
tableaux dont la salie est ornée, ajoute Ie catalógue,
sont peints par des élèves de Rubbens, de van üyk.
de Rembrandt et autres. » Ces petits tableaux repro-
duits sur la composition n° 46 sont, en effet, d'une
autre main que la familie groupée au premier plan,
et ils paraissent même de plusieurs artistes assez
payé 8,000 florins seulement, je crois, par M. Paturean, a Ia
vente du roi Guillaume II, de llollande. —Dans la «alerie de
lord Ellesmore (Bridgewater Gallery) a Loudres, il y a trois
Gonzales exquis: les portraits de 1'électeur palatin, Frederiek,
et de sa femme, la princesse Élisabelh (n°" 155 et 15C), gravés
dans la Stafford Gallery; et Ie portrait du David Teniers
(n°
221), provenant de la collection G. Watson Taylor.
-ocr page 316-
LES FLAMANDS.                               301
différent?; c'est la sans doute ce que vent dire Ie ca-
talogue.
Le malheur est que cette oeuvre si curieuse pour
1'histoire de 1'art est accrochée trop haut, en face
d'une fenêtre, en retour d'un angle, sur la droite du
Taureau de Paul Potter. Impossible de la bien voir.
sous une lumière écarquillée, et a une pareille dis-
tance. Elle porie des dates préeieuses, non-seulement
sur les pctits tableaux, qui sont signés soit des
auteurs, soit d'après les originaux, mais aussi, en
bas a droite, sur le parquet, une signature, — serait-
ce celle de fionzales? — avec une date qu'on croirait
lire : 17()fi! II y a de quoi embarrasser les connais-
seurs les plus perspicaces.
Gependant les figures, qui ne sont pas bonnes,
peuvent avoir cté peintes par Gonzales, avant sa
transformation que décida Finfluence du style de van
üyck. Certains Gonzales, dece premier temps-la, ne
sont pas meilleurs.
Plusieurs des petits tableaux, entre autres une
raythologiade quelconque, dans le genre de Rubens,
avec des femmes nues endormies, sont délicieux.
La direction du musée devrait bien mettre en beau
jour et a hauteur du regard cette peinture qui mérite
d'ètre étudiée.
Après cette rapide analyse des Flamands, et malgré
quelques belles oeuvres de Rubens, de van Dyck , de
Jordaens, de Teniers, on voit que ce n'esf pas en
Hollande qu'il faut aller cbercber 1'école flamande,
26
-ocr page 317-
308                         MUSÉË DE I.A HAYE.
bien que les amateurs et critiques francais seinblent
s'imaginer que toujours Flandre et Hollande ne font
qu'un, comme au bon temps des Pays-Bas espagnols,
avant la révolution de 1579.
Écoi.es étkangères. — Les Alkmands. — Six
noms de peintres, et seulement quinze tableaux.
D'abord Albrecht Dürer, si rare ailleurs qu'en
Allemag ne. Le catalogue devrait savoir la date de
naissance de ce grand homme et ne pas inscrire 147 0,
au lieu de 20 mai 1471. Mais le catalogue ne se
tourmente guère des dates et, après avoir donué
exactement, par hasard, la date de mort, 1528, il
attribue « d Dure?' ou a son école » trois portraits,
l'empereur Maximilien II dans sa jeunesse, Elisa-
beth, fille de l'empereur Ferdinand I"',
et Anne, fille
du mème;
—tous trois dates 1530! — trois copies,
sans valeur artistique.
Deux autres portraits d'homme sont généraleinent
acceptés comme authentiques. On peut hésiter cepen-
dant sur le portrait (n° 187) d'homme a cheveux gris
et en toque noire. Il a quelque chose d'une belle et
ancienne copie qu'un Flamand aurait peinte. Mais le
portrait (u° 188) est parfaitement original, d'un grand
caractère, et très-beau. L'horame, vu de protil, a les
Iraits aigus, et comme ciselés par la main ferme du
graveur; il porte une barrette rouge. Quelqu'un qui
ne connaitrait de Dürer que cette oeuvre si volontaire
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ÉCOLES ÉTRANGÊHES.                       303
aurait déjii unc idee de son style et de sa pratique
comme peintre.
Holbein est superbe, ceite ibis. Quatre portraits.
Thomas Morus, Ie chancelier d'Angleterre, pres-
que de face, cheveux courts, barbe rousse. Il tientun
fancon sur son poignet gauche ganté, et de la inain
droite, qui est admirable, Ie capuchon de I'oiseau. Je
tie sais comment il se fait qiu; Ie tableau porte, je
pense, la date 1342, avec : « Anno cetatis xxvm; »
ce qui ue saurait s'appliquer a 1'illustre chancelier
d'Angleterre, né en lijtóü et mort en lff35. Mais
peut-ètre Ie personnage n'cst-il pas Thomas Morus?
En lous cas, la peinture est de première qualité.
Robcrt Cheseman, tenant avissi un tiercclct sur Ie
poing,
est un peu plus faible, ou du moins plus sec,
quoiqu'il ait été vivement loué par Joshua Reynolds.
Il a une toquc noire, une casaque en fourrure, avec
des manches rouges. Ce buste est presque de gran-
deur naturelle. On lit sur Ie panneau : Mtaüs
steen
xuni. Anno dm — mdxxxiii.
Jnne Seymour, une des femmes de Henry VIII, les
deux mains croisées. Sa chevelure est rclevce d'or
et de noir. Collier de perles sur Ie cou nu. Corsage
et manches rouges, dorés. Autour du corsage une
ceinture de perles montécs en or. Fin, vigoureux.
excellent. Petit panneau de 9 pouces sur 6.
Le quatrième portrait— « Portrait d'une dame »
— est anonyme. Cette femme, assise, ses belles mains
jointes contre sa taille, a un corsage noir doublé de
TJ^ltT^.
-ocr page 319-
304                         MUSËE DE LA HAYE.
fourrure, montant jusqu'au cou, et un tablierblanc;
en dessous du corsage, on apercoit une guimpe plis-
sée. Sur la tête une faille blanche, sorte de voile
transparent qui tombe sur les sourcils, mais laisse a
travers deviner Ie modelé du front. La figure, a
mi-corps et de grandeur mi-naturelle, s'enlève sur
un de ces beaux fonds mats, d'un vert bleuté, assez
familiers a Holbein.
Les trois premiers portraits ont été peints en An-
gleterre, comme Ie montrent les personnages et les
dates, mais celui-ci pourrait bien ètre antérieur a
1'émigration de Holbein (1526), et peut-ètre avoir été
peint
dans les Pays-Bas, lors de son passage a Anvers
pour se rendre a Londrcs. Le costume, la faille sur-
tout, encore usitéc dans la Belgique occidentale, sont
assez du pays et de 1'époque. Le modelé extrêmement
fin du visage
et des mains, dans un ton indescrip-
tible, rappelle l'adorable Fillc d'Offenburg {Frdwlein
Offenbury),
déguisée en Laïs et en Vénus, au musée
de Bale, et qui est datée 1526.
En cette periode de son talent, Holbein — 1'obser-
vation sera comprise par ceux qui le connaissent bien
— avait dans 1'exécution de ses tètes, dans le modelé
intérieur des plans du visage, cette indéünissablc de-
licatesse et a la fois cette fermeté sobre et savante qui
caractérisent
la Joconde de Léonard. Procédé qui
échappe a 1'analyse, car on y perd toute' tracé de la
toucbc, de la pose et du mélange des couleurs, de la
manutention matérielle.
-ocr page 320-
ÉCOLES ÉTRANGÈHES.                       305
On s'accorde généralement a préfcrer Ie Holbein
devenu peintre de Henri VIII, au Holbein primitif,
tel qu'il s'était révélé a Bale. Pour moi, je n'ai ja-
mais vu en Angleterre de tableaux de Holbein plus
parfaits que ceux de sa jeunesse, par exemple que
Ie Bonifacius Amerbach, peint en 1J519, — Holbein
avait vingt et un ans! — que Ie Jakob Meier et sa
femme,
date 1520, — que Ie Cadavre du Christ,
date 1521,— que les deux portraits de la Courtisane
d'Offenburg,
— que la Femme et les Enfants de
l'artiste,
figures de grandeur naturelle, peintes aussi
avant 1'installation en Angleterre, — tous chefs-
d'ceuvre conservés au musée de Bale, et qui con-
statent la première maniere du profond portraitiste
allemand.
