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BIBLIOTHÈQUE BLEUE

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EDITION J. BUY AINÉ

BIBLIOTHEOUE BLEUE

ROMANS DE GHEVALERIE DES XIE, -XIID, XIV®, XV® ET XVI® SIECLES

PÜBllÉS, SUR lES MEIUEURS TEXTES, lUR UNE SOCIÉTÉ UE CENS 1)E LEITRES

SOUS la direction

D’ALFRED DELVAÜ

BIBLIOTHEEK DBR : UNIVERSITEIT

I UTSAËCH'^

PRÉCÉnÉS

D'UNE ÉTUDE SUR LES ROMANS DE GHEVALERIE ET SUR LES ORIGINES DE LA LANGUE FRANgAISE’

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PARIS - I860


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LÉGRIVAIN Eï TOUBON, LIBRAIRES, 10, RUE ÜIT-LE-GÜEUR

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Literatuuronderzoek aan de Rijksuniversiteit te Utrecht

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ÉTUDE

SUR LES ROIIANS DE CHEÏALERIE

ET

SUR LES ORIGINES DE L4 LANGUE FRANOAISE

A M. F. VIALAY, A PARIS, A SAINT-MANDÉ, OU DANS UN COIN QUELCONQUE DU MONDE.

OU éles-vous d cette heure, mon cher ami ? Je ne vous rencontre jamais qu'une fois l'an^ au printemps^nbsp;avec les hirondelles, et chacune de ces rencontres-ldnbsp;me porie bonheur. Si j'avais l'honneur d'êlre dansnbsp;les petits papiers du dieu Hasard, je leprierais denbsp;me ménager avec vous de plus fréquentes et de moinsnbsp;rapides entrevues. Mais je suis brouillé, depuis manbsp;naissance^ avec ceOievAdet avec quelques autres,nbsp;II faut quej’enprenne mon parti!

En quelque lieu que vous soyez, cependant, mon ami, je vous dois Ie témoignage public de ma vive etnbsp;sincère sympathie pour votre chevaleresque caractèrenbsp;et pour votre vaillant cceur. Vous qui êtes si souventnbsp;venu en aide aux autres, de toutes les faQons, vousnbsp;me permettrez bien de m'acquitter envers vous avecnbsp;la seule monnaie dontje dispose.

Ce livre est un monument. Je Ie dis avec d'autant moins de modestie qu'il n’est pas mon ceuvre propre,nbsp;puisque les maUriaux principaux m'en ont été four~nbsp;nis par d'autres écrivains, et que je n'en ai été quenbsp;Vobsaur ouvrier,c'est-d-dire Vhumble transla-teur.

Si ce livre était destiné d l'oubli, je me garderais soigncusement d'inscrire votre nom d la premièrenbsp;page. Mais il durera autant et plus que beaucoupnbsp;d autres : il est intéressant, d’abord, ensuite il estnbsp;tiréd des milliers d'exemplaires, double raison pournbsp;moi de vous Ie dédier, afin de multiplier d Vinfininbsp;les témoignages de ma reconnaissance et de monnbsp;amitié.

Adieu done, loyal et chevaleresque ami. J'espère vous serrer la main auxprochains muguets,dansnbsp;un an d'ici. Quant d moi, qui ne me suis tant exté-riorisé que pour vous saluer cordialement, je vaisnbsp;faire comme les animaux de nos forêts, qui effacentnbsp;leurs traces d la porte de leur tanière : je vais menbsp;retirer en moi.

Les Grimeiles, juin 1859.

Alfred DELVAU.

On eiiricliit les Jangues en les fouillant. JoeneRT.

Tout Ie monde n’a pas les reins assez fermes pour porter sans Iressaillementle rude fardeau denbsp;la vie. Beaucoup orient grace a mi-route, les reinsnbsp;cassés et lo cceur brisé, et se couchent tout denbsp;leur long dans Ie premier fossé venu —peur ynbsp;dormir leur somme éternel. 11 fautêtre de la taillenbsp;de Montaigne et de la santé de Gharron pour jouernbsp;utilement, durant ce voyage, de eet instrumentnbsp;dont je n’ai jamais pu trouver Tembouchure pournbsp;ma part, et qui s’appelle laPhilosophie, — «cettenbsp;science qui faict estat de sereiner les tempestesnbsp;de l ame et d’apprendre la faim et les fiebvres ènbsp;rire. »


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ETUDE

Doux oreiller, en effet, pour dormir sa vie, que la philosophic; mats, pour le Irouver tel, il fautnbsp;avoir la tele aussi bien faite que Montaigne. Et lanbsp;tête du communi martyrum est assez mal faite !

Comment se souslraire, alors, aux giboulées désastreuses de la vie ? Comment éviter les heurlsnbsp;douloureux, les contacts malsains, les trivialitcsnbsp;écoeurantes ?

En se réfugiant le plus souvent possible dans ce Paraclet qui s'apelle le Rêve, — en faisant desnbsp;Contes ou en en lisant.

« Faisons des contes, mes amis, faisonstoujours des contes. Tandis qu’on fait un conte, on est gai,nbsp;on ne songe amp; rien de facheux. Le temps se passenbsp;et le conte de la vie s’achève saps qu’on s’en apor-Coive. »

G’est Denis Diderot — un malheureux de génie — qui a dit cela. Vous voyez quo la fatigue et lanbsp;douleur ne sont pas dïnvention récente, — le malnbsp;de co siècle, corame on a voulu le faire croire. Etnbsp;avant Diderot, d’autres illustres penseurs l’avaientnbsp;dit aussi, en des langues différentes, — Job toutnbsp;le premier. N’est-ce pas Bossuet qui a parlé donbsp;« eet insurmontable ennui qui fait le fond de lanbsp;vie humaine ?»Hélas 1 l’homme est en proie i\ celtenbsp;vilaine maladie-la depuis qu’il est en proie è cettenbsp;autre maladie qui s’appelle la Vie, et dont la Mortnbsp;scule peut le guérir, L’Enfer nevoulait plus aban-donner Proserpine depuis qu’elle avait mangé lenbsp;fameux pépin que vous save? -. l’Ennui neveulpasnbsp;abandonner l’homme depuis que sa grand’mèrenbsp;Ève a mangé, elle aussi, eet autre fameux pépinnbsp;non moins diabolique que le premier. Maudits pé-pins!

Puisque le monde s’ennuie, il faut l’amuser, — bien qu’il soit aussi inamusable que ce maussadenbsp;vieillard qui s’appelait Louis XIV. 11 est vrai quenbsp;madame de Maintenon s’y prenait assez mal pournbsp;dislraire ce royal ennuyé, et que les amuseurs denbsp;la foule s’y prennent aussi mal que madame denbsp;Maintenon. A l’un les homélies du père La Chaisenbsp;et les austères entretiens de Bossuet. A 1’autrc, lesnbsp;romans obscènes et les romans bêtes.Maigrenour-riture pour des cervelles en appétit de distractions 1

II y en a une autre: les Contes et les Romans de chevalerie.

« Si Peau d'Ane m’était conté J’y prendrais un plaisir extréme.

Ainsi parlait Jean do la Fontaine, ce grand enfant qui se réfugiait dans le Bêve pour échapper ö lanbsp;Réalité, et qui s’entrelenait familièrement avecnbsp;les bêtes, —- pour n’avoir pas è causer avec lesnbsp;hommes.

Faisons-nous done conter Peau d'dne^ ó mes amisl Peau d'dne — et surtout Amadis de Gaule,nbsp;Arlus de Bretagne^ Lancelot du Lac, les Quatre pis

Aymon, Huon de Bordeaux, Mdlusine, Tristan de Léonois, Pierre de Provence, Cléomades et Clare-monde, Gérard de Nevers, Guérin de Montglave,nbsp;Flores et Blanchepeur, la Comtesse de Ponthieu,nbsp;Roland amoureux, Boolin de Mayence, Eustache-le-Moine, Ciperis de Vineaux, l'Archevêque Turpin,nbsp;Ogier-le-Banois, Fier-a-Bras, Galien Réthoré, Per-ceval-le-Galloys, Jsaïe-le-Triste, Messire Clériadus,nbsp;Gérard de Roussillon, Gyron-le-Courtois, Jehan denbsp;Saintré, Jean de Paris, Gérard d'Euplirate, Oliviernbsp;de Castille, Méliadus de la Croix, le Chevaliernbsp;Mahrian, Geoffroy d la Grandquot;dent, le Preux Mer-vin, Giglan pis de Gauvain, etc., etc., etc. Lanbsp;lisle en est longue, et je m’arrêteici pour ne pasnbsp;fatiguer le lecteur par une énumération fastidieuse;nbsp;mais je la trouve trop courte, pour ma part. Je lesnbsp;ai lus tous aux jours — lointains déjamp; — de manbsp;rêveuse enfance, et, faute d’autres, je les relis au-jourd’hui. Pourquoi n’y en a-t-il pas davantage,nbsp;hélas! je les lirais avec tant de joie jusqu’auxnbsp;heures—proches peut-être—oil la nuit descendranbsp;sur mes yeux et sur ma vie!

Ce n’est pas mon sentiment seul que je vous donne lè. C’est le sentiment de bien d’autres! Desnbsp;generations entières se sont nourries de cette lecgt;nbsp;ture — que blament les gens graves et froids, —nbsp;et ce n’est pas cela qui les a poussées plus vite dansnbsp;la tombe, oit elles sont descendues, au contraire,nbsp;sans s’en douler.

Les romans de chevalerie n’ont été dangereux pour personne, — excepté peut-être pour Paolo etnbsp;Francesca di Rimini, qui se donnèrent le baiser sa-voureux que vous savez en lisant ensemble Lancelot du Lao. Le livre tomba — et Malatesfa entra,nbsp;féroce. Mais, amp; part ce douloureux accident, lesnbsp;romans de chevalerie n’en ont jamais occasionnénbsp;d’autres. La parodie de Michel Cervantes, elle-même,nbsp;n’est pas une parodie, et son Don Quichotte est unnbsp;brave eoeur qui se battait centre des moulinsnbsp;comme il se seraitbattu contre des hommes. II n’estnbsp;pas si fou que cela, ce vaillant coureur d’aventures,nbsp;— ou, en tout cas, il a la folie des nobles coeurs,

II

Qu’est-ce, en effet, que les romans de chevalerie, s’ils ne sont pas une école de grandeur d’arae? Quonbsp;font, je vous prie, tous ces chevaliers errants,nbsp;sinon une guerre è outrance aux félons, aux mé-chants et aux laches? Le monde ne rêvaitpas, alors,nbsp;il élait en marche vers une emancipation qui senbsp;rapprochait d’heure en heure, et il fallait bien con-courir è ce glorieux travail d’affranchissement.nbsp;L’humanité commenpait è émerger de ses ténèbres!nbsp;L’ême commenpait è émerger de la raatière I « Onbsp;noble enfance de Fame, — s’écrie quelque partnbsp;George Sand, — source d’illusions sublimes et denbsp;dévouements héroïques!.. »


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SUR LES ROMANS DE CHEVALERIE.

Pour moi, — comme pour tous ceux qui ont lu les romans de chevalerie,-^les héros et los héroïnesnbsp;de ces romans-lA ont vécu d’une vie vraie, toutnbsp;aussi bien que les heros et que les héroïnes de l’his-toire et de la réalité. Ils ont vécu mieux encore,nbsp;puisqu’ils ont toujours pour nos imaginations l'êgenbsp;que leur ont donné leurs auteurs, et que jamaisnbsp;aucun d’eux ne peut vieillir.

Pour moi, ils ont toujours vingt ans, ils sont toujours beaux, toujours dévouós, toujours cheva-leresques, ces héros de romans, et je comprends ènbsp;merveille qu’ils fussent aimés, Lancelot du Lac, denbsp;la reine Genièvre, — Tristan de Léonois, d’Yseult-la-Blonde et d’Yseult-aux-Blanches-Mains, — Olivier, de Jacqueline, — Roland, de Belleaude, —nbsp;Pierre de Provence, de Maguelone, — Gérard denbsp;Nevers, d'Euriant, — Raimondin, de Mélusine, —nbsp;Urian, d’Hermine, — Guion, de Florie, — Gléoma-des, de Claremonde, — Huon de Bordeaux, d’Es-clarmonde, —Artus de Bretagne, de Jeannette, —nbsp;Arnault, de Frégonde, — Régnier, d’Olive, etc.

Sans faire lemoindretort k la Biograptiie-Michaud, il me semble que tous ces types charmants de vail-lance et de grace valent bien les personnages ènbsp;I histoire desquels on a consacré tant d’inutilesnbsp;pages et élevé tant d’inutiles colonnes,—Habacue,nbsp;Dagobert, Aboul-Hassan, Phocas, Manco-Capao,nbsp;Féodor Alexiowitz, Arsace, Artaban, Zabulon, Pa-tisilhès, Smerdis, Noureddin, Lélex, Jovien, Go-thrun, Frauenlob, Cresphontes, Bodillon, Rufm,nbsp;Joruandès, Ruben, Tetricus, Dermot, Adherbal, etnbsp;autres Josaphat. Norns historiques, tous ces noms-lèl Tant pis pour eux et pour nous, alorsl

Ils ont vécu, ils sont inorts. lis ont été cadavres, ils sont aujourd’hui poussière, ces hommes célèbreslnbsp;G’est bien la peine d’en parler, vraiment 1 Qu’ont-ils fait de bon, de beau, de grand, d’héroïque, denbsp;sublime, en leur vie? Rien. Pourquoi alors fgnt-ilsnbsp;ainsi saillie sur Ie souvenir public? Paree que Ie paganisme dure toujours, sous un aulre nom, et que,nbsp;pour rassasier l’appétit d’adoration et d’adrairationnbsp;auquel l'humanilé est en proie depuis si longteraps,nbsp;on a cru nécessaire d’inventer des hommes célèbres,nbsp;de creuser dans un Panthéon gigantesque une multitudes de petites niches pour une multitude denbsp;petits saints civils et militaires. La foule a Ie cultenbsp;des héros, de quelque nature qu’ils soieiit; ellenbsp;adore les statues et les statuettes, et paie volontiersnbsp;les frais de marbre, de bronze ou de platre, —nbsp;pourvu que ca ne coüte pas trop cher. Gela dispensenbsp;si bien d’aimer les vivants, l’amour des mortsl...

Eh bien! j’en suis vraiment faché pour la foule et pour la Biographie-Michaud, mais je n’ai pas Ienbsp;moins du monde Ie culte des héros de carton. Lesnbsp;héros, d’abord, m’en ont dégoüté, et les salons denbsp;Gurtius, ensuite. Quand j’cn aurai Ie loisir, je ferainbsp;même concurrence, k ce sujet, ö l’anglais Carlislenbsp;dont Ie livre a fait un bruit du diable, — en sonnbsp;temps. Le paganisme pur et simple vaut mieux quenbsp;ce paganisme déguisé. Ginq mille statues de Dieuxnbsp;et do Déesses ne me déplairaient en aucune fagon,nbsp;paree que les statues des Dieux et des Déessesnbsp;de la Grèce étaient trés bien fades, en trés beaunbsp;marbre et en trés beau bronze, et que cela devaitnbsp;faire un grand plaisir aux yeux de les regarder, —nbsp;surtout les statues des Déesses. Mais vos Dieuxnbsp;bourgeois, vos Dieux habillés, quel plaisir cela peut-il vous faire de les contempler? Quel orgueil avez-vous è citer les noms ridicules que j’ai cités plusnbsp;haut, et ceux, non moins ridicules, que je n’ai pasnbsp;cités du tout, é cause de leur trop grand nombre?

Ah! mes héros de romans sont préférables é vos bonshommes célèbres^ — et ils sont tout aussi célèbres, après tout. Interrogez eet enfant qui passe;nbsp;demandez-lui des nouvelles du Prime charmant ounbsp;de la Belle aux cheveux d'or, ou du Petit Poucet :nbsp;il vous en donnera avec plaisir, — car il connait lenbsp;Petit Poucet comme il connait son petit frère, car ilnbsp;connait la Belle au bois dormant comme il connaitnbsp;sa soeur ainée, car il connait Riquet a la Houppenbsp;comme il connait son papa... Interrogez ce vieil-lard—eet autre enfant — qui passe; demandez-luinbsp;des nouvelles de la Reine Genièvre, A'Yseult-auco-Blanches-Mains, de Belleaude, de Maguelone, denbsp;Mélusine, de Viviane, de cinquante autres bellesnbsp;filles et belles fées : il battra le rappel de ses souvenirs, et lui,— quinese souvient plus de rien aunbsp;monde, ni de son père, ni de sa mèro, ni de sesnbsp;fils,nide ses filles,qui tous sontmorts,—il évoqueranbsp;cette légion d’amoureuses et de charmeresses, etnbsp;son vieux coeur palpitera d’aise et frémira de vo-lupté comme autrefois, aux heures roses de sonnbsp;adolescence, quand il lisait—é deux—ces intéressants romans de chevalerie que nous réimprimonsnbsp;aujourd’hui.

II ne faut renier rien ni personne dans la vie. Ne renions done pas nos traditions. Les romans denbsp;chevalerie — les romans de la Table-Ronde prin-cipalement — ont eu une influence incontestablenbsp;sur le siècle oü ils sont nés et sur les siècles quinbsp;sont venus après. On les lisait partout oü l’on sa-vait lire, — manuscrits ou imprimés. Le savantnbsp;Sleeren disait que sans la chevalerie le Moyen-Agenbsp;aurait été vóué au mépris de la postérité : il auraitnbsp;pu dire la même chose des romans de chevalerienbsp;qui étaient le Gode par excellence,—le code dunbsp;bon ton, de la courtoisie, des grands sentiments,nbsp;de la galanterie, de la vaillance. Quand ce ne seraitnbsp;qu’è cause de cela, il me semble que ces Romans-lènbsp;ont bicii mérité qu'on les sauvat de l’oubli.

III

Ils ont un autre mérite. Ils sont, pour ainsi parler, les étapes de la langue francaise.

En effet, les premiers romans de chevalerie ne


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ETUDE

ressemblenf'pas — comme fstyle|— aux derniers. La langue s’essaye, la langue bégaye, la langue senbsp;forme, et Ton peut suivre ses progrès pas è pas,

— nbsp;nbsp;nbsp;c’est-S-dire roman k roman.

Bégaiements d’une langue géante, bégaiements prodigieux comme ceux de Gargantua qui, è sonnbsp;entrée dans le monde, « brasmoit demandant anbsp;boyre, a boyre, a boyre, » — ce qui dénotait denbsp;serieuses dispositions! Toutes les langues ne par-lent pas aussi distinctement k leur début, et oellesnbsp;qui bégaient, d’ordinaire, le font avec I’inintelligi-bilité du bégaiement. Mais la langue francaise, —nbsp;appelée Si dominer le monde, h se substituer auxnbsp;autres langues parlées, — devait avoir une enfancenbsp;virile, et elle I’a eue.

II ne faut pas aller cbercher bien loin pour en avoir la preuve : les Chansons de Geste et les Romans de la Table-Ronde la fournissent irréfutable-ment.

II n’est ici question que de la langue d’Oil,— le roman du nord, comme la langue d’Oc était lenbsp;roman du midi, G’est la langue par excellence, lanbsp;langue nationale, la langue maternelle. N’est-ce pasnbsp;la France que les trouvères ont cbanlée d’abord,nbsp;avant tout et avant toutes, quand les troubadoursnbsp;chantaient les dames, puis les dames, et encore lesnbsp;dames? Les dames, c’est intéressant i chanter,nbsp;certes, — plus intéressant encore k aimer. Mais lanbsp;France est la dame suprème, c’est le flanc qui anbsp;porté le monde, ce sont les entrailles d’oii estnbsp;sortie la Liberté, — c’est-k-dire I’lntelligence.

C’est done la France que chantent les premiers trouvères. C’est k la France que sont dédiées lesnbsp;chansons des douze pairs, les Chansons de Geste,

— nbsp;nbsp;nbsp;comme celle de Roland, par exemple.

J’ai donné trois extraits de ce merveilleuxpoëme, kla suite etk propos de Guérin de Montglavc,—oilnbsp;se trouve le récit émouvant de la défaite de Ronce-vaux. J’aurais voulu avoir la place et I’autorisationnbsp;de citer les quatre mille cinq cents vers qui le com-posent. Mais le peu que j’eu ai cité suffit ample-meiit è la démonstratioii de cette double vérité, knbsp;savoir que c’est un poëme national, un poëmenbsp;francais, et qu’il est du x* siècle, — corame lesnbsp;poëmes de Robert Wace.

Je parlais, tout k l'heure, des étapes de la langue frangaisc. II serait intéressant de les signaler une knbsp;une, certes; mais il faudraitpour cela des volumes,nbsp;et je ne dispose que de quelques pages. Et puis, lesnbsp;origines vraies d’une langue sont comme cellesnbsp;d’une nation, k peu prés indéchiffrables, et je suisnbsp;bien force de laisser de cóté cette quête des sourcesnbsp;du Nil pour commencer Ik oü commencent les auteurs de l’hisloire littéraire de la France, — c’est-k-dire aux environs du x* siècle.

Avant cette époque, il y a des ténèbres, il y a le rommum rusticum,—le roman rustique, la languenbsp;vulgaire des Gaules, forraée du celtique, du grec etnbsp;du latin; puis, après ce roman rustique, une languenbsp;qui s’est débarrassée de ses langes primitifs et k la-quelle va succéder la véritable langue roraane, lanbsp;mère de la langue francaise. Le romanum rusticumnbsp;a peu de monuments écrits; le roman du ix* sièclenbsp;en a davantage. Mais les ténèbres ne s’en font pasnbsp;moins sur ses évolutions, sur sou développement,nbsp;sur sa formation. Son travail de gestation ei de parturition s’est accompli mystérieusement, k l’insunbsp;de tout le monde : la langue romane est arrivée knbsp;terme, elle est née, — mais on ne connalt exacte-ment ni son père ni sa mère. Elle est née viable, —nbsp;voilk tout.

Le premier monument, Ie monument capital de la langue roraane, c’est le poëme sur Boèce,—surnbsp;ce grand homme qui fut persècuté si odieusementnbsp;par Théodoric, roi des Visigoths, lequel le fit mettrenbsp;k mort après l’avoir laissé en prison pendant long-temps. Boëce avait compose dans sa prison unnbsp;Traité de la Consolation de la Philosophic,- ce fut knbsp;propos de ce remarquable ouvrage que fut écrit lenbsp;poëme qui nous occupe, et oü se trouve racontéenbsp;avec éloquence I’austère vie de ce philosophe Chrétien.

Avec éloquence, ai-je dit. Permettez-moi de citer les douze premiers vers: ils ont un double intérèt,nbsp;comme pensée et comme expression. On y retrou-vera des formes tout-a-fait franQaises, des formesnbsp;grammaticales d’aujourd’hui, des idiotismes, kcóténbsp;de mots grecs, latins, celles, gothiques, et de desinences roraano-meridionales:

« Nos joveomne, quam dius que nos estam,

De gran follia per folledat parlam,

Quar no nos memora per cui viuri esperam,

Qui nos soste, tan quan per terra annam E qui nos pais que no murem de fam,

Per cui salves m’esper, pur tan qu’ell daman.

Nos jove omne menam tan mal jovent,

Que us non o preza sis trada son parent Senor, ni par, sill mena malamentnbsp;Ni lus vel l’ailre, sis fai fals sacrament;

Quant o fait, mica no s’en repent Et ni vers Deu non fait emendament...

(Nous tous, tant que nous sommes jeunes, nous ne faisons que des folies et ne coramettons que desnbsp;erreurs, et nous ne nous souvenons point de Geluinbsp;qui nous fait vivre, nous soutient pendant que nousnbsp;marchons k travers la vie, et qui nous repalt afinnbsp;que nous ne mourions pas de faim -, Gelui que j’in-voque sans cesse, et par qui j’espère mon salutnbsp;éternel.

Nous, jeunes hommes, nous raenons mal notre jeunesse. L’un trahit son seigneur, son parent, sonnbsp;père, son ami; I’autre fait méchancelés, vilenics etnbsp;faux serraents k foison, et ni I’un ni I’autre ne s’ennbsp;repentent, ni I’un ni I’autrc ne se corrigent...)

Tout cela est d’une haute éloquence et d’un austère langage. Tout cela est digne du philosoph


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SUR LES ROMANS DE CHEVALERIE. 9

a propos duquel c’est écrit. Le souffle court sur ces vers: c’est la raison qui parle èi des fous. HélasInbsp;les fous persistent, — afin de donner prétexte k lanbsp;raison de persister aussi.

J’ai soulijziié è dessein certains mots, certaines phrases. Quar est la conjonction frangaise cgtr,-pais, c’est la troisième personne de l’indicatif dunbsp;verbe fraugais rqmüre; parent est le substautifnbsp;francais parent; s’en repent est une constructionnbsp;toute frangaise; quant est l’adverbe frangais quand;nbsp;menam tan mal jovent est une forme grammaticalenbsp;toute moderne, mener mal sa jeunesse, etc., etc.nbsp;Nous n’cn finirions pas si nous voulions citer d’au-tres idiotismes, d’autres formes grammaticales pu-rement frangaises, qui se trouvent dans le courantnbsp;de ce poëme, telles que : Guérir son corps et sonnbsp;dme, faire semblant, jeter en prison, tenir pour seigneur, ne faire que mal penser, bdti de foi et denbsp;charité, se faire petit, etc., etc., etc. Je renvoie lesnbsp;curieux au manuscrit de la Bibliothèque d’Orléans.

Après le poëme sur Boëce, vient un roman com-posé par Philoména,«lequel livre contient l’histoire de la prinse des villes de Narbonne et de Carcassonne par Gharlemaigne, » — comme le dit Guillaume de Gatel, dans ses Mémoires du Languedoc.

Après le roman de Philornéna, les Chansons de Geste, les romans de chevalerie,les poëmes anglo-normands, les actes publics, les sermons. Mais lenbsp;Romanum rusticum est loin déjè, la langue d’Oil estnbsp;arrivée, dégagée k peu prés de ses broussailles la-tines, avec son corlége d’articles, de déclinaisons,nbsp;de conjugaisons, d’adverbes, avec sa physionomie,nbsp;— avec son originalité, en un mot. Sa vieille rivalenbsp;lutte encore; mais la langue romane du nord estnbsp;jeune, hardie, avenlureuse,— k elle l’averiir, è ellenbsp;le mondei Les savants seuls entendent le latin;nbsp;mais personne ne le parle plus. La langue romane,nbsp;au contraire, devient la langue de la foule, pareenbsp;qu’elle est devenue la langue des écrivains, desnbsp;poëtes, des trouveurs. Laissez-la faire, laissez-lanbsp;grandir k son aise, laissez-la se développer en li-berté, et ses allures vont prendre plus de vivacité,nbsp;plus de hardiesse, plus de grace encore : elle vanbsp;devenir la langue de Thibault de Champagne, denbsp;Guillaume de Lorris et de Joinville; puis la languenbsp;de Christine de Pisan et de Froissard; puis la languenbsp;de .Monstrelet, d’Alain Ghartier, de Charles d’Orléans et de Frangois Villon; puis la langue de Clément Marot, de Frangois Rabelais et de Mathurinnbsp;Régnier; puis la langue de Jacques Amyot, de Pierrenbsp;de Brantóme et de Pierre de Ronsard; puis la langue de Wichel de Montaigne, de Pierre Charron etnbsp;d’Etienne de la Boëlie; puis la langue de Blalherbe,nbsp;de Balzac, de Pascal, de Descartes, de Bossuet, denbsp;Corneille, de Racine, de La Fontaine, de Molière, donbsp;Mallebranche, de Labruyère, de Fénelou; puis lanbsp;langue de Buffon, de Voltaire, de Jean-Jacquesnbsp;Rousseau, de Denis Diderot; puis la langue desnbsp;deux Ghénier, de Chateaubriand, de Volney, de madame de Staël, de madame de Genlis, de Laclos, denbsp;Baour-Lormian et de Luce de Lancival; puis enfinnbsp;la langue do Victor Hugo, de Lamartine, de Béran-ger, de Paul-Louis Courier, de La Mennais, d’Ho-noré de Balzac et de George Sand.

IV

Mais comme je n’écris pas précisément l’histoire littéraire de la France, on me permettra de rovenirnbsp;è raon point de départ, — c’est-h- dire aux romansnbsp;de chevalerie.

J’y revions done.

Les romans, en général, sont beaucoup plus lus que les histoires, et leurs lecteurs sont beaucoupnbsp;plus jeunes — et plus intéressants aussi, paree quenbsp;ces lecteurs-lk sont ordinairement des leclrices.nbsp;L’Iiistoire est une pédante, mal habillée de corps etnbsp;de visage, rogue et marmiteuse, sombre et maus-sade, qui ignore la grace et qui n’a jamais su sou-rire. La Fable est une fée rayonnante de beauté,nbsp;une cliarmeresse court-vêtue, qui conduit on nenbsp;sait pas oü, dans des abimes charmants — oü Tonnbsp;oublie la vie. Pour aimer l’une, il faut n’avoir plusnbsp;ni dents, ni cheveux, ni illusions, ni rien du tout.nbsp;Geux qui aiment l’autro sont dignes d’etre airaésnbsp;eux-mêmes. Voilé toute la différence.

Viande creuse, soit. 'Mais on se contente de si peu, k virigt aiisl Vingt ans, n’est-ce pas l’age oünbsp;l’on vit « d’araour et d’eau fraiche,» — comme disent ironiquement les vieux et les vieilles qui viventnbsp;de tisanes et de racahout des Arabes? G’est unenbsp;bonne chose. Peau fraiche 1 Meilleure chose encore,nbsp;l’amour! Et les romans, done?...

Je l’ai dit en commehgant: Les contes, les romans, les rêves, sont le Paraclet dans lequel on doit se réfugier pour se soustraire aux trivialitésnbsp;écoeurantes et aux réalités monstrueuses de la vie.

II y a romans et romans. II y en a qu’on declare immorauxetqui sont innocents coinmedes agneaux;nbsp;d’autres, au contraire, sont tenus pour raoraux, quinbsp;sont malhonnêtes en diable. La morale est unenbsp;monnaie comme une autre : chaque epoque lanbsp;frappe a son effigie et lui donne un cours force, —nbsp;jusqu’au jour oü celte morale d’or, d’argent ou denbsp;cuivre se trouve démonétisée et jetée au grandnbsp;creuset du bon sens, ou placée dans un médaillernbsp;comme objet de curiosité. Qui de nous n’a, dans sanbsp;tête, une collection plus ou moins riche de morales?

II est bien entendu qu’ici je ne parle pas le moins du monde de la morale élernelle, — cette lampenbsp;sacrée qu’est chargée d’entretenir cette vestalenbsp;qu’on appelle la conscience humaine. La vraie morale n’a rien é voir Ut dedans.

Quebpies écrivains chagrins ont condamné les romans de chevalerie comme immoraux, sous lesnbsp;prétextes les plus étranges et les plus puérils, et ce


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ETUDE

n’est pas de leur faule si les manuscrits et les incu-1 nabies de la Bibliothèque impériale sont encore intacts. Les lauriers d'Omar ont dü plus d’une foisnbsp;erapècher de dormir ces sages renfrognés qui bla-nient les fruits verts paree qu’ils n’ont plus de dentsnbsp;pour mordre aprèsl

Je ne défendrai pas les romans de chevalerie — qui se défendent trés bien d’eux-mêmes. Je me con-tenterai de les annoncer—èceux qui d’aventure nenbsp;les ont pas lus —comme des romans curieux, trésnbsp;curieux, excessivement curieux è tous les titres.

Ainsi, cl coté des luttes grandioses, des combats gigantesques, des prouesses épiques, — auxquelsnbsp;prennent part tous les preux du roi Artus et tousnbsp;les vaillants chevaliers de l’empereur Charlemagne,nbsp;robustes coeurs dans de solides armures, — il y anbsp;toute une série de fées et d’enchanteurs, de bellesnbsp;filles et de nains aimables, Morgane et Obéron, Mé-lusine et Esterelle, Viviane et Merlin, fabricateursnbsp;d’elixirs de longue vie, marchandes de philtresnbsp;amoureux, sirènes et providences, abimes et paradis 1...

Pour moi, qui revois sans cesse

La lumineuse fleur des souvenirs lointains,

je ne sais pas beaucoup de livres aussi attrayants, aussi merveilleux, aussi amusants, car Ie rire s’ynbsp;mêle k la terreur, les grands coups de vin auxnbsp;grands coups d’épée, les gaberies aux maledictions,nbsp;les baisers d’araoureux aux incantations fantasti-ques, — et l’on sort de ces romans de chevalerienbsp;comrne on sort d’un rêvet...

Je n’aurais pas loin amp; aller pour chercher et trou-ver mes preuves : je n’ai qu’i tourner les feuillets au hasard, — assuré d’avance de tomber sur unenbsp;situation savoureuse é l’imagination.

Connaissez-vous, par exemple, quelque chose de plus frais, de plus gracieux, de plus poétique que Ienbsp;commencement de Guérin de Montglave: « G’étaitnbsp;k Tissue de Thiver, è cetle époque de Tannée oünbsp;commence Ie joii temps de priraavèrc, oü Ton voitnbsp;les arbres verdoyer et leurs fleurs s’épanouir, oünbsp;Ton entend les oisillons chanter si joyeusement,nbsp;que les cceurs tristes, pensifs et dolents s’en réjouis-sont eux-mêmes malgré eux, et délaissent, sans s’cnnbsp;douter, leurs fócheux pensements et leurs vilainesnbsp;songeries. »

Tout Ie roman continue sur ce ton et de ce style auquel je n’ai rien changé, par respect pour sonnbsp;éloquente simplicité. II y a Ti-dedans une vraie mèrenbsp;et un vrai père, — Mabillette et Ie vieux due Guérin.nbsp;11 faut voir comme elle pleure, la pauvre femme, aunbsp;départ de ses quatre beaux enfants auxquels sonnbsp;mari vient de reprocher rudement leur oisiveté.nbsp;Elle voudrait les garder toujours auprès d’elle,nbsp;n dans son giron, comme s’ils étaient poussins ünbsp;peine éclos. » Mais Ie vieux due, un compagnon denbsp;Charlemagne, trouve qu'il est temps « qu’ils aillent

leurs erres. » Comme il y a lü-dedans un sentiment profond de la familie 1 La mère pleure, mais elle senbsp;résigne, paree que son mari — « soiii seigneur etnbsp;maitre »—a parlé. Les quatre fils aiment leur mère,nbsp;mais ils obéissent, paree que leur père a parlé.nbsp;Bonne chance, jeunes éperviers 1nbsp;Les dernières pages de Guérin de Montglave sont,nbsp;k mon estime, un chef d’oeuvre. Elles contiennent Ienbsp;récit de la faraeuse défaite de Roncevaux,—ce Waterloo de Tempereur Charlemagne. II y a lü trois ounbsp;quatre cent lignes qui valent des volumes, et je nenbsp;connais pas d’historien qui soit jamais arrivé è cettenbsp;male éloquence, è cette grandiose poésie, qui vousnbsp;tient Ie cceur battant pendant tout Ie temps quenbsp;dure Ie récit navrant de cette sanglante bataille.

Les Sarrasins s’avancent, « menant un grand bruit.»Ils sont deux cent mille, — et Tavant-gardenbsp;de Tarmée de Charlemagne, commandée par Roland, a tout au plus vingt mille hommes. Avais-jenbsp;raison de comparer Roncevaux ü Waterloo?

Les Sarrasins s’avancent. Les compagnons de Roland, un peu effrayés par cette avalanche humaine qui les menace, Ie supplient de sonner du cor pournbsp;que son oncle vienne ü son socours.

« — Seigneurs, » — répond Théroïque Roland, — « Charlemagne est trop loin ; il ne m’entendraitnbsp;pas. Aucun de vous n’a voulu aller vers lui lorsqu’ilnbsp;en était temps encore; il s’agit de mourir debout,nbsp;comme de vaillants chevaliers que nous sommes...nbsp;Mourons done ici, compagnons, puisque c’est Ienbsp;bon plaisir de Dieu 1... »nbsp;lis meurent tous, en effet, les uns après les au-tres, — mais comme des héros, en luttant jusqu’ünbsp;leur dernier souffle, en essayant d’éclaircir, dunbsp;trongon de leurs vaillantes épées, les rangs des Sarrasins « plus nombreux que les sables de la mer,nbsp;plus nombreux que les brins d’herbe des plaines.»

II ne reste bientót plus autour du preux Roland qu’une poignée de chevaliers,—-parmi lesquels Olivier et Tarchevéque Turpin.

« Cependant, au bout de quelque temps, en face de ce sinistre champ de bataille, oü étaient couchés,nbsp;endormis pour Téternité, dix-huit è dix-neuf millenbsp;de ses compagnons, Ie brave Roland se résolut amp;nbsp;faire ce è quoi il s’était si obslinément refusé jus-que-lè : il sonna du cor.

« Le cor disait: Charles, roi Charles, empercur Charles, venez, venez, venez vitemont, car aujour-d’hui celui que vous airnez le mieux au monde seranbsp;mort!...

« Roland sonna par trois fois du cor; il en sonna avec une telle force qu’une de ses veines se rompit,nbsp;et que le sang vint écumer en une mousse rosée surnbsp;ses lèvres...

« — Compagnon, lui cria en ricanant Marsille, le roi païen, vous avez corné pour néant! »

Marsille a raison : Charlemagne n’entendra pas le son du cor, — et il ne viendra pas au secours de


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SUR LES ROMANS DE CHEVALERTE. n

ses preux. 11 faut décidément mourir IJj, et ils y meurent.

C’est d’abord Olivier, quo son fils Galien vient de retrouver.

« Galien s’apercut alors qu’Olivier changeait af-freusement de visage. De vermeil comine feu qu’il dlait d’abord, il devint tout-Si-coup vert comraenbsp;feuille, puis noir comme charbon.

« — Père! père! s’écria-t-il, vous mourez done? Ahl cher père, il faut nous quitter ici-bas, je le voisnbsp;bien... Je prie Jésus-Christ qu’il vous veuille reco-voir en sa gloire de Paradis, ear vous en êtes plusnbsp;digne que nuls au monde, vous et vos vaillantsnbsp;compagnons...

« Lors il lui prit la têfe en son giron et le baisa plus de cent fois. Olivier était mort.

« — Beau fils, dit a .son tour Roland d’une voix qu’on entendait h peine, n’oublie pas de saluer Bel-leaude en mon nom, et de lui dire que je I’ai aiméenbsp;jusqu’k la dernière minute de ma vie mortelle...nbsp;Prie-la de ne jamais se marier... Qu’elle entredansnbsp;une abbaye et y consacre sa vie au Seigneur... et ènbsp;mon souvenir... De cette fagon, peut-êtrepourrons-nous nous revoir encore quelque part... IJi oü vontnbsp;les créatures qui ont aimé et n’ont pas su haïr...nbsp;Adieu!..,

« — Sire, répondit Galien navré, ne vous inquié-tez (le rien... je ferai religieusement votre message auprès de votre mie... mais j’ai peur qu’elle nenbsp;meure de deuil en l’apprenant, car elle vous aimenbsp;de bon co^ur...

« —Ainsi soit-il 1 raurmura Roland, en se roidis-sant dans une dernière convulsion.

« Galien se pencha sur lui et le baisa au front: Roland était mort.

«II alia vers l’archevêque Turpin.

« — Beau fils, rala ce vaillant homme, n’oublie pas de saluer Charlemagne de ma part,..

« Et, cela dit, il expira. »

Est-co suffisamment éraouvant, tout cela? Ges rudes hommes d’autrefois savaient-ils mourir?

Savaient-ils aimer aussi? Ahl Jacqueline! Ah! Belleaudel répondez pour moi.

« Charlemagne se rendit au palais, oü il manda Belleaude, qui accourut. Le vieux roi l’attira sur sanbsp;poitrine, la baisa au front et lui dit:

^ « Belle amie, savez-vous de quoi je vous prie? C est de ne point vous dolenter outre mesure de cenbsp;que je vais vous apprendre...

« Et qu’avez-vous done amp; m’apprendre, Sire ?... demanda Belleaude, pale et tremblante.

« — Vous avez perdu Roland, votre ami, et Olivier voRe frère, traltreusement occis a Roncevaux 1 répondit Charlemagne, en embrassant de nouveaunbsp;belleaude.

«Quand elle eut entendu cette cruelle parole, öut le sang de son corps se changea et retourna, etnbsp;® tomba tout de son long ü terre, morte.

« — Quelle piteuse flnl murmura Charlemagne en contemplant la pauvre Belleaude. Ah! Ganelon!nbsp;Ganelon 1 comme je te ferai mourir vilainement 1...»

Voilü pour Guérin de MonUjlme. Roman « immoral, » n’est-ce pas?

II y en a encore d’autres! Mélusine, Tristan de héonois, Huon de Bordeaux, Pierre de Provence,nbsp;Ogier le Danois, etc., etc.

Mélusine est un roman fait au xiv® siècle sur la légende populaire, et il a été, pendant longtemps,nbsp;aussi populaire que la légende. Je ne sais pas si Mé-lusine est«immorale;»je sais seulement que cettenbsp;pauvre serpente m’a vmlemment intéressé dans manbsp;prime-jeuaesse, et que j’ai souvent envié le sortnbsp;de son bel ami Rairaondin, — malgré le chatimentnbsp;navrant qui punit sa curiosité.

D’abord Mélusine est fllle de fée, ce qui a son charme; ensuite elle est riche comrne il n’est permis ü personne de l’être; puis, — et c’est ce quinbsp;vaut le mieux,—elle est d’une beauté non-pareille,nbsp;qui ne se flétrit pas un seul instant, malgré les an-nées qui s’accumulont sur sa tête et malgré les en-fants qui sortent de ses flancs charmants. Elle estnbsp;grand’mère, et elle est toujours aussi belle que Ienbsp;jour OU Raimondin l’a rencontrée dans la forêt denbsp;Colombiers, prés de la Fontaine-de-Soif, par unenbsp;lune « claire-luisante, s’ébattant sur l’herbe en compagnie de deux gentes dames blanches. » Ninon denbsp;Lenclos avait trouvé le moyen d’être encore sédui-sante è quatre-vingts ans; Mélusine, plus favorisée,nbsp;trouve moyen d’être belle et jeune a l’ège oü lesnbsp;femmes sont vieilles et respectables : quoi qu’ellenbsp;fasse, elle a toujours vingt ans!

Ce roman venge Eve, Pandore, Psychó, Sémélé, — toutes les curieuses profanes et sacrées. Raimondin est heureux; il est aimè d’une femmenbsp;charmante, il est riche, il est père, il a tout cenbsp;qu’on peut désirer de bonheur en ce monde : ilnbsp;faut que la curiosité vienne le mordre au coeur 1nbsp;Pendant vingt ans, il n’a pas songé un seul instantnbsp;è s’inquiéter de ce que Mélusine pouvait faire lenbsp;samedi. Mais voilü qu’un jour le soupgon entrenbsp;dans son esprit, — « soupgon amer comme fiel,nbsp;ardent comme braise, aigu comme acier 1 » II veutnbsp;voir et savoir 1

« Raimondin, pMe et tout en sueur, regarda devant lui, par le pertuis qu’il avait fait, etil aper-gut Mélusine toute nue, blonde et merveilleuse denbsp;beauté, qui s’ébattait au soleil dans une large cuvenbsp;de marbre blanc, bordée d’arbres épais sur les ra-,nbsp;mures desquels chantait un peuple d’oiseaux ra-res... A un mouvement plein de grêce que fit Mélusine, et qui découvrit la parlie de son corps quinbsp;baignait dans l’eau de la piscine, Raimondin re-


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12

ETUDE

marqua avec étonnement que cetle partie du corps se terminait en queue de serpent... »

Hélas! voilé quel élait Ie secret de la pauvre Mélusine : femme pendant six jours de la semaine,nbsp;elle devenait serpente le septième jour, — pournbsp;expier je ne sais quelle faule commise par ellenbsp;avant son raariage.

II faut lire les mélancoliques reproches de Mélusine é Rairnondin :

— nbsp;nbsp;nbsp;«Mon doux ami, lui dit-elle, Dieu vousnbsp;veuille pardonner cette fauteque vous avez commisenbsp;au prejudice de notre mutuel repos et de notrenbsp;mutuel bonheurl... IIle peut, lui qui est omnipotent, lui qui est le vrai juge et le vrai pardonneur,nbsp;lui, la légitime fontaine de pitié et de raiséricorde...nbsp;Quant é moi, vous savez bien que je vous ai par-donna de bon coeur, puisque je suis votre femmenbsp;et votre araie... Mais, pour ce qui est de ma de-meurance avec vous, c’est tout néant: Dieu ne lenbsp;permet...

— nbsp;nbsp;nbsp;« Pour Dieu et pitié 1 s’écria Rairnondin,nbsp;veuillez demeurer, ou jamais plus je n’aurai joienbsp;au coeur...

_ « Adieu 1 adieu 1 adieu 1 répondit Mélusine

en se penchant vers Rairnondin et en 1 accolant doucement. Adieu, mon ami, mon bien, monnbsp;coeur, ma joie 1 Tant que tu vivras, j’aurai, quoi-que absente de toi, bonheur é te voir et é te ren-

dre heureux..... Mais jamais, au grand jamais, tu

ne me verras en forme de femme.....Adieu done,

raoitié de mon ame! Adieu done, moitié de ma vie 1...

« Lors done qu’il était heure de partir, malgré que tout la retint Ié, elle s’élanoa incontinent horsnbsp;de la fenêtre sous forme d’une serpente ailée, longue d'environ quinze pieds, au grand ébahisse-raent de la compagnie. »

Voila pour le roman de Mélusine, — tout aussi immoral que Guerin de Montglave, comme on voit.

Les puritains se sent escrimés surtout coiitre Tristan de Léonois et contre Lancelot du Lac, —nbsp;et, h cause de cela, je serais tenté de les préférernbsp;aux autres, s'il pouvait y avoir des préférencesnbsp;pour ces romans si pleins d’attraits, depuis le premier jusqu’au dernier 1

Les puritains en question n’aiment pas les gens qui s'airnent, — et Ton conjugue beaucoup lenbsp;verbe amare dans Tristan de Léonois et dans Lancelot du Lac. Aimez-vousl aimez-vous toujours,nbsp;jeunes hommes et jeunes femmes 1 ïoule la vienbsp;est li.

Je ne suis pas seul de mon avis a ce propos, comme bien vous pensez. M. Paulin Paris, dans sesnbsp;Notices sur les manuscrits de la Bibliothèque impériale, fait uu grand éloge du Tristan. Quant aunbsp;Lancelot, voici ce qu'en dit M. Léon Plée dans sonnbsp;excellente Introduction au Glossaire francais polyglotte : « Le Lancelot est faible d’intrigue, maisnbsp;d’un style admirable, clair, limpide, incidenté,nbsp;plein d’une foule de mots fort jobs qui font imagenbsp;et somblent tout nouveaux, soit par leur composition, soit par leur emploi, soit par leur forme elle-même. Un (rès grand nombre de sentences, d’axio-mes amoureux, ont passé de cette oeuvre dans lesnbsp;livres qui Pont snivie. Quelques passages sent im-prégnés d’un parfum de gaité qui donne la mcil ¦nbsp;leure idéé de ce que Ton nomme I’ancienne gaiténbsp;francaise. »

Quant aux reproches d’immoralité, néant!

Si ces romans de chevalerie sent licencieux, ils ne le sent qu’é la fagon des rossignols.

VI

M. Léon Plée parle du « style admirable » de Lancelot du Lac, et de la « foule de mots fort jobs » qu’on y rencontre. II a raison, et ce qu'il ditnbsp;de ce roman, i! aurait pu le dire aussi des autres.nbsp;G’est pour qu’on en püt juger é coup sur que j’ainbsp;cité quelques passages de Mélusine et de Guerinnbsp;de Montglave.

Gar, quoique ce ne soit pas le style primitif dans toute son intégrité, — style plein de saveur,nbsp;seulement pour les lettrés,—j’ai fait tous mesnbsp;efforts pour lui conserver sa naivete, sa gréce, sanbsp;bonhomie, son originalilé, en un mot. Ai-je réussi?nbsp;Les lecteurs prononceronf.

II y avaitla un ccueil. Ges romans de chevalerie sent intéressants comme fond et comme forme.nbsp;Même traduits bbrement, — comme quelques-unsnbsp;Pont été par le comte de Tressan, — ils eussentnbsp;conserve quelques-unes de leurs séductions, cellesnbsp;de leur fabulation; mais eet accent, ce parfum,nbsp;cette saveur qu’ils ont dans leur langue du xii® ounbsp;du xiv^ siècle, comment la leur conserver ?

A cela je n’ai vu qu’un moyen, é savoir de suivre pas a pas et de traduire mot k mot le manuscrit ounbsp;le roman primitifs. De cette fagon, si ce n’est pasnbsp;le vêtement exact du xii' siècle, du moins ce n’estnbsp;pas le costume du xix' siècle. Les vieilles chansonsnbsp;doivent être chantées sur de vieux airs !

Une OU deux phrases entre mille, — comme exemples:

« Quant il vist l’espée que il tenoit é si bonne, il soup re fort, puis dit; Ha espée, que ferés vous desnbsp;oresrnais! Nelepuisplus céler,jesuis vaincus.Lorsnbsp;commence é plourer trop plus durement qu’il nenbsp;fist aulrefois, et quant il a assés efforcéement pleuré,nbsp;il dit, etc., elc. «

Lesqueiles phrases j’ai traduites par :

« Quand il vit sa vaillante épée, il soupira et dit :

— « Ah ! raon épée, que ferez-vous désormais ? car, je ne le puis plus céler, ma vie est finie!...

« Lors il recommenga è pleurer plus araèrement qu’il n’avait fait jusque-lé, et quand il eut, etc. »

Le procédé est aussi simple que peu coüteux. Je


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SUR LES ROMANS DE CHEVALERIE. 13

1’ai presque toujours suivi avec la même fidélité, — excepté toutefois pour la traduction de quelquesnbsp;endroits indéchiffrables dans les manuscrits. II a eunbsp;pour moi eet avantage de me perraettre de conser-ver une foule d’expressions adorables, tombées ènbsp;tort en désuétude, et une foule de mots énergiquesnbsp;et pittoresques que je regrette de ne plus rencon-trer dans la circulation,

Ainsi, j’ai conserve : Sonnermot, pour 'parler; sous ombre de, pour sous prétexte de; souventes fois,nbsp;pour souvent; toutes et quantos fois, pour toutes lesnbsp;fois que; par ainsi, pour ainsi, par conséquent; dnbsp;l'accoutumée, pour de coutume; encore que, pournbsp;quoique; n'engendrer point de mélancolie, pour êtrenbsp;d'humeur gaie; une jeunesse, pour une jeune fiUe ;nbsp;s'entreconnaitre; entreouïr; être attaché d’une grossenbsp;chaine; Ie vouloir, pour la volonté; marmiteux, pournbsp;ennuyé; s'ébahir, pour s'étonncr; perlurber, pournbsp;occasionner du désordre; réconforter, pour réjouir;nbsp;déconforter, pour chagriner; plaisant, pour agréa-ble; mener mal sa jeunesse; tenir pour seigneur;nbsp;faire semblani; bdtir de foi et de charitó; trouvernbsp;bon; se faire petit; guérir son corps et son dme;nbsp;déambuler, pour se promencr; s’esclaffer, pour écla-ter de rire; gabeler, pour railler; remembrer, pournbsp;se souvenir; accoler, pour embrasser; bailler, pournbsp;donner; rancaur, pour rancune; et cent autres forces grammaticales qui datent des premiers joursnbsp;de la langue d’Oil, et qu’on a cru devoir remplacernbsp;depuis, — je ne sais trop pourquoi, puisque cesnbsp;formes-lk suffisaient et qu’elles disaient éloquem-nient ce qu’elles voulaient dire.

« Toutes les langues roulent de l’or, » dit trés bien M. Joubert dans sa magnifique Etude sur Ienbsp;Style. La langue romane surtout, notre langue nationale, Pourquoi la langue franpaise d’aujourd’huinbsp;est-elle moins riche que la langue franpaise d’autre-tois? Pourquoi a-t-elle cbangé son or contre dunbsp;cuivre? Ah 1 il serait bien temps, è ce qu’il me sem-hle, de la retremper aux sources fortifiantes dontnbsp;6lle s’est éloignée si dédaigneusement. « Rendrenbsp;3UX mots leur sens physiqiie et primitif, — dit encore M. Joubert, — c’est les fourbir, les nettoyer,nbsp;leur restituer leur clarté première; c’est refondrenbsp;cette monnaie et la remettre plus luisante dans lanbsp;Circulation •, c’est renouveler, par Ie type, des em-Pceintes effacées. Remplir un mot ancien d’un sensnbsp;Nouveau dont l’usage ou la vétusté l’avait vide pournbsp;ainsi dire, ce n’est pas innover, c’est rajeunir. Onnbsp;cnrichit les langues en les fouillant. II faut les trai-ter comme les champs : pour les rendre fécondes,nbsp;?uand elles ne sont plus nouvelles, il faut les remuernbsp;n de grandes profondeurs. »

^ A ces causes, j’ai respecté les vieux mots — dont caucoup sont si nouveaux 1 A ces causes, j’ai con-P^écieusement les vieilles expressions qui ontnbsp;®^®inence plus vraie que celle de beaucoupnbsp;c res expressions modernes. On ne trouvera pas, ,

dans ces romans, Ie style flévreux, exubérant, extravagant, que l’on trouve dans les romans ordi-naires; mais, tout au contraire, un style simple, naïf, — expressif comme amour et comme colère,nbsp;éloquent comme tendresse et comme fierté. Lesnbsp;beaux sentiments n’ont pas besoin d’oripeaux; lesnbsp;grandes pensées n’ont pas besoin d’être traduitesnbsp;par des phrases è grelots et è pompons, orgueilleu-ses comme des mules espagnoles.

VII

Je regrette de n’avoir pu traduire sur l’ceuvre première, sur les poëraes romans ou sur les poëmesnbsp;latins, composés longtemps avant l’invention denbsp;l’imprimerie. Je Ie regrette, paree que ces poëmes-lè sont plus beaux encore, plus grandioses, plusnbsp;éloquents, que les romans en prose. Je parlais toutnbsp;è rtioure de l’épisode de la bataille de Roncevauxnbsp;qui SC trouve dans Guérin de Montglave : c’est unnbsp;épisode émouvant, certes, et peu d’écrivains sau-raient atteindre h ce pathMique. Ge n’est rien au-près du poëme de Thurold, la Chanson de Roland /nbsp;De même pour Ogier-le-Banois, de même pour lanbsp;plupart des autres romans de chevalerie.

Mais je ne pouvais traduire des vers picards ou de la prose latino en prose francaise; cela n’attei-gnait pas Ie but que s’était proposé 1’éditeur do lanbsp;Bibliothèque bleue, qui voulait faire lire aujourd’huinbsp;les romans qui ont été lus en Europe jusqu’ê la finnbsp;du XVI® siècle, — c’est-ê-dire les romans en prose,nbsp;manuscrits et incunables. J’ai done dü traduire surnbsp;les manuscrits et sur les incunables que possède lanbsp;Ribliothèque impériale.

Les poëmes sur lesquels ont été faits les romans en prose ne remontent guère au delê du xi® siècle.nbsp;Ils ont été faits eux-mêmes sur les Chansons de Geste, — écrites en mauvais latin, puis dans les diversnbsp;idiomes qui se formaient alors, — lesquelles Chansons célébraient les gestes, les faits, les dits, les actions d’éclat, h mesure qu’ils avaient lieu.

G’était l’époque des grandes guerres et des grandes boucheries de nations è nations : c’était Ie Moyen Agel Les Wisigoths d’Alaric, les Francs denbsp;Glovis, les Huns d’Aüila, les Suèves de Radagaise,nbsp;les Vandales de Genseric, — tous les Rarbares! —nbsp;envahissaient les Gaules et s’y établissaient petit ènbsp;petit, de par la loi du plus fort. Puis Gharles-Martelnbsp;vainquait les Sarrasins, Pépin-le-Bref marchait contre les Saxons, Gharlemagne guerroyait contre lesnbsp;Lombards, Roncevaux arrivait 1 Puis encore, lesnbsp;Gascons, les Normands, les Hongrois, les Alle-mands, les Arabes, les Groisades! La terre réson-nait comme un tonnerre sous les pas pesants de cesnbsp;nombreuses armées de conquérants et de conquis l

II fallait bien chanter tout cela 1

De lê les trouvères, de lê « cette nuée de chanteurs qui, depuis Ie ix* siècle jusqu’au xvi% vont


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14

ETUDE

nous coraposant une foule de chants, d’histoires, d’épopées, — admirables inspirations de notre na-tionalité naissante, que nous avons répudiées aunbsp;XVII*, pour faire de l’antiquité grecque etlatine notre champ de culture poétique. »

De la, enfin, les romans de chevaleric.

VIII

11 y a quatre divisions importantes è établir parmi ces norabreux romans que nous rééditonsnbsp;aujourd’hui. Les uns appartiennent au cycle denbsp;Charlemagne, les autres sont les Romans de lanbsp;Table-Ronde; puis viennent les Romans des Neufnbsp;Preuoó et les Romans des Amadis.

Les premiers sont:

La Chronique de Turpin, oü Se trouvent racon-tés les exploits de Roland ét sa mort i Roncevaux.

Beuves de Hantonne, dont Taction est antérieure au règne de Charlemagne.

Les Quatre fils Aymon, qui reproduisent assez fidèlement les luttes opinidtres qui s’élevaientnbsp;entre Ie prince suzerain et ses grands vassaux, aunbsp;temps de la féodalité.

Maugis d‘Aigremont, qui est consacré au récit des mèchants tours que ce « négroraant »joue aunbsp;roi Charlemagne.

Li Reali di Francia, roman italien qui est la traduction d’un texte francais, et oü sont conte-nues les origines royales de France, et les traditions fabuleuses relatives ü Roland.

Berthe-au-Grand-Pied, qui contient Ie récit des amours de Pépin-le-Rref, père de Charlemagne.

Guérin de Montglave, qui parie trés peu de Gué-rin de Montglave, et beaucoup de ses quatre fils, Renaud, Milon, Regnier et Girard. II y a aussinbsp;dans ce roman un hors-d’oeuvre qui s’appelle lanbsp;bataille de Roncevaux, — mais ce hors-d’oeuvrenbsp;est tout simplement un chef-d’oeuvre.

La Reine Ancroia, qui fait suite ü la Chronique de Turpin, et oü Ton voit figurer pour la premièrenbsp;fois une femme guerrière, une sorte de reine desnbsp;Amazones. Ce roman pourrait tout aussi biennbsp;s’appeller Guidon-le-Sauvage, puisqu’il est beaucoup question de ce fils batard de Renaud denbsp;Montauban. II est trés curieux.

La Chroniqu£ du chevalier Mabrian qui fait suite aux Quatre (ils Aymon, et oü commenQa la fusionnbsp;des romans Carlovingiens et des romans de lanbsp;Table-Ronde.

La Conquêie du grand roi Charlemagne des Espagnes, qui est Ie récit des fails et gestes de cenbsp;puissant monarque.

La Conquête de Vempire de Trébisonde, qui est Ie même ouvrage, k peu prés, que Ie précédent.

Huon de Bordeaux, oü Ton voit apparaitre Obéron, Ie roi de Féerie.

Boolin de Mayence, oü il est encore question des querelles de Charlemagne avec ses grandsnbsp;vassaux.

Gérard d'Euphrate, qui contient Thistoire des amours et des actions d’éclat de ce fils de Doolinnbsp;de Mayence.

Ogier-le-Danois, oü il est souvent question de la fée Morgane, qui protégé comme marraine et quinbsp;aime comme femme. Ogier est une sorte denbsp;Porthos, qui accomplit vaillamment toutes sortesnbsp;de prouesses, tant guerrières qu’amoureuses. 11 y anbsp;quelque chose de trés saisissant et de trés originalnbsp;dans cette fantaisie de Tauteur, qui consiste ü fairenbsp;dormir Ogier, pendant deux cents ans, dans lesnbsp;bras de Morgane, et ensuite ü Ie laisser revenirnbsp;dans la vie, « oü il trouve bien du changement. »

Meurvin, fils de Morgane et d’Ogier-le-Danois.

GalienRethoré, qu’on devrait intituler Galien-le-Restauré, dans lequel Charlemagne arrête Ie soleil, — é Tinslar de Racchus et de Josué.

Milles et Amys, un roman charmant qui fait pMir la renommée de tous les Damon et de tous lesnbsp;Pythias de la terre; c’est Ie poëme de Tamitié.

Girard de Slaves, fils d’Amys, est la suite naturelle du précédent roman.

Jourdain de Slaves, fils de Girard, est Ia suite des deux précédents romans.

Puis viennent Théséus de Cologne, Valentin et Orson, Gériléon d'Angleterre, Ponthus, Flores etnbsp;Slanchefleur, Fier-d-Sras, Milon d'Anglante,nbsp;Richard-sans-Peur, Robert-le-Diable, Guillaume-au-Court-Nez — et beaucoup d’autres, touchant denbsp;prés OU de loin ü Thistoire fabuleuse ou véridiquenbsp;de Charlemagne, Ie grand empereur d’Occident.

Les romans dits de la Table-Ronde sont:

Le Saint-Graal, qui contient Thistoire mysté-rieuse du saint vase apporté de Rome par saint Joseph d’Arimathie.

La vie et les prophéties de Merlin, contenant les fails et gestes de cet enchanteur célèhre, fondateurnbsp;de la chevalerie de la Table-Ronde. C’est un romannbsp;trés extravagant et trés intéressant.

Percevalrle-Gallois, histoire du chevalier prédes-tiné, du Golaad vaillant et chaste, chargé d’ache* ver les aventures du Saint-Graal. G’est un des plusnbsp;curieux romans de la Table-Ronde.

Lancelot du Lac est un des romans les plus charmants de cette série. La reine Genièvre est une bien agréable maitresse 1

Méliadus de Léonois, oü se trouvent d’amples renseignements sur tout ce qui se rattache k Thistoire des chevaliers de la Table-Ronde.

Tristan de Léonois, fils de Méliadus.C’est la suite naturelle du roman précédent. J’ai donné plusnbsp;haut, ü Tappui de mon opinion, celle de MM. Pau-lin-Péris et Lèou Plée.

Isaïe-le-Triste, fils de Tristan et d’Yseult, la blonde reine de Cornouailles, Tamie de la reinenbsp;Genièvre, la rivale d’Yseult-aux-Blanches-Mains.


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SUR LES ROMANS DE CHEVALERIE. 15

G’est dans ce roman qu’il est question d’un des avatars du roi de féerie Obéron, condamné, pournbsp;je ne sais quelles peccadilles, Èi passer un certainnbsp;temps sur la terre sous des formes laides et mes*nbsp;quines. Pauvre Tronc-le*Nain 1nbsp;Le Roman fait a la perpétnation des chevaliers denbsp;la Table-Ronde. Le titre est long, raais il a 1’avan-tage de dire tout ce que l’ouvrage contient. Entr’au-tres choses curieuses ^ on y trouve les noms desnbsp;trente-deux chevaliers de la Table-Ronde, qui sont;nbsp;Le roi Artus, — Lancelot du Lac, — Hector desnbsp;Mares, son frère, Lyonnel, leur cousin, —nbsp;Gauvain d’Orcanie, — Agravain, son frère, — Galerie, son autre frère, *— Galheret, son troisièmenbsp;frère, —le roi Méliadus, Tristan de Léonois,nbsp;son fils, — Bliombérls dö Cannes, — Greux, lenbsp;sénéchal d’Artus, — Baudoyer, son connétable, —nbsp;Sègurades, — Sagremor, — Gyron-le-Gourtois, —nbsp;Galehaut-le-Blanc, fllsd’Artus, — le roi Garados,nbsp;— Hardi-lé-Laid,— le Morhoult d’Irlande,— le roinbsp;Pharamond, — Palamède de Listenois, — Mordrecnbsp;d’Orcauie, — Brandelis,— Gyster, — Dinadam,—nbsp;Amand-le-Beau-Joüteur, — Perceval-le-Gallois, -Bréüs-sans-Pitié, — le due Houel, — Kercado, sonnbsp;sénéchal, — et, enfin, Arodian de Cologne, chroniqueur, qui assistait aux combats pour les décrire.

Gette liste, je l’ai donnée è dessein : elle m’évite ninsi Ténumération qu’il me restait k faire desnbsp;nutres romans de la Table-Ronde.

Quant aux romans dits des Neuf Preux, ils se composent de :

Les Neuf Preux,- les Chroniques de Judas Macho/-béus; Hector; Alexandre-le-Grand; les Trois grands, savoir : Alexandre, Pompée et Charlemagne; lanbsp;Généalogie, avec les gestes de Godefroy de Bouillon,-etc., etc.

Quant aux romans des Amadis... Mais nous leur réservons une notice spéciale, placée en tête dunbsp;volume, également spécial, que nous préparons ennbsp;ee moment.

Bestent maintenant des romans qui ne sont amp; classer dans aucune des quatre divisions indiquéesnbsp;plus haut: Olivier de Castille, Gérard de Nevers,nbsp;w Chevaliers du Soleil, Flores de Grèce, Gérard denbsp;oussillon, Jean de Paris, Pierre de Provence,nbsp;élusine, Cléomades et Claremonde, etc., etc. Genbsp;®ent des romans de chevalerie, trés intéressants,nbsp;ndè tout, et cela sufflt pour que nous les publiions,nbsp;comme nous publierons les principaux romansnbsp;c chevalerie des différents peuples, arabes, espa-Snols, scandinaves.

IX

adr^^^* ®®nrs de cette publication, il m’a été on certain nombre de lettres dans lesquellesnbsp;de f ^^niandait les noms des auteurs des romansnbsp;6valerie, et dans lesquelles aussi on relevait

certaines erreurs d’histoire et de géographie, assez graves, commises cè et lè dans les romans.

Je dois déclarer d’abord que j’ai respecté les textes que j’avais sous les yeux, — lesquels con-tiennent une quantité innombrable d’anachronismesnbsp;et de parachronismes, de bévues historiques et denbsp;bévues géographiquesi Je n’avais pas mission denbsp;chdtier ni d’expurger en aucune fagon ces texteSnbsp;manuscrits ou imprimés : j’aurais eu trop k faire,nbsp;en vérité, — et j’aurais détruit peut-êtfe un desnbsp;attraits de ces romans, è savoir la fantaisie. Si vousnbsp;traduisiez le Paradis-Lost, de Milton, supprimeriez-vous les passages oü il est question de Partillerie?

Ainsi,—pour ne preildre quequelques exemples au hasard, — l’auteur A'Huon de Bordeaux faitnbsp;mourir violemment Gharlot, fils de Charlemagne,nbsp;et Chariot mourut tranquillement dans son lit,nbsp;en 811, trois ans avant son père. II parle, aunbsp;VIII® siècle, de l’abbaye de Cluny, qui ne fut fondéenbsp;qu’au X® siècle. II parle d la raême époque, desnbsp;Cordeliers et des Glairettes, dont l’ordre ne futnbsp;fondé que quatre cents anS après. II place, en Arable, une Babylone qui n’a jaffiais existé que dansnbsp;son imagination, car, jusqu’a présent, je n’ai connunbsp;que la Babylone de la Chaldée, sur les bords denbsp;l’Euphrate, laquelle n’existait plus au viil® siècle.nbsp;II invente un port de Tauris, ce qui est assez difficile, Tauris étant au milieu des terres, trés loin dunbsp;golfe Persique, etc., etc., etc.

Tous les romans do chevalerie fourmillent de ces erreurs volontaires ou involontaires. Je les ai lais-sées, comme on laisse auX. bouteilles de bon vinnbsp;les toiles d’araignées et les moisissures qui attes-tent leur antiquité : c’est aux lecteurs de les eu-lever en les buvant, — je me trompe, en les lisant.

Je serai plus h mon aise pour répondre au para-graphe des lettres qu’on m’a fait l’honneur de m’envoyer, touchant les noms des auteurs de cesnbsp;romans, — quoique beaucoup soient anonymes etnbsp;qu’il me semble, en outre, que les noms importentnbsp;peu aux oeuvres. SaveZ-vous qui a construit Notre-Dame de Paris? Jean de Chelles, A ce qu’on pré-tend. Oui, Jean de Chelles, — ou un autre. Qu’im-porte? Notre-Dame est un merveilleux monument;nbsp;cela suflit.

Je vais dire ce que je sais.

Mélusine est un roman du xiv® siècle, composé par Jean d’Arras.

Judas Macchabeus est de Gh. de Saint-Gelais.

Lancelot du Lac, Perceval le Gallois, Le Chevalier du Lion, sont de Ghrestien de Troyes, l’AIexan-dre Dumas du xiii® siècle.

Jekan de Saintré est d’Antoine Lasalle , mort l’année de l’avénement de Louis XI, c’est-a-direnbsp;en 1461.

Gérard de Nevers est attribué k. Gibert de Mon-treuil, qui vivait au xiii® siècle.

Anseis de Carthage est de Pierre du Ries.


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16

ETUDE SUR LES ROMANS DE CHEVALERffi.

Le Chevalier au hel Écu est de Guillaume Gier, Normand.

Mërangis de Porlesquez est de Raoul de Houdan, c’est-k-dire du xiii® siècle.

Florimont a été composé en 1188 par Aimé de Varannes.

Le SaintrGraal est attribué k Hélie de Borron, qui vivait sous Heari II d’Aiigleterre.

Tristan de Léonois est attribué k Luces de Gast, qui vivait k la même époque et k la raême cour.

Berthe-aurgrand-Pied, Buève de Comarchis et Cléomades et Claremonde sont attribués au belnbsp;Adenès, ménestrel du due de Brabant Henri III.

Garin le Loherain est de Jean de Flugy, qui vivait k la même époque qu’Adenès.

Floret de Grèce est de Nicolas d’Herberay, seigneur des Essarts, traducteur des Amadis, lequel servait dans les premières charges de Tartillerienbsp;sous FranQois I®' et Henri H.

Gériléon d'Angleterre est d’Estienne de Maison-neuve, qui vivait k Ia raême époque.

Les Chevaliers du Soleil sont de Fr. de Rosset, qui vivait au xvi® siècle.

Les Quatre Fils Aymon, Renaud de Montauban, Maugis d'Aigremont, Beuves d'Aigremont, Boolinnbsp;de Mayence, Ciperis de Vineaux, sont attribués knbsp;Huon de Villeneuve.

Quant k Artus de Bretagne, Pierre de Provence, Ogier le Danois, Flores et Blanchefleur, etc., etc.,nbsp;il serait aussi difficile de leur assigner un noranbsp;d’auteur qu’une date d’apparition. Ils sont, —nbsp;voilk tout ce qu’on en sait. Le champ des conjectures est ouvert et chacun a Ie droit d’y faire sanbsp;moisson. Maigre raoissonl

Je dois ajouter que les noras d’auteur indiqués plus haut ne sont donnés que sous toutes réserves.nbsp;II y a eu pour ainsi dire, pour un seul de ces romans de chevalerie, autant d’auteurs qu’il y a eu denbsp;manuscrits. Comment s’y reconnaitre?

Ainsi, j’ai donné Ghreslien de Troyes, Hélie de Borron, Luces de Gast, comme les auteurs de lanbsp;plupart des romans de la Table Ronde. Or, ces ro-mans-lk avaieut été écrits en lalin, quelques sièclesnbsp;auparavant, par Ruslicien de Puise, — lequel lesnbsp;avaitlui-mêmetirés des fabuleuses chroniques bre-tonnes de Melchin et de Telezin.

Ge nest pas tout. Ghrestien de Troyes était un trouvère,—c’est-k-dire qu’il n’écrivait pas en prosenbsp;comme Hélie de Borron et Luces de Gast. Or, Lancelot du Lac, Perceval le Gallois, le Chevalier dunbsp;Lion, qui lui sont attribués, sont en prose. Comment cela s’explique-t-il?« A peine, —dit M. Léonnbsp;Plée, dans sa remarquable introduction au Glos-saire francais-polyglotte, — k peine les romans denbsp;le Table-Ronde avaient-ils paru dans leur versionnbsp;en prose, que les trouvères s’abattirent sur cettenbsp;riche mine de contes et de poésies. Ghrestien denbsp;Troyes fut au premier rang parmi ceux qui versi-fièrent les chefs-d’oeuvre des Borron et des Lucesnbsp;de Gast; il rima en partie le Lancelot sous le nomnbsp;de Roman de la Charette, mais il n’eut pas le tempsnbsp;d’achever un ouvrage que termina Godefroy denbsp;Leigny; il rima aussi, sous le nom de Perceval lenbsp;G«llow,une partie du Tmia» qu’acheva Manessier.nbsp;On lui attribué aussi un roman en vers du Roi Marenbsp;et de la Reine Yseult, pris au même Tristan. 11nbsp;ajouta d’ailleurs aux romans de la Table-Ronde, lenbsp;roman d'Èrec et d'Énide, le roman de Cliget, lenbsp;roman du Chevalier du Lion ou les Aventuresnbsp;d'Ivain, fils d'Urien. On lui a attribué enfin la traduction en vers du Saint Graal et un roman denbsp;Guillaume d'Angleterre. »

Pour ne pas exposer nos lecteurs k toraher de Charybde en Scylla, je déclarerai au plus vite quenbsp;les traductions faites aujourd’hui 1’ont été, soit surnbsp;les manuscrits, soit sur les incunables que possèdenbsp;la Bibliothèque impériale, et que nous n’avons riennbsp;emprunté —que le litre—aux déplorables édi-tions de la veuve Oudot, de Troyes. Imagerienbsp;d’Épinal, littérature de Troyes, — cela se vaut. IInbsp;y a Bibliothèque bleue et Bibliothèque bleue ! Geilenbsp;que l’on a connue jusqu’ici était cornposée de romans parfailement incohérents et imprimée avecnbsp;des têtes de clous sur du papier a chaiidelles. Nousnbsp;espérons qu’on ne fera aucun de ces reproches Ik knbsp;la nótre.

Me voilk arrivé aux limites extrêmes de cette Étude; le voyage a été long— et peut-être péniblenbsp;pour ceux qui Font fait avec moi. Mais, par bon-heur, les romans sont Ik, derrière cette page, pournbsp;réconforter les lecteurs.

Tournez la page!

Comme tous les ciceroni du monde, j’ai employé votre temps et le mien k vous parler du monument,nbsp;— et a vous empêcber d’entrer dedans pour le visiter k votre aise. Et, comme tous les ciceroni, jenbsp;ne me suis apergu de ma maladresse que lorsqu’ilnbsp;était trop tard pour la réparer. II ne me reste donenbsp;plus qu’k vous demand er pardon. Mes intentionsnbsp;étaient bonnes 1...

Ahl mes amis, —connus ou inconnus,—faisons et lisons toujours des contes I Tandis qu’on fait unnbsp;conté, on est gai, on ne songe k rien de facheux.nbsp;Le temps se passe, et le conté de la vie s’achèvenbsp;sans qu’on s’cn apergoive.

Alfred DELVAU.


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ÉTUDE

SLR CETTE NÜLVELLE TRADUCTION DES

\MADIS

Voici un livre espagnol qui pourrait bien ctre francais, —c’est-èi-dire picard. Nicolas d Herberay,nbsp;sleur desEssarts, lieutenant du rol Franeoisl®'^,ennbsp;sou gouvernement de Picardie, avouait 1 avoir traduit du caslillan, — tout en faisanl ses réservesnbsp;en faveur de sa nation. D’un autre c6té, cetle sérienbsp;des Amadis a été altribuée, tantót i un Portugais,nbsp;Vasco de Lobeira, tantót a un Italien, Féralite,nbsp;disciple de Pétrarque, tantót a un Espagnol, Garcias Ordognès de Montalvo; il y a même des savantsnbsp;qui prétendent que ce curieux ouvrage a été écritnbsp;originairemenl en langue grecque.

Voila bien des raisons de croire que 1’ouvrage est picard, n’est-ce pas? Dans tous les cas, nousnbsp;avons Ie bénéfice du doute, et, è celte cause, nousnbsp;continuerons amp; croire que les Espagnols nous ontnbsp;emprunté la fable des Amadis. Quant aux pomponsnbsp;et aux afiiquets de style dont ils ont cru devoirnbsp;1’affubler, — ainsi quTls font pour leurs femmesnbsp;et pour leurs mules, — nous leur en laissons vo-lontiers la gloire et la responsabilité. Ce que nousnbsp;réclamons comme nótre, c’est purement et simple-ment l’histoire é'Amadis et de Galaor., — c’est-a-dire deux ou trois volumes sur les trente ou qua-rante qui composent celte interminable série.

Car, il faut 1’avouer a nos lectcurs, nous ne leur donnons ici que les quatre volumes in-folio de lanbsp;Bibliothèque impériale. Si nous leur avions donnénbsp;tous les volumes qui traitent des Amadis, ils au-raient pu nous trailer de bourreaux, — et avecnbsp;infiniment de raison, quoiqu’en somme, nousnbsp;n’eussions fait que notre devoir.

Mais cela ne les eut pas avancés du tout. L’histoire des Amadis a un commencement, — mais elle n’a pas de fm. Le procédé employé pour celanbsp;est aussi simple que peu coüteux. Vous preneznbsp;un homme bien constitué et vous lui failes fairenbsp;un enfant. L’homme s’appelait Périon, l’enfantnbsp;s’appellera Amadis. Amadis grandit et devientnbsp;homme : vous le faites marcher sur les traces denbsp;son père, et il a un enfant, é son tour. Le pèrenbsp;s’appelait Amadis, l’enfant s’appellera Esplandian.nbsp;Puis, de Périon en Amadis, d’Amadis en Esplan-diaii, d’Esplandian en Lisvart, de Lisvart en Amadis de Grèce, vous arrivez jusqu’au règne de


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II

ETUDE.

Louis-Philippe, — après dix-tiuit cents ans de pé-régrinations. Le voyage serait un pen long, et il pourrait vous fatiguer outre mesure.

Eh bien 1 c’est ainsi, — ou peu prés ainsi, — qu’ont procédé les auteurs, translateurs, continua-teurs et imitateurs des Amadis. Nous ne deman-dons pas la croixdela Legion-d’Honneur, pour avoirnbsp;sauve nos contemporains du danger de lire deuxnbsp;cents volumes; mais cela mérite considération,nbsp;et nous comptions sur cette bonne action, pournbsp;nous faire pardonner les défectuosités qui pourrontnbsp;se rencontrer dans cette présente traduction.

Mademoiselle de Lubert — couronnée Muse par ce galant centenaire qui avait nom Fontenelle —nbsp;avait osé aller jusqu’au deuxième livre de Ia traduction de Nicolas d’Herberay, sieur des Essarts.

M. de Tressan — ce dérangeur des romans de chevalerie — avait osé aller jusqu’au troisièmenbsp;livre.

Nous avons été plus audacieux : nous ne nous sommes arrêtés qu’au douzième.

II

Peut-être, après tout, que nos lecteurs ne nous sauront pas le moindre gré de notre audace. Etnbsp;cependant, nous n’avons été si courageux qu’ennbsp;vue de leur être agréables,

Certes, on peut reprocher aux derniers livres de ressembler aux livres du milieu, — de raêmenbsp;qu’on peut reprocher aux livres du milieu de ressembler aux livres du commencement. Ce sontnbsp;toujours des batailles, toujours des enchantements,nbsp;toujours des amours. Nous le savons bien; raaisnbsp;est-ce que la vie réelle est composée d’autrenbsp;chose? Est-ce que le canevas n’est pas toujours lenbsp;mêrae? Est-ce que la monotonie n’est pas sauvéenbsp;par la broderie?

Eh bienl la broderie existe dans cette série i'Amadis que nous faisons défiler devant vous, —nbsp;une broderie charmante, gaie et tapajeuse k l’oeilnbsp;et k l’esprit. Amadis et Galaor n’aiment pas de lanbsp;même fagon. Les combats du chevalier de l’Ar-dente Epée sont d’un autre genre que ceux dunbsp;chevalier de la Mer. II y a trop de géants pour-foüdus, — d’accord. Mais ces géants-lè vaincusnbsp;par de vaillants chevaliers beaucoup plus petitsnbsp;qu’eux, n’est-ce pas une allégorie, — celle de lanbsp;matière vaincue par l’esprit, de la force brutalenbsp;vaincue par le sang-froid et le courage? N'est-cenbsp;pas, en un mot, réternelle fable de David et denbsp;Goliath ?