On attribue aussi « a Holbein ou a son éeole » un
portrait d'Érasme, qui semble très-bon; mais on Ie
voit trop mal pour juger de son authenticité.
Après Ie Dürer et les Holbein, les autres ^\ 1 Ie-
mands ne signiflent rien : « Burry, un Cupidon ; »
qu'e^t-ce que ee Burry?— Adam Elsheimer, de
Fraucfort-sur-Mein, deux petits paysages, sur cuivre;
■—Rottenhammer, de Mimich, la Chute de Phaéton,
également sur cuivre; — et Johann Heinrich Roos,
père de Rosa di Tivoli, mPaysage mèntagneux avec
des bestiaux-,
peintureassezfaible,signée J. H. Roos
fecit,
1670; Ie J et l'II annexés a 1'R et formant mo-
nogramme.
Les Francais, — lis ne sont que quatre : Claude
26.
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306                         MUSÉE DE LA HAYE.
Lorrain, Guaspre Dughet, Sébastien Bourdon, Jo-
seph Vernet.
Le Paysage italien attribué a Claude peut être de
lui, mais il a beaucoup poussé au noir et le ciel est
entièrement repeint.
Le paysage de Guaspre— s'il est de lui — est pré-
cédé de cette notice sur 1'auteur : « POUSSIN (Gas-
pard du Guet, dit le), né a Andelys, eu 1594, mort
;\ Rome, en 1G65. » Si le catalogue entend signaler
le grand Nicolas Poussin, comme les dates et le lieu
de naissance le feraient süpposer, pourqnoi cm-
brouille-t-il la dedans Guaspre Dugbet? C'estainsi
qu'en Hollande
on connait 1'histoire de 1'art francais.
Il est vrai qu'en France on le rend bien a 1'art hol-
landais. Ne serait-il pas bon enfin de ne plus se dé-
baptiser ainsi de peuple a peuple!
Le Sébastien Bourdon représente les Quatre par-
ties du monde se partageant uu butin;
le paysage de
cette allegorie est « dans le style de Poussin » (de Gas-
pard du Guet, dit le Poussin, né a Andelys?). Ta-
bleau vrai; peu interessant.
Les deux Joseph Vernet, une Tempête et une
Cascade,
sont très-notables pour ce peintre secon-
daire. Dans une excellente étude sur Joseph Vernet,
publiée par la Revue universelle des Arts (t. VI,
p. 395), M. Léon Lagrange se dcmande si la Tem-
pête
du musée de La Haye ne serait point « la pre-
mière pensee » d'une grande Tempête, récemment
retroiwée avec d'autres Vernet a la Rochel le. Mais le
-ocr page 322-
ÉCOLES ÉTHANGÈRES.                        30T
tableau de La Haye n'est point une première pensee,
ni une esquisse, ni un tatennement quelconque. C'est
une peinture très-arrètée et très-froide, exéeutée et
terminée avec Ie soin banal et les détails stereotypes
qu'on trouve dans les meilleures ocuvves de eet liabile
fabricant
de marines a tant la toise '. La Cascade en
pendant offre les mèmes qualités, si qualités il y a, et
il y en a saus doute aux yeux des amateurs de 1'éeole
francaise.
Les Espagnols.Quatreaussi : « Valasquez(.s/c),
né en 1594 » (il faudrait en 1599);— « Bartholome
Este du (sic) Muril lo (ce n'est plus, du inoins, Morillos,
comme au muséc d'Amsterdam), né en 1613, mort
en 1G8Ü » (il faudrait Kii8-lü82); — Esealante et
« Math. Gerest). »
On voit que les noms espagnuls no sont pas mieux
traites que les noms francais dans ces catalogues
étonnants.
Le Velazquez peut ètre accepté, mais dans uu
ordre tont a fait inférieur : « Portrait de Charles
Balthazar,
iiIs de Pbilippc IV d'Espagne, a 1'age de
onze ans. » Le petit prince est en pied, de grandeur
naturelle, botte, armé, équipé et attil'é, comme il
convient a Sa Hautesse. Velazquez, heureusement,
1'a
peint d'autres Ibis, avec son incomparable magie.
Sur celui-la, passons.
1 Probablement ces deux Vernet faisaient partie de la dou-
zaine
de tableaux exécutés pour le stathouder, suivant M. Dus-
sieux {les Artisles frangais a iélranger,p. 254).
-ocr page 323-
308                          MUSÉE DE LA HAYE.
Mais je crois bien qu'on pourrait attribuer a Ve-
lazquez, sans trop de hardiesse, un superbe paysage
porté a un maitre inconnu (n° 211). ïout Ie monde,
du moins, y reconnaitra son école. A droite, trois
grands arbres, un chasseur debout, Ie fusil sur 1'é-
paule, et tenant une perdrix; quelqucs autres figures,
des chiens, du gibier mort. Au milieu, une femme
accroupie et des poissons. De petits personnages s'a-
percoivent encore a des plans reculés. Fond de mon-
tagnes et ciel nuageux. Exécntion libre et généreuse.
couleur magniiique.
Les deux Murillo méritent qu'on s'y arrête un peu,
car on ne rencontre pas dans Ie Nord beaueoup de ces
merveilleux poëtes du Midi.
Un Berger cspagnol (n° 209), buste de grandeur
naturelle, la tête de profil en 1'air, est peint dans la
maniere la plus vigourcuse et la plus expressive du
maitre, quand il combinait la violence de Ribera avec
1'ampleur harmonieusc de Velazquez. Vrai morceau
d'artiste, qu'on aimerait a avoir dans un atelier.
La Vierge avec l'enfant Jeans (n° 208) rappelle
toutes les compositions analogues de Murillo. La
madone glorieuse, assise sur des nuages et tenant
sur ses genoux l'enfant debout, de face, tout nu, res-
plendit au sein de la lumière céleste; une draperie
verte enveloppe ses llancs et ses jambes; son corsage
est d'un rose fleur de laurier. Tout Ie haut du fond
éblouit par des rayons d'or. TjCS figures sont de gran-
deur naturelle. Le tableau a done beaucoui) d'iinpor-
-ocr page 324-
ÉCOI-ES ÉTRANGÉRES.                        309
tauce, saus ètre néanraoins d'une qualité distinguée
dans cette maniere vaporeuse. La toile peut avoir
8 ]>ieds de haut.
Il y a encore, selon moi, un troisième Murillo, ca-
talogué avec assurance
comme étant de « Carracci
(Augustin), né a Bologne en 1555, mort en 1619 »
(il faudrait 1557-1602). Les rédacteurs du catalogue
ne connaissent pas mieux la peinture d'Agostino
Carracci ([ue les dates qui lc concernent, car Ie
paysage qu'on lui attribue n'a rien, absolument rien.
dece maitre, ni de 1'école bolonaise en général.
En avant d'un site très-pittoresque, une bergere en
jupon rouge, précédée de quatre chèvres, traverse un
ruisseau.
Le long du chernin a droite s'en va une
femme montée sur un cheval blanc. A gauche, assis
au bord d'un bois, un patre se déchausse poui1 passer
1'eau. Dans une allee sombre se perd un petit cava-
lier. De grands arbres des deux cótés encadrent tout
le premier plan et laissent voir a 1'horizon, vers le
milieu, un fond de montagnes azurées. C'est dans
le ton de ces montagnes surtout, dans la perspective
aérienne, dans la touche large et facilc du ciel, dans
les qualités de couleur locale, dans les gris perle,
dans les blancs onctueux, qu'on retrouve incontesta-
bleineut Murillo. Que la diiection du musée consulte
autour d'elle et elle se décidera a faire passer son
faux Agostino Carracci dans la categorie des Espa-
gnols.
De 1'Escalante le catalogue n'est pas sur, et il fait
-ocr page 325-
310                         MUSÉE DE LA HAVE.
preuve de réserve en inscrivant que la Bohémienne
(n° 207) est «par ou d'après » Ie maitre de Cordoue.
Mais la Madeleine pénitente, de Mateo Cerezo, est
unetrès-belle oeuvre dece maitre tra pen heterogene,
composé de Murillo et de van D\ck, et un des dcr-
niers représentants de la grande école de Madrid. 11 a
de la morbidesse, du charme, une couleur harmo-
nieuse, une certaine mélancolie. Sa pécheresse demi-
nue, la tête de profil, s'abime, avec toiite la supersti-
tion espagnole, devant un crucifix et une tète de
mort. Quelques draperies, Manches et bleues, sont
bien agencées pour faire valoir les tons de chair. La
figure, a mi-corps, est de grandeur naturelle.
Il faut cncore, suivant moi, ajouter aux Espagnols
un grand Portrait de l'empereur Charles-Quint
(n° 2S8), catalogué aux « Maltres inconnus de 1'école
italienne, » nmis qui parait être de 1'école de Velaz-
quez. Belle peinture, frottée et usée, malheureuse-
uient.
Les Italiens* — Sur les trente-neuf tableaux ita-
liens on doit retrancher d'abord les copies reconnues
telles par Ie catalogué : une Sainte Familie, d'après
Annibal Carrache; une Madone, et un Jésus au jar-
din des Oliviers,
d'après Correggio; une Tête de
Christ
et une Tête de femme, d'après Carlo Dolci;
une Sainte Cécile, d'après Ie üominiquin; une
Cléopdtre, d'après Ie Guide; la Circoncision, d'après
Ie Parmesan; une Vénus, une Sainte Familie, une
Sainte Barbe, d'après Itaphaël; une Madone, «par,
-ocr page 326-
ÉCOI.ES ÉTRANGÉHES.                        'Mi
ou dans Ie genre de » ïitien; peinture vénitienne, oü
il y a de lielles parties; l'Enfant Jéstis et saint Jean
sefaisant des caresses,
« de 1'école » du Vinci; mau-
vaise copicpar un Flamand.
J'ajouterai ensuite d'autoritc parmi ces copies les
tableaux suivants, enregistrés comme originaux : la
Tètc du Sauveur,
d'après Paris Bordone; Saint
Sébastien,
d'après Ie Guerchin; la Mort d'Abel
et un Cupidon, d'après Ie Guide; Ie Martyre de
saint Cume et de saint Damien,
d'après Paolo Ve-
ronese.
Pu is il convient de glisser sur les tableaux doiiteux
ou insignifiants : l'Adoration des mages, attribuée a
Carlo Cagliari, fils de Paolo; peut-être; — la Vierge,
attribuée au Cambiaso; non; — une Vierge avec
l'Enfant,
attribuée au Cortone; Ie tableau est origi-
nal, maïs semblerait plutot de 1'école espagnole; —
l'Annonciation, attribuée a Sol imene; contestable;—
un Portrait de magistrat, attribué au Tintoretto;
c'est très-laid et indigne du maitre.
Étiaircissons encore la liste, en donnant une simple
mentiou des tableaux vrais, mais sans grand intérét
pour 1'art; — Luca Giordano : les Servantes du
peintre, faisant de la musique;
yaillante et spiri-
tuelle peinture de 1'improvisateur napolitain; —
Filippo Lauri : Paysage avec des flgures; les fi-
gures sont de lui assurénicnt; Ie paysage est-il aussi
de lui? bon tableau original; —Fabricio Santafede :
une excellente Sainte Familie dans un paysage ;
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312                         MUSÉE DE LA HAVE.
Sassoferrato: une Madone, assez bonne pour ce inau-
vais peintre.
Que reste-t-il a présent? comptons: — quatre ta-
bleaux a examiner, et huit Salvator Rosa, tous vrais,
la plupart superbes.
On est fort embarrassé devant un chcf-d'oeuvrc de
la vieille école vénitienne : la Vierge assise sur Ie
piédestal d'une colonne tient sur ses genoux l'enfant
Jésus; trois saints sont a sa droite et trois autres a
sa gauche. Les figures ont presqne la grandeur natu-
relle. Le caractère des tètes, la précision du dessin,
la solidité du ton général, tont se rapproche de Gio-
vanni Bellini et tient a son école. Un fin connaisseur
des maitres italiens, s'il y en a, pourrait ratifier ou
infirmer 1'assertion du catalogue. Quant a moi, je
mets un point d'interrogation: — ?
Même cmbarras devant une Sainte Familie, at-
tribuée a
fra Bartolommco. Grande tournure, des
parties magistrales, du sentiment et de 1'élégance.
Ce n'est point une copie. Est-cc fra Bartolommco?
Encore : —?
Lodovico Mazzolini, que le catalogue appelle Ma-
rino,
par corruption sans doute de Vasari, qui 1'ap-
pelait Malino. lei, point de doute, je pensc. Ce
Massacrc des Innocents, en petites figures, est un
très-bel original d'un maitre très-rare et très-pré-
cieux. J'y ai vainement cherché une signature, une
date, une inscription quelconque, dans 1'espoir de
découvrir le fameux mot ze.nar de la signature dn
-ocr page 328-
ÉCOLES ÉTRANGÉRES.                        313
tableau de Berlin, ou Ie z de la signature du tableau
de Manchester'. Car ce zenar mystérieux a fait bap-
tiser Ie peintre du nom de Gennaro par Zani, tandis
que Ie rédacteur du catalogue de Paris tient que
zenar désigne évidemment Ie mois de janvier. Si
zenar se trouvait encore, par bonheur, sur Ie tableau
de La Haye, il serait prouvé désormais que Mazzolini
ne peignait qu'au cceur de 1'hiver.
Carlo Cignani, élève de 1'Albane : Adam et Eve
dans Ie paradis terrestrc;
figures nues, de grandeur
naturelle, mi-couchées au milieu d'un paysage. La
tentatrice, tentée elle-même par Ie serpent enroulé
a un arbre, présente a son innocent époux Ie fruit
(léfendu. Pomme maudite, que Guillaume Teil a bien
fait de percer de sa flèche, en présence de Gessier!
N'avait-elle pas déja causé dans 1'Olympe des jalou-
sies et des dissensions entre les trois belles déesses
expertisées in naturalibus par 1'heureux, berger
Paris !
Ce tableau du Cignani est albanesque au possible,
maniere, doucereux, inystagogique et érotique. Un
chef-d'oeuvre dans son genre, et qui a les honneurs
de la place centrale dans Ie salon des Italiens. Il fe-
rait une dróle de mine a cóté de la Lecon $ anatomie
de Rembrandt! Mais il nc faut pas oublier cependant
que nous sommes, au temps de Cignani, en pleine
1 Voir Trésors d'arl, elc., par W. Burger, p. 100 et sui-
vante's.
27
-ocr page 329-
314                         MUSÉE DE LA HAYE.
décadence du grand art catholique, mythologique,
apostolique et romain.
Salvator, qui pourtant était contemporain de
Cignani, console un peu de ce maniërisme dépravé.
Il
a de 1'originalité et de la force. Un sauvage parmi
des eunuques. S'il fait Prométhée, son Prométhée est
un homme qui se debat contre Ie bcc de Jupiter. S'il
fait Sisi/phe, c'est uu homme qui porte Ie fardcau de
la Fatalité; toujours la lutte de la liberté humaine
contre la volonté des mauvais dieux, Son Prométhée,
en torse de grandeur naturelle, est de la plus valeu-
reuse exécution.\Le Sisi/phe, qui sert de pendant, a
moins de feu, quoiqu'il soit « aux enfers, « et la
couleur en est plus sèche. Savante académie toute-
fois, et comme on n'a pas réussi a en peindre beau-
coup depuis Ribera et Salvator.