Que si, d’aventure, on reprochait k ce roman la prodigieuse consommation de géants qu’il fait,nbsp;— « comme en se jouant, » — nous rappellerionsnbsp;que si l’on n’en voit plus aujourd’hui parmi nous,nbsp;race de pygmées, on en a vu beaucoup autrefois,nbsp;et nous en donnerions comme preuve le cha-pitre 1quot; du livre II de Pantagruel :

« Le premier géant fut Chalbroth,

« Qui engendra Faribroth,

« Qui engendra Hurtaly, qui fut beau mangeur de soupes et régna au temps du déluge,

« Qui engendra Nembroth,

« Qui engendra Atlas, qui, avec ses épaules, garda le ciel de tomber,

« Qui engendra Goliath,

« Qui engendra Erix, lequel fut inventeur du jeu des gobelets,

« Qui engendra Titye,

« Qui engendra Eryon,

« Qui engendra Polyphème,

« Qui engendra Cace,

« Qui engendra Etion, lequel premier eut la jaunisse pour n’avoir pas bu frais en été, commenbsp;témoigne Bertachin,

« Qui engendra Encelade,

« Qui engendra...»

Mais je vous fais grace des cinquante autres géants dont l’énumération annotée vous condui-rait jusqu’au noble Pantagruel, — le héros denbsp;maitre Frangois Rabelais. Vous êtes convaincusnbsp;maintenant, je suppose, que les Amadis n’en outnbsp;pas fait une consommation si exorbitante.

Et, pendant que je parle de l’ceuvre de l’im-mortel Tourangeau, — moins Tourangeau que Parisien, cependant, — laissez-moi signaler unnbsp;rapprochement assez curieux entre la description que fait du Valais d'Apottidon Nicolas d’IIer-beray, sieur des Essarts, et celle que fait Rabelaisnbsp;de VAbbaye des Thélémites. C’est, é trés peu denbsp;chose prés, la méme description, et qui l’a luenbsp;dans Gargantua peut s’abstenir de la lire dansnbsp;Amadis.

Lequel l’a emprunté è 1’autre ?

La Chronique gargantuine — l’embryon du Gar-gantua que nous connaissons aujourd’hui, ¦— parut en 1532. Les premiers livres de la traduction A'Amadis., par Nicolas d’Herberay, sieur desnbsp;Essarts, parurent en 1540, — huit ans après.nbsp;L’avantage de la date est pour Rabelais.

D’un autre cóté, comment admettre qu’on em-prunte si audacieusement a un contemporain?


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ETUDE. Ill

Gela se voit fréquemment aujourd’hui, je le sais bien. Mais autrefois on était plus scriipuleux.nbsp;D’ailleurs, Rabelais était un remarquable polyglotte; outre le grec et le latin, qu’il connaissaitnbsp;comme un théologien, il parlait k merveille I’ita-lien, I’espagnol, I’anglais, Tallemand, l’hébreu —nbsp;et le patois liraosin. Pourquoi n’aurait-il pas em-prunte tout naturellement sa description de \'Ab-baye de Thélème au Palais d'ApoUidon de Vasco denbsp;Lobeira ou de Garcias Ordognès de Montalvo?...

Ill

Le défaut de la cuirasse esl ailleursl

Ainsi, — malgré mon affection de parrain pour ces Amadis, — je ne puis in’empecher de conve-nir qu’il y a, dans ce voluraineux roman, de nom-breuses reminiscences de romans antérieurs, desnbsp;etnprunts volontaires ou involontaires fails anxnbsp;(Buvres J’IIélie de Borron, de Luces de Gast, d’A-denès, de Jean d’Arras, de Chrestien de Troyes,nbsp;de Guillaume de Lorris et des autres. L’auteur es-pagnol avait une mine d’or k sa disposition, — ilnbsp;1’a vaillarament exploitée. G’est ainsi qu’on peutnbsp;dire avec raison que I’original des Amadis est francais. L’auteur espagnol n’a fait que coudre desnbsp;morceaux et en composer un tout — trés curieuxnbsp;et trés intéressant. C’est comme I’habit d’Arlequin,nbsp;qui était composé de couleurs appartenant k diffè-rentes nations, — ce qui n’erapeche pas Arlequinnbsp;d’etre citoyen de Bergame.

Que I’auteur des Amadis soit ou non Castilian, il il n’en est pas moins vrai qu'il y a dans les innom-brables volumes dont se compose son ceuvre desnbsp;^mprunts évidents k nos premiers romanciers. Onnbsp;y seiitun ressouvenirde Gérard de Nevers^ deLaw-du Lac, de Guérin de Montglave, de Tristannbsp;de Léonois, des Quatre fils Aymon et de quelquesnbsp;autres. Les manuscrits de ces roraans-lk couraientnbsp;Ck etlk, en vers ou en prose, en latin ou en lan-

gue d’Oil; il était tout naturel qu’on s’en era-Parkt.

Mais laissons Ik, cette digression qui n’aboutirait pas. Il doit nous importer peu, k cette heure, denbsp;savoir quel est le véritable auteur des Amadis. Lanbsp;fccherche dela paternitè est interdite par le code.

Ce qu’il est permis de dire, c’est que ce n’est pas pour rien que ces merveilleuses aventures ontnbsp;amusé la cour galante et spirituelle de Franqoisnbsp;etde Marguerite de Valois, — comme ellesavaientnbsp;amusé, cinquante ans auparavant, la cour brillantenbsp;et spirituelle d’Isabelle et de Ferdinand. Ce n’estnbsp;pas pour rien non plus qu’elles ont eu, au xvi® siècle, cet immense retentissement et cette énormenbsp;influence.

« Dieu, ma dame et mon roi, » — des chevaliers francais tel est le caractère. On se bat vail-lamment pour faire respecter la religion et la royauté, — et surtout pour faire respecter lesnbsp;femmes. Tout ce bruit de ferraille qu’on entendnbsp;résonner depuis la première page des Amadis jus-qu’k la dernière, c’est en 1’honneur du « beaunbsp;sexe » qu’il résonnel G’est pour lui plaire que cesnbsp;jeunes seigneurs, fils de rois et d’empereurs, senbsp;déguisent en chevaliers errantset en coureurs d’a-ventures' Quelle agitation! quel mouvement! quelnbsp;remue-ménagel quel tohu-bohu fantaslique! quelsnbsp;cbamaillis féroces! quels abattis extravagants! Unenbsp;armée de médecinsetde chirurgiens ne suffiraientnbsp;pas k panser les plaies que s’y font ces rudes jou-teurs avec leurs lances et avec leurs épées, ni anbsp;rebouter les bras et les jambes qu’ils se fracturentnbsp;mutucllement, paiens et chrétiens, admajorem Deinbsp;gloriam!

Et ne croyez pas que les hommes seuls bataillent et ferraillent dans cette mêlée furieuse! Les femmes aussi s’en melent: Pintiquinestre, Galafie, Gal-dafée, Zahara, Gradasilée, des reines de Californie,nbsp;du Gaucase, des Amazones — et d’ailleurs. G’estnbsp;superbe!

Comme on sent bien l’époque ok ce roman-la a été écrit ou traduit! époque batailleuse et galante.

Ces deux faces, vousles trouvez dansrimraortel livre de Rabelais, — car le Pantagruel et Ie Gar-ganiua sont des romans de chevalerie, — et vousnbsp;les retrouvez dans la série des Amadis que nousnbsp;vous offrons aujourd’hui,

On s’y bat beaucoup, on y mange beaucoup aussi, — raais on s’y aime peut-être davautage. Anbsp;cause de cela, peut-être rencontrerez-vous gk etnbsp;la des quelques gaillardises, — j’entends des plusnbsp;céantes. N’oubliez-pas qu’au moment oü Nicolasnbsp;d’llerberay, sieur desEssarts, faisait sa traduction,nbsp;la belle Marguerite de Navarre, soeur de Francois F*', écrivait son Heptaméron. Pourquoi unnbsp;lieutenant royal serait-il plus chaste que la Marguerite des Marguerites?


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IV

ETUDE.

ly

Et puis, ce n’est pas pour rien non plus, vrai-raent, que ce roman de cape et d’épée s’appelle Amadis. Ce nom est fait sur le theme d'amaior,nbsp;amant, —et nom oblipe comme noblesse.

Aussi aime-t-on le plusqu’on peut tout le long, tout le long, tout le long de cet adorable romannbsp;de chevalerie, — et chacun k sa manière, qui estnbsp;toujours la bonne.

Amadis — premier du nom — est le type de I’a-mant et l’idéal du chevalier. 11 est epris de sa raie Oriane, comme Pétrarque de sa Laure, commenbsp;Dante de sa Beatrix, comme Michel-Ange de sanbsp;Viltoria Golonna. II est heureux de tout etde rien;nbsp;voir sa maitresse, baiser un pan de sa robe, unnbsp;bout de ses doigts, un cil de ses yeux, une tressenbsp;de ses cheveux, cela lui suflit; il emporte avec celanbsp;une provision de bonheur qui I’emparadise, —nbsp;provision facilement renouvelable, comme on de-vine bien. Aussi quel crève-cceur, quelle rnélan-colie, quelle douleur, lorsqu’Oriane I’a seulementnbsp;regardé de travers! Comme il va se chalier du caprice de sa maitresse! Comme il s’ernpresse de lanbsp;dcbarrasserde sa presence ! Comme il sehale d’ai-ler s’enterrer dans la solitude, pour pleurer sonnbsp;amour méconnu et son bonheur perdu, ce Beatenbsp;Ténébreux !

Tout au conlraire d’Araadis, son frère Galaor est plus fringant, plus cavalier envers les dames.nbsp;Il a la papillonne de Fourier. Il va de fleur en fleur,nbsp;de lèvre en lèvre, et laisse derrière lui une trainee d’Arianes soupirantes qui n’ont pas raême lenbsp;courage de le rnaudire, — tant il a été agréable-ment scélérat et aimablement perfide. Galaor estnbsp;le père de Don Juan, — qui a été le père de tantnbsp;d’autres, hélas!

Je n’ai pas a me prononcer sur les mérites res-pectifs des deux frères, d’abord paree que eest chose délicate, ensuite paree que les femmes n’oiitnbsp;eu depuis longtemps qu’une voix la-dessus — ennbsp;faveur de Galaor.

Pauvre Amadis!

Le roman commence par une scène amoureuse entre le roi Périon et la belle Elisène, dite la Dé~nbsp;vote-Perdue, — si bien qu’après Ie départ de cenbsp;prince, l’intervention de Lucine se trouve indispensable. Amadis est né.

Quand on commence ainsi, il faut continuer. L’auteur cspagnol, —ou grec, ou portugais, ounbsp;italien, ou picard, — continue done, et le romannbsp;n’est plus qu’un enchantement perpétuel. Les ra-miers et les tourterelles ne roucoulent pas mieuxnbsp;que ne font ces belles princesses et ces vaillantsnbsp;chevaliers. G’est Vubi amor par excellence, et l’onnbsp;pourrait volontiers écrire sur la couverture de cenbsp;livre : ici l’on s’aime 1 Vénus d’abord, puis Lucine,nbsp;— loujours!

Je n’ai pas besoin de dire que lè, comme ail-leurs, — c’est-è-diredans tous les romans de chevalerie que nous avons publiés, — les chevaliers sont tous des Princes Charmants et les princessesnbsp;des Belles au bois dormant. Des fees ont présidénbsp;a leur naissaitce et les ont dorés, les uns et lesnbsp;aulres, de toutes les perfections imaginables,—nbsp;lellement, qu’a première vue, ilsdeviennent amou-reux les uns des autres, irrésistiblement, fatale-ment.

Et puis, aucun d’eux ne vieillit. Amadis est grand-père sans qu’il y paraisse : il a toujoursnbsp;vingt ans pour Oriane, — qui en a toujours seizenbsp;pour lui. 11 est toujours aussi vaillant qu’elle estnbsp;belle. Les années neigent sur tout le monde, —nbsp;excepté sur eux. La mort fauche tout Ie mondenbsp;autour d’eux, et elle les respecte ; ils sontimmor-tels, ces héros et ces héroïnes dont les avenluresnbsp;nous ont si fort émus aux premières heures denbsp;notre jeunesse, — nous qui vieillissons si vite etnbsp;qui mourrons deinain ou après-demain I

Le roman se ressent lui-rnême de cette jeunesse élernelle de ses personnages, —ainsi que de leursnbsp;occii()ations agréables. 11 semble écrit avec denbsp;l’encre sympathique sur des feuilles de rose. IInbsp;s’en dégage comme des parfums et des musiqnesnbsp;qui bercent doucement l’espr.t et remueut douce-ment le coeur. Aussi les scènes amoureuses sonl-elles les mieux réussies. L’auteur avait aimé, etnbsp;il se souvenait en écrivant des adorables impressions qu ils avait ressenties. On n’est poëte qu’anbsp;cette condition-la, d’ailleurs. « Nuls hom non potnbsp;ben chanlar sans amar, » — dit Bernard de Ven-tadour, un vieux poële qui avait été un jeunenbsp;araoureux.


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V.

ETUDE.

Ghacun aime la-dedans ii sa manière, disais-je tout a riieure.

Je parlais des femmes aussi bien que dos hommes. 11 y a desGalaor et des Araadis dans les deux sexi'S. Parmi les princesses qui di'fdent dans cettenbsp;aimablc galerie sous les ycux du lecteur, il s’ennbsp;trouve qui n'exigent pas plus qu’elles ne donnent,nbsp;qui cueillcnt I’amour comme uii bouquet, lo respi-reiit, s’enivreat de son parfum et Poublientaussitotnbsp;fané. Mais ce sont les exceptions. Les aulres ai-ment moins spirituellemeut — etplus profondé-menl. Je vous recommanderai en passant une cer-taine Gradasilée, qui est le merle blanc du sexenbsp;féminin, car elle aime jusqu’au martyre un chevalier qui aime aiUeurs, et elle n’a pas le couragenbsp;de lui en vouloir, — tout au contraire. G’est vinenbsp;araoureuse plalonique qui veut « mourir vierge, »nbsp;ne pouvant mourir autrernent. Elle meurt vierge,nbsp;en effet, — et cependant, nous avons rencontrénbsp;beaucoup de ses enfants dans la littérature moderne...

La princesse de Babylone aime autrernent, je suis force d’en convenir. Elle se venge le plusnbsp;quelle peut du chevalier qui dédaigne son amour,nbsp;et ce n’estpas de sa faute s'll ne succombe pas dnbsp;la peine. Les femmes sont rancunières, aiusi quenbsp;le ditTérence,—amarcv sunt muUeres!Mes amis,nbsp;gardons-nous de la haine d’une femme avec lenbsp;même soin que du choléra 1

Mais cette princesse de Babylone forme exception dans le livre, — ainsi que la princesse Gradasilée. Toutes les autres belles amoureuscs qu’on y rencontre sont aussi dignes d’etre aimées qu’ilnbsp;est possible amp; des femmes de 1’être, paree que toutes portent gravee dans leur coeur cette devise quenbsp;portait gravee sur sa lame la bonne épée de Gyron-le-Gourtois : « Loyauté est au-dessus de tout, faus-setë honnit tout. »

On ne rencontre la dedans aucun adultère, et M. E.-J. Déiécluze, qui a éte si sévère, a proposnbsp;de cela, pour Lancelot du Lac, pour Tristan denbsp;Léonois et pour quelques autres romans de cheva-lerie, ne pourrait signaler ici la même «immora-lité, » car il n’y a aucune reine Genièvre ni aucunnbsp;roi Artus.

Il faut tout dire : on n’y rencontre pas d’adul-tère, — probableraent paree qu’on y rencontre fort pen de maris. Tons les héros sont amants etnbsp;maitresses, et ce n’est qu’ê la dernière extréraiténbsp;qu’ils deviennent maris et femmes. Ge n’est pasnbsp;eux qui s’y refusent, non, — ce sont les événe-ments!

La seule chose reprehensible dans le roman, e’est la faiblesse charmante de ces charmantesnbsp;princesses qui ne savent pas assez resister aux ar-dentes prières de leurs amants , et qui leur lais-sent cueillir « la fine fleur qui doit être cueillienbsp;seuleraent par l’époux. » Mais comme elles eu sontnbsp;punies, hélas 1 Leurs chevaliers s’en vont courirnbsp;les aventures, comme e’est leur devoir de chevaliers, et elles, les pauvrettes, s’occupeiit de preparer des layettes!

Heurcusement qu’elles out affaire a d’honuêtes chevaliers, et que ceux-ci fiuissent toujours parnbsp;épouser 1 La fin justitie les raoyens. Le pavilionnbsp;couvre la marchandise.

Voila le seul cóté reprochable des Amadis, et, a vrai dire, si ce livre n’avait pas ce défaut, il se-rait parfaitement emmyeux. La passion est le selnbsp;naturel de la vie : suppriraez-la, la vie est d’unnbsp;fade cl vous faire lever le coeur et I’esprit. La passion, n’est-ce done pas la souiTranee ? Et souffrir,nbsp;n’est-ce pas vivre ?

Or, en enlevant d’un roman les faiblesses des femmes, leurs haines, leurs trahisons, leur heroïsme, leur frénésie, — e’est h-dire les sentiments et les caractères, — on s’exposerait h fairenbsp;un livre plat comme une table et froid comme unnbsp;marbre. On n’écrit ainsi que les traités do physique et d’algèbre. Les oeuvres d’imaginationnesoatnbsp;pas des oeurres de spéculation.

D'ailleurs, que ceux ou cidles qui sont sans pêche jrttent la première pierre aux Amadis !

Moi, je fais comme Pilate aprèsla coudamuation de Jésus.

VI

On ne me rendra pas responsable des anachro-



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VI ETUDE.

nismes singuliers qui émaillent cette collection des Amadis. Les lecteurs des romans de chevalerienbsp;doivent être habitués k ces fantaisies-lè, et ils nenbsp;seront pas plus étonnés en parcourant ce volumenbsp;qu’ils ne Tont été en parcourant celui que nousnbsp;avons déja publié. Ils ne Ie seront pas moins, nonnbsp;plus, il est vrai.

L’anachronisme est en permanence dans cette série des Amadis, qui commence « quelque tempsnbsp;après la Passion de Notre-Seigneur » et oü il estnbsp;question de choses et d’événements qui se sontnbsp;passés huit ou dix siècles après.

Sans aller bien loin pour trouver de ces exeen-tricitéS'lamp;, je signalerai la prise de Constantinople, que l’auteur espagnol place tout naturellemenlnbsp;dans son livro corame ayant eu lieu « quelquenbsp;temps après la Passion, » et qui eut lieu, commenbsp;chacun sait, quatorze siècles après, — c’est-è-direnbsp;Ie 29 mai 1453.

Quant aux empereurs d’Orient qu’il prend pour ses héros, je doute qu’on les trouve parmi ceuxnbsp;qui ont été reconnus jusqu’ici pour tels, — è com-mencer par Valens et k finir par Constantin XII.

Même remarque propos des rois de Jerusalem.

Mais si l’histoire est traitée aussi cavalièrement, la géographie n’est pas mieux traitée, — ce quinbsp;fait compensation.

Ainsi, pour ne prendre qu’un exemple, l’auteur espagnol fait de la ville de Vienne un port denbsp;mer, — tout simplementl

Ab uno disce omnes.

Peut-être aussi trouvera-t-on étrange de voir des lions aux environs de Londres. Gependant, n’ou-blions pas que faction se passe « quelque temps »nbsp;seuleraent « après la Passion de Notre-Seigneur, »nbsp;et qu’alors il pouvait bien so faire que Ie climatnbsp;d’Albion fut différent de celui dont elle jouit k cettenbsp;heure. II y avait bien des tigres è 1’endroit oü estnbsp;aujourd’hui Paris, — au dire des géologues!

Mais ne chicanons pas les poëtes et les romanciers sur leurs licences, — nous aurions trop è faire.

J’ai traduit Ie plus fidèloment qu’il m’a été possible la traduction de Nicolas d’Herberay, sieur des Essarts, et des autres, — c’est-a-dire de Claudenbsp;Collet, de Jacques Gohorry, de G. Aubert, de Ga -briel Chappuys, d’Antoine Tyron, de Jacquesnbsp;Chariot et de Jean Boyron.

J’ai dü supprimer un grand nombre de pages, — qui tenaient vraiment trop de place dans Ie roman. Les auteurs des Amadis avaient trouvé unnbsp;excellent moyen d’allonger leur récit : c’était denbsp;se répéter. Ainsi, ils avaient raconté un combat,nbsp;par exemple, et Ie lecteur avait Ie droit de s’ennbsp;croire quitte. Eh bienl pas du toutl Vingt pagesnbsp;plus loin, un des acteurs du combat en questionnbsp;s’en venait Ie raconter k quelqu’un qui n’y avaitnbsp;pas assisté, — ce qui faisait, pour Ie lecteur, unenbsp;seconde édition, revue, corrigée et considérable-ment augmentée.

J’ai cru pouvoir me soustraire ü cette obligation, — et soustraire les lecteurs k ces redites continuelles. Que si, d’aventure, quelqu’un d’entrenbsp;eux aimait ces moyens de narration, je me verraisnbsp;forcé de 1’engager a recourir k la traduction dunbsp;sieur des Essarts, — et des autres Sieurs.

Quant au style, —^malgré les quelques lignes anonymes ou signées que j’ai regues dans Ie coursnbsp;de la publication des Amadis, — je persisterai knbsp;croire que je l’ai respecté, comme je Ie devais,nbsp;du reste, et que ce que j’en ai ébranché, g’a éténbsp;les brindilles folies, les ramures inextricables aunbsp;milieu desquelles Ie lecteur n’aurait pu se recon-nattre. Le livre de Rabelais et la traduction de Nicolas d’Herberay sont de la même époque, — a unenbsp;dizaine d’années prés, — et cependant Garganluanbsp;%iVantagrueHoni plus intelligibles que les Amadis.nbsp;Si j’avais réimprimé purement et simplement, onnbsp;n’aurait pas lu cette réimpression, — tant la lecture en est, en effet, pénible.

D’oü cela vient-il? Probablement de ce que Francois Rabelais était un homme de génie, et Nicolas d’llerberay, sieur des Essarts, un lieutenant du roinbsp;Frangois Iquot;. On écrit comme on peut,— non commenbsp;on veut,

D’ailleurs,le sieur des Essarts a du bon,—il faut s’empresser de le reconnaitre. Sa traduction estnbsp;une précieuse mine d’expressions pittoresques, denbsp;locutions originates, de mots k effet, qu’on emploienbsp;fréquemment aujourd’hui et qu’on croit seulementnbsp;d’hier.

Ainsi, pour ne citer qu’au hasard :

Mettre de Veau dans son vin; jouer des couteaux; se trouver en une épaisseur d'arbres; plus diablenbsp;quil n’esl cornu; trouver chaussure d sonpied; toutnbsp;éploré; nengendrer point la mélancolie; Veffort denbsp;son bras; une émeute de chiens courants; chacunnbsp;avec sa chacune; se mordre les doigts d'une chose;nbsp;un ennemi expiré; compter sans son hóte; Dieu, cenbsp;grand et puissant fabricateur de toutes choses; squot;en~nbsp;tre-connaitre; être attaché d’une grosse chaine; apai-ser ses pleurs; sonner un chant mélodieux; savoirnbsp;les bonnes parties de quelquun; se sourire d soi-même;se voirmoqué; battre le fer pendant quil estnbsp;chaud; ne faire qu aller et venir; avoir fiance;nbsp;mettre en sauveté; poursuivre sa pointe; coupernbsp;court; une maigre excuse; avoir la larme d Vceil;nbsp;par ainsi; tant plus il allait, tant plus il s’égarait;nbsp;sous couleur de...; sous ombre de...; enflambé d'a-mour; au pis-aller; nen pouvoir mais,- faire lesnbsp;jeunesses; un bruit tel quon n’eüt pas entendunbsp;Dieu tonner; eto., etc., etc.


V

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VII

ETUDE.

Pour les mots un peu lestes, pour les expressions un peu gaillardes, j’ai du les abandonner amp; ieur malheureux sort, — amp; raon grand regret, jenbsp;1’avoue. II y a longtemps qu’on I’a dit: « Les motsnbsp;nc sont pas sales, ce sent les pensées. » Je n’aimenbsp;guère la bégueulerie en fait de langage, — ou denbsp;quoi que ce soit. La chasteté est ailleurs. On nenbsp;corrompt personae en écrivant ce qui se dit par-tout, non pas dans le monde de convention, maisnbsp;dans tout le monde, dans la rue aussi bieii quenbsp;dans le boudoir, k I’atelier aussi bien que dans lanbsp;chambre i coucher.

D’ailleurs, qui corrompre? je vous le demande, avec Diderot, mon illustre raaitre. Qui corromprenbsp;et comment corrompre? Si vous êtes innocent,nbsp;vous ne me lirez pas, ou vous ne me comprendreznbsp;pas; si vous êtes coirompu, cela ne vous corrom-pra pas davantage, et vous me lirez sans consequence.

Je nempêcherai aucun écrivain, certes, de mettre la traditionnelle feuille de figuier sur sesnbsp;phrases, mais k la condition qu’elle sera deja surnbsp;ses pensées, — car autrement ce serait une hypocrisie, c’est-k-dire un vice superposé k un vice. Cenbsp;sera aussi k la condition qu’on n’empêchera aucunnbsp;écrivain de faire des statues et des phrases complé-tement nues. Les phrases sont comrae les femmes ;nbsp;plus elles sont nues, moins elles sont décolletées.

VII

Cela dit, en passant, j’ai hkte d’ajouter que je n’ai pas eu beaucoup de suppressions de ce genrenbsp;a faire dans la traduction de Nicolas d’Herberay.nbsp;Les pensées amoureuses y sont formulées, la plupart du temps, avec une grande délicatesse denbsp;style et un trés grand bonheur d’expression.

Je vous demande la permission de faire quelques citations au hasard, — è I’appui de mon dire.

Amadis de Grèce, jeune, vaillant et beau, «trai. nant tous les coeurs après soi,» a délivré la reinenbsp;Liberna de ses ennemis. La reine Liberna estnbsp;jeune el belle aussi. La reconnaissance envers sonnbsp;chevalier ne lui sera pas d’une pratique doulou-reuse, et la preuve c’est qu’elle lui offre son tronenbsp;ct sa main. Amadis de Grèce, qui ainie ailleurs, cslnbsp;trés embarrassé pour faire une réponse convenablenbsp;k ces flatteuses avances. Liberna, alors, s’irrite denbsp;cette résistance. Voici comment I’auteur peint l’é-tat dans lequel elle se trouve.

« Tout ainsi quele feu consume etbrule la chose qui lui est plus prochaine, ainsi cette belle reinenbsp;attisait peu a peu le brasier qui lui brulait le corps,nbsp;le coeur, Tame et 1’esprit. Elle ne pouvait se lassernbsp;de manger des yeux celui qui lui causait un sinbsp;doux martyre; k ce point que, si la bonte ne I’eutnbsp;pas mieux gardée que sa propre volonté, elle ennbsp;fut arrivée k faire ce que font, non pas les femmesnbsp;iinpudiques, mais les hommes, c’est-a-dire k lanbsp;violence, et elle eut contraint le jeune Amadis denbsp;Grèce, secouant ainsi I’arbre pour avoir le fruitnbsp;auquel elle n’avait pas encore goüté depuis qu’ellenbsp;était au monde, vnbsp;Voila pour la reine Liberna.

Voulez-vous savoir ce que I’auteur dit d’une autre reine, la fiére Pintiquinestre, « accoutréenbsp;d’un harnois de velours turquin k tresses d’or? »nbsp;Voici comment il dépeint son genre de beauté ;nbsp;« Sa beauté était telle que, pour la désirer, il ynbsp;avail assez de quoi faire mourir les hommes etnbsp;revivre quant et quant. »

Je n’ai pas changé un iota k cette phrase, — de peur d’en altérer la signification.

Voulez-vous encore une autre citation, — pour la dernière?

Il s’agit du jeune soudan de Babylone, lequel s’est enamouré d’Onolorie, princesse de Trébi-sonde, — mais un peu trop tard. Il apprend qu’ellenbsp;a donné a un autre son coeur, son kme, — tout 1nbsp;Désolation de ce pauvre soudan.

« Il demeura pendant une heure sans remuer piedni main, tenant sa tête appuyée sur son brasnbsp;gauche. Puis, au bout de ce temps, les parolesnbsp;commencèrent k lui sortir de la bouche, mais sinbsp;douces, si plaintives, qu’il en eut apitoyé le plusnbsp;dur rocher de la mer.

« — Ah! murmura-t-il, la triste et funeste pensée qui me glace et brule le coeur, qui menbsp;ronge Tame et I’espritl... Hélas! hélas! Qu’ai-jeanbsp;faire, maintenant?... Je suis arrivé trop tard aunbsp;jardin d’amour... Un autre a cueilli le fruit avantnbsp;même que je n’aie vu I’arbrel... Un autre en anbsp;obtenu la dépouille et l’entière richesse, et je suisnbsp;encore k jouir du moindre bien, de la plus légèrenbsp;faveur 1... Mais, alors, pourquoidone, étantcommenbsp;je suis, privé de la fleur et du fruit tout ensemble,nbsp;pourquoi est-ce que je mepassionneetsouffre ainsi?nbsp;Et pour qui?... Pour cette louve pressée qui, menbsp;dedaignaut pour serviteur et ami, a choisi Lisvartnbsp;pour s’abaiidonner k lui, pour se faire sa serve,nbsp;son esclave, perdant par ce moyen le meilleur quinbsp;éta t en cllel... Car, k bien dire, la fille vierge etnbsp;pudique ressemble k la rose sur le rosier, qui ne


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VIII ETUDE.

VIII ETUDE.

regoit d’injure ui de dommage, ni du temps, ni des hommes, ni de personne, et qui s’épanouit sous lanbsp;rosée divine de I’aube... Les jeunes amoureusesnbsp;s’en viennent la cueiilir pour en faire un bouquetnbsp;et orner leurs jeunes gorges frémissantes... Mais,nbsp;elle n’est pas plutot ravie è sa verte branche, a sanbsp;maternelle nourriture, qu’elle perd petit a petit lanbsp;grace, la fraicheur, la heauté qui la ftisaient désirernbsp;du ciel et des hommes. Semblablement la pucelle,nbsp;en laissant ravir par autrui la divine fleur de sanbsp;virginité, qu’elle döit pourtant tenir plus chèrenbsp;que sa vie propre, ravale ainsi Ie prix dont ellenbsp;était d’abord eslimée, et se fait mépriser de ceux-lèi même qui lui portaient affection et servitude...nbsp;Mais quoi?... il est vraisemblable qu’elle ne s’ennbsp;suucie guère... Ce a quoi elle tient, c’est amp; êtrenbsp;aimée de celui amp; qui elle fait une si grande libéra-lité de sa personne... Ah! Fortune cruelle et aveu-glel... Lisvartseul se meurt d’abondanced’amour,nbsp;et moi j’en meurs de nécessité!... Est-il done possible qu’Onolorie lue soit ti jamais agréable?...nbsp;Dois-je ainsi laisser périr et consumer ma proprenbsp;vie, et requérir plus longtemps une si ingrate etnbsp;si folie personne?... Non 1 non!... meurent plutótnbsp;mes jours que mon honneurl... »

VIII

Les éloges que je prends sur moi de dispenser ne sont relatifs qu’a la traduction de Nicolas d’Her-beray, sieur des Essarts, — paree qu’il me semblenbsp;que lui seul les mérite bien. Son style a unenbsp;énergie, une virilité, — même dans la douceur,—nbsp;qui se perd en mièvreries eten quintessences cheznbsp;ses rivaux et successeurs. On sent qu’il a commerce familièremeut avec notre vieille languenbsp;d’Oïl, dans Ie pays même oü elle avait poussé l Lesnbsp;autres n’ont vécu qu’en familiarité avec les femmesnbsp;de leur temps et n’ont écrit que pour les amuser.

Nicolas d’flerberay, sieur des Essarts, a traduit les huit premiers livres (1340-1036).

Le neuvième a été traduit par Claude Collet, Ghampenois (1375).

Le dixième et le onzième ont été traduits par Jacques Gohorry (1576-1577).

Ledouzième, par G. Aubert, de Poitiers (1377).

Le treizième et le quatorzième, par J. Gohorry (1576-1577).

Le quinzième, par Antoine Tyron (1378).

Le seizième, le dix-septième et ledix-huitièmei par Gabriel Chappuys (1378-1381).

Le dix-neuvième , par Jacques Chariot, (1380).

Le vingtième, par Jean Boyron (1380).

Le vingtetunième,par Gabriel Chappuys (1581).

II est curieux, par parenthèse, de voir ce que les successeurs de Nicolas d’Herberay disent denbsp;lui. II parait que les gens de lettres d’alors avaientnbsp;les mêmes procédés de médisance envers leursnbsp;confrères que les gens de lettres d’aujourd’hui.

Ainsi, pour n’en citer qu’un exemple, Claude Collet avance, danssaDédicace è monseigneur Jeannbsp;de Vilènes, conseiller du roi, — que la précédentenbsp;traduction « était mauvaise, » et que la sienne étaitnbsp;« mcilleure, » plus remplie « de devis et contesnbsp;joyeux et qulil n’a pas« desdaigné y esbaltre sanbsp;plume et employer quelques heures oysives. »

II dit mieux encore : il traite Ia traduction de Nicolas d'Herberay « de la traduction ê la haiilte mode, qu’un quidam flaman avoit arraché parcynbsp;parlci de l’Amadis espagnol. »

Le « quidam flaman » me parait assez dédai-gneux !

Claude Collet, « Ghampenois, » ne se contente pas d’etre désagréable ê son confrère, il veut encore être agréable pour lui-même, et il se fait direnbsp;une foule de choses plus flatteuses les unes quenbsp;les autres, en prose et en vers, en grec et en latin,nbsp;en espagnol et en italien, par Et. Jodelle, «Pa-risien, » par Francois Gharbonnier, « Angevin, »nbsp;par Antoine Vignon, « Gasteldunois, » — et parnbsp;trois ou quatre autres.

On n’est pas plus galant, n’est-ce pas ?

Mais laissons dormir en paix Collet, Jodelle, Charbonnier et Vignon. Ils sont heureux, — nenbsp;les réveillons pas.

IX

Je termine.

Malgré tout ce qu’oii a pu dire, malgré tout ce qu’on pourra penser de cette série de romans quenbsp;nous réimprimons aujourd’hui, il n’en est pasnbsp;moms vrai qn’Amadis est le seul livre de la Biblio-thèque de Don Quicholte que le sévère curé quenbsp;vous savez n’ait pas jeté au feu.

Pourquoi done serions-nous plus sévères que ce bonhomme?

Alfred DELVAU.


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LE CHEVALIER DE LA MER

CUAPlTlffi PREMIER.

iiuels furent les reis Garinter et Pilrion, et d’uii combat qu’eut ce dernier par cas forluit conlre deux chevaliers ctnbsp;conire un lion qui dévorail un corf.

Peu de temps après la Passion de Jésus-Christ, vivait en laPetile-Rretagneun roi nornnié Garinter,nbsp;instruit en la loi de vérité, et grandement décorénbsp;de bonnes et louables vertus, lequel eut d uuenbsp;noble dame son épouse, deux (illes.

L’ainée de ces deux pucelles se maria avec Lan-guines,roi d’Ecosse.Ou l’appelait coramunément la llaino de la Guirlande, h cause de l’arrangementnbsp;particulier de ses beaux cheveux en guirlandes denbsp;fleurs.

La puinée, nommée Elisène, de beaucoup plus belle que la précddente, était plus connue sous Ienbsp;nora de la Devote perdue, è cause de sou amournbsp;de Ia solitude et la sainteté affectée de sa jeune vie.nbsp;Quoique faite par son rang et par sa beauté pournbsp;réiat de mariage, elle avait constarament refusenbsp;les princes et les grands seigneurs qui l’avaient de-mandée amp; sou père, Ie roi Garinter.

Ge vieux monarque , que ces refus obsïmés et incompréhensbles affligeaient beaucoup, essayaitnbsp;de contenter d’autre part son esprit et prenait denbsp;temps cl autre un certain plaisir amp; la vénerie.


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BIBLIOTHEQUE BLEUE.

Une fois, entre autros, ayant fait Tassemblée prés d’une sienne ville appelée Alyma, il langa un ccrfnbsp;et lepoursuivit,tnais si longuement, si longuement,nbsp;qu’il fmit par s’égarer et k se trouver aba'ndönmi denbsp;gens et de chiens.

Lors, se recommandant k Dieu, il coramen^a au petit pas è se remettre en son adresse, et tant traversa de cóté et d’autre que, par fortune, asseznbsp;prés de Tissue du bois, il avisa deux chevaliers quinbsp;coiribattatent contre un soul. Ge dernier lui élailnbsp;inconnu; quant aux deuxautres, il les connaissaitnbsp;sibien qu’il se rctira pruderament au plus épais dunbsp;bois jtisqu’è ce qifils fussent vaincuset rnorts. Lors,nbsp;il se montra et vit venir é lui Ie chevalier vainqueur,nbsp;qui lui demanda :

— Homme de bien, quelle contrée est donccelle-, ci dans laquelle les chevaliers errants sont assaillisnbsp;par des brigands ?

— Ah! seigneur, répondit Garinler, ne vous on ébahissez point, car en ce pays comme dans lesnbsp;autres se trouvent bonnes et mauvaises gens. Lesnbsp;chevaliers qui vous ont assailli ont requ Ja recompense de nmux el d’outrages précéderament failsnbsp;a d'autres qu’é vous, mêmement a leur seigneurnbsp;et roi, lequel n’en a pu faire justice, paree qu’ilsnbsp;élaient apparentés des'meilleures maisons de cenbsp;royaume.

— Et oü pourraiS'je trouver Ie roi duquel vous parlez? dit Ie chevalier. Je suis venu pour Ie cher-cher, et je lui apporte nouvelle d’un sien grandnbsp;ami.

— Quoi qu’il en doive advenir, répondit Ie vieux Garinter, je vous en dirai ce que j’en sais. Sacheznbsp;cerlainement que je suis celui que vous demandez.

A cette parole, Ie chevalier inconnu óta son ar-met, niit bas son écu et courut embrasser Ie roi en lui disant;

— Merci Dieu! je suis aise de vous renconlrer, vous que je désirais depuis si longlemps connaitre!nbsp;Apprenez a votre tour, que je suis Ie roi Périon denbsp;Gaule.

^ Grandement furent esjouis ces deux princes pour s’être ainsi rencontrés par fortune, et ce fut ennbsp;devisant amicalement qu’ils prirent la route du boisnbsp;qui conduisait vers la ville, et dans laquelle ils pen-saient retrouver les veneurs.

Mais bientót, par cas fortuit, passa devant eux un cerf malmené et échappé des toiles, aprés lequelnbsp;il se mirenl a course de cheval, espérant Ie tuer. IInbsp;en advint autrement, car, en poursuivant cel animal, ils setrouvèrent devancés, au sortir d’un épaisnbsp;taillis, par un lion fortement échautfé, qui poursiii-vait la même proie qu’eux et Tatteignit avant euxnbsp;et en leur presence.

Le cerf éventré a larges coups de griffes, Ie lion s’arrêta un instant, se campa sur ses deux pattesnbsp;de devant et se prita rugir contre les deux princes,nbsp;en crollant sa hure d’un air menacant.

— Maitre lion , dit eu riant le roi Périon , vous ue serez pas tellement goulu que vous ne nousnbsp;laissiez pari de la chasse.

Et, tout aussitót se mettant é pied, paree que son cheval ne voulait pas approcher, il prit Tépéenbsp;au pomg et 1’écu au bras, et, malgré les cris et lesnbsp;priores du roi Garinter pour Ten détourner, ilnbsp;niarcha droit vers le fauve animal, lequel rugissait

de plus en plus et ne semblait nullement disposé a quitter les debris de sa proie.

Une fois ö quelques pas du lion, Périon leva son épée, prêt a frapper; mais son ennemi bondil, lenbsp;dépassa puis revint, rebondit encore, revinl encore, et iinaleraent une lutte corps k corps s’établitnbsp;entre eux, lulte dans laquelle le chevalier eut lenbsp;dessous.

Le peril était extréme, et le roi Garinter était bien marri d’etre ainsi empêché a secourir son aminbsp;Périon.Mais celui-ci, quiétaitun valeureuxhoinine,nbsp;ne songea pas un soul instant é s’ébahir de sa situation ; lout au contraire, il s’éveriua de telle sortenbsp;qu’il parviiit a planter son épée au veutre inêiae denbsp;la béte fauve, qui incontinent tomba rnortc devantnbsp;lui.

Ce que voyant, Garinter devint tellement énicr-veillé qu’il dit en soi même ;

— Vrairnent, celui-ci n’est pas a tort reiionnné Tun des meilleurs chevaliers du monde!

Et, sur ces entrefaites, se rassemhla la compagnie qui, pour le retrouver, s’étail mise eii quote de tous cótés, et Ton se dirigea vers la ville, oü lanbsp;reine, avertie de la venue du roi Périon, attendaitnbsp;avec grande impatience.

L GHAPITRE II

Coinment le roi Périon et la bolle Dévotc Perdue devinrent enamourós du même coup, et comment la complaisantcnbsp;Dariolette leur procure les moyens de se declarer l’un inbsp;l’autre.

leur arrivée, les deux princes trouvè-rent le diner prêt et les tables dres-sées. Par quoi, après les révérences et bienvenues laites de part ct d’'aulre,nbsp;jils s’assirent, ainsi que la reine et lanbsp;belle Elisène, sa fille.

L’amour, qui depuis un longtemps avail assailli cette belle pucelle, sausnbsp;Tavoir su vaincre, Tamour était en em-büche. 11 la vit cette fois tant a décou-vert k Taspect du roi Périon, qu’il ju-gea le moment enfin venu et devinanbsp;bien qu’elle serail enfin vaiiicue. Denbsp;mêrne pour le roi Périon, qui jusque-lé avail songé a toute autre chose : ennbsp;presence de la beauté rayonnante d’E-lisène, il se senlit remué, il rougit, senbsp;iroubla, et son cceur, jusque-lê libre, se trouvanbsp;tout d’un coup prisonnier des charmes de celtenbsp;incomparable princesse.

Aussi, tons deux, l endant le diner, ne furent occupés qu’é se regardcr du coin de Toeil et k senbsp;troubler mutuellernent par un éebange de geslesnbsp;involontaires qui trahissaient leurs secretes pensees; si bien que, lorsque les tables furent levéosnbsp;('t quo la reine voulut se relirer, Elisène, en la sui-vant, laissa tomber un anneau qu’ellc avail placénbsp;dans son sein pour laver ses mains, ct qu’elle avail-oublié lè, distraite par le nouvcl amour qui lui sur-gissait dans Tame depuis qu’elle avail vu le roinbsp;Périon. Celui-ci, en remarquant la cliule de Tan-neau, s’cmpressa de se baisser en même temps


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LE CHEVALIER DE LA MER.

qu’elle pour Ie ramasser, et leurs maiiis se rencon-trèrent.

La devote pucelle, h ce contact de main d’homrae, comraenqa a changer de couleur, ce qui ne l’em-pêcha pas de remercier, par un doux regard,nbsp;I’amoureux Périon.

— Ah 1 madame, dit-il, ce ne sera pas lèi Ie dernier service que j’espère vous faire, car tout Ie temps de ma vie sera employé a vous ohéir.

Elisène n’eut pas Ie temps de lui répondre, en-trainée qu’elle était par la reine sa mère; mais elle resta loiigtemps après sous Ie coup de cettenbsp;agréable emotion et se laissa petit è petit consumernbsp;par cc nouveau feu d’amour qui avait délogé denbsp;son ame presque toutes les ardeurs religieuses quinbsp;y avaient régné jusque-la. La larme a I’ceil et l’an-goisse au coeur, elle alia se découvrir k une sieniienbsp;fidéle demoiselle, nommée Dariolette, et elle la prianbsp;trés instamment de laconseiller en cette occurrencenbsp;et de lui dire comment elle pourrait honnêtementnbsp;savoir si Ie roi Périon n’avait ailleurs mis son amour,nbsp;et si eet affectionné semblant qu’il lui avait montrénbsp;ne lui pourrait point être venu de la force de celuinbsp;qu’elle avait nouvellement senti en son coeur.

Dariolette, effrayée de cette mutation si soudaine dans une personne si éloignée de chose semblable,nbsp;inais prenanttoutefois compassion de ses pitoyablesnbsp;larmes, lui répondit:

— Je vois bien, madame, que selon 1’extrêmo passion doet ce tyran amour vous tourmente, il n’anbsp;wisse en votre jugement lieu oü conseil et raisonnbsp;Puisscut loger. Et pourtant, suivant non ce que jenbsp;dois pour votre service, mais Ie vouloir que j’ai denbsp;vous obéir, je ferai ce que vous me commandez, parnbsp;Ie moyen Ie plus honnête que l’envie grande quenbsp;] ai de vous complaire saura Irouver...

Et, sans autre propos, Dariolette s’en alia k la chambre oü Ie roi Périon s’était retire, et, a lanbsp;porte, elle rencontra sou écuyer qui lui portait d’au-tres habilleraents pour se vêtir, iesquels elle prit ennbsp;luidisant:

~ Ecuyer, mon ami, c’est raoi qui lui ferai co Service; pour vous, allez k vos autres affaires.

L’écuyer, qui croyait que c’était la coutume, remit les vêtements et s’en alia, pendant que la sui-vante entrait chez sou maitre, pour lors couché.

— Que demandez-vous, ma grande amie? de-inanda Périon, ému a 1’aspect de Dariolette, qu’il savait appartenir a la belle Elisène, et qui, ü causenbsp;de cela, lui était chère.

Sire, répondit la demoiselle, je vous veux, s’il vous plait, bailler de nouveaux vêtements.

Jaimerais mieux, dit Périon en soupirant, ^ ™on cffiur qui, pour Ie présent, est dé-

nué et dépoudlédetout plaisir...

En quelle sorte, Sire? demanda Dariolette.

Paree que, repondit-il, quand j’arrivai en ce

J étsis librö dö toutös psssious o.t n'avciis doutG seulement que des avontures qui peuvent survenirnbsp;aux chevaliers errants... Mais maintenant, je ne saisnbsp;en quelle sorte, en entrant dans cette maison, j’ainbsp;été, par Tune de vous, mesdames, navré de plaienbsp;trop mortelle, è laquelle je vous serais bien recon-naissant, ma grande amie, de vouloir bien porternbsp;remède.

— Certes, reprit Dariolette, je me tiendrais fort heureuse de pouvoir faire service k si haut person-nage et si bon chevalier quo vous êtes, si je savaisnbsp;seulement en quoi.

— nbsp;nbsp;nbsp;Si vous me promettez comme loyale demoiselle, de ne pas me découvrir, répondit Ie roi, jenbsp;vous Ie dirai.

— nbsp;nbsp;nbsp;Dites hardiment alors, Sire; nul, hors moi, nenbsp;Ie saura.

— nbsp;nbsp;nbsp;Demoiselle, ma mie, dit Ie roi Périon, j’ai vunbsp;la belle princesse Elisène, et sa beauté a fait unenbsp;telle impression sur moi, que je considérerais lanbsp;mort comme un bienfait si, Q ici a peu, je n’ai pasnbsp;obtenu d’allégement ü mon angoisse amoureuse...

Quand Dariolette entendit cela, elle sourit et répondit :

— Sire, si vous me voulez assurer, en foi de roi, et comme chevalier loyal, de prendre ü femme madame Elisène quand Ie temps Ie requerra, je vousnbsp;Ia mettrai de brief, en lieu auquel non-seuleraentnbsp;votre coeur sera satisfait, mais Ie sien mème, quinbsp;est peut-être, autant ou plus que Ie vótre, en soucinbsp;et douleur de l’angoisse nouvelle qu’elle a repu parnbsp;ihême moyen... Si au contraire, Sire, vous ne voulez pas faire ce que je vous dis, je ne vous aiderainbsp;en rien, n’ayant plus cause de vous croire.

Le roi, auquel l’amour avait ravi la liberté, pril son épée, mit la main droite sur la croix formée parnbsp;la poignée, et dit ces paroles :

— Je jure par cette croix et sur l’épée avec laquelle j’ai reeu l’ordre de chevalerie, de faire ce que vous me demandez, toutes fois et quantes quenbsp;votre maitresse Elisène en sera avisée.

— Or maintenant, répondit Dariolette, réjouis-sez-vous, j’accomplirai aussi ce que je vous ai promis.

Et, a l’instant, elle s’en retourna vers la princesse, a laquelle elle déclara ce qu’elle avait conclu avec le roi Périon; de quoi l’arnoureuse pucelle futnbsp;si aise qu’elle en perdit teute contenance.-

— Ma bonne amie, demanda-t-elle a Dariolette en l’embrassant, quand done viendra cette heurenbsp;OU je tiendrai dans mes bras ce mien seigneur quenbsp;vous m’avez dotmé?

— Je vais vous le dire, répondit la demoiselle. Dans la chambre oü le roi Périon s’est retiré, il y anbsp;un huis du cóté du jardin, par lequel votre père sortnbsp;quelquel’ois pour s’en aller récréer, et qui est a présent cache par une tapisserie. J’en ai la clef. Cettenbsp;nuit, quand tout le monde de céaus reposera, nousnbsp;pourrons facilement y entrer sans être de nulnbsp;aperques; et, lorsque viendra 1’heure oü il faudranbsp;vous retirer, je vous irai appeler...

— Hélas! ma fidéle amie, soupira la belle Elisène, comment pourrons-nous y parvenir? Le roi monnbsp;père, a délibéré de coucher avec le roi Périon, dansnbsp;la même chambre... 11 ne pourra mauquer de nousnbsp;surprendre,et nous courrons leplusgrand danger...

— Laissez-raoi faire, reprit Dariolette, je pour-voierai aisément è tout et je m’arrangerai pour que votre père ne vous trouble pas dans vos deduitsnbsp;amour eux...

La-dessus, Dariolette s’en alia.

Après le souper, au moment oü chacuu se disposal k allea se reposer, elle aborda 1’écuyer du roi Périon et lui demanda de but en blanc quelle damenbsp;il aimait le plus parfaitement.

— Le roi mon maitre, répondit l’écuyer, aime toutes les dames en général, et je n’en connais au-


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BIBLIOTHEQUE BLEUE.

cune a (|iii il porte l’affection particulière. lt;i laquelle vous semblez faire t'illusion en ce moment.

Sur ces entrefaites survint Garinter qui, voyant Dariolette fort occupée a deviser avec l’écuyer, luinbsp;demanda quelle affaire elle avait li ce gentilhomme.

— nbsp;nbsp;nbsp;En bonne foi, Sire, répondit-elle, il me disaitnbsp;que Ie roi son maitre a l’habitude de dormir seul,nbsp;et, a ce que je vois, i! n’aime guère la compagnie...

Garinter, entendant cela, alia aussitót vers Pé-rion et lui dit:

—Monfrère, il m’estsurvenu quelques affaires, etcomme je me lèverai l'orcément a Theure de ma-tines, je juge que pour éviter de vous causer ennui, Ie mieux est de vous fausser compagnie pournbsp;lecoucber...

— nbsp;nbsp;nbsp;Seigneur, répondit Piéron, faites tout ainsinbsp;qmil vous plaira.

Cette réponse parut a Garinter conforme a ce que lui avait (lil Dariolette; en consequence, ilnbsp;commanda sur-le-champ (jne Pon ótat son lit de lanbsp;chambrc du roi Périon.

CHAPITRE III

Comment l’infanto Elisène et sa demoiselle Dariolelte s'en allèrent en la cliambre oü Ie roi Pdrion élait couchO.

enu Ie temps oü, plus com-' munément, cbacun prend re-.pos, Dariolelte, qui pour Ie f couteuteraent de sa maitressenbsp;I avait fait diligence extréme,nbsp;I accourut lui dire :

— Madame, il est saison ,(le parachever notre entre-

prise..... Allons, s’il vous

plait 1...

QuandElisèneentenditcela, crojmz qu’elle ne donna pas occasion d’etre reprisenbsp;du pêché de paresse. Tout au contraire, elle se levanbsp;hativement, jeta un manteau sur ses épaules et senbsp;mit en chemin avec sa suivante. Quelques minutesnbsp;après, toutes deux étaient au jardin.

Lo temps était alors serein et gracieux, la lunc claire et luisante, do manière ü donner lurnière ü nosnbsp;deux gentes pucelles qui raarchaient allègrementnbsp;sur la pointe du pied comrne deux linottes qui re-doutent la glu del’oiseleur et qui s’en vont ramagernbsp;1’amour dans quelque nid voisin. Mais, des deux,nbsp;une seule était sincèrement émue et contente pournbsp;son propre corapte, è savoir la princesse Elisène.nbsp;Quant ü Dariolette, elle eüt trés volontiers pris cenbsp;bien, ou un semblable, pour elle-même, si elle ennbsp;eüt eu moyen; et, malgré elle, en songeant ü 1’aisenbsp;prochain que devait avoir sa maitresse, elle ne pou-vait s’erapêcher de soupirer véhémentement, tontnbsp;ainsi que si elle eüt dü participer è ce bien fulur denbsp;la princesse Elisène.

— Hélasl ma dame, lui disait-clle, qu’heureux est lo prince par qui vous recevrez cette nuit tantnbsp;de plaisirl...

— Vous dites vrai, Dariolette, répondit Elisène. Maïs quoi. ne vous semble-t-il pas que la fortunenbsp;me soit aussi favorable qu’ti lui? Si je suis belle,nbsp;n’est-il pas, lui, l’un des plus parfaits quo Ton sa-clie, soit de persoimc, soit de boono grace ou denbsp;hardiesse?... Dariolette, ma mie, je me sens si heu-rouse, qu’il me serail impo.=sible de Têlre davan-tage... Mais, pour Dieu! lullons-nous, Dariolette,nbsp;halons-nous, je vous priel...

Et, en disant ces paroles, la belle pucelle, qui raourait d’envie de ne plus l’êlre, tremblail comraenbsp;une feuille sur Ie haut d’un arbre.

Bieiitót elle et sa suivante arrivèrent ii la porie de la chambre oü était couché Ie roi Périon, lequel,nbsp;tant pour rétrangeté de cette nouvelle flammcnbsp;amoureuse que pour Pespérance oü l’avaiL mis Dariolette, n’avait encore aucunement reposé.

ïoutefois, depuis quelques inslants, aggravé de travail et vaincu de somrneil, il comrnencait a s’as-soupir, et il était dans eet état qui pai ticipe de lanbsp;nuit et du jour, et dans lequel on n’cst ni endorminbsp;ni éveillé. Au moment même oü Dariolette et Eli-sèue ouvraient la porte, il rêvait précisémeiit qu’onnbsp;s’introduisait subrepticementchez lui par une faussenbsp;porte, et que quelqu’un, qu’il ne coimaissait pas,nbsp;venait jusqu’ü lui, meltait les mains dans sa poi-Irine, en arraebait son coeur tout sanglant et, devantnbsp;lui, Ie jetait incontinent dans la mer. «— Pourijuoinbsp;cette cruauté? » disait alors Périon, tout pantelant.nbsp;« —Ge n’est rien de ci'cil » répondait celui qui venait de lui fouiller dans les entrailles. « Ge n’estnbsp;rien, car il vous en demeurera encore un autre, quenbsp;je vous óterai outre mon gré... »

Périon, effrayé, s’éveilla en sursaut, et, se re-comrnandant a Dieu, fit Ie signe de la croix.

Elisi'me et Dariolelte entrèrent, et, sans lo vou-loir, firent un peu de bruit. Périon, enlenrlant co bruit, cut alors soupeon de Irahison, mêrncmentnbsp;pour Ie songe qu’il avait songé, et, levant la tête, ilnbsp;apercut eiitre les courtines la porte ouverte et, ü lanbsp;clarté de la lune, 1’otnbrc des deux gentes pucelles.nbsp;L’effroi Ie saisit de plus belle, il saillit du lit, pritnbsp;son épée et s’en alia droit vers la princesse et sanbsp;suivante.

— Qu’est ceci, Sire? demanda Dariolette, éton-née a bon droit de eet accueil. Tirez-vous done les armos contre nous qui sommes de si petite défense?

Périon rcconnut aussitót son erreur. II jeta son épée, se couvrit a la bate d’un manteau, et vint denbsp;grande affection vers collo qu’il aimait mieux quenbsp;soi-même, laquelle il baisa, caressa, ernbrassa,nbsp;mais sans rien plus. Ce que voyant, Dariolette, quinbsp;sentail la jalousie lui monter au cerveau, dit ü sanbsp;belle maitresse ;

— Eh bien ! maintenant vous devez être quasi-contente... et tout a l’heure il ne manquera rien ü volre bonheur a tous deux, car vous n’avez ni l’unnbsp;ni l’autre la force de vous garantir de 1’amour quinbsp;vous envabit...

Gela dit, Dariolette chorcha des yeux l’épée qu’elle avait vue l’instant d’auparavant eutre les mains dunbsp;roi Périon, et, l’ayant apergue par terre, oü il l’a-vait jetée, elle s’en empara comme du témoin dunbsp;serment qu’il avait fait relativernent è son mariagenbsp;avec Elisène. Puis, tirant Thuis après elle, Dariolette rentra au jardin.

Le roi demeura seul avec sa mie.

Périon ne pouvait se lasser de contempler EU-sène, en qui était toute la beauté du monde, et, après plusieurs amoureux embrasseinents, inflnitó


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LE CHEVALIER DE LA MER.

LE CHEVALIER DE LA MER.

ée une première nuit déjè,

(Ie baisers et execution dejouissance,ilserépuia au demeuranl plus que trop heureux de ce cjue 1’amournbsp;l’avait conduit un tel aise et èi une telle aventure.

Pendant que ces deux amants étaient encettejoie, incorporés et commc fondus ensemble, Elisène de-manda è Périon si son partement serait prochain.

— nbsp;nbsp;nbsp;Pourquoi, dame aimée, Ie demandez-vous?

— nbsp;nbsp;nbsp;Paree que, répondit-elle, eet te heureuse fortune qui a SU rnettre repos, par si grande jouissance,nbsp;cl nos ardents df^sirs, me menace déji de l’extrêmenbsp;angoisse et tristesse que je recevrai de votre absence... et je crains qu’ello ne me cause plutót unenbsp;prompte mort qu’une bien longue vie.

— nbsp;nbsp;nbsp;N’ayez crainte de cela, reprit Ie roi, car encore que mon corps se sépare de votre présencie,nbsp;mon coeur demeurera ci jamais avec Ie votre, qui anbsp;tous deux donnera effort, ii vous de souffrir et cimoinbsp;de tót revenir...

G’est en devisant uinsi, et en s’entr’accolant k chaque in.'-tant, que les deux contents atteignirentnbsp;la limite de cette nuit. D riolette, jugeanl qu’il étaitnbsp;temps de faire lever Elistme qui, en eet aise, auraitnbsp;trés bien pu s’oublier entre les bras de sou ami,nbsp;Dariolette entra en la chambre et dit assez haut:

— nbsp;nbsp;nbsp;Ma dame, je sais qu’autre fois vous avez eunbsp;ma compagnie plus agréable que nou pas maintc-nant... Pourtant il faut vous lever et nous en aller,nbsp;car l’heure nous presse.

Périon, sachant que force était d’ainsi faire, pria Darioletie d’aller au jardin pour s’assurer de quelnbsp;cóté yenait Ie vent, et, pendant qu’elle obéissait,nbsp;il prit amoureusement congé de sa gente Elisène,nbsp;et tous deux, dans ce court instant, goutèrent unenbsp;félicité que ceux qui aiment peuvent imaginer. Puis,nbsp;la baisant, il lui dit:

—Je vous assure, ma dame, que, pour l’amour de vous, je ferai en ce pays plus de séjour que vous nenbsp;pensez... Par aiusi, je vous supplie de n’oubliernbsp;point Ie retour en ce lieu...

Elisène promit en souriant, se leva, et se retira en sa chambre avec Dariolette, laissant Ie roi seul,nbsp;en grand contentement de sa nouvelle accointance.

GHAPITRE IV

Comment la belle Elisène relourna plusieurs fois encore en la chambre du roi Périon et du petitnbsp;garoonnet qui eu résulta.

érion, en se remembrant Ie songe qu’il avad eu, précisti-, ment dans la nuit oü il avaitnbsp;tenu la belle Elisène dans sesnbsp;. brfis, ne pouvait cbasser unnbsp;¦lt;%! certain épouvantement quinbsp;lui était restó de ce songe;nbsp;pour un peu, il cut tout quitténbsp;pour retourner incontinent dans sonnbsp;pays oü pour lors se trouvaient asseznbsp;i de philosophes qui se connaissaientnbsp;eu cette science des s()nges. Néau-moins, il séjourna dix jours avec Ienbsp;roi Garinter, depuis Ia jouissancenbsp;d’Eliscne, laquelle nefaillaitpasnbsp;toules les nuits a retourner aunbsp;lieu oü elle s'élait si bien Irou-

Les dix jours passés, Ie roi Périon, forijant sa vo-lonté et nonobstant les larmes et les prières d’Eli-sène, qui ne furent que trop excessives, s’en partit et, de fait, prit congé de la cour. Mais, ainsi qu’ilnbsp;voulait monter ü cheval, il s’apergut qu’il n’avaitnbsp;point sa bonne épée, ce dont il fut assez faché pareenbsp;que c’était Tune des meilleures et des plus bellesnbsp;du monde. Toutefois, il ne l’osa demander, de peurnbsp;que Ie secret de ses amours avec Elisène ne fut dé-couvert, ou que Ie roi Garinter ne se fachat conlrenbsp;quelqu’un des siens qui hantaient en sa chambre.

En telles pensées, accompagnées d’infinis regrets, Périon, saus plus de séjour, prit son chemin ennbsp;Gaule.

Au moment oü il allait disparaitre, Dariolette s’approcha de lui et Ie supplia d’avoir souvenancenbsp;de l’ennui grand dans lequel il laissait son Elisène,nbsp;Pt aussi de la promesse qu’il lui avait faite.

— Hélas! ma grande amie, lui répondit Périon, je vous prie de l'assurer qu’il n’y aura aucunenbsp;faute, et que, prochainement, je la verrai, plusnbsp;amoureux d’elle que jamais. Je vous la recommandenbsp;comme mon propre coeur...

Puis, tirant de son doi'-'t un anneau qui était semblable è uu autre qui lui demeurait, il Ie remitnbsp;è Dariolette et la chargea de Ie donner è Elisène ennbsp;souvenir de lui. Gtda fait, il s’éloigna.

Dariolette plaga au doigt de sa belle maitresse ranneau qu’elle venait de recevoir du roi Périon,nbsp;en lui rapportant frdèlement les ainoureuses parolesnbsp;qu’il avait dites sur son départ. Mais ce nouveaunbsp;présent, au lieu d’amoindnr la grande tristessenbsp;d’Elisène, ne fit, au contraire, que l’augmenter;nbsp;tenement, que si cette gente princesse n’eüt été ré-confortée par Dariolette, sans doute elle fut lorsnbsp;trépassée.

Heureusement que Dariolette était la, veillant sur elle. Cette fidéle suivante lui persuada de prendrenbsp;espérance, et, par ses remontrances aclroites, la fitnbsp;revenir un peu ü des sentiments moins apres.

Bientót Elisène se sentit grosse d’enfant, et, è cette occasion, elle perdit non-seulement Ie goütdenbsp;la viande, mais encore Ie plaisir du repos et lesnbsp;joyeuses couleurs de son clair visage. Les douleursnbsp;vinrent, et les soucis. Jamais cette gente princessenbsp;u’avait été assise en un si haut point de tristesse 1

Et il y avait d’ailleurs bien de quoi, car, en ce temps-lè, était loi inviolable que toute fille ounbsp;femme, de quelque qualité qu’elle fut, forfaisant denbsp;cette faeoii, ne se pouvait soustraire a la mort; laquelle facheuse et cruelle coutume dura jusqu’a lanbsp;venue du vertueux roi Artus.

Voilé l’ennui auquel Ie r()i Périon avait laissé sou Elisène. Comment Ie lui faire savoir? Ce jeune roinbsp;était loin, emporté par son goüt des aventuresnbsp;étranges et hasardeuses, partant difficile é trouver.

Ainsi désespérée de ce secours, Elisène n’espé-rait nul reroède é sa vie, qui ne lui coütait tant k perdre que paree qu’elle perdait en même tempsnbsp;son ami et seigneur.

Mais Ie grand et puissant fabricateur de toutes eboses ne voulait pas ce malheur, et sans doute ilnbsp;s’intéressait é cette gente créature, coupable dunbsp;doux crime d’amour.

II y avait au palais du roi Garinter une chambre voütée séparée des autres, assez prés de laquellenbsp;passait unè rivière, oü. l’on pcmvail descendre aisé-


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BIBLIOTHEQUE BLEUE.

ment par un petit huis de fer. Suf Ie eonseil de Fa-visde Dariolette, cette chambre fut demandée par Elisène au roi sou père, lant, disait-elle, pour sonnbsp;aise, que pour mieux maintenir la vie solitaire è la-quelle elle était accoutumée depuis longtemps. Et,nbsp;pour toute compagnie, elle n’exigea que Dariolette,nbsp;qui était au courant de ses pensees et de ses actes.

Cette requête lui fut octroyée trés facilement, Ie roi Garinter estimant que 1’intention de sa fdle étaitnbsp;telle qu’elle feignait de Favoir. Et, amp; cette cause, lanbsp;clef de Fhuis fut baillée amp; Dariolette, afin qu elle putnbsp;s’en servir lorsqu’il prendrait fantaisie amp; sa bellenbsp;maitresse d’aller se récréer sur Feau.

Cela se rencontrait è merveille, comme on devine bien.

Un jour, élant en eet endroit seule avec sa demoiselle, la princesse soupira, et, se mettant en propos, lui demanda ce qu’il faudrait faire du fruitnbsp;que Dieu lui envoyait.

— nbsp;nbsp;nbsp;II faut qu’il souffre pour vous racheter, ré-pondit Dariolette.

— Ah! mère pucelle! s’écria douloureusement Elisène, comment pourrais-je jamais consentir a lanbsp;mort de la pauvre creature engendrée en moi parnbsp;la personne que j’aime Ie plus au monde!...

— S’il vous faut mourir vous-même, la chose étant découverte, croyez-vous qu’on laissera vivrenbsp;eet enfant 1 reprit la demoiselle.

— nbsp;nbsp;nbsp;Mais, répoudit Elisène, si je ineurs commenbsp;coupable, est-ce la une raison pour que ce petitnbsp;innocent en souffre?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Si vous étes découverte, ma dame Elisène,nbsp;vous serez cause de la mort de trois créatures vi-vantes : vous d’abord, votre enfant ensuite, puis denbsp;Farai que vous aimez taut et qui ne pourra vousnbsp;survivre,apprenant Févénement... Si, au contraire,nbsp;vous évitez ce péril, im temps viendra ou ce princenbsp;et vous pourrez avoir ensemble assez d’autres en-fants qui vous feront oublier Faffection quo vousnbsp;portez k ce premier...

La conversation en resta lè. Seulement, comme si elle eüt été yéritablement inspirée de Dieu, Dariolette s’imagina aussitót de conslruiro de sesnbsp;mains, è Finsu même de la princesse, un coffrenbsp;propre è loger un enfant, avec ses langes et Fépéenbsp;qu’elle avait en sa possession. Lorsque les quaIrenbsp;ais eurent été assemblés, elle les joignit solide-ment avec du ciment, de fagon è ce que Feau n’ynbsp;put pénétrer, et, cela fait , elle plapa cette petitenbsp;nauf sous son lit pour Fen tirer en temps opportun.

Elisène ne tarda pas è ressentir les angoisses du' mal d’enfant. 11 se fit en ses entraillcs un travailnbsp;inaccoutumé et bien étrange pour elle, dont sounbsp;coeur fut mis en grande perplexité et amertume.

Toutefois, malgré sa douleur, la pauvrette n’o-sait autre chose faire que de se taire, de peur d’etre entendue. Peu k peu son martyre redoubla, et,nbsp;finalement, elle accoucha d’un beau garconnet quenbsp;Dariolette rcQUt dans ses bras et qu’elle plaQa ensuite dans le coffret que vous savez, après Favoirnbsp;douillettement enveloppé dans de riches draps.

— Qu’allez-vous done faire? s’écria la pairre princesse, un peu effarouchée dé ce berceau étrange.

~ le lancer k Feau dans ce coffret, et s’ll plait k Dieu, ma dame, it pourra échapper et vivre,nbsp;repondit tranquilleraent Dariolette.

.— riélas 1 murmura Elisène, les iarmes aux yeux, en contemplant le nouveau-né, cher cnfantelet,nbsp;quelle destinéesera la votre?...

Dariolette, sans s’occuperplus qu’il nefallaitdes Iarmes de sa belle maitresse, prit encre et parche-rain, et écrivit lisiblement ces paroles : Cet enfantnbsp;est Amadis, fils de roi. La lettre écrite, pliée, cou-verte et cachetée de cire, Dariolette Fattacha avecnbsp;un cordon au cou de Finnocent garponnet, avecnbsp;Fanneau du roi Périon, et plapa k cóté de lui 1’épéenbsp;dudit prince, ramassée par elle, corame on salt.

Quand tons ces préparalifs eurent été terminés, Dariolette prit le coffre et Fapprocha du lit de lanbsp;dolente mere, qui baisa le petit enfangon avec unenbsp;angoisse passionnée, en lerecommandantk la gardenbsp;de Dieu. Puis elle ouvrit la porte de fer qui fermaitnbsp;la chambre voütée, fit quelqucs pas sur la bergenbsp;avec son précieuxfardeau, et le confia auxflots ra-pides de la rivière qui passsait Ik et qui allait se je-ter dans la mer a moins d’une demi-lieue de Ik.

GHAPITRB V

Comment le petit garconnet, fruit secret des amours du roi Périon et de la princesse Elisène, abandonnd par Dariolette au fil de I’eau, fut recueilli par un gentilhommenbsp;nommd Gandalcs.

’aube du jour commeiipait alors a poindre, et la petite créature aban-donnée par Dariolette au fil de Peaunbsp;voguait k Faventure dans sa petitenbsp;nauf, ballottcc par cette vague, rc-poussée par cette autre, et saus cessenbsp;au moment d’êtrc engloutie vivantenbsp;dans les abimes de la mer ou briséenbsp;sur les rcscifs de la cote.

Mais, par le vouloir de Dieu, le-quel, selonsou plaisir, fait les impos-süulilés possibles, survint une aven-ture qui sauva cet enfantc-let des dangers de mort qu’il courait. Cette aven-ture était un navire quinbsp;faisait voile pour FEcossenbsp;dans lequel se trouvait un gentilhomme de la Petite-Bretagne, nomménbsp;Gandales, avec sa jeune, femme accou-chée d’un fils nommé Gandalin.

La matinée, pour lors, était claire et le temps calme, ce qui permit k Gandales d’apercevoir lenbsp;petit coffre dans lequel était Fenfant d’Elisène, etnbsp;qui s’en allait de ci de Ik au gré des vagucs. II or-donna aux mariniers de se diriger de ce cóté-la, afinnbsp;do s’assurer du conlenu de ce coffret.

Les mariniers obéircnt. 11s mirent un esquif a Feau, s’approchèrent du berceau, croyaut avoirnbsp;affaire k quelque objetdeprix, et le ramenèrent ennbsp;grande hate k Gandales,

Quand ce gentilhomme le tint et qu’il cut levé la couverture sous laquclle était cache Fenfant et lesnbsp;riches draps dont il était enveloppé, il cut aussitótnbsp;soüpQon qu’il venait de bon lieu, corame d’ailleursnbsp;en donnaient témoignage Fépée et Fanneau qu’ilnbsp;trouva avec le reste. Lors, le prenant dans ses bras,nbsp;il en fut si compassionné qu’il se prit a maudire la


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LE CHEVALIER DE LA MER.

LE CHEVALIER DE LA MER.

jout en cheminant pour retourner ym Gaule, le roi Périon devint biennbsp;'mélancolique a propos du délais-sement de son Eliséne qu’ilaimaitnbsp;ijbeaucoup, et du songe qu’il avaitnbsp;/fait.

Et, tout en cheminant, il finit, toujours escorte de cette tristesse, parnbsp;arriver dans sesEtats.

wn Bientüt il manda vers lui les grands segnbsp;nbsp;nbsp;nbsp;seigneurs et prélats do son royaume,

les engageant é amener avee eux les ' ^ cleres les plus érudits qu’ils avaient dansnbsp;leurs diocèses ou contrées pour oxpliquer lenbsp;songe ci-dessus.

Lorsque le bruit de son retour fut répandu, non seulement ceux qu’il avait mandés, mais tous sesnbsp;vassaux vinrent le voir et protester de leur obéis-sance; car ils l’avaient en grande amitié et respect,nbsp;ct é tout moment ils craignaient de le voir suc-coinber dans les dangers auxquels 1’honneur et lanbsp;cbevalerie Pexposaient.

Aussi leur désir était de le voir toujours parmi eux; mais cela ne pouvait être, car son coeur n’étaitnbsp;satisfait que lorsqu’il avait mis é bonne fin de grandsnbsp;et hasardeux périls.

Les princes et seigneurs assembles, le roi les entretint des affaires du royaume avee un visagenbsp;aussi triste que possible. Le songe Tattristait lounbsp;jours, au grand chagrin de tout le monde; néan-moins, aprés avoir mis ordre aux affaires, il congé-dia tout le monde.

II retint seulement trois astrologues trés experts en matière de songes-, il fit entrep ces oracles dans

maratro qui, par crainte, avait si cruellenient aban-donné cette chétive et innocente creature.

Ge ne fut pas tout; il recueillit soigneusement les petits rneubles trouvés dans Ie coffret, et, con-fiant eet intéressant gargonnet è sa femme, il la prianbsp;de Ie considérer comrae un second fils, comme Ienbsp;frère putné de Gandalin, et de leur donner indiffé-remraent ü l’un et è l’autre ses maraelles gonfléosnbsp;d’un lait fortifiant.

La femme de ce genlilhomme était aussi pitoyablc que lui. Elle s’empressa de présenter Ie bout de sonnbsp;télin a ce petit garconnet, qui s’en erapara et lonbsp;vida tout dmne haleine, tant il avait soit; de quoinbsp;Gandales et sa compagne furent trés joyeux.

Leur navire marchait toujours, et toujours Ie temps était favorable. Si bien qu’en peu de jours,nbsp;ils prirent port en Ecosse, prés d’une ville tiomméenbsp;Antallia. Et, peu après aussi, ils arrivèrent en Tunenbsp;de leurs terres, en laquelle furent nourris et élevésnbsp;Ie petit Gandalin et le garconnet trouvé dans lanbsp;mer, qu’on prit naturellement pour deux fréresnbsp;jumeaux, Gandales ayant recommandé le secret la-dessus aux mariniers.

CIIAPITRE VI

Comment le roi Périon, partant de la Pelite-Brelagne, che-minaii ayant le coeur trop rempli d’ennui et de mélan-colie.

sa chapelle et leur fit jurer et promettre, sur la sainte Eucharistie, de leur donner, quels qu’ennbsp;puissent être les résultats, l’interprétation de leurnbsp;science.

Puis il leur récita Ie songe.

L’un d’eux, nommé Ungan-le-Picard, lui ré-pondit:

—Sire, songes sont choses vaines et doivent être tenus pour tels; toutefois, puisque vous le désirez,nbsp;donnez-nous terme pour y penser.

— Soit, dit le roi, donnez-moi votre réponse sous douze jours.

Mais pour qu’ils ne pussent s’entendre, il les fit séparer et surveiller pendant ce temps.

Le jour arrivé du rendez-vous, il prit a part le premier astrologue Albert de Champagne, et luinbsp;dit :

- Vous m’avez juré et promis la vérité; décla-rez-moi votre sentiment.

— Sire, je vous le dirai devant tous les autres.

— Trés bien, dit le roi.

Et il fit appeler les deux autres oracles.

—Mon avis, Sire, dit alors Albert de Champagne, est que la chambre fermée et ce que vous vites en-Irer par la porte secréte, signifie que ce royaumenbsp;dos et bien gardé sera envahi par quelqu’un, etnbsp;votre ccBur arraché et jeté en rivière, sera uue villenbsp;ou forteresse prise d’assaut sans retour.

— Et que signiftera l’autre cceur, dit le roi, dont je restais possesseur et qu’un autre traitre me ravitnbsp;é la grande colère du premier.

— Gela veut dire, répondit Albert, qu’un second envahisseur, poussé par un étranger, vous forceranbsp;contre son gré : voilé ce que je puis vous en dire.

— Le roi pria le second astrologue nommé An-talles, de lui donner son avis.

— Sire, Albert a trés bien dit, et je partage son opinion, a cette différence prés, que ce qu’il met aunbsp;fiitur est déjé arrivé par le fait de celle que vousnbsp;aimez. Ce qui me surprertcl, c’est que votre royaumenbsp;est intact, et si vous en perdez un peu, ce ne peutnbsp;être du fait d’un ami.

Le roi secoua la tête, car il ne trouvait pas l’explication compléte.

Mais Ungan-le-Picard so prit é sourire en homme qui en sait plus long que les autres. Le roi s’ennbsp;apercut et lui dit:

—11 n’y a plus que vous, Ungan, mon ami; dites hardiment votre pensée.

— Sire, j’ai corapris des choses que vous seul pouvqz entendre; faites done retirer les autres.

A ces mots, le roi et Ungan furent laissés en tête-a-tête.

— J’ai souri, sire, a propos d’un mot d’Antalles, que vous n’avez pas relevé, et qui pourtant estnbsp;sérieux, savoir que le songe vous était arrivé déjanbsp;par la personne qui vous aimait le raieux; main-tenant je vous dirai ce que vous croyez savoir toutnbsp;seul... Vous aimez en tel lieu, vous êtes heureux,nbsp;et cello que vous aimez est excellemraent belle.nbsp;Pour la chambre oü vous étiez, vous vous rappeleznbsp;l’apparition de votre aimée par une ouverture se-crèle; les mains qui ouvrirent votre coté, sont vosnbsp;baisers amoureux; le coeur qu’on en tirait veut direnbsp;qu’il y aura fils ou tille.

— Dites done, reprit le roi, pourquoi elle le jetait dans la rivière?...


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8 BIBLIOÏHEQUE BLEUE.

— Cela ne vous concerne pas, répondit Ungan; ue vous en inquiétez done pas.

— J’exige Ie tout, quoi qu’il en advienne.

— Sire, assurez-moi que vous n’eii saurez pas mal gré k celle qui aime si loyalement...

— Je vous Ie promets, dit Ie roi.

— Le coBur que vous avez vu jeter amp; l’eau est Ie premier enfant qu’elle aura de vous : il sera aban-donné.

— Et l’autre quo je conserverai ? deraanda le roi.

— nbsp;nbsp;nbsp;C’est qu’elle concevra un-autre enfant qu’onnbsp;ravira contre la volonté de la mère, cause de lanbsp;perte du premier.

— nbsp;nbsp;nbsp;Voici un cas bien étrange, dit le roi. A Dieunbsp;ne plaise que mes enfants soient aussi malheureuxl

— nbsp;nbsp;nbsp;Aux choses ordonnées et promises par Dieu,nbsp;dit Ungan, nul ne saurait contredire, le sage restenbsp;calme fi la pensee que Dieu agit en dehors de la raison des hommes... Oubliez, Sire, oubliez ce quenbsp;votre curiosité a voulu savoir; rapjiortez k Dieunbsp;toutes ces choses, et priez-le qu’elles arrivent pournbsp;sa gloire éternelle... Voilé le parti que vous deveznbsp;prendre...

Le roi, satisfait d’Ungan, le retint auprès de lui et le combla de biens.

Or, au moment raême oü le roi quittait ses phi-losoplies, une demoiselle plus riche de vêtements que de beauté se présenta devant lui et lui dit:

— nbsp;nbsp;nbsp;Saches, roi I’érion, que quand tu recouvrerasnbsp;ta perte, la seigneurie d’Irlande perdra sa fleur...

Cela dit, elle tourna bride avant que le roi put l’arrêter.

Le bon prince sentit encore augmenter ses do-lentes preoccupations.

CHAPIÏRE Vil

Comment le Chevalier de la Mer fut élevé par Gandales, el comment la fée Urgande-la-Déconnue apparut k ce chevalier.

L’enfant que Gandales avait fait appeler Chevalier de la Mer était devenu superbe, grace aux soins qui l’entouraient: il faisait Fadmiration de tout lenbsp;pays.

Gandales, un jour, prit fantaisie de s’aller esbat-tre aux champs, et, pour ce, s’arma comme il faisait au temps des aventures courues avec le roi Languines, lequel avait discontinue les armes.

Ghemin faisant, uue demoiselle s’approcUa de lui et lui dit:

— Gandales, si ce que je sais était connu de quelques grands personnages, la tète ne serail pasnbsp;longtemps sur tes épaules!...

— nbsp;nbsp;nbsp;Et pourquoi? demanda Gandales.

— nbsp;nbsp;nbsp;Paree que tu nourris leur mort en ta maison.

Le ciievalier n’avait jamais vu cette femme.

C était celle qui avait dit au roi Périon que quand sa perte serail recouverte, la seigneurie d’Irlandenbsp;perdrait sa Beur.

Gandales parut bien élonné de ces mots dont le sens lui échappait; il la pria de lui indiquer.

— Je te dis la vérité pure, repartit-elle.

Puis elle s’enfuit, le laissant fort pensif,

Bientót il Papergut accourant en bate et appelant é son secours; elle fuyait un chevalier armé.

Piquant alors des éperons, Gandales barra le chemin au poursuivant.

— nbsp;nbsp;nbsp;Misérable chevalier mal avisé, qui vousnbsp;pousse é outfager si lachement les demoiselles?nbsp;cria-t-il.

— nbsp;nbsp;nbsp;Comment? répondit l’autre, vous la défendez,nbsp;elle qui, par troraperie, perd raon corps et monnbsp;ame?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Peu m’importe! répliqua Gandales, je la défen-drai de tout mon pouvoir, car les dames ne doiventnbsp;être jamais corrigées ainsi, bien qu’elles l’aientnbsp;mérité.

— nbsp;nbsp;nbsp;Vous Tallcz voir, dit le chevalier.

Et, tout aussitót, il retourna vers le fourré d’ar-bres oü il avait laissé une belle demoiselle, sa mie, laquelle, voyant son danger, lui tendit vitementnbsp;sou écu et sa lance afin qu’il put se défendre. Unenbsp;fois armé, il revint vers Gandales, qui l’attendaitnbsp;b/avement.

Leur choc fut violent, è ce point que leurs lances furent rompues sur leurs ecus et qu’ils tom-bèrentde cheval.

Ils commencèrent alors un merveilleux combat a pied, qui eüt fini fort mal sans I’inlervention de lanbsp;dame qui avait implore Gandales.

Elle se mit entre les deux et leur dit:

— nbsp;nbsp;nbsp;Holé, seigneurs, c’est assez bataillé.

A ces mots, le chevalier qui la poursuivait se re-tira.

— nbsp;nbsp;nbsp;Or, venez, lui dit-elle, me demander pardon.

— nbsp;nbsp;nbsp;Trés volontiers, répondit le chevalier.

Et, jetant son écu bas et son épée a terre, il vint se prosterner k deux genoux devant elle, cequi sur-prit beaucoup Gandales.

La dame dit ensuite au chevalier :

— nbsp;nbsp;nbsp;Allez dire é cette demoiselle qui est Ié -basnbsp;sous les arbres, qu’elle parte aussitót, sinon quenbsp;vous lui couperez la tête...

Le chevalier obéit sans sonner mot et s’en alia dire é cette belle inconnue, que cependant il aimaitnbsp;plus que lui-mêrae ;

¦— Traitresse femme, je ne sais comment je mo retiens de te tuer présentementl...

La pauvrette s’apergut vite que son ami était en-chanlé et qu’il n’y avait rien a répliquer; elle monta sur son palefroi et s’éloigna le eoeur tout en deuil.

Celle que Gandales défendait lui dit;

.— Vous avez tant fait pour inoi, que je ne l’ou-blierai jamais, et maintenant vous pouvez aller oü bon vous semble, car si ce chevalier m’a offenséo,nbsp;je le lui pardonne de bon emur.

— Je u’ai que faire de votre pardon, répondit Gandales; je lerminerai ce combat, ou il s’avoueranbsp;vaincul...

— nbsp;nbsp;nbsp;11 faut laisser cela, reprit la demoiselle; carnbsp;seriez-vous le meilleur chevalier du monde, que jenbsp;m’arrangerais pour qu’il vous vainiiuit...

— Vous ferez ce que vous voudrez, répondit Gan-dalcs, mais je persisterai, é raoius que vous uo mo disiez pourquoi je garde la mort de beaucoup donbsp;geus de bieii.

—Je vousledirai, dit-elle, paree que je vous aime tous deux, lui comme ami et vous comme défen-seur.

Alors, le tirant é part, olie lui dit;


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LES CHEVALIERS DE LA MER. !)

— nbsp;nbsp;nbsp;Vous me jurez, en loyal chevalier, que per-sonne autre que vous ne Ie saura jusqu’a ce que jenbsp;vous en prie; sachez done que ï’enfaiit que vousnbsp;avez trouvé dans la mer sera quelque jour la fleurnbsp;de chevalerie, et sera l’épouvante des plus forts...nbsp;II fera de tels exploits qu’ils ne pourront êlre altri-bués a un seul homme... 11 vaincra les superbes; ilnbsp;sera doux et gracieux aux bons; il aimera en hautnbsp;lieu et tiendra comme chevalier Ie premier rangnbsp;d’amour. Je vous assure qu’il est fils de roi, et cer-laineraent ce que je vous dis arrivera... Si vousnbsp;rompez Ie secret, vous en serez bien puni.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ahl madame 1 répondit Gandales, dites-moi oünbsp;je puis vous Irouver pour conférer des affaires denbsp;eet enfant?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Ni moi ni d’autres ne pourront vous l’ap-prendre...

— Au moins, que je sache votre nom, s’il vous plait...

—Vous insistezsibien, reprit la dame inconnue, que je consens ii vous l’apprendre... Je vous dirainbsp;même que ce dont je suis Ie plus affolée est ce chevalier qui vient de partir... J’en fais pourtunt cenbsp;que je veux, saus qu’il puisse se révolter...

— Ainsi, demanda Gandales, votre uora est...

— Mon nom est Urgande-la-Déconnue... vous me connaissez maintenant, n’est-ce pas?...Et, pournbsp;que vous me reconnaissiez mieux désorrnais, re-gardez-moi bien des pieds la tête, s’il vous plait.

Ge quj disant, Urgande qui, aux yeux de Gandales, avail été jusque-lli une gente pucelle de di\-huit printemps au plus. fraiche comme une aurore, lui apparut vieille, ridée, rabougrie, rataliuée,nbsp;cassée et débile, si vieille et si chétive même, qu’ilnbsp;eut peur de la voir tomber de cheval.

Mais comme les fees, après tout, sont femmes par beaucoup de cólés, et qu’elles n’aiment pas ê êtrenbsp;vues trop longtemps sous une forme abjecte et dif-forrae, Urgande tira d'uneboite qu’elle portalt con-tinuellement sur elle un onguent particulier dontnbsp;elle s’oignit vitement, et, tout aussitót, elle repritnbsp;la forme sous laquelle Gandales l’avait aperoue, lanbsp;forme séduisante.

— Eh bien 1 que vous en serable ? demanda-t~elle h Gandales, ébahi. Croyez-vous qu’il soit possible de me Irouver sans ma volonté, si vite quenbsp;vous puissiez courir? Restez tranquille, je vous Ienbsp;conse.ille: tous les vivants perdraieut leurs pas a menbsp;suivrel...

^— Sur ma foi, madame, répondit Gandales, je n’en dqute pas; je vous supplie toutefois de vousnbsp;souvenir du chevalier, qui est délaissé de tous, hor-mis de moi seul...

— Ne vous en fachez pas, dit Urgande, eet abandon lui rapportera beaucoup; je l’airae plus que vous ne croyez, il doit par deux fois me servir, et,nbsp;de mon cóté, je lui rendrai deux services ê sa grandenbsp;joie. Que cela vous sufiise... Vous me reverrez plu-tót que vous ne croyez.

Gandales qui n’avait pas encore regardé Ie chevalier son adversaire, Tapergut la tète nue : il lui parut être uu des plus beaux gentilshommes qu’ilnbsp;eüt vus. II partit, escorlant la demoiselle.

De son cöté, Gandales revint ê son chateau et rencontra la demoiselle qu’Urgande avait séparéenbsp;dg son ami; cette dolpnte femme pleurajt au bordnbsp;d’une fontaine, il en fut facilement reconnu, et ellenbsp;lui dit:

— nbsp;nbsp;nbsp;Est-il possible, chevalier, que la méchantenbsp;femme que vous avez secourue vous ait laissé la vienbsp;sauve ?

— nbsp;nbsp;nbsp;Elle n’est pas méchante, répondit Gandales,nbsp;mais sage et vertueuse, et si vous n’étiez telle, jenbsp;vous ferais déinentir cette folie parole.

— nbsp;nbsp;nbsp;Eh Dieu 1 reprit-elle, comme elle sait trompernbsp;chacunl...

— En quoi done vous a-t-elle trompee? demanda Gandales.

— Hélas! soupira-t-elle, elle m’a enlevé ce beau chevalier qui mien était, je puis l’avouer, car il menbsp;préférerait h elle; et, si je Ie puis, je me vengerai.nbsp;Du resle, souvent il arrive qu’un jugement témé-raire amèue des suites facheuses.

Gandales la laissa et continua sa route, plus oc-cupé du Chevalier de la Mer (]ue de toules ces his-toires. II se trouva bientót prés de chez lui, et Ie jeune enfant l'ayant apergu, vint ê sa rencontre etnbsp;l’embrassa tendrernent. Gandales lui rendit ses caresses en se souvenant des paroles d’Urgande qui Ienbsp;concernaient; les larraes lui vinrent aux yeux, et ilnbsp;pria Dieu qu’il deviiil ce qu’il souhaitait qu’il fiit.

Le Chevalier do la Mer avait alors environ trois ans; il essuya les pleurs de Gandales, ce qui parutnbsp;h celui-ci d’un bon augure pour riiumanité qu’il de-vait avoir et les soins qu’il pouvait attendre de luinbsp;dans l’aveitir.

Aussi en eut-il grand soin et prenait-il plaisir a lui faire exercer rare et les jeux d’enfants avec lenbsp;petit Gandalin.

Le Chevalier avait six ans, que Ie roi Iianguines et sa femme, passant par lepays, s’arrêtèrent cheznbsp;Gandales oü l’on fit des fêtes. Gandales, averti ènbsp;temps, éloigna Ie Chevalier, de peur d’enlèvement hnbsp;cause de sa gentillesse, et le relégua avec de petitsnbsp;amis dans une retraite adjacente.

Par malheur la reine, regardant un jour par une lucarne, apercut le Chevalier de la Mer tirant denbsp;l’arc avec ses compagnons; elle fut frappée de sonnbsp;adresse et de sa bonne mine, et elle pensa qu’il étaitnbsp;le fils de leur hóte.

Lors, appelant ses femmes:

— Venez voir, leur dit-elle, le plus charmant être qu’on vit jamais!

Elles accoururent toutes et furent témoins des ébats du Chevalier qui, k ce moment, vint étanchernbsp;sa soif dans l’eau d’un ruisseau voisin. 11 avaitnbsp;laissé son arc prés du but, et un de ses compagnons, plus grand que lui, s’exergait avec; ce quenbsp;Gandalin voulut empêcher. Mais, comme il était denbsp;force inférieure, il cria bientöt a haute voix :

— Chevalier de la Mer, ü mon secoursl

Le Chevalier accourut ü ces cris, et, prenant l’arc avec violence, il en frappa a la tête l’adver-saire de G mdahn son frère, cn lui disant:

— Pourquoi oulragez-vous ainsi mon frère?

Le baitu, raécontent, se jeta sur le Chevalier; ils se colli'tèrent, mais bientöt terrassé, le premiernbsp;s’enfuit juste sur les pas de leur gouverneur, quinbsp;lui dit:

— Pourquoi te sauves-tu ?...

— Seigneur, répondit-il, le Chevalier de la Mer veilt me battr^,,,


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10

BlBLIüTHEQUË BLEUE,

Mors Ie gouverneur, s’approchant du Chevalier, lui dit dun air mcnacant:

— nbsp;nbsp;nbsp;Comment! déja vous êtes en rixe avec vosnbsp;compagnons? II vous en cuira, je vous Ie prédis

Le Chevalier de Ja Mer, se voyant ainsi menace, se mit amp; genoux et répondit:

— nbsp;nbsp;nbsp;S’il faut que je sois fouetté, j’y consens plutótnbsp;que de voir outrager mon frère en ma préserice...

En disant cela, les larmes jaillirent de ses yeux, ce qui émut le gouverneur.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ne recomrnencez pas, reprit celui-ci, car jenbsp;vous ferai pleurer d’autre sorte!

La reine, qui avail vu et entendu tout ce débat, se demandait pourquoi Ton appclait ce jeune garsnbsp;ie Chevalier de la Mer.

CIIAPITRE VIII

Comme le roi Languines emmena avec lui le Chevalier de la Mer, et Gandalin fils de Gandalcs.

Pendant que la reine regardait le Chevalier do la Mer, le roi entra avec Gandales; elle demanda ènbsp;ce dernier si ce bel enfant était Je sien.

— nbsp;nbsp;nbsp;Oui, madame, répondit Gandales.

— nbsp;nbsp;nbsp;Et pourquoi le faites-vous appeler le Chevaliernbsp;de la Mer? dit la reine.

— nbsp;nbsp;nbsp;Paree que, madame, repartit Gandales, il estnbsp;né-sur la mer, au retour d’un voyage que je lis der-nièrement dans la Pelite-Bretagnc.

— nbsp;nbsp;nbsp;Vraiment? fit-elle. II vous ressemble peu...

Elle parlait ainsi paree que le Chevalier de la Mer

était d’une grande beauté et Gandales assez laid de visage, quoique trés gentil compagnon.

Pendant cette conversation, le roi jeta é son tour ses yeux sur le chevalier, et celui-ci lui faisant lanbsp;mêihe impression qu’a la reine, il pria Gandales denbsp;le faire approcher.

— nbsp;nbsp;nbsp;Et puis, dit-il, au partir de céans, je l’em-raènerai avec moi et le ferai élever avec mon fils.

— nbsp;nbsp;nbsp;En bonne foi,Sire, répondit Gandales, il estnbsp;encore bien jeune pour quitter sa mere.

Malgré cela, le jeune garponnet fut présenté au roi, qui lui demanda s’il voulait venir é la cour.

— nbsp;nbsp;nbsp;J’irai oü il vous plaira, répondit le chevalier,nbsp;si mon frère vient avec raoi.

— nbsp;nbsp;nbsp;Et moi, dit Gandalin, je ne resterai pas icinbsp;sans lui.

— nbsp;nbsp;nbsp;D’après ce que je vois, Sire, reprit Gandales,nbsp;si vous l’emmenez, il fatidra prendre I’autrc aussi.

— nbsp;nbsp;nbsp;Cela me sied, répliqua le roi.

Et appelant son fds Agraies, il lui dit;

— nbsp;nbsp;nbsp;Mon fils, je veux que vous aimiez ces deuxnbsp;gentils bouts d’homme, comme j’aime moi-mêrnenbsp;leur père...

Gandales, voyant le roi tenir il son dessein, sentit les larmes lui venir aux yeux. II souhaita au fondnbsp;de sou eoeur que les prédictions d’Urgande fussentnbsp;vraies, surtout pour les grandes inerveilles promisesnbsp;aux armes du chevalier.

Le roi, qui observait Gandales, le voyant pleurer, le plaisank, disant;

— nbsp;nbsp;nbsp;Vraiment, je n’eusse jamais pensé que vousnbsp;füssiez assez fou dc pleurer pour un enfant!...

Ah I Sire, répondit Gandales, c’est avec plus

de raison que vous ne peusez que je pleure, et, s’il vous plait de m’écouter, je vous le dirai devant lanbsp;reine...

Mors il leur raconta comment il avait trouvé le Chevalier en mer, et dans quel équipage. II cutnbsp;méme parlé des prédictions d’ürgande, n’eüt été lenbsp;serment qu’il avait fait.

— nbsp;nbsp;nbsp;Et maintenant, ajouta-t-il, ordonnez de lui cenbsp;qu’il vous plaira, car, d'après son origine, je le croisnbsp;issu de hien grand lignage...

Le roi, après ce discours, complimoata Gandales d’avoir élevé si bien un enfant trouvé, et il lui repartit :

— nbsp;nbsp;nbsp;II est bien juste, puisque Dieu l’a protégénbsp;jusqu’ici, qu’a présent nous ayons pour lui desnbsp;soins contiuués jusqu’k son établissement.

— nbsp;nbsp;nbsp;Pendant son jeune age, je !e réclame pournbsp;moi, dité son tour la reine; lorsqu’il sera devenunbsp;homme, je l’abandonnerai a votre service.

— Prenez-Ie done I répondit le roi.

Le lendemain, le roi s’en voulut aller, et la reine, se gardant d’oublier le présent qu’on lui avait fait,nbsp;prit avec elle Gandalin et le Chevalier de la Mernbsp;qu’elle recommanda comme son fils è ses serviteurs.

CIIAPITRE IX

Comment, après la mort de Garinter, le roi Périon songea a rejoindre sa mie Elisène.

Périon était arrivé en Gaule, plus pensif que jamais, et ne comprenant pas beaucoup Texplicatioii donnée é ses songes et les paroles de la demoiselle,nbsp;h savoir; qu’au temps qu’il recouvrerait sa perte, lenbsp;pays d’Irlande perdrait sa fleur.

11 était Ié depuis quelque t((mps, lorsqu’une demoiselle vint é sa cour et lui remit uno lettre d’Eli-sèiie, laquelle lui annongait la mort du roi Garin-ler, sou père, et le priait de s’intéresser é son isolement, car le roi d’Ecosse voulait la spolier do son bien.

La mort du roi Garinter n’effraya pas le roi Périon ; il ne pensa qu’a une seule chose: il allait revoir sa mie, pour laquelle il brülait toujours.

II renvoya promptement la demoiselle en lui disant:

— Annoncez é votre maitresse que je me mets en marche, sans attendro un jour, pour accourirnbsp;auprès d’elle 1...

La demoiselle s’en rctourna satisfaite, et le roi, après avoir mis ordre é ses affaires, partit en bonnbsp;équipage vers Elisène.

11 marcha si vile qu’il apprit bientót, dans la Petite-Bretagne, que le roi Languines s’était appro-prié loutes les seigiieuries, sauf les villes, laisséesénbsp;Elisène par son père Garinter.

li marcha done dircctement vers Arcata, oü Elisène s’était rófugiée.

Sa réception fut inouïe d’allégresse. Lui-mème était en grande liesse d’etre auprès de ses amours.nbsp;Après muluels embrassemonts, il annonga a Elisène qu’il venait l’épouser et qu’ello ent ii rn avisernbsp;ses parents et sujels, ce qu’ello fit avec la plusnbsp;grande héte possible et avec autant d’aise que son


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11

LE CHEVALIER DE IA MER.

cceur en put désirer, car c’était Ie comble de ses affections.

Le roi d’Ecosse arriva bienlót pour rcccvoir avec ses gentilshomraes le roi Férion, son beau-frère.nbsp;Leur entrevue se fit avec force embrassements, et,nbsp;la noce terminóe, chacun pensa è s’en retournernbsp;dans son pays.

Le roi Périon, en revenant en Gaule avec sa femme, s’arrêta prés d’un ruisseau pour se rafrai-chir; et, pendant qu’on dressait les tentes, il poussanbsp;son cheval le long de Peau, en réfléchissant comment il saurait si Elisène avait eu un enfant ainsinbsp;que les philosophes le lui avaient assure d’après lenbsp;songe.

Tout en chevauchant et en rêvant, il arriva petit cl petit jusqu’a un ermitage, oü il mit pied é terrenbsp;pour ses devotions. Le vieil ermite qui se trouvaitnbsp;Ié l’aborda, lui demandant s’il était vrai que le roinbsp;Périon ayait épousé la belle Elisène.

— Oui, vraiment, répondit le roi.

— Dieu soit loué, reprit Termite, car je sais de bonne source qu’il en est vivement aimé.

— Et d’oü le savez-YOus? reprit le roi.

— De sa bouche même, dit le bonhomme.

Le roi, violemment intrigue et désireux d’ap-prendre la vérité, se fit connaitre a ce bonhomme, et lui demanda tout ce qu’il savait, en confidence.

— Gertes, répondit Termite, je pourrais passer pour uquot; hérétique, si jevous révélais des propos denbsp;confession... Qu’il vous sufiise do vous savoir ten-drement aimé; et, puisque je vous trouve si fort anbsp;propos, sachez qu’une demoiselle ra’a raconté, énbsp;votre premier voyage dans ce pays, des chosesnbsp;assez obscures que vous interpréterez peut-.êtrenbsp;mieux que moi... Ainsi, elle a annoncé que, de lanbsp;Petite-Bretagne, s’élèveraient deux dragons qui rè-gneraient en Gaule et, de Ié, iraient dévorer lesnbsp;autres animaux des autres pays; que, vis-a-vis denbsp;certains, ils seraient farouches et cruels, el, vis-é-vis d’autres, humbles et gracieux.

Le roi, aussi étonné que Termite, ne comprit é ce moment rien é cette prophétie que Tavenir de-vait pourtant voir accomplir.

Recommandant le saint homme é Dieu, il re-tourna vers Tendroit oü il avait fait dresser ses lentes et ne paria point ü la reine de ce qui Tavait tant préoccupé dans la journée.

II dissimula jusqu’ü la nuil, et, dès qu’ils furent coucbés,il en arriva, après les embrassements habi-tuels, è lui parler de Texplicatiou du songe, lanbsp;priant affectueusement de lui avouer si elle avait eunbsp;un enfant ou non...

Honteuse et surprise, Elisène nia entièrement la vérité, de sorte que le roi ne put rien savoir et re-tomba dans ses perplexilés.

^ Le lenderaain, ils parlirenl, et, finalement, arri-VGrönt 6n uamp;ul6 ou Ift rciuo fut rc^uc avee grandö joie par tous ses peoples; ce qui allongea leurnbsp;voyage tant et si bien, (|u’au débotté la bonne damenbsp;se trouva grosse d’un hls qu’on norama Galaor, etnbsp;puis d’une fille qu’on nomina Mélicie.

Le jeune Galaor avait deux ans et demi, lorsqu’un jour, se trouvant au bord de la mer avec son père,nbsp;dans une ville appelée Orangil, et jouant avec sanbsp;mère et ses suivanles prés d’une fenctre, on vit en-trer par une poterne un énorme géant, armé d’unenbsp;lourde massue,

A eet aspect, les ferames s’enfuirent dans les bois; d’autres se jeièrent par terre pour éviler lenbsp;regard du géant qui, au lieu de s’en émouvoir, s’ennbsp;vint droit au jeune Galaor, le prit et s’en retournanbsp;par oü il était venu vers un brigantin qui Tatten-dait et qui prit aussitót le large.

Cependant la reine, oubliant toute peur, courut éplorée pour délivrer son cher fils. Mais quaud ellenbsp;vit qu’il allait disparaitre avec son ravisseur, quandnbsp;elle Tentendit crier au secours, elle sentil sa douleurnbsp;plus forte que la mort même, et, au souvenir denbsp;Tautre enfant qu’elle avait abandonné è la merci desnbsp;flots, elle tomba foudroyée par une angoisse horrible.

Le roi Périon avait suivi du regard toute cette scène, dont il se trouvait malheureusement tropnbsp;éloigné pour y intervenir. Un instant, partagé en-tre son amour pour son fils et son amour pour sanbsp;femme, ii hésita sur ce qu’il devait faire. Pourfant,nbsp;s’armant de courage, il courut a la reine, lui fit dunner des soins et s’en occupa si bien qu’elle finitnbsp;par recouvrer ses sens.

Elisène, désespérée, s’abandonna aux larmes. Celte perte inattendue, cette perte irreparable lanbsp;navrait. Elle émut de pitié tous les assistants, et cenbsp;ne fut qu’au bout d’une heure que le roi parvint anbsp;la calmer, en lui disant:

— Madame, il faut louer Dieu de tout, même de cette douloureuse aventure; car le songe dont jenbsp;vous ai parlé se réalise en ce moment Galaor estnbsp;le dernier coeur qui devait nous être enlevé contrenbsp;notro gré... Quant au premier, vous pouvez me ré-véler ce qu’il en est advenu... Je suis pret k tout.nbsp;D’ailleurs, dans Tétat oü vous étiez alors, on nenbsp;peut vous blamer de son abandon.

A cette parole, Tinfortunée Elisène se sentit si troublée par le reraords, qu’elle se laissa aller ü ra-conter è Périon une parlie de la vérité, le suppliantnbsp;de Jui pardonner ce crime qui veuait de la craintenbsp;de la mort ignominieuse a laquelle, suivant les loisnbsp;du pays, elle se serait expcsée en s’avouant merenbsp;avant d’être femme.

— Soyez assurée, madame, répondit gravement le roi, que je ne vous en voudrai jamais... Et, pournbsp;que vous ayez, comme moi, confiance dans le sortnbsp;qui attend nos enfants, disons-nous bien que s’ilsnbsp;nous causent aujourd’hui ces amères angoisses, ilsnbsp;nous vaudront plus tard d’heureux jours.

Cette conversation en resta lü.

Le géant qui avait ernporlé Galaor était du pays de Léonois, prince d’une ile nommée Gandalan,nbsp;munie de deux places fortes.

D’un naturel assez paisible, Toffense le rendait furieux et cruel... II revint a force de voiles dansnbsp;le lieu qu’habitaient des chrétiens, et il remit Ten-fant a un ermite de tres sainte vie auquel il recom-manda de Téleyer en chevalier, Tassurant qu’il étaitnbsp;fils de roi et reine.

— Ah! dit Termite, pourquoi ayez-vous commis cette cruaute de Tenlever a sa familie?...

— Jevousledirai, reprit le géant. Vous devez savoir qu’ayant enlrepris de combattre le géant Al-daban, qui tua lachement mon père, et qui me re-tient oncore aujourd'hui le rochcr de Galtares, mon fief, j’ldais embarqué déja, lorsqu’une demoiselle vint vers moi et me dit: « Tu. t’abuses, car cenbsp;que tu attends doit être Toeuvre du fils du roi Pé-


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n BIBLIOTHEQUE BLEUE.

n BIBLIOTHEQUE BLEUE.

sit Ie,

rion de Gaule, qui aura beaucoup plus de force et do courage que tu n’en as toi-mêine. Tu senlirasnbsp;cette vérité au moment oü les deux branches d unnbsp;arbre, séparées aujourd’hui, se rejoindront... »

Puis, cette menace faite, elle m’indiqua l’endroit oü je trouverais celui que je vous confie aujourd’hui... Voila loutl...

G’est ainsi que Ie jeune Galaor demeura sous la conduite du saint hornme et y resta si longtempsnbsp;qu’il n’en sortit que juste au moment d’êlre recunbsp;chevalier.

CHAPITRE X

Comment Ie roi Lisvart, naviguant par mer, prit \ port en Ecosse, oü il fut grandement honorcnbsp;I et accueilli.

^ n ce teraps-la régnait en la Grande-J-'Bretagne, un roi nommé Hanga-/ ris qui, mort sans enfauts, laissa i-lü'ritier un sien frère nomrné Lis-J varl qui venait d’épouser Brisène,nbsp;’¦'*~fille du roi de Danemark, la plusnbsp;belle dame qui fut alors dans toutnbsp;lo septenlrion.

f* Bien qu’elle eüt été demandéo par raaiïits gentilshommes, elle étaitsansnbsp;mari, son père craignant, en la donnantnbsp;a l’un, de déplaire a l’autre.

Voulanl en finir avec eet état, elle choi-,e jeune prince Lisvart qui lui faisail la cour et dont elle crannaissait 1’esprit et Ie cceur.

Hangaris mort, les princes de la Grande-Breta-gne sachant que les droits de Lisvart lui donnaient Ie royaume, quoique élranger, lui envoyèrent desnbsp;ambassadeurs pour l’inviter a prendre possessionnbsp;du royaume et des sujels.

Le roi Lisvart, obéissant au désir de ses sujets, fit voile pour la Grande-Bretagne, et passant de-vant l’Ecosse, il s’arrêla chez Languines, roi de cenbsp;pays, qui le rcQut magnifiquement.

Lisvart voyageait avec sa femme et sa jeune fille nomraée Oriane, alors ègée de dix ans et d’unenbsp;grande beauté, ce qui l’avait fait surnommer Unique. La mer l’avait fatiguée beaucoup, et son père,nbsp;inquiet, la confia au roi d’Ecosse jusqu’a ce qu’il lanbsp;fit reprendre ; puis il revint chez lui assez ü tempsnbsp;pour réduire quelques rebelles.

La jeune fille resta done avec le roi et la reine d’Ecosse, se reposant et s’égayant jusqu’a ce quenbsp;son père l’envoyat quérir.

La reine lui dit un jour:

— Ma mie, je veux désorraais que Ie Chevalier de la Mer vous serve, et soit vótre.

Oriane accepta volontiers, et le chevalier se prit tout-a-coup d’un grand amour, qu’il fit partagernbsp;bieiitóta la jeune priucesse. Toutefois, le chevaliernbsp;se jugeant indigne de cette faveur, ue monlrait pasnbsp;toute sa passion, et de son coté, la jeune fille évi-tait de faire soupQonner Ia sienne.

Mais eet amour se reflétait dans le langage de leurs yeux sans que leur bouche en fut l’inter-prète.

chevglier niédjla de se faire recevoir chevalier

afin de commencer sa réputation et il en paria au roi Languines; celui-ci lui répondit ¦

— Comment, Chevalier de la Mer, vous vous croyez déja assez solide pour soutenir une pareillenbsp;charge. Recevoir l’ordre est aisé, mais différez encore quelque temps afin d’etre ü la hauteur de cettenbsp;dignité.

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, repartit le Chevalier de la Mer, si jenbsp;n’avais la résolution de faire tout ce qui appartientnbsp;a chevalerie, je n’eusse pris la hardiesse de vousnbsp;présenter ma requête; daignez me I’octroyer, sansnbsp;quoi je chercherai, hors de votre service, meilleurnbsp;accueil.

Le roi lui promit alors de s’occuper de sa reception ; il l’invita a faire préparer ses armes et accoutrements; puis il en avertit Gandales qui en fut trés aise.

Ce dernier dépêoha même une demoiselle appor-tant l’épée, I’anneau et la lettre scellée trouvés dans le berceau du chevalier sur la mer.

Lorsqu’on vint avertir Ie chevalier de ce message, Oriane et lui devisaient d’amour et Ia jeune prin-cesse exigea qu’on fit entrer l’étrangère pour sa-voir d’elle le but de sa mission.

La demoiselle remit de la part de Gandales, les objets qu elle apportait, et le roi d’Ecosse étantnbsp;survenu, les regarda avec attention, le chevaliernbsp;adrnirait l’épée dont le fourieau manquait et le roinbsp;se prit a leur dire ;

— nbsp;nbsp;nbsp;Vous voulez être regu chevalier; en aveznbsp;vous bien le droit ? Sans plus tardcr, je vais vousnbsp;dire ce que j’en sais.

Et il lui raconta comment il avait été trouvé sur sur les flots avec cette épée et un coffret contenantnbsp;un anneau.

^— Je crois, dit le Chevalier de la Mer, que vous m’avez fait lè une histoire, et cette demoiselle, ennbsp;disant qu’elle m’apporte ces objets de la part denbsp;raon bon ami Gandales, a voulu dire rnon père.nbsp;Mais si vous avez dit vrai, si je suis sans parents, je ne m’en eslime pas moins getilhomme,nbsp;car mon coeur me le dit. II faut, è plus forte raison, que je sois chevalier, afin de m’acquérirnbsp;l’honneur et le nom dont j’ai été déshérité ennbsp;naissant.

Le roi l’estima beaucoup de cette fermeté, et jugea qu’il serail un chevalier d’honneur et denbsp;grand courage.

Comme ils devisaient, on avertit le roi de l’arri-vée de Périon, son frère. Ce dernier, menacé par le roi d Irlande et Daganil, son roi, avait déjanbsp;abandonné è leurs armes la ville qii’il hahitait, etnbsp;venait chercher l’aide de ses amis, dont il avaitnbsp;grand besoin.

Languines lui promit son appui, et Agraies de-manda la permission d’etre du nombre des guer-

ners, ce qui lui fut accordé.

Le Chevalier de la Merdésira encore plus d’etre recu; il souhaitait de recevoir l’ordredes mains denbsp;Périon, dont il avait entendu vanter les prouesses;nbsp;il s’avisa de prier la reine d’etre son intermédiaire,nbsp;mais il la voyait si triste qu’il songea ü Oriane.nbsp;Pour la première fois, il lui deraandait une grace,nbsp;et Oriane I’accueillit avec une vive émotion.

Le Chevalier paria de son indignité d’etre écouté par la jeune piincesse, mais il en dit assez pournbsp;faire accepter ses services; ii attesla même les pU'


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LE CHEVALIER DE LA MER. 13

LE CHEVALIER DE LA MER. 13

i'oles de la reine, qui 1’avait fait accepter comme servant.

Oriane répondit qu’elle lui savait gré d’avoir pris au sérieux ce qui s’était passé alors, et qu’ellenbsp;en agissait de inême.

Le Chevalier de la Mer ne put trouver une parole a cette déclaration, et Oriane le quitla pour revenir bicntnt lui conFier la cause du chagrin denbsp;la reine; c’ét iit 1’invasion du roi d’Irlande dans lesnbsp;Etats de ht Gaule habitcs par sa sceor.

Oriane mit dansses intéréts l’infanteMabile, qui estiraaii beaucou]) le Chevalier, et elles complotè-rent de faire habiller le Chevalier et placer dansnbsp;la chapelle au milieu de leurs femmes (4 dans leurnbsp;compagnie ; el, lorsque le roi Périon serail prêl anbsp;s’en retourner, cfles I’enverraientdemanderetob-tiendrait facilemenl de sa bonté la reception dunbsp;Chevalier.

Le Chevalier, élant averti, alia trouver Ganda-lin et le, pria de porter secrèlement ses armes dans Ia chapelle de la reine, paree qu’il devait ctre faitnbsp;chevalier dans la nuit; il lui dcraanda s’il le sui-vrait, en cas de voyage.

Gandalm promit de ne pas abaiuloniier le Chevalier et s’occupa de tout préparer.

Après souper, le Chevalier se rendit a la chapelle, s(‘, lit accoutre!', sauf les mains el la tcte,et, en attendant les dames et le roi Péi ion, il pria Dieunbsp;de l’aiuer non-seulement dans ses armes, maisnbsp;aussi dans son amour.

La nuit venue, la reine se relira dans ses appar-tements.

Alors les princesses Oriane et Mabile, et leurs datiies, entrèrent dans la chapelle oü était le Che-valii'r, et, au moment oü le roi Péiion enfourclniitnbsp;son cheval, Mabile, I’envoya supplier de la visiternbsp;avant son départ.

Le roi se rendit prés de Mabile, qui le pressa d’accorder a Oriane ce qu’elle allait lui demander.

Lors, Oriane, montrant le Chevalier a genoux devant l’aulel, pria Périon de lui octroyer 1’oidrenbsp;de chevalerie.

Périon, ébloui de la beauté d’Oriane, s’avanga prés du Chevalier et lui dit :

— nbsp;nbsp;nbsp;Mon ami, voulez-vous recevoir l’ordre denbsp;chevalerie.

— Oui, Sire, s’il vous plait, répondit le Chevalier.

— De -par Dieu soitl dit le roi, et faites qu’il s’é-lève aut tnt que votre valeur le pourra.

Puis il lui chaussa Léperon droit, lui ceignit 1 épée, ajoiitant ;

— nbsp;nbsp;nbsp;Maintenanl, vous êtes chevalier, mais j’auraisnbsp;voulu plus d’eclal a votre réception; voire renom-inée suppléera a ce qui manque aujourd’hui commenbsp;représentation et appareil.

Puis le roi Périon prit congé des dames, qui le remercièrent grandemenl, et il se mit en cherainnbsp;pour retourner en Gaule, recommandant a Dieunbsp;son nouveau chevalier.

Comment le Chevalier de la Mer débuta dans les armes par une victoire.

ur le print d’entrer en campagne, le Chevalier voulut preudre secrètemimt congénbsp;d’Oriane. Celle-ci, qu’uiinbsp;départ aussi précipité ren-dait plus amoureuse en sounbsp;Arae, couliut pourtant lesnbsp;battements de sou pauvre emur; ellenbsp;dit au Chevalier ;

— Avant votre départ, je vous prie de me declarer si vous êtes filsnbsp;de Gaiid-'les; si j’en crois mon juge-ment, vous devez être de meilleurenbsp;souche.

Le Chevalier de la Mer lui raconta ce qu’il tenait du roi Latiguines; ellenbsp;en fut siiigulièremeiit ravie, et lenbsp;laissa parlir, le recommandant anbsp;Dien.

Gandalin atlendait son Chevalier, tenant en laisse un chi'val solide etnbsp;porlant les ai mes di* son mailre. Lesnbsp;deux cavaliers quiltèreut la ville anbsp;la pointe du jour, saus être vus, etnbsp;gagnèrent une, immense forrt, qu’ilsnbsp;traversèrent en pai lie jusqu’au soir. La faim les fitnbsp;s’arrèter pour manger ies vivres que Gandalin portalt avec lui.

Ils entimdirent prés d’cux une voix plaintive vers laquelle le chevalier dirigea son cheval. Deuxnbsp;cavaliers étaient éteiidus sur 1’herbe, l’un mort etnbsp;I’antre prêt de l’être; sur ce dernier, une femmenbsp;accroiipio déchirait les plaies avec ses maius pournbsp;hater le trépas du moribond.

Lc Chevalier, iiidigné, la chassa avec mépris et donna des soins au blessé, dont la voix revint peunbsp;a peu.

Ce malheureux raconta au Chevalier que la femme qui fuyait était la sienne, qu’il 1’avaii trou-vée couchée avec le cavalier trt'passé, dont il s’était vengé, et sa femme, craignant d’être aussinbsp;l’objet de sa fureur, avait cherché, profitant de sanbsp;faiblesse, a amener sa mort en plongeant ses mainsnbsp;dans les blessures qu’il avait regues de son adver-saire.

11 demandait en grace au Chevalier de le faire transporter a hermitage prochaiu, afin qu’il putnbsp;sauver sa pauvre ame a defaut de son corps.

Le Chevalier, érau de compassion, le conlia a Gandalin, qui le transporta a l’ermitage.

Pendant ce temps, la femme disparut.

Cette cqquine, ayant prévu les suites de sa conduite, avail prié trois de ses frères de venir au devant d’elle dans un champ voisin; elle lesrejoignit


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bientót et leur cria, aussitót qu’elie les apergut :

— Pour Dieu, secourez-moi! Volei deux brigands : l’un a tué Ie cavalier qui est éteridu la, et 1’autre a mis mon mari a toute extrémité ; iis sontnbsp;aussi coupables l’un que l’autre, ne leur fades au-cun quartier.

Elle espérait, par cette tromperie, sauver les ap-parences de sou crime.

Au memo instant, Ie Chevalier de la Mer reve-nait de l’ermitage oü il avail quitté Ie cavalier óva-noui.

Les trois fières lui coururent sus, bien certains de sa félonie, et Ie menacèrent de mort.

— nbsp;nbsp;nbsp;Par Dieu 1 dit Ie Chevalier de la Mer, pail-lards, vous mentez, et je saurai bien me défendrenbsp;de tiaitres pareils a vous,

11 avait, beureusement pour lui, l’écu levé, la lance bien en main et l’armet lacé; il fondit, sansnbsp;prévenir, sur Ie premier, qu’i! démonta ainsi que Ienbsp;second, pergant Ie bras d’outre en outre a fun ctnbsp;meurtrissant 1’épaule de l’autre.

Puis il attaqua Ie troisième, auquel il donna un si vigoureux coup sur l’armet, que Ie pauvre gen-tilhomme,voulaijt se retenir au cou de son clieval,nbsp;perdit 1'équilibre et roula par terre.

La mauvaise femme qui avait araené ses frères prit la fuite; ce que voyant Ie Chevalier, il cria hnbsp;Gaudalin de l’arrêter.

Le cavalier démonté Ie dernier se releva et dit au Chevalier :

— Seigneur, nous ignorons si co combat est lé-gitime ou injuste.

— II est fort injuste, répondit le Chevalier, a moins que je n’aie eu tort de secourir le mari denbsp;cette .coijuine qu’elle achevait de faire mourir avecnbsp;cruauté.

Les trois chevaliers coraprirent par ces paroles que leur soeur les avait abuses. Ils racontèrent aunbsp;Chevalier^de la Mer ie récit mensonger de leurnbsp;soeur, et s’excusèrent d'avoir engagé avec lui un sinbsp;méchant combat dont ils étaient punis de reste.

— En bonne foi, leur dit le Chevalier de la Mer, vous saurez toute la férocité de cette femme en in-terrogeant son mari que j’ai fait transporter pros-que mort a eet ermitage.

— nbsp;nbsp;nbsp;Puisqu’il en est ainsi, répondirent les troisnbsp;frères, disposez de nous qui sommes a votre meroi.

— Je ne vous laisserai parlir, iusista le chevalier, qu’après m’avoirjuré de mener cette femme et sou mari vers le roi Languines, et la, eu leurnbsp;presence, vous raconterez tout ce qui est arrivé;nbsp;vous lui direz aussi que vous avez été conlrainls anbsp;cela par un chevalier nouveau parti comalin rnémenbsp;de sa cour; que ledit chevalier supplie le roi Languines de juger ce méfait ainsi qu’il lui plaira.

Après avoir jure et promis de tout exéciiter, ils quittèrent le chevalier, qui continua sa route aprèsnbsp;leur avoir souhaité bon voyage.

CHAPITRE XII

Comment Urgandc-la-Déconnue apportaunc lance au Chevalier de la Mor, et comment il s’ógara, avccunc demoiselle, par suite do la malignité d’iin écuyer qui voulait Ic voirnbsp;combaltre.

ne Ibis cette querclle dó-mêlée avec les trois clie-vahers,le Chevalier de Ia ¦Mor reprit sa voie. II avaitnbsp;cl peine cheminé, qu’il vitnbsp;venir a lui, par deux sen-tiers différents, deux gen-1 es demoiselles,dont urnenbsp;porlait une lance aunbsp;poing.

— Seigneur, dit cette dertiière, prenez cettenbsp;lance que je vous donnenbsp;el dont vous aurez grandement besoin d’ici Iroisnbsp;jours, et qui vous servira a délivrer de péril denbsp;mort la maisoii dout vous étes issu.

— nbsp;nbsp;nbsp;Comment, demoiselle, peut vivre ou mourirnbsp;une roaison ? deraanda le chevalier.

— nbsp;nbsp;nbsp;II en sera ainsi que je vous dis, répondit lanbsp;demoiselle. J’ai voulu vous faire ce présent pournbsp;commencement de recompense de deux plaisirs quenbsp;j’espère savoir de vous...

Ge disant, la demoiselle chassa rudement son pa-lefi'oi ct passa outre.

L’autre demoiselle, se voyant ainsi abandonnée de sa compagnie, déhbéra de demeurer pour quel-ques jours avec le Chevalier de la Mer, pour voir cenbsp;qu’il ferait.

— Seigneur, encore que je sois étrangèrc, je demeurcrais bien volonlicrs avec vous pour quel-que temps, si cola vous était agréable, et jc ditïé-rerais un voyage que j’ai a faire...

— De quelle terre êtes-vous, s’il vous plait? deraanda ie cticvalicr.

—De Dancmark, répondit-elle.

— Si vous voulez rne suivre, reprit alors le chevalier, je vous promets, demoiselle ma mie, de vous garder è mon pouvoir... Mais, dites-raoi, con-naissez-vous cette dame qui vient de m’octroyernbsp;Cette laiice?...

— Jamais je ne l’avais vue avant de la rencon-trer dans ce cliemin qui nous a condiiitcs toutes deux vers vous...Ëllc et moi nous devisames, etnbsp;elle in apprit qu’elle portail une laucc au mcilleurnbsp;chevalier du monde... C’était vous, è ce qu'il paruit... Elle vous aime beaucoup, el s’appellenbsp;Urgande-Ia-Déconnue,

— Ah! s’écria le elievalior, je suis mal fortum' de ne l’avoir pas su plus tot 1... Groyez bien que sinbsp;je ne me lance point a cette bcurc sur ses traces,nbsp;c’est paree que je sais que ce serait inutile, étaiitnbsp;eonlre sa volonté...

G’est en devisaut ainsi quo le Chevalier de la Mer et sa gente compagnc prirent chemin, un pennbsp;a raventure. Lanuit les surprit avant qu’ils eussentnbsp;sou gé a SC procurer un gite. Ileureusement que,nbsp;de fortune, passa par la un (icuyer qui leur demandanbsp;0(1 ils coraplaient si (ard s’héberger.


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LE CHEVALIER DE LA MER. 15

LE CHEVALIER DE LA MER. 15

— nbsp;nbsp;nbsp;Oü uous pouri'ons, répondit Ie Ghevaliev denbsp;Ia Mer.

— nbsp;nbsp;nbsp;'Alors, seigneur, si vous voulez trouver logis,nbsp;il faut délaisser la route que vous suivez lèi, etnbsp;prendre celle que je vais vous iudiquer et qui vousnbsp;conduira au chÉiteau de mon père, lequel vous fet anbsp;tout l’honneur et bon traiteraent qu’il pouvra.

Le Chevalier de la Mer accepta, et l’écuyer, qui avait son intention, le conduisit, aiusi que sa coiinnbsp;pagne, a son propre logis, oü ils passèrent tousnbsp;trois la nuit. Le Icndeniain, ils se remirent ennbsp;route, et l’écuyer, sous prélexle de le guider, lesnbsp;conduisit dans un chateau qui n’était pas celuinbsp;dont il leur avait parlé la veille. Cette l'orteressenbsp;était en une assieltc plaisante et solide. Tout anbsp;I’entour, en effet, courait une eau roide et profonde,nbsp;et il n’y avait, pour y arriver, d’autre passage possible qu'un long pont-levis, au bout duquel étaitnbsp;une tour belle et haute poiir le dél’endre.

— Marchez devant, dit le Chevalier de la Mer a récuyer.

L’écuyer passa devant, la gente demoiselle le suivit, et le Chevalier de la Mer suivit la demoiselle, en songcottaat a sou Oriane. 11 n’avait pasnbsp;fait deux pas qu'il entendit un grand vacanne quinbsp;était groduit par six hallebardiers arniés araeutésnbsp;autour de la jeune pucelle. Ils voulaient la lorcernbsp;de faire serment de n’avoir jamais amitié pour sonnbsp;ami, s’il lie lui proniettait d’aaler au roi Abiesnbsp;contre le roi Périon. Maïs la demoiselle rel'usait,nbsp;et, au moment oü le chevalier relevait la tête et lanbsp;tournait de son cóté, elle lui cria qu’on la voulaitnbsp;OU trager.

A cette clameur, le Chevalier de la Mer s’élanca au bout du pont et, s'adrcssaiit a ces paillards, ilnbsp;dit:

— Traitres vilains, qui vous a permis de jiortcr Ia main sur cette demoiselle qui est en ma conduite?...

Et, tout en disaut cela, il s’appvocba incontinent du plus grand des six hallebardiers, lui arra-cha hrusquement sa hachc et lui en bailla un si rude coup qu’il rabaltil. Lors, les cinq camaradesnbsp;de ce paillard tournèreiit ensemble leur rage contre lui, résolus a tirer vengeance du meurtre qu’ilnbsp;veiiad de commetlrc. Mais le Chevalier de la Mernbsp;évitafassaut etse mit a faire jouer sa hache aunbsp;milieu d’eux cl’une si api'e faqon qu'il parvint a senbsp;débarrasser de trois d’eulre eux. Ceux qui vestment,nbsp;voyant leurs compagnons si mal accoutres, jugè-reul alors prudent de s’eiifuir.

Blarchez hav.iimcnt mainteuaut! cria Ie che-vaher a la (Icmoisclle, a demi-rassurée.

hlie obéit et s’avaiiQa, mais ce fut pour reculer Dientot, a cause des rumours qu’elle venait d’en-tendie en s approchantdela forleressequi, en elTct,nbsp;elait a cette heure en proie a une grande emotionnbsp;et a un grand tumulte de geus.

— Ah 1 s'écria-l-ellc, Chevalier, il se passe céans quelque horrible chose 1 Armez-vous, chevalier,nbsp;armez-vous 1nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;’

— Marchez, marchez, et n’ayez peur! répondii tranquillement le Chevalier de la Mer. N’ayoz peur,nbsp;vous dis-je, ear li» oü les demoiselles, qui parloutnbsp;doivent ètre respectées, son't mallraitées,ü ne peutnbsp;y avoir homme ([ui vaille!...

Ils passèrent outre et entrereut dans le chateau, a I’entree duquel ils reiicontrèrent uu écuyer quinbsp;s’ea retouriiait, et, eu cheminaut, pleurait amère-ment, disant saus intervalle :

— Hé Dien! comme ils meurtrissent saus occasion le meilleur chevalier du monde !... Hélas! ils le veulent forcer de promettre ce qu’il lui serailnbsp;impossible d’accqmplir!...

Le Chevalier dé la Mer allait arreter eet homme pour lui deraander Fexpiieation de sa douleur,nbsp;lorsqu’il avisa le roi Périon, trés mal mené par deuxnbsp;chevaliers qui, abiés de dix hallebardiers, 1’avaieulnbsp;acculé de toutes parts et lui disaient;

— Jurez ! jurez 1 ou vous êtes mort!...

Le Chevalier de la Mer, iiidigné de voir taivt de geus outrager le roi Périon, leur cria :

— Traitres paillards, qui vous meut done de vous adresser si lachemcnt au meilleur chevalier dunbsp;monde? Par Dieu ! vous en mourrez tous, pour eetnbsp;outrage 1...

L’un des chevaliers, devant cette menace, prit avec lui cinq hallebardiers et, accourant sus aunbsp;vaillaut jeune homme, il lui dit

— II convient que vous juriez vous-même, qui parlez si haut et si fort; sinon vous ne nous échap-perez pas plus que les autres!..,

Tout aussitót, les portes du chateau fureut fer-mées de faqon è couper la retraite, et le Chevalier de la Mer coraprit qu'il élait saison de se défendre.

CHAPITRE XIII

Comment le Chevalier de la Mer, conduit maligncment par un écuyer dans une fortoresse, prolégea le roi Périon.

e Chevalier de la Mor, sansmarchan-der une soule minute, courul le plus roide qu’il put contre 1’hommc qui venait de parler, et il le chargea de lelienbsp;sorte qu’il le reiiversa par dessus lanbsp;croupe de son cheval, mort ou ii’ennbsp;valant guère raieux. Puis, sans s’arrê-ter aux hallebardiers, il selauqa incontinent sur le second chevalier avec'nbsp;qui le roi Périon se mesurait en cenbsp;moment, et bientot, inalgrél’écu et lenbsp;haubert dont il était recouvert, ilnbsp;Feiivoya tenir compagnie anbsp;son camarade sur le sol.

Ainsi secouru si fort k ’propos et si vailiamrneut,nbsp;Ie roi Périon sentit le camrnbsp;lui croitre, et il s’éveiluanbsp;plus gaimciit qu’auparavaiit contre lenbsp;reste de cetto canaille; tellement que,nbsp;aidé du Chevalier de la Mer, il iiettoyanbsp;rapidement la place a coups d’épée.nbsp;Ceux qui n’élaitmt pas raoi ts s’enfuirent en escala-dant les murailles.

Lo Chevalier de la Mer, échauffé par cette lutte, ne voulut la cousidérer comme terminée que lors-(|u’il ne verrait plus un seul de ces misérables vi-vauts. lis fuyaierrt, il se mit a les poursuivre. Beau-coup, qui croyaieiit avoir le lomps d’escalader lesnbsp;tiiiirs, ne le puren! et retombèrent meuriris sur lenbsp;sol, entamés p;ir la lance du Chevalier de la Mer.


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II en reslciit encore deux, cepeiidant, qui, de vitesse, eiitrèrent en une salie oü ils perisaient êtrenbsp;al’abri de la colère de leur impétueux eimemi. Ilsnbsp;se Irorapaient comrae les aulres : Ie Chevalier denbsp;la Bier entra sur leurs talons, et se trouva quant etnbsp;quant eux devantnn vieillardgisant dans un lit.

— Laches peudards! cria ce vieux hotnme avec toute l’énergie qui lui restait, laches pendards!nbsp;devant qui fuyez-vous ainsi, comine de misérablesnbsp;lièvres effrayés d(! leur oinbre ?...

—Devantunchevalilt;'rqui fait la-bas diablerie?... répondit un des deux soudards. 11 a tué vos deuxnbsp;neveux et tous nos compagnons.

— Paillard ! dit alors Ie Chevalier de la Mor en intervenantbrusquement et en saisissantl’hommenbsp;qui venait de parler, paillard! dis-moi oü est Ienbsp;seigneur de céans, rinon c’eu est fait de toi!...

Le pauvre diable en peril montra du doigt Ie vieillard couché.

— Comment? s’écria le Chevalier de la Mor, étonnc a l’asj'ect de ce vieillard déorépit, comment 1nbsp;faux chevalier, tu as la mort ent re les donts, ot tunbsp;song(‘,s a maintenir la méchanle coutume de céans?nbsp;Par le Diou vivaut! remercic ton age de t’excusernbsp;de ne plus porter arraes, car préseiitement je tenbsp;ferais coniiaitre en quel mépris je te tiens...

— Lal lal seigneur 1 Lpargnez-moi, je vous en supplie 1 mnrmura le vieillard véritablementnbsp;effrayé.

— nbsp;nbsp;nbsp;ïu es mort, reprit le chevalier, ot mort sausnbsp;remission si tu ne me jures que désormais, toi vi-vant, tu ne consentiras a ce qu’on fasse trahisonnbsp;céans ou ailleurs!...

— Je le jure, répondit le vieillard.

— Or, maintenant, dis-moi pourquoi tu as fait ci-devant établir la méchante coutume que je tenbsp;reproclie?...

— C’est, répondit le vieillard, pour 1’amour du roi Abies d’Irlande, qui est mon neven. Ne pou-vant le secourir de ma personne en la guerre oünbsp;il est, je voulais au moins lui aider en forgant anbsp;tenir pour lui les chevaliers errants qui passaientnbsp;par ici.

— Faux vilain 1 reprit avec colère le Chevalier de Ia Mer.

Et, poussant rudement le Ut dans lequel se trouvait ronde du roi Ahies, il le renversa, et lenbsp;vieillard avec, sans plus de souci que s’il se tutnbsp;agi d’un nioucheron. Puis le recommandant a tonsnbsp;les diables, ses parents probables, il s’cn retournanbsp;en la cour, prit 1’un des clicvaux de ceux qu’il avaitnbsp;occis et le mena su roi Périon, en lui disant :

— nbsp;nbsp;nbsp;Montez, Sire, car pen me plait le séjour ennbsp;ce chéteaii, et encore moins me plaisent ceux quinbsp;Lhabitent...

Périon monta ü cheval, et tons deux, suivis de la demoiselle que vous savez, sortirent aussitètnbsp;du chateau, sans quo le Chevalier de la Mer cutnbsp;oté un seul instant son armot, de peur d’etre re-conmi. Toutefois, coinme ils cheminaient sansnbsp;parler, le roi Périon jugea bon de rompre cc silence.

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire chevalier, demanda-t-il, vous qui m’a-vez garanti si a propos de la mort, ne pourriez-vous me dire ejui vous êtes? il m’importe beau-coup de le savoir, car vous vous êtes vaillammentnbsp;conduit en cette occurrence, non-seulement a monnbsp;prolit, mais encore a celui des chevaliers errantsnbsp;et des demoiselles ayant amis, qui pourraient passer de ce cóté et demandcr asilc a ce chateaunbsp;inhospitalier... Quant a moi, je veux bien que vousnbsp;sachiez que je suis le roi Périon.

— Sire, répondit le Chevalier de la Mer, je ne suis, moi, qu’un chevalier qui a bonne envie denbsp;vous faire service.

— Par Dieu I je m’en suis bien apercai déja, car a grand’peine eussé-je pu trouver meilleurnbsp;secours en un autre... Toutefois, je ne vous laisse-rai pas que je ne vous connaisse mieux.

—Cela ne peut protiter ni a vous ni a moi, Sire, di le Chevalier de la Mer.

— Par courtoisie, persista a dire le roi Périon, je vous prie de vouloir bien eter votre armet.

Mais le jeune homme, au lieu d obéir ü cette prière, baissa la tète plus bas encore. Le roi, alors,nbsp;s’adressa a la demoiselle et la supplia (i’obleuir cenbsp;qu’il n’avait pu obtenir lui-même. La demoisellenbsp;prit la main du chevalier et lui fit la demandc quenbsp;lui faisait si vainemeut Ie roi depuis (luelques instants.

Le Chevalier de la Bier, cédant a ses aimables importunités, óta son armet, et Pi'rion recomiutnbsp;en lui le jeune homme qu’il avait fait chevalier anbsp;la requête des demoiselles. Lors, il vint l’embras-ser et il lui dit :

— nbsp;nbsp;nbsp;Je sais maintenant qui vous êtes, et cela menbsp;contente.

— Sire, répondit le damoiseau, moi je vous ai reconnu tout do suite, en entrant dans ie chateaunbsp;dont nous venons de sortir, comme celui qid m’a-vait donné riionneurde la chovalerie, avec Icquel,nbsp;s’il plait a Dien, je vous servirai tant que i'ureranbsp;votre guerre de Gaule... Je vous demanderai ennbsp;grace, Sire, de me permettre de rester inconnunbsp;pendant toute cette guerre...

— nbsp;nbsp;nbsp;Vous avez déjii tant fait pour moi, reprit lenbsp;roi, que je m’en tiendrai votre obligé tout le tempsnbsp;de ma vie... Si, comme vous ditos, vous venez ennbsp;Gaule, vous augmenterez d’autant cette grandenbsp;obligation. Bénie soit l’heure oü je fis un si vail-lant chevalier 1

Ainsi parlait le roi Périon, qui ne se doutait guère que des Hens autres que ceux de Ia reconnaissance 1’attachaient a ce beau jeune homme sinbsp;plein de vaillance, de force et de dévoüment.

Bientot ils se séparèrent, en se promettant de se revoir en Gaule.

Quant a la demoiselle qui les avait jusiiue-lii suivis, elle dut bientot aussi prendre congé dunbsp;Chevalier de la Mer, ce qu’elle fit en ces tenues :

— nbsp;nbsp;nbsp;Seigneur, je vous remercie de votre aide etnbsp;de votre doucc compagnie; mais il est saison quenbsp;je vous quitte pour aller remplir ma mission au-près de la dame vers laquellc on m’envoie, c’est-a-dire l’infantc Oriane, tille du roi Lisvart...

A co noni, le Chevalier de la Mer sen lit son coeur tressauter dans sa poitrinc, et, si Gandalinnbsp;n’était accouru a temps pour Ic recevoir dans sesnbsp;liras, Ic pauvre amoureux füt tombé lourdemontnbsp;a terre, tant son émotion avait été forte.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ah 1 le coeur me défaille 1 murmura-t ilnbsp;pamé.

La demoiselle, cause involontaire de cettc pa-moison, voulut le faire désarmer, pensant que son


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17

LE CHEVALIER DE LA MER.

i alaor avait été enlevé et baillé ^ en garde a un ermite, commenbsp;vous l’avez déja entendu.

A dix-huit ans, il avait si bien profité en croissance et ennbsp;force de membres, que c’étaitnbsp;vraiment merveille de Ie voir.

Gependant ce beau jouven-ceau languissait. Son seul amusement consistait en lanbsp;lecture d’un livre écrit a lanbsp;¦ main, que Ie bonhomme ermite lui avait confié, et quinbsp;traitait des fails d’armes d’au-cuns chevaliers anciens.

Un instinct naturel et la répétilion quotidienne de ces fails et gestes d’hommes chevaleureux,pous-sèrent bientót Galaor a vouloir être chevalier,nbsp;quoique, de vérité, il ne süt pas si, de droit, unnbsp;tel honneur lui appartcnait. II pria instamment Ienbsp;bon ermite de 1’éclairer a ce sujet; mais ce saintnbsp;homme, qui savait certainement qu’aussitót qu’ilnbsp;serail chevalier il se mettrait au hasard de com-battre Ie géant Albasane, lui répondit, les yeuxnbsp;en larines ;

— Mon cher tils, ()lutót que de songer a vous mettre en l’ordre de la chevalerie, laquelle est denbsp;grand travail a maintenir, il serail meilleur que |nbsp;vous prissiez un chemin plus sur pourvotresalut.

— Monseigneur, répliqua Galaor, je suivrais nialaiséinent l’état que je prendrais centre ma vo-lonté... tandis que celui que mon coenr me choi-sit, si Dien me donne bonne aventure, je Ie pas-serai en son service... llorsceliii-la, jenevoudraisnbsp;pas que Ia vie me demeurat, car je ne saurais au-trement Temployer...

— Gertes, mon enfant, reprit Ie bon ermite, puisque vous êtes déterminé a suivre les armes,nbsp;je vous puis bien ussurer que vous ne faillircz })asnbsp;a etre homme de bien, étaut hls de roi et denbsp;reine... Toutefois, gardez-vous bien de faire voirnbsp;au géant qne je vous en ai averti...

Galaor fut heureux d’apprcndre tont cela, et Ie bon ermite, devant cette joie, compril qu’il n’a-vail plus autre chose a faire qu’a informer Ie géantnbsp;de la vérité, c’est-a-dire des dispositions de sonnbsp;jeune élève.

Le géant, prevenu par lui, arriya done un matin en grande hate ct se mit a interrogcr et a examiner Galaor plus attenliveraent qu’il n’avait

mal venait d’une blessure recue dans les précé-dents combats. Mais Ie Chevalier de la Mer, reye-nant soudaiii a lui, s’y opposa en disant qu’il n’en était nullement besoin et que ces défaillances-lanbsp;lui survenaient assez fréquemment.

Maintenant, nous laisserons la ces personnages pour revenir a Galaor.

GHAPITRE XIV

Comment Galaor, enlevé par un géant, fut élevé par un bon ermite, et demanda, lorsqu'il mt en ige, a être armé chevalier.

jamais fait; et, en le voyant si beau, si cru, si dispos, il lui dit:

— Fils, j’ai SU que vous vouliez suivre les armes et être chevalier. Vraiment vous le serez et vien-drez quant et moi... Puis, quand il en sera temps,nbsp;je ferai en sorte que votre vouloir soit satisfait.

— Mon pore, répondit Galaor, en cela est le comble de mes désirs.

Sans plus tarder, le géant recommanda le bon ermite a Dieu et emmena Galaor, qui ne quittanbsp;qu’a regret le saint homme qui l’avait si douce-ment traité.

— Bénissez-moi, mon père, lui demanda-t-il en s’agenouillant devant lui.

L’ermite l’embrassa en pleurant et le bénit, comme il le voulait. Puis Galaor montaa cheval etnbsp;suivit le géant, qui le mena en un sien chateau,nbsp;oü, pour quelque temps, il le fit adextrer au combat de toutes armes, piquer chevaux et les biennbsp;dompter; de sorte que, au bout d’un temps, cenbsp;jouvenceau étant digne, a son avis, de recevoirnbsp;l’honneur de la chevalerie, il en disposa commenbsp;vous pourrez ci-après entendre.

GHAPITRE XV

Comment le Chevalier de la Mer combattit centre les gardes du chateau de Galpan, et puis conlre ses frères, et, fina-lement, avec Galpan lui-même.

Le Ghevalier de la Mer chemina deux jours en-tiers sans rencontrer aventure. Vers le milieu du troisième jour, il arriva prés d’une forteresse quinbsp;lui parut trés bien batie et qui appartenait it unnbsp;gentilhomme nommé Galpan.

Ge Galpan était le plus vaillant et adroit chevalier qui se trouvatdans le pays, et pourtant il était trés redouté de tous ses voisins.

A l’abri de son fort et è l’aide de son audace, il se livrait a des brigandages qui relevaient biennbsp;plus du diable que de Dieu.

11 abusait des dames et des demoiselles traver-sant le pays, après les avoir attirées chez lui el leur avoir fait jurer qu’elles lui appartiendraientnbsp;pendant le reste de leur existence. Si el les refu-saient, il les faisait mettre a mort cruellement.

II forgait tous les chevaliers arrètés a cornbattre un par un centre deux de ses frères, et, en casnbsp;de défaite des siens, il prenait leur place.

Galpan était de force remarquable, et souvent renvoyait les chevaliers é pied, dépouillés denbsp;leurs bagages, leur enjoignant de s’appeler lesnbsp;vaincus de Galpan, autrenient il leur ótait la vie.

Mais Dieu, fatigue des excès de ce paillard, voulut qu’en peu de jours cette manière de vivrenbsp;fut chatiée d’une faQon salutaire.

Le Ghevalier de la Mer rencontra pres de cette forteresse une belle demoiselle trés affiigée, es-cortéc seulement d’un écuyer et d’un page; ellenbsp;s’arrachait les cheveux en poussant des plaintesnbsp;dolenles, et le chevalier, curieux de savoir lanbsp;cause de sa douleur, l’aborda et lui dit :

— Demoiselle ma mie, quel est done votre ennui? Si je puis y donner allégement, je le ferai de bien bon coeur.


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18 BlBLlOTHEgUE BLEUE.

18 BlBLlOTHEgUE BLEUE.

Ve-

— Seigneur, répondit-elle, je m’en alluis, d’a-près Fordre de ma niaitre?se, vers un jeune chevalier, 1’iin des meilleurs qui soit a présent, lors-que quatre brigands m’ont emmenée, centre nion gré, dans ce chateau et livrée a un traitre, lequelnbsp;in’a forcée et fait Jurer que je n’aurais autre aminbsp;que lui tant qu’il vivra.

be Chevalier de la Mer resta pétrifié de eet attentat et lui dit :

— Or, me suivez, car cette injure vous sera ré-parée, si je puis.

Alors la demoiselle Ie suivit; chemin faisant Ie Chevalier voulut savoir vers qui elle allait, et ellcnbsp;lui promit de Ie dire lors ju’elle serait vengée.

Causant ainsi, ils arrivèrent prés des quatre brigands que la dame montra au Chevalier; celui-ci leur cria ;

— Méchanfs traltres, pourquoi avez-vous fait mal a cette dame?

— nbsp;nbsp;nbsp;Paree que nous n’avons pas eu peur de vous,nbsp;et si vous attendez quelque peu, il vous arriveranbsp;pire encore, répondirent-ils.

— Eh bien, nous allons Ie voir k l’instant, ré-piiqua Ie Chevalier.

Ce disant, il s’approcha l’épée au poing et donna a l’un d’eux, qui avaitlevc une hache pournbsp;Ie recevoir, un si rude coup, qu’il lui coupa Ienbsp;bras, puis il partagea la figure dun autre d’unnbsp;revei-s de son arme.

Les deux derniers prirent la fuitc, et Ic Chevalier, les laissant aller, se contenta d’essuyer sou épée et d’aller vers la demoiselle.

— nbsp;nbsp;nbsp;Passons outre, lui dit-il.

— nbsp;nbsp;nbsp;Seigneur, répondit-elle, j’ai vu deux chevaliers armés gardant une porte ici prés.

— nbsp;nbsp;nbsp;Nous allons bien les voir, répliqua-t-ib

Lc Chevalier de la Mer entrait dans la cour basse, lorsqu’un cavalier sortit du do.ijou tontnbsp;armé. La herse se baissa derrière lui, et il vintnbsp;droit au Chevalier en lui disant :

— nbsp;nbsp;nbsp;Pauvre chétif, lu viens a propos pour recevoir home et déshoneeur.

— Déshoiineur, répondit lc Chevalier, ce sont paroles, Dieu seul dispose des événements; maisnbsp;dis-moi done si c’est toi qui as forcé cette demoiselle?

— Non, reprit Ie cavalier, et quand ce serait moi, qu’arriverait-il?

—11 arriverait vengeance de ma main, i'épliqua Ie Chevalier de la Mer.

— Or sus, voj ons un peu comment tu saurais user de vengeance!

Ce disant, Ie cavalier donnant des épcrons a son cheval fondit Ie plus raide qu’il i)ut sur Ie Chevalier qu’il n’atteignit pas. Ce dernier lui porta ennbsp;face un tel coup de lance en l’écu, (juc Ie fcrnbsp;passa saus résistance k travers les épaules, et quenbsp;ce fanfaron tomba.mqrt sur la place.

Puis lc Chevalier s’avanca vers un autre venant au secours (lu premier. Le fer de cc nouveaunbsp;combattai.t s’engagea dans l’écu du Chevalier qui,nbsp;lihre de sou armeHi^i sauter l’annet entier etnbsp;1(! désarqonna.

ïrois halle'gt;ardilt;'rs vinrent alors et, entourant h' Ch 'vali r, lui tucrent sou cheval. Mais c lui-ci,nbsp;debout aussitöt, se mit k trapper et fendre l’un denbsp;ces vilains, si bien que les deux autres lachèrentnbsp;pied et appelèrent è leur secours, criant :nbsp;iiez tót, no'is sommes défaitsl

Le Chevalier de la Mer prit le cheval du premier vaincu, etsesyeux s’arrètèrent sur une porte l)ar laquelle un gentilhonime sans armes le re-gardait.

— nbsp;nbsp;nbsp;Qui vous pousse a venir ainsi tuer mes gens?nbsp;lui dit eet homme.

— nbsp;nbsp;nbsp;Rien autre chose, répondit le Chevalier, quenbsp;1’envie de venger cette demoiselle, si lachementnbsp;outragée.

La demoiselle s’était approchée, et avait re-connu dans eet homme le seigneur du lieu qui l’avait forcée.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ahl bon chevalier, gardez qu’il ne vousnbsp;échappel c’est celui qui m’a déshonorée! dit-ellsnbsp;a son défenseur.

Le Chevalier s’approcha de la porto et s’écria :

— nbsp;nbsp;nbsp;Inlarae rufnan, tu paieras ta déloyautél Vanbsp;t’armer, si tu ne veux que je te luc sans armes,nbsp;corame un coquin indigne de pitié.

Mais la demoiselle criait de plus belle ;

— nbsp;nbsp;nbsp;Tiuiz, tuez le trallre! Empcchez-le de continuer ses méfaits contre moi etconlre les autres,nbsp;car autreraent on vous reprocherait d’avoir man-qué l’occasionl

Le chatelain provoqué se retira en fureur, et parut quelque peu après dans la cour monté surnbsp;un cheval blanc.

— nbsp;nbsp;nbsp;Mal t’a pris de rencontrer cette demoiselle,nbsp;dit il au Chevalier, cela vale coüter la tète.

— nbsp;nbsp;nbsp;Que chacun défende la sienne, répondit cenbsp;dernier; qui ne le pourra Ia perdra.

Alors ils laissèrent courir, et s’abordèrent si ru-dement que les lances furent rompucs, traversè-rent leurs écus et entrèrent dans leurs chairs; ils SC prirent a bras le corps si lourdement, qu’ils tom-bèrent de cheval lous deux. Mais le Chevalier senbsp;rcleva plus vite que Galpau.

Le sang teignil bientót le sol oü ils combaltaicnt corps a corps; chaque coup d’épée faisait volernbsp;une pièce d’armure et l’armc attaquait ia chairnbsp;vive. Gaipan fut atteint en plcine visière, et lenbsp;sang lui coulait sur les yeux, cc qui le décida anbsp;s’éloigner pour s’essuyer.

— Comment, Gaipan, dit le Chevalier, oü vas-tu? Oubües-tu que tu combats pour la téte? Si tu la gardes mal, tu la perdras.

— Attends un peu, répondit Gali)an, que nous reprenions haleine! Le temps ne nous presse pasnbsp;autant!

— Pas de halte 1 reprit le Chevalier. Je ne combats point avec toi pour gloire ou courtoisie, mais pour venger le déshonneur que tu as causé a cettenbsp;demoiselle.

Et, ce disant, il appliqua sur la tète de Gaipan un beau coup d’épée qui lit ploycr les genoux denbsp;celui-ci; toutefois, se rerncttant un peu, Gaipannbsp;essaya de continuer le combat, mais le Chevaliernbsp;lui trancha le roste de sou écu prés de la main,nbsp;etil ne trouva d’autre ressource que dans la lüite.

Lc Chevalier lui coupa la retraite prés d’une tour garnie de geus d’armes prct.s a le proterger,nbsp;et, lc prenant par l’arraet trés rudernent, il l’ennbsp;dépouida complétement.

Alors il lui doana sur le col un tel coup d’épéc que la tète fut separée du tronc.


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LE CHEVALIER DE LA MER. 19

LE CHEVALIER DE LA MER. 19

grande, aussi grande que la bonté de votre man.

— Ah! genlil chevalier, coaihicu je vous ai d’obligation, et combie.i vous èies ’ ’ ’

Se tournant alors vers la demoiselle :

— nbsp;nbsp;nbsp;Ma mie, lui dit-il, vous pouvezdès mainte-nant choisir uii autre ami, car celui a qui vousnbsp;avez promis vous délie de votre promesse.

— nbsp;nbsp;nbsp;Grace en soit a vous et a Dieu! répondit-ellc.

Le Chevalier de la Mer monta Ie chcval de Gal-pan, et proposa a la demoiselle de quitter eet en-droit.

¦— Sire Chevalier, dit celle-ci, s’il vous plait, j’emporterai cette tete, et a celui qui m’attend lanbsp;préseuterai de votre part.

— C’est trop de poiue, répondit le Chevalier, fuites seulement emporter le heauine de Galpan.

La demoiselle fit ainsi et ils partirent saus em-pèchement, les fuyards ayant laissé les portos ou-vertes.

Le Chevalier Ia pria, en route, de s’acqiiitter de sa promesse de lui dire le nom du chevalier versnbsp;lequel elle allail.

— G’est raison, dit-clle, done sachez que c’est Agraies, fils du roi d’Ecosse.

— nbsp;nbsp;nbsp;Dieu soit loitél répondit le Chevalier dc lanbsp;Mer, c’est bien le ineilleur gentilhomme qui soit.nbsp;Bon retour, ajouta-t-il; dites a Agraies qu’un denbsp;ses compagnons se recommande lui, et qu il lenbsp;trouvera en guerre de Gaulc s’il y vient.

7- Sire chevalier, reprit la dame, pour que quittes nous soyons, dites-moi Ic nom dont onnbsp;vous appdle?

— nbsp;nbsp;nbsp;Ceux qui me comiaissent, fit le Chevaliernbsp;avec beaucouj) d’hésitation, me nomment le Chevalier de la Mer.

.Et, piquant son cheval, il s’cloigna au plus vite, laissaul la demoiselle enchantée de conuaitre lenbsp;nom de son dèlenseur.

Mais les blessures qu’il avail regues dans cette lutle prolongée laissaient échapper beaucoup denbsp;sang. Son cheval en était rougi en bien des places,nbsp;ce qui atlira les regards d’un gentilhomme nonnbsp;armé qui sortait d’uu chateau-fort voisin et venaitnbsp;a sa rencontre.

— nbsp;nbsp;nbsp;Apprenez-moi, seigneur, dit cc gentilhomme,nbsp;qui vous a mis en eet élat?

— nbsp;nbsp;nbsp;Ce sont des pillards honteux que j’ai chatié.snbsp;en un chateau pres d’ici; ce chcval, je l’ai prisnbsp;pour remplacer le mieu tué dans cette affaire, ró-pondit Ie Che.valier. Galpan a supporté assez bien

cette perte, et, de plus, il s’est laissé óler la tète par moi.

Le gentilhomme désarmé, en entendant ces mots, voulut embrasser les genoux du Chevaliernbsp;de la Mer qui s’y opposa; toutet'üis il püt serrernbsp;sur son coeur le bas du haubert du Chevalier et luinbsp;dit;

- ici bienvenu, car par vous je viens de rctrouver mou honneur.

— nbsp;nbsp;nbsp;Laissons ce propos, répondit le Chevalier,nbsp;et dites-moi oü je pourrai aviser a iaire pans'.'rnbsp;mes plaies.

— nbsp;nbsp;nbsp;Eu ma maison, proposa le gentilhomme;nbsp;vous trouverez la uiie nièce a moi qui vous gué-rira mieux que qui que ce puisse ètre.

Et, tout en devisant, ils arrivercut au chateau.

Alors le seigneur tint l’étrier au Chevalier de la Mer, et le meiia au donjon en grande révérence.

En marchant, il raconta au Chevalier comment Galpan l’avait empêché do prendre les armes pendant une année, comment il lui avail fait changernbsp;de nom, et jurer que tant qu’il vivrait il s’appel-lerait le vaiiicu de Galpan.

— Mais maintenant, dit-il, grace a Dieu et a vous, puisqu’il est mort, je suis remis en monnbsp;honneur.

Les écuyers vinrent prendre les armes du Chevalier de la Mer et son hóte le mena dans line charnbre richement tapissée, oü, sur uii Ut, la demoiselle vint panser ses plaies.

Celle-ci lui assura qu’il n’en avail pas pour long-tomps, s’il suivait avec exactitude ses prescriptions. Ce qit’il promit entièrement.

ClIAPITRE XVI

Commenl, le troisième jour après que le Chevalier de la Mer fut parli de la cour du roi Languines, arrivèrent les troisnbsp;chevaliers qui menaient dans uiie lilière un chevalier na-vré el sa döloyale femme.

Trois jours après le départ de Chevalier de la Mer, arrivèrent k la cour du roi Languines les troisnbsp;chevaliers, leur beau-frère navré et Ia déloyalenbsp;femme dout il a été précédemraent question. Ilsnbsp;se présentèrent incontinent devant le roi, et, aprèsnbsp;lui avoir fait entendre la cause de leur venue, ilsnbsp;lui livrèrent leur prisonnière, pour en ordonnei*nbsp;comme il lui plairait.

Languines, ctoniié de la déloyauté de cette ri-baude, s’adressa au chevalier de la litière :

— nbsp;nbsp;nbsp;II me scinhlc, lui dit-il, qu’une si malhon-nètc femme que Ia vótre 11e mérite pas de vivre!..

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, répondit le chevalier, vous en ferez cenbsp;qu'il vous plaira... Quant è moi, je ne consentirainbsp;jamais que la chose que j’aime ie plus meure...

Cela dit, les trois chevaliers prirent congé et ranienèrent leur beau-frère dans sa litière, laissaiitnbsp;leur soeur pour qu'il en föt fait telle justice qu’a-viserait Ie roi, lequel, après leur parlement, la fitnbsp;veiiir et lui dit :

— nbsp;nbsp;nbsp;Femme, en bonne foi, votre mahee a éténbsp;iissi je veux quo voiig serviez dósoz’mais d’exem-ple a tontes celles qui vous ressemblent. Ribaudenbsp;et meurlrière, vous serez brülée vive!

Ce qui fut, en effet, imraédiatement exécuté. Ainsi doivent mourir les mauvaises femmes.

Cette exécution faite et parfaite, le roi se mit a songer au chevalier qui avail euvoyé V(‘rs luinbsp;cette ribaude, sou mari et ses frères, afin que justice fut rzmdue è ce propos, et il se demanda quelnbsp;il pnuvait bien étre, saus réussir ü trouver.

Comme le roi Languines songeait tout bant, il fut entendu dc l’écuyer qui avail précédemmentnbsp;hébergé Ic Chevalier quot;dc la Mer et sa compagne denbsp;route, et les avail conduits au chèteau oü il ynbsp;avail CU si Apre combat.

— Sire, dit-il au roi, si vous le pérmettez, je cher-cherai avec vous lo nom de ce chevalier, afin de

vous aiilcr a trouver..... A mou sens ce pourrait

bien ètre ce jouvenceau avec lequ d la demoiselle de Danemarck et moi nous avons cheminé pendant


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20 BIBLIOTHEQUE BLEUE,

20 BIBLIOTHEQUE BLEUE,

quelques jours, et que nous avons quitté pour nous en venir ici oü nous appelait notre devoir.

— Ainsi tu ne sais pas son nom?...

— Je l’ignore, sire... Tout ce que je sais, c’est qu'il est trés jeune et excessivement beau. Ennbsp;outre, c’est Ie plus vaillant cceur que je eonnais-

sc..... Je l’avais attiré inalgré moi, pour Ie voir

eombattre, surlechemin d’une forteresse remplie de hallebardiers et autres gens d'annes... II s’ennbsp;est tiré merveilleuseinent, et de telle fagon que,nbsp;s’il vit, il fera, inon jugement, Tundesmeilleursnbsp;chevaliers du monde...

Le roi, entendant cola, sentit sa curiosité redouble!’ d’inteusité et il deinanda a l’écuyer tous les détails qu’il pouvait avoir a lui comrouniquernbsp;touchant ce valeureux inconnu.

— Sire, répondit récuyer, je vous ai dit tout ce que j’en savais... La demoiselle de Danemark,nbsp;venue vers madame Oriane, en sait probablementnbsp;plus que moi, car je l’ai rencontrée avec lui.