Yiennent ensuite de Salvator trois autres couples :
« deux tableaux representant des moines dans une
grotte; » trois moines dans chaque grotte, les uns en
f roe blanc, les autres en f roe gris, tous assez grotes-
ques
et peints avec une aisance, une fougue, une vi-
gueur très-expressives; — deux bons petits paysages,
1'un avec un saint Jéróme, 1'autre avec une sainte
Madeleine; — et enfin, deux grands paysages, de
forme ovale, avec figures. Il n'y eu a peut-ètre pas
d'une plus belle maniere dans tout 1'oeuvre de Sal-
vator.
Maitres inconn'üs de l'école italienne.— Sous ce
-ocr page 330-
MAITRES INCONNUS DE L'ÉCOLE ITALIENNE. 315
titre sont catalogués treize tableaux auxquels on peut
se contenter d'ajouter des observations sommaires :
Portrait de femme; école vénitienne; — Madeleinc
en adoration;
copie de je ne sais qui; — Saint Jean
FÊvangéliste;
rien;— Dalila covpant les cheveux de
Samson;
faible peinture, de 1'école napolitaine; —
une Sainte Fa?nille; insignifiante; — ïAdoration
des bergers;
copie d'après Ie Corrége, par un Fla-
mand; — une très-bonne Tête de femme, en me-
daillon;
l'empereur Charles-Quint; nous 1'avons
restitué a 1'école espagnole; — Représentation em~
blématique de ï Amour;
au milieu, un Amour tire
une flèchc; plusicurs autres figures nues; très-belle
peinture de 1'école dn Corrége, d'un des Mazzuoli
peut-être; — Cupidon sur un Ut de repos ; faible
copie, de 1'école bolouaisc? — deux tableaux avec des
ruines; rien; — La Mort de sainte Cécile, sur
rnarbre noir; Fart n'a rien a Toir la dedans; — et trei-
zièmemenl, buste d'une Nyrnphe; un chef-d'oeuvre.
de première beauté.
Le buste est nu, de grandeur naturelle, tourné de
Irois quarts, mais la tète est de face; des perles et des
rubans ornent la chevelure. Une draperie rouge est
jetce derriere 1'épaule. Sur fond d'or.
Malgré ce fond d'or, la superbe liberté du dessin,
la peri'ection plastique de 1'ensemble, le caractère de
cette beauté point du tout mystique, je ne sais quelle
exubérance voluptueuse et irrésistible, tout accuse
le plus grand style italien du xvie siècle.
-ocr page 331-
316                         MUSÉE DE LA HAYE.
De <]iii peut être cette création supérieure? L'ar-
tiste qui a fait cela devait marquer dans n'importe
quelle
école, même dans la florentine, oü il semble
avoir
étudié. On ne saurait pourtant nommer aucun
des maitres oonsacrés parmi ceux de Florence, ni de
Rome, ni de Parme, ni de Venise. Il faut donc mettre
ici a la fois un point d'admiration et un point d'inter-
rogation : — ! ?
Onze numéros consacrés aux « Maitres inconnus
en général » terminent Ie catalogue de la peinture.
Sauf un mauvais petit Paradis, sur cuivre, de 1'école
de Breugel, et deux ou trois autres petits barbouil-
lages, ce sont des portraits des princes de la maison
de Nassau.
Sculptdre. — On voit aussi, dans les salles du
musée, treize morceaux de sculpture, bronze, marbre
et terre cuite, tous bustes, excepté une petite statue
de Guillaume III, par J. Blommendael, 1676,
lequel a fait encore du même personnage un buste
date 1699. Les autres bustes sont ccux de Frédéric-
Henri
, de Guillaume II, de sa femme, Marie
Stuurt,
princesse d'Angleterre, et de Guillaume III,
par Rombout Verhulst; tous quatre dates 1683;
ceux de Guillaume IV et de sa femme, la princesse
Anne d'Angleterre, dates 1733, par J. B. Xavery;
ceux de Guillaume V et de sa femme, Sophie-
Wilhelmine,
princesse de Prusse; un très-beau
bronze de Guillaume Ie Taciturne, et qui paralt du
-ocr page 332-
SCULPTURE.                                   317
temps; et deux terres cuites, une de 1'amiral de
Ruijter,
1'autre d'un amiral innommé; on diraitque
ce portrait de 1'amiral de Ruijter, qui a les yeux fer-
més, a été moulé sur Ie mort; puissante tête d'un
grand honinie, puissamment reproduite, soit par une
contre-épreuve de la nature, soit par Ie génie d'un
artiste.
A présent, fennons Ie catalogue que nous avons
analyse jusqu'a la dernière lettre, et repassons en
mémoire les trêsors de ce musée de La Haye, trop
pen connu des artistes de 1'Europe.
Rembrandt et Paul Potter, comme on nc saurait
les voir ailleurs. La Lecon d'anatomie et Ie Taureau
ne sont-ils pas, avec la Ronde de nnit, les Syndics,
Ie Banquet des arquebusiers,
du musée d'Amster-
dam,
les tableaux les plus importants de toute 1'école
hollandaise?
Berchem, Metsu et Wouwerman, dans des exem-
plaires tont a fait rares et singuliers, et aussi dans des
tableaux de leur meilleure qualité.
Gerard Dov, Frans van Mieris, Adriaan van Us-
tade, Jacob Ruijsdael, Jan Steen, Terburg, Adriaan
et Willem van de Velde, dans plusieurs de leurs
chefs-d'o3uvre.
Quelques artistes de haute valeur et presque in-
connus, comme Theodor de Keijser et van der Meer
de Delft,
Quantité de porlraits de ces maitres : les portrails
-ocr page 333-
318                          MUSÉE DE LA HAYE.
de Paul Potter, de Frans van Mieris, de Michel van
Musscher, de Gaspar Netscher, d'Adriaan van Os-
tade, de Jan Steen, de Terburg, etc.
Parmi les étrangers : Dürer et Holbein, Rubens,
Jordaens et van Dyck, Murillo et Salvator Rosa.
Tout cela vaut la peine de prendre Ie chemin de fer,
n'importe oü 1'on soit, — tous les chemins de fer de
1'Europe aboutissent maintenant a la Hollande par
deux grandes artères, a Cologne et a Anvers, et
de venir visiter La Haye et Amsterdam.
Une fois la, il est bien facile de voir Ie reste : Rot-
terdam, Dordrecht, Leyde, Haarlem, Utrecht, et tant
d'autres villes oü sont disséminés les souvenirs du
grand xvii° siècle hollandais; car la Hollande, a 1'in-
verse des pays de centralisation, a manifesté sa vie sur
tous les points de son territoire. Partout, des hotels
de ville, des édilices publics, des établissemenls fon—
dés par association, y témoignent d'une activïté géné-
reuse et féconde. 1'our avoir une idee du peuple
hollandais et de ses arts, il faut 1'étudier non-seule-
ment a Amsterdam et a La Ilaye, mais dans ses
autres demeures, au milieu des vastes campagnes,
derriere ses digucs, au bord de ses fleuves et de ses
innombrables canaux.
Comme dit Ie proverbe russe : Plus on va loin
dans la forct, plus on trouve de bois.
FIN DU MXJSÉE DE LA HAYE.
-ocr page 334-
CONCLUSION.
Après avoir parcouru seulerncnl ces deux musées
de Ia Hollande, on comprend déja combien 1'école
hollandaise estoriginale et profondément distinctede
toutes les autres, sans excepter 1'école Oamandc. Aussi
est-il très-singulicr que, d'habitude, les critiques
francais' confondent obstinément les Hollandais avec
1 M. Louis Viardot, dans ses Musées d'Europe, passim :
« Jeconfonds en nne mêmc familie les maftresde la Hollande
et des Flandres, les grands et les pelits Flamands... — Van
der Helst, Terbiirg, Melzu, les petits Flamands comme on les
appelle... — Rembrandt procédé de Rubens... — II n'y a pas
d'école hollandaise... etc. »
M. Arsène Houssaye, dans Ie Monileur universel du 25 mars
•1858, article sur les Musées de province : « Ruysdael traine a
sa suite les paysagistes flamands comme Hobéoia (sic), Ber-
ghcm, etc... »
M. Edmont About, dans Ie Monileur universel, Salon de
1857 : « M. Meissonier est un vrai Flamand qui s'inspire de
Melzu...