Cette demoiselle fut appelée, raais elle n’eut guère è ajouter i ce qui avait été dit déjii, et,nbsp;comrae l’écuyer, elle déclara ne pas savoir ie nomnbsp;du chevalier qui lui avait fait escorte et compagnie depuis sa rencontre avec Urgande.

Oriane seule le savait, ce qui ne l’empêchait nullement d’êtremélancoiique, paree qu’elle claitnbsp;fort amoureuse et qu’elle se voyait éloignée denbsp;celui que tant elle aimait.

Ginq ou six jours après ces choses, le roi Lan-guines était occupé a deviser avec son fils Agraies, lequel était sur son partement pour aller en Gaulenbsp;secourir le roi son oncle, lorsqu’entra une demoiselle qui, se mettant k genoux, adressa en ces tormes la parole au fils du roi :

— nbsp;nbsp;nbsp;Mon seigneur, un mot, s’il vous plait, ennbsp;présence de votre auguste père et de toute la compagnie!...

— nbsp;nbsp;nbsp;Parlez, madame, répondit courtoisementnbsp;Agraies.

Avant de continuer son propos, l’inconnue se relcva, alia prendre un armet que portalt derrièn;nbsp;elle un écuyer, et l’offrit au jeune prince, ennbsp;disant:

— Voici un armet chamaillé et elTondré, comme vous pouvez voir, lequel je vous présente, au lieunbsp;de la tête de Galpan, de la part d’un nouveaunbsp;chevalier auquel,selon mon jugement, il appartientnbsp;mieux qu’ii nul autre de porter les armes... II vousnbsp;l’envoie paree que Galpan avait vilainé une demoiselle qui venait vers vous pour quelque affaire.

— Comment! s’écria Languines, Galpan a été défait par la main d’un seul homme? Gcla n’estnbsp;guère croyable, et vous nous dites 1amp; merveülcs,nbsp;demoiselle!...

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, répondit la demoiselle, le vaillant chevalier dont je vous parle Ta défait do sa main... IInbsp;Ta tué, après avoir fait subir le même sort k tousnbsp;ceux qu’il avait rencontrés dans la forteresse denbsp;Galpan. J’espérais vous apporter la tête de ce rudenbsp;homme, si épouvantable au pauvre monde d’alen-tour; mais le valeureux chevalier au nom de qui jenbsp;viens, craignant la corru|)tion, a pensé qu’il sufli-sait de vous apporter Tarmet que voici, si pcunbsp;entier qu il soit.

Ce chevalier-lamp;, dit alors le roi émerveillé, ne peut être que celui dont nous cherchons le nom

sans pouvoir le découvrir..... Le sauriez-vous par

hasard, demoiselle?

— Sire, répondit cette dernière, je Tai su par la plus grande importunitédu monde, car, autrement,nbsp;jamais il ne Teüt dit è personne.....

— nbsp;nbsp;nbsp;Pour Dieu! demoiselle, dites-le-nous donenbsp;vite, afin de nous óter de soucü...

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, il se nomme le Chevalier de la Mer...

En entendant ce nom, le roi Languines devint

fort ébahi, et ceux qui Tentouraient pareillement,

— nbsp;nbsp;nbsp;Sur ma foil s’écria-t-il, celui qui Ta fait chevalier n’a pas eu tort.....Depuis longtemps il m’en

avait prié, et j’avais différé cette cérémonie pour

quelque occasion..... Je le regrette.....Je me suis

privé lè d’un grand honneur, puisque chevalerie est en lui si accomplie...

— Et, gente demoiselle, dit a son tour Agraies, ne pourriez-vous nous indiquer le lieu oü nous lenbsp;rencontrerons, ce précieux et vaillant Chevalier denbsp;la Mer?...

— Mon seigneur, répondit la demoiselle, il se recomraaude humblement è votre bonne grèce etnbsp;vous mande par moi que vous le Irouverez en lanbsp;guerre de Gaule, si vous y êtes...

— nbsp;nbsp;nbsp;O les bonnes nouvelles que vous rn’apporteznbsp;lè! s’écria Agraies. Plus que jamais j’ai envie denbsp;partir, puisque je suis assure de rencontrer ce vaillant chevalier dans la guerre de Gaule!... Une foisnbsp;que je Taurai vu et embrassé, je ne me séparerainbsp;jamais de lui de mon propre gré...

— nbsp;nbsp;nbsp;Et vous aurez raison, mon seigneur, car ilnbsp;vous aime fort, reprit la demoiselle.

Quelques jours après, Agraies partait avec son armée pour s’acheminer en Gaule vers le roi Périou.

CHAPITRE XVII

Comment le roi Lisvart envoya quérir la princesse Oriane, sa fille, qu’il avait longtemps laisséenbsp;en la cour du roi Languines, lequel la luinbsp;envoya accompagnée de l’infante Mabillc, sanbsp;fille unique, et d’un nombre suffisant de chevaliers, dames et demoiselles.

ix jours après le départ d’A-graics et de sa troupe, trois navires de la Grande-llretagnenbsp;lirirent port en Ecosso; ilsnbsp;étaient raontés par Gaidar denbsp;Rascuit, accompagné de centnbsp;chevaliers du roi Lisvart, et de plusieurs dames etnbsp;demoiselles qui venaient quérir Oriane.

Le roi Languines regut fort bien tout le monde, principalement Gaidar de Rascuit, sage et bon chevalier; lequel, après Tavoir remercié, au nom dunbsp;roi Lisvart, de Thumain traitement qu’il avait faitnbsp;è la princesse sa lille, le pria de youloir bien la luinbsp;rendre, et, en outre, de consentir a ce qu’elle futnbsp;accompagnée dans son voyage de retour par Tin-fante Mabille.

Languines fut tres joyeux de cette dernière proposition, et il annonga aux deux jeunesscs qu’il 1'allait qu’elles se tinssent prêtesè jiartir.

Mabille et Oriane firent en consequence leurs préparatifs et mirent en ordre leurs menus meubles.


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LE CHEVALIER DE LA MER. 21

LE CHEVALIER DE LA MER. 21

Pendant cette occupation, Oriane trouva entre ses ioyaux la cire qu’elle avait enlevée au Chevalier de la Mer : alors elle eut, a ce moment, unnbsp;tel souvenir de lui, une si véhémente remembrancenbsp;de sa personne, que les larmes lui en vinrent auxnbsp;yeux, et, dans l’exaKation de son amour... la cirenbsp;qu’elle tenait se rompit, et Oriane apercut Ie par-chemin qui se trouvait dedans, lequel elle déployanbsp;aussitót, et, lisant 1’écriture, y trouva ces mots:nbsp;« Cet enfant est Amadis, fils du roi. »

Oriane, étonnée de la découverte qu’elle venait de faire, en perdit presque contenance, et peu s’ennbsp;fallut qu’elle ne se pamat de joie. II y avait certcsnbsp;de quoi : apprendre ainsi, tout d’un coup, quenbsp;celui qu’elle croyait ètre, pour Ie plus, fils d’unnbsp;simple gentilhomme,ou peut-être demoinsencore,nbsp;inconnu de nom et do parents, était fils de roi etnbsp;se nommait Amadis!

Sans plus tarder, la belle amoureuse appela la demoiselle de Danemarck, en qui elle avait unenbsp;entière fiance, et elle lui dit;

— nbsp;nbsp;nbsp;Ma mie, je veux vous confier une chose quinbsp;ne doit être sue que de mon coeur et de vous... Anbsp;cause de cela, h cause de moi et du meilleur chevalier du monde, gardez-moi done ce secret, jenbsp;Vous prie 1

— nbsp;nbsp;nbsp;Sur ma foi, madame, répondit la demoiselle,nbsp;puisqu’il /ous plait de me faire tant d’honneur,nbsp;J’aimerais mieux mourir que de faillir a ce secret

que vous me voulez confier.....Vous pouvez ètre

assurée que tout ce qu’il vous plaira de me décla-ver sera entièrement tenu couvert et exécuté a mon pouvoir...

— nbsp;nbsp;nbsp;Ma mie, reprit Oriane, il faut que vous allieznbsp;chercher Ie Chevalier de la Mer, lequel vous trou-

verez en la guerre de Gaule..... Si vous y arrivez,

d’aventurc, avantlui, vous l’attendrez... Aussitót que vous l’aurez joint, vous lui baillerez cettenbsp;letlre et lui direz que dedans se trouve son nom

écrit du jour oü ou Ie jeta en la mer.....Vous lui

direz, ensuite, que je sais qu’il est fils de roi, ce qui lui doit donner meilleure envie d’augmenter lanbsp;série de prouesses coramencées par lui... Vous luinbsp;direz encore que rpon père rn’a euvoyée quérir etnbsp;que je fais mes préparalifs de retour en Ia Grande-

Bretagne..... Vous lui direz enfin que je l’aiine

toujours, et ^ue, aussitót la guerre oü il est finie, je compte qu’il s’en reviendra de mon cóté...

^ demoiselle de Danemarck assura de nouveau Oriane que tout cela sera fait et exécuté avec lanbsp;plus grande célérité et la meilleure discrétion dunbsp;moiiUe, et, incontinent, elle prit congé ets’embar-qua pour la Gaule.

Quant a Oriane et a Wabille, les préparatifs de leur depart une lois terminés, elles s’embarquèrentnbsp;également avec leur compagnie. Leur navire cutnbsp;vent en poupe,ct si a propos que, quelques heuresnbsp;après, les belles princesses prirent port en lanbsp;Grande-Bretagne, oü elles furent magnjfiquementnbsp;revues.

GHAPITRE XVIII

Comment Ie Chevalier de la Mer, suivi du seul Gandalin, s’en

alia il travers forel, songeant a ses amours, et des rencontres qu’il y fit.

OUS revenons au Chevalier de la Mer.

On se rappelle qu’il était resté au chateau du vaincu denbsp;Galpan, avec une demoisellenbsp;qui lui pansait ses plaies, les-quelles, au bout de quinzenbsp;jours, avaient été presque tou-tes guéries. Un peu ennuyé dunbsp;séjour et de son oisiveté, il se décida unnbsp;dimanche matin a prendre congé de sonnbsp;hóte et de celle qui l’avait soigné. Lesnbsp;adieux faits, il monta a cheval et partit,nbsp;accompagné du seul Gandalin, qui avaitnbsp;juré de ne jamais l’abandonner.

Bientót ils entrèrent en une grande forêt.

G’était aux environs dumoisd’avril. Les oiseaux se dégoisaient et ramageaieut gai-ment; les arbres, lesfleurs et les herbesnbsp;verdoyaient allégrement, comme pour an-noncer la venue du Renouveau. Cela fit rêver Ienbsp;Chevalier de la Mer; il se ressouvint plus aprementnbsp;de la mie qui, sur toutes les autres, fleurissait ennbsp;excellente beauté, et pour laquelle, abandonnant sanbsp;liberté, amour l’avait rendu captif.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ah! murmura-t-il alors; pauvre Chevalier donbsp;la Mer, sans parent, sans avoir, sans feu ni lieu,nbsp;comment as-tu osé mettre ton coeur si haut quenbsp;d’aimer justement celle qui préexcelle toutes lesnbsp;autres en beauté, en bonté et en lignage?... O ché-tif que tu es! la grandeur de ces trois choses, parnbsp;lesquelles elle est parfaite et non-pareille, auraientnbsp;du te faire comprendre que Ie meilleur chevaliernbsp;du monde lui-mêmenepouvait prétendre ü raimerlnbsp;Et toi, téméraireet pauvre inconnu, tu t’es engagénbsp;dans un labyrinthe de folie, aimant el mourant,nbsp;sansseulement l’oser dire!...

Tout en disant cette complainte, Ie Chevalier de la Mer cheminait, la tête basse et les yeux a lerre,nbsp;Ie long de cette forêt peuplée d’oiselets joyeux quinbsp;faisaient contraste, par leur ramage, avec les do-lentspensementsdu jouvenceau. Au bout d’un asseznbsp;long temps de ce cheminement, il apergut, a travers Ie bois, un chevalier bien monté et en bonnbsp;équipage, qui longuement l’avait cótoyé pournbsp;mieux entendre cette complainte.

— nbsp;nbsp;nbsp;Pardieu 1 chevalier, s’écria ce gentilhommenbsp;en accostant Ie Chevalier de la Mer, il me serablenbsp;que vous aimez plus volre mie qu’elle ne vous aime,nbsp;puisque, pour la louertant, vous vous dépriseznbsp;vous-même... Apprenez-moi done qui elle est, afinnbsp;que je la serve moi-même!...

— Sire chevalier, 1'aimer ne pourrait vous en rapporter aucun fruit...

— Vous vous trompez : servir une si belle dame est un trop glorieux travail pour ne porter point ennbsp;soi sa récompense... Arrêtez-vous done, je vousnbsp;prie, car il faut que par amour ou par force vousnbsp;me disiez ce que je vous demande...


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22 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

— nbsp;nbsp;nbsp;Si Dieu m’aide, il n’en sera pas ainsi.

— Or, sus 1 défendez-vous \

Incontinent, tous deux lacèrent leurs heauraes et prirent leurs lances et deus. Ils s’éioignaientnbsp;pour prendre champ et revenir l’un centre l’autre,nbsp;lorsque survint une demoiselle qui leur dit:

— Chevaliers, avant de combattre, dites-moi, si vous Ie savez, une chose pour laquelle j’ai fait hate,nbsp;ne pouvant remettre , pour I’apprendre, la fin denbsp;votre bataille.

— nbsp;nbsp;nbsp;Qu’est-ce done? demandèrentles deux chevaliers en s’arrêtant d’un comraun accord.

— nbsp;nbsp;nbsp;Je voudrais bien, répondit la dame, savoirnbsp;nouvelles d’un chevalier nouveau appelé Ie Chevalier de Ia Mer.

— Et que lui voulez-vous? demanda celui qui était précisément celui dont on parlait.

— nbsp;nbsp;nbsp;Je veiix, reprit la demoiselle, lui donner nouvelles d’Agraies, üls du roi d'Ecosse.

— nbsp;nbsp;nbsp;Atteiidez un peu, dit Ie Chevalier de la Mer.

Durant leur propos, Ie chevalier de la forêt, im-

patienté de la longueur du causeraent de son ad-versaire avec la demoiselle inconnue, lui cria de prendre garde, et lout aussitót fondit sur lui avecnbsp;impétuosité; mais Ie Chevalier de la Mer, quoiquenbsp;pris tl l’improviste, n’en fit pas moins bonne conte-nance , si bien même que de sa lance il Ie désar-Qonna et l’envoya rouler sur Ie gazon.

— nbsp;nbsp;nbsp;Seigneur, lui dit-il en descendant de chevalnbsp;et en l’aidant è remonter sur Ie sien , n’ayez plusnbsp;désormais envie de savoir ce qu’on ne peut pasnbsp;vous dire ; cela porte malheur.

Le chevalier de la forêt, confus de cette lecon méritóe, s'inclina et se retira sans plus sonner mot.

— nbsp;nbsp;nbsp;Maintenant, reprit le Chevalier de la Mer ennbsp;revenant auprès de la pucelle qui l’avait précé-demment interrogé, maintenant, dites-moi si vousnbsp;connaissez celui après lequel vous courez de la partnbsp;d’Agraies?...

— Je ne l’ai jamais vu, répondit la demoiselle, mais Agraies rn’a assuró qu’il se ferait connattre anbsp;moi aussitót que je me serais annoncée comme ve-nant de sa part...

— II a dit vrai... Je suis celui que vous chcrchoz, répondit le Chevalier de la Mer en délagant sounbsp;heaume.

— Ah! je le crois, s’écria la demoiselle émer-veillée, car on ma parlé de votre grande beauté, et il est impossible qu’il y en ait un second commenbsp;vous quelque part.

— Or ga, reprit le Chevalier, oü avez-vous laissé Agraies?

— Prés d’une rivière qui n’est pas loin, ou il est arrêté avec sa troupe, attendant un vent favoral)lonbsp;pour passer en Gaule...

_ t^raiment?... Alors, allez devanl et me con-duisez.

La demoiselle obéit, et tous deux se mirent a cheininer jusqu'a ce qu'ils fussent arrivés en vuenbsp;de 1’endroit oü étaient carapés Agraies et ses gens.nbsp;Au moment oü ils s’approcbaient, une voix crianbsp;derrière eux;

— Arrètez! chevalier, arrèlezl Je veux savoir co que vous tenez tant ii rne céler!...

Le Chevalier de la Mer se retourna, et il reconnut celui qu’il avait précédemment désargonné lors denbsp;1’intervention de la raessagère d’Agraies. Seule-ment, cette fois il était accompagné d’un autrenbsp;chevalier,

Le Chevalier do la Mer prit ses armes, fit voUe-face a ses deux eimemis, et la lutte s’engagea, au SU et vu de l'armée d’Agraies, campée a quelquesnbsp;pas de Ja. Les deux chevaliers vinrent sur lui ünbsp;course de chevaux et rompirent ensemble leursnbsp;lances sur son écu et sur sou haruois. L’écu en futnbsp;faussé, mais non le harnois qui était roide et fort.

Ce fut au tour du Chevalier de la Mer de se dé-fendre, et il le fit avec succès. D’abord, le chevalier de la forêt fut renversé de cheval, et si lourdement,nbsp;qu’en tornbant il se rompit le bras et demeura surnbsp;place comme mort. Quand le daraoiseau se vitnbsp;désempêché de celui-la, il mit l’épée au poing et ennbsp;adressa un apre coup sur 1’arraet de sou secondnbsp;adversaire, lequel tomba, étourdi et perdant sonnbsp;sang, k quelques pas de son compagnon. Cela feit,nbsp;Ie Chevalier de Ia Mer s’en alia, suivi de la demoiselle , vers les tentes du prince Agraies, lequel,nbsp;ayant assisté de loin a ce touruoi, était curieux denbsp;savoir quel était ce vainqueur qui s’en veuait denbsp;son cóté. Quand il reconnut le Chevalier de la Mer,nbsp;ce fut unejoieè ne pas décrire tant elle était grande;nbsp;joie qui fut partagée par tout le monde.

Le lendemain , on monta a cheval et l’on alia gagner Palingues, trés bonne ville frontière et dernier port d’Ecosse, oü on trouva nefs et barquesnbsp;en quantité suffisante pour passer en Gaule. Agraiesnbsp;et ses gens s'effibar(|uèrent avec un vent propice,nbsp;et tant cinglèrent qu en peu de jours ils entrèrentnbsp;au hóvre de Galfrin. De lü, marchant en bon ordre,nbsp;ils arrivèrent sans maleneontre au chateau de Balduin , oü le roi Périon était assiégé, ayant perdunbsp;déja bon nombre de ses gens.

Quand le roi Périon apprit le secours qui lui ar-ï'ivait la, vous pouvez eslimer s’il en fut aise. De même pour Ia reine Elisène, laquelle, sachant cettenbsp;venue, envoya prier sou neveu Agraies de se rendrenbsp;incontinent auprès d’elle, ce qu il fit, accompagnénbsp;du Chevalier de la Mer et do deux autres chevaliersnbsp;sans plus de suite.

Quand Périon apergot de prime face le vaillant Chevalier, il nele reconnut pas lout d’abord; ce nenbsp;fut qu’au bout de quelqne temps qu’il se rappelanbsp;que c’était celui qu’il avait fait chevalier et qui,nbsp;depuis, l’avait secouru si fort ü propos au chateaunbsp;du Vieillard.

—^Mon cher ami,lui dit-il alors en l’embrassant, soyez le trés bien veim en ce paysl votre présencenbsp;me donno une telle süretó que Je ne songe plus ünbsp;la guerre qui m’entoure... Vous êtes avec moi: jenbsp;serai vainqueur 1...

— Sire , répondit le Chevalier de la Mer, qiie Dieu me fasse la grace de pouvoir vous èire vérita-blement utile, comme j’en ai la grande envie! Jenbsp;me suis promis que, tant que durerait la guerre, jcnbsp;ne m’cpargnerais en aucune fagon pour vous rendi’onbsp;service.

— Madame, reprit Périon en prenant le Chevalier de la Mer par la main et en le présentant a la reine Elisène; madame, voici le bon chevalier quinbsp;me tira du plus grand peril que je conriis jamais...nbsp;A cause de cela, je vous pne de veiller ê ce qu’ilnbsp;ne soit rien épargiié céans pour lui, et je vous de-mande de lui faire votre plus bienveillant accueil.

Ce qu’enteudant, Elisène s’avangait pour em-


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LE CHEVALIER DE LA MKR. 23

LE CHEVALIER DE LA MKR. 23

brasser Ie vaillant chevalier, lorsque celui-ci, rnet-lant les genoux en terre, lui dit:

— Madame, je suis Ie serviteur de la reine votre Bceur; c’est vous dire que je veux vous servir etnbsp;vous obéir comme a elle-même.

La bonne dame, au son de cette voix, fut remuéo d’une douce emotion. Elle ne pouvait se rassasiernbsp;de rogarder ce beau jeune homme qu’on disait sinbsp;chevaieureux, et, quoiqu’elle ue se dout^t pas Ienbsp;moius du monde A quel titre il lui était si cher, unnbsp;instinct naiurel la porta a lui vouloir plus de biennbsp;qu’a nul de farinée du prince Agraies. Involontai-remo'nt inêrae, A force de Ie contcrapler et de l’ad-mirer, ellese rait a songer aux deuxenfants qu’ellenbsp;avait eus, et en constatant qu’il avail k pen présnbsp;leur age, elle fut prise d’une mélancolie navrante,nbsp;et deux grosses larrnes coulèrent Ie long de sesnbsp;joues.

Le Chevalier de ia Mer, la voyant ainsi pleurer, et estimanl que c’était h l’occasion de la guerrenbsp;commcncée, lui dit •

— Madame, j’espère qu’avec l’aide de Dien, du roi et du nouveau secours qui vous arrive k cettenbsp;lieure, vous recouvrerez vitement votre joic... Et,nbsp;pour ma part, croyez que je ferai tout ce qui dé-pendra de moi pour terminer glorieuseinent etnbsp;avantageusement cette guerre qui vous cause an-goisse.

— Dieu vous entende 1 répondit Elisène. Mais, seigneur, puisque vous êtes chevalier de ma soeur,nbsp;je ne souifrirai pas que vous preniez d'autre logisnbsp;que céans, oü vous aurez tout ce dont vous aureznbsp;besoin.

CIIAPITRE XIX

Comment le Clicvalicr de !a Mor, une fois A la cour du roi Pdrion et de la reine Elisène , ent occasion de lómoignornbsp;de sa haute vaillance.

bies d’Irlande otDaganil son cousin, en apprenant le secours arrivé au roinbsp;Périon, s’empressèrent de réunir lesnbsp;plus sages d’entre les chevaliers Icursnbsp;compagnons, pour prendre conseilnbsp;sur la uiarche it suivre.

Le roi Abies était renomraé comme le plus vaillant d’entrc les vaillauls,nbsp;et il avait bate de se mesurer avee lenbsp;roi Périon.

— Si le roi Périon est a ce point geiitil compagnon de songer a nousnbsp;veiiir voir, s’écria-t-il, je voudraisnbsp;bien qne ce fut aujourd’hui plutótnbsp;que demain.

— Oh! il n’est pas si hatif que vous Ic pense'/;, répondit Baganil; ilnbsp;vous redoide beaiicoup, quoiqu’ilnbsp;n’enaitpasl’air...

— Savez-vous, dit a sou tour le due GalVm do Normandie, savez-vous par quel moyen nous pou-vons le contraindre a engager vitement I’aclion?nbsp;Faisons une embuseade , composih» do la plusnbsp;grande panic de cette armee, laquelle demeureranbsp;avec le roi Abies dans la forct de Galpan... Dagaud

et moi, nous irons, avec le reste de Parmée, nous présenter a Fi-ube du jour devanl la ville... Alors,nbsp;iios ennemis nous apercevant en petit norabre etnbsp;supposant que nous formons a nous seuls Farmée,nbsp;viendront iufaillihlomentsur nous, dans Fespérancenbsp;de nous exlerminer. Nous feindrons d’avoir peurnbsp;et nous prendrons la fuite vers la forêt oü sera Ienbsp;roi avec lo gros de Farmée, et oü nos ennemis,nbsp;nous poursuivant, trouveront la mort.

— G’est trés bien avisé 1 répondit le roi Abies. Due Galliu, ordonnez cette embuseade vous-mêrne,nbsp;et que tont s’arrange selon que vous Firaagine-rezl...

Alors vous eussiez vu soudards se raouvoir, gens d’armes monter a cheval. tambourins bruire, trom-pettrs retentir, oscadrons s’organiser; si bien que,nbsp;ie soir même, tont était disposé dans Fordre imagine par Ie due de Normandie, et que, au point dunbsp;jour, une petite armee se présentait sous les mursnbsp;(le la ville du roi Périon.

Ge prince, en ce momont-la, était loin dese dou-ler de ce qu’on tramait contre lui. II n’ctait occupé qii’a bien fêter son vaillant hóle, le Chevalier de lanbsp;Mer. Comme Farmée comrnandée par Daganil et lenbsp;due de Normandie s’approchait de la place, il senbsp;rendait, lui, avec la reine Elisène, en la chambrenbsp;oü logeait le beau chevalier, et oü ils Ie trouvèrent,nbsp;se lavant les mains.

Le Chevalier de la Mer avait les yeux rouges, enflés, et encore pleiqs de larnms. Le roi et lanbsp;reine jugèrent qu’il avait assez mal reposé durantnbsp;la nuit, comme jl était vérité, car il n’avait pas unnbsp;snul instant cessé de penser A celle qu’il aiinait tantnbsp;et si vainement.

La reine done, désireuse de savoir la cause de cette trislesse qui apparaissait sur le visage du jou-venceau, tira Gandalin a part et lui dit:

— Mon ami, votre maitre porte au visage quel-que facherie ; lui aurait-on donné céans sujet de mécontentemeiit?...

— Non, madame, répondit Gandalin; il areou beaucoup d’honneur do votre grace... Si vous lenbsp;voyez aiiisi raarmiteux, c’est qu’il a coutume de rê-ver, et, quand il rève, il se tourmente outre ine-sure, comme il vous est loisible d’en juger par s(?snbsp;yeux rougis et sa face déconüte.

Gandalin achevait a peine ces mots, que le guet vint avertir Ie roi Pénon tiue les ennemis étaientnbsp;sous les murs de la ville. Lors, on fit sonnernbsp;promptement l’alarme, et en un clin d’ceil, chacunnbsp;fut pret, armé et A cheval.

Périon et le Chevalier de la Mer chevauchaient les premiers. En arrivant aux portes de la ville,nbsp;ils trouvèrent le prince Agraies qui se débattnitnbsp;(Fune véhémente facori, paree qu'on tardait trop Anbsp;les lui öuvrir. Agraies était uu des plus hardis chi;-valiers, et s’il eüt eu la sagesse a commandementnbsp;c/oimne il avait le courage, il n’y eu eüt guère eunbsp;de semblables au monde'.

Les portes de la ville s’ouvrirent enfin, et les Gaulois purent sortir. Lorsqu’ds apergurent lesnbsp;g(ïns d'armes eommamlés par Daganil et le due denbsp;Normandie, ils l'ureiit étonnés de leur grand nom-hre, bien qnc toiito Farniée du roi A!)ies n’y futnbsp;pas, (il la plupart d’etitre eux 1'urent d’avis de n’al-Icr pas plus avant, estiinant (Mre témérité d’assaü-, lir puissance tant iuégale.


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24 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

A cette cause, il y eut grandes contestations; ce que connaissant Agraies, il donna des éperons amp;nbsp;son cheval, et cria amp; haute voix

— Maudit soit qui plus tardera 1 Voilli ceux con-tre qui il faut débattre, et non pas entre nous!

Et, cela dit, il piqua droit aux ennemis, suivi du Chevalier de la Mer et d’un certain nombre de gensnbsp;d’armes.

La mêlée commenga apre et sanglante. Le premier que le Chevalier de la Mer rencontra fut le due de Normandie; il le chargea si viveraent que, rom-pant sur lui, il renversa homme et cheval par terre.nbsp;Le due de Normandie en eut la jambe rompue.

Le Chevalier de la Mer se vit aussitót entouré par une nuée de soudards, dësireux de venger Ia chutenbsp;du due Gallin; mais c’était nuée de moucherons :nbsp;il la dissipa a coups d’épées, et passa outre pournbsp;s’attaquer fi des adversaires plus dignes de lui. Ce-pendant, la foule des gens d’armes se faisaitnbsp;d’instant en instant plus compacte autour du Chevalier de la Mer, il est probable qu’il eüt fini parnbsp;être abattu, sans Tinlervention du vaillant Agraies.

Agraies, séparé de son ami, avait vudeloin quel péril il courait, et il s’était dirigé de son cóté,nbsp;renversant tout ce qu’il rencontrait, démembrantnbsp;l’un, échinant l’autre, tellement que tous lui firentnbsp;voie et qu’il put arriver jusqu’au Chevalier de lanbsp;Mer. Une partie de sa troupe le suivait.

A son arrivée, vous eussiez vu lances se briser, heaumes tomber, écus voler, hauberts se fracas-ser : les Irlandais perdaient l’avantage!

Ge qui compliqua la situation,'pour les gens de Daganil et de Gallin, ce fut l’intcrvention du roinbsp;Périon en personne. Le Chevalier de Ia Mer,nbsp;Agraies, le roi Périon 1 Les Irlandais commeneaientnbsp;i se débander, malgré les exhortations de Daganil.nbsp;Les Gaulois, au contraire, allaient en avant, exci-tés au courage par l’exemple du roi Périon et parnbsp;la voix d’Agraies, qui leur criait, en leur désignantnbsp;le Chevalier de la Mer :

— Suivons, mes amis, suivons le plus vaillant chevalier du monde!...

Lors, Daganil, jugeant que le pire était de son cóté, et s’apercovant que Ie dommage principalnbsp;venait des coups que portalt le Chevalier de la Mer,nbsp;délibéra en soi de lui tuer son cheval, et par ainsinbsp;de le faire tomber en la presse. Mais il ne le put:nbsp;le Chevalier de la Mer, au contraire, se rua surnbsp;lui, frappa un rude coup sur son armet et le lui fitnbsp;voler hors de la tête. Go que voyant, le roi Périon,nbsp;voulant parfaire l’oeuvre du Clievalier de la Mer,nbsp;s’approcha a son tour de Daganil désarmé et luinbsp;donna un tel coup d’épée que le cerveau en futnbsp;entr’ouvert et que la eervolle en jaillit Qci et !amp;.

II y eut alors une déroute compléte parmi les Irlandais, qui gagnèrent é Ia hate la forêt oü senbsp;tenait le gros de l’armée du roi Abies, et oü lesnbsp;poursuivit le roi Périon.

Mais le roi Abies n’avait pas attendu qu’ont vint le réclamer dans son embuscade : il était déjènbsp;parti, ü la tète d’une partie de son armee, pournbsp;porter secours ü son cousin et s’emparer do la villenbsp;du roi Périon. Aussi son apparition, avec desnbsp;troupes fraiches, causa-t-elle un certain éinoi parminbsp;les gens d armes du roi Périon, harassés, au contraire, de fatigues et de blessures. Pour un peu,nbsp;raème, le désarroi se füt mis parmi les Gaulois :

heureusement, le Chevalier de Ia Mer était lal

— Mes compagnons et amis, leur cria-t-il, ayons bon coeuri Que chacun fasse connaitre ici sanbsp;vertu 1 Que chacun se souvienne de l’honneur quenbsp;les Gaulois ont acquis par leurs armes 1 Allons,nbsp;mes compagnons, allons 1... Nous avons affaire ünbsp;des gens étonnés et a demi-vaincusl... N’allonsnbsp;pas changer de róle avec eux, prendre leur couar-dise et délaisser notre victoirel... Allons, mes compagnons, allons 1 Dieu nous aide!

A cette male parole, les plus découragés repri-rent courage, résolus a combattre virileraent leurs ennemis, qui, un peu aprés, revinrent plus furieu-sement que jamais sur eux.

La mêlée recommenca done avec un acharne-ment qu’elle n’avait pas encore eu, ü cause sur-tout du roi Abies, qui était un hardi chevalier, et qui donnait un fier exemple a son armée, ayant anbsp;venger la mort du due de Normandie et de Daganil. Aussi, malgrc les efforts surhumains du roinbsp;Périon, d’Agraies et du Chevalier de la Mer, pournbsp;rallier honorablement leurs gens, il y eut une pa-nique générale, et chacun chercha a gagner lanbsp;ville pour se mettre ü couvert.

Gomme le roi Abies poursuivait les Gaulois qui fuyaient, éperdus, un chevalier lui dit en lui mon-trant le Chevalier de la Mer, qui harcelait de sesnbsp;exhortations les gens du roi Périon :

— Sire, celui-ia que vous voyez, monté sur un cheval blanc, a mis a mort, de sa propre main, lenbsp;due de Normandie et votre cousin Daganil!,..

Le roi Abies, entendant cela, poussa son cheval du cóté du Chevalier de la Mer, et il lui cria :

— Chevalier, vous avez mis a mort I’hornme que j’aimais le plus au monde... Je veux le venger 1

— Vous avez troupe trop fraiche pour la notre, répondit le Chevalier de la Mer. Toutefois, si,nbsp;comme chevalier, vous voulez venger celui quenbsp;vous dites et montrer le grand courage que la re-nommée vous accorde, choisissez parmi vos gensnbsp;ceux qui vous plairont le mieux; de mon cóté, s’ilnbsp;plait au roi, je choisirai les miens : ainsi égaux ennbsp;nombre, nous pourrons combattre, ce qui seranbsp;plus honorable pour vous que votre invasion in-juste en ce pays.

— Vraiment, chevalier, vous parlez bien 1 s’é-cria le roi Abies. J’acceptel Fixez vous-mème le nombre, petit ou grand, des personnes qu’il faut.

— Puisque vous me laissez ce choix, reprit le Chevalier de la Mer, et que vous me paraissez sinbsp;bicn disposé, je vais vous proposer un parti meil-leur encore... Je suis votre ennemi a cause de cenbsp;que j’ai fait; vous etes le mien a cause du mal (luenbsp;vous faites a ce royaume que vous avez injuste-monl envahi. Par ainsi, puisipie nous avons unenbsp;colére personnelle, il n’est pas juste quo d’autresnbsp;on souffrent... Que la bataille soil entre vous etnbsp;moi seulementl Cela vous convient-il ?...

— Je le veux trés bien 1 répondit le roi Abies.

Lors il choisit dix chevaliers pour garder le camp, et invita son adversaire h en faire autant.

Le Chevalier de la Mer alia incontinent vers le roi Périon, i qui il demanda son autorisation.nbsp;Périon et Agraies furent un peu durs ü lui consen-tir ce combat, tant pour la consequence dont ilnbsp;était, que paree que le Chevalier de la Mer étaitnbsp;las et travaillé d’ennuis. Ils lui demandérent de


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LE CHEVALIER DE LA MER. 25

différer au moins jusqu’au lendemain cette entre-prise si pleine de périls; mais sa soif de vaincre était si grande, si grande aussi était son envie denbsp;voir cette guerre terminée afin qu’il put retourncrnbsp;vers sa mie tant aimée, qu’il obtint du roi Périonnbsp;l’autorisation sollicitée. II fut ordonné pour com-battre, et, comme il avait été fait pour Ie roi Abies,nbsp;on lui bailla dix chevaliers destinés h la garde et amp;nbsp;la süreté du camp.

GHAPITRE XX

Comment Ie Chevalier de la Mer combattit Ie roi Abies; sur Ie différend de la guerre qu’il menait en Gaule.

La bataille entre Ie roi Abies et Ie Chevalier de la Mer ayant été convenue, les seigneurs des deuxnbsp;cótés arrêtèrent qu’elle aurait lieu Ie lendemain,nbsp;pour laisser les champions se rafraichir et pansernbsp;même les blessures regues dans les rencontres pré-cédentes.

Le bruit des ’exploits du Chevalier s’était pro-pagé i l’entour, et tout le monde priait Dieu de lui faire accomplir les grandes choses qu’il avait ennbsp;train.

Dès le matin, le roi avait prié la reine de désar-mer elle- même le chevalier en sa charabre, et une demoiselle était allée le prévenir.

Le Chevalier ne put s’en défendre, et lorsque la reine lui óta son haubert, elle vit qu’il était toutnbsp;meurtri et le montra au roi qui lui représenta qu’ilnbsp;n’avait pas pris un délai assez long pour sa bataille.

Le Chevalier assura que ce n’était pas dange-reux, et les chirurgiens furent d’avis que ces blessures étaient seulement longues h se fermer.

Gependant le souper arriva, et les affaires de la journée menèrent la conversation jusqu’au cou-cher.

Le lendemain, chacun fut ouïr la messe, après laquelleleroi donna au Chevalier les armes les plusnbsp;riches et les plus solides qu’il fut possible de ren-contrer. Lui-mème porta 1’armet du chevalier,nbsp;Agraies se chargea de son écu; un autre princenbsp;prit sa lance, et ainsi chargés, ils s’élancèrent dansnbsp;la campagne oü le roi d’Irlande attendait, armé etnbsp;inonté sur un grand cheval noir.

Tout é l’entour une foule de peuple s’était ap-prochée pour être témoin de la tin du combat.

Abies avait combattu autrefois un géant auquel d avait tranché la tête, et portait sur son écu cenbsp;combat représenté fidélement.

A nbsp;nbsp;nbsp;les deux champions furent en face Fun

ue 1 autre, ds s’apprêtèrent a donner la mesure de leurs moyens, et sans trop attendre, ils baissèrentnbsp;les vues de leurs armets, et, se recommandant iinbsp;I)ieu, donnèrent des éperons é leurs chevaux etnbsp;s’abordèrent si furieusement que leurs lances furentnbsp;rompues et qu’ils tombèrent tous deux par terre.

Mais leur courage et le désir de vaincre les lit promntement se relever; ils arrachèrent les tron-gonsde lance qui les meurtrissaient, et, Fépée ü lanbsp;main, ils engagèrent un combat dont les assistantsnbsp;frémirent tant il fut acharnè et effrayant.

Le Chevalier de la Mer était bieu pris et de rai-sonnable taille.

Mais le roi Abies était fort grand et n’avait rencontré jamais d’adversaire qu’il ne dépassèt d’un pied; il était si fort qu’il pouvait passer pour unnbsp;colosse, aussi ses sujets l’estimaient beaucoup pournbsp;ces dons naturels, qui lui donnaient un peu de va-nité.

Les deux chevaliers, animés d’une ardeur parelde, tant pour leur honneur particulier que pour les conséquences du combat, se frappaient sansnbsp;interruption et faisaient un tel bruit de coups qu’ilnbsp;eüt paru que vingt personnes se tenaient assaut.

La terre était couverte de sang, si peu ils se mé-nageaient; des morceaux d’écus, des lames de har-nais volaient autour d’eux, chaque coup portait, et souvent atteignait le vif sans qu’ils parussent lenbsp;remarquer.

Tous deux conservaient une contenance si brave, que 1’on ne pouvait prévoir lequel aurait le dessus.

Mais vers trois heures après-midi, le soleil devint si chaud qu’ils s’affaiblirent peu è peu, et le roinbsp;Abies rompit en disant au Chevalier de la Mer:

— Je te vois presque vaincu, et je suis hors d’ha-leine; s’il te semble bon, reposons-nous un peu, car nous pourrons continuer plus aisément ensuite;nbsp;je veux bien t’avouer que tu me parais digne denbsp;combattre avec moi, mais je veux venger la mortnbsp;de 1’ami qui m’était le plus cher, et je ne tarderainbsp;pas èi le faire en présence de nos deux camps.

— Roi Abies, répondit le Chevalier de la Mer, je vois que tu tiens bien plus é ma perte qu’aunbsp;succès de tes troupes en ce pays, et comme on nenbsp;ressent pas le mal dont on est 1’auteur, je veux tenbsp;faire repentir de ta cruauté envers les habitants denbsp;ce pays; tu n’auras pas le loisir de respirer, défends-toi contre un chevalier vaincu, comme tu dis.

— Que ton audace soit punie, fit le roi Abies en reprenant son épée et le reste de son écu, et qu’ilnbsp;t’en coüte la tête.

— Fais ton possible, reprit le Chevalier, car je ne te laisserai pas de repos jusqu’a ce que toi ounbsp;ton honneur soyez détruit.

Et leur combat recommenga de plus belle; mal-gré 1’adresse du roi Abies, ê qui un long exercice avait appris 1’attaque et la defense, il perdit lenbsp;reste de son écu, grace ê la promptitude et a la légé-reté du Chevalier de la Mer.

Abies, poursuivi avec acharneraent, couvert de sang et presque hors de combat, réfléchit qu’il luinbsp;fallait faire un dernier effort pour vaincre ou mourir.

II prit alors son épée è deux mains et se rua si fort sur le Chevalier, qu’il engagea dans 1’écu denbsp;de celui-ci son épée sans pouvoir la dégager.

Ce que voyant le Chevalier, d'un revers lui coupa la jambe gauche; Abies tomba sur h place. Lenbsp;Chevalier se jeta sur lui, et lui arrachant sonnbsp;heaume :

— Rends-toi, lui dit-il, ou meurs.

— Vraiment! répondit le roi, je suis mort, mais non vaincu; quoi qu’il advienne, ceci est de manbsp;faute; permets ê mes soldats de me transporternbsp;chez moi, afin que je satisfasse ê mes devoirs envers Dieu et les hommes, je rendrai è Périon ce quinbsp;est a lui; je ne regrette pas de finir de la main d’unnbsp;brave chevalier comme toi, je te pardonne, continue tes exploits et souviens-toi de ma personne.

Le Chevalier de la Mer se sentit navré de la position d’Abies, qu’il eüt pu mettre en plus mauvais


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état encore. Les assistants s’approchèrent, et Abies fit remeltre a Périon ses conquètes de Gaule. Losnbsp;Irlandais eraportèrent leur roi, qui mourut peunbsp;après avoir terminé ses affaires.

Le roi Périon, Agraies, et les seigneurs de Gaule vinrent prendre le Chevalier, qui regut les honneurs dus non-seuleraent anx vainqueurs, mais tinbsp;ceux qui délivrent leur palrie de la servitude.

Or, la demoiselle de Danemark, envoyée au chevalier par Oriane, était arrivée èi la cour denbsp;Périon peu avant le combat; avant de s’annoncer,nbsp;elle attendit le résultat el prit amp; part le Chevaliernbsp;pour lui remettre une letire d’Oriane.

Le Chevalier, transported de joie, faillit s’éva-nouir et laissa toraber cette lettre que la demoiselle releva. La demois lle pria le Chevalier de partirnbsp;pour la Grande-Bretagne oü se Irouvait Oriane;nbsp;son nom lui était révélé par la lettre qui était cellenbsp;trcuvée avec lui dans son berceau; il vit qu’il s’ap-pelait Amadis.

— II me faut, dit la demoiselle, retourner au plus tét vers Oriane; j’attemls vos ordres.

— nbsp;nbsp;nbsp;Demeurez , répondit le Chevalier, deux ounbsp;trois jours ici, et ne me qudtez pas; je vous con-duirai ensuite oü vous voudrez.

— nbsp;nbsp;nbsp;En vous obéissant, fit la demoiselle, je croirainbsp;complaire amp; ma dame Oriane.

Le Chevalier relourna vers le roi, et, sur son passage, le peiqile criait:

— nbsp;nbsp;nbsp;Béni soit le brave chevalier qui nous a rendunbsp;la liberté et l’honneur !

La reine et ses dames requreiit le Chevalier, lui ötèrent ses armos et firent visiter ses plaies par lesnbsp;chirurgiens, dont l’avis fut qu’il ne courait aucunnbsp;danger.

Le Chevalier se retira dans sa chambre avec la demoiselle, refusant le souper du roi pour causernbsp;de ses peines d’amour; et il lui plut tant de tenirnbsp;compagnie avec elle, qu’il oubliait ses blessures etnbsp;se promenail constamment, en devisant avec ceuxnbsp;qui le visilaient. II lui tardait de pouvoir re-prendre ses armes.

Sur ces entrefaites, il survint un événement qui prolongea sou séjour en Gaule plus qu’il ne voulait;nbsp;de sorte que la demoiselle retourna seule versnbsp;Oriane.

GHAPITRE XXI

CommeTil le Chevalier de laMer est reconnu par le roi Pi'rion, son père, et par la reine Elisène, sa mère.

Périon, étant en la Petite-Bretagne, avait donné a la reine Elisène un anneau en tout pared a celuinbsp;(pi’ll portalt ordinairement. Cet anneau avait éténbsp;attaché au cou du Chevalier de la Mer lorsqu’il avaitnbsp;été abandonné sur 1’eaii, et Gandales le lui avaitnbsp;renvoyé p'us tard avec 1’épée et le sceau caclu'lé.

Plusieurs fois le roi avail demandé a la reine cc qu’ctait devenu cet anneau. D’abord, (die avaitéviténbsp;de n'pnndre; puis elle lui avoua qu’il était perdu.

Un jonr quigt; le Chevalier se pronnuiait avec Oriane, Mélieie, flile du roi Périon, courut è lui ennbsp;[jleurant, et lui conta qu’e.lte avait égaré 1’anneaunbsp;que son père lui avait contlé pendant qu’il se repo-sait.

Le Chevalier, Grant celui qu’il avait au doigt, )a pria de se consoler.

En voyant cet anneau, la jeune fille pensa que c’était celui qu’elle avait perdu, et elle dit au Chevalier ;

— nbsp;nbsp;nbsp;Que je suis aiso que vous l’ayez trouvé 1 Jenbsp;1’ai cherché bien longuement.

— nbsp;nbsp;nbsp;Comment, répondit le Chevalier, l’avez-vousnbsp;pu chercher, puisque ce n’est pas le vótro?

— nbsp;nbsp;nbsp;II lui ressemble si bien, fit 1’enfant, qu’il seranbsp;pris pour celui que j’ai égaré.

Le roi s’était éveillé, et, prenant des mains de sa fille l’anneau qu’elle lui donnait, il le mit a son doigtnbsp;comme le sien; puis, en passant dans les galeries,nbsp;il Irouva celui que sa fille avait perdu, et les com-para tous deux. 11 se ressouvint alors que 1’un desnbsp;deux devait être celui qu’il avait donné k la reine.

II demanda ü Mélicie oü elle avait trouvé cet anneau. L’enfant, n’osant menlir, raconta qu’elle le tenait du Chevalier.

Un souppon (raversa l’esprit du roi : il se figura que cet anmmu était un présent fait paria reine aunbsp;Glmvalier, dont la beauté lui parut significative. IInbsp;monta chez la reine, et, sans dire un mot, viiitnbsp;s’asseoir a ses cólés, les yeux immobiles.

— nbsp;nbsp;nbsp;Je ne suis plus ótonné, madame, lui dit-llnbsp;avec effort, de votre embarras toutos les fois quenbsp;je vous ai rappelé l’anneau que je vous donnai ennbsp;Bretagne. Vous l’aviez déposé dans un endroit quenbsp;vous vouliez me cacher; mais une affection estnbsp;toujours découverte par les gages ((u'on cm donne.nbsp;Le Chevalier de la Mer l’a donné inconsidérémentnbsp;k Mélicie, ne sachant pas qu’il venait de raoi. J’ainbsp;SU ainsi cc que tous les deux vous aviez iiitérêt anbsp;me céler.

La reine, s’étant aper^uo au visage du roi qu’il éfait anéanti, résolut de lui découvrir la vérité;nbsp;elle lui conta sa grossesse, son enfantement, (!tnbsp;comment la crainte du poi son père et la sévériténbsp;dos lois du pays favaient contraiute a exposer sonnbsp;fils sur la mer.

Le roi resta émerveillé de ce récit, qui Jui donna a penser que le Chevalier pourrait bien étro sonnbsp;premier enfant, préserve par Dien d’un sort funeste ; il fit a la reine part de ce pcns(;r.

— nbsp;nbsp;nbsp;Allons a sa rencontre! répondit lo roi.

La reine et le roi se rendirent k la chambro du Chevalier, qui dormait. Le roi s’approcha sans bruitnbsp;et prit sur le lit l’épée qu’il reconnut avoir illus-trée dans maintes rencontres.

— Sur ma foi! dit-il k la reine, voici l’épée qui me fut dérobée lors de notre première enlrevuenbsp;chez le roi votre père; votre dire me paralt prendre une tournure do vérité.

La reiiie dout le coeur était haletant d’anxiété, révcilla le Chevalier, qui, la voyant pleurer, lui dit:

— Madame, d’ou viennent vos larmes ? Mon bras pcut-il en faire cesser la cause.

— Mon ami, répondit la reine, uii mot de vous peut les sécher : diles-nous seuh'mentdc qui vousnbsp;(Mes fils.

—¦ Dieu m’assiste, fit le chevalier, si je le sais! Je fas irouvé sur la mer d’line facon étrange.

La reine fut si heureuse de cette declaration qii’elle ne put ajouter im mot; le sentiment de lanbsp;vie I’abandoiina tout-k-coup, et (»lle tomba danslesnbsp;bras du chevalier.


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LE CHEVALIER HE LA MER. *7

— nbsp;nbsp;nbsp;Je. sais mieux que vous qui vous etes, dit-ellonbsp;en reprenant la parole. Ah 1 nion fils, je puis main-tenant vous embrasser a mon aise, après avoir etcnbsp;si longtemps privée fie votre vue et de vos nou-velles. 11 a plu a Dieu de réparer ma faute; voidnbsp;le père qui vous eiigendra.

Le chevalier se jeta, les yeux en pleurs, aux pieds du roi et do la reine, et tous les trois remer-ciercnt Dieu de ce dénoüment, particulièrement Ienbsp;Chevalier, qui, après avoir échappé a de grandsnbsp;dangers, relrouvait en même temps ses parents etnbsp;des honneurs auxquels il n’aurait osé prétendre.

La reine lui deraanda s il avait un autre nom que celui dont on I’appelait.

— nbsp;nbsp;nbsp;Oui, madame, répondit-il, mais il n’y a pasnbsp;trois jours que je le connais. Au sortir du combatnbsp;oil Abies aètévaincu, une demoiselle m’a apporténbsp;une lettre scellée que j’avais suspendue a mon counbsp;lorsque je fus trouve sur la mer; j’ai coanu parnbsp;celte lettre que mon nom est Amadis.

La reine recommt la lotlre écrile par Dariolette, ot exigea du chevalier qu’il portal le nora d’Amadis,nbsp;au lieu de son premier nom.

Depuis ce moment, i! garda le nom d’Amadis; on I’appela aussi quelquefois Amadis de Gaule.

Tout le monde apprit avec joie la nouvelle; Agraies ne fut pas des derniers a s’en rtqouir, ilnbsp;deveuaif cousin germain du Chevalier de la Mer,

La demoiselle de Danemark insista auprès d’A-inadis pour porter è Oriane le recit de cet événement dont elle ctait si heureuse ; elle lui fit com-prendre qu’il ne pourrait do sitót accomplir son voyage et relrouver I’idole de son creur, qu’il serail a Oriane une compensation en rabseace de sanbsp;personne, d'avoir de ses bonnes nouvelles.

Amadis la laissa partir, rassurant de son prochain voyage ; il lui dil qu’il arriverait vers Oriane porlant les armes qu’il avait en combattant le roinbsp;d’lrlande, qu’elle le reconnaitrait ainsi facilement.

Agraies, voyant quo son cousin Amadis prolon-geait son sejour en Gaule, voulut partir; il lui de-manda son congé, ne pouvant dilTérer plus long-temps de retrouver celle qui commaudait de prés eu de loin ii son coeur.

— nbsp;nbsp;nbsp;C’est Olinde, fille du roi Vanain de Norvége;nbsp;elle m’a fait prior, par la demoiselle qui m’apportanbsp;1’armet de Galpan, de la rejoindre au plus lot; jenbsp;ne puis désobéira cetordre et suis conlraint de menbsp;séparer de vous.

Ce fut a 1’époque oil Galvanes, frère du roi d’E-eosse, emmena en Norvége son neven Agraies, que ce dernier s’éprit d’01inde,a laquelle il futloujoursnbsp;fidele et obifissant.

V..O nbsp;nbsp;nbsp;n’avait rcQu en apanage qu’un pau-

y e cnateau ; son argent avait servi a cquiper et en-tretenii quelques gontiishommcs, ct on le surnom-niait Galvanes-sans- lerre a cause de cela.

Agraies, en quiltant Amadis, lui demanda oil ils se retroiiveraiont au retour do la Norvége.

—' J’espère, mon cousin, répondit Amailis, aller d ici a la cour du roi Lisvart, oil les chevaliers fontnbsp;meilleure figure qu’en niillo autre maison d’empe-reur ou de roi.

Remerciez, a Toccasion, le roi votre père ct la reine des soins dont ils out enlouré ma jeunessc;nbsp;(htes-leur que je suis pret, pour eux et pour vous, .nbsp;a entreprendre ceque je pourrai pour leur service, j

Agraies se mit en route, reconduit hors de la ville par le roi Périon et les seigneurs de sa cour.

Aiissitot que le roi Périon fut en pleinc campagne, il vit venir a lui une demoiselle qui prit avec autorité la biide de son cheval ct lui dit;

— nbsp;nbsp;nbsp;Te souviens-tu d’avoir été pnivenu par unenbsp;demoiselle que, lorsqiie tu recouvrerais ta perte, lanbsp;scigneurie d’lrlande perdrait sa fleur? Vois si ellenbsp;a dit vrai ; tu as retrouvé ton fils, que tu croyaisnbsp;mort, et Abies, qui fut la fleur d'lrlaude, est tré-passé.

•—Lo pays d'lrlaude ne rctrouvera le pared d’A-bies qu’ii la venue du frère de la dame, lequel mourra de la main d’un gentilhomme, après avoirnbsp;conquis par force d’armes le tribut d’autres pays.

Et il en arriva ainsi par Marlot d’lrlande, frère de la reine d’lrlande, que Tristan de Léonois occitnbsp;en defendant le tribut qu’on demandait au roi Marcnbsp;de Cornouailles, son oncle.

Trislan lui-merne mourut pour I’amour qu’il j)or-tait a la reine Yseult.

— nbsp;nbsp;nbsp;Qu’il t’en souvienne 1 dit la demoiselle au roi,nbsp;c’est Urgande, ma maitresse, qui te mande cesnbsp;choses.

En entendant prononcer le nom d’Urgande, Amadis prit la parole et dit amp; la demoiselle.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ma mie, je vous prie de dire a celle qui vousnbsp;aenvoyée que le chevalier h qui elle donna Ja lancenbsp;se ;recommande è sa protection; qu’il reconnaitnbsp;qu’elle a dit vrai en lui assuraut qu’a I’aidede cettcnbsp;lance il délivrerait la maison dont il était le premiernbsp;issu. Cela est arrivé, car j’ai sauvé mon père, sansnbsp;le counaitre, au moment oil il allait succomber.

La demoiselle tourna bride, et le roi reprit avec Amadis le chemin de la ville.

Pour célébrer la reconnaissance de son fils, le roi Périon fit commencer des joules, des tournoisnbsp;merveilleux dans lesquels Amadis fut reconnu parnbsp;tous comme un des plus adroits chevaliers.

Amadis fut averti sur ces entrefaites de l’enlève-ment do son frère Galaor par le moyen d’un géant, cl il prit le parti de le rechercher et secourir parnbsp;la force des armes ou autrement.

Toutefois, ayant au cceur le désir de voir celle qui I’attendait, il pria un jour le roi son père denbsp;lui dormer comté d’aller en Grande-Bretagne cher-clier des aventures, craignant de rester oisif en unnbsp;pays délivré de ses ennomis.

Le roi et la reine ne l’approuvèrent pas, mais ils lui permirent seulernent un voyage en ce pays,nbsp;après qu’il cut beaucoup insisté. L’affeclion qu'ilnbsp;portait è Oriane était telle, qu'il ne pouvait se ré-soudre è demeurer plus longtemps.

Amadis prenant les armes dont il avait parle a la demoiselle de Danemar k, partit un matin et fitnbsp;chemin jusqu’au port de mer le plus voisin, ou ilnbsp;Irouva il prtqios un batiment qui lo débarqua ennbsp;peu de jours è Bristoye, ville importante oil il ap-pi’it que le roi Lisvari, tenait sa cour a Vindilisore.

11 se dirigeait vers cette dernièro ville, lors-qu’nne demoiselle lui demanda si Bristoye était encore loin ct s’il y avait dans le port un navire pret il aller en Ganle.

— Quelle affaire vous y conduit ? lui fit Amadis.

— nbsp;nbsp;nbsp;j’y vais, répondit la demoiselle, pour Irouvernbsp;un chevalier nommé Amadis et quo le roi Périon anbsp;depuis peu reconnu pour son fils.


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28 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

28 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

Amadis, étonné qu’elle süt de si récentes nou-velles, s’informa de qui elle les tenait.

— nbsp;nbsp;nbsp;Je les sais, repartit-elle, d’une personne amp; quinbsp;les plus grands secrets sent découverts, d’Urgande-la-Déconnue. Elle a, en ce moment, grand besoinnbsp;d’Amadis, qui seul peut lui faire retrouver ce qu’ellenbsp;craint de perdre.

— nbsp;nbsp;nbsp;Demoiselle, n’allez pas plus loin. Je suis heu-reux d’etre appelé par celle dont tout Ie monde anbsp;besoin, répliqua Amadis : celui que vous chercheznbsp;est devant vous, pret èi vous suivre oü il vous plaira.

— nbsp;nbsp;nbsp;Or, suivez-moi, je vous conduirai, dit la de-mmiselle, la oü vous attend ma maitresse impa-tiente.

Et Amadis suivit incontinent Ie chemin que lui montra la demoiselle.

GHAPITRE XXII

Comment Ie géant, menant Galaor au roi Lisvart pour Ie faire chevalier, rencontra Amadis, et comment Galaor voulutnbsp;l’être de ia main de son frêre, et non d’autre.

e géant, qui prenait soin de Galaor et l’initiait atout ce que comporte la che-j/alerie, Ie trouva, en moins d’un an,nbsp;'si accompli, qu’il lui demanda par quinbsp;il voulait ètre chevalier.

Déja Galaor avait résolu de choisir Ie roi Lisvart, tenu et réputé gentilnbsp;roi et trés bon chevalier; de sorte que,nbsp;Ie géant l’ayant approuvé, ils se mi-rent en route munis des accoutrements nécessaires.

Après cinq jours de marche,ils ar-¦ rivèrent en vue d’une place nommé Bradoit, construitenbsp;I sur Ie versant d’une mon-tagne, dont Ie pied étaitnbsp;un raarécage traversé denbsp;courants d’eau salée. Une chausséenbsp;assez étroite conduisait au fort, a travers ces marais, et un pont-levis gar-dait l’entrée. Vis-a-vis Ie pont, deuxnbsp;onnes prêtaient leur ombrage a deux demoiselles etnbsp;un écuyer; avec eux, un chevalier montant un che-valblanc, et portant un écu peint a lions rampants,nbsp;appelait les gens du fort pour abaisser Ie pont-levisnbsp;et laisser entrer les voyageurs.

Du cóté du chateau, deux chevaliers armés, sui-vis de dix hallebardiers, demandèrent au chevalier ce qu’il voulait.

— Je veux entrer oü vous êtes, répondit-il.

— Gela ne se peut, fit 1’un des deux chevaliers, qu’après avoir combattu.

— Qu’a cela ne tienne, répliqua Ie chevalier, faites 'abaisser Ie pont, et venez au combat.

L’un des chevaliers du chateau, précédant sou compagnon, vint au galop de son cheval contrenbsp;celui qui voulait entrer, mais fut re^u si rudementnbsp;qu’hornme et cheval furent renversés.

Le second chevalier sou tour, voulant venger son ami, après un combat corps èi corps, glissa dansnbsp;l’eau et se noya.

Le chevalier des Lions passa outre.

Derrière lui les hallebardiers levèrent le pont. Alors les demoiselles poussèrent des cris, le priantnbsp;de retourner; mais lui voyait venir è lui trois autresnbsp;chevaliers bien armés, qui le menaoèrent de le noyernbsp;comme il avait fait de l’un des leurs. II les regutnbsp;tous les trois ensemble; au premier choc, il futnbsp;blessé en deux endroits, mais il en joignit un auquelnbsp;il laissa dans le corps un trongon de sa lance.

Puis, mettant l’épée h la main, il poursuivit les deux autres; il donna a l’un de ces chevaliers unnbsp;tel coup au bras droit que l’épée et le bras tombè-rent ensemble. Alors ce miserable courut vers lenbsp;chciteau en criant;

— nbsp;nbsp;nbsp;^a, venez ü l’aide de votre seigneur que l’onnbsp;tue!

Le chevalier des Lions entendant qu’il était seigneur du lieu, le rejoignit et lui fit sentir au cóté letranchant de son épée, puis, lui arrachant sonnbsp;heaume, il l’empêcha de fuir comme le troisième etnbsp;le menaga de mort s’il ne se rendait.

Le seigneur demanda merci et s’avoua vaincu.

A ce moment, une troupe de chevaliers et gens de pied armés sortirent du chateau pour secourirnbsp;leur seigneur, mais le chevalier, lui mettant l’épée anbsp;la gorge, lui dit;

— Gommandez ü ces gens de retourner ou je vous achève.

Le seigneur fit signe de le laisser, et ils obéirent.

— Ge n’est pas tout, faites baisser le pont, ajouta le chevalier des Lions.

Gela fut exécuté; alors le chevalier et sa capture franchirent la chaussée oü les demoiselles les atten-daient.

Quand le seigneur reconnut Urgande-la-Décon-nue, il implora la protection du chevalier des Lions contre elle, qui lui voulait la mort, disait-il.

— Je ferai plutót, répondit le chevalier, ce qu’elle ordonnera de vous. Et s’adressant a Urgande :

— Voici, madame , le seigneur de ce chüteau; que vous plail-il qu’il en soit fait?

— nbsp;nbsp;nbsp;ïranchez-lui la tête, fit Urgande, ü moinsnbsp;qu’il ne nous rende mon ami et la demoiselle quinbsp;l’amena, lesquels sont en prison contre le droit.

^ Le chevalier des Lions brandit son épée sur la tête du seigneur, qui consentit a rendre les prison-niers, et appela un des hallebardiers du chateaunbsp;pour qu’il eüt a prévenir son frère , s’il le voulaitnbsp;voir en vie, de les relacher au plus vile.

Le valet fut prompt, et la demoiselle parut ac-compagnée du chevalier; celui des Lions invita ce dernier k remercier Urgande et a l’aimer commenbsp;une libératrice, mais Urgande prévint cette démarche et d’elle-même donna l’accolade au chevalier.

— Que ferons-nous de la demoiselle ? demanda a Urgande le chevalier des Lions.

— II faut qu’elle rneure, répondit Urgande, pour la chatier de sa bassesse.

A l’instant, cette pauvre demoiselle, subitement fmchantée, se vautra dans les marais comme unnbsp;porc; elle allait disparaitre dans la rivière sans l’iu-tervention du chevalier des Lions, k qui Urgandenbsp;accorda pour cette fois une grèce a condition denbsp;laire prornettre k la demoiselle de ne plus recom-mencer.

Le seigneur du chèteau voyant que la demoiselle


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29

LE CHEVALIEH DE LA MER.

®tait sauvée par la parole du chevalier des Lions, lui demanda sa liberté, ayant satisfait aux conditions qui lui avaient été imposées.

Urgande Ie pria de partir, ce dont il ne se fit faute. Le chevalier des Lions, fort surpris de ce qui étaitnbsp;arrivé è la demoiselle, lui demanda ce qui l’avaitnbsp;poussée è entrer dans ces bourbiers.

— II me semblait être brülée, lui répondit-elle, par des torches ardentes, et pour les éteindre, jenbsp;me suis jetée a l’eau.

— Gela vous apprendra, fit le chevalier, è vous en prendre èi plus fort que vous.

•1 j ’ Galaor avait été témoin de tous ces faits, et il dit au géant;

Sire géant, je désirerais fort que ce gentil-homme rne fit chevalier; leroi Lisvart est renommé pour ses possessions, mais celui-ci mérite de l’êtrenbsp;pour sa force et son adresse.

I ^^'^^.^PProuve, répondit le géant, allez a lui et 1 en priez, et s’il vous refuse, ce sera sa pu-mtion.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;^

A 1 instant, Galaor parlit avec quatre écuyers et deux demoiselles pour aborder le chevalier desnbsp;Lions qu’on apercevait sous les orraes.

II fut regu avec courtoisie par le chevalier des Lions k qui il demanda l’octroi de la chevalerie.

serai ainsi dispensé d’aller trouver le roi Lisvart, comme j’en avais le projet, ajouta-t-il.

—Mou ami, répondit le chevalier des Lions, vous auriez grand tort de préférer au plus illustre roinbsp;du monde un pauvre chevalier comme moi.

““¦Seigneur, reprit Galaor, la grandeur du roi me touche moins que le combat oü je vous ai vu si re-öoutable tout a l’heure. S’il vous plait, ne repous-sez pas ma reqnête.

Je préférerais, répliqua le chevalier, vous oc-troyer tout autre don.

Ainsi qu ils devisaient, parut Urgande, qui, s’a-dressant au chevalier, lui demanda ce qu’il pensait de Galaor.

G est, lui répondit-il, le plus beau gentil-flomme que j’aie vu, mais il me demande une cnose qui ne convient ni a lui ni a moi. II veut quenbsp;je 1 arme chevalier sur l’heure, et pourtant il s’ennbsp;allait prier le roi Lisvart de le faire.

. ~ nbsp;nbsp;nbsp;pouvez le refuser, reprit Urgande,

I il vaut mieux que cela soit fait tót que tard, car je vous assure qu’il tiendra l’honneur de la cheva-rie aussi bien qu aucun des Isles de la mer, cx-cepte un.

chevalier, ainsi

Aliens en quelque église faire la vigile.

Galaor, j’ai entendu la messe cc «laUn et fait la communion.

Et 1 nbsp;nbsp;nbsp;chevalier,

chercham nbsp;nbsp;nbsp;l’^peton droit, puis l’embrassa,

Ure-anri nbsp;nbsp;nbsp;devait lui ceindre.

nrendw nbsp;nbsp;nbsp;s’avanga, et elle conseilla de

rne« et nbsp;nbsp;nbsp;'quot;^yait pendue a 1’un des or-

cérémome P^^'^issait la rneilleure pour cette

assistants ne distinguaient aucune épée

suspendue,cequifitrireUrgMde. ^

nnipT nbsp;nbsp;nbsp;apparnt une épée superbe, toulo

monté nbsp;nbsp;nbsp;Paurreau de soie richement

’ brillante que si elle eüt été neuve.

Le chevalier des Lions Ia prit, en ceignit Galaor, et lui dit:

— nbsp;nbsp;nbsp;Une si belle épée convient a si beau chevalier, vous pouvez vous croire 1’ami de celle quinbsp;vous en gratifie.

Galaor reinercia avec chaleur le chevalier et Urgande ; il prit congé d’eux se disant fort pressé et attendu. II pria le chevalier de lui fixer un rendezvous.

— nbsp;nbsp;nbsp;Nous nous trouverons ensemble a la cour dunbsp;roi Lisvart, répondit celui-ci. J’ai besoin, étantnbsp;nouvellement chevalier, de me faire un nom,nbsp;comme il vous le faudra aussi.

— nbsp;nbsp;nbsp;Gertes, reprit Galaor, j’y serai bientót. Je menbsp;tiens, ajouta-t-il a Urgande, pour votre chevalier,nbsp;pret a vous obéir quand il vous plaira me commander.

Et il fut retrouver le géant qui s’était caché au bord de l’eau.

Mais une des demoiselles de la suite de Galaor avait appris d’une de celles d’Urgande que le chevalier des Lions était Amadis, et qu’Urgande l’avait employé pour armes; son ami ayant été en-chanté par une dame aussi savante qu’elle, la vic-toire par les armes seule pouvait le sauver; cenbsp;qui s était accompli.

Aussitót le départ de Galaor, Urgande demanda au chevalier s’il connaissait celui qu’il venait denbsp;recevoir. Le chevalier l’ignorait.

— nbsp;nbsp;nbsp;II faut pour tous deux que je vous dise quenbsp;vous êtes frères de père et de mére. Le géant em-pqrta votre frère è 1’age de deux ans et demi, jenbsp;lui ai conservé 1 épée avec laquelle il dépasseranbsp;tout ce qu’on a fait en Grande-Bretagne.

Amadis pleura de joie è cette nouvelle; il voulut courir après Galaor, mais Urgande lui dit qu’il étaitnbsp;dans leur destinée de ne pas encore se connaitre,nbsp;pnis elle prit congé d’Amadis et partit avec son ami.nbsp;Amadis snivit la route de Vindelisore oü le roi Lisvart séjournait en ce moment.

GHAPITRE XXIII

Comment Galaor, sur les suggestions du géant Gandalac, alia combattre le géant Albadan et le vainquit.

gt;alaor, enchanté d’avoir été ^armé chevalier par Amadis,nbsp;revint promptement auprès dunbsp;géant Gandalac.

— Mon père, lui dit-il, vien-nent k présent les aventures 1 Plus elles seront périlleuses,nbsp;'et plus je me sens Ie désir etnbsp;Ia force de les éprouver.

I ^ —Mon fils, répliqua le géant j,d’un air soumis, j’ai pris soinnbsp;de votre enfance, et vous aveznbsp;jsurpassé tout ce que j’atten--nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;dais du sang dont vous êtes

iié... J espère en recevoir le prix et je vous requiers un don.

•— Ah 1 dit le jeune Galaor, ordonnez, ordonnez! Et croyez que je vous regarderai toujours commenbsp;mon père...

Eh bien! mon lils, vous m’avez vu souvent


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BIBLIOTHEQUE BLEÜE.

pleurer la mort de mon père, lué en trahisou par Ie féroce Albadan, pour s’emparer de la roche de Gal-tare qui in'appartient... Je vousdemande de tn’ap-porler sa tète, et, par ainsi, de me remettre en possession de la seigneurie qu’il m’a usurpée.

— Conduisez-moi, s’écria fièrement Galaor, et que mon premier exploit soit une dette de reconnaissance acquittée!...

Le géant, voyant briller dans les yeux de Galaor tout le courage de son ame élevée, n’hésita pas ènbsp;se meltre en chemin avec lui vers la roche de Gal-tarc. Au bout de quelque temps de cherainement,nbsp;ils furent arrêtés tous deux nar ürgande, qui lesnbsp;avait suivis par des sentiers détournes.

— Galaor, dit-elle au jouvenceau, apprends quelle est ton illustre origine! Tu as pour mère la reinenbsp;Elisène, pour père le roi Périon, et pour frère lenbsp;célèbre Amadis, lequel t’arma chevalier... Mainte-nant que je t’ai annoncé une partie de ta destinée,nbsp;je m’en vais, ahn de te laisser accomplir l’autrcnbsp;partie... Va vers la gloire qui t’attend, vaillant hlsnbsp;de roi!...

Urgande s’éloigna, et Galaor, enflambé plus que jamais de gloire, reprit sa route avec ardeur, impatient d’en venir au combat avec Albadan.

Bientót, sur son chemin, il rencontra deux gentes pucelles qui s’arrétèrentdevant lui, émerveillées denbsp;sa jeunesse et de sa beauté. Galaor, quoique biennbsp;jeune encore, fut émerveillé lui-mème et fort émunbsp;de la grace et de la gentillesse de l’une de ces deuxnbsp;pucelles, et, sans trop savoir encore è quel pointnbsp;une jeune demoiselle peut être utile h un chevaliernbsp;errant, il entra viternent (m propos avec elles etnbsp;leur demanda quel était le but de leur voyage.

— nbsp;nbsp;nbsp;On nous a dit, répondit la plus gente desnbsp;deux pucelles, qu’un chevalier se préparait è com-battre le redoulable géant de la roche de Galtare...nbsp;G’est une folie donl nous voulons être téraoins.nbsp;Pauvre chevalier t il court è une perte certainel...

— Je vais précisément oü vous allez, reprit en riant Galaor. De cette fapon, nous ne nous quitte-rons pas, si vous y consentez toutefois.

Los deux pucelles y consentirent de bon coeur, encouragées è cela par la bonne mine du chevaliernbsp;qui leur parlait, par sa candeur, par sa franchise,nbsp;par sa galanterie un peu sauvage, mais cependantnbsp;trés agréable é celles qui en élaient l’objet.

On se remit done cn marche, en devisant de choses et d’autres, et déja les deux jeunesses et leurnbsp;compagnon étaient les meilleurs ami du monde. 11nbsp;s’inléressait a elles, ot elles s'intcrcssaient é lui.

Mais que devinrent-elles, lorsqu’étant arrivées j)rès du chilteau de Galtare, elles virent le jeun(;nbsp;chevalier s’approcher de la sentinelle d’un air denbsp;défi!

— nbsp;nbsp;nbsp;Cours avertir ton maitre, cria Galaor, qu’ünnbsp;chevalier se présente pour le combattre et Ic punirnbsp;de ses forfaits!...

— nbsp;nbsp;nbsp;Ahl seigneur, seigneur! dit la plus gente desnbsp;deux pucelles, que prétendez-vous done faire la?...nbsp;Dix chevaliers tels que vous ne viendraient pas ènbsp;bout d’un pared monstre!... Vous allez è la mort,nbsp;et é la plus horrible de toutesl...

— Ras^irez-vous, ma mie, répondit Galaor en souriant. Rassurez-vous, et, pour élre hors de danger pendant le combat (pii va avoir lieu, retirez-vous dans cette cabane voisine... L’honncur denbsp;triornpher d’Albadan devant vos beaux yeux menbsp;donnera plus de force et plus de courage encore 1...

Les deux pucelles obéirent en tremblant; elles se rctirérent les larmes aux yeux.

— Un si beau chevalier! murmura la plus jeune en le regardant une dernière fois.

Bientót le géant sortit du chdteau, le corps couvert do fortes lames d’acier, et tenant è la main une lourde massue hérisséc de longues pointes.

— nbsp;nbsp;nbsp;Que viens-tu faire ici, raoitié d’homrae?...nbsp;cria-t-il é Galaor d’un air méprisant. Le idche quinbsp;t’envoie aurait bien dü empruntcr ton audace, ounbsp;te preter au moins sa lourde et difforme struc -ture!...

— Tais-toi, vilain! répondit Galaor. Les plus redoutables hommes ne sont pas toujours les plusnbsp;gros et les plus grands!... Rappelle-toi Goliathnbsp;vaincu par David!...

Gela dit, et sans plus attendre, le bouillant jeune homme courut sur le géant et lui envoya un si fu-rieux coup de lance qu’il lui en tit ploycr les reins.nbsp;Albadan voulut en vain lui porter un coup de sanbsp;massue, il ne put le frappor, et la force do ce coupnbsp;terrible ne trouvant rien qui l’arrètat, retomba surnbsp;les flancs du cheval que montait le géant, et 1’unnbsp;et I’autre tombèrent avec fracas. Une fois a terre,nbsp;Albadan chercha è se relever, mais sans y parve-nir; Galaor le renversait fi chaque instant et ren-dait nul chacun de ses efforts. Cependant, si cettenbsp;lulte se lüt prolongée, peut-être que le jeune chevalier eüt fini par avoir le dessous. Aussi, compre-iiant le peril de sa situation, Galaor se jeta rapi-deraent èbas de sou cheval et, d’un revers de sonnbsp;épée, il abattit la téte d’Albadan et la porta è Gan-dalac qui, dans sou premier transport, baisa aveonbsp;effusion ses mains victoriouses.

Un chêne séculaire, attaqué par la rude cognée des bücherons, ne fait pas en tombant un bruitnbsp;plus épouvantable que celui que venait de faire lenbsp;géant Albadan. Aussi, h ce bruit, accoururent lesnbsp;seiviteurs et les gens d’armes du clultoau. Ennbsp;voyant le corps de leur maitre sur la poussière, ilsnbsp;n’eurent pas une seule larme de regret, et, toutnbsp;au contraire, reconnaissantdins GanUalac leur legitime seigneur, ils s’ernpressèrcnt de lui rendrenbsp;hommage.

ClIAPITRE XXIV

Comment Galaor, après avoir vaincu le géant Albadan, reijut

de la belle princesse Aldène, pour prix de cette victoirc,

la plus agréable des récomjtenses.

Satisfait d’avoir prouvé sa reconnaissance a celui qui l’avait élevé, Galaor prit congé de lui et courut vers la gente pucelle qui lui portait un si ten-dre intérét et qu’il trouva trerablante corame unenbsp;feuille.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ahl seigneur, lui dil-clle en soupiraut et cnnbsp;buissant les yeux, un prix plus glorieux et plusnbsp;doux doit être celui de volre victoire...

Ges mots a peine prononcés d’unc voix émue, olie entra incontinent dans une route de la forèt ounbsp;Galaor la suivit avec empressement.

.— Attendez-moi trois jours dans cette ibrêtl ajouta-t-elle avec le plus airnable des souriresclennbsp;lui faisani un geste pour I’empeciier de Ia suivrenbsp;plus loin.


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LE CHEVALIER DE LA MER. 31

Galaor, un pou iuterdit par cette defense, rcsla quelques instants k la mème place, regardant fuirnbsp;cette gracieuse pucelle a travers les halliers ennbsp;fleurs. Puis, ne la voyant plus, il vouliit la voir encore et se prccipita sur ses traces. Mals elle avaitnbsp;de l’avance sur lui, et ce ne fut qu’au bout d’unenbsp;heure de recherches, et guidé par ses cris per-Cants, qu'il parvint a la retrouver. Elle se débattaitnbsp;entre les mains d’un nain suivi de cinq chevaliersnbsp;arm és.

Galaor, indigné, courut sus au nain et, d’un coup de lance, Ie ren^ersa de sou cheval, en lui criant :

— Monstre abominable, oses-tu done outrager la beauté!

Les cinq chevaliers s’avancèrent et l’attaquèrent avec furie, si bien que l’un d’eux lui tua son che-val. Galaor, toujours courageux, mit l’épée a Ianbsp;rnain, et s’escrima du mieux qu’il put. Deux chevaliers furent bientót hors de combat; Galaor re-raonta sur l’un de leurs chevaux, tua un troisièmenbsp;chevalier et mit les deux autres en fuite.

La gente pucelle, si heureusement délivréo, vint remercier son libérateur.

— Seigneur, lui dit-elle Ie sein battant, les yeux humides, nous n’avions A craindre que ce raéchantnbsp;nain, dont la maligne curiosité semblait avoir pé-nétré Ie secret de rna maitresse... Maintenant qu’ilnbsp;est en fuite, je vais aller vers elle et lui présenternbsp;Ie héros vainqueur du géant Albadan.

Tout en disant ces mots, la gente pucelle reprit sa marche, et Galaor la suivit.

Ds arrivèrent ainsi ^ la porte d’un beau chateau qui dominait sur la vide de Grandares. La jeunenbsp;fdle laissa Galaor seul un instant, et, en revenantnbsp;vers lui, elle était accompagnée d’une demoisellenbsp;quot;ui demanda au jeune homme s’il était bien Galaor,nbsp;Is de Périon, roi de Gaule. Galaor l’en assura parnbsp;serment.

— Suivez-moi done, reprit la demoiselle.

Galaor suivit cette demoiselle aussi docilement qn’il avait suivi Paulre. Elle lui fit traverser denbsp;riches apparternents, l'introduisit dans une chambrenbsp;plus riche encore, et Ie présenta é une gente pucelle qui ressemblait ii Tune des Graces, assise surnbsp;Ie bord de son lit et occupée déméler sa bellenbsp;cheyelure blonde dont les opulents anneaux cou-vraient A demi sa gorge de lis et de roses.

En apercevant Galaor, cette ravissante beauté se leva, prit une couronne de fleurs et vint, en rougis-sant, la lui poser sur la tète.

, Seigneur, dit alors la pucelle, qui avait élé temoin de la victoire de Galaor sur Ie géant Albadan, je vous avais annoncé un prix plus doux quenbsp;m Ree vous espériez tirer de votre victoire sur

in n nbsp;nbsp;nbsp;de Gidtare, et vous voyez que

je ne me suis pas trompée et que je ne vous ai pas tioinpe... Vous receyez cette couronne des mainsnbsp;de la prmcesse Aldene, fille du roi de Sérolis etnbsp;nièce du due de Rristoie... Quant A vous, madame,nbsp;apprenez que Ic chevalier que vous venez de cou-rouner est Ie fils du roi Périon, qu’ürgande vous anbsp;si souvent annoncé... Vims 6tes tons deux jeunesnbsp;et beaux. c’est-A-dire faits pour vous aimer...

^ Puis, sans atlemlreune réponse, la gente pucelle séloigna en souriant, suiviede sa com[)agne.