»
M. de Saiilt dans la I'resse du 12 avril 1858 : « Voici un
Flamand, Gevaëi t Flink [sic)... Cet arliste. est Flamand... etc.»
M. Dréolle, dans l'Arliste du 25 avril 1858: «Dans 1'école
jlamande Paul Potter... etc. »
II n'y a pas jusqu'a l'excellent Dictionnaire francais de
-ocr page 335-
320 MUSÉES D'AMSÏERDAM ET DE LA HAYE.
les Flamands. 11 y a la une hérésie historique et ar-
tistique ' a la fois, un inexplicable oubli de 1'histoire,
une pcrversion de la géographie, une vue tout a fait
fausse de 1'art lui-même.
La llollande et les Flandres ont eu, il est vrai, une
destinée presque commune jusqu'a la grande lutte
politique et religieuse du xvie siècle, et jusque-la un
art a peu pres commun. Mais, a partir de la Sépara-
tion de 1379, il y a un abime entre les deuxpeuples.
Les Provinces-Unies, après s'ètre détachées des
Pays-Bas espagnols, constituent géographiquement
et socialement une nation a part, qui a pour principe;
la liberté religieuse et politique, Ie protestantisme et
la république. C'est sous cette influence caractéris-
lic[ue que se produit, presque tout de suite, dès Ie
commencement du xvnc siècle, une école autochthone,
Bescherelle oü 1'on ne trouve : u Adricn Brauwer, pcintru [la-
mand
nó a Harlem!... » Et par une autre sinyularité: « Jean
van den Hoeck, célèbre peintre hollandais nu a Anvers! un
des ólèves les plus distingués de Rubens... »
Quelle promiscuitó!
1 a C'est une hérésie historique et artistique, que de soutcnir
1'identité, en leur origine et leur développement, de 1'écoie
hollandaise et de 1'école flamande. Rembrandt est Ie centre
d'une lout autre pléiade que celle qui s'est formée autour do
Rubens; il est Ie moteur d'une impulsion toute nouvelle.,, »
M. van Westrheone : Jan Steen, La Haye, 1857,
-ocr page 336-
CONCU'SION.                                 321
tjui n'a plus aucune adhérence avec les anciens Pays-
Bas, toujours courbés sous Je despotisme de 1'Espagne
catholique.
Les écrivains francais ne se souviennent
donc point de cela, puisqu'ils appellent Flamands
— Brouwer , Paul Potter, Berchem , Hobbema ,
Metsu, Flinck, nés enHollande un demi-siècle après
sa constitution en république indépendante, — et
mème Rernbrandt!—qui n'est pas moins écarté de
Rubens que de Rapbaël.
Rubens était chez des vaincus et des esclaves; Rem-
brandt, chez des vainqueurs et des hommes libres.
La est surtout la diflerence de leurs génies.
Rubens est toujours a la suite de I'art italien,
comme sujets, comme inspirationetcomposition, et il
ne s'en distingue que par un style de dessin analogue
aux types de son pays. Sur son oeuvre peint, d'envi-
ron 1,500 pièces, ily a 6 a 700 tableaux catholiques,
ö a 600 tableaux mythologiques! Ie reste, portraits
do princes, en général, et quelques paysages. On ne
citerait pas de lui plus d'une douzaine de tableaux
oü 1'homme soit étudié pour lui-même, et interprété
en dehors des traditions du christianisme ou du pa-
ganisme.— Soit dit sans entamer en rien son génie
abondant et splcndidc.
Rernbrandt, au contraire, comme sujets et comme
-ocr page 337-
322 MUSÉES D'AMSTERDAM ET DE LA HAVE.
interprétation, est absolument neul'. 11 ne s'inspire plus
des morts, mais des vivants. Sur son oeuvre peint, de
6 a 700 piêces cataloguées, si 1'on trouve une cinquan-
taine de sujets de la Bible et autant de 1'Evangile.
encore n'y a-t-il point suivi 1'orthodoxie, ni dans Ie
sentiment, ni dans la forme plastique; il n'y a vu
qu'un prétexte pour mettre la, aussi bien qu'ailleurs,
1'honime de son temps et de tous les temps. De my-
thologiades, il n'en a guère pcint qu'une demi-
douzaine, pour se moquer des vieux dieux : il faut
voir son Ganymède, de Dresde, et sa Danaé, del'Er-
mitage a Saint-Pctersbourg! Mais Ie fond de son
icuvre est la représentation de sujets humains, patrio-
tiques, pliilosophiques ou familiers, comme la Ronde-
de nuit, la Lecon d'anatomie,
de vieux savants qui
méditent, des intérieurs de vie domestique, des scènes
de travail ou de passions. Cela compte pour une cen-
taine dans son catalogue. Et puis, 4 l\ oOO portraits,
ou il a étudié directement et exprimé 1'hoimne, la
femme, 1*enfant,—1'humanité entière, saisie au vit'.
Tel est Ie caraetère de 1'école hollandaise dans son
ensemble. La vie, la vie vivante, 1'homme, ses
möeurs, ses occupations, ses joies, ses caprices. Les
uns ont pris Ie citoyen en action pour la chose pu-
blique, qu'il se livre a 1'exercice des armes ou a la
-ocr page 338-
CONCLUSION.                                 323
délibération des affaires; les autres ont pris les fa-
milies chez elles, ou dans leurs distractions exté-
rieures; ceux-ci les classes distinguées, ceux-la les
classes laborieuses, ou les classes excentriques. D'au-
tres ont représenté Ie milieu ou s'agite la vie com-
mune, les mers et les plages, avec les episodes de
l'existence maritime, si chère au pays ; les campagnes
et les forèts, avec les dompteurs de la tcrre et les
dompteurs des animaux; scènes agrestes et scènes de
chasse; lescanaux et les ruisseaux, avec des moulina,
des barques, des pêcheurs; les villes, places et rues,
oü la populalion circule avec toute sa variété. Par-
tout 1'animation, la vie présente, qui est aussi la vie
éternelle, — 1'histoire du peuple et du pays.
Véritable histoire, en effet, que la peinture hol-
landaise, et dans laquelle les artistes indigènes ont
fixé, en images lumineuses et justes, unc sorte de pho-
tographie de leur grand xvue siècle, hommes et cho-
ses, sentiments et habitudes, —les faits et gestes de
toute une nat ion.
Ah! ce n'est plus 1'art mystique, enveloppant de
vieilles superstitions, 1'art mythologique, ressusci-
tant de vieux symbqles, 1'art princier, aristocratique,
exceptionnel par conséquent, et consacré uniquement
a la glorification des dominateurs de 1'espèce hu-
-ocr page 339-
324 MUSÉES D'AMSTERDAM ET DE LA HAVE.
maine. Ce n'est plus 1'art des papes et des rois, des
dieux et des héros. Raphael avait travaillé pour
Jules II et Léou X; Tiziano, pour Charles-Quint et
Franeois ler; Rubens encore travaillait pour 1'arehi-
duc Albert et les rois d'Espagne, pour les Médicis de
France et Charles 1" d'Angleterre. Mais Rembrandt
et les Hollandais n'ont travaillé que pour la Hollande
et 1'humanité.
Et quel autre peuple a ainsi écrit son histoire dans
ses arts? Aucun, sice n'est, auncertain degré, I'AJ-
lemagne.
Chez les nations latines, 1'art est demeuré suspendu
en 1'air, au doublé sommet del'Église et de la Cour.
bien au-dessus des fidèles et des sujets. En Italië
surtout, et même en France, Ie pays de la littérature
elaire, signiiicative, indépendante, on n'a presque
jamais fait que de la peinture mystagogique, théolo-
gique, mythologique et allégoriquc, ou de la pein-
ture « d'apparat, » suivant Ie mot d'Émeric David.