Les deux jeunes gens reslèrent seuls. ”

D’abord trés ernbarrassés de leur personne, ils

ne surent quelle parole dire, quel geste fiire. Le silence le plus profond régnait dans cette plaisautenbsp;chambre, pleine d’agréables parfums; si bien qu onnbsp;entendait distinctement le bruit de la respiration denbsp;Galaor et de sa belle amie. Puis, peu A peu, sansnbsp;s’en douter, tous deux se rapprochèrent, se souri-rent et, tinalement, se prirent les mains, Le silence,nbsp;alors, fut rompu, et si quelqu’un avait écouté auxnbsp;portes, il cut entendu trés distinctement le bruit denbsp;deux baisers, I’un donne et I’autre rendu. Ge qu’ilnbsp;cüt entendu encore, nous rignorons. Ge que nousnbsp;pouvons dire, e’est que cet entretien, commencénbsp;au jour, ne prit fin qu’avec la nuit.

Le lendemain, A raube, les suivantes de la prin-cesse Aldènc entrèrent sur la pointe du pied pour jirévenir nos deux amants qu’il était prudent de senbsp;séparer. Elles les trouvèrent tendrement enlacés, Ienbsp;sourire aux lévres, comme s’ils étaient sous l’im-pression du plus délicieux rêve,

II fallut se réveiller et se quitter, avec promesse de se revoir Ie soir même et les soirs suivants. IInbsp;fut convenu que Galaor irait attendee dans la forêtnbsp;prochame Theure lortunée oü il serait réuni denbsp;nouveau a sa chère maitresse; et, en conséquence,nbsp;OU Ie fit sortir du chAteau par une poterne depuisnbsp;longtemps hors d’usage.

Malheureusement Ie nain avait eu des souppons et les avait éclaircis. Aussi, au moment oü Galaornbsp;sortait, l’oeil brillant de plaisir, en songeant auxnbsp;enivrements des nuits qui allaient suivre, une troupenbsp;de gens d’armes, embusqués IA par les soins de cenbsp;méchant nain, fondit sur lui comme une troupenbsp;d’éperviers sur un roitelet.

Galaor se remit bientót de I’émotion qu’il avait éprouvée en se voyant ainsi troublé A l’improvistenbsp;dans ses songeries amoureuses; bientót les satellites du nain furent taillés en pièces par sa valeu-rense épée, et Ie nain lui-même aiirait péri commenbsp;ses compagnons, s’il n’avait eu l’habileté de s’en-fuir aux premiers horions.

Le due de Bristoie, prévenu par ce dróle, lit sortir cent de ses chevaliers pour aller s’emparernbsp;(Ie l’amant de sa nièce. Gelui-ci, qui s’éta t rappro-ché du chAteau, apergut A une fenêtre la bellenbsp;Aldène toute en larmes, et lui faisant avec sonnbsp;mouchoir les signes les plus éloquents pour le priernbsp;de s’éloigner vilement. Galaor dut obeir, non parnbsp;crainte, mais par respect.

Les cent chevaliers du due, après une battue qui dura toute la journée, rentrèrent entinau chAteau,nbsp;mais saus leur proie, et le due, furieux, fit enfermernbsp;les deux suivantes de la princesse dans une tournbsp;obscure, en attendant qu’il eüt assez de preuvesnbsp;pour les faire condamner au dernier supplice.

GIIAPITRE XXV

Comment Amadis, dgaré dans une forêt, demanda l’hospi-talitó ê un chêlcau, oü on la lui refusa; comment il apprit le nom du chütelain et songea ü en tirer justice.

Pendant ce temps Amadis, s’éfant separé d’Ur-ganile, avait repris le cliemin de Vimlisilore. Gomme Galaor, occupé de son amour, il s’égaranbsp;(lans un bois, oü la nuitle surprit. Bientót la pluie,nbsp;Ie froid et robscurilé le coiitraignirent A cherchernbsp;un asile; il espéra en trouver un en apercevant au


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32 BIBLIOTÏÏÉQUE BLEUE.

milieu du bois un chateau dont les fenêtres resplen-dissaient de lumières. II s’avanga et entendit des bruits d’iiistruments qui lui persuadèrent que lesnbsp;maitres de ce chateau étaient en train de se gaudir.nbsp;Lors il frappa, sans qu’on lui répondït. II refrappa,nbsp;plus fort cette fois; une fenêtre s’ouvrit et il ennbsp;sortit une voix rauque qui cria :

— nbsp;nbsp;nbsp;Qui es-tu done pour venir me troubler è pa-reille heure?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Je suis, répondit l’amant d’Oriane, un chevalier égaré qui demande a recevoir céans 1’hospitaliténbsp;pour quelques heures.

— nbsp;nbsp;nbsp;Un chevalier ! reprit la voix. Parbleu! tu menbsp;parais avoir de bonnes raisons pour fuir la lumière,nbsp;et peut-être que tu n’oses marcher Ie jour, de peurnbsp;d’être obligé è combattre.

— nbsp;nbsp;nbsp;Qui que tu sois, reprit Amadis indigné denbsp;cette injure, tu ne mérites pas en effet l’honneurnbsp;que je voulais te faire en entrant dans ton chateau.nbsp;Mais, toi qui paries du courage des autres, oseras-tu bien me dire ton nora?...

— Oui, répondit la voix, raais a condition que lorsque tu me reiicontreras, tu ne refuseras pas denbsp;roe combattre?...

— Qu’a cela ne tienne! Je te combattrai.

— nbsp;nbsp;nbsp;Frémis done, malheureux, de Fengagementnbsp;imprudent que tu viens de prendre!... Je suisDar-dan, entends-tu, Dardan! Et Ie jour oü nous nousnbsp;rencontrerons sera plus facheux pour toi que nenbsp;sera facheuse la nuit que tu vas passer dans lesnbsp;boisl...

— Ah! s’écria Amadis, furieux de cette insolence. Sors I Fais apporter des flambeaux par tes gens, et je t’apprendrai alors quelle reception onnbsp;doit aux chevaliers,..

— Oh! oh! répondit Dardan en ricanant, Dieu me préserve de faire brüler des flambeaux pournbsp;punir un hibou de ton espèce! Bonsoir... La pluienbsp;augmente, il ne fait pas bon rester ainsi aux fenêtres... Je vais me remettre a table...

Dardan se retira en effet et Amadis dut s’eloigner, en se promettant bien de se venger de cette gaberie malplaisante un jour ou I’autre. II marcha,nbsp;et, au bout de quelque temps, il rencontra deuxnbsp;demoiselles k cheval qui se hataient de regagner lesnbsp;lentes qu’elles avaient fait dresser dans la forêt.nbsp;Surprises de trouver un chevalier couvert d’arroesnbsp;brillantes au milieu de cette forêt, elles se dou-tèrent bien qu’il s’était égaré et elles Ie prièrent denbsp;venir passer la nuit sous leurs tentes. A.nadis leurnbsp;conta son aventure avec Dardan.

— G’est Ie plus insolent, Ie plus présomptueux et Ie plus injuste des hommes 1... répondirent-elles.nbsp;Et son audace s’est augraentée depuis qu’une demoiselle a été assez lache pour l’aimer, a la condition de la mettre en possession des biens d’unenbsp;riche veuve, sa parente, et de se présenter a lanbsp;cour du roi Lisvart, pour soutenir Ia justice denbsp;cette usurpation, en offrant Ie combat ê celui quinbsp;voudra soutenir les intéréts de cette veuve... Dardan est trés redouté, la veuve est peu connue, etnbsp;nul ne se soucie de combattre Dardan pour elle.

A ce récit, Amadis devint pensif, et Tune des demoiselles lui ayant demandé ce qui l’occupait, ilnbsp;répondit:

Je pense que voici Ia meilleure occasion de faire un acte de justice et en mêine temps de punir

une insolence... Gardez-moi, je vous prie, Ie plus absolu secret: je combattrai Dardan!

Les demoiselles promirent de garder Ie secret qu’il leur demandait, tout en essayant doucernentnbsp;de Ie dissuader d’une telle entreprise. La nuit senbsp;passa ainsi. Le lendemain Amadis se remit en routenbsp;vers la cité de Vindisilore.

II chevaucha et arriva bientöt a l’extrémité d’un bois qui couronnait une montagne d’oü 1’on décou-vrait en entier la ville et la plaine envirounante oünbsp;l’on avait dressé la lice oü Dardan devait attendrenbsp;pendant trois heures le champion de la veuve.

GHAPITRE XXVI

Comment Amadis, monté sur un cheval blanc, combattit Dardan en présence de la belle Oriane.

Suivant la promesse qu’il en avait faite a la demoiselle de Dannemark, messagère d’Oriane, Amadis était couvert des mèmes armes et montait Ie même cheval blanc dont il s’était servi pour combattrenbsp;Abies. Son écu seul était fortement bossué par lesnbsp;derniers combats qu’il avait soutenus en chemin, etnbsp;l’on y distinguait i peine les deux lions d’azur.

Le roi Lisvart, les princesses Oriane et Mabille, avaient déjè pris place au balcon qui avait été ap-pareillé poureux au meilleur eiidroit de la lice. Lesnbsp;jeunes princesses formaient les voeux les plus ar-dents pour qu’il se présentat quelqu’un d’assez cou-rageux pour défendre les droits de la veuve, la-quelle était Ié, pleurant et se désolant, tandis quenbsp;Dardan, suivi de sa maitresse, insultait é son malheur en se promenant fièrement dans la lice oü per-sonne ne paraissait.

Amadis, arrêté au sommet de la montagne, rê-vait amoureusement é la belle princesse Oriane, et déjé était écoulée Ia première heure de station quenbsp;devait faire Dardan. Le bruit des trompettes, ananbsp;nonQant la seconde heure, le tira de sa songerie : ilnbsp;descendit rapidement de la montagne, suivi du fidéle Gandaliu, et vola vers la lice dont les barrièresnbsp;s’ouvrirent incontinent pour le recevoir,

— Madame, dit-il en s’inclinant devant la veuve, voulez-vous bien m’accepter pour votre défen-seur?

— Ah! seigneur! répondit la veuve, toutejoyeuse de savoir enfin défendue, je vous accepte avec grandnbsp;merci comme un ange tutélaire onvoyé è mon se-cours par l’Etre des êtres, qui ne veut pas qu’unenbsp;injustice se commette irapunément euvers une pau-vre veuve!...

Amadis poussa alors son cheval avec grace vers le balcon royal, et salua respectueusementle princenbsp;et les princesses, mais sans oser lever les youx surnbsp;Oriane, de peur d’en ressentir un trouble facheuxnbsp;pour ce qu’il allait faire.

— Dardan, cria-t-il é son adversaire, j’ai la parole de la veuve qui rn’avoue pour son défenseur, et je viens tenir celle que je t’ai domiée cettenbsp;nuit...

— Parbleu! répondit Dardan, je crois le recon-naitre k ta voix... Mais tu risques plus ici que tu n’aurais risqué cette nuit, car cette nuit j’étais ennbsp;train de m’aniuser, et a présent je vais agir sérieu-sement... Tu as été mouillé par la pluie, je vais tenbsp;mouiller avec ton propre sang...


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LE CHEVALIER DE LA MER. 33

LE CHEVALIER DE LA MER. 33

- Les trompettes sonnèrent et les deux chevaliers allèrent prendre champ pour revenir l’un sur l’au-tre avec impétuosité.

— Laissez aller les combattantsl cria un héraut d’armes.

Amadis et Dardan, enfongant leurs éperons dans les flancs de leurs chevaux, s’avancèrent l’un con-tre l’autre avec uue furie sans pareille. Du premiernbsp;coup, Dardan fut renversé; mais, comrae il étaitnbsp;d’une force herculéenne, il n’avait pas compléte-menl perdu les étriers et avait pu se remettre ennbsp;selle, aidé des rênes que sa main avait saisies. II re-vint, l’épée haute, sur Amadis.

Ge combat, l’un des plus mémorables qui se fut donné jusque-la a la cour du roi de la |Grande-:Bre-tagne, dura prés de deux heures. Les deux adver-saires étaient épuisés. Leurs chevaux fumaieut,horsnbsp;d’haleine aussi. Dardan proposa de descendre et denbsp;continuer la lutte k pied, comptant sur sa force etnbsp;sur sa vigueur, mais ignorant de celle du redouta-ble Amadis.

Les deux corabattants descendirent de cheval et mirent l’épée a la main. Amadis attaqua vigoureu-sement son ennemi et Ie forQa de battre en retraitenbsp;jusque sous 1’échafaud qui portait Ie balcon royal.

— L’orgueillepx Dardan est perdu 1 s’écrièrent quelques dames.

Involontairement Amadis leva les yeux vers Ie balcon d’oü était partie cette exclamation, et il aper-Qut Oriane. A l’aspect de cette mie tant aimée, il senbsp;troubla, enivré par cette vue si chère, et sou épéenbsp;lui tomba des mains.

Dardan profita vitement de eet avantage inespéré; mais les coups qu’il portait sur les armes d’Amadis,nbsp;presque sans defense, firent revenir ce héros qui,nbsp;alors, s’élauga sur lui, Ie terrassa et lui arracha sonnbsp;casque et son épée.

— Tiens-toi pour vaincu, lui cria-t-il, ou sinon je te tranche la tête!...

— Je te demande merci, répondit Dardan, et je renonce a mes pretentions sur les seigneuries de lanbsp;veuve...

Dardan achevait é peine ces mots, que la maitresse, pour laquelle il venait de combattre si dpre-ment, s’avanqa avec colère vers lui et lui dit:

— Dardan, tu peux aussi renoncer pour toujours a moi... car je ne veuxplus aimer ni voir de ma vienbsp;Ie lache chevalier qui a si mal défendu mesnbsp;droits 1...

— Ah! cruellc, s’cdria Dardan, qu’Amadis venait de relever en lui rendant son épée, est-ce la Ie prix de tant d’araour, de mon honneur et de ma vio,nbsp;que je viens d’funployer pour vous ?...

La demoiselle ue lui répondit que par un regard nouvellos olfcuses. Alors sounbsp;61- de douleur, s’écria en

Ah! perfide ®tcruelie maitresse! Que tamort serve d epouvantail h toutes celles qui te ressem-blentl...nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;^

Et, ces mots è peine dits, la tête de la demoiselle volait au lom sous l’épée du chevalier son amantnbsp;qui, retournant son arme contre lui-mème tom-bait aussitót expirant sur Ie corps de sa maitressenbsp;et mêlait son sang au sien.

Amadis fut vivement ému par Ie spectacle de cette double et pitoyable fm; mais, comme il ne

voulait pas être connu h la cour du roi Lisvart, il profita du trouble survenu a ce propos pour sortirnbsp;de la lice et regagner Ie bols oü Gaiidalin lui avaitnbsp;dressé uue tente.

GHAPITRE XXVII

Comment Oriane et Amadis, tous les deux trés amoureux, trouvèrent moyen de se voir et dc se parler è. 1’insu dunbsp;roi Lisvart.

i n chercha partout Ie vainqueur pde Dardan, mais sans Ie trou-ver. Le roi Lisvart regretta denbsp;ne pouvoir lui rendre tous lesnbsp;honneurs qu’il méritait, et il cé-lébra hautement, en presencenbsp;de sa cour, la valeur et la gé-nérosité dont Amadis avait usénbsp;envers un ennemi superbe etnbsp;insolent.

Oriane, éraue du douloureux spectacle dont elle venait d’etrenbsp;témoin, s’était retirée en sanbsp;chambre avec Mabile et la demoiselle de Danemark.

Cette dernière avait soup-conné que le vainqueur de Dardan pouvait bien être Amadis, é cause de son cheval et de ses armes. Mais unenbsp;chose l’avait arrètée dans ses soupgons, c’était l’ab-sence des deux lions qu’Amadis portait peints surnbsp;son écu, et qui avaient été effaces par les norabreuxnbsp;coups de lance et d’épée regus par eet écu. Gepen-dant elle reprit confiance en apprenaiit que lenbsp;vainqueur s’était soustrait aux félicitations légiti-mes que tout autre, a sa place, n’aurait pas nianquénbsp;de rechercher.

— Madame, vint-elle dire é la princesse Oriane, je connais et vous connaissez aussi le vainqueurnbsp;de Dardan... II n’y a que famarit le plus passionnénbsp;qui puisse éprouver un trouble assez violent pournbsp;laisser échapper sou épée, et rester pétritié au moment le plus décisif du combat, après avoir seule-meiit élevé les yeux vers vous...

— ïu te trompes sans doute, répondit Oriane en rougissant de plaisir de voir que ses soupgons anbsp;elle se trouvaient ainsi confirmés. Tu te trornpes...nbsp;Ce chevalier, quoique vaillant, ne peut être le Chevalier de la Mer... Et cependant, je l’avoue, aunbsp;moment oü il levait la lête de mon cöté, je n’ai punbsp;m’emjwcher de tressaillir et de frémir, craignantnbsp;que Dardan ne prolitat du trouble de ce chevaliernbsp;pour rabattre...

Le lendemain de cette aventure, Gandalin vint au palais du roi Lisvart, auquel il annonga qu’il ar-rivait d’Ecosse et qu’il était chargé de commissionsnbsp;de la reine de ce pays pour Oriaue et Mabile. Lisvart l’envoya aussitót chez ces princesses.

En apercevant Gandalin et en i’entendant parler, Oriane rougit jusqu’au blanc des yeux. Elle devi-nait sou message secret sous sou message apparent,nbsp;mais sans oser faire voir qu’elle le deviiiait. Ma-hile, eii üdèle amie, le devina pour elle, et ellenbsp;pria Gandalin de la suivre.


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BIBLIOTHËQUK BLËUE.

vous

pcctueux et soumis... Si jc mc suis illuslró par tant de combats, si je eomptc m’ilhisircr encorenbsp;par tant d autres, c’est pour eu ranportor toute lanbsp;gloire é vous seiile...

II3 allèreiit tous deux dans la chanibre d’Oriaiie, elle l’interrogea avcc uiie iiisistaiicG ])arliculière önbsp;laquelle Gandaliii céda voluutiers. Lors, Orianenbsp;elle-même les rejoignit bieutót, et Ie fidéle compagnon d’Amadis apprit a ces deux aitnables pucellesnbsp;que son ami, après avoir vaincu Dardan, s'était retire dans ie bo s voisin, et qu’il favait laissé tout ennbsp;larmes et dans fincerlitude mortelle de savoir sinbsp;Oriane lui permettrail do paraitrc h ses yeux.

— nbsp;nbsp;nbsp;Une pareille crainte, dit Oriane d’un air douxnbsp;et modeste, eüt pu convenir au Chevalier de lanbsp;Mer; raais !e fils du roi Périon, eet Amadis couvertnbsp;de gloire, ne peut qu'honorcr par sa présence lanbsp;cour des plus grands rois du monde...

— nbsp;nbsp;nbsp;Ah! madame, s’écria Ie fidéle Gandalin, n’au-rai-jedonc rien autre chose a répondre a cecheva-leureux prince que chacun prise tarit?...

Oriane baissa les yeux, quclques larmes coulé-rent sur ses joues de roses; elle n’eut que la force de tirer un anneau de son'doigt, en disant h Gandalin :

— nbsp;nbsp;nbsp;Voici pour Amadis!... Maintenant, je vousnbsp;laisse avec la princesse Mabile, ma bonne arnie...nbsp;Elle connait les plus secrets sentiments de monnbsp;Coeur, et ce nu’elle me dira de faire en cette occurrence, je Ie lerai les yeux fermés et avcc la plusnbsp;grande joic...

Oriane se retifa, laissant Mabile et Gandalin en train de deviser. 11 fut alors convenu que, la nuitnbsp;prochaine, Amadis viendrait se cacher dans un verger sur lequel la salie de bain de la princessenbsp;Oriane avail une fenètre grillée, et, pour raieux assurer 1’entrée et la sortie de eet araoureux chevalier, Gandalin regut une clef du verger et l’ordrcnbsp;d’y conduire son ami vers Ie milieu dé la nuit.

On imagine sans peine avec quelle joie Amadis regut Fanneau do la princesse, sa mie, et avecnbsp;quelle impatience il attendit Fheure qui devait son-tier son bonheur!

Enfin cette heure arriva,et Amadis fut introduit dans Ie verger, dovant la fenètre grillée. Mais ilnbsp;eut beau se rappeler Ie temps oü Oriane et lui, 6I0-vés ensemble, jouaient dans la plus douce des fa-miliarités, il ne put tout d’abora parler autrementnbsp;qu’avec ses soupirs, sa langue étant collée a sounbsp;palais par excés de timidité.

Ce fut Oriane qui nrit la première la parole.

— Seigneur, lui tlit-elle de sa voix divine, Fa-mitié qui nous a unis dans notre enfaiice ne s’est point éteinte en mon emur... J’ai cru, saus man-quer a mes devoirs, pouvoir jouir la première dunbsp;plaisir de revoir Ie Chevalier de la Mer, de Ie féli-citer sur sou bonheur d’avoir rctrouvé sou pèrenbsp;dans un grand roi, et de lui dire toute la part quenbsp;je prends la gloire dont il s’est couvert...

— Ah 1 madame! répondit Amadis avcc enlhou-sla-'ine, c’est par vous, c’ost pour vous seulc (jue jc respire et que j'agis.., Lo premier sentimentnbsp;fonué par moi au temps regrette de ma primc-jeunosse, a été de vous consacrer ma vie et mesnbsp;adorations... Si j'ai jamais désiré être né daas unnbsp;rang qui me rapprochat du votre, c’est pour quenbsp;’ eussiez pas a rougir de volre amant res-

— nbsp;nbsp;nbsp;Seigneur, reprit Oriane, je ne fais nul doutenbsp;que vous m’aimiez, taut pour les pcines uue vousnbsp;avez. prises pour moi que pour ce que vous me di-tes; et quand même je ii’en aurais nul eiiseigne-tiient de parole ni de fait, je suis trop heureuse denbsp;Ic croire pour songer un seul instant a en dou-ter...

— nbsp;nbsp;nbsp;Madame, reprit Amadis, j’ai tant de félicitó é

vous entendre, que je me trouve sans force pour soutenir Ic poids d’un si grand coiitenicment...nbsp;Amour est maladie; favorable ou contraire, il nenbsp;peut être sans passion, c’est é-dire sans trouble...nbsp;Vous me parlez plus doucement que je n’eusse jamais osé Fespérer, et, a cette cause, je me sousnbsp;tout défailli de bonheur... •nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;_

— Bien dites-vous, mon ami, répondit Oriane; vous êtes un apprenti en Fart de la félicilé... Jenbsp;souhaite de toute mon ame que vous y devenieznbsp;rnaitro, c’est-a-dire quo vous vous accoutumiez knbsp;êtreheureux... Je vous promets de vous y aider denbsp;tout mon pouvoir...

— Ahl madame 1 s’écria Amadis, Fespórance de cette divine journée mc fera prendre en patiencenbsp;cette péniblc viel... Pour Fainour de vous je sup-porterai les peines intérieuros Ie plus couverte-ment que je pourrai; quant ii celles dU dehors, jenbsp;les eiitrcprendrai Ie plus courageusement qu’il menbsp;sera possible... Mais, cette bienheureusc journée,nbsp;je vous supplie de me dire quaiid elle arrivera...

— Elle est déja commeuccc, mon anii, répondit Oriane qui souriait dans Fombre, mais votro oeilnbsp;ébloui ne la voit point...

Lors, Amadis devint pensif et tint ses yeux arrê-tés sur sa mie, (jui Ie regardait elle-même avide-ment a travers les losanges du treillis. Puis, quclques instanis après, elle lui tendit sa petite main blanche, en siguc d’amitié et comrac gage de lanbsp;sincérité de sa parole. Amadis s’en empara et senbsp;rnit è la baiser mille et mille fois sans sonner mot,nbsp;non plus qu’elle.

Mabile, voyant qu’ils restaient ainsi Fun ct Fau-tre plongés dans leur béalitude, oublieux du monde et de la vic, les rappela è la réaliló do leur situation.

— Seigneur, dil-cllo a Amadis, combien de temps avez-vous résolu do rester en la cour du roi Lis-vart?...

— Autant de temps qu’il plaira a madame Oriane, répondit Ie chevalier.

— Ce sera done toujours, dit amoureusement la princesse.

Leurs mutuels devis allaient recommencer, lors-que Gandalin, qui faisait Ic guet, viut prévciiir Amadis quo Faubc du jour apparaissait. Amadisnbsp;était bieii disposé a nc tenir nul compte do cetnbsp;avertissement, tant il Irouvait do cbariiie a resternbsp;dans l’atmosphère oü vivait sa mie adorée. Mais sanbsp;mieadorée, s’apercevant quo Gandalin disail vrai,nbsp;ct craiguant d’etre surprise eu cette conversationnbsp;avec sou amant, lui dit:

— Mon seigneur, allez-vous-cn, s’il vous plait... Gar il eu est temps... Allez-vous-eu pour nwenirnbsp;bieutót... Nous nous sommes vus de nuit, il faudranbsp;bien nous voir de jour... Nos amours étant de cesnbsp;choses qui s’avoucuL hautemont...

AmaUis nrit doiochef Ia belle main blaiichc que lui teudait Oriane, y déposa Ie plus long et Ie plus


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LE CHEVALIER DE LA MER. 35

LE CHEVALIER DE LA MER. 35

savoureux baiser du monde, et se retira, suivi du fidéle Gandalin.

GHAPITRE XXVm

Comment AmacUs se f5l connaitre au roi Lisvart, aux princes et aux grands seigneurs de lanbsp;cour, desqncls il fut haulemenl regu et fes-loyé.

ans Ie courant de la journée qui siiivit l’entrevued’Orianenbsp;et d’Amadis, celui-ci sarina,nbsp;monta h cheval, et quilta janbsp;forèl pour venir è la ville,nbsp;^.accompagné des deux demoi-

selles qui lui avaient précédemmenl donné l’hospi-talité avant son combat avec Dardan.

Une fois entrées avec lui dans la ville, ces deux demoiselles Ie conduisirent directement au logis denbsp;la veuve que vouluit dépouiller Dardan, laquellenbsp;ötait leur cousiiie.

¦— Monseigneur, dit cette veuve en voyant en-trer chez elle son libérateur, et en se prosternant ^vec empressement devant lui, tout ie bien que j’ai

celie lieure, c’est vous qui me l’avez donné, je Ie fiens de voos et nou d’aulres ; faites-en done ccnbsp;fiue vous voudrez...

— Dame, répondit Amadis, ce n’est point pour cela que je viens cóans... Je viens vous cberchernbsp;pour vous conduire devant Ie roi, afin qu’il vousnbsp;tienne quitte et que je m’en puisse aller la oü j’ainbsp;affaire...

La veuve voulait tout ce que voulait lui-même son sauveur. Elle s’appareilla done et sortit avecnbsp;mi, qui, au préalable, se désarraa de son heaunie.

En cliemiu, Ie peuple se pressa sur leur passage. 11 reconnaissait ia veuve et son vaillant chevalier,nbsp;vamqueur do Dardan, et, cola étant, il inenait uiinbsp;itaiii du (liable pour leur témoigner k tous deuxnbsp;ses sympathies et son admiration. Si graml fut Icnbsp;même, qu’ii monta jusqu’aux oreilles du roi,nbsp;fiui voulut en connaitre la cause. On la lui (ionna,nbsp;a son tour, il alia avec empressement au de-d® ce chevaleureux hornme si jeune encore etnbsp;déja si célèbre.

• Chevalier, lui dit-il, vous êtes céans Ie bien-y nbsp;nbsp;nbsp;attendu...

Amadis, en face de ce bienveillant accueil, s’em-y répondre, de meltre ungenou en terre. iüurmura^t''d^^ donne bonne et longue vie, Sire!

ami nbsp;nbsp;nbsp;même soubait k votre profit, mon

amu reprit Ie roi »u releva„i Ie chevalier.

Voiiv n/.. ’ Amadis coiifus, je suis venu vers

St frSslrér.“‘^''® ’ nbsp;nbsp;nbsp;*

vniir nbsp;nbsp;nbsp;I® f»'. « n cause de

] i ajoutc encore des seigneuries k celles oui

et vont lui être restituées sur

/ Grand merci, Sire, dit Amadis. Maintenant,

ip nbsp;nbsp;nbsp;d® i“®nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;a inoitis que

ne puisse vous faire service, cas auquel je de-plu'’^^b^'’ nbsp;nbsp;nbsp;prince a qui je désire Ie

— Mon ami, répondit Ie roi, plus votre parte-nient sera retardé, plus mon plaisir sera grand... Restez céans Ie plus longtemps possible si vousnbsp;voulez me mettre en contentement véritable...

— Je feral ce qu’il vous plaira, Sire...

— Pour commencer, mon bel ami, vous allez vous désarmer... Ge harnois de guerre doit peser anbsp;vos jeunes épaules plus que de besoin...

Amadis s’inclina et s’en alia dans une chambre voisine avec Ie roi Arban de Norgalh s et Ie comtenbsp;de Glocester, pour lui tenir compagnie.

Lors, Ie roi Lisvart manda la reine, qui arriva aussitót et k laquelle il raconta comment il avait re-tenu Ie chevalier vainqueur de Dardan.

— Et savez-vous son norn? demanda la reine.

— Non, certes, répondit Ie roi •, par discrélion, je n’ai pas osé Ie lui demander...

— Peut-être est-ce Ie fils du roi Périon de Gau-lel... Mais il est quelqu’un qui pourraitnous ren-seigner Ik-dessus: c’est l’écuycr qui nous a apporló des nouvelles d'Ecosse...

Incontinent, Ie roi fit appeler Gandalin, et, sans lui rien declarer, il lui fit signo de ie suivre, en luinbsp;disant seulement :

— nbsp;nbsp;nbsp;Venez!... Et dites-moi, en voyant un chevalier que je vous raontrerai, si vous Ie connaissez...

Gandalin Ie sulvit, et tous deux entrèrent Ik oü était Amadis.

¦— Ahl mon seigneur! s’empressa de dire Gandalin, en mettant un genou en terre devant son inaitre, j’ai eu main te peine a vous trouver depuisnbsp;inoii depart d’Ecosse!...

— nbsp;nbsp;nbsp;Gandalin, mon ami, soisle bienvenu 1... Quel-les nouvelles m’apportes*tu?...

— De trés bonnes, Dieu merci, monseigneur, de trés bonnes 1 Tous vos amis se portent bien et senbsp;recommandent k votre bonne grace... Mais, monseigneur, désormais i! n’est plus besoiii de célernbsp;votre état... Gar, ajouta Gandalin en se tournantnbsp;vers Ie roi Lisvart, ce chevalier quo voici est Ie filsnbsp;du vaillant roi Périon de Gaule; pour tel Ie con-nut son père, lorsqu’il mit k mort, en cornbat singulier, Ie puissant roi Abies dTilande, par quoinbsp;Périon recouvra enlièrement les pays qu’il avaitnbsp;perdus...

Amadis était désormais connu. On ne l’aima que davantage. Auparavant, c’était a cause de sa vail-lance; maintenant, c’étail a cause de sa vertu elnbsp;de sa haute naissance.

11 se retira avec Ie roi de Norgalles, k qui Lisvart Ie recoinmanda spócialement, pour qu’il ne rnanquat d’aucune distraction pendant tout Ienbsp;temps qu’il rcslerait en sa cour.

Le lendemain, Amadis, qui avait son but, vint prendre congé du roi.

— Mon ami, répondit Lisvart, je suis marri de cette annonce... Vous m’cussiez fait grand plaisirnbsp;de ne pas partir si tót... Toutefois, comme j’en-tends vous être agréable et non vous tj ranniser,nbsp;jc ne m’oppose en rien k ce que vous avez résolu,nbsp;supposant, outre que je n’cn ai pas je droit, quenbsp;vous avez vos raisons pour en agir ainsi... Parteznbsp;done, mon ami; mais, avant de partir, voyez s’ilnbsp;vous plait la reine, qui désire vous entrelenir...

Amadis s’inclina Qa signe d'acquiescement, et, le prenaiit par la main, le roi Lisvart le conduisitnbsp;vers la reine, a qui il dit:


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36 BIRLIOTHÈQUE BLEUE.

36 BIRLIOTHÈQUE BLEUE.

madis

Galaor était parti de la maison du due dc Bris-toie, qü Ie nain lui avait donué taut d'ennuis. II ebemina tout Ie jour, égaré dans les méandresnbsp;broussailleux de la forêt d’Ariuide, sans trouvernbsp;homme qui Ie redressat en sa bonne route. Gepen-

— nbsp;nbsp;nbsp;Ma dame, voici Ie fils du roi Périori de Gaulenbsp;qui vous veut faire sa révérence.

— nbsp;nbsp;nbsp;Vraiment, repoiidit la reine, il me fait IJinbsp;grand plaisir.

Lors, Amadis se mit k genoux devanl elle et voulut lui baiser les mains; mais elle s’y opposanbsp;avec bonté et Ie pria de s’asseoir auprès d’elle.

En se relevant, Amadis s’aperQut que Ie roi Lis-vart n’était plus la, ni aucun des seigneurs de sa suite, ct qu’il était entouré de dames et de demoiselles qui toutes Ie regardaient curieusement, anbsp;cause de sa renommée et dc sa belle figure.

Tant d’yeux féminins braqués sur lui commen-Qaient a Ie troubler. Que devint-il, lorsqu’il entcn-dit la reine dire a sa fille Oriane, qu’il ne savait pas êlre Ici ;

— nbsp;nbsp;nbsp;Ma mie, ne reconnaissez-vous point Ie fils dunbsp;roiPérion, qui vous a si bien servie lorsqu’il étaitvo-tre écuyer, et qui vous servira encore, s’il lui plait,nbsp;maintenant qu’il est chevalier?... En bonne foi, ilnbsp;faut bien que vous m’aidiez toutes a Ie prier, afinnbsp;qu’ilm'octroye ce que je lui demanderai...

— Qu’est-ce done, ma dame? demanda Amadis.

— nbsp;nbsp;nbsp;Seigneur Amadis, Ie roi desire grandementnbsp;que vous demeuriez avec lui... II vous l’a demandé,nbsp;mais sans 1’obtenir, a ce qu’il me parait, puisquenbsp;vous êtes venu aujourd’hui céans pour prendrenbsp;congé de lui... Nous allons voir qui Temportera ennbsp;cette occurrence, des dames ou des hommes... Ennbsp;conséquence, seigneur Amadis, nous vous prionsnbsp;d’etre Ic chevalier de ma fille Oriane, de moi etnbsp;semblablement de celles que vous voyez en notrenbsp;compagnie... Si vous y consentez, vous nous évi-terez Ie souci de clierchcr notre appui en un autrenbsp;qui ne nous serait peut-être pas aussi agréable,nbsp;sachant bien que, si vous êtes Ie notre, il nousnbsp;sera aisé de nous passer de ceux du roi.

Toutes les demoiselles présentes, a qui on avait fait la locon, l’entourèrent comme un essaim denbsp;fauvettes et se mirent a lui faire la même demandenbsp;que la reine. Amadis, fidéle a son role qui lui com-mandait provisoirement la dissimulation, allait refuser, lorsqu’il surprit un clignement d’oeil de sanbsp;mie Oriane, qui lui lit compreudre qu’il était tempsnbsp;d’accepter.

— Madame, répondit-i! a la reine, qui done oserait ne pas faire votre voloaté, surtout lorsqu’ilnbsp;est si doux de s’y soumeltre?... Je suis content denbsp;demeurer avec vous et de vous servir, madame,nbsp;ainsi que ma dame Oriane... A une condition sou-Icment, si vous Ie permettez, c’est quo si je faisnbsp;quelque service au roi, ce sera comme votre et nonnbsp;comme sien.

— Et pour tel nous vous acceptonsl dit la reine.

CHAPITRE XXIX

Oü l'auteur sc lalt, pour Ie présent, des fails et gestes d’A-)Our reprendre )e propos de Galaor.

dant, a la vesprée, il aperqut de loin venir vers lui un écuyer, monté sur un trés bon cheval.

Or, a ce moment, Galaor cornmenqait a souffrir outre mesured’une plaie qui lui avait précédemmentnbsp;été .aite, en combattant conlre les gens d’armes dunbsp;due de Bristoie, embusques par Ie nain fi Tissue denbsp;la poterne du chateau. Par quoi, se sentant mal, ilnbsp;dit é eet écuyer qui venait :

— nbsp;nbsp;nbsp;L’ami, sais-tu oü je pourrais être médicinénbsp;d’une plaie que 3’ai?

— nbsp;nbsp;nbsp;Oui bien, répondit Técuyer, mais tels couardsnbsp;que vous n’y veulent pas aller volontiers, pareenbsp;que communément ils n’en sortent pas sans rece-voir bonte et dorumage...

— Laissons cela , reprit Galaor, et dis-moi seu-lement si j’y trouverais quelqu’un qui me guérit ma plaie?...

— Vous y trouverez plutót quelqu’un qui vous en fera d’autres...

— Monlre-moi Ie chemin, et je m’assurerai par moi-même de la vérité de ce que tum’annonces...

— Je ne Ie ferai que si cela me plait...

— Tu Ie feras de gré ou de force, mais tu Ie fe-ras, je t’en réponds 1...

— Par force? dit Tccuyer. Graintepourrait-elle jamais me forcer k faire plaisir k un chevalier aussinbsp;léche et aussi recru que tu parais Têtre 1...

En entendant parler si audacieusement eet homme, Galaor tira vitement son cpée et fit minenbsp;de lui en fendre la tête.

— Par Dieu 1 rustre, tu me conduiras la oü tu dis , et je conduirai ton üme aux enfers, son futurnbsp;logisl...

L’écuyer eut peur. II répondit:

— Puisque vous m’y forcez, je vais vous con-duire la oü votre folie sera bientot chètiée et oü sera vengó Toutrage que vous venez de me faire.

Ce disant, Técuyer se mit a marcher devant Galaor, et, quand ilseurent ainsi cheminé pendant un assez long temps, une lieue environ, ils arrivèrentnbsp;prés d’une forteresse assise Ie long d’un plaisantnbsp;val et bien peuplée d’arbres.

— Laissez-moi aller maintenant, dit Técuyer a Galaor, car voilé Ie lieu oü j’espère être vengé denbsp;Tinjure que vous me faites...

— Va-t-en è tous les diables 1 répondit Galaor. Je ne suis pas assez satisfait de ta compagnie pournbsp;te retenir plus longtemps.

— Si vous n’êtes pas satisfait de moi, vous Ie se-rez encore moins de ceux que vous allez trouver l lui cria Técuyer en s’esquivant.

Galaor haussa tranquillement les épaules et plus tranquillement encore se dirigea vers Ie chateau, anbsp;la porte duquel veillaient un chevalier armé, monténbsp;sur son cheval, et cinq hallebardiers équipés pournbsp;défendre Tentrée de la place.

— N’est-ce pas vous, demanda Ie chevalier ü Galaor, qui avez tout ü Theure contraint notrenbsp;écuyer ?

—¦ Je ne sais qui est votre écuyer, répondit Galaor, k moins que ce ne soit Ie paillard que j’ai forcé a me conduire ici, lequel est bien Ie paillardnbsp;Ie plus rogue et Ie plus audacieux de la chrétienté!...

'— Cela peut être... Mais enfin, que demandez-vous, céans!...

— Seigneur, je suis blessé et je cherche qui me secoure.


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LE CHEVALIER DE LA MER. 37

— nbsp;nbsp;nbsp;Entrez, alors!...

Galaor enlra sans defiance aucune. Mais il eut k peine fait quelques pas que Ie chevalier et les hal-lebardiers l’assaillirent tous les six a la fois. Lors,nbsp;il se retourna , s’empara de la hallebarde de l’unnbsp;d bux, et, avec cette arme, cassa la tête au chevalier pour Ie punir de sa traitrise. Puis, entrantnbsp;parmi les autres, il les chargea si rudement qu’il ennbsp;tua trois; les deux qui restaient s’enfuirent clopinnbsp;dopant vers Ie chateau.

Galaor allait les poursuivre, lorsqu’il entendit son écuyer qui lui cria de loin ;

— nbsp;nbsp;nbsp;Seigneur, seigneur, prenez vos arnies, car ilnbsp;y a céans une émeute de gensi...

Galaor s’arrêta coi et retourna s’armer.

— nbsp;nbsp;nbsp;Par Dicul reprit Fécuyer, je prendrai cettenbsp;hache pour vous secourir, si besoin est, centre cesnbsp;pendards.

Et il prit la hallebarde et l’écu de l’un des morts.

— nbsp;nbsp;nbsp;Pour Ie moins , ajouta-t-il, je ferai monnbsp;épreuve contre cette canaille; car pour ne pasnbsp;perdre chevalerie avant de l’avoir regue, je ne veuxnbsp;pas mettre la main sur un chevalier de peur denbsp;1’outrager!...

— Sois assuré, dit Galaor, qu’aussitót que j aurai retrouvé celui qui me conféra h moi-même eet hon-Peur, tu scras chevalier 1...

Gela dit, Galaor et son écuyer passèrent outre. Deux chevaliers vinrent vers eux, puis dix soudards,nbsp;qui ramenèront devant eux les deux qui fuyaientnbsp;devant Galaor.

— Tuez-le! tuez-le! criait de toutes ses forces Ie couard écuyer de tout k 1’heure, lequel se trou-vait pour Ie moment a une des fenètres du chateau,nbsp;ïuez-le 1 tuez-le I mais épargnez son cheval qui menbsp;pourra servirl...

Galaor, en reconnaissant ce miserable qui 1’avait si traitreusement dirigé , sentit Ie coeur lui enflernbsp;do telle sorte qu’il courut sus aux nouveaux arri-vants et les chargea avec une rare impétuosité. Sanbsp;lance s’en brisa contre Ie premier des deux chevaliers , et il dut employer son ópée pour se défairenbsp;du second, qu’il jeta a bas de son cheval. Lors,nbsp;poursuivant sa pointe, sans s'arrêter pour souffier,nbsp;d se mêla parmi les gens de pied, et coiistata avecnbsp;plaisir que son écuyer en avaitdejii dépèché deux.

— G'esttrèsbien comraencé, mon ami! lui cr:a-t'il pour lui augmeiiler Ie coeur. Achevons, main-lenant, achevons 1 Que nul de ces paillards n’en fechappe ! Aucun d’eux n’est digne de vivre.

Le traitre écuyer, qui était A la fenêtre, voyant ce conflit, monta hativernent par un escalier aunbsp;uaut (1’une tour, et cria tant qu’il put:

~ Seigneur, arinez-vous, siuon vous êtes mor tl...

11 cria niême si fort, ce rnisérable, que Galaor

I nbsp;nbsp;nbsp;entendit et jugea a propos d’aller au-devant. Mais

II nbsp;nbsp;nbsp;n avail point fait trois pas qu’il apercut un chevalier armé de toutes pièces et un cheval qu’on luinbsp;tenait tout pièi au pied de la montée. Galaor sautanbsp;legèrement sur ce cheval destine k un autre.

— Damp chevalier, dit-il au mailre présumé de ce cheval, il faudra dorénavaut meiiler de meilleurenbsp;heure, si vousne voulez pas voir votre destrier oc-cupé. Je l’ai, je le garde 1...

— Qui êtes-vous done? demanda le chevalier étonné, car il n’avait pas encore eu le temps d’aper-cevoir Galaor, tant il avait faitvite. Etes-vous celui

qui a tué mes deux neveux et les gens d’armes de ce chateau ?

— nbsp;nbsp;nbsp;Je ne sais de qui vous parlez, répondit Galaor,nbsp;mais je vous assure que j’ai trouvé céans la pirenbsp;canaille de la terre.

— nbsp;nbsp;nbsp;Pardieu 1 s’écria le chevalier, ceux que vousnbsp;avez tués valaient mieux que vous, je vais vous lenbsp;prouverl...

Ils mirent alors la main aux épées, et le combat commenpa aprement.

Le chevalier, maitre du chateau oü se trouvait Galaor, était un vaillant homme, et s’il y avait eunbsp;Ik les témoins ordinaires des tournois, il y eüt eunbsp;des applaudissemeuts pour la fagon brillante dontnbsp;il portait ses coups a Galaor.

Mais Galaor était Galaor. Son adversaire ne put supporter plus longtemps Telfort de son bras vic-torieux : il dut fuir. Galaor le poursuivit, et de sinbsp;prés, qu’ayant gagné un portail et voulant sauternbsp;par une fenêtre basse pour de Ik gagner les derrières du chateau, il tomba et se fracassa la tête surnbsp;un amas de pierres.

Quand Galaor s'en vit débarrassé, ils’en retourna maudissant le chateau et les habitants. En s’en al-laiit, il entendit, en passant, une voix dolento quinbsp;appelait k Taide.

II s’approcha et pria le plaignant de lui ouvrir la porte.

— Je ne puis, étant attaché par une énorme chaine, lui répondit-on.

Galaor supposant que c’était quelque prisonnier, donna du pied si rudement dans la porte qu’il lanbsp;fit sortir des gonds.

II apercut alors une belle demoiselle, la chaine au cou, qui lui dit:

— Seigneur, que sont devenus le seigneur de ce chateau et ceux de sa suite?

— Ils sont tous morts de ma main, répondit Galaor, après m’avoir attaqué lorsque je demandais aide et soius pour mes blessures.

— Dieu soit loué, fit la demoiselle; ótez-moi ces chaines et bientót je vous aurai délivré de vos souf-frances.

Galaor rompit la chaiae et s’en fut avec la demoi-S(‘lle, qui prlt la précaulion d’emporter deux boiles d’ongueiits que le seigneur du chateau gardait pré-cieusemetit.

En passant dans Ia cour, Galaor vit remuer encore le premier chevalier vaincu; mais pour ne pas le laisser languir en souffrance, il lui passa tant denbsp;fois sur le ventre, au galop de son cheval, qu’il luinbsp;fit rendre Tame.

Puis Galaor escorta la demoiselle, k qui il tint de beaux propos d’araour.

La demoiselle avoua qu’elle lui devait une grande reconnaissance de Tavoir sauvée si brave-ment, et elle lui assura qu’elle lui appartenait eunbsp;tout ce qu’il pourrait souhaiter.

lis entrèrent si avant dans les serments d’amour que Texecution s’en suivit et qu’ils goütèrent ensemble le fruit tant aimé des favoris de dame Vénus.

Par bonheur, ils avaient trouvé un pavilion de chasseurs qui les abrita pendant cette nuit, de sortenbsp;que Galaor fut non-seulement guéri des plaies d(inbsp;sou corps, mais soulagé aussi des blessures qu’a-mour lui avait faites précédemment.

La dame raconta k Galaor qu’elle était fillc de


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38 nittLIOTHEQUE BLEUE.

38 nittLIOTHEQUE BLEUE.

stances multipliées que les dames

IIP

Thélois Ie Flatnant, devenu comte de Clave par la volonté du roi Lisvart et d’une dame qu’il avait tenue longtemps pour sa mie.

— Mais un jour, dit-elle, quej’étais au monas-tère voisin avec ma mère, je fus demaudée en ma-riage par celui que vous venez de tuer; ayant etc refusé, il profita d’une occasion et m’enleva parnbsp;force au milieu de mes compagnes de jeu, il m’em-mena la oü vous m’avez sauvée.

11 me lia dans cetto prison que vous avez vue, en me disant que j’y resterais jusqu’ci ce que mes parents vinssent Ie supplier de me prendre pournbsp;sa femme. II voulait ainsi se venger de mes dédainsnbsp;pour sa main et ses hauts faits.

Je priai Dieu de lui faire Ie plus de mal possible, et préférai attendee ce jour de vengeance plulotnbsp;que de commencer avec luiune captivité éternelle.

— Vous êtes pleine de raison, répondit Galaor; mais di(es-moi oü vous allez en me quiltant, je nenbsp;puis m’arrêter longteraps ici et je doiite que vousnbsp;vouliez m’accompagner.

'— Gonduisez-moi, reprit-elle, au monastère oü j’ai été enlevéo, ma mère s’y trouve, elle me sauranbsp;délivrée è sa grande joie.

Galaor approuva ce dessein, ettous deux montant a clieval ils prirent la route du monastère, oü ilsnbsp;arrivèront ü la nuit tombante, entourés de la récep-lion la plus cordiale.

La demoiselle raconta les prouesses de Galaor,

. qui, malgré sou désir de ne pas séjöur-V,/ j ner’longtemps, ne sut résister aux in-

firent pour Ie garder prés d’ellcs pmi-' dant quelques jours.

CHAPITRE XXX

Comment Amadis, ayant la faveur du roi Lis-vart, entendit parlor de son fröre Galaor.

madis, aprés avoir défait Ie redoutable Dardan, etnbsp;^su prendre une bonne po-

'V nbsp;nbsp;nbsp;iii /' 'lAi'jii p o-J'sition ü la cour de Lisvart,

! 1 nbsp;nbsp;nbsp;innbsp;nbsp;nbsp;nbsp;l^rnvait été nommé cheva

lier de la reine.

Or, un jour qu’il était en compagnie dc dames, unc demoiselle entra chez la reine et lui de-manda s'il y avait a la cour un chevalier portant des lions a ses armes.

La reine, voyant qu’il s’agissait d’A-madis, lui dit:

— Que voulez-vous a ce chevalier, —Madame, je lui apporte, répondit-elle, des nouvelles d’un chevalier ^uinbsp;a fait Ie plus beau commencement d’armes qn’onnbsp;ait encore vu.

— nbsp;nbsp;nbsp;Vous dites beaucoup, reprit la reine ; peut-être ignorez-vous cc qu’ont fait tous les autres.

— nbsp;nbsp;nbsp;Néanmoins, répliqua la demoiselle, je croisnbsp;que vous penserez comme je dis lorsque voussau-rez ce qu il a accompli. Je désirerais vous Ie direnbsp;en présence du chevalier, a qui j’ai d’autres nouvelles encore a donner.

La reine lui montra Amadis, en I’invitant ü s’ex-pliquer viternent.

— nbsp;nbsp;nbsp;Madame, dit la demoiselle, je vous crois. —nbsp;Sachez done, monseigneur, dit-elle a Amadis, quenbsp;Ie gentilhorame que vous avez fait chevalier, lorsque vous prltes Ie seigneur de Baldoit et délivrütesnbsp;l’ami d’Urgande, vous envoie ses respects et vousnbsp;regarde comme sou seigneur.

II vous assure qu’il deviendra grand chevalier et homme de bien, ou qu’il mourra en chemin.

Amadis s’émut beaucoup a ces paroles qui lui rappelaieiit son frère; les dames en furent étoii-nées, surtout Oriane,

Cependant la reine brülait du désir de savoir la suite, et la demoiselle conliriua ;

— Son premier fait d’armes a été en la roche de Galtare, oü il a combattu Ie terrible géant Alba-dan, lequel, en rase campagne, seul a 'seul, il a dó-fait et tué.

Puis elle entra dans les détails de ce combat, au-quel elle avait assisté.

La reine s'infonna du chemin qu’avait pris cc chevalier; la demoiselle raconta qu’une dame étaitnbsp;venue Ie chercher de la part de sa maitresse, quinbsp;désirait Ie connaitre.

— nbsp;nbsp;nbsp;Que vous semble de co chevalier ? dit la reinenbsp;k Amadis; Ie connaissez-vous ?

— Je Ie connais et l’ai vu, répondit Amadis; pas assez sans doute, mais, d’après ce que m’a dit Ür-gande, il doit être mon propre frére.

— nbsp;nbsp;nbsp;Votre destinée (ïst bien extraordinaire! repritnbsp;la reine. Vraiment, c’est miracle que vous ayez rc-trouvé vos parents, et eux vous. II me plairait denbsp;voir k la cour du roi ce chevalier valeureux.

Oriane, trop éloignée de Ia reine pour avoir pu connaitre la cause de l’émotion d’Amadis, Ie fit ap-procher et Ie félicita des nouvelles que sa jalousienbsp;supposait être celles d’une dame inconnue. Maisnbsp;lorsqu’Araadis lui eut raconté la vérité, elle futnbsp;ohligée dese faire pardonner cette supposition.

Oriane et Amadis conemrent Ie projet de faire venir Galaor ü Ia cour, et Amadis demanda ü lanbsp;reine son bon plaisir.

— Vous serez agréable au roi, dit la reine, en allant chercher ce chevalier.

Amadis parlit avec Gandalin, et Ie premier jour ne rencontrèrent aucune aventure.

Lelendemain, ils traversèrent une forêt et apcr-qurent une dame accompagiiée de deux demoiselles et_ de quatre écuyers. Ces gens, tout en larmes,nbsp;suivaient une litière occupée par un chevalier.

Amadis étoniié leur demanda d’oü vt'naicnt leurs larmes et quel personnage sc trouvait être dansnbsp;cette litière.

— G’est, dit la dame, toute ma douleur et toute mon affection, mon seigneur et mari.

Amadis s’approcha pour rogarder quel personnage c’était.

11 vit un chevalier assez grand, dont Ie visage était eriflé et tont tailladc ; et, comme il était incapable de répondre a ses questions, Amadis s’en-qnit auprès de la dame, qiii lui raconta (pie, Ie journbsp;même, ils traversaient un pont, lorsqii’nn chevalier l(!s pria de rebrousser chemin, s’ils étaient aunbsp;roi Lisvart; il ajoutait qu’il tuerait Ie roi, s il Ienbsp;prenait, paree qne ce dernier avait é sa cour unnbsp;chevalier meurtricr de Dardan, son ami.


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LE CHEVALIER DE LA MER. 39

— nbsp;nbsp;nbsp;Mon mari, continua la dame, fatigué de cesnbsp;menaces, lui répondil qu’il était sujet et vassal denbsp;Lisvart, et qu’il ue Ie nierait fi personne. Alors Ienbsp;cbevalier du pont commenpa a charger mon mari,nbsp;qui, a la fin, succomba sous des coups multiplies.nbsp;L’homme du pont l’a cru mort et nous a crié denbsp;faire porter ft la cour du roi Lisvart sa dépouille,nbsp;pour Ie narguer.

—Dame, dit Amadis, faites-moi montrer Ie che-min par un de vos écuyers; je dois venger votre mari, car c’est ft cause de moi qu’il a été mis ennbsp;eet état.

La dame Ie fit accompagner, et Amadis fut en peu de temps arrivé au pont, prés duquel Ie chevalier jouaitaux tables avec un compagnon.

Ge dernier, en apercevant Amadis, quitta Ie jeu, et, montant son grand ebeval blanc, il cria :

— nbsp;nbsp;nbsp;Holfi-bolal je vous defends d’aller plus loin, sinbsp;vous ne faites un serment.

— nbsp;nbsp;nbsp;Et lequel? répondit Amadis.

— nbsp;nbsp;nbsp;Que vous n’êtes pas de la maison du roi Lisvart; sans ctda, je vous promets malheur 1

— nbsp;nbsp;nbsp;Je ne sais ce que vous ferez, reprit Amadis,nbsp;mais je suis chevalier de la reine, femme de Lisvart; je fis dernièrement rétablir les droits d’unenbsp;demoiselle déshéritée.

— nbsp;nbsp;nbsp;Par ma tète, répliqua Ie chevalier du pont,nbsp;,je vais vous óter la vie, car vous avez tué 1’un denbsp;mes meilleurs parents.

Et il vint fi toute vitesse sur Amadis, qui partit en inême temps. Leur rencontre fut terrible : lances et ecus furent brisés, et Ie chevalier fut surprisnbsp;de se trouver couché par terre.

Mais vVmadis était en train de relacer son armet, prêtfi tomber; ce qui permit au chevalier de re-monter en selle et de doniier de sou épée a sonnbsp;adversaire. Amadis, aussitót qu’il eut sou arme anbsp;la main, découpapar derrière l’armet du chevaliernbsp;et lui trancha si bien la tète, qu’elle pendait surnbsp;ses épaules; il rendit fame fi l’instant.

Les hommes du pont prirent aussitót Ia fuitc. Amadis ne voulut pas les poursuivre et pria 1’c-eujor d aller raconter fi sa dame quelle vengeancenbsp;il ayait tiré pour son mari. Puis il continua fi travers la lom, si bien qu’il atteignit une plaine cou-verte de fluurs o iorantes dont la vue lui rappelanbsp;son Or.ane.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;^ ‘

Pendant qu il rêvait ft sa belle, il apercut un nain trés contrefait monié sur un paicfroi; il l’in-lerrogea sur la route qu’il avail faite.

nnr, V. 'iecs de la maison du comte de Claire, ré-Pondit ce nain.

chevaTiA..Amadis, un nouveau cnmiier nommé Galaor?

ie nmirrai nbsp;nbsp;nbsp;trois jours,

nmai- A nbsp;nbsp;nbsp;mouircr Ie mcillour chevalier qui

jamai, porta lance ,q urmurc. nbsp;nbsp;nbsp;‘

'Pic c’était sou frère dont unc UAmnicAu’nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;i s’arrêtèront chez

iL l..nH..ii.n'n nbsp;nbsp;nbsp;rensant toiijnurs It Oriane.

Lelendem.iin, vers midi, ils virent un chevalier qm combatlait contre deuxnbsp;nbsp;nbsp;nbsp;cncvaiiei

cetomtal’. nbsp;nbsp;nbsp;la «usa (Ie

A IT nbsp;nbsp;nbsp;'leux, que ce chevalier se

prétend aussi fort que nous deux ensemble.

— nbsp;nbsp;nbsp;Votre difl'érend est bien mince, dit Amadis,nbsp;car la force de l’un ne diminue pas celle de l’autre.

Alors ces chevaliers firent la paix; ils demandè-rent ft Amadis s’il connaissait Ie chevalier qui était cause de la mort de Dardan; qu’ils désiraient Ienbsp;rencontrer. Amadis leur dit qu’il 1’avait vu fi lanbsp;cour du roi Lisvart; puis il les laissa.

II n’était pas encore éloigné d’eux qu’il les en-tendit venir k sa suite en courant; Ie nain propo-sait de fuir, mais Amadis prit soa armet et son écu.

Les chevaliers arrivés teut prés de lui, deraan-dérent qu’il leur accordkt une faveur, savoir oü ils pourraient rencontrer Ic raeurtner de Dardan.

— nbsp;nbsp;nbsp;Gest moi, répondit Amadis, et vraiment j’hé-sitais ft l’avouer de peur de faire mon élpge.

Alors les chevaliers l’appelèrent trattre et fon-dirent Ikchement sur celui qui venait de les récon-cilier. Mais Amadis les rembarra vivement; l’un eut 1’épaule coupée et fut jeté k bas de sou cheval, Ienbsp;second perdit son armet et eut la gorge fendue.nbsp;Quant au dernier il prit la fuitc, et Amadis craignitnbsp;d’etre trop mal moiité pour lui faire poursuite.

Gandalin, en revoyaut son maitre, Ie félicita, et bientót ils purent se reposer dans un ermitage.

Le lendemain, vers trois heures, Ie nain indiqua k Amadis, au fond d’un vallon riant, trois piusnbsp;élevés sous lesquelsétait k cheval un cavalier; toutnbsp;prés, deux chevaliers désarmés couraient aprèsnbsp;leurs chevaux; un peu plus loin so reposait un chevalier entouré de lances fichées en terre; deuxnbsp;chevaux prèis k monter attendaient.

Le nain ineiiqua a Amadis le chevalier couché cornme celui qu’il avait premis de lui montrer, et ilnbsp;l’appela Angriote d’Estravaux; il lui raconla en-suite que ce chevalier aimait une dame voisiuenbsp;qu’il avait dérobée k ses parents par force d’armes ;nbsp;que la dame, ue voulant pas I’aimer, puisqu’ellenbsp;n’était point sieime de son vouloir, lui donna pournbsp;condition d’amoiir qu’il arrêterait aux trois pins,nbsp;tous les chevaliers erranls qui passeraient. Il pou-vaits’adjoindre son frère, et, dans le cas ou ce dernier serait occis, il n’aurait qu'une aunée k continuer seul cet engagement,

— Ils se retirent la nuit dans le chateau voisin et sent ici toiite la journöc, ajouta le nain. Depuisnbsp;trois mois qu’ils out pris ce postc, Angriote n’a pasnbsp;encore mis 1'ópée a la main; son frère a défait tousnbsp;les chevaliers qui se sent présentés.

— J’ai eutendu parler de cela, répondit Amadis, par un chevalier qui, en effet, trouvait cette damenbsp;plus belle quo sa niie; ne s’appel!e-t-elle pas Gro-venèse.

Le nain confirma ce norn et voulut entrainer Amadis dans un autre chernin, mais Amadis donnanbsp;des éperons k son cheval et passa devant; il senbsp;trouva bientót au vallou dont un écuyer gardaitnbsp;l'entrée.

— Seigneur, lui dit cet écuyer, ue passez pas outre si vous u’avouez q'ue la mie du chevaliernbsp;couché sous ce pin, cst plus belle que la vótre.

— Dicu m’assiste, répondit Amadis, si je pro-férerai jamais pared inensonge, k moins de force et extréme contrainte.

— Or, retournez done, reprit I’ccuyer; autre-ment, il vous faudra corabattre contre les deux chevaliers que vous voyez Ik-bas.


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40 OIBLIUTHEQUE BLEUE,

40 OIBLIUTHEQUE BLEUE,

H.

,n voyant Amadis poursuivre sa route, Ie frère d’Angriote lui dit;

— Vous êles fou de refuser ma de-mande, car il vous faut combattre centre moi.

— Ge combat, répondit Amadis, m’est _ plus agróable qu’un mensonge horrible.nbsp;Et tons les deux s’engagèrent rudement dansnbsp;leurs ecus; Ie chevalier fut désarqonné et garda lesnbsp;rènes de son cheval jusqu’a ce que Ie cheval les fitnbsp;rompre en Ie trainant; il resta évanoui sur la

vous valez mieux

— S’ils ra’assaillent, répliqua Amadis, je me dé-fendrai seloii mon pouvoir.

Et il continua son cliemin sans dire un mot de plus.

CHAPITRE XXXI

Comment Amadis combattit centre Angriote et son frère, qui gardaient Ie passage du val.

place.

Amadis descendit de cheval, et levant l’armet, s’aperQut qu’il n etait que pamé. II Ie remua et ilnbsp;reprit ses sens.

— Vous êtes mort, lui dit Amadis, si vous ne vous rendez.

Le chevalier voyant une épée nue suspendue sur sa tête se rendit.

Angriote pendant ce temps se disposait è venger son frère; il envoya une lance è Amadis par un denbsp;ses écuyers.

Les lances se brisèrent a la première rencontre, sans qu’il y eüt blessure cependant, et tous deuxnbsp;reprirent carrière.

Déjè Amadis avait saisi son épée, mais Angriote lui dit, se croyant trés fort sur cette arme.

— Ne vous pressez pas, joutons avec les lances jusqu’a ce que l’un de nous soit a bas.

— Chevalier, répondit Amadis, je ne puis resler ici longtemps, je suis altendu.

— Comment, reprit Angriote, vous vous croyez déja hors de mes mains, rompons encore une lancenbsp;s’il vous plait.

Amadis y corisentit. Les deux combattants se choquèrent si fort qu’Angriote fut renversé sousnbsp;son cheval; le cheval d’Amadis s’embarrassa etnbsp;tomba de l’autre cóté, de tello sorle qu’un tronconnbsp;de lance, resté dans son écu, lui entamalégèrementnbsp;te corps.

Mais il se releva fièrement comrne il convenait au soutenant d’honneur et de beauté de damenbsp;Oriane.

Ayant enlevé le trongon, il marcha sur Angriote l’épée au poing.

Ce dernier lui renouvela, comme h un enfant, de déclarer sa mie plus belle entre toutes; maisnbsp;Amadis répondit par une attaque si furieuse, ilsnbsp;se battirent avec une telle rage que les assistantsnbsp;et eux-mèmes sentirent qu’il y aurait bientót unnbsp;résultat.

Amadis, résolu de faire triorapher la beauté de sa dame, s’éleva è un tel point de force et d’a-dresse, qu Angriote, couvert de horions, quilta lenbsp;combat.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;^

Certes, dit-il a Amadis qu’on ne croirait a vous voir. ’

— nbsp;nbsp;nbsp;Rendez-vous, lui répondit Amadis, car sinbsp;vous prolongez le combat, il finira avec votrenbsp;existence, et j’en serais faché, car vous êtes unnbsp;chevalier brave et courtois.

— nbsp;nbsp;nbsp;Alors, Angriote reprit; Je crois convenablenbsp;de me rendre au meilleur chevalier que j’aienbsp;rencontré, et tout le monde en doit faire autant; jenbsp;ne regrette que d’avoir perdu ce que j’aimais lenbsp;plus au monde.

— Espérez, répliqua Amadis, que votre dame récompensera un jour la courtoisie que vous luinbsp;avez gardée, je ferai ce que je pourrai afin quenbsp;vous soyez heureux.

Et prenant congé d’Angriote qui voulait l’héber-ger en son chateau, Amadis parlit avec le nain, el. pendant cinq jours, leur route ne fut traverséenbsp;d’aucun incident.

CHAPITRE XXXII.

Comment Amadis, toujours la recherche de Galaor, enira dans le chiUeau de ï’enchanteur Arcalaüs, et ce qui s’eii-suivit. •

Heureux d’avoir fait triompher la beauté d’0-riane, mais affligé de voir son espérance trompée dans la recherche de Galaor, Amadis suivit le nainnbsp;auquel il avait promis un don. Le sixième jour,nbsp;ils arrivèrent en vue d’une forteresse qui parais-sait inhabitée.

— Seigneur, dit le nain, c’est ici le chateau de Valderin, et celui qui le possède est le plus redou-table que je connaisse. Hélas! j’avais un maitrenbsp;aussi brave qu’aimable; il vint prés de ce chateau;nbsp;le traitre qui l’habite l’atlaqua, aidé de plusieursnbsp;satellites; mon maitre fut vaincul... Depuis sixnbsp;mois je lui cherche un vengeur... Tous les chevaliers que j’ai conduits ici pour punir son lachenbsp;meurtrier, out perdu la vic ou la liberté...

— Tu fais acte de bon serviteur, lui dit Amadis, seulement tu devrais prévenir les gens des dangers qu’ils courent, Quel est done ce seigneur sinbsp;redoulable.

— Seigneur, répondit le nain, c’est l’enchanteur Arcalaüs. Mais retirons-nous, car la nuit vient, etnbsp;si Arcalaüs me savait amener centre lui des chevaliers il me pourrait nuire.

Animé par le récit du nain et par la certitude que la cour de la Grande-Rretagne n’avait pas denbsp;plus mortel ennemi que eet enchanteur, Amadisnbsp;n’hésita pas une seconde a pénétrer dans la secondenbsp;cour du chateau. Nul être vivant ne s’olfrit è sanbsp;vue, et le même silence régna dans eet endroitnbsp;jusqu’a deux heures avant la nuit.

Le nain, qui commengait è prendre effroi, lui cria vainement:

— Seigneur, sortons d’ici, je vous rends votre parole 1...

— Non, répondit Amadis, je ne sortirai point sans avoir connu 1’intérieur de ce chateau.

Et, se défiant un peu da nain, il chargea Ganda-lin de s’assurer de sa personne et de le forcer è Ie suivre. Lors, il descendit de cheval et parcourutnbsp;les deux cours.

On ne pouvait entrer dans le chateau ([ue par deux porles de fer, qu’il était impossible de forcer.


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LE CHEVALTER DE LA MER. 41

Apercevant une voüle obscure qui paraissait ou-verte, Amadis n’hésila pas a s'y avcnturer et èi des-cendre I humide escalter qui conduisait dans ce souterrain.

II y marchait a peine depuis quelques minutes qu’il entendit un bruit de chaines et des cris la-mentables. II s’avanga vers Ie lieu d’oü partaientnbsp;ces bruits, autant qiie les ténèbres dans lesquellesnbsp;il se trouvait pouvaient Ie lui permettre^Tout-A-coup, une voix rauque s’écria :

— Lève-toi!... prends ces fouets et va-t-en faire crier d’une autre sorte ces misérables qui osentnbsp;troubler mon sommeil!...

Amadis tira alors son épée et s’avanqa, résolu. La lumière d’une larape lui fit découvrir une troupenbsp;de gens armés dont quelques-uns dormaient, etnbsp;dont Ie plus grand nombre veillaient.

Amadis les enjamba après avoir pris une de leurs baches i mais ils furent éveilléspar d’autres plaintesnbsp;qu’ils firent taire en menaQant l’auteur de coups denbsp;verges.

L’un d’eux se leva même et trouva devant lui Amadis dont il eut grande peur.

— Qui va Ifi, dit-il, qui t’a permis de franchir ce séjour?

— Moi seul, répondit Amadis.

— Taut pis pour toi, reprit Ie garde, tu vas gros-sir Ie nombre des malheureux dont tu entends les pleurs.

Et il enferma Amadis dans Ie souterrain, puis avertit ses compagnons. Le geólier voulut se charger d’Amadis et le vint harceler, aidé d’un garde;nbsp;mais il requt un coup de poing qui lui brisa la ma-choire et Amadis lui trancha la tête.

Tous les gardes se ruèrent alors contre lui, mais il en mit quatrehors de combat et les deux derniersnbsp;se rendirent.

II se fit ouvrir les prisons avec les clefs que portalt le geólier è sa ceinture, et délivra une jeune femme recluse dont les vêtements étaient pourris.

^ —Je suis fille de roi, lui dit-elle, et c’est A cause d’un roi que je suis ici.

— Prenez courage, lui dit Amadis, je suis sur que votre pauvreté se changera bientót en richessenbsp;et votre douleur en joie.

11 üt mettre a cette demoiselle le raanteau d’é-carlate qu’Arcalaüs avait donné récemment A sou geólier, puis la conduisit dehors, l’assurant que, luinbsp;vivant, elle ne rentrerait pas dans ce lieu do sup-plice.

Permettez, lui dit Amadis, que mon écuyer 'TOUS tieune compagnie tandis que j irai délivrer vosnbsp;compagnons de captivité.

i ®t'bent alors sous la voute d’entrée, et il sur-Amad'is nbsp;nbsp;nbsp;denianda a celui qui éclairait

~ Mon maitre, Arcalaüs, veut savoir si le che-vaner qui vient d’entrer est mort ou en prison.

Le garde luissa tomber les chandelles tant il fut ellrayc, maïs A.inadis lui dit;

Que crains-lu sous ma protection? Marche oevant sans inquietude.

Ils arrivèrent enfin dehors, la nuit était fort avancée. Amadis ne vit ni le nain, ui Gaudalin : ilnbsp;SU vu un jieu uii hruit de voix et les apercut tonsnbsp;ueux attacliés A des poteaux au-dessus tl’un feu;nbsp;il accourut pour les délivrer et les ramena au

chateau avec la demoiselle et les deux gardes.

La porte du chateau e^tait fermée, ils se retirè-rent dans iiu coin de la cour et Amadis, ayant ap-pris de Gandalin qu’un cheval était dans une écurie voisine, enfonga la porte, prit la bete toute sellée,nbsp;la monta et altendit Arcalaüs dont 1’arrivée étaitnbsp;connue de Gandalin et du nain.

En attendant, Amadis devisait avec Ia demoiselle dont Arcalaüs avait causé le malheur en la ravissant h celui qii’elle adorait. Arcalaüs était l’enrieminbsp;jure de ce roi, et il ne craignit pas d’employer lesnbsp;ressources de 1’enchantement peur arriver h sesnbsp;fins.

Amadis sut que ce roi était Arban de Norgales dont il était fort l’ami; il en félicita la demoiselle.

Le petit jour commengait li poindre, car la nuit s’était écoulée pendant ces événements, et Amadisnbsp;n’attendait plus que le lever du soleil pour sortirnbsp;de ce chateau, lorsque tout-é-coup une fenêtrenbsp;s’ouvrit, un homme d’une grande taille y parut, et,nbsp;s’adressant A l’amantde Ia belle Oriane, il lui cria:

— Est-ce toi, malheureux, qui a osé massacrer la garde de mon chateau ?

— Si tu veux descendre, répondit Amadis, je te rendrai compte de ce que j’ai fait et je te dirai cenbsp;que j’ai dessein de faire...

— Attends-moi done! reprit 1’homraeala haute taille, dun air furieux et menagant.

— La fenêtre se referma, et, quelques minutes après, une des portes de fer s’ouvrit pour livrernbsp;passage a un chevalier d’une forte encolure. G’étaitnbsp;Arcalaüs.

Get enchanteur avait une taille de géant et une vigueur propqrtionnéeasa taille. 11 s’imagina avoirnbsp;facilement raison de ce chevalier qui avait osénbsp;franchir l’enceinte de son chateau lorsque tantnbsp;d’autres avaient été si cruellement punis de cettenbsp;témériló. Mais Amadis n’était pas un chevalier ordinaire ; il avait en outre le bon droit et la justicenbsp;pour lui. Devant les coups tenibles qu’il porta ónbsp;Arcalaüs, et dont le dernier le désarma, eet enchanteur dut prudemment battre en retraite denbsp;peur de pis.

Amadis Ie suivit. Arcalaüs franchit l’escalier et, en quelque honds, arriva dans une chambre oünbsp;soudain une femme lui présenta une épée pournbsp;remplucer celle qu'il venait de laisser tomber.nbsp;G’étuit pour lui une occasion nouvelle de combat-tre : il se présenta ü la porte de la chambre, etnbsp;défia Amadis qui s’y était courtoisement arrêté,nbsp;par respect pour la dame, qu’il venait d’apercevoir.nbsp;Arcalaüs oidonna ü cette dame de se retirer etnbsp;insulta Amadis par les plus grossières injures, ennbsp;le defiant de passer le seuil de la porte.

— Füt-ee aux enfers, répondit alors Amadis, j’irais attaquer un moiistre tel que toi!

11 dit el s’élanga dans la chambre; mais ü peine avait-il fait un pas, qu’il tomba sur le sol, évanoui.

Arcalaüs le désarma aussilót, et, appelant la dame de tout-ó-l’heure, il lui dit;

— II me serail facile de doniier la mort h eet ennemi que voici; mais je scrai mieux vengé parnbsp;la prison cruelle è laquelle je le condamne et parnbsp;le projet que je vais exécuter... Je le laisse pro-visoirement sous votre garde!...

Ayaut dit cela, Arcalaüs so désarma, se couvrit des armes d’Amadis, s’empara de sa redoutable


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42 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

42 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

épée et monta sur son cheval qu'il trouva broutant l’herbe maigre qui croissait ea et Ik dans la cour.

En s’en allant, il fit mettre Gandalin et Ie nain en prison. Gandalin ne voulait pas survivrc k sonnbsp;maltre et priait qu'on Ie tukt plutót que de Ie mettre au cachot; il insultait Arcalaüs sur sa trattrisenbsp;et lacheté, afin qu’on se débarrasskt de tui. Maisnbsp;Arcalaüs Ie laissa dire, et Ie fit trainer par les chenbsp;veux et jeter dans un pul de basse fosse.

— Si je te faisais occire, lui dit-il, tu serais hors de peine, tandis que Ik tu souffriras mille fois plusnbsp;que la mort même.

Puis Arcalaüs, monté sur Ie cheval d’Amadis et suivi de trois écuyers, se dirigea vers la cour dunbsp;roi Lisvart.

A \)eine était-il sorti que la dame, sous la garde de laquelle il avait laissé Amadis, vit eutrer, dansnbsp;la salie ou elle se tenait, deux demoiselles char-gées de douze flambeaux qu’elles allumèrent etnbsp;placèrent tout autour de la salie. Bieniöt une troi-sième dame, d’une taille plus imposante que lesnbsp;deux premières, entra, tenant d’une main un petitnbsp;rechaud et de l’autre un livre écrit en signes par-ticuliers, et suivie de six demoiselles qui portaientnbsp;des harpes.

La dame, qui paraissait la maitresse des autres, versa alors quelques aromates et quelquos hcrbesnbsp;odoriférantes sur gon rechaud et Ie promena autournbsp;d’Amadis, toujours évanoui. Pendant que ces parfums se répandaient en nuages bleus dans la salie,nbsp;et que les harpes préludaient harmonieusement,nbsp;elle lut quelques phrases dans Ie livre myslériouxnbsp;qu’elle tenait k la main, et plusieurs voix lui ré-pondirent dans la langue inconnue qu’elle parlaitnbsp;en lisant ce livre. Tout-a-coup, s’approchant denbsp;celui qu’on croyait mort, elle Ie prit par la main ennbsp;lui criant d’une voix vibrante ;

— nbsp;nbsp;nbsp;Amadis, réveillez-vous 1 La Gloire, Oriane etnbsp;votre amie ürgande vous appellent k la viel...

Amadis se réveilla, en effet, etreconnut sa pro-tectrice Urgande, aux pieds de laquelle il se jota.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ah! madame, lui dit-il, que ne vous dois-jenbsp;pas?

— nbsp;nbsp;nbsp;Ne perdons point de temps, répondit ürgande;nbsp;il s’agit de prévenir les suites funesles de la noirenbsp;trahison d’Arcalaüs... II a pris vos armes, et senbsp;flatte de parailre corame votre vainqueur... Gou-vrez-vous des siennes et volcz pour dóraentir knbsp;temps Ie faux récit qu’il ne manquera pas de fairenbsp;de sa victoire et de votre mort.

Amadis obéit, et, ne voulant pas porter plus loin sa vengeance, en consideration de la femme d’Ar-calaüs, laquelle était une pitoyable dame, tendrenbsp;aux affligés et douce aux capti'fs, il so couvrit denbsp;Tarmure de l’enchanleur, monta sur son cheval, etnbsp;sortit du chateau. II était suivi par Gandalin, Ienbsp;iimn, Grir.daloïa et les autres prisonniers d’Arca-laüs, parmi lesquels se trouvait Ie célèhre chevalier Briiiflaboias, dont Lisvart et sa cour regret-taient depuis trois ans la perte.

GHAPITRE XXXIV

Comment Arcalaüs, couvert de 1’armure d’Amadis, se pré-senta amp; la coar du roi Lisvart, et de TefTet désastreux qu'il produisit; comment, eosuite, la joia revint, lorsqu’onnbsp;connut la véritd.

aisant diligence pendant ce temps, Arcalaüs était arrivé knbsp;Vindisilore, au moment memonbsp;oü les princesses Oriane et Ma-bille prenaient Ie frais a leurnbsp;fenêtre.

— Ahl cousine, s’écria Oriane en ariercovant Arcalaüs, couvert de l’armura d’Amadis, qu’on est heureux de revoir cenbsp;qu’on aime!

Et, entrainant Mabile, elle courut avec elle dans la chambre de la reine, aprèsnbsp;avoir pris lo temps de nouer et de rclevernbsp;ses beaux choveux.

^ Corame elles étaient la toutes deux, dans l’attente de voir paraitre Ie plus vaillantnbsp;et Ie plus beau des chevaliers, olies virent entrer Ienbsp;roi, tout en larmes, qui s’écria d’une voix entre-coupée :

— nbsp;nbsp;nbsp;Ah! madame, quel coup affreux! Le bravonbsp;Amadis n’cst plus!...

La reine Brisène aimait son chevalier comme son propre lils. En eutendant ainsi annoncer sanbsp;mort, elle jeta un cri douloureux et tomba sausnbsp;eonuaissance. Oriane et Mabile vonlurents’avancernbsp;pqur la secourir; inais la tendre Oriane, cédant aunbsp;désespoir qui s’était einparé de sou amo amou-reuse, s’évanouit (’galemcnt et tomba sur ses ge-noux comme foudroyée. On la transporta dans sanbsp;chambre.

Les soins de Lisvart et des dames dii palais ayant fait revenir k elle la reine Brisène, elle voulul avoirnbsp;de plus arniiles détails sur la catastrophe, et le roinbsp;les lui donna ttds qu’il les teiiait de la bouche per-üde d’Arcalaüs. Amadis était venu le défier dansnbsp;sou chateau dq Valderin, (d les conditions du combat avaient été que le vainqueur se couvrirait desnbsp;armos du vaincu, après I’avoir tué, et irait k la cournbsp;de Lisvart remdre compte de ce combat. Puisquonbsp;Arcalaüs était vivant cl couvert de Farmure d’A-raadi.s, ce dernier était morti

Pendant que Lisvart faisait ce lamentable récit k la reine, le irailre Arcalaüs était remonté a chevalnbsp;et était sorti du palais, chargé des imprecations denbsp;tons ceux qui regrettaient Amadis, c’est-k-dire denbsp;tout le monde.

Oriane était toujours évanouie. Los ollbrts les plus grands étaient fails, mais en vain, pour la rap-peler a la vic. Au hout de deux heures seuleraent,nbsp;(“11e comraenca a s’agiter; deux ruisselets de lartrnisnbsp;jaillirent de ses beaux yeux comme de deux sources trop pleincs.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ah! chore Oriane, lui dit Mabile en l'ernbras-sant tendri'nieut, reven(‘z k la vie et k la raison 1,..nbsp;Non, il n’cst pas possible (|u’Amadis ait pu succorn-ber sous los coups du lache et perfide Arcalaüs...