Les dognies et cérémonies de la rcligion, les baccha-
nales et les sacrifices, les hauts faits des souverains,
les joutes et divertissements des seigneurs, les images
des dieux et des grands, a 1'exclusion de la nation
entière, voila Ie cadre infranchi par les artistes méri-
dionaux.
-ocr page 340-
OONCLUSION,                                323
'En Franco on n'a jamais peint les Francais, je ne
dis pas seulement les classes populaires, mais les
groupes de tout rang qui constituent eet ensemble
varié qu'on appelle la France. C'est ce queM. Alexis
Monteil reprochait a 1'histoire écrite. Combien cedé-
faut n'est-il pas plus notable dans les arts! La France
a des milliers de portraits de Louis XIV et de tous
les principicules de sa dynastie, mais de Rabelais,
Montaigne, Corneille, Lafontaine, Molière, etc, c'est
a peine si 1'on pourrait retrouver la figure authenti-
que. La France, dans les tableaux de son école, a des
Hébreux, des Grecs, des Romains, des Vénus et des
\ ierges, des Ainours et des Anges, des Hercule, des
Alexandrc, des César, — raais d'hommes et de
femmes, point.
Si, pourtant. Jusqu'au xvnc siècle, il y a en France
quelques estampes secondaires, quelques vignettes,
quelques
caricatures, qui touchent a la vie nationale,
mais point de pcinture. Au xvni" siècle, apparaissent
trois ou quatre artistes assez originaux. Watteau est
unpeintre francais, — 1'égal, non Ie pareu", du
grand peintre romain, Nicolas Poussin, — et il a
exprimé, sinon la nature naturelle, du inoins une
poesje très-humaine par Ie sentiment et très-francaise
par l'éléganceet parl'esprit. Et Chardin, et bouclier,
28
-ocr page 341-
320 MUSÉES D'AMSTERDAM ET DE LA HAYE.
et Fragonard, et Greuze, qui est un pcu plus Nor-
mand que Nicolas des Andelys. Yoila tout. Ce n'est
guère.
L'art hollandais, avec son naturalisme comme on
se plait a dire, est dpnc unique dans 1'Europe mo-
derne. C'est l'indication d'un art inspiré tout autre-
ment que l'art mystique du Moyen-age, que l'art
allegorique et aristocratique de la Renaissance, tou-
jours continuée par 1'arl contemporain.
L'art de Rembrandt et des Hollandais, c'e3t tout
simplement l'art pour l'homme.
FIN.
-ocr page 342-
TABLE DES ARTISTES
CITÉS DANS CE VOLUME.
Bertin (Nicolas), 184.
Bierweiler, grav., 193.
Biji.ert (Jan), 170.
Bikger(C), lith., 198.
üi.oemaart (Abraham), 284.
Blommendael {!■), sculp., 316.
Bol (Ferdinand), 48, 49-51, 65,
169,221.
Bordone (Pèris), 311.
BOTH(les), 133, 134, 149, 152-
153, 268.
Bourdon (Sébaslien), 306.
Bovinet, grav., 240.
Brakenburg (Renier), 97.
Bramer (Léonard), 52.
BRAY(I)irk de), 169.
Bray (Jacob de), 169.
BRAT(Salomonde), 169.
Breda (Jan van), 178.
Breemberg (Bartholome), 2B7.
Brekelenkamp (Quirijn), 96.
Breugel (Jan) de Velours, 61,
177, 178, 287-289, 316.
Breughei. (pioter) Ie jeune, 287.
Breughel (Pjeter) Ie vieux, 96.
Bril (Paul), j77.
Brouwer (Atlriaan), 4, 79, 90,
95, 126, 145, 256,259.
BURRY, 305.
Aalst (Evert van), 154.
Aalst (Willemvnn), 166, 281.
Aixom (C.)i 183.
Asselijn (Jan), 163.
Assen (Walter van), 282.
Audouin, grav., 221. 246.
Aved (J. A. J.l, 168.
Backer (Jacob), 45, 169.
Backhuizen (Ludolf), 44, 158-
1G0, 274-275.
Baen (Jan de), 168, 284.
Baili.y (David), 168-
Balen (H. van), 4, 61-63, 171,
287, 288.
Baltard, gfav., 2»6-
Barendzen (Dirk), 168.
Bartolomjieo (fra), 312.
Bassen (van), 276.
Bkerstraaten (Jan)i 154-
Bega (Cornelis), 95-
Beheren (Albert van), 173.
Beixim (G.), 312.
Bemhie (J.)> grav., ITT.
Berchem (Qaas), 01, 84-87, 97,
131-135,262-265,267, 317.
Bermheijden (Gel-rit), 154.
Berckman (Hendrih)< l"9-
Bergen (D'Pk van den), 144.
-ocr page 343-
328 MUSÉES D'AMSÏERDAM ET DE LA 11AYE.
Cagliari (Carlo), 311.
Cambiaso (Luca), 311.
Capelle (Jan van de), 160.
Caiiavaggio, 183.
Cakracci (Annibale), 310.
Garracci (Agoslino), 309.
Cereso (Mateo), 307,310.
Champaigne (P. de), 295.
Cignani (CarloJ, 313.
Claessens(L. A.),grêiv., 1", 18,
19.
Ci.oueT (B.), grav., 293.
Comi'E (Jan ten), 170.
Coninck (David de), 181.
CoQBES(Gonzales),295, 297,301.
Cornelisz (Jacob), 282.
Cornilliet, grav., 198.
Correggio, 310, 315.
Cürtone (P. de), 311-
Couché, grav., 216, 219.
Couwenberg (H.-W.), grav., 30.
Ckayer (Gaspar de), 181-182.
Cuijp (Aalbert), 5^63,75,78,
79, 80, 99, 101, 104, 118,
124, 12G, 154,158,174,215,
219,235,230,256,270,272,
276,277, 279.
Cuijp (Jacob Gerrih), 101-103.
COILKNBURG (C. Vatl), 170.
Daudet, grav., 112.
Dam», grav., 248, 249.
Deelen (Oirk van), 27G, 280.
Delff(G.), grav., 61.
Denon, grav., 216.
Dijk (Philip van), 174, 229, 293.
Does (Simonvan der), 144, 145,
267.
Dolci (Carlo), 310.
DoMiMQmN, 310.
Dov(Gerard), 5, 18, 49, 55, 78-
91,92,95,06, 124,223-225,
226,228,259, 31'.
Drost, 30-32.
Dobbels (Hondrik), 160.
Ducu (Jan Lel, 130-131.
] Dughet (Gasparl, 306.
Dunker, grav., 129.
DupARC.grav., 218.
Dürer (Albreeht), 185, 302-303,
318.
Ddsart (Cornelisl, 95.
Dvck (Antonvan), 180-181, 185,
293-295, 318.
Eeckhout (G. van den), 48, 49,
54,67,221.
Elsheimer (Adam), 305.
Escalante, 307', 309, 310.
EvERDiNGE.x- (Aldert van), 149-
150.
Everpingen (Cesar van), 284.
Eïck (les van), 4, 176-177,286.
Fabricius (Karel), 272.
Ferri (Ciro), 183.
Fictoor (Voyez Victors).
FlinckiG.), 45-49, 58, 65, 1G9.
Fokke (Simon), grav., 122.
Fortier, grav., 218.
Frangken (Frans) Ie jeune, 182.
Francken (Bieronimus) Ie vieux,
182.
Francken (Sebastian), 295.
Fret (J. do), grav., 30 , 193,
198.
Gaesbctxk (a. van), 90-91.
Gallb (F.), grav., 18?.
Gahofolo (B. Tisioda), 183.
Garreac, grav., 219.
Gatihg (J. van), 169-
Gel (Joost Van), 170.
Gelder (A. Ue), 51, 211.
Gellée (ClaiKjg), 3q6.
Gvsels (R.), 177.
Giordano (Luca), 311.
Glaubbr (Jan), 264.
-ocr page 344-
TABLE.
329
Goijen (Jan van), 123, 149, 151,
21 i, 256.
Greenwood, grav., 227.
Griffier (Jan), 149, 151.
Guerchin, 311.
GiidoRem, 183, 310, 311.
Güïot, grav., 219.
Haarlem (Cornelis van), 55,
283.
Hackaert (Jan), 136, 141-143.
Hagen (Jan van der), 149, 151,
267.
Hals (Frans), 45, 55, 58-60, 05,
95, 98, 1G9, 280.
Hauck (A. C), 170.
Heem (David Davidsz de), 164-
105.
Heem (Jan Davidsz de;, 164-165,
281.
Heijden (J. van der), 136, 141-
144, 153,267.
Helst (B. van der), 1,2,5, 33-
45, 47, 55, 58, 65, 7 1, 77,
85, 169, 170, 191, 201,220-
221, 23G, 243.
Helst (L. van derï, 45.
111, 133, 158, 223, 236.
251, 272.
Hoogstraten (Jan van), 222.
Hoogstraten (Samuel van), 175,
222-223.
Houbraken ;Jacob),grav., 195.
Houston (R.), grav., 30.
Huciitenbcrgh (J. van), 98, 127,
130, 259, 262.
Hoijsum (J. van), 78, 164-167,
281.
Hulk, grav., 266.
Ingouf, grav., 228.
Jansom (Jacob), 174.
Jarbin (K. du), 2, 64-70, 71,
133, 264-265.
Jode (P. de), grav., 293.
Jong (J. de), 169.
Jong (Liidolf de), 170.
Joruaens (Jacob), 181, 291-29-j,
318.
Kaiser(J. W.),grav., 30,40,88.
Kalf (W.), 78, 98.
Keijser (les de), 52, 53, 231-
239, 317.
Kneller (G.), 98.
Kokdijk (Nicolaas), 101.
Koninck (Pliilip), 53, 54, 140,
221-222, 269, 270.
LAiRESSE(G.de), 2,145-146,26i,
Lanfranco, 183.
Lange (J. P.), grav., 53,56.
Laürent, grav., 219.
Ladri (Filippo), 311.
LeBas, grav., 216.
[.bijden (Uicas van), 56, 282.
Lijvens (Jan), 54.
Limborch (Hendrik van), 148.
LrNGEi,BACH(.Ian), 139, 141, 222,
268-269, 274.
(e), 268.
HilligAard (Pauwels van), 173.
Hobbema (M.), 79, 80, 81, 99,
124, 136, 149, 151 , 15S,
215, 271, 272.
HoEftGEEST, 276.
Hoet (Gerard), 173, 174.
Hoet (Moses), 174.
Holbein (Hans), 184, 303-305,
318.
Hondecoeter (M. do), 161-163,
280-281.
HonthOrst (Gerard), 55, 63-64,
83.
Homthorst (Willcio), 64.
Hooch (P. de), 54, 79,98-101,
-ocr page 345-
330 MUSÉES D'AMSTERDAM ET DE LA I1AYE.
Netscher (Gaspar), 122-123,
248,318.
Nooms (Renier), ICO.
Oortman, grav., 253.
Ostade (A. van), 5, 69, 78, 79,
92-98, 111 , 126, 139, 145,
215, 239-244,250,259,317,
318.
Ostade (1. van), 95, 215, 242-
243, 244.
Oudenrogge (J.), 174.
Ouwater (Isaak), 17 4.
Palamedes (les), 131, 170, 276-
280.
Panneels, grav., 179.
Pape (A. de), 230.
Parmesan (F. Mazzuoli Ie), 183,
310.
Peters (Jan), 182.
PiGEOT, grav., 228.
Pijnacker (Adam), 149, 152,
268.
Poel (Egbert van der), 154,284.
Poelenborg (C), 145-146, 174,
267.
PontiI's (Paul), grav., 179.
Pool (Juriaan), 166.
Pot (Henri), 98.
Potter (P.), 67, 70-77, 79, 80,
131,175, 189,190,195,211-
221,243,262,26C,301,317,
318.
Pourbus (Frans) Ie jeune, 178,
295.
Poussm (Nicolas), 306.
Quinkiurd (Jan Maurits), 174.
Qüinkhari) (Julius), 174.
Raphael, 310.
Ravestein (J. van), 55, 57-58.
Regters (Tiebout), 170, 171.
Loo (van), lith., 82.
Maas (Nicolaas), 53, 67, 98, 221.
Mare (F. de), grav., 114, 116.
Mazzolini (L.), 312-313.
Meer (Jan van der) Ie jeune, 135.
MEER(van der) de Delft, 27 2-273,
317.
Memling (Jan), 286-287.
Metsu (G.), 5, 67, 69, 78, 79,
80, 111, 118, 123-126, 158,
166,226,227,248-251,256,
258, 267, 296, 317.
Miereveld (M.), 55-57, 202,
282, 284.
Mieris (Frans van) Ie jeune, 90.
Mieris (Frans van) Ie vieux, 89-
90, 91, 118, 124, 166, 174,
194,226-229,230,249,317,
318.
Mieris (Willem van), 90, 143,
228, 229.
Mignon (A.), 164-165,281.
Mutens (Daniel), 170, 300.
Mol (P.van), 182.
MOMMERS, 97.
Momper (J.), 177.
Mom (Louis de), 174, 229-230.
Mor (Antonie), 282-283.
Moreelse (P.), 57,202,284.
Moucheron (Fredcrik), 136,141-
143, 2G9.
Mouili.krom, lith., 19.
Murant (Emmanuel), 130.
M
               183, 307 , 308-309,
318.
Musscher (Miche) van), 251,318
MïTENS(Jan), 170.
Naiveu (Matthijs), 174.
Neefs (Peeter), 178, 295.
Neer (Aart van der), 104.
Neer (Eglon Hendrik van der)
104.
-ocr page 346-
TARLE.
331
Sungeland (P. van), 88, 91.
Sluuter (D. J.), grav., 125.
Smith (}.), grav., 179.
Snyders (Frans), 181, 291.
SOLIMENE (F.), 311.
Soolmaker (J. F.), 264.
Spada(L.), 183.
Staveren (J. van), 88.
Steen (Jan), 5, 69, 78, 79, 80,
97, 104-118, 119, 123, 124,
126, 133, 138,158,252-258,
317, 318.
Steenwijk (Hendrik van) Ie vieux,
276.
Storck (Abraham), 271, 274.
Strij ('Abraham), 174-175.
Strij (Jacob van), 175.
Suijberhoef, grav., 231, 232,
235.
SwASEVELD (H.), 268.
Tassart, grav., 289.
Taurel (C.-K.), grav., 56.
Teniers (David) Ie jeune, 182-
183, 295-297.
Terburg (Conslantia), 246.
Terburg (G.), 5, 69, 79,81,111,
118-122, 126, 236, 244-248,
250, 317, 318.
Terwesten (Maltheus), 171.
Tilborg (Gilles van), 219, 243-
244.
TlNTORET, 311.
TlTIEN, 311.
Tol (D. van), 88-89.
Torenburg, 274.
Troost (Cornelis), 102,171,284-
285.
Uchterveldt (M.l, 251.
ULFT(J.vander), 149, 152, 268.
Uliier, grav., 294.
Vaillant, grav., 120.
Rembrandt, 1, 2, 5, G-33, 37-
39, 41, 45, 47, 48, 49, 51,
52, 53, 54, 55, 57, 58, 65,
67, 71, 76, 77, 78, 79, 83,
86, 87, 91, 92,98, 101, 118,
119,133,140,146,158,163,
169,185,189, 190-211, 214,
216, 221., 222,223, 234, 235,
230,270,272,273,285,286,
292, 300,317.
Ribera, 183.
Rietschoof (Jan Claasz), 161.