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LE CHEVALIER DE LA MER. 43

G’est un mensonge que ee monstve a fait lil... ' Nous reverrons Amadis, chère Oriane, nous Ie re-verrons!...

— Hélas! ma mie, murmura Oriane, ne me dé-tournez pas du cherain de la mort si vous dósirez mon repos, et cotisontez que j’aille bioutót retrou-ver eii 1’autre monde celui que j’aimais et qui m’ai-mait tant lui-même qu’il n’eüt pu vivrc un journbsp;sans moi t...

En proférant ce mot, la dolente amoureuse so prit tellement ii pleurer que e’était grand’pitié denbsp;la voir.

Puis, reprenant haleine, elle ajouta :

— Ahl fleur et miroir de cfievalerie! \’otre mort est une si grave chose, quo non-seulement moi,nbsp;votre mie, mais encore Ie reste du monde doit ynbsp;avoir regret, puisqu’en vous perdant Ie monde anbsp;perdu ce qui 1 honorait Ié plus en bonté, en prudence, en hardiesse, en beauté... Toutefois, moitiónbsp;de ma vie, si, Lt oü vous êtes, vous avez encorenbsp;quelque sentiment, je suis sure que vous n’avez,nbsp;vous, aucun regret h la vie perdue, excepté è causenbsp;de moi, quo vous savez si affligce; car vous aveznbsp;laissé taut d’honneur en ce monde, tant acquis donbsp;réputation en ce pen de temps que vous y avez été,nbsp;qu’on peut dire, en comptant d’après vos mérites,nbsp;que vous ètes mort vieux 1...

Oriane allait poursuivre, lorsqu’olle fut inter-rompue par la reine Brisène qui accourait, la joic sur Ie visage, suivie d’uno jeune dame et d’un chevalier, tous deux inconnus d’Oriane.

— Grdce au ciel, s’ecria la reine, Amadis est vi-vantl Amadis est toujours victorieux!... G’cst un mensonge qu’est venu nous faire ce matin Ie ISichenbsp;Arcalaüs. N’est-ce pas, chovalier Brindaboias?nbsp;N’est-ce pas, belle princesse Grindaloia?...

Le chevalier et la jeune princesse racontèrent alors ce qui s’était passé au chéteau de Valderin,nbsp;en ajoutant qu’ils avaient été séparés d’Amadis sansnbsp;le savoir, mais qu’on ne tarderait sans doute pas hnbsp;le revoir.

A ce récit, si différent de celui d’Arcalaüs, les roses du teint de la tendre Oriane se ranimèrent.nbsp;Presque aussi peu maitresse de cacher sa joie quenbsp;sa douleur, elle s’écria ;

— Ah! madame, vous faites renaitre le bonheur dans eette cour, par votre présenco et par lesnbsp;bonnes nouvelles que vous nous apportez!... Grandnbsp;merci de touto mon ame!...

Puis elle se jota dans les bras de la jeune prin-ces^e de Sorolis et lui jura Tamitié la plus vive. s’nfinbsp;nbsp;nbsp;nbsp;^ son tour cette princesse en

an nbsp;nbsp;nbsp;U reine, puisque ce jour est consacré

smiffrenf nbsp;nbsp;nbsp;songer k ceux qui

soutlrent encore lom de nous et dont la dnnlenr

conügt;aste.avec notre joio lldfne ,“nlce du du de Bnstoie , est pnsonmère de son oncle, qui ennbsp;use tres mal avec elle, a cause d’un chevalier qui anbsp;voulu la délivrer.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;^

— Le due de Bristoie est vassal du roi Lisvart répondit vivement la reine; nous allons lui en-voyer l’ordre de remettre Aldéne en liberlé et denbsp;1 enyoyer ici pour vous retrouver... Nous allonsnbsp;aussi, chère princesse, prévenir le roi Arban denbsp;iNorgates de votre presence ici...

Ah 1 madame, murmura Gnndaloïa en rou-gissant, que de bontés !...

CHAPITRE XXXV

Comment Amadis , toujours en quétc de son frère Galaor, finit par le renconlrer aprfts un combat acharné avec lui,nbsp;combat amené par les suggestions d'une fausse nonnain.

Amadis, tranquillo sur la supercherie qu’Arcalaüs s’était préposé de faire è la cour de Lisvart, et jugeant que 1’arrivée de Brindaboias el de la princesse de Sorolis suffisait pour en empêcher l’effet,nbsp;s’était remis plus vivement que jamais a la quêtenbsp;de son frère, et il n’imagina point de le cherchernbsp;dans une abbaye de femmes,

Galaor y était cependant, et il s’y trouvait même trés bien, ce qui ne I’empecha pas, au bout denbsp;quiiize jours de cette existence charmarile, denbsp;prendre la clef des champs, II n etait pas soul dansnbsp;sa fuite : une des aimables demoiselles qui l’avaientnbsp;aidé è se guérir l’accompagnait, heureuse de Temnbsp;lever a ses compagnes.

Amadis continuait sa quête de sou frère , et il était arrivé, è force de chevaucher, jusqu’è la forêtnbsp;d’Angadeuse, lorsqu’il y rencontra un grand chariot couvert d’oü il lui sembla qu’il sorlait desnbsp;plainlos. II demanda poliment a celui qui condui-sait l’escorte nombreuse dont ce chariot était en-touré, ce qu’il contenait, et posirquoi des gémisse-menls en paraissaient sortir. On ne lui réponditnbsp;qu’en l’attaquant,

Amadis était sorti victorieux de trop de combats pour ne pas sortir de même de celui-ci. En effet,nbsp;malgré le nombre des assaillants, le valeureuxnbsp;amant d’Oriane fit bientót rnordre la poussière auxnbsp;misérables qui l’avaicnt aussi discourloisement attaqué; ceux qui ne furent pas tués prirent la fuite.

S’approchant alors du chariot, et levant un cóté des draperies qui le couvraient, il vit un richenbsp;cercueil écussonnó, deux femmes en deuil et unnbsp;vieux chevalier dont la barbe fleurie blanche des-cendait jusqu’au nombril.

— Que signifie tout cela ? demanda Amadis étonné, au vieillard.

— Vous ne pouvez l’apprendre, répondit ce dernier, que de Ia dame du chéteau voisin, si toutefois vous osez m’y suivre.

Après un pared propos, Amadis n’eüt pas ba-lancé d’entrer dans ce chüteau, quand même la curiosilé ne l’y eütpaspqussédéja : en conséquencenbsp;il suivit le chariot qui venait de reprendre sanbsp;marche. Mais, è peine y fut-il entré, que la portenbsp;du chAteau se relerma et qu'on arrêta Gandalin etnbsp;le nain qui l'avaieiit suivi. Puis oii Fassaillit denbsp;toutos parts.

Quoique fatigué du premier combat qu’il avail livré, Amadis se fit bientót un rempart du corps desnbsp;plus audacieux qui l’altaquèrent; mais, le nombrenbsp;des assaillants augmentant sans cesse, il eüt trésnbsp;certainernent soccombé, si, dans ce m^oment, unenbsp;jeune demoiselle en deud, presqu’aussi bollenbsp;qu’Oriane, suivie d’une dame plus agée, n’eut ou-verl une fonölre et, par son autorité, fait cessernbsp;eet inégal combat.

— Que vous ai je fait, seigneur chevalier? ajou-ta-t-elle d’une voix douce, Pourquoi me venir at-


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44 BIBLIOTHÈQUE BLEUE.

taquer jusque dans mon chateau, lorsque les lois de la chevalerie et votre honneur devraient plutótnbsp;vous engager amp; m’accorder votre appui?...

Touché de la jeunesse, de la beauté et de la grace avec laquelle cette demoiselle s’exprimait,nbsp;Aniadis s’empressa de lui raconter en quelquesnbsp;mots son aventure, pour lui prouver que les tortsnbsp;de Tagression n’étaient pas de son cóté. Le vieuxnbsp;chevalier è la barbe fleurie blanche, paraissantnbsp;alors sur le balcon, confirma la véritéde son récit.

— Ah 1 seigneur chevalier, reprit alors la gente dame, combien j’ai regret de Ia brutalité de mesnbsp;gens I Combien aussi je me réjouis de l'avoir ar-rolée au moment oü elle pouvait vous devenir funeste ! Mettez-moi vitement, je vous prie, a porteenbsp;de réparer eet attentat, et venez apprendre de moi-même la cause de ma douleur et de ce que vousnbsp;avez vu dans la forêt.

On se fie aisément a la parole d’une gente pu-celle, dont la candeur égale la beauté ; Amadis ne balanga pas. II délaga son heaume, et, abordantnbsp;son hótesse avec le plus de courtoisie possible, ilnbsp;s’excusa de nouveau sur la nécessité oü ses gensnbsp;l’avaient mis de se défendre. La jeune fille, en lenbsp;voyant si beau, devint toute rougissante et ne putnbsp;sonner mol pour lui répondre. Ge'fut la vieille damenbsp;qui le fit pour elle.

— Seigneur chevalier, lui dit-elle, ce qui vient de se passer sous nos yeux nous prouve qu’aucunnbsp;chevalier n’est plus capable que vous de soutenirnbsp;les intéréts de ma nièce... Mais il serait oiseux denbsp;vous raconter nos malheurs, si vous ne nous pro-mettez d’essayer de les adoucir...

— Ah! madame, répondit Amadis, quel chevalier serait assez lache pour se refuser a défendre Ia jeunesse, l’innocence et la beauté?... Oui, madame,nbsp;je vous promets de vous servir de tout mon pou-voir : puisse la parole que je vous en donne ici vo-lontairemcnt et sincèrement, me mcriter votrenbsp;confiance 1...

— Cette enfant que vous voyez céans, reprit alors la vieille, est fille d'un roi puissant et équi-table, qu’uu frère a osé massacrer de sa main pournbsp;s’emparer de ses Etats : c’cst le corps de ce mal-heureux prince que vous avez vu dans le chariotnbsp;couvert... Depuis sa mort, un vieux chevalier de sanbsp;cour, dont le courage nous a sauvées de la harba-rie du tyran, fait promener deux fois par rnois cenbsp;cercueil, sous escorte, dans l’espérance de trouvernbsp;enfin quelque vaillant chevalier disposé a prendrenbsp;la défeuse de ma nièce... Mais le traitre Abiséos,nbsp;c’est le nom du fratricide, est d’autant plus redouté,nbsp;qu’il est soutenu dans sa réputation d(ï férocité parnbsp;ses deux fils Dorison et Dramis, lesquels sout mal-heureusement aussi forts que méchants... lis outnbsp;juré de se soutenir mutuellemeut tous les trois etnbsp;de combattre ensemble... Votre bras seul ne pour-vait même nous suffire, et nous n’osons croire quenbsp;nous rencontrerons un jour trois chevaliers pournbsp;épouser noire querelle et vaincre Abiséos et sesnbsp;deux fds.

Madame, répondit Amadis, jamais cause ne fut plus juste que la votre et celle de cette bellenbsp;priucesse, et je m’engage k trouver dans le [dusnbsp;bref dé,ai deux autres chevaliers aussi disposés que

moi ü combattre pour vous.....Tous les deux me

toucheiit d assez prés par les liens du sang et du coeur pour que j’ose vous en répondre ; je ne de-mande que le temps nécessaire pour les joindre.

— Si vous faites cela, seigneur chevalier, dit k son tour la jeune fille de sa voix la plus melliflue,nbsp;Briolanie, légitirae héritière du royaume de So-bradise, vous en aura une éternelle reconnaissance...

— Je n’en exige pas tant, madame, répondit Amadis en s’inclinaiit. Mes deux compagnons et moinbsp;nous sommes chevaliers du roi Lisvart et de lanbsp;reine Brisène; c’est vous dire que notre devoir estnbsp;de combattre jusqu’è la mort pour la sainte causenbsp;de Ia justice et de l’innocence persécutées.

On apporta bientot les tables, qui furent cou-vrrtes avec abondance et avec magnificence : il s’agissait de fêter dignement ce vaillant hóte 1

Amadis s’était désarmé et avait revêtu un riche manteau qui rchaussait encore sa bonne mine etnbsp;sa fiére prestance. Les deux dames Tadmirèrentnbsp;beaucoup ; il leur parut être le plus parfait chevalier qu’elles eussent vu de leur vie. Do son cóté,nbsp;Aniadis, quoiqu’il fut insensible a toute autre beauténbsp;qu’a celle de l’^ncomparable Oriane, ne put s’em-pêcher de rernarquer les charmes, la grace, l’espritnbsp;et la modestie de la princesse Brioianie, et il s’ennbsp;entretint mèrae assez ionguement avec Gandalin,nbsp;après le diner, lorsqu’ils se furent retirés tous deuxnbsp;dans la chambre qui leur était destinóe.

Le nain, compagnon de Gandalin, en entendant ainsi Amadis parler de l’héritière du royaume denbsp;Sobradise, en conclut qu’il en était amoureux,nbsp;d’autant plus volontiers qu’il lui semblait, en effet,nbsp;impossible qu’un chevalier jeune, ardent et beau,nbsp;ne devint subiternent épris des charmes de toutenbsp;sorte quipomposaient la beauté de Briolanie.

Le lendemain, de bonne heure, Amadis prit congé des deux dames dont il avait regu l’bosjti-talité, et il leur renouvela sa promesse. La jeunenbsp;princesse de Sobradise lui préseiila alors en rou-gissant et d’un air qui fut remarqué par le nain,nbsp;une trés belle épée ayantappurtenu au feu roi sounbsp;pAre. Amadis la regut avec courtoisie et jura denbsp;l’employerutilemeul ü sou service, pro|»os qui futnbsp;également remarqué par le nain, lequel, s’appro-chant de Briolanie, lui dit tout bas ;

— Madame, vous avez conquis dés aujourd’hui le plus .vaillant et le plus beau chevalier qui soitnbsp;au monde...

Briolanie rougit de nouveau et ne répondit rien, ce ([ui contirma le nain dans son opinion.

— nbsp;nbsp;nbsp;Us s’aiment tous deux 1 pensa-t-il.

Aniadis sortit done du chateau et reprit sa

route, toujours suivi de Gandalin et du nain mal-avisé.

II venait de quitter la forêt d’Angadeuse et al-lait prendre une route qui la cótoyait, lorsqu'il vit veoir a sa rencontre un chevalier bien armé suivinbsp;d'unc demoiselle. 11 n’en était plus ([u’a vingtiias,nbsp;lorsque ce chevalier se précijiita, l’éiiée é la main,nbsp;sur le malheurcux nain et lui porta un revers quinbsp;lui eüt décüllé net la tête, si Ie nain ne se tut jeté anbsp;teni()s entre les jambes de sou cheval, en criantnbsp;au secüurs.

— nbsp;nbsp;nbsp;Arrêtcz, chevalier! dit Amadis é I’inconnu,nbsp;qui se disposait fi chatier de nouveau Ie nain.nbsp;Que peut done vous avoir fait une si chetive créa-


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LE CHEVALIER DE LA MER. 45

LE CHEVALIER DE LA MER. 45

ture, pour que vous vous portiez onvers olie è une lelie violence?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Hélasl rien du tout, avoua l’inconnu. Ce quenbsp;j’en ai fait, g’a été pour obéir a cette maligne pii-celle qui me suit, laquelle m a ensorcelée parsesnbsp;beaux yeux, bien qu’elle sorte d’une abbaye. Ellenbsp;vient de me demander la tête de ce iiain, et commenbsp;un courtois chevalier ne sait rien refuser unenbsp;gente pucelle, je me suis mis en devoir de luinbsp;obéir... Par aitisi, ne vous oppose?, plus, je vousnbsp;prie, a ce que j’obéisse jusqu’au bout... Elle veutnbsp;la lète de ce nain, elle l’aura !...

— Cortes, répondit Amadis, ce ne sera pas du moins tant qu’il sera sous ma protection !...

II ne fallut pas, on Ie comprend, d’autre défi pour determiner ces deux chevaliers k courir l’unnbsp;contquot;e l’autre, et l’atteinte fut si violente que tousnbsp;les deux en furent cgalement renversés.

Tons les deux, se relevant, se chargèrenl h coups d’épée avec une égale furie. Mais bientot, surprisnbsp;de la resistance qu'ils s’opposaient Lun a l’autre,nbsp;ce qui n’était pas dans leui s mutuelles habitudes,nbsp;ils suspendirent un moment Ie combat pour senbsp;considérer avec plus d’attention.

— Vaillant chevalier, dit enfin l’inconnu , lais-sez-moi satisfaire Ie caprice de cette nonnain en-diablée qui m’a assez donné de preuves d’aniqur pour que je lui donne cette preuve de reconnaissance!... Laissez-moi prendre la tête de ce miserable nam qui ne vaut certes pas la peine quenbsp;deux chevaliers comme nous s’échauffent èi sonnbsp;propos!...

— nbsp;nbsp;nbsp;Parbleu! répondit Amadis, je vous ai déjènbsp;dit qu’il étail sous ma protection... Et, qu’elle soitnbsp;de peu OU de beaucoup de valeur, sa tête sera res-pectée, ou vous y perdrez la vótrel...

Aprés eet échange de paroles, la lutte re{)rit, ydus terrible et plus dangereuse que jamais, üéj^nbsp;Ie sang de tous les deux s’écoulait par une inliniténbsp;de blessures, lorsqu’un chevalier, attiré par Ienbsp;bruit des coups sonnant sur les armures, arrivanbsp;sur Ie lieu du combat, el s’informa auprès de lanbsp;demoiselle de ce qui l'avait fait nailre.

— nbsp;nbsp;nbsp;Dieu merci! répondit la fausse nonnain, c’estnbsp;moi qui les ai mis en lutte; j’espère bien que tousnbsp;les deux y périront, ou que j’aurai du moins lanbsp;vie de l’un d’eux!

— Qui êtes-vous done, pour former un pareil souhait? demanda Ie chevalier, surpris d’une mé-chauceté si apre.

la niêce d’Arcalaüs, répondit-elle; jetais dans une abbaye, lorsque j’appris par monnbsp;vpn .Anbsp;nbsp;nbsp;nbsp;‘^bpses doiit je lui promis de Ie

laissai enlever du monastère par étonrm ‘'®%'fhevaliers, Ie plus jeune el Ie plus

.....^ nbsp;nbsp;nbsp;corps, mais Ie diable aura

sou aine, car il sappelle Galaor et va tuer son Irere Amadisl...

— Ah! créature perverse! s’écria Ie chevalier indigné. Vit-on jamais une aussi diabolique machination 1... Mais ce sera la dernière que tu feras,nbsp;pucelle impure, nonnain de l'enfcrl...

, 7- Et, en disant ces mots, Ie chevalier lira son epee el décolla d’uii coup rapide la tête de lanbsp;lausse nonnain qui alia tomber entre les deuxnbsp;combattants...

Amadis 1 Amadis 1 cria-t-il ensuite. Amadis,

c’est Galaor, votre frère, que vous avez en face de vous 1

L’effet de cette parole ne se décrit pas. Les deux IVères s’arrêtèrent, leurs épé(fs h'ur tombè-rent des mains, et ils se jetèrent avec empresse-ment dans les bras l’un de l’autre, après avoirnbsp;délacé leurs heaumes.

CHAPIÏRE XXXVI

Comment Galaor, en voulaiit venger un clievalier mort, s’éloigna de son frère Amadis, et de l’aventure amoureusenbsp;qui en fut la suite.

elui qui avail séparé Amadis et Galaor avail nom Balais; il étaitnbsp;seigneur du chateau de Garsantes,nbsp;dont on entrevoyait Ie donjon anbsp;travers les arbres. 11 emmenanbsp;vitement les deux frères en sonnbsp;chateau, oü sou premier soin futnbsp;de faire mettre un appareil ê leursnbsp;blessures, dont, fort heureusement,nbsp;aucune ne se trouva être dangereuse.nbsp;Ge fut alors qu’il leur appril qu’il étaitnbsp;l’un des chevaliers délivrés par Amadisnbsp;des prisons de l’enchanteur Arcalaüs.

Amadis ne pouvant aller lui-rnême en ce moment annoucer au roi Lisvart et ènbsp;la reine Brisène la bonne nouvelle de sa rencontrenbsp;avec Galaor, crut pouvoir envoyer Ie nain en sonnbsp;lieu et place; el Ie nain s’acquitta aussitótde cettenbsp;commission qui combla de joie la cour de lanbsp;Grande-Bretagne oü venaient précisément d’arri-ver Agraies, frère de labile et amant de la bellenbsp;Olinde; et Angriote, parent du roi de Norgales.

Peu de temps après, les blessures des deux frères se trouvant guéries, ou h peu prés, ils quitlèrentnbsp;Ic chateau de Garsantes, suivi de Balais, qui n’avaitnbsp;pu se decider A les laisser parlir seuls.

lis élaient arrivés A un carrefour de la forêt, lorsqu’ils apercureut au pied d’un arbre Ie cadavrenbsp;d’un chevalier dont un tronpon de lance Iraversaitnbsp;la gorge. Galaor, se doutait bien que quelque per-sonne de la ftmille de ce chevalier l’avait exposé IAnbsp;pour animer ceux qui Ie rencontreraient du désir

Galaor revint bienlót au carrefour sans avoir rencontré ame qui vive. Ses compagnons n’y étaientnbsp;pas encore revenus: il les attendit. II ii’était pasnbsp;IA depuis dix minutes qu’il entrevit une gente pucelle qui s’avanpait Ie long des arbres, d’un airnbsp;furlif et effarouché, quoiqu’elle fut suivie de quel-ques varlets.

— nbsp;nbsp;nbsp;Avancez, demoiselle, et n’ayez crainte, luinbsp;dit Galaor de sa voix la plus engageante. Je vousnbsp;jure, si vous vous conliez A moi, de vous prendrenbsp;sous ma garde et protection.

— nbsp;nbsp;nbsp;llélas 1 seigneur chevalier, répondit la gentenbsp;pucelle, A demi rassurée et en lui montrant Ie cadavre du chevalier au pied de l’arbre, ceci est Ienbsp;corps de mon père, Ie malheureux Anthebon!...


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lUBLIOTHEQUE BLEUE.

— J’ea ai entendu maintes fois parler, dit Galaor. G’ctait un vertuoux homilie et ua vaillaiit chevaliec.nbsp;Qui done a coinrais ce crime affreux de vous privernbsp;dun père et la chevalerie de son meiüeur appui?

—G’est Fodieux Palinques, seigneur chevalier!.. Palinques était Ie voisin de mon père... Après avoirnbsp;déshonoré sa vio par mille actions criminelles, ilnbsp;avait rassemblé dans sa forteresse plusieurs misé-rables comme lui, et 1^, depuis un an, ils désho-noraient los tilles les plus nobles qu’ils avaient en-levées aleurs families. La désolation était extréme

aux alentours..... Alors mon père, aidé de

plusieurs seigneurs ses voisins, vint faire Ie siége

de ce repaire et veuger 1'huraanité outragée.....

Hélas! firapunité semble acquise aux monstresl Tons les amis de mon père tombèrent dans lesnbsp;piéges que leur tendit Palinques, lous furent mas-sacrés, et mon père paitagea leur sorll... J’ai faitnbsp;exposer son corps Ift oü vous Ie voyez, dans l’espé-rance d'exciter la pitié et la colère des chevaliersnbsp;er rants...

Ge matin, nous étions venues, mes deuxeousines et moi, apporter comme a notre ordinaire Ie corpsnbsp;de mon père, et nous nous croyions a I’abri desnbsp;insultes de son lècheraeurtrier, lorsque tout-a-coui)nbsp;nous I’avons vu sortir de l’épaisseur de la forét

suivi de deux de ses complices.....J’ai élé assez

heureuse pour me derober a sa poursuite; mais mes malheureuses cousines sont certainement de-venues la proiede ses compagnons...

Pendant tout ce récit de la fille du chevalier Anthebon, Galaor I’avait considérée avec une attention qui s’était aisément changée en enthousiasme. Ses longs voiles noirs, dcchirés par lesnbsp;broussailles de la forêt, faisaient en effet mieuxnbsp;ressortir encore la blancheur de neige du visagenbsp;et du cou de cette gente pucelle; et son jeune coeur,nbsp;qui battait sous saguimpe comme celuid’un oiseletnbsp;sous la main de l’oiseleur, accusait si bien sesnbsp;formes divines, que Galaor, trés Mand de cesnbsp;beautés secrètes, ne pouvait porter sa vue ailleurs.

Gependant, quoiquo déja trèsépris, Galaor jugea que Ie moment était assez mal choisi pour avouernbsp;a la gente pucelle l’effet produit par elle sur sonnbsp;coeur.

— Ordonnez h vos gens, lui dit-il avec courtoisie, derelever Ie corps de ce chevalier, votre père, et permettez-moi de vous reconduire è votre ché-teau; après quoi vous me donnerez un hommenbsp;pour me conduire en vue de la forteresse denbsp;Palinques. Je me charge de venger Ie vertueuxnbsp;Anthebon!...

La jeune fille obéit, non saus remercier d’avancc son libérateur par un regard d’une eloquence tellenbsp;que, pour en mériter un second, il eüt accomplinbsp;1’impossible.

Quand Galaor 1’eut reconduite, il so fit è son tour conduire en vue du chöteau de Palinques, oünbsp;il arriva avant la nuit. Prolitant alors du reste dunbsp;jour, il se rnit ü examiner la forteresse et sesnbsp;almitours, ses tenants et ses aboulissants.

Pendant qu’ii allait et venait, observant tran-1^. place, il remarqua un chasseur, charge de gibier, qui montait au chateau par unnbsp;chemin tournant et entrait dans son enceinte parnbsp;une poterne qu il n avail pas apergue jusqu’alorsnbsp;dans ses investigations.

— Boni se dit Galaor. Get homme vieut de m’indiquer ce que j’ai è faireI...

Dès que la nuit fut venue, il suivit Ie chemin tournant qu’il avait vu prendre par Ie chasseur, etnbsp;se tapit dans une anfractuosité de ce senlier, horsnbsp;de vue, de la poterne, attendant quo quelqu’unnbsp;sortit du chateau par cette issue, la seule aborda-ble. II attendit ainsi toute la nuit.

Au lever du soleil, Palinques, inquiet de l’absence prolongée de ses deux compagnons de la veille,nbsp;fit sortir par la poterne quelques gens d’armesnbsp;pour aller è la découverte.

Galaor, au premier bi uit, s’était relevé, 1’épée amp; la main. La poterne ouverte, il y courut, terrassanbsp;les soudards qui se disposaient a sortir, et se frayanbsp;un passage dans l’inlérieur du chateau, malgré lesnbsp;efforts des autres satellites de Palinques, lesquels ilnbsp;terrassa comme il avait terrassé les piemiers. G’estnbsp;ainsi qu’il arriva üla chambre du meurtrier d’Anthebon.

— Trailre 1 lui cria-t-il d’une voix terrible, mon épée serail souillée si je la trernpais dans Ie sangnbsp;d’un lache tel que toil...

En disant cela, Ie vaillant Galaor se jeta sur Palinques, l’élreignit de ses bras vigoureux, l’enleva el l’alla jeter dans Ie torrent dont la forteresse élailnbsp;entourée. Puis il descendit dans les souterrains, senbsp;fit ouvrir les portes des cachots et rail dehors tousnbsp;les malheureux qui s’y trouvaient.

Parmi ces derniors, il y en eut un qui courut sur-le-champ au chéteau d’Anihebon annoncer sanbsp;délivrance et raconter par qui olie avait été opérèe.nbsp;Aussitót la gente pucelle, suivie de quelques parentes et de ses serviteurs, se rendit toute joyeusonbsp;au devant du vainqueur de Palinques, pour lequelnbsp;elle avait ardemment prié Dieu toute la nuit.

Galaor fut amené en Iriomnhe dans Ie chateau dont il avait vengé Ie maltrc. Un serviteur Ie sui-vait, portant au bout d’un épicu, comme on faitnbsp;d’une tête de béte fauve, la tètc du féroce Palin-(pjes, laquelle fut posée comme un trophée auxnbsp;pieds du cercueil du vertueux Anthebon.

Le frère d’Amadis, animé par l’éclatante victoire qu’il venait de remporter, n’en parut que plus beaunbsp;lorsqu’il eut délacé son heaume, et chacun fut sur-l)ris de trouver un héros sous le visage d un adolescent.

11 s’approchait courtoisement de la gente demoiselle qu’il venait de venger, et il s’apprêtait a lui baiser la main, lorsqu’emportée par la reconnaissance, et peut-être aussi par un scntimenl plusnbsp;tendre, elle attira son beau visage cf.nlic le sien etnbsp;1'embrassa è plusieurs reprises. Galaor lui rendit,nbsp;sans marchander, ces lendres caresses, les premières qu’eile donnait et recevait.

Get échange de baisers en ainena naturellemeut un autre, non pas sur le moment, mais le lendo-main et les jours suivants. Ge n’est pas pour riennbsp;que deux belles et fraiches bouches se joignent 1

A quinze ans, 1’innocente et pudique Anthebon ignorait qu’il y eüt danger ü rester seule pendantnbsp;de longues heures avec un chevalier encore dansnbsp;l’adolescence, et qu’elle trouvait assez beau puurnbsp;pouvoir le regarder comme une do ses compagnes.nbsp;llétaitsidoux, sicaressantetsirespectueuxl Aussi,nbsp;dès lendemain, ne craignit-elle point de se trouver


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LE chevalier de LA MER. 47

LE chevalier de LA MER. 47

plus

seule avec lui el de parcourir, mollement appiiyóe sur son bras, uu jardin d’ombrapes mystérieux.

Au bout de quelques tours de promenades, ils s’arrèlèrent d’un coiuniun accord sous un dome denbsp;feuillage formé par rentrecoisement de plusieursnbsp;arbrisseaux. L’lierbe croissait bi épaisse et drue, etnbsp;formait coinmc un siége naturel, invitant au repos.nbsp;Les deux jeunes geus s’y assirent, sans sonnernbsp;mot. Leurs coeurs seuls parlaient, et assez haul,nbsp;puisqu’on les entendait battre.

Pendant qu’ils étaient b'i, immobiles et mucts, regardant vaguement devant eux pour fuir Ie perilnbsp;de leurs mutuels regards, deux oiseaux vinrenl senbsp;poser sur une ramure voisitie et commencèreut cenbsp;manége amoureux, si plein de grace et de coquet-terie, qu’on leur connait. D’abord, Ie regard de lanbsp;gento pucelle, un peu elïarouché, voulut fuir conbsp;spectacle contagieux, et, pour Ie fuir, se tourna dunbsp;cóté de Galaor, dont Ic regard avail pris la mêraenbsp;direction.

— nbsp;nbsp;nbsp;llss’aimentl murmura Ie beau chevalier ennbsp;soupirant. Ils sont heureuxl

— Que vous manque-t-il done pour l’être, chevalier? deraanda la jeune lille en baissant inyolon-tairement les yeux, de peur de lire une réponse trop expressive dans ceux de son compagnon.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ce qui rne raanque? répéta Galaor en entou-rant de sm bras Irernblaut Ie corsage de la gentenbsp;pucelle, de facon a sentir son ceeur de quinze ansnbsp;palpiter sous sa main. Ce qui me raanque? Ahl sinbsp;j’étais oiseau, rien nememanquerait a cette heurol

La jeune fllle ne répondit rien, mais elle n’op-posa aucuiie resistance au bras de son nudacieux compagnon qui cherchait a l’attirer petit h petitnbsp;sous ses baisers. Bientót mêrae, cédanl a la mapionbsp;de ce contact viril qu’elle subissait pour la premierenbsp;fois desa vie, elle s’abandonna tout-fi-fait, et ii luinbsp;sembla, en ce moment, que les deux oiseaux, leursnbsp;voisins, chantaieut plus tendrement encore, commenbsp;pour I’inviter a chanter comme eux. Elio se fitnbsp;oiselle et Galaor se lit oiseau...

Au bout de quelques heures, les deux jeunes gens sortaient de cette retraite orabreuse, ou ilsnbsp;ayaient ccouté avec tant de plaisir la voix des licen-cieux rossignols.

— Ilelas! dit la jeune fille a Galaor, en lui servant tendrement la main, peut-être vais-je vous perdrenbsp;bientoll... Vous m’oublierez, tandis que le souve-

mr de ce moment sera roccuuation etcrnelle do niaviel...

Galaor voulut la rassurer par de nouvelles caresses...

mêmes caresses qui me font •.Qi.ija murmura tendrement sa belle et amou-e compagne. Je ne piiux penser, sans tristesse,nbsp;que vous les prodiguerez peut-èlrebientótcid’autresnbsp;quémoi!...

— nbsp;nbsp;nbsp;Nou, belle et tendre amie, répondit Galaor,nbsp;je vous airaerai toujoursl...

Galaor étaitde bonne foi, k ce momenl-lS, comme la plupart des amoureux. L’Amour qui le connais-sait mieux qu’il ne seconiiaissaitlui-mème, écoutaitnbsp;on riant ses serments; mais il lui permit de lesnbsp;repeter bien souvent encore pendant les trois joursnbsp;qu il s’arrèta au chateau d’Antbebon.

Ge ne fut pas sans regret qu’au bout de ces trois jours Galaor apprit l’arrivée d’Amadis et de Balaisnbsp;de Carsantes, avec les deux cousines qu’ils avaientnbsp;rencontroes dans la forêtet délivrées des mains desnbsp;complicesdePalinques;lesquelles cousines n’avaientnbsp;pas d’aussi bonnes raisons de regretter leurs chevaliers que celle dont Galaor était forcé de senbsp;séparer.

GHAPITRE XXXVII

ComTnent Galaor, Amadis et Balais quittèreiit le chateau d’Anthebon, le premier avec regret, le second avec plaisir,nbsp;et ie troisième avec indifférerice.

Amadis, qui n’avait pas les mêmes raisons que son frère de rester au chateau d’Anthebon, pressanbsp;le depart le plus qu’il put, et, quelques jours après,nbsp;Galaor, Balais et lui, arrivèrent a la cour du roinbsp;Lisvart.

Ou devine I’accueil qui fut fait au preux des preux et a ses compagnons. On devine rémoliohnbsp;qui s’erapara d’Araadis et d’Oriaiie lorsqu’ils senbsp;revirent

— nbsp;nbsp;nbsp;Ce chevalier, madame, dit Amadis it la reine,nbsp;en lui présentantson frère Galaor, désire partagernbsp;avec moi fhoiineur de vous servir.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ah! madame, dit it son tour le roi eu s’empa-rant du bras droit de Galaor, je compte trop surnbsp;votre justice et sur voire amitié pour craindre quenbsp;V0U3 me fassiez le tort de I’accepter... Quo vousnbsp;reste-t-il it desircr, quand vous avez Amadis pournbsp;chevalier? Ne m’otez pas la gloire et le bonheurnbsp;d’acquérir Galaor pour le mien...

Durant ces propos, Orianc, Olinde et Mabile s’étaient écartées pour deviser entre elles. Elios au-raient bien voulu pouvoir deviser avec Amadis;nbsp;mais comment faire? Amadis était dans le cercle denbsp;la reine, avec Galaor et son cousin Agraies, et ilnbsp;racontait quelques-unes de ses aventures. Lors,nbsp;Blabile, en fille avisée, devina bien qu’en attirantnbsp;a elle son frère Agraies, Amadis, son atm, in sui-vrait, ce qui arriva. Oliiide et Oriane pureul enfmnbsp;contempler amp; leur aise leurs amants.

— nbsp;nbsp;nbsp;Quoique je sois it présent entre les quatre

personnes que j’aimele mieux au monde, ditbientot Mabile en riant, il faut que je les quitte uii moment..... J’espère qu’elles me pardonneront dit les

laisser ensemble...

Agraies et Olinde, Amadis et Oriane restèrent done seuls. Une fois reunis, ils ne songèrent plusnbsp;qu’au plaisir qui naissait de leur reunion, sausnbsp;vouloir s’occuper d’autre chose; si bien que, quoi-que a quelques pas les uns des autres ces quatrenbsp;amants n’eurent d’oreilles que pour ce qui lesnbsp;concernait personnelleraeiit. Olinde et Agraie.snbsp;causaient d'un cóté, Amadis et Oriane devisaii nt donbsp;I'anlre.

_Ahl cher Amadis! murmura tendrement la

fille du roi Lisvart, que le perfide Arcalaüs m’a fait vevser de larrnesl Sans votre aimable cousinenbsp;Mabile, qui ra’assurait que vous viviez encore pournbsp;m’aimer encore, depuis longtemps je ne vivraisnbsp;— Ahl chère Oriane! murmura Amadis, si votre


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BIBLIOÏHÈQUË BLEUE

divine image n’avait pas été sans cesse présente raon souvenir et è mon cceur, je serais mort, moinbsp;aussil... Mais, hélas! que me scrt de vous revoir?nbsp;et ne vais-je pas mourir chaque jour de mille morts,nbsp;en me voyant toujours aussi loin de la seule espé-rance qui puisse me rendre la vie plaisante?

— Ah ! mon ami, réponditOriaue, les joues bril-lantes de ce feu dont l’amour se sert pour embellir la jeunesse, Ie temps de notre reunion definitive,nbsp;c’est-èi-dire de notre bonheur, ne sera peut-ètrenbsp;pas si éloigné que vous Ie croyez... Je sens que je

ne peux plus vivre, moi aussi, sans m’assurer de votre amour par Ie don mutuel de noire foi... Oui,nbsp;doux arni, je me sens capable de tout braver, jus-qu’a la colère du roi mon père, pour trouver l’oc-casion de recevoir vos serrnents et volre mainl.....

Et en disant cela, Oriane pressa doucement, du bout de son joli pied, Ie pied d’Amadis, qui ennbsp;tressaillit d’aise et répondit amp; cette agréable pres-sion par une autre.

A partir de ce jour-lè, Arnadis et Oriane passè-rent de bien douces heures.


Mik


»¦ iHBp. de BflY alrjé, boalcvart WuBt(;arnesse, Oi.

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LE BEAU TENÉBREUX

CEIAPITRE PREMIER

Comment Amadis cl Galaor 1'urent rcquis dc vcnir au sc-cours d’unc dame , cl comment ils en furonl récom-pensés.

Vindisilore, qu’habitait la familie royale, fut bicntot abaudonné, Ie lomps ctant arrivé oü lanbsp;cour de Lisvart dcvait aller babiter Londres pournbsp;s’occuper d’objets plus séricux que des fêles, Lenbsp;retour s’effectua done, et bicntot les bords de lanbsp;Tamise furent couverts de tentes brillantes.

Les pavilions dressés pour le roi, la reine, les princesses et leur suite, avaient unc grande enceinte enrichie d’arbustes, de parterres, de fleursnbsp;et do fruits. Les jardiniers s’aperQurent bientótnbsp;lU’Ainadis y cueillait souvent des guirlandes pournbsp;Oriane, et ils se plaignirent a plusieurs reprisesnbsp;des degats qu’y commettait le volage Galaor avecnbsp;ses airaables cousines. Des illuminations, des fèlesnbsp;sur la ïainise, des carrousels, furent le préludenbsp;des tournois 'et des banquets royaux qui devaientnbsp;leur succeder.

Pcude jours après le retour de Vindisilore, plusieurs seigneurs des pays voisins se firent annon-ccr i la cour de Lisvart; entre autres, Barsinan, seigneur de Sansuègne, lequel venait la commenbsp;outil du traltrc Arcalaüs, qui lui avail promisnbsp;Oriane et le royaume de la Grande-Bretagne...

Le lendetnain, au moment oü toiite la jeunesse SC rasserablait autour des tentes royales avec eet airnbsp;, riant et animé que donne l’attente du plaisir, on vil

Série. — 1


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BIBLTOTHEQUE BLEUE.

arriver une dame, couvertc de longs vêlements do deuil, qui se jeta incontinent aux pieds du roi onnbsp;lui demandant justice.

— Qu’est-cc done, madame? lui demanda Lis-vart en la relevant avec bonté.

— Sire, répondit-olle, une dame de mon voisi-nagc avait pour chevalier un jeune homme plein d’arrogance, qui, plusieurs fois, avait outrage donbsp;paroles mon oncle et mon père. II fut appelé aunbsp;combat par eux, et il pérdit la vie... Sa maitresse,nbsp;qui est d’un lignage supérieur au mien, a fait ar-rêlcr, a cause de cela, mon oncle et mon pèrenbsp;qu’elle retient dans une odieuse prison... Tout ccnbsp;que j’ai pu obtenir d’elle a été ccci : elle me lesnbsp;rendra, si vous permettez que votre chevalier otnbsp;celui de la reine viennentlui demandcr leur grace,nbsp;et si vous lui nommez un chevalier en remplacement de celui qu’elle a perdu...

A ces mots, la dame en deuil quitta les genoux du roi pour se jeter aux genoux de la reine, a quinbsp;elle répóta la mème prière en redoublant scs sau-glots, ct on levant ses yeux pleins de larmes versnbsp;la belle Oriane, comrae pour provoquer sa pitié.

Lc roi, consultant la reine du regard, rópondit qu’il ne s’opposorait point a la bonne volonté desnbsp;deux chevaliers s’ils voulaient libreinent la suivre.

Cela intéressait Amadis et Galaor. Cc dernier nc demandait pas raieux que d’etre Ie chevalier de lanbsp;dame on question, pourvu qu’elle fut jeune ctnbsp;belle. Quant a Amadis, il ne voulait pas s’éloignernbsp;de sa chore üriaiic saus sou autorisation. Orianenbsp;lui fit un signc qu’il comprit : il offrit sur-le-champ a la dame en deuil de la suivre.

— Partons, madame, dit Galaor qui airaait trop son frère pour 1’abandonner un seul instant, partons .' car je brüle, pour ma part, dc dégager votrenbsp;parole et de reveuir promptcnicnt prendre part auxnbsp;letcs que vous nous obligcz de quitter...

La dame en deuil, s'atisfaite d’avoir obtenu ce qu’clle demandait, fit son rcmcrcicmcnt ct se re-tira, suivie d’Amadis ot dc Galaor.

Tout Ie roste du jour fut employé ii inarclier. A la nuit fermée, ils arrivèrent è dc riches pavilionsnbsp;que la dame en deuil leur dit avoir fait dressor pournbsp;les recevoir, ayant toujours ospéréde leur généro-sitc qu’iis ne lui refuseraient pas leur concours.nbsp;Quclques minutes aprés, ils desoendaient de chc-val ct ils ctaient entourés par un grand nombrenbsp;d’écuyers, dc varlets ct de jeunes demoiselles, quenbsp;Galaor trouvait trés appétissantes, et ([ui s’cmprcs-saient a les désarmcr et é les servir.

On soupa. II y eut mets et vins a foison. Vers la fin du repas, vingt hommes armés de pied cn caj)nbsp;entrèrent brusquement sous les pavilions oü rnan-geaient et buvaient tranquillcment Amadis ct Galaor, ct ils leur crièrent d’unc voix terrible :

— Rendez-vous, ou vous êtes morts!

_— Nous nc nous rendons jamais a des traitres! répondirent les deux frères en se levant ct cn senbsp;precipitant sur les premiers hommes pour s’ein-parer dc leurs épées. Mais, malgré leur héroïsme,nbsp;lis eussent été massacres, étant^ a jicine vêtus, sinbsp;1 ordrc exprès n'avait été donné aux vingt hommesnbsp;d armos dc ne les point frapper.

Une dame jeune ct belle parut alors.

Rendez-vous, leur cria-t-ellc, nc me forccz point a vous faire donner la mort!...

— nbsp;nbsp;nbsp;Par saint Denis! dit Galaor h son frère, cettenbsp;dame est trop belle pour être cruclle... Je consensnbsp;volontiersh être son prisonnier, pourvu qu’elle menbsp;garde longtemps dans scs bras... Qu’en dites-vous,nbsp;mon frère^? Nc vous convient-il pas de lui donnernbsp;notre parole?

— nbsp;nbsp;nbsp;J’y consens comme vous, mon frère, répon-dit Amadis, quoique i regret. Madame, ajouta-t-il,nbsp;nous nous rendons a vous, comme vos prisonniers.

GIIAPITRE II

Comment Amadis ct Galaor, lonibês au pouvoirdelacoiisinc do Dardan, sortirent dc sos mains.

adasimeétaitlcnom do cette jeune damenbsp;qui venaitainsi d’in-tervenir. Elle étaitnbsp;la cousine dc Dardan, ct comme ellenbsp;savaitque sonmeur-trier appartenait ènbsp;la cour du roi Lis-vart, elle avait voulu scvenger, ct, ennbsp;consequence, elle avait envoyé lanbsp;dame cn deuil que 1’on connait main-tenant. Mais elle ignorait encore Ienbsp;nom de scs deux prisonniers. II luinbsp;suffisait d’avoir fait cnlcver, sous lesnbsp;yeux du roi, deux dc scs chevaliersnbsp;qu’cllc destinait a une prison perpé-tuclle.

Après avoir annoncé aux deux frères Ie sort ([ui les attendait, elle voulut lesnbsp;faire charger do chaioes; mais Amadis et Galaor luinbsp;dcclarèrent qu’ils préféraient la mort a rignominienbsp;d'etre touchés par des soudards.

— Ge n’cst que de votre main, madame, dit cour-toisement Galaor, que nous pouvons recevoir des chaines!...

A ces mots, il remit ses mains dans les blanches mains dc Madasime, cn la regardant avec des yeuxnbsp;si expressie qu’ellc se troubla ct que, prêtc a lesnbsp;serrer, elle se contenta dc les attacher légèrementnbsp;avec un ruban dc ses cheveux. Amadis, è son tour,nbsp;vint lui présenter les siennes, ct il regutle mêmcnbsp;traitement que son frère.

Madasime s’étant éloignée un moment pour donner quclques ordres, la dame cu deuil qui avait amené les deux frères en prolita pour s’approchcr.nbsp;Son père, vieil et loyal chevalier, avail recoununbsp;Amadis et Galaor ct il lui avait fait les reprochesnbsp;les plus apres d’avoir trempé dans une si noirenbsp;trahison qui pouvait priver la Grandc-Bretagne denbsp;scs deux plus vaillants chevaliers. Lors, pour répa-rcr cette fautc, cite était venue pour avertir Amadis qu’il obtiendrait facilemeut sa liberté de Madasime, a la condition assez douce dc la servir commenbsp;chevalier et comme amant.

L’amantd’Orianc aurait pu acccjiler la première partic de la condition; mais la secon lc lui fit horreur, et il la repoussa comme il convenait. Maisnbsp;Galaor, qui n’ctait engage nullc part ct qui ne


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LE BEAU-TENEBREUX. 3

demandait fi l’amour que les emotions passa gères qu’il accorde si facilement, et non les emotions pro-fondes qui durent vie d’homme, Galaor ne balanganbsp;pas h accepter cette seconde par tie de la condition.

— Qu’il est doux, madame, de vous être soumis I dit-il a Madasime lorsqu’elle reparut. Ce faiblc ru-ban, un seul de vos regards suffisent pour cnchai-ner a jamais un cceur tendre... Mais, belas! quenbsp;peuvent done espérer de malhcurcux chevaliersnbsp;que, jusqu’è ce moment, vous avez l’air de regar-der comme vos ennemis?...

— nbsp;nbsp;nbsp;II lie liendrait qu’fi vous de cesser bientót denbsp;Tètre, rèpondit Madasime; mais je vous crois tropnbsp;attachés è l’injustc Lisvart pour ne pas craindre denbsp;vous voir bientót les arraes a la main pour l’aidernbsp;k me déposséder...

— nbsp;nbsp;nbsp;Ahl madame, reprit Galaor, quoique chevaliers de Ia cour duroi Lisvart, nous nc sommes pasnbsp;a sa solde et nous ne prêtcrons jamais notre brasnbsp;ó l’injustice.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ge n’en est point assez, rópliqua Madasimenbsp;que Galaor continuait a regarder avec ses jeux ar-dents d’amour. Non, vous ne serezlibrcs tous deuxnbsp;que lorsque vous ra’aurez juré de me secourir con-tre Lisvart lui-mème, s’il m’attaquc et si je vousnbsp;rappelle auprès de moi...

Amadis eut bien de la peine i se résoudre a prêter ce serment contre Ie père d’Oriane, maisnbsp;enfin il s’y déekla dans la craintc d’etre trop Ionp-temps séparé de sa mie par une odieuse captivite.

Quant a Galaor, il prêla Ie sien avec tant d’en-thousiasme, il baisa si tendrement les belles mains qui dénouaient lentement Ie rnban qui relcnait lesnbsp;siennes attacbces, cpie Madasime finit par abandoa-ner tont projet de vengeance pour so livrer toutnbsp;entière a un sentiment qui venait d’envahir sonnbsp;ame.

II était tard. Madasime flt rendre aux deux frères leurs arraes et leurschevaux, et, saüsfaitedes’êtrenbsp;assure leur concours, Ie cas échéant, ello montanbsp;sur une haquenée et les conduisit ellc-mcme aunbsp;chateau d’unc dame de son lignagc, pour y passernbsp;la uuit.

Getto dame rcQut les nouveaux arrivants avec au-tant de grace quo de magniücence. Ello féliciti Ma-dasirae sur l’acquisition qu’elle venait de faire de deux chevaliers qui, ayant dclacé leurs heaumes,nbsp;lui parurent charmants.

Lo souper fut cc qu’il devait être, abondant el cnoisi. Mets et vins 1'urent servis é foison; si bicunbsp;que te couir de Galaor fut compléteraent incendié,nbsp;ainsi que celui de Madasime.

Ho nbsp;nbsp;nbsp;^^'^jl'sjcuait do rcnouveler Ie serment

'quot;is '¦gt;

J)lo a cote d olie, s ccria vivemcnt •

— Nonl^ ce nest point assez 'd’un seul voeu. l uissent s accomphi tous ceux que je fais nournbsp;elle!...nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;‘

Et, en disant cela, Galaor chorchait, Irouvait et pressait doucement un petit pied qu’on ne rctiranbsp;pas. Un regard charmant, accompagné d’uii ado-cable sourne et d’uno roirgeur significative, furonlnbsp;la réponsc au voeu particulier quo veuait de formernbsp;1 amoureux chevalier.

Quant a Amadis, distrait par Ie souvenir incessant de l’incomparalfie Oriane, il ue songea pas un seul instant !j oiïrir a la dame du chateau autre

chose que son bras et son épée, c’est-è-dire les deux seules choscs dont ello n’eüt pas besoin pour Ienbsp;présent. Aussi, piquée de l’indifférence d’Amadis,nbsp;et peut être jalouse de ce qu’elle prévoyait pournbsp;Madasime, feignit-il d’etre indisposée et d’avoir besoin de repos.

Ge fut Ie signal de la retraite générale. Amadis et Galaor se retirèreiit dans la charabre qui leur étaitnbsp;destince, et Madasime alia coucher seule dans unenbsp;autre chambre située au bout d’un long corridor.nbsp;Bientót, Ie silence se fit dans Ie chateau ; chacunnbsp;dormait ou essayait do dorrair. Seuleraent, vers Ienbsp;milieu de la nuit, Amadis, en se révcillant, s’aper-Cut que sou frère n’était pas la. II l’appela : on nenbsp;rèpondit pas. Etonné d’abord, il allait se lever pournbsp;savoir ce que cela sigiiifiait; mais, après avoir ré-fléchi un instant, il se mit a sourire et il se rendor-mit en songeant a Oriane.

Aux premières clartés de l’aube, comme Amadis craignait que leurs hótesses rie cherchassent quel-que prétexte pour l’arrêtcr plus longtemps auprèsnbsp;d’elles, ainsi que sou frère, il s’arma cl descenditnbsp;dans la cour, oü il fit préparer les chevaux. Galaor Ic rejoigiiit. Ils reprirent Ie chemiii de Loiidrcs.

GAAPITRE III.

Comment un chevalier ü Ia barbe fleurie-blancbo s'cn vint un malin réclamer du roi l.isvart un dépot qu’il lui avaitnbsp;confic, et, nc Ie rctrouvant pas, emporta Oriane commenbsp;otage.

Le leudemain du jour oü Amadis et Galaor quit-taient la cour du roi Lisvart, un vieux chevalier y arrivait.

Deux raois auparavant, ce vieux chcvelier avait apportc au roi, dans uu coffre de bois de santal,nbsp;une couronne d’or enrichie dc pierreries, et, a lanbsp;reine, un riclie ct précieux inanleau oriental. Onnbsp;avait voulu le payer, quoique ce fut Ut un présentnbsp;inappreciable, mais il avait declare qu'il revien-drait au bout dc deux mois, soit pour rcprcniirenbsp;la couronne et Ic inanteau, soit pour en recevoirnbsp;le prix qu’il fixerait lui-mêrac. Le roi ct la reinenbsp;avaient consenti.

Or les deux mois étaient ccoules ct le chevalier a labarbe fleurie-blanche revenait. Hclas 1 couronnenbsp;et maiiteau avaient préciséraent été enlevés la veillenbsp;par une main raystérieuso, sans que les recherchesnbsp;les plus actives eussent pu mettre sur la trace dunbsp;ravisseur ; ce dont la reine et le roi, d’abord affli-gés, s’étaiciit consolés en pensant qu’ils étaient assez riches pour en fournir le prix qu’on leur de-raandcrait.

— Sire, ditle vieux chevalier en venant se jeter aux pieds dc Lisvart, je m’étonne que, dans cesnbsp;graiids jours de fête, vous aycz dédaigné de porternbsp;la couronne brillante que j’avais déposéc entre vosnbsp;mains... Et vous, iiiadaine, ajouta-Gil en se tour-naiit vers Brisène, comment se fait-il que vous nenbsp;soyez jias paree du plus beau inanteau que jamaisnbsp;reine puissc porter?

Le roi et la reine, embarrassés, baissèrent les yciix sans rien répondre.

—• Que signifie ce silence? reprit le vieux che-*


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BIRLIOTHEQUE BLEUE.

valier effrayé. Ah 1 Sire, ma tèt edépend de ces deux riches joyaux ; il faut que je parle, que je lesnbsp;rende ou que j’en rapporto Ie prix!... Et ce prixnbsp;sera peut-être tel, que vous refuserez de me Ienbsp;donner, malgré la parole royale que j’ai recuo denbsp;vous...

— nbsp;nbsp;nbsp;Ne craignez rien, chevalier, répondit Lisvart.nbsp;J’atteste Ie ciel que je perdrais plutöt ma couronnenbsp;et ma vie que de manquer a la parole que je vousnbsp;ai donnéel... Dites done hardiment quel prix vousnbsp;exigez de la couronne et du manteau qu’il n’estnbsp;plus en raon pouvoir de vous remettrel...

Pendant cette espècede débat, une grande parlie de la cour s’était rassemblée autour de Lisvart etnbsp;du chevalier amp; la barbe blanche. Ce dernier, bai-sant les pieds du roi, avec Pair de la plus grandenbsp;reconnaissance, lui dit;

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, je ne parlerai point que je n’aie parolenbsp;que personne de votre cour ne mettra d’obstacle hnbsp;l’elfet de celle que vous m’avez donnée...

Le roi lit alors publier hautement que personne n’eüt a s’opposer a tout ce qu’il était oblige, parnbsp;son sermeiit, d’accorder au chevalier a la barbenbsp;fleurie-blanche.

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, poursuivit ce dernier en pleurant, puis-quo le sort-a voulu que vous ayez perdu la couronne el le manteau que j’avais mis. en depót entrenbsp;VOS mains, il faut que vous me remettiez votre fillenbsp;ainee, la princesee Oriane, ou que je perde la têtenbsp;et que vous manquiez k votre parole...

A cette conclusion inaltendue, la reine et la cour avec ellc élevèrent un cri de surprise et d’indigna-lion. Le roi, appuyant sa main sur ses yeux, restanbsp;dans la consternation et dans le silence...

— Quelle reponse, Sire, recevrai-jc do vous? reprit le vieux chevalier d’une voix ferrne et ennbsp;relevant fièreraent la tête, malgré les mineurs me-nagantes de la cour. Votre réputation et ma lêtonbsp;en dependent...

— Ma réponse n’est pas douteuse, répondit Lis vart, faisant un violent effort sur lui-même pournbsp;dissirauler sa suprème douleur. Prends Oriane,nbsp;barbare, prends rnon bien Ic pluscher, après l’hon-neur! Ah 1 que ne m’as-tu plutót demandé la vie?.

La reine, en entendant cette réponse, jeta un cri et s’évanouit; on l’eraporta.

Alors le roi so rendit chez Oriane, suivi du vieux chevalier.

— Ahl ma fille, s’écria-Lil en la serrant avec passion dans ses bras tremblants, et en versant unnbsp;torrent de larmes, que puis-je, hélas! si ce n’estnbsp;de tenirma promesse et d’en mourir de douleur?...

— Ah! ma miel ma mie! s’écria ó son tour Ma-bile en se jetant au cou d’Oriane, on veut vous en-lever è notre amiiié!... Mais on m’arrachera plu tót la viel...

— Ah! cher Amadis 1 murmura Oriane en tom-bant sans connaissance aux pieds de son père.

— Prends ta victime! reprit cc dernier d’unc voix désespérée. Prends ta victime! Mais permetsnbsp;au moins, pour rendre moins apre sa séparationnbsp;d’avec nous, que cette demoiselle, son ainic, l’ac-oorapagne...

Jy consens, répondit le vieillard; de plus, elle sera cscortée par deux chevaliers et deuxnbsp;ccuyers.

Quelquos instanls après, Oriane et la demoiselle de Danemark quittaient la cour attristée.

Blabile, atterrée d’abord de co départ, revint bientèt a elle, et, apercevant Ardan, le nain d’A-madis, monté sur un bon coureur ;

— Cours vers ton raalheureux maitre, lui cria-t-elle. Fais tout au monde pour le trouvcrl Ap-prends-lui qu’on enlève Oriane! Lui seul peut la secourirl...

Le fidéle Ardan, h ces mots, enfonca ses éperons dans les flancs de son cheval et te lanqa sur le che-min qu’il savait devoir être pris par Amadis et parnbsp;Galaor. Pendant ce temps, eeux qui s’étaient cm-parés d’Oriane marchèrent en diligence et s’enfonnbsp;cèrent dans les profondeurs de la forét.

CHAPIÏRE IV.

Comment une perfide demoiselle, abusant de la géuérosild du roi Lisvart, le lit combaltrc centre Ie cousin du traitrenbsp;Arcalaüs, et comment ce malheureux prince fut emmenénbsp;prisonnicr par les ravisseurs de sa Alle Oriane.

ons les chevaliers de la cour du roi Lisvart n’avaient pu appren-dre l’enlèvement de I’incompa-rable Oriane, sans en êlre in-dignés et sans essaycr de s'ynbsp;opposer. Par ainsi, beaucoupnbsp;d’entre eux s’étaient armés a lanbsp;hate et s’étaient lancés sur lesnbsp;traces des fugitifs.

Le roi Lisvart, k son tour, roide dans ses serraents et dans leur par-faite exécution, en apprenant le départ de ses mcilleurs chevaliers et lanbsp;raison de ce départ, voulut s’y opposer, dans l’intérêt de son honneur etnbsp;desa loyautó. II partit a Ia hale, comme eux, maisnbsp;sans prendre d’armes.

Comme il chevauchait, l’ame mélancolieusc, le coeur plein d’aprp soucis, il vit venir h lui, sur lanbsp;lisiére de la forêt, une demoiselle qu’il reconnutnbsp;pour ctre celle k laquelle il avail promis un donnbsp;quelque temps avant sen départ de Vindisilore.

Ellc portait a son cou un écu d’acicr poli, avec une riche épée, et tenait en sa main une lanconbsp;dorée.

— Sire, dit-olle ii Lisvart, je viens voir si vous savez exécuter d’aussi bon ceeur vos promesses,nbsp;que vous avez l’air de les faire...

— Ah 1 répondit le roi navré, quel temps pre-nez vous, grands dieux 1 pour me demander de les ac-complirl N’importcl je veux que vous soyez sürcnbsp;que mon courage et ma fidélité a ma parole sontnbsp;au-dessus de roes malheurs... Parlez done : qu’cxi-gez-vous (le moi ?

— Sire, un barbare cbatelain a massacre mon père qui s’opposait a l’outrage qu’il me voulaitnbsp;faire... Depuis ce temps, il roste impuni, Arcalaüsnbsp;son i)arent lui ayant assuré qu’il ne pouvait périrnbsp;de la main d’aucun chevalier, k moins que le plusnbsp;vertueux d’entre ceux de la Grande-Bretagne nenbsp;le frappe de cette lance ou de cette épée que je luinbsp;ai dcrobécs et que je remets entre vos loyalesnbsp;mains... 11 ignore que ces armes ne sont plus en sa


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LE BEAU-TENEBRETJX

possession, et, sur de rimpunité,ü se promène souvent dans cette forêt, pour braver les chevaliers que j’engagerais venger mon père... Tout hnbsp;rheure, je l’ai aper^u a peu de distance d’ici, etnbsp;si vous vouUez me suivre, nous Ie rencontrerionsnbsp;aisément...

— Conduisez-moi, réponditleroi, qui portait un vaillant coeur, en s’emparant des armes de Ia demoiselle.

Gelle-ci ne se Ie fit pas dire deux fois. Elle mar-cha devant lui et Ie conduisit dans Ie chemin que venaient de prendre préeisémeut les ravisseursnbsp;d’Oriane. A peine eurent-ils fait cinq cents pas,nbsp;qu’ils aperQurent un chevalier couvert d’arinesnbsp;vertes.

— Sire, voila Ie meurtrier de mon pèrel s'écria la demoiselle en simulant l’effroi.

Lisvart dèfia Ie chevalier aux armes vertes, et, incontinent, s’élanga sur lui, la lance en arrêt, la-quelle, a son grand ébahissement, se brisa commenbsp;verre jusqu’i Ia poignée en Ie touchant. Son ébahissement redoubla lorsqu’ayant tiré l’épée, il lanbsp;vit se briser, comme la lance, au premier coupnbsp;qu’il porta h son ennerai. On Tavait trahi 1

Lisvart ne savait pas reculer. Quoique désarmé, il pouvait lutter encore. Lors, il saisit son ennerai

Kar Ie miheu du corps et I’cnleva de sa selle. Mal-eureusement Tautre l’enlraina dans sa chute.

— Aecourez, accourez 1 seigneur Arcalaüs, cria alors la perfide demoiselle. Accourcz ou votre cousin est mort.

Arcalaüs, qui ródait dans les alentours, fondit comme un vautour sur Ie lieu du combat, suivinbsp;d’une dizaine de soudards ii ses ordres. Le roinbsp;Lisvart regut un coup de lance, puis on le couvritnbsp;de chaines, on l’attacha solidement sur un chevalnbsp;et on l’enleva.

— Gonduisez ce mediant roi dans mes prisons de Daguanel, dit Arcalaüs a la moitié de sa suite;nbsp;moi, je vais conduire la belle Orianc dans monnbsp;chateau du Mont-Aldin 1 Et vous, ajoiita-t-il ennbsp;s’adressant li 1’un de ses satellites, courez h Lon-dres, oü setrouveBarsinan, etdites-lui quejetiensnbsp;ünane et Lisvart en ma puissance, et qu’il estnbsp;temps qu’il agisse pour 1’exécution du projet quenbsp;nous avons arrêté.

Puis ces misérables s’éloignèrent, et la forêt re-jpnt son silence accoiitumé qui ne fut trouble qu’aii bout de quelques heures par le bruit du galop denbsp;trois chevaux. G’étaient Amadis, Galaor et Ganda-m qui accouraient è toute bride, après avoir élénbsp;Inbsp;nbsp;nbsp;nbsp;Ardan et après avoir traversé

oar tl nbsp;nbsp;nbsp;arrêter. Gandalin soul, reconnu

tancp de nbsp;nbsp;nbsp;P'issait è quelque dis-

I nbsp;nbsp;nbsp;«’^ait fait une halte de quel

______— xjv 'JU s était paS“

see la courte lutte que nous venons de racontcr, Amadis et Galaor apergurent sur la terre les tron-gons d’une lance fraichement brisée. Quelquesnbsp;pasleurs qui se irouvaient \h leur apprirent qu’unnbsp;chevalier de haute taille, qu’ils avaient entendunbsp;appeler Arcalaüs, avait attaqué dans ce bois unnbsp;vieux chevalier mal armé, 1’avait fait lier sur unnbsp;cheval par ses gens et leur avait donné l’ordre denbsp;le conduire en prison dans 1’une de ses fortcresscs,

tandis qu’il enlevait lui-même deux femmes, dont Tune était d’une raerveilleuse beauté 1

— Nous sommes sur les traces des misérables ravisseurs d’Oriane et de son père! dit Amadis ènbsp;son frère. Ils ont passé par ici 1 Mais quel cheminnbsp;ont-ils pris? La route ici se bifurque... Ont-ils prisnbsp;le sentier de droite ou le sentier de gauche?...

Lors, après avoir réfléchi pendant quelques instants, Amadis pria Galaor de prendre la route de droite, et, quant a lui, il prit celle de gauche et s’ynbsp;engagea avec une impétuosité et une rage indes-criptibles.

GHAPITRE V.

Comment Amadis, laned sur la piste de sa mie Oriane, finit

par la rctrouver et l’arracher A ses ravisseurs, et comment

il en fut récompensö.

Si bier» courut Amadis que, vers la fin de la jour-née, il atteignit un chateau oü le bruit des servi-teurs lui apprit que le maitre venait d’arriver.

Amadis se retira, pour passer la nuit, dans uu coin du bois qui environnait ce chateau, et, auxnbsp;premières heures de 1’aurore, il était debout, attendant.

Son attente nefut pas de longue durée. La porte de la forteresse s’ouvrit, et Arcalaüs sortit, suivi denbsp;plusieurs hommes d’armes et de deux écuyers quinbsp;tenaient fortement embrassées la belle Oriane et lanbsp;demoiselle de Danemark.

A cette vue, le sang d’Amadis fit trois tours, et s’il n’avail été solidement assis sur ses étriers, il senbsp;fut baissé choir sur l’herbe, par suite de 1’émotionnbsp;immense qu’il ressentait. II se continttoutefois, et,nbsp;dévorant sa rage, il se plaga en embuscade dans unnbsp;fourré assez épais qui bordait la route et qu’al-laient certainement prendre les ravisseurs d’Oriane.

II s’approchèrent, en effet, et prirent la route oü se trouvait caché Amadis, laquelle conduisait anbsp;un autre chateau plus sur que celui qu’ils quit-taient. Au moment oü les deux écuyers passèrentnbsp;devant le fourré, chargés de leur précieux fardeau,nbsp;Oriane murmura:

— Amadis 1 cher Amadis ! je ne te reverrai done plus!...

Ge mot fut le signal de l’attaque préméditée par le vaillant Ills de Périon.

— Gaule! Gaule 1 Gaule l s’écria-t-il d’unc voix tonnante en se précipitant comme une avalanchenbsp;sur la troupe d’Arcalaüs.

L’altaque était imprévue : elle jeta une certaine perturbation parmi les ravisseurs d’Oriane, et cenbsp;moment d’effroi décida, pour Amadis, du succèsnbsp;de falTaire. Les deux écuyers laissèrent lè Orianenbsp;et la demoiselle de Danemark, et, se jetant ü basnbsp;de leurs chevaux, gagnèrent prudemment les pro-fondeurs de la forêt. Quelques hommes d’armes,nbsp;moins couards, essayèrent bien de résister, maisnbsp;cette résistance leur coüta la vie.

Restait Arcalaüs, Ie plus intéressé de tous ü res-ter lü pour défendre sa proie. II porta deux ou li-ois coups formidables, qui eussent assomménbsp;Amadis, si Amadis les avait requs. Mais a la forcenbsp;ce chevalier joignait l’adresse, et il évitait autant


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BIBLIOTHEQUE BLEUF.

de horions qu’il en doniiait aux autres. Arcalaüs, a son tour, rccut Tcpaule un coup d’épée qui luinbsp;démontra clairement, a ce qu’il parait, Tinutilitcnbsp;d’unc plus longue resistance, car il en laissa tom-ber de douleur'”sa belle épée, et gagna rapidementnbsp;les fourrés voisins pour se mettre fi l’abri, coramenbsp;avaient fait ses sages écuyers.

Amadis était trop occupé de fuir lui-mcme avec sa chère Oriane pour songer a poursuivre ee chevalier félon. Ils s’éloignèrent done rapidement denbsp;eet endroit, lui, Oriane et la demoiselle de Dane-mark, qui venait de lui remettre l’épée abandonnéenbsp;par Arcalaüs et qu’Amadis reconnut pour celle quenbsp;eet enchanteur lui avait prise.

Pendant qu’Amadis l’emportait, palpitante d’a-mour et de joie, dans ses bras vigoureux, si rudes aux méchants, Oriane dclaca son heaume et lonbsp;donna ü la demoiselle de Danemark; puis, passantnbsp;son beau bras autour du cou de son amant, ellenbsp;ne put s’empêcher d’appuycr sa bouche charmante sur Ie front brülant de son défenseur. Heu-reusement qu’a ce moment ils étaient loin du lieunbsp;du combat, dans une clairière, surun épais gazon,nbsp;car, sous l’impression de eet eriivrant baiser,quot;Amadis se sentit défaillir, ses bras se détendirent; ilnbsp;lacha Oriane, qui toraba sur l’herbe molle sansnbsp;se faire aucun mal. Amadis tomba a cóté d’elle,nbsp;pamé. Jamais il n’avait regu une pareille faveur 1

L’évanouissement d’Amadis dura peu. II rouvrit les yeux et regarda Oriane avec une tendresse dontnbsp;elle fut touchée jusqu’aux larmes.

— Lumière de ma vie! soleil de mon ame 1 murmura l’amoureux chevalier en couvrant denbsp;baisers ardents les blanches mains de sa bellenbsp;mie...

Gandalin et la demoiselle de Danemark n’avaicnt rien a faire pour Ie moment auprès de ces deuxnbsp;beaux amoureux qui brülaient de chanter leurnbsp;hymne a deux voix et a deux coeurs, l’hymne divin,nbsp;l’hymne du bonheur!

Gandalin et la demoiselle s’cloignèrent.

L’heibe était douce; les arbres formaient autour un rideau de verdure impénétrable aux rayons dunbsp;soleil et de la euriosité; les oiseaux chantaient ennbsp;sautillant de branche en branche; la forêt, encorenbsp;humide despleurs de l’aurore, exhalait d’apres etnbsp;fortilianles odeurs; tout conviait a la songerie, ünbsp;ï’amour, au bonheur.

Amadis et Oriane élaient trop jeuncs, trop beaux, trop méritants, pour ne pas répondrenbsp;comme ils Ie devaient ü cette invitation de la nature...

CHAPITRE VI

Comment Galaor, Gaillan-lo-Pen.sif ct Ladasin dèlivrèrcnt Lisvart, et s’cn revinrent avec lui è Londres, menaede dunbsp;pillage et de l’incendie.

Galaor,après avoir pris la route que lui avait in-diquéesonfrère, avait mis son cheval au galop, dans 1 espórance d’aüeindro les ravisseurs d’Órianc ounbsp;les ravisseurs de Lisvart.

J.l chevauchait ainsi, menant grande erre, lors-qU il lut apergu par un chevalier errant qui, s’i-maginant amp; sou train qu’il s’enfuyait, se mit ü Ie poursuivre pour lui proposer de rompre une lanco.nbsp;Mais Galaor allait comme Ie vent etil n’avait pas lonbsp;temps de s’arréter pour si peu de chose, ayant hnbsp;reraplir un devoir plus impérieux.

Cette obstination a fuir exaspéra Ie chevalier qui Ie poursuivait, lequcl, mieux monté que ne l’étaitnbsp;Galaor, Teut bientót atteint et dépassé. Jusqu’iinbsp;trois fois, ce chevalier courut sur lui, la lance ennbsp;arrêt; mals Galaor, aussi adroit quo brave, lui litnbsp;manquer les trois atleintos et se contenta de Ienbsp;plaisanter sur sa maladressc. L’autrc, piqué denbsp;cette goLiaillerie qu’il jugeait intempestive, Juranbsp;de Ie suivro jusqu’i ce qu’il on eüt tiré raison.

Chomin faisant, Ie chevalier qui poursuivait Galaor fut distrait de cette poursuite par l’appari-tion d’un sien cousin qui courait après sou cheval.nbsp;II s’arrêta alors, et lorsque son cousin cut repris sanbsp;monlure, il lui demanda pourquoi il l’avait rencontré ainsi désargonné.

— Mon cousin, répondit l’autre, on ii’a que trop raison dom’appeler Guillan-le-Pensif... Cette sou-gerie continuelle dans laquelle je vis me jouo ünbsp;chaque instant de nouveaux tours. Ainsi, tout ünbsp;riicure, chevaucliant ü travers la forêt, uniquementnbsp;occupé de la duchesse de Rristoio, que Ie Irailrcnbsp;souverainde cc pays m’a cnlevéc,jo ne me suis pasnbsp;apergu qu’un chevalier courait contre moi, et jenbsp;me suis vu désargonné par un coup de laucc avaiitnbsp;d’avoir compris pourquoi ni comment... Commejonbsp;me relevais, furieux, l’épéc ü la main, mon adver-saire s’est éloigné en riant, ct en me disant: « Ap-prenez k répondre ü eeux qui vous saluent et vousnbsp;parlentl... »

— Vraiment, répliqua Ie cousin do Guillan-le-Pensif, vousmériticz bien cette petite correction... Mais j’aurais mieux aimó trouver Ie maudit gabcurnbsp;qui vous a désargonné en riant, que 1’indigncnbsp;couard qui m’évite depuis uneheure... Je n’ai pasnbsp;encore rencontré de chevalier moins sensible auxnbsp;injures ni plus adroit li esquiver ratleinte d’unenbsp;lance... J’ai juré de Ie suivre jusqu’è ce que jo l’aio

cotinu..... Suivez-le avec moi, amusons-nousdesa

terreur; son cheval m’a paru trop fatigué pour qu’il ne nous soit pas facile de lo rejoindre.

Guillan-le-Pensif y consentit, bien résolu, pour maintenir Fhonneur de la clievalerie, de désarmernbsp;un chevalier assez couard pour refuser une joutc.nbsp;Les deux cousins, alors, allêrcnt grande erre pournbsp;rejoindre Galaor. Comme ils étaient arrivés au som-met d’une colline, ils Fapergurent qui la dcscendaitnbsp;sur son cheval prés de tomber ü cbaquo pas. Nenbsp;doutant pas qu’ils ne 1’atleignissent aisément dansnbsp;la plaine, ils descendirent au pas cette colline es-carpée, par im sonticr tournant et baitu.

Bientót, enlendant un bruit sonore comme celui que produit l’eutreclioquement des armes, les deuxnbsp;cousins coururent pour assistcr au combat qu’ilsnbsp;devinaient, et leur étonnement fut extréme ennbsp;voyant Galaor., dont ils avaient suspecte la vaillance,nbsp;tenant toto ü une troupe do gons mieux armés etnbsp;mieux montés que lui.

Déjii quatro hommes étaient tombés sous les coups du clievaleurcux Galaor; mais, comme, èconbsp;moment, les autres se réunissaient pour l’assaillirnbsp;tous ü la Ibis, Guillan-lc-Pcnsif et son cousinnbsp;Ladasin, indigncs, seliMércntd’aller Iison secuurs.


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LE BEAU-TENÉBREUX.

CHAPIÏRE VII

Comment Amadis, averti par Gandatin de ce qui se passait ^ Londres, s’arracha des bras dc l’incomparable Oriane jiouVnbsp;voler au secours de la reine Brisène.

Sc laiiQant tous deux. au galop de leurs chevaux sur Ie lieu de la lutte, ils y arrivèreat comme Ie chevalnbsp;de Galaor tombait percé de coups, et, tombant surnbsp;les assaillaiits de co vaillant homme, ils lui permi-rent ainsi de s’cmparcr d’une autre monlure et denbsp;faire face, non-seulement a ses énnemis de tout linbsp;l’heure, mais encore a d’autres qui arrivaient fi lanbsp;rescousse des premiers.

Le combat devint alors plus apre et plus sanglant. Bientót, cependaut, le courage déployé par Galaor,nbsp;par Guillan et par Ladasin, et le grand norabrcnbsp;d’enuemis abattus par cuï, cornmeneant ti metlrenbsp;11 peur au ventre des autros soudards, Furi de cesnbsp;derniers s’ccria ;

— Massacroz le prissouuier 1 massacrez le pri-soiinier!...

Leprisonnier, c’était un homme agé, d’unefièrc mine et d’un bon courage, malgré qu’il fut liénbsp;comme un larron sur un maigre cheval; lequel pri-sonnier avatt été amenó par la seconde troupenbsp;venue a la rescousse de la première.

Deux de ces misérablesse détachèrentpour obéir è l’ordre féroce qui venait do leur être donné; raais,nbsp;au même moment, le prisonnier, brisant ses liensnbsp;et ramassant l’épée d’un des combattauts morts,nbsp;s’en servii pour fendre la tcte du premier soudardnbsp;qui s’approcha. Lors, Guillan-le-Pensif, considérantnbsp;ce courageux homme avcc plus d’atlention, s’écrianbsp;touba-coup.

— Cousin! cousin! eest le roi Lisvart!

Et, en disant cola, il sc próeipita tètc baissée, la lance aupoing, au secours du vaillant prince, qu’ilnbsp;couvrit centre une nouvelle attaque, tandis quenbsp;Galaor terrassaitle chef de cette troupe detraitres,nbsp;dont Ic reste prit aussitot la fuite.

—Epargnez-le! épargnez-le! cria le roi ii Galaor, qu’il voyait prèt d’achever le misérable qu’il avaitnbsp;sous sou genon.Epargnez-le, i’ai besoin d’apprendrcnbsp;de lui les fils do cette abominable trahisonl...

Galaor releva son épée qu’il avait abaisséo sur la gorge de sou ennemi, et il lui arracha sounbsp;heaume.

— G’est le neven d’Arcalaüs! s’écria le rol avec mépris.

— Sire, dit alors le trailre qui avait peur de

mourir, je vais tout vous dire.....G’est mon oncle

Arcalaiis qui a machine tont cela avec Barsinan, que vous avez accueilli si généreusementa Londres,nbsp;OU il se trouve en ce moment...

Lisvart cornprit qu’il n’y avait pas un moment ét perdrc pour vqlor au secours de Londres et de lanbsp;reine. En consequence, il rcnionta ti cheval, suivinbsp;CIC utilsor et des deux chevaliers c[ui venaient denbsp;lui rendre sa liberté; et, en cheinin, ils s’arrètèrcntnbsp;au chateau de Ladasin, cousin de Gnillan, qui scnbsp;trouvait a portee, et oü ils déposèrent le i;evcunbsp;d’Arcalaüs fortemont cnchainé.

ublieux, mais non oubliés, (Amadis et Oriane sc répélaientnbsp;pour la centièmo fois les scr-ments d’amour étcrnel les plusnbsp;arderits, lorsque Garidalin, quinbsp;avait jugé a propos de poussernbsp;une reconnaissance jusqu’anbsp;Londres pour avertir la reinenbsp;Brisène que sa fillc était rc-trouvéc, Gandalin revint ennbsp;grand émoi.

— Sire chevalier, dit-il en Ycnant iiiterrompre Amadis aunbsp;moment le plus inopportun, lanbsp;reine Brisène réclame le secours de votre bras, pour ellenbsp;ct pour sa villo, menacée donbsp;destruction... Depuisl’enlèvc-ment de madame Oriane et dcnbsp;monscigucur sou père, tous les chevaliers sc sontnbsp;mis è hi poursuite de leurs ravisseurs, ct Barsinan,nbsp;aidé de scélérats è sa solde, a profité du désordrcnbsp;([uc eet événement a amoné pour s’emparer dc lanbsp;citadclle... 11 attend les troupes que, d’un instantnbsp;aPaulro, doitlui envoyer le traitre Arcalaüs... Sinbsp;vous ne vencz pas, Londres brülera, et vous nenbsp;trouverez plus que des cendres...

— Partons! s’écria Amadis, rendu au sentiment de son devoir par cette sinistre nouvelle.

Gomrnc le Ills dc Périou et la belle Oriane s’cn revenaient, ils furerit rencontrés par un gros dc.nbsp;chevaliers co/nmaudés par le fidéle Grumedan, unnbsp;ancien. Amadis confia Oriane è la garde de Gru-nicdan ct ne s’arrèla plus que dans le palais inêracnbsp;du roi, oüil trouva Brisène, éploréc.Pcu d’instanlsnbsp;apresson arrivéc, entra l’écuycr de Galaor, venantnbsp;rendre comple a la reine de 1’houreuse délivranccnbsp;du roi.

— Ah! mon eber fils! s’écria Brisène en ombras-sant Amadis, nous sommes sauvés! Vous voilal...