Rijsen (W. van), 17 4.
Ring (Pieler de), 164.
Roepel fCoenraet), 1G4.
Romun (WiUem), 135.
Roos (Johann Hendrik), 305.
Rosa (Salvator), 312, 314, 318.
RottenhaMmer (Hans), 175, 184,
287, 288, 293, 305.
Rousseaü, grav., 147.
Rubens, 179-180, 185, 288-
291, 318.
Ruusdael (Jacob), 5, 78, 79, 80,
81, 136, 140, 149-150, 151,
215, 270-272, 317.
Ruusdael (Salomon), 149, 150,
214.
Ruiter (J. de), 174.
Ruyscii (Rachel), 164-16G, 281.
Ryckaert (David), 182.
Saenredam (P.), 54.
Saftleven (Cornelis), 170,
Saftleven (Herman), 149, 151.
Sakdrart (J.), 52.
Santafede (Fabricio), 311.
Sassokerbato, 312.
Sayery(R.), 295.
Schalcken (G.), 83,88, 91,225-
226.
Schoorl (Jan van), 50, 283.
Schuppen (Jacob van), 171.
Slabiuert (K.), 54.
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332 MUSÉKS D'AMSTERDAM ET DE LA HAM-.
Valck, grav., 87.
Veen (O. van), 178-179.
Velazoueb, 183-184, 307 308,
310.
Velde (Adriaan van de), 69, 79,
126, 135-144, 145, 148,153,
219, 265-267, 317.
Velde (Esaias van de), 157, 279.
Velde (Willem van de) Ie jeune,
5,78,79, 155-157, 158,160,
274-275, 317.
Velde (Willem van de) Ie vieux,
155, 157.
Venne (A. van der), 4, 55, 60-63.
Verboom (Abraham), 136, 149,
151.
VERHm.ST(Rombout),scuIp., 316.
Vermeulen, grav., 180.
Vernet (Joseph), 306-307.
Veronese (Paolo), 311.
Verschuur (Lieve), 160-161.
Yictors(J.), 51, 210.
VlLLAlN, grav., 253.
Vinci (Léonard de), 311.
Vinkboom (David), 17 5, 295.
Vinkboom (Philip), 17 5.
Visscher (Cornelis de), 56, 63.
Visscher (L.), grav., 16S.
Vliet (van), grav., 194.
Vliet (Hendrik van), 154, 27 6.
Voet(A.), grav., 17 9.
Vois (Arij de), 96-9T, 229.
Vries (Renier van), 149, 151.
Vroom (Hendrik Cornclisz), 161.
Wachsmuth, grav , 261.
Watson, grav., 249.
Weenix (Jan), 164, 281.
Werff (Adriaan van der), 65,
133, 143, 145-148,210,230,
259.
Werff (Pieter van der), 147-
148.
Weïden (Rogler van der), 286.
WucK(Jan), 98.
Whck (Thomas), 97-98.
WlJNANTS (Jan), 130, 138-141,
143, 148, 149, 269-270.
Wille (J. G.), grav., 121.
Witte (Emmatmel de), 154, 27(i.
Wouwerman (Philips), 67, 7f>,
79, 98, 118, 126-131, 130,
139, 141,178, 258-202,264,
267, 269,317.
Wouwerman (Pieler), 130, 135,
262.
Xavery(.I. B.), sculp., --ïïG.
Zegers (Daniel), 29.r>.
FIN DE LA ÏAHLK,
iuijit Uiu'ric de ï' -A ROIj:il)IEl| et i:1", 30, ru Jiai.nint'.
-ocr page 348-
mbbaiiue V" J. RENOUARD, 6, hue de todbnon.
TRÉSORS DART
EXPOSÉS A MANCHESTER EN 1857
DES COLLECTIONS ROYALES, DES COLLECTIONS PUBLIQUES
ET DES COLLECTIONS PARTICULIÈRES
DE
LA GRANDE-BRETAGNE
P4R
W. BURGER
1 vol. in-18 jüsus de 460 pages. Prix : 3 fr. 30
Lc livre de M. W. Burger n'est pas seulement un
compte rendu de l'incomparable Exhibition de Man-
chester, c'est aussi une savante étude sur 1'histoire
de 1'art dans tous les pays. Il est divisé par écoles, et
dans chaque école les maitres sont places par ordre
chronologiquc, si bien que les chapitres sont des
espèces de monographies de la peinture en chaque
pays.
Les Italiens, d'abord, a commencerpar les origines
byzantines, et jusqu'aux Bolonais, après avoir passé
par les Florentins, los Romains, les Vénitiens, les
Parmesans; — puis les Espagnols, principalement
Vclazquez et Murillo, si admirablement rcpréscntés a
-ocr page 349-
1'Exhibition de Manchester; — 1'art du Nord vient en-
suite : les Allemands, depuis meister Stephan, 1'au-
teur de la célèbre Adoration des mages a la cathédrale
de Cologne; — les Flamands, depuis van Eyck jus-
qu'a la grande école du xvne siècle; — les Hollan-
dais : ils y sont presque tous, et de la plus rare qua-
lité. — L'école franqaise et 1'école anglaise sont
examinées a part. — Quelques autres chapitres sont
consacrés a la galerie des portraits et a 1'art orno-
mental. — Enfin, les peintres modernes, les aquarel-
listes et la gravure terminent Ie volume.
Personne en Europe ne connait mieux que M. Bur-
ger 1'art du Nord, qu'il a étudié spécialement en
Allemagne, enBelgique, en Hollande, en Angleterrn,
oïi il a visite les musées et les collections particu-
lières. Mais les écoles italiennes, et surtout l'école
espagnole, semblent lui être également familières.
Et s'il laisse souvent deviner ses sympathies d'ar-
tiste, il n'en est pas moins juste pour tous les grands
maitres de tous les styles. W. Burger est une espèce
de cosmopolite en matière d'art, et c'est sans doute ce
caractère qui a décidé Ie succes de son livre.
Les Trésors d'art, en efl'et, ont été appréciés digne-
mcnt par la presse francaise et par la presse étran-
gère. En France, les critiques les plus compétents en
ont faitl'éloge : dans Ie Moniteur universel (M. Édouard
Thierry), dans l'Artiste (M. Paul Mantz), dans l'Illus-
tration
(M. Philippe Busoni), dans Ie Siècle, dans
l'Écho des Deux-Mondes, dans la Revue espagnole et
portugaise,
dans Ie Bulletin littéraire de la Biblio-
thèque univcrsellc de Genève,
dans la Revue universelle
des Arts,
dans la Revue des Beaux-Arts., etc, etc. En
-ocr page 350-
__ 3 __
Angleterre, les principaux journaux artistiques, the
Art Journal, the Athenceum,
en ont publié un- examen
détaillé et de longues citations; the Observer, the Satur-
day Review, the Manchester Guardian,
et autres jour-
naux et revues, ont vivement recommandé ce livre aux
lecteurs anglais. En Belgique, VObservateur, Ie Télégra-
phe, Ie National,
la Revue trimestrielle, VUylenspie-
gel,
etc; en Allemagne la Gazette de Cologne et autres,
en ont donné des comptes rendus et des extraits.
Les Trésors d'art par W. Burger ont donc pris rang
parmi les livres qui intéressent 1'histoire de 1'art, a
cause des faits, des dates, des remarques, des docu-
ments de toute sorte qu'ils contiennent sur les maitres
des diverses écolos depuis 1'origine de la peintur'e
moderne jusqu'a nos jours.
Pour pnraitre prochainvmeut:
REMBRANDT
L'HO NI ME ET SON OEUVRE
PAR
W. BURGER
Avec tous les doouments nouveaux sur la vie de Rem-
brandt, Ie catalogue de son ceuvre peint et de son oeuvre
gravé, dans 1'ordre chronologique, et une foule de pieces
curieuses; avec portraits, fac-simile de gignatures, etc.
Paris. — Imprimcrie de P.-A. DOUHUlEIt et C'ei 30. rue Jlazaiiiio,