Amadis nepuljouirquc quelques instants dubon-beur d’être traité comme un Ills par la mèro de I’incomparablc Oriane. Une rumeur soudainc,nbsp;cxcitce par la fuite et les cris d’un grand nombrenbsp;de citoyens etfrayés, I’obligea do reprendre sonnbsp;heaume et dc volcr oü ces cris 1’appelaicnt. IInbsp;descciidit, écarla la foulo des fuyards et arrivmnbsp;avcc pcine ü !a porto principale de Londres, oü lenbsp;roi Arban de Norgalcs, entonré de morts ct denbsp;mouranls, et couvert lui-mêmo de sang, s’opposaitnbsp;presqiie soul a l’cffort dc Barsinan de Sansuègne,nbsp;qui venait de s’cinparer de la première barrière.

Cc traiire, complice servile de l’odieux Arcalaüs, rcconmit bicntöt Amadis aux coups qu’il lui vitnbsp;porter, et I’amaut d’Oriane, couvrant de son écu lenbsp;vaillant roi de Norgalcs, dontle bras appesanti nenbsp;portalt plus sou épée qu’avec peine, s’élangacontrenbsp;la tête de la colonne qui s’efforcait de s’einparcr de


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BIBLIOTHÉQUE BLEUE.

cetle porto; et semant répouvante et la mort dans les premiers rangs, il fit reculer ceux Tattaquaient.

Cependant, malgré son courage surhumain, Amadis eüt fini peut-être par être accablé par !enbsp;nombre de ses ennemis éxcités par Barsinan, si,nbsp;dans ce moment, Ie prince Agraies, suivi de plu-sieurs chevaliers arrivant de la quête du roi Lisvart,nbsp;n’eüt attaqué brusquement la troupe de soudardsnbsp;commandée par Ie comtede Sansuègne

Cette attaque inopinée décida sur-lc-champ du sort de cette bataille. Barsinan, se jugcant perdu,nbsp;voulut se dérober par la fuite au chatiment quinbsp;l’altendait; mais Amadis Tarrêta, lui prit sou épéenbsp;qu’il brisa, foula ce traitre aux pieds, et Tenvoyanbsp;dans Je cachot même oü Lisvart, qui renirait hnbsp;l’instant par une autre porte, faisait conduire Icnbsp;neveu d’Arca'aüs.

Lisvart était déjJi dans les bras de la reine Bri-sène. Amadis, Galaor et lo roi de Norgales, jouis-saient èi leurs genoux du bonheur de leur avoir sauvé la vie, lorsque Ie bon et vieux chevaliernbsp;Grumedan survint donnant la main a la bellenbsp;Oriane.

— Prince de Gaule, dit-il en, entrant, c'est vous qui m’avez confié l’incomparable princesse Oriane;nbsp;c’est h vous qu’elle doit l’honneur et la liberté :nbsp;c’est entre vos mains que je la remets...

Oriane n’eut Pair d’écouter Grumedan que par un regard bien tendre qu’elle jeta sur Amadis, etnbsp;elle courut se précipiter aux genoux de sa mère. ^

Le leiidemain, tons ceux qui n’avait pas expió leurs forfaits par l’épée d’Amadis ou par celle denbsp;d’Agraies, ou par celle de Norgales, périrent dansnbsp;les supplices, et l’on pense bien que Barsinan etnbsp;le neveu d’Arcalaüs ne fuient pas oubliés dansnbsp;cette répartition de chatimenfsl...

CHAPITBE VIII

Comment, au milieu de la joie qui rdgnait ü la cour du roi Lisvart, Amadis songea tout-ft-coup h la promesse qu’ilnbsp;avait faitc, un au auparavant, i la belle Briolanie, princesse de Sobradise, et comme il partit avec Galaor clnbsp;Agraies.

Après ces événements la cour du roi Lisvart reprit ses allures joyeuses et son train brillant.

La duchesse de Bristoie et la belle Aldéne, sa soeur, arrivèrent bienlót, sous la garde du vieuxnbsp;Grumedan, qui avait été les quérir toutes deux denbsp;la part de la reine Brisène. La duchesse de Bristoienbsp;était veuve. Le due avait été loyalement tué parnbsp;Olivas qui l’avait accusé de trahison et avait sou-tenu son dire par les armes.

L’arrivée d’Aldène et de sa soeur fut une nouvelle occasion de fète. Guillan-le-Pensif, libre d’offrirnbsp;une seconde fois son cceur et sa main it cello quinbsp;avait constamment occupé ses pensees, ccssa denbsp;móriter ce surnom pour en mériter un autre quonbsp;lui donna la belle duchesse de Bristoie. Quantnbsp;Galaor,il ne revit pas saus plaisir la belle Aldène,nbsp;qui, de spil cöté, ne le revit pas saus émot on, cenbsp;qui fit nailre qa et la quelques jalousies.

Maïs bientèt fut trouble le bonheur dont jouis-saient plusieurs beautés de cette cour. Amadis se rappela qu il avait promis a la jeune et belle

Briolanie, reine de Sobradise, de revenir avec deux autres chevaliers pour venger la mort de sonnbsp;père et corabattre l’usurpateur Abyséos et sesnbsp;deux fils. Cette promesse était sacrée, il y avaitnbsp;un an qu’il l’avait faite : Amadis résolut de partir,nbsp;malgré les larraes, les prières et les soupQons ja-loux de la belle Oriane, qui voulait êlre seule itnbsp;posséder eet incomparable chevalier.

Agraies et Galaor s’ofl'rirent être ses compagnons, et ils se préparèrent ci le suivre, malgré, pour l’un, les larmes de la belle 01inde,et malgré,nbsp;pour l’autre, les caresses savoureuses de trois ounbsp;quatre belles, parmi lesquelles Aldène...

Les trois chevaliers partirent. Ils n’étaient encore qu’it une demi-lieuc de leur point de départ, lorsque Amadis, s’apercevant qu’il avait oublié d’em-poricr les débris de l’épée quo lui avait donnécnbsp;Briolanie, envoya incontinent son nain a Londresnbsp;pour les chercher.

Le nain revint h toute bride, prit les débris de l’épée, et il allait remonter è cheval, lorsqu’en passant sous les fenêtrcs d’Oriane, cette intéressantenbsp;princesse l’aperqut et lui demanda pourquoi il étaitnbsp;revenu sur ses pas.

— C’est pour chercher ces fragments d’épée que raon maltre avait oubliés, répondit le nain.

— Et quel prix ton maitre peut-il attacher a ces inutilesdébris? demanda Oriane.

— Celui qu’on peut attacher aux présents d’une main qui nous est chère, répondit malicieusementnbsp;le nain.

— Et quelle est done la main dont Amadis a regu cette épée? reprit vivement Oriane, dont la jalousienbsp;s’éveilla pour nc plus se rendormir.

— Celle de la jeune princesse pour laquelle il va combattre, répondit le méchant bout d’hommc; etnbsp;je ne doute pas, ajouta-t-il, d’après les quelquesnbsp;propos qu’ils ont tenus la dernière fois qu’ils senbsp;sont vus, que mon maitre ne se soit offert et n’aitnbsp;été accepté pour être désormais son chevalier...

A ces mots, le malicieux nain grimpa sur son cheval, lui donna deux coups d’éperon et disparutnbsp;aux regards effarés de la pauvre Oriane, qu’il venaitnbsp;de frapper au coeur.

Un quart d’heure après, il avait rejoint les trois chevaliers et, en remettant è Amadis les débris denbsp;son épée, il se garda bien de lui parler des questionsnbsp;quo lui avait adressées è ce sujet sa maitresse (t,nbsp;encore moins, des réponses qu’il lui avait faites.

Comme ils chevauchaient a travers la forêt, ils virent venir è eux un chevalier qui leur parut êtrenbsp;d’une taille avantageuse, maniant son cheval. avecnbsp;grace et ferme sur ses argons. II leur proposa danbsp;rompre une lance.

— Je ne désire que l’honneur de jouter avea vous, ajouta-t-il, et j’espère que nulle espèce donbsp;ressentiment ne vous animera ti vouloir cornbatlronbsp;è coups d’épée, au cas oü je remporterais un premier avantage...

Agraies, a qui ce chevalier inconnu semblait plus particulièrement porter la parole, sesentittrèsnbsp;piqué de ce qu’il paraissait trop présumer de sonnbsp;adresse, et, pour toute réponse, il lui cria do .scnbsp;défendre, courut sur luietfutdésargonné. Son cheval, é[)ouvanté par la violence avec laquelle les lances s’étaient bnsées, se mit a fuir dans la forêt.

Galaor se présenta pour venger Agraies; mais


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LE BEAU-TENEBREUX.

son cheval n’étant pas de force è résisler amp; celui de l’inconnu, roula dans la poussière avec son mailre,nbsp;sans que celui ci put Ie faire relever.

Amadis, s’approchant aussitót, 'modéra la colère de Galaor qui demandait Ie combat amp; Tépée, et, önbsp;son tour, il se présenta pour jouter contre l’in-connu. Cette course fut la plus violente des trois;nbsp;les lances furent brisées jusque dans les ganteletsnbsp;des combattanls, et les deux chevaliers s’étantnbsp;heurtés mutuelleraent en passant, leurs chevauxnbsp;tombèrent de la force du choc, sans qu’aucun desnbsp;deux eüt perdu les rênes. Mais Ie cheval d’Amadis,nbsp;ayant eu la cuisse cassée, ne put se relever, et l’in-connu s’élanca légèrement sur Ie sien, qui n’avaitnbsp;été qu’étourdi par cette rencontre.

Ge fut en vain que les trois chevaliers provcquó-rent l’inconnu amp; se battre a pied, et a l’épée; il leur répondit, en les saluant courtoisement:

— Heureux, seigneurs chevaliers, de vous avoir résisté dans un combat que je ne regarde quenbsp;conime une légère épreuve, nul motif ne me forcenbsp;^ vous considérer tous trois cornme ennemis. Cha-cun de nous a fait son devoir ; n’est-cepasassez?...

Cela dit, l’inconnu s’éloigna, en prenant une route assez frayée, et laissa les trois compagnonsnbsp;déraontés au milieu de la forêt.

Amadis et son cousin Agraies rirent volontiers de cette aventure. Mais il n’en fut pas de même denbsp;Galaor, qui avait sa chute ti coeur. 11 prit Ie chevalnbsp;d’un écuyer et s’élanga a Ia poursuite du chevaliernbsp;qui l’avait nargué par sa générosilé.

Amadis et Agraies durent continuer leur chemin sans Timpétueux Galaor, et ce fut sans lui aussinbsp;qu’ils entrèrent dans Ie chéteau de ïhorin oü lanbsp;belle Briolanie les attendait, ainsi que sa tante Gro-vanèse, et oü ils passèrent quelques jours pournbsp;laisser Ie temps ü la princesse de Sobradise de fairenbsp;avertir de leur arrivée Abyséos et ses deux fds.

CHAPITRE IX

Comment Galaor, s’étant éloigné dc son frère et de son cousin a la poursuite d’un chevalier inconnu, fit rencontre d une genie pucelle qui lui tourna Ia tcte, et commentnbsp;1 ayant suivie, il combattit a outrance Florestan, son second frère.

alaor avait poursuivi pendant un long temps Ie chevalier inconnu,nbsp;sans pouvoir Ie rejoindrc, a causenbsp;de sa monture qui était médiocre.

„„Wr. nbsp;nbsp;nbsp;tnbsp;nbsp;nbsp;nbsp;lasser de cette vaine pour-

suite, il s etait arrele un instant pour laisser souf-fler sa bete, lorsqu une gente pucelle vint h passer par la. Galaor 1 arreta en la priant de lui donnernbsp;si elle en avait, des renseignements sur Ie chevaliernbsp;qu’il poursuivait.

— nbsp;nbsp;nbsp;Jeleconnais, répondit la pucelle; c’est unnbsp;chevalier fort courtois, qui, depuis quinze jours,nbsp;garde la principale route de cette forêt, et ne per-met pas qu’on passe sans avoir rompu une lancenbsp;avec lui ..

— nbsp;nbsp;nbsp;Pourriez-vousrae conduire vers lui? demandanbsp;Galaor, qui trouvait la pucelle de plus en plus sa-voureuse et qui était trés heureux de l’avoir pournbsp;conductrice.

— Volontiers, dit-elle.

Et elle se mit ü marcher devant, et bientót elle prit un chemin qui éloignait considérablement Galaor de celui qu’avait dü prendre son frère.

—Et vous, belle enfant, qui êtes-yous? demanda l’indiscret Galaor qui eütbien volontiers délacé sonnbsp;heaurae pour embrasser a son aise sa conductrice.

— Moi, seigneur chevalier, je suis une des demoiselles de la belle Gorisande, souveraine d’une ile voisine, et amoureuse du chevalier que vousnbsp;poursuivez. Elle Ie retient depuis plusieurs joursnbsp;dans des chaines de fleurs, et ne lui permet pas denbsp;s’éloigner d’elle plus qu’il ne 1’a fait ce matin...nbsp;Quant au nom de ce chevalier, la belle Gorisande,nbsp;seule, Ie connait, ainsi que Ie mystère de sa nais-sance...

— Est-ce que c’est la belle Gorisande qui lui a interdit de jouter a l’épée avec les autres chevaliers?...

— Oui, c’est elle... Elle lui a fait jurer qu’il n’en viendrait jamais au combat k coups d’épée, k moinsnbsp;que ce ne soit dans son ile, oü plusieurs chevaliersnbsp;ont déjk passé pour Ie combattre , mais dont ils nenbsp;sont ressortis qu’après avoir perdu leurs chevauxnbsp;el leurs écus...

Le désir de s’épvouver contre ce chevalier mys-térieux, peut-être aussi l’espérance enivrante que lui donnaient les beaux yeux noirs de sa com-pagne de route, déterminèrent Galaor k ne la pasnbsp;quitter...

G’est ainsi qu’après avoir cheminé pendant quelques heures, ils arrivèrent sur le rivage, en vue de 1 lie de Gorisande qui, fort heureusement, n’étaitnbsp;pas trop éloignée.

Le trajet s’effectua en trèspeu de temps, et Galaor étant descendu sur le rivage, entendit annon-cer son arrivée par le son des trompettes qui re-tentit sur le donjon du beau chateau qui dominait cette ile.

— Apprêtez-vous k combattre 1 lui dit la gente pucelle qui l’avait accompagné. Hélasl chevalier,nbsp;j’ai bien peur que le maitre de ce chateau n’ob-tienne de vous l’écu que vous portez, pour le join-dre k tous ceux que vous voyez attachés a ces po-teauxl...

Galaor n’eut pas le temps de répondre k cette plaisanterie ; la porte du chateau s’ouvrit, et il ennbsp;sortit un chevalier de la plus belle taille, et d’unenbsp;figure charmante, suivi deux jeunes filles, portant.nbsp;Tune son heaume et Bautre sa lance. Une jeunenbsp;femme, d’une irrésistible beauté, venait ensuite,nbsp;tenant une couronne de lauriers et de myrtesnbsp;qu’elle semblait lui destiner, en le regardant d’unnbsp;air tendre.

Le bel inconnu, s’avanQant vers Galaor, lui dit courtoisement:

— Ghevalier, vous avez su par celle qui vous a conduit dans cette ile, les conditions du combatnbsp;que vous venez me livrer... Je vois que vous vousnbsp;obstinez k me connaitre autant que je m’obstine,nbsp;moi, k caclier mon nom jusqu k ce que je l’aie rendunbsp;digne de ceux auxquels je tiens par les liens dunbsp;sang... Si j’osais vous les nommer, je suis sur quenbsp;vous m’approuveriez...

Quoique Galaor sentit naitre en son ame une


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madis et Agraies, eu effet, ay ant at-tendu Galaor pendant cinq ou six jours au ebateau de Thorin, etnbsp;voyant que le terrijts marqué pournbsp;le combat était pret de s’écouler, ilsnbsp;s’avancéront avec Briolanie et sanbsp;tante Grovanèse vers Sobradise; et,nbsp;SC croyant assez forts pour combat-tre Abyséos et ses deux fils, ils ü-rent tendre leur» pavilions dans unenbsp;prairie voisine de cette capitale, etnbsp;Briolanie envoya dire a son mortelnbsp;ennemi que, suivaut les conditionsnbsp;arrêtces, ello avait amoné avec ellenbsp;les champions qui devaient soutenirnbsp;sa querelle.

Le combat fut fixé au lendcraain matin.

sympathie vraie pour Ic chevalier iiiconnu, Ie souvenir do l’espèce d’outrage qu’il croyait en avoir repu dans la forêt, Ie matin, en présence d’Araadisnbsp;et d’Agraies, ne lui permit pas de se livrer k ce sentiment.

— Rien ne pourra m’empêcher d’avoir raison de votre outrecuidence! répondit-il. Jc ne suis venunbsp;ici céans que pour celal...

Le chevalier inconnu ne répliqua pas. II mit son hcaurae, s’einpara de sa lance, monta a cheval etnbsp;prit du champ pour revenir sur Galaor, qui Timila.nbsp;Dès la première passe, les deux lances furont hri-sées. Lor», les adversaires mirent I’epcc h la mainnbsp;et le combat öpied coramenpa.

11 fut long et terrible; si long et si terrible quo Galaor n’imagina pas en avoir essuyé de pared de-puis celui qu’il avail eu centre Amadis, et Gori-sande, épouvantée, profita d’un instant oü tous lesnbsp;deux rcprenaient haleine pour tachcr de les sépa-rer. Mais Galaor, plus animo que jamais par Ianbsp;longue résistance qu’il venait do rencontrer, etnbsp;aussi par son sang qu’il voyait coder, ne voulutnbsp;plus écouter aucune proposition jusquA ce que lenbsp;chevalier inconnu consentit h lui dire son nom.

Le combat devint done plus terrible et plus san-glant encore k cette seconde attaque. Les debris de lours armos couvraient le sable, I'un d’eux allaitnbsp;certainement succomber... Gorisande , yoya)itnbsp;chanceler un moment son amant, ne put resisternbsp;a la douleur qui la poignait, et, courant se jeternbsp;entre les combattants, elle cria a Galaor!

— Arrête, cruel!... Arrache-moi la vie plutot que de répandre un si prccieux sang!,,. Arrête,nbsp;te dis-je! Et si ma prière ne peut te toucher, bar-bare, crains la vengeance d’Amadis et de Galaor!...

— Quedites-vous, grands dieux? s’ecria Galaor, en abaissant vivement son épée.

— Non, non, reprit Gorisande, non, mon cher Florestan, il n’est plus temps de cacher votro nomnbsp;ni votre naissance... Sachez done, ajouta t-elle ennbsp;se tovirnant de nouveau vers Galaor, sachez donenbsp;que celui quo vous voulez tuer est le lils du roinbsp;Périon et le frère des deux plus redoutabies chevaliers de I’univers!..,

Levant cet aveu, Galaor, éperdu, jetant loin do lui son épée et délacant son heaume, se jeta dansnbsp;les bras de Florestan.

— Ah! mon frère, s’ccria-t-il, rcconnaissez Galaor k sa douleur et a sa tendresse!...

— J’aurais du bien plutot le rcconnaitre a sa vaillance et a la viguour de scs coups, réponditnbsp;Florestan, en repondant par d’autros caresses anbsp;l’étreinte passionnée de son frère.

La joie de Florestan fut grande; cclle do Galaor ne le fut pas moins, paree qu’il espérait pouvoirnbsp;se remettre dès le lendemaiu en marche avec luinbsp;pour relrouver Amadis et Agraies. Mais lour joie anbsp;tous deux cessa quand ils s’aperpurent, an nombrenbsp;de leurs plaies, qu’ils ne pourraient être en santénbsp;et en vigueur avant un mois.

Nops n’arriverons jamais a temps pour aider notre Ircre! murmuvail Galaor, attristé.

GIIAPITRE X

Comment Amadis et Agraies combattirent centre Abyséos et ses deux fils et les vainquirent, et eomme, ensuitc, its scnbsp;réunirent a Galaor et a Florestan.

f)

Au lever du soleil, Amadis et Agraies se présen-tèrent dans la place oü devait avoir lieu ce combat, ct Abyséos et ses deux fils ne tardèrent pas a paraitre. Mais, ne trouvant que deux adversairesnbsp;la oü ils s’aftendaient a en trouver trois, ils dc-mandèrent pourquoi ce troisièinc ne se prósentaitnbsp;pas.

Amadis, impatient de combatlre, répondit au héraut d’Abyséos :

Ydi dire k tes mailres que leur cau.se i!si si mauvaise, que le plus faible de nous deux sufünütnbsp;pour que la justice celeste les punit de hmr or-gueil et de leur Irabison, et quo la légilime reinenbsp;(Ic Sobradise se soumet ü tout si nous sommesnbsp;raincusl...

Riem n’arrêlant plus le combat, Abyséos et Dra-inis coururent tous les deux sur Amadis, et brisè-rent lours lanccs sur ses armos, sans l’éln'anlcr; ce premier eboe rétabhl 1’égalité dans Ie combat,nbsp;Amadis ayant percé d’oulro en outre Dramis, quinbsp;tomba en versant dos Bots de saug sur la pous-sière.

Dorison ct Agraies se cbargcant avec une égale fureur, leurs clievaux nc [)iircnt snpjeorler 1’im-pétuosité de leur clioe et roulèrent tous deux surnbsp;leurs maitres. L’un ct l’autrc, alors, égalomentnbsp;prompts è se relover, s’attaqnèi'ent a coups d’c-pée, ct bientót le sang couhi do leurs l)lessiircs.nbsp;Mais Agraies ayant vu son cousin Amadis fendrenbsp;d’un seul coup la tcle d’Abyséos, fut hoateux quenbsp;Dorison luidisputat si longtcmps la victoire. 11 s’c-hinca sur lui, le saisit par lo heavune, lui tranebanbsp;le chef et Falla déposcr aux pieds de la princossenbsp;Briolanie, qui avait siiivi, toule balclante, les diversos peripeties de cette tragédie.

La mort de l’usurpatcur et de scs deux fds dé-cida du sort du rovaumc de Sobradise. Les cor[)S de ses ennemis vaiuens furent traiiiés hors de lanbsp;licc, au milieu des acclamations des sujets de Brio-lanic.

Getto belle princessc sentit peut-êtro moins do


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LE BEAU-TENEBREUX. 11

plaisir encore a remonter sur Ie trone de ses pères, qu’a penser qn’elle pouvait offrir a son liberateurnbsp;cle Ie partager avec cllc.

Les blessures qn'Amadis et Agraies avaient re-Cues dans cc combat les ayant arretés pendant quelque temps k Sobradise, Briolanie ne put s’ern-pêclier do laissqr pénétrer ses sentiments. Maisnbsp;Amadis, trop fidéle pour en être touché, trop loyalnbsp;pour vouloir feindre, n’hésita pas é lui faire entendre qu’il n’était plus Ic maitre de son coeur; elnbsp;Briolanie, étouffant ii regret une passion qui nenbsp;pouvait être quo mallieurcuse, la plus tendre reconnaissance et la plus fidéle amitié furent lesnbsp;sculs sentiments qui lui restèrent désormais pournbsp;Amadis.

Bientót Galaor ct Florcsian rejoignirent leur frère. Amadis ne put se résoudreagrondor Galaor,nbsp;a cause de la Joie qu’il ressentait de la presencenbsp;de Florestan. 11 sc conlcnta de lui dire, devant lanbsp;princesse Briolanie, qu’il devait bien regretter ennbsp;ce moment de n’avoir pas partagé Ic bonheur denbsp;la vcngcr...

Cc scul mot, qu’un regard de cetlc belle reine reiidit encore plus frappant pour Galaor, Ie fitnbsp;roupirer ct tomber dans de mélancoliques pense-mc'ds. Et, dés cette heure, Agraies fit remarquernbsp;a Amadis que la gaité de Galaor semblait s’allérernbsp;de jour en jour, ct qu’il paraissait inême voir avecnbsp;indifference les jeuncs beautés qui ornaient la cournbsp;de Briolanie, Icsqucllcs, au contraire, Ic regar-daieiit avec Ic plus tendre intéröt.

CIIAPIÏRE XI

Comment fut conslruilc, en 1’IIc Ferme, la voute cncliantéc pour dprouver la loyauló des clievaliers ct la fidélité desnbsp;maitresses.

, cent ans avant les événcmenls quo ? nous venous de racoiiter, il y avüitnbsp;eii Grécc un roi qui, marié avec lanbsp;— smur de rempereur de Constantinople, eut deux tils reraarquables de corps ct d’es-prit, surlout Apolliiion, qui ctudia spécialement lanbsp;nccromancic et s’y fit une grande reputation.

Le roi de Gréce sentant sa fm approclier, vou-lut disposer de ses Etats et prevenir aiiisi toute discussion aprés son trépas.

Apollidon, comme alnó, rcQut la couronne et les mens, et l’autre les trésors ct les livres, parminbsp;esquels il s en trouvait de trés rares; ce dernier

SC piaigmt k son père d’etre presqitc déshéritc par cepartage.nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;*nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;‘nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;*

e père en avertit Apollidon qui, pour conserver la bonne haimonic, proposa un échane’e, se tenantnbsp;pour satistait de la part de son frère.

La joie que la bonté d’Apollidon causa a ce père provoqua une crise suprème, etil s’en alia laissantnbsp;les deux frères unis comme il le désirait.

Aussitót après les futiérailles du roi défunt, Apollidon fit équiper quelques vaisscaux et, suivinbsp;de plusieurs gentilshommes ses arais, il s’éloignanbsp;de tirece avec les premiers vents favorables.

1 arlis sans but, ils s’abandonnèrent au basard, qui les mena sur la cóte d’Itaüe.

L’empereur Suidan ayant appris 1’arrivée d’A-pollidon, le pria de venir a Rome oü le plaisir qu’il y troiiva le retiiit longtemps. II prouva qu’il étaitnbsp;excellent chevalier et il sut plaire a la sceur unique de l’empereur, nommée Grimanèse, la plusnbsp;belle dame de la terre.

Son amour était partagé, mais il avait des en-traves bien dures pour arriver a satisfaire réelle-ment la passion qui le brülait.

Enfin, Grimanèse accepta de se faire cnlever la nuit sur un vaisseau, et ils parlirent, mettant lenbsp;cap sur file Ferme, habitée alors par un géant, ccnbsp;qu’Apollidon ct ses amis ignoraient.

Aussitöt a terre, ils s’arrangcrent, en gens pleins de sécurité; Grimanèse, habitude a uu repos pleinnbsp;de délices, était épuisée de fatigues; cllc s’aban-donna au sommeil.

Vers le milieu de la unit, le géant, qui les avait découverts, se moiitra si brusquement, qu’Apollidon n’cüt pas le temps de s’armer et que Grimanèse s’évanouit de frayeur.

Le géant s’approcha de Grimanèse et, lui pre-nant la main, il pria Apollidon d’accepter un combat dont le vainqueur aurait pour réeompense la plus belle dame qu’il eüt vue.

Apollidon accepta, et, en un tour de main, jefa par terre le géant ct lui trancha la léto.

Les gens du paysvinrcnt en foule se mettre a son service et I’acclamdrent avec enthousiasme pournbsp;leur maitre, On lui fit voir les forteresses de 1’ilenbsp;et il en augura qu’il pourrait bien h 1’occasion senbsp;défendrc, si on voulait le punir du rapt de la sceurnbsp;de l’empereur.

II fit édificr pour Grimanèse un admirable palais, tenement rernpli de raétaux précieux que, dans toutes les iles de I’Océan, aucun prince n’eütnbsp;pu en faire construire un semblable.

Quinze ans plus tard, son oncle, l’empereur de Gonslanlinople étant mort, les grands lui offrirentnbsp;la couronne qu’il accepta. Grimanèse, désolée denbsp;laisser un séjour si enchanleur, fit promettre a sonnbsp;époux qu’il n’y laisserait pénétrer jamais qu’unnbsp;chevalier de sa valeur, et Apollidon jura qu’il em-pêchcrail toute dame d’y entrer si elle n’était aussinbsp;belle et parfaile que Grimanèse.

On érigea une voüte sur laquelle un homme en bronze tenait une Irompe de chasse. Sur la portenbsp;du palais, on placa les statues de Grimanèse ctnbsp;d’Apollidon trés ressemblantes toutes deux, et,nbsp;vis-ii-vis, une colonne de jaspe, le tout ferme jus-qu’au jardin d’un perron de fer de cinq coudéesnbsp;de hauteur.

Apollidon expliqua a sa femme qu’un homme in-fidèlc en amour no pourrait passer la voiite, car 1’homme do bronze sonnerait un bruit épouvanta-ble et jelterait flararncs et fumécs sur lui en le re-poussant dehors. Mais si un loyal amant ou une fidéle mailresse se présentait, lo cor rendrait unnbsp;chant d’amour et l’un ou l’autre pourraient entrernbsp;et voir les portraits et les noms d’Apollidon et denbsp;Grimanèse inscrits sur le jaspe.

— Si vous voulez, ajouta Apollidon, nous essaie-

rons cette rnerveille... nbsp;nbsp;nbsp;_nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;_

Et ils cnlrèrent sous la voute qui résonna d’une douco musique; puis ils virent, nouvellemcnt graves sur la colonne, leurs deux noms inseparables,

lis engagèrent quelques dames et quelques gen-


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unique touché dessoinsde labelleBriolanie, Amadisnbsp;nepouvaitéloignerde sonnbsp;esprit Tirnage d’Oriane.nbsp;— II devint au bout de peunbsp;de temps si inquiet, si désireux de lanbsp;retrouver, qu’il décida ses compagnons a prendre comme lui le cheminnbsp;de la cour du roi Lisvart.

A peine étaient-ils en chemin qu’ils firent rencontre d’une demoiselle sui-vie de dames et d’écuyers.

Amadis leur demanda s’ils allaient comme lui ü la cour du roi Lisvart;nbsp;la demoiselle lui annon^a qu’ello al-lait en l’Ile Ferme dont le gouverneur était son père et que cette ile valait, pour desnbsp;chevaliers errants, la peine de s’y rendre pournbsp;éprouver leur chevalerie.

tilshommes tenter l’aventure; raais h peine ceux-ci élaient-ils entrés qu’un vacarriie affreux retentit et qu’ils furent refoulés au dehors avec force tour-billons.

Grimanèse s’amusa beaucoup de cette invention qui faisait plus de peur que de mal; elle remercianbsp;Apollidon, puis elle s’informa de cequ’il arriveraitnbsp;de la chambre oü ils avaient laissé Ie souvenir denbsp;leurs amoureuses caresses, des plus agréables,nbsp;ajouta-t-elle, puisque ce furent les premières.

Apollidon fit mettre un perron en marbre devant la chambre, et, cinq pas de celui-ci, un autre ennbsp;cuivre.

— Aucun chevalier, dit-il ensuite, n’entrera ici, ni aucune dame, a moins qu’ils ne nous égalent,nbsp;vous et moi, en chevalerie ou en beauté.

Et il fit écrire cela sur les tables, en y ajoutant les diverses épreuves que subiraient les chevaliersnbsp;désireux d’éprouver leur courage ou leur loyauténbsp;d’amour.

Le nom de ceux ou de celles qui seraient re-poussés, serait inscrit avec le nombre de fautes commises. Mais aussitót que l’homme attendu senbsp;présenterait, aussi brave chevalier qu’Apollidon,nbsp;touscesenchantemenfs et épreuvesdisparaitraient.nbsp;De même pour la belle maitresse re?ue par l’é-preuve ; elle affranchirait toutes les autres.

Cela fait, Apollidon mit un gouverneur chargé de recueillir les revenus, en attendant Theureuxnbsp;chevalier couronné, et il prit quelques vaisseauxnbsp;sur lesquels il arriva bientót amp; Constantinople, oünbsp;l’attendait une magnifique réception.

Maintenant que iious avons fait connaitre le temple d’Apollidon, reprenons le récit des aventu-res de iios héros et de nos héroïnes; revenons ünbsp;Amadis que nous avons laissé, en compagnie de sesnbsp;frères et de son cousin, a la cour de la belle reinenbsp;de Sobradise.

CIIAPITRE XII

Comment Amadis, Galaor, Florestan ct Agraies furent conduits en I’lle Ferme, pour dprouvernbsp;]a voute des lovaux amants.

— nbsp;nbsp;nbsp;Tous n’en sortent pas aussi joyeux qu’ü l’ar-rivée, ajouta-t-elle.

— nbsp;nbsp;nbsp;Je sais, répondit Amadis, qu’il y a lü de fortesnbsp;épreuves ü subir; je regrette de ne pas m’y êtrenbsp;exposé déjü; le chemin est par ici, ü gauche, a deuxnbsp;journées de marche, n’est-ce pas?

Agraies, le premier, voulut incontinent marcher vers eet endroit et proposa ü la demoiselle de luinbsp;tenir escorte.

— nbsp;nbsp;nbsp;Si vous pouvez franchir la voute enchantée,nbsp;lui dit celle-ci, vous verrez toutes les autres mer-veilles de eet endroit, les statues d’Apollidon et denbsp;Grimanèse, et votre nom gravé sur le jaspe parnbsp;une main invisible. Jusqu’ici il n’y a eu que deuxnbsp;noms...

— Eh bien 1 répondit Agraies, le mien fera le troisième.

— Mes amis, reprit Amadis, nous ne pouvons laisser Agraies partir seul, et, quoiqu’il soit le plusnbsp;amoureux de nous tous, nous devons faire commenbsp;lui.

Galaor fut de eet avis, et tous ensemble suivirent la demoiselle.

Floreslan qui n’avait jamais ouï parlor de l’Ilo Ferme, interrogea Amadis, qui lui raconta qu’Ar-ban de Norgales y était allé et en était revenu avecnbsp;sa courte honte. La demoiselle raconta ü son tour,nbsp;dans le plus grand détail, toutes les épreuves, et,nbsp;de propos en propos, la compagnie arriva au cou-cher du soleil, prés d’une prairie oü des pavilionsnbsp;dressés abritaient une troupe de chevaliers.

La demoiselle reconnut les gens de son père ct, prenant l’avance, elle alia avertir de l’arrivée desnbsp;chevaliers qui l’avaient suivie pour essay er lesnbsp;aventures de l’Ile Ferme.

Le gouverneur roQut somptucusement les arri-vants et, jusqu’au soir, on s’entretint des dames ct chevaliers qui s’étaient présentés sous la voute.

Le lendemain, tous se mi.rent en marche jusqu’a une chaussée étroite, entourée d’eau ü droite et anbsp;gauche, au bout de laquelle ils trouvèrent rilonbsp;Ferme.

Le palais d’Apollidon resplendissait, les portos étaient grandes ouvertes, et lorsqu’ils en furentnbsp;tout prés, ils virent une panoplie de cent targesnbsp;ou écus fixés sur des poteaux ü des hauteurs diffé-rentes.

Le gouverneur expliqua a Amadis que l’élévation des targes indiquait le degré d’honneur des chevaliers et les épreuves qu’ils avaient pu soutenir.

Amadis tacha de rcconnaitre les écus, dont cha-cun avait un écriteau portant le nom et les armos de son maltre. II reconnut celui d’Arcalaüs et celui du roi d’lrlande, qui était venu s’essayer deuxnbsp;ans avant^qu’Amadis ne le défit en Gaule.

Le plus élevé des écus était celui de Quadrayant, frère du roi Abies d’lrlando, qui avait approché lenbsp;perron de marbre; il cherchait Amadis pour ven-ger la mort de son frère.

Les amis se préparèrent aux épreuves. Agraies, pressé de connaitre son sort, doubla le pas et arriva sous la voute, en disant:

— Amour, si je vous ai toujours été fidéle, ne m’oubliez pasl...

Et la voute reridit un son mélodieux. Agraies la franchit et se trouva bientót au palais. II vit Apol-


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lidon et Grimanèse reproduits d’une facon merveil-leusc, et, sur Ie jaspe, deux lignes creusées.

La première contenait : Madanil^ jils du dm de Bourgogne, a passé sous la voute des loyaux amantsnbsp;et accompli les épreuves.

L’autre ligne disait : C'est Ie nom de Don Bruneo de Bonnemer, fils de Vallades, marquis de Trocques.

Mahadil airaait Aguindes, comtesse dcFlandre; et Don Bruneo, Méïicie, fillc du roi Périon denbsp;Gaulc.

A peine Agraies avait-il lu, qu’une troisièrue ligne apparut :

C'est Ie nom d'Agraies, fils de Languines, roi d'E-cossc.

Amadis, voyant Ie succes d’Agraies, iuvila ses compagnons è Ie suivre. IIs s’excusèrent sur Ie peiinbsp;de passion qu’ils entretenaient è ce moment; denbsp;sorte qu’il les laissa Ifi et s’avanga seul sous lanbsp;voute.

L’image de bronze rendit Ie son Ie plus harmo-nieux qu’on eüt encore entendu, et sa trompe, au lieu de fumée et de flammes, inonda l’lierbe denbsp;fleurs suaves.

Amadis vit les statues qui paraissaient animées, et il rejoignit Agraies, avec lequelil visita Ie palais.

Florestan et Galaor se firent indiquer la Gham-bre-Défendue. Florestan seul eut l’envie de l’éprou-ver; il s dvaiiga résolüment, traversa Ie perron de cuivre et s’abattit au perron de marbre, terrassénbsp;par une quantité de coups d’estoc et de taille invisibles qu’il ne pouvait rendre. 11 se crut mort surnbsp;1’heure, et il perdait connaissance lorsqu’uue forcenbsp;rnystérieuse Ic rejeta brutalement au dehors...

Galaor, indigné de eet accueil fait a Florestan, prit ses armes et s’avanga vers la Chambre pour Ienbsp;venger.

Mais, a son tour, il fut assailli par une grêle de coups mieux fournis qu’il n’eüt suppose, et sa co-lère, devenant furieuse è mesure que la résistancenbsp;augmentait,il assiégea rudementle perron de marbre, qui fut vigoureusement défendu par des forcesnbsp;supérieuies toujours invisibles. Galaor fut plusnbsp;meurtri que Florestan.

Pendant ces escarmouebes, Amadis ct Agraies yirent une inscription nouvelle paraitre sur Ienbsp;jaspe ;

Lelui-ci est Amadis de Gaule, Ie loyal amant, fils du roi Périon.

A ce moment, Galaor fut lancé au dclci des perrons, et sou nain se prit è cricr ;

'Jésusl mon seigneur Galaor est mort!

-Agraies accoururent a eet appel et par terre, Florestan ct Galaor,nbsp;nernbsp;nbsp;nbsp;nbsp;sirompus, qu’ils nc pouvaient son-

Agiaies crut qu il aurait les honneurs de la Ghambrc comme il avait eu ceux de la voute. Lais-saut done 1^ les trois chevaliers, il s’arma, clnbsp;après poir passé Ie perron de cuivre, il fut’ re-^nbsp;poussé sur celui de marbre de si belle fagon, qu’ilnbsp;n’avait rien è rcprocher aux autres...

Amadis, quoiqu’il rcgreltat la temérité de ses compagnons, ne put s’cmpèchcr de dire a Galaor .

Par Dien, mon frère, dussé-je y succomber, il me taut y aller aussil...

Monseigneur, répondit Galaor, (pic notre cx-périence vous suffise 1 II vous arrivera mal de ces diableries-Ial...

— nbsp;nbsp;nbsp;Advienne que pourral répondit Amadis. Jenbsp;suis déshoré si je n’y vais.

Alors, bien garanti par son écu, et l’épce nue, il ajouta :

— nbsp;nbsp;nbsp;O chère dame Oriane! tout mon courage etnbsp;toutc ma force me sont venus de vous jusqu’anbsp;cette heure... Ayez aujourd’hui mémoire de celuinbsp;qui vous implore!...

Puis, avec rapiditc, il s’avanga vers la Chambre, oü, une fois, il lui sembla avoir affaire a plus de mille chevaliers ensemble. Mais Oriane Ie con-duisait sürement, car son courage Ie débarrassanbsp;des lutins et démons qui lui faisaient rude guerre,nbsp;et il gagna enfin 1’entrée de cette chambre mys-térieuse, oü une main l’attira. Bientót il entenditnbsp;une voix qui criait :

— Sois bienvenu, brave chevalier qui surpasses en vaillance et en amour Ie créateur de céans! La seigneurie de cette ile t’appartient comme aunbsp;plus digne!...

La main, qui paraissaitflétrie et d’unc personne fort agéc, disparut, et Amadis resta aussi reposenbsp;que s’il n’cut rien combattu. Otant alors sou écu,nbsp;et remettant son épee au fourreau, il remercianbsp;Oriane, a qui il rapportait tout l’honneur qu’ilnbsp;avait eu.

Les habitanls de File avaient été témoins de la conduite d’Amadis; ils avaient vu la main qui l’a-vait accueilli, et la voix annongant sa victoire s’é-tait fait entendre partout. 11 fut mis en possessionnbsp;de File, a la grande joie de Galaor et de ses compagnons, cent ans après qu’Apollidon y eüt misnbsp;ces enchantements...

CHAPITRE XIII

Commenl Durin partit pour aller trouver Amadis, auquel il présenta les lettres d’Oriane, et du mal qu’il en advint.

a princesse Oriane se lamentait de ne jplus revoir Amadis. Elle se crut ou-(oliée de eet ingrat; elle lui écrivitnbsp;une lettre pleine de doléances, luinbsp;donnant congé de son amour et Ienbsp;priant de ne jamais plus s’occupernbsp;d’ellc, dont Famour s’était changé ennbsp;haine jusqu’ü la mort... \

Cette lettre écrite, elle pria Durin, frère de la demoiselle de Danemark,nbsp;d’aller en pourvoir Amadis chez lanbsp;reine deJSobradise.

Examine bien, ajouta-t-elle, la contenance d’Amadis a la lecture de cette lettre, dont je ne veux pasnbsp;avoir de réponse...

Durin s’en aha yitement chez la reine Briolanie, oü il apprit qu’Amadis élait parti depuis deux jours pournbsp;la Grande-Bretagne et qu’il avait touché a File Ferme.

Durin, saus s’arrêter, prit Ie chemin do File; il


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y arriva Ie jour mème oü Amadis passait sous la voüte des loyaux amants.

Durin voulait abarder Amadis; mais Gandalia l’en empêcha, siipposant avcc raison qu’il portaltnbsp;un message d’Oriane qui pourrait retarder l’é-preuve de la Chambre.

Lorsque Amadis eut été reconnu roi, Durin lui fut annoncé, et il lui raconta comment sa maitresse l’avait cbargé de lui faire tenir une lettre.nbsp;Amadis s’en empara avec empressement, lut ennbsp;se retournant; mais il se prit fort a pleurcr ennbsp;lisant Ie congé d’Oriane; et, arrivé la deruièrenbsp;phrase ; « Celle qui ne regretiera en mourant quenbsp;d'avoir vécu pour vous,» il jeta un soupir a fendrenbsp;l’aine et perdit aussitót connaissance...

Durin, désolé de ce rósultat, fut sur Ie point d’appeler a l’aidc. II se contenta de relever Amadis. Ce pauvre amant s’écriait:

— nbsp;nbsp;nbsp;Voilü done la récompense de la fidélité!nbsp;Celle pour qui j’aurais soutfert mille morts m’a-bandonne saus raison!... Comment Dieu permet-il que je sois ainsi foudroyé saus l’avoir mérité?...

11 rait la lettre sur son sein et proposa a Durin d’emporter une réponse; mais celui-ci refusa denbsp;se charger, suivant l’ordre d’Oriane, de quoi quenbsp;ce fut.

— nbsp;nbsp;nbsp;Je vois bien, murmura alors Amadis, navré,nbsp;que mon malheur est sans remède et que je n’ainbsp;plus qu’a mourir!...

II se leva en chancelant, alia laver ses yeux, rouges do larmos, a l’eau du ruisseau voisin. Puisnbsp;il envoya querir Ie gouverneur Isanie et sou fidélenbsp;Gandalin; au premier, il fit promeltre de gardernbsp;Ie secret de ce qu’il verrait, jusqu’au londcmainnbsp;matin é l’heure de la messc; au second, il ordonnanbsp;d’aller l’attendre è la porto du chateau avec sounbsp;cheval et ses armes.

Peu de temps après, il les rejoignit, et tous trois se mirent a cheminer é l’aventure jusqu’a un ermitage dédié a la vierge Marie.

Amadis, se jetant a genoux, implora mentalc-ment la grande consolatrice des affligés. Puis, at-tirant Gandalin a lui, il l’embrassa étroitement en disant :

—Ami, lo inême lait nous a nourris tous deux... J’ai été sauvé de la mor par ton père... Je veuxnbsp;aujourd’hui m’acquilter en vers toi... Comme tonnbsp;dévouement, que je n’espérais pas récompensernbsp;sitót, m’est devenu inutile, nous allons nous sc-parer... Je tedonne Pile Ferme... Isanie, qui ennbsp;est Ie gouverneur, t’obéira comme a moi, et il or-donnera ^ mes sujets, devenus les tiens, do t’obéir

aussitót que Ie bruit de ma mort sera connu.....

Ton père et ta mère, qui out eu taut de soin de moi, en jouiront duront durant leur vie; tu pren-dras ensuite leur succession... Quant a vous, Isa-nic, avec Ie produit (pic vous retircrez de cettenbsp;ile, vous fercz constniirc une abbayc pour treidcnbsp;rcligieux, et voiH Ia consacrcrcz è la Vierge Marie...

Amadis dit et se tut.

Gandalin voulait suivre son mailro, et Isanie lui-méme ne voulait j)as abandonner sou roi. Maisnbsp;Amadis refusa avec autorité; il donna a Gandalinnbsp;ses armes, Ic priant de se faire recevoir chevaliernbsp;par Galaor, auquel il Ie priait de s’altaclier commenbsp;a lui.

— Disè Ga’aor, ajouta-t-il, qu’il prenne a sou service Ardan, mon nain, et recommande è cc

dernier d’etre fidéle et diligent.....Maintenant,

puisque je n’espère plus vous revoir, priez Dieu pour moi, et, sur votre ame! je vous défends denbsp;me suivre...

En parlant ainsi, Amadis avait les yeux pleins de larmes. II rcmonla a cheval, partit au galop,nbsp;sans lance, sans écu et sans armet, et entra ennbsp;pleine montagne, laissant aller son cheval a l’a-venture.

Vers Ie milieu de la nuit, Ic cheval rencontra un ruisseau ou il hut; puis, en reprenant course,nbsp;Amadis fut choqué ruderacnt par des branchesnbsp;d’arhres, cc ([ui Ic tira de sa préoccupation. 11 re-garda autour de lui : Ie gazon était épais, Ie hoisnbsp;touffu; il pensa qu’il était hors de vue, et, aprèsnbsp;avoir attaché son cheval, il s’étcndit pour réver ;inbsp;sou aise. Mais Ie sommeil Ic plus profond ne tardanbsp;pas è venir réparcr les fatigues de son corps et denbsp;son cerveau.

CIIAPITRE XIV

Commcnl Gandalin ct Durin portèrcnt fi Amadis ses armes, qu’il avait oubliécs, et comment co dernier combattit con-tre un chevalier qu’il vainquil.

andalin ct Durin, après Ic tristc depart d’Amadis, vou-lurcnt lui porter ses armes.nbsp;Drenant congé d’Isanie, ilsnbsp;suivirent, autant qu’ils jugè-rent, la rnêine direction, et,nbsp;après une bonne marche, ilsnbsp;¦entendirent hennir Ic chevalnbsp;d’Amadis, qui sentait appro-cher les deux autres.nbsp;Gandalin pensa ([u’Araadisnbsp;, n’était pas loin.—11 s’avanganbsp;^discrètcment sous les brati-^ches et rapergut éndorminbsp;sur Ie bord d’uu ruisseau. Amadis se révcilla bien-tüt et SC leva comme un homme surpris; puis ilnbsp;se rassit sur l’herbc ct commenga a gémir è hautenbsp;voix sur sa situation.

II passa en revue sa vie, ses combats, les honneurs (ju’il avait regus, toutes choses périssablcs qui ne valaicnt pas 1’amour d’Orianc. Gandalin ctnbsp;Durin plcuraient fort a cc récit,(pi’ils cnlendaientnbsp;sans être vus.

Lors s’avanga de leur cóté un chevalier qui chantait ses amours. 11 disait, tlans sa romance :

Amour, amour, je vous suis redevable Bien plus que nul gentilhomme vivanl.

Vu que loujours vous me rende/, uimablc Envers la dame oü jc suis poursuivant.

Temoin cn est la reine Sadamire Que jaimai tant d'une amilic profondc.

Comlnc, it prdsent, d’elle jc me retire,

J’aimc la lille au mcillcur roi du monde :

C’cst Oriano, oü grand’bcaulc se range.

La nompareille ici-bas, la plus bolle !... lleurcux me sous de chanter sa louangc,

1’lus beureux suis d’etre taut aimé d’cllc !...


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LE BEAU-TENEBREUX. 15

Lorsqii’il cut fini sa romance amourcuse, co. chevalier se retira sous uii arbre, pensant y passernbsp;Ie veste de la nuit. Mais il lui arriva pire qu’ilnbsp;n’attondait, car Gandalin, au nom d’Oriane, dit iinbsp;Durin ;

— Notre seigneur n’a pas entendu celtc chanson ; il i'aut que je sachc dc lui cc qu’il faut faire...

IN il cnlra dans Ie fourré. Amadis, (jui clicr-chaitson cheval, fut surpris dc cette apparition, a laquclle il cria dc s’arrêtcr.

— Je suis Gandalin, nion seigneur, dit celui-ci, ct, nialgrê votre defense dc vous accompagner,nbsp;j’ai voulu vous deinandcr cc qu’il peut penser desnbsp;sols propos d’un chevalier (jui est ici prés...

— Je l’ai fort bien entendu, répondit Amadis, ct ne m’cn inquiètc pas. Je suis si désolc, que jenbsp;n’ai ni emur ni force pour rclcver la moindrc ou-trecuidancc...

— Seigneur, reparlit Gandalin, faites-moi la grace dc penser a mieux vous defendre, ainsi quenbsp;Yotre dame, d’autant jiliis que Durin, qiii in’a ac-compagné, fera Ic roeit dc celtc aventure a cellenbsp;que vodis airac/laiit.

Amadis, yaincu par celtc prière, s’appvocba du chevalier.

— Miserable coureur! lui cria-t-il, il te sied bien dc «diantcr des amours quo tu n’as jamaisnbsp;cues ni jamais méritécs 1 Je tc Ic prouverai en tenbsp;taillant en pieces!...

— Grois-tu, répondit Ie chevalier, quo si j’ai été aimé, je ne sois pret ii Ie soutenir?. ..

— Je pretends, reprit Amadis, qu'il y a en amour plus dc raai que de bien, ct je veux voir si Ie bon-heur dont tu te flaltes est h la hauteur de mes in-fortuneii...

Le chevalier se mit en selle et prépara ses armes •, puis tournant bride, il dit avec mépris ;

— Tu es indigno de te mesurcr avec moi, puis-qu’xVniour t’a banni en raison de ta vilenie!

— Goquin, lui répondit Amadis, tu cros dé-fendre tes amours avec ton bec au beu dc les dé-fendro avec tes armes; cc serail unc retraile Irop commode, en véritól...

¦— ïu as raison, rêpliqua le chevalier; je veux bien, malgré ta bassessc, terompre latète, puisquenbsp;tu parais le désircr absolument...

La-dessus ils foudirent l’uu sur l’autve, et si for-tement que les lances furent rompues, faussant leurs ecus de part en part; les armures, bien trem-pees, arrêtèrcnt les Ivon^ons. Un instant désar-Conne, le chevalier inconnu, aidé des rênes, qu’ilnbsp;arait conservées, se releva.

Vraiment, chevalier, lui dit Amadis, Amour a mal choisi j»our d(qecseur si vous no le sou-tenez jms inieux a 1 épée qu’ii la lance!...

Le chevalier, sans ètro trouble, attaqua Amadis 1 épee a la main. Maïs Amadis, se dressant sur sesnbsp;élriers, lui fendit rarmet, ct du mème coup cn-tama Ic clioval qui renversa sous lui son cavalier.

— nbsp;nbsp;nbsp;Gcntil amoureux, lui dit Amadis, je vousnbsp;conseillodc faire toujoursdcparcillcs prouosses aunbsp;service d’Amour, dont vous chantez si bien les

louangesQuant a moi, je vais ailleurs chcrclier aventure...

Puis, s appi'ocbant de Gandalin ct Durin , il dit a ce dermer:

— nbsp;nbsp;nbsp;Va, rctouruc vers ta maUressc qui t’a cuvoyénbsp;pour rnon malheur!... La mort seule pourra fmirnbsp;les tourments que j’endure... Salue de ma part lanbsp;princesse Mabile et la demoiselle de Danemark...nbsp;Annonce-leur raon trépas prochain.. Plaise iiDieunbsp;qu’avaut de mourir, je puisse leur rendre les biensnbsp;ct faveurs que j’en ai requsi...

Les larmes i’empêclièrent de continuer. Durin avail le eoeur si brisé qu’il ne trouva rien a ré-pondre.

Amadis l’embrassa en le recommandant a Dien.

L’aube commenqait a poindre k cc moment. Amadis aperqut Gandalin é ses cótes et il lui dit:

— nbsp;nbsp;nbsp;Si tu as résolu dc m’accompagncr, jure dc nenbsp;me détourner de rien, soit en paroles, soit en actions, sinon prends un autre chemin, quo je ne tenbsp;voie plus I...

— nbsp;nbsp;nbsp;Sur mon honneur, répondit Gandalin, je ferainbsp;co que vous ordonnerez !...

Alors Amadis lui fit preudre ses armes et reli-rer do son écu l’cpéc du chevalier amoureux, a qui cllc fut rendue.

GHAPIÏRE XV

Quel (jtait le chevalier vaincu par Amadis et cc qui lui clait adveiiu avant de combaltre centre lui.

Ge chevalier s’appelait Le Patin, Irère de Sidon, alors erapereur de Rome. On le respeclait partout,nbsp;paree qu’il était chevalier rcdoutable, et, de plus,nbsp;paree que son frère, trop agé pour avoir descendance, devait lui laisser ses Ltats.

Le Patin tenait un jour devis d’amour avec la reine de Sardaignc, nominee Sadamire, et mutuel-lement ils se louaient de lours atlraifs. Le Patin,nbsp;enivré de eet oneens, projet a incontinent d’allcr ennbsp;Grande-Bretagne disputcr pour Sadamire contrenbsp;Ui iaue le prix dc beauté.

— Je soutiendrai, disait-il, votre beauté seul contre les deux meilleurs chevaliers qui diront lenbsp;cqniraire... Si je suis vaincu, jc veux que Ie roinbsp;Lisvart me tranche la tête...

— Je ne suis pas de eet avis, réjiondit la reine. II y a d'tiutres nioyens de prouver sa chevalerie.

— J’ai juré de prouver que vous êles aimée du raeilleur chevalier de la terre, et je poursuivrai monnbsp;dessein, repartit Le Patin.

En eiïet, pen de temps après ii se rendit a la cour du roi Lisvart. Et comme son train était plusnbsp;riche quo l’ordinairc des chevaliers orranls, le roinbsp;le prit a part afm de connaitre son iiom el lui fairenbsp;l’hoimeur qu’il mérilait.

— Sire, r(‘pondit Patin , je nc suis pas venu ici ])Our cacher mon nom, imis ;iu contraire pour menbsp;faire connaitre dc vous et de vos seigneurs... Jenbsp;suis Lc Patin, frère de I’cmpercur de Rome... Jcnbsp;vous en dirai davantagc ajjrès avoir vu madamenbsp;Oriauc, votre fillc...

Lc roil’cmbrassa commo sou cousin, s cxciisanl do 110 l’avoir rcconnu plus lót. A souper, les ri-cliesses des apparlcments ct lc norabre des seigneurs lui firont parattre incsquin lc train de sonnbsp;frère.

Le lendeniain, la reine le rcQiit avec Oriane, qui lui parut si belle qu'il Iransporta tout son amour


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10

RIIILIOTIIEQUE BLEUE.

pour Saclamire dans son regard. Pourtant Oriane était palie par sa Jalousie a rencontre d’Amadis!...

Le Patin fut si fort enamouré qu’il résolut de demander Oriane en mariage, pensant qu’on lanbsp;lui accorderait facilement a cause de sa naissance.

Après le diner, comme il devisait avec le roi de choses et d’autres, il aborda ce sujet inattendu.

— Sire, dit-il, maintenant que j’ai vu votre fille Oriane, je vous demande sa main... Par mon frère,nbsp;je serai un jour empereur de Rome, et, dès au-jourd’hui, je ne connais prince qui ne m’eraployalnbsp;de préférence amp; tout autre. J’ai fait une route sinbsp;longue pour vous prier de m’accorder eet honneurnbsp;de me prendre pour gendre.

— Mon cousin, répondit Ie roi, la reine et rnoi avons résolu de nous fier au choix de notre fille...nbsp;Je lui ferai votre proposition qui nous honore tous,nbsp;croyez-le.

Le roi n’en souffla mot k Oriane, mais répondit au Palin qu’elle avait refuse de s’établir encore sinbsp;tót.

Le Patin demanda a Oriane si elle approuvait l’avis de son père; elle assura que de tout tempsnbsp;elle avait été soumise a ses moindres volonb's.

11 se tint pour accepté de la princesse et résolut d’aller éprouver sa vaillance contre les chevaliersnbsp;errants.

Le roi lui représenta tous les dangers qui l’at-tendaient contre des hommes habitués a toutes les armes, mais il ne put le détourner du déiir denbsp;faire entendre parler de ses prouesses. Le Patin par-tit done après avoir compose la chanson qui soutintnbsp;son courage jusqu’tt sa rencontre avec le désolénbsp;Amadis.

Durin, quittant Amadis pour retourner vers Oriane, passa prés du chevalier blessé qui l’appelanbsp;pour se laire panser dans les environs.

— II n’y a qu’un endroit convenable, dit Durin, mais on y est en ce moment si affligé du départ denbsp;celui qui l’a gagné qu’on ne vous répondra pas.

— II me semble, fit Le Patin, que ce lieu gagné doitêtreTlle Ferme. Elle estdéjé gagnée? j’en suisnbsp;faché, car je me proposais de le tenter.

Durin lui répondit en souriant:

— Sur ma foi, au lieu d’honneur il vous serait arrivé bien de la honte, é moins que vous n’ayeznbsp;quelque prouesse cachée supérieure é ce que vousnbsp;nous avez montré.

Le Patin, furieux, voulut chatier Durin, mais il fut curieux de connaitre l’auteur de la conquète denbsp;File, el lui demanda son nom.

— Après avoir entendu le vótre, répondit Durin.

Le Patin lui apprit qu’il était le frère de I’em-pereur de Rome.

— J’en suis bien aise, répliquaDurin, mais je vous vois aussi fort de lignage que faible sous lesnbsp;armes et grossier en langage, d’après les proposnbsp;que vous avez tenu tout a l’heure au chevalier quonbsp;vous désirez connaitre , qui est celui-la même quinbsp;vous a mis en bon état. Vous m’accordereznbsp;aisément qu’il est mieux que vous digne de cettenbsp;conquète.

Ge disant, il donna des éperons è son cheval sur la route de Lqndres, avec la résolution de raconternbsp;è madame Oriane toutes les paroles et les hauls failsnbsp;d’Amadis.

CHAPIÏRE XVI

Comment Galeor, Florcstan el Agraics enlre-prirent la recherche d’Amadis qui, laissanl I ses armes et son nom, s’était retiré pour vivrenbsp;avec un crmiie.

t

-.n quittant rilc-Ferme, Amadis { n’avait prévenu ni Galaor, ninbsp;•^Florestan , ni Agraies; Isanienbsp;ƒ avait jure de garder le secret denbsp;son départ.

Le lendemain, privés de leur ami, ils le réclamèrent au gou- ,nbsp;verneur qui,leslarmes aux yeux,nbsp;leur raconfa tout ce qui s’était passé.

Ils furent contristés de tous ces détails navrants.

Galaor s’écria que, malgré touto defense, il rechercherait son frère, et qu’il le venge-rait OU mourrait it la peine.

Isanie pria Galaor de se charger du nain Ardan que lui laissait Amadis.

Le pauvre nain s’arrachait les cheveux et parlait de se tuer si son maitre était défunt; enfin, pendant quelque temps ce ne furent quo lamentationsnbsp;et sanglots.

Florestan prit la parole le premier, et dit:

— Laissons lè les pleurs qui vont bien aux femmes et agissons de suite, car le temps passe etnbsp;le seigneur Amadis s’éloigne a chaque minute.

Ils montèrent a cheval sous la conduite d’Isanie jusqu’a l’endroit oü Amadis I’avait laissé, puis ilsnbsp;continuèrent jusqu’a ce qu’üs trouvèrent Le Patinnbsp;blessé è qui ses écuyers faisaient une litière avecnbsp;des branches.

Ils le saluèrent en passant et lui demandèrent qui l’avait ainsi outrage. Mais il fit signe que sesnbsp;écuyers répondraient pour lui. Galaor apprit quenbsp;c’était de la main d’un chevalier venu de l’Ile-Ferme, qu’il avait été si mal habillé.

— Et qu’est devenu ce chevalier? fit Galaor.

— Nous ne le savons point, rópondirent les écuyers; nous étions loin d’ici pendant le combat;nbsp;nous pensons l’avoir rencontré en venaiit; il cou-rait a travers la forêt en poussant des plaintes, etnbsp;suivi d’un écuyer en deuil portant ses armes et sonnbsp;écu k deux lions de sable.

— G’est celui que nous cherchons, ditFlorestan.

Les écuyers indiquerent la route que prirent les chevaliers au galop.

Les chevaliers marchèrent longtemps et s’arrê-téreut a un carrefour oü ils décidèrent de se sépa-rer pour se retrouver, ü la Saint-Jean suivanto, è la cour du roi Lisvart.

Leurs adieux furent déchirants, et leurs recherches infructueuses au milieu d’un dcdale d’aven-tures et de dangers.

Amadis , après avoir renvoyé Durin, langa son cheval ii fond de train et arriva a un.torrentnbsp;qui coupait une vallce. Cc lieu étant trés retiré, ilnbsp;s’y arrêta etGandalin l’y rejoignit.

— Prends ces deux chevaux et me laisse, lui dit-il; fatigue ou repos ne peuvent soulager monnbsp;mal, je ne pensc plus qu’a mourir.

— Ecoutez-moi, répondit Gandalin, votre dame


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T.E BRA U-ïfi NR BREU X.

a dü recevoir quolque faux rapport sur vous, car ' elle na pu changer ainsi subitement amour ennbsp;haine sans cause ni raison; la vérité se fera con-naitre, et ne uésespérez pas de la voir proclameenbsp;par celle mêrne qui cause vofre malheur aujour-d’hui.

—Tais-toi, répliquax\madis; enmourant, j obeis amp; ma dame, s’il lui plait m’octroyer eet ordre; si jenbsp;n’attribuais tes paroles a I’interet que tu as pournbsp;moi, je te décollerais la tète.

Puls il se leva égaré et coloya Ie torrent._

Gandalin ne voulut pas Ie suivre; accablé de fatigue, il s’endormit profondément.

Amadis, en revenant, l’aperc.ut, ne Ie rcveilla pas, mais alia prendre et seller son cheval; puis,nbsp;cachant les harnais de celui de Gandalin dans lesnbsp;buissons, il gagna Ie haul de la monta^ne.^

11 marcha jusqu’au lendemain et sarrêla a la fontaine nommée du Plein-Ghamp, pour faire ra-fraichir son cheval.

En s’approehant, il aperqutun rcligieux fort ögè qui faisait boire son ane,

Amadis Ic salua et lui demauda s’il était prêtre.

— Oüi, certes, répondit Ie vénérable vieillard , il y a plus de quarante ans que je Ie suis; si vousnbsp;avez quelque péché a confesser, je vous en donnenbsp;1’occasion.

Amadis se jeta a ses genoux et lui fit Ie récit de ses aventures.

— Je vois, dit a la fin Ie rcligieux, que vous êtes de haute lignée; oubliez ces chagrins causes parnbsp;unc femme dont Ie coeur se prend vite et oublienbsp;plus vite encore. Eloignez-vous désormais de ccsnbsp;occasions qui déplaisent a Dieu et aux personnesnbsp;de vertu.

— Ah! mon père, répondit Amadis, j’en suis arrivé a détester la vie, et je vous supplie, au nomnbsp;de votre Dieu, de me recevoir en votre compagnienbsp;et consoler ma pauvre ame bientót veuve de uionnbsp;miserable corps'.

Dés a présent, je quitte harnais et chevaux pour vous suivre a pied et faire telle pénitence qu’il vousnbsp;conviondra de m’infliger; sur votre refus, j’irai me

perdre k travers ces bois sans absolution et vous cn serez coupable.

— Croyez-rnoi, repartit 1’ermite, un pared dés-ppoir ne convientpas ti un chevalier commo vous; les femmes se fient bien plus aux rapports qu’onnbsp;leur fait qu’a la vertu do leurs amants, vous Fé-pvouvez vous-même en cc moment : soyi*z fermenbsp;dans la Constance et la vertu, ct puisqueDieu vousnbsp;a cree hls de roi, vous gouvernerez un jourlc mondenbsp;OU il vous faut retounier.

, nbsp;nbsp;nbsp;« on père, répliqua Amadis, Ic soin de mon

ame me preoccupe par-dessus tout, accentez-moi comme sociéle ou bien je me laisserai occire parnbsp;les bètes (Ie cette forèt.

A cette obstination, Ie vieillard répondit par des larmes arnères; sa longue barbe blanche on étaitnbsp;inondée, il continua pourtant;

— Ilèlas! raion enfant, la vie austere que je mène et Ie lieu que j’habite ne vous conviennent guèro.nbsp;Mon ermitage est au sommet (i’un rocher silué amp;nbsp;sept lieues cu mer; on n’y peut arriver qu’au commencement du prinlcmps; malgré cela, Dieu m’ynbsp;conserve depuis trente ans a 1’aidc des aumónes denbsp;quclques bonnes geus d ici.

— nbsp;nbsp;nbsp;Je vous assure, fit Amadis, qne cela corablenbsp;mes désirs; je vons supplie derechef, pour Famournbsp;de Dieu, de m’emmener avec vous.

L’crrnite, attendri par cette insislance, consenlit cl Ie prendre chez lui.

Amadis lui balsa les pieds, implorant une pénitence; Ie saint horame récita les vèpres, après les-quelles il tira de sa besace une croüte de pain et un poisson cuit au soleil, et pria Amadis de partagernbsp;avec lui.

Quoiqu’il n’cütrien pris depuis trois jours, Araa-dis refuse.

— nbsp;nbsp;nbsp;Mon fils , lui dit 1’ermitc, vous avez proraisnbsp;de m’obéir, raangez; si vous mouriez en ctat donbsp;rébellion, votre ame serail perdue.

Amadis se conlraignit h manger quelques micttes, son coeur éclalait en soupirs. Après cette collation,nbsp;Fermite étendit son mantcau, se coucha dessus etnbsp;se roposa. Amadis se tint a ses pieds et tacha donbsp;s’endormir; raais Ie sommeil ne s’empara de luinbsp;qn’après bien des agitations, et il rêva qu’il étaitnbsp;entermé dans une piece obscure sans issue; Mabilenbsp;et ja demoiselle de Danemark Fy venaient visiter,nbsp;pri'cédéc's d’un rayon de soleil. Elles Feramenaicntnbsp;ensuito vers un palais.

A peine ctait-il dehors qu’il vitOrianc envclop-pcc de feu, ct il sc mit ii crier;

— Jésus! secourez madame Oriancl

Et lui-mème se jeta au feu pour la sauver, la prit entre ses bras et Femporla sur une pelousc toutenbsp;fraiche et verte.

Au cri que poussa Amadis, Ie bon ermite s’éveilla et lui en demanda la raison.

—Mon père, répondit Amadis, je viens d’éprou-ver en dormant un malaise tel que je m’étonne d’etre encore en vie.

— Votre declamation Fa assez prouvé, répliqua Fermite; mais levons-nous, il est temps de parlir.

Et il inonta sur son ane, suivi d'Amadis; tons deux prirent Ie chetnin de Fermitage, et en devi-sant Amadis pria son compagnon de lui accordernbsp;une grace, ce qui lui fut promis.

— Je vous supplie, dit Amadis, de nedire a per-sonne qui je suis; eommcz-moi comme il vous plaira; quand je serai mort, vous avertirez mesnbsp;fibres (Ie venir prendre mon corps pour lui donnernbsp;la sépulture en Gaule.

— Votre mort et votre vie, répondit Fermite, sont a Dieu; vous Foffensez en parlant ainsi; ai-incz-le pour ciu’il vous aide. Quel nom toutefoisnbsp;vonlez-vous porter?

— Celui qui vous plaVa, fit Amadis.

El tont en cheminant, Fermite examinait Ama-dis qui lui paraissait de plus en plus beau, mais il lo voyait si désolé (ju’il s’avisa de lui donner unnbsp;nom conforme a sa mélancolie.

— Mon fils, quoique vous soyez jiumc et de belle taille, lui dit-il, votre ennui pourtaut rend votrenbsp;existence ténébreuse; c’csl pour.pioi je vous donnenbsp;Ie nom do Beau-Ténébreux.

Ge nom pint ii Amadis, car il indiquait de la jiart de Fcrmilc une l:iiilaisi(3 intelhgente.

Ils arrivérent ;'i Ia unit pres de la mer, oü une barque les mena fi la Rochc-Vauvre, nommée ainsinbsp;a cause de la slcrilité du lieu.

L’crmile reprit la conversation cl confia a Amadis son nom qui était Andahod; il avail été dans Ic-

2” Série. — 2


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18 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

monde et connai^sait les sciences, niais Dien lui conseilla un jour de se retirer dans ce pauvre en-droit, oü il demeurait depuis Irente ans, sans ennbsp;ctre sorti, excepté la veille de sa rencontre avccnbsp;Amadis, pour assister aux obsèques d’une de sesnbsp;soeurs.

Le Beau-Ténébreux fut ravi de se trouver dans un endroit oü bientót la mort finirait ses ennuis.nbsp;11 passa ses jours en pleurs, dédaignant son an-cienne gloire et méprisant toutes les vanités.

Le dépit d’une faible femme l’avait rendu misanthrope, et il n’avait pas óté plus invulnerable qu’une infinité do grands personnages de l’anciennbsp;temps.

Au lieu de les prendre pour exemple, il eüt dü éviter leurs fautes, co dont il ne s’avisa point.

Gandalin, en s’évcillant, se trouva seul et ap-pela Amadis. L’écho seul lui répondit et il supposa la vérité.

Toutefois, résolu de cbercher son rnaitro, il s’apergut qu’il n’avait ni bride ni selle; il les trouvanbsp;enfin ainsi que le cheval, et, s’ctant mis en selle,nbsp;il no sut de quel cótó s’avancer; il marcha cinqnbsp;jours de village en village, s’informant d’Amadis.

11 deboucha un jour dans la prairie oü Amadis avait laissé ses armes et vit un pavilion abritantnbsp;deux demoiselles.

— Avez-vous vu, leur dit-il, passer un chevalier portant écu d’or a deux lions de sable.

— Nous avons trouvé 1’écu et le roste de son hariiois, répondirent-elles, quant a lui, nous nenbsp;le vimes pas.

— Ah! viergeMarie, s’écria Gandalin, eest fait de lui, lasl quel malheur! Le meilleur chevaliernbsp;du monde est-il ainsi perdu 1

Sa douleur était vraiment affreusc et navrante.

— Comment, disail-il, ai-je pu vous garder si mal, négliger mes devoirs envers vous qui étiez lenbsp;rempart de tous les misérables, o mon seigneur.nbsp;Et je vous ai laissé parlir au moment oü je devaisnbsp;le plus m’atlacher a vous.

Le pauvre Gandalin se laissa choir de son che-val tant il était érau.

Alors les demoiselles s’écrièrent:

— Jésus, cel écuyer est morll

Elles coururent a lui el le firent revenir ü la raison.

— Mon ami, lui dirent-elles, votre mailre est peut-êlre vivant; au lieu de vous désespérer, pre-nez courage pour tenter de le retrouver.

Gandalin se rendit a ces raisons et il résolut de faire tant de démarches, qu’il aurait enfin des nou-velles d’Amadis.

Les demoiselles lui raconlèrent qu’étant en la compagnie de don Guillan-le-Pensif, qui les avaitnbsp;délivrées de la prison do Gardinos-lc-Félon, ellesnbsp;s’étaient arrêtées dans la prairie et qu’elles ynbsp;étaient depuis quatre jours.

Don Guillan avait reconnu les armes d’Amadis et les avait pendues a im arbre, jurant qu’elles ap-partimaient au premier chevalier du monde : qu’ilnbsp;lui fallait, sans tarder, aller è sa recherche.

— II nous a cqnfié la garde dc ces armes, et depuis Irois jours il esl revenu le soir sans succès; ce matin il a cmporlé i’écu du chevalier perdu,nbsp;en disant:

— nbsp;nbsp;nbsp;Gerles, écu, vous faites un mauvais échangonbsp;de votre maitre amp; moi.

— nbsp;nbsp;nbsp;Don Guillan doit porler ce Irophée a Ia cournbsp;du roi Lisvart, afin qu’on pleure le défunt; nons-mêmes nous devons informer la reine Briseno donbsp;ce que Guillan a fait pour nous.

Gandalin les recomraanda Dieu, les assurant qu’il continuerait, jusqn’a ce que mort l’empêchat,nbsp;do chcrcher celui duquel dépendait son repos.

CIIAPITRË XVII

Comment Durin retourna vers Ja princesse Oriane, porteur des nouvelles d'Amadis et dcnbsp;la douieur qu'elle conout en apprenant sonnbsp;désespoir.

urin, en laissant Le Patin dans la forét, se pressa sinbsp;fort pour retrouver Oriane,nbsp;qu’cn dix jours il arriva anbsp;Londres.

Oriane, en l’apcrcevant, sc rait ^ trembler si fort, qu’elle ne put parlor etnbsp;qu’elle pria la demoiselle do Danemark de le fairenbsp;enlrer dans sa chambre, oü elle voulait roster settlenbsp;avec Durin.

Durin se mit a genoux et Oriane lui dit:

— nbsp;nbsp;nbsp;Mon ami, raconte-moi sincèrcmont en quelnbsp;état tu as trouvé Amadis, la contenanco qu’il a enenbsp;en lisant ma lettrc et ce quo tu penses de la reinenbsp;Briolanie.

— nbsp;nbsp;nbsp;Madame, répondit Durin, quelqu’incroya-ble que vous paraitra la vérité je vais vous la dire.

Durin raconta toules les circonstances de son voyage jusqu’a l’lle Ferme et en vint aux épreiivesnbsp;de loyauté d’araour épuisées par Amadis.

Une gracicuse rongeur embellit le pMe visage d’Oriane a cette nouvelle qui l’cmpêchait de soup-Qonner la lidélité de son chevalier.

— Madame, continua Durin, mon seigneur Amadis a franchi ensuite le seuil de la chambrenbsp;enchantée et gagné la couronne de file Ferme,nbsp;disputéo depuis cent ans par les meilleurs clteva-liers. Nous avons pu visiter toutes les richesses denbsp;cc palais qui n’a d’égal en aucun lieu du monde.

— Vraiment, Durin, fit Oriane, la fortune lui a cté bien favorable.

— nbsp;nbsp;nbsp;Sans doutc, répondit Durin, mais hien ri-goureuse aussi. Plüt ü Dieu qu’un autre quo moinbsp;lui eüt porté votre lettre.

— Comment, reprit Oriane, dis-moi ce qu’il fit en la lisant?

— nbsp;nbsp;nbsp;Ma dame, cette facheuse lettre, répliqua Durin, les larmes aux yeux, a causé la mort du seigneur Amadis. Vous avez forgé le glaive que j’ainbsp;porté 1 Nous sommes tous les deux coupables d’ho-miridel

Durin entra dans tous les détails du départ d’A madis, des adieux qu’il avait fails, de son combatnbsp;avec Le Patin. 11 était aussi désolé qu’Oriane, dontnbsp;le cceur se soulevait comme une nier furieuse; lanbsp;pauvre dame finit par ne plus écouter et s’éva-iioait...

Durin appela Mabile et la demoiselle de Danemark.


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LE BEAU-TÉNÉBREUX, 19

LE BEAU-TÉNÉBREUX, 19

on Guillan-le-Pensif, après avoir quitté la fontaine oü ilnbsp;avait trouvé les armes d’A-madis, se mit a cheminernbsp;pqur gagner la cour du roinbsp;•Lisvart. Il portaltordinaire-

— nbsp;nbsp;nbsp;Secourez dame Oriane, dit-il, qiii est frappéenbsp;d’un mal auquel il n’est pas de reraède. Si elle anbsp;failli, Ie chètimeiit lui est justement revenu.

Oriane revint a elle après une longue pamoison, elle soupira et dit d’unevoix faible et dolente :

— nbsp;nbsp;nbsp;Que je suis malheureuse d’avoir fait mourirnbsp;celui que j’airaais Ie plus au monde; ó inon ami!nbsp;puisque je ne puis réparcr Ie mal dont je suisnbsp;cause, acceptez Ie sacrifice de ma vie. Mon ingra-tilude sera ainsi punie etvoiroloyauté reconnue...

Elle voulait continuer, mais sa voix s’éteignit.

Les dames qui l’entouraient voulaient appeler Durin pour connaitre la raison de son délirc, maisnbsp;Mabile déla^a Oriane et lui donna tant de soinsnbsp;qu’clle reprit connaissance.

— nbsp;nbsp;nbsp;Plüt a Dieu que je fusse morte, dit la bellenbsp;éplorée, d’avoir cause a mon seigneur Amadis,nbsp;chagrin de mort.

— nbsp;nbsp;nbsp;Croyez-vous, répondit Mabile, que mon cousin, s’il est parti, comine a dit Durin, a un autrenbsp;motif que celui de faire passer sa rnélancolie ennbsp;attendant que son innocence soit reconnue. Ecri-vez-lui de venir vous trouver amp; Mirefleur, oünbsp;vous l’attendez pour avoir pardon de votre faute.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ah! cousinc, fit Oriane, pensez-vous qu’ilnbsp;daigne jamais me regarder, ni faire un pas pournbsp;moi?.,,

— nbsp;nbsp;nbsp;L’amour qu’il a pour vous, reprit Mabile,nbsp;dépasse Ie chagrin que vous lui avez causé; lors-qu’il apprendra votre regret, il oubliera d’avoir éténbsp;Kialtraiié. II faut que la demoiselle do Danemarknbsp;se charge de Ie trouver, il la connait et a confianccnbsp;en elle.

— Eh bien I soupira Oriane, que Dieu l’accompa-gne et la ramène ici.

La lettre fut ècrite ii 1’instant par Oriane et remise è la demoiselle de Danemark, qui partit pour I Ecosse oü Amadis dcvait, suivant ces dames, s’ê-tre retiré avec Gandalin.

Dour colorer ce voyage, on fit entendre a la reine que Mabile envoyait quérir en Ecosse desnbsp;oouyelles de sa mère par la demoiselle de Dane-mark qui partit avec Durin sou frère, et Enil,nbsp;cousin de Gandalin.

Les voyageurs arrivèrent bientot a Vegil, port qui separe la Graiide-Bretaghe du royaurne d’E-

n Ds étaient a Poligez, oü ils verent Gandales qui s’en allait en^chasse.nbsp;ripc r.*!- ^PPritque deux princesses envoyaient

ceLesTm^!^ nbsp;nbsp;nbsp;d’Ecosse; que ces prin-

bien. nbsp;nbsp;nbsp;Oriane et Mabile, qu’il connaissait

écuvers^averlrp^)???*®®*’® nbsp;nbsp;nbsp;Danemark et ses

lais^ Duis lPur yS nbsp;nbsp;nbsp;^quot;ns son propre pa-

La demoiselle fut bien surprise de s’être ainsi

pondit qu on ne 1 avait pas revu a la cour denuis son depart pour venger Briolanie.

— On croit qu’il est venu vous voir en Ecosse la reine et ses parentes, et 1’on m'anbsp;charge de lettres pour lui.

AmadisX*^^**^^'*^ nbsp;nbsp;nbsp;P®^’’ empêcher

des nouvelles d’Orianl!*^'* supposerait avoir II y a loiigtenips, dit Gandales, que je desire

revoir Amadis, plüt a Dieu que vous l’eussiez rencontré ici.

Pendant trois jous on fèta les voyageurs, et Ie quatrième, la demoiselle remit a la reine d’Ecosse les lettres et présents que Brisène lui envoyait.

CHAPITRE XVIIl

Comment don Guillan-le-Pensif en portant en la cour du roi Lisvart les armes d’Amadis, qu’ilnbsp;avait trouvées, ent maille amp; partir avec quel-’i-^ques chevaliers ennemis de son seigneur.

ment a son cou l’écu du vaillant fils de Périon et ne l’ótait de la que lorsqu’il avait a combattre,nbsp;cas auquel il prenait son propre écu, craignantnbsp;d’offenser l’autre.

II y avait bien six jours qu’il cheminait ainsi, dolent et pensif, lorsqu’il fit rencontre de deuxnbsp;chevaliers, cousins d’Arcalaüs, lesquels reconnais-sant la targe d’Amadis etsupposant naturellementnbsp;que c’était a ce vaillant homrne qu’ils avaient anbsp;faire, délibérèrent entre eux de l’assaillir.

— Nous porterons la tête de ce paillard a notre oncle Arealaüs I ajoutèrent-ils un peu haut.

Guillan entendit cela, et, la colère lui montant au visage, il leur répondit ;

— Par Dieu ! mes pnillards, vous comptez bien lü sans votre héte... Apprenez, s’il vous plait, quenbsp;jamais les traitres ne m’ont épouvanté, et vousnbsp;êtes des trailres, puisque vous êtes parents d’Arcalaüs 1...

Lors, baissant la tête et couchant sou bois, il donna au travers d’eux comme une cornedle quinbsp;veut abattre des noix, et il en abattit un du premier coup, bien que ces cousins d’Arcalaüs fiis-sent jeunes et roides. Quant au second, voyantnbsp;bien que Ie mème sort lui était réservé, il s’en-fuit sans demander son resle.

Guillan-le-Pensif ne se souciait pas Irop, d’ailleurs, de Ie poursuivre, étant un peu blessé.nbsp;11 reprit done sa route sans plus de souci et, surnbsp;Ie soir, comme il se faisait tard, il s’arrêta cheznbsp;un sien ami, qui lui donna volontiers l’hospitalité.nbsp;Le lendemain, dés l’aube, il allait déloger, lors-que son héte, s’apercevant qu'il n’avait plus denbsp;lance, le pria d’en accepter une, ce qui lui agréa.nbsp;Puis il se remit en route.

Vers le milieu du jour, il arriya prés d’un fleuve, appelé Guynon, sur lequel était assis unnbsp;pont large seulement pour passer deux chevauxnbsp;de front. En s’approchant de plus prés, Guillannbsp;avisa un chevalier qui portaitun ecu vert ü bandenbsp;d’argent, et dans lequel il reconnut son cousinnbsp;Ladasin. Ladasin se disposait ü passer le pont;nbsp;mais, de l’autre cóté, il y avait un chevalier, lanbsp;lance en arrêt, qui lui défendit do passer outrenbsp;sans avoir rompu une lance avec lui.


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20 BIBLIOTHÈQUE BLEUE,

— Je ne m’arrête pas pour si peu de chose 1 ré-pondit dédaigneusement Ladasiii.

Et, dormant des éperons a son cheval, il s’clauQa pour passer. Autant en fit celui qui gardait Ie passage, lequel était monté sur un grand cheval bainbsp;et portait un heaurne noir et un écu d'argent amp; unnbsp;lion de sable. Leur choc fut si violent qne Ladasinnbsp;tomba dans Ie fleuve, oü, sans doute aucim, il senbsp;fut noyé, tant a cause du poids de ses armos qu’anbsp;cause de la hauteur d’oü il était chu, s’il n’eüt parnbsp;bonheur rencontré quelques débris de bois aux-quels il se harpa.

Pendant que celui qui Favait abattu retournait tranquillement a sa place, a Fextrémité du pont.nbsp;Don Guillan-le-Pensif courait au secours de sounbsp;cousin et Ie tirait k bord.

— Par Dieu I cousin, lui dit-il, sans ces rames vous étiez noyél... Par ainsi, les chevaliers étran-gers commc vous et moi devraient se raéfier desnbsp;joutes sur de tels ponts, car ceux qui les gardentnbsp;y ont leurs chevaux faits et adextrés de longuenbsp;main, avec lesquelsils acquièrent plus que par leurnbsp;vaillance propre, honneur et reputation au prejudice de chevaliers qui valent cependant mieuxnbsp;qu’eux... Quant a moi, je serais un jour entiernbsp;sans jouter avant que de me mettre en tel hasaid,nbsp;et je me retirerais de ce moment si je n’avais a vousnbsp;venger du bain que vous venez de prendre centrenbsp;votre grél...

Gela dit, Guillan-le-Pensif s’assure sur ses étriers, mit sa lance en arrêt et courut sus aunbsp;chevalier èi 1’écu d’argent, lequel en faisait autantnbsp;de son cóté.

Guillan fut plus heureux que son cousin, et ce fut ]ui,.cette fois, qui eiivoya son adversaire dansnbsp;la rivière, avec son cheval. Tous deux nagèrent,nbsp;Ie chevalier du cóté de son bord, son cheval dunbsp;cóté oü se tenaient les écuyers de Ladasin, dont Ienbsp;cheval, toutal’heure, avait fui sur Ie bord oppose;nbsp;ce qui amena, tout naturellement, une demandenbsp;d’cchange.

— Comment?... répondit Ie chevalier au heaurne noir ü 1’éciiyer qui était vénu réclamer Ie clievalnbsp;do Ladasin et aussi celui de Guillan qui s’étaitnbsp;échappédu cóté de ce chevalier. Comment?... Pen-seiit-ils done échapper aussi facilement de mesnbsp;mains?

— Oui bien, répondit Fécuycr, car ils ont fait au passage tout ce que la coutume requiert.

— Non, pas encore, reprit Ie chevalier au heaurne noir, puisque nous sommes tombés tousnbsp;deux... 11 faut qu’ils gagnent leur droit dc passagenbsp;avec l’épée.

Et, sans plus discourir, il s’avanpa incontinent vers Guillan-le-Pensif, et, Ie prenant a parti, il luinbsp;Jit:

— nbsp;nbsp;nbsp;Chevalier, vous avez fait longuement parlernbsp;votre ambassadeur... A votre tour maintenant ;nbsp;otes-vous vassal du roi Lisvart?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Pourquoi me demandez-vous cela? réponditnbsp;Guillan-le-Pensif.

— nbsp;nbsp;nbsp;Plut a Dieu que je Ie tinsse lui-même ennbsp;votre lieu et place, car, par ma tête! il ne régne-rait plus un seul jour de sa vie 1...

— Si Ie roi Lisvart, mon seigneur, était a ma place, je suis sur qu’il vous ferait vite repenlir denbsp;cette extravagance... Mais, comme il est absent, etnbsp;que je sais Ie mal que vous lui voulez, je vnis Ienbsp;remplacer du mieux qu’il me sera possible, d’au-tant mieux que j’ai en ce moment la plus grandenbsp;envie de combattre que j’aie jamais eue !

— Nous verrons bien 1... Avant qu’il soit rai-jour, je vous mettrai en tel état, que vous lui em-porterez de mes nouvelle 1... Mais, avant que vous ne receviez Ie traiternent que vous méritez si bien,nbsp;je veux que vous sachiez qui je suis et qiielsprésents j’enverrai par vous a votre roi Lisvart.

Bien que ces propos du chevalier au heaurne noir déplussent considérableraent a Guillan-le-Pensifnbsp;et qu’il eüt ü chaqne instant la demangeaison denbsp;commencer Ie combat, il se contint, pour apprendrenbsp;Ie nom de eet outrccuidant personnage.

— Sachez done, reprit ce dernier, que j’ai nom Gandalod, et que je suis Ie fils de Bersiiian, jadisnbsp;seigneur de Sansuègne, qui fut si méchammentnbsp;mis a mort par Ie roi Lisvart en la ville dc Lon-dres... Les présents que je lui enverrai sont,nbsp;d’abord, les têtes des quatre chevaliers de sa mai-son que je tiens prisonniers, et dont 1’un estnbsp;Giontes, sonneveu; ensuile votre main droitc, quenbsp;je pendrai a votre cou après vous 1’avoir coupée etnbsp;séparée du bras.

— Par Dieul traitre, s’écria Guiilan-le-Pensif, si tu en sais faire autant que tu te vantes, ce seranbsp;beaucoup; mais je crois que tu mentiras 1...

Ce disant, Ie brave Guillan viut se ruer sur Ie fds de Barsinan, et alors commenqa entre eux unnbsp;combat apre et cruel, car, saus reprendre haleinenbsp;un instant, ils se pressaient tant et si fort Funnbsp;Fautre, que Ladasin et les écuyers présents nenbsp;pensaient pas que Fun des deux püt échapper denbsp;mort.

Néanmoins, ils se maintenaient si bien quo 1’on n’eüt pu juger quel était Ie meilleur. Tous deux,nbsp;en effet, étaient prompts chevaliers, hardis, rompusnbsp;aux armes, si bien rompus même que, raalgré lanbsp;rnulliplicité et la violence des coups qu’ils s’adres-saient rautuellement, pen d’entre ces coups les en-dommageaient jusqu’ü la chair vive.

Au plus fort de leur combat, un bruit de cor se fit entendre, veiiant de la tour voisine. Guillannbsp;s’en étonna, pensant que c’était Ie signal d’un secours qui arrivait a son ennemi, qui s’en étonnanbsp;également, pensant que c’était Ie signal de la révolte de ses prisonniers. A cette cause, chacun desnbsp;deux fit plus d’elTorts que devant, afin de vaincrenbsp;sou compagnon avant 1’arrivée du sccours annoncé.nbsp;Gandalod se lanca sur Guillan, croyant Ie désar-gonner du coup; mais Guillan Ie serra si fortementnbsp;qu’ils tombérent tous deux a torre, roulant 1’unnbsp;sur Fautre, sans toutefois que les épécs leur sortis-sent dos poings, et, si bien s’y prit Guillan qu’ilnbsp;gagna Ie dessus.

Une fois debout, Fépée haute, Guillan ne se fit faute de Fabaisser sur son adversaire, qui regut llinbsp;cinqoü si grands coups qui Fétonnèrentplus que denbsp;raison et Faffaiblircnt plus fju’il n’eüt voulu : unnbsp;dernier coup, plus apre q^uc les autres, Facheva ennbsp;lui détachant Ie bras de 1 épaule.

Lors, se relevant comme par ressort, sous Fim-pression de sa violente douleur, Gandalod se mil k fuir dans la direction de la tour en poussant unnbsp;horrible cii. Mais Ie vaillant Guillan Ie devanga,nbsp;et, Fempoignant par Ie heaurne, il Ie tira si rude-


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21

LE BEAUT-ENEBREUX.

ment qu’il Ie lui arracha de la tète. Puis, lui met-tant l’épée en la gorge, il lui dit:

— nbsp;nbsp;nbsp;Par Dien! traitre, üls de traitre, c’cst vousnbsp;qui irez vers Ie roi Lisvart lui présenter d’autresnbsp;tèles que celles que vous lui avicz dédiées, et sinbsp;voiis ne me voulez obéir, la vótre m’en fera raisoii.

— nbsp;nbsp;nbsp;Hélas, répondit Gandalod, j’airne encorenbsp;mieux m’en rapporter A la miséricorde du roi quenbsp;de inourir présenteraent...

Lors, il bailla sa foi k Guillan, et tous deux re-montèrent ti cbeval, ainsi que Ladasin, éraerveillé de la vaillance de sou cousin, lequel, cependant,nbsp;était habitué a en témoigner souventes fois.

Au mêine instant, ils entendirent uno grande ruineur du cóté de la tour, et ils en virent sortirnbsp;un garde, qui se rait a fuir. lis Farrètent pournbsp;savoir de lui la cause de sa fuite et de cette ru-meur.

— Les prisonniers se sont révoltés, répondit-il d’un air effaré... Ils sont sortis de la fosse oü onnbsp;les tenait, puis se sont arrnés et ont fait un massacre des gardes mes compagnons...

Gommo il finissait de parler, Guillan et son cousin virent sortir de la tour, d’abord un chevalier que poursuivaient trois ou quatre prisonniers, puisnbsp;sept hallebardiers qui s’enfuireiit vers Ie bois voi-sin.

Mais Guillan et Ladasin ne les laissèrent pas s’enfuir ainsi : ils leur coururent sus, en tuèrentnbsp;quatre et s’emparèrent du chevalier que poursuivaient les prisonniers.

Ces derniers, heureux d’avoir reconquis leur liberté, s’en vinrent saluer Guillan-le-Pensif, qu'ilsnbsp;reconnurent tous.

— Mes seigneurs, leur dit ce vaillant homme, je ne pais longuement demeurer avec vous, car jenbsp;suis force d’aller Irouver Ie roi Lisvart... Mais monnbsp;cousin Ladasin vous fera compagnie... Lorsquenbsp;vous serez rafi aichis, venez, je vous prie, a la cour,nbsp;et araenez quant et vous ces deux chevaliers quenbsp;je vous baille en garde jusquA ce que Ie roi Lisvartnbsp;en ait ordonné selon sa justice... 3e demanderai ennbsp;outre a l’un de vous de demeurer pour garder celtenbsp;place, jusqu’a ce que j’y aie pourvu.

Les chevaliers promirent. Alors, les recomman-dant a Dieu, Guillan-le-Pensif retira sou écu de son cou, Ie bailla en garde a l’un de ses écuycrs,nbsp;m, en repreuant celui d’Amadis, ainsi qu’il ennbsp;m'T»nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;larmes lui vinrent aux yeux

de ^ nbsp;nbsp;nbsp;compagnons s’élonnaient

leur nbsp;nbsp;nbsp;cbanger d’écu, avec ce regret, il

•inrpc nbsp;nbsp;nbsp;de placer a mon cou,

phpvdii'r u ote Ie mien, est celui du meilleur

vaillaut et incomparable Amadis de Gaule.

Pensif repritsen cheinin, et, au bon de quelques journées, il arriva en la cour

n lor Lisvart saus avoir eu d’autres aventures.

GHAPITRE XIX

Comment üriane et la reine Brisêne recurent don Guillan-le-

Pensif, qui leur apportait les armes du vaillant Amadis

de Gaule.

On savait déja, a la cour de Lisvart, que Ie vaillant Amadis de Gaule avait mis fin a toutes lesnbsp;aventures de t’Ile Ferme, gagné la seigneurienbsp;d’icelle, et qu’il s’en était allé secrètement, avecnbsp;une grande tristesse, on ne savait pas oü ni pour-quoi.

Guillan-le-Pensif entra dans la salie portant toujours a son cou l’écu d’Amadis, et il alia fairenbsp;sa révérence au roi.

— Quelles nouvclles avez-vous d’Amadis 1 de-raanda Lisvart.

— Sire, répondit Guillan, je n’en sais nulles, ïoutefois, s’il vous plait, je vous réciterai devantnbsp;la reine comment j’ai trouvé ses armes et son écunbsp;que voici.

— Vraiment, reprit Ie roi, j’en suis trés content; puisqu’il était son chevalier, c’est raison qu’elle sache la première ce qu’il est devenu...

Ge disant, le roi prit Guillan-le-Pensif par la main et le conduisit auprès do la reine.

— Madame, dit alors Guillan en s’agenouillant, il y a quelques jours, en quote du vaillant Amadis,nbsp;je passais auprès d’une fontaine que Ton nominenbsp;la fontaine de Plein-Ghamp : j’y trouvai toutes les

armes de cet incomparable chevalier..... Je vous

les apporte, madame, afiii que vous les fassiez mettrc en un lieu éminent, oü cbacun les puissenbsp;voir, OÜ cbacun puisse, en les contemplant,nbsp;prendre exemple sur celui a qui elles furent,nbsp;lequel, par sa liaule cbevalerie, a acquis le premier rang entve tous ceux qui jamais portèrentnbsp;cuirasse au dos...

— Quel doramage que la perte d’un si bon chevalier! s’écria la reine, toute dolente. Beau-coup de vivants y perdeut leur soutien, leur pro-tecleur, leur ami!... Et je vous sais trés boii gré,nbsp;seigneur Guillan, de ce que vous avez fait pournbsp;lui et pour moi tout ensemble... Je vous prornetsnbsp;que ceux qui, comme vous, voudront se rneltrenbsp;en quête pour le trouver, me donnei’ont occasion,nbsp;et a toutes autres dames, de leur vouloir du biennbsp;pour I’amour de celui qui élait taut a leur corn-mandement.

Aiiisi se mauifesta le chagrin de la reine et du roi. 11 ne fut rien au prix de celui qui s’emparanbsp;de la belle et malheureuse Oriane. Car si, aupa-ravant, elle avait, eu des angoisses pour la grandenbsp;faute qu’elle avait faite, maiutenant ces angoissesnbsp;redoublèrent avec une mélancolie si grande qu’ilnbsp;lui flit impossible de demeurer la plus Iqngteraps.

Elle courut dans sa chambre, et, se jetant sur sou lit, elle se prit a crier ;

—Ah! malheureuse 1 malheureuse que je suis?.. Je puis bien mainteuant dire que toute la féliciténbsp;que j’eus jamais est un vrai fantome et mon tour-

inent iiiie pure vcritc.....Gar si j’ai quelque con-

tcntcmeut, c’cst sculcment jiar les songes qui me solücilcut la unit... Gar, en veillaiit, toute austé-rité afiligc mon pauvve esprit, de sorte que, autant


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BIBLIOTHÈQUE BLEUE.

Ie jour ra’est martyre, autant la nuit m’est bon-heur, paree qu’en dormant je me vois souvent devant mon ami..... Mals Ie réveil 1 Ie réveil, quinbsp;me privé de tant d’aise, combien il est cruel 1...nbsp;Abl mes yeux, non plus yeux mais ruisseaux denbsp;larmes, vous êtes bien abusés, puisqu’étant closnbsp;vous voyez celui seul qui vous contente, et que,nbsp;ouverts, tous les ennuis du monde viennent vous

offusquerl..... Par boiiheur, la mort, que je sens

prochaine, me délivrera de cette anxiété, et vous, amant cher, vous serez vengé de la plus ingratenbsp;qui fut jamais!...

Alors, corame furieuse, Oriane se leva, résolue a se précipiter du liaut en bas de ses fenctres.nbsp;Mais, au moment oü elle allait accomplir ce funestenbsp;dessein, Mabile, qui l’avait suivie, épiée et en-tendue, se précipita sou enconlre, Tarrcta et luinbsp;reprèsenta l’infamie qu’elle acquerrait, si seulo-ment on apprepait qu elle eüt eu ce vouloir. Ellenbsp;ajouta, après lui avoir parlé du retour probablenbsp;d’Amadis :

— Comment, chère Oriane, oü est done cette Constance de fdle de sang royal? Oü est cette prudence dont on vous loue tant ? La raoindre nouvellenbsp;vous met la tête et Ie coeur ü l’envers, et les plus

fausscs sont les mieux accueillies..... Je ne vous

reconnais plus, mignonne..... Avez-vous déjü

oublié Ie mal qui faillit vous advenir il y a un an, par les fausses nouvelles qu’Arcalaüs apportanbsp;a la cour?... Et maintenant, paree que Guillan-le-Pensif a frouvé Jes armos de mon cousin Amadis,nbsp;vous allez vous imaginer qu’il est mort! Croyc?-moi plutöt que de croire les nouvelles menson-

gères.....Vous reverrez votre ami, je vous Ie pro-

raets..... Vous Ie reverrez avarit peu... lorsqu’il

aura vu vos lettres... lorsqu’il aura appris la peine oü vous êtes.

Ce discours fut appuyé de tant de raisons persuasives et de tant de.caresses plus persuasives encore, qju’Driaue sentit une partip de son tourmentnbsp;s’apaiser.

Sur ces entrefaites, on leur vint dire, a Mabile et a ejle, que les chevaliers et demoiselles quenbsp;Guillap-le-Pensif avait délivres de prison éfaientnbsp;arrivés. Mab.de entraina aussilót sa belle compagnenbsp;vers la salie, oü, en effet, Guillan présentait au roinbsp;les deux chevaliers prisonniers amoqés par lesnbsp;chevaliers délivrés. Ces derniers racontèrent coip-rnent Ie combat s’était fait, quels propos Gandalodnbsp;avait tenus a Guillan, et aussi comment, durantnbsp;leur mclée, les chevaliers qui étaient aqx bassesnbsp;fosses de la tour avaient trouvé moyen de senbsp;délivrer.

— Est-il vrai? dit Ie roi k Gandalod. Je fis, il n’y a pas longteraps, briiler ton père en cette ville anbsp;cause de sa grande trahison, et tu y seras pendunbsp;avec ton compagnon, paree que tu avais machinenbsp;pia mort...

Tout aussilót, Lisvart ordonna qu’on les allat attacher aux créneaux de la ville, vis-ü-vis du lieu

oü Bersinan avait été brülé, co qui fut incontinent executé.

CHAPITRE XX

Comment Corisande, k Ia recherche de son ami Florestan , s'en vim i la Roche-Pauvre oü Ie Beau-Tdnébreux se trou-vail avec Permile, et ce qu’il leur advint.

n jour que Ie Beau-Té-nebreux était assis prés de Termite ü la porte denbsp;leur celluie, Ie vieillardnbsp;Iqi dit:

— Racontez-moi, mon fils, Ie songo que vousnbsp;fit(3S dans la forêt.

Le Beau-Ténébreux Ie lui raconta, en taisant lenbsp;nom des demoiselles, etnbsp;lui demanda ce qu’il ennbsp;_nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;pensait sérieusement.

L’ermite se init a sourire et lui assura qu’il avait lieu d’être satisfait de ce que le songe lui paraissaitnbsp;sjgnifier.

— La chambre obscure est Ia fribulation oü vous ctos, dit-il; les demoiselles sont de vos amies etnbsp;elles parlent de vous a celle que vous aimez, ellesnbsp;vous tireront de ce lieu. Le rayon de soleil signilienbsp;une lettre de reconciliation qui yous séparera denbsp;raoi. Le feu dont cette dame élait entoqrée, c’estnbsp;l’amour et le chagrin de votre separation. La pe-louse verte oü vous Pemportates (!st la joie quenbsp;vous aurez a vous retrouver ensemble.

Ge que je vous dis, conlinua I’ermite, ne con-vient ni ü mon age, ni a mon élat, mais jp crois servirDieu pn consolant une personne aussi désoléenbsp;que vous êtes.

Le Beau-Ténébreux lui baisa les pieds et le rc-mercia de le réconforter ainsi, il pria Dieu d'gc-complir ce qu’il veiiait d’cnlendre.

L’ermite expliqua encore au Beau-Ténébreux un songe précédent; il sut le distraire un j)eu en )enbsp;faisant pêcher avec ses nevpux quj visitaient lanbsp;Boche-Pauvre.

Le Beau-Ténébreux allait souvent ü l’écart sous des arbres, d’oü Pop apercevait la terre ferme; ilnbsp;aspirait les senteurs venant d’un paysoü la fortunenbsp;l’avail couronné, et il pensait au tort que lui faisaitnbsp;Oriane, saus qu’il l’eül offensée.

— Las ! disait-il, qi-je mérité d'etre banni sans avoir failli! Certes, amie, si ma mort vous étaitnbsp;agréable, vous pouviez me la donner plus tót aunbsp;lieu de me faire laiiguir ainsi. Le seul refus devotrpnbsp;accueil, le jour oü vous m’acceptates pour votrenbsp;chevalier, eüt sufti alors pour me faire mourir millenbsp;niorls!...

Chaque jour le Beau-Ténébreux se plaisait ii rap-peler ses pcines; il passait quelquefois la nuit sous les arbres, et il lui arriva de composer dans un moment de calme la chanson suivante:

Puisqu’ü grand lort la victoire Méritöc on me dénie,

Lorsque finie est la gloire,

Gloirc est do finir la vie!

Et que de la méme mort Meurent mes üpres malheurs ,

Mon espoir et mon confort,

Amour mêrae et ses chaleurs.


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LE BEAU-TENEBREUX. 23

Mais toujours j’aurai mémoire D’un perpétuel dmoi;

Car pour fin mettre ii ma gloire On ineurtril ma gloire el moi!

Ainsi passait Ie temps Ie Beau-Ténébreux, attendant que mort on meiUeure fortune Ie missent hors de Ia misère en laquelle il vivait.

II advint qu’une nuit, versie point dn jour, élant couché sous les arbres, comme il en avait coutumo,nbsp;il entendit prés de lui les sons d’un trés mélodieiixnbsp;instrument, auxquels il prit tant de plaisir qu’il lesnbsp;écouta tont du long.

Etnerveillé cependant, et curieux de savoir d’oü ces soins pouvaient venir, connaissant Ie lieu desert, il seleva et s’approcha saris bruit du cöté d’oünbsp;il les entendait venir.

11 vit alors deux demoiselles chantant sur Ie lulb, prés d’une fontaine; il se tint coi de peur de lesnbsp;effaroucher, et les écouta quelque temps ; puis ilnbsp;se montra ü elles et leur dit:

— nbsp;nbsp;nbsp;Votre musique m’a fait pcrdre aujourd’hqinbsp;raatines, demoiselles, et j’en suis bien féchél...

Les demoiselles furent effrayées de cette apparition. La plus courageuse se décida cependant ü parler.

— nbsp;nbsp;nbsp;Nous ne pensions pas, dit-elle, vous déplairenbsp;en nous ébattant ainsi, mais vous nous obligerieznbsp;de nous dire qui vous êtes et comment se nommenbsp;eet endroit inhabitable.

— Eu vérité, répondit Ie Beau-Ténébreux, ce lieu s’appelle la Boche-Pauvre; il y a la-haut unnbsp;ermite que j’accompagne eu puuiliou de mes pé-chés.

— nbsp;nbsp;nbsp;Mon arai, firent les demoiselles, ne pourrions-nous Irouver une retraite ici pour une dame richenbsp;et puissante, si mal trailée d’amour qu’elle en estnbsp;presqu'au rnourir ?

— nbsp;nbsp;nbsp;U n’y a d’autres logis iei, repartit Ie Beau-Ténébreux, que la cliambrette oü se retire rormitenbsp;et Ie repaire oü je dors quelquefois; si l’ermitonbsp;consent a vous Ie prèler, j irai coucher è la bellenbsp;étoile comme je fais souvent.

Les demoiselles Ie reraerciéront et allèrent é un pavilion oü Ie Beau-Ténébreux apergut une trésnbsp;belle dame couchée.

II cornprit que c’était celle dont on lui avait parlé.

Plus loin, il avisa quatre hommes armés faisant Ie guet, cinq autres se reposant et un baliinent denbsp;bonne mine ü 1’ancre ü peu de distance.

Le soleil se levait quand la cloehette de l'ermi-

®PPöla le Beau-Ténébreux-, l’crmitc voulail ceiebrer la messe.

ditTo^ d’arriver des étrangers h la Roche,

tendrelanS?'’''quot;'quot;''’

1’ermite, j’attendrai leur pré-

Mais comme il descendait, il rencontra les chevaliers apportantla dame-, il sehatadonc d’habiller 1 ermite et la messe commeiiga.

Le Beau-lénébreux, au milieu de ces dames, se rappela la cour du roi Lisvart et la joie qu’il avaitnbsp;oiiY Y ^ Onane; les l-armes lui vinrent si fortnbsp;demoiselles s’en apergurent.

nóphdB nbsp;nbsp;nbsp;‘diet ü la contrition de ses

pechés, et apvès le sewiee s’en vinrent aborder

I’ermite pour lui demander quelque chambrette pour leur maitresse, fort malade de la mer et denbsp;peines extremes.

— nbsp;nbsp;nbsp;En vérité, mesdames, dit Termite, il p’y a icjnbsp;que deux petites cellules; je me tiens dans Tunenbsp;oü, si je puis, jamais femme n’entrera, et dansnbsp;Tautre, ce pauvre homme se retire quelquefoisnbsp;pour dormir; je serais laché de Ten voir chassé.

— nbsp;nbsp;nbsp;Père, dit le Beau-Ténébreux, que cela nenbsp;vous empêche d’etre agréable ü ces dames, je menbsp;contenferai bien des arbres pour refuge.

— nbsp;nbsp;nbsp;Eh bien 1 dit Termite, de par Dieu, soitl...

Le Beau-Ténébreux conduisit les demoiselles é

sa cabane, oü bientót la dame fut déposée sur un lit richemeut dressé; il remarqua les gestes donbsp;celle-ci, car on lui qvait dit qu’elle souffrait d’amour.

II s’informa auprès des demoiselles quelle était Ia cause de tant de mal que portait leur maitresse.

— nbsp;nbsp;nbsp;Mon ami, lui dit-on, vous la trouverez encoronbsp;tros belle, quoique son mal Taitchangéebeaucoiip;nbsp;elle n’a ni irêve ni repos a cause d’un chevaljernbsp;qiTelle va chercher ^ la CQur du roi Lisvart; sinbsp;Dieu n’allége pas la passion qu’elle a poqr ce chevalier, il est irnpossible qqe sa vie puisse êtrenbsp;longue.

Au nom du roi Lisvart, le Beau-Ténébreux fon-dit en larmes; il désira encore plus coqqaitrc le nom du chevalier et le demanda avec prières.

—11 n’estpas de ce pays, dirent les demoiselles, et vous ne pouvez le connallre...

¦— Oblige'z-moi pourtant de me dire soq nom.

— nbsp;nbsp;nbsp;Le chevalier qu’aime celle dame, annonganbsp;Tune d’elles, a nom Florestan, frére du bon chevalier Amadis de Gaule et de dpn Galaor.

— nbsp;nbsp;nbsp;Vous dites yrai, |lt le Beau Ténébreux, etnbsp;nq pourriez dire de lui aiitant de bieii qu’il en mérite.

— nbsp;nbsp;nbsp;Vous le connaissez done? repartjt la démoi-selle.

— Je Tai vu récemment, reprit le Beau-Téué-breux, dans la maison de la reine Briolanie pour laquelle Amadis son frère et son cousin Agiaiesnbsp;battirent Abyséos el ses deuxfils. II arriva ciuelquesnbsp;jours aprés le combat. G’est é mon avis Tun desnbsp;rneilleurs chevaliers du moude, Votre dame a nomnbsp;Gorisande ?

— Vous dites vrai en cela; mais ü votre tour, donnez-nous votre nom.

— Mcsdemoiselles, dit le Beau-Ténébreux, je suis uu chevalier qui paie ü present, par dure pé-nilence, les trop graudes fortunes et vanités qu’ilnbsp;cut autrefois.

— Sur mon éme, répondit une demoiselle, vous avez choisi la meilleure voie pour faire votre salut.nbsp;Nous vous laissons pour aller dislraire noire maitresse avec la musique que vous avez ouïe cenbsp;matin.

Le Beau-Ténébreux se retira de son cóté, mais il fut rappelé pour dire ü Gorisande cc qu’il savaitnbsp;de Florestan.

Au récit de ses demoiselles, cette dernière avait dit:

— Mon ami, mes femmes disent que vous connaissez et aimez Florestan, racontez-moi ce que vous en savez.

Le Beau-Ténébreux lui donna tons les détails de


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24 BIBLIOTHEQUE BLEUE.

rile Ferme , ce qui fit supposer amp; Corisande qu’il élait de la parente de son arni. Elle se retira, unnbsp;peu consoléed’avoir eu des nouvelles de son amant,nbsp;et convaincue que Ie jeune ermite qu’elle avait vunbsp;était d’un rang et d’une uaissance illustres.

GHAPITRE XXI

Comment Corisande quitta la Roche-Pauvre pour aller è. la cour du roi Lisvart quérir des nouvelles de son aminbsp;Floreslan.

Corisande remonta dans son vaisseau après avoir fait de vains eiforls pour engager Ie Beau-ïéné-breux a quitter cetle solitude et a s’embarquer avecnbsp;elle. Un vent fra's la porla en quelques jours dansnbsp;Tembouchure de la ïamise, et la reine Brisène, sanbsp;cousine, ayant appris sou arrivée, envoya sa damenbsp;d’honneur et une suite nombreuse pour l’amenernbsp;en son palais.

Lisvart reQut Corisande avec loute la cordialité qu’il devait tl une dame de son lignage, élevée dansnbsp;sa cour. Lorsqu’il lui demanda s’il pouvait la servirnbsp;en quelque chose, Corisande, ne lui célant pas plusnbsp;longtemps ses liaisons avec Florestan, se plaignitnbsp;de ne pas Ie rencontrer dans sa cour.

— Ah ! répondit Lisvart, Florestan est accablé

du même malheur qui nous afflige tous..... Nous

ignorons si son frère Amadis vit encore , et c’est cetle ignorance oü nous sommes amp; son endroit quinbsp;fait a tous notre peine... Personne ne peut nousnbsp;en donner des nouvelles... Guil!an-le-Pensif estnbsp;venu, il y a quelques jours, nous rapporter lesnbsp;armes de ce valeureux chevalier... Florestan etnbsp;plusieurs chevaliers de ma cour sont partis pournbsp;faire sa quête, et moi-même, s’il m’avait éténbsp;permis de m’éloigner de mes Etals, j’aurais éténbsp;de bon coeur a sa recherche , car la perte d’Amadis est une calamité publique, et nous ne pouvonsnbsp;prendre joie ni repos sincères que nous ne l’ayonsnbsp;retrouvé...

— Vos paroles m’effraient, sire, s’écria Corisande grandement émue en cffet; je coiinais la tendresse fraternelle de Florestan : il ne pourraitnbsp;survivre au malheur d’avoir perdu Amadis 1... Onbsp;inon Dieul mon Dieu! faites qu’Amadis vive!...

Oriane et Mabile survinrent a ces mots. Lours ainicales caresses chassèrent les vilaiiis pressenli-inents de I’ame de Corisande, et runioii la plusnbsp;délicate et la plus intiine s’établit entre ces troisnbsp;princesses, si dignos en effet de s’aimer.

11 n’esl point d’ame bien éprise qui ne soit oc-cupée a faire nailre les occasions de rappeler l’ob-jet aimé. Le nom seul de ce qu’on aime cause une emotion inexprirnablelorsqu'il est prononcé par lanbsp;bouche d’une amie. Ainsi de Corisande et d’Oriane.nbsp;Corisande ne prononeait jamais le nom de Florestan sans qu'Oriane n’eüt Tart de la faire parlernbsp;d’Aniadis.

G’est tl la suite d’une de ses coiiversations-la que Corisande eut occasion de raconter tout ce qu’ellenbsp;avait vu et entendu pendant soa séjour a la Roche-Pauvre. Elle poignit le Reau-Ténébreux avec desnbsp;traits SI justes qu’Oriane et Mabille furent commenbsp;frapp^’ÊS de la re.sseinbhu;ce qui existait entre cenbsp;jeune ermite par amour et ce vaillaut Amadis dontnbsp;elles déploraient si amèrement la perte.

— Ah! n’en doutons, chère Mabile, c’est Amadis 1... s’écria Oriane éplorée. C’est lui, le héros, l'ami que j’ai si odieusement soupponné, dont j’ainbsp;causé tous les malheurs... C’est lui qui croit é monnbsp;abandon après avoir tant cru amp; mon amour 1... G’estnbsp;lui qui va mourir de langueur sur la Roche-Pauvre!...

— Je le pense comme vous, ma chère cousine, répondit Mabile. ïranquillisez-vous done, manbsp;mignonne 1 Tout vient é point et é souhait lors-qu’on sait attendrel... Attendez! Attendez! Amadis vit, je vous en donne l’assurancei... Amadisnbsp;vit... il vous aime toujours... Vous le reverrezl...

— Ah! comment 1’espérer? reprit Oriane. La demoiselle de Danemark a pris la route de l’E-cosse, et Burin est parti pour le chercher dans lanbsp;Gaule...

— Je ne peux pas dire, ma mignonne, qu’Amadis me soit ahsolument tout aussi cher qu’é vous, ré-pliqua Mabile en souriant; mals, en vérité, il anbsp;place dans mon cceur a cóté de mon frèrenbsp;Agraies... Et, pour vous le prouver, si, dans quinzenbsp;jours, nous n’avons pas repu de nouvelles positivesnbsp;do ce cher vagabond, je prendrai le prétextenbsp;d’aller en Ecosse yoir la reine ma mère, et denbsp;m’einbarquer peur faire ce voyage plus commodé-ment... Alors, une fois en route, je m’arrangerainbsp;pour que le pilote de mon navire me conduiseversnbsp;la Roche-Pauvre... Gela vous convient-il, ma mi-gnonue?...

— Ahl ma mie, répondit Oriane en se jetant dans les bras de Mabile, comme vous savez biennbsp;faire la clarlé dans les ténèbres de mön pauvrenbsp;cocur I... Sans vous, je mourrais!...

GHAPITRE XXII

Comment la demoiselle do Danemark, au moment oü eile croyait faire naufrage, aborda ü la Roche-Pauvre et remitnbsp;au Beau-Töiiéhreux une leltre qui lui fit jeter la bure auxnbsp;orties.

La demoiselle de Danemark avait presque perdu 1’espérance de retouver Amadis. Elle n’avait touchénbsp;qu’a la première ile des Orcades, et cetle ile étaitnbsp;inhabitée; ce n’était qu’un vaste rocher hanté parnbsp;de gros oiseaux de mer qui veiiaient y faire leiirsnbsp;pontes.

Cette fidéle demoiselle sc proposait de pém'lrer plus avaul dans l’archipel de ces lies sauvages,nbsp;lorsqu’un apre vent du nord la repoussa le long dosnbsp;rivages d’Ecosse, et le même vent, continuantnbsp;plusieurs jours, porta son navire dans unerner in-connue, oü la teinpête qui s’élcva la miten dangernbsp;do périr, corps et biens. La demoiselle do Danemark passa toute la nuit entre la vie el la mort,nbsp;recommandant a chaque instant son ame au grandnbsp;fabricateur des mondes.

Ucureusement qu’an point du jour, le pilote, apcrccvaut unc sorte d’écueil énorme qui iaisaitnbsp;saillie au milieu des flols, cut l’adrcsse de tenirnbsp;barre vors eet endroit et de s’en approeber asseznbsp;prés pour s’cn faire un abri contre les colèresnbsp;de.s vagues, Puis la tempete s’apaisa peu a peu, et


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LE BEAU-TENEBEIEUX 25

Ie pilote comprit qu’il était aisé d’aborder sur eet écueil, devenu ainsi un havro de grace, d’autantnbsp;plus qu’il présentait sur l’un deses cötésuu rivagenbsp;dépourvu de roebes dangereuses.

Cependaut, raalgrétous les avantages d’une des-cente, ui Ie pilote, ni sou équipage, ui la demoiselle de Dauemark n’eussent songé a refl'ectuer, la jugeant inutile, si les sous d’une cloche ne leurnbsp;eussent fait espérer de trou’ver lèi Ie repos el losnbsp;secours dont ils avaient besoin.

La demoiselle de Danemak, accompaguée du pilote, desceudit terre, et les sons de la clochenbsp;les guidant, ils découvrireut bientót un sentiernbsp;qu'ils suivirent, se doutant bien qu’il les conduiraitnbsp;vers rhabitalion,

G’était ii la Roche-Pauvre qu’avait abordé la demoiselle de Dauemark 1

En suivantle chemin qui conduisait a l’ermitage, elle rencontra un jeune serviteur du vieil ermilo,nbsp;revenant de lui porter ses provisions. Elle l’inler-rogea : il lui rópondil que ce vieillard allait direnbsp;sa messe. La demoiselle de Danemark, Ie pilote elnbsp;les quelques passagers qui l’avaieut suivie, se hatè-rent de se rendre a la chapelle pour rcmercier Ienbsp;grand fabricateur des mondes de les avoir sauvés dunbsp;naufrage.

Le Reaii-ïénébreux, a genoux et Ie dos tourné vers les assistants, se préparail 5 servir a l’autelnbsp;son vieux compagnon. ïoujours dans les larmes etnbsp;dans l’amertume, le teint brulé par les rayons dunbsp;soleil, amaigri, abattu par les jeünes, par les macerations, par la souffrance, tout le rendait mécen-naissable. Vers la fm de la messe, il jeta les yeuxnbsp;sur les assistants et reconnut la demoiselle denbsp;Danemark. Pour lui, c’était un reflet d'Oriane!nbsp;G’était un souvenir de ce passé brülant auquel ilnbsp;essayait cbaque jour d’écbapper, sans pouvoir ynbsp;réussir!... Son état de faiblesse ne lui permit pasnbsp;de soutenir la vive emotion qu’il ressentit alors, et,nbsp;poussantun sourd géinissement, il toraba pamé surnbsp;le sol.

L’ermite vint a son secours et le fit transporter dans la chambre lustique qu’il occupait.

— Quel est done ce compagnon de votre solitude sur lequel vous versez en ce moment des pleurs comme s’il était votre fils? demanda la demoiselle de Danemark, étonnée de la douleur dunbsp;bonhomme.

— Ilélasl répondit le vieil ermite, c’est un chevalier qui accomplit ici la plus apre des penitences pour se punir des fautes de sa maitresse... •,nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;celte roebe déserle pour se séparer a

jamais des hommes et se rapprocher de plus en p us üu Lréaieur des choses et des êlresl...

La üemoiselle de Danemark, apprenant cela,

ïiavire tous les secours (|ui pouvaic etre necessaires, et, voulant procurernbsp;elle-meme les plus presses, elle enira dans lanbsp;chambre rustique, souleva doucement la tête dunbsp;Beau-Ténébreux et lui fit respirer un vulnérairo

Amadis revint lentement a la vie. Muis. le sentiment de sa situation lui revenant aussi, ii comprit qu’en se faisant connaitre^ il désobéirad peut-ètrenbsp;aux ordres d’Oriane qui l’avait a jamais banni denbsp;sa presence, et, en consequence, il continua de fermer les yeux. Quelque chose que la demoiselle denbsp;Danemark put lui dire, elle ii’en put tirer autre

chose que des soupirs, Alors, imaginant que l’air lui ferait du bien, elle courut ouvrir la fenètre, etnbsp;les rayons du soleil tombèrent sur le visage pale etnbsp;couvert de larmes du Beau-ïénébreux.

— Ahl Dieuxl s’écria-t-clle avec émotion, en reconnaissant sur son front la cicatrice bien coniine d’une blessure qu’il avait rcQue d’Arcalaüs.nbsp;Ahl Dieux 1 vous êtes done celui qui nous fait versernbsp;taut de larmes! celui que je cherche k travers tantnbsp;de dangers, et qne je n’espérais plus retrouver !...nbsp;Hélas! vaillant et généreux Amadis! c’est a vous anbsp;présent de pardonner a votre bien cbère et biennbsp;malheurense Oriane, qui voudrait effacer de tontnbsp;son sang la cruelie leltre qui fait votre malheur!nbsp;Amadis, tendre et fidéle Amadis I ce qu’une lettrenbsp;a fait, ime autre lettre peut le défaire! La mainnbsp;qui vous a blessé peut et veut vous guérir! Tenez,nbsp;voici ce que vous écrit de nouveau la pauvre Oriane.nbsp;Lisez-la vite, et partons plus vite encore pour nousnbsp;rendre a Mirefleur oü l’amour vous attend pournbsp;nous réunirl...

Amadis, éperdu, pouvant ti peine en croire ses orcilles et ses yeux, serrait les mains de la demoiselle de Danemark sans lui répondre autrement,nbsp;prenait pour la lire et la relire, la baiser et la rc-baiser, cette lettre guérissante de l’incomparablenbsp;maitresse qu’il croyait avoir perdue en ce monde etnbsp;dans l’autre.

— O vous qui me rendez plus que la vie par cette divine leltre 1 s’écria-t-il enfin, plein d’amournbsp;ct de joie, en levant ses yeüx attendris vers lanbsp;bonne demoiselle de Danemark; comment pourrai-je jamais reconnaitre tont ce que je vous dois?...

Un sang plus doiix, plus vif aussi, coulait dans les veilles du Beau-Ténébreux. Les coulcurs et lesnbsp;forces de la jeunesse lui revenaient. 11 se leva sansnbsp;y etre aidé, et le moment de son départ fut le premier projet qu’il concerta avec sa libératrice.

II ne put prendre congé de ferniite sans être jirofondément remué par les regrets. Les soinsnbsp;délicats et dévoués de ce bon vieillard l'avaientnbsp;sauvé de sa propre fureur, en cabnant par degrésnbsp;son (lésespoir; c’était a ce saint homme qu’Orianenbsp;devait son amant 1

L'ermite, en face du bonheur qui rayonnait sur le visage de sou jeune compagnon, ne songea pasnbsp;un seul instant a le retenir. Tont au contraire, ilnbsp;fembrassa et lui dit :

— Partez, mon cher fiis! La solitude n’est sa-lutaire qu’aiix vieillards comme moi, qui ai de-puis longtemps renoncé aux fallacieuses voluptés de la vie et qui n’atlend plus que fheure bénie oiinbsp;je pourrai clore enfin, pour l’éternité, mes yeuxnbsp;attristés par la bataille humaine... Mais pour lesnbsp;jeunes ames comme la vótre, la solitude est mal-saine, a cause des révoltes de la chair, accoutuméenbsp;a plus de mollesse, et des révoltes de fesprit, ac-coutumé il plus de satisfactions... Partez done,nbsp;mon cher fits, et que le ciel vous protégé, commenbsp;vous le méritez si bien!...

11 dit et, malgré sou grand age et 1’épuisement de ses forces, il voulut acconijvagner le Beaii-Té-nébreux jusqu’au rivage, afin de le bénir au moment oü il montait sur le navire qui le ramenaitnbsp;vers le bonheur.


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BIBLIOTHÈQUE BLEUE.

^^alaor, Agraies et Florestan, * qiie Ie rapport d’Isaiiie, goii-)verneur de l’Ile Ferme, availnbsp;Yivement affligés, et qui s’é-laient mis eii quête d’Amadisnbsp;dans presque tous les pays de

GHAPITRE XXllI

CQrnment Galaor, Agraies et Florestan s'gn revinrent de leur quête iijutile a la cour du roi Lisvart; el comment Oriane,nbsp;pour fuir les émotions et ne penser quA son atnant, s’ennbsp;alia amp; Mircfleur ayec la princesse Mabille.

„ l’Europe.seretrouvaientdans un ermitage prés de Londres,nbsp;ig^lieu de leur rendez-vous, pen-dant que Ie Beau-Ténébi euxnbsp;^faisait voile vers la terre bé-:nip oü l’altendait Ie bonheur.

Ils revinrent tous trois ii la cour du roi Lisvart, tristes denbsp;leur inutile quête. Lisvart nenbsp;fut pas moins triste qu’eux, et sa peine redoublanbsp;en apercevant Florestan, qui avait avec son frèrenbsp;une ressemblauce merveilleuse.

Florestan fléchit un genou devant Ie roi, et il voulut lui baiser la mam; mais Lisvart, loin denbsp;Ie souffrir, 1’embrassa tendrement, en lui disant :

— Je reconnais en vous Ie sang de mon arni Ie roi Périon, et je suis pénétré do joie de recevoirnbsp;dans ma cour un de ses lils que la renommee rondnbsp;déja l’égal de ses frères...

La reine Brisène, apprenant ]e retour de Galaor et d’Agraies, s’empressa de les voir et viut, sui-vie de quelques dames, parmi lesquelles étaitnbsp;rheureuse Olinde, la mie du prince Agraies.nbsp;Olinde savait déjci que C3 prince avait passé sousnbsp;Fare des loyaux amants, et elle iie Feu aimait quenbsp;davantage,

Quant k Gorisande, elle ne s’informa point si Florestan avait franchi ce passage, qu’elle edtnbsp;peut-être redoute pour elie-mênae. Gontente denbsp;retrouver son atnant, elle ne s’occupa que dunbsp;bonheur de lire dans ses yeiix tout ie plaisir qu'ilnbsp;avait a la revoir. Tous les deux étaient libres, per-sonne n’avait intérét a les épier, et Fun et Fautronbsp;semblaient se dire, en se regardant avec des yeuxnbsp;agrandis par Ie désir, qu’ils attendaient la nuitnbsp;avec impatience...

Mabile, après avoir embrassé son frêre Agraies, courut chez Oriane pour lui faire part do 1’arrivéenbsp;des trois princes.

— Ahl murmura Oriane avec amertume, Araa-dis n’est pas avec eux!,..

Mabile, pendant un long temps la pressa de paraitre ;

— Eh 1 Ie puis-je, répondit-elle, dans 1 état oü je suis?,., j’ai les yeux rouges, Ie coeur gros denbsp;larroes... j’étouffe... jeme ineurs... Pourquoi irais-je attristerpar mamélancolie la joie desautres?...nbsp;Olinde a son ami Agraies... Gorisande a son aminbsp;Florestan... Moi seule n’ai pas mon ami Aniadisl

— Console/,-vous, mignonne, consolez-vous! Vous connaissez Amadis : peut-être que ses compagnons, en quote de lui, Fauront trouvé sans Ienbsp;reconnaitre, et, voulant leur cacher Ie sujet de sanbsp;douleur, il n’aura pas voulu paraiire ü leurs yeux...nbsp;Mais, soyez-en sure, la demoiselle de Danemarknbsp;aura été plus heureuse... Les femmes saventnbsp;mieux que les hommes trouver ce qu’elles cher-chont... Elle aura vu Amadis, lui aura parlé, Fauranbsp;canvaincu : elle va revenir avec lui, mon coeurnbsp;me Ie ditl...

— nbsp;nbsp;nbsp;Le ciel vous enlende!... murmura Oriane.

Lors, 1'aisant un effort sur elie-même, et es-

suyant avec soin ses beaux yeux, afin qu’on ne put s’apercevoir quMle avait pleuré, elle passanbsp;chez le roi son pére.

Galaor alia avec empressement au devant d’elle et lui baisq dévoternent la main.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ne trouvez-vous pas ma fille changco? luinbsp;demanda Lisvart.

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, répondit Galaor, je la trouve un peunbsp;raaigre... Ah! madame, ajouta-t-il en regardantnbsp;Oriane avec des yeux bien expressifs, qu’il me se-rait doux de pouvoir contribuer a vous rendre lanbsp;santé!

Oriane ne put s’empêcher de sourire de la cha-leur que Galaor venaitde meltre dansFexpressiou de son souhait.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ma santé reviendra bien vite, dit-elle. Plütnbsp;au ciel que vous pussiez retrouver de même lenbsp;li'ère que vous avez perdu et qui, dans ce moment,nbsp;serait si nécessaire au service du roi monpère!...

En disant ces mots, Oriane tourna la tête et apergut Florestan qui s’avaiigait de son cóté pour lanbsp;saluer. La ressemblance de ce prince avec Amadisnbsp;fit naitre une vive émotion dans le coeur d’Orianenbsp;et pensa lui devenir funeste. A peine put-elle luinbsp;parler; ses genoux tremblaient, et ce ne futnbsp;qu’avec Faide de la fidéle Mabile qu’elle put senbsp;retirer dans sou appartement.

— nbsp;nbsp;nbsp;Ma chore Mabile, lui dit-elle en versant denbsp;nouvelles larmes, vous voyez que chaque jour m’ap-porte ici de nouveaux tourments... Vous voyeznbsp;aussi tont ce qu’il m’en coüte pour les cacher... Jenbsp;n’ai point ü prendre un meilleur parti que de cher-cher la retraite et d’obtenir de mon père la permission d’aller habiter pendant quelque temps lenbsp;chêleau do Mirefleur oü j’espère que vous voudreznbsp;bien m’accompagner... La du moins je serai anbsp;1’abri de ces horribles secousscs, de ces cruellesnbsp;émotions qui m’arrivcnt ici presque ü chaque instant, et qui, rèpétées plus longtemps, me tue-raient... Et je ne veux pas mourir avant d’avoirnbsp;re vu Amadis!...

La princesse Mabile aimait trop sa cousine pour lui refuser ce qu’elle lui demandait : elle en pré-vint Agraies. Oriane, dés le jour même, obtint denbsp;son père Fautorisation d’aller se inettre au vert itnbsp;Mirefleur, et le depart fut fixé au lendemain.


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LE BEAU-TENEBREUX. 27

LE BEAU-TENEBREUX. 27

GHAPITRE XXXIV

Comment, mi jour que Ie roj Cisvart élait amp; table, il recut un défi au nom de cm(j geants qui voulaiciit venger lanbsp;mort du roi Abies.

ien, d’ailleurs, ne coövenait inieux a Orianc, que dc s’éloi-gner d’une cour eu proie main-' ) tenant aux soucis et aux préoc-/ cupations d’une guerre. Cilda-\ ^dan, roi d’Irlande, refuiait denbsp;\ payer Ie ti ibut auquel sonnbsp;royaunie était assujeltidepuis lanbsp;\ défaite d’Abies, et il avait en-Xnbsp;nbsp;nbsp;nbsp;voyé na de ses hérauls d armes

détier !e roi Lisvart, en lui pro-, ( posaiit un combat de cent che-valiors de chaque pays. f§ Lisvart rassemblait Ie nom-_ bre de chevaliers ct la têle des-fl IAnbsp;nbsp;nbsp;nbsp;1 ^ quels il devait combattre contre

^ nbsp;nbsp;nbsp;\ ) Ie roi Cildadan, et il regreitait

‘ nbsp;nbsp;nbsp;. vivement qu’Araadis ne lüt pas

,de ce nombre, bien qu’il eüt déja avec lui Galaor, Agraies etnbsp;Florestaii.

Uuelques jours après Ie depart d’Oriane pour Mirefleur, Lisvart se trouvait a table avec ses chevaliers, lorsqu’on annoiica uu chevalier élrangernbsp;qui lui présenta respectueusemcnl mie iettre scel-16e de cinq sceaux et lui denianda permission de lanbsp;lire.

— nbsp;nbsp;nbsp;Faites votre charge, lui répondit Lisvart, quinbsp;se doutait bien que ce chevalier était porteur d unnbsp;nouveau cartel.

Lors, Ie nouveau venu, qui jusque-la s etait tenu Ie geiiou droit è terre, se releva, ouvrit Ie par-chemin et lut d’une voix forte :

« Roi Lisvart,

« Je te déüe, ainsi que tous tes allies, de la part des hauls et puissants princes Famongomad, géantnbsp;du lacBoulant, Gartadague, géant de la Montagne-Gélóe, Maiidasabul, géant de la Tour-Vermeille,nbsp;Quadragant, géant, frère du feu roi Abies, el aussinbsp;de la part de l’enchanteur Arcalaüs. lis te raan-dent, par moi, qu’ils ont jure ta mort, et, qu’h eetnbsp;effet, ils seront tous les cinq coinpris dans Ie nora-bre des cent chevaliers du roi d’Irlande Cildadan.nbsp;Gependant, Ie redoutable Famongomad olfre de tenbsp;raénager la paix, si tu veux doiiner ton hérilièrenbsp;üriane pour seryir de demoiselle a Madasime, sanbsp;tille, qui la mariera dans la suite avec Basigant,nbsp;lequel mérite bien de devenir maitre de les Elats. »nbsp;— Chevalier, dit Lisvart avec un rire méprisant,nbsp;lorsque Fenvoyé eut lini sa lecture, ceux qui vousnbsp;ont donné celte commission ont bien compté surnbsp;ma moderation... G’est les armes a la main que jenbsp;leur portera! ma dernière réponsel Mais puis-jenbsp;compter de même sur leur loyaulé lorsqu’un chevalier de raa cour leur portera celle que je vals fairenbsp;k ce défi?

— nbsp;nbsp;nbsp;Sire, répondit Ie chevalier, je me charge denbsp;Ie conduire moi-raême h Montgase, chez Quadragant, oü ces princes Boat tous rassemblés. Je suis

Landin, neveu de ce dernier prince, et, comme lui, je brüle de venger la mort du roi Abies.nbsp;Puissé-je me trouver a portee de punir celuinbsp;qui la lui donna!... Mais, par malheur, on m’anbsp;assure qu’il était absent de votre cour, et je doutenbsp;qu’il choisisse, pour y revenir, Ie temps oü vousnbsp;él es pret é combattre les ennemis redoutables quinbsp;désirent aussi vivement que moi sa mortl...nbsp;Florestan, a ce propos, ne put se contenir.

— Chevalier, dit-il avec colère au neveu de Quadragant, je ne suis pas Ie vassal du roi Lisvart;nbsp;mais, s’il m’ost permis de parler cn sa presence etnbsp;devant lant de braves chevaliers, ses compagnonsnbsp;d’armes, je veux vous apprendre que j’ai nom Florestan, et que je suis Ie frère ,du vaillant Amadjs,nbsp;que vous devriez respecter et non braver; etnbsp;j ajoute qu’en son absence, je pie fais sa caution etnbsp;son représentant et que je défie vous et les vótres,nbsp;que je punirai des propos que vous osez tenirnbsp;contre lui!...

— Chevalier, reprit Landin, les lois de la che-valerie vous devraient êlre mieux connqes.,. Vous voyez bien que je ne peux plus disposer de moinbsp;qu’après Ie combat général... Nous nous y rencon-Irerons, peut-être; en tons cas, si nous y survi-vons 1’un et l’autre, j’accepte votre défi que je vousnbsp;rappellerai.

Landin, a ces mots, présenta son gage k Florestan, qui lui remit Ie sien.

Le roi Lisvart congédia Ie neveu de Quadragant, en lui adjoignant, pour porter sa réponse a Mont-gasc, un de ses meilleurs chevaliers. Et, pour dis-siper les idéés sombres que ce nouveau déti sem-biait avoir apportées dans sa cour, il inanda lanbsp;jeune princesse Léonor, sceur cadette d’Oriane,nbsp;iaquelle arriva, suivie d’une troupe de gentes pu-celles de son age, ü la mine éveillée, aux lèvresnbsp;roses, toutes vêtues de blanc et couronnées denbsp;fleurs.

Ges charmantes petites pucelles, en entrant dans la chambre oü se tenait le roi, chantaient en choeurnbsp;une chanson qu’Amadis avait faile six mois aupa-ravaut pour la jeune Léonor, doiit il s’était déclarénbsp;le chevalier.

Cette chanson disait:

Léonor, douce rosette,

Blanche et ravissante fleur,

Bosette fraiche et doucette.

Pour vous suis en grand'douleur.

Je perdis ma liberté Quand me misnbsp;A regarder la clarténbsp;Qui soumis

M'a au mal qu’ont vos amis;

Lequel pour grand bien j’acceptc,

L’ayant pour telle valeur.

Rosette fraiche et doucette.

Pour vous suis en grand’douleur.

De teute autre que je puls voir N'ai vouloir,

Etant seulement è vous;

Mais bien vois que mon devoir Est d’avoir

Soviïrance par-dessus tous.

Qu’amour soit done en courroux,

Et, s’il veut, trés mal me traite,

Son mal prendrai pour bonheur.

Roaette fraiche et doucette,

Pour vous suis en grand’douleur.

En tore que mon mal se montre A vou», dame.


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28

BIBLIOTHEQUE BLEUE.

C’es( en aulre qu’il rencontre Et réclame

L’occasion de sa flamme;

Elle seulc a la recette De m’óter de ce malheur.

Rosette fraiclie et doucetle Pour vous suis en grand’douleur.

GHAPITUE XXV

Comment, au moment oü elle regrettait Ie plus l'absence du Ileau-Ténéhrcux, Orianc recut la nouvelle de son arrivdenbsp;par la bonne demoiselle de Danemark.

)findalin s’en alia a Mirefleur porter a Oriane la nouvellenbsp;du défi de Landin, et, plusnbsp;. que jamais, cette intéressantenbsp;princesse regretta l’absencenbsp;de son amant Amadis.

— S’il était ici, murrnurait-»elle, il défendrait mon père!..

— Abl madame, lui dit .Gandalin, cette mauvaise nou-!,veile que je viens de vous up-' porter a son bon cóté, croyez-)'noi! Ce défi de Landin n’estnbsp;- 'que la seconde partie du déiinbsp;de Gildadan... Or, il est impossible que Ie vaillantnbsp;Amadis, mon maitre, n’ait pas eu vent de ces bruitsnbsp;debataillel... 11 est impossible aussi, quen ayantnbsp;eu vent, il ne s’empresse pas d’accourir pournbsp;mettre une fois de plus sa lance et son épée au service du roi votre pèrel...

Oriane était prète a dire;

— nbsp;nbsp;nbsp;Ahl Gandalin, croyez-vous done que votrenbsp;maitre ne voudrait combattre que pour Ie seul service du roi Lisvart?...

Lorsqu’une jeune demoiselle de sa suite accou-rut pbur lui dire:

— nbsp;nbsp;nbsp;Ah! madame! madame! que je suis aise!nbsp;Gomrae j’étais k ma fenêtre, tout a I’lieure, j’uinbsp;a[)erou ma bonne amie la demoiselle deDanemark,nbsp;qui descendait de sa haquenée...

A cette nouvelle, Oriane palit, ses yeux se fer-mèrent, ses jambestremblèrent, elle tomba, pamée, sur un lit de repos.

Gandalin, presqu’aussi impressionné (pt’eljc par I’annonce de cette arrivée, qui pouvait si^nitier unnbsp;surcroit de malheur tout aussi bieu qu’un grandnbsp;bonheur, Gandalin chancela : il voulut courA au-devant de la demoiselle de Danemark pour sayoirnbsp;plus vite son sort, il ne Ie put pas, cloué qu’il étaitnbsp;au sol par l’émotioa. Heureusement que la demoiselle de Danemark, qui accourait aussi de son coté,nbsp;entra h ce moment dans la charnbre.

— Ah ! d'vine princesse, s’écria-t-elle en allant embrasser les genoux d’Oriane, comme vous etosnbsp;aimée 1... Amadis vit!... -Ie vous leramène!.. Voicinbsp;une lettre de lui I...

— Oü est-il? demanda Oriane, qui voulait re-paitre ses yeux des traits aimés du vaillant Amadis. Oü Cst-il ?... W’a-t-il pardonnée ?

— Ah I madame, répondit ia sceur de Duriii, pouvez-vous êtro inquiète des sentiments de l’amantnbsp;Ie plus soumis el Ie plus üdèle?.., 11 u’a jamaisnbsp;cessé de penser a vous, de vous aimer, de vousnbsp;chérir, de vous adorer comme une sainte 1...

— nbsp;nbsp;nbsp;Mais encore une fois, oü cst-il? N’esl-ce pasnbsp;un mensongc, une vision de mon esprit?

— nbsp;nbsp;nbsp;Voici une lettre qui vous rassurera ü eetnbsp;égard, princesse... Quant au lieu oü se trouve Ienbsp;seigneur Amadis, vous pensez bien que je ne vou-lais pas vous tuer en Tamenant a vee raoi... Comment auriez-vous supporté sa presence?... II fallaitnbsp;vous préparer d’avance ü cette joie suprème, afinnbsp;qu’elle ne vous fit pas de mal... G’est ce quej’ainbsp;klit... m’en voulez-vous?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Non, chère et üdèle amie, non! Mais oü est-il? Oü est-il? Oü est-il?

— Dans une abbaye voisine, avec mon cousin Enil, que Ie hasard a amené ié fort heureusementnbsp;pour distraire Ie Beau-Ténébreux...

— Alors, demanda Oriane en rougissantun peu, ton frère Durin pourra, dès ce soir, lui porter unenbsp;lettre de moi dans laquelle je lui dirai plus denbsp;choses qu’il n’en pourra lire?...

— Mon frère Durin est k votre service, princesse,..

— Mabile survint, sur ces entrefaites, et cc fut alors une joie a n’en plus ünir. Los deux cousinesnbsp;se jetaient tour ü tour dans les bras l’une de l’autrenbsp;en s’einbrassant, et elles ne se quittaient que pournbsp;se jeter ensuite dans hts bras de la bonne demoiselle de Danemark qui jouissait en silence desnbsp;heureux qu’elle avait fails.

Quant k Gandalin, il était descendu danslejardin pour pleurer tout a son aise.

Oriane écrivit une longue, bien longue lettre, dans laquelle elle dernandait pardon au Beau-Téné-hreux des misères auxquelles ellel’avait exposé parnbsp;suite d’une jalousie mal fondée a l’égard de Brio-lanie, reine de Sobradise, dont il avait refuse Ienbsp;cceur et Ie tróne, Oriane Ie savait maintenant.

Le soir menie, Durin, jirévenu par sa sceur, se mit en route avec cette lettre pour l’abbaye oü étaitnbsp;le Beau-Ténébreux.

CIIAPIÏBE XXVT

Comment le Beau-Ténébreux, en se rendanl secrètemenl fi Mirefleur, oü Tattonclail la bolle Oriaiie, reiicontra sur sonnbsp;ebemin le géanl puadragant (ju’il n’alteudait pas.

En l’absence de la demoiselle de Danemark, le Beau-Ténébreux avait dit un soir a son cousinnbsp;l’écuyer Enil, qui cornmencait ü soupQonncr que cenbsp;froc d’ermite cachait quelque grand personnage .-— Mon cher Enil, ce harnois-ci me pèse; j’ainbsp;grande envie de savoir si je pourrais encore porternbsp;des arines, et vous me iéroz grand plaisir d'allernbsp;dernain a Londres et de m’en rapporter les meil-leures que vous pourrez trouver... Quant ii l’écu,nbsp;je désire qu’il soit vert, semé de lions d’or!

Enil était parti, avait fait diligence et était revenu ü l’abbaye au moment même oü y entrait Durinnbsp;avec la lettre de la belle Oriane.

Durin, après avoir inslruit le Beau-Ténébreux des pi’écaulions qu’il avait ;i [ireridro pour péiiétrernbsp;dans le chateau de Mirefleur, oü Fatteudait si im-patiemmeut 1’amoureuse Oriaue, Fiulbrma


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LE BEAU-TENEBREUX. 29

graics, Florestan et Galaor étaient la cour de Lisvart, en atlendant Ie combat centre Eildadan. IInbsp;ne lui cacha pas Tinfolent cartel que Landin avaitnbsp;remis, ce que Famongomad avait osé propo-ernbsp;centre la divine Oriane, et la colère avec buiuellenbsp;Florestan avait répondu, lorsque Landin avait eunbsp;1’audace do parler d’Amadis.

Le Beau-ïénébreux embrassa mille fois Durin, et, animé par l’enivrante espérance de revoir sanbsp;bien-aiinée, il s’élanga légèreineut sur le vigoureuxnbsp;clieval que Durin avait su bien choisir. Et I’eton-nement d’Euil redoubla lorsqu’il vit celui qui venaitnbsp;de quitter la buro d’ermite, faire botidir et passagernbsp;ce cheval avec une adresse et une vigueur rares.

Couvert de sou beaume peur n'être pas reconnu, le Beau-Ténébreux clierninait depuis un jour avecnbsp;Enil et Durin, lorsqu’il fut arrêté par un chevaliernbsp;d une haute taille et d’une puissante encolnre, quinbsp;lui cria :

— Chevalier, je défends ce passage jusqu'a cc que je so;s inlorrné par vous de ce que je veux sa-vüirl...

Le Beau-Ténébreux ayant examine le boueber de eet inconnu, qui porlait d’azur a trois trèflesnbsp;d’or, il le reconnut incontinent pour èlre le menienbsp;que celui qu’il avait vu dans ITle Ferme, au-delanbsp;de l’arc (ies Loyaux-Amants, oü les boucliers denbsp;ceux qui l’avaient passé étaient attachés en hon-neur de leur loyauté. 11 se souviut memo f[ue cenbsp;bouclier était surmonté du nom de don Quadra-gjjut; et, tout cela réuni, le prévint en faveur dunbsp;chevalier qui s’opposait li soa passage.

, II faut, reprit Quadragant, que vous me disiez SI vous êtes de la cour du roi Lisvart.

Dourquoi? demanda Ie Beau-Ténébreux.

Paree que je suis soa ennemi mortel et de tous ceux qui tieaneat son parti, répondit Quadragant.

. A.h 1 dit le Beau-Ténébreux, quoique votre haute naissance et votre haute renomméc soientnbsp;cgalement illuslres, je vous trouvo bien imprudentnbsp;ue vous declarer rennerni d un si grand roi et denbsp;ant de yaillants chevaliers qui lui sont attachés 1nbsp;Uuoique je sqis le plus humble d’entre eux, je suisnbsp;(ia?t ^nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;cette quorellc... 11 me serail cepen-

Uott ^ iigcéable d’etre votre ami que de com-

battre contre vous...

sa.,T ‘i nbsp;nbsp;nbsp;avez-vous done, vous qui unis-

sez taat de courtoisie a laat d’audace?

noim m o* nbsp;nbsp;nbsp;*^st pas connu... Oa m’ap-

enrp nbsp;nbsp;nbsp;buébreux, et ce nom ae mérite en-

core .mcuue illustration...

ScoS'.rüS!'f “

Ils coururent lun contre Taulro avec une écale unpetuosite. Le Beau-Ténébreux renversa Quadragant, qui le bicssa légèremeat. Le combat se con-Rnua a coups d’épée, et il se prolongea assez pournbsp;endrol issue de I’affaire incertaine. Mais enlia , lenbsp;saisissant d’un bras victorieux,

enversa pour la seconde fois et lui cria :

aiix dpMY nbsp;nbsp;nbsp;n^ejurez d’obéir

u^deux conditions que j’exige de vous 1

incontinent

Qiadicigant, je ne cède du moins qu’au plus vail-lant chevalier de l’univers... Je jure done d’obser-ver fidèlement ce que vous me prescrirez...

— nbsp;nbsp;nbsp;Eli bieal reprit le Beau-Ténébreux, rendezvous é la cour du roi Lisvart; dites-lui que vousnbsp;venez de ma part vous rendrc é lui, que vous aban-donnez la querelle de Gildadaii pour devenir un denbsp;ses chevaliers, et jurez, en présence de tous lesnbsp;chevaliers de sa cour, que vous pardonnez la mortnbsp;de votre frère Abies i celui qui corabattit loyale-ment contre lui...

— nbsp;nbsp;nbsp;Gps conditions sont bien dures, répondit Quadragant, mais j’ai protnis d’avance d’y souscrire : jenbsp;les remplirai.

— J’espère quo nous nous retroiiverons, dit alors le Beau-Ténébnmx en relevant son adver-saire et en lui tendant les mains; et la haute estimenbsp;en laquelle je vous tiens, pourra dans la suite menbsp;mériler votre amitié!...

— nbsp;nbsp;nbsp;Ohl répondit Quadragant, quel que vous puis-siez être, le Beau-Ténébreux peut, être assuré quonbsp;je ne serai jamais son ennemi 1...

Le Beau-Ténébreux continua sa route, apics l’avoir remis entre les mains de ses écuyers.

Enil disait tout bas a Duria, en suivant eet incomparable chevalier :

—-Tudieu! mon cousin, quel ermitel Son bras et son épéo seraieat encore plus utiles a notre roinbsp;queses oraisons, pourle combat qu’il est pres denbsp;livrer.

CIIAPITRE XXVTI

Comment le Ceau-Ténébreux, avanl d’arriver k Mireflcur, eut (livers assauts a soutenir conlre des amis ct conlrc desnbsp;eunemis, el comment il cn sortit.

A la pointe du jour, le londemaiu, le Beau-Ténébreux sc remit en route, dans l’espéranco do pouvoir arriver vers le soir a MireBenr.

La journée s’était passéc a chevaucher, et il tou-ebait é une colline derrière laquelle était le but do sou voyage, lorsqu’il aperput dans la prairie avoi-sinante, a quelques pas d’une riviere qui serpen-tait lit a travers les Beurs, un certain iiombro donbsp;riches pavilions. Tout amour allaient ct venaientnbsp;des groupes de jeunes filles, sous la protection donbsp;dix chevaliers bien armés.

Lc Beau-Ténébreux nc douta point que ces gentes persoimes, si agréablement occupées a deviser et !i cueillir des bouquets, ne fusent de lanbsp;cour do la reine Brisène, et, craignant d’etre dé-couvert on retardé dans sa marclie, il remontait lenbsp;long (le la riviere pour la passer un pen plus haut,nbsp;lorsqu’il fut signalé par les chevaliers. L'un de cesnbsp;derniers se détacha sur-le-champ et accourut versnbsp;iui.

— Chevalier, cria-t-il au Beau-Ténébreux, igno-rez vous done les us et coutumes de la Grande-Bretagne, et croyez-vous done pouvoir passer im-punément ici sans rompre une lance en I’honneur des dames que vous voycz ia ?...

—• Vraiincnt, n'pondit le Beau-Ténébreux, vous aimez a prendre votre avantage 1 Vous me voyeznbsp;arriver sur uii cheval f(3urbu de fatigue, et vousnbsp;(jui avez une monturc fratche, vous venez ni’arrêter


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BIBLIOTIIEQUE BLEUE.

pour me faire une proposition que j’accepterais vo-fontiers en toute autre occurence!... Que ferie?-VOU3 è ma place, chevalier?...

— nbsp;nbsp;nbsp;Si j'avais aussi peur que vous de perdre monnbsp;cheval i la joule, peut-être ferais-je ce que vousnbsp;htites, répliqua Ie chevalier;

Amadis, qui craignait d’être détouraé du projel qui reraplissait son coeur, ajoula :

— nbsp;nbsp;nbsp;Ne trouvez done point étrange si je vous quittenbsp;si tot...

Et, ces mots achevés, il s’éloigna.

Mais les gentes dames, croyant a sa timidité, el peut-être ê sa couardise, résolurent incontinent denbsp;s’eu arauser! et Tune d’elles, se détachant dosnbsp;groupes , accourut auprès du Beau-ïénébreux ,nbsp;qu’elle arrêta en lui disant:

— nbsp;nbsp;nbsp;Sera-t-il pissible, chevalier, que vous refu-siez une joute en l’honneur de la princesse Léonor,nbsp;fillc du roi Lisvart, et que vous lui donniez mau-vaisc opinion de votre courtoisie et de votre courage?...

— Non, de par saint George 1 répondit Amadis impatienté. Qu’ils viennent deux, trois, quatre, et,nbsp;puisqu’ils m’y forcent, il ne sera pas dit que j’ainbsp;perdu une occasion de chatier leur outi'ecuidancenbsp;et de dis},raire la jeune et charmante princesse aunbsp;nom de laquelle vous me parlezl...

Et, sans attendre davantage, il courul vitement contre Ie chevalier qui l’avait tont a rheure provo-qué, et Ie désarconna comnic il eüt fait dun enfant, sans rompre sa lance. Les neuf autres chevaliers se succédèrent pour l’éprouver, ct chacunnbsp;d’eux subit Ie même sort.

Selon les lois de la joute, les chevaiix des dix chevaliers que venait de désargonrier Amadis luinbsp;appartenaient. II les envoya tous a la princesse,nbsp;Léonor, en lui faisant dire quo Ie Beau-Ténébreuxnbsp;se mettait h ses pieds, et que, désirant plus vive-ment que persoune la servir, il serail bieu fachénbsp;de démonter les chevaliers commis a sa garde; qu’ilnbsp;la priait seulemcnt de leur coiiseiller d’être plusnbsp;courtois envers les chovalicrs étrangers, et dc senbsp;tenir mieux ê cheval une autro fois.

Puis il se remit en route.

EchaufTé par les précédentes joules, il s’arrêta bientót au bord d’une fontaino, h quelques pasnbsp;d’un ermitage, pour se rafraichir pendant quebpienbsp;temps, après avoir debridé son cheval. II cornplaitnbsp;attendre la nuit dans ce lieu solitaire , pour scnbsp;rendre plus secrètement é la fontaiiie des ïrois-Canaux oü Burin devait venir lui donner dos nou-velles de ce qui se passait k Miredeur. Tout-a-coup il entendit des voix de femmes, voix dolciih'snbsp;ct affligéeS : il remonta k cheval et coiirut versnbsp;l’endroit d'oü lui semblaient veuir ces plaintes.

Le Beau-Ténébreux fut bieii cbahi de se trouver en présence d’un grand char sur lequcl élaient dixnbsp;chevaliers enchainés, sans heaume et saus écu,nbsp;avoc plusieurs jeunes lilies qu’il crut rcconnaitrcnbsp;pour los cornpagnes de la princesse L 'onor, qu’ilnbsp;avail rencontrées k un quart de lieue de la.

— Ah ! s’écria-t-il, c’est servir Ia divine Oriane que de secourir sa soeur 1

Alors il s’avanga vers le char et cria iinpericu-rieusemciit, k coux qui Ie couduisaiciit, de s’ar-rêter.

Un géaiit vint k la rencontre d’Amadis en lui disant d’iin air furieux:

— nbsp;nbsp;nbsp;Vil mortel, oses-tii hicu t’exposer k Ia plusnbsp;cruelle des morts en t’opposant un moment k lanbsp;volontc du puissant Fa?nongomad?...

Ce nom, loin de mettre en effroi le Beau-Ténébreux, lui causa, au contraire, une violente colcre, paree qu’il se ressouvint de co que lui avail raconténbsp;Burin et de l’insoleut message que ce géant availnbsp;envoyé au roi Lisvart. Pour toute reponse done, ilnbsp;courut contre lui la lance en arrêt avec une lelienbsp;violence que ni l’écu ni Ic haubert du góant ne pu-rcnl riisistor ct qu’il roula sur la poussière, pcrcénbsp;d’oulre cn outre.

Le géant, lui, avail porté sou coup trop bas, ct, au licu d’atteinilre le Beau-Ténébreux, il n’avaitnbsp;atteint que sou cheval. Amadis, alors, sautant lé-górement k terre, courut sus k Famongomad, le-quel faisait des efforts inouïs pour sc rclever, ennbsp;criant •

— nbsp;nbsp;nbsp;Mon Ills Basigant, venez k moti secoursl...

A cc cri, le Beau-Ténébreux fut attaqué par un

second géant qui paraissait encore plus grand et plus redoutable que le premier. Ge géant voulutnbsp;fiire passer son cheval sur lo corps dn Bean-Té-nébreux et le fendre en deuX d’iin coup dc ha-ebe; mais Amadis esquiva Tune et l aulrc attoiiite,nbsp;et, coup int les jarrets du Cheval dc sou ennerai,nbsp;il obligea le colosse k se jeter k terfe.

Basigant, animo par les cris dc doulciir ct dc rage de son père expirant, s’en vint la hachenbsp;haulevers le Beau-Ténébrenx, comptantbien 1’a-battre d’un seal coup. Mais il rencontra l’écu dcnbsp;son adversaire, sa hache s’y enfonca profondé-ment, Cf, pendant qu’il essayait de la retircr,nbsp;Amadis lui traversa la gorge d’un coup d’ópéc :nbsp;Basigant tomba, versant un torrent de sang,aprèsnbsp;avoir chancelé pendant quelques pas qui le rap-prochèrcnlde son père. L’un et l’autro expirèrentnbsp;bientót, après avoir maudit lenrs dienx, qui lesnbsp;avaient laissé vaincre par un seul chevalier.

Le Beau-Ténébreux, s’cmparant du cheval de Famongomad, s’clanga dessus, mit en fuitc lesnbsp;conducteurs du char, ct, s’approchant de la jeunenbsp;princesse Léonor, qui avail passé par toutes lesnbsp;angoissos de la peur et dc l’espérauce pendant cenbsp;double combat, si inégal cn apparcncc, il lui dit;

— Madame,retournezen triomphc k Londres... J’espèrc que vos chevaliers j)erdroiit l’opinion (pic,nbsp;d’abord, ils out euc dc moi; qu’ils se souvicndronlnbsp;(|ue, dans le même jour, je leur rends deux foisnbsp;Icurs chevaux, el qu’ils voudront présenter au roinbsp;les cadavres dc ces deux géauts, de la part dunbsp;chevalier qui n’a d’autre nom ([uc celui du Bcau-Tenébreux. A votre égard, madame, croycz quonbsp;je répandrais dc grand coeur tont raou sang pour

vous et pour tout cc qui vous est cher.....Lc roi

votre père aura ces deux ennemis de moiiis dans son combat contre Cildadan; ils racrilaient bic.i

d’ètrcpnnis dc I’insolcncc de leur message!.....

Bites au roi votre p''rc,jc vous pric, ((ue, pour toute grace, jc lui demande dc nio cornprendronbsp;dans le norafirc des chevaliers qui doiveut com-hattre sous ses ordros, ct (pic jc me rendrai knbsp;temps au()rcs dc lui pour cc combat!...

Cos mots dits, il s’éloigua, laissaut Léonor ct



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LE BEAU-TENEBREUX. 31

ses chevaliers dans radmirat'Oii de sa courtoisie et de son courage.

— nbsp;nbsp;nbsp;Cc chevalier soul pourrait égaler Ie redoa-tablc Amadis! s’écria la princésse.

— nbsp;nbsp;nbsp;Parbleu 1 répondit Galaor, je suis bien en-nuyé d’entendre comparer cc Ileau-Ténébreux finbsp;mon frére Amadis, et je me propose bien de m’ó-prouver avec lui et d’en faire connaitre la difference !

Galaor oiibliait déja qu’il avait rompu unfe lance avec Ie Bcau-Ténébreux, et tpie ce dernier l’avaitnbsp;di'sargonné, tout comme ses neuf aiitres compagnons